HW.Y B£»££*»ER LIgRARï, WinaSOR
^ J^r
SAINTE EUCHARISTIE
LA
SOMME
DE THÉOLOGIE ET DE PRÉDICATION
EUCHARISTIQUES
PAR
L'ABBÉ Z.-C. JOURDAIN
DU DIOCÈSE d'aMIENS
CHANOINE HONORAIRE
AUTEUR DE LA SOMME DES GRANDEURS DE MARIE
TOME QUATRIÈME
SECONDE PARTIE
CULTE ET DÉVOTION
II.
DÉVOTION ENVERS LA SAINTE EUCHARISTIE — OBJET ET PRATIQUE
PARIS
HIPPOLYTE WALZER, LIB R A IR E - É DITEUR
7, RUE DE MÉZIÈRES, 7
1901
HfltYREMEItERLIBMRY, WINMOR
BESANÇON. — IUPKIMfe:RIl!: ET STERBOTYPIE PAUL JAOQUIN
LA
SAINTE EUCHARISTIE
SECONDE PARTIE
CULTE ET DÉVOTION
LIVRE SECOND
DÉVOTION ENVERS LA SAINTE EUCHARISTIE —
OBJET ET PRATIQUE
CHAPITRE PREMIER
«E LESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST,
OBJET DE NOTRE DÉVOTION DANS LA TRÈS SAINTE EUCHARISTIE
. En quoi consistent la dévotion en général et la dévotion au Saint-Sacrement en
particulier. — II. Ce qu'il faut entendre par la nature ou l'essence divine du Dieu
que nous adorons sous les espèces eucharistiques. — III. La nature divine ou l'être
divin de Notre-Seigneur Jésus-Christ est esprit et vie. — IV. Vérité et bonté de
l'Être divin, ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ considéré comme Dieu dans l'Eu-
charistie. — V. Simplicité absolue, réelle, métaphysique et logique de la nature
divine de Notre-Seigneur présent dans l'Eucharistie.
I.
EN QUOI CONSISTENT LA. DÉVOTION EN GÉNÉRAL ET LA DÉVOTION
AU SAINT-SACREMENT EN PARTICULIER
Le culte liturgique rendu par la sainte Église à Notre-Seigneur
ésus-Clirist, présent sous les espèces du pain et du vin, est la
lise en pratique de la vertu de religion envers l'auguste mys-
re de nos autels. Il faut en dire autant de la dévotion, fleur et
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IT. 1
2 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
parfum de ce culte qui, sans elle, ne ressemblerait que trop à un
corps privé de vie.
Le mot dévotion, si l'on considère son origine étymologique,
procède du mot latin vovere, devovere, qui signifie se dévouer
entièrement, se consacrer par vœu à l'accomplissement d'un acte
quelconque. « Chez les gentils, dit S. Thomas, on donnait le nom
« de devoti à ceux qui se dévouaient à la mort, en l'honneur des
« idoles, pour le salut de leur armée, comme Tite-Live le rap-
€ porte des deux Decius *. »
Le mot dévotion a donc primitivement la même signification
que dévouement, et le vrai dévot sera l'homme toujours prêt à
servir Notre-Seigneur et à faire sa sainte volonté.
Une tendresse de cœur qui se manifeste dans la prière, non
plus que le goût et les consolations sensibles que donnent les
choses spirituelles, ne sont, à proprement parler, la dévotion véri-
table. Il n'est pas rare que des personnes très imparfaites, ou
même coupables de fautes graves, éprouvent cette tendresse et
ces consolations, dit Louis de Grenade 2, tandis que des saints ne
ressentiront rien de pareil. Or on ne peut pas dire que la dévotion
véritable fasse défaut à ceux-ci, ni qu'elle se trouve dans ceux-là.
S. Augustin goûtait ces consolations sensibles dans les premiers
temps de sa conversion, beaucoup plus vivement que lorsqu'il eut
atteint plus tard toute la perfection d'une admirable sainteté 3. La
vraie dévotion, comme l'entendent les Pères et comme S. Thomas
la définit, est « un acte spécial de la volonté qui se porte avec
« promptitude à l'acccomplissement des choses relatives au ser-
« vice de Dieu 4. » Les Hébreux, après la sortie d'Egypte, faisaient
acte de dévotion, lorsqu'ils offraient à Moïse ce qu'ils avaient de
plus précieux, pour la construction et l'ornementation du taber-
nacle et de l'arche d'alliance, selon ce qu'on lit dans l'Exode :
1. Devoti apud gentiles olim dicebantur qui se idolis devovebant in mortem
pro sui exercitus salute, ut de duobus Deciis Titus Livius narrât. (S. Thom.,
II, II, q. Lxxxii, art. 1.)
2. LuDOV. Granat., De oral, et consider., II p., cap. i.
3. Quantum flevi in hymnis et canticis tuis suave sonantis Ecclesise tuas
vociLus commotus acriter 1 Voces illae influebant auribus mois et eliquebatur
Veritas in cor meum ; et exaestuabat inde affeclus pietatis, et currebant lacrymse,
et bene mihi erat cum eis. (S. August., Confess., lib. IX, cap. vi.)
A. Unde devotio nihil aliud esse videtur quam voluntas qujedam prompte
Iradendi se ad ea quœ pertinent ad Dei famulalum. (S. Thom., II, II, q. lxxxii,
art. 1, in corp. art.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 3
« Ils offrirent, d'un cœur très empressé et dévoué, les prémices
« au Seigneur, pour faire l'ouvrage du tabernacle de témoignage,
« et tout ce qui était nécessaire au culte et aux vêtements saints.
« Les hommes avec les femmes donnèrent des bracelets, des pen-
« dants d'oreilles, des anneaux et des ornements de la main droite.
« Tout vase d'or fut mis à part comme offrande au Seigneur K »
S. Ambroise trouve un admirable exemple de dévotion dans l'em-
pressement avec lequel Abraham se leva, pour accomplir l'ordre
que lui donnait le Seigneur, d'aller immoler son fils Isaac. Et
cette dévotion fut persévérante. Pendant trois jours entiers, le
saint patriarche imposa silence à toutes les révoltes de la nature,
pour accomplir jusqu'au bout et dans sa plénitude le sacrifice que
Dieu lui demandait '-. Zachée montra de même un empressement
très louable, pour voir d'abord Notre-Seigneur, ensuite pour le
recevoir dans sa maison et lui être agréable, en donnant aux
pauvres la moitié de ses biens. C'était, de la part de ce publicain,
un acte de dévotion qui méritait une haute récompense ; aussi
Jésus se hàta-t-il de l'eii gratifier 3.
S. Bernard, dans le dixième sermon sur le Cantique des can-
tiques, compare la dévotion au parfum que Marie-Madeleine ré-
pandit sur la tête du Seigneur, puis il dit : « Mais voyez quels
« sont ceux qui peuvent, avec raison, se vanter de posséder en
« abondance un parfum si précieux. Les apôtres sortaient avec
« joie de la présence des juges, parce qu'ils avaient été trouvés
4. Obtulerunt mente promptissima atque devota, etc. Exod., xxxv, 21 et seq.
2. Prima voti gratia est celeritas solutionis. Denique Abraham filium suum
ad holocaustum jussus offerre, non post dies, ut Gain obtulit : sed exurgens
mane stravit asinam suam et adhibuit secum duos pueros, et Isaac filium suum ;
et concidens ligna ad holocaustum, surgens abiit, et venit ad locum qtiem dixerat
ex Deus, die tertia. Primo adverte immola turi studium maturum atque festi-
num ; ut mora expectationis non essct, nisi donec audiretur oraculum : deinde
utsterneret asinam suam, obsequium omne ipse susciperet, et sacrificio neces-
saria praepararet, duabus quoque fide et spe virtutibus comitantibus, hostiam
suam duceret, de potestate Dei certus, et de bonitate securus. Quod autem ait,
die tertia, vel quod continua esse débet et perpétua devotio. (S. Ambros., J)e
Gain et Abel, lib. I, cap. viii, n. 29.)
3. Habes in Evangelio dicentem Dominum Jesum : Zachœe, festinans de-
scende. Et ille quia impetraverat quod volebat, ut Christum videret ; et amplius
impetraverat, ut videretur et vocaretur a Christo, festinans descendit, et
excepit illum gaudens : et ideo probavit Dominus ejus affectum, et eum céleri
remuneratione donavit dicens : Quia hodie salus domui huic facta est. Quod
utique praevenientis fuit, non promiltentis. Juslus igitur votum suum celeritate
commandât. Jrf., ibid.
4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
« dignes de soulTrir des affronts pour le nom de Jésus. Certes, ces
« hommes, dont la douceur était à l'épreuve non seulement des
« paroles mais des coups de fouet, étaient bien remplis de cette
€ onction de l'Esprit. C'est qu'ils étaient riches en charité, vertu
« qui ne s'épuise jamais, quelque dépense qu'on en fasse; elle
« leur fournissait abondamment de quoi otïrir au Seigneur des
a victimes de choix. Leurs cœurs répandaient partout la sainte li-
f queur dont ils étaient plus que remplis, lorsqu'ils publiaient les
€ grandeurs de Dieu en diverses langues, selon que le Saint-Esprit
« les inspirait *. »
Il faut donc se garder de confondre les consolations sensibles
avec la dévotion, qu'on pourrait définir aussi « un zèle ardent
a pour accomplir avec perfection tout ce qu'on sait être agréable
« à Dieu ; » mais il est bon néanmoins de remarquer que les
consolations sensibles sont souvent une récompense de la dévo-
tion et un encouragement, en même temps qu'un secours accordé
aux âmes faibles qui, sans elles, n'avanceraient pas et tomberaient
dans la tiédeur. « Il y a, dit Louis de Grenade 2, entre la dévotion
« et les consolations intérieures, réciprocité de services, comme
« entre une mère et une fille affectueuse ; ce qui d'ailleurs est
a assez fréquent dans la vie surnaturelle. De semblables rapports
c unissent, par exemple, la fçi et la charité. La foi est la racine, le
« principe de la charité ; la charité, à son tour, est la forme ou, si
« l'on aime mieux, l'àme de la foi. Le Psalmiste disait : Seigneur,
« j'ai couru dans la voie de vos commandements lorsque vous
« avez dilaté mon cœur : Viam mandatorum tuorum cucurri
« cum dilafasti cor meum 3. Or cette dilatation provenait de la
« joie spirituelle, car il appartient à la joie de dilater le cœur,
« comme à la tristesse de le resserrer. Cette joie du prophète était
t si vive qu'elle le poussait à courir dans le chemin de la loi di-
\. Sed videte quinam de ejus copia (unguenti devotionis) non immerito glo-
rienlur : Ibant gaudentes Apostoli a conspectu conciln, quoniam digni habiti
sunlpro nomine Jesu contumeliam pnti {AcL, v, ^\). Multum sibi profecto in-
slillaverant de pingucdine spiritus, quorum lenitas non dico verbis, sed nec
verheribus cessit. Erant enirn diviles in charitate, qu8e nuUis exhauritur
oxpensis, et de ipsa facile bolocausta medullata offerre sufficiebant. Fundebant
passim sudantia peclora liquorem .snncluin, quo iinbuta plenius erant, quando
loquebanlur variis iinguis magnalia Dei, prout Spiritus sanctus dabat eloqui
illis. (S. Bernaro., Serm. Xm Canl., n. 10.)
a. De oratione et consolatione, II p., cap. i, n. \.
3. Ps. c.wiii, 32.
DE L ESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. O
« vine, et c'est en quoi consiste principalement la dévotion. Lesser-
« viteurs de Dieu peuvent donc légitimement désirer les consola-
« tions spirituelles, bien qu'elles ne soient pas la véritable dévo-
« tion ; ils le peuvent, non pas à cause de la satisfaction qu'elles
« procurent, car l'amour-propre se substituerait alors à l'amour
« de Dieu, mais à cause de l'élan qu'elle leur inspire vers le
« bien. »
La dévotion anime toutes les autres vertus et dispose l'homme
à toutes sortes de biens. Elle est, avec le culte liturgique, la mise
en pratique de la vertu de religion ; elle en est l'expression la
plus pure et la plus parfaite. Or la vertu de religion est la reine
des vertus morales, parce qu'elle a pour objet direct et immédiat
l'honneur que Dieu réclame de ses créatures. L'honneur de Dieu
est la fin plus ou moins éloignée de toutes les vertus morales, mais
il est la fin immédiate et directe de la vertu de religion, et par
conséquent de la dévotion i.
On peut dire qu'il n'y a rien ici-bas d'aussi précieux pour nous
que la dévotion véritable. Elle établit entre l'homme et Dieu une
merveilleuse intimité, une union toute céleste, fondée, non sur
des motifs naturels, mais sur les perfections et les vertus surnatu-
relles de l'àme ; c'est par la dévotion que l'âme s'immole elle-
même à Dieu, comme une victime pure et immaculée -.
La dévotion qui nous attache à Dieu nous enseigne à mépriser
les choses de la terre pour n'aimer et ne désirer que les bienS/du
ciel ; elle nous procure la sécurité au milieu des dangers de toutes
sortes, en nous assurant la protection efficace de Dieu ; elle nous
donne droit enfin à ce centuple que Notre-Seigneur Jésus-Christ
promet à ceux qui ont tout quitté pour le suivre. « Ce centuple est
l'adoption des enfants de Dieu, dit l'abbé Geoffroy, un des disciples
de S. Bernard ; c'est la liberté de l'esprit, les délices de la cha-
rité, la gloire de la conscience, le règne de Dieu qui est en nous,
1. Virtutes morales sunt circa ea quœ ordinantur in Deum sicut in finem.
Religio autem magis de propinquo accedit ad Deum quam alia; virtutes mo-
jales, in quantum operatur ea quœ directe et immédiate ordinantur in hono-
rem divinum. Et ideo religio praeeminet inter alias virtutes morales. (S. Thom.,
II, II, q. Lxxxi, art. G.)
2 Summum hominis bonum in sola religione est. Hoc vinculo pietalis ob-
stricti Deo et religati sumus ; unde ipsa religio nomen accepit. Hœc est religio
cœlestis, non quae constat ex rébus corruptis, sed quse virtutibus animi. Qui
oritur e cœlo, hic verus est cullus, in quo mens colentis seipsam Deo immacu-
latam victimam sistit. (Lactant., De divin. Inst., lib. III, cap. x.)
b LA SAINTE EDCHARISTFE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
non comme nourriture et boisson, mais comme justice, paix et
joie dans le Saint-Esprit. Et cette joie doit se manifester, non seu-
lement dans l'espoir de la gloire future, mais aussi dans les tribu-
lations de la vie présente. C'est le feu sacré que le Christ voulut
si ardent; la vertu qui fit désirer à André le supplice de la croix,
qui porta Laurent à se rire des bourreaux, et Etienne à prier pour
ceux qui le lapidaient. C'est la paix que le Sauveur laisse à ses
disciples. C'est le gage de paix réservé aux élus du Seigneur pour
le présent et pour l'avenir. Cette paix surpasse tout sentiment, et
rien de ce qui charme sous le soleil, qui se fait désirer sur la
terre, ne peut lui être comparé. C'est la grâce de la dévotion
connue de celui qui l'éprouve, ignorée de celui qui ne la goûta
jamais, car ceux qui la reçoivent sont les seuls qui la compren-
nent 1, »
S. Augustin nous enseigne que la considération des bienfaits de
Dieu et celle de nos propres défauts sont le moyen d'acquérir la
véritable dévotion : « La méditation, dit-il, produit la science; de
« la science naît la componction, et de la componction, la dévotion
« qui rend l'oraison parfaite. La componction est la peine inté-
« rieure dont le cœur est saisi par la considération du mal qui
« est en lui. La dévotion est un sentiment de piété et d'humilité
« en présence de Dieu ; d'humilité par la conscience que l'on a de
« sa propre misère ; de piété par la considération de la divine
« clémence 2. »
Mais c'est à S. Thomas qu'il faut demander quelle est précisé-
1. Hoc ergo centuplum adoptio filiorum est libertas, et primitiae spiritus
deliciae charitatis, gloria conscientiae, regnum Dei, quod intra nos est ; non
utique escavel potus, sed justilia et pax, et gaudium in Spiritu sancto {liom.,
XIV, 17). Gaudium sane non modo in spegloriœ, sedetiamin tribulationibus. Hic
est ignis quem voluit Ghristus vehementer accendi. Hsec virtus ex alto, quse
Andream fecit amplecti crucem, Laurentium riderecarnificem ; Stephanum in
morte pro lapidantibus flectere genua ad orationem. Hsec illa pax, quam suis
reliquit Chrislus, quando dédit et suam. Siquidem.donum et pax electis Dei,
pax utique praesens et donum futurse. Illa superatomnem sensum, sed et hinc
qnidquid in mundo concupiscitur, non poterit comparari. Heec gratia devo-
tionis, et unctio docens de omnibus, quam expertus novit, inexpertus ignorât,
quoniam nemo scit nisi qui accipit. (Geoff. Abb. apud Opéra S. Bernardi,
Declam. lxviii.)
2. Meditatioparitscientiam,scientiacompunctionem,compunctiodevotionem,
devotio perfecit orationem.... Compunctio est quando ex consideratione malo-
tum suorum cor interno dolore tangitur. Devotio est plus et humilis affectus
■itt Deum; humilis ex conscientia infirmitalis propriae, pius ex consideratione
divinae clementise. (S. Augdst., De Spirit. et Anim., cap. l.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 7
ment la source où doit puiser quiconque désire sincèrement obte-
nir de Dieu le don précieux de la dévotion. Son enseignement, du
reste, n'est pas autre, au fond, que celui de S. Augustin. « La
« dévotion, dit-il, est un effet nécessaire de la méditation, car c'est
« par la méditation que l'homme conçoit la volonté de se livrer au
« service de Dieu. Deux considérations l'y décident : la première
« est celle de la bonté divine et des bienfaits qui en découlent,
« selon ce texte de l'Écriture : Il m'esi bon de me tenir attaché à
« Dieu, et de mettre dans le Seigneur Dieu toute mon espé-
« rance ; et cette considération fait naître l'amour qui est la
« cause prochaine de la dévotion. La seconde considération est
« celle que fait l'homme de ses propres défauts, qui le mettent
« dans la nécessité de chercher un appui en Dieu, selon cet autre
« texte : J'ai levé mes yeux vers les montagties, d'où me vien-^
« dra le secours. Mon secours vient du Seigneur qui a fait le
« ciel et la terre. Et cette considération met à l'abri de la pré-
« somption, qui a pour résultat d'empêcher l'homme de se sou-
ot mettre à Dieu, parce qu'il place sa confiance dans ses propres
« forces '. ))
La bonté de Dieu en lui-même et envers les hommes, où peut-
on la considérer avec plus de fruit qu'en présence de l'adorable
Eucharistie, mystère des mystères, et résumé de toutes les mer-
veilles divines? Là, nous trouvons Jésus-Christ réellement présent,
non pas seulement comme il le fut autrefois dans la Judée, mais
tel qu'il est aujourd'hui dans la gloire du ciel. Là, nous adorons
ce divin corps qu'il a pris pour nous, qui a tant travaillé et tant
souffert pour nous. Là, se renouvelle pour nous très véritable-
ment, quoique d'une manière mystique, le sacrifice de la croix, et
les mérites de l'immolation sanglante du Calvaire nous y sont
appliqués. Là, notre Dieu lui-même se fait notre nourriture.
1. Necesse est quod meditatio sitdevotionis causa, in quantum scilicet homo
per meditationem concipit quod se tradat divino obsequio. Ad quod quidam
inducit duplex consideratio : una quidcm quae est ex parte divinae bonitatis et
beneficiorum ipsius, secundum illud : Mihi adhwrere Deo bonum est, ponere
in Domino Deo spern meam {Psal. xlix, 23); et haec consideratio excitât dilec-
tionem, quae est proxima devotionis causa. Aliavero est ex parte hoininiscon-
sideranlis sues defectus, ex quibus indiget ut Deo innitatur, secundum illud :
Levavi oculos meos in montes, unde veniet auxilium mihi : auxiliwn 7neum a
Domino qni fecit cœlum et lerram (Psal. cxx, 1); et liœc consideratio excludit
praesumptionem, per quam aliquis impeditur ne Deo se subjiciat, dum suae
virtuti innititur, (S. Thom., II, II, q. Lxxii, art. 3.)
» LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
Parce qu'il est la vie, il se donne à nous pour que la vie demeure
en nous. Là, nous le trouvons encore vivant au milieu de nous,
comme un ami au milieu de ceux qu'il aime, toujours prêta nous
écouter, toujours prêt à nous venir en aide, toujours prêt à nous
pardonner si nous avons eu le malheur de l'offenser en quelque
chose.
Pourrait-on méditer sur tant de bienfaits sans être embrasé du
désir d'aimer un Dieu qui aime tant?
Mais le désir d'aimer notre divin Jésus dans l'Eucharistie sera
d'autant plus ardent, la volonté de lui être fidèle en tout et tou-
jours, d'autant plus ferme et plus inébranlable, que nous con-
naîtrons mieux ce Dieu fait homme, présent pour nous dans le
sacrement de son amour. Pour comprendre et accepter le devoir
qui nous est imposé de lui rendre un culte liturgique, il nous a
suffi de savoir que, présent dans l'Eucharistie, il est Dieu, qu'il est
notre Rédempteur, notre Sauveur, notre Pasteur et notre guide
suprême : pour exciter en nos cœurs une sincère et profonde
dévotion envers ce même Dieu, notre Sauveur, dans l'Eucharistie,
nous irons plus loin. Nous chercherons à mieux connaître ce qu'il
est comme Dieu et comme homme. Nous considérerons les gran-
deurs et les amabilités infinies de celui qui s'annihile en quelque
manière, sous les espèces eucharistiques, pour mieux se rap-
procher de nous. Et parce que, selon S. Thomas, la véritable dé-
votion ne va pas sans un retour sur nos propres infirmités, nous
considérerons les vertus dont notre adorable Jésus, dans l'Eucha-
ristie, est pour nous le modèle ; la comparaison de ce que nous
sommes avec ce que nous devrions être pour lui ressembler davan-
tage, nous tiendra dans cette humilité qui exclut toute présomp-
tion et qui rend aisé de rechercher en tout, avec empressement,
l'accomplissement fidèle de la volonté et des moindres désirs de
Dieu.
Nous nous efforcerons d'imiter ces vertus, dont il nous a
donné l'exemple pendant sa vie mortelle, et qu'il offre encore à
notre admiration dans le très saint et très adorable sacrement de
l'Eucharistie, et ce sera l'acte de dévotion le plus agréable à son
eœur.
Enfin il est des actes extérieurs de culte envers la Sainte
Eucharistie que tout chrétien est obligé de remplir; il en est
aussi qui n'obligent pas de la même manière, mais auxquels un
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 9
cœur qui aime Dieu est nécessairement porté. Ces divers actes, il
ne suffit pas de les accomplir : il faut le faire avec une véritable
dévotion. Il faut, lorsqu'on est prêtre, saintement célébrer la messe ;
simple fidèle, on doit y assister de même ; il faut s'acquitter avec
piété de tout ce qui regarde la sainte communion, préparation
éloignée et prochaine, réception du sacrement et action de grâces ;
il faut visiter d'une manière utile Jésus dans son saint taber-
nacle ; il faut enfin prendre part, autant qu'on le peut, aux mani-
festations publiques de la dévotion envers la Sainte Eucharistie.
Rien de facile, de doux et de fortifiant, pour un chrétien qui
comprend ce que Jésus-Christ est pour lui dans le sacrement de
l'autel, comme l'accomplissement de ces devoirs. Mais pour le
comprendre, pour connaître Jésus-Christ en lui-même et savoir ce
qu'il est pour nous, pour admirer et imiter les vertus dont il est
le modèle, pour apprendre à vivre dans l'intimité, toujours res-
pectueuse mais accompagnée du plus ardent amour, de celui qui
s'est fait notre victime, notre nourriture, notre compagnon dans
cette vie, et notre récompense dans l'autre, il est nécessaire d'é-
tudier et de méditer ses mystères. Alors connaissant mieux com-
bien Jésus est grand, combien il est aimable et imitable dans
la Sainte Eucharistie, nous pourrons le servir avec une dévotion
d'autant plus ardente et sincère, qu'elle reposera sur des bases
plus solides, et sera éclairée d'une plus vive lumière.
II.
CE qu'il faut entendre par la nature ou l'essence divine du dieu
QUE nous adorons SOUS LES ESPÈCES KUCIIARISTIQUES
Nous savons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous adorons
dans le très saint sacrement de l'Eucharistie, est Dieu. Nous
n'avons à démontrer ici ni sa divinité ni la réalité de sa pré-
sence. iMais, prosternés au pied de l'autel où il renouvelle chaque
jour le sacrifice offert à Dieu son Père, une première fois pour
notre rédemption, à genoux à la table sainte où il nous donne sa
propre chair pour notre nourriture, à genoux encore devant le
saint tabernacle où son amour pour nous le retient prisonnier,
nous avons besoin de chercher à mieux connaître celui qui nous
a tant aimés. Ainsi, à notre tour, nous l'aimerons davantage,
nous serons plus empressés, plus dévoués à son service.
10 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE If. — CHAP. I. "
Qui pourrait connaître dans toute sa plénitude l'être infini de
Dieu? Les lumières naturelles ne nous disent pas ce qu'il est.
Comment le feraient-elles? Même aidée de la toi, la sublime intel-
ligence d'Augustin s'avouait impuissante en présence de tant de
grandeur. « Que votre charité considère, disait cet illustre doc-
teur, que Dieu est ineffable. Il nous est plus facile de dire ce qu'il
n'est pas que de dire ce qu'il est. Vous pensez à la terre? Dieu
n'est pas cela. Vous pensez à la mer? Dieu n'est pas cela. Vous
considérez les hommes, les animaux, toutes les choses qui existent
sur la terre? Dieu n'est pas cela. Les choses qui sont dans la mer
et dans l'air? Dieu n'est pas cela. Tout ce qui brille au ciel, les
étoiles, la lune, le soleil? Dieu n'est pas cela. Le ciel même? Le
ciel n'est pas Dieu. Les Anges, les Vertus, les Puissances, les
Archanges, les Trônes, les Dominations ? Ce n'est pas encore Dieu.
Qu'est-ce donc que Dieu ? Je n'ai pu vous dire que ce qu'il n'est
pas. Vous me demandez ce qu'il est ? Il est ce que Vœil rCa pas
vu, ce que Voreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas entré dans
le cœur de V homme. Pourquoi demander que la langue exprime
ce que le cœur ne saurait atteindre ^ ? »
Mais s'il nous est impossible de connaître et de définir Dieu
tel qu'il est, dans la plénitude de son être et de ses perfections,
nous pouvons néanmoins nous former une idée de lui qui, bien que
nécessairement incomplète et au-dessous de son objet, est cepen-
dant la vérité telle qu'il nous est donné de l'atteindre ici-bas. Les
théologiens, dans leurs recherches et leurs enseignements sur
l'essence et les attributs de Dieu, ne prétendent pas pénétrer et
montrer ce divin objet tel qu'il est en lui-même, mais tel qu'il se
présente et qu'il est accessible à nos intelligences.
Une question si ardue a fait naître les opinions les plus diverses
parmi les théologiens. Les uns font consister l'essence de Dieu
dans V ensemble de toutes ses perfections.
1. Intendat Charitas vestra, Deus ineffabilis est. P'acilius dicimus quid non
sit, quam quid sit. Terram cogitas, non est hoc Deus; mare cogitas, non est
hoc Deus; omnia quœ sunt in terra, homines et animalia, non est hoc Deus;
omnia quœ sunt in mari, quae volant per aerem, non est hoc Deus ; quidquid
lucet in cœlo, stellse, sol et luna, non est hoc Deus; ip.sum cœlum, non est hoc
Deus ; Angelos cogita, Virtutes, Potestates, Archangelos, Thronos, Sedes, Domi-
nationes, non est hoc Deus. Et quid est? Hoc solum potui dicere quid non sit.
Quaeris quid sit? Quod oculus non vidil, nec ouris audivit, nec in cor hominis
ascendit (/. Cor., ii, 9). Quid quaeris ut ascendat in linguam, quod in cor non
ascendit? (S. August., Enarrat. in Psalm. Lxxxv, n. 12.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JBSUS-CHRIST, 11
D'autres la voient dans Vinftniié qu'ils appellent radicale, ou
dans la nécessité qu'il y a pour Dieu de les posséder toutes.
D'autres, s'appuyant sur l'autorité de S. Thomas, croient devoir
la placer dans V intelligence en acte.
D'autres enfin, s'appuyant aussi sur l'autorité du Docteur An-
gélique, enseignent que l'essence de Dieu réside dans son aséité,
c'est-à-dire dans ce fait qu'il existe par sa propre vertu, et néces-
sairement. C'est l'opinion qui a généralement prévalu. Suarez
trouve qu'elle manque quelque peu de précision et de clarté ;
néanmoins il s'y rallie en la complétant. Résumons en quel-
ques mots ce que dit sur l'essence de Dieu cet illustre théolo-
gien.
L'essence de Dieu, d'après l'enseignement à peu près général
des Pères et des anciens écrivains ecclésiastiques, consisterait
dans son existence même, avec cette marque caractéristique qu'il
ne tient pas cette existence d'un autre, mais quil est par lui-
même. Ainsi l'entendent S. Denis, S. Jérôme, S. Augustin,
S. Bernard, S. Thomas, pour ne citer que les principaux.
L'être de Dieu, qui constitue son essence, ne doit pas être con-
sidéré en lui comme dans les créatures. Ce n'est pas en Dieu
quelque chose d'abstrait et de distinct, comme est Vétre dans
toutes les autres choses existantes. L'être de Dieu, qui constitue
son essence, est tout en lui ; c'est lui-même formellement et tout
entier, actuellement existant dans la plénitude de sa perfec-
tion.
C'est dans l'être ainsi conçu qu'il convient de voir l'essence de
la divinité.
Faire de l'essence de Dieu une sorte de négation, en disant
simplement qu'elle consiste en ce qu'il ne tient son être d'aucun
autre principe, est une conception qui ne satisfait pas pleinement
l'esprit, parce que l'esprit veut quelque chose de positif pour s'y
fixer.
La voir dans ses rapports de cause à effet, avec les autres êtres
dont il est le créateur, ne suffit pas non plus ; et c'est une idée
qui réclame un complément.
Établir une comparaison, reconnaître une analogie quelconque
entre les êtres que nous connaissons et Dieu, en assignant à l'être
divin toutes les perfections que les autres possèdent, mais en
vertu de son essence et à un degré incomparablement plus parfait,
12 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE, — LIVRE II. — CHAP. I.
est bien en soi, mais ne précise pas assez ce qu'il faut entendre
par l'essence divine.
Laissant donc de côté ces trois conceptions, tout en reconnais-
sant la portion de vérité qu'elles renferment, nous dirons que
Vesse7ice divine est une nature substantielle complète, ou, si
l'on aime mieux, que Dieu est essentiellement une substance com-
plète. Elle n'est pas substance en ce sens qu'elle serve de base ou
de soutien à des accidents ou à l'être divin, mais elle est par elle-
même et n'a aucun besoin de reposer sur une substance qui ne
soit pas elle. Elle est, selon l'expression de S. Denis, la supra-
substance. Substance spirituelle et vivante, substance qui, parce
qu'elle est tout l'être de Dieu, se confond avec la vérité et le bien
absolu. Nous examinerons avec quelques détails ces caractères de
l'essence divine.
Cette doctrine de Suarez satisfait l'esprit ; cependant les théolo-
giens qui sont venus après ne l'ont pas admise telle qu'elle se pré-
sente, et c'est dans la perfection divine qui paraît être logique-
ment la première et la source de toutes les autres, qu'ils ont
voulu voir l'essence de Dieu '.
1. Voici ce que Billuart dit sur cette question :
In hujus quaestionis non minus difficilis quam celebris resolutione, in varias
scinduntur sententias theologi. Magisvulgatas ad capita sequentia reducimus.
Prima. Quidam distinguunt inter essentiam et naturam, in eoquod essentia
sit principium essendi, et natura principium operandi, voluntque essentiam
constitui per aseitatem, et naturam per intellectionem. Negant alii essentiam
et naturam in Deo distingui virtualiter, seu ratione ratiocinata, etc.... Verum,
nos hic sumimus pro eodem essentiam et naturam.... Concilia, Patres, theologi
et philosophi passim usurpant essentiam et naturam pro eodem.
Seciinda sententia constituit naturam divinam in collectione omnium perfec^
tionum : unde juxta illam poterit definiri Deus, Etis summe perfeclum. Verum
non attigit punctum difficultatis. Vera quidem est de constitutione physica
divinœ natura;, at de ea non agitur, ut praenotatum est: agitur de constitutione
metaphysica, in qua non attenditur id omne quod resa parte rei continet, sed
aliquid primum quod sit fons et origo caeterarum. Hoc autem primum non est
collectio omnium.
Teriia sententia reponit naturam divinam in infinilate et, juxta illam, Deus
definitur, Eits omnimode infinilum. Ita Scotus cum suis. Haec sententia affinis
est praecedenfi, etenim ens omnimode infinilum perinde est ac ens summe
perfectum; unde eadem ratione impugnatur. Insuper infinitas non est nisi
modus naturae, nempe modus habendi perfectiones sine fine, sicut finitas in
creaturis est modus natura? : atqui modus natura; non est natura, nec eam
constituit sed constilutam supponit. Adde quod infinitas sit praedicatum trans-
cendens omnia attributa, nec ab eis virtualiter distinctum, ut modo dicam de
aseitate.
His igitur sententiis omissis, vertitur difficultas circa duas celebriores sen-
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE jiSDS-CURIST. 13
Les conditions que doit réunir la perfection qui recevra le nom
d'essence divine sont au nombre de quatre : Il faut que celte qua-
lité soit intrinsèque à l'être dont elle sera l'essence. Il faut en se-
cond lieu qu'elle le distingue, et ne permette pas qu'on puisse le
confondre avec quelque autre.
Il faut troisièmement qu'on la conçoive comme existant anté-
rieurement à toute autre en lui.
Il faut enfin qu'on puisse la regarder comme la cause des autres
perfections de cet être et leur source commune.
On peut montrer aisément que la perfection de Dieu qui
consiste en ce qu'il est de lui-même ou par lui-même, ce qu'on
nomme son aséité remplit mieux que toute autre ces quatre
conditions.
Elle est tellement liée à l'être de Dieu et se confond si parfaite-
ment avec lui, même dans notre pensée, que c'est la première
idée que nous nous formons de lui, lorsque nous recherchons ce
qu'il est.
Elle distingue Dieu parfaitement et le sépare de tous les autres
êtres. En effet, ils ne sont pas par eux-mêmes mais ils ont été
créés par Dieu.
Tous les autres attributs de Dieu, sa simplicité, son infinité, son
tentias quarum prima reponit essentiam divinam in aseitale, seu in existentia
a se et per se : et hœc sententia arridet multis prfesertim extra Scholam
D. Thomae. Ex Thomistis autem pro ea citantur Capreolus, Bannes, Lesdema,
quibus novissime suscribit Contensonus. Altéra quae est communior inter
Thomistas censet essentiam divinam constilui per gradum intellectivum, cujus
patroni iterum inter se dividuntur, aliis opinantibus pro intelligere radicali,
quibusdam pro remoto, quibusdam pro proximo, nimirum pro potentia intel-
lectiva. Aliis opinantibus pro intelligere actuali, non sub ratione operationis,
sed sub ratione ultimae actualitatis per se subsistentis. Potest enim actuale intel-
ligere dupliciter accipi : 1° prout est formaliter egrediens a principio et sub
conceptu ab; 2» prout est ultima hujus principii actualitas. Haec distinctio,
quamvis eam obscuram et implicatam dicat D. Tournely, nobis tamen videtur
perspicua et evidens. Quis enim neget operationem esse ultimum actum
potentiae operativae? Habet fundamentum in D. T. infra, q. xviii, art. 2 ad 1,
ubi dicit: Sentire et intelligere, et bujusmodi quandoque accipiuntur pro qui-
busdam operationibus, quandoque pro ipso esse sic operantium. (Billuart,
p. I, dissert. II, art. 1.)
Quoi qu'il en soit de ces opinions diverses, en attendant que les thomistes
partisans des dernières se soient mis d'accord entre eux, nous croyons qu'il
est sage de regarder l'aséité de Dieu comme celle de ses perfections qui le
distingue tout d'abord des autres êtres, qui est la source de toutes les autres
et qui répond le mieux aux conditions que l'on est eu droit de réclamer de ce
qu'on nomme l'essence.
14 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
éternité, etc., découlent évidemment de ce qu'il existe par lui-
même, et ne doit rien à une cause qui lui soit étrangère et qui le
bornerait.
Il en résulte de même que Dieu possède toutes les perfections, et
que chacune de ses perfections est sans bornes ; car il est dans la
nature de l'être de tendre à toute la perfection qu'il lui est pos-
sible d'atteindre. Pour l'être qui existe par lui-même, l'infini seul
satisfait à cette tendance, et rien ne l'arrêtera qu'il n'y soit par-
venu, c'est-à-dire qu'il possède toutes les perfections, et que cha-
cune d'elles soit telle que l'on ne puisse pas même concevoir
qu'une plus grande soit possible.
Cette opinion s'accorde d'ailleurs parfaitement avec les textes de
la Sainte Écriture, qui semblent les plus propres à nous révéler
quelque chose de la nature intime de Dieu.
Lorsque Moïse demande à Dieu quel nom il doit lui donner, en
communiquant ses ordres aux enfants d'Israël, Dieu lui répond :
c Je suis celui qui suis ; tu parleras ainsi aux fils d'Israël : Celui
« qui est m'a envoyé vers vous : » Ego sum qui sum. Sic dices
filiis Israël : qui est misit me ad vos K Voilà donc la définition
que Dieu donne de lui-même : Il est. C'est Vêtre dans toute la plé-
nitude de sens que l'on peut attacher à ce mot, et ce mot renferme
nécessairement tout ; il n'exclut que ce qui n'est pas, le néant
auquel se rattachent le mal et l'imperfection. Dieu veut se faire
connaître à Moïse, au peuple et à Pharaon ; ce qu'il dira de lui-
même marquera donc sa nature et la dévoilera aux hommes, au-
tant qu'elle est accessible aux intelligences humaines sur la terre :
or il ne dit que ces mots : Ego sum qui sum. Il affirme qu'il
est ; trois fois l'expression par laquelle il l'affirme revient, dans la
courte réponse qu'il fait à Moïse. Cette expression est donc ce qui
révèle le plus parfaitement pour nous sa divine nature, son es-
sence. Dieu est. Ne cherchez pas d'où il vient ; il ne vient pas : Il
est. Rien n'a concouru à lui donner l'être, il le possède par lui-
même. Rien ne l'a fait entrer en possession de sa perfection in-
finie, il ne la doit qu'à lui-même. « Si vous demandez ce qu'il
« est, dit Bossuet, il est impossible qu'on vous réponde. Il est,
« personne n'en peut douter, et c'est aussi tout ce qu'on peut en
a dire : Je suis celui qui est; c'est celui qui est qui te parle,
1. Exod., m, 14. . .)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. l5
« disait-il autrefois à Moïse. Je suis; n'en demande pas davan-
« tage K »
Les Pères ne comprenaient pas autrement cette parole de Dieu
à Moïse : Je suis celui qui suis. S. Denis l'Aréopagite décrit en
ces termes l'essence divine, dans son traité des Noms de Dieu :
« Être par soi-même est antérieur à vivre par soi-même 2. »
L'être de Dieu se présente donc logiquement à l'esprit avant sa vie
même; c'est par conséquent ce que l'on conçoit tout d'abord, et
principalement, en lui.
S. Athanase dit à son tour : « L'essence de celui qui est est
« simple, bienheureuse, incompréhensible ; nous ne la concevons
« pas autrement 3. »
S. Hilaire de Poitiers disait : « J'admire profondément cette
« affirmation tellement absolue, qui met si bien la connaissance
« incompréhensible de la nature divine à la portée de l'intelli-
« gence humaine. Car on ne conçoit rien de plus propre à Dieu
a que d'é/re. Ce qui doit finir et ce qui a commencé n'est pas
« selon toute la rigueur de cette expression ^. »
S. Ambroise fait la réflexion suivante sur la réponse du Sei-
gneur à Moïse : » Dieu, qui connaissait la pensée de son serviteur,
« ne lui répond point par un nom mais par une chose. Il ne révèle
« pas le nom qu'on doit lui donner, mais ce qu'il est, par ces mots :
« Je suis celui qui suis ; car rien n'est autant le propre de Dieu
« que d'être toujours ^. » Ailleurs le saint docteur dit en parlant
de Jésus-Christ considéré dans sa divinité : « Le Christ est aussi,
« et il est toujours ; car celui-là est véritablement qui toujours
« existe. Certainement Gabriel était, Raphaël était, les Anges
« étaient, mais ils n'avaient pas toujours été, et l'affirmation de
\. BossuET, Sermons, deuxième discours de prise d'habit.
2. Ipsum per se esse, antiquius est ipsa per se vita. S. Dionys. in libro de
Divinis I\'ominibus.
3. Non aliud quidquam, sed ipsam simplicem, beatam et incomprehensibi-
lem ejus qui est, essentiam intelligimus. (S. Athan., Epist. inSynod.)
4. Admiratus sum plane tam absolutam de Deo significationem,quae natur»
divinae incomprehensibilem cognitionem aptissimo ad intelligentiara humanam
sermonc loqueretur. Non enim aliud proprium magis Deo quam esse intel-
ligitur quia idipsum quod est, nec desinentis aliquando, nec cœpti. (S. Hilar.,
de Trinildle, lib. I, n. li.)
5. Cognoscens mentem ejus Deus, non respondet noraen sed negotium, hoc
est rem expresse, non appellalionem, dicens : Ego sum qui sum, quia nihil
tam proprium Dei quam semper esse, (S. Amdros., in Psalm. iv.)
IG LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. I.
« leur être n'a pas le même sens. Dans le Christ au contraire,
« d'après ce que nous lisons, on ne peut pas affirmer l'être et le
« non-être, mais uniquement l'être : il fut et il est. C'est donc de
« Dieu seul que l'on peut affirmer qu'il est, parce qu'il est tou-
« jours *. »
Citons encore S. Jérôme ; « Les autres êtres n'existaient-ils
« donc pas? Certainement les anges, le ciel, la terre et Moïse lui-
« même à qui Dieu parlait existaient, aussi bien qu'Israël et les
« Égyptiens. Mais Dieu revendique pour lui seul le nom commun
€ à tous les êtres, parce que tout ce qui est en dehors de lui existe,
€ a reçu l'être, par un effet de sa bonté. Dieu, au contraire, esttou-
« jours ; il ne dépend pas d'un principe qui lui soit étranger ; il
€ est lui-même la source de son être, la cause de sa substance, et
« l'on ne peut pas concevoir qu'il tienne d'ailleurs son existence 2. »
Les paroles suivantes de S. Augustin sont plus expressives en-
core : « Le Seigneur n'a pas ainsi parlé : Tu diras aux fils d'Israël :
« celui qui est tout-puissant, juste, miséricordieux, m'a envoyé
« vers vous; mais laissant de côté tous ses autres noms, il a voulu
« qu'on l'appelât l'être lui-même, comme si c'était là son nom
« propre, celui qui fait connaître son essence 3. »
Ces quelques textes sont plus que suffisants pour montrer que
les Pères sont favorables à l'opinion qui regarde comme l'essence
métaphysique de Dieu celle de ses perfections en vertu de laquelle
il est par lui-même. Nous pourrions apporter plusieurs passages
de S. Thomas qui la favorisent également; mais comme les par-
tisans des différentes opinions ont cherché à s'appuyer sur l'auto-
rité d'un si grand docteur, sans y insister davantage nous conclu-
i. Est et Christus et est semper. Qui enim semper est, est. Erat utique
Gabriel, erat Raphaël, erant Angeli, sed semper esse, quia aliquando non fue-
runt, nequaquam pari ratione dicuntur. In Christo autem, sicut legimus, non
fuit est, et non, sed in illo fuit est et est. Unde vere Dei solius est esse, qui
semper est. (S. Ambuos., lib. V de Fide, cap. 11.)
2. Numquid caetera non eranl? Utique Angeli, cœlum, et terra, et ipse
Moyses, cui Dominus loquebatur, et Israël, et ^Egyptii erant. Nomen autem
commune substantiae sibi vendicat Deus. Quia caetera ut sint, Dei sumpsere
bénéficie : Deus vero qui semper est nec habet aliunde principium, et ipse sui
origo est, suaeque causa substantiae, et non potest intelligi aliunde habere suse
causam substantiae. (S. Hieron., super Ejnst. ad Ephes., caj). m.)
3. Non dixit Dominus sic : Dices filiis Israël, qui est omnipotens, justus,
misericors, misit me ad vos; sed, sublatis aliis nominibus, ipsum esse vocari
voluit, tanquam hoc sitproprium nomen ejus essentiam significans. (S. August.,
in Psal. cx.xxiv.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 17
rons par ces paroles de S. Bernard : « Quel est donc ce bien-aimé
« que cherche l'Épouse des Cantiques? Je ne saurais mieux vous
# répondre qu'en disant : C'est celui qui est. C'est ainsi qu'il
« voulut qu'on le nommât; c'est la réponse qu'il suggéra à Moïse
€ pour son peuple en lui ordonnant de dire : Celui qui est m'a
« envoyé vers vous. Il n'en est pas de plus juste ni qui convienne
♦ mieux à l'éternité, qui n'est autre que Dieu lui-même. Si vous
« dites qu'il est bon, qu'il est grand, qu'il est heureux, qu'il est
« sage, et le reste, tout est compris dans ce mot : // est; car,
« pour lui, être, c'est être tout cela en même temps ; quand vous
« accumuleriez cent expressions pareilles, vous ne diriez rien de
« plus que si vous disiez : // est. Ajoutez-les donc si vous voulez,
« vous n'ajoutez rien à ce mot ; laissez-les de côté, et vous ne lui
« ôtez rien. Si vous comprenez bien ce qu'il y a d'unique et de
« suprême dans son être, je suis sûr qu'en comparaison, tout
« ce qui n'est pas lui vous paraîtra plutôt un pur néant qu'un
<f être.
« Mais qu'est-ce encore que Dieu ? C'est l'être sans lequel nul
« autre être n'existe. Il est même aussi impossible à quoi que ce
< soit d'exister sans lui qu'à lui-même d'être sans lui. Il est pour
« lui, il est pour tout ce qui est ; de sorte qu'on peut dire en un
t sens qu'il n'y a que lui qui soit, puisqu'il est son propre prin-
« cipe à lui-même, comme il est celui de tous les autres êtres.
« Qu'est-ce que Dieu ? Le pi^incipe ; c'est même le nom qu'il se
« donne. Il y a bien des choses qui sont appelées principes ; mais
« elles ne méritent ce nom que par rapport à celles qui les sui-
« vent ; de sorte que si vous considérez la chose qui les précède,
« c'est à celle-ci que vous réserverez le nom de principe. D'où il
« suit que si vous voulez avoir un principe pur et simple, il faut
« que vous en veniez à ce qui n'a point eu de principe ; il est évi-
« dent que l'être par qui tout a commencé n'a point eu lui-même
« de commencement; car s'il en a eu un, il lui vient nécessaire-
if ment d'ailleurs ; et il n'est rien qui soit son propre principe à
« soi-même, à moins qu'on ne s'imagine que ce qui n'était pas
« a pu se donner le commencement de l'être, ou bien qu'une
« chose a été avant d'être ; or ces deux propositions répugnent
« également à la raison. 11 s'ensuit, par conséquent, que rien n'a
« pu se servir de principe à soi-même. Mais ce qui a eu une autre
« chose que soi pour principe n'a pas été à sui-mênie sou premier
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 2
18 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
« principe. Le vrai principe n'a donc point eu de principe; il
« existe tout entier par lui-même ^ »
C'est ce principe de toutes choses, cet être qui possède en lui-
même l'unique cause de son existence, c'est ce Dieu que nous
adorons dans la personne du Verbe incarné, lorsque nous nous
prosternons en présence du Très Saint Sacrement de nos autels.
III.
LA NATURE DIVINE OU l'ÊTRE DIVIN DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
EST ESPRIT ET VIE
Le IV* concile de Latran déclare que la simplicité absolue de
Dieu est un dogme de la foi catholique : L'essence de Dieu, dit
ce saint concile, est une ; sa substance ou sa natu?^e absolument
simple 2. Cette simplicité de Dieu écarte tout d'abord la compo-
sition physique, l'assemblage de parties réellement distinctes, ce
qui est matériel ou corporel ; elle ne peut convenir qu'à un pur
esprit.
Est-il vrai que notre Dieu soit un pur esprit et n'ait rien de
commun avec la matière?
Les idolâtres regardent leurs dieux comme des êtres semblables
à nous, composés d'un esprit et d'un corps, ou même purement
matériels. Les dieux des Grecs et des Romains buvaient, man-
geaient, se livraient à toutes sortes de passions et d'excès, qui
supposent l'existence du corps simultanément avec celle de l'esprit.
Ils adoraient aussi des statues inanimées, le soleil, la lune, des
plantes, des animaux, le feu, tout ce qui leur semblait posséder
une vertu particulière. Tous les autres idolâtres tombaient et tom-
bent encore dans les mêmes égarements.
Au IV* siècle, on vit paraître en Mésopotamie une secte d'héré-
tiques, qui attribuaient à Dieu l'individualité corporelle et spi-
i. S. Bernard, De la Considération, liv. V, chap. vi. — Traduction de
M. l'abbé Charpentier.
A cause do la longueur de la citation, nous n'en reproduisons que les quel-
ques lignes les plus en rapport avec notre sujet.
Si bonum, si magnum, si beatum, si sapientem, vel quidquid taie de Deo
dixeris, in hoc verbo instauratur, quod est ; est nempe hoc est ei esse, quod
hsec omnia esse; si et centum talia addas, non recessisti ab esse ; si ea dixeris,
nihil addidisti; si non dixeris, nihil minuisti.
2. Concil. Later. IV, cap. Firmiter.
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JBSUS-CHRIST. 19
rituelle de l'homme. On leur donna le nom d'anthropomorphistes.
Ils entendaient dans le sens le plus strict les passages de la
Bible, qui, pour s'accommoder à notre intelligence, attribuent à
Dieu des yeux, des oreilles, des mains; ils s'appuyaient particu-
lièrement sur ces paroles : Faisons l'homme à noire image et à
notre ressemblance. Cette hérésie se répandit peu, et s'éteignit
complètement vers la fin du v^ siècle. On a dit que Tertullien était
tombé dans la même erreur ; mais rien n'est moins prouvé. Il est
même très probable qu'il n'en fut rien ; si l'on prétendait qu'il fut
anthropomorphiste à un certain moment, ou dans quelques pas-
sages de ses écrits, il faudrait au moins reconnaître qu'il ne per-
sévéra pas dans cette croyance.
Tous les systèmes des idolâtres, des anthropomorphistes, des
matérialistes anciens et modernes, car il s'en est trouvé dans tous
les temps, et ils sont nombreux de nos jours encore, pèchent par
la base et choquent la droite raison. Il suffit de les mettre en face
de la vérité, pour reconnaître qu'ils sont puérils et absurdes *.
1. Le matérialisme, dit le docteur Wôrter, dont nous reproduisons ici quel-
ques pages, en les abrégeant, est un système philosophique, ou plutôt anti-
philosophique, qui proclame la matière le principe de toutes choses, qui en
déduit l'origine du monde et nie par conséquent la différence essentielle de
l'esprit et du corps, parce que la matière ne peut produire que la matière. Le
matérialisme, sous la forme la plus grossière, a été fondé par Leucippe et
Démocrite, et adopté par Épicure, sous le nom de Système des atomes, suivant
lequel le monde est né de la rencontre fortuite d'une multitude de corpus-
cules matériels, ou d'atomes semblables par la qualité, différents par la
quantité, indivisibles, flottant dans l'espace vide.
Un matérialisme plus élevé que celui des atomes, c'est le matérialisme dy-
namique d'Heraclite, qui voit dans le monde le produit de l'action réciproque
de forces diverses. L'esprit, dans ce système, dont Pline le naturaliste fut l'un
des principaux représentants, est identifié avec la matière. L'homme ne dif-
fère pas essentiellement de l'animal, et il n'y a pas d'immortalité pour lui plus
que pour eux. La secte des Sadducéens chez les Juifs professait, autant qu'on
peut enjuger, un matérialisme assez semblable à celui dont nous parlons. Ils
niaient l'immortalité de l'âme et l'existence des esprits célestes; leur doctrine
était un déisme aboutissant au matérialisme.
Les gnostiques furent aussi matérialistes, parce qu'ils étaient panthéistes et
que tout panthéisme, dès qu'il passe de l'unité à ses parties, mène au maté-
rialisme.
Le manichéisme, qui renferme les mêmes principes, aboutit au même ré-
sultat. Cette hérésie révèle son matérialisme par l'idée même qu'elle a de
Dieu. S. Augustin nous apprend, dans ses Confessions, combien il souffrait,
tant qu'il fut plongé dans le manichéisme, de ne pouvoir se représenter Dieu
autrement que sous une forme matérielle : MuUiim taihi lurpe videbatur cre-
dere figuram te {se. Deum) habcre humanx carnis, et membrorum nostrorum
20 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
L'esprit humain paraît bien misérable, lorsqu'on s'arrête à
considérer dans quels inextricables dédales il se perd et quelles
ténèbres l'aveuglent, aussitôt qu'il refuse de prendre Dieu pour
guide et d'accepter les lumières de la foi. Heureusement que le
Seigneur a daigné nous éclairer de son divin flambeau. Nous sau-
rons la vérité si nous écoutons simplement sa parole, interprétée
par ceux qui ont reçu de lui la mission de nous la faire connaître,
et nous aurons de plus la consolation de constater que sa vérité
est en parfait accord avec ce que la raison, éclairée par elle, nous
enseigne.
La Sainte Écriture proclame bien haut le dogme de la spiritua-
lité de Dieu. Écoutons d'abord le prophète Isaïe s'adressant aux
adorateurs de vaines idoles : « A qui m'avez-vous assimilé et
« égalé ? dit le Saint. Levez en haut vos yeux et voyez qui a créé
« ces choses; qui fait lever en nombre leur milice; qui les appelle
c toutes par leur nom. A cause de la grandeur de sa puissance, et
« de sa force, et de sa vertu, pas une seule ne manque. Pourquoi
« dis-tu, ô Jacob, et dis-tu, ô Israël : Ma voie a été cachée au Sei-
« gneur ; et par mon Dieu, mon jugement a été mis de côté ? Est-ce
« que tu ne sais pas, ou n'as-tu pas appris ? Dieu est l'éternel Sei-
f.ineamentis corporalibus terminari. Et, quoniam cum de Deo meo cogitare vel-
lem, cogitare nisi moles corporum non noveram,neque enùn videbatur mihi esse
quidquam nisi quod taie no?i esset, ea maxima et prope sola causa erat inevita-
bilis erroris mei. [Confess., 1. IV, cap. x, dO.)
La théorie panthéiste et dualiste se résolvant en un pur matérialisme se
traîna jusqu'au moyen âge, s'y associa à une direction mystique et porta,
comme toujours, ses fruits désastreux. L'esprit fut complètement sacrifié à la
chair et à ses concupiscences, unique moyen de parvenir à la quiétude inté-
rieure. 11 n'y a plus de lutte à soutenir contre les passions lorsqu'on s'y aban-
donne d'une manière absolue.
Du moyen âge, le matérialisme se propagea dans les temps modernes.
Quoique son point de départ diffère, les résultats sont les mômes pour la foi
et les moeurs. Il repose scientifiquement sur le sensualisme anglais, qui con-
sidère le monde physique, non seulement comme l'occasion, mais comme la
cause de nos idées et de notre connaissance. Ce fut Locke qui, à la suite de
cette transposition erronée, posa en principe que toutes nos connaissances
naissent de l'expérience sensible, que l'Ame est une table rase, et que les
connaissances qui s'y inscrivent proviennent toutes de l'expérience. Kant,
Hume, Thomas Hobbès tirèrent de ce principe des conséquences qui les con-
duisirent au matérialisme pur et au strict athéisme.
Le juif Spinosa, né à Amsterdam en 1032, considère Dieu comme la subs-
tance unique, infinie, étendue et pensante, qui a des modes d'être variés à
l'infini; ces modes sont des existences individuelles, qui émanent nécessaire-
ment et perpétuellement de la nature absolue de Dieu et constituent la nature
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 21
« gneur qui a créé les limites de la terre: » Cui assimilas Us me,
et adœquastis, dicit Sanctus, etc. {Isa., xl). Ainsi donc, Diea
déclare lui-même, par la bouche du prophète, qu'il est le créateur
de toutes choses et qu'il est éternel : or, s'il était corporel, il ne
serait ni l'un ni l'autre, dit Tertullien dans son livre contre Her-
mogèae. Il ne serait pas créateur, parce qu'un être corporel n'agit
pas sur le néant ; il lui faut un objet existant d'abord, sur lequel
il agisse. Il est limité en effet, et il ne saurait franchir la distance
infinie qui existe entre l'être et le néant. Il ne serait pas davantage-
éternel parce que tout être matériel tient son existence d'un autre
être ; de plus, la matière est passive et la supposàt-on toujours
existante, un autre être toujours en acte par lui-même était indis-
pensable pour la faire passer du simple état de puissance à l'acte
et au mouvement. Tertullien dit encore dans le même traité : Si
Dieu était matériel, il serait dépendant de la matière, car il aurait
besoin d'elle pour créer quelque chose. Donc, puisque la Sainte
Écriture nous déclare, non seulement dans le texte d'Isaïe que nous
avons rapporté, mais dans mille autres passages, que Dieu a créé
toutes choses et qu'il est éternel, nous sommes en droit de conclure
avec Tertullien qu'il est incorporel, immatériel et, par conséquent,
pur esprit '.
actuelle. De là, comme conséquence rigoureuse, la négation de l'immatéria-
lité, de la transcendance, de la personnalité de Dieu, de la création du monde,
de la liberté humaine. C'est le panthéisme et c'est encore l'athéisme qui, tous
deux, se déguisent volontiers sous les formes multiples du rationalisme et en
prennent le nom. — Telles furent les sources empoisonnées auxquelles lea
soi-disant philosophes français du xviii" siècle ont puisé les doctrines délétères
qui ont amoncelé tant de ruines en France depuis près de deux siècles.
Le docteur Wôrter termine ainsi l'article dont nous avons donné quelques
extraits : « Enfin la tourbe sans nombre des versificateurs, des hommes de
lettres, des rédacteurs de journaux, sortis de la maison d'Israël, ne peut être
passée sous silence. Leur nom est légion. Ils sont tous d'accord pour attaquer
et détruire la religion, la moralité et la vertu, toute vie sérieusement sociale,
le mariage, la famille, l'esprit et la raison, et ne laisser survivre que la chair.
Malheur au monde si ce grossier matérialisme devenait sa morale ! Le monde
serait alors dans l'état dont parle S. Paul et qu'il reproche à beaucoup de ses
contemporains : « Ennemis du Christ, dont la fin est la perdition, qui ont fait
«« un dieu de leur ventre, qui mettent leur gloire dans leur propre infamie,
«« qui ne pensent qu'aux choses terrestres « : Inimicos crucis Christi, quorum
finis i7ilerilus, quorum deiis imiter est, et gloria iîi confusione ipsorum, qui
terrena saj)iunt. [Coloss., m, IH, 19.) Le matérialisme nait de l'athéisme ou y
atoutit. L'athéisme n'est que l'incrédulité; celle-ci se termine toujours par
l'immoralité. )>
' 1. Tertullien que l'on a, comme nous avons dit, accusé d'anthropomor»
22 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
Dans l'Évangile selon S. Jean, ch. iv, Notre-Seigneur Jésus-
Christ, pour faire comprendre à la Samaritaine comment Dieu
veut être adoré, lui dit : Spiritus est Deus, « Dieu est esprit, »
et S. Paul, dans la II* épître aux Corinthiens, ch. m, affirme la
même vérité en termes équivalents ou plutôt identiques, lorsqu'il
dit : a Le Seigneur est esprit : Dominus enim spiritus est, »
On pourrait citer des textes nombreux qui proclament Dieu l'être
invisible ^ , immenses, immuable 3, autant d'attributs absolu-
«nent inconciliables avec l'idée qu'il faut se former de la ma-
tière.
Il est vrai que des passages, peut-être plus nombreux encore,
de nos saints Livres attribuent à Dieu l'étendue, ou des membres
humains, ou des situations corporelles qui ne sauraient convenir
à un pur esprit, ou des affections que peuvent seuls éprouver des
êtres composés d'un corps et d'un esprit. Par exemple, il est dit
dans le livre de Job, ch. xi, que Dieu est plus élevé que le ciel,
plus profond que l'enfer, plus étendu que la terre, plus large que la
mer *. Le Psalmiste représente Dieu se levant avec des sentiments
de colère; il parle de son bras, de ses yeux, de ses oreilles &. Isaïe
voit Dieu debout pour juger ou assis sur un trône élevé ; il dit que
phisme, a pu donner prise, par quelques passages de ses écrits, à cette accu-
sation; mais l'ensemble de son œuvre proteste contre elle. « 11 parle de la
substance de Dieu et des anges, dit Tricalet, comme s'il l'avait crue maté-
rielle; mais en examinant ses paroles, on voit que, par le terme de corps ou
de matière, il ne voulait dire autre chose, sinon que Dieu est une chose vrai-
ment subsistante et que les anges en sont une aussi; car, 1" il pose pour
principe que le propre de la substance de Dieu est d'être esprit. Ce qu'il dit
également du Verbe qu'il dit être Dieu de Dieu, esprit d'esprit. 2* Il distingue
clairement, dans le nombre des créatures, celles qui sont esprit, d'avec celles
qui ne sont que matière. 3° Quand il dit que Dieu est corps, il ajoute qu'il
l'est d'un genre qui lui est particulier. 4» Enfin, sous le nom de corps, Ter-
tullien comprend toutes sortes de substances, soit corporelles, soit spiri-
tuelles, ce qui n'empêche pas qu'il ne nomme quelquefois substances spiri-
tuelles celles qui le sont en effet, comme les anges bons ou mauvais. »
(Tricalet, Bihliolk. portative des Pères, art. TertuUien.)
1. Régi aulem saecuiorum immortali, invisibili soli Deo. (/. Tim., i, 17.)
2. Audielur nomen tuum magnum, et manus tua fortis et brachium tuum
extentum ubique. (///. Heg., viir, 41, 42.)
3. Ego enim Dominus, et non mutor. (Malac, m, 6.)
4. Excelsior cœlo est, et quid faciès? profundior inferno, etunde cognosces?
Longior terra mensura ejus et latior mari. (Joh, ii, 8.)
5. Exurge, Domine, in ira tua. (As. vir, 7.) — Secundum magnitudinem
brachii tui, posside filios raortificatorum. {Ps. lxxviii, i2.) — Oculi Domini
super justos. {Ps. xxxiii, 16.) — Fiant aures tuse intendentes. (Ps. cxxix, 2.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSDS-CHRIST. 23
la bouche de Dieu a parlé K Toutes ces expressions et mille autres
analogues ne peuvent s'entendre, au sens littéral, d'un pur esprit
et supposent un corps semblable au nôtre. D'ailleurs, n'est-il pas
écrit que Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance '-?
Il n'est pas nécessaire d'insister pour faire admettre que toutes
ces expressions, qui attribuent à Dieu un corps et des membres,
sont purement métaphoriques. On ne peut adopter un sens littéral
qui serait complètement en désaccord avec la nature même de
Dieu, l'être nécessaire, existant par lui-même, créateur et conser-
vateur de toutes choses; un sens en opposition formelle avec celui
d'autres textes qui disent expressément que Dieu est esprit; un
sens enfin que l'enseignement chrétien a toujours condamné.
D'autre part, si la Sainte Écriture attribue à Dieu certaines pas-
sions, la colère par exemple, ce n'est pas formellement, car les
passions sont des imperfections, par conséquent elles sont incom-
patibles avec la nature divine ; mais c'est pour signifier que Dieu,
dans sa justice, agit avec une rigueur telle qu'on le croirait ému
par la colère, s'il était possible que ce désordre existât en lui.
Enfin, l'homme est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu ;
mais c'est dans son àme et non pas dans son corps que réside
cette ressemblance ^. Ne pourrait-on pas dire aussi que le premier
homme fut créé à l'image et à la ressemblance de l'humanité que
le Verbe divin avait décrété de revêtir un jour ? Le prototype de
\. Stat ad judicandum Dominus. (Isa., m, d5.) — Vidi Dominum sedentem
super solium excelsum. (Isa., vi, 1.) — Os Domini locutum est. {Isa., i, 20.)
2. Facianius hominem ad imaginemet similitudinem nostram etpraesit, etc.
— Et creavit Deus hominem ad imaginem suam. {Gen., i, 26, 27.)
3. Homo factus est ad imaginem Dei inadaequate, et solummodo secundum
animam.... Nulla creatura, quantumvisperfecta, Deum perfecte reprsesentare
potest; omnis enim creatura certis circumscribitur terminis, Deus autem est
intinitus. Praeterea Deus fecit hominem ad imaginem suam solummodo se-
cundum animam quse, per intellectum, memoriam et voluntatem, quadan
tenus sanctissimam exprimit Trinitatem; neque vero res corporeae sunt Dei
imagines, sed ipsius duntaxat vestigia nominantur apud sanctum Job.
S. Ambrosius hanc tradit solutionem in Ps. cxvni, his verbis : « Invisibilis
Dei imago, inquit, non in eo est quod videtur, sed in eo utique quod non vide-
tur; hic porro non onines omnino consentiunt. AHi enim imaginem istam
collocant in animge spiritualitate, qua ad Deum quadantenus accedit; aUi in
tribus ejus facultatibus, mente, memoria et volunlale, quibus sanctam Trini-
tatem videtur exprimere; alii in dominio quod habebat in ros externas,
propter id quod stalim additur, ut pra^sit piscibus maris et volatilibus cœli, et
bestiis, universaeque terraî, omnique replili quod movetur in terra. » (Ant.
BoucvT, Theologiu Patruin, dissert, m, art. 2.)
24 LA SAINTE KUCIIARISTIE. II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
l'humanité, ce n'est pas Adam, c'est Jésus-Christ qui existait
comme homme dans la pensée divine, non seulement avant Abra-
ham, mais dans le principe, avant que nulle chose créée ne lût
sortie du néant.
Les conciles et les Pères ont proclamé de tout temps, avec una-
nimité, la spiritualité de Dieu. Nous avons déjà cité quelques mots
du IV" concile de Latran, tenu sous le grand pape Innocent III;
on lit encore dans les actes du même concile : « Approuvés par le
« sacré et universel concile, nous croyons et nous confessons avec
« Pierre, qu'il existe un être souverainement élevé, mais incom-
« préhensible et ineffable, qui est véritablement Père, Fils et
(f Saint-Esprit '. » Si les trois personnes dont parle le concile
ne sont qu'une seule et même chose. Dieu est nécessairement
esprit, puisque l'une des trois personnes est appelée Saint-Esprit.
Il n'est pas seulement esprit, mais pur esprit, puisque, s'il était
matière ou qu'il y eût au moins quelque chose de matériel en lui,
il serait nécessairement divisible selon la nature de la matière, et
les trois personnes ne seraient plus un seul être, mais trois êtres
diftérents.
Nous ne citerons que quelques lignes des Pères, car leur doc-
trine sur ce point n'a jamais fait l'objet d'un doute.
Origène enseigne souvent, dans ses écrits, la spiritualité de
Dieu : « Il ne faut pas penser, dit-il, par exemple, que Dieu soit
« un corps ou qu'il soit dans un corps. C'est une nature intellec-
(f tuelle simple.... Il est tout esprit; il est la source d'où découle
« toute la nature intellectuelle, tout ce qui est esprit -. »
S. Grégoire de Nazianze n'exprime pas moins clairement sa
pensée : « Direz-vous que Dieu est un être corporel ? Comment
« voulez-vous qu'un corps soit ce qui est infini, interminable, sans
• forme extérieure, ce que l'on ne peut ni toucher ni voir? Com-
« ment avec cette doctrine pourrions-nous concilier ce que dit
« l'Écriture, que Dieu pénètre tout, remplit toutes choses, selon
« ces paroles : Est-ce que je tie remplis pas le ciel et la terre ?
\. Nos autem, sacro et universali concilio approbante, credimus et confite-
irtur cum Petro, quod una quaedam summa res est, incomprehensibilis qui-
dem et inefïnbilis, quae veraciter est Pater, Filius et Spiritus Sanctus. (Concil.
Later. IV, cap. Firmiter.)
2. Non ergo aut corpus aliquod, aut in corpore esse putandus^ est Deus ; sed
intellectualis natura simplex, tolus mens acfons ex quo initium totius intellec-
tualis natura;, vel mentis est. (Origen., S. Periarch., cap. i.) '
DE L ESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 25
« Et celles-ci : L'Esprit du Seigneur a rempli le globe de la
« terre ^ ? »
Enfin S. Augustin qualifie de honteusement vaine l'opinion
d'après laquelle Dieu serait circonscrit par les lignes, qui don-
nent leur forme extérieure aux membres corporels 2.
A tous ces témoignages que l'on pourrait multiplier à l'infini,
nous ajouterons, en terminant, celui que rend la raison humaine
lorsqu'on l'interroge sur l'immatérialité et la spiritualité de
Dieu.
Elle nous dit d'abord que Dieu, qui est le moteur premier et la
cause première de tout ce qui existe, ne pourrait pas l'être, et par
conséquent ne serait pas Dieu, s'il était matière, parce que la
matière est par elle-même indifférente au mouvement : elle ne
peut l'avoir et le communiquer si elle ne l'a pas reçu d'une autre
cause. De plus, tout être matériel est limité, par conséquent tient
son existence d'une autre cause et n'est pas la cause première.
Elle nous dit, en second lieu, que l'Être suprême est l'être
nécessaire, sans lequel rien ne serait. Si Dieu était corporel, il
serait corruptible, périssable, et l'être nécessaire pourrait ne plus
être, ce qui implique contradiction.
Elle nous dit que Dieu est tellement parfait que l'on ne peut
pas concevoir un être plus parfait que lui. S'il était corporel, il
serait par là même exposé à mille variations et l'on pourrait con-
cevoir pour lui une perfection plus grande.
Elle nous dit encore que l'idée de Dieu emporte celle de l'être
absolu, existant de lui-même et indépendant, ce qui ne s'accorde
nullement avec l'état d'un être, soit purement matériel, soit
composé de corps et d'àme.
Elle nous dit que Dieu est immuable. Il ne le serait pas s'il était
composé de matière et d'esprit, parce que la matière a des bornes
et qu'elle peut toujours subir des changements substantiels ou for-
mels.
\. An corpus eum dices? Quonam vero modo corpus (M'it hoc quod est infi'
nitum, interminabile, figurœ expers, quod nec tarifri, nec videri polest?....
Quinani vero illud tueri potuerimus, quod ait Scriptura Deum cm nia perva-
dere attjue implere, juxta illud : Nonne cœluni et terrani ego iinpleo? Et :
Spiritus Domini replevit orbeni terrarum? (S. Gregor. Naz., Orat. xxxiv.)
2. Cogitatio quippe turpiter vana est quae opcralur Deum membrorum cor-
p'oraliuni lineamentis, circumscribi atque tiniri. (S. August., de Trinitnte,
lib. XII, n. 12.)
26 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. I.
Elle nous dit surtout, d'accord avec la foi, que la substance
spirituelle qui est Dieu est un esprit vivant. Un esprit pourrait-il
ne pas l'être? Mais la vie de Dieu est à celle des créatures ce que
son être est à leur être. Sa vie est lui-même. Elle se confond et ne
fait qu'un avec sa substance, son essence, son être.
Il est de foi que Dieu est vivant. La Sainte Écriture l'appelle le
Dieu vivant, pour le distinguer des faux dieux : « C'est lui qui
« est le Dieu vivant, » disait le prophète Daniel au roi de Baby-
lone, et il ajoutait en parlant du dragon que ce roi adorait :
« Celui-ci n'est pas le Dieu vivant '. » Il vit par son essence, d'une
vie immortelle, ou plutôt il est la vie elle-même, selon cette pa-
role de notre divin Jésus : « Je suis la voie, la vérité et la vie : »
Ego suni via, veritas et vita 2. La raison en est que tout être
vivant est plus parfait qu'un être qui ne vit pas; or, Dieu est par
lui-même le plus parfait de tous les êtres. Ajoutez que Dieu est la
cause première de tout ce qui possède la vie : comment l'aurait-il
donnée aux autres s'il ne l'avait pas lui-même?
Il est de foi encore que la vie de Dieu est une vie intellectuelle.
Dieu a la science 3, dit l'apôtre S. Paul ; or la science ne peut
reposer que sur une nature intellectuelle; elle y prend racine et
s'identifie avec elle. De plus, Dieu est une substance spirituelle
vivante, nécessairement élevée au degré le plus haut que la vie
puisse atteindre chez les esprits, c'est-à-dire à la vie intellectuelle.
Ce mot ne suffit même pas aux Pères et ils disent super intellec-
tuelle. Ils font entendre par là que l'intelligence de Dieu est d'un
ordre incomparablement plus élevé que celle des autres êtres vi-
vants. Les créatures accomplissent des actes d'intelligence, et ces
actes sont autre chose qu'eux-mêmes. Pour Dieu, il n'y a pas de
distinction ; son essence est son intelligence en acte. Il a donné
aux hommes et aux anges l'intelligence dont ils sont ornés, et s'il
a pu la leur donner, c'est parce qu'elle est en lui dans sa perfec-
tion suprême, ou plutôt, parce qu'elle est lui.
Nous pouvons donc conclure que Dieu est un pur esprit, possé-
dant la vie dans toute sa plénitude, et qu'il n'y a pas de matière
1. Dixitque Daniel : Dominum Deum meum adoro : quia ipse est Deus
vivens : iste autem non est Deus vivens. [Dan., .\iv, 24.)
2. Joan., XIV, 6.
3. 0 altitude divitiarum sapientige et scientiae Dei. {Rom., xi, 33.) In quo
sunt omnes thesauri sapientiae et scienti» absconditi. {Coloss., 11, 3.)
DE L ESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHKIST. 27
en lui. C'est d'après ce modèle, prototype et source de toute perfec-
tion, que notre âme a été créée. Mais elle est unie à la matière.
Approchons-nous autant que possible de notre divin modèle en
nous dégageant de la servitude que le corps veut imposer à l'es-
prit. Écoutons Jésus-Christ qui nous dit, du fond de son saint
tabernacle : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est par-
« fait : » Estote ergo perfecti^ sicut et Pater vester cœlestis per-
fectus est *.
IV.
VÉRITÉ ET BONTÉ DE l'ÈTRE DIVIN, OU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
CONSIDÉRÉ COMME DIEU, DANS l'eUCHARISTIE
Le Dieu fait homme, que nous adorons au Très Saint Sacrement
de l'autel, n'est pas seulement esprit et vie, il est aussi, par sa
nature divine, la vérité et la bonté substantielle.
Ce divin Sauveur a daigné nous dire, tandis qu'il habitait visi-
blement au milieu des hommes : « Je suis la vérité : » Ego sum
Veritas ^. Il nous a dit encore : « Personne n'est bon, sinon Dieu
« seul : » Nemo bonus nisi soins Deus '^.
Mais que faut-il entendre par la vérité et la bonté de Dieu ?
Tout ce qui concerne l'essence divine dépasse infiniment ce que
l'esprit de l'homme peut concevoir, et pour parler de ces mystères
d'une hauteur inaccessible, nous devons les rapetisser, en quelque
manière, à notre mesure. C'est ainsi que, pour répondre à la ques-
tion qui se présente à nous, il nous faut d'abord distinguer quatre
sortes de vérités : 1° La vérité réelie qui consiste dans l'existence
ou l'essence d'une chose; 2° la vérité de connaissance ; 3° la vérité
de parole ou à' écriture ; 4° la vérité de volonté ou vérité morale.
Il ne peut pas être question, lorsqu'il s'agil de Dieu, de la vérité
morale qui est une vertu inclinant l'homme à dire ce qui est vrai;
la volonté divine est, par elle-même, toujours déterminée à dire
ce qui est vrai et n'a pas besoin d'être inclinée à le faire. Dieu,
s'il veut parler, ne peut dire que la vérité. Aussi David l'appelle-
t-il : « Le Dieu de vérité : Deus veritatis ^, » et S. Jean : « L'Es-
prit de vérité : Spiritus veritatis ^. »
La vérité morale est liée à la vérité de parole ou d'écriture
1. Malth., V, 48. — 2. Ego sum via, veritas et vita. {Joanu., xiv, l>.) —
8. Mntth., iix, 17. — i. Ps. xxx, 6. — b. Joonn., xiv, 17.
âS
LA SAINTE EUCHARISTIE. — ir PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
comme à son objet. Celle-ci se trouve dans le verbe extérieur de
Dieu, que renferment les Saintes Écritures.
La vérité de connaissance est nécessaire aux deux autres. En
Dieu, c'est sa science infaillible dont nous aurons à parler plus
tard. La seule vérité à laquelle il faille nous arrêter ici est donc
la vérité de chose, ou vérité transcendantale.
Il est de foi que Dieu est le seul vrai Dieu, selon ces paroles de
Notre-Seigneur à son Père céleste : « La vie éternelle, c'est qu'ils
« vous connaissent, vous seul vrai Dieu : Hœc est vita œterna :
« Ut cognoscant te soltim Deum verwn ^ » S. Paul recourt à la
même expression : « Servir le Dieu vivant et vrai : Servire Deo
« vivo et vero 2. » Jérémie avait déjà dit : « Celui-ci est le vrai
« Dieu : Hic est verus Deus 3. w Cette vérité est en Dieu indépen-
damment de toute intelligence créée. Il n'est pas besoin que quel-
qu'un en dehors de Dieu la connaisse et en ait une idée conforme
à la réalité. De même que Dieu est essentiellement l'être, qu'il est
l'être absolu en lui-même et par lui-même, il est aussi essentielle-
ment la vérité, en lui-même et par lui-même. Sa vérité ne con-
siste pas dans une relation de raison, dans une dénomination
extrinsèque résultant de l'acte d'une intelligence créée. Elle ne
provient pas même de la connaissance parfaitement vraie que
Dieu a de son essence : il n'est pas formellement le vrai Dieu
parce qu'il se connaît comme tel ; mais il se connaît comme tel,
parce qu'il est en réalité le vrai Dieu. Cependant, il faut ajouter
que Dieu n'est pas seulement vrai, ou plutôt le vrai absolu, parce
qu'il est l'être absolu, mais qu'il est en même temps la vérité
suprême, parce que son être et sa connaissance sont une seule et
même chose et que son essence ne se distingue pas de son intelli-
gence. « Le Christ est la vérité, » dit S. Jean : Christus est Ve-
ritas *.
La bonté n'est pas moins essentielle à Dieu que la vérité. On
peut dire que, de tous ses attributs, il n'en est pas qui nous
touche davantage et qu'on se rappelle avec plus de bonheur. La
qualification de bon convient tellement à Dieu que rarement on la
sépare de son nom adorable, dans le langage de la conversation,
pour peu qu'on ne soit pas étranger à la piété.
En quoi consiste cette bonté de Dieu que les hérétiques des pre-
1. Joann.y xvii, 3. — 2. 7. Thess., i, 9. — 3. Jerem., x, \0. — 4. 7. Joann.y
T,6. .;:
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 29
miers siècles, les manichéens principalement, lui ont quelquefois
déniée, et que les impies de nos jours méprisent ou méconnais-
sent, au lieu d'y recourir humblement pour obtenir le pardon de
leurs erreurs et de leurs crimes? Peut-on et doit-on reconnaître
que Dieu est bon, qu'il est la bonté suprême?
Une chose est bonne, dit Suarez S lorsqu'elle est complète et
qu'il ne lui manque rien pour être parfaite en son genre. Dieu,
l'être infiniment parfait, est donc bon ; on doit même dire qu'il est
la bonté surpassant toutes les autres bontés, puisqu'il est infini;
ou plutôt qu'il est seul bon. C'est la parole de Notre-Seigneur
Jésus-Christ : « Personne n'est bon, sinon Dieu seul : » Nemo
bonus nisi solus Deus -.
Considérée à ce point de vue, la bonté se trouve, dans les créa-
tures, à trois degrés différents, ou plutôt, ce sont trois bontés
distinctes. La première est celle qui consiste dans la perfection
propre de leur être ; la seconde est ce qui ajoute à cette première
bonté une perfection provenant de quelque cause accidentelle; la
troisième est celle que l'être possède lorsqu'il atteint sa fin et s'y
repose ^.
Aucun être créé ne possède la première bonté en vertu même
de sa nature : elle n'appartient essentiellement qu'à Dieu seul. En
effet. Dieu seul existe par lui-même. Sa perfection et sa bonté se
confondent avec son existence; ce n'est pas à une cause étrangère
qu'il les doit, car elles sont lui-même, et il n'a pas de cause en
dehors de lui. Dieu est l'être dans toute sa plénitude, parce qu'il
est la cause première, et sa bonté ou sa perfection est absolue
comme lui, parce qu'elle est lui. Les créatures, au contraire, reçoi-
vent d'un autre l'être et la bonté propres à leur nature. Cette
bonté est inséparable de leur essence tant qu'elles existent, car
toute nature créée de Dieu est bonne en soi. Mais c'est de Dieu et
non pas d'elle-même qu'elle tient cette bonté.
La seconde, la bonté accidentelle qui, dans les créatures,
s'ajoute à la bonté essentielle, ne convient pas proprement à Dieu,
car il n'y a rien d'accidentel en lui. Elle lui convient néanmoins
d'une manière éminente, vis-à-vis de nous, à cause du mode
selon lequel nous concevons ses attributs et les actes transitoires
i. Suarez, de Deo nno et irino, tract. I.
2. Malt h., XIX, 17.
3. S. TiiOM., I p., q. VI, art. 3.
30 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
par lesquels il les manifeste. Mais, au fond, ces actes transitoires
n'ajoutent rien à la bonté de Dieu ni à sa perfection, qui réside
tout entière dans son essence et n'admet rien d'accidentel.
Quoiqu'il n'y ait pas pour Dieu de fin ultime vers laquelle il
tende et qu'il doive atteindre, parce qu'une telle fin suppose une
imperfection, cependant il possède la bonté qui résulte pour un
être du fait d'atteindre à sa fin dernière. En effet, il est toujours et
nécessairement heureux; il se repose en lui-même; il trouve sa
béatitude dans sa propre essence qu'il comprend et qu'il aime.
Les créatures peuvent encore posséder un autre genre de bonté,
qui procède de l'intégrité et de l'arrangement convenable des par-
ties qui les composent; cette bonté ne peut convenir qu'aux êtres
matériels dont elle constitue la beauté. Il est donc évident qu'on
ne doit pas la chercher en Dieu. On pourrait dire cependant qu'il
la possède éminemment, en vertu de la perfection infinie de son
essence, ou bien encore parce que nulle perfection ne lui manque.
Enfin, dans les substances créées, outre la perfection de la
nature, il y a la perfection propre à chaque être en particulier
considéré comme tel. Ce genre de perfection ou de bonté appar-
tient à Dieu, pour qui, en vertu de son essence, subsister et être
la perfection incommunicable sont nécessairement une chose iden-
tique. A ce point de vue encore, nous pouvons dire que Dieu est
bon et qu'il est bon par lui-même.
Remarquons ici que l'on peut dire, d'une manière absolue, de
toute créature considérée en elle-même qu'elle est bonne ; cepen-
dant, comparée à Dieu, elle ne l'est que jusqu'à un certain point.
Dieu est seul absolument bon, parce qu'il possède toute perfection,
soit formellement, soit d'une manière éminente : son essence
l'exige. Aussi dit-il lui-même à Moïse, dans l'Exode, en lui pro-
mettant de se manifester à ses yeux : « Je te montrerai tout bien.
Ostendam tibi omne bonum. »
Suarez, dont nous continuons de résumer la doctrine, dit encore
que la bonté d'une chose vient, en second lieu, de ce que la per-
fection qui est en elle la rend agréable à elle-même ou à quelque
autre et, par conséquent, la fait désirer et aimer.
Dieu se complaît infiniment dans sa perfection souveraine, ce
qui fait nécessairement qu'il s'aime. Sa perfection le rend en
même temps l'objet des désirs et de l'amour des créatures. Tout
tend vers lui parce qu'il est le premier principe, la source de
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 31
tous les biens, et que c'est lui qui conserve à tous les êtres leur
existence intime et leurs perfections. David le proclamait lorsqu'il
s'écriait : « Que le Dieu d'Israël est bon pour tous ceux qui ont
« le cœur droit! » Quam bonus Israël Deus his qui recto sunt
corde! Tout s'élance vers lui parce qu'il est la fin dernière de
toutes choses. C'est en lui que les créatures intellectuelles doivent
trouver leur béatitude, et les autres êtres le recherchent, chacun à
sa manière et selon sa nature : il est leur fin, le bien qu'ils pour-
suivent par des voies différentes, le souverain bien de tous.
Il y a une troisième bonté qui convient exclusivement aux êtres
intellectuels, la bonté morale.
La bonté morale est actuelle lorsqu'un être intelligent accomplit
actuellement des actes moraux qui sont bons. Elle est habituelle
lorsque l'habitude d'accomplir de tels actes a fait naître en lui une
inclination, des dispositions qui l'y portent. Cette bonté, que l'on
trouve dans l'ange et dans l'homme, existe à plus forte raison en
Dieu, qui la possède d'une manière incomparablement plus par-
faite. C'est la droiture intrinsèque de Dieu, qui ne fait qu'un avec
sa nature et qui est la règle suprême de toute bonté morale chez
les autres êtres. Cette bonté de Dieu est la rectitude naturelle de
sa volonté ; c'est aussi sa volonté libre qui répand ses bienfaits
au dehors et qui, par là même, est une bonté morale.
Dans la bonté morale de Dieu se confondent sa charité, sa misé-
ricorde, sa justice, toutes les vertus particulières et les actes de sa
divine volonté, dont nous parlerons en leur lieu.
La bonté morale élevée à un degré de perfection plus qu'ordi-
naire dans les anges ou dans les hommes s'appelle la sainteté, que
l'on peut définir : la pureté parfaite jointe à un attachement
solide au souverain bien qui est Dieu. Pour Dieu, qui est lui-
même le souverain bien, la sainteté est Dieu reposant en lui-même,
bienheureux par lui-même.
tt Dieu est appelé sam/, dit Lessius ^ 1° comme cause et source
de toute sainteté de la voie et de la patrie, des hommes et des
anges; car toute sainteté vient de lui comme d'une source infinie
de pureté et de sainteté.
« 2° Dieu est appelé saint, en tant qu'il est l'objet et la mesure
de toute sainteté. Comme il est lui-même l'infinie pureté et qu'il
1. Lessius, de Divinis Nominibus, cap. xvir, traduction du R. P. Bouix.
32 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
est infiniment spirituel, plus quelqu'un s'approche de lui par la
connaissance et par l'amour, plus il est saint; car le connaître,
l'aimer et adhérer à lui par un amour très sincère, est la véritable
et formelle sainteté, par laquelle tout esprit créé est formellement
sanctifié et appelé saint.
« 3° Dieu est appelé saint, non seulement en tant qu'il est
l'objet de toute sainteté ou la sainteté objective, mais encore parce
qu'il est formellement saint ou la sainteté même. En effet, comme,
d'une part, la vraie sainteté formelle consiste dans la connaissance,
l'amour et la jouissance de Dieu et que, d'autre part, Dieu se
connaît infiniment lui-même, s'aime infiniment lui-même et jouit
infiniment de lui-même, il est manifeste que sa sainteté est infinie,
et que lui-même est infiniment saint; je dis plus, qu'il est la sain-
teté infinie, puisqu'il est l'infinie connaissance, amour et jouis-
sance de lui-même.
a 4° Dieu est appelé saint, parce que tout ce qui 'appartient à
l'essence de la sainteté, il l'a de lui-même, et avec une perfection
infinie. Deux choses sont requises pour la sainteté : l'amour de
l'objet et la pureté de l'objet; or. Dieu les possède l'une et l'autre
par lui-même; il est l'amour infini de lui-même et il est l'objet
d'une pureté infinie, dans l'amour duquel consiste la sainteté for-
melle. Ainsi donc, il est lui-môme la sainteté, tant formelle
qu'objective. II est lui-même, par son essence, la mesure de toute
sainteté, et de la sienne, et de celle de tous les anges et de tous
les hommes. Il est, par l'amour de lui-même, formellement saint,
et la sainteté elle-même, et la source de la sainteté. »
Les preuves qui établissent la bonté et la sainteté de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, considéré dans sa nature divine au Très Saint
Sacrement, sont innombrables; nous pourrions nous contenter de
celles que nous avons données, mais on aime à s'arrêter sur un
tel sujet ; nous en ajouterons donc quelques-unes.
Il serait difficile de compter tous les passages de la Sainte Écri-
ture qui rendent témoignage à la bonté de Dieu. L'Ancien et le
Nouveau Testament proclament cette bonté infinie à chaque page.
David surtout ne se lasse pas de la célébrer. Tantôt, s'adressant à
Dieu avec confiance et humilité, il lui dit : « Souvenez-vous, Sei-
« gneur, de vos bontés et de vos miséricordes des temps les plus
« anciens; les fautes de ma jeunesse et mes ignorances, oubliez-
« les. Selon votre miséricorde, souvenez-vous de moi à cause de
DE l'essence ou DE LA. NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIsT. 33
« votre bonté K » Tantôt il s'écrie, ravi d'admiration : « Que le
«r Dieu d'Israël est bon pour ceux qui ont le cœur droit 2 !» Ou
bien encore, il supplie Dieu de l'éclairer, parce qu'il est le Dieu
bon : a Vous êtes bon : dans votre bonté enseignez-moi 3. » Mais
surtout il presse son peuple de s'unir à lui pour louer le Seigneur
à cause de ses bienfaits innombrables. Combien de fois ne répète-
t-il pas ces mots : « Louez le Seigneur parce qu'il est bon, parce
« qu'à jamais s'étend sa miséricorde ^? » Les livres de la Sagesse
et ceux des Prophètes offrent souvent des textes analogues.
Mais les actes prouvent plus que les paroles. On a souvent at-
taché à l'ancienne Loi un caractère de sévérité que l'on exagère
peut-être. Certainement, elle n'est pas la loi de grâce et de misé-
ricorde; ce caractère était réservé à l'Évangile : cependant avec
quel éclat la bonté divine ne se manifeste-t-elle pas dans l'Ancien
Testament !
Ce qui est bon mérite seul d'être aimé. Dieu, qui est la justice et
la vérité par essence, ne peut donc ordonner d'aimer que ce qui
est bon. Or, le premier de tous les commandements qu'il donne
est celui-ci : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est le seul
« Seigneur. Tu aimeras donc le Seigneur ton Dieu de tout ton
« cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. Et ces comman-
« déments que je te donne aujourd'hui seront en ton cœur. Tu les
« inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu te tiendras
» en ta maison, quand tu te mettras en chemin, quand tu te cou-
€ cheras et quand tu te lèveras. Et tu les lieras comme un signe
« sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.
« Tu les écriras aussi sur les poteaux de ta maison et sur tes
« portes ^ »
1. Reminiscere miserationum tuaruin, Domine, et misericordiarum tuarum
quae a Sceculo sunt. Delicta juventulismeaî et ignorantias meas ne meniineris.
Secundum misericordiam tuam mémento mei tu : propter bonitatem tuam
Domine. [Ps. xxiv, 0, 7.)
2. Quam bonus Israël Deus his qui recto sunt corde. {Ps. lxxu, 1.)
3. Bonus es tu : et in bonitate tua doce me. {Ps. cxviu, 1±)
4. Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in sseculum misericordia
ejus. (/. Par., xvi, 34; IL Par., v, 13; Ps. cv, 1 ; cvi, \ ; cxvni, 1, 20; cxxx"s-,
1 ; Dnn., m, 8U.)
.y. Audi» Israël, Dominus Deus nosler Dominus unus est. Diliges Dominum
Deum tuum ex tofo corde tuo, et ex tota anima tua, et ex tota iortiludine tua,
Elruntque verba hiec, quœ ego prœcijjio tibi bodic, in corde tuo : et narrabis
ea filiis tuis, et meditaberis in eis sedens in donio tua, et ambulans in ilinere,
L\ SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 3
34 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
Par ce passage et par le Décalogue même, il est de la dernière
évidence que le précepte de l'amour de Dieu est celui que Moïse
recommande, avec le plus de force, aux enfants de Jacob. S'il en
fallait une preuve, nous n'aurions qu'à citer les paroles de Noire-
Seigneur Jésus-Christ lui-même, répondant au scribe qui lui de-
mandait quel était le premier de tous les commandements : « Tu
« aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
« âme et de toutes tes forces K »
Quelles plus grandes preuves pourrait-on donner de la bonté
infinie de Dieu que la promesse admirable faite à nos premiers
parents pour les consoler après leur chute? que le pardon accordé
à tous les habitants de plusieurs villes criminelles en faveur de
dix jusles, s'ils s'y étaient trouvés, et le salut effectif de la petite
ville de Tsohar, en considération de Loth ? que les bénédictions pro-
noncées par Moïse au nom du Seigneur, pour tous les observateurs
de la loi, et la promesse de pardonner à ses infracteurs, dès qu'ils
seraient touchés d'une sincère repentance? que tant de soins, tant
de sollicitude pour les Israélites, malgré leurs ingratitudes et
leurs fréquentes révoltes? Aussi David, le plus pieux des rois, s'é-
criait-il dans sa reconnaissance : « Bénis le Seigneur, ô mon
« âme, et n'oublie point ses bienfaits -. Le Seigneur est compatis-
« sant et miséricordieux ^ ; il est lent à punir et bien miséricor-
« dieux. De même qu'un père s'attendrit sur ses enfants, le Sei-
« g'neur a eu pitié de ceux qui le craignent ^. »
Mais si la loi de Moïse nous donne une si haute idée de la bonté
de Dieu, l'Évangile nous la montre sous un jour plus propre en-
core à toucher nos cœurs, quand il dit que Dieu a envoyé son Fils
unique au monde pour faire, par sa mort, la propitiation de nos
péchés. La croix de Jésus-Christ devient un tribunal auguste où
est affichée l'amnistie qu'il accorde à tous les pécheurs repentants.
dormiens atque consurgens. Et ligabis ea quasi signum in manu tua, erunt-
que et movebuntur inter oculos tuos, scribesque ea in limine et in ostiis do-
mus tuœ. (JJeuter., vi, 6 et seq.)
d . Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et ex tota anima tua, et
ex tota virtute tua. [Marc, xu, 30.)
2. Benedic anima mea Domino, et noli oblivisci omnes retributiones ejus.
{Ps. cil, 2.)
3. .Miserator et misericors Dominus; longanimis et multum misericors.
(Ps. Cii, 8.)
4. Quoniodo miserelur pater filiorum, misertus est Dominus timentibus se.
{Ps. cii, 13.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 35
L'étable de Bethléem et le Calvaire sont les deux grandes écoles
où Ton peut, mieux que dans tous les livres, apprendre que notre
Dieu est bon, ou plutôt qu'il est la bonté même, la bonté par es-
sence. Et parce qu'il est bon, il veut que nous soyons bons comme
lui ; il veut que nous pardonnions comme lui à ceux qui nous ont
oifensés. Pour nous obliger en quelque sorte à imiter sa bonté, il
fait, du pardon que nous accordons à nos frères, la mesure et la
règle du pardon que nous désirons pour nous-mêmes.
Dans le saint Évangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ proclame
que Dieu seul est bon '. S. Paul, dans ses épîtres, rend fréquem-
ment hommage à la bonté de Dieu : « Est-ce que vous méprisez
« les richesses de sa bonté ^ ? » écrit-il aux Romains ; et dans la
même épître, il leur dit encore : « Voyez donc la bonté et la sé-
« vérité de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa
« bonté envers vous, si toutefois vous persévérez dans la bonté 3. »
Inutile de dire que les Pères ont, en mille endroits de leurs
écrits, célébré la bonté de Dieu. Nous ne pouvons ici multiplier
les citations. Voici pourtant quelques lignes de S. Augustin qui
reviennent particulièrement à notre sujet. L'évêque Macédonius
avait demandé le secours de ses lumières sur quelques points de
doctrine. Dans une première lettre que l'illustre et saint docteur
lui adresse en réponse, nous lisons ces mots : « Considérant vos
c mœurs, j'ai dit que vous êtes bon ; mais vous, rappelez-vous
« les paroles du Christ et dites-vous à vous-même : Nul n'est
« bon que Dieu seul ^. Ces paroles sont nécessairement vraies,
« car elles ont été prononcées par la Vérité substantielle ; cepen-
« dant on aurait tort de croire que je me suis trompé et qu'il y a
« désaccord entre mon affirmation et l'enseignement du Seigneur,
« nul n'est bon que Dieu seul, en avançant que vous êtes vrai-
« ment bon. En effet le Seigneur ne s'est pas contredit lui-même ;
« or il a dit : L'homme bon tire le bien du bon trésor de son
« cœur 5. Dieu est bon d'une manière qui n'appartient qu'à lui
1. Unus est bonus Deus. (j>/a«/i., xii, 35.) — Nemo , bonus nisi solus Deus.
(Luc, xvin, 49.)
2. An divitias bonitatis ejus contemnis? [Rom., ii, ^.)
3. Vide ergo bonitatem et severifatem Dei : in eos quidem qui ceciderunt,
severitalem ; in te autem bonitatem Dei si permanseris in bonitate. [Rom.,
XI, 22.)
4. Neino bonus nisi unus Deus. [Marc, x, 18.)
5. Bonus homo de bono thesauro cordis sui profert bonum. [Luc, vi, 4î>.)
36 LA SAINTE EUCHARISTIE. — U" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
« seul, et il ne peut pas perdre cette bonté singulière. Sa bonté
« ne lui vient pas de la participation à quelque bien distinct de
« lui-même : il est lui-même le bien en vertu duquel il est bon.
« L'honmie au contraire, lorsqu'il est bon, tient de Dieu sa bonté
a qu'il ne peut avoir de lui-même. C'est par l'esprit de Dieu que
« deviennent bons tous ceux qui le sont : notre nature a été créée
« capable de bonté, grâce à notre volonté propre. Notre rôle est
« donc, pour devenir bons, de recevoir et de posséder ce que
t donne celui qui est bon par sa propre nature K »
Il serait difficile de demander un texte exprimant plus claire-
ment que Dieu est la bonté absolue, le bien existant par lui-même,
ne recevant rien d'aucun être différent de lui, mais qu'il est au
contraire pour tous la cause du degré de bonté qu'ils possèdent.
Dans une seconde lettre au même Macédonius, S. Augustin pré-
sente encore la même doctrine en des termes un peu différents,
a Que pouvons-nous choisir, dit-il, pour objet principal de notre
« amour que le plus grand de tous les biens? Et quel est-il ? C'est
« Dieu, qui est tellement le souverain bien que d'aimer autre
« chose que lui, ou autant que lui, ce n'est pas savoir nous aimer
« nous-mêmes. Car notre état est d'autant meilleur, que nous
t nous portons avec plus d'impétuosité vers ce qu'il y a de meil-
« leur. Mais ce ne sont point nos pas, c'est notre amour qui
« nous porte vers ce bien suprême, et il nous sera d'autant plus
(( intimement présent que l'amour qui nous y porte sera plus
(' pur. Nul espace ne contient ni ne renferme ce bien ineffable ;
« comme il est présent partout et tout entier partout, ce ne sont
« point nos pieds qui nous portent vers lui, mais nos cœurs 2. »
{. Ego quidem intuens mores tuos appellavi te virum l)onum : sed tu
intuens verba Christi, die tibi ipsi : Nemo bonus, nisi unus JJeus. Quod cum
verum sit (hoc enim veritas dixit) née ego tamen illud existimari debes fal-
laci assentione dixisse, et dominicis verbis quasi contrarius extitisse, ut cum
ijle dicat : Nemo bonus, nisi unus JJeus, ego te appellaverim virum bonum.
Non enim et ipse Dominus contraria sibi locutus est, ubi ait : Bonus homo de
bono Ihcsauro cordis sui proferl bona. Deus ergo singulariter bonus est, et
hoc amittere non potest. xNullius enim boni parlicipatione bonus est, quoniam
bonum quo bonus est, ipse sibi est : homo autem cum bonus est ab illo bonus
esl, quod a scipso esse non potest. liUus enim spiritu boni fiunt quicumque
boni liunl; cujus capax creala est nostra natura per propriam voluntatem.
Pertincl Crgo ad nos, ut boni simus, accipcre et habcre quod dal, qui de suo
bonus est. (S. .\ugust., epist. CLIIl ad Macedon.)
"2. Quid aulcm eMgamus quod praîcipue diligamus, nisi quo nihil melius in-
venimus? Hoc Deus est, cui si diiigendo aiiquid vel prœponimus, vel œqua-
DE L ESSENCE OU DE LA NATDRE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 37
A ces témoignages de S. Augustin nous n'ajouterons que
quelques lignes de S. Bernard. « Personne n'est saint, dit-il dans
€ un sermon, personne n'est bon, personne n'est juste, sinon Dieu
« seul, parce qu'il est bon par lui-même '. »
Ailleurs il dit encore : « Dieu est tout bien et le souverain bien ;
« il est en même temps la douceur, et un genre de douceur qui
« s'étend à tout : Ceux qui me mangent auront encore faim,
« dit-il, et ceux qui me boivent auront encore soif -. »
Nous en avons dit assez de la bonté de l'Être divin. Cette bonté
est celle de Notre-Seigneur IJésus-Christ, puisqu'il est Dieu. C'est
elle, en même temps que la bonté très parfaite de son humanité,
qui le retient captif parmi nous, dans l'adorable Sacrement de
nos autels. Soyons bons comme il est bon et aimons ce bien su-
prême, conmie il mérite d'être aimé : Sic nos amantem quis non
redamaret ?
V.
SIMPLICITÉ ABSOLUE, RÉELLE, MÉTAPHYSIQUE ET LOGIQUE DE LA NA-
TURE DIVINE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST PRÉSENT DANS l'eU-
CHARISTIE.
Si l'on nous demandait pourquoi, dans un traité de la dévotion
au Très Saint Sacrement, nous abordons des questions ardues et
difficiles, telles que celles de la nature divine et de ses attributs,
nous répondrions par ces paroles que le divin Maître adressait à
mus, nos ipsos diligere nescimus. Tanto enim nobis melius est, quanto magis
in illum imus, quo nihil melius est. Imus autem non ambulando, sed amande.
Quem tanto iiabebimus praesentiorem, quanto eumdem amorem, quo in eum
tendimus, potuerimus habere puriorem : nec enim locis corporalibus vel
extenditur vel includilur. Ad eum ergo qui ubique prœsens est et ubique
totus, non pedibus ire licet, sed moribus. (S. August.. epist. CLV ad Macedo-
nium.)
Citons encore ces paroles de S. Augustin dans le livre des Méditations :
Deus vera et summa vita, a quo et per quem et in quo vivunt omnia quae-
cumque vere et béate vivunt. Deus bonum et.pulcbrum, a quo et per quem
et in quo bona et pulcbra sunt omnia qucfcumque bona et pulclira sunt.
(Id., lib. Médit., cap. xxxii.)
4. Nemo sanctus, nemo bonus, nemo justus nisi solus Deus. (S. Bernard;,
de Grntia Dei, serm. III.)
2. Deus ergo omne bonum, et summum bonum, ctiam dulcedo, et dulce-
dinis genus generalissimum. Qui cdunt me adhuc eaurient, inquit, et qui
bibunt me adhuc siiient. (In., serm. Il super Salve regina.)
38 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
son Père céleste, après l'institution de l'Eucharistie : « La vie éter-
« nelle, c'est qu'ils vous connaissent, vous le seul vrai Dieu, et
t celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » Pour arriver à la
vie éternelle, il faut connaître Dieu. Mieux nous le connaîtrons,
mieux nous connaîtrons Jésus-Christ, Fils bien-aimé du Père, plus
nous marcherons avec ardeur et sécurité dans la voie qui conduit
à la vie éternelle, c'est-à-dire, plus nos ânies seront pénétrées de la
véritable dévotion ; plus aussi nous goûterons, dès ici-bas, les pré-
mices de cette éternelle et bienheureuse vie, dont la béatitude trouve
sa source intarissable dans la connaissance et la contemplation de
la divinité et de l'humanité glorieuse de Notre-Seigneur. Ne con-
vient-il pas que nous nous efforcions de connaître, autant qu'il
nous est possible ici-bas, ce Dieu, l'unique objet de notre espérance
et de notre amour? Lorsque nous nous prosternons au pied de
l'autel oîi la victime divine s'immole chaque jour pour nous, ne
faui-il pas que nous ayons au moins une idée des grandeurs infi-
nies de notre adorable victime? Il est vrai que les âmes simples
reçoivent parfois, dans leurs pieuses méditations, des lumières
auxquelles les théologiens n'atteignent que difficilement. Mais ce
sont là des grâces particulières sur lesquelles il serait présomp-
tueux de compter, et qui ne dispensent nullement de recourir,
lorsqu'on le peut, aux sources ordinaires de lumière que Dieu a
mises à notre portée.
Notre-Seigneur Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie est, par
sa nature divine, l'Être infiniment vrai et infiniment bon. Il est
aussi l'Être infiniment simple.
Disons d'abord, en nous réservant d'y revenir plus tard, que la
trinité des personnes en Dieu ne nuit aucunement à la simplicité
parfaite de sa nature, qui est une et complète en chacune d'elles.
Mais ne pourrait-on pas établir qu'il existe une distinction réelle
entre l'essence divine et ses attributs? Ne faudrait-il pas admettre
au moins que les attributs sont différents entre eux? S'il en était
ainsi, la simplicité n'existerait pas en Dieu ; on devrait recon-
naître en lui division et composition. Or la simplicité de Dieu est
absolue. C'est une vérité de foi. Le IV concile de Latran l'a solennel-
lement dé(;laré : Dieu est une essence, substance ou nature ab-
solument simple. Ses divers attributs ne nuisent donc en rien à
sa simplicité. Il n'en est pas de Dieu comme des êtres bornés. Dieu
est esprit : notre ànie aussi est esprit ; mais les facultés de notre
DE L ESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 39
âme sont parfaitement distinctes entre elles; notre intelligence
n'est pas notre mémoire, et celle-ci n'est pas notre volonté ; il en
est de même des autres qualités que nous pouvons avoir. Mais en
Dieu tout est un.
Pour mieux comprendre qu'il en soit ainsi, remarquons d'abord
qu'il existe plusieurs modes de distinctions '.
Il y a la distinction réelle : c'est celle que l'on constate entre
deux choses séparables l'une de l'autre, par exemple entre le corps
et l'âme; ou bien simplement entre une chose et son mode d'être;
par exemple, entre le doigt et l'inflexion du doigt : le doigt et l'in-
flexion ne vont qu'accidentellement ensemble et sont très sépara-
bles; un doigt peut trèsbien n'être pas infléchi, et une chose courbée
n'être pas un doigt. Il y a la distinction purement métaphysique
et logique. Il y a enfin la distinction de raison, qm n'existe que dans
l'esprit de celui qui la fait. Une intelligence créée ne peut pas
saisir dans leur ensemble les mystères infinis de l'être divin et,
pour s'en faire une idée quelconque, elle doit se créer une multi-
tude de concepts différents, et supposer en Dieu des distinctions
qu'elle sait bien ne pas exister dans la réalité.
Il est nécessaire encore de bien se rendre compte de ce qu'il faut en-
tendre par a^/rï7>M^. Ou nomme attribut toute perfection qui convient
à Dieu et que l'on reconnaît en lui. Les attributs sont de deux sortes,
les uns positifs, les autres négatifs. Les attributs positifs sont
ceux que l'on énonce de Dieu par affirmation ; par exemple, on dit
qu'il est bon, qu'il est sage. Les attributs négatifs sont ceux que
l'on énonce sous forme de négation, pour rejeter loin de lui ce qui
serait une imperfection pour la nature divine, telles sont l'infinité
qui exclut tout terme et toute limite ; Timmortalité qui exclut la
souffrance et la mort.
Il y a aussi les attributs relatifs et les attributs absolus. Les
attributs relatifs conviennent à Dieu non pas précisément parce
qu'il est Dieu, mais pour une autre raison : c'est ainsi que la pa-
ternité convient à la première personne de la Sainte Trinité, à
cause de sa relation avec la seconde personne qui est son Fils.
Les attributs absolus conviennent à Dieu uniquement parce qu'il
est Dieu, comme la bonté, la sagesse, la sainteté.
Il sera aisé maintenant de montrer que l'on ne peut admettre
i. Voir principalement .\nt. Boucat, Theol. Pntr.
4ft LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. CHAP. I.
aucune distinction réelle, ni entre Dieu et ses attributs, soit absolus^
soit relatifs, ni entre les attributs absolus considérés chacun à part.
La Sainte Écriture, l'autorité des conciles et des Pères, la raison
elle-même, nous fourniront les preuves de cette vérité.
On lit dans l'Évangile selon S. Jean, au chapitre x% verset 30,
cette parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ aux Juifs : « Moi et
« mon Père, nous sommes une seule chose : Ego et Pater unum
<i sumus. » Ces quelques mots seuls suffisent pour montrer d'une
manière évidente que l'on ne peut admettre en Dieu, aucune dis-
tinction réelle, et que, si notre esprit en conçoit quelqu'une, elle
est purement subjective. En effet, quelle distinction réelle peut-il
exister là où tout est une seule et unique chose? Or, il en est ainsi
en Dieu : tout est un. Le Père est Dieu; le Fils est Dieu et il est un
même et unique Dieu avec le Père ; le Saint-Esprit est Dieu, et il est
un même et unique Dieu avec le Père et le Fils. Dieu ou la nature
de Dieu n'est donc pas divisée même par la distinction des per-
sonnes divines; à plus forte raison ne l'est-elle pas pour rien de ce
que notre intelligence conçoit en elle comme distinct, à cause de
notre impuissance à comprendre Dieu dans toute la simplicité et la
perfection infinie de son être. Dieu est donc sa propre sagesse ; il
est sa vie ; il est sa justice. Tout n'est en lui, dans la réalité, qu'une
seule et même chose : Ego et Pater unum sumus.
Le Concile de Reims célébré en 1148, sous le pontificat du pape
Eugène III, eut à s'occuper de certains hérétiques qui prétendaient
établir une distinction réelle entre Dieu, sa divinité et ses attributs.
A cette occasion, le saint concile définit ainsi la croyance de l'Église
sur ce point : « Nous croyons que la simple nature de la divinité
« est Dieu, et que, dans le sens catholique, on ne peut pas nier que
« Dieu est la divinité, et que la divinité est Dieu. S'il est dit quel-
« quefois du Seigneur qu'il est sage par sa sagesse, grand par sa
« grandeur. Dieu par sa divinité, si l'on rencontre encore d'autres
« expressions analogues, nous croyons que la sagesse par laquelle
« Dieu est sage n'est autre que Dieu lui-même, que la grandeur
« par laquelle il est grand est encore lui ; que l'éternité en vertu
« de laquelle il est éternel est lui; qu'il est lui-même l'unité par
<i laquelle il est un, qu'il est la divinité par laquelle il est Dieu ;
« en un mot, que Dieu est à lui-même sa sagesse, sa grandeur,
* son éternité, sa divinité.... Lorsque nous parlons des trois
« personnes divines, nous confessons qu'elles sont un seul et
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 41
t même Dieu, une substance divine unique ^ » Le Concile de
Reims, auquel assistait S. Bernard, ne séparait donc la nature
divine ni des personnes ni des attributs. Il ne reconnaissait pas
davantage de distinction réelle entre les attributs différents; pour
lui, tout est unité en Dieu, tout est une seule et même entité.
Le quatrième Concile de Latran, convoqué par le grand pape
Innocent III et tenu en l'an 1215, formula la déclaration suivante
en condamnation de quelques erreurs de l'abbé Joachim : « Il existe
« un être suprême, l'incompréhensible et inestimable essence
« divine, qui est véritablement Père, Fils et Saint-Esprit. Les trois
« personnes ensemble sont cet être, et chacune d'elles prise en par-
€ ticulier l'est aussi, et c'est pourquoi il y a en Dieu seulement
« trinité et non quaternité *. » Si la divinité n'était pas Dieu, si
la sagesse divine n'était pas Dieu, il n'y aurait pas seulement qua-
ternité en lui mais autant d'entités distinctes que de perfections,
ce qui est absolument contraire à la foi. Il n'y a donc rien en Dieu
qui porte trace d'une distinction réelle, et par conséquent aucune
distinction de ce genre n'existe.
On pourrait trouver dans d'autres Conciles des textes ana-
logues, par exemple dans celui de Florence ^, mais ce que nous
{. Credimus et confitemur simplicem naturam divinitatis esse Deum, nec
aliquo sensu catholico posse negari quin divinitas sit Deus, et Deus divinitas :
si sicubi dicitur Domini sapientia sapientem, magnitudine magnum, divinitate
'Deum esse, et alia hujusmodi, credimus, non nisi ea sapientia, quae est ipse
Deus sapientem esse ; non nisi ea magnitudine, quœ est ipse Deus, magnum
esse; non nisi ea seternitate, quae est ipse Deus, ceternum esse; non nisi ea
unitate unum quae est ipse ; non nisi ea divinitate Deum, quae est ipse, id est,
seipso sapientem, magnum, seternum, unum Deum.... Oum de tribus per-
sonis loquimur.... ipsas unum Deum, unam divinam substantiam esse fate-
mur. (Exact, concil. Bhem., anno Hi8 celebrati.)
2. Una qusedam summa res est, incomprehensibilis quidem et inaestimabilis,
divina essentia, quae veraciter est Pater, Filius et Spiritus Sanctus; très simul
personae, et sigillatim quaelibet earumdem, et ideo inde Trinitas est solum-
modo, non quaternilas, quia quaelibet trium personarum est iila res. (Concil.
Lateran. IV, cap. ii.)
3. Fiorentinum suum addit calcuium tantae veritati dicens omnia in Deo
esse unum, ubi non obviât relationis oppositio. Enimvero sess. XVIII, Joannes
pro Latinis Graecos sic alloquitur : « Vos quœritis an idem sit in personis di-
M vinis substantia et persona seu hypostasis; nos vero dicimus substantiam
« etpersonam seu hypostasim idem esse re, diiïerre autem noslro intelligendi
•« modo. » Tune Marcus Ephesinus pro Grapcis respondens, dixit : « Hac in
« parte iiulla discrepantia. » Ex bis ïioc cftingitnr arguniontum : Ouy. rêvera
sunt unum et idem, nuilo modo realiler dislinguunlur, quia distint-lio realis
intercedit solum inter res plures; sed ex Florentine omnia in Deo sunt una
42 LA SAINTE EUCUAKISTIE. — Il'= PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
avons rapporté suffit pour mettre en évidence la croyance de
rÉglisc.
Si maintenant nous interrogeons les Pères de l'Église, nous
trouverons dans leurs écrits le même enseignement.
S. Denys, cité par Euthymius, s'exprime ainsi : « Dieu est unité
« et il ne l'est pas : il est unité parce qu'il est l'unité elle-même;
€ il ne l'est pas parce qu'il est supérieur à toute unité et que c'est
« par lui que toute unité existe K »
S. Grégoire de Nazianze dit, en parlant des trois adorables per-
sonnes de la Sainte Trinité : « Elles sont vies et vie, lumières et
« lumière, biens et bien, gloires et gloire; elles sont le vrai et la
« vérité, l'esprit de vérité ; elles sont saintes et la sainteté elle-
même "'. »
Tout, d'après ces paroles du saint docteur, se résout donc en Dieu
dans l'unité.
S. Augustin exprime la même doctrine en ces termes, dans le
livre des Méditations : « Dieu est la véritable et suprême vie, de qui,
« par qui et en qui vivent toutes choses vivant véritablement et
« d'une vie bienheureuse. Dieu est le boa et le beau de qui, par
« qui et en qui sont bonnes et belles toutes les choses qui le
« sont 3. »
S. Fulgence dit à son tour : « Le Christ, Dieu puissant, est Dieu
« de telle sorte qu'il est sa propre divinité; de môme il est puis-
« sant, et sa puissance c'est aussi lui-même; il est grand, et sa gran-
« deur c'est lui ; il est sage, et sa sagesse c'est encore lui. Que telle
« soit la doctrine catholique, il est aisé de le reconnaître à ce signe
« que si nous nommons la grandeur, la bonté, la vertu de Dieu,
res, natura scilicet et personae et attributa ; nec reperitur distinctio nisi ubi
obviât relationis oppositio, quse quidem intercedit inter personas ad invicem
spectatas. Igitur non est distinctio nisi rationis, inter naturam et personas,
inter naturam et attributa, inter attributa etsanctissimas personas. (Ant. Bou-
CAT, Theologia Palrum scolastico-positiva, dissert, m.)
1. Deus unitas dicitur et non imitas; unitas quidem, quia est ipsa unitas ;
non unitas vero, quia unitate omni superior est, et omnis constitutor unitatis.
(S. DiONYSius, apud Eutiiimium, part. I.)
2. Vitas et vitam, lumina et lumen, bona et bonum, glorias et gloriam, ve-
rum et veritatem, spiritum veritatissancta et ipsammet sanctitatem. (S. Gre-
GOR. IVazianz., .serm. XIII, apud Boucat.)
3. Deus vera et summa vita, a quo et per quem et in quo vivunt omnia
quaecumque vere et béate vivunt. Deus bonum et pulchrum; a quo, per
quem et in quo bona et pulchra sunt omnia quaecumque bona etpulchra sunt.
(S. August., Médit., cap. xxxii.)
DE L ESSENCE OU DE LA NATURE DIVINE UE JÉSDS-CHRIST. 43
« nous n'entendons pas signifier, sous ces divers noms, des choses
« différentes, mais bien une seule qui est l'essence ou la nature
t divine '. »
S. Grégoire le Grand dit en deux mots : « Dieu est ce qu'il a '^. »
Et S. Isidore : « Autre chose n'est pas ce que Dieu est, autre chose
« ce qui est en lui 3. .> Enfin, car il faut se borner, citons encore
ces paroles de S. Bernard : « Tout ce que nous croyons de la divi-
« nité n'est en Dieu qu'une seule et même chose.... La simplicité
« d'essence qu'il veut que l'on reconnaisse en lui est absolue;
« nulle chose n'y diffère d'une autre. Il est grandeur, il est
« bonté ^. »
D'après ces textes et d'autres semblables qu'on lit dans les écrits
des Pères, Dieu est sa vie même, sa sagesse, sa grandeur, sa beauté,
sa bonté. Il n'existe donc pas de distinction entre lui et ses attri-
buts, puisque de toute distinction il résulte nécessairement que la
chose distinguée n'est pas la même que celle dont on la distingue.
C'est ainsi que Tàme raisonnable n'est pas distinguée d'elle-même,
mais elle l'est du corps, de la science et des autres perfections
qu'elle peut posséder. Il n'existe donc pas de distinction réelle,
entre l'essence de Dieu, les personnes divines et les attributs, ni
entre les personnes elles-mêmes, ni entre les attributs considérés à
part.
Une seconde preuve de l'absence de toute division ou distinction
réelle est celle-ci : Supposez que la divinité soit distincte de Dieu,
Dieu ne serait plus la substance divine parce que, dans les êtres
composés de parties différentes, l'une n'est pas l'autre. « Ou bien la
« divinité est substance, dit S. Augustin, ou bien elle ne l'est pas.
« Si elle est substance et qu'elle soit autre chose que le Père, ou
« que le Fils, ou que le Saint-Esprit, ou que les trois personnes
i. Christus, Deus fortis sic est Deus, ut ipse sit divinitas sua, quemadmo-
dum sic est fortis, ut ipse sit virtus sua; sic est magnus ut ipse sitmagnitudo
sua.... Claret nempe hoc esse catholicae veritatis ut, cum in Deo divinitatem,
magnitudinem, virtutem.... nominamus.... non istis diversis nominibus quae-
dam diversa, sed unum illud quod est essentia vel nalura certissime noveri-
mus. (S. P^ULGENT.,in Hespons. ad Ferrandum, interr. -2.)
â. Deus hoc est quod habet. (S. Gregor., lib. X Moral.)
3. Non aUud est ipse, et aliud quod in ipso est. (S. IsinOR. Hisp., lib. I de
Swnmo honn, cap. i, sent. 0.)
4. Quod de divinitate sentimus unum in Deo sunt.... Deus hanc sibi vindi-
cat inerani singulareiuque suse essentiae siinplicitatein, ut non ahudet aliud....
Deus est magnitudo, bonilas. (S. Bernard., serin. LXXX in Cant.)
44 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
« de la Trinité prises ensemble, il faut nécessairement admettre
« une autre substance, ce que la vérité réprouve et rejette ^ »
Autre raison encore. S'il existait une distinction réelle entre
l'essence divine, les personnes et les attributs, Dieu ne serait plus
toujours égal à lui-même : il y aurait du plus et du moins dans
l'essence divine. Elle serait quelque chose de plus grand, 'considérée
avec les personnes et les attributs que simplement en elle-même,
puisque, de fait, ce seraient là des perfections distinctes d'elle,
qui lui seraient unies. Il en serait de cette divine essence comme des
hommes qui deviennent plus grands par les perfections qu'ils ac-
quièrent, parce qu'ils ne sont ni leur sagesse, ni leur bonté, ni
leur vertu : ces qualités s'ajoutent à leur être, mais ne sont pas leur
essence. Or il n'est pas admissible, il est absurde même, et par
conséquent erroné, d'admettre du plus ou du moins en Dieu. « Dieu,
« dit encore S. Augustin, n'est pas grand d'une grandeur qui ne
« serait pas ce qu'il est lui-même, mais à laquelle il aurait seule-
^« ment part.... Si cela était, en effet, cette grandeur serait plus
« grande que Dieu : or il n'y a rien de plus grand que Dieu. C'est
« donc lui-même qui est la grandeur en vertu de laquelle il est
« grand 2. »
Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers vers le milieu du
XII* siècle, avait enseigné, entre autres erreurs, qu'il ne faut pas
confondre les termes Dieu et divinité, La divinité, disait-il, est
la forme de Dieu, ce par quoi Dieu est Dieu, mais qui n'est pas
Dieu, tout comme l'humanité est la forme de l'homme, ce par
quoi l'homme est homme. Il établissait une semblable dis-
tinction pour les personnes divines et les attributs. S. Bernard
le combattit avec vigueur. « Si la divinité, disait-il, est quelque
« chose autre que Dieu, ce quelque chose sera moindre que
« lui, ou plus grand, ou égal à lui. Mais comment serait-ce
« moindre, puisque c'est par cela qu'il est Dieu? Il reste donc
t que ce soit plus grand que lui, ou égal à lui. Si c'est plus grand
4. Aut substanlia est (divinitas), aut non est substantia. Si substantia est, et
alla quam Pater, aut Filius, aut Spiritus sanctus, aut eadem simul Tri ni tas ;
procul dubio alia substantia est : hoc autem veritas refellit et respuit. (S. Au-
ousT., episl. CXX, alias CXXII, ad Consentium.)
2. Deus non ea magnitudine magnns est, quae non est quod est ipse, ut
quasi particeps sitejus Deus.... aiioquin illa erit major magnitude quam Deus,
Dec autem non est aliquid majus ; ea igitur magnitudine magnus est, quia
est ipse eadem magnitudo. (S. August., lib. V de Trinil., cap. x.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 45
« que lui, c'est ce quelque chose là qui est le souverain bien,
« et non pas Dieu. Si ce lui est égal, il y aura deux souverains
4 biens. Or, l'un et l'autre sont également contraires à la foi
« catholique ^ » On regrette de ne pouvoir citer que ces quelques
lignes du sermon sur les Cantiques, dans lequel S. Bernard déploie
toute la richesse de sa doctrine et toute la vigueur de sa dialec-
tique pour défendre la simplicité absolue de Dieu contre les sub-
tilités de l'hérésie.
S. Anselme trouve une preuve de la simplicité réelle de Dieu
dans ce fait que Dieu est l'être existant par lui-même, qu'il est par
conséquent son propre être, et que cet être est tout en lui, coquine
serait pas s'il existait une distinction réelle entre l'essence divine,
les personnes et les attributs. Alors on ne pourrait plus dire que
Dieu est tout, mais qu'il possède tout. Il ne serait plus le souverain
bien, comme il convient à l'être suprême en qui tous les biens
doivent se confondre et n'en être qu'un seul. « L'homme, dit
a S. Anselme, ne peut pas être la justice, mais il peut posséder la
c justice. On comprend qu'un homme juste ne soit pas la justice
a elle-même : elle est en lui. Mais de la nature suprême, on ne
« peut pas dire précisément qu'elle soit juste parce qu'elle possède
t la justice : son être et la justice ne sont qu'un ~. »
Nous n'ajouterons rien à ces preuves de la simplicité de Dieu. Il
nous suffira de faire remarquer que les attributs divins ne peuvent
pas plus être distincts des personnes divines, ou différents entre
eux, qu'ils ne le sont de l'essence divine. Tout en Dieu n'est qu'une
même entité, tout est Dieu lui-même : « Dieu, dit encore S.Bernard,
« au Concile de Reims, c'est le Père, c'est le Fils, c'est le Saint-Es-
« prit, c'est la sagesse, c'est la bonté. Voilà ce qu'il faudrait graver
a avec un poinçon d'acier et une pointe de diamant. » Établir une
distinction réelle entre les attributs divins eux-mêmes, ou bien
entre ces attributs et les trois personnes de la Sainte Trinité, ce
1. Erit aliquid quod non est Deus, aut nihil : quod si aliquid est, quod non
est Deus, aut minor erit Deo, aut major, aut par. At quomodo minor qua Deus
est? Kestat ut aut majorem facias, autparem: sed si major, ipsa est summum
bonum, non Deus; si par, duo sunt summa bona, non unum, quod utrumque
calholicus refugit sensus. (S. Bernard., serin. LXXX m Catit.)
2. Quoniam homo non potest esse justitia, juslitiam aulom hal)ere potest,
non enim intelligitur homo eycistcns justitia, sed habens justitiam; at summa
nalura non proprie dicitur justa quia habet justitiam, sed existit justitia.
(S. Anselm., Monolog., cap. xiii.)
46 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. I.
serait prétendre séparer Dieu de lui-même et tomber dans l'hérésie
en même]temps que dans l'absurdité.
Mais si l'on ne doit admettre en Dieu aucune composition réelle
ou physique, résultant de l'union de parties différentes, peut-on en
dire autant de la composition métaphysique et logique? Peut-on
affirmer qu'il n'y a pas en Dieu, comme dans les autres êtres, ce
que les philosophes appellent une composition de matière et de
forme ; ou bien que Dieu n'est pas la même chose que son essence
ou sa nature; ou bien qu'être n'est pas pour lui la même chose que
son essence; ou bien qu'il appartient à un genre contenant plu-
sieurs espèces dont il se différencie en quelque manière, ce qui
suppose des points de contact, des limites par conséquent et des
parties composantes; ou bien enfin qu'il y a en Dieu quelque chose
d'accidentel n'appartenant pas nécessairement à son essence?
S. Thomas traite ces différentes questions et y répond comme
il sait le faire.
Il n'y a pas, dit-il, de composition de matière et de forme en Dieu,
parce qu'il ne peut y avoir en lui de matière. En effet, la matière
est simplement en puissance : or. Dieu est un acte pur, en qui rien
n'est simplement en puissance, mais tout est en acte. En second
lieu, tout être composé de matière et de forme tire sa perfection,
sa bonté, de sa forme ; sa perfection ne lui vient donc que secon-
dairement, par participation, et de l'union de la forme avec la ma-
tière; ce n'est plus la perfection, le bien par essence qui évidem-
ment convient seul à Dieu. Dieu, qui est bon au suprême degré ou
plutôt qui est le bien absolu, ne peut pas l'être par participation.
Pour ce motif encore, il est impossible qu'il soit composé de ma-
tière et de forme. Enfin, Dieu est le premier moteur, la première
cause efficiente, et comme tout être agit en vertu de sa forme, il est
nécessairement et essentiellement sa propre forme sans adjonction
de matière '.
1. Dicendum quod impossibile est in Deo esse materiam, 1° quidem quia
materia est id quod est in potentia Ostensum est autem quod Deus est purus
actus, non habens aliquid de potentialitate. Unde impossibile est quod Deus
sit composilus ex materia et forma. 2» Quia omne compositum ex materia et
forma est perfectum et bonum per suam formam ; unde oportet quod sit bo-
num per participationem, secundum quod materia participât formam. Pri-
mum autem quod est bonum et optimum, quod Deus est, non est bonum per
participationem. Unde impossibile est quod Deus sit compositus ex materia et
forma. 3° Quia unumquodque agens agit per suam formam; unde secundum
quod aliquid se habet ad formam, sic se habet ad hoc quod sit agens. Quod
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSDS-CHRIST. 47
S. Thomas prouve ensuite qu'il n'y a pas non plus de distinction
entre la nature et l'essence divine. Dans les êtres composés de ma-
tière et de forme, dit-il, la nature et l'essence diffèrent nécessaire-
ment de leur objet. En effet, l'essence ou la nature, ne renferme
que ce qui entre dans la définition de l'espèce ; par exemple, l'hu-
manité ne comprend que ce qui entre dans la définition de l'homme
en général. Cette définition s'en tient aux éléments qui font que
l'homme est homme; le mot humanité désigne uniquement ce par
quoi un être a droit au nom d'homme. Mais la matière qui se ren-
contre dans les individus, avec les accidents qui distinguent les
hommes entre eux, n'entre pas dans la définition de l'espèce. Lors-
qu'on définit l'homme, les chairs, les os, la blancheur ou la noir-
ceur du teint ne sont pas mentionnés; ces chairs, ces os, ces acci-
dents qui distinguent ot particularisent la matière ne rentrent pas
dans l'humanité : cependant tout cela fait bien partie de l'homme.
II y a donc dans un homme certaines parties qui sont étrangères
à l'humanité : l'homme et l'humanité ne sont pas identiquement
la même chose. L'homme est composé de matière et de forme :
l'humanité est la partie formelle qui s'individualise dans la matière,
et de cette union de la matière et de la forme résulte l'homme.
Mais dans les êtres qui ne sont pas composés de matière et de forme,
la forme ne s'individualise pas par son union avec une matière qui
n'existe pas; elle esta elle-même son propre principe d'individua-
lisation; elle subsiste en elle-même, sans être soutenue par quelque
chose qui ne soit pas elle. Les formes, en ce cas, sont, dit S. Tho-
mas, des suppôts subsistants, supposita subsistantia. En de tels
êtres, il n'y a donc pas de différence entre le suppôt et la nature ;
d'oli il suit que Dieu, qui n'est pas composé de matière et de forme,
mais absolument simple, est à lui-même sa divinité, sa vie, et tout
ce que l'on peut affirmer de lui '.
igitur primum est et per se agens, oportet quod sit primo et per se forma.
Deusaulem est primum agens, cum sit prima causa efficiens, utostensum est.
Est igitur per essentiam suam forma, et non compositus materia et forma.
(S. Thom., I p., q. III, art. iJ.)
1. Respondeo dicendum quod Deus est idem quod sua essentia vel natura.
Ad cujus intellectum sciendum est, quod in rébus compositis ex materia et
forma, necesse est quod dilïerant natura vel essentia et suppositum. Quia
essentia vel natura comprehendit in se tantum illa i\\\x. cadunt in definitione
speciei, sicut humanitas comprehendit in se ea quac cadunt in definitione
hominis ; his enim homo est homo, et hoc significat humanitas, sciiicct illud
quo homo est homo. Sed materia individualis cum accidentibus omnibus indi-
48 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. I.
Le cardinal de Lugo trouve cette raison subtile, et en même
temps peu concluante, parce qu'elle pourrait s'appliquer tout aussi
bien à toutes les substances spirituelles. Plusieurs des commenta-
teurs de S. Thomas la leur appliquent en effet, et disent qu'on ne
doit pas distinguer en elles le suppôt de la nature; mais de nom-
breux passages de S. Thomas démontrent que telle n'était pas sa
pensée. S. Thomas, dit Suarez, exclut de Dieu tout principe indi-
vidualisant l'essence divine, extrinsèque à cette essence, et en cela
il semble mettre sur le même rang que lui les substances immaté-
rielles. Mais il est évident qu'il ne se trouve en Dieu rien d'acci-
dentel, comme le saint docteur le prouve quelques pages plus loin,
et sans attendre cette preuve qui viendra en son temps, il conclut
immédiatement que Dieu est sa propre divinité, ce qu'il ne dit
pas des autres substances immatérielles, parce qu'il y a en elles
des qualités accidentelles K Cette explication éclaircit la doctrine
de S. Thomas et montre qu'il ne se contredit en rien.
Il n'y a pas non plus de distinction entre l'essence de Dieu et son
être. En effet, si l'être de Dieu n'était pas son essence, mais quel-
que chose de distinct, ou bien il en découlerait, ou bien il procé-
derait de quelque source extrinsèque. Ni l'une ni l'autre supposition
n'est admissible, parce que nulle chose ayant une cause ne peut
être sa cause à soi-même; pour l'être il faudrait qu'elle existât
viduantibus ipsam non cadit in definitione speciei. Non enim cadunt in defi-
nitione hominis ha? carnes et haec ossa, aut albedo vel nigredo, vel aliqua
hujusmodi. Unde hae carnes et haec ossa et accidentia designantia hanc mate-
riam non includuntur in humanilate; et lamcn in eo quod est homo inclu-
duntur. Unde id quod est homo habet in se aliquid quod non habct hurnanitas;
et propter haec non est totaliter idem homo et hurnanitas. Sed hurnanitas
significatur ut pars formalis hominis; quia principia definientia habentse for-
maliter respectu materise individuantis. In his igitur quae non sunt composita
ex materia et forma, in quibus individuatio non est per materiam individualem,
idest, per hanc materiam, sed ipsa; formée per se individuantur, oportct quod
ipsae formae sint supposita subsisfentia. Unde in eis non diftert supposilum et
natura. Et sic cum Deus non sit compositus ex materia et forma, ut ostensum
est, oportet quod Deus sit sua deitas, sua vita, et quidquid aliud sic de Deo
praedicatur. (S. Tiiom., I p., q. m, art. 3.)
1. Deinde S. Thomas excludit a Deo principia individuanlia, quae sint extra
essentiam Dei, et quoad hoc videtur œquiparare illi substanlias omnes imma-
teriales, atque, ex hac parte, negat dislinctionem naturae et personae angelis.
Gum autem manifestum etiam sit in Deo non dari accidentia, ut statim probat
art. G, ideo immédiate conclusit, Deum esse suam Deitatem, quod de aliis
substantiis immateriahbus non dixit, quoniam in illis accidentia dari saltem
extra specificam naturam aliis locis fatetur, in quo juxta suam opinionem de
ir^dividuatione philosophatur. (Suarez., disp. j;xxi Metaphys., sect. m, n. 17.)
DE l'essence ou DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CURlST. 49
d'abord. D'autre part, il n'ya pas de cause existant avant Dieu. En
second lieu, si l'être de Dieu était distinct de son essence, on pourrait
dire que l'être est l'acte et l'essence la puissance ; or, il n'y a rien
en Dieu de potentiel, puisqu'il est acte pur. Enfin, ce qui possède
l'être, sans que son être soit son essence, ne le possède que par
participation, ce que Ton ne peut admettre de Dieu i.
Les textes de l'Écriture sainte, des Conciles et des Pères que nous
avons apportés en faveur de l'absence de toute composition phy-
sique en Dieu, démontrent en même temps qu'il faut exclure de
l'idée de son être divin toute autre composition, quelle qu'elle soit.
Dieu esi celui qui est. Il est la voie, la vérité et la vie. Quel
assemblage de parties peut-on imaginer dans celui qui est son être
à lui-même, qui est sa vie, qui est sa vérité ou plutôt qui est la
vie, la vérité?
1. Dicendum quod Deus non solum est sua essentia, ut ostensum est, sed
etiam suum esse : quod quidem multipliciter ostendi potest. 1° Quia quidquid
est in aliquo, quod est praeter essentiam ejus, oportet esse causatum : vel a
principiis essentise, sicut accidentia propria, consequentia speciem; ut risibile
consequitur hominem, et causatur ex principiis essentialibus speciei : vel ab
aliquo exteriori, sicut calor in aqua causatur ab igné. Si igitur ipsum esse rei
sit aliud ab ejus essentia, necesse est quod esse illius rei vel sit causatum ab
aliquo exteriori, vel a principiis essentialibus ejusdem rei. Impossibile est autem
quod esse sit causatum tantum ex principiis essentialibus rei ; quia nulla res
sufficit ad hoc quod sit sibi causa essendi, si habeat esse causatum. Oportet
ergo quod illud cujus esse est aliud ab essentia sua, habeat esse causatum ab
alio. JIoc autem non potest dici de Deo ; quia Deum dicimus esse primam
causam efficientem. Impossibile est ergo quod in Deo sit aliud esse, et aliud
ejus essentia. 2° Quia esse est actualitas omnis formée vel naturœ; non enim
bonitas vel humanitas significatur in actu, nisi prout signifîcamus eam esse.
Oportet igitur quod ipsum esse comparetur ad essentiam, quse est aliud ab ipso,
sicut actus ad potentiam. Cum igitur in Deo nihil sit potentiale, ut ostensum
est supra, sequitur quod non sit aliud in eo essentia quam suum esse. Sua
igitur essentia est suum esse. 3° Quia sicut illud quod habet ignem, et non est
ignis, est ignitum per participationem, ita illud quod habet esse et non est esse,
est ens per participationem : Deus autem est sua essentia, ut ostensum est. Si
igitur non sit suum esse, erit ens per participationem, et non per essentiam.
Non ergo erit primum ens, quod absurdum est dicere. Est igitur Deus suum
esse et non solum sua essentia. (S. Tiio.m., I p., q. m, art. i.)
LA SAINTE EUCIIARISTIK. — T. IV.
50 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. II.
CHAPITRE II
DKS ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
PRÉSENT AU TRÈS SAINT SACREMENT
I. Quelques mots sur les attributs divins ou les perfections de Dieu en général. —
II. Infinité du Dieu de l'Eucharistie. — III. Son immensité. — IV. Son immuta-
bilité.
I.
QUELQUES MOTS SUR LES ATTRIBUTS DIVINS OU LES PERFECTIONS
DE DIEU EN GÉNÉRAL
La simplicité absolue de l'Être divin, cette unité parfaite, qui fait
de lui et de tout ce qui est en lui une seule et môme essence, un
seul et même être, étonne et déconcerte notre intelligence. Pour
nous former une idée de Dieu qui soit à notre portée, nous sommes
obligés d'établir des distinctions qui n'existent pas en Dieu réel-
lement, mais qui pourtant y sont d'une manière virtuelle. Sans
revenir sur la trinité des personnes divines, nous avons besoin de
ne pas confondre les divers attributs de Dieu. Nous savons que sa
miséricorde, sa sagesse, sa justice, ne sont pas, dans la réalité,
autre chose que son être : cependant nous les distinguons l'une de
l'autre; nous les distinguons de lui, et nous avons raison de le faire,
car la Sainte Écriture nous enseigne à ne pas tout confondre. Ne
parle-t-ellc pas en mille endroits de la grandeur de Dieu, de sa
bonté, de sa justice, de sa colère, de sa vengeance, de sa miséri-
corde? Ces attributs, ces perfections que les créatures possèdent
séparément et à des degrés divers, ne sont en Dieu qu'une seule et
unique chose qui est lui-même; dans cette unité elles existent
toutes à un degré infini. En Dieu elles ne sont distinctes réelle-
ment ni de l'essence divine, ni des trois adorables personnes, mais
elles le sont pour nous, et la distinction que nous en faisons n'est
pas purement imaginaire; elle a son fondement en Dieu, elle y
existe virtuellement.
« Nous pouvons concevoir la Divinité, dit Lessius i, comme une
« Essence ou une Nature intellectuelle infinie, de laquelle émanent
« en quelque sorte toutes ces perlections qu'on appelle aitribuis ;
1. Lessius, les Noms divins, ch. i, traduction du P. M. Bouix, S. J.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 51
<t mais ces attributs émanent de telle manière qu'ils ne sont pas
« formellement contenus dans la Divinité ou l'Essence divine, mais
<( qu'ils ont seulement en elle leur fondement, comme les pro-
« priétésdans les choses créées. » Lessius ajoute : « Secondement,
« nous pouvons concevoir la Divinité comme une forme très sim-
« pie subsistant par elle-même, d'une perfection infinie, qui con-
< tient formellement toutes les perfections considérées dans leur
« suprême degré d'élévation, de telle sorte que Dieu, par cette
« forme, soit formellement puissant, sage, bon, saint, juste, etc. ; et
« que de plus il soit formellement la puissance elle-même, la sagesse,
«st la bonté, la sainteté, la justice, etc., non accidentelles, mais
« substantielles et subsistant par elles-mêmes. Et cette manière de
« concevoir la Divinité est plus élevée, plus noble et plus digne de
« Dieu.... car de cette manière l'Essence divine contient formelle-
« ment toute perfection simple, et non pas seulement en qualité
« de fondement. Et ces perfections se présentent à nous par forme
< de substance et non pas par forme d'accident ou de propriété
« accessoire. » Ce qu'il importe absolument de savoir, ce qu'il ne faut
pas perdre de vue, de quelque manière qu'on se représente les attri-
buts divins, c'est que chacun d'eux et tous ensemble ne sont avec
l'essence de Dieu qu'une seule et unique chose dans la réalité. La
distinction n'existe que pour nos esprits qui ne sauraient embrasser
l'infini.
Avant de considérer en particulier chacune des perfections
divines, que nous devons reconnaître en Notre-Seigneur présent
au Très Saint Sacrement, ou du moins celles qui sont les principales
à nos yeux, il faut remarquer que parmi elles, les unes sont absolu-
ment simples, c'est-à-dire n'éveillent ni n'admettent l'idée d'au-
cune imperfection, telles que V intelligence, la bonté. On doit les
affirmer de Dieu d'une manière absolue et dire sans restriction
ni mesure aucune : Dieu est intelligent, Dieu est bon. D'autres
qualités, au contraire, supposent une imperfection quelconque; elles
éveillent une idée de perfection moindre que celle de leur contraire,
par exemple l'extension matérielle, qui est une perfection de la
matière serait une imperfection dans un esprit. Ces sortes de per-
fections auxquelles on a donné le nom de perfections mixtes ne
peuvent exister en Dieu et l'on ne doit pas les affirmer de lui.
Personne ne peut dire que l'extension entendue simplement con-
vienne à Dieu.
52 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
Cependant il n'y a rien de bon dans les créatures qui ne vienne
de Dieu et qui ne soit en lui de quelque manière. Gomment donc
ces perfections mixtes, inconciliables avec la perfection souveraine,
de Dieu, peuvent-elles néanmoins trouver en lui leur source.^
Dieu les possède, mais non pas telles qu'elles sont réalisées dans
les créatures. Elles sont en lui, non "^diS formellement^ mais d'une
manière que l'on a nommée éminente; elles y sont par équivalence
et virtualité. Dieu les possède parce qu'il possède les perfections,
absolues qui les contiennent en racine, et dont elles sont simple-
ment une application faite aux créatures, aux êtres finis, qui ne
sont pas susceptibles du degré de perfection suprême. C'est ainsi
que l'extension qui convient aux créatures matérielles est renfermée
dans l'immensité de Dieu ; de même la durée temporelle est émi-
nemment contenue dans l'éternité. Il les possède encore dans ce
sens qu'il peut, au moyen de quelqu'une de ses perfections absolues,
telles que sa toute-puissance, son intelligence infinie, produire des
effets auxquels atteignent les créatures, moyennant les perfections
d'ordre inférieur dont elles sont douées.
Mais est-il vrai que Dieu possède, comme nous venons de l'avan-
cer, toutes les perfections?
Voici comment un savant auteur protestant, Grotius, que la vé-
rité attirait, mais qui n'arriva pas jusqu'à sa possession entière,,
résout cette question :
« Pour connaître les autres attributs de Dieu (autresque son unité),
« il faut savoir que tout ce que l'on comprend sous le nom de perfec-
« tion se trouve en lui. Toute perfection a eu un commencement
« ou n'en a pas eu. Celle qui a toujours été est une perfection de Dieu,
« c'est un de ses attributs; celle qui a eu un commencement doit
« reconnaître une cause de sa production; et comme le néant ne
« produit rien, il est évident que les perfections manifestées dans
« l'effet étaient dans la cause ; autrement ces perfections ne seraient
« pas. Mais comme cette cause doit en reconnaître une autre, et
«( celle-ci encore une autre, et ainsi successivement jusqu'à la pre-
« mière, il est clair que toutes ces perfections sont renfermées
« dans la première cause. Or, cette première cause ne peut être
€ dépouillée d'aucune de ses perfections, ni par le temps, ni de
a quelque autre manière que ce soit, parce que ce qui est de toute
« éternité existe indépendamment de toute autre chose, et ne peut
« souffrir aucun dommage de l'action des autres êtres. Sera-ce
DES ATTRIBUTS DE LA NATDRE DIVINE DE JÉSCS-CHRIST. 53
<( d'elle-même qu'elle doit craindre cette privation ? non : toute
« nature tend toujours à sa propre perfection *. »
S. Thomas fait remarquer que quelques anciens philosophes, les
pythagoriciens en particulier, ne crurent pas à la perfection ab-
solue du premier principe; mais ce fut parce qu'ils considérèrent
ce principe comme matériel; or, un premier principe matériel ne
saurait être que très imparfait. La matière, en effet, simplement
regardée comme matière, est surtout en puissance, ce qui est une
très grande imperfection. Mais Dieu, premier principe, n'a rien de
matériel ; il est cause efficiente de toutes choses, et à ce titre il
doit être parfait. De même, en effet, que la matière, en tant que ma-
tière, est en puissance, l'être essentiellement agissant est en acte
au degré suprême. Le premier principe, qui est cet être essentielle-
ment agissant, est par conséquent souverainement parfait, car la
perfection est absolue là où tout est en acte et rien en puissance -.
\. Grotius, Vérité de la reiir/ioîi chrétienne, ch. m.
2. S. Thomas, I p., q. iv, art. 1.
Voici comment le saint docteur donne la preuve de la perfection souveraine
de Dieu dans la Somme contre les Gentils :
« Licet autem ea quse sunt et vivunt perfectiora sint quam ea quae tantum
sunt, Deus tamen, qui non est aliud quam suum esse, est universaliter ens
perfectum, cui non deest alicujus generis nobilitas ; omnis enim nobilitas
cujusque rei est sibi secundum suum esse, nuUa enim nobilitas esset homini
ex sua sapientia, nisi per eam sapiens esset, et sic de aliis. Sic ergo secundum
modum quo res habent esse, est suus modus in nobilitate, nam res secundum
quod suum esse contrahitur ad aliquem specialem modum nobilitatis majo-
rem vel minorera, dicitur esse secundum lioc nobilior vel minus nobilis. Igi-
tur si aliquid est, cui competit tota virtus essendi, ei nulla nobilitas déesse
potest, quae alicui rei conveniat. Sed rei quae est suum esse, competit esse
secundum totam essendi potestatem. Sicut si esset aliqua albedo separata,
nihil eide virtute albedinis deesset ex defectu recipientis albcdinem, qui eam
•secundum modum suum recipit, et fortasse non secundum totum posse albe-
dinis. Deus igitur, qui est suum esse, ut probatum est, habet esse secundum
totam virtutem ipsius esse. Non potest ergo carere aliqua nobilitate quse ali-
cui rei competat. Sicut autem omnis nobilitas et perfectio inest rei secundum
quod est, ita omnis defectus inest ei secundum (juod aliqualiter non est. Deus
autem sicut habet esse totaliter, ita ab eo lotaliter absistit non esse, quia per
modum per quem habet aliquid esse, déficit a non esse. A Deo ergo omnis de-
fectus abscedit. Est igitur universaliter perfectus. Ista vero qua? tantum sunt,
non sunt imperfecta propter imperfeclionem ipsius esse absoluti. Non enim
ipsa habent esse secundum suum totum posse, sed participant esse secundum
quemdam particularom modum et imperfectissimum.
« Item oinne imperfectum ab aliquo perfecto necesseest utproccdat; semen
enim est ab animali vel a planta. Igitur primum ens débet esse perfectissi-
mum. Ostensum est autem Deum esse primum ens; est ergoperfectissimum.
« Amplius, unumquodquc perfectum est, in ciuanlum est actu, imperfectum
54 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
S. Thomas ajoute que Dieu possède en lui-même toutes les per-
fections que l'on trouve dans les créatures. Nous avons dit de quelle
manière elles sont en lui. Elles y sont parce que rien ne peut se
trouver dans l'ellet qui n'ait d'abord été, au moins en quelque ma-
nière, dans la cause. Elles y sont encore parce que la plénitude de
l'être est en Dieu. Il ne se trouve aucune parcelle d'être qu'il ne
possède; or, les perfections sont justement ce qu'il y a d'être dans
les choses. Elles doivent donc se retrouver toutes en lui, au moins
d'une manière éminente ou virtuelle.
Nous ne nous attarderons pas davantage aux raisonnements de
la sagesse humaine. Il est bon de les connaître; mais ce qu'il faut
surtout, c'est croire à la parole de Dieu. Or, Dieu a daigné nous
déclarer lui-même qu'il est parfait.
Nous lisons dans l'Exode que Dieu dit à Moïse qui lui demandait
la grâce de contempler sa gloire : « Je te montrerai tout bien : >
Ostendam omnebonwn tibi K Que peut-on entendre par cet omne
bonian que Dieu promet à Moïse de lui faire voir, sinon le bien
complet, le bien absolu qui comprend toutes les perfections, et dans
lequel il n'y a place pour rien qui ne soit très parfait? Aussi le
Psalmiste avait-il raison de chanter : « Le Seigneur est grand et
a digne de louanges infinies. A sa grandeur il n'y a pas de fin :
« Magnus Domin us et laudabilis nimis, et inagnitudinis ejiis non
« est finis ~. » L'absence d'une seule perlection suffirait pour que
autem secundum quod est in potcntia cum privatione actiis. Id igitur quod
nullo modo est in potentia, sed est aclus punis, oportet perfcclissimiim esse.
Taie autem Deus est; est igitur perfeclissimus. » (S. Tiiom., Snmma contra
Getit., lib. I, cap. xxviii.)
Cette dernière preuve est la seule qui se retrouve dans la Somme de théolo-
gie. S. Thomas en ajoute encore phisieurs autres dans sa Somme contre les
Gentils. Nous y renvoj'ons le lecteur.
i. Gènes., xxxiii, 19.
± Ps. XLVII, 2.
Le P. Lejcune, dit l'Aveugle, après avoir parlé dans un de ses sermons de
plusieurs des principaux attributs de Dieu, s'exprime ainsi :
« Toutes ces perfections et autres semblables que nous adorons en Dieu ne
se connaissent naturellement que par rapport et réflexion de celles qu'il a
données aux créatures, et ensuite de l'axiome qui dit que nul ne donne ce
qu'il n'a pas.
« Or il pourrait produire une infinité d'autres saintes créatures, et il a en
soi toutes les perfections qu'il pourrait leur communiquer. Il est à propos de
bien étaler cette considération : Le Créateur a fait cet univers à cinq ordres
supérieurs les uns aux autres : les éléments, les plantes, les animaux, les
hommes et les anges; et plus un ordre est élevé, plus les créatures y .sont
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSDS-CIIRIST. o5
les paroles de David ne fussent plus justifiées. Il y aurait des bornes
à la grandeur de Dieu ; il suffirait même, pour que ces bornes
existassent, que Tune de ses perfections n'allât pas jusqu'à Tin-
fini.
Dieu les possède donc toutes et à leur degré suprême ; celles qui
nobles et ornées de qualités plus éminentes. L'eau, par exemple, qui n'est
qu'un simple élément, n'a pour qualité que la fraîcheur, l'humidité, la mol-
lesse. Les fleurs, les arbres, les herbes et les fruits, qui sont au second rang,
ont la beauté, les couleurs, les odeurs, les saveurs et les vertus occultes.
Les animaux, qui sont au troisième, ont la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat, l'at-
touchement, le mouvement, la vitesse, l'imagination, la mémoire sensitive et
l'industrie. Les hommes, au quatrième ordre, outre toutes ces choses, ont
l'esprit, la raison, le jugement et: le franc arbitre. Les anges, enfin, ont au-
dessus de nous plusieurs rares propriétés que nous ne connaissons pas ; mais
Dieu pourrait faire en un moment un autre monde mille fois plus grand, plus
spacieux, plus peuplé et plus admirable que celui-ci; un monde plus diversifié
que les hiérarchies des anges, oii il y a autant d'espèces que d'individus, non
à milliers, mais à millions de millions; un monde non à cinq, mais à dix
mille ordres supérieurs les uns aux autres; un monde dont les moindres
créatures du plus bas rang seraient plus nobles et auraient des qualités plus
excellentes que le plus haut des séraphins : pensez quelle perfection aurait
celle qui serait au plus haut de ces dix mille étages; et ayant fait ce monde,
il en pourrait faire, un moment après, un troisième qui surmonterait ce se-
cond en grandeur, en noblesse, en grand nombre d'excellentes créatures,
autant que le second aurait surpassé le premier; et ainsi, à chaque moment,
d'ici à cent mille ans, il pourrait créer des mondes qui se surmonteraient l'un
l'autre en noblesse, en excellence, en perfection : et il a en soi les perfections
de "tous ces mondes possibles et imaginables, et il les a avec tant de surcroît
et d'éminence que, s'il les avait produits, tous ces mondes seraient moins en
comparaison de lui qu'un grain de poussière en comparaison de tous ces
mondes; car, comme a dit très chrétiennement et très doctement lo cardinal
Cajétan : Dieu est une infinité do fois infiniment infini en perfections infi-
nies : Infinitis modis infimties infinitiis in pevfectionibus infinitis; c'est-à-
dire qu'il n'a pas seulement un nombre infini de perfections, et que ses per-
fections ne sont pas seulement infiniment relevées, mais que chacune de ses
perfections contient en soi un nombre infini de grandeurs, d'excellences, de
raretés et de merveilles. Pour cela, quand l'Ecriture traite de chacune de ses
perfections en particulier, elle en parle au nombre pluriel et même au nombre
infini : » Louez Dieu, dit-elle, selon la multitude de sa grandeur » : Laudate
eum secimdtim mnllititdinrm magnitudinifi cjiis. (Ps. cl.) « Sa sagesse est in-
nombrable » : Sdjnmlix rjiis non oui numcrus {Ps. cxLVl), « et n'a point de
fin » : Sainenlin- rjus non rst /inis. (Ps. xiv.) « Vos miséricordes sont en grand
nombre » : Misrricnrdix lii.v mn/lx, Domine. {Ps. cxvin.) <( Qui est-ce qui
pourrait compter votre colère? » Quis 7wvit irnm tuai» <lintimt>rnref
{Ps. LXXXIX.)
« Il vous Semble que c'est beaucoup dire que cela : ce n'est rien dire, c'est
bégayer comme des enfants, c'est ravaler et obscurcir ses perfections, d'en
parler si imparfaitement. " (P. Lejeune, de l'Oratoire, serin. XIII, Delà gran-
deur de Dieu.)
56 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
ne supposent aucune imperfection et celles qui en supposent quel-
qu'une, mais d'une manière particulière qui les dépouille en lui de
ce qu'elles auraient d'incompatible avec ce qu'il est.
Quelles sont ces perfections de Dieu qui ne sont en lui et avec lui
qu'une seule et même chose, que notre intelligence, incapable d'em-
brasser l'infini, doit considérer sous divers aspects et avec des
noms différents?
Bossuet, dans les États d^ oraison, livre II, nous montre les prin-
cipales perfections de Dieu présentées comme objet de notre foi
dans le symbole des Apôtres. Il dit :
« Tous les attributs de Dieu nous 3^ sont clairement proposés
« comme l'unique fondement de notre espérance. Et d'abord la
« toute-puissance y est exprimée en termes formels, et déclarée
« par la création du ciel et de la terre, où Véternité paraît aussi,
« puisque, si Dieu n'était éternel et de soi-même, il serait créé et
a non créateur. La miséricorde s'y trouve dans ces paroles : Je
« crois la rémission des péchés, qui est le commencement des
« miséricordes de Dieu, comme on en voit la consommation dans
« l'article où est énoncée la résurrection de la chair et la vie éter-
« nelle. La justice est dans celles-ci : // viendi^a juger les vivants
« et les morts. Là même se doit entendre en Dieu la parfaite com-
« préhension de toutes choses et même du secret des cœurs ; puisque
« c'est parla que les hommes seront jugés, selon ce que dit S. Paul,
« qnil révélera ce qu'on croira avoir recelé dans les ténèbres,
<r et mettra en évidence le secret des cœurs, et alors chacun rece-
« vra de Dieu la louange qu'il mérite. Ce qui induit Vimmensité
« de l'être divin présent à tous, sans qu'on puisse se soustraire à sa
« providence, à sa justice. La vraie idée de la sainteté de Dieu est
« dans ces articles : Je crois au Saint-Esprit, la, communion des
« saints, la rémission des péchés, où l'on nous montre que la
« sainteté de Dieu consiste en ce qu'il est saint, non pas d'une sain-
« teté empruntée, mais saint et sanctifiant; non sanctifié par l'in-
« fusion d'une sainteté étrangère, mais opérant par lui-même, avec
« la rémission des péchés, la communion des saints, par la charité
« vivifiante et sanctifiante qui les unit entre eux et avec Dieu....
«r Que s'il y a quelques attributs plus cachés, et peut-être moins
« nécessaires à la connaissance de tous les particuliers, on sait en
a théologie qu'ils sont renfermés dans ceux-ci que personne ne
« peut oublier sans mettre son salut en péril; qui est aussi la
DES ATTRIBUTS DE LA NATDRE DIVINE DE JÉSDS-CHRIST. 57
< raison pour laquelle on les a mis si expressément dans le Sym-
< bole des Apôtres. »
On pourrait demander ici : Tous les attributs de Dieu sont-ils
égaux ?
Billuart répond à cette question ^ : Si nous voulons parler des
attributs tels qu'ils sont en eux-mêmes, ils sont égaux ; non pas ce-
pendant d'une égalité positive qui ne pourrait exister qu'à la condi-
tion d'une distinction réelle entre eux, ce qui n'est pas, mais d'une
égalité négative. Ils sont égaux en ce sens qu'aucun d'eux ne dé-
passe les autres, puisqu'ils consistent tous en une seule et môme
chose.
Si nous entendons parler des attributs divins, non plus tels qu'ils
sont en eux-mêmes, mais tels que notre intelligence bornée nous
permet de les concevoir, il faut distinguer. Nous pouvons les con-
sidérer comme étant l'être incréé, l'être infini avec lequel ils se
confondent : en ce sens, ils sont nécessairement égaux, puisque cet
être infini est d'une manière égale, indivisible et unique, l'être de
chacun d'eux. Mais nous pouvons les considérer aussi dans leur
analogie avec les perfections que les créatures offrent à nos yeux. A
ce point de vue, on peut dire que les attributs de Dieu ne sont pas
tous égaux. C'est ainsi, par exemple, que l'on pourra placer l'intel-
ligence ou la science de Dieu au-dessus de son immensité ou de
quelque autre de ses attributs négatifs.
On pourrait demander encore si les anges et les saints du ciel
établissent comme nous une distinction de raison entre l'essence de
Dieu et ses attributs. Cette question est controversée, mais l'opinion
qui semble la plus probable est que les heureux habitants du ciel
n'ont pas besoin de recourir à ce moyen artificiel pour se rendre
compte de la perfection infinie de l'être divin. Deux causes nous
obligent sur la terre à établir une distinction de raison entre Dieu
et ses attributs : sa grandeur sans mesure et les bornes de notre
intelligence, qui ne nous permettent pas de nous élever si haut.
Dieu, au contraire, embrasse d'un seul regard toute l'infinité de son
être, et l'on peut en dire autant, proportion gardée, des bienheureux
qui jouissent de la vision béatifique; d'un seul regard ils voient
Dieu dans la simplicité de son essence. Mais on peut admettre
qu'ils possèdent en même temps une autre connaissance analogue
{. Billuart, Tmct. de Deo, dissert, ii, circa lincm.
58 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
à la nôtre, qui leur permet de voir non seulement l'essence divine
dans son absolue simplicité, mais chacun de ses attributs pris à
part.
En attendant qu'il nous soit donné de contempler dans la lumière
de la gloire ces attributs, ces perfections infinies qui sont en Dieu
et qui sont Dieu lui-même, nous ne pouvons oublier que notre
divin Jésus, présent dans l'Eucharistie, les possède toutes puisqu'il
est Dieu. Nous avons donc besoin de les connaître.
Nous savons qu'étant Dieu il est l'être nécessaire existant par lui-
même. Nous avons dit qu'il est un pur esprit n'ayant rien de com-
mun avec la matière; qu'il est absolument simple et qu'il est cepen-
dant un Dieu en trois personnes, qu'il est la vérité et le bien infini.
Ajoutons qu'il est immense, éternel, incompréhensible, invisible à
l'œil corporel; invisible à l'œil de l'intelligence, visible cependant
à l'intelligence créée, en vertu d'un don surnaturel. Il connaît toutes
choses existantes, passées, futures ou simplement possibles; il
possède une volonté libre et toute parfaite; il est tout-puissant; il
est infiniment sage, infiniment saint, infiniment miséricordieux,
infiniment juste.
L'étude et la méditation des perfections admirables de Notre-
Seigneur ne pourra qu'exciter en nous une dévotion toujours plus
ardente envers le sacrement d'amour où il se fait prisonnier pour
nous, avec tous ses attributs divins.
II.
INFINITÉ DU DIEU DK l'eUCIIAUISTIE
Notre-Seigneur Jésus-Christ, voilé à nos regards sous les appa-
rences d'un peu de pain et d'un peu devin, paraît bien petit. Cepen-
dant, aux yeux de la foi, il est le Dieu que nous adorons, le Dieu
du ciel et de la terre, et parce qu'il est Dieu, il est infini. Que faut-il
entendre par Vinfinilé?
On distingue plusieurs infinités, ou plutôt plusieurs aspects sous
lesquels on peut considérer l'infinité : celle de l'étendue qui, si
elle était possible, s'appliquerait à la matière; celle de la puissance
qui ne connaît rien au-dessus de ses forces; celle de l'essence qui
suppose une substance immense et illimitée; celle de la perfection
qui exclut toute possibilité de perfection plus grande; celle de la
durée qui n'admet d'autre mesure que l'éternité.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 59
Qu'il existe un être infini, nul ne peut refuser de l'admettre, sans
nier en même temps qu'il y ait un être nécessaire, existant par lui-
même, et possédant ainsi la plénitude de son existence. Si cet être
n'était pas infini, qui donc lui aurait posé des limites? Il ne pou-
vait le faire lui-même, puisqu'il aurait fallu qu'il fût sa propre
cause et qu'il existât avant d'exister. Encore moins un autre être
le pouvait-il, puisqu'il aurait dû, pour le faire, être antérieur à l'être
nécessaire existant par lui-môme et cause première de tout ce qui
n'est pas lui '.
i. Nous citerons ici une page de Montaigne dont nous respecterons le lan-
gage un peu vieilli :
« D'autant qu'il est impossible que la créature enjambe au-dessus de son
Créateur, il est aussi impossible que l'homme, par son discours, voie et monte
au-dessus de la divine essence. Ainsi notre intelligence, nos cogitations, nos
souhaits mêmes ne peuvent ni imaginer ni embrasser rien de plus haut ou de
plus grand que celui de la libéralité duquel nous tenons toute notre suffi-
sance ; et tout ce que nous pouvons concevoir de meilleur ne peut être meil-
leur que Dieu : autrement la créature aurait quelque chose en soi qui serait
plus grande que le Créateur même, à savoir l'homme, son cœur capable d'une
telle conception : ce que nous voyons être d'une merveilleuse absurdité. Car
comment aurait le Créateur donné quelque présent à sa créature plus grand
qu'il n'est? Si donc l'extrême force de notre intelligence ne se peut allonger
outre la grandeur de notre facteur, et que toutefois elle soit capable de l'in-
finité, tout ainsi que les nombres : de sorte que se présentant quelque chose
finie à notre imagination, nous puissions toujours la pousser au delà, et en
imaginer une plus grande et meilleure, il s'ensuit infailliblement que notre
facteur est infini en toute perfection. Par la différence de l'homme aux autres
choses, qui se tire de la puissance qui est en nous d'entendre, de penser et
de désirer, il s'en engendre une très belle considération qui sert comme de
racine et de moyen pour connaître et prouver très certainement et sans peine
toutes les qualités, les circonstances qui sont en Dieu, et qui plus est, cette
manière d'argumentation nous est d'autant plus familière que nous la prenons
de nous-mêmes et de notre propre intelligence, sans qu'il soit besoin de nous
mettre en quête d'autres exemples hors de nous, ou d'aucunes preuves étran-
gères. La considération et règle de quoi je parle est telle : Dieu est ce qui se
peut concevoir de plus grand; ou /;ù'n, Dieu est plus grand que nulle autre
chose qu'on puisse concevoir; il est donc tout ce qui se peut imaginer de plus
accompli, et tout ce qu'il vaut mieux être que n'être pas. 11 est tout ce que
nous pensons de plus parfait, de meilleur, de plus digne, de plus noble et de
plus haut. Et les plus {)arfaites, plus dignes et plus hautes choses qui tombent
en notre intelligence, nous les lui devons accommoder et attribuer. Voila une
règle sur hujuelle nous pouvons établir l'entière connaissance de sa nature.
« Et voici comment nous la {)raliquerons en toutes ces circonstances ; d'au-
tant qu'il est meilleur d'être que de n'être pas, il nous faut croire que Dieu
est, et nous ne pouvons j)enser ([u'il ne soit pas ; d'autant qu'il vaut mieux
être de toute éternité, élre de soi. n'être pas produit du non-être, et être soi-
même son cs.sencc que le contraire, et que ce discours peut tomber en notre
imagination, croyons certainement que l'essence de Dieu esl sans commen-
60 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
Les différentes infinités que nous venons d'énumérer, celles du
moins qui n'impliquent pas contradiction, ne sont donc au fond
qu'une seule infinité, un unique attribut et ne font qu'un avec
l'être nécessaire, l'être existant de lui-même qui est Dieu.
Voici l'idée que Fénelon nous donne de l'infini.
'< Je ne sauraisconcevoir qu'un seul infini, c'est-à-dire que l'Être
infiniment parfait ou infini en tout genre. Tout infini qui ne serait
infini qu'en un genre ne serait point un infini véritable. Quiconque
dit un genre ou espèce dit manifestement une borne, et l'exclusion
de toute réalité ultérieure; ce qui établit un être fini ou borné. C'est
n'avoir point assez simplement consulté l'idée de l'infini que de
l'avoir renfermé dans les bornes d'un genre. Il est visible qu'il ne
peut se trouver que dans l'universalité de l'être, qui est l'être infi-
niment parfait en tout genre et infiniment simple.
« Si on pouvait concevoir des infinis bornés à des genres parti-
culiers, il serait vrai de dire que l'être infiniment parfait en tout
genre serait infiniment plus grand que ces infinis-là; car outre
qu'il égalerait chacun d'eux dans son genre, et qu'il surpasserait
chacun d'eux en les égalant tous ensemble, de plus il aurait une
simplicité suprême qui le rendrait infiniment plus parfait que toute
cette collection de prétendus infinis.
a D'ailleurs, chacun de ces infinis subalternes se trouverait borné
cernent, quelle est de soi, qu'elle n'a été nullement produite du non-être et
qu'il est lui-même son essence. D'autant que je suis capable de concevoir
qu'il y a quelque essence bornée de fin et de commencement; quelque autre
qui pourrait avoir quelque commoiicemcnt et être sans fin, et une tierce qui
n'aurait ni commencement ni fin : je suis tenu d'attribuer h Dieu la dernière,
vu qu'elle est la plus excellente que je puisse concevoir. Car, comme je disais
tantôt, il est ce que je puis imaginer de plus parfait ; il est tout ce qu'il vaut
mieux être que n'être pas, et il ne peut tomber en mon intelligence rien plus
grand que lui; d'où il s'ensuit encore qu'il est le souverain être de tous les
êtres, seul subsistant par soi-même, qu'il a fait toutes choses de néant; car
tout cela peut entrer en ma cervelle, et sert à la perfection d'une grandeur
excellente. Davantage je dirai que Dieu est juste, véritable, très heureux,
plein de vie et d'intelligence, attendu que je sais qu'il vaut mieux être juste
que méchant, véritable que mensonger, heureux que misérable, vivant que
sans vie et intelligence; et d'autant aussi que c'est plus être la môme bonté,
la même justice, la vie, la sapience, la vérité et aussi des autres, que d'être
bon, juste, vivant, sage et véritable, je conclurai, par nécessité, que Dieu est
bonté, justfce, vie, sapience et vérité. Ne vois-je pas ainsi que l'unité est
beaucoup plus excellente que division mère de la corruption? Dieu est donc
sans doute indivisible, très simple et très un.... » (Montaigne, Théologie na-
turelle. )
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 61
par l'endroit précis où son genre le bornerait et le rendrait inégal
à l'être infini en tout genre.
« Quiconque dit inégalité entre deux êtres dit nécessairement
un endroit où l'un finit et où l'autre ne finit pas. Ainsi, c'est se
contredire que d'admettre des infinis inégaux.
« Je ne puis même en concevoir qu'un seul, puisqu'un seul, par
sa réelle infinité, exclut toute borne en tout genre, et remplit
toute l'idée de l'infini.
« D'ailleurs, comme je l'ai remarqué, tout infini qui ne serait pas
simple ne serait pas véritablement infini : le défaut de simplicité
est une imperfection; car, à perfection d'ailleurs égale, il est plus
parfait d'être entièrement un que d'être composé, c'est-à-dire que
de n'être qu'un assemblage d'êtres particuliers. Or une imperfec-
tion est une borne ; donc une imperfection telle que la divisibilité
est opposée à la nature du véritable infini, qui n'a aucune borne.
« On croira peut-être que ceci n'est qu'une vaine subtilité, mais
si l'on veut se défaire parfaitement de certains préjugés, on recon-
naîtra qu'un infini composé n'est infini que de nom, et qu'il est
réellement borné par l'imperfection de tout être divisible et réduit
à l'unité d'un genre. Ceci peut être confirmé par des suppositions
très simples et très naturelles sur ces prétendus infinis qui ne
seraient que des composés.
« Donnez-moi un infini divisible ; il faut qu'il ait une infinité
de parties actuellement distinguées les unes des autres. Otez-en
une partie, si petite qu'il vous plaira ; dès qu'elle sera ôtée, je
vous demande si ce qui reste est encore infini ou non : s'il n'est
pas infini, je soutiens que le total, avant le retranchement de cette
petite partie, n'était point un infini véritable. En voici la démons-
tration. Tout composé fini, auquel vous rejoindrez une très petite
partie qui en aurait été retranchée, ne pourrait point devenir
infini par cette réunion ; donc il demeurerait fini après la réunion ;
donc avant la désunion il est véritablement fini. En effet, qu'y
aurait-il de plus ridicule que d'oser dire que le même tout est
tantôt fini, tantôt infini, suivant qu'on lui ôte ou qu'on lui rend
une espèce d'atome? Quoi donc, l'infini et le fini ne sont-ils dif-
férents que par cet atome de plus ou de moins?
« Si, au contraire, ce tout demeure infini après que vous en avez
retranché une petite partie, il faut avouer qu'il y a des infinis iné-
gaux entre eux ; car il est évident que ce tout était plus grand
62 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CBAP. II.
avant que cette partie fût retranchée qu'il ne l'est depuis son retran-
chement. Il est plus clair que le jour que le retranchement d'une
partie est une diminution du total, à proportion de ce que cette
partie est grande. Or c'est le comble de l'absurdité que de dire
que le même infini demeurant toujours infini est tantôt plus
grand et tantôt plus petit.
t Le côté où l'on retranche une partie fait visiblement une
borne par la partie retranchée. L'infini n'est plus infini de ce côté,
puisqu'il y trouve une fin marquée. Cet infini est donc imaginaire,
«tnul être divisible ne peut jamais être un infini réel. Les hommes
ayant l'idée de l'infini l'ont appliquée d'une manière impropre et
contraire à cette idée même, à tous les êtres auxquels ils n'ont
voulu donner aucune borne dans leur genre ; mais ils n'ont pas
pris garde que tout genre est lui-même une borne et que toute
divisibilité étant une imperfection, qui est aussi une borne visible,
elle exclut le véritable infini, qui est un être sans bornes dans sa
perfection.
« L'être, l'unité, la vérité et la bonté sont la môme chose. Ainsi
tout ce qui est un être infini est infiniment un, infiniment vrai,
infiniment bon ; donc il est infiniment parfait et indivisible.
« De là je conclus qu'il n'y a rien de plus faux qu'un infini im-
parfait; rien de plus faux qu'un infini qui n'est pas infiniment
un ; rien de plus faux qu'un infini divisible en plusieurs parties
ou finies ou infinies. Ces chimériques infinis peuvent être gros-
sièrement imaginés, mais jamais conçus.
a II ne peut pas y avoir deux infinis ; car les deux, mis en-
semble, seraient sans doute plus grands que chacun d'eux pris
séparément, et par conséquent ni l'un ni l'autre ne serait vérita-
blement infini.
« De plus, la collection de ces deux infinis serait divisible, et par
conséquent imparfaite, au lieu que chacun des deux serait indivi-
sible et parfait en soi : ainsi un seul individu serait plus parfait
que les deux ensemble. Si au contraire on voulait supposer que les
deux joints ensemble seraient plus parfaits que chacun d'eux pris
séparément, il s'ensuivrait qu'on les dégraderait en les séparant.
« Ma conclusion est donc qu'on ne saurait concevoir qu'un seul
infini souverainement un, vrai et parfait K »
i. FÉNELON, Lettres sur la religion, lettre IV.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS- CHRIST. 63
Cette idée de l'infini, que Fénelon nous donne, convient-elle à
Dieu, ou plutôt Dieu possède-t-il la plénitude de l'être avec tous
les attributs qu'elle comporte, à un degré infini et sans aucune
limite ni imperfection ?
Les anciens philosophes avaient reconnu la nécessité d'un pre-
mier principe infini dans son essence, mais plusieurs se sont
trompés sur la nature de ce premier principe et sur celle de son
infinité. S'imaginant que le premier principe était matériel, ils
attribuèrent l'infinité à la matière, ce qui est inadmissible. La
matière n'est quelque chose, dans la réalité et dans l'acte, que
grâce à la forme qui la détermine. Une matière sans forme, si on
la suppose infinie, serait un infini absolument imparfait ; la forme
au contraire, dont la suprême expression est l'être pur, existe in-
dépendamment de la matière qui ne lui sert qu'à se localiser et à
s'individualiser. Si donc il existe une forme qui ne tire son origine
d'aucun autre être, n'étant limitée par aucune cause ni en elle-
même ni hors d'elle-même, elle est infinie et parfaite. Cette forme
infiniment parfaite n'a pas besoin de la matière, qui ne servirait
qu'à la circonscrire et la borner, si elle lui était unie. A plus forte
raison n'est-elle pas la matière elle-même.
S. Thomas, dans la Somme contre les Gentils, donne ces
preuves et plusieurs autres de l'infinité de Dieu tirées de la nature
de l'essence divine : nous laissons au lecteur désireux de les étudier
en détail le soin de recourir au texte même de l'Ange de l'École ^
mais il en est deux que nous voulons néanmoins signaler. La pre-
mière est tirée de cette considération que jamais une vérité finie
1. Voici en quelques mots le résumé de ces preuves :
« Essentia Dei in se infinita est propter multa : l°Quia in nullo génère entis
limitati invenitur, sed est super omnia. 2° Quia non habet subjectum illa mi-
rabilis essentia, unde illimitata est ; forma autem limitatur a subjecto in quo
recipitur : Deus autem non sustentatur ; quin imoipse solo suo verbo sustentât
omnia. 3° Quia in rébus finitis quœdam suntpotentia tantum, quœdam actus
tantum : potentia autem non excedit actum; cum igitur materia sit potentia
ad infinitas formas successive habendas, oportet ut Deus qui formas exhibet,
sit omnibus formis creatis universalior, adeoque simpliciter infinitus. i" In-
tellectus creatus nuUa finita veritate satiatur, neque voluntas uUo bono finito
dato quiescit : igitur datur veritas et bonitas infinita; non enim frustraneus
débet esse appetitus rationalis : igitur Deus est intlnitus. 5° Eftectus nunquam
excedit causam primam, imo nec ipsius exhaurit fœcunditatem, sed novae
creatura; f|uotidie apparent : igitur datur causa in se infinita ex qua proma-
nant, et ex qua possent sine fine promanare. » (Vide : S. Thom. Aquin.,
Summa contra Gentcs, lib. I, cap. XLiii.)
64 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. II.
ne rassasie complètement le besoin de savoir qu'éprouve l'intelli-
gence créée, comme jamais non plus aucun bien fini ne satisfait
entièrement la volonté de celui qui le possède. Ni la vérité bornée,
ni le bien fini ne sont pour nous le bien suprême auquel nous
aspirons et dans lequel nous pouvons nous reposer comme dans
notre fin dernière. Il faut donc qu'il existe une vérité et un bien
infini, objet de ce désir de notre intelligence et de notre volonté.
Car comment admettre qu'un tel besoin soit naturel à l'homme,
s'il n'avait pas un objet réel qui lui corresponde?
La seconde preuve est tirée du spectacle que nous avons sous
les yeux des nouvelles créatures qui ne cessent d'apparaître.
Jamais, dit le saint docteur, un effet ne peut surpasser sa cause
première ; il ne peut même pas épuiser complètement sa fécondité.
Or nous voyons que l'être divin, non content d'avoir tiré toutes
choses du néant, continue de donner l'être chaque jour à d'innom-
brables créatures. Il est une source de laquelle toutes choses ont
découlé et semblent pouvoir découler indéfiniment. Sa puissance
et sa richesse n'en sont pas épuisées ; et parce que la cause est plus
grande que l'effet, il faut conclure qu'elles sont infinies.
On peut dire aussi que Dieu est infini parce qu'il possède abso-
lument toutes les perfections et qu'il lui est impossible d'en acqué-
rir de nouvelles. « Rien de nouveau ne survient dans cette éternelle
« et parfaite nature, dit S. Hilaire; Dieu bienheureux et parfait n'a
« pas besoin de progrès; il ne lui manque rien i. » Avant S. Hilaire,
S. Justin avait dit : « L'être souverainement parfait est celui qui
« ne peut recevoir en rien ni addition ni augmentation -. »
L'éternité de Dieu, sa toute-puissance et chacune de ses perfec-
tions en particulier peuvent servir de preuve à son infinité, puis-
qu'elles sont infinies elles-mêmes et qu'elles ne sont qu'un avec
l'essence divine : nous en parlerons en leur lieu.
Pour résumer tout en quelques mots, nous dirons : Il faut néces-
sairement reconnaître pour infini un être qui ne connaît de limites
ni dans son essence, ni dans ses perfections, ni dans sa puissance,
ni dans sa durée, ni dans son étendue ou son immensité. Or, il en
4. Nihil enim in aeternam illain et perfectam naturam novum incidit.,..
Deus autem beatus atque perfectus prolectu non eget, cui nihil deest. (S. Hi-
LAR., in Ps, II.)
2. Summe perfectum est id quod nulla in re accessionem vel incrementum
potest acciprre. (S. Just., q. cxxni ad Or thocloxos.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 65
est ainsi de Dieu : il est infini en lui-même, infini en perfection,
infini en puissance, infini en durée, infini en étendue; donc on doit
reconnaître et proclamer qu'il est infini en tout, ou qu'il est sim-
plement l'être infini. S. Augustin en conclut que sa grandeur est in-
effable. « La suréminence de la Divinité, dit-il, dépasse toute expres-
« sion que le langage usité peut fournir. Ce que l'esprit conçoit
« de Dieu est plus vrai que les paroles qui servent à l'exprimer,
« mais la pensée elle-même n'atteint pas à la vérité complète '. »
Ajoutons que cette infinité de Dieu lui appartient tellement en
propre qu'il ne peut la communiquer à une autre nature, ou à un
autre être qui ne soit pas Dieu lui-même, puisque de cette com-
munication résulterait un second infini, ce que la raison et la foi
repoussent également.
La Sainte Écriture ne nous permet pas de mettre en doute l'infi-
nité de Dieu. Le livre de Job nous en parle en termes magnifiques.
Sophar le Naamathite reproche à Job de méconnaître la justice des
jugements de Dieu. Il lui dit : « Découvriras-tu par hasard les
« traces de Dieu, et atteindras-tu parfaitement jusqu'au Tout-Puis-
« sant? Il est plus élevé que le ciel; que feras-tu donc? Il est plus
« profond que l'enfer : comment donc le connaîtras-tu ? Sa me-
« sure est plus longue que la terre et plus large que la mer. S'il
0, renverse toutes choses, ou s'il les confond ensemble, qui le
« contredira 2? » David ne célèbre pas avec moins d'éloquence la
grandeur infinie de Dieu; il lui adresse ces paroles : « Si je monte
a au ciel, vous y êtes; si je descends dans l'enfer, vous y êtes pré-
€ sent. Si je prends mes ailes au point du jour et que j'habite aux
« extrémités de la mer, là encore votre main me conduira et votre
a droite me retiendra Et j'ai dit : Peut-être que les ténèbres me
«t couvriront; et la nuit est une lumière autour de moi dans mes
« plaisirs. Parce que les ténèbres ne seront pas obscurcies pour
« vous et la nuit sera éclairée comme le jour ^. »
\. Excedit superemincntia divinitatis usitati eloquii facultatem; verius
enim cogitatur Deus, quam dicitur, et verius est quam cogitatur. (S. August.,
de Trinitate, lib. VII, n. 7.)
2. Forsitan vestigia Dei compreliendcs et usque ad perfectum omnipoten-
tem reperies? Excelsior cœlo est, et quid faciès? Profundior inferno, et unde
cognosces? Longior terra mensura ejus, et latior mari. Si subverterit omnia,
vel in unum coarctaverit, quis contradicet ei ? [Job, xi, 7-10.)
;{. Si ascendero in coelum, tu illic es ; si descendero in infernum, ades. Si
sumpsero pennas meas diluculo et habitavero in extremis maris : elenim
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 5
66 LA SAINTE EUCHARISTIE. II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
Et cet autre texte que nous avons déjà cité :
« Grand est le Seigneur, et infiniment louable; et à sa grandeur
c il n'y a pas de fin ^ » Le prophète Baruch disait en termes pres-
que identiques : « Le Seigneur est grand et il n'a pas de fin 2. »
C'est bien l'infinité de Dieu que proclament le Psalmiste et le
Prophète en s'exprimant ainsi.
S. Denys l'Aréopagite disait de Dieu : « Il n'est pas un être quel-
« conque, mais il est l'être absolument simple et infini, embrassant
« en lui-même toute la plénitude de l'être ^. » S.Grégoire de Nysse
professe la même foi. « Dieu, dit-il, ne devient pas plus grand ou
« moindre parl'accroissementouparquelquediminutionde son être,
« parce que tout accroissement est impossible pour un être infini *. »
S. Augustin dit, dans ses Méditations : « Dieu n'est pas renfermé
c dans un lieu; il ne connaît pas de bornes ni de limites; il est
« infini de toutes manières &. » Citons encore S. Jean Damascène :
€ Parmi les noms de Dieu, il semble qu'on doive donner le pre-
« mier rang à celui-ci : Celui qui est; en effet, ce nom s'étendant
€ à tout ce qui existe exprime l'être lui-même, comme un océan
« de substance infini et indéterminé ^. »
Dieu est donc infini. Il est un océan sans limite d'être, de bonté
et de béatitude. Il renferme en lui tout être et tout bien ; il est la
source, la cause première de tous les biens et de tous les êtres.
Tout ce qui est possible ne l'est que par lui, et rien ne peut être
sans lui, ni en acte ni même en puissance. Il est le principe de tous
les êtres, leur créateur, leur soutien, leur lien, leur âge, leur
durée, leur terme, leur harmonie et leur consommation.
illuc manus tua deducet me et tenebit me dextera tua. Etdixi : forsitan tene-
braî conculcabunt me : et nox illuminatio mea in deliciis meis. Quia tenebrse
non obscurabuntur a te. {Ps. cxxxviii, 8-12.)
1. Magnus Dominus et laudabilis nimis, et magnitudinis ejus non est finis.
(Ps. CXLIV, 2.)
2. Magnus est et non habet finem. (Baruch, III, 25.)
3. Deus non quovis modo est ens sed simpliciter et infinitus, totum esse
in se complexus. (S. Dionys., de Div. nom., cap. v.)
4. Neque major neque minor fit, vel accessione, vel decessione, quippe
incrementum illud quod in majus fit in infinito locum non habet. (S. Gregor.
NiC/EN., contra Eunom.)
î5. Illocalis, interminus, incircumscriptus, nusquam finitus. (S. August.,
Médit., cap. xxix.)
G. Videtur inter Dei nomina primas lenere qui est; totum enim in seipso
comprehendens, habet ipsum esse, veluti quoddam pelagus substantiae infini-
tum et indeterminatum. (S. Damasc, lib. IV de Fide, cap. xii.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 67
« Qu'est-ce donc que Dieu ? demande S. Bernard. Par rapport à
€ l'univers, c'est la fin; à l'égard des élus, c'est le salut; mais par
« rapport à lui-même, lui seul sait ce qu'il est. Qu'est-ce que Dieu?
« Dieu, c'est la volonté toute-puissante, la bienveillance et la force
« infinie, la lumière éternelle, la raison immuable et la suprême
« béatitude.... Qu'est-ce que Dieu? C'est celui qui n'a ni passé ni
« avenir, rien que d'éternel comme lui. Qu'est-ce donc que Dieu?
« C'est celui de qui tout vient, par qui et en qui tout est. De qui
e tout vient par voie de création, non de génération. Par qui tout
c est, non seulement créé mais ordonné. En qui tout est, non loca-
« lement mais virtuellement. De qui tout vient comme d'un principe
€ unique auteur de toutes choses. Par qui tout est, car il n'y a pas
« après lui un autre principe qui ait mis les choses en œuvre. En
« qui tout est, car il n'y a pas un troisième principe, l'espace, qui
« le reçoive ^ »
Qu'est-ce encore que Dieu? Un disciple de S. Bernard, l'abbé
Guillaume, répond : « Dieu est une vie perpétuelle existant en soi-
« même et donnant l'existence à tout, comprenant tout, créant toute
a intelligence; sage et la sagesse même, vérité permanente, justice
<r immuable, vertu souveraine, bonté parfaite, divinité, éternité,
c grandeur, immensité, essence suprême, de qui procède tout être,
« substance supérieure et éternelle, non soumise aux expressions
« ou à la mesure de la pensée ; mais cause efficiente et principe
« suressentiel de tous les êtres. Dieu est simple, pur, entier, parfait,
« n'ayant rien qui sente le nombre, le temps ou les lieux. Il se
« trouve en tout lieu, de telle sorte qu'il n'y est pas inclus, et qu'il
« n'en est pas exclu. Il faut se le représenter sans forme visible,
« sans apparence corporelle, sans composition de parties, sans dis-
« tinction de membres ; de qui tout vient, non matériellement,
« mais par voie de causalité ; en qui tout se trouve, non comme
\. Quidergo estDeus?Quod ad universum spectat, finis; quod ad electio-
nem, salus; quod ad se, ipse novit. Quid est Deus? Voluntas omnipotens,
benevolentissima virtus, lumen œternum, incommutabilis ratio, summa bea-
titudo.... Quid est Deus? Cui saecula nec accesserunt, nec decesserunt, nec
coaeterna tamen. Quid est Deus? Ex quo omnia, per qiiem omtiia, in quo om-
nia. Ex quo omnia creabiliter, non seminabiliter. Per quem omnia, ne alium
auctorem atque alium opificem arbitreris. In quo omnia, non quasi in loco,
sed quasi in virtute. Ex quo omnia tanquam uno principio auctore omnium.
Per quem omnia, ne alterum inducatur principium arlit'ex. In quo omnia, ne
tertium inducatur, locus. (S. Bernard., de Considcvatione, lib. V, cap. xi et
cap. VI.)
68 LA SAINTE EUCEIARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. CHAP. II.
« dans un lieu, mais en vertu et puissance. Bon sans qualité, grand
«f sans quantité, président sans siège, contenant sans enveloppe,
a il dispose de tout. Il dispose comme sagesse, il opère comme
« puissance, il aime comme charité, il éclaire comme lumière, il
« compatit comme piété, il croit comme équité, il préside comme
« majesté *. »
Telle est la grandeur, la perfection infinie de ce Dieu qui daigne
s'approcher de nous et demeurer parmi nous, comme anéanti. Qui
donc pourra concevoir sur lui des pensées qui ne soient pas trop
indignes de sa majesté souveraine? Le même saint abbé nous ré-
pond :
« Vous ne comprenez pas sa grandeur, à moins que vous ne
« vous avilissiez à vos yeux en le contemplant. Vous n'embrassez
a pas son étendue, à moins que vous ne deveniez petit à vos regards,
« vous soumettant à toute créature pour son amour -. » Appro-
chons-nous donc avec amour et humilité de cet être infini qui est
notre Dieu, et grâce à ces dispositions, nous arriverons à le con-
naître chaque jour davantage.
III.
IMMENSITÉ DU DIEU DE l'eUCHARISTIE
Tous les attributs de Dieu ne sont entre eux et avec la divine
essence qu'un seul et même être qui s'offre à nous sous divers
\. Credendus itaque et cogitandus est Deus qufedam vita perpétua, vivens
in se, et omnia vivificans, omnia intelligcns, omnemque creans intelligentiam,
sapiens et ipsa sapientia, veritas fixa, justitia indeclinabilis, summa virtus,
perfecta bonitas, divinitas, œternitas, magnitude, immensitas, summa essen-
tia, a quo omneesse, summa et œterna substantia, non subjectapraedicamentis
vocum aut cogitabilium ; sed omnium rerum causale efticiens, et superessen-
tiale principium. Cogitandus est Deus simplex, purus, integer et perfectus,
nihil habens quod in numerum transeat; nihii trahens a tempore vel a loco.
Sic in omni loco quod non includatur nec excludatur a loco. Cogitandus est
Deus sine forma visibili, sine specie corporali, sine compositione partium, sine
distinctione membrorum ; ex quo omnia causaliter, non materialiter ; in quo
omnia non in loco, sed in virtute. Sine qualitate bonus, sine quantitate magnus,
sine situ praesidens, sine habitu continens, omnia disponens. Disponit enim
ut sapientia, operatur ut virtus, scit ut veritas, judicat ut aequitas, prsesidet
ut majestas. (Guill. abb., tract, de Caritale, cap. x. Inter oper. S. Bernardi.
La traduction est de M. l'abbé Dion.)
2. Non comprehendis ejus allitudinem, nisi vilescas apud te contemplatione
ejus, Nec comprehendis ejus magnitudinem, nisi parvus fias in oculis tuis,
subjiciens te omni creaturae propter ipsum. (1d., ibid.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. G9
aspects à cause des limites de notre intelligence. Il n'est donc pas
étonnant qu'ils nous apparaissent comme reliés entre eux de la
manière la plus étroite, et que les preuves qui rendent indubitable
l'existence de l'un d'eux servent en même temps à démontrer celle
des autres. C'est ainsi qu'avoir établi que Dieu est l'être infini, c'est
avoir prouvé par là même qu'il est immuable et qu'il est éternel.
Comment pourrait-on dire, en effet, de Dieu qu'il est infini, si son
être était limité soit par l'espace, soit parle temps? Mais chacun
des attributs de la divinité n'en possède pas moins son caractère à
part et ses preuves particulières, qu'il convient de connaître.
Nous croyons que Dieu est immense. Le IV^ Concile de Latran a
fait de cette proposition un article de foi ^ Le symbole de S. Atha-
nase proclame avec insistance la même vérité : « Le Père est im-
« mense, le Fils est immense, le Saint-Esprit est immense, et
<r cependant ce n'est qu'un seul immense ~. »
La Sainte Écriture revient fréquemment sur cet attribut de Dieu,
l'immensité. « Il est grand et n'a point de fin ; il est élevé et im-
« mense, » dit Baruch 3. Dieu lui-même demande parla bouche du
prophète Jérémie : « Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la
terre ^? » David s'étonne de la grandeur infinie de Dieu, et pro-
nonce ces paroles souvent citées : « Si je monte au ciel, vous y
a êtes; si je descends aux enfers, je vous y trouve; si je déploie
« mes ailes avec l'aurore, et m'envole aux extrémités de la terre,
« c'est votre main qui m'y a porté ^. »
« Le Psalmiste, dit un savant théologien ^, pouvait-il mieux
« exprimer l'immensité de Dieu ? Partout ou' notre imagination
« peut s'élancer, et bien au delà. Dieu y est. Pour soutenir et con-
« server tous les êtres qu'il a créés, il faut bien qu'il soit partout
« où ils sont. Ils nagent en lui comme dans leur élément et leur
« principe de vie, comme les poissons dans la mer et les oiseaux
« dans l'air. Notre àme est présente à tout notre corps ; car quel-
i. Concil. Laler. IV, cap. Firmiter.
2. Immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus Sanctus; et
tamen non très.... sed unus immensus. [Symbol. S. Athnnns.)
3. Mafïnus est et non habet finem, excelsus et immensus. (Barucii, III, -25.)
4-. Numquid non cœlum et terram ego impleo".' [Jercm., xxiii, :2t.)
y. Si ascendero in cœlum tu illic es, si desctMidero in infcrnum ades; si
sumpsero pennas meas diluculo et habilavero in extremis maris : etenim
illuc rnanus tua deducet me. [Ps. c.vxxiii, 8-10.)
<■>. Leclercq, Théologie du catëchtsle.
70 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
♦ que part qu'on le blesse, elle le sent; et cela n'empêche pas
« qu'elle ne soit simple et sans parties.... belle image de la présence
« de Dieu, pur et indivisible esprit, à tous les êtres de la création. »
Les Pères de l'Église sont unanimes à reconnaître l'immensité
de l'être divin. Tantôt ils le représentent comme existant dans tous
les lieux sans être contenu par eux, mais au contraire s'étendant
au delà de toutes choses; tantôt comme les contenant tous, de telle
sorte que l'on peut dire en quelque manière qu'il est le lieu dans
lequel existent tous les autres. S. Théophile d'Antioche adopte cette
méthode lorsqu'il dit, pour donner une idée de l'immensité de
Dieu : « De même qu'une grenade est renfermée dans uneécorce, et
« qu'à l'intérieur, elle compte une multitude de petites cellules
« séparées par des membranes, et des grains nombreux, ainsi toute
€ la création est comme enveloppée par l'Esprit de Dieu i.» Ailleurs,
il ajoute ces paroles qui complètent sa pensée : « C'est le propre
€ de Dieu, non seulement d'être partout, mais aussi de tout voir et
« de tout entendre -. »
« Dieu, dit Clément d'Alexandrie, n'est pas dans l'obscurité ni
« dans un lieu, mais au-dessus de l'espace, du temps et de toute
« propriété des choses créées. C'est pourquoi il n'est jamais en un
« endroit quelconque, ni comme contenant, ni comme contenu; il
« n'est circonscrit dans aucun espace, il n'est pas divisé entre
« plusieurs. Quelle maison m édifierez-vous ? dit le Seigneur. Il
« ne s'en est pas préparé à lui-même, parce que rien ne peut le
« contenir. II est vrai que le ciel est appelé le lieu de son repos;
« mais ce n'est pas qu'il y soit contenu ; le repos qu'il y prend est
« la satisfaction que son œuvre lui procure ^. » Ailleurs il dit
encore : « Sachez donc qu'il y a un Dieu dont la volonté seule à
i. Queinadmodum punicum malum corticem habens quo comprehenditur
inlus habet mansiunculas loculosque plurcs membranis interceplos, ac multa
grana in seipso locata continet, sic universa crealuraa SpiriluDei continelur.
(S. Theoph. Antioch., lib. I ad AiUolicum.)
2. Cum Dei proprium hoc sit non solum ubique esse, sed etiam intueri om-
nia et audire. (Id., lib. II ad Autolic.)
3. Non est enirn in caligine Deus, aut in loco, sed supra locum, et tempus,
et proprietatem eorum, quœ facta siint : quare nunquam est in parte, nec ut
continens, nec ut contentus, aut per circumscriptionem, aut per sectionem.
Quam enim domum xdificabilis 7nihi y'mqiût Dominus. Sed nec sibi aedificavit,
cum capi non possit. Et quamvis cœlum dicatur ejus sedcs, ne sic quidem
continetur sed requiescit delectatus opificio. (Clément. Alex., lib. II Slro-
matum.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSCS-CHRIST. 7i
« donné leur commencement à toutes choses, et qu'il est aussi le
« maître de leur fin. Il est invisible pour nous, mais il voit toutes
« choses; rien ne le circonscrit et il renferme tout ^ »
Giterons-nous Origène, S. Athanase, S. Hilaire, S. Cyrille de
Jérusalem, S. Basile, S. Jean Chrysostome, S. Jérôme, S. Ambroise
et tant d'autres? Il nous suffira de dire que tous les Pères ont pro-
clamé l'immensité de Dieu dans leurs écrits, lorsque la matière
qu'ils traitaient leur donnait occasion de le faire 2. s. Augustin en
particulier y revient très souvent, et il lui arrive de s'y arrêter
assez longuement, par exemple dans le livre sur la Présence de
Dieu ou Épître à Dardane. Il dit que Dieu est partout, mais il rappelle
que cette présence n'a rien de commun avec une présence corporelle.
Dieu n'est pas partout, comme l'air par exemple ou la lumière, il
remplit le ciel et la terre; rien ne saurait échapper à sa puissance
ni se dérober à son regard; mais il n'est pas répandu dans le
monde comme une qualité du monde. Il est la substance créatrice
du monde; il régit le monde sans fatigue, et il le porte sans effort.
Le monde qu'il remplit est divisible, mais lui ne se divise pas
avec le monde. Il est tout entier dans la terre seule; nul lieu ne
le contient, mais il est en lui-même et tout entier partout. Cette
immensité, le Père la possède, le Fils la possède, le Saint-Esprit
la possède, et la Trinité de ces adorables Personnes qui ne sont
1. Scitote igitur unum esse Deum, qui omnium rerum initium est molitus,
ac finem habet in potestate; quique minime aspectabilis aspicit omnia ; non
comprehensus omnia comprehendit. (Id., ibicL, lib. VI.)
2. Voici néanmoins quelques lignes de plusieurs des Pères :
Ita complet omnia Deus ut non cum exigua creatura extensus adaequatur.
(S. Athanas., lib. conlra Sabell.)
Sic implet omnia, manens extra omnia. Sic enim scriptum est : Spiritus
Domini re/jlevit orhem terrnrum. (Id., Epist. ad Serap.)
Quia Deus invisibilis, incomprehensibilis, immensus est, ait Dominus ve-
nisse tempus ut non in monte vel in templo Deus sit adorandus, quia Deus
spiritus est : et spiritus nec circumscribitur, nec tenetur, qui per naturag
suœ virtulem ubiquc est, nec usquam abest, in omnibus omnis exuberans.
(S. HiLAR., lib. II de Trinit.)
In loco minime definitus, sed locorum opifex, in omnibus existenset a nullo
circumscriptus. (S. Cyrill., Cnlech. vi.)
Neque Pater in loco, neque Filins in circumsepta aliqua vel de6nita regione
continetur; sed immensus est.... quodcunique spiritu pervaseris, id ipsum re-
peries Deo plénum, ubique simul extensum, bypostasim l'ilium. (S. Basil, in
Evang. Joftnn.)
Ostendens ubique Deum esse et illic et hic; non enim tanquam aliquis in
coelo conclusus eminus videt quae sunt in terra, sed ubique prœsens et omni-
bus assistens. (S. Chrysost. in Ps. cxii ad verba Quis sictit Dominus Deus.)
'Èi'
LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
qu'un seul Dieu la possède. Elles n'ont pas divisé le monde entre
elles, de manière qu'elles en remplissent chacune une partie et que
le Fils et le Saint-Esprit ne trouvassent plus de place dans le
monde si le Père était partout; car ce ne sont point des corps et rien
n'empêche que le Père, le Fils et le Saint-Esprit occupent simulta-
nément le même lieu.... Mais, remarque le saint docteur, s'il est
présent partout en vertu de sa divinité, il n'est pas également pré-
sent partout par sa grâce *.
S. Grégoire le Grand fait une admirable description de l'im-
mensité de Dieu. « Dieu est dans tout, dit-il, au delà de tout, au-
« dessus de tout et au-dessous de tout. Il est supérieur à toutes
« choses en les régissant par sa puissance, inférieur en les soute-
« nant, extérieur en les environnant de son immensité, intérieur
1. Cavendum est enim, ne ita divinitatem astruamus hominis (scilicet
Christi Jesu) ut veritatem corporis auferamus. Non est autem consequens, ut
quod in Deo est, ita sit ubique ut Deus. (S. August., Wh.de PrœsentiaDei^n. 40.)
Quanquam et in eo ipso quod dicitur Deus ubique dilï'usus, carnali resisten-
dum est cogitationi, et mens a corporis sensibus avocanda, ne quasi magnitu-
dine opinemur Deum per cuncla diffundi, sicut humus aut bumor, aut aer,
autlux ista diftiinditur (omnis enim hujuscemodi magnitude minor est in sui
parte quam in toto) : sed ita potius sicutiest magna sapientia, etiam inhomine,
cujus corpus est parvum.... (Id., ibid., n. H.)
Est ergo Deus per cuncta diftusus. Ipse quippe ait per Prophetam : Cœlum
etterram ego impleo. {Jerem., xxxi, 2i.) Et quod paulo ante posui de sapientia
ejus : Atliiigit a fine usrjue ad finem fortitcr, et disponit omnia suavite.r. {Sap.,
ViH, 1.) Itemque scriptum est : SpiiiUis Domini replevil orhem lerrarum
{Sap., vni, 7) ; eique dicitur in quodam Psalmo : Qîio ibo a spirilu tuo, et a
facie tua quo fugiam ? Si ascendero in cœlum, lu ibi es ; si descendero in iiifer-
niim, ades. {Ps. cxxxviii, 7.) Sed sic est Deus per cuncla diffusus, ut non sit
qualitas mundi ; sed substantia creatrix mundi, sine labore regens, et sine
onere continens mundum. Non tamen per spatia locorum, quasi mole diffusa,
ita ut in dimidio mundi corpore sit dimidius, et in alio dimidio dimidius,
atque ita per totum tolus. Sed in solo cœlo totus, et in sola terra totus, et in
ccelo et in terra totus, et nullo contentus loco, sed in seipso ubique totus. (Id.,
ibid., n. 14.)
Ita Pater, ita Filius, ita Spiritus sanctus, ita Trinilas unus Deus. Neque
enim mundus inter se in 1res partes diviserunt, quas singulas singuli imple-
rent, quasi non haberet ubi esset Filius aut Spiritus sanctus in mundo, si
totum occupasset Pater. Non ita se babct vera incor])orea immutabilisque
divinitas. Non enim corpora sunt quorum amplior sit in tribus quam in sin-
gulis magnitudo; nec loca suis molibus tenent ut distantibus spatiis esse non
possint.... (Id., ibid., n. ]U.)
Verum illud est multo mirabilius, quod cum Deus ubique sit totus, non
tamen in omnibus habitat. Non enim omnibus dici potest quod ait Apostolus :
Nescitis fjuia temphim Dei estis et spiritus JJei habitat in vobis. (/. Cor., vi,
29.) Unde falendumest ubique esse Deum per divinitatispraesentiam, sed non
ubique per habitationis gratiam.... (Id., ibid., n. 46.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATDRE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 73
« en les remplissant par sa pénétration. Il les gouverne par une
« puissance supérieure, il les soutient par-dessous, il les envi-
« ronne au dehors, il les pénètre au dedans. Or il n'est pas au-
« dessus par une partie de sa substance, ni au-dessous par une
« autre, ni au dehors par une autre, ni au dedans par une autre;
« mais c'est toujours le même qui est tout entier en tous lieux, qui
« gouverne toutes choses en les soutenant, les soutient en les gou-
« vernant ; qui les environne en les pénétrant et les pénètre en
« les gouvernant. Or en cela même qu'il les régit, étant au-dessus,
« il les soutient aussi étant au dehors : et en cela même qu'il les
« environne étant au dehors, il les pénètre ^tant au dedans.
(( Comme supérieur, il régit tout sans inquiétude; comme infé-
cf rieur, il supporte tout sans effort; comme intérieur, il pénètre
« tout sans exténuation ; comme extérieur, il environne tout sans
« extension. Ainsi il est en même temps et au-dessus et au-
« dessous sans être contenu en aucun lieu. Il est grand sans s'é-
« tendre ; il est subtil et pénétrant sans se resserrer i. »
Après l'exposition si complète et si lumineuse de l'immensité
de Dieu que nous ont donnée ces quelques textes des Pères, choisis
entre mille, on pourrait hésiter à citer les témoignages que les
philosophes et les poètes de l'antiquité païenne ont rendus à cet
1. Quia ipse manet intra omnia, ipse extra omnia, ipse supra omnia, ipse
infra omnia; et superior est per potentiam, et inferior per sustentationem.
Exterior per magnitudinem, interior per subtilitatem; sursum regens, deor-
sum continens : extra circumdans, interiuspcnetrans; nec alia ex parte supe-
rior, alia inferior, aut alia ex parte exterior, atque alia manet interior; sed
unus idemque totus ubique prœsidens, circumdando penetrans, penetrando
circumdans. Unde superius prsesidens, inde inferius sustinens, et unde exte-
rius ambiens, inde interius replens, sine inquietudine superius regens, sine
labore inferius sustinens; interius sine extenuatione penetrans, extcrius sine
exlensione circumdans. Est itaque inferior et superior sine loco; est amplior
sine latitudine; est subtilior sine extenuatione. (S. Gregor. Magn., lib. II
Moral, in Exposit. Joh, cap. viii.)
Le même saint docteur dit encore :
Deus ubique est et ubique totus est ; ait enim : cœlum mihi sedes est, terra
autem scabellum pedum meorum (/s., lAVi) : et de ipso scriptumest(/."!., .\l) :
Qui cœlum metitur palmo et terram pugillo concludit. Ex qua re considerare
necesse est, quia is, qui cœlum velut sedem prœsidet, super et intus est, el
qui cœlum palmo et terram pugillo concludit, exlerius, superius et inferius
est. Ut ergo indicaret Deus interiorem se esse, et superiorem omnibus,
cœlum sibi sedem esse perbibuit, ut vero se ostenderet omnia circumdare,
cœlum metiri palmo, et terram se asserit pugillo concludere, ipse est interior
et exterior, ipse inferior et superior : regendo superior, portando inferior,
replendo interior, circumdando exterior. (1d., lib. II in Kzech., \w\\\. X\ 11.)
74 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
attribut de la divinité. Nous le ferons cependant, pour montrer
que la lumière de la vérité n'avait pas entièrement cessé de briller
au milieu des ténèbres du paganisme.
Salvien et Minutius Félix, parlant de la providence divine qui
gouverne le monde, rapportent cette maxime du philosophe Pytha-
gore : « Dieu est une substance vivante répandue dans toutes
« les parties du monde et les pénétrant. C'est lui qui procure la
« vie à tous les êtres animés qui naissent '. »
S. Cyrille d'Alexandrie rapporte des vers d'Orphée dont voici le
sens : « Dieu est assis inébranlable dans le ciel éthéré, sur un
« trône d'or ; ses pieds reposent sur la terre et sa main droite
« s'étend jusqu'aux extrémités de l'Océan 2. »
Virgile mentionne un Dieu qui remplit l'immensité des terres
et des mers et la profondeur du ciel ^. Sénèque parle en ces termes
de la Divinité suprême : « De quelque côté que vous tourniez vos
« pas, vous la verrez se présenter à vous. Rien qui ne la con-
« tienne : elle remplit toute son œuvre *. » Thaïes, si l'on en croit
Aristote, disait que tout était rempli d'êtres divins ».
Les enseignements de l'Église, les oracles de la Sainte Écriture
et l'autorité des Pères nous font donc un devoir de croire à l'im-
mensité de Dieu que les païens eux-mêmes n'ont pas complète-
ment méconnue. Il appartient aux docteurs et aux théologiens de
nous faire connaître ce qu'il faut entendre précisément par l'im-
mensité de Dieu et quelles preuves, en dehors des autorités appor-
tées, nous pouvons donner de la vérité de ce dogme.
1. Animus est Deus per omnes miindi partes commeans atque confusus, ex
quo omnia quae nascuntur animaUa vitam capiunt. (Pythagor., apud Salvia-
NUM, lib. V de Gubernatione Dei.)
2. Ipse in cœlo aethereo stabilis sedet, aureo in solio, terrse autem pedibus
insistit, et manum dexteram ad fines Oceani. (Orpiieus, apud S. Cyrill. Alex.,
lib. 1 in Julianum.)
3. ....Deum ire per omnes
Et terras, tractusque maris, cœluxnque profundum.
(ViRGiL., Georg., IV.)
-4. Quocumque te flexeris, ibi illum videbis occurrentem tibi, nihil ab illo
vacat, opus suum implet. (Seneca, lib. I de Benefîciis, cap. viii.)
Ailleurs, Sénèque dit encore :
Non sunt ad cœlum elevandae manus, nec exorandus a^dituus, ut nos ad
aures simulacri, quasi magis exaudiri possimus, admittat : prope est a te
Deus, tecum est, intus est. îta dico, Lucili, sacer intra nosspiritus sedet bono-
rum malorurnque nostroruin observator et custos. (Senec, epist. XLI.)
y. Aristot., lib. 1 de Anima.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSDS-CHRIST. 75
Il faut remarquer d'abord qu'il serait inexact de confondre,
comme on le fait quelquefois, Vimmensité avec Vubiquité. Uim-
mensiié, c'est l'attribut de Dieu considéré en lui-même, c'est l'apti-
tude de l'essence divine à exister dans tous les lieux ou les espaces,
fussent-ils mille fois plus vastes, et s'étendissent-ils jusqu'à l'infini,
si une telle supposition se pouvait réaliser. Vubiquité est l'exis-
tence actuelle de Dieu dans tous les êtres et les lieux existants. L'ubi-
quité est donc à proprement parler un fait temporel qui dépend de la
volonté divine ; ce n'est pas un attribut inséparable de son essence
et ne faisant qu'un avec elle; c'est la relation qui existe entre l'im-
mensité divine et les créatures, en vertu de leur existence actuelle.
Dieu est présent partout et à tout ce qui existe de trois manières,
par sa puissance, par sa présence et par son essence. Une com-
paraison fera comprendre en quoi consiste cette triple présence :
c'est ainsi qu'un roi est présent par sa puissance par tout son
royaume; il ne se trouve pas, il est vrai, dans toutes les parties de
ses États en même temps, mais son pouvoir s'étend partout ; il
peut donner partout ses ordres et se faire obéir; il dirige tout par
ses ministres. On dit de même que quelqu'un est présent à tout ce
qu'il embrasse par son regard, ou que tout ce qu'il voit et peut
voir ainsi se trouve en sa présence. Enfin, vous êtes présents par
votre substance ou votre essence dans le lieu que vous occupez
réellement.
Telles sont les trois présences qu'il faut reconnaître à Dieu dans
l'univers entier et dans toutes ses parties.
Il est partout par sa puissance, parce que tout est soumis à ses
ordres et à son empire : il gouverne et dirige tout.
Il est partout par sa présence, parce que « toutes choses sont
nues et à découvert à ses yeux : Omnia nudaet aperta suntoculis
ejus 1. »
Il est partout par son essence et sa substance, parce qu'il est la
cause immédiate de l'existence de tous les êtres.
Outre ces trois présences communes et universelles de Dieu, en
vertu desquelles il est dans tout ce qui existe, on doit en recon-
naître plusieurs autres particulières. Ainsi Dieu est d'une manière
toute spéciale, par la grâce, dans les justes et les saints : il est en
eux comme l'objet aimé dans celui qui l'aime; comme un ami
\. Ilebr., IV, i3.
76 LA Sainte eucharistie. — ii" partie. — livre i/. — chap. ii.
habitant avec son ami et vivant de la même vie; comme la fin
suprême dont la possession et la jouissance commence en quelque
sorte, pour les justes et les saints, par la grâce habituelle sur la
terre. Dieu est aussi selon un mode tout particulier dans le ciel
par la manifestation de sa gloire. Enfin il est en Jésus-Christ par
l'union hypostatique. On dit encore que Dieu est particulièrement
présent dans les sacrements et partout où son action se manifeste
plus ostensiblement.
Les manichéens n'admettaient pas la présence générale de Dieu
en toutes choses par sa puissance; ils disaient que les êtres spiri-
tuels et incorporels étaient seuls soumis à la puissance divine,
tandis que les corps dépendaient du principe contraire. D'autres
nièrent l'existence de Dieu en toutes choses par sa présence, et
dirent que la Providence divine n'étend pas son action jusqu'au
monde qui nous entoure, que Dieu ignore ce qui se passe sur la
terre ou du moins qu'il y est étranger et indifférent.
La présence universelle de Dieu en toutes choses, par so/i essence,
trouva des contradicteurs parmi les Juifs, dont plusieurs pensaient
que Dieu n'était substantiellement présent que dans le temple de
Jérusalem. Presque tous les Gentils nièrent aussi l'immensité de
Dieu, parla même qu'ils donnaient des corps à leurs divinités. Les
sociniens, quelques calvinistes, et même plusieurs catholiques
imaginèrent que l'être divin habitait uniquement le ciel, et qu"il
était présent sur la terre et partout uniquement par sa puissance,
comme le soleil est présenta notre monde planétaire parla lumière
et la chaleur qu'il y répand.
La preuve que donne S. Thomas de la présence substantielle de
Dieu en toutes choses, car nous n'avons à nous occuper ici que de
cette présence, est ti rée de la nature même de Dieu qui est l'être essen-
tiel. D'après le saint docteur, Dieu est présent dans toutes choses,
non pas comme s'il fa'isait partie de leur essence ou qu'il en fût un
accident, mais comme un principe actif est présent à l'objet sur
lequel il agit. Il est nécessaire, en effet, que tout agent soit présent
à l'objet sur lequel il agit immédiatement, et qu'il lui fasse éprouver
sa vertu. Le moteur ne peut pas être séparé de la chose à laquelle
ilcommunique le mouvement. Or, Dieu est l'être essentiel; c'est lui
qui produit l'être dans toutes les créatures et qui le conserve. Elles
sont proprement un effet qu'il cause, et qu'il continue de causer
aussi longtemps qu'elles existent; il est donc nécessaire qu'il leur
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 77
soit présent, qu'il soit présent à leur être, à ce qu'il y a de plus pro-
fond, de plus intime en elles.
Un principe actif, quelque puissant qu'on le suppose, ne saurait
agir sur un objet éloigné de lui, qu'à l'aide d'un agent secondaire
interposé entre lui et cet objet. Or, il serait indigne de la souve-
raine grandeur de Dieu de ne pouvoir agir immédiatement sur
toutes choses. L'excellence de sa nature demande qu'il n'ait pas
besoin d'intermédiaire pour exercer son action. Rien n'est donc
éloigné de Dieu; il est en toutes choses i.
L'infinité de l'Être divin, sa perfection que rien ne limite, est
une preuve indubitable de l'immensité de Dieu. En effet, la per-
fection est plus grande d'exister en plusieurs lieux que de n'être
présent qu'en un seul : la perfection absolue, la seule qui convienne
à Dieu, sera donc d'exister non pas en un lieu ni en plusieurs,
mais absolument partout, non seulement dans tous les êtres qui
sont effectivement, mais aussi dans tous ceux qui peuvent exister,
s'ils passent de la simple possibilité à la réalité de l'être.
L'immutabilité de Dieu réclame de même son immensité. S'il
n'était pas en tous les lieux, il pourrait passer d'un lieu à un autre ;
il y aurait un mouvement local, un changement qui est inconci-
liable avec la plénitude de son être.
Il en est de même pour l'éternité. Elle est corrélative à l'im-
mensité comme le temps l'est à l'espace ; l'une suppose l'autre et
l'exige.
S. Thomas prouve encore l'immensité de Dieu par la compa-
1. Respondeo dicendum quod Deus est in omnibus rebus, non quidem sicut
pars essentiœ, vel sicut accidens, sed sicut agens adest ei quod agit. Oportet
enim omne agens conjungi ei quod immédiate agit, et suavirtute illud contin-
gere. Unde probatur quod motum et movens oportet esse simul. Cum autem
Deus sit ipsum esse per suam essentiam, oportet quod esse creatum sit pro-
prius effectus ejus, sicut ignire est proprius effectus ipsius ignis. Hune autem
effectum causât Deus in rebus, non solum quando primo esse incipiunt, sed
quandiu in esse conservantur. Quandiu igitur res liabet esse, tandiu oportet
quod Deus adsit ei secundum modum quo esse habet. Esse autem est illud
quod est magis intimum cuilibet, et quod profundius omnibus inest ; cum sit
formale respectu omnium quaî in re sunt, ut exdictis patet. Unde oportet quod
Deus sit in omnibus rebus et intime. (S. Tiiom., I p., q. viii, art. i.)
Ad tertium dicendum quod nullius agentis, quantumcumque virtuosi, actio
procedit ad aliquid distans, nisi in quantum in illud per médium agit. Hoc
autem ad maximam virtutem Dei pertinet quod immédiate in omnibus agit.
Unde nihil est distans ab eo quasi in se illud Deum non babeat. (In., ibid.,
ad 3.^
78 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
raison qu'il fait de l'étendue d'un corps avec la vertu de Dieu. Si
un corps, dit-il, était d'une étendue infinie, il remplirait tous les
espaces : la vertu de Dieu est infinie, sa puissance n'a pas de bornes;
elle atteint donc tous les espaces, fussent-ils infinis *.
Il en appelle aussi au mouvement. Tout ce qui est en mouve-
ment est mû par Dieu, qui est le premier moteur. Or Dieu n'agit
pas comme les créatures par une vertu distincte de lui-même, ou
par un intermédiaire quelconque, mais il est lui-même sa propre
vertu agissante. Il est donc partout, puisque le mouvement existe
partout dans la création 2.
De cette vérité que l'action de Dieu en toutes choses prouve in-
dubitablement sa présence universelle, des théologiens ont conclu
que la toute-puissance de Dieu, en vertu de laquelle il agit, et son
immensité, qui est aussi la condition essentielle de son opération
s'étendant à tout et partout, ne sont qu'un seul et même attribut.
Les passages des écrits des Pères où il est dit que Dieu est im-
mense, non par une étendue matérielle, mais par sa vertu ou sa
puissance d'action, ont servi d'appui à cette opinion. Ceux qui
ont recouru ainsi à l'autorité de ces textes vénérables n'ont pas
assez remarqué que les Pères s'efforçaient avant tout d'éloigner
de Dieu toute idée de matérialité, sans chercher à définir en
quoi précisément consiste la présence de Dieu, qui permet à sa
vertu toute-puissante de s'exercer en toutes choses et en tous
lieux.
Le cardinal de Lugo dit qu'il n'est pas facile d'expliquer l'exis-
tence des êtres matériels dans quelque partie de l'espace, plus dif-
ficile d'expliquer celle des êtres spirituels, très difficile enfin, d'ex-
pliquer celle de Dieu. « Rien de plus profondément caché, ni rien
« de plus présent que Dieu, dit S. Augustin ; on ne découvre qu'à
a grand'peine où il est, et avec plus de difficulté encore où il n'est
1. Omne quod est in loco vel in re quacumque, aliquo modo contingitillam;
res enim corporea est in loco secundum contactum quantitatis dimensivae;
res autem incorporea in aliquo esse dicitur secundum contactum virtutis,
cum careat dimensiva quantitate ; sic igitur se habet res incorporea ad hoc
quod sit in aliquo per virtutem suam, sicut se habet res corporea ad hoc quod
sit in aliquo per quantitatem dimensivam : si autem esset aliquod corpus ha-
bens quantitatem dimensivam infinitam, oporteret illud esse ubique. Osten-
sum est autem in primo Deum esse infinitse virtutis, est igitur ubique.
^S. TiiOM., Summa contra Gentes, lib. III, cap. Lxviii.)
2. Movens et motum oportet simul esse. Deus autem omnia movet ad suas
operationes; est igitur in omnibus rébus. (Id., ibid.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 79
< pas K » Peut-être pourrait-on se contenter de dire à ceux pour
qui raction de Dieu dans les créatures n'est qu'une seule même
chose de raison avec son immensité : l'action de Dieu n'est pas,
pour la raison humaine, son immensité, mais elle en est la preuve
palpable. Dieu agit parce qu'il est présent et qu'il ne peut pas ne
pas agir où il est; mais sa toute-puissance, en vertu de laquelle il
agit, et son immensité, par laquelle il est présent, sont deux at-
tributsque l'intelligencehumainedistingue, quoique, en réalité, ils
se confondent avec l'essence divine.
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici prouve bien que Dieu est
réellement présent dans tous les espaces et les êtres actuellement
existants, et qu'il y est présent non seulement en vertu de son opé-
ration toute-puissante, mais par sa substance même. Mais ce n'est
pas l'immensité complète; ce n'est que l'ubiquité. Pour que la
présence universelle de Dieu corresponde entièrement à ce que de-
mande sa perfection infinie, pour qu'elle réalise lidée que l'on
doit se formerde son immensité, elle doit s'étendre à tous les êtres,
non seulement réalisés, mais possibles, aux espaces mêmes que les
théologiens ont nommés imaginaires. Ces espaces imaginaires
sont le vide, le néant que nous concevons au delà des limites de la
création; c'est encore l'espace que le monde occupe maintenant,
avant que le monde et cet espace même existassent effective-
ment. Faut-il admettre que Dieu existe réellement et substantiel-
lement dans ces espaces?
S. Augustin demande : « Avant que Dieu fît le ciel et la terre,
« où habitait-il? » Et il répond : « Dieu habitait en lui-même;
« il était sa propre demeure et c'est en lui-même que Dieu est 2 ».
S. Bernard dit de même : « Ne vous arrêtez pas davantage à
« demander où était Dieu avant que le monde fût créé, puisqu'il
<r n'existait rien excepté lui seul 2. » S. Bonaventu refait remarquer
que Dieu ne peut pas être substantiellement présent à ce qui
1. Deo nihil est secretius, nihilque praesentius, qui difficillime invenitur,
ubi sit, difficilius vero ubi non sit. (S. Augost., 1. W, De Quantilate animx,
cap. XXXIV.)
2. Antequam faceret Dcus cœlum et terram, ubi habitabat?.... In se habi-
tabat, apud se babitabat, et apud se est Deus, (S. August., in Psal. cxxii,
n.4).
3. Ubi erat Deus antequam mundus fieret?... Non est quod quseras ultra
ubi erat, prseter ipsum nihil erat. (S. Bernard., lib. \, De Considerationc,
cap. VI.)
80 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. II.
n'existe pas, au néant qui n'est rien '. Cependant S. Grégoire le
Grand, dans un texte déjà cité, dit en propres termes : « Dieu est
« en tout, au delà de tout, au-dessus de tout et au-dessous de tout.
« Il est supérieur à toutes choses en les régissant par sa puissance,
« inférieur en les soutenant, extérieur en les environnant de son
« immensité, intérieur en les remplissant par sa pénétration. »
Comment ne pas reconnaître dans ces paroles du grand docteur
l'expression de cette doctrine que la présence de Dieu s'étend
même au delà du monde créé ?
S. Augustin, S. Grégoire et les autres docteurs ne se contre-
disent pas. Richard de Saint-Victor résumait bien leur enseigne-
ment lorsqu'il disait : « Si Dieu est partout par son essence, il est
« donc présent là où l'espace existe et là où il n'existe pas; il sera
« en tout lieu et en dehors de tout lieu, il sera au-dessus et au-
« dessous de tout; il sera dans tous les êtres et en dehors de tous
« les êtres -. » Dieu est présent partout, en vertu de son immen-
sité, mais sa présence, immuable en son essence, s'accommode ac-
cidentellement à l'état d'être des créatures, qu'elles existent, ou
qu'elles soient simplement possiblesou imaginaires. Évidemment
Dieu n'est pas présent dans les espaces imaginaires produits de
notre pensée, comme il l'est aux choses réellement existantes;
mais cette différence ne procède pas de son essence; elle vient uni-
quement de l'état différent de ces choses. Dieu est présent à ces
espaces et aux êtres qui pourraient les remplir, par sa connais-
sance et par sa puissance; car il connaît et peut réaliser tous les
possibles. Il leur est présent aussi par sa substance, mais seule-
ment d'une manière virtuelle, c'est-à-dire que s'il lui plaisait de
réaliser tous ces possibles, fût-ce à l'infini, partout où ils s'éten-
draient, ils trouveraient la substance divine, les soutenant, les en-
vironnant, les remplissant par sa pénétration. La substance divine
n'aurait pas à s'étendre pour remplir des mondes nouveaux en
multitude innombrable. Fussent-ils des millions, elle serait pré-
sente à tous comme à celui qui existe actuellement. Leur nombre
se serait accru, mais elle-même n'aurait pas changé.
{. Stultum est dicere Deum esse in eo quod est nihil. (S. Bonavent., in
I dis t. xxxvii.)
2. Si essentialiter ubique est, ergo ubi locus est et ubi locus non est; erit
itaque et intra omnem locum, et extra omnem locum ; erit supra, erit infra
omnia, intra omnia et extra omnia. (Richard. Victor., lib. II, de Trinit.,
cap. XXIII.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 81
Nous avons dit que des hérétiques, et même plusieurs catholi-
ques, avaient méconnu la présence substantielle de Dieu dans
tous et chacun des êtres créés. Ils se sont laissé induire en erreur
par quelques textes de l'Écriture mal interprétés. Par exemple on
lit dans Isaie : « Voici ce que dit le Seigneur : Le ciel est mon
« trône, et la terre l'escabeau de mes pieds '. » Le Psalmiste dit
quelque part : « Le Seigneur est dans son temple, le Seigneur
« a son trône dans le ciel -. » Il dit encore : « Le ciel du ciel est
« au Seigneur, mais il a donné la terre aux enfants des hommes 3. »
Mais ces textes et plusieurs autres semblables n'ont aucunement
la signification qu'on a voulu leur prêter. Ils donnent simplement
à entendre que Dieu manifeste plus particulièrement dans le ciel
sa puissance, sa gloire, toutes les splendeurs de sa royauté divine,
tandis que sur la terre nous n'en apercevons à peine que quelques
vestiges; cela veut dire encore qu'il écoute avec une faveur particu-
lière, et reçoit comme un encens d'agréable odeur les prières et
les hommages qui lui sont adressés dans son temple ; cela veut
dire enfin que la demeure naturelle de l'homme est la terre et que
la demeure surnaturelle que Dieu lui prépare, s'il sait s'en rendre
digne, est le ciel où le Seigneur se montre à ses anges et à ses
élus. Mais rien dans ces textes n'exclut la présence générale de
Dieu en tous les lieux, même simplement possibles. D'autres
textes disent que Dieu monte, descend, se rend d'un endroit dans
un autre : ce sont des métaphores qu'il faut se garder d'entendre
dans le sens littéral. Elles signifient que Dieu, tout en étant par-
faitement immuable, produit des effets semblables à ceux qui ré-
sultent de nos mouvements, lorsque nous montons, que nous des-
cendons, que nous marchons. On dit aussi que Dieu s'approche
de nous par ses bienfaits, qu'il s'en éloigne lorsqu'il nous prive
de sa grâce, qu'il descend vers nous ou qu'il marche, lorsqu'il té-
moigne par des actes la sollicitude avec laquelle il veille à nos be-
soins.
Ces textes de la Sainte Écriture, et cent autres, ne sont donc
nullement contraires au dogme de l'immensité de Dieu. Si l'on
apportait quelques passages des Pères qui semblassent mécon-
1. Hccc dicit Dominus : Cœlum sedes mea, terra autem scabellum pedum
meorum. (Isa., xlvi, 1.)
2. Dominus in templo suo, Dominus in cœlo sedes ejus. [Psal. x, 5.)
3. Cœlum cœli Domino, terram autem dédit filiis hominum. {Psal. cxiii, 10.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 6
82 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
naître cet attribut, il serait aisé d'en donner de même une inter-
prétation orthodoxe, à moins que, ce qui est arrivé pour plusieurs
vérités, quelques-uns d'entre eux ne se fussent trompés et n'eussent
ignoré la vraie doctrine. L'ensemble de la doctrine des Pères est
merveilleuse d'unité et de vérité ; mais cette vérité parfaite qui
ressort de l'ensemble n'est pas toujours sans tache en chacun
d'eux, pour tous les points de dogme sans exception. Ils étaient
hommes, et chacun pris à part a bien pu tomber quelquefois dans
l'erreur. C'est ainsi que, dans un concile général, plusieurs
membres du concile peuvent avancer des propositions erronées
et même des hérésies; mais les enseignements définitifs du concile
seront infailliblement vrais.
Adorons donc l'immensité de Dieu ; adorons ce Dieu présent
partout et tout entier partout; adorons-le surtout dans le Sacre-
ment de son amour où il se réduit en quelque sorte au néant, pour
être mieux encore avec nous et se donner à nous.
IV.
IMMUTABILITÉ DU DIEU DE l'eUCHARISTIE
Toutes les choses créées sont sujettes au changement : Dieu seul
ne change pas, et Notre-Seigneur Jésus-Christ, considéré dans sa
divinité, est éternellement le même. Cet attribut de la nature
divine se nomme V immutabilité. Dieu est immuable, c'est-à-dire
qu'il est impassible, inaltérable, incorruptible, qu'il ne peut rien
perdre de son être, et qu'éternellement il sera ce qu'il est aujour-
d'hui et ce qu'il était, avant que rien de ce qui peut changer
fût sorti du néant. « Je suis le Seigneur et je ne change pas, »
nous a-t-il dit lui-même par la bouche du prophète Malachie :
Ego Dominus et non muter ^ Il est immuable dans son être,
dans ses perfections, dans ses connaissances et dans sa volonté.
Dans son être, puisqu'il est nécessairement tout ce qu'il est; dans
ses perfections, car elles font partie de son essence divine, et il
ne peut en perdre aucune ni en recevoir de nouvelles ; dans ses
connaissances : il ne peut ni rien ignorer, ni rien apprendre, ni
rien oublier ; dans sa volonté : il veut de toute éternité ce qu'il
veut, ce qu'il fait et ce qu'il fera jusqu'à la fin des temps. Nicole
1. Matach., m, G.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 83
parle en ces termes de l'immutabilité de Dieu i : « Il faut concevoir
l'immutabilité de Dieu, par opposition à la mutabilité des créa-
tures, sur laquelle on peut considérer que nous ne voyons dans le
monde que changements perpétuels. Tout se passe, tout finit; rien
n'est stable ni permanent. Non seulement les particuliers, mais
les États et les royaumes ont leurs âges, leurs vicissitudes et leurs
révolutions. Ce ne sont à tous moments que changements de
théâtre. Les uns sortent pour faire place à d'autres ; et l'on voit,
en moins de rien, se renouveler la face du monde.
« Bien loin de trouver de la stabilité dans les choses qui sont
hors de nous, nous n'en saurions trouver en nous-mêmes. C'est un
flux et un reflux continuel de pensées et de mouvements. Nous ne
voyons presque jamais les mêmes objets d'un même œil. Ce qui
nous paraît vrai, bon et utile aujourd'hui nous paraîtra demain
faux, mauvais et inutile. Nos affections et nos humeurs sont en-
core plus changeantes que nos jugements. Nous éprouvons une
variété perpétuelle de mouvements et de dispositions différentes,
tantôt agités et tantôt tranquilles, tantôt tristes et tantôt gais,
tantôt pleins de courage et tantôt découragés et abattus. Enfin
nous ne trouvons en nous-mêmes rien de ferme, rien d'uniforme,
rien de constant. La mutabilité est si naturelle à l'homme, qu'elle
lui est nécessaire : l'uniformité suffit pour le détruire ; s'il mange,
s'il dort, s'il se repose, s'il travaille sans discontinuation, il est
mort. 11 suffit, pour perdre l'esprit, de l'appliquer trop longtemps
à un même objet. La constance même et la fermeté, quand on les
attribue à l'homme, ne marquent qu'un changement moins dé-
réglé.
a Pour connaître donc l'immutabilité de Dieu, il n'y a qu'à en
retrancher toutes les idées de la mutabilité des créatures. Son
être est incapable d'altération ; il ne reçoit ni augmentation, ni
diminution, ni diversité de perfection, parce qu'étant parfait, il
ne peut rien acquérir de nouveau ni rien perdre de ce qu'il a. Il
n'y a point en Dieu de succession ni de contrariété de pensées. Il
pense toujours aux mêmes choses, et il comprend tout par une
pensée unique et immuable. Sa volonté est aussi stable que son
intelligence. Il aime toujours les mêmes choses, et dans le même
degré et par la même action. Enfin il fait toujours les mêmes
1. LEsprit de Nicole sur les vérilcs de la religion, ch. i.
84 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. II.
choses, parce que son opération n'est autre chose que la volonté
qu'il a que les choses soient faites, et que sa volonté est son essence
et sa substance. Les effets des opérations de Dieu peuvent être
temporels, mais son opération est éternelle ; ils peuvent être va-
riables, mais son opération est immuable. Dieu change tout, mais
il ne change point en lui-même. Il sait agir, dit S. Augustin, sans
cesser d'êlre en repos, et faire de nouveaux ouvrages par un con-
seil éternel. »
Les textes ne manquent pas dans l'Ancien et dans le Nouveau
Testament qui prouvent l'immutabilité de Dieu. C'est ainsi qu'au
livre des Nombres, il est écrit : « Dieu n'est pas comme un homme
« pour qu'il mente ou comme le fils d'un homme pour qu'il change.
« xVinsi ce qu'il a dit ne le fera-t-il pas? Sa parole donnée, ne l'ac-
« complira-t-il pas ^ ? » Au premier livre des Rois, Samuel an-
nonce à Saïil prévaricateur que Dieu l'a rejeté; il lui dit, pour
lui faire entendre que sa disgrâce est définitive : « Le triompha-
it teur en Israël n'épargnera point, et il ne sera pas touché de re-
« pentir; car ce n'est pas un homme pour qu'il se repente ~. » Le
saint roi David oppose à la fragilité des choses de ce monde et à
leur existence passagère l'immutabilité de Dieu ; il dit : « Au
a commencement, vous, Seigneur, vous avez fondé la terre, et les
a cieux sont les ouvrages de vos mains. Pour eux ils périront,
« mais vous, vous subsistez toujours ; et tous, comme un vête-
« ment, ils vieilliront. Et vous les changerez comme un habit dont
« on se couvre, et ils seront changés. Mais vous, vous êtes tou-
« jours le même et vos années ne passeront pas 3. » Le prophète
Isaïe, parlant au nom du Seigneur, s'adresse en ces termes au
peuple d'Israël : « Rappelez-vous le siècle passé : parce que moi
« je suis Dieu et qu'il n'y a pas d'autre Dieu, et qu'il n'y a pas de
« semblable à moi, annonçant dès l'origine la fin des temps, et dès
« le commencement les choses qui ne sont pas encore faites,
« disant : Ma résolution sera inébranlable, et toute ma volonté
\. Non est Deus quasi homo, ut mentiatur; nec ut filius hominis ut mute-
tur. Dixitergo et non faciet? locutus est, et non implebit? (Num., xxiii, 49.)
2. Porro triumphator in Israël non parcet, et pœnitudine non flectetur,
neque enim homo est, ut agat pœnitentiam. (7. Beg., xv, 29.)
3. Initio tu, Domine, terram fundasti, et opéra manuum tuarum suntcœli.
Ipsi peribunt, tu autem permanes ; et omnes sicut vestimentum veterascent.
Et sicut opertorium mutabis eos, et mutabuntur : tu autem idem ipse es, et
anni tui non déficient. {Ps. ci, 24-28.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 85
€ s'exécutera i. » Nous avons déjà cité ce texte de Malachie : « Je
« suis le Seigneur et je ne change pas '^. » L'apôtre S. Jacques,
comme un fidèle écho des anciens prophètes, nous dit dans son
Épître catholique : « Ne vous y trompez donc point, mes frères
« bien-aimés. Toute grâce excellente et tout don parfait vient d'en
« haut, et descend du Père des lumières, en qui il n'}^ a ni chan-
« gement ni ombre de vicissitude 3. » Enfin S. Paul, écrivant à
son disciple Timothée, parle ainsi de Dieu : « Il est le seul puis-
« sant, le Koi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul pos-
« sède l'immortalité. » S. Augustin et S. Bernard disent que par
Y immortalité de Dieu dont parle l'Apôtre, comme d'un attribut
qui n'appartient qu'à lui seul, il faut entendre son immutabilité,
et Suarez admet leur interprétation.
Ces quelques textes suffisent pour montrer que la Sainte Écriture
enseigne l'immutabilité de Dieu. Les écrits des Pères reproduisent
souvent la même doctrine d'une manière non moins explicite.
Bossuet, défendant cet attribut divin contre les attaques de Jurieu,
ministre protestant, en appelle au témoignage des Pères les plus
anciens. « L'auteur du Livre de la Trinité, dit-il *, qu'on croit
être Novatien, suit les idées de Tertullien, et déclare comme lui
que tout ce qui change est mortel par cet endroit-là ^. Il faudrait
donc ôter aux anciens, avec l'idée de l'immutabilité, celle de l'éter-
nité de Dieu, dont la racine, pour ainsi parler, est son être tou-
jours immuable. De là vient qu'en disputant contre ceux qui met-
taient la matière éternelle, ces graves théologiens leur démontraient
qu'elle ne pouvait l'être, parce qu'elle était sujette aux change-
ments. Tertullien soutient, contre Hermogène g, que a si la matière
€ est éternelle, elle est immuable et inconvertible, incapable de
« tout changement; parce que ce qui est éternel perdrait son éter-
« nité, s'il devenait autre chose que ce qu'il était. Ce qui fait Dieu,
1. Recordamini prioris saeculi, quoniam ego sum Deus, et non est ultra
Deus, nec est similis mei. Annuntians ab exordio novissimum, et ab initio
quae necdum facta sunt, dicens : Consilium meum stabit, et omnis voluntas
mea fiet. [Isa., xlvi, l), 10.)
"2. EgoDominus et non muter. [Malnch., m, 0.)
;i. Nolite itaque errare, fratres mei dilectissimi. Omne datum optimum et
omne donum perfeclum desursum est, descendens a Pâtre luminuni, apud
quem non est transmutatio, nec vicissitudinis ol)umbratio. [Jacob., i, 10, 17.)
\. Bossuet, Sixième avertissement aux protestants, I part., art. ii, 13.
5. De Trinit., cap. i.
0. Tertuli.., Contra llerm., xii.
86 LA SAINTE EUCHARISTIE. — Il'= PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. II.
« poursuit-il, c'est qu'il est toujours ce qu'il est : de sorte que si
a la matière reçoit quelque changement, la forme qu'elle avait est
« morte ; ainsi elle aurait perdu son éternité, mais l'éternité ne
« peut se perdre. » Remarquez qu'il ne s'agit pas de changer
quant à la substance et à l'être, mais quant aux manières
d'être, puisque c'est en présupposant que la matière n'est point
muable dans le fond de son être, qu'on procède à faire voir
qu'elle ne peut l'être en rien, et qu'on ne peut rien lui ajouter.
Téophile d'Antioche procède de même ^. « Parce que Dieu est
« ingénérable, c'est-à-dire éternel, il est aussi inaltérable. Si donc
« la matière était éternelle, comme le disent les platoniciens, elle
« ne pourrait recevoir aucune altération, et serait égale à Dieu;
« car ce qui commence est capable de changement et d'altération:
« mais ce qui est éternel est incapable de l'un et de l'autre. »
Athénagore dit aussi que « la Divinité est immortelle, incapable
« de changement et d'altération -. » Ce qui emporte non seulement
l'immutabilité dans le fond de l'être, mais encore dans les qualités
et universellement en tout; d'où il conclut que le monde ne peut
pas être Dieu, parce qu'il n'a rien de tout cela. Il ne faut pas
oublier que ces passages sont tirés des mêmes endroits d'où le
ministre conclut ces prétendus changements dans Dieu et dans
son Verbe. Pour se former une idée parfaite de l'immutabilité de
Dieu, il ne faut que ce petit mot de S. Justin 3 : Qu est-ce que
Dieu:* et il répond : « C'est celui qui est toujours le même, et tou-
« jours de même façon, et qui est lacausede tout; » ce qui exclut
tout changement dans le fond et dans les manières, et tout cela est
tellement l'essence de Dieu qu'on en compose sa définition. Les
autres anciens ne parlent pas moins clairement; et si, occupé de
toute autre chose que de l'amour de la vérité, le ministre ne veut
pas se donner la peine de la chercher où elle est, à toutes les pages,
Bullus et son Scultet lui auraient montré dans tous les auteurs
qu'il allègue, dans S. Ilippolyte, dans S. Justin, dans Athénagore,
dans S. Théophile d'Antioche et dans S. Clément d'Alexandrie,
que non seulement le Père, mais encore nommément le Fils, est
inaltérable, immuable, itnpassible, incapable de nouveauté, sans
commencement; et quand ils disent sans commencement, ils ne
1. TiiEOi'H, Antiocii., lib. II ad Autot.
2. Athenag., Légat, pro Christ, ad calcem op. S. JusT.
3. S. Justin., Dial. cum Tryph.
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 87
disent pas seulement que lui-même ne commence pas, mais encore
que rien ne commence en lui, comme ils viennent de nous l'expli-
quer ; et c'est pourquoi ils joignent ordinairement à cette idée celle de
tout parfait, pour montrer qu'on ne peut rien ajouter ni diminuer
en Dieu, ce qui renferme la très parfaite immutabilité de son être. »
La voilà donc dans les plus anciens auteurs la parfaite immuta-
bilité de Dieu, et Bossuet la trouve enseignée chez les mêmes
Pères auxquels l'hérésie avait demandé des arguments contre elle.
A ces textes des Pères que les nécessités de la controverse don-
nèrent à Bossuet l'occasion de citer, il est bon d'en ajouter quel-
ques autres qui montreront, mieux encore, que la doctrine de l'im-
mutabilité de Dieu, acceptée dès les premiers jours de l'Église, ne
cessa pas de l'être dans le cours des siècles suivants.
S. Hilaire de Poitiers explique ces paroles du psaume ii :
« Celui qui est dans les cieux se rira d'eux, et le Seigneur se mo-
« quera d'eux. Alors il leur parlera dans sa colère, et dans sa fureur
« il les confondra. » Il dit ce qu'il faut entendre par la colère et
la fureur de Dieu dont parle le prophète ; mais il avertit d'abord
ses lecteurs et ses auditeurs qu'ils doivent se garder de croire
que Dieu puisse éprouver quelque trouble ou quelque changement.
a Rien de nouveau, dit-il, ne peut survenir en cette nature par-
« faite; celui qui est tel qu'il doive toujours être absolument le
« même qu'il est, ne peut pas devenir quelque chose de différent,
« et n'être pas ce qu'il est toujours. »
Le saint docteur montre ensuite que les changements qu'on
remarque dans les choses créées dénotent en elles l'imperfection
de leur nature, et il ajoute : « Dieu, bienheureux et parfait, n'a pas
« besoin comme nous de progresser en quoi que ce soit, car il ne
« manque de rien. Celui qui n'a pas commencé ne se renouvelle
« pas par le changement. II est, et son être ne lui vient pas d'ail-
« leurs que lui-même; il est en lui-même; il est avec lui-même, il
« est pour lui-même, il nappartient qu'à lui-même, il est toutes
« choses pour lui-même, il est exempt de tout changement et de
« toute nouveauté, parce que c'est par lui-même tout entier qu'il
« est tout ce qu'il est, et il n'a laissé aucune possibilité à quoi que
« ce soit de s'ajouter à lui '. »
1. Ac priusquam quis iste irae sermo, et qua* liœc indignationis perturbalio
sit oslendamus, admoneri legentes atque audientes oportet, ne aliquas demu-
tationes passionum perturba Uonesque motuum cadere in Deum credant.
88 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
Plus loin s. Hilaire dit encore : « Dieu n'est donc pns mobile et
« changeant; il ne passe pas d'un état à un autre. Sa nature est
« immuable et constante; elle reste toujours la même, car il a dit :
« Je suis celui qui suis, et je ne change pas. Cette bienheureuse,
« parfaite et éternelle bonté de vertu ne souffre pas de conversion;
« elle ne passe pas d'un état à un autre, sous l'inlluence de
a quelque cause accidentelle, et le prophète inspiré par le Saint-
« Esprit en rend témoignage lorsqu'il dit : Le Seigneur est un
« juge équitable, fort et patient; est-ce qu'il s'irritera tous les
« jours ? Si vous ne vous convertissez, il fera vibrer son glaive;
« il a tendu son arc, et il l'a préparé. Il y a adapté des instru-
< ments de mort, il a préparé ses (lèches cont7^e ses ardents per-
« sécuteurs. Ce roi magnanime n'a donc pas changé ; il ne s'est
« pas laissé dominer par la colère, mais, comme un juge puissant,
« il a proportionné le châtiment à la grandeur de la faute. Contre
« ceux qui ne se convertissent pas, // a fait vibre)' S07i glaive; il a
« tetidu son arc et il y a adapté des instruments de 7nort ^. »
Nihil enim in œternam illam et perfectam naturain novum incidit : neque
qui ila est, ut qualis est talis et semper sit, ne aliquando non idem sit, potest
effici aliquid aliud esse, quam semper est. Terrente istud imperfectaeque causîe
habent generis, ut demutabiles fiant conversione naturse, cum leetitiam mœ-
ror, placabilitatem ira, benevolentiam offensa, sequanimitatem invidia, et
securitatem sollicitude perturbât : sumusque per haec. aliud aliquando quam
fuimus, cum eam quœ prœsens sit, mentis affectionem subrepens, per incons-
tantiam infirmitatemque nostram motus appetitionis alterius inquietet; et ex
60 quod fuimus, in ici quod sumus conversio nos repentina demutet. Deus
autem beatus atque perfectus profectu non eget, cui nihil deest : demutatione
non novus est qui origine caret. Ipse est, qui quod est non aliunde est : in
sese est, secum est, ad se est, suus sibi est, et ipse sibi omnia est carens
omni demutatione novitatis, qui nihil aliud quod in se posset incidere, per id
quod ipse sibi totum totus est, reliquit. (S. IIilar., Tract, in Ps. ii, n. 13.)
i. Non itaque ad demutationem Deus mobilis est, neque ad aliud ex alio
transferendus : cum certse ipse constantisque naturae sit, maneatque ut est,
quippe qui dixerit : Ego sum qui sum et non demutor. Beata illa et perfecta
œternaque virtutis bonitas non patitur conversionem : nec demutatur ex alio
in aliud motu accidentis instinctus. Et hoc idem hic Sancto Spiritu loquens
Propheta testatur, dicens : Deus judex justus, fortis et magnanimus, numquid
irascelw per singulos dies? Nisi conversi fuei'itis, gladium suum vihrabit, et
arcum suum letendit, et paravit illum : et in eo paravit vasa mortis, sagittas
suas arsuris operatus est. Non ergo ad iram magnanimus demutatur; sed po-
tens judex pœnam decrevit ad culpam. Nam non convertentibus gladium
vibravit, et arcum tetendit, et in eo paravit vasa mortis, et sagittas suas arsu-
ris operatus est. Operatus autem est non ad motum repentinae irae, quae per
cupiditatein ulciscendi subito accensa sit, sed operatus arsuris est, qui per
impœnitentem voluntatem ipsi se constituent urendos, etc. (Ii)., ibid., n. 18.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 89
On voit avec quel soin S, Hilaire sauvegarde l'immutabilité de
Dieu, dans le commentaire de ce passage du psaume vu qui sem-
ble, à la première vue, prêter au Seigneur des émotions et des
passions semblables aux nôtres. Il nous le montre exerçant son
éternelle justice contre ceux qui ont péché et qui ne font point
pénitence, mais il ne voit en lui aucun mouvement de colère, aucun
changement de disposition, aucun sentiment nouveau ; Dieu est
toujours celui qui dit : « Je suis celui qui suis; je suis le Seigneur
« et je ne change pas. »
S. Ambroise fait la même remarque ; il dit que si l'Écriture
sainte attribue à Dieu des passions semblables aux nôtres, comme
la colère, la vengeance, c'est uniquement pour faire entendre com-
bien nos prévarications sont graves et offensantes pour le Seigneur,
car Dieu, en vertu même de sa nature, est immuable et exempt de
toute passion K
S. Augustin ne manque pas, à l'occasion, d'affirmer l'immuta-
bilité de Dieu ; et l'occasion s'en présente souvent dans ses innom-
brables écrits. Nous n'en pouvons citer que deux ou trois passages.
Le traité De la nature du bien, contre les manichéens, débute
■ainsi : « Dieu est le souverain bien, au-dessus duquel il n'y en a
c pas d'autre; il est par conséquent le bien immuable, et telle est
« la cause de sa véritable éternité, de sa véritable immortalité.
« Tous les autres biens ont été faits par lui, mais ils ne provien-
<t nent pas de sa substance; ils ne sont pas ce qu'il est. Aussi est-il
« seul immuable, tandis que toutes les choses qu'il a faites sont
« changeantes, parce qu'il les a faites de rien.... Dieu est un esprit
« qui ne peut pas changer -. » Ces paroles de l'illustre docteur sont
suffisamment claires et ne demandent pas de commentaire.
Ailleurs, expliquant les premiers mots de l'Évangile selon S. Jean,
1. Neque enim Deus cogitât sicut homines, ut aliqua ei nova succédât sen-
tentia; neque irascitur quasi mutabilis : sed ideo hagc leguntur, ut exprima-
tur peccatorura nostrorum acerbitas, quse divinammeruit offensam; tanquam
«0 usque increvit culpa, ut etiam Deus, qui naturaliter non movelur aut ira,
aut odio, aut passione uUa, provocalus videatur ad iracundiam. (S. Ambros.,
de Noe etarcn, cap. iv.)
2. Summum bonuni quo superius non est, Deus : ac per hoc incommutabile
bonum est; ideo vere aeternum, et vere immortale. Caetera omnia bona, non-
nisi ab illo sunt, sed non de illo. De illo enim quod est, hoc est quod ipse est :
ab illo autem quae facta sunt, non sunt quod ipse. \c per lioc si solus ipse
incommulabihs, omnia quaa fecit, quia ex nihilo fecit, mutabilia sunt.... Spi-
ritus incommutabihs est Deus. (S. August., de Xatura lioni, n. 1.)
90 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. II.
il dit : 9 Au commencement était le Verbe : c'est le même
« Verbe, existant de la même manière ; comme il est toujours,
« il est; il ne peut changer : il est, voilà la définition de son être:
« c'est son nom qu'il a révélé à Moïse, son serviteur : Je suis celui
« qtn suis. — Celui qui est m'a envoyé K »
Le saint roi David décrit la grandeur de Dieu dans le
psaume lxxxix : « Seigneur, dit-il, vous êtes devenu un refuge
« pour nous, de génération en génération. Avant que les monta-
« gnes fussent faites, ou que la terre fût formée et l'univers, d'un
« siècle jusqu'à un autre siècle vous êtes Dieu -. » S. Augustin
commente ces paroles du prophète, et fait remarquer l'exactitude
des termes dont il s'est servi. « David ne dit pas, et il a raison :
« Vous avez été à partir d'un siècle et vous serez jusqu'à un
« autre siècle ; mais il se sert d'un verbe au temps présent, pour
« faire entendre que la substance divine est absolument im-
« muable ; il n'y a pas en Dieu : il fut et il sera, mais seulement,
« il est. C'est pourquoi il a été dit : Je suis celui qui suis ; Celui
« qui est m'a envoyé vers vous. Il est dit encore : Vous les chan-
«t gérez, et ils seront changés, mais vous, vous êtes toujours le
« même, et vos années ne passeront pas. Voilà quelle éternité est
« devenue notre refuge ; c'est en elle que nous devons demeurer ;
« c'estvers elle qu'il faut tendre, pour échapper à la mobilité de ce
« siècle 3. A
Dans une de ses lettres, S. Augustin explique comment Dieu a
pu, sans changer lui-même, faire succéder la loi nouvelle à la loi
ancienne. Il compare Dieu à un homme qui veut pour le soir une
autre chose que pour le matin, et pour le mois présent une autre
que celle qu'il veut pour le mois prochain. Sa volonté n'est pas la
i. In principio erat Verhmn. Idipsum est, eodem modo est, sicut est semper
sic est, mu tari non potest; hoc est, est. Quod nomen dixit famulo suo Moysi :
Ego sum qui sum. — Misit me qui est. (Id., in Joann. Evang., tract. II.)
2. Domine refugium factus es nobis, a generatione in generationem. Prius-
quam montes fièrent, aut formaretur terra et orbis : a sœculo et usque in
saeculum tu es Deus. [Ps. lxxxix, 4, 2.)
;i. Optime aulcm non ait : A sseculo tu fuisti, et usque in saeculum tu eris :
sed praesentis significationis verbum posuit, insinuans Dei substantiam omni
modo incommutabilem, ubi non est luit et crit ; sed tantum, est. Unde dic-
tum est : Ego sum qui sum, et, Qui est, misit me ad vos; et Mutabis ea et mu-
tabunlur, tu autem idem ipse es, et anni lui non déficient. Ecce quae aeternitas
facta est nobis refugium : ut in ea mansuri, ad eam de bac temporis mutabi-
litate fugiamus. (S. August., Enarr. in Ps. lxxxix.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST, 91
même pour ces temps différents ; cependant on ne peut pas dire
qu'il a changé de volonté. La volonté de Dieu était que certaines
choses s'accomplissent sous la loi ancienne, et d'autres très diffé-
rentes sous la loi nouvelle. Les prescriptions mosaïques devaient
être changées, mais Dieu, en les changeant, ne changerait pas
lui-même. Ce qui est nouveau dans le siècle n'est pas nouveau
pour lui qui a créé les temps, qui possède tout sans être soumis au
temps, et qui, sans changer lui-même, assigne aux êtres, avec
une infinie variété, les temps qui leur conviennent '.
Citons enfin ces quelques mots empruntésà un sermon du même
docteur sur la première épître de S.Jean: « Il n'y a qu'un seul
« créateur, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, unité trine et trinité
« une. Cette unique nature est immuable, rien ne peut la chan-
« ger ; elle ne saurait ni rien perdre ni rien acquérir; aucun abais-
« sèment ne peut l'amoindrir, aucune élévation ajouter à sa gran-
di deur. Elle est parfaite, éternelle, absolument immuable et il n'y a
« qu'elle qui soit telle -. »
Ces dernières lignes eussent suffi pour montrer quelle était la
pensée de S. Augustin touchant l'immutabilité de Dieu, maison
aime à citer ce qu'a écrit cet illustre docteur, un des plus grands
génies dont Dieu ait fait présent à son Église.
S. Jean Ghrysostome rend à l'immutabilité de Dieu plusieurs té-
moignages, entre autres celui-ci : « Si Dieu pouvait ^admettre un
\. Sicut autem non ideo mutabilis homo quia mane aliud, aliud vespere;
illud hoc mense, aliud alio ; non hoc isto anno quod illo : ita non ideo muta-
biUs Deus, quia universi sgeculi priore volumine aliud, aliud posteriore sibi
jussit offerri quo convenienter significationes ad doclrinam religionis saluber-
rimam pertinentes, per mutabilia tempora sine ulla sui inutatione disponeret.
Nam ut noverint, quos hœc movent, jam hoc fuisse in ratione divina, nec
cum istanova constituerentur, subito priera displicuisse, velut mulabilivolun-
late, sed ad hoc jam fixum et statutum fuisse in ipsa sapientia Dei, cui de
majoribus etiam reruni mutationibus, eadem Scriptura dicit : Miitahis ea et
mutabuntur : tu autem idem ipse est: insinuandum est eis niutationem istani
sacramentorum ïestamenti Veteris et Novi, etiam pra^dictam fuisse prophe-
ticis vocibus. Ita enim videbunt, si poterunt, id quod in tempore novum est,
non esse novum apud eum, qui condidit tempora, et sine tempore habet
omnia, quae suis quibusque temporibus pro eorum varietate distribuit.
(S. AucusT., Epist. CXXXVIII (alias \) ad MarccUinum.)
2. Solus enim Creator, Pater, Filius et Spiritus sanctus; trina unitas, una
trinitas; sola illa natura immutabilis, incommulabilis, nec defectui, nec pro-
fectui obnoxia, nec cadit ut minus sit; nec transcendit ut plus sit; perfecta,
sempiterna, omni modo immutabilis, sola illa natura. (S. August., serm.
CLXXXll, de Verbis apostoli I. Joann., iv.)
92 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE }I. — CHAP. II.
<f changement, comment serait-il Dieu? Toute mutabilité, tout
« changement est infiniment éloigné de cette nature incorrup-
c tible. C'est pourquoi le prophète disait : Ils vieilliront tous
* comme un vêtement. Vous les changerez comme un habit dont
€ on se couvre et ils seront en effet changés; mais pour vous
€ vous êtes toujours le même, et vos aimées 7ie passeront point.
« Car cette substance est au-dessus de tout changement *. »
Nous ne citerons pas, car on ne peut tout dire, S. Grégoire de
Nazianze, S. Cyrille d'Alexandrie, S. Grégoire le Grand, Raban
Maur, Richard de Saint-Victor et tant d'autres ; mais pourrait-on
ne pas donner au moins quelques lignes de S. Bernard? Dans un
sermon sur le Cantique des cantiques, il établit que la grandeur
et la rectitude, qui sont les deux biens assignés à l'image de Dieu,
ne sont point une môme chose ni dans l'àme ni avec l'àme, mais
qu'elles sont une même chose dans le Verbe et avec le Verbe.
L'àme et la grandeur de l'àme, bien qu'inséparables, sont néan-
moins diflerentes l'une de l'autre. Et comment ne le seraient-elles
pas, puisque l'une est dans le sujet, et que l'autre est le sujet et la
substance même ? Il ajoute : « La seule nature souveraine et in-
« créée, qui est la Trinité adorable, s'approprie cette pure et sin-
« gulière simplicité d'essence, en sorte qu'il n'y a pas en elle
« une chose et une autre, ici et là, ni tantôt et tantôt. 'Car demeu-
« rant en elle-même, elle est tout ce qu'elle a, et tout ce qu'elle est
« elle l'est toujours, et d'une même manière. Tout ce qui est sé-
« paré et différent dans les autres êtres est réuni et semblable à
« elle, en sorte qu'en elle, le nombre ne cause point la pluralité,
« ni la diversité, ni l'altération. Elle contient tous les lieux, et
« n'étant contenue dans aucun, elle place chaque chose en son
« lieu. Les temps passent au-dessous d'elle, mais non pas pour
« elle. Elle n'attend point l'avenir, elle ne se souvient point du
« passé, elle n'expérimente point le présent -. »
\. S. CiiRYSOST., Comment, in S. Joann., hom. XI, traduction Jeannin.
2. Sola summa et increata natura quse estTrinitas Deus, hanc sibi vindicat
meram singularemque suœ essentiae simplicilatein, ut non aliud et aliud, non
alibi quoque et alibi, sed ne modo quidem et modo inveniatur in ea. Nempe
in semet manens, quod babet est, et quod est semper et uno modo est. In ea
et multa in unum. et diversa in idem rediguntur, ut nec de numerositate
rerum sumat pluralitatem, nec alterationem de varietate senliat. Loca omnia
continet, et quœque suis ordinal locis, nusquam contenta locorum. Tempora
sub ea transeunt non ei. P'utura non expectat, prœterita non recogitat, prae-
.sentia non cxperitur. (S. Bernard., in Cant., serm. LXXX.)
DES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 93
A tant de témoignages en faveur de l'immutabilité de Dieu,
ajoutons celui qui les surpasse tous en autorité et les confirme, le
témoignage de l'Église parlant par la bouche des évêques réunis
en concile général. Le concile de Nicée, dans un décret de Fide,
porte cet anathème : <s Ceux qui disent qu"il y eut un temps où le
« Fils de Dieu n'était pas, ou que le Fils de Dieu est sujet au chan-
« gement et à la transformation, la sainte Église catholique et
« apostolique les anathématise i. » S. Ambroise a cité ce canon
dans ses œuvres. Le IV Concile de Latran déclare de même que
Dieu est immuable '-.
S. Thomas donne trois raisons de l'immutabilité de Dieu. La
première est que Dieu, en sa qualité d'acte pur, exclut de son être
tout ce qui serait simplement possible. — La seconde est tirée de
l'absolue simplicité de Dieu, qui ne donne prise à aucun change-
ment. — La troisième résulte de l'infinité de Dieu. Or comme ces
trois attributs appartiennent à Dieu et ne peuvent appartenir qu'à
Dieu seul, il faut conclure que Dieu est immuable et qu'il possède
seul l'immutabilité 3,
Les objections tirées de la Sainte Écriture contre l'immutabilité
de Dieu ne tiennent pas contre cette simple réflexion que l'Écri-
ture parle de Dieu, en mille passages, comme elle parlerait d'un
homme, afin de s'accommoder à l'infirmité de notre intelligence.
1. Eos qui diciint erat aliquando, quando non erat.... aut mutabilem et
convertibilem Filiiim Dei, hos anathematizat catholica et apostolica Ecclesia.
{Concil. Xicsen. (apud S. Ambros., de Fide, lib. I, cap. xviii, n. 120.)
2. Concil. Laterun. IV, cap. Firmiter.
3. Ex prsemissis (qusest. ii, art, 3) ostenditur Deum esse omnino immuta-
bilem. 1° Quidem quia supra ostensum est {loc. cit.) esse aliquod primum ens
quod Deum dicimus; et quod hujusmodi primum ens oportet esse purum
actum absque permixtione alicujus potentige ; eo quod potentia simpliciter est
posterior actu. Omne autem quod quocumque modo mutatur, est aliquo modo
in potentia. Ex quo patet quod impossibile est Deum aliquo modo mutari. —
2"> Quia omne quod movetur, quantum ad aliquid manet et quantum ad ali-
quid transit; sicut quod movetur de albedine in nigredinem, manet secun-
dum substantiam. Et sic in omni eo quod movetur, attenditur aliqua compo-
sitio. Ostensum est autem supra (quaest. m, art. 7) quod in Deo nulla est
composilio, sed est omnino simplex. Unde manifestum est quod Deus moveri
non potest. — 3° Quia omne quod movetur, motu suo aliquid acquirit, et
pertingit ad illud ad quod prius non pertingebat. Deus autem, cum sit infi-
nitus, comprehendens in se omnem plenitudinem perfcctionis folius esse, non
potest aliquid acquirere; nec extendere se in aliquid ad quod prius non per-
tingebat. Unde nullo modo sibi competit motus. Et inde est quod (juidam
antiquorum, quasi ab ipsa coacti, posuerunl primum principium esse immo-
bile. (S. Thom., I p., q. IX, art. 1. Vide etiam artic. 2.)
04 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II"' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. II.
S'il fallait toujours se servir, en parlant de Dieu, d'un langage
exprimant littéralement les profondeurs de ses mystères, où trou-
verait-on ce langage ? On ne pourrait pas même l'emprunter aux
anges qui adorent Dieu dans son essence infiniment parfaite, mais
qui seraient impuissants à exprimer tout ce qu'ils voient. Dieu
parlant aux hommes dans nos saints Livres s'est mis à la portée
des hommes, et s'il est dit qu'il s'irrite, ou qu'il va d'un lieu à un
autre, ou qu'il change de sentiment et revient sur une sentence
qu'il avait portée, ces manières déparier indiquent seulement que
les actes qu'il accomplit seraient tels, s'ils venaient d'un homme ou
d'un ange. Mais en Dieu qui est partout, qui sait tout, qui voit tout
et pour qui le passé et le futur se confondent avec le présent, tous
ces changements sont impossibles. Il est celui qui est toujours
et toujours le même ; il est le Seigneur, et il ne change pas.
Quelles conclusions tirer de l'immutabilité de Dieu? Nicole, que
nous avons déjà cité, nous les indiquera ^
« De là il s'ensuit, dit-il : 1** que nous devons nous attacher uni-
quement à Dieu, parce qu'il n'y a que Dieu en qui nous puissions
trouver un appui solide : tout le reste est changeant et passager :
le torrent du monde l'emporte malgré nous, et il ne peut nous en
rien rester que le déplaisir de l'avoir aimé ; 2° qu'il faut adorer,
avec une profonde humiliation, l'immutabilité de l'être de Dieu, en
considérant notre mutabilité et l'inconstance de nos pensées, de
nos humeurs et de nos dispositions; et qu'il faut mettre tout notre
appui et tout notre soutien dans l'amour immuable de Dieu pour
ses élus; 3° qu'il faut désirer avec ardeur cet état heureux qui nous
est promis, où nous serons rendus participants en quelque sorte de
l'immutabilité de Dieu, où nos corps seront revêtus pour toujours
d'une incorruptibilité immuable, où nous verrons Dieu d'une vue
éternelle, où nous l'aimerons d'un amour qui durera toujours, et
où nous serons délivrés de cette agitation de pensées et de mouve-
ments qui nous fatiguent pendant cette vie ; 4** que dans cette
même vie nous devons tendre à une piété égale et uniforme, en
nous mettant au-dessus de l'inégalité de nos humeurs, en agissant
avec paix et avec tranquillité, quelque tumulte intérieur que nous
éprouvions; et c'est là la manière dont Dieu veut que nous imitions
et que nous honorions en cette vie son immutabilité. »
1. Esprit de Nicole sur les vérités de la religion, ch. i.
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 93
CHAPITRE III
AUTRES ATTRIBUTS : JÉSUS-CHRIST DANS L'EUCHARISTIE EST LE DIEU
ÉTERNEL, INCOMPRÉHENSIBLE, INVISIBLE
I. Eternité du Dieu de l'Eucharistie. — II. Son incoinpréhensibilité.
III. Son invisibilité.
I.
ÉTERNITÉ DU DIEU DE l'eUCHARISTIE
Il est de foi que Dieu, et par conséquent le Verbe de Dieu que
nous adorons au Très Saint Sacrement, est éternel. Mais que faut-
il entendre par éternel, éternité ?
Quelquefois le mot éternité, éternel, signifie simplement une
durée très longue, mais avec un commencement et une fin. Entendue
en ce sens, cette expression est impropre ; mais on sait comment
il faut la comprendre.
Quelquefois il signifie une durée qui n'aura pas de fin, bien
qu'elle ait commencé. En ce sens on l'applique aux anges et à nos
âmes. Les scholastiques remplacent le mot éternité, ainsi compris,
par celui cW-eviim qui n'a pas d'équivalent exact en notre langue.
Cette éternité improprement dite et incomplète dépend entièrement
de la volonté libre de Dieu. Les créatures intelligentes qui en jouis-
sent ont commencé parce que Dieu les a créées; elles ne continuent
d'exister, et n'existeront toujours désormais, que parce qu'il les
conserve et veut les conserver à jamais. Elles n'ont aucun principe
de destruction en elles-mêmes et par leur nature, il est vrai; mais,
par leur nature, elles n'ont aussi aucun principe nécessaire de
conservation indépendante de la volonté de Dieu.
Le mot éternel s'applique encore à certains actes contingents et
libres de l'intelligence et de la volonté de Dieu, qui n'ont ni com-
mencement ni fin, mais qui ne ressortent pas nécessairement de son
essence; telles sont la volonté de créer le monde et de prédestiner
les saints, la connaissance de tous les êtres qui ont été et qui seront
créés. Ici le mot éternel approche davantage de sa véritable signi-
fication, mais il ne l'atteint pas encore entièrement.
Enfin l'éternité proprement dite, si on la considère d'une ma-
96 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. III.
nière absolue et sans aucun rapport avec le temps, est la mesure
de la vie de Dieu, ou plutôt elle est cette vie elle-même; c'est la
simplicité infinie ou Tin fniité très simple du Dieu vivant; si on
la considère dans ses relations avec le temps, c'est une durée sans
commencement, ni fin, ni changement.
Ce que l'immensité de Dieu est à l'espace, son éternité l'est au
temps ; il est simultanément présent à tous les instants de la durée,
les supposa t-on multipliés et prolongés à l'infini, comme il est
réellement et substantiellement présent à tous les points de l'espace
créé, et comme il le serait encore, sans aucun besoin d'accrois-
sement, s'il lui plaisait de tirer du néant mille autres mondes pos-
sibles, semblables à celui qui existe, ou plus parfaits et plus grands
que lui. Le temps est la succession de l'existence ou le dévelop-
pement de la vie de chaque chose; Dieu qui n'a pas de commen-
cement, qui ne connaît pas de progrès, qui ne se développe pas,
n'a pas non plus de fin; il est donc hors du temps comme hors de
l'espace. Ce qui n'a pas de commencement n'a pas de terme; l'Éter-
nel n'est pas dans le temps, il est au-dessus de tout temps; il n'est
ni ancien ni nouveau. L'éternité est le présent que rien ne pré-
cède, que rien ne suit, que rien n'interrompt; elle est la posses-
sion totale simultanée et parfaite d'une vie sans terme, selon la
définition de Boëce : Interminabilis vitœ tota simul et perfecta
possessio 1.
• L'éternité de Dieu ne renferme aucune succession de durée, de
temps et d'instants; à chaque moment, à chaque instant, elle est
tout entière; elle est à présent ce qu'elle a toujours été; elle a à
présent tout ce qu'elle aura jamais; des millions d'années qui se
seraient écoulées ne lui auraient rien ôté ; des millions de siècles
qui pourraient encore s'écouler ne lui ajouteraient rien. L'éternité
est donc un moment éternel, sans commencement, sans succession^
sans diminution et sans fin : un moment, parce qu'à chaque ins-
tant elle est tout entière; un moment éternel, parce que ce moment
durera toujours. L'éternité de Dieu, indivisible comme son im-
mensité, est tout entière dans tous les moments de la durée des
temps 2.
\. BoET., Consol. phiL, v. pros., 6.
'2. Fénelon, traitant de l'existence de Dieu, parle admirablement de l'éter-
nité :
« Dirai-je, ô mon Dieu, s'écrie-t-il, que vous aviez déjà une éternité d'exis-
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CIIRIST. 97
S. Thomas adopte la définition de l'éternité donnée par Boëce,
et la plupart des théologiens s'y rallient à son exemple et disent
comme lui que c'est la possessio7i totale, simultanée et jiarfaite
d'une vie interminable.
Ils disent que l'éternité est la possession et non pas la durée de la
vie : non pas que l'éternité ne dure point; nous verrons, au con-
traire, qu'elle a une durée très réelle; mais l'idée de succession
de parties semble inhérente à ce mot; or, on ne peut admettre une
telle succession dans l'être infiniment simple qui est Dieu. Boëce
tence en vous-même, avant que vous m'eussiez créé, et qu'il vous reste encore
une autre éternité après ma création, où vous existez toujours? Ces mots de
déjà et d'après sont indignes de celui qui est. Vous ne pouvez souftrir aucun
passé ni aucun avenir en vous. C'est une folie de vouloir diviser votre éternité,
qui est une permanence indivisible : c'est vouloir que le rivage s'enfuie, parce
que le long d'un fleuve je m'éloigne toujours de ce rivage qui est immo])ile.
Insensé que je suis! je veux, ô immobile vérité, vous attribuer l'être borné,
changeant et successif de votre créature ! Vous n'avez en vous aucune mesure
dont on puisse mesvu'er votre existence : car elle n'a ni bornes ni parties,
vous n'avez rien de mensurable : les mesures mêmes qu'on peut tirer des
êtres bornés, changeants, divisibles et successifs ne peuvent servir à vous
mesurer, vous qui êtes infini, indivisible, immuable et permanent.
« Comment dirai-je donc que la courte durée de la créature est par rapport
à votre éternité ? N'étiez-vous pas avant moi? Ne serez-vous pas après moi?
Ces paroles tendent à signifier quelque vérité ; mais elles sont à la rigueur
indignes et impropres. Ce qu'elles ont de vrai, c'est que l'infini surpasse infi-
niment le fini; qu'ainsi votre existence infinie surpasse infiniment en tous sens
mon existence qui, étant bornée, a un commencement, un présent et un futur.
« Mais il est faux que la création de votre ouvrage partage votre éternité
en deux éternités. Deux éternités ne feraient pas plus qu'une seule; une
éternité partagée, qui aurait une partie antérieure et une partie postérieure,
ne serait plus une véritable éternité. En voulant la multiplier, on la détrui-
rait, parce qu'une partie serait nécessairement la borne de l'autre par le bout
où elles se toucheraient. Qui dit éternité, s'il entend ce qu'il dit, ne dit que
ce qui est et rien au delà, car tout ce qu'on ajoute à cette infinie simplicité
l'anéantit; qui dit éternité ne souffre plus le langage du temps. Le temps et
l'éternité sont incommensurables; ils ne peuvent être comparés; et on est
séduit par sa propre faiblesse toutes les fois qu'on imagine quelque rapport
entre des choses si disproportionnées....
« Il ne faut point dire que vous avez toujours été, il faut dire que vous
êtes; et ce terme de toujours, qui est si fort pour la créature, est trop faible
pour vous, car il marque une continuité et non une permanence. Il vaut
mieux dire simplement et sans restriction que vous êtes.
« 0 être! ô être! votre éternité, qui n'est que votre être même, m'étonne,
mais elle me console. Je me trouve devant vous comme si je n'étais pas : je
m'abîme dans votre infini ; loin de mesurer votre permanence, par rapport à
ma fluidité continuelle, je commence à me perdre de vue, à ne me trouver
plus et à ne voir en tout que ce qui est, je veux dire vous-même.
<< Ce (jue j'ai dit du passé, je le dis de même de l'avenir. On ne peut point
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 7
98 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
a donc préféré user de métaphore et recourir au mot possession,
pour exprimer, en même temps, que la durée de l'éternité, contrai-
rement à toute autre, n'implique aucun changement ni aucune fin,
mais l'immutabilité parfaite.
Pourquoi la possessio7i de la vie, plutôt que la possession de
l'être ? S. Thomas en donne pour raison que ce qui est éternel n'a
pas seulement l'existence mais aussi la vie ; c'est un être sans
doute, mais un être essentiellement vivant.
De plus, la vie ajoute à l'idée de l'être celle de l'action ; or, l'éternité
n'est pas seulement la perpétuité d'existence d'un être invariable,
elle est en même temps la perpétuité d'action de ce même être.
La vie dont la possession constitue l'éternité est une vie intermi-
nable, dit la définition, c'est une vie qui n'a pas eu de commence-
ment et qui n'aura pas de fin.
Mais comment l'être éternel possède-t-il cette vie interminable?
Quel est le caractère distinctif de cette possession ?
Il la possède pleinement et simidtanément , tout à la lois. Il
n'y a dans la possession de la vie interminable qui constitue l'éter-
nité, ni division, ni succession, ni avant, ni après, comme il arrive
dans le temps, qui admet nécessairement la succession, parce qu'il
dire que vous serez après ce qui se passe, car vous ne passez point; ainsi
vous ne serez pas, mais vous êtes, et je me trompe toutes les fois que je sors
du présent en parlant de vous. On ne dit point d'un rivage immobile qu'il
devance ou qu'il suit les flots d'une rivière : il ne devance ni ne suit, car il ne
marche point. Ce que je remarque de ce rivage par rapport à l'immobilité
locale, je dois le dire de l'être infini par rapport à l'immobilité d'existence. Ce
qui se passe a été et sera, et passe du prétérit au futur par un présent imper-
ceptible qu'on ne peut jamais assigner ; mais ce qui ne passe point existe
absolument et n'a qu'un présent infini; il est, et c'est tout ce qu'il est permis
d'en dire : il est sans temps dans tous les temps de la création. Quiconque
sort de cette simplicité sort de l'éternité dans le temps.
« Il n'y a donc en vous, ô vérité infinie, qu'une existence indivisible et per-
manente; ce qu'on appelle éternité a parle post, éternité a parte ante, n'est
qu'une expression impropre. Il n'y a en vous non plus de milieu que de com-
mencement et de fin. Ce n'est donc point au milieu de votre éternité que
vous avez produit quelque chose hors de vous. Je le dirai trois fois, mais ces
trois ne font qu'une. Les voici : ô permanente et infinie Y érilél vous êtes;
et rien n'est hors de vous : vous êtes; et ce qui n'était pas commence à être
hors de vous : vous êtes; et ce qui était hors de vous cesse d'être. Mais ces
trois répétitions de ces termes vous êtes ne font qu'un seul infini qui est indi-
visible; c'est cette éternité même qui reste encore tout entière; et il n'en est
point écoulé une moitié, car elle n'a aucune partie; ce qui est essentiellement
toujours tout présent ne peut jamais être passé, » (Fénelon, De Vexistence de
Dieu démontrée par tes merveilles de la nature.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 99
est la mesure du mouvement. L'éternité consiste dans l'existence
actuelle, dans le maintenant, le nimc, pour parler le langage de
l'École, qui n'est jamais ni passé ni futur, mais toujours présent.
C'est un maintenant qui embrasse tous les siècles passés et tous
ceux qui auraient pu les précéder, tous les siècles futurs et pos-
sibles, en même temps que le moment présent. C'est pour bien
accentuer ce caractère de l'éternité, que Boëce ajoute que cette pos-
session est parfaite. La grande imperfection de la vie des êtres
créés, c'est qu'ils ne la possèdent pas tout entière à chaque moment.
Elle leur est donnée comme goutte à goutte, instant par instant;
c'est un cours d'eau dont un Ilot pousse l'autre; on ne possède plus
l'instant qui vient de s'écouler, on ne possède pas encore celui qui
va venir, et l'instant présent glisse dans l'abîme du néant sans que
rien puisse le retenir. îl n'en est pas ainsi de l'éternité. C'est une
vie qui ne passe pas, une vie pour laquelle le passé et le futur
n'existent pas, ou plutôt ne font qu'un avec le présent. L'éternité,
c'est la possession parfaite de la plénitude de la vie. L'éternité ne
connaît pas en elle-même d'instants, ou plutôt elle est tout entière
à tout ce qui, dans sa durée, pourrait être appelé des instants,
selon notre manière de concevoir et de parler ^
4. Utrum convenienter definiatur aeternitas, quod est inlerminabilis vitas
tota simul et perfecta possessio ?
Respondeo dicendum quod sicut in cognitionem simplicium oportet nos ve-
nire per composita, ita in cognitionem geternitatis oportet nos venire par
tempus ; quod nihil aliud est quam numerus motus secundum prius et poste-
rius. Quum enim in quolibet motu sit successio, et una pars posl alteram; ex
hoc quod numeramus prius et posterius in motu, apprehendimus tempus ;
quod nihil aliud est quam numerus prioris et posterioris in motu. In eo au-
tem quod caret motu, et semper eodem modo se habet, non est accipere prius
et posterius. Sicut igitur ratio lemporis consistit in numeratione prioris et
posterioris in motu, ita in apprehensione uniformitatis ejus quod est omnino
extra motum, consistit ratio «lernitatis. Item ea dicuntur temporemensurari,
quae principium et fînem habent in tempore ut dicilur (Phijs., lib. IV,
text. 70.) Et hoc ideo, quia in omni eo quod movetur, est accipere aliquod
principium et aliquem finem. Quod vero est omnino immutabile, sicut nec
successionein, ita nec principium aut finem habere potest. Sic ergo ex duobus
notificatur aeternitas. 1" Ex hoc quod id quod est in œternitate, est intermi-
nabile, id est principio et fine carens; ut terminus ad utrumque referatur.
'2° Per hoc quod ipsa œternitas successione caret, tota simul existons....
Ad secundum dicendum, quod illud quod est vere a^ternum, non solum est
cns, sed vivens ; et ipsum vivere se extendit quodam modo ad opcrationem,
non autem esse. Protensio autem durationis videtur attendi secundum opcra-
tionem magis quam secundum esse ; unde et tempus est numerus motus.
(S. TiiOM., I p., q. X, art. 1.)
100 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
Il nous est difficile, sinon impossible, de bien nous représenter
cette existence toujours la même, sans commencement comme
sans succession et sans fin. Tout passe autour de nous, comment
concevoir ce qui ne passe pas? Aussi serait-on tenté de croire, par
exemple, que l'éternité a duré actuellement plus qu'il y a dix siècles
et qu'elle a mille ans de plus. Cependant il n'en est rien. Le temps
a duré mille ans de plus, il est vrai, mais l'éternité n'en est pas
plus longue, parce qu'elle est indivisible et qu'elle existe tout
entière à la fois. Le Dieu éternel n'a pas vieilli parce que des siècles
et des siècles se sont accumulés depuis la création. Tout change :
lui seul ne change pas; son existence ne lui est pas mesurée par
moments successifs comme aux créatures, mais il en possède tout
à la fois et toujours l'océan infini.
L'éternité rend le temps possible et avec lui la succession des
choses. Elle contient cette succession virtuellement et d'une ma-
nière, non pas formelle, mais seulement éminente. Elle coexiste im-
mobile et invariable, à toutes les successions des êtres et à tous les
temps qui passent. On a comparé l'éternité au centre d'un cercle;
ce centre indivisible correspond à toutes et à chacune des parties
de la circonférence et demeure immobile, quoique tout le reste se
meuve autour de lui. On l'a comparée encore à un arbre immense
dont le feuillage ombragerait les eaux d'un lleuve depuis la source
jusqu'à rembouchure ; les eaux s'écouleraient successivement et
seraient néanmoins présentes en même temps sous l'arbre. Mais on
comprend combien de telles comparaisons sont imparfaites et in-
suffisantes K
Il résulte des considérations précédentes que l'éternité, au point
de vue de sa durée, est sans mesure : elle n'a ni commencement
ni fin ; elle est infinie. De plus, le mode de cette durée consiste en
ce point qu'il n'y a en elle ni succession ni changement.
{. Dico res successivas et ipsam successionem seu tempus contineri in
seternilate, non formaliter sed eminenter ; ita ut omnibus successivis succes-
sionibus et temporibus coexistât iinmota et invariabilis manens; eo ferme
modo quo ccntrum circuli, quod est indivisibilc, correspondet omnibus et sin-
gulis partibus circumferentiae, et manet immotum, quamvis circulus circum-
agatur. Accipe aliam similitudinem. Finge arborem exlensam super fluvium
ab origine ad ostium fluvii, contineret omnes partes aquœ sub se fluentes et
ipsis coexisteret, ipsa non fluens sed immola manens. Ita seternitas omnia
tempora praeterita, praesenlia, futura continens, ipsis fluentibus coexistit non
fluens, sed immola manens. (Billuart., dissert, m, art. 8, de JUternitate
Dei.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 101
On ne peut donc pas confondre l'éternité avec le temps qui déter-
mine et mesure Tordre dans lequel les êtres créés et leurs mouve-
ments se succèdent. Le temps a commencé, l'éternité n'a pas eu de
commencement. Le temps passe; il se compose d'un passé qui
n'est plus, d'un présent insaisissable, et d'un futur qui n'est pas
encore : l'éternité, au contraire, existe toujours, dans toute sa plé-
nitude; pour elle le passé demeure, le présent ne passe pas et le
futur est déjà la réalité. L'éternité est la durée de l'être infini, per-
manent, immuable; le temps est la mesure de l'être fini, passager
et changeant sans cesse ; c'est la mesure propre du mouvement,
dit S. Thomas '.
Il est de foi que Dieu est éternel. Le symbole de S. Athanase le
proclame solennellement : « Éternel est le Père; éternel est le Fils;
« éternel est le Saint-Esprit; et cependant ce ne sont pas trois
<c éternels, mais un seul éternel : .^ternus Pater, œternus Filius,
« œternus Spiritus sanctus, et tamen non très œterni, sed imus
« œternus. »
Telle est la profession de foi que la sainte Église impose à tous
ses ministres lorsqu'ils récitent l'Office du dimanche, et, dans le
Te Deum, cet admirable chant de louange et de glorification attri-
bué à S. Ambroise et à S. Augustin, il est dit encore : « Père éter-
« nel, toute la terre vous vénère : Te œternum Patrem, omnis
« terra veneratur. » Peu d'hérétiques ont attaqué l'éternité de
Dieu et les Conciles n'ont eu que rarement à établir ou à défendre
ce dogme. Cependant, au Concile de Latran, tenu sous le grand et
saint pape Innocent III, l'éternité de Dieu fut proclamée comme
l'un de ses attributs essentiels. On lit dans le chapitre Firmiter - :
« Nous croyons fermement et nous confessons simplement qu'il
« n'y a qu'un seul et vrai Dieu, éternel, immense, etc. i>
Cet enseignement de l'Église repose sur des textes nombreux de
la Sainte Écriture : plus de cent cinquante fois les mots éternel et
éternité s'y retrouvent. Par exemple, il est dit dans la Genèse,
chapitre xxi, qu'Abraham planta un bois à Bersabée et qu'il a in-
« voqua là le nom du Seigneur Dieu éternel ^. » Dans l'Exode, Dieu
i. Sicut aeternitas est propria mensura ipsiiis esse permancntis, ita tempus
est propria mensura motus. (S. Tiiom., I p., q. x, art. i, ad 'A.)
2. Firmiter credimus, et simpliciter confilemur, quod unus solus est verus
Deus, aelernus, immcnsus, etc. (Concil. Laler. \\, cap. Firmiter.)
3. Invocavit nomen Domini Dei aeterni. {Gen., xxi, ;W.)
102 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
dit lui-même : « Je suis le Dieu d'Abraham.... C'est mon nom pour
« l'éternité '. » Dans le Deutéronome : « Je vis, moi, éternelle-
« ment -. » Dans les deux livres des Paralipomènes, il est répété un
grand nombre de fois que « la miséricorde du Seigneur demeure
« éternellement ^. » Le saint vieillard Tobie dit à Dieu : « Seigneur,
Œ vous êtes grand pour l'éternité ^. * Le livre des Psaumes rend
d'innombrables témoignages à l'éternité de Dieu ; nous n'en cite-
rons que quelques-uns : « Le Seigneur demeure éternellement ^.
« — Le Seigneur régnera éternellement et dans lesiècledu siècle ^.
« — Le Seigneur roi siégera éternellement '^. — Vous êtes éter-
« nellement le Très-Haut, ô Seigneur s. — Vous, Seigneur, vous
« subsistez éternellement ^. Dans l'Ecclésiastique nous lisons :
« Celui qui vit éternellement a créé toutes choses ensemble, et, roi
« invincible, il subsiste à jamais ^o. » Isaïe affirme que « le Verbe
« du Seigneur demeure éternellement '', » et que « le Très-Haut, le
« sublime habite l'éternité ^-. » Jérémie, dans les Lamentations, dit
à Dieu : « Mais vous. Seigneur, vous demeurerez éternellement ^^^ »
Daniel proteste que Dieu est « le Dieu vivant et éternel '*. » Michée
annonce la naissance du Messie à Bethléem et il proclame en même
temps l'éternité de sa génération divine : « De toi sortira pour moi
« celui qui doit être le dominateur en Israël et sa génération est
« du commencement des jours de l'éternité ^^ » Habacuc parle
aussi de l'éternité de Dieu : « Il s'est arrêté et il a mesuré la terre;
« il a regardé et il a dissipé les nations et les montagnes du siècle
« se sont entr'ouvertes. Les collines du monde ont été abaissées
\. Deus Abraham.... hoc nomen mihi est in aelernum. {Exod., m, V6.)
2. Et dicam : vivo ego in œternum. {Dent., xxxii, '40.)
3. In aeternum misericordia ejus. (/. Par., xvi, 34, 41 ; II. Par., vu, 6;
XX, 21.)
4. Senior dixit : Magnus es, Domine, in aeternum. [Tob., xiii, 1.)
y. Dominusin aeternum permanet. [Ps. ix, 8.)
6. Dominus regnahit in aeternum et in saeculum sœculi. [Ps. x, 46.)
7. Et sedebit Dominus rex in aeternum. [Ps. xxviii, 10.)
8. Tu autem Altissimus in aeternum Domine. [Ps. xci, 9.)
9. Tu autem, Domine, in œternum permanes. [Ps. ci, 13.)
10. Qui vivit in aeternum creavit omnia simul. {Eccli., xviii, 1.)
11. Verbum autem Domini manet in aeternum. (7s., xl, 8.)
12. Haec dicit Excelsus et sublimis, habitans seternitatem. (/s., Lvii, 15.)
13. Tu autem, Domine, in œternum permanebis. {Thren., v, 19.)
14. Ipse enim Deusvivens etœternus. {Dan., vi, 26.)
Vô. Ex te mihi egredietur qui sit dominator in Israël, et egressus ejus ab ini-
tio, a diebus œternitatis. [Mich., v, 2.)
ADTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JESUS- CHRIST. 103
« par les marches de son éternité ^ » c'est-à-dire sous les pas de
ce Dieu éternel.
Dans le Nouveau Testament, on connaît les paroles de Noire-
Seigneur qui promettent la vie éternelle à ceux qui mangeront le
pain qui estsa chairet boiront le vin qui est son sang -; on connaîtla
sentence par laquelle il précipitera les méchants dans le feu éter-
nel 3, mais ces textes ne peuvent s'entendre que de l'éternité se-
conde et incomplète, telle qu'elle convient aux créatures que Dieu
a faites immortelles. Il en est de même de la plupart des autres
textes que l'on pourrait citer, qui renferment les mots éternel ou
éternité ; aussi les théologiens se contentent-ils d'en donner deux ou
trois, exprimant moins le mot que l'idée d'éternité, telle qu'on
doit l'entendre de Dieu, par exemple cette parole de S. Paul à son
disciple S. Timothée : « Dieu seul possède l'immortalité *. » Ici
nous ne trouvons pas le mot éternel ; mais quelle peut être cette im-
mortalité refusée aux anges et aux bienheureux habitants du ciel?
cette immortalité qui ne convient uniquement qu'à Dieu seul ?
Évidemment ce ne peut être que l'éternité proprement dite, et c'est
ainsi que l'entend S. Augustin. Pourquoi, demande ce saint doc-
teur, l'Apôtre affirme-t-il que Dieu seul possède l'immortalité,
sinon pour faire entendre, avec toute la clarté possible, que Dieu
seul est exempt de tout changement, parce que seul il est vérita-
blement éternel ^ et que, remarque Suarez, lui seul ne peut pas
mourir ou cesser d'être. Toute créature a été tirée du néant par
un ac^ libre de la volonté de Dieu, et Dieu peut toujours l'y re-
plonger s'il lui plaît de le faire, par un acte semblable; Dieu prête
l'existence à ses créatures, il veut même que quelques-unes la con-
servent à jamais; mais il est toujours le maître absolu de ce don,
et les créatures spirituelles elles-mêmes ne possèdent l'être irrévo-
cablement que par la libéralité toute gratuite de Dieu, et parce qu'il
veut qu'elles soient immortelles.
\. Stetit et mensus est terrain ; aspexit et dissolvit Gentes, et contrili sunt
montes saeculi. Incurvati sunt colles miindi ab itineribus aelernitatis ejus.
{Habac, m, 6.)
2. Joann., vi, îi!2, 539.
3. Matth., XXV, 41, 4G.
4. Qui solus habet immortalitatem. (/. Tim., vi, 10.)
5j. Quid est quod ait Apostolus de Deo, qui solus habet immortalitatem, nisi
quia hoc aperte dixit, solus habet incommutabilitatem, quia solus habet vcrnm
œternitatem ? (S. August., tract. XXIII in Jonnn., n. 9.)
104 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
S. Augustin, puisque nous venons de le citer, s'adresse au Sei-
gneur en ces termes dans ses Confessions : « II n'y avait pas d'alors,
a lorsque le temps n'existait pas. Ce n'est point par le temps que
« vous avez précédé les temps, autrement il aurait existé un temps
« que vous n'eussiez pas précédé. Mais vous êtes avant toutes les
« choses passées, en vertu de la sublime grandeur de votre éter-
« nité toujours présente; et vous dépassez toutes les choses futures,
« parce qu'elles seront à leur tour et elles entreront dans le passé.
a Mais vous, vous êtes toujours le même et vos années ne passeront
« pas. Elles ne vont ni ne viennent, ainsi que les nôtres, afin de
« se pouvoir accomplir toutes; vos années demeurent toutes en-
« semble, dans une stabilité immuable, parce qu'elles sont stables
« et permanentes, sans que celles qui passent soient chassées par
<i celles qui leur succèdent, parce qu'elles ne passent point; mais les
« nôtres ne seront toutes entièrement accomplies que lorsqu'elles
« se seront toutes écoulées. Vos années ne sont qu'un jour, et votre
« jour n'est pas tous les jours, mais aujourd'hui, parce que votre
« jour présent ne fait point de place à celui du lendemain et ne
« succède point à celui d'hier; et ce jour présent qui est le vôtre se
« nomme l'éternité i. »
Ainsi donc, selon la doctrine de S. Augustin, l'éternité de Dieu,
ce n'est pas un siècle, ce n'est pas une année, c'est un moment
qui dure toujours, qui ne s'écoule point; c'est un moment qui
recueille et réunit le passé, le présent et l'avenir; c'est un moment
qui coexiste à tous les jours, à tous les ans, à tous les siècle's con-
cevables. Dieu n'a pas été, il ne sera pas, il est.
Ailleurs le saint docteur, commentant ces paroles du Psalmiste :
« D'un siècle jusqu'à un autre siècle vous êtes Dieu : A sœculo et
« usque in sœculwtn tu es Deus 2, » remarque que l'auteur inspiré
ne dit pas : Mon Dieu, vous avez été de toute éternité et vous sere2
i. Non erat tune ubi non erat tempus. Nec tu lempore lempora prsecedis,
alioquin non omnia tempera prgecederes. Sed praeccdis omnia praîlerita celsi-
tudine semper praesentis aeternitatis; et superas omnia futura, quia illa futura
sunt, et cum venerint praeterita erunl. Tu autem idem ipse es, et anni tui
non deficiunt. Anni tui nec eunt, nec veniunt, isti autem nostri et eunt et ve-
niunt, ut omncs veniant. Anni tui omnes simul stant; nec cuntes a venienti-
bus excluduntur, quia non transeunt; isti nostri omncs erunt, cum omnes
non erunt. Anni tui dies unus, et dies tuus non quotidie sed hodie; quia
hodiernus tuus non cedit crastino; nec enim cedit hesterno. Hodiernus tuus
aeternitas. (S. August., Co7ifess., lib. XI, cap. xiii.)
2. A saeculo et usque in saeculum tu es. (Ps. l.x.vxix.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSOS-CHRIST. 105
de toute éternité; mais il dit : Vous éies en toute éternité, de siècle
en siècle, parce qu'en l'éternité de Dieu, il n'y a rien de passé ni
rien de futur; tout y est présent •.
On pourrait citer d'innombrables passages dans lesquels S. Au-
gustin parle de l'éternité de Dieu et donne à entendre dans quel
sens elle doit être comprise.
Avant S. Augustin, Tertullien avait dit que le Dieu vivant et
véritable n'a rien de commun avec la nouveauté ou la vieillesse; la
vérité de son être, voilà ce qui le constitue. S'il vieillissait, il vien-
drait un temps oii il ne serait plus; s'il était nouveau, il n'aurait
pas toujours existé, car qui dit nouveau dit commencement, et tout
ce qui vieillit se précipite vers sa fin; or, Dieu n'a pas de commen-
cement ni de fm, parce qu'il n'est pas soumis au temps qui les me-
sure et leur assigne leur place 2,
« Qu'est-ce que Dieu? » demande à son tour S. Bernard; et il ré-
pond : « C'est celui qui est. C'est ainsi qu'il voulut qu'on le nom-
« mât; c'est la réponse qu'il suggéra à Moïse pour son peuple, en
« lui ordonnant de dire : Celui qui est m'a envoyé vers vous. Il
a n'y en a pas de plus juste ni qui convienne mieux à l'éternité,
« qui n'est autre chose que Dieu même.... Qu'est-ce que Dieu? Le
« pi^incipe ; c'est encore le nom qu'il se donne lui-même. Il y a
« bien des choses qui sont appelées principes, mais elles ne méri-
« tent ce nom que par rapport à celles qui les suivent, de sorte
« que si vous considérez la chose qui les précède, c'est à celle-ci
« que vous réserverez le nom de principe. D'où il suit que si vous
« voulez avoir un principe pur et simple, il faut que vous en veniez
« à ce qui n'a point eu de principe ; il est évident que l'être par
« qui tout a commencé n'a point eu lui-même de commencement.
« Le vrai principe n'a pas eu de commencement; il existe tout
« entier par lui-même.
« Qu'est-ce enfin que Dieu? C'est celui à qui les siècles passés
\. Optime non ait: A saeculo tu fuisti, et usque in saeculum tu eris; sed
praesentis significalionis verbum posuit, insinuans Dei substantiam omni modo
incommutabilenn, ubi non est fuit elerit, sed tantummodo est; unde dictum
est : Ego sum qui sum. (S. AuuusT., in Ps. Lxxxix.)
2. Viva et germana Divinitas, nec de novitate, nec de vetuslate, sed de sua
veritate censetur. Deus si vêtus est non erit, si est novus, non fuit : novitas
initium teslificatur, vetustas Hnem comininatur : Deus autein tani alienus est
ab inilio et a fine quam a tempore, arbitrio et melalore initii et finis. (Ter-
TULL., lib. I, conlra Mavcion.)
106 LA SAINTE EUCHARISTIE. 11" PARTIE. — LIVRE II, — CHAP. III.
« n'ont rien ajouté et pour qui ces siècles n'ont pas cessé d'être,
« quoiqu'ils ne soient pas éternels comme lui. C'est celui de qui
« tout vient, par qui tout est et en qui tout est K s>
Quelques pages plus loin, dans le même traité rfe Considérations,
S. Bernard répète encore la même question, et dit : « Qu'est-ce
« enfin que Dieu? Il est longueur, dirai-je. Que faut-il entendre
« parla? l'éternité; car elle est si longue qu'elle n'a point de limites,
« ni dans le temps ni dans l'espace. Il est aussi largeur. Qu'est-ce
« à dire? qu'il est charité. Or, comment celle-ci pourrait-elle à
« son tour avoir des limites en Dieu qui ne hait rien de ce qu'il a
« créé? Ne fait-il pas, en effet, lever son soleil sur les méchants
a comme sur les bons, et tomber la pluie sur les injustes comme
« sur les justes? Ainsi la charité de Dieu bénit dans son sein jusqu'à
« ses ennemis : ce n'est même pas assez pour elle, elle s'étend à
« l'infini et dépasse non seulement tout ce que nous pouvons sentir,
« mais encore tout ce que nous pouvons connaître, au dire de l'Apôtre
« lui-même qui voudrait que nous connussions la charité de Jésus-
« Christ qui surpasse toute science. Que dirai-je de plus? qu'elle
« est éternelle; ou bien, ce qui est peut-être encore plus fort,
« qu'elle est l'éternité même. Vous le voyez donc; en Dieu la lon-
« gueurest égale à la largeur; je voudrais que vous vissiez non pas
« qu'elle est aussi grande, mais qu'elle se confond avec elle; que
« l'une ne diffère pas de l'autre, qu'une seule n'est pas moindre
« que les deux ensemble, et que les deux ne sont pas plus qu'une
« seule. Dieu est éternité, Dieu est charité; longueur sans tension,
« largeur sans distension. Il excède également les étroites limites
« du temps et de l'espace, non point par la masse de sa substance,
« mais par la liberté de sa nature 2. »
\. Quis est? Non sane occurrit melius, quam Qui est. Hoc ipse de se vo-
luit responderi, hoc docuit dicente Moyse ad populum, ipso quidem injungente :
Qui est misit me ad vos. Merito quidem, Nil competenlius seternitati, quse
Deus est.... Quid est Deus? Principium : et hoc ipse de se responsum dédit.
Multa in rébus dicuntur principia, sed respectu posteriorum. Alioquin si ad
aliquid pragcedens respicias, ipsum potius principium dabis. Quamobrem si
quaeras verum simplexque princijiium, invenias oportet quod principium non
habuerit. Ex quo universum cœpit, ipsum profecto minime cœpit.... Quod
vero aliud principium habuit primum non fuit, Verum ergo principium ne-
quaquam cœpit, sed totum ab ipso cœpit. — Quid est Deus ? Gui ssecula non
accesserunt, nec decesserunt; nec coaeterna tamen. Quid est Deus? £'a; quo
omnin, per quem. omnin, in quo omnin. (liom., xi, 30.) (S. Bern., de Consider.,
lib. V, cap. VI.)
2. Quid igitur est Deus? Longitudo inquam. — Quid ipsa? jEternitas. Hœc
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 107
Ces quelques textes des Pères suffisent amplement pour montrer
dans quel sens ils entendaient et comment il faut entendre l'éter-
nité que la Sainte Écriture attribue à l'Être divin. Ce n'est pas
l'éternité relative et incomplète telle qu'elle peut exister par la
volonté de Dieu, pour des créatures, c'est l'éternité sans aucune
limite, qui se confond avec l'essence infiniment simple de Dieu
existant par lui-même, sans commencement ni fin, sans soumis-
sion aucune aux divisions du temps, dont il regarde, sans rien per-
dre de son immutabilité, s'écouler les années et les siècles qu'il
domine et qu'il règle.
Les théologiens ont prouvé, par divers arguments, qu'il serait
contraire à la raison de refuser à Dieu l'attribut de l'éternité.
S. Thomas, dans sa Somme de théologie, se contente d'une seule
preuve de l'éternité de Dieu ; il la tire de son immutabilité. L'éter-
nité, dit-il, est une conséquence de l'immutabilité, comme le temps
en est une du mouvement. Dieu, dont l'immutabilité est absolue, est
donc nécessairement éternel. II n'est pas seulement éternel, mais
il est sa propre éternité. Dans tous les autres êtres la durée est dis-
tincte de l'être lui-même; mais en Dieu, la simplicité est infini-
ment parfaite, et de même qu'il est son essence, il est son éternité ^
Dans la Somme contre les Gentils, S. Thomas présente cette
même preuve d'une autre manière.
Tout ce qui commence ou qui finit, dit-il, commence ou finit
tam longa, ut non habeat terminum, non magis loci, quam temporis. Est et
latitude. Et ipsa quid? Caritas. Quibus et ipsa terminisangustetur in Doo qui
nihil odit eorum quae fecerif? Denique solem suum oriri facit super bonos et
malos, pluit super justos et injustes. Erge et inimicos concludit sinus ille. Nec
hec queque cententus, evadit in infinitum. Omnem non mode afïectionem sed
et cognitionem excedit, adjiciente Apostole et dicente, scire etiam sitpei'emi-
nentem scientiœ charilatem Chrisli. {Eph , m, 19.) Quid plus dicam ? .-Eterna
est. Nisi quod hoc plus forsitan est, quia aeternitas est. Vides tantum esse
latitudinem, quantam et longitudinem? Utinam sic videas non tantum esse,
sed ipsam; id esse unam quod alleram; non minus unam quam duas, nec
plus duas quam unam. Deus «ternitas, Deus caritas est : longitudo sine pro-
tensione, latitude sine distensione. In utroque pariter locales quidem excedit
temperalesque angustias, sed libertate naturae non enermitate substantiae.
(S. Bernard., de Considérât., lib. V, cap. xiii.)
i. Ltrum Deus sit «ternus? Respendee dicendum quod ratio seternitatis
consequitur immutabilitatem, sicut ratio temporis consequilur motum, ut ex
diclis patet. Unde cum Deus sit maxime immutabilis, sibi maxime competit
esse aeternuin.Nec soluin est «ternus sed est sua aeternitas. Cum tamen nulla
alia res sit sua duratio ; quia non est suum esse. Deus autem est suum esse uni-
forme. Undesiculest sua essentia, ita sua aeternitas. (S. Thom., I p.,q. x, art. 2.)
108 LA SAINTE EUCHRRISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
par TefTet d'un mouvement ou d'un changement quelconque. Mais
il a été démontré que Dieu est tout à fait immuable; il est donc
éternel, sans commencement ni fin.
Il ajoute : Les choses seules qui sont sujettes au mouvement sont
mesurées par le temps, qui en régie les phases successives. Dieu,
exempt de tout mouvement, ne peut donc pas être soumis au temps ;
il n'y a en lui ni succession ni durée que le temps puisse mesurer;
il n'y a pas d'avant ni d'après, rien enfin qui permette de le con-
sidérer comme soumis au temps en quelque manière que ce soit.
Il n'a donc ni commencement ni fin ; il possède tout son être à la
fois, et c'est en quoi consiste à proprement parler l'éternité.
S. Thomas prouve encore la môme vérité en partant de ce prin-
cipe que Dieu est la cause première ; que, par conséquent, il n'a
pas commencé et ne doit pas finir, mais être toujours ce qu'il a
toujours été. Cette cause première est nécessaire ; elle est nécessaire
par elle-même, et c'est pourquoi elle ne peut avoir ni commence-
ment ni fin K
1. Omne quod incipit esse vel desinit, per motiim vel mutationem hoc pa-
titur. Ostensum autem est Deum esse omnino immutabilem; est igitur seter-
nus, carens principio et fine.
Item : lUa sola tempore mensurantur quae moventur eo quod tempus est
numerus motus, ut patet in quarto Physic. (text. comm. 101). Deus autem est
omnino absque motu, ut jam probatum est; tempore igitur non mensuratur.
Igitur in ipso non est prius vel posterius accipere ; non ergo habet esse post
non esse, née non esse post esse potest habere, nec aliqua successio in esse
ipsius inveniri potest, quia haîc sine tempore intelligi non possunl. Est igitur
carens principio et fine, totum suum esse simul liabcns; in qua ratio aeterni-
tatis consistit.
Adhuc : Si Deus aliquando non fuit et postmodum fuit, ab aliquo eductus
est de non esse in esse : non autem a seipso, quia quod non est non potest
aliquid agere. Si autem ab alio, illud est prius eo. Ostensum est autem Deum
esse primam causam; non igitur incepit, unde nec esse desinet, quia quod
semper fuit habet virtutem semper essendi. Est igitur aglernus.
AmpHus : Videmus in mundo quœdam quae sunt possibilia esse et non esse
sicut generabilia et corruptibilia. Omne autem quod est possibiie esse causam
habet; quia quum de se aequaliter se habeat ad duo, scilicet esse et non esse,
oportet, si ei approprietur esse, quod hoc sit ex aliqua causa. Sed in causis
non est procedere in infinitum, ut supra probatum est, per rationem Aristo-
telis; ergo oportet ponere aliquid quod sitnecesse esse : Omne autem neces-
sarium, vel habet causam suag necessitatis aliunde, vel non, sed est per
seipsum necessarium. Non est autem procedere in infinitum in necessariis
quae habent causam suae necessitatis aliunde; ergo oportet ponere aliquod
primum necessarium, quod est per seipsum necessarium ; et hoc est Deus,
quum sit prima causa, ut dictum est. Igitur Deus seternus est quod omne ne-
•cessarium per se sit aeternum. (S. Thom., Summa contra Gent., lib. I, cap. xvii.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSDS-CHRIST. 109
Dieu est donc éternel et il est le seul éternel, parce qu'il n'y a
qu'un seul être nécessaire, existant par lui-même et donnant à tout
la possibilité d'être; il n'y a qu'une seule cause première qui n'a
reçu l'être d'aucune autre cause et qui donne l'être à tout ce qui
existe; il n'y a qu'un seul premier moteur, immuable par lui-même
et donnant le mouvement, en même temps que l'être, à tout ce qui
est. Et parce que cet être nécessaire, cette cause première, ce mo-
teur immuable. Dieu enfin, est infiniment simple dans son essence
à cause même de ce qu'il est, son éternité n'est pas autre chose que
lui-même : son être et son éternité ne sont qu'un.
Dans la Sainte Écriture, il est quelquefois parlé de Dieu au passé,
au présent et au futur; ainsi on lit dans l'Apocalypse : « Je suis
« l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, dit le Seigneur
a Dieu, qui est, qui était et qui doit venir, le Tout-Puissant K »
Mais il est évident, par ce que nous avons dit, que ces expressions
n'impliquent aucune idée de succession, lorsqu'il s'agit de Dieu ;
il n'y a en lui ni passé ni futur distincts du présent, et son éternité
embrasse le temps dans toute sa plénitude. Ce qui est présent,
passé ou futur pour nous existe éternellement présent pour Dieu.
Il en est de même pour les actes divins qui nous sont représentés
comme successifs : cette succession n'existe que pour nous et aucu-
nement pour lui, parce qu'il est éternel.
Cependant on peut dire que l'éternité a une durée par rapport à
Dieu, comme le temps et l'éternité improprement dite en ont une
pour les créatures ; mais c'est une durée infiniment parfaite comme
Dieu lui-môme, une durée qui ne comporte aucune succession ; il
faut, en admettant la durée pour Dieu, donner à ce mot un autre
sens que celui qui est habituellement le sien.
On peut dire aussi que l'éternité est la mesure de la durée de
Dieu, comme le temps est celle de la durée des créatures; mais
c'est une mesure intrinsèque, identiqueavec ce qu'elle a pour objet
de mesurer; car lorsqu'il s'agit de l'être de Dieu, il faut toujours
en revenir à la simplicité absolue et parfaite.
On pourrait encore, à la suite des docteurs et des théologiens,
traiter d'autres questions subtiles, concernant cet attribut divin
de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie; mais nous en
avons dit assez pour en donner une idée suffisamment complète,
1. Ego sum alpha et oméga, principium et finis, dicit Dominus Deus, qui
est et qui erat et qui vcnlurus est, omnipotens. [Apoc, i, 8.)
110 LA SAINTE EDCRARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
et il ne nous reste plus qu'à nous écrier avec le pieux Baudrand :
« 0 Dieu immortel, je vous adore ; résidant sur le trône de cette
« éternité glorieuse, vous êtes le principe, la mesure et la fin de tout;
« vous êtes antérieur et postérieur à tout; vous avez donné l'être et
« la vie à tous les êtres; vous étiez avant eux, vous existerez après
« eux. Du haut de ce trône éternel vous voyez couler sous vos
« pieds le torrent des choses humaines, et les révolutions im-
« menses des jours, des années et des siècles qui, semblables à un
« fleuve rapide, vont se rendre et se perdre dans le sein de cette
« éternité immuable et à jamais subsistante. »
A la pensée et à la vue de l'éternité de Dieu, comprenons quelle est
la brièveté et l'instabilité de notre vie en ce monde. Quelques années,
souvent quelques jours, terminent notre course; nous ne faisons
presque que naître et mourir. Mais ces quelques jours de vie, si
nous les employons saintement, nous mériteront d'entrer en pos-
session pour toujours du bonheur que Dieu réserve à ceux qui le
servent et qui l'aiment. Ce sera notre éternité à nous; elle aura
commencé, mais elle ne connaîtra pas de fin.
II.
INCOMPRÉHENSIBILITÉ DU DIEU DE l'eUCHARISTIE. — COMMENT ET
jusqu'à QUEL POINT NOtfS POUVONS LE CONNAITRE
Dieu est l'être infini. L'intelligence humaine peut, jusqu'à un
certain point, connaître ce qu'il est, mais elle ne saurait le com-
prendre : aux attributs de la nature divine dont nous avons parlé
jusqu'ici, il faut donc ajouter celui de Vincompréhensibilité.
Dieu, pur esprit infiniment parfait, est infiniment intelligible;
mais de cette infinité même il résulte que lui seul peut savoir tout
ce qu'il est : lui seul peut se connaître parfaitement, parce que son
intelligence infinie est seule assez vaste pour embrasser un tel
objet. Mais si nul être créé ne peut prétendre à la connaissance
parfaite de Dieu, à sa compréhension, les moyens ne nous man-
quent pas pour acquérir une connaissance de l'Être divin telle qu'il
nous est nécessaire et utile de la posséder en cette vie.
Nous avons ici-bas deux moyens d'arriver à connaître l'essence
divine, la nature de Dieu; c'est d'abord notre raison aidée de nos
sens, qui lui fournissent les éléments sur lesquels elle travaille pour
arriver a la lumière; c'est en second lieu la révélation que Dieu a
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST, 111
daigné nous faire lui-même de quelques-unes de ses grandeurs.
Les anges et les saints, dans le ciel, ont en plus que nous la lumière
de la gloire : mais même cette lumière, qui dépasse en clarté tout
ce que nous pouvons imaginer, n'est pas suffisante pour que Dieu
leur soit parfaitement connu. Il manque toujours aux anges et aux
bienheureux pour atteindre à une telle perfection, que leurs intel-
ligences soient infinies comme leur objet.
Les Pères ont comparé plus d'une fois Dieu au soleil, dont la
lumière éclaire ce monde visible : on est frappé de sa lumière; on
entrevoit ce globe éblouissant, mais le regarder en face, le fixer,
dans tout l'éclat de sa splendeur, est impossible; tenter de le faire
est s'exposer à un aveuglement presque certain. Nous connaissons
le soleil, nous l'entrevoyons même, nous jouissons de sa lumière
accommodée à la faiblesse de nos sens : il faut nous en contenter;
de même il faut nous contenter de connaître Dieu autant que le per-
met l'infirmité de notre nature i.
S. Épiphane assimile ingénieusement la connaissance que nous
pouvons avoir de Dieu à celle que l'on aurait de la voûte céleste,
aperçue par une étroite ouverture; on la verrait sans doute; mais
qu'on la verrait peu 2 !
1. Interdum oculi nostri ipsam naturam lucis, id est substantiam solis in-
tueri non possunt; splendorem vero ejus, vel radiis fenestris forte et quibus-
libet aliis receptaculis brevibus infusos intuentes, considerare possumus
fomes ipse ac fons quantus sit corporei luminis. Ita ergo quasi radii quidam
sunt Dei naturse, opéra divina providenticE, et universitatis hujus ad compa-
rationem substantife ac naturse. Quia ergo mens nostra ipsum per se Deum,
sicut est, non potest intueri : ex pulchritudine operum et décore creaturarum
parentem universitatis intelligit. (Origen., 1. Periarch., cap. i.)
Sol hoc est in sensibilibus, quod in intelligibilibus est Deus. Quippe sic ille
oculos illustrât, ut iste mentem; atque ut omnium ille quse videntur, pulcher-
rimum est : ita Deus omnium, quœ intelligibilia capiuntur. (S. Gregor. Naz.,
orat. XXXIV. Hoc refert ex Platone.)
Si solis radios oculi nostri ferre non possunt, et si quis diutius e regione
solis intenderit, cgecari solere perhibetur : si creatura creaturam sine fraude
atque offensione sui non potest intueri, quomodo potest sine periculo sut
vibrantem cernere vultum crealoris aeterni, corporis hujus opertus exuviis.
(S. Ambros., lib. de Bono mortis, cap. xi.)
2. Infinitus Deus videtur, non ut se habet in sese infinitus, sed quomodo
natura potest..,. Vcluti si quis per angustum foramen cœlum aspiciat, ac
dicat : Video cœlum : non utique mentialur, videt enim rêvera cœlum. Quod
si quis prudenter ei dicat : non vidisti cœlum, neque iste menfietur. Tam
enim qui ait vidisse non mentitur quam qui ei dicit, non ipsum vidisse, vera
loquitur. Quippe non vidit illius exporrectionem neque latitudinem. (S. Epi-
PiiAN., m Jlœres., l.\.\.)
112 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II, — CHAP. III.
Les œuvres extérieures de Dieu qui frappent nos sens nous le
font donc connaître. Comment arrêter un instant un regard attentif
sur le monde qui nous entoure, sans être frappé de sa grandeur,
de l'ordre admirable qui règne dans l'ensemble et dans toutes les
parties qui le composent? Tout révèle non seulement l'existence de
Dieu, mais sa puissance infinie, sa sagesse, sa bonté et plusieurs
autres de ses perfections, selon la parole de S. Paul dans l'Épître
aux Romains : « Ses perfections invisibles, son éternelle puissance
a et sa divinité sont, depuis la création du monde, aperçues par
« l'intelligence au moyen de ses œuvres '. » Le livre de la Sagesse
nous enseigne de même que les œuvres de Dieu révèlent son exis-
tence ~ et le Psalmiste dit que les cieux racontent sa gloire 3. Aussi
S. Paul déclare-t-il inexcusables les philosophes qui ont connu Dieu
ainsi et ne l'ont pas honoré comme ils le devaient ^.
Le second moyen que nous avons de connaître Dieu est la foi.
« Il faut, dit S. Augustin, demander des lumières à ceux qui
« passent avec juste raison pour capables d'en procurer ^. » Or, il
n'est pas de meilleur interprète des œuvres et des paroles de Dieu
que Dieu lui-même et Jésus-Christ son Fils. Le Verbe divin daigne
nous enseigner, dans la Sainte Écriture et dans la tradition que
garde son Église, ce que nous devons croire et ce que nous pouvons
connaître de Dieu. Heureux ceux qui profitent de ses lumières.
Mais l'Écriture sainte et la tradition ne nous procurent pas néan-
moins une science complète et évidente. Ce qu'elles nous révèlent
est rempli d'obscurité; par elles nous savons bien que Dieu existe,
mais nous connaissons beaucoup moins sa nature. Comment pour-
rions-nous arriver à la connaître parfaitement, nous qui sommes
obligés de confesser à chaque pas notre ignorance sur mille objets
qui nous entourent?
C'était l'objection que les Pères adressaient quelquefois aux
Eunoméens qui prétendaient connaître Dieu aussi parfaitement
1. Invisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea quae facta sunt intellecta,
conspiciuntur : sempiterna quoque ejiis virtus et divinitas. [Rom , i, 20.)
2. V'ani sunt omnes homines in quibus non subest scientia Dei, et de his
quae videntur bona non polueriint intelligere eum qui est. {Sap., xiii, 1.)
3. Cœli enarrant gloriam Dei. {Ps. xviii, 2.)
4. Quia quod nolum est Dei, manifestum est illis : Deus enim illis mani-
festavit.... Qui cum cognovissent Deum non sicut Deum glorificaverunt.... ita
ut sint inexcusabiles. (/. Cor.^ 10-21.)
b. Confugiendum est ad eorum praecepta quos sapientes fuisse probabile
est. (S. AuGUST., lib. I de Morihus ÉccL, cap. vu.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSOS-CHRIST. 113
qu'il se connaît lui-même. Le raisonnement de ces hérétiques était
celui-ci : Dieu, parce qu'il est infiniment simple, doit être ou par-
faitement connu, ou complètement inconnu, puisque savoir quel-
que chose de lui, c'est le connaître tout entier; or, il n'est pas
complètement inconnu à l'intelligence humaine, puisqu'elle a quel-
que idée de lui et de ses perfections, grâce aux lumières naturelles,
aidées, si l'on veut, de la révélation. Elle le connaît donc et, par
conséquent, le connaît parfaitement et tel qu'il se connaît lui-même.
Ils en concluaient que la vie éternelle était leur partage assuré ^
Il était aisé de répondre que Dieu, à cause de sa simplicité
infinie, est absolument insaisissable et incompréhensible en son
essence, pour l'intelligence des créatures réduites à elles-mêmes ;
mais ce Dieu infiniment simple manifeste de mille manières son
existence et ses principaux attributs. Il n'est aucunement néces-
saire à l'être intelligent de voir Dieu en lui-même, à plus forte rai-
son de le comprendre, pour savoir qu'il existe, qu'il est puissant,
qu'il est un, qu'il est sage, éternel. On peut savoir et de fait on
sait de Dieu beaucoup de choses ; celles plus nombreuses encore
que l'on ne connaît pas n'empêchent point l'intelligence de saisir
les premières. Aussi l'Église a-t-elle prononcé l'anathème contre
cette erreur : « Toute nature intelligente est naturellement bien-
0 heureuse en elle-même, et l'âme n'a pas besoin de la lumière
« de la gloire pour être élevée jusqu'à Dieu, le voir et jouir heu-
« reusement de lui -. »
La Sainte Écriture ne laisse planer aucun doute sur cette ques-
tion. Nous lisons dans l'Évangile de S. Matthieu ces paroles de
Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même : « Nul ne connaît le Fils,
<i si ce n'est le Père; et nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils,
« et celui à qui le Fils aura voulu le révéler •'. » Une révélation
d. Cum enim in eos aliquid inciderit, ac de mandatis Dei inentionem fecerit,
hoc quod ab illo profectum est usurpant dictum : Nihil est aliud, quod Deus a
nobis requirat, nisi ut cognoscamus ipsum tantum. Quemadmodum Christus
dixit his verbis : Da ipsis, Pater, habere in se vilain. IIxc est aulem vita, ut
cognoscaîit tesolum verum Deum et quem misisti Jesum Christiim. (S. ëpiphan.,
Hxr., Lxxvi, n. 4.)
-2. Quailibet intellectualis natura, in seipsa naturalitcr est beata, et anima
non indiget lumine gloriae ipsum élevante ad Deum videndum et eo béate
fruendum. {Concil. Vienn. Artic. Y errorum Begg. Vide Glementinam ad nos-
trum, de Jlaereticis, lib. V, tit. 3.)
'.i. Nemo novit Kiliuni nisi Pater, neque Patrem quis novit nisi P'ilius, et
cui voluerit Filius revelare. {Matth., xii, 27.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 8
il4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. lU.
particulière est donc nécessaire à toute intelligence pour connaître
Dieu, tel qu'il est, pour le voir comme voient les esprits, et personne
n'a le droit de prétendre arriver jusqu'ù lui par ses propres forces.
A la rigueur, l'intelligence humaine peut reconnaître, ou du moins
soupçonner l'existence de Dieu et môme quelque chose de ses attri-
buts ; mais le connaître lui-même dans son être divin, le voir,
Jésus-Christ nous déclare que nulle créature ne le peut, à moins
d'une lumière particulière qu'il donne à qui il veut. S. Paul nous
affirme que « la vie éternelle dans le Christ Jésus Notre-Seigneur
t est une iirAce de Dieu '. » Serait-elle une grâce si les forces natu-
relles suffisaient pour y atteindre? Il nous dit que nous ne con-
naissons Dieu que très imparfaitement, ex parte cognoscimus -,
que c'est la foi qui nous guide et non pas la claire vue de Dieu :
Per fit/eni enini (mibulamus et non per speciem 3. S. Jean nous
promet que lorsque Dieu se montrera à nous, nous lui serons sem-
blables, parce que nous le verrons tel qu'il est : Scimus quoniam
cum apparue) it similes ei erimus, quoniam videbimus eum
sicuti est *. S. Paul, pour revenir à lui, nous dit encore que nul
d'entre les hommes n'a vu Dieu ni ne peut le voir : Quem nullus
hominuin vidit : sed nec videre potest ^.
Est-il nécessaire d'ajouter quelque chose à tant de textes? Nous
dirons seulement que tout ce que nous pouvons connaître ici-bas,
c'est au moyen des sens que nous le connaissons. Ce qui est pure-
ment spirituel, ce qui ne tombe en aucune manière sous les sens,
nous ne le connaissons que par déduction, au moyen des effets
qu'il produit. Mais il nous est impossible d'aller plus loin et
de pénétrer jusqu'à l'essence des êtres spirituels, à plus forte
raison jusqu'à l'être de Dieu, esprit infiniment pur et infiniment
simple. En vertu de nos forces naturelles, nous connaîtrons bien
quelque chose de lui. Nous pourrons entrevoir l'infinité de sa gran-
deur et de ses attributs, mais nous ne le connaîtrons pas autant
qu'il peut être connu ^. La révélation môme n'élèvera pas assez
i. Gratia autem Dei, vita aeterna, in Chrislo Jesu Domino nostro. {Rom.,
VI, 23.)
2, /. Cor., XIII, '.). — 3. IL Cor., v, 7, - A. I. Joann., m, 2. — fi. J. Tim.,
VI, 16.
6. Nobis qui terrae vincti sumus, crassaque hac carne obtegimur, hoc pers-
picuum est, quomadniodum fieri nequit omnino ut quis umbram suam
transcendât, quantumvis festinet. Tantumdem enim semper anteverlit, quan-
tum eam assequaris. Ita etiam impossibile est lis qui sunt in corpore, absque
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CURIST. 115
haut notre intelligence pour que notre connaissance soit parfaite.
Il faut quelque chose de plus; il faut ce que Dieu donne aux anges
et aux saints dans le ciel.
L'incompréhensibilité de Dieu n'existe pas seulement pour les
hommes et les anges réduits à leurs forces naturelles, mais l'état
surnaturel auquel les esprits bienheureux et les saints du ciel sont
élevés ne leur confère pas le pouvoir de comprendre Dieu ; tel
est l'avis général des théologiens. Le concile de Bàle refuse cette
compréhension à l'àme de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même,
malgré son union hypostatique avec la divinité. « Dieu est incom-
« préhensible à l'entendement, dit Lessius, parce qu'aucun esprit
« créé, même avec la lumière de'la gloire, quelque grande qu'elle
« soit, ne peut le comprendre, c'est-à-dire le connaître de telle
« sorte que rien de ce qu'il est ne demeure caché à celui qui le
« contemple et le connaît, car il restera toujours une infinité de
« choses, et même une infinité d'infinités qu'il ne saurait connaître
« ni concevoir distinctement; savoir : une infinité de notions et de
« connaissance des choses, une infinité de complaisances qui se
« rapportent aux choses possibles, une infinité de décrets, princi-
er paiement de décrets conditionnels, une infinité de manières par
« lesquelles l'essence divine peut être imitée. Et quand bien même
« un esprit créé verrait toutes ces choses distinctement en Dieu,
« à l'aide de quelque lumière très élevée de la gloire, telle que
« l'âme de Jésus-Christ (ce qui est absolument impossible), Dieu
« cependant ne serait pas encore proprement compris par cet es-
« prit, parce que cette connaissance, par la clarté, n'égalerait pas
« l'essence divine et qu'elle ne parviendrait pas à connaître Dieu
« aussi parfaitement et aussi clairement qu'il peut être connu,
« mais qu'elle resterait infiniment au-dessous de cette clarté, at-
« tendu qu'elle serait essentiellement finie ^. »
La Sainte Écriture affirme explicitement, en plusieurs passages,
l'incompréhensibilité de Dieu.
On lit dans le prophète Jérémie cette apostrophe qu'il adresse au
Seigneur : e Vous êtes grand dans votre conseil et incompréhen-
corporeis rébus, cum intelligentibus omnino copulari. (S. Gregor. Nazianz.,
orat. XXXIV.)
Hic est de quo et cum dicitur, non potest dici ; cum œstimatur, non potest
œslimari ; cum comparatur, non potest comparari; cum detinilur, ipsa sua
definitione crescit. (S. Ambros., de Divin. Fiiii, cap. vi.)
i. Lessius, les Noms divins, eh. xi, traduction du P. M. Bouix.
116 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. '- CHAP. III.
« sible à la pensée ^ » La plupart des commentateurs rapportent
l'incompréhensibilité dont parle le prophète à la substance divine,
que la pensée d'une intelligence créée ne saurait saisir dans sa
plénitude. Mais s'il était vrai, comme plusieurs autres le donnentà
entendre, en particulier l'abbé Glaire, en s'appuyant sur les ver-
sions grecque, hébraïque et chaldaïque, qu'il s'agisse de l'incom-
préhensibilité des pensées de Dieu, et qu'il faille traduire, dans
vos pensées, et non à la pensée, la preuve que nous cherchons
n'en sei*ait pas moins évidente, puisque lesdesseins de Dieu et ses
pensées ne sont qu'un avec sa divine essence. Si les pensées di-
vines sont incompréhensibles, quoiqu'elles se manifestent par des
effets extérieurs, comment l'essehce elle-même de Dieu pourrait-
elle ne pas l'être? Dans le livre de Job, Sophar, un des amis du
saint patriarche, venupour le consoler, fait un magnifique tableau
de la grandeur incompréhensible de Dieu. Il dit : « Découvriras-
« tu par hasard les traces de Dieu, et atteindras-tu parfaitement
« jusqu'au Tout-Puissant? 11 est plus élevé que le ciel; que feras-
€ tu donc ? Il est plus profond que l'enfer; comment donc le con-
« naitras-tu 2? » Plus loin c'est Élie qui parle. Il fait l'éloge de la
justice de Dieu et il ajoute : « Qui pourra scruter ses voies? ou qui
« peut lui dire : Vous avez commis une iniquité ? Souviens-toi que
« tu ignores son œuvre que les hommes ont chantée. Tous les
€ hommes le voient ; chacun le considère de loin. Vois donc ! Dieu
€ est grand; il surpasse notre science et le nombre de ses années
€ est incalculable ^. » Sans doute on pourrait objecter à ces textes
qu'ils n'ont rien d'absolument précis, et qu'il serait difficile d'en
tirer un argument selon toutes les règles de la logique, en faveur
de l'incompréhensibilité de Dieu : il n'en est pas moins vrai que
cettevéritéen ressort pour quiconque les lit simplement et sans pré-
vention contraire. On peut en dire autant du psaume xci" de David,
dont nous ne citerons que ces mots : « Que vos œuvres sont ma-
i. Magnus consilio et incomprchensibilis cogitatu. {Jerem., xxxii, 19.)
il. Forsitan vestigia Dei comprchendes, et usque ad perfectum Omnipoten-
lem reperies ? Excel.sior cœlo est, et quid faciès? profundior inferno, et unde
cognosccs ? {Joh, XI, 7, 8.)
3. Quis poterit scrutari vias ejus? aut quis potest ei dicere : operatus es
iniquitatem. Mémento quod ignores opus ejus, de quo cecinerunt viri. Omnes
homines vident eum, unusquisque intuetur procul. Ecce, Deus magnus
vincens scientiam : numerus annorum ejus inaestimabilis. (Job, xxxvi,
23-26.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 117
« gnifiques, Seigneur ! Vos pensées sont infiniment profondes '. »
Il faut rappeler aussi le cri d'admiration de S. Paul : « 0 profon-
< deur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses
« jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables î
« car qui a connu la pensée du Seigneur - ? » Et ce qu'il écrit à
son disciple Timothée, que Notre-Seigneur Jésus-Christ « possède
« seul l'immortalité, et qu'il habite une lumière inaccessible;
« qu'aucun homme n'a vu ni ne peut voir; à qui honneur et em-
€ pire éternel ^. »
Les Pères ont souvent affirmé l'incompréhensibilité de Dieu. On
pourrait citer de nombreuses pages de S. Jean Ghrysostome dé-
fendant ce dogme contre les hérétiques. Six de ses homélies contre
les Anoméens roulent sur ce sujet, et plusieurs passages des six
autres y ont aussi rapport. Il prouveque Dieu est incompréhensible,
non seulement dans son essence mais dans sa providence ; que
c'est impiété et folie de prétendre comprendre Dieu ; que losanges
eux-mêmes ne le comprennent pas, mais que le Fils et le Saint-
Esprit comprennent parfaitement le Père. Il faut lire en entier ces
discours si remplis de doctrine et nous y renvoyons le lecteur.
Citons cependant une ou deux pages de la première homélie contre
les Anoméens, dans laquelle S. Chrysostome prouve l'incompré-
hensibilité de Dieu, en s'appuyant sur différents textes du psal-
miste et de S. Paul. Il rappelle d'abord ces paroles de David : « Je
« vous louerai, mon Dieu, parce que votre grandeur est effrayante.
« Vos ouvrages sont admirables. Votre science est merveilleuse-
« ment élevée au-dessus de moi ; elle me surpasse infiniment, et
« je ne puis y atteindre * ; » puis il dit : « Voyez l'humble recon-
« naissance d'un serviteur docile. Je vous rends grâces, mon Dieu,
< dit David, de ce que vous êtes pour moi un maître incompré-
« hensible. Il ne parle pas de l'essence divine, il n'en dit rien parce
« qu'elle est reconnue comme incompréhensible; mais parlant de
1. Quam magnificata sunt opéra tua, Domine! nimis profundae factae sunt
cogitationes tuae. (Ps. xci, 6.)
2. 0 altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei ! quam incomprehensibi-
lia sunt judicia ejus. Quis enim cognovit sensum Domini? (Mom., \i, 33, 34.)
3. Qui solus habet immortalitatcm et luccm inliabitat inaccessibilem :
quem nullus hominum vidit, sed nec videre potest; cui honor, et imperium
sempiternum.(/. 'Aw., vi, U\.)
■4. Confitebor tibi quia terribiliter magnificatus es; inirabilia opéra tua.
Mirabilis facta est scientia tua ex me; conforlala est et non potero ad eam.
{Ps. cxxxvii, 13, ti.)
118 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IH.
la présence de Dieu partout, il fait voir qu'il ignore comment
Dieu est présent partout. Pour prouver que c'est là l'objet qu'il
a en vue, écoutez la suite de ses dernières paroles : Si je mo7ite
au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous y
êtes encore. Vous voyez comme Dieu est présent partout. Mais
le prophète en ignore la raison : il est ébloui, embarrassé, ef-
frayé de cette seule idée. N'est-ce donc pas une folie extrême
que des hommes qui sont bien éloignés d'être gratifiés des
mêmes faveurs, entreprennent de scruter l'essence divine
elle-même? Le même David dit dans un de ses psaumes : Vous
m avez révélé les secrets et les mystères de votre sagesse ^
Lui cependant, qui avait appris les secrets de la sagesse de
Dieu, dit de cette même sagesse qu'elle est immense et incom-
préhensible : Le Seigneur est vraiment grand, dit-il; sa puis-
sance est infinie, sa sagesse n'a pas de bornes ~. — Sa sagesse
n'a pas de bornes, c'est-à-dire qu'il est impossible de la com-
prendre. Comment, je vous prie ? La sagesse de Dieu est incom-
préhensible pour le prophète, et son essence serait compréhen-
sible pour nous! n'est-ce point une folie manifeste? Sa grandeur
n'a point de limites, et vous prétendez circonscrire son es-
sence !
« Poussons l'hérétique dans ses derniers retranchements, et ne
le laissons point partir sans le convaincre. Demandons-lui ce que
veut dire S. Paul par ces mots : Ce que nous avons mainte-
nant de science et de prophétie est très imparfait 3. Il ne
parle pas, dit-il, de l'essence de Dieu, mais de ses desseins. S'il
parle des desseins de Dieu, notre victoire sera beaucoup plus
complète ; car si les desseins de Dieu sont incompréhensibles,
à plus forte raison l'est-il lui-même. Mais pour preuve que l'A-
pôtre ne parle pas ici des desseins de Dieu, mais de Dieu lui-
même, écoutons la suite du passage. Après avoir dit : Ce que
nous avons maintenant de science et de prophétie est très
imparfait, il ajoute : Je ne connais maintenant Dieu qu'im-
parfaitement et en partie ; mais alors je le connaîtrai comme
1. Incerta et occulta sapientiae tu«e manifestasti mihi. {Ps. L, 8.)
2. Magnus Dorninus noster et magna virlus ejus, et sapientiae ejus non est
numerus. (Ps. CXLVI, ii.)
.'J. Ex parle enim cognoscimus, et ex parte prophetamus. (/. Coi\,
XIII, 9.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSOS-CIIRIST. 119
« je suis connu moi-même '. De qui connu? Est-ce de Dieu ou
« de ses desseins? c'est de Dieu, sans doute : c'est donc Dieu
<( qu'il ne connaît qu'imparfaitement et en partie. Quand il dit en
« partie, ce n'est pas qu'il connaisse une partie de l'essence divine
« et qu'il ignore l'autre; car Dieu est un être simple : mais voici
<r le développement de sa pensée. S'il sait que Dieu existe, il
a ignore quelle est son essence ; s'il sait qu'il est sage, il ignore
« quelle est l'étendue de sa sagesse ; s'il n'ignore point qu'il est
« grand, il ne connaît point les limites de sa grandeur; s'il sait
« qu'il est partout, il ne sait pas comment il remplit tout de sa
a présence; s'il sait que sa providence s'étend sur tout et gou-
« verne tout dans le plus grand détail, il ignore de quelle manière ;
a voilà pourquoi il a dit : Ce que nous avons maintenant de
« science et de prophétie est très imparfait.
« Mais laissant l'Apôtre et les prophètes, transportons-nous, si
« vous le voulez, dans les cieux, et voyons si là même il est des
a êtres qui comprennent l'essence divine. Quand il y aurait de
« pareils êtres, ils n'auraient rien de commun avec nous, vu la
« grande distance qui se trouve entre les anges et les hommes ;
« mais pour vous instruire par surcroît, pour vous apprendre que
« même dans le ciel il n'est point de puissance créée qui con-
« naisse Dieu parfaitement, écoutons les anges eux-mêmes. Par-
« lent-ils entre eux et dissertent-ils sur l'essence du Très-Haut?
« Point du tout. Que font-ils donc? Pénétrés de frayeur et de res-
« pect, ils le glorifient, l'adorent, lui adressent continuellement
« des hymnes triomphales et des chants mystiques. Les uns lui
« disent : Gloire à Dieu au plus haut des cieux -. Les Séraphins
a s'écrient : Saint, saint, saint ^ ; ils se couvrent le visage, et ne
♦ peuvent même soutenir les regards d'un Dieu qui tempère sa
« gloire. Les Chérubins font retentir ces paroles : Bénie soit la
« gloire du Seigneur, du lieu où il réside ^. »
Un peu plus loin, le saint docteur continue : « Vous voyez quelle
« crainte et quel respect le ciel a pour le souverain Être, et com-
« bien peu la terre le craint et le respecte. Les anges le glorifient,
\. Nunc cognosco ex parte : tune autem cognoscam sicut et cognitus sum.
[1. Cor., XIII, 12.)
2. Gloria in excelsis Deo. {Iaic, ii, li.)
3. Sanctus, Sanctus, Sanctus. (/s., vi, 3.)
4. Benedicta gloria Domini de loco suo. {Ezech., m, 12.)
120 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
< les hommes veulent scruter sa nature; les anges le bénissent,
• les hommes prétendent le connaître ; les anges se couvrent le
€ visage en sa présence, les hommes, sans nulle pudeur, osent
€ porter leurs regards sur sa gloire ineffable '. »
Dans les homélies suivantes S. Ghrysostome continue, avec son
éloquence incomparable et une force irrésistible, la preuve de la
même vérité ; aussi peut-il conclure, dès la quatrième : « J'ai tenu
€ la promesse que je vous ai faite en commençant ; j'ai prouvé,
« je crois, avec la dernière évidence, que l'essence de Dieu est in-
€ compréhensible à toute créature. »
Ces magnifiques témoignages de S.Jean Ghrysostome suffisent
amplement pour faire connaître quelle était la doctrine de l'Église
de son temps, doctrine qu'il avait reçue de ses pères dans la foi, et
que ceux qui l'ont suivi ont toujours fidèlement gardée, il est bon
cependant d'y ajouter ne fût-ce que quelques lignes de S. Augustin.
Nous lisons dans le premier sermon sur l'Évangile de S. Jean :
« Nous parlons de Dieu : pourquoi vous étonner si vous ne com-
« prenez pas? Si vous le compreniez en effet, il faudrait dire qu'il
« n'est pas Dieu. .Mieux vaut confesser simplement notre igno-
« rance que vouloir étaler une science téméraire. S'élever jus-
t qu'à saisir quelque chose de Dieu, par la pensée, c'est un
« bonheur inestimable ; mais le comprendre est impossible -. »
Dans l'explication du psaume cxlvi, S. Augustin revient en ces
termes sur la même pensée : « Parce qu'il n'y a pas de bornes à la
« grandeur de Dieu : Magnitudinis ejus non est finis, nous de-
« vons le louer, bien que nous ne le comprenions pas. Si nous le
« comprenions, il ne serait plus vrai que sa grandeur n'a pas de
« bornes; si elle n'a pas de bornes, nous pouvons bien en con-
« naître quelque chose, mais non pas comprendre Dieu tout en-
« tier y. »
1. Nous avons emprunté la traduction de ces pages de S. Jean Ghrysostome
à l'excellente traduction de M. Jeannin.
2. De Dco loquimur, quid mirum, si non comprehendis? Si enim compre-
hendis, non est Deus. Sit pia confessio ignorantiae magis quam temeraria
professio scientiœ. Attingere aliquantum mente Deum, magna beatitudo est :
compreliendere autem, omnino impossibile. (S. August., serm. CXVII, de
Verbis Evang. Joann., i, n. li.)
3. Verumtamen quia Magniludinis ejus non est fmis, et eum quem non
capimus, Inudare debemus; si enim capimus, magnitudinis ejus est finis : si
autem magniludinis ejus non est finis, capere ex eo aliquid possumus, Deum
tamen totum cnpere non possumus. (S. August., Enarr. in Ps. cxliv, n. 0.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 121
Dans la Cité de Dieu, il nous rapporte l'opinion de Platon sur
l'incompréhensibilité de la nature divine. Dieu, disait ce philo-
sophe, est le seul être que la parole humaine se reconnaisse im-
puissante à décrire tant soit peu. A peine est-il donné aux plus
sages, lorsque, par la vigueur de leur pensée, ils se sont, autant
qu'on le peut, dégagés de l'influence des sens, d'entrevoir quelque
chose de ce Dieu ; encore cette lumière est-elle intermittente et
semblable à un éclair brillant au milieu des ténèbres ^
L'incompréhensibilité de Dieu a donc été soupçonnée par la phi-
losophie ancienne ; elle a été admise et défendue contre les héré-
tiques par les Pères et les docteurs dont nous avons appelé en té-
moignage deux des plus illustres, comme représentants de toute
la tradition ^ ; elle a été proclamée comme une vérité de foi par la
1. Sic a Platone praedicari asseverat, quod « Ipse sit solus qui non possit
penuria sermonis humani quavis oratione vel modice comprehendi; vix au-
tem sapientibus viris, cum se vigore animi, quantum liquit, a corpore remo-
verint, intellectum hujus Dei, et id quoque interdum, velut in altissimis tene-
bris rapidissimo coruscamine lumen candidum intermicare. (Apuleius in lib.
de Deo Sacral is, apud S. August., de Civil. Dei, lib. XI, cap. xvi.)
2. A ces citations des Pères nous ajouterons les deux ou trois suivantes :
Si autem plenitudinem et magnitudinem m.anus ejus non comprehendit
homo, quemadmodum poterit quis intelligere aut cognoscere in corde tam
magnum Deum?.... Quoniam autem magnitudinem Dei ex his quae facta
sunt, nemo enarrare potest, hoc omnibus manifestum est : et quoniam ma-
gnitudo ejus non déficit, sed omnia continet, et pervenit usque ad nos, et
nobiscum est, omnis quicumque digne Deo sapit confitebitur.
Igitur secundum magnitudinem non est cognoscere Deura. Impossibile est
enim mensurari Patrem. (S. Iren., lib. IV contra Hxres., cap. xix, 3, et
XX, 1.)
Atque hœc senserim potius de Pâtre, quam dixerim : nam me non fugit,
quod ad ea quag ejus sunt eloquenda, sermo omnis infirmus sit. Sentiendus
est invisibilis, incomprehensibilis, geternus. Caeterum ipsum quod in seinet-
ipso, et a semetipso sit et per se sit; quod invisibilis, et incomprehensibilis,
et immortalis : in his quidam honoris confessio, et sensus significatio, et
quaedam circumscriptio opinandi, sed naturœ ssrmo succumbit, et rem ut est
verba non explicant.... Déficit ergo in nuncupatione confessio, et quidquid
illud sermonum optabitur, Deum ut est quantusque est, non eloquetur. Per-
fecta scientia est sic Deum scire, ut licet non ignorabilem, tamen inenarra-
bilem scias. Credendus est, intelligendus est. adorandus est : et his officiis
eloquendus. (S. Hilar., lib. II de Trinil., n. 7.)
Confirmât Evangelista Dei esse naturam omnimodo invisibilem ubi ait :
Deum nemo vidit nnquam ; quia plenitudinem divinitatis, quae i'\ ^eo est
nemo mente comprehendit. Nec enim angelicae naturae comprehensibilis est
Deus; quia vere incomprehensibilis dicitur. Sed secundum mensuram dona-
tionis Dei, ila Deum vel angeli, vel animae sanctorum intelligunt. Proinde
quamvis usque adaequalitatem angelicam humana postresurrectionem natura
proficiat, et ad contemplandum Deum glorificata consurgat, videre tamen ejus
122 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. III.
sainte Église réunie en concile ; nous avons vu qu'elle trouve dans
la Sainte Écriture les fondements les plus solides ; il ne nous reste
plus qu'à exposer ce que les lumières de la raison éclairée par la
foi peuvent ajouter à tant d'autorités irrécusables.
S. Thomas ne demande même pas si les hommes vivant sur la
terre peuvent comprendre l'essence de Dieu. Ils ne voient pas cette
divine essence, comment pourraient-ils s'élever jusqu'à la com-
prendre? Mais il n'en est pas de même des anges bienheureux et
des saints du ciel ; ils voient Dieu face à face dans toute sa gloire :
le comprennent-ils? Nous avons déjà répondu négativement, mais
voici la raison que S. Thomas en donne.
D'après S. Augustin, il est absolument impossible à une intelli-
gence créée de comprendre Dieu, et c'est déjà un grand bonheur
pour elle d'avoir de lui quelque connaissance. Pour mettre en
évidence ce principe, il suffit de rappeler que l'on ne comprend
une chose que si on la connaît parfaitement, c'est-à-dire autant
qu'elle est susceptible d'être connue ; ainsi savoir et pouvoir démon-
trer que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles
droits, c'est comprendre ce qu'un triangle est en lui-même, car
c'est savoir de lui tout ce qui constitue son être. Mais nulle intel-
ligence créée ne peut s'élever jusqu'à cette connaissance complète
de l'être divin ; nulle ne peut le connaître autant qu'il peut être
connu. Pourquoi? Parce que l'être de Dieu est l'infini réalisé, tou-
jours en acte. La connaissance qu'il est possible d'avoir de lui est
donc une connaissance infinie. Quelle intelligence créée, c'est-à-
dire bornée, peut posséder une connaissance qui n'aurait pas de
bornes? Sans doute, les anges et les bienheureux voient Dieu d'une
manière admirable ; mais chacun d'eux le voit selon le degré de
lumière de gloire qui lui a été donné ; lumière mesurée pour cha-
cun, et reçue dans une intelligence qui a des limites '.
essentiam plene non valet; sed unicuique sanctorurn ad suse sufficientiam
bealitudinis manifestabitur gloria ejus. (Albin. Flacc, lib. II de Trinitat.y
cap. XVI.)
1. Utruin videnles Deum per essentiam, ipsum cornprehendant.
Kespondeo dicendum quod comprehendere Deum impossibile est intellectui
creato; allingere vero mente Deum qualitercumque magna est béatitude, ut
dicit .\ugustinus. — Ad cujus evidentiam sciendum est quod illud comprehen-
ditur quod perfecte cognoscitur; perfecte autem cognoscitur quod tantum
cognoscitur, quantum est cognoscibile. Undc si quod est cognoscibile per
scientiam deinonstrativam, opinione teneatur ex aliqua ratione probabili con-
cepta; non comprehenditur. Puta si quod est triangulum babere très angulos
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 123
Les anges et les saints du ciel ne comprennent donc pas Dieu
qu'ils voient face à face : à plus forte raison les autres créatures,
que la lumière de la gloire n'éclaire pas et qui ne voient toutes
choses qu'à travers mille obscurités, ne peuvent-elles pas le com-
prendre.
Il faut ici admirer et plaindre l'orgueilleuse folie des hommes,
le plus souvent ignorants, qui refusent de croire en Dieu, sous pré-
texte qu'ils ne le comprennent pas. L'intelligence de l'homme est
bornée ; les moindres choses sont pour elle remplies de mystères, et
elle voudrait comprendre Dieu ! Nous, ô Jésus ! nous ne demandons
pas à comprendre votre divine essence, mais nous savons que vous
êtes notre Dieu, notre Rédempteur, notre Jésus ! Nous savons que
sur nos autels et dans nos tabernacles, vous êtes notre Dieu infi-
niment grand et infiniment bon. C'est assez pour nous : humble-
ment prosternés en votre présence, nous croyons en vous, nous
vous adorons, nous espérons en vous et nous vous aimons de tout
notre cœur.
IIL
INVISIBILITÉ DU DIEU DE l'eUCHARISTIE
S. Augustin nous dit, en parlant du bonheur qui nous est ré-
servé au ciel : « Nous verrons Dieu, nous l'aimerons et nous cclé-
« brerons ses louanges : » Videbimus, amabimus, laudabimus.
S. Paul avait déclaré avant lui que nous verrons Dieu face à face
et tel qu'il est : Facie ad faciem.... sicuti est. Comment donc la
Sainte Écriture nous affirme-t-elle, en plusieurs endroits, que Dieu
est invisible?
Il faut distinguer ici ce qui est possible aux forces naturelles de
aequales duobus rectis, aliquis sciât per demonstrationem, comprehendit
illud. Si vero aliquis ejus opinionem accipiat probabiliter, per hoc quod a
sapieiitibus vel pluribus ita dicitur, non comprehendet ipsum; quia non per-
tinget ad illum perfectum modum cognitionis quo cogniscibilis est. Nullus
autem intcllectus creatus pertingere potest ad illum perfectum modum cogni-
tionis divinae essentiae, quo cognoscibilis est. Quod patet. Inumquodque enim
sic cognoscibile est, secundum quod est ens actu. Deus igitur, cujus esse est
infinilum, ut supra ostensum est, infinité cognoscibilis est. Nullus autem intel-
lectus creatus potest Deum infinité cognoscere. In tantum enim inlellectus
creatus divinam essentiani perfectius vel minus perfecte cognoscit, in quan-
tum majori vel minori lumine gloriae perfunditur. Cum igitur lumen gloriae
creatum in quocumque intelleclu creato receptum non possit esse infinitum ;
impossibile est quod Deum comprehendat. (S. Tiiom., 1 p., q. \ii, art. 7.)
124 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
la créature, et ce qu'elle peut en certaines circonstances, avec un
secours tout particulier de Dieu. Ce que ni l'homme ni l'ange ne
peuvent par eux-mêmes, pourquoi ne le pourraient-ils pas, lors-
qu'il n'y a pas contradiction absolue, si Dieu daigne leur en accor-
der surnaturellement la faveur? C'est ce qui a lieu pour la vision
de Dieu. Dieu est invisible pour les yeux corporels de l'homme;
il est invisible pour toute intelligence créée. Cependant il est vi-
sible au ciel pour les saints et les anges, parce qu'il daigne se ren-
dre surnaturellement visible aux créatures intelligentes qu'il a
tirées du néant, pour être leur éternel bonheur. Mais même après
la résurrection, les yeux de l'homme glorifié ne verront pas l'es-
sence de Dieu.
La plupart des idolâtres prêtaient des corps à leurs dieux, et
croyaient par conséquent que ces fausses divinités pouvaienttomber
sous les sens; quelques hérétiques, comprenant mal les textes de
la Sainte Écriture qui attribuent des membres à Dieu, se laissèrent
aller à une erreur semblable. Ils étaient particulièrement frappés
par les paroles de la Genèse, qui déclarent que l'homme fut créé
à l'image et à la ressemblance de Dieu, et par celles de S. Paul :
« Alors nous verrons Dieu face à face ^ » qui semblent recon-
naître à Dieu un visage que les bienheureux contempleront dans
le ciel. D'autres enfin ont prétendu qu'après la résurrection, nous
verrons Dieu de nos yeux corporels, quoiqu'il n'y ait rien de maté-
riel en lui, et qu'il soit un esprit absolument pur. S. Augustin con-
sacre une de ses lettres à la réfutation de cette erreur -. Quelques
théologiens, de l'ordre desCarmes, ont enseigné que l'œil corporel,
non pas tel qu'il est maintenant mais glorifié, sera doué d'une
vertu particulière qui lui permettra de voir Dieu spirituellement.
D'autres ont avancé que Dieu peut créer des yeux corporels qui
verraientDieu par eux-mêmes, ougràce à quelque don quileurserait
surajouté. Mais il n'en est pas ainsi ; des yeux de chair ne sont pas
faits pour voir l'essence infinie de Dieu, même après qu'ils au-
ront reçu la transformation glorieuse de la résurrection.
En effet, il est de foi, premièrement, que Dieu est invisible pour
des yeux corporels, au moins selon les lois ordinaires établies par
la volonté divine. Des textes nombreux de la Sainte Écriture par-
lent explicitement de l'invisibilité de Dieu. Le sens le plus res-
1. Tune jtutem facie ad faciem. (/. Cor., xiii, 12.)
2. S. AuousT., Epist. VI (alias XCII) ad Italicam viduam.
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 125
treint dans lequel il soit possible d'entendre ces textes est que la
présence de Dieu ne saurait être constatée directement par l'or-
gane corporel de la vue. Ainsi, dans l'Exode, Moïse supplie le
Seigneur de se montrer à lui, et Dieu lui répond: « Tu ne pourras
« voir ma face; car l'homme ne saurait me voir et vivre i. »
L'apôtre S. Jean déclare dans son Évangile que « personne
€ n'a jamais vu Dieu 2. » S. Paul dit dans l'épître aux Colossiens :
« Le Fils est l'image du Dieu invisible 3. » Dans la première à Ti-
mothée, il proclame Dieu « le roi des siècles, immortel, invisi-
ble ^ ; » et nous lisons encore dans la même épître : « Dieu qui
« possède seul l'immortalité et qui habite une lumière inacces-
« sible ; qu'aucun homme n'a vu ni ne peut voir '•. » Citons encore
ce que le même apôtre dit de Moïse, dans l'épître aux Hébreux :
« C'est par la foi qu'il quitta l'Egypte, sans craindre la fureur du
« roi ; car il demeura ferme comme s'il avait vu celui qui est in-
« visible ^. »
Ces paroles de la Sainte Écriture affirment d'une manière ab-
solue l'invisibilité de Dieu ; il n'est pas besoin de longs raisonne-
ments pour s'en convaincre : il suffit de les lire. D'où nous pou-
vons conclure que si d'autres textes parlent de Dieu comme s'il
était visible, il faut les entendre d'une visibilité purement intellec-
tuelle, ou bien d'apparitions dans lesquelles Dieu se montrait
sous des symboles ou des figures étrangères à son être divin, mais
propres à le manifester aux hommes selon les desseins de sa sa-
gesse. Par exemple, ces paroles de l'Évangile de S. Jean que nous
avons citées : « Personne n'a jamais vu Dieu, » sont immédiate-
ment suivies de celles-ci : « Le Fils unique qui est dans le sein du
« Père, est celui qui l'a fait connaître : Unigenitus Filins, qui est
« in sinu Patris, ipse enarravit. » D'après le sens purement
littéral, il faudrait admettre que Dieu a un sein, ce qui n'appar-
tient qu'aux corps. Mais il n'y a personne d'assez insensé, re-
1. Non poteris videre faciem meam ; non enim videhit me homo et vivet.
{ExoiL, xx.Mii, 20.)
2. Deum nemo vidit unquam. {Joann., i, i8.)
3. Oui (Kilius) est imago Dei invisibilis. {Col., i, \'6.)
i. Régi autem saeculorum immortali, invisibili, soli Deo honor et gloria in
saecula saeculorum. (/. Tim., i, 17.)
îi. Qui solus hahet immortalitatem, etlucem inhabitat inaccessibilem : quem
nullus iiominum vidit, sed nec videre potest. (/. Tim., vi, 10.)
6. Fide reliquit .ligyptum, non veritus animositatem régis : invisibilem
enim tanquam videns sustinuit. {/fe/jr.,\\, 27.)
126 LA SAINTE EDCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CKAP. III.
marque S. Chrysostome, pour penser que l'être incorporel soit un
corps.
D'ailleurs, c'est aux Pères de l'Église qu'il appartient de nous
donner la véritable interprétation des Écritures; or, les Pères et
les Docteurs sont unanimes à dire que, même au ciel, les bienheu-
reux ressuscites ne verront pas Dieu des yeux du corps. Ils verront
ses œuvres et ils connaîtront par là son essence divine, comme
nous connaissons que quelqu'un possède la vie, lorsque nous le
voyons agir; mais ils ne verront pas l'essence ou la vie de Dieu di-
rectement de leurs yeux. En ce sens on peut dire, quoique im-
proprement, que les yeux glorifiés des saints verront Dieu, ainsi
que l'explique S. Augustin ^. Ailleurs le saint docteur avait avancé
que peut-être le corps de l'homme spiritualisé par la résurrection
pourrait voir Dieu ; du moins cette opinion ne lui semblait pas
tout à fait insoutenable -; mais plus tard il la rejeta absolument.
« L'œil du corps, dit-il, ne peut pas et ne pourra jamais, même
€ dans le ciel, voir la lumière qui est Dieu ^. » Il en appelle ^ en
faveur de cette vérité, à l'autorité de S. Jérôme, de S. Athanase,
de S. Grégoire deNazianze, mais particulièrement de S. Ambroise
qui, dans son commentaire sur S. Luc, enseigne que l'on voit
Dieu des yeux du cœur et non de ceux du corps ^
S. Jérôme n'est pas moins affirmatif que S. Augustin et S. Am-.
broise; il dit : « Il n'appartient pas à l'œil de l'homme de voir
« Dieu tel qu'il est dans sa nature 6. » Il dit aussi : « La parole
« ne saurait expliquer la nature de Dieu ni l'œil ne saurait le voir :
i. Nam unde viventia discerniiiius a non viventibus corporibus, nisi cor-
pora simul vitasque videamus ? Vitas autein sine corporibus corporeis oculis
non videmus?.... Quamobrem ficri potest, valdequc probabile est sic nos esse
visuros mundana tune corpora cœli novi et terrœ novœ, ut Deum ubique prae-
sentem et universa etiam gubernantem, pcr corpora quœ gestabimus, et quae
conspiciemus quaquaversum omnes duxerimus, clarissima perspicuitate
videamus.... Sicut liomines inter quos viventes, motusque vitales exerentes
vivimus ; mox ut aspicimus, non credimus vivere sed videmus. (S. August.,
de Civitale l)ei, lib. XXII, cap. xxix.)
"i. De corpore vero spiritali, si Dominus juverit, opère alio experiemurquid
disputera valeamus. (S. Acgust., Epist. CXII.)
;i. Hoc oculus videre corporis neque nunc potest, neque tune poterit. (Id.,
Eplst. VI.)
4. If)., Epist. IV.
\). Non enim corporalibus, sed spiritualibus oculis Jésus videtur, (S. Ambros.,
Comment, in Luc.)
6. \'idere Deum sicuti est in natura sua, oculus hominis non potest.
(S. lIiEBo.N apud S. August., Epist. III.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 127
« mais il est vu de ceux dont il est écrit : Bienheureux les cœurs
« purs parce qu'Us verront Dieu '. »
Les Ariens prétendaient que le Père seul était invisible ; que le
Fils et le Saint-Esprit au contraire pouvaient être vus. S. Atha-
nase protesta contre une telle erreur. Il établit contre eux que la
divinité est invisible de sa nature et que ni le Père, ni le Fils, ni
le Saint-Esprit ne peuvent être vus des yeux du corps : mais l'es-
prit peut les connaître. S. Grégoire de Nazianze soutient la même
doctrine '-.
Origène avait enseigné avant eux la même vérité, en plusieurs
passages de ses écrits. Entre autres choses il dit : « Pour con-
« naître Dieu il n'est nullement besoin du corps. Ce qui connaît
« Dieu, ce n'est pas l'œil corporel, c'est l'esprit 3. »
S. Cyrille de Jérusalem dit dans sa ix^ catéchèse : « Il est im-
« possible de voir Dieu des yeux du corps, car ce qui n'a pas de
« corps ne peut pas tomber sous les regards des yeux de chair *. »
La raison que donnent le plus souvent les anciens Pères de l'im-
possibilité de voir Dieu avec les yeux du corps est que Dieu est un
pur esprit ; qu'il n'est pas du même genre que les yeux ^ ; c'est
par les yeux de notre intelligence que nous pouvons saisir ce qui
est intelligence pure ^. Une forme pure et sans matière ne peut
être connue que par l'esprit, puisqu'elle n'a rien qui tombe sous
les sens, ni couleur, ni goût, ni dimensions extérieures. Comment
les sens connaîtraient-ils ce qui est absolument en dehors de leur
portée ?
1. Deus nequaquam sermonibus explicatur, nec oculo contemplabilis est,
sed ab bis videlur, de quibus scriptum est : Beati mundo corde quouiam ipsi
Deum videbunt. (S. IIieron., in cap. LXiv Isaiœ.)
2. Secundum deitatis autem sute proprielatem omnino Deum esse invisibi-
lem, id est Palrem, et Filiuni, et Spiritum sanctum, nisi in quantum mente,
ac spiritu nosci potest. (S. Athan. apud S. August.)
3. Quod ad Dei cof^nitionem pertinet, nullo modo indigemus corpore. Quod
enim cognoscit Deum, non oculus est corporis sed mens. (Origen., t. Vil
contra Celsiim.)
i. Garnis quidem oculis contemplari Deum impossibile est. Quod enim cor-
poris est expers in carnis oculos cadere nequit. (S. Cyrii.i.. Hierosolym.,
catecb. IX.)
U. Corpus corpus videt; simile in simile inlendit aciem : neque possunt
oculi naturge inferioris quod natura praestanlius et excellentius est, videre.
(TiT. BosTR., lib. I contra Manic/i.)
0. Opus est nobis inlelligibilibus oculis ad ca percipienda, quse sola inlelli-
gentia capiuntur. (Tiieodoret., scrm. I contra Grxd)
128 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
S. Augustin donne une autre raison. « Tout ce qui est visible
« pour les yeux corporels, dit-il, est nécessairement circonscrit
c dans un espace quelconque ; il ne peut pas se trouver partout.
« Une partie plus petite de sa masse occupera une place moindre,
€ une autre partie plus grande en tiendra une plus considérable.
< Le Dieu invisible et incorruptible ne peut se trouver dans de
« telles conditions ^ »
Il dit encore : « Si Dieu est visible pour les yeux du corps,
« pourquoi serait-il insaisissable pour les autres sens ? Il sera donc
€ un son, pour que l'oreille puisse le percevoir? un parfum, pour
0 que l'odorat puisse le sentir? une liqueur, pour qu'on puisse le
« boire ^? »
On dira peut-être : Il est évident qu'un pur esprit ne peut
tomber sous les sens corporels, et que nos yeux de chair ne sau-
raient voir l'essence divine : un corps n'étend pas son action au
delà de la sphère qui lui est assignée ; il faut que son acte soit pro-
portionné à sa nature : un organe corporel est impuissant lorsqu'il
s'agit de l'incorporel ; la matière ne saurait s'élever jusqu'à Dieu.
Mais les corps des bienheureux, après la résurrection, ne seront
plus tels qu'ils sont aujourd'hui, et ce qu'ils ne peuvent pas faire
maintenant, ne leur sera-t-il pas possible alors ? — Non, répond De
Lugo, parce que, même après la résurrection, ils ne seront pas des
esprits mais des corps. Sans doute ils seront doués alors de pro-
priétés merveilleuses, mais essentiellement et numériquement,
ils seront les mêmes qu'aujourd'hui. Job affirme qu'il verra Dieu
dans sa chair : In carne mea videbo Deum meum quem visurus
sum ego ipse, et oculi mei conspecturi sunt. « Et dans ma chair
« je verrai mon Dieu ; je le verrai moi-même et mes yeux le con-
« templeront 3. » Il verra Dieu dans sa chair, mais ce n'est pas sa
\. Omnc quippe quod oculis corporis conspici potest in loco aliquo sit ne-
cesse est, nec ubique sit totum. Sed minore sai parte minorem locum occu-
pet, et majore majorem. Non ita est Deus invisibilis et incorruptibilis.
(S. AUGUST., Epist. VI.)
2. Sonus ergo erit Deus, ut possit etiam auribus pcrcipi? Et halitus erit ut
senliri possit olfactu?Et liquor aliquis erit ut possit bibi? (Ii)., lib. I in Luc.)
\i. Impossibilc est Deum videri sensu visus, vel quocumque alio sensu aut
polentia sensitivae partis. Omnis enim potentia hujusmodi est actus corporalis
organi. Actus autem proporlionatur ei cujus est actus. Unde nulla ejusmodi
potentia potest se extendcre ultra corporalia. Deus autem incorporeus est, ut
supra osions um est. Unde nec sensu nec imaginatione videri potest, sed solo
intelleclu. S. Thom.,I p., q. xii, art. 3.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JESUS-CHRIST. 129
chair, c'est lui-même, c'est son âme qui le verra. Ses yeux le
contempleront ; mais ce ne sont pas les yeux du corps, ce sont les
yeux de l'âme qui se rassasieront de cet admirable spectacle. Ne
pourrait-on pas dire aussi qu'il verra des yeux de sa chair le Dieu
qui est son Rédempteur et son Sauveur, c'est-à-dire Notre-Seigneur
Jésus-Christ, dont le corps adorable sera visible aux yeux de tous
les élus et non pas seulement à leurs intelligences? L'Église nous
insinue cette interprétation, lorsqu'aux paroles de l'Écriture elle
ajoute dans sa liturgie le mot Salvatorem : Et videbo Deum Sal-
vatorem mewn : « Et je verrai Dieu mon Sauveur '. » Quelques
versets plus haut Job lui-même avait dit : « Je sais que mon Ré-
dempteur est vivant -. « C'est lui qu'il doit voir dans sa chair,
lorsqu'il sera ressuscité.
Il est de foi que les âmes de ceux qui meurent dans la grâce et
qui, purs de toute faute, ne sont aucunement redevables à la jus-
tice de Dieu, entrent immédiatement en possesion du bonheur du
ciel et de la vue de Dieu. Les âmes séparées des corps n'ont donc
pas besoin des yeux de chair pour voir Dieu et jouir, avec une
béatitude et une gloire infinie, de cette vision ; c'est un fait indé-
niable, une vérité de foi qu'elles voient Dieu sans leur secours.
Comment croire que la résurrection des corps privera les âmes de
cette vision immédiate? seront-elles donc obligées de revenir à ces
intermédiaires qui leur sont nécessaires ici-bas, pour la vision des
objets corporels ? Et si elles continuent de voir Dieu face à face,
conformément â leur nature aidée d'une grâce particulière, de
quoi leur servirait-il que leurs yeux soient tellement transformés
que, contrairement â leur nature corporelle, ils puissent voir ce
qui est purement spirituel? Il y aurait là contradiction llagrante
avec la sagesse qui règne parmi les œuvres de Dieu, et de plus
cette contradiction n'aurait nulle raison d'être. On doit même dire
que non seulement aucun œil corporel existant ne peut voir Dieu,
mais que Dieu ne pourrait pas créer un organe matériel capable
de la vision intuitive; et cette impossibilité s'étend jusqu'aux yeux
corporels de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. La matière,
quelque parfaite qu'on la suppose, ne peut pas voir directement
et dans son essence ce qui est purement esprit, tant qu'elle de-
1. (Jffic. Defunct., resp. ad I lect. I nocturni.
2. Scio quod redemptor meus vivit et in novissimo die de terra surrecturus
sum. [Joh, xix, 2Î>.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 9
130 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
meure elle-même ce qu'elle est, c'est-à-dire matière. De nos yeux
(.lu corps nous contemplerons au ciel, après la résurrection,
comme nous le faisons sur la terre, mais avec un plaisir infini-
ment plus g-rand, les œuvres extérieures de Dieu qui sont faites
pour tomber sous les sens ; telle est leur part et elle leur suffira.
C'est à l'intelligence et à elle seule qu'il appartient de voir Dieu tel
qu'il est, face à face, selon la parole de l'Apôtre, et non plus comme
maintenant à travers mille obscurités et comme en énigme : Vi-
demus nunc per spéculum in œnigmate, tune aiUem facie ad
faciem '. Bienheureux ceux qui mériteront de voir ainsi le Sei-
gneur dans la pairie céleste !
Cependant si l'âme humaine peut voir Dieu par elle-même et
sans le secours des sens, si les anges, en leur qualité de purs
esprits, contemplent Dieu face à face dans le ciel, il ne faut pas
l'attribuer aux forces naturelles de leur intelligence. Ni l'intelli-
gence humaine, ni celle des anges, quelque sublime qu'elle soit,
ne peut s'élever si haut par elle-même. L'essence de Dieu, d'après
la doctrine de S. Thomas, est tellement au-dessus de toute intelli-
gence créée, que nulle ne peut le connaître parfaitement ni le
voir 2. Sans doute il est infiniment propre à satisfaire la vue ;
l'intelligence assez puissante pour le contempler tel qu'il est peut
y trouver un plaisir infini ; mais par le fait même de cette infinité,
les intelligences créées ne sauraient rien voir directement de lui.
Elles le contempleront dans ses œuvres comme dans un miroir ;
elles y déchiffreront quelques-unes de ses perfections comme l'on
devine une énigme, mais elles ne le verront pas. Il est pour elles
ce que le soleil est pour les oiseaux de nuit ; le moindre de ses
rayons les éblouit et les aveugle 3.
Des hérétiques ont conclu de là que l'intelligence humaine et
môme celle des anges ne pouvaient être en aucune manière élevées
jusqu'à la vision de Dieu. Mais il n'en est pas des esprits comme
des corps. Ce qui est corporel ne peut pas arriver, à moins de chan-
ger de nature et de cesser d'être ce qu'il est, à voir une substance
1. /. Cor., xiii, 12.
ii. Dicendum quod impossibile est quod aliquis intcllectus creatus, per sua
naturalia cssenliam Dei videat.... Non potest intelleclus creatus Deum per
essentiain videre, nisi in quantum Deus per suam graliam se intellectui
creato conjungit, ut intelligibilc ah ipso. (S. T110.M., I p., q. xii, art. 4.)
3. Sicut sol qui est maxime visibilis, videri non potest a vespertilione
propter exces^uin luminis. (lu., ibid., art. 1.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS- CHRIST. 131
purement spirituelle ; mais un être spirituel peut voir un autre
être spirituel, à la condition néanmoins, lorsqu'il s'agit de voir
l'être spirituel par excellence, qui est Dieu, de recevoir une grâce
particulière qui, sans lui ôter rien de sa nature propre, le surna-
turalise, et le rende capable d'un acte absolument au-dessus de
ses Ibrces sans un tel secours.
Nous voyons en effet que l'invisibilité de Dieu pour les hommes
est un dogme de foi. Il est vrai qu'à la rigueur on peut ne l'en-
tendre que pour les yeux corporels; mais tous les textes de la
Sainte Écriture et des Pères montrent bien qu'il faut aller plus
loin, et admettre cette invisibilité, même pour les intelligences
créées, quelles qu'elles soient. D'autre part, la Sainte Écriture et la
tradition proclament, avec non moins de force, que Dieu est vi-
sible, que les anges et les saints qui sont au ciel le voient, que
tous ceux qui ont le cœur pur sont bienheureux parce qu'ils le
verront. Ainsi donc Dieu est invisible, et cependant il est vu par
les saints et les anges. La Sainte Écriture ne peut se contredire
et les deux affirmations sont également vraies : Dieu est invisible
pour les intelligences créées réduites à leurs propres forces, mais
il est visible pour ces mêmes intelligences, lorsque Dieu daigne
ajouter à leurs lumières naturelles une lumière incomparable-
ment supérieure, un don qui n'est aucunement dû à leur nature
mais qu'il peut leur faire, parce qu'il n'est pas contradictoire
qu'une intelligence voie une autre intelligence, celle-ci lui fût-elle
infiniment supérieure en perfection, en dignité et en grandeur.
Peut-on néanmoins prouver par la raison seule que la vision in-
tuitive de Dieu soit possible aux intelligences créées, même avec
ce secours particulier delà gTàce?Suarez et Gajétanne le pensent
pas. Il s'agit d'un acte surnaturel et les lumières naturelles peu-
vent bien en constater Texistence, mais il leur est difficile, sinon*
impossible, d'allerau delà. Heureusement que la foi vient à notre
secours; elle nous révèle ce que nous devons croire, et c'est déjà
un grand honneur pour la raison humaine de pouvoir écarter les
difficultés et les impossibilités qui semblent se dresser contre la
vérité que la foi nous propose ^
1 . Quapropter suppositis liis quae de illa visione fides docet, existimo dicen-
dum esse, non posse ralione nnlurali probari, illam visionem esse possihilem.
Quia, ul infra ostendcmus, illa visio est actus quoad substanliam supcrnalu-
ralis, non potest autem ralione nalurali cognosci, hujusmodi actus esse possi-
132 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
Si donc les intelligences créées voient Dieu dans le ciel et le
voient tel qu'il est en lui-même, face à face, c'est-à-dire dans son
essence, malgré leur impuissance naturelle pour un tel acte, il faut
en conclure que cette vision intuitive est un acte surnaturel, « La
« vie éternelle est une grâce de Dieu, » dit S. Paul ^ ; et le même
apôtre dit encore : « L'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, et
« le cœur de l'homme n'a pas atteint dans ses désirs ce que Dieu
« a préparé à ceux qui l'aiment -. Notre-Seigneur Jésus-Christ
avait dit lui-même : « Personne ne connaît le P'ils, sinon le Père,
« et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils
« aura voulu le révéler ^. » Il est vrai que ces paroles peuvent
s'entendre de la connaissance de Dieu par la foi, mais elles n'en
ont que plus de force si on les applique à la vision intuitive. Voir
Dieu est incomparablement plus que savoir simplement ce qu'il est.
Remarquons ici, avec S. Augustin, que ce que l'Écriture dit
de la charité, de là grâce, de la gloire, qui sont des dons surnatu-
rels de Dieu, n'est pas moins vrai pour les anges que pour les
hommes '*. Pour les anges aussi bien que pour nous, la lumière
que Dieu habite est inaccessible. Aucun homme n'a jamais vu Dieu
naturellement, ni ne peut le voir ^ : aucun ange non plus ne peut
jouir de la vue de Dieu en sa divine essence, que par un don sur-
naturel, une grâce particulière qu'il reçoit de lui.
Quelques Pères de l'Église ont semblé douter et même ne pas
admettre que les saints du ciel et les anges voient Dieu tel qu'il
est, dans son essence même ; mais il est aisé de montrer, en se re-
portant aux circonstances dans lesquelles ils ont écrit, que leurcon-
Inlis. Pra'terca inlellectus ad illain visionem non concurrit virlule naturali,
.sed supernaturali et instrumentali ; non potest aiitem rationc naturali probari
aliquam potenlian:i possc elevari ad agendurn ultra suam virlulem.... Potest
tanien horno naturali discursu difficultatcs et argumenta quai contra hanc
veritatem fiunt sufficienter dissolvere, praesertim adjutus lumine fidei, etc.
(SuAREz, tract, de J)iv. su/jst., lib. II, cap. vu.)
i. Gratia autein Dei vita œterna. {Rom., vi.)
2. Oculu.s non vidit, neque auris audivit, neque in cor hominis ascendit,
quae praeparavit Deus diligentibus se. (/. Cor., ii.)
'•S. .Nerno novit I-ilium.nisi Pater; neque Patrem (]uis novit nisi Filius et
oui voluerit Kilius revelare. {Matth., xi, 27.)
■4. Confitendunri est igitur cum débita laude Creatoris, non ad solos sanctos
liomines pertinere, verurn etiam de sanctis angelis posse dici quod charitas
Dei diffusa sit in eis per Spiritum sanctum. (S. August., de Civitale Dei,
lib. XII, cap. i.\.)
'o. Quod nemo bominum vidit, sed ncc videre potest. (/. Tim., vi, 10.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 133
tradiction avec la Sainte Écriture et tout l'ensemble de la tradition
est purement apparente. Leurfoi était celle que TÉglise a toujours
professée et qu'elle professe encore. Elle a toujours cru à la parole
de Notre-Seigneur, qui disait des petits enfants : « Leurs anges
« voient toujours la face de mon Père qui est dans le ciel ' ; » et
à cette autre de S. Paul, déjà plusieurs fois citée : Videbimus
eum sicuti est : « Nous verrons Dieu tel qu'il est. »
S. Irénée disait : « De même queceuxqui voient la lumièresont
« dans la lumière, ceux qui voient Dieu sont en Dieu et parti-
« cipent à sa clarté. Cette clarté les vivifie. Voir Dieu, c'est donc
« puiser la vie en lui. Et c'est pour cette cause que celui qui est
« immense et incompréhensible s'est rendu visible et compréhen-
< sible pour les hommes et qu'il s'est mis à leur portée. Il a voulu
<i vivifier ceux qui le connaîtraient et le verraient '-. »
Ces paroles de S. Irénée non seulement nous disent que les saints
voient réellement Dieu, mais de plus elles nous donnent la raison
de ce bienfait inestimable que Dieu leur accorde. Il veut, en se
montrant à eux, leur communiquer la véritable vie, la vie bien-
heureuse. S. Irénée ajoute un peu plus loin : « Dieu se montre
« aux hommes parce qu'il le veut, il se montre à ceux qu'il veut,
« quand il veut et comme il veut, parce qu'il est tout-puissant
« en tout 3. »
Clément d'Alexandrie cite cette déclaration de Dieu à Moïse :
« Personne ne verra ma face et vivra : Nemovidebit faciemmeam
« et vivet ; » et il ajoute : « Il est évident en eflet que personne,
« dans le cours de sa vie, ne peut voir Dieu. Mais ceux dont le
« cœur est pur le verront, lorsqu'ils seront parvenus à leur per-
« fection dernière ^. »
\. Angeli eorum in cœlis semper vident faciem Patris mei, qui in cœlis est.
{Mfitth., xviii, 10.)
•i. Quemadmodum enim videntes lumen intra lumen sunt, et claritatem
ejus percipiunt, sic et qui vident Deum, intra Deum sunt percipientes ejus
claritatem. Vivificat autem eos claritas : percipiunt orgo vitain qui vident
Deum. Et propter hoc incapabilis et incomprehensibilis, visibilem se et com-
prehensibilem et capaccm hominibus prœstat, ut vivilicet percipientes et
videntes se. (S. Iren., lib. IV, cap. xxxvii.)
^. Ille autem volens videtur ab hominibus, a quibus vult, et quando vult,
et quemadmodum vult : Polens est enim in omnibus Deus. (In., ihid.)
■4. Perspicuum est enim, nullum unquam vita? sua» tempore posse Deum
perspicue comprehendero. Qui autem sunt mundi corde Deum videbunt,
postquam extremam perfectionem attingerint. (Clem. Ai.ex., Strom., lib. V.)
134 LA SAINTE EUCHARISTIE. 11° l'AUTlE. — LIVRE 11. CIIAP. III.
S. Augustin parle souvent, dans ses nombreux écrits, du bon-
heur qu'ont les saints et les anges de contempler Dieu face à
face dans le ciel. Par exemple, à propos de ce texte de l'Apôtre :
« Au Roi des siècles, invisible et incorruptible : » Régi sœculorum
invisibili et incorruptibili, il dit : « Dieu est incorruptible dans
M les siècles des siècles; mais il n'est pas invisible dans les siècles
« des siècles; il l'est seulement dans ce siècle. En effet, ces paroles
« de Dieu ne peuvent pas être vaines : Bienheureux ceux qui ont
« le cœur pur, parce quils verront Dieu i. »
Citons encore un texte de S. Bernard. Dans le quatrième sermon
pour la Fête de tous les Saints, il s'exprime ainsi : « Dans cette
0 éternelle et très parfaite béatitude, nous jouirons triplement de
« Dieu : nous le verrons dans toutes les créatures; nous le possé-
« derons même en nous, et, ce qui est infiniment plus agréable,
« et plus heureux encore, nous connaîtrons la Trinité en elle-même
« et nous contemplerons cette gloire sans aucun voile, avec l'œil
€ pur du cœur. Car la vie éternelle et bienheureuse sera précisé-
« ment, pour nous, de connaître le Père et le Fils avec le Saint-
€ Esprit, et de voir Dieu tel qu'il est, je veux dire, non pas tel qu'il
« est en, nous par exemple, ou dans les autres créatures, mais tel
« qu'il est en lui-même 2. »
Dieu n'est donc pas visible naturellement pour l'homme, mais
il peut se montrer à lui tel qu'il est dans son essence suprême, en
vertu dune grâce surnaturelle.
On a demandé si la vision intuitive de Dieu a jamais été le par-
tage d'un homme vivant encore sur la terre.
Il est certain que, d'après les loisordijiaires de la nature établies
de Dieu, une créature purement humaine ne peut pas, pendant sa
vie mortelle, voir l'essence divine. Le Seigneur dit à Moïse, au
1. lncorruj)tiljili quidcin in saecula saîciilorum; invisibili aulem non in sae-
cula sîeculoriun, sed tantum in hoc sœculo. Vcrum quia nec ista testimonia
falsa esse possunt. Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. (S. Au-
ULST., Epist. CXI.)
2. ïripiicilcr in aeterna illa et perfecta beatitudine frucmur Deo, videnles
eum in omnibus creaturis, habentes eum in nobis ipsis, et (quod bis omnibus
ineffabiliter jucundius sit atque beatius) ipsam quoque cognoscenlcs insemet-
ipsn Trinilalem, etgloriam illam sine ullo aenigmate mundo cordis oculo con-
templantes. In hoc enim erit vita aîterna et perfecta, ut cognoscamus Patrem
et Fibum eum saiicto Spiritu, et videamus Deum sicuti est; id est non modo
fiicut inest nobis videlicet, aut caeteris creaturis, sed sicut est in semetipso.
(S. Bernard., scrin. IV in /-V.s/o omn. sanct.)
AUTRES ATTRIBUTS DE LA NATURE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST. 135
livre de l'Exode : « L'homme ne saurait me voir et vivre '. » La
raison en est que l'iiomme, tant que son àme est unie à son corps,
ne peut rien connaître ni rien voir de ce qui existe hors de lui
qu'à l'aide de ses sens. Nos sens nous révèlent bien l'existence des
œuvres de Dieu ; nous voyons Dieu indirectement dans le monde
matériel qui nous entoure, mais voir Dieu lui-même, voir son
essence purement spirituelle, nous est absolument impossible. C'est
un fait d'expérience qui n'a pas besoin d'autre preuve.
Ce qui n'est pas possible à l'homme vivant sur la terre, en vertu
de sa nature seule, peut le devenir et le devient en effet, s'il plaît
à Dieu de se manifester à lui d'une manière extraordinaire et sur-
naturelle; et de fait on peut croire qu'il s'est manifesté ainsi à
quelques-uns de ses plus fidèles serviteurs.
Nous ne parlons pas de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-
Christ dont l'àme, hypostatiquement unie à la personne du Verbe,
jouit, dès le premier instant de son existence, de la vision béati-
fique ; mais la Sainte Écriture nous dit clairement que Dieu s'est
entretenu avec Moïse et qu'il s'est fait voir aux prophètes. On lit
dans le livre des Nombres ces paroles que le Seigneur adressait à
Marie et à Aaron, qui avaient murmuré contre leur frère : « Écou-
« tez mes paroles : Si quelqu'un parmi vous est prophète du Sei-
« gneur, je lui apparaîtrai dans la vision, ou je lui parlerai en
« songe. Mais tel n'est pas mon serviteur Moïse qui est fidèle dans
« toute ma maison; car c'est bouche à bouche que je lui parle, et
« c'est clairement et non en énigme et en figures qu'il voit le Sei-
« gneur -. i> Il faut remarquer ici que les paroles dont Dieu se. sert
pour caractériser la vision dont Moïse est favorisé, tandis que les
autres prophètes n'en jouissent point, sont, au fond, les mêmes
dont S. Paul s'est servi plus tard, lorsqu'il a voulu marquer la
différence qui existe entre la manière dont nous voyons Dieu ici-
bas et celle dont les bienheureux le voient dans le ciel. En effet,
l'Apôtre dit : « Nous voyons maintenant à travers un miroir, en
<r énigme; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je
« connais imparfaitement, mais alors je connaîtrai comme je suis
l. Non videbit me homo et vivet. {Exocl., xwiii, i20.)
:2. Audite serinones meos : Si quis fuerit inter vos propheta Domini, in
visione apparebo ei, vel por snmnium loquar ad illum. Al non talis serviis
meus Moyses, (jui in omni doino mea fidelissimus est : Ore enim ad os loquar
ei : et palam et non per œnigmalaet figuras Doininum vidcl. {\uin., xii, 0-8.)
136 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. III.
« connu '. » Ces mots : Nous verrons face à face, n'équivalent-ils
pas exactement à ceux-ci : C'est bouche à bouche que je lui parle ?
Et ceux-ci : Nous voyons maintenant à travers un miroir et
en énigme, ne sont-ils pas la répétition de ceux-ci : C'est claire-
ment et non en énigme et en figures qu'il voit le Seigneur ?
L'apôtre S. Paul nous apprend qu'il a été favorisé lui-même
d'une vision non moins sublime, qu'il rapporte en ces termes :
« Je sais un homme en Jésus-Christ, qui, il y a quatorze ans, fut
« ravi (si ce fut dans son corps ou hors de son corps, je ne sais,
« Dieu le sait) jusqu'au troisième ciel. Et je sais que cet homme
« (si ce fut dans son corps ou hors de son corps, je ne sais. Dieu
(( le sait) fut ravi dans le paradis, et entendit des paroles qu'il n'est
« pas permis à un homme de dire 2. »
Faut-il nécessairement conclure de ces textes que Moïse et
S. Paul ont vu, non pas des yeux du corps certainement, mais de
ceux de l'intelligence, l'essence divine elle-même? Il semble dif-
ficile au moins de le nier. Celte faveur extraordinaire ne dépasse
pas la puissance de Dieu, et sa bonté infinie peut s'étendre jusqu'à
l'accorder. D'autre part, il s'agit de faits qui ne peuvent être
connus que par le témoignage de la Sainte Écriture : or ce témoi-
gnage semble formel, malgré les objections que l'on peut faire ; le
plus sûr est donc d'admettre que Moïse et S. Paul, les deux grands
hérauts de l'Ancien et du Nouveau Testament, ont eu, dès cette vie,
le bonheur de voir Dieu, tel qu'il est en lui-même.
Ont-ils été les seuls à recevoir ce don ineffable? Ilest certain que
la bienheureuse Vierge Marie a été favorisée pendant sa vie mor-
telle, comme eux et plus qu'eux, de la vision de Dieu : son titre
de Mère du Verbe incarné lui donnait des droits, au moins jusqu'à
un certain point, à la connaissance aussi parfaite que possible de
son divin Fils, et si des serviteurs ont été élevés jusqu'à la vision
intuitive, comment Jésus-Christ l'eùl-il refusée à sa Mère? D'au-
tres saints ont-ils été favorisés de même? Rien n'autorise à le
1 . Videmus nunc per spéculum in aenigmate : tune autem facie ad faciem.
Nunc cognosco ex parte : tune autem eognoscam sicut et eognitus .sum.
(/. Cor., XIII, 42.)
2. Scio hominem in Christo ante annos quatuordoeim (sive in eorpore
nescio, sive extra corpus nescio, Deusscit) raptum hujusmodi usquead tertium
cœium. Et scio hujusmodi hominem (sive in eorpore nescio, sive extra corpus
nescio, Deus scit), quoniam raptus est in paradisum et audivit arcana verba
quae non licethomini loqui. (//. Cor., \ii, 2-4.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 137
croire. Ceux qui ont eu des visions qui ont frappé extérieurement
leurs sens, ou qui ont agi sur leur imagination, sont nombreux;
mais en est-il quelqu'un qui ait vu Dieu en lui-même et dans son
essence? Il faut dire avec S. Paul : Deus scit : « Dieu le sait. »
Les anges et les saints voient donc dans la gloire du ciel le Dieu
invisible que nul regard corporel, que nulle intelligence créée,
réduite à ses seules forces, ne peut contempler. Le Seigneur leur
donne une lumière surnaturelle, une connaissance évidente, claire,
certaine, une science parfaite de la divinité; science infaillible,
science incomparablement plus parfaite que la foi elle-même,
quoique les deux aient le même objet. L'intelligence éclairée par la
lumière de la gloire voit Dieu directement, immédiatement, en lui-
même; elle le voit comme chose existante et dans toutes les condi-
tions de son existence; elle ne le comprend pas, parce qu'il est in-
compréhensible à cause de son infinité, mais elle le voit tout entier,
autant qu'il lui est possible de le voir, et, en lui, elle voit, dans la
simplicité absolue de sa nature, tous ses attributs. Ce spectacle
infiniment beau sera le grand bonheur de tous les saints, de
tous les anges, et de Dieu lui-même, pendant toute l'éternité.
0 mon Dieu, bienheureux ceux qui habitent dans votre maison,
ils vous loueront dans les siècles des siècles : Beati qui habitant
in domo tua, Domine, in sœcula Sâsculorum laudabunt te ^ !
CHAPITRE IV
SCIENCE, VOLONTÉ, AMOUR ET TOUTE-PUISSANCE DE JÉSUS-CHRIST DIEU
PRÉSENT DANS L'EUCHARISTIE
I. Science et sagesse divines de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — II. Volonté et amour
de l'être divin de Jésus dans l'Eucharistie. — Son double objet. — III. Toute-puis-
sance de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie.
I.
SCIENCE ET SAGESSE DIVINES DE XOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
PRÉSENT DANS l'eUCIIARISTIE
Au jour de la dédicace solennelle du temple qu'il avait élevé au
Seigneur, le roi Salomon s'écriait, avec une admiration profonde :
« Est-il donc croyable que Dieu habite avec les hommes sur la
I. Ps. L.\.\.\III, Ij.
138 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
« terre? Si le ciel et les cieux des cieux ne vous contiennent point,
« combien moins cettemaison que j'ai bâtie •? » Salomon, le plus
sage des rois, avait raison de s'étonner de la condescendance in-
finie de Dieu, mais qu'eùt-il pensé s'il avait été témoin de ce que
Notre-Seigneur Jésus-Christ fait en notre faveur, s'il l'avait vu des-'
cendre chaque jour sur nos humbles autels, à la voix du prêtre,
pour s'immoler de nouveau, se donner à nous comme notre ali-
ment, et demeurer trop souvent solitaire et oublié dans nos ta-
bernacles ? Peut-être nous familiarisons-nous trop avec le Seigneur,
etnous accoutumons-nous à recevoir ces bienfaits d'un prix infini
comme s'ils nous étaient dus.
Il importe donc de ranimernotrefoi, en présence du Très Saint
Sacrement, et de n'oublier jamaisles grandeurs de celui que nous
adorons sous les espèces eucharistiques.
Les attributs divins, que nous avons considérés jusqu'ici en la
personne adorable de Notre-Seigneur, disent moins ce qu'il est,
comme Dieu, que ce qu'il n'est pas; aussi leur a-t-on donné le nom
général d'attributs négatifs. Il en est d'autres qui affirment des
propriétés, des perfections positives de Dieu, dont nous devons
aussi parler.
Ces attributs positifs de Dieu peuvent se rapporter à trois chefs
principaux : Dieu, en sa qualité d"étre infiniment intelligent, pos-
sède la science; il a une volonté; il est souverainement puissant.
Nous retrouvons dans les intelligences créées ces trois mêmes at-
tributs, mais à un degré d'imperfection ou d'infériorité tel, si on
les compare à ce qui est çn Dieu, qu'ilspeuvent à peine passer pour
un reflet des attributs divins. Cependant ils en sont une lointaine
image, et nous pouvons, grâce à eux, nous en former une idée qui
se rapproche, autant que possible, de la vérité.
Nous avons déjà parlé de la sagesse ou de la science de Dieu qui
n'est autre que le Verbe lui-même, mais ici nous devons consi-
dérer celle sagesse divine, non plus précisémentcomme la seconde
personne de l'adorable Trinité, mais comme un attribut de la divi-
nité. Au fond, c'est toujours de notreJésus qu'ils'agil, puisque les
attributs divins ne sont qu'un avecl'essence divine, et que le Verbe
lui-même n'est qu'un seul et même Dieu avec le Père et le Saint-
\. Krgone credibile est ut habitet Deus cum hominibus super terram? Si
cœluin etcr.-li cœlorum non te capiunt, quanlo magis dornus ista, quam aedi-
ficavi? (//. Parai., \\, 18.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 139
Esprit. Mais nous le considérons sous un nouvel aspect, pour ap-
prendre à mieux connaître, et par conséquent à mieux aimer et
mieux servir ce Dieu que nous adorons voilé avec l'humanité
sainte dont il s'est revêtu, sous les espèces eucharistiques.
La science peut se définir la connaissance des choses par leurs
causes. De cette définition Aristote conclut que la science parfaite,
la science complète, est quelque chose de si grand, de si divin, qu'il
est impossible à l'homme d'y atteindre jamais. Mais Dieu la pos-
sède, parce qu'il est lui-même le principe et la cause première de
toutes choses, parce qu'il est la cause intelligenteet libre de toutes
les causes. Il serait moins absurde peut-être de nier l'existence
même de Dieu que de lui refuser la science. « Ilfaut, ditS. Cyrille
« d'Alexandrie, reconnaître au principe unique de toutes choses,
a commeunattributquilui est particulier, de tout savoir, sansavoir
« rien appris d'aucun maître. Tout est nu et à découvert devant
« ses yeux. De même il peut tout ce qu'il veut, et rien n'est dif-
« ficile pour lui '. » Il dit encore : « C'est le propre de la divinité
« de ne rien ignorer -. »
L'Écriture rend souvent témoignage à la science de Dieu. Le
saint homme Job pose cette question : « La sagesse où se trouve-
a t-elle?et quel est le séjour de l'intelligence 3? » ]l répond :
« Dieu connaît sa voie et il sait le lieu où elle demeure. Car il voit
« les confins du monde, et il abaisse ses regards sur tout ce qui
« existe sur la terre. » Ce n'est pas le seul témoignage que lelivre
de Job renferme en faveur de la sagesse ou de la science de Dieu.
Ces témoignages sont nombreux aussi dans les psaumes ; David
se plaît à dire que la sagesse de Dieu n'a pas de bornes, qu'il con-
naît toutes choses les plus anciennes et les plus nouvelles. Dans le
premier livre des Rois, Dieu est appelé le Dieu des sciences. Dans
les Proverbes deSalomon, la Sagesse déclare que Dieu l'a possédée
dès le commencement de ses voies, avant la création de toutes
choses. Dans le Nouveau Testament S.Paul appelle le FilsdeDieu
1. Proprie et soli principi omnium naturae tribuendum esse, tum omnia
scire, docente nullo, ac prae oculis habere nuda et aperta; tum efficere posse
idque facillime, quidquid lil)itum fuerit. (S. Cvrill., lib. XI Comment, in
Joann.)
2. Divinitatisid proprium est nihil ignorare. (Id.. lih. XXXIl Thesaur.)
3. Sapientiaubi invenitur ? cl quis est locus intcUigenli*'?.... Deus intelli-
git viam ojus et ipse novit locuin illius. Ipse onim tincs mundi intuelur; cl
omnia (\i\x: sub cœlo sunt respicil. {./o/t, wviii, 1-2, 2:î, ->'i.)
140 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
la Sagesse de Dieu K II dit qu'en lui sont tous les trésors de la sa-
gesse et de la science divine 2; ailleurs il ne peut retenir un cri
d'admiration, à la pensée de la grandeur de cette science et de cette
sagesse 3, Il serait superflu de citer ici les textes des Pères rendant
hommage à la science et à la sagesse de Dieu; nul d'entre eux n'a
manqué de les célébrer, toutes les fois que l'occasion s'en est pré-
sentée.
La science de Dieu se distingue de celle des intelligences créées,
d'abord en ce qu'elle n'est pas pour Dieu quelque chose d'acciden-
tel, une qualité surajoutée à la substance : elle est la substance
même de Dieu. « En Dieu, dit S. Augustin, comprendre n'est pas
a autre chose qu'exister. Dans l'àme humaine au contraire, être et
« comprendre ne sont pas la même chose, parce que l'âme existe,
« même lorsqu'elle ne comprend pas ^. » Et le saint docteur re-
vient souvent sur cette pensée, pour mieux faire entendre l'admi-
rable simplicité de Dieu. S. Cyrille d'Alexandrie démontre aussi
qu'il serait absurde de prétendre que la science de Dieu est sem-
blable à la nôtre; il base son raisonnement sur la simplicité de
Dieu, qui fait que sa sagesse ou sa science ne peut être qu'une
seule et même chose avec son être divin, ou sa substance ^.
Un second caractère de la science de Dieu est qu'il ne puise pas
cette science dans les choses qu'il connaît : il la possède par lui-
même et indépendamment des objets de sa connaissance. Il se
suffit pour connaître tout. La raison en est qu'il est la cause de
i. Jésus qui factus est nobis sapientia a Deo. (i. Cor., i, 30.)
2. In quo sunt omnes thesauri sapienticE el scientige absconditi. {Col., u, 3.)
3. 0 altitudo divitiarum et scientiae Dei. [Rom., \i, 33.)
4. In Deo propter mirabilem simplicitatem, non aliud est esse aliud intelli-
gere. Anima vero, quia est, etiain dum non intelligit, aliud est quod est, aliud
quodintelligit. (S. August., Episl. Cil.)
5. Simplexet minime compositus omnium praedicalione celebrabitur Deus.
Quamobrem absurdum est ipsum se de se talem habere cognitionem dicere,
qualem nos habcmus, nam si ipse aliud quiddam est, alla vero ac diversa est
ab eo quœ inest ipsi cognilio, compositus erit et non simplex. Quum vero con-
fessione omnium simplex sit, non est aliquid ab eo diversum illius cognitio.
Nostra autem est alia causa. Nam propria quadam ratione sumus secundum
substantiam; in substantia vero sitam habemus cognitionem; velut colorem in
corpore. Igitur non similiter, et eodem modo scimus quippiam ac Deus, qui
non eodem alque ille modo nos habemus. Sed ipse quidem, tanquam hoc
ipsum mens omnium suprema, itidem ut Deo convenit, tum ea, quae sunt,
tum se ipse contemplabitur. Nos autem, qui datam nobis mensuram trans-
gredi neiiuimus, velut in speculo, et ainigmate incomprehensibilem cernimus
Deum. (S. Cvrii.l. Alex., lib. XXXI Thesaur.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 141
toutes choses, dit S.Denys l'Aréopagite. Sa science embrassait les
anges avant qu'ils fussent, et ce fut elle qui les produisit, ainsi
que tout le reste; ce fut elle, si l'on peut ainsi parler, qui tira tout
ce qui estdu sein de Dieu. C'estce que la Sainte Écriture nous en-
seigne lorsqu'elle dit : Dieu connaît toutes choses avant quelles
soient. Il n'apprend pas des choses qui sont ce qu'elles sont; mais
c'est en elle-même, en vertudesa science propre, que l'intelligence
divine connaît d'abord tout et qu'elle est la cause de tout '.
C'est donc en lui-même, etsans que rien d'extérieur aide à sa con-
naissance, que Dieu connaît toutes choses. Cependant il y a une
différence, selon notre manière de juger, entre la connaissance
qu'il a de sa propre essence et celle qu'il a des créatures : il se
connaît comme la cause suprême et nécessaire de toutes choses, et
il connaît toutes choses existantes ou possibles, comme des effets
que sa sagesse unie à sa puissance produit ou peut produire; et il
les connaît toutes selon que leur nature les rend susceptibles d'être
connues.
Troisième caractère de la science de Dieu : elle est une et simple,
tandis que la nôtre est composée, divisible, et qu'il nous est im-
possible d'embrasser une multitude de choses, à plus forte raison
toutes choses, dans un seul acte de notre intelligence.
Un quatrième caractère de la science divine est l'immutabilité.
Dieu ne serait pas immuable si sa science ne l'était pas, si elle pou-
vait s'accroître ou diminuer ou changer d'objet; tandis que la
science des hommes et même des anges, au moins en un certain
sens, peut toujours grandir; de plus, celle des hommes peut, hélas !
diminuer, s'égarer et s'éteindre.
Enfin, cinquième caractère, la science de Dieu est la cause de
toutes choses, parce qu'il a tout fait dans sa sagesse : Omnia in
sapientia fecisti ; il a tout fait avec nombre, poids et mesure, et
c'est à la science ou à la sagesse qu'il convient de régler toutes
choses, et d'établir l'ordre qui doit régner en tout.
I. Divina mens omnia conlinet antecellente omnibus cognitione; ratione
illa qua causa est omnium scientiam in se omnium ante compleclens; qua? et
angelos, priusquam essent, noverat, et angelos produxit, ac ca?tera omnia, ex
intestine et ab ipso ut ita dicam, principio habens perspecta, et ad subsisten-
dum perducens. Atque hoc ut opinor Scriptura docere nos voluit, cum ait :
Qui novit omnia, antct/iiam fiant. Non enim ex iis quœ sunt, ea quœ sunt ad-
discens novit divina mens; sed ex seipsa, et in seipsa secundum eam scien-
tiam, (lUc-e omnium est causa, etc. (S. Dion., de Div. Xomin., cap. vu.)
142 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
Tels sont les caractères particuliers de la science de Dieu qui la
distinguent de toute science créée. Il faut dire maintenant quel
est son objet.
Le premier et le principal objet de la science de Dieu, c'est
Dieu lui-même.
Les philosophes anciens, mais principalement les disciples de
Platon, n"ont pas ignoré cette vérité. « La première intelligence,
a dit l'un d'eux, étant incomparablement la plus parfaite, il est
<i nécessaire que ce qu'il y a de plus parfaitement intelligible,
« c'est-à-dire elle-même, lui soit proposé pour objet. Elle se con-
« naît donc toujours et complètement '. »
En elTet, il n'est pas de plus digne objet de la science de Dieu
que Dieu lui-même, sa nature et tout ce qui constitue réellement
son être. Il se connaît par lui-même, et cette connaissance est tel-
lement liée à lui, inséparable de lui, qu'elle n'est pas autre que sa
propre essence. Il ne peut rien connaître avant de se connaître
lui-même, et nul objet ne peut s'offrir à lui qui soit plus digne
d'être connu, qui soit aussi propre à satisfaire son intelligence.
Par cette science qu'il a de lui-même, Dieu sait donc ce qui est en
lui, et il le sait d'une manière infiniment parfaite.
La science de Dieu est vraiment digne de l'excellence infinie de
la nature divine. Elle a le plus noble de tous les objets. Elle est
égale à son objet et l'embrasse dans toute son étendue, quoique
cette étendue soit l'infini lui-même. Elle est très parfaite, non seu-
lement parce qu'elle est substantielle et très actuelle, mais aussi
parce qu'elle a toutes les perfections, toutes les propriétés de la
science au plus sublime degré : la vérité, la clarté ou l'évidence.
Elle est souverainement nécessaire et invariable, parce que son
objet est Dieu lui-même. Elle est toujours en acte, parce que c'est
par elle que Dieu le Père se voit et se contemple éternelle-
ment, et qu'il engendre son 'Verbe éternel infini, immuable
comme lui. Elle est très simple enfin, sans composition, sans re-
cherche, sans argumentation ni déduction, sans aucune des imper-
fections inhérentes à la science des créatures. Ni la grandeur in-
finie de l'intelligence divine, ni la perfection de l'objet sur lequel
s'exerce cette intelligence, ne laissent place à ces imperfections.
i. yuoniam aulem prima mens préeslantissima est, necesse est praistantis-
simum ci intellif^ibile propositum esse. Nihil autem seipsa prcestantius habet.
Quare semelipsam, nolionesque suas semper intelliget. (Alcin., cap. x.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 143
Cette simplicité absolue de la connaissance que Dieu a de lui-
même n'empêche pas qu'il se connaisse aussi dans les créatures :
tel est du moins l'avis de de Lugo ' et de plusieurs autres théolo-
giens dont le nom fait autorité. En effet, soit que Dieu con-
naisse les créatures en lui-même, soit qu'il les connaisse immé-
diatement en elles, du moment qu'il les comprend, il ne peut
pas ne pas se connaître lui-même, supposé que par impossible il
ne se connût pas d'autre part, puisqu'il ne les comprendrait pas
s'il ne connaissait pas leur cause et leur dépendance essentielle
envers lui. De plus, les créatures sont des effets dont il est la cause.
Dieu connaît nécessairement la cause dans les effets, comme il
connaît les effets dans la cause, autrement sa connaissance ne se-
rait pas complète. Et qu'on ne dise pas que se connaître lui-même
dans les créatures serait un mode de science peu digne de l'in-
finie perfection de Dieu, une science sujette à l'erreur, à l'obscu-
rité : ce qui est tel pour nous ne l'est pas pour lui ; sans doute, les
créatures dans lesquelles Dieu se connaît sont, par elles-mêmes,
imparfaites et trompeuses, mais ce qu'elles sont en vertu de leur
nature finie n'intlue aucunement sur l'acte de Dieu en lui-même,
qui est toujours absolument lumineux et infaillible.
Dieu se connaît donc et il se connaît entièrement ; il se com-
prend. C'est une vérité de foi : c^ L'Esprit (de Dieu) pénètre toutes
<i choses, même les profondeurs de Dieu -, » dit S. Paul. Dieu n'est
pas moins infini dans sa science que dans son être, puisque l'une
et l'autre ne sont qu'un 3. Mais la science de Dieu ne s'arrête pas
à lui seul : il en est l'objet essentiel ; on pourrait dire, en un sens,
1. De Luc, lib. I deDeo uno, disp. xxviii, cap. ii.
2. Spiritus omnia scrutatur, etiam profunda Dei. (J. Cor., ii, 10.)
3. Dicendum quod Deus perfecte comprehendit seipsum. Quod sic patet.
Tune enim dicitur aliquid comprehendi, quando pervenitur ad tinem cogni-
tionis ipsius, et hoc est, quando rescognoscitur ita perfecte sicut cognoscibilis
est. Sicut propositio demonstraljilis comprehenditur, quando scitur per de-
monstrationem ; non autem, quando cognoscitur per aliquani rationem proba-
bilem. Manifestum est autem quod Deus ita perfecte cognoscit seipsum, sicut
perfecte cognoscibilis est. Est enim unumquodque cognoscil)ile secunduna
modum sui actus. Non enim cognoscitur aliquid, secundum quod in potentia
est, sed secundum quod est in actu. Tanta est autem virlus Dei in cognos-
cendo, quanta est actualitas ejus in cxistendo; quia per hoc quod actu est, et
a])omni materia et potentia separatus, Deus cognoscitivus est, ut ostensum
est (art. 1). Unde manifestum est quod tantum seipsum cognoscit, quantum
cognoscibilis est. Et propter hoc seipsum perfecte comprehendit. (S. TnoM.,
I p., q. xiv, art. 3.)
144 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
unique ; cependant tout ce qui existe en dehors de lui est aussi
l'objet de la science divine ; il ne peut même pas se connaître par-
faitement s'il ne connaît pas en même temps les êtres qui ne sont
pas lui '.
Dieu connaît donc, non seulement tout ce qui existe actuelle-
ment, mais tout ce qui a été et qui sera. Sa science s'étend plus
loin encore ; elle embrasse tous les êtres possibles : il les connaît
tous autant qu'ils sont susceptibles d'être connus, même par lui
dont l'intelligence est infinie. Aucun être, aucun acte, quelque
petit, quelque insignifiant qu'on le suppose, ne lui échappe ; toutes
les substances sont à découvert devant ses yeux et, avec elles,
tous leurs accidents et toutes les circonstances qui accompagnent
leur existence, ou qui peuvent l'accompagner.
Les épicuriens prétendaient que Dieuy> satisfait de se connaître
lui-même, ignorait ce qui n'était pas lui et ne s'en occupait aucu-
nement. Les impies du temps de Job disaient déjà avant eux :
« Mais que connaît Dieu? Car c'est comme au travers d'une pro-
« fonde obscurité qu'il juge. Des nuées le cachent; il ne consi-
« dère pas ce qui est de nous, et il parcourt les pôles du ciel -. »
Averroès, d'après S. Thomas -, admettait que Dieu connaissait
toutes choses, mais seulement d'une manière générale et confuse.
Or il est de foi que Dieu connaît toutes choses. La Sainte Écri-
ture le proclame souvent, les Pères sont d'accord avec elle et la
raison elle-même ne permet pas d'en douter.
S. Paul écrit aux Hébreux : « Il n'y a pas de créature qui soit
« invisible en sa présence, mais tout est à nu et à découvert aux
1. Respondeo dicendum quod necesse est Deiim cognoscere alla a se. Mani-
feslum est enim quod seipsum perfecte intelligit; alioquin suum esse non
esset perfectum, cum suum esse sit suunri intelligere. Si autem perfecte ali-
quid cognoscitur necesse est quod virlus ejus perfecte cognoscatur. Virtus
autem alicujns rei perfecte cognosci non potest, nisi cognoscantur ea ad quae
virtus se extendit. Unde cum virtus divina se extendat ad alia, eo quod ipsa
est prima causa elïectiva omnium entium, ut ex supradictis palet, necesse est
quod Deus alia a se cognoscat. — Et hoc etiam evidentius fit si adjungatur,
quod ipsum esse causap, agentis primœ, scilicet Dei, est ejus intelligere. Unde
quicumque efiectus praeexistunt in Deo, sicut in causa prima, necesse est
quod sint in ipso ejus intelligere, et quod omnia in eo sint sccundum modum
intelligibilem. Nam omne quod est in altero est in eo secundum modum ejus
in quo est, etc. (S. Tiiom., I p., quœst. xiv, art. U.)
2. Quid novit Deus? Quasi per caliginem judicat, nubes latibulum ejus,nec
nostra considérât et circa cardinescœli perambulat. {Jofj, xxii, 13.)
3. S. Tiiom., in distinct, xxxv, q. i, art. 3.
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 145
« yeux de celui dont nous parlons '. » Le Psalmiste dit à son tour :
« Seigneur, vous avez compris de loin mes pensées; vous avez
€ observé mes sentiers et le cours de ma vie. Et toutes mes voies,
« vous les avez prévues. Voilà que vous, Seigneur, vous avez
« connu toutes les choses anciennes et nouvelles. Votre science
« est devenue admirable pour nioi 2. » Le psaume cxxxviii% d'où
sont tirées ces paroles, est consacré presque tout entier à célébrer
la science de Dieu embrassant toutes choses.
On comprend aisément que rien ne puisse échapper à la connais-
sance de Dieu, par cette raison qu'il se connaît parfaitement lui-
même et que ni l'étendue, ni l'action de sa puissance, qui n'est avec
sa nature divine qu'une seule et même chose, ne lui est caché. Sa
puissance s'étend à tout ce qui n'est pas lui ; c'est elle qui donne
l'être à tout ce qui existe, et sa science est la cause exemplaire de
tout ce qui a été, qui est, qui sera et qui pourrait être. Il ne se
connaîtrait pas lui-même tel qu'il est, si un seul être ou un seul
acte des êtres autres que lui échappait à sa science. Ajoutons que
toute nature créée n'existe que par une participation quelconque à
la perfection divine. Dieu ne se connaîtrait pas lui-même parfai-
tement s'il ne savait jusqu'à quel point sa nature se prête à cette
participation. Il ne connaîtrait pas non plus suffisamment son
être absolu, s'il ne connaissait pas tous les modes d'être des na-
tures relatives et de leurs différences qui dépendent de lui.
On cite, il est vrai, contre cette doctrine, un texte de S. Jérôme,
d'où il résulterait que la majesté divine ne s'abaisse pas jusqu'à
s'occuper de chacun des insectes qui naissent ou qui meurent;
mais il suffit de lire le contexte pour comprendre que le saint doc-
teur entend simplement dire que Dieu ne s'occupe pas de ces êtres,
qui sont si peu de chose à nos yeux, comme des hommes capables
de le connaître, et créés pour une fin surnaturelle 3. Aussi dit-il
\. Non estulla creatura invisibilis in conspectu ejus; omnia autem nuda et
aperta sunt oculis ejus. {Hehr., iv, 13.)
:2. Intellexisti cogitationes meas de longe, et funicuhim uieum investigasti.
Et omnes vias meas prœvidisti.... Ecce, Domine, tu cognovisti omnia, novis-
sima et antiqua.... Mirabilis facta est scientia tua ex me. (Af. c.wxviii, :2 et
seq.)
3. Sicut igitur in hominibus etiam per singulos, Dei currit providentia, sic
in cœteris animalibus generalem quidem dispositionem et ordinem, cursum-
que rerum intelligere possumus, v. g. quomodo nascatur piscium multitudo
et vivat in aquis. — Céeterum absurdum est ad hoc deducere Dei majeslatem
ut sciât per momenta singula, quot nascantur culices, quotve nioriuntur. Non
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 10
146 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II» PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
ailleurs que nul d'entre eux n'échappe aux soins de la providence
divine et ne périt que par la volonté de Dieu '. C'est dans le même
sens que S. Thomas explique ces paroles de l'Apôtre : « Est-ce
« que Dieu s'occupe de bœufs 2 ?» Ce n'est pas, dit S. Thomas,
que la providence de Dieu ne veille sur chacun d'eux, mais elle
ne s'en orcupe pas au point de vue du mérite ou du démérite,
pour les récompenser ou les punir 3.
Dieu ne connaît pas seulement ce que sont les choses existant en
dehors de lui, mais il sait aussi ce qui leur a manqué, leur manque
ou leur manquera éternellement. S'agit-il des êtres simplement
possibles, qui n'existeront jamais? Dieu connaît, par science de
simple intelligence, l'essence et les propriétés qui seraient les
leurs s'ils existaient; mais il sait en même temps qu'ils ne sont
pas et qu'ils ne seront jamais.
D'autres êtres n'existent pas maintenant, mais ils ont été ou ils
seront : Dieu, par la science de vision, les voit exister dans le
passé ou l'avenir; il voit en même temps qu'ils ne sont pas
actuellement et présentement.
Les êtres chimériques qui ne sont pas ni ne peuvent être, mais
qu'il est possible à l'homme d'imaginer, n'échappent pas davan-
tage à la science de Dieu : il n'ignore aucune des combinaisons
irréalisables que peut enfanter l'esprit de l'homme, ni aucune de
celles, plus nombreuses encore, que l'homme ne soupçonne même
pas. Toutes ces choses impossibles, Dieu les connaît telles qu'elles
sont, c'est-à-dire comme impossibles.
Dieu connaît aussi le mal : il le connaît comme étant la privation
de quelque bien. Il y a les biens purement naturels et les biens
moraux. La privation des biens purement naturels est une peine,
simus tam fatui adulalores Dei ut dum potentiam ejus ad ima detrahimus, in
nos ipsos injuriosi simus, eamdem rationabilium quam irrationabilium provi-
denliam esse dicentes. (S. Hieron., in cap. i Ilohac.)
\. Parva animalia et vilia absque Deo auctore non decidunt et in omnibus
est providentia, etquae in bis peritura sunt, sine Dei voluntate non pereunt.
{\V)., Comment, in cap. x Matlh.)
'i. Numquid de bobus cura est Deo? (/. Cor., ix, 9.)
3. Adquintum dicendum, quod quia creatura rationabilis habet per liberum
arbitrium dominium sui actus, ut dictum est (quîest. xix, art. ÎO), spécial!
quodam modo subditur divin» providenliae, ut scilicet ei imputetur aliquid ad
culpnm, vf'l ad meritum; et reddatur ei aliquid ut poena vel praemium. Et
quantum ad hoc. curam Dei apostolus a bobus removet; non tamen ita quod
individua irrationabilium creaturarum ad Dei providentiam non pertineant.
(S. TiioM., 1 p., q. .xxii, art. 2 ad «.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 147
quelquefois un châtiment, et Dieu connaît cette privation d'une
science d'approlDation; elle est conforme à sa volonté. La privation
du bien moral que la créature intelligente est tenue de posséder
est une faute : Dieu connaît cette faute d'une science non plus d'ap-
probation, mais de simple intelligence; car bien que la science de
Dieu soit infiniment simple en elle-même, puisqu'elle ne se distin-
gue pas de la substance divine, nous sommes obligés néanmoins
de la considérer sous divers aspects et de lui donner différents
noms, non pas à cause d'elle, mais à cause de nous.
Ainsi, sous le rapport des objets qu'elle embrasse, la science
divine est appelée science de Dieu, ou science des créatures.
Elle est appelée science de vision ou intuitive, parce que Dieu
voit toutes choses présentes, passées ou futures. Cette science est
absolument nécessaire en tant qu'elle a Dieu pour objet; elle n'est
nécessaire que conditionnellement par rapport aux créatures. La
condition de sa nécessité, c'est leur existence.
Elle est appelée science de simple intelligence, ou science
abstractive, si elle a pour objet les simples possibles, abstraction
faite de leur existence ou de leur non-existence; et cette science est
nécessaire, parce qu'il ne peut pas se faire que ces choses ne soient
pas possibles.
Elle est spéculative, si elle s'en tient simplement à la connais-
sance de la vérité sans passer à l'acte.
Elle e^i pratique, si elle a pour objet ce qui a été, qui est ou qui
doit être, et, sous ce rapport, elle est le principe dirigeant des
opérations divines concernant les créatures. Mais la science de Dieu,
qui concerne sa propre nature et ses actes internes, n'est pas appelée
science pratique, parce que son objet est nécessaire : Dieu connaît
cet objet parce qu'il existe, et cet objet n'existe pas parce qu'il le
connaît; il le connaît par la science de vision et d'approbation.
La science pratique de Dieu est la cause de l'existence de toutes
choses créées, parce que Dieu opère tout par sa puissance. Elle
concourt à leur donner l'être en guidant le choix de la volonté
divine qui les fait exister, tandis qu'elle laisse dans le néant tant
d'autres êtres possibles. Elle y concourt aussi en déterminant le
mode selon lequel elles doivent passer du non-être à l'être.
C'est, en effet, dans la science pratique de Dieu, c'est-à-dire en
Dieu considéré sous cet aspect, que se trouvent les idées d'après
lesquelles toutes les créatures existent. Il est certain que ces idées.
148 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
que ces plans d'après lesquels Dieu fait tout ce qu'il fait, existent.
Ces idées sont incréées, éternelles, immuables, invisibles. S. Paul
écrit aux Hébreux : « Nous savons que les siècles ont été formés
« par la parole de Dieu, de manière que ce qui était invisible est
« devenu visible K » Ces choses devenues visibles, que pouvaient-
elles être avant que Dieu les eût rendues visibles d'invisibles
qu'elles étaient, sinon les idées selon lesquelles elles ont été faites?
Dieu n'agit pas au hasard. Comme tout habile architecte trace son
plan avant d'entreprendre un édifice, Dieu a son plan tracé, et ce
plan comprend toute son œuvre, jusque dans les détails les plus
infimes; l'exécution de chacun de ces détails arrive en son temps,
mais le plan le contient d'abord et le règle. Ce plan est en Dieu et
n'est pas quelque chose de distinct de lui, quoique éternel comme
lui, selon que l'ont rêvé quelques hérétiques ~.
Ces idées des choses ne sont pas les choses elles-mêmes, telles
que Dieu les voit objectivement réalisées de toute éternité dans sa
pensée avant leur création, car l'idée d'un être est distincte de l'être
lui-même, qui reçoit l'existence d'après elle. Elles ne sont pas non
plus l'essence de Dieu considérée dans la participation que les
créatures ont, en quelque manière, à cette divine essence, dès lors
qu'elles existent : elles sont la pensée divine elle-même, l'idée
formelle et essentielle de Dieu considérant les créatures comme pos-
]. Intclli^Minus aptata esse sœciila verbo Dei, ut ex invisihilibus visibilia
fièrent. {I/ehr., xi, 3.)
'■2. Dicendum quod necesse est ponere in mente divina ideas. Idea enim
graece, latine forma dicitur. Unde per ideas intelligunlur formse aliquarum
rerum, pneter res ipsas exislenles. Forma autem alicujus rei praeter ipsam
existens, ad duo essepotest; vel ut sit exemplar ejus cujus dicitur forma, vel
ut sit principium cognitionis ipsius, secundum quod formée cognoscibilium
dicuntur esse in cognoscente. — Et quantum ad utrumque est necesse ponere
ideas ; quod sic patet : In omnilius enim quae non a casu generantur, necesse
est formam esse finem gcneralionis cujuscumque. Agens auteni non agit
propter formam, nisi in quantum similitudo formge est in ipso. Quod quidem
contigit dupliciter. 1° In quibusdam enim agentibus prœexistit forma rei
fiendae, secundum esse naturale, sicut in bis quae agunt per naturam, sicut
homo générât bominem, et ignis ignem. 2° In quibusdam vero, secundum
osse intelligibile; ut in bis quse agunt per intellectum; sicut similitudo domus
praeexistit in mente a^dificatoris. Et hœc potest dici idca domus; quia artifex
intendit domum assimilare formse quam mente concepit. Quia igitur mundus
non est casu factus, sed est factus a Deo por intellectum agente, ut infra pa-
lebit (qusest. xlvi, art. G), necesse est quod in mente divina sit forma, ad
simiiitudinem cujus mundus est factus. Et in hoc consistit ratio ideae.
(S. Thom., I p., q. XV, art. 1.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 149
sibles; c'est l'image, c'est le modèle d'après lequel Dieu réalise ce
qu'il lui plaît de réaliser. Ces idées appartiennent donc à la science
pratique de Dieu.
Dieu, qui a créé toutes choses avec ordre, poids et mesure, ne
pouvait pas avoir seulement une idée ou plusieurs, plus ou
moins confuses; il fallait avant de les créer, si l'on peut se servir
des expressions avant et après lorsqu'il s'agit de Dieu, qu'il
eût l'idée de chacune d'elles en particulier, pour lui assigner la
place qui lui convenait dans l'espace et dans le temps; et cette idée
était nécessairement spéciale et complète, car on ne peut admettre
rien d'imparfait, de confus, d'incomplet en Dieu ; les choses dont
ridée est en lui peuvent être imparfaites, incomplètes, désordon-
nées même, mais l'idée qu'il en a est absolument exacte; elle est
leur image ou plutôt leur prototype ; elles seront telles qu'il les
pense et il les pense telles qu'elles seront, qu'elles sont ou ont été,
avec toutes les circonstances, tous les accidents de leur existence.
Dans la réalité et si l'on considère la vérité telle qu'elle est en
Dieu, il n'y a en lui qu'une seule et unique idée. C'est par un seul
acte de son intelligence infinie qu'il conçoit toutes choses; cepen-
dant les objets auxquels cet acte infiniment simple s'applique sont
innombrables et notre intelligence, parce qu'elle n'est pas infinie
comme celle de Dieu, multiplie l'idée très simple mais infiniment
féconde de Dieu, selon la multitude des objets auxquels elle s'at-
tache. Il y a donc, pour nous, autant d'idées particulières dans
l'intelligence divine, qu'il y a d'êtres existants, passés, futurs ou
possibles. Chacun de ces êtres est connu de Dieu dans son essence
et ses accidents; Dieu en a tracé le plan; ce plan demeure en Dieu
qui le réalise au temps fixé par lui, ou qui le laisse, s'il le veut, au
nombre des êtres qui pourraient exister et qui n'existeront pas.
On a demandé par quel moyen Dieu connaît ainsi toutes choses,
lui-même d'abord, et en second lieu tous les êtres en dehors de lui,
même les possibles qui ne seront jamais. Les théologiens ont sur-
tout longuement discuté sur la connaissance des futurs conditionnels
et contingents. Nous n'entrerons pas dans ces discussions infinies
et sans solution pratique. Dieu se connaît en lui-même et il n'a
besoin d'aucun moyen intermédiaire pour cette connaissance. Il
connaît les autres êtres parce qu'il connaît les idées de ces êtres,
idées que son intelligence infinie possède de toute éternité. Il les
connaît encore parce qu'il a résolu de leur donner l'existence au
150 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
temps voulu, et dans les circonstances qu'il sait. Il les connaît
parce que tout est présent à son éternité et que rien de ce qui est,
a été ou sera, ne cesse d'être à nu et à découvert devant ses yeux. II
les connaît dans leur essence, dans leur matière, dans leurs acci-
dents, et s'il s'agit d'actes, dans toutes leurs circonstances, leurs
causes et leurs effets. Il les connaît tels qu'ils ont été, qu'ils sont
ou qu'ils seront : les faits ou les êtres nécessaires, comme néces-
saires; les faits ou les êtres conditionnels ou contingents, comme
conditionnels et contingents. Vouloir pénétrer plus avant, c'est
s'exposer à l'erreur : le mieux est de prendre Dieu tel qu'il est,
de reconnaître simplement son éternité à laquelle tout ce qui
est le temps pour nous est actuellement présent, infiniment
mieux que ce que nous appelons présent ne l'est à notre égard,
puisque ce présent ne consiste, pour la créature, qu'en un point
insaisissable. C'est ce que les théologiens des siècles passés ont
peut-être trop oublié dans leurs discussions sur ces sujets obs-
curs ; la philosophie des anciens, dans laquelle S. Thomas a
puisé tant de lumières, n'a pas été aussi féconde en heureux fruits
pour tous. Nous renvoyons donc ceux qui voudraient étudiera fond
ces sujets peu pratiques, aux théologiens des xvii' et xviii^ siècles.
Qu'il nous suffise ici de nous écrier avec S. Paul : « 0 altitudo!
« 0 profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu !
« Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impéné-
< trahies! Puisque c'est de lui, et par lui et en lui que sont toutes
« choses : à lui la gloire dans tous les siècles des siècles. Amen '. »
On a demandé encore si la science de Dieu est la cause des
choses qui existent?
La science de Dieu est la cause de tout ce qui existe endehorsde
lui, en ce sens qu'elle dirige, si l'on peut ainsi parler, l'action
créatrice de Dieu. Elle en est même la cause efficiente, non pas
précisément en qualité de science, mais parce qu'elle s'adjoint à la
volonté qui agit et que c'est elle qui détermine ses actes. La Sainte
Écriture ne nous permet pas de douter que Dieu n'agisse d'après
les lumières de son intelligence infinie, d'après sa sagesse ou sa
science. Le Psalmiste dit à Dieu : «Combien sont magnifiques vos
{. 0 altitudo divitiarum sapientise et scientiae Dei ! Quam incomprehensi-
bilia sunt judicia ejus et investigabiles viœ ejus !.... Quoniam ex ipso, et
per ipsum et in ipso sunt omnia. Ipsi gloria in saecula. Amen. (Rom,, xi,
33, 30.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 151
« œuvres, Seigneur! Vous avez fait toutes choses avec sagesse *. »
Ailleurs il dit encore : « Glorifiez le Seigneur.... qui a fait les cieux
avec intelligence -. » Ne serait ce pas d'ailleurs faire l'injure la plus
grossière à Dieu, dont l'intelligence est infiniment parfaite, de sup-
poser que, voulant agir, il Ta lait aveuglément et sans se rendre
compte de ses actes? On lit au livre des Proverbes: « Le Seigneur,
« par la sagesse, a fondé la terre : il a affermi les cieux par la
« prudence. Par sa sagesse ont paru tout à coup les abîmes, et les
« nuées se chargent de rosée ^. » S. Jean dit que toutes choses
ont été faites par le Verbe : Omniaper ipsum facta sunt '*. Or le
Verbe dont il parle est le Fils de Dieu, la science ou la sagesse
incréée de Dieu, égal en tout au Père. Et S. Paul nous représente le
Fils de Dieu, gloire et empreinte de sa substance, soutenant toutes
choses par la puissance de sa parole ^. Ces textes de la Sainte Écri-
ture, et beaucoup d'autres analogues, indiquent clairement que la
sagesse, la science de Dieu, a une grande part dans ses œuvres.
Elle éclaire et dirige les actes divins, mais elle fait plus : les expres-
sions fonder, affermir, soutenir, ne révèlent pas seulement une
simple direction, mais aussi une action efficace par elle-même.
Les Pères et les docteurs reconnaissent à la science de Dieu la
même action efficace. C'est ainsi que S. Augustin dit, dans le
traité sur la Trinité : « Dieu ne connaît pas toutes les créatures,
« soit spirituelles, soit corporelles, parce qu'elles sont, mais elles
« sont parce qu'il les connaît ^. » Il dit dans la Cité de Dieu : « Ce
« monde ne nous serait pas connu s'il n'était pas ; mais s'il n'était
« pas connu de Dieu, il ne pourrait pas être '. » La science de Dieu
ne ressemble donc pas à la nôtre, dont les objets existent indépen-
damment d'elle; mais elle cause l'existence de son objet qui sans
1. Quam magnificata sunt opéra tua, Domine! Omnia in sapientia fecisti.
(Ps. cm, 3.)
2. Confitemini Domino.... qui fecit cœlos in intellectu. {Ps. cxxxv.)
3. Dominus sapientia fundavit terram, stabilivit cœlos prudentia. [Prov.,
m, 19.)
4. Omnia par ipsum facta sunt : et sine ipso factum est nihil quod factum
est. {Joann., i, 4.)
5. Qui cum sit splendor gloriae et figura substantiae ejus, portansque omnia
verbo virtutis suae. {Ilebr., i, 3.)
6. Universas creaturas et spirituales et corporales, non quia sunt ideo novit
Deus, sed ideo sunt quia novit. (S. Al'gl'st., lib. XV' de Trin., cap. xu.)
7. Iste mundus nobis notus esse non posset nisi esset. Deoautcinnisi notus
esset, esse non posset. (Id., de Civil. JJei, lib. II, cap. x.)
155 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
elle ne serait pas. S. Grégoire exprime la même pensée lorsqu'il
dit : a Toutes les choses qui sont ne sont pas vuesde Dieu de toute
« éternité, parce qu'elles sont, mais elles sont parce qu'il les voit i. »
Il faut bien qu'il en soit ainsi, puisque Dieu est tout acte et qu'il
est aussi tout intelligence. Comment pourrait-il être tout à la fois
agissant et étranger à son action?
Nous dirons donc, en résumant la doctrine de Suarez, que la
science de Dieu est en même temps spéculative et pratique. Elle
est spéculative ou de simple intelligence, ou de vision en ce sens
que Dieu connaît toutes les natures et les propriétés des êtres sus-
ceptibles de recevoir l'existence. Elle e^i pratique parce que Dieu
connaît par elle tous les moyens de donner l'existence aux êtres
qu'il veut créer ; c'est elle, si l'on peut ainsi parler, qui dirige son
action. Elle est pratique encore, parce que Dieu opère tout, non
seulement d'après les lumières de sa sagesse, mais par sa sagesse;
car la sagesse de Dieu se confond avec le Verbe éternel, par le-
quel tout a été fait, et sans lequel rien n'a été créé de ce qui a été
créé.
Telles sont les principales notions qu'il est bon de connaître tou-
chant la science de Dieu. Ajoutons cependant encore que la science
de Dieu pour laquelle tout est présent, aussi bien l'avenir que le
passé, n'enlève rien à la liberté des hommes; Dieu sait, ou, si l'on
préfère, il voit éternellement ce que chacun de nous a été ou sera,
ce qu'il a fait et ce qu'il fera dans le temps et dans l'éternité, car
tout est à nu et à découvert devant ses yeux, mais la vue qu'il a
de nos actes n'enchaîne pas plus notre liberté, que celle que nous
avons du vol léger de l'hirondelle ne met obstacle à ses caprices.
Nous agissons librement, et Dieu le voit. Nous faisons librement le
bien, et Dieu l'approuve. Nous faisons librement le mal, et Dieu le
condamne. Le bien ou le mal que nous faisons librement. Dieu le ré-
compense ou le punit, selon sa miséricorde et sa justice. Mais sa
science n'influe pas sur nos résolutions, sinon en ce sens que sa
miséricorde infinie en profite pour nous préparer des grâces
plus abondantes selon nos besoins, et écarter de nous mille dan-
gers.
« A vous donc, s'écrie Lessius, à vous, ô plénitude de lumière,
« plénitude de vérité, sagesse infinie de Dieu, à vous honneur et
i. <juœ(|uae sunt, non ab aeternitale ejus ideo videnlur quia sunt; sed ideo
sunlcpua videnlur. (S. Gregor., Moral., lib. XX, cap. xxiii.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.C. 153
« gloire, de la part de toutes les créatures et au-dessus de toutes
« les créatures, en vous-même qui êtes la connaissance claire et
« consommée de l'excellence divine. Il est vrai, Dieu tout-puissant,
« vous faites jusqu'à un certain point éclater votre excellence dans
« les entendements des anges et des saints, et dans cet éclat, il
a faut l'avouer, votre gloire laisse percer quelque rayon ; mais elle
« resplendit infiniment plus dans votre sagesse, comme une lu-
« mière infinie brille infiniment plus qu'une petite étincelle.
« Que là donc, dans son inaccessible hauteur, votre sagesse
« vous soit une louange infinie, ô Dieu, et qu'elle se glorifie ainsi
« infiniment elle-même ! Que toute créature se réjouisse avec elle,
« et la félicite, la loue, la bénisse et la glorifie. Sans doute vous
« n'avez pas besoin de notre gloire et de nos louanges; une étin-
« celle n'ajoute rien à une clarté infinie; mais nous y trouvons
« notre avantage : car vous connaître et vous louer est notre sou-
« verain bien et la vie éternelle '. »
II.
VOLONTÉ ET AMOUR DE l'ÊTRE DIVIX DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE.
— SOX DOUBLE OBJET
Lorsque nous parlons de Dieu et des choses divines, nous nous
servons 'nécessairement des expressions qui, dans l'usage ordi-
naire, ont le plus de rapport avec une matière inexprimable par
elle-même. On se tromperait donc si, lorsque nous parlons, par
exemple, de la volonté de Dieu et de son libre arbitre, on donnait
exactement à ces mots la signification qui leur est propre lorsqu'il
s'agit des facultés humaines. Néanmoins, il faut bien en user,
puisqu'il n'en est pas d'autres qui puissent nous donner une idée
plus exacte de ce qui est en Dieu ~.
Il est de foi que Dieu a une volonté, une volonté très parfaite,
une volonté libre. Toute la Sainte Écriture proclame que Dieu fait
ce qu'il veut. Il n'agit aucunement poussé par la nécessité; et ce
qu'il accomplit, rien ne l'oblige à le faire. David le proclame lors-
1. Lessius, Élévations à Dieu, ch. vi (extraites du grand traité des Perfec-
tions divines) ; traduction du R. P. Bouix.
"i. Sunt enim intelliiribilium rerum imagines ea quie sunl manifcstiora, et
ad eorum, quœ sunt supra nos comprehensionem, ea quaî in nohis sunt nos
velut manu deducunt. (S. Cyiull. Ai.ex., lib. 1 in Joann., cap. x.)
154 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
qu'il dit : « Le Seigneur a fait tout ce qu'il a voulu, au ciel, sur la
« terre, dans la mer et dans tous les abîmes ^. » S. Paul n'est pas
moins explicite dans l'Épître aux Romains : « Donc il a compassion
€ de qui il veut, et il endurcit qui il veut -, » dit-il ; et S. Jacques
dit de même dans son Épître canonique : « C'est volontairement
« qu'il nous a enfantés par la parole de la vérité 3. »
Mais les faits prouvent plus efficacement encore que les paroles,
et la Sainte Écriture nous en présente plusieurs qui manifestent,
avec évidence, la volonté libre de Dieu, Par exemple, elle nous
montre en cent passages, qu'il est inutile de rapporter, que l'homme
peut agir selon la justice, ou s'abandonner au mal s'il le veut : il
est libre de choisir la voie dans laquelle il s'engage. D'autre part,
elle nous montre aussi Dieu se posant en juge et en rémunérateur
de toutes les œuvres des hommes; il rendra à chacun selon ses
mérites. La liberté de l'homme pour agir bien ou mal suppose
nécessairement la liberté de Dieu qui doit le récompenser ou le
punir, puisqu'il ne le fera avec justice qu'autant qu'il lui sera
possible d'accommoder ses actes aux mérites et aux démérites des
hommes. Ceux-ci étant libres, il faut nécessairement que Dieu le
soit aussi. Nous lisons dans le prophète Isaïe : « Si vous le voulez,
« si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre. Que si
« vous ne le voulez pas, si vous me provoquez à la colère, le glaive
« vous dévorera *. » Dieu se déclare donc prêt à régler sa conduite
d'après celle des Israélites; selon qu'ils agiront, il agira à son
tour. Il était donc libre éternellement de préparer, pour ceux à
qui il parlait ainsi, des biens ou des maux, selon qu'il leur plairait
d'agir. La guérison du roi Ézéchias, la préservation delà ville de
Ninive et mille autres faits prouvent avec évidence que Dieu n'est
pas nécessité dans ses actes, qu'il a une volonté libre et qu'il agit
comme il lui plaît.
La puissance de la prière auprès de lui n'est-elle pas une preuve
plus à portée encore de chacun de nous, et d'une expérience de
tous les jours? Comment Dieu nous exaucerait-il s'il n'avait pas
une volonté parfaite dont le premier caractère est nécessairement
i. Omnia quœcumque voluit Dominus fecit, in cœlo et in terra; in mari et
in omnibus abyssis. (As. cxxxiv.)
2. Ergo cujus vult miseretur, et quem vult indurat. lI{om., ix, 18.)
3. Volunlarie genuit nos verbo veritatis. {Jacob., i, 18.)
4. Si voluerilis, et audieritis me, bona terrae comedetis. Quod si nolueritis,
et me ad iracundiarn provocaveritis, gladius devorabit vos. (/s., i, 19.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 155
la liberté? Or, personne ne peut nier l'utilité, l'efficacité de la
prière, à moins de prétendre que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-
même nous a indignement trompés, lorsque, si souvent dans le
cours de sa vie mortelle, il nous a pressés de prier. « Il faut tou-
jours prier, nous dit-il, et ne jamais cesser de le faire ^. » Mais
à quoi bon si Dieu n'était pas libre, s'il n'était que l'exécuteur des
décrets d'un destin irrévocable? Et comment sa libéralité, sa bonté,
sa miséricorde, s'accommoderaient-elles de l'obligation d'être sourd
à toutes nos supplications, sans pitié pour nos maux ni pour notre
repentir?
D'ailleurs Dieu est, par sa nature même, l'intelligence suprême,
la raison infinie, la sagesse sans bornes. « Or, dit S. Honoré d'Au-
« tun, partout où est la raison, là aussi se trouve la liberté de vou-
« loir et de ne vouloir pas -. » Si Dieu n'avait pas lui-même une
volonté libre, qui donc aurait donné cette liberté aux hommes?
L'Être souverainement intelligent serait inférieur sous ce rapport
à ses créatures, et nous pourrions dire à Dieu : Nous sommes plus
parfaits que vous ; nous avons une volonté libre, et vous, vous êtes
esclave de la nécessité; vous n'avez ni volonté ni liberté!
Cependant, d'après S. Jean Damascène, si Dieu fait acte de
volonté, on ne peut pas dire à proprement parler qu'il y ait élec-
tion ou choix, parce qu'il n'y a pas de consultation, de délibération.
Une telle délibération supposerait une ignorance qui n'existe pas
en Dieu. Dieu sait tout; il n'a pas besoin de consulter, de tenir
conseil 3. Mais de ce qu'il n'y a pas en Dieu cette hésitation fille
de l'ignorance, qu'on trouve chez les hommes, il n'en est pas moins
libre de choisir entre deux actes, et il n'en fait pas moins librement
et volontairement ce qu'il fait. « lia, dit S. Épiphanc, la puissance
« de faire ce qu'il veut, et il fait ce qui convient à sa divinité *. »
Et S. Augustin ajoute : « Il aurait pu ressusciter Judas, comme il
« a ressuscité Lazare, mais il ne l'a pas voulu ^.... C'est que, dit-
1. Oportet senti per orare et nunquam deficere. {Luc, xviii, l.)
2. Quibus inest ratio, inest etiam volendi nolendique libertas. (S. Honor.
AUGL'STOD., lib. de Prxdest. et lib. arhitr.)
'•S. Deus non consultât. Est enim ignorantiœ proprium consultare. Quod si
ignorantiae est consilium, erit etiam electio. Itaque Deus qui simpliciteromnia
novit, non consultât. (S. Joann. Damasc, lib. II, cap. xxii.)
4. Deus potens est ut quod vult faciat : verum facit illa quœ divinitati suse
congruunt. (S. Epiph., Ilxr.^ Lxx, n. 7.)
î). Potuit Judam suscitare uli Lazarum suscitnvit, scd noluit. (S. August.,
lib. de S'ahira et gratta, cap. vu.)
156 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. IV.
« il ailleurs, il n'est pas soumis à la nécessité, mais ce qu'il fait,
« il l'exécute en vertu de sa souveraine et ineffable volonté, par le
€ moyen de sa puissance ^
Les œuvres de Dieu prouvent aussi la liberté de sa volonté sainte;
Dieu n'a pas créé le monde de toute éternité, mais seulement lors-
qu'il l'a voulu ; il n'a pas non plus créé plusieurs mondes, parce
qu'il lui a plu de n'en créer qu'un seul. Il ne tenait qu'à lui d'en
tirer du néant une multitude d'autres plus grands et plus parfaits
encore. Qui pourrait en douter? demande S. Ambroise. Qu'y a-t-il
de difficile pour qui vouloir et faire sont une seule et même
chose ■-? Le saint docteur ne s'arrête pas là ; dans son traité sur
la foi, il prouve que le Fils et le Saint-Esprit ont une volonté
libre aussi bien que le Père, ce que les Ariens ne voulaient pas
admettre, de peur d'être obligés de conclure que les trois ado-
rables personnes de la Sainte Trinité sont égales en toutes
choses. « \'otre impiété en est arrivée à ce comble, leur disait-il,
« que vous refusez d'admettre dans le Fils de Dieu une volonté
« libre. Vous dites même habituellement que le Saint-Esprit
« n'en a point davantage. Cependant vous ne pouvez pas nier
« qu'il soit écrit : L'Esprit souffle où il veut. Si donc l'Esprit
« souflle où il veut, le Fils ne fera-t-il pas de même ce qu'il
« veut 3? » Il cite ensuite ces paroles de l'Apôtre : « Un seul et
« même P^sprit opère toutes choses, partageant ses dons entre
« chacun comme il veut ^ ; » et il explique : « Comme il veut,
« c'est-à-dire au gré de sa volonté libre, et non par nécessité ni
« obéissance ^. » S. Ambroise met donc ici la volonté libre en op-
position avec la nécessité, et il conclut des paroles de l'Apôtre que
le libre arbitre de la volonté divine consiste en ce point que
1. Quia nuUain necessilatem patilur, nequc necessitalc facil, quae facit, sed
suinma et inellaljili volunlale ac potestale. (Id., lib. de Fide contra Manich.,
cap. x.wiii.)
2. De Crcalore (Jubilant utrum plures cœlos facere potuerit de quo scrip-
lum est : Dominus outem cœlos fecil. Et alibi : Omnia (jusecumquevoluit fecit.
Quid enim difficile ei cui velle fecisse est? (S. Ambrus., llexamer., cap. ii.)
3. In tantum processistis inipietatis, ut negetis quod I-'ilius Dei liberse vo-
lunlalis sit. At certe soletis etiam sancto Spiritui derogare, et negare non
potestis scriptum esse : Spiritus ubi vult xpirat. Ergo si Spiritus ubi vult
•spirat, Filius quod vult, non agit? (S. Ambros., lib. de Fide, cap. m.)
4. Omnia operatur unus atque idem Spiritus, dividens singulis, prout vult.
(/.Cor., xii, \\.)
5. Prout vull, inquit, hoc estpro liberae voluntatis arbitrio, non pro necessi-
tatis obsequio. (S. Ambros., lib. de Fide, caj). xii.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 157
cette sainte volonté agit sans qu'aucune nécessité lui impose l'ac-
tion; le Saint-Esprit souffle ici ou là, comme il lui plaît de le faire.
Le saint docteur montre ensuite qu'une volonté semblable est le
partage du Père et du Fils, en s'appuyant sur ces paroles de Notre-
Seigneur : « Le Père vivifie ceux qu'il veut et le Fils vivifie ceux
qu'il veut i. »
Ces quelques textes, qu'il serait aisé de multiplier, font assez
voir que la Sainte Écriture et les Pères de l'Église ont toujours
admis une volonté libre en Dieu. Et comment ne l'auraient-ils pas
reconnue, puisque la volonté libre est une perfection nécessaire de
tout être intelligent? Or, Dieu est l'être intelligent par excellence;
il est l'intelligence même, l'intelligence infiniment parfaite. Tout
être, dit S. Thomas, tend vers sa perfection et sa conservation, cha-
cun selon son mode. Les animaux sont dirigés vers ce but parleur
appétit sensible ; les êtres qui ne possèdent pas l'usage des sens,
par une inclination naturelle quelconque; les êtres intelligents ont,
pour y atteindre, la volonté libre, c'est-à-dire une inclination vers
le bien que l'intelligence leur propose, un appétit du bien éclairé
par la raison. Lorsque ces divers êtres ont atteint le but que tous
recherchent, ils y trouvent le bonheur et la paix dont ils sont sus-
ceptibles. Cette perfection, qui se retrouve dans tous les êtres,
pourrait-elle ne pas exister chez l'être par excellence, chez celui
qui l'a donnée à tous les autres?
Il faut dire cependant qu'il y a en Dieu, plutôt l'acte de vouloir
que la volonté proprement dite, ou, si l'on veut, que la volonté de
Dieu est toujours en acte, qu'elle est un acte unique infiniment
simple, embrassant éternellement et tout à la fois tous ses objets ;
car lorsqu'il s'agit de Dieu, on doit toujours en revenir à l'unité
et à la simplicité absolue qui est son essence, dont tous ses attri-
buts ne sont distincts que virtuellement et par rapport à nous.
Le premier objet de la volonté de Dieu est cette même essence
divine. A cet objet, la volonté de Dieu est attachée nécessairement
par l'amour. Dieu ne peut pas ne pas se vouloir, et il ne peut
pas ne pas s'aimer. L'objet de la volonté c'est le bien : or, vers
quel bien peut se porter d'abord la volonté de Dieu, sinon vers
le bien infini qui n'est autre que lui-même? La volonté de
Dieu se portera donc tout d'abord, avec une force infinie, vers
1. Pater quos vull vivificat, et Filius qiios vult vivificat. [Joann., v, ;2I,)
158 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
ce bien qui est lui ; elle l'aimera, parce que c'est le bien infini-
ment aimable, et S. Thomas dit que cet amour est une nécessité
absolue pour Dieu. Il veut nécessairement sa bonté, la perfection
infinie de son être, comme notre volonté veut nécessairement pour
nous la béatitude. Il est vrai que nous nous trompons trop souvent
et que nous considérons comme un bien pour nous ce qui ne l'est
pas; mais, en Dieu, il n'y a pas d'erreur possible. C'est lui-même
qu'il veut et qu'il aime, en voulant et en aimant le souverain bien,
la souveraine bonté. On peut donc dire que l'acte de volonté par
lequel Dieu se veut est nécessaire : il ne serait pas Dieu s'il n'ai-
mait pas le bien infiniment digne d'amour, dont il connaît toute
la perfection, toute l'amabilité. Et s'il aime ce bien, il le veut,
nécessairement quoique librement, car rien d'étranger ne pèse sur
sa volonté, rien ne lui impose un joug quelconque. Il est à lui-
même sa loi, sa liberté, sa nécessité, et tout se confond en ce point
unique, sa volonté, qui, à son tour, n'est pas autre que son être
divin.
Mais la volonté de Dieu ne s'arrête pas à lui seul uniquement. Elle
peut avoir un objet secondaire. C'est une vérité de foi, carsouvent il
est parlé dans les Saintes Lettres de la volonté de Dieu touchant les
créatures. On lit dans le livre de la Sagesse : « Gomment quelque
« chose pourrait-il subsister, si vous ne l'aviez voulu *? » Et dans
S. Matthieu, Noire-Seigneur Jésus-Christ, s'adressant à son Père cé-
leste, lui dit: ff Non pas comme je veux, mais comme vous voulez -. »
Il est dit dans le livre des Psaumes : « Dieu a fait tout ce qu'il a
« voulu 3. » Dieu veut donc ce qu'il fait. Il est dit encore dans la
Genèse qu'après la création, il vit que ses œuvres étaient bonnes,
par conséquent dignes d'être aimées, donc il peut les vouloir. C'est
en elles-mêmes qu'il les considère, qu'il les trouve bonnes et
dignes d'être voulues de lui; ce n'est pas seulement parce qu'elles
existent éternellement dans son intelligence^ mais parce qu'elles
ont un être qui leur est propre et qu'elles sont en elles-mêmes. Ce
n'est donc pas uniquement lui-même que Dieu veut et aime en
elles, mais il les veut et les aime elles-mêmes pour ce qu'elles
sont. Il veut qu'elles soient faites, qu'elles existent, et non pas
seulement en lui dans sa pensée, mais en elles-mêmes. Et c'est en
\. Quomodo posset aliquid permanere, nisi voluisset? {Sap., xi, 2G.)
2. .Non sicut ego volo, sed sicut tu. {Malth., xxvi, 39.)
3. Omiiia qnaocumque voluit fecit. (/^s.- cxiii, 3.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 159
ce sens que S. Thomas dit que Dieu aime toutes les choses exis-
tantes, car la volonté de Dieu ne peut produire que la bonté, et
c'est par la volonté de Dieu qu'elles existent i. Dieu aime donc en
elles la bonté créée. S. Paul écrit aux fidèles de Thessalonique :
« Votre sanctification, voilà la volonté de Dieu -. » Or, la sanctifi-
cation est quelque chose de créé que Dieu veut. Et S. Jean n'hésite
pas à dire : « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a livré son
« Fils unique ^ » pour lui.
S. Thomas dit encore que Dieu veut l'existence d'autres êtres
qui ne sont pas lui, dans le but de se communiquer à eux, autant
qu'il est possible ; non pas que l'intention de Dieu soit de se com-
muniquer à ses créatures de toutes les manières possibles, maison
quelqu'une de celles qui le sont, dans une mesure qui ne dépasse
pas la capacité d'un être fini ; car Dieu ne peut ni ne veut se com-
muniquer aux créatures jusqu'à l'infini.
Pour Dieu, vouloir c'est aimer. 11 s'aime donc lui-même d'un
amour infini, et il aime ses créatures à cause de lui-même et du
bien qu'il a mis en elles.
L'amour de Dieu pour les créatures et pour l'homme en par-
ticulier est un amour de bienveillance. Nous ne pouvons rien
ajouter ni à son bonheur ni à sa gloire; il n'attend rien de
nous pour lui-même; mais il nous veut du bien. Il veut ce bien
à cause de lui-même d'abord, parce qu'il est bon et que sa bonté
s'exerce ainsi : la fin ultime de tous ses actes ne peut être que
lui, parce que lui seul en est digne. Mais il nous veut aussi du
bien à cause de la bonté que son regard découvre en nous, bonté
qu'il y a mise et qui lui plaît, parce qu'elle vient d3 lui et qu'elle
rappelle quelque chose de sa bonté essentielle et suprême. Les
créatures qui sont privées de l'intelligence et de la raison ne peu-
vent pas rendre à Dieu l'amour qu'il leur porte : mais les anges et
les hommes le peuvent dans une certaine mesure, et leur premier
devoir, le plus grand de tous, est d'aimer le Seigneur leur Dieu de
tout leur cœur, de tout leur esprit et de toutes leurs forces.
Le propre de l'amour est de se réjouir du bien de ceux qu'on
1. Deus amat omnia existentia, nam omnia existcntia in quantum sunt
bona sunt, et voluntas Dei est causa bonitatis in rebus. (S. TiiOM., I p., q. xx,
art. 2.)
2. Hase est voluntas Dei sanctificatio vestra. (Thess., iv, 3.)
3. Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum dareX. {Joann.,
111,16.)
160 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
aime : le bien que Dieu fait à ses créatures et qu'il reconnaît en
elles lui cause donc une véritable joie, surtout le bien spirituel des
créatures raisonnables, car c'est le seul qui soit tout à fait digne de
cette appellation.
Si donc il arrive qu'une personne aimée de Dieu soit privée de
cette sorte de bien, Dieu éprouvera le désir qu'elle en soit enrichie;
pour lui-même il ne peut rien désirer, puisqu'il est impossible
qu'il manque de quelque chose ; mais il peut désirer pour ses
créatures auxquelles, hélas ! tant de choses manquent si souvent.
C'est ainsi que Dieu veut, ou désire que tous les hommes soient
sauvés ^. Mais si ce désir ne s'accomplit pas, il n'en résulte aucun
trouble pour Dieu et son bonheur infini n'en reçoit pas d'atteinte,
parce que les causes pour lesquelles il n'est pas accompli sont aussi
connues de lui, qu'elles sont dignes de son infinie perfection et
qu'il les approuve.
L'amour de Dieu pour le bien suprême qui est lui-même, et pour
le bien relatif qu'il trouve dans les créatures, suppose nécessaire-
ment la haine du mal. Quelques théologiens disent que la nature
divine ne saurait admettre la haine, et ils s'appuient sur un pas-
sage de la Somme contre les Gentils de S. Thomas, où il est dit
que Dieu n'a de haine pour rien -. Mais il semble bien que le
Docteur angélique ait voulu dire tout simplement que Dieu n'a de
haine pour aucune de ses créatures considéréesdansleur être, selon
la parole du livre de la Sagesse : « Vous aimez toutes les choses
< qui sont, et vous ne haïssez aucune de celles que vous avez
« créées 3. » Dieu ne hait rien de ce qu'il a fait, mais le péché est
quelque chose qu'il n'a pas fait et qu'il ne peut ni faire ni vouloir :
il peut donc le haïr et, de fait, il le hait. C'est en ce sens que,
d'après S. Thomas, il faut entendre les textes de l'Écriture où il
est dit que Dieu poursuit de sa haine l'impie et son iniquité. Dans
le pécheur, ce n'est pas l'homme qui déplaît à Dieu; au contraire,
la nature humaine qu'il voit en lui ne cesse pas d'être l'objet de
ses complaisances, mais c'est le péché qui souille l'homme. De
même que la grâce rend agréables à Dieu ceux qui en sont revêtus,
le péché attire sa haine sur ceux qui en sont chargés ; il se dé-
tourne d'eux en quelque sorte, et il les fuit.
1. Deus vult oinnes homines salvos fieri. (/. Tim., ii, 4.)
2. S. Thom., Summa contra Génies, cap. xcvi.
3. Diligis omnia qu8e sunt, et nihil odisti eorum quae fecisti. [Sap.^ xi, 25.)'
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 161
Mais Dieu s'affligera-t-il des maux qui surviennent à ses amis?
Si ces maux sont des châtiments ou des souffrances quelconques.
Dieu ne peut pas s'en affliger, parce qu'ils n'arrivent que par sa
volonté ou avec sa permission expresse : ils ont pour but un bien
plus grand pour ceux qui les endurent. Il n'y a donc pas lieu que
Dieu s'en afflige. Si au contraire il s'agit d'un mal moral, d'une
faute, celui qui commet cette faute perd, en s'y laissant aller, ses
titres à l'amitié de Dieu, ou du moins il les affaiblit. Dieu haïra en
lui la faute commise. Si elle est légère et par là même facile à
réparer, il n'aura pas sujet de s'en affliger; si elle est grave, le
pécheur aura cessé d'être aimé de lui; il aura pris rang parmi ses
ennemis, et il ne sera plus digne que l'on s'attriste de son sort.
Il ne s'affligera pas davantage du péché lui-même. L'homme
peut s'attrister des injures qui lui viennent d'ailleurs, parce
qu'il a besoin de l'estime, du respect de ses semblables; quel-
quefois même il pousse beaucoup trop loin l'importance qu'il
attache à ces sortes de choses. Mais Dieu n'éprouve aucun besoin
des biens qui sont en dehors de lui. S'il tient aux honneurs que
lui rendent les hommes, à leur obéissance, c'est pour leur bien et
nullement pour l'avantage qu'il en retire, mais le péché en lui-
même ne le touche pas, ne l'afflige pas. La tristesse est d'ailleurs
un mal incompatible avec la béatitude infinie, attribut essentiel de
la nature divine, qui est le bien absolu; elle ne peut donc pas se
trouver en Dieu, dont elle serai t la négation . Toutes les fois donc qu'il
est dit, dans la Sainte Écriture, que Dieu a été attristé, qu'il a
éprouvé du regret, il faut prendre ces expressions au sens méta-
phorique. Sans doute le péché lui déplaît; mais il ne va pas jusqu'à
produire en lui des sentiments de tristesse ou de repentir.
On a demandé si la volonté divine s'exerce aussi sur les possi-
bles. On peut dire que oui, si l'on entend que c'est par la volonté
de Dieu que les possibles n'arrivent pas jusqu'à l'existence réelle;
mais il faut reconnaître alors que la volonté de Dieu à leur égard
est purement négative.
On a demandé encore si Dieu veut librement ou nécessairement
l'existence des créatures. Il ne la veut pas nécessairement, d'une
manière absolue, car rien ni personne ne peut imposer de néces-
sité à Dieu, autre que celle qui ressort de son essence même ; mais
il la veut nécessairement en ce sens qu'étant donnée cette existence,
il ne peut pas rétracter l'acte éternel, immuable, en vertu duquel
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. H
16â LA SAINTE EUCHARISTIE. — iT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
elles existent. Ce que Dieu a voulu une fois, pour parler selon notre
manière de concevoir les choses divines, il le veut toujours, et il
ne peut pas ne pas le vouloir. Il faut donc admettre tout à la fois que
la volonté de Dieu concernant l'existence des créatures est libre et
que, cependant, elle ne l'est pas. Cent passages de la Sainte Écriture
disent clairement la liberté de la volonté divine, mais d'autre part,
nous savons que cette adorable volonté, même lorsqu'elle se fait
connaître sous forme conditionnelle, est immuable. Gomment com-
prendre qu'il en soit ainsi ? C'est encore le cas de s'écrier avec
S. Paul : 0 aUiiudo ! 0 profondeur !
La volonté de Dieu ne pose ou plutôt n'est qu'un acte unique,
infiniment simple en lui-même; mais cet acte est multiple dans
ses manifestations à l'endroit des créatures, et nous sommes obli-
gés, pour concevoir quelque chose de son efficacité infinie, de com-
parer ses manifestations aux actes de la volonté humaine.
Entre les actes de la volonté humaine, il en est qui se rattachent
aux vertus morales dépendantes de la volonté, telles que la justice,
la miséricorde, la libéralité, la charité. Il n'est pas nécessaire d'in-
sister pour faire admettre que ces sortes d'actes peuvent être
attribués à la volonté divine, en excluant toutefois ce qu'il pour-
rait se trouver d'imperfection en eux.
Les théologiens distinguent en Dieu la volonté de signe et celle
de bon plaisir, la volonté antécédente et la volonté conséquente.
Ce qu'on nomme la volonté de signe n'est pas, à proprement
parler, la volonté elle-même, mais simplement la manifestation de
la volonté. C'est dans ce sens que le Psalmiste disait : « Il a fait
« connaître ses voies à Moïse, et ses volontés aux fils d'Israël ^. »
Ses volontés ici sont évidemment ses préceptes, l'expression de ses
volontés. Cette expression se manifeste par le précepte, la prohi-
bition, le conseil, la permission, l'opération. Ce n'est donc que par
métaphore que la volonté de signe est appelée volonté. Elle ne
marque pas que Dieu veille, d'une manière absolue, ce qui est
signifié, mais seulement qu'il a voulu le signifier, et faire aux
hommes un devoir de l'accomplir; aussi permet-il à la liberté
humaine de passer outre, se réservant d'agir ensuite selon sa
justice, envers les prévaricateurs.
La volonté de bon plaisir est la volonté réelle de Dieu telle qu'elle
1. Notas fecit vias suas Moysi, filiis Israël voluntates suas. {Ps. en, 7.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 163
existe en lui; c'est toute sa volonté concernant les êtres créés; tout
ce que Dieu veut en dehors de lui se rattache à sa volonté de bon
plaisir. C'est dans ce sens que Notre-Seigneur Jésus-Christ disait à
son Père : « Oui, mon Père (je vous rends grâces), parce qu'il vous
« a plu ainsi i. » Il s'agissait de la volonté de Dieu d'éclairer les
uns et d'aveugler les autres, ou pour parler exactement, de les lais-
ser dans l'obscurité.
On explique de différentes manières ce qu'il faut entendre par
volonté antécédente et par volonté conséquente. D'après S. Thomas,
la volonté antécédente ne serait pas une véritable volonté, mais
mériterait plutôt le nom de velléité, tandis que le nom de volonté
conséquente con\'iendra\t à la volonté réellement efficace qui obtient
toujours son accomplissement. La première serait appelée antécé-
dente, parce qu'elle aurait pour objet un bien considéré en lui-
même, à l'exclusion des circonstances particulières qui devraient
accompagner ou amener ce bien. La volonté conséquente, au con-
traire, voudrait, avec ce bien, toutes les circonstances, toutes les
causes particulières qui en assureront l'existence.
Quoi qu'il en soit des diverses explications mises en avant par
les docteurs et les théologiens, deux vérités demeurent toujours
qui paraissent inconciliables à notre intelligence bornée, et qu'il est
néanmoins impossible de ne pas accepter, car leur certitude est
également hors de toute atteinte : la première, que la volonté de
Dieu est infiniment efficace, irrésistible et immuable en elle-même;
la seconde que néanmoins elle ne s'accomplit pas toujours, et
qu'elle semble subordonnée à la conduite des hommes. C'est ainsi
que Dieu veut que « tous les hommes soient sauvés ~ » et cepen-
dant ils ne le sont pas tous.
II est nécessaire que la volonté de Dieu s'accomplisse toujours,
parce qu'elle est la cause absolument universelle des choses. L'en-
semble des êtres et des faits qui constituent l'univers, non seule
ment pour un temps quelconque, mais pour tous les temps, est
donc l'expression absolue de la divine volonté. Ce qui semble y
échapper d'une manière rentre d'une autre manière dans l'ordre
qu'elle a marqué. C'est ainsi que l'homme créé libre, par la volonté
i. Ita Pater quia sic fuit placitum ante te. {Mcitlh., xi.)
2. Qui omnes homines vult salvos fieri. (/. Tim., ii, 4.)
Voir l'explication que S. Thomas donne de ce texte, 1 p., q. Xix, art. G
adl.
1G4 LA SAINTE ELCIIARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. JV.
divine, et dont Dieu veut le salut peut, parce qu'il est libre, se
mettre en contradiction avec la volonté divine en péchant. Mais s'il
croit échapper à cette toute-puissante volonté, il se trompe. La volonté
de Dieu est qu'il soit libre et qu'il use de sa liberté, pour être
récompensé ou puni. Le pécheur use mal du bien que Dieu lui
accorde en vue de son salut : la volonté de Dieu, qui est que tous
les hommes soient sauvés ne s'accomplira pas en lui, car cette
volonté était pour lui antécédente ou conditionnelle : mais il sera
puni, et ainsi s'accomplira la volonté de Dieu, qui est que sa justice
exerce ses droits sur les prévaricateurs. Mais pourquoi Dieu, qui
peut toutes choses, permet-il que tel ou tel tombe et se perde,
tandis qu'il soutient tel autre, le relève s'il vient à tomber et le
sauve? C'est là le grand secret de sa justice unie à son infinie
bonté. Et c'est le cas de répéter encore : 0 profondeur! 0 alti-
tuclo!
La Sainte Écriture nous enseigne que la volonté de Dieu est la
cause de toutes choses. S. Paul écrit aux Éphésiens : « Nous avons
« été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses sui-
« vant le conseil de sa volonté, afin que nous soyons la louange de
« sa gloire '. y»
Dans l'Apocalypse, les quatre animaux mystérieux qui se tiennent
devant le trône de Dieu et de l'Agneau se prosternent en disant :
« Vous êtes digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir la gloire, l'hon-
« neur et la puissance, parce que vous avez créé toutes choses, et
« que c'est par votre volonté qu'elles étaient et qu'elles ont été
« créées -. » Ajoutons encore ces paroles de l'auteur du livre de
la Sagesse : « Comment quelque chose pourrait-il continuer d'être,
« si vous ne l'aviez voulu '^V » Ce n'est donc pas par suite d'une
nécessité ou d'un besoin de sa nature que Dieu a créé toutes
choses *. Existant par lui-même, souverainement indépendant et
\. Sumus pPcedeslinati secundum proposilum cjus, qui operatur omnia se-
cundum coiisilium voluntatis sute : ut simus in laudem gloricB ejus. {Ephcs.,
2, Dignus es, Domine Deus noster, accipere gloriam, et honorem et virtu-
em, quia tu creasti omnia et propter volunlatem luam erant, et creata sunt.
(Apoc, IV, 11.)
:{. Quomodo posset aliquid permanere, nisi tu voluisses? {Sap., xi, 26.)
4. Dcus simplex est, nec est in eo aliud essentia quam voluntas. Unde et
nomina ofjcralionis ejus, licet inter se definitionil)Us différant, apud ipsum
tamen nulla dilîerentia, vel diversitas invenitur. Itaque et essentia vel natura
facit, quia nihil ei accidcns est; et tamen eliam voluntate, quia nihil necessi-
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 165
cause première de tout ce qui n'est pas lui, éclairé par les lumières
de son intelligence infinie, il fait librement son choix parmi les
choses possibles et, ce qu'il a choisi librement, il l'accomplit de
même, parce qu'il le veut, et uniquement parce qu'il lui plaît de
le faire. « Rien n'est plus grand que la volonté de Dieu, dit S. Au-
« gustin, et l'on aurait tort de lui chercher une cause * : » ce qui
ne signifie pas que Dieu n'agisse pas pour une fin; mais l'acte de
volonté par lequel il veut une fin n'est pas différent de celui par
lequel il veut les moyens de l'atteindre ; il n'en est pas la cause, il
est identique avec lui et ne s'en distingue que par la différence
d'objets. Il veut, dit S. Thomas, que telle chose soit en vue de
telle autre, mais ce n'est pas à cause de cette autre qu'il la
veut "-.
La volonté de Dieu est immuable, comme sa science et sa divine
substance. Mais il faut bien s'entendre sur le sens qu'on doit at-
tribuer à l'immutabilité de la volonté divine. Il existe une différence
radicale entre changer de volonté et vouloir le changement de cer-
taines choses. On peut fort bien vouloir que tel acte s'accomplisse
à certain moment et, en même temps, vouloir qu'il ne s'accom-
plisse pas en tel autre temps donné, ou en certaines circonstances.
Dieu changerait de volonté s'il commençait de vouloir ce qu'il n'a
pas voulu d'abord, ou s'il cessait de vouloir ce qu'il a voulu. Mais
une telle instabilité ne convient pas à la nature divine. Ce qui est
bon- à ses yeux l'a toujours été et le sera toujours, et comme le bien
est l'objet auquel sa volonté s'attache, ce qu'il veut aujourd'hui, il
l'a toujours voulu et il le voudra éternellement. Les hommes peu-
vent se tromper, parce que leur intelligence est bornée; ce qui leur
paraît bon un jour peut leur paraître mauvais le jour suivant; et
leur volonté change. Mais Dieu ne se trompe pas et sa volonté ne
change pas, quoique les effets de cette volonté immuable changent
taie efficit, aut coactus. Non enim sicut ignis naturali necessitate urit, aut
apis naturali necessitate fabricat ceras, vel telas aranea, ita etiam Deus
operatur. Sed Deus ideo natura, vel essentia facere dicitur, ne voluntas in
60, quasi aliud aliquid demonstretur. Et ideo voluntate, quia niliil operari
compellitur; sed essentialiter vult, et voluntate subsistit. (JuN. African. ,
cap. -MX.)
i. Nibil majus est voluntate Dei. Non ergo causa ejus quïerenda est. (S. Au-
GUST., Quaest. lib. LXXXIII, q. xxvm.)
2. Vult ergo hoc esse propter hoc; sed non propter hoc vult hoc. (S. Tuom.,
I p., q. xi\, art. Jj.)
166 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II, — CHAP. IV.
selon les temps et les circonstances, par rapport aux êtres qui en
sont l'objet '.
La volonté de Dieu, quoique toute-puissante, n'est pas cependant,
pour tout ce qui existe, une loi nécessaire et inexorable. Certaines
choses voulues de Dieu seront nécessairement telles qu'il les veut;
d'autres, qu'il veut, seront aussi, mais sans être nécessitées : elles
seront librement. La volonté de Dieu est infiniment puissante, elle
peut donc faire que les choses soient selon le mode qu'il lui con-
vient de choisir, nécessairement s'il le veut, librement s'il le pré-
fère; mais toujours seront-elles, si sa volonté est telle; la liberté
qui caractérisera les unes ne sera pas plus un obstacle à l'accom-
plissement de la volonté suprême que la nécessité imposée aux
autres. Leur contingence sera liée aux causes secondes, mais par des-
sus tout et avant tout, elles seront parce que Dieu le voudra, et elles
seront librement parce que Dieu voudra qu'elles soient librement.
Leur existence ne sera pas nécessaire d'une manière absolue mais
seulement conditionnelle ; cependant il ne pourra pas se faire
qu'elles n'existent pas, parce que Dieu les aura voulues quoique
condilionnellement. Ici encore se rencontre le grand mystère de la
liberté humaine en face de la volonté divine, mystère devant lequel
il faut s'arrêter, car, selon la parole de Salomon : « Celui qui
« scrute la majesté sera accablé par la gloire 2. » Qu'il nous suf-
fise de savoir que Dieu veut très réellement le salut éternel de tous
les hommes, et que ceux qui se perdent se perdent par leur faiite,
et parce qu'ils l'ont voulu librement.
Que celui qui désire être sauvé travaille donc à son salut géné-
reusement, comme s'il ne dépendait que de ses propres efforts, et
qu'en même temps, il attende tout de la miséricordieuse volonté
du Dieu de l'P^ucharistie. Son espérance ne sera pas trompée; il
arrivera infailliblement à son but.
1. Dicendum quod voluntas Dei est omnino immutabilis. Scd circa hoc
considerandum est, cjuod aliud est mutare voluntatem, et aliud est velle ali-
quarum rerum mutationem. Potest enim aliquis eadem voluntate immutabi-
litrr permanente, velle quod nunc fiât fioc, et postea fiât contrarium, Sed tune
voluntas mutaretur si quis inciperet velle quod prius non voluit, vel desine-
ret velle quod volait. Quod quidem accidere non potest, nisi praesupposlta
mutatione, vel ex parte cognitionis, vel circa dispositionem substantiae ipsius
volentis... Ostensum est autem supra quod tam substantia Dei quam ejus
scientia est omnino immutabilis. Unde oportet voluntatem ejus omnino esse
immutabilem. (S. Tiiom., I p., q. xix, art. 7.)
2. Scrutator .Majestatis opprimetur a gloria. [Prov., xxv, 27.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 167
TOUTE-PUISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
PRÉSENT DANS l'eUCHARISTIE
Il est de foi que Dieu est tout-puissant. C'est une des grandes
vérités que le Symbole des Apôtres impose à la croyance de tous
les fidèles. Ils ont dit tous, ou l'on a dit pour eux, au jour de leur
baptême : Credo in Deum P.atrem omnipolentem : « Je crois en
« Dieu le Père tout-puissant, » et la sainte Église ne se lasse pas
de leur rappeler et de leur remettre sur les lèvres cette profession
de foi. Il convient donc de connaître en quoi consiste cet attribut
delà divinité que Notre-Seigneur Jésus-Christ au Saint-Sacrement
possède, puisqu'il est Dieu.
On a donné plusieurs significations au mot toute-puissance.
L'expression grecque qui correspond à V Omnipotentem latin, dans
le Symbole des Apôtres, signifie, d'après S. Cyrille de Jérusalem :
« Celui qui domine tout et dont la puissance s'étend sur tout '. »
Origène dit que Dieu reçoit le nom de tout-puissant à cause de
l'universalité des êtres qui sont soumis à son pouvoir 2. Cette
interprétation se rattache même à l'erreur dans laquelle il tomba,
de l'éternité de la création, parce que, disait-il, si des êtres créés
n'avaient pas éternellement existé, le nom de tout-puissant, ou l'at-
tribut de la toute-puissance, n'aurait pas convenu à Dieu 3. Théo-
phile d'Antioche '-^ et S. Grégoire de Nysse ^ entendent dans le
même sens l'expression du Symbole, qui proclame la toute-puis-
sance de Dieu. Ce même sens a été adopté quelquefois aussi par
les Pères Latins, mais la signification commune, celle qui est uni-
versellement admise et que personne ne conteste ni ne refuse
1. nie dicitur pantochrator {omnipolens) qui omnibus dominatur, et in om-
nia potestatem habet. (S. Cyrill. Hieron., Catech. VIII.)
2. Oinnipotens igitur propter illa quae potestati ac ditioni subjecta sunt
appellatur. (Origen. apud Method !
3. Origen., in primo Periarchon, cap. 11.
4. Omnipotens dicitur, quod omnia continet etamplectitur, et alta cœlorum
et profunda voraginum, et fines orbis terrarum in manu cjus sunt : nec est
locus ullus in quo requiescat. (Tiieopii. Antiocii., in primo ad Antolycum.)
y. Omnipotentis voca))ulum si quis accuralius expendat, invenietur nihil
aliud significare in divina virtute quam habiludinem quamdam ad aliud effi-
cientiie illius qua res creataî continentur (ut enim medicus non esset nisi
œgrotorum gratia), ita nec omnipotens, nisi crealura universa continente, et
in natura sua conservante ipsam indigeret. (S. Gregor. Nvss., lib. 1 contra
Eunom.)
168 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
d'appliquer à Dieu, est celle-ci : Tout-puissant signifie qui peut
tout, pour qui rien n'est impossible. S. Augustin demande : « Qui
« donc est tout-puissant sinon celui qui peut tout ^ ? » Boëce disait :
« Il n'est rien que ne puisse accomplir celui qui est tout-puis-
« sant ■-. »
Du reste, ces deux significations du mot tout-puissant convien-
nent si parfaitement à Dieu qu'on ne'peutse faire une juste idée de
la divinité, sans les lui appliquer l'une et l'autre. Dieu ne peut pas
être sans que toutes choses lui appartiennent et se rapportent à lui,
et ce ne serait pas être Dieu que de voir sa volonté arrêtée par
l'impossible. S. Augustin disait : « Je vous mets au défi de me
« montrer, je ne dis pas un chrétien, je ne dis pas un juif, mais un
« païen, un idolâtre, un adorateur des démons qui ne confesse pas
Œ que Dieu est tout-puissant. Il pourra nier le Christ, mais nier le
« Dieu tout-puissant, il ne le pourra pas ^. » Et nous ajouterons
avec S. Pierre Damien : « Celui qui nie cette vérité, on peut dire
« qu'il n'est pas d'être plus insensé que lui ^. » Peut-être faudra-
t-il avouer humblement que jamais le nombre de ces insensés n'a
été plus grand que dans le temps où nous vivons. L'orgueil de la
science mène aisément jusqu'à la folie et la stupidité.
Cependant, plusieurs sectes hérétiques des premiers siècles se
sont ellorcées de ravir à Dieu l'attribut de la toute-puissance,
comme S. Épiphane le constate dans le IIP livre qu'il consacre à
l'histoire et à la réfutation des hérétiques. Les manichéens, les
marcionites et plusieurs autres prétendaient que le monde n'avait
pas été créé par Dieu mais parles anges, à son insu ou malgré lui,
et 'refusaient à Dieu la puissance de créer. Ils n'osaient pas cepen-
dant proférer ouvertement ce blasphème, mais ils posaient des
principes qui aboutissaient nécessairement à cette conséquence,
dit S. Augustin •'. Tous ceux qui admettaient l'éternité de la ma-
i. Quis est autem omnipotens nisi qui omnia polcst. (S. August., lib. IV
de Trinil.)
"1. Qui vero est omnipotens, nihilest quod ille non possit. (Boet., lib. III de
Consolai.)
;5. Non dico da mihi christianum, da mihi judseum, sed da mihi paganum,
idolorurn cultorem, daemonum servum,qui non dicat Deum esse omnipoten-
tem. Ncgare Cliristum potest, negare oninipotentem Deum non potest.
(S. AuGUST., serm. CXXXIX de temjiore.)
4. Quilioc negat, nihil illo stullius est. (S.Petr. Dam., opusc. XXXVI, cap. v.)
li. Con.iti sunt quidam pcrsuadcre Deum Patrem non esse omnipotentem,
non quia lioc dicerc ausi sunt : sed in suis Iraditionibus hoc sentire, et cre-
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S, J.-C. 169
tière étaient dans ce cas, puisque, d'après eux, Dieu avait eu besoin
de cette matière préexistante pour la création du monde, et que,
sans elle, il lui eût été impossible de l'accomplir.
Comme tous les autres attributs de Dieu, sa toute-puissance se
confond avec son être divin, avec son essence infinie et infiniment
parfaite. Dieu est le Tout-Puissant, ou si l'on veut, il est la Toute-
Puissance. Néanmoins, à nos yeux, cet attribut de la toute-puis-
sance est parfaitement distinct de tous les autres. Il n'est pas, pour
notre raison, la science divine, ni la volonté divine, quoique ces
deux attributs soient particulièrement liés avec lui, et qu'ils aient
comme lui, pour objet secondaire, ce qui n'est pas Dieu lui-même.
On a dit cependant que la toute-puissance est la volonté de Dieu
produisant des effets. Il est certain, d'après notre manière de com-
prendre, que la toute-puissance est un instrument aux ordres de
la volonté, et que la volonté elle-même n'agit que d'après les lu-
mières de l'intelligence. Il y a entre ces trois attributs divins une
subordination de raison ; mais en fait elles sont toutes trois infinies,
par conséquent égales, parce qu'elles ne sont toutes trois qu'une
seule et même chose avec la nature divine.
La Sainte Écriture se plaît à constater la toute-puissance de
Dieu. Dans la Genèse et ailleurs encore, le Seigneur proclame qu'il
est le Dieu tout-puissant : Ego Deus omnipotens ^ II est dit
dans le livre de la Sagesse que « la main toute-puissante de Dieu a
« créé toutes choses ~\ » et l'ange de l'Annonciation, dans S. Luc,
adresse à Marie ces paroles : « Il n'y aura rien d'impossible à
Dieu 3. n Le saint roi David ne peut pas retenir ce cri d'admira-
tion : « Le Seigneur est grand; il mérite des louanges infinies et
« sa grandeur n'a pas de fin ; » puis il ajoute : « Les générations
« et les générations loueront vos œuvres, et célébreront votre puis-
« sance *. » C'était donc surtout la grandeur de la puissance de Dieu
dere convincuntur. Cum enim dicunt esse naluram quam Deus omnipotens
non creaverit, quam pulchre ornatam esse concedunt : ita Patrem omnipo-
lentem Deum negant, ut non eum credant mundum potuisse facere, nisi ad
eum fabricandum alla natura, scilicet quœ jam fuerat, et quam non fecerat
uteretur. (S. August., lib. de Fide et Symb.)
{. Gènes., xvii, ] ; xxviii, 3, etc.
2. Omnipotens manus Dei, quee creavit omnia. {Sap., xi, 18.)
3. Non erit impossibile apud Deum omne verbum. {Lttc., i, 37.)
4. Magnus Dominus et laudai)ilis nimis, et magnitudinis cjus non est finis.
Generatio et generatio laudalnt opéra tua, et potentiam tuam pronuntiabunt.
iPs. cxi.iv, i.)
170 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
que le saint roi admirait et déclarait sans mesure. On lit de même
dans TEcclésiastique : « Qui sondera ses merveilles? Et la puis-
« sance de sa grandeur qui l'énoncera? ou qui entreprendra d'ex-
« pliquer sa miséricorde? Il n'y a rien à diminuer, ni à ajouter, ni
« à découvrir aux merveilles de Dieu ^. »
Que la toute-puissance de Dieu soit infinie, il n'est pas permis
de le mettre en doute, si l'on considère que cette toute-puissance,
aussi bien que les autres attributs, n'est, au fond, que l'essence
divine elle-même, s'oflVant à notre intelligence sous un aspect par-
ticulier. Elle est donc infinie et il n'est rien qu'elle ne puisse
accomplir. Elle agit par elle-même, sans que nul intermédiaire,
nul instrument lui soit nécessaire. La toute-puissance de Dieu,
c'est Dieu agissant, réalisant sa volonté, son éternelle pensée. Mais
cette toute-puissance, infinie en elle-même et dans son intensité
irrésistible, l'est-elle aussi dans son extension; peut-on dire que
son objet soit infini comme elle?
La toute-puissance de Dieu est indivisible comme lui; elle ne
peut donc avoir d'extension que dans les objets sur lesquels elle
agit. Pour que son extension soit infinie, il est nécessaire que ses
effets ne puissent être limités en aucune manière. Il ne suffit même
pas que tel ou tel effet soit susceptible d'être continué ou augmenté
indéfiniment : ce n'est pas assez de l'indéfini ; l'infini est nécessaire»
Qui peut dire jusqu'où s'étend la puissance donnée par Dieu à quel-
ques-unes de ses créatures ? Y a-t-il des limites fixées que les efforts
de tel ou tel des esprits célestes ne puissent franchir? Peut être la
puissance de plusieurs d'entre eux est-elle indéfinie, peut-être les
effets de cette puissance peuvent-ils grandir et augmenter toujours
sans que jamais elle soit épuisée : c'est beaucoup, c'est presque inad-
missible pour une créature, et cependant, pour Dieu, ce ne serait pas
assez : il faut plus; il faut l'infinité des effets au moins possible.
Nous admettrons donc que Dieu peut produire des effets sans
nombre même inimaginable, et qu'il les peut produire sans cesse,
se succédant les uns aux autres éternellement. Cependant ces effets,
dont chacun serait fini, ne pourraient jamais constituer pour Dieu
un effet infini épuisant sa toute-puissance, par conséquent digne
d'elle et prouvant qu'elle n'a pas de bornes.
i. <^uis investigabit magnalia ejus, virtutem autem magnitudiiiis ejus quis
enuntiabil, aut quis adjiciet enarrare misericordiam ejus? Non est minuere,
neque adjicere, neque est invenire magnalia Dei. (Eccli., xviii, 3, 4.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 171
Nous admettrons encore que la puissance de Dieu est infinie
dans son extension en ce sens que Dieu peut produire des êtres de
plus en plus parfaits, sans cesser jamais ni d'en produire ni
d'augmenter leur perfection, quoique des théologiens n'admettent
pas cette possibilité. Mais là encore, nous trouvons des bornes.
Jamais nous ne pouvons reconnaître dans ces effets la toute-puis-
sance absolue de celui qui les produit, puisqu'ils portent, dans
leur accroissement de perfection même, la preuve qu'ils sont bornés.
Or, un effet borné prouve bien, s'il est grand, la grandeur de la
puissance qui le produit, mais non pas son infinité.
Où chercherons-nous donc une preuve irrécusable de l'exten-
sion infinie de la toute-puissance divine, sinon dans la perfection
qu'elle possède, en vertu même de sa nature? La multitude, l'in-
finité même des êtres possibles ne nous est connue que par l'idée
que nous avons de la toute-puissance divine ; c'est uniquement
elle qui nous les fait admettre comme tels ; nous ne pouvons donc
pas nous servir d'eux pour prouver l'infinité de cette toute-puis-
sance; mais nous savons que Dieu est simplement infini, que sa
toute-puissance, qui n'est pas autre que lui-même, est infinie
comme lui. Nous savons, par conséquent, que Dieu, s'il veut faire
participer d'autres êtres à son existence, s'il veut que d'autres
actes dérivent de l'acte pur et éternel qui est lui, peut communi-
quer l'être et l'acte infiniment selon sa nature. C'est donc dans la
nature même de Dieu, dans l'infinité de son être et non ailleurs,
que nous trouvons la vraie preuve de l'infinité extensive de sa
toute-puissance.
Quel est, dans la réalité, l'objet sur lequel la toute-puissance
de Dieu s'exerce ?
La toute-puissance de Dieu est une puissance réelle, toujours
active et qui ne peut pas exercer son activité, si elle n'a pas
d'objet. Une puissance qui n'aurait pas d'objet auquel s'appliquer
serait une puissance qui ne pourrait rien, une négation de puis-
sance. Il ne saurait en être ainsi de la toute-puissance de Dieu ;
elle a un objet, et un objet digne d'elle. Cependant il ne faudrait
pas conclure qu'il en est de la toute-puissance de Dieu comme des
puissances créées, qui sont spécifiées par leurs objets et n'existent
que pour eux. Ce genre de puissance est incompatible avec l'infi-
nie perfection de Dieu. La toute-puissance divine n'est pas faite
pour son objet, mais son objet est fait pour elle et par elle. Elle
172 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. IV.
est Dieu; elle est l'Être divin, TÊtre absolu qui contient en soi
toute perfection, et qui possède ainsi la vertu de donner l'être à
tout ce qui peut être. La toute-puissance de Dieu embrasse donc
tout; tout dépend d'elle et elle-même n'est attachée à rien, ne dé-
pend de rien. Le lien qui rattache ses eflels à la toute-puissance
de Dieu existe, mais s'il est nécessaire pour eux, il ne l'est pas
pour elle. Dieu n'en serait pas moins tout-puissant s'il n'avait rien
créé, mais rien ne serait sans la toute-puissance divine ; il suffit
à Dieu que tout lui soit possible, et les possibles ont été éternelle-
ment un objet suffisant pour la toute-puissance de Dieu, avant
qu'il agît extérieurement par la création de ce monde. Quant au
néant ou au non-étre, il ne peut pas être considéré comme un ob-
jet sur lequel s'exerce la toute-puissance divine, puisqu'il n'est
pas, ou qu'il n'est rien. Mais de ce rien. Dieu peut faire jaillir un
être quelconque, et ce possible est un objet dépendant de sa
toute-puissance.
Le mode dont s'exerce la toute-puissance divine est une vaste
matière, car elle peut embrasser tout ce que la théologie enseigne
touchant les œuvres de Dieu. Quelques remarques sur ce sujet
nous suffiront pour notre but.
Remarquons d'abord que la toute-puissance divine n'est néces-
sitée à aucun acte. Elle diffère, en ce point, de l'intelligence et de
la volonté. L'intelligence et la volonté de Dieu se replient néces-
sairement sur Dieu, tout d'abord ; il est leur premier objet, leur
objet dont il est impossible qu'elles ne s'occupent pas avant tout ;
leur premier, leur principal acte, on pourrait dire leur acte
unique, se rapporte directement à Dieu. La toute-puissance, au
contraire, a pour premier objet les créatures ; c'est sur les êtres
autres que Dieu qu'elle exerce son action, action contingente et
passagère comme ces êtres eux-mêmes. Elle ne l'exerce pas ni
ne l'exercera jamais sur les êtres simplement possibles, qui ne
seront en aucun temps appelés à la réalité de l'existence ; mais
c'est elle qui donne l'être à tout ce qui est ou qui sera de fait,
comme elle est cause de la possibilité de tout ce qui pourrait être
et néanmoins ne sera pas.
On a demandé si la toute-puissance de Dieu pourrait faire que
ce qui a été ne soit pas. C'était oublier que le temps que Dieu a
fait pour mesurer l'existence aux créatures n'a pas d'empire sur
lui. Dieu est éternel ; il n'y a pas pour Lui de passé ni de futur.
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 173
Vouloir qu'une chose qui a été cesse d'avoir été serait vouloir
que, pour Dieu et en vertu de sa puissance, cette chose existât et
n'existât pas, tout en même temps, ce qui est contradictoire. Ce
qui a été est pour Dieu, et ne peut pas ne pas être ; mais il est
très vrai qu'en vertu de sa même éternité, Dieu pourrait vouloir
qu'une chose qui a été n'eût pas été lorsqu'elle fut, mais en ce
cas la volonté de Dieu qui est immuable eût été alors comme plus
tard, que cette chose ne fût pas, et elle n'aurait jamais passé du
possible à l'être.
S. Thomas demande encore si Dieu aurait pu donner l'existence
à plus de créatures qu'il ne l'a fait, ou élever celles qu'il a créées à
une perfection plus haute. Ces questions ne souffrent aucune dif-
ficulté. Il est de foi que Dieu aurait pu tirer du néant d'autres
êtres, des êtres plus nombreux que ceux qu'il a créés, ou les
créer meilleurs. L'erreur contraire, condamnée par le Concile de
Sens, ne tient pas devant les textes de la Sainte Écriture qui pro-
clament la toute-puissance de Dieu. Il a fait tout ce qu'il a voulu,
il est le tout-puissant ; qui l'empêcherait de semer des milliers
d'autres mondes dans les espaces possibles auxquels lui seul assi-
gnera des bornes? Qui peut l'empêcher, s'il le veut, de tirer du
néant des êtres dont nous ne pouvons même pas concevoir la na-
ture, plus beaux, plus intelligents, plus parfaits que les hommes
et les anges eux-mêmes? Qui l'empêcherait de donner à toutes les
créatures existantes une perfection naturelle ou surnaturelle plus
éminente que celle dont elles sont douées?
Cependant il faut reconnaître qu'il y a plusieurs œuvres de
Dieu, après lesquelles sa toute-puissance infinie doit s'arrêter et
reconnaître l'impossibilité de monter plus haut. La première de
ces œuvres est l'union hypostatique du Verbe divin avec la nature
humaine. Dieu a pu aller jusque-là, mais il n'est pas possible à
son infinie puissance de faire qu'aucune créature surpasse jamais
le Dieu fait homme, ni même arrive à l'égaler. Il est même vrai
de dire que le monde, tel que Dieu l'a fait, se trouve relevé à ce
point par Tincarnation du Verbe, que Dieu ne pourrait pas créer
un autre monde égal en dignité à celui qui existe, quoiqu'il puisse
en créer renfermant une foule d'êtres plus parfaits que les
hommes. Et il n'y a pas que Notre-Seigneur Jésus-Christ ; la bien-
heureuse vierge Marie, sa mère, est elle-même placée si haut, par
sa maternité divine et par les dons qui l'accompagnent nécessai-
174 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. IV.
rement, que Dieu ne saurait élever une pure créature à un égal
degré de sublimité et de perfection. On peut en dire autant, pro-
portion gardée, de tout ce qui se rapporte à Tordre de la grâce
et à celui de la gloire^ résultats de l'Incarnation du Fils de Dieu
et de sa mort pour nous : rien de créé ne saurait égaler naturelle-
ment ni la grâce ni la gloire. Cependant, môme dans Tordre de
la grâce et dans celui de la gloire, il était possible à Dieu de
faire plus qu'il n'a fait. Le nombre des prédestinés pouvait être
plus grand ; leur sainteté, en mettant de côté la très sainte Vierge
et l'humanité adorable de Notre-Seigneur, pouvait s'élever à des
hauteurs encore plus sublimes. Pourquoi Dieu ne Ta-t-il pas voulu?
C'est son secret. La seule raison que nous puissions en donner est
que ce monde, tel qu'il est, correspond plus parfaitement que
n'eût fait tout autre monde possible à la fin qu'il s'est proposée en
le créant, car si un autre monde avait dû mieux remplir cette fin,
ce n'est pas le monde existant mais cet autre que la toute-puis-
sance divine aurait tiré du néant. S'il n'en était pas ainsi, pour-
quoi aurait-il choisi de créer un monde dans lequel le salut des
hommes demanderait que le Verbe divin se fit homme lui-même,
qu'il se soumît à d'inexprimables humiliations, et qu'il subit une
mort aussi infamante que cruelle? Sans doute Dieu pouvait vou-
loir un autre ordre de choses. Étant admis même qu'il donnât
l'existence à la nature humaine, il lui était aisé de conserver aux
hommes la grâce d'origine, ou de les réhabiliter, s'ils venaient à
tomber, sans que la mort du Verbe incarné fût nécessaire à leur
rançon ; il pouvait fixer un autre temps et d'autres circonstances
pour le rachat des hommes. Il ne Ta pas fait parce qu'il ne Ta pas
voulu, et il ne Ta pas voulu par des raisons dignes de sa sagesse,
de sa bonté et de sa justice '.
« Dieu, dit Théodoret, ne voulut pas faire tout ce qu'il pouvait,
« mais seulement ce qu'il jugeait suffisant. Il lui aurait été assuré-
a ment aisé de créer dix ou vingt mille mondes, puisque sa seule
« volonté y suffisait et qu'on ne conçoit pas de mode d'action pré-
\. Poterat elsi nunquam advenisset Christus, solummodo loqui Deus, et
maledictionem solvere ; scd considerandum est quid hominibus expédiât;
neque in omnibus aestimare quid possit Deus.... Poterat etiam ab initio Salva-
tor advenire ; aut cum advenit non tradi Pilato. Verum sub consummationem
sanculorum venil, et quœsitus dixit : Ego sum. Quidquid enim fecit, boc et
utile est hominibus, nec aliter decebat lieri. (S. Athanas., lib. III contra Aria-
nos.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S, J.C. 175
« sentant moins de difficultés. Il nous est très facile à nous-mêmes
€ de vouloir. Mais notre volonté n'a pas cette efficacité ni cette
« vertu. Pour Dieu au contraire, tout ce qu'il veut est possible :
a le pouvoir est joint en lui à la volonté. Cependant il n'a pas
« donné dans la création la mesure de sa puissance ; il n'a fait que
« ce qu'il a voulu faire ^. »
Lactance résume en quelques mots précis l'enseignement catho-
lique sur ce point; il dit: c Lorsque je considère l'ensemble des
« choses existantes, je comprends que rien n'a dû être fait autre-
« ment qu'il le fut en réalité. Je ne dis pas que Dieu ne l'aurait
« pas pu, puisqu'il peut tout ; mais il est nécesaire que la majesté
« suprême, dont la sagesse est infinie, ait fait ce qui était le mieux
« et le plus juste 2, »
S. Épiphane dit à son tour : « Dieu a la puissance àe faire ce
« qu'il veut, car personne ne résiste à sa volonté; mais il fait ce
a qui est digne de sa divinité 3. » Est-ce à dire que Dieu fait
toujours ce qui, à nos yeux, paraîtrait plus digne de sa majesté
divine? Assurément non, car nous sommes des juges très récusa-
bles de cette dignité; certainement nous tomberions mille fois dans
l'erreur si nous voulions soumettre les actes de Dieu à notre ap-
préciation; mais rien ne l'oblige à choisir, entre tous les modes
d'agir possibles, celui qui, selon nous, serait le plus digne et le
plus parlait. Il a le choix libre des moyens pour atteindre la fin
qu'il se propose, sa plus grande gloire, et le plus grand bien de
ses créatures. Ce qu'il a voulu faire, il l'a fait, mais il était libre de
vouloir et de faire autre chose ^.
1. Voluit autem non quanta poterat, sed quanta sufticere judicavit. Nam
ipsi facile quidem erat, decem aut viginti millia creare mundoruni : quando-
quidem velle eiïectionum omnium facillimum est. Siquidcm etiam nobis
omnium est velle facillimum. Sed voluntatem nostram vis et facultas non se-
quitur. At universorum Deo possibilia sunt qusecumque vult. Quippe cum
voluntate conjuncta est potestas. Nihilominus non potentia mensus est crea-
turam : sed quaecumque voluit fecit. (Tiieodoret., serm. IV contra Gentiles.)
2. Considerans conditionem rerum, iiitelligonihilfieri aliter debuisse, quam
factum est : ut non dicam potuisse, quia Deus potest omnia; sed necesse est
quod illa providentissima majestas id effecerit, quod erat melius et rectius.
(Lact., in libro de Opificin Dei, cap. m.)
3. Potens est Deus ut faciat quod vult; nemo enim ejus voluntati resistit;
verum agit quaecumque sua* Majestati congruunt. (S. Epiph., Ilxres., l.\.\.)
4. Si voluisset ergo Tilius Dei inde sibi liumanam carncm, veramque, for-
mare, undc formavit et illi primo bomini, quoniain omnia per ipsum facta
suni, quis eum non potuisse audcat aftirmarc ? Si denique de cœlesti, vel de
176 LA SAISTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CllAI'. IV.
11 est cependant des choses que Dieu ne peut pas faire et qui
sont, comme on dit communément, impossibles à Dieu. En premier
lieu. Dieu ne peut pas faire ce qui impliquerait contradiction, par
exemple qu'une chose soit et qu'elle ne soit pas. En second lieu, il
ne peut pas faire davantage ce qui ne s'accorde pas avec sa perfec-
tion souveraine. C'est ainsi qu'il ne saurait ni mourir, ni mentir,
ni commettre le péché.
Il est certain que Dieu ne peut ni faire ni souffrir rien qui soit
incompatible avec l'infinie perfection de sa nature, et tout le monde
comprend que cette impuissance n'enlève absolument rien à la
toute-puissance de Dieu. « Dieu, parce qu'il est tout-puissant, dit
e S. Augustin, fait tout ce qu'il veut et ne souffre rien de ce qu'il
a ne veut pas •. »
Il faut même ajouter, avec l'illustre docteur, que si Dieu pouvait
ces sortes de choses, il ne serait pas tout-puissant. « Maintenant,
« dit-il dans un de ses sermons, parlons des choses qui sont im-
« possibles à Dieu : Il ne peut pas mourir; il ne peut pas pécher ;
« il ne peut pas mentir; il ne peut pas être trompé. Voilà ce que
« Dieu ne peut pas faire, et s'il le pouvait, il ne serait pas tout-
« puissant -. »
Hugues de Saint-Victor dit qu'il faut distinguer deux sortes de
puissance : celle de faire et celle de ne pas endurer quelque chose.
« Il faut, dit-il, affirmer la toute-puissance de Dieu comme très
« véritable dans l'un et l'autre sens. Il n'y a rien, en effet, qui
« puisse lui infliger quelque souffrance et il n'y a rien non plus
« qui puisse l'empêcher de faire ce qu'il veut. Il peut toute chose,
« excepte ce qui ne pourrait se faire sans lui causer quelque détri-
« ment; mais il n'en est pas moins tout-puissant : au contraire,
« s'il pouvait endurer cette sorte de choses, sa toute-puissance dis-
« paraîtrait. Je dis que Dieu peut tout, et que cependant il ne peut
« pas se détruire lai-même : le pouvoir, ce ne serait plus pouvoir
aerea, vel liumida creatura corpus assumptum vellet commutare in humanae
carnis verissimam qualitatem in qua et vivere mortalis homo posset et mori,
hoc eum potuisse quis negaret qui negare omnipo.tentem omnipotentis filium
non auderel? (S. August., lih. XXVI contra Faustum.)
1. Omnipotens est enim faciendo quidquid vult, non patiendo quod non
vult. (S. Auglst., lib. X de Civil. Dei, cap. x.)
2. Jam ego dico quanta non possit. Non potest mori, non potest peccare,
non potest mentiri, non potest falli. Tanta non potest : quœ si posset, non
esset omnipotens. (S. August., serm. CIX(/e Tempore.)
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 177
« mais être impuissant. Dieu peut donc tout ce qui est un effet de
« la puissance, et il est véritablement tout-puissant, parce qu'il ne
a peut pas être impuissant K »
On peut résumer ainsi avec Nicole tout ce qu'il importe de sa-
voir sur la puissance de Dieu '-.
<r Dieu peut tout par sa seule volonté, sans instrument et sans
dépendre de qui que ce soit : sa puissance s'étend à tout également.
Il a tiré et il tire continuellement du néant ces corps immenses qui
composent l'univers, c'est-à-dire les cieux, les éléments et tout ce
qui en est composé. Il imprime continuellement dans cette vaste
matière un mouvement qui en produit tous les changements ; de
sorte que, jusqu'à la moindre feuille et au moindre atome de pous-
sière, aucun corps ne se remue que par l'impression qu'il reçoit
de Dieu. Il crée continuellement cette multitude d'àmes qu'il joint
aux corps de ceux qui naissent tous les jours. Tous les êtres spiri-
tuels n'ont aucune pensée, aucune perception à laquelle Dieu ne
contribue et ne coopère. Toutes ces opérations, si différentes entre
elles par les sujets et par les lieux, ne lui coûtent rien ; il fait tout
cela par un seul et unique acte, dans une paix souveraine. Tous
ces ouvrages qui ne regardent que l'ordre de la nature ne sont rien,
en comparaison des opérations surnaturelles dans les âmes, par
lesquelles il les convertit, il les ressuscite, il les justifie et les fait
son temple et sa demeure. Tout ce que Dieu fait dans les âmes en
cette vie n'est rien en comparaison de ce qu'il opérera dans les
âmes des bienheureux.
« La vue de la toute-puissance de Dieu doit nous inspirer des
sentiments de terreur qui doivent nous éloigner d'offenser un
Dieu tout-puissant. Elle doit nous faire mépriser toute la puissance
des hommes, et particulièrement de ceux qui attaquent son Église :
car que peuvent-ils faire contre un Dieu tout- puissant, qui renver-
1. Potestas duplex est, altéra ad aliquid faciendum, altéra ad nihil patien-
dum. Secundum utramque Deus omnipotens verissime affirmatur : quia nec
aliquid est, quod ei ad patiendum corruptionem possit inferre, nec aliquid
quod est faciendum, impedimentum afierre. Omnia qujppe facere potest,
prae ter id solum quod sine ejus laesione fieri non potest; in quo tamen non
minus omnipotens est, quia si id posset, omnipotens non esset. Dico ergo
quod Deus omnia potest, et tamen seipsum destruere non potest. Hoc enim
posse non esset, sed non posse. Itaque omnia potest Deus, quae posse potentia
est. Et ideo vere omnipotens est, quia impotens esse non potest. (Huo. Victor.,
lib. I (le Sacram. ftdei, cap. xxii.)
2. Nicole. Voir Esprit de Xicole sur les vérités de hi religion, ch. i.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 12
178 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IV.
sera en un moment tous leurs desseins, à moins que leurs desseins
ne servent d'acheminement aux siens? Elle doit nous donner
beaucoup de confiance dans nos faiblesses, en nous assurant qu'il
n'y a rien d'impossible à un Dieu tout-puissant. Elle doit nous em-
pêcher de désespérer d'aucune chose, parce que non seulement
rien n'est impossible à Dieu, mais qu'il se plaît quelquefois à ren-
verser les projets des hommes et à nous faire triompher des plus
puissants ennemis, lorsque nous sommes dans la plus grande fai-
blesse. »
Tels sont les principaux attributs de Dieu dont tous les autres
découlent. Ce que nous en avons dit peut donner une idée de leur
infinie grandeur; mais qui pourrait jamais les étudier assez?
L'éternité ne suffira pas aux anges et aux élus pour les connaître
dans toute leur plénitude. Nous pourrions parler encore de la pro-
vidence par laquelle Dieu gouverne le monde naturel et surnatu-
rel ' ; nous pourrions admirer les sollicitudes infinies de ses bontés
1. La providence, dit le cardinal Gousset, n'est point proprement un attribut
de Dieu, c'est l'action de la volonté constante du Créateur, gouvernant le
inonde par les lois qu'il a lui-même établies et conduisant toutes choses en
général et chaque chose en particulier à la fin qu'il s'est proposée dans sa
sagesse. D'après l'idée que nous avons de la Providence, Dieu arrange et règle
tous les événements ; il place chaque créature dans son rang, en donnant à
chacune sa mesure, son degré, sa proportion ; il les régit toutes par une opé-
ration aussi douce que puissante ; il opère dans les hommes, et souvent par les
hommes, tout ce qu'il lui plait, quand il lui plaît et de la manière qu'il lui
plait, sans être jamais arrêté dans l'exécution de ses desseins par l'opposition
de la part des hommes : Attingit ergo a fine usque ad finem fortiter, et disponit
omnia nuaviter. (Sagesse, viii, 1.)
« Tout, dans l'histoire de la religion, prouve le dogme de la divine provi-
dence. On ne peut, en effet, nier la providence sans nier toute religion :
comme on ne peut admettre une religion quelconque sans admettre en même
temps la providence. Aussi parce que tous les peuples ont eu des croyances
religieuses, ils ont tous reconnu que la divinité gouverne le monde. Partout
et dans tous les temps, les hommes se sont adressés à Dieu comme à leur
souverain Maître, comme au souverain modérateur de toutes choses. L'action
de Dieu sur les créatures n'a jamais été méconnue que par ceux qui ont dit
dans leur cœur ou dans le délire de l'orgueil : 11 n'y a point de Dieu.
« Nous devons, pour avoir une juste idée de la providence, recourir aux en-
seignements que Dieu a bien voulu donner lui-même au genre humain. Ce
n'est que par une révélation surnaturelle que nous pouvons connaître jusqu'où
s'étend son intervention dans le gouvernement du monde et des choses
humaines. C'est la foi qui nous apprend que le Tout-Puissant pourvoit à tout;
que les destinées de l'homme, le sort des empires et des peuples sont entre
les mains de Dieu. Les livres saints contiennent l'histoire de nos premiers
parents, des patriarches, des Hébreux sous la conduite de Moïse, du peuple
SCIENCE ET AUTRES PERFECTIONS DIVINES POSITIVES DE N.-S. J.-C. 179
et de ses miséricordes, comme nous efifrayer à la pensée des
rigueurs de sa justice; nous pourrions jeter un regard sur les
profonds mystères de la prédestination de l'élection des bons, de la
réprobation des méchants, mais de tels sujets nous entraîneraient
trop loin. Notre but était de dire le nécessaire sur la nature divine
de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent au Très Saint Sacrement
de l'autel : nous l'avons fait avec quelques développements, trop
longs peut-être à l'avis du lecteur, trop courts assurément si l'on
considère la grandeur et l'importance du sujet. Il faut avancer
maintenant, et après avoir considéré ce que Jésus-Christ est comme
Dieu, nous devons voir aussi ce qu'il est en qualité de Fils de
Dieu.
juif sous les prophètes, de Jésus-Christ, des apôtres, des premiers chrétiens,
et cette histoire sainte n'est autre chose que l'histoire de la providence, de la
puissance, de la sagesse, de la bonté, de la justice divine. Dieu s'y montre partout
comme l'auteur et le conservateur de toutes choses, comme le roi des rois, le
seigneur des seigneurs, le législateur suprême, vengeur du crime et rémuné-
rateur de la vertu ; comme l'arbitre souverain du sort des nations, les abais-
sant ou les élevant à son gré, disposant comme il lui plaît, dans sa miséricorde
ou sa colère, de la paix et de la guerre, de la vie et de la mort, sans que per-
sonne puisse jamais s'opposer à l'exécution de ses desseins. Le Seigneur a fait
tout ce qu'il a voulu, au ciel, sur la terre et dans la profondeur des abîmes :
Omnia qusecwnque voluit Dominus fecit in cœlo et in terra, in mari et in om-
nibus abyssis. [Ps. c.xxxiv.)-". Tout dans le monde moral comme dans le
monde physique, dans l'ordre surnaturel comme pour les choses d'ici-bas, est
soumis à l'action de la Providence : en vain, les rois, les princes, les législa-
teurs voudraient s'y soustraire ; quoi qu'ils fassent, ils seront toujours plus
gouvernés qu'ils ne gouvernent : il n'y a point de sagesse, il n'y a point de
prudence, il n'y a point de conseil contre le Seigneur. {Prov., xxi, 30.) »
(Gousset, Théol. dogm., t. II, n. U-2, etc.)
180 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
CHAPITRE V
JÉSUS-CHRIST PRÉSENT SOUS LES ESPÈCES EUCHARISTIQUES, DANS SES
RAPPORTS COMME DIEU AVEC LES DEUX AUTRES PERSONNES DIVINES
I. Trinité des personnes en Dieu. — II. Mystère de la génération éternelle du Fils
de Dieu qui s'accomplit dans la Très Sainte Eucharistie. — III. Pourquoi le Fils de
Dieu est aussi appelé Verbe, Image et Sagesse du Père. — IV. Autre mystère de la
vie intime de Dieu, qui s'accomplit dans l'Eucharistie : La procession du Saint-
Esprit. — V. Le Verbe Fils unique de Dieu, présent dans l'Eucharistie, consubstan-
tiel au Père et au Saint-Esprit. '
I.
TRINITÉ DES PERSONNES EN DIEU
La foi ne nous enseigne pas seulement qu'il y a un Dieu, et que
ce Dieu unique, infiniment parfait, est absolument simple dans
son essence. Elle nous dit encore qu'il y a en lui trois personnes,
que chacune de ces trois personnes est Dieu, et que néanmoins
elles ne sont toutes trois ensemble qu'un seul et même Dieu. —
C'est l'adorable mystère de la Trinité, devant lequel toute intelli-
gence créée doit s'incliner humblement, sans espérer de le com-
prendre. Les anges et les saints dans le ciel contemplent ce mys-
tère ; mais toute l'éternité ne leur suffira pas pour en scruter les
insondables profondeurs.
Notre divin Sauveur, Jésus Eucharistique, est, par sa nature
divine, la seconde personne de l'adorable Trinité. Si donc nous
voulons bien connaître celui que nous possédons au milieu de
nous, il nous faut tout d'abord connaître, autant que nous le pou-
vons ici-bas, en quoi consiste précisément l'essence du mystère
de la Très Sainte Trinité.
Quelles que soient les- profondeurs du mystère dans lequel
nous adorons un seul et unique Dieu en trois personnes dis-
tinctes, il nous est donné, grâce aux lumières de la révélation
unies à celles de la raison, de ne pas nous borner simplement à
constater qu'il est, avec la croyance à l'existence de Dieu, le point
fondamental sur lequel repose tout l'édifice de notre sainte re-
ligion. Les théologiens se sont appliqués à l'étudier dans son
essence et à découvrir, autant que le peut l'intelligence humaine,
JÉSDS EUCHARISTIQDE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 181
en quoi elle consiste. Ils ont particulièrement reconnu quatre
vérités.
La première, qu'il y a en Dieu deux processions, et que ces deux
processions exigent trois personnes distinctes;
La seconde, qu'il y a quatre relations et que de ces quatre rela-
tions résulte aussi la distinction de trois personnes ;
La troisième, que les trois personnes sont véritablement et réel-
lement distinctes entre elles ;
La quatrième, qu'elles n'ont ensemble qu'une même et unique
essence, un seul être divin.
Ce n'est pas ici le lieu de traiter ces quatre questions avec les
développements qu'elles comportent ; néanmoins il faut bien dire
quelques mots sur chacune d'elles, si l'on veut connaître, autant
qu'il doit nous être connu, le Verbe divin que nous adorons in-
carné et caché pour nous sous les Espèces Eucharistiques.
Que la nature divine, dans son unité parfaite et sa simplicité
absolue, soit féconde, la Sainte Écriture, les Pères et les Conciles
ne nous permettent pas d'en douter. Il y a en Dieu un principe
premier d'où procède quelque chose qui se distingue de ce prin-
cipe lui-même. Pour s'en convaincre, il suffirait de lire ces pa-
roles que le Psalmiste prête au Messie : « Le Seigneur m'a dit :
<!f Vous êtes mon fils : c'est moi qui aujourd'hui vous ai engendré ^, »
et cet oracle du prophète Michée : « Et toi Bethléhem Ephrata, tu
et es très petit entre les mille de Juda ; de toi sortira pour moi
« celui qui doit être le dominateur en Israël, et sa génération est
« du commencement, des jours de l'éternité ~. » Notre-Seigneur
Jésus-Christ dit lui-même : « Je suis sorti de Dieu ^ » ; et ailleurs,
parlant du Saint-Esprit, il indique clairement que ce divin Esprit
procède de lui et du Père, par ces mots : « Il recevra de ce qui
« est à moi ^. — Lorsque sera venu le Paraclet, que je vous en-
« verrai du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père ^. » Ces
textes n'ont pas besoin de commentaire : nous y voyons expressé-
d. Dominus dixit ad me : Filius meus es tu ; Ego hodie genui te. {Ps. ii, 7.)
2. Et tu, Bethléhem Ephrata, parvuhis es in millihus Juda; ex te mihi
egredietur qui sit dominator in Israël, et egressus ejus ab initio, a diebus
aeternitatis. {Mic/i., v, -2.)
3. Ego enim ex Dco procossi. [Joann., viii, -42.)
4. De mco accipiet. [Joann., xvi, li.)
M. Cum aulem venerit Paracletus, quem ego mittam vobis a Pâtre, Spiritum
veritatis, qui a Pâtre procedit. {Joann., xv, 20.)
182 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
ment que Dieu a un Fils qui procède du Père par voie de généra-
tion, et que cette génération est éternelle, c'est-à-dire que le Fils
n'a pas commencé d'être fils, ni le Père d'être père, mais que l'un
et l'autre sont éternellement ce qu'ils sont. Nous y voyons de
même le Saint-Esprit qui procède du Père, mais qui procède aussi
du Fils qui contribue à son existence et qui, avec le Père, lui
donne sa mission. Mais il faut bien se garder de confondre ce qui
s'opère en Dieu, l'être intellectuel par excellence, l'intelligence
infiniment jiure, avec ce qui parait à nos sens dans les êtres ma-
tériels. Ce qui procède de Dieu ne se sépare pas de la substance
divine, et ne la divise en aucune manière. C'est un acte intérieur,
dont les opérations de notre propre intelligence peuvent contri-
buer à nous donner une idée. Vous comprenez, c'est-à-dire qu'il
se forme dans votre intelligence, par la vertu qu'elle a de com-
prendre et par la connaissance d'une chose, une conception de
cette chose. Cette conception est purement intérieure et elle existe
complète dans votre intelligence ; mais la voix ou tout autre
moyen extérieur pourra la manifester aux sens : elle ne sortira
point pour cela de votre intelligence et ne lui sera pas moins inti-
mement unie, ne faisant qu'un avec elle. Il se passe quelque chose
en Dieu d'analogue, mais avec une perfection infiniment plus
grande, et c'est à cette sorte d'enfantement, qui s'accomplit en
l'essence divine, sans blesser aucunement soit son unité, soit sa
simplicité, que l'on a donné le nom générique de procession K
Les Pères de l'Église n'ont pas été sans parler des processions
1. Cum omnis processio sil secundum aliquam aclionem ; sicul secundum
actionem qua; tendit in exteriorem materiam, est aliqua processio ad extra;
ita secundum actionem quap, manet in ipso agente, attenditur processio ad
intra. Et hoc maxime patet in intellectu ; cujusaclio, scilicet intelligere, manet
in intelligente. Quicuinque autem intelligit, ex hoc ipso quod intelligit, pro-
cedit aliquid intra ipsum quod est conceptio rei intellectœ ex vi intellectiva
provenions, et ex ejus notitia procedens. Quam quidem conceptionem vox
significat; etdicitur verhiim cordis significatum verbo vocis. — Cum autem
Deus sit super omnia, ea quae in Deo dicuntur, non sunt intelligenda secun-
dum modum infimarum creaturarum, quée sunt corpora, sed secundum simi-
litudinem suprcmarum creaturarum, quae sunt intellectuales substantiae; a
quiljus etiam similitudo accepta déficit a reprœsentalione divinorum. Non
ergo accipienda est processio secundum est in corporalibus, vel per motum
localem, vol per actionem alicujus causse in exteriorem cffectum, ut calor a
calefacicnle in calefactum; sed secundum emanationem intelligibilem, ulpote
verbi intelligibilisa dicente, quod manet in ipso. Et sic fides calholica ponit
processionem in divinis. (S. Thom., I p., q. xxvii, art. \.)
JÉSUS EDCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 183
qui sont en Dieu. S. Justin, dans VExposiiion de la foi, dit que
« le Fils est lumière et qu'il tire son origine de la lumière par
« génération. Le Saint-Esprit est aussi lumière et il vient de la
« lumière, non par génération, mais par procession i. » S. Atha-
nase écrit à l'évêque Sérapion : « Les véritables adorateurs adorent
« le Père, mais ils l'adorent en esprit et en vérité, reconnaissant
« le Fils, et dans le Fils l'Esprit; car l'Esprit est inséparable du
« Fils, comme le Fils est inséparable du Père. Ce que la vérité
« elle-même confirme par son témoignage lorsqu'elle dit : Je vous
1 enverrai le Paraclet, l'Esprit de vérité, qui procède du Père et
« que le monde ne peut recevoir ~. »
S, Augustin apporte aussi son témoignage en faveur des pro-
cessions qui sont en Dieu, lorsqu'il dit : « Le Saint-Esprit, d'après
« les Écritures, ne procède ni du Père seul, ni du Fils seul, mais
« des deux 3. » Ailleurs, expliquant ces paroles deNotre-Seigneur :
« De même que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils
« d'avoir la vie en lui-même ^ », il dit : « Il faut comprendre que
« de même que le Père a en lui-même cette vertu que le Saint-
« Esprit procède de lui, il a donné au Fils que le même Esprit
« saint procède aussi de lui, et cela de toute éternité. Ainsi, lors-
0 qu'il est dit que l'Esprit saint procède du Père, c'est pour faire
« entendre que s'il procède aussi du Fils, c'est du Père que le
« Fils lient cette vertu. Car si, tout ce que le Fils possède, il l'a
« reçu du Père, certainement il en a reçu que le Saint-Esprit pro-
mît cède de lui ^. »
1. P'ilius lumen de lumine .seneratione oritur. Spiritus sanctus lumen iti-
dem de lumine, non generatione, verum processione prodiit. (S. Justin.,
Exposit. Fid.)
2. Veri idcirco adoratores adorent quidem Patrem, sed in spiritu etveritate
confitentes Filium et in Filio Spiritum, cum sit Spiritus inseparabilis a Filio,
ut inseparabilis est Filius a Pâtre. Quod et ipsa veritas suo testimonio probat,
quum'dicit : Mittam vobis Paracletum Spiritum veritatis, qui a Paire procedit,
quem mundus capere non potest. (S. Atiian., Epist. ad Sernpiori.)
3. Qui Spiritus sanctus secundum Scripturas sanctas, nec Patris solius est,
nec Filii solius, sed amborum. (S. August., lib. XV de Tvinit., cap. xxvii.)
■4. Sicut Pater habet vitam in semetipso, sic dédit Filio vitam habere in
semetipso. {Jonnn., v, -li).)
y. Intelligat, sicut babet Pater in semetipso ut de illo procédât Spiritus
sanctus, sic dédisse Filio ut de illo procédât idem Spiritus sanctus, et utrum-
que sine tempore; atque ita dictum Spiritum sanctum de Pâtre procedere ut
intelligatur quod etiam procedit de Filio, de Pâtre esse Filio. Si enim quidquid
habet de Pâtre babet Filius, de Pâtre babet ulique ut et de illo procédât Spiri-
tus sanctus. (S. .\ugust., lib. X\' île Trinit., cap. \\vii.)
184 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
De ces textes et d'une multitude d'autres analogues, il est né-
cessaire de conclure que, d'après les écrits des Pères comme
d'après la Sainte Écriture, il y a des processions dans l'essence
divine. D'ailleurs l'Église en a fait un article de foi, qu'elle pro-
clame solennellement dans le symbole de Nicée. « Je crois, dit-elle,
t en un seul Dieu le Père.... et en un seul Seigneur Jésus-Christ,
€ Fils unique de Dieu, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai
« Dieu de vrai Dieu.... et en l'Esprit saint qui procède du Père et
€ du Fils K » Et dans le symbole de S. Athanase, elle dit : « Le
« Fils est du Père seul ; il n'est pas fait, il n'est pas créé, mais
« engendré. Le Saint-Esprit est du Père et du Fils; il n'est pas
« fait, il n'est pas créé, il n'est pas engendré, mais il procède -. »
La foi nous oblige donc à croire qu'il y a en Dieu des proces-
sions. Combien faut-il en admettre?
Les textes que nous avons cités, soit de l'Écriture, soit des Pères
ou des symboles de la foi, parlent de deux et ne nous autorisent
pas à en reconnaître davantage. Elles sont nécessaires et elles suf-
fisent pour la trinité des personnes en Dieu. Notre-Seigneur Jésus-
Christ dit en parlant de lui-même : « Je suis sorti de Dieu ; » et
en parlant du Saint-Esprit : « Je vous enverrai l'Esprit de vérité
« qui procède du Père. » Voilà bien les trois personnes divines :
Le Père, le Fils qui procède du Père, et le Saint-Esprit qui pro-
cède de l'un et de l'autre. Dieu est intelligence. Cette intelligence
infiniment parfaite ne peut pas être inactive, et son acte est la
procession d'une première personne, le Verbe. Cette première pro-
cession a reçu le nom de génération : le Verbe est le Fils de Dieu.
Mais outre l'intelligence qui comprend tout bien, il y a dans le
Père et le Fils la volonté qui agit à son tour et qui veut ou aime
le bien infini compris par l'intelligence. Cet acte simultané et
unique des deux premières personnes est l'origine delà troisième,
le Saint-Esprit. Et l'on ne peut pas admettre d'autres processions
en Dieu parce que, seules, son intelligence et sa volonté trouvent
en lui l'objet infini que réclame leur action et pour lequel elles
existent ^.
\. Credo in unum Deum Patrem.... Et in unum Dominum Jesum Christum
Fiiium Dei uni;renilum, Deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum de
Deo vero.... Kt in Sj)iritum sanctum.... qui ex Pâtre Filioque procedit.
2. Filius a Pâtre solo est, non factus, nec creatus, sed genitus : Spiritus
sanclus a Patro et Kilio : non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens.
y. Dicenduin (|uod processiones in divinis accipi non possunt, nisi secun-
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 185
Il n'en est pas pour la toute-puissance comme pour la volonté et
rintelligence. Ce n'est pas en Dieu mais hors de Dieu que se dé-
ploie son action. Les êtres qu'elle multiplie ne procèdent pas de
Dieu et en Dieu ; ils sont créés par lui et en dehors de lui.
Nous avons dit déjà que la première procession reçoit le nom de
génération. C'est le nom que la Sainte Écriture lui donne, toutes
les fois qu'elle en parle, et à ce nom correspond celui de Fils,
donné aussi par elle à la personne divine qui est le terme de cette
génération.
La seconde procession conserve particulièrement ce nom de
procession parce que c'est celui sous lequel elle est ordinairement
désignée dans la Sainte Écriture. On lui donne aussi le nom de
spiration active, parce que le terme auquel elle aboutit est le
Saint-Esprit.
Ces deux noms, génération et procession, ou spiration, sont con-
sacrés par la Sainte Écriture, par toute la tradition et par l'usage
constant de l'Église; on ne pourrait donc pas s'en écarter sans
errer gravement; mais il faut reconnaître, avec tous les Pères, que
le mystère que recouvrent ces mots génération et procession, Fils
et Esprit, lorsqu'il s'agit de Dieu, est absolument ineffable, et que
la raison ne saurait expliquer ni comprendre le pourquoi de ces
noms '. Il n'y a donc qu'une seule conduite sage à laquelle on
puisse s'arrêter : recevoir les noms et adorer humblement le mys-
tère, tel que Dieu nous le présente, par l'organe de sa sainte
Église.
Les deux processions qu'il faut reconnaître en Dieu et par les-
quelles sont constituées, si l'on peut ainsi parler, trois hypostases
ou personnes distinctes, en son inviolable unité, nécessitent et
dum actiones quae in agente manent; hujusniodi autem actiones in natura
intellectuali et divina non sunt nisi duae, scilicet intelligereet velle. (S. Thom.,
I p., q. xxvii, art. iJ.)
1. Voici, d'après S. Tliomas, tout l'éclaircissement quepcut donner la raison
unie à la foi :
Processio igitur, qu* attenditur secundum rationem intellectus, est secun-
dum rationem siinilitudinis. Et in tantum potest habere rationem generatio-
nis, quia omne generans générât sibi simile. Processio autem quaj attenditur
secundum rationem voluntatis, non consideratur secundum rationem simili-
tudinis, sed magis secundum rationem impellenlis et moventis in aliquid, et
ideo quod procedit in divinis per modum amoris, non proccdit ut genitum,
vel ut filius, sed magis procedit ut spirilus. Quo noniine vitalis motio et im-
pulsio designatur : prout aliquis ex amore dicitur moveri velimpelli ad aliquid
faciendum. (S. Thom., I p., q. xxvii, art. 4.)
186 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
établissent des relations entre ces trois adorables personnes. Ces
relations ne sont pas seulement de raison, c'est-à-dire n'aj^ant pas
d'existence réelle en elles-mêmes, mais uniquement dans notre in-
telligence : elles existent réellement en Dieu comme les personnes.
Nous lisons, en eflet, dans l'Évangile selon S. Jean : « Ils sont
« trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Fils et le
« Saint-Esprit i. » Les relations entre ces trois personnes sont
évidentes. « Un père n'est père, dit S. Thomas, qu'en vertu de la
« paternité, et un fils n'est fils que par la filiation. Si donc la pa-
« ternité et la filiation n'existaient pas réellement en Dieu, il s'en-
« suivrait que Dieu ne serait pas réellement Père ni réellement
« Fils, mais seulement pour notre manière de comprendre. C'est
« en quoi consiste l'hérésie des Sabelliens ^. »
Le saint docteur, dans la suite du même article, répète plusieurs
fois que les relations entre les personnes divines sont des relations
réellement existantes, et qu'il est nécessaire qu'elles le soient,
puisqu'elles résultent des processions. Comment les relations pour-
raient-elles n'être pas réelles mais seulement le fait de l'intelligence
humaine, lorsque le Père engendre réellement le Fils, et que du
Père et du Fils procède réellement le Saint-Esprit? Ces relations
existent donc, et si même aucune intelligence créée ne les soup-
çonnait, elles n'en existeraient pas moins; elles ne sont pas le fruit
de nos pensées : elles sont de l'essence môme de Dieu.
Il n'y a en Dieu que deux processions et trois personnes, mais les
deux processions suffisent pour établir quatre relations entre les
trois personnes. Il y a, de la part du Père, la génération active, en
vertu de laquelle il est le principe du Fils. Il y a dans le Fils la
génération passive ou la filiation, en vertu de laquelle il est le Fils
du Père. Il y a la spiration active de la part du Père et du Fils,
desquels le Saint-Esprit procède comme d'un principe unique. Il y
a, dans le Saint-Esprit, la spiration ou procession passive qui le
fait se rapporter au Père et au Fils comme à son principe unique,
quoique le Père et le Fils soient deux personnes réellement dis-
tinctes.
1 . Trcs sunl qui testiinonium dant in cœlo, Pater, Filius et Spiritus sanctus.
(/, Jonnn., v, 7.)
2, Pater non dicitur nisi a paternilate, et Filius a filiatione. Si igitur patcr-
nitas elfiliatio non sunt in Doo realiler, sequitur quod Deus non sit reaiiter
Pater, aut Filius, sed secundum ralioneui intelligenlijE tanlum. Quod est
haeresis sabelliana. (S. Tikim., I p., q. xxvdi, art. \.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 187
Ces relations, toutes réelles qu'elles soient, n'établissent aucune
supériorité ni aucune infériorité entre les trois personnes, parce
qu'elles n'atteignent point la substance divine qui est toujours
identiquement la même, une et indivisible dans les trois réunies,
comme dans chacune d'elles prise à part. Sans doute il n'en est
pas ainsi parmi les créatures, et les relations analogues à celles
qui existent dans la Très Sainte Trinité entraînent des consé-
quences d'inégalité et de dépendance; mais la créature n'est pas
Dieu : il ne faut pas juger de ce qui est en Dieu par ce que
nous constatons en elle. De même, s'il s'agissait de créatures,
d'êtres finis et bornés, ces relations ne pourraient exister sans
composition; mais en Dieu, il est de foi qu'elles existent et que la
simplicité absolue de Dieu n'en est aucunement altérée. Il n'y a
pour cela, dans la nature divine, aucun genre de composition, ni
physique, c"est-à dire de matière et de forme ; ni métaphysique,
c'est-à-dire de forme et de subsistance; ni logique, c'est-à-dire de
genre et de différence. Voilà ce que la raison peut constater en Dieu,
avec l'aide des lumières de la foi ; mais il n'est donné à aucune
créature de comprendre le fond de ce mystère ; il faut croire et
adorer.
Faut-il reconnaître une distinction quelconque entre les rela-
tions qui unissent les trois adorables personnes de la Trinité divine,
et l'essence même de Dieu ?
Au xii*" siècle, Gilbert de la Porrée, philosophe subtil mais mau-
vais théologien, enseigna qu'il fallait considérer, dans la nature
divine, ce qui est abstrait selon notre manière de voir, comme
réellement distinct de ce qui est concret. Selon lui. la divinité se-
rait, dans la réalité, différente de Dieu, et la paternité différente
du Père; les relations se distingueraient réellement de l'essence, et
non pas seulement d'une manière virtuelle. Au concile de Reims
tenu sous le pape Eugène III, S. Bernard combattit victorieuse-
ment ces erreurs qui ne se relevèrent pas, quoique Durand et
Scot aient avancé plus tard des opinions qui en approchaient.
La doctrine de l'Église, enseignée par les théologiens et résul-
tant des décisions dogmatiques de plusieurs conciles, est que la
seule distinction que l'on doit admettre enlre les relations de&
personnes divines et l'essence de Dieu est une distinction purement
virtuelle. Ces relations sont avec l'essence, la nature, la substance
divine un seul et même être infiniment simple, dont elles ne se
188 LA SAINTE EICHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. V.
diflerencient pas dans la réalité. Mais néanmoins il y a, dans cette
unité et celte simplicité de Dieu, quelque chose qui autorise la rai-
son humaine à distinguer les relations de l'essence. Le Concile de
Latran dit expressément que les relations en Dieu et l'essence sont
une même et simple entité '. Celui de Reims déclare que la sagesse
et les autres attributs de Dieu sont la même chose que Dieu. Le
Concile de Florence définit qu'entre l'essence divine et les relations,
il n'y a qu'une distinction de raison, et les théologiens grecs pré-
sents à ce Concile reconnaissent que tel est aussi leur enseigne-
ment '.
Il faut bien qu'il en soit ainsi puisque, si l'on admettait une dis-
tinction réelle entre les relations des personnes et l'essence en
Dieu, il faudrait reconnaître quatre entités distinctes, l'essence et
les trois personnes, une quaternité au lieu d'une trinité, ce qui
est contraire à la foi. D'ailleurs on ne saurait admettre en Dieu
d'autre distinction réelle que celles qui résultent de relations
opposées, comme la paternité et la filiation, qui distinguent
réellement le Père et le Fils, comme personnes divines; autrement
l'absolu serait multiplié et la divinité aussi. S'il y avait distinction
réelle entre l'essence et les personnes, entre les attributs différents,
ou les attributs et la nature, il faudrait reconnaître autant de dieux
que d'entités réellement distinctes, ce qui est absurde et inadmis-
sible. On ne peut donc admettre qu'une distinction virtuelle entre
les relations des personnes et l'essence divine 3.
Les théologiens enseignent que les relations qui constituent les
personnes divines ajoutent une perfection à l'essence de Dieu,
quoique l'essence de Dieu, infiniment parfaite en elle-même, ne
puisse recevoir aucune perfection qui ne soit pas elle-même, et ne
lui soit pas réellement identique. Mais c'est par les relations que
les personnes divines sont réellement constituées; c'est par la
paternité que la première personne est le Père; parla filiation que
la seconde personne est le Fils; par la spiration que la troisième
personne est le Saint-Esprit; ce qui distingue entre elles ces trois
adorables personnes, ce qui fait que l'une n'est pas l'autre, ne sau-
rait être quelque chose de purement virtuel : un effet réel demande
une cause réelle. Qui oserait dire qu'une telle cause, qu'une telle
1. Ldteran., cap. Damnamus.
2. Florent., sess. XVI.
:». Vide S. Tmni., I p., q. xxviii, art. 2, etq. xxxiii, art. 3.
JESUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRIMTÉ. 189
relation nuit à la perfection de Dieu ou n'y ajoute rien? Les rela-
tions divines sont donc des perfections réelles de l'essence de Dieu,
incompréhensiblement unies à elle, et contribuant à son infinie
perfection, sans troubler en rien son admirable simplicité. L'Être
absolu est toujours un et unique, subsistant par lui-même; mais
sa simplicité absolue n'exclut pas les attributs et les perfections qui,
au contraire, sont nécessaires à sa nature. Parmi ces perfections
prennent place les relations, et des relations résultent, dans l'être
absolu de Dieu, trois subsistances réelles non pas absolues, mais
relatives, trois personnes réellement distinctes, mais qui ne sont
ensemble qu'un seul et même être, un Dieu unique et indivisible.
Il est nécessaire d'examiner de plus près ce qui concerne en gé-
néral les trois adorables personnes de la Très Sainte Trinité.
Boëce définit la personne : une substance indivisible de nature
raisonnable. C'est une substance, c'est-à-dire un être complet ;
d'où il suit que l'àme humaine séparée de son corps, bien que
subsistant par elle-même, n'est pas une personne : ce n'est pas
un homme, une substance complète selon sa nature. Cette subs-
tance n'est une personne qu'à la condition d'être individualisée ;
ce qui demeure universel et n'a pas d'existence concrète et sé-
parée dans un être particulier, ne saurait être une personne. Enfin
le nom de personne ne convient qu'aux êtres dont la nature est
raisonnable et intelligente ; les substances privées de raison ne
sont pas des personnes.
Les Pères et les écrivains ecclésiastiques de l'Église grecque,
lorsqu'ils traitent des personnes divines, remplacent ordinaire-
ment ce nom personne par celui dliypostase, dont la signification
est la même.
Il est aisé de démontrer que la notion de la personne, telle qu'elle
est définie par Boëce et acceptée par S. Thomas, trouve en Dieu
son application. Si la personne est une substance indivisible de
nature raisonnable, la nature de Dieu n'est-elle pas la nature rai-
sonnable par excellence, puisqu'il est un esprit infiniment et ab-
solument pur? Et cette même nature, si on la considère sous le
rapport de la paternité qui est en elle, n'est-elle pas incommuni-
cable ? Le Père n'est-il pas dans l'impossibilité de communiquer
à quelque autre sa paternité? Le Père, en tant que Père, commu-
nique bien au Fils tout son être divin, toutes ses perfections, mais
il ne lui communique pas sa paternité, non plus qu'au Saint-Es-
190 LA SAINTE EUCHARISTIE. — IT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
prit. On peut appliquer ce même raisonnement aux autres per-
sonnes divines. Il faut donc reconnaître des personnes en Dieu.
Le symbole de S. Athanase ne permet pas d'ailleurs d'en douter,
puisqu'on y lit : « Autre est la personne du Père, autre celle du
« Fils, autre celle du Saint-Esprit. » Le Concile de Florence le
déclare aussi formellement K
Ainsi donc, Dieu est l'être absolu, subsistant par lui-même, et
cette subsistance absolue est indépendante des personnes avec
lesquelles elle ne se multiplie pas - ; elle est unique en Dieu ; elle
se confond avec son existence, son essence, sa nature. Mais cette
subsistance unique est en quelque manière modifiée par les rela-
tions qui sont en Dieu, et qui constituent les personnes ; elle
devient, par ces relations, triplement incommunicable, comme
Père, comme Fils et comme Saint-Esprit ; de sorte que ces trois
adorables personnes ont chacune leur subsistance distincte
comme personnes, et que ces trois subsistances distinctes n'en
sont au fond qu'une seule, comme les trois personnes, dont cha-
cune est Dieu, ne sont néanmoins qu'un seul et même Dieu, une
seule et même essence divine.
Il y a donc trois personnes en Dieu, et ces trois personnes, réel-
lement distinctes comme personnes, n'ont qu'une même nature et
une même divinité : elles ne sont qu'un seul Dieu. Mais peut-on
prouver que l'unité de Dieu subsiste réellement malgré la trinité des
personnes divines? Quelques hérétiques auxquels on a donné le nom
de Trithéistes l'ont nié: ils ont admis trois dieux selon le nombre
des personnes divines. Sans doute leur erreur est éteinte depuis
longtemps, mais il est toujours bon de connaître au moins quelques
preuves d'une vérité qui a été attaquée et qui peut l'être encore.
La Sainte Écriture qui nous parle, en cent passages, des trois
personnes divines, n'affirme pas avec moins d'autorité l'unité de
Dieu. C'est ainsi que, dans le Deutéronome, Dieu dit à son peuple :
« Vous voyez que je suis seul et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que
« moi ^ » Le chapitre xlv d'Isaïe est consacré presque tout entier
à proclamer l'unité de Dieu. Le Seigneur s'adresse à Cyrus, par la
\. ConcH. Florent., cap. Firmiter.
2. Natura divina est in se habens esse subsistons, nulla intellecla persona-
rum distinctione. (S. Thom., in I, dist. xxi, q. ii.)
3. Videte quod ego sim solus et non sit alius Deus praeter me. [Deuter.,
XXXII, 39.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 191
bouche du prophète, et lui dit : « Je suis le Seigneur et il n'y en a
a pas davantage ; hors de moi il n'y a pas de Dieu ; et je t'ai ceint,
a et tu ne m'as pas connu ; afin qu'ils sachent, ceux qui sont du
« levant et ceux qui sont de l'occident, que hors moi il n'y en a
« pas. Je suis le Seigneur et il n'y en a pas d'autre K... Annoncez,
« venez et consultez ensemble : qui a fait entendre cela dès le
« commencement, et dès lors qui l'a prédit? N'est-ce pas moi, le
« Seigneur, et il n'y a plus de Dieu hors de moi? Un Dieu juste
« et qui sauve, il n'y en a pas excepté moi. Convertissez-vous à
« moi, et vous serez sauvés, vous tous, confins de la terre, parce
« que moi je suis Dieu et qu'il n'y en a point d'autre 2. »
L'apôtre S. Paul parle comme le prophète. Il écrit aux Corin-
thiens : « Quoiqu'il y ait ce qu'on appelle des dieux, soit dans le
« ciel, soit sur la terre (or il y a ainsi beaucoup de dieux et de
« seigneurs), pour nous, cependant, il n'est qu'un seul Dieu : le
« Père, de qui toutes choses viennent, et nous surtout qu'il a faits
« pour lui, et qu'un seul Seigneur Jésus-Christ, par qui toutes
« choses sont, et nous aussi par lui 3. » C'est bien là l'unité de
Dieu enseignée par opposition avec le polythéisme des gentils, et
c'est en même temps la pluralité des personnes en ce Dieu unique,
proclamée en face de l'erreur commune chez les Juifs, dont la
plupart l'ignoraient ou refusaient de l'admettre. On lit encore
dans l'Épître aux Éphésiens : « Il y a un seul Seigneur, une seule
a foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous *. » C'est bien
encore l'unité de Dieu ; en même temps, la pluralité des personnes
ressort de l'ensemble de toute cette épître, dans laquelle se trouve
affirmée la divinité du Fils et du Saint-Esprit aussi bien que celle
du Père : qu'on lise en particulier, dans le texte même, les deux
1. Ego Dominus et non est amplius : extra me non estDeus : accinxi te et
non cognovisti me : ut sciant hi qui ab ortu solis, et qui ab occidente, quo-
niam absque me non est. Ego Dominus et non est alter. (/s., xlv, 5, 6.)
2. Annuntiate, et venite, et consiliamini simul : quis auditum fecit hoc ab
initio, ex tune praedixit illud? Numquid non ego Dominus, et non est ultra
Deus absque me? Deusjustus et salvans non est prseter me. Convertimini ad
me, et salvi eritis, omnes fines terrae, quia ego Deus, et non est alius. (Id.,
ifnd., 21, 22.)
3. Nam etsi sunt qui dicantur dii, sive in cœlo, sive in terra (siquidem sunt
dii multi et domini multi) : nobis tamen unus Deus, Pater, ex quo omnia, et
nos in ilium : et unus Dominus Jésus Christus per quem omnia et nos per
Ipsum. (/. Cor., vui, U, G.)
4. Unus Dominus, una fides, unum baptismum. Unus Deus et Pater om-
nium. (Ej)hes., IV, U, G.)
192 LA SAINTE EUCHARISTIE. — Il« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
premiers cliapitres que nous ne pouvons transcrire ici : on en
trouvera la preuve presque à chaque verset.
Le symbole de S. Athanase exprime, avec une grande précision,
l'unité de Dieu et la trinité des personnes divines, par ces
quelques mots : « Il faut vénérer Tunité dans la Trinité, et la
t Trinité dans l'unité '. »
Le Concile de Latran définit la même doctrine en ces termes :
« Approuvés par le Concile sacré et universel, nous croyons et
« nous confessons avec Pierre qu'il existe quelque chose de su-
« préme, d'incompréhensible et d'ineffable qui est véritablement
0 Père, Fils et Saint-Esprit, trois personnes en même temps et
« chacune distincte des autres. Et il y a en Dieu seulement trinité
« et non quaternité, parce que chaque personne est cette chose,
« cette substance, essence ou nature divine, qui seule est le principe
« de tout, en dehors duquel on n'en peut pas trouver d'autre 2. »
Le sixième Concile général réuni àConstantinopleen l'année 680,
par le pape S. Agathon, de concert avec Tempereur Constantin
Pogonat, s'occupa principalement de mettre fin à l'agitation sou-
levée par les monothélites. On y lut une lettre synodale d'un autre
Concile tenu à Rome, et cette lettre fut approuvée par les Pères du
Concile de Constantinople. Elle contenait, entre autres déclara-
tions, cette profession de foi : « Les Pères du Concile confessent la
« Trinité dans l'unité, et l'unité dans la Trinité; l'unité d'essence
« et la Trinité des personnes ou des substances, Dieu le Père, Dieu
a le Fils, Dieu le Saint-Esprit : non pas trois Dieux, mais un seul
« Dieu 3. » — On trouve encore, dans les actes de ce môme Concile,
l'approbation d'une lettre synodale adressée au pape et à tous les
patriarciies, quelques années auparavant, par S. Sophrone de Jéru-
1. lia ut per omnia sicut jam supra dictum est, et unitas in Trinitate, et
Trinitas in unitate veneranda sit. {Symb. S. Athanas.)
2. Nos autem sacro et universali Concilio approbante, credimus, et confite-
mur cum Petro quod una quœdam summa res est, incomprehensibilis quidem
et ineffabilis, quae veraciter est Pater, et Filius, et Spiritus sanctus, très per-
sonae simul ac singulatim quîelibet earum. Et ideo in Deo Trinitas est solum-
modo, non quaternitas; quia quaelibet personarum est illa res, videlicet
substantia, essentia, sive natura divina quse sola est universorum principium,
prseter quod aliud non inveniri potest. [Concil. Lateran. IV, cap. 11.)
•1. Trinitatom in unitate et unitatem in Trinitate; unitatem quidem essen-
tiee, Trinitatem vero personarum, sive subsistentiaruin, Deum Patrem confi-
tentes, Deum Filium, Deum Spiritum sanctum; non 1res Deos, sed unum
Deum. {Concil. (jeneral. VI, Conslantinop., act. vi.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 193
salem. Cette lettre renferme un magnifique exposé de la foi catho-
lique sur le mystère de la Trinité et, en particulier, sur l'unité de
l'Être divin dans la trinité des personnes.
On pourrait aisément multiplier les textes de cette sorte ; les
actes des Conciles et les écrits des Pères grecs ou romains en pré-
sentent une ample moisson. S. Denis l'Aréopagite, S. Justin,
S. Atlianase, S. Grégoire deNysse, S. Basile, Tertullien, S. Hilaire,
S. Ambroise, S. Augustin, S. Jérôme et bien d'autres apportent
leur témoignage en faveur de l'unité de Dieu dans la trinité des
personnes ' ; ils ne se contentent pas d'exposer la doctrine de
1. Unitas est, unifica unitatis omnis. (S. Dionys., lib. de Divinis Nomin.,
cap. X.)
Unitas enim in Trinitate intelligitur, et Trinitas in unitate cognoscitur.
(S. Justin., in Eclesi.)
Qui unum dicit Deuin duo profitetur ; eo ipso quod Pater et Filius divinitate
sint unum. (S. Atiianas., orat. \ adversiis Arianos.)
NuUo id sermone consequi possumus nos, quemadmodum res eadem nu-
merabilis sit et numerum fugiat : tum ut distincta noscatur et in unitate
nihilominus intelligatur : atque et hypostasi disjuncta, et subjecto minime
divisa sit. Ac rursus aliud sit illud, cujus et Verbum est et Spiritus. (S. Gre-
GOR. Nyss., Orat. cathoL, cap. ni.)
Xobis unus est Deus, quoniam una est divinités.... Individua individuis, ut
uno verbo dicam, est divinitas, ac velut in tribus solibus sibi cobaerentibus
una lucis est commixtio et temperatio. (S. Greg. Naz., orat. XXXVII.)
Xos unum Deum, non numéro, sed natura, profiteri. Quidquid numéro unum
dicitur, hoc rêvera unum non est, neque natura simplex. (S. Basil , epist. CXLI.)
Unum est iscilicet Filius Dei) ad suum genitorem identitate naturali : ta-
metsi secundum hypostasim propriam existât. (S. Cyrill. Alex., lib. X contra
Julianum.)
Filius namque Dei Deus est : hoc enim significatur ex nomine. Xon duos
Deos connumerat nomeu unum, quia unius atque indifferentis naturae unum
Deus nomen est. (S. Hilar., lib. VII de Trinitate.)
Adoremus Patrem et Filium et Spiritum sanctum; in Filio Patrem, in Spi-
ritu autem sancto aut Patrem aut Filium intelligentes; distinguentes antequam
conjungamus, et jungentes antequam dividamus; unitatem in Trinitate véné-
rantes, et Trinitatem in unitate confitentes. (S. Ambros., lib. in Symbol.
Aposlot., cap. v.)
Patris ergo et Filii, et Spiritus sancti, etiamsi disparem potestatem, natu-
ram saltem confiteantur aequalem. (S. August., lib. contra Sermonem Ariatio-
rtim, cap. xviii.)
Cum ergo fides et confcssio tua, ut credimus, atque confîdimus, coîeternam
Trinitatem unius divinitatis et substantias, et operis et regni esse te.sletur....
a Deo doctus es, docens unitatem Trinitalis sine confusione jungens, et Tri-
nitatem ipsius unitatis sine separalione distinguens; ita ut nulla alteri per-
sona* conveniat, et in omni persona trium Deus unus eluceat; et lantus qui-
dcm Filius quantus et Pater, quantus et Spiritus sanctus. Sed semper quiscjuis
sui nominis proprietate dislinctus, individuam rolinet in virtulis et gloriae
aequalitale, concordiam. (S. Paulin., Epist. XW'II ad Virtricium.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 13
194 LA SAINTE EUCHARISTIE. — IF PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
l'Église, mais ils donnent souvent des raisons qui militent en sa
faveur. C'est ainsi que Tertullien, dans son livre contre Praxéas,
enseigne que nous disons que Dieu est un, parce qu'il y a en lui
trois personnes en une seule nature : S. Justin, dans son Dialogue
avec Tnjphon, et Clément d'Alexandrie, dans le Pédagogue,
reprennent le même argument. Athénagore, S. Théophile Martyr,
S. Basile, exposent que la trinité des personnes n'est pas un obsta-
cle à l'unité de la nature. D'autres montrent la différence qui existe
entre les trois personnes divines et les êtres créés. Dans ceux-ci la
nature se divise et se multiplie avec les individus, tandis que,
pour les personnes divines, la nature demeure une et indivisible.
D'autres encore font remarquer, avec l'apôtre S. Paul, que le
mystère de la Très Sainte Trinité est incompréhensible et inef-
fable, ce qui ne serait pas, disent-ils, si chaque personne divine
avait sa nature particulière, semblable à celle des autres, mais
non pas identiquement et numériquement la même. Enfin si
l'unité de nature n'existait pas dans la trinité des personnes, les
Pères n'auraient pas eu à combattre, pendant les premiers siècles,
tant d'hérésies diverses occasionnées par la profondeur même de
cet adorable mystère.
Ajoutons pour terminer que la raison elle-même exige que les
trois personnes divines, du moment qu'elles existent réellement,
n'aient ensemble qu'une même nature et une même divinité,
qu'elles ne soient qu'un seul être, une seule substance. Si en effet
l'essence ou la substance divine était divisée entre les trois per-
sonnes, Dieu ne serait plus l'être infiniment parfait, car toute
division est une imperfection; chacune des trois personnes serait
moins que les trois ensemble; elles ne seraient pas infinies, puis-
qu'il y aurait du plus et du moins entre elles, et l'assemblage de
trois êtres finis ne pourrait donner qu'un tout qui, semblable à ses
parties, serait fini comme elles. Il y aurait trois Dieux, ou plutôt
il n'y aurait plus de Dieu, puisque l'être infiniment parfait et indé-
pendant de toutes choses n'existerait plus.
Quiconque croit en Dieu, quiconque reconnaît en même temps la
divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit serait donc inconsé-
quent s'il n'admettait pas l'unité de nature dans la trinité des per-
sonnes divines; il outragerait la raison en même temps qu'il per-
drait la foi.
Tel est le Dieu que nous adorons dans le très saint et très véné-
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 195
rable sacrement de l'Eucharistie, où la divinité tout entière se
trouve en la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qui pourrait
ne pas se dévouer entièrement, ne pas se consacrer sans réserve au
culte et au service d'un Dieu si grand, et qui daigne ainsi s'ap-
procher de nous?
II.
MYSTÈRE DE LA. GÉNÉRATION ÉTERNELLE DU FILS DE DIEU
QUI s'accomplit DANS LA TRES SAINTE EUCHARISTIE
Les trois personnes de l'adorable Trinité qui sont un seul et
même Dieu sont inséparables, et l'une d'elles ne peut pas être
particulièrement en un lieu, pour parler selon l'imperfection du
langage humain, sans que les deux autres y soient avec elles, et
que l'acte éternel qui constitue leurs relations et distingue leur
personnalité s'y accomplisse en même temps. Nous adorons, voilée
sous les Espèces eucharistiques, la seconde des trois personnes
divines; mais nous ne devons pas oublier la première et la troi-
sième, ni les mystères infiniment profonds de la vie intime de Dieu,
qui s'accomplissent sur nos autels et dans nos tabernacles.
La foi catholique croit et enseigne que la seconde personne de
la Sainte Trinité est véritablement le Fils de Dieu. Ce nom de Fils
de Dieu est le premier sous lequel elle le désigne proprement, et
si l'Église, instruite par l'Écriture et éclairée par l'Esprit saint,
donne ce nom à la seconde personne de la très adorable Trinité,
c'est parce qu'il lui convient en vertu du mode selon lequel elle
procède du Père. On donne quelquefois, il est vrai, ce nom de fils
de Dieu, improprement ou par métaphore, aux anges ou aux
hommes justes, à ceux que Dieu adopte en raison de leur partici-
pation à la grâce de Jésus-Christ; mais le véritable Fils de Dieu,
son Fils unique, premier-né avant toute créature, c'est celui à qui,
de toute éternité, il a dit : « Vous êtes mon Fils, je vous ai engen-
« dré aujourd'hui : » Filius meus es tu; ego hodie genui te;
c'est celui que nous adorons au Très Saint Sacrement de l'autel.
Quatre conditions, en effet, sont nécessaires pour que la seconde
personne de la Sainte Trinité soit et puisse être appelée, dans
toute la rigueur des termes, le Fils de Dieu.
La première de ces conditions est que le Fils procède de la subs-
tance et de la nature du Père.
196 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. V.
Notre-Seigneur Jésus-Christ a daigné nous déclarer lui-même
que, selon sa nature divine, c'est du Père qu'il procède. Il nous a
dit : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ^ »
S. Augustin fait cette remarque : « Le Fils unique de Dieu n'est
0 pas sorti du Père comme toutes les créatures qu'il a tirées du
« néant. Il n"a pas fait son Fils de rien, mais il l'a engendré de sa
« propre substance. Il ne lui a pas donné naissance dans le temps :
a au contraire c'est par lui qu'il a créé tous les temps 2. » s. Atha-
nase parle de même, ainsi que plusieurs autres Pères. D'après
S. Hilaire, dans le VP livre sur la Trinité, lorsque l'Écriture dit :
« Je vous ai engendré de mon sein, » on ne peut pas croire que
celui dont elle parle ainsi ait été tiré par Dieu du néant. Les
expressions qui ne conviennent littéralement qu'à des naissances
corporelles marquent assez qu'il s'agit d'une nativité véritable.
Dieu n'a pas de corps ni de membres, quoiqu'il dise, en parlant
de la génération de son Fils : « Je vous ai engendré avant l'étoile
0 du matin. » Mais pour exprimer avec plus de force cette inénarra-
ble génération de son Fils, procédant en toute vérité de sa substance
divine, il s'est servi d'expressions que les hommes pouvaient com-
prendre, parce qu'elles sont en rapport avec leur nature. Il n'y a
pas ainsi d'équivoque possible, et il faut bien croire que c'est réel-
lement de sa substance et non pas du néant que le Fils est sorti ^.
La seconde condition est que le Fils, non seulement procède de
la substance du Père, mais qu'il soit de même nature, de môme
essence que lui. Qu'il en soit ainsi, l'Apôtre ne nous permet pas
d'en douter, lorsqu'il dit que le Verbe « est la splendeur de la
« gloire de Dieu et la figure de sa substance ^; i> c'est-à-dire que
1. Kxivi a Pâtre et vcni in mundinn. {.loann., wi, ^S.)
2. Non sic ex Deo Pâtre Unigenitus Filius, qucmadmodum ex illo est uni-
vcrsa creatura, quam ex nihilo croavil. llunc quipi)e de sua substanlia genuit,
non ox nihilo fecit : nec eum ex temporc genuit, \)cv quem cuncta tempera
condidit. (S. .\ugust., Epist. LXVI.)
;j. Deinde rum significatur ex utero, interroge an credi possil esse nalus
ex niliilo, cuin nativilatis veritas per corporalium efficienliam nomina revele-
tur? Non enim membris corporalihus consistens Deus, cuin generalionem
Filii commemorasset, ait : Ex utero mile luci/'erum r/enui le. Sed inenarrabi-
1cm iliam unigeniti ex se Filii nativilatein ex divinitalis suœ veritale confir-
mans, ad intelligentiie fidem loculus est, ut de divinis bis rébus secundum
bumanam naturam natura? sensum ad fidei scientiam erudiret : ul cum ait,
ex utero, non ex nibilo crealio substilisse, sed ex se unigeniti sui naluralis
doccrelur nalivilas. (S. Hilar., de Trinit., lib. VI.)
4. Qui cum sit splendor gloriae et figura substantiae ejus. [Hehr., i, 3.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 197
sa similitude avec le Père est parfaite. « Il est le Fils unique et
« l'image du Dieu invisible, il est nécessaire par conséquent qu'il
« soit d'essence semblable, aussi bien selon l'espèce que selon la
« nature, » dit S. Hilaire K II ajoute : « Et représenter ainsi dans
« toute sa vérité la forme du Père, avec la similitude parfaite
« sous le rapport de la nature, c'est être véritablement Fils de
« Dieu 2. B
Une troisième condition est encore nécessaire, pour que le Fils
de Dieu ait droit en toute rigueur à ce titre de Fils; il ne lui suffit
pas, comme aux hommes et aux autres êtres vivants, que sa nature
ressemble à celle de son Père, il faut qu'elle soit numériquement
la même et que cette nature ne soit pas celle de deux êtres dis-
tincts, mais d'un seul. S'il en était autrement, si deux êtres dis-
tincts et séparés l'un de l'autre possédaient la nature divine, il y
aurait deux divinités au lieu d'une seule. Aussi Notre-Seigneur
Jésus-Christ a-t-il eu soin de nous avertir que la nature divine, si
elle est le propre de plusieurs personnes, n'est pas pour cela divisée
entre plusieurs êtres, lorsqu'il a dit : « Mon Père et moi nous
sommes une seule chose 3. » Et il a répété le même enseignement
sous d'autres termes, en disant à ses apôtres, qui témoignaient le
désir de voir son Père céleste : « Celui qui me voit voit aussi mon
Père ^. » Que le Fils soit dans le Père, dit S. Athanase, et que le
Père soit dans le Fils, cela signifie uniquement que le Fils engen-
dré de Dieu est, par sa nature même, tel que le Père qui l'engendre;
que la forme ou l'essence du Père se retrouve tout entière en lui,
et que lui-même est tout entier dans la substance paternelle. Il y a
donc dualité de personnes, un fils et un père; mais la nature n'est
pas divisée, car son intégrité est au-dessus de toute atteinte ^.
Enfin, la quatrième et dernière condition, sans laquelle la géné-
ration du Fils de Dieu ne serait pas une génération véritable et
1. Cum enim unigenitus Filius Dei, et imago invisibilis Dei sit, necesse est
per speciem atque naturam similis essentiœ sit. (S. Hilar., de Synodis, n. xi.)
^. Et hoc vere est esse Filium Dei, paternae sciiicet formœ veritatem coima-
ginatae in se naturae perfecta similitudine retulisse. (Id., idid.)
3. Ego et Pater unum sumus. {Joann., x, 30.)
4. Qui videt me videt et Patrem meum. (Joaiin., xiv, D.)
y. Igitur in Pâtre Filium esse, et Patrem in Filio, hoc nihil est aliud, quam
illum qui ex Deo genitus est, naturaliter talem esse, qualis est genitor Pater,
eumque ostendere paternam formam in se et vicissim ostendi in paterna
substantia : unus igitur, et unus, dualitas; non divisa est natura cum sil
indeficiens ad suam integritatem. (S. Athan., orat. contra Sahell.)
198 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11'= PARTIE. — LIVRE H. — CIIAP. V.
lui-même ne serait pas réellement Fils de Dieu, est que celte géné-
ration soit éternelle, et que jamais le Verbe divin n'eût été sim-
plement possible.
L'Ecclésiastique témoigne de l'éternité de cette génération, lors-
qu'il fait dire au Verbe ou à la Sagesse de Dieu : « Dès le principe
t avant tous les siècles, j'ai été créée i, » c'est-à-dire engendrée,
et si l'on s'en rapporte au texte hébreu; ce qui fait dire à S. Am-
broise : Le Père n'a pas commencé d'être ce qu'il est, c'est-à-dire
Père, et s'il n'a pas commencé, le Fils non plus n'a pas commencé
d'être Fils -, Et cette génération éternelle exclut toute dépendance
pour le Fils, et toute possibilité pour le Père de ne pas engen-
drer, comme pour le Fils de n'être pas engendré. Le Père, parce
qu'il est éternel, est immuable ; il ne peut pas devenir Père, s'il ne
l'est éternellement; il ne peut pas acquérir, par cet acte éternel,
une nouvelle autorité. Le Fils de son côté, parce qu'il est éternel
comme le Père, ne peut pas devenir Fils puisqu'il l'est éternel-
lement, ni se trouver dans un état de dépendance incompatible
avec sa perfection infinie. Ce qu'il est, il l'a toujours été et le sera
toujours, selon la parole de David répétée par S. Paul : « Vous
« êtes toujours le même et vos années ne passent pas 3. »
Quelle reconnaissance ne doit pas être la nôtre lorsque nous
savons que ce Fils éternel de Dieu s'est fait homme pour nous, et
lorsqu'il nous est donné de nous approcher de lui dans le sacre-
ment adorable où il s'est caché par amour pour nous, afin d'être
notre consolateur, notre victime et notre nourriture ?
Nous pouvons donc, avec Pierre et les autres apôtres, dire
au Seigneur : « Vous êtes véritablement le Fils de Dieu *. » Ajou-
tons avec S. .Jean : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu et
« nous a donné l'intelligence, afin que nous connaissions le vrai
« Dieu et que nous soyons en son vrai Fils. C'est lui qui est le vrai
« Fils de Dieu, et la vie éternelle ^. »
Si l'on veut maintenant se former une idée aussi peu imparfaite
\. Ab initio et ante saecula creata sum. [Eccli., xxiv, 1i.)
'i. Quod Pater est, esse non cœpit; et si non cœpit, nec Filius cœpit.
(S. Ambros., de Symbole, cap. iv.)
3. Tu autem idem ipse es et anni tui non déficient. {Ps. ci, 27.)
4. Vere Filius Dei es. [Malth., xiv, 3.'}.)
y>. Et scinuis quoniam Filius Dei venit et dédit nobis sensum ut cognosca-
mus veruin Deum, et simus in vero Filio ejus. Hic est verus Deus et vita
aeterna, (/. Joann., v, 20.)
JÉSUS EUCHABISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 199
que possible du mode selon lequel s'accomplit l'éternelle géné-
ration du Fils de Dieu, ces quelques lignes de Bossuet pourront y
aider. Après avoir donné diverses comparaisons, il dit : « Tout
« cela est mort : le soleil, son rayon, sa chaleur; un cachet, son
« expression ; une image ou taillée ou peinte; un miroir et les res-
a semblances que les objets y produisent, sont choses mortes. Dieu
(( a fait une image plus vive de son éternelle et pure génération;
« et afin qu'elle nous fût plus connue, c'est en nous-mêmes qu'il
« l'a faite.
« Il l'a faite lorsqu'il a dit : Faisons Vhomme. Il voulut alors
« faire quelque chose où fût déclarée l'opération de son Fils, d'un
« autre lui-même, puisqu'il dit : Faisons. Il voulut faire quelque
« chose qui fût vivant comme lui, intelligent comme lui, autrement
« on ne saurait ce que voudrait dire : Faisons Vhomme à notre
« image et ressemblance . A notre image, dans le fond de sa nature;
« à notre ressemblance, par la conformité de ses opérations avec
« la nôtre, éternelle et indivisible.
« C'est par l'effet de cette parole. Faisons Vhomme à notre
et image, que l'homme pense; et penser c'est concevoir. Toute
« pensée est conception et expression de quelque chose. Toute
« pensée est l'expression, et par là une conception, de celui qui
« pense, si celui qui pense pense à lui-même et s'entend lui-même :
« et c'en serait une conception et une expression parfaite, éternelle,
a substantielle, si celui qui pense était parfait, éternel, et s'il était,
« par sa nature, tout substance, sans avoir rien d'accidentel en lui-
« même, ni rien qui puisse être surajouté à sa pure et inaltérable
<r substance.
a Dieu donc qui pense substantiellement, parfaitement, éternel-
« lement, et qui ne pense ni ne peut penser qu'à lui-même, en
« pensant connaît quelque chose de substantiel, de parfait et d'éter-
« nel comme lui : c'est là son enfantement, son éternelle et parfaite
« génération. Car la nature divine ne connaît rien d'imparfait; et
« en elle la conception ne peut être séparée de l'enfantement.
.< C'est donc ainsi que Dieu est Père; c'est ainsi qu'il donne nais-
« sance à un Fils qui lui est égal : c'est là cette éternelle et par-
« faite fécondité, dont l'excellence nous a ravis, dès que, sous la
* conduite de la foi, nous avons osé y porter notre pensée. Conce-
« voir et enfanter de cette sorte, c'est être la perfection et l'ori-
« ginal, et concevoir et enfanter comme nous faisons à notre ma-
200 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. — CIIAP. V.
« nière imparfaite, c'est être fait à l'image et ressemblance de
« Dieu '. »
L'Apôtre, dans sa lettre aux Romains, appelle expressément le
Verbe de Dieu incarné, le FWs propi'c de Dieu. Dieu, dit-il, « n'a
« pas épargné même son propre Fils, mais il l'a livré pour nous 2, »
Si donc il est le Fils propre de Dieu, certainement il a été engen-
dré de la substance de Dieu ; car les hommes mêmes n'appellent
pas leur fils propre, celui qu'ils ont pu adopter pour fils, mais bien
celui auquel il ont communiqué la vie, avec leur propre subs-
tance.
Si tout ce qui est écrit ne découlait pas de la même source qui
est l'Esprit de Dieu, nous pourrions dire que nous avons à citer
des autorités plus élevées que celle de S. Paul lui-môme. En effet,
le Père céleste rend publiquement et directement ce témoignage à
Jésus-Christ, le Verbe incarné : a Vous êtes mon Fils bien-aimé;
« c'est en vous que j'ai mis mes complaisances 3. » Dieu est infi-
niment bon, et il communique quelque chose de sa bonté à cha-
cune de ses créatures en particulier; mais il ne la communique à
aucune d'elles dans toute sa plénitude. C'est uniquement au Fils
et à l'Esprit saint que cette plénitude est réservée, et c'est pour-
quoi Dieu se complaît entièrement dans le Fils dont la bonté est
égale à celle du Père ^. Ce n'est pas une fois, mais jusqu'à quatre
fois que la Sainte Écriture rapporte ce témoignage rendu par le
Père éternel à son véritable Fils 5.
Et Jésus-Christ lui-même n'a-t-il pas affirmé de la manière la
plus authentique, dans les circonstances les plus graves, lorsque
cette affirmation devait lui coûter la vie, qu'il était réellement le
Fils de Dieu? Au temps de sa passion, le prince des prêtres, Caiphe,
lui dit : « Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le
« Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui répondit : Tu l'as dit. De plus,
« je vous le déclare, vous verrez un jour le Fils de l'homme assis
« à la droite de la majesté de Dieu, et venant dans les nuées du
\. BossuET, Elévations sur les mystères, II' sem., iv^ élév.
2. Oui eliam proprio Filio suo non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit
illum. [liom., vm, 32.)
3. Tu es Filius meus dilectus : in te complacui mibi. [Luc, m, 22.)
4. Bonilas divina est in qualibet creatura particulari, sed nunquam tota
perfecta, nisi in Filio et Spiritu sancto, qui lantum babet de bonitate quantum
Pater. (S. T110.M., Commnil. Evanr/. in hune loc.)
;j. Miitth., III, 17; xvii, !i. — Marc, i, ]\. — Luc, u, 22. - //. Pelr., i, 47.
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 201
« ciel 1. » Par ces paroles, Notre-Seigneur affirmait sa double na-
ture. Il est fils de l'homme, mais il est en même temps fils de
Dieu, égal au Père et assis à sa droite, comme il convient à un
égal et à un fils. Le prince des prêtres ne pouvait pas s'y tromper.
Il attendait cette parole, et lorsque Jésus l'eut prononcée, il l'accusa
de blasphème et le déclara digne de mort. S. Jean nous rapporte
que, dans une autre circonstance, les Juifs voulant lapider le
Seigneur, Jésus leur dit : « J'ai fait devant vous beaucoup d'œu-
« vres excellentes, par la vertu de mon Père; pour laquelle de ces
« œuvres me lapidez-vous? Les Juifs lui répondirent : Ce n'est pas
« pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais c'est pour un
« blasphème, et parce que toi qui es homme, tu te fais Dieu ~. » Assu-
rément si le divin Maître n'avait parlé que d'une filiation adoptive,
semblable à celle des autres justes, les Juifs n'auraient pas songé
à l'accuser de blasphème et voulu le lapider. Le saint Évangile
nomme donc Fils de Dieu la seconde personne de la Sainte Trinité,
et lui donne ce nom dans des conditions telles qu'il est impossible
de ne pas confesser qu'il s'agit d'une filiation réelle et nullement
métaphorique ou adoptive. Le Fils de Dieu est donc véritablement
Fils de Dieu, et si les Juifs avaient voulu un autre témoignage
que celui de Jésus-Christ lui-même, ils n'avaient qu'à se rappeler
les paroles que S. Jean-Baptiste avait prononcées devant la foule
accourue pour recevoir le baptême de la pénitence : « Celui qui
< m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui tu verras
< l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là qui baptisera dans
« l'Esprit saint. Et je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage que c'est lui
« qui est le Fils de Dieu ^. »
Une autre preuve plus frappante encore, s'il est possible, se tire
des textes de la Sainte Écriture, dans lesquels le Verbe, ou le Fils
\. Adjuro te per Deum vivum, ut dicas nobis si tu es Christus Filius Dei.
Dicit illi Jésus : Tu dixisti : verumtamen dico vobis : Amodo videbitis filium
hominis sedentem a dextris Dei, et venientem in nubibus cœli. (Matth., xxvi,
64.)
2. Multa bon a opéra ostendi vobis ex Pâtre meo : propter quod eorum opus
me lapidatis? Responderunt ei Judaei : De bono opère non lapidamus te, sed
de blasphemia : et quia tu homo cum sis, facis te ipsum Deum. {Joatin., x,
32, lid.)
3. Qui misit me baptizare in aqua, ille mihi dixit : Super quem videris Spi-
ritum descendentem, et manentem super eum,liic est, qui baptizat in Spiritu
sancto. Et e^'o vidi et testimonium perhibui quia hic est tilius Dei. [Joann., i,
33, 3i.)
20:2 LA SAINTE EUCFIARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. V.
de Dieu incarné, est appelé Fils unique du Père. S. Jean l'Évangé-
liste, qui avait reçu la mission de faire particulièrement resplendir
la divinité de Notre-Seigneur, lui a plusieurs fois donné ce titre
de Fils unique du Père : « Nous avons vu sa gloire comme la gloire
« qu'un fils unique reçoit de son père; » nous l'avons vu, « plein
« de grâce et de vérité i. » Et quelques versets plus loin : « Per-
« sonne n'a jamais vu Dieu : le Fils unique qui est dans le sein du
« Père est celui qui nous l'a fait connaître ~. » Il y a plusieurs re-
marques à faire sur ces textes empruntés au premier chapitre de
l'Évangile de S. Jean.
S. Jean appelle le Verbe divin non seulement Fils de Dieu, mais
fils unique. S'il n'était Fils de Dieu que par adoption, tout au plus
pourrait-il dire, à cause de ses perfections incomparables, qu'il est
son Fils premier-né, mais non pas son Fils unique.
L'Évangéliste affirme que le Verbe, Fils de Dieu, qui s'est mani-
festé aux hommes, est plein de grâce et de vérité. La plénitude
de la grâce et de la vérité, c'est-à-dire de la bonté et de la science,
ne convient qu'à Dieu seul, parce que lui seul est infini. S. Jean
ajoute que la grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ :
Gratia et veritas per Jesum Christum fada est. Il ne possède
donc pas cette grâce et cette vérité pour les avoir reçues : il en est
la source, ce qu'on ne peut dire que de Dieu, selon la parole du
Psalmiste : « Le Seigneur donnera la grâce et la gloire 3. »
Enfin il dit que personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils
unique qui est dans le sein du Père nous l'a fait connaître. Il est
donc seul à voir Dieu d'une manière absolument parfaite, et à le
comprendre. C'est par lui seul que les créatures le connaissent à
leur tour, autant qu'il est possible à des êtres finis. Le Fils connaît
Dieu parce qu'il est dans le sein du Père et qu'il est son fils uni-
que. C'est donc par sa nature même qu'il est le Fils de Dieu et ce
n'est pas pour lui un privilège, une faveur, c'est un droit de porter
ce nom.
L'apôtre S. Paul ne manque pas de rendre témoignage à la filia-
tion de la seconde personne de la Sainte Trinité. Voici comme il
1. Et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti a Pâtre, plénum gratifie
et veritatis. [Jonnn., i, 14.)
2. Deum nomo vidil unquam : unigenitus Filius, qui est in sinu Patris,
ipse enarravit. (M., i, \%.)
3. Grali.'im et gloriam dabit Dominus. (As. lxxxiii.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 203
en parle dans le premier chapitre de l'Épitre aux Hébreux : « Dieu
€ qui a parlé autrefois à nos pères par les prophètes, bien souvent
« et en bien des manières, en ces derniers jours nous a parlé par
« son Fils, qu'il a établi héritier en toutes choses, par qui il a fait
« même les siècles; et qui étant la splendeur de sa gloire et Tem-
« preinte de sa substance, et soutenant toutes choses par la puis-
« sance de sa parole, après avoir opéré la purification des péchés,
« est assis au plus haut des cieux, à la droite de la Majesté, ayant
* été fait d'autant plus supérieur aux anges que le nom qu'il a
« reçu en partage est bien différent du leur. Car auquel des anges
« Dieu a-t-il jamais dit : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré
« aujourd'hui? Et encore : Moi je serai son Père, et lui sera mon
« Fils? Et lorsqu'il introduit de nouveau son premier-né dans le
« monde, il dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent *. » Le Verbe
divin qui s'est incarné et que nous adorons en Notre-Seigneur
Jésus-Christ est donc bien réellement le Fils de Dieu. S. Paul,
dans le texte que nous venons de citer, ne donne pas moins de six
raisons en faveur de cette vérité. Le Verbe, d'après l'Apôtre, est le
vrai Fils de Dieu, parce que : 1° Il est l'héritier de tous les biens
du Père; 2° il est la splendeur de la gloire de Dieu, et sa vivante
image; 3° il soutient toutes choses parla puissance de sa parole;
-i° il remet les péchés; 5° il est assis à la droite de Dieu, c'est-à-dire
qu'il est son égal; 6" il est adoré par les anges à cause de sa filia-
tion divine.
Reprenons chacune de ces preuves pour en faire ressortir la
force.
l" S. Paul nous dit premièrement que celui par qui Dieu a parlé
en dernier lieu aux hommes est son Fils, qu'il a constitué l'héri-
tier de tous ses biens. On ne peut donc pas le confondre avec les
autres enfants de Dieu qui ne sont que des fils adoptifs. Il est l'hé-
ritier de tout, le maître de tout, et si d'autres ont reçu le nom de
1. Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis,
novissime diebus istis locutus nobis in filio, qiieni constituit haeredem univer-
sorum, per quem fecit etsaecula ; qui cum sit splendor gloriœ et figura subs-
tanlift; ejus, portansque omnia verbo virtutis suîb, purgationem peccatorum
faciens, sedet ad dexteram Majostatis in excelsis. Tanlo nielior Angelis cffec-
tus, f|uaiito dilTerentius pr* illis nomen baeredilavit. Cuicnini dixit aliquando
Angeloruin : Filius meus es tu ; ego hodie genui te? Et rursum : Ego ero illi
in patrem, et ipse erit mihi in filium ? Et cum iterum introducit primogenitum
in orbem terrae, dicit : Et adorent eum omnes Angeli Dei. (Hebr., i, 1-G.)
204 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
fils de Dieu, c'est parce que le Père a bien voulu leur concéder
cette faveur, pour les récompenser d'avoir cru en ce Fils unique et
véritable. Par lui l'espoir leur est donné de jouir, jusqu'à un cer-
tain point, de la gloire qui convient à des enfants de Dieu; mais
cette gloire appartient tout entière au véritable Fils, ou plutôt il
est lui-même la splendeur de cette gloire. Et si Dieu leur accorde
d'être ses fils par adoption, c'est uniquement parce qu'ils sont
l'image de celui qui est son Fils par nature, son image à lui-même
et la figure de sa substance ^ Ils reçoivent encore ce nom de fils
parce que le Verbe de Dieu les éclaire et les guide, afin qu'ils
soient sans reproche, comme des enfants de Dieu, sans répréhen-
sion au milieu d'une nation dépravée et perverse, et qu'ils brillent
comme des astres dans le monde, gardant la parole de vie, dit
l'Apôtre 2. Mais ils ne sont quelque chose devant Dieu qu'à cause
de ce Fils véritable à qui ils doivent tout, dans l'ordre de la nature
et dans celui de la grâce, car c'est à lui que tout a été donné, et
c'est lui seul qui leur procure une part des biens qu'il tient du
Père céleste.
Remarquons ici l'expression dont se sert l'Apôtre : « Son Fils
qu'il a établi héritier. » On pourrait dire : Si le Fils de Dieu a été
établi héritier, il ne l'était donc pas naturellement? Mais il suffit
d'observer qu'en Jésus-Christ, dont parle S. Paul, il n'y a pas seu-
lement la nature divine, mais aussi la nature humaine. Gomme
homme, Jésus-Christ a été établi héritier de Dieu, puisqu'il ne
pouvait pas l'être avant d'exister. Mais comme Dieu, il est héritier
par droit de naissance ; il n'est donc pas établi héritier, mais il
l'est par sa nature même; engendré de toute éternité, de toute éter-
nité aussi il possède l'héritage de tout ce qui est au Père, sans que
le Père cesse lui-même de le posséder; car ces deux adorables
personnes ne sont qu'un seul et même Dieu, un seul et même sou-
verain Maître et Seigneur par qui toutes choses ont été créées, et
à qui toutes choses appartiennent. Si l'on veut dire néanmoins
que, même en tant que Dieu, le Fils est constitué héritier de tous
ses biens, rien ne s'oppose à cette affirmation : il est constitué héri-
\. Quos praescivit et praedestinavit conformes fieri imaginis Filii sui. [Rom.,
vm, -29.)
■-2. Ut sitis sine querela et sirnplices filii Dei sine reprehensione, in medio
nationis pravae et perversae, inter quos lucetis sicut luminaria in mundo,
Verliurn vitie continentes ad gloriam meam in die Christi. [Philipp., ii, \U, \G.)
JESUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ, :20o
tier en même temps et par là même qu'il procède du Père, par
voie de génération éternelle.
2° En second lieu, le Fils de Dieu est la splendeur de la gloire
du Père et sa vivante image : par conséquent, son véritable Fils.
C'est par lui que la gloire du Père brille d'un éclat souverain, non
seulement aux yeux des créatures, mais aux regards de Dieu lui-
même qui contemple en son Fils la figure de sa substance, toute
sa grandeur, toutes ses infinies perfections. Se voir et reconnaître
qu'il est le bien absolu et sans bornes, digne de louanges infinies,
telle est la gloire suprême que Dieu trouve en son Fils, et qu'il ne
peut trouver qu'en lui.
C'est encore par le Fils que les créatures glorifient leur créateur,
car c'est le Fils qui les a faites, c'est sa sagesse qui les gouverne,
sa puissance qui les maintient. Et si les êtres intelligents admirent
les œuvres de Dieu, et connaissent l'auteur de tant de merveilles,
si elles soupçonnent quelque chose de ses grandeurs, c'est encore
par le Fils que l'hommage de leurs louanges remonte jusqu'au
Père. Connaître l'excellence de l'Être divin et la louer, telle est
la gloire que nous pouvons rendre à Dieu, gloire bien impar-
faite, parce que nous ne connaissons Dieu que très imparfaite-
ment sur la terre; mais ce que nous connaissons de lui, c'est le
Fils qui nous le manifeste; il est le resplendissement de cette
gloire, comme il est le resplendissement de la gloire que Dieu pos-
sède en lui-même de toute éternité, gloire qui est le caractère ou
la figure de sa substance et se confond avec l'être divin lui-même.
Celui qui est cette gloire infinie et éternelle, consubslantielle à
Dieu, ne peut être que le Fils véritable de Dieu, et non pas un fils
adoptif.
S. Paul ajoute que Jésus-Christ, par sa divinité, est l'image du
Père, la figure de sa substance : Figura substantiœ ejus. Toute
image ressemble à l'original qu'elle représente, mais toute ressem-
blance n'est pas à proprement parler une image; il faut, pour mé-
riter ce nom, que la ressemblance représente non pas un trait
quelconque, mais les principaux traits de l'objet figuré, ceux qui
le distinguent et empêchent qu'on ne le confonde avec un autre de
même espèce ou d'espèce différente. Ces traits, lorsqu'il s'agit de
l'homme, sont principalement les traits de la figure; aussi S. Paul,
pour faire bien comprendre sa pensée, dit-il que le Fils de Dieu
est non pas précisément une image, mais quelque chose de plus
206 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
frappant encore, la figiire, ce qu'il y a de plus essentiel, de plus
important dans l'image.
Le Fils de Dieu, image ou figure du Père, n'est pas une image
quelconque, mais l'image de la substance de celui qu'elle repré-
sente; l'image du Dieu invisible, comme il est dit ailleurs : Est
imago invisibilis Dei i.
Le portrait d'un homme, peint sur une toile ou taillé dans le
marbre, est bien l'image de cet homme; mais c'est une image très
imparfaite, parce qu'elle n'est pas de la même espèce que lui.
Un fds est l'image de son père. C'est une image parfaite, parce
que non seulement il en rappelle les traits, mais de plus il appar-
tient à la même espèce. Cependant, l'un et l'autre a sa substance
propre et parfaitement distincte.
Une autre image plus parfaite, la seule qui le soit d'une manière
absolue, est celle dans laquelle on trouve, non seulement la ressem-
blance exacte des traits et l'unité d'espèce, mais aussi l'unité de
substance. C'est celle qui existe entre le Père éternel et son Fils,
en vertu de la consubstantialité ; elle est unique et ne peut se
trouver qu'en Dieu. Le Fils de Dieu seul est la figure de la subs-
tance du Père, figure absolument semblable à l'original, figure
qui procède de lui sans division ni lésion aucune, figure infiniment
parfaite, comme ce qu'elle représente, car elle n'est avec lui qu'une
seule et même chose, une seule et même substance, un seul et même
Dieu. Si le fils d'un homme est véritablement son image, comment
le Fils de Dieu ne le serait-il pas, lui qui non seulement est en-
gendré par son Père dans l'unité d'espèce, mais qui, de plus,
n'est avec lui qu'une substance unique et indivisible?
3° S. Paul dit ensuite que le Fils de Dieu soutient toutes choses
par la puissance de sa parole. Il ne se peut pas concevoir de di-
gnit('' plus élevée que celle de Fils de Dieu. Mais que penser d'une
dignité à laquelle ne serait pas jointe la puissance? Assurément,
un caractère des plus importants lui manquerait : or, rien ne peut
manquer au Fils de Dieu, s'il est son véritable Fils. Aussi l'Apô-
tre nous le montre-t-il, soutenant à lui seul, par la puissance uni-
que de sa parole, toute rimmense machine de cet univers : Por-
fansque omnia verbo virtutis suœ.
Aucune créature ne peut ni subsister ni agir par elle-même,
\. Coloss., I, lij.
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 207
parce qu'elle n'existe point par sa propre vertu. Elle a donc
besoin de quelqu'un qui la soutienne, qui la porte : qui le fera,
sinon Celui dont la puissance fut assez grande pour tirer du
néant tout ce qui existe? Ce sera donc lui qui conservera les
substances avec leurs accidents; ce sera lui qui leur donnera la
vertu d'agir. Et par qui, ou par quoi, le fera-t-il? Par le Verbe de
sa puissance : Verbo virtutis suœ. L'Apôtre avait dit plus haut,
en parlant de la création, que Dieu avait fait toutes choses par
son Fils ', et il dit ici que c'est le Fils qui conserve tout par sa
puissance. S'il ne s'agissait pas de Dieu, on croirait que la puis-
sance du Fils est autre que celle du Père, que c'est par la puis-
sance du Père qu'il a créé toutes choses et par la sienne propre
qu'il les conserve. Mais en Dieu il n'y a qu'une seule et unique
puissance. La puissance du Fils est la même que celle du Père ;
seulement il la tient de lui en vertu de sa filiation divine. Et de
même qu'il a suffi au Père de prononcer un mot pour que toutes
choses fussent créées : Ipse dixit et facta sunt, c'est aussi par
un mot que le Fils soutient et conserve tout ce qui existe : Por-
tansque omnia verbo virtutis suœ. Évidemment une telle puis-
sance qui est celle de Dieu lui-même ne peut pas convenir à un
fils adoptif, mais à celui-là seul qui est le Fils unique du Père
et n'est avec lui qu'un même Dieu. S'il n'était pas son véritable
Fils, toutes choses n'auraient pas été faites au moyen de lui,
comme elles l'ont été par son Père, et tout ce qui existe ne serait
pas et n'agirait pas en vertu de sa parole.
4° Mais il est un autre caractère du Fils de Dieu qui ne prouve
pas moins qu'il a droit à ce nom en vertu même de sa nature.
S. Paul ajoute qu'il remet les péchés : Purgationem peccatorum
faciens.
Remettre les péchés est un acte qui requiert essentiellement
que celui qui l'accomplit soit Dieu. Les Juifs ne s'y trompaient pas,
lorsque, ne voulant pas croire à la divinité du Sauveur, ils se
scandalisaient du pardon qu'il accordait à la Madeleine, et disaient
entre eux : « Qui donc est celui-ci qui remet même les péchés 2? »
Le Verbe divin peut remettre les péchés uniquement parce
qu'il est Dieu, et il lui convient de les remettre parce qu'il est le
Fils de Dieu.
1. Per quem fecit et saecula. {I/e/jr., i, 2.)
2. Quis est liic qui etiam peccala dimiltil ? [Ltic, vu, 40.)
208 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. V.
Le péché est en effet le mal de la créature raisonnable, et ce
mal consiste dans la dépravation de la volonté sur laquelle Dieu
seul peut directement agir. Il dit, par la bouche du prophète
Jérémie : « Le cœur de tous les hommes est dépravé et inscru-
€ table : qui le connaîtra? C'est moi, le Seigneur qui scrute le
« cœur et qui éprouve les reins ^ » La raison en est que la volonté
est faite pour jouir de Dieu ; telle est sa fin suprême et immédiate.
Si elle s'en détourne, rien ne peut l'y ramener que Dieu lui-
même. D'autre part, c'est Dieu que le péché offense, c'est donc à
Dieu seul qu'il est possible de le pardonner. Le Verbe incarné
pardonne les péchés parce qu'il est vrai Dieu.
Mais il y a des raisons pour que ce soit particulièrement comme
^'erbe et Fils de Dieu qu'il les pardonne.
Le péché est une transgression de la loi de Dieu ; or la loi de
Dieu, c'est le Verbe divin communiqué aux hommes. C'est le Fils
de Dieu qui a dicté à Moïse la loi ancienne et qui l'a imposée aux
Israélites par le ministère des anges ; c'est lui qui a parlé par la
bouche des prophètes et qui leur a communiqué son esprit ; c'est
lui enfin qui s'est incarné pour instruire directement les hommes
par sa parole et par ses exemples. Pécher contre Dieu, c'est donc
particulièrement pécher contre le Fils, et rien de plus conforme à
la raison que le pardon des péchés lui revienne de droit : mais à
la condition toutefois qu'il sera véritablement Dieu et égal en tout
à son Père, car un Dieu seul peut accorder un tel pardon.
o** S. Paul nous dit encore que le Fils de Dieu est assis à la
droite du Père ; c'est-à-dire qu'il est son égal.
ôue le Fils de Dieu soit égal au Père, nous n'en pouvons douter,
puisque nous savons qu'il n'est avec lui qu'un seul et même
Dieu, une seule et même substance ; mais l'Apôtre nous montre
cette égalité dans ce fait que le Fils est assis à la droite du Père.
Cet honneur lui est dû, selon la pensée de S. Paul, parce qu'il
est la splendeur de sa gloire, la figure de sa substance ; parce
qu'il conserve et soutient toutes choses, et qu'il pardonne les pé-
chés, c'est-à-dire parce qu'il est Dieu et Fils de Dieu.
Ce que l'Apôtre dit du Verbe, quil est assis, fait connaître sa
dignité, son autorité suprême. Un roi s'assied au milieu de ses
courtisans, et nul n'oserait le faire en sa présence, s'il n'y était
1. Pravuin est cor liominis et inscrutabile; quis cognoscet illud?Ego Do-
minus scruUms cor et ]jrol>ans renés, {./erem., xvii, 9.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 209
invité. Le prophète Daniel nous montre des millions et des mil-
liards d'anges entourant le trône de Dieu et prêts à le servir * ;
mais aucun d'eux n'est assis, parce qu'ils sont des serviteurs.
Lorsque le Fils de l'homme viendra, dans sa majesté, et tous ses
anges avec lui, il sera assis sur le trône de sa majesté 2.
Être assis est aussi la marque de la stabilité, de la puissance,
stabilité et puissance qui ne manqueront pas au Fils de Dieu, car
Daniel dit encore du Fils de l'homme qui s'avança jusqu'au trône :
« Dieu lui donna la puissance, et l'honneur, et la royauté ; et tous
« les peuples, tribus et langues le servirent. Sa puissance est une
« puissance éternelle, et son royaume ne sera pas détruit 3. » C'est
pourquoi l'Apôtre ajoute : « Jésus-Christ était hier; il est au-
« jourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles des siècles '^ ; »
éternité d'être, de puissance et d'autorité qui ne peut convenir
qu'à celui qui est le véritable Fils, le Fils unique de Dieu en vertu
de sa nature même.
6° Enfin S. Paul nous montre le Père éternel introduisant son
Fils premier-né dans le monde, et ordonnant à tous ses anges de
l'adorer.
Le Verbe divin est incomparablement plus élevé en dignité que
tous les esprits célestes. Le nom qu'il tient de son Père par héritage
suffit pour le prouver : « Il a été fait d'autant plus supérieur aux
« anges que le nom qu'il a reçu en partage est bien différent du
c leur, » dit l'Apôtre. « Car auquel des anges Dieu a-t-il jamais
« dit : Vous êtes mon Fils; je vous ai engendré aujourd'hui? » Il
est supérieur aux anges par son origine, parce qu'il est Fils de
Dieu; par ses richesses et sa puissance, parce qu'il est l'héritier de
Dieu; par son opération, parce que toutes choses ont été et seront
faites par lui; par l'honneur qu'il a reçu du Père, parce qu'il est
assis à sa droite. Mais il y a un honneur encore plus élevé s'il est
possible, que le Père exige qui soit rendu à son Fils; c'est celui
qui n'appartient qu'à Dieu seul, l'adoration. Et ce n'est point par
1 . Mi'.lia millium ministrabant ei et decies millies centena millia assistebant
ei :judicium sedit. [Dan., vu, 10.)
!2. Cum autem venerit Filius hominis in majestate sua,etomnes angeli cum
eo, tune sedebit super sedem majestatis suae. {Matth., xxv, 31.)
3. Et dédit ei potestatem, et honorem, et regnum ; et omnes populi, tribus et
linguœ ei servient. Potestas ejus potestas aeterna qute non auferetur ; et regnum
ejus quod non corrumpetur. {Dan., vu, 1-4.)
i. Chrislus Jésus heri et liodie et ipse in stecula. [Ilebr., xiii, 8.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 14
210 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
les créatures inférieures seulement, mais par les plus parfaites de
toutes et les plus élevées en dignité que le Fils de Dieu doit être
adoré : « Et lorsqu'il introduisit de nouveau son premier-né dans
« le monde, il dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent : » Et
adorent eum omnes angeli Dei. Déjà il avait dit par la bouche du
Psalmiste : « Le Seigneur a établi son règne; que la terre exulte....
« Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges i. »
Il est juste que les anges rendent au Fils de Dieu cet hom-
mage, puisque Dieu l'ordonne et qu'ils ne sont que des serviteurs.
Mais Dieu, qui ne donne pas sa gloire à un autre, ne leur ferait
pas un tel commandement, si celui qu'ils doivent adorer n'était
pas Dieu comme lui, ou plutôt un seul et unique Dieu avec lui, s'il
n'était pas son Fils procédant de sa propre substance sans sépara-
tion ni division aucune.
LeVerbedeDieu, présent dans l'Eucharistie, est donc bien vérita-
blement le Fils du Père, et S. Paul ajoute, moins pour le prouver que
pour exalter sa grandeur : « Mais au Fils il est dit : Votre trône,
€ ô Dieu, est dans les siècles des siècles; un sceptre d'équité est le
a sceptre de votre empire.... C'est vous. Seigneur, qui, au commen-
« cernent, avez fondé la terre : et les cieux sont l'ouvrage de vos
« mains. Ils périront, mais vous, vous demeurerez, et tous vieil-
« liront comme un vêtement, et vous les changerez comme un
« manteau. Mais vous, vous êtes toujours le même, et vos années
a ne finiront point 2. » Qui donc n'apporterait pas à le servir le
zèle le plus ardent, le dévouement le plus entier et le plus inébran-
lable?
m.
POURQUOI LE FILS DE DIEU QUE NOUS ADORONS DANS l'eUCHARISTIE
EST AUSSI APPELÉ VERBE, IMAGE ET SAGESSE DU PICRE
La seconde personne de la Sainte Trinité, qui s'est incarnée pour
nous, et qui se donne à nous dans la très sainte et très adorable
4. Dominus regnavit ; exultet terra.... Adorate eum omnes angeli ejus.
[Ps. xcvi, 1,7.)
2. Ad Filium autem : Thronus tuus, Deus, in saeculum sœculi : virga eequi-
totis, virga regni lui ... Tu in principio. Domine, terram fundasti : et opéra
manuum tunrum sunt cœli. Ipsi peribunt, tu autem permanebis : et omnes
ut vcstimenlum veterascent : et velut amictum mutabis eos, et mutabuntur.
Tu autem idem ipso es, et anni tui non déficient. [Ilehr., i, 8-12.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 211
Eucharistie, ne s'appelle pas seulement Fils de Dieu, le nom de
Verbe lui est donné non moins souvent, plus souvent même que
celui de Fils, et il n'est pas moins approprié à sa nature. Les héré-
tiques ont attaqué, dès l'origine du christianisme et dans les siè-
cles suivants, la personnalité et la divinité du Fils de Dieu ; ils ne
l'ont pas poursuivi avec un moindre acharnement sous le nom de
Verbe. Les uns, rejetant l'Évangile de S. Jean et l'Apocalypse, ont
dit que le Verbe n'était rien et que ce mot ne répondait à aucun
être réellement subsistant. Les ariens ont prétendu que la seconde
personne était une créature et que, par conséquent, le Verbe, tel
que le reconnaît la foi catholique, le Verbe personnel et Dieu
n'existait pas. Les valentiniens admettaient que le Verbe procédait
de Dieu, mais disaient qu'il n'était pas éternel et n'avait été en-
gendré par le Père qu'au commencement du temps, pour la créa-
tioti de tous les autres êtres. Il s'est trouvé même des théologiens
catholiques, entre autres le docteur Durand, qui jouit d'une grande
autorité au xiv* siècle, pour dire que le nom de Verbe ne convenait
pas exactement à la seconde personne de la Sainte Trinité, à cause
de son mode de procession du Père. II y eut aussi des hérétiques,
les monarchiens, qui essayèrent d'établir une distinction entre le
Fils de Dieu et le Verbe. Ils en faisaient deux êtres séparés de telle
sorte qu'il n'y aurait plus eu seulement trois, mais quatre per-
sonnes en Dieu.
Mais la Sainte Écriture dissipe toutes les ténèbres qu'ils se sont
efforcés d'amasser. Sous le nom de Verbe elle n'entend personne
autre que le Fils de Dieu, et elle affirme de la manière la plus
explicite que ce Verbe qui est le Fils existait avant tout commen-
cement, que de toute éternité il était en Dieu et qu'il était Dieu :
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et
« le Verbe était Dieu S » dit S. Jean. Or, ce Verbe s'est fait chair :
Et Verbum caro factum est ; et ce Verbe fait chair n'est autre que
Jésus-Christ proclamé Fils de Dieu à chaque page du saint Évan-
gile. S. Jean dit encore : « Ils sont trois qui rendent témoignage
« dans le ciel : le ï^ère, le Verbe et l'Esprit saint.'» Le Fils n'est
pas nommé parce qu'il est suffisamment désigné sous le nom de
Verbe, nom qui lui est propre à ce point qu'il ne peut appartenir
à nul autre qu'à lui. Sur quelle base voudrait-on, d'ailleurs, établir
1. In principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat ^'e^-
bum. (Joann., i, 1.)
212 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. V.
une distinction entre le Verbe et le Fils? Il n'y a pas de relation
qui serve de point de départ à cette distinction, et l'un ne procède
pas de l'autre. C'est donc une rêverie, mais une rêverie très grave-
ment coupable parce qu'elle offense la foi, de chercher une dis-
tinction entre le Verbe de Dieu et le Fils; de dire par exemple avec
Eunomius, que le Fils apprend toutes choses par un Verbe qui
n'est pas lui ; ou que le Fils est éternel et que le Verbe ne l'est pas;
ou bien encore que le Verbe existait, mais que le Fils n'existait pas
avant l'incarnation ; ou que la procession du Verbe n'est pas une
génération, et que, par conséquent, il n'est pas le Fils de Dieu.
Le Fils n'apprend rien du Verbe puisqu'il est le Verbe lui-même.
Son être est son intelligence et sa science; c'est donc du Père dont
il procède uniquement qu'il tient l'une et l'autre, en même temps
que son être. S'il y avait un Verbe apprenant tout au Fils, ce serait
ce Verbe qui serait le Fils.
Le Fils est éternel et ie Verbe ne lui est pas postérieur, puisqu'il
existait lorsque toutes choses ont commencé, par conséquent, avant
tout commencement, selon la parole de S. Jean : « Au commence-
« ment était le Verbe. » S. Jean affirme de plus qu'il était Dieu,
c'est-à-dire éternel : « Et le Verbe était Dieu. » Il n'y a donc pas de
distinction à établir sous cet autre rapport entre le Verbe et le Fils.
Le Fils à son tour existe de toute éternité. L'Ancien Testament
lui donne ce nom de Fils avant l'incarnation. Le Sage, au livre des
Proverbes, demande : « Quel est son nom et quel est le nom de son
a Fils, si vous le savez *? » Et David prononce ces paroles au nom
du Père Éternel : « Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré au-
« jourd'hui -. » De toute éternité Dieu a été Père, sinon il y aurait
eu dans la nature divine un changement que l'on ne peut admet-
tre; donc de toute éternité, le Fils a été Fils, comme le Verbe a
été Verbe, et c'est la même personne divine que S. Jean appelle
indifféremment le Verbe ou le Fils unique de Dieu.
Ajoutons que si le Verbe, en Dieu, était autre que le Fils, il y
aurait quatre personnes réellement distinctes : le Père, le Verbe,
le Fils et le Saint-Esprit; il y aurait cinq relations réelles : la pa-
ternité, la filiation, la commune spiration, la procession et la rela-
tion réelle du Verbe à celui qui le produit; toutes choses incompa-
tibles avec le mystère d'un Dieu en trois personnes.
i. Quod nomen estejus et quod nomen Filii ejus, si nosti? {Prov., xxx, 4.)
2. Filins meus es tu : Ego hodie genui te. {Ps. ii, 7.)
JÉSDS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 213
Le mode de procession en vertu duquel le Verbe tire son origine
du Père est une véritable génération, et par conséquent, le nom de
Fils lui appartient de droit, parce que le Verbe est vivant, qu'il
procède du Père qui est aussi vivant, et qu'il a la même nature que
le Père de qui il procède : or, telles sont les trois conditions
requises pour la paternité et la filiation.
Enfin, quoique la raison formelle de l'existence du Verbe et du
Fils de Dieu soit la même, cependant ces mots : Fils et Verbe, ne
sont pas synonymes. Ils signifient bien une même et unique per-
sonne divine, mais considérée à des points de vue différents. Le
mot Fils ofi"re à la pensée cette adorable personne, en tant que sa
nature est la même que celle du Père dont elle procède. Le mot
Verbe nous rappelle l'immatérialité de cette procession. Ces con-
ceptions sont donc différentes, et l'on peut dire que les noms de
Fils et de Verbe, donnés à la seconde personne de la Sainte Trinité,
ne sont pas synonymes,
Origène disait que le Fils de Dieu s'appelle le Verbe, non pas
précisément à cause du mode de sa génération, mais parce que,
dans sa prédication, lorsqu'il se fut lait homme, il manifesta les
secrets de Dieu ; comme S. Jean-Baptiste est appelé voix, parce
qu'il manifestait Jésus-Christ. Origène qui, tant de fois dans ses
écrits, confessa la divinité du Verbe divin, ne pouvait pas avoir
l'intention de la nier en avançant cette opinion ; mais les héré-
tiques s'en emparèrent. Ils prétendirent que le Verbe n'était pas
la pensée substantielle de Dieu, procédant éternellement du Père,
mais* seulement la voix manifestant extérieurement la pensée
divine. Le Fils de Dieu incarné serait appelé Verbe, non pas à
cause de sa nature, mais à cause de sa mission. S. Jean ne laisse
aucun prétexte à cette explication. Avant que le Christ se fit chair,
avant qu'il fît connaître aux hommes la volonté divine, S. Jean l'a
appelé le Verbe, et l'a montré existant comme tel dès le commen-
cement : In principio erat Verbum. Depuis le commencement du
monde, une foule innombrable d'envoyés ou de messagers de la vo-
lonté divine ont apporté aux hommes la parole de Dieu : cependant
aucun des anciens prophètes n'est appelé le Verbe dans la Sainte
Écriture. L'Esprit saint nous a bien expliqué la volonté divine ;
au témoignage de Jésus-ChristJlui-même, il a enseigné aux Apôtres
toute vérité : cependant l'Esprit saint n'est nulle part appelé le
Verbe. Ce n'est donc pas parce qu'il nous a expliqué la volonté
214 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. V.
divine et que Dieu a parlé par sa bouche, que le Fils de Dieu est
appelé le Verbe, mais parce qu'il procède éternellement de l'intel-
ligence du Père, sans corruption, sans passibilité. Le Père éternel,
se comprenant et se concevant, conçoit une certaine image parfaite
de lui-même; cette image ou similitude est appelée Verbe de la
pensée ou de l'intelligence du Père. Et ce qui est appelé le Verbe
reçoit aussi le nom de Fils, parce que c'est une personne subsis-
tant dans la nature divine, procédant, par son origine, comme être
vivant, d'un principe vivant auquel il est uni par la ressemblance
et la communauté de nature.
Le nom de Verbe, en Dieu, ne signifie donc nullement la charge
ou la fonction d'un envoyé qui nous annoncerait la volonté divine :
il signifie le Fils de Dieu, Jésus-Christ, considéré non pas comme
homme mais comme Dieu, car ce Verbe était dès le commence-
ment; il était en Dieu et il était Dieu; il créait toutes choses; il
était la lumière et la vie de tout homme venant en ce monde.
Même improprement et au figuré, on ne peut pas lui donner le nom
de Verbe pour cette raison qu'il nous a manifesté la volonté de
Dieu, car à ce titre il a un autre nom : la Sainte Écriture l'ap-
pelle Y Ange du grand conseil, c'est-à-dire le messager de la divi-
nité. Mais c'est proprement et selon la stricte signification du mot,
que le Fils de Dieu est appelé Verbe, par S. Jean et par les autres
écrivains inspirés.
Comment serait-il possible de n'entendre pas littéralement, par
exemple, ces paroles du Livre de la Sagesse : « Seigneur, votre
« parole toute-puissante venant du ciel est descendue du haut de
« votre trône royal ^ ? » On ne peut pas entendre icipar parole la
parole vocale qui résonne en frappant l'air, car cette parole n'est
pas toute-puissante, mais Dieu seul est tout-puissant. Il est dit en-
core plus clairement dans S. Jean : « Ils sont trois qui rendent
« témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint Esprit 2. »
Citons encore ce texte d'Isaïe : « L'herbe s'est desséchée, la fleur
« est tombée, mais la parole du Seigneur demeure éternelle-
* ment ^. » Assurément, le prophète ne s'occupe pas ici de la pa-
\. Omnipolcns scrmo tuus de cœlo a regalibus sedibus.... prosilivit. {Sap.,
XVIII, \lj.)
^2. Très sunt qui testimonium dant in cœlo, Pater, Verbum et Spiritus
sanctus. (/. Jonnn., v, 7.)
3. Exsiccatum est fœnum et cecidit flos, Verbum autem Domini nostri ma-
net in aelernum. (/s., XL, 8.)
JÉSUS EUCBARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 215
rôle vocale qui passe à l'instant où elle est prononcée, et qui dure
moins que l'herbe des champs; mais c'est de la parole personnelle,
qui est le Fils de Dieu, dont l'avènement en ce monde est annoncé
dans le chapitre d'où ce texte est tiré.
S. Thomas pose cette question : Le nom de Verbe, lorsqu'il
s'agit de Dieu, est-il un nom personnel? c'est-à-dire, ce nom con-
vient-il au Fils de Dieu considéré dans sa personnalité divine, ou
considéré dans sa substance? Et il répond que ce nom de Verbe,
parce qu'il indique que celui qui le porte procède d'un autre, ne
peut être pris, lorqu'il s'agit de Dieu, comme un nom convenante
la substance divine, mais uniquement à l'une des trois personnes
de la Sainte Trinité, considérée dans sa qualité de personne. Ce
n'est pas et ce ne peut pas être à proprement parler de la substance
divine en tant que substance qu'il est écrit : « Les cieux ont été
« affermis par le Verbe du Seigneur ^ — Son nom est le Verbe
« de Dieu ^ : — Au commencement était le Verbe 3 ; » la distinction
est évidente, dans ces textes et dans plusieurs autres semblables,
entre Dieu et le Verbe, et c'est sur eux que se fonde principalement
la doctrine de la trinité des personnes divines. Ce nom est donc
le nom propre de l'une de ces adorables personnes, et ne convient
pas à toutes trois, mais uniquement à la seconde. Il en serait au-
trement s'il désignait immédiatement la substance, car on pour-
rait alors l'appliquer tout aussi bien au Père et au Saint-Esprit,
dont la substance n'est pas autre que celle du Fils.
La signification du mot Verbe est multiple. Si nous consultons
les grammairiens, ils nous diront que le verbe est la partie du dis-
cours énonçant simplement l'existence, ou l'existence avec relation
à l'action, à l'état, ou à la qualité d'un sujet. Ce verbe extérieur
manifesté par la voix, par l'écriture ou par quelque autre signe,
n'est que l'expression du Verbe intérieur, de la pensée ou de
l'image qui se forme et existe au plus intime de l'être intelligent;
mais cette pensée elle-même, ce verbe intérieur premier-né de l'es-
prit, ne peut se manifester extérieurement qu'à la condition de
prendre, dans l'esprit qui le produit, une forme en rapport avec le
verbe extérieur qui doit le manifester.
Le Verbe de Dieu, seconde personne de la Sainte Trinité, n'est
1. Verbo Domini cœli firmati sunt. (Ps. xxxii, C.)
2. Nomen ejus Verbum Dei. (Apoc, xix, 13.)
3. In principio erat Verbum. [Joann., i, 1.)
216 LA SAINTE EDCJIARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
pas une parole extérieure quelconque que Dieu ferait entendre aux
iiommes ou aux anges. II est ce fils premier-né de la substance
infiniment intelligente qui est Dieu, la conception, la pensée inté-
rieure que Dieu forme et conserve éternellement en lui-môme, tout
en la manifestant extérieurement lorsqu'il lui plaît de le faire, dans
les circonstances et par les moyens qu'il choisit à son gré *.
Nous pouvons donc, par la connaissance que l'expérience nous
donne de ce qui se passe dans notre propre intelligence, nous faire
une idée du mystère de la génération du Verbe, qui s'accomplit
en Dieu. Mais si l'on peut trouver quelques traits de ressemblance
entre la formation du Verbe divin et celle de notre verbe, ce n'est
qu'en éliminant avec le plus grand soin tout ce qui ressentirait
l'imperfection. L'image que le fini donne de l'infini est à peine une
ombre, un vestige de la réalité, et la distance entre les deux de-
meurera toujours incommensurable. C'est ainsi que le Verbe divin
et le verbe de l'homme procèdent tous deux d'un principe spirituel
et intelligent; mais qui peut comparer l'esprit borné de l'homme
et son intelligence si pleine de ténèbres à Dieu? L'un et l'autre
verbe procède naturellement de son principe et demeure en lui;
mais tandis que le Verbe divin est engendré du Père de toute éter-
nité, tandis qu'il demeure éternellement en lui, et qu'il est avec
lui une seule et unique substance, le verbe humain naît et se déve-
loppe avec mille difficultés, sous l'empire des circonstances les
plus diverses et les plus accidentelles; les pensées qui le compo-
i. Manifestius et communius in nobis dicitur Verbum quod voce profertur ;
quod quidera ab interiori procedit quantum ad duo quae in verbo exteriori
inveniuntur, scilicet ipsa vox, et significatio vocis. Vox enim signifîcat intellec-
lus conceptum, secundum Philosophum. Et iterum vox ex significatione, vel
imaginatione procedit.... Vox autem quse non est significativa, verbum dici
non potest. Ex boc ergo dicitur Verbum vox exterior, quia significat interio-
rem mentis conceptum. Sic igitur primo et principaliter interior mentis con-
ceptus verbum dicitur.... Dicitur autem proprie Verbum in Deo, secundum
quod Verbum significat conceptum intellectus. Unde Augustinus dicit {de
Trinit., lib. XV, cap. x) : « Quisquis potest intclligere Verbum, non solum
« antequam sonet, verum etiam antequam sonorum ejus imagines cogitatione
« involvanlur, jam potest videre aliquam Verbi illius similitudinem, de que
« dictum est : In principio crat Verbum. » Ipse autem conceptus cordis de
ratione sua habet quod ab alio procédât, scilicet a notitia concipientis. Unde
Verbum secundum quod proprie dicitur in divinis, significat aliquid ab alio
procedens, quod pertinet ad rationem nominum personalium in divinis : eo
quod personse divinae distinguuntur secundum originem, ut dictum est. Unde
oporlet quod nomen Verbi, secundum quod proprie in divinis accipitur, non
.sumatur essentialitcr .sed personaliter. (S. Thom., I p., q. xxxi, art. 1.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 217
sent peuvent demeurer présentes à l'intelligence, mais avec quelle
lacilité elles disparaissent, et comme il est difficile souvent de re-
trouver celles qui ont échappé ! On peut dire que le verbe humain
comparé au Verbe de Dieu n'est qu'une lueur tremblotante, un feu
follet en présence du soleil.
Le Père produit le Verbe par la connaissance très parfaite, com-
préhensive et intuitive de sa divinité. Cette connaissance est adé-
quate à son objet, c'est-à-dire qu'il n'y a rien dans la nature divine
du Père que cette connaissance n'embrasse et ne pénètre. Le Père
connaît sa nature aussi complètement qu'elle est susceptible d'être
connue; il la connaît donc selon son mode d'existence, une en
trois personnes, autrement sa connaissance ne serait pas très par-
faite; il ne se comprendrait pas, s'il ne voyait pas la nature divine
en trois personnes, et s'il ne voyait pas, s'il ne connaissait pas et
ne comprenait pas ces trois personnes qui ne sont qu'une seule
substance, une seule nature, un seul Dieu.
Le Père, par la connaissance infiniment parfaite qu'il a de lui-
même, produit en lui-même son image qui est son Fils, et il con-
naît aussi cette image. Dans cette image absolument parfaite se
retrouve nécessairement tout ce qui est dans le Père et que le Père
connaît, par conséquent la puissance, ou plutôt l'acte, en vertu
duquel le Saint-Esprit procède de lui, d'où il suit que le Saint-
Esprit procède du Fils en même temps que du Père, et que le Fils
procède de la connaissance que le Père a de lui-même et aussi
de celle qu'il a du Saint-Esprit, tous actes qui sont également
éternels et simultanés en Dieu, quoique l'infirmité de notre intel-
ligence soit obligée d'y introduire un certain ordre logique ; ou,
pour parler avec plus d'exactitude, tous ces actes qui diffèrent à
nos yeux ne sont qu'un seul et même acte.
Suarez ^ demande si l'on peut dire que le Verbe est le principe
de sa propre procession et que le Saint-Esprit est aussi le principe
de la production du Verbe. Ce qui pourrait le faire penser, c'est que
l'objet connu est un principe de la connaissance qui, sans lui, ne
saurait exister. Mais il n'en est rien. Ni le Verbe ni le Saint-Esprit
ne produisent la connaissance que le Père possède de sa propre
nature et de tout ce qui est en Dieu. Ils sont l'objet de cette con-
naissance, mais ils n'en sont pas les auteurs; ce n'est pas du Fils
1. Suarez, part. I, lib. VII, cap. v.
218 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
ni du Saint-Esprit que le Père tient cette connaissance et la pro-
priété de connaître, mais il la possède par lui-même en vertu de
sa propre nature. Le Fils et le Saint-Esprit sont le terme auquel
la connaissance du Père s'arrête; ils n'en sont pas le principe ni la
cause : ils ne sont donc pas le principe de la génération de la
seconde personne. Mais cette connaissance que le Père possède du
Fils qu'il engendre et du Saint-Esprit qui procède de lui en même
temps que du Fils est comprise dans la connaissance infiniment
parfaite de tout ce qui est Dieu, que possède le Père et d'où le Fils
procède. *
Dieu ne connaît pas seulement sa propre nature et les admira-
bles mystères qui s'accomplissent au sein de la divinité. Il connaît
aussi, de toute éternité, les êtres possibles et tous ceux qui ont existé,
qui existent et qui existeront dans les siècles des siècles. Cette
connaissance contribue-t-elle à l'éternelle génération du Verbe?
Le docteur subtil, Duns Scot, le grand théologien de l'ordre de
Saint-François, a enseigné que le Verbe divin ne procède pas de la
connaissance qui est en Dieu des créatures soit futures, soit sim-
plement possibles. La raison qu'il en donne est que l'ordre naturel
exige que le Père produise son Fils, avant de connaître les créa-
tures même possibles. Ces créatures, en effet, ne sont que l'objet
secondaire de la connaissance du Père ; elles ne doivent donc venir
que postérieurement au premier objet, à l'objet en quelque sorte
unique, tant l'autre est peu de chose auprès de lui, l'essence divine.
Le Fils de Dieu, le Verbe qui procède du Père par la connaissance
de l'essence divine, ne peut donc pas venir de celle des créatures
qui lui est postérieure.
Malgré l'autorité de Scot et la raison qu'il met en avant, on doit
reconnaître que le Verbe procède de la science de simple intelli-
gence qui est en Dieu de toutes les créatures possibles. S. Augus-
tin, S. Anselme, S. Thomas, Cajetan et la plupart des théologiens
sont de cet avis. S. Anselme dit bien que le Verbe n'est pas le verbe
des créatures, mais il parle des créatures telles qu'elles sont en
elles-mêmes, et non pas de ce qu'elles sont éternellement dans la
pensée de Dieu. Le Verbe divin procède de la connaissance abso-
lument complète et compréhensive de l'essence divine. Or, cette
connaissance ne serait pas telle, si elle ne s'étendait pas à tout
ce que Dieu peut accomplir, et par conséquent, à toutes les choses
possibles.
JÉSUS EUCHARISTIQCE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 219
On ne peut pas en dire autant de la connaissance de vision des
choses existantes ou qui doivent exister dans un temps donné.
L'existence de ces choses est libre et contingente; elles sont ou elles
seront, parce que Dieu l'a voulu librement, et il pouvait vouloir
qu'elles ne fussent pas; il les connaît ou il les voit comme présentes
ou futures, mais il eût pu tout aussi bien ne les connaître que
comme possibles, et par science de simple intelligence : c'est
comme telles qu'il les a connues d'abord. Le décret en vertu duquel
elles existent est postérieur à cette connaissance première et à la
génération du Verbe, car il faut connaître avant de vouloir. Contin-
gente et postérieure à la génération du Verbe, cette connaissance
des choses existantes ou futures, considérées comme telles, ne peut
être pour rien dans la génération du Verbe qui la précède logi-
quement, et qui n'a rien de contingent, puisqu'elle est dans la na-
ture même de Dieu, nécessaire et immuable. Le Verbe divin con-
naît ces choses, comme le Père et le Saint-Esprit les connaissent
par la science de vision, qui lui est commune avec ces deux ado-
rables personnes.
Outre les noms de Fils et de Verbe qui appartiennent en propre
à la seconde personne de la Très Sainte Trinité et qui ne convien-
nent qu'à elle seule, les noms cVImage et de Sagesse du Père lui
sont aussi donnés en de nombreux passages de la Sainte Écri-
ture. S. Paul dit de Notre-Seigneur Jésus-Christ qu'il est l'image du
Dieu invisible i. En effet, il est son image, parce qu'il lui ressem-
ble de la manière la plus parfaite et la plus absolue, ressemblance
qui n'est pas le produit de l'art, comme le sont la plupart des
images, mais qui procède de la nature même, comme toute res-
semblance d'un fils avec son père. Le Père est l'original d'après
lequel le Fils existe tel qu'il est; il est en même temps le principe
actif qui le produit.
Écoutons Bossuet :
« Le Filsde Dieu, dit l'Apôtre, est le caractère et l'empreinte de la
« substance de son Père ~. Lorsqu'un sceau est appliqué sur la cire,
« cette cire, sans rien détacher du sceau qui s'imprime en elle, en
«f tire la ressemblance tout entière, et se l'incorpore, en sorte qu'on
« ne peut plus l'en séparer. Regardez-la bien; aucun trait ne lui est
« échappé, et cependant tout est demeuré dans le sceau sous lequel
i. Qui est imago Dei invisibilis. {Col., i, 15.)
2. Qui cum sit figura substantiae ejus. [Hebr., i, 3.)
220 LA SAINTE EDCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
« elle a pris sa forme. Ainsi le Fils de Dieu a tout pris du Père
« sans rien lui ôter : il en est la parfaite image, Vempreinte, l'ex-
« pression tout entière, non de sa figure, car Dieu n'en a point;
« mais, comme parle S. Paul, de sa substance; selon la force de
« l'original, on pourrait traduire, de sa personne. Il en porte tous
« les traits : c'est pourquoi il dit : Qui me voit voit mon Père * ;
« et ailleurs : Comme mon Père a la vie en soi, ainsi il a donné
« à son Fils d'avoir la vie en soi ^. Comme le Père ressuscite les
€ morts et leur rend la vie, aussi le Fils donne la vie à qui il
« lui plaît 3. Et il n'exprime pas seulement son Père dans les
« effets de sa puissance ; il en exprime tous les traits, tous les
a caractères naturels et personnels, en sorte que si on pouvait
«( voir le Fils sans voir le Père, on le verrait tout entier dans son
« Fils.
« Mais qui pourrait expliquer quels sont ces traits et ces carac-
« tères du Père éternel qui reluisent dans son Fils? Gela n'est pas
Œ de cette vie, et tout ce qu'on peut en dire, c'est que n'y ayant rien
« en Dieu d'accidentel, tous ces traits du Père que le Fils porte
a empreints dans sa personne sont de la substance ou de la per-
« sonne du Père. Il est cette impression substantielle que le Père
« opère de tout ce qu'il est; et c'est en opérant cette impression
« qu'il engendre son Fils.
« Voici dans le Sage quelque chose de plus délicat : La Sagesse,
« éternellement conçue dans le sein de Dieu, est un miroir sans
« tache de la majesté, et r image de sa bonté ^. C'est quelque
« chose de trop grossier pour le Fils de Dieu, que l'impression
« d'un cachet, ou que l'expression de la ressemblance, dans une
« image qu'on taille avec un ciseau, ou qu'on fait avec des cou-
« leurs. La nature a quelque chose de plus délicat : et voici, dans
« de claires eaux et dans un miroir, un nouveau secret pour peindre
« et faire une image. Il n'y a qu'à présenter un objet, aussitôt il
« se peint lui-même, et cet admirable tableau ne dégénère par
« aucun endroit de l'original : c'est en quelque sorte l'original lui-
4. Qui videt me videt et Patrem. {Joonn., xiv, 9.)
2. Sicut enim Pater habet vitam in semetipso : sic dédit et P'ilio habere
vilam in semetipso. (Id., v, '■26.)
3. Sicut enim Pater suscitât mortuos, et vivifient, sic et Filius, quos vult,
vivificat. [Id., v, 21.)
4. Spéculum sine macula Dei majestatis et imago bonitatis iilius. {Sap.,
VII, 2G.J
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 221
« même. Cependant rien ne dépérit, ni à l'original, ni à la ^lace
« polie où il s'est imprimé tout entier. Pour achever ce portrait, on
« n'a pas besoin du secours du temps, ni d'une ébauche impar-
€ faite; un même instant le commence et l'achève et le dessein
« comme le fini* n'est qu'un seul trait •. »
Le Fils de Dieu est l'image du Père considéré comme personne,
parce que tout ce qui est au Père est au Fils et que, par son ori-
gine, il procède du Père. Mais la paternité ne se retrouve pas en lui,
parce que c'est par elle qu'il est distingué du Père comme personne,
et que cette relation ne peut pas exister à la fois dans l'un et dans
l'autre : le Père et le Fils ne peuvent être tous deux père et tous
deux fils l'un de l'autre.
Il n'est pas non plus l'image du Saint-Esprit, dont il ne procède
pas. Ces deux adorables personnes sont semblables, il est vrai ;
mais la ressemblance n'est pas la condition unique pour qu'une
chose soit l'image de l'autre. Deux fruits cueillis sur le même arbre
se ressemblent : néanmoins on ne peut pas dire que le second
cueilli soit l'image du premier : il lui ressemble, il a été produit
par le même arbre, mais il n'en est pas l'image. Ainsi en est-il du
Fils et du Saint-Esprit qui l'un et l'autre procèdent du Père.
Il n'est pas non plus l'image de la divinité, c'est-à-dire de l'es-
sence ou de la nature divine, car il est, comme Dieu, cette essence
même et cette nature, aussi bien que le Père et le Saint-Esprit, et
l'on ne peut pas dire qu'un être soit sa propre image.
Enfin, il n'est pas l'image des créatures, parce que sa substance
ne ressemble en rien à leur substance, et qu'il ne procède pas
d'elles ; au contraire, ce sont elles qui procèdent en quelque manière
de lui, car en lui se trouve l'idée ou le prototype de toute créature,
à cause du mode selon lequel s'accomplit son éternelle généra-
tion.
C'est donc uniquement du Père que le Fils de Dieu est l'image, et
lorsqu'on dit de lui qu'il est l'image de Dieu, c'est l'image de la
première personne de la très sainte et très adorable Trinité qu'il
faut entendre.
Nous aussi nous sommes l'image de Dieu ; mais combien impar-
faite est cette image, si nous la comparons au Verbe divin î Le fils
d'un roi est l'image de son père ; la moindre pièce de monnaie en
\. BossuET, Elévations sur les mystères, Ile semaine, iv* élév.
222 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. V.
est aussi l'image par l'effigie qu'elle porte : nous sommes à peine
cette humble pièce de monnaie. Aussi l'Écriture Sainte ne dit-elle
pas que l'homme est l'image de Dieu; elle réserve au B'ils seul ce
titre dans toute sa plénitude; pour l'homme, elle dit seulement
qu'il a été fait à Vimage de Dieu, afin de marquer qu'il y a quel-
ques traits de ressemblance en lui avec ce divin modèle, et qu'il
doit travailler sans cesse à les rendre plus parfaits i. Telle est la
doctrine de S. Thomas, qui l'avait empruntée aux Pères et notam-
ment à S. Ambroise 2 et à S. Augustin 3.
Fils de Dieu, Verbe, Image, tels sont les principaux noms que
la Sainte Écriture et, après elle, l'Église donne à la seconde per-
1. Dicendum quod imago alicujus dupliciter in aliquo invenitur; uno modo,
in re ejusdem naturae secundum speciem; ut imago régis invenilur in filio
suo : alio modo, in re allerius naturaî; sicut imago régis invenitur in denario.
Primo autem modo Filius est imago Patris ; secundo autem modo dicitur horao
imago Dei. Et ideo ad designandum in homine imperfectionem imaginis,
homo non solum dicitur imago, sed et ad imaginem; per quod motus quidam
tendentis in perfectionem designatur. Sed de Filio Dei, non potest dici quod
sit ad imaginem, quia est perfecta imago Patris. (S. Tiiom., I p., q. xxxv,
art. 2 ad 3.)
2. Solus enim Christus estplena imago Dei,propterexpressam in se palernae
claritudinis unitalem. Justus autem homo ad imaginem Dei est, si propter
imilandam divinse conversationis similitudinem mundum hune Dei cognitione
contemnat, voluptatesque terrenas verbi perceptione despiciat quo alimur in
vitam : unde et corpus Christi edimus, ut vitse seternae possimus esse parti-
cipes. (S. Ambros., Ub. X in Luc, cap. xxii.)
3. Non eris qualis est Deus, sed ad quemdam modum, id est imitator Dei
velut imago, sed non qualis imago est Fihus. Nam etiam imagines in homini-
bus diversge sunt. Fihus hominis habet imaginem patris sui, et hoc est quod
pater ejus, quia homo est sicut pater ejus. In speculo autem imago tua non
hoc est quod tu. AHter est enim imago tua in filio, aliter in speculo; in filio
est imago tua secundum œqualitatem substantiae ; in speculo autem quantum
longe est a subsfantia, et tamen est quaedajn imago tua, quamvis non talis
qualis in filio secundum substantiam. Sic in creatura non hoc est imago quod
est in Filio, qui hoc est quod Pater, id est Verbum Dei per quod facta sunt
omnia. Sicut enim in nummo imago imperatoris aliter est, aliter in filio : nam
imago et imago est : sed aliter impressa est in nummo, aliter in Filio, aliter
in solido aureo imago imperatoris. Sic et lu nummus Dei es, ex hoc melior,
quia cum intellectu et cum quadam vita nummus Dei es, ut scias etiam cujus
imaginem géras, et ad cujus imaginem factus sis. (S. August., serm. IX, de
Decem chordia.) ....Dixi : Ncque inscite dùtinguitur, quod aliud sit imago et
simililndo Dei, aliud ad imaginem et similitudinem Dei, sicut homincm factum
accipimus. Quod non ita intelligendum est quasi homo non dicatur imago Dei,
cum dicat Apostolus : Vir quidem non débet velare capul, cum sit imago et
glorin Dei; sed dicitur etiam ad imaginem Dei, quod Unigenitus non dicitur,
qui tantummodo imago est, non ad imaginem. (Id., lib. lietractationum I,
cap. XXVI, n. VA.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 223
sonne de l'adorable Trinité. Il faut y ajouter encore ceux de
Splendeur, Figure, Éclat, iMiroir du Père, mais surtout celui de
Sagesse, qui lui est prodigué dans les livres sapientiaux. Nous ne
citerons que ces quelques lignes du livre des Proverbes : « Moi,
« Sagesse, j'habite dans le conseil et je suis présente aux savantes
« pensées.... Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses
« voies, avant qu'il fît quelque chose dès le principe. Dès l'éter-
« nité j'ai été établie ; dès les temps anciens, avant que la terre
e fût faite. Les abîmes n'étaient pas encore, et moi déjà j'avais été
4 conçue : les sources des eaux n'avaient pas encore jailli ; les
« montagnes à la pesante masse n'étaient pas encore affermies,
« et moi, avant les collines, j'étais engendrée. Il n'avait pas en-
« core fait la terre et les fleuves, et les pôles du globe de la terre.
« Quand il préparait les cieux j'étais présente ; quand, par une
« loi inviolable, il entourait d'un cercle les abîmes ; quand il af-
« fermissait en haut la voûte éthérée, et qu'il mettait en équilibre
« les sources des eaux ; quand il mettait autour de la mer ses li-
« mites, et qu'il imposait une loi aux eaux, afin qu'elles n'al-
€ lassent point au delà de leurs bornes ; quand il posait les fonde-
<r ments de la terre, j'étais là avec lui, disposant toutes choses ; et
« je me réjouissais chaque jour, me jouant en tout temps devant
a lui; me jouant dans le globe de la terre; et mes délices sont
« d'être avec les fils des hommes '. « S'il n'y avait que ce passage
on pourrait dire, à la rigueur, qu'il n'y a là qu'une prosopopée et
que l'écrivain sacré prête la parole à un des attributs de Dieu,
comme il pourrait le faire à sa justice ou à sa miséricorde, sans
que la Sagesse qui, selon lui, tient ce langage, soit autre chose
qu'un attribut. Mais l'insistance avec laquelle la Sainte Écriture
présente la Sagesse divine en une foule d'autres endroits comme
une personne réelle et distincte, parlant et agissant par elle-même,
ne permet pas de voir dans ce mode de langage une simple figure
de rhétorique, dont il faudrait admettre un étrange abus, et l'on
est obligé de reconnaître dans la Sagesse divine parlant et agis-
sant ainsi, le Verbe de Dieu, le Fils du Père, par qui tout a été
créé, tout est conduit, tout subsiste.
S. Ambroise ne distingue pas la Sagesse de Dieu de son Verbe :
pour lui ce n'est qu'une seule et même personne. « La Sagesse
1. Prov., viii, 12, li elsuiv. Trad. Glaire.
224 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE, — LIVRE II. — CIIAP. V.
« affirme, dit-il, qu'elle est sortie de la bouche du Très-Haut, non
0 pas cependant de telle sorte qu'elle soit hors du Père, mais
« qu'elle demeure dans le Père : parce que le Verbe était en Dieu^
« non seulement chez le Père, mais dans le Père, car il a dit \.
« Je suis dans le Père et le Père est en moi ^ »
S. Augustin ne parle pas avec moins de clarté : « Dieu lui-
« même nous enseigne que le Fils de Dieu n'est rien autre que la
« Sagesse divine, » dit-il dans le livre qu'il écrivit sur la Vie heu-
reuse '. Dans le livre II, sur le Libre arbitre, il dit, en réponse à
une objection d'Évodius : « Si vous vous étonnez que nous recevons
« comme un dogme de foi de la religion enseignée par le Christ,
« que Dieu est le Père de la Sagesse, souvenez-vous de cet autre
« enseignement donné aussi par cette foi que la Sagesse qui est
« née du Père éternel lui est égale en tout ^. « On le voit assez par
ces quelques mots, S. Ambroise et S. Augustin donnaient couram-
ment le nom de Sagesse du Père au Fils de Dieu, et cette déno-
mination était d'un usage ordinaire dans l'Église ; on regardait
alors comme une vérité de foi que le Verbe divin et la Sagesse di-
vine sont une seule et même personne avec le Fils de Dieu ; ainsi
l'avaient professé les chrétiens des premiers âges, ainsi l'ensei-
gnera la sainte Église jusqu'à la fin des temps.
Il serait aisé mais superflu de rapporter une foule de textes ana-
logues empruntés à la tradition chrétienne de toutes les époques,
car dans tous les siècles, les Pères et les docteurs de l'Église ont
parlé le même langage.
Le Fils de Dieu est donc la Sagesse du Père, la Sagesse incréée,
avec laquelle et par laquelle Dieu a fait toutes choses; mais comme
on ne peut pas dire que le Père doit au Fils son intelligence, sa.
connaissance de soi-même et de toutes choses, on ne peut pas dire
non plus qu'il tire sa sagesse du Fils, ou qu'il n'y ait de sagesse
en Dieu que celle qui prend naissance éternellement dans son
d. Denique ita Sapientia ex ore Altissimi prodiisse se dicit, non ut extra Pa-
trem sit, sed apud Patrem ; quia Verbum eral npud Deum : nec solum apud
Palrem, sed etiam in Patrc. Dicit enim : Ego in Paire, et Pater in me est.
(S. Ambros., de Spiritu sancto, lib. 1, cap. xi.)
'2. Accepimus aucloritate divina, Dei Filium nihil esse aliud quam Dei Sa-
pienliarn. (S. Augdst., lib. de Beata vita, n. 34.)
3. Si te hoc movet quod apud sacrosanctam disciplinam Christi in fidem.
recipimus, esse Patrem sapientiae : mémento nos etiam hoc in fidem accepisse
quod leterno Patri sit aequalis quae ab ipso genita est Sapientia. (S. AuGUST.,
lib. II de Libero arbilrio, n. 39.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. ^25
sein : « Au contraire cette sagesse engendrée, comme l'appellent
a. les Pères, ne naîtrait pas dans le sein de Dieu, s'il n'y avait
a primitivement dans la nature divine une sagesse infinie, d'où
« vient par surabondance la sagesse qui est le Fils de Dieu; car
« nous-mêmes nous ne formons dans notre esprit nos raisonne-
« ments et nos pensées, ou ces paroles cachées et intérieures par
« lesquelles nous nous parlons à nous-mêmes, de nous-mêmes et
« de toutes choses, qu'à cause qu'il y a en nous une raison primi-
« tive, et un principe d'intelligence, d'où naissent continuellement
« et inépuisablement toutes nos pensées. A plus forte raison faut-
es il croire en Dieu une intelligence primitive et essentielle qui,
« résidant dans le Père comme dans la source, fait continuellement
« et inépuisablement naître dans son sein son Verbe qui est son
« Fils, sa pensée éternellement subsistante, qui, pour la même
« raison, est aussi très bien appelée son intelligence et sa sa-
« gesse K »
Qu'elle est grande cette Sagesse divine ! qu'il est admirable ce
Verbe de Dieu î II est l'origine de toute lumière et de toute intel-
ligence, l'auteur de lout entendement et de toute raison. Sans la
lumière qu'il répand en dehors, du sein de son Père, il n'y aurait
qu'ignorance et ténèbres. Tous les arts, toutes les sciences, l'in-
telligence même des anges, ne sont qu'un faible rayon emprunté
à ce soleil dont la splendeur est infinie. Il est le cachet, le sceau
primordial de toutes choses ; il les forme toutes intérieurement, et
dispose tout en chacune d'elles. Il pénètre tout et ne se mêle à au-
cune chose ; aucun contact ne peut ternir l'éclat de sa pureté, au-
cun abaissement jusqu'aux créatures n'enlève rien à son immua-
bilité ni à sa grandeur.
Il est l'auteur et le créateur de tout, le modèle, la mesure et la
fin de tout, même des êtres qui ne sont pas, mais qui peuvent
sortir du néant par sa toute-puissance, et qui existent dans sa
pensée. Devant lui toutes les choses passées ou futures sont pré-
sentes et le seront éternellement. En lui toutes les choses ont un
être sans commencement ni fin, et souverainement immuable;
elles sont dans l'essence divine, comme dans leur fond et dans
leur fondement primordial; elles sont dans la puissance de Dieu
comme dans la cause efficiente qui crée tout de rien; elles sont
\. Bossi:et, Avertissements aux protestants, Vl" avert., I p., n. 31.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 15
226 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. V.
dans sa Sagesse ou dans son Verbe formellement et objectivement;
en lui est le modèle, l'idée complète de tout ce que Dieu réalise et
peut réaliser par sa puissance ; mais surtout il est l'image infini-
ment parfaite de son Père ; il reproduit en lui toutes ses gran-
deurs, toutes ses perfections, tous ses divins attributs, et il n'est
avec lui qu'une même substance, un même Dieu.
« A vous donc, ô plénitude de lumière, plénitude de vérité, Sa-
a gesse infinie de Dieu, à vous honneur et gloire de la part de
« toutes les créatures, en vous-même, qui êtes la connaissance
« claire et consommée de l'excellence divine. Il est vrai, Dieu tout-
« puissant, que vous faites, jusqu'à un certain point, éclater votre
« excellence dans les entendements des anges et des saints ; et
a dans cet éclat, il faut l'avouer, votre gloire laisse percer quelque
« rayon ; mais elle resplendit infiniment plus dans votre sagesse,
« comme une lumière infinie brille infiniment plus qu'une petite
« étincelle.
« Que là donc, dans son inaccessible hauteur, votre Sagesse
« vous soit une louange infinie, ô Dieu, et qu'elle se glorifie ainsi
*' infiniment elle-même ! Que toute créature se réjouisse avec elle
« et la félicite, la loue, la bénisse et la glorifie. Sans doute, vous
« n'avez pas besoin de notre gloire et de nos louanges; une étin-
« celle n'ajoute rien à une clarté infinie : mais nous y trouvons
(( notre avantage : car vous connaître et vous louer est noire sou-
« verain bien et la vie éternelle i. »
IV.
AUTRE MYSTÈRE DE LA VIE INTIME DE DIEU, QUI s' ACCOMPLIT DANS
l'eucharistie : la procession du SAINT-ESPRIT
La foi nous enseigne que le Saint-Esprit procède du Père.
Notre-Seigneur Jésus-Christ nous l'a dit lui-môme en termes expli-
cites, en promettant à ses apôtres de leur envoyer ce divin Con-
solateur '-2 : « Lorsque sera venu le Paracletque je vous enverrai du
€ Père, Y Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoi-
« gnage de moi. » Mais en même temps que cette adorable per-
\. Lessil's, Élévations à Dieu, ch. vi, traduct. du P. Bouix.
"2. Cum autexn vcnerit Paracletus, quemego mittam vobis a Pâtre, Spiritum
veritatis qui a Pâtre procedit, ille testimonium perhibebit de me. {Joann.,
XV, 2f>.)
JÉSUS EOCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 227
sonne de la Sainte Trinité procède du Père, elle a aussi pour principe
le Fils que nous adorons au Très Saint Sacrement, et ces deux prin-
cipes la produisent comme n'en étant qu'un seul. Telle fut dans
tous les temps la foi de l'Église latine, ainsi que le témoignent les
définitions de nombreux conciles; mais les Grecs se séparèrent
d'elle sur ce point. Théodoret fut le premier qui enseigna que le
Saint-Esprit ne procédait pas du Fils, et les Nestoriens tombèrent,
à sa suite, dans la même erreur, qui néanmoins ne se dévoila en-
tièrement qu'au temps de Théophylacte. Ce ne fut même que beau-
coup plus tard, vers l'an loo2, sous le pape Léon IX, que les par-
tisans de cette erreur se déclarèrent en révolte ouverte contre l'en-
seignement de l'Église sur ce point, et tombèrent définitivement
dans l'hérésie et le schisme.
Si nous interrogeons la Sainte Écriture, nous y trouverons des
preuves évidentes de cette vérité que le Saint-Esprit procède non
seulement du Père, mais aussi du Fils. On ne peut pas ne pas en-
tendre dans ce sens ces paroles de Notre-Seigneur : « Quand cet
« Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité.... Il
« me glorifiera, parce qu il recevra de ce qui est à moi, et il vous
a l'annoncera. Tout ce qu'a mon Père est à moi; c'est pourquoi j'ai
« dit qu'il recevra de ce qui est à moi, et vous Tannoncera '. »
Il avait dit plus haut : « Le Paraclet, qui est le Saint-Esprit et
€ que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes
« choses -. » Le Saint-Esprit est donc envoyé par le Fils ; il rece-
vra de ce qui est au Fils et il l'annoncera ; car « il ne parlera pas
» de lui-même 3, » est-il dit encore. Gomment serait-il envoyé par
le Fils, comment pourrait-il en recevoir quelque chose et en parti-
culier ce qu'il annoncera, puisqu'il est Dieu, égal au Père et au
Fils, si ce n'est parla procession qui le fait venir du Fils aussi bien
que du Père? Si l'on demande pourquoi le Fils de Dieu parle au
futur, lorsqu'il dit que le Saint-Esprit recevra de ce qui est à lui,
car s'il s'agit de sa procession elle doit être éternelle, il suffit d'ob-
server que le Seigneur s'exprime ainsi, non pas à cause de ce mys-
1. Cum autem venerit ille Spiritus veritatis docebitvos omncm veritatem....
Ille me clarificabit : quia de rrieo accipiet, et aiuiuntiabit vobis. Oiniiia quae-
cunique habet Pater mea sunt. Propterea dixi : quia de meo accipiet et
annuiiliabit vobis. (Joann., xvi, 13-15.)
!2. Paracletus autem Spiritus sanctus, qucm mittet Pater in iiomine meo, ille
vos docebit omnia. [Joann., xiv, :2G.)
3. Non enim loquetur a semetipso. [Joattn., xvi, 13.)
228 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. V.
tère lui-même, mais parce que sa manifestation en aura lieu dans-
le temps.
Plusieurs fois la troisième personne de la Sainte Trinité est ap-,
pelée dans l'Écriture l'Esprit de Jésus, TEsprit du Christ, l'Esprit
du Fils de Dieu. C'est ainsi que nous lisons au livre des Actes des
apôtres, que Paul et Timothée traversant la Phrygie et le pays de
Galatie. « il leur fut défendu par l'Esprit saint d'annoncer la parole
t de Dieu dons l'Asie; » le texte sacré ajoute : « Étant venus en
• Mysie, ils tentèrent d'aller en Bithynie; mais V Esprit de Jésus
a ne leleurpermit pas K » L'Esprit saint qui conduit les messagers
de l'Évangile est donc l'Esprit de Jésus. La môme vérité ressort de
cet autre texte emprunté à l'Épître aux Romains : « Pour vous,
« vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit, si toutefois
« l'esprit de Dieu habite en vous. Or, si quelqu'un n'a point Y Esprit
« (hi Christ, celui-là n'est point à lui 2. » S. Paul dit aussi dans
l'Épitre aux Galates : « Parce que vous êtes ses enfants (d'adop-
« tion), Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils, criant :
« Abba, Pater ^ ! »
Ces textes de la Sainte Écriture sont suffisamment clairs par
eux-mêmes; ils n'ont besoin d'aucune explication pour convaincre
quiconque ne cherche que la vérité. Aussi est-il pleinement dé-
montré que l'Église grecque elle-même admettait, comme l'Église
romaine, le dogme de la procession du Saint-Esprit du Fils aussi
bien que du Père. Les Pères grecs ne professaient pas seulement
indirectement ce dogme, mais ils l'enseignaient directement et sous
diverses formules. S. Athanase disait : « Tout ce que l'Esprit pos-
« sède, il le tient du Verbe ^; » et nous lisons dans le Symbole qui
porte son nom et résume sa doctrine : « Le Saint-Esprit est du
Père et du Fils; il n'a pas été fait ni créé, ni engendré, mais il
procède ''. »
I. Traiiscuntes autem PhryKiani et Galatiic regionem, vetati sunl a Spirilu
sancto loqui verlnim Dei in Asia. Cum vcnissenl autem in Mysiam, tentabant
ire in Bilhyniam : et non permisit 0,0s Spiritus Jcsu. [Acl., xvi, 0, 7.)
•2. Vos autem in carne non estis, sed in spiritu : si tamen Spiritus Dei
habitat in vobis. Si quis autem Spirilum Christi non habct, hic non est ejus.
{nom., VIII, '.».)
^. Quoniam autem estis Fiiii, misit Deus Spirilum Filii sui in corda vcstra
clamantom : Abba, Pater. (Golat., iv, 0.)
i. Quaecunique habet Spiritus, habet a Verbo. (S. Atiian., orat. IV contra
Arian., n. 28.) s
fi. Spiritus sanctus a Pâtre et Filio, non factus nec crealus, sed procedens.
JÉSUS EUCHARISTIQDE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 229
S. Basile ne doutait pas que le Saint-Esprit ne procédât du Fils
en même temps que du Père, car en réfutant Eunomius, qui ensei-
gnait que le Saint-Esprit est la créature du Fils et qu'il tire de
lui seul son origine, il dit : « Si le sentiment de cet hérésiarque
a était vrai, il s'ensuivrait qu'il faudrait admettre en Dieu deux
« principes, l'un du Fils, l'autre du Saint-Esprit, ce qui est abso-
« lument faux, puisque, selon les Écritures, le Fils ne fait rien
« sans le Père; qu'il n'y a rien dans le Fils qui soit étranger au
« Père, et que le Saint-Esprit est appelé tantôt l'Esprit du Père,
« tantôt l'Esprit du Fils. » Aussi, dans les disputes qui se sont
élevées dans la suite touchant la procession du Saint-Esprit, a-t-on
souvent allégué le témoignage de S. Basile, en faveur du sentiment
qui attribue au Père et au Fils la procession du Saint-Esprit. Le
pape Adrien cite ce Père entre beaucoup d'autres, pour montrer
que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. Hugues Étérien,
dans un écrit adressé au pape Alexandre III, rapporte un passage
de S. Basile tiré du troisième livre contre Eunomius, qui porte que
le Saint-Esprit tire son être du Fils et qu'il en dépend comme de
sa cause. Nicétas, archevêque de Thessalonique, contemporain de
Hugues, c'est-à-dire du xii^ siècle, cite encore ce passage, comme
nous l'apprenons du cardinal Bessarion. On a reconnu l'authenti-
cité de ce passage dans le concile de Florence, et les Grecs, frappés
de l'évidence de ce témoignage, embrassèrent le sentiment de
l'Église romaine sur la procession du Saint-Esprit i.
S. Cyrille de Jérusalem dit dans ses Catéchèses que le Saint-
Esprit a la gloire de la divinité avec le Père et le Fils. Il tire son
origine du Fils comme le Fils tire la sienne du Père -.
S. Cyrille d'Alexandrie parle en ces termes de la procession du
Saint-Esprit : « Le Saint-Esprit, dont la nature n'est point sujette
< au changement, est du Père comme du Fils, étant une efl'usion
« substantielle de l'un et de l'autre 3. Quoiqu'il ait son hypostase
a propre et qu'il soit connu par lui-même autant qu'il est Esprit
« et non pas Fils, il n'est pas néanmoins étranger au Fils, puis-
« qu'il est, comme Jésus-Christ, Esprit de vérité, et qu'il vient de
« lui par effusion, comme du Père ^ » Par effusion, S. Cyrille
1. Voir Bibliot/iéf/iie portative des Pères. S. Basile.
± Catech. IV et XVI.
3. S. Gyrill. Alex., lib. de Adorât, in Spiritu et Vcrilale.
4. II)., Epist. ad Nestor, de Excommttii., cap. xxvi.
230 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. V.
entend procession; cela se voit dans son exposition du S5'^mbole
de Nicée, où il dit, après avoir parlé de Jésus-Christ : « Les bien-
« heureux Pères font aussi mention du Saint-Esprit, disant qu'ils
« croient en lui comme au Père et au Fils; car il leur est consubs-
« tanliel, et il en est une effusion, c'est-à-dire qu'il en procède '. »
S. Cyrille enseigne encore ailleursque le Saint-Esprit est de l'essence
du Père et du Fils, et qu'il procède de l'un et de l'autre -. S. Épi-
phane enseigne que le Saint-Esprit est Dieu, comme le Père et le
Fils, et qu'il procède de ces deux adorables personnes 3,
Didyme prête à Notre -Seigneur Jésus-Christ ces paroles : « L'Es-
« prit n'est pas de lui-même, mais il est du Père et de moi ^. >
On remarque, en parcourant les écrits des Pères grecs, qu'au
lieu de dire comme nous que le Saint-Esprit procède du Père et
du Fils, ils disent souvent qu'il procède du Père par le Fils. Mais
au Concile de Florence il fut déclaré unanimement par les Latins
et par les Grecs que ces deux manières d'exprimer la procession
du Saint-Esprit avaient au fond la même signification et pouvaient
être acceptées ^.
Les Pères de l'Église latine n'ont pas été moins affirmatifs que
1. s. CvRiLL. Alex., in Sanct. Symbol.
2. II)., in libr. Themur.
La croyance de rp]glise s'exprima clairement aussi dans les négociations qui
résultèrent de la controverse élevée entre Jean d'Antioche et S. Cyrille
d'Alexandrie. S. Cyrille opposa douze analhèmes ou chapitres aux erreurs de
Nestorius et, dans le neuvième, il formula le dogme de la procession du Saint-
Esprit du Père et du Fils. Jean d'Antioche s'éleva contre ces douze anathèmes;
Théodore de Mopsueste, Théodoret et Ibas écrivirent dans le même sens, mais
leurs écrits furent condamnés dans le second concile universel de Constanti-
nople (îi.'iîi), ou le cinquième universel, et frappés d'analhème, tandis que les
douze chapitres de S. Cyrille avaient été adoptés et ratifiés par le troisième con-
cile universel d'Kphôse (/t31). Conformément à ces précédents, la profession de
foique Tarasius, patriarche de Constantinople, avait lue dans le second concile
universel de Nicée (787), septième universel, renfermait la doctrine du Saint-
Esprit qui procède du Père par le Fils. (I)icl. cnnjclop. de la Ihèol. cathoL,
lrad.de l'allemand par Gosciiler, art. Èglùe grecque.)
3. Et Dei Spiritus a Christo, utpote qui ab utroque procedit, id quod ipse
Christus lestatur : Qui a Paire procedit^ inquit, et hic de meo accipiet.
(S. Epiph., in Anchoralo, n. 67.)
4. Quia non ex se est, sed ex Pâtre et me est. (Didvm., lib. de Spiritu
tancto, n. 34.)
'•'). Quod id quod sancti Patres et Doctores dicunt, ex Pâtre per F'ilium pro-
cedere Spiritiim sanctum, ad banc intelligentiam lendit, ut per hoc significe-
tur Hlium qnoque esse secundum Grœcos quidem causam, secundum Latinos
vero principium subsistentise Spiritus sancti sicut et Patrem. (Concil. Florent.
Ad.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 231
ceux de l'Église grecque sur la procession du Saint-Esprit des
deux premières personnes de la Sainte Trinité, et par conséquent
du Fils. Leur enseignement est même ordinairement plus clair,
et laisse moins de prise aux interprétations fausses de l'hérésie.
Nous ne citerons que quelques courts passages de leurs écrits.
S. Hilaire reproche aux ariens de mettre le Fils de Dieu au rang
des créatures, et il ajoute : Il n'est pas surprenant qu'ils parlent si
diversement du Saint-Esprit, puisqu'ils pensent si mal de celui de
qui il tire son origine et de qui nous le recevons, c'est-à-dire du
Fils *. iMais c'est dans le VHP livre sur la Trinité qu'il faut voir
avec quelle énergie cet invincible athlète de la foi expose la vérité
catholique, et oblige les Ariens à reconnaître que le Saint-Esprit
procède non seulement du Père mais en même temps du Fils -.
\. Jam vero quid mirum, ut de Spirifu Sancto diversa sentiant qui in largi-
toreejus creandoet demutando, et abolendo tam temerarii sint auctores?Atque
ita dissolvant perfecti hujus sacramenti veritatem, dum substantias diversita-
tum in rebus tam communibus moliuntur : Patrem negando, dum P'ilio quod
est Filius adimunt ; Spiritum sanctum negando, dum et usum et auctorem
ejus ignorant. (S. Hilar., lib. II de Tritiitat., n. 4-.)
2 Omnia quxcumque habet Patev, mea sunt : propterea dixi, de meoacci-
piet, et anmmtiabit vobis. A lilio igitur accipit, qui et ab eo mittitur, et a
Pâtre procedit. Et interrogo, utrum id ipsum sit a Filio accipere, quod a Pâtre
procedere. Quod si differre creditur inter accipere a Filio, et a Pâtre proce-
dere;certe id ipsum atque unum esse existimabitur, a Filio accipere quod
sit accipere a Pâtre. Ipse enim Dominus ait : Quoniam de meo accipiet, et
annuntiabil vobis. Omnia qusecumque habet Pater, mea sunt, propterea dixi :
de meo accipiet et annuntiabit vobis. Hoc quod accipiet (sive potestas est, sive
virtus, sive doctrina est), Filius a se accipiendum esse dixit; et rursum hoc
Ipsum significat accipiendum esse a Pâtre. Cum enim ait, omnia quaecumque
habet Pater sua esse, et idcirco dixisse se de suo accipiendum esse : docet
etiam a Pâtre accipienda, a se tamen accipi; quia omnia qufe Patris .sunt sua
sint. .\on habet hfec unitas diversilalem : nec differt a quo acceptum sit,
quod datum a Pâtre, datum referatur a Filio. Numquid et hic voluntatis uni-
tas aflertur? Omnia quae habet Pater, Filii .sunt: et omnia quae Filii sunt,
Patris sunt. Ipse enim ait : Et mea omnia tua sunt, et tua mea. Nondum loci
est, ut demonstrem, cur ita dixerit, Quoniam de meo accipiet : futuri enim
temporis significatio est, ubi accepturus ostenditur. Nunc certe ideo a se
accepturum ait quia omnia Patris sua essenl. Disseca naturae hujus, si potes
unitatem; et aliquam dissimilitudinis infer necessitatem, perquam Filius non
sit in unitato naturie. A Pâtre enim procedit Spirilus veritatis : sed a Filio a
Pâtre mittitur. Omnia quce Patris sunt Filii sunt : et idcirco quidquid acci-
piet, a Filio accipiet ille mitlendus, quia Filii siinl universa f|Uie Patris sunt.
Natura itaque in omnibus tenet legem suam, et «luod unum ambo sunt, ejus-
dem in utroque pei- generalionem nativitatenH|ue divinitalis significatio es
cum id quod accipiet a Paire Spiritus veritatis, id Filius dandum a se fatea-
tur. (S. Hn.AH., lib. Vlll de Trinitate, n. î20.}
232 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. CIIAP. V.
S, Ambroise déclare nettement que le Saint-Esprit procède du
Père et du Fils. En nommant le Saint-Esprit, dit-il, vous nom-
mez et Dieu le Père dont le Saint-Esprit procède, et le Fils dont
il est pareillement l'Esprit ^. Ailleurs il dit que le Fils procède du
Père, et que le Saint-Esprit procède du Fils -',
Il est à peine utile de dire que les passages des écrits de S. Au-
gustin, dans lesquels il est dit que le Saint-Esprit procède du Père et
du Fils, sont très nombreux. S. Augustin eut à combattre une foule
d'hérétiques, qui s'attaquaient aux dogmes les plus sacrés de notre
sainte religion, et par conséquent à tout ce qui regarde les trois
adorables personnes de la Très Sainte Trinité. Quelques lignes du
grand docteur sufliront pour montrer quelle était sa doctrine sur
la procession du Saint-Esprit. Nous lisons dans le XCIX^ traité sur
l'Évangile de S. .lean : « Quelqu'un nous demandera peut-être :
« est-il vrai que le Saint-Esprit procède du Fils? Le Fils est uni-
« quement le Fils du Père, et le Père est uniquement le Père du
« Fils : mais le Saint-Esprit n'est pas l'esprit de l'un des deux ; il
« est l'esprit de l'un et de l'autre. » Et S. Augustin le prouve en
citant les textes de l'Écriture dans lesquels le Saint-Esprit est ap-
pelé tantôt l'Esprit du Père et tantôt l'Esprit du Fils. Il conclut :
« Pourquoi ne croirions-nous pas que le Saint-Esprit procède aussi
« du Fils comme il procède du Père, puisqu'il est l'esprit du Fils?
« Si le Saint-Esprit ne procédait pas de lui, lorsqu'il se montra à
« ses dis<ij)les après sa résurrection, il n'aurait pas soufflé sur
« eux en disant : Recevez le Sainl-Esprit. Car que pouvait signi-
V fier ce souffle, sinon que le Saint-Esprit procédait de lui? » Plus
loin, il se fait cette objection : « Si le Saint-Esprit procède du
« Père et du Fils, pourquoi le Fils dit-il : Il procède du Père? —
« Pourquoi? répond-il, sinon pour rapporter, comme il le fait or-
« dinairement, ce qui est de lui à celui dont il procède lui-même?
« C'est ainsi qu'il dit : Ma doctrine nest pas ma doctrine, mais
y. SiChristum dicas, et. Deum Patrem <t quo uncUis est Filius, et Ipsum
qui unctus est Filium, et Spiritum sancUuii quo unctus est, designasti. Scrip-
tum est enim : llunr Jpsttm a Nazari^th, //ucm unxit Dans Spiritu sanclo. Et
si Patrem dicas, et Filium ejus et Spiritum oris ejuspariter indicasti ; si tamen
id etiam corde comprelicndas. Kt si Spiritum dicas, et Deum Patrem a quo
procedit Spiritus : et Filium quia Filii quoque est Spirilus, nuncupasti.
(S. Ambros., lib. I de S/nritu sanclo, çap. m, n. 'M.)
2. Et Filius a Pâtre procedit, et Spirilus ah ipso procedit. De unitate ergo
Divinilatis ainbiguum nihil. (In., Enarral. inPs. Lxi, U.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 233
0 celle de celui qui ma envoyé. S'il faut entendre ici que la doc-
c trine qu'il lait remonter à son Père comme si elle n'était point
€ la sienne est néanmoins de lui, à plus forte raison faut-il recon-
« naître que le Saint-Esprit procède de lui, lorsqu'il dit que ce
« divin Esprit procède du Père, sans ajouter : Il ne procède pas
« de moi. Celui à qui le Fils doit sa divinité (car il est Dieu de
« Dieu), il lui doit aussi d'être le principe d'où procède le Saint-
« Esprit, et c'est par le Père qu'il est donné au Saint-Esprit de
« procéder du Fils comme du Père lui-même K »
Citons encore quelques lignes du traité de la Trinité : a Que
tf celui qui peut comprendre la génération du Fils par le Père, en
« dehors du temps, comprenne aussi la procession du Saint-Esprit
« de l'un et de l'autre en dehors du temps. Qu'il comprenne que,
« de même que le Père a en lui d'être le principe dont le Saint-
if Esprit procède, il a donné au Fils d'être aussi le principe de
a cette même procession, avant tous les temps. Et s'il est dit que
« le Saint-Esprit procède du Père, on doit l'entendre en ce sens
« que s'il procède aussi du Fils, c'est du Père que le Fils tient
a d'être son principe. Car si le Fils reçoit du Père tout ce qu'il
« a, évidemment il en reçoit aussi d'être le principe d'où procède
« le Saint-Esprit. Mais il faut écarter toute pensée de temps ; il
« n'y a dans ces mystères ni avant ni après 2. »
1. Hic aliquis forsitam quaerat, utrum et a Filio procédât Spiritus sanctus.
Filius enim solius Patris est Filius, et Pater solius Filii est Pater : Spiritus
autem sanctus non est unius eorum Spiritus sed amborum Cur ergo non
credamus quod etiam de Filio procédât Spiritus sanctus, cum Filii quoque
ipse sit Spiritus? Si enim non ab eo procederet, non post resurrectionem se
reprffisentans discipulis suis insufflasset dicens : Accipite Spiritum snnctiim.
Quid enim aliud significavit illa insufflatio, nisi quod procédât Spiritus sanc-
tus et de ipso?.. .
Si ergo et de Pâtre et de Filio procedit Spiritus sanctus, cur Filius dixit :
De Pâtre procedit ? Cur putas, nisi quemadinodum ad eum solet referre et
quod ipsius est, de quo et ipse est? Unde illud est quod ait : Mea doctrinnnon
est mea, sed ejus qui me inisit. Si igitur intelligitur hic ejus doctrina, quam
tamen dixit non suam sed Patris : quanto magis illic intelligendus est et de
ipso procedere Spiritus sanctus, ubi sic ait : De Pâtre procedit, ut non dice-
ret : De me non procedit. A quo autem habet Filius ut sit Deus (est enim de
Deo Deus), ab illo habet utique ut etiam de illo procédât Spiritus sanctus : ac
par hoc Spiritus sanctus ut etiam de Filio procédât, sicut procedit de Pâtre,
ab ipso habet Pâtre. (S. August., in Joann. Evang., tract. XCIX.)
2. Quapropter qui potest intelligere sine teinpore gcncralionem Filii de
Paire, intelligat sine teinpore processionem Spiritus .sancti de utroque....
Intelligat sicut habet Pater in semelipso ut de illo procédât Spiritus sanctus,
sic dédisse Filio ut de illo procédât idem Spiritus sanctus, et utrumque sine
53V LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V,
Le Fils de Dieu est donc, aussi bien que le Père, le principe
d'où procède la troisième personne de la Sainte Trinité; mais il
faudrait se garder de voir dans le Père et dans le Fils deux prin-
cipes distincts de cette adorable personne; ils ne sont ensemble
qu'un seul et unique principe, comme les textes de la Sainte
Écriture que nous avons cités le font assez connaître, et comme
les Pères ont eu soin de le remarquer. S. Basile, dans son second
livre contre Eunoniiits, prend à tâche de prouver cette vérité et
nous lisons dans S. Augustin : Il faut reconnaître que le Père et
le Fils sont le principe et non pas deux principes du Saint-Esprit,
comme ils sont un seul Dieu, un seul Créateur et un seul Seigneur
avec le Saint-Esprit, relativement aux créatures ^ Le IP Concile
de Lyon a proclamé cette vérité comme dogme de foi. Nous lisons
en effet dans le chapitre consacré à la Trinité : ce Nous condamnons
« et nous réprouvons tous ceux qui, poussés par une audace témé-
€ raire, oseraient affirmer que le Saint-Esprit procède du Père et
€ du Fils comme de deux principes et non comme d'un seul 2. »
Le Concile de Florence, dans la formule d'union entre l'Eglise
latine et l'Église grecque, s'exprime ainsi : « Nous définissons
que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul
principe et par une spiration unique -K » La raison en est que
l'amour actif du Père et du Fils, par lequel s'accomplit la proces-
sion du Saint-Esprit, n'est qu'un seul et unique amour, comme le
Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un seul et unique
Dieu.
Afin que les fidèles fussent moins exposés à se laisser tromper
par les hérétiques, qui soulevaient sans cesse de nouvelles diffi-
tempore. Atqiie ita dictum Spiritum sanctum de Paire procédera, ut intelliga-
tur, quod eliain procedit de Kilio, de Pâtre ess(! Filio. Si enixn quidquid habet,
de Pâtre hahet Kilius; de Pâtre liabet utique ut et de illo procédât Spiritus
sanctus. Sed nulla ibi lempora cof^itcntur, quae haljent prius et posterius :
quia omnino nulla ibi sunt. (S. August., lib. XV de Trinilate, n. 47.)
1. Falendum estPatrem et Filiurn principium esse Spiritus sancti, non duo
principia : sed sicut Pater et Filius unus Deus, et ad creaturam relative unus
Creator et unus Dominus, sic relative ad Spiritum sanctum unum principium :
ad creaturam vero Pater et Filius et Spiritus sanctus unum principium et
unus Dominus. (S, Al'oust., lib. V de Trinitate, n, dii.)
'i Damnamus et reprobamus omnes qui temerario ausu asserere preesump-
serint, quod Spiritus ex Pâtre et Filio tanquam ex duobus principiis, et non
lanquam ex uno procedit. [Concil. Lugdun. Il, Act.)
îi. Detinimus Spiritum sanctum ex Pâtre et Filio, tanquam ab uno principia
et unica spiratione procedere. [Concil. Florent., Act.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 235
cultes contre la procession du Saint-Esprit, l'Église jugea à pro-
pos d'exprimer en termes explicites, dans le symbole de la foi,
qu'il procède du Père et du Fils : Qui ex Pâtre Filioque procedit.
L'addition Filioque fut adoptée d'abord par l'Église d'Espagne ♦,
comme il paraît dans le troisième Concile de Tolède (389). Cet
exemple fut suivi à la fin du viii^ siècle par les Églises de France
et d'Allemagne, et enfin, peu avant Photius, par l'Église romaine ;
et ce ne fut certainement pas sans les plus graves motifs. En 809,
la députation du synode d'Aix-la-Chapelle envoyée à Rome ne
put encore obtenir du pape Léon III aucune autorisation expresse
de changer dans la liturgie le symbole avec le Filioque. On voit,
d'après les négociations de cette députation avec le Pape, que le
motif qui avait porté à adopter l'addition était le désir de mainte-
nir la pureté de la foi ; comme en Espagne, au temps du troisième
Concile de Tolède, on avait eu en vue l'extirpation de l'arianisme
parmi les Visigoths. L'intention était bonne, mais le souverain
Pontife ne pouvait approuver que l'on eût ajouté quelque chose
au symbole sans son autorisation expresse, quelque conforme à
la foi que fût cette addition. C'eût été entrer dans une voie infini-
ment dangereuse. Peu à peu, cependant, l'usage d'ajouter le Fi-
lioque au symbole de Constantinople devint universel dans l'Église
latine, sans que l'on puisse fixer une date précise à la généralisa-
tion de cet usage.
Une question pour terminer ce qui regarde le Fils de Dieu
comme principe dont le Saint-Esprit procède.
On a demandé si le Saint-Esprit, supposé qu'il ne procédât pas
du Fils, se distinguerait de lui? Les Grecs admettent qu'il s'en
distinguerait réellement, puisqu'ils reconnaissent trois per-
sonnes en Dieu réellement distinctes, et que cependant ils refusent
de croire que la troisième personne procède du Père, en même
temps que du Fils. Cependant il n'existe pas entre les personnes
de la Très Sainte Trinité d'autre distinction que celle qui résulte
des relations de procession ou de génération active et passive.
Sans relation, conmient distinguer le Fils du Saint-Esprit, procé-
dant tous deux du Père, et n'ayant ensemble qu'une même subs-
tance, une même divinité, une même source commune de leur être,
le Père ? L'existence du Saint-Esprit, sa divinité, son unité substan-
1. Voir Diri. encyclop. delà ihéol. cathoL, art. Église grecque.
236 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAI'. V.'
tielle avec le Père et le Fils étant admises ainsi que son existence
comme personne distincte, il faut donc admettre aussi sa proces-
sion non seulement du Père, mais du Fils, sous peine de le con-
fondre comme personne avec le Fils, de sorte qu'il n'y aurait plus
en Dieu trinité, mais dualité.
S. Bernard a des pages délicieuses, et en même temps d'une
merveilleuse profondeur, sur la procession du Saint-Esprit, qu'il
compare au baiser de la bouche de l'Époux que demande l'Épouse
mystique. Citons ces quelques lignes en terminant :
« Quelqu'un dira peut-être : La connaissance du Saint-Esprit
0 n'est donc pas nécessaire, puisque S. Jean, en disant que la vie
< éternelle consiste à connaître le Père et le Fils, ne parle point du
^ Saint-Esprit. Il n'en parle point, cela est vrai ; mais aussi n'en
« était-il pas besoin, puisque lorsqu'on connaît parfaitement le
« Père et le Fils, on ne saurait ignorer la bonté de l'un et de
« l'autre qui est le Saint-Esprit. Car un homme ne connaît pas
€ suffisamment un autre homme, tant qu'il ignore si sa volonté
« est bonne ou mauvaise. Sans compter que lorsque S. Jean dit :
« Telle est la vie éternelle : c'est de vous connaître, vous qui
< êtes le vrai Dieu et Jésus-Christ que vous avez envoyé, cette
0 mission témoignant la bonté du Père qui a daigné l'envoyer, et
« celle du Fils qui a obéi volontairement, il n'a pas oublié tout à
« fait le Saint-Esprit, puisqu'il fait mention d'une si grande faveur
« de l'un et de l'autre. Car l'amour et la bonté de l'un et de l'autre
« est le Saint-Esprit même.
« Lors donc que l'Épouse demande un baiser, elle demande de
< recevoir la grâce de cette triple connaissance, au moins autant
« qu'on en peut être capable dans ce corps mortel. Or, elle le de-
« mande au Fils, parce qu'il appartient au Fils de la révéler à
t qui il lui plaît. Le Fils se révèle donc à qui il veut, et il révèle
« aussi le Père; ce qu'il fait par un baiser, c'est-à-dire par le
« Saint-Esprit, selon le témoignage de l'Apôtre, qui dit : Dieu
« nous a révélé toutes choses par V Esprit saint. Mais en don-
« nant l'Esprit par lequel il communique ces connaissances, il fait
« connaître aussi l'Esprit qu'il donne. Il le révèle en le donnant
« et le donne en le révélant ^ »
\. Sctl dicet aliquis : Ergo et Spiritus sancti agnitio non est necessaria, ut
cum dixeril esse vitam aeternam nosse et P.itrem et Filium, de Spiritu sancto
tacueril? Est utique : sed ubi Pater et Filius perfecte agnoscitur, utriusque
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITE. 237
On le voit, par ce langage mystique, S. Bernard enseigne la
même doctrine que les Pères de l'Église grecque et de l'Église la-
tine cités plus haut, et de plus il nous presse de demander à Notre-
Seigneur Jésus-Christ, au divin Époux, ce baiser de sa bouche,
cet Esprit divin qu'il lui appartient de donner, parce qu'il procède
de lui aussi bien que du Père, et comme d'un principe unique.
Nous savons que ce mystère ineffable de la procession du Saint-
Esprit s'accomplit dans la Très Sainte Eucharistie, puisque vous
y êtes présent, ù Verbe de Dieu, que votre Père céleste y est avec
vous, qu'il vous y donne éternellement votre être divin, et que
votre Père et vous ne pouvez pas être dans l'Eucharistie sans que
l'Esprit qui est votre amour réciproque y procède devons. Donnez-
nous donc ce baiser de votre bouche, envoyez-nous, communi-
quez-nous largement ce Poraclet, ce Consolateur que vous promet-
tiez à vos Apôtres. Sans lui tout serait ténèbres et dangers pour
nous ici-bas; sans lui, nous n'arriverions pas au ciel que vous
nous avez préparé, pour y jouir de vous et de votre éternelle gloire.
LE VERBE, FILS UNIQUE DE DIEU, PRESENT DANS L EUCIIAUISTIE,
CONSUBSTANTIEL AU PERE ET AU SAINT-ESPRIT
Le Verbe ou Fils de Dieu, Dieu véritable lui-même, qui a dai-
gné prendre un corps et une âme comme les nôtres et qui, en pos-
session de la gloire éternelle qui lui appartient, dans le sein de son
Père, daigne néanmoins habiter parmi nous, sous les espèces Eu-
charistiques, n'est qu'une seule et même substance avec le Père
bonitas, quse Spirilus sanctus est, quomodo ignoratur? Neque enim intègre
homo homini innotescit, quamdiu latet, utrumnam honse an malœ sil volunta-
tis. Quanquam et cum dictum est : Ilœc est vila xterna, ut cognoaciuU te ve-
rum Deum, et quem misisti Jeaum Christ iim (./or/»»., wir, if)) ; profeclo si
missio illa beneplacitum lam Patris bénigne mittentis, quam Filii voluntarie
obedientis demonstrat, non omnino tacituin est de Spiritu sando, ubi tanla;
utriusque gratiaî mentio facta est. Utriusque siquidein amor et benignitas
Spiritus sanctus est.
ïrinag ergo bujus agnitionis infundi sibi graliain, quantum quidom capi in
carne mortali potest, sponsa petit, cum osculum petit. Petit autom a l'ilio,
quia Filii est qui volucrit revelare. Révélât ergo Filins scipsum cui vult, révé-
lât et Patrem. Révélât autem sine dubio per osculum, hoc est per Spiritum
sanclum, Apostolo teste qui ait : Aolns autem révélante Detts per Spiritum
suum. (/. Cor., ii, iO.) Atvero dando Spiritum i)cr quem révélât, etiam ipsum
révélât : dando révélât et revelando dat. (S. Bernvru., serm. VIll in Cant.)
238 I.A SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
dont il procède et l'Esprit saint qui procède de lui. S'il en était
autrement, l'unité divine se trouverait brisée; il y aurait autant
de Dieux que de substances distinctes, et non plus un seul et
unique Dieu en trois personnes égales en toutes choses. Cette vé-
rité ressort avec évidence de tout ce qui a été dit; plus d'une fois
elle a été supposée ou même affirmée dans les pages qui précèdent.
On pourrait ne pas s'y arrêter davantage ; mais elle fut, pendant
des siècles, l'objet d'attaques si furieuses de la part de l'hérésie et
de l'enfer, que peut-être ne sera-t-il pas inutile d'y insister encore.
Nous ne connaîtrons jamais trop bien notre divin Jésus, car mieux
nous le connaîtrons, plus nous l'aimerons avec ardeur et le servi-
rons avec zèle.
Rappelons d'abord, pour mémoire, que la Sainte Écriture, le
Nouveau comme l'Ancien Testament, proclame en cent endroits
l'unité de Dieu ; mais en môme temps nous y trouvons exprimée
la divinité du Père et la divinité du Fils. Il n'y a qu'un seul et
unique Dieu : « Écoute, Israël : Le Seigneur notre Dieu est un
« seul Seigneur : vous aimerez le Seigneur votre Dieu ^ » est-il
écrit dans le Deutéronome ; et l'évangéliste S. Marc redit la
même vérité et le même précepte en des termes identiques -. Il
ne se peut rien de plus explicite pour affirmer l'unité de l'Être
divin, à moins qu'on n'y ajoute encore ces autres paroles : « C'est
€ le Seigneur qui est Dieu, et il n'y en a pas d'autre que lui 3. »
Et celles-ci du prophète Isaïe : « Je suis le Seigneur et il n'y en a
« pas davantage ; hors moi il n'y a pas de Dieu '*. » Ces textes, en
affirmant l'unité de Dieu, marquent la pluralité des personnes
par le double nom qu'ils lui donnent.
Le Nouveau Testament exprime clairement ce que l'Ancien don-
nait seulement à entendre. Tout l'Évangile noun présente Jésus-
Christ comme le Fils de Dieu, le Verbe fait homme, et il proclame
sa divinité en même temps que celle du Père, ce qui offrirait la
plus llagrante contradiction, si l'on ne reconnaissait pas l'unité de
substance pour ces deux adorables personnes ^. Et quand même
1. Audi Isniol, Dominus Deus noster, Deus unus est : diliges Dominum
Dcum tuum. {Denier , vi, 4 et seq.)
2. Mfiir , \u, 21».
3. I)oiTiinus ipse est Deus et non est alius praeter eum. (Deuter., iv, 35.)
i. Kgo Dominus et non est amplius, extra me non est Deus. (/s., XLV, 5.)
.*). Si ergo Jésus Christus Filius Dei revelatus est esse Deus, Deus verus,
Deus i«l<'iM <iiii se unicum Deum revelavit in veteri Tcstamento.... eo ipso
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 239
nous ne trouverions pas consignées dans le texte sacré ces paroles
de Notre-Seigneur : « Moi et mon Père nous sommes une seule
« chose, » l'Évangile ne nous obligerait pas moins, par voie de con-
séquence, à reconnaître la vérité de cette proposition : Le Père et
Jésus-Christ son Fils sont un seul et même Dieu, par conséquent,
une seule et même substance. <r Remarquez ces deux mots : Nous
« sommes un, dit S. Augustin, unum et sumus, et vous échap-
« perez à un double péril. Ce que Jésus dit, unum, vous délivre
« d'Arius; et ce qu'il ajoute, sumus, vous délivre de Sabellius.
« Unum, par conséquent, pas de division ; sumus, donc deux
« personnes, le Père et le Fils '. »
Les Pères ont souvent recouru à cette parole de Notre-Seigneur
pour défendre la consubstantialité des personnes divines contre
les Ariens, qui s'efforçaient de le détourner de son sens propre
pour n'y voir que l'affirmation d'une simple unité morale -, semblable
à celle que Jésus-Christ demandait pour ses Apôtres : « Qu'ils soient
« un comme nous sommes un 3 ; » ou telle encore que celle qui
existait entre les premiers chrétiens, selon cette parole de S. Luc :
« Les croyants n'avaient qu'un cœur et qu'une àme ^. »
Le mot unwn dont se sert Notre-Seigneur, employé ainsi d'une
revelatum est, Filium Dei esse unum cum Pâtre Deum. ita ut non numeren-
tur Deus unus et praeter hune Deus alius ; unus enim Deus et non est nlius
vrxter eum. Duaa igitur propositiones (prgemissœ) : Jésus Christus Dei Filius
est verus Deus; atquiDeus unus est; in se jam continent propositionem con-
sequentem : Ergo Filius cum eo, quem ipse dicit Patrem suum et verum
Deum, unum est divinitate ac proinde tota absolutse perfectionis plenitudine,
quaî est una numéro Patris et Filii. (Franzelin., tract, de Verbo Incarnato,
thés. VIL)
1. Utrumque audi : et unum et sumus, et a Charybdi et a Scylla liberabis.
Quod dixit imiim libérât te ab Ario : quod dixit siimus libérât te a Sabellio. Si
unum, non ergo diversum : si sumus ; ergo Pater et Filius. (S. August., apud
S. TiiOM., in Catena aurea, in hune locum.)
2. Hsec igitur, quia ha^retici negare non possunt, impietatis suaî mendacio
neganda corrumpunt. Tentant enim id ad unanimitatis referre consensum,ut
voluntatis in liis unitas sit, non naturœ, ut non per id quod sunt, per id quod
idem volant unum sint, sed per nalurae nativitalem, dum niliil Deus in eo ex
se gignendo eum dégénérât, unum sunt. Dumquede manu ejus non rapiun-
tur, non rapiuntur de manu Patris ; dum in opérante .se, operatur Pater ;
dum ipse in Pâtre et in eo Pater est : hoc non prtestat creatura, sed nativilas,
non efficit voluntas, sed potestas : non loquitur unanimitas, sed natura.
(S. Hil.AR., tract, de Trinit., lib. VIII.)
3. Ut sint unum sicut et nos. {Joann., xvii, 11.)
4. Multitudinis autem credentium erat cor unum et anima una. {Act., iv,
32.)
240 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. V.
manière absolue, signifie l'unité d'être, de nature, de substance, et
non pas une unité purement accidentelle ou composée de parties.
Jamais on ne trouve dans la Sainte Écriture que Dieu soit une seule
chose, iinum, avec quelque créature, mais on peut y lire des paroles
comme celles-ci : « Celui qui s'unit au Seigneur est un seul esprit
c avec lui '. » Certainement cette unité de volonté, cette concorde
existe entre le Père et le Fils : Notre-Seigneur en rend témoignage
dans la prière qu'il adresse à son Père céleste, au chapitre xyu" de
ri^lvangilede S. Jean; mais il y a quelque chose de plus dans le
texte que nous avons cité, et la déclaration qu'il fait n'aurait pas
de raison d'être, si la signification s'en arrêtait à l'union des vo-
lontés. Jésus-Christ voulait prouver que personne ne pouvait arra-
cher ses brebis de ses mains, et, pour le prouver, il donna cette
raison : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un. » Si par ce mot
il entendait l'unité que donne la concorde delà volonté, il ne prou-
vait rien. Quelqu'un peut, en effet, être parfaitement d'accord avec
le Père, et recevoir de lui la mission de garder ses brebis sans qu'il
soit impossible de les lui arracher, comme il est impossible de les
ravir au Père. Certainement les anges et les saints pasteurs sont
parfaitement d'accord avec la volonté divine, et c'est de son con-
sentement qu'ils prennent soin des fidèles. Cependant, aucun d'eux
n'a jamais osé dire : « Le Père et moi nous ne faisons qu'un, » de
sorte que personne ne peut arracher ces brebis de nos mains, non
plus que des mains du Père; mais ils disent avec le Psalmiste :
o Qui égalera le Seigneur parmi les Fils de Dieu 2 ?» ou bien avec
Moïse : « Qui est semblable à vous parmi les forts, ô Seigneur 3? »
Mais si par ces paroles, « nous ne sommes qu'un, » unum sumuSy
Jésus-Christ entend l'unité de substance, la preuve qu'il donne est
excellente. C'est, en effet, comme s'il disait : « Personne ne peut
arracher mes brebis de ma main, non plus que de la main du Père,
parce que le Père et moi nous ne sommes qu'un; ma main ou ma
puissance et la main ou la puissance du Père n'en font qu'une. » Or,
si la puissance est la même, l'essence est aussi la môme, parce
cpie la puissance et l'essence ne sont en Dieu qu'une seule et même
cliose; d'où il suit que la vertu et l'opération sont aussi les mêmes.
\. (jui adhieret Deo, unus spiritus est. (/. Cor., vi, 17.)
y. Quoniîim quis in nubibus îequabitur Domino : similis erit Deo in filiis
Del? {Pi. i.xxxviii, 7.)
3. Quis similis tui in fortibus, Domine? [ExocL, xv, M.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 241
La conclusion est donc rigoureuse : Personne ne peut arracher les
brebis de la main du Fils parce que sa main, sa vertu, son opéra-
tion, sa nature, ne sont qu'une seule et unique chose avec la main,
la vertu, l'opération et la nature du Père.
Il est vrai que Dieu peut communiquer sa puissance aux êtres
créés; mais il ne Test pas que la créature favorisée d'une telle
communication, quel qu'en soit le degré, puisse jamais dire : Dieu
et moi, nous ne sommes qu'un. — En effet, cette puissance que
Dieu communique à un être en dehors de lui-même est une puis-
sance créée; elle n'est pas la puissance du Père qui se confond avec
l'essence même de Dieu et qui, par conséquent, est toujours infi-
niment supérieure à toute perfection que peut recevoir une créa-
ture. Mais lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ dit : « Mon Père et
« moi nous sommes une mêmechose, » il indique clairement que sa
puissance n'est pas créée, dépendante, mais qu'elle ne diffèreen rien
de celle du Père. Ces paroles ne peuvent s'entendre que de l'unité
de puissance incréée et divine, c'est-à-dire de l'unité de nature.
C'est dans le sens propre et strictement littéral que le Fils de Dieu
a dit : « Mon Père et moi, nous sommes une même chose; » et
c'est de cette unité absolue avec son Père que découle sa puissance;
c'est à cause d'elle qu'il peut non seulement défendre les brebis
qui lui ont été donné3s, mais faire tout ce que fait le Père lui-
même.
Le contexte ajoute encore à la clarté des paroles du Sauveur
prises en elles-mêmes. Lorsque Jésus-Christ dit : « Mon Père et
« moi nous sommes une seule chose, » les Juifs, quoique grossiers
et charnels, comprirent parfaitement qu'il s'agissait de l'unité de
nature et qu'il affirmait ainsi sa propre divinité, ce qui porta jus-
qu'à son comble leur irritation contre lui. Ils prirent des pierres
pour les lui jeter comme à un blasphémateur, ce qu'ils n'auraient
pas fait, s'il n'eût été question que de l'unité de volonté, que tout
homme peut et doit s'efforcer d'avoir avec Dieu. Quel blasphème y
aurait-il à dire : « Mon Père et moi nous sommes un, par l'union
« de la volonté? » Ils ont voulu le lapider, parce qu'il se disait un
avec le Père, par nature, ce que les Juifs regardaient comme un
blasphème exécrable. Cependant, Jésus-Christ ne repoussa pas cette
interprétation ; bien plus, il a voulu mourir pour elle. Il se con-
tenta de nier que les paroles qu'il avait prononcées fussent un
blasphème, et de prouver par ses œuvres que l'on doit croire à la
LA SAINTE EUCHARISTli;. — T. IV. 16
242 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
vérité des paroles qu'il venait de prononcer. Voici le récit que nous
fait l'Évangile : « Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider.
€ Jésus leur dit : J'ai fait devant vous beaucoup d'œuvres excel-
€ lentes par la vertu de mon Père ; pour laquelle de ces œuvres me
« lapidez-vous? LesJuifs lui répondirent: Ce n'est paspour une bonne
« œuvre que nous vous lapidons, mais c'est pour un blasphème,
€ parce que vous, qui êtes homme, vous vous faites Dieu. Jésus
« leur repartit .• N'est-il pas écrit dans votre loi : Je l'ai dit : Vous
« êtes des Dieux? Quand elle appelle Dieux ceux à qui la parole de
« Dieu a été adressée, et que l'Écriture ne peut être détruite, vous
« médites à moi, que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde :
« Tu blasphèmes, parce que j'ai dit : Je suis le Fils de Dieu. Si je ne
« fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais, si je
« les fais, quand bien même vous ne voudriez pas me croire.
« croyez aux œuvres, afin que vous connaissiez et croyiez que mon
« Père est en moi et moi dans mon Père ^. *
Jésus-Christ dit donc aux Juifs que, n'eùt-il été qu'un simple
serviteur de Dieu, il aurait pu prendre sans blasphémer le titre de
Fils de Dieu, d'après la loi. Mais il n'est pas un simple serviteur,
et s'il dit qu'il n'est qu'une même chose avec son Père, que son
Père est en lui et qu'il est en son Père, en un mot qu'il est vérita-
blement un seul et unique Dieu avec lui, les œuvres qu'il fait au
nom de son Père prouvent assez que ses paroles sont conformes à
la vérité, et que nul ne peut refuser d'y croire, à plus forte raison
les considérer comme des blasphèmes 2.
Si l'on examine attentivement les paroles de Notre-Seigneur,
dans tout ce chapitre de l'Évangile de S. Jean, et principalement
les quelques versets qui viennent d'être cités, on y remarquera
1. Sustulerunt ergo lapides Judaei, etc. [Joann., x, 31-38.)
-1. Demonslraturus quidem quod ipse et Pater unum natura essent, in eo
primum ineptiain ridiculi opprobrii confutat, cum in reatum vocaretur, cum
se, cum lioino esset, Deum faceret;cum enim ejus nominis appellationem
sanclis hominihus decerneret, et sermo Dei indissolubilis confirmaret hanc
impartili nominis profession em,jam ergo non est crirninis quod se Deum,
cum homo sit, cum eos qui homines sunt, <leos lex dixerit. Et si a caeteris
hominihus non irreligiosa hujus nominis usurpatio est, ab eo honiine quem
sanctiticavit Pater, non impudenter usurpari videtur, quia Dei Filium se
dixerit; cum praeceliat csbteros, per id quod sanctificatus in lilium est; beato
Paulodicente [liuin., cap. i) quod prxdeslinutus est Films Dei in virlute se-
cunilum S/tii'itum mnclificalionis ; omnis enim haec de homine responsio est,
quod Dei l-ilius eliam hominis fiiius est. (S. HiLar., lib. VII de Trinitate.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE L.\ TRINITÉ. 243
quatre affirmations qui, au fond, n'en sont qu'une seule : « Moi et
« mon Père nous sommes un ; — Je suis Dieu ; — Je suis le Fils
« de Dieu ; — Mon Père est en moi et je suis en mon Père. » Les
Juifs en concluaient avec raison que Jésus-Christ affirmait qu'il
était Dieu, non pas seulement dans le sens que ce nom est donné à
quelques hommes particulièrement fidèles, mais Dieu véritable et
le même Dieu que le Père. L'explication qui leur est donnée, loin
de réprouver ce sens, les y confirme; c'est pourquoi ils s'imaginent
toujours que le Seigneur a blasphémé, et cherchent à se saisir de
lui. Si leur manière de comprendre les paroles de Jésus n'avait pas
été conforme à la vérité, il suffisait d'un mot pour les éclairer;
mais il ne dit pas ce mot; il appuie, au contraire, sur ce qui les
scandalise et allume leur colère, parce que leur interprétation était
la vraie, parce que le Père et le Fils ne sont qu'une seule chose,
une seule et même substance, un seul et même Dieu.
Il faut donc conclure de ce texte : Ego et Pater unum sumus,
et des autres qui le précèdent ou le suivent, que la puissance de
Dieu le Père et celle du Verbe divin son Fils ne sont qu'une seule
et unique puissance, que leur action, leur divinité, leur nature, ne
sont aussi qu'une même action, une même divinité, une même
nature, que tout ce qui est au Fils appartient au Père et récipro-
quement, enfin qu'ils réalisent ensemble l'unité la plus parfaite
qu'il soit possible de concevoir.
Mais en cette unité parfaite, il faut respecter la distinction des
personnes. Le Père et le Fils sont une même chose et ne sont qu'un
seul Dieu; cependant Jésus-Christ, en affirmant cette vérité, affirme
également qu'il y a deux personnes en l'unité qu'il proclame :
« Le Père et moi, nous sommes une même chose. » Cette distinc-
tion ne nuit pas à l'unité parfaite, mais elle existe dans la réalité,
et nous la retrouvons exprimée d'une manière aussi précise en de
nombreux passages de l'Évangile •. En confessant une vérité il fau-
drait se garder d'en oublier une autre qui n'est ni moins essen-
tielle ni moins profondément mystérieuse.
On pourrait encore demander à l'Écriture sainte d'autres preuves
de la consubstantialité du Fils de Dieu avec le Père, et les textes ne
i. Pater in me est et ego in Pâtre. {Joaiin., x, ;{8.) — Claritica me Pater,
claritate quam habui apud te antequam miindus esset. {Joann., wii, ti.) — Qui
videt me videt et Patrem mcum. [Joann., xiv, U.) — Qui diligit me diligetur a
Pâtre meo, et ego diligam eum. [Joann., xiv, ^1.)
2'»4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — IT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
manqueraient pas qui en fourniraient d'excellentes : par exemple
celui-ci du livre des Proverbes : « Le Seigneur m'a possédée au
« commencement de ses voies; avant qu'il fit quelque chose dès le
« principe, dès l'éternité, j'ai été établie. J'étais avec lui dispo-
« sant toutes choses '. » Ce texte, il est vrai, est aussi entendu de
la très sainte Vierge, mais ce n'est que secondairement, et c'est de
la Sagesse divine, du Verbe de Dieu, qu'il s'agit tout d'abord. Les
parolesde S. Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe
« était en Dieu, et le Verbe était Dieu -, » sont tellement présentes
à toutes les mémoires que c'est à peine si on ose les citer de nou-
veau; mais le témoignage qu'elles apportent à la consubstantialité
du Verbe n'en est pas moins irrécusable, non plus que celui de cet
autre texte qu'on lit un peu plus loin : « Personne n'a jamais vu
« Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui
« l'a fait connaître 3. » Mais il suffit des développements donnés aux
paroles de Notre-Seigneur citées toiit d'abord, parce que c'est contre
elles, comme étant les plus claires, que les héréti([ues ont surtout
dirigé leurs attaques, aussi persévérantes que vaines et inutiles.
Celte fureur de l'enfer et de ses satellites contre le dogme de la
consubstantialité du Verbe avec le Père a obligé plus d'une fois
les Pères, réunis en concile, à préciser la doctrine de l'Église sur
ce point.
Les Conciles d'Antioche, tenus dans les années 205, 268 et 270
pour condamner les erreurs de Paul de Samosate, paraissent être
les premiers qui eurent à s'occuper de la consubstantialité des per-
sonnes divines. Dans le premier, les Pères imposèrent à Paul de
Samosate une profession de foi par laquelle la divinité du Verbe,
Fils unique du Père, image du Dieu invisible premier-né avant
toute créature. Sagesse, Verbe et Vertu substantielle de Dieu, était
formellement reconnue. Dans le second et le troisième, la même
doctrine fut de nouveau exprimée et défendue contre l'erreur, et
le dogme de la consubstantialité présenté d'une manière encore
plus explicite. Mais c'était au Concile de Nicée qu'il était réservé
1. Dominus possedit me in initio viarum suarum, antequain quidquam
faceret a principio. Ab geterno ordinata suin.... Cum eo eram cuncta compo-
nens. {J'rov., viii, !2"2, ;}().)
2. In principio erat \'erbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat Ver-
bum. {Joann., i, i.)
li. Deum nemo vidit unquam : unigenitus Filius, qui est in sinu Patris,
ipse enarravit. [Joann., i,iH.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITE. 24o
de couper court à l'erreur, et de définir la vérité catholique, de
manière à ne plus laisser aucune prise à l'erreur. Ce fut par les
Pères du Concile de Nicée que le mot consubstaniiel fut choisi et
consacré, pour exprimer la foi de l'Église touchant ce mystère. Ce
terme exprimait complètement la croyance que les chrétiens avaient
reçue de la bouche même du Christ et de celle des Apôtres, que
le Fils est de la même substance que le Père. Ce terme exprime en
même temps que le Fils est éternel ; s'il n'était pas éternel, sans
commencement, il ne serait pas d'une même substance que le
Père. Les évêques ne firent donc autre chose, à Nicée, que de
témoigner et de proclamer, sous l'inspiration du Saint-Esprit, ce
qu'ils avaient appris dans leurs églises de leurs prédécesseurs,
ceux-ci des Apôtres, les Apôtres de Jésus même, le Dieu éternel ^
Une multitude d'autres conciles, en adhérant au Concile de Nicée
et en condamnant l'hérésie d'Arius, confessèrent de même la con-
substantialité du Verbe, conséquence nécessaire de sa divinité.
On trouve la même doctrine implicitement contenue dans le
Symbole des Apôtres, qui affirme la croyance en un seul Dieu,
Père tout-puissant, Fils unique et Saint-Esprit. Les symboles de
Nicée, de Constantinople et de Florence, que l'on a réunis en une
seule formule, et qu'on chante le dimanche à la messe, disent
explicitement ce que celui des Apôtres ne faisait qu'indiquer par
voie de conséquence : « Je crois en un seul Dieu, le Père Tout-
« Puissant, créateur du ciel et de la terre, des choses visibles et
« invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de
« Dieu, engendré du Père avant tous les siècles : Dieu de Dieu,
« lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non
« fait, consubstaniiel au Père, par qui tout a été fait. » Le sym-
bole de S. Athanase contient tout d'abord cette déclaration : « La
« foi catholique est que nous adorions un seul Dieu en trois per-
« sonnes, et trois personnes en un seul Dieu, sans confondre les
« personnes ni diviser la substance; » tout ce qui suit est le déve-
loppement de cette proposition.
La consubstantialité du Verbe ressort donc incontestablement des
1. Hune autem Filium genilum unigenitum, imaginem Dei invisibilis, pri-
mogenitum omnis creatune, sapienliain et \'erbuni, ac virtulem Dei ante
saecula non prœcognitione, sed siibslantia et hypostasi Deum, et|Dei Filius
cum in veteri elinnovo Testanientocognoverimus, confitemur ctpriudicamus.
(C<mcil. I. Antioch., apud Houc.vT.)
246 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
textes de la Sainte Écriture, des paroles des conciles et de symboles
de la foi catholique. Aussi la retrouve-t-on exprimée d'une manière
plus ou moins explicite, selon que le demandaient les circons-
tances, dans les écrits de tous les Pères de l'Église.
Nous n'entrerons pas dans le détail des combats que S. Atha-
nase, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, S. Cyrille d'Alexandrie
soutinrent contre les partisans d'Arius, en faveur du dogme de la
consubstantialité et du mot qui l'exprime. C'est dans leurs écrits et
dans l'histoire de l'Église qu'il convient d'en lire le récit. Partout
on y verra que la croyance de l'Église d'Orient avait été avant eux
et était de leur temps celle qu'a toujours professée et que professe
encore aujourd'hui la sainte Église catholique, apostolique et ro-
maine.
L'Église latine ne fut pas moins vaillamment représentée dans
la grande lutte pour la consubstantialité du Verbe, qui se confond
avec sa divinité dont elle est inséparable.
Au premier rang des témoins qui se levèrent pour défendre ce
dogme, on doit nommer S. Hilaire de Poitiers, digne éniule de
S. Athanase. Il faut lire tout entier son traité de Trinitate, si l'on
veut se rendre compte de la force et de la clarté avec lesquelles il
combattait l'hérésie et exposait le dogme catholique.
Dans le quatrième livre de cet admirable traité, après avoir dé-
noncé les erreurs des Ariens et des autres hérétiques, touchant
l'éternité et la consubstantialité du Verbe, et dit les principales rai-
sons qu'ils mettaient en avant pour rejeter le mot consubstanliely
le saint docteur établit contre eux la foi de l'Église, et détruit
toutes les fausses interprétations qu'ils infligeaient à ce terme. Il
dit que les Ariens se sont donné bien inutilement tant de peines,
pour trouver tous ces mouvais sens à l'expression consubstantiel ;
que l'Eglise les rejette tous; qu'elle se sert de ce terme pour mar-
quer la nature de la naissance divine du Fils qui, étant éternelle et
de toute la substance du Père, ne peut pas être désignée par un
terme qui convienne mieux ^
1. 0 slullos atque impios metus, et irreligiosam de Deo solliciludinem ! Hsec
quîp in homousii [consuhatantialis) significatione et in eo qiiod semper Filius
esse dicitur arguuntur, Ecclesia aborninatur, respuit, damnât. Novit enim
unum Deum ex quo omnia; novit et unum Dominum nostrum Jesum Chris-
tum per qu<rn oinnia; unum ex quo et unum per quem; ab uno universorum
origincm, per unum cunctorum crealionem. In uno ex quo, auctoritatem
innascibilitatis intelligit; in uno per quem, potestatem nihil differentem ab
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 247
Les passages abondent dans les livres suivants qui exposent Ja
vérité de la consubstantialitéet réfutent les sophismes des ennemis
de ce dogme, mais le huitième livre n'a pas d'autre objet. S. Hilaire
insiste principalement sur ces paroles de Jésus-Christ : « iMoi et
« mon Père nous sommes un, » et sur quelques autres dont il
s'était déjà servi pour le même but dans les livres précédents : il
faudrait citer le livre tout entier K
Si l'on veut des témoignages plus éclatants encore de sa foi à
la consubstantialité du Père et du Fils, c'est à l'histoire des persé-
cutions qu'il endura pour la confession de ce dogme qu'il faut les
demander.
S. Ambroise n'est pas moins explicite que S. Hilaire, lorsqu'il
parle de la divinité de Notre-Seigneur et de sa consubstantialité,
auctore veneratur; cum ex quo et per quem, ad id quod creatur, in his quae
creata sunt communis auctoritas sit. Novit in Spiritu Deum Spiritum impas-
sibilem et insecabilem ; didicit enim a Domino, spiritui carnem et ossa non
esse : ne forte cadere in eum corporalium passioniim detrimenta credantur.
Novit unum innascibilem Deum; novit et unum unigenitum Del Filium. Con-
fiteturPatrem aeternum et ab origine liberum : confitetur et Filii originem ab
aeterno; non ipsum ab initio, sed ab ininitiabili ; non per seipsum, sed ab eo,
qui a nemine semper est, natum ab œterno, nativitatem-videlicet ex paterna
aeternitate sumentem. Caret ergo fides nostra hœreticœ pravitatis opinione.
Edita namque est sensus nostri professio licet nondum sit ratio professionis
exposita. Tamen ne quid, in homousii a Patribus nuncupati enuntiatione, et
in ea quod semper fuerit confessione. suspicionis relinqueretur, ista memo-
rata suntquibus et subsistere Filium in substantia qua genitus ex Pâtre est
cognosceretur, et Patri de substantia qua manebat per Filii nativitatem nihil
esse decerptum, et homousion Patri Filium non de commemoratis superius
vitiis causisque a sanctis et doclrina Dei calentibus viris esse memoratum;
ne quis forte existimaret adimi per uaiam nativitatem unigeniti Filii, quod
Patri homousios diceretur. (S. Hilar., lib. IV de Tritiil., n. 7.)
i. Voici comme il résume la foi catholique vers la fin de ce VIII* livre :
Una igitur fides est, Patrem in Filio et Filium in Pâtre per inseparabilis
naturag unitatem confiteri, non confusam sed indiscretam; neque permixtam
sed indifferentem; neque cohgerentem, sed existentem; neque inconsumma-
tam, sed perfectam. jNativitas est enim, non divisio; et Filius est non adoptio.
Neque allerius generis est Deus, sed Pater et Filius unum sunt : non enim
innovata est natura nascendo, ut ab originis sucP proprietate esset aliéna.
Tenet banc itaque manentis in Pâtre Filii et Patris in Filio fidem, unum
Deum Palrem et unum Dominum Christum sibi esse Apostolus pnedicans :
cum in Domino Chrislo et Deus esset, et in Deo Pâtre esset et Dominus; et
unum esset uterque quod Dominus est : quia imperfectum et Deo, nisi Domi-
nus sit, et Domino intelligalur esse, nisi Deus sit. Alquc ita cum uterque
unus est, et non est uterque sine uno; non excedit evangelicam prsedicatio-
nem Apostolus docens, nec loquens in Paulo (Ihrislus diversus ab his est, quae
corporeus in mundo manens locutus est. (S. Hilar., de Trinilate, llb. NUI,
n. 41.)
as LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. V.
comme Verbe de Dieu, avec le Père. Dans le IIP livre de son
traité de Fide, il consacre tout un chapitre à prouver, à l'aide des
textes de la Sainte Écriture, que le Fils de Dieu est réellement
consubstanliel à son Père. S'adressant à l'empereur Gratien qui
lui avait demandé ce traité, il lui dit : « Pour ce qui est de la
« substance du Fils, pourquoi m'arrôlerai-je à prouver que sa
« substance est la même que celle du Père, puisque nous lisons
« que le Fils est l'image de la substance paternelle, ce qui vous
« fait comprendre qu'il ne diffère en rien du Père sous le rapport
« de la divinité '. » Le saint docteur cite ensuite des textes nom-
breux de l'Écriture à l'appui de la doctrine de l'Église, et dans
les chapitres suivants, il met l'empereur Gratien en garde contre
les ruses et la mauvaise foi des Ariens, qui abusent des textes
sacrés ou qui font des professions de foi à double sens, pour sau-
vegarder leur hérésie tout en s'efforçant de paraître catho-
liques.
S. Jérôme, persécuté par les semi-ariens à cause de l'intégrité de
sa foi, qui ne lui permettait pas de donner le même sens qu'eux
au mot Injpostase, dont ils se servaient en traitant du mystère de
la Trinité, en appela au pape S. Damase. Nous lisons dans sa
lettre : « Je dis hautement : quiconque ne confesse pas trois hy-
« postases, c'est-à-dire trois personnes subsistantes, qu'il soit ana-
« thème. Mais parce que je ne me sers pas des termes qu'ils sou-
« haitent, ils me font passer pour hérétique. Toutes les écoles du
w monde n'entendent autre chose, par ce mot hypostase, que l'es-
« sence et la substance. Or, je vous prie, peut-on dire qu'il y ait
« trois substances dans la Trinité? Il n'y a que Dieu seul dont la
« nature soit parfaite, et il n'y a aussi qu'une seule divinité, c'est-
« à-dire une seule et véritable nature en trois personnes. Dire
« qu'il y a trois choses, trois hypostases, trois substances en Dieu,
« c'est vouloir soutenir, sous un prétexte spécieux de piété, qu'il
« y a trois natures. Contentons-nous de dire qu'il n'y a en Dieu
« qu'une seule substance, et trois personnes subsistantes, par-
« faites, égales et coéternelles. Qu'on ne parle point de trois hy-
« postases, et qu'on n'en admette qu'une seule. Si, néanmoins,
i. De subsUinlia autcm, quid loquar uiiius Kilium cum l'atre esse subslaii-
liœ, rurn irna^inem paternae substanlièe Filium legerimus, ut in nulle secun-
dum divinitatem a Pâtre intelligas discrepare. (S. Ambros., de Fide, lib. III,
cap. XIV.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 249
« VOUS jugez à propos que l'on confesse trois hypostases, en expli-
« quant ce que l'on doit entendre par ces mots, je ne m'y
« oppose pas ^. »
Toutes les preuves que donne S. Augustin dans ses ouvrages de
la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de l'unité de Dieu,
sont en même temps des preuves de l'unité de substance de ces
deux adorables personnes, et lorsque, dans ses discussions avec
les Ariens, il parle de l'unité de substance dans la Sainte Trinité,
ses enseignements ne sont pas moins clairs, ni ses arguments
moins pressants que ceux de S. Athanase ou de S. Hilaire. C'est
ainsi que, dans son traité contre l'arien Maximin, il s'écrie :
« Qu'est-ce donc que la Trinité dont vous parlez, si la substance
« des trois personnes n'est pas une seule et unique substance? Le
« Fils ne vient pas d'une matière quelconque ni du néant, mais de
« celui par lequel il est engendré ; de même le Saint-Esprit ne
« vient pas non plus d'une autre matière ni du néant, mais du
« principe dont il procède. Et vous ne voulez pas admettre que
« le Fils soit engendré de la substance du Père, cependant vous
« avouez qu'il n'est sorti ni du néant, ni de quelque matière, mais
« du Père. Vous ne comprenez donc pas que nécessairement celui
« qui n'est pas sorti du néant ni d'autre chose, mais de Dieu, ne
« peut être que de la substance de Dieu, être ce qu'est le Dieu dont
« il procède, c'est-à-dire Dieu de Dieu. Et puisqu'il est Dieu, né
« de Dieu, qu'il n'y a pas en Dieu d'antériorité et que tout est
« coéternel dans la nature divine, il n'est pas autre chose que
« celui qui l'engendre. Leur nature est la même, elle est unique ;
« leur substance est la même, elle est unique -. » Le saint doc-
i. s. HiERON., Epist. XIV ad Damas.
2. Quid ergo haec Trinitas, nisi unius ejusdemque substantiae est? Quando-
quidem non de aliqua niateria vel de nihilo est Filins, sed de quo genitus est :
itemque Spiritus sanctus non de aliqua materia, vel de nihilo, sed inde est,
inde procedit. Vos aulem nec Filium de Patris substantia genitum vultis, et
tnmen eum nec de nihilo, nec ex aliqua materia, sed ex Paire esse conceditis.
Nec videtis quam necesse sit ut qui non est ex nihilo, non est ex aliqua re
alla, sed ex Deo, nisi ex Dei substantia esse non possit, et hoc est esse quod
Deus est de quo est, hoc est Deus de Deo. Quocirca Deus de Deo natus, quia
non aliud prius fuit, sed natura coa3terna de Deo est, non est aliud (luani est
ille de quo est, hoc est unius ejusdemque natuivr, vel unius ejusdemque sub-
stantiae.... Affirmasli enim non vos dicere, de nihilo esse Dei Kilium. De aliqua
ergo substantia est. Si non de Patris : do qua, (licite. Sed non invenitis. Jam
igitur unigenitum Dei Filium, Jesum Christum Dominum nostrum, de Patris
esse substantia non vos nobiscum pigeât contiteri. Pater ergo et Filius unius
:2oO LA SAINTE El CIIARISTIE. — II" J'ARTIE, — LIVRE II. — CHAP. V.
leur continue de presser son adversaire avec la même véhémence,
pour le contraindre à confesser la vérité catiiolique, et à dire,
avec le Concile de Nicée, que le Fils est consubstantiel au Père,
et ces pages sont vraiment dignes du plus illustre des docteurs
de l'Église. Mais on ne peut tout citer, et c'est dans l'original qu'il
convient de les lire.
Telle fut la doctrine des Pères des premiers siècles. Il n'est pas
nécessaire de montrer par des citations que l'Église garda tou-
jours, avec amour et fidélité, cet article de notre foi. Les docteurs
du moyen âge l'enseignèrent, comme avaient fait S. Athanase,
S. Ililaire, S. Ambroise, S. Augustin, et ils développèrent métho-
diquement les raisons théologiques qui l'appuient. S. Thomas y
donne tous ses soins dans plusieurs chapitres de la Somme contre
les Gentils. Les principales preuves qu'il apporte de la consubs-
tantialité du Fils avec le Verbe sont celles-ci :
1° Si le Christ est véritablement Fils de Dieu, il est de toute
nécessité qu'il soit Dieu. Car celui qui provient d'un autre, môme
s'il provient de sa substance, n'est pas véritablement fils s'il n'est
pas de la même espèce que celui dont il vient. Il est nécessaire
que le Fils de l'homme soit homme : de même, il est nécessaire
que le Fils de Dieu soit vrai Dieu et, par conséquent, que la
substance divine, une et indivisible, soit en lui tout entière K
2'' Tout ce qui est en Dieu est son essence ; or, le Verbe possède
tout ce qui est en Dieu, par conséquent toute son essence ou sa
substance -.
sunt ejusdemque substantiae. Hoc est illud Jlotnonsion, quod in concilio Ni-
caeno adversus haerelicos arianos, a catholicis Patribiis veritatis auctoritate et
auctorilatis veritate firmatum est : quod in concilio Ariminensi, propler novi-
tatem verbi minus quam oporluit intellectum, quod taincn fides antiqua pepe-
rerat, niullis paucorum fraude deceplis, hseretica in^pietas, sub baeretica
impcralore Conslantio labefaclare tontavit, etc. (S. Auul'st., contra Maxim.,
lib. II, n. -18.)
1. 1" Si Christus verus est Hlius, de necessitate sequitur quod sit verus
Deus : non enirn vere Filius potest dici quod ab alio gignitur, eliamsi de
substantia generantis nascatur, nisi in similem speciem generantis procédât;
oportet enirn quod Filius hominis sit bomo. Si igilur Cbristus est verus Filius
Dei, oportet quod sit verus Deus. (S. Thom., Summ. cojilr. Gent., lib. IV,
cap. VII.)
'2. t>" Quidquid Deus hnbet in seipso est ejus essontia, ul ostensum est. Om-
nia aulem (|Ufe babet Pater sunt Filii ; dicil enirn ipse Filius : Omnia quaecum-
que babet l'alor meus, mea sunt {Joann., xiv, Mi); et ad Patrem loquens, ait :
Mea omnia tua sunt, et tua mea sunt. {Joann., xvii, 10.) Est ergo eadem essen-
tiaet natura Palris et Filii. (Id., ibid.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ. 251
3" La forme est ce qui constitue l'être ; or le Verbe a la forme
de Dieu, selon la parole de l'Apôtre : Cum in forma Dei esset.
Il est donc Dieu ; l'essence ou la substance indivisible de Dieu est
en lui '.
Nous n'avons pas à entrer ici dans les disputes sans fin suscitées
par les hérétiques, ni dans le détail des objections toujours les
mêmes, mille fois réfutées par les écrivains catholiques et par les
Pères des conciles. A bien y regarder, elles peuvent se réduire à
trois. La première est qu'il est quelquefois parlé de la Sagesse
éternelle ou du Verbe de Dieu, comme d'une sagesse créée ; mais
il est facile de répondre que la Sagesse de Dieu est considérée, dans
ces passages, comme incarnée; or l'humanité à laquelle le Verbe
divin s'est uni hypostatiquement a été véritablement créée.
La seconde est que le mot consubstantiel n'est pas dans l'Écri-
ture. Ceci est très vrai ; mais qu'importe que le mot n'y soit pas,
si la doctrine qu'il exprime s'y trouve, comme l'admet la sainte
Église, et comme les textes que nous avons apportés en font
foi?
La troisième est que l'introduction de ce mot fut une pierre
d'achoppement et de scandale. Il faut reconnaître qu'il en fut
ainsi, pour les Ariens et les autres hérétiques, dont il servait à
dévoiler les arrière-pensées ; mais les vrais fidèles l'acceptè-
rent avec joie, comme l'expression exacte de leur croyance.
Citons, pour terminer, une page de Bossuet.
« Un Dieu peut-il venir d'un Dieu ? Un Dieu peut-il être d'un
« autre que de lui-même? Oui, si ce Dieu est Fils. Il répugne à
« un Dieu de venir d'un autre comme créateur qui le tire du néant ;
a mais il ne répugne pas à un Dieu de venir d'un autre, comme
« d'un Père qui l'engendre île sa propre substance. Plus un fils
« est parfait, ou, si l'on peut ainsi parler, plus un fils estlils, plus
« il est de la même nature et de la même substance que son père,
« plus il est un avec lui; et s'il pouvait être de même nature et
« de même substance individuelle, plus il serait fils parfait. Mais
« quelle nature peut être assez riche, assez inlinie, assez immense
{. 30 Prgeterea Apostolus dicit quod Filius, antequam erituttiiret semetipsum,
forma servi accipiens, in forma Dei erat. (Phi/ipi)., 11, 0, 7.) Per forinam au-
tem Dei non aliud intclli.cilur quain nalura diviiia, sicut per formani servi
non inlelligitur aliud (juam humana natura. Est ergo Filius in nalura divina.
(Id., ibid.)
252 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVKE II. — CHAP. V.
« pour cela, si ce n'est la seule infinie et la seule immense, c'est-
t à-dire la seule nature divine? C'est ainsi qu'il nous a été révélé
€ que Dieu est père, que Dieu est fils, et que le Père et le Fils sont
t un seul Dieu, parce que le Fils engendré de la substance de son
« Père, qui ne soulïre point de division et ne peut avoir de parties,
« ne peut être rien moins qu'un Dieu et un même Dieu avec son
« Père. Car qui dit substance de Dieu la dit toute, et dit par con-
e séquent Dieu tout entier.
« Qui sort de Dieu de cette sorte, c'est-à-dire de toute sa subs-
« tance, possède en même temps son éternité tout entière, selon
« ce que dit le prophète : Sa sortie est dès le commencement,
« dès les jours de l' éternité ', parce que l'éternité est la substance
« de Dieu, et quiconque est sorti de Dieu et de sa substance en
« sort nécessairement avec une même éternité, une même vie, une
« même majesté. Car si un père transmet à son fils toute sa iio-
« blesse, combien plus le Père éternel communique-t-il à son Fils
« toute la noblesse avec toute la perfection et l'éternité de son
« être? ainsi le Fils de Dieu nécessairement est coéternel à son
« Père; car il ne peut y avoir rien de nouveau ni de temporel dans
< le sein de Dieu. La mutation et le temps, dont la nature est de
« changer toujours, n'approche point de ce sein auguste, et la
• même perfection, la même plénitude d'être qui en exclut le néant,
« en exclut toute nature changeante. En Dieu tout est permanent,
« tout est immuable ; rien ne s'écoule dans son être, rien n'y
« arrive de nouveau, et ce qu'il est un seul moment, si l'on peut
« parler de moment en Dieu, il l'est toujours.
« Au commencement le Verbe était. Remontez à l'origine du
« monde, le Verbe était. Remontez plus haut, si vous pouvez, et
« mettez tant d'années que vous voudrez les unes devant les autres,
« il était : il est comme Dieu est, celui qui est. S. Jean disait dans
« V Apocalypse : La grâce vous soit donnée par celui ^^^^ est, qui
« était et qui viendra 2 : c'est Dieu. Et peu après c'est Jésus-
« Christ, dont S. Jean dit : Le voilà qui vient dans les nues ^.
« Et c'est lui qui prononce ces paroles : Je suis l'alpha et V oméga,
« le commencement et la fin, dit le Seigneur Dieu, qui est, et
1. Et eKressu.s ejus ab inilio, a diebus aeternitatis. {Midi., v, 2.)
•2. Gratia vobis et pax ab eo qui est, qui erat, et qui venturus est. {Apoc,
I, 4.)
3. Ecce venit cum nubibus. (Id., ifjù/., 7.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE ET LE MYSTERE DE LA TRINITÉ. 253
« qui était, et qui viendra ^ Jésus-Christ est donc comme son
« Père, celui qui est et qui était ; il est celui dont l'immensité
« embrasse le commencement et la fin des choses ; et comme Fils,
« et étant de même nature, de même substance que son Père,
<r il est aussi de même être, de même durée et de même éter-
« nité -•.
Qu'il est donc grand, le Dieu que nous adorons dans la Très
Sainte Eucharistie! C'est le \'erbe de Dieu, c'est sa parfaite Image
et sa Sagesse substantielle ; c'est le Fils éternellement engendré
par le Père, et c'est avec le Père le principe unique dont procède
le Saint-Esprit. Gonsubstantiel aux deux autresadorables personnes,
il est substantiellement présent dans le sacrement de son amour,
où elles l'accompagnent, parce qu'elles sont avec lui un seul être
infiniment simple, un seul et même Dieu. Il y est d'une manière
particulière, et l'on pourrait dire plus complète, parce que lui seul
s'est incarné et que l'Eucharistie est le sacrement de son corps et
de son sang, hypostatiquement unis à sa divinité. Mais le Père ne
saurait être absent du lieu où est le Fils, ni le Saint-Esprit se sé-
parer du Fils et du Père. Adorons donc notre Dieu dans ce sacre-
ment divin ; anéantissons-nous à la pensée des mystères intimes
de la vie de Dieu qui s'y accomplissent ; rappelons-nous que l'amour
que le Seigneur nous porte est la cause de tant de merveilles, et
nous aimerons à notre tour, nous servirons avec la dévotion la plus
ardente un Dieu si bon pour nous.
1. Ego sum alpha et oméga, principium et finis, dicit Dominus Deus qui
est, qui erat et qui venturus est. (Id., ibid., 8.)
2. BossuET, Élevât, sur les myst., Ile sem., Il' élevât.
254 LA SAINTE EL'CHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
CHAPITRE VI
DE L'HUMAXITli: SAINTE DE NOTRE-SEIGNEUR PRÉSENT DANS L'EUCHARISTIE,
ET PARTICULIÈREMENT DE SON CORPS ADORABLE
I. Jésus-Christ, fils d'Adam comme nous, a un corps humain semblable aux nôtres,
dans l'Eucharistie. — II. Le corps de .lésus-Christ présent au Saint-Sacrement est
vivitit" par une âme semblable aux nôtres. — III. En quel ordre de priorité s'est
accomplie l'union du Verbe avec son corps et son âme lorsqu'il s'est incarné. —
IV. Union de toutes les parties intégrantes du corps de Notre-Seigneur et particu-
lièrement de son sang avec sa divinité. — V. Perfection souveraine du corps ado-
rable de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie.
I.
JÉSUS-CHRIST, FILS d'aDAM COMME NOUS, A UN CORPS HUMAIN
SEMBLABLE AUX NÔTRES, DANS l' EUCHARISTIE
Le Dieu que nous adorons au Très Saint Sacrement de l'autel
n'est pas uniquement notre Dieu, avec toutes ses infinies gran-
deurs ; il est aussi, j'oserais presque dire, il est surtout notre frère.
Sa majesté suprême nous étonne et peut nous inspirer de la frayeur ;
mais la douceur ineffable de son humanité, qu'il a prise paramour
pour nous, nous rassure et nous attire.
S. Thomas nous enseigne qu'il convenait que le Fils de Dieu,
puisqu'il daignait s'incarner pour régénérer l'humanité et nous
sauver, empruntât sa nature humaine à la race d'Adam '. Sans
doute il aurait pu se créer un corps et une àme comme les nôtres,
sans qu'ils eussent avec nous aucun rapport d'origine, mais il ve-
i. Ulrum conveniens fuerit quod I'iliu.s Dei humanam naturam assumeret
ex slirpe Adae?
Hespondeo dicendum, quod sicut Augustinus dicit in XIII dcTrinitate, « po-
terat Deu.s hominem aliunde susclpere, non de génère illius Adae, qui suo
peccato obligavit genu.s humanurn; .sed melius judicavit ut de ipso quod
victum fuerat genus assumeret hominem Dcus, per quem generis humani
vinceret inimicum. » Et hoc propler tria. Primo quidcm, quia hoc videtur ad
jusliliam pertinere, ut ille satisfaciat qui peccavit. El ideo de natura per pec-
'•alum corruj)la del)uit assumi id per quod salisfactio esset implenda pro tota
natura. Secundo, quia hoc etiam pertinet ad majorem hominis dignilatem;
duni ex illo génère victor dialwli nascitur, quod per diabolum fuerat victum.
Tertio, quia per hoc etiam Dei potentia magis ostendilur, dum de natura cor-
rupla cl infirma assumpsit id quod in tantam virlutem et dignitatem est
promotum. (S. Tiiom., 111 p., q. iv, art. 0.)
DE l'hDMANITÉ sainte DE NOTRE-SEIGNEDR DANS l'eDCHARISTIE. 255
nait sur la terre, il s'incarnait pour expier nos péchés, et il était
juste que l'expiation fût le fait de la même race qui s'était rendue
coupable. Il convenaitaussi, pourla gloire de l'humanité à laquelle
Dieu voulait rendre avec usure sa dignité première, que le démon
fût vaincu par le descendant de celui dont il avait été victorieux.
Enfin, la puissance de Dieu éclate d'autant plus dans l'œuvre de
la rédemption des hommes que celui qui les relève sort lui-même
de cette race déchue, pour être élevé au-dessus de toute créature
jusqu'au trône de Dieu même, et leur faire partager son héritage
et ses grandeurs comme il aurait partagé leurs abaissements, le
péché excepté, et leurs souffrances.
Ce fut donc de la race d'Adam que le Fils de Dieu voulut naître,
et le sang d'Adam, qui est notre sang, coula véritablement dans
ses veines. Il prit, dans le sein de Marie, fille de David et d'A-
braham, un corps véritable et terrestre comme les nôtres: il prit
une àme, il prit enfin tout ce qui est essentiel à l'intégrité de la
nature humaine ', car il voulut être en tout, non seulement sem-
i. Voici le résumé de la doctrine de S. Thomas sur cette question, tel que
le donne t). Alvarez dans son traité : De Incarnatione Verbi :
Quaestio quinta : De modo unionis ex parte partium humanae naturae.
Art. I. Utrum Dei Filius debuerit assumere verum corpus. — Conclusio est
affirmativa. — Probatur 1° : Conveniens fuit Filium Dei assumere humanam
naturam, ut q. i, art. 1, dictum est : ergo etiam verum corpus, sine quo non
salvatur Veritas naturte humanae. — ^° Quia si corpus phantasticum assump-
sisset, non sustinuisset pro hominibus veram mortem; et consequenter non
fuisset operati'is veram hominis salutem. — 3" Nam cum persona assumens
sit ipsa Veritas, non decuit ut in ejus opère aliqua fictio esset.
.\rt. II. Utrum Dei Filius debuerit assumere corpus terrenum, scilicet car-
nem et sanguinem? — Conclusio est affirmativa. Probatur : 1° Si corpus ejus
fuisset cœleste ut posuit Valentinus, non salvaretur in Christo veritas naturae
humanae, quae necessario requirit determinatam materiam, scilicet carnes et
ossa, etc. '■l" Quia hoc etiam derogaret veritati eorum quée Christus in corpore
gessit : non enim vere esuriisset Christus, nec sitisset, nec etiam passionem et
mortem sustinuisset. Haec enim corpori cœlesti competere non possunl, cum
sit impassihile et incorruptibile.
Art. III. Utrum Filius Dei assumpserit animam. — Conclusio affirmativa est
de fide; habetur ex Matih., .xxvi : Tristis est anima mea iisque ad mortem; et
Joanti.. X : Potestatem haheo ponendi animam meam. Ratione probatur : .\nima
pertinet ad speciem humanae naturae; caro enim, et cœlerae partes hominum
per animam speciem sorliuntur; sed Filius Dei assumpsit veram naturam
humanam ut supra oslensum est : ergo et animam.
Art. IV. Utrum Filius Dei assumere debuerit intellectutn. — Conclusio est
affirmativa. Habetur enim ex Is., \a\ : Ecce intelliget puer meus : ut probat
Augustinus, lib. de Fide ad Petrum, c. xiv. Prapterea probatur : Si Christus
animam sine mente habuisset, talis anima non fuisset capax gratiœ, nec po-
256 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if l'ARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
blable à nous, lepéché excepté, mais très réellement l'un de nous et
notre frère.
Ce fut donc la nature humaine que s'unit le Verbe de Dieu et il
se l'unit hypostatiquement, c'est-à-dire de telle sorte que ses deux
natures, la nature divine et la nature humaine, subsistent en une
seule et unique personne, qui est la personne du Fils de Dieu fait
homme. Il a pris la nature humaine dans sa perfection et sans que
rien y manque. Il est de foi que le Verbe s'est fait homme, non
pas homme incomplet mais parfait : S. Jean l'a dit : Et Verbum
caro factiim est. « Et le Verbe s'est fait chair ; » et la sainte Église
le proclame dans le symbole de foi qu'elle fait chanter solennelle-
ment par tous les chrétiens, au sacrifice de la messe : Ei homo
faclus est : « Et le Fils de Dieu s'est fait homme. »
Le Verbe de Dieu a pris la nature humaine et il n'en a pas pris
d'autre quoique, de puissance absolue, il eût pu le faire s'il l'avait
voulu; mais il ne l'a pas fait. C'est une laveur insigne et singu-
lière qu'il a daigné accorder à la nature humaine. Du Christ seul,
c'est-à-dire de l'homme hypostatiquement uni à la divinité, il est
dit qu'il est le prince, le chef suprême de toutes choses, que Dieu
l'a établi sur toutes les œuvres de ses mains ; il n'est pas d'autre
être que lui dont on puisse dire tout à la fois qu'il est Dieu et qu'il
est créature. L'apôtre S. Paul refuse expressément à la nature
angélique cet honneur incomparable que Dieu a fait à notre na-
ture humaine: « Il n'a pas pris la nature des anges, » dit-il,
t mais c'est la race d'Abraham qu'il prend i. »
D'autre part, il faut savoir aussi qu'en s'unissant à la nature
humaine, ce n'est pas à une personne, mais uniquement à une
nature créée, n'ayant pas de personnalité propre et créée comme
elle qu'il s'est uni -. Que serait en effet devenue la personnalité
luisset mereri. Secundo sequeretur non liabuisse animam humanam, sed bes-
tialem, ut arguit Augustinus, lib. LXXXIl, q. lxxx; quia per solam mentem
anima nostra differl ab anima bestiali. (Vide Alvarez, de Incarnat, divini
Verbi.)
\. Nusquam enim Angeles apprehendit, sed semen Abrahse apprehendit.
{Ilebr., Il, 10.)
2. Utrum Fitius Dei assumpserit personam? — Conclusio (D. Thomse, III p.,
q. IV, art. 2) est ncgativa. Probatur : Illud quod assumitur oportet prseintelligi
asisumptioni, sicut illud quod movetur localiter, prseintelligilur ipsi motui :
sed persona non praeintelligitur in bumana nalura assuinplioni, sed magis se
babet ut terminus assumptionis, ut fjriœst. prxcedenti, arl. 4 et % dictum est.
Si enim prseintelligeretur, vel oportet, quod corrumperetur, et sic frustra
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS LEUCHARISTIE. 257
humaine au moment de l'union du Verbe avec la nature si elle
avait existé d'abord? Ou bien elle aurait disparu, et alors à quoi
bon l'existence antérieure? Ou bien elle aurait continué d'être, et
alors il y aurait eu deux personnes, la personne humaine et la
personne divine, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce qui est con-
traire à la foi. C'est donc uniquement la nature humaine que
Notre-Seigneur Jésus-Christ a prise. Mais il l'a prise tout entière
avec toutes les parties essentielles qui la constituent et les parties
qui, sans être essentielles, sont réclamées pour son intégrité.
La foi nous enseigne que Notre-Seigneur Jésus-Christ est véri-'
tablement homme. Les prophètes ne laissent aucun doute sur la
réalité de l'humanité du Christ qu'ils annoncent ; le Sauveur lui-
même affecte de s'appeler le Fils de l'homme; toutes les pages de
l'Évangile, toutes les circonstances de sa vie, démontrent évidem-
ment que, s'il est Dieu et Fils de Dieu, il est en même temps
homme, né de Marie et descendant de David et d'Abraham. Quel-
ques hérétiques ont bien essayé, dans les premiers siècles, de
mettre en doute ce dogme de notre foi, mais leur voix n'a pas eu
d'écho et l'humanité de Jésus-Christ n'est demeurée à l'état de
doute pour personne.
Le Fils de Dieu s'est uni à l'humanité, de telle sorte qu'il est
un homme particulier et distinct, comme chacun de nous est dis-
tinct des autres hommes, quoique la nature humaine se retrouve
en tous également. Quelques hérétiques ont rêvé que Jésus-Christ
n'était homme que d'une manière abstraite et générale; mais
outre qu'il est difficile de comprendre ce mode d'union à la nature
humaine, il fallait un homme véritable et non pas une vague
humanité, pour accomplir l'œuvre de la rédemption, expier les
péchés des hommes et nous mériter la grâce et la gloire. C'est bien
d'un homme que le saint Évangile nous rapporte la vie, depuis sa
conception par l'opération du Saint-Esprit dans le sein de la bien-
heureuse Vierge Marie, fille de David et fille d'Abraham et d'Adam,
esset assumpta, vel quod remaneret post unionem, el sic essentdua; personœ,
iina assumens et alia assumpta; quod est erroneum : ergo.,..
Vtrum persfma divina fdisiimjiserit hommcm? {art '.i.) — Conchisio est né-
gative, si proprie loquamur, et opposita est erronca : nain alias essent in Chrislo
duae persona; seu hypostases : Ktenim lioino significat naturam humanain, ut
est in supposito : ergo si Filius Dei assum])sit liomineni, .se(|uilur (|UO(i sit in
Christo proprium supposituin liumanum; et sic essent in illo duo supposita
rcalitcr distincla. (Alvarez, de Incarnai., qusest. iv, art. -1 et ;J.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 17
558 LA SAINTE EUCHARISTIE. 11' PARTIE. LIVRE II. — CHAP. VI.
jusqu'à sa mort ignominieuse et cruelle sur le Calvaire et sa ré-
surrection suivie bientôt de son ascension glorieuse dans le
royaume des ci eux.
Mais il est nécessaire de connaître, autant que le pouvoir nous
en est donné, l'humanité du Seigneur que nous adorons au Très
Saint Sacrement.
Ce qui paraît premièrement, ce qui frappe les regards et que
l'on remarque avant tout dans l'homme, c'est le corps, et c'est aussi
ce que la Sainte Écriture nous enseigne tout d'abord que le Verbe
de Dieu a pris de notre nature, lorsqu'il s'est fait semblable à nous.
Que Xotre-Seigneur Jésus-Christ ait eu un corps semblable aux
nôtres, une chair véritable et réelle, c'est une vérité dont la né-
gation entraînerait celle de la plupart des mystères de notre
sainte religion. Si le Verbe de Dieu n'avait pas pris dans le sein
de la bienheureuse Vierge Marie un corps véritable, l'incarna-
tion n'existerait pas; elle ne serait qu'une vaine apparence; il faut
en dire autant de la mort et de la résurrection du Sauveur : or,
selon la parole de l'Apôtre, si le Christ n'est pas ressuscité, notre
foi perd sa raison d'être K Mais nombreuses et irréfutables sont
les preuves sur lesquelles repose la croyance à la réalité du corps
et de la chair de Jésus-Christ.
L'apôtre S. Jean nous déclare; dès la première page de son Évan-
gile, que a le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous : »
Et Verbum caro factum est, et liabitavit in nobis. Il a pris une
chair humaine, il s'est fait homme semblable aux autres hommes,
pour être l'un d'entre eux et demeurer, comme tel, au milieu
d'eux. Personne n'imaginera sans doute que, prenant un corps,
une chair véritaljle pour se montrer et demeurer au milieu des
hommes, ce n'est pas une chair humaine qu'il a prise. Et si quel-
qu'un avait cette pensée étrange, chaque page, ciiaque ligne de
l'Évangile de S. Jean serait une protestation contre un pareil rêve.
Les autres évangélistes nous apprennent qu'il a été conçu dans
le sein de la bienheureuse Vierge Marie, et de sa substance, non
pas, il est vrai, selon le mode ordinaire, mais par un miracle de la
toute-puissance divine, et sans que la virginité de sa Mère eût à
soullrir ni de sa conception ni de sa naissance. Ils nous appren-
nent qu'il naquit dans l'étable de Bethléem, qu'il fut enveloppé de
\. Si Christus non resurrexit, vana est fides vestra. (/. Cor., xv, 17.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 239
langes, qu'il reçut la circoncision huit jours après sa naissance,
ils nous rapportent enfin mille circonstances de sa vie, de sa mort,
de sa résurrection glorieuse, qui supposent nécessairement et par
conséquent prouvent, jusqu'à l'évidence, que le corps avec lequel
il s'est montré aux yeux des hommes était bien un corps véri-
table, un corps humain comme ceux des autres fils d'Adam.
L'apôtre S. Paul a soin de remarquer que le corps du Fils de
Dieu fait homme tire bien son origine de la substance de sa mère,
et qu'il en est de lui, sous ce rapport, comme des autres enfants.
Il dit en effet que Dieu l'a choisi pour annoncer l'Évangile de
a son Fils qui lui est né de la race de David, selon la chair i. »
Ailleurs il fait cette déclaration expresse : « Lorsque fut venue la
« plénitude du temps. Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme,
« soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour
« que nous reçussions l'adoption des enfants -. » Ces autres paroles
du grand Apôtre ont peut-être encore quelque chose de plus ex-
pressif, car elles montrent jusqu'à quel point le Fils de Dieu s'est
abaissé en acceptant notre nature : « Étant véritablement Dieu, il
« n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ;
« mais il s'est anéanti lui-même, prenant la forme de serviteur,
« ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme
« par les dehors. Il s'est humilié lui-même, s'étant fait obéissant
« jusqu'à la mort, et à la mort de la croix 3. « Véritablement Dieu,
ou plus littéralement, « dans la forme de Dieu, » in forma Dei,
il s'est anéanti jusqu'à prendre la forme de serviteur, fonnam
servi accipiens, c'est-à-dire jusqu'à devenir serviteur, et com-
ment? en se faisant semblable aux hommes, de sorte que tout à
l'extérieur le fît reconnaître pour un homme, ei liabitu inventus
ut horao. Et devenu homme véritable comme il était Dieu véri-
table, il poussa plus loin encore l'humilité et le dévouement pour
sauver ceux dont il s'était fait le frère : obéissant à son Père cé-
1. De Filio suo, qui factus est ei ex semine David secundum carnem.
[Rom., I, 3.)
2. At ubi venit plénitude lemporis, misit Deus Filium suuni, factum ex
muliere, factum sub legc : ut eos qui sub lege erant rediniorct ut adoptioncm
filioruin recipcremus. [Galnt., iv, i, 5.)
3. Cum in forma Dei esset, non rapinam arbilratus est esse se ;vqualom
Deo : sed semetipsum exinanivit, formam servi accipiens, in simililudiniMu
hominum factus et haliilu inventus ut liomo. Iluniiliavit semetipsum, factus
obediens usque ad morlem, mortem autem crucis. [Pliiliiip., ii, 0-8.)
260 LA SAINTE EL'CIIARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. CHAP. VI.
leste, il se livra à la mort la plus cruelle et la plus infamante de
toutes, la mort de la croix, le supplice réservé aux esclaves. Aurait-
il souffert ainsi, serait-il mort, et mort crucifié, si son corps
n'avait pas été un corps véritable ? L'Apôtre pourrait-il nous
affirmer que le Fils de Dieu s'est imposé tous ces abaissements et
qu'il a enduré toutes ces ignominies et toutes ces douleurs s'il
n'y avait eu là que de vaines apparences, je ne sais quelle fantas-
magorie trompeuse ?
Mais Jésus-Christ n'a pas seulement souffert, il a mangé, il a
bu, il a eu faim, il a eu soif comme les autres hommes; il a passé
par toutes les épreuves de notre pauvre nature, selon la parole
d'Isaïe : a II a vraiment lui-même pris nos langueurs sur lui et
« il a porté nos douleurs i. »
Après sa résurrection, ses apôtres, qui ne pouvaient se résigner
à la croyance d'une si grande merveille, le prirent d'abord pour
un fantôme lorsqu'il se fit voir à eux dans le Cénacle, une première
fois. Alors, pour leur prouver qu'ils étaient dans l'erreur et que,
même après sa résurrection, son corps qu'ils voyaient de leurs
yeux était bien un corps véritable et sa chair une véritable chair
et non pas une vaine apparence, il se fit toucher par eux et leur
dit : « Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi ces pensées s'é-
« lèvent-elles dans vos cœurs? Voyez mes mains et mes pieds :
« c'est bien moi ; touchez et voyez : un esprit n'a ni chair ni os,
« comme vous voyez que j'ai. Et lorsqu'il eut dit cela, il leur
« montra ses mains et ses pieds. Mais ils ne croyaient point encore,
« quoiqu'ils fussent transportés d'admiration et de joie. Il leur
« dit : Avez-vous ici quelque chose à manger? Et ils lui présen-
« tèrent un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Or, lors-
« qu'il eut mangé devant eux, prenant les restes, il les leur of-
« frit '. »
Jésus-Christ pouvait-il leur donner des preuves plus claires,
1. Vere languores nostros ipsc tulit et dolores nostros ipse portavit. (/s.,
i.iii, 4.)
•i. Quid turbati estis et cogitationes ascendunt in corda vestra? Videte ma-
nus meas, et pedes, quia ego ipse surn ; palpate et videte quia spiritus car-
nem et ossa non habcnt, sicut me videlis habere. Et cum hoc dixisset ostendit
fis manus et pedes. Adhuc autem illis non credentibus, et mirantibus prae
gaudio, dixit : Habetis liic aliquid quod manducetur? At illi obtulerunt ei par-
tem piscis assi, et favum rnellis. Et cum manducasset coram eis, sumens reli-
quias dédit eis. {Luc, xxiv, IW-i3.)
DE l'humanité sainte de NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eDCHARISTIE. 261
après sa résurrection, de la réalité de ce corps adorable qu'ils
avaient vu et touclié tant de fois avant sa mort, qu'ils voyaient et
touchaient de nouveau, devenu glorieux par la résurrection?
S. Jean, le disciple bien-aimé, l'apôtre évangéliste, affirme en
ces termes la même vérité, dans sa première épitre : « Voici en
« quoi se connaît l'esprit de Dieu : Tout esprit qui confesse que
« Jésus-Christ est venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit
a qui détruit Jésus n'est point de Dieu, et celui-là est l'Antéchrist,
ft dont vous avez ouï dire qu'il vient ; or il est déjà dans le
« monde ^. » Au lieu decesmots : « Tout eaprit qui détruit Jésus, »
il y a dans le texte grec : « Tout esprit qui ne confesse pas que
Jésus-Christ est venu dans la chair. » Au fond le sens est le même,
mais la pensée de l'auteur inspiré se manifeste plus clairement
dans cet autre texte qui semble être l'original.
Quoi qu'il en soit, il faut, si l'on veut être du nombre des servi-
teurs et des enfants de Dieu, reconnaître que le corps de Jésus-
Christ a été un véritable corps, que sa chair a été une véritable
chair, et que, maintenant qu'il est ressuscité et qu'il règne dans
la gloire de son Père au plus haut des cieux, ce corps est toujours
un corps véritable, et cette chair une chair réelle et véritable. Qui-
conque ne reconnaît pas cette vérité n'a plus rien de commun
avec Dieu, il est son ennemi ; il est membre de l'Antéchrist.
Les symboles de la foi ne pouvaient pas manquer de reproduire
un article si important de la croyance catholique, afin de le rap-
peler, pour ainsi dire à chaque instant, au souvenir des fidèles. Le
symbole de Nicée dit, en parlant du Fils de Dieu : « Il s'est incarné
« en prenant un corps dans le sein de la Vierge Marie, par l'opé-
« ration du Saint-Esprit, et s'est fait homme : » Et incarnatus
est de Spiritu sancto, ex Maria Virgine, et Jiomo factiis est. Le
même dogme se trouvait exprimé déjà dans le Symbole des apôtres:
« Je crois.... en Jésus-Christ son Fils unique, Notre-Seigneur, qui
a a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie : »
Credo.... in Jesum Christ um Filium ejus unicuni, Dominum
nostrum : qui conceptus est de Spiritu sancto, natus ex Maria
Virgine. Le Symbole de S. Athanase déclare à son tour que Notre-
\. In hoc cognoscitur Spiritus Dei : Oinnis spiritus qui confitotur Jesum
Christum in carne vcnissc, ex Deo est. El omnis spiritus qui solvit Jesum, ex
Deo non est : et hic est Antichristus, de quo audistis quoniam venil. Kt nunc
jam in mundo est. (/. Joann., iv, 2, 3.)
262 LA SAINTB EUCHAKISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II.' — CHAP. VI.
Seigneur Jésus-Christ est Dieu et qu'il est homme. « Il est Dieu,
« étant engendré de la substance de son Pèreavant les siècles; et
« il est homme, étant né delà substance de samère dans le temps.
« Dieu parfait et homme parfait, ayant une âme raisonnable et un
« corps humain : » Deusest ex subslantia Patris ante sœculage-
nitus ; et homo est ex siibstantia matris in sœculo natus. Per-
fectus Deus, perfectus homo : ex anima rationali et humana
carne subsistens.
Citer les conciles serait ici superllu. On sait en effet que les
Pères qui les composaient commençaient ordinairement leurs tra-
vaux par l'adhésion au symbole de la foi. Nous lisons dans les actes
du saint Concile de Trente, IIP session : « Le saint et sacré Concile
« de Trente.... a résolu et prononcé pour première ordonnance
« qu'il faut d'abord commencer par la profession de foi, suivant
« en cela les exemples des Pères qui, dans les plus saints conciles,
« ont accoutumé d'opposer ce bouclier contre toutes les hérésies,
« au commencement de leurs actions. Ce qui leur a si bien réussi
« que quelquefois, par ce seul moyen, ils ont attiré les infidèles à
« la foi, forcé les iiérétiquesdans leurs retranchements et confirmé
« les fidèles. Voici donc le Symbole de la foi, dont se sert la sainte
« Église romaine, et que le saint Concile a jugé à propos de rap-
« porter ici, comme étant le principe dans lequel conviennent né-
« cessairement tous ceux qui font profession de la foi de Jésus-
« Christ '.» Le symbole que le Concile de Trente formule ensuite
est celui que nous avons cité plus haut, le Symbole de Nicée ou
plutôt de Constanlinople, que le peuple fidèle récite chaque di-
manche à la messe, en union avec le prêtre.
Nous devons nécessairement retrouver dans les écrits des Pères
la même doctrine, qui ressort des saintes Écritures et que les Con-
ciles ont consacrée par leurs définitions. Aussi voyons-nous, dans
tous les siècles, ces vénérables témoins de la vérité proclamer que
le Fils de Dieu a vécu sur la terre avec un corps réel et véritable,
\. Maec sacrosancla el gcneralis Tridentina synodus.... ante oinnia statuit
el decernit j)ra3rniUendain esse cnnfessionein fidei, Palrum exempla in hoc
secuta qui sacrarioribus Conciliis hoc sculum contra oinnes haerescs in prin-
cipio suorum actionum apponere consuevere : quo solo aHquando et infidèles
ad fidein Iraxcrunt, hsereticos expurgarunt, et fidèles confirnnarunt. Quare
Symbolum fidei, quo sancta romana Ecclesia utitur, tanquam principium
illud, in quo oinnes qui fidom Christi profitentur necessario conveniunt.
(Concil. Trid., sess. III, Dccrel. de Symholo fidei.)
DE l'hDMANITÉ sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eDCHARISTIE. 263
un corps humain sorti de la race d'Adam. Les apôtres S. Pierre et
S. André étaient transportés de joie, parce que leurs corps étaient
crucifiés comme celui du divin Maître. S. Paul se glorifiait de ne
connaître que Jésus-Christ crucifié ; S. Ignace, dans ses épîtres,
ne cesse de rappeler que le Fils de Dieu est mort pour lui sur la
croix, et de témoigner un ardent désir de verser pour lui, à son
tour, jusqu'à la dernière goutte de son sang.
Au II" siècle, S. Irénée disait : « Si Jésus-Christ n'a pas pris
« de l'homme la substance de sa chair, il ne s'est pas fait homme
« ni Fils de l'homme; et s'il ne s'est pas fait ce que nous étions,
« ce qu'il a souffert et enduré perd toute sa grandeur. Mais l'A-
« pôtre dit explicitement dans l'Épître aux Galates : Dieu a en-
« votjé son Fils formé de la femme K » Le saint martyr ajoute
quelques preuves à l'autorité de l'Apôtre. Il dit que si Notre-Sei-
gneur n'avait pas été véritablement homme et pourvu d'un corps
réellement existant, il n'aurait pas eu véritablement faim et il
n'aurait aucunement souffert des cruelles tortures que les bour-
reaux lui faisaient endurer; il n'aurait pas non plus répandu des
larmes sur Lazare et Jérusalem, ni une sueur de sang au jardin
des Oliviers.
Au m* siècle, l'illustre docteur et confesseur de la foi, S. Atha-
nase, écrivait aux habitants d'Antioche, de la part des Pères du
synode d'Alexandrie : « Alors que le Verbe était très réelle-
« ment Fils de Dieu, il a été fait aussi Fils de l'homme; et parce
« qu'il était Fils unique de Dieu, il est devenu premier-né entre
« beaucoup de frères 3. » TertuUien, qui vivait dans lemème siècle,
écrivit plusieurs livres, pour défendre cette vérité, contre l'héré-
siarque Marcion. On y lit entre autres passages : « Il fut permis à
«f Valentin, par le privilège que s'arrogent les hérétiques, de pré-
« tendre que la chair du Christ était spirituelle. Il pouvait l'ima-
« giner telle qu'il lui plaisait, du moment qu'il n'admettait pas
« que ce fût une chair humaine. Mais si la chair du Christ ne fut
1. Si enim non accepit ab homine substantiani carnis. neque honio factus
est, neque l-"ilius hominis; et si hoc non factus est quod nos eramus, non
magnum facicbat (juod passus est et sustinuit.... Apostolus autem.... ad Galnt.
manifeste ait : Misit Deus l'ilium suum, factum de muliere. (S. Ir.kn., lib. \U,
cap. xxxiii.)
2. Cum rêvera Dei esset Films, factus est etiam Filius iiominis, et cum uni-
genitus esset Dei Kilius, idem et primogenitus factus est in mullis fratribus.
(Atiian., Epist. nd Anlinch.)
:2t34 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI,
« pas une véritable rhair humaine et tirant son origine deThomme,
« je ne vois pas en lui ce qui lui permettrait de déclarer qu'il est
€ homme et Fils de Thomme ^ » Or S. Matthieu a commencé son
Évangile par ces mots : « Livre de la génération de Jésus-Christ
« fils de David, fils d'Abraham. » Gomment le serait-il, s'il n'y
avait rien en lui qui procédât d'eux, s'il n'avait pas une chair vé-
ritable dont la source originelle fût leur chair?
Au IV* siècle, S. Basile, combattant l'erreur d'Eunomius, don-
nait ce commentaire des paroles de l'Apôtre : Qui cum in forma
Dei esset : Qui étant dans la forme de Dieu : « Pour moi, je crois
« que ces expressions de la Sainte Écriture : étant dans la forme
« de Dieu, signifient tout simplement : étant de la substance
« de Dieu, comme il est dit ensuite qu'il prit la forme de servi-
« leur pour marquer que la substance de notre humanité fut en
« lui '. »
Au V* siècle, S. Ambroise expliquait, dans un sens iden-
tique, ces même paroles de l'Apôtre. Il disait : « Le Christ, en
« possession de la divinité dans sa plénitude, s'annihila et prit la
<■ plénitude de la nature humaine. De même que rien ne lui man-
« quait comme Dieu, rien non plus ne manquait à sa perfection
« comme homme : il était complet dans l'une et l'autre forme 3. »
S. Augustin enseigne la même doctrine, lorsqu'il écrit à Volusien :
« Un médiateur s'est présenté entre Dieu et les hommes, réunis-
« sant les deux natures dans l'unité d'une seule personne ^. » Deux
natures complètes, par conséquent un corps humain réel et véri-
table.
Au vi"' siècle, le grand pape S. Léon écrit dans une de ses
\. Licuit et Valentino ex privilegio hseretico, carnem Christi spiritualem
comminisci. Quidvis eam fingere potuit, quisquis humanam credere noluit,
quando.... si humana non fuit, nec ex hornine, non video ex qua substantia
ipse se Christus hominem et Filiuin honiinis pronuiiliaverit. (Tertull., lib. I
de Cariv C/iristi, cap. xv.)
2. PJgo eniin quod scripluni est in forma esse Dei, idem valere arbitrer
atque in substantia Dei. Ut enim formam assuinpsisse servi ilkid significat,
Deum in substantia fuisse bumanitatis nostrae. (S. Basil., conlra Emiomium,
apud Tiieodoret., dialog. II.)
15. Krgo cum esset in plenitudinc divinitatis, exinanivit se, et accepit pleni-
tudinem naturae et perfectionis humancB sicut Deo nibil dcerat, ita nec bomi-
nis consuinmationi, ut e.sset perfectus in utraque forma. (S. Ambros.,
Episl. Vill. alias XLVI.)
-4. Inter Deum et bomines mediator apparuit, in unitate personse copulans
utramquo naturam. (S. Aluust., Kpist. Il ad Volusianum.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eDCHARISTIE. 265
épîlres : « Lui qui est vrai Dieu est aussi véritablement homme '. »
Et S. Fulgence confirme en ces termes la même vérité : « La
« raison pour laquelle Jésus-Christ n'est pas un médiateur inutile
« entre Dieu et les hommes, c'est qu'étant Dieu lui-même, il s'est
a surajouté la nature humaine danstoute sa perfection, et qu'étant
« homme, il possède en soi toute la substance de la divinité '-. »
On pourrait multiplier à l'infini les citations, car la croyance
des Pères à la réalité du corps de Notre-Seigneur éclate en mille
endroits de leurs écrits; mais nous en avons dit assez pour qu'il
ne soit pas permis de mettre leur foi en doute, touchant cette vérité.
D'ailleurs ils ont tous enseigné que Notre-Seigneur est mort etque,
le troisième jour après sa mort, il est ressuscité. Ces deux dogmes
de la mort et de la résurrection du Sauveur supposent comme une
condition absolument essentielle la réalité de son corps. S'il n'avait
pas eu un corps véritable, comment serait-il mort? Et s'il n'était
pas mort, sa résurrection ne devenait-elle pas, du même coup, im-
possible ? La Sainte Écriture parle de sa mort et de sa résurrec-
tion comme de deux faits réellement accomplis. Elle nous indui-
rait donc en erreur si le corps de Jésus-Christ n'avait été qu'une
apparence sans réalité ; puisque seul un corps vivant et réellement
existant peut mourir, puis, s'il plaît à Dieu, ressusciter en vertu
de la toute-puissance divine. L'Évangile, que Dieu nous a donné
pour nous instruire de la vérité, nous insinuerait donc le men-
songe : supposition absurde et qui n'a pas besoin de réfutation.
L'Évangile nous fait connaître encore que le Fils de Dieu a versé
son sang pour notre rédemption; S. Paul dit, dans l'épitre aux
Romains, que nous avons été justifiés dans le sang du Christ ^. On
lit de même dans l'Apocalypse : « Seigneur, vous nous avez ra-
ce chetés pour Dieu par votre sang ^. » Le sang suppose la chair ;
et puisque Jésus-Christ a versé pour nous son sang, c'est que sa
chair était véritable aussi bien que le sang lui-même, par lequel
1. Qui enim verus est Deus, idem verus est lioiiio. (S. Léo, Epist. X,
cap. IV.)
-1. Non incassum hominem Jesum Christum Medialorem Dei et hominum
nuncupalum, nisi quia idem Deus totam in se naturam suscepisset hominis :
et idem homo totam in se haberet substantiam Deilalis. (S. Fulgent.. lib. I
ad Trnsimunil., cap. xv.)
3. Juslificati gratis per gratiam ipsius, per rcdcmptionem qufe est in Christo
Jesu. Quem proposuit Deus })ropitiationem per lidem in sanguine ipsius.
{/iom., III, -2t, '21).)
i. Rcdomisti nos Deo in sanguine tuo. (.l/>or., v, '.(.)
266 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
il nous a rachetés. Ajoutons une dernière raison : Le Christ venait
sur la terre accomplir toutes les figures de son avènement dont
l'Ancien Testament est rempli. Si sa présence parmi les hommes
n'avait encore été qu'une simple apparence, il y aurait eu une nou-
velle figure ajoutée aux anciennes, et rien de plus. Ne s'était-il pas
montré tantôt sous une forme humaine, tantôt semblable à un
ange, à iMoïse et aux prophètes. Ces formes n'étaient que des ap-
parences sans réalité. Il fallait bien que la vérité vînt enfin et que
la réalité succédât aux figures '.
Pour qu'il fût impossible de douter de l'existence réelle de son
corps adorable, Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu que ce corps,,
qu'il avait pris pour nous racheter, lût susceptible d'endurer la
douleur, avant sa résurrection glorieuse, aussi bien que tous les
autres corps humains. Nous avons déjà cité ce texte du prophète
Isaïe : « Il a vraiment lui-même pris nos langueurs et il a lui-
« même porté nos douleurs '-'.... 11 a été blessé à cause de nos ini-
« quités -^ » S. Matthieu nous apprend qu'après avoir recule bap-
tême des mains de Jean, Jésus se retira dans le désert, où il jeûna
pendant quarante jours et quarante nuits, et qu'ensuite il eut
faim *. S. Jean nous le montre fatigué par la marche, s'asseyant
sur le bord du puits de Jacob, où les Samaritains avaient coutume
de venir puiser de l'eau, et demandant à boire s. Nous voyons en-
core, dans S. Matthieu, qu'il dormait pendant que le bateau, sur
lequel il avait pris passage, était assailli par une tempête violente.
Enfin, S. Paul nous dit : « Nous n'avons pas un pontife qui ne
« puisse compatir à nos infirmités, ayant éprouvé comme nous
« toutes sortes de tentations, hors le péché *''. »
\. Si non nisi plianlasia intelligendus est advenlns Christi in luunduni,
nihil novuni in Christi adventu accidit : nam et in veteri testainenlo Deus
a])l)aruit Moysi et prophetis secundum multiplices figuras, ut etiam scriptura
novi Testamenti testatur : hoc autem lotam doctrinam novi Testainenli éva-
cuai. iNon igitur corpus phantaslicurn, sed veruni, Kilius Dei assumpsit.
(S. TiiMM., vonlra Génies, IV, xxix, n. 10.)
2. Vcre languores nostros ipse tulit, et dolores nostros ipse portavit. (/s.,.
LUI, 4.)
3. Ipse vulneralus est propter iniquitates nostras. (/s., xiii, ÎJ.)
i. Cum jejunasset quadraginta dieljus et quadraginta noctibus, postea esu-
riit. {Matlh., iv, 2.)
ii. Jésus fatigatus ex itinere sedebal supra fontem.... Dixit mulieri Samari-
tanœ : Da mihi bibere. [Joann., iv, fi, 8.)
G. .Non cnim haljcmus Pontificem, qui non possit compati infirmitatibus nos-
tris: tentaturn autem peromnia pro simililudine, absque peccalo. {He/jr.^\y,\lî.)i
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eDCHARISTIE. 267
On le voit donc, d'après la Sainte Écriture, Notre-Seigneur
Jésus-Christ eut un corps dérivant comme les nôtres de la subs-
tance d'Adam, un corps véritable, un corps de chair. Jésus-Christ
eut faim, il eut soif, il endura la fatigue, et la perfection incom-
parable de sa complexion le rendit plus sensible que tout autre aux
souffrances, quelles qu'elles fussent. C'est ainsi que l'ont entendu
les Pères, et qu'ils l'ont enseigné toutes les fois qu'ils ont eu l'oc-
casion d'expliquer les textes de l'Écriture qui viennent d'être
cités, ou d'autres analogues i. Il le faut bien, puisque l'apôtre
S. Pierre nous déclare que Jésus-Christ a souffert pour nous -, et
que d'autre part, comme dit Tertullien : Celui qui n'a pas souf-
fert réellement n'a rien souffert 'K
Le corps que le Verbe de Dieu a pris dans le sein de la ^bien-
heureuse Vierge Marie et qu'il s'est formé de la substance virgi-
nale de son auguste. Mère est donc un corps véritable, un corps
humain semblable aux nôtres. C'est ce véritable corps que nous
adorons uni à la divinité dans l'Eucharistie, c'est de lui que nous
faisons l'aliment de nos âmes. Et, ce qui doit encore augmenter
notre admiration et notre reconnaissance, c'est ce corps glorifié
par la résurrection, ce corps dont la vue et la présence seront
éternellement la joie des anges et des élus dans le royaume des
cieux. Que rendrons-nous au Seigneur, pour ce bienfait si grand
qu'il a daigné nous accorder ?
II.
LE CORPS DE XOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST EST VIVIFIÉ PAR UNE AME
SEMBLABLE AUX NÔTRES
Il pourrait paraître superflu de démontrer, à l'aide de preuves
spéciales, que le corps adorable de notre divin Sauveur ne fut
pas la seule partie qu'il emprunta à la nature humaine, et que, se
faisant homme, il voulut avoir comme les autres hommes une
i. Voir en particulier : S. Basile, liom. de Grafianim actione; — S. Alha-
nase, lib. de Incnrnatione; — S. Fulgence, Epist. ad /ieffinas; — TerluUien,
lib. II conlrn Marcionom, cap. x.wii; — le concile d'Kphèse, Anathnnn-
tismo XII.
2. Christus passus est pro nol)is. (/. Petr., ii, -2\ .)
'•i. Niliil eniin passus est qui non vere passus est. (Tertull., lib. 111 cnulra
Marcion., cap. vin.)
268 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
âme, qui est la plus noble partie de notre nature. Cependant il
s"est trouvé des hérétiques pour attaquer une vérité si évidente.
Les Ariens prétendirent que Jésus-Christ n'avait pas d'âme hu-
maine, mais que sa divinité lui en tenait lieu. Apollinaire, pressé
par l'évidence des textes que lui opposaient les Pères, voulut bien
lui reconnaître une âme, mais seulement une âme sensible, et non
pas une âme raisonnable. L'un et l'autre oubliaient que sans
Tàme raisonnable il n'y a pas d'homme, et que le Fils de Dieu in-
carné n'aurait pas été, sans une telle âme, un homme véritable.
Notre-Seigneur Jésus-Christ est, par sa divinité, un seul et
même Dieu avec le Père. Toutes les fois donc qu'il prie son Père,
qu'il lui rend grâces, qu'il cherche la gloire de son Père et
non sa gloire propre, toutes les fois qu'il obéit, qu'il parle de sa
volonté comme distincte de la volonté de son Père, toutes les fois
{ju'il pratique quelque vertu, telle que l'humilité, le respect pour
le temple de Dieu, toutes les fois enfin qu'il manifeste quelque
sentiment humain, c'est son âme d'homme qui se révèle. On la
voit se manifester eacore, avec non moins d'évidence, dans les
douleurs, les tourments et la mort, qu'il a endurés pour notre ré-
demption et pour la gloire du Père céleste. La divinité est inacces-
sible ;i la souffrance, à la tristesse, au trouble, à l'angoisse. Il
avait pris un corps pour souffrir, mais il lui fallait une âme, et
une âme raisonnable, pour éprouver les tortures morales qui
furent son supplice le plus amer, au temps de sa passion. Pour
mourir, il lui fallait une âme qui se séparât de son corps humain,
et cessât ainsi de lui communiquer la vie, tandis que la divinité
ne s'en séparait pas '.
Si quelque doute pouvait exister sur ce point, les paroles de
Notre-Seigneur lui-même achèveraient de porter la conviction dans
les esprits les plus rebelles. Plusieurs fois en effet, dans le saint
F^angile, nous voyons qu'il a parlé de son âme de la manière la
plus explicite. Peu de jours avant sa passion, il disait à ses Apô-
tres : « Maintenant mon âme est troublée 2 ; » et pendant son
agonie au jardin des Oliviers, il disait encore : « Mon âme est
\. Deitas nec absque corpore patiente passionem unquam admittit, necper-
tMi'ljalionem et tristitiam exhiljct al)S(]ue anima dolente et perturbata, nec
absque mente anxia et orante, aut anxia est aut orat. (S. Atiian., conira
ApolL, 1. II, n. \'.\.)
2. Nunc anima nif.i turbata est. {Jonnn., xii, '^7.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 269
triste jusqu'à la mort K » On ne peut pas dire que, dans ces textes,
c'est le Verbe divin que Jésus-Christ entend sous le nom d'âme,
d'abord parce qu'un tel nom ne lui convient en aucune manière,
et, en second lieu, parce que le Verbe n'est pas susceptible de
trouble ni de tristesse, mais absolument impassible, puisqu'il est
Dieu. On ne peut pas dire non plus que Jésus-Christ parlait d'une
âme, non pas raisonnable mais uniquement susceptible de sentir.
En effet, il ne s'agit pas ici d'un sentiment de tristesse quelconque
qu'une douleur physique ou une autre cause suffirait à produire :
c'est une tristesse qui a sa source dans l'intelligence et la volonté,
comme le font assez entendre ces autres paroles du Seigneur :
« Cependant que ma volonté ne se fasse pas, mais la vôtre - ; »
c'est une tristesse causée par la considération et la méditation pro-
fonde des souffrances que le moment est venu pour lui d'endurer.
On lit encore dans l'Évangile de S. Jean : « Je quitte mon âme
« pour la reprendre. Personne ne me la ravit, mais je la donne de
« moi-même. J'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la re-
« prendre 3. « Cette àme de Notre-Seigneur Jésus-Christ était donc
quelque chose de distinct de sa divinité, puisqu'il en avait la libre
disposition, et qu'il lui était loisible de la quitter et de la reprendre
à son gré. C'était une àme immortelle, puisqu'il devait la re-
prendre après l'avoir quittée ; elle n'était donc pas semblable à
l'àme purement sensitive des animaux, qui périt avec le corps
qu'elle anime. C'était une àme immortelle et raisonnable, l'àme
humaine en un mot. Aussi l'apôtre S. Pierre fait-il à Notre-Sei-
gneur l'application de ces paroles du prophète : « Vous ne laisserez
« pas mon àme dans l'enfer ^. » Quelquefois elle est appelée non
pas cime, mais esprit. S. Matthieu, pour dire la mort du Sauveur,
s'exprime ainsi : « Cependant Jésus, criant encore d'une voix forte,
« rendit Tesprit -^ » Et S. Luc : « Alors criant d'une voix forte,
a Jésus dit : Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains c. »
1. Tristis est anima mea iisque ad niortein. {Mnllh., xxvi, 38.)
2. Verumtamen non mca voluntas sed tua fiât. (Lttr., xxii, i2.)
3. Ego pono aniniain meani, ut iterum suniana eam. Neino toUit eani a me :
sed ego pono eam a me ipso, et potestatem habeo ponendi eam et potestatem
habeo iterum sumendi eam. {Joann., x, 17, \H.)
4. Non derclinques animam meam in infcrno. {Ps. xv, K); Art., ii, 27.)
5. Iterum damans voce magna, emisit spiritum. {Malt., xxvii, 50.)
0. Et damans voce magna .lesus ait : Patoi-, in manus; tuas commendo spi-
ritum meum. {Luc, xxni, 40.)
270 LA SAINTE EICIIARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
Ainsi s'accomplissaient les paroles prophétiques que nous avons
citées plus haut : « Je quitte mon àme pour la reprendre. Personne
« ne me la ravit, mais je la donne. » Il résulte donc clairement
de ces textes que le Verbe divin, en s'incarnant, n'a pas seulement
pris un corps senxblable aux nôtres, mais qu'il a pris aussi une àme
humaine, la nature complète, de sorte qu'il faut reconnaître en la
personne unique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu,
le corps humain et l'âme humaine '. Le corps et l'àme raison-
nable du Christ constituent la nature humaine, en lui comme dans
les autres hommes, par leur union (jui fait de l'âme la forme de la
matière dont le corps se compose. Si le corps et l'âme de Jésus-
Christ n'étaient pas unis de cette manière, il ne serait pas un
homme, ses actes ne seraient pas des actes humains, ni sa mort
une mort véritable.
On pourrait donc dire à la rigueur que Notre-Seigneur Jésus-
Christ est composé de trois substances, le Verbe, le corps et l'àme,
mais mieux, qu'il est composé de deux natures, la nature divine
et la nature humaine. Les l'èresont employé tantôt Tune et tantôt
l'autre de ces deux fqrmules d'une même et unique vérité, selon
qu'ils se proposaient, soit d'exposer simplement ce grand mystère
de notre foi, soit de le défendre contre les attaques des hérétiques.
En combattant les Ariens et les sectateurs d'Apollinaire, ils étaient
dans la nécessité de nommer les trois substances, parce que ces
hérétiques n'admettaient pas en Notre-Seigneur Jésus-Christ l'exis-
tence d'une âme, ou du moins d'une âme humaine et raisonnable ;
mais, en général, ils parlaient simplement des deux natures. Le
pape Benoît II, en revisant les actes du XIV Concile de Tolède,
recommanda aux Pères de ce concile qui avaient parlé de trois
substances en Jésus-Christ au lieu de deux natures, d'expliquer
soigneusement ce qu'ils entendaient par ces expressions. Il leur
prouva que cette manière de parler n'était pas comme l'autre d'un
usage courant, el que les Pères de l'Église n'en usaient que s'ils
1. Audianl erfro isla commemoranlibus nobis : Tristis est anima mea usrjue
ad mortem; polpslalcm haheo poncndi animam meam;.... et quod de illo intel-
lexerunt Apostoli prophetalnin : quoiiiam non derelinques animam meam in
inferno. Kt his alquc hujusmodi sanctarum Scriplurarum tesUmoniis non ré-
sistant, fatcanturque Christum non taiitum carnem, scd animam quoque
humanam Verljo unigenito coaptasse,ut cssel una persona quod Ghristus est,
Verbum et homo; sed ipse homo anima et caro : acper boc Christus, Verbum,
anima, et caro. (S. August., contra Sermon. Arianor., cap. ix, n. 7.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCIIARISTIE. 271
avaient quelque motif particulier de le faire. Pour eux, le corps et
1 ame n'étaient que des substances partielles dont l'assemblage
constituait la substance complète de la nature liumaine. Benoît II
ne réprouvait pas absolument cette manière de parler, mais il ne
voulait pas que Ton y recourût sans des raisons sérieuses, ni sans
bien établir ce que l'on entendait par ces trois substances *.
On peut remarquer, en lisant les Pères du i"'' et du if siècle,
qu'ils ont rarement parlé de l'âme de Notre-Seigneur, tandis que
très souvent, au contraire, ils ont fait mention de son corps
adorable. La raison en est que, dans l'homme, le corps ne va
pas sans l'âme et que nommer la partie la plus apparente de la
nature humaine, c'était nommer en même temps celle qui n'est
pas directement accessible aux sens, mais que l'on sait si néces-
sairement unie à l'autre que, sans elle, il n'y a pas d'homme. L'a-
pôtre S. Jean avait dit le premier, dans son Évangile : « Et le
Verbe s'est fait chair : » Ef Verbum caro factum est. Lorsque
Notre-Seigneur promet puis institue la très sainte et très adorable
Eucharistie, c'est sa chair et son sang qu'il promet et qu'il donne :
il ne parle pas de son âme. Cependant nous avons cité plusieurs
textes du saint Évangile, dans lesquels il parle de son âme aussi
clairement qu'il a fait de sa chair. Les Pères ont suivi l'exemple
que S. Jean et Jésus-Christ lui-même leur avaient donné. Ils ont
nommé la chair, entendant sous ce nom la nature humaine tout
entière et parfaite, et n'ont parlé explicitement de l'âme que dans
les circonstances qui semblaient le demander. Mais plus tard,
lorsque les hérétiques profitant du silence relatif des anciens Pères,
osèrent prétendre qu'il n'y avait pas d'âme humaine en Jésus-
Christ, ils ont réclamé bien haut les droits de la vérité. Pour ne
citer que TertuUien, il disait ce que les autres Pères venus après
lui ont répété : « Le Christ n'a pas guéri ce qu'il n'a pas pris : »
Quodnon est assumptum non est sanatum. » Il faisait remarquer
combien il serait absurde de dire, avec l'hérétique Marcion, que le
Verbe, venu sur la terre pour délivrer les âmes liumaines, aurait
pris pour lui-même une âme d'une tout autre espèce que celles
qu'il venait délivrer '.
1. Vide card. Franzei.in, Trarlntus de Dpo Tnrartialu, Ihesis XII.
2. Primo (luam al).surduni, ul aiiimam solam lilicralurus (ex opinione Mar-
cionis), id ^'enus corporis eam l'ccerit, quod non eral lihoralurus; deinde si
animas noslras par illam, quam geslavil, liberare suscepcrat, illam quoque
2~i LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. CHAP. VI.
Dans les siècles suivants, les Pères et les Conciles se virent plus
souvent obligés de proclamer l'existence de 1 ame de Notre-Sei-
gneur; ils s'appuyèrent volontiers, pour la prouver, sur cette con-
sidération, que S. Augustin développe dans son livre contre Féli-
cien, uu des chefs des plus marquants de l'arianisme à son époque :
si Jésus-Christ n'avait pas pris une âme, et une àme raisonnable
comme les nôtres, le butde l'Incarnation eût été manqué, puisqu'il
n'aurait pu, sans une àme raisonnable, ni prier, ni mériter, ni sa-
tisfaire. — Une autre raison encore : Le Fils de Dieu s'est incarné
pour racheter l'homme tombé ; il convenait donc, ou plutôt il était
nécessaire qu'il prit de l'homme ce qui avait principalement eu
part à la chute. Or c'est l'àme de l'homme qui est surtout tombée;
c'était donc à elle qu'il devait s'unir avant tout.
quam geslavit, noslr.'iiu gesl.isse debuerat, id est nostrœ formag, cujuscumque
fonnje est in occullo anima nostra, non lamen carnese. (Tertull., de Carne
Chrisli, cap. x.)
Le savant cardinal Franzelin, à qui nous empruntons cette citation, ajoute :
PraUcr Tertullianum, inlcr illos paene omnes vetustiores Patres qui Aria-
nam et Apollinariam lueresim circa Christi animam prœformaverint, Miin-
scher (in sua historia dogmatum), Neander (in suo Tertull iano), De Welte (in
historia ethices christianje) inipudenter recensent Clcmentem Homanum,^
Ignatium M., Juslinum, Irenjeum, Origeiiem in operihus (ut aiunt) scriptis
ante libres contra Celsum. Atqui ex bis PP. omnibus, nullus est qui sicut
carnis, ita et anima; vel integne bumanie naturas veritatem in Cbristo non
discrie professas sit. Clemens, epist. I ad Coritdh., ii, 4i) : « Uominus noster
« Jésus Cbristus in voluntate Patris sanguinem suum pro nobis tradidit, et
« carnem pro carne nostra, et animam pro animabus noslris. » lisdem paene
verbis Iren.-eus, 1. V, cap. i, n. 1 : « \crbum potens, liomo verus.... cum et
« suo sanguine redemerit nos Doininus el'dederit animam ])ro nostris ani-
« mabus. » De Ignalio sufticit animadverlisse (|uod ubique Cbrislum hominem
per/'eriiim, vere natum, vere passum, vere mortuum, vere redivivum docet
resurrectione quae sit exemplar nostra; resurrectionis, e g. ad Smyrn., n. 2, 4 ;
ad Tralian., n. îl; ad Ejfhes., n. 7. Justinus non solum dicit Apologia 2, n. 10,
Cbrislum esse « Verbum, corpus et animam » (cf. August., co«<>\ serm. A rianor.,
n. 7); sed tamen sollicite probat esse vere hominem passibilem, et passum ex
ea anima, qua clamabat : Non mea sed tua voluntas fiât [Dialog. cum Trtjph.,
n. îm, 1»S>), ut mirum sit absurdam suspicionem cuiquam in mentem venire
potuisse. Origenis opus requirunt adversarii scriptum ante libres contra Cel-
sum, ubi doctrinam professus sit de bumana Cbristi anima, quam in libris
contra Celsum agnovisse fatentur : Dabimus libres de principiis, editos^
anno 2;}1, cum centra Celsum anno demum 24!) disputaverit. Ibi de Princip.,
1. II, cap. VI, quod caput totum est de Incarnatione, ila loquitur, n. !{, 4, \i :
<i Necjue anima illa utpote rationabilis substantia contra naturam babuit capere
Dcuni,... Verbum Dei cum anima in carne una..,. Anima Ciirisli cum Verbe
Dei Cbristus efficilur.... Halionabilem animam esse in Cbristo supra osten-
dimus.... Naturam anim<e illius banc fuisse quae est omnium animarum, non
polest dubilari, etc. » (Card. Franzelin, Tract.de Verbolncarnato, thesisXIII.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCIIARISTIE. 273
Le pape S. Damase définit celte vérité comme un dogme de foi,
dans le concile qu'il tint à Rome, et une multitude d'autres con-
ciles ont renouvelé cette définition.
A ces raisons d'autorité, Suarez en ajoute plusieurs autres d'ordre
philosophique.
La première est que Dieu ne peut pas être la forme d'un corps,
car toute forme est quelque chose d'incomplet en soi, et n'atteint
sa perfection que par l'union avec sa matière. Peut-on dire que le
Verbe de Dieu, ou que Dieu, était incomplet avant l'Incarna-
tion ?
La seconde est que, supposé même qu'il fût possible à Dieu de
s'unir à un corps, de manière à ce qu'il en soit la forme, la nature
ainsi composée ne serait pas la nature humaine, puisqu'il y man-
querait la partie la plus essentielle de cette nature. Il y aurait bien
dans le Christ quelque chose de l'homme, s'il s'était ainsi incarné,
mais il ne serait pas véritablement homme.
La troisième atteint directement Terreur des Apollinaristes, qui
n'admettaient en Jésus-Christ qu'une âme sensitive : c'est que
l'àme sensitive n'est pas distincte dans l'homme de l'àme raison-
nable. Une âme purement sensitive n"est pas une âme humaine,
mais celle d'une brute. Puisque le Fils de Dieu s'est fait homme,
il était donc nécessaire qu'avec un corps humain il prît une âme
humaine, c'est-à-dire raisonnable, pour animer ce corps, pour agir,
souffrir et mériter par lui.
S. Thomas enseigne que l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ
était unie à son corps adorable, de la même manière que les autres
âmes humaines le sont aux corps qu'elles vivifient. Jésus-Christ
est homme; il appartient aussi bien que nous à l'espèce humaine;
le lien ([ui unit son âme à son corps doit donc être identique *.
C'est une vérité de foi qui a été définie par le Concile d'Éphèse,
chapitre xiii, où il est dit que le Christ a pris un corps vivifié
1. L'trum sit facta aliqua iinio animas et corporis inChristo?
Respondeo dicendum quod Christus dicitur homo iinivoce cuin aliishomiiii-
bus, utpote ejusdem speciei existens, secundum illud Apostoli [Philijjj)., ii, 7) :
In simililudinem hominum /'acttis. Pertinet aiUein ad rationeni speciei luimanœ
quod anima corpori uniatur : non enini forma consliluit speciem nisi per hoc
quod Ht actus materiae; et hoc est ad quod generatio tenninatur, per quem
natura speciem intendit. Unde necesse est dicere quod in Christo fuerit anima
corpori unifa: et contrarium est hœreticum, ulpote derogans veritali humani-
talis Christi. (S. Tiium., III p., q. ii, art. !J.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 18
274 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. CHAP. VI.
par une âme raisonnable. Le cinquième Concile de Gonstantinople
prononce ranalhème contre quiconque nie que l'union du Verbe
de Dieu s'est faite avec une chair animée par une âme raison-
nable '. Médina cite de nombreux Conciles renouvelant la même
définition, mais qu'il serait trop long de rapporter ici. Terminons
donc en disant, avec Alvarez, que la preuve de cette union de l'âme
et du corps de Notre-Seigneur, ressort avec évidence de l'article
du Symbole des apôtres qui déclare que Jésus-Christ est mort. La
mort consiste dans la séparation de l'âme d'avec le corps, et l'on
ne peut séparer que ce qui est d'abord uni 2.
Lors donc que nous avons le bonheur de prendre comme notre
nourriture le corps adorable de Jésus, ce n'est pas seulement sa
chair qui s'unit à notre substance, c'est son âme raisonnable qui
s'unit à notre âme, pour la sanctifier et la diviniser. Heureux ceux
qui comprennent le prix d'un si grand bienfait; heureux surtout
ceux qui en profilent !
IH.
EN QUEL ORDRE DE PRIORITÉ s'eST ACCOMPLIE l'uNION DU VERBE DE DIEU
AVEC SON AME ET SON CORPS LORSQu'iL s'eST INCARNÉ
La Sagesse divine opère tout avec ordre ; il y a donc lieu de re-
chercher dans quel ordre s'est accomplie la plus grande et la plus
étonnante de ses œuvres, l'union de la nature divine avec la nature
humaine dans le mystère de l'Incarnation. S. Thomas consacre
toute une question ^ et Suarez des pages très nombreuses à l'étude
de cette matière : on peut les consulter avec fruit, mais ici nous
devons nous borner.
Si l'on veut se rendre compte de l'ordre de priorité dans lequel
s'est accomplie l'union hypostatique du Fils de Dieu avec la nature
humaine, c'est-à-dire avec le corps et l'âme qu'il a pris dans le sein
de la bienheureuse Vierge pour nous sauver, il est bon de distin-
guer d'abord deux sortes de priorité, la priorité de temps et la
priorité de raison.
Y a-t-il eu quelque priorité de temps dans l'accomplissement du
i. Si quis non confitetur unitatem Dei Verbi ad carnem animatam anima
rationali esse factam, anathema sit. [Concil. V Constantinop., confess. VIII,
cap. IV.)
2. Alvarez, de Incamatione Christi, disput. xii, art. ÎJ.
3. S. TiiOM., III p., quaest. vi.
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 275
grand mystère? Le Fils de Dieu s'est-il uni à l'àme avant de s'unir
au corps, ou s'est-il uni à l'un et à l'autre avant de s'unir à la na-
ture? Et s'il n'y a pas eu de priorité de temps pour quelqu'une de
ces trois unions, n'y a-t-il pas au moins entre elles des relations de
cause et de dignité, qui font que l'une précède logiquement
l'autre?
Disons tout d'abord que l'union du Verbe de Dieu avec la nature
humaine fut instantanée et complète dès le premier moment. Il
n'y eut rien de successif, mais la création du corps et de l'àme, et
leur union avec le Verbe divin, eurent lieu dans le même instant.
Aucune des parties qui constituent la nature humaine de Notre-
Seigneur n'exista avant l'autre, et la nature humaine, résultat de
l'union de ce corps et de cette âme, assemblés en même temps que
créés, n'exista pas un seul instant sans être hypostatiquement unie
à la personne du Verbe.
Origène avait enseigné la préexistence des âmes, et par consé-
quent celle de l'àme de Notre-Seigneur, qui aurait mérité, dans
une vie antérieure, l'union hypostatiqueavecla divinité ;Nestorius
avait proféré ce blasphème que Jésus-Christ avait d'abord été un
homme comme les autres, mais que ses perfections et ses œuvres
lui avaient valu d'être adopté par Dieu comme son Fils, et uni à
la seconde personne de la Sainte Trinité. Mais l'erreur d'Origène
et l'hérésie blasphématoire de Nestorius furent toujours rejetées
et condamnées par l'Église.
En effet, l'humanité de Jésus-Christ n'exista pas un seul instant
sans être unie au Verbe divin.
C'est une vérité de foi qu'il est aisé de prouver. Dans l'épître
de S. Paul aux Hébreux, nous lisons : « Et lorsque Dieu introduit
« de nouveau son premier-né dans le monde, il dit : Et que tous
« les anges de Dieu l'adorent ^ » Ce premier-né dont parle l'Apôtre,
c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ ; Dieu l'introduisit de nouveau
dans le monde lorsqu'il l'envoya vers nous, prendre notre nature
dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie. Dès ce moment
donc, aussitôt que son humanité fut conçue, il eut droit aux ado-
rations des anges, en qualité de Dieu véritable. L'ange Gabriel di-
sait à Marie en lui annonçant l'Incarnation : « La chose sainte qui
naîtra de vous sera appelée le Fils de Dieu. » Cet être humain
1. Et cum iterum introducit Primogenitum in orbem terne, dicit : Et ado-
rent eum omnes Angeli Dei. [Ilebr., \, G.)
276 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
conçu dans les entrailles de iMarie était donc saint, ou plutôt il
était la sainteté même, dès le premier moment de son existence;
et s'il devait être appelé Fils de Dieu lorsqu'il paraîtrait dans le
monde, c'est parce qu'il l'était tout d'abord.
Aussi les Conciles ont-ils tenu à définir cette vérité avec une
précision qui ne laissât place à aucun doute.
On lit dans les actes du Concile d'Éphèse un canon emprunté à
la lettre de S. Cyrille à Nestorius, que tout le Concile approuva et
sanctionna de son autorité * : « On dit que Dieu est né dans la
« Vierge et qu'il y a été conçu, parce que, dans le sein de la Vierge
« et dans l'acte môme de la conception, il s'est uni à la chair de
« l'homme -. »
Le Concile de Chalcédoine sanctionna à son tour, en l'introdui-
sant dans ses actes, la lettre de S. Cyrille et la définition du Con-
cile d'Éphèse, et il y ajouta de nombreux textes des Pères tendant
à prouver que l'union de la nature divine de Notre-Seigneur avec
sa nature humaine s'est faite dans le sein même de Marie. Dans
ce temps où l'Église avait à se défendre contre l'hérésie de Nesto-
rius, tous les Conciles se faisaient un devoir de rappeler cette doc-
trine. Il fallait que tous les fidèles fussent bien instruits de la vé-
rité et que nul d'entre eux n'ignorât que le Fils de Dieu, en s'in-
carnant, n'avait pas pris un corps ou une àme existant déjà, mais
que ce corps et cette àme avaient éLé créés au moment même de
l'incarnation et n'avaient pas eu, ne fût-ce qu'un instant d'exis-
tence, sans être unis au Verbe divin ^.
L'enseignement des Pères n'est pas moins explicite que celui
des Conciles. Eux aussi aiment à proclamer que le fruit conçu
dans le sein de Marie fut l'Homme-Dieu, dès le premier instant
\. Quod ex te nascetur sanctuin vocabitur Kilius Dei. {Iaic.,i, 313.)
ii. (Dicitur) ideo Deum nalum esse in Virgine et conceptum quia in utero
\irginis, et in ipsa conceplione hominis Deus carni unitus est. {Concil.
Ejihpx. I, can. \iî, ex Epist. S Cyrii.li ad Nentorium.)
3. Incarnatur Verbum Deus; non prsefactse carni copulatur, vel animas
prœexistenli conjunctus, sed tune bis ad subsistcndum venientibus quando
eis ipsurn Verbum et Deus copulatus est.... Et non ante verissimum ipsius
Verbi convenlum in seipsis extiterunt.... Ncc quantum in ictu oculi, banc
quam illam priorem baljentia; simul quippe caro, simul Dei Verbi caro ani-
mata nitionali.s, simul Dei caro animata rationalis. (S. Sopiironii epist. in VI
Synod. œcumenic. lecta et approbata.)
Nec prius in utero Virginis caro concepta est et poslmodum divinitas venit
in carnem. (S. Gregor., in Epist. ad Quirin., apud Act. concilii Francfor-
diensis.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNECR DANS l'eUCIIARISTIE. 277
de son existence ^ S. Bernard résume ainsi cette doctrine : a Car
« le Saint qui naîtra de vous sei^a appelé Fils de Dieu. C'est-
« à-dire, ce n'est pas seulement celui qui du sein de son Père des-
« cendra dans le vôtre, et vous couvrira de son ombre, mais en-
« core ce qu'il empruntera à votre propre substance pour se l'unir
<r à soi, qui seraappelé leFilsde Dieu, lorsque cette unionsera con-
« sommée; et de même que celui qui est engendré du Père
« avant tous les siècles est appelé son Fils, ainsi sera-t-il appelé
« le vôtre. De la sorte, ce qui est né du Père est votre Fils, ce qui
« naîtra de vous sera son Fils ; non pas qu'il y ait deux Fils pour
« cela : il n'y en aura toujours qu'un seul, et quoiqu'il y en ait un
« qui naîtra de vous et un qui soit né de lui, vous n'aurez point
« chacun le vôtre, mais il sera votre Fils à tous les deux '-. » Plus
loin le saint docteur, expliquant ces mots prononcés par Marie :
Qu'il me soit fait selon votre parole, dit encore : « C'est-à-dire
« qu'il me soit fait, au sujet du Verbe, selon ce que vous m'avez dit.
a Que le Verbe qui au commencement était en Dieu se fasse chair
« de ma chair, selon votre parole ! Oui, je le demande à Dieu :
« que le Verbe soit fait, non ce verbe qu'on prononce, qui frappe
« l'air et qui passe, mais un Verbe conçu, fait chair et qui de-
« meure 3. » On voudrait citer jusqu'aux derniers mots les pages
merveilleuses écrites par S. Bernard sur Tlncarnation du Verbe,
mais c'est dans les œuvres mêmes du très pieux et très savant
docteur qu'il faut les lire.
Une des raisons que donnent le plus souvent les Pères, et par-
i. Vere genuit Maria corpus habens in se Deum habitantem, vere natus est
Deus Verbum ex Virgine, vestitus corpore ; vere natus ex vulva, qui corpus
sibi fabricavit ex sanguinibus Virginis. (S. Ignat., epist. ad Tra/h'anos.)
Unus Christus est, et Dei Filius semper natura, et hominis Filius, qui ex
tempore assumpta, non ut prius creatus, post assumeretur, sed ut ipsa
assumptione crearetur. (S. August., lib. contra sermon. Arianor., cap. viii.)
2. Ideoqite et qiiod nascetur ex te sanctum, vocabitur Filius Dei. Id est, non
solum qui de sinu Patris in uterum tuum veniens obumbrabit tibi, sed etiara
id quod de tua substanlia sociabit sibi, ex hoc jam vocabitur Filius Dei, quem-
admodum et is qui a Pâtre est ante saecula genitus, luus quoque amodo repu-
tabilur filius. Sic autem et quod natum est ex ipso Paire, erit tuus, et quod
nascetur ex te, erit ejus; ut lamen non sint duo filii, .sed unus. Kt licet aliud
quideni ex te, aliud ex illo sit;jam non lamen cujusque suus, sed unus
utriusque filius. (S. Behnaiu)., super J/m-us m/, hom. IV, n. i.)
^. Fiat milii de Verbo secundum ^'erbunl luum. Verbum quod erat in prin-
cipio apud Deum, fiai caro de carne mea secundum verbum luum. Fiat, obse-
cro, milii \erbum, non prolalum quod transeat, sed conceptum ut maneat.
(Id., iT-jV/., n. H.)
278 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
liculièrement S. Cyrille d'Alexandrie, de l'union instantanée du
Verbe divin avec la nature humaine de Notre-Seigneur, au pre-
mier moment de son existence, est que si cette union n'avait eu
lieu qu'après la conception de l'humanité à laquelle le Verbe s'est
uni, on ne pourrait pas dire que la très sainte Vierge Marie a
conçu le Fils de Dieu dans son sein, de même que l'on ne dirait
pas que Dieu est mort sur la croix si le Verbe n'avait pas été hypos-
tatiquement uni au corps et à l'âme du Sauveur au moment de sa
mort. D'ailleurs Dieu le voulut ainsi et il convenait que telle fût sa
volonté. Puisqu'il avait résolu de toute éternité que le Verbe s'uni-
rait à la nature humaine, dans le sein de Marie, pourquoi aurait-
il difl'éré de le faire dès le premier instant que cette nature avec
laquelle l'union devait se faire commença d'exister ? Rien ne s'y
opposait, et l'accomplissement du mystère n'était pas plus difficile
pour Dieu au premier moment que plus tard. Si même l'union
avait tardé, que seraient devenus le corps et l'âme créés en vue de
l'union personnelle avec le Verbe? Eussent-ils formé un être ayant
sa personnalité propre, personnalité qui aurait disparu nécessai-
rement au moment de l'union avec la personne du Fils de Dieu?
ou bien se fussent-ils rattachés à la personnalité de Marie, qu'il
aurait fallu quitter de même? ou bien n'en eussent-ils eu aucune,
ce qu'on ne peut concevoir d'un corps et d'une âme réellement
existants et unis ensemble ? Toutes ces suppositions sont inadmis-
sibles et il ne reste debout que la vérité enseignée par la Sainte
Écriture, les Pères et les conciles, et la vérité, c'est que la nature
humaine de Notre-Seigneur n'a pas existé, ne fût-ce qu'un seul
instant, avant son union avec le Verbe.
Plusieurs ont prétendu, et ce fut, comme on l'a dit plus haut,
l'erreur d'Origène, que l'âme de Jésus-Christ avait pu exister
avant d'être unie à son corps, et par conséquent avant l'union du
Verbe avec la nature humaine, puisque cette nature n'est consti-
tuée que par l'union de l'âme et du corps.
Mais il est de foi que l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ
n'exista pas avant son union avec le corps adorable qu'elle devait
vivifier. Il en est d'elle, sur ce point, comme de toutes les autres
âmes humaines. Le pape S. Léon dit en traitant des erreurs d'Eu-
tychès : « De telles paroles me font croire que d'après lui l'âme
« prise par le Sauveur a d'abord habité le ciel, avant de naître de
< la \ ierge Marie, et de s'être unie dans son sein avec le Verbe :
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 279
a mais ni les esprits ni les oreilles catholiques ne tolèrent une
a telle doctrine K » Il ajoute que cette erreur a déjà été condamnée
dans Origène, et ailleurs il dit, en parlant de Jésus-Christ : « Sa
f chair n'était pas d'une autre nature que notre chair, et son
« âme ne lui a pas été inspirée par un autre principe 2. »
La raison en est que l'àme étant la forme du corps, sa nature
demande qu'elle commence d'exister avec le corps lui-même.
L'àme de Notre-Seigneur fut une âme humaine véritable; elle a
dû commencer comme toutes les autres âmes humaines. Rien, ni
dans la Sainte Écriture, ni dans la tradition, ne permet de sup-
poser qu'elle fut sous ce rapport l'objet d'un privilège spécial :
tout s'y oppose au contraire, et le soutenir serait se mettre en ré-
volte contre les définitions de l'Église, qui condamnent cette opi-
nion comme hérétique. Jésus-Christ a commencé d'exister comme
homme dans le sein de la bienheureuse Vierge. Avant le Fiat pro-
noncé par cette auguste Vierge, ni son corps ni son àme n'exis-
taient, mais sa divinité seule qui est éternelle.
Ajoutons que l'àme de Notre-Seigneur ne fut unie au Verbe
divin ni avant de l'être avec le corps, ni après qu'elle l'eut été.
Elle ne fut pas unie au Verbe avant de l'être avec le corps, puis-
que alors elle n'existait pas. Elle ne le fut pas après, car ce corps et
cette àme n'eussent été d'abord ni le corps ni l'àme de personne,
la personne dont ils font partie et en vue de laquelle ils ont été
faits étant la personne du Fils de Dieu.
Ce qui est vrai de l'àme de Notre-Seigneur ne l'est pas moins
lorsqu'il s'agit de son corps adorable. Lui non plus n'a pas existé
avant son union soit avec l'àme, soit avec la divinité de Jésus-Christ.
Parmi les anciens hérétiques, on n'en trouve pas qui aient en-
seigné l'erreur contraire à la vérité catholique sur ce point; sinon
peut-être ceux qui ont refusé au Fils de Dieu fait homme une
àme raisonnable. Parmi les modernes, Calvin, d'après Canisius 3,
a prétendu que le Verbe de Dieu s'était uni à la chair, avant de
s'unir à l'àme du Sauveur.
\. Arliitror enim talia proloquentem hoc habere persuasum, quoil anima
quain Salvator assumpsit, prius in cœlis sit commorata, quam de Maria Vir-
gine nasceretur, eamque sihi Verbiim in ulero copularit : scd hoc calhoHcae
mentes auresque non tolérant. (S. Léo, Epist. II.)
a. Nec alteriu.s lamen naturaî erat ejus caro, quam nostra, nec alio illi,
quam c<eteri.s hominibus, anima est inspii-ata principio. (II)., ibid.)
3, Canisiis, lib. III de B. Maria, cap. xxi.
280 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
La foi nous enseigne que la chair de Jésus-Christ, ou son corps
humain, ne fut pas conçue avant son union soit avec Tàme, soit avec
la divinité, double union de laquelle résulta l'existence du Verbe
incarné. La matière dont fut formé ce corps adorable existait d'a-
vance, puisqu'elle fut empruntée à la substance corporelle de la
bieniieureuse Vierge ; mais elle n'était en aucune manière dis-
tincte et séparée de son corps et de sa chair virginale ; elle faisait
partie de sa personne. Mais au moment de la conception, ces élé-
ments corporels furent séparés, par la toute-puissance de Dieu, du
reste de la chair de Marie, et devinrent un corps à part, le corps
d'une nouvelle créature humaine, à laquelle fut donnée une âme,
et en même temps que ce corps et cette âme étaient unis, comme
le sont entre eux le corps et l'âme de tout descendant d'Adam, le
Verbe divin se les appropriait l'un et l'autre, se les adaptait, pour
ne faire plus désormais avec eux qu'une seule et môme personne,
la personne du Fils de Dieu fait homme. Comme l'ont défini les cin-
quième et sixième conciles généraux, et plusieurs autres après
eux, la chair de Jésus-Christ a été simultanément chair et chair du
Verbe, et le Verbe n'a pas pris cette chair sans qu'elle fût en même
temps vivifiée par une âme raisonnable.
Le Verbe divin, en s'unissant au corps formé dans le sein de Marie
par une opération merveilleuse de la puissance, de la sagesse et
de l'amour de Dieu, prit en môme temps toutes les parties néces-
saires â l'intégrité du corps humain. Ce ne fut pas seulement un
corps rudimentaire, les quelques linéaments premiers d'un corps,
mais bien un corps parfait organisé, pourvu de tous ses membres,
comme doit l'être celui d'un enfant qui n est pas encore né, mais
auquel il ne manque rien de ce que doit posséder l'enfant à
l'heure de sa naissance. Cet enfant, à peine conçu, était déjà un
homme, selon la parole du prophète Jérémie annonçant ce fait
comme un prodige extraordinaire : « Une femme renfermera un
homme dans son sein : Fœmina circumdabit virum '. » Avec le
temps, ces membres délicats mais parfaits devaient se développer ;
le petit enfant prendrait tous les dehors de la jeunesse, puis de
l'âge mùr; mais dès le premier instant, rien ne lui manqua de ce
qui est essentiel ou convenable pour l'intégrité de la nature hu-
niaine. Il n'eut pas été digne du Verbe de Dieu, ni digne d'une
\. Jn-nm., xxxi, ï>2.
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 281
àme aussi parfaite que celle de l'Homme-Dieu, et éclairée d'aussi
vives lumières, de se trouver uni à quelque masse plus ou moins
confuse de matière, destinée à prendre forme et à s'organiser avec
le temps. Au Fils de Dieu se revêtant de la nature humaine, il
fallait un corps parfait et une àme parfaite, capables l'un et l'autre
de la seconder dès le premier moment, dans la grande œuvre qu'il
venait entreprendre, la glorification de son Père par la rédemption
des hommes.
Mais si, lorsque le Verbe divin s'est uni à la nature humaine et
à chacune des parties qui la composent, cette union s'est faite en
même temps pour la nature, pour Tàme et pour le corps, il faut
cependant reconnaître qu'un certain ordre y exista ; il n'y eut pas
de priorité de temps, mais il y eut celle qui résulte de l'intention
et des relations de cause et d'effet.
On peut dire que le Verbe de Dieu s'est uni à la chair par l'in-
termédiaire de l'àme et que, par conséquent, l'union avec l'àme
passe avant celle qui eut lieu avec le corps; elle a le premier rang
non seulement par convenance, parce que l'àme l'emporte sur le
corps, mais aussi par nécessité. Les Pères ont souvent donné à en-
tendre que tel était leur sentiment. S. Grégoire de Nazianze dit
plusieurs fois en propres termes que Dieu s'est uni à la chair par
l'intermédiaire de l'àme '. S. Ambroise s'exprime ainsi dans son
traité sur le Symbole : « Le Verbe, la substance de Dieu qui est
« absolument incorporelle, ne pouvait pas s'unir au corps humain,
« sans l'intermédiaire de quelque nature spirituelle, et cette nature
« est l'àme '. » Rufin compare le Verbe de Dieu à la lumière qui
illumine noire corps tout entier et que notre œil cependant est
seul à percevoir. C'est par ses yeux que le corps jouit de la lumière
et lui est principalement uni. De même, le Verbe né de la Vierge
\. Ob hanc causam, Deus animae interventu, carni junclus est ; ac res
inter se distinctae ac dissidentes per interpositœ rei, cum utraque illarum
affinilatem et cognalionem copulatae sunt : atqiie omnia propter omnia, et pro
uno illo generis nostri principe in uniim coierunt. ^S. Grecok. Nazianz.,
orat. I.)
Per intermediam mentem, ^'erbum cum carne conjunctum est. (lo.,
oral. XXXV.)
Mens menti ut propinquiori et conjuncliori jungitur, ac per eam carni,
inter divinitatem et cariiis molem intervcnienlem. (U)., Kpist. I nd Cledon.)
2. \erbum et substanlia Dei, qu!C per omnia incorporea est, corpori bumano
inseri non poterat nisi alitiua spirilab natura mcdiante, id est anima. (S. Am-
BROS., tract, de Symùolo, abas de Trinitale.)
282 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
est principalement uni à l'àme du Seigneur, et par Tàme il est uni
au corps, qui sans elle serait peu propre à cette union K S. Au-
gustin parle de même. La « divinité, dit-il, s'est adapté une àme
« raisonnable et par cette àme un corps humain, c'est-à-dire
« l'homme tout entier -. >•> Et ailleurs : « Le Verbe s'est incarné par
l'intermédiaire de l'àme raisonnable ^. » S. Grégoire le Grand en-
seignait la même doctrine *, que l'on trouvait déjà plusieurs siècles
auparavant dans les œuvres d'Origène '^.
Si l'on rencontre souvent chez les Pères l'expression de cette
vérité, il faut l'attribuer à l'utilité qu'ils en retiraient pour réfuter
les Apollinaristes qui refusaient à Jésus- Christ une àme raison-
nable, et les païens qui tournaient en dérision nos plus admirables
mystères. L'union du Verbe divin avec sa chair, par l'intermé-
diaire de son âme raisonnable, supposait nécessairement l'exis-
tence de cette àme et par conséquent ne laissait pas de place à
l'erreur d'Apollinaire. D'autre part, elle mettait à néant les objec-
tions des philosophes païens qui reprochaient aux chrétiens d'ad-
mettre qu'une nature infiniment simple, telle que la divinité qu'ils
adorent et reconnaissent pour leur Dieu, se soit unie à quelque
chose de grossier et de matériel comme le corps humain. L'àme
humaine, disaient nos saints docteurs, est spirituelle; cependant
elle est unie à un corps sans qu'il y ait rien dans cette union d'in-
digne ni de dégradant pour elle. Pourquoi trouverait-on qu'il soit
inadmissible qu'un esprit s'unisse à un esprit, quand nous voyons
un esprit s'unir à un corps? Et si Dieu, qui est esprit, peut s'unir
1. Sicut lux omnia membra corporis ilhistrare quidem potest, a nuUo tamen
eoruni, nisi a solo oculo capi potest ; solus est enim ociilus qui capax est lu-
cis. VA Filius erf,'o Dei nascitur ex Virgine, non principaliter soli carni socia-
tus; sed in anima in carnenri Deumque média generatur. Anima ergo média,
et in sécréta ralionahilis spiritus arce Verbum Dei capiente, absqueulla quam
suspicaris injuria, Deus est natus ex Virgine. (Rufin., in Symbolum.)
2. Ipsa (Deitas) animam ralionalem et per eamdem etiam corpus humanum
totumque omnino hominem sibi coaptavit. (S. August., Epist. CXXXVII, alias
III, ad Volusiaiiiim.)
3. Verbum particeps carnis effectum est rationali anima mediante. (Id.,
Epist. CXL, alias CXX, cap. iv.)
A. Dominus per divinitatem lumen est; quod mediante anima, in ejus
utero (H. Virginis), fieri dignatus est per humanitatem corpus. (S. Gregor.
Mag., lib. XVIII Mornl., cap. xx.)
!J. liac ergo substantia animîE inter Dcum carnemque mediante : non enim
possibile erat, Dei naturam corpori sine mediatore misceri. (Origen., lib. II
de Prinripiis, cap. vi.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'EDCHARISTIE. 283
à l'àme humaine en cette qualité, rien n'empêche que de cette
union résulte à son tour l'union avec le corps vivifié par cette
àme »?
Il est donc légitime de conclure que l'union de la divinité avec
la chair en Notre-Seigneur s'est faite par l'intermédiaire de l'àme :
il convenait et l'on peut dire qu'il était nécessaire qu'il en fût
ainsi.
Mais, dira-t-on peut-être, puisque l'àme humaine, qui est spiri-
tuelle, s'unit immédiatement au corps, pourquoi n'en serait-il pas
de même du Verbe divin ? C'est que l'âme est une partie nécessaire
de l'homme; elle est faite pour s'unir au corps, et sans cette union
elle n'aurait pas de raison d'exister. Il n'en est pas de même delà
divinité, substance totale et adéquate, qui ne fait pas partie d'un
tout, mais qui est complète et infiniment parfaite en elle-même.
Elle se suffit, tandis que l'âme humaine ne se suffit pas. Il est vrai
que pendant les trois jours de la mort de Notre-Seigneur, sa divi-
nité resta unie â son corps, quoique son âme en fût séparée, mais
cette union qui persévéra avait été opérée par l'intermédiaire de
l'àme, et il faut remarquer que pendant ces trois jours, le corps
du Sauveur, tout uni qu'il fût avec la divinité, n'accomplit aucun
acte humain ; il n'était pas dans l'ordre qu'il agît sous l'impulsion
du Verbe divin, mais sous celle de l'âme, par l'intermédiaire de
laquelle il lui avait été uni.
Il faut ajouter enfin que, dans l'intention de Dieu, l'union avec
la nature humaine passait avant l'union avec l'une ou l'autre des
parties sans lesquelles cette nature n'existe pas ou n'est pas com-
\. Conchisio istis rationibus confirmatur. -loNatura spiritualis perfecta et
compléta quce non nata est ut sit alterius pars, non potest cum substantia
corporea seipsa immédiate conjungi. 2o Divinitas ex sese veritas est, sapien-
tia, sanctitas : at caro immédiate ac per se incapax est veritatis, sapientiae et
sanctitatis. 3° Deus longe facilius attingitur operatione, quam substantia :
cum ergo substantia materialis ac corporea operatione sua Deum atlrectare
non possit, quanto minus propria et immediata substantia. 4° Substantia cor-
porea nonnisi animai interventu gratiae et sanctitatis capax est : ergo nec
increatam ac substantialem divinte personaegraliam, nonnisi anima mcdiante,
percipere potest. b° Non corpora, sed aninicC justorum dicunlur esse sedes
sapientiaî et sanctitatis. 0° Vis tota Incarnationis divinœ sita est in altissima
divinitatis in naturam assumptam immealione ; lia-c porro immeatio deitatis
in carnem, vix intelligi potest sine interventu animie spiritualis.
Ista rationum momenta eleganter collegit Pctrus Cluniacensis abbas, lib. II
Epist., epist. I.
Vide TouRNELY, de Incarnat ione, quaest. vm, circa fincni.
iî84 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE — LIVRE II. — CHAP. VI.
plète. Ce que le Verbe divin avait en vue, c'était de se faire homme
semblable à nous et de même origine que nous : il voulait donc
prendre notre nature et, par voie de conséquence, s'unir à une âme
et à un corpscomme les nôtres. Dans Tordre de l'exécution, l'union
avec le corps et avec l'âme devait passer la première, mais, comme
fin, cette union ne venait qu'en second lieu et comme condition de
la fin premièrement voulue, qui était l'union en unité de personne
avec la nature humaine. Et parce que la nature humaine n'existe
que par l'union du corps et de l'âme, dans l'intention de Dieu,
cette union du corps et de l'âme passait avant l'union du Verbe
soit avec l'âme, soit avec le corps pris à part, quoique dans l'ordre
de l'exécution, l'existence du corps et celle de l'àme fussent logi-
quement nécessaires avant leur union entre eux, et qu'en môme
temps leur existence fût liée d'une manière si intime à leur union
avec le Verbe qu'elle en fût inséparable. Quant aux qualités acci-
dentelles de riiumanité de Notre-Seigneur, leur union avec le
Verbe n'étant qu'une conséquence de son union avec le corps et
l'âme dont elles étaient les accidents, elle ne venait logiquement
et intentionnellement qu'après l'union avec la nature humaine et
les deux principales parties dont cette nature se compose.
Mais n'oublions pas que si l'on peut distinguer ainsi un ordre
de priorité dans l'union entre le Verbe, la nature humaine et ses
diverses jKirties, cette priorité est purement logique; dans l'ac-
complissement du grand mystère de l'Incarnation tout s'est fait en
un moment indivisible. Marie a prononcé son Fiat mi/ii secun-
dum verbum tuum: « Qu'il me soit fait selon votre parole; » au
même instant, la nature humaine du Sauveur a été formée dans
son sein, parfaite autant que peut l'être l'œuvre par excellence de
Dieu, et dans le même instant indivisible, le Verbe divin s'est uni
à ce corps et â cette âme, pour ne s'en séparer jamais.
C'est ce corps de Notre-Seigneur avec toutes les parties qui le
composent; c'est son âme avec toutes les perfections qui la dis-
tinguent ; c'est sa divinité unie par un lien indissoluble à ce corps
et à cette âme adorables que nous possédons dans la Sainte Eucha-
ristie, que nous adorons, que nous offrons en sacrifice et que nous
l'i-.'iH.ns pour notre nourriture !
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCIIARISTIE. 285
IV.
UNION DE TOUTES LES PARTIES INTÉGRANTES DU CORPS DE NOTRE-SEIGNEUR,
ET PARTICULIÈREMENT DE SON SANG, AVEC SA DIVINITÉ
Le Verbe de Dieu, en se faisant homme, ne pouvait pas prendre
une nature amoindrie et mutilée. Il prit la nature humaine et il
la prit parfaite. Le corps auquel il daigna s'unir était donc com-
plet et il n'y manquait rien de ce que réclame l'intégrité d'un
corps humain. Cette conclusion, dit Suarez i, est absolument cer-
taine ; tous les théologiens et tous les Pères, qui ont traité ce point,
en demeurent d'accord. L'Écriture, il est vrai, ne dit rien explici-
tement de l'intégrité de la nature humaine en Jésus-Christ; il lui
suffit de nous révéler que le Fils de Dieu s'est fait homme, en pre-
nant notre nature telle qu'il l'avait créée en Adam, pour que nous
ne puissions douter que tout ce qui est essentiel à cette nature, ou
contribue seulement à sa perfection, se trouve en lui. Ainsi l'ont
entendu les Pères et les Conciles, lorsqu'ils ont répété à l'envi que
le Verbe a pris notre corps, et qu'il l'a pris tel que fut celui du
premier homme.
La raison en est facile à comprendre : cette perfection était exi-
gée parla majesté du Verbe de Dieu, dont ce corps devait être le
propre corps, et par la toute-puissance du Saint-Esprit, dont il de-
vait être l'ouvrage le plus grand et le plus parfait.
Le corps humain est un composé de parties nombreuses : il y
a la chair, les os, le sang et d'autres humeurs, toutes choses in-
dispensables pour que l'homme possède et conserve la vie ; il y a
les dents, les ongles, la barbe, les cheveux, sans lesquels on peut
vivre, mais que l'intégrité du corps réclame plus ou moins impé-
rieusement. Toutes ces parties ne sont pas autre chose que le corps
lui-même, et aucune d'entre elles ne lui est étrangère, tant qu'elle
lui demeure unie. Le Verbe divin, en prenant un corps, s'est donc
uni à tout ce qui composait ce corps, et l'on ne voit pas trop sur
quelle raison on pourrait s'appuyer pour dire que les cheveux de
Noire-Seigneur .lésus-Christ, par exemple, n'étaient pas unis à sa
divinité, aussi longtemps du moins qu'ils demeuraient fixés sur
son chef adorable.
1. Suarez, in ///. jKirtem 1). Thomx, disp. xiil, sect. v.
286 LA SAINTE EDCHARISTIE. — 11^ PARTIE, — LIVRE II. — CHAP. VI.
Mais entre les parties composant le corps du Seigneur, il en est
une dont l'union avec le Verbe divin a pour nous une importance
plus grande, si l'on peut ainsi dire, que l'union des autres parties
avec ce même Verbe : c'est son sang précieux, ce sang versé sur
la croix pour la rédemption des hommes et devenu pour eux, dans
l'Eucharistie, le breuvage du salut.
Les mêmes hérétiques qui, dans les premiers siècles, ne vou-
lurent pas reconnaître que le corps de Notre-Seigneur fût un corps
véritable, prétendirent de même que son sang n'avait rien de réel
mais n'était qu'une apparence de sang : il est inutile de s'arrêter
à réfuter cette grossière erreur, depuis longtemps abandonnée de
tous.
D'autres hérétiques, appartenant à la secte de Calvin, et particu-
lièrement Osiander, imaginèrent, pour combattre la Sainte Eucha-
ristie, de dire que Jésus-Christ ayant perdu tout son sang au
temps de sa passion et de sa mort, il n'en était rien resté qui ne
fût pas dissipé et corrompu ; mais cette erreur, ou plutôt cette hé-
résie, est réfutée par toutes les preuves que l'on possède de la ré-
surrection de Notre-Seigneur. Ce qui est vrai de sa chair l'est
aussi de son sang ; ce n'est pas une partie de son humanité, c'est
son humanité tout entière qui a passé de l'état de mort à la vie de
la gloire, par la résurrection ; c'est de Jésus-Christ tout entier
qu'il est dit : « Vous ne permettrez pas que votre saint soit sujet à
« la corruption K »
Quelques graves théologiens anciens, tels que Durand, Gabriel
et plusieurs autres, ont dit que le sang de Notre-Seigneur n'était
pas uni immédiatement à la personne du Verbe, mais seulement
d'une manière secondaire, par la raison qu'il se trouvait dans la
chair humaine à laquelle le Verbe était directement uni. Le sang,
selon eux, aurait gardé sa subsistance propre et indépendante,
d'où il résulterait qu'après la mort de Jésus-Christ, son -sang eût
été séparé de sa divinité, comme il l'était de son corps, jusqu'au
moment de sa résurrection.
D'autres ont pensé que le sang de Jésus-Christ était hypostati-
quement et immédiatement uni à la divinité, tant qu'il ne fut pas
répandu au dehors, mais que cette union cessa par l'effusion de
ce sang précieux, qui ne recouvra cette union qu'au moment de
i. Non dabis sanctum tuum videre corruptionem. (Ps. xv, /lO.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 287
la résurrection. Telle fut l'opinion de François de Mairon, d'Avila
et du cardinal de Saint-Pierre.
D'autres ont distingué deux sortes de sang, celui qui est encore
imparfait, impur, et qui sert uniquement à entretenir la vie, et
celui qui, arrivé à sa perfection, n'est plus seulement une nourri-
ture pour le corps, mais participe à sa vie. Ce second sang seule-
ment aurait été unià la divinité. Cajétan el Sylvestre embrassèrent
cette opinion, quoique cette distinction de deux sortes de sang ne
reposât sur rien ; la science d'aujourd'hui en démontre toute l'ina-
nité.
D'autres ont pensé, et l'on peut attribuer cette opinion à Valen-
tia, que tout le sang de Jésus-Christ était hypostatiquement uni au
Verbe, et que cette union a persisté pour les gouttes qui appa-
raissent encore, soit sur les épines de la couronne, soit sur le suaire
dans lequel le Seigneur fut enseveli ; de sorte que le culte de la-
trie leur est dû, comme à la Sainte Eucharistie elle-même.
D'autres enfin disent que le sang de Notre-Seigneur, hypostati-
quement uni au Verbe, a gardé cette union pendant les trois jours
qu'il fut séparé de son corps divin ; ils en exceptent quelques par-
ties que Jésus-Christ n'aurait pas reprises, mais laissées sur la
terre, au moment de sa résurrection. Ce sang ainsi délaissé
aurait perdu l'union avec le Verbe au moment même de son effu-
sion.
Dans cette variété d'opinions, quelle doctrine convient-il d'a-
dopter ?
Sans entrer, à la suite de Vasquez, de Suarez, du cardinal de
Lugo, dans tous les développements que comporte la réponse à cette
question, donnons, en quelques mots, les conclusions auxquelles
ils s'arrêtent, et presque tous les théologiens avec eux.
La première conclusion est que, contrairement à l'opinion de
Durand, la première que nous avons citée, le sang de Jésus-
Christ a été, comme il est encore, immédiatement et hypostati-
quement uni à sa divinité, par le mystère de l'Incarnation.
Telle était déjà l'opinion universelle des théologiens au temps de
Vasquez et de Suarez, et l'on n'en trouverait pas un seul aujour-
d'hui qui enseigne le contraire. On ne peut pas dire avec certi-
tude que l'opinion de Durand ait été condamnée, du moins comme
hérétique; mais la soutenir serait une très grave imprudence et un
péché contre la foi.
588 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. VI.
La première preuve de l'union hypostatique du Verbe divin avec
le sang de Jésus-Christ est que notre rédemption est attribuée à
ce sang adorable. L'Écriture nous dit que nous sommes, par lui,
purifiés, blanrhis, sanctifiés. Il est vrai cependant que la moindre
des œuvres de Notre-Seigneur aurait suffi à notre rédemption, si
telle avait été la volonté de Dieu, et qu'on peut dire que nousavons
été sanctifiés par ses fatigues, ses soufl'rances, ses douleurs qui
certainement ne lui étaient pas liypostatiquement unies, mais ti-
raient leur infinie valeur de celui qui les offrait pour nous. De
même, l'eflusion du sang de Jésus-Christ aurait pu suffire à notre
rédemption, si même il n'avait pas été immédiatement uni à la
personne du Verbe. Cette preuve, si elle était seule, ne suffirait
donc pas ; mais il en est d'autres plus probantes.
Citons, en premier lieu, ces paroles du pape Clément VI :
« \ictime innocente immolée sur l'autel delà croix, Jésus-Christ
« ne s'est pas contenté de répandre une petite goutte de sang, qui
« cependant aurait suffi pour la rédemption du genre humain, à
« cause de son union avec le Verbe ; maison sait qu'il a versé son
« sang à flots '. » Ces mots, à cause de son union avec le Verbe,
ne peuvent pas se rapporter à l'humanité de Notre-Seigneur dont
il n'est aucunement question, tandis qu"il s'agit expressément du
sang. C'est donc le sang qui est uni au Verbe, de telle sorte que
cette union lui donne un prix suffisant pour notre rédemption. Ce
prix ne lui vient pas uniquement de celui qui le verse, mais il le
possède en lui-même parce qu'il est un sang divin, le sang d'un
Dieu.
Les textes des Pères et des Conciles ne manquent pas, qui disent
expressément que le Verbe a pris non seulement la chair, mais le
sang essentiels à la nature liuinaiiie, et qu'il se les est unis.
S. Cyrille d'Alexandrie écrivit à Nestorius une Ictlre, qui fut
approuvée par tous les Pères du Concile de Nicée; on y lit : « Ces
a mots : Le. Verbe, s est fait chair, ne signifient qu'une chose 2 : il
1. l)e minijume Christi sic ait : Quem in ara crucis innocens immolatus,
non gutlam sanguinis modicam, (luœ tamen propter unionem ad Verbum pro
redomplione tolius liurnani generis .sufficiel:)at ; sed veliU (|uoddam profluvium
noscitur rlîudisse. (Clemens VI, in Extravaganli Unif/cnitus, de pœnilentiis et
rcmissioni/ius.)
2. Verlmm factum est caro, nihil aliud est quam quod in carne, et sanguine
nobis cornmunicavit; ac nostrum corpus sibi proprium effecit. (S. Gyrill.
Alex., cpist. Vlil ad Nestorium.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNECR DANS l'eUCHARISTIE. 289
« a communiqué avec nous par le corps et le sang ; il s'est appro-
« prié notre corps. » Et si l'on veut un texte plus expressif encore,
du môme saint docteur, il disait dans une homélie prononcée au
Concile d'Éphèse : « Le Verbe de Dieu, tout Dieu qu'il soit, a
« pris notre chair et notre sang K » Et ailleurs : « Nous confessons
« que Dieu est dans la chair et dans le sang 2. »
Mais la meilleure preuve de cette vérité consiste en ce point
que le sang fait partie de la nature humaine, et que Jésus-Christ,
en s'unissant hypostatiquement à cette nature, a dû s'unir de la
même manière à toutes ses parties. « Nous disons que toute la,
« substance divine s'est unie à toute la nature humaine, » dé-
clare S. Jean Damascène ; et il ajoute : « Tout entier il m'a uni
« à lui tout entier, et c'est un tout qui a été joint à un tout 3. »
Le saint Concile de Trente déclare que, dans l'adorable sacrement
de l'Eucharistie, « le corps de Notre-Seigneur se trouve aussi sous,
« l'espèce du vin, et son sang sous l'espèce du pain, et son âme
« sous l'une et sous l'autre, en vertu de cette liaison naturelle, et
« de cette concomitance, par laquelle ces parties, en Notre-Sei-
« gneur Jésus-Christ qui est ressuscité des morts, et qui ne doit
« plus mourir, sont unies entre elles ^. » Le saint Concile déclare,
par ce texte, que le sang de Notre-Seigneur est véritablement une
partie de lui ; il part même de cette vérité pour conclure que le
corps et l'âme se trouvent dans l'Eucharistie sous l'espèce du vin,
en vertu de la concomitance et de l'union des parties, avec le sang
précieux dont les paroles de la consécration du calice parlent uni-
quement. Jésus-Christ est donc tout entier où son sang se trouve,
parce que ce sang fait partie de lui. Cependant on ne peut pas
dire qu'il soit une partie de sa divinité. C'est à son humanité qu'il
se rattache ; c'est elle dont il fait partie, c'est elle qu'il complète,
1. Licel enirn Verbum Dei, cum Deus sit, carnem assumpserit, ac sangui-
nem. (Id., homilia habita in Concilio Ephesino.')
2. Confitemur quod Deus est in carne et sanguine. (Id., in Apologetico, in
defensione anatheinatismi decimi.)
3. Omni humauce naturae unitamdicimus omnem divinitatis suhstantiani....
totum enim me totus nssumpsit, et totus toti unitus est. (S. Damascen.,
lib. III Fidei orthodox., cap. vi.)
i. Ipsum aulem corpus sub specie vini et sanguincm sub specie panis,
animamque suit utraque, vi naturnlis illius connexionis et concomitanlia.', qua
parles Cbristi Domini, qui jam ox mortuis resurrexit, non amplius morifurus,
inter se copulantur, Divin ilatem porro propter admirabilein illam ejus cum
corpore et anima hypostaticain unionem. {Concil. Trid., scss. XIII, cap. m.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 19
290 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE M. — CHAP. VI.
de telle sorte que ni l'âme ni le corps de Jésus-Christ n'en sau-
raient être séparés, même dans l'Eucharistie, depuis la résurrec-
tion. Partie essentielle de l'humanité du Sauveur, il est donc,
comme l'âme et le corps, hypostaliquement uni à sa divine per-
sonne, en laquelle il subsiste comme l'âme et comme le corps, et
au même titre qu'eux.
Si le sang n'était pas une partie, et il faut dire une partie
intégrante de l'être humain, pourquoi ressusciterait-il? Pourquoi
Notre-Seigneur aurait-il repris, en sortant du tombeau, le sang-
versé pour notre rédemption, ce sang qu'il continue d'offrir en
sacrifice sur les autels, pur le ministère du prêtre, et qu'il nous
donne avec sa chair, pour vivifier nos âmes? La chair glorifiée
n'en a pas plus besoin pour son entretien qu'elle n'a besoin de
nourriture. Cependant il ressuscite, comme tous les organes inté-
rieurs de la nutrition, qui n'ont plus de fonctions â remplir. Mais
ces organes, et le sang avec eux, font essentiellement partie du
corps humain, et ils ressuscitent pour que ce corps soit complet,
pour que la nature humaine ait toute la perfection qui lui convient,
et qu'elle jouisse, dans une intégrité complète, de la vie réservée
aux corps glorifiés. Il convenait donc que le Verbe de Dieu, pre-
nant un corps semblable aux nôtres, s'unît non seulement à la
chair et aux os, mais aussi et de la même manière, c'est-à-dire
hypostatiquement, au sang qui coulait dans les veines de ce corps
et qui y conservait la chaleur et la vie.
La seconde conclusion à laquelle nous nous arrêterons, à la
suite du cardinal de Lugo, est que tout le sang du Christ fut
Iiypostatiquement uni au Verbe de Dieu, contrairement â ce
qu'ont avancé Cajétan et quelques théologiens dont l'opinion a été
rapportée plus haut. Déjà, du temps de Suarez, il eût été difficile
de trouver un théologien pour soutenir qu'il fallait distinguer en
Notre-Seigneur deux qualités de sang, dont l'une aurait été unie
à la divinité, tandis que l'autre ne l'aurait pas été. Suarez dit
qu'une telle distinction n'est ni pieuse ni sûre. Toutes les preuves
qui établissent l'union de la divinité de Jésus-Christ avec son sang
démontrent également que cette union exista pendant sa vie mor-
telle, non pas avec une partie seulement de ce sang adorable, mais
avec le tout. C'est ainsi que le pape Clément VI, en disant qu'une
goutte du sang de Notre-Seigneur aurait suffi pour la rédemption
du monde, â cause de son union avec la divinité, se garde bien de
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 291
distinguer entre goutte et goutte. N'importe laquelle aurait suffi,
parce que tout le sang et toutes les gouttes qui le composaient
étaient unies au Verbe. De même, lorsque les Pères disent, en cent
endroits, que le Fils de Dieu s'est uni à la chair et au sang de
l'homme, ils parlent du sang en général, comme ils font de la
chair. Dira-t-on qu'ils ont entendu que le Verbe ne s'était uni qu'à
une partie de la chair qui composait son corps? Non sans doute.
Pourquoi dire alors du sang ce qu'on ne dit pas delà chair, lorsque
le mode de s'exprimer est le même ? De même encore pour la
Sainte Eucharistie. Lorsque Notre-Seigneur eut prononcé les pa-
roles de la consécration, tout son sang qui devait être versé, c'est-
à-dire tout le sang qui circulait alors dans son corps adorable, se
trouva, par la vertu toute-puissante de ses paroles, dans le calice,
et en même temps sous l'espèce du pain, comme il se retrouve au-
jourd'hui sur l'autel à la voix du prêtre. Mais s'y retrouverait-il
tout entier, si une partie quelconque n'avait pas été hypostatique-
ment unie à la divinité ? Surtout, cette partie serait-elle sous
l'espèce du pain, avec ce qui aurait l'honneur de l'union hypos-
tatique? On voit à quelles conséquences étranges et tout à fait
inadmissibles mènerait l'opinion de Cajétan. Aussi est-elle univer-
sellement repoussée. S. Thomas admet S il est vrai, que Notre-
Seigneur a pu, lorsqu'il ressuscita, ne pas reprendre une partie du
sang qu'il avait versé pendant sa passion ; mais il parle d'une su-
rabondance de sang qui pouvait exister et qui n'était pas plus né-
cessaire à l'intégrité de sa nature que la salive dont il se servit
pour délayer la terre, afin d'en guérir l'aveugle-né, ou la sueur
et les larmes qu'il répandit en diverses circonstances.
Troisième conclusion : Pendant les trois jours de la mort de
Notre-Seigneur, tout son sang demeura hypostatiqiiement uni
à sa divinité. C'est la doctrine de S. Thomas que suivent Suarez,
Vasquez, De Lugoet.l'on peut dire, tous les théologiens. S. Thomas
dit, en parlant de l'union de la chair sacrée du Sauveur avec sa
1. In resurrectione tam Chrisli, quam noslra. tolum qnnd fuit de veritate
humanae naturae reparaljitur, non autem illa, quae de veritate humanae na-
turae non fuerunl : et quamvis circa ea quae siint de veritate liuniante nalurœ,
sit diversa diversorum opiiiio, secundum quamlibet tamen non lotus sanguis
nutrimentalis, id est qui ex cibis generatur, pertinet ad verilatem humanse
naturae. Cum ergo Christus concederet, etc., nihil prohibet, in eo fuisse ali-
quem sanguincm nutrimentalem, qui ad veritatem humanae naturae non per-
tineret. (S. Thom., Qtiodlih. V, q. in, art. «.)
i9â LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
divinité, qui persévéra pendant les trois jours de sa mort, que ce
que Dieu donne par grâce, il ne le reprend pas, à moins d'y être
obligé par la faute de celui qui fut l'objet du bienfait. Car, selon
la parole de S. Paul : « Les dons de Dieu et son appel sont sans
« repentance '. » Or la grâce d'union en unité de personne avec
le Verbe, faite à la chair du Sauveur, est bien supérieure à la
grâce d'adoption elle-même, qui sanctifie les autres élus et que nul
ne perd sinon par sa propre faute. Or jamais il n'y eut de péché en
Notre-Seigneur Jésus-Christ ; jamais, par conséquent, la grâce de
l'union hypostatique ne put être révoquée; et de même que sa
chair fut unie au Verbe pemlant sa vie, de même elle le fut pen-
dant les trois jours de sa mort '-. Le raisonnement du saint doc-
teur pour prouver que l'union hypostatique avec la divinité persé-
véra, pendant la mort de Notre-Seigneur, pour sa chair adorable,
a la même force absolument si on l'applique au sang qu'il a versé,
et si S. Thomas ne fait pas cette application, c'est qu'il lui semble
inutile d'insister sur une vérité qui éclate d'elle-même. Il ajoute,
après S. Damascène, cette raison de la persévérance de l'union
hypostatique pendant ces trois jours, qu'il y aurait eu sans elle un
changement inacceptable et impossible. La personne du Verbe
aurait cessé d'être unie à toute la nature humaine, et le corps,
l'âme et le sang de Jésus-Christ, qui n'avaient point d'hypostase
autre que le Verbe, auraient dû, ou cesser d'exister ou recevoir
une autre hypostase, ce qui est inadmissible 3.
1. Sine pœnilentia sunt dona Dei, et vocatio. {Rom., xi, 21).)
2. Illud quod per gratiam Dei conceditur, nunquam absque culpa revoca-
lur. Undc dicitur [Rom., xi, 2'J), quod sine pœnilentia sunt dona Dei, et voca-
tio. Mullo autem major est gratia unionis per quam divinitas unila est carni
Chrisli in persona, quam gratia adoptionis, per quam alii sanctificantur ; et
etiain magis ])ermanens ex sui rationc, quia liaec gratia ordinatur ad unionem
personalein, gratia autem adoptionis ad unionem ariectualem : et tamen vide-
mus (juod gratia adoptionis nunquam pcrditur sine culpa. Cum igilur in
Chrislo nulluui fuerit peccatum, impossibilc fuit (|Uod solveretur unio divini-
lalis a carne ipsius. Et ideo, sicut ante mortem Christi unita fuit secundum
personam et hyj)ostasim Verbo Dei, ita et remansit unita post mortem, ut
scilicet non esset alia hypostasis Verbi Dei et carnis Christi post mortem, ut
Damascenus dicit [Orthod. Fid., lib. III, cap. xxvii, ad finem). (S. TiiOM.,
111 p., q. L, art. 2.)
■\. Et quanquam mortuus est ut homo, et sancta ejus anima ab incontami-
nato separata corpore, non tamen divinitas ab utroque separata remansit, ab
anima, inquam, et corpore, neque sic una hypostasis in duas dissecta est
hyposlases. Nam et tune corpus et anima secundum idem a principio in Verbi
hypostasi habebat existentiam, et ipsis in morte ab invicem separatis, unum-
DE l'HDMANITÉ sainte DE NOTRE-SEIGNEOR DANS l'eUCHARISTIE. 293
La Sainte Eucharistie donne encore une preuve de l'union qui
ne cessa d'exister entre le sang de Notre-Seigneur et sa divinité,
pendant que son âme demeura séparée de sa chair et de son sang.
Rien ne s'opposait à ce que les Apôtres consacrassent validement
le corps et le sang du Sauveur pendant les trois jours de sa mort.
Il est vrai que le corps eût été seul sous l'espèce du pain, et le
sang, sous l'espèce du vin, mais l'un et l'autre auraient eu droit
aux adorations des anges et des hommes ; et pourquoi ? parce que
l'un et l'autre, quoique séparés entre eux et séparés de l'âme, de-
meuraient unis à la divinité.
Une parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ fait encore mieux
ressortir cette vérité. II dit en effet aux Juifs et à ses disciples,
en leur promettant l'institution de la Sainte Eucharistie : « Celui
« qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi
« en lui ^ » Ces paroles sont universelles et sans restriction ; elles
promettent la présence de Jésus-Christ â quiconque boira son
sang ; or. elles doivent infailliblement se réaliser, du côté de celui
qui fait la promesse, quoique l'homme qui en est l'objet puisse
mettre un obstacle invincible, par son indignité, au bienfait que
Dieu prétend lui accorder. Celui qui boira le sang de Jésus-Christ
possédera donc en lui-même Jésus-Christ tout entier. Gomment le
posséderait-il si la divinité de Jésus-Christ n'était pas unie à ce
sang qu'il boit?
Quatrième conclusion. Pendant les trois jours de la mort du
Sauveur tout son sang répandu au temps de la passion demeura
uni à la divinité. S. Thomas ajoute que rien absolument de ce
sang précieux ne resta sur la terre.
Il est permis d'admettre que Notre-Seigneur, au moment de sa
résurrection, ne reprit pas tout le sang qu'il avait perdu pendant
sa passion. Mais supposé qu'il en fût ainsi, tant que la résurrec-
tion ne fut pas accomplie, tout le sang de Jésus-Christ ne formait
qu'un seul et môme sang, et nul ne pouvait dire-: telle partie de
ce sang sera réintégrée dans le corps glorieux du Sauveur, et
telle autre ne le sera pas. Il n'y avait pas deux conditions pour ce
quodque eorum mansit iinam Verl)i habens hypostasiin.... Ouare unn Verbi
hyposlasis et Verhi, et animai et corporis fuit hypostasis, nunquam enim,
neque anima, neque corpus habuere hyposlasini pneler eam qua» \erbi est
hypostasis. (S. Damasc, lib. III Fidei orl/iod., ci\\). x.wii.)
1. Qui manducat meam carnem et Inbil nieum saiiguinem in nie nianet et
ego in 60. (Joann,, vi, ÎJ7.)
294 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
sang divin, et puisque le Verbe y était uni en unité de personne,
ce n'était pas à une partie de ce sang, mais au tout, et à toutes les
parties prises à part qu'il était uni. D'où il résulte que nulle
d'elles ne pouvait ni se perdre ni se corrompre, pas plus que la
chair adorable de Jésus ; car c'est de Jésus-Christ, du Verbe fait
homme tout entier, qu'il est dit : « Vous ne permettrez pas que
« votre saint soit louché par la corruption. » On peut encore ici
recourir à l'argument tiré de la Sainte Eucharistie. Si les Apôtres
avaient consacré le corps et le sang de Notre-Seigneur pendant les
trois jours de sa mort, tout son sang se serait trouvé dans le ca-
lice, par conséquent il était tout, et en toutes ses parties, uni à la
divinité du Sauveur, même pendant ces trois jours.
On peut dire qu'il en fut de même du sang de Notre-Seigneur
que de son corps qui, enseveli pendant trois jours dans le tom-
beau, demeura uni en toutes et en chacune de ses parties au Verbe
divin. Il pouvait se faire que quelques-unes des parties de ce
corps adorable dussent être laissées au moment de la résurrection,
par exemple, si les ongles, les cheveux ou la barbe s'étaient trop
développés, l'excès devait disparaître, pour que la perfection du
corps divin fût absolue et que rien ne manquât à sa beauté; cepen-
dant tant que ce corps adorable ne fut pas ressuscité, ce qui de-
vait être ainsi retranché fut uni au Verbe, aussi bien que le reste
qui était destiné à ressusciter. Mais s'il fut quelque partie, soit
de son sang, soit de son corps, que Notre-Seigneur ne reprit pas
au moment de sa résurrection, cette partie séparée de son huma-
nité cessa aussi d'être unie à sa nature divine, comme il reste à
l'établir contre l'opinion de Valentiaet de quelques autres.
Cinquième conclusion : Le sang (s'il en existe) desséché sur la
Couronne d'épines, le saint Suaire ou la Croix du Sauveur,
nest plus hyposlaliquement uni avec le Verbe divin. Telle est
l'opinion commune et elle n'a pas besoin d'autre preuve que cette
considération : ce sang, supposé qu'il existe, ne fait plus actuelle-
ment partie de l'humanité du Sauveur, et il n'est pas destiné à s'y
réunir jamais; il n'a aucun droit, ni intrinsèque ni extrinsèque, à
la gloire ou à l'union éternelle ; il n'y a donc nulle raison pour
qu'il soit demeuré uni au Verbe. Le Seigneur, en ressuscitant,
n'en avait nul besoin et ne lui reconnaissait aucun droit, puisqu'il
l'a laissé ; pourquoi le reprendrait-il plus tard et unirait-il de nou-
veau à son humanité ce qu'il a jugé à propos de n'y pas joindre
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 295
tout d'abord? Et peut-on supposer qu'il demeure uni à ce qui
serait devenu inutile et étranger à sa nature humaine?
Les taclies que l'on aperçoit sur le Saint-Suaire, en particulier,
ne sont pas du sang, mais elles proviennent de quelque autre
substance en laquelle le sang s'est décomposé. Le sang demeuré
uni au Verbe serait nécessairement incorruptible et tel qu'il est
sorti des veines du Seigneur. Or, rien ne ressemble moins à du
sang frais et vermeil que les quelques taches et linéaments que l'on
distingue à peine. Assurément ce sont là de bien insignes
reliques et des souvenirs d'une valeur inappréciable ; mais il n'y
faut pas voir d'union actuelle ou future avec le Verbe de Dieu, qui
est ressuscité comme homme parfait, et qui n'ajoutera rien à
l'humanité glorifiée dont il s'est à jamais revêtu, au jour de sa ré-
surrection d'entre les morts.
On sait qu'il s'opère dans le corps humain un travail incessant
de rénovation ; des éléments usés font place à d'autres éléments
qui, à leur tour, disparaîtront bientôt. Il n'y a pas de raison pour
que quelque chose de semblable ne se soit pas accompli en Notre-
Seigneur, puisqu'il avait pris la nature humaine dans sa réalité,
et véritablement telle qu'elle est. Il n'est pas admissible que tout
ce qui fit partie de son corps, à quelque titre que ce fût, ait eu
part à la résurrection, puisque ce corps fût ainsi devenu quelque
chose d'extraordinaire, dont les dimensions eussent été tout à fait
en dehors de celles qui conviennent au corps humain parfait.
Au moins, reprit-il, en ressuscitant, le sang répandu pendant sa
douloureuse agonie au jardin des Oliviers, qui trempa ses vête-
ments et qui découla jusqu'à terre?
Il semble que la réponse affirmative s'impose. Ce sang faisait
partie de l'intégrité de sa nature corporelle au moment oi^i il le ré-
pandit; sa perte fut pour lui une cause d'affaiblissement, et si, au
lieu de mourir quelques heures plus tard, il avait continué de
vivre, ou bien il serait demeuré dans un état de débilité, ou bien
il aurait, grâce à la nourriture, refait un sang nouveau. Ce sang
était donc nécessaire à la perfection de son corps adorable, et il le
reprit à sa résurrection. Il faut en dire autant, et à plus forte
raison même, du sang répandu pendant la tlagellation
Mais, est-il resté quelque cliose de ce précieux sang sur la terre?
Nous avons déjà touché cette question; cependant, il convient
d'y revenir.
296 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAI». VI.
S. Thomas ne semble pas croire qu'aucune partie du sang ré-
pandu par Notre-Seigneur, au temps de sa passion, ait été privée
de la résurrection glorieuse et soit demeurée sur la terre. « Tout
* le sang qui découla du corps de Jésus-Christ, dit-il, appartient
« à la vérité de la nature humaine e1, par conséquent, ressuscita
« avec son corps. Il faut en dire autant de toutes les particules de
« ce corps, concourant à la vérité et à l'intégrité de sa nature. Le
't sang que l'on conserve comme relique, dans quelques églises,
« n'a pas coulé du côté de Notre-Seigneur, mais on dit qu'il est
« sorti miraculeusement d'une image de Jésus-Christ blessée ^ »
Jean de Turrecremata dit même que l'opinion contraire ne pour-
rait être défendue, sans péché contre la foi ~. Mais le plus grand
nombre des théologiens enseignent qu'il n'est nullement contraire
à la foi d'admettre que quelques gouttes de ce sang précieux sont
restées sur la terre ^, et que c'est à du sang réel et véritable que
sont dues, par exemple, les taches que l'on remarque sur le saint
Suaire, la Couronne d'épines, la sainte Tunique. Il est vrai que ce
précieux sang s'est desséché, qu'il n'est plus, à proprement par-
ler, du sang, mais il le fut, et s'il avait eu part à la résurrection,
il n'en serait pas resté de trace.
Le sang n'est pas la seule partie liquide qui entre dans la com-
position du corps humain et qui soit nécessaire à son intégrité;
il se trouve encore d'autres humeurs dont on doit croire, comme
du sang lui-même, qu'elles étaient réellement unies à la divinité,
et qu'elles ont eu part à la glorieuse résurrection du Fils de Dieu.
\. Ad lerlium dicendum qiiod totus sanguis qui de corpore Cliristi lluxil,
cum ad verilatem humanœ naturai pertineat, in corpore Christi resurrexit;
et eadem ratio est de omnibus particulis ad veritalem et integritatemhumanse
nalurae pertinentibus. Sanguis autern ille qui in quibusdam ecclesiis pro reli-
quiis conservatur, non fluxitde latere Christi, sed miracuiose dicitur effluxisse
dequadam imagine Christi percussa. (S. TiiOM., III p., q. Liv, art. 2 ad 3.)
2. JoANN. A Turrecremata, in cap. invitât., dist. ii.
3. Ad hoc ipsum adducit Sylvester, in Jiosa aurea, tract. III, q. xxxi, Bul-
lam quamdam Pii II, ad Abbatem Sanctae Marise Xanlonensis diœcesis, in qua
fatelur Ponlifex, nullatenus veritali fidci repugnare, affirmare Uedemptorem
noslrum de sanguine in cruce effuso, ob ipsius passionis memoriam, parlem
aliquam in terris reliquisse. Afi'erlur cliain ex Platina in Vita Leonis III, de
quo refert, profectum Mantuam ad visendum Christi sanguinem, qui lune ob
assidua miracula in magna veneratione erat, reque examinata, sanguinem
illum approbasse. Cujus sanguinis veritatem confirmât Baronius, anno 804.
Aflerlur etiam revelatio B. Virginis facta ad Beatam Birgittam, lib. VI revela-
tionum ipsius. (Vide De Luoo, de Mysterio Incarnationis, disp. xiv, sect. vi.)
DE l'humanité sainte de NOTRE-SEIGNEUR DANS l'EDCHARISTIE. 297
Elles sont comprises sous le nom générique de sang, comme les
cheveux, les ongles, les dents, les os le sont sous le nom de chair
ou de corps.
Cependant, pour ces humeurs, comme pour les ongles et les
cheveux du corps adorable de Jésus-Christ, plusieurs ont conçu
des doutes. Ces doutes n'ont pas de sérieuse raison d'être, puisque
ce sont là des parties nécessaires à l'intégrité du corps humain, et
que Notre-Seigneur les a reprises en reprenant son corps et son
sang. Personne ne supposera que le corps du Sauveur est dépourvu
d'ongles ni de cheveux au ciel. Il est vrai que les ongles et les
cheveux, à cause de leur croissance continue, ont besoin d'être
coupés, mais rien n'empêche d'admettre que la partie matérielle
qui était retranchée des cheveux ou des ongles du Sauveur, était
alors privée de l'union hypostatique, comme ce que nous perdons
ainsi cesse d'être uni à notre personne et de ne faire qu'un avec
elle. La divinité de Notre-Seigneur ne s'est jamais séparée ni de
son corps ni de son âme ; mais rien n'empêche d'admettre qu'elle
ne soit pas restée unie à ce qui, pour une raison quelconque,
cessait de faire partie de son corps, et n'était plus utile à son inté-
grité.
Faut-il donc admettre que les éléments purement matériels qui,
dans un temps donné, ont eu part à la composition du corps de
Notre-Seigneur, puis en ont été séparés, sont rentrés dans la circu-
lation générale et ont pu faire partie de n'importe quel autre corps
vivant ou inanimé? Sans doute on peut le croire. Néanmoins il y
a là quelque chose qui répugne à la piété ; et s'il faut admettre que
quelque chose de ce qui avait fait partie du corps adorable du
Sauveur en a été réellement séparé pour toujours, ce dont on
pourrait douter, puisqu'un miracle aurait suffi pour qu'il en fût
autrement, sans nuire en aucune manière à la réalité de la nature
humaine du Sauveur, ne pourrait-on pas admettre aussi que Dieu,
par sa providence ou par le ministère de ses anges, a réservé ces
précieux éléments, et qu'eux aussi doivent jouir de la part de
gloire à laquelle ils ont bien quelque droit? Au moins convient-il
qu'ils n'aient jamais une destination incompatible avec ce qu'ils
ont eu l'honneur d'être, ce qui serait une espèce de profanation.
Il y avait enfin, faisant partie de l'iiumanilé de Notre-Seigneur,
certaines choses purement accidentelles, comme la couleur de sa
chair, de ses yeux, de ses cheveux, la chaleur naturelle, et les im-
298 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI,
pressions corporelles qu'il éprouvait ; il y avait la tristesse ou la
joie de son ànie, et les autres sentiments qui se succédaient en lui.
Tous ces divers accidents étaient unis au Verbe de Dieu, par là
même qu'ils étaient inhérents à son humanité. Il les avait pris en
même temps qu'elle, parce que, sans eux, elle n'eût pas été parfaite.
Mais ce qui est purement accidentel dans l'homme fut aussi pure-
ment accidentel dans l'Homme-Dieu. Le Verbe divin ne s'unit pas
hypostatiquement à ces accidents divers, qui ont leur existence
propre et distincte de celle de la substance à laquelle ils adhèrent;
mais son union avec eux résulta de celle qu'ils avaient avec son
corps ou son âme; elle ne fut qu'indirecte et secondaire. Telle est
au moins la conclusion qui ressort de ce que disent Suarez, De
Lugo et les quelques théologiens qui ont traité cette question.
Qu'on nous pardonne d'être entré dans tous ces détails : c'est
du corps adorable de Jésus qu'il s'agit, de ce corps que nous possé-
dons dans l'adorable Sacrement de nos autels. Rien de ce qui le
regarde n'est petit aux yeux de la foi ni aux yeux de l'amour.
V.
PERFECTION SOUVERAINE DU CORPS ADORABLE DE NOTRE-SEIGNEUR
PRÉSENT DANS l'eUCIIARISTIE
Lorsque le Verbe divin daigna s'unir à la nature humaine, il
prit un corps passible et mortel, car il fallait qu'il pût souffrir et
mourir pour racheter les hommes. « C'est par les souffrances et
» les épreuves qu'il a lui-même subies, qu'il est puissant pour
« secourir ceux qui sont ainsi éprouvés ', » dit l'apôtre S. Paul.
Et Jésus-Christ lui-même disait aux deux disciples d'Emmaûs,
troublés dans leur foi et dans leur espérance, par sa douloureuse
passion et sa mort : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces
« choses et entrât ainsi dans sa gloire -? » Le prophète Isaïe l'avait
annoncé en s'écriant : « 11 a véritablement enduré lui-même nos
langueurs : » Vere lamjuores nostros ipse tulit 3, et S. Pierre
affirmait qu'il en était ainsi : CItrislus passus est pronobis, vobis
I. In eo enim in quo passus est ipse et tentatus, potens est et eis qui ten-
tanlur auxiliari. [Ilehr., ii, 18.)
•1. Nonne hsec oportuit pati Chrislum, et ita intrare in gloriam suam? [Luc,
XXIV, 20.)
3. h., un, 4.
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 299
relinquens exemplum ' : « Le Christ a souffert pour nous, vous
« laissant cet exemple. » Mais pourquoi citer quelques textes parti-
culiers? Tout dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau témoigne
de la passibilité du corps de Notre-Seigneur; toute notre sainte
religion repose sur les dogmes de sa mort et de sa résurrection.
Les quelques hérétiques qui ont prétendu que le corps de Jésus-
Christ n'était ni véritablement passible ni véritablement mortel
ont toujours été condamnés par l'Église. Les SS. Pères appuient
principalement sur cette raison que la fin delà rédemption n'aurait
pas été atteinte, si Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait pas pu
souffrir et mourir. Sans doute la souffrance et la mort semblent
peu conciliables en elles-mêmes, avec l'union hypostatique de
l'humanité et du Verbe de Dieu. Mais l'homme déchu devait être
relevé d'après les décrets de la sagesse éternelle, par les souffrances
et la mort de THomme-Dieu. Il fallait donc que ces souffrances et
cette mort fussent réelles, il fallait que le corps du Seigneur fût un
corps comme les nôtres, de la même nature et de la même con-
dition qu'eux, mais incomparablement plus parfait; car il était
passible et mortel afin d'expier nos péchés, mais il était le corps
du saint des saints, et rien ne devait être incompatible en lui avec
la personne du Fils de Dieu qui se l'était uni.
Le corps de notre divin Sauveur était donc aussi parfait que
le comporte la nature humaine; son tempérament, sa complexion
et sa beauté en faisaient le chef-d'œuvre de la création visible.
Cette perfection, loin de nuire à l'œuvre de la Rédemption, ne
pouvait qu'en augmenter les mérites : pourquoi le Père éternel
l'aurait-il refusée à l'humanité de son Fils?
Le Psalmiste dit, en parlant du Messie, que, par sa beauté, il
l'emporte sur tous les enfants des hommes 2. Cette beauté incom-
parable est d'abord celle de sa divinité ; c'est aussi la beauté de la
grâce dont il s'est revêtu lui-môme ; c'est enfin la beauté corporelle,
digne accompagnement des deux premières, et qui en fait res-
plendir quelques rayons aux yeux des hommes. « Qui n'aurait
« désiré de voir seulement ce visage et de contempler cette bouche
(( d'où sortaient des paroles si divines? » demande S. Jean Chry-
sostome ^. 0 Car il n'était pas seulement admirable par les prodiges
1. /. /'t'/r., Il, 21.
2. Speciosus forma prae filiis hominum. {Ps. XLiv, :{.)
3. S. J. Ciirysost., in 5. Matlh., hom. XXVI I.
300 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
« qu'il faisait, mais sa seule vue et sa seule présence répandaient la
« joie et la grâce dans tous ceux qui le regardaient. C'est pourquoi
« le prophète dit de lui : Votre beauté surpasse la beauté de tous
« les hommes K Et ce que dit Isaïe : qu'il n'avait ni forme ni
« beauté -, ne se doit entendre qu'en comparant son humanité à
« la gloire ineffable de sa divinité, ou en le considérant dans le
« moment de sa passion lorsqu'il fut souillé et défiguré d'une
« manière si horrible, ou pour marquer l'état simple et pauvre
« dans lequel il a passé toute sa vie. »
S. Jérôme dit que Jésus était plus beau que tous les autres enfants
d'Adam, parce qu'il était vierge, que sa mère était vierge et qu'il
était né non pas du sang mais de Dieu ^. D'après S. Grégoire de
Nazianze ^ Notre-Seigneur, au moment de sa résurrection, ne fit
que reprendre la beauté corporelle qu'il possédait avant sa passion.
Ce sont, en lui, les mêmes proportions, les mêmes formes corpo-
relles, les mêmes traits, mais le tout illuminé par la lumière de la
gloire. C'est l'enseignement de S. Thomas, qui cite ces paroles de
S. Pierre Chrysologue : « Que personne ne s'imagine que les traits
« de Jésus Christ ont été changés par sa résurrection. » Et le
Docteur angélique ajoute qu'il n'y avait rien à corriger dans la
forme extérieure de Jésus-Christ, parce que son corps adorable,
conçu par l'opération du Saint-Esprit, était parfait et sans aucun
défaut. La résurrection y joignit cependant la gloire de la clarté,
mais sans rien changer à la substance ni à la forme extérieure ^.
Ni la beauté ni aucune des perfections que le corps humain peut
posséder en vertu de sa nature ne manquaient donc au corps de
notre divin Sauveur. Il devait être digne en tout de l'àme très par-
faite du Seigneur, digne même, autant qu'il était possible, de sa
\. As. XLiv, 3.
"2. Non est species ei.. neque décor, (/s., lui, 2.)
3. Universis pulchior est, virgo de Virgine, qui non ex sanguinibus sed ex
Dec natus est. (S. Hieron., Epist. ad Principiam.)
4. S. Gregor. Nazian., oral. II in Pascha.
y. Ad teriium dicendum, quod, sicut Severianus dicit in sermone pasohali
(id habet Pelr. Chrysol. in serm. LXXXII, ad fin.), « nemoputet Christum sua
resurreclione sui vultus effigiem commutasse. » Quod est intelligendum
quantum ad iineamenta inembrorum ; rjuia nihil inordinalum et déforme fue-
rat in corpore Christi per Spiritum sanctum concepto, quod in resurreclione
corrigendum esset. Accepit tamen in resurreclione gloriam claritatis; unde
idem ibidem subdit : « Sed mutatur effigies dum efficilur ex mortali immor-
talis;ut hoc sit acquisivisse vultus gloriam, non vultus substantiam perdidisse.
S. TiiOM., m p., q. liv, art. \ ad 3.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 301
divinité, puisque, avec l'àme et la divinité, il ne faisait qu'une seule
et unique personne, la personne adorable du Fils de Dieu fait
homme. Adam, le premier homme, était tout resplendissant de
beauté, lorsqu'il sortit des mains du Créateur ; eùt-il été convena-
ble que le corps du Fils unique de Dieu, formé directement par
le Saint-Esprit, non pas d'un peu de limon, comme celui d'Adam,
mais de ce qu'il y avait de plus parfait dans la substance de la plus
pure des Vierges, ne surpassât pas en perfection et en beauté le
corps du premier homme?
La perfection du corps adorable deNotre-Seigneur ne le rendait
pas insensible à la faim, à la soif, à la fatigue. Le saint Évangile
nous le montre s'asseyant fatigué auprès du puits de Jacob et de-
mandant à boire à la Samaritaine; il nous le montre pressé par
la faim, après les quarante jours et les quarante nuits de jeûne
passés dans le désert; il nous le montre encore dormant dans une
barque violemment agitée par les flots. Mais S. Thomas enseigne
qu'il ne fut sujet ni à la maladie ni à ces indispositions et à ces
douleurs qui procèdent de causes accidentelles, d'une imperfection
quelconque dans la constitution du corps, ou quelquefois des fautes
personnelles de ceux qui en sont atteints. Rien de semblable ne
pouvait exister en Jésus-Christ '.On lit, il est vrai, dans le prophète
Isaïe, cité par S. Matthieu : Verelanguores nostros ipse tulit, et
\. Christus defectus humanos assumpsit ad satisfaciendum pro peccato
humano naturœ; ad quod requirebatur quod haberet perfectionem scientiae
etgratiœ in anima. Illos ergo defectus Christus assumera debuit, qui conse-
quuntur ex peccato communi totius naturse, nec tamen répugnant perfectioni
scientiae et gratiœ. Sic igitur non fuit conveniens ut omnes defectus seu intîr-
milates humanas assumeret. Sunt enim quidam defectus qui répugnant per-
fectioni scientiae etgratiœ; sicut ignorantia, pronitas ad malum et difticuitas
ad bonum. Quidam autem defectus sunt, qui non conscquuntur cominuniter
totam humanam naturam propter peccatum priini parentis. sed causantur in
aliquibus hominibus ex quibusdam particularibus causis ; sicut lepra, et nior-
bus caducus, et alia hujusmodi : qui quidem defectus quandoque causantur
ex culpa hominis, puta ex inordinato viclu; quandoque autcm ex defectu vir-
tutis formativœ : quorum neutruin convenit Christo : (juia et caro ejus de
Spiritu sancto concepta est qui est infinit;e sapientiœ et virtutis, errare et de-
ficere non potens : et ipse nihil inordinatum in regiinine sua? vita? exorcuit.
Sunt autem tertii defectus qui in omnibus hominibus communilorinveniuntur
ex peccato primi parentis, sicul mors, famés, sitis et aUa hujusmodi : et bos
defectus omnes Christus suscepit quos vocat Damascenus « naturales et inde-
tractabiles passiones ; » naturales quidem (juia consequuntur communiter
totam naturam ; indetractaliiles autem, quia defectum scientiae et gratiae non
important. (S, Tiiom., III p., q. xiv, art. 4.)
302 LA SAINTE EUCHARISTIE. — Il« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
dolores nostros ipse portavit : « Lui-même a pris nos infirmités,
« et il s'est chargé de nos maladies. » Mais il ne faut pas entendre
ces paroles dans le sens que le Fils de Dieu eût éprouvé toutes les
maladies, toutes les infirmités auxquelles est sujette la nature hu-
maine déchue. D'après S.Thomas et la plupart des interprètes de
la Sainte Écriture, il s'en est chargé, ou plutôt il les a prises, non
pour les éprouver mais pour nous en décharger et les éloigner de
nous. S. Jérôme, S. Augustin, S. Basile, disent que ces paroles du
prophète peuvent et doivent s'entendre des guérisons miraculeuses
qu'il a opérées pendant sa vie mortelle. D'après S. Athanase, il
n'eût pas été convenable que celui qui venait sur la terre, pour
nous délivrer de nos maux, y fût lui-même assujetti, et lorsque
Isaïe appelle Jésus-Christ « l'homme des douleurs, connaissant
<r l'infirmité, /> virum dolorum etscientem infirmitatem,, il parle
de sa douloureuse passion et non pas de maladies ou d'infirmités
quelconques, qui ont leur source dans l'imperfection corporelle,
dans certains excès ou certains actes, ce qui répugne absolument
à la sagesse, à la science, à la sainteté absolue de Notre-Seigneur.
Le Fils de Dieu, en prenant un corps passible pour nous racheter
avait par là même accepté d'endurer les souffrances inhérentes
par elles-mêmes à la nature humaine ici-bas, quelque parfaite
qu'on la suppose. Ces souffrances, il les voulait comme Dieu et,
comme homme, il les acceptait librement, pour accomplir la vo-
lonté de son Père et pour notre salut. Non seulement il les ac-
ceptait, mais il les voulait et les provoquait lorsqu'il le jugeait à
propos, par exemple en se livrant au jeûne, à la fatigue du travail
ou des voyages. Mais en tout cas, c'était en toute liberté qu'il en
acceptait et en ressentait les effets. Il le fallait du reste, puisque ce
divin Rédempteur ne s'y était soumis que pour notre salut, et que
ce qu'il aurait enduré sans le vouloir librement eût été sans mé-
rite.
Tel était l'état du corps de notre adorable Sauveur, lorsqu'il ins-
titua la Sainte Eucharistie et qu'il se donna pour la première fois
à ses Apôtres, la veille de sa douloureuse passion et de sa mort
sur la croix. Mais au moment de sa résurrection, il s'opéra dans la
chair de Jésus une admirable transformation. Cette chair fut re-
vêtue de gloire et reçut les attributs nouveaux qu'elle gardera pen-
dant toute l'éternité. C'est dans cet état, toute resplendissante de
la gloire céleste qui lui est propre, qu'elle se donne à nous dans
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEDR DANS l'eUCHARISTIE. 303
l'Eucharistie. Nous ne voyons rien, il est vrai, tandis que nous vi-
vons encore sur la terre, de ces merveilleux attributs et de cette
gloire qui ravit les anges et les saints. Mais la foi nous enseigne
que Jésus-Christ est dans l'Eucharistie, tel qu'il est, quoique voilé
sous les espèces sacramentelles. C'est assez pour nous de le savoir:
plus tard, si nous en sommes dignes, nous verrons de nos yeux
ce que déjà nous croyons sur la terre, avec tant de joie et de con-
solation.
Disons un mot de ces perfections acquises par le corps adorable
de Notre-Seigneur, au moment de sa résurrection, et qu'il ne dé-
pose pas, quoiqu'elles soient cachées, lorsqu'il vient s'immoler de
nouveau sur nos autels, et se donner à nous par la sainte com-
munion.
Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, maintenant qu'il
est ressucité, soit un corps véritable, un corps appartenant à la na-
ture humaine, la foi ne permet pas d'en douter. Origène et Euty-
chès osèrent avancer qu'il n'en était pas ainsi ; mais on ne com-
prend pas qu'ils eussent pu tomber dans une telle erreur, contre
laquelle le Seigneur lui-même avait prémuni ses Apôtres avec
tant de sollicitude. Nous ne citerons que ce passage de l'Évangile
selon S. Luc : « Pendant que les disciples s'entretenaient ainsi, »
dans le Cénacle, le soir du jour de la résurrection, « Jésus parut au
« milieu d'eux, et leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés, et pour-
« quoi ces pensées s'élèvent-elles dans vos cœurs? Voyez mes mains
« et mes pieds ; c'est bien moi : touchez et voyez : un esprit n'a
« ni chair ni os comme vous voyez que j'ai. — Et lorsqu'il eut dit
« cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Mais eux ne croyant
« point encore, et étant transportés d'admiration et de joie, il dit:
« Avez-vous ici quelque choseà manger? Et ils lui présentèrent un
« morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Or, lorsqu'il eut
« mangé devant eux, prenant les restes, il les leur donna K *
F*ourrait-on demander une preuve plus évidente de la réalité du
corps ressuscité que les Apôtres avaient sous les yeux? Ils voient
ce corps du divin Maître, qu'ils connaissaient si bien; ils le tou-
chent, ils le palpent, ils constatent qu'il est réellement composé de
chair et d'os comme tout corps humain. Ce n'est pas tout encore,
Jésus mange, en leur présence, des mets qu'eux-mêmes lui ont
1. Luc, XIV, 30-43.
304 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VI.
servis sur sa demande, et pour qu'ils puissent constater par leur
propre expérience que ce sont des mets très réels, et que Jésus en
a consommé une partie, ce divin Maître, toujours plein de con-
descendance, leur donne ce qu'il en est resté, pour le partager
entre eux et mangera leur tour. Toute illusion était donc impos-
sible et la réalité du corps ressuscité de Jésus ne pouvait plus
être l'objet d'aucun doute pour ceux qui étaient présents. Mais
parce que Thomas ne se trouvait pas en ce moment avec les autres
Apôtres, huit jours après, le divin Maître revint encore dans des
circonstances semblables, au milieu de ses disciples, et Thomas,
qui n'avait pas voulu croire sur la parole de ses frères, tomba
convaincu aux pieds de celui qu'il touchait et dont il voyait les
plaies, en s'écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu! » Dominus
meus et Deus meus * !
Jésus-Christ, en ressuscitant, reprit donc le môme corps avec
lequel il avait vécu pendant trente-trois ans, sur la terre ; il le
reprit avec les mêmes organes des sens, en état de remplir leurs
fonctions naturelles, avec les mêmes dimensions, les mômes pro-
portions de tous les membres, parce qu'au moment de sa mort, il
avait atteint son développement parfait. Il n'en sera pas de même
pour nous, qui ressusciterons non pas précisément tels que nous
aurons été à l'heure de la mort, mais tels que nous aurions dû
être à l'heure de notre parfait développement corporel, s'il s'était
accompli sans aucune entrave ni aucun accident 2.
Le corps ressuscité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous
recevons dans l'Eucharistie, est donc un corps véritable, de la
même nature qu'il fut avant sa résurrection, mais d'une autre
gloire, comme dit S. Thomas 3. Tout ce qui coopérait à l'intégrité
1. Joann., xx, ïiH.
2. Sed utique Christus in ea mensura corporis, in qua est mortuus resiir-
rexit, nec fas est dicere, cum resurrectionis omnium tcmpiis venerit accessu-
ram corpori ejus eam magniUidinem quam non halniit, quando in ea disci-
pulis, in qua illis erat notus, apparuit, ul longissimis fiori possit œqualis. Si
autem dixerimus ad dominici corporis modum ctiam quorumque majora cor-
pora rcdigenda, peribit de mullorum corporibus plurimum, cum ipse nec
capillum periturum esse promiserit. Restât crgo, ut suam recipiat quisque
mensuram, quam vel habuit in juventute etiamsi senex est mortuus ; vel fue-
rat habilurus, si ante defunctus est. (S. August., de Civitale Bei, lib. XXII,
cap. XV. j
3. Corpus Christi in resurrectione fuit ejusdem naturse, sed alterius gloriae.
L'nde quicquid ad naturam corporis humani pertinet, totum fuit in corpore
Christi resurgentis. Manifestum est autem quod ad naturam corporis humani
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 305
de ce divin corps pendant sa vie mortelle s'y retrouve après la ré-
surrection. C'est bien le même corps, quoique revêtu de qualités
nouvelles. Autrement il n'y aurait pas de véritable résurrection.
Contemplez Jésus dans son enfance ; contemplez-le au temps de sa
douloureuse passion ; contemplez-le assis dans la gloire céleste à
côté de son Père ; contemplez-le enfin dans la Très Sainte Eucha-
ristie où il se donne à vous : c'est toujours le même Jésus ; c'est
toujours le même Dieu, la même àme, le même corps né de la
bienheureuse Vierge Marie, et voilé sous les espèces eucharis-
tiques, pour la nourriture et la sanctification de nos âmes.
Parmi les qualités surnaturelles dont le corps adorable de Notre-
Seigneur resplendit dans la gloire du ciel, il en est quatre prin-
cipales que l'on est convenu d'appeler la clarté, V impassibilité,
Yagilité et la subtilité.
La première des qualités surnaturelles du corps ressuscité de
notre divin Sauveur, la clarté, est signalée par S.Paul, qui dit en
parlant de notre propre résurrection : « Il réformera le corps de
« notre humilité en le conformant à son corps glorieux : » Refor-
mabit corpus liumilitatis configuratum corpori claritatis suœ ^
Cette clarté est une lumière très parfaite, qui appartient en
propre au corps lui-même ; elle le pénètre en toutes ses parties et
le revêt d'un merveilleux éclat. La transparence qu'elle lui con-
fère n'est pas telle que les formes particulières des membres et
les couleurs différentes en soient confuses ou indistinctes, car elle
nuirait ainsi au but que Dieu se propose par le don de cette admi-
rable lumière. La pureté et l'éclat du diamant n'empêchent pas
de voir combien sa taille est parfaite, et le cristal, tout transpa-
rent qu'il soit, n'en revêt pas moins, au gré de l'artiste, les
nuances les plus diverses et les plus délicates. Ce que peut l'art,
pertinent carnes, et ossa, et sanguis, et alia hujusmodi. Et ideo oinnia ista in
corpore Christi resurgentis fuerunt, et etiam integraliter, ahsqiie omni dimi-
nutione : alioquin non fuissct perfecta resurrectio, si non fiiisset rcdinlegra-
tum quicquid per niortem ceciderat. Unde et Doininusfidclibus suisproinitlit,
dicens {Matth., x, 30) : Vestri niitem cajnlli cnpitis omrws numernti sunt ; et
{Luc, XXI, 18) dicitur : Capillus décapite veslro non peribil.... Si enim incon-
veniens est ut Christus altcrius naturœ corpus in sua conceptione acceperit,
puta cœleste, sicut Valentinus asseruit, niulto magis inconveniens est quod
in resurrectione alterius naturfe resumpserit, quia corpus in resurrectione
resumpsit ad vitam immorlalem, quod in conceptione assunipsorat ad vitain
mortalem. (S. Tiiom., III p., q. liv, art. 2.)
1. /. Cor., XV, 43.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 20
306 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. VI.
au moins jusqu'à un certain point, pourquoi Dieu ne le pourrait-il
pas dans un ordre plus élevé, pour glorifier la chair de son divin
Fils et celle de ses fidèles serviteurs?
On a demandé si cette lumière des corps glorifiés est de la
même nature que celle que le soleil répand sur la terre, et si des
yeux mortels peuvent la voir sans miracle. S. Thomas et Duns
Scot penchent pour l'affirmative. Quoi qu'il en soit, elle est la
même pour les corps ressuscites des saints que pour le corps ado-
rable du Sauveur, mais non pas au même degré. S. Paul nous
dit : « Autre est la clarté du soleil, autre la clarté de la lune,
« autre la clarté des étoiles. Une étoile même diffère d'une autre
0 étoile en clarté. Ainsi est la résurrection des morts K » Tous les
corps des saints ne brilleront pas du même éclat. Ils n'égaleront
pas la splendeur du divin Agneau dont la gloire suffira pour illu-
miner, dans les siècles des siècles, la céleste Jérusalem, dont
S. Jean dit dans l'Apocalypse : « Je ne vis point de temple dans la
« ville, parce que le Seigneur Dieu tout-puissant et l'Agneau en
« sont le temple. Et la ville n'a pas besoin du soleil ni de la lune
« pour l'éclairer, parce que la gloire de Dieu l'éclairé, et que sa
« lampe est l'Agneau 2. » Plus loin il dit encore : « Le trône de
« Dieu et de l'Agneau y sera, et ses serviteurs le serviront. Ils
« verront sa face, et son nom sera sur leur front. Il n'y aura plus
« là de nuit, et ils n'auront pas besoin de lampe ni de la lumière
« du soleil, parce que le Seigneur les éclairera ^. »
C'est donc à la lumière dont Dieu a gratifié le corps ressuscité de
son divin Fils que nous participerons un jour, si nous en sommes
dignes. Mais qu'elle est grande, qu'elle est admirable, cette lumière
du corps de Jésus, qui suffit à illuminer la céleste Jérusalem! Et
c'est ce divin corps, tout revêtu de ces immortelles clartés, quoique
invisibles à nos sens, qui se donne à nous dans l'adorable Eucha-
ristie !
i. Alia claritas solis, alla clarita.s lunae, alla claritas stellarum. Stella enim
a Stella differt in claritate. Sic et resurrectio mortuorum. (/. Cor., xv, 40, Al.)
2. Et templum non vidi in ea : Dominus enim Deus omnipolens templum
illius est, et Agnus. Et civitas non eget sole, neque luna, ut luceant in ea;
nain claritas Dei illuminavit eam, et lucerna ejus est Agnus. {Apoc, xxi,
22, 23.)
3. Sed sedes Dei et Agni in illa erunt, et servi ejus servient illi. Etvidebunt
faciem ejus, et nomen ejus in frontibus eorum. Et nox ultra non erit : et non
egebunt lumine lucernae, neque lumine solis, quoniam Dominus Deus illumi-
nabit illos. {I<f., xxii, 3-Î3.)
DE l'humanité sainte de NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 307
La seconde perfection surnaturelle du corps glorieux de Notre-
Seigneur est Vimpassibiliié. S. Paul, écrivant aux Romains, a dit :
« Le Christ ressuscitant des morts ne meurt plus désormais : »
Christus resurgens ex mortuis jam non nioriinr K La souffrance
n'est pas plus compatible que la mort avec la gloire du corps res-
suscité de notre adorable Sauveur. S. Jean dit encore au cha-
pitre XXI de l'Apocalypse : « Et moi, Jean, je vis la cité sainte, la
« nouvelle Jérusalem descendant du ciel, d'auprès de Dieu, parée
« comme une épouse, et ornée pour son époux. Et j'entendis une
« voix forte sortie du trône, disant : « Voici le tabernacle de Dieu
« avec les hommes, et il demeurera avec eux. Et eux seront son
« peuple, et lui-même, Dieu, au milieu d'eux, sera leur Dieu. Et
« Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, et il n'y aura plus ni
« mort, ni deuil, ni cris, ni douleur, parce que les premières
« choses sont passées '-. » La souffrance sera donc inconnue dans la
céleste Jérusalem. Tous les corps des saints ressuscites seront im-
passibles et immortels : à plus forte raison le sera-t-il, le corps
adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ, cause et modèle de leur
résurrection. Le roi pourrait-il se refuser à lui-même ce qu'il
accorde avec tant de libéralité à ses sujets fidèles? Le corps du
Fils de Dieu incarné pourrait-il être d'un ordre inférieur à ceux
des hommes qui lui doivent tout?
Il ne faut pas confondre l'impassibilité dont jouit le corps ado-
rable du Sauveur avec l'insensibilité. Il ne peut pas souffrir, mais
il possède dans toute leur intégrité, à un état de perfection abso-
lue, les cinq sens que Dieu a donnés à l'homme. Ses yeux voient,
ses oreilles entendent, il n'est pas insensible à l'odeur des par-
fums et le sens du goût lui-même peut trouver sa satisfaction.
N'a-t-il pas mangé avec ses disciples après sa résurrection ? N'a-t-il
pas touché et pris entre ses mains adorables le pain, qu'il a
rompu, le poisson, le rayon de miel dont il leur a offert le reste
après y avoir goûté lui-même 3?
i. Rom., VI, 8.
2. Et ego Joannes vidi sanctam civitatem, etc. (.4/>oc., \m, -2-i.)
3. In glorioso Cliristi corpore i'uerunt omnes poleiilia; sensitivai, cuin om-
nibus suis organis ad ejus integrilatem ac pcrfectioiiem requisilis : atque ita
Christus potuit exercere aliquos actus animae sontientis, tum sensus interni
vel appetitus sensilivi : v. gr. actus gaudii, amoris, aliosquo ejusmodi non
répugnantes statui beatifico, qui sine ulla corporis.altcratione tiunl; tiun po-
tentiae loco motivée eundo de loco ad locum; tum facultatis ioquendi coilo-
308 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11*^ l'ARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. VI.
Il faut remarquer cependant que l'usage naturel des sens requiert
certaines conditions sans lesquelles il est absolument impossible.
L'œil de riiomme ne voit pas naturellement, sans que la lumière
réfléchie par les objets extérieurs y vienne peindre leur image ;
l'oreille ne peut entendre qu'à la condition que son organisme dé-
licat soit ébranlé par les vibrations de l'air. Les sens corporels de
Notre-Seigneur ressuscité peuvent, comme les nôtres, percevoir
ces sensations, mais leur puissance est incomparablement plus
grande, et les moyens indispensables pour nous ne leur sont pas
nécessaires. Il convient dénoter encore que, dans la Sainte Eucha-
ristie, le mode de présence du corps de Jésus-Christ n'est aucune-
ment compatible avec Tusage des sens tel que nous pouvons le
comprendre et l'expérimenter. Sous les espèces sacramentelles, il
voit tout, il entend tout, il agit comme Dieu et comme homme,
mais non pas à la manière ordinaire des hommes.
Il est difficile de dire avec quelque certitude à quelle cause il
faut, après la très sainte et très miséricordieuse volonté de Dieu,
attribuer l'impassibilité des corps ressuscites pour la gloire, et par-
ticulièrement du corps adorable de Notre-Scigneur. Scot, Durand
et plusieurs autres croient que l'impassibilité des corps glorifiés
provient uniquement d'une cause extérieure. Dieu, disent-ils, in-
terpose sa volonté pour empêcher toute souffrance, quelle qu'en
quendo cuin suis discipulis : vera enim et cor])oralis vox ac Dei laus erit in
corporibus Ijoalorum. Dcnique in glorioso Chrisli corporc, uti in omnibus
bealorum corporibus, habent locum actus omnium sensuum externorum :
io possunt videre, quia in oculis bealorum possunt ab objeclis distantibus pro-
duci species visibiles, sive virtute naturali, sivcdivina, et ipsa bealorum cor-
pora possunt sine impcdimento cujusvis dislantiae imprimcre divinitus sut
speciem visibilcm. bleoque quidam existimant visivam Christi potentiam, ad
quodlil)et objeclum quantumvis dislans se extendcre. !2° Idem die de auditu;
possunt enim soni species, etiam sine medio, dcferri ad aurcs bealorum, aut
beati imprimere speciem suae vocis immédiate in audilum dislantem, nihil
opérande circa médium. 3° Possunt etiam actus odoratus exercere, utpote
qui sine materiali corporis sentientis alteralione pêne fil, objecte fiullibi défi-
ciente, maxime in cœlo. i" Denique tactus et guslus etiam corpori glorioso
conveniunl; clarum est de tactu. Et quoad gustum, non est Deo difficile ut
aliquis sapidus bumor resideat in Ira organum guslus beatorum, qui illum
sensuin intenlionaliler afficial, liorum siquidem sensuum bonestse dclecta-
tiones, non dedecent corpus gloriosum. Ciirislum aulcm in corpore glorioso,
anle suam ascensionem hos actus exercuisse, liquet ex bis : Pnipate et vi-
dete, etc. {Luc, xxiv, 39.) Et convescen/i prxrepit eis ah Ilierosolymis ne dis-
cederent. (Act., i, A.) (Noël, Theoloy. Suarez Summa, p. II, disput. xlviii de
Inrarnat.)
DE l'hCMANITÉ sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'EDCIIARISTIE. 309
puisse être la source, intérieure ou extérieure ; il refuse sa coopé-
ration à tout agent et à tout acte contraire à l'incorruptibilité et,
par conséquent, à l'impassibilité des corps glorieux. Mais cette
explication ne suffit pas à plusieurs autres docteurs ; ils font, de
plus, appel à la domination complète de l'àme sur le corps, dans
l'état de gloire. Toutes les actions aussi bien que les passions
corporelles dépendent entièrement de la volonté en ce bienheureux
état, et de même, disent-ils, que le corps n'agit que sous l'influence
de la volonté, de même aussi ne peut-il endurer que ce qu'elle
veut : or, en vertu de la perfection de son état et de la rectitude de
sa volonté, l'homme ne peut pas vouloir souffrir. Néanmoins une
assistance particulière, un concours de la puissance divine est
nécessaire pour que l'àme possède ce pouvoir dans sa plénitude,
et qu'elle en use régulièrement.
On a dit enfin, et c'est l'opinion la plus claire et la plus accep-
table, que l'impassibilité est une qualité infuse inhérente aux
corps ressuscites, en vertu d'une disposition particulière de la
divine Providence, qualité qui les met à l'abri de toute altération
et de toute corruption. D'après Suarez, ces deux dernières opi-
nions se réclament de l'autorité de S. Thomas, mais il faut avouer
que le Docteur angélique ne parle de cette question que très inci-
demment, et qu'il est difficile de tirer un argument probant des
quelques mots qu'on peut y rapporter i.
A ces deux premières qualités des corps glorifiés par la résur-
rection, et par conséquent de ce corps adorable du Sauveur, que
nous possédons dans la Très Sainte Eucharistie, il faut ajouter
celle qu'on désigne sous le nom cV agilité. Le prophète Isaïe parle
des fidèles serviteurs de Dieu, en ces termes, qu'on ne peut en-
tendre dans toute leur plénitude, que des bienheureux après la
résurrection : « Ceux qui espèrent dans le Seigneur prendront une
« force nouvelle; ils prendront des ailes comme les aigles; ils
« courront et ne se fatigueront pas; ils marcheront et ne défau-
« dront pas. » Les corps ressuscites dans la gloire useront donc,
comme pendant leur vie mortelle, de la faculté d'aller et venir par
1. In ultimo vero statu post resurrectioneiii anima conimunicabit quodam-
modo corpori ea qucv sunt sihi propria, in ([uantum est spiritus : immortalita-
tem quantum ad omnos; impassibilitatem vero, et trloriam, et virtutem
quantum ad bonos, quorum corpora spiritualia diccntur. (S. Thom., I p.,
q. xcvii, art. îî, in corp. art.)
310 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. VI.
une suite de mouvements successifs. C'est ainsi que Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ marcliait avec les disciples d'Emmaiis, le jour
même de sa résurrection. Mais cette faculté sera portée à une per-
fection incomparablement plus grande qu'elle n'est pendant la vie
mortelle. Le prophète, pour en donner une idée, ne peut que com-
parer leur agilité au vol de l'aigle, et ce que l'aigle lui-même ne
possède pas, ils seront inaccessibles à la fatigue. La perfection
absolue du corps et de tous ses organes, sa soumission complète à
l'action de Tàme, et enfin le concours d'une vertu divine opéreront
cette merveille, qui dépasse les forces purement naturelles, quelque
grandes qu'on les suppose.
Outre ce mouvement progressif d'un endroit à un autre, les
corps des saints, après la résurrection, pourront être transportés
jusqu'aux lieux les plus éloignés, tout d'un coup, par le fait seul de
leur volonté, sans qu'il soit nécessaire pour eux de recourir à la
marche ou à quelque mouvement analogue K Le corps obéira à
l'àme ; partout où l'àme voudra qu'il soit, il y sera transporté à
l'instant. Rien dans la nature humaine, telle qu'elle est ici-bas, ne
peut expliquer ce privilège ; il fout encore ici recourir à la libéra-
lité infinie de Dieu, qui ne veut priver ses saints d'aucune des
qualités qui peuvent accroître leur bonheur. Rien, dans la céleste
patrie, ne doit mettre obstacle à la réalisation de désirs légitimes,
et le corps ne sera jamais un obstacle pour l'àme.
Enfin il est une quatrième qualité du corps adorable de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, qu'il daignera partager comme les autres avec
ses fidèles serviteurs après la résurrection ; c'est la subtilité en
vertu de laquelle un corps glorifié peut pénétrer tout autre corps, et
occuper ainsi la même partie de Tespace occupée déjà par ce corps.
Les propriétés de pénétration que la science découvre chaque jour,
soit à des rayons de lumière jusqu'aujourd'hui inaccessibles à nos
sens, soit à la matière dissociée ou à l'état rayonnant, démontrent
qu'il n'y a pas loin de la subtilité surnaturelle des corps glorifiés
aux phénomènes qui s'accomplissent dans l'ordre purement na-
turel. Au moins ces propriétés de deux ordres essentiellement dif-
férents ne sont-elles pas contradictoires. En tout cas, il n'est pas
au-dessus de la puissance de Dieu de faire que deux corps occu-
\. Certc ubi volet spiritus, ibi prolinus erit corpus : nec volet aliquid spiri-
lus quod nec spiritum posslt decere nec corpus. (S. Augost., de Civitat. Dei,
lib. XXII, cnp. XXX.)
DE l'humanité sainte DE NOTRE-SEIGNEUR DANS l'eUCHARISTIE. 311
pent le même espace en même temps ; il faut bien admettre qu'il
en fut ainsi, par exemple, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Ciirist
sortit du sein de sa mère, sans nuire à son intégrité virginale,
lorsqu'il sortit vivant de son tombeau sans en rompre la pierre,
lorsqu'il entra dans le Cénacle où les Apôtres étaient rassemblés,
quoique les portes en fussent soigneusement fermées, par crainte
des Juifs. Le mystère adorable de l'Eucharistie exige aussi cette
subtilité. C'est par elle que le corps et le sang du Sauveur peuvent
se trouver dans toute leur intégrité, sous les apparences d'un peu
de pain et d'un peu de vin. Expliquer la possibilité de la subti-
lité ainsi entendue, dans un véritable corps, est impossible ; mais
il nous suffit de savoir qu'elle existe. Qui pourrait donner des rai-
sons suffisantes de tant de propriétés purement naturelles de la
matière que la science découvre chaque jour, à l'époque où nous
sommes? Cependant on y croit, sur les expériences des savants
qui en démontrent l'existence. Pour croire aux propriétés surna-
turelles des corps glorifiés, nous nous appuyons sur une autorité
plus haute et plus inattaquable, celle de la révélation divine expli-
quée par la sainte Église et imposée à notre foi.
Telles sont les principales propriétés dont la divine bonté gra-
tifiera les corps des bienheureux au jour de la résurrection, telles
sont les propriétés du corps adorable de Notre-Seigneur dans la
gloire du ciel. Il serait aisé de se livrer ici à de magnifiques des-
criptions ; mais tout ce que nous pourrions imaginer ne serait
rien en comparaison de la réalité K S. Paul a dit : « L'œil n'a
i. Etant un jour en oraison, dit sainte Thérèse, il plut à Xotre-Seigneur de
me montrer ses divines mains, et nulles paroles ne sont capables d'exprimer
quelle en était la beauté. Peu de jours après, il me laissa voir son visage,
dont je fus tellement ravie que, si je m'en souviens bien, je perdis connais-
sance. S'étant depuis montré à moi tout entier, je ne pouvais comprendre
pourquoi il ne se montrait auparavant que peu à peu; mais je vois bien à pré-
sent que c'était par un effet de sa bonté, qu'il me traitait en cela selon ma
faiblesse, parce qu'étant si misérable, je n'aurais pu soutenir en même temps
et tout à la fois l'éclat d'une si grande gloire.... La vue des corps glorieux,
comme étant surnaturelle, va si fort au delà de tout ce qu'on peut en dire,
qu'elle étonne l'esprit, et me donnait ainsi tant de frayeur que j'en demeu-
rais toute troublée Mais j'étais ensuite si assurée de la vérité de ce que je
voyais, et les effels qu'elle i>ro(luisait en moi étaient si grands, ([ue cette
crainte se changeait bientôt en une entière assurance.... Quand il n'y aurait
point d'autre contentement dans le ciel que de voir l'exlréme beauté des corps
glorieux, et particulièrement celui de noire divin Uédempteur, on ne saurait
l'imaginer tel qu'il est. {La Vie de sainte Thérèse écrite jtar elle-même,
chap. .wvni.)
312 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
« point vu, Toreille n'a point entendu, et le cœur de l'homme n'a
<f pas osé désirer ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment. » Si
l'Apôtre parle ainsi du commun des saints, qui pourrait prétendre
expliquer les grandeurs infinies de la gloire dont l'humanité du
Fils de Dieu, et particulièrement son corps adorable, est revêtue au
ciel? Et ne l'oublions pas, c'est ce même corps avec la môme gloire,
quoique voilée sous les espèces sacramentelles, que nous possé-
dons au milieu de nous.
CHAPITRE VII
PERFECTION SOUVERAINE NATURELLE ET SURNATURELLE DE L'AME
DE NOTRE-SEIGNEUR UNIE AU VERBE DIVIN DANS L'EUCHARISTIE
. Perfections de l'ordre naturel propres à l'âme de Notre-Seigneur. — II. L'âme de
Notre-Seipneur, formellement sanctitiée par son union hyposlatique avec le Verbe,
et enrichie de la grâce habituelle et de la grâce actuelle, dont il est la source pour
nous. — III. Dons du Saint-Esprit et autres dons spirituels conférés à l'âme de
Notre-Seigneur. — IV. Grâces de Jésus-Christ qu'il communique, comme homme,
à tous les membres dont il est le chef. — V. Grandeur et perfection de la grâce en
Notre-Seigneur. — VI. Quelques mots sur les vertus de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, en général.
I.
I»EUKi;CTIO\S DE l'oRDRE NATUREL PROPRES A LAME DE NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS-CIIRLST
Si le corps adorable de notre divin Sauveur est enrichi de per-
fections et de beautés, qui seules suffiraient à l'admiration et au
bonheur des saints et des anges, admis à les contempler, pendant
l'éternité tout entière, que pourrons-nous dire des perfections de
son àme? Ne fallail-il pas que cette âme, destinée à ne faire qu'une
seule et unique personne avec le Verbe divin, fût, autant qu'il est
possible à un être créé, digne de cet honneur infini? Nous ne pour-
rons donc que balbutier quelques mots à la suite des théologiens,
et nous ne nous attarderons pas à des descriptions qui seraient
toujours infiniment au-dessous de leur objet. Nous exposerons
siiiiplemoiil la doctrine, laissant aux âmes pieuses la douce jouis-
sance de méditer, auprès du tabernacle, tant de grandeurs et de
merveilles.
La première perfection de l'âme humaine est l'intelligence.
PERFECTION SOUVERAINE DE l'amE DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 313
Noire-Seigneur Jésus-Christ est Dieu. Sa divinité possède une
science infinie qui embrasse toutes choses. Il est rinlelligence
substantielle, et sa science se confond avec son intelligence. Mais
Jésus-Christ n'est pas seulement Dieu : il est homme; il a une
âme raisonnable et parfaite, par conséquent intelligente. Si elle ne
Tétait pas, les nôtres seraient plus parfaites et d'un ordre supérieur,
ce qui n'est pas admissible. L'humanité de Jésus-Christ ne fut pas
seulement pleine de grâce dès le premier moment de son exis-
tence, mais aussi de vérité : comment aurait-elle pu l'être sans
une intelligence dont la vérité est l'objet propre?
Cependant, quelques hérétiques, et en particulier les monothé-
lites, ont refusé au Fils de Dieu fait homme une âme raisonnable
et intelligente, comme ils lui ont refusé une volonté humaine,
sous prétexte que le Verbe suffisait à tout ; que l'intelligence et la
volonté divines n'admettaient pas une autre intelligence, une
autre volonté dans la même personne. Mais l'Église a condamné
■depuis longtemps leurs erreurs, et il est de foi que l'àme de Jésus-
Christ a une intelligence créée.
Tous les textes de la Sainte Écriture, des Pères et des Conciles
qui prouvent que le Verbe divin s'est uni à la nature humaine
complète sont, en même temps, la preuve de l'existence en Jésus-
Christ d'une intelligence créée. On ne peut pas, en effet, conce-
voir la nature humaine complète sans une âme raisonnable, c'est-
à-dire intelligente et capable de raisonnement.
On trouve dans les actes des Conciles des définitions générales
•qui, sans nommer l'intelligence en particulier, la comprennent
néanmoins, comme un élément nécessaire en Notre-Seigneur
Jésus-Christ. C'est ainsi que nous lisons dans les actes du VP Con-
cile œcuménique : « Nous confessons que tout ce qui appaiiienl aux
« natures du Christ se trouve en double dans sa personne ; nous
« proclamons ses deux natures, et nous reconnaissons que chacune
Œ d'elles possède les propriétés qui lui sont naturelles : 1;> nature
« divine, tout ce qui est de la nature divine, et la nature humaine,
a tout ce qui est de la nature humaine, le péché excepté ^
\. Confilemur in Cliristo omnia duplicia, qiu-ç ad naturas pcrtinenl ; duas
naluras cjus prœdicainus, et unaniquainquo proprietates nalurales habere
contiteimir : diviiiam omnia, qiue divina, huinanam omnia, qua; humana
sunt, absque ullo peccato. (Agatiiu papa, iu Einstola synodali qu» repcrilur
in Actione l\\ synodi scxti.)
314 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE 11. — ClIAP. VII.
Et pour confirmer cette doctrine, lepape S. Agathon, qui adres-
sait au Concile les paroles qui viennent d'être citées, rapporte, un
peu plus loin, cette définition du Concile de Clialcédoine : < Le
« Christ a pris une àme raisonnable parfaite, avec tout ce qui lui
« est propre, semblable en tout à nous, le péché excepté i. » Les
actes du VP Concile œcuménique contiennent aussi une lettre de
S. Sophrone de Jérusalem où l'on trouve ces mots qui semblent se
rapporter directement à l'intelligence créée du Sauveur. « Le Verbe
a a pris une àme raisonnable de la même espèce que les nôtres et
« un esprit semblable à notre esprit ~. » Ces déclarations, adoptées
et confirmées par le Concile, sont assez claires pour que S. Thomas
y voie la condamnation de la doctrine d'après laquelle il n'y aurait
en Jésus-Christ ni deux sciences ni deux sagesses 3.
Il faut donc considérer comme une vérité de foi que l'àme de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, cette àme qui est présente dans le
Très Saint Sacrement, en même temps que son sang, sa chair et
sa divinité, est une àme douée d'intelligence. Par sa nature elle
peut paraître inférieure aux intelligences angéliques ; maiselle leur
est incomparablement supérieure par sa perfection, qui borde l'in-
fini, et par son union hypostatique avec le Verbe divin.
Une intelligence qui n'accomplirait pas les actes propres à sa
nature serait profondément imparfaite, ce qu'on ne peut supposer
sans blasphème de l'àme de Jésus-Christ et de son intelligence.
Or l'acte par excellence d'une àme intelligente, c'est de connaître.
L'intelligence de Notre-Seigneur accomplit cet acte. Le saint Évan-
gile le dit assez clairement pour qu'il ne soit pas permis d'en
douter. Il est évident que S. Matthieu parle d'un acte de l'intelli-
gence créée du Seigneur, lorsqu'il dit : « Jésus, connaissant leur
« malice, dit : Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ''*? » Et quand
Jésus-Christ dit, dans l'Évangile de S. Jean : « Je sais d'où je suis
I. Halionalem animam pcrfectam Christum assumpsisse (dicit) salva omni
ejus proprietate, et per omnia nobis similem absque peccato. [Concil.Yl. Vide
apud SuAREz, III p.,disp. xxiv, sect. i.)
'■2. Assumpsisse \'erbuin animam rationalem (dicit), animabus noslris con-
tribulcm, et mentem nostrse menti comparem. [Ilnd.)
^. Niliil autem naturalium Christo defuit : quia totam humanam naturam
susccpit, ut supra diclum est. Et ideo in sexta synodo damnata est positio
neganlium in Christo esse duas scientias vel duas sapientias. (S. TnoM., III p.,
q. w, art. \.)
^. Cognita aulem Jésus nequitia eorum, ait : Quid me tentatis, hypocritae?
(J/«/</t.,X\ll, \9,.)
PERFECTION SOUVERAINE DE LAME DE N.-S. DANS L EDCHARISTIE. ôlô
« venu.... Je connais mon Père et je garde sa parole ', » c'est-à-
dire, ff j'observe ses commandements, » ce n'est pas en sa qualité
de Dieu, mais comme homme qu'il parle. Il faut en dire autant de
ce texte et de plusieurs autres semblables : « Jésus sachant que son
a heure est venue •. » Ajoutez que le saint Évangile nous parle sou-
vent des prières, des mérites et d'autres actes de Xotre-Seigneur,
qui supposent nécessairement l'intelligence, car ils procèdent de
la volonté qui n'agirait pas, si l'intelligence ne l'éclairait d'abord.
Enfin, il enseignait comme homme : pourrait-on dire qu'il ne
connaissait pas lui-même la science dont il était le suprême doc-
teur?
L'àme de Notre- Seigneur possède donc sa science propre,
science créée comme elle et distincte de la science infinie qui n'est
autre que le Verbe divin, science et sagesse substantielle duPère.
Les actes de la nature humaine ne peuvent pas être confondus
avec ceux de la nature divine, ni la connaissance de l'une avec
celle de l'autre, pas plus que le fini avec l'infini; la science infinie
que Jésus-Christ possède parce qu'il est Dieu, n'absorbe ni ne dé-
truit pas davantage sa science créée, que sa divinité n'absorbe ni
ne détruit son humanité.
Tous les théologiens sont d'accord pour reconnaître cette vérité,
que l'àme de Jésus-Christ posséda, dès le premier moment de son
existence, sa science créée, dans toute la perfection et la plénitude
qui convenait à l'àme du Verbe divin fait homme. C'est l'ensei-
gnement de S. Augustin 3 et de S. Bernard, pour ne nommer
qu'eux. Citons une page de cetadmirable docteur. «Je jette les yeux,
1. Sciounde veni.... Scio eiim et sermonem ejus servo. {Joann.,\\u, 11,35.)
2. Sciens Jésus quia vcnit hora ejus. {Joann., xiii, \.)
3. Idem ipse itaque Salvator est parvulorum atque majorum, de quo dixe-
runt Angcli : Xalus est voltis hodie Salrator:el de quo dictum est ad virgi-
nem Mariam : Vocabia nomen ejus Jesitm, ipse enim salvum faciet jioiiiilum
suurn a peccatis eorum : ubi aperte demonstratuni est, eum hoc noinine, quo
appellatus est Jésus, propter salutem quam nobis tribuit uoiiiinari : Jésus
quippe, latine Salvator est. Quis est igitur qui audeat dicere Doniinum Chris-
tum tantum majoribus non etiam parvulis esse Jesum? Qui venit in siinilitu-
dine carnis peccati, ut evacuaret corpus peccati, in quo intirmissimo nulli
usui congruis vel idoneis infantibus membris, anima rationalis mi.serabili
ignoranlia praegravatur. « Quam plane ignorantiani nuUo modo crediderim
« fuis.sc in infante illo, in quo Verbum caro factum est ut habitaret in nobis
« nec illam ipsius animi infirmitatem in Chrislo parvulo fuerim suspicalus
« quam videmus in parvulis. » (S. .\UGUST., de Peccatorum merilis et reniis-
sione, lib. 11, n. 48.)
316 LA SAINTE EUCHARISTIE. — iT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
« dit-il s sur la conception et sur l'enfantement de la Vierge, et
« je me demande si, par hasard, au milieu des nouveautés et des
« merveilles sans nombre que découvre celui qui considère toutes
« ces choses attentivement, je n'apercevrai pas aussi celle dont
« parle le prophète Jérémie.... Est-ce que vous ne voyez pas au
« milieu de toutes ces merveilles une femme qui entoure un
« homme, quand vous voyez Marie porter Jésus dans son sein,
a Jésus cet homme goûté de Dieu? Car j'appelle Jésus un homme,
« non seulement quand il était proclamé prophète puissant en
a œuvres et en paroles, mais aussi lorsque, tout petit enfant, il
« était porté dans les bras de sa mère, ou même encore dans son
<r sein. Jésus était donc un homme, même avant d'être né, non point
« par l'âge, mais par la sagesse; non par les forces corporelles,
« mais par la vigueur de l'âme ; non par le développement des
« membres, mais par la maturité des sens. En effet, il n'y avait
« pas moins de sagesse en Jésus, ou plutôt Jésus ne fut pas moins
« la sagesse même lorsqu'il n'était que conçu que quand il fut né ;
« lorsqu'il était petit que lorsqu'il était grand. Par conséquent,
<r soit qu'il fût encore caché dans le sein de sa mère ou vagissant
\. Sed vero me ad conceptum partumque virginalem, si forte inter plurima
nov;i ac mira, qiiœ ibi profecto inspicit qui diligenter inquirit, etiam hanc
quain de Propheta protuli, repcriam novitalem.... Numquid non facile qui tibi
est inler haec fœminam agnoscere virum circumdantcm {Jcrem., xxxi, 2^2)
cum Mariam videas virum approbatum a Deo Jesum suc utero circumplecten-
tem? Mrum autem dixerim fuisse Jesum, non solum jam cum diceretur vir
jiro/iheta, ]iotens in ojjp7\' et sermon/', sed etiam cum tenera adhuc infantis
membra Dei mater blando vel foveret in gremio, vel gestaret in utero. Vir
igilur erat Jésus, necdum etiam natus, sed sapientia, nonaîtate; animi vigore,
non viribus corporis; maturitate sensuum, non corpulentia meml)rorum.
Neque enim minus liabuit sapientiœ, vel potins non minus fuit sapientia Jésus
conceptus quam natus, parvus quam magnus. Sive ergo latens in utero, sive
vagiens in jjraisepio, sive jam grandiusculus interrogans doclores in templo,
sive jam perfectœ aetatis docens in populo, aeque profecto plenus fuit Spiritu
sancto. Nec fuit hora in quacumque œtate sua, qua de plenitudine illa quam
in sui conceptione accepit in utero, vel aliquid minueretur, vel aliquid eidem
adjiceretur : sed a principio perfectus, et a principio, inquam, plenus fuit
spiritu sapientiae et intellectus, spiritu consilii et fortitudinis, spiritu scientiae
et pietatis, spiritu timoris Domini.
Nec te moveat, quod de ipso legis in alio loco : Jésus auletn proficiebal sa-
jiientia et xtatc et grotia apud Deum et homines. Nam quod de sapientia et
gratia hic dictum est, non secundum quod erat, sed secundum quod appare-
bat, inlelligendus est ; non quia videlicet aliquid ei novuni accederet, quod
ante non haberet : sed quod accedere videretur quando volebat ipse ubi vide-
retur. (S. Bernard., hom. II super Missus est, n. 1), \0.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 317
« dans la crèche, déjà jeune garçon interrogeant les docteurs dans
a le temple, ou instruisant le peuple, il était toujours également
« rempli du Saint-Esprit. Il n'y a pas une heure dans sa vie où il
« y eût quelque chose de plus ou de moins à cette plénitude, qu'il
« reçut au moment de sa conception, dans le sein de Marie. Dès
« le premier instant, il fut parfait ; oui, dès It premier moment de
« sa conception il fut rempli de l'esprit de sagesse et d'intelli-
« gence, de l'esprit de conseil et de force, de l'esprit de science et
« de piété, de l'esprit de crainte du Seigneur.
« Ne vous étonnez pas après cela si vous lisez dans un autre
a endroit des Livres saints : Jésus croissait en sagesse, en âge et
a en grâce devant Dieu et devant les hommes ; car -pour ce qui est
a de la sagessse et de la grâce, il faut entendre ce que dit l'Évan-
« géliste en ce sens, non qu'il croissait effectivement, mais qu'il
« paraissait croître en sagesse eten grâce; ce qui ne veut pas dire
« qu'il acquérait chaque jour quelque chose de nouveau qu'il
« n'avait point auparavant, mais qu'il paraissait l'acquérir, quand
« il voulait lui-même que cela parût ainsi ^ ».
Au commencement de son Évangile, S. Jean, qui proclame que
le Verbe de Dieu fait homme est le Fils unique du Père, déclare
en môme temps qu'il est plein de grâce et de vérité : « Et nous
<i avons vu sa gloire, dit-il, comme la gloire que le Fils unique
a reçoit du Père, plein de grâce et de vérité : Et vidimus gloriam
« ejus, gloriam quasi Unigeniti a Pâtre, plénum gratise et veri-
« tatis. » La vérité dont il est rempli, disent les commentateurs,
n'est autre que la science. De même donc que Jésus-Christ fut le
Fils unique du Père, dès le premier moment de sa conception, il
posséda la plénitude de la science, comme il convenait à la dignité
de sa personne. Il devait en être ainsi, car il ne convenait pas que
le Fils de Dieu, en prenant notre nature, acceptât de même les
imperfections qui lui sont habituellement inhérentes, mais qui ne
pouvaient contribuer en rien à l'œuvre de la rédemption.
Une intelligence aussi parfaite que celle de Notre-Seigneur ne
saurait produire que des actes parfaits. Ces actes sont de deux sortes,
naturels et surnaturels. L'intelligence créée de Jésus-Christ produit
des actes naturels, parce qu'elle est une intelligence humaine à
laquelle rien ne manque de ce que demande son intégrité unie à sa
I. Traduction de M. Vi\}>])v CiiARPENTiEn.
318 L.V SAINTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
perfection. Elle produit aussi des actes surnaturels, parce qu'il est
de foi que les justes et les saints possèdent des connaissances
surnaturelles : or Jésus-Christ est le Saint des saints, le juste à
qui tous les autres sont redevables de leur justice.
Tout acte surnaturel de l'intelligence de Notre-Seigneur Jésus-
Christ est nécessairement parfait comme cette intelligence elle-
même; il n'y a dans les connaissances surnaturelles de l'âme
humaine du Fils de Dieu aucune obscurité, aucune hésitation,
aucune erreur possible : tout est clair et évident pour elle.
Il en est de même pour tout acte purement naturel do cette intel-
ligence : la vérité, la certitude, l'évidence, en sont les accompagne-
ments nécessaires. Jésus-Christ était sur la terre, comme il est au
ciel et dans l'Eucharistie, le Fils de Dieu; l'autorité de sa parole
était infaillible; il ne pouvait ni tromper ceux qui entendaient sa
parole, ni se tromper lui-même; il ne pouvait pas davantage dire
des paroles qui ne fussent pas conformes à ses pensées et à ses
jugements. Il fallait donc que toute pensée, tout jugement, tout
acte intellectuel en un mot, fruit naturel de son intelligence hu-
maine, fût et soit à jamais marqué au coin de la vérité, de la certi-
tude et de l'infaillibilité.
On trouve quelquefois dans l'Évangile des expressions qui
semblent supposer en Notre-Seigneur l'ignorance de certaines
choses. Mais s'il agissait ou parlait alors comme l'eût fait un simple
mortel, c'était pour s'accommoder à la faiblesse et aux besoins de
ceux qui l'entouraient, et nullement par suite d'une ignorance
réelle : comme le disait S. Pierre, il sait tout : « Seigneur, vous
a connaissez toutes choses : » Domine, tu omnia nosli K II savait
donc tout, et comme rien de ce qui se rattache à l'intelligence et à
la science ne lui était étranger, il possédait comme nous, mais à
un degré excluant toute imperfection, la mémoire, la faculté de
raisonner et tout ce que les théologiens entendent sous le nom de
habitus intellectuales 2.
\. Jonnn., xxi, M .
2. Adverto nomine habituum compreliendi lioc loco, lam species intelligi-
biles, quam habitus scientiarum, atque omne id, quidquid illud est, quod in
intellectu manet per inodum actus prirni, et est principiiim recordationis, seu
memoriae, et reddit illum facilcm et promptum ad naturales actus scientise.
Quanquam enim de his varias versentur opiniones : tamen in génère quod
aliquid sit in intellectu permanens per modum habitus, quo intellectualis
memoria generctur, fere nullus dubitat : negari autem non potest, quin in
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EUCHARISTIE. 319
L'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ est donc naturellement
intelligente, et son intelligence agit comme celle de toute âme
humaine, mais avec une puissance et une perfection que nulle
autre ne saurait atteindre, pas même l'intelligence presque divine
de la bienheureuse Vierge IMarie. Elle possède nécessairement
aussi la science que demande une si haute perfection, et son
union personnelle avec le Verbe divin.
Quelle est donc la science de l'àme du Fils de Dieu fait
homme?
Nous avons parlé de la science infinie de Jésus-Christ considéré
dans sa divinité; mais cette science divine de la personne adorable
du Fils de Dieu fait homme ne s'oppose pas à l'existence simul-
tanée d'une autre science qui lui convienne parce qu'il est
homme. Cette autre science est même nécessaire, puisque sans
elle sa nature humaine serait comme atrophiée, n'exerçant pas son
acte propre qui est de connaître. L'intelligence humaine de Notre-
Seigneur n'aurait plus de raison d'être si elle n'avait sa science
propre. Jésus-Christ a pris la nature humaine dans son intégrité;
il a donc pris l'intelligence, et avec elle la science qui ne s'en
sépare pas '.
anima Christi fuerit memoria intellectiva Est enim haec naturalis proprietas,
et ostensum est ex detinitionibus fidei fuisse in anima Christi omnes proprie-
tates naturales humanitatis : sic ergo in génère omnino constat esse in intel-
lectu Christi aliquid permanens per modum habitas naturalis. In particulari
vero, quid illud fuerit pendet ex opinionibus. In eis tamen loquendum est de
Christo sicut de aliis hominibus, ut supra dictum est : quia hoc pertinet ad
consummatam humanœ naturag perfectionem. (Suarez, III p., disput. xxiv,
sect. IV.)
4. Filius Dei humanam naturam integram assumpsit, id est, non solum
corpus, sed etiam animam; non solum sensiiivam, sed etiam rationalem. Et
ideo oportuit quod haberet scientiam creatam, propter tria. Primo quidem
propter animc-e perfectionem. Anima enim secundum se considerata est in
potentia ad intelligibilia cognoscenda; est enim sicut fal)ula in qua nihil est
scriptum ; et tamen possibile est in ea scrihi propter intellectum possibilem
que est omnia fieri, ut dicitur {de Anima, lib. III, text. 18). Quodautem est in
potentia, est imperfectum, nisi reducatur ad actum. Non autem fuit conve-
niens quod Filius Dei humanam naturam imporfectamassumeret, sed perfec-
tam, utpote qua mediante totum humanum gonus ad perfectum erat reducen-
duin. Et ideo oportuit quod anima Christi esset perfectaper aliquam scientiam
prseter scientiam divinam ; alioquin anima Christi esset imperfectior animabus
aliorum hominum. Secundo quia cum quœlibel res sit propter suam opera-
tionem, ut dicitur (de Cœlo, lib. II, text. 17), frustra haberet Christus animam
intellectivam, si non intelligeret secundum illam : quod jjerlinel ad scientiam
creatam. Tertio, quia aliqua scicntia crcata pertinet ad animas huinanœ na-
3^0 LA SAINTE EUCHARISTIE, — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. Vil.
L'homme a été créé pour la béatitude céleste, qui consiste pre-
mièrement dans la connaissance et la claire vision de Dieu. Notre
divin Sauveur, demandant à son Père la vie éternelle pour ses-
apôtres, disait : « Or la vie éternelle c'est qu'ils vous connaissent,
« vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-
o Christ ' ». Et S. Paul écrivait aux Corinthiens : « Quand viendra
« ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait. Nous
« voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, mais alors
a nous verrons face à face. Maintenant je connais imparfaitement;
« mais alors je connaîtrai aussi bien que je suis connu moi-
Œ même ~. » S. Jean assure aussi que nous verrons Dieu tel qu'il
est : sicuii est ^.
Cette science, cette vision de Dieu, qui fait la gloire et le bonheur
des saints dans le ciel, leur a été méritée par les souffrances et la
mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ '*. Il est donc juste que sa très
sainte humanité possède un bien dont elle a été la source pour
les autres, et qu'elle le possède à un degré incomparablement
turnm, scilicet illa per quam naluraliter cognoscimus prima ])rincipia : scien-
tiam enim hic large accipimus, pro qualil)et cognilione inlcllcctus humani.
iSiliil autem naturalium Chrislo defuit; quia totam Immanam naturam susce-
pil, ut supra dictum est (qusest. v). Et ideo in sexta synodo (Constantinop. III
gênerai., (5 act., i, in Epist. Agath. PP. ad imperat.), damnata est positio
negantium in Christo esse dues scientiasvel duas sapientias. (S. Tiiom., III p.,
q. IX, art. i.)
Actione enim iv dicit pontifex : Omnia duplicia unius ejusdemque Domini
Salvatoris nostri Jesu Christi ; secundum evangelicam traditionem asserimus,
id est, duas ojusnaturaspraedicamus, divinam scilicet etliumanam; et unam-
quamque, proprietates naturalcs habere condtemur; ethabcre divinam omnia
quaî divina sunt, et humanani omnia quae liumana sunt, absquc ullo peccato.
1. Hœc est autcm vita aeterna : Ut cognoscant le soluni Deuni vorum, et
quem misisti Jesum Christum. {Joann., xvii, 3.)
"2. Cum autem venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parle est....
Videmus nunc per spéculum in èenigmate : tune autem facie ad faciem.
Nunc cognosco ex parte : lune autem cognoscam sicut et cognitus sum.
(/. Cor., XIII, 40, 12.)
:{. /. Joann., m, 2.
1. Homo est in potentia ad scienliam beatorum, quîE in Dei visione consis-
tit; et ad eam ordinatur sicut ad finem : est enim creatura ralionalis capax
illius beatag cognitionis, in quantum est ad imaginem Dei. Ad hune autem
finem beatitudinis homines reducuntur per Christi humanitatem, secundum
illud {Ilehr., ii, 10) ; Decebal eum propler quem omnia et per quem omnia, qui
mullos filios in gloriam adduxerat, auclorem salutis eorum per passionem
consummari. Et ideo oportuit quod cognitio beata in Dei visione consistens,
excellentissime Christo homini conveniret, quia semper causam oportet esse-
poliorem causato. (S. Thom,, III p., q. ix, arl. 2.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 321
plus élevé. Aussi est-il de foi que Jésus-Christ, en son humanité,
non seulement voit Dieu dans la gloire du ciel, mais qu'il est
assis à sa droite, c'est-à-dire qu'il existe entre l'humanité du Sei-
gneur et sa divinité une sorte d'égalité, telle qu'elle peut exister
entre la créature et le Créateur, le fini etl'infini : Domiiiusquidem
Jésus.... assumptus est in cœlum et sedet a dextris Dei K
Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ n'eut pas à attendre la fin de
sa vie mortelle pour entrer en possession de la claire vision de
Dieu et de la science réservée aux saints dans le ciel, il la posséda
dès ici-bas, à un degré de perfection inaccessible aux chérubins
eux-mêmes.
Ce n'était pas seulement comme Dieu, mais surtout comme
homme, que Jésus-Christ parlait lorsqu'il disait : « Personne n'a
a jamais vu Dieu, mais le Fils unique qui est dans le sein du
ff Père est celui qui l'a fait connaître -. » N'est-ce pas par son huma-
nité que le Seigneur s'est montré au milieu de nous ? N'est-ce pas
par sa bouche adorable qu'il a prêché l'Évangile et fait connaître
les mystères sublimes qu'il nous apportait du sein de son Père ?
Dieu était donc visible pour son humanité, et il pouvait dire
comme il le dit en effet dans une autre circonstance : « Moi je
« parle de ce que j'ai vu en mon Père : » Ego quœ vidi apud
Patrem loquor 3. Au jour de sa transfiguration, l'éclat divin dont
il resplendit aux yeux des trois Apôtres choisis n'était qu'un
reflet de la gloire dont son àme était en possession, mais qu'il
tenait cachée aux yeux des hommes, à cause de l'œuvre pour
laquelle il était venu.
Il ne pouvait pas en être autrement, car la vision béatifique res-
sort, comme une conséquence nécessaire, de l'union hypostatique
qui s'accomplit au moment de lincarnation, entre l'âme de Notre-
Seigneur et le Verbe divin. « Et nous avons vu sa gloire, comme
a la gloire qu'un fils unique reçoit de son Père, plein de grâce et
« de vérité ^, » dit S. Jean. Cette plénitude de grâce et de vérité,
c'est-à-dire de science, dont parle l'Évangéliste, était donnée à
Jésus-Christ, comme homme, en sa qualité de Fils unique du
1. Marc, V, 11).
i>. Deum nemo vidit unquam. Unigenilus (|ui est in sinii Pntris. ipse enar-
ravit. [Joann., i, 18.)
3. Joann., viii, 38.
4. Vidiinus gloriam ejus, gloriam quasi Unigeniti a Pâtre, plénum graliœ
et veritatis. [Joann., i, li.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 21
322 L.V SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE, — LIVRE II. — CHAP. VII.
Père. II la posséda donc à l'instant même de sa conception dans le
sein de Marie; il la posséda dans toute sa plénitude ' ; il la pos-
séda pour en jouir éternellement, car éternellement il est et sera
Fils de Dieu. La personne divine du Verbe aurait-elle pu admettre
quelque imperfection dans la nature humaine à laquelle elle s'unis-
sait pour toujours?
La science de béatitude ou de vision divine, que possède l'àme
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, est de la même espèce que celle
qui nous sera donnée un jour, si nous méritons d'être admis dans
la patrie céleste; mais sa lumière est incomparablement plus
grande, et l'on peut dire que toute celle des saints et des anges
n'est, vis-à-vis d'elle, qu'un simple rayon comparé au soleil. Il a
été placé par son Père, dit S. Paul, « au-dessus de toute princi-
« pauté, de toute puissance et de toute vertu 2.... En lui sont tous
« les trésors de la sagesse et de la science de Dieu ^. » Néanmoins
quelle que soit la perfection de la science béatifique dont jouit
l'àme de Notre-Seigneur, il taut reconnaître qu'elle ne va pas
jusqu'à comprendre l'essence divine, car cette divine essence ne
peut être comprise que par Dieu lui-même : or l'àme humaine de
Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas Dieu, quoiqu'elle soit l'àme
du Fils de Dieu fait homme. Ses actes propres ne sont pas infinis,
et la compréhension de Dieu est un acte infini qui, par conséquent,
dépasse ses forces, môme surnaturelles *. Mais elle voit Dieu, elle
voit le Verbe divin auquel elle est unie, et elle voit en lui tout ce
que Dieu voit lui-même, d'une manière aussi complète qu'il est
possible à une intelligence créée de voir et de connaître. Jésus-
Christ, chef et juge des anges et des hommes, ne peut ignorer
1. Propterea, qui dicunt Christum verum incrementum in sapientia acce-
pisse, propterea negant unionem factam esse a primo illo Garnis ortu : nam
si tune facta est, quid tandem afferri potest quin omnibus prorsus sapientiae,
gratiaeque opibus affluxerit? (S. Damascen., lit). III de Fidc, cap. xxii.)
2. Supra omnem principatum, et potestatem, et virlutem, et dominationem.
{Ephes.,\, 21.)
3. In quo sunt omnes thesauri sapientiae et scientise Dei. [Col., 11, 3.)
4 Dicendum quod, sicut ex supra dictis patet (q. 11, art. 4 et 6), sic
facta est unio naturarum in persona Christi, quod tamen proprietas utriusque
naturae inconfusa permanserit; ita scilicet quod « increatum manserit increa-
tum, et creatum manserit infra limites creaturae, » sicut Damascenus dicit
{Orih. fid., lib. III, cap. m et cap. iv). Est autem impossibile quod aliqua
creatura comprehendat divinam essentiam...., eo quod infinitum non com-
prehenditur a finito. Et ideo dicendum quod anima Christi nullo modo com-
prehendit divinam essentiam. (S. TnOM., III p., q. x, art. 1.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EUCHARISTIE. 323
rien, même comme homme, de ce qui est soumis à sa puissance
et dépend de sa juridiction K Sa condition ne peut pas être
moindre à lui, qui est hypostatiquement uni au Verbe, que celle
des autres hommes qui voient plus ou moins de choses dans le
Verbe, selon leur degré de perfection, et qui, en tout cas, y voient
toujours tout ce qui peut les intéresser n'importe à quel point de
vue. Que les créatures et leurs actes se multiplient donc, non pas
jusqu'à l'infini qu'elles ne sauraient atteindre, mais indéfiniment,
rien n'en sera iD;-noréde l'intelligence humaine de Notre-Seigneur.
On ne peut pas en dire autant d'une manière absolue des pos-
sibles, car ils n'ont d'autres limites que la puissance de Dieu qui
est infinie. Or, l'intelligence humaine de Notre-Seigneur n'est pas
Dieu, et ne peut pas aller jusqu'à la compréhension de l'infini -.
Mais elle connaît tout ce qui est possible aux créatures.
Non seulement l'àme de Notre-Seigneur voit et connaît toutes
choses en Dieu, comme les bienheureux du ciel, quoique d'une
manière incomparablement plus claire et plus complète, mais elle
possède la lumière d'une science infuse, qui embrasse tous les
1. Cum quaeritur an Christus cognoscat omnia in Verbo, ly omnia potest
dupliciter accipi : uno modo proprie, ut distribuât pro omnibus quae quocum-
que modo sunt, vel erunt, vel fuerunt, vel facta, vel dicta, vel cogitata a quo-
cumque, secundum quodcumque tempus. Et sic dicendum est quod anima
Christi in Verbo cognoscit omnia. Unusquisque enim intellectus creatus in
Verbo cognoscit, non quidem omnia simpliciter, sed tanto plura quanto per-
fectius videt Verbum. Nulli tamen intellectui beato deest quin cognoscat in
Verbo omnia quse ad ipsum spectant. Ad Christum autem et ad ejus dignita-
tem spectant quodammodo omnia, in quantum ei subjecta sunt omnia. Ipse
etiam est omnium judex constitutus a Deo, quia Filius homùiis est, ut dicitur
[Joann., v, ^7) ; et ideo anima Christi in Verbo cognoscit omnia existentia,
secundum quodcumque tempus, et etiam hominum cogitatus, quorum est
judex : ita ut quod de eo dicitur (Joann., ii, 2o) : /yjse enim sciebat qtiid esset
in homine, possit intelligi non solum quantum ad scientiam divinam, sed
etiam quantum ad scientiam animae ejus quam habet in Verbo. (S. TiiOM.,
III p., q. XI, art. 2.)
2. Alio modo ly omnia potest accipi magis large, ut extendatur non solum
ad omnia quae sunt actu secundum quodcumque tempus, sed etiam ad omnia
quœcumque sunt in potenlia, nunquam reducenda vel reducta ad actum.
Horum autem quaedam sunt in sola potentia divina : et hujusmodi non omnia
cognoscit in Verbo anima Christi. Hoc enim esset comprehendere omnia quae
Deus potest facere, quod esset comprehendere divinam virtutem, et per con-
sequens divinam essenliam.... Quasdam vero sunt non solum in potenlia
divina, sed etiam in potentia creaturae :et iuijusmodi omnia scit anima Christi
in Verbo, comprehendit enim in Verbo omnis creaturic essentiam, et per
consequens potentiam et virtutem et omnia qua; sunt in potentia creaturaj.
(Id., ibid.)
324 LA SAINTE EUCHARISTIE. II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
êtres et toutes les vérités, aussi bien de l'ordre naturel que de
Tordre surnaturel, tout ce qui peut être connu par une intelligence
humaine. Cette science, elle la possède déjà par la vision béatifique,
mais la perfection souveraine de l'àme du Fils de Dieu incarné
demande qu'aucun mode de connaître ne lui soit étranger. Les
bienheureux, dans le ciel, possèdent aussi la science de la vision
béatifique, chacun selon son degré de mérite et de gloire ; cepen-
dant ils gardent en même temps le don de science, la science in-
fuse que l'Esprit saint a mise en eux au temps de leur vie mor-
telle.
Enfin Jésus-Christ possède une science acquise. Il a vu de ses
yeux, entendu de ses oreilles, touché de ses mains mille choses
diverses, pendant sa vie sur la terre ; il a fait l'expérience de ce
qu'il savait déjà en vertu de sa science divine, de sa science de
béatitude et de sa science infuse, et l'on peut entendre en ce sens
les paroles de S. Luc : « Jésus croissait en sagesse, et en âge, et en
« grâce devant Dieu et devant les hommes K » Ni les hommes ni
les anges n'avaient rien à lui enseigner, puisqu'il est leur lumière,
mais il voulut s'assimiler à nous jusqu'à imiter extérieurement
les progrés que nous faisons dans les connaissances de toutes sortes,
à mesure que nous croissons en âge ; il voulut faire l'expérience
des faiblesses de l'enfance, des travaux et des fatigues de l'âge
mûr, des diverses souffrances venant de l'extérieur, auxquelles
la nature humaine est exposée, pour que nous comprenions mieux
combien il compatit à nos maux et se plaît à les soulager.
Aucune science ne manqua donc à notre divin Sauveur consi-
déré comme homme, pendant sa vie mortelle; aucune science ne
lui manque dans la gloire des cieux ; aucune science ne lui
manque par conséquent dans l'adorable sacrement où il se cache
par amour pour nous.
A la science que possède l'humanité de Notre-Seigneur il faut
ajouter la puissance.
Noire-Seigneur Jésus-Ciirist est tout-puissant parce qu'il est
Dieu ; mais l'humanité ne peut pas, par elle-même, posséder un
attribut qui n'appartient qu'à l'être infini, et le Verbe divin, en
s'unissant à son humanité, ne lui communiqua pas sa toute-puis-
sance. Jésus-Christ est homme et il est tout-puissant ; mais sa
1. Jésus proficiebat sapientia, et setate, et gratia apud Deum et homines.
{Ltir., II, ;j"2.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EDCIIARISTIE. 325
toute-puissance est l'attribut de sa divinité et non de son liuma-
nité. Il est tout-puissant non parce qu'il est homme, mais parce
qu'il est Dieu. Son humanité, par elle-même, n'aurait qu'une
puissance bornée telle qu'elle convient à notre nature. Unie au
Verbe, elle garde le principe d'action qui lui est propre ; sa subs-
tance n'est pas ciiangée, sa puissance ne l'est pas davantage, non
plus que son existence, bien qu'elle ait, par cette union, une
subsistance qui n'est pas d'elle.
Mais si la nature seule ne pouvait pas donner à l'humanité du
Seigneur une puissance en rapport avec la dignité suprême que
lui communique l'union hypostatique avec le Verbe, Dieu avait
d'autres moyens de l'en revêtir, et ce ne fut pas seulement comme
Dieu, mais aussi comme homme, qu'il put dire à ses disciples :
a Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre : » Data
est mihi omnis potestas in cœlo et in terra ^. Il a, comme
homme, autorité sur toutes choses, parce qu'il est l'Homme-Dieu ;
il a, pour la même raison, le pouvoir d'accomplir toutes ses vo-
lontés, quelles qu'elles soient, et rien n'excède sa puissance, parce
qu'il est, comme homme, l'instrument de la toute-puissance de
Dieu. L'Évangile nous montre, à chacune de ses pages, comment
ce divin Sauveur exerçait, sur les hommes et sur la création tout
entière, ce pouvoir sans bornes conféré à son humanité. Il vou-
lait, et les malades étaient guéris ; il disait un mot, et les morts
ressuscitaient ; il touchait du doigt les sourds, les aveugles, et
l'ouïe aussi bien que la vue leur étaient rendues. Et si l'huma-
nité de Notre-Seigneur était puissante à ce point, pendant son
passage sur la terre, que ne pourra-t-elle pas, aujourd'hui qu'elle
est assise au plus haut des cieux à la droite du Père?
C'est cette humanité du Fils de Dieu fait homme que nous pos-
sédons dans la Très Sainte Eucharistie : c'est elle que nous rece-
vons sous les espèces sacramentelles. Que ne pouvons-nous pas
espérer, que ne pouvons-nous pas attendre de celui qui sait tout,
qui peut tout, et qui nous aime jusqu'à se faire notre victime,
notre compagnon d'exil et notre nourriture?
\. Matlh., xxviii, 18.
326 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. VII.
II.
l'ame de xotre-seigneur, formellement sanctifiée par son union
hypostatique avec le verbe, et enrichie de la grace habi-
tuelle et de la grace actuelle dont il est la source pour
NOUS.
L'humanité de Notre-Seigneur ne reçut pas seulement de Dieu
les dons qui l'élèvent, dans l'ordre de la nature, à une perfection
souveraine, que nulle autre créature ne saurait atteindre. Ce
n'est pas assez pour ce corps et cette âme que nous possédons au
Très Saint Sacrement, pour le corps et l'àme du Fils de Dieu fait
homme.
Au-dessus de l'ordre naturel s'élève l'ordre de la grâce, qui fait
entrer les intelligences créées en communication intime avec Dieu.
Quelle que soit la perfection de la nature humaine en Jésus-Christ,
elle avait besoin, pour la dignité suprême qui lui était dévolue,
d'être rehaussée par les dons de la grâce et par ceux de la gloire,
qui en sont l'épanouissement et la couronne.
Que Notre-Seigneur Jésus-Christ ait été, dès le premier instant
de sa conception, agréable à Dieu comme homme, plus que nulle
créature, c'est une vérité qui n'a jamais été mise en doute par
aucun chrétien. L'apôtre S. Jean nous dit dans son Évangile :
« Nous avonsvu sa gloire, comme la gloire que le Fils unique re-
«t çoit du Père, plein de grâce et de vérité K »
Dans le récit qu'il fait du mystère de l'Incarnation, S. Luc rap-
porte ces paroles de l'Ange à Marie : « La chose sainte qui naîtra
« de vous sera appelée Fils de Dieu 2. » — « Remarquez, je vous
« prie, avec quel respect l'Ange s'exprime, » dit S. Bernard : La
chose sainte quinailra de vous. Pourquoi donc dit-il simplement
sanctum, sans ajouter d'autre mot à cette appellation? « Je crois
« que c'est parce qu'il manquait d'un nom propre, pour désigner
« le fruit insigne, magnifique et respectable qui devait se former
« de l'union de l'âme et du corps, tiré du corps très pur de la
« Vierge, avec le Fils unique du Père. S'il disait la chair sainte,
« l'homme saint, le saint enfant, ou autre chose semblable, il lui
i. Et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi Unigeniti a Pâtre, plénum gratiae
et veritatis. (Joann., i, 14.)
2. Quod ex te nascetur sanctum, vocabitur Filius Dei. (Luc, i, 35.)
PERFECTION SOUVERAINE DE LAME DE N.-S. DANS l'eCCHARISTIE. 327
« semblerait qu'il n'a point assez dit; voilà pourquoi, sans doute,
« il se sert de l'expression indéfinie : sanctum. Il est certain en
« effet que, quel que soit le fruit qui naîtra de la Vierge, il ne peut
« être que saint et saint par excellence, tant à cause du Saint-Es-
« prit qui l'aura sanctifié, qu'à cause du Verbe de Dieu qui se le
« sera uni '. » Notre-Seigneur Jésus-Christ témoigne d'ailleurs
lui-même qu'ilétait saint à son entrée dans le monde, lorsque, ré-
pondant aux accusations des Juifs, il leur dit : « Vous me dites à
« moi que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde : Tu blas-
« phèmes; parce que j'ai dit : Je suis le Fils de Dieu. » S. Augustin
et, après lui, le vénérable Bède rapportent ces paroles à la généra-
tion éternelle du Verbe qui est saint par nature ~; mais il faut re-
connaître en même temps que Jésus-Christ parlait principalement
de lui-même, au point de vue humain, en cette occasion, ainsi que
S. Hilaire le dit expressément 3. S. Athanase est du même avis :
« Celui qui est saint et n'a pas besoin de sanctification est néan-
« moins sanctifié comme homme ^. » C'est à l'humanité du Sau-
veur ainsi sanctifié que s'adresse le témoignage rendu par le Père
éternel, sur la montagne du Thabor : « Celui-ci est mon Fils bien-
« aimé, en qui je me suis complu ^. »
1. Attende, quœso, quam reverenter dixerit, quod nascetur ex te sanction.
Ut quid enim ita simpliciter Satictum, et absque additamento ? Credo quia
non habuit quid proprie digneve nominaret illud eximium, illud magnifi-
cum, illud reverendum, quod de purissima videlicet Virginis carne cum sua
anima Unico Patris erat uniendum. Si diceret, sancta caro, vel sanctus homo,
vel sanctus infans, quidquid fale poneret, parum sibi dixisse videretur. Po-
suit ergo indefinite, Sanctum : quia quidquid illud sit quod Virgo genuit,
sanctum procul dubio, ac singulariter sanctum fuit, etper Spiritus sanctifica-
tionem, et per Verbi assumptionem. (S. Bernard., serm. IV in Missus est,
n. 5J.)
2. Sanctificavit, id est, ut sanctus esset gignendo ei dédit; quia sanctum
eum genuit. Si autem sermo Dei factus est ad homines ut dicerentur dii,
ipsum Verbum Dei quomodo non est Deus? Si per sermonem Dei, homines
participando fiunt Dii, Verbum unde participantur, non est Deus?(S. Aucust.,
tract. LXXVIII in Joann.)
3. Jam ergo non est criminis, quod .se Deum, cum homo sit, faciat; cum
eos, qui homines sint, lex dcos dixerit. Et si a caeteris hominibus non irreli-
giosa hujus nominis usurpalio est : ab eo homine, quem Pater .sanctificavit
(omnis enim hic de homine responsio est), non impudenter usurpari videtur,
quod Dei se Filium dixerit (S. IIilar., lib. Vil de Trinitate, n. ±i.)
4. Ut homo etiam sanctificatur (jui sanctus est, et qui sanctificatione non
eget. (S. Athan., de Incarnat., n. H.)
îi. Hic est Filius meus dilectus in quo milii bene complacui. {Matth.,
XVII, îj.)
328 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VU.
Mais si l'humanité de Notre-Seigneur était sainte, et le fut dès
e premier instant de son existence et de son union avec le Verbe
divin, sa sainteté ressemble-t-elle, dans sa cause, à celle dont les
autres créatures sont susceptibles? N'a-t-elle pas sa source immé-
diate, au contraire, dans l'union hypostatique avec le Verbe?
Ou bien enfin les deux causes n'y contribuent-elles pas à la
fois?
Des théologiens ont dit que l'union hypostatique supposait, avant
toutet comme condition absolue, lagrâce habituelle. Ils s'appuyaient
avec raison sur ce principe, que le Verbe de Dieu n'aurait pas pu
prendre pour lui une nature qui n'eût pas été sainte; et parce
qu'ils ne reconnaissaient de sainteté possible que moyennant la
grâce habituelle, ils concluaient que la sanctification de Notre-
Seigneur, comme homme, consistait tout d'abord dans la collation
de cette grâce.
D'autres ont supposé qu'il n'était pas indispensable que la na-
ture à laquelle s'unissait le Fils de Dieu fût d'abord sainte, mais
qu'il suffisait qu'elle ne fût pas coupable, car la grâce habituelle,
grâce créée, ne fait pas partie de la nature humaine, et rien n'obli-
geait le Verbe à prendre, avec cette nature, une grâce qui fût pu-
rement accidentelle.
D'autres enfin, et c'est l'opinion commune, il faut dire la seule
vraie, établissent que l'humanité de Notre-Seigneur est sainte et
juste, par le seul fait de son union avec le Verbe divin. Elle n'a
aucun besoin, pour posséder cette justice, de la grâce habituelle;
néanmoins la grâce habituelle lui fut donnée par surcroît, comme
on le verra plus loin, pour des motifs dignes de la sagesse de
Dieu.
Il est aisé de trouver dans la Sainte Écriture les bases de cet en-
seignement. Il résulte en effetde nombreux passages, dont il suf-
fira de citer quelques-uns, que Jésus-Christ, considéré comme
homme, est formellement, absolument et simplement saint, en
vertu de la seule grâce d'union.
Dans le psaume xliv, David adresse ces paroles au Christ qui
doit naître de lui : « Dieu, votre Dieu, vous a plus excellemment
« oint d'une huile de joie que ceux qui participentà l'onction avec
« vous K » Le prophète Isaïe et après lui S. Luc disent à leur tour :
1. Unxit te Deus, Deus tuas oleo Isetitiœ prae consortibus luis. {Ps. xliv, 7.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 329
* L'esprit du Seigneur est sur moi, et c'est pour cela qu'il m'a con-
t sacré par l'onction ^ » On lit de même dans le prophète Daniel:
€ Et le saint des saints sera consacré par l'onction '-. »
Enfin, dans les Actes des Apôtres, S. Pierre dit au centurion Cor-
neille et à ceux qui l'accompagnaient : « Vous savez tous comment
« Dieu a consacré, par l'onction de l'Esprit-Saint et de sa vertu,
« Jésus de Nazareth qui a passé en faisant le bien 3. »
Quelle fut cette onction que Jésus-Christ reçut comme homme,
et à laquelle il doit ce nom de Christ par excellence? Tous les
Pères sont d'accord pour y reconnaître l'union avec la divinité,
avec la personne du Verbe dont la présence sanctifie son humanité.
« Le Christ fut parfait, dit S. Grégoire de Nazianze, non seule-
« ment par sa divinité, dont la perfection est au-dessus de tout,
« mais aussi dans son humanité consacrée par l'onction de la di-
« vinité 4. » Ailleurs il fait ressortir la différence entre la consécra-
tion, qu'un acte quelconque peut conférer aux hommes, et celle de
Jésus-Christ, qui résulte de la présence même du souverain con-
sécrateur ^ S. Jean Damascène dit que Jésus-Christ, étant Dieu,
s'est consacré lui-même par sa divinité, car sa divinité est l'onc-
tion de son humanité 6. S. Cyrille fait remarquer la différence
entre l'onction donnée aux saints ou aux rois, et celle de Jésus-
Christ : Le Verbe s'est fait chair; voilà' en quoi consiste son
onction '. « Le Verbe, dit-il encore, n'était pas Christ, avant l'in-
« carnation, mais en prenant la chair, il s'est acquis ce nom ^. »
S. Denis d'Alexandrie avait dit avant lui que Jésus-Christ n'avait
pas eu besoin d'onction extérieure, parce qu'il fut consacré par
1. Spiritus Domini super me, eo (propter) quod unxit me. {h., lni, 1.) —
Luc, IV, 18.
2. El ungatur Sanclus sanctorum. {Dan., ix, 'îi.)
3. Vos scitis.... quomodo unxit eum {Jesum a Nazareth) Deus Spiritu sancto
et virtule, qui pertransiit benefaciendo. (Act., x, 37, 38.)
4. Perfectus autem fuit non modo propter divinitatem, qua nihil est perfec-
tius, sed eliam propter humanitatem divinitate delibutam. (S. Gregor. >az.,
orat. II de Paschate, post médium.)
5. Christus igitur propter divinitatem, ea enim humanitas uncta est non
actu, vel operatione, ut in aliis qui Christi nuncupantur, sed lotius unclons
prsesentia. (lu., orat. IV dr Theolog., ad finem.)
6. Ipse seipsum unxit, divinitas enim humanitatis unctio. (S. JOANN. Dam.,
orat. I de Imagin.)
7. S. Cyrill. Alex., lib. IV inJoann., cap. xxix.
8. Cum Verbum antea non esset Christus, in ipsa carnis assumptione dic-
tas est Christus. (Id., in libro de Fide ad Theodos., prope finem.)
330 LA SAINTE EUCHARISTIE. — U" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
lui-même, et qu'il fut à lui-même son onction ^ S. Augustin ne
parle pas autrement. La nature humaine, dit-il, fut consacrée par
la divinité invisible, lorsqu'elle fut unie à la personne divine 2. Ci-
tons aussi ces quelques mots de S. Anselme : « Il ne fut pas conçu
« d'abord et ensuite consacré par l'onction ; mais être conçu de la
a chair de la Vierge, par l'opération du Saint-Esprit, et recevoir
0 l'onction du Saint-Esprit, fut pour lui une même chose ^. »
On comprend qu'il ne puisse pas en être autrement. De l'union
hypostatique, en effet, résulte l'existence de l'Homme-Dieu. La na-
ture divine, dans la personne du Verbe, et la nature humaine ne
sont plus ensemble qu'une seule et même personne. Gomment le
Fils de Dieu pourrait-il être homme et n'aimer pas l'humanité
qu'il unit à lui par un lien si étroit? La grâce qu'il accorde à son
humanité, en s'unissant à elle, est surnaturelle au degré suprême^
car il se donne lui-même, lui qui est infiniment au-dessus de
toute nature créée. Un tel don accordé à la nature humaine, au
moment même où il la tirait du néant et s'en revêtait pour ne la
quitter jamais, la rendait nécessairement agréable à ses yeux.
Élevée jusqu'à l'honneur infini de faire partie de sa divine per-
sonne, elle ne pouvait pas n'être pas digne de tout son amour. Le
Verbe divin pouvait-il ne pas aimer et ne pas trouver digne de lui
ce qui, en vertu de sa volonté divine qui est celle de l'adorable
Trinité tout entière, faisait désormais partie de sa personne, et
n'était pas autre chose que lui ?
On peut donc conclure que l'union hypostatique est un don qui
constitue, par sa propre vertu, l'àme de Notre-Seigneur dans un
état de grâce d'un ordre particulier et supérieur à tout autre. Il ne
suit pas cet état de grâce, il le crée par lui-même, et l'union ne
1. Quia per se unctus est, et sibi ipsi est unctio. (S. Dionys. Alexandr.,
Epist. contra Paulum Sattiosat.)
2. Et manifestius de illo scriplum est in Actibus Apostolorum : Quoniam
unxit etim JJeiis Spiritu sancto. Non utique oleo visibili, sed dono gratise,quod
visibili significatur unguento, quo baptizatos ungit Ecclesia. Nec sane tune
unctus est Christus Spiritu sancto, quando super eum baptizatum, velut co-
lumba descendit : tune enim corpus suum, id est, Ecclesiam suam prsefigu-
r.'ire dignntus est, in qua prgecipue baplizati accipiunt Spiritum sanctum -
sed ista mystica et invisibili unctione tune intelligendus est unctus, quando
Verbum Dei caro factum est. (S. Al'gijst., lib. XV de Trinitate, n. 46.)
3. Non ante conceptus et poslmodum unctus, sed boc ipsum de Spiritu
sancto et carne Virginis concipi, Spiritu sancto ungi fuit. (S. Anselm. in cap,
ad Hebr., i.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EUCHARISTIE. 331
peut pas exister que la grâce n'existe en même temps ; l'humanité
de Jésus-Christ ne peut pas être l'humanité du Fils de Dieu, sans
être un objet d'amour pour le Fils de Dieu, qui s'aime nécessaire-
ment lui-même, et, par conséquent, un objet d'amour pour l'ado-
rable Trinité tout entière.
Ce don de l'union hypostatique n'admet aucune tache, quelque
légère qu'on la suppose, en la nature humaine unie au Verbe
de Dieu; il la constitue donc dans un état de pureté parfaite et
d'innocence ; à ce point de vue encore, il la rend agréable à Dieu
et digne de tout son amour.
A cause de l'union hypostatique, l'humanité de Notre-Seigneur
fut aussi et demeure nécessairement enrichie de toutes les perfec-
tions surnaturelles, en rapport avec une si haute dignité. Tous les
actes de Jésus-Christ sont des actes de THomme-Dieu, des actes
divins; il faut donc que sa nature humaine soit assez parfaite, pour
que les actes qu'il produit par elle soient dignes d'être attribués à
Dieu lui-même, dont la sainteté et la perfection sont infinies.
Ajoutez encore que, dès le premier instant de son existence et,
par conséquent, de son union avec le Verbe, l'âme de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ fut et demeura, pendant sa vie mortelle, comme
elle est actuellement dans la vie de la gloire et dans l'Eucharistie,
en pleine possession de la yision béatifique. Quelles merveilleuses
perfections surnaturelles suppose cet état de vision incomparable-
ment plus parfait en Jésus que celui des anges !
Dans Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'homme est lormellement
Dieu en vertu de l'union hypostatique; il est donc l'objet suprême
de la dilection surnaturelle de Dieu. Cette dilection le constitue
dans un état de dignité et de grâce d'un ordre plus relevé que la
grâce habituelle, et donnant droit comme elle à l'éternelle béati-
tude. Si la nature humaine était unie à la personne d'un ange,
cette personne angélique ne communiquerait pas, par elle-même,
à son humanité la sainteté et le droit à la béatitude, parce que
cette sainteté et ce droit ne sont pas essentiels à l'ange, mais seule-
ment accidentels. Pour le Verbe de Dieu, dont l'essence même est
la sainteté et la béatitude infinie, ce qui lui est uni et fait partie
de sa personne ne peut pas ne pas être saint et ne pas avoir droit
à la béatitude, ainsi qu'à tous les privilèges et toutes les perfec-
tions que comporte une telle dignité. H convient cependant de re-
connaître que la grâce d'union ne confère pas précisément et for-
33iJ LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
mellement, par elle-même, à la nature humaine, toute la perfec-
tion de justice et de sainteté nécessaire à l'homme juste, pour que
toutes ses affections et ses actes soient irréprochables, et qu'il pos-
sède la béatitude comme un bien nécessaire. L'union hypostatique
confère à la nature humaine de Notre-Seigneur la dignité suprême
de ne faire qu'une seule personne avec le Verbe de Dieu, par con-
séquent d'être sainte, sans avoir besoin d'une sainteté créée et ac-
cidentelle. Toutes les grâces, toutes les perfections que réclame
cette élévation divine, l'humanité de Notre-Seigneur les reçoit en
même temps; néanmoins ce sont des grâces particulières, et théo-
riquement séparables de la grâce d'union, quoique, dans la réalité,
elles l'accompagnent infailliblement ; mais elles relèvent de la
grâce habituelle. La dignité de la personne ne fait pas tout en
l'humanité de Notre-Seigneur; il y a de plus la sainteté surémi-
nente et l'ensemble de perfections et de vertus nécessaires pour
que cette humanité ne soit pas trop au-dessous de la dignité infinie
que le Verbe de Dieu lui confère. Il en est de même pour l'âme de
Jésus-Christ que pour sa chair adorable. Assurément le corps de
Notre-Seigneur fut sanctifié par son union avec la personne du
Fils de Dieu ; mais à cette sanctification il fallait que Dieu ajoutât,
par une grâce spéciale, toutes les perfections naturelles, toutes les
inclinations en rapport avec cette sainteté, et propres à rendreaisé
Taccomplissement de tous les actes extérieurs qu'elle demande.
La sainteté conférée à l'humanité de Notre-Seigneur, par l'union
hypostatique, est une sainteté substantielle; mais une nature créée
n'est pas une substance pure et infinie comme Dieu ; elle n'existe
pas sans qualités accidentelles; ces qualités, ces grâces acciden-
telles, cette adorable humanité les reçoit, non pas formellement
du fait même de son union avec le Verbe, mais comme consé-
quence nécessaire de cette union.
La première des grâces accidentelles est sans contredit la grâce
habituelle, celle dont la possession rend les hommes et les anges
agréables à Dieu et saints en sa présence.
Quelques théologiens ont dit que l'âme de Notre-Seigneur ne pos-
sède pas cette grâce, qui a pour but la sanctification de ceux qui
la reçoivent, puisqu'elle est sanctifiée par son union avec le Verbe.
D'autres accordent volontiers que la grâce habituelle existe en
l'âme de Jésus-Christ; mais ils ne croient pas néanmoins qu'on
puisse l'affirmer avec autant de certitude que lorsqu'il s'agit du
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCII ARISTIE. 333
commun des saints, qui ne peuvent être sanctifiés que par elle,
tandis que, même sans elle, Jésus-Christ serait saint, ou plutôt
la sainteté même.
Il n'en est pas moins vrai que, de l'avis commun, on pourrait
dire unanime, des théologiens et des docteurs, l'àme de Notre-Sei-
gneur fut en possesion de la grâce habituelle. De nombreux textes
de la Sainte Écriture le marquent trop clairement pour qu'il soit per-
mis d'en douter, et les écrits des Pères ne sont pas moins formels.
Prenons par exemple ces paroles du psaume xliv que nous
avons déjà citées : « C'est pour cela que Dieu, votre Dieu, vous a
« oint d'une huile de joie, plus excellemment que ceux qui parti-
« cipent à votre onction K »
Cette onction doit s'entendre, comme il a été dit plus haut, de la
grâce d'union, en vertu de laquelle l'humanité de Notre-Seigneur
était nécessairement et substantiellement sainte; mais elle a un
autre sens encore. S. Athanase l'entend de la grâce habituelle ; il
dit que l'onction dont parle le prophète est la sanctification que le
Verbe fait homme se conféra à lui-même, sanctification ou grâce
dont il est maître de disposer â son gré, et qu'il a daigné partager
avec nous. « C'est lui, dit-il, qui donne et qui reçoit l'Esprit
« saint. Il le donne comme Verbe; il le reçoit comme homme....
« Il a reçu cette grâce de l'Esprit comme homme, et nous-mêmes
« l'avons reçue de sa plénitude : elle a débordé jusqu'à nous -. »
S. Cyrille exprime la môme pensée dans des termes à peu près
identiques, en se reportant au même texte ; mais il ajoute que
cette onction de grâce que nous partageons avec Jésus-Christ
n'est pas sa seule onction : il n'est pas seulement Christ, ou con-
sacré : il est Dieu ; d'où il conclut : « Si l'on disait que le Christ
« doit être reconnu pour Dieu et adoré à cause de cette seule
« onction, il faudrait dire aussi que nous sommes des dieux et que
« nous avons droit à l'adoration comme le Christ ^, » puisque,
1. Propterea unxit te Deus, Deus tuus, oleo lœtiticB prœ consorlibus luis.
(Ps. XLIV, 7.)
2. Ipse est qui dat et accipit Spiritum sanctum. Dal ut Verbum, accipit ut
homo.... Ex eo quod ipse ut homo eam gratiam Spiritus accipit, factum est ut
nos illam ex plenitudine dimnnantem acceperimus. (S. Atiian., serm. II
contra Arianos.)
3. Si quis propter hanc solam unetionem dicat appellari Christum Deum et
adorari, eadem ratioiic dicturum est nos esse Deos, et adorandos œque ac
Christum. (S. Cyrili,. Alex., Ejjist. nd xoUtnriam vitam or/entes.)
334 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
nous aussi, nous avons reçu l'onction de l'Esprit saint, selon
cette parole de S. Jean : « Four vous, vous avez reçu du Saint
« l'onction, et vous connaissez toutes choses K » S. Athanase et
S. Cyrille enseignent donc qu'il y a en Jésus-Christ une grâce
qui est aussi en nous, et à laquelle il nous fait participer. Cette
grâce, il la donne parce qu'il est Dieu, et il la reçoit parce qu'il
est homme, comme nous la recevons nous-mêmes après lui et de
lui.
Nous lisons dans S. Bernard : « Le Père a sacré Jésus d'une
« huile de joie, d'une matiière beaucoup plus excellente que tous
« ceux qui participent à sa gloire. Il l'a sacré et envoyé au
a monde plein de grâce et de vérité. Il l'a sacré pour qu'il en sa-
« cràt d'autres. Tous ceux qui ont mérité de recevoir de sa pléni-
« tude ont été sacrés par lui. Aussi a-t-il dit : L'Esprit du Sei-
« gneur est sur moi, parce qu'il m'a oint; il m'a envoyé pour
<i annoncer d'heureuses nouvelles à ceux qui sont pacifiques, pour
a guérir ceux qui ont le cœur contrit, pour prêcher la liberté aux
« captifs, la délivrance aux prisonniers, et pour prédire le temps
« où le Seigneur se rendra favorable -. » Il est inutile d'insister
pour faire reconnaître, dans cette plénitude de grâce que Jésus-
Christ a reçue, et qu'il daigne partager avec nous, une grâce dif-
férente de celle que l'union hypostatique confère, par elle-même,
à son humanité. Cette grâce d'union n'est pas communicable ; elle
appartient en propre à l'humanité de Notre-Seigneur et n'est que
pour elle seule.
Lorsque l'ange Gabriel annonça à Marie qu'elle enfanterait le
Sauveur, il lui dit : « La chose sainte qui naîtra de vous : » Quod
ex te nascetur sanctum. Pourquoi cette manière extraordinaire
de s'exprimer, sinon pour faire entendre que la sainteté du Fils
de Marie serait absolue et complète, sous tous les rapports ? Or,
on a vu que la sainteté ne peut être absolument complète et très
parfaite sans la grâce habituelle. « Ce que la Vierge a conçu, dit
\. Et vos unctionem habetis a Sancto. (/. Joann., ii, 20.)
2. Quem unxit Pater oleo laetitix prœ consortibus suis ;unxil et misil plénum
gratix et verilatis. Unxit ut ungeret. Omnes ab eo uncti sunt, qui de plenitu-
dine ejus meruerunt accipere. Ideo ait : Spiritus Domini super me, eo quod
unxerit rne, ad annuntiandum mansuetis misit me : ut mederer contritis
corde, ut prsedicarem captivis indulgentiam, et clausis apertionem, ut praedi-
carem annum placabilem Domino. {Is., lxi, 1. S. Bernard., serm. XVI in
Cantic, ii. 13.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 33o
« S. Bernard, fut éminemment saint, et par la sanctification de
« l'Esprit, et par l'union avec le Verbe K »
Il faut donc regarder, avec Suarez et tous les théologiens,
l'existence de la grâce habituelle en Notre-Seigneur comme une
vérité absolument certaine et découlant, par une conséquence né-
cessaire, des principes de la foi. C'est un don créé et inhérent à
son âme. Il est de foi, en effet, que Tàme de Jésus-Christ possède
la charité inluse, sans laquelle, dit S. Paul, tout le reste serait de
nulle valeur -. Elle est le partage de tous les justes, et nul ne la
possède, à un plus haut degré, que le juste par excellence, à qui
tous les autres doivent leur justice. Cette charité, qui fait les
justes et les saints, n'est pas quelque chose de transitoire ; ce n'est
pas un acte, c'est une habitude, une qualité que Dieu donne à
l'âme et qui demeure. C'est de cette charité que parlait le divin
Maître, lorsqu'il disait à ses Apôtres : « Si vous gardez mes com-
« mandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi-
« même j'ai gardé les commandements de mon Père, et je de-
« meure dans son amour ^. »
C'est elle que S. Paul souhaitait et demandait par d'ardentes
prières, pour les chrétiens d'Éphèse. « Que le Christ habite par la
« foi dans vos cœurs, disait-il, afin qu'enracinés et fondés dans
« la charité, vous puissiez comprendre, avec tous les saints, quelle
« est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et
« connaître aussi la charité du Christ qui surpasse toute science •*. »
La dilection dont parle le divin Maître, la charité dont S. Paul
fait l'éloge et constate la nécessité absolue pour quiconque veut
être agréable à Dieu dans sa personne et dans ses œuvres, ces
textes nous la montrent comme une grâce que Jésus-Christ pos-
sède et qu'il communiquée ses disciples. Ce n'est pas un acte, une
opération; c'est quelque chose qui demeure, qui habite dans
l'àme et ne fait plus qu'un avec elle; c'est la grâce habituelle que
\. Singulariter sanctum fuit quod Virgo concepit et per Spiritus sanctifica-
tionem, et per \'crl)i assiunptionem. (In., serin. IV m Carilir.)
2. Si habuero prophetiam.... charitatem autem non habuero nihil siim, etc.
(7. Cor., xiii, 1 et seq.)
3. Si praecepta mea servaveritis, manebitis in dilectione mea, sicut et ego
Patris mei praecepta servavi. et maneo in ejus dilectione. (Jonnn., xv, 10.)
4. (Propter quod peto) Christuin habitare per fidem in cordibus vestris : in
charitate radicati et fundati, ut possitis comprehendere cum omnibus sanctis,
quse sit latitudo, et longitude, et sublimilas, et profundum : scire et superemi-
nentem scientiae charitatem Dei. (Eplies., m, 17-19.)
336 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
l'on trouve, même chez les petits enfants, lorsqu'ils ont reçu le
baptême, avant qu'il leur soit possible de faire aucun acte, comme
on la retrouve chez les adultes dont elle sanctitie et rend méri-
toires les opérations.
Cette grâce habituelle, qui est en Notre-Seigneur Jésus-Christ^
ne diffère point, par son espèce, de celle qui nous sanctifie, car la
charité de Jésus-Christ est la même que la nôtre ; elle a le même
objet formel qui est Dieu, et ne trouve sa satisfaction complète que
dans la possession de cet objet. Il en est de cette grâce comme de
la vision béatifique et de la lumière de la gloire, qui sont le&
mêmes, mais à des degrés dont la distance est incommensurable,
pour les bienheureux que pour l'humanité de Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
II est universellement admis que l'âme du Verbe incarné fut en-
richie de la grâce habituelle, au moment même de sa création et
de son union avec la personne du Fils de Dieu.
Ce texte du prophète Isaïe semble l'indiquer : « Un rejeton sor-
« tira de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine,
« et l'Esprit du Seigneur reposera sur lui. » Au moment donc où
la bienheureuse Vierge fleurit, pour parler comme le prophète, en
concevant son Fils, l'Esprit du Seigneur se reposa sur lui ; un
seul et indivisible instant vit l'accomplissement de ce double
mystère. La raison en est que la grâce habituelle fut donnée à
l'âme de Notre-Seigneur, à cause de son union avec le Verbe, et
qu'il convenait qu'elle la possédât, pour être vraiment digne de
cette union. Il était donc juste que l'union n'existât pas, ne fût-ce
qu'un moment, sans que la grâce habituelle fût aussi son partage.
L'âme humaine, que le Verbe de Dieu avait choisie pour en faire
sa propre âme, ne devait être privée d'aucune pefection ; or c'est
une perfection pour une âme de posséder la grâce dès son origine,
et (luelque chose eût manqué â l'âme de Jésus-Christ si la grâce
habituelle ne lui avait pas été infuse en même temps qu'elle re-
cevait l'existence.
On doit reconnaître cependant que la grâce habituelle est posté-
rieure à la grâce d'union, en ce sens que celle-ci est la cause de
celle-là, mais il faudrait se garder de croire que la grâce habituelle,
en Noire-Seigneur, procède de la subsistance incréée du Verbe, ou
qu'elle est un résultat physique, pour ainsi parler, de son union
avec la nature humaine. C'est un don qui procède tout entier de
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 337
la volonté libre et de la toute-puissance de Dieu. Par l'union hy-
postatique, la nature humaine de Notre-Seigneur est unie à la per-
sonne du Verbe pour subsister en elle, ce qui la constitue dans
un état de sainteté qui a son origine dans la sainteté du Verbe lui-
même; par la grâce habituelle, elle entre en communication in-
time, non plus précisément avec la personne du Fils de Dieu,
mais avec la nature divine. Ce sont donc deux grâces, deux sanc-
tifications parfaitement distinctes, complètes chacune en son genre,
et dont la dignité suprême du Verbe incarné réclame l'existence
simultanée dans sa nature humaine. La première était nécessaire,
et l'on ne conçoit pas que le mystère de l'Incarnation eût pu s'ac-
complir sans la sanctification de la nature humaine, à laquelle le
Verbe s'unissait. La seconde ne l'était pas d'une manière absolue,
et ne découlait pas invinciblement de l'union hypostatique ; mais
sa convenance était telle qu'elle équivalait à une nécessité, et l'on
peut dire que la nature humaine aurait manqué de Tun des élé-
ments qui constituent son intégrité en Jésus-Christ, si elle en
avait été absente. Elle est, en quelque manière, naturelle à la per-
sonne du Fils de Dieu fait homme.
Outre la grâce habituelle, l'âme humaine de Notre-Seigneur
Jésus-Christ reçut-elle aussi de Dieu la grâce actuelle, pendant sa
vie mortelle au milieu de nous? Pour répondre à cette question il
faut remarquer d'abord que la grâce actuelle a un double objet :
tantôt elle excite et tantôt elle aide à agir; tous les secours parti-
culiers que Dieu nous accorde, dans l'ordre surnaturel, peuvent
se rattacher à l'une ou à l'autre de ces deux fonctions de la grâce
actuelle. Il faut remarquer encore que ce double secours de Dieu
peut nous être nécessaire, soit pour opérer le bien surnaturel,
soit pour éviter le mal ou le péché. D'où il suit que, pour l'accom-
plissement des actes purement naturels, la grâce adjuvante
ne nous est pas nécessaire : la nature y suffit. Mais pour les actes
surnaturels elle nous est indispensable. La nature ne s'élève pas
au-dessus d'elle-même par ses propres forces : il lui faut un se-
cours d'un ordre plus relevé. Quant à la grâce excitante, elle est
utile, quelquefois même nécessaire jusqu'à un certain point : tout
dépend de la variété, de la perfection, de la multitude des actes
surnaturels, ou même purement naturels, qu'il s'agit d'accom-
plir.
La grâce actuelle adjuvante fut nécessaire à l'âme de Notre-Sei-
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 22
338 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
gneur Jésus-Christ sur la terre, comme elle l'est à nous-mêmes,
pour accomplir des actes surnaturels proprement dits. Sans elles
les actes que Notre-Seigneur accomplissait uniquement en vertu
de son humanité, comme boire, manger, marcher, dormir, fussent
demeurés purement naturels; et, si nous voulons regarder plus
haut, comment son intelligence créée aurait-elle pu, sans un se-
cours surnaturel de la grâce, s'élever jusqu'à la vision de Dieu,
et sa volonté créée, jusqu'à la charité parfaite? Ce sont en effet
des actes essentiellement surnaturels et la nature humaine, môme
en Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne peut pas, par ses propres forces,
accomplir des actes pour lesquels elle n'est pas faite. Peut-être
dira-t-on que la présence du Verbe, uni à l'âme de Jésus-Christ et
à ses puissances, suppléait amplement à ce qui pouvait manquer
du côté de la nature. Il n'en est rien. La nature humaine subsis-
tait dans la personne du Verbe, qui lui communiquait une dignité
et une sainteté sans mesure; mais lorsque cette adorable per-
sonne agissait en vertu de son humanité, ses actes étaient, par
eux-mêmes, des actes purement humains, comme nos actes cor-
porels sont purement corporels, bien que commandés et réglés
par notre intelligence. Tl fallait quelque chose de plus; il fallait
une grâce particulière par laquelle la divinité de Notre-Seigneur
venait en aide à son humanité, pour que tout ce qui procédait di-
rectement de la nature humaine fût élevé à l'ordre surnaturel.
Il n'en fut pas de môme de la grâce excitante. L'âme de Notre-
Seigneur, unie au Verbe divin et jouissant de la vision intuitive
de Dieu, n'avait besoin ni d'être éclairée sur ses devoirs ni d'être
poussée à les remplir. Les lumières infinies qu'elle puisait dans le
sein de Dieu même et l'amour sans bornes dont elle était embra-
sée suffisaient à tout. On pourrait dire, en théorie, que la grâce
excitante eût été nécessaire à l'âme de Notre-Seigneur, s'il n'avait
pas joui, dès son premier moment, delà vision béatifique de Dieu;
elle aurait eu besoin alors d'être excitée au bien, comme elle avait
besoin d'un secours particulier pour surnaturaliser ses actes. Mais
l'état auquel elle fut tout d'abord élevée rendait un tel secours par-
faitement inutile.
Concluons donc qu'en Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant sa
vie mortelle, il faut reconnaître, comme en nous-mêmes, mais à
un degré infiniment plus parfait, la grâce habituelle qui fait de
nous des saints, et la grâce actuelle qui surnaturalise nos actes,
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eL'CHARISTIE. 339
et les rend dignes des récompenses célestes. Et maintenant qu'il
règne dans la gloire des cieux, assis à la droite de son Père; main-
tenant que, par une merveille incompréhensible de son infmie
bonté, nous le possédons sur nos autels et dans nos tabernacles,
voilé sous les espèces eucharistiques, toutes ces grâces, il les pos-
sède encore, mais telles qu'elles conviennent à son état glorieux.
Il en est pour nous le trésor inépuisable, la source toujours jaillis-
sante. Et c'est en son très saint et très adorable Sacrement qu'il
nous invite à les lui demander. Heureux ceux qui entendent sa
voix et qui n'endurcissent pas leurs cœurs : Hodie si vocem ejus
audieritis, nolite obdurare corda vestra !
III.
DONS DU SAIXT-ESPRIT ET AUTRES DONS SPIRITUELS CONFÉRÉS A
l'humanité de NOTRE-SEIGNEUR
Les dons spirituels et surnaturels que l'Esprit saint distribue
aux membres de l'Église de Jésus-Christ sont divers ^-. La multi-
plicité des dons spirituels repose sur l'individualité des esprits.
Chaque esprit humain, étant un être distinct de tout autre, a sa vo-
cation particulière, et par conséquent son don propre, son activité
spéciale. Nous voyons cette individualité se manifester d'abord
dans la vie naturelle. Les différences des sexes, des tempéraments,
des nationalités, des états, des vocations, déterminent autant d'in-
dividualités, et ce principe ne se démontre pas seulement dans
ces grandes catégories, mais dans chaque individu et jusque dans
le moindre détail. Chez l'un domine l'intelligence, chez l'autre la
volonté, chez le troisième le sentiment; tantôt l'intelligence se
révèle par sa profondeur, tantôt par sa rapidité. De là résultent la
richesse de la vie, l'abondance et la diversité des dons spirituels,
auxquels les forces naturelles de l'esprit servent de base et de sup-
port. Car il ne faut pas se figurer que les dons spirituels subsistent
à côté des capacités naturelles, indépendants les uns des autres,
comme une seconde série de facultés; ce sont les facultés natu-
relles et originaires elles-mêmes, pénétrées, vivifiées, consacrées,
sanctifiées par le Saint-Esprit, et élevées à une activité qui dé-
passe le mode naturel. Il est évident, dit S. Thomas, que l'àme
1. Voir Dicl. cncyclop. de la théol. cctthoL, art. J)on .ytirilucl.
340 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
de Notre-Seigneur Jésus-Christ était mue de la manière la plus
parfaite par le Saint-Esprit, et qu'elle possédait tous ses dons au
degré le plus excellent '.
Parmi ces dons spirituels et surnaturels, il en est sept, particu-
lièrement connus sous le nom de dons du Saint-Esprit. L'évêque
les demande pour tous ceux indistinctement qu'il confirme, parce
qu'ils sont utiles, sinon nécessaires à tous, pour mener une vie vé-
ritablement chrétienne et sainte. Celui qui les possède est rendu
par eux plus docile à suivre les impressions et les inspirations de
l'Esprit divin.
Peut-être pourrait-on penser que Jésus-Christ n'avait pas besoin
de ces dons particuliers, lui qui possédait toutes les vertus au
degré suprême. Mais, dit encore S. Thomas, ce qui est parfait dans
son genre n'en reçoit pas moins une aide utile de ce qui est d'un
ordre plus élevé que lui. Les vertus qui perfectionnent les puis-
sances de l'àme, quelle que soit leur perfection propre, ont besoin
d'être aidées elles-mêmes par des dons qui sont d'un ordre supé-
rieur ~.
La Sainte Écriture ne nous permet pas d'ailleurs de douter que
Notre-Seigneur Jésus-Christ n'ait possédé les dons du Saint-Es-
prit. C'est de lui que le prophète Isaïe prononçait cet oracle : « Il
« sortira un rejeton de la racine deJessé, et une lïeur s'élèvera de
tt sa racine. Et l'esprit du Seigneur reposera sur lui : l'Esprit de sa-
« gesse et d'intelligence; l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit
a de science et de piété ; et l'Esprit de la crainte du Seigneur le
« remplira ^. » Théodore! fait cette réflexion : « Les prophètes re-
1. Proprie sunt (dona) perfectiones quaedam polentiarum animae, secundum
quod sunt natae moveri a Spiritu sancto. Manifestum est autem quod anima
Christi perfectissime a Spiritu sancto movebatur : secundum illud Luc, iv,
Jésus aulem plenus Spiritu sancto reyressus est a Jordane, et agebalur a Spi-
ritu in desrrtum. Unde manifestum est quod in Christo fueruntexcellentissime
dona. ((S. TnoM., III p., q. vu, art. li.)
■2. Illud quod est perfectum secundum ordinem suœ nalurae, indiget adju-
vari ab eo, quod est altioris naturae : sicut homo quantumcumque perfectus,
indiget adjuvari a Deo. Et hoc modo virtutes, quse perficiunt potentias ani-
mae, secundum quod ducuntur ratione, quantumcumque sint perfectse, indi-
gent adjuvari per dona quœ perficiunt potentias animai secundum quod sunt
motsi a Spiritu sancto. (S. Thom., III p., q. vu, art, !J ad I.)
3. El egredietur virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet. Et
requiescet super eum Spiritus Domini : Spiritus sapientiœ et intellectus; Spi-
ritus consilii et fortitudinis ; Spiritus scientiae et pietatis ; et replebit eum
Spiritus timoris Domini. [Is., i, 1-3.)
PERFECTION SOUVERAINE DE LAME DE N.-S. DANS l'eDCHARISTIE. 341
< curent chacun quelque grâce particulière : mais toute la pléni-
« tude de la divinité habita corporellement en Jésus-Christ, et son
« humanité fut en possession de tous les dons du Saint-Esprit.
« Selon la parole de S. Jean, nous recevons tout de sa pléni-
« tude ^ » Il faut dire des dons du Saint-Esprit ce qu'on a déjà re-
marqué à propos des vertus. Notre-Seigneur les a reçus, mais de
telle sorte qu'il n'y eût rien en eux qui supposât la moindre im-
perfection.
Dans rénumération qui vient d'être faite de ces dons, d'après
le prophète Isaïe, ils se divisent en deux classes. Il en est quatre
qui ont pour objet de perfectionner l'intelligence : ce sont les
dons d'intelligence, de sagesse, de science et de conseil ; les trois
autres, la crainte, la piété et la force, se rapportent à la vo-
lonté.
Si le texte d'Isaïe rapporté plus haut n'était pas clair et expli-
cite, si les Pères n'avaient pas été unanimes à l'interpréter dans le
sens que nous avons dit, on pourrait mettre en doute que l'âme
de Notre-Seigneur ait reçu les quatre dons de sagesse et d'intelli-
gence, de science et de conseil, puisque la lumière inlinie qu'elle
puisait dans son union avec le Verbe de Dieu semblait les rendre
tout â fait inutiles, et élever ses facultés intellectuelles purement hu-
maines à un degré tel qu'il ne fût plus possible d'y ajouter quelque
chose encore. Pourquoi donc la foi nous enseigne-t-elle que ces
dons furent néanmoins le partage du Seigneur? C'est que Jésus-
Christ devait posséder, comme homme, toutes les perfections dont
il est possible à la nature humaine d'être ornée. Les dons que nous
avons nommés étaient, en Jésus-Christ, de la même espèce qu'ils
sont en nous, et ils ne se confondaient pas avec la vision béatifique,
ni avec la science infuse de toutes choses qu'avait reçue l'âme du
Sauveur, comme ils ne se confondent pas en nous avec les lumières
de la foi : en effet, on les perd en perdant la grâce, quoique la foi
demeure, et on les conserve au ciel quoique la foi n'ait plus au
ciel de raison d'être et n'existe plus. D'autre part, aucun de ces
dons ne suppose une imperfection quelconque en Notre-Seigneur.
1. Prophetae singuli particularcm quidem frraliaiu quaindain acceperuiit :
in ipso autem (Cliristo) habitavit tota plénitude divinitalis corporaliter, et se-
cundum humanitatem oinnia spiritus habuit cbarismata. Depleniludine enim
ipsius, secundum divinum Joannem, nos omnes accipimus. (Tiieodoret. in
Js., XI, 2.)
342 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CH.<P. VII.
Le don de conseil n'avait pas besoin, pour s'exercer, qu'il s'élevât
en Jésus-Christ un doute ou une hésitation sur la conduite à tenir en
diverses circonstances ; il suffisait que les jugements du Seigneur
fussent particulièrement inspirés par l'Esprit de Dieu qui était
son propre Esprit, et par conséquent conformes en tout à la pru-
dence divine. Les trois autres dons ne supposaient pas davantage
qu'il y eût en lui quelques ténèbres à dissiper ; mais ils étaient
une nouvelle lumière ajoutée à. celles que possédait déjà son hu-
manité sainte. Ces dons n'étaient pas, pour Jésus-Christ, un se-
cours comme ils le sont pour nous, dont la foi est faible et les
lumières bornées, mais ils étaient une perfection s'ajoutant à
d'autres perfections, afin qu'il n'y eût rien de bon dans les saints,
qui ne se retrouvât, à un degré incomparablement plus parfait,
dans leur chef.
Il faut en dire autant des dons de force, de piété et de crainte.
Il est de foi que Jésus-Christ les posséda ; il n'est pas moins cer-
tain que ces trois dons ne supposaient en lui aucune imperfec-
tion. Sans doute sa volonté humaine avait pour règle absolue la
volonté de son Père, c'est-à-dire sa propre volonté divine ; mais,
comme volonté humaine, rien ne s'opposait à ce qu'elle fût en-
richie de dons qui ne lui étaient pas indispensables mais qui, par
leur nature, étaient faits pour lui faciliter cette obéissance et cette
union parfaite à la volonté divine. Souvent, dans le cours de sa
vie mortelle, Jésus-Christ eut l'occasion d'accomplir des actes qui
relèvent de la vertu de force : pourquoi cette vertu n'aurait-elle
pas été accompagnée en lui du don particulier qui porte le même
nom? Le don complète la vertu, en y ajoutant un élément nou-
veau et d'un ordre plus élevé. Puisque Jésus avait la vertu, il
convenait au moins qu'il eût aussi le don. De même, il possé-
dait la vertu de piété; les actes qu'il en faisait étaient infinis en
nombre comme en perfection : pourquoi le don de piété ne se-
rait-il pas venu apporter son appoint de perfection et de mérite à
ces actes ?
Le don de crainte du Seigneur offre plus de difficultés, lorsqu'on
cherche à comprendre comment il pouvait se trouver en Notre-
Seigneur. Mais il est de foi que l'âme de Jésus-Christ en était re-
vêtue, comme des autres dons, pourvu qu'on l'entende en un sens
qui ne suppose aucune imperfection en elle.
Cette crainte de Dieu fut en Notre-Seigneur, d'après S. Tho-
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eCCHARISTIE. 343
mas s une crainte filiale. Elle n'avait rien de commun avec celle
qui résulte du péché commis ou du châtiment qui doit suivre, puis-
qu'il ne pouvait y avoir aucune faute en Jésus-Christ ; mais c'était
la crainte révérentielle, qui s'adressait toute à l'éminence infinie
de la majesté divine. C'est ainsi que les anges craignent Dieu dans
le ciel. Ils n'ont rien à redouter de lui ; ils l'aiment et ils savent
qu'ils en sont infiniment aimés, qu'ils le seront éternellement;
cependant l'Église dit à Dieu, au moment d'entrer dans la partie la
plus sacrée du divin sacrifice : « Les anges louent votre Majesté
a suprême, les Dominations l'adorent, les Puissances la craignent
« et la révèrent. » Les esprits célestes reconnaissent en Dieu la
puissance infinie qu'il possède de punir le mal et, parmi les autres
grandeurs de Dieu, ils révèrent cette puissance, quoiqu'ils n'aient
rien à en redouter : c'est dans ce respectueux hommage, rendu à
un attribut particulier de la divinité, que réside pour eux la
crainte de Dieu, et que résidait aussi celle de l'àme humaine de
Notre-Seigneur. Telle est, jusqu'à un certain point, la crainte
filiale, qui n'est pas autre chose qu'un hommage sincère rendu par
les enfants à l'autorité que leur père a sur eux.
Cet hommage offert par l'humanité du Seigneur à la puissance
souveraine de. son Père, pour le châtiment des coupables, n'im-
pliquait donc en lui aucune imperfection, et rien ne s'opposait à
ce qu'il reçût le don de crainte, avec les autres dons du Saint-
Esprit énumérés par le prophète.
Il y a d'autres dons du Saint-Esprit qui ne sont pas accordés à
ceux qui les reçoivent directement en vue de leur propre salut,
mais bien pour qu'ils puissent travailler, avec efficacité, à l'édi-
fication et au salut des autres. Ces dons ne sont pas le partage de
1. Timor respicit duo objecta ; quorum unum est malum terribile ; aliud est
illud cujus potestate malum potest inferri ; sicut aliquis limet reprem, in quan-
tum habet occidendi potestatem. Non autem timeretur ille qui potest nocere,
nisi baberet quamdam eminentiam potestatis cui de facib resisti non possit :
ea enim quee in promptu baljcmus repellere non timemus. Et sic palet quod
aliquis non timetur propter suam eminentiam. Sic i^nlur dicendum est (juod
in Cbristo fuit timor Dei, non quidem secundum quod respicit malum punitio-
nis pro culpa ; sed secundum quod respicit ipsam divinam eminentiam, prout
scilicet anima Christi quodam affectu revcrcntiie movcbatur in Deum a Spi-
ritu sancto acta. l'nde [Ifebr., v, 7) dicitur quod in omnibus exauditus est
pro sua rcverentio. Ilunc enim affectum reverenti» ad Deum Christus, secun-
dum quod bomo, prœ csetcris babuit pleniorem. Et idco ci attribuit Scriptura
plenitudinem timoris Domini. (S. TiiOM., 111 p., q. vu, art. 0.)
344 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
tous indistinctement; Dieu les répartit comme il lui plaît. Ce sont
les dons spirituels ou surnaturels entendus au sens le plus strict.
S. Paul parle en ces termes des dons spirituels, dans l'Épître
aux Romains : « Comme dans un seul corps nous avons beaucoup
« de membres et que tous les membres n'ont point la même fonc-
« tion : ainsi, quoique nombreux, nous sommes un seul corps en
« Jésus-Christ, étant tous en particulier les membres les uns des
« autres. C'est pourquoi, comme nous avons des dons différents
« selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le
« don de prophétie en use selon l'analogie de la foi; que celui
« qui est appelé au ministère s'y applique ; que celui qui a reçu
« le don d'enseignement enseigne ; que celui qui a le don
« d'exhorter exhorte ; que celui qui fait l'aumône la fasse avecsim-
« plicité ; que celui qui préside soit attentif; que celui qui exerce
a les œuvres de miséricorde les exerce avec joie *. » Dans l'É-
pître première aux Corinthiens, il reprend le même enseignement
sous une forme un peu diftérente. Il dit : « Il y a des grâces di-
« verses, mais c'est le même Esprit.... Or à chacun est donnée la
« manifestation de l'Esprit pour l'utilité. Car à l'un est donnée par
« l'Esprit la parole de sagesse ; à un autre la parole de science,
« selon le même Esprit ; à un autre la foi par le même Esprit;
« à un autre la grâce de guérir par le même Esprit; à un autre la
« vertu d'opérer des miracles, à un autre la prophétie ; à un
« autre le discernement des esprits ; à un autre le don des lan-
« gués ; à un autre l'interprétation des discours. Or tous ces
«r dons, c'est le seul et même Esprit qui les donne, les dislri-
« buant à chacun comme il veut '. » Enfin il y revient encore
dans l'Épître aux Éphésiens 3.
On peut dire, pour résumer la doctrine de l'Apôtre, que ces dons
de l'Esprit saint qu'il distribue aux fidèles comme il lui plaît, pour
le plus grand bien de tous, sont au nombre de huit principaux. Ce
sont : 1° Yapostolat, ou la mission de l'apôtre; 2" \di prophétie, ou
le don de dévoiler les choses cachées ; 3° le discernement des es-
prits, probablement pour reconnaître ce qui est transmis par les
prophètes; 4° le don d" enseignement ; 5° V esprit de sagesse qui
transmet les idées révélées dans leur pureté originelle ; 6" le don
de science qui reconnaît plus directement encore ces idées, et en
1. liom., XII, 4-10. — 2. /. Cor., xii. — 3. Ephes., iv.
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'KUCHARISTIE. 345
pénètre le sens par la pensée ; T le don de gouverner, pour servir
l'Église; 8" le don des miracles, la guérison des malades, le pou-
voir de parler dans des langues étrangères et de les interpré-
ter.
Ces dons surnaturels étaient plus nécessaires, dans les premiers
temps du christianisme, parce qu'ils étaient la preuve la plus évi-
dente de sa divinité, et servaient à le propager ; ils devinrent plus
rares dans la suite, parce que le christianisme, une fois fondé,
pouvait s'appuyer sur le passé et se fortifier par lui-même. Ils
n'ont jamais entièrement cessé dans l'Église et ne cesseront ja-
mais, parce que le Saint-Esprit n'a pas seulement agi dans les
premiers temps, mais que, suivant la promesse de Jésus-Christ,
il agira dans l'Église jusqu'à la fin des siècles ; il communiquera
toujours ses dons, dès que l'exigera le but que l'Église doit at-
teindre, but qui n'est autre que l'utilité générale des fidèles, ou
dès que ces dons seront nécessaires, comme autrefois, pour la pro-
pagation de l'Évangile et la gloire de Dieu.
Il est manifeste que Notre-Seigneur Jésus-Christ possédait tous
ces dons et d'autres encore que nous ne connaissons pas, et qu'il
les possédait de telle sorte que nulle imperfection n'en résultât
pour sa nature humaine. En qualité de chef de l'Église, il ne pou-
vait manquer d'aucune des perfections qui devaient se retrouver
dans ses membres '.
Son pouvoir d'opérer des miracles éclate à chaque page de l'É-
vangile. Nous y voyons aussi comment il enseignait le peuple, et
quelles admirables leçons il donnait à ses apôtres et à ses autres dis-
ciples, comment il gouvernait son Église naissante et comment il
établissait, pour toute la suite des siècles, l'autorité qui devait la
régir. Verbe de Dieu, il communiquait à son intelligence humaine
une science parfaite, qui ne pouvait manquer d'aucun des dons
1. Videtur qiiod, etc. Sed contra est quod Augustinus dicit in Epist. ad Dar-
danum, quod sicut in capile sunt omnes sensus, ita in Cliristo fuerunt onines
gratiae. Respon.leo dicendum, quod sicut in II* p. habitum est, gratiae gratis
datae ordinantur ad fidei et spiritualis doctrinae manifestationem : oporlet
enim, qui docet, habereea, per quœ sua doctrina inanifestetur ; alias sua doc-
trina esset inutilis. Spiritualis autem doctrinœ et lidei primus et principalis
doctor est Christus : secundum illud Ilohv., ii : Cum initinm arci'j)isscl nuir-
rari per Dominum, ah eis qui andienml, in nos confirmoln est, contestante J)eo
signis, et jwrtentis, etc. Unde manifestum est quod in Christo excellentissime
fuerunt omnes gratiae gratis datœ, sicut in primo et principali tidei doctore.
(S. Thom., III j)., q. VII, art. 7.)
346 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II» PARTIE. LIVRE II. — CHAP. VII.
propres à la rendre plus parfaite encore. Mais justement, à cause
de cette science, on pourrait douter s'il posséda, à parler stricte-
ment, le don de prophétie '.
Remarquons d'abord, avec S. Thomas, que le nom de prophète
est donné au futur Messie, dans l'Ancien Testament. Au cha-
pitre xviii'' du Deutéronome Moïse dit au peuple d'Israël : « Le
a Seigneur ton Dieu te suscitera un Prophète de ta nation, et
« d'entre tes frères 2. » Dans S. Matthieu, chapitre xin% Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ dit, en parlant de lui-même : « Un prophète
« n'est pas sans honneur, si ce n'est dans sa patrie et dans sa mai-
« son. » On comprendra que le nom de prophète convienne à
Notre-Seigneur Jésus-Christ, si l'on considère en quoi précisément
la prophétie consiste. Pour mériter le titre de prophète, il fautêtre
du nombre des hommes vivant encore sur la terre, ce qui fait
qu'on ne le donne ni à Dieu, ni aux anges, ni aux saints du ciel,
lors même qu'ils révèlent quelque mystère ; il faut de plus connaître
et annoncer à ceux au milieu desquels on vit, des faits qui ne
peuvent être naturellement connus ni de celui qui les révèle, ni de
1. Utrwn in Christo fuerit prophetia. — Videtur quod in Christo non fuerit
prophetia, etc.
Sed contra est quod de eo praedicitur [Deuter., xviii, Vô) : Prophetam susci-
tahit vobh J)eus de fralrifnis vestris; et ipse de se dicit (iV«///t., xiii, !J7, et
Joann.^ iv) : Non est propheta sine honore nisi in pat n'a sua.
Respondeo dicendum quod propheta dicitur quasi procul fans, vel procul
videns ; in quantum scilicet cognoscit et loquitur ea quae sunt procul ab homi-
num sensibus, sicut eliam Augustinus dicit {contra Faustum, lib. XVI, c. xviii).
Est autem considerandum quod non potest dici aliquis propheta, ex hoc quod
cognoscit et annuntiatea qute sunt aliis procul, cum quibus ipse non est. Et
hoc inanifestum est secunduin locum et secundum teinpus. Si enim aliquis
in Gallia existens cognoscerct et annuntiaret aliis in Gallia existentibus ea
quae tune in Syria agerentur, prophelicum esset; sicut Elisons ad Giezi dixit
{IV. Jieg., m) quomodo vir descenderat de curru, et occurrerat ei. Si vero
aliquis in Syria existens, ea quœ sunt ibi annuntiaret, non esset propheticum.
Et idem apparet secundum tempus. Propheticum enim fuit quod Isaias prae-
nuntiavit, quod Cyrus rex Persarum templum Dci esset reaedificaturus, ut
palet (y.s., xi.iv). Non autem fuit propheticum quod Esdras hoc scripsit, cujus
tempore factum est. Si igitur Deus aut Angeli vcl etiam beati cognoscunt et
annuntiant ea quœ sunt procul a nostra nolilia, hoc non pertinet ad prophe-
tiam; quia in nuUo nostrum statum attingunt. Christus autem antepassionem
nostrum statum attingebat, in quantum non solum erat comprehensor sed
etiam viator. Et ideo propheticum erat, quod ea quag procul erant ab aliorum
viatorum notilia, et cognoscebat et annuntiabat. Et hac ratione dicitur in eo
fuisse prophetia. (S. ïiiom., III p., q. vu, art. 8.)
2. Prophetam de gente tua et de fratribus tuis suscitabit tihi Dominus Deus
tuus. {Deuter., xvni, lîi.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS L EUCHARISTIE. 347
ceux à qui il les révèle, soit parce qu'ils s'accomplissent en des
lieux éloignés, soit parce qu'ils ne doivent s'accomplir que dans un
temps futur. Notro-Seigneur Jésus-Christ connaissait toutes choses,
et il les connaissait, non pas tant par les lumières naturelles de son
intelligence humaine, que par les lumières surnaturelles et divines
qui résultaient pour son âme de l'union hypostatique avec le Verbe
de Dieu. Souvent, pendant sa vie publique, il annonça aux Juifs ou
à ses disciples des faits qui ne devaient s'accomplir que plus tard.
On ne voit donc pas pourquoi le titre de prophète ne lui serait pas
donné, et pourquoi on refuserait de reconnaître en lui le don de
prophétie, avec les autres dons. G'estsimplementun fleuron déplus
à la couronne de perfections qui lui appartiennent, en sa qualité de
Christ ou de Fils de Dieu incarné.
De même, on ne peut lui refuser le don des langues, quoique
l'on ne voie pas dans l'Évangile qu'il en eût jamais usé ; ni le don
de parler avec science et sagesse :les Juifs eux-mêmes admiraient
en lui ce don, lorsqu'ils disaient : « Jamais homme n'a parlé comme
« cet homme •. » On lit de même dans S. Luc : « Tous lui ren-
« daient témoignage, et admiraient les paroles de grâce qui sor-
« taient de sa bouche ~. » Enfin S. Pierre et S. Jean lui disaient :
« Vous avez les paroles de la vie éternelle 3. s, On ne peut pas lui
refuser davantage le don de la foi ou de la confiance en Dieu, qui
opère des miracles et qui obtient tout par la prière. Lui-même
nous révèle qu'il possède ce don au degré suprême, lorsqu'il dit à
son Père : « Je vous rends grâces parce que vous m'avez exaucé;
a pour moi je sais que vous m'exaucez toujours K »
Toutes ces grâces et toutes celles que nous ne saurions ni nommer
ni connaître, Jésus-Christ les posséda d'une manière permanente;
elles étaient en lui à l'état d'habitude et il pouvait en user en tout
temps à son gré, ce qui n'a pas lieu pour les autres hommes fa-
vorisés de quelqu'un de ces dons, et qui n'en peuvent user qu'avec
mesure et dans les temps où l'inspiration divine les y porte. Ce
sont pour eux des éclairs : pour Jésus, c'était l'irradiation d'un so-
leil toujours brillant du plus magnifique éclat. L'Esprit du Seigneur
1. Nunquam sic loculus est hoino, sicuthic hoiiio. [Jaann., vu, M.)
2. Et omnes testimoniiim illi dabant : et mirahanlur in verbis gratiœ, quae
procedebant de ore ipsius. {Luc, iv, 2''2.)
3. Verba vitœ îeternae babes. Ç/oann., vi, CD.)
4. Pater, j^ratias ago tibi, quoniam audisti me. Ego autem sciebam quia
semper me aiidis. {Joann., xi, tl, ii2.)
348 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. VII.
reposait sur lui et demeurait en lui, selon la parole du prophète :
Reqiiiescet super eiwi Spiritus Domini, et celle de l'Esprit de
Dieu à S. Jean-Baptiste : « Tu verras l'Esprit descendre sur lui et
« demeurer : » Super quem videris Spiritum descendentem et
manentem <. Il les posséda pendant sa vie mortelle : il les possède
encore au ciel et dans la Sainte Eucharistie, en tout ce qu'ils ont
de compatible avec sa vie glorieuse ; il les possède afin de les com-
muniquer à tous ses membres, particulièrement à ceux qui ont la
vie en eux parce qu'ils mangent sa chair et qu'ils boivent son sang
adorable, au Très Saint Sacrement.
IV.
GRACE QUE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST POSSÈDE, EN QUALITÉ
DE CHEF DES ANGES ET DES HOMMES
S. Paul dit, en parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que
« Dieu a mis toutes choses sous ses pieds, et qu'il l'a établi chef
« sur toute l'Église qui est son corps -. » Il dit aussi, en s'adres-
sant aux fidèles de Colosses : « En lui toute la plénitude de la divi-
« nité habite corporellement, et vous êtes remplis en lui, qui est
« le chef de toute puissance et de toute principauté 3. » Il avertit
de même les Corinthiens qu'ils sont les membres d'un corps dont
Jésus-Christ est le chef ^ ou la tète.
Pourquoi ce nom de tête ou de chef donné à Notre-Seigneur
Jésus-Christ?
C'est la tète qui occupe le premier rang parmi les membres du
corps humain; c'est elle qui l'emporte en perfection sur le reste
du corps, par les sens auxquels elle sert de siège; c'est elle qui
gouverne tout le corps et lui communique le mouvement et la vie.
— Il en est de même pour Jésus-Christ et pour son Église, dont
il est le premier membre. Ajoutez qu'il ne tient pas seulement le
premier rang dans son Église, mais dans la création tout entière.
En lui seul réside la plénitude de la perfection ; ce que les autres
êtres n'ont qu'à des degrés divers, il le possède, on peut dire, sans
\. Joann., i, 33.
2. Omnia suhjecit sub pedibus ejus : et ipsum dédit caput supra omnem
Ecclesiam, quîe est corpus ejus {Ephes., i, 22.)
3. In ipso inhabitat omnis plénitude divinitatis corporaliter, et estis in illo
repleli, qui est caput omnis principatus et potestatis. [Coloss., ii, U, 10.)
4. Nescitis quoniam corpora vestra membra suntChristi. {Cor., vi, 15.)
PERFECTION SOUVERAINE DE LAME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 349
mesure et plus largement à lui seul que tous les autres ensemble ;
il gouverne tous les membres de son Église ou plutôt toute la créa-
tion, et son action bienfaisante communique la vie à tout ce qui
la possède, mais principalement la vie spirituelle, aux êtres suscep-
tibles de la recevoir K
Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu ; il est, à ce titre, chef et
souverain maître de toutes choses, et tous les êtres créés tiennent
de lui, avec l'essence et l'existence, tous les dons naturels ou sur-
naturels. Mais il faut ajouter que la dignité de chef lui appartient
aussi comme homme; non pas que son humanité y ait droit par
son unique vertu, mais parce que sa divinité le lui communique,
en même temps qu'elle donne à ses œuvres une valeur méritoire
infinie. L'homme, en Jésus-Christ, est, sous tous les rapports, le
chef et la vie de la création ; mais c'est parce que la divinité unie à
l'humanité élève celle-ci à ce degré de grandeur et de vertu. C'est
parce qu'il est Dieu, en même temps qu'il est homme, que tout
genou doit fléchir à son nom, au ciel, sur la terre et jusque dans
les enfers ; c'est parce qu'il est Dieu qu'il est, comme homme, la
source universelle de la grâce, non seulement pour les hommes,
mais aussi pour les anges.
Quelques théologiens ont dit que le Fils de Dieu fait homme est
bien, dans l'ordre de la grâce et de la gloire, le chef des hommes,
si on le considère dans son humanité, mais qu'à ce point de vue, il
ne l'est pas des anges. Sans doute il l'emporte incomparablement
sur eux, par la perfection de sa grâce, mais il ne serait pour rien
1. Sicut tota Ecclesia dicitur unum corpus mysticum per siinilitudinem ad
naturale corpus hominis, quod secundum diversa membra habet diversos ac-
tus, ut Apostolus docel {fiom., xii, et /. Cor., xii), ita Christus dicitur caput
Ecclesiœ secundum similitudinem humani capitis. In quo tria possunius con-
siderare, scilicet, ordinem, perfectionem et virtutem. Ordinem quidem : quia
caput est prima pars liominis, incipiendo a superiori. Et inde est quod omne
principium consuevit vocari caput.... Perfectionem autem, quia in capite
vifjTcnt omnes sensus, et interiores et exteriores, cum in caîteris meinbris sit
solus tactus.... Virtutem vero quia virtus et motus cfeterorum membrorum,
et gubernatio eorum in suis actibus, est a capite, propter vim sensilivain et
motivam ibi dominantem; undc et reclor dicitur caput populi.... Ha^c aulem
tria competunt Christo spiritualiter. Primo enim secundum propinquitalom
ad Deum, gratia ejus altior est et prior, etsi non tempore ; ([uia oinnes alii
receperunt gratiarn per rcspeclum ad graliam ipsius.... Secundo vcro perfec-
tionem liabet quantum ad })lenitudinein omnium gratiarum.... Tertio virtu-
tem habet intîuendi graliam in omnia membra Ecclesiœ.... (S. Thom., III p.,
q. VIII, art. \.)
350 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. VII.
dans la grâce qu'ils possèdent, si l'on s'en tenait à cette opinion.
Il serait bien le chef des anges comme il est celui des hommes,
ainsi que l'enseigne l'Apôtre, mais en vertu de sa seule divinité.
La raison qu'ils en donnent est la dilïerence entre la nature angé-
lique et la nature humaine. Il ne convient pas, disent-ils, que le
chef et les membres ne soient pas homogènes. Ils ajoutent que
Jésus-Christ n'a pas mérité la grâce pour les anges.
S. Thomas enseigne que Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien le
chef des anges ' et des hommes -, mais il ne semble pas admettre
que ce titre lui convienne vis-à-vis des autres créatures, qui ne
sont pas susceptibles de la grâce spirituelle ^.
Une troisième opinion considère Notre-Seigneur Jésus-Christ
comme chef non seulement des anges et des hommes, mais de
toutes les créatures. Elle s'appuie, d'après Suarez, sur des textes
d'Origène et de S. Hilaire.
Une première vérité que personne ne met en doute, parce qu'elle
est exprimée dans la Sainte Écriture de la manière la plus for-
melle, est que Jésus-Christ, considéré comme homme, est le véri-
table chef, la tcHe de l'Église, aussi bien de l'Église militante que de
i. Chrislus est caput omnium hominum, sed secundum diverses gradus.
Primo enim et principaliter est caput eorum qui actu uniuntur sibi per glo-
riam; secundo eorum qui actu uniuntur sihi percharilalem ; tertio eorum qui
uniuntur sibi per fidem ; quarto vero eorum qui actu sibi uniuntur solum in
potenlia, nondum reducta ad actum, qute tamen est ad actum reducenda se-
cundum divinam pnedestinalionem ; quinlo vero eorum qui in potentia sunt
sibi unili, qyae nunquam reducetur ad actum; sicut liomines in hoc mundo
viventes, qui non sunt pradestinati, qui tamen ex hoc saeculo recedentes,
totaliter desinunt esse meml)ra Christi, quia jam nec sunt in potentia ut
Christo uniantur. (S. Tiiom., III p., q. viii, art. 3.)
2. Ubi est unum corpus, necesse est ponere unuin caput. Unum autem cor-
pus similitudinarie dicitur una multitudo ordinata in unum secundum dis-
tinctes actus sive officia. Manifostum est autem quod ad unum fînem, qui est
gloria divinae fruitionis ordinantur et homines et angeli. Unde corpus Ecclesiae
mysticum non soium consistit ex hominibus sed etiam ex Angelis. Totius
autem hujus mullitudinis Christus est caput : quia propinquius se habet ad
Deum, et perfectius participât dona ipsius, non solum quam homines, sed
etiam quam angeli, et de ejus influentia non solum homines respiciunt sed
etiam angeli.... Et ideo Christus non solum est caput hominum, sed etiam
angelorum. (Id., ibid., art. 4.)
3. Videtur quod secundum corpora communicamus cum brutis. Si ergo
Christus esset caput hominum quantum ad corpora, sequeretur quod etiam
esset caput brutorum animalium : quod est inconveniens. Sed conlra dicen-
dum quod corpus animalis bruti nullam habitudinem habet ad animam ratio-
nalem, sicut habet corpus humanum. Et ideo non est simile. (lu., ibid., art. 2.
Videtur 2 et ad 2.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 351
celle qui règne avec lui dans le ciel. S. Paul le dit expressément
dans ce texte déjà cité de l'Épître aux Éphésiens : « Il l'a établi
chef sur toute l'Église : Ipsum dédit caput supra omnem Eccle-
siarn. » Et pour qu'on ne puisse pas douter que c'est bien de
l'homme, en Jésus-Christ, et non pas du Dieu qu'il parle, il a soin
de dire tout d'abord que « Dieu l'a ressuscité des morts, qu'il l'a
« placé à sa droite dans les cieux, et qu'il a mis toutes choses sous
« ses pieds *. » En effet, ce n'est pas comme Dieu, mais comme
homme, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été ressuscité, et c'est
à son humanité et non pas à sa divinité que toutes choses ont
été soumises. N'était-il pas déjà, par sa divinité, souverain Maître
de toutes choses? S. Thomas voit une allusion à l'humanité du
Christ dans ces paroles de l'Apôtre : « Il a mis toutes choses sous
« ses pieds. » Le pied, dit-il, est ce qu'il y a de moins élevé dans
l'homme; c'est par ses pieds qu'il touche à la terre. En Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, ce qu'il y a de moins élevé, c'est son humanité
sainte qui l'abaisse jusqu'à nous, et c'est à elle que Dieu a soumis
toutes choses. Jésus-Christ parle de cette puissance que son huma-
nité a reçue, lorsqu'il dit dans S. Matthieu : « Toute puissance m'a
« été donnée au ciel et sur la terre. » Dans l'Épitre aux Hébreux,
nons lisons cette remarque de l'Apôtre, à la suite du texte rapporté
plus haut : « En lui assujettissant toutes choses, Dieu n'a rien
a laissé qui ne lui fût assujetti ~. »
On a demandé pourquoi ce nom de chef ou de tête donné à
1. Operatus est in Christo, suscitans illum a mortuis, etconstituens ad dexte-
ramsuam incœlestibus.... Etomniasubjecit subpedibus eius.{Ephes.,i,-20,^2.)
2. Dicil ergo (Apostolus) quod respecta totius creaturse habet iiniversalem
potestatem, quia Omnia sub j ecit, iicWïcei Deus Pater, smô pedibus ej'iis, llbi
sciendum quod hoc quod dicit : Sub pedibus, potest accipi dupliciter. Une
modo, ut sit locutio tîgurativa et similitudinaria, ut scilicet, per hoc detur
intelligi, quod omnis creatura totaliter est subjecta potestati Christi. lUud
enim est a nobis omnino subjectum, quod pedibus conculcamus. Kt de ista
potestate dicitur : Data est mihi omnis potestas m cœlo et in terra (Matth.,
xxviii, 48). In eo enim quod ei omnia stibjiciimtur, nihil dimisit non subjec-
tum ei {Ifebr., ii, 8). Alio modo, ut sit locutio metaphorica; nam por pedes
inteUigilur infirma pars corporis; per caput vero suprema. Licet autem in
Christo divinitas et hunianitas non habeant rationem partis, tamen divinitas
quae est supremum in Christo, intelligiturper caput : Caput vero C/irisii Deus
(/. Cor., XI, 3) ; humanitas vero, quse infima est, intelhgitur per pedes : Ado-
rabimus in loco ubi steterunt pedes ejus (Ps. cxxxi, 7}. Est ergo sensus, quod
omnia creata, non solum subjecit Pater Christo in quantum est Deus, oui ab
aeterno omnia sunt subjecta, sed etiam humaiiitati ejus. (S. Thom., Comment.
in Epist. ad Ephes., cap. i, lect. 8.)
352 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*' PARTIE. — LIVPE H. — CIIAP. VII.
Notre-Seigneur Jésus-Christ, plutôt que celui de cœur. Le cœur
est aussi un membre principal du corps humain; lui aussi répand
et fi\it circuler la vie dans tous les membres. Rien de grave ne
s'opposerait, au fond, à ce qu'on donnât au Fils de Dieu fait homme
le nom de cœur de l'Église, de cœur de l'humanité ou du monde
créé ; mais celui de chef convient mieux, parce que c'est la tête qui
domine extérieurement dans le corps humain et queson action est.
très apparente, grâce aux sens dont elle est le siège principal ; tandis
que l'action du cœur est plus intime et plus cachée. Elle rappelle
davantage celle du Saint-Esprit, dans nos âmes et dans l'Église;
c'est pourquoi le nom de cœur de l'Église conviendrait mieux à ce
divin Esprit '.
Une autre question : Jésus-Christ est-il chef non seulement par
son âme mais aussi par sa chair? sa dignité de chef s'étend-elle non
seulement aux âmes, mais aux corpsdes hommes, et principalement
des membres de son Église.
La réponse est aisée. Jésus-Christ est notre chef aussi bien par
sa chair que par son àme, et il possède cette dignité, non seule-
ment vis-à-vis des âmes mais aussi des corps. En effet, l'âme du
Sauveur ne contribua pas seule à notre rédemption ; la chair y fut
pour une grande part : les souffrances corporelles se joignirent aux
souffrances morales, qui méritèrent pour nous des grâces si abon-
dantes. D'autre part, les grâces que Jésus-Christ communique, en
qualité de chef, à tous ceux qui dépendent de lui n'agissent pas
toutes directement sur les âmes; souvent elles ont pour objet d'a-
paiser les passions dont la chair est le siège; elles déposent dans
nos corps mortels le germe de la gloire future ~.
1. Caput habet manifestam eminentiam respecta cœterorum exleriorum
membrorum ; sed cor habet quamdam influentiam occultam. Et ideo cordi
comparatur Spirilus sanctus, qui invisibiliter Ecclesiam vivificat et unit; ca-
piti autem comparatur ipse Christus secundum visibilem naturam, secundum
quam homo hominibus praeferlur. (S. Tiiom., III p., q. viii, art. 1 ad 3.)
2. Dicendum est quod habet vim influendi humanitas Christi, in quantum
est conjuncla Dei Verbo, cui corpus unitur per animam, ut supra dictum est.
Unde tota Christi humanitas, secundum scilicet animam et corpus, influit in
homines et quantum ad animam, et quantum ad corpus : sed principaliter
quantum ad animam, secundario quantum ad corpus. Uno modo in quantum
membra corporis exhibentur arma justitiœ in anima existenti per Christum,
ut Apostolus dicit [Roman., vi). Alio modo in quantum vita gloriae ab anima
derivatur ad corpus, secundum illud Roman., viii : Qui suscitavit Christum
Jesum a mortuis, vivificabit et mortalia corpora vestra, propter inhabitantem
Spiritum ejus in vobis. (S. Thom., III p., q. viii, art. 2.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.S. DANS l'eUCHARISTIE. 353
Les textes apportés plus haut prouvent suffisamment que Jésus-
Christ est le chef de l'Église, vérité que personne d'ailleurs ne met
en doute; mais, en même temps qu'il est le chef de l'Église, l'est-
il aussi de tant d'hommes qui n'en font partie à aucun titre, des
infidèles, des enfants morts sans baptême et des damnés?
Jésus-Christ fait partie de l'humanité; il en est le premier
membre, le membre le plus éminent; c'est à cause de lui que tout
le reste existe. Rien donc de ce qui fait partie de l'humanité ne peut
lui être étranger ; toutes les créatures humaines, quelles qu'elles
soient, ont en lui leur chef, mais toutes ne sont pas reliées à ce
chef sacré de la même manière. Plusieurs se refusent à recevoir
la vie qu'il voudrait leur communiquer; plusieurs, voulussent-
elles en profiter, ne le peuvent pas : ce sont des membres morts,
des branches que la sève de l'arbre ne saurait plus vivifier.
L'ensemble de l'humanité comprend, au premier rang, les bien-
heureux du ciel : ce sont les membres glorieux de notre divin
chef. Après eux, les âmes du purgatoire : ce sont les membres
souffrants ; membres assurés de la gloire céleste qui deviendra leur
partage aussitôt que la souffrance les aura suffisamment purifiés,
pour être admis à la vision béatifique. Viennent ensuite les fidèles
de la terre qui ont le bonheur d'être en état de grâce, qu'ils soient
ou qu'ils ne soient pas prédestinés à la persévérance finale et, par
suite, au bonheur éternel. Pour ces diverses catégories de membres
de l'Église, il n'y a pas de difficulté : tous ont Jésus-Christ pour
chef, et tous vivent de sa vie. Ils sont les branches de la vigne et sa
sève généreuse circule en eux, quoique avec plus ou moins d'a-
bondance. Les pécheurs eux-mêmes, qui ont reçu le baptême, ont
Jesus-Christ pour chef; sa grâce a pénétré leurs âmes, et leur chair
a été consacrée par la réception de ses sacrements. Ils sont indi-
gnes de lui, mais ils ne sauraient lui devenir étrangers; tant
qu'ils sont sur la terre, la possibilité de sentir de nouveau sa vivi-
fiante influence ne leur est pas enlevée.
Mais les infidèles appartiennent-ils aussi à Jésus-Christ comme
à leur chef?
Ils ne sont pas membres de Jésus-Christ, puisqu'ils n'ont pas
la foi et n'ont pas reçu le baptême. Cependant le Seigneur ne les
délaisse pas entièrement; il les appelle à la foi ; il les porte par sa
grâce à quelques bonnes œuvres; il les retient pour qu'ils ne s'en-
foncent pas aussi profondément dans la corruption qu'ils le feraient
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T IV. 23
354 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. VII.
sans un tel secours; même les petits enfants, dans le sein de leurs
mères, profitent indirectement des grâces accordées à celles-ci en
vue de leur maternité. Ni ces petits enfants, ni les infidèles qui
ont atteint l'âge de raison, ne sont, à proprement parler, les
membres de Jésus-Christ; cependant ils le sont en quelque ma-
nière et ils agissent en cette qualité, lorsqu'ils correspondent à
quelqu'une des grâces que Dieu ne refuse pas même à ses ennemis
les plus endurcis.
On peut aller plus loin encore et dire que Notre-Seigneur est le
chef des damnés eux-mêmes, en ce sens qu'ils appartiennent à
l'humanité, et que l'humanité tout entière doit reconnaître qu'elle
lui doit tout, qu'il est le premier de tous les hommes. Mais si les
malheureux qui sont dans l'enfer doivent fiéchir le genou au nom
de Jésus, ils ne ressentent plus l'influence de sa grâce; ce sont des
branches mortes, détachées de l'arbre, et livrées au feu : la sève
n'y peut plus circuler. Quant aux petits enfants morts sans la
grâce du baptême, Jésus-Christ est aussi leur chef et l'influence de
sa grâce s'étend jusqu'à eux, sous la forme des dons de l'ordre
naturel qu'il daigne leur accorder. Nous ne parlerons pas des
démons, pour qui le trésor de la grâce ne saurait s'ouvrir.
Jésus-Christ, considéré dans son humanité, n'est pas seulement
le chef des hommes, comme nous venons de le montrer, mais aussi
des anges. S. Paul dit, dans TÉpître aux Éphésiens : « Dieu a
« exercé la puissance de sa vertu dans le Christ, le ressuscitant
« d'entre les morts, et le plaçant à sa droite dans les cieux, au-
« dessus detoute principauté, detoutepuissance, de toute vertu, de
a toute domination et de tout nom qui est nommé non seulement
« dans ce siècle, mais aussi dans le siècle futur. Et il a mis toutes
« choses sous ses pieds et il l'a établi chef sur toute l'Église, qui
a est son corps et le complément de celui qui se complète entiè-
« rement dans tousses membres K »
C'est bien en qualité d'homme que Jésus-Christ nous est ici pré-
senté par l'Apôtre comme élevé au-dessus de toute principauté, de
i. Secundum operationem potentiœ virtutis ejus, quam operatus est in
Christo, suscitans illum a mortuis, et constituens ad dexteram suam in cœles-
libus, supra omnem principatum et potestatem, et virtutem et doininationem,
et omne nomen quod nominatur, non solum in hoc saeculo, sed etiam in fu-
turo. Et omnia subjecit sub pedibus ejus, et ipsum dédit caput supra omnem
Ecclesiam ; quae est corpus ipsius et plénitude ejus qui omnia in omnibus
adimpletur. [Ephes., i, 19-23.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS L'eDCHARISTIE. 3o5
toute puissance, de toute vertu et de toute domination. Il est, par
rapport aux esprits célestes, quelque chose que ne sont pas le Père
ni le Saint-Esprit : il est leur chef, et le chef de toute l'Église,
d'une manière qui n'appartient qu'à lui et qui, par conséquent, est
propre à son humanité. Tel est l'enseignement des Pères et en
particulier de S. Augustin. « Notre chef, dit cet illustre docteur,
« est Jésus-Christ. Nous sommes le corps de ce chef; maissommes-
« nous seuls à l'être? Ceux qui ont vécu avant nous ne le sont-ils
« pas ? A tous les justes qui ont existé depuis le commencement du
« monde, ajoutez les légions et les armées des anges : tout cela
« n'est qu'une seule cité sous le sceptre d'un seul roi, une pro-
« vince unique gouvernée par un seul général K »
La raison en est que les anges et les hommes ne forment ensem-
ble qu'une seule Église, une république spirituelle dont Jésus-
Christ est le chef suprême, à qui tous ceux qui la composent doi-
vent obéissance. Il est le chef des hommes et il l'est aussi des anges,
qui sont ses ministres et ses serviteurs. Nous lisons dans l'Évangile
qu'après qu'il eut été tenté par le démon, les anges s'approchèrent
et le servirent. S. Paul, parlant des anges dans l'Épître aux Hébreux,
s'exprime ainsi : « Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d'un
« ministère, et envoyés pour l'exercer en faveur de ceux qui re-
« cueilleront l'héritage du salut -? » Dans l'exercice de ce minis-
tère auprès des hommes, c'est à Jésus-Christ, homme, qu'ils obéis-
sent, parce qu'il est l'auteur de notre salut, et que c'est à lui qu'ap-
partient le gouvernement de l'Église. Ajoutons que, d'après S. Denys
l'Aréopagite, suivi sur ce point par tous les théologiens, l'humanité
de Notre-Seigneur répand dans les anges des grâces d'illumination.
De plus il est permis d'admettre que les anges qui ont persévéré
dans le bien ont dû à ses mérites cette grâce de la persévérance
et la gloire éternelle qui est leur récompense.
Il faut dire, enfin, que Jésus-Christ, considéré dans son huma-
nité, est le chef, non seulement des anges et des hommes, mais
aussi de toutes les créatures. L'apôtre S. Paul lui donne le nom de
1. Caput nostrum Christus est, corpus capitis illius nos sumus: numquid
soli nos? Et non etiam illi qui fuerunt ante nos? omnes qui ab initio saeculi
fuerunt justi, adjunctis etiam legionibus, et exercilihus angelorum, ut illae
una civitas fiât sub une rege, et una provincia sub uno imperatore. (S. Au-
GUST., enarrat. in J's. xxxvi, serm. III.)
2. Nonne omnes suiit administratorii spiritus, in ministerium missi propter
eos qui hœreditatem capienl salutis ? [Ilebr., \, 1-4.)
35G LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. VII.
Premier-né de toute créature, parce que nulle autre n'approche
comme lui de Dieu ; nulle autre ne possède une dignité compara-
ble à la sienne. Il fut le premier dans la pensée de Dieu, le premier
dont Dieu résolut l'existence et qu'il prédestina ; sa perfection
l'emporte incomparablement sur toute perfection créée ; c'est à
cause de lui et d'après lui que tout a été fait. Mais il serait difficile
d'admettre que son humanité possède quelque influence directe,
qui ne pourrait être que physique, sur les êtres inanimés ou sans
raison ; il n'y a pas de motif sérieux de lui reconnaître une action
actuelle et réelle sur tous ces êtres divers. On ne voit pas ce que la
dignité de son humanité adorable y pourrait bien gagner. Si donc
Notre-Seigneur Jésus-Christ est le chef, la tête de toutes créatures,
c'est parce que toutes choses lui sont soumises et accomplissent sa
volonté. En ce sens, les démons eux-mêmes lui reconnaissent cette
dignité et ce pouvoir. On peut dire encore qu'il a droit à ce
titre parce qu'il peut faire à chacun des êtres existants un bien en
rapport avec sa nature, et que tous, les démons et les damnés
exceptés, recevront une beauté, une splendeur nouvelle, au jour
de la résurrection générale, en vertu des mérites de la rédemption,
selon ces paroles de l'Apôtre : « La créature attend d'une vive
a attente la manifestation des lilsde Dieu, dans l'espérance qu'elle-
« même, créature, sera aflranchie de la servitude et de la cor-
« ruption, pour passer à la liberté de la gloire des enfants de
« Dieu '. »
Il est temps maintenant de voir en quoi consiste la grâce particu-
lière qui accompagne, en Notre-Seigneur, pour la répandre dans
ses membres, la dignité de chef suprême et particulièrement de
chef des anges et des hommes, dignité qui se confond avec celle
de rédempteur et de sauveur.
L'humanité sainte de Jésus-Christ agit sur ses membres capables
de subir l'influence de la grâce, d'une double manière : d'abord
elle leur communique le pouvoir d'accomplir des actes de l'ordre
surnaturel; en second lieu, elle leur procure quelque part, moyen-
nant ces actes, aux mérites qu'il a acquis lui-même pendant sa vie
mortelle.
D'après une première opinion, la grâce, en vertu de laquelle le
\. Nam expectatio creaturœ revelationem fiiiorum Del expectat.... quia et
ipsa creatura liberabitur a servitute corruptionis in libertatem gloriae fiiiorum
Dei. {Hom., viii, 49, 21.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 3S7
Seigneur agit ainsi sur ses membres, serait tout à fait distincte de
la grâce d'union et de la grâce habituelle. Mais cette manière de
voir, que nul théologien sérieux n'a adoptée, ne repose sur aucun
fondement. En effet, la grâce qui est le principe du mérite n'est pas
autre que celle en vertu de laquelle l'homme est sanctifié et agit
selon Dieu. Le mérite est même impossible pour quiconque n'est
pas en possession de la grâce sanctifiante. Nous avons vu que la
grâce qui rend sainte l'humanité de Notre-Seigneur est d'abord la
grâce d'union hypostatique, grâce incommunicable qui l'élève à un
degré de gloire et de grandeur presque infini. C'est ensuite la grâce
habituelle. L'une ou l'autre, ou toutes les deux ensemble, suffisent
bien pour que l'humanité du Fils de Dieu contribue, à son tour,
à la sanctification des membres dont elle est la tète; et l'on ne voit
pas la raison pour laquelle il faudrait recourir à une troisième.
D'après une autre opinion généralement admise, et que S. Tho-
mas enseigne en propres termes ', la grâce que Jésus-Christ com-
munique à ses membres, en qualité de chef, est sa propre grâce
personnelle, celle dont il a reçu la plénitude et par laquelle son
âme a été justifiée; la grâce en vertu de laquelle il est saint est
donc la même par laquelle il nous sanctifie. C'est elle qui fait de
lui le chef des anges et des hommes, non seulement par la dignité
mais par l'influence qu'il exerce. Néanmoins, si elle est essentiel-
lement la même, elle s'en distingue par l'application qui en est
faite aux créatures.
On a dit aussi que la grâce, en vertu de laquelle Jésus-Christ est
le chef dont l'infiuence se répand sur les créatures, qui sont ses
membres, est la grâce d'union. S. Thomas semble le croire lors-
qu'il enseigne que Jésus-Christ est proprement le chef de l'Église,
parce que lui seul peut agir intérieurement sur les âmes par la
{. Sed contra, quod dicitur Joanti., i : De pleniludine ejiis 7ios omnes acce-
pimiis. Secundum hoc aulem est caput nostrum quod ab eo accepimus. Ergo
secundum hoc, quod habuit plenitudinem gratife, est caput nostrum. Plenitu-
dinem autem gratis hal)uit secundum quod pcrfecte fuit in illo gratia perso-
nalis, ut supra dictum est. Ergo secundum gratiam personalem est caput
nostrum, et ita non est alia gratia capitis, et alia gratia personaUs.
Dictum est autem supra quod in anima Christi recepta gratia secundum
maximam eminentiam, et ideo ex iihi eminentia gratia\ quam accei)il, com-
pelit sibi quod gratia illa ad aliosderivetur : quod perlinel ad rationcm capitis:
et ideo eadem est secundum essentiam gratia jiersonaiis, (|ua anima Christi
est justificata, et gratia ejus secundum quam est caput Ecdesia*, jusliticans
alios; diflert tamen secundum rationem. (S. Tiiom., 111 j)., (j. viii, art. U.)
358 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
grâce, et que son humanité possède la vertu de conférer la justice,
à cause de son union avec le Verbe i.
Au fond, ces deux dernières opinions diffèrent peu ou plutôt
n'en font qu'une, puisque toutes deux s'appuient sur la doctrine
de S. Thomas exposée dans deux articles qui se suivent et ne font
que se compléter. La grâce d'union hypostatique suffit pour que
Notre-Seigneur sanctifie ceux qu'il veut justifier, à cause de son
excellence intrinsèque; mais la grâce habituelle qui est en lui
participe à cette vertu; et parce qu'elle a plus d'affinité que la
première avec la grâce habituelle qui sanctifie les créatures, elle
est, en quelque sorte, l'intermédiaire par le moyen duquel la
grâce d'union produit la justification et communique la sainteté.
On pourrait donc distinguer en Notre-Seigneur la grâce en
vertu de laquelle il est constitué chef de toutes les créatures, et
sanctificateur des anges et des hommes à ce titre, et la grâce au
moyen de laquelle il exerce les fonctions afférentes à cette dignité,
seconde grâce qui a sa source dans la première. Celle-ci est la
grâce incommunicable, la grâce d'union; celle-là est la grâce
habituelle personnelle à notre divin Sauveur, mais dont la plé-
nitude est telle qu'il peut être donné à toute créature d'y parti-
ciper, d'une manière plus ou moins large, selon que sa nature le
permet.
Ajoutons que c'est la grâce d'union qui donnait aux actes de
Notre-Seigneur .lésus-Christ la vertu de mériter, non seulement
pour lui-même, mais aussi pour les autres, et de satisfaire à Dieu
pour leurs péchés.
0 Jésus, notre chef, vous êtes tout-puissant et infiniment bon!
Voyez combien sont grands les besoins de chacun de nous, et
voyez les tribulations et les épreuves de toutes sortes de votre
sainte Église. Puisque vous daignez habiter au milieu de nous,
venez à notre aide. C'est le moment de montrer votre amour pour
les hommes et votre infinie libéralité. 0 Dieu de l'Eucharistie,
répandez votre grâce! jamais peut-être elle ne fut plus nécessaire
1. Caput in alia membra influit dupliciter. Uno modo, quodam intrinseco
infliixu, prout scilicet, virtus motiva el sensitiva a capite derivatur ad caetera
membra. Alio modo secundum quamdain exteriorem gubernationem : prout
scilicet secimdum visum et alios sensus, qui in capite Vadicantur, dirigetur
homo in exterioribus aclibus. Interior aulem influxus gratiae, non est ab aliquo,
nisi a solo Christo : cujus bumanitas ex boc quod est divinitati conjuncta,
babet virlutem justificandi. (S. ïhom., III p., q. viii, art. C.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 359
au monde. Vous êtes notre chef; ne délaissez pas vos membres,
tout réfractaires qu'ils soient à la grâce, et daignez leur infuser la
vie. N'est-ce pas dans ce but que vous demeurez parmi nous au
Très Saint Sacrement?
V.
GRANDEUR ET PERFECTION DES DIVERSES GRACES QUE REÇUT l'hUMANITÉ
SAINTE DU FILS DE DIEU INCARNÉ POUR NOUS
La grâce en vertu de laquelle le Verbe de Dieu s'unit à la nature
humaine, de sorte que l'humanité fût la nature propre de celui
qui, tout en s'unissanl à elle, ne cessait pas d'être ce qu'il était de
toute éternité, le Fils de Dieu, égal en tout au Père, fut évidem-
ment une grâce inlinie. Mais faut-il reconniùtre la même infinité
à la grâce habituelle et aux autres dons qui furent le partage de
l'humanité de Notre-Seigneur par suite de l'union hypostatique?
D'après S. Thomas, Scot, la presque unanimité des théologiens
et, en particulier, Suarez et De Lugo, la grâce que reçut l'âme de
Notre-Seigneur, en outre de la grâce d'union, ne fut pas infinie.
Elle ne le fut ni dans son essence ni dans la mesure selon
laquelle il la reçut.
La raison en est que cette grâce était quelque chose de créé,
par conséquent de fini, et que, d'autre part, l'humanité de Notre-
Seigneur était finie elle-même, ayant été créée. Elle ne pouvait
pas communiquer à la grâce l'infinité qu'elle ne possédait pas
elle-même. Certainement, si l'on pouvait prouver qu'une grâce
infinie, autre que celle de l'union hypostatique, peut exister, il
faudrait admettre qu'elle fut en Jésus-Christ, à cause de la dignité
de sa personne, même si elle n'était nullement nécessaire pour
l'œuvre de la rédemption. Mais on ne peut pas le prouver, tandis
que le contraire paraît évident '.
\. In Christo potest duplex ^'ratia considerari. Una quidem est p:ratia unio-
nis : quœ sicut supra dictum est, est ipsum uniri personaliter Filio Dei,
quod est gratis concessum humanœ natura^ : et hanc gratiam constat esse
infinitain, secundum quod ipsa ])ersona \erbi est infinita. Alla vero est gratin
habitualis, quce quidem potest dupliciter considerari. l'no modo secundum
quod est quoddam eus. Et sic necesse est quod sit ens finilum; est enim in
anima Chrisli sicul in subjecto : Anima autem Christi est crealura quaedam
habens capacilalem finitam : unde esse gratiie cum non excédât suum sub-
jectum non potest esse infinitum. (S. Tiiom., Ill p., q. vu, art. i\.)
360 LA SAINTE EDCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
Cependant il est permis de dire, dans un certain sens, que la
grâce reçue par Notre-Seigneur est infinie, parce que toute autre
grâce s'y rapporte et en découle; elle est comme le principe
universel de toute grâce qui puisse être accordée à la nature
humaine selon la parole de l'Apôtre : « Dieu nous a donné la
« grâce en son Fils bien-aimé. » Elle n'est pas infinie en elle-
même, mais elle l'est par rapport à nous; quelles que soient les
grâces qui en jaillissent pour l'humanité, jamais cette source tou-
jours débordante ne sera épuisée '. S. Thomas, pour faire mieux
comprendre sa pensée, compare la grâce de Notre-Seigneur â la
lumière du soleil à laquelle rien ne manque pour être parfaite
comme lumière, et qui suffit à éclairer, sans s'épuiser jamais,
tout ce qu'elle a reçu la mission d'éclairer.
On peut dire encore que la grâce de Jésus-Christ est infinie, â
cause de sa relation intime, de son union avec la personne du
Verbe. Les œuvres accomplies par le Seigneur, selon son huma-
nité, avaient un mérite infini, â cause de cette union; pourquoi la
grâce ne trouverait-elle i)as une infinité en rapport avec son mode
d'être, dans cette même union de la nature humaine pour laquelle
elle est faite, avec la nature divine? D'autant plus que la grâce habi-
tuelle et les autres dons sont bien pour quelque chose dans l'ac-
complissement et la perfection des œuvres du Sauveur, quoique la
grâce d'union soit la source première de laquelle l'infinité du
mérite découle.
Une autre question se présente maintenant. La grâce de l'huma-
nité de Notre-Seigneur, infinie lorsqu'on la considère â certain
point de vue, mais cependant finie dans la réalité, était-elle telle-
ment grande, tellement parfaite, qu'il lui fût impossible d'être
plus parfaite ou plus grande?
1. Alio modo poiest considerari secunduin propriam rationem gratiae. Et sic
gratia Christi potest dici intinila, co quod non limitatur : quia scilicot habet
quidquid ])ote.sl perlinere ad rationem gratiœ : et non datur ei secundum pro-
priam rationem gratiae. Et sic gratia Christi potest dici infinita, eo quod non
limitatur; quia scilicel habet quidquid potest pertinere ad rationem gratiœ :
et non datur ei secundum aliquam certam mensuram id quod ad rationem
gratiae pertinet : eo quod secundum propositum Dei, cujus est gratiam men-
surare, gratia confertur animœ Christi, sicut cuidam universali principio
gratificationis in humana natura : secundum illud Ejthes., i : Gralificavil. nos
in dilerto l'ilio suo. Sicut si dicamus lucem solis esse infinitam : non quidem
secundum se, sed secundum rationem lucis, qui habet quicquid ad rationem
lucis pertinere potest. (lu., ibid.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 361
Il y a deux poin ts dont conviennent tous les théologiens : le premier
est que l'immensité et la perfection de la grâce furent si grandes en
Jésus-Christ, qu'il n'en existe pas et qu'il ne peut pas en exister
d'égales, selon les lois ordinaires de la providence, ni chez les anges
ni chez les hommes. C'est une vérité de foi, dont la preuve se trouve
dans de nombreux textes de la Sainte Écriture et des Pères. A défaut
de ces textes, il suffirait de cette seule considération, que le
Christ est le Fils de Dieu selon la nature, qu'il est le chef des
hommes et des anges, et que son âme a dû, par conséquent, être
plus riche et plus ornée de grâce et de gloire que toute autre créa-
ture. C'est la pensée de l'apôtre S. Jean lorsqu'il dit : « Nous
« avons vu sa gloire, comme la gloire que le Fils unique reçoit
« du Père : Vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti
« a Pâtre; » et c'est l'interprétation que donnent de ce texte
S. Cyrille, S. Augustin et plusieurs autres Pères. Voici le com-
mentaire de S. Jean Chrysostome : « Mais que signifient ces pa-
« rôles : Sagloire, comme celle duFils unique du Père? Plusieurs
« prophètes ont paru tout éclatants de gloire, comme iMoïse, Élie,
« Elisée, et beaucoup d'autres encore ont été illustrés par des
a miracles; de même, les anges qui se sont fait voir aux hommes
a dans la lumière et la splendeur de leur nature, et non seule-
« ment les anges, mais aussi les chérubins et les séraphins qui
« ont apparu au prophète, couverts d'une grande gloire : mais
a rÉvaiigéliste écartant de nous toutes ces choses, élevant nos
« esprits au-dessus de la splendeur et de la gloire des créatures,
« et des autres serviteurs nos compagnons, nous installe au comble
« même des biens et au centre de la gloire. Ce n'est pas la gloire
« d'un prophète, ni d'un ange, ni d'un archange, ni des vertus
« célestes, ni d'aucune autre créature, s'il en est, que nous avons
« vue : mais nous avons vu la gloire du Seigneur même, du roi
« même, du vrai Fils unique même, de celui qui est le Seigneur
« de tous les hommes; comme si l'Évangéliste disait : Nous avons
« vu la gloire qui convient, qui est propre au vrai et à runi(]ue
« Fils de Dieu, roi de tout l'univers '. »
\. Quasi unigeniti a Patri', quia multi prophetarum irlorificati sunt : puta
Moyses, Elias, Elisteus et alii multi, quicumqiie iniracula ostciuloruul ; sed et
angeli hoininibus apparentes, et eam quai est propri;e natuive coruscantem
lucem manifestantes : sed et Cherubim et Scraphim cum multa gloria visa
sunt a propheta. Ah omnibus bis nos abducens evanj^elista, et supra omnem
naturam et conservorum nostrorum claritatem erigens mentem, ad ipsum
362 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
Le second point est que l'âme de Notre-Seigneur est la seule qui
reçut la plénitude de la grâce dans le sens le plus absolu et sans
restriction aucune. S. Jean le lait entendre par ces mots qui com-
plètent le texte cité plus haut : « Plein de grâce et de vérité » :
Plénum gratiœ et veritatis. Le moV plein se rapporte grammati-
calement â Verbe, dont il est séparé par ce membre de phrase qui
forme parenthèse : « Et nous avons vu sa gloire, comme la gloire
« que le Fils unique reçoit du Père. » Pour qu'il soif impossible
de s'y tromper et d'attribuer cette plénitude à Jean-Baptiste, dont
il est question immédiatement après, l'évangéliste y revient
presque aussitôt et met ces paroles dans la bouche de Jean-Bap-
tiste lui-même : « Et nous avons tous reçu de sa plénitude : Et de
« plenUitdine ejus nos omnes accepimus. »
Il est dit de plusieurs saints personnages qu'ils reçurent la
plénitude de la grâce; tels furent les apôtres, tel fut le saint diacre
Etienne qui eut l'honneur de verser le premier de tous son sang
pour affirmer la divinité du Sauveur; l'ange Gabriel salua Marie
pleine de grâce en lui annonçant qu'elle serait la Mère du Fils
de Dieu. Mais la plénitude môme de la grâce de Marie n'était
que relative. Sans doute, il convient de la placer à un degré
incomparablement plus élevé que celle des apôtres et de S. Etienne,
mais elle n'approchait pas de la plénitude que possédait l'âme
de son divin Fils; elle n'était qu'un écoulement de cette plé-
nitude de laquelle les apôtres et tous les saints reçoivent la
grâce qui leur est mesurée. La mesure qu'ils en reçoivent peut
être aussi grande que leur être borné est susceptible d'en recevoir,
et alors on peut dire qu'ils sont remplis de grâce. Mais un vase
étroit, tout rempli qu'il soit d'un parfum précieux, n'en contient
pas autant qu'un autre de dimensions plus grandes. La plénitude
de grâce en Notre-Seigneur fut telle que, sans diminuer aucune-
ment, elle suffit à procurer â toutes les créatures les plus favori-
sées, même â la bienheureuse Vierge sa Mère, une abondance de
grâce presque incommensurable. C'est S. Jean-Baptiste qui nous
l'assure lorsqu'il dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude. »
nos bonorum perdiixit verticem. Quasi dicat : Non ut prophetse aut alterius
hominis, anfreli, aut archangeli, aut alicujus superiorum virtutum est gloria
quarn vidimus, sed quasi ipsius dominatoris, ipsius régis, ipsius naturalis
FUii unigeniti. Ac si dicat : Vidimus gloriam qualem dccebat et conveniens
esthabere unigenitumet naturalem Fiiium. (S. Chrysost,, hom. XII inJoann.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S, DANS l'eDCHARISTIE. 363
On peut demander encore : La grâce que reçut l'àme de Notre-
Sei^neur, en dehors de la grâce d'union avec la personne du
Verbe, aurait-elle pu être plus abondante ou plus parfaite qu'elle
ne le fut dans la réalité?
Pour ceux qui regardent comme infinie la grâce de Jésus-Christ,
il n'existe pas de difficulté : l'infini n'est pas susceptible d'augmen-
tation et, d'après cette opinion, la grâce ne pouvait être en lui ni
plus grande ni moins grande qu'elle ne fut. Mais on a vu que cette
infinité ne convient pas à la grâce habituelle, non plus qu'aux
autres dons : ce sont des grâces créées et par conséquent finies. De
plus, elles sont données à la nature humaine, qui est elle-même
créée, et ne peut pas leur communiquer une infinité qui ne lui
appartient pas. La grâce de Notre-Seigneur a donc des bornes.
Qu'on les recule autant qu'il plaira, elles existent, parce que cette
grâce n'est pas Dieu, ni un attribut essentiel de Dieu. Puisque ces
bornes existent, il n'était pas impossible à la puissance absolue de
Dieu de les reculer encore. Il pouvait agrandir le vase indéfini-
ment et le tenir toujours rempli de parfums toujours plus précieux.
Pourquoi s'est-il arrêté à la mesure de grâce que l'humanité ado-
rable du Sauveur a reçue? Lui seul le sait. Il ne pouvait atteindre
l'infini; il fallait donc faire choix d'un point auquel il s'arrêtât?
Sans doute ce point est aussi près de l'infini que l'exigeait la di-
gnité du Verbe divin et la libéralité de Dieu. Remettons-nous-en à
sa sagesse et à son amour, pour la nature humaine que son Fils
unique avait daigné prendre.
Si la grâce habituelle n'était pas simplement infinie, mais me-
surée, en la personne de Notre-Seigneur, que faut-il penser de sa
charité actuelle, ou de l'amour que son âme humaine portait à
Dieu ?
On doit en raisonner comme de la grâce habituelle et des autres
dons. Sa charité n'était pas, à proprement parler, infinie ; mais il
est impossible à aucune imagination créée de se faire une idée de
sa grandeur. En effet, il convient d'admettre que dans tous ses
actes, Jésus-Christ agit selon toute l'intensité et toute l'étendue de
son amour pour son Père ; autrement il y aurait eu de sa part une
imperfection, ce qu'où ne peut avancer sans blasphème; il aurait
pu faire mieux qu'il ne faisait. La grâce habituelle, ou la charité
qui était en lui, l'emportait, en intensité comme en perfection, sur
celle de tous les saints réunis, sans excepter sa bienheureuse Mère;
364 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II'^ PARTIE. — LIVRE II. — CliAP. VII.
chacun des actes qu'il faisait méritait donc un accroissement de
charité plus grand que tous les actes ensemble de tous les saints,
depuis Abel jusqu'au dernier des élus qui vivra sur la terre. Comp-
tez, si vous le pouvez, tous les actes intérieurs et extérieurs de
Jésus-Christ depuis l'instant de son Incarnation jusqu'à celui de
son dernier soupir sur la croix, et jugez de ce que pouvait être
une charité presque infinie dès son origine, et qui croissait dans
des proportions inconcevables avec chacun de ces actes.
Mais il faut remarquer que si nous parlons ici comme on doit le
faire lorsqu'on parle des saints, ce n'est que pour mieux faire com-
prendre ce qu'il en était de la grâce du Seigneur. Dans la réalité, sa
charité actuelle ne reçut pas plus d'accroissement que sa grâce habi"
tuelle, pendant le cours de sa vie parmi nous. Dieu connaissait à l'a-
vance tous les actes, tous les mérites futurs de l'humanité sainte que
s'unirait son Fils, et, dès le premier instant de son existence comme
homme, Jésus-Christ agit en tout avec la même charité actuelle,
que dans les derniers jours de sa vie. Il croissait en sagesse en
même temps qu'en âge, devant Dieu et devant les hommes ; mais
cet accroissement n'était que la manifestation, graduée et réglée
sur les circonstances, des trésors incommensurables de grâce et de
perfection qu'il avait possédés dès le sein de sa Mère.
Il est aisé d'appliquer ce qui vient d'être dit sur la grâce habi-
tuelle et la charité actuelle en Jésus-Christ à tous les autres dons
qui furent aussi son partage. Il les posséda, non pas à un degré
infini, mais comme il convenait à la personne du Fils de Dieu fait
homme, et à la mission qu'il venait remplir sur la terre, envoyé
par son Père.
Et maintenant dans la très sainte et très adorable Eucharistie,
qui oserait penser que l'humanité du Seigneur est moins élevée en
perfection qu'elle ne le fut pendant sa vie mortelle? Non, vous
n'avez rien perdu, ô notre divin Sauveur. Vous êtes toujours
l'Homme-Dieu, le chef-d'œuvre le plus parfait qu'il fût donné à
la toute-puissance divine d'accomplir. Pendant toute l'éternité, le
bonheur des anges et des saints sera de contempler, avec votre
divinité qui est aussi celle du Père et du Saint-Esprit, les perfec-
tions presque infinies de votre humanité, que nous possédons dans
nos tabernacles.
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'eUCHARISTIE. 365
VI.
QUELQUES MOTS SUR LES VERTUS DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
EN GÉNÉRAL
Notre divin Sauveur, dans l'Eucharistie, est pour nous la source
de toutes les grâces, comme il en est l'auteur. Est-il aussi le ré-
ceptacle et le modèle de toutes les vertus ?
S. Thomas pose cette question : Jésus-Christ possédait-il toutes
les vertus? Et il répond affirmativement. La raison qu'il en donne
est la plénitude de sa grâce. Toutes les vertus découlent de la grâce
habituelle, comme toutes les puissances de l'âme découlent de son
essence. La grâce habituelle, que Notre-Seigneur possédait dans
toute sa plénitude, était donc accompagnée de toutes les vertus ; et
ces vertus étaient d'autant plus parfaites que la grâce dont elles
découlaient, comme de leur source, était plus abondante '.
Il faut cependant observer que certaines vertus impliquent une
imperfection, ou même des fautes passées; il en est aussi qui ne
sont pas compatibles avec l'état de vision béatifique qui fut celui
de Notre-Seigneur, dès l'instant même de son incarnation. Il ne
pouvait donc pas posséder ces dernières vertus, incompatibles avec
son état ; et il ne pouvait pas non plus posséder, sinon d'une ma-
nière éminente ou indirecte, celles qui impliquent quelque faute
passée ou quelque imperfection. Ainsi l'on ne peut pas dire que ni
la foi ni l'espérance furent des vertus de Jésus-Christ, parce que
la foi a pour objet les mystères divins que l'on ne voit pas, mais
que l'on croit sur la parole de Dieu, et l'espérance, les biens sur-
naturels que l'on attend.
Or l'âme de Notre-Seigneur contemplait face à face l'essence
divine et ses plus profonds mystères et, parla même, elle jouissait
du bonheur suprême qui fait l'objet de l'espérance des saints, tant
qu'ils vivent sur la terre.
1. Respondeo dicendum quod, sicut in secunda parte dictuni est (III, q. t:x,
art. 3 et i), sicut gratia respicit essentiam anima', ila virlus respicit poten-
tiam ejus. Unde oportet quod sicut potentiae animai derivanlur ab ejus essen-
tia, ita virtutes sintqua'dam derivationes gralia*. Quanto autem ali(|UiHl prin-
cipiuni est perfectius, tanlo magis impriniit suos offectus. Vnde runi gralia
Ctiristi fuerit perfectissima, consequens est (|Uod ex ipsa processerint virtutes
ad perficiendum singulas potentias animce, quantum ad omnes animœ actus :
et ita Christus habuit omnes virtutes. (S. TiiOM., III, q. vii, art. 2.)
366 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
On ne peut pas dire davantage que la vertu de pénitence fut en
lui, si la pénitence suppose quelque péché commis d'abord par
celui qui possède et pratique cette vertu; mais on peut l'entendre
aussi de l'inclination à détester le péché par amour pour Dieu, et à
regretter sincèrement qu'il ait été commis, quoique celui qui
éprouve cette inclination ne soit pour rien dans l'acte qu'il regrette
et déteste, sans même qu'il y ait en lui le pouvoir de pécher. La
vertu de pénitence ainsi entendue n'implique aucune imperfection,
ni présente ni passée; elle pouvait donc convenir à Notre-Seigneur;
mais l'on peut dire aussi qu'elle se rapproche tant de plusieurs
autres vertus telles que la charité, la justice, la religion, qu'il est
difficile de ne pas les confondre sous un certain rapport. Ces vertus,
particulièrement celles de justice et de religion, étaient infuses en
Notre-Seigneur et elles étaient en lui, proportions gardées, ce
qu'elles sont en nous; elles y étaient avec leurs éléments que l'on
retrouve dans la vertu de pénitence, la détestation du péché parce
qu'il offense Dieu et la volonté de le réparer, mais non pas le regret
d'en avoir été souillé, regret qui ne peut convenir qu'à nous, et qui
est le caractère propre de la pénitence chez tous les enfants d'Adam,
Jésus et Marie exceptés.
Non seulement Notre-Seigneur possédait toutes les vertus morales
qui, par leur nature môme, sont infuses dans l'àme, mais il y avait
aussi en lui les vertus acquises, c'est-à-dire cette disposition natu-
relle, cette facilité à pratiquer les diverses vertus morales, que pro-
cureleurlongexerciceetlamultiplicité de leursactes. Sans doute, ces
vertus acquises n'avaient pas à réprimer en lui, comme elles le font
dans les autres hommes, les révoltes des passions, qui n'existaient
pas; elles n'avaient pas à réprimer des excès quelconques même
dans l'inclination vers le bien, mais elles donnaientà l'exercice des
vertus infuses la dernière perfection. C'est ainsi que le premier
homme avait reçu par infusion ces vertus que l'on acquiert par la
pratique, quoiqu'il n'y eût en lui aucune passion immodérée à
calmer ou à réprimer. On verra plus tard qu'il yeut en Jésus-Christ
une science acquise : pourquoi n'admettrait-on pas de môme une
vertu acquise?
Mais il faut remarquer ici que ces vertus que l'on nomme ac-
quises, et qui le sont en réalité chez les autres hommes, Jésus les
posséda par infusion, dès le premier instant de son existence,
comme les autres vertus. Elles n'étaient donc pas, à proprement
PERFECTION SOUVERAINE DE l'amE DE N.-S. DANS l'eCCHARISTIE. 367
parler, des vertus acquises pour lui et par lui. Elles étaient les
mêmes que chez les autres hommes, et c'est pourquoi on les désigne
sous le même nom, mais leur mode d'origine était diflerent.
Jésus-Christ posséda donc ces vertus infuses qui sont des perfec-
tions dont l'humanité est susceptible, et qui ne répugnaient en rien
à l'union de sa nature humaine avec la divinité, puisqu'elles ne
supposent aucune imperfection ni aucune faute antérieure, mais
qu'elles sont simplement une perfection nouvelle. Il les posséda
au degré suprême, parce qu'en prenant la nature humaine, le
Verbe divin orna cette nature de toute la perfection qu'elle était
susceptible de recevoir; il convenait donc qu'il eût, comme homme,
les vertus acquises, au degré le plus élevé qu'elles puissent at-
teindre. Il est vrai qu'à la rigueur il aurait pu s'en passer, et que
l'union du Verbe avec sa nature humaine suffisait pour qu'il n'eût
rien à craindre des faiblesses ou des propensions naturelles, que
les vertus acquises ont pour effet d'aider la volonté à surmonter ; mais
il convenait aussi que la facilité pour pratiquer la vertu provînt, en
sa nature humaine, des mêmes causes qui la donnent ordinaire-
ment aux saints.
Ajoutons encore que les vertus acquises furent le partage de
Notre-Seigneur, dès le premier instant de son existence comme
homme, et que, dès lors aussi, elles possédèrent toute leur perfec-
tion. Il le fallait bien pour que le Verbe divin, en s'unissant à la
nature humaine, trouvât cette nature à la hauteur de la dignité
infinie qu'il lui conférait. Il n'était nullement nécessaire ni utile
à l'œuvre de la rédemption, pour laquelle le Fils de Dieu venait
sur la terre, que l'infusion de ces vertus dans toute leur plénitude
fût retardée, ne fût-ce que d'un instant. Pourquoi aurait-il imposé
ce retard et cette privation à son humanité?
On dira peut-être qu'il est plus parfait d'acquérir une vertu par
ses propres efforts que de la recevoir ainsi par infusion, et de
tenir un bien de soi-même que d'un autre. Peut-être en est-il ainsi
en plusieurs circonstances; mais un principe certain est qu'il vaut
mieux n'avoir jamais manqué d'une vertu que de ne l'avoir acquise,
à un degré égal, qu'avec du temps et des eft'orts.
Jésus-Christ posséda donc toutes les vertus compatibles avec son
état et sa sainteté infinie ; il les posséda par infusion, même celles
qu'on nomme vertus acquises, dès le premier instant de son exis-
tence comme Homme-Dieu ; il les posséda telles et au même degré
868 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
qu'il devait les posséder pendant toute sa vie mortelle, et qu'il les
possède encore dans la gloire du ciel. Les actes de vertu qu'il
accomplissait ne lui en rendaient pas l'exercice plus agréable ni
plus facile, et il n'y avait pas en lui plus de penchant pour une
vertu que pour une autre; sur tous les points, la perfection était
portée à son degré suprême; déchoir était impossible et s'élever
plus haut ne l'était pas moins.
Il faut cependant reconnaître que le corps adorable du Sauveur
put s'endurcir par l'exercice et devenir ainsi moins sensible aux tra-
vaux et à la fatigue ; mais ces dispositions corporelles étaient d'ordre
matériel, et n'avaient pas de rapport avec la perfection de la vertu.
Il a été dit plus haut queNotre-Seigneur Jésus-Christ ne posséda
pas les vertus qui impliquent quelque imperfection, telles que la foi
et l'espérance qui sont pour nous le fondement de toutes choses,
tandis que nous vivons sur la terre, mais qui n'auront plus de raison
d'être dans la gloire du ciel. Il est nécessaire, vu l'importance de
ces deux vertus théologales, d'y revenir avec un peu plus de détails.
S. Thomas demande : La foi était-elle en Jésus-Christ? et il
répond : « Selon la parole de l'Apôtre aux Hébreux : La foi est
a. le fondement des choses que l'on doit espérer, et la démons-
« tration de celles qu'on ne voit point. Or il n'y eut rien que
« Jésus-Christ ne vît, comme le lui dit S. Pierre : Vous savez
« toutes choses. La vertu de foi n'exista donc pas en lui. » Puis,
le saint docteur, développant cet argument, dit que l'objet de la foi
est une chose divine que Ton ne voit pas. Ce qui distingue for-
mellement une vertu d'une autre, ce qui la fait être ce qu'elle est,
c'est son objet. Si donc il n'y a pas de chose divine qu'il ne voie
pas, il n'existe pas davantage pour lui d'objet de foi, par consé-
quent cette vertu n'est pas en lui. Or, dès le premier instant de sa
conception, Notre-Seigneur Jésus-Christ a vu Dieu dans son essence,
par conséquent la foi ne lui a pas été possible K
\. i'trum in Christo fucrit ^(/e.s? Videtur quod, etc. Sed contra est quod
dicitur [Ilehr., \\, \) quod fides est argumentum non apparentium : sed
Chrislo nihil fuit non apparens, secundum quod dixit ei Petrus {Joann., ult.,
M) : Tu omnia nosli. ?>go in Christo non fuit fides.
Respondeo dicendum quod sicut in secunda parte dictum est (II, II, q. i,
art. i), objectum fidei est res divina non visa. Habitus autem virtulis sicut et
quilibet alius recipit speciem ab objecto. Et ideo excluso quod res divina sit
non visa, excluditur ratio fidei. Cbristus autem a primo instanti suae concep-
tionis plane vidit Deum peressentiam, ut infra dicetur. Unde in eo fides esse
non potuit. (S, Thom., III p., q. vu, art. 3.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EDCHARISTIE. 369
Mais si Jésus-Christ, parce qu'il jouissait de la vision intuitive die
Dieu, ne pouvait avoir la vertu de foi qui suppose nécessairement
l'absence de ce privilège d'un prix infini, il n'en a pas moins
eu, pendant sa vie mortelle, le mérite qui résulte de l'acte de foi-
bien fait, mérite qui consiste en ce que l'homme, pour obéir à Dieu,
donne son assentiment à ce qu'il ne voit pas, selon cette parole de
S. Paul aux Romains : « Nous avons reçu par Jésus-Christ la
a grâce et l'apostolat pour faire obéir à la foi toutes les nations en
« son nom. » Or Jésus-Christ a pratiqué l'obéissance : « Il fut obéis-
« sant jusqu'à la mort et à la mort de la croix ^ ^ Et son obéissance
parfaite lui donna, entre tous les mérites dont cette vertu est la
source première, ceux qui proviennent en particulier de l'acte de
foi.
Tous les théologiens qui prennent S. Thomas pour guide recon-
naissent, avec lui, que Jésus-Christ ne fut pas privé du mérite qui
résulte de l'acte de foi ; mais d'où venait précisément ce mérite? Il
y a sur ce point deux opinions principales.
Les uns disent qu'il eut le mérite de la foi, parce que son esprit
était préparé à donner son assentiment parfait à toutes les vérités
de la foi, s'il ne les avait pas connues par la vision intuitive. Mais
cette préparation n'est pas autre chose que la foi elle-même ; et elle
eût été absolument inutile en Notre-Seigneur, qui jouissait de la
vue intuitive comme en jouissent les saints au ciel, et qui savait,
comme eux, qu'il ne pouvait la perdre. Le Verbe incarné ne s'ar-
rêtait pas à des hypothèses irréalisables, pour y trouver la source
de son mérite.
Les autres enseignent, avec plus de raison, que dans la science
infuse que reçut l'âme de Jésus-Christ, se trouvait contenue émi-
nemment et sans aucune imperfection la connaissance du mystère
de la Trinité et de tous les autres mystères qui nous sont révélés
par la foi 2. Et parce que cette connaissance était libre et avait
1. Merilum fidei consistit in hoc quod homo ex obedientia Dei assentit illis
qusB non videt : secundum illud liomanor. (1, U) : Ad obediendum fidei in om-
nibus gentibus pro nomine ejus. Obedientiam autem ad Deum plenissime
habuit Christus, secundum illud Phili/)j). (11, 8) : Factns est obediens usqup ad
morti'm. (S. TiiOM., 111 p., q. vu, art. :$ ad "1.)
"i. Anima Christi primo quidem cognovitquœcumque pertinent ad scientias
humanas; secundo vero i)er banc scientiam (divinitus inditam), cognovit
Christus omnia illa quse per revolationem divinam bominijjus innotcscunl.
(S. TiiOM., m p., q. XI, art. 1.)
L\ SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 24
370 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VII.
toutes les conditions requises pour le mérite, Tàme de Notre-Sei-
gneur avait par elle tout le mérite de la foi.
La vertu d'espérance n'était pas plus possible en Jésus-Christ
que la vertu de foi, parce que l'on n'espère pas ce que l'on possède^
et que dès le premier moment de l'union du Verbe divin avec la
nature humaine, l'humanité du Fils de Dieu fut en pleine posses-
sion de la vision béatifique. La possession de Dieu est l'objet formel
de l'espérance, vertu théologique : comment l'àme de Notre-Sei-
gneur aurait-elle pu espérer ce qui était à elle dans toute sa pléni-
tude, et dont elle avait la certitude absolue de n'être jamais pri-
vée «?
Il était cependant des biens que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne
possédait pas encore, mais qu'il savait d'une science absolument
certaine qu'il posséderait un jour. Pendant les trente-trois années
de sa vie mortelle, son corps adorable n'était pas en possession
habituelle de la gloire et des autres qualités que la résurrection
devait lui communiquer ; il était sur la terre et non pas assis à la
droite du Père dans le ciel. Peut-on dire que notre divin Sauveur
espérait ces biens qu'il attendait? Il les attendait; il les désirait
même, comme il désirait ardemment le baptême de sang dont il
devait être baptisé au temps de sa passion; mais ce n'était pas l'es-
pérance, qui suppose toujours quelque possibilité de ne pas attein-
dre le but que l'on désire, et vers lequel on tend. Ce n'était pas
surtout l'espérance, vertu théologique dont l'objet formel est la
possession de Dieu.
Notre-Seigneur Jésus-Christ désirait, selon sa nature humaine,
la glorification et le triomphe suprême qui lui était réservé;
\. Sicut de ratione fidei est quod aliquis assentiat iis quse non videt; ita de
ratione spei est, quod aliquis expectet id quod nondum îiabet. Et sicut fides,
in quantum est virtus Iheologica, non est de quocumque non viso, sed solum
de Deo : ita etiam spes, in quantum est virtus theologica, habet pro objecto
ipsum Deum, cujus fruitionem homo principaliter expectatper spei virtutem.
Sed ex consequenti ille qui habet virtutem spei, potest etiam in aliis divinum
auxilium expectare : sicut et ille qui habet virtutem fidei, non solum crédit
Deo de rébus divinis, sed etiam de quibuscumque aliis divinitus sibi revela-
tis. Christus autem a principio suse conccptionis plene habuit fruitionem
divinam (ut infra dicctur, et ideo virtutem spei non habuit). Habuit tamen
spem respectu aliquorum, quœ nondum erat adeptus : licet non habuerit
fidem respectu quorumcumque :quia licet plene cognosceret omnia, per quod
totaliter fides excludebatur ab eo, non tamen adhuc plene habuit omnia, quae
ad ejus perfectionem pertinebant, puta immortalitatem, et gloriam corporis,
quam poterat sperare. (S. Thom., Ill p., q. vu, art. i.)
PERFECTION SOUVERAINE DE l'aME DE N.-S. DANS l'EDCHARISTIE. 371
S. Thomas a même donné le nom d'espérance à ce désir, mais cfi
n'était pas l'espérance proprement dite, même abstraction faite de
la vertu tiiéologique. D'autre part, la vertu théologique d'espérance
suppose la foi et s'appuie sur elle, selon la parole de l'Apôtre :
* La foi est le fondement des choses que l'on doit espérer ' . » Nous
avons vu que la foi proprement dite n'existait pas en Notre-Sei-
gneur, parce qu'il voyait ce que nous croyons par la foi sans le
voir ; l'espérance ne pouvait donc pas être non plus en lui.
Nous ne parlerons pas de la vertu de charité, qui est insépa-
rable de la sanctification et de la grâce habituelle. Ce n'est pas non
plus le lieu de nous arrêter ici à chacune des vertus de Notre-Sei-
gneur en particulier. L'occasion d'en traiter avec l'ampleur qu'un
tel sujet réclame se présentera lorsque nous aurons à considérer
comment nous devons témoigner notre amour et notre dévotion
envers lui présent dans la sainte Eucharistie, par l'imitation des
exemples qu'il nous y donne.
Ces quelques mots peuvent suffire pour donner une idée des
vertus de Notre-Seigneur, pendant sa vie mortelle, telle du moins
qu'il nous est possible de la concevoir ici-bas. Mais que sont ces
mêmes vertus, maintenant que cet adorable Sauveur est au ciel?
Que sont-elles en son âme présente au Très Saint Sacrement? Nous
le saurons un jour si nous en sommes dignes, et nous le serons si
nous tâchons d'imiter les exemples que Jésus nous a donnés,
tandis qu'il vivait parmi nous et comme l'un de nous.
i. Est autem fides sperandarum substantia rerum. [Hebr., xi, \.)
372 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
CHAPITRE VIII
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN JÉSUS-
CHRIST EUCHARISTIQUE, FILS DE DIEU VÉRITABLE ET NON PAR ADOP-
TION.
I. Unité de la personne en Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de la
très sainte Vierge. — II. Distinction des deux natures en la personne unique de
Jésus-Christ présent au Très Saint Sacrement. — III. Jésus Eucharistique, Fils de
Dieu par nature et non par adoption. — IV. Deux volontés et deux opérations dis-
tinctes en Notre-Seigneur Jésus-Christ. — Communication des idiomes.
UNITÉ DE LA PERSONNE EN NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST, FILS DE DIEU
ET FILS DE LA TRES SAINTE VIERGE
Notre-Seigneur Jésus-Christ, présent au Très Saint Sacrement de
TEucharistie, est. Dieu et il est homme. II y a donc en lui deux na-
tures; mais ces deux natures ont-elles chacune sa personnalité dis-
tincte, OU bien appartiennent-elles à une seule et unique personne?
Évidemment il n'y a qu'un seul Jésus-Christ, et les deux natures
qui sont en lui ne relèvent que d'une personne unique. Cette vérité
n'aurait pas besoin qu'on s'y arrêtât davantage, si elle n'avait pas
été, au commencement du v= siècle et dans la suite, l'occasion des
furieuses attaques de Nestorius et de ses partisans, contre la foi
chrétienne.
Nestorius, natif de Germanicie, mais élevé à Antioche, fut fait
évêque de Constantinople en 428. Son ordination fut applaudie
presque universellement. S. Cyrille lui écrivit pour lui en témoigner
sa joie, et lui souhaiter de la bonté de Dieu les biens les plus
excellents. Mais cette joie ne fut pas de longue durée. Les homélies
de Nestorius ayant été portées en Egypte aussi bien qu'ailleurs, on
vit en un moment s'évanouir les grandes espérances qu'on avait
conçues de lui. S. Cyrille fut un des premiers à réfuter les erreurs
renfermées dans ces homélies. Sur son initiative, ces erreurs fu-
rent condamnées d'abord dans un concile rassemblé à Alexandrie,
puis dans un autre concile tenu à Rome, sous la présidence du
pape Céiestin et dans le concile général d'Éphèse, présidé par
S. Cyrille, au nom du pape, en l'an 430.
DNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 373
Les preuves sont nombreuses qui démontrent invinciblement
l'unité delà personne, dans le Fils de Dieu fait homme ^.
Elles abondent dans les écrits des Pères du v' siècle, et c'est là
principalement qu'il faut les aller prendre comme à leur source.
On le comprend lorsqu'on fait attention que le nestorianisme,
l'eutychianisme, l'arianisme et d'autres hérésies encore, si puis-
santes à cette époque, s'attaquaient plus ou moins ouvertement à
la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il suffira ici d'en
donner quelques-unes tirées de la Sainte Écriture, de la tradition
et de la raison théologique.
La Sainte Écriture nous enseigne d'abord que le Fils de Dieu
s'est fait homme. Dès la première page de son Évangile, l'apôtre
S. Jean, le grand dépositaire des secrets du cœur de Jésus, nous
dit : « Le Verbe s'est fait chair. » Et comment faut-il entendre
cette parole? Le symbole de S. Athanase le déclare en ces termes :
« Il n'y a pas deux Christs mais un seul Christ : un, non parla
« conversion de la divinité en la chair, mais par l'élévation de
« l'humanité jusqu'à Dieu -, » par une union véritable et hyposta-
tique. Dieu n'a pas cessé d'être Dieu : comme tel il est immuable ;
mais il existait pour lui un moyen de se faire homme, de devenir
chair, comme dit S. Jean, et ce moyen, il a daigné l'employer.
A sa divinité immuable parce qu'elle est éternelle et infinie, il a
donné une âme humaine et un corps comme les nôtres. Ce corps
et cette âme, il les a élevés jusqu'à lui, jusqu'à les faire siens; ils
sont devenus son corps et son âme comme notre corps et notre
âme sont les nôtres, et au même titre, avec cette différence pour-
tant que le corps et l'âme de Jésus-Christ sont ceux d'une per-
sonne divine et non pas humaine comme en nous.
C'est ce qu'explique l'apôtre S. Paul lorsqu'il dit : « Étant dans
« la forme de Dieu, » c'est-à-dire étant véritablement Dieu, le
Christ • s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave, ayan^
« été fait semblable aux hommes 3. » Et, de fait, Notre-Seigneur
nous a été semblable en tout, le péché excepté. On lit aussi dans
l'épître aux Galates : « Lorsqu'est venue la plénitude du temps,
i. Voir particulièrement Tournely, de Incornatione, quaest. vu.
2. Non duo tamen sed unus est Christus. Unus autem non conversione
divinitatis in carnem, sed assumptione humanitatis in Deum. {Symb. S. Atha-
nas.)
3. Qui cum in forma Dei esset...., formam servi accipiens, in similitiidi-
nem hominum factus. (Philipp., ii, 6.)
374 LA SAINTE EDCHARISTIE. — H" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
« Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi,
« pour racheter ceux qui étaient sous la loi ^ » Ces mots « formé
« d'une femme : factum ex muliere, » indiquent évidemment,
entre la nature divine du Fils de Dieu et la nature humaine à
laquelle il s'unissait, une union plus intime et plus complète que
celle que crée, entre deux êtres, un rapprochement quelconque,
ou un sentiment d'affection. II y a dans ces termes l'expression
d'une union réelle, physique et personnelle des deux natures de
Jésus-Christ. Jamais on ne dira de deux amis que l'un est devenu
l'autre, ni d'un saint qu'il est devenu Dieu, quelque intime que
soit son union avec Dieu par la grâce. Le Fils de Dieu, envoyé par
son Père, est devenu fils de la femme, formé de sa substance. Sa
divinité n'a pas chang'é assurément; mais néanmoins il a emprunté
à une femme une nature nouvelle qui fait que, sans cesser d'être
Dieu, il est homme; il est serviteur, il est soumis à la loi, comme
ceux qu'il vient racheter et délivrer d'un joug trop pesant pour
la faiblesse humaine.
Et ce Fils de Dieu fait homme n'est qu'une seule et unique per-
sonne, Dieu et homme tout ensemble. C'est bien le Verbe divin
qui s'est fait chair, comme dit S. Jean : Et Verbum caro factum
est. Il est chair, mais il est encore le Verbe, et la chair ou le corps,
en lui, ne fait pas partie de quelque personne qui soit distincte de
lui. C'est bien le même encore qui, selon l'Apôtre, était dans la
forme de Dieu : cum in forma Dei esset, et qui, s'étant fait sem-
blable à l'homme, a revêtu la forme de serviteur. C'est bien le
rftême enfin qui, étant Fils de Dieu, a été envoyé par son Père et
a pris un corps de la substance d'une femme, factum ex muliere^
devenant ainsi sujet de la loi qu'il avait faite comme Dieu. Si
donc c'est le même fils de Dieu qui est Dieu et qui est homme,
qui est serviteur, qui est chair, il n'y a qu'une seule et unique
personne. On voit bien dans ces textes deux natures distinctes,
mais il n'y a qu'un seul et unique Jésus-Christ à qui ces deux
natures appartiennent, et à qui sont attribuées les propriétés de
chacune d'elles.
Qui pourrait méconnaître la nature humaine dans ces différents
textes : Factum ex muliere, « formé de la femme; » formam
\. At ubi venit plénitude temporis, misit Deus Filium suum, factun^ ëx
muliere, factum suh lege, ut eos qui sub lege erant redimeret. (Ga/af., iv,
4,8.)
DNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 375
se7^vi accipietis, « prenant la forme de serviteur? » Qui pourrait
la méconnaître dans ces paroles d'Isaïe : « Un petit enfant nous
€ est né ^? » Et dans celles de S. Paul aux Romains : « Les pères
« des Israélites sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ
« même qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous
« les siècles 2? »
Et s'il est impossible de refuser à Jésus-Christ la nature
humaine que la Sainte Écriture lui attribue en tant de passages,
il ne l'est pas moins de refuser au même Jésus-Christ, à la même
et unique personne, la nature divine avec tous ses attributs. Lui,
dont tous les actes et toutes les paroles nous prêchent l'humilité,
n'hésite pas à déclarer en plusieurs circonstances qu'il est vérita-
blement Dieu ; ou, ce qui est la même chose, qu'il possède les attri-
buts essentiels de la divinité. Il affirme son éternité, lorsqu'il dit
aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu'Abraham
« eût été fait, je suis 3. » L'importance qu'il attache à cette décla-
ration se révèle assez par la forme qu'il lui donne. C'est avec ser-
ment qu'il affirme que son existence n'a pas commencé lorsqu'il
est né de Marie, mais qu'il existait avant même qu'Abraham
fût. Et ce n'est pas sans motif qu'il se sert de l'expression : ego
sum, « je suis, » qui exclut le passé et l'avenir, pour ne laisser
place qu'au présent. Dieu seul peut dire d'une manière absolue :
Je suis : Ego sum; et c'est à ce caractère qu'il a voulu se faire
reconnaître par le peuple qu'il avait choisi. Lorsque Moïse lui
demanda son nom, il ne lui en donna pas d'autre : Ego sum qui
sum : a Je suis celui qui suis. » Jésus-Christ est aussi, comme
son Père céleste, .Celui qui est; par conséquent, il est Dieu. Mais
cette déclaration, si elle était isolée, pourrait paraître insuffisante
à prouver la divinité du Sauveur. Voici donc une autre parole de
Jésus : « Le Père et moi, nous sommes un : Ego et Pater unum
« sumus. » Ce n'est plus seulement sa propre éternité qu'il
affirme par ces mots, mais son unité de nature et de substance
avec son Père, f Moi et mon Père nous sommes un 4, » dit-il ; ou
plutôt, pour bien rendre la force du texte original, « nous sommes
1. Parvulus natus est nobis. {Is., ix, 6.)
^2. Quorum patres ex quibus est Christus secundum carnein, qui est super
omnia Deus benedictus in saecula. {Hom., ix, 5)
3. Amen amen dico vobis, antequam Abraham tieret, ego sum. {Joann.,
vni, «8.)
i. Ego et Pater unum sumus. [Joann., x, 30.)
876 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. -^ LIVRE II. — CHAP. VIII.
« une même chose. » Il n'y a qu'un seul Dieu; son Père est ce
Dieu, et lui-même n'est qu'une seule chose avec son Père, c'est-à-
dire Dieu comme lui et le même Dieu que lui. Ailleurs, il dit
encore : « Je suis sorti de mon Père et je suis venu dans le
monde *. » Lui que ses apôtres et tout le peuple juif voyaient de
leurs yeux et pouvaient toucher de leurs mains, lui que tous con-
naissaient pour le Fils de Marie, et qu'ils appelaient le fils du
charpentier, était homme sans doute; mais avant de paraître
revêtu de notre humanité, il existait dans le sein de son Père; il
était Dieu. Aussi, lorsque, après sa résurrection, S. Thomas eut vu
de ses yeux et touché de ses mains les glorieuses cicatrices qui
prouvaient la réalité de sa chair et de sa résurrection, l'apôtre,
d'abord incrédule, s'écria-t-il : « Mon Seigneur et mon Dieu!
« Dominus meus et Deus meus! » Il touchait l'humanité, et il
reconnaissait la divinité. Dans ces quelques textes, qu'il serait
aisé de multiplier, l'humanité et la divinité se manifestent très
distinctes, en un seul et même Jésus-Christ, et nous ne voyons
paraître qu'une personne unique en deux natures, la personne du
Verbe divin fait chair.
Une autre preuve encore de l'unité de personne en Jésus-Christ
est la qualité de Mère de Dieu que la Sainte Écriture reconnaît à
Marie, et que nous saluons comme l'un des dogmes les plus chers
à notre foi et à notre piété filiale.
On connaît ce texte d'Isaïe : « Voici que la Vierge concevra et
« enfantera un Fils, et il sera appelé du nom d'Emmanuel : ce qui
« signifie : Dieu avec nous 2. » L'ange de l'Incarnation disait à
son tour à Marie : « La chose sainte qui naîtra de vous sera appelée
« Fils de Dieu 'K » Nous avons déjà cité ces paroles de l'Apôtre aux
Galates : « Dieu a envoyé son Fils fait de la femme ^. » Il dit aussi,
dans l'Épître aux Romains, que le Fils de Dieu « est né de la race
« de David, selon la chair ^. » On voit que c'est toujours la même
personne, le même Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l'homme.
Marie conçoit dans son sein et elle enfante ce Dieu qui se fait
^. Exivi a Pâtre et veni in mundum. {Joann., xvi, 28.)
2. Ecce Virgo concipiet et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emma-
nuel, quod est interpretatum : Nobiscum Deus, (/.s., vu, 14.)
3. Quod nascetur ex te sanctum, vocabitur Filius Dei. [Luc, \, 31». )
4. .Misit Deus filium suum factum ex muliere. {Galat., iv, 4-.)
y. Quod ante promiserat per prophetas suos in Scripturis de Filio suo, qui
factus est ei ex semine David secundum carnem. {Rom., i, 2, 3.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 377
homme : elle est sa mère. La chose sainte ou le saint qui naît
d'elle est le Fils de Dieu : elle est sa mère. Le Fils de Dieu envoyé
par son Père prend sa nature humaine dans le sein d'une femme
et, par elle, il sort de la race de David selon la chair; il est donc
réellement, selon la chair, le Fils de cette femme comme il est
celui de David. Il n'y a pas deux fils de Dieu ni deux fils de Marie,
mais un seul, Jésus-Christ Notre-Seigneur, fils de Dieu et fils de
Marie, Dieu et homme tout à la fois, parce qu'il possède deux
natures en sa personne unique, la nature divine de son Père et la
nature humaine de sa Mère.
C'est ainsi que l'a compris la Sainte Église, et nous en trouvons
la preuve dans les symboles de la foi et dans les actes des conciles.
Nous lisons dans le Symbole des apôtres : « Je crois en Dieu le
€ Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre; et en Jésus-
« Christ son Fils unique, Notre-Seigneur; qui a été conçu du
« Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie ^ » Dans ces quelques
mots, les deux générations et, par conséquent, les deux natures dans
l'unité de personne de Notre-Seigneur, sont marquées de la ma-
nière la plus explicite. « Je crois en Jésus-Christ. » Et, qui est-il
ce Jésus-Christ objet de ma foi? Il est d'abord le Fils unique de
Dieu le Père, créateur du ciel et de la terre; il est de plus le Fils
de la Vierge Marie dans le sein de laquelle il a été conçu par l'opé-
ration du Saint-Esprit et dont il est né. Fils unique de Dieu, il est
Dieu comme son Père; fils de Marie, il appartient comme sa Mère
à notre humanité; il est véritablement homme comme il est véri-
tablement Dieu, et c'est toujours le même et unique Jésus-Christ,
la même et unique personne, dont la divinité et l'humanité sont
affirmées ainsi, dès les premiers mots du Symbole, base iné-
branlable sur laquelle repose tout l'édifice de la religion chré-
tienne.
Le Symbole de Nicée proclame le même dogme, en y ajoutant
quelques développements propres à faire mieux connaître encore
les deux natures du Sauveur. Il déclare que Jésus-Christ est
« Dieu de Dieu, lumière de lumière, consubstantiel au Père » ; et
aussitôt il ajoute : « Pour nous autres hommes et pour notre salut,
« il est descendu des cieux, s'est incarné en prenant un corps
\. Credo in Deum Patrem oinnipotentem, Creatorem cœli et terrœ, et in
Jesum Christum Filium ojus uiiicuni Doniiiium nostrum; qui conceptus est
deSpiritu sancto, natus ex Maria Vir^ine. {Syinb. apost.)
378 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H*" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
« dans le sein de la Vierge Marie par l'opération du Saint-Esprit,
« et s'est fait iiomme K » On le voit, la doctrine est absolument la
même, mais donnée avec plus de détails, pour couper dans leur
racine les funestes hérésies qui pullulaient, surtout en Orient,
lorsque fut tenu le Concile de Nicée. Les deux natures de Notre-
Seigneur et l'unité de sa personne ressortent avec évidence de ce
te.xte qui n'a pas besoin de commentaire.
Le Concile de Constantinople renouvelle les mêmes déclarations
en termes identiques.
Au Concile d'Éphèse tenu en 431, l'hérésie de Nestorius est
solennellement condamnée. S. Cyrille avait résumé, dans une
lettre synodale, les principales erreurs de Nestorius, et prononcé
contre elles douze anatiièmes qui furent admis et confirmés par
ce Concile. Le premier des anathèmes de S. Cyrille est ainsi for-
mulé : « Si quelqu'un ne confesse pas qu'Emmanuel est véritable-
« ment Dieu, et par conséquent la sainte Vierge Mère de Dieu,
« puisqu'elle a engendré selon la chair le Verbe de Dieu fait chair :
« qu'il soit anathème ~. »
Le second : « Si quelqu'un ne confesse pas que le Verbe qui
« procède de Dieu le Père est uni à la chair selon l'hypostase, et
« qu'avec la chair il fait un seul Christ, qui est Dieu et homme
« tout ensemble : qu'il soit anathème 3. »
Le troisième : « Si quelqu'un, après l'union, divise les hypos-
« tases du seul Christ, les joignant seulement par une connexion
« de dignité, d'autorité ou de puissance, et non par une union
« réelle : qu'il soit anathème ^'. »
Les Pères du Concile de Chalcédoine ^ tenu en 451, et plus tard
\. Deum de Deo, lumen de lumine.... consubstantialem Patri.... Qui prop-
ter nos homines et propter noslram salutem descendit de cœlis ; et incarnatus
est de Spiritu sancto, ex Maria Virgine, etliomo factus est. [Concil. Nicxn.)
2. Si quis non contitetur, Emmanuelein vere Deum esse, et ob id sanctam
Virginein Deiparam (genuit cnim ilia incarnatum Dei Patris Verbum secun-
dum carnem) : anathema sit. {Actus concil. Ephes., cap. i.)
•J. Si quis non confitetur, Dci Patris Verbum carni secundum hypostasim
unitum unumque.... esse Christum, eumdem nimirum Deum simul et homi-
nem: anathema sit. {Ibid.)
^♦. Si quis in uno Christo post unionem dividit hypostases, eaque dumtaxat
conjuiictione easdem inter se nectit, quse est secundum dignitatem, hoc est,
auctoritatem, vel potestatem, et non ea potius quse est secundum naturalem
unionem : anathema sit. [Ibid.)
S. Confitemur unum eumdemque Christum, Filium, Dominum, Unigeni-
tum, in duabus naturis inseparabiliter, inconfuse, indivise, immutabiliter
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 379»
ceux du second Concile de Gonstantinople ^ qui est le cinquième
Concile général, tenu en 568, ne s'appliquent pas avec moins de
sollicitude à exprimer la doctrine de l'unité de la personne et de la
dualité des natures en Notre-Seigneur; ils ne veulent laisser aucun
interstice par lequel puisse se glisser l'erreur.
A l'autorité des conciles il faut ajouter celle des Pères. Nous ne
citerons que quelques témoignages.
L'illustre martyr S. Ignace, dans son épître aux Éphésiens, rend
ce témoignage à la divinité et à l'humanité de Notre-Seigneur dans
l'unité de sa personne : « Jésus-Christ, notre Dieu, a été conçu
« dans le sein de Marie, selon la disposition de Dieu, du sang de
« David et du Saint-Esprit. Il est né et il a souffert d'être baptisé
« pour purifier l'eau -. »
Un peu plus loin, S. Ignace dit encore : « Par la grâce de Jésus-
ce Christ, vous concourez tous en une seule foi et en un seul Jésus-
« Christ qui, selon la chair, est de la race de David, qui est Fils
« de l'homme et Fils de Dieu ". » On le voit, c'est bien une union
substantielle et hypostalique que S. Ignace reconnaît entre la divi-
nité et l'humanité de Notre-Seigneur. Si l'union n'était à ses yeux
que morale et accidentelle, il y aurait deux Christs et non pas un
seul. Mais il n'en connaît qu'un seul, Jésus-Christ Fils de Dieu,
qui a joint l'humanité à sa divinité par sa conception dans le sein
de Marie, sans cesser pour cela d'être un comme personne.
S. Grégoire de Nazianze, que l'on a surnommé le Théologien à
cause de la sûreté de sa doctrine, prouve, contre les Apollinaristes,
agnoscendum ; nusquam sublata differentia naturarum propter unitionem,
magisque salva proprietate utriusque naturae, et in unam personam atque
subsister! tiam concurrente. [Concil. Chalced. in profess. fid.)
1. Si quis dicit, secundum gratiam, vel secundum operationem, vei secun-
dum dignitatem, vel secundum honoris aequalitatem, vel secundum authori-
tatem, aut relationem, aut affectum, aut virtutem.... et non secundum com-
positionem sive secundum subsistentiam, unitionem Verbi ad carnem factam
esse, anathemasit.... Sancta Dei Ecclesia utriusque perfidiœ impietatem reji-
ciens, unitionem Dei Verbi ad carnem secundum compositionem confitetur,
quod est secundum subsistentiam. (ConciY. Constant inop., collât. VIll, ana-
themat. iv.)
2. Deus noster Jésus Christus, in utero gestatus est a Maria, juxta dispensa-
tionem Dei, ex semine Davidis. Qui iiatus est, et baptizatus est, ut passione
aquam purificaret. (S. Ignat., Epist. ad Ephes., n. 1!^.)
i. Singuli communiter omnes, exgratia, nominatim convenitis in una Me,
et uno Jesu Christo, secundum carnem ex génère Davidis, filio hominis et
P'ilio Dei. (Id., ihid.y n. -20.)
380 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
que Jésus-Christ est à la fois homme parfait et Dieu parfait sans
qu'il y ait en lui deux personnes, mais bien une seule personne ayant
deux natures : « Nous ne séparons point en Jésus-Christ, dit-il \
« l'homme de la divinité. Il est notre Seigneur et notre Dieu, et nous
« faisons profession de croire que c'est le même qui auparavant n'é-
€ tait pas homme, mais Dieu et Fils unique de Dieu avant tous les
« siècles, sans mélange de corps ni de rien de corporel, qui, à la fin des
€ siècles, a pris aussi l'humanité pour notre salut; passible par la
« chair, impassible par la divinité ; borné par le corps, sans bornes
« par l'esprit ; le même terrestre et céleste, visible et invisible,
« compréhensible et incompréhensible, afin que l'homme entier,
« tombé dans le péché, fût réparé par celui qui est homme tout
• entier et Dieu. Si quelqu'un ne croit pas Marie mère de Dieu, il
« est séparé de la divinité. En un mot, le Sauveur est composé de
« deux choses difiérentes, puisque le visible et l'invisible ne sont
« pas la même chose, non plus que ce qui est sujet au temps et ce
« qui n'y est pas sujet. Mais ce ne sont pas deux personnes, une
« autre et une autre ; à Dieu ne plaise, car les deux choses sont
« unies : Dieu est devenu homme, ou l'homme est devenu Dieu, ou
« comme on voudra le dire. j> S. Grégoire déclare ailleurs - que
le Fils de Dieu est plus ancien que les siècles, invisible, incom-
préhensible, incorporel, principe de principe, lumière de lumière,
source de vie et de l'immortalité, vive image du Père; qu'il s'est
revêtu d'un corps pour guérir les faiblesses de la chair; qu'il a pris
une intelligence semblable à la nôtre, afin que le remède fût pro-
portionné au mal ; qu'il s'est chargé des faiblesses humaines,
excepté le péché ; qu'il a été conçu dans le sein d'une Vierge. » Il
ajoute 3 « que celui qui existe reçoit l'être, que celui qui n'est
point créé devient une créature ; que celui que tous les espaces ne
peuvent contenir est renfermé dans une masse de chair par le mi-
nistère de l'àme intelligente qui est unie à la divinité ; que celui
qui enrichit les autres s'est fait pauvre et a voulu participer aux
misères de l'humanité, pour nous combler des trésors de sa divi-
nité ; qu'il a anéanti sa gloire pour un temps, afin que nous ayons
part à sa plénitude. — Il serait aisé de trouver encore des passages
analogues et remplis de la même doctrine dans les écrits du saint
1. s. Gregor. Nazianz., orat. II.
2. ID., orat. XXXVIII.
3. ID., ibid.
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 381
docteur, mais on voit assez par ceux-ci à quel point il insistait sur
Tunité de la personne en Notre-Seigneur Jésus-Christ et sur l'in-
tégrité des deux natures.
Voici en quels termes Tertullien parle de l'Incarnation du Fils
de Dieu, dans son traité contre Praxéas : « Les hérétiques, pres-
€ ses par la distinction du Père et du Fils si évidente dans la
0 Sainte Écriture, se réduisaient à dire que le Fils était la chair,
a l'homme, Jésus; le Père, l'esprit, le Dieu, le Christ : ainsi il n'y
« avait qu'une personne divine. Mais pour défendre l'unité de
« Dieu, ils détruisaient l'Incarnation : car ce qui est né de la
« Vierge est le Fils de Dieu : Emmanuel, Dieu avec nous; donc ce
€ n'est pas la chair seule, car la chair n'est pas Dieu. De plus Dieu
« ne peut pas changer; toutefois, le Verbe s'est fait chair : donc,
a il n'a pas été changé en chair, mais il s'en est revêtu, pour se
« rendre sensible et palpable. Autrement, si Jésus-Christ était un
a mélange de la chair et de l'esprit (de l'humanité et de la divi-
« nité), ce serait une troisième substance, qui ne serait ni l'un ni
a l'autre, ni Dieu ni homme. Or en Jésus-Christ il y a deux subs-
« tances non confuses, mais jointes en une personne : le Dieu
<f et l'homme ^. »
S. Cyprien enseigne dans son traité De la vanité des Idoles^
que le Fils de Dieu, dont tous les prophètes ont parlé comme du
maître du genre humain, a été envoyé au monde pour être l'ar-
bitre et le dispensateur des grâces de Dieu. C'est lui qui est sa
vertu, sa raison, sa sagesse et sa gloire. Il est descendu dans le
sein d'une Vierge et s'y est revêtu d'un corps par l'opération du
Saint-Esprit. Dieu s'étant ainsi uni à l'homme, cet homme est
devenu par là notre Dieu, notre Christ et notre Médiateur auprès
de son Père. Jésus-Christ est donc Fils de Dieu et Fils de l'homme.
Dieu et homme tout ensemble -.
« Conservons la distinction de la divinité et de la chair en Jésus-
« Christ, dit à son tour S. Ambroise : c'est le même Fils de Dieu
« qui parle dans l'une et dans l'autre, parce qu'il possède en une
« même personne l'une et l'autre de ces deux natures. Et quoique
« ce soit toujours la même personne qui parle, elle ne le fait pas
« toujours de la même manière. Tantôt il nous découvre la gloire
« de sa divinité, et tantôt les souffrances et les faiblesses de son
1. TEmvLL., contra Praxeam.
'i.. S. Cyi'Rian., fie Idolorwn vanitale, passim.
382 L-V SAINTE ECCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
« humanité. Comme Dieu, il parle de ce qui appartient à la divir
u nité, parce qu'il est le Verbe; comme homme, il parle de ce qui
« appartient à la nature humaine, parce qu'il est revêtu de notre
« substance '. »
S. Augustin, qu'on peut appeler le plus grand des docteurs de
l'Église, a souvent traité dans ses écrits de l'unité de personne en
Notre-Seigneur. Une ou deux citations suffiront pour faire con-
naître sa doctrine sur ce point.
« Jésus-Christ Fils de Dieu est Dieu et homme tout ensemble ;
Dieu avant tous les temps, et homme dans le temps. Dieu parce
qu'il est le Verbe de Dieu : car le Verbe était Dieu, et homme,
parce que le corps et l'âme se sont joints au Verbe dans l'unité
d'une seule personne. C'est pourquoi, en tant qu'il est Dieu,
son Père et lui ne sont qu'un ; mais en tant qu'il est homme, le
Père est plus grand que lui : car étant Fils unique de Dieu, non
par grâce, mais par nature, il a été fait Fils de l'homme, afin
qu'il fût aussi plein de grâce; et étant le même, il est l'un et
l'autre, et de l'un et de l'autre, il ne s'est fait qu'un seul Christ.
Ayant, en effet, la forme de Dieu, il n'a pas cru faire un
larcin de s'attribuer ce qui était dans sa nature, savoir, d'être
égal à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la
forme d'un serviteur, sans perdre ni diminuer la forme de Dieu.
Par là il est devenu moindre et est demeuré égal, étant l'un et
l'autre et n'étant qu'un ; mais l'un comme Verbe, et l'autre comme
homme. Comme Verbe il est égal au Père, et comme homme il
est moindre que lui. Le même et unique Fils de Dieu est aussi
Fils de l'homme, et le même Fils de l'homme est aussi Fils de
Dieu. Ce ne sont pas deux Fils de Dieu, un Dieu et un homme,
mais un seul Fils de Dieu : Dieu n'ayant point de commence-
ment; homme ayant un commencement certain : l'un et l'autre
est Notre-Seigneur Jésus-Christ 2. »
1. Servemus distinctionem Divinitatis et carnis. Unus in utraque loquitur
Dei Filius; quia in eodem utraque natura est; et si idem loquitur, non uno
sempcr loquitur modo. Intende in eo nunc gloriam Dei, nunc hominis pas-
siones. Quasi Deus loquitur quae sunt divina, quia Verbum est. Quasi homo
dicit qujE sunt humana, quia in mea substantia loquebatur. (S. Ambhos.,
lib. II de Fidc, cap. ix, n. 77.)
2. Proinde Christus Jésus Dei Filius est et Deus et homo. Deus ante omnia
saecula, homo in nostro saeculo. Deus, quia Dei Verbum : Deus enim erat Ver-
bum, homo autem quia in unitatem personae accessit Verbo anima rationalis
et caro. Quocirca in quantum Deus est, ipse et Pater unum sunt : in quan-
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 383
Il dit encore dans un de ses Traités sur l'Évangile de S. Jean :
« Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux substances, dont l'une
« est la nature divine, par où il est égal à son Père, et l'autre la
« nature humaine, par où il est moins grand que lui. Mais recon-
« naissons en même temps que ces deux natures ne sont qu'un
« Jésus-Christ, de peur d'introduire dans la nature divine une
« quaternité au lieu de la Trinité : car comme le corps et l'âme
« raisonnable, joints ensemble, ne font qu'un Jésus-Christ, ainsi
« Jésus-Christ est tout ensemble Dieu, une âme raisonnable et un
« corps. Nous reconnaissons Jésus-Christ dans ce tout divin et dans
« chacune des parties dont il est composé. Quand donc on nous
« demande par qui a été fait le monde, nous répondons : Par
« Notre-Seigneur Jésus-Christ, quoiqu'il n'ait été fait que par
« Jésus-Christ comme Dieu. Et si on nous demande qui a été cru-
« cifié sous Ponce-Pilate, nous répondons: Jésus-Christ, quoiqu'il
« n'ait été crucifié que dans sa forme et dans sa nature de servi-
« teur. Il en est de même des deux parties dont est composée son
« humanité sainte; par exemple, si on nous demande qui est-ce
V qui n'a pas été laissé dans les enfers, nous répondons : Jésus-
« Christ, quoiqu'il ne s'agisse que de son àme. Si on nous de-
« mande qui a été trois jours dans le sépulcre, nous disons: Jésus-
« Christ, quoiqu'il ne s'agisse que de son corps. Le nom de Jésus-
« Christ est donné, dansTÉcriture, à chacune des parties qui entrent
« dans ce divin composé, sans que, pour cela, il y ait ni deux, ni
« trois, mais un seul Jésus-Christ •. »
tum homo est, Pater major est illo. Cum enim esset unicus Dei Filius, non
gratia, sed natura, ut esset etiam plenus gratia, factus est et hominis filius :
idemque ipse utrumque ex utroque unus Christus. Quia cum in forma Dei
esset, non rapinam arbitratus est, quod natura erat, id est, esse xqualis Deo.
Exinanivil autem se, accipiens formam servi, non amittens vel niinuens for-
mam Dei. Ac per hoc et minor est factus et mansit aequalis, utrumque unus,
sicut dictum est : sed aliud propter Verbum, aliud propter hominem : propter
Verbum aequalis Patri; propter hominem minor. Unus Dei Filius, idemque
hominis filius; unus hominis filius, idemque Dei Filius : non duo filii Dei
Deus et homo, sed unus Dei Filius. Deus sine initio, homo a certo initie. Do-
minus noster Jésus Christus. (S. August., Enchirid. de fide, spe et charilate,
lib. I, cap. X.)
1. Agnoscamus geminam substantiam Christi, divinam scilicet qua aequalis
est Patri ; humanam qua major est Pater. Utrumque autem simul non duo sed
unus est Christus ; ne sit quaternitas, non Trinitas Deus. Sicut enim unus est
homo anima rationalis et caro, sic unus est Christus Deus et homo : ac per
hoc Christus est Deus, anima rationalis et caro. Christum in his omnibus,
Christum in singulis confitemur. Quis est ergo per quem factus est mundus?
384 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
Une autre preuve de l'unité de la personne en Notre-Seigneur,
que l'on peut tirer des écrits des Pères, est le nom de Mère de
Dieu qu'ils donnent à la bieniieureuse Vierge Marie. Évidemment,
s'il y avait en Jésus-Christ deu.x personnes, une personne divine
et une personne humaine, la bienheureuse Vierge ne serait pas
Mère de Dieu, mais seulement mère de la personne humaine qui
se trouverait en lui, conjointement avec le Verbe. Or, S. Cyrille
d'Alexandrie déclare que cette expression de Mère de Dieu est
familière aux anciens Pères, lorsqu'ils parlent de Marie, et que
ceux qui les ont suivis ont fait comme eux et se sont plu à lui don-
ner ce nom i. Et pour prouver cette affirmation, il cite une multi-
tude de textes que l'on peut voir dans les actes du Concile
d'Éphèse 2.
A cette considération se rattachent les diverses raisons tiiéolo-
giques dont on se sert pour appuyer les preuves de l'unité de la
personne en Jésus-Christ, tirées de l'Écriture ou de la tradition.
Qu'il nous suffise d'une seule. S'il y avait en Jésus-Christ deux
Christus Jésus, sed in forma Dei. Quis est sub Pontio Pilato crucifixus? Chris-
tus Jésus, sed in forma servi. Item de singulis, quibus homo constat. Quis non
est derelictus in inferno? Christus Jésus, sed in anima sola. Quis resurrectu-
rus triduo jacuit in sepulcro? Christus Jésus, sed in carne sola. Dicitur ergo
in liis singulis Christus. Verum hsec omnia non duo, vel très, sed unus est
Christus. (In., tract. LXXVIII in Joann.)
\. Vocein liane Deipura veteribus Patribus, quorum sanctimoniam et fidei
inlegritalem admiramur; nec non omnibus qui eos deinceps hucusque sunt
.seculi, per universum (ut ita dicam terrarum orbem), familiarem esse, osten-
dendum existimavi. (S. Cyrill. Alex., libr. de Hecla Fide, ad lieginas, n. 9.)
2. S. Cyrillus, lib. de Hecla Fide, ut probet nomen Deiparae B. Virgini a
veteribus Patribus datum fuisse, laudat testimonia S. Athanasii, Attici Cons-
tantinopolis episcopi, Amphilochii episcopi Iconiensis, Ammonis episcopi An-
drinopoleos, Joannis Chrysostomi, Severiani Gabalorum, Vitalii episcopi, et
Theophili Alexandrini. — Eorumdem Patrum aucloritatem, ac totius Ecclesiae
fidem urget contra Nestorium, in epistola ad Acacium episcopum Beroensem,
additque : « Denique nemo, opinor, ex Orthodoxorum numéro, illam nomi-
nare dubitavit, quandoquidem verum est, Emmanuelem Deum esse. îlrunt
itaque analhemate constricti SS. Patres, qui jamdudum ad Deum evolarunt,
caeterique ornnes, quolquot Christum Deum esse confèssi, recta veritatis dog-
mata consectantur. » Laudat ibidem S. Athanasiurn, Theophilum, Basilium,
Grcgorium, Atticum; et in Epist. III ad Nestorium : « Hoc, inquit, sanctos
Patres sensisse reperiemus. Ita non dubilarunt sacram Virginem Deiparam
appellare : nam quod Verbi natura, ipsiusve divinitas ortus sui principium
ex sancta Virgine sumpserit ; sed quod sacrum illud corpus anima intelligente
pcrfectum ex ea traxerit, cui et Dei Verbum secundum hypostasim unitum,
secundum carnem natum dicitur. » Item diserte confirmât Anathematismo 3.
(TouiCELV, de Incarnation)', quaest. vu.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 385
personnes, l'une divine, l'autre humaine, le mystère de notre
rédemption aurait été impossible. Laquelle, en effet, de ces deux
personnes aurait souffert et serait morte pour nous? laquelle
aurait satisfait pour nous, nous aurait rachetés du péché et de la
damnation, aurait institué les sacrements? La personne divine
n'eût pu ni souffrir, ni mourir, ni satisfaire pour nous. La per-
sonne humaine n'aurait pas pu davantage offrir pour notre rançon
un prix suffisant, puisqu'il eût été nécessairement fini et borné
comme elle; la puissance lui aurait manqué aussi pour l'institu-
tion des sacrements : en un mot, tout croulerait dans notre sainte
religion, s'il y avait deux personnes en Notre-Seigneur, comme il
y a deux natures, au lieu que tout s'explique par l'union des deux
natures en la personne unique du Verbe incarné. Grâce à cette
unité de personne, nous savons qui nous adorons dans le très
saint et très divin Sacrement de l'Eucharistie ; nous savons que
c'est l'Homme-Dieu, notre Créateur, notre Rédempteur, notre Sau-
veur, qui est caché dans le tabernacle par amour pour nous.
IL
DISTINCTION DES DEUX NATURES EN LA PERSONNE UNIQUE DE NOTRE-
SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, PRÉSENT AU SAINT-SACREMENT
Une hérésie diamétralement opposée à celle de Nestorius fut
l'hérésie d'Eutychès. Le premier prétendait qu'il y avait en Jésus-
Christ deux personnes distinctes; le second soutenait qu'il n'y
avait dans le Fils de Dieu fait homme qu'une seule et unique
nature. Il était déjà très âgé lorsque son hérésie parut au grand
jour, ce qui ne l'empêcha pas de déployer une activité extrême
pour la répandre. Il la résuma dans une espèce de symbole, et
l'envoya dans plusieurs couvents pour l'y faire adopter. Eutychès
obtint au Brigandage d'Éphèse une victoire passagère, due à la
ruse et à la violence, mais il fut anathématisé, lui et son hérésie,
au Concile de Chalcédoine. Une chose digne de remarque est que,
tandis que sa doctrine et celle de Nestorius s'écartent également
et dans un sens entièrement opposé de la vérité, il y eut une ana-
logie frappante dans le caractère des deux personnages et dans
leur conduite. Tous deux extérieurement austères, sans conversion
véritable du cœur; avides de popularité; destitués d'une science
profonde; adversaires et persécuteurs exagérés des hérétiques;
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IT. 25
386 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. VIII.
ayant d'eux-mêmes la plus haute opinion et se croyant les déposi-
taires, les conservateurs, les défenseurs uniques de la vraie foi;
d'un entêtement invincible, qui les rendait sourds à tout enseigne-
ment; implacables envers leurs adversaires, et n'épargnant ni
mensonge ni violence pour en triompher, tous deux eurent la
même fin et succombèrent devant la vérité. Leur hérésie est toute
dilïérente dans la forme, mais le truit d'un même esprit d'er-
reur '.
L'hérésie qui prétendait n'admettre qu'une seule personne en
J-ésus-Christ n'était pas nouvelle, lorsque Eutychès s'en empara
pour semer dans l'Église des discordes et des désordres sans fin.
Les Manichéens et d'autres anciens hérétiques, tels que Paul de
Samosate, avaient nié qu'il existât en Jésus-Christ une véritable
union entre la nature divine et la nature humaine. Les uns ne
voulaient reconnaître en lui que la nature divine, et d'autres, que
la nature humaine. Eutychès enseigna qu'avant l'Incarnation, la
nature divine et la nature humaine, qui s'unirent en Jésus-Christ,
existaient bien distinctes l'une de l'autre, mais que, par l'Incarna,
tion, elles n'en furent plus qu'une seule -.
Comment, d'après Eutychès et ses sectateurs, cette nature
unique fut-elle substituée aux deux natures qui lui préexistaient?
Les uns dirent que la nature divine et la nature humaine se
mêlèrent, se fondirent ensemble de manière à n'en former plus
qu'une, qui ne serait ni divine ni humaine, mais tiendrait des
deux, ce qui est absolument inconciliable avec l'immutabilité et
l'incorruptibilité du Verbe divin.
D'autres crurent mieux faire en prétendant que la nature
humaine s'était transformée en la nature divine dans la personne
de Jésus-Christ. Ce fut l'erreur particulière d'Eulychès, qui semble
l'avoir empruntée à Valentin et aux ApollinarisLes. D'après lui, le
Christ aérait un composé de deux natures dont l'une, la nature
humaine, aurait été complètement absorbée par l'autre. Il tirait de
là cette conséquence que la divinité avait souffert, avait été cruci-
1. Voir Dict. encydop. de la thcol. cathol., art. Eutychès.
2. S. Irénée nous fournit la preuve de l'antiquité de ces erreurs. Il dit :
Vos qui ad baptisinum aspirare finf^itis, qui, ut toîlatis duas naturas, qu8es-
tiones taies proponitis, qui mixturam, conrusionein et mutationem in dcitalem
ex corpore, ut hœc confundafis, cominiscimini, qui nunc in carnem Verbum
versuin asseritis, nunc carnem iri Verblesscntiam, et hac mentis depravatione
nihil vos sapere ostenditis. (S. Iren., in Exposit. Eid.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 387
fiée, était morte, avait ressuscité. Et parce que le Verbe divin est
un seul et même Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, les disciples
d'Eutychès ajoutèrent que le Père et le Saint-Esprit avaient aussi
souffert et nous avaient rachetés en mourant sur la croix.
D'autres hérétiques prétendirent que l'unité de nature en Jésus-
Christ s'était opérée d'une autre manière. D'après eux, la divinité
n'aurait pas absorbé l'humanité au point de la transformer en
elle-même, mais au contraire l'humanité aurait été la plus forte,
et la nature divine serait tout simplement devenue une nature
purement humaine. Cependant Apollinaire n'ose pas dire que
cette conversion aurait atteint l'être de Dieu tout entier. Une
seule parcelle de la divinité, qu'il suppose divisible, aurait été
ainsi changée et serait devenue nature humaine.
Toutes ces erreurs ont leur source dans la confusion que les
hérétiques établissaient entre la nature et la personne. Ils ne com-
prenaient pas que la nature et la personne fussent séparables l'une
de l'autre, et parce qu'ils ne reconnaissaient, conformément à la
foi catholique, qu'une seule personne, ils concluaient qu'il n'y
avait de même qu'une seule nature. Ils cherchaient donc un moyen
pour arriver à cette unité de nature et s'arrêtaient, soit à un mé-
lange, soit à l'absorption de la divinité par l'humanité, ou de
l'humanité par la divinité.
Il est aisé de prouver par la Sainte Écriture, les conciles, la tra-
dition et la raison théologique, que les deux natures qui sont en
Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine, ont gardé
toute leur intégrité, lorsque cette union a été accomplie.
Il suffit de lire les saints Évangiles, pour reconnaître à chaque
page la distinction des deux natures existant en Jésus-Christ dans
leur intégrité, conjointement avec l'unité de personne. Le grand
pape S. Léon, écrivant à Flavien, évêque de Constantinople, met
parfaitement en lumière cette preuve de la vérité catholique, et
nous ne pouvons mieux faire que de donner au moins un résumé
de cette lettre que l'on trouve dans les actes du Concile de Chal-
cédoine.
Le saint docteur traite avec étendue la question de l'Incarna-
tion 1, renversant également les deux erreurs opposées de Nesto-
rius et d'Eutychès. Il fait voir que si ce dernier est tombé dans
1
\'oir Bibliothèque portative des Pères de l'Eglise, l. VI.
388 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
l'erreur, c'est faute d'avoir étudié les Saintes Écritures, et d'avoir
même fait attention aux termes du symbole que savent, non seule-
ment tous les fidèles, mais encore ceux que l'on prépare au bap-
tême. Ils y disent, en effet, qu'ils croient en Dieu le Père tout-
puissant, et en Jésus-Christ son Fils unique, Notre-Seigneur, qui
est né du Saint-Esprit et de la Vierge. « Trois articles, dit S. Léon,
€ qui suffisent pour ruiner presque toutes les machinations des
« hérétiques; car en croyant que Dieu tout-puissant est éternel et
« Père, on montre que son Fils lui est coéternel, consubstantiel,
« et entièrement semblable. C'est le même Fils éternel du Père
€ éternel qui est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Cette
« génération temporelle n'a rien ôté ni rien ajouté à la génération
« éternelle; mais elle a été employée tout entière à la réparation
« de l'homme, pour vaincre la mort et le démon, car nous n'au-
« rions pu surmonter l'auteur du péché et de la mort, si celui-là
« n'avait pris notre nature et ne l'avait faite sienne, qui ne pouvait
« être infecté par le péché, ni retenu par la mort. Il a donc été conçu
« du Saint-Esprit, dans le sein de la Vierge sa Mère, qui l'a en-
« fanté, comme elle l'avait conçu, sans préjudice de sa virginité. »
S. Léon appuie, comme nous l'avons dit, cette doctrine sur plu-
sieurs passages de l'Écriture, où nous lisons que le Verbe a pris
une véritable chair, L'Évangile le nomme Fils de David et d'Abra-
ham '. S. Paul dit qu'il a été fait du sang de David selon la
chair -. Cet apôtre applique à Jésus-Christ la promesse faite à
Abraham de bénir toutes les nations par son Fils 3. C'est aussi de
Jésus-Christ que l'on doit entendre les prophéties d'Isaïe, touchant
l'Emmanuel, fils d'une Vierge, et l'Enfant qui est né pour nous.
D'où il suit que Jésus-Christ n'a pas seulement la forme apparente
d'un homme, mais un corps véritable, tiré de sa Mère. L'opéra-
tion du Saint-Esprit n'a pas empêché que la chair du Fils ne fût
de la même nature que celle de la Mère; elle a seulement donné
la fécondité à une vierge. L'une et l'autre nature demeurant donc
dans son entier, a été unie en une personne, afin que le même
Médiateur pût mourir, demeurant d'ailleurs immortel et impas-
\. Liber generationis Jesu Christi, filii David, filii Abraham. [Matth., i, 1.)
2. De Filio suo qui factus est ei ex semine David secundum carnem. {Bom.j
1, 3.)
3. Providens autem Scriptura, quia ex fide justificat gentes Deus, praenun-
tiavit Abrahse : Quia benedicentur in te omnes gentes. {Galat., m, 8.)
DNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 389
sible. Il a tout ce qui est en nous, tout ce qu'il y a mis en nous
créant, et ce qu'il s'est chargé de réparer: mais il n'a point ce
que le trompeur y a mis; il a pris la forme d'esclave, sans la souil-
lure du péché, augmentant la dignité de la nature humaine, sans
rien diminuer de ce qui appartient à la nature divine. Une nature
n'est point altérée par l'autre; le même qui est vrai Dieu est vrai
homme ; il n'y a point de mensonge dans cette union. Comme
Dieu ne change point par la grâce qu'il nous fait, l'homme n'est
point consumé par la grâce qu'il reçoit. Le Verbe et la chair
gardent les opérations qui leur sont propres; l'un fait des mi-
racles, l'autre souffre des injures. Le Verbe est Dieu, puisqu'il est
dit : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu
« et le Verbe était Dieu '. » Il est homme, puisqu'il est dit encore :
« Le Verbe a été fait chair et il a habité parmi nous 2. » H est
Dieu, puisque « toutes choses ont été faites par lui, et que sans
« lui, rien n'a été fait 3. » Il est né homme, étant « né d'une
« femme, et soumis à la loi ^. » La naissance de la chair montre
la nature humaine; l'enfantement d'une vierge montre la puis-
sance divine ^. C'est un enfant dans le berceau, et le Très-Haut
loué par les anges. Hérode veut le tuer; mais les anges viennent
l'adorer s. H vient au baptême de S. Jean et, en même temps, la
voix du Père céleste déclare que c'est « son Fils bien-aimé dans
« lequel il a mis toute son affection "'. » Comme homme il est
tenté par le démon; comme Dieu il est servi par les anges «. La
faim, la soif, la lassitude, le sommeil, sont évidemment d'un
homme; mais il est certainement d'un Dieu de rassasier cinq mille
hommes avec cinq pains, de donner à la Samaritaine de l'eau
vive 9, de marcher sur la mer et d'apaiser la tempête ^o. Il n'est
\. In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat
Verbum. {Joann., i, 1.)
2. Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis. (/rf., i.)
3. Omnia per ipsum facta sunt et sine ipso factum est nihil. (/rf., i.)
4. MisitDeus Fiiium suum factum ex muliere, factum sub lege. (Galat.,iv, 4.)
5. Nativitas carnis manifestatio est huraanœ naturse : partus Virginis divinae
est virtutis indicium (S. Léo, Epist. I ad Flavianum.)
0. Luc, II, 7 et seq.; Malth., 11,
7. Hic est Filius meus dilectus in quo mihi complacui. {Matth., m, 17.)
8. Matth., IV, \ et seq.
9. Esurire, iassescere atque dormire evidenter liumanum est; sed quinque
panibus quinque millia hominum satiare et iargiri Samaritanae aquam vi-
vam..., divinum est. (S. Léo, Epist. I ad Flavian.)
10. Matth., XIV, 2«.
390 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
pas d'une même nature de pleurer son ami mort et de le ressus-
citer '; d'être attaché à la croix et de changer le jour en nuit; de
faire trembler les éléments, et d'ouvrir au larron les portes du
ciel ^. Comme Dieu, il dit : « Le Père et moi nous ne sommes
« qu'un ■^. » Comme homme : « Le Père est plus grand que
« moi ^. » Car encore qu'en Jésus-Christ le Dieu et l'homme ne
soient qu'une personne, toutefois autre est le sujet de la souffrance
commune à l'un et à l'autre, et autre est le sujet de la gloire
commune. C'est cette unité de personne qui fait dire que le Fils
de l'homme est descendu du ciel, et que le Fils de Dieu a pris
un corps dans le sein de la Vierge; que le Fils de Dieu a été cru-
cifié et enseveli comme nous le disons dans le symbole, quoiqu'il
ne l'ait été que dans sa nature humaine ^. L'Apôtre a dit : « S'ils
« avaient connu le Seigneur de Majesté, jamais ils ne l'auraient
« crucifié 6. » Jésus-Christ demande à ses apôtres : « Et vous,
« qui dites-vous que je suis ''? » Moi qui suis le Fils de l'homme
et que vous voyez avec une véritable chair. S. Pierre répond :
« Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant s, » le reconnaissant
également Dieu et homme, parce qu'il y avait autant de danger
de croire que Jésus-Christ était seulement Dieu ou seulement
homme ^. Après sa résurrection, il montrait son corps sensible et
palpable, avec les trous de ses plaies ; il parlait, mangeait et habi-
tait avec ses disciples; et en même temps il entrait, les portes
fermées, et leur donnait le Saint-Esprit et l'intelligence des Écri-
tures, montrant ainsi en lui les deux natures distinctes et unies.
Eutychès, en niant que notre nature est dans le Fils de Dieu,
doit craindre ce que dit S. Jean : « Tout esprit qui confesse que
\. Joann., ix, 'ili, 43.
2. Matlh., XXVII, passim.
3. Ego et Pater unum sumiis. (Joann., x, 30.)
•i. Pater major me est. {Id., xiv, 28.)
y. Filius Dei crucifixus dicitur ac sepultus, cum haec non in divihitate ipsa,
qua unigenitus consempilernus et consubstantialis est Patri sed in naturae
humanœ sit infirmitate perpessus. (S. Léo, Epist. I ad Flavinnmn.)
6. Si enim cognovissent, nunquam Dominum glorite crucifixissent. (/. Cor.,
11,8.)
7. Vos autem quem me e.sse dicitis? [Matth., xvi, 4;J.)
8. Tu es Christus Filius Dei vivi. [Id., \vi, 40.)
9. Nec immerito Heatus e&t pronuntiatus (Petrus) a Domino, quia unum
horum sine altero receptum non proderat ad salutem : sed aequalis erat peri-
cu!i, Dominum Jesum Christum aut Deum tantummodo sine homine, aut sine
Dec solum hominem credidisse. (S. Léo, Epist. I ad Flavianum.) ,
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 391
fc Jésus-Christ est venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui
« divise Jésus-Christ n'est pas de Dieu, et c'est l'Antéchrist i. » CaT
qu'est-ce que diviser Jésus-Christ, si ce n'est séparer en lui la
nature humaine de la nature divine, et anéantir, pard'imprudentes
fictions, le mystère par lequel seul nous sommes sauvés? L'erreur
touchant la nature du corps de Jésus-Christ détruit nécessairement
sa passion et l'efficacité de son sang. S. Léon continue : « Quand
« Eutychès vous a répondu : « Je confesse que Notre-Seigneur était
« de deux natures avant l'union, mais après l'union je ne recon-
a nais qu'une nature, » je m'étonne que vous n'ayez point relevé
« un si grand blasphème, puisqu'il n'y a pas moins d'impiété à
« direque le Fils de Dieu était de deux natures avant l'Incarnation,
a que de n'en reconnaître qu'une en lui après l'Incarnation. Ne
« manquez pas de lui faire rétracter cette erreur, si Dieu lui fait
« la grâce de se convertir : mais en ce cas, vous pouvez user envers
« lui de toutes sortes d'indulgences; car lorsque l'errôur est con-
« damnée par ses sectateurs eux-mêmes, la foi en est plus utilement
a détendue. »
Dans une autre lettre à Julien, évèque de Cos, son légat à
Constantinople, S. Léon dit encore qu'Eutychès en niant, comme
il le faisait, la vérité de l'Incarnation, en détruisait toutes les suites
et toute l'espérance des chrétiens ; que par l'union qui s'est faite
de la nature divine avec la nature humaine, en une seule personne,
le Verbe ne s'est point changé en chair ni en âme, puisque la
divinité est immuable, et que la chair ne s'est point changée en
Verbe; qu'il ne doit point paraître impossible que. le Verl>e, avec
la chair et l'à.me, fasse un seul Jésus-Christ, puisqu'eii chaque
homme, la chair et l'âme, qui sont de nature si différente, font
une seule personne; que ce n'est pas un autre qui est né du Père
et un autre de la Mère, mais le même Médiateur de. Dieu et des
hommes, Jésus-Christ, qui est né autrement du Père, avant toutes
choses, et autrement de la Mère à la fin dés siècles ; qu'il: faut qu'Eu-
tychès,en disant qu'avant l'Incarnation ii y avait deux natures, ait
cru que l'âme du Sauveur avait demeuré dans le ciel, avant d'être
unie au Verbe dans le sein de la Vierge Marie, ce que la foi catho-
lique ne permet pas de penser ; car il n'a rien apporté du ciel qui
i. Omnis spirilus qui confiletur Jesum.(:iiristiim in carne venisse, ex Ueo
est; et omnis spiritus qui suivit Jesiim e.\ J)^ non est; et liic est Antidn-istus.
(/. Joanii., IV, -2, ;5.)
392 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — GHAP. VIII.
fût de notre condition; il n'a pas pris une âme déjà créée, mais il
l'a créée en la prenant; qu'il faut donc punir dans Eutychès ce
qu'on a condamné dans Origène : savoir, que les âmes ont vécu
et agi avant d'être mises dans les corps. Quoique la naissance de
Jésus-Christ soit au-dessus de la nôtre, par diverses raisons, ayant
été conçu d'une manière différente de nous, et sa Mère l'ayant
conçu et enfanté sans perdre sa virginité, sa chair n'était point
d'une nature différente de la nôtre. Il en est de môme de son âme;
elle n'est pas distinguée des nôtres par la diversité du genre, mais
par la sublimité de la vertu. Sa chair ne produisait point de désirs
contraires à l'esprit ; il n'y avait point en lui de combat, mais seu-
lement des affections soumises à la divinité.
L'autorité du grand pape S. Léon, un des plus illustres docteurs
de l'Église, donnant ses instructions à son légat pour les commu-
niquer au Concile de Chalcédoine, suffit pour montrer quelle a
toujours été la doctrine de l'Église sur l'intégrité et la distinction
des deux natures, dans la personne unique du Fils de Dieu fait
homme; et les extraits de ses lettres apportent suffisamment de
preuves pour appuyer cette doctrine. Il est bon néanmoins, afin
d'être complet, d'y ajouter quelques textes prisa d'autres sources,
et de montrer ainsi que les autres Pères professaient une doctrine
identique à la sienne.
Disons d'abord que les Conciles de Nicée, d'Éphèse, de Chalcé-
doine, condamnèrent officiellement l'hérésie d'Eutychès et sanc-
tionnèrent ainsi, par leur autorité, la véritable doctrine.
Si nous voulons maintenant interroger directement la tradition,
elle ne nous répondra pas avec moins de précision et de clarté.
Dès le i" siècle nous voyons S. Ignace parler toujours de deux
natures en Jésus-Christ, comme les croyant réellement distinguées
entre elles, sans mélange ni confusion, mais unies en lui, en une
seule personne '.
Voici comment, dans la première moitié du ii" siècle, S. Jus-
tin, philosophe martyr, parlait, dans sa seconde apologie, de la
génération du Verbe : t Nous croyons que notre doctrine doit
î. Unus raedicus est, carnalis et spiritualis, factuset non factus; in homine
Deus ; in morte vita aeterna ; ex Maria et ex I)eo : primum passibilis, et lune
impassibilis, Dominus noster Jésus Christus. (S. Ignat., Epist. ad Ephes.)
Vere genitus ex Deo et Virgine, non tamen eodem modo, nec enim idem
»unt Deus et homo, vere corpus assumpsit, quippe Verbum caro factum est.
(Id,, Epist. ad Trallianos.)
DNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 393
« être reçue, parce qu'elle est vraie et nous a été enseignée par
« Jésus-Christ qui seul est le Fils de Dieu, proprement engendré,
« étant son Verbe, son premier-né et sa vertu, et fait homme par
« sa volonté.... Ceux qui prennent le Fils pour le Père font voir
« qu'ils ne connaissent pas le Père, et ne savent pas que ce Père
€ de l'univers a un Fils qui, étant le Verbe et le premier-né de
« Dieu, est aussi Dieu, et a paru autrefois à Moïse et aux autres
4 prophètes en forme de feu et en image incorporelle. Et mainte-
« nant, sous votre empire, il s'est fait homme par une Vierge,
« selon la volonté du Père, pour le salut de ceux qui croient en
« lui ^ »
Quelques années plus tard, S. Irénée reprochait aux hérétiques,
qui ne voulaient voir en Jésus-Christ que la nature humaine, de
détruire ainsi le mystère de notre rédemption. Ils privent l'homme,
disait-il, du bonheur de s'élever jusqu'au Seigneur, et ils sont in-
grats envers le Verbe qui s'est incarné pour eux. Car c'est pour eux
que le Verbe de Dieu s'est fait homme, que celui qui est Fils de
Dieu est devenu aussi Fils de l'homme, pour que l'homme devienne
fils de Dieu par adoption 2. Il faudrait citer toutes les admirables
pages que le saint docteur a consacrées à réfuter les erreurs des
hérétiques touchant la divinité et l'humanité du Sauveur.
Origène n'est pas moins orthodoxe que S. Irénée sur le mystère
de l'Incarnation du Verbe de Dieu. Il enseigne que le corps pris
par le Verbe de Dieu dans le sein de sa Mère était un corps maté-
riel, sujet aux blessures, à la souftrance, à la mort même, comme
1. S. Justin., //. Apolog.
2. Ignorantes autem qui ex Virgine est Emmanuel, privantur munere ejus,
quod est vita aeterna : non recipientes autem Verbum incorruptionis persévé-
rant in carne mortali, et sunt debitores mortis, antidotum vitae non accipien-
tes. Ad quos Verbum ait, suum munus gratiae narrans : Ego dixi, DU estis,
et filii Allissîmiom7ies; vos autem sicut hommes moriemini. Ad eos indubitate
dicit qui non percipiunt munus adoptionis, sed contemnunt incarnationem
purae generatioiiis Verbi Dei, fraudantes hominem ab ea ascensione quœ est
ad Dominum, «t ingrati existentes Verbo Dei, qui incarnatusest propter ipsos.
Propter hoc enim Verbum Dei homo, et qui Dei Filius est, filius hominis factus
est, commixtus Verbo Dei, ut adoptionem percipiens fiât Filius Dei.... Sicut
enim homo erat ut tentaretur; sic et Verbum ut glorificaretur : requiescente
quidem Verbo, ut posset tentari, et inhonorari, et crucifigi, et mori; absorpto
autem homine in eo quod vincit et sustinet, et resurgit, et assumitur. Hicigi-
tur Filius Dei Dominus noster, existens Verbum Patris et Filius hominis :
quoniam ex Maria, quae ex hominibus habebat genus, quae et ipsa erat homo,
habuit secundum hominem generationem. factus est filius hominis, etc.
(S. Iren., lib. III contra Hxres., cap. \xi.)
394 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
celui des autres hommes • ; qu'il s'est aussi uni à une âme hu-
maine, d'une union très intime, pour n'en être jamais séparé 2 ;
qu'il y a deux natures en Jésus-Christ, l'une divine, l'autre humaine,
unies en une seule personne : Jésus-Christ est donc vrai Dieu et
vrai homme tout ensemble 3. Citons seulement ce mot d'une de
ses homélies : « Il dormait de corps; mais, par sa divinité, il
« soulevait la mer, l'agitait et l'apaisait à son gré ^. »
S. Hilaire pose pour principe que c'est le Verbe qui s'est formé
le corps qu'il a pris dans le sein de la Vierge; en sorte que sa
naissance selon la chair n'a rien de commun avec celle des hom-
mes; que le Verbe n'a pas fait dans ce corps les fonctions d'àme,
mais qu'il a pris en même temps une âme et un corps ; qu'en s'u-
nissant à la nature humaine, il n'a souffert aucun changement
dans sa divinité. De là il conclut que Jésus-Christ, quoique conçu
d'une autre manière que le reste des hommes, a néanmoins été
vrai homme et vrai Dieu. Que, comme homme, il a bien voulu
soulï'rir, mais quil n'y a été contraint par aucune nécessité, cette
nécessité, qui n'est qu'une suite de la corruption de notre origine,
n'ayant pas lieu dans celui qui est sans péché ; que, comme Dieu,
il a été incapable de souffrir ^ Le X* livre du traité de S. Hilaire
1. Ork;en., lib. III contra Cels.
'i. II)., lib. \'I contra Ce/s.
■i. In., lib. II contra Cels.
i. Ipse corporc doriniebat, deitate vero concitabat et conturbabat mare et
iterum complacabat. (Id., hom. VI in diversa.)
V>. nuod si assumpta .sibi per se, ex A'irgine, carne, ipse sibi et ex se ani-
mam concepli per se cor])oris coaptavit; secunduni animse corporisque natii-
ram, necesse est et passionum fuisse naluram. Evacuans se enim ex Dei
forma, et formam servi accipiens, et Filius Dei etiam Filius hominis nascens,
ex se suaque virtute non deficiens, Deus Verbum consummavit hominem
yivenlem. Nam quomodo Filius Dei hominis filius erit natus, vel manens in
Dei forma, formam .servi acceperit: si non potente Verbo Dei ex se et carnem
intra Virginem assumere, et carni animam tribuerc, homo Christus Jésus ad-
redemptionem animae et corporis noslri perfectus est natus; et corpus quidem
ita assuinpserit, ut id ex Virgine conceptum formam eum esse servi elïecerit.
Virgo enim non ni.si ex suo sancto Spiritu genuit. Kt quamvis tantum adnati-
vilatem carnis ex se daret, quantum ex se fœmijiae edendorum corporum,
susreptis originibus impenderent; non tamen Jésus Christus per humanae
conceptionis coaluit naturarn.Sed omnis causa nascendi invecta per Spiritum,
tenuit in hominis Ujativitate quod matris est; eum tamen haberet in originis
virtute quod Deus est. (S. IIilar., lib. X de Trinitate. n. liJ.I
Hujus igitur corporis homo Jésus Christus et Dei Filius, et hominis est Fi-
lius, et ex forma Dei se exinaniens formam servi accepit. Non alius Filius
hominis, quam qui Filius Dei est; neque alius in forma Dei, quam qui in
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEDX NATURES EN J.-C. 395
sur la Trinité est tout entier consacré à l'existence des deux na-
tures distinctes en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Nous ne citerons rien ici ni de S. Augustin ni de S. Ambroise ;
les passages apportés en témoignage de leur croyance à Tunité de
la personne en Notre-Seigneur montrent en même temps qu'ils
reconnaissaient en lui la nature divine et la nature humaine,
distinctes et parfaites.
Quelques mots empruntés à S. Cyrille d'Alexandrie, le grand
champion de la vérité contre les ennemis du Fils de Dieu fait
homme, suffiront pour montrer qu'il ne croyait pas moins aux
deux natures en Notre-Seigneur qu'à l'unité de la personne.
« Il n'y a qu'un seul Jésus-Christ Fils de Dieu, dit-il dans la
« lettre à Aristobule. Le même qui est engendré de Dieu avant
« tous les temps est né d'une femme dans les derniers temps,
« selon la chair. » Et dans sa lettre à Nestorius : « Quoique les
« deux natures en Jésus-Christ soient différentes, étant unies
« d''une manière ineffable en unité de personne, elles constituent
t un seul Jésus-Christ, sans que cette union détruise la différence
« des deux natures. »
S. Anselme dit qu'en Notre-Seigneur Jésus-Christ, les deux
natures entières, la divine et l'humaine, ont été unies en une seule
personne, comme l'àme et le corps en un seul homme. Par cette
union, la divinité n'a point été rabaissée, mais la nature humaine
a été élevée; Dieu n'a souffert dans sa nature aucune diminution,
mais l'homme a éprouvé dans ce mystère les effets de la miséri-
corde de Dieu '.
S. Bernard clora cette série de témoignages. Il écrivait au pape
forma servi perfectus homo natus est: ut sicut per naturam constilutam nobis
a Deo originis nostrae principe, corporis atque animse homo noscitur; ita
Jésus Christus, per virtutem suam carnis atcjue animte homo ac Deus esset,
habens in se totum verumque quod homo est, et totum verumque quod Deus
est. (Id., ifiUL, n. 19.)
• Quanquam multi confirmandae haereseos suœ arle, ita aures imperitorum
soleant illudere, ut quia et corpus et anima Ad.-e in peecato fuit, carnem quo-
que .\daî atque animam Dominus ex Virgine acceperit. neque hominem totum
ex Spiritu sancto Virgo conceperit. Qui si inlelligerent sacramentum carnis
assumplte, inlelligerent etiam sacramentum ejusdem et hominis l'ilii, et Dei
Filii. Quasi vero si tantum ex Virgine assumpsissct corpus, assumpsisset quo-
que ex eadem anima : cum anima omnis 0])us Dei sil. carnis vero goneratio
semper ex carne sit. (Id., ibid., n. !20. — Vide totum hune lihrum X traclatus
de Tvinilnle.)
\. S. Anselme. \o\t BihlioŒèque portative di'n Pères.
396 LX SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
Eugène III, qui avait été son disciple : « En Jésus-Christ le Verbe,
« 1 ame et le corps ne font qu'une personne, sans confusion d'es-
€ sences, et les essences à leur tour font nombre, sans préjudice
« de l'unité de personne. Je ne puis nier d'ailleurs que cette espèce
« d'unité a du rapport avec celle par laquelle le corps et l'âme
« constituent l'homme; il convenait en eftet que le mystère qui
« s'est accompli en faveur de l'homme eût, avec sa constitution,
« une sorte de ressemblance et de parenté; de même qu'il conve-
€ nait aussi à l'unité suprême qui est en Dieu, et n'est autre que
€ Dieu, que comme elle est en trois personnes, ne laissant pas de
« ne faire qu'une seule et même essence, ainsi, par une opposition
« qu'on s'explique très bien, trois essences dans l'autre ne fissent
« qu'une seule et même personne; en sorte que cette seconde unité
a se trouve admirablement bien placée entre les deux autres, dans
t la personne de l'Homme-Dieu, Jésus-Christ, le médiateur entre
« Dieu et l'homme. Oui, c'est par une convenance pleine de bonté
« que le mystère du salut répond, par une certaine similitude, à
« l'une et à l'autre unité, à celui qui sauve et à celui qui est sauvé.
€ Cette unité, qui tient le milieu entre les deux autres unités, est
« supérieure à l'une de même qu'elle est inférieure à l'autre, et
h dépasse l'une d'autant qu'elle est elle-même dépassée par
« l'autre K »
A ces autorités si imposantes on peut ajouter quelques raisons
qui ont leur fondement nécessaire dans la révélation, puisque
Dieu seul peut nous révéler des mystères qui touchent de si près à
sa nature divine.
Une première raison est celle-ci : D'après les Pères, le Verbe
i. Dico in Ghristo Verbum animam et carnem sine confusione essentiarum
unam esse personam, et item absque praejudicio personalis unitatis, in sua
numerositate manere. Nec negaverim hanc ad illud quoque genus unitatis
perlinere, qua anima et caro unus est homo. Decuit quippe familiarius simi-
îiusque cum hominis convenire constitutione, quod pro homine constitutum
est sacramentum. Decuit et cum summa, quœ in Deo est et Deus est unitate
congruere, ut quomodo ibi très personae una essentia ; ita hic convenientis-
sima quadam contrarietate très essentiœ sint una persona. Videsne pulchre
inter utramque unitatem hanc collocari; in eo utique qui constitutus est me-
diator Dei hominisque, homo Christus Jésus? Pulcherrima, inquam, conve-
nientia, ut salutare sacramentum congrua quadam similitudine ambobus res-
pondeat, et salvanti videlicet et salvato. Ita haec unitas duarum consistens
média unitatum, alteri succumbere, alteri praeeminere cognoscitur, quantum
superiore inferior, tantum inferiore superior. (S. Bernard., lib. V de Consi-
dérai., cap. ix.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 397
divin s'est uni à l'humanité, de telle sorte que le Christ est véri-
tablement Dieu et non moins véritablement homme. Or il n'en
serait pas ainsi, dans le cas où les deux natures se seraient en
quelque manière fondues ensemble pour n'en faire plus qu'une, ou
bien si l'une des deux avait absorbé l'autre. Le Christ ne serait
plus ni Dieu ni homme, mais quelque chose d'intermédiaire ; ou
bien la nature humaine n'existerait plus en lui et il serait uni-
quement Dieu, à moins que ce ne fût la nature divine qui eût cessé
d'être, et qu'il ne restât plus que la seule humanité: toutes consé-
quences que la foi et la raison repoussent également.
En second lieu, comme on l'a vu par les textes de la Sainte Écri-
ture et par les passages des Pères qui ont été rapportés, il est
affirmé de la personne de Jésus-Christ plusieurs choses qui ne
conviennent aucunement à Dieu, et plusieurs autres qui ne s'ac-
cordent pas davantage avec la nature humaine. Ainsi on dit que
Jésus-Christ est né dans le temps, qu'il a souffert, qu'il est mort,
et l'on proclame d'autre part qu'il est éternel, impassible, tout-
puissant. Des affirmations si contraires ne peuvent avoir d'expli-
cation que dans l'existence simultanée de deux natures parfaites
en sa seule et unique personne.
Deux natures complètes ne peuvent s'unir pour n'en former
qu'une seule, parce que les natures sont incommunicables comme
telles et que, par cette union, elles cesseraient toutes les deux
d'être ce qu'elles sont, pour devenir une nature nouvelle. La nature
divine et la nature humaine sont complètes toutes les deux; elles
ne pourraient s'unir comme nature sans qu'au moins l'une d'elles
cessât d'exister comme telle, et d'une telle union il résulterait
qu'il n'y aurait plus en Jésus-Christ ni l'homme ni le Dieu. Or
Notre-Seigneur Jésus-Christ est homme et il est Dieu ^
Mais c'est assez nous arrêtera des raisonnements dont l'évidence
ne saurait l'emporter sur celle des textes que l'on a lus plus haut,
et puisqu'il faut toujours en revenir à l'autorité de la parole de
Dieu expliquée par la tradition et par la sainte Église, nous n'a-
jouterons plus rien, si ce n'est un acte de reconnaissance envers
1. Cum igitur natura humana sit quaedam natura compléta, et similiter na-
tura divina, impossibile est quod concurrat in unam naturam, nisi utraque,
vel alla corrumpatur, quod esse non potest, cum ex supradictis pateat unum
Cliristum et verum Deum, et verum hominem esse. Impossibile est igitur in
Christo unam esse tantum naturam. (S. Thom., Summa contra Génies, IV p.,
cap. ixxv.)
398 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. VIII.
ce Dieu infiniment bon qui a daigné prendre notre nature et
l'élever jusqu'à faire partie de son adorable personne, sans qu'elle
cesse d'être la nature humaine.
III.
JÉSUS EUCHARISTIQUE, DIEU ET HOMME, EST FILS DE DIEU UNIQUEMENT
PAR NATURE, ET NON PAS AUSSI PAR ADOPTION, MÊME CONSIDÉRÉ
DANS SON HUMANITÉ.
De l'unité de la personne en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et de
l'intégrité des deux natures en cette seule et unique personne,
résultent plusieurs conséquences, dont la première est celle-ci : Le
Verbe de Dieu incarné, ce Dieu que nous adorons dans la Très
Sainte Eucharistie, est Fils de Dieu par nature et non par adoption.
Dans le dernier quart du viii^ siècle ', Élipand, archevêque de
Tolède, ville alors au pouvoir des Maures, comprenant mal, et à
un point de vue restreint, quelques explications de S. Isidore de
Séville et quelques passages de la liturgie mozarabique, ne put
résoudre cette question : « Le Christ, quant à son humanité, est-
« il vrai Fils, ou Fils adoptif de Dieu? » Félix, évêque d'Urgel,
dans la Marche espagnole soumise à l'empire de Charlemagïie,
répondit à la question, « que le Christ, d'après sa nature divine,
est vrai Fils de Dieu (proprius Dei Filius), mais que, quant à sa
nature humaine, il n'est que fils adoptif, comme les fidèles par le
Baptême sont adoptés de Dieu et deviennent ses enfants. » Cet
adoptianisme était évidemment une erreur et un retour à l'hérésie
nestorienne -. Félix ne manqua pas d'adversaires, mais il eut aussi
des partisans, même au nord des Pyrénées. L'erreur fut condamnée
dans plusieurs conciles et Félix avoua sa faute; mais à peine de
retour dans son diocèse, il chercha à faire encore une fois prévaloir
ses opinions anciennes, si bien que Charlemagne se vit obligé de
convoquer un nombreux concile à Francfort (794). Là encore Ta-
doptianismefut anathématisé. Pendant qu'un concile de Rome tenu
1. Voir iJict. nicycloj). de la Ihéol. rfithol., art. Adoidianisles.
ii. Alcuin le comprenait parfaitement lorsqu'il disait, dans le premier de
ses livres contre Félix, chap. ,\i :
Sicut Nostoriana im])ietas in duas Christum divisit personas propter duas
naturas, ila et vestra indocta temeritas in duos eum dividit filios, unum pro-
prium, alterum adoptivum. Si vero Christus est proprius Filius Dei Patris et
adoplivus, ergo est alter et aller.
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 399
SOUS le pape Léon III, en 799, confirmait les décrets de Francfort,
Félix se trouvait à un concile d'Aix-la-Chapelle, où il fut pleinement
convaincu de son erreur, par Alcuin, dans un colloque qui dura
plusieurs jours, et il renonça sérieusement à ses erreurs. La con-
troverse eut cet avantage pour l'Église, que les théologiens espa-
gnols et français étudièrent plus sérieusement les sources de la
théologie dogmatique dans les Pères, et que la vie religieuse sortit
renouvelée de ces débats.
Durand et Scot pensèrent aussi plus tard que l'on pouvait donner
à Jésus-Christ le nom de Fils adoptif de Dieu, à cause de sa nature
humaine. Leur excuse consiste dans l'ignorance où ils étaient de
la définition du Concile de Francfort, que les hérétiques étaient
parvenus à dissimuler, et qui ne fut retrouvée que vers le milieu
du XVI® siècle, par Surius.
C'est un article de foi que Notre-Seigneur Jésus-Christ, consi-
déré comme Verbe de Dieu, est Fils de Dieu par sa nature même.
Nous le confessons dès les premiers mots du Symbole des Apôtres
et des autres symboles : Il est le Fils unique de Dieu. Nous lisons
dans la première épître de S. Jean : « Nous savons que le Fils de
« Dieu est venu et nous a donné l'intelligence, pour que nous con-
« naissions le vrai Dieu et que nous soyons en son vrai Fils. C'est
« lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle ^ »
Au moment de Tlncarnation, le messager céleste dit à la bien-
heureuse Vierge : « Voilà que vous concevrez dans votre sein et
« que vous enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de
« Jésus. Il sera grand devant Dieu et sera appelé le Fils du Très-
« Haut'. » Un instant après il dit encore: « C'est pourquoi la
« chose sainte qui naîtra de vous sera appelée le Fils de Dieu 3. »
Plus tard Notre-Seigneur demandait à ses apôtres ce qu'ils pen-
saient qu'il était, et S. Pierre répondait au nom de tous : « Vous
« êtes le Christ, fils du Dieu vivant. » L'apôtre S. Paul dit, dans
l'Épltre aux Romains, que Jésus-Christ est le Fils propre de Dieu :
« Il n'a pas épargné son propre Fils. » Aussi est il souvent
rapporté dans les Évangiles que le Seigneur donne à Dieu le nom
1. Scimus quoniam Filius Dei venit, et dédit nobis sensum, ut cognoscamus
verum Deum, et simus in vero rilio ejus : liic est verus Deus. (/. Joann.,
V, '20.)
!2. Kcce concipies in utero et paries Filium, et vocalns nomen ejus Jesum.
Hic erit ma^'nus et Filius Altissimi vocabitur. {Luc, i, 31, 3-2.)
3. Quod nasceiur ex te sauctum vocabitur Filius Dei. (/</., i, Sd.)
I
400 LA SAINTE EUCHARISTIE. 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
(Je Père, d'une manière qui ne peut convenir qu'à un fils véritable.
S. Jean rapporte que les Juifs, irrités des miracles de Jésus, le
persécutaient, sous prétexte qu'il faisait ces choses le jour du
sabbat : « Mais Jésus leur répondit : Mon Père agit sans cesse et
« moi j'agis aussi. Sur quoi les Juifs cherchaient encore plus à le
« faire mourir, parce que, non seulement il violait le sabbat, mais
c il disait que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu K »
Jésus-Christ cherche-t-il à les faire revenir de cette pensée? Leur
dit-il qu'ils interprètent mal ses paroles ? Au contraire, il appuie
sur les relations qui existent entre le Père et lui; il redit plusieurs
fois qu'il est réellement le Fils de Dieu, en termes tellement clairs
qu'il est impossible de ne pas leur donner ce sens. Une autre fois
il dit encore aux Juifs : « Ce que mon Père m'a donné est plus
€ grand que toutes choses.... Moi et mon Père nous sommes un 2. >
Les ennemis du Sauveur comprirent encore la signification de
ses paroles et voulurent le lapider, parce qu'il se faisait Dieu;
et Jésus ne chercha pas plus que la première fois à les détourner
de cette pensée ; au contraire, il les y confirma. Après sa résur-
rection il apparaît à Madeleine et lui dit : « Allez à mes frères et
« dites-leur : Je monte vers mon Père et votre Père 3. » H montre
par cette distinction que Dieu est son Père d'une autre manière
qu'il n'est le Père des apôtres.
Plusieurs fois les souverains pontifes eurent l'occasion d'affir-
mer solennellement que Jésus-Christ est véritablement Fils de
Dieu, et non pas seulement son Fils adoptif. C'est ainsi que le
pape S. Damase écrite Paulin, évêque d'Antioche : « Nous ana-
« thématisons ceux qui disent qu'il y a en Jésus-Christ deux fils,
« l'un existant avant les siècles, et l'autre seulement depuis l'In-
« carnation *. »
S. Léon le Grand écrit à Flavien : « Le Seigneur a dit : Voyez
« 7nes mains et mes pieds, car c'est moi, pour démontrer que la
« nature divine et la nature humaine demeuraient distinctes en
M lui, et nous faire ainsi connaître et confesser que le Verbe n'est
\. Pater meus usque modo operatur, etc. {Joann., cap. v, per totum.)
2. Pater meus quod dédit mihi, majus omnibus est.... Ego et Pater unum
sumus. (Joann., x, 20, 30.)
3. Vade autem ad fratres meos, et die eis : Ascendo ad Patrem meum et
Patrem veslrum. {Joann., xx, 17.)
i. Anathematizamus etiam eos, qui duos filios esse profitentur, unum ante
sœcula, et alium post carnis assumptionem. (S. Damas., Epist. ad Paulin.)
DNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 401
« pas la chair, mais que le Verbe et la chair sont un seul Fils de
« Dieu '. » Il ajoute : « Il faut le répéter souvent : un seul et même
a Jésus-Christ est véritablement Fils de Dieu et véritablement
« Fils de l'homme ~. »
Le pape Pelage P'', dans une lettre au roi de France Childebert,
rappelait en ces termes la même vérité : « Un seul et même Jésus-
« Christ est donc véritablement fils de Dieu et véritablement fils
a de rhomme \ »
S. Grégoire le Grand ne voulait à aucun titre du nom de Fils
adoptif de Dieu pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme l'in-
diquent plusieurs passages de ses écrits, celui-ci entre autres :
« Jésus-Christ est au-dessus de tous ceux qui naissent enfants de
a Dieu par la foi; car ce n'est pas comme eux, l'adoption, mais sa
« nature divine qui l'élève. Si, par son humanité, il parut sem-
« blable aux autres, par sa divinité il fut toujours unique et supé-
« rieur à tout ^. »
On pourrait ajouter ici une multitude de textes tirés des écrits
des Pères, des actes des conciles, mais cette vérité que Jésus-Christ,
considéré comme Dieu, est Fils de Dieu par sa nature même, est
admise avec une telle unanimité qu'il est permis de ne pas y
insister davantage.
Peut-on dire avec la même certitude que Notre-Seigneur, con-
sidéré comme homme, est véritablement et proprement Fils de
Dieu?
Ce qui oblige à étudier de près cette question, c'est que Jésus-
Christ, considéré uniquement comme homme, n'est pas Dieu,
d'où l'on pourrait, semble-t-il, légitimement conclure qu'il n'est
pas non plus Fils de Dieu comme homme, puisque le Fils de Dieu
est nécessairement Dieu. D'ailleurs, il ne procède pas du Père, en
1. Videte manus meas et pedes meos quia ego sum.... Ut agnosceretur in
eo proprietas divinœ humanaeque naturœ individua permanere ; et ita scire-
mus, Verbum hoc non esse quod carnem : et ut unum Dei Filium et Verbum
confiteremur et carnem. (S. Léo Magn., Epist. ad Flavian., cap. v.)
2. Unus enim idemque est, quod saepe dicendum est, vere Dei Filius, et
vere hominis Filius est. (h)., ibid., cap. iv.)
3. Est ergo unus atque idem Christus verus Filius Dei, et idem ipse verus
Filius hominis. (Pelasg. I, Epist. XVI ad Ilildebert. Francor. reg.)
4. Oinnes qui in fide Deo nascuntur superat, quia non ut caeteros adoplio,
sed natura illuin divinitatis exaltât, qui etsi humanitate cseteris apparuit simi-
lis, divinitate tamen mansit super omnia singularis. (S. Gregor. Magn., lib. I
Moralium, cap. vi.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 26
402 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. LIVRE II. — CHAP. VIII.
qualité d'homme, par l'éternelle génération. On ne peut pas dire
non plus qu'il soit Fils adoptif, puisque son humanité fait partie
de sa personne, et que sa personne n'est pas étrangère à la divinité.
A cause de ces difficultés, quelques théologiens ont pensé que
si l'on doit dire d'une manière absolue du Christ qu'il est Fils de
Dieu, on ne pourrait l'affirmer de môme si l'on ajoutait : Consi-
déré comme homme. Mais cette opinion est fausse, pour ne pas
dire plus.
Il faut remarquer d'abord que le nom de Fils de Dieu peut
revêtir plusieurs significations.
Il y a d'abord le Fils de Dieu, le Verbe divin, à qui ce titre
appartient dans toute sa plénitude, parce qu'il est engendré per-
sonnellement par le Père, de toute éternité.
Il y a les créatures qui, comme telles, sont appelées enfants de
Dieu, mais dans un sens très large et très impropre.
Il y a les fils adoptifs de Dieu, qui sont devenus ses enfants par
la grâce.
Il y a enfin la filiation propre à l'humanité de Notre-Seigneur,
filiation qui résulte de l'union de sa nature humaine à la personne
du Verbe.
Suarez établit d'abord cette proposition : Jésus-Christ, consi-
déré comme homme, est Fils de Dieu.
Le pape Adrien, dans une lettre qu'il adressait aux évêques d'Es-
pagne à l'occasion de l'hérésie des adoptianistes, citait ces paroles
de l'Apôtre : « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a
« livré pour nous tous; » puis il disait : « Nous savons que le Fils
« de Dieu n'a pas été livré selon sa divinité, mais selon qu'il était
« véritablement homme. L'Apôtre atteste donc que celui qui a été
« livré, c'est-à-dire l'homme lui-même, est le propre Fils de
* Dieu 1. » Venant ensuite à ces paroles de l'Évangile : « Celui-ci
« est mon Fils bien-aimé, » il dit : « Sur qui est descendu l'Esprit
« saint en forme de colombe? Est-ce sur le Dieu ou sur l'homme?
« C'est comme homme qu'il a reçu le Saint-Esprit descendant sur
« lui. C'est donc de ce Fils de l'homme sur lequel le Saint-Esprit
1. Proprio Filio suo non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit illum.
{Rom., VIII.) — Scimus quia non est traditus secundum divinitatem, sed se-
cundum id quod verus homo erat, illum nimirum, qui traditus est, id est
horainem ip.sum, Apostolus proprium Dei Filium protestalur. (Adrian. papa,
Epist. ad Episc. Eispan.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 403
« est descendu, quoiqu'il soit tout ensemble Fils de Dieu et Fils
« de l'homme, que la voix du Père, semblable à celle du tonnerre,
a a fait entendre ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en
« qui j'ai mis toutes mes complaisances : Hic est Filius meus
« dilectus in quo mihi bene complacui. S'il avait parlé de Jésus-
« Christ considéré dans sa divinité, il n'aurait pas dit : In quo
a mihi bene complacui, mais seulement, m quo mihi bene pla-
« cui. Ce mot complacui comprend les complaisances de la Sainte
« Trinité tout entière, et le Père éternel le choisit parce que toute
a la Trinité a mis ses complaisances dans l'humanité de Jésus-
« Christ. Remarquez cette observation, car elle ne vous laisse
«r aucun prétexte de croire que c'est de la divinité seule que le
« Père a dit : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; mais plutôt il le
« disait de l'humanité, sur laquelle il est rapporté que l'Esprit saint
a descendit K » Nous ne citons que ces quelques paroles du pape
Adrien, quoique sa lettre et les actes du Concile de Francfort,
auquel elle fut aussi adressée, contiennent d'autres passages qui
enseignent la même doctrine avec non moins de force et de clarté.
Mais comment se peut-il faire que Notre-Seigneur Jésus-Christ,
uniquement considéré comme homme, soit véritablement Fils de
Dieu? Quel est le fondement sur lequel repose cette dignité incom-
parable de sa nature humaine?
Le fondement de la filiation divine, qui convient à Jésus-Christ
comme homme, est la grâce d'union. L'union hypostatique de la
divinité avec l'humanité pouvait seule opérer ce prodige. S. Tho-
mas 2, S. Bonaventure et les autres docteurs disent souvent et
4. Hic est Filius meus dilectus. {Matth., m, 17, et xvii, li.) — Super quem
descendit Spiritus sanctus in specie columbae, super Deum an super homi-
nem?.... Secundum id quod homo est, Spiritum sanctum super se venientem
suscepit; de eo ergo hominis Filio, super quem Spiritus sanctus descendit,
licet unus sit Dei et hominis Filius, vox Patris intonuit dicens : Hic est Filius
meus dilectus, in quo mihi bene complacui. Si secundum divinitatem dixisset
nequaquam diceret, in quo mihi bene complacui; sed tnntummodo : in quo
mihi bene placui. Dum ergo dicit complacui, totam simul Trinitatem compre-
hendit : quia in homine Christo tota complacuit Trinitas, Animadvertite quia
nihil vobis restât ut secundum divinitatem tantummodo credatis dixisse I^a-
trem : Jlic est Filius tneus dilectus, sed potius secundum humanitatem, super
quam Spiritus sanctus dicitur descendisse. (Id., ibid.)
i. Sicut sine meritis quilibet homo habet ut sit christianus, ita iste homo
sine meritis habuit ut esset Christus. Est tamen ditïerentia quantum ad termi-
num: quia scilicet Christus pergratiam unionisest filius naturaUs; aliusautem,
pergratiam habitualem est filius adoptivus. (S.TiiOM.,III p., q.xxiii,art. 4ad"2.)
404 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. VIII.
prouvent que Jésus-Christ, comme homme, est naturellement Fils
de Dieu, et qu'il est ainsi Fils de Dieu par l'union de l'humanité
à la personne du Verbe. C'est en vertu de cette union que son
humanité même est souverainement sainte, et qu'il a, comme
homme, un droit intrinsèque absolu à l'héritage céleste, selon la
parole de l'Apôtre : « Dieu nous a parlé par son Fils qu'il a cons-
« titué héritier de toutes choses. ' » Comme Dieu il n'hérite pas,
il possède : mais comme homme uni à Dieu, il hérite de tous les
biens de Dieu; ce n'est point par faveur mais par droit qu'ils sont
à lui.
Cependant il ne conviendrait pas de dire, avec Duns Scot, qu'en
Notre-Seigneur Jésus-Christ la nature humaine est la fille de Dieu,
parce que le nom de fils ou de fille ne s'applique jamais à la
nature, mais à la personne en qui la nature se concrète et existe.
Notre-Seigneur Jésus-Christ, considéré dans sa nature humaine,
est donc réellement et naturellement Fils de Dieu. Il faut recon- "
naître néanmoins qu'il ne l'est pas par essence et en vertu d'une
éternelle génération, ainsi qu'il est Fils de Dieu, considéré dans sa
nature divine. Comme Dieu, il est le Fils éternel du Père, il lui est
égal en toutes choses, et n'est avec lui qu'un même être divin :
comme homme, il ne possède pas cette égalité de nature et cette
identité, il n'est pas éternellement engendré par le Père, et ce
n'est pas en vertu de sa nature humaine qu'il jouit de la vue de
Dieu et de la divine béatitude; en un mot, comme homme, il n'est
pas Dieu, et, s'il est Fils de Dieu en sa nature humaine, ce n'est
pas à sa nature humaine qu'il le doit. Mais il le doit à l'union qui
existe entre cette nature et le Verbe divin. Grâce à cette union, la
plus parfaite que l'on puisse concevoir entre l'homme et Dieu, son
humanité est proprement et substantiellement la nature du Fils
éternel de Dieu, la nature du Verbe; elle est une seule et unique
personne avec lui; elle est, sauf la divinité, ce qu'il est : le Fils de
Dieu est véritablement homme, et cet homme est non moins véri-
tablement le Fils de Dieu et l'héritier de tous ses biens.
On demandera peut-être : Notre-Seigneur Jésus-Christ, consi-
déré uniquement dans sa nature humaine, ne pourrait-il pas, tout
en conservant le litre de Fils de Dieu par nature, qui lui appartient,
être appelé aussi Fils adoplif? Nous sommes enfants adoptifs de
1. Locutus est nobis in Filio, quern constituit hgeredem universorum.
(//e/.;-., I, 2.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 405
Dieu par la grâce habituelle que le Saint-Esprit répand en nos
âmes; cette grâce habituelle ou sanctifiante, l'humanité de Notre-
Seigneur l'a possédée aussi ; pourquoi ne lui donnerait-elle pas,
comme à nous, le caractère de fils adoptif de Dieu ?
S. Thomas répond que la filiation convient proprement à l'hy-
postaseou à la personne, et nullement à la nature. Or, en Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, il n'y a pas d'autre personne que la personne
incréée du Verbe, qui est Fils de Dieu par sa nature même, et qui,
par conséquent, ne saurait l'être par adoption K Un père n'adopte
pas son propre fils, mais il adopte un étranger. La grâce de l'union
hypostatique ne fait pas que Jésus-Christ soit fils adoptif de Dieu,
comme homme, mais elle communique â l'homme sa propre per-
sonnalité et, avec elle, la qualité de fils de Dieu par nature, qui
exclut l'adoption. A proprement parler, dit Alvarez, l'humanité du
Christ n'est fille de Dieu ni par nature ni par adoption, mais
elle est unie personnellement au Fils naturel de Dieu. La bienheu-
reuse Vierge Marie, en devenant mère du Fils de Dieu, lui a com-
muniqué la nature humaine, mais non pas la personnalité hu-
maine, qui eût été nécessaire pour que l'adoption fût possible. La
personne du Verbe que Dieu engendre éternellement ne saurait
déchoir et tomber au rang de fils adoptif; elle ne descend pas de
son rang en s'unissant la nature humaine, mais elle élève cette
nature â sa propre hauteur. On ne peut donc dire en aucun sens
acceptable que Notre-Seigneur Jésus-Christ soit le Fils adoptif de
Dieu 2.
Quelques hérétiques ont avancé que le Saint-Esprit pourrait
être appelé le père de Jésus-Christ; mais absolument rien ne sau-
rait justifier une pareille appellation. En effet, Notre-Seigneur
n'a reçu du Saint-Esprit ni sa nature ni sa personnalité. Comme
Dieu, il ne procède pas du Saint-Esprit, mais de la première per-
sonne de la Sainte Trinité qui est le Père. Comme homme, ce n'est
4. Respondeo dicendum, quod filiatio proprie convenit hyposlasi vel per-
sonae, non autem naturap : unde et in \' parte dictum est quod tiliatio est pro-
priétés personalis. In Cliristo autem non est alia personavel hypostasis, quam
increata, cui convenit esse filiuin per naturam. Dictum est autem supra,
quod filiatio adoptionis est participala similitudo filialionis naturalis. Non au-
tem rccipitur aliquid dici participative quod per se dicitur. Kt ideo Cliristus
qui est filius Dei naturalis, nuUo modo potest dici filius adoptivus. (S. Tiiom.
III p., q. xxiii, art. i.)
-2. \L\'.\i{EZ, de Incarnat., disput. Lxxv.
406 LA SAINTE EUCHARISTIE, — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. Vlll.
pas du Saint-Esprit, mais de la bienheureuse Vierge Marie qu'il a
reçu son corps. Il est vrai que le Saint-Esprit a formé le corps du
sang très pur de la bienheureuse Vierge ; mais il n'y a rien mis
de sa propre substance : le Saint-Esprit est Dieu et il n'est pas
homme. Il peut créer un homme, mais un homme ne peut pas pro-
céder de lui par génération. De plus, ce ne fut pas le Saint-Esprit
seul, mais l'adorable Trinité tout entière, qui accomplit le grand
mystère de l'Incarnation. S. Augustin s'élève fortement contre
l'appellation de Père du Christ que plusieurs voulaient donner au
Saint-Esprit, et il n'hésite pas à traiter cette expression d'absurde
et de scandaleuse K Dans un de ses sermons il dit : « Celui qui a
« été conçu du Saint-Esprit, le Christ, est né de la Vierge Marie;
« non pas de la substance du Saint-Esprit mais de sa puissance; il
« a été conçu, non pas par génération, mais par l'ordre du Saint-
ci Esprit et par sa bénédiction -. » Le XP Concile de Tolède a inséré
ces paroles du saint Docteur dans sa profession de foi.
C'est donc le Fils du Père Éternel que nous adorons en Notre-
Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu non seulement comme Dieu
mais comme homme ; Fils de Dieu selon toute la plénitude de ce
titre et sans aucune restriction. Et c'est à ce Fils unique de Dieu
que nous devons le bonheur incomparable de pouvoir, nous aussi,
être les enfants de Dieu ; car, dit S. Jean, « il a donné ce pouvoir à
« tous ceux qui croient en son nom ^\ » Qu'il en soit à jamais béni !
Et s'il suffit de croire en Jésus-Christ pour être enfant de Dieu,
comment ceux qui le possèdent et qui vivent en lui par la sainte
i. Cum hoc ipsumjam ita sit absurdum ut nullas fidèles esse aures, id va-
Icant sustinere. Proinde sicut confitemur, Dominus noster Jésus Christus,
qui de Deo Deus, hoino autem natus est de Spiritu sancto, et Maria Virgine,
ulraque substantia, divina scilicet atque humana, Filius est unicus Dei Patris
omnipotenlis, de quo procedit Spiritus sanclus.... (S. August., Enchiridion,
cap. xxxvui.)
Non igitur concedendum est quidquid de re aliqua nascitur, continuo ejus-
dem rei filium nuncupandum.... certe qui nascuntur ex aqua et Spiritu
sancto, non aquaî filios eos rite dixerit quispiam, sed plane dicuntur Filii Dei
Patris, et matris Ecclesiae. Sic ergo de Spiritu sancto natus est Filius Dei Pa-
tris, non Spiritus sancti. (Id., ibid., cap. x.xxix.)
2. Conceptus de Spiritu sancto, id est, Christus, natus ex Maria Virgine,
Christus enim non de substantia Spiritus sancti, sed de potentia; nec gene-
ratione .sed jussione et benedictione conceptus est. (II)., serm. VI de Tem-
pore.)
3. Dédit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunl in nomine ejus.
[Joann., i, 6.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 407
communion ne seraient-ils pas les enfants chéris entre tous de son
Père céleste qui est dans les cieux?
IV.
DEUX VOLONTÉS ET DEUX OPÉRATIONS DISTINCTES EN NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST. — COMMUNICATION DES IDIOMES
De l'hérésie d'Eutychès qui ne prétendait reconnaître en Notre-
Seigneur Jésus-Christ qu'une seule nature, une autre hérésie sor-
tait naturellement comme de sa source : une seule nature sup-
posait une seule volonté. Les monothélites, qui parurent dans la
première moitié du vu'' siècle, tirèrent cette conséquence et ne vou-
lurent reconnaître, dans le Fils de Dieu incarné, qu'une seule vo-
lonté et une seule opération. Pour eux, la divinité seule voulait et
agissait en Jésus-Christ; l'humanité n'était, en quelque sorte,
qu'un instrument passif. Paul, patriarche de Constantinople, fut
le principal soutien de cette hérésie; il admettait bien les deux na-
tures en Notre-Seigneur ; mais en les admettant, il ne voulait re-
connaître qu'une seule et unique volonté.
Ces nouveautés jetèrent un grand trouble dans l'Église. Le pape
Honorius crut bien faire, pour ramener le calme, de défendre de
parler soit d'une, soit de deux volontés ou opérations en Jésus-
Christ. Mais cet acte de prudence, pour ne pas dire de pusillanimité,
ne servit qu'à augmenter l'audace des hérétiques, qui interprétèrent
cette défense en leur propre faveur. Nous n'avons pas ici à raconter
toutes les luttes qui affligèrent la sainte Église, pendant plus d"un
siècle; il nous suffit de dire que le VP Concile œcuménique, tenu
à Constantinople en 680 et 681, condamna solennellement cette
hérésie.
Si l'on ne connaissait l'aveuglement et l'obstination sataniquedes
fauteurs d'hérésie, on ne comprendrait pas comment ils purent
s'attacher, malgré tout, à une doctrine si manifestement contraire
à la Sainte Écriture et à la tradition des Pères.
Notre-Seigneur Jésus-Christ a bien voulu établir nettement lui-
même la distinction entre sa volonté huniaine et sa volonté divine
qui n'est pas autre que la volonté du Père, lorsque, pendant son
agonie, il disait : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloi-
« gne de moi. Cependant, qu'il en soit non comme je veux, mais
408 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII,
€ comme vous voulez '. » Ce texte est de S. Matthieu. S. Luc rap-
porte la même prière un peu différente pour la forme, mais iden-
tique pour le sens. « Cependant, que non pas ma volonté mais la
€ vôtre soit faite -. »Ces paroles qu'on lit dans l'Évangile de S. Jean
ne sont pas moins explicites : « Je suis descendu du ciel, non pour
« faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé ^. »
Cette volonté que Jésus-Christ appelle la sienne n'est pas sa volonté
divine, car il n'en a pas d'autre, comme Dieu, que le Père et le
Saint-Esprit, puisqu'il n'est qu'un seul et même être divin avec ces
deux adorables personnes : « Moi et le Père, nous sommes un *. »
Et ce qui marque mieux encore la distinction entre les deux vo-
lontés de Notre-Seigneur, c'est la soumission parfaite de la volonté
humaine à la volonté divine, malgré la répulsion naturelle pour
le calice de douleurs qu'il s'agit d'accepter. Ainsi l'ont entendu et
expliqué, en divers passages, les Pères de l'Église, en particulier
S. Grégoire de Nysse &, S. Athanase 6, S. Ambroise "^ et S. Augus-
tin 8.
\ . Pater, si possibile est, transeat a me calix iste. Verumtamen non sicut
ego volo, sed sicut tu. [Matth., xxvi, 39.)
2. Verumtamen non mea voluntas sed tua iiat. {Luc, xxii, 42.)
3. Descendi de cœlo, non ut faciam voluntatem meam, sed voluntatem ejus
qui misit me. [Joann., vi, 38.)
4. Ego et Pater unum sumus. [Id., x, 30.)
î). Quia igitur alia est humana voluntas, et alia divina, loquitur quidem et
quasi ex homine, quod infirmitati naturse congruit, qui nostras passiones
assumpsit.... Qui enim dixit, Aon mea, humanam hoc sermone significavit.
Addens vero, tua, ostendit conjunctionem suae deitalis ad Patrem, cujus nulla
volunlatis est differentia propter communitatem naturœ. Nam Patris dicens,
voluntatem eliam Filii demonslravit. (S. Greuor. Nyssen., lib. Conlradict.
contra Apollinarem.)
0. Cum ait (Christus) : Pater, si possibile est, transeat a me calix iste :
verumtamen non mea voluntas, sed tua fiât ; et : Spii^itus quidem promptusest,
caro autem infirma, duas voluntates ibi ostendit, alteram humanam quse est
Garnis; alteram divinam qUcE Dei est. Siquidem humana, ob infirmitatem
Garnis deprecatur passionem; divina autem ejus voluntas prompta est.
(S. Atha.n., lib. (le Jncarnatione contra Arian., n. 21.)
7. Quod autem ait (Christus) : A^on mea voluntas sed tua fiât, suam ad
hominem retulit; Patris ad divinitatem : voluntas enim hominis temporalis;
voluntas divinitatis alterna. Non alia voluntas Patris, alia Filii : una enim vo-
luntas, ubi una divinitas. (S. Ambros., lib. X in Luc, n. ^9.)
^. In hoc quod ait : Non quod ego volo, aliud se ostendit voluisse quam
Pater : quod nisi humano corde non potuisset, cum infirmitatem nostram in
suum, non divinum, sed humanum transfigurât affectum. Homine quippe
non assumpto nullo modo posset immutabilis illa natura quidquam aliud
velle quam Pater. (S. August., lib. II contra Marcionem, cap. x.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 409
Dans de nombreux passages de l'Évangile, nous voyons agir la
volonté humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout à fait indé-
pendamment de sa volonté divine. Pour en citer quelques exemples,
nous lisons dans le i'"" chapitre de TÉvangile de S. Jean : « Le len-
« demain, Jésus voulut aller en Galilée •. » S'il voulut y aller, il n'y
était donc pas. Mais comment n'y était-il pas? Assurément ce n'é-
tait pas comme Dieu, puisqu'il n'est pas de lieu où il ne soit présent
par sa divinité : c'était donc par son humanité qu'il était absent
de la Galilée, et c'était comme homme qu'il voulait y aller. Nous
n'avons pas à montrer l'existence simultanée de la volonté divine
<le Notre-Seigneur, que nul de ceux qui ont reconnu en lui le Fils
de Dieu fait homme n'a mise en doute.
On lit dans S. Marc, chapitre vii^ : « Jésus s'en alla sur les con-
« fins de Tyr et de Sidon, et étant entré dans une maison, il voulut
« que personne ne le sût ; mais il ne put demeurer caché 2. »
Quelle est donc cette volonté de Notre-Seigneur qui demeure im-
puissante? Ce n'est pas sa volonté divine, car rien n'est impossible
à Dieu. Il faut donc entendre ce texte de l'Évangile d'une autre
volonté, qui ne soit pas toute-puissante par elle-même, et ce ne
peut être que la volonté de sa nature humaine, parfaitement dis-
tincte de sa volonté divine. Comme homme, il voulait se cacher,
mais il ne le voulait pas comme Dieu.
L'Évangile de S, Jean nous fournit encore un autre exemple. Il
est dit au chapitre vu" : « Jésus parcourait la Galilée ; car il ne
« voulait pas parcourir la Judée, parce que les Juifs cherchaient à
« le faire mourir 3. » C'était comme homme que Jésus-Christ par-
courait la Galilée, et comme homme, par conséquent, qu'il voulait
la parcourir et non pas la Judée. Il y avait donc en lui une volonté
humaine parfaitement distincte de la volonté divine. Ces trois
exemples, avec leur conclusion, sont empruntés aux œuvres du
saint abbé Maxime, un des plus vaillants défenseurs de la vérité
contre le monothélisme, au vu* siècle *.
Mais à côtt' de ces textes qui font expressément mention de la
volonté de Notre-Seigneur, et qu'on ne peut entendre que de sa
1. In crastinum vohiit exire in Galilœam. [Jounn., i, l;i.)
2. Abiit in fines Tyri et Sidonis, et ingressus domum nemineni voluit scire,
et non potuit latere. {.Marc, vu, 23.)
3. Ambulal)at Jésus in Galilctam; non enim volebat in Judœam ambulare,
■quia quœrebant Judaei eum interficere. [Joann., vu, 1.)
4. S. Maxim, abb., Disput. cum Pyrro.
410 LA SAINTE EUCHARISTIE — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
volonté humaine, il en est d'autres, plus nombreux encore, qui
supposent en lui la nature humaine complète, avec sa volonté et ses
opérations diverses. C'est ainsi que nous lisons dans les saints
Livres que Jésus-Christ a été troublé, attristé, qu'il a répandu des
larmes, qu'il s'est indigné, qu'il a eu faim et soif, qu'il s'est fati-
gué, toutes affirmations qui seraient inadmissibles sans la nature
et la volonté humaines. Car, dit S, Augustin, lorsque l'àme passe
par ces états divers, la chair peut y être pour quelque chose, mais
souvent l'âme elle-même se cause ces émotions, et sa volonté s'y
trouve tellement mêlée que c'est d'elle que ces sentiments divers re-
çoivent leur moralité. Si elle est perverse, ils sont pervers; si elle est
bonne, non seulement ils ne sont pas coupables, mais ils sont bons
et dignes de louange. D'où le saint docteur tire pour nous cette
conclusion pratique, que celui qui vit selon Dieu, et non pas selon
l'homme, doit aimer le bien et, par conséquent, haïr le mal. Mais
il faut que ce double sentiment soit parfait. Le mal est mauvais;
la nature humaine en elle-même est bonne. Haïssez donc le mal,
mais ne haïssez pas l'homme mauvais ; aimez l'homme tout mau-
vais qu'il soit, mais n'aimez pas le vice qui le rend tel ^
S. Ambroise dit, en parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il
« a pris une volonté comme la mienne; il a accepté de ressentir
a ma tristesse. Je ne crains pas de nommer la tristesse, car c'est la
« croix que je prêche. C'est ma volonté qu'il a reconnue sienne;
« car de même qu'il a, comme homme, accepté ma tristesse, c'est
« comme homme qu'il a parlé '^. »
1. Non ex carne tantum afficilur anima, ut cupiat, metuat, laetetur et
aegrescat; verumetiam ex se ipsa his potest motibus agitari. — Interesl autem
qualis sit voluntas hominis : quia si perversa est, perverses habebit lios mo-
tus ; si autem recta est, non solum inculpabiles, verumetiam laudabiles
erunt. Voluntas quippe est in omnibus : imo omnes nihil aliud quam volunta-
tes sunt. Nam quid est cupiditas et IcTlitia, nisi voluntas in eorum consensio-
nem quae volumus.... Quapropter homo, qui secundum Deum, non secundum
hominem vivit, oportet ut sit amator boni : unde fit consequens ut malum
oderit. Et quoniam nemo natura, sed quisquis malus est, vitio malus est :
perfectum odium débet malis, qui secundum Deum vivit; ut née propter
vilium oderit bominem, nec amet vitium propter hominem; sed oderit
vilium, amet hominem. Sanato enim vitio, totum quod amare, nihil autem
quod debeat odisse remanebit. (S. August., lib. XIV de Civitate Dei, cap. v
et VI.)
2. Suscipit ergo voluntatem meam, suscipit tristitiam meam. Confidenter
tristitiam nomino, quia crucem praedico. Mea est voluntas, quam suam dixit :
quia ut homo suscepit tristitiam meam, ut homo locutus est. (S. Ambros.^
lib. il (le l'ide ad Gratian., cap. m.)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 411
S. Jean Damascène dit à son tour : « Le désir de manger et de
« boire n'est pas le fait de la volonté divine, non plus que l'intention
« de changer de lieu ou d'accomplir d'autres actes analogues : c'est
a la volonté humaine, » qui se révèle et se manifeste ^ »
Peu de jours avant sa Passion, Notre-Seigneur Jésus-Christ pro-
nonçait ces paroles : « Maintenant mon âme est troublée, et que
a dirai-je? Mon Père, délivrez-moi de cette heure-là ^. » A l'oc-
casion de ces paroles, S. Jean Chrysostome ^ met bien en relief les
deux volontés du Sauveur. Voici son commentaire : « Le Sauveur,
« afin qu'on ne dît pas qu'étant exempt des douleurs humaines,
« il lui était facile de philosopher sur la mort, et qu'il y exhortait
a les autres, n'ayant rien à souffrir lui-même, fait voir ici que,
a quoiqu'il la craignît, il ne la refusait point, parce qu'elle nous
« devait être très utile et très avantageuse. En un mot, ces paroles
« appartiennent à la chair qu'il a prise, et non à sa divinité. Voilà
a pourquoi il dit : Maintenant mon âme est troublée. S'il n'en
V était pas ainsi, quelle suite y aurait-il entre ces paroles et les
« suivantes : Mon Père, délivrez-moi de cette heure? Le divin
a Sauveur est si troublé, qu'il demande à son Père de le délivrer
« de la mort, s'il peut l'éviter. »
a Ces paroles marquent la faiblesse de la nature humaine. — Mais
« je ne puis rien alléguer, veut-il dire, pour demander à être
« délivré de la mort : Car c est pour cela que je suis venu en cette
« heure *; c'est comme s'il disait : Quels que puissent être notre
« trouble et notre abattement, ne fuyons pas la mort : encore que
a je sois troublé, je dis qu'il ne faut pas fuir la mort. Il faut souffrir
« ce qui nous arrive; mais, mon Père, glorifiez votre nom ».
« Quoique le trouble où je suis m'ait fait prononcer ces paroles, je
« dis le contraire : Glorifiez votre nom; c'est-à-dire menez-moi
« à la croix : ce qui montre une faiblesse humaine, et l'infirmité
a de la nature qui ne veut pas mourir, et fait voir que Jésus n'était
« pas exempt des sentiments humains. Comme on n'impute pas
\. Divinae voluntatis non est cibi potusque appetitio, ac velle locum ex loco
mutare, etsimilia; sed liumanœ. (S. Joann. Damascen., lib. de Ihiolnis volun-
tat., n. 8.)
± Nunc anima mea turbata est. Et quid dicam? Pater salvitica me ex liac
hora. iJoann., xii, "28.)
'^. S. J. CIIRYSOST., hom. LWII in Joann. Trad. Jeannin.
4. Sed propterea veni in horain hanc. {Joann. ^ xii, :28.)
5. Pater clarifica nomen tiuun. [Id., xu, il).)
412 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE If. — CHAP. VIII.
« à crime d'avoir faim, ou d'avoir envie de dormir, de même aussi
« ce n'en est pas un de désirer la vie présente. Or Jésus-Christ était
« exempt de tout péché, mais non des instincts naturels, autrement
« son corps n'aurait pas été un vrai corps. »
Il est inutile de s'arrêter à faire ressortir la pensée de S. Ghry-
sostome. Chacune des lignes que nous venons de citer serait inex-
plicable, si l'on refusait d'admettre en Notre-Seigneur une volonté
humaine accomplissant réellement les actes qui lui sont propres,
en même temps qu'elle était parfaitement soumise et unie à la
volonté divine.
Parmi les vertus dont Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a donné
l'exemple pendant sa vie mortelle, il en est une qui ne pouvait, à
aucun titre, être attribuée à sa divinité : c'est la vertu d'obéissance.
L'obéissance, en effet, suppose un supérieur à qui l'on obéit. Or la
divinité, en Notre-Seigneur, ne reconnaît pas de supérieur. Il est
en tout l'égal du Père éternel et du Saint-Esprit. C'est donc comme
homme qu'il a pratiqué cette vertu. C'est comme homme qu'il fut
obéissant à Marie et à Joseph ^ ; c'est comme homme qu'il fut
obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix -. Sa volonté s'in-
clinait sous la volonté de Marie et de Joseph ; celui qui est la sagesse
incréée se laissait diriger par les lumières bornées de ses créatures.
Il faisait plus encore, il se soumettait à la volonté de ses persé-
cuteurs et de ses bourreaux ; il permettait, pour le sal ut des hommes,
que leurs odieux desseins contre sa personne adorable eussent leur
accomplissement. A plus forte raison obéissait-il à son Père et
pouvait-il dire : « Ce qui plaît à mon Père, je le fais toujours. * Il
laisse voir parfois que cette soumission de sa volonté humaine
coûte à la nature : mais la vertu d'obéissance l'emporte, et il
obéit 3.
A ces témoignages et à ces raisons qui reposent sur la Sainte
Écriture on peut encore ajouter quelques autres preuves des deux
\. Erat subditus illis. {Luc, u, Iji.)
2. Factus est obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. {Philipp.,
11, 8.)
3. In eo quod orat, naturalem sponte infirmitatem (carnis) timoré ac pavore
ostentat, nec prorsus innititur, sed ait : Si possilnlc est. Et : Non quid ego
velim, sed fjuidlu.... Moxque rursus maximam adversum mortem vim exerit,
summamque humanae suae voluntatis, oum propria sua, Patrisquc voluntate,
necessitudinem ac unionem prodil, judicio suc approbans, dicensque : Non
mca sed tun vohintas fiai : hincquidem divisionem, illinc rursus confusionem
procul eliminans atque submovens. (S. Maxim, abb., Disput. cum Pyrro.)
UNITE DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 41^
volontés et des deux actions en Jésus-Christ, tirées de la nature
même des choses.
La première consiste dans la distinction des deux natures en
Notre-Seigneur. Sa nature divine et sa nature humaine sont parfaites
et leur union n'établit entre elles aucune confusion, aucun mélange.
La nature humaine ne serait ni parfaite ni complète, si elle était
privée de sa volonté, attribut essentiel de tout être raisonnable.
Elle a donc sa volonté, distincte de la volonté divine, avec laquelle
elle n'est nullement confondue.
Dans le troisième livre de son traité De Fide orthodoxa, S. Jean
Damascène prouve, contre les Nestoriens, que la sainte Vierge est
véritablementMèrede Dieu. A cette occasion, il traite des propriétés
des deux natures, montrant qu'il y a en Jésus-Christ deux volontés
et deux opérations, comme il y a en lui deux natures distinctes et
parfaites, sans confusion ni changement. Il explique l'opération
théandrique de S. Denis l'Aréopagite, et fait voir que cet auteur
n'a point dit qu'il n'y eût en Jésus-Christ qu'une seule opération,
mais seulement qu'elle était nouvelle et hors du cours ordinaire,
parce que la personne du Verbe opérait dans ces deux natures,
quoique chacune conservât ses propriétés et ses opérations natu-
relles. « Puisqu'il y a deux natures en Jésus-Christ, dit-il, il est
« nécessaire de reconnaître qu'il s'y trouve aussi deux actions, car
« la diversité des natures entraîne la diversité des opérations ' ; »
et, non moins nécessairement, celle des volontés qui en sont la
source.
Une seconde preuve résulte de la condition dans laquelle s'accom-
plissent les actes ou les opérations propres à chaque nature. C'est
la personne qui agit, mais elle agit en vertu et par le moyen des
facultés qui lui sont naturelles. En Notre-Seigneur Jésus-Christ,
c'est la personne du Verbe divin qui accomplit tous les actes, mais
il les accomplit soit comme Dieu, soit comme homme. Les actes
humains ne peuvent pas procéder directement de la volonté divine,
ni les actes divins de la volonté humaine : les deux sont donc néces-
saires pour que l'Homme-Dieu puisse agir, ainsi que l'Évangile
nous le montre à toutes ses pages, comme homme et comme
Dieu.
\. Cum itaque, duae in Christo naturae sint, duas qiioque in eo actiones
dicere necesse est. Quorum enim diversa natura est, horum quoque dispar
est actio. (S. J. Damascen., lib. III de Fide orlhod.)
414 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
Veut-on une preuve que c'est de la nature que découle direc-
tement l'action, quoique ce soit la personne qui agisse par elle? Il
n'y a qu'à considérer ce qui a lieu dans le mystère adorable de la
sainte Trinité. Là, nous voyons trois personnes et une seule nature.
Or toutes les œuvres de Dieu sont les œuvres de la Trinité tout
entière. Les trois adorables personnes n'ont qu'une même nature,
une même divinité; et parce qu'il en est ainsi, elles n'ont qu'une
même volonté, une même opération. En Jésus-Christ au contraire,
il n'y a qu'une seule personne et il y a deux natures; et c'est
pour cette raison qu'il y a deux volontés et deux opérations dis-
tinctes. C'est ce qu'enseignait le pape S. Agathon, dans sa lettre
au VI" Concile œcuménique : « Si l'on prétendait, dit-il, que la
« volonté est attachée à la personne, comme il y a trois personnes
« dans la sainte Trinité, il faudrait nécessairement dire qu'il y a
u de même trois volontés personnelles et trois opérations person-
« nelles, ce qui dépasse les limites ordinaires de l'absurdité et
€ de l'impiété *. »
Une autre preuve encore : Le Verbe de Dieu a pris ce qu'il a
guéri; or il a guéri notre volonté blessée et dépravée. « S'il n'avait
« pas pris notre volonté, dit S. Damascène, il n'aurait pas
€ apporté la guérison à ce qui, dans l'homme, a été blessé tout
« d'abord. Car ce qui n'a pas été pris n'a pas été guéri, dit
« S. Grégoire le Théologien. Et qu'est-ce qui avait péché, sinon la
€ volonté * ? »
Tant de motifs suffisent pour obliger tous les fidèles à croire
fermement à l'existence et à la distinction de deux volontés en
Notre-Seigneur, l'une divine, l'autre humaine. Mais la sainte Église
a voulu qu'il ne put s'élever aucun doute, si léger qu'il fût, sur ce
point. Au VI" Concile général, elle a condamné solennellement
l'erreur des Monothélites et défini la vérité catholique. Sous peine
d'être séparé de l'Église et de n'être plus chrétien, il faut croire qu'il
y a en Notre-Seigneur Jésus-Christ deux natures unies sans con-
4. Si personalem quispiam intelligat voluntatem, dum très personas in
S. Trinitate dicunlur, necesse est ut très voluntates personales, et très perso-
nales operationes dicantur, quod nimis absurdum et profanum est. (S. Agatii.,
Epist. in Actione iv, VI. Sijnod. gcncral.).
2. Si non assumpsit humanam voluntatem remedium ei non attulit, quod
primum sauciatum erat. Quod enim assurnptum non est, nec est curatum, ut
ait Gregorius Tlieologus. Ecquid enim offenderat, nisi voluntas? (S. J. Damas-
CE.N., oral, de Jiunhus Christi voluntatibus .)
UNITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 415
fusion, inconvertibles, inséparables, indivisibles ; que la clinérence
entre ces deux natures ne disparaît pas à cause de leur union, mais
que chacune d'elles garde intact tout ce qui lui est propre.... Il
faut croire en particulier qu'il y a en Notre-Seigneur Jésus-Ciirist
deux volontés naturelles et deux opérations naturelles distinctes,
qui ne sauraient être ni divisées, ni transformées l'une en l'autre,
ni séparées ni confondues '. — Tel est l'enseignement qui ressort
de la Sainte Écriture et de la Tradition; telle est la vérité que la
sainte Église notre mère nous propose à croire. Tel est notre
divin Sauveur, l'Homme-Dieu présent par amour pour nous, au
Très Saint Sacrement de l'autel.
C'est ici le lieu de dire quelques mots de ce que les théologiens
ont appelé la communication des idiomes, communication qui
résulte nécessairement de l'union hypostatique des.deux natures en
Notre-Seigneur Jésus-Christ 2,
1. Unum eumdemque Christum Filium Dei unigenitum, in duabus naturis
inconfuse, inconvertibiliter, inseparabiliter, indivise cognoscendum ; nusquam
extincta harum naturarum differentia, propter unionem, salvataque magis
proprietate utriusque naturse, et in unam personam, et in unam subsistan-
tiam concurrente, non in duas personas partitum vel divisum, sed unum
eumdemque unigenitum Filium, Deum, Verbum, Dominum Jesum Christum;
juxta quod olim Prophetae de eo, et ipse nos Dominus Jésus Christus erudivit,
et sanctorum Patrum nobis tradidit Symbolum; et duas naturales voluntates
in 60, et duas naturales operationes, indivise, inconvertibiliter, inseparabili-
ter, inconfuse, secundum SS. Patrum doctrinam, prsedicandas. [Concil. VI
gênerai., action, xviii.)
2 Ceux qui voudront étudier cette intéressante matière plus à fond consul-
teront avec fruit S. Thomas et ses principaux commentateurs, le cardinal
Franzelin, Tractatus de Vcrbo incaniato, etjles grands théologiens. Voici sur
ce sujet une page de D. Mayer, dans le Dictionnaire encyclopédique de la
théologie catholique :
« Le Christ s'attribua des propriétés et des actions divines, même lorsqu'il
se désigna positivement comme homme : « Personne ne monte au ciel que
« celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. »
D'un autre côté, il dit de lui-même, en tant que Fils de Dieu, des choses qui
ne peuvent être attribuées qu'à sa nature humaine : « Dieu a tellement aimé
« le monde qu'il a livré son Fils unique. » Les apôtres parlent de même :
« Vous avez mis à mort l'auteur de la vie. » « Le Christ descend des patriar-
« ches selon la chair : il est au-dessus de tous, Dieu béni dans l'éternité. »
« C'est ainsi que, héritiers du langage des apôtres, comme de leur doctrine,
les plus anciens écrivains du christianisme, par exemple Clément, parlent
« des souffrances de Dieu, » et disent : « Cet homme est le Créateur et le
« Dieu souverain. » Mais jamais une propriété de la nature divine n'est attri-
baée à la nature humaine comme telle; jamais une propriété quelconque de
l'être humain n'est attribuée à la nature divine en tant que divine. Jamais, ni
dans l'Écriture ni dans les Pères, il n'est dit que l'humanité est éternelle ou
410 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. VIII.
Le même et unique Jésus-Christ est Dieu parfait, et il est homme
parlait.
On peut donc affirmer de lui tout ce qui lui convient comme
Fils do Dieu. On peut dire, par exemple, qu'il est immense,
éternel, infini, qu'il a créé le ciel et la terre.
On peut de même affirmer de lui qu'il est né de la Vierge
Marie, qu'il a été passible, qu'il est mort, qu'il est ressuscité.
On i)eut dire encore que l'une des trois personnes de l'adorable
Trinité, Dieu comme les deux autres personnes, a un corps et une
àme comme les nôtres et s'est faite en tout semblable à nous, le
péché excepté, en un mot, que cette adorable personne est
homme.
On peut dire enfin qu'un homme est véritablement Dieu et pos-
sède tous les attributs de la divinité.
En elTet, toutes ces affirmations tombent sur la personne même
du Fils de Dieu fait homme, et parce qu'elles conviennent soit à
l'une, soit à l'autre de ses deux natures, elles conviennent à son
adorable personne, malgré la contradiction qu'elles semblent im-
pliquer; car rien ne parait plus contradictoire au premier abord
que cette proposition : Un même être est éternel et mortel, fini et
infini.
Mais s'il était question non pas de la personne de Notre-Seigneur,
mais de ses deux natures, il n'en serait plus de même. Chacune
d'elles conserve pour elle seule les attributs qui lui sont propres^
sans confusion ni mélange. En la personne de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, la divinité n'est pas l'humanité, ni l'humanité la
divinité; la divinité n'est pas mortelle et finie, ni l'humanité éter-
nelle et immense. Si donc l'on doit reconnaître que le Fils de
Dieu est véritablement homme comme il est véritablement Dieu, il
n'est cependant pas permis de dire que, même en lui, l'humanité
soit la divinité.
Si Nestorius autrefois, et Luther dans des temps plus rapprochés
de nous, avaient bien compris cette distinction élémentaire entre
toute présente dans le Christ, ou que la Divinité a souffert. Comme l'a remar-
qué déjà le plus ancien dogmatisle, Jean Damascène, les attributs d'une na-
ture ne sont échangés contre ceux d'une autre nature qu'en vertu de l'iden-
tité de la personne, et en vertu des rapports vivants et réciproques qui en
résultent. Les attributs et les fonctions de l'homme sont prêtés au PMls de
Dieu, ceux de Dieu au fils de l'homme, mais seulement dans la personne du
Christ. C'est là la communication des idiomes. »
L'NITÉ DE LA PERSONNE ET DISTINCTION DES DEUX NATURES EN J.-C. 417
les attributs de la nature divine et de la nature humaine en Notre-
Seigneur, dans l'unité de sa personne adorable, ils eussent évité,
le premier, d'imaginer deux personnes dans le Fils de Dieu fait
homme, et le second, d'attribuer à son humanité l'ubiquité ou
l'immensité qui ne convient qu'à sa divinité seule.
Cette doctrine ressort trop clairement de ce qui a été dit jus-
qu'ici pour qu'on s'arrête à l'établir par de nouvelles preuves, que
l'on trouve avec abondance dans les écrits des Pères et les actes
des conciles, mais qu'il serait trop long et peu utile de donner ici ^.
Qu'on nous permette de reproduire ici une magnifique page de
Bossuet. Elle résume admirablement et complète ce que nous avons
dit des deux natures qui sont en Jésus-Christ dans l'unité d'une
seule personne, la personne du Fils de Dieu fait homme -.
« Je frémis, je sèche, Seigneur, je suis saisi de frayeur et d'é-
tonnement; mon cœur se pâme, se flétrit quand je vous vois en
butte aux contradictions, non seulement des infidèles, mais encore
de ceux qui se disent vos disciples. Et premièrement quelles con-
tradictions sur votre personne! Vous êtes tellement Dieu, qu'on
ne peut croire que vous soyez homme ; vous êtes tellement homme,
qu'on ne peut croire que vous soyez Dieu. Les uns ont dit : « Le
Verbe est en Dieu ; » mais ce n'est rien de substantiel ni de sub-
sistant : il est en Dieu comme notre pensée est en nous ; en ce
sens, il est Dieu comme notre pensée est notre âme : car qu'est-ce
que la pensée, sinon notre âme en tant qu'elle pense? Non, disent
les autres; on voit trop que le Verbe est quelque chose qui sub-
1. Vide Petavium, lib. IV de Incarnat., cap. xv et xvi.
Voici cependant quelques lignes de Vigile, évêque de Tapse en Afrique, au
ve siècle, remarquables par leur netteté :
<< Ergo unus atque idem et aequalis est Patri secundum deitatem, et inferior
est Pâtre secundum humanitatis naturam : atque ita nec initium liabet, quia
Deusest; et habet initium, quia idem Deus homo est. Si ergo me interroges,
utrum Christus habeat initium, an non habeat; respondebo tibi : Et habet et
non habet. Habet secundum humanitatem suam ; non habet secundum divi-
nitatem suam. Cum dico, habet vel non habet, ad personœ pertinet unionem :
cum dico secundum divinitatem et secundum humanitatem, ad naturarum
pertinet proprietatem.... Constat et divinitatem humanitatis, et humanitatem
divinitatis habere vocabulum; id est, Verbum dici carnem, et carnem dici
Verbum : non quia in se utrumque mutatum sit, sed quia utrumque una per-
sona, id est unus Christus sit. Et ideo recte credimus et pnedicamus cum
Apostolo, Deum crucifixum et mortuum in humana natura, quse ex uniti
Verbi consortio, deitatis possidct nomen. (Vicii,. episc, lib. II et IV adversus
JVestorium et Eutijchetem.)
2. BossuET, Elévations sur tes mystères, XVIII' semaine, xiv* élév.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 27
418 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. VIII.
siste : c'est un fils; c'est une personne : qui ne le voit pas par
toutes les actions et toutes les choses qu'on lui attribue? Mais aussi
ne doit-on pas croire que cet homme qui est né de Marie, sans être
rien autre chose, est cette personne qu'on nomme le Fils de Dieu.
Quoi, il n'est pas devant Marie, lui qui dit qu'il est devant
Abraham f lui qui était au commencement? Vous vous trompez ;
il est évident, dit Arius, qu'il est devant que le monde fût : c'est
dès lors une personne subsistante, mais inférieure à Dieu, faite
du néant comme le sont les créatures, quoique plus excellente.
Tiré du néant? Gela ne se peut : lui par qui tout a été tiré du
néant. Gomment donc est-il fils? Un fils n'est-il pas produit de la
substance de son Tère et de même nature que lui ? Le Fils de Dieu
sera-t-il moins fils, et Dieu sera-t-il moins père que les hommes ne
le sont? Il serait donc fils par adoption comme nous? Et comment
avec cela être le Fils unique qui est dans le sein du Père ?
€ Arius, vous avez tort, dit Nestorius : le Fils de Dieu est Dieu
comme lui; mais aussi ne peut-il pas en même temps être fait
homme. Il habite en l'homme comme Dieu habite dans un temple
par sa prAce; et si le Fils de Dieu est fils par nature, l'homme qu'il
s'est uni par sa grâce ne l'est que par adoption.
« On s'oppose à cette perverse doctrine; on dit à Nestorius :
Vous séparez trop; il faut unir jusqu'à tout confondre, et faire
de deux natures une nature. Hélas! quand finiront ces conten-
tions? Pouvez-vous croire, disent ceux-ci, qu'un Dieu puisse en
effet se rabaisser jusqu'à être effectivement homme? La chair
n'est pas digne de lui ; il n'en a point, si ce n'est une fantastique
et imaginaire. Imaginaire? dit l'autre; et comment donc a-t-on
dit : Le Verbe a été fait chair, en définissant l'incarnation
par l'endroit que vous rebutez? Il a une chair, et l'incarnation
n'est pas une tromperie. Mais le Verbe lui tient lieu d'âme, ou
bien si vous voulez lui donner une ûme, donnons-lui celle des
bêtes quelle qu'elle soit; mais ne lui donnons pas celle des
hommes. Le Verbe est son âme, encore un coup; ou du moins
il est son intelligence, il veut par sa volonté, et il ne peut en
avoir d'autre. Est-ce tout enfin? Oui, c'est tout. Car on a tout
contesté, le corps, l'âme, les opérations intellectuelles, et toutes
les contradictions sont épuisées. Jésus est donc en butte aux
contradictions de ceux qui se disent ses disciples. Gar, disent-ils,
le moyen de comprendre cela et cela? Mais Jésus avait prévenu les
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eDCHARISTIE. 419
contradictions par une seule parole : Dieu a tant aimé le monde,
qu'il lui a donné son Fils unique. »
« Pour tout entendre, il ne faut qu'entendre son amour : Dieu
a tant aimé le monde! Un amour incompréhensible produit des
effets qui le sont aussi. Vous demandez des pourquoi à Dieu?
Pourquoi un Dieu se faire homme? Jésus-Ghristvous dit ce pourquoi :
Dieu a tant aimé le monde. Tenez-vous-en là ; les hommes ingrats
ne veulent pas croire que Dieu lesaime autant qu'il fait. Mais le dis-
ciple bien-aimé résout leurs doutes, en disant : <r Nous avons cru
« à l'amour que Dieu a pour nous. » Dieu a tant aimé le monde;
et que reste-t-il après cela, sinon de croire à l'amour, pour croire à
tous les mystères ?
« Espritsaussi insensibles à l'amour divin, que vous êtes d'ailleurs
présomptueux! le mystère de l'Eucharistie vous rebute? Pourquoi
nous donner sa chair et s'unir à nous corps à corps, pour s'y unir
esprit à esprit? Dieu a tant aimé le monde, dit Jésus; et S. Jean
répond pour nous tous : « Nous avons cru à l'amour que Dieu a
« pour nous. » Mais il est incompréhensible? Et c'est pour cela que
je veux le croire, et m'y abîmer : il n'en est pas de plus digne de
Dieu. Après cela il ne faut plus disputer, mais aimer; etaprès que
Jésus a dit : Dieu a tant aimé le monde, il ne faudrait plus que
dire : Le monde racheté a tant aimé Dieu ! w
CHAPITRE IX
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS JÉSUS-CHRIST,
L'HOMME-DIEU PRÉSENT POUR NOUS AU TRÈS SAINT SACREMENT
I. Jésus- Christ, notre Dieu et notre modèle dans l'Eucharistie, est en même temps
notre Rédempteur. — II. Il est notre Sauveur. — III. Il est notre Médiateur et notre
Avocat. — IV. Il est notre Roi et notre Chef. — V. Il est notre Juge.
I.
JÉSUS-CHRIST, NOTRE DIEU ET NOTRE MODÈLE DANS l'eUCHARISTIE,
EST EN MÊME TEMPS NOTRE RÉDEMPTEUR
Les limites que nous nous sommes tracées ne nous permettent
pas d'exposeravec plus d'ampleur lesenseignements de la théologie,
sur ce que le Fils de Dieu fait homme est en lui-même, comme
420 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
Dieu, comme homme et comme Homme-Dieu. Mais le peu que nous
avons dit sur un sujet si vaste sulïitpour déterminer toute volonté
droite à servir avec un zèle et une persévérance qui ne se lassent
pas, c'est-à-dire avec une sincère et ardente dévotion, ce Jésus, qui,
voilé sous les espères sacramentelles, n'en est pas moins l'infini
lui-même, liypostatiquement uni à une nature créée, sinon égale
à lui, au moins digne de lui, autant que le fini peut l'être.
Mais il convient de voir aussi ce que le Dieu de l'Eucharistie
est pour nous. Notre amour pour lui et notre dévotion qui suit
nécessairement l'amour, y trouveront des motifs de s'accroître i.
En mémo temps nous comprendrons mieux ce qu'il attend des
âmes réellement dévouées à son service.
Disons d'abord que Notre-Seigneur Jésus-Christ demande de
nous, avant toute chose, l'imitation de ses vertus. Il n'y a pas de
véritable dévotion envers la Sainte Eucharistie sans des efforts
sérieux et persévérants pour devenir semblable au divin modèle
qui s'offre à nous dans le Très Saint Sacrement. Dieu a créé
l'homme à son image et à sa ressemblance. Le péché a défiguré
en nous cette image, et c'est pour la réparer, pour lui rendre sa
beauté première et y ajouter un éclat nouveau, que le Verbe s'est
fait chair, qu'il a habité parmi nous, qu'il a souffert et qu'il est
mort pour nous sur la croix; c'est pour qu'il nous soit possible et
facile de profiter de sa vie sur la terre, de sa mort et de sa passion,
de tout ce qu'il nous veut de bien comme homme et comme Dieu,
qu'il a institué le sacrement adorable de l'Eucharistie. Nous n'avions
pas de modèle pour reformer en nous la divine image : « L'homme
« que l'on pouvait voir, dit S. Augustin, ne pouvait être imité sûre-
« ment, parce qu'il pouvait errer. Dieu qu'il aurait fallu imiter était
« invisible pour nous. Afin donc que l'homme possédât un modèle
« qu'il pût imiter, et qui fût visible, Dieu s'est fait homme 2. »
\ . Dans le troisième volume de ce même ouvrage, nous avons consacré les
chapitres iv et v à présenter Jésus-Christ dans l'Eucharistie comme notre
Sauveur, notre Chef, notre Pasteur, V Homme-Dieu, à qui nous devons tout.
Ces titres de Notre-Seigneur au culte liturgique sont aussi des titres à la dé-
votion et au culte individuel. Nous y renvoyons le lecteur; mais nous ne lais-
sons pas d'en traiter ici de nouveau, à un autre point de vue, et avec des
développements différents.
2. Homo, qui videri poterat, hominibus imitandus non erat, quia errare
poterat; Deus qui imitandus erat, non poterat videri. Ut ergo haberet homo
exemplum, quod imitaretur, et quidem visibile, Deus factus est homo. (S. Au-
OOST., in quodam serm. de Nativ. Dom.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eDCHARISTIE. 421
Qui n'admirerait cette infinie miséricorde de notre Dieu? Parce
que l'homme ne peut voir que les exemples qui lui sont donnés
dans la chair, l'Esprit infiniment pur, celui dont le trône est placé
au-dessus de tous les chœurs des anges se fait chair et, devenu
homme, il vit au milieu des hommes. Et lorsque le temps de re-
monter dans son céleste royaume est venu, il trouve le secret de
demeurer encore au milieu de nous, pour nous donner de nouveaux
exemples, et pour que sa présence ne nous permette pas d'oublier
ceux qu'il nous a laissés en achevant sa vie mortelle. Mais parce
qu'il n'aurait pas suffi que Jésus-Christ rendît aimable à nos yeux,
par ses exemples, la vertu qui déjà est belle par elle-même, sans
gagner pour cela les cœurs de bien des hommes, lorsqu'elle est
difficile à pratiquer, ce divin Sauveur a daigné marcher lui-même
par les voies difficiles pour nous entraîner à sa suite. On l'a vu
pendant sa vie mortelle, et on le voit encore, dans le sacrement de
son amour, pratiquer l'humilité en supportant les opprobres ; la
patience en acceptant les injures et les douleurs ; la mortification
de la chair en endurant la fatigue, la faim, la soif, toutes les pri-
vations qu'impose la pauvreté ; l'obéissance en se soumettant aux
hommes; la charité en faisant du bien à tous, même à ses ennemis.
Il était Dieu, et, comme dit S. Paul, « il s'est anéanti lui-même,
« prenant la forme d'esclave, ayant été fait semblable aux hommes,
« et reconnu pour homme par les dehors. Il s'est humilie lui-même,
« s'étant fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix K »
S. Paul avait dit d'abord : « Ayez en vous les sentiments qu'avait
« le Christ 2. » C'est donc parce qu'il est Dieu, parce qu'étant Dieu
il s'est fait homme, parce que s'étant fait homme il a enduré toutes
sortes d'humiliations et de souffrances pour nous, afin de nous
racheter et de nous servir de modèle, que S. Paul nous conjure
d'imiter Jésus-Christ. Qui pourrait refuser d'imiter de tout son
pouvoir des exemples que Dieu lui-même a daigné nous donner,
à un tel prix, pour apprendre comment il faut pratiquer la vertu
€t restituer en nous-même la divine image, dont la malice de
Satan avait corrompu tous les traits?
1. Qui, cum in forma Dei esset.... semetipsum exinanivit, formam servi
accipiens, in similitudinem hominum factus, et habitu invenlus ut homo.
Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem
crucis. [Philipp., 11, 0-8.)
2. Hoc sentite in vobis quod et in Cbristo Jesu. [Id., 11, îi.)
422 L.\ SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
On peut dire, d'ailleurs, que ce n'était pas trop des exemples
donnés par Dieu lui-même, revêtu de la nature humaine, pour
faire contrepoids aux exemples sans nombre de scélératesse et de
crimes de toutes sortes, dont la terre entière était affreusement
souillée. Les faux dieux que l'on adorait étaient des monstres de
vices, inventés par une imagination en délire; les grands delà
terre n'imitaient que trop ce qu'ils attribuaient à leurs dieux, et la
foule suivait les grands, dans la voie facile de la corruption. Si
parfois un homme donnait l'exemple de quelque vertu, cet exem-
ple était une goutte d'eau jetée dans un brasier, et ne pouvait
l'éteindre. 11 fallait les exemples de Dieu lui-même, et il les faut
encore, parce que la nature humaine porte toujours avec elle son
inclination au mal. Et c'est pour cela que Jésus-Christ s'est donné
à nous comme notre Dieu et notre modèle ; c'est pour cela qu'il ne
cesse point, dans son adorable Sacrement, de nous rappeler ses
anciens exemples, et de nous les prodiguer de nouveau. Dieu fai-
sait entendre autrefois par la bouche d'Isaïe cette plainte doulou-
reuse : « C'est dans le vide que j'ai travaillé, c'est sans motif et
« vainement que j'ai consumé ma force sans fruit K » C'est la
parole qu'il pourrait adresser aujourd'hui à tant de chrétiens, qui
n'imitent pas les exemples donnés par son divin Fils, pendant sa
vie mortelle, et qui ne tirent aucun fruit de tant d'humiliations, de
tant de souffrances endurées par un Dieu, pour leur enseigner la
pratique de la vertu, le chemin de la paix ici-bas et du bonheur
pour la vie future. Ce n'est pas là répondre dignement aux avances
que Dieu nous a faites ; ce n'est pas lui rendre le culte de dévotion
que méritent tant de bontés ; ce n'est pas honorer comme il con-
vient, et comme il est juste de le faire, ce Dieu présent pour nous
au Très Saint Sacrement.
Un autre titre de Notre-Seigneur Jésus-Christ à la dévotion des
fidèles, c'est qu'il est notre Rédempteur. Celui que nous adorons
sous les Espèces eucharistiques nous a rachetés, et c'est pour nous
appliquer, de la manière la plus utile, les mérites de la rédemption
opérée par lui au prix de son sang, qu'il a daigné instituer cet
adorable sacrement.
Lorsque Dieu créa l'homme, il lui donna l'intégrité de la nature
humaine, une santé parfaite et une volonté soumise et obéissante
1. In vacuuin laboravi, sine causa, et vane fortitudinem meam consumpsi.
(/«., XLIX.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 423
à son Créateur; il lui donna de plus sa grâce. L'homme apparte-
nait donc tout entier à Dieu, dans l'ordre naturel et dans l'ordre
surnaturel, parce qu'il était tout entier la créature de Dieu ; il lui
appartenait aussi parce qu'il se soumettait librement à son divin
Maître et obéissait à sa volonté. Il n'avait pas d'autre maître que
Dieu, mais il appartenait à Dieu et lui appartenait exclusivement;
ni le péché, ni la souffrance, ni aucune créature n'avaient de droit
sur lui.
Adam n'avait pas reçu pour lui seul la perfection de cet heureux
état ; il devait nous la transmettre et elle nous avait été donnée en
sa personne. S'il l'avait conservée, Dieu l'aurait communiquée à
tous ses descendants et tous les hommes eussent appartenu au Sei-
gneur sans partage, selon la nature et selon la grâce. Mais par son
péché il tomba sous l'empire du démon; il devint la proie de la
mort, des passions, des misères de cette vie, de la malédiction et
de la damnation éternelle. C'est l'héritage qu'il nous a transmis au
lieu de celui que Dieu nous avait destiné. Nous naissons enfants
de colère, étrangers au ciel, esclaves de Satan, coupables d'une
faute qui ne nous est pas personnelle, il est vrai, mais qui ne nous
rend pas moins indignes d'entrer jamais dans le séjour de l'éternel
bonheur. Dieu est encore le maître absolu des hommes, comme
il l'est de toute créature ; il peut faire d'eux tout ce qu'il veut, mais
l'homme a rejeté autant qu'il l'a pu son autorité souveraine ; il a
usé de sa volonté libre, non plus pour se soumettre à son Créa-
teur dont la bonté pour lui s'était montrée si libérale, mais pour
se révolter contre sa loi et se faire l'esclave du démon qui Ta en-
traîné au mal ; car, selon la parole de S. Pierre : « On est esclave
« de celui par qui on a été vaincu : » A quo quis superatus est
hujus et servus est K
Tous les hommes sont donc devenus les esclaves du démon par
le péché d'Adam, et presque tous ont aggravé le poids de leurs
chaînes, par leurs propres péchés, de sorte que le démon est bien
« le prince de ce monde, » princeps Iiujus miindi '^, comme l'ap-
pelle le Seigneur lui-même, prince dont le joug cruel ne pouvait
être brisé et dont nul homme ne pouvait être exempt : il fallait,
pour délivrer l'homme de cet odieux esclavage, la main du Tout-
Puissant lui-même.
\. II. Ih'tr., II, 19.— ± Joann., \\\, 31.
424 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. IX.
L'homme qui s'était volontairement plongé dans un abîme de
maux, en se donnant le maître cruel dont il était l'esclave, ne mé-
ritait pas que Dieu lui fit la grâce de le rendre à la liberté et au
bonheur; mais il convenait à la divine sagesse de lui venir en
aide. L'homme avait été créé pour servir Dieu et procurer sa gloire :
pourquoi le plan du Créateur aurait-il avorté? Pourquoi le souve-
rain Maître de toutes choses aurait-il été privé de la gloire qu'il
avait voulue et qu'il s'était préparée? C'est la question que lui
adresse le Psalmiste : « Est-ce en vain que vous avez créé tous les
« fils des honmies? » Numquid enini vane cons'tituisti omnes
fi/ios hommum '? Et convenait-il à l'infinie miséricorde de Dieu
de laisser l'homme éternellement privé du bonheur éternel, pour
lequel il avait été fait, à cause de la malice du démon -?
Était-il admissible que le démon atteignît son but, qui était de
faire partager à l'homme son éternelle damnation, et que Dieu fût
frustré du sien, qui était de rendre l'homme éternellement heu-
reux 3?
Dieu résolut donc, dans sa souveraine sagesse, de réparer le
mal causé à la nature liumaine par la faute du premier homme.
Il aurait pu le faire par le ministère d'un ange ou par tout autre
moyen; mais ni les besoins de l'homme ni la bonté de Dieu, non
plus que sa justice, n'eussent reçu ainsi satisfaction complète.
L'offense, en s'attaquant à Dieu lui-même, revêtait un caractère
d'infinité; par là même, elle exigeait une réparation infinie; de
plus, les péchés ajoutés par les descendants d'Adam au péché ori-
ginel s'accumulaient sans cesse. Quelle créature eût jamais pu,
par ses propres mérites, payer de telles dettes et obtenir pour
l'homme, non seulement l'oubli des fautes passées, mais la grâce
1. Ps. Lxx.wiii, 48.
2. Indi^'num erat bonitatc Dei, si quae ab ipso creata essent, in interitum
abirent ob diaboli adversus homines fraudem. Quin imo indecentissimum
eral, Dei arlcin hominibus cxtingui, vel per ipsorum incuriam, vei per dae-
monis imposturam. (S. Atmanas., lib. de IncariKitione Yerbi.)
3. Qui Kioriabalur diabolus hominem sua fraude deceptum, divinis ca-
ruisse inuneribus et ininiortalitatis dote nudatum, duram mortis subiisse sen-
tentiain, soque in maliliis (juoddanri de prœvaricatoris consortio invenisse
solatium : Deum quoque juste, severitatis exigente ratioiic, erga hominem,
quem in tanto honore condiderat, antiquam mutasse sententiam : opus fuit
secreti dispositione consiHi, ut incommutabiUs Deus (cujus voluntas non po-
test sua benignitate privari) primam suœ pietatis disposilionem, sacramento
occultioro compleret, et homo diaboiicae iniquitatis versutia actus in culpam,
conlra I)ci proposilum non periret. (S. Léo, .serm. I de Nativit. Dom.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 425
■de marcher dans la voie du salut, et d'entrer en possession du
royaume des cieux? S. Anselme ajoute que si quelque créature
avait reçu de Dieu la mission de racheter les hommes, cette créa-
ture serait devenue pour les hommes autant, sinon plus que Dieu
lui-même, car le bienfait de la rédemption l'emporte sur celui de
la création '. De plus, la nature humaine ainsi rachetée eût été
profondément abaissée. Destinée à partager au ciel le bonheur et la
gloire des anges, les hommes, rachetés par l'un de ces esprits
bienheureux, eussent paru n'être pas dignes que Dieu lui-même
s'occupât d'eux, puisqu'il confiait à une créature l'acte le plus
important qui pût les concerner 2. « S'il en avait été ainsi, dit
-n encore S. Anselme, l'homme n'aurait été nullement rétabli dans
« la dignité qu'il aurait possédée, supposé qu'il n'eût point
< péché 3. » Et c'est pourquoi Dieu s'est fait homme afin de
racheter les hommes. Le Verbe divin s'est revêtu de notre nature.
Homme, il a pu souffrir et expier pour les hommes ; Dieu, il a
donné à ses souffrances un prix infini. David l'avait annoncé par
€es paroles : « Dans le Seigneur est la miséricorde, et en lui une
« abondante rédemption ; et c'est lui-même qui rachètera Israël de
« toutes ses iniquités ^. »
En rachetant lui-même les hommes, le Fils de Dieu a satisfait tout
à la fois à la miséricorde et à la justice divines. Nous ne méritions
à aucun titre un si grand bienfait : au contraire, tout nous en ren-
1. Non potuit Deus aliquem legatum dirigere qui genus humanum redime-
ret, et vice illius adversus hostem antiquum posset confligere? Poluit plane si
•vellet. Verumtamen œquissimus Jiidex noluit quicquam irrationabiliter agere,
sed discretissimo valde consilio, in uno voluit generi humano clementer sub-
venire, et in altero, velut potens pro impotente, daemoni, qui jure dominaba-
tur homini, pro liomine curavit légitime satisfacere; non enim poterat tam
optimum, tamque conveniens aliud reperiri consilium. Quod ob id rêvera
intelligimus, quoniam sic summge Deitati placuisse cognoscimus, quod non
angélus mitti debuit. (S. Anselm., lib. Cur Deus homo, cap. vi.)
2. Fuit et aliud equidem, etsi merito posset, pro quo ad hominum redemp-
tionem mitti non debuit Angélus. Quoniam qui aliquem redimit, quasi jure
illius obsequium exigit, et se velut dominum ipsius merito vult recognosci.
Esset autem valde inconveniens, ut honor qui Creatori soli dcbetur, a crea-
tura creaturae exhiberetur. Et sic homo, qui ad «qualitatem angelorum dedu-
cendus erat, quasi ab omni honore et divinilatis cognitione alienus, valde
inferior angelis, velut non Deo dignus invenirctur. (li)., ibid.)
3. Quod si esset, nullatenus homo restaura tus esset in illam dignitatem,
quam habiturus erat, si non peccasset. (Id., ihid.)
4. Quia apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio. Et
ipse redimet Israël ex omnibus iniquilalibus ejus. [Ps. cxxix, 7, 8.)
426 LA SAINTE EUCHARISTir. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
dait profondément indignes, aussi bien nos propres péchés que la
désobéissance du chef de notre race. Ce fut donc par pure misé-
ricorde que le Père éternel promit d'abord aux hommes qu'il leur
donnerait un rédempteur; par pure miséricorde qu'il annonça
que ce rédempteur serait son propre Fils. Rien ne l'obligeait à cet
acte de miséricorde infinie, mais il voulut s'y engager par une
promesse solennelle. Il fit cette promesse à Adam ; il la renouvela
aux patriarches, à David et à tout le peuple d'Israël, ou plutôt à
l'humanité tout entière, par la bouche des prophètes; et quand
les temps furent accomplis, il exécuta sa promesse, selon la parole
de S. Paul : « Mais lorsqu'est venue la plénitude du temps, Dieu a
« envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi, pour
« racheter ceux qui étaient sous la Loi, pour que nous reçussions
« l'adoption des enfants i. » Le Fils de Dieu devenu Fils de
l'homme paya nos dettes; il nous délivra de nos péchés et de la
malédiction qui entraînait pour nous la damnation éternelle; il
nous procura la grâce, d'un prix infini, d'être comptés au nombre
des enfants de Dieu, si nous le voulons.
Ce fut encore un acte de la miséricorde infinie de Dieu d'ins-
pirer à la très sainte âme de son divin Fils, dès l'instant même
de l'incarnation, un désir ardent, une volonté inébranlable de
satisfaire, de souffrir, de mourir pour les hommes, et de leur
laisser, après l'accomplissement de l'œuvre de la rédemption, le
Sacrement adorable qui lui permet de demeurer au milieu d'eux,
tout en occupant son trône à la droite du Père céleste dans la gloire
du ciel. C'est ce qui fait dire à S. Paul : « Nous étions par nature
« enfants de colère, comme tous les autres; mais Dieu, qui est
« riche en miséricorde, par le grand amour dont il nous a aimés,
« et lorsque nous étions morts par les péchés, nous a vivifiés
« dans le Christ (par la grâce duquel vous êtes sauvés), nous a
« ressuscites avec lui et nous a fait asseoir dans les cieux avec
« Jésus-Christ -. »
h. At ubi venit plénitude temporis, misit Deus Filium suum, factum ex
muliere, factum sub lege : ut eos qui sub lege erant, redimeret, ut adoptio-
nem filiorum reciperemus. [Gulat., iv, -4, ÎJ.)
2. Et cramus natura filii irœ, sicut et caeteri : Deus autem qui dives est in
misericordia, propter nimiarn charitatem suam, qua dilexit nos, et cum esse-
mus mortui peccatis, convivificavit nos in Christo (cujus gratia estis salvati),
et conresusfitavit et consedere fecit in cœlestibus in Christo Jesu. [Ephes.^
Il, S-O.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 427
C'est donc à la miséricorde du Père éternel, c'est à la miséri-
corde du Verbe incarné, c'est à la miséricorde et à l'amour pour
nous de son humanité sainte que nous devons, non seulement la
délivrance du joug de Satan et de la dette énorme de nos péchés,
mais le titre d'enfants de Dieu, et le trône qui nous attend dans
le royaume de notre Père. Et ce Dieu infiniment miséricordieux,
qui nous aime jusqu'à l'infini, est là sur nos autels dans nos
tabernacles ; il nous invite à sa table, et l'aliment qu'il nous donne,
c'est lui-même pour la vie de notre àme.
La justice ne brille pas moins que la miséricorde dans l'œuvre
de la rédemption accomplie par notre divin Jésus.
Dieu, pour pardonner à l'homme et lui rendre, même avec
usure, tous les privilèges dont sa nature avait été dépouillée par
la désobéissance d'Adam, pouvait se contenter d'une satisfaction
incomplète; il pouvait même n'en exiger aucune. Mais s'il avait
manifesté de cette manière sa libéralité infinie, outre les inconvé-
nients qui auraient pu en résulter, sa justice n'eût pas été satis-
faite. Il ne voulut donc pas que la faute originelle, non plus que
les autres péchés des hommes, fût remise sans une réparation
proportionnée à la gravité de l'oflense. La rançon de l'humanité
devait être d'une valeur infinie comme la majesté du Dieu que
l'homme avait outragé. Le Fils de Dieu, Dieu comme le Père et
intéressé comme lui à sauvegarder les droits de la justice divine,
s'offrit pour payer cette dette énorme dans toute son intégrité.
Incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie et devenu
fils d'Adam sans cesser d'être Dieu, il possédait tout ce qui était
nécessaire pour accomplir la mission que son Père lui avait
confiée. La dignité de sa personne divine conférait à chacun de ses
actes, à chacune même de ses paroles ou de ses pensées comme
homme, une valeur infinie; la moindre de ses œuvres aurait suffi
pour le salut du monde entier.
Ce qu'il offrait, ce qu'il donnait à la justice divine pour notre
rédemption était bien à lui et de lui. Les créatures n'ont rien
qu'elles ne tiennent de Dieu ; elles ne peuvent rien faire que par
lui et moyennant son aide ; ou plutôt c'est Dieu qui agit en elles.
Pour notre divin Sauveur, ce qu'il a fait, ce qu'il a livré à la jus-
tice divine comme prix de notre rédemption était bien à lui et de
lui ; car il est Dieu ; tout ce qu'était, tout ce que faisait, tout ce que
souflVait son humanité sainte, hypostatiquement unie au Verbe
458 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
divin, appartenait réellement à cette adorable personne, tout était
divin, même les actes les plus ordinaires de la nature humaine,
car ils étaient les actes d'un Dieu fait homme. Il les accomplissait
librement comme homme, mais, en même temps, comme Dieu, il
leur attachait une valeur infinie. C'était donc avec ses propres
biens que Notre-Seigneur Jésus-Christ payait notre rançon et nos
dettes immenses, mais ses richesses étaient telles qu'il satisfaisait
pleinement à la justice divine, et qu'il donnait infiniment plus
qu'il ne devait pour nous. Personnellement, il n'avait aucune dette
à payer à la justice de Dieu K II est vrai que son humanité sainte
avait reçu plus de grâces à elle seule que toutes les autres créa-
tures ensemble ; mais ces grâces ne créaient qu'un devoir de
reconnaissance et d'amour, et c'était envers sa propre personne
queleFilsdeDieufait homme était tenu, comme homme, d'accom-
plir ce devoir. Rien ne s'opposait donc à ce que tous ses mérites nous
fussent appliqués et servissent à l'œuvre de notre rédemption. Ilsne
pouvaient pas ne pas être acceptés, puisque le créancier et le
débiteur ne faisaient qu'un; car si le Fils de Dieu n'est pas à lui
seul les trois personnes de la Très Sainte Trinité, il est néanmoins
tout ce Dieu que sont ensemble ces trois adorables personnes, et
c'était à Dieu qu'il s'était chargé de payer notre dette. Et, comme
personnes distinctes, le Père et le Saint-Esprit pouvaient-ils
refuser d'accepter ce que le Fils, leur égal en tout, l'objet de leur
amour infini, leur ofi'rait pour le rachat de l'homme? Sa dignité
divine s'opposait à une telle fin de non-recevoir, selon la parole
de S. Paul : « Dans les jours de sa chair, ayant offert avec larmes
« et grands cris des prières et des supplications à celui qui pou-
« vait le sauver de la mort, il a été exaucé pour son respect 2 »,
1. Impossibile erat hominem resUtui, nisi omni percepta peccatoruin re-
missione, quae non fit nisi praecedente intégra satisfactione; quam satisfactio-
nem talem oportet esse, ut peccator, aut aliquis pro illo det aliquid Deo de
suo, quod del)ituni non sit, quod superet oinne quod Deus non est. Quod quo-
niam a nalura sola non liabebat, cani in suam personam assumpsit Filius
Dei, ut in ea persona esset homo Deus, qui haberetquod superaret non solum
oninem essentiam, quae Deus non est, sed et omne debitum quod solvere
peccatores debenl, et hoc cum nihil pro se deheret, solveret pro aliis, qui
quod debebant, reddere non habebant. (S. Anselm., in Méditât. liedempl.,
cap. m.)
2. Qui in diebus carnis suse, preces supplicationesque ad eum, qui possit
lUura salvurn facere a morte, cum clamore valido et lachrymis oiferens, exau-
ditus est })i .) sua reverenlia. [Hebr., v, 7.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS L'eUCHARISTIE. 429
c'est-à-dire à cause du respect, de la vénération qui lui est due,
parce qu'il est Dieu.
C'est ainsi que, dans le mystère de la Rédemption, la miséri-
corde et la justice divine se sont unies pour arriver au même but.
Les droits de l'une n'ont pas été lésés par l'action de l'autre, mais
Tune et l'autre ont été exaltées par cet embrassement. La miséri-
corde a rendu gloire à la justice, parce qu'elle a trouvé le moyen
de satisfaire en rigueur de justice pour les iniquités des hommes ;
et la justice a rendu gloire à la miséricorde, parce que non seule-
ment elle a pardonné au coupable, et rendu la liberté au captif,
c'est-à-dire à l'homme, mais elle a daigné lui fournir les trésors de
mérites nécessaires pour payer ses dettes. Pardonner à l'homme
son péché et lui rendre la liberté, était sans doute un acte de mi-
séricorde inappréciable; mais Dieu faisait encore plus, en daignant
nous procurer lui-même ce dont nous avions besoin pour nous
acquitter envers sa justice. Nos dettes n'étaient pas simplement
remises, elles étaient acquittées; et la justice de Dieu n'avait pas
seulement obtenu la réparation qu'elle était en droit d'exiger, elle
avait infligé à l'auteur premier de la chute de l'homme l'humi-
liation d'être vaincu par cette nature humaine dont il croyait avoir
fait, pour toujours, sa chose et son esclave. Ne peut-on pas dire,
avec S. Jean Damascène, que la Rédemption opérée par le Fils de
Dieu incarné fut le chef-d'œuvre de la bonté, de la justice, de la
sagesse et de la puissance de Dieu ^ ?
Et c'est cet adorable Rédempteur, ce Fils de Dieu fait homme
pour racheter les hommes, que nous possédons dans la Très Sainte
Eucharistie. S'abaisser jusqu'à revêtir notre nature, jusqu'à se
charger devant son Père céleste de la responsabilité de tous les
crimes de l'humanité, jusqu'à souffrir toutes les humiliations, toutes
les douleurs et la mort la plus infâme afin de les expier, n'a pas
suffi à son amour pour de misérables créatures comme nous, tom-
bées dans le péché. Il a voulu continuer de vivre parmi nous, dans
un état tel que nous puissions nous approcher de lui, l'ofirir à
1. Demonstratur in hoc Christi mysterio simul et l)onitas et sapientia, et
justitia et potentia Dei. Bonitas quidem, quoniam non despexit proprii plas-
matis, facluraeque infirmitalem. Justitia, quia homine victo, non alio quam
homine fecit vinci tyrannum. Sapientia quia rei admodum dubiœ ac difficilis
invenit solutionem, quam sufticientissimam et decentissimam. Infinita virtus
ac potentia; quid enim majus, quam Deum fieri hominem? (S. Joann. Damas-
CEN., lib. 111 de Fide orthod., cap. i.)
430 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
Dieu comme notre victime, manger sa chair adorable et boire son
sang précieux. Et que demande-t-il en reconnaissance de tant de
bonté? Que nous l'aimions davantage chaque jour, et que nous
proclamions sa grandeur et ses bienfaits '.
La conséquence de l'œuvre de rédemption, accomplie par Notre-
Seigneur Jésus-Christ en notre faveur, est que nous lui apparte-
nons tout entiers et sans partage. « Dieu le Père nous a arrachés
« de la puissance des ténèbres, » dit S. Paul; il nous a délivrés
du joug du démon dont le pouvoir s'étend sur ceux qui vivent dans
le péché ; et « il nous a transférés dans le royaume du Fils de sa
dilection -, » il nous a donnés à ce divin Fils par lequel il avait
voulu opérer notre délivrance ; il nous a inscrits au nombre des
sujets de ce Roi victorieux. D'esclaves du démon il nous a faits les
serviteurs, les amis, les frères, les membres de son divin Fils et
les héritiers de son royaume. Il nous a permis de vivre avec lui dès
ce monde dans l'intimité la plus étroite, de nous asseoira sa table
et d'y manger dès ici-bas, sous la forme sacramentelle, l'aliment
qui rassasiera les saints et les anges, de bonheur et de gloire,
pendant toute l'éternité. Mais c'est à la condition que désormais nous
vivrons pour Jésus-Christ. S. Paul nous en avertit, lorsqu'il écrit
aux Corinthiens : « Le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui
« vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est
« mort pour eux et qui est ressuscité ^. « Toutes nos œuvres, toutes
nos paroles, toutes nos pensées, toutes nos volontés doivent donc
avoir pour fin suprême Jésus-Christ et sa gloire, Jésus-Christ ré-
gnant dans le ciel et environné de toute sa cour céleste, mais aussi
et surtout Jésus-Christ descendant sur nos humbles autels, s'en-
fermant prisonnier solitaire dans nos tabernacles ou se donnant
en nourriture à des âmes qui, fussent-elles aussi pures que les
anges, ne seraient pas encore dignes de le recevoir.
Que ne devons-nous pas au Dieu de l'Eucharistie qui, pour se
donner à nous comme il le fait, nous a délivrés, au prix de son
\. Deus homo ac redemptor nosler fieri dignatus est quâtenus tanto illum
plenius diligamus atque laudemus, quanto clarius ejus amoris et benevolen-
tiœ gralia prosecutos nos esse cognoverimus. (S. August., lib. Cur et quando
JJewi homo, cap. vi.)
2. Qui eripuit nos de potestate tenebrarum, et transtulit in regnum Filii
sui. (Coloss., 1, 43.)
3. Et pro omnibus mortuus est Christus, ut et qui vivunt jam non sibi vi-
vant sed ci qui pro ipsis mortuus est et resurrexit. (//. Cor., v, 15.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 431
sang, de la captivité du démon et des chaînes du péché? Il a donné
sa vie pour nous sur la croix et il continue de la donner au Très
Saint Sacrement de l'autel. Il ne meurt plus pour nous, car il ne
pouvait mourir qu'une fois, mais il vit pour nous afin que nous
vivions de sa vie. Il est donc juste que tout ce que nous sommes
lui appartienne et qu'à notre tour, nous lui donnions notre vie
tout entière, notre sang même s'il le réclamait. « Est-ce que vous
« ne savez pas que vous ne vous appartenez plus i? » demandait
l'apôtre S. Paul. Ni votre corps ni votre âme ne sont plus à vous,
et vous n'êtes pas libres d'en user à votre gré, comme d'un bien
qui vous soit propre. « Vous avez été achetés à haut prix. Glorifiez
« donc et portez Dieu dans votre corps, » vous surtout qui vous
unissez par la sainte communion au corps adorable du Sauveur.
II.
JÉSUS-CnRIST DAXS l'eUCHARISTIE est NOTRE SAUVEUR -
Le Fils de Dieu est venu sur la terre pour apporter aux hommes
deux biens inestimables, et il daigne demeurer dans la Sainte
Eucharistie, humblement voilé à tous les regards, pour nous
faire profiter plus largement et plus facilement de ces dons
précieux.
Le premier de ces biens est la délivrance de tous les maux qui
ont découlé sur la nature humaine, du péché du premier homme,
comme d'une source empoisonnée. Notre-Seigneur Jésus-Christ nous
l'a procuré en payant la dette énorme dont nous étions redevables
envers la justice de Dieu. Et c'est parce qu'il a ainsi satisfait pour
nous aux exigences de la divine justice que nous reconnaissons en
lui notre Rédempteur.
Le second est la communication de la grâce qui nous rend agréa-
bles à Dieu, qui nous donne la vie spirituelle et nous ouvre les
portes du royaume des cieux, lorsque nous arrivons au terme de
notre vie mortelle. Pour nous procurer ce second bien, notre divin
Jésus, non content de payer ce qu'il devait pour nous à la stricte
justice de son Père, accumula des mérites infinis par ses travaux,
ses soulïrances, ses actes de toutes sortes, dont il eût pu se dis-
4. An nescitis quoniam.... non estis vestri ? Empti enim estis pretiomagno.
Glorificate et portate Deum in corpore vestro. (/. Cor., 19, '20.)
2. Voir le t. III du même ouvrage, p. 10-2 et suiv.
432 LA SAINTE EUCHARISTIE. — IT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
penser s'il n'avait voulu que payer notre dette. Et ce fut par ce
second bienfait, infini comme le premier, qu'il justifia le nom de
Jésus, c'est-à-dire de Sauveur, qui fut le sien dès l'instant de sa
conception miraculeuse dans le sein de la Vierge.
Avant de paraître sur la terre, le Verbe divin s'était plu à
prendre le nom de Sauveur, lorsqu'il parlait par la bouche des
prophètes. « Dieu viendra lui-môme et il nous sauvera \ » disait
Isaïe; et ailleurs : « Voilà ce que le Seigneur a fait entendre jus-
c qu'aux extrémités de la terre : Dites à la fille de Sion : Voici que
« ton Sauveur vient; voici que sa récompense est avec lui et que son
« oeuvre est devant lui ~. » Zacharie, à son tour, parlait ainsi au
peuple de .lérusalem : « Voici que vient à toi ton Roi juste et sau-
« veur 3. » L'apôtre S. Paul ne pouvait pas manquer de signaler
aussi ce titre de Notre-Seigneur Jésus-Christ : il écrivait à Timo-
thée : « Nous espérons dans le Dieu vivant qui est le Sauveur de
« tous les hommes, et principalement des fidèles ^. »
Pour mériter devant Dieu, au sens exact de ce mot, il faut que
la personne qui mérite soit agréable à Dieu et qu'il accepte ses
o.'uvres. Il faut, en second lieu, que l'acte méritoire ait quelque
proportion avec le mérite acquis, sinon le mérite n'en est plus un;
les biens reçus à cause de lui sont de simples faveurs. Plus la
personne est agréable au Seigneur et l'acte qu'elle fait digne de
lui être oflert, plus aussi le mérite est grand.
La personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ est infiniment
agréable à Dieu, puisqu'elle n'est autre que la personne même du
Verbe divin, le Fils de Dieu, Dieu unique avec le Père et le Saint-
Esprit. La moindre de ses œuvres était donc infiniment méritoire,
et nous savons combien il a multiplié ces œuvres méritoires pen-
dant le cours de sa vie mortelle, depuis le moment où s'est accompli
le grand mystère de son incarnation jusqu'à celui de sa mort sur
la croix. Il est vrai que, pendant tout ce temps, il a joui, dans la
partie supérieure de son âme, de la vision intuitive de Dieu qui
fait le bonheur des saints, mais la partie inférieure decette même
\. Deus ipse veniet et salvabit nos. (/s., xxxv, A.)
2. Ecce Uominus auditnm fecit in extremis terrae, dicite filiœ Sion : Ecce
Salvator tuus venit ; ecce merces ejus cum eo, et opus ejus coram illo. (/s.,
LXII, 11.)
3. Ecce Rex tuus veniet tibi justus et salvator. {Zach., ix, 9.)
4. Speramus in Deum vivum, qui est Salvator omnium hominum, et
maxime fidelium. (/. Tim., iv, iO.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 433
âme bienheureuse ne possédait pas la béatitude : elle y tendait et
elle devait y arriver par la souffrance. De même, son corps ado-
rable pouvait souffrir. Il avait pris cette àme et ce corps pour souf-
frir et pour mourir afin de nous sauver; il leur avait donc donné de
ressentir la souffrance, autant que le peut l'être humain le plus
délicat et le plus parfait. Or nous savons, par le saint Évangile, à
quels affreux tourments l'âme et le corps de notre divin Sauveur ont
été en proie, pendant tout le temps de sa passion ; nous savons
encore que, pendant toute sa vie mortelle, toutes ces souffrances
qu'il devait endurer ont été présentes à sa pensée; nous savons
enfin que c'est pour nous qu'il les a volontairement acceptées et
offertes à son Père céleste. Une telle offrande était digne de la
majesté divine, parce que ces souffrances n'étaient autres que
celles d'un Homme-Dieu et que c'était l'Homme-Dieu lui-même
qui les offrait. Aussi, de quels biens inestimables les mérites de
notre divin Sauveur n'ont-ils pas été la source pour nous ?
Rédempteur, Jésus-Christ nous a rachetés de l'esclavage du
démon; sauveur, il est l'auteur du salut éternel de nos âmes. Non
content de nous avoir rendus à la liberté, il ouvre devant nous le
chemin qui mène à la patrie céleste et nous donne tous les secours
dont nous avons besoin pour y arriver et en franchir les portes,
qui nous seraient inexorablement fermées sans ses mérites qu'il
nous applique. Jésus est la pierre angulaire, disait le Prince des
Apôtres, parlant aux Juifs, « et il n'y a de salut en aucun autre;
« car nul autre nom n'a été donné sous le ciel aux hommes, par
« lequel nous devions être sauvés i. » Dans une autre circons-
tance, S. Pierre disait encore en parlant de Notre-Seigneur : « Tous
« les prophètes lui rendent ce témoignage, que tous ceux qui
c croient en lui reçoivent la rémission de leurs péchés 2, » La
même doctrine se retrouve souvent dans les Épîtres de S. Paul.
C'est ainsi qu'il écrivait aux Romains : « La justice de Dieu par la
« foi en Jésus-Christ est pour tous ceux et sur tous ceux qui
« croient en lui ; car il n'y a point de distinction ; parce que tous
<» ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu; étant justifiés gra-
« tuitementparsagràce, et par la rédemption qui est dans le Christ
4. Non est in alio aliquo salus. Nec enim aliud noinen est sub cœlo datum
hominibus in quo oporteat nos salvos fieri. (.le/., iv, 12.)
2. Huic omnes prophetae testimonium perhibent, remissionem peccatorum
accipere per nomen ejus omnes qui credunt in eum. {Ad., x, 43.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 28
434 LA SAINTE EUCHARISTIE. — ir PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
« que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang i . » Aux Éphé-
siens il disait : « Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur
« Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle
« des dons célestes dans le Christ; comme il nous a élus en lui
€ avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et
« sans tache en sa présence dans la charité ; qui nous a prédesti-
t nés à l'adoption de ses enfants, par Jésus-Christ, selon le des-
« sein de sa volonté; pour la louange de la gloire de sa grâce dont
« il nous a gratifiés par son bien-aimé Fils, en qui nous avons la
« rédemption par son sang, et la rémission des péchés selon la
e richesse de sa grâce, qui a surabondé en nous en toute sagesse
€ et toute intelligence 2. » Ce n'est donc pas à nos propres mé-
rites, mais aux mérites seuls de Notre-Seigneur Jésus-Christ que
nous devons la grâce de la rédemption et toutes les autres grâces
qui nous donnent le salut, depuis la prédestination initiale jus-
qu'à l'invitation que nous aurons le bonheur d'entendre au der-
nier jour, si nous sommes fidèles : « Venez, les bénis de mon
« Père. » Toutes ces grâces, Jésus-Christ les a méritées, mais son
mérite est tout à lui et, s'il nous en fait part, c'est uniquement en
vertu de sa libéralité, de sa miséricorde, de son amour infini pour
les hommes. Aucune des œuvres qui précèdent la justification, pas
même la foi et les œuvres qui en découlent, ne nous créent un
droit à ce bien infini : la grâce ne serait plus une grâce si nous
étions justifiés en vertu de nos œuvres, dit le Concile de Trente,
en citant les paroles de l'Apùtre ^.
\. Justitia autem Dei per fidem Jesu Christi, in omnes et super omnes qui
credunt in eum; non enim est distinctio. Omnes enim peccaverunt et egent
gloria Dei : justificati gratis per gratiam ipsius, per redemptionem quae est in
Christo Jesu, quem proposuit Deus propitiationem per fidem in sanguine
ipsius. {Rum., m, 2:2-25.)
2. Benedictus Deus et Pater Doraini nostri Jesu Christi, qui benedixit nos
in omni benedictione spirituali, in cœlestibus, in Christo : sicut elegit nos in
ipsoante mundi constitutionem, utessemus sancti et immaculati in conspectu
ejus in charitate. Qui praedestinavit nos in adoptionem filiorum per Jesum
Christum in ipsum secundum propositum voluntatis suœ, in laudem glorise
gratiœ sua; in qua gratificavit nos in dilecto Filio suo : in quo habemus re-
demptionem per sanguinem ejus, remissionem peccatorum, secundum divi-
tias gratiae ejus, quae superabundavit in nobis in omni sapientia et prudentia.
[Ephes., I, 3-8.)
3. Quanquam nemo possit esse justus, nisi oui mérita passionis Domini
nostri Jesu Christi communicantur, id taraen in impii juslificatione fit, dum
ejusdem sanctissimae passionis merito per Spiritum sanctum charitas Dei
diffunditur in cordibus eorum qui justificantur.... Gratis autem justifîcari
QDELQDES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCIIARISTIE. 435
Mais si la foi et les œuvres ne nous méritent pas la justifica-
tion, avec tous les biens qui l'accompagnent, elles nous y prépa-
rent merveilleusement et inclinent Dieu à nous l'accorder. Abra-
ham a été justifié parce qu'il a cru en Dieu et conformé ses actes
à sa croyance; Marie-Madeleine, l'humble pécheresse, a cru en
Jésus-Christ, elle a aimé celui qu'elle reconnaissait pour le Fils de
Dieu et, parce qu'elle n'a reculé devant aucun sacrifice, devant
aucune humiliation, pour témoigner son amour et sa foi, elle a
mérité le pardon de ses péchés et un magnifique éloge de la
bouche même du divin Sauveur. Sans la foi et sans les œuvres
qui y correspondent. Dieu n'accorde pas à l'homme la grâce de la
justification. « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu S »
dits. Paul; par conséquent, impossible d'obtenir la justification et
d'être juste; mais en même temps S. Jacques nous enseigne que
« la foi sans les œuvres est une foi morte ~. » Il dit encore, après
avoir cité l'exemple d'Abraham : « Vous voyez donc que c'est par
« les œuvres que l'homme est justifié, et non pas seulement par la
« foi 3. » La foi est le commencement du salut, le fondement et la
racine de toute justification et l'on dit en ce sens que la foi nous
justifie *. Plusieurs choses sont nécessaires pour que Dieu accom-
plisse en nous l'œuvre de la justification, et c'est Dieu qui nous
les donne. Le premier de ces dons nécessaires est la foi, après elle
les vertus et les œuvres qui en jaillissent comme de leur source.
Mais la justification elle-même, c'est Dieu qui nous l'accorde gra-
tuitement, en vue des mérites de Jésus-Christ, pour notre salut.
La correspondance même que nous donnons à la grâce nous vient
de lui ; le titre de Sauveur des hommes lui est donc dû dans toute
sa plénitude et sans aucune restriction ni partage.
Dieu l'a voulu ainsi pour que personne ne se glorifie en soi-
même et ne s'attribue un mérite qu'il n'a pas. Nous sommes
l'œuvre de Dieu, nous lui appartenons comme ses créatures, dans
ideo dicamur, quia nihil eorum quae justificationem praecedunt, sive fides,
sive opéra, ipsam justificationis gratiam promeretur : Si enim gratta est,jam
non ex operibus (Hom., ii) : alioquin, ut idem Apostolus inquit, gratia jam non
est gratia. (Concil. Trident., sess. VI, cap. vu et viii.)
1. Sine fide impossibile est placere Deo. {Ilebr., xi, 0.)
"2. Fides sine operibus mortua est. {Jac, ii, :20.)
3. Videtis quoniam ex operibus justificatur homo et non ex fide tantum.
(Id., II, 24.)
•i. Per fidem justificari dicimus, quia fides est humanœ salutis initium,
fundamenlum et radix omnis justificationis. {Concil. Trid., sess. VI, cap. viii.)
436 L\ SAINTE EDCHARISTIE. — II« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
Tordre naturel ; nous ne sommes pas moins son œuvre, nous ne
lui appartenons pas moins entièrement dans l'ordre surnaturel de
la grâce. Nous avons été créés de nouveau par la vertu du Christ,
notre Sauveur, alîn que, engendrés avec la grâce divine, nous
vivions saintement, nous accomplissions des œuvres saintes et
nous devenions ainsi dignes de la vie éternelle.
Qui pourra jamais concevoir la grandeur du don que Dieu nous
fait, lorsqu'il nous accorde notre justification première? Nous
étions ses ennemis, des créatures misérables, dignes seulement de
toutes les rigueurs de sa justice, et il efface tous nos péchés. Si la
faiblesse de l'Age ne nous permet pas encore de désirer le salut et de
recourir aux moyens institués pour nous le procurer, notre divin
Sauveur se contente des promesses que d'autres font pour nous,
et de leur foi. Si, à la faute commune, nous avons ajouté d'autres
fautes, fussent-elles innombrables et effrayantes de noirceur, sa
miséricorde est si grande, dit S. Jean Chrysostome, qu'au pre-
mier bon propos qu'il voit en nous de nous rapprocher de lui,
au premier désir sincère que forme notre cœur, il accourt sans
retard, il se hâte et, plein de miséricorde comme il l'est toujours,
avant même que le pécheur ait achevé de formuler sa prière, il lui
dit : Me voici; je vous apporte le remède à vos maux '. Et ce
généreux ami qui pardonne si aisément, ce Dieu infini et tout-puis-
sant ne se souviendra même plusdes péchés qui l'ont si gravement
offensé; ils seront pour lui comme s'ils n'avaient jamais existé,
pourvu que le coupable évite désormais de tomber de nouveau et
qu'il fasse pénitence. Il nous en donne l'assurance par la bouche
du prophète Ézéchiel : « Si l'impie fait pénitence de tous les pé-
« chés qu'il a commis, et qu'il garde tous mes préceptes, et qu'il
« accomplisse le jugement et la justice, il vivra de la vie et ne
« mourra pas. Je ne me souviendrai d'aucune de ses anciennes
« iniquités; à cause de la justice qu'il a pratiquée, il vivra 2. »
Telle est la puissance de la grâce que notre divin Sauveur a
\. Tanta est Dei erga nos peccatores misericordia, iibi viderit voluntatis
nostrae firmum proposilum, et ferventi nos desiderio ad se accedere : non
lardât, neque differt, sed accélérât, suamquo solitam liberalitatem exhibens
dicit : Ecce adsum. (S. Chrysost., hoin. XXVII in Gènes.)
2. Si autem impius egerit pœnitenliam ab omnibus peccatis suis, quae ope-
ratus est, et custodierit omnia praecepta mea, et fecerit judiciumet justitiam :
vita vivet cl non morietur. Omnium inirjuitatum ejus quas operatus est, non
reconlMlidr in justitia sua quam operatus est vivet. {Ezech., xviii, 21, 22.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 437
méritée pour nous, qu'elle suffit à enlever immédiatement toutes
les taches du péché dans les âmes bien préparées, quelque
coupables qu'elles aient été d'abord. S'il en reste ordinairement
quelques vestiges, si, après le pardon, quelques expiations en ce
monde ou dans l'autre sont encore nécessaires, la faute n'en est pas
au remède que Jésus-Christ nous a préparé, mais à l'imperfection
avec laquelle les hommes en usent trop souvent.
Et ce n'est pas assez pour l'infinie munificence de Dieu d'ac-
corder au pécheur le pardon de ses fautes. Les mérites de notre
Sauveur demandent davantage, et à la justification s'ajoutent des
vertus, des dons de toutes sortes, des consolations que l'Esprit
saint communique aux âmes. Le moindre de ces biens est si pré-
cieux que toutes les richesses de la terre ne sont que néant si on
les y compare. S. Paul connaissait le prix de ces trésors que Dieu
distribue avec tant de libéralité à ceux qu'il justifie ; c'est pour-
quoi il écrivait aux Corinthiens : « Je rends grâces à mon Dieu
a pour vous sans cesse, à cause delà grâce, qui vous a été donnée
« dans le Christ Jésus : de ce que vous avez été faits en lui riches
« en toutes choses;.... de sorte que rien ne vous manque en
« aucune grâce, à vous qui attendez la manifestation de Notre-
« Seigneur Jésus-Christ K » Voilà comme notre divin Jésus nous
a aimés ; voilà comment il accomplit envers nous la mission de
Sauveur qu'il a reçue de son père.
Mais peut-être est-il difficile pour l'homme de profiter des libé-
ralités infinies de Dieu; peut-être ne pouvons-nous pas connaître,
avec quelque sécurité, que nous participons aux dons ineffables
que les mérites de notre Sauveur ont préparés pour nous?
Rassurons-nous : Jésus est bien Jésus pour nous, c'est-à-dire un
Sauveur qui nous sauve, à moins que nous ne refusions obstiné-
ment le salut qu'il est venu nous apporter du ciel sur la terre.
Pour se mettre à la portée de notre faiblesse, et nous donner le
moyen de connaître, non pas d'une manière absolue, mais autant
que le comporte notre état et le demande notre véritable intérêt
ici-bas, si nous participons aux dons du salut, il a institué les
Sacrements de la Loi nouvelle, signes sensibles que sa grâce
1. Gralias ago Deo meo semper pro vobis, in gratia Dei quœ data est vobis
in Christo Jesu : quod in omnibus divites facli estis in illo.... Ita ut nihil
vobis desit in uUa gratia, expectantibus reveiationem Domini nostri Jesu
Christi. (/. Cor., i, 3, Ij, 7.)
438 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
accompagne infailliblement, pourvu que ceux qui les reçoivent
y apportent les dispositions que suppose le désir sincère de le faire
avec fruit. Ce sont les trésors de la grâce, l'arsenal des armes spi-
rituelles, les signes révélateurs et visibles des actes invisibles que
la puissance suprême, l'autorité de Dieu, accomplit dans les âmes
afin de leur assurer le salut. Par les Sacrements, notre divin
Sauveur donne aux uns la première grâce, avec toutes les vertus
infuses; à d'autres, une augmentation de la même grâce, de
toutes les vertus et de tous les dons du Saint-Esprit; à d'autres,
des caractères sacrés et des pouvoirs particuliers, afin qu'ils
accomplissent, dans son Église, les fonctions les plus sublimes, en
vue du salut de tous ; à d'autres encore, des grâces particulières
aux besoins de l'état de vie qu'ils ont embrassé ; à tous enfin, les
secours surnaturels les plus efficaces et les plus abondants. Grâce
à cette invention précieuse de la divine miséricorde, nous avons
tous à notre disposition les moyens nécessaires, non seulement
pour obtenir à coup sûr le pardon de nos fautes et la rémission
des peines encourues par nos infidélités, mais pour avancer à
grands pas dans la voie de la sanctification.
Et c'est à Jésus-Christ, notre Sauveur, que nous devons cet
incomparable bienfait.
Parmi les Sacrements que le Fils de Dieu fait homme nous a
donnés, il en est un plus grand que tous les autres : c'est l'ado-
rable Eucharistie. Dans ce Sacrement divin, notre Dieu Sauveur
n'a pas seulement mis sa grâce pour nous la communiquer : il a
voulu y résider lui-même en personne; il nous y donne véritable-
ment, réellement et substantiellement son corps, son sang, son
âme et sa divinité. Par cet adorable Sacrement, il demeure au
milieu de nous, lui dont le trône est au plus haut des cieux, où des
millions d'anges le servent et célèbrent sa gloire ; il a sa maison,
souvent bien pauvre et bien déserte, jusque dans nos moindres
villages ; il ne la quitte pas, et quiconque veut lui rendre ses
hommages et lui exposer ses besoins, est sûr de l'y trouver à
toute heure du jour ou de la nuit, et de recevoir de lui l'accueil
le plus bienveillant. Dans sa maison, il y a un autel, et sur cet
autel il renouvelle chaque jour le sacrifice de la croix, pour en
appliquer les mérites à ses enfants et leur montrer qu'il est tou-
jours leur Jésus, que toujours il se souvient des fonctions que
le titre de Sauveur des hommes lui impose. Dans sa maison, sa
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 439
table est dressée chaque jour, et il invite tous ceux qui l'aiment à
venir y prendre place. C'est là qu'il entre avec eux dans les com-
munications les plus intimes; c'est là qu'il les nourrit du pain des
anges devenu le pain des hommes, c'est là qu'il répand en eux
ses grâces avec une libéralité que nos négligences et le peu de
profit que nous tirons de ses bontés ne lassent point. Avons-nous
besoin de lumière, de force, de consolation? nous trouvons tout
dans l'adorable Eucharistie. Partout Jésus est notre Sauveur;
mais il semble qu'il ne le soit nulle part autant que dans ce Sacre-
ment de son amour. Qui donc n'aimerait pas un Dieu si bon
pour nous? Sic nos amantem quis non redamaret?
Ajoutons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en acceptant de nous
sauyer fet nous savons au prix de quels travaux et de quelles
souffrances), en nous comblant de dons et de grâces si extraordi-
naires, outre le pardon de nos péchés qu'il nous procure, s'est
proposé pour but suprême de nous faire partager sa gloire. S. Paul
écrivait aux Hébreux : « Ainsi, mes frères, nous avons l'assurance
« d'entrer dans le sanctuaire par le sang du Christ, voie nouvelle
V et vivante qu'il nous a ouverte à travers le voile, c'est-à-dire sa
a chair '. » Ce saint des saints, que nous a ouvert la chair de
Jésus-Christ, déchirée par les fouets, les clous et la lance du
soldat, au temps de sa Passion, c'est le ciel où désormais nous
pouvons entrer. Ailleurs, l'Apôtre exprime plus clairement encore
où notre divin Sauveur prétend nous conduire; il dit : « Dieu, qui
« est riche en miséricorde, par le grand amour dont il nous a
a aimés, et lorsque nous étions morts par les péchés, nous a
« vivifiés dans le Christ (par la grâce duquel vous êtes sauvés),
« nous a ressuscites avec lui et nous a fait asseoir dans les cieux
a en Jésus-Christ ; pour manifester dans les siècles à venir les
« richesses abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans
« le Christ Jésus 2. » Grâce à notre divin Sauveur et à ses mérites
infinis, nous sommes dès maintenant ressuscites à la vie de la
1. Habentes itaque, fratres, tiduciam in introitu sanctorum in sanguine
Christi, quam initiavit nobis viam novam et viventem per velamen, id est
carnem suam. {Hebr., x, 11), 20.)
2. Deus aiitem qui dives est in misericordia, propter nimiam charitatem
suam, qua dilexit nos; et cum essemus mortui peccalis, conviviticavit nos in
Chrislo (cujus gratia estis salvati, et conresuscitavit, et consedcre fecit in cœles-
tibus in Christo Jesu : ut ostenderet in Sceculis supervenientibus, abundantes
divitias gratiae suae, in Ijonitate super nos, in Christo Jesu. (Ephes., 11, ÎJ-7.)
440 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
grâce; nos désirs, notre amour, notre espérance inébranlable-
ment fondée sur Jésus-Christ, nous font déjà vivre avec lui dans
le ciel et dans l'assemblée des saints, en attendant qu'après cette
vie, nous jouissions réellement de ce bonheur et de cette gloire
que notre généreux Sauveur, présent dans la sainte Eucharistie,
nous destine.
m.
JÉSUS-CHRIST DANS l'eUCIIARISÏIE EST NOTRE MÉDIATEUR
ET NOTRE AVOCAT
On donne le nom de médiateur à celui qui accepte la mission de
rétablir l'union et la concorde entre deux ou plusieurs partis que
leurs intérêts ou d'autres causes ont divisés et irrités. Le média-
teur s'efforce d'obtenir que celui qui est, ou se croit lésé, par-
donne à l'autre et lui rende son amitié, ses faveurs. Dans ce but,
il lui offre une satisfaction, et il lui expose les motifs qui doivent
l'engager à se montrer généreux. Mais pour être en mesure de
s'acquitter avec succès de son entreprise, il est bon, sinon néces-
saire, que chacun des partis en présence puisse mettre en lui sa
confiance sans arrière-pensée; il faut que nul d'entre eux ne
puisse supposer que ses intérêts seront sacrifiés au profit du parti
adverse; il faut, de plus, qu'il soit en bons rapports avec les uns
et les autres, que son influence soit incontestable auprès des
offensés qu'il se propose d'apaiser, et auprès de ceux qui se sont
rendus coupables de l'offense, afin de les amener à offrir les satis-
factions indispensables pour le rétablissement de la paix. Le
médiateur tient le milieu entre les deux extrêmes ; si l'un des
deux partis le repoussait ou le désavouait, il n'y aurait plus de
médiation possible.
Rétablir une union parfaite entre Dieu et les hommes ne pou-
vait convenir qu'à Notre-Seigneur Jésus-Christ, parce qu'il est
l'Homme-Dieu. S. Paul nous dit : « C'est Dieu qui était dans le
« Christ, se réconciliant le monde. » Nous savons à quel prix s'est
opérée cette réconciliation K
1. Ad raedialoris officium proprie pertinet conjungere et unire eos inter
quos est modialor : nam extrema uniunlur in medio. Unire autem iiomines
Deo perfective quidem convenit Christo, per quem homines reconciliati sunt
Deo, secundum illud (//. Cor., v, 19) : Jjeus eral in Christo, mundum recon-
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'EUCHARISTIE. 441
Le genre humain était séparé de Dieu ; il avait perdu son amitié
«t sa grâce; il ne pouvait plus espérer aucune part à sa gloire.
Les oflenses dont il s'était rendu coupable avaient provoqué la
colère divine; désormais l'homme relevait non plus de la bonté et
de la miséricorde, mais de l'inexorable justice de Dieu. Les anges
eux-mêmes étaient devenus des ennemis pour l'homme, parce
■qu'ils embrassaient le parti de Dieu outragé par le péché ; la di-
vision, la discorde était entière entre le ciel et la terre. Alors est
venu Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il s'est placé entre Dieu et
les hommes ; il a fait cesser cette division funeste. L'homme est
redevenu, grâce à lui, l'ami de Dieu; les anges ont regardé les en-
fants d'Adam avec bienveillance et se sont montrés prêts à leur
venir en aide : il n'y avait plus de discorde entre le ciel et la
terre.
Mais pour atteindre ce but, il était nécessaire d'offrir à Dieu une
satisfaction en rapport avec la grandeur de l'offense et la dignité
infinie de l'offensé. Notre-Seigneur Jésus-Christ a offert cette satis-
faction ; il a même donné, par ses mérites, infiniment plus que
ne réclamait la stricte justice. Avec un profond respect, avec une
humilité inconcevable, il a intercédé auprès de son Père; il a prié,
il a supplié, pour que l'homme obtienne de rentrer en grâce, d'être
réintégré dans sa dignité première, et de n'être plus exclu de la
gloire pour laquelle il avait d'abord été fait. Ce n'était pas assez :
il a représenté à son Père céleste tous les mérites que lui avaient
acquis sa vie, sa passion et sa mort, et il a tout offert pour l'homme.
C'était plus qu'il ne fallait pour que Dieu nous pardonnât, c'était
assez pour qu'il nous rendit sa grâce, qu'il nous reçût au nombre
de ses enfants, et reconnût de nouveau nos droits à l'héritage de
la gloire céleste.
Admirons ici l'infinie sagesse de Dieu dans cette œuvre de la
réconciliation des hommes avec sa souveraine Majesté.
Pour accomplir cette œuvre avec toute la perfection réclamée
par la bonté de Dieu et les besoins de l'homme, il ne fallait pas
que le médiateur fût uniquement Dieu, ni qu'il fût uniquement
homme. Dieu pouvait bien, de puissance absolue, pardonner à
<ilians sibi. Et ideo soins Chrislus perfectus Dei et hominum mediator. in
quantum per suam morteiri liunianuin genus Dec reconciliavil. Inde cum Apos-
tolus dixisset : Mediator Jh-i cl hominum homo Chrislus Jcsus, subjunxit : Qui
dédit semetipsum redemptionem pro omnibus. {S. Tiiom., III p., q. xxvi, art. 1.)
442 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
l'homme et le relever, mais il ne pouvait pas satisfaire. L'homme,
à son tour, était incapable d'offrir aucune satisfaction qui fût digne
d'être acceptée de Dieu. Que fait notre divin Médiateur? Celui qui,
par sa nature même, est le propre Fils de Dieu, ayant avec le Père
et le Saint-Esprit une seule et même divinité, se fait véritablement
homme, et avec l'humanité qu'il unit à sa personne divine, il prend
toutes les misères de l'homme, le péché excepté. Il rassemble ainsi
en lui-môme les deux partis entre lesquels il s'est établi comme
médiateur. Comment la nature divine et la nature humaine pour-
raient-elles être encore ennemies et divisées, réunies qu'elles sont
en une seule et même personne, la personne adorable du Fils de
Dieu fait homme?
Il faut remarquer ici que notre divin Médiateur a droit à ce titre
et qu'il en accomplit les fonctions, non pas comme Dieu mais
comme homme. C'est en qualité d'homme qu'il se place entre la
nature humaine et la divinité; c'est en qualité d'homme qu'il prie,
qu'il satisfait, qu'il mérite pour l'humanité dont il a revêtu la
chair. Et parce que le médiateur doit être distinct des partis aux-
quels il veut procurer la paix, notre divin Médiateur se distingue de
Dieu, parce que, seconde personne de l'adorable Trinité, il a pris
la nature humaine; il se distingue de l'homme parce que l'union
hypostatique de sa nature humaine avec le Verbe lui confère une
dignité infinie et l'élève, en grâce et en gloire, au-dessus de tout
ce qui n'est pas Dieu lui-même. C'est comme homme et non pas
comme Dieu que Notre-Seigneur Jésus-Christ est notre médiateur
auprès de Dieu. Mais il n'aurait pu l'être d'une manière efficace
et digne, s'il n'avait pas été Dieu en même temps K
C'est la personne divine qui donne à la nature humaine la
1. In mediatore duo possumus considerare : primo quidem rationemmedii;
secundo, officium conjungendi. Est autem de ratione medii quod distet ab
ulroque extreinorum. Conjungit autem mediator per hoc quod ea quae unius
sunt defert ad alterum. Neutrum autem horum potest convenire Christo, se-
cundum quod Deus, sed solum sccundum quod homo. Nam secundum quod
Deus, non differt a Pâtre et a Spiritu sancto in natura et potestate dominii.
Nec eliam Pater et Spiritus sanctus aliquid habent quod non sit P'ilii; ut sic
possit id quod est Patris vel Spiritus sancti, quasi quod est aliorum, ad alios
déferre. Sed utrumque convenit ei in quantum est homo : quia secundum
quod est homo, distat et a Deo in natura, et ab hominibus in dignitate et gra-
tis et gloriae. In quantum etiam est homo, convenit ei conjungere homines
Deo, prserepta et dona Dei hominibus exhibendo, et pro hominibus satisfa-
ciendo, et interpellando. — Etideo verissime dicitur mediator secundum quod
homo. (S. Thom., 111 p., q. xxvi, art. 2.)
QUELQUES MOTIFS PARTICDLIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 443
dignité suprême dont elle est revêtue; c'est elle qui la rend infi-
niment agréable aux yeux de Dieu ; c'est elle qui donne à ses
œuvres tout le prix que réclame son office de médiateur. Mais en
même temps, c'est la personne du Fils de Dieu qui, au moyen
de cette nature humaine, réconcilie l'homme avec Dieu, apaise la
justice divine, satisfait et mérite pour l'homme.
La Sainte Écriture nous révèle ce mystère. S. Paul écrivait à
son disciple Timothée : « Il n'y a qu'un Dieu et qu'un médiateur
« entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus qui est homme; qui
« s'est livré lui-même pour la rédemption de tous ^ » L'Apôtre
déclare ici que Jésus-Christ est homme, pour que nous comprenions
bien que s'il est Dieu, c'est en qualité d'homme que la fonction de
médiateur lui convient.
Il y a bien, il est vrai, d'autres médiateurs entre Dieu et les
hommes 2. Les anges, qui ont reçu du Seigneur la charge de veiller
sur nous et de nous garder, offrent leurs prières en notre faveur. Il
est arrivé souvent aussi que Dieu a daigné leur confier certaines
missions auprès des hommes. Ils sont donc de véritables média-
teurs. Il en est de même des saints qui jouissent de la gloire du
ciel ou qui vivent encore sur la terre : nous savons combien leur
médiation, surtout celle de la bienheureuse Vierge Marie, est puis-
sante. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ est le seul médiateur par-
fait, le seul qui puisse s'approcher de Dieu appuyé sur ses propres
mérites, le seul qui possède la dignité et l'autorité nécessaires
pour réconcilier les hommes avec Dieu, et satisfaire pour eux, en
rigueur de justice, à la justice divine. Les autres médiateurs ne
sont tels que parce qu'ils font valoir auprès de Dieu les mérites de
Jésus-Christ et de sa passion, mérites qui donnent toute leur valeur
aux prières des hommes que les anges offrent à Dieu, et à celles
des âmes saintes qui jouissent du bonheur du ciel 3. C'est en ce
1. Unus enim Deus, unus et mediator Dei et hominum homo Christus
Jésus, qui dédit redemptionem semetipsum pro omnibus. (/. 7ï/«., 11, '6, 0.)
2. Nihil tamen prohibet aliquos alios secundum aliquid dici mediatores
inter Deum et homines : prout scilicet cooperantur ad unionem hominum
cum Dec dispositive vei ministerialiter. (S. Tiiom., III p., q. xwi, art. i.)
3. Angeli boni, ut Augustinus dicit (de Civit. Dei, lib. IX, cap. xni, a med.),
non recte possunt dici mediatores, inter Deum et homines : « Cum enim
utrumque habeant commune cum Deo, et beatitudinem et immortalilatem,
nihil autem horum cum hominibus miseris et mortalibus; quomodo non po-
tius remoti sunt ab hominibus, Deoque conjuncti, quam inter utrosque medii
constituti? )> Dionysius tamen dicit eos esse medios, quia secundum gradum
444 LA SAINTE EUCHARISTIE. — Il« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
sens aussi que les prêtres de l'ancienne loi ont été et que ceux de
la loi nouvelle sont les médiateurs entre Dieu et les hommes.
Le grand, l'unique médiateur, le Dieu fait homme pour récon-
cilier l'homme avec Dieu, ne l'a pas été en faveur d'un seul peuple
ou de quelques créatures privilégiées seulement. Sa médiation
s'est exercée et s'exerce en faveur de l'humanité tout entière, nul
des hommes qui ont été, qui sont et qui seront n'en est exclu, et
tous sont réconciliés avec Dieu, par lui, autant du moins qu'il dé-
pend de lui. Il a offert à Dieu, pour tous et pour chacun, une satis-
faction parfaite et abondante, par ses souffrances et par sa mort. Et
si les saints de l'Ancien Testament ont trouvé grâce devant Dieu,
c'est à sa médiation toute-puissante, c'est au sang qu'il devait ver-
ser et qu'il a versé aussi bien pour eux que pour nous, qu'ils ont
dû cet infini bienfait. Jésus-Christ s'est offert en sacrifice pour la
sanctification des âmes. C'est pourquoi, dit S. Paul, « il est le mé-
« diateur du Nouveau Testament, afin que la mort intervenant pour
« la rédemption des prévarications qui existaient sous le premier
« Testament, ceux qui sont appelés reçoivent l'éternel héritage
« promis ^ » Il est le médiateur de tous, et il veut que tous soient
sauvés par sa médiation. Il n'en était pas ainsi de Moïse, qui n'in-
tercédait auprès de Dieu qu'en faveur de son peuple. L'Écriture
lui donne, il est vrai, le nom de médiateur, mais il n'était pas le
médiateur promis, le médiateur parfait qui devait accomplir la ré-
conciliation entre Dieu et les hommes. Ce titre n'appartient dans
toute sa plénitude qu'à notre divin Sauveur, qu'à celui qui a versé
son sang pour sauver les hommes et leur a mérité la grâce et les
bienfaits de Dieu.
L'action de notre Médiateur ne s'arrête pas uniquement à réta-
blir l'union entre Dieu et les hommes : elle étend ses effets plus
naturae sunt infra Deum, et supra homines conslituti, et mediatoris officium
exercent, non quidem principaliter et perfective, sed ministerialiter et dispo-
.silive, Unde [Malth., iv, 2)dicitur quod accesserunl angeli et minislrnbant ei,
scilicet Chrislo.... Christus autem habuit communem cum Deo beatitudinem,
cum liominibus autem mortalitatem : et ideo ad boc se interposuit médium,
ut mortalitate transacta, et ex mortuis faceret immortales (quod in se resur-
gendo inonstravit), et exmiseris beatos efticeret; unde nunquam ipse discessil.
Et ideo ipse est bonus medialor qui réconciliât inimicos. (S. TnoM., III p.,
q. XXVI, art. i ad 2.)
1. Et ideo novi tostamenti mediator est: ut morte intercedente in redemp-
lionein earum praevaricationum, qu* erant sub priori testamento, repromis-
sionem accipiant, qui vocati sunt aeternae haereditatis. {Hebr., ix, IS.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 445
loin encore ; elle efface toute trace de désunion entre la nature
humaine et la nature angélique; elle renverse le mur de séparation
que l'ancienne loi avait élevé entre le peuple d'Israël et les autres
peuples. Les anges ne peuvent plus haïr ni mépriser l'humanité
qu'ils adorent, aiment et glorifient en la personne du Verbe divin
fait homme. Eux qui n'ont d'autre volonté et d'autre amour que
la volonté et l'amour de Dieu, comment n'aimeraient-ils pas cette
nature qu'ils voient tant honorée et tant aimée de Dieu lui-même?
Comment se tiendraient-ils éloignés des hommes qu'ils savent ra-
chetés par Jésus-Christ et destinés par lui à partager leur éternelle
gloire? Et l'union des hommes entre eux n'est pas moins com-
plète grâce à lui. Écoutons la parole de S. Paul : « Quiconque croit
« en lui ne sera point confondu; attendu qu'il n'y a plus de dis-
« tinction de Juif et de Grec, parce que c'est le même Seigneur de
« tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent. Car quiconque invo-
« quera le nom du Seigneur sera sauvé '. » Ailleurs, le grand
Apôtre s'adresse en ces termes aux Éphésiens : « Autrefois, vous,
a Gentils, vous étiez sans Christ, séparés de la société d'Israël,
« étrangers aux alliances, n'ayant point l'espérance de la pro-
« messe, et sans Dieu en ce monde. Mais, maintenant que vous
« êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés,' vous
« avez été rapprochés par le même sang de ce même Christ. Car
« c'est lui qui est notre paix, lui qui de deux choses en a tait une
« seule, détruisant dans sa chair le mur de séparation, leurs ini-
« mitiés ; abolissant par sa doctrine la loi des préceptes, pour des
a deux former en lui-même un seul homme nouveau, en faisant
« la paix; et pour réconcilier à Dieu, par la croix, les deux réunis
a en seul corps, détruisant en lui-même leurs inimitiés -. » Citons
encore ces paroles de l'épitre aux Colossiens : « Il a plu (au
1. Omnis qui crédit in ilhim, non confundetur. Non enim est distinctio
Judfei et Graeci : nam idem Dominus omnium, dives in omnes qui invocant
illum. Omnis enim quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit. (Boni.,
X, 11-13.)
;2. Vos, Gentes,.... eratis illo in tempore sine Christo, alienati a conversa-
tione Israël, et hospites testamentorum, promissionis spem non habentes, et
sine Deo in hoc mundo. Nunc autem in Christo Jesu, vos, qui ahquando eratis
longe, facti estis prope in sanguine Christi. Ipse enim est pax nostra, qui
fecit utraque unum, et médium parietem maceriae solvens inimicitias in
carne sua, legem mandatorum evacuans, ut duas condat in semetipso in
unum novum hominem, faciens pacem, et reconciUet ambos in uno corpore
Deo par crucem, interficiens inimicitias in semetipso. {Ephes., ii, 11, 17.)
446 L\ SAINTE EUCHARISTIE, — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
<( Père) que toute plénitude habitât dans le Christ Jésus, et par lui
« de se réconcilier toute chose, pacifiant par le sang de sa croix
« soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux. Et vous,
« qui autrefois étiez adversaires et ennemis en esprit par vos
€ œuvres mauvaises, il vous a maintenant réconciliés dans le
€ corps de sa chair, par la mort, pour vous rendre purs et irré-
« préhensibles devant lui i. » Dieu le Verbe est donc dans le
Christ avec la plénitude de sa majesté, de sa sagesse, de sa puis-
sance infinie ; il y est uni en unité de personne avec sa très sainte
et très parfaite humanité. Dans cette adorable personne homme et
Dieu tout ensemble, la divinité et l'humanité travaillent de concert
à opérer entre elles la réconciliation, ou plutôt elles sont un seul
médiateur entre Dieu et le genre humain devenu son ennemi par
le péché. L'homme qui est en Jésus-Christ meurt pour satisfaire
à la justice de Dieu, et le Verbe, qui est Dieu et qui a pris ce
corps et cette âme pour soulTrir et mourir, accepte la satisfaction
offerte. Non seulement il pardonne, mais il comble de biens ceux
qu'un abîme infranchissable semblait séparer de lui à jamais. Et
le sang versé sur la croix réconcilia en môme temps les hommes
entre eux et avec les anges ; il procura la paix véritable à tous les
hommes de bonne volonté, comme l'avaient annoncé les anges à
la venue parmi nous du divin Médiateur : a Gloire à Dieu dans le
€ ciel, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. »
Notre Médiateur n'a pas seulement offert la satisfaction exigée
par la justice divine; il ne s'est pas contenté de présentera Dieu
des mérites assez abondants pour attirer sur nous toutes sortes de
faveurs, il a prié pour nous. Ce qu'il avait mérité par ses travaux,
ses souffrances et sa mort, il a voulu nous l'obtenir encore par ses
prières et ses humbles supplications; car tout médiateur qui prend à
cœur sa mission doit aller jusque-là, s'il juge utile de le faire. Jésus
a donc prié pour nous, pendant sa vie mortelle. L'Évangile nous
apprend cju'il se retirait la nuit dans les montagnes pour le faire,
et S. Jean nous rapporte l'admirable prière qu'il prononça dans le
Cénacle après l'institution de l'adorable sacrement de l'Eucharistie.
1. Quia in ipso complacuit omnem plenitudinem inhabitare : et per eum
reconciliare oinnia in ipsum, pacificans per sanguinem crucis ejus, sive quae
in terris, sive quae in cœlis sunt. Et vos eum essetis aliquando alienati, et
inimici sensu in operibus maiis : nunc autem reconciliavit in corpore carnis
ejus per mortem, exhil)ere vos sanctos et immaculatos et irreprehensibiies
coram ipso. {Coloss., i, 19-22.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 447
« Père saint, disait-il à son Père céleste, conservez en votre
« nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient une seule
« chose comme nous ^. »
Et sur la croix, au milieu des souffrances les plus cruelles, il
priait pour ses bourreaux eux-mêmes et ses blasphémateurs. — 0
bonté ineffable de Notre-Seigneur Jésus-Christ! ô cœur brûlant du
plus ardent amour! Même suspendu à l'instrument ignominieux
du supplice, il n'oublie pas son office de médiateur et il prie pour
ses ennemis les plus cruels.
Non content de prier pour nous, notre divin Médiateur se fait
notre avocat et plaide notre cause auprès de la justice céleste.
L'apôtre S. Jean qui, mieux que tout autre, connaissait les infinies
bontés de Jésuspour nous, adressait ces recommandations précieuses
aux fidèles de son temps : « Mes petits enfants, je vous écris ceci
« afin que vous ne péchiez point. Cependant, si quelqu'un pèche,
« nous avons pour avocat, auprès du père, Jésus -Christ le
« Juste 2. )) Et c'est un avocat plein de zèle, un avocat dont l'élo-
quence et l'autorité sont irrésistibles, un avocat qui ne refuse son
aide à personne de ceux qui l'implorent : « Et il est lui-même
« propitiation pour nos péchés; non seulement pour les nôtres,
a mais aussi pour ceux de tout le monde 3. » Il plaide notre cause
auprès du Père céleste, et il est, non seulement pour nous, mais
pour tous les hommes qui veulent y puiser, une source de justice
et de sainteté toujours intarissable.
Jésus-Christ n'a pas rempli seulement pendant sa vie mortelle
ce rôle d'intercesseur et d'avocat, en faveur des enfants d'Adam
dont il est le frère. Il continue d'intercéder pour nous et de plai-
der notre cause, môme maintenant qu'il est assis à la droite de
Dieu dans la gloire; il le fait aussi, ou plutôt il le fait surtout
dans l'adorable sacrement de l'Eucharistie, où il s'offre de nou-
veau chaque jour et à chaque instant, en hostie de propitiation.
Il est vrai que ni au ciel, ni sur nos autels ou dans nos taberna-
cles, il ne satisfait plus pour nous, ni n'acquiert plus de mérites
\. Pater sancte, serva eos quos dedisti mihi, ut sint unum sicut et nos.
{Joann., xvii, H.)
'2. Filioli mei, haec scribo vobis, ut non peccetis. Sed et si quis peccave-
rit, advocatum habemus apud Patrem, Jesum Christum justum. (/. Joann.,
II, i.)
3. Et ipse est propilialio pro peccatis nostris : non pro nostris autem tan-
tum, sed etiam pro totius mundi. (/(/., n, -1.)
448 L.\ SAINTE ECCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
nouveaux, mais ce qui convient à son état glorieux ou sacramen-
tel, il le fait. Il présente à son Père céleste la nature humaine qu'il
a prise pour nous et dont jamais il ne se séparera ; il rappelle tout
ce qu'il a fait pour l'homme, tout ce qu'il a soullert et mérité. Et
c'est afin que cette intervention soit plus eflicace, qu'il a voulu
garder, après sa résurrection glorieuse, les cicatrices des plaies
de ses pieds, de ses mains et de son côté. Le Père éternel refuse-
rait-il à son Fils ce qu'il lui demande en notre faveur, comme
prix de tant de sacrifices et de soulVrances?
L'homme pouvait-il désirer et Dieu lui-même pouvait-il lui don-
ner un mc-diateur, un intercesseur, un avocat dont l'intervention
se présentai sous des auspices plus favorables? Celui que Dieu
nous donne pour établir et cimenter la paix entre lui et nous,
n'est autre que son Verbe i)ar lequel il a fait toutes choses, et par
lequel aussi il veut réparer tout ce qui avait été corrompu ou
détruit par la malice du démon. Il nous le donne pour chef. Le
Fils de Dieu devient fils de l'homme. Il est un seul Dieu avec le
Père, et il est homme comme nous avec les hommes; de sorte que
si nous adressons nos humbles prières à Dieu, nous prions en
môme temps son Fils; et quand le corps du Fils, c'est-à-dire la
sainte Église dont nous sommes les membres, prie, elle ne se
sépare pas de son divin Chef, Jésus-Christ, Fils de Dieu, notre
unique Sauveur. Il prie pour nous, il prie en nous, il est prié par
nous. Il prie pour nous comme notre prêtre et notre intercesseur ;
il prie en nous comme notre chef; il est prié par nous comme
notre Dieu ^
Plusieurs saints docteurs admettent comme une vérité hors de
doute que l'àme de Notre-Seigneur Jésus-Christ prie et intercède
encore réellement pour nous dans le ciel. Prier Dieu, en effet, c'est
lui témoigner les désirs de son cœur, les exposer dans le but d'ob-
tenir qu'il les accomplisse. Ne semble-t-il pas aussi conforme à la
\. Nullum majus donum praestare posset Deus hominibus, quam ut Ver-
bum suum per quod condidit omnia, faceret illis caput, et illos ei tanquam
membra coaptaret, ut esset Filius Dei et filius hominis, unus Deus cum Pâtre,
unus bomo cum hominibus : ut et quando loquimur ad Deum deprecantes
non inde Filium separemus ; et quando precatur corpus filii non a se separet
corpus suum;sitque ipse unus salvator corporis sui Dominus noster Jésus
Cbristus Filius Dei qui et oret pro nobis, et oret in nobis et oretur a nobis.
Orat pro nobis, ut sacerdos noster; orat in nobis ut caput nostrum, oratur ut
Deus noster. (S. Augdst., Enarr. in Ps. lxxxv, n. j.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 449
Sainte Écriture qu'à la raison d'admettre que notre divin. Média-
teur, en offrant ses mérites au Père céleste, accompagne cette
offrande du désir qu'elle serve à notre salut * ? Il ne demande rien
de nouveau, il est vrai, rien qui n'ait été acquis et mérité d'avance,
mais il prie son Père, pour qu'il accorde aux hommes qu'il aime
tant les grâces méritées pour eux par sa très sainte humanité, et
par-dessus tout la grâce du salut sans laquelle les autres ne seraient
rien.
Rien d'efficace pour affermir en nous l'espérance d'arriver un
jour au ciel, comme la pensée de ce médiateur, de cet interces-
seur, de cet avocat, si puissant auprès de Dieu, qui n'a rien épar-
gné, pas même son sang ni sa vie, pour nous rendre l'amitié du
Seigneur, et nous ouvrir les portes de la véritable patrie, dont
nous étions exilés par le péché d'Adam, auquel nos propres péchés
sont venus s'ajouter encore. Lorsque l'humanité, tout entière cou-
verte de la lèpre hideuse du péché, ne pouvait attendre que les
coups d'une justice inexorable, Dieu a été si bon que le Père
nous a donné son Fils, que le Fils s'est donné lui-même et que le
Saint-Esprit a sanctionné ce don, pour nous racheter et nous
sauver.
Maintenant que nous sommes rachetés, que nos dettes envers la
justice divine sont payées, que nos droits au titre glorieux d'en-
fants de Dieu et d'héritiers de son royaume nous sont rendus, que
ne pouvons-nous pas attendre de la bonté infinie d'un Dieu si géné-
reux? Que ne pouvons-nous pas espérer d'un intercesseur â qui
Dieu ne saurait rien refuser puisque, étant Dieu lui-même, il n'est
pas autre chose que le Père et le Saint-Esprit?
C'est le raisonnement que S. Paul tenait autrefois aux Romains :
Il leur disait : « Dieu témoigne son amour pour nous, en ce que,
« dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est
a mort pour nous. Maintenant donc, purifiés par son sang, nous
« serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère. Car si,
« lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés
« avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconci-
\. Interpellât pro nobis (/. Cor., ii, 1) : Advocatum halmmis apttd Pntrem,
Jesum Christutn. Interpellât autem pro nobis, primo, luiinanitatem suain,
quam pro nobis assunipsit, repnesentando; item sanctissimœ animas suje de-
siderium, quod de sainte noslra liabuit expriinendo, cum quo interpellât pro
nobis. (S. Thuxi., in Kpist. ud Ilebr., cap. vu, lec. i.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 29
450 LA SAINTE BL'CHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
« liés, serons-nous sauvés par sa vie ', » Ce qui était le plus dif-
ficile, ce qui aurait pu sembler impossible à la toute-puissance
même de Dieu, le rachat des liommes parla mort d'un Homme-Dieu
est accompli : pourrions-nous craindre que la miséricorde de Dieu
s'arrête et se détourne de nous, lorsqu'il ne s'agit plus que de nous
appliquer dos mérites acquis par Notre-Seigneur Jésus-Christ, au
prix de tant d'humiliations, d'opprobres et de souffrances, au prix
de tout son sang et de sa vie? Et si quelque crainte essayait de se
glisser encore dans notre àme, approchons de l'autel où Jésus
s'immole pour nous, de la table sainte où il se fait notre nourri-
ture, du tabernacle où il demeure pour écouter nos humbles sup-
plications, et recevoir les témoignages de notre confiance et de
notre amour. Il s'offre de nouveau pour nous, il nous transforme
en lui-même, il se joint à nous comme notre compagnon de tous
les instants, afin de montrer qu'il est toujours là, prêt à nous aider
dans tous nos besoins et à nous protéger contre notre propre fai-
blesse et contre sa propre justice; il prie pour nous, il se donne
à nous, il vit pour nous dans l'Eucharistie : comment pourrions-
nous ne pas mettre toute notre confiance en un tel médiateur, en
un tel avocat qui est en même temps notre juge, qui peut et qui
veut à tout prix nous sauver? Mais aussi combien seraient à
plaindre, combien seraient coupables ceux qui, négligeant le don
de Dieu ou n'ayant pour lui que du mépris, ne profiteraient pas
des bontés infinies et de la puissance de leur divin médiateur!
Puisque nous avons, selon la parole de S. Jean, un avocat, un
intercesseur auprès du Père, et que cet intercesseur est Jésus-
Christqui a lui-mêmeexpié nos péchés, Advocatum habetnus apud
Deum Patrem Jesum Christum justum, et ipse est propitiatio
pro peccatis noslris, recourons à lui. Il est dans le ciel, d'où il
nous voit et nous entend; mais il est aussi dans l'humble demeure
qu'il s'est choisie au milieu de nous. Nous sommes ses amis, ses
frères, ses enfants; il nous attend : allons à lui.
1. Commendnt autem cliaritatem suam Deus in nobis : quoniam cum adhuc
peccalores essemus, secundum tempus, Christus pro nobis mortuus est.
Multo igitur magis nunc justificati in sanguine ipsius, salvi erimus ab ira per
Ipsum. Si enim cuni inimici essemus, reconciliati sumus Deo per mortem
FUii ejus : multo magis reconciliati, salvi erimus in vita ipsius. [Rom., v,
8-n.)
QDELQDES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'BDCHARISTIE. 451
IV.
JÉSUS-CHRIST DANS l'eUCHARISTIE EST NOTRE ROI
ET NOTRE CHEF
Aux divers titres qui conviennent à notre adorable Sauveur
et que nous lui avons déjà reconnus, dans le Sacrement auguste
de l'Eucharistie, il convient d'ajouter ceux de Roi et de Chef.
Le titre de roi est un de ceux qui lui sont le plus souvent donnés
dans la Sainte Écriture. Le prophète Isaïe disait : <r Voici que
« dans la justice régnera un roi K » C'est le même roi dont parle
Jérémie : « Voilà que des jours viendront, dit le Seigneur, et je
« susciterai à David un germe juste ; un roi régnera ; il sera sage,
<r et il rendra le jugement et la justice sur la terre -. » C'est de ce
roi et non pas de lui-même que David chantait : « Pour moi, j'ai
« été établi roi par lui, sur Sion, sa montagne sainte, annonçant
« ses préceptes. Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils ; c'est
« moi qui aujourd'hui vous ai engendré. Demandez-moi et je vous
« donnerai les nations en héritage, et en possession les extrémités
« de la terre 3. »
Qui ne reconnaîtrait dans ce roi, dont les prophètes célébraient
la gloire et annonçaient la venue, tant de siècles à l'avance, le
Verbe incarné, le Fils de Dieu venant sur la terre pour racheter
les hommes et les conduire dans la voie du salut ? Qui n'avouerait
que lerôle de roi terrestre et de conquérant aussi vulgaire n'était pas
digne de la souveraine majesté de Dieu? Il venait pour sauver et
gouverner les âmes ; il venait pour triomplier du démon et du vice,
et pour faire pratiquer la vertu. Si les Juifs y ont été trompés,
c'est qu'ils ont voulu l'être, car le prophète Zacharie leur avait
dit : a Fille de Sion, sois transportée de joie; jubile, fille de Jéru-
« salem. Voici que ton roi viendra à toi, juste et sauveur, pauvre,
« et monté sur une ânesse et sur un poulain, petit d'une
1. Ecce in justilia regnabit rex. {Is., xxxii, 1.)
2. Ecce dies veniunt, dicit Dominas : et suscitabo David germen justum,
et regnabit rex, et sapiens erit, et faciet judicium et justitiam in terra.
{Jerem., xxiii, ti.)
3. Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion montera sanctum ejus,
praedicans praeceptum ejus. Dominus dixit ad me : Filius meus es tu ; ego
hodie genui te. Postula a me, et dabo tibi gentes hœreditatem tuam, et pos
sessionem tuam termines terrse. (Ps. ii, 5-8.)
•452 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. IX.
« ânesse *. » Rien dans ces paroles ne permet de penser à un roi
fastueux, à un guerrier redoutable asservissant tous les peuples à
son empire, par la force des armes. Mais nous y reconnaissons
bien le portrait de notre divin Jésus, tel qu'il se montra au jour
de son entrée triomphale à Jérusalem, quelques jours à peine
avant l'institution de son adorable Sacrement, et la mort cruelle
qu'il endura pour faire la conquête de son royaume. Car, dans
cette conquête, il ne voulut pas qu'il y eût d'autre sang versé que
le sien. Au moment de sa conception dans le sein de la bienheu-
reuse Vierge Marie, l'Ange du Seigneur avait dit à sa Mère :
a ^'oilà que vous concevrez dans votre sein, et que vous enfan-
« terez un fils, à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera
a grand et sera appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu
a lui donnera le trône de David, son père, et il régnera éternelle-
« ment sur la maison de Jacob, et son règne n'aura pas de fin 2. »
Un règne qui n'aura 'pas de fin ne convient pas un roi de la terre;
il n'y a d'éternelle que la royauté de Dieu lui-même. C'est donc
la royauté de Dieu que Jésus-Christ possède, et il exerce cette
royauté, non seulement comme Dieu, mais comme fils de David,
c'est-à-dire comme homme. Sa royauté est complète, absolue; les
nations lui ont été données en héritage. Si, parmi les hommes, il
en est qui commandent aux autres, c'est uniquement parce qu'il
le veut ainsi pour que l'ordre existe sur la terre ; les plus puissants
des monarques ne sont entre ses mains que de fragiles instru-
ments qu'il brise quand il lui plait, comme un vase d'argile. Mais
la royauté qu'il se réserve expressément, c'est la royauté des
âmes. Pour l'exercer visiblement ici-bas, il a établi son Église;
ses ministres parlent, commandent et agissent en son nom. On
croirait parfois qu'il se désintéresse de la conduite des choses
temporelles, tant ceux qui les dirigent ici-bas oublient souvent
que la puissance leur vient de lui, et qu'ils devront lui rendre
compte de leurs actes. Mais pour la royauté spirituelle, pour l'ac-
tion de l'Église, c'est toujours en son nom qu'elle s'exerce visible-
1. Exulta satis filia Sion, jubila, filia Jérusalem. Ecce Rex tuus veniet tibi
juslus et salvator; ipse pauper; et ascendens super asinam, et super pullum
filium asinae. {Zach., ix, 0.)
2. Ecce concipies in utero, et paries filium ; et vocabis nomen ejus Jesum.
Hic erit magnus, et Filius Altissimi vocabitur : et dabit illi Dominus Deus
sedem David patris ejus : et regnabit in domo Jacob in œternum, et regni
ejus non erit finis. {Luc, i, 31-33.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION EXVERS l'eUCHARISTIE. 453
ment et invisiblement. Ceux qui détiennent l'autorité, dans ce
royaume des âmes, ne sont et ne peuvent quelque chose qu'autant
qu'ils se reconnaissent eux-mêmes, et sont reconnus parmi les
hommes pour les représentants légitimes du Seigneur.
Ce divin Roi, ce Sauveur et ce Chef, comme nous l'avons dit
ailleurs, en traitant du culte public que lui doit la sainte Église, a
vaincu tous nos ennemis et nous a enseigné la manière de les
vaincre. Et c'est dans la Sainte Eucharistie qu'il aime à nous
donner ses leçons et à nous faire partager le fruit de ses triomphes.
C'est là, dans le Sacrement de son amour, que ce Roi infiniment
miséricordieux et libéral nous prodigue ses grâces. Il nous con-
sole dans nos épreuves, nous soutient dans nos combats, nous
encourage et nous relève si nous venons à tomber, nous prodigue
ses conseils, ses saintes inspirations. Il est notre roi et veut que
nous entrions un jour dans le royaume de sa gloire, pour y régner
avec lui ; il veut que nous entendions un jour de sa bouche ces
bienheureuses paroles : « Venez, les bénis de mon Père, possédez
« le royaume qui vous a été préparé : Venite, benedicti Patris
« mei, possidete paratum vobis regnum *. » Et pour nous pro-
curer ce bonheur, il n'épargne rien et consent à vivre parmi
nous, à s'immoler encore par le ministère de ses prêtres, et à
devenir l'aliment de nos âmes.
« 0 bon Roi, s'écrie un pieux auteur, que vous êtes puissant,
que vous êtes riche, que vous êtes libéral, que votre amour pour
vos sujets est grand ! De ceux qui vous servent, vous faites autant
de rois; non pas des rois de la terre, mais des rois célestes. Les
princes de ce monde s'efforcent d'acquérir de nouvelles villes, de
nouvelles provinces, au prix de mille travaux, de mille dangers,
de la vie même de leurs sujets; et c'est non pas pour leurs sujets,
mais pour leurs propres intérêts, pour leur gloire personnelle,
qu'ils en agissent ainsi ; mais notre Roi céleste ne travaille que
pour ses sujets; c'est pour eux qu'il a fait, au prix de mille tra-
vaux, au prix de son sang et de sa vie, la conquête du royaume
du ciel 2. » Mais il leur demande de ne pas s'éloigner de lui à
l'heure du combat, et de lui demeurer toujours fidèles. Il dit à
ses Apôtres, au moment de se séparer d'eux pour achever l'œuvre
de notre rédemption par sa mort sur la croix : « C'est vous qui
\. Matth., XXV, 34.
2. Arias, S.J., Tliesaurus inexkaustus, tract. II, c.np. xxi.
454 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
€ êtes demeurés avec moi dans mes tentations. Aussi, moi, je
« vous ai préparé le royaume, comme mon Père me l'a préparé ;
« afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume,
€ et que vous siégiez sur des trônes, pour juger les douze tribus
« d'Israël '. » La nourriture et le breuvage qu'il nous prépare au
ciel, c'est la claire vision de Dieu. Mais déjà sur la terre il nous
donne un avant-goût de cet aliment divin, ou plutôt il se donne
lui-même tout entier à nous comme notre nourriture, dans la
Sainte Eucharistie, lui qui est le Dieu fait homme pour sauver les
hommes, lui dont le nom seul oblige tout genou à fléchir au ciel,
sur la terre et dans les enfers ~.
Entre les merveilles annoncées par les prophètes touchant la
royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il convient de mettre au
rang des plus admirables son universalité. L'univers entier doit
être soumis à ce divin roi. Ce roi, dit David, « subsistera avec le
« soleil et devant la lune dans toutes les générations. Il dominera
« depuis une mer jusqu'à une autre mer, et depuis un fleuve jus-
« qu'aux extrémités de la terre. Devant lui se prosterneront les
« Éthiopiens ; et ses ennemis lécheront la poussière. Les rois de
« Tharsis et des îles lui offriront des présents, et les rois de
« l'Arabie et de Saba lui apporteront des dons. Et tous les rois de
« la terre l'adoreront : toutes les nations' le serviront 3. » Et com-
bien de temps durera cette royauté? « Pendant toute la suite des
« générations : » hi generationem et generationem. Elle durera
« jusqu'à ce que la lune disparaisse à jamais », dit encore le pro-
phète, c'est-à-dire toujours : Donec auferatur luna. Isaïe, Jéré-
mie, Daniel, Zacharie ^, proclament à leur tour que la royauté du
1. Vos autem estis, qui permansistis mecum in tentationibus meis. Et ego
dispono vobis, sicut disposuit mihi Pater meus regnum. Ut edatis et bibatis
super mensam meam in regno meo, et sedeatis super thronos judicantes duo-
decim tribus Israël. [Luc, xxii, 28-30.)
2. Ut in nomine Jesu omne genu flectatur, cœlestium, terrestrium et infer-
norum. \Philipp., ii, 10.)
3. Et permanebit cum sole, et ente lunam, in generatione et generatio-
nem.... Et dominabitur a mari usque ad mare; et a flumine usque ad termi-
nes orbis terrarum. Coram illo procident ^]thiopes, et inimici ejus terram
lingenl. Reges Tharsis et insulae munera olïerent; reges Arabum et Saba
dona adducent; et adorabuiit cum ouines reges terrse; omnes gentes servient
ei. iPs. I.XXI, y, 8-H.)
4. Voir /«., XIV, XLV, XLix, LX, Lxi, Lxvi; Jcrem., xvi, dii; Dan., ii, 44, vu,
14; Zuch., II, H, ix, 10.
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE, 455
Messie embrassera l'univers entier, et qu'elle ne disparaîtra de ce
monde que lorsqu'il cessera d'exister lui-même.
Dès les premiers temps du christianisme, les apôtres et leurs
successeurs immédiats prêchèrent l'Évangile et établirent la
royauté de Jésus-Christ sur les âmes, dans toutes les parties du
monde alors connu ^ En Asie, en Europe, en Afrique, notre divin
Roi compta d'innombrables sujets qui, non contents d'obéir à ses
lois saintes, versèrent généreusement leur sang pour son amour
et pour sa gloire. Malgré tous les efforts de l'enfer et des passions
humaines, le nombre des fidèles sujets du Seigneur alla se multi-
4. Il serait trop long d'en appeler ici au témoignage des Pères. Nous n'en
citerons que deux ou trois des plus anciens.
5. Justin écrivait dans la première moitié du ne siècle :
Neque enim ullum est omnino genus hominum, sive barbarorum, sive
Graecorum, sive eorum qui quovis nomine appellantur, aut eorum qui plaus-
tris pro domibus utuntur, aut eorum qui domorum usum non norunt, vel in
tabernaculis eorum qui pecora pascunl habitant, apud quos Jesu, qui cruci
suffixus est, nomine, preces et Eucharistise (sive gratiarum actiones), rerum
omnium parenti et effectori non fiant. (S. Justin., in Dialogo cum Tryphone.)
On lit dans l'histoire d'Eusèbe de Césarée ces paroles du martyr S. Lucien,
évêque de Nicomédie vers l'an 240, au juge qui le livrait aux bourreaux :
Nos christiani, non humanœ alicujus persuasionis errore constringimur,
nec parentum traditione decipimur. Author nobis de Deo Deus est. Hic erro-
res misera tus humanos, sapientiam suam misit in hune mundum, carne ves-
titam, quae nos doceret Deum qui cœlum fecisset et terram non in manufac-
tis, sed in aeternis atque invisibilibus requirendum. Vitae etiam nobis leges
ac disciplinae prsecepta constituit, servare parcimoniam, paupertate gaudere,
mansuetudinem colère, studere pietati, puritatem cordis amplecti, patientiam
custodire. Sed et ipse qui erat immortalis utpote Verbum et Sapientia Dei,
morti se praebuit, quo nobis in corpore positus, patientiee prcieberet exemplum.
Quae autem dico non sunt in obscuro gesta loco, nec testibus indigent. Pars
pêne mundi jam major huic veritati adstipulatur. (Euseb., Hisl. EccL, lib. IX,
cap. VI.)
Vers la même époque, Tertullien écrivait :
In quem aUum universag gentes crediderunt, nisi in Christum qui jam ve-
nit? Cui et alise gentes crediderunt, Parthi, Medi, Elamit», et qui inhabitant
Mesopotamiam, Armeniam, Phrygiam, Cappadociam et incolentes Pontum, et
Asiam, et Pamphyliam, immorantes /Egyptum, et regionem Africae inhabitan-
tes, Romani et incolae, tune et in Ilierusalem Judjei; et caeterse gentes, ut
jam Getulorum varietates, et Maurorum multi fines, Hispaniarum omnes ter-
mini, et Cialliarum divers» nationes, et Britannorum inacccssa romanis loca,
et Sarmatorum, et Dacorum, et Germanorum, et Scylharum, et abdilarum
mulUirum gentium, et provinciarum, et insularum nobis ignotarum et quse
enuinerare minus possumus? In quibus omnibus locis Christi nomen régnât.
Quis enim alius in tôt gentibus regnare potuisset, nisi Jésus Christus, Dei
Filius, qui in omnil)US gentibus in cEternuin regnaturus nunliabatur? (Ter-
TULL., lib. (tdversus Judseos, cap. vu et viii.)
4o6 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
pliant ; le sang des martyrs était, comme on l'a dit, une semence
de chrétiens ; ce sang coula partout, et partout aussi levèrent
et mûrirent d'abondantes moissons. Et quand de nouvelles con-
trées ignorées jusque-là étaient découvertes, les messagers de
l'Évangile suivaient toujours de près les premiers explorateurs,
s'ils ne les précédaient pas. Partout a été planté l'étendard victorieux
de Jésus-Glirist, la croix; partout son pouvoir suprême a été
reconnu et sa divinité adorée. S'il reste encore quelques contrées
qui ne connaissent pas et ne vénèrent pas le nom de Jésus auquel
tout genou doit fléchir, elles le connaîtront; elles lui rendront à
leur tour leurs hommages et leurs adorations, comme au souve-
rain roi.
Mais, dira-t-on, où donc Jésus-Christ exerçait-il sa puissance
royale, pendant les premiers siècles de l'Église ? Où même l'exerce-
t-il de nos jours? Toutes les nations de la terre ne semblent-elles
pas en révolte contre lui, et ceux qui les gouvernent paraissent-ils
avoir quelque souci plus grave que celui de combattre et de
détruire, s'ils le pouvaient, toute son autorité? Il est vrai qu'il en
est ainsi. Cependant, jamais la royauté spirituelle de Notre-Sei-
gneur n'a répandu un plus brillant éclat. L'enfer et le monde ont
beau faire, le Christ est vainqueur, le Christ règne, le Christ com-
mande; ses ennemis, môme dans l'ordre purement temporel, ne font
que ce qu'il leur permet; toutes les trames ourdies contre lui con-
courent à l'accomplissement de ses desseins et à l'exaltation de sa
gloire. Dès le premier siècle, ce divin Roi eut partout des sujets
fidèles, qui prirent en son nom possession du monde entier : il en
est de même encore aujourd'hui ; il n'est pas de pays où sa royauté
suprême ne soit proclamée. Sans doute, partout aussi les révoltés
abondent; mais leur révolte n'enlève rien aux droits de leur roi
légitime, dont la puissance infinie, qui n'a rien à redouter d'eux,
les chiUiera quand l'heure aura sonné, s'ils ne viennent pas à
résipiscence. ,
Une considération grave s'impose ici. Les nations actuellement '
chrétiennes, même si leurs gouvernements ne le sont pas, renfer-
ment une multitude de saintes âmes soumises ,avec bonheur et ^
amour au sceptre du divin Roi ; il règne véritablement sur elles.
D'autres nations ont été chrétiennes et ne le sont plus. Peut-
être Dieu y trouve-t-il çà et là quelques fidèles serviteurs, et c'est
tout : mais lorsqu'elles étaient chrétiennes, ces mêmes nations,
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 457
aujourd'hui infidèles ou liérétiques, ont donné au ciel des multi-
tudes de saints. Le divin Roi a recruté parmi elles tout ce qu'il lui
plaisait, dans son infinie sagesse, d'en tirer de vaillants soldats et
de sujets fidèles. Il règne au ciel sur cette élite en attendant qu'un
jour peut-être, ces peuples insoumis reviennent à l'obéissance.
D'autres nations encore n'ont pas reçu, jusqu'à ce jour, la
lumière de l'Évangile, et ne reconnaissent pas Jésus-Christ pour
leur roi : mais le temps viendra où leurs yeux s'ouvriront à la
lumière; alors elles donneront, à leur tour, d'innombrables sujets
au royaume des cieux.
Le royaume de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est la vigne que
le père de famille a plantée. Les branches de la vigne ne sont pas
chargées en toute saison de grappes vermeilles. Mais si, pendant
l'hiver, ces branches ne semblent être qu'un bois aride, si la sève
même n'y circule plus, elles n'en sont pas moins précieuses aux
yeux du vigneron ; le printemps ramènera la vie, l'été mûrira de
nouveaux raisins que recueillera l'automne. Et si, pour quelques
plants moins avancés, le temps de donner des fruits n'est pas
encore venu, il ne peut manquer d'arriver à son tour, grâce aux
soins empressés qui leur seront prodigués.
Il en est ainsi de la vigne du Seigneur ou du royaume de Jésus-
Christ. Plusieurs peuples ont produit des fruits de sainteté, mais
n'en donnent plus : c'est pour eux l'hiver ; mais la bonne saison
reviendra. Plusieurs autres n'ont rien donné encore, mais à leur
tour, ils deviendront fertiles. Heureux les peuples pour qui la
stérilité de l'hiver est inconnue ; heureux ceux qui, dès les pre-
miers siècles, se sont attachés à l'étendard du divin Roi et qui,
depuis, l'ont toujours suivi avec fidélité; heureux les peuples qui,
non contents de cette fidélité, ont de tout temps accepté la mis-
sion sacrée de faire connaître, aimer et servir Jésus-Christ, leur
Seigneur et leur Dieu.
Qu'il est beau le royaume de notre divin Jésus ! Partout la per-
fection la plus entière y resplendit d'un merveilleux éclat. Parfaite
est la vérité de la foi dans cet heureux royaume ; parfaite la pureté
de la doctrine; parfaite la sainteté de la vie; parfaites la suavité
et l'utilité des lois ; les miracles, la sagesse spirituelle, l'abon-
dance de la grâce et des dons célestes, la multitude de ceux qui
jouissent de ces biens, tout concourt à le rendre vraiment digne
du roi qui le gouverne. 0 cité de Dieu, où Dieu daigne tout régir et
468 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
diriger lui-même pour le plus grand bien de ceux qui l'habitent î
0 maison de Dieu, dont tous les habitants sont les temples
vivants de Dieu et son séjour aimé entre tous! 0 véritable royaume
des cieux, puisque l'Église d'ici-bas n'est avec celle qui triomphe
dans les cieux, qu'une seule et unique Église !
La reine de Saba disait autrefois au roi Salomon : « Heureux
€ vos sujets et heureux vos serviteurs, qui sont toujours devant
« vous, et qui écoutent votre sagesse *. » Notre bonheur est plus
grand que celui des serviteurs de Salomon. Nous avons comme
eux l'avantage de jouir chaque jour, si nous le voulons, de la pré-
sence de notre Roi. Nous le possédons dans la Très Sainte Eucha-
ristie; il est toujours prêt à nous donner audience, à nous recevoir
avec une ineflable bonté. Il est plus puissant que Salomon pour
nous défendre; plus riche, plus libéral et plus sage pour nous
venir en aide dans tous nos besoins; plus miséricordieux pour
nous pardonner et nous relever s'il nous arrive de tomber. Il n'est
pas entouré d'un appareil de majesté qui intimide les petits et les
pauvres ; et cependant il est le Roi des rois, le Seigneur des sei-
gneurs; il est Dieu lui-même fait homme et voilé sous les espèces
eucharistiques, pour vivre parmi les hommes; roi par sa toute-
puissance, et père par son ineffable tendresse.
Le saint homme Job disait autrefois que la vie de l'homme est
un état de lutte, une guerre continuelle sur la terre : Militia est
vita hominis super terrain. Cette parole, vraie pour tous les des-
cendants d'Adam, l'est particulièrement pour les chrétiens. Or, pour
combattre avec succès, toute armée a besoin d'un chef. Jésus-
Christ, roi de la sainte Église de Dieu, est aussi le chef qui con-
duit ses enfants au combat et les fait triompher. Nous lisons dans
l'Apocalypse : « Un grand prodige parut dans le ciel : une femme
« revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et sur sa tête une
« couronne de douze étoiles. Elle était enceinte et elle criait, se
« sentant en travail, et elle était tourmentée des douleurs de l'en-
• fantement. Et un autre prodige fut vu dans le ciel : un
« grand dragon roux, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses
« sept têtes sept diadèmes. Or sa queue entraînait la troisième
« partie des étoiles, et les jeta sur la terre; et le dragon s'arrêta
« devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer son fils,
1. Beati viri lui et beati servi lui, qui stant coram te semper, et audiunt
sapienliarn tuam. (///. neg., x, 8.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 459
« aussitôt qu'elle serait délivrée. Elle enfanta un enfant mâle,
« qui devait gouverner toutes les nations avec un sceptre de fer,
« et son fils fut enlevé vers Dieu et vers son trône. » Plus loin, on lit
encore : « Et le dragon poursuivit la femme qui avait enfanté l'en-
« fant mâle.... etil s'irrita contre la femme, et il alla faire la guerre
« à ses autres enfants qui gardent les commandements de Dieu et
« qui ont le témoignage de Jésus-Christ '. »
La femme revêtue du soleil, ayant la lune sous les pieds et une
couronne de douze étoiles, est la bienheureuse Vierge Marie;
mais c'est aussi la sainte Église de Dieu. Le fils que l'Église
enfante ce sont les fidèles. Elle les enfante dans la douleur, priant
et gémissant pour eux, afin qu'ils soient des saints sur la terre;
elle leur prêche l'Évangile, les presse de pratiquer le bien; elle
souffre avec eux, s'afflige de leur malheur tant qu'ils sont dans le
péché, se livre à toutes les rigueurs de la pénitence pour obtenir
leur justification. C'est ce fils, ou plutôt ce sont ces justes, qui
jugeront un jour les nations en toute rigueur de justice, avec
Jésus-Christ, le souverain juge, de qui David a dit aussi qu'il
régirait les peuples avec une verge de fer : Reges eos in virga
ferrea.
Le fils de la femme mystérieuse qui est enlevé vers le trône de
Dieu représente les enfants de l'Église, les justes qui, après cette
vie, sont enlevés au ciel, où ils jouissent de réternelle félicité, par
la vision béatifique de Dieu. Le dragon, qui voudrait dévorer ce
fils et qui ne le peut pas, est le démon, dont toute la rage se
tourne contre l'Église et contre ceux de ses enfants qui sont
encore sur la terre. Il leur déclare une guerre sans merci. C'est
donc contre le démon et ses anges, contrôles sept péchés capitaux,
qui sont ses sept têtes, contre la désobéissance à chacun des dix
commandements, dont le démon se fait dix cornes acérées pour
transpercer notre àme, que nous avons à combattre. Que pour-
rions-nous si nousmanquionsd'unchef qui nousdirige qui noussou-
tienne et nous donne les forces dont nous avons besoin? Mais notre
divin Roi est le chef qui nous conduit à la bataille et la force de
nos ennemis n'est rien, comparée à sa puissance. Il a vaincu le
démon, il a vaincu le monde, qui s'allie au démon pour combattre
les saints ; il ne nous demande que de faire quelques elTorts, afin
\. Apoc, iii, passim.
460 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
de contribuer, selon notre faiblesse, à la victoire dont tout le
profit sera pour nous. Mais la victoire est remportée d'avance,
pour peu que nous voulions combattre et que nous n'allions pas
honteusement nous livrer à notre ennemi. S. Paul disait : « Je
« rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-
« Seigneur Jésus-Christ. C'est pourquoi, mes frères bien-aimés,
c soyez fermes et inébranlables ^. » Dieu nous a donné la victoire
par Noire-Seigneur Jésus-Christ ; soyons fermes et inébranlables
autant qu'il est en nous, et il nous gardera le fruit de cette vic-
toire.
Nous qui avons été baptisés, nous surtout qui avons reçu le
sacrement de Confirmation, nous sommes tous les soldats de Jésus-
Christ : il est notre chef, notre général. Mais entre tous ses soldats,
il en est qu'il distingue et qu'il honore d'une manière particulière ;
ce sont les saints martyrs. C'est ainsi qu'un chef d'armée estime
surtout les braves qui se sont exposés à la mort avec plus de vail-
lance, et sont tombés sur le champ de bataille. Endurer le martyre
est l'acte de charité ou d'amour de Dieu le plus grand que l'homme
puisse accomplir ici-bas. Il est possible qu'un chrétien qui n'a pas
l'occasion de donner à Dieu cette preuve de son dévouement, l'aime
néanmoins plus qu'un autre chrétien qui sacrifie réellement sa vie.
Néanmoins ce dernier fait en réalité davantage, car l'acte est plus
que la simple disposition et le désir. Notre-Seigneur Jésus-Christ
n'a-t-il pas dit que la plus grande marque d'amour, c'est de donner
sa vie pour celui qu'on aime : Majorem hac dilectionem neino
liahet, ut animam suam ponat joro amicis suis 2? L'exemple des
martyrs est, pour les autres fidèles, une puissante exhortation à
la pratique de toutes les vertus ; leur intercession auprès de Dieu
dans le ciel est puissante pour ceux qu'ils ont laissés après eux sur
la terre ; le témoignage rendu à la vérité par l'effusion de leur
sang glorifie Dieu, convertit les infidèles, et fortifie la foi de tous.
La parole des prédicateurs de l'Évangile pouvait trouver des incré-
dules ou des hésitants; mais qui pourrait mettre en doute un
témoignage confirmé par le sang même de ceux qui le rendent 3?
i. Deo autem gratias ago, qui dédit nobis victoriam per Dominum nostrum
Jesum Christum. Ilaque, fratres mei dilecti, stabiles estote et immobiles.
(/. Cor., XV, ÎJ7-;J8.)
2. Jonnn., xv, 13.
3. Videle quantum martyribus debeamus. Martyr torquetur ut alii salven-
tur; martyr carnificem excipit et mortem, ut alii Christum agnoscant, vitam-
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'EUCHARISTIE. 461
En sa qualité de notre Chef, Notre-Seigneur Jésus-Christ a com-
battu pour nous; ses exemples nous enseignent comment nous de-
vons nous-mêmes lutter contre nos ennemis, et de quelles armes il
nous faut user.
Si le Verbe divin avait déployé, pour vaincre ses ennemis, la
toute-puissance qu'il possède parce qu'il est Dieu, nous ne pour-
rions pas le prendre pour modèle ; mais il est homme aussi, et c'est
son humanité qui a livré le combat. Elle a triomphé en mourant
sur la croix ; elle a triomphé par la llagellation, les épines, les
clous et les autres instruments de sa douloureuse passion ; elle a
triomphé par l'humilité, la patience, la pauvreté, la miséricorde, la
charité et toutes les autres vertus qu'elle pratiqua pendant sa vie
mortelle.
Telles furent les armes dont notre divin chef se servit pour
vaincre le démon, le monde, le péché et tous les ennemis des
hommes. Si nous voulons profiter de sa victoire et partager son
triomphe, rien de plus facile, mais à la condition de nous servir
des mêmes armes. Servons-nous de la croix de Jésus-Christ, en
nous souvenant souvent de la mort qu'il a endurée pour nous et
dont elle fut l'instrument, ignominieux aux yeux du monde, mais
à jamais béni des saints. Aimons et vénérons les croix qui nous
rappellent celle de notre divin Rédempteur. Traçons le signe de la
croix, avec amour et respect, sur nous-mêmes. Un signe de croix
bien fait suffit pour mettre tous les démons en fuite et vaincre
les tentations les plus violentes ; un signe de croix opère des mi-
racles.
Mais il y a une autre croix que celle sur laquelle Jésus-Christ est
mort afin de nous sauver, une croix que nous devons aimer et
porter en union avec lui tous les jours de notre vie sur la terre :
ce sont les souffrances, les privations, les épreuves de toutes sortes
qui ne manquent jamais ici-bas. Si nous unissons cette croix à celle
de Jésus ; si nous la portons amoureusement en union avec lui ; si
nous ajoutons encore à son poids par des mortifications, des sacri-
que aeternam obtineant. Idcirco voluit Dominus in omnibus inundi partibus
esse martyres, qui diversas pœnas ac mortes pro Christo paterentur, ut tan-
quam locupletissimi testes, fideli dicto suœ confessionis persuadèrent nobis
veritatem fidei, et liumana fragilitas, quœ soli priedicationi divini verbi non
integram, nec perfectam liabebat, haberet eam verbo divine confirmalo tôt
martyrum testimoniis, quos ibi présentes oculissuispati videbat.(S. August.,
serm. III de Mnrtijribus.)
462 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
fices volontaires, nous n'aurons rien à redouter des attaques de
ceux qui cherchent notre perte, et la victoire nous est assurée.
Soulïrir avec une pieuse résignation, pratiquer fidèlement toutes
les vertus dont le divin Maître nous a donné l'exemple, résister
avec courage et persévérance aux ennemis qui nous entourent
mais qui ne peuvent rien contre nous tant que nous resterons fidè-
lement attachés à notre Roi et à notre chef, voilà notre devoir et
voilà notre bonheur pour la vie présente et la vie future. 0 notre
divin Chef, ô notre Roi, vous êtes là, tout près de nous, dans le
sacrement de votre amour. C'est au pied de votre autel et de votre
tabernacle que nous jurons d'être vos sujets à jamais fidèles, et de
toujours combattre vos ennemis qui sont aussi les nôtres, comme
vous nous avez enseigné à le faire. Nous garderons vos saintes
lois ; nous imiterons vos exemples, grâce à votre secours, et nous
recevrpns un jour la couronne que vous réservez à ceux qui, selon
la parole de TApùtre, auront légitimement combattu.
V.
JÉSUS-CHRIST PRÉSENT DANS l'eUCHARISTIE EST NOTRE JUGE
Lorsque prosternés devant Notre-Seigneur Jésus-Christ présent
sur nos autels ou dans nos tabernacles, nous méditons sur ses
grandeurs et ses miséricordes, il est une vérité que nous ne devons
pas oublier. Ce Dieu notre prêtre et notre victime, notre compa-
gnon ici-bas, notre aliment, est aussi notre Juge. Un jour viendra
où nous paraîtrons devant lui pour lui rendre compte de tous les
actes de notre vie, et entendre de sa bouche la sentence de béné-
diction ou de malédiction, de vie ou de mort éternelle que nous
aurons méritée. Mais ne parlons pas ici des châtiments que sa
justice réserve aux coupables impénitents. Ce n'est pas à le craindre
mais à l'aimer qu'il nous invite, dans son Sacrement divin. N'ou-
blions pas ce qu'il est pour les méchants, mais aimons surtout à
considérer ce qu'il est pour ceux dont le cœur se donne entière-
ment à lui et qui s'efforcent de devenir plus dignes de lui chaque
jour.
Le juge, en eflet, n'a pas seulement pour mission de convaincre
les criminels et de les punir; il doit favoriser les bons, les défendre,
se montrer miséricordieux envers eux s'ils ont commis quelque
faute, et les récompenser pour le bien qu'ils ont fait. C'est là sur-
QCELQDES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'EUCHARISTIE. 463
tout ce qui doit faire l'objet de nos pieuses méditations, lorsque
nous nous présentons devant Jésus-Eucharistie, eLque nous recon-
naissons en lui notre juge suprême.
Notre-Seigneur Jésus-Christ est homme et c'est comme homme
qu'il doit nous juger. Il convient en effet que, composés d'un
corps et d'une âme, nous puissions voir de nos yeux, entendre de
nos oreilles celui qui doit prononcer sur notre sort éternel. Il con-
vient qu'il soit l'un de nous, pour que sa sentence soit mieux com-
prise et mieux acceptée de tous, pour que nous ne puissions pas
dire que la faiblesse de notre nature lui est étrangère, et que nos
maux ne le touchent pas. Notre divin Sauveur nous a dit : « Le
« Père ne juge personne, mais il a confié tout jugement au Fils,
« parce qu'il est Fils de l'homme ^ » Il est vrai que le Père éternel
possède dans toute sa plénitude l'autorité de juge suprême ; c'est
à lui premièrement qu'il appartient d'approuver et de récompenser
le bien, de réprouver et de punir le mal. Il en est de même du Fils
considéré comme Dieu et du Saint-Esprit, car ils ne sont avec le
Père qu'un seul et même Dieu. Cependant, prendre place visible-
ment à un tribunal, se présenter avec toute l'autorité et la majesté
du juge suprême des vivants et des morts, prononcer extérieure-
ment, à la vue des bons et des méchants, une sentence qui puisse
être entendue de tous, le Fils de Dieu fait homme le peut seul, en
vertu de son humanité. Le Père et le Saint-Esprit sont juges avec
lui, ou plutôt ne sont avec lui qu'un même juge, mais c'est lui qui
remplit extérieurement les fonctions de juge, déléguées à sa très
sainte Humanité par les trois adorables Personnes.
Si quelqu'un, accusé de crimes qui l'exposeraient aux plus rudes
châtiments, apprenait qu'il aura pour juge, non pas un étranger et
un indifférent, non pas surtout celui qu'il aurait offensé, mais son
propre frère, un frère qui l'aurait aimé jusqu'à sacrifier non seu-
lement ses biens, mais sa vie même pour le sauver, quelles ne se-
raient pas sa consolation et son espérance? Ne serait-il pas en droit
de penser qu'un tel juge profiterait des moindres circonstances, des
moindres prétextes même, pour le déclarer innocent, ou du moins
pour adoucir la sentence. Le juge doit être juge, et il ne peut aller
contre les droits imprescriptibles de la loi : mais la miséricorde a
ses droits aussi ; l'amour trouve mille moyens de venir en aide à
1. Pater non judical quemquam, sed omnc judicium dédit Filio, quia
Filius hominis est. [Joann., v, !28.)
4G4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — Il'= PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. IX.
l'objet aimé; un frère jugé par un tel frère serait bien malheureux,
si son juge n'était pas en même temps- son sauveur.
Dieu a voulu nous donner cette consolation et ce motif d'espé-
rance. Nous sommes tous des accusés et des coupables ; presque
tous nous avons commis des fautes pour lesquelles la divine justice
nous réserverait des supplices éternels, et la même justice exige
que nous soyons jugés. Que fera la miséricorde infinie de Dieu ? Le
Père éternel se récusera en quelque sorte lui-même et, pour juge,
il nous donnera Jésus-Christ son Fils, dont la nature humaine est
la même que la nôtre, qui nous aime d'un amour indicible, qui
désire tant notre délivrance et notre gloire que pour nous les pro-
curer il s'est livré lui-même aux douleurs les plus cruelles, aux
opprobres les plus ignominieux, à la mort enfin, et à la mort de la
croix.
Et ce juge si bon, mais en même temps si juste, afin de nous
apprendre et de nous aider à désarmer la colère céleste, daigne
habiter au milieu de nous, pour nous exciter à la pénitence, nous
encourager au bien, nous soutenir, nous relever si nous tombons;
il est là dans la Très Sainte Eucharistie, pour être notre force,
notre aliment, notre vie, notre défense contre les châtiments sus-
pendus sur nos têtes. Que pouvaient désirer de plus de pauvres
pécheurs, qui devront rendre compte un jour au tribunal suprême,
non seulement de tous leurs actes, mais de leurs sentiments même
les plus fugitifs et de leurs moindres pensées?
Notre Juge très clément nous a manifesté de plusieurs manières
combien il désire avec ardeur nous trouver innocents, n'avoir pas
à nous condamner, mais nous absoudre au contraire, nous déli-
vrer et nous sauver, lorsqu'il viendra prononcer sur nous la sen-
tence sans appel. C'est ainsi que, devant venir à la fin des temps
pour exercer sur tous les hommes sa juste justice et rendre à cha-
cun selon ses mérites, il est descendu d'abord du ciel sur la terre,
une première fois, pour détruire le péché, le consumer, le mettre
à mort par sa propre mort; il est venu pour vaincre nos ennemis,
le démon, le monde, la chair, leur ravir l'autorité qu'ils exerçaient
sur les hommes, énerver et briser les forces qu'ils avaient pour
nuire aux âmes ; il est venu pour enseigner aux hommes la pra-
tique de toutes les vertus, pour leur donner la force de faire à leur
tour le bien, selon qu'il le leur enseignait par ses paroles et par
ses exemples; il est venu enfin pour procurer à tous ceux qui vou-
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 465
draient profiter de tant de bontés une victoire parfaite sur le mal ;
ainsi lorsqu'il descendra une seconde fois sur la terre, dans tout
l'éclat de sa gloire, pour procéder au jugement final, au lieu de les
punir il leur dira : « Venez, les bien-aimés de mon Père, » et les
mettra en possession de l'éternelle gloire de son royaume.
Tel est le mystère que Jésus-Christ nous a donné à entendre plus
d'une fois dans le saint Évangile, en disant qu'il n'était pas venu
pour juger le monde mais pour le sauver. On lit au iii^ chapitre
de l'Évangile de S. Jean : <r Dieu a tellement aimé le monde qu'il
« a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne pé-
« risse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé
« son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le
« monde soit sauvé par lui *. »
Ailleurs, Jésus-Christ dit encore : « Je ne suis pas venu pour
« juger le monde, mais pour sauver le monde 2. » Cependant le
même Évangéliste rapporte aussi de lui ces paroles qui semblent
contredire celles que nous venons de citer : « Je suis venu dans ce
a monde pour exercer le jugement 3. C'est maintenant que le
« monde est jugé ^. » Comment concilier ces textes entre eux?Notre-
Seigneur Jésus-Christ est la vérité même ; il ne peut ni se contre-
dire ni se tromper. Par sa première déclaration, qu'il n'est pas
venu pour juger mais pour sauver le monde, il nous fait connaître
que s'il a pris un corps et une âme comme les nôtres, s'il a voulu
souffrir et mourir, ce n'a pas été pour juger les hommes en ce pre-
mier avènement ; il ne se proposait ni de les punir, ni de les con-
damner, ni d'exercer contre eux les droits sacrés et rigoureux de
sa justice. Si tel avait été son but, il aurait dû condamner et per-
dre tous les hommes ; car presque tous étaient gravement coupa-
bles, et s'il se rencontrait quelques justes parmi les descendants
d'Adam, ils ne l'étaient que par la vertu anticipée de la mort que
ce divin Sauveur devait endurer pour eux. Ce ne fut donc pas
comme juge des hommes qu'il parut au milieu de nous, lorsqu'il
1. Sic enini Deus dilexit mundiim ut Filiiim siuim l'nigenitum daret; ut
omnis qui crédit in eum, non pereat, sed liabeat vitam {eternam. Non enim
misit Deus Filium suum ut judicet mundum, sed ut salvetur mundus per
Ipsum. {Jonnn., lu, Ki, 17.)
2. Non veni ut judicem mundum, sed ut salvificem mundum. [Joann.,
XII, -47.)
3. In judicium ego in hune mundum veni. [Joann. ^ i.\, 39.)
■i, Nuncjudicium est niundi. (./o«nn., xii, 31.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 30
466 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP, IX.
naquit de la bienheureuse Vierge Marie, ni lorsqu'il se manifesta
au monde par sa prédication et par ses miracles. Il venait comme
sauveur, il voulait les sauver en souflVant, en mourant pour eux,
en les délivrant de leurs péchées, en leur donnant la grâce.
Mais néanmoins il venait juger le monde et il pouvait dire en
toute vérité : « C'est maintenant que le monde est jugé : » Nunc
judicium est mundi. Il venait prononcer et exécuter son jugement
en faveur des hommes contre les péchés sous le poids desquels
riiumanité était comme écrasée, contre les démons qui tenaient les
hommes esclaves et courbés sous leur joug tyrannique : « C'est
€ maintenant le jugement du monde, disait-il ; maintenant le
« prince du monde sera jeté dehors, et moi, quand j'aurai été élevé
c de terre, j'attirerai tout à moi. » L'élévation dont il parlait, c'était
son crucifiement ; c'était aussi son élévation jusque dans les cieux
au jour de son ascension glorieuse. Juger le monde ou plutôt juger
entre le monde et le démon qui l'oppressait, pour délivrer le
monde et briser la puissance et le joug de Satan, tel était le juge-
ment que le Fils de Dieu s'était proposé de rendre, en paraissant
parmi les hommes une première fois, et en donnant sa vie pour
eux. Il ne venait pas juger et condamner les hommes qui vivaient
dans le monde, mais juger et condamner la corruption et le dé-
mon, qui régnaient en maîtres incontestés dans l'univers entier.
La présence de notre divin Sauveur, ses enseignements, ses
miracles, les grùces intérieures qui accompagnaient ses paroles et
ses actes, pour tous ceux qui avaient le bonheur de le voir et de
l'entendre, opéraient aussi une sorte de jugement, en séparant les
méchants des bons. Ceux qui se convertissaient à lui recevaient le
pardon de leurs fautes ; le divin Juge prononçait sur eux une
sentence de délivrance et de pardon; de plus il les comblait de ses
bienfaits ; ceux au contraire qui se révoltaient contre l'attrait de
sa grâce et fermaient obstinément les yeux à la lumière, afin de
continuera vivre dans le péché, il les laissait en proie à leur sens ré-
prouvé. Mais ce n'était pas lui qui les condamnait : ils se condam-
naient eux-mêmes par leur obstination.
Une autre marque du désir dont notre divin Juge est possédé de
prononcer sur nous, quand le jour sera venu, une sentence favo-
rable, et de ne trouver ni péchés à punir ni pécheurs à condam-
ner, c'est que, en vertu de la loi qu'il nous a donnée lors de son
premier avènement, chacun de nous a le pouvoir de se juger soi-
à
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 467
même. Aussi longtemps que durera le monde, tout homme qui,
pendant sa vie, se jugera, reconnaîtra ses péchés et se condamnera
lui-même, recevra son pardon, s'il les confesse au prêtre, minis-
tre de Jésus-Christ, avec une véritable douleur et une volonté sin-
cère d'en faire pénitence et de ne les plus commettre. Quiconque se
sera ainsi jugé soi-même et condamné n'aura plus à craindre ni
le jugement ni la condamnation au dernier jour.
Qui n'admirerait pas la douceur d'un tel jugement, la miséri-
corde ineffable d'un tel juge? Que notre divin Jésus montre bien
que son intention n'est pas de nous punir, mais de nous pardonner !
Non, ce n'est pas notre châtiment qu'il veut, mais notre salut. Les
Juifs avaient entendu ces paroles du prophète Ézéchiel : « Est-ce
« que je veux la mort de l'impie, dit le Seigneur Dieu, et non pas
« qu'il se détourne de ses voies et qu'il vive ^ ? » Mais ils n'avaient
pas été témoins de la douceur ineffable de Jésus. Ils ne l'avaient
pas vu s'entretenir, près du puits de Jacob, avec la Samaritaine ;
ils n'avaient pas entendu de sa bouche adorable la parabole du
retour de l'enfant prodigue; ils n'avaient pas admiré comment il
savait sauvegarder le respect de la loi et en même temps accorder
le pardon à la femme adultère ; ils ne savaient pas que de Made-
leine la pécheresse il ferait une àme si pure, un cœur si brûlant
de l'amour divin, que nulle femme, dans le Saint Évangile, ne
serait jugée digne d'un éloge semblable à celui dont il récompen-
sait son humilité, sa pénitence et sa ferveur ; ils ne l'avaient pas
entendu, enfin, promettre à un misérable assassin, expiant ses
crimes sur le bois infâme d'une croix, qu'il serait ce jour-là même
en possession des joies du paradis, parce qu'un rayon de lumière
avait éclairé cette grossière intelligence, et que ce malheureux
n'avait pas étouffé un bon sentiment éveillé dans son cœur par la
grâce.
Nous qui connaissons la miséricorde infinie de notre souverain
Juge, nous qui en avons profité tant de fois déjà, ne nous lassons
pas d'y recourir, toutes les fois que nous en sentons le besoin,
tandis qu'il en est temps encore. L'apôtre S. Jean écrivait à ses
disciples : a Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste
a pour nous remettre nos péchés et pour nous purifier de toute ini-
« quité. » Et l'Apôtre ajoutait : « Si nous disons que nous n'avons
1. Numquid vohintatis mex est mors impii, dicit Dominus, et non ut con-
vertatur a viis suis, et vivat? (Ezech., xviii, "2'^.)
468 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
« point péché, nous le faisons menteur, et sa vérité n'est point en
« nous '. » Lors même que nous ne nous sentirions coupables
d'aucune faute, ne comptons pas sur une justice qui pourrait nous
tromper. Tout homme manque en beaucoup de choses. Reconnais-
sons doni^ que nous sommes pécheurs; humilions-nous devant
notre juge; implorons notre pardon. Et si nous sommes sérieuse-
ment coupables, si même nous avons commis des fautes très
graves, écoutons encore cet autre conseil que S. Jean nous donne
avec une tendre sollicitude : <■' Mes petits enfants, je vous écris
« ceci pour que vous ne péchiez point. Cependant, si quelqu'un
o pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le
« Juste. » Ainsi, notre juge lui-même se fait notre avocat : il a
fait plus, car : « Il est lui-même propitiation pour nos péchés ;
« non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le
«r monde -. »
Mais si la miséricorde de notre juge est infinie, si nous pou-
vons avoir en sa bonté une confiance absolue, il ne faudrait pas
cependant oublier les rigueurs de sa justice, car nous sommes
faibles; nos ennemis, quoique vaincus par Jésus-Christ, sont
encore puissants, et nous pourrions tomber.
S. Bernard nous apprend que les pieds de Dieu, dont il est
parlé plusieurs fois dans la Sainte Écriture, sont la miséricorde
et le jugement. « C'est avec ces deux pieds, dit-il, qui sou-
« tenaient avec tant de proportion la tête de la Divinité, que
« l'invisible Emmanuel, né d'une femme, né sous la Loi, a paru
'< sur la terre et a conversé avec les hommes. C'est encore avec
a ces pieds qu'il passe parmi eux, mais spirituellement et invisi-
« blement, en leur faisant du bien, et en guérissant tous ceux
« que le diable tient dans l'oppression. C'est, dis-je, avec eux
« qu'il marche au milieu des âmes dévotes, éclairant et pénétrant
« sans cesse les cœurs et les reins des fidèles.
« Heureuse l'âme en qui le Seigneur a imprimé ses deux pieds.
1. Si confiteamur peccata noslra, fidelis est et justus ut remitlat nobis pec-
cata nostra, et emundet nos ab omni iniquitate. — Si dixerimus quoniam non
peccavimus, mendacem facimus eum : et verbum ejus non est in nobis. (/,
Joann., i, 1), 10.)
2. Kilioli mei, haec scribo vobis ut non peccetis. Sed si quis peccaverit, ad-
vocalum habemus apud Patrem, Jesum Christum justum. Et ipse est propi-
tiatio pro peccatis nosiris, non pro noslris lantuin, sed etiam pro totius
miindi. '/. Jonnn., ii, \, 2.)
QUELQUES MOTIFS PARTICULIERS DE DÉVOTION ENVERS l'eUCHARISTIE. 469
€ Vous reconnaîtrez à deux marques celle qui a reçu cette faveur,
« car il est nécessaire qu'elle porte en soi cette divine empreinte.
« C'est la crainte et l'espérance. L'une représente l'image du ju-
« gement, et l'autre celle de la miséricorde. Aussi est-ce avec
« beaucoup de raison que Dieu honore de sa bienveillance ceux
« qui le craignent et ceux qui espèrent en sa miséricorde, car la
« crainte est le commencement de la sagesse, et l'espérance en
Œ est le progrès ; la charité en fait la perfection. Cela étant ainsi,
« il n'y a pas peu de fruit à recueillir du premier baiser qui se
« prend sur les pieds. Ayez soin seulement de n'être privé de
« l'un ni de l'autre pied. Si vous êtes vivement touché de vos
« péchés et de la crainte du jugement de Dieu, vous avez imprimé
« vos lèvres sur les pas de la vérité et du jugement. Si vous tem-
« pérez cette crainte et cette douleur, parla vue de la divine bonté
f et par l'espérance d'en obtenir le pardon, sachez que vous em-
« brassez le pied de la miséricorde. Mais il n'est pas bon de
<i baiser l'un sans l'autre : parce que le souvenir du seul juge-
« ment précipite dans l'abîme du désespoir, et la pensée de la
« miséricorde, dont on se flatte faussement, engendre une con-
« fiance très pernicieuse K »
S. Bernard ajoute qu'il sait, par sa propre expérience, combien
il est nécessaire de joindre, dans le service de Dieu, la crainte
1. His duobus ergo pedibus apte sub uno divinitatis capite concurrentibus,
natus ex muliere, factus sub lege invisibilis Emmanuel, in terris visus est, et
cum hominibus conversatus est. His certe pertransit et nunc, benefaciendo
et sanando omnes oppresses a diabolo, sed spiritualiter, sed invisibiliter. His,
inquam, pedibus devotas perambulat mentes, incessanter lustrans, scrutans
que corda et renés fidelium....
Félix mens, cui semel Dominus Jésus utrumque infixerit pedem ! A duobus
signis cognoscite eam quae hujusmodi est, qu» secum necesse est référât di-
vinis impressa vestigiis. Ipsa sunt Timor et Spes : ille judicii, ista misericor-
diae repraesentans imaginem. Merito beneplacitum est Deo super timentes
eum, et in eis qui sperant super misericordia ejus : cum timor initium sit
sapientiee, spes profectus; nam consummatio sibi charitas vindicat. Quîe cum
ita sint, non parvus fructus est in primo hoc osculo, quod ad pedes accipitur :
tantum curato, ut neutro frauderis illorum. Porro eniin si jam dolore peccati,
et judicii timoré compungeris, veritatis judiciique vestigio labia impressisti,
Quod si timorem doloremque divinée intuitu bonitatis, et spe consequendae
indulgentise temperas, ctiam misericordiaî pedem amplecti te noveris. Alio-
quin alterum sine altero osculari non expedit : quia et recordatiosolius judicii
in barathrum desperationis praecipitat, et miscricordiae fallax assentatio pes-
simam générât securitatem. (S. Bernard., in Cant., serm. VI, n. 7 et 8. — La
traduction est de M. l'abbé Charpentier, édit. Vives.)
470 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. IX.
à l'amour, selon renseignement de la Sainte Écriture et des
Pères.
Il y a une crainte servile qui fait qu'on évite d'offenser Dieu,
uniquement parce qu'on redoute les peines qui sont le châtiment
du péché. Cette crainte n'est pas méritoire devant Dieu ; elle est
imparfaite ; elle est bonne néanmoins en ce sens que plusieurs
chutes sont évitées à cause d'elle; mais la crainte de Dieu que la
Sainte Écriture recommande et que notre divin Jésus veut trouver
en nous, est la crainte filiale, par laquelle on redoute et on fuit le
péché, parce qu'il offense Dieu. C'est encore la crainte révéren-
tielle, qui naît du profond respect dont on se sent pénétré à la
pensée de la souveraine majesté de Dieu : on redoute tout ce qui
pourrait blesser les regards d'un Dieu si grand, en même temps
que si bon ; et cette crainte est agréable au Seigneur comme celle
qui procède de l'amour, avec laquelle elle se fond aisément. La
crainte par laquelle on n'aime pas la vertu, mais on redoute le
châtiment, est une crainte d'esclave, dit S. Augustin * ; et c'est
cette crainte que chasse la charité; mais à son tour, la charité qui
chasse cette crainte servile engendre une crainte chaste qui fait
que l'on redouterait de pécher, si même le châtiment n'existait
pas. S. Augustin ne fait qu'expliquer les paroles du disciple bien-
aimé : « Il n'y a point de crainte dans la charité; mais la charité
« parfaite chasse la crainte, parce que la crainte est accompagnée
« de peine. Ainsi celui qui craint n'est point parfait dans la cha-
« rite 2, » Ajoutons avec S. Augustin : Si sa crainte est une crainte
servile qui étouffe l'amour.
Nous ne sommes pas plus parfaits ni plus forts que S. Bernard,
et s'il a quelquefois éprouvé l'utilité, sinon la nécessité d'exciter
dans son âme un vif sentiment de crainte du Seigneur, imitons-le
lorsque nous en éprouvons le besoin, et même sans attendre de
l'éprouver. Pensons au compte terrible que nous aurons un jour
à rendre au tribunal de notre souverain juge, mais prenons garde
1. Timor quo non virtus amalur, sed pœna timetur, servilis timor est;
nique liic est ille timor, qui foras mittit charitatem ; eademque charitas quae
hune timorem foras mittit, producit timorem castum, quo anima timet pec-
care, quamvis pœna non esset. (S. August. — Vide Enarr. in Psal. xxv et
passim.)
2. Timor non est in charitate : sed perfecla charitas foras mittit timorem,
quoniam timor pœnam habet. Qui autem timet non est perfectus in charitate.
(/. Jounn., IV, IS.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 471
que cette crainte ne nuise à l'amour sans bornes, à la confiance
sans mesure que ce juge, qui est en même temps le plus tendre, le
plus généreux des amis et des frères, s'efforce de nous inspirer.
Que notre crainte soit la crainte révérentielle, la crainte filiale,
qu'un père vénéré inspire à des enfants qui l'aiment. Profitons de
ce qu'il est encore notre Emmanuel, notre Jésus, notre Dieu habi-
tant au milieu de nous, non pas pour nous juger, mais pour nous
sauver. Vénérons-le, adorons-le comme les Séraphins qui trem-
blent en sa présence, mais aimons à entourer son humble trône
Eucharistique et à l'aimer comme eux. Alors, s'il se souvient
qu'il est notre Juge, ce sera uniquement pour prononcer la sen-
tence qui assurera notre éternel bonheur.
CHAPITRE X
AUTRES TITRES DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, HOMME-DIEU PRÉSENT
DANS L'EUCHARISTIE, A NOTRE DÉVOTION
I. Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie est notre Pontife et la Victime de notre
sacritice. — II. Il est notre Maître ou notre Docteur. — III. Il est notre Législateur.
— IV. Il est l'Époux de l'Église et des âmes pures. — V. 11 est notre Vie et l'ali-
ment surnaturel de nos âmes.
I.
JÉSUS-CHRIST, PRÉSENT DANS L EUCHARISTIE, EST NOTRE PONTIFE
ET LA VICTIME DE NOTRE SACRIFICE
Parmi les titres de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il est utile
de méditer pour implanter dans nos cœurs une forte et persévérante
dévotion envers l'adorable Sacrement de nos autels, il convient de
rappeler ceux de Pontife et de Victime. Nous avons déjà traité
longuement de l'adorable Sacrifice dans lequel le Seigneur, prêtre
et victime tout à la fois, s'offre lui-même à son Père céleste, sous
les Espèces eucharistiques, parles mains de ses ministres; mais
il est nécessaire d'y revenir encore. Nous ne comprendrons jamais
assez tout ce qu'il y a de bon et de glorieux pour nous, dans la
possession d'un tel prêtre et d'une telle victime; nous ne serons
jamais pénétrés d'un amour trop ardent, d'une dévotion trop pro-
fonde ou trop agissante pour celui qui demeure au milieu de
47:2 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
nous, afin d'y exercer chaque jour, en notre faveur, le sacerdoce
suprême dont il fut investi par son Père.
Le prêtre a pour office d'offrir à Dieu des prières, des dons et
des sacrifices en faveur du peuple ; il doit, en même temps, pré-
senter à Dieu les hommages et les supplications des fidèles. Le
but de cet auguste ministère est d'apaiser la justice de Dieu, irritée
par tant de péchés commis par les hommes, de satisfaire pour
leurs iniquités et d'attirer sur eux les bienfaits de Dieu, au lieu
des châtiments qu'ils ont encourus. Le prêtre doit encore commu-
niquer au peuple les choses divines, enseigner la Iparole de Dieu,
déclarer sa volonté, faire connaître ses lois, ses Sacrements, les
conférer à chacun selon ses besoins et ses dispositions. Tel est
l'office dont la grandeur et le poids épouvanteraient les anges
eux-mêmes, que le prêtre a reçu et qu'il doit remplir.
La Sainte Écriture témoigne en plusieurs endroits que les fonc-
tions du prêtre sont bien celles que nous venons de dire. S. Paul
écrivait aux Hébreux : « Tout Pontife », c'est-à-dire tout prêtre
principal et supérieur aux autres prêtres, « tout Pontife pris
a d'entre les hommes est établi pour les hommes, en ce qui
a regarde Dieu, afin qu'il offre des dons et des sacrifices i. » Pour-
quoi ces dons et ces sacrifices, sinon pour expier les péchés,
apaiser ainsi la colère de Dieu et attirer ses bienfaits? Le prophète
Malachie avait dit : « Les lèvres du prêtre garderont la science et
« l'on recherchera la loi de sa bouche, parce qu'il est l'ange du
* Seigneur des armées 2.
On sait avec quelle perfection souveraine Notre-Seigneur Jésus-
Christ, le Prêtre par excellence, de qui découle tout sacerdoce,
a rempli ces diverses fonctions pendant sa vie mortelle. Nous
avons dit déjà qu'il a prié et qu'il prie encore pour nous, en qua-
lité de médiateur. Il a prié non seulement par la contemplation de
l'essence divine, dont son humanité sainte jouit dès l'instant
même où s'accomplit l'incarnation du Verbe, non seulement par
la sagesse et la science infuse qui lui faisait connaître toutes les
choses divines et dont son âme, plus vaste que le ciel, était toute
remplie, mais il a prié en demandant au Père éternel des grâces
1. Omnis Pontifex ex hominibus assumptus, pro hominibus, constituitur in
ils, quae sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia. {Ilebr., v, \.)
2. Labia enim sacerdotis custodient scientiam; et legem requirent ex ore
ejus; quia angélus Domini exercituum est. [Malach., 11, 7.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EDCHARISTIQDE A NOTRE DÉVOTION. 473
et des dons pour les hommes, et pour sa sainte humanité elle-
même, selon que l'affirme S. Paul dans son Épître aux Hébreux :
« Dans les jours de sa chair, ayant offert avec larmes et grands
a cris des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver
€ de la mort, il a été exaucé pour son humble respect *. » Que
pouvait-il demander à son Père, lorsqu'il le suppliait de le sauver
de la mort, sinon de ressusciter et de glorifier son corps adorable,
après qu'il aurait accompli, en mourant, l'œuvre de notre rédemp-
tion? Car S. Paul nous dit qu'il a été exaucé, comme le demandait
son respect pour le Père, et le respect que le Père lui portait à
son tour. Or, nous savons qu'il est mort sur la croix. Ce n'était
donc pas de ne point mourir qu'il demandait, mais de sortir victo-
rieux des liens de la mort, après qu'il se serait livré à elle.
Jésus priait donc pendant sa vie mortelle ; il priait avec des
larmes, des soupirs, des cris même, afin de montrer extérieure-
ment l'intensité des désirs dont son àme était embrasée. Il prie
encore dans la gloire du ciel. Il prie dans la Très Sainte Eucha-
ristie, où sa présence seule est une prière infiniment puissante en
notre faveur, auprès de Dieu.
Mais pourquoi Jésus priait-il et prie-t-il encore? N'est-il pas le
Dieu tout-puissant dont il est dit : « Tout ce qu'il a voulu, il l'a
fait : » Omnia quœcumque voluit fecit? — Aussi le souverain
Prêtre ne priait-il pas comme Dieu, mais comme homme, et
même à ce titre, s'il priait, c'était librement et sans aucune néces-
sité, mais pour la plus grande gloire de son Père, et pour notre
plus grand bien. Sa divinité pouvait accorder à sa volonté créée
tout ce qu'elle aurait voulu, sans même que le désir en fût
exprimé. Mais Dieu, dans sa divine sagesse, en ordonna autre-
ment. Il voulut que l'humanité du Verbe incarné priât pour le
salut du monde, pour ajouter à sa propre gloire et pour rendre à
la divinité l'hommage le plus parfait qu'elle pût recevoir de la
part d'un esprit créé. Jésus-Christ, en priant, rendait gloire à son
Père; il s'humiliait devant lui et reconnaissait qu'il tenait tout de
ce bien infini, de qui tout bien procède; il enseignait aux hommes
le devoir et l'efficacité de la prière ; il nous sauvait par sa prière,
1. In diebus carnis suse, preces supplicationesque ad eum qui possit illum
salvum facere a morte, cuin clamore valido, et lachrymis ofterens, exauditus
est pro sua reverentia. {Ilehr., v, 7.)
2. Ps. cxm, 3.
474 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II» PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
en môme temps que par ses mérites, et nous obtenait des grâces
plus précieuses et plus abondantes, ajoutant ainsi à la gloire de
notre rédemption.
C'est en ce sens que le Psalmiste met ces paroles sur les lèvres
du Messie : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils; c'est moi
« qui, aujourd'hui, vous ai engendré. Demandez-moi et je vous
« donnerai les nations en héritage, et en possession les extrémités
« de la terre *. » Jésus-Christ est le Fils du Père, comme Dieu,
parce qu'il est engendré par lui de toute éternité; il est aussi son
Fils comme homme : c'est au moment de l'incarnation que le
Père éternel dit au Verbe incarné : Ego hodie genui te : « C'est
« moi qui, aujourd'hui, vous ai engendré. » Et c'est alors qu'il^
lui dit aussi : Postula a me : « Demandez-moi, » et je vous don-;
nerai les nations en héritage. Il veut que l'humanité du Verbe
demande, qu'elle prie : et que demandera-t-elle? Toutes les
nations, qui deviendront son héritage par la foi, qui seront son
royaume, son peuple, ses élus. Jésus-Christ a fait cette prière; il
l'a faite souvent sans doute, mais il l'a faite surtout la veille de sa
Passion, lorsqu'il dit : « Père, l'heure est venue : mettez votre Fils.
« en lumière : » Pater, venit hora; clarifica Filium tuum 2.
Faites connaître au monde qui je suis, de telle sorte qu'il ne
puisse en douter, que tous les hommes croient en moi, qu'ils
obéissent à mon Évangile et que, par ma Passion et ma mort, ils^
obtiennent la vie éternelle. Par cette prière que Jésus-Christ
adressait à son Père, en qualité de prêtre, au moment d'offrir le
sacrifice de son sang et de sa vie sur la croix, il obtint pour les
hommes tous les secours qui leur sont nécessaires pour arriver au
salut, tous les dons, toutes les faveurs, toutes les grâces qui les
aident à faire un bon usage de leur liberté et à mériter le ciel. Si
désormais les hommes se damnent, ils seront sans excuse, car
rien ne leur manquera pour se sauver.
A cette prière pour tous les hommes en général, le divin Prêtre
en ajoute une particulière pour ceux qui seront fidèles à la grâce
et ne repousseront pas les moyens de salut qu'il leur offre. Mais
c'est dans le texte même de l'Évangile de S. Jean, au chapitre xvii%
\. Dominus dixitad me : Filius meus es tu; ego hodie genui te. Postula a
me et dabo tibi gentes hœreditatem tuam, et possessionem tuam terminos
terrae. (/>x. 11, 7, 8.)
2. Jounn., xvii, I.
à
ADTRES TITRES DE JÉSUS EDCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 475
qu'il faut lire cette admirable prière, où se révèle tout l'amour
et toute la tendresse de Jésus pour ceux qui se donnent à lui,
parce qu'ils reconnaissent en lui le Fils de Dieu, vrai Dieu lui-
même envoyé par le Père. Il prie pour ceux qui ont déjà la foi, et
il demande pour eux l'union par la charité, parce que la foi rend
cette union possible. Pour ceux qui ne croient pas encore, il
demande que l'union et la foi, régnant parmi les fidèles, les tou-
chent et les convertissent. Pour ceux qu'un tel spectacle ne fera
pas sortir de leur infidélité, il demande qu'ils aient au moins les
grâces qui leur sont nécessaires pour croire et se soumettre aux
lois de l'Évangile.
Notre divin Prêtre, en priant pour nous, ne craint pas de s'iden-
tifier avec nous, et de se présenter devant son Père comme l'un de
nous, en proie à toutes les misères humaines et chargé comme
nous de péchés. C'était lui qui disait, par la bouche de David :
« Dieu, mon Dieu, abaissez vos regards sur moi ; pourquoi m'a-
c vez-vous délaissé? Les cris de mes péchés sont loin de mon
« salut » ; c'est-à-dire, y sont un obstacle : Domine Deus meuSy
respice in me : quare me dereliquisti? Longe a salute mea
verba delictorum meorum •. Évidemment, le Fils de Dieu fait
homme ne parle pas de péchés qui lui soient propres, lui qui es
la sainteté même. Mais il a pris sur lui tous les péchés des
hommes; il s'en reconnaît responsable envers la divine Justice, et
il demande grâce pour lui-même, afin de l'obtenir pour nous. Dans
un autre psaume, il dit encore : « Levez-vous, Seigneur, et sau-
« vez-moi : » Exurge, Domine, salviim me fac -. Ce n'est pas pour
lui-même qu'il réclame ainsi l'aide du Seigneur; il n'a pas besoin
d'être sauvé, parce que nul mal ne le saurait atteindre, mais c'es
en notre nom qu'il parle, c'est pour nous qu'il fait appel à la
toute-puissance de Dieu; il veut n'être avec nous qu'une seule
personne morale : ce que nous faisons, il le fait; ce que nous
souffrons, il le souffre. C'est dans le même sens qu'il disait à
Saul, terrassé soudain sur le chemin de Damas, par sa grâce et
l'éclat de sa présence : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 3? »
Saul poursuivait les premiers disciples et voulait leur mort :
Jésus-Christ parle comme s'il était directement lui-même l'objet
de ces persécutions. Ne doit-il pas dire, au dernier jugement, à
\. Ps. XXI, I. — ± Ps. m, H.
3. Saule, Saule, quid me persequeris? {Act., ix, i.)
476 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
ceux qui auront fait du bien aux hommes et à ceux qui leur auront
fait du mal, ou auront seulement refusé d'être bons pour eux :
« Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits, qui sont
€ mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait * ?» Et l'on peut dire
qu'il y a plus qu'une union morale entre Jésus-Christ et nous,
tant sont énergiques les paroles dont il se sert, et dont S. Paul
s'est servi après lui pour l'exprimer : « Je suis la vigne et vous
« êtes les branches 2, » dit-il ; et S. Paul n'hésite pas à dire :
€ Vous êtes tous le corps du Christ 3.... Ne savez-vous pas que
« vos corps sont membres du Christ 4?.... Nous sommes les
a membres de son corps 5. » L'amour que Notre-Seigneur Jésus-
Clirist a pour nous est si grand que, pour implorer, en sa qualité
de Pontife suprême, la miséricorde de Dieu dont nous avons
besoin, il s'identifie avec nous et parle comme il conviendrait à un
pauvre pécheur, lui qui est le Dieu de toute sainteté.
Que ne devons-nous pas attendre d'un Pontife qui nous aime
tant et qui intercède pour nous avec tant de ferveur? Que ne
devons-nous pas attendre de Jésus-Christ, entre les mains de qui
le Père a déposé tous les trésors de sa miséricorde et de sa muni-
ficence? Il nous aime sans mesure et il implore pour nous le Père
céleste : le Père pourra-t-il refuser quelque chose à son Fils, qui
regarde comme fait à lui-même le bien qui nous est fait? Quelle
gloire ne nous obtiendra-t-il pas, celui qui désire ce qu'il
demande pour nous, autant que s'il le dem'andait pour lui-même?
Et comment le Père refuserait-il quelque chose à son Fils, qu'il
aime d'un amour infini, qu'il honore comme son égal et qui a
mérité, par ses travaux, ses humiliations, ses souffrances et sa
mort, toutes les grâces qu'il lui plaira de demander pour nous
dans les siècles des siècles?
S. Paul, s'adressant aux Hébreux, leur disait, pour les exciter à
la confiance : « Nous n'avons pas un Pontife qui ne puisse com-
« patirà nos infirmités, ayant éprouvé comme nous toutes sortes
« de tentations, hors le péché. Allons donc avec confiance au trône
« de la grâce, afin d'obtenir miséricorde, et de trouver grâce dans
1. Amen dico vobis : quandiu fecistis uni ex his fratribus mais minimis,
mihi fecistis. {Matth., xxv, AO, AU.)
2. Ego sum vitis, vos palmites. {Joann., xv, ÎJ.)
3. Vos aulem eslis corpus Christi. (/. Cor., xii, 27.)
A. Nescitis quoniam corpora vestra membra sunt Christi? (/. Cor., vi, V6.)
5. Membra sumus corporis ejus. {Ephes., v, 30.)
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 477
« un secours opportun. » Suivons le conseil de S. Paul, appro-
chons-nous avec confiance du trône de miséricorde de notre Pontife.
Ce trône est au plus haut des cieux, à la droite du trône même du
Père. Mais il est aussi sur la terre ; il est dans nos églises. C'est
le tabernacle où Jésus demeure caché pour ne pas s'éloigner de
nous ; c'est la table sainte où il se donne à nous comme nourriture,
c'est le saint autel, où, Pontife suprême, il offre, par le ministère
de ses prêtres, un sacrifice mystérieux dont la victime n'est autre
que lui-même.
Tout homme, et surtout tout chrétien, peut prier et doit le faire.
Si le Pontife en a reçu particulièrement la mission, il n'est néan-
moins pas seul à remplir ce devoir et à rendre cet hommage à
Dieu. Mais il est un acte plus grand et plus sacré que le prêtre
peut seul accomplir : c'est l'oblation du sacrifice. Les fidèles peu-
vent s'unir à lui d'intention pendant l'acte du sacrifice, mais il
n'appartient qu'au prêtre d'accomplir ce grand acte : c'est sa fonc-
tion propre, car, selon la parole de S. Paul : « Tout prêtre est éta-
« bli pour offrir des dons et des sacrifices '. » Notre divin Prêtre,
Jésus-Christ, doit donc offrir à son Père des dons et des sacrifices :
car, dit encore S. Paul, « il est nécessaire que celui-ci ait aussi
« quelque chose à offrir ~. » Et que pouvait-il offrir à Dieu en sa-
crifice qui fût vraiment digne de Dieu, sinon lui-même? Souverain
prêtre, il est aussi la victime par excellence, ou plutôt la seule
véritable victime qui plaise à Dieu, et dont les oblations anciennes
n'étaient que de simples figures, destinées à préparer les hommes
pour le grand jour où serait offert le seul sacrifice capable d'a-
paiser la colère de Dieu et de procurer sa gloire. « Le Christ nous
« a aimés et s'est livré lui-même pour nous en oblation à Dieu, et
<r en hostie de suave odeur ^. Il était impossible que les péchés
tt fussent effacés par le sang des taureaux et des boucs ; c'est pour-
« quoi, en entrant dans le monde, il dit : Vous n'avez pas voulu
« d'hostie ni d'oblation, mais vous m'avez formé un corps. Les
« holocaustes pour le péché ne vous ont pas plu. Alors j'ai dit :
« Me voici, je viens, comme il est écrit de moi en tête du livre,
1. Omnis enim Ponlifex ad ofierendum miincra et liostias consliluilur.
{/le/jr., VIII, 3.)
2. Unde necesse est et hiuic habere aliquid qiiod oflerat. (/</., vm, 3.)
3. Christus dilexit nos et Iradidit semetipsum pro nobis oblationem et hos-
tiam Deo in odorem suavitatis. {Ephes., v, "1.)
478 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
« pour faire, ô Dieu, votre volonté ». » Ainsi parlait l'apôtre
S. Paul. Il disait encore, après avoir rappelé les purifications
auxquelles était employé le sang des victimes de l'ancienne Loi :
€ Combien plus le sang du Christ qui, par l'Esprit saint, s'est offert
« lui-iiK'me à Dieu, comme une victime sans tache, purifiera-t-il
« nos consciences des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant 2? »
Et plus loin il ajoutait : « Jésus-Christ a paru une seule fois, à la
€ consommation des siècles, pour détruire le péché, en se faisant
€ lui-même victime. Et comme il est arrêté que les hommes
« meurent une fois, et qu'ensuite ils sont jugés, ainsi le Christ
« s'est offert une fois, pour effiicer les péchés d'un grand nom-
€ bre 3. »
Notre divin Jésus fut donc victime en même temps que prêtre,
lorsqu'il offrit au Père céleste le sacrifice destiné à la rédemption
du monde. La dignité de la victime était égale à celle de celui qui
l'offrait, et le sacrificateur n'était autre que le Fils de Dieu lui-
même, semblable en tout à son Père. Le prophète Isaïe vit en esprit
l'accomplissement de ce mystère, et, six siècles à l'avance, il le
dépeignit avec des traits que les témoins du sacrifice sanglant du
Calvaire n'eussent pas désavoués. Avec quel oubli de soi-même,
avec quelle générosité infinie, pour grandir ses mérites en notre
faveur, l'adorable victime ne s'est-elle pas livrée, et le souverain
Prêtre ne l'a-t-il pas frappée? Écoulons le prophète : « Méprisé et le
€ dernier des hommes, homme de douleur connaissant l'infirmité ;
« son visage était comme caciié et méprisé, et nous l'avons compté
t pour rien. Il a vraiment lui-même pris nos langueurs, et il a lui-
« même porté nosdoulcurs,et nous l'avons considéré comme un lé-
« preux frappe de Dieu et humilié. Mais lui-même il a été blessé à
€ cause de nos crimes ; le châtiment prix de notre paix est tombé sur
\. Irnjx)ssibile enim est sanfînine laurorum el hircorum auferri peccata.
Ideo ingrediens mundum dicit : Hosliam et oblationem noluisti : corpus au-
tem aplasli mihi. Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt. Tune
dixi : Ecce venio. In capile libri scriptuin est de me : Ut faciam, Deus, volun-
tatem tuam. (I/ehr., \, A, 7.)
■2. Quanto inagis sanguis Christi, qui per Spiritum sanctunti semetipsum
obtulil imrnaculatum Ueo, emundabit conscientiam nostram ab operibus mor-
tuis, ad servienduin Deo viventi. (Id., ix, 44.)
3. Nunc autem semel in consuminaliono saîculorum, ad destitutionem pec-
cati per hostiam suam app;iruit. VA queuiadmodum statutum est bominibus
semc'l mori, iwsl hoc aulein judiciuin : sic el Christus semel oblatus est ad
mullorum exiiaurienda peccata. (Id., ix, i20-28.)
AUTRES TITRES DE JÉSDS ECCHARISTIQDE A NOTRE DÉVOTION. 479
« lui ; et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Nous tous
« comme des brebis nous avons erré ; chacun a tourné vers sa
€ voie ; et le Seigneur a mis sur lui l'iniquité de nous tous. Il a été
« offert parce que lui-même Ta voulu, et il n'a pas ouvert sa bou-
« che; comme une brebis il sera conduit à la tuerie, et comme un
« agneau devant celui qui le tond, il sera muet, et n'ouvrira pas
« sa bouche. A la suite des angoisses et d'un jugement, il a été
« enlevé ; qui racontera sa génération ? car il a été retranché de la
« terre des vivants ; à cause des crimes de mon peuple, je l'ai
« frappé 1. »
Voilà notre Prêtre et notre Victime ! Que rendrons-nous au Sei-
gneur pour l'immense bienfait que nous avons reçu de lui? Que lui
rendrons-nous pour la bonté, pour l'amour infini qu'il nous a té-
moigné en se livrant ainsi pour nous ?
Car c'est son amour pour les hommes qui a porté le Père éternel
à donner son Fils pour notre salut : « Dieu a tellement aimé le
« monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
« en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle, » dit l'apôtre
S. Jean 2. Et en nous donnant son Fils, il nous a communiqué
les droits qui appartiennent à ce Fils bien-aimé. Son héritage cé-
leste est devenu notre héritage, son royaume notre royaume, sa
gloire notre gloire; sa famille notre famille. Avec lui nous sommes
enfants de Dieu ; avec lui nous sommes enfants de Marie. L'apôtre
S. Paul ne se lassait pas de témoigner à Dieu sa reconnaissance
pour de si grand bienfaits. « Béni soit le Dieu et Père de Notre-
« Seigneur Jésus-Christ, s'écriait-il, qui nous a bénis de toute
« bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ! Comme
a il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous
a fussions saints et sans tache, en sa présence dans la charité ; qui
« nous a prédestinés à l'adoption de ses enfants par Jésus-Christ,
« selon le dessein de sa volonté ; pour la louange de la gloire de sa
« grâce, dont il nous a gratifiés par son bien-aimé Fils, en qui
« nous avons la rédemption par son sang et la rémission des péchés,
1. Voir le texte latin dans la Vulgate, Is., lui, 3-8. — Nous rappelons que, le
plus souvent, nous empruntons nos traductions de la Sainte Kcriture à la
Bible de M. l'abbé Glaire, la plus autorisée et la plus sûre des traductions
françaises de nos saints Livres.
2. Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum Unigenitum daret; ut omnis
qui crédit in cum, non pereat, sed habeat vitam œternam. {Joann., m,
16.)
480 LV SAINTE EL'CRARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. X.
« selon les richesses de sa gloire K » Et si le Père nous a tant
aimés, qu'il nous a donné ce Fils par qui nous sont venus tous les
biens; s"il nous a tant aimés qu'il a livré pour nous à la mort
Téternel objet de ses complaisances, le Fils, à son tour, s'est donné
librement pour nous, et c'est aussi par amour qu'il l'a fait. C'est
encore l'apotre S. Paul qui nous raflirme. Aux Galates il écrit, en
parlant du Seigneur : « Il m'a aimé et il s'est livré lui-même pour
« moi -. » Aux Éphésiens : « Il s'est livré lui-même en sacrifice
« pour nous 3. » Et ailleurs : « Il a aimé l'Église et il s'est livré
c pour elle *. » Il nous a aimés dès le premier instant de sa con-
ception dans le sein immaculé de Marie, et dès cet instant il s'est
offert en victime pour l'Église et pour chacun des hommes en par-
ticulier. Cette première oITrande, il l'a ratifiée tous les jours de sa
vie, ne vivant que pour la gloire de son Père et pour nous, jus-
qu'au moment où il accomplit enfin, sur l'autel de la Croix, le
sacrifice pour lequel il avait pris un corps capable de souffrir et
de mourir. Voilà comme il nous a aimés, et voilà comme il nous
aime.
Si nous voulons la preuve que l'amour du Père éternel et de son
divin Fils pour nous est toujours le même, que le Père nous donne
encore son Fils et que le Fils se livre encore pour nous, approchons
de l'autel où le prêtre olVre chaque jour le sacrifice eucharistique.
Jésus-Christ est encore là ; le Père éternel nous le donne encore,
afin quil intercède pour nous, qu'il olVrc pour nous une oblalion
sainte qui n'est autre que lui-même, afin qu'il s'immole mystique-
ment mais aussi réellement qu'il l'a fait autrefois sur le Calvaire,
quoique d'une autre manière. Ecoulons le saint Concile de Trente :
« Quoique Notre-Seigneur Jésus-Christ dût une fois s'offrir lui-
« même à Dieu son Père, en mourant sur l'autel de la Croix, pour
« opérer la rédemption éternelle, néanmoins, parce que son sacer-
i. Fiencdictus Deus et l'alcr Doinini noslri Jesu Christl, qui elegit nos in
omni licnedictione sj)irifu.'ili in cœleslihus in Christo : sicut elegit nos in ipso
anle inundi constilulionoin, ut essemus sancti, et immaculati in conspectu
c'jus in cliarilate. Oui jtra'deslinavit nos in adoptionein filiorum, per Jesum
Chrisluin in ipsuin, secunduin propositum voluntatis ejus, in laudcm gloriae
gratiai suœ, in <|ua gratificavit nos in diiecio Filio suo : in quo habemus re-
deniplionem per sanguinem ejus, remissionem peccatorum, secundum divi-
tiasgr.iliae ejus. {Ej/ltes., i, ;{-7.)
2. Dilexit me et tradidit semetipsuiu j)roptcr me. {Galal., n, "20.)
:j. Tradidit semetipsum pro nobis oblalionem. {Ephes., v, 2.)
4. Dilexit Ecclesiam et semetipsum tradidit pro ea. {Id., v, 25.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 481
« doce ne devait pas être éteint par la mort, pour laisser à l'Église,
« sa chère Épouse, un sacrifice visible, tel que la nature des
« hommes le requérait, par lequel ce sacrifice sanglant, qui de-
« vait s'accomplir une fois par la croix, fût représenté, la mémoire
« en fût conservée jusqu'à la fin des siècles, et la vertu si salutaire
« en fût appliquée pour la rémission des péchés que nous commet-
« tons tous les jours : dans la dernière Cène, la nuit même qu'il
« fut livré, se déclarant Prêtre établi pour l'éternité selon l'ordre
« de Melchisédech, il offrit à Dieu le Père son corps et son sang,
« sous les espèces du pain et du vin, et sous les symboles des
« mêmes choses, les donna à prendre à ses Apôtres qu'il établis-
« sait dès lors prêtres du Nouveau Testament; et par ces paroles :
« Faites ceci en mémoire de moi, leur ordonna à eux et à leurs
a successeurs de les offrir '. » Les successeurs des apôtres, les évo-
ques et les prêtres, obéissent à l'ordre qu'ils ont reçu, ils offrent
le divin sacrifice comme Jésus-Christ leur a enseigné à le faire. A
leur voix il descend du ciel et change le pain et le vin en sa propre
substance. Il est là, prêtre suprême et victime, comme il était dans
le Cénacle, comme il était sur le Calvaire, et c'est son amour pour
son Église et pour chacun de nous qui l'y appelle. Heureuse
l'Église qui peut offrira Dieu un tel sacrifice par le ministère d'un
tel prêtre! Heureux les fidèles qui peuvent chaque jour se proster-
ner au pied de l'autel où le Fils de Dieu s'immole lui-même réel-
lement, d'une manière non sanglante, pour leur appliquer avec
abondance les mérites du sacrifice sanglant de la Croix. Heureux
les ministres choisis et consacrés par les successeurs des apôtres,
pour monter au saint autel, et prononcer, au nom du Pontife su-
prême, les paroles par lesquelles s'accomplit le plus grand des
\. Is igitur Deus et Dominus noster, etsi semel seipsum in ara cruels,
morte intercédante, Deo Patri oblaturus erat, ut seternam illic redemptionem
operaretur : quia tamen per mortem sacerdotium ejus extinguendum non
erat; in cœna novissima, qua nocte tradebatur, ut dilectœ sponsœ suae Eccle-
siae, visibile, sicut natura liominuin exigit, relinqueret sacrificium quo cruen-
tum illud, semel in cruce peragendum reprsesentaretur ; ejusque memoriara
In finemusque sseculi permaneret, atque illius salutaris virtus in remisslonem
eorum quae a nobis quotidie committuntur, peccatorum applicaretur; sacer-
dotem secundum ordlnem Melchisedecli se in ceternum constitutum declara-
vit, corpus et sanguinem suum sub speciebus panis et vini Deo Patri obtulit ;
ac sub earumdem rerum syml)olis Apostolis, quos tune novi Testamenti sacer-
dotes constiluebat, ut suinerent tradidit et eisdem, eorumque in sacerdotium
successoribus, ut oiïerrent iJrascipit, per ba^c verba : Hoc facile in meam
commemorationein. {Concil. Trident., sess. XXII, cap. i.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 31
48:î LA SAINTE EUCHARISTIE. — II"" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
miracles que pouvait inventer l'amour d'un Dieu, uni à son in-
finie sagesse : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. »
II.
JÉSLS-CHIUST l'IlKSENT DANS LEUCIIAHISTIE EST NOTRE MAITRE
OU NOTRE DOCTEUR
Le Dieu que nous adorons dans la très sainte Eucharistie avait
été promis aux hommes par les Prophètes, comme le Maître ou le
Docteur par excellence, qui devait leur enseigner les voies du
salut, et dissiper toutes les erreurs. Le prophète Joël s'écriait, en
s'adressant non pas seulement aux Juifs, mais à toutes les âmes
désireuses de la vérité : « Et vous, fils de Sion, exultez et réjouissez-
« vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu'il vous a donné un doc-
€ teur de justice '. » Ce n'est pas le premier maître venu, donnant
un enseignement quelconque : c'est le docteur par excellence, celui
qui lait connaître aux honmies la véritable justice et leur apprend
à pratiquer la piété envers Dieu et toutes les vertus que la véritable
justice embrasse. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne repousse pas ce
titre (|ue lui donne le prophète ; au contraire, il dit à ses Apôtres :
« ouon ne vous appelle point non plus Maîtres, parce qu'un seul
« est votre Maître, le Christ 2. » Et la veille de sa mort, dans les
dernières instructions qu'il leur adresse au moment de se rendre
au jardin des Olives, il répète le même enseignement : « Vous
t m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis ^. »
Il est le seul et unique maître à qui ce titre appartienne dans toute
sa plénitude, parce qu'il possède seul l'autorité, la science et la
sagesse absolues.
Il fallait aux hommes un maître ou un docteur en rapport avec
leur nature, un maître qu'ils pussent voir de leurs propres yeux et
dont les paroles frappassent leurs oreilles, un maître qui demeurât
au milieu d'eux, s'entretînt familièrement avec eux, pût se mettre
en tout à leur portée : il était donc nécessaire que ce Maître fût
un homme. Mais il fallait aussi que cet homme fût infaillible,
\. Filii Sion, exullate et Isetamini in Domino Deo veslro, quia dabit vobis
Doctorein Jusliliîe. {Joël., 11, 23.)
2. Nec voceinini inagistri : quia magister vester unus est Christus. {Matth.,
xxiii, 10.)
3, Vos vocatis me Magister, et Domine : et bene dicitis : sum etenlm.
{Joann., xili, 13.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 483
qu'il ne pût s'égarer, qu'il ne pût ni tromper ni vouloir tromper ;
afin que l'on suivît son enseignement dans la sécurité la plus
parfaite.
Isaïe annonçait au peuple juif que tel serait le Maître que Dieu
lui enverrait ou plutôt qu'il donnerait à son Église : « Le Sei-
« gneur ne fera pas que celui qui vous instruit s'en aille loin de
« vous : et vos yeux verront votre maître. Et vos oreilles enten-
« dront la voix de celui qui derrière vous vous avertira. Voici la
« voie ; marchez-y, et ne vous détournez ni à droite ni à gauche K »
C'est bien ce que fait pour nous le divin Maître que nous possédons
au Très Saint Sacrement de l'autel. Il ne s'éloigne pas de son
Église. Présent en tous lieux par sa divinité, il multiplie la pré-
sence de son humanité sainte et fait sa demeure dans nos taberna-
cles, pour être toujours au milieu de nous. Il est vrai que nous ne
le voyons pas de nos yeux comme l'ont vu les Juifs, et que nous
ne l'entendons pas de nos oreilles; mais nous le voyons des yeux
de la foi qui, plus clairvoyants que les yeux de la chair, ne peuvent
nous tromper. Nous recueillons ses enseignements divins de la
bouche de ses ministres à qui l'Église, chargée par lui de conserver
intacte et d'interpréter sa divine parole, donne la mission de nous
les transmettre. C'est ainsi qu'il nous parle extérieurement, tandis
que par sa grâce il agit intérieurement sur nos âmes, les éclaire,
les excite au bien, les enrichit de ses dons et de ses faveurs. Le
Christ qui est la splendeur du Père, le soleil de l'éternelle vérité,
se fait ainsi notre flambeau, au milieu des ténèbres de cette
vie.
Car les ténèbres, dont l'homme est naturellement entouré ici-bas,
sont profondes. Le péché du premier homme a tout obscurci pour
nous. Nous ne comprenons plus rien de nous-mêmes aux choses
de Dieu ; nous ne comprenons presque rien aux choses naturelles
qui nous entourent; et si parfois brille pour nous un pâle rayon de
lumière, au lieu d'admirer la sagesse et la puissance du Créateur,
c'est nous-mêmes que nous admirons. L'orgueil tourne en mal
pour nous-mêmes ce qui nous reste des lumières primitives. « Toutes
« choses sont difficiles à comprendre ; l'homme ne peut les expli-
d. Et non faciet avolare a te ultra doctorem tuum : eterunl oculi tui viden-
tes praeceptorem tuum. Et aures tuse audient verbum post tergum inonentis :
Haec est via ; ambulate in ea ; et non declinelis neque ad dexteram neque ad
sinistram. {Is.,xxx, 20, 21.)
.'»S4 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. X.
. quer par le discours ', » disait le plus sage des rois et le plus
éclairé des hommes, Salomon. Dieu a livré le monde à nos études,
à nos discussions ^, mais quels que soient nos elTorts et nos dé-
couvertes, nous ne connaîtrons jamais ici-bas qu'une faible partie
des merveilles dont il a semé son œuvre.
Comment donc, sans les enseignements d'un Docteur qui sait
toutes choses et qui ne peut pas vouloir nous tromper, pourrions-
nous connaître l'origine de tout ce qui existe, et, en particulier,
de cette ignorance qui pèse sur nous, contrairement à la nature
spirituelle de nos âmes? Comment saurions-nous que Dieu nous
a créés et que le péché d'Adam nous a aveuglés et perdus »? Com-
ment connaîtrions-nous la véritable fin de l'homme et le moyen
qui peut le conduire au bonheur?
Quelques anciens philosophes, les plus sages d'entre les Gentils,
ont semblé reconnaître l'existence d'un Dieu unique, créateur et
souverain maître de toutes choses. Socrate, Platon, Aristote, Cicé-
ron n'ignorèrent pas absolument cette vérité. Mais outre que la
connaissance tju'ils en curent était pleine de ténèbres et d'incer-
titudes, on peut dire que ce n'était là qu'un reste des anciennes
traditions, que la connaissance qu'ils eurent, au moins indirecte-
ment, des livres sacrés de la nation juive, raviva pour eux. Et
cette connaissance telle quelle de l'existence de Dieu demeura tou-
jours pour eux à l'état de pure théorie, sans qu'ils songeassent
même à en tirer quelque conséquence pratique. Aussi, S. Paul
dit-il, en parlant d'eux : « Ils sont inexcusables parce que, ayant
€ connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui
€ ont f>as rendu grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées,
« et leur co'ur insensé a été obscurci. Ainsi, en disaùt qu'ils étaient
c sages, ils sont devenus fous ''. » Et l'Apôtre énumère quelques-
1. CunctîE rei difficiles; non potest cas homo explicare sermone. {Eccles.,
I. «.)
2. Dcus mundum tradidit disputationibus eorum. {Id., m, M.)
3. Quod ad jtriimin nriginem pertinet, omnein inortalium progeniem fuisse
correctam ac dainnalain, hiv.c ipsa vita si vita dicenda esl, lot et tantis malis
plena leslatur. Quid enim aliud indicat horrenda quœdam profunditas igno-
rantiae, ex qiia omnis error existit, qui nuines filios Adam lenebroso quodam
sinu suscipit, ut liomo ab illo liberari sino labore, dolore, timoré non possit ?
(S. Al<;ust., de Civitatc J)ei, lib. XXII, cap. xxii. — Vide etiam S. Thom.,
contra Gentes, lib. IV, cap. LU.)
i. Itaul sint inexcusabiles, quia cum cognovissent Deum, non sicut Deum
glorificaverunt, aut gratias egerunt : sed evanuerunl in cogilationibus suis.
ADTRES TITRES DE JÉSUS EOCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 485
unes des abominations dans lesquelles ces sages, ces moralistes de
l'antiquité païenne se plongeaient ignominieusement ^
Mais Dieu n'avait pas abandonné la nature humaine et, même
avant la venue du Verbe divin sur la terre, quelques rayons de la
lumière qu'il devait apporter aux hommes avaient été communi-
qués au peuple choisi, par les prophètes. C'était déjà notre Docteur
qui parlait par leur bouche et qui leur dictait les enseignements
que leurs écrits nous ont gardés. Aussi le grand Apôtre adressait-il
ces sages conseils à son disciple Timothée : « Pour toi, demeure
« ferme dans ce que tu as appris et qui t'a été confié, sachant de qui
« tu l'as appris, et que dès l'enfance tu as connu les saintes lettres
« qui peuvent t'instruire pour le salut par la foi qui est en Jésus-
« Christ. Toute écriture divinement inspirée est utile pour ensei-
« gner, pour reprendre, pour corriger, pour former à la justice,
« afin que l'homme de Dieu soit parfait et préparé à toute bonne
« œuvre ~. » Aux livres de l'Ancien Testament dont parlait princi-
palement l'Apôtre, dans son Épître à Timothée, se sont ajoutés
les saints Évangiles, les Actes, les Épîtres canoniques, l'Apoca-
lypse. Notre-Seigneur Jésus-Christ, après avoir parlé aux hommes
en mille manières par les prophètes, a daigné venir leur enseigner
de sa propre bouche les vérités du salut. Ses divines paroles ont
été recueillies, et la sainte Église est chargée de conserver inal-
térable ce précieux trésor et de le communiquer aux hommes.
Désormais la lumière brille à tous les yeux. Elle fait plus que pro-
curer à l'intelligence une satisfaction en rapport avec sa nature,
elle enseigne à tous, quels que soient leur âge, leur sexe, leur
condition dans le monde, ce qui peut leur procurer la paix dès ici-
bas et les conduire à la véritable vie ; elle les presse de suivre la
et obscuratum est insipiens cor eorum. Dicentes enim seesse sapientes, stulti
facti sunt. {Hom., \, !20-22.)
\. Propterquod tradidit illos Deus in desideria cordis eorum.. in immundi-
tiam : ut contumeliis afficiant corpora sua in semetipsis.... Propterea tradidit
illos Deus in passiones ignominias. Nam femina; eorum immutaverunt natu-
ralem usum, in eum usum quod est contra naturam. Similiter autem et mas-
culi, relicto naturali usu feminae, exarserunt in desideriis suis in invicem, etc.
{Hom., 1, n, 26, 27.)
2. Tu vero permane in iis quse didicisti et crédita sunt tibi sciens a quo
didiceris : et quia ab infantia sacras litteras nosti qucT te possunt instruere ad
salutem per fidem quaj est in Christo Jesu.
Oranis scriptura divinitus inspirata, utilis est ad docendum, ad arguendum,
ad corripiendum, ad erudiendum in justitia : ut perfectus sit homo Dei, ad
omne opus bonum instructus. (//. Tim., m.)
486 U SALNTl EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II, — CHAP. X.
voie droite, et leur montre les abîmes dans lesquels ils pourraient
se perdre, afin de les en détourner. On lit dans Isaïe : « Voici ce
« que dit le Seigneur ton Rédempteur, le saint d'Israël : Moi le
« Seigneur ton Dieu, je t'enseigne des choses utiles, je te dirige
« dans la voie par laquelle tu marches. Oh! si tu avais été attentif
« à mes commandements, ta paix aurait été comme un fleuve, et
« ta justice comme les Ilots de la mer M * Si les enseignements
donnés i>ar la bouche des prophètes devaient produire, avec une
telle abonilance, les fruits les plus précieux, quels fruits ne pro-
duira pas chez les hommes de bonne volonté la parole que le Sei-
gneur lui-même est venu nous annoncer de sa propre bouche et
confirmer par ses miracles et ses exemples?
Notre divm Docteur nous parle avec une simplicité accessible à
tous, et en même temps avec une profondeur qui laissera toujours
aux plus sagesde nouvelles merveilles à découvrir. Il ne recherche
pas les elTets de l'éloquence humaine; cependant rien n'égale celle
de ses moindres discours. On sent, lorsqu'il parle, que c'est Dieu qui
s'adresse aux hommes etqui veut être comprisdes hommes. S. Au-
jfustin ne se lasse pas d'admirer les beautés et les richesses des
discours de notre divin Jésus, qui daigne nous parler comme un
ami à ses amis -,
On ne peut lire ni méditer la Sainte Écriture sans éprouver une
i. Hœc dicit Dominus redemptor tuns, sanctus Israël : Ego Dominus Deus
tuus, doo'ns le ulilia, gubernans to iii via, qua ambulas. Utinam attendisses
mandaUi mca. Kacta fuissot sicut llumen pax tua, et justitia tua sicul gurgites
maris, (/s., xLvm, 17, IK.)
2. Modus ipse dicendi, (|Uo sancta Scriptura contexitur, quam omnibus
accessibilis, quamvis jiaucissiniis penctrabilis, ea, quai aperla continel quasi
ainicus fainiliaris, sine fuco ad cor loquitur indoctorum atque doctoruin. Ea
vero quœ in inysleriis occultât, nec ipso oloquio superbo erigit, quo non au-
deat arcedere mens tardiuscula et inerudila, quasi pauper ad divilem, sed in-
vitât omnes huinili scrmone, quos non solum manifesta pascat, sed eliam sé-
créta exercent veritate, hoc in promptis quod in reconditis liabens. Sed ne
aperta fastidirentur, eadem rursus operta desiderantur, desiderata quodam-
modo desiderantur, renovata suaviter intiinantur. His salubriter et prava
corrijrunlur, et parva nutriuntur, et magna oblectantur ingénia. (S. August,,
Epist. II ad Volusianum.)
rbi authores nostros, quorum scripla divinitus inspirata canonem nobis
saluberrima autlioritatc fecerunl, intelligo, non solum nihil eis sapientius,
verum etiam niliil eloffuentius milii videri potest. Sicut est enim quœdam elo-
quentia.quaemagis a;tatem juvenilem decet, est, qufe senilem, nec jam dicenda
est eioquenlia, si personae non congruat eloquentis: ita est qua^dam, quae
viros summa auctoritate dignissimos, planeque divinos decet. Hac illi locuti
sont: nec ipsis decet alia, nec alios ipsa. (lu., de Doctrina christiana, Vih. IV.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 487
douceur, une suavité intérieure qui montre bien son origine cé-
leste. Tout en elle excite à la pratique de la vertu. Elle est la nour-
riture de l'àme; elle subvient à son indigence; elle guérit son
infirmité, fortifie sa faiblesse, éloigne une tristesse dangereuse,
inspire la joie et conduit à la perfection, dit S. Denys l'Aréopa-
gite ^ L'univers que Dieu a tiré du néant est un livre merveil-
leux : par Tordre, par la beauté, la variété et l'utilité qu'on y
admire, il révèle la puissance, la sagesse et la bonté de celui qui
l'a créé et qui le gouverne. David ne pouvait le considérer sans être
touché d'une émotion profonde, parce qu'il y reconnaissait par-
tout la main et la bonté de Dieu. Il s'écriait : « Vous m'avez ré-
a joui, Seigneur, par ce que vous avez fait, et à la vue des œuvres
« de vos mains, je tressaillirai. Que vos œuvres sont magnifiques,
« Seigneur! Vos pensées sont infiniment profondes -. » Mais la
Sainte Écriture que Dieu a dictée lui-même est un livre incompa-
rablement plus admirable encore. Ce livre ne nous enseigne pas
seulement des vérités que l'intelligence humaine peut atteindre par
ses forces naturelles. Il nous révèle des mystères qu'il n'appartient
qu'à Dieu seul de faire connaître aux hommes; il ouvre à nos re-
gards des trésors infinis de puissance, de sagesse, de bonté que le
spectacle de l'univers, malgré toute sa magnificence, ne pouvait
faire soupçonner ; il nous enseigne une perfection, nous procure
des consolations et nous conduit à un bonheur que, sans une révé-
lation divine, l'homme ne pourrait ni connaître ni atteindre. Sau-
rions-nous, sans les enseignements de notre divin Docteur, relatés
dans ce livre, qu'il y a en Dieu trois personnes, que le Fils de
Dieu s'est fait homme pour nous, qu'il est mort sur la croix pour
nous racheter de la mort et de la damnation éternelle? Saurions-
nous qu'il nous a aimés jusqu'à se voiler sous les espèces Eucharis-
tiques, afin de demeurer sans cesse corporellement au milieu de
nous, de se sacrifier pour nous, et de nous donner sa propre chair
et son propre sang pour être les aliments de nos âmes'.'' Il est là,
cet adorable Maître, dans son sacrement d'amour ; de l'autel et du
tabernacle, il veille sur nous ; il ne tombe pas un cheveu de notre
1. Sacra scriptura cibus est animœ, indi^^enliœ, infirmitatis et imbeoillitatis
curatrix, Iristitice expultrix, ethelitiœ ac perfectionis suppeditalrix. (S. Dionys.
Areop., Eftist. ad TU.)
2. Quia deleclasli me, Domine, in factura tua ; et in operibus manuum tua-
rum exultabo. Quam luagnificata sunt opéra tua, Domine ! Nimis profundœ
factœ sunt cogitaliones tuae. [Ps. xci, î>. G.)
488 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
icic sans sa |)erinission, et il nous dit : « Quand bien même une
« mère pourrait oublier le fruit de ses entrailles, moi je ne vous
€ oublierai jamais *. »
N'est-ce pas encore dans le livre sacré que nous tenons de notre
Maître que le pardon des péchés est promis à ceux qui se repen-
tent, que la promesse nous est faite de voir exaucer nos prières;
que le titre d'enfants adoptifs de Dieu nous est oflert; que nous
trouvons les plus puissants motifs d'attendre avec une espérance
inébranlable le bonheur éternel préparé pour nous, à la condition
de servir fidèlement un si bon Maître?
La docti-ine que le Kils de Dieu nous a révélée, d'abord par les
anges et par les prophètes, puis par sa propre bouche lorsqu'il se
montra parmi nous revêtu de notre nature, enfin par le minis-
tère de ses apôtres et île son Église, est telle que sa majesté, sa
dignité, sa perfection, sa grâce, sa beauté, sa suavité incompara-
bles, ne laissent aucun doute sur sa céleste origine. On reconnaît
tout d'abord que c'est Dieu qui parle, à l'autorité absolue avec
laquelle elle se prosente. Ne cherchez pas dans la Sainte Écriture
de preuves et d'arguments péniblement rassemblés pour démon-
trer la vérité de la doctrine enseignée. Celui qui parle dans ces
pages sacrées n'a pas besoin de recourir à de tels moyens, parce
qu'il est la vérité même, et qu'il n'y a rien de commun entre lui
et l'erreur. Il déclare ce qu'il faut croire ou ce qu'il faut faire, et
c'est assez : .son autorité suprême ne souffre pas de discussion ni
n'a besoin de s'appuyer sur aucune preuve. L'esprit humain qui
sait que Dieu parle n'en demande pas davantage, s'il n'est pas aveu-
glé par l'orgueil ; il croit et sa volonté se soumet. Sans doute, nous
avons besoin d'être certains d'abord que c'est la parole de Dieu
qui nous est communiquée, mais lorsque cette certitude nous est
acquise, lorsque Dieu a montré, comme il l'a fait par ses miracles
et mille autres moyens, que la parole de nos Livres Saints est bien
sa propre parole, il serait injurieux pour lui et indigne de nous
d'attendre qu'il s'abaisse à raisonner comme un homme pourrait
le faire, pour faire admettre ce qu'il enseigne, et réfuter quelques
vaines objections. Il parle en maître; il parle comme l'auteur
même de la vérité.
N'est-ce pas bien ce caractère d'autorité suprême et indiscutable
1. Numquid oblivisci potest mulier infanlem siium, ut non misereatur filio
uleri sui? Kl ni illa oblita fuerit, ego tainen non obliviscar tui. {Is., xLi, il).)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 489
que l'on reconnaît, par exemple, lorsque du haut de la montagne
de Sinaï, le Seigneur donne sa loi au peuple d'Israël? Il lui dit qui
il est; il lui rappelle ses miracles, et dicte ses volontés : « Je suis
« le Seigneur ton Dieu, qui t'ai fait sortir de la terre d'Egypte, de
« la maison de servitude. Tu n'auras point de dieux étrangers de-
« vant moi.... Tu ne les adoreras point ni ne les honoreras : car
« c'est moi qui suis le Seigneur ton Dieu, fort, jaloux, visitant
« l'iniquité des pères dans les enfants, jusqu'à la troisième et la
<f quatrième génération, de ceux qui me haïssent, et faisant misé-
« ricorde des milliers de fois à ceux qui m'aiment et gardent mes
« préceptes. Tune prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en
a vain S etc. » Peut-on lire ces paroles et pouvait-on les entendre
sans comprendre aussitôt que celui qui parlait ainsi était bien le
Maître et que ses enseignements, aussi bien que ses ordres, étaient
indiscutables?
Écoutez maintenant, non plus un ange parlant au nom du Sei-
gneur, mais le Seigneur lui même s'adressant directement à la
foule qui l'entourait et, en elle, à toutes les générations de tous les
peuples qui doivent se succéder dans l'univers, jusqu'à la consom-
mation des siècles : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que
« le royaume des cieux leur appartient. Bienheureux ceux qui sont
« doux, parce qu'ils posséderont la terre. Bienheureux ceux qui
« pleurent, parce qu'ils seront consolés 2 », et toute la suite de cet
admirable discours prononcé sur la montagne. Jésus-Christ donne
un résumé de sa doctrine qui embrasse tout l'ensemble de la mo-
rale qu'il vient annoncer au monde. Il pose des principes et pro-
cède par affirmations. Toutes les maximes reçues jusque-là dans le
monde, même chez les philosophes qui faisaient parade de vertu,
sont mises à néant, sans que celui qui prononce leur condamna-
tion en énonce les motifs. Bienheureux les pauvres, bienheureux
ceux qui souffrent, bienheureux les cœurs purs. Pourquoi bien-
heureux? parce qu'ils posséderont le royaume du ciel, parce que
Dieu lui-même sera leur récompense. Et ce qu'il y a de plus mer-
I. Ego sum Dominus Deus tuus qui eduxi te de terra /Egj-pti, de domoser-
vitutis. Non habebis deos aliènes coram me.... Non adorabis ea, neque coles.
Ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in
filios, in tertiam etquartam generationem eorum qui oderunt me : et faciens
misericordiam in millia, his qui diligunt me, et custodiunt prsecepla mea.
Non assumes nomen Domini Dei tui in vanum, etc. (Exod., xx, 2, 3, 5, 6.)
!2. Beati pauperes spiritu, etc. [Malth., v, 3 et seq.)
490 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
veilleux encore que celle forme autoritaire de l'enseignement du
divin Maître, c'est que cet enseignement est accepté par l'univers
entier et qu'il transforme le monde. Ses disciples iront, répandant
partout sa doctrine : sans doute, ils montreront combien elle est
belle, utile aux hommes et raisonnal»le, quoique supérieure à la
raison humaine ; mais la grande ou plutôt l'unique preuve qu'ils
donneront de la vérité de leur enseignement sera toujours que c'est
l'enseignement de Jésus-Christ lui-même, dont leurs miracles et
leurs vertus feront éclater la divinité i.
Un autre caractère de la parole de notre divin Maître est que
toujours elle a pour but de rendre les hommes meilleurs et de les
sanctifier. Non seulement elle se propose ce but si élevé, mais elle
l'atteint. La parole purement humaine renferme souvent de bonnes
ciioses mêlées à d'autres qui ne le sont pas; quelquefois elle peut
se proposer de rendre les hommes vertueux, mais son impuissance
pour le faire même, ce qui est très rare, lorsqu'elle poursuit réel-
lement l'e but, éclate à tous les yeux. Platon avoue qu'aucun des
orateurs de son temps, qui s'exerçaient à prêcher la morale, n'a-
vait amené les hommes vicieux à devenir bons, ni les bons à de-
venir meilleurs. Il n'en est pas ainsi de la doctrine enseignée par
Notre-Seigneur Jésus-Christ : l'univers entier a été transformé
par elle ; cha(|ue siècle, depuis qu'elle éclaire le monde, a vu pa-
raître d'innombrables légions de saints, et qui peut dire les mil-
lions (le martyrs dont le sang a rendu et rend encore témoignage
à la vérité, à l'utilité, à la sainteté de cette doctrine sacrée?
Quelles actions de grâces ne devons-nous pas à notre adorable
Jésus qui a daigné se faire ainsi notre Maître? Dans sa parole, que
les Évangélistes et les Apôtres nous ont conservée, nous trouvons
tout ce qui peut nous conduire au bonheur véritable, et nous y
apprenons aussi les dangers qu'il faut éviter, les erreurs qu'il faut
fuir. « Il n'y a pas une seule syllabe, pas un accent dans les lettres
« sacrées, dit S. Jean Chrysostome, qui ne renferme un trésor de
« grand prix. Nous avons donc besoin, pour étudier la parole sainte,
i. In hoc maxime potestas divina in Cliristo monstrata est, quod discipulis
suis lantam virlutem conlulerit in docendo, ut génies, qufe nihil de Christo
audjerant, convfrlerentad ipsurn. Potestas autem Christi attenditur, et quan-
tum ad iniracula, per qua; docirinam suam confirmabat, et quantum ad effi-
caciam persuadendi, et quantum ad auUioritatem loquentis, (juia loqueba-
tur, quasi dominium habens supra legem. (S. Tiiom., III p., q. xLii, art. i,
ad 2.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 491
« d'être assistés de la gràcedivine,et éclairés par le Saint-Esprit i.»
S. Augustin dit à son tour : « De tout ce que Thomine peut ap-
« prendre, ce qui est nuisible est condamné par la Sainte Écri-
« ture : ce qui est utile s'y trouve renfermé. Et parce que chacun
« peut trouver là tout ce qu'il a pu apprendre d'utile ailleurs, il
« l'y trouvera en plus grande abondance que n'importe où. Ce
« n'est que dans la profondeur admirable et dans Thumilité non
VI moins admirable des Saintes Écritures que l'on apprend toutes
« choses 2. » Grâce à l'enseignement de notre divin Maître, grâce à
la prédication de sa doctrine par ses apôtres et leurs successeurs,
aucune de ces vérités nécessaires ou utiles au salut des hommes
ne leur est maintenant cachée. L'humble femme, qui ne connaît
même pas les noms des sages de l'antiquité, est instruite des mys-
tères que ces philosophes n'ont pas soupçonnés, malgré tout leur
génie, et le petit enfant élevé par une mère chrétienne enseigne-
rait à Socrate et à Platon la nature du vrai Dieu dont l'existence
même était pour eux problématique; il dirait à Pythagore ce que
deviennent après le trépas ces âmes que le profond philosophe de-
vinait immortelles. C'est l'accomplissement de la parole d'Isaïe :
« La terre est remplie de la connaissance du Seigneur, comme les
a eaux qui couvrent la mer ^. »
Connaître le Seigneur est un grand bien en soi, mais qui servi-
rait peu si cette connaissance n'était pas accompagnée ou suivie de
la conversion du cœur et de la transformation des mœurs. Aussi
notre divin Docteur prêchait-il la pénitence des péchés passés et la
pratique de la vertu. S. Paul, aussi bien que tous les autres apô-
tres, suivait l'exemple de son Maître. Il disait aux fidèles de Corin-
the dont plusieurs semblaient l'oublier : « Ne savez- vous pas que
« les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu? Ne vous abu-
1. Neque enim vcl syllaba, vel apiculus est in sacris litteris, in cujus pro-
fundo non sit grandis quispiam tliesaunis : proinde nobis opus est ut divina
gratia ducamur, etSpiritu sancto illustrati, eloquia divina adeamus. (S. CiiRY-
sosT., hom. XXI in Gen.)
'2. Quidquid homo extra divinas Scripturas didicerit, si noxium est, ihi
damnatur; si utile est, ibi invenitur; et cum ibi quisque invenerit omnia,
quae utiliter alibi didicit, multo abundantius ibi inveniet, quve nusquam om-
nino alibi, sed in illaruni tnntummodo Scripturaruni mirabili alliludine, et
mirabili bumilitate discunlur. (S. August., de Doctr. christ., lib. 11. cap.
ultim.)
3. Repleta est terra scientia Domini, sicul aquœ maris operientes. (/s.,
XI. 9.)
A9i LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
« sez point : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères,
« ni leseflV'niinés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares,
€ ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont
« le royaume de Dieu '. » Et l'ApcMre ajoutait : « C'est ce que quel-
€ ques-uns de vous ont été ; mais vous avez été justifiés, au nom
« de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, et par l'Esprit de notre Dieu 2. »
<^uel merveilleux changement opéré par la parole de notre admi-
rable Docteur, enseignée à des peuples plongés jusque-là dans
tous les vices les plus abominables! Cette merveille s'opère encore
chaque jour. Outre les conversions éclatantes de pécheurs qui se
font parmi les chrétiens, ne voit-on pas les missionnaires convertir
des peuplades anthropoj)hages, descendues au dernier degré de la
corruption, et en amener plusieurs à une telle élévation de vertu
qu'elle serait un objet d'élonncment, même parmi nos populations
les plus chrétiennes? C'est la doctrine de Jésus-Christ qui trans-
forme ainsi les mœurs, et qui rend de misérables pécheurs, s'ils
ont le bonheur de l'accepter, dignes qu'on leur applique ces pa-
roles de S. Pierre aux fidèles de son temps : « Vous êtes, vous, une
« race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple
« conquis : afin (juevous annonciez les grandeurs de celui qui des
• ténèbres vous a appelés à son admirable lumière : vous qui,
« autrefois, n'étiez point le peuple de Dieu , mais qui êtes mainte-
€ nant le peuple de Dieu ; vous qui n'aviez point obtenu miséri-
« corde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde -K »
Il suffit de connaître la fragilité des hommes(etqui ne la connaît, ne
(ùl-ce que par sa propre expérience?) pour constater combien grande
est l'efficacité de l'enseignement de notre divin Maître accompagné
de sa grâce, qui produit de si merveilleux effets. S. Bernard disait
à ses frères : « \'os âmes sont saintes parce que l'Esprit de Dieu
« habite en vous. Celui qui disait : Gardez mon âme. Seigneur,
1. \n nescilis quia iniqui regnum Dei non possidebunt? Nolite errare : ne-
que fornicarii, neque idolis servientes, neque adulteri, neque molles, neque
masculorum concubitores, nc(}ue fures, neque avari, neque ebriosi, neque
inaiedici, neque raparos, re^'ium Dei ]tossidebunt. (J. Cor., vi, 9, 10.)
"■1. Kl ba:c quidciii fuistis; sed abluti eslis, sed sanctificati estis in nomine
Doinini nostri Jesu Cbristi, et in Spiritu Dei nostri. (Id.,\'\, 11.)
3. Vos autem ^'enus electum, recale sacerdotium, gens sancta, populus
acquisitionis, ut virtules annuntielis ejus qui de tenebris vos vocavitin admi-
rabile lumen suuin. Qui aliquando non populus, nune autem populus Dei :
qui non ronseculi misericordiam, nunc autem misericordiam consecuti.
(/. Pelr., 11. y, 10.)
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 495
€ parce que je suis saint ', était encore dans une chair corrupti-
« ble, dans un corps de péché, où son âme avait même commis
« l'énorme crime de l'adultère. Dieu est admirable dans ses saints,
« non seulement dans les saints qui sont au ciel, mais encore dans
« ceux qui sont sur la terre. Puisqu'il y a des saints dans l'un et
« .l'autre endroit, il est admirable dans les uns en les rendant bien-
« heureux, et dans les autres en les rendant saints.
<t Voulez-vous que je vous donne une preuve de la sainteté dont
« je vous parle, et que je vous montre les miracles des saints d'ici-
« bas? Il y en a beaucoup parmi vous qui, après avoir pourri sur
a leurs péchés et sur leurs vices, comme les bêtes de somme sur
« leur fumier, ont eu le courage de les quitter, et résistent main-
« tenant avec force à leurs attaques quotidiennes, selon ce mot de
a l'Apôtre qui dit, en parlant des saints : Ils ont guéri de leurs
« maladies et sont devenus forts dans les combats ~. Peut-on voir
« quelque chose de plus admirable que ces hommes qui, après avoir
a eu bien de la peine à passer deux ou trois jours seulement loin
« de la luxure, des excès de la bonne chair, des délices de la table, de
« l'ivresse, des débauches, des impudicités et de mille autres vices
« pareils, s'en tiennent maintenant éloignés des années, une vie
« tout entière ? Où trouver un plus grand miracle que celui de tant
« de jeunes gens, de tant d'adolescents, de tant de nobles, de tous
« ceux, en un mot, que je vois là rester captifs sans liens, dans
« une prison ouverte, où la sainte crainte de Dieu les retient, et
a qui persévèrent dans les exercices pénibles de la pénitence, au
« delà de toute force humaine, malgré la nature et en dépit de
« toute habitude? Vous voyez vous-mêmes, je pense, quels mira-
« clés il nous serait possible de trouver, s'il nous était permis de
« rechercher en détail comment chacun de vous a quitté l'Egypte,
« pour entrer dans le désert, c'est-à-dire, comment chacun a re-
« nonce au siècle, est entré dans ce monastère, et quel genre de
« vie il y mène maintenant. Qu'est-ce que tout cela, mes frères,
« sinon des preuves manifestes que le Saint-Esprit demeure en
« vous ^ ? »
\. Custodi animammeam, quoniam sanctussuin. {Ps. lxxxv, 2.)
% Convaluerunt de infirmitate, fortes facti sunt in bello. (Ilebr., xi, 34.)
3. S, Bernahi)., /. Serin, de Dedicatione Ecclesix. Traduction de M. l'abbé
Charpentier. — Nous ne donnons pas le texte latin à cause de la longueur de
la citation.
.i94 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
La doctrine enseignée par le Verbe de Dieu devenu le docteur
des hommes n"a pas seulement transformé les pécheurs pour en
faire des saints, elle a aussi répandu des torrents de science et de
lumière dans le monde. Qui pourrait compter la multitude des dis-
ciples de Jésus-Christ qui, dans le cours des siècles, ont brillé par
leur science éminente, non moins que par leur sainteté? Nous n'en-
treprendrons pas ici de les citer, un volume entier n'y suffirait pas ;
n'en donner que quelques-uns serait s'exposer à laisser injuste-
ment de côté trop de noms illustres ; mais que l'on parcoure quel-
que grande collection de la vie des saints, et l'on sera saisi d'ad-
miration à la vue du nombre des saints canonisés qui ont brillé
par leur savoir : que l'on entre dans quelque grande bibliothèque
où sont amassés les trésors de science que les âges passés nous
ont légués, et l'on sera effrayé à la vue de tant d'ouvrages, quelque-
fois immenses, où les saints ont renfermé, en y ajoutant chacun son
tribut, la somme des sciences naturelles ou divines que l'humanité
possédait de leur temps. Et de nos jours, où la science semblerait,
au dire de quelques-uns, se séparer des enseignements de notre
Maître et s'opposer à l'Évangile : si l'on veut trouver un véritable
savant, un iiomme ami de la vérité, qui la recherche et la reçoive
simplement d'où qu'elle vienne et quelle qu'elle soit, n'est-ce pas
encore parmi les disciples de Jésus-Christ qu'il faut la chercher?
Les autres ne sont jamais des savants complets. On sent trop qu'ils
redoutent et haïssent toute vérité qui ne flatte pas leur orgueil ou
leurs autres passions.
Quelles actions de grâces ne devons-nous pas rendre à notre
divin Docteur, pour tant de lumière qu'il a répandue dans le
monde, et qu'il accorde à chacun de nous, suivant ses besoins et
sa correspondance à la grâce? Il est le Dieu des sciences, scien-
tiai-um Dominus; il est la sagesse incrôée, le Verbe ou la Science
de Dieu. Allons à lui, recueillons pieusement les enseignements
qu'il nous donne par la voix de sa sainte Église, et par les inspira-
tions qu'il nous envoie du fond de son tabernacle. Ainsi nous se-
rons des enfants de lumière et nous n'aurons à craindre ni les
ténèbres de l'ignorance et du péché en cette vie, ni celles plus
horribles encore de la damnation éternelle en l'autre.
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 495
III.
JÉSUS-CHRIST PRÉSENT DANS l'eUCHARISTIE EST NOTRE LÉGISLATEUR
Dans le saint Évangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous en-
seigne pas seulement sa doctrine, il nous impose des devoirs, avec
l'obligation de les accomplir; il n'est pas seulement notre Maître
ou notre Docteur, il est notre Législateur. Le prophète Isaïe avait
dit : « Le Seigneur est notre législateur, et c'est lui qui nous sau-
ce vera; » il nous visitera visiblement revêtu d'une chair mortelle;
il nous fera connaître la volonté de son Père céleste, il nous don-
nera des lois, nous enseignera à les observer et nous conduira
ainsi au salut.
La loi est un règlement général, juste, fait et publié en forme
de précepte et de commandement, pour le bien commun d'une
société, par le supérieur qui a droit de la gouverner. Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, à qui toute puissance a été donnée au ciel et
sur la terre, possède évidemment celle de donner des lois aux
hommes. Verbe de Dieu, il l'a fait dès l'origine, en imprimant dans
l'àme humaine ces premiers principes qu'on appelle la loi natu-
relle, qui ne disparaissent jamais complètement, à quelque degré
de corruption que le péché ait fait descendre l'homme. Il l'a fait
plus explicitement à l'égard d'Adam et des patriarches, par les révé-
lations dont il les a favorisés. Il l'a fait par l'entremise de Moïse et
des anges, sur le mont Sinaï, au milieu des flammes et au bruit
du tonnerre. Mais il l'a fait surtout en notre faveur, lorsqu'il est
venu lui-même parmi nous, fils d'Adam comme nous, enseigner le
saint Évangile, et lorsque, après avoir fait connaître sa doctrine et
ses lois au peuple d'Israël, il dit à ses apôtres : « Allez dans l'uni-
« vers entier et prêchez l'Évangile à toute créature » : Euntes in
mundum universum, pra?dicate Evangelium omni creaturœ * ;
commandement qui ne s'adressait pas seulement à la personne des
apôtres et à tous les disciples qui étaient présents, mais à tous
ceux qui leur succéderaient dans le cours des siècles -.
\. Matth., XVIII, 19.
2. La loi du Nouveau Testament, ou la loi évangélique, dit le docteur Aberlé,
est la loi absolument parfaite. Elle est parfaite parce qu'elle est fondée sur le
Fils de Dieu, par lequel la grâce et la vérité, dans toute l'étendue de ces
termes, sont directement entrées dans le monde. La loi du Nouveau Testa-
ment accomplit et abroge celle de l'Ancien Testament. L'abrogation d'une loi
496 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
Ce qui distingue essentiellement la loi nouvelle de la loi an-
cienne, c'est qu'elle n'est pas purement extérieure. Outre les pré-
ceptes tels que ceux défaire pénitence, de recourir aux Sacrements,,
d'observer le Décalogue, il y a la grâce, la charité intérieure que
celte loi procure et imprime dans les âmes au moyen de la foi, de
la pénitence et des sacrements, principalement du sacrement de
lEucharistie qui contient la source môme de la grâce. Cette partie
de la loi évangélique en est l'âme, et c'est à cause d'elle qu'on la
distingue de l'ancienne loi par le nom de loi de grâce. Elle n'est
pas seulement une loi écrite, elle est la loi vivante et qui donne
la vie. C'est ce qui fait dire à l'apôtre S. Paul : « La loi de l'Esprit
€ de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi de la loi du
u péché et de la mort ^ » La loi de l'Esprit de vie est celle que
l'Esprit saint qui donne la vie imprime dans nos cœurs; c'est la
grâce divine qui nous vient de Jésus-Christ, qui nous délivre de
l'inclination désordonnée que nous ressentons pour le péché, qui
nous purilie de nos fautes par lesquelles nous serions, sans elle,
condamnés à la mort éternelle, qui nous donne enfin les forces
nécessaires pour triompher du péché et de la mort. Cette loi inté-
pcut avoir lieu dune double façon : la loi peut perdre sa vertu obligatoire ;
elle peut recevoir une extension nouvelle et une nouvelle base obligatoire.
L'un et l'autre s'est réalisé à l'égard de la loi ancienne par la loi nouvelle.
En tant que la loi ancienne avait un caractère préparatoire, la loi nouvelle-
l'a aljrogée;en tant qu'elle est la restauration de la loi naturelle, elle est
élargie dans ses dispositions et repose sur le fondement de l'amour, au lieu
de reposer sur celui de la crainte. C'est pourquoi on nomme la loi nouvelle la
loi de l'amour, lex rharitalis, par opposition à la loi de la crainte qui est le
caractère de la loi ancienne. La loi nouvelle, n'étant pas seulement une règle
extérieure, mais ét<int l'expression vivante de la grâce, qu'elle suppose et qui
fait son essence, porte en elle la possibilité de son accomplissement et donne
la force de se délivrer du péché à celui qui l'observe. Sous ce rapport, elle
s'appelle la loi de grâce et de la liberté, ou la loi évangélique.
11 ne faut pas concevoir la loi du Nouveau Testament comme étant simple-
ment l'ensemble des dispositions législatives contenues dans les livres du
Nouveau Testament; mais elle est l'ensemble des règles données par Jésus-
Christ, Fils de Dieu. L'Kglise du Nouveau Testament est dépositaire de ces
règles; elle a seule le droit de déterminer ce qui appartient ou non à la loi
nouvelle. Ces décisions, émanées de l'Église, doivent être distinguées des
dispositions de la législation purement ecclésiastique ; car quant aux disposi-
tions divines, l'Église ne fait que les itromulguer; elle ne peut ni les abroger
ni les modifier, tandis que les lois purement ecclésiastiques dont elle est la
source, elle peut les changer ou les abolir. {JJict. encyclop. delà théol. cathol.)
1. Lex enim spiritus vitte in Christo Jesu liberavit me a lege peccati et
morlis. {Hom., vui, '2.)
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION, 497
rieure, cette grâce que notre divin Législateur nous donne, nous
était promise par le prophète Jérémie : « Voici Talliance que je
« ferai avec la maison d'Israël après ces jours-là, dit le Seigneur :
« Je mettrai ma loi dans leurs entrailles et je l'écrirai dans leur
« cœur; et je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple K » Dieu
avait livré la loi ancienne, gravée sur des tables de pierre, parce
que c'était uniquement la lettre de la loi qu'il donnait; mais la loi
nouvelle est imprimée par lui dans les entrailles et dans les cœurs
de ceux qui la reçoivent, parce qu'elle est grâce et charité : or,
c'est dans le cœur, c'est au plus intime de l'être humain que la
grâce et la charité résident.
Toute loi a pour objet d'enseigner aux hommes ce qu'ils doivent
faire, et de les obliger à l'accomplissement de ce devoir. C'est
ce que fait admirablement la grâce de Jésus-Christ et c'est pour-
quoi le nom de loi lui convient, comme celui de législateur au
divin Maître qui nous la donne. N'est-ce pas la grâce, en effet, qui,
par la lumière qu'elle communique à l'âme, l'éclairé, lui montre
ce qu'elle doit faire? N'est-ce pas elle qui agit doucement sur sa
volonté, et l'incline à faire le bien qu'elle lui montre, à remplir les
devoirs qu'elle lui révèle? Aussi, S. Paul, le grand docteur de la
loi et de la grâce qu'on ne se lasse pas de citer, dit-il : « Notre
« suffisance vient de Dieu, qui nous a rendus propres à être les
« ministres de la nouvelle alliance, non par la lettre, mais par
« l'esprit : car la lettre tue, tandis que l'esprit vivifie 2. » La lettre
sans l'esprit tue, parce qu'elle fait connaître le péché qu'il faut
fuir et la vertu qu'il faut pratiquer, sans donner en même temps
les forces nécessaires pour accomplir l'un et l'autre devoir; d'où il
résulte que Tinclination au péché s'accroît par la connaissance
que l'on a de lui, que la volonté finit par être vaincue, et que le
péché commis est d'autant plus grave que sa malice est plus
connue; de même l'omission du bien est aussi plus coupable lors-
qu'on n'ignore pas l'obligation de l'accomplir. C'est ainsi que la
lettre tue, non par elle-même, mais parce qu'elle est pour la fai-
blesse de l'homme une occasion de chute et de prévarication. Au
1. Sed hoc eritpactum, quod feriam cum domo Israël, post dies illos, dicit
Doininus : Dabo legem meam in visceribus eorum, et in corde eorum scribam
eam ; et ero eis in Deum, et ipsi erunt mihi in popnlum. [Jerem., x.vxi, 33.)
2. Sed sufficientia nostra ex Deo est : qui et idoneos nos fecit ministres
novi Testamenli, non littera sed Spiritu. Littera enim occidit; Spiritus autem
vivi6cat. (//. Cor., \n, 13, fi.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 32
498 LA SAINTE ElCIIARrSTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
contraire, la foi, la grâce, la charité intérieure et les autres dons
que Dieu verse dans l'âme, l'Esprit, en un mot, vivifie parce qu'il ré-
prime la concupiscence, vient en aide à notre faiblesse, nous presse
de fuir le péché, nous donne des forces pour observer les lois de
Dieu. Le prophète Ézéchiel annonçait cette loi bienfaisante, si su-
périeure à l'ancienne, lorsqu'il disait : « Je répandrai sur vous une
« eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je
€ vous purifierai de toutes vos idoles. Et je vous donnerai un cœur
€ nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous; et
€ j'ôterai le cœur de pierre de votre chair, et je vous donnerai un
« cœur de chair. Et mon Esprit, je le mettrai au milieu de vous,
« et je ferai que vous marchiez dans mes préceptes et que vous
€ gardiez mes ordonnances, et que vous les pratiquiez i. » Cet Es-
prit divin sera votre lumière, votre soutien, votre force.
Si nous voulions démontrer ici l'excellence de la loi que notre divin
Jésus nous a donnée en qualité de législateur et qu'il continue de
nous donner à chaque instant par sa grâce, la matière serait in-
finie. Signalons seulement quelques-uns de ses principaux carac-
tères.
La première excellence de la loi évangélique est que Dieu a dai-
gné nous la donner immédiatement par lui-même. C'est de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, Dieu comme le Père et le Saint-Esprit, que
nous la tenons sans intermédiaire. La loi ancienne avait été pro-
mulguée par le ministère des anges et de Moïse; mais nous, c'est
la parole du Verbe divin, fait iiomme pour nous instruire et nous
sauver, que nous avons entendue. Le Père Éternel avait promis à
Moïse, et Moïse à son tour promettait au peuple d'Israël, ce légis-
lateur divin; il disait : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un pro-
« pliètede ta nation, d'entre tes frères, comme moi : c'est lui que
« tu écouteras; comme tu as demandé au Seigneur ton Dieu à Horeb,
€ quand l'assemblée fut réunie, et comme tu as dit : Que je n'en-
« tende plus la voix de mon Dieu, et que je ne voie plus ce très
« grand feu afin que je ne meure pas. Et le Seigneur me répon-
« dit : Ils ont bien dit toutes choses. Je leur susciterai un prophète
1. Kt elTundam super vos aquam inundam, et mundabimini al) omnibus
iniquitatibus vcslris, et ab universis idolis vestris mundabo vos. Et dabo vobis
cor novum, et spiritum novum ponam in niedio veslri, et auferam cor lapi-
deum de carne vestra, et dabo vobis cor carneum. Et Spiritum meum ponam
in mcdio veslri ; et faciam ut in prœceptis mois ambuletis, et judicia mea
cuslodiatis, et operemini. [Ezech., xxxvi, 25-27.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 499
« du milieu de leurs frères, semblable à toi, et il leur dira tout ce
« que je lui aurai ordonné. Or, celui qui ne voudra pas écouter ses
« paroles, qu'il dira en mon nom, c'est moi qui m'en vengerai ». »
Le prophète que le Père Éternel promettait ainsi solennellement
à son peuple n'était autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-
même. S. Pierre et S. Etienne le déclarent, en citant ce texte dans
leurs discours adressés aux Juifs. Dieu véritable, il a dissimulé sa
majesté infinie; il s'est fait homme, prenant une chair humaine
dans le sein d'une vierge de la race de David; il a vécu au milieu
de son peuple, promulguant lui-même sa loi évangélique, non
plus au milieu d'un appareil terrible, comme sur le mont Sinaï,
mais avec une douceur, avec une bénignité et un amour ineffables,
montrant, par toute sa conduite, qu'il était réellement celui dont
David a dit : « Le Seigneur est doux et il est droit : » Dulcis et
reclus Dominus. Il est doux et suave par sa bonté, sa miséri-
corde et les bienfaits qu'il répand : il est droit par sa justice et son
amour de toute vertu. Le prophète ajoute : « C'est pour cela qu'il
(f donnera à ceux qui pèchent la loi pour rentrer dans la voie. Il
« conduira dans la justice ceux qui sont dociles, et il enseignera
« ses voies à ceux qui sont doux -. » Il leur enseignera ce qu'ils
doivent faire pour fuir les erreurs et les vices, pour expier leurs
fautes par la pénitence, pour vivre saintement et vertueusement.
Un autre caractère de la loi, que le divin Législateur est venu
nous apporter, est son universalité. Elle est faite pour tous les
hommes ; tous doivent la recevoir et s'y soumettre. La loi de Moïse
était une loi particulière donnée aux seuls descendants d'Abraham
ou plutôt de Jacob : elle n'obligeait qu'eux seuls : mais la loi
évangélique oblige tous les peuples du monde ; sans la foi et sans la
fidélité à garder les préceptes que cette loi renferme, il n'y a pas de
salut possible. Jésus-Christ, qui nous la donne, est le souverain
Maître de tous les hommes, car c'est lui qui les a créés parce qu'il
est Dieu. Il est aussi leur souverain maître parce que, comme
homme, il est leur Rédempteur et leur Sauveur. Or, il leur a
donné cette loi pour les conduire au salut. S'ils ont la foi et s'ils
observent les préceptes qui leur sont imposés, ils seront guéris de
tous leurs maux spirituels et comblés de tous les biens célestes
\. Prophelam de gente tua, etc. {Deutcr., xviii, lo-li).)
2. Bonus et rectus Dominus : propter hoc legem dabit delinquentibus in
via. Diriget mansuelos in judicio ; docebit mites vias suas. [Ps, .\.\iv, 8, 9.)
500 lA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. \.
qu'il désire leur communiquer. Mais, sans l'accomplissement de
celte double condition, il n'y a pas de salut; sans la foi, il est im-
possible de plaire à Dieu, et la foi sans les œuvres ne servirait
elle-même de rien, car la foi sans les œuvres est une foi morte.
Ajoutons que la loi de grâce tend uniquement au bien des âmes.
Notre divin Législateur nous l'a donnée pour nous conduire au
salut et à rélernelle gloire. S'il a paru au milieu de nous, pauvre,
accablé do soulTrances et d'opprobres; s'il a voulu mourir sur la
croix, ce fut pour nous montrer qu'il ne venait pas apporter aux
hommes les richesses, les honneurs, les plaisirs du monde, mais
le mépris de toutes ces choses passagères et dangereuses. Ce qu'il
veut de nous, c'est que nous soyons saints, justes et parfaits, et
c'est vers ce but que tend toute sa loi. En récompense des vertus
dont il nous a donné le précepte et l'exemple, il nous promet, si
nous les pratiquons, non pas l'abondance des biens de la terre,
mais l'abondance des biens du ciel. Ce n'est pas non plus par la
crainte, mais par l'amour, qu'il veut nous amener à suivre fidèle-
ment sa loi. Cependant il nous fait connaître les maux terribles
qui attendent dans la vie future ceux qui lui seront infidèles, afin
de ramener au moins par la crainte ceux que l'amour ne suffirait
pas à retenir sous le joug si doux qu'il leur impose; il n'oublie
pas que, pour l'homme, la crainte est le commencement de la
sagesse.
L'ancienne loi venait aussi de Dieu et avait pour fin le salut des
hommes. .Mais cette fin était rejetée à l'arrière-plan; les biens et
les maux temporels semblaient en être l'unique sanction; les vertus
intérieures, qui sont la véritable perfection de l'âme, n'étaient, aux
yeux de la plupart des Juifs, que d'une importance tout à fait se-
condaire : il leur suffisait de la justice légale, c'est-à-dire des pra-
tiques extérieures, des purifications diverses que la loi leur impo-
sait, l'eu leur importait que le vase, c'est-à-dire le cœur, ne fût
rempli que de corruption, d'impiété, de haine, pourvu que la lettre
des prescriptionf; mosaïques fût intégralement gardée. Sans doute,
la loi demandait autre chose; les âmes qui cherchaient ce que re-
couvrait l'écorce de la lettre le trouvaient : mais ces âmes étaient
d'autant plus rares que les gloses des Scribes et des Pharisiens
favorisaient l'interprétation purement littérale, et ne cherchaient
rien au delà.
Noire-Seigneur Jésus-Christ, notre Législateur suprême, a con-
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 501
damné ces interprétations qui faisaient de la loi un corps sans
âme; il en a révélé l'esprit; il a dicté les lois qui régissent, non
pas seulement les actes extérieurs, mais les actes intérieurs de
l'homme, de son intelligence, de sa volonté, de son cœur; il a fait
connaître la nécessité de pratiquer la vertu, et en même temps il
a donné la force sans laquelle l'homme ne pourrait le faire. Sa loi
est sainte et elle sanctifie les hommes; sa loi est parfaite, et elle
les rend parfaits; sa loi est une loi de grâce et elle nous rend agréa-
bles à Dieu; elle fait de nous des enfants de Dieu, dignes du
royaume céleste. C'est ainsi que, par la loi de l'Évangile, le Fils
de Dieu atteint le but qu'il s'est proposé en se faisant homme et en
mourant sur la croix: rétablir les hommes dans la justice et dans
leurs droits à l'héritage céleste. C'est ce que dit S. Paul, dans son
Épitre à Tite : « La grâce de Dieu notre Sauveur est apparue à
<i tous les hommes, nous enseignant à renoncer à l'impiété et aux
« désirs du siècle, et à vivre sobrement, justement et pieusement
« dans ce monde, attendant la bienheureuse espérance et l'avè-
« nement de la gloire du grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-
« Christ, qui s'est livré lui-même à nous afin de nous racheter de
a toute iniquité et de se faire un peuple pur, agréable et zélé pour
« les bonnes œuvres ^. »
Enfin la loi ancienne était, pour sa partie cérémoniale et son
histoire, la figure et l'ombre des mystères que Dieu devait accom-
plir pour la rédemption et le salut des hommes. Toute la loi, tous
les prophètes redisent à chaque page les promesses des biens que
Dieu devait accorder, non seulement au peuple d'Israël, mais à
l'humanité tout entière, pour le salut de tous. Ce que la loi an-
cienne promettait, la loi nouvelle le contient et le donne ; tous ces
biens dont parlaient les prophètes. Dieu les verse avec abondance
dans le sein de ceux qui croient en Jésus-Christ et s'attachent à
pratiquer sa loi. S. Jean-Baptiste disait : « La loi a été donnée par
a Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ -. » Non
1. Apparuit enim gratia Dei Salvatoris nostri omnibus hominibus, erudiens
nos, ut abnegantes impietatem et saecularia desideria, sobrie et juste et pie
vivamus in hoc saeculo : expectantes beatani spem, et adventum gloriae
magni Dei, et Salvatoris nostri Jesu Christi. Qui dédit semetipsum pro nobis,
ut nos redimeret ab omni iniquitate, et mundaret sibi popuium acceptabilem
sectatorem bonorum operum. (Tit., ii, dl-U.)
2. Lex per Moysen data est, gratia et veritas per Jesum Christum. [Joann.,
I, i7.)
î\Oi L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE — LIVRE II. — ClIAP. X.
pas que Moïse fût l'auteur de la loi : mais il a été l'instrument
dont Dieu s'est servi pour la donner aux hommes. Cette loi don-
née par Moïse, Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas venu la dé-
truire, mais l'accomplir et la rendre parfaite.
Le divin Législateur, en nous donnant sa loi qui nous oblige,
parce qu'il est notre Créateur, notre Rédempteur, notre Maître ab-
solu, ne nous a pas privés de la liberté. Nous pouvons à notre gré
accepter les préceptes qu'il nous donne ou les repousser; mais a
ces préceptes il y a une sanction. Heureux ceux qui les gardent ;
malheureux, éternellement malheureux ceux qui les méprisent et
se révoltent contre eux. Nous lisons dans le Deutéronome que
Moïse dit au peuple d'Israël, après avoir reçu de la main de Dieu
les tables de pierre, sur lesquelles le Décalogue était gravé : « Et
« maintenant, Israël, qu'est-ce que le Seigneur ton Dieu demande
« de toi, si ce n'est que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu
« marches dans ses voies, que tu l'aimes, que tu serves le Sei-
€ gneur ton Dieu en tout ton cœur et en toute ton àme; et
t que tu gardes les commandements du Seigneur et ses céré-
• monies, que moi, je te prescris aujourd'hui, afin qu'il t'arrive
« du bien? Voici que le ciel, le ciel du ciel, la terre et tout ce qu'elle
t contient sont au Seigneur ton Dieu. Et cependant le Seigneur
€ s'est uni étroitement à tes pères, il les a aimés et il a choisi leur
« postérité après eux, c'est-à-dire, vous, d'entre toutes ces nations,
« comme il est prouvé aujourd'hui. Opérez donc la circoncision
« de votre cœur, et ne rendez plus votre cou inflexible K » Soyez
soumis et dociles à sa loi. — Si Dieu, en reconnaissance des bienfaits
dont il avait comblé Israël, exigeait l'amour de ce peuple, s'il exi-
geait son obéissance, parce qu'il est le souverain Seigneur du
ciel et de la terre : comment pourrions-nous lui refuser notre
obéissance et notre amour, nous qui connaissons mieux encore ses
grandeurs et ses droits, nous qu'il a comblés de bienfaits plus
abondants et plus précieux, nous qu'il a instruits lui-même dans
sa loi, qu'il a rachetés au prix de son sang, et qu'il nourrit de
sa chair adorable? Et si tant de bienfaits ne suffisent pas pour as-
surer notre obéissance, souvenons-nous de la sanction suprême de
la loi qui nous est imposée; souvenons-nous de ce que Jésus-Christ
lui-même nous apprend du sort qui attend les méchants, et de celui
1. Et nunc, Israël, (|ui(l Dominus Deus tuus petit a te, etc. {Deut., x, 10 et
»eq.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 503
réservé aux justes : Ibunt hi in suppliciumœ(ernuni,justi aiitem
in vitam œternam : « Et ceux-là s'en iront à l'éternel supplice,
« et les justes dans la vie éternelle '. » Notre sort est dans notre
main ; c'est à nous aussi bien qu'aux Israélites que Moïse dit :
« Voici que je mets aujourd'hui en votre présence la bénédiction
« et la malédiction : la bénédiction, si vous obéissez aux comman-
« déments du Seigneur votre Dieu, que je vous prescris aujour-
« d'hui ; la malédiction, si vous n'obéissez pas aux commande-
« ments du Seigneur votre Dieu '". 9
Notre divin Législateur tient tant à nous voir fidèles à sa loi,
parce que cette fidélité nous procurera des biens infinis et nous
épargnera des maux affreux, qu'il a daigné nous donner lui-même
l'exemple de l'obéissance. Il s'est soumis à la loi de Moïse, malgré
son imperfection et les difficultés presque insurmontables qu'elle
présentait à la faiblesse humaine. Il s'y est soumis, quoiqu'elle ne
l'obligeât en aucune manière, qu'il en fût le maître et qu'il vînt
pour l'abroger. « Mais lorsqu'est venue la plénitude du temps,
« dit S. Paul, Dieu a envoyé son Fils, formé d'une fjmme, soumis
« à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour que
« nous reçussions l'adoption des enfants '^. » En se soumettant lui-
même à la loi de Moïse, il nous a délivrés de ce joug pesant que
les anciens pères n'avaient pu porter ; il nous a délivrés, au prix de
sa passion, de la malédiction de la loi ancienne, loi de rigueur et
de crainte, pour nous imposer son joug suave et son fardeau léger.
N'est-ce pas pour nous un encouragement puissant, une bien douce
consolation de voir notre divin Maître marcher le premier dans
la voie de l'obéissance, afin de nous donner l'exemple? Il n'a pas
seulement accepté ce que la loi de Moïse imposait de plus dur et
de plus humiliant, la circoncision, le rachat au jour de la Présen-
tation, comme s'il eût été un vil esclave : il a embrassé avec joie
la loi particulière que son Père avait faite pour lui, la loi de la
1. Ibunt hi in supplicium œternum, hi autem in vilam aeternam. {Mntth.,
XXV, 4G.)
"2. En propono in conspectu vestro hodie benedictionem et maledictionem :
benedictionem si obedieritis niandatis Domini Dei vestri, quai ego hodie prae-
cipio vobis : maledictionem, si non obedieritis niandatis Dei vestri. (Dénier.,
XI, ^2t>>28.)
3. At ubi venit plénitude temporis, misit Deus Filium suum, factum ex
muliere, factum sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret, ut adoptionem
filiorum reciperemus. (Galal., iv, i, li.)
504 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — 11'' PARTIE. — LIVRE II. — GHAP. X.
soulïrance, de l'ignominie et de la mort sur la croix, pour le salut
des iiommes. Qui pourrait se plaindre et refuser l'obéissance qui
doit le conduire à la victoire et au royaume céleste, lorsqu'il voit
le législateur lui-même donner de tels exemples, pour l'exciter, le
fortilier. le consoler au milieu des épreuves et des difficultés dont
est semé tout chemin qui conduit à la vie?
Et, dès ici-bas, quels avantages infinis ne trouvons-nous pas à
suivre la voie que notre Législateur nous a tracée? Ne nous dit-il
pas : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père
« l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure en
« lui '?» Ailleurs il dit encore: « Si vous m'aimez,gardez mes com-
te mandements : et je prierai le Père et il vous donnera un autre
« consolateur pour qu'il demeure avec vous éternellement, l'Esprit
« de v<'ritèque le monde ne peut recevoir '^. » Est-il un trésor compa-
rable à celui que Jésus-Christ promet à ceux qui garderont sa parole,
qui observeront fidèlement ses lois? L'adorable Trinité tout entière
lei-a sa demeure en eux, et l'Esprit de Dieu sera leur consolateur
pendant cette vie et la source de leur bonheur pendant l'éternité !
Selon une autre parole de Notre-Seigneur : Le royaume même de
Dieu sera en eux 3. L'homme aurait-il jamais pu élever si haut son
ambition et ses pensées?
El que nul ne perde confiance à la vue de la sublimité du but
qu'il faut atteindre, et des difficultés qu'il s'agit de vaincre. Le
Seigneur a dit, il est vrai, que la porte est étroite et que le chemin
qui conduit à la vie éternelle l'est aussi, qu'il est difficile à un
riche d'entrer dans le royaume de Dieu ^. Mais toute difficulté dis-
parait pour quiconque met sa confiance en lui et s'attache avec
amour à suivre ses traces. David qui disait à Dieu : « J'ai suivi, à
« cause de vos paroles, des voies dures », » s'écriait aussi : « J'ai
« couru dans la voie de vos commandements, lorsque vous avez di-
• laté mon co3ur c. > Les forces que nous avions perdues par le
i. Si quis (Jiligit me, sermonem meum servabit: et Pater meus diliget eum,
et ad eum veniemus, et apud eum mansionem faciemus. {./oann., xiv, ^3.)
± Si diligitis me, mandata mea servate. Et ego rogabo Patrem, et alium
Paracletum dabit vobis, ut maneat vobiscum in ceternum, Spiritum veritatis,
quem mundus non potest accipere. {lùid., l.'i-17.)
:<. Hegnum Dei intra vos est. {Luc, xvii, 2d.)
^4. Quam angusta porta, et arcta via est quae ducit ad aeternam vitam.
{.yfrttih., vu, U.j — iJives difficile intrabit in regnum cœlorum. (Id., xix, %i.)
o. Propter verba iabionim tuorum, ego custodivi vias duras. {Ps. xvi, 4.)
6. \ lam mandatorum tuorum cucurri, eum dilatasti cor meum. [Ps. cxvm, 32.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 505
péché originel nous sont rendues avec usure, lorsque nous vou-
lons sérieusement être fidèles à Jésus-Christ et garder la loi. Atta-
chons-nous à lui, ne cherchons à faire que sa sainte volonté et non
pas la nôtre ; aimons-le enfin comme il veut être aimé et selon la
parole de S. Augustin, tout ce que nous voudrons faire, nous le
ferons : Ama et fac quod vis.
N'est-ce pas pour nous aider à remplir fidèlement sa loi quece divin
Législateur a voulu demeurer jusqu'à la fin des siècles au milieu de
nous? Il est avec son Église, pour qu'elle ne s'égare pas en nous in-
terprétant ses divines volontés, pour qu'elle triomphe de tous ses
ennemis, et qu'elle répande partout la lumière du salut. Mais son
amour pour nous l'oblige à faire plus encore : il vit au milieu de
nous quoique invisible à nos sens, comme autrefois au milieu des
Juifs. Si nous manquons de sagesse, si nous manquons de forces
pour bien pratiquer sa loi, ne craignons pas d'approcher de lui.
Prosternons-nous devant son tabernacle ; prenons place à sa table
sainte et nous deviendrons forts; la fidélité à ses lois nous sera
facile, le triomphe sur nos ennemis assuré et, par lui, la royauté
céleste promise à ceux qui auront combattu le bon combat pendant
leur vie mortelle.
IV.
JÉSUS-CHRIST PRÉSENT DANS l'eUCHARISTIE EST L ÉPOUX DE LÉGLISE
ET DES AMES JUSTES
Le Dieu qui daigne habiter parmi nous, et se donner à nous au
Très Saint Sacrement de l'autel, est souvent appelé, dans la Sainte
Écriture, du doux nom d'Époux ; c'est un des titres qu'il affectionne.
« Il a placé sa tente dans le soleil, dit le saint roi David; et lui-
« même est semblable à un époux sortant de sa chambre nuptiale.
« Il s'est élancé comme un géant pour parcourir sa carrière '. » Le
prophète Isaïe célèbre en ces termes les grandeurs futures de la
véritable Sion à laquelle le Seigneur donnera un nom nouveau.
Cette Sion bénie est la sainte Église : « A cause de Sion je ne me tairai
a pas, et à cause de Jérusalem, je ne me reposerai pas, jusqu'à ce
« que paraisse son juste, comme une éclatante lumière, et que son
« Sauveur, comme un flambeau, répande sa clarté. Et les nations
1. In sole posuit tabernaculum suum; et ipse tanquam sponsus procedens
de thalamo suo. Exultavit ut gigas ad currendam viam. {Ps. xvui, '6.)
O06 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. X,
« verront ton juste, et tous les rois ton roi illustre : et l'on t'ap-
« pellera d'un nom nouveau que la bouche du Seigneur nommera.
• Et tu seras une couronne de gloire dans la main du Seigneur, et
« un iliadème royal dans la main de ton Dieu. Tu ne seras plus
« appelée délaissée, et ta terre ne sera plus appelée désolée, mais
€ tu seras appelée : Ma volonté en elle, et ta terre habitée, parce
« que le Seigneur s'est complu en toi, et ta terre sera habitée. Car
« le jeune homme habitera avec la vierge, et tes fils demeureront
« en toi. Et l'Époux se réjouira en son Épouse, et ton Dieu se ré.
€ jouira en toi '. » Ce fut lorsqu'il parut sur la terre revêtu de
notre humanité, que ce divin Époux prit possession de l'Église
sou Épouse et s'unit à elle par des liens que rien ne saurait briser.
Aussi, lorsque S. Jean-Baptiste lui rendit témoignage, le désigna-
t-il sous ce nom d'Époux. « Vous m'ôLes témoins vous-mêmes,
€ dit-il à ses disciples, que j'ai dit : Ce n'est pas moi qui suis
« le Christ, mais j'ai été envoyé devant lui. Celui qui a VÉpouse
« est VÉpoux; mais l'ami de l'Époux qui est présent et l'écoute
t se réjouit de joie à cause de la voix de l'Époux. Ma joie est donc
« maintenant à son comble 2. » Et le Seigneur lui-même ne disait-
il pas aux Pharisiens, qui se scandalisaient parce que les apôtres
ne menaient pas une vie austère qui les distinguât du commun :
€ Est-ce que les fils de l'Époux peuvent pleurer, aussi long-
« temps que l'Époux est avec eux 3? » C'est ainsi qu'il donne
à lui-même le nom d'Époux, et à ses apôtres le nom de fils de
l'Époux.
L'homme qui prend une épouse et la femme qui accepte un
époux, se livrent l'un à l'autre, de sorte que pour l'âme, pour la
chair et pour les biens terrestres, on peut dire qu'ils ne sont plus
deux, mais un seul être. Ils n'ont plus qu'une seule âme, parce que
l'époux aime son épouse comme lui-même et qu'elle lui porte un
semblable amour. Ils n'ont plus qu'une même chair, parce qu'ils
travaillent de concert et vivent de la même vie, et parce qu'ils
sont ensemble le principe unique des enfants que Dieu leur donne.
I. In., LXil, 1-0.
± Ipsi, vos mihi lestimonium perliibclis quod dixerim : Non sum ego Chris-
lu« : sed quia missus sum ante illum. Qui habet sponsam, sponsus est : ami-
cus autem sponsi, qui stat el audit eum, gaudio gaudebit propter vocem
sponsi. Hoc ergo gaudium meum impletum est. [Joann., m, 28, %).)
3. Numquid possunl tilii sponsi lugere quamdiu cum illis est sponsus?
(Matlh., i.x, lii.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 507
Ils possèdent les mêmes richesses, car ce qui appartient à l'un
appartient à l'autre.
Cette union des époux chrétiens est l'image fidèle de l'union qui
existe entre Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Église. Les fiançailles
avaient eu lieu dès l'origine, lorsque, après le péché d'Adam, Dieu
lui promit que de la femme naîtrait un Fils qui écraserait la tête
du serpent. Les prophètes rappelèrent souvent, dans le cours des
siècles, cette promesse et annoncèrent le jour de son accomplis-
sement comme le dit S. Pierre : « Tous les prophètes depuis
« Samuel, et tous ceux qui depuis ont parlé, ont annoncé ces
« jours 1. » Les épousailles du Fils de Dieu et de la nature humaine
ont eu leur premier accomplissement dans le sein virginal de la
bienheureuse Vierge Marie. Ce fut là, au moment à jamais béni de
rincarnation du Verbe, que l'humanité et la divinité furent unies
eu une seule personne par des liens indissolubles. Le Fils de Dieu
ne prenait, il est vrai, qu'un seul corps humain et qu'une seule
âme humaine, mais ce corps et cette âme étaient de la même
nature et tirés du même fond que les nôtres. Il y avait un lien de
parenté avec nous créé par cette union. Ce lien allait devenir plus
étroit bientôt, par la mort que Notre-Seigneur Jésus-Christ voulut
endurer sur la croix pour toute l'humanité, et pour chacun de ses
membres en particulier.
Ce fut alors que le divin Époux éleva son Épouse assez haut et
l'enrichit assez pour qu'elle ne fût pas indigne de sa souveraine
grandeur. Par sa mort il la délivra de la servitude du démon et
du joug du péché qui la retenaient misérablement captive. Il la
racheta et la sauva : dès lors elle lui appartenait à titre de justice;
c'était une épouse achetée au prix de son sang. Il lui donna pour
dot toutes les richesses de sa grâce et toutes celles de sa gloire, ce
qui fait dire à S. Paul : « Le Christ a aimé l'Église, et s'est livré
<i lui-même pour elle, afin de la sanctifier, la purifiant parle baptême
« d'eau, par la parole dévie; pour la faire paraître devant lui une
« Église glorieuse, n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable,
« mais pour qu'elle soit sainte et immaculée ~. s>
1. Omnes prophetae a Samuel, et deinceps qui locuti sunt, annuntiaverunt
dies istos. {Act., m, 2i.)
2. Christus dilexit Ecclesiam et semetipsuni tradidit pro ea, ut illam sancti-
ficaret, mundans lavacro aqucC, in verbo vitcB : ut exhiberetipse sibi gloriosam
Ecclesiam, non babentem maculam, aut rui?am, aut abquid hujusmodi, sed
ut sit sancta et immaculata. (Ephcs., v, -2U, 27.)
ii08 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — IT' PARTIE. LIVRE II. — CHAP. \.
Ce sont ces épousailles du Fils de Dieu avec la sainte Église,
par sa mort sur la croix, que l'auteur inspiré du Cantique des can-
tiques annonçait en disant : « Sortez et voyez, filles de Sion, le
« roi Saloinon avec le diadème dont le couronna sa mère au jour
« de ses noces, et au jour de la joie de son cœur '. » La couronne
du divin Époux, du véritable Salomon, c'est-à-dire du roi paci-
/iijuc par excellence, c'est sa passion, c'est sa croix, c'est la mort
cruelle et ignominieuse que lui lit endurer le peuple juif auquel
il ajiparlenait selon la chair. Et ce fut une couronne de gloire et
d'iionneur parce que, par sa passion, il acquit la gloire de son
corps el l'exaltation de son nom. Par elle il vainquit le péché,
triompha du démon, et fut glorifié dans le monde : ce qui fait dire
à S. Paul : « Ce Jésus qui a été abaissé un peu au-dessous des
€ anges, nous le voyons, à cause de la mort qu'il a soufferte, cou-
« ronné de gloire et d'honneur, ayant par la grâce de Dieu goûté
« la mort pour tous '-. » Et ce jour de la mort du divin Époux,
l'Écriture le nomme « le jour de la joie de son cœur, » parce
que son amour pour la sainte Église était si grand, son désir si
ardent d'arracher les hommes au péché, de les délivrer du joug
de Satan et de la damnation, de leur procurer la grâce et la gloire
éternelle, que les souffrances les plus cruelles lui semblaient des
délices, à cause du résultat qu'il en attendait. Il souffrait dans
son corps adorable, il souffrait dans la partie inférieure de son
âme, plus que jamais créature humaine n'a souffert; mais sa vo-
lonté planait au-dessus de ces souffrances. Il les acceptait avec
une joie indicible, parce qu'il entrait par elles en possession de
sa sainte Église et qu'il rachetait nos âmes. Ses souffrances et sa
mort étaient la dot qu'il constituait à son Épouse, et il se considé-
rait comme trop heureux d'en devenir l'époux à ce prix. « Le
« Christ est la voie qui conduit au Père, dit S. Ignace d'Antioche;
« c'est la voie que suivit tout le chœur des patriarches et des pro-
« phétes, la voie par laquelle ont marché les apôtres, ces colonnes
« qui soutiennent le monde; c'est la voie que suit l'Église, l'Épouse
\. Egredimini et videte, filia; Sion, regein Salomoiiem in diademate, quo
coronavit illum mater sua in die desponsationis illius, et in die Isetitiœ cordis
ejus. iCaul., m, M,)
2. Eum autem, qui modico quam Angeli minoratus est, videmus .lesum,
propter passionem niortis, gloria et honore coronatum, ut gratia Dei pro om-
nibus Kustnret morlem. (^IMr., n, 9 )
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. o09
« du Seigneur pour laquelle il a donné son sang comme dot, afin
« de la racheter i. »
La Sainte Écriture nous apprend qu'Adam s'étant endormi d'un
sommeil mystérieux, Dieu lui enleva une de ses côtes, et il en
forma Eve, la première femme, qu'il lui présenta pour être son
épouse et qui reçut le nom de mère des vivants. Ce fait, inscrit à
la première page des annales de l'humanité, était l'image du
grand mystère qui devait s'accomplir un jour sur le Calvaire.
Jésus-Christ s'endormit sur la croix, du sommeil de la mort, et ce
fut là que l'Église son Épouse lui fut livrée. La lance du soldat
entr'ouvrit son côté sacré : il en sortit du sang et de l'eau, le sang
de la passion qui racheta l'Église, et l'eau du baptême qui lui
applique les mérites de ce sang et de cette passion, la purifie, la
sanctifie et l'unit par la grâce à son divin Époux. Eve, tirée du côté
d'Adam pour être la mère des vivants, ne fut, à cause du péché,
que la mère de ceux qui meurent; mais l'Épouse du Christ, la
sainte Église, sortie, elle aussi, du côté de son Époux, avec
son sang, est la mère de ceux qui vivent 'de la vie de la grâce
et qui vivront de celle de l'éternelle gloire ~. Car l'Église est fé-
conde, et les enfants qui lui doivent la vie sont destinés à peu-
pler le ciel, après avoir quelque temps habité et mérité sur la
terre.
Tous les descendants du premier homme et de la première
femme sont invités à devenir les enfants ou les membres de la
sainte Église; tous peuvent avoir part à l'union sacrée qui s'est
accomplie entre le divin Époux et son Épouse mystique, mais à la
condition qu'ils répondront à l'invitation qui leur est faite et qu'ils
revêtiront la robe nuptiale, le vêtement d'innocence que Jésus-
Christ leur a préparé et que l'Église est chargée de leur donner.
Et parce que les âmes purifiées sont les membres vivants de la
sainte Église, elles sont, avec l'Église et comme elle, les épouses
de Jésus-Christ. S. Paul disait aux fidèles de Corinthe : « Je vous
« ai fiancés à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui
1. Christus est via quœ ducil ad Patrem; per quam introivit omnis Patriar-
charurn et Prophetarum chorus, et column» mundi Apostoli, et sponsa Do-
mini Ecclesia, pro qua dotis nomine sanguineni suuni fudit, uteam redimeret.
(S. Ignat., apud Bosium, iib. I, cap. vi.)
2. Somniis AdcC mors erat Christi dormiluri in mortem, ut de injuria
perinde lateris ejus vera mater viventium figurarelur Ecclesia. (Tertull.,
Iib. (le Animn.)
510 LK SAINTE EDCHARISTIE. — II*" PARTIE, — LIVRE II. — CHAP. X.
« comme une vierge pure '. » Et ces âmes que Jésus-Christ a
choisies pour ses épouses, ces âmes qu'il appelle à lui chaque
jour de tous les pays du monde, de tous les âges, de tous les sexes,
de toutes les conditions, il les aime comme un fidèle époux doit
aimer son épouse : ne sont-elles pas ses créatures les plus par-
fiùles? n'onl-elles pas été rachetées au prix de son sang? ne sont-
elles pas destinées à partager éternellement son bonheur, sa gloire,
sa royauté céleste ? Elles ne sont pas de simples invitées aux
noces que le Hoi des rois fait à son Fils, et pour lesquelles il a tout
préparé au ciel et sur la terre; elles sont^les reines du festin,
parce qu'elles sont les épouses bien-aimées de celui dont les noces
dureront à jamais.
Le Sage disait : « Toutes choses sont à vous, ù Seigneur qui
€ aimez lésâmes '-; » mais s'il aime toutes les âmes, de quel amour
n'est-il pas enllammé pour celles qui savent profiter de ce qu'il
fait pour elles? S. Paul écrivait à Timothée : « Le Dieu vivant
c est le sauveur de tous les hommes, et pricipalement des
€ fidèles '\ » Ce sont les fidèles qu'il aime, ce sont leurs âmes qui
lui sont chères par-dessus tout, parce qu'elles sont pures et saintes
à ses yeux et qu'il les considère comme ses épouses. Il dit, au
livre des Proverbes : a Moi, j'aime ceux qui m'aiment » : Ego
dUvjentos me diligo '*. Quel ne sera donc pas son amour pour
ces âmes qui le regardent comme leur époux, qui le recher-
chent de toutes leurs forces et ne veulent vivre que pour lui?
L'amour des enfants pour ceux qui leur ont donné la vie est grand
sans doute; la tendresse des mères pour le fruit de leurs entrailles,
pour les enfants qu'elles ont élevés au prix de tant de soins et de
sacrifices, ne saurait être dignement exprimée : cependant, réu-
nissez dans un seul co^ur tout l'amour de tous les enfants et de
tous les parents qui ont vécu, ou qui vivront sur la terre : il n'é-
galera pas encore celui de Jésus pour les'âmes créées à son image,
rachetées par son sang, purifiées, ornées et sanctifiées par sa grâce.
C'est cet amour dont l'Époux des Cantiques cherchait à exprimer
l'ardeur et la tendresse, lorsqu'il disait: « Vous avez blessé mon
I. Despondi (îniin vos uni viro, virginem castam exhibere Christo. (//. Cor.,
XI, -i.)
± Tua suntoiniii.-i, Domine, qui amas animas. [Sap., xi, 27.)
•* Ueum vivum, qui est Salvator omnium hominum, maxime fidelium.
(/. Tim., IV, 10.)
i. proi vin 17,
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 511
« cœur, ma sœur, mon épouse, vous avez blessé mon cœur par
« l'un de vos yeux, et par un cheveu de votre cou ^ »
Aucune intelligence créée, soit humaine, soit angélique, ne sau-
rait concevoir combien est grande la faveur que le divin Époux
nous fait de nous aimer ainsi. Qu'est-il, en effet, et que sommes-
nous? Il est rinfmie Majesté devant laquelle toute autre grandeur
s'etTace comme la moindre étoile en présence du soleil; il est le
bien infini, la beauté infinie, d'où procèdent tout bien et toute
beauté ; 'il est la gloire infinie, la béatitude infinie dont la vue
seule suffira pour plonger les bienheureux du ciel dans un océan
de bonheur, pendant toute l'éternité. Et nous, nous ne sommes
que de misérables créatures, enfants de colère, en proie à la con-
cupiscence et à toutes sortes d'inclinations mauvaises, condamnés
à la mort temporelle et à l'exil, loin de notre véritable patrie, le
ciel, à cause du péché que notre premier père nous a transmis,
comme un funeste héritage; condamnés à la mort éternelle, à
cause des péchés commis volontairement par nous. Et cependant,
quoique nous fussions si peu de chose, et que nos fautes eussent
encore aggravé sans mesure notre indignité, ce Dieu si bon nous
a fait échapper à une condamnation justement méritée ; il a lavé
et purifié nos âmes dans son propre sang par les sacrements insti-
tués à cet effet; il les a ornées de ses dons les plus précieux; il
les a faites aussi belles qu'il convient à la sublime dignité qu'il
leur réservait; il les a prises enfin pour ses épouses, et il les aime
d'un amour dont lui seul peut mesurer la force et la tendresse.
Moïse avait choisi pour femme une Éthiopienne, ou l'une de ces
Madianites bronzées par le soleil qui habitaient sous des tentes.
Son frère Aaron et sa sœur Marie le lui reprochaient vivement, et
considéraient cette alliance comme indigne de lui et de sa famille.
Le Verbe divin n'a pas dédaigné de prendre pour épouses nos
âmes que le péché avait rendues étrangères à Dieu et à ses anges,
qui habitaient dans les régions désolées du péché, qui étaient
souillées, noircies, aveuglées par les ténèbres spirituelles, et dont
les esprits immondes avaient fait leur demeure. Et les anges ne
s'en offensèrent pas; ils ne se plaignirent pas à Dieu de ce qu'il
prenait de telles âmes pour ses épouses. Le Fils de Dieu jugea lui-
même qu'il pouvait le faire, sans manquer aux égards réclamés
I. Vulnorasti cor meum, soror mea, sponsa, vulnerasti cor meiun in uiio
orniormn tuorum, et in uno crinc coUi lui. (fiant., iv, U.)
k
ol2 1.A SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. X.
par sa souveraine Majesté, et les anges se réjouirent; ils jugèrent
qu'un tel acte convenait à sa bonté infinie; ils le louèrent et le
glorifièrent; ils le loueront et le glorifieront éternellement de ce
qu'il a daigné faire ainsi pour nous. C'est que le Fils de Dieu est
tout-puissant et que le choix qu'il fait d'une àme, l'amour qu'il
conçoit pour elle, donnent à cette àme tout ce qu'il faut pour être
vraiment à la hauteur de la dignité à laquelle il plaît à sa souve-
raine bonté de l'élever, fût-ce à la dignité de son épouse.
« Et moi, dit S. Jean, dans l'Apocalypse, je vis la cité sainte, la
« nouvelle Jérusalem, descendant du ciel, d'auprès de Dieu, parée
c comme une épouse , ornée pour son époux ^ ; » afin qu'il
soit charmé de sa vue et heureux d'habiter avec elle. Dans une
autre vision, il dit encore : « Elles sont venues, les noces de l'Agneau,
■ et son Épouse s'y est préparée. Et il lui a été donné de se vêtir
« d'un lin fin, éclatant et blanc. Ce lin fin, ce sont lesjustifications
« des saints -, » la pureté et la sainteté, toutes les œuvres justes
et saintes.
C'est ainsi que notre divin Jésus orne nos âmes, qu'il admet au
nondjre de ses épouses, et la beauté qu'il leur donne ajoute à sa
propre gloire. Plus il élève en sainteté et en grandeur des âmes
qui, par elles-mêmes, étaient profondément misérables, plus il
fait éclater la grandeur de sa puissance, de sa bonté, de son infinie
miséricorde. L'âme, épouse de Jésus-Christ, reconnaît cet amour
et cet infini bienfait; elle confesse qu'elle le doit tout entier, et
sans mérite de sa part, à celui qui le lui accorde ; elle lui témoigne
sa reconnaissance, et célèbre ses louanges avec le prophète Isaïe
(jui s'écriait : « Je me réjouirai dans le Seigneur et mon âme
« exultera en mon Dieu ; parce qu'il m'a revêtu des vêtements du
« salut, t-'t du manteau de la justice, il m'a enveloppé comme
€ l'époux paré d'une couronne, et comme l'épouse ornée de ses
« colliers ^. »
Tel est l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour les âmes
1. Kl ego Joannes vidi sanctam civitatem, Jérusalem novain descendentem
de cœlo a Deo, paralam sicut sponsam, ornatam viro siio. (Apoc, xxi, 2.)
± Venerunt nuplise .\gni, et uxor ejus praeparavit se. Et datum est illi ut
cooperiat se byssino splendenti et candide. Byssinum enim justificationes
»unt sanclorum. {Apoc, xix, 7, 8.)
;{. Gaudebo in Domino, et exultabo in Deo meo; quia induit me vestimen-
tis saluti»; cl indumenlo jVistitJje circumdedit me, quasi sponsum decoratum
corona, et quasi sponsam ornatam monilibus suis, {/s., lxi, 10.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCII ARliTl'jLE A NOTRE DÉVOTION. 513
qu'il a daigné admettre au nombre de ses épouses; c'est ainsi qu'il
lesennolDJitet les enrichit, par amour, des dons de la grâce et delà
gloire, dont il les comble. Pourrait-il oublier lésâmes ses épouses?
Pourrait-il cesser de les aimer? Les époux de la terre portent or-
dinairement sur eux quelque signe, quelque gage, une bague par
exemple, qui leur rappelle l'amour de celles à qui leur vie appar-
tient ici-bas. Le divin Époux de nos âmes porte aussi des sio-nes
des gages indélébiles de son amour pour nous. Il est sorti glorieux
du tombeau ; ni la soufl'rance ni la mort ne peuvent plus rien sur
lui ; mais il a gardé les cicatrices des plaies de ses pieds, de ses
mains et de son côté. S'il pouvait oublier qu'il nous aime, la vue
de ces marques sacrées lui rappellerait ce qu'il a été et ce qu'il
est pour nous. Aussi disait-il par la bouche d'Isaïe : « Voici que
« je t'ai, dans mes mains, gravée S » c'est-à-dire : Tu es toujours
présente devant mes yeux, et jamais je ne cesserai de penser à
toi, ni de t'aimer.
L'amour seul peut payer l'amour et celui qui aime beaucoup dé-
sire être beaucoup aimé. L'épouse doit donc aimer son époux;
l'âme fidèle doit donc aimer Jésus. S. Jean disait : « Aimons Dieu,
« parce que lui-même nous a aimés le premier 2. » Si même il ne
nous avait pas aimés, nous lui devrions encore notre amour, parce
qu'il est l'être infiniment parfait, le bien essentiel et infiniment
aimable : pourrions-nous refuser de l'aimer, lorsqu'il a daigné nous
aimer le premier? Mais pour que l'amour d'une âme pour son
divin Époux soit véritable et constant, il convient que cette âme
recoure habituellement à quelques moyens propres à l'entretenir.
Le premier moyen de demeurer fidèle à l'amour de Dieu est
d'entretenir ordinairement dans son esprit quelque bonne pensée,
quelque souvenir pieux, quelque considération propre â ranimer
cet amour et â l'exciter encore davantage. Il faut se rappeler sa
divine présence, sa bonté, sa puissance, sa beauté, sa suavité, sa
libéralité, sa magnificence et ses autres perfections. Il faut élever
souvent son cœur vers Dieu pai- des désirs ardents, des aspirations
brillantes, des oraisons jaculatoires; il faut désirer surtout de l'ai-
mer d'un amour parfait, de lui plaire par une pureté semblable à
celle des anges, de le servir sur la terre avec une soumission et
une exactitude qui ressemblent à celle de ces esprits bienheureux ;
1. Kcce in manibus meis descripsi te. (/.s., \i.i\. 1(5.)
iJ. Dili^^amus Deiim, quoniam ipse prior dilexil nos. (/. Joaun., iv, |'.).)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 33
:;i i LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. LIVRE II. — CHAP. X.
il faut enfin désirer ardemment de voir un jour au ciel son infinie
beauté, de posséder sa gloire éternelle, et d'être uni par la béati-
tude céleste à sa bonté infinie. Et lorsqu'on s'aperçoit de quelque
iié^-ligence dans l'outretien de ces saintes pensées et de ces pieux
désirs, on doit reconnaître son ingratitude, confesser sa paresse,
sa négligence, sa faute, demander humblement pardon et redou-
bler de zèle et de vigilance pour persévérer dans cette sainte pra-
tique. Même au milieu des occupations les plus absorbantes, on
peut réserver quelque chose de son intelligence et de son cœur
pour Dieu.
l'n second moyen de conserver précieusement et d'augmenter
chaque jour le trésor de l'amour de Dieu, est d'avoir recours à
lui. de le consulter pour toutes ses affaires, qu'on ait à les traiter
seul ou avec les hommes. 11 faut examiner en tout ce qui sera le
plus conforme à sa sainte volonté, ce qui servira le plus à sa gloire
ou au bien des âmes; et si, pour des aiïaires graves, on doit avoir
recours aux lumières des hommes, il faut prier le Seigneur pour
qu'il soit lui-même leur lumière.
Enfin, si l'on veut avancer dans l'amour de Dieu, et ne pas s'ex-
poser à le perdre, on doit s'appliquer à considérer en toutes choses
sa sainte volonté, et s'y soumettre sans murmure ou même avec
joie, quelque rudes que soient parfois à la nature les épreuves par
les(|uelles on passe. Les afiïictions les plus pénibles ne nous vien-
nent pas moins de la main de Dieu que les consolations; s'il nous
les envoie, lui qui nous aime infiniment, c'est qu'elles nous sont
utiles pour ce monde ou pour l'autre. Celui qui veut suivre Jésus
doit prendre sa croix, pour marcher sur ses traces, et cette croix,
ce n'est pas à nous de la choisir ordinairement : celles que Dieu
nous envoie sans que nous y soyons pour rien sont les meilleures;
mais il faut les porter humblement, avec résignation, avec joie;
il faut se reconnaître heureux d'avoir quelque chose à souffrir avec
Jésus-Christ et par lui.
l'n tel amour doit être constant. L'Épouse des Cantiques disait :
« J'ai rencontré celui (|ue chêrii. mon âme : je l'ai saini et je ne le
• laisserai pus aller ". » .S. Paul disait : « Je suis certain que ni
• mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses
« présentes, ni chrjses futures, ni violence, ni ce qu'il y a de plus
1. liivc-iii quciri Uiiigil anima inca : lenui eimi : nec dimittam. [Cant., m, 1.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 515
« élevé, ni ce qu'il y a de plus profond, ni aucune créature ne
« pourra nous séparer de Tamour de Dieu qui «^st dans le Christ
« Jésus, Notre-Seigneur '. » Hélas! nous sommes faibles et nous
n'avons pas reçu, comme l'Apôtre, l'assurance de notre persévé-
rance finale : mais avec la grâce de Dieu, si nous la demandons
et si nous veillons à y être toujours fidèles, nous demeurerons,
comme lui, attachés inébranlablement à notre divin Époux : nous
dirons comme l'Épouse des Cantiques: Tenui eum nec dimittam :
K Je l'ai saisi et je ne le laisserai pas aller. »
L'âme devenue l'épouse de Jésus-Christ par la grâce, et brûlante
d'amour pour cet Époux divin, écoutera fidèlement sa parole et
profitera de ses enseignements, « parce que l'homme est le chef de
« la femme comme le Christ est le chef de l'Église -, » dit S. Paul.
Elle s'écriera avec le Psalmiste : « Que vos paroles sont douces
« à ma gorge, plus douces que le miel à ma bouche 3; » c'est-à-
dire : Que j'aime à les répéter après vous, parce qu'elles sont les
délices de mon cœur! Et encore : « Votre parole est une lampe qui
« éclaire mes pieds, et une lumière dans mes sentiers ^. — J'ai
<i caché vos paroles au fond de mon cœur, afin de ne point vous
«t offenser ^ — Je suis prêt et je n'hésite pas â garder vos com-
<t mandements ^. » Le divin Époux, de son côté, donnera des lu-
mières de choix aux âmes ses épouses qui lui seront les plus fidèles;
quelquefois il portera la bonté jusqu'à les favoriser de visions et
de révélations, signes sensibles et incontestables de l'amour qu'il
leur porte. Les vies des saints sont remplies de ces témoignages
de tendresse du divin Époux : si toutes les âmes pieuses ne sont
pas l'objet de telles faveurs, elles n'en apprennent pas moins, par
ces exemples, combien le Seigneur est bon pour ceux qui le ser-
vent.
L'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour les âmes qui lui
1. Cerlus sum enim, quia neque mors, neque vita, neque angeli, neqiic
principatus, neque virtutes, neque instantia, neque futura, neque fortitudo,
neque allitudo, neque profundum, neque creatura alia poterit me separare a
charitate Dei (juie est in Clirislo Jesu Domino nostro. {Rom., viii, 8S, 30.)
2. Quoniam vir caput est mulieris, sicut Christus caput est Ecclesiœ.
(Ëphes., V, itl.)
'.i. Quam dulcia faucibus meis eloquia tua ! super mel ori meo. {Ps. cxviii,
103.)
•i. Lucerna pedibus meis verbum tuum, et lumen semilismeis, {IbùL, lOIJ.)
îj. hi corde meo abscondi eloquia tua ut non peccem tibi. {Ibùl, M.)
«•). Para tus sum et non sum lurbatus, ut custodiam mandata tua. {I/mL, (10.)
516 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11'' PAUTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
appartiennent d'une manière si intime le porte nécessairement à
leur communiquer ses biens. Entre l'époux et l'épouse, tous les
liiens sont communs : ils ont le même héritage, la même demeure,
la même table, la même chambre nuptiale, la même chair; et c'est
à cause de cette communauté de biens, dit S. Bernard, que Jésus-
Christ a donné le nom de ses épouses aux âmes qui l'aiment *.
Les saints ont été prédestinés de Dieu, à cause de Jésus-Christ, et
Dieu n'a créé l'humanité que pour les saints qui devaient en sor-
tir. Si l'homme a quelque grandeur, c'est uniquement aux saints
qu'il la doit et c'est en eux qu'elle brille de tout son éclat. David
disait au Seigneur : « Je considérerai vos ci eux, les œuvres de
t vos doigts, la lumière et les étoiles que vous avez affermies.
« Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui, et
« le fils d'un homme, pour que vous le visitiez? Vous ne l'avez
« abaissé qu'un peu au-dessous des anges; vous l'avez couronné
« de gloire et d'honneur, et vous l'avez établi sur les œuvres de
« vos mains. Vous avez mis toutes choses sous ses pieds, les brebis,
CI les bœufs et de plus les animaux des champs ; les oiseaux du ciel
« et les poissons de la mer qui parcourent les sentiers de la mer.
« Seigneur notre Seigneur ! que votre nom est admirable dans tou te
• la terre '-'. » Mais ces dons de l'ordre naturel que Dieu fait à
l'homme à cause des âmes choisies, épouses bien-aimées de son
divin P^ils, sont peu de chose si on les compare aux dons de l'ordre
surnaturel qu'il accorde à ces âmes, aux consolations, à la joie, à
la douce et confiante espérance dont il les pénètre, à la fécondité
qu'il leur communique ; car la sainte Église, l'Épouse par excel-
lence de notre divin Jésus, n'est pas seule féconde ; ce n'est pas
d'elle seule que le Prophète disait : « Louez le Seigneur, stérile
« qui n'enfantez pas ; chantez sa louange et poussez des cris de
« joie, vous qui n'enfantiez pas, parce que les fils de la délaissée
• seront j.lus nombreux que les fils de celle qui a un époux 3. »
La stérile, la délaissée était la gentilitéqui se convertit à Dieu et,
1. Non sunt inventa seque dulcia nomina, quibus Verbi animaeque, dulces
ad invicem expriniercntur aireclus, (lueinadmodum sponsus et spoma , qu'nppe
quibus omnia communia suiil : una utriusque haereditas, una domus, una
mensa, unus tborus, una caro. (S. Bernard., serm. vu, in Cant.)
•1. «^uoniam videbo cœlos tuos, etc. [Ps. vin, 4. 40.)
:«. Lauda, sterilis, qua; non paris; décanta laudem, et hinni quae non pa-
riobas, r|uoniam mulli filii desertae magis quam ojus quse habet virum. (/s.,
LIV, 1.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 517
devenue l'Église, lui donna d'innombrables enfants, tandis que la
Synagogue fut stérile à son tour. De même pour chaque âme en
particulier : elle a été stérile, elle n'a produit aucua fruit de bonnes
œuvres ni de sainteté, tant qu'elle a vécu séparée de son divin
Époux ; mais du jour où elle s'est donnée à lui, sa fécondité a été
merveilleuse, les fruits qu'elle a produits, aussi abondants que dé-
licieux et agréables, devant Dieu et devant ses anges; fruits de
bénédiction que le Seigneur met en réserve pour les transformer
au ciel en une gloire dont rien ne saurait nous donner une idée
ici-bas, car, selon la parole de l'Apôtre : « L'œil n'a point vu,
« l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a pas soupçonné
« ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. »
Mais entre tous les bienfaits que Dieu accorde aux âmes qui lui
sont chères, à ses épouses bien-aimées et à sa sainte Église, il
n'en est pas un que l'on puisse comparer ici-bas au don qu'il leur
fait de lui-même. Il est présent à tous et à chacun par sa divinité
et par les secours de sa grâce; il est présent à son Église selon la
parole qu'il a dite à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les na-
« tions, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé :
« et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consom-
« mation du siècle 2 ; » mais il y est aussi, et l'on peut dire, il y est
surtout dans le très saint et très adorable sacrement de l'Eucha-
ristie. Grâce à ce Sacrement divin, les âmes qui le cherchent,
comme l'Épouse des Cantiques, savent où le trouver. Il est là, hum-
blement caché sous des apparences qui ne sauraient inspirer la
crainte. La foi seule révèle sa présence, mais la foi suffit et ne
trompe pas. A chaque heure, à chaque instant, il est prêt à donner
audience, à admettre dans son intimité quiconque vient vers lui en
toute simplicité et avec amour. 0 vous qui aimez Jésus! Ames
fidèles, épouses de Jésus-Christ, allez à votre divin Époux et aimez-
le comme il vous aime!
1. Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quse
praeparavitDeus iis qui diligunt illum. (/. Coi\, 11, 0.)
2. Eunlesergo, docele omnes gentes.... docentes eos servare oninia quœ-
cumque mandavi vobis. Kt ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque
ad consummationem saeculi. [Matth., xxviii, Ut, 20.)
118 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
JKSIS-CIIHIST PRÉSENT DANS l'eUCHARISTIE EST NOTRE VIE,
ET l'aliment surnaturel DE NOS AMES
On dit qu'un être est vivant, lorsqu'il possède en soi-mênne le
principe de ses mouvements et de son action. Dieu possède la vie
dans toute sa plénitude, et c'est de lui que la tiennent toutes les
créatures qui participent à ce bienfait. Il ne possède pas seule-
ment la vie, mais il est la vie elle-même, la vie infiniment parfaite
qui se confond avec l'essence divine.
Notre-Seigneur .Jésus-Christ, Fils de Dieu, possède la vie en lui-
même, comme le Fère qui la lui communique i : mais il n'est
pas seulement la vie : il est notre vie. C'est le nom que S. Paul lui
donne : « Lorsque aura paru le Christ, notre vie 2, » écrit-il aux
lidèles de Colosses ; et le divin Maître ne dit-il pas lui-même : « Je
€ suis la voie, la vérité et la vie •'*?». Il est la voie, parce que, grâce
à ses mérites, à la foi que nous avons en lui et à l'imitation de ses
vertus, nous arrivons jusqu'à lui et nous possédons la vie bien-
heureuse. Il est la vérité, parce qu'il nous enseigne toute vérité et
qu'il garde fidèlement toutes ses promesses. Il est la vie, parce
qu'il nous a mérité la vie de la grâce et celle de la gloire et qu'il
opère cette vie en nous, par sa divinité et par son humanité qui en
est l'instrument. C'est en ce sens que S. Pierre l'appelle V Auteur
de la vie. « Vous avez demandé qu'on vous délivre un homme
« homicide, et vous avez mis à mort l'auteur de la vie *, » dit-il
aux Juifs. Le Seigneur dit à son tour : « Je suis venu pour que
« mes brebis aient la vie, et qu'elles l'aient avec plus d'abon-
« dance ^\ » Di-jà les justes avaient la vie par lui avant sa bienheu-
reuse incarnation : mais il s'est fait homme pour souffrir et mou-
rir, afin de leur dispenser ce bien avec une abondance et une
libéralité plus grandes. C'est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-
\. Sicut Palor l»al>ct vitam in semetipso, sic dédit el. Fiiio habere vitam ia
Remetipso. [Jonnn., v, !20.)
2. Cum Christus jipparueril vita nostra. {Cofoss., m, 3.)
:». Kpo suiii via, veritas et vita. [Joann., xiv, 6.)
4. Vos petislis virum homicidam donari voi>is ; auctorem vero vitae inter-
fecistis. (Art., m. Mi.)
!». Ego veni, ut oves iiie«e vitam Imbeant et abundantius habeant. (Joann.,
X, lu.)
AUTRES TITRES DE JÉSDS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 519
Christ, comme Dieu et comme iiomme, est véritablement notre
vie.
Mais quelle est cette vie que nous devons à Jésus présent pour
nous au Très Saint Sacrement ?
L'Écriture nous apprend qu'au commencement du monde, Dieu
forma l'homme du limon de la terre, qu'il souflla sur son visage
un souffle de vie, et que l'homme fut ainsi fait âme vivante i.
S. Cyprien, S. Basile et plusieurs autres Pères n'entsndent pas
seulement ici la vie naturelle que Dieu donna à l'homme, mais la
vie surnaturelle de la grâce dont il orna son âme et qui fit d'elle
une âme vivante, dès l'instant de sa création ~. Il lui communiqua
quelque chose de son divin Esprit, en le faisant juste et saint, en
l'élevant par sa grâce à la dignité de son fils adoptif. Il communi-
qua la vie à son corps, en lui unissant une âme immortelle, et lui
accordant plusieurs autres dons qui lui permettraient de conserver
la vie naturelle sans crainte de la perdre. Parmi ces dons, il faut
nommer la justice originelle, qui établissait dans l'homme une si
parfaite harmonie que rien ne pouvait lui nuire; les fruits du Pa-
radis terrestre, dont la vertu nourrissante suffisait à entretenir les
forces corporelles de l'homme sans qu'elles faiblissent jamais,
jusqu'au jour oii, sans passer par la mort, il aurait été introduit
dans le ciel.
Telle fut la vie de l'âme et telle fut celle du corps que Dieu
donna à l'homme dès l'origine, et que l'homme perdit par son pé-
ché. A cause de sa désobéissance, Adam fut privé de la grâce, de
tous les dons surnaturels, et encourut la mort de l'âme. En même
temps, la mort corporelle, avec tous les maux qui la préparent et
l'accompagnent, devint son partage. Son corps qui n'était pas im-
mortel par nature comme l'âme, mais par grâce, fut condamné à
retourner en poussière après quelques années de rudes labeurs,
pour l'entretien d'une vie menaçant à chaque instant de s'éteindre.
Dieu prononça contre lui celte sentence qui, après plus de six
mille ans, pèse encore de tout son poids sur l'humanité coupable :
\. Fonnavit igitur Doininus Deus liominem de limo terr.T, et iiispiravit in
facicm ejus spiraculum vitœ. et factus est homo in aniniam viventem. {Gènes.,
II, 7.)
"■2. At carte vis intelligendi et cognoscendi condilorem et opiticein siium
inest etiam in hominibus. Itisnf/Iavit enim in faciem, hoc est aliquam grati<e
propriœ partem in liominem immisit, ut simile par similecognoscat. (S. Basil.
Maun., hom. X in /'.s-, xi.viii, n. 8.)
îiâO LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CllAP. X.
« C'est à la sueur de ton front que lu te nourriras de pain, jusqu'à
« ce que tu retournes à la terre d'où tu as été tiré : puisque tu es
« poussière, tu retourneras à la poussière •. »
Mais cette mort corporelle, quelque terrible qu'elle fût, n'était
rien, comparée à la seconde mort, à la mort surnaturelle de l'âme
qui commence par le péché et qui se consomme par la damnation
éternelle; elle n'était rien, comparée à ce soulèvement des passions,
à ces tentations de toutes sortes qui allaient faire leur proie du
cœur de riiomme et Tentrainer d'iniquités en iniquités, d'abîmes
en abîmes, jusqu'au plus profond de la corruption et de l'enfer.
Que le sort de l'Iiumanité, que le sort de chacun de nous eût
donc été terrible et lamentable, si Dieu n'avait pas eu pitié de l'hu-
manité. Mais il est la' vie, et son divin Fils a daigné se faire homme
pour rendre aux hommes la double vie que le péché leur avait
ôlée.
« L'Ame qui aura péché mourra -, » dit le Seigneur par la
bouche du prophète Ézéchiel. Pour détruire la mort parmi les
hommes, il fallaiten enlever la cause et faire disparaître le péché.
Jésus-Christ est donc venu; il a satisfait à la juslice divine pour
les péchés des hommes; il a fait aux coupables l'application de
ses propres mérites; il les a justifiés; il leur a enseigné à refréner
leurs passions et à réprimer leurs inclinations mauvaises. Ce n'é-
tait pas assez de les délivrer de leurs péchés passés et de les ame-
ner à n'en plus commettre, ce n'était pas assez de les arracher à
l'enfer, il leur a rendu la vie surnaturelle avec tous les biens qui
l'accompagnent : la foi, la charité, la grâce, les vertus infuses,
tout ce qui fait vivre l'âme, parce que ces dons du Saint-Esprit
permettent â Dieu lui-même rl'habiter dans l'âme dont il est la vie.
VA grâce â ces dons, l'âme qui possède la vie exerce librement, et
avec bonheur, les actes qui lui sont propes. Par son intelligence,
elle connaît et contemple Dieu; par sa volonté, elle l'aime, le
goûte et se confie en lui ; et en l'aimant elle aime les biens célestes,
et tout ce qui lui plaît, à cause de lui. En même temps, la paix et
riiarmonie détruites par le péché renaissent; les puissances de
l'âme, purifiées et fortifiées par l'Esprit de Dieu, s'inclinent vers
le bien; la concupiscence, si elle ne s'éteint pas, s'affaiblit telle-
i. In sudore vullus lui vesceris pane tuo, donec revertaris in terrain, de
«ua suinptus es : quia pulvis es, et in pulverem reverteris. {Gènes., m, 19.)
2. Anima quae peccaverit, ipsa morietur. [Ezech., xviii, 20.)
AUTRES TITRES DE JESUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. o2l
ment qu'elle n'est plus un danger prochain de chute. C'est ainsi
que notre divin Sauveur fait renaître et conserve la vie de nos
âmes.
L'Apôtre nous dévoile ce mystère de la bonté infinie de Dieu
])0ur nous, dans l'Épître aux Éphésiens, où il dit : Dieu qui
« est riche en miséricorde, par le grand amour dont il nous a
K aimés, et lorsque nous étions morts par les péchés, nous a vivi-
<i fiés dans le Christ (par la grâce duquel vous êtes sauvés), nous
« a ressuscites avec lui, et nous a fait asseoir dans les cieux en
« Jésus-Christ, pour manifester dans les siècles à venir les richesses
« abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ
<( Jésus •. » Nos âmes étaient la proie de la mort, et nos corps avec
elles, pour le temps et pour l'éternité, à cause du péché ; mais Dieu
nous a rendu la vie spirituelle et divine par la vertu de Jésus-
Christ pour que nous lui fussions semblables. Et c'est par la grâce
de ce même Jésus que nous sommes sauvés. Il a ressuscité nos
âmes par la grâce qu'il nous a rendue et, par l'espérance de la vie
éternelle qu'il nous donne, il assure à nos corps eux-mêmes le
triomphe final sur la mort, par la résurrection qui les réunira à
nos âmes, lorsque le temps sera venu de nous introduire en corps
et en âme dans son royaume céleste et de nous y faire asseoir avec
lui sur les trônes qu'il nous y a préparés. L'Apôtre dit encore :
« Comme tous meurent en Adam, tous revivront dans le Christ '-. »
Nous mourons tous en Adam, de la mort de l'âme et de celle du
corps : il convenait donc que tous les hommes retrouvassent en
Jésus-Christ, non seulement la vie de l'âme par la grâce, mais
aussi la vie du corps par sa réunion avec l'âme, dont il aura été
séparé par la mort naturelle, que doit subir tout descendant
d'Adam.
Mais ce qui augmente encore la grandeur du bienfait de cette
double résurrection, c'est le moyen que le Fils de Dieu a voulu em-
ployer pour nous le conférer.
1. Deus autem, qui divcs esl in misericordia, propter nimiam charitatem
snam, qua dilcxit nos, et cum essemus inorlui peccalis, convivificavit nos in
Christo (cujus f,'ratia estis salvati), et conrosuscilavit, et consedere fecit, in
•'(l'iestibus in Christo Jesu; ut ostenderet in sceculis supcrvenientibus abun-
dantes divitias gratiae sumb, in bonitate super nos in Christo Jesu. {l-^plies., ii,
4-7.)
2. Et sicut in Adam omnes moriuntur, ita et in Christo omnes viviticabun-
tur. (/, Cor., XV, ±2.)
bZZ LA SAINTE EUClIARfSTIE. — IT PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. X.
II est écrit au HT livre des Rois, que le prophète Élie voulant
rendre la vie au fils de la veuve de Sarephta, « le porta dans la
« chambre où lui-même demeurait, et le mit sur son lit. Puis il
a cria au Seigneur et dit : Seigneur mon Dieu, même la veuve
« chez laquelle moi-même en tout cas je suis nourri, vous l'avez
« aflligée au point de faire mourir son fils? Et il s'étendit et se
(f rapetissa sur l'enfant jusqu'à sa mesure, par trois fois, puis il
« cria au Seigneur et dit : Seigneur mon Dieu, je vous conjure,
« que l'àme de cet enfant retourne en son corps. Et le Seigneur
« exauça la prière d'Élie, et l'àme de l'enfant retourna en lui, et il
« revécut *. » Le disciple de ce prophète, Elisée, ressuscita le fils
de la Sunamite, en employant le même moyen que son maître ~.
La double résurrection opérée par ces deux grands prophètes,
figures de Notre-Seigneur Jésus-Christ, représente la double résur-
rection que cet adorable Sauveur daigne nous accorder : la résur-
rection de nos âmes par la grâce, et la résurrection de nos corps
pour la gloire. Mais le moyen particulier auquel ils ont tous deux
recours, pour accomplir cette résurrection miraculeuse, n'est pas
dépourvu de myslère. Lorsqu'ils se rapetissent à la mesure de
l'enfant, ils nous représentent le Fils de Dieu qui, pour rendre la
vie à l'homme mort par le péché, s'est lait semblable à lui, s'est
rabaissé en sa mesure en prenant la nature humaine et en accep-
tant la soutlriînce et la mort châtiment du péché. Le Dieu d'éter-
nelle majesté, le Dieu qui est la vie et la gloire infinie s'est humi-
lié: il s'est fait homme: il a enduré pour les hommes les tour-
ments, les opprobres, la mort même. C'est ainsi qu'il les a délivrés
de la mort du péché et de la damnation éternelle ; c'est ainsi qu'il
leur a procuré de nouveau une double vie, la vie de la grâce et
celle de la gloire.
Qu'il est grand, ce bienfait ; qu'elle est ineffable, cette miséricorde ;
qu'elle est immense, cette tendresse pour nous ! L'Être infini que
ni le ciel ni la terre ne sauraient contenir; celui qui a créé le monde
et qui, s'il le voulait, ferait jaillir du néant des mondes innombra-
bles auxquels il .serait présent, comme à celui que nous habitons,
par son essence et sa puissance infinies, ce Dieu si grand se fait
homme et il naît d'une femme; ce Dieu immuable et impassible,
qui seul possède par lui-même l'immortalité, se fait passible et
1. ///. Jiefj., VII, m. — ± IV. /{,■;/., IV, 1-2.
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 523
mortel; ce Dieu infiniment heureux, ou plutôt la béatitude elle-
même, l'auteur et la source de tout bonheur, se soumet aux tour-
ments, aux ignominies, à la mort, pour nous délivrer de !a mort
et nous donner la véritable vie, la vie parfaite et, selon la parole de
l'Apôtre, « afin de détruire par la mort celui qui avait l'empire
« de la mort, le diable ^. »
Et par quels moyens notre divin Jésus nous communique-t-il
cette vie dont il est la source, ou plutôt qu'il est lui-même? C'est
d'abord par la foi en sa sainte parole ; c'est par l'obéissance à ses
préceptes et par la pratique des vertus ; c'est par la soumission en-
tière à sa très sainte et très adorable volonté; c'est par la réception
des sacrements. Il est écrit, en eflet : « Le juste vit de la foi - ; »
mais il faut l'entendre de la foi que la charité accompagne ; com-
ment, en effet, une foi morte, une foi que la vie de Dieu, c'est-à-dire
la charité, n'accompagne pas, pourrait-elle communiquer une vie
dont elle est privée? D'autre part, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous
a fait cette promesse : <?- En vérité, en vérité, je vous le dis, si quel-
« qu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ^; » parce
que la mort éternelle ne le frappera pas ; il passera de la vie de la
grâce à la vie de la gloire, s'il garde les commandements, s'il pra-
tique les vertus que Jésus-Christ a bien voulu nous enseigner,
par sa parole et par ses exemples. Enfin les sacrements sont des
sources dévie auxquelles tout homme peut et doit puiser abondam-
ment. Le Baptême nous donne la vie de la grâce dont nous étions
privés par le péché du premier homme ; la pénitence nous rend
cette grâce, si nous avons eu le malheur de la perdre par nos pro-
pres péchés * ; les autres sacrements ajoutent à cette vie chacun
selon les besoins particuliers pour lesquels il est institué, et même
quelquefois ils la confèrent accidentellement. Mais le sacrement
de vie par excellence, celui dans lequel Jésus-Christ nous la donne
avec une abondance infinie, parce qu'il se donne lui-même entiè-
rement à nous, lui qui est la vie par essence, c'est l'adorable
Eucharistie. « Celui qui mange ce pain vivra éternellement, » nous
1. Ut per mortem destrueret eum qui habebat mortis imperium, id est,
diabolum. [Ile/tr., ii, 14.)
2. Justus autem ex fide vivit. {Rom., i, 17.)
3. Amen, amen dico vobis : Si quis scrinonem meum .servavcrit, mortem
non videbit in ielernum. (Joann., viil, V>\.)
4. Pœnitentiam aj,'ile et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu
Christi, in remissionem peccatorum. (-4c/., ii, 38.)
524 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
dit-il : Qui manducat hune panein, vivct in œtenium L » La
sainte Eucliaristie est l'aliment sacré que Dieu a préparé pour
conserver la vie des âmes, comme l'arbre de vie, dans le paradis
terrestre, devait conserver aux hommes la vie des corps, si Adam
n'avait pas péché. Il dit encore : « C'est moi qui suis le pain de
« vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et sont morts.
« Voici le pain qui descend du ciel, afin que si quelqu'un en mange,
« il ne meure point.... En vérité, en vérité je vous le dis : Si vous
« ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son
« sang, vous n'aurez point la vie en vous. Qui mange ma chair et
« boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au
« dernier jour. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en
« moi et moi en lui, et celui qui me mange vivra par moi 2. »
C'est ainsi que notre divin Sauveur est notre vie en tout et par-
tout, mais principalement au sacrement de son amour, la sainte
Eucharistie, qui conserve et augmente sans cesse la vie de la grâce
en ceux qui l'aiment, l'honorent et la reçoivent. Or la grâce, comme
dit encore Notre-Seigneur, « est une fontaine d'eau jaillissant
« jusque dans la vie éternelle : » Fous est aqux salientis in vitam
âsternam ^.
Feut-étre demandera-t-on pourquoi notre adorable Sauveur, qui
nous délivre du péché et nous donne la vie infiniment précieuse
de la grâce, ne nous délivre pas en même temps de la mort tem-
porelle suite et châtiment du péché, et des mille maux qui s'y
rattachent? La grûce que Jésus-Christ, notre vie, nous a méritée
n'est-elle pas plus grande que les iniquités dont la race d'Adam
était souillée aux yeux de Dieu? Ne peut-il pas plus pour notre bien
que le premier homme n'a pu pour nous perdre?
Sans doute Jésus-Christ, s'il l'avait voulu, aurait pu délivrer
l'humanité de toutes les suites du péché originel; ni les mérites,
ni la puissance, ni la miséricorde ne lui manquaient pour le faire :
1. Jonnn., vi, .'JD.
2. Kgo suin panis vitae. Patres veslri manducaverunt manna in deserto, et
rnorliii sunt. Hic est panis de cœlo descendens : ut si quis ex ipso manduca-
verit, non inoriatur.... Amen, amen dico vobis : Nisi manducaveritis carnem
Filii hominis, et hiberitis ejus sanguinem, non habebitis vitam in vobis. Qui
manducat meam carnem, et bibit meum sanguinem, habet vitam seternam :
et c'go resu.scitabo eum in novissimo die.... Qui manducat meam carnem et
bibit meum .san;juinem, in me manet et ego in eo. {Joann., vi, 48 et seq.,
passim.;
■i. Jimnn., iv, 14.
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 525
mais il ne l'a point voulu, et s'il ne l'a point fait, c'est justement
à cause de sa miséricorde et de son amour pour nous, qui recher-
chent toujours et en tout notre plus grand bien. Nous ne pouvons
connaître tous les motifs pour lesquel il lui plut d'en agir ainsi
dans son infinie sagesse, mais il en est cependant plusieurs qu'il
nous est aisé de comprendre.
Et d'abord, ce fut pour nous laisser tout le mérite et l'exercice
de la foi. Si, au chrétien qui croit en Jésus-Christ et reçoit ses
sacrements, l'immortalité était aussitôt donnée; s'il n'y avait plus
pour lui ni mort à attendre, ni douleur sur la terre, cet acte visi-
ble, ce miracle éclatant et toujours renouvelé, de la puissance et
de la bonté de Dieu envers les chrétiens, rendrait la vérité de notre
sainte religion tellement évidente qu'il n'y aurait plus aucun mé-
rite à l'accepter. Tout le monde voudrait être chrétien, à cause des
avantages tangibles attachés à ce titre ; la foi qui a pour objet ce
qui ne peut être connu naturellement, rerum non appar^entium^
ni prouvé par l'expérience, n'aurait plus de raison d'être : on
croirait, non plus sur la parole de Dieu enseignée par l'Église, mais
sur le témoignage des sens et l'expérience de chaque jour. C'est
pourquoi Dieu a voulu que la mort naturelle et les souftrances de
cette vie continuassent d'être le partage des fidèles aussi bien que
des infidèles. Ainsi ce ne sont pas des avantages terrestres qui
portent les hommes à s'attacher au service de Dieu, mais seulement
le désir et l'espérance des biens spirituels et célestes. C'est la rai-
son que donne S. Augustin ^.
En second lieu. Dieu a voulu que par les souflrances de cette vie
et la mort, nous pratiquions la patience, en les supportant sans
murmure; il a voulu que nous reconnaissions ainsi notre faiblesse,
notre fragilité naturelle; il a voulu nous donner l'occasion de mon-
trer notre soumission entière à sa sainte volonté, notre amour
pour lui, qui doit aller jusqu'à recevoir avec joie les épreuves de
toutes sortes, même la mort, par amour pour lui, et à donner pour
lui notre sang et notre vie, comme il a donné son sang et sa vie
pour nous, si l'occasion l'exige, ainsi que l'ont fait autrefois et que
1. Ah his qui per gratiam regeneralionis sunt al).snluti a peccalo, non au-
ferlur mors, quoniam si regeneralionis sacramentoruin continuo sequeretur
immortalitas corporis, ipsa fides evacuaretur, quœ tune est fides, quando ex-
peclatur in spe quod in re nondum videtur. (S. AuausT., de Civitote Dei,
lib. XIII, cap. IV.)
oiij LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAI'. X.
le t'ont même de nos jours d'innombrables martyrs. C'est encore
à S. Augustin que nous empruntons ce motif *.
Ne fallait-il pas aussi que nouseussionstoujours sous les yeux quel-
que chose qui nous fit comprendre, et ne nous laissât pas oublier,
combien le péché est grave aux yeux du Seigneur, combien sont
épouvantables les châtiments qu'il mérite? On ne s'inquiète pas
d'un mal que l'on ne ressent point, mais si l'on est en proie à des
douleurs aiguës, on cherche le remède propre à les calmer, et l'on
évite avec soin ce qui pourrait les aggraver encore, ou les faire re-
paraître, si l'on en est délivré. Sans les souffrances de cette vie,
celles qui attendent les pécheurs dans la vie future sembleraient
un rêve ; mais, comme dit S. Grégoire le Grand : « Tout pécheur,
• qui agit follement en oflensant Dieu, devient prudent lorsque le
« châtiment se fait sentir. Eu proie à la souffrance, il ouvre à la
« lumière de la raison ses yeux obstinément fermés au milieu des
t plaisirs coupables 2. » Les soulTrances de cette vie nous font
mieux comprendre aussi la grandeur du bienfait que Dieu a daigné
nous accorder, en nous délivrant du péché qui en est la source
première, et en nous ouvrant le ciel fermé par la désobéissance
• l'Adam.
Ajoutons encore qu'elles nous empêchent de nous attacher trop
à la terre, qu'elles nous invitent à désirer les biens de la vie future
et qu'elles nous rendent plus semblables à Notre-Seigneur Jésus-
Christ, pendant sa vie mortelle. Serait-il vraiment notre vie lui
qui a tant souffert ici-bas pour nous, si nous ne souffrions pas, à
notre tour, quelque chose avec lui et pour lui?
I. Fidei robore atque certamine, in majoribus aetatibus, fortis fuerat super-
andus timor, quod in sanctis marlyribus maxime eminuit : cujus profeclo
cerlaminis esset nuUa Victoria, nulla gloria (quia nec ipsum omnino posset
esse cerlainen) si posl lavacrum regenerationis jam sancti non possent mor-
tem perpeti corporalem. Nunc vero majore et mirabiliore gratia Salvatoris, in
usus juslitiae, peccati pœna conversa est. Prius enini dictum est homini :
morieris, si peccaveris. Nunc dicit marlyri : morere ne pecces. Prius dictum
est : si mandatum transgressi fucritis, morte moriemini. Nunc dicitur : si
morlein recusaveritis, mandatum trans.i:rediemini. Quod tune timendum fue-
rat ut non peccaretur, nunc suscipiendum est, ne peccetur. Sic per ineffabi-
lem Dei misericordiam et ipsa pœna vitiorum, quœ mors est, transit in arma
virtutis, et fit instrumentum per quod transitur in vitam. (S. August., de Ci-
vilalp Dci, lib. XIII, cap. iv.)
-2. Omnis peccator prudens erit in pœna, qui stultus fuit in culpa ; quia ibi
jam dolore constrictus, ad rationem oculos aperit, quos hic voluptati deditus
clausit. (S. Gregmr. Magn., Moral., lib. XV, cap. x.\m.)
AUTRES TITHES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. i'}'ll
Mais si la miséricode infinie de Dieu n'a pas voulu nous délivrer
de la mort et des autres soulYrances, que le péché du premier
homme a introduites parmi nous, elle s"est donné pleine carrière
pour compenser par des biens sans nombre et sans mesure ces
maux auxquels notre nature est demeurée assujettie. Ce n'est pas
assez pour elle de nous aider à les supporter vaillamment et même
avec joie; elle les transforme pour nous en trésors de mérites et
de gloire pour l'éternité. L'àme ne sera pas seule à profiter de cette
gloire et de ces mérites : le corps aussi sera glorifié. Humilié jus-
qu'à tomber dans la corruption et la poussière du tombeau, il res-
suscitera comme le corps adorable de Xotre-Seigneur Jésus-Christ
est lui-même ressuscité. A l'exemple du corps de Jésus-Christ, il
'jouira d'une vie glorieuse, bienheureuse, éternelle. Écoutons en-
core les enseignements du grand Apôtre : « Mais dira quelqu'un :
<f Comment les morts ressusciteront-ils? ou avec quel corps revien-
« dront-ils? Insensé, ce que tu sèmes n'est point vivifié, si aupa-
« ravant il ne meurt. Et ce que tu sèmes n'est pas le corps même
a qui doit venir, mais une simple graine, comme de blé ou de
« quelque autre chose. Mais Dieu lui donne un corps comme il
« veut, de même qu'il donne à chaque semence son corps propre....
0 Ainsi est la résurrection des morts. Le corps est semé dans la
« corruption, il ressuscitera dans l'incorruptibilité. Il ect semé
<i dans l'abjection, il ressuscitera dans la force. Il est semé corps
« animal, il ressuscitera corps spirituel.... Il faut quece corps cor-
« ruptible revête l'incorruptibilité et que ce corps mortel revête
a l'immortalité. Et quand ce corps mortel aura revêtu l'immorta-
<i lité, alors sera accomplie cette parole qui est écrite : La mort a
« été absorbée dans sa victoire. 0 mort, où est ta victoire? 0 mort,
« où est ton aiguillon? Or l'aiguillon de la mort, c'est le péciié, et
a la force du péché, la loi. Ainsi, grâces à Dieu qui nous a donné la
4 victoire par Nôtre-Seigneur Jésus-Christ! » Et l'Apôtre conclut :
« C'est pourquoi, mes frères bien-aimés, soyez fermes et inébran-
« labiés, vous appliquant de plus en plus à l'œuvre du Seigneur,
« saciianl que votre travail n'est pas vain dans le Seigneur '. » En
un mot, vivons de la vie de Jésus-Christ; mais pour le faire plus
sûrement, souvenons-nous souvent de ces paroles du divin Maître :
« Celui qui memange vivra à cause de moi -. » Recourons souvent,
1. Sed dicet aliquis, etc. {/. Cor., xv, rj.'j et seq. passiin.)
iJ. Qui inaiiducat me, et ipse vivet proj)ler me. {Jutaut., vi, ÎJ8.)
528 LA SAINTE EUCHARISTIE. — ir PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. X.
très souvent même, à la Très Sainte Eucharistie, et nous pourrons
dire avec S. Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ
0 qui vit en moi '. »
Car Jésus-Christ est l'aliment de nos âmes. Il les nourrit par sa
divine parole que Ton écoute, qu'on lit et quon médite à loisir
avec tant de fruit. Il nous nourrit par sa grâce qu'il infuse dans
nos cœurs. Il nous nourrit par ses dons de toutes sortes, même de
l'ordre temporel, qui rafraîchissent et réjouissent nos âmes. Il nous
nourrit même par la tribulation qu'il nous enseigne à supporter
avec patience et qui, bien acceptée, ajoute à notre vigueur spiri-
tuelle. S. Paul disait : « Je me complais dans mes faiblesses, dans
« les outrages, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les
« angoisses pour le Christ, puisque quand je suis faible, c'est alors
a que je suis fort -. » Mais c'est surtout dans la très sainte et très
adorable Eucharistie qu'il est notre pain, notre aliment par excel-
lence.
Toute vie a besoin d'un aliment qui l'entretienne. Dieu a la vie;
il est la vie elle-même; et cette vie est sa divine essence d'où toute
vie dérive. David disait au Seigneur : « En vous est la source de
« la vie : Apud le est fous vitœ 3. » Et parce que Dieu a la vie,
qu'il faut un aliment à sa vie, et qu'il ne peut rien y avoir en Dieu
qui ne soit pas Dieu, il est lui-mêmesa i)ropre nourriture. Son infinie
vérité est l'aliment de son intelligence infinie comme elle ; sa bonté,
sa suavité infinie qui n'est autre que son essence nourrit sa volonté.
Voir Dieu, comprendre Dieu, aimer Dieu, jouir de Dieu avec une
douceur et une joie sans bornes, qu'est-ce autre chose que se nourrir
de Dieu? Et c'est en quoi consiste la béatitude de Dieu lui-même.
Les anges et tous les saints du ciel ont aussi la vie, une vie très
parfaite, en comparaison de laquelle notre vie mériterait plutôt le
nom de mort. Et parce qu'ils vivent, ils ont aussi un aliment.
L'ange Raphaël disait au jeune Tobie : « Lorsque j'étais avec vous,
« je paraissais, il est vrai, manger avec vous et boire; mais, moi,
a c'est d'une nourriture invisible et d'une boisson qui ne peut être
« vue par les hommes que je fais usage *. »
1. Vivo autem jam non ego : vivit vero in me Christus. (GnlfH., ii, 20.)
2. Piaceo mihi in infirmilatibu.s meis, in perseculionibus, in angustiis pro
Chrislo, cuin enim infirmer, lune potens sum. (//. Cor., xiii, 10.)
3. Ps. XXXV, H).
4. Videljar (juiclt'in vobiscum manducare et bibere ; sed ego cibo invisibili,
et potu qui ab hominibits videri non potcst, utor. {Tob., xii, 19.)
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 529
Cet aliment des anges et des saints esl Dieu lui-même. La divine
essence qui est l'aliment de Dieu est aussi leur aliment. Ils voient
Dieu face à face; ils l'aiment d'un amour ineffable; ils jouissent
de lui avec un bonheur dont l'homme ici-bas ne peut concevoir
l'immensité ; le bien infini qu'ils possèdent ne hisse place à aucun
désir; ils sont rassasiés, parce que la gloire de Dieu leur apparaît
dans sa plénitude. Il avait bien raison, cet homme dont parle
l'Évangile qui, ayant entendu notre divin Sauveur reconmiander
la charité envers les pauvres, disait : « Bienheureux celui qui
« mangera du pain dans le royaume de Dieu K »
Dieu, dans son infinie miséricorde, a voulu faire partager aux
hommes le pain dont il nourrit les anges et les saints dans le ciel,
le pain qui est sa propre nourriture. Il a voulu donner ce pain, en
nrième temps que la loi de grâce, à ceux qui lui sont fidèles, afin
de les fortifier, de les consoler, de leur procurer un rayon de joie
dans les tristesses de leur exil. Notre divin Sauveur a donc institué
le sacrement de l'Eucharistie, dans lequel il se donne à nous comme
l'aliment de nos âmes; et c'est de ce sacrement, qui n'est autre
que lui-même sous des apparences étrangères, qu'il a dit : « Voici
« le pain qui est descendu du ciel : » Hic est panis qui de cœlo
descendit. Non pas que ce pain adorable quitte le ciel pour venir
sur la terre, et se donner à nous; mais le même Jésus-Christ qui
est au ciei, sans s'éloigner du trône qu'il occupe à la droite de son
Père, change sur nos autels la substance du pain en son propre
corps, de sorte qu'il est présent sous les espèces sacramentelles,
aussi réellement qu'il le serait, s'il quittait le ciel corporel lement,
pour venir au milieu de nous à la voix du prêtre.
Mais quoique nous prenions, à la table eucharistique, le même
aliment qui fait et fera éternellement les délices des saints et des
anges, que dis-je? de Dieu lui-même, au ciel, nous ne le prenons
cependant pas de la même manière.
Dans le ciel le Verbe incarné se donne aux saints et aux anges,
sans voiles ni nuages. Ils voient son humanité sainte dans toute la
splendeur qui convient au Fils de Dieu lui-même, et ils voient sa
divinité. Cette double vision leur procure une jouissance infinie-,
un rassasiement qui, renouvelé sans cesse, ne les lasse point et
n'éveille en eux ([u'un désir, celui d'en juuir encore et toujours.
1. l5(.'aUis (jui inanducal)it pancm iii reirno Dei. (/,'"•.. .\iv. l.'i.l
L\ SAINTE EUCIIAllISTIK. — T. IV. \\\
530 LA SAINTE EUCIIAUISTIE. — II*" l'AKTlE. — LIVUE Jl. — CHAP. X.
Sur la terre il n'en est pas ainsi. Les âmes justes mangent ce pain
descendu du ciel, mais elles Reconnaissent sa présence que par la
foi. Les accidents, les espèces qui dénotent sa présence, le dérobent
en même temps à nos yeux. Nous le mangeons ; mais notre âme
ne prend pas part à ce divin banquet, avec toutes les dispositions,
qu'elle voudrait y apporter; et lorsqu'elle s'est nourrie de Dieu lui-
même, il semble qu'il lui manque encore quelque chose. Elle au-
rait besoin devoir, d'entendre, de toucher, de sentir d'une manière
plus complète celui qui vient de se donner à elle. Il lui manque
ce que les saints possèdent dans toute sa plénitude au sein de la
béatitude céleste. Au ciel, Jésus se donne pour communiquer aux
bienheureux la joie infinie qui est la sienne. Sur la terre il se
donne, mais il se donne caché, pour exercer notre foi et nous
faire acquérir des mérites, pour augmenter en nous la vie spiri-
tuelle, pour nous soutenir, nous fortifier contre les tentations et
les vices, nous aider à suivre la voie qui doit nous conduire au ciel,
par la fidélité à garder ses commandements et à pratiquer la vertu.
Il se cache en se donnant sur la terre, afin de faire des justes, et
il se montre tel (lu'il est, en se donnant au ciel afin de faire des
bienheureux.
Cet aliment divin ne se transforme pas en nous, mais il nous
transforme en lui si nous n'y mettons pas d'obstacle. Il possède
toutes les vertus, toutes les perfections, et, à nous en nourrir sou-
vent avec les dispositions nécessaires, nos âmes revotent comme
lui toutes les vertus et toutes les perfections. Il est juste et il nous-
rend justes; il est saint et il nous rend saints. Il est humble, plein
de mansuétude et de bénignité; il est affable, pieux, pur, chaste,
modeste, et il communique tous ces dons célestes à ceux qui le re-
çoivent; et parce qu'il est Dieu, il les rend divins : Ego dixi : DU
estis.
Ajoutons que ce pain est souverainement délectable. Si nous
en sommes dignes, Dieu nous fera sentir quelquefois la vérité de
cette parole du Sage : « Vous leur avez donné un pain venant du
« ciel, préparé sans travail, renfermant en soi tout ce qui plaît '. »
« Voulez-vous n'avoir jamais faim, dit Bossuet 2, jamais n'avoir
soif? venez au pain qui ne périt point, et au Fils de l'homme qui
1. Panem de cœlo praestitisti eis sine labore, omne delectamentum in se
iiabentcm. {Sap.^ xvi, 20.)
2. Bossuet, Médilatiuns sur les Évangiles ; la Cène, xxxe jour.
AUTRES TITRES DE JÉSUS EUCHARISTIQUE A NOTRE DÉVOTION. 531
VOUS Fadministre; à sa chair, à son sang où tout est ensemble et
la vérité et la vie, parce que c'est la chair et le sang, non point du
Fils de Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu :
0 Seigneur, donnez-moi toujours ce pain. Qui n'en serait affamé?
Qui ne voudrait être assis à votre table? Qui la pourrait jamais
quitter ?
« Mais pour nous piquer davantage du désir d'en approcher,
Jésus-Christ nous dit que ce n'est pas une chose aisée et commune.
II faut être aimé de Dieu, touché, tiré, prévenu, choisi. Voyez
combien de ses auditeurs s'en éloignent, combien murmurent, com-
bien s'en scandalisent. Ses disciples mêmes se retirent d'avec lui ;
il y en a même parmi ses apôtres qui ne croient pas. Plus ces infi-
dèles se rebutent, plus les vrais disciples doivent s'approcher.
Venez, écoutez, suivez le Père qui vous tire, qui vous enseigne au
dedans, qui vous fait sentir vos besoins, et en Jésus-Christ le vrai
moyen de les rassasier. Mangez, buvez, vivez, nourrissez-vous,
contentez-vous, rassasiez-vous. Si vous êtes insatiables, que ce soit
de lui, de sa vérité, de son amour : car la Sagesse éternelle dit,
en parlant d'elle-même : « Ceux qui me mangent auront encore
faim, et ceux qui me boivent auront encore soif. » Hé! nous venons
d'entendre de sa bouche : « Celui qui boit de l'eau que je donnerai,
« n'aura jamais soif; » et encore : « Celui qui vient à moi n'aura
a jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » Il
n'aura jamais ni faim ni soif d'autre chose que de moi, mais il
aura une faim et une soif insatiable de moi, et jamais il necessera
de me désirer. En même temps qu'il sera insatiable, il sera néan-
moins rassasié; car il aura la bouche à la source. « Les lïeuves
« d'eau vive lui sortiront des entrailles. L'eau que je lui donnerai
« deviendra en lui une source d'eau jaillissante pour la vie éter-
« nelle. » Il aura donc toujours soif de ma vérité ; mais aussi il
pourra toujours boire, et je le mènerai à la vie, où il n'aura plus
même à désirer, parce que je le réjouirai par la beauté de ma face,
et je remplirai tous ses désirs. « Venez donc. Seigneur Jésus, venez.
« L'Esprit dit toujours : Venez. L'Épouse dit toujours : Venez. Vous
« tous qui écoutez, dites : Venez. Et que celui qui a soif vienne :
« vienne qui voudra recevoir gratuitement l'eau vive. «Venez, on
n'exclut personne; venez, il n'en coûte rien, il n'en coûte que le
vouloir. Viendra le temps qu'on ne dira plus : Venez. Quand cet
Époux tant désiré sera venu, alors on n'aura plus besoin de dire :
532 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. XI.
Venez. On dira éternellement : Amen, il est ainsi, tout est accom-
pli : Alléluia, louons Dieu : il a bien fait toutes choses, il a fait
tout ce qu'il avait promis, il n'y a plus qu'à le louer. »
Pouvions-nous mieux clore ce que nous avions à dire sur les
titres de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie,
à la dévotion de ses fidèles, que par cette merveilleuse page de
notre grand Bossuet ?
CHAPITRE XI
JÉSUS-CHRIST. PAR SA PRÉSENCE DANS L'EUCHARISTIE, NOUS MONTRE SON
AMOUR, SA SAGESSE, SA PUISSANCE, SA MAGNIFICENCE, ET NOUS INVITE
A LES IMITER.
1. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nous révèle son amour et demande le
nôtre. — II. Elle révèle sa sagesse. — III. Elle révèle sa puissance. — IV. Elle
révèle .sa munificence ou sa libéralité divine.
I.
LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCIIARISTIE NOUS RÉVÈLE SON AMOUR
DIVIN ET DEMANDE LE NOTRE
Dans les chapitres qui précèdent, nous avons vu ce que Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, que nous adorons présent dans la Très Sainte
Eucharistie, est en lui-même. Nous l'avons considéré dans ses ama-
bilités et ses grandeurs, comme Dieu, comme homme et comme
Homme-Dieu. Nous avons énuméré quelques-uns des titres qu'il
apporte en cet adorable Sacrement, et qui lui donnent un droit
particulier à notre dévotion ; tout ce que nous avons dit jusqu'ici
lui convient, qu'on le considère dans le Sacrement de son amour,
ou dans les splendeurs de sa gloire céleste. Mais il est des ensei-
gnements particuliers, des exemples qu'il nous donne, des devoirs
qu'il nous impose précisément par sa présence dans la Très Sainte
Eucharistie et à cause d'elle. C'est ainsi que, plus d'une fois, nous
yvons eu l'occasion de faire ressortir l'amour, la sagesse, la puis-
sance, la magnificence, de ce Dieu qui s'est fait homme pour
nous et qui demeure humblement caché parmi nous, sous les es-
pèces eucharistiques, mais nous n'avons pas dit comment la sainte
Eucharistie révèle et fait éclater aux yeux de notre foi et à ceux des
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 533
anges cet amour, cette sagesse, cette puissance, cette magnifi-
cence, qu'il faut bien reconnaître et vénérer en Jésus-Christ pré-
sent dans l'Eucharistie, puisqu'il est le Fils de Dieu fait homme.
Il en est de même des autres vertus de l'humanité de Notre-Sei-
gneur. Or, il importe d'autant plus de nous y arrêter, que la pra-
tique de dévotion envers le Très Saint Sacrement, la plus agréable
à notre divin Jésus, sera précisément l'imitation, par amour pour
lui, des vertus dont il nous donne l'exemple.
Ce qu'il convient d'admirer d'abord, c'est l'amour infini que
notre adorable Sauveur nous témoigne dans le Sacrement de l'Eu-
charistie. Après nous être arrêtés un moment à le considérer, nous
devrons bien nous écrier avec la sainte Église : Sic nos aman-
tem quis non redamaret ? « Qui n'aimerait pas à son tour celui
« qui nous a tant aimés? » Qui ne serait pas pénétré de la dévo-
tion la plus ardente pour un sacrement dans lequel et par lequel
un Dieu nous témoigne une si vive tendresse ? Le Concile de Trente
ne craint pas de dire, en effet, que Dieu a déversé, en quelque
sorte, toutes les richesses de son amour divin envers les hommes,
dans le sacrement de l'Eucharistie i. Cet amour est la racine pre-
mière, le principe de toutes les merveilles qu'on y admire.
Aussi S. Jean l'Évangéliste, le disciple bien-aimé de Jésus,
ayant à parler de la Cène en laquelle son divin Maitre institua
l'Eucharistie, commence-t-il par rappeler cet amour de Jésus pour
ses fidèles : « Comme il avait aimé les siens, qui étaient dans le
«[ monde, il les aima jusqu'à la fin -, »dit-il. Que signifient ces pa-
roles de S. Jean, sinon que notre adorable Sauveur qui, pendant
les trois années de sa vie publique, avait donné des preuves de
son amour pour les hommes, fit quelque chose de plus étonnant
encore pour leur montrer combien il les aimait, au moment d'a-
chever l'œuvre de la rédemption par sa mort sur la croix? « Tant
« qu'il resta corporellement avec eux, dit l'abbé Guerric, disciple
« de S. Bernard, il ne leur fit voir ni facilement, ni par de nom-
« breux témoignages, l'affection qu'il avait pour eux ; il se montra
« envers eux plutôt grave que tendre, comme il convient à un
« maitre et à un père. Mais, lorsque le temps de se séparer d'eux
\. In quo Salvator divitias divini sui erga liomines amoris velul elVudit.
(Concil. TricL, sess. XIIl, cap. ii.)
■2. Cum dilexissct suos qui crant in inundo, in tinoin dilcxit eos. (.lo(tnn.,
XIII, 1.)
534 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP, XI.
« fut venu, il parut comme vaincu par sa vive tendresse, et ne put
« leur dérober davantage la grandeur de son amour, qu'il leur avait
« caciiée jusqu'alors. De là vient qu'ayant aimé les siens qui étaient
< dans te monde, il les aima jusqu'à la fin. Alors il épancha
« presque toute l'étendue de son affection pour ses amis, avant de
« répandre son sang comme l'eau, mèmepourses ennemis. Il leur
« donna le sacrement de son corps et de son sang, avec le pouvoir
« de le reproduire. Et je ne sais ce qu'il faut le plus admirer ici de
a sa puissance ou de sa charité. Car en inventant, pour les consoler
« de son départ, cette nouvelle manière de demeurer avec nous,
« s'il se séparait d'eux de corps en apparence, par l'effet du sacre-
» mont, il restait non seulement avec eux, mais encore en eux ^. »
11 est donc vrai de dire que jusqu'au temps où il institua la sainte
Eucharistie, notre divin Sauveur n'avait pas encore donné à ses dis-
ciples une preuve de son amour qui fût comparable à ce bienfait.
S. Paul, avant de rapporter les paroles de l'institution du Très
Saint Sacrement, a soin de remarquer que Jésus-Christ accomplit
cet acte la nuit même où il fut livré à ses ennemis, par le traître
.Judas, pour être crucifié : In qua nocte tradebatur. C'est que l'Apôtre
trouve dans cette circonstance un motif de nous faire apprécier da-
vantage cet ineffable bienfait du Seigneur, et l'amour sans me-
sure dont il est le fruit. C'est au moment même où Judas s'apprête
à consommer son crime, au moment où notre adorable Sauveur
a, plus vivement que jamais, présentes à la pensée toutes les dou-
leurs et les ignominies de sa Passion, que ce Dieu si bon s'oublie en
quelque sorte pour ne penser qu'à nous. Ce corps adorable sur
lequel va s'exercer, dans quelques heures, toute la rage des bour-
reaux, ce sang qui va couler par mille plaies béantes pour le salut
1. Quamdiu tamen cum eis corporaliter conversari volait, non facile aut
multuni hune siinm cis nfîectum prodidit, maturiorem se eis, quam tenerio-
rem oxlnljons, sicut maprislrum decebal et patrem. Cum autem tempus, quo
ab eis recessurus erat instaret, tune veluti vinci tenero eoruin afïectu visus
est, ut mnfrnam rnuititudinem dulcedinis suae, quam eis absconderat,dissimu-
lare non posset. Hinc illud est, quod cum dilcxisset suos qui crant in nmndo,
in finem dilexil eos. Tune enim propemodum omnem vim amoris effudit
amicis, antequam eliam ipse sicut aqua etfunderetur pro iniinicis. Tune eis
.sacramentiiin corporis et sanguinis sui Iradidit, et celebrandum instituit,
nescio virtute an charitate mirabiliori : hoc novum genus mansionis adinve-
niens in consolationem rece.ssus sui : ut si recederet ab eis specie corporis,
maneret non solum cum eis, sed etiam in eis virtute sacramenti. (Guerric.
abb., .serm. in Ascens. JJom., apud opéra S. Bernardi.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 535
lies hommes, il nous les donne. Car ce n'est pas seulement à ses
apôtres, c'est à tous les fidèles de tous les siècles qu'il dit : « Pre-
« nez et mangez : ceci est mon corps. — Prenez et buvez-en tous,
« ceci est mon sang. »
Mais est-il vrai de dire qu'avant d'instituer la sainte Eucharistie,
Notre-Seigneur n'avait rien fait encore qui témoignât d'un aussi
grand amour pour les hommes? Ne s'était-il pas incarné dans le
sein de la bienheureuse Vierge Marie? Ne s'était-il pas fait l'un de
nous, notre frère, pour qu'à notre tour, devenus ses frères, nous
puissions être les enfants de Dieu?
Sans doute, il l'avait fait, et l'apôtre S. Paul dit, en parlant du
mystère de l'Incarnation : « Lorsqu'est apparue la bonté et l'hu-
<r manité de notre Sauveur Dieu '. >> C'était dire que la bonté de
notre divin Sauveur s'est manifestée dans sa plénitude, lorsqu'il
est venu parmi nous, revêtu de notre humanité qu'il avait faite
sienne, afin de nous sauver. L'homme n'aurait pas été délivré, si
Dieu ne s'était pas fait homme, et nulle part ne se montre avec
plus d'éclat la bénignité de la grâce, la libéralité de la toute-puis-
sance de Dieu qu'en Jésus-Christ l'Homme-Dieu, médiateur entre
Dieu et les hommes. « De même, dit S. Jean Chrysostome, que
« nous ne pourrions pas compter les flots de la mer, de même
a nous ne pourrions pas énumérer les bienfaits que Dieu a épan-
« chés sur notre nature. Enfin, quand il vit qu'après tant de
« bienveillance de sa part, et sa miséricorde inouïe, la race hu-
* maine était encore tombée, sans avoir pu être retenue par les
<^ patriarches, les prophètes, les miracles les plus frappants, les
« châtiments et les avertissements si souvent répétés, enfin par
« les captivités consécutives. Dieu ayant pitié de notre race,
<' pour guérir nos âmes et nos corps, nous envoya son Fils
<f unique, sortant, pour ainsi dire, des bras paternels; il lui
« fit prendre la forme d'un esclave dans le sein d'une Vierge,
« vivre avec nous et supporter toutes nos misères, pour en-
« lever de la terre au ciel notre race abattue sous le poids de
i ses péchés. Le fils du tonnerre, frappé de l'excès de bonté que
« Dieu avait déployée à l'égard du genre humain, nous disait hau-
(f tement : Cesf ainsi que Dieu a aimé le momie. \'oyez quels
« prodiges renferme ce mot : Cest ainsi! Il fait comprendre la
\. Cum nutem benignilas et humanilr\s apparuit Salvafnris iiostri Dei, {Til..
III, 4.)
ÎÎ30 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XI.
« grandeur de ce qui va suivre, et c'est pourquoi l'Écriture corn-
•« menée de cette manière. Donnez donc, ô S. Jean, l'explication de
«< ce mot : cest ainsi; dites-nous l'étendue, la grandeur, l'excel-
« lence d'un pareil bienfait. Cest ainsi que Dieu a aimé le
€ monde, au point de nous donner son Fils unique, pour que
€ tout tiommc croyant en lui ne meure pas, mais ait la vie
o éternelle '. » Voilà donc la cause de la venue du Fils de Dieu
« en ce momie : il y est venu pour que les hommes qui allaient
« périr trouvassent une occasion de salut dans la foi en lui. Qui
« pourra concevoir une libéralité si admirable et si grande? Elle
« dépasse les forces de notre raison 2. »
S. Jean Chrysostome reconnaît donc qu'aucune langue humaine
ne pourrait dire la grandeur du bienfait que Dieu a daigné nous
accorder, par l'incarnation de son Fils, et tous les autres Pères
sont d'accord à confesser cette vérité, lorsqu'ils ont à parler de
ce mystère auguste.
Cependant ne peut-on pas dire que le mystère du Fils de Dieu
fait homme, se donnant aux hommes dans l'Eucharistie, et dai-
gnant s'unir à chacun d'eux par la sainte communion, ajoute
encore quelque chose de plus doux, de plus libéral pour nous, de
plus ineffable enfin, au mystère de l'Incarnation qui nous révèle
déjà un amour infini?
Quelle bonté, quelle tendresse de la part du Fils de Dieu fait
homme de continuer d'habiter sur la terre, au milieu des hommes,
même lorsque son ascension glorieuse dans le ciel les a privés de
sa pn'sence sensible! Il n'est demeuré visiblement ici-bas que pen-
dant le court espace de trente-trois ans; et sur ce petit nombre
d'années, trois seulement ont été consacrées à se manifester au
monde. Il n'a pas parcouru l'univers entier, mais une seule con-
trée, peu connue du reste du monde, a été favorisée de sa pré-
sence. Et parmi les hommes qui le virent, combien ne l'ont pas
apprécié? Fallait-il donc que sa présence parmi les hommes passât
inaperçue? Fallait-il (jue ceux qui croiraient en lui dans le cours
des siècles, fussent privés d'un bien ignoré ou dédaigné de ceux
qui vécurent au temps 0(1 lui-même se montra sur la terre? Ses
1. Sic enim Deu.s dilexit munduiri, ni Filium suum unigenitum daret; ut
omnis qui rredit in euni, non pereat, sed habeat vitam aeternam. {Joann.y m,
J(i.)
2. S. J. C-HRYSosTOME, lioni. XXVII sur la Cenèse. Traduction de M. Jea.nnin.
CE QUE NOUS REVELE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'euCHARISTIE. 537
apôtres eux-mêmes allaient-ils être privés de sa présence, pres-
que aussitôt après avoir appris à connaître la valeur d'un tel
bien ?
L'amour de notre divin Sauveur, qui s'était montré si grand
dans l'incarnation, fit encore un pas et monta d'un degré : il alla
jusqu'aux dernières limites qu'il pût atteindre : In finem dilexit.
Et cet effort suprême de l'amour du Seigneur pour nous, après
son incarnation, et sans parler de sa mort sur la croix, en vue de
laquelle il s'était incarné, fut l'institution de la Très Sainte Eu-
charistie. Par elle, il demeurait à jamais avec ses disciples, les
consolant de son absence visible. Par elle, il était présent, non
pas en un seul lieu, mais en mille lieux différents, partout où il
se trouverait un prêtre pour prononcer sur le pain et sur le vin
les paroles de la consécration. Par elle, il était donné à tous les
fidèles de mériter de s'entendre appliquer ces paroles : « Bienheu-
« reux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru '•, » et ces autres
adressées à S. Pierre : « Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car
1 ni la chair ni le sang ne t'ont révélé ceci, mais mon Père qui
«r est dans les cieux -. » Puisque la foi fait le bonheur, puisque
le juste vit de la foi, quel plus grand bien Jésus pouvait-il nous
donner que sa présence parmi nous, et dans des conditions telles
que ni la chair ni le sang ne pussent nous la faire connaître, mais
la foi seule que le Père céleste fait briller dans nos âmes?
Mais si la présence sacramentelle de Notre-Seigneur Jésus-
Christ parmi nous témoigne d'un si grand amour, combien cet
amour ne paraît-il pas davantage encore, si l'on considère dans
quelles conditions ce roi du ciel et de la terre, ce Dieu d'infinie
majesté daigne nous accorder un tel bien ? Il s'annihile, pour ainsi
dire, en voilant toute la grandeur de sa divinité et de son huma-
nité sainte, sous les apparences d'un peu de pain et de vin; il se
laisse aborder partons, pauvres et riches, justes et coupables; il
reçoit tous les hommages, écoute toutes les prieras, et nul ne s'a-
dresse à lui qu'il n'en reçoive quelque bienfait. Son amour le vou-
lut ainsi, parce que si les justes seuls avaient accès auprès de
lui, qui oserait s'approcher de ses autels? Et n'est-il pas venu pour
appeler et sauver les pécheurs? Mais quelle bonté, quelle humilité
1. Beali qui non vidorunt et crediderunt. (Jonnn., xx, 2i).)
2. lîeatus es, Simon Harjona, quia caro et sanguis non revelavil tihi. sed
Pater meus qui est in cœlis. (Mattli., \vi, 17.)
538 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XI.
dans cette condescendance d'un Dieu pour de pauvres et misé-
rables créatures telles que nous sommes ! On conçoit les extases
des saints à la pensée d'un tel amour.
Cependant il faut nous élever encore. L'amour de Jésus-Christ
pour nous dans l'Eucharistie est une montagne immense, et nous
ne sommes qu'au pied de cette montagne. S. Jean Damascène *
nous dit que toute la charité, toute la suavité d'amour que Dieu a
déversée sur nous dans le mystère de l'Incarnation, se retrouve
dans l'Eucharistie, mais avec une abondance plus grande et plus
visible. Par l'Incarnation, en effet, une seule créature, celle com-
posée du corps et de l'àme que le Verbe divin a daigné prendre
pour se les unir hypostatiquement, a été élevée jusqu'à l'union
avec Dieu lui-même. Mais dans la sainte Eucharistie, Dieu n'ac-
corde plus à un seul être humain cette union ineffable : tous les
hommes sont appelés à y participer, non pas au même degré que
l'humanité sainte de Notre-Seigneur, non pas par l'union hypos-
tatique, mais par l'union qui, après elle, peut attacher le plus
étroitement à son Dieu une créature vivant encore sur la terre; par
une union qui permet de dire avec l'Apôtre : « Je vis, mais ce n'est
" plus moi, c'est Jésus-Christ qui vit en moi: » Vivo autemjam
non ego; vivit vero in me Cliristus -. La faveur accordée à un
seul devient, par la sainte Eucharistie, le partage de tous. « Con-
« sidérez, mes frères, disait S. Jean Chrysostorne, que le Sauveur
« est né de notre propre substance; et ne dites pas que cela ne re-
« garde point tous les hommes; puisques'ilest venu pour prendre
« notre nature, cet honneur rejaillit nécessairement sur toute la
« nature humaine. S'il est venu pour tous, il est venu aussi pour
(f chacun en particulier. Pourquoi donc, dites-vous, tous en parti-
<• culier n'ont-ils pas reçu le fruit qu'ils devaient de cette venue?
0 II ne faut point en accuser celui qui le désire avec tant d'ar-
« deur : il faut en rejeter la faute sur ceux qui, par une négli-
« gence et une ingratitude insupportables, ne le veulent point
« recevoir. Car Jésus-Christ, s'unissnnt et se mêlant, par le
« mystère de l'Eucharistie, avec chacun des fidèles qu'il a fait
« renaître, et se donnant lui-même à eux pour être leur nourri-
« ture, nous persuade par là de nouveau qu'il s'est véritablement
« revêtu de notre chair. Ne demeurons donc pas dans l'insensi-
1. S. JoASN. Damasc, lib. IV de Fvie, cap. xiv.
2. Gnlnt., II, 20.
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 539
« bilité, après avoir reçu des marques d'un si grand honneur et
« d'un si prodigieux amour ^ »
L'amour tend à l'union et l'on peut dire qu'il est d'autant plus
grand que l'union qu'il cause est plus parfaite. Celle qui s'accom-
plit entre Notre-Seigneur Jésus-Christ et nous, dans la sainte Eucha-
ristie, ne saurait être comparée à l'union hypostatique entre le Verbe
divin et le corps et l'àme semblables aux nôtres, qu'il a daigné
prendre pour opérer notre rédemption. L'amour que Jésus porte à
chacun des fidèles qui le reçoivent, à la table sainte, n'est donc
pas comparable, non plus, à l'amour dont il est pénétré pour sa
propre humanité; mais, néanmoins, l'union qui s'opère entre le Sei-
gneur et nous, par la sainte communion, témoigne d'un amour
pour nous qui dépasse toute imagination, à cause de l'intimité de
cette union et des obstacles que cet amour doit vaincre, pour y
arriver; n'y en eût-il d'autres que notre misère, notre indifférence
et trop souvent notre indignité.
L'union entre Jésus-Christ et le fidèle qui le reçoit dans l'Eucha-
ristie n'est pas une union physique : il n'y a pas, entre lui et
nous, une simple juxtaposition; son corps ne nourrit pas non plus
notre chair et son sang ne se mêle pas matériellement et physi-
quement avec notre sang. On ne peut pas dire que sa substance se
confonde avec notre substance, ni sa personne avec notre per-
sonne; mais le Verbe incarné tout entier se cache sous les appa-
rences sacramentelles, pour se donner à nous d'une manière sen-
sible. Il arrive ainsi plus efficacementjusqu'à notre àme, l'éclairé,
la nourrit et la sanctifie, agissant sur notre intelligence et notre
volonté comme le chef agit sur les membres et Jésus-Christ dans
l'Ég-lise -.
-o'
1. s. J. Chrysost., hom. LXXXIII in Matth. Traduction Jeannin.
2. Panis iste quem Dominus discipulis porrigebat, non effigie sed natura
mutatus, omnipotentia Verbi factus est caro;et sicutin personaChristi,huma-
nitas videbatur, et latebat divinitas: ita sacramento visibili ineftabiliter divina
se infudit essentia, ut esset religioni circa sacramenta devotio, et ad verita-
tem cujus corpus et sanguis sacramenta sunt, sincerior pateret accessus,
usque ad participationem Spiritus. Non quod usque ad consubstantialitateni
Christi, sed usque ad societatein germanissimam ejus, lisec unitas pervenis-
set. Solusquippe Filius Patri consubstantialis est, nec divisibiiis est nec par-
tiabilis substantia Trinitatis. Nostra vero et ipsius conjunctio, nec miscet
personas, nec unit substantias; sed affectus consociat et confœderat volun-
tates. Ita Ecclesia corpus Christi effecla, obsequitur capili suo; et superius
lumen in inferiora dilTusum, claritatis su* plenitudine a fine usque ad tinem
attingens, totum se omnibus commodat, et caloris illius identitas ita corpori
540 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
Mais si l'union du Fils de Dieu avec nous, par la sainte com-
munion, n'est pas une union physique et matérielle de son corps
adorable avec nos propres corps, elle n'est pas davantage une
union purement intellectuelle et aflective par la foi et par la cha-
rité. Une telle union doit exister déjà lorsqu'on s'approche de la
sainte communion, sous peine de la recevoir indignement : sans
doute elle la resserrera ; mais elle ne la fera point naître si elle
n'existe pas. Il s'opère, en vertu de la communion, une union très
réelle, quoique sans confusion, de la substance de Notre-Seigneur
avec notre substance, et S. Cyrille ne craint pas de la comparer à
celle de deux masses de cire que l'on fait fondre et que l'on mêle
ensemble, pour en faire un seul tout. C'est ainsi, dit-il, que le
Christ est en nous et nous en lui i.
Écoutons ces paroles que S. Jean Chrysostome prête à notre
divin Sauveur : « C'est pour toi que l'on m'a craché au visage, que
«< l'on m'a souflïeté, que j'ai anéanti ma gloire, et que, descendant
a du séjour de mon Père, je suis venu vers toi, qui me haïssais,
« qui le détournais de moi et ne voulais pas entendre mon nom.
« J'ai couru à ta poursuite afin de te saisir; je t'ai attaché et uni à
« moi-même ; je t'ai dit : Mange ma chair et bois mon sang. Je
« t'élève au ciel, et je viens t'embrasser sur la terre. Je ne me suis
« pas contenté de placer si haut tes prémices ; cela ne suffisait pas
« à mon amour. Je suis descendu sur la terre ; et je ne me joins
« pas seulement à toi, mais je pénètre tout ton être, je suis mangé
• par toi, je m'amincis peu à peu, afin que la fusion, que l'union,
« soient plus parfaites. Ce qui s'unit demeure dans les limites de
« sa propre étendue; mais moi, je ne fais plus qu'un avec toi. Je
« veux que nous ne fassions plus qu'un avec toi. Je veux que rien
« ne nous Sf-pare plus ; je veux que nous ne fassions plus qu'un. »
Et le saint Docteur ajoute : « Sachant cela, sachant la grande ten-
« dresse de Dieu pour nous, faisons tout pour ne pas être indignes
assidet, ut a capite non recédât. Panis itaf|ue liic azymiis, cibus verus et sin-
cprus, per speciein et sacramentum nos tactu sanctificat, fide illuminât, veri-
late Christo conformât. (S. Cyprian., dp Cœna Domini.)
\. Inde considerandum est, non haldtudine solum quœ per charitatem
intelligitur Christum in nobis esse, voruin etiam et participatione naturali.
Nam quemadmodum si cpiis igné liquefactam ceram, alii cerœ similiter lique-
faclae ita miscuerit, ut unum quid ex ulrisque factum videatur : sic commu-
nicatione corporis et sanguinis Christi, ipse in nobis est et nos in ipso. (S. Cy-
RILL. Alex., lib. X in Joaun., cap. xiii.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCUARISTIE. 341
« de si grands dons ; obtenons-les tous dans le Christ Jésus Notre-
« Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire,
« puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des
« siècles ^. »
S. Hilaire élève si haut l'union qui s'opère entre Jésus-Christ et
les fidèles qui le reçoivent dignement dans la sainte communion,
qu'il ne craint pas de la comparer, jusqu'à un certain point, à
l'union de circuminsession qui existe entre les personnes de l'ado-
rable Trinité. « Si le Verbe s'est véritablement fait chair, dit-il, et
a si nous prenons véritablement le Verbe fait chair, dans cet ali-
« ment que le Seigneur nous donne, comment pourrait-on ne pas
« admettre qu'il ne demeure pas naturellement en nous, celui
a qui d'abord, en se faisant homme, s'est uni inséparablement à
« la nature de notre chair et a renfermé la nature de sa chair
<t unie à celle de son éternité, sous les apparences du Sacrement,
« pour nous les communiquer? Ainsi nous sommes tous un, parce
» que le Père est dans le Christ et que le Christ est en nous. Qui
a donc nierait que le Père est dans le Christ par sa nature, devrait
<i nier d'abord que lui-même est naturellement dans le Christ ou
« le Christ en lui. parce que l'existence du Christ dans le Père
a en même temps que son existence en nous est la cause de cette
« unité. Si donc le Christ a pris véritablement la chair de notre
« corps, si véritablement cet homme qui est né de Marie est le
« Christ, si véritablement nous recevons la chair de son corps,
« sous le voile du Sacrement, nous serons un, parce que le Père
« est en lui et lui en nous. Comment dire alors que tout se
« borne à une union de volonté, lorsque le Sacrement, par une
« propriété essentielle à sa nature, est un sacrement d'unité
« parfaite 2 ?» S. Hilaire revient souvent sur cette doctrine de
1. S. Chrysost., hom. XV in /. ad Timotli. Traduction Jeannin.
2. Si enim vere Verbum caro factum est, et nos vere Verbiim carnem cibo
Dominico sumimus, quomodo non naturaliter manere in nobis existimandus
est, qui et naturam carnis nostra^ jani inseparal)ilem sibibouio nnlus assump-
sit, et naturam carnis suae ad naturam aeternitatis sub Sacramento nobis com-
municandae carnis admiscuit? Ita enim omnes unum sumus, quia et in
Christo Pater est, et Chrislus in nobis est. Quisquis ergo naturaliter, Pafrem
in Christo negabit, neget priusnon naturaliter, vel se in Christo, vel Christum
sibi inesse, quia in Christo Pater, et Christus in nobis, unum in bis esse res
faciunt. Si vere igitur carnem corporis nostri Cliristus assumpsit, et vere
liomo ille qui ex Maria natus fuit, Christus est, nosque ver(> sub mystorio car-
nem cor])oris sui sumimus, et per hoc unum erimus quia Pater in eo est, et
545 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11® PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. XI.
l'union parfaite qu'il nomme union naturelle, ce qui, dans le lan-
gage des Pères, équivaut à union des substances, que la réception
de l'Euclinristie opère entre Jésus-Christ et les fidèles. Mais il lui
était impossible d'en donner une plus haute idée qu'en la compa-
rant à celle qui existe entre le Père éternel et son Fils. Que faisait-
il en cela, sinon imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même?
Ne lisons-nous pas dans l'Évangile : « Celui qui mange ma chair
« et boit mon sang demeure en moi et moi en lui '? » Et le divin
Maître n'ajoute-t-il pas : « De même que le Père qui est vivant m'a
« envoyé, et moi je vis à cause de mon Père, et celui qui me
« mange vivra à cause de moi -1 » Aussi les meilleurs inter-
prètes de la Sainte Écriture aiment-ils à conclure de ces textes
de S. Jean, que ceux qui communient vivent d'une vie divine et
sont en quelque sorte transformés en Dieu lui-môme, en vertu de
l'union qu'ils contractent avec lui ^. C'est là ce qu'ils entendent
par vivre à cause du Christ comme il vit lui-même à cause du Père;
c'est ainsi qu'ils expliquent la parole de Notre-Seigneur : « Il de-
« meure en moi et moi en lui. »
S. Denys l'Aréopagite affirme que l'union qui s'opère entre le
Seigneur et nous, par la sainte communion, est l'union par excel-
lence, l'union la plus parfaite qui se puisse concevoir. Il va sans
dire qu'il faut toujours excepter celle qui existe entre les trois Per-
sonnes divines et celle de la divinité de Jésus-Christ avec son
humanité. • En eflét, dit-il. Dieu le Verbe qui, par sa nature, est
« absolument simple et invisible, s'est fait homme par amour pour
ille in nobis : quomodo voluntatis unitas asseritur cum naluralis per sacra-
mentuin propriotas, ])erfectum sacramentum sit unitatis. (S. Hilar., lib. VIII
(le Trùiittilc, n. V.i.)
1. nui inanducal meara carnem, et bibil meiim .sanguinem, in me manet
et ego in illo. {Joaun., vi, Ul], 1)7.)
2. Sicul misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem, et qui manducat
me, et ipse vivet propter me. [Ihid.)
:i. Suinam sacram Synaxim, Sermo Dei supremi.
Qua vivit et Deus fit Nam qui sacram Synaxim
Quicum{|ue corde puro Ejusque suscipit vim,
Kdit bibitque. Sermo Non solus ille, non jam
Hic namque fluxit a te : Est ille solus inquam,
Quisquis bibet cruorem Sed, magne Cbriste tecum,
Meum meamque carnem Qui lumen es trifulgens.
Edet, manebit in me. (S. Joann. Damasc. AymnMS.deGraeco
In liocque rursus ipse in Latino sermone translatus a
Manebo. Verus hic est Theopii. Ravnodo.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 543
« les hommes. Sans éprouver le moindre changement en lui-même,
«t il est devenu composé et visible. Puis, fait homme, par un
« nouvel acte de sa bonté, il a institué la communion qui fait de lui
« une seule chose avec nous, et qui unit les misères et les bassesses
« de notre nature, de la manière la plus intime, avec ses perfec-
« tions divines '. »
Sansdoute, cette union, si parfaite qu'elle soit, de l'avis de S. De-
nys, est loin d'égaler celle qui, dans l'adorable Trinité, n'est plus
seulement une union mais une unité véritable. Néanmoins sa per-
fection est grande à ce point que les paroles mêmes de Notre-Sei-
gneur nous invitent à l'y comparer, et à établir quelque proportion
de l'une avec l'autre. De même, bien qu'elle n'approche pas de
l'intimité de l'union qui existe entre les deux natures en Notre-
Seigneur Jésus-Christ, elle l'emporte cependant de beaucoup sur
l'union que l'incarnation du Verbe a établie entre lui et toutes les
créatures humaines. Elle est telle enfin qu'on ne peut pas en con-
cevoir de plus complète entre deux personnes conservant chacune
son individualité distincte.
Puisque Dieu nous a aimés au point de s'unir ainsi à nous, dans
l'adorable Eucharistie, quel amour ne devons-nous pas lui porter
en reconnaissance d'un si grand bienfait ? Selon la pensée de
S. Jean Chrysostome, nous donner son corps était, de la part de
Jésus, l'acte d'un amour immense. Ceux que nous aimons beau-
coup, nous voudrions en quelque sorte nous les incorporer. Job,
pour montrer combien il était aimé de ses serviteurs, ne rapportait-
il pas d'eux ces paroles : « Qui nous donnera de ses chairs pour
« nous en rassasier : » Quis det de carnibus ejus ut sature-
mur 2? Aussi Jésus-Christ a-t-il voulu nous nourrir de sa propre
chair, afin de nous gagner à son amour 3. Approchons-nous donc
de la table à laquelle il nous invite, mais avec dévotion, avec
ferveur, avec une ardente charité.
Que cette charité ne soit pas seulement brûlante, mais que, plus
embrasée encore par la Sainte Eucharistie, elle soit inextinguible
et ne perde jamais rien de son ardeur première. Jésus-Christ se
donne à nous sous les espèces du pain et du vin. Les grains de blé
et les grains de raisin, dont sont faits le pain et le vin, peuvent-
1. S. DiONYS. Areop., in Eccles. hiemrch.
2. Job, xxxi, 'M.
3. S. J. CuRYSosT., lioin. .\XI\' in /. ad Cor.
544 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAI'. XI.
ils se séparer de nouveau? Non, sans doute. De même, nous ne
devrions pas pouvoir nous séparer de celui qui, pour s'unir à nous,
a daigné se cacher sous les apparences de ces aliments. Avec S. Paul
nous devons dire : « Qui nous séparera de la charité du Christ?
• La tribulation, les angoisses, la persécution », et le reste ? « Non,
« rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le
« Christ Notre-Seigneur i. »
II.
L.V PRÉSENCE DE JÉSUS-CIIRIST DANS l'eUCHA.UISTIE NOUS RÉVÈLE
SA SAGESSE DIVINE
L'amour est ingénieux, dit Théophile Raynaud "^ ; et parce que
l'amour du Seigneur pour les hommes, qui se dévoile dans l'Eu-
charistie, est souverainement grand, les inventions de cet amour,
pour nous être utiles, ne peuvent être que merveilleuses. Isaïe
parlait de ces inventions ou de ces œuvres de l'amour de Jésus
dans le très saint Sacrement, lorsqu'il disait : « Vous puiserez
€ avec joie des eaux des fontaines du Sauveur, et vous direz, en ce
a jour-là : Glorifiez le Seigneur et invoquez son nom ; faites con-
€ naître ses inventions parmi les peuples; souvenez-vous que su-
ce bliiue est son nom 3. » H convient donc, après avoir admiré tout
l'amour que Jésus-Christ nous a témoigné par l'institution de son
adorable Sacrement, de jeter un regard sur les inventions de son
amour, c'est-à-dire sur ce qui nous révèle principalement sa divine
sagesse dans ce mystère.
La première invention merveilleuse de la sagesse de Notre-Sei-
gneur Jésus-Ciirist, stimulée par son amour, fut le secret qu'il
trouva de demeurer continuellement et à jamais parmi nous, grâce
à l'Eufharistie ; ce fut en même temps celui de nous procurer,
quoique invisible à nos yeux corporels, tous les avantages dont sa
présence sensible pouvait être la source, pour ceux qui en jouirent
pendant sa vie mortelle.
\. Quis ergo nos separabit a charilate Christi ? Tribulatio? an angustia? an
persecutio? etc. Certus sum quia neque mors, etc., poterit nos separare a
charilate Dei quœ est in Christo Jcsu, Domino nostro. {liom., viii, 35, 39.)
2. Voir Candelahrum s/nirtum de Ewhnrislia, secl. III, cap. il.
3. Haurielis aquas in gaudio de fontihus Salvaloris : et dicetis in die illa :
Confitemini Domino, et invocate nomen ejus; notas facile in populis adin-
ventiones ejus; nicmentote quoniam excelsum est nomen ejus. {/s., xii, 3, i.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 345
Il n'était pas possible, selon les desseins de Dieu, que Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ demeurât visible parmi les hommes, jusqu'à la
fin des siècles, lorsqu'il eut achevé l'œuvre de la rédemption, pour
laquelle il était descendu sur la terre et avait pris notre nature. Il
fallait que son Humanité sainte entrât dans la gloire que la Trinité
tout entière lui avait préparée dès l'éternité; les anges, les saints,
toute la cour céleste, attendaient leur Roi suprême, et désiraient
ardemment le voir assis sur son trône à la droite du Père. Mais
Jésus-Christ n'était pas jnoins le rédempteur des générations à venir
que de celle au milieu de laquelle il s'était montré et avait vécu,
comme l'un de nous, pendant trente-trois ans : il n'en voulait pri-
ver aucune de sa présence, ni des biens infinis qu'elle procure à
ceux qui ne refusent pas d'en profiter. Nous quitter et rester en
même temps sur la terre parmi nous, tel était le difficile problème
que l'amour de Jésus pour son Père, pour les anges, pour les
saints du ciel et pour nous posait à sa sagesse. Elle a résolu cette
difficulté insurmontable pour toute autre que pour elle, par l'insti-
tution de la très sainte et très adorable Eucharistie. Grâce à ce
divin mystère, où il se cache sous les apparences d'un peu de pain,
il vit au milieu de nous, il nous rassemble auprès de lui, comme
autrefois ses disciples, il nous parle soit directement, en s'adres-
sant intérieurement à nos âmes, soit extérieurement par la bouche
de ses ministres; il fait plus encore, il se donne à nous; ce pain,
qui est sa chair, ce vin qui est son sang répandu pour le salut du
monde, il nous les donne. Les Apôtres eux-mêmes n'ont été admis
à les recevoir qu'une seule fois de sa main, pendant sa vie mor-
telle : nous, plus favorisés, nous pouvons les recevoir aussi sou-
vent qu'il nous plaît : la seule condition qu'il y mette, c'est que
nous nous efforcions de n'en pas être trop indignes. Une telle in-
vention n'est-elle pas digne d'une sagesse infinie mise au service
de l'amour d'un Dieu i? Des docteurs et des saints, au premier
i. Quoniam vero sic apparuit in visibili specie Dei sapientia, ut completo
dispensationis suse ministerio, regrederetur ad Patrem unde venerat, et a
quo non discesserat, congruum fuit ut taliter se exhiberet, quatenus nec quos
elegerat prœsentes derelinqueret, nec venturis se negaret, sed cunctos pari
se ostenderet dilexisse charitate. Quod quidem optime perfecit, cum se sub
modica panis vinique specie realiter communicavit. Merilo enim taie opus
divinœ convenit sapientije, nullique nisi ^'erbo sempiterno, hujusmodi debe-
batur elargitio charitatis. ^S. Laurent. Justin., lib. de Casio conmihio Verbi et
animx, cap. wiv, n. 2.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 35
546 LA SAINTE EUCHARESTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
rang desquels il convient de nommer S. François d'Assise S croient
que le divin Maître avait particulièrement en vue sa présence au
Saint-Sacrement, lorsqu'au moment de quitter ses disciples, il leur
disait : « Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la
« consommation des siècles 2. »
Quant aux fruits que la présence de Notre-Seigneur dans l'Eu-
charistie nous procure, n'est-ce pas encore la sagesse de ce bon
Maître qui les a choisis et préparés? Ne brille-t-elle pas d'un vif
éclat dans le moyen qu'il a trouvé de nous taire participer aux
mêmes biens que sa présence sensible procurait jadis aux habi-
tants de la Judée, qui savaient en profiter? Que faisait-il, en effet,
parmi eux, lorsqu'il parcourait leurs villes et leurs hameaux? Il
leur enseignait sa sainte doctrine, leur révélant les principaux
mystères qu'il est nécessaire de connaître pour arriver au salut; il
priait, se fatiguait et souffrait pour acquérir des mérites en leur
faveur, et enfin il mourait sur la croix, s'ofTrant en sacrifice à son
Père pour le salut de tous. N'est-ce pas encore ce qu'il fait parmi
nous? La Sainte Eucharistie est un mémorial qui nous rappelle
tous les mystères de notre religion, et toutes les merveilles que
Jésus-Christ a accomplies pour nous. Elle est en même temps un
sacrifice où Jésus-Christ ne meurt plus, il est vrai, mais où toutes
ses prières, tous ses travaux, toutes ses souffrances, tout son sang
versé et enfin sa mort sont de nouveau présentés au Père céleste,
pour que l'application nous soit faite de tant de mérites une fois
acquis.
L'homme oublie aisément les bienfaits reçus et les enseigne-
ments que rien de sensible ne rappelle à sa mémoire. Et s'il s'agit
des choses de Dieu, le démon, le monde et les passions accélèrent
encore cet oubli. Cependant, rien ne nous importe plus que de
conserver toujours un souvenir bien vivant des mystères de notre
sainte religion, et des bienfaits que nous avons reçus de Dieu.
Jésus, notre ami, a voulu nous donner quelque chose qui nous
aidât à combattre l'oubli, cette faiblesse si dangereuse de notre
nature. Sa sagesse divine a inventé, à notre usage, un mémorial
SflMuewr, comme l'appelle S. Laurent Justinien ; ce mémorial est
l'Eucharistie. Il a pris soin de nous avertir lui-même de ce carac-
1. Admonitio ad omnes Fratres, cap. 11.
2. Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummationem
saeculi. {Matth., xxviii, 20.)
CE QUE NOUS REVELE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 547
tère particulier de cet adorable sacrement, car, dans l'acte même
de son institution, il a dit : « Faites ceci en mémoire de moi » :
Hoc facile in meam commemorationem ^ . Il a donc voulu que
cette adorable invention de son amour servît à nous rappeler
tout ce qu'il est et tout ce qu'il a fait pour nous, la charité qu'il
nous a témoignée par son incarnation, sa vie mortelle, sa passion
et sa mort sur la croix, sa présence, son regard qui voit tout et
qui, du fond du tabernacle, est fixé sur nous, son avènement
futur pour juger les vivants et les morts 2.
Le premier de nos saints mystères, celui sur lequel, en même
temps que sur l'existence même de Dieu, reposent tous les autres,
est le Mystère d'un Dieu en trois personnes. La Sainte Eucharistie
ne nous permet pas d'en perdre la mémoire, car c'est la seconde
personne de l'adorable Trinité que nous reconnaissons, unie à un
corps et à une âme semblables aux nôtres, dans ce divin sacre-
ment. La seconde Personne suppose la première : le Père existe
puisqu'il y a un Fils, et le souvenir du Père et du Fils rend im-
possible l'oubli du Saint-Esprit, qui n'est qu'un seul et unique
Dieu avec les deux autres personnes divines.
Si l'on veut chercher des analogies entre le mystère de la Trinité
et celui de l'Eucharistie, il est aisé d'en découvrir. Dans la Très
Sainte Trinité, nous adorons trois personnes dans l'unité de la
substance : dans l'Eucharistie, nous adorons, dans l'unité d'une
même personne, trois substances, le Verbe divin, le corps humain
et lame humaine de Notre-Seigneur. Le Verbe incarné, comme
chacune des autres personnes divines, parce qu'il est Dieu, existe
en toutes choses par son essence, sa présence et sa puissance; il
existe dans les seuls justes par la grâce sur la terre, par la gloire
dans le ciel et, de plus, d'une manière incomparablement plus
intime, dans la nature humaine qui ne fait qu'un avec son ado-
rable personne. Par sa volonté, son humanité sainte possède aussi
un triple mode d'existence : c'est un trait de ressemblance qu'il
lui donne avec la nature divine. Elle existe donc dans le ciel,
comme dans le lieu où elle réside, entourée de tout l'éclat de sa
\. Luc, XXII, 19.
± Dominus dédit nobis escam, scilicet, seipsum ad memoriam mirabilium :
prseleritorum, quod nos redemit; praesentium, quod omnia nostra respicit;
futuroruin, quod distincte tandem judicabit. (B. Alberti Magni de Sacro-
sanclo Eucharistix sacramenlo sermones, serm. II.)
548 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
gloire et de sa puissance; elle existe dans le Verbe divin, qui a
voulu n'être avec elle qu'une seule et unique personne; elle existe
enfin sacramentellement sur nos autels et dans nos tabernacles.
De sorte que Jésus-Christ, qui est en toutes choses par son essence
divine, est tout entier sacramentellement, selon son humanité,
partout, dans tous les lieux où réside la Sainte Eucharistie i. C'est
ainsi que la présence de la Très Sainte Eucharistie et la foi qui
nous révèle Notre-Seigneur Jésus-Christ voilé sous les espèces du
Sacrement, ne nous permettent pas d'oublier le grand mystère
d'un Dieu en trois personnes.
La Sainte Eucharistie nous rappelle, en second lieu, le mystère
de l'Incarnation.
Le mystère de la Trinité offre à nos adorations trois personnes
divines en une seule substance, et celui de Tlncarnation trois
substances en une seule personne. « De même, dit S. Bernard, que
« dans l'unique divinité subsiste la trinité des personnes, en
« même temi>s que l'unité de la substance, ainsi dans ce mé-
« lange tout particulier, rincarnation, il y a trinité de substances
« et unité de personne. Si, dans l'une, les trois personnes ne dé-
«( truisent point l'unité, de même que l'unité ne fait point dispa-
« raitre la trinité, ainsi dans le mélange dont nous parlons,
« l'unité de personne n'est point la confusion des substances, non
a plus que le nombre des substances n'empêche point l'unité de
a personne. Voilà l'oeuvre admirable, l'œuvre unique entre toutes,
« et qui les dépasse toutes, que la suprême Trinité nous a mon-
« trée, cette Trinité où le Verbe de Dieu, l'àme et le corps forment
« une seule personne ; ces trois ne font qu'un et cet un fait trois,
« sans confusion de substances, mais par l'unité de personne '-. »
i. Valde pulchrum est considerare, qualiter cœlestis alliludo consiliidispo-
suit, ul sicut très sunt personae in unitate divinae substanliae, scilicet Pater,
Veri)Uin, et Spiritus sanctus;ita très essent substantiae in unitate personae,
scilicet (livinitas, corpus et anima. Et sicut Christus secundum naturam divi-
nam trilms inodis existit in omnibus, per essentiam, pnesentiam, et poten-
tiam; in solis justis per gratiam et gloriam ; in liomine assumpto, per unio-
nem : sic voluit, ut idem ipse secundum naturam liumanam, tribus modis
in rébus existeret, scilicet localiter in crelo, personaliter in Verbo, sacramen-
taliler in allari. Sicut enim secundum divinitatem, totus essentialiter est in
omnibus, ita secundum bumanitatem, totus sacramentaliter est in omnibus
locis in quibus conficitur et celebratur. (.Joannes de Rauusio, oratio de Com-
munione sufi utj'fif/iip specie, habita in concilie Basiliensi.)
2. Sicut enim in illa singulari Divinitate, trinitas est in personis, unitas in
Kubstantia : sic in ista speciali commixtione, trinitas est in substantiis, et in
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 549
La Sainte Eucharistie ne nous permet pas d'oublier cette Tri-
nité secondaire, trinité des substances dans l'unilé de la personne,
qui résulte de l'Incarnation du Verbe divin.
En effet, non seulement le mystère de l'Incarnation se reproduit
en quelque manière, dans le mystère de l'Eucharistie, mais il y a
entre la composition de l'un et de l'autre une affinité singulière.
Par l'Incarnation, le Verbe de Dieu, devenu Jésus-Christ, se trouve
être composé de la divinité qui reste invisible, et de l'humanité
que les sens perçoivent : de même l'Eucharistie est composée de la
substance cachée du Christ, et des espèces qui le recouvrent, et
qui nous font connaître sa présence. L'Eucharistie, disait S. Iré-
née, est un tout composé d'un élément céleste et d'un élément ter-
restre, des espèces sacramentelles et du corps de Jésus-Christ *.
Si l'incarnation du Seigneur est représentée dans l'Eucharistie
par la composition même de cet adorable mystère, qui pourrait
oublier sa nativité, lorsqu'il le voit naître de nouveau entre les
mains du prêtre, qui le dépose sur l'autel, comme autrefois Marie
le déposa dans la crèche de Bethléem? Qui pourrait de même ou-
blier, en assistant au sacrifice de la messe, la passion, la mort, la
résurrection et l'ascension de Notre-Seigneur? Le sacrifice de la
messe n'est-il pas, sous une forme mystique, la répétition ou la
continuation très réelle de ces touchants mystères ? Peut-on savoir
que Jésus-Christ renouvelle sur l'autel, par le ministère du prêtre,
l'immolation accomplie pour nous d'une manière sanglante sur la
croix, et oublier ce premier sacrifice offert sur le Calvaire, lors-
qu'on a le bonheur d'assister à la messe? La sainte Église, d'ail-
leurs, parles prières et les cérémonies liturgiques dont elle accom-
pagne ce divin sacrifice, rend impossible un tel oubli. Après avoir
consacré pour la première fois le pain et le vin, et les avoir trans-
substantiés en son corps et son sang adorables, Jésus dit à ses apô-
tres : a Faites ceci en mémoire de moi » : Hoc facile in nieam
commemorationem. Consacrez à votre tour, et vos successeurs
personis unitas. Et sicut ibi personœ non scindunt unitatem, unitas non mi-
nuit trinitatem; ita et hic persona non confundit suljstantias, nec substantiae
ipsœ person* dissipant unitatem. Summa illa Trinitas, hanc nobis exhibuit
Trinitatem, opus mirabile, opus singulare inter omnia, et super omnia opéra
sua. Verbum enim, et anima et caro, in unam convenere personam, et haec
tria unum, et hoc unum tria, non confusione substantiae sed unitate personae.
(S. Bernard., serm. III de Vigiliu nativitatis Domini.)
1. S. Iren., lib. IV, cap. x.xxiv.
550 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II** PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XI.
après vous, le pain et le vin ; changez-les en mon corps et en mon
sang : mais, en le faisant, souvenez-vous de moi, de ma divinité
et de mon humanité; de ce que j'ai été et de ce que j'ai fait parmi
vous et pour vous, pendant ma vie mortelle : souvenez-vous des
grands mystères qui ne sont pas accomplis encore, mais qui le se-
ront lorsque, à votre tour, vous consacrerez le pain et le vin ;
souvenez-vous de mes souffrances et de ma mort, de ma résurrec-
tion et de mon ascension, de ma gloire et de ma puissance au ciel,
d'où je vous protégerai avec la plus tendre sollicitude, lorsque
vous serez privés de ma présence visible : Faites ceci en mémoire
de moi, de moi- tout entier, de ce que j'ai été, de ce que je suis et
de ce que je serai en moi-même et pour vous. — On se souvient
de ce que nous avons dit ailleurs, en traitant de la liturgie moza-
rabe, que le prêtre qui célèbre la sainte messe selon les rites de
cette liturgie, divise la sainte hostie en neuf parcelles, qu'il dis-
pose en croix sur la patène où sont gravés les noms des principaux
mystères de Notre-Seigneur : l'Incarnation, la Nativité, la Circon-
cision, l'Epiphanie, la Passion, la Mort, la Résurrection, l'Ascen-
sion, la Royauté céleste.
Remarquons toutefois que la Sainte Eucharistie ne remémore
directement, en vertu de son institution, que la passion et la mort
de Notre-Seigneur, selon la parole de S. Paul aux Corinthiens :
« Toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice,
€ vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ^ »
Les autres mystères n'y sont rappelés qu'indirectement, les uns
parce que le mystère eucharistique n'eût pas été possible sans eux;
les autres parce qu'ils ont rendu son institution, sinon nécessaire,
au moins très utile pour le salut des hommes. Gomment Jésus-
Christ aurait-il institué la Sainte Eucharistie s'il ne s'était pas
d'abord incarné? Et pourquoi aurait-il institué ce mystère ado-
rable, s'il n'avait pas dû ressusciter, ou si, ressuscité glorieux, il
avait dû continuer de vivre sur la terre au milieu des hommes?
La sagesse divine brillerait déjà d'un éclat admirable dans l'ins-
titution de la Très Sainte Eucharistie, si cette institution nous
procurait uniquement l'avantage de nous remettre vivement en
mémoire tous les principaux mystères de notre sainte religion :
mais ce ne serait pas assez pour cette divine sagesse, qui se confond
1. (Juotiescumque enim manducabitis panem hune et calicem bibetis, mor-
tem Domini annuntiabitis, donec veniat. (/. Cor., xi, 26.)
CE QDE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 551
et n'est qu'une même chose avec l'amour infini de Dieu pour nous.
C'est beaucoup assurément de nous rappeler les enseignements de
Notre-Seigneur, et les prodiges que sa bonté pour les hommes lui
a fait accomplir, pendant sa vie terrestre; c'est beaucoup de nous
le montrer souffrant et s'immolant pour opérer notre rédemption ;
mais la divine sagesse a trouvé moyen de faire plus encore : par
l'Eucharistie, elle ne nous représente pas seulement ce que Jésus-
Christ a fait et enduré pour nous, elle nous applique les mérites de
ses travaux, de ses souffrances et de sa mort. Ce qu'il a mérité
pour tous est appliqué à chacun personnellement, par ce sacre-
ment d'amour.
En effet, la passion de Notre-Seigneur a été la cause universelle
de notre salut ; c'est d'elle qu'ont découlé tous les biens spirituels
que Dieu daigne accorder aux descendants d'Adam. La vertu mé-
ritoire et satisfactoire de tous les actes de Notre-Seigneur pendant
sa vie mortelle, et en p^articulier de sa passion et de sa mort, ne
saurait avoir de mesure, parce que Jésus-Christ, comme homme
morlel, était capable de mérite, et que, comme Dieu, il donnait à
chacun de ses actes humains un mérite infini. Or, de concert avec
son Père, il a voulu que tous ces mérites servissent au bien des
hommes. C'est pour nous qu'il a mérité, pour nous qu'il a satis-
fait à la justice divine. Mais maintenant qu'il n'est plus en état
d'acquérir des mérites nouveaux, parce qu'il a rempli la mission
de nous racheter qu'il avait reçue de son Père, maintenant qu'il
est en possession de sa gloire, comment ces mérites, rassemblés
par lui en faveur du genre humain, seront-ils appliqués à ceux
que Dieu a choisis pour les combler particulièrement de ses grâces?
Comment, surtout, pourrons-nous connaître, avec quelque certi-
tude, que nous y avons part? Car si nous ignorons les trésors que
la miséricorde de notre Dieu nous a préparés, si nous ne savons
pas de quelle manière il nous est possible et facile d'y puiser à coup
sûr, à quoi nous serviront-ils? La sagesse et la bonté de notre divin
Jésus a tout prévu. Deux moyens principaux ont été institués,
pour que les mérites de notre Rédempteur devinssent notre par-
tage : les sacrements et le sacrifice. Dieu peut se servir et se sert
souvent d'autres moyens encore, mais ce sont là les principaux,
les plus fructueux, les plus sûrs et les mieux appropriés à tous
nos besoins. La Sainte Eucharistie est, sans comparaison, le plus
auguste et le plus saint des sacrements, parce qu'elle ne donne pas
552 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
seulement la grâce, mais qu'elle renferme et donne l'auteur même
de la grâce. Elle est, en même temps, le sacrifice, le seul et unique
sacrifice que Dieu réclame de nous et qu'il soit permis de lui
olïrir sur ses autels, par le ministère de ses prêtres. Ce sacrifice
n'est plus méritoire par lui-même; mais il possède tous les mérites
acquis par Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il l'oArit lui-même
sous une autre forme, en mourant sur la croix; il possède de plus
tous les mérites acquis par ce divin Sauveur lorsque, la veille
de sa passion, il poussa son amour pour nous jusqu'au dernier
excès et offrit, pour la première fois, son corps et son sang à
son Père, sous les espèces du pain et du vin. Lorsque le prêtre,
ministre du Seigneur, offre le Saint Sacrifice à l'autel, il puise à
pleines mains dans ces trésors des richesses de Jésus, et Dieu les
distribue selon les intentions du prêtre, selon les intentions de sa
propre sagesse et de sa miséricorde ; enfin, selon les dispositions et
les besoins de ceux qu'il admet à y avoir quelque part. Heureux
ceux qui assistent au divin sacrifice avec un cœur bien pur et lar-
gement dilaté ! Dieu versera dans ce cœur, jusqu'à le remplir, les
plus précieux parfums de sa grâce.
Que ce sacrifice de nos autels est saint! Qu'il est digne de Dieu
à qui nous l'offrons! C'est bien lui que le prophète Malachie an-
non<;ail lorsque, parlant au nom du Seigneur, il disait : « Depuis
« le lever du soleil jusqu'à son coucher, grand est mon nom parmi
« les nations; et en tout lieu on sacrifie, et une oblation pure
« est offerte â mon nom, parce que grand parmi les nations est
« mon nom, dit le Seigneur des armées ^ » Le prêtre visible qui
TolTre est le représentant de Jésus-Christ lui-même qui, pour cet
acte solennel, lui remet entre les mains sa toute-puissance. La vic-
time offerte, c'est encore Jésus-Christ. Quel prêtre et quelle victime
plus dignes d'elle la Majesté souveraine de Dieu pourrait-elle de-
mander? Et parce que ce sacrifice si grand, si divin est offert en notre
faveur, parce qu'il est nécessaire que nous puissions y assister avec
confiance et amour, sans mourir de frayeur à la vue des grandes
choses qui s'opèrent sur l'autel : le souverain Prêtre est représenté
par un prêtre qui est un homme comme nous, et la victime trois
i. Ab ortu enim solis usque ad occasum, magnum est nomen meum in
genlibus, <:l in omni loco sacrificatur, et ofîertur nomini meo oblatio munda;
quia magnum est nomen meum in gentibus, dicit Dominus exercituum.
{^fahch.,\,i\.)
CE QUK NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSOS DANS L'BUCHARISTIE. 553
fois sainte, l'Agneau de Dieu, Jésus-Christ, se voile sous les hum-
bles apparences d'un peu de pain et d'un peu de vin, nos aliments
de chaque jour. Ne devons-nous pas nous écrier avec l'Apôtre :
a 0 profondeur des trésors de la sagesse et de la science de
« Dieu M » Et parce qu'il pourra se trouver en tout lieu, parce qu'il
se trouvera en tout temps des fidèles qui auront besoin du secours
que cet adorable sacrifice est destiné à leur procurer. Dieu en a
tellement facilité l'oblation, par la multiplicité des prêtres et le
choix de la matière, qu'il n'y a pas une contrée au monde, ni un
instant du jour ou de la nuit qui ne soient sanctifiés par l'immo-
lation de la divine Victime.
Mais la Sainte Eucharistie n'est pas seulement un sacrifice, elle
est aussi un sacrement. Si nous la considérons comme telle, la sa-
gesse de Dieu ne s'y révèle pas avec un moindre éclat.
D'après S. Grégoire de Nysse 2, il était nécessaire que Jésus-
Christ instituât un mode de communion entre son divin corps et
les nôtres, s'il voulait les sanctifier et les revêtir de l'immorta-
lité. Le Fils de Dieu était venu sur la terre pour sauver l'homme
tout entier : or, l'homme est composé d'un corps et d'une âme.
Ce n'était donc pas assez que Dieu qui est la vie s'unît à l'âme
seule, ce qu'il pouvait faire en lui donnant une foi vive enflam-
mée par la charité : il fallait que le corps eût part à cette faveur
inappréciable faite à l'âme; il fallait que lui-même s'unît à ce Dieu
qui est la vie, afin que le bienfait dont le Seigneur daignait nous
favoriser s'étendît à tout notre être. Et c'est pour atteindre ce but
que la sagesse divine inventa de nous faire prendre corporelle-
ment le pain de vie et de salut. Un aliment avait corrompu la na-
ture humaine alors qu'elle était renfermée tout entière en Adam :
il convenait qu'un autre aliment, non plus de mort, mais de vie,
rendît la vie et la santé surnaturelles à ceux des enfants d'Adam
qui le prendraient, avec les dispositions que sa sainteté demande.
Mais cet aliment de vie, nous ne pouvons pas le prendre tel
qu'il s'est montré sur la terre, car c'est Jésus-Christ lui-même, ni
tel qu'il existe aujourd'hui dans la gloire du ciel. Invisible par sa
nature propre, il s'était d'abord rendu visible à nos yeux en se
revêtant de notre nature, car nous avions besoin qu'il se montrât
ainsi à nous ; et maintenant qu'il nous est nécessaire, comme nour-
1. 0 altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei! [liom., xi, 33.)
2. Oral. magn. catech., cap. xxxvii.
S54 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XI.
riture de nos âmes et sanctification de notre chair elle-même, il se
voile de nouveau : nos yeux ne le voient plus, mais ils voient les
apparences sous lesquelles il demeure : notre chair mange sa chair
et notre àme s'unit à sa nature divine, en même temps qu'à son
humanité. L'Eucharistie, voilà bien, dit S. Anselme, le pain qui
alTermit le cœur de l'homme et le vin qui le réjouit K L'homme
avait besoin de manger ce pain qui est Jésus-Christ, et comme
il ne pouvait, pour mille raisons, se rassasier de cette nourriture
telle qu'elle s'offrait à ses regards, l'amour de Jésus-Christ pour
nous lui a suggéré l'invention de se voiler et de s'offrir à l'homme
sous les espèces du pain et du vin.
Pouvait-il choisir, pour se donner aux hommes, d'autres sym-
boles qui nous lissent mieux connaître l'intimité de l'union qu'il
contractait avec eux? Quelle union plus complète que celle des ali-
ments avec le corps qu'ils nourrissent, en quoi ils se transforment
et dont ils deviennent partie intégrante? Il est vrai que nous
transformons nos aliments en nous, tandis que cet aliment divin
transforme en lui-même ceux qui le reçoivent, mais l'union n'en
est pas moins parfaite.
Lne autre matière du sacrement de l'Eucharistie aurait pu ou
ne pas plaire à tous, ou ne pas être à la portée de tous : mais qui
donc, à moins de maladie, se sentirait de l'éloignement pour le
pain? quelle communauté de chrétiens serait réduite à un tel
dénuement, que le pain lui manquerait, même pour la consécra-
tion de ces divins mystères? Et pour rendre plus facile encore à
tous la participation à la Très Sainte Eucharistie, Jésus-Christ a
voulu que la moindre parcelle du pain ou du vin consacrés ren-
fermât toute sa personne, aussi bien qu'une hostie de dimen-
sions plus grandes.
Ajoutons enfin que la sagesse divine nous a préparé, dans le
sacrement de nos autels, une occasion d'exercer et de fortifier
notre foi. Dans la formule même de la consécration, la Sainte
1. Oportebat ut sicut cum necessaria nobis fuit visibilis ejus prœsentia,
invisibile in suis, visibile factum est in nostris Verbum caro ; sic cum res
exigit nostrae salutis ut manducetur caro ejus, quod non est ipsa caro in na-
tura sua, fiât in aliéna manducabilis. Quod in nullis rébus aptius fieri potuit^
quam in eis quae inter omnia victualia liurnani corporis quodammodo tenent
principatuni, quae sunt panis et vinum. Nom et ad litteram prse cunctis cibis
panis cor hominis confirmât, et vinum lœtificat. (S. Ambros., lib. de Sacram.
altaris, p. il, cap. v.)
CE QDE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSDS DANS l'EUCHARISTIE. o55
Eucharistie est appelée le mystère de foi par excellence : myste-
rium ficlei. Quelle vérité révélée de Dieu pourrait, en effet, refuser
de croire celui qui admet simplement et de tout son cœur que,
sous les apparences d'un peu de pain et de vin, consacrés par la
parole du prêtre, c'est Jésus-Christ lui-même qui est substantielle-
ment présent. Jésus-Christ, l'Homme-Dieu, est là tout entier; son
corps, son sang et sa divinité remplacent la substance du pain et
celle du vin qui ne sont plus. Croire cette vérité, malgré le témoi-
gnage des sens, malgré les objections et les réclamations que peut
faire entendre la raison purement humaine, le croire uniquement
parce que Notre-Seigneur l'a dit, et que l'Église, interprète infail-
lible de sa parole, le répète et l'assure après lui, n'est-ce pas faire
l'acte de foi le plus complet, le plus méritoire que Dieu puisse
attendre de nous? N'est-ce pas, par conséquent, faire croître mer-
veilleusement et se fortifier cette vertu dans nos âmes ?
« Qu'on est heureux, dit un pieux auteur, de sacrifier ainsi
« dans ce Mystère de notre foi, comme dans tous les autres de
a notre religion, toutes les lumières de la raison humaine à la
« vérité de la parole de Dieu, et tous les attachements du cœur de
a l'homme à l'amour infini que le Sauveur nous marque, dans
a l'nstitution et dans l'usage du Très Saint Sacrement, où, comme
« dit S. Bernard, il est tout amour pour nous; où, selon le saint
« Concile de Trente, il répand dans nos cœurs toutes les richesses
« de son amour, mais d'un amour infiniment libéral, qui le porte
« à s'y donner tout entier et à y être prodigue de lui-même. Car
a c'est, dit le texte sacré, dans ce sacrement qu'il a institué sur la
« fin de sa vie, qu'il nous a donné les marques les plus tendres
0 et les plus sensibles de son amour, en s'unissant intimement à
« nous, et nous unissant intimement à lui, pour prendre dès
« maintenant possession de nos cœurs, et nous donner par là un
« gage de la possession qu'il en prendra dans l'éternité *. »
Que de considérations ne pourrait-on pas ajouter encore, pour
faire ressortir la sagesse divine dans l'institution de l'adorable
Sacrement de nos autels; mais nous devons nous borner, et nos
lecteurs ne nous en voudront pas de leur laisser le soin et la
douce jouissance de les découvrir eux-mêmes dans leurs pieuses
méditations.
\. GoNNELiEU, traduction de Vlmitation, réflexion sur le dernier chapitre du
IV* livre.
556 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — ClUP. XI.
III.
LA PRÉSENCE DE JÉSUS-CHRIST DANS l'eUCHARISTIE NOUS RÉVÈLE
SA PUISSANCE DIVINE
S. Jean Chrysostome a dit quelque part ^ que l'Évangile de
Jésus-Christ est Y Évangile de sa puissance. Nulle part la vérité
de cette parole ne se montre plus visiblement que dans l'adorable
sacrement de l'Eucharistie. Il est véritablement le mémorial des
merveilles que Dieu a faites : memoriam inirabilium. suorum,
et tout ce que l'on admire séparément ailleurs, on le trouve rassem-
blé dans ce chef-d'œuvre de l'amour, de la sagesse et de la puis-
sance de Jésus.
Au Concile de Bàle, Jean de Raguse a résumé, dans un sermon
prononcé en présence des Pères, sur la communion sous l'une et
l'autre espèce, les miracles les plus frappants que la Sainte Eucha-
ristie olïre à notre admiration. Voici, d'après lui, quels sont ces
miracles :
Dès que la parole de Dieu est appliquée aux éléments, la matière
terrestre du pain et du vin est à l'instant même changée en la
substance du Christ, quoique les accidents, les apparences exté-
rieures ne changent pas.
Les accidents du pain et du vin continuent d'exister, contraire-
ment aux règles ordinaires de la nature, quoique la substance qui
leur est propre ne soit plus.
Ces accidents reçoivent un mode d'existence qui leur donne les
propriétés de la substance qui s'est séparée d'eux ; ils peuvent,
comme si elle existait encore, produire ou endurer tout ce que
comportait sa nature.
Jésus-Christ, sans changer de lieu, sans s'éloigner du ciel,
commence d'être tout entier, véritablement et intégralement, dans
le Sacrement.
Non seulement Jésus-Christ est tout entier dans le tout, mais il
est aussi tout entier sous chacune des parties des espèces; qu'on
les divise, qu'on les rompe, qu'on les broie sous la dent, il ne
laisse pas de se trouver dans toute son intégrité sous chacune des
parties, les transportàt-on dans les lieux les plus divers et jus-
1. Hom. de Uno législature.
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 557
qu'aux extrémités du monde. Il est en même temps au ciel, en
même temps dans tous les lieux où le saint sacrifice est célébré,
en même temps partout où se trouve quelque parcelle du pain
eucharistique consacré par le prêtre; il est partout le même, et
malgré la multiplicité des lieux où on le trouve, malgré leur éloi-
gnement les uns des autres, il n'est pas multiplié, il n'est qu'un
seul et même Jésus, n'ayant qu'un seul et unique corps, une seule
et même âme, une seule et .même divinité. Partout c'est bien
l'Homme-Dieu qui est né de la Vierge Marie, qui s'est montré et
a vécu au milieu du monde, qui s'est donné à ses disciples dans
la dernière Cène, en instituant ce Sacrement, qui est mort attaché
sur la croix, qui est ressuscité, qui est monté au ciel, qui a fait
descendre le Saint-Esprit sur les apôtres, après sa glorieuse ascen-
sion, et qui maintenant règne au ciel, assis à la droite de son
Père. C'est identiquement et numériquement le même Jésus-
Christ, le même Seigneur qui est au ciel avec son Père et avec
nous sur l'autel, partout où l'on célèbre ce divin mystère. Et de
même qu'il n'y a pas ici un Jésus-Christ, et là un autre Jésus-
Christ, mais un seul et unique Jésus-Christ, le même sur tous les
autels, de même il n'est pas offert ici un sacrifice et là un autre
sacrifice, mais partout où le sacrifice immaculé est offert, il est
le même, et toutes ses oblations ne sont qu'une seule immola-
tion d'une seule et même victime, par un seul et même souverain
Prêtre, Jésus-Christ.
Qui donc peut accomplir toutes ces merveilles et tant d'autres
qu'il serait trop long d'énumérer, tant d'autres que les hommes
ne peuvent connaître et que les anges découvrent avec admiration?
C'est l'œuvre de la puissance de Dieu. Lorsque le prêtre prononce
ces paroles du Clirist : « Ceci est mon corps; ceci est mon sang »,
le pain est changé au corps et le vin au sang de ce divin Sauveur,
par la même vertu qui a fait que le Verbe a été revêtu de notre
humanité, par la même puissance qui, d'un mot, a fait sortir
l'univers du néant.
Ces merveilles de la puissance de Dieu qui éclatent dans la Très
Sainte Eucharistie demandent que nous les considérions un peu
plus en détail.
On peut les diviser en trois classes : celles qui s'accomplissent
dans la personne même de Jésus-Christ se réduisant pour nous à
l'état sacramentel ; celles dont le pain et le vin transsubstantiés
558 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
sont l'objet ; celles enfin qui accompagnent cette transsubstantia-
tion.
Le changement qui s'opère lorsque le prêtre, agissant au nom
du Seigneur, prononce les paroles de la consécration, a pour fin et
pour etïet la présence de Jésus-Christ, sous une apparence toute
différente que celle qui est la sienne dans son royaume céleste. Il
a voulu, dit Algerus, se montrer à nous sous l'apparence de l'ali-
ment qui entretient notre vie mortelle, quoiqu'il soit en réalité,
par lui-même, la vie, et la vie qui n'a pas de fin K S'accommodant à
notre nature, il nous donne dans l'Eucharistie une vie nouvelle,
la véritable vie : mais elle ne se manifeste pas extérieurement;
elle est tout intérieure et ne nous revêt pas de la gloire de l'im-
mortalité. Il a voulu que la foi seule nous fasse connaître que ce
sacrement est la vie et que nous vivons véritablement si nous y
avons recours. Ce que nous sommes grâce à l'Eucharistie ne se
manifeste donc pas encore extérieurement, et c'est pourquoi Jésus-
Christ n'a pas voulu manifester non plus ce qu'il est; il a voulu
allumer en nous le désir de le voir un jour dans sa gloire, afin
que notre félicité soit plus grande lorsque nous le verrons tel qu'il
est, et que ce que nous sommes grâce à lui apparaîtra enfin.
L'apôtre S. Jean disait à ses disciples : « Mes bien-aimés, nous
« sommes maintenant enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore
« ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous
« serons semblables à lui -. » S. Paul dit à son tour : « Quand le
« Christ qui est votre vie apparaîtra, alors vous aussi vous appa-
« raîtrez avec lui dans la gloire 3. » De môme qu'il se montra aux
disciples d'EmmaiJs sous la forme d'un étranger, parce qu'eux-
mêmes étaient étrangers à la foi, il se montre à nous qui sommes
des étrangers, des pèlerins sur cette terre d'exil, sous une forme
extérieure qui lui est étrangère. Ce qui paraît de nous, c'est notre
corps mortel : il prend donc, pour se donner à nous, l'apparence
d'un aliment propre à entretenir la vie mortelle, quoiqu'il soit en
réalité le pain qui donne, mais invisiblement, l'immortalité, et le
remède qui délivre de la mort éternelle.
i. Alger., lib. II contra Dereng., cap. v.
2. Charissimi, nunc filii Dei sumus, et nondum apparuit quid erimus. Sci-
mus quoniam oum apparuerit, similes ei erimus. (/. Joann., m, 2.)
3. Cum Clirislus apparuerit, vita vestra, tune et vos appareljitis cum ipso
in gloria. {Coloss., m, 4.)
CE QDE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 559
Ainsi donc il y a, dans l'adorable mystère de l'Eucharistie, la
véritable substance du corps du Seigneur, mais privée de l'appa-
rence visible qui lui est propre, et il y a l'apparence propre du
pain, mais sans sa substance.
Si nous voulons nous faire une idée de la puissance que Dieu
a déployée, pour se donner ainsi à nous dans la Sainte Eucharistie,
en s'accommodant à notre nature et à l'état dans lequel nous vivons
ici-bas, nous pouvons comparer le miracle de l'Eucharistie à celui
de l'Incarnation.
Ce fut sans doute une grande merveille, que le Verbe de Dieu prît
un corps et une àme comme les nôtres, et se les adjoignît d'une ma-
nière si parfaite que ce corps et cette âme ne fusssent, avec lui,
qu'une seule et même personne. La contemplation de ce mystère
inconcevable n'épuisera pas l'admiration des anges et des saints
pendant l'éternité. On peut cependant dire que la puissance de
Dieu paraît plus éclatante encore dans la Très Sainte Eucharistie.
Dans le mystère de l'Incarnation, en effet, le Verbe divin s'unit
à l'humanité. Il se forme un corps dont la matière préexistait déjà
dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie ; à ce corps, il unit
une àme qu'il tire du néant; à ce corps et à cette àme il s'unit lui-
même hypostatiquement : et toutes ces merveilles s'accomplissent
par un seul acte et dans un seul instant.
Au moment de la consécration du pain et du vin au corps et au
sang de Notre-Seigneur, ces merveilles se retrouvent; la toute-
puissance de Dieu accomplit les mêmes prodiges ou d'autres équi-
valents et qui peuvent sembler plus étonnants encore.
Le prêtre parle, et le Verbe divin prend entre ses mains, dans
la sainte hostie, le même corps et la même âme auxquels il s'est
uni dans le sein de la Vierge. Ce corps adorable, le Verbe ne l'ap-
pelle pas du ciel, où les anges et les saints le contemplent sur un
trône à la droite du Père : il le forme en vertu de sa puissance in-
finie. Lui qui est partout, il veut que son corps humain et que son
âme humaine soient avec lui sur l'autel, revêtus des apparences
d'un peu de pain, sans cesser d'être au ciel, et dans mille endroits
où ils se trouvent aussi sacramentellement ; et ce qu'il veut s'ac-
complit. Ce n'est pas une multiplication de son corps, c'est ce
même corps humain, absolument le môme, absolument unique, et
cependant présent en même temps au ciel et sous les espèces
sacramentelles, quel que soit le nombre des temples où la ma-
o60 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
tière légitime est consacrée. N'y a-t-il pas dans ce mystère quelque
chose de plus étonnant encore, et qui semble réclamer un plus
grand déploiement de puissance, que dans le mystère même de
l'Incarnation ?
Ajoutons qu'en vertu du mystère de l'Incarnation, si le Verbe
divin ne se rendit pas visible directement aux yeux des hommes^
au moins sa sainte humanité le fut : on la vit, on la toucha, comme
on peut voir et toucher tout homme vivant en ce monde : At hic
lalet simul et Humanitas, dit S. Thomas : « Mais, dans la Sainte
« Eucharistie, l'humanité aussi est cachée. »
Ce n'est pas tout encore : l'ange, en annonçant à Marie qu'elle
serait la Mère du Messie attendu, l'avertit que Dieu agira lui-même
directement, pour opérer en elle le grand mystère de l'Incarnation.
Il lui dit : « L'Esprit saint surviendra en vous et la vertu du
« Très-Haut vous couvrira de son ombre. » Dans la consécration
de l'Eucharistie, c'est la toute-puissance de Dieu qui agit sans
doute, mais ce qui paraît à nos yeux, c'est l'action du prêtre; c'est
la prononciation des paroles sacrées qui détermine Dieu, qui oblige
Dieu à faire acte de toute-puissance. Dieu est, si l'on veut, la cause
physique du miracle qui s'accomplit; le prêtre en est la cause mo-
rale, et c'est à la volonté du prêtre que Jésus-Christ prend sur
l'autel la place du pain et du vin dont il revêt les apparences.
Chercherons-nous à expliquer comment il se peut faire que Jé-
sus-Christ tout entier se trouve, non seulement au ciel, mais sur
la terre, en tant de lieux à la fois? Essaierons-nous de dire com-
ment un corps humain peut être contenu dans les limites étroites
d'une hostie, dans celles plus étroites encore d'une parcelle de
celte hostie presque invisible à nos regards; comment ce corps
adorable peut être toujours mangé et jamais consumé; comment
il disparait lorsque les accidents cessent, pour une raison quel-
conque, d'être ceux du pain et du vin dans leur état normal, et
comment une autre substance prend sa place sous ces accident»
corrompus. Les théologiens ont tâché de jeter quelque lumière
sur ces matières obscures; mais nous préférons ne pas les suivre
ici et prendre pour règle de conduite ce conseil du livre de l'Imi-
tation : a Gardez-vous bien de vouloir sonder, par une recherche
« curieuse et inutile, la haute profondeur de ce mystère, si vous
« ne voulez pas vous plonger dans un abîme de doutes. Celui qui
« veut approfondir la Majesté de Dieu sera accablé du poids de
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JESUS DANS l'eUCIIARISTIE. 561
« sa gloire. Dieu peut faire plus que l'homme ne peut com-
« prendre '. »
Si nous considérons maintenant le pain et le vin qui sont la ma-
tière du sacrement auguste de l'Eucharistie, nous découvrirons
encore que la puissance de Dieu en fait l'objet de plusieurs mer-
veilles qu'elle seule peut accomplir.
La première de ces merveilles est la disparition entière de la
substance du pain et du vin : elle cesse d'être ce qu'elle était; elle
n'a plus rien de commun, comme substance, avec le pain et le vin;
un changement radical et absolu s'est opéré ; ce qui était substance
de pain et de vin est devenu, en vertu des paroles de la consécra-
tion, la substance même de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la subs-
tance de son corps et de son sang adorable. Il s'est opéré une
transsubstantiation très véritable et très réelle, instantanément,
quoiqu'il n'en paraisse rien à l'extérieur, et c'est Jésus-Christ lui-
même, personnellement présent, qu'on adore, sous ces apparences
d'une autre substance qui n'est plus.
Mais comment un tel changement peut-il s'opérer? La subs-
tance du pain et du vin ne se mêle pas à celle de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ et ne saurait se confondre avec cette subs-
tance adorable : ses éléments premiers, sa matière et sa forme
n'ont pas de place possible dans la personne du Verbe incarné;
ils ne sont pas rejetés hors des accidents qui sont les leurs; où
iraient-ils et que deviendraient-ils ? Ils ne demeurent pas davan-
tage sous ces accidents, en même temps que la substance de Jésus-
Christ, car il est lui seul tout ce pain et tout ce vin dont il dit:
Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. Ces éléments premiers
n'existent donc plus ; or, si les formes peuvent changer, si des
combinaisons des éléments premiers peuvent naître des formes
et des substances nouvelles à l'infini, ces éléments eux-mêmes ne
peuvent pas cesser d'être, sinon par un acte souverain de la toute-
puissance divine. Dieu seul peut faire rentrer dans le néant ce
qu'il en a tiré -. La destruction de la matière du pain et du vin,
\. Cavendum est tibi a curiosa et inutili perscrutatione hujus profundissimi
sacramenti, si non vis in dubitationis profundum submergi. Qui scnitator est
àMajeatath opprimetiir a gloria. Plus valet Deiis operari quam homo intelli-
gere potest. [De hnilntionc Chriali, lib. I\', cap. xviii.)
-2. Materiam priniam sola Dei omnipotentia qme eani creavit, potest des-
truere, Cum igitur in hoc mysterio, et materia prima panis, et materia prima
vini, abolealur, ad Christi sub species advenlinn consuminata prolatione ver-
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 36
562 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
dans l'Eucharistie, est donc un miracle comparable à celui de la
création.
Mais le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ ne de-
meurent sous les Espèces eucharistiques qu'aussi longtemps que
ces Espèces sont elles-mêmes ce qu'elles étaient au moment de
la consécration, des espèces de pain et de vin. Si elles viennent à
changer, à se corrompre, soit. par la manducation qui en est faite,
soit de toute autre manière, un nouveau miracle devient nécessaire.
Ces accidents, qui ne reposent plus sur la substance adorable du
Seigneur, ont revêtu une autre forme; ils ne sont plus extérieure-
ment les mêmes, mais sous ces apparences nouvelles ils existent
encore. Leur première substance, le pain et le vin, ils ne l'ont
plus ; leur seconde substance qui remplace la première, le corps
et le sang de Jésus-Christ, ils ne l'ont plus davantage. Cependant,
sans reposer sur une substance, ils n'existeraient pas : ils en ont
donc retrouvé une troisième : quelle est-elle? d'où leur vient-elle?
Qu'une sainte hostie soit brûlée : que reste-t-il ? Les accidents du,
pain ont disparu et avec eux la présence adorable de Notre-Sei-
gneur; il n'y a plus là qu'un peu de cendre, avec les accidents
propres à cette matière. Il serait absurde et blasphématoire de
dire que la substance de Notre-Seigneur s'est changée en celle de
cette cendre. Il faut donc chercher autre chose.
Ce qui reste après que la Sainte Eucharistie a subi l'un de ces
changements qui ne permettent plus que Jésus-Christ soit présent,
parce que les accidents ne sont plus ceux du pain et du vin en leur
état normal, possède exactement les mômes qualités qui seraient
les siennes, si la consécration n'avait pas eu lieu, et que les
espèces du pain et du vin eussent continué d'avoir pour support
la substance qui leur était propre. Il faut donc que Dieu ait fait
renaître cette substance première, qu'il l'ait retirée du néant où il
l'avait plongée, pour l'unir de nouveau à ses accidents, mais avec
les modifications qu'exigent les changements que les accidents
horum, perspicue liquet, eam destructionem maleriarum, esse opus omnipo-
tentise Dei, quale nusquam alibi exercet, vel exercuit unquam. In caeleris
(juippe transinutalionibus quibuscumque, salva semper fuit materia prima,
vclul hospilium commune pluribus formis sibi inlra illud succedentibus, pro
veritate dispositionum, nunc hanc, nunc illam formam, immitti materiae de-
poscentium. In bac soin mutatione, par robustissimam Dei manum, etiam
materia extruditur. (Theopii. Raynalm)., Cnndelabrum sanctum de Eucharistia,
sect. III, cap. III, class. 2.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 563
eux-mêmes ont subis. Vous faites la sainte communion ; bientôt
l'hostie consacrée que vous avez reçue se transforme ; les appa-
rences du pain disparaissent, et la présence corporelle de Jésus-
Christ disparaît en même temps. Mais ce qui n'est plus Jésus-
Christ en vous, et n'a plus les apparence du pain, est devenu, avec
des apparences nouvelles, quelque chose qui produira en vous tous
les effets que l'on peut attendre d'une hostie qui n'a pas été consa-
crée. D'où vient cette substance nouvelle? Dieu seul, dont la toute-
puissance opère ce miracle, aurait pu nous le dire : il n'a pas
jugé utile à notre salut de nous le révéler. Contentons-nous donc
d'adorer en silence les merveilles de sa puissance et de sa sagesse.
Un autre miracle de la toute-puissance divine, concernant le
pain et le vin matière de l'Eucharistie, est que les accidents du
pain et du vin, tout ce qui frappe nos sens en eux, continuent
d'exister, lorsque leur raison naturelle d'être a disparu par la
transsubstantiation. Ils existent très réellement. Ce ne sont pas de
simples apparences, ce sont, si Ion peut ainsi parler, des appa-
rences substantialisées, des accidents qui se servent de sujet à
eux-mêmes. Il n'y a point là d'illusion d'optique, ni de fantôme
sans réalité : ce que l'on voit, c'est bien encore ce qui frappait les
yeux lorsque la substance du pain et du vin était présente ; c'est la
même couleur, la même forme extérieure, le même goût si l'on
prend cet aliment céleste. Les sens ne sont pas trompés sur ce
qu'ils voient et touchent; leur objet n'est pas la substance mais
les accidents, l'intelligence seule connaît la substance. Dans l'Eu-
charistie, les accidents n'ont pas changé et les sens le constatent;
la substance a changé et l'intelligence le sait grâce aux lumières
de la foi. Le Dieu de vérité n'a pas voulu qu'il se trouvât dans son
sacrement rien de faux, rien qui ressemblât aux prestiges des
mages •. Quant aux propriétés du pain et du vin qui ne sont pas
connues de l'homme, s'il s'en trouve, et ne peuvent pas l'être, on
ne saurait dire si elles demeurent comme les accidents accessibles
aux sens, ou si elles cessent d'être avec la substance à laquelle
elles étaient attachées, et nous n'étudierons pas cette question de
1. Nihil enim falsum, factum putandum est in sacrificio veritatis, sicul in
Magorum prassligiis, ubi dehisione quadam falluntur oculi, ut videalur illis
esse quod non est omnino. Sed vera species visibilis, qiuv. fuit in pane, ipsa
facta praeter substantiam suam, quodammodo in aliéna peregrinatur, conti-
nentem eum qui fecit eam, et ad suuni transferenle corpus. (S. Anselm., lib.
de Sacram. attar., p. I,)
564 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
pure curiosité, non plus que plusieurs autres qui se rattachent à
ce que nous venons de dire, mais ressortent plus des sciences phi-
losophiques que de la théologie. II nous suffit, pour satisfaire
notre dévotion envers la Très Sainte Eucharistie, d'avoir reconnu
quelques-uns des miracles que la toute-puissance de Dieu accom-
plit, pour conserver les apparences du pain et du vin au Très
Saint-Sacrement, quoique la substance de notre divin Sauveur ait
pris la place de ces substances communes. Nous voyons que Dieu
n'est pas avare de prodiges, lorsqu'il veut se donner à nous et le
faire de la manière qui nous soit le plus utile.
Nous avons parlé du pain et du vin qui sont transsubstantiés et
de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est le terme auquel aboutit
cette admirable transsubstantiation ; il nous reste quelque chose à
dire de la transsubstantiation elle-même et des prodiges que la
toute-puissance de Dieu opère au moment où elle s'accomplit.
Le changement qui se fait dans la Sainte Eucharistie est
quelque chose de si sublime, qu'il dépasse infiniment tout ce que
peut une vertu créée, et que Dieu lui-même n'a montré nulle part,
d'une manière plus évidente, que sa puissance est sans bornes.
La raison pour laquelle la transsubstantiation qui s'opère dans
l'Eucharistie surpasse tout ce que peut une créature, quelle qu'elle
soit, c'est qu'elle est le changement d'une substance tout entière
en une autre substance déjà existante et tout entière aussi. La ma-
tière du pain n'est pas convertie en la matière du Christ, ni la
forme du pain en sa forme, comme il arrive des aliments que
nous prenons : mais toute la substance du pain est absolument
changée en toute la substance de Jésus-Christ; tout ce qui était le
pain cesse d'exister et c'est Jésus-Christ tout entier que ce pain
est devenu. Et parce que la chair vivante de Jésus-Christ et son
sang subsistent dans la personne du Verbe, la transsubstantiation
ne s'accomplit pas sans que le Verbe lui-même accompagne, dans
le sacrement, la substance de son corps et de son sang, en laquelle
la substance du pain et du vin a été changée. Supposez que Dieu
donne à une créature le pouvoir de transformer ainsi totalement
une substance en une autre, de telle sorte que rien absolument
n'existe plus de la première, mais uniquement la seconde, ce qui
serait un miracle égal au miracle de la création : cette créature
pourrait-elle prendre le Fils de Dieu lui-même, pour expérimen-
ter sur lui l'infinité de cette puissance?
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'EUCUARISTIE. 563
Cependant le sacrement de l'Eucharistie, dans lequel s'opère
cette transsubstantiation, chef-d'œuvre de la puissance divine, est
instituée pour les hommes; il est donc nécessaire que quelque
chose leur dise que ce pain et ce vin qu'ils voient sur l'autel sont
changés au corps et au sang de Notre-Seigneur ; il faut que quel-
qu'un prononce devant eux les paroles sacrées qui accomplissent
ce prodige, comme il faudra que quelqu'un leur partage le pain
descendu pour eux du ciel sur l'autel.
C'est au prêtre qu'une fonction si sublime a été dévolue. Il sera
le représentant visible de Jésus-Christ; il parlera en son nom, et
la merveille, plus grande que toutes les merveilles, le prodige
des prodiges opérés par la puissance de Dieu existera sur l'autel.
Il ne sera pas un simple instrument, un écho dépourvu d'action,
n'ayant d'autre part à ce miracle sans égal que l'émission maté-
rielle de quelques sons de voix : il parlera réellement, et c'est
parce qu'il posera l'acte humain de la parole en homme raison-
nable, qu'il saura dans quel but ses paroles seront prononcées et
qu'il voudra que ce but soit atteint, que Dieu accomplira la trans-
substantiation, possible uniquement à sa toute-puissance. Dieu
sera la cause physique, la cause efficiente de ce grand mystère et
lui seul peut l'être, mais le prêtre en sera la cause morale, et l'on
peut dire la cause instrumentale K
1, Nec créât illud opus homo, sed vis cuncta creantis,
Assistens arae pro sacris presbyter orat.
Mensem cœlestem Deus implel, gratia rorat,
Compluit a superis divina potentia totam.
Quidquid presbyteri sacrât admirabile votum.
Nil aliud sacrifex est quam Christi simulacrum,
Dum tractât corpus Christi, cum sanguine sacrum
Dumque suos oculos in cœhun cordaque figit
Extendendo manus et brachia se crucifigit.
Et dum quœ fuerit mors Christi, flendo rétractât,
Facta suae carnis, Domino velut in cruce, mactat.
Sic Christus Christum offert, homo victima factus,
Sicque crucem patitur, dum commémorât crucis actus
Qui recto Christus quomodo crucitîxus, et unctus,
Par fidei membrum cum Christi corpore j unctus,
Non abus celel^rat, quamvis alius videalur
Mysterium sacrum, Verbum Deus hoc operatur.
Verbum nam(|ue caro factum, sacra verba magistrat.
Etper sacrificem carnem de pane ministrat.
Hic opus, hic opifex Deus est, sacrât atque sacratur;
Fitque creatura per quem res cuncta creatur.
(Petr. Blesens., Carm. de Euchar., cap. vu.)
566 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
Notre-Seigneur Jésus-Christ est le prêtre éternel selon l'ordre de
Melchisédech. Il n'a pas exercé seulement une fois|son sacerdoce, en
instituant l'Eucharistie et en s'immolant lui-même sur la croix ; il
ne l'exerce pas seulement dans le cours des siècles, d'une manière
indirecte, par l'intermédiaire des prêtres qui montent à l'autel,
le représentent, redisent ses paroles et agissent en son nom. Ce
que le prêtre fait au nom de Jésus-Christ, Jésus-Christ lui-même
le fait avec le prêtre, et les actes du prêtre, aussi bien que ses pa-
roles, n'auraient ni efficacité ni valeur, si Jésus-Christ n'unissait
pas directement et efficacement son action à celle de son représen-
tant visible. C'est la puissance du Seigneur, et non pas une vertu
humaine, qui opère le changement du pain et du vin au corps
et au sang de Notre-Seigneur ; mais cette puissance, Dieu la prête
à l'homme qui en use à son gré. C'est Jésus-Christ qui offre de
nouveau, avec la sainte Église et le prêtre agissant en son nom,
la divine victime, offerte et immolée autrefois sur le Calvaire, avec
tous ses mérites. L'homme, quelque saint qu'il soit, ne serait pas
digne de se présenter devant Dieu, pour lui offrir un sacrifice
qui méritât d'être accepté, ni surtout ce sacrifice qui, après avoir
une fois pour toutes mérité pour les hommes le pardon et la grâce
sanctifiante, applique à toutes les générations et à chacun des
fidèles en particulier ces mérites infinis, acquis par la passion et
la mort du Rédempteur. L'homme qui participe au sacerdoce de
Jésus-Christ agit, consacre, sacrifie extérieurement, parce que
notre nature réclame un sacrifice et des sacrements accessibles à
nos sens : mais Jésus-Christ agit avec son prêtre; c'est sa toute-
puissance qui accomplit la merveille incompréhensible de la trans-
substantiation, et toutes les autres qui l'accompagnent; c'est lui
le souverain ou plutôt l'unique prêtre. Et s'il arrivait que l'un de
ceux qui montent à l'autel pour le représenter fût tout à fait in-
digne d'un si sublime ministère, l'acte divin n'en serait pas moins
accompli; le corps et le sang de Jésus-Christ n'en seraient pas
moins présents sur l'autel, et Dieu n'en recevrait pas moins, en
odeur de suavité, le sacrifice offert, parce qu'il est olïert beaucoup
moins par le prêtre visible que par le Prêtre invisible, le Fils
même de Dieu, notre pontife et notre victime. « Dieu, dit S. Jean
« Chrysostome, opère lui-même par le ministère de tous les
« prêtres, même des indignes, pour le salut du peuple. S'il s'est
« autrefois servi d'un âne et d'un méchant homme, Balaam, pour
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 567
« bénir son peuple, pourquoi ne se servirait-il pas d'un prêtre?
« Qu'est-ce qu'il ne fait pas pour notre salut? Que ne dit-il pas?
e De quel intermédiaire dédaigne-t-il de se servir? S'il a opéré par
« le ministère de Judas, et par celui de ces prophètes auxquels il
« dit : Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui
« opérez V iniquité ', si d'autres pécheurs ont chassé le démon en
a son nom; à plus forte raison opérera-t-il par le ministère des
« prêtres '-. »
Que Dieu accomplisse par lui-même des actes qui réclament une
puissance infinie, on le comprend et l'on ne s'en étonne pas, mais
qu'il mette cette puissance en quelque manière au service de
l'homme, et qu'un simple prêtre puisse en user et en use chaque
jour, pour exécuter un acte qui est peut-être le plus grand de
tous ceux qui sont possibles à la divinité : n'est-ce pas là un sujet
d'admiration qui dépasse tous les autres? Et si nous ajoutons que
Dieu n'agit ainsi, qu'il ne se remet entre les mains des hommes,
avec sa toute-puissance, que par amour pour nous : quelle ne sera
pas notre reconnaissance pour un Dieu qui nous aime au point
d'opérer, non seulement pour nous mais par nous, de si grandes
merveilles? Avec quelle ardeur et quelle dévotion ne rendrons-
nous pas nos humbles adorations à la Sainte Eucharistie où Dieu
a rassemblé tous les prodiges de son amour, de sa sagesse et de
sa puissance infinie?
IV.
LA PRÉSENCE DE JÉSUS-CHRIST DANS l' EUCHARISTIE NOUS RÉVÈLE
SA MUNIFICENCE OU SA LIBÉRALITÉ DIVINE
Tout ce que la sagesse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pressée
par son amour, a inventé de plus précieux et de plus admirable
en notre faveur, toutes les merveilles opérées pour nous dans la
Très Sainte Eucharistie par sa toute-puissance, c'est à sa libéralité
divine que nous devons de les posséder. C'est par un acte de cette
libéralité, de cette magnificence infinie, qu'il nous a donné son
corps et son sang sous une forme adaptée aux besoins de notre
nature, celle des espèces ou apparences du pain et du vin. Ce don
1. \um., xxn.
2. Quia nunquam novi vos : discedile a me qui operamini iniquilatem.
[Matlh., VII, 23.)
568 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XI.
qu'il nous a fait est si grand que tous les autres biens que nous
tenons de sa libéralité paraissent peu de chose, si on les y compare.
« En nommant l'Eucharistie, c'est le trésor tout entier de la bé-
« nignité de Dieu, dont j'évoque la pensée, » dit S. Jean Ghrysos-
tome '. Nulle part, en effet, on ne voit rassemblées autant de
preuves de la munificence et de la libéralité divines que dans cet
auguste sacrement; nulle part autant de motifs ne se présentent
à nous, pour lesquels nous devions à Dieu une reconnaissance et
des louanges infinies. Il suffit, pour en être convaincu, de consi-
dérer un moment ce qui nous est donné dans la Sainte Eucharistie,
et quelles circonstances relèvent encore le prix de ce présent.
Ce que Dieu nous donne dans la Sainte Eucharistie, c'est Notre-
Seigneur Jésus-Christ lui-même, son corps, son sang, son àme,
la personne du Verbe qui se les est unis indissolublement et, par
une conséquence nécessaire, la personne du Père et celle du Saint-
Esprit qui accompagnent le Verbe avec lequel elles sont un seul
et même Dieu. Et ce n'est pas seulement sous les deux espèces
réunies du pain et du vin, mais sous chacune d'elles, prises sépa-
rément, que Jésus-Christ nous est ainsi donné tout entier.
Cependant si notre divin Sauveur est ainsi tout entier sous cha-
cune des deux espèces, les paroles de la consécration ne demandent
pas directement cette présence intégrale de toute sa personne ;
sous chaque espèce il y a quelque chose de Jésus-Christ qui s'y
trouve en vertu même des paroles prononcées, et quelque chose
qui ne s'y trouve que par suite de l'indivisibilité réelle, existant
entre le corps, le sang, l'àme et la divinité du Seigneur ressuscité
et vivant dans sa gloire. Le corps seul est appelé sous l'espèce du
pain par la vertu des paroles : « Ceci est mon corps », mais il ne
peut pas y être présent, que le sang, l'àme et la divinité de Jésus-
Christ ne s'y trouvent avec lui. De même pour le calice : les pa-
roles sacrées ne produisent directement par elles-mêmes que la
présence du sang, mais le sang de Notre- Seigneur ne peut s'y
trouver seul, et Jésus-Christ tout entier est aussi dans le calice,
quoique la formule de consécration ne mentionne ni le corps, ni
l'àme, ni la divinité. Le corps est présent et, avec lui, toute la
personne adorable de notre divin Sauveur. Le sang est dans le
calice et, avec lui, le Verbe de Dieu incarné, sans que rien manque
1. Dicendo Eucharistiam , omnem benignitatis Dei thesaurum aperio.
(S. JoA.NN. Ghrysost., hom. XXIV in I. Cor.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 569
ai de sa divinité, ni de l'iiumanitédontil s'est revêtu pour l'amour
de nous.
Ce n'est pas assez dire, et l'on peut croire que les paroles de la
consécration ont une efficacité directe plus étendue que celle qui
ressort des quelques lignes qui précèdent.
En vertu de ces mots : « Ceci est mon corps »,le corps de Jésus-
Christ se trouve sous les espèces du pain; mais de quel corps
peut-il être question dans ces paroles de Jésus-Christ prononcées
en son nom par le prêtre, sinon du corps du Sauveur tel qu'il est
actuellement dans la gloire des cieux? C'est donc un corps vivant,
un corps hypostatiquement uni à la divinité que ces paroles ont la
vertu de produire sur l'autel, c'est donc directement que l'àme de
Notre-Seigneur et sa divinité s'y trouvent, et non pas seulement
par concomitance. Le même raisonnement peut s'appliquer au
sang précieux que contient le calice. Ce n'est pas du sang mort
et séparé de l'àme qui le vivifie ; ce n'est pas un sang qui puisse
être séparé du Verbe divin auquel il est hypostatiquement uni :
c'est le sang de Jésus-Christ tel qu'il est dans les veines de son
corps ressuscité et glorieux, un sang vivant, un sang divin, que
la parole du prêtre : « Ceci est mon sang », produit directement
dans le calice. On peut donc dire que l'âme et la divinité de Notre-
Seigneur se trouvent directement, en vertu des paroles sacrées,
sous chacune des deux espèces, mais que le sang n'est qu'indirec-
tement et par concomitance sous l'espèce du pain, le corps indi-
rectement et par concomitance sous l'espèce du vin, et les deux
Personnes de la Sainte Trinité, autres que le Fils, par concomi-
tance et indirectement, sous chacune des deux espèces. Quoi qu'il
en soit de ces distinctions, Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec ses
deux natures, n'en est pas moins vraiment, réellement et substan-
tiellement présent sous l'espèce du pain et sous l'espèce du vin.
Il y est non seulement par sa substance, mais avec tous ses acci-
dents, sauf SOS dimensions, ses apparences extérieures, et ce qui
frapperait nos sens. Il y est avec tous ses dons de la grâce et de
la gloire. Il y est avec le Père et le Saint-Esprit. Voilà le don par
excellence que Dieu nous a fait, don véritablement digne de la mu-
nificence d'un Dieu, car lui seul pouvait le faire à ses créatures.
En instituant l'Eucharistie, Dieu nous a donné tout ce qu'il a de
plus précieux, tout ce qu'il pouvait nous donner. S'il n'est pas
permis de dire, en parlant de quelqu'une des grandes œuvres du
570 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
Créateur, qu'il a épuisé sa puissance en l'accomplissant, on peut
l'affirmer au moins sous certains rapports lorsqu'on parle de cet
auguste mystère.
Quelle autre faveur, en effet, pourrait mériter d'entrer en com-
paraison pour le prix et la dignité, avec ce sacrement adorable
dans lequel Jésus-Christ se donne à nous avec toutes ses gran-
deurs, ses attributs, ses perfections infinies, avec tout ce qu'il est
et tout ce qu'il possède? « Ce mystère, dit S. Jean Chrysostome,
€ fait que la terre devient pour nous le ciel. Montez jusqu'aux
« portes du ciel, je ne dis pas seulement du ciel, mais du ciel des
€ cieux, et regardez attentivement; vous reconnaîtrez la vérité de
« ce que nous avons dit, car ce qu'il y a de plus digne d'être ho-
« noré dans le ciel, je puis vous le montrer ici-bas. Dans un palais
« royal, ce qu'il y a de plus précieux, ce ne sont pas les murailles
« ni le toit où partout l'or étincelle, c'est le roi lui-même assis sur
t son trône. Dans le ciel il en est de même : or, c'est le Roi du
« ciel qui maintenant est exposé à vos regards sur la terre. Ce ne
€ sont pas les anges ni les archanges, ce ne sont pas les cieux ni
« les cieux des cieux, mais le souverain Seigneur de toutes ces
c choses que je vous présente. Et remarquez bien ce qui rehausse
€ infiniment la faveur qui vous est faite : sur la terre vous ne vous
« contentez pas de voir le Roi du ciel, vous le touchez; ce n'est
« pas assez, vous le prenez comme votre nourriture, et c'est après
« l'avoir reçu que vous retournez dans votre demeure '. »
Dieu s'était montré magnifiquement libéral envers toute chair,
au moment de la création, en préparant pour tous les êtres vi-
vants une nourriture en rapport avec leurs besoins. Il avait mis
à la disposition de l'homme tout ce que produiraient la terre et
la mer. L'univers entier semblait n'être qu'une immense salle
préparée pour le festin, salle éclairée par deux merveilleux flam-
beaux, le soleil et la lune accompagnés d'une multitude d'étoiles,
et sur laquelle la voûte céleste s'étend à l'infini 2.
1. S. JoANN. Chrysost., hom. XXIV m /. Cor.
ii. Ecce panes, ecce mensa, et seniores domus Israël, qui cum junioribus
comedunt, Jaudantes noinen Domini. Sed qui ministrat? Certe omnia vasa,
ulensilia et lumlnaria, in u.sus epulantium necessaria, Moyses tanquam fîde-
lis dispensator, in dorno Dei, quae est Ecclesia, administrât : prgecipue tamen
in aquis painndis (unde et nomen habet), offîcium suum exercet. Quid enim
aliud, ordincm cre.itionis tôt creaturae contexem insinuât, nisi quando, et a
quo, et unde et quomodo, et ad quid, haec mensa sive massa universitatis
CE QUE NODS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eDCHARISTIE. 571
Mais toute cette magnificence n'est plus rien si on la compare à
la table eucharistique. Sur la table préparée pour sustenter l'homme
et toutes les créatures vivant ici-bas, que voyons-nous, en effet, pa-
raître? Tout y vient de la mort ou en rappelle le souvenir. Ce sont
les chairs d'animaux égorgés; ce sont des herbes arrachées à la
terre qui les avait produites, des fruits séparés des arbres ou
des plantes qui les avaient portés. A la table eucharistique au
contraire, le pain que nous mangeons est un pain de vie et d'intel-
ligence, que l'usage qui en est fait ne détruit ni ne corrompt; un
pain qui, mangé par nous, conserve néanmoins toute son intégrité.
Les mets terrestres, lorsqu'ils ont apaisé la faim, rebutent loin
d'attirer encore : le pain eucharistique, lorsqu'on le mange, excite
le désir de le manger encore et éveille une faim insatiable, selon la
parole de Notre-Seigneur : « Ceux qui me mangent auront encore
« faim, et ceux qui me boivent auront encore soif ' ; » et c'est sans
se lasser jamais, c'est avec un bonheur toujours nouveau que ceux
qui ont la foi et qui aiment Dieu prennent l'aliment divin tou-
jours consommé et toujours entier qu'il leur a préparé. Et quel
aliment! Une mère, malgré tout son amour, ne peut donner qu'un
peu de sa substance corporelle à l'enfant qu'elle nourrit de son
lait; mais Jésus-Christ, notre maître ou plutôt notre père, nous
donne tout son corps à manger et tout son sang à boire ; il nous les
donne pour toujours, et toujours il les tiendra à notre disposition.
€ 0 bonté dont nul ne saurait mesurer la grandeur! s'écrie Théo-
« dore Studite, ô don que nul autre don ne saurait surpasser!
«r Pourrions-nous donc ne pas aimer celui qui nous aime à ce
« point? pourrions-nous ne pas l'honorer et ne pas lui rester in-
« dissolublement attachés? Le soleil crierait contre nous, la terre
« pousserait des gémissements, les pierres elles-mêmes, surprises
subsistât? Unde terram fundatam animadvertere potes, quasi mensam posi-
tam, cœlum super et circum positum quasi mappam circuin extensam; sicut
et arca circumlexta erat ex omni parte auro. Firmamentum tanquam cande-
labrum, et in candélabre duo magna luminaria, solem et lunain, sublucenti-
bus stellis tanquam candelis. Aerem imbriferum, tanquam lavatorium vel
infusorium. Rursus serenum tanquam exhibentem manutergium. Mare velut
omnium ordium emundalorium. Terram, panem et vinuni, carnem et pul-
mentum, et aliud vita; hujus suftîciens sustentanientum, natura subinferen-
tem, ex moderatione Spiritus cuncta régente et disponente. (Petrus Cellens.,
lib. de l'dnihus, cap. ii.)
1. Oui edunt me adhuc esurient, et qui bibunt me adbuc sitient. {Joann.,
VI, 3'o.)
572 LA SAINTE EUCHARISTIE. — li" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. M.
« de notre insensibilité, élèveraient la voix pour nous accuser i. »
Uupert coniimente ces paroles de Notre-Seigneur : « Recevez et
« mangez, ceci est mon corps 2; » et ces autres : « Celui qui mange
« ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui ^. »
Elles lui rappellent, dit-il, celles à peu près semblables que le ser-
pent adressait à nos premiers parents dans le paradis terrestre :
< Prenez, mangez, et vous serez comme des dieux. » Mais le ser-
pent, ou plutôt le démon qui les prononçait, était un artisan de
mensonge, de péché et de mort. Jésus-Christ, au contraire, est
l'Agneau de Dieu; il est la vérité même ; il est le Saint des saints
et ses paroles donnent la vie. Le démon offrait des fruits d'un
arbre qui ne lui appartenait pas, et Jésus-Christ nous donne sa
propre chair et son propre sang. Le démon mentait en promet-
tant ce qu'il n'était pas en son pouvoir de donner, c'est-à-dire
une sorte d'égalité avec Dieu lui-môme : Jésus-Christ a promis et
il donne fidèlement ce qu'il possède en vertu môme de sa nature ;
nous sommes véritablement des dieux, tant qu'il demeure en nous.
Adam et Eve eurent le malheur de croire à la parole du démon
plutôt qu'à celle de Dieu et ce fut un grand crime ; pour nous,
croyons à la parole que Dieu nous a fait entendre par la bouche
de Jésus-Christ son Fils; croyons-y plus fermement, plus efficace-
ment que nos premiers parents n'ont cru à celle du démon. Ils
ont cru qu'il y avait dans le fruit oflert par le démon une vertu
cachée, capable de les transformer au point défaire qu'ils fussent des
dieux : nous, ce que nous devons croire, c'est que, sous les espèces
sacramentelles, il y a non seulement une vertu qui échappe aux
regards, mais, en toute vérité, en toute réalité, le corps et le sang
de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui font que nous demeurons en
lui, qu'il demeure en nous, que nous vivons de sa vie et que nous
sommes ainsi divinisés lorsque nous le mangeons.
Mais il faut d'abord le recevoir : Accipite, en apportant à la
sainte Table la foi la plus entière, l'amour le plus ardent, la re-
connaissance la plus vive. Alors seulement on sera digne de le
manger : Et comedite, et de le manger avec fruit 4.
1. Theodor. Stl'Dit., Cnlec/i., xxiv.
2. Accipite et comedite, hoc est corpus mcum. (/. Co7\, xi, 2i.)
•J. Qui in.inducat meam carnem et bil)it meum sanguinem in me manet et
ego in iilo, {Joann., vi, Vil.)
^. Hri'Ein., lili. III de Oper. Sinr. sanct., cap. xxiv.
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PKÉSENCE DE JESUS DANS l'eUCHARISTIE. o73^
Notre-Seigneur Jésus-Christ se donne à nous pour que nous
puissions l'offrir en sacrifice à son Père. Nous avons besoin d'une
victime de choix non seulement pour détourner la colère de Dieu,
mais pour attirer ses bénédictions. Rien, dans l'univers créé, ne
serait digne d'être immolé sur son autel ; rien n'est assez pui-,
rien n'est assez saint, rien n'est assez grand. Cependant il nous
faut une victime. Les sacrifices sanglants offerts pendant des mil-
liers d'années chez tous les peuples, même chez le peuple choisi
de Dieu, et par ordre du Seigneur, témoignent assez de ce besoin
inhérent à notre nature déchue. Il faut du sang et nul sang ne
mérite de couler en l'honneur du Très-Haut. Alors Jésus-Christ
nous dit : Si vous voulez offrir à Dieu le sang de l'expiation, si
vous voulez non seulement détourner de vous la colère du Sei-
gneur, mais obtenir qu'il vous comble de ses bienfaits, ne ver-
sez pas inutilement le sang des animaux sans raison : prenez mon
propre sang et inondez-en vos autels. — Voilà ce que fait pour
nous ce Dieu qui veut être notre victime et notre offrande, pour
expier nos péchés et nous obtenir d'être considérés par le Père
éternel comme ses enfants et les héritiers de son royaume.
En même temps qu'il se donne à nous, pour que nous puis-
sions Toffrir au Père céleste, comme une hostie pure, une hostie
sainte, une hostie immaculée, il veut être pour nous un pain
d'éternelle vie, un calice où nous puiserons le salut qui ne passe
pas. Il se donne à nous pour demeurer en nous, pour être notre
bien et ne faire, en quelque sorte, qu'un seul tout avec nous.
Le présent qu'il nous fait n'est pas un de ces dons qui recèlent
un danger; ce n'est pas une de ces roses qui sont accompagnées
d'épines acérées; ce n'est pas un mal sous l'apparence d'un bien.
Non ; tout est bon dans ce que Jésus-Christ nous donne, ou plu-
tôt c'est l'assemblage de tous les biens; c'est plus encore : c'est
le bien par excellence, le bien suprême, le bien d'où tous les autres
découlent et auquel ils doivent d'être des biens ; en un mot, c'est
le bien infini. Dieu lui-même uni à la nature humaine, pour pou-
voir se donner à nous plus intimement et d'une manière absolu-
ment conforme à tous les besoins, à toutes les convenances de
notre être.
a Le cœur est trop étroit, la langue fait défaut, le sens hu-
main s'étonne et demeure impuissant pour sonder les arcanes
d'un si profond mystère. Oh ! quelles délices infinies, quel parfum,
574 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
quelles paroles, quel amour ardent, quels chastes et délicieux
baisers! Qui pourra jamais l'exprimer assez? On n'entend dans
ce mystère que les cantiques d'ineffable douceur que l'âme chante
dans le secret le plus intime d'elle-même, les cris des désirs, les
actions de grâces, des chants de louange et de glorification, des
soupirs d'amour vers le bien-aimé. L'âme pieuse, heureuse de
la présence de son bien-aimé qu'elle possède au Très Saint Sacre-
ment, est remplie de joie et se livre à des transports de l'allégresse
la plus entière. En même temps, elle se sent pénétrée d'humilité,
de lumière, de paix, fortifiée dans la foi, affermie dans la dévo-
tion et enchaînée intérieurement â son divin Rédempteur par le
lien d'un indissoluble amour. Aussi sera-t-elle désormais plus fer-
vente et plus charitable, plus courageuse dans les épreuves, plus
ardente au travail, plus prudente dans les tentations, plus appli-
quée à la pratique de la vertu, plus empressée à bien s'acquitter
des charges qui lui sont confiées, plus brûlante surtout du désir de
s'approcher souvent de l'adorable Sacrement. Car vos présents sont
tels, ù Seigneur Jésus, les gages de votre amour que vous donnez à
vos amis, à vos dévots, à vos bien-aimés, par ce très saint mystère,
sont d'un si grand prix qu'aucune joie de ce monde qui passe ne
peut être comparée à celle qu'ils procurent. C'est que, par ce vé-
nérable mystère, vous vous donnez vous-même à vos fidèles, afin
que la douceur qu'ils y goûtent leur enseigne à vous aimer, à vous
garder, à vous connaître, à vous louer K »
Ainsi parle S. Laurent Justinien, ce grand ami de Jésus, qui
savait par expérience combien le Seigneur est doux.
Mais ce qui fait mieux ressortir encore l'infinie grandeur du
don que le Fils de Dieu a daigné nous faire, en instituant la Sainte
Eucharistie, c'est qu'il n'a pas borné les effets de son admirable
libéralité à un seul temps, à un seul lieu, à quelques personnes
privilégiées. Tous les hommes qui croiront en lui, à quelque na-
tion qu'ils appartiennent, en quelque siècle qu'ils vivent, sont
invités à son banquet sacré. La table en sera dressée partout où se
trouvera un prêtre légitimement consacré, pour accomplir les
divins mystères au nom de Jésus-Christ lui-même ; partout et en
tous les temps, les pauvres et les petits pourront prendre place
à la table du souverain Roi qui les y appelle pour se donner à eux.
1. S. Laurent. Justin., Liber de Disciplina et perfectione monasticas conver-
tationis, cap. xix, n. 1.
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eUCHARISTIE. 575
Ils y trouveront les richesses véritables ; ils y trouveront la santé
de l'âme et la force; ils y trouveront le gage et les prémices d'une
vie bienheureuse qui ne fmira point. Mais que les grands, que
les riches et les forts s'empressent aussi d'y venir manger le pain
qui leur est préparé ; leur grandeur, leur force et leur richesse
augmenteront encore.
L'apôtre S. Paul nous fait connaître que le présent merveilleux,
accordé par le divin Maître à son Église et à tous les fidèles, ne
doit pas se borner à un temps ni à un lieu, lorsqu'il dit aux chré-
tiens de Corinthe et dans leurs personnes à ceux de tous les temps:
« Toutes les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice,
« vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne '. »
On mangera donc ce pain sacré, on boira donc le vin qui est le
sang du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne de nouveau pour juger
les vivants et les morts. S. Jean, le disciple bien-aimé, donne à
entendre la même vérité lorsqu'il commence par ces mots le récit
de ce qui s'est passé en la dernière Gène : « Jésus ayant aimé les
« siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin -. »
Sans doute ces paroles signifient qu'il porta son amour pour eux
jusqu'aux dernières limites possibles; mais, en instituant la Sainte
Eucharistie, il aima les hommes jusqu'à la fin, in finem dilexit
eos, parce que l'amour qu'il leur témoignait devait produire son
fruit jusqu'à la fin des temps ; le don qu'il leur faisait de lui-
même, sous les Espèces eucharistiques, devait se renouveler per-
pétuellement et durer jusqu'au dernier jour du monde. C'est ainsi
que l'entendent plusieurs théologiens dont le nom fait autorité 3.
Le Psalmiste nedonne-t-il pas ce sens aux mots, in fineni, lorsqu'il
dit : Ul quicl Deusrepulisti in ftnem : « Pourquoi, ô Dieu, nous
« avez-vous rejetés pour toujours ^? » S. Paul dit dans le même
sens : Pervenit ira Dei super eos usque in finem ^ : a La colère
a de Dieu est venue sur eux jusqu'à la fin. »
Qui n'admirerait ici la libéralité que l'amour du Seigneur pour
nous lui inspire? Ordinairement l'amour des hommes est très im-
1. Quotiescumque enim manducabitis panem hune etcalicem bibetis, mor-
tem Domini annuntiabitis donec veniat. {/. Cor., xi, 2G.)
2. Cum dilexisset suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos. {Joann.,
XIII, I.)
3. TuRRiANUS, lib. I de Euch., cap. x; Toletds, Joann., xiii, annot. 0 et in
prœvio commentario; et alii.
4. Ps. Lxxiii, i. — li. I. Thess., ii, 10.
576 LA SAINTE EDCIIARISTIE. — IT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
parfait : ils commencent tard à s'attacher à ceux qu'ils aiment?
leur attachement n'est pas bien étroit, et trop souvent il dure peu-
Comment pourrait-il en être autrement ? Souvent bien des années
s'écoulent avant que deux hommes que l'amitié doit lier ensemble
se rencontrent; de plus, il faut du temps pour se connaître, s'ap-
précier, s'attacher l'un et l'autre. Et lorsqu'une amitié réelle s'est
enfin établie, ira-t-elle fréquemment jusqu'à inspirer de véritables
sacrifices? les deux amis seront-ils prêts à immoler l'un pour
l'autre leurs intérêts temporels, leur vie même? Un malentendu
quelconque ne suffi ra-t-il pas pour briser une union que des rap"
ports de plusieurs années auraient dû rendre plus solide?
Mais il n'y a rien à craindre de pareil lorsque c'est Jésus-Christ
que l'on a choisi pour ami. Il a aimé les siens dès le premier ins-
tant de sa conception dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie ;
avant même ce moment béni à jamais, il les aimait de toute éter-
nité, comme Dieu ; il les a aimés d'un amour si ardent qu'il n'a
pas hésité à accepter pour eux tous les travaux, toutes les souf-
frances, toutes les humiliations de sa vie mortelle, et la mort
même sur la croix, entre deux scélérats ; il les a aimés d'un amour
perpétuel, qui ne s'est ni démenti ni . refroidi un seul instant,
pendant tout le cours de son existence parmi nous, et dont la
mort même n'a pas interrompu les témoignages, car il a trouvé
le moyen de rester au milieu de nous, maintenant qu'il est assis
dans le ciel, sur un trône, à la droite du Père. Non seulement il
est avec nous en corps et en àme, comme autrefois avec ses dis-
ciples, mais il se donne à nous, il s'identifie avec nous bien plus
parfaitement qu'il ne l'avait jamais fait avec ses disciples les plus
chers, avant la dernière Cène; et cette preuve de son amour, qui
est le résumé, le couronnement de ses bienfaits, il continuera de
la fournir aux hommes jusqu'à la fin des siècles. Telle est l'inter-
prétation que donne du texte de S. Jean le savant cardinal Tolet,
une des plus brillantes lumières de la théologie catholique au
xvi' siècle.
Souvent on a comparé la table eucharistique à laquelle Jésus-
Christ invite tous ses amis, aux magnifiques festins auxquels le
roi Assuérus convia les grands de son royaume, pendant six mois
entiers. La Sainte Écriture ne dédaigne pas de rapporter quel luxe
et quelle magnificence Assuérus déploya en cette occasion. Mais
que sont les magnificences des festins du roi de Perse, en présence
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'BUCHARISTIE. 577
de celles que Dieu, dans son amour, déploie en notre faveur? Ce
ne sont pas les grands d'un royaume, ce n'est pas même la popu-
lation tout entière d'une ville immense que Dieu invite, pour une
fois, à un banquet; ce n'est pas pendant quelques mois que des per-
sonnages plus ou moins nombreux sont appelés à se nourrir de
mets et de vins exquis. Dieu fait plus : il invite tous les hommes,
de tous les temps et de tous les pays, au festin qu'il a préparé :
tous y pourront prendre place non pas une fois, mais tous les jours
de leur vie, s'ils le désirent et s'ils s'efforcent de s'en rendre
dignes. Les mets et les vins qui sont servis à ce banquet ne s'é-
puiseront jamais; ils n'engendreront jamais ni le dégoût ni la
fatigue; ceux qui s'en nourriront désireront toujours davantage
s'en nourrir encore, et ils ne craindront pas qu'ils leur soient re-
fusés : or, ces mets et ces vins ne sont autre chose que le corps
et le sang de Jésus-Christ lui-même. La reine de Saba ne pouvait
revenir de son admiration, en voyant la belle ordonnance, la ri-
chesse, l'abondance de la table royale, dressée dans le palais de
Salomon : qu'eùt-elle dit et qu'eùt-elle pensé, si elle avait pu soup-
çonner les magnificences de la table que le Roi des rois a prépa-
rée pour ses fidèles serviteurs sur la terre, magnificences dont
celles de la table du roi Salomon n'étaient qu'une imparfaite
image?
Voilà ce que Jésus-Christ nous donne lorsqu'il nous invite à son
banquet sacré, et que nous avons le bonheur d'y prendre part, re-
vêtus de la robe nuptiale. Mais, en retour, il attend de nous que
nous soyons reconnaissants comme le mérite un si grand bienfait.
L'Évangile nous apprend qu'après la dernière Cène et l'institution
de l'adorable Eucharistie, le divin Maître et ses Apôtres chantèrent
ensemble une hymne au Seigneur : Et hymno clicto exierunt.
« Arrêtons-nous un moment sur cette hymne, dit Bossuet •, sur
ce cantique d'actions de grâces et d'allégresse, par lequel Jésus
et ses apôtres finirent le saint mystère. Que pouvaient-ils chan-
ter ceux qui étaient rassasiés de Jésus-Christ et enivrés du vin
de son calice, sinon les louanges de celui dont ils étaient pleins :
« L'Agneau qui a été immolé est vraiment digne de recevoir la
« force, la divinité, la sagesse, la puissance, l'honneur, la gloire,
« la bénédiction; et j'entendis toute créature qui est au ciel, sur
1. Bossuet, Mcditalions sur les Évaivjilcs. hi Ccnc, l" p., O.'j"' jour.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 37
578 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XI.
« la terre, sous la terre, sur la mer et dans la mer, et tout ce qui
« est dans ces lieux, qui criaient, en disant à celui qui est assis
« sur le trône et à l'Agneau : Bénédiction, honneur, gloire et puis-
« sance au.\ siècles des siècles ^. »
t Le monde chante les joies du monde; et nous, que chanterons-
nous après avoir reçu le don céleste, que les joies éternelles?
« Le monde chante ses passions, ses folles et criminelles
amours ; et nous, que chanterons-nous, sinon Celui que nous
aimons?
« Le monde fait retentir de tous côtés ses joies dissolues ; et
qu'entendra-t-on de notre bouche, après avoir bu ce « vin qui
germe les vierges -, » sinon des cantiques de sobriété et de con-
tinence ? Remplis de la mort de Jésus-Christ, qui vient de nous
être remise sous les yeux, et de la chair de son sacrifice, que
chanterons-nous, sinon : « Le monde est crucifié pour moi, et moi
pour le monde ^ ? »
« Ne vous en allez pas sans dire cet hymne, sans réciter le can-
tique delà rédemption du genre humain. Quoi ! Moïse et l'ancien
peuple chantèrent avec tant de joie le cantique de leur délivrance,
après être sortis de TÉgypte et avoir passé la mer Rouge ! Chantez
aussi, peuple délivré, chantez le cantique de Moïse et de l'Agneau,
en disant : « Que vos œuvres sont grandes et admirables, Sei-
« gneur, Dieu tout-puissant! que vos voies sont justes et vérita-
« blés, ô Roi des siècles ! Seigneur, qui ne vous craindrait, et
* qui ne glorifierait votre nom ? car vous seul êtes saint : toutes
a les nations viendront et adoreront devant votre face, parce que
« vos jugements sont manifestes ^. Vous avez détruit, par votre
a mort, celui qui avait l'empire de la mort, c'est-à-dire le diable ^;
\. Dignus est Agnus, <[n\ occisus est, accipere virtutem, et divinitatem, et
sapienliam, et forlitudinem, et honorem, et gloriam, et benedictionem. Et
omnem crealuram qua; in cœlo est, et super terram, et sub terra, et quaesunt
in mari, et quag in eo, omnes audivi dicentes : Sedenti in throno et Agno, be-
nedictio, et honor, et gloria, et potestas in sœcula sœculorum. [Apoc, vi, 12, 13.)
2. Et vinum germinans virgines. {Zach., ix, 17.)
'\. Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. [Galat., vi, 14.)
i. .Magna et miral)ilia sunt opéra tua, Domine Deus omnipotens; justae et
verae sunt viae tuae, Rex saeculorum. Quis non timebit te, Domine, et magni-
ficabit nomcn tuum? quia solus pius es : quoniam omnes gentes venient et
adorabunt in conspectu tuo, quoniam judicia tua manifesta sunt. [Apoc, xv,
3, i.)
•'>. l t per mortem deslrueret eum qui liabcijat mortis impcrium, id est dia-
bolum. {Ifefjt:, ii, li.)
CE QUE NOUS RÉVÈLE LA PRÉSENCE DE JÉSUS DANS l'eDCHARISTIE. 579
« le prince de ce monde est chassé i ; et, attachant à votre croix
« la cédule de notre condamnation, vous avez désarmé les princi-
« pautés et les puissances, vous les avez menées en triomphe
« hautement, et à la face de tout l'univers, après les avoir vaincues
« par votre croix '-. » Et maintenant, en mémoire d'une si belle
victoire, nous offrons par vous et en vous, à votre Père céleste, ce
sacrifice de louanges et d'actions de grâces, qui, au fond, n'est
autre chose que vous-même, parce que nous n'avons que vous à
offrir pour toutes les grâces que nous avons reçues par votre
moyen. »
On peut dire, ou plutôt il est certain que le but premier que
s'est proposé Xotre-Seigneur Jésus-Christ, en instituant la Sainte
Eucharistie, fut de nous donner un moyen de rendre à Dieu le
tribut d'actions de grâces qui lui est dû par le genre humain. Le
culte de Dieu, dit S. Augustin, a surtout pour objet d'empêcher
que l'àme ne soit ingrate. Aussi, dans le sacrifice unique et très
véritable que nous offrons au Seigneur notre Dieu, sommes-nous
avertis qu'il faut lui rendre grâces 3. Le saint docteur revient sou-
vent sur cette pensée. David l'avait prévenu, lorsque, cherchant
un moyen de témoigner à Dieu toute sa reconnaissance, il disait :
« Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du Sei-
gneur : » Calicem salutaris accipiam, et nomen Domini invo-
cabo ^. Redisons du plus intime de notre cœur ces paroles du
Psalmiste, car le bienfait que Dieu nous a donné, en instituant la
Sainte Eucharistie, mérite une reconnaissance que ni les anges ni
les hommes ne sauraient dignement sentir ni exprimer. Mais
par un nouveau prodige de la bonté, de la sagesse, de la puissance
et de la libéralité de Dieu, ce qui dépasse toute la puissance des
anges et des hommes est à notre portée. Nous pouvons témoigner
à Dieu, d'une manière infinie, la reconnaissance infinie qu'il de-
1. Nunc princeps hujus mundi ejicietur foras. {Jonnn., \ii, 31.)
•1. Delens quod adversus nos erat chirograplium decreli, quod erat contra-
rium nobis, et ipsum tulit de medio, aftigens illud cruci. Et expolians princi-
patus et potestates, traduxit confidenter, palam triumphans illos in semetipso.
[Coloss., II, 13, li, l;i.)
3. Cultus Dei in hoc maxime constitutus est, ut anima ei non sit ingrala.
Unde et in ipso verissimo et singulari sacrificio, Domino Deo nostro agere
gratias admonemur. (S. August., lib. de Spiritu et liltera, cap. ii. — Vide
etiam, lib. contra Adimantum, cap. wii, in ha^c verl)a : Sacriflcium lundis,
honorificnfjit me.)
i. J's. c.W, 13.
580 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
mande. Prenons le calice du salut; offrons Jésus-Christ lui-même
à son Père qui nous l'a donné et, en même temps, ne nous sépa-
rons pas de ce don précieux. Dieu n'en demande pas davantage ;
l'offrande que lui présente ainsi notre reconnaissance est égale à
ses bienfaits.
CHAPITRE XII
JÉSUS-CHRIST DANS L'EUCHARISTIE EST LA SOURCE ET LE MODÈLE DES VERTUS
NÉCESSAIRES A LA VIE ET A LA PERFECTION CHRÉTIENNES
1. La Sainte Eucharistie est un sacrement de Foi, d'Espérance et de Charité. —
II. Elle nous communique les vertus de Prudence, de Justice, de Force et de Tem-
pérance. — III. Elle nous donne l'esprit d'humilité, de pauvreté, de chasteté et
d'obéissance.
I.
LA SAINTE EUCHARISTIE EST UN SACREMENT DE FOI, d'eSPÉRANCE
ET DE CHARITÉ
Quoique notre dessein soit de présenter avec quelque détail, dans
la suite de cet ouvrage, les vertus du Cœur adorable de Notre-Sei-
gneur Jésus-Clirist voilé pour nous, sous les Espèces sacramen-
telles, on nous reprocherait avec juste raison d'être incomplet, si
nous n'en disions pas, dès maintenant, quelques mots. Le sujet
est immense, mais puisque nous y reviendrons plus tard, on nous
pardonnera de ne faire que l'effleurer.
Jésus-Christ est la lumière du monde, la véritable lumière hors
de laquelle il n'y a que ténèbres. Il est la lumière qui éclaire tout
homme qui vient en ce monde; c'est à lui seul que doivent leur
intelligence et leur raison tant d'hommes qui, dans leur orgueil,
abusent de ces dons précieux, et les retournent contre Celui dont
la main généreuse les en a gratifiés. A cette lumière il en ajoute
une autre, qu'il donne à ceux que son Père a choisis, la lumière
de la foi. Puis, lorsque le temps de l'épreuve sur la terre a passé,
il met en possession d'une troisième lumière ceux qui ont rem-
porté la victoire : c'est la lumière de la gloire, la lumière qui se
confond avec l'éternelle béatitude.
Nous espérons la lumière de la gloire et, par la grâce de Dieu,
nous possédons celle de la foi ; mais la lumière de la foi, si l'on
JÉSUS EDCHARISTIQDE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 581
n'y prenait garde, perdrait facilement de sa vivacité et de son
éclat à nos yeux. Il faut donc l'entretenir, raviver sans cesse ce
flambeau que Dieu nous a confié ; or, c'est au sacrement adorable
de l'Eucharistie que nous devons particulièrement demander les
lumières d'une foi qui ne connaisse pas de défaillance.
En effet, la Sainte Eucharistie est le sacrement, le mystère de
foi par excellence, Mysterium fidei, comme la sainte Église le
nomme, au moment le plus solennel du sacrifice de la messe.
Pourquoi ce nom de Mystère de foi donné à la Très Sainte
Eucharistie ? Deux motifs l'expliquent : le premier est que ce divin
sacrement nous oblige aux actes de foi les plus méritoires devant
Dieu, tant il humilie notre raison et contredit le témoignage de nos
sens. Le second est que, s'il exige de nous des actes de foi très par-
faits, il nous donne en même temps des grâces pour les accomplir ' .
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit un jour à ses disciples : « Si
« votre œil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le loin de
« vous ^. » Notre œil droit qui pourrait nous scandaliser, lorsque
nous sommes en présence de l'Eucharistie, n'est-ce pas notre rai-
son qui ne comprend rien à tant de mystères que Dieu a rassem-
1. Quia ineffabile est, quomodo corpus Christi hic fiât, et ibi maneat, ad
intelligentiam spiritualem, et fideni talia cogitantes revocat, quia etsi scire
non potest, credi potest : quia quod videtur, non materiale corpus panis est,
sed species corporalis : quod autem intelligitur, Christus est, qui omnia quae-
cumquevult, in coelo et in terra potest. Sicque dum exteriorum sensuum tes-
timonio non acquiescit, nec interiore inquisitione comprehendens, de veritate
tamen non titubât; fit per Dei gratiam, ut in tali suo agone fides nostra exer-
ceatur, exercendo augeatur, augendo perficiatur, perfecta coronetur. Unde
Augustinus, in serraone super Joann., lxviii : Fides qua eorum qui Deum
visuri sunt, quandiu peregrinantur, corda mundantur, quod non videt crédit.
Nam si vides, non est fides. Credenti coUigitur meritum, videnti redditur
praemium, Eat ergo Dominus, eat ne videatur, lateat ut credatur, creditus
desideretur, ut desideratushabeatur. Quia ergo in hac peregrinalione nostra,
expedit latere Christum ut credatur, bene igitur Christus sub sacramento
dédit nobis seipsum, ut per lioc nobis, et fidei meritum et gratiae suse augeat
beneficium, dum in terrena quadam et prorsus sohta panis et vini forma,
majestatem sapientiai \'erbi Dei substantialiter comprehensam, incomprehen-
sibilem credere, et venerari non erubescimus, qua? quanlitate et qualitate
sua, ita ejus excellentiae videtur indigna, ut nullatenus etianiiestimari debeal,
nisi quia ipse est, Deus qui omnia quœcumque vokiit fecit in cœlo et in terra,
nisi quia etiam caro cjus ipsa est, cui data est omnis potestas in cœlo et in
terra; ut potestate taH, sit in veritate persona^ in cœlo et in terra, quando-
cumque et quomodocumque ipsi placuerit. (Alceh., lib. II </<• lùichanstia,
cap. m, sub Hnem.)
t2. Quod si oculus tuus dexter scandaHzat te, crue eum, et projice abs le.
{Matt/i., V, -29.)
582 LA SAINTE EOCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. .MI.
blés en ce seul sacrement? De concert avec les sens au rapport
desquels elle se fie ordinairement, elle s'étonne, elle proteste, elle
voudrait refuser d'admettre ce qu'elle ne saisit pas, ce que les
yeux ne voient pas, que les oreilles n'entendent pas, que les mains
ne touchent pas, que ni le goût ni l'odorat ne reconnaissent. Elle
voudrait ne croire qu'à la présence d'un peu de pain et d'un peu
de vin ; or la foi dit à l'homme : le pain ni le vin ne sont plus.
Renonce à tes propres lumières et crois, non pas au langage de
tes sens, mais à la parole de Dieu lui-mrme qui te propose les plus
étonnantes merveilles :
La substance du pain et du vin n'existe plus, et sous les espèces
qui frappent encore tes sens, il y a Jésus-Christ lui-même : son
corps, son sang, son âme et sa divinité.
Il y a très réellement et très véritablement ce Jésus-Christ qui
est né pour toi, qui a souffert pour toi, qui est mort pour toi, qui
est monté au ciel pour toi, afin de t'y préparer un royaume où tu
régneras éternellement avec lui, si tu lui es fidèle.
Il y a ce Jésus-Christ qui est le Dieu infiniment saint, infini-
ment parfait, infiniment grand, ce Verbe image du Père et égal à
son Père, qui s'est incarné pour le salut des hommes.
Il y a l'homme, l'humanité trois fois sainte, à laquelle le 'Verbe
de Dieu s'est uni pour se rapprocher de toi, se donner à toi et te
donner à son Père, qui te mettra au nombre de ses entants adop-
tit's si tu consens à l'aimer et à le servir.
Il y a ce même Roi du ciel et de la terre, que les anges et les
saints adorent au milieu de sa cour céleste, et qui, en même
temps, daigne descendre et demeurer parmi les hommes, partout
où la voix d'un prêtre l'appelle.
Mais qui pourrait seulement énumérer toutes les merveilles in-
compréhensibles autant qu'admirables que la Sainte Eucharistie
offre à notre croyance? En présence de tant de mystères inacces-
sibles à ses lumières naturelles, la raison ne peut que se taire,
s'incliner humblement et (Toire : le sacrement qui s'offre à elle
est vraiment le sacrement, le mystère de foi, Myslerium fidei.
Chacun sait que les vertus, comme les habitudes naturelles, se
fortifient et se développent à mesure que l'on en multiplie les
actes. On comprend combien la Sainte Eucharistie, qui nous
oblige à des actes de foi si nombreux, si difficiles et si parfaits,
doit contribuer à fortifier la foi en nous. Or, la foi est la première.
JÉSDS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 583
le fondement de toutes les autres vertus: sa nécessité est telle que
sans elle il est impossible de plaire à Dieu. Bénissons donc le
Seigneur qui nous a donné, dans le Très Saint Sacrement, l'oc-
casion d'augmenter sans cesse notre foi et de nous affermir ainsi
dans la voie qui mène au salut.
La Sainte Eucharistie fait plus; non seulement elle nous donne
l'occasion ou plutôt l'obligation d'accomplir des actes de foi, mais
elle agit directement sur nos âmes et nous procure, par elle-même,
l'accroissement de cette vertu. L'effet propre de l'Eucharistie, son
effet sacramentel est d'augmenter la vie de l'âme, la justice inté-
rieure en ceux qui la reçoivent. Cette vie de justice intérieure,
sur laquelle agit sacramentellement la Sainte Eucharistie, n'est
pas seulement la grâce sanctifiante, mais tout l'ensemble des
vertus théologiques, qui font en quelque sorte partie de la subs-
tance de l'homme intérieur. Et c'est pourquoi le concile de Trente,
lorsqu'il parle de la justice intérieure qui est la vie du juste,
comprend, sous le nom de justice, la foi, l'espérance et la charité,
tout en remarquant que celle-ci en est l'expression principale et
complète.
Nul ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire de
la sainte Église, s'il n'a pas la foi véritable. Mais quiconque a la
foi et joint à cette véritable connaissance de Notre-Seigneur les
vertus d'espérance et de charité, s'il mange la chair de Jésus-Christ
et boit son sang divin avec dévotion, grandira dans la charité,
dans l'espérance et dans la foi qui sont la vie de l'âme. Cet ali-
ment céleste deviendra en lui une source de vie, c'est-à-dire de
charité, d'espérance et de foi, qui jaillira abondamment pendant
sa vie mortelle. Et quand le temps de la consommation sera venu,
quand la foi et l'espérance n'auront plus leur raison d'être, parce
que l'âme verra et possédera Dieu, cette source continuera de
jaillir encore. L'Eucharistie aura été l'aliment de la foi en même
temps que des autres vertus.
Si l'on demande pourquoi Dieu a voulu que le sacrement de
l'Eucharistie fût un assemblage de mystères si impénétrables à
l'intelligence humaine qu'il méritât d'être nommé le Mystère de
foi, Mijstermm l'tdei, nous répondrons, avec Rupert, qu'il conve-
nait que nous fussions éprouvés de la même manière que nos pre-
miers parents. Un aliment avait été l'occasion dont le démon
s'était servi pour les tenter. Il leur avait dit : « Mangez et vous
584 LA SAINTEE UCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
« serez semblables à Dieu. » Jésus-Christ nous éprouve à son tour;
il prend du pain et du vin; il nous les offre et il dit : « Ceci est
« mon corps; ceci est mon sang. Mangez et buvez, et vous serez
c les fils de Dieu. » Adam et Eve ont cru à la parole du démon,
plutôt qu'à celle de Dieu qui leur avait dit : « Du jour où vous
a mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort. » Jésus-Christ de-
mande de nous que nous ayons foi en sa parole plus qu'au témoi-
gnage de nos sens, et que nous réparions, par notre pieuse et
ferme croyance en lui, les maux infinis que nous a causés la cou-
pable crédulité du premier homme et de la première femme.
On ne trouve pas rapportés textuellement dans les Évangiles, ni
dans rÉpître F" de S. Paul aux Corinthiens, ces mots reproduits
par la sainte Église dans les paroles de la consécration : Myste-
rium fidei. Les Évangélistes et l'Apôtre les ont omis parce qu'ils
pouvaient l'être, sans que la vérité du mystère en souffrît; la
transsubstantiation est pleinement déclarée, par conséquent ac-
complie, avant que le prêtre les prononce. On pourrait donc ad-
mettre que Notre-Seigneur ne les a pas prononcés textuellement ;
mais en tout cas la sainte Église ne les a insérés à la place qu'ils
occupent dans le canon que par une inspiration particulière du
Saint-Esprit. N'était-il pas à propos de rappeler aux fidèles que
le divin sacrifice offert en leur présence est le mystère des mys-
tères, celui qui résume toutes les merveilles que Dieu a daigné
accomplir pour le salut des hommes? Ne convenait-il pas que
l'Église nous avertît de la grandeur infinie des choses qui s'opé-
raient devant nous, sans que nos sens pussent nous les révéler ?
Elle voulait ainsi nous inspirer des sentiments analogues à ceux
que S. Jean Chrysostome supposait à son ami Basile, lorsqu'il lui
disait : « Quand tu vois le Seigneur immolé et étendu sur l'autel,
« le prêtre qui se penche sur la victime et qui prie, et tous les
« fidèles empourprés de ce sang précieux, crois-lu encore être
« parmi les hommes, et même sur la terre? N'es-tu pas plutôt
« transporté dans les cieux; et, toute pensée charnelle bannie,
« comme si tu étais un pur esprit, dépouillé de la chair, ne con-
« temples-tu pas les merveilles d'un monde supérieur? 0 prodige!
« ô bonté de Dieu ! Celui qui est assis là-haut, à la droite du Père,
« en ce moment même, se laisse prendre par les mains de tous ;
« il se donne à qui veut le recevoir et le presser sur son cœur;
« voilà ce qui se passe aux regards de la foi. » Et plus loin : « Le
JESUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 585
« prêtre est debout; il fait descendre, non Je feu, mais l'Esprit
« saint; sa prière est longue : elle s'élève, non pour qu'une
« flamme vienne d'en haut dévorer les offrandes qui sont prépa-
« rées, mais pour que la grâce, descendant sur l'hostie, embrase
<> par elle toutes les âmes et les rende plus brillantes que l'argent
« épuré par le feu. Ne faudrait-il pas être privé de raison et de
« sens pour mépriser un mystère si redoutable? Ignores-tu que
« jamais une âme humaine ne supporterait le feu de ce sacrifice,
« mais que nous serions tous promptement anéantis sans un se-
« cours de la grâce de Dieu? Si l'on vient à réfléchir que c'est un
« mortel, enveloppé dans les liens de la chair et du sang, qui peut
« ainsi se rapprocher de cette nature bienheureuse et immortelle,
« on demeurera étonné de la profondeur de ce mystère, en même
« temps que pénétré de la grandeur du pouvoir que la grâce de
tt l'Esprit saint a conféré aux prêtres, par qui s'accomplissent ces
« merveilles K »
La Sainte Eucharistie, mystère et sacrement de foi, est en même
temps le sacrement le plus propre à nous affermir dans la vertu
d'espérance, ce second degré qu'il faut franchir pour arriver à la
sainte charité. Elle est, selon l'expression même de S. Augustin,
le Sacrement de Vespérance -, et nous jouissons par elle du bien
suprême qui nous est promis, en attendant que notre exil cesse,
que rien ne s'oppose plus à notre pleine et entière possession de
Dieu, et que les sacrements visibles nous soient devenus inutiles.
La foi sans l'espérance serait comme un corps sans vie, un corps
qui aurait perdu tout son sang 3; elle serait morte. Il ne suffirait
donc pas que la Sainte Eucharistie, mystère de foi, nous lut donnée
par le Seigneur, si cet adorable sacrement n'était pas en même
temps un sacrement d'espérance. Mais Jésus-Christ présent sous
les espèces sacramentelles n'est pas avare de ses grâces ; s'il fait
1. S. J. Chrysost., Tract, de saceniot., lib. III, num. 4. — Traduction .Ieannin.
2. Quod post .ilios septem dies (columba ex arca Noe) dimissa, reversa non
est, significat iiiieni saeciili, quando erit sanctorum rcquies, non adhuc in
Sncramento spri, que in hoc tempore consocialur Kcclesia, qiuundiii hibitur
quod de Christi latere manavit; sed jam in ipsa perfectione salulis ;vternœ,
cum traditur regnum Deo et Patri, ut in illa pcrspicua contemplationeincom-
mutabilis veritatis, nullis mysteriis corporalibu.s egeamus. (S. AuousT.,
lib. Xil rotitra /Viustum, cap. xx.)
^. Rêvera enim sanguis Hdei est spes, qua continetur fides tanquam ab
anima : cum autem spes expiraverit, perinde ac si sanguis effluxerit, vitalis
fidei facultas dissolvetur. (Ci.ement. .\le\. Pedag., lib. I, cap. vi.)
586 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
croître notre foi, s'il lui donne des lumières et des forces toujours
grandissantes, il en agit de même pour la seconde des trois vertus
théologales.
Nous avons dit déjà que l'espérance fait partie intégrante de la
justice, que la Sainte Eucharistie a pour objet principal d'aug-
menter en nous. Il suffit donc de recevoir dignement la sainte
communion, pour que l'espérance se développe et se fortifie; c'est
un elfet nécessaire du sacrement, que la mauvaise disposition de
ceux qui en approchent pourrait seule paralyser. Outre cette
action sacramentelle qui fait d'elle un sacrement d'espérance, la
Sainte Eucharistie agit encore de différentes manières sur les âmes,
pour augmenter en elles cette précieuse vertu.
Peut-on ne pas se sentir affermi dans l'espérance en Dieu, lors-
qu'on se rappelle par exemple les circonstances dans lesquelles
Jésus-Christ nous donna son corps et son sang, sous les Espèces
eucharistiques ? Ce fut après avoir mangé l'agneau de la Pàque
ancienne que. Pontife suprême, il institua le nouveau sacrifice et
permit à ses fidèles de participer aux chairs de la victime, qui
n'est autre que lui-même. L'agneau pascal des Juifs leur rappe-
lait la délivrance de la servitude d'Egypte, délivrance dont il
avait été le gage, la première fois qu'on l'avait immolé. Notre
Agneau pascal, Jésus-Christ, qui s'immole et se donne à nous
dans l'Eucliaristie, peut-il être moins agréaljle à Dieu que cet
agneau figuratif que les Juifs lui offraient? Si le sang d'un animal
sans raison avait été le signal de la délivrance et du salut pour
tout un peuple, comment le sang de la seule victime agréable à
Dieu par elle-même, et dont les autres n'étaient que la figure,
pourrait-il n'être pas aussi un signal, ou plutôt une cause de déli-
vrance et de salut, pour tous ceux en faveur de qui Dieu a voulu
qu'il fût versé? « Si la figure a eu tant de force que de délivrer
« tout un peuple d'une dure captivité, dit S. Chrysostome, com-
«< bien plus la vérité aura-t-elle le pouvoir de tirer tout l'univers de
« la servitude et de combler de biens tous les hommes *? » Et
parce que les effets produits doivent être en rapport avec la gran-
deur de leur cause, ce n'est pas seulement la délivrance d'une ser-
vitude purement temporelle, comme celle qui pesait sur le peuple
hébreu, que nous devons espérer en vertu de l'immolation du
\. Nam si figura a tanta servitute libenivit, multo magis veritas terrarum
orbem vindicabit. (S. Chrysost., hom. LXXXII m Matth.)
JÉSUS EDCHARISTIQUE SODRCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 587
divin Agneau ; c'est la délivrance de la servitude du péché et du
démon, c'est la liberté des enfants de Dieu qui nous est donnée,
c'est la véritiible terre promise, le ciel que nous devons considérer
avec pleine confiance comme terme de notre voyage, à travers la
mer rouge des tribulations et le désert de cette vie.
L'union que l'adorable Eucharistie établit entre Notre-Seigneur
Jésus-Christ et nous n'est pas moins faite pour affermir notre
espérance.
Lorsque nous voyons ce divin Rédempteur choisir au milieu de
nous une habitation, nous tenir compagnie, se mettre à notre
portée et permettre que nous le traitions moins comme notre Dieu
que comme un ami, comme un membre de la famille, pourrions-
nous craindre qu'il nous abandonne, qu'il nous regarde comme des
étrangers et nous laisse misérablement nous perdre, alors qu'il lui
suffit de nous tendre la main afin de nous sauver? Lui qui a tant
fait, tant souffert pour notre salut. Lui qui s'est caché sous les
humbles apparences d'un peu de pain et d'un peu de vin, pour
être notre aliment de vie, ne serait-il pas offensé si nous man-
quions de confiance en Lui et si nous n'espérions pas tout de sa
miséricorde toute-puissante ? Lui qui s'unit à nous d'une manière
si intime par la sainte communion, pourrait-il permettre que ce
corps dans lequel il a demeuré, que cette àme dont il s'est fait la
vie, deviennent éternellement la proie delà seconde mort? Assuré-
ment il le permettra, si nous repoussons jusqu'à la fin la grâce et
le salut qu'il nous offre : mais si nous acceptons ses bienfaits, si
nous recourons humblement à sa bonté, ne sommes-nous pas cer-
tains qu'il ne laissera pas son œuvre inachevée, et qu'il sauvera
notre àme ei nos corps sanctifiés par le contact et par l'union avec
son corps, son sang, son àme et sa divinité?
N'est-ce pas lorsqu'on est auprès de l'autel sur lequel s'immole
le divin Agneau, ou du tabernacle dans lequel il demeure prison-
nier pour nous, n'est-ce pas surtout lorsqu'on vient de le recevoir
par la sainte communion, que l'on peut dire en toute confiance
avec le saint roi David : « Le Seigneur me conduit et rien ne me
« manquera; c'est dans un lieu abondant en pâturage qu'il m'a
a établi ; il m'a élevé auprès d'une eau fortifiante. Il a fait revenir
« mon àme ; il m'a conduit dans les sentiers de la justice pour la
« gloire de son nom. Quand je marcherais au milieu de l'ombre
« de la mort, je ne craindrais aucun mal, parce que vous êtes avec
588 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. \II.
« moi : votre verge et votre bâton m'ont consolé. Car vous avez
« préparé devant moi une table contre ceux qui me persécutent;
« et vous avez oint ma tète d'une huile sacrée. Que mon calice
« enivrant est admirable î Et votre miséricorde me suivra tous les
« jours de ma vie, afin que j'habite pendant de longs jours dans
« la maison du Seigneur K » Que pourraient ne pas espérer de la
divine miséricorde ceux que Jésus-Christ lui-même daigne con-
duire en demeurant au milieu d'eux, non seulement par sa pré-
sence dans la sainte Église qu'il inspire, mais par sa présence
personnelle, en corps et enàme, dans la Sainte Eucharistie? Que
pourraient ne pas espérer de Lui ceux qu'il appelle à la table
eucharistique, table terrible pour les démons, ceux qu'il invite à
boire son sang divin dans le calice préparé par lui-même ?Sa verge
les redressera s'ils s'écartent du droit chemin ; son bâton les sou-
tiendra s'ils faiblissent et les aidera à se relever s'ils tombent; il
leur donnera avec abondance l'huile de ses consolations; sa misé-
ricorde ne cessera pas un instant de veiller sur eux, jusqu'à ce
qu'ils entrent enfin dans la maison de l'éternité bienheureuse que
Dieu leur a préparée.
S. Augustin avait donc bien raison de dire que l'Eucharistie
est le sacrement de l'Espérance. Nous pourrions ajouter avec les
Pères que c'est un breuvage d'immortalité, que c'est le gage de
la résurrection seconde, selon cette parole de Notre-Seigneur
Jésus-Christ : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la
« vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour; » que c'est le
gage du salut éternel, un gage de vie et de gloire : autant de
titres qui font d'elle le sacrement de l'Espérance; mais nous en
avons dit assez pour justifier ce titre, et il faut montrer aussi
qu'elle est le sacrement de la charité par excellence.
Notre-Seigneur Jésus-Christ, en instituant la Sainte Eucharistie,
s'est proposé de donner un aliment à la vie surnaturelle de notre
àme, de rendre cette vie plus parfaite, et de la conserver en nous.
La vie surnaturelle de notre àme, c'est la grâce sanctifiante; c'est
elle que le sacrement de Notre-Seigneur fait croître, qu'il perfec-
tionne et qu'il garde en nous comme le plus précieux des biens.
Or, la grâce sanctifiante et la charité sont tellement inséparables
que Ion peut dire qu'elles sont une même chose; l'Eucharistie ne
1. Dominas régit mo et nihil milii deerit, etc. [Ps. xxii, per totum.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 589
peut développer, fortifier et conserver l'une sans qu'il en soit de
même pour l'autre. Nous avons dit que ce divin sacrement agit
ainsi, par lui-même, en ce qui concerne la foi et l'espérance : à
plus forte raison le fait-il pour la charité, qui est le but auquel
tendent les deux premières vertus théologales.
S. Thomas justifie en ces termes le nom de sacrement de la
charité donné à la Sainte Eucharistie : « Le corps du Seigneur
« s'appelle aussi le sacrement de la charité, à cause de trois effets
« qu'il produit, ou si l'on veut, de trois biens qu'il nous commu-
« nique principalement. Il nous fait participer très réellement à
« l'Esprit saint; il fait habiter véritablement en nous .Jésus-Christ;
« il nous transforme en l'image et ressemblance de Dieu ^ » Mais
nous ne pouvons entrer ici dans les développements qu'il donne
à sa pensée : qu'il nous suffise de constater que la Sainte Eucha-
ristie est pour lui le sacrement de la charité, à cause des effets
qu'il produit dans les âmes par le fait même qu'il est reçu.
Ajoutons que l'effet sacramentel de l'Eucharistie ne s'arrête pas
à la charité envers Dieu, mais qu'elle produit aussi la charité en-
vers les hommes et l'union avec eux; car l'amour de Dieu ne se-
rait pas complet, il ne serait pas véritable si l'on n'aimait pas
aussi les hommes à cause de Dieu.
Non seulement la Sainte Eucharistie produit directement en
nous la charité envers Dieu et envers le prochain, comme son effet
propre et sacramentel, mais elle la produit encore par tout ce
qu'il y a en elle qui nous invite à cet amour. La Sainte Eucharistie
a été instituée sous la forme d'un aliment et cet aliment divin,
lorsque nous le prenons, nous fait aimer celui qui est son propre
amour, celui que l'on possède du moment qu'on l'aime, dit
S. Anselme. Tout ce que Jésus-Christ a fait pendant qu'il a vécu
dans sa chair mortelle, il l'a fait pour être aimé de nous. Non
pas qu'il eût besoin de notre amour, lui qui n'a pas besoin de nos
biens, et qui se suffit à lui-même, mais parce que ceux qu'il avait
entrepris de rendre bienheureux ne pouvaient l'être qu'en l'ai-
mant. Ce ne fut pas seulement en nous aimant le premier, mais
en nous prévenant par mille marques d'amour, qu'il a voulu mé-
I. Corpus Domini nominatur sacramentiim c-harilatis, el secuiiduni hoc
très habel effectus, quia tria maxime bona operatur in nobis, scilicet Spiritus
sancli veram participalionem; ipsius Christi cerlam inhabitationem, iii simili-
tudinem imaginis Dei trausformationem. (S. TiioM., opusc. L\n, cap. x.w.)
o9Ô LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XII,
riter d'être aimé de nous. Pour y arriver, il a guéri nos maux,
ressuscité nos morts, choisi pour sa part ce qu'il y avait de plus
méprisable aux yeux du monde ; il a confondu les puissants, en-
seigné le mépris des choses de la terre, et l'amour des biens cé-
lestes. Il était en effet descendu vers nous pour ramener à lui, à
force de bienfaits et de mansuétude, notre amour corrompu et di-
visé entre mille objets terrestres. Il voulait transformer notre vie
en une vie nouvelle et élever jusqu'à lui nos cœurs purifiés de tout
attachement à ces misérables choses, dont l'amour est inconciliable
avec son saint amour ^
Lors donc que nous recevons cette chair adorable qui fut comme
l'instrument dont l'infinie bonté de Notre-Seigneur se servit pour
nous combler de tous les biens, cette chair par laquelle il a souf-
fert et il est mort pour l'homme, nous donnant ainsi la preuve la
plus grande qui soit possible de son amour pour nous, pourrions-
nous ne pas être touchés et ne pas aimer à notre tour un si généreux
ami? Le pourrions-nous lorsqu'il nous présente le calice enivrant
de son sang divin, qu'il a versé en notre faveur dans un temps où le
péché, dont nous étions esclaves, faisait de nous ses ennemis? Et
en le versant il a fait de nous ses amis, et des enfants de Dieu -.
En même temps que la Sainte Eucharistie nous rappelle les
motifs les plus pressants que nous avons d'aimer le Fils de Dieu
1. ut ergo ille ametur qui est ipse amor suus, et qui habetur ubi amatur,
ad hoc enutrire nos débet cibus iste. Quidquid enini Iledemptor noster in
carne fecit, ob hoc utique fecit ut amaretur a nobis : non quod egeret ipse
nostro amore, qui bonorum nostrorum non eget, per omnia sufficiens ipse
sibi; sed quia quos l)eatos facerc suscepernl, nisi cum amnndo non poterant
esse beati. Neque vero solummodo amore quo nos prior dilexit, sed omnimo-
dis amoris obsequiis, ut amaretur a nobis (|uodnmmodo iaborat mereri; in-
firma nostra curando, mortua resuscitando, ignobilia mundi eligendo, fortia
ejus confundendo, terrenorum odium, cœlestium amorem commcndando.
Idée quippe descenderat ad nos, ut amorem nostrum in terrenis dispcrsum et
putrefactum, bénéficia pietatis exhibendo in se colligeret, et in novitatem
vitae reformaret, et abstractum ac emendatum a fsece earum rerum quae cum
ipso pariter amari non possunt, secum sursum levaret. (S. Anselm., Ub. de
Sarramenlo altnris, p. II, cap. viii.)
2. Nemo majorem charitatem habet, quamut animarnsuamponatproamicis
suis. Si non est majus eximiœ benevolentiœ Icstimonium, quam si quis vitam
imparliat amico, gravius est Dominici sanguinis testimonium qui pro inimicis
effusus est. Efîusus pro inimicis, fecit amicos ac filios Dei : atque ut conside-
remus banc fore perpetuam amicitiarn, reliquit nobis edendam carnemsuam,
reliquit bihendum sanguinem, ut per cadem alteremur, per quaî sumus rc-
dempli. (S. Cyi'RIan., lib. de Duplici martyrio.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 591
notre frère et notre rédempteur, elle nous remet devant les yeux la
charité qui doit nous unir à nos frères. S. Jean l'Évangéliste dit,
dans sa première Épitre : « De même que le Christ a donné son
« âme pour nous, ainsi nous devons nous-mêmes donner nos âmes
« pour nos frères i ; » nous devons les aimer comme nous a aimés
celui qui a sacrifié sa vie pour nous. C'est en ce sens que S. Au-
gustin explique ce passage du livre des Proverbes : « Quand tu
tt seras assis pour manger à la table d'un puissant, considère at-
« tentivement ce qui est servi devant toi, et porles-y la main,
« sachant qu'il te faudra préparer des mets semblables -, » à ton
tour, c Vous connaissez cette table du Puissant, dit le saint doc-
« teur, c'est celle où sont servis le corps et le sang du Christ. Et
<r que signifient ces mots : préparer des mets semblables, sinon
« 'n:e de même qu'il a livré son âme pour nous, nous devons à
« notre tour livrer nos âmes pour nos frères, donner notre vie pour
« leur édification et pour affirmer notre foi 3. » Ailleurs S. Augus-
tin dit encore : « Quelle est cette table du Puissant, sinon celle où
« l"on se nourrit du corps et du sang de celui qui a donné son
« âme pour nous? Qu'est-ce que s'asseoira cette table, sinon en
« approcher avec humilité? Et qu'est-ce que considérer et com-
« prendre ce que sont les mets qui vous sont servis, sinon avoir
« des pensées dignes d'une si grande grâce? Qu'est-ce enfin que
« porter la main à ces mets en sachant bien qu'il faudra en prépa-
« rer de semblables, sinon, comme je l'ai déjà dit, reconnaître
<f que nous devons donner nos âmes pour nos frères, comme le
« Christ a donné son âme pour nous? Car selon la parole de l'a-
« pôtre S. Pierre : « Le Christ a souffert pour nous, nous laissant
« son exemple, afin que nous suivions ses traces. Voilà ce qu'il
« faut entendre par ces mots, « préparer des mets semblables ^. »
1. Ille animam suam pro nobis posuit, et nos debemus pro fratribus nostris
animas ponere. (/. Jonnn., m, Ul.)
■2. Si sederis cœnare ad mensam potentis, sapienter intellige quœ apponun-
tur tibi : et mitte manum tuam, sciens quia talia te oportet prieparare.
(Prnv., xxni. — Cité par S. Augustin d'après les Septonte.)
■i. Mensa potentis quai sit nostis : ibi est corpus et sanguis Christi : qui
accedil ad talein mensam, prœparet talia. Et quid est, pra-paret talia? Quo-
modo ipse pro nobis animam suam posuit, sic et nos debemus, ad œditican-
dam plebem et asscrendam fidem, animas pro fratribus ponere. (S. Auoust.,
tract. XL\'II in Joann., n. ^.)
i. Nam qu;e mensa est potentis, nisi unde sumitur corpus et sanguis ejus,
qui animam suam posuit pro nobis? Et quid est ad eam sedere, nisi luimi-
5Ùi H SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAI'. Xll.
S. Jean Clirysostonie parle en ces termes de l'union que crée la
Sainte Eucharistie entre tous ceux qui la reçoivent, en les unis-
siint tous à Jésus-Christ : « Ce n'est pas assez de dire que nous
sommes tous unis par la communion à un même corps : il faut
ajouter que nous sommes ce corps-là même auquel la commu-
nion nous unit. Qu'est-ce, en efl'et, que le pain de l'Eucharistie,
sinon le corps de Jésus-Christ? Or, que deviennent ceux qui le
reçoivent, sinon le corps même de Jésus-Christ qu'ils ont reçu,
non pour faire avec lui plusieurs corps, mais un seul corps? Car
di' mémo (pi'un pain composé de plusieurs grains de blé est tel-
lement uni en une seule masse, que la distinction des grains
n'y parait plus; de même aussi nous sommes étroitement liés et
unis en Jésus-Christ ; le corps dont l'un est nourri n'est pas dif-
férent de celui dont un autre est nourri, mais c'est le môme
corps »|ui est l'aliment de tous. C'est pour cela que l'Apôtre
ajoute que nous sommes tous participants du même pain. Si donc
nous tirons tous la vie d'un même corps duquel nous faisons
aussi partie, comment ne nous témoignons-nous pas les uns aux
autres une même charité qui nous unisse ensemble '? »
S. Jean Chrysostome dit encore : « De ce sacrifice terrible et
re<luutuble, nous ne devons approciier qu'avec un esprit de paix
el une ardente charité; afin qu'étant comme transformés en des
aigles nobles el généreux, nous nous élevions jusque dans le
ciel; puisque, selon la parole du Seigneur : Les aigles s as-
semblent où est le corps mort. C'est ainsi que Jésus-Christ ap-
pelle son corps, à cause de la mort qu'il a soufferte pour nous
faire vivre. Car s'il ne fût pas mort nous ne serions pas ressus-
« cités 2. » Soyons donc des aigles, des âmes sublimes qui ne re-
gardent que le ciel, et un môme lien de charité nous rassemblera
tous autour du corps adorable du Sauveur. Nous serons unis
entre nous, car nous le serons avec lui et en lui.
IfTfi? Kl(iuicl csl consiflerare cl intelligere quBe apponuntur tibi,
tanlani gratiain cogilare? VA i\\xu\ est sic miltere manum, ut scias
U' ojiorlet pra-parare, nisi quod jam dixi, quia sicut pro nobis
lîiiinam suain posuit, sic el nos debemus animas pro fratribus po-
nt eiiiiii ait ctiam aposlolus VcWwn : Chrislus pro nobis passus est,
, '< nnhiH cxemplum, ul sefju(t7nur vesligia ejm. Hoc est talin pra^parare.
«>. Ar(.LsT., tract. LXXXIV m Jounn., n. \.)
I. î>. J.CHHYsobT., hoin. XXIV in 1. ad Cor
% ID., ibid.
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 593
IL
LA SAINTE EUCHARISTIE NOUS COMMUNIQUE LES VERTUS DE PRUDENCE,
DE JUSTICE, DE FORCE ET DE TEMPÉRANCE
Nous avons dit un mot du concours précieux que cet adorable
sacrement apporte aux trois vertus théologales, du nouvel éclat,
de la nouvelle fécondité qu'il leur confère. Ces vertus sont seules
absolument nécessaires au salut, mais elles ne sont pas les seules
que nous ayons le devoir et le besoin de pratiquer. Au premier
rang des vertus que le Dieu de l'Eucharistie veut trouver en nous,
outre les trois dont nous avons parlé, il convient de placer celles
qu'on nomme les quatre vertus cardinales : la Prudence, la Jus-
tice, la Force et la Tempérance. Elles aussi trouvent dans le Très
Saint Sacrement de l'autel leur plus puissant moyen de développe-
ment et de conservation.
La Sainte Eucharistie est un pain de vie et d'intelligence, un
aliment qui procure la lumière. On ne s'étonnera donc pas si ceux
qui la reçoivent y puisent des trésors de sagesse et de lumière,
pour les éclairer sur la voie qu'ils doivent suivre, sur la conduite
qu'ils doivent adopter en tout ce qui concerne le véritable bien.
Jésus-Christ, qui se donne à eux, n'est-il pas la Sagesse divine? Il
est écrit au livre des Proverbes : « La Sagesse s'est bâti une
ce maison, elle o taillé sept colonnes. Elle a immolé ses victimes,
<r mêlé le vin et dressé sa table. Elle a envoyé ses servantes pour
« appeler ses convives à la forteresse et aux murs de la cité. Si
« quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi. Et à des insensés,
« elle a dit : Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous
« ai mêlé. Quittez l'enfance, et vivez, et marchez par les voies de
« la prudence ^. » La Sagesse de Dieu, le Verbe divin nous a donc
préparé une table ; le pain et le vin sont les aliments offerts à ses
invités. Ce pain et ce vin, qui ne sont autres que l'adorable Eucha-
ristie, à qui la Sagesse les ofïre-t-elles ? qui presse-t-elle d'y venir
prendre part? « Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi. Et
« à des insensés, elle a dit : Venez, mangez mon pain et buvez le
tt vin que je vous ai mêlé. » Et pourquoi sont-ce les enfants et les
insensés qu'elle appelle à manger son pain et à boire le vin qu'elle
1. Sapientia aedificavit sibi domum, etc. [Prov., ix, I-(>.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 38
594 U. SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
a prt'paré? Parce que les enfants et les insensés ont besoin de
sagesse et de prudence, et qu'ils en trouveront en prenant place à
ce festin mysti(iue : « Quittez l'enfance et vivez, et marchez par
* les voies de la prudence. » C'est de cette enfance, dont la Sainte
Eucharistie délivre et qu'il faut quitter, que S. Paul disait : « Ne
€ devenez pas enfants par l'intelligence; mais soyez petits enfants
c en malice, et hommes faits par l'intelligence K » C'est-à-dire :
Soyez sans malice, soyez simples, innocents et droits comme le
sont les enfants, mais non pas ignorants comme eux : ayez l'in-
telligence, la sagesse, la prudence qui font la perfection de
l'homme. Les enfants que la divine Sagesse appelle et qu'elle
veut rendre dignes de s'asseoir à sa table sont tous ces malheu-
reux qui, privés des lumières de la foi, vivent uniquement de la
vie des sens, comme l'enfant qui vient de naître, et ne compren-
nent rien aux choses de Dieu. Les insensés sont ceux qui ont connu
et repoussé la lumière, les pécheurs dont la vie est devenue sem-
blable à celle des animaux privés de raison. C'est à ces enfants et
à ces insensés que la divine Sagesse adresse son invitation. Qu'ils
commencent par entrer dans la maison qu'elle s'est construite,
dans la sainte Église, par la foi, l'espérance et la charité, et qu'ils
prennent place à sa table. Leurs ténèbres se dissiperont : l'aliment
divin qui leur sera servi leur donnera la prudence ; désormais ils
ne seront plus de ceux qui ne savent ni réfléchir sur le passé,
ni user comme il faut du présent, ni prévoir l'avenir. Ils com-
prendront leurs égarements d'autrefois et ils les pleureront; ils
sanctifieront tous leurs actes et ne feront rien qui puisse leur
attirer la colère de Dieu; ils prendront de sages résolutions, pour
assurer dans l'avenir leur fidélité au Seigneur et par conséquent
leur salut.
On lit dans le livre de l'Ecclésiastique : « Celui qui craint Dieu
« fera le bien, et celui qui garde la justice possédera la sagesse.
« Et elle viendra au-devant de lui comme une mère honorée; et
« comme une épouse vierge, elle le recevra. Elle le nourrira du
• p.iin de vie et d'intelligence, et elle l'abreuvera de l'eau de la
« sagesse qui donne le salut 2. . La crainte de Dieu pousse
». Noiitc pueri efflci sensibus : sed malilia parvuli estote, .sensibus autem
I" 'e. (/. Cor., XIV, 20.)
"^^ Deum, faciel bona ; el qui continen.s est justiliae apprehendet
iliam ; et obviabil illi quasi mater honorificata, et quasi mulier a virginitate
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 595
quiconque en est pénétré à faire le bien et à pratiquer la justice ;
or, « celui qui garde la justice possédera la sagesse », dit le texte
sacré. Et cette sagesse qui n'est autre que le Verbe divin, la sagesse
de Dieu même, semblable à une mère digne de tout respect et à
une tendre épouse, se montrera pour lui pleine des attentions les
plus délicates. « Elle le nourrira du pain de vie et d'intelligence,
« et elle l'abreuvera de l'eau de la sagesse qui donne le salut. »
Qui ne reconnaîtrait dans ce pain de vie et d'intelligence, dans
cette eau de sagesse qui donne le salut, l'adorable Eucharistie ? Le
Verbe de Dieu, Jésus-Christ, ne donne ce pain et ce breuvage
qu'à ceux qui déjà possèdent la vie et la sagesse. Mais il le leur donne
pour augmenter encore cette vie, cette intelligence, cette sagesse,
cette prudence nécessaires au salut. Le Sage ajoute : « Elle le
« maintiendra et il ne sera pas confondu ^. » Grâce à la prudence,
à la sagesse communiquée par cet aliment sacré, la persévérance
dans le bien sera facile à ceux qui auront pris place à la table du
Seigneur.
Peut-être s'étonnera-t-on que nous reconnaissions dans * l'eau
« de la sagesse qui donne le salut, » la Sainte Eucharistie ; mais
S. Jérôme a vu dans cette eau le symbole de l'adorable sacrement.
Paschase Rathbert affirme qu'il n'y a point de doute que dans le
mystère eucharistique, nous ne buvions cette eau dont le Seigneur
a dit : « Celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais
« soif; mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine
« d'eau jaillissante jusque dans l'éternité 2. » S. Cyrille interprète
de même ces paroles de Notre-Seigneur à la Samaritaine, et en
général les Pères, lorsqu'ils citent un passage de la Sainte Écriture
dans lequel il est parlé d'une eau mystérieuse, trouvent dans cette
expression une allusion à la Très Sainte Eucharistie 3.
Commentant ces paroles du Psalmiste : a Lesenfantsdes hommes
« espéreront à l'abri de vos ailes. Ils seront enivrés de l'abondance
suscipiet illum. Cibabit illum pane vitae et intellectus, et aqua sapientiae salu-
tarispotabit illum. {Eccli.,x\, 1-3.)
1. Et continebit illum, et non confundetur. (Eccli., xv, i.)
"■2. Nec dubium quin sub hoc mysterio, illam bibamus aquam, de qua Do-
minus : Qui hiberit (iiiquit) aqiuun qunm ego daho ei, fret in eo fons aqiœ sa-
Hentis in vitam œteniam. (Pasciias., lib. de Sacram., cap. xi.)
3. Vide : S. Cyrill. Alex, in cap. xciv Is. et ibid. in cap. xxx. — Vide
etiam Justin., in une secumla; A/Jolog.; — Tertull., lib. de Coron, mil., cap. xv,
et lib. de Prxscrip., cap. XL; etc.
59C L\ SAINTE EICHARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
« lie votre maison : et vous les abreuverez du torrent de vos dé-
t lices, parce qu'en vous est une source de vie et que, dans votre
. lumière, nous verrons la lumière. » S. Augustin dit que la source
lie vie est Jésus-Christ, qui est venu à nous dans la chair pour ra-
fraîchir nos gosiers altérés. Comme il a désaltéré ceux qui avaient
soif, il rassasiera ceux qui auront faim. En lui est la source dévie
et dans sa lumière nous verrons la lumière. Sur la terre, la source
et la lumière ne sont pas la même chose, mais en Jésus-Christ
il n'en est pas ainsi. Il est la source, il est la lumière, il est autre
chose encore si vous voulez lui donner un autre nom, parce qu'au-
cun des noms dont vous pouvez l'appeler ne dit complètement ce
qu'il est. Prétendez-vous qu'il est seulement lumière? On vous
objectera : C'est donc sans motif qu'il m'a été dit d'avoir faim et
soif'.' Car est- il quelqu'un qui mange de la lumière?... Mais il est
fontaine parce qu'il désaltère ceux qui ont soif, et il est lumière
parce qu'il illumine les aveugles. Les sources peuvent jaillir au
milieu des ténèbres, et le soleil darder ses rayons brûlants sur un
sol tiesséché. Mais en Jésus-Christ, l'eau ne peut pas être séparée
de la lumière; la source ne jaillit pas dans les ténèbres parce
qu'elle est lumière '.
Allons donc puiser à cette divine fontaine; approchons-nous
souventde la saintecommunion et recevons-la, avec un désir ardent
d'apaiser notre faim et notre soif, mais en même temps d'y trouver
la lumière et, avec elle, la sagesse, la prudence qui doit nous con-
duire. Les disciples d'Emmaiis ne furent-ils pas soudainement
éclairés, lorsque le divin Maître leur rompit le pain? Prenons
place, nous aussi, au«festin que le Seigneur nous a préparé, et
i. gui» estfonsvilae nisi Christus? Veiiil ad te in carne, utirrigaret fauces
tuas sitienles. Satiabit sporaritem, qui irrif,'avit sitientem. Quoniam apud te
e«t fons vitae, et in iuniine luo vidcbimus lumen. Hic aliud est fons, aliud
lumen : ibi non ita. Quod eniin est fons, hoc est et lumen, et quidquid vis
illud vocas, quia non est quod vocas. Quia non potes congruum nomen inve-
nire, non remanel in uno nomine. Si diceres quia lumen est solum, diceretur
tibi : Sine causa ergo niilii diclum est, ut esuriam et sitiam. Quis enim est
qui inanducal lumen? Illud plane recte mihi dictum est : Reatimundicordes,
tpionuim ijmi Deum vidchunf. Si lumen est, oculos meos parem. Para et fauces :
quia illud quod lumen est, et fons est : fons quia satiat silientes; lumen quia
iliunim.-it cH-cos. Hic aliquando alibi lumen, alibi fons. Aliquando enim cur-
runt fniiif.s et in tenebris : et aliquando in eremo pateris solem, non invenis
fonlein : hic ergo jmsunt isla duo esse separata : ibi non fatigaberis, quia
Ions est; non tenebraberis, quia lumen est. (S. August. in Ps. xxxv )
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 597
nous comprendrons par notre propre expérience que l'on y trouve
la véritable prudence, celle qui fait rechercher les vrais biens et
éviter les vrais maux.
La Sainte Eucharistie, lumière de nos âmes, pain et vin qui
nourrissent en nous et développent la vertu de prudence, est en
même temps un sacrifice et un aliment de justice.
La justice est une vertu qui a pour objet, d'une manière géné-
rale, de veiller aux intérêts des autres, sans exclure toutefois
quelque soin de ses intérêts propres : car l'homme doit être juste
envers lui-même et se rendre ce qu'il doit à sa propre personne.
Nous avons donc à pratiquer la vertu de justice envers Dieu d'a-
bord, envers le prochain ensuite, et enfm envers nous-mêmes. La
Sainte Eucharistie, sacrifice et sacrement de justice, nous ensei-
gnera la pratique de cette vertu et nous donnera les forces qui
nous sont nécessaires pour y progresser chaque jour.
Ce que nous devons avant tout à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit,
à l'adorable et indivisible Trinité, comme à la source première de
tous les biens, c'est le culte et l'honneur suprême. L'expression
par excellence de ce culte est le sacrifice; or, le sacrifice qui seul
mérite d'être offert à Dieu est le sacrifice de l'Eucharistie. C'est
par l'oblation de l'Eucharistie que Dieu se reconnaît dignement
adoré ; s'il reçoit avec faveur tout ce que nous pouvons faire et
même souffrir pour sa gloire, il daigne l'accepter uniquement en
union avec le sacrifice eucharistique et à cause de lui. Lorsque
Notre-Seigneur Jésus-Christ disait à la Samaritaine : « Femme,
« croyez-moi, vient une heure où vous n'adorerez le Père ni sur
<t cette montagne ni à Jérusalem ; mais l'heure vient où les v^ais
« adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ^ ; i> de quelle
adoration parlait-il, sinon de celle qui s'exprime par l'offrande du
sacrifice? En effet, jamais il ne fut interdit d'adorer Dieu en quel-
que endroit que ce fut, par la célébration de ses louanges ou par
d'autres prières; mais il n'était permis aux Juifs de lui offrir l'ado-
ration suprême, en aucun lieu autre que Jérusalem. Aujourd'hui,
cette adoration suprême est rendue en tout lieu au Seigneur, selon
la prophétie de Malachie : « Depuis le lever du soleil jusqu'à son
« coucher, grand est mon nom parmi les nations : et en tout lieu
\. Millier, crede milii, quia venit hora quando neque in monte hoc neque
in Jerosolyma adorabitis Patrem.... Sed venit hora quando veri adoratores
adorabunt Patrem in spiritu et veritate. (Joann., iv, 21, 23.)
598 UK SAINTE EUCyARlSTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
« l'on sacrifie, et une oblation pure est offerte à mon nom *. » Cette
oblation pure, ofl'erte partout au nom du Seigneur, ce sacrifice que
I>ieu demant-le et qu'il accepte en odeur de suavité, c'est la Très
Sainte Eucharistie.
Lo sacrifice que nous offrons à Dieu sur nos autels est un sacri-
fice de justice. Il mérite ce nom parce qu'il est la continuation,
sous une forme non sanglante, du sacrifice offert une fois sur la
croix, pour satisfaire à la justice de Dieu ; ou plutôt il n'est avec
lui qu'un seul et unique sacrifice. Mais, en même temps, n'est-il
pas souverainement juste que la créature rende à Dieu le culte
suprt^me qui n'atteint à sa perfection que par l'oblation du sacrifice
de nos autels? C'est en ce sens que Rupert entend ces autres paroles
du prophète Malachie : « Ils offriront au Seigneur des sacrifices
dans la justice -. » Malachie donne aux prêtres qui offriront ces sa-
crifices le nom de fils de Lévi ; mais il est évident que, sous ce
nom, il désigne les prêtres du Nouveau Testament, car il a dit
d'abord que les prêtres dont il parle offriront à Dieu cette oblation
pure (|ue le concile de Trente, à la suite de tous les Pères, a dé-
clarée n'être autre que le sacrifice eucharistique.
En offrant à Dieu ce divin sacrifice, ce n'est pas leur propre jus-
tice qu'offrent les prêtres du Nouveau Testament, mais celle de
Notre-.Seigneur Jésus-Clirist, qui est la justice môme. C'est lui qui
est notre justice, parce qu'il est la victime dont l'immolation a
seule satisfait pleinement à la justice de Dieu. Et parce qu'il est
notre justice et qu'il est présent dans l'Eucharistie, c'est bien un sa-
crifice de justice que nous offrons à Dieu dans cet adorable mystère.
Nous offrons à Dieu plus que sa justice ne pouvait exiger de nous;
nous lui rendons en même temps un culte infiniment plus parfait
et plus digne de lui, que ne pourraient le faire tous les esprits
célestes et toutes les créatures unissant leurs efforts.
Ouels ne doivent donc pas être nos sentiments, lorsque nous
offrons ce sacrifice terrible et redoutable, comme l'appelle S. Jean
Chrysostonie, ou que nous y assistons? Écoutons ce qu'en dit cet
illustre Docteur :
« Lorsqu'on vous présente le corps de Jésus-Christ, dites-vous à
! ' '^^n^que ad occasuin, magnum est nomenmeumingentibus,
"'"' . 'atur.etofîerturnominimeooblatiomunda. (i»/«/acA.,i,H.)
± Sarnficia in jiutitia, non in sua, sed in Dei justitia, in corpore et san-
joime Jfsu Clirisfi, qui e.st ipsorum justitia. (Rupert. in cap. m Malach.)
JÉSUS EUCHARISTIQDE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 599
« vous-mêmes : C'est ce corps qui a fait que je ne suis pas terre et
« poussière, que je ne suis plus captif, mais libre. C'est ce corps
« qui me donne l'espérance d'entrer un jour dans le ciel, de jouir
« de tous les biens qui s'y trouvent, d'obtenir la vie éternelle,
« d'être élevé à l'état des anges et d'être admis à la compagnie de
« Jésus-Christ. La mort n'a pu détruire ce corps par les clous dont
« il a été percé, ni par les coups dont il a été meurtri. Le soleil,
« voyant ce corps attaché a une croix, en a détourné ses rayons et
« s'est obscurci ; ce corps, en mourant, a fait déchirer le voile du
a temple, fendre les pierres et trembler la terre. C'est ce corps
« tout ensanglanté, qui, ayant été ouvert du fer d'une lance, en a
« fait rejaillir deux vives sources, l'une de sang et l'autre d'eau,
«' qui ont répandu le salut par tout l'univers. Autrefois les Mages
« ont témoigné de la révérence pour ce corps, lors même qu'il
« n'était que couché sur une crèche et dans une étable : ce n'est
« plus sur une crèche que nous le voyons, mais sur un autel ; ce
« n'est plus entre les bras d'une femme, c'est entre les mains du
« prêtre et sous les ailes du Saint-Esprit qui descend sur les obla-
<i tions sacrées, avec une grande abondance de grâces. Or, nous
« ne voyons pas seulement ce même corps que virent les Mages,
« nous en connaissons la vertu. Témoignons donc, s'il est possi-
«t ble, beaucoup plus de vénération pour ce corps que ces rois
« barbares n'en firent paraître, de peur qu'en nous approchant
€ d'une manière indigne, nous n'amassions sur nos têtes des char-
«r bons ardents K »
Ajoutons encore que ce divin sacrifice est un sacrifice de justice
vis-à-vis de Dieu, parce qu'il nous aide, par sa vertu propre, à
nous libérer des dettes dont, même après le pardon des fautes
graves, nous lui sommes redevables, soit parce que nous n'avons
pas fait une pénitence suffisante des péchés pardonnes, soit parce
que nous avons commis des fautes qui, pour n'être pas bien graves,
nous rendent néanmoins passibles d'un châtiment, et que nous
n'en avons pas encore obtenu la rémission entière. L'oblation du
saint sacrifice est une satisfaction que Dieu accepte, dans la me-
sure qu'il lui plait, et parce que nous sommes tenus, en rigueur
de justice, à satisfaire pour nos fautes, ce sacrifice qui satisfait pour
nous est encore, à ce titre, un sacrifice de justice.
\. S. J. Chrysost., hom. XXIV in /. ad Cor.
600 U SAINTE EUCHARISTIE. — II« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
La Sainte Eucliaristie est aussi un mystère de justice envers le
prochain, parce qu'elle porte cette vertu à sa plus haute perfection.
Nous avons vu que la charité fraternelle trouve son aliment et
son ressort leplusprécieux et le plus efficace dans la Sainte Eucharis-
tie. C'est par elle que nous devenons tous ensemble un seul corps en
Jésus-Christ; c'est elle qui nous enseigne à sacrifier notre vie pour
le prochain à l'exemple de Jésus-Christ, et qui nous donne la force
de le faire si l'occasion le demande. Si donc la Sainte Eucharistie
allume dans nos âmes un tel feu de charité que nous soyons prêts
à livrer raéme notre vie pour le prochain, à plus forte raison n'hé-
siterons-nous pas, nourris et fortifiés par elle, à rendre largement
et libéralement aux autres tout ce qui leur est dû.
Qu'on nous permette de citer encore une page de S. Jean Chry-
soslome. 11 se plaint de quelques divisions qui existaient entre les
chrétiens; et pour les engagera plus de charité et d'union, il leur
dit : * Respectez, mes Irères, respectez cette sainte Table, dont
« nous sommes tous participants, et cet Agneau égorgé, dont on
• nous sert ici la chair, après qu'elle a été offerte en sacrifice. Les
« voleurs mêmes qui mangent ensemble cessent d'être voleurs,
t les uns à l'égard des autres, dès qu'ils ont pris place à la même
« table. Cette union les transforme en quelque sorte ; de cruels
« qu'ils étaient auparavant, comme des tigres, ils deviennent doux
« comme des agneaux. Et nous qui mangeons un pain et une
0 chair aussi respectables, et à la même table, nous ne laissons
« pas de nous armer les uns contre les autres, lorsque tous en-
« semble, nous devrions nous armer contre le démon, notre
« ennemi commun. C'est là ce qui nous rend tous les jours si
« faibles et ce qui rend le démon si fort. — Mais quel moyen,
• direz-vous, d'étouffer pour jamais cette guerre contre nos frères?
« Ce sera en vous souvenant que lorsque vous leur dites quelque
« chose d'olTensant, c'est un membre de Jésus-Christ même que
« vous déshonorez, que c'est votre propre chair que vous déchirez.
« — .Mais il m'a offensé, dites-vous? Gémissez pour lui. — Il
« ma fait grand tort? Pleurez-le, non pour le tort qu'il vous a fait,
« mais pour le tort qu'il s'est fait à lui-même. Jésus-Christ a
« pleuré Judas, non parce qu'il le vendait, mais parce qu'il se
« perdait. Votre frère vous a outragé? priez donc Dieu prompte-
« ment qu'il le lui pardonne. C'est un de vos membres; il a reçu
• la naissance avec vous, et dans le sein de la même mère. »
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 601
Nous n'ajouterons rien aux paroles ardentes et lumineuses de
S. Jean Ghrysostome. Elles nous font voir assez comment la Sainte
Eucharistie nous enseigne et nous donne la vertu de justice envers
nos frères.
Justes envers Dieu et envers le prochain, nous avons un égal
besoin de l'être envers nous-mêmes. Or nous serions injustes si
nous ne reconnaissions pas notre propre dignité, si nous ne faisions
pas ce qu'il faut pour procurer à notre âme et à notre corps lui-
même l'éternelle félicité pour laquelle l'une et l'autre ont été
<îréés, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ leur a méritée au prix
de tant de sacrifices.
Où donc pouvons-nous mieux apprendre qu'en présence de l'a-
dorable Sacrement de nos autels le respect que nous nous devons .
à nous-mêmes? Oserions-nous mépriser une créature que le Fils
même de Dieu ne dédaigne pas de visiter, pour laquelle il s'im-
mole, à laquelle il se donne lui-même en nourriture? Il est vrai
que le souvenir de nos fautes et de nos misères doit nous inspirer
une profoïide et salutaire humilité ; mais il est vrai qu'en même
temps, nous devons nous dire avec S. Augustin : « Reconnais,
« chrétien, ta dignité. » Est-il permis de mépriser celui que Dieu
honore? Méprisons et pleurons nos péchés qui ont sali et défiguré
notre âme, mais ne méprisons ni cette âme à laquelle Dieu daigne
s'unir pour lui rendre toute sa beauté ; ni même ce corps, compa-
gnon fidèle de notre âme, destiné à partager son sort pendant
cette vie et pendant l'éternité.
La justice, outre le respect pour nous-mêmes, réclame que nous
n'attirions pas sur nous les maux innombrables qui, dans ce
monde et dans l'autre, sont la conséquence inévitable du péché. II
n'est pas plus conforme à la justice de perdre notre corps et notre
àme, qu'il ne le serait de perdre le corps et l'àme du prochain :
■ce que nous devons aux autres sous le rapport du salut, à plus
forte raison nous le devons-nous à nous-mêmes. Or, c'est dans la
Sainte Eucharistie que nous trouvons, avec une abondance iné-
puisable, les secours dont nous avons besoin pour éviter les maux
spirituels dont nous sommes sans cesse menacés, et pour les guérir
s'ils nous ont atteints. C'est elle aussi qui nous délivre des maux
corporels, non pas toujours en les faisant disparaître, mais en
nous aidant à les transformer en biens. Grâce à la Sainte Eucha-
ristie, nous pouvons donc remplir dans toute leur plénitude nos
602 L.\ SAINTE ErCHARISTIE — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
devoirs de justice envers Dieu, envers le prochain et envers nous-
nit^nies.
La troisième des vertus cardinales, nécessaires à tout chrétien
nui veut servir Dieu fidèlement ici-bas, est la vertu de Force.
C'est encore la Sainte Eucharistie qui est par excellence l'aliment
de cette vertu. On l'appelle « le pain des jeunes hommes, » partis
juvenum: t le pain qui affermit le cœur, » panis cor confinna7is r
* Ta liment des grands et des robustes, » cibus grandium, ac ro-
fntsforuni.
La force nous est nécessaire pour accomplir vaillamment nos
devoirs, pour résister à nos ennemis et les vaincre, pour suppor-
ter généreusement toutes les épreuves de cette vie et, s'il le faut,
verser même notre sang, à l'exemple des martyrs.
Notre-Seigneur Jésus-Christ avertit ses apôtres qu'ils rendraient
témoignage de lui. Ils ont rendu ce témoignage par l'effusion de
leur sang, mais ils l'ont rendu d'abord par la sainteté de leur
vie : € Vous êtes la lumière du monde, » leur dit le divin Maître;
« Que votre lumière reluise donc de telle sorte aux yeux des
« hommes, qu'en voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre
« Père ^ui est dans les cieux i. » Pratiquer les bonnes œuvres,
faire le bien et éviter le mal, donner un salutaire exemple qui ra-
nièiie à Dieu les cœurs éloignés de lui, voilà donc le devoir, non
^seuIement des apôtres, mais de quiconque veut se montrer digne
du titre de chrétien.
•S. Jean Ghrysostome disait à ses auditeurs, en expliquant ces
paroles du divin Maître : « Que votre lumière luise, c'est-à-dire,
« qu'il y ait en vous une grande vertu, que le feu de la charité
* brille dans vos cœurs, et que sa lumière éclate au dehors. Car,
« lors<iue la vertu est dans cette haute perfection, il est impossible
« qu'elle demeure inconnue, quelque effort que puisse faire celui
«' qui la possède, pour la cacher. Rendez donc toute votre vie
* irrépréhensible aux yeux des hommes, et qu'ils ne trouvent en
« vous aucun prétexte de vous accuser 2. » Ainsi ont fait les
' 'rcs, ainsi font toutes ces saintes âmes qui, depuis dix-neuf
• ^'-8, illuiiiin^'iit l'Église de Dieu par l'éclat de leurs vertus.
\. Nos f-,tis lux rnundi.... Sic Iuce;il lux veslra coram hominibus, ut videant
ïrVfT^''^'* ^'**"'^' ^"'fc''^"^*^^"^ Patrern vestrurn, qui in cœlis est. {Matth., v,
2. S. J. CfiRvsosT., hom. XV in Matth.
JÉSUS EDCHARISTIQDE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 603
Mener une telle vie n'est pas possible à l'homme sans un secours
surnaturel, et parce que tous y sont appelés, il faut que ce secours
soit à la portée de tous et que chacun sache bien où il peut le
trouver.
On lit au IIP livre des Rois, que le prophète Élie, épuisé de
fatigue et de faim s'endormit, à l'ombre d'un genévrier, dans le
désert, en attendant la mort : « Et voilà qu'un ange du Seigneur
« le toucha, et lui dit : Lève-toi, et mange. Il regarda, et voilà au-
« près de sa tête un pain cuit sous la cendre et un vase d'eau; il
« mangea donc et but, et de nouveau il s'endormit. Et l'ange du
« Seigneur revint une seconde fois, le toucha, et lui dit : Lève-toi
« et mange, car il te reste un grand chemin. Et lorsqu'il se fut
« levé, il mangea et but; et il marcha fortifié par cette nourriture,
« quarante jours et quarante nuits, jusqu'à Horeb, la montagne
« de Dieu K » Nous aussi nous avons un grand voyagea accomplir.
Le chemin de la vie qui doit nous conduire à la montagne du Sei-
gneur est rude à parcourir ; comme le prophète, nous sentirions
bientôt nos forces défaillir dans ce désert aride, mais comme lui,
nous avons, par la miséricorde de Dieu, un pain tout préparé, le
pain des anges qui nous donne la force de marcher sans nous las-
ser jamais, et d'arriver au ciel, pourvu que nous le prenions toutes
les fois que nous craignons quelque défaillance, c'est-à-dire le plus
souvent possible, car nous sommes toujours exposés à tomber.
S'il n'y avait à surmonter que les fatigues du chemin, ce serait
déjà trop pour notre faiblesse, comme c'était trop pour le pro-
phète Élie, avant qu'il eût mangé le pain mystérieux, et comme
lui nous aurions besoin d'un secours extraordinaire; mais de plus,
à chaque pas nous avons des luttes à soutenir. Nos ennemis nous
entourent; acharnés à notre perte, ils ne nous laissent pas un
moment de sécurité ; et les plus redoutables ne sont pas ceux du
dehors, mais ceux que nous portons en nous-mêmes, nos inclina-
tions mauvaises, notre faiblesse, nos passions. « Qui pourrait ré-
sister aux attaques incessantes des esprits immondes, demande
S. Laurent Justinien ', et remporter définitivement la victoire sur
de pareils ennemis, sans un secours venu du ciel, sans l'aliment
que le Verbe de Dieu nous a préparé? Que personne ne s'attribue
1. Lib. ///. Heg., cap. .\l.\.
2. S. Laurent. Justin., lib. de Disciplina et per/ectione monasticx conversa-
tionis, cap. xix.
604 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
la victoire; que personne ne présume de ses propres forces, mais
que chacun, pour les bonnes œuvres qu'il a faites, rende grâces à
Dieu et qu'il revendique pour le Seigneur des armées tout l'hon-
neur du triomphe remporté sur ses ennemis. Car c'est lui qui
arrache ses élus des mains de ceux qui les persécutent; c'est lui
qui mène paître ses brebis sur les hautes montagnes et dans les
gras pâturages; c'est lui dont la miséricorde les protège contre
les incursions des animaux carnassiers. Il choisit ses soldats; il
leur donne la force de résister aux puissances de l'air, et de com-
battre avec persévérance. Et lorsqu'ils reviennent auprès de lui,
après le combat, il les soigne tendrement et leur donne pour nour-
riture son Sacrement divin. Oh ! qu'ils sont salutaires les aliments
que Dieu nous donne! Qu'ils sont invincibles les remparts qu'il
élève autour de nous! Quelqu'un a-t-il senti couler dans ses veines
le venin du démon? quelqu'un a-t-il été blessé par le péché? qu'il
recoure en toute hâte à la confession qui guérira ses blessures.
Quelqu'un est-il atteint d'une langueur mortelle, ou fatigué par
le combat, et désire-t-il réparer ses forces? Qu'il reçoive digne-
ment les mystères sacrés du Corps de Jésus-Christ : sur-le-champ.
il recouvrera la santé, et avec elle toute sa vigueur première. »
Mais outre la force pour combattre et nous défendre contre nos
ennemis, nous avons encore besoin de force et de courage pour
supporter les épreuves et les souffrances de toutes sortes aux-
quelles nous sommes exposés ici-bas. S. Gyprien, en traitant de
rOraison dominicale et particulièrement de la demande que nous
faisons à Dieu pour qu'il nous donne notre pain de chaque jour,
témoigne la crainte qu'il éprouve pour le salut de ceux qui né-
gligent pendant un temps notable de s'approcher de la Très Sainte
Eucharistie; car, dit-il, le démon ne se donne pas de relâche, et
il ne cesse pas de lancer contre les fidèles ses traits enflammés.
Ailleurs il affirme que le courage surhumain des martyrs, au mi-
lieu des tourments les plus cruels, procède de l'Eucharistie; aussi
était-il d'avis qu'on reçût à la communion ceux qui étaient tombés
une première fois, afin de leur donner la force de triompher s'ils
étaient de nouveau livrés aux bourreaux, dans la persécution pro-
chaine que l'on attendait. « Que l'armée du Seigneur, écrivait-il,
« soit toute prête pour le combat. On a raison d'imposer une longue
« pénitence à ceux qui pleurent leur chute, et d'attendre, pour
« leur venir en aide, qu'ils soient malades et sur le point de mou-
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 603
« rir; cette conduite est bonne tant que régnent la paix et la
« tranquillité, et qu'il est possible d'assister les pénitents en dan-
« ger de mort. Mais maintenant ce n'est pas aux malades, c'est aux
« bien portants que la paix est nécessaire ; ce n'est pas aux mou-
« rants mais aux vivants que nous devons donner la communion,
« afin de ne pas laisser nus et sans armes ceux que nous excitons
a et que nous exhortons au combat. Et parce que l'Eucharistie
« est consacrée pour que ceux qui la reçoivent puissent y trouver
<f une protection efficace, armons ceux que nous voulons fortifier
« contre les coups de l'ennemi en les rassasiant du pain du Sei-
« gneur. Car comment enseignerons-nous et exciterons-nous à
« confesser le nom de Jésus-Christ, jusqu'à l'effusion de leur
« propre sang, ceux qui sont appelés à combattre, si nous leur re-
« fusons le sang du Seigneur? Comment les rendrons-nous aptes
« à boire le calice du martyre, si nous ne les admettons pas d'a-
« bord à boire, dans l'église, celui du Seigneur en leur permet-
« tant la communion ^ ? »
Plus loin, il dit encore : « Celui que l'Église n'a pas armé pour
« le combat n'est pas préparé au martyre ; l'âme est sans force
« lorsque la réception de l'Eucharistie lui manque pour l'élever et
« l'enflammer -. »
S. Augustin attribue à la sainte communion le courage avec
lequel S. Laurent et S. Vincent ont supporté les tourments les plus
cruels 3 ; leurs corps étaient comme insensibles à tout ce que la
fureur des bourreaux pouvait inventer, parceque leurs âmes étaient
1. Exercitus Domini ad certamen militiae cœlestis armetur. Merito eniin
trahetur dolentiumpœnitentia tempore longiore, ut infirmis in exitii subveni-
retur, quandiu quies et tranquillitas aderat; qu?e dilferre diu plangentium
lachrymas, et subvenire sero morientibus in infirmitate pateretur. At vero
nunc non infirmis sed fortibus pax necessaria est; nec morientibus sedviven-
tibus communicatio a nobis danda est, ut quos excitamus et hortamur ad
praelium non inermes et nudos relinquamus. Et cum ad hoc fiât Eucharistia,
utpossit accipientibus esse tutela : quos tutos esse contra adversarium volu-
mus, munimenlo Dominical saturitatis armemus. Nam quomodo docemus aut
provocamus eos in confessione nominis sanguinem suum fundcre, si eis mili-
taturis, Christi sanguinem denegamus? Aut quomodo ad marfyrii poculum
idoneos facimus, si non eos prius ad bibendum in Ecclesia poculum Domini,
jure communicationis adinittimus? (S. Cyprian., Epist. LIN.)
2. Idoneus esse non potest ad martyrium, qui ab Ecclesia non armatur ad
praelium ; et mens déficit, quam non recepta Eucharistia erigit et accendit.
(Id., ibid.)
3. S. AuuusT., tract. XXVII in Joann. et serm. XIII t/c Sunctis.
606 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
vivifiées et soutenues par l'Esprit de Dieu. Ils avaient dignement,
mangé la chair et bu le sang de Jésus-Christ. Jésus-Christ était en
eux, il combattait avec eux et leur donnait la victoire. •
Mais si l'on veut savoir quelle force la Sainte Eucharistie pro-
cure à ceux qui la reçoivent bien, soit pour pratiquer fidèlement la
vertu, soit pour résistera tous les ennemis extérieurs ou intérieurs,
aux persécuteurs aussi bien qu'aux démons, aux passions et aux
tentations de toutes sortes, qu'on lise la vie des saints ; à chaque
page on trouvera des preuves que cet adorable sacrement a été
pour eux la source de cet héroïsme surnaturel qui confond les enne-
mis de Dieu et plonge dans l'admiration les anges et les hommes.
Il nous reste à dire un mot de la vertu de tempérance, la qua-
trième des vertus cardinales. Elle aussi trouve dans la Sainte Eu-
charistie son aliment et son soutien le plus efficace.
Cette vertu consiste dans la domination qu'on exerce sur ses
aiïections, ses passions, ses instincts, qu'on subordonne aux fins
plus élevées que doit atteindre la volonté. Elle a pour compagnes
la sobriété dans toutes les jouissances corporelles et spirituelles, la
modération, c'est-à-dire l'éloignement de toute exagération, la
bienveillance, la douceur, l'humilité; dans un sens strict, la chas-
teté, la continence.
Il suffit de se rappeler les paroles de notre divin Sauveur:
« Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi
« et je demeure en lui i ; » et celles du grand Apôtre: « Je vis, mais
« cen'estplus moi, c'estle Christ qui vitenmoi 2, » pourcomprendre
que la vertu do tempérance, telle que nous l'avons définie, a, dans la
sainte communion, un secours d'une efficacité merveilleuse. Pour
que tout suit parfaitement pondéré en nous , pour que nous évi-
tions tous les excès, même dans la pratique du bien, car alors le
bien n'en serait plus un, mais un désordre et un mal, rien ne peut
nous être plus utile que la présence en nous de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, et avec lui des deux autres Personnes de l'adorable
Trinité. N'est-il pas le Dieu dont il est écrit : « Vous avez disposé
« toutes choses avec mesure et nombre et poids 3? » Si Jésus-
Christ vit en nous comme il vivait en S. Paul, s'il est notre vie,
1. Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et
'•go in illo. {Joann., vi, !J7.)
2. Vivo auUrm, jam non ego; vivit vero in me Christus. {Galat., 11, 20.)
3. Scd omnia in mensura, et numéro, et pondère disposuisti. {Sap., xi, 21.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 607
notre règle, et qu'en toutes choses nous agissions selon son esprit,
il est évident que toutes nos affections, toutes nos passions, tous
nos instincts devront subir son ifluence, prendre la direction qu'il
lui plaira de leur imprimer, par conséquent servir à notre avan-
cement dans le chemin du bien, loin d'entraver notre marche. Mais
outre cet effet, que produit par elle-même la présence de Jésus-
Christ reçu dans son saint Sacrement, on comprend combien celui
qui communie souvent et qui s'efforce de le faire, comme le de-
mande une action si sainte, est nécessairement éloigné de tout
excès, de tout désordre même léger, par le souvenir de la commu-
nion qu'il a faite et par la pensée de celle à laquelle il se prépare.
Manquer de modération dans ses pensées, ses paroles et ses actes,
jusqu'à se rendre coupable de quelque faute envers Dieu et de
scandale envers le prochain, lui semblerait un crime. Il sera
donc tempérant en toutes choses ; il évitera ce qui serait un véri-
table excès, même dans la pratique des actes naturellement bons.
Surtout il se mettra en garde contre les plaisirs des sens, tou-
jours si dangereux, quels qu'ils soient, même lorsqu'on ne dépasse
pas les bornes tracées par la loi de Dieu. Peut-on vivre de la vie
de Notre-Seigneur Jésus-Clirist, l'homme des souffrances ici-bas,
Vw dolorum, comme l'appelle le prophète, et rechercher toutes
ses satisfactions ? Peut-on s'unir cœur à cœur au Dieu qui est
venu sur la terre, nous enseigner à marcher après lui dans la
voie étroite et difficile qui mène au ciel, et rechercher ses aises?
Peut-on, lorsqu'on l'a reçu par la sainte communion, lui qui a
vaincu tous nos ennemis, se laisser dominer encore par les ins-
tincts naturels, et par les passions, par l'orgueil, l'avarice ou
quelque vice que ce soit ? Non, l'àme qui s'unit à Dieu en recevant
la Sainte Eucharistie doit être maîtresse d'elle-même ; elle doit
faire à son hôte divin les honneurs de sa maison, et ne permettre
pas que rien, qu'aucun excès puisse blesser les regards de celui
qui demeure en elle, afin qu'elle demeure en lui.
III.
LA SAINTE EUCHARISTIE NOUS DONNE l'eSPRIT d'hUMILITÉ, DE PAUVRETÉ,
DE CHASTETÉ ET d'oBÉISSANCE
Toujours et partout, Notre-Seigneur Jésus-Christ fut pour nous,
pendant sa vie mortelle, le modèle de l'humilité parfaite ; ce n'est
tiO« L.\ SAINTE KCCIIARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. - CIIAP. XII.
pas en vain qu'il a dit: « Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur '. » S. Augustin dit quelque part : « Nommer le
« Christ, c'est faire de l'humilité l'éloge qui doit nous toucher le
« plus ; car nous nous étions éloignés de Dieu par l'orgueil, et c'est
« par l'humilité qu'il nous a préparé le chemin du retour 2. » Toute
la vie do Jésus-Christ, tous ses mystères, nous enseignent les mé-
rites et la pratique de celte précieuse vertu ; mais c'est dans le
mystère de l'Eucharistie qu'elle resplendit avec le plus vif éclat,
c Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit encore S. Augustin, a voulu
que son corps et son sang fussent notre salut. Et comment nous
recommande-t-il l'usage de son corps et de son sang? Par son
humilité. S'il n'était pas humble, sa chair ne serait pas mangée
et l'on ne boirait pas son sang. Considérez sa grandeur: Au
counnencement était te Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le
Verbe était Dieu. Voilà l'aliment éternel. Les anges le mangent^
les vertus d'en haut le mangent, les esprits célestes le mangent;
ils le mangent et s'en engraissent, et ce qui les rassasie et les
réjouit demeure intact. Mais quel homme pourrait se nourrir
d'un tel aliment? D'où lui viendrait un cœur digne de le rece-
voir? 11 fallait donc le transformer en lait pour le mettre à la
p<3rtée des petits. Comment la nourriture devient-elle du lait,
sinon par le moyen de la chair? C'est la mère qui accomplit ce
changement. Ce qu'elle mange, l'enfant le mange ; mais parce
quf l'enfant n'est pas encore capable de se nourrir directement
de pain, la mère assimile à sa chair ce pain que ses mamelles
transforment mystérieusement en lait ; et c'est ainsi que la mère
nourrit son enfant de pain. Et maintenant comment la sagesse
de Dieu nous nourrit-elle de pain, à son tour? Le Verbe s'est
fait chair et il a habité panni nous. Voyez comme l'humilité
éclate en ce mystère dont il est dit que l'homme a mangé le pain
des anges, selon la parole de l'Écriture : // leur a donné le
pain du ciel ; r homme a mangé le pain des anges. Il a mangé
ce Verbe dont les anges se nourrissent éternellement, ce Verbe
égal au Père selon la parole de S. Paul : Étant dans la forme de
DieUy il n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faille égal
\. IdHcite a me quia mitis sum et humilis corde. {Matth., xxi, 20.)
ii. Cum ergo Chrislum nomino, fratres inei, maxime nobis liumilitas com-
mcndntur. Viain eniin iiohis fecit per humilitatem, quia per superbiam reces-
Mraniu- a Deo. (S. Al'gust. in Ps. x.xxiii, serm. 1.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MUDÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 609
« à Dieu. Les anges s'engraissent de lui : Mais il s est anéanti
« lui-même, pour que l'homme mangeât la nourriture des anges;
€ il a pris la forme d'esclave, ayant été fait lui-même semblable
« aux hommes, et reconnu pour homme par les dehors. Il s'est
« humilié lui-même, s' étant fait obéissant jusqu à la mort et à
« la mort de la croix, pour que de la croix nous recevions son
< corps et son sang, la victime du nouveau sacrifice '. »
La véritable humilité est la reconnaissance, la confession de son
propre néant, en présence de la grandeur infinie de Dieu à qui
l'on doit tout, et à qui l'on se soumet entièrement, en disant avec
le Psalmiste : « Est-ce que mon àme ne sera pas soumise à Dieu?
a car c'est de lui que vient mon salut : >^ Nonne Deo subjecta erit
anima mea ? Ab ipso enim salutare meum ~. Être humble, c'est
dire, au plus intime de son âme : Tout mon être selon la nature
et selon la grâce, mon existence, ma vie, le bien que je fais, tout
vient de Dieu ; de moi-même je ne fais rien, je ne possède rien. Je
n'ai à moi que mes défauts et mes péchés. Il est donc juste que je
m'abaisse profondément en présence d'une si grande majesté, qui
est pour moi la source de tout bien. S'il y a quelque bien en moi,
1. Dominus noster Jésus Chrislus in corpore et sanguine suo voluit esse
salutem nostram. l'nde autem commendavit corpus et sanguinem suum ? De
humilitate sua? Nisi enim esset humilis, nec manducaretur, nec biberetur.
Respice altitudinem ipsius : « In principio erat A'erbum, et^■erbum erat apud
« Deum et Deus erat Verbum. » Ecce cibus sempiternus : sed manducant
angeli, manducant supernae virtutes, manducant cœlestes spiritus, et mandu-
cantes saginantur, etintegrum manet quod eos satiat et laetifîcat. Quis autem
homo posset ad illum cibum ? Unde cor tam idoneum illi cibo ? Oportebat
ergo ut mensa illa lactesceret, et ad parvulos perveniret. Unde autem fit cibus
lac? unde cibus in lac convertitur, nisi per carnem trajiciatur? Nam mater
hoc facit. Quod manducat mater hoc manducat infans : sed quia minus ido-
neus est infans, qui pane vescatur, ipsum panem mater incarnat, et perhumi-
litatem mammillae et lactis succum, de ipso pane pascit infantem. Quomodo
ergo de ipso pane pavit nos Sapientia Dei? « Quia Verbum caro factum est, et
(( habitavit in nobis. » Videte ergo humilitatem : quia panem angelorumman-
ducavit homo; ut scriptum est : « Panem angelorum dédit eis, panem angelo-
<( rum manducavit homo : » id est, Verbum, illud quo pascuntur angeli sem-
piternum, quod est œquale Patri, manducavit homo : quia « cum in forma
« Dei esset, non rapinam arbitratus est esse œqualis Deo. » Saginantur illo
angeli: « Sed semetipsum exinanivit, ut manducaret panem angelorum homo,
« formam servi accipiens, in simililudinem hominum factus,et habitu invon-
« tus ut homo, humiliavit se factus obediensusque ad mortem, morfem autem
« crucis : «ut jam de crues commendaretur nobis caro et sanguis Domini
novum sacrificium. (S. August. iîi Ps. xxxiii, serm. \.)
2. Ps. i.M, 1.
Là sainte eucharistie. — t. IV. 39
610 U\ SAINTE EUCHARISTIE. — H' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
c'est à lui seul qu'en doit revenir tout l'honneur ; moi je n'ai droit
qu'au mépris et à la confusion, à cause de mes innombrables
fautes.
Il est impossible ù l'homme d'exprimer d'une manière plus par-
faite que par le sacrifice, ce souverain domaine, cette supériorité
infinie de Dieu et son propre néant. Or, la Sainte Eucharistie est
notre sacrifice. Le prêtre qui l'ofl're est Notre-Seigneur Jésus-Christ
liii-inrine, dans la personne de son ministre. La victime offerte,
c'est encore lui. Il s'offre à son Père comme homme, et il s'offre
chariré de toutes les iniquités des hommes dont il accepte la res-
ponsabilité en présence de la justice divine. Non seulement il re-
connaît son néant comme créature, tout en n'ignorant pas les tré-
sors infinis de grâces qui sont en lui, mais qu'il doit tout entiers
A la divinité; il se présente de plus redevable à Dieu des dettes
immenses accumulées par ceux dont il tient la place. Prêtre et
victime, il accomplit donc sur nos autels, comme autrefois sur la
croix, cet acte d'humilité qu'admirait tant S. Paul, de la part de
celui qui, étant Dieu et égal au Père, s'est humilié, se faisant obéis-
sant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Cet acte d'humilité,
il le renouvelle chaque fois qu'un prêtre monte à l'autel et pro-
nonce sur le pain et sur le vin les paroles de la consécration. Et
lorsque les paroles sont prononcées, lorsque le glaive mystique a
immolé la victime, Jésus-Christ reste sur l'autel, dans cet état
df victime, dans cet état d'abaissement et d'humiliation, en pré-
sence de son Père, jusqu'à ce que les saintes Espèces soient con-
sommées. Si elles ne le sont pas toutes, si plusieurs hosties de-
meurent et sont renfermées dans le tabernacle, l'humble victime
sera toujours là, dans son état d'abaissement, on dirait presque
d'anéantissement, jusqu'à ce que les espèces elles-mêmes cessent
d'être ce qu'elles étaient et laissent à son corps immolé la liberté
de se retirer. C'est bien dans la Sainte Eucharistie que Notre-Sei-
Kneur Jésus-Christ peut dire à son Père : « Ma substance est
«onime un néant devant vous : » Substantia mea tanquam nihi-
lum aille te '.
Aussitôt que le mystère de l'Incarnation fut accompli, l'àme de
.Notre-Seigneur, unieau Verbe divin, eut le choix entre le bonheur
et la gloire extérieure qui convenaient dans ce monde au Fils de
1. /'s. VXXVIll, fi.
JÉSDS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 611
Dieu fait liomme, et une vie humble, cacliée, une vie méprisée et
douloureuse. Il choisit l'humiliation et la souffrance, et S. Jean
Chrysostome dit que cet acte d'humilité fut plus grand que celui
qu'il accomplit en mourant sur le Calvaire de la mort la plus
ignominieuse; car il y avait beaucoup plus loin de la gloire due au
Verbe incarné, à une vie humble et méprisée, que de cette vie
elle-même à la mort sur la croix. Si nous en croyons S. Fran-
çois d'Assise, ce que Jésus-Christ fait chaque jour pour nous, en
descendant sur nos autels, peut être comparé à l'acte d'humilité
qu'il accomplit au premier moment de son existence humaine.
« Voici, dit le saint Patriarche, qu'il s'humilie chaque jour comme
9 il l'a fait lorsqu'il descendit de son trône royal et vint dans le
« sein de ja Vierge. Tous les jours il vient à nous; il se montre à
« nous sous l'apparence la plus humble ; tous les jours, il descend
« du sein de son Père suprême, sur l'autel, dans les mains du
« prêtre. Et de même qu'il se montra à ses saints apôtres dans
« une chair véritable, il se montre à nous maintenant sous les ap-
« parences d'un pain sacré. Et comme les apôtres, de leurs yeux
« de chair, ne voyant que sa chair, croyaient cependant qu'il était
« le Seigneur Dieu, et le contemplaient comme tel des yeux de
« l'esprit ; nous qui voyons, de nos yeux corporels, du pain et du
« vin, croyons fermement que c'est son très saint corps, et son
a sang, vivant et véritable. C'est ainsi que le Seigneur est toujours
« avec ses fidèles comme il le leur a promis : Et voici que je suis
« avec vous fiisquà la consommation des siècles '. »
La sainte Église s'étonne, dans l'une de ses hymnes les plus so-
lennelles, que le Fils de Dieu n'ait pas craint de s'abaisser jusqu'à
descendre dans le sein de la bienheureuse Vierge iMarie pour sau-
ver les hommes : Tu ad liberandum suscepturus hominem, non
horruisti Virginis uterum. Sur l'autel, ce n'est plus dans le sein
\. Ecce qiiolidie humiliât se, sicut quando a regalibus sedibus venit ad ule-
rum Virginis. Quotidie venit ad nos, ipse humilis apparens : quotidie descen-
dit de sinu summi Patris super altare in manibus sacerdotis. Et sicut sanctis
Apostolis apparuit in vera carne, ita et modo se nobis ostendit in sacro pane.
Et sicut ipsi intuitu carnis suae, tantum ejus carnem videbant, sed ipsum
Dominum Deum esse credebant, oculis spirilualibus contemplantes : sic et nos
panem et vinum oculis corporels videamus, et credamus Hriniter, sanctissi-
mum ejus corpus et sanguinem vinum esse et verum. Et lali modo semper
est Dominus cum tîdelibus suis, sicut ipse dixit : Ecce ego vobisciim sum,
usque ad comummulionem sxculi [Matt/i., xxvui, "lO). (S. Francisc, Admoti.
ad l'ratres, cap. i.)
6!f H SAINTE KDCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
immaculé de Mario, la plus parfaite et la plus digne de toutes les
créatures, qu'il descend. Marie était le temple vivant de l'Esprit
de Dieu : maintenant, le Fils de Dieu se revêt sur l'autel, non plus
d'un corps emprunté à sa substance très sainte et très pure, mais
des apparences d'un peu de pain et d'un peu de vin, matières
inertes et communes, nourriture ordinaire des hommes et môme
des simples animaux. « Que tout homme soit saisi de crainte,
« s'écrie encore S. François d'Assise; que le monde entier tremble
« et que le ciel exulte, lorsque le Christ Fils du Dieu vivant est
« sur l'autel entre les mains du prêtre. 0 grandeur admirable !
€ û condescendance suprême! ô sublime humilité! Le Seigneur
. de l'univers, le Fils de Dieu, Dieu véritable, s'humilie à ce
« point qu'il se voile pour notre salut sous les apparences d'un
€ peu de pain. Voyez, mes frères, l'humilité d'un Dieu; épanchez
« vos cœurs en sa présence et humiliez-vous afin d'être exaltés
€ par lui K »
L'humilité de Notre-Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacre-
ment de l'Eucharistie va plus loin encore. Il se laisse toucher par
des mains profondément indignes d'un tel honneur, parce qu'elles
sont coupables. A la messe, le prêtre, avant de commencer le ca-
non, se lave non pas les mains, mais l'extrémité des doigts. Quelle
est la signilication mystique de cette cérémonie, sinon que pour
oITrir à Dieu le sacrifice de l'Eucharistie, il ne suffit pas d'une
sainteté' ordinaire, mais qu'il faut être pur même des souillures
les plus légères? Cependant combien de fois n'arrive-t-il pas que
(les prêtres n'apportent pas au saint autel cette pureté parfaite et
immaculée, qu'exigerait d'eux la sainteté du sacrifice qu'ils offrent?
Narrive-t-il pas même que plusieurs sont véritablement indignes
d'accomplir un acte si grand, et que si leurs mains sont pures,
leurs consciences sont misérablement souillées? De même pour
les fidèles qui reçoivent la sainte communion : n'en est-il pas dont
les dispositions laissent sérieusement à désirer? Cependant
llmmblc Jésus n'hésite pas. Il obéit à la voix de ce prêtre qui ne
1. Totus homo paveat, tolus muiuJus contremiscat, et cœlum exultet;
quando super altare, iii manibus sacerdotis est (Jhristus Filius Dei vivi. 0 ad-
mirnnda nltiludo! o superna dignaho! o suhlimitas humilis quod Dominus
'1 ix, Deus et Dci Filius, sic se humiliât; ut pro nostra salute, sub
liK formula, se abscondat. Videle fratres burnilitatem Dei, et eftun-
^■'' i" illo corda veslra, et humiliamini, ut et vos exaltemini ab eo.
(S. Hms.jsc. Assis., Epist. Xll.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODÈLE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 613
devrait pas monter à son autel; il se remet entre ses mains pour
qu'il fasse de lui ce qu'il lui plait. II ne refuse pas davantage de
se laisser donner à ceux dont le cœur n'est pas assez pur pour le
recevoir, comme il n'a pas refusé le baiser de Judas. Qu'elle est
donc admirable, surtout en cette circonstance, l'humilité de notre
divin Sauveur, dans son adorable sacrement ! mais il est bien cou-
pable, le malheureux dont l'indignité lui impose cet acte d'humi-
lité. Selon la pensée de S. Jean Chrysostome, celui qui s'approche
indignement de la communion, et qui par conséquent n'en reçoit
aucun fruit, est semblable à ceux qui prirent autrefois le corps du
Seigneur, non pour boire son sang, mais pour le répandre i. 11
n'y a donc pas lieu de s'étonner si, pour cette raison et pour plu-
sieurs autres qu'il serait trop long de développer ici, les saints et
les docteurs ont enseigné que l'humilité de Notre-Seigneur Jésus-
Christ se manifeste davantage encore, dans cet auguste Sacrement,
qu'elle ne le fit au temps de sa passion et de sa mort sur la croix.
Ajoutons seulement que la Sainte Eucharistie est l'aliment des
pauvres. C'est d'elle que le Psalmiste a dit : « Les pauvres man-
« geront et ils seront rassasiés 2 ; » c'est à elle encore qu'il fait allu-
sion par ces autres paroles : « Vous avez, ô Dieu, préparé, au
« pauvre, par un effet de votre douceur 3, s, une nourriture. C'est
donc, d'après le prophète, pour les pauvres, c'est-à-dire pour les
humbles, que Dieu a préparé cet aliment divin. Eux seuls en se-
ront pleinement rassasiés. Les riches, les puissants de la terre ne
seront admis à ce festin et n'en goûteront les délices, ils n'en se-
ront rassasiés que s'ils se font petits et humbles. A cette condition,
eux aussi pourront s'asseoir à la table du Seigneur. « Ils mange-
ront et ils adoreront. * Mais qu'ils songent au compte qu'il leur
faudra rendre de ce qu'ils mangeront ^.
1. Qui manducal et bibit indigne, reus erit corporis et sanguinis Domini.
Quemadmodum illi qui Jesum crucifixerunt, sic et iili qui indigne fiunt mys-
teriorum participes, pœnas dabunt.... Judaei quidem illud clavis in cruce
disruperunt : tu vero dum in peccatis, et immunda lingua ac mente vivis,
inquinas : Ideo inter vos mutti infirmi et dormiunt multi. (S. Chrysost.,
serm. LXV de Martyribus.)
2. Edent pauperes et saturabuntur. {Ps. xxi, 27.)
3. Parasti in dulcedine tua pauperi Deus. {Ps. Lxvii, 11.)
4. Dicit (David) in alio Psalmo : Edent pauperes et saturabuntur. Quomodo
commendavit pauperes? Edent pauperes et saturabuntur. Quod edent? Quod
sciunt fidèles. Quomodo saturabuntur? Imitando passionein Domini sui, et
non sine causa accipiendo pretium suum. Edent pauperes et saturabuntur, et
614 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
Et pourquoi la Sainte Euciiaristie est-elle particulièrement des-
tinée aux petits et aux humbles, sinon parce que Jésus-Christ, dans
cet adorable Sacrement, se fait profondément petit et humble? Il
est nécessaire qu'une certaine affinité existe entre les aliments et
ceux qui s'en nourrissent. Mais plus il se fait petit, plus il a droit
à nos hommages et à nos adorations. C'est encore ce dont le Psal-
miste nous avertit lorsqu'il dit : « Tous les confins de la terre se
« souviendront du Seigneur et se convertiront à lui ; et toutes
« les familles des nations adoreront en sa présence. Parce qu'au
« Seigneur appartient le règne, et que c'est lui qui dominera sur
« les nations. Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré '. »
Ils ont mangé parce qu'ils se sont faits humbles en sa présence et
qu'ils l'ont adoré. Ils l'ont adoré, parce que toutes les nations de
la terre ont reconnu qu'il est le Seigneur et que, voilé sous les ap-
parences d'un aliment commun, il a droit à tous les honneurs
qui sont dus à la divinité.
L'humble Jésus, voilé sous les apparences d'un peu de pain et
d'un peu de vin, nous donne aussi l'exemple le plus parfait du dé-
tachement des biens et des richesses de la terre. C'est au pied de
l'autel, c'est en face du tabernacle, que les saintes âmes qui se
sont vouées à la pratique des conseils évangéliques dans la vie reli-
gieuse doivent prendre des leçons. Jésus-Christ leur enseignera
la pratique de la pauvreté, de la chasteté, de l'obéissance, qu'elles
ont promis de garder fidèlement par amour pour lui.
Notre-SeigiM'ur Jésus-Christ, dans la Sainte Eucharistie, nous
enseigne par son exemple la pratique de la pauvreté la plus par-
faite. Est-ce à dire qu'il manque de quoique bien, et que tous les
trésors, toutes les richesses infinies de Dieu ne sont pas à lui ?
Non : ce n'est pas ainsi qu'il faut entendre la pauvreté du Fils de
Dieu au Très Saint Sacrement. Il y possède, comme dans le ciel
laudahunt JJominum qui rcquirunt eum. Divites quid? Etiam ipsi edunt, sed
quoinodo cdunt? Manducaverunt et ndoraverunt omnes divites terrœ. Non
(lixit, mandurnvcrunt et saturali stml, sed manducaverunt et adoraverunt.
Adorant quidem Deum, sed hum.-initatem nolunt exhibere fraternam. Mandu-
canl illi et adorant, manducant isli et saturanlur : tamen omnes manducant.
Exif^tur de mandiu.-anto quod manducat; non prohibeatur manducare a dis-
ponsalore, sed moneatur timere exactorcm. (S. AuGUST., Enarr. in Ps. xxi.)
<. Keminiscentur et convertenlur ad Dominum univers! fines terrae : et
adorahunl in conspectu ejus universae familiae gentium. Quoniam Domini est
^ l •P"*' dominabitur gentium. Manducaverunt et adoraverunt omnes
j Tf». (/>«.. \xi, 2«-:{0.)
JÉSDS EDCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 615
même, tous les biens de la gloire; il a entre les mains tous les
trésors de la grâce, et il est toujours le Dieu à qui appartiennent
le ciel, la terre, les mers et tout ce que sa puissance y a renfermé.
Mais Tétat sacramentel dans lequel il s'offre à nous n'en est pas
moins un état de pauvreté absolu. Qu'a-t-il en effet par lui-même
dans cet auguste sacrement? Dans la crèche de Bethléem il avait
quelques langes pour envelopper ses membres délicats. Sur l'autel,
les langes qui le voilent à nos yeux ne sont même pas des langes ;
ce sont de simples apparences, une sorte de nuage qui n'a même
pas la réalité d'un nuage, et qui cependant suffisent pour le dé-
rober à nos regards et créer autour de lui des ténèbres qui nous
sont impénétrables. « Il a fait des ténèbres son lieu de retraite, »
dit le Psalmiste : Posuit tenebras latibulum suum K Voilà son
manteau royal, voilà sa pourpre, sa couronne d'or, son trône
d'ivoire, toutes ses magnificences. Où sont ses gardes? où est sa
cour? Si, comme il arrive, hélas! trop souvent, les prêtres et les
âmes pieuses ne s'empressent pas autour de lui, de lui-même il
sera seul, abandonne, méconnaissable pour ceux mêmes qui lui
sont les plus dévoués, si rien d'extérieur ne les avertit de sa pré-
sence. C'est vraiment dans la Sainte Eucharistie que notre divin
Sauveur peut dire en toute vérité, non seulement à son Père
céleste mais à nous : « Et ma substance est comme un néant
a devant vous : » Et substantiel mea tanquam niliilum ante te -.
On peut dire de Jésus dans l'Eucharistie qu'il est plus pauvre que
sur la croix, où sa chair adorable servait de vêtement à son àme
età sa divinité : ici sa chair même disparait, et toute sa divine per-
sonne n'a plus pour se voiler que quelques vaines apparences qui
ne subsistent que par miracle.
Il est vrai que les fidèles disciples de Notre-Seigneur s'efforcent
de suppléer à sa pauvreté. Ils lui bâtissent, lorsqu'ils le peuvent,
des temples magnifiques ; ils trouvent que rien n'est trop riche,
rien n'est trop beau pour ses autels; mais leurs efforts ne peuvent
pas faire que lui-même ne se présente à nous dans un état de pau-
vreté complète. Si ses prêtres et ses enfants n'ont qu'une pauvre
chaumière à lui offrir pour tout palais, il y demeurera et sera
pauvre avec eux et plus qu'eux. S'ils ont moins encore, comme il
arrive souvent aux missionnaires annonçant l'Évangile à de pauvres
i. Ps. xvii, 11. — 2. Pu. xxxviii, 0.
616 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE U. — CHAP. XII.
siiuvages, il se contentera de ce moins, et il n'y ajoutera rien, car
il n'a rien que les frt^es espèces sous lesquelles il voile sa pré-
sence. Il est riche, et cependant son dénuement est absolu, selon
cette parole de David: Simid in unum dives et pauper ». Pen-
dant sa vie mortelle il pouvait dire : « Les renards ont des tanières,
t et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas
« où reposer sa t«He ^. »
Lui dont le Psalmiste a chanté : « Au Seigneur est la terre et
« toute sa plénitude ; le globe du monde et tous ceux qui l'ha-
it bitent, parce que c'est lui-même qui l'a fondé 3; » il a voulu se
montrer parmi les hommes, semblable aux plus pauvres d'entre
eux, pour leur enseigner à supporter la pauvreté sans chagrin et
même avec joie. Dans la Sainte Eucharistie sa pauvreté paraît plus
grande encore : c'est que dans l'Eucharistie, il n'est plus seule-
ment notre docteur: il est notre aliment; ce que sa parole et ses
exemples nous ont enseigné, il nous l'incorpore en quelque ma-
nière et nous l'assimile, en se donnant à nous dans la sainte com-
munion. Il nous a donné l'exemple pour que nous nous efforcions
de vivre comme lui : mais ce n'était pas assez pour son amour, et
il a voulu que, mangeant sa chair et buvant son sang, nous vivions
de sa vie. Si après de tels enseignements et de tels exemples, si
après avoir conmiunié au corps et au sang de ce Dieu devenu
volontairement pauvre à ce point, par amour pour nous, nous
avions encore quelque estime et quelque attachement pour les
biens de ce monde, pourrions-nous dire avec l'Apôtre : « Ce n'est
« plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » Mais lors-
qu'on se nourrit de Jésus plus pauvre encore que dans l'étable de
Bethléem et sur la croix, il est impossible de ne pas aimer la sainte
pauvreté qui lui est si chère, et l'on comprend que des âmes ap-
pelées à une haute perfection renoncent absolument, par amour
pour lui, aux biens de la terrre et ne consentent plus à posséder
en propre même une pierre où reposer leur tète, même les vête-
ments qui les couvrent.
Noire-Seigneur Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie est
\ . P». XLvin, 3.
2. VulpoB foveas hahont, et volucres cœli nidos : Filius autem hominis non
habft uM capul reclinot. (Malth., viii, i>().)
.J. I)o:nini est terra et plenitudo ejus, orbis terrarum, et universi qui
habitant m eo; rjuia ipse super maria fundavit eum. [Ps. xxiii, \, 2.)
JÉSUS EUCHARISTIQUE SOURCE ET MODELE DES VERTUS CHRÉTIENNES. 617
l'Homme-Dieu ; il est infiniment pur parce qu'il est la sainteté
même ; de plus, le mode selon lequel il s'y donne à nous n'a rien
de commun avec ce qui pourrait flatter et émouvoir les sens. On
peut donc dire que communier, c'est prendre pour aliment la chas-
teté substantielle. N'est-ce pas de l'Eucliaristie qu'il est écrit :
« Qu'est-ce que le Seigneur a de bon et de beau, sinon le froment
« des élus, et le vin qui fait germer les vierges 2? » Aussi est-ce
une vérité d'expérience bien connue de tous les directeurs des âmes
que la communion est le moyen le plus efficace que Dieu nous ait
donné pour conserver la sainte chasteté. Sans doute elle ne suffi-
rait pas sans la prière et la garde des sens ; mais sans elle, la
résistance aux tentations deviendrait presque impossible ; rares sont
les chrétiens dont l'esprit et le cœur ne seraient pas souillés plus
ou moins gravement ; infiniment plus rares encore seraient ces
âmes angéliques auxquelles la sainte chasteté, gardée avec une
vigilance extrême, donne le courage et la force de pratiquer toutes
les vertus et tous les dévouements. Il peut se faire que des circons-
tances exceptionnelles et une nature privilégiée protègent plusieurs
personnes contre les tentations, et leur permettent de demeurer
chastes, quoiqu'elles ne communient pas ou ne le fassent que ra-
rement; mais ce ne peuvent être là que des exceptions. Vienne la
tentation, et leur chute sera presque certaine.
Dans la Sainte Eucharistie notre divin Jésus est aussi le modèle
de la plus parfaite obéissance. Il a dit en parlant de son Père cé-
leste : « Je fais toujours ce qui lui plaît : » Ego quœ placita sunt
ei facio semper '-. Le saint Évangile nous apprend qu'il était
d'une obéissance parfaite envers Marie et Joseph : Eteratsubditus
mis 3. Enfin S. Paul nous le montre obéissant jusqu'à la mort et
à la mort de la croix : Factus est obediens usque ad inortem,
mortem autem crucis ^. Mais on doit dire qu'en nulle occasion,
il ne montra une obéissance plus complète et plus digne de notre
admiration fjue dans le Sacrement de nos autels.
On peut distinguer trois degrés dans l'obéissance. Au degré le
plus infime, il faut placer l'exécution pure et simple de l'ordre
que l'on a reçu. L'obéissance est plus parfaite si, non content
d'obéir extérieurement, on soumet sa volonté et on la rend con-
1. Quid enim bonum ejus est, et quid pulchrum ejus, nisi frumentum elec-
torum, et vinurn gerniinans virgines? [Zach., ix, 17.)
2. Joantu, vin, -20. — 3. Luc, ii, 51. — t. Philipj)., ii, 8.
618 L\ SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XII.
forme è celle du supérieur qui commande. Enfin elle est très par-
faite lorsqu'on faitmême, en quelquesorte, abnégation de sa propre
intelligence, et qu'on s'abstient de juger l'opportunité ou le bien
fondé des ordres qu'on reçoit.
Notre-Seigneur Jésus-Christ pratique dans toute leur perfection
ces trois degrés d'humilité. Quel que soit le prêtre qui monte au
saint autel, pourvu qu'il ait été légitimement ordonné; quels que
soient le lieu, l'heure, les circonstances où les paroles de la con-
sécration sont prononcées, quand même le prêtre serait indigne
et userait sacrilègement de son pouvoir, le Fils de Dieu est aussi-
tôt présent sous les espèces eucharistiques. Il est Dieu, et cepen-
dant il obt'ità la voix d'un homme, cet homme fût-il un monstre
d'iniquité. Il se laisse toucher par des mains coupables ; il se lais-
sera, s'il le faut, déposer sur une langue souillée par la calomnie,
le blasphème ou les paroles impures. Les maladies corporelles
même les plus rebutantes ne l'empêcheront de se laisser donner à
ceux qui le réclament, et le plus misérable pécheur, fût-il en même
temps la proie de la lèpre la plus horrible, n'a pas à craindre que
Jésus refuse de se donner à lui. C'est ainsi qu'il obéit au prêtre.
Cette obéissance de Notre-Seigneur n'est pas seulement un acte
extérieur : sa volonté se soumet à la volonté du prêtre. Il veut ce
que veut son ministre. S'il ne le voulait pas, qui pourrait le forcer?
Souvent les inférieurs, dans le monde, obéissent, malgré leur vo-
lonté, à ceux qui leur sont préposés : ils ne sont pas les plus forts,
ils ne sont pas les maîtres. iMais Jésus-Christ est le maître, il
est le plus fort, et le prêtre auquel il se soumet est devant lui
moins qu'une feuille desséchée emportée par le vent: pourtant il
obéit; il semble n'avoir plus d'autre volonté que celle du prêtre
entre les mains duquel il s'est remis.
Ce n'est pas encore assez. Le Verbe divin, celui qui est la sagesse
ni(''me de Dieu, fait abstraction de son propre jugement, de son
intelligence, pour que sa soumission soit plus complète encore,
et [X)ur que son obéissance nous soit un plus parfait modèle. Qui
mieux que lui sait quand il convient que le prêtre otïre le saint
sacrilice, qu'il donne ou refuse la sainte communion, qu'il accom-
plisge ou n'accomplisse pas telle et telle cérémonie du culte? Ce-
I- !i«i.iiit il laisse l'initiative au prêtre en toutes choses; il ne juge
pas ses ordres ; il se soumet simplement à toutes ses volontés,
qu'elles soient ou non conformes à la piété et à la sagesse. Le
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 619
prêtre n'est cependant pas le supérieur de celui dont il est dit qu'à
son nom, tout genou doit fléchir au ciel, sur la terre et jusque dans
les enfers ; mais Jésus se conduit envers lui comme s'il était vrai-
ment son supérieur, et il ne dédaigne pas même d'être béni par
lui, malgré cette parole de l'Apôtre : « Sans aucun doute, c'est
« l'inférieur qui est béni par le supérieur '. » C'est ainsi qu'il nous
apprend comment nous devons obéir, et c'est de cet esprit d'obéis-
sance parfaite qu'il nous sustente, lorsqu'il se donne à nous.
Recourons donc à la Sainte Eucharistie, nous tous qui voulons
imiter Jésus doux et humble de cœur, nous tous qui voulons pra-
tiquer, chacun selon notre état de vie, la pauvreté évangélique, la
chasteté, l'obéissance. Que ceux qui ont embrassé la vie religieuse
y puisent avec confiance les forces nécessaires pour être fidèles à
leurs vœux, et que ceux, moins privilégiés, qui n'ont pas été
appelés à la vie parfaite, sachent bien qu'ils trouveront dans cet
auguste sacrement toutes les grâces dont ils ont besoin pour
s'élever, eux aussi, à un très haut degré dans la pratique de ces
saintes vertus.
CHAPITRE XIII
POURQUOI LE SACRIFICE DE LA MESSE DOIT ÊTRE POUR NOUS L'OBJET
D'UNE GRANDE DÉVOTION
L Le sacrifice de l'Eucharistie, colonne qui soutient notre sainte religion et rend
l'Église inébranlable. — II. Dignité suprême du sacrifice de la Messe. — III. La
Messe sacrifice propitiatoire et satisfactoire, offert pour la rémission de nos péchés et
pour satisfaire à la justice de Dieu. — IV. La Messe sacrifice qui nous obtient de
Dieu toutes sortes de grâces, et par lequel nous lui témoignons notre reconnais-
sance.
I.
LK SACRIFICE DE LEUCHARISTIE, COLONNE QUI SOUTIENT NOTRE SAINTE
RELIGION ET REND l'ÉGLISE INÉBRANL.VBLE
Le saint roi David fait, au lxxi*" psaume, un magnifique tableau
du règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Il s'adresse
au Père éternel et lui dit : « Dieu, donnez votre jugement au roi,
1. Sine uUa autem contradictione, quod minus est a meliore benedicitur.
(Hehr., vu, 7.)
€50 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
R et votre justice au fils du roi, pour qu'il juge votre peuple dans
la justice, et vos pauvres dans l'équité. Que les montagnes re-
çoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice. Il jugera
les pauvres du peuple ; il sauvera les fils des pauvres et il humi-
liera le calomniateur. Il subsistera avec le soleil et devant la
lune, dans toutes les générations. Il descendra comme la pluie
sur une toison, et comme des eaux qui tombent goutte à goutte
sur la terre. Dans ses jours s'élèvera la justice et une abondance
de paix : jusqu'à ce que la lune disparaisse entièrement. Et il
dominera depuis une mer jusqu'à une autre mer, et depuis un
neuve jusqu'aux limites de la terre. Devant lui se prosterneront
les Éthiopiens, et ses ennemis lécheront la poussière. Les rois
deTharsiset les lies lui offriront des présents ; les rois de l'Arabie
et de Saba lui apporteront des dons. Et tous les rois de la terre
l'adoreront : toutes les nations le serviront. Parce qu'il délivrera
le pauvre du puissant ; et le pauvre qui n'avait point d'aide. Il
traitera avec ménagement le pauvre et l'homme sans ressources,
et il sauvera les âmes des pauvres. Des usures et de l'iniquité il
rachètera leurs âmes; et honorable sera leur nom devant lui.
Et il vivra, et on lui donnera de l'or de l'Arabie, et on adorera tou-
jours à son sujet : tout le jour on le bénira. Et il y aura du
froment sur la terre, sur le sommet des montagnes ; au-dessus
du Liban s'élèvera son fruit : et les habitants de la cité fleuriront
comme l'herbe de la terre. Que son nom soit béni dans les siècles
des siècles : avant le soleil subsiste son nom. Et seront bénies
en lui toutes les tribus de la terre ; toutes les nations le glori-
fieront. Béni le Seigneur le Dieu d'Israël, qui fait des merveilles
seul. Et béni le nom de sa majesté éternellement : et toute la
« terre en sera remplie. Ainsi soit-il, ainsi soit-il '. »
On demandera peut-être où se trouve marqué, dans cette des-
cription merveilleuse du royaume de Jésus-Christ qui est la sainte
Église, le rôle de l'Eucharistie, sa force et son soutien le plus
inébranlable. Qu'on relise ce verset : « Et il y aura du froment
■ sur la terrre, sur le sommet des montagnes : au-dessus du Liban
« s'-'l.'vern son fruit. . Ce n'est pas la coutume que le froment
1. l'cu' judiciuin luum régi da, etc. {Ps. lxxi.) — Nous rappelons encore
une fois que nos traductions des textes de l'Écriture sont ordinairement em-
prunt<ies a la Bible de l'abbé Glaire, la plus autorisée de toutes les traductions
françaises.
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 621
croisse de préférence sur le sommet glacé des montagnes, ni sur-
tout qu'il s'y développe au point que ses épis s'élèvent plus haut
que la cime des cèdres du Liban. Il faut donc chercher un sens
spirituel aux exagérations inacceptables que présente la lettre, si
l'on ne considère qu'elle. Or ce sens n'est pas difficile à découvrir,
car tout le monde sait qu'en mille endroits de l'Écriture, le froment
ou le pain, lorsqu'il en est parlé, sont des figures irrécusables de
l'adorable Eucharistie. Ce froment qui croît avec une telle abon-
dance, jusque sur le sommet des plus hautes montagnes, et qui
s'élève au-dessus des cèdres eux-mêmes, c'est donc l'Eucharistie
qui domine tout dans le royaume de Jésus-Christ sur la terre, et
qui nourrit les innombrables peuples, enfants de l'Église, dont il
est dit dans le même verset : « Et les habitants de la cité fleuri-
« ront comme l'herbe de la terre. »
Mais il faut remarquer que dans la V'ulgate on ne lit pas fru-
mentum, mais bien finnamentum, qu'il conviendrait de traduire
par appui, soutien. Pourquoi les commentateurs et les interprètes
écrivent-ils froment et traduisent-ils comme s'il y avait en réalité
frumentum ? C'est que tel est le sens du texte hébreu, et que,
d'autre part, le mot firmament ou appui, sans autre explication,
n'aurait ici aucune raison d'être. D'autre part, les Septante, que
la Vulgate a suivis, ont pris l'hébreu comme signifiant la force du
pain ou du froment, suivant une manière de parler fort commune
dans l'Écriture, oi^i le froment est appelé la force, l'appui ou le
bâton de l'homme. « Je briserai le bâton du pain, » disent les pro-
phètes ^ ; et le Psalmiste, en parlant de la famine qui arriva sous
Joseph, dit que le Seigneur « brisa tout l'appui du pain : Omne
« firmamentumpaniscontrivit ~. » C'est donc du froment, du pain
eucharistique, force, soutien et beauté de la sainte Église, que parle
David en cet endroit. Il faut ajouter, avec les commentateurs, que les
sommets des montagnes qui produisent ce froment sont les prêtres '^.
1. Ecce enim Dominalor Dominas exercituum auferel a Jérusalem, et a
Juda validum et forlem, omne robur pnnis. (/s., m, \.) — Fili hominis : ecce
ego conteram baculum panis in Jérusalem. [Ezech., iv, 10.) — Et conteram
virgam panis ejus. {Ezech., xiv, 13.)
2. Ps. civ, 10.
3. De quo (sacrificio) prfeclare vaticinatus est David, dum ait : Et erit fir-
mament um in terra in stimmis montium: quo loco hebrsea habent : Et erit
placenta patiis tritici, vel memorabile triticum, m capitiOus sacerdotum.
(JOANN. OsoH., Conc. de Divin, sarrif.)
6ti L\ SAINTE EOCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
Rupert demande ce que deviendrait l'Église, si elle était privée
du sacrifice do la Messe qui est son soutien, et il répond : <r Otez
€ aux assemblées de l'Église ces obsèques quotidiennes du Sauveur,
« et vous verrez combien il pourra dire avec vérité : De quelle
« utiliU' sera mon sang .^ Le souvenir que l'on a de lui dans le
€ monde entier s'affaiblira rapidement. En même temps la charité
€ se refroidira dans tous les cœurs; la foi perdra son intégrité;
« l'espérance n'aura plus qu'une marche hésitante; un cri puissant
€ cessera de se faire entendre, le cri du sang du juste Abel qui,
« par l'oblation traditionnelle d'un si grand sacrifice, rafraîchit
c chaque jour la bouche de la terre qui le boit et qui réclame, c'est-
c à-dire de l'Église qui accuseCaïn, le maudit, et qui demande une
€ prompte vengeance du sang indignement versé. — Aussi long-
« temps donc que le souvenir précieux du Sauveur est entretenu
« par ce sacrifice, la charité du Christ grandit et l'édifice de la
« foi demeure inébranlable sur son fondement K »
Le démon n'ignore pas que le saint sacrifice de la Messe fait la
principale force de l'Église : aussi tous ses efforts ont-ils tendu,
surtout dans les derniers siècles, à supprimer ce divin sacrifice.
Notre-SeigneurJésus-Christa établi son Église sur un roc inébran-
lable: il a dit au chef de ses Apôtres: « Tu es Pierre, et sur cette
« pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévau-
€ drout point contre elle : » Tu es Petrus et super hanc petram
a'f/i/iniho /•kclesiam meam ; et portes infey^i non prœvalebunt
adversuseani -. Mais cette Église bâtie sur la pierre inébranlable,
par les travaux de Pierre lui-même et des autres apôtres dont 11
est écrit: « Ce sont eux qui ont planté l'Église 3, » devait être
l'objet d'attaques furieuses de la part des ennemis de Dieu. Le divin
I. .\ufer a ctflu Ecclesiae quotidianas Salvatoris nostri hujusmodi exequias,
et vide qunm merito dicat ipse Salvator : Quœ ulilitas in sanguine meo?
(P». XXIX, \0.) Ftefrigescente enim ea, quœ in hoc mundo nunc ubique calet,
ejus memoria, refrigescet universa charilas, mutila eril fides, claudicabit
SJK.-S, conlicescct magnus ilie clamor .sanguinis justi Abel, qui per traditum
t.iiiti sacrifirii riluin, quotidie laxat os libantis et vociferantis terrae, scilicet
F.<-. l.-si?p, inaledictum coarguens Gain, et maturam indigne fusi sanguinis
viii-iiclnm reposcens. Calente ergo memoria tam celebri charitas Christi coa-
IfM-ii, jjcr.stat super fundanjenlum suum aedificium fidei. (Rupert. abb.,
ilr Ihrxti. offlc.)
■1. Mii'th., XVI, i8.
3. Isli sunt qui planlaverunt Ecclesiam, [Brcv. rom., in Offic. apost.f
lecl. VII in Responsorio.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 623
Maître ne le laissait pas ignorera ses fidèles disciples et il leur disait
avant de les quitter, en s'adressant principalement à leur chef:
« Simon, Simon, voilà que Satan vous a demandés, pour vous cri-
ce bler, comme le froment; mais j'ai prié pour toi afin que ta foi
« ne défaille point ; et toi, quand tu seras converti, confirme tes
« frères '. » A quel moment Notre-Seigneur Jésus-Christ annon-
çait-il à ses apôtres les combats qu'ils auraient à livrer, et leur
triomphe, assuré jusqu'à la fin des siècles, sur leurs ennemis?
C'était après l'institution de la Très Sainte Eucharistie. Il leur
avait donné sa chair à manger et son sang à boire ; il leur avait
intimé de renouveler ce sacrifice non sanglant qu'il venait d'ofi'rir
et d'y participer en mémoire de lui. Grâce à ce don d'une valeur
inestimable, ils étaient forts; si quelques défaillances individuelles
venaient à se produire, Pierre au moins serait infaillible, TÉglise
reposant sur lui demeurait intacte et inébranlable, et les frères dé
Pierre, les apôtres et les évêques leurs successeurs n'auraient, pour
être sûrs de ne pas s'égarer, qu'à se tenir étroitement unis à lui.
Aussi S. Bonaventure n'hésite-t-il pas à dire: « Par le sacrifice
« de la Messe, l'édifice de la foi repose inébranlable sur son fonde-
€ ment ; par lui la religion et le culte de Jésus-Christ conservent
« leurjeunesse, leur force et leur éclat 2. » D'après Osorius, la Messe
est l'abrégé, le résumé complet de toute la religion ^; et S. Bona-
venture ajoute, pour le citer encore : « Otez de l'Église ce sacre-
« ment: que restera-t-il dans le monde, si ce n'est l'erreur et
« l'infidélité? Vous verrez alors si le peuple chrétien ne sera point
«t comme un troupeau dispersé d'animaux immondes, et s'il ne se
« plongera pas dans l'idolâtrie, comme le reste des infidèles ^. »
Le démon n'avait donc pas à sa disposition de moyen plus puis-
sant pour combattre la religion chrétienne et faire retomber sous
1. Simon, Simon, ecce Satanas expetivit vos ut cribraret sicut Iriticum.
Ego autem rogavi pro te, ut non deficiat fîdes tua : et tualiquando conversus,
confirma fratres tuos. {Ltic, xxii, 31, 3:2.)
2. Per hoc stat super fundamenlum suum œdifîcium fidei; per hoc stat
Ecclesia, viret et viget christiana religio, et divinus cultus. (S. Bonavent., de
Prxparat. ad missam, cap. 11.)
3. Missa est compendium et summa totius christianœ religionis. (OsoR.,
ibid.)
4. Toile hoc sacramentum de Ecclesia, et quid erit in mundo, nisi error et
infidelitas? Et populus christianus erit quasi grex porcorum dispersus, et
idoloialricK deditus, sicut expresse patet in caeteris inlidelibus. (S. Bonavent.,
iôid.)
6i4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. XIII.
son joug odieu.x ceux que le Seigneur avait affranchis, que de
supprimer, s'il le pouvait, le saint sacrifice de la messe; et s'il
n'atteignait pas ce but, suprôme objet de ses efforts, au moins
d'éloiirner le plus possible les hommes des autels où s'offre pour
eux la divine Victime.
Qu'on lise l'histoire des hérésies et l'on verra que partout et
toujours, elles tendent plus ou moins directement à l'abolition du
Saint Sacrifioe tel que Jésus-Christ l'a institué, et des cérémonies
dont l'a entouré l'Église conduite par l'Esprit de Dieu. Si quelques-
unes laissent intacte la substance de l'Eucharistie, au moins elles
attentent à sa forme extérieure et s'efforcent de réduire à rien son
utilité dans la pratique.
Le protestantisme tient une place à part dans la guerre faite à la
messe par le démon, ses satellites et leurs victimes. Luther ne
craint pas de raconter comment l'esprit infernal, se montrant visi-
blement à lui, s'efforçait de le déterminer à se déclarer pour l'abo-
lition de la messe. Satan n'ignorait pas le bouleversement épou-
vantable qui résulteiait dans le monde chrétien de cette déclaration.
Il fit tant que Luther se laissa convaincre K Une guerre san&
merci fut déclarée au saint sacrifice de la messe par le moine
apostat, et par tous ceux qui le suivirent dans sa révolte. Dieu seul
peut connaître le nombre des milliers de martyrs qui payèrent de
leur vie leur attachement et leur dévotion à ce mystère sacré. Que
de fois la fureur des hérétiques mêla le sang des prêtres et des
fidèles au sang du divin Agneau, au moment où il renouvelait
son sacrifice sur les autels ! Aujourd'hui ces haines féroces ont
pris un autre tour : elles se manifestent plus rarement par des
éclats de violence ; le sang ne coule plus, mais le démon et ses
suppôts emploient une arme non moins redoutable : ils éloignent
par la peur, le respect humain et l'indifférence, la plupart des
I. Illiui vere ;idinir;induin, quod in causa tam ardua ex qua mutatio publie!
sLiiiis in orbe cbrisliano pendebat, obtentu revelationis in eam se viam duci
i is est (.scilicel Lutberus) quain eamdem Satan ipse non transfonnatus in
.1 .. lum lucis, .sed aperla fronle congressus demonstrabat : quam ingredi
■ MU non jK)tuit nisi Mclchisedechicum sacerdotiunn abrogaret, Christi hierar-
« i... uni ordinem in Ecclesia convelleret et ad evertendum juge sacrificium
vi.uii Anlicbristo munirct.... Inila nocte cum cacodaimone disputatione, ma-
'•' ' "unentis vicias, Missse sacrificium, quod antealevioribus oppugnarat,
., decrevit; quo eodem lempore ejus socii, Augustani Wittember-
g. M-. . .L-resi conlarninati, diabolico impulsu Missam abrogarunt. (Annal.
£rc/ri., ann. I!i2l. (Kaynald.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 625
chrétiens de l'assistance à la sainte messe ; ils font ainsi que, pour
eux, ce soutien, cet appui nécessaire de la foi et de la piété, est
comme s'il n'existait pas. Aussi la démoralisation fait-elle des pro-
grès effrayants chez les nations protestantes qui ne possèdent pas
la messe, et chez les nations catholiques qui négligent et mé-
prisent ce moyen tout-puissant de salut social et surnaturel, que
Dieu leur a donné. Quelle désolation, pour la plupart des pasteurs
des âmes, de ne plus voir leurs églises ordinairement fréquentées,
même le dimanche, que par quelques femmes pieuses et quelques
enfants! Il semblerait qu'une multitude de chrétiens, qui ne le
sont plus que de nom, se rendant justice à eux-mêmes, se recon-
naissent indignes de franchir le seuil de la maison de Dieu ; ils
s'excommunient volontairement et n'assistent plus à nos sacrés
mystères. C'est le développement de la semence maudite jetée à
pleines mains dans le champ de l'Église, par les hérésiarques du
xv'' siècle.
Cette seule considération doit suffire pour faire comprendre aux
âmes généreuses avec quelle dévotion et quelle régularité il leur
faut assister à la sainte "messe, non seulement les jours de di-
manche et de fêtes, mais tous les autres jours, lorsque les cir-
constances n'y mettent pas de sérieux obstacles. Il ne s'agit pas
seulement pour elles d'une satisfaction pieuse : elles doivent ré-
parer, autant qu'il est en leur pouvoir, l'outrage que font au
Seigneur l'indifférence et le mépris du monde pour la Très Sainte
Eucharistie ; elles doivent détourner la malédiction de Dieu qu'une
telle ingratitude, ou plutôt une folie si dangereuse, attire ; elles
doivent mettre, par leur piété, une digue au débordement d'ini-
quités qui a sa cause dans l'éloignement que le peuple chrétien
affecte pour l'assistance aux saints offices. De leur côté, les prêtres
chargés du ministère paroissial sont tenus de tout faire, d'employer
toute leur énergie, tout leur zèle, de recourir à toutes les indus-
tries, pour attirer dans la maison de Dieu, non seulement quelques
pieuses femmes et quelques enfants, mais toute la population, toute
la paroisse. La responsabilité pour un prêtre sera grande devant
Dieu si, parmi les âmes qui lui sont confiées, il y en a une seule
pour laquelle il soit obligé d'avouer qu'il n'a pas fait tout ce qu'il
lui était moralement possible de faire, afin de la ramener à fré-
quenter l'église, et à remplir tous les devoirs de la vie chrétienne.
Dieu ne demande pas de nous le succès, il le donne lorsqu'il le juge
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 40
6il\ L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — U' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
à propos, mais il exige que tout ce qui dépend de nous, nous le
fiissions. Qui ne connaît d'ailleurs des exemples frappants de ce
que peut faire le zèle prudent, mais ardent et persévérant, d'un
bon et saint curé, pour le renouvellement d'une paroisse et le
retour à Dieu de ceux qui en étaient le plus éloignés? Mais il faut
vouloir, il faut prier, il faut agir. Le prêtre qui monte tous les
jours saintement à l'autel et qui veut amener autour de cet autel
les brebis dont il est le pasteur, les amènera à la fin, excepté peut-
être quelques enfants de perdition ; et le simple fidèle qui
assiste à la messe avec le désir ardent de voir d'autres chrétiens,
ses frères, y assister plus nombreux avec lui, verra son désir
exaucé. On lit dans la vie de S. Grégoire Thaumaturge qu'à son
lit de mort, il demanda à ceux qui l'entouraient combien d'infi-
dt'les habitaient encore dans la ville de Néocésarée dont il était
évéque. On lui répondit : Dix-sept. — Que Dieu soit béni, dit-il.
II y avait juste ce même nombre de chrétiens, lorsque j'y vins en
qualité d'évêque. — Il est vrai que Grégoire était un saint ; mais
tout pasteur des âmes ne devrait-il pas Tètre, ou du moins s'efforcer
sérieusement de l'être?
Que les prêtres qui olfrent le Saint Sacrifice y apportent tous
les jours les dispositions parfaites que réclame cet acte divin ; que
les simples fidelesy assistent plus nombreux; qu'ils le fassent avec
une sincère dévotion: bientôt l'enfer sera confondu, les pécheurs
.se convertiront et la gloire de Jésus-Christ et de sa sainte Église
resplendira au.t yeux de tous d'un merveilleux éclat.
II.
DIGNITÉ SUPRÊMK DU SACRIFICE DE LA MESSE
«< Personne, dit S. Augustin, n'oserait prétendre que le sacrifice
« doive ôtre offert à un autre qu'à Dieu seul K » S'il est arrivé que
les hommes ont offert des sacrifices à quelques créatures ou même
à des êtres purement imaginaires, c'est qu'ils croyaient y recon-
naître quelque chose de divin. Mais depuis Abel et Gain, ou plutôt
depuis Adam lui-même, cette offrande fut toujours considérée
comme Pacte de religion par excellence, qui ne devait avoir
d'autre objet que la divinité. Cependant rien de ce que les hommes
iV ,^*^"**'<^'"ro certc nullus hominum est, qui audeatdlccre deberi, nisi Deo
wll. (S. Ar.iusT., de Civil. Dei, lib. X, cap. iv.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 627
pouvaient offrir à Dieu n'était digne de lui être présenté ; rien ne
pouvait satisfaire à sa justice offensée, ni, à plus forte raison,
provoquer ses miséricordes et ses bienfaits. Les hommes faisaient
ce dont leur infirmité était capable ; mais il fallait un Dieu pour
offrir à Dieu une victime digne de lui, et cette victime, pour être
digne du Dieu qui l'offrait et du Dieu qui acceptait l'offrande, de-
vait être divine elle-même. Nous savons comment la seconde Per-
sonne de l'adorable Trinité, qui est un seul et même Dieu avec le
Père et le Saint-Esprit, résolut ce problème. Le grand sacrifice, dont
tous les autres ne furent que les avant-coureurs et les figures, fut
offert d'abord sur la montagne du Calvaire, sur l'autel de la croix,
où le Pontife suprême, selon l'ordre de Melchisédech, s'immola
par la main des bourreaux, pour la gloire de son Père et pour le
salut des hommes. Ce fut là, selon l'expression de S. Cyprien ^, le
sacrifice véritable, le sacrifice complet, et les autres n'eurent ja-
mais d'autre valeur, en présence de Dieu, que celle qu'ils lui em-
pruntaient parce qu'ils en étaient l'image.
« Qu'offrirai-je de digne au Seigneur? demandait le prophète
« Michée. Fléchirai-je le genou devant le Dieu Très-Haut? Est-ce que
« jelui offrirai des holocaustes etdesgénissesd'uneannée?Est-ceque
« le Seigneur peut être apaisé avec mille béliers, ou avec plusieurs
a milliers de boucs engraissés? Est-ce que je donnerai mon premier-
ce né pour mon crime, et le fruit de mes entrailles pour le péché
« de mon àme? * Non, de telles offrandes, prises en elles-mêmes,
n'étaient rien et ne comptaient pas en présence du Seigneur. Que
pouvait faire alors l'homme réduit à ses seules forces ? Le prophète
va le dire.
« Je t'indiquerai, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur
<i demande de toi : C'est de pratiquer la justice, d'aimer la miséri-
« corde et d'être vigilant à marcher avec ton Dieu -. »
Mettre en pratique ce conseil du prophète était déjà beaucoup,
plus même qu'on ne pouvait moralement espérer de la faiblesse
1. SacriQcium verum et plonum. (S. Cyprian., lib. II Epist.)
2. Quid dignum oHerarn Domino? Curvabo genu Deo Excelso? Numquid
offeram ei holocaulomata, et vitulos anniculos? Numquid placari potest Do-
minus in millibus arietum, aut in multis millibus bircoruni pinguium? Num-
quid dabo primogenitum meum pro scelere meo, fructum ventris mei pro
peccato anima; meae? — Indirabo libi,.o homo, quid sit bonum, et quid Do-
minus requirat a te : Utique facere judicium, et diligere misericordiam, et
soUicitum ambulare cum Deo tuo. {Micfi., vi, 0-8.)
f»i8 L\ SAINTE EUCHARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE 11. — CIIAl'. XIII.
luimaino. Cependant, devant Dieu ce n'était que le strict néces-
saire pour ne pas irriter davantage sa justice ; il n'y avait là rien
qui put réparer les outrages faits à sa divine majesté; rien qui
pût rendr.' liignc de ses bénédictions et de son amour l'homme
qui, par le péché, avait mérité sa malédiction et sa haine éternelle.
Il fallait davantage, ou plutôtquelque chose d'infiniment plusgrand.
C'est pourquoi le Verbe de Dieu, qui nous avait créés à son image,
intervint en notre faveur. Il dit à son Père : « Vous n'avez point
€ voulu d'hostie ni d'oblation, mais vous m'avez formé un corps.
« Les holocaustes pour le péché ne vous ont pas plu ; alors j'ai dit:
« iMe voici, pour faire, ô Dieu, votre volonté '. » C'est-à-dire, selon
l'explication de S. Thomas : « Lorsque vous m'avez donné un corps
« dans ma conception, j'ai dit : Voici que je viens pour endurer le&
« souffrances de la passion, pour m'olTrir en victime. » Il s'offrit
et se sacrifia en répandant pour nous jusqu'à la dernière goutte de
son sang, sur le Calvaire, et il continue de s'offrir et de s'immoler
pour nous, d'une manière non sanglante, sur nos autels. Après ce
sacrilice, tous les autres, que S. Augustin ne craint pas d'appeler
de faux sacrifices, devinrent inutiles et dangereux même, parce
qu'ils auraient détourné les hommes de celui dont ils n'étaient
qu'une image anticipée : ils ont cessé ^. Toutes les grâces que les
hommes pouvaient demander en vertu des sacrifices anciens, ou
plutôt de celui qu'ils figuraient, sont renfermées dans le sacrifice
institué et offert par Noire-Seigneur .Jésus-Christ. C'est par lui
seul que s'est opérée notre rédemption, par lui que nous obtenons
la rémission de nos péchés, que nous faisons des progrès dans la
foi et dans toutes les vertus; c'est lui qui nous conduit à la vie
éternelle. Les sacrifices que Dieu avait institués sous l'ancienne
ici n'étiiient si nombreux que parce qu'aucun d'eux ne suffisait
l)Our atteindre le but qu'on s'y proposait. Dieu montrait leur im-
puissance par leur multitude même, afin d'inspirer le désir de
posséder le sacrifice parfait (jui seul suffirait à tout ^ le sacrifice
1. Mosliam ol oblalioncm noluisti : corpus autem aptasti mihi. Holocau-
tomala pro peccato, non lihi placuerunt, tune dixi : Ecce venio.... Ut faciam,
I>eus, voluntatem tuam. (llebr , x, 5-7.)
2. Huic summo vcroque sacrificio cuncta sacrificia falsa cesserunt. (S. Au-
OC8T., Conc. I advers. Lerj. et Proiih.)
3. Non Bolum plus Dominas, uinbras et figuras veteres, et superflues,
impen-cniente novilate, et veritale sui sacrificii, distulit; sed et mulliplicita-
tem Mcnficiorum veterum singularitate sui sacrificii abbrevians, occupatio-
LA SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 6:29
qu'annonçait Malachie lorsque, parlant au nom du Seigneur, il
disait : « Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, grand est
« mon nom parmi les nations ; et en tout lieu l'on sacrifie, et une
« oblation pure est offerte à mon nom, parce que grand parmi les
« nations est mon nom, dit le Seigneur des armées ^ » Puisque
l'homme, en vertu même de sa nature, et indépendamment de
toute loi positive, est tenu d'offrir des sacrifices à Dieu parce que
tel est le mode le plus efficace et le plus parfait de reconnaître son
souverain domaine, en est-il un plus agréable à Dieu et plus utile
aux hommes que cette oblation pure prédite par le prophète, que
cet adorable sacrifice de l'Eucharistie, offert chaque jour et dans
toutes les contrées du monde, par les prêtres de la sainte Église ?
C'est de cette oblation divine que S. Laurent Justinien a dit :
« Nulle n'est plus grande, nulle n'est plus utile, nulle n'est plus
a aimable ni plus agréable aux yeux de la divine majesté. Elle
<r procure à Dieu l'honneur, aux anges la cohabitation avec nous,
a aux exilés le ciel, à la religion un culte, à la justice la répara-
« tion qu'elle réclame, à la sainteté une règle, à la loi l'obéissance,
« aux gentils la foi, au monde la joie, aux croyants le bonheur,
« aux peuples l'unité, aux sacrements de la loi ancienne leur fin,
« à la grâce son commencement, à la vertu la force, aux hommes la
« paix, aux esprits la lumière, à ceux qui travaillent l'espérance,
« aux voyageurs le chemin, et à ceux qui arrivent la possession
a de la beauté suprême -. »
Notre-Seigneur Jésus-Christ, d'après l'apôtre S. Paul, ayant dit
d'abord : « Vous n'avez voulu ni d'hosties, ni d'oblations, ni
« d'holocaustes pour le péché ; et ce qu'on offre selon la loi ne
a vous a point plu, » ajoute : « J'ai dit ensuite : Me voici, je viens
« pour faire, ô Dieu, votre volonté. » Et l'Apôtre conclut: « Il abo-
nem exteriorum nobis minuit, beneficiorum nobis gratiam multiplicavit, uno
unico suo sacrificio redemptionem, remissionemque peccatorum faciens, pro-
fectuque fidei, cœterarumque virtulum ad vitam œternam perducens. Scien-
dum enim quod ideo Deus tam multa sacrificia dédit in loge, ut nuUum
eorum sufficiens esse ostenderet, quia caetera essent superflua, si unum suffi-
cere posset, ut unum suum sufticiens magis desideraretur. (B. Alger.,
Biblioth. veter. Pair.)
\. Ab ortu enim solis usque ad occasum, magnum est noinen meum in gen-
tibus; et in omni loco sacrilicatur, et olïertur nomini meo oblatio munda ;
quia magnum est nomen meum in gentibus, dicit Dominus exercituum.
{Malach., i, 11.)
2. Quae nuUa major, nuUa utilior, etc. (S. L. Justin., serm. rfe Corp. Christi.)
630 U SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
« lit ainsi le premier sacrifice, pour établir le second. C'est en
« vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l'unique
« oblation du corps de Jésus-Christ K » Le sacrifice que Dieu at-
tendait, le seul qui fût digne de lui, le seul qui pût lui témoigner
suffisamment notre reconnaissance et manifester sa gloire, était
le sacrifice que son Fils unique se préparait à lui offrir. En quoi
pouvaient le flatter les immolations d'animaux dont le sang inon-
dait les anciensautels? Il n'avait de regards que pour le sacrifice de
celui liont il a dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aiméen qui j'ai
« mis toutes mes complaisances '-. »
Comment pourrait-il en être autrement? A la sainte Messe, qui
n'est qu'un seul et unique sacrifice avec le sacrifice sanglant offert
une fois sur le Calvaire, on présente, comme victime, au Père
Éternel, ce Fils bien-aimé, en qui, selon l'expression de l'Écriture,
« toute la plénitude de la divinité habite corporellement ^ ; » ce
Fils qui porte en soi-même l'inestimable trésor des mérites de sa
vie et do sa passion ; ce F'ils dont l'intercession est toute-puissante
pour nous obtenir les biens d'une valeur infinie que nous espérons
en vertu de son sacrifice. Car lorsque la messe est célébrée, ce
n'est pas le mérite du prêtre qui monte à l'autel que Dieu consi-
dère, mais le principal célébrant, le Fils de Dieu lui-même dont
le prêtre mortel est l'instrument visible et le représentant. Et
c'est pourquoi le sacrifice de la messe, quel que soit le prêtre qui
rolfre, est toujours agréable à Dieu K Aussi le prophète Zacharie,
entrevoyant à l'avance ce mystère, s'écriait-il : « Qu'est-ce que le
« Seigneur a de bon et de beau, sinon le froment des élus, et le
« vin qui fait germer les vierges '•> ? »
Que l'on considère, en effet, celui qui offre ce sacrifice, celui à
1. Superius dicens quia lioslias et oblationes et holocautomata pro peccato
noluisti, nec placila sunl libi quae secundum legem offeruntur. Tune dixi :
Ecoe vcnio, ut faciam, Deus, voluntatem tuam : aufert primum ut sequens
statuât. In qua voluntate sanctiticali sumus per oblationcm corporis Jesu
Christi semcl. {Ileôr., x, 8-10.)
^ 2. HiceslFilius meus dilectus, in quo inihi hene complacui. [Matth.,x\u,
3. In quo inhabiiat omnis picnitudo divinitatis corporaliter. (Cofoss., ii, 9.)
4.^ Quando sacerdos oflerl boc sacrificiuin, Pater aeternus intuens donum
'■ sistit in saccrdote, sed in illo respicit personam Filii sui, quem
^' '• '"' "'^'0 acceptât illann purissimam oblationern, ut suinme gratam
fi^'r-^. ;„lpm sibi. (SuAREZ., t. III de Sacr.)
K. Uii'A enim bonum, quid pulcbrum ejus, nisi frumentum electorum, et
vlnum germinans virgincs? {Zach., ix, H.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVuTION. 631
qui il est offert, la victime immolée et le but de son immolation,
et qu'on dise s'il est possible d'imaginer quelque chose de plus
sublime et de plus digne de Dieu.
Le sacrificateur est Jésus-Christ lui-même, à qui S. Paul ap-
plique ces paroles du Psalmiste : « Vous êtes prêtre pour l'éter-
« nité : T) Tu es sacerdos in œternum. •. Il est prêtre, prêtre su-
prême, prêtre divin qui n'a pas besoin d'implorer d'abord son
propre pardon, lorsqu'il accomplit les fonctions de son sacerdoce,
car il est Dieu lui-même, égal en tout à celui qui reçoit l'oblation
de son sacrifice, ou plutôt il n'est qu'un seul et même Dieu avec
lui, car il faut dire avec Denis le Chartreux : « Le Dieu qui re-
« çoit le sacrifice est, par sa nature divine, le même qui s'offre
« selon la nature humaine qu'il a prise -. » Par une merveilleuse
disposition de la Providence, la victime offerte en sacrifice est
une seule et même chose considérée dans sa divinité, avec la très
sainte et très adorable Trinité à laquelle elle est offerte, pour la
gloire de Dieu et pour le salut de nos âmes; et celui qui offre
cette victime incomparable est lui-même l'un de nous, car il a
pris notre humanité, et c'est elle qu'il immole sur l'autel.
C'est donc à Dieu, et par conséquent à Jésus-Christ considéré
comme Dieu, en même temps qu'aux deux autres personnes di-
vines, que le sacrifice qui s'accomplit sur nos autels, et qui n'est
autre que celui de la Croix, est offert. C'est Jésus-Christ considéré
dans son humanité, victime seule véritablement digne d'être of-
ferte à Dieu, qui est immolé. C'est encore Jésus-Christ qui est le
prêtre du sacrifice comme il en est l'hostie. « Le Christ notre Sei-
« gneur, dit Suarez, est le souverain prêtre qui offre principale-
« ment le sacrifice de l'Euciiaristie toutes les fois, et en tous les
« lieux qu'il est otTert 3. » Et il cite ces paroles de S. Augustin :
« C'est le Christ lui-même qui offre, et c'est lui qui est l'oblation '*. »
S. Cyprien dit non moins clairement : « Le prêtre à l'autel tient
4. Ifebi\,y, 0; Ps. cix, 4.
2. Deus acceptans sacrificium, ipse est secundum divinam naturam idem
offerens seipsum secundum naturam assumptam. (Dionys. Carthus., apud
Raynaud.)
3. Clirislus Dnminus est summus sacerdos, qui principaliter offert sacrifi-
cium I']ucharisliae, quandocumquc et ubique offertur. (Suarez, t. III de Sa-
cram.)
i. Christus ipse offerens, ipsa et oblatio, (S. August., lib. IV de Trinit.,
cap. VII et xiv.)
635 U-V SAINTE lUCHARlSTlE. — 11* PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. Mil.
. la place de Jésus-Christ '. » Et S. Ghrysostome dit en traitant
de la dernière Cène : « Celui qui sacrifia dans cette Cène est en-
0 core celui qui le fait maintenant '^. » Ailleurs, le saint 'docteur
ajoute : « Lorsque vous voyez le prêtre offrir le sacrifice, ne pen-
€ sez pas que ce soit lui qui le fasse, mais considérez la main de Jé-
€ sus-Christ invisiblenient étendue "• » surlesoblations saintes. En
effet, pourrait-il en être autrement ? Serait-il admissible qu'une telle
offrande fût faite à Dieu par des mains qui n'en fussent pas dignes
et qui ne pussent lui plaire? Il faut qu'une telle victime soit pré-
sentée à Dieu par un prêtre qui soit vraiment digne de la victime
elle-même et de celui à qui elle est offerte ; il faut en un mot que
Jésus-Christ lui-même présente à l'adorable Trinité le même
Jésus-Christ réduit à l'état de victime pour rendre à Dieu, dans
toute son étendue, la gloire infinie à laquelle il a droit, et pour
appliquer aux hommes les mérites du sacrifice du Calvaire, qui
détruisent la malédiction encourue par eux et leur donnent des
droits à l'héritage du ciel. Lorsque celui qui offre cet adorable
sacrifice est le Fils de Dieu; lorsqu'il l'offre à son Père céleste et
au Saint-Esprit, lorsqu'il se l'offre à lui-même, parce qu'il est
Dieu et qu'il n'est qu'un seul et unique Dieu avec ces deux ado-
rables personnes, et lorsque la victime offerte est encore lui-même
considéré dans son humanité, mais dans son humanité ne faisant
avec sa divinité qu'une seule et unique personne, comment une
telle offrande pourrait-elle n'être pas agréable aux yeux de l'Éter-
nel? pourrait-elle n'être pas toute-puissante, pour obtenir de lui
tout ce qui n'est pas en désaccord avec les desseins de son infinie
sagesse et de son infinie miséricorde?
Ou comprend que la dignité du prêtre mortel qui tient la place
de Jésus-Christ, agissant en son nom et par la vertu de sa toute-
puissance, ou son indignité, soit bien peu de chose et disparaisse
môme complètement, lorsque s'accomplissent d'aussi grands mys-
tères. Qu'il soit un saint ou qu'il ne le soit pas, la grandeur du
sacrifice et son efficacité essentielle ne peuvent ni rien y perdre
ni rien y gagner ; c'est la dignité du Pontife divin, c'est le mé-
1. ^ac.-nio.s in allari viceChristi fungitur. (S. Cyrpbian., Epist. LXIII.)
2. Qui lune in illa Otna, ipse mine quoque operatur. (S. Chrysost.,
hom. \\\\U supnr Matth.) i ^ i^ v
JJ. Cuin videris sacenJotem offerentem, ne Ipsum considères hoc facientem,
«ed Chmti inanum invisibiliter extensam. (Id., hom. deprodilione Judx.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 633
rite infini de l'auguste Victime qui est tout devant Dieu. Néan-
moins, si le prêtre est un saint, quelles grâces rejailliront sur lui
de cette intimité dans laquelle il entre avec Dieu? Lorsque Moïse
descendit du mont Sinaï où il avait conversé face à face avec le
Seigneur, ou du moins avec les anges qui le représentaient, son
visage parut resplendissant d'un tel éclat que les Hébreux ne pou-
vaient plus lever les yeux vers lui. A l'autel dont le prêtre gravit
les degrés, il s'accomplit des mystères plus grands que sur le
sommet du Sinaï, et l'intimité des relations du Seigneur avec Moïse
était moins grande que celle qu'il daigne avoir avec le prêtre.
Quelles grâces infinies celui que Dieu appelle à cet honneur incon-
cevable doit-il donc y trouver ? Mais pour puiser à cette source, il
faut en être digne.
Malheur au contraire au prêtre négligent qui ne sait pas profi-
ter du don de Dieu. Ses mains, je le suppose, sont assez pures
pour qu'il puisse, sans sacrilège, toucher le corps adorable du
Sauveur; il ne lui est pas interdit de se nourrir de la chair ado-
rable, et de boire le sang précieux descendus à sa voix sur l'autel :
mais quel profit en retirera-t-il? Quelle responsabilité terrible pour
n'avoir pas mieux fait valoir le talent de prix infini que Dieu lui
confie chaque jour?
Il en est de même, proportion gardée, des fidèles qui n'as-
sistent pas aussi souvent qu'il leur serait aisé de le faire, au saint
sacrifice de la messe, ou qui le font avec trop peu de dévotion et
de respect. Notre-Seigneur Jésus-Christ se montre infiniment bon,
lorsqu'il vient parmi nous, et s'immole chaque jour sur nos au-
tels; mais il exige en retour que nous ne soyons pas inditïérents
à tant de bonté et que nous ne manquions pas au respect qui est
dû à sa Majesté suprême.
S. François d'Assise comprenait si bien la grandeur infinie du
sacrifice de la messe, et la sainteté qu'il exige des prêtres appelés
à l'offrir, qu'il ne consentit jamais à recevoir le caractère sacer-
dotal. Cependant, qui plus que lui eût été digne de monter à
l'autel, si quelqu'un pouvait vraiment l'être ? Aussi recomman-
dait-il à ceux de ses frères qui étaient revêtus du sacerdoce, d'ac-
complir toujours avec le plus profond respect leurs fonctions
saintes et redoutables. « Mes frères, leur disait-il, vous qui êtes
« prêtres, considérez votre dignité, et soyez des saints, parce que
« Jésus-Christ est saint; et de même que le Seigneur votre Dieu
634 L\ SAINTE BDCHARISTIK. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
« VOUS a élevés en honn(?ur au-dessus de tous les autres, à cause
e de ce mystère, à votre tour, aimez-le, révérez -le, honorez-le.
€ C'est une grande misère, une infirmité bien déplorable, qu'il
« vous arrive de le posséder ainsi présent et de vous préoccuper
o nt'anmoins d'une chose quelconque qui soit au monde. Que tout
€ l'homme soit saisi de crainte, que tout le monde tremble et que
€ le ciel exulte, lorsque sur l'autel, entre les mains du prêtre, est
€ le Christ, Fils du Dieu vivant. 0 grandeur digne de toute ad-
« miration ! 0 condescendance stupéfiante! ô sublime humilité!
« Le souverain Seigneur de toutes choses, Dieu et Fils de Dieu,
0 s'humilie à ce point que, pour notre salut, il se cache sous les
€ apparences d'un petit morceau de pain K »
S. .Jean Chrysostome disait : « Combien y en a-t-il maintenant
« qui pensent : Je voudrais voir Notre-Seigneur revêtu de ce même
« corps dans lequel il a vécu sur la terre. Je serais ravi de voir son
« visage et même ses vêtements. Et moi je vous dis que c'est lui-
« même que vous voyez, que c'est lui-même que vous touchez, que
« c'est lui-même que vous mangez. Vous désirez voir ses vête-
« ments, et le voici qui vous permet de le toucher lui-même et de
€ le recevoir au dedans de vous -. » Nous le voyons, nous le pos-
sédons, il s'immole sous nos yeux comme il s'immola sous les
yeux des Apôtres dans le cénacle, comme il s'est immolé parla
main des bourreaux, sous les yeux de .lean et de Marie sur le Cal-
vaire. Elles fruits de l'immolation qui s'accomplit sur l'autel ne
diiïèrent pas de ceux que Jésus-Christ recueillit pour nous, en
vertu de son sacrifice sanglant. « La célébration de la messe vaut
« autant que la mort du Christ sur la croix 3, » dit encore S. Jean
Chrysostome ; ce que l'Ange de l'École confirme en disant à son
tour : <* En chaque messe, il y a tout le fruit et toute l'utilité résul-
« tant de la mort de Jésus-Christ sur la croix, au jour de sa
« passion *. »
Ne nous étonnons donc pas des pressantes recommandations
adressées par le saint patriarche de Constantinople à ses prêtres et
1. s. Franxisc. Assis., Opu.sc. t. I, epist. XH.
± S. CiiRvsosT., horn. LXXXVI m Matlh.
3. Tanluin valet celebratio missœ quantum mors Christi in cruce. (S. Chry-
sosT. apud Mansi.)
i- ■ ■ • Imissa invenitur omnis fructu.s, et utilitas, quam Christus in
aie uperatus est in cruce cum morte sua. (S. Thom. apud Mansi,
ul supr.i ; ^ ^
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION.* 635
à ses fidèles. « Quelles qualités, dit-il, doit avoir celui dont la fonc-
Œ tion est d'être intercesseur auprès de Dieu, non pour une seule
a ville, mais pour toute la terre, et qui est établi afin de prier pour
« les péchés de tous les hommes, non seulement de ceux qui sont
et vivants, mais même de ceux qui sont morts ! Il doit d'autant
« plus exceller au-dessus de ceux pour qui il prie, qu'un prince
« est élevé au-dessus de ceux qui lui sont soumis. Que si l'on con-
« sidère, de plus, que c'est lui qui, après avoir invoqué le Saint-
ce Esprit, accomplit ce sacrifice redoutable, qu'il tient longtemps
« entre ses mains le Seigneur de tout l'univers, je vous demande
« en quel rang nous devons le mettre, quelle pureté nous devons
a exiger de lui, quelle piété il doit avoir? Considérez quelles
« doivent être les mains qui servent à ce ministère; quelle doit
« être la langue qui prononce ces paroles sacrées, et combien pure
« doit être l'àme qui reçoit ce divin Esprit i. »
Pour donner une idée plus haute encore, s'il était possible, de
la dignité du sacrifice de la messe et de la sainteté qu'il réclame,
aussi bien des simples assistants que du prêtre qui l'offre, S. Jean
Chrysostome ajoutait que, pendant la célébration des divins mys-
tères, les anges sont là qui entourent le prêtre et le saint autel. Il
l'avait appris, dit-il, d'une personne à qui un vieillard de grande
vertu, que Dieu favorisait de plusieurs révélations et de visions
merveilleuses, avait raconté que, pendant le temps du sacrifice,
il avait eu le bonheur de voir, autant que les yeux mortels en sont
capables, une multitude d'anges vêtus de robes blanches environner
l'autel, la tête inclinée en signe de respect, comme font les cour-
tisans en présence de leur roi 2.
S. Nil dit à son tour que S. Jean Chrysostome, qu'il appelle la
lumière de l'Église de Gonstantinople et même de l'univers, voyait
à toute heure des anges dans l'église, mais particulièrement dans
le temps du sacrifice non sanglant. Il ajoute que ce Père, plein
d'admiration et de joie, faisait part à ses intimes amis les plus
spirituels de ces visions d'anges, et qu'il leur disait que, lorsque
l'on commençait l'oblation sacrée, il voyait descendre du ciel
plusieurs de ces esprits bienheureux, revêtus de robes très écla-
tantes et nu -pieds, qui environnaient l'autel avec respect et si-
lence, regardant la table sacrée, et le visage baissé. S. Chrysostome
1. S. CnRYSOST., de Sacerdolio, lib. VI.
2. Id., ibïd.
636 LA SAINTE EUCHARISTIE. — iT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
ajoutait que lorsqu'on avait achevé la célébration des Mystères, et
que les évéques, les prêtres et les diacres distribuaient au peuple
le corps et le sang précieux, les anges les aidaient dans ces fonc-
tions, et les soutenaient, de peur qu'ils ne se lassassent K
Il n'y a pas à être surpris que les anges descendent ainsi du ciel
pour entourer l'autel où le prêtre célèbre nos saints mystères; le
contraire aurait plutôt lieu de nous étonner. La sainte Église les
invite, et elle nous invite en même temps, à unir nos voix aux
leurs pour chanter humblement, en présence de Jésus-Christ des-
cendu sur l'autel, ce que les Séraphins répètent éternellement :
Saint, Saint, Saint le Seigneur le Dieu des armées. « Reconnaissez-
« vous ce langage? demande encore S. Jean Ghrysostome. Est-ce
« le nôtre ou celui des Séraphins? C'est le nôtre et c'est celui des
Séraphins, car le Christ a levé la cloison qui séparait les deux
mondes; il a foit régner la paix sur la terre et dans les cieux ;
il a fait de deux choses une seule. D'abord cette hymne n'était
chantée que dans le ciel; mais quand le Seigneur eut daigné
descendre sur la terre, il nous a initiés à cette mélodie. Voilà
pourquoi le pontife, quand il se tient debout à cette table sainte
pour offrir le culte raisonnable avec la Victime non sanglante,
ne se contente pas de nous inviter à pousser cette acclamation.
Il commence par nommer les Chérubins, par faire mention des
Séraphins, puis il nous exhorte à unir nos voix dans ce cri plein
d'une sainte horreur. En nous faisant connaître ceux qui
chantent avec nous, il élève notre pensée au-dessus de la terre ;
on dirait qu'il crie à chacun de nous : tu chantes avec les Séra-
phins, tiens-toi debout avec les Séraphins ; avec eux déploie tes
ailes, avec eux voltige autour du trône royal.
« Faut-il s'étonner, continue le saint orateur, de vous voir dans
la compagnie des Séraphins, quand Dieu vous permet de toucher
impunément les choses dont les Séraphins n'osent affronter le
contact? — Un des Séraphins me fut envoyé, dit le Prophète, et
il avait un charbon allumé qu'il avait pris avec la pince sur
l'autel. —Cet autel est l'image et le symbole de celui que vous
avez sous les yeux ; ce feu représente le feu spirituel. Les Séra-
phins n'avaient osé le saisir qu'au moyen d'une pince, et toi, tu
ne crains pas d'y porter la main ! Si vous considérez la grandeur
1. s. Nil, Epist. ml Monach.
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 637
« des objets, vous comprendrez que les Séraphins mêmes n'aient
« pas été dignes d'y toucher ; mais si vous vous représentez la
« bonté du Seigneur, vous concevrez comment ces objets sublimes
« peuvent descendre sans honte au niveau de notre bassesse. —
« Homme, songe à cela, réfléchis à la magnificence du présent qui
« t'est fait ; lève-toi, détache-toi de la terre et remonte au ciel '. »
Nous n'ajouterons rien à ces magnifiques paroles, si capables de
nous faire comprendre la dignité infinie du sacrifice que le prêtre
offre chaque jour, et les dispositions que tant de grandeur et de
sainteté exige de ceux qui l'offrent et de ceux qui y assistent.
III.
LA MESSE SACRIFICE PROPITIATOIRE ET SATISFACTOIRE OFFERT POUR
LA RÉMISSION DE NOS PÉCHÉS ET POUR LE PAIEMENT DE NOS DETTES
ENVERS LA JUSTICE DE DIEU.
Xotre-Seigneur Jésus-Christ, en mourant pour tous les hommes
sur la croix, avait satisfait à la justice de Dieu ~. Non seulement
la condamnation portée contre l'humanité tout entière était révo-
quée, mais des grâces et des bénédictions infinies pouvaient dé-
sormais devenir le partage de tous les descendants d'Adam. C'est
que, selon l'enseignement de S. Thomas 3, le Christ avait reçu la
grâce en qualité de chef de l'Église, afin qu'elle ne lui servit pas
uniquement à lui seul, mais qu'il la communiquât à tous ses
membres et leur méritât le salut. Il fut le juste par excellence; il
souffrit pour la justice et, par ses souffrances, il mérita le salut,
non pas pour lui-même qui n'en avait pas besoin, mais pour ceux
qui étaient ses membres, parce qu'il était constitué leur chef, selon
cette parole de S. Paul aux Golossiens : « Il est lui-même la tête
du corps de l'Église ^; » ce qu'il répète en d'autres termes dans
l'Épitre aux Éphésiens : « Le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
\. S. J. Chrysost., hom. W in Oziam, seu m Scrdphim. Traduction de
l'abbé Jeannin.
2. Nous avons eu précédemment l'occasion de traiter au point de vue pure-
ment dogmatique des effets et des fruits du sacrifice de nos autels. (Voir
même ouvrage, t. II, p. 'iiil.) Nous y reviendrons néanmoins ici, car il y a là,
pour les prêtres et pour les fidèles, des motifs puissants de dévotion envers
cet adorable mystère.
;5. III p., i\. XLViii, art. 1.
■i. Ipsc est caput corporis Ecclesise. (Coloss., i, 18.)
638 L.V SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. XIII.
« le Père de la gloire.... a mis toutes choses sous ses pieds et il
€ Ta établi sur toute l'Église qui est son corps et le complément
c de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres K »
Et ce divin Chef avait dit lui-même, en usant d'une autre compa-
raison : « Moi je suis la vigne et vous les sarments. Celui qui de-
« meure en moi et moi en lui portera beaucoup de fruit -. » Les
sarments ne font qu'un avec le cep duquel ils sortent et dont la
sève les vivifie et les féconde ; les membres ne font qu'un avec le
chef duquel ils dépendent et sans lequel ils ne seraient qu'une
matière inutile, inerte et destinée à une dissolution prochaine. Le
cep de la vigne est tout pour les sarments, la tête est tout pour
les membres, comme Jésus-Christ est tout pour les membres de
riiumanilé qui consentent à l'avoir pour chef. Ils ont part à ses
mé-rites et participent à sa grcàce. Or c'est principalement par sa
passion que .Jésus-Christ a conquis ce mérite, qu'il communique
à ses membres en qualité de chef. Il avait dit : « Bienheureux ceux
t qui souIVrenl persécution à cause de la justice. » Il a souffert
celte persécution, et l'a soufferte jusqu'à la mort : c'est ainsi que
ses membres ont été mis à même de participer à son bonheur. Il
dit après sa résurrection : i' Il a fallu que le Christ souffrît et qu'il
entnU aussi dans sa gloire ^. » Mais il ne voulait pas entrer seul
dans la gloire qui lui appartenait en propre, parce qu'il était le
Fils unique de Dieu ; il prétendait que ses membres y entrassent
avec lui : c'est pour cela qu'il lui fallut souffrir.
Far ses souffrances et par sa mort, Notre-Seigneur Jésus-Christ
a pleinement satisfait pour tous les péchés des hommes, car ce
(ju'il a offert à Dieu, lorsqu'il s'est livré en victime et en sacrifice
pour le salut des hommes, honorait infiniment plus l'adorable
Trinité, que les péchés de l'humanité tout entière ne pouvaient
l'offenser.
La grandeur de la réparation se mesure, en effet, à la perfection
des sentiments dont elle procède, à la dignité de l'acte dans lequel
elle consiste, à la nature de cet acte en lui-même. Or, Notre-Sei-
1. Deus Domini nostri Jesu Chrisli, Pater gloriae,.... omnia subjecit sub
pedibus ejus, et ipsuiii dédit caput super ornnem Ecclesiam, quse est corpus
ipsius, et plenitudo ejus, qui omnia in omnibus adimpletur. (Enhes., i, 17,
I. Kgo sum vitis, vos palmites. Qui manel in me et ego in eo hic fert fruc-
tum nmltum. {Jonnn., xv, .'].)
:i. Oportuil pal! Christum, et ita inlrare in gloriam suam. {Luc, xxiv, 2G.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 639
gneur Jésus-Christ, qui voulut réparer nos fautes auprès de Dieu
en souffrant par charité et par obéissance, le fit avec une charité
infinie et une perfection d'obéissance à laquelle un Dieu fait
homme pouvait seul atteindre ; sa vie, qu'il offrit et qu'il sacrifia
pour expier nos iniquités, était la vie d'un Dieu en même temps
que la vie d'un homme; les souffrances qu'il voulut endurer attei-
gnirent tout son être humain, et rien de ce que les autres hom-
mes ont souffert ici-bas ne peut leur être comparé. C'est pourquoi
la passion de Notre-Seigneur, sa mort sur la montagne du Cal-
vaire a été plus que suffisante pour expier les péchés des hommes
et les faire rentrer en grâce avec Dieu ; ses mérites ont été sura-
bondants, et S. Jean a pu dire : « Il est lui-même propitiation
«f pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour
« ceux de tout le monde i. »
La passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a donc déli-
vrés de la servitude du péché, S. Thomas nous dit encore qu'elle
nous a conféré ce bienfait inestimable, en premier lieu, parce
qu'elle a excité chez les hommes un véritable amour pour un Dieu
qui les aime tant. S. Paul nous fait remarquer, dans l'Épître aux
Romains, combien est grand Tamour que Dieu nous témoigne
dans la passion de son divin Fils ; il dit : « Ainsi, Dieu manifeste
<f son amour pour nous, en ce que, dans le temps où nous étions
a encore pécheurs, le Christ est mort pour nous 2, » Tant d'amour
de la part d'un Dieu ne peut manquer d'éveiller dans nos cœurs
quelques sentiments de reconnaissance et, par suite, de nous faire
aimer celui qui s'est montré si bon pour nous. Or, nous obtenons
le pardon de nos péchés si nous aimons véritablement Dieu,
selon cette parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Beaucoup
1. nie proprie satisfacit pro offensa qui exhibet offense id quod feque vel
magis diligil quam oderit ofïensam. Christus autem ex charitate et obedientia
patiendo, majus aliquid Deo exbibuit quam exigeret reconipensatio totius
offensct humani generis : primo quidem propter magnitudinem charitatis ex
qua patiebatur; secundo, propter dignitatem vitae suae, quam pro satisfactione
ponebat, quae eratvila Dei et hoininis ; tertio propter generalitalem passionis
et magnitudinem doloris assumpti, utsupra dictum est(quœst. XLVi, art. 0).Et
ideo passio Cbristi non solum suftlciens, sed etiam superabundans satisfactio
fuit pro peccatis bumani generis, secundum illud (/. Joann., 11, 2) : Ipse est
propilialio pro peccatis nostris, non pro 7ioslris autem tantum, sed etiam pro
totius mundi. (S. TiiOM., III p., q. xLvni, art. û)
2. Commendat Ueus suam cbaritatem in nobis, quoniam cum adbuc iniinici
essemus, Cbristus pro uobis mortuus est. [Rom., v, 8.)
640 L.\ SAINTE EUCHARISTIE. — iT PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
. de pécliés lui ont été remis, parce qu'elle a aimé beaucoup i. »
De plus, la passion du Sauveur nous procure la rémission de
nos péchés par mode de rédemption. Il est notre chef; par ses
souffrances et sa mort endurées pour nous, il nous a délivrés,
comme ses membres, de nos péchés; sa passion a été le prix dont
il a payé notre délivrance. C'est ainsi qu'un homme, en accom-
plissant avec la main une œuvre méritoire, pourrait racheter une
faute commise avec un autre membre. De même, en effet, qu'un
corps naturel est un tout composé de membres divers, l'Église,
qui est le corps mystique du Christ, est considérée comme un seul
tout, comme une personne unique avec Jésus-Christ, son chef, et
les mérites de ce divin chef rejaillissent sur tous ses membres.
Ajoutons enfin que la chair dans laquelle le Fils de Dieu a souf-
fert est l'instrument de sa divinité. Il n'est avec sa chair qu'une
seule et unique personne; ce qu'elle endure, c'est bien le Verbe in-
carné qui l'endure; toutes ses actions comme toutes ses souf-
frances sont bien les actions et les souffrances d'un Dieu fait
homme afin de pouvoir souffrir, et donner à ses souffrances une
vertu divine, seule capable de détruire le péché. Nous pouvons
donc et nous devons reconnaître que la passion de Notre-Seigneur
est la cause propre de la rémission des péchés qui est faite aux
hommes par la justice et la bonté de Dieu 2.
¥.n acceptant toutes les douleurs de sa passion et la mort
même sur la croix pour nous, notre divin Rédempteur a posé la
cause première de notre délivrance. Désormais, il nous était
1. Dimiltunlur ei pcccala inulta, quoniam dilexit multum. {Luc, vu, iâ.)
•2. Hespoiuleo ilicendum quod Passio Christi est propria causa remissionis
poccnlonim Iripliciter. Primo (|uidem per modiim provocantis ad charitatem,
quia, ul Aposlolus dicit {Iiom.,v, H) : CommemUtt Deus stiam charitatem in
lutbis i/tumiam cum ad/iuc inimici essemus, Chrislus pro nobis morluus est.
Per ctiarilalcin autein consequimur veniam peccatorum, secundum illud
[Luc, VII, M) : Dimisxa sunt ei pcccala mulla, quoniam dilexit multum. — Se-
cundo, passio Christi causât rcrnissionein peccatorum per modum redemptio-
nis. (^)uia eniin ipse est capul iiostrum per passionem suam, quam ex chari-
tale et obedienlia sustinuil, li))eravit nos lanquam mcml)ra sua a peccatis,
quasi per pretium suae passionis : sicut si liomo per aliquod o])us meritorium
quod manu cxcrceret redimeret se a peccato quod pedibus commisisset. Sicut
enim iiaturale corpus est unum ex membrorum divorsitate consistens, ita
loU Kcclesia, quœ est mysticum corpus Cliristi, computatur quasi una per-
soiia cum suo capite, quod est Christus — Tertio, per modum efficientiffi, in
quantum caro secundum quam Christus passionem sustinuit, est instrumen-
lum diviniuitis, ex quo ejus passionos et actiones oporantur in virlute divina
ad cxpcllcndum peccalum. (S. Tiiom., III p., q. xux, art. \.]
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 641
possible d'obtenir le pardon de nos péchés passés, présents ou
futurs, quels qu'ils fussent. Il a été pour nous ce que serait un
médecin infiniment habile et charitable, qui préparerait et met-
trait à la portée de tous un remède assez efficace pour rendre une
santé parfaite à tous les malades sans exception, qui voudraient
en user. Mais ce merveilleux remède, guérissant non pas les
maladies du corps, mais celles de l'àme, incomparablement plus
graves et plus redoutables, doit être appliqué à chaque homme
en particulier, pour le purifier des souillures qui lui sont propres.
On se tromperait néanmoins beaucoup si l'on s'imaginait que
Notre-Seigneur Jésus-Christ a tout fait, et qu'il ne nous reste
qu'à profiter des mérites acquis au prix de tant de souffrances.
S. Paul disait : « J'accomplis dans ma chair ce qui manque aux
« souffrances du Christ '. a Théophylacte demande si ces paroles
de l'Apôtre n'étaient pas empreintes d'un peu d'ostentation et
d'arrogance, et il répond que non. S. Thomas en donne la rai-
son : « Ce qui manquait, dit-il, c'était que Jésus-Christ souffrît
« dans Paul et dans ses autres membres, comme il avait souffert
« dans ses membres propres -. » Selon les desseins de Dieu, il ne
suffit pas que Jésus-Christ ait souffert, il faut que nous souffrions
avec lui, si nous voulons être glorifiés comme lui. « Jésus-Christ
« a souffert pour nous, vous laissant l'exemple afin que vous suiviez
a ses traces 3. » H ne suffit donc pas que le Seigneur ait souffert pour
notre salut, si nous ne savons pas tirer parti de ses souffrances,
si nous ne nous appliquons pas ses mérites en imitant son exem-
ple et en souffrant comme lui. L'Apôtre ne disait-il pas : « Je
« porte sur mon corps les stigmates de mon Seigneur. Je châtie
a mon corps et le réduis en servitude ^? » Dévalues paroles, de
vains désirs, une compassion stérile, à la pensée des souffrances
de Notre-Seigneur, ne suffisent pas. Il faut imiter Jésus-Christ
par la pureté de la conscience; il faut l'imiter par la patience et la
résignation parfaite au milieu des épreuves de la vie; il faut l'i-
1. Adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea. [Coloss., i, 2i.)
2. Hoc deerat quod sicut Christiis passus erat in corpore suo, ita pateretur
in Paulo membro suo, et similiter in aliis. (S. Thom. in Epist. S. Pxtdi ad
Coloss.)
3. Christus passas est pro nohis, vobis relinquens exemplum ut sequamini
vestigia ejus. (/. Petr., ii, 21.)
4. Ego stigmata Domini inei in corpore mec porto. Castigo corpus meum,
et in servitutem redigo. {Gatft., vi, il.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 41
642 LA SAINTE EUCHARISTIE. 11* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
miter par la pratique de la mortification volontaire. Ainsi, nous
mériterons que nous soient appliqués, dans toute leur plénitude,
les mérites amassés pour nous, par sa passion et par sa mort.
Mais si nous voulons suivre l'exemple de Jésus-Christ notre
Rédempteur et profiter largement de la rançon payée pour notre
salut, le moyen le plus puissant qui soit à notre portée est la dé-
votion au saint sacrifice de la messe. Là, en effet, l'immolation
opérée sur la croix se renouvelle. Qui ne sait que celui qui s'im-
mole sur nos autels, d'une manière non sanglante, est le même
Jésus-Christ dont S. Paul a dit : « Il s'est livré lui-même pour
« nous en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur *? » Le
souverain sacrificateur est le même; la victime est la même; le
Dieu à qui elle est offerte est le même; l'intention de l'oblation
du sacrifice ne diffère pas : le fruit ne doit donc pas différer da-
vantage, et si le sacrifice de la croix eut la vertu d'effacer nos
péchés, cette même vertu se retrouve nécessairement dans le sa-
crifice de l'autel, qui est identique avec lui. Aussi lisons-nous dans
les actes du Concile de Trente : « Parce que le même Jésus-Christ
« qui s'est offert une foi^ lui-même sur l'autel de la croix, et avec
« effusion de son sang, est contenu et immolé sans effusion de
« sang, dans ce divin sacrifice qui s'accomplit à la messe : le
« saint Concile dit et déclare que ce sacrifice est vraiment propi-
« tiatoire, et que par lui nous obtenons miséricorde et trouvons
« grâce et secours au besoin, si nous approchons de Dieu contrits
« et pénitents, avec un cœur sincère, une foi droite, et dans un
tt esprit de crainte et de respect. Car Notre-Seigneur, apaisé par
« cette offrande et accordant la grâce et le don de pénitence, re-
« met les crimes et les péchés même les plus grands; puisque
<r c'est la même et l'unique hostie, et que c'est le même qui s'of-
« frit autrefois sur la croix, qui s'offre encore à présent par le
« ministère des prêtres, n'y ayant de différence qu'en la manière
« de l'offrir ; et c'est même par le moyen de cette oblation non
a sanglante, que l'on reçoit avec abondance le fruit de celle qui
«t s'est faite avec effusion de sang 2. »
1. Tradidit semetipsum pro nobis oblationem, et hostiam Deo in odorem
suavitatis. (Ephes., v, 2.)
2. Et quoniam in divino hoc sacrificio quod in Missa peragitur, idem ille
Christus continetur, et incruente immolalur qui in ara crucis semel seipsum
cruente obtulit; docet sancta Synodus illud vere propitiatorium esse, per
ipsumque fieri, ut, si cum vero corde et recta fide, cum metu ac reverentia,
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 643
S. Jean, l'apôtre bien-aimé de Jésus, avait été présent non seu-
lement au sacrifice delà Croix, mais à celui offert dans le Cénacle.
Bien des fois il avait renouvelé lui-même ce sacrifice non sanglant,
selon la recommandation du divin Maître : il en connaissait donc
toute la valeur et ce n'était pas seulement du sacrifice de la croix,
mais de celui que Jésus-Christ a coutume d'offrir par les mains
du prêtre, quoiqu'il soit en possession de la gloire du ciel, qu'il
entendait parler, lorsqu'il disait : « Si quelqu'un pèche, nous
« avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ, le Juste. Et il
« est lui-même propitiation pour nos péchés, et non seulement
« pour les nôtres, mais pour ceux de tout le monde >. »
Jésus-Christ, dont la mort a expié nos fautes sur le Calvaire,
continue donc d'être propitiation pour nos péchés, selon l'expres-
sion de S. Jean, maintenant qu'il est assis à la droite du Père. Et
comment l'est-il, sinon par l'oblation de son sacrifice renouvelé
sans cesse sur nos autels? Aussi la sainte Église dit-elle dans une
oraison secrète de la messe : « Nous offrons, Seigneur, ces hos-
« ties d'apaisement, afin qu'ayant pitié de nous, vous nous absol-
ut viez de nos péchés ~. » La messe renouvelle le sacrifice de la
croix par lequel nous avons été rachetés, elle renouvelle donc
l'œuvre de notre rédemption, et l'Église n'hésite pas à le dire
dans une autre oraison secrète : « Toutes les fois qu'est célébrée
« la commémoration de cette hostie, l'œuvre de notre rédemption
« s'accomplit 3. »
S'il nous avait été donné de nous trouver au pied de la croix
du Sauveur, et de savoir que c'était en notre faveur qu'il mourait
au milieu des plus cruels tourments, si nous avions connu que
contriti ac pœnitentes ad Deum accedamus, misericordiam consequamur, et
gratiam inveniamus in auxilio opportuno.
Hujus quippe oblatione placatus Dominus, gratiam et donum pœnitentiae
concedens, crimina et peccala etiam ingentia dimittit, iina euim eademque
est hostia, idem nunc offerens sacerdotum ministerio, qui seipsum tune in
cruce obtulit, sola offerendi ratione diversa. Cujus quidem olilationis,
cruentae, inqiiam fructus per hanc uberrime percipiuntur. {Concil. Trident.,
sess. XXII, cap. ii.)
1. Si quis peccaverit, advocatum habemus apud Patrem Jesum Clirislum
Justum. Et ipse est propitiatio pro pcccalis nostris : non pro nostris aulem
tantum, sed etiam pro lotius mundi. (/. Joann., ii, 1, "1.)
-1. Hostias tibi, Domine, placationis ollcrimus, ut delicta nostra miseratus
absolvas. {Orat. secret, in Dom. V Ej)iph.)
3. Quoties bujus hostias commemoratio celebratur, opus nostrœ redemptio-
nis cxercetur. (Orat. secret, in Dom. IX ))ust. Petit.)
644 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XIII.
son sang était le prix de notre rançon, aurions-nous hésité un
instant à croire au pardon de nos péchés? Nous eussions fait
comme le bon larron; notre foi en la miséricorde de Dieu eût été
entière, et comme lui nous eussions été purifiés de toutes les
souillures de notre âme.
Lorsque nous célébrons la sainte messe ou que nous y assistons,
le même Rédempteur qui fut alors immolé sur la croix s'immole
sur l'autel ; il offre au Père Éternel le même sacrifice pour l'ex-
piation de nos péchés. Sans doute il ne mérite plus, car il n'est
plus en état de le faire : il ne pouvait mourir qu'une lois; mais
les mérites infinis et inépuisables, acquis par son sacrifice san-
glant, sont toujours à sa disposition; et il les offre de nouveau
en la laveur de sa sainte Église, de ceux que le prêtre lui recom-
mande et de ceux qui, présents à son sacrifice, s'y unissent par
la foi et la dévotion de leurs cœurs.
Dieu pourrait-il regarder encore d'un œil irrité ceux pour qui
son Fils bien-aimé lui offre une telle réparation ? Pourrait-il exi-
ger une réparation plus complète que celle qui lui est faite par
l'oblation d'un tel sacrifice? Qu'ils entrent dans les sentiments de
Jésus-Christ lui-même, autant qu'ils le peuvent; qu'ils offrent
avec lui ses souffrances et sa mort au Père éternel, et leurs ini-
quités disparaîtront, consumées par le feu de l'amour divin qui
brûle sur l'autel. « Si vous craignez de ne pouvoir apaiser la co-
« 1ère de Dieu, dit un pieux auteur, hàtez-vous de lui offrir un
« présent de grand prix ; offrez-lui le Christ, ses mérites, sa satis-
« faction. Le Fils de Dieu est plus agréable à son Père que vous
« ne pourriez lui déplaire, vous et le monde entier. Dites donc- à
« son Père : Je suis indigne de pardon ; mes péchés ont été plus
« nombreux que les grains de sable du rivage de la mer : mais
« voici votre P'ils que vous m'avez donné, et que je vous offre ; il
« vous plaît davantage que je ne vous ai déplu, ses mérites sont
« plus grands que ne sont mes péchés ^ »
Un lit dans le prophète Isaïe : « Si le Seigneur des armées ne
«r nous avait laissé un rejeton, nous aurions été comme Sodome,
o nous serions devenus semjjlables à Gomorrhe -. » S. Paul rap-
pelle ce texte en parlant des restes du peuple juif, qui furent
\. Osonius, de }fiss. div. aacrif.
2. Nisi Dominus exercituum reliquisset nobis semen, quasi Sodoma fuisse-
mus et quasi Gomorrha similes cssemus. (/s., i, 0.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'unE GRANDE DÉVOTION. 645
fidèles à l'inspiration de la grâce et se convertirent dans les pre-
miers temps de la prédication de l'Évangile ' ; mais cette applica-
tion faite par TApôtre ne s'oppose pas à l'interprétation de ceux
qui voient Jésus-Christ dans le rejeton dont parle le prophète.
C'est ainsi que quelques lignes plus haut, Isaïe dit, en parlant du
peuple juif qu'il compare à un homme : « De la plante des pieds
« jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui. C'est
« blessure, meurtrissure, plaie enflammée qui n'a pas été bandée,
« ni pansée, ni adoucie par l'huile -. » Qui ne sait que la sainte
Église n'hésite pas à entendre ce texte de Notre-Seigneur lui-
même au temps de sa passion ? C'est donc lui aussi qui est ce re-
jeton sans lequel non seulement les Juifs, mais les Chrétiens eux-
mêmes, fussent devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe. Et
pour que nous n'en puissions douter, le prophète ajoute : « Qu'ai-
« je à faire de la multitude de vos victimes ? dit le Seigneur. Je
« suis rassasié ; les holocaustes des béliers et la graisse des ani-
« maux, et le sang des veaux et des agneaux et des boucs, je n'en
« veux plus 3. » Cependant l'oblation du sacrifice est l'acte essentiel
du culte. Pourquoi Dieu repoussait-il absolument les sacrifices
anciens, sinon parce que le sacrifice par excellence, celui dont ils
n'étaient que l'image et la préparation, allait être offert sur le Cal-
vaire? Pourquoi, sinon parce que cette oblation pure serait offerte
bientôt, non seulement sur le Calvaire, mais chez tous les peuples,
parmi toutes les nations? Et c'est grâce à ce sacrifice divin, à
cette semence du ciel répandue par tout l'univers, que le peuple
chrétien, la sainte Église, ne ressemblera pas à Sodome et à Go-
morrhe et qu'elle ne sera pas traitée comme ces malheureuses
villes. Hélas! nous sommes pécheurs et souvent les iniquités des
peuples chrétiens crient vengeance vers le ciel; mais nous avons
un rejeton sauveur que Dieu nous a laissé; nous avons Jésus-
Christ s'immolant pour nous des milliers de fois chaque jour, sur
nos autels; et voilà pourquoi la miséricorde de Dieu désarme
sa justice; voilà pourquoi nous ne sommes pas frappés comme les
\. Hom., IX, 21).
2. A planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas; vulnus et livor,
et plaga tumens, non est circumiigata, nec curata medicamento, nec fota
oleo. (/s., I, G.)
r<. Quo milii niultitudincm viclimarum vestrarum? dicit Doniinlis. Plenus
sum; holocausta arieluni, et adipem pinguium, el sanguinem vitulorum, et
agnorum et hircorum nolui. (/s., i, 11.)
646 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
antiques villes coupables. Mais il faut que nous sachions recon-
naître le don d'une valeur infinie que le Seigneur nous a fait ; il
faut que nous approchions de l'autel sur lequel s'immole la divine
victime, avec tout le respect et toute la dévotion que réclame un
si saint mystère.
S. Paul nous enseigne, dansl'Épître aux Hébreux, que : « Tout
« Pontife pris d'entre les hommes est établi pour les hommes en
« ce qui regarde Dieu, afin qu'il offre des dons et des sacrifices
« pour les péchés K » Quel présent plus agréable à Dieu pourrait-
on lui olTrir que ce Fils dont il s'est plu à répéter : « Celui-ci
« est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complai-
« sances : » Hic est Filius meus dilectus in quo milii bene com-
placui -? que ce Fils qui, certain que son immolation serait bien
accueillie par son Père, a dit à son tour : « Les holocaustes pour
« le péché ne vous ont pas plu ; alors j'ai dit : Me voici ; je viens
« pour faire, ô Dieu, votre volonté '^'l » Et d'ailleurs ce don que
nous offrons à Dieu, cette victime que nous immolons ou plutôt
qui s'immole par le ministère du prêtre n'est autre que Dieu lui-
même. C'est la victime même de notre sacrifice que nous implo-
rons; c'est de cette victime, qui se sacrifie elle-même volontaire-
ment pour notre salut, que nous attendons le pardon de nos pé-
chés, c'est à elle que nous redisons : « Agneau de Dieu qui effacez
« les péchés du monde, ayez pitié de nous. Agneau de Dieu qui
« effacez les péchés du monde, donnez-nous la paix. » Le divin
Agneau qui verse son sang, afin de nous mériter le pardon dont
nous avons besoin, ne peut pas nous refuser ce pardon, demandé
en vertu de ce même sang répandu pour nous et offert sur l'autel,
pour notre salut. Il nous l'a d'ailleurs solennellement promis en
instituant cet adorable sacrifice. N'a-t-il pas dit, et les prêtres ne
répètent-ils pas tous les jours après lui : « Ce calice est celui de
« mon sang, du nouveau et éternel testament, mystère de foi qui
« pour vous et pour plusieurs sera répandu en rémission des
e péchés : » Hic est enim calix sangiiinis mei, novi et œterni
testamenti, mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis eff'un-
i. Omnis namque Pontifex ex hominibus assumptus, pro hominibus consti-
tuitur in iis, quae sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro peccatis.
{IIcfjr.,\, 1.)
2. Matth., III, 17.
3. Holocausta pro peccato non tibi placuerunt. Tune dixi : Ecce venio.... Ut
faciam, Deus, voluntatem tuam. [Hebr., x, 6, 7.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 647
detur in remissionem peccaiorum ? <s Ces paroles, dit très bien
« le cardinal Bellarmin, nous enseignent clairement que le Christ
«< a offert le sacrifice de la Cène pour les péchés des apôtres. Or,
« notre sacrifice est identiquement le même qui fut offert en cette
« circonstance i. » Et S. Ambroise en tire la conséquence en ces
termes : « Si toutes les fois que le sang du Christ est versé, il est
« pris pour la rémission des péchés, je dois toujours le prendre,
« pour que toujours mes péchés me soient remis '". »
Il ne faudrait pas croire cependant que le saint sacrifice de la
messe efface directement le péché par sa propre vertu. Cet effet
est réservé aux sacrements, et particulièrement au Baptême et à la
Pénitence. Mais il nous obtient de Dieu des grâces abondantes
qui finissent souvent par triompher des cœurs même les plus en-
durcis. Après la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la croix,
beaucoup de ceux qui avaient assisté au sanglant sacrifice et qui
avaient insulté la divine Victime, se retirèrent pénétrés de com-
ponction, se frappant la poitrine et confessant sa divinité. C'est le
même sang qui coule sur nos autels; il n'a rien perdu de sa vertu
pour la conversion des pécheurs, et c'est pour nous appliquer les
mérites acquis par l'effusion de ce sang sacré, que la divine Vic-
time renouvelle son sacrifice.
Ici se place un enseignement du Docteur Angélique. « L"Eu-
« charistie, dit S. Thomas, n'est pas uniquement un sacrement,
« elle est aussi un sacrifice. Comme sacrement, elle produit son
« effet sur quiconque est vivant, mais il est requis qu'il vive
«t d'abord ; comme sacrifice elle produit son effet même dans
« les autres pour qui elle est offerte, sans exiger qu'ils vivent
« actuellement de la vie spirituelle : il suffit que cette vie soit
« possible pour eux. Si donc elle les trouve disposés, elle leur
« obtient la grâce en vertu de ce véritable sacrifice, duquel toute
«f grâce est découlée en nous; par conséquent, elle détruit en
« eux le péché mortel, non pas comme cause prochaine et im-
« médiate, mais parce qu'elle leur obtient la grâce de la contri-
1. Nam illa verha hic l'sl, etc., apertissime docent, Christum obtulisse in
cœna sacrificiuni prn p(>ccatis Apostolorum. Idem autem est sacrificium nos-
trum cum illo quod in cœnaohlatuin fuit (Hellahmin. card., t. 11, de Socrî/icio
t7iissœ.)
2. Si quotiescumque elViindilur sanguis Cliristi, in reniissionem peccato-
rum sumitur, debeo illum seinpcr sumere, ut semper mihi peccata dimittan-
tur. (S. Ambros., lib. IV de Sacram.)
648 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
tion '. » Que si le saint sacrifice de la messe a une efficacité telle
qu'il procure même la rémission des péchés mortels à ceux qui
participent en quelque manière à son oblation : à plus forte raison
les purifiera-t-il de leurs fautes vénielles ; à plus forte raison encore
soulagera-t-il les âmes du purgatoire pour lesquelles il est offert
et contribuera-t-il à les délivrer de leurs peines.
Le savant cardinal Bellarmin confirme en ces termes l'ensei-
gnement de S. Thomas : « Le sacrifice de la messe ne peut pas
« avoir une efficacité plus grande que celui de la Croix, puisque
« c'est du sacrifice de la Croix que celui de la messe emprunte
« toute sa vertu. Or, le sacrifice de la Croix n'a pas produit la
« justification de fait et immédiatement, mais seulement d'une
« manière impétratoire et par son mérite : autrement tous les
« hommes eussent été justifiés immédiatement, puisque le Sei-
« gneur s'est offert en sacrifice à Dieu pour tous les hommes. »
Et le savant théologien conclut : « Le sacrifice de la messe ne
a justifie donc pas l'homme immédiatement, mais il obtient aux
« iiommes, en vertu du mérite de ce sacrifice, la grâce et le don
« de pénitence '-. »
Que nous reste-t-il donc à faire, sinon de recourir avec une dé-
votion qui ne faiblisse pas, mais plutôt grandisse tous les jours,
à ce divin sacrifice, source de pardon et de grâce. Tous nous
avons des fautes dont il nous faut obtenir la rémission; tous nous
avons des dettes à payer à la justice de Dieu : le saint sacrifice de
la messe nous facilitera d'obtenir la purification parfaite qui nous
est nécessaire. Et que notre intention, lorsque nous célébrons ce
\. Dicendum quod Eucharistia non solum est sacramentum, sed etiam sa-
crificium; in quantun^i autem est sacramentum, habet effectum in omni
vivente, in quo requiritur vitam prœexislere ; sed in quantum est sacrificium,
habet effectum etiam in aliis, pro quibus offertur, in quibus non prœexigit
vitam spiritualem in actu, sed in potentia tantum, et ideo, si eos dispositos
inveniat, eis gratiam obtinet, virtute illius veri sacrificii, a quo omnis gratia
in nos influxit; et per consequens peccala morlalia in eis delet, non sicut
causa proxima, sed in quantum gratiam contritionis eis impetrat. (S. Tiiom.,
in IV' Sentent., d. xii.)
2. Non majorem vim habere potest sacrificium Missas quam sacrificium
crucis, cum sacrificium Missse vim habeat a sacrificio crucis ; sacrificium au-
tem crucis, non efficienter et immédiate justificavit, sed tantum impetratorie
et meritorie ; alioquin continuo omnes homines justi effecti essent, cum Do-
minus pro omnibus hoininibus se Deo in sacrificium obtulerit.... Sacrificium
Missae non justificat homines immédiate, sed impetrat, ut ex merito sacrificii
detur hominibus gratia et donum pcenitentiee. (Bellarm., lib. II de Missa.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'UNE GRANDE DÉVOTION. 649
divin sacrifice, ou que nous y assistons avec une véritable piété,
ne s'arrête pas uniquement à notre propre personne : offrons-b
pour tant d'àmes qui sont bonnes, mais qui pourraient encore,
avec un secours plus abondant de la grâce, faire d'immenses pro-
grès dans la vertu ; offrons-le pour les pauvres pécheurs afin
qu'ils se convertissent et deviennent des saints ; offrons-le pour
les pauvres âmes du purgatoire, pour lesquelles le sang divin ré-
pandu sur l'autel deviendra ainsi une rosée rafraîchissante;
offrons-le enfin pour la sainte Église de Dieu tout entière, et nous
accumulerons ainsi sur notre propre tête une multitude infinie
de grâces et de bénédictions.
IV.
LA MESSE SACRIFICE IMPÉTRATOIRE QUI NOUS OBTIENT DE DIEU TOUTES
SORTES DE GRACES, ET PAR LEQUEL NOUS LUI TÉMOIGNONS NOTRE
RECONNAISSANCE.
Le cardinal Bellarmin, dont l'autorité théologique est si grande,
enseigne que le caractère propre et tout spécial du saint sacrifice
de la messe est d'être impétratoire, c'est-à-dire de demander et
d'obtenir pour nous les grâces qui, toutes, nous viennent par lui.
Le sacrifice de la Croix, dit-il, fut méritoire, satis facto ire et im-
pétratoire, « véritablement et proprement, parce qu'alors le Christ
« était mortel et qu'il pouvait mériter et satisfaire : le sacrifice
« de la messe est seulement impétratoire, parce que le Christ,
« désormais immortel, ne peut ni mériter ni satisfaire. Lors
« donc qu'on dit de lui qu'il est propitiatoire, ou qu'il satisfait
« pour nous à la justice de Dieu, ce nom lui est donné à cause
« du genre de grâces que nous obtenons par lui, et c'est ainsi
« qu'il faut l'entendre. On le nomme propitiatoire parce qu'il
« nous obtient la rémission de notre culpabilité; satis facto ire y
« parce qu'il nous obtient la rémission de la peine; méritoire
« enfin, parci.' qu'il nous obtient la grâce de faire le bien et d'ac-
« quérir des mérites '. »
\. Sacrificium crucis fuit ineritorium, satisfactoriumet inipetratorium vere,
et proprie : quia Christus tune mortalis eral, et mereri et satisfacere pote-
rat; sacritîcium Missae proprie solum est impelratorium, quia Christus, nunc
immortalis, nec mereri nec satisfacere potest. Cum autcin dicitur propitiato-
rium, vel satisfaclorium, ici intellif^endum est ralione rei quae iiupetratur.
Dicitur enim propitiatoriuin, quia impetrat remissionem culpte; satisfacto-
650 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. XIll.
Que l'humanité serait à plaindre si la miséricorde infinie de
Dieu n'avait pourvu à nos besoins par l'institution de cet adorable
sacrifice ! Nous sommes dans une vallée de larmes, où, selon la
parole du Psalmiste, <r des maux innombrables nous envi-
« ronnent ' ; » nous avons besoin d'une multitude de grâces et
de secours : or il nous serait impossible de les obtenir jamais,
parce que nous ne cessons de mettre obstacle aux bons desseins
de Dieu envers nous, et de nous rendre indignes de ses grâces,,
par la multitude de nos péchés. Cependant il est d'expérience que,
même pécheurs et rebelles, nous éprouvons les effets de la misé-
ricorde divine et nous recevons mille bienfaits de sa main. D'où
peut-il venir que Dieu en agisse ainsi envers nous, sinon de ce
que le sacrifice de la messe est offert à chaque instant sur la terre,
partout où Jésus-Christ est connu et servi ? Partout et toujours
« il interpelle pour nous 2, » selon l'expression de l'Apôtre.
Il est lui-même le Soleil de justice et c'est de lui qu'il est dit que
Dieu « fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ^. i>
Il ne cesse d'intercéder pour nous et de demander ce qu'il sait né-
cessaire à notre salut. Le prophète Amos rapporte une vision et
dit : « J'ai vu le Seigneur debout sur l'autel ^. » Évidemment ce-
n'était pas sans quelque intention mystérieuse que le Seigneur se
montrait ainsi debout sur l'autel, aux yeux du prophète. Peut-être
comprendra-t-on mieux la signification de cette vision, si l'on se
rappelle ce qui est écrit du saint martyr Etienne. Nous lisons de
lui au livre des Actes des Apôtres : « Comme il était rempli de
« l'Esprit saint, levant les yeux au ciel, il vit la gloire de Dieu, et
« il dit : Voilà que je vois les cieux ouverts, et le Fils de
« l'homme qui est à la droite de Dieu '\ » S. Etienne vit Jésus
debout à la droite du Père, comme Amos l'avait vu debout sur
l'autel, pour marquer qu'il est toujours prêt à nous venir en aide
et qu'il ne cesse jamais de nous protéger. C'est dans le même
rium, quia impetrat remissionem pœnae; meritorium, quia impetrat gratiam
benefaciendi ac mérita acquirendi. (Bellarm., de Sacrif. Missx.)
i. l'bi circumdederunt nos mala, quorum non est numerus. {Ps. xxxix, 13.)
2. Qui etiam interpellât pro nobis. (liom., viii, 34.)
3. Qui solem suuni oriri facit super bonos et malos. [Malth., v, ili.)
■i. Vidi Dominum stantem super altare. (Amos, ix, M.)
■j. Cum aulem esset plenus Spiritu sancto, intendens in cœlum vidit glo-
riam Dei, et Jesum stantem a dexlris Dei, et ait : Ecce video cœlos apertos,
et Filium hominis, stantem a dextris Dei. [Act. Apost., vu, îiij.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GRANDE DÉVOTION. 651
sens que l'apôtre bien-aimé nous dit : « Nous avons un avocat au-
« près du Père, Jésus-Christ, le Juste : s> Advocatum habemus
apud Patrem, Jesum Christum justum i. Il n'est avec le Père
qu'un seul et même Dieu ; sa substance est la même, son essence
est la même et c'est sa très sainte humanité que nous offrons, ou
plutôt qu'il offre par notre intermédiaire, à Dieu en sacrifice : qui
ne comprend dès lors la toute-puissance de son intercession? Car
c'est pour intercéder en notre faveur qu'il se tient à la droite de
son Père et qu'il s'offre en sacrifice, selon la parole de l'Apôtre :
« Jésus-Christ est entré dans le ciel même, afin de paraître main-
(f tenant pour nous devant la face de Dieu -. »
Combien doit être grande l'efficacité de notre prière, lorsque
nous l'adressons à Dieu en union avec la céleste victime qui s'im-
mole sur nos autels, lorsque le Fils de Dieu, debout à la droite de
son Père, lui offre de nouveau son sacrifice, avec tous les mérites
acquis par sa mort sur la croix, pour appuyer notre demande et
nous obtenir ce que nous implorons? Aussi convient-il que nos
prières soient en rapport avec la dignité d'un tel intercesseur et
d'un tel sacrifice. Osorius rapporte qu'un homme d'une insigne
piété avait coutume de dire : « Il me semble que ce que je
« demande n'est rien, lorsque j'offre le sacrifice de la messe; car
« ce qui est offert à Dieu est quelque chose de si grand, que l'on
« doit considérer comme un néant tout ce qu'on demande en
« échange à Dieu. Supposez que vous trouvant au pied de la croix
a de Jésus-Christ, lorsqu'il répandait son sang pour le monde, et
« que le bon larron fut exaucé ; si en ce moment vous eussiez
« recueilli le sang du Seigneur et que vous eussiez demandé
« quelque chose à Dieu, en vertu de ce sang : est-il, dites-moi,
« une faveur que vous n'ayez pu réclamer, avec la confiance la
« plus absolue d'être exaucé ? C'est avec la même confiance qu'il
a faut prier à la messe, car c'est le même sacrifice qui est offert,
« c'est le même sang, ce sont les mêmes mérites que Ion présente
« à Dieu 3. B
Aussi les chrétiens pénétrés d'une foi vive et éclairée ont-ils,
dans tous les temps, recouru au sacrifice de la messe, pour obte-
1. /. Joanti., II, 1.
2. Jésus introivit.,.. in ipsiun cœliim, ut apparent nunc vultui Dei pro
nobis. {Ilehr., i.\, Si.)
3. OsoR., de Miss. div.
652 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II, — CUAr. XIII.
nir de Dieu les grâces dont ils éprouvaient un pressant besoin.
Que de fois les anciens rois et les généraux les plus fameux
n'ont-ils pas obtenu, en assistant à la messe avant d'engager la ba-
taille, les victoires les plus complètes et les plus inespérées, sur les
ennemis de la foi ou de la patrie ! Ils ne rougissaient pas de mon-
trer que leur confiance était moins dans le nombre et la vaillance
de leurs soldats que dans la protection de Dieu, obtenue par l'obla-
tion du saint sacrifice, et le succès récompensait leur foi.
Mais sans rechercher ces exemples dont les anciennes chro-
niques et les vies des saints sont remplies, rappelons-nous ce que
nous lisons dans la Sainte Écriture.
Au temps où le peuple de Dieu avait Gédéon pour juge, une
armée ennemie envahit le pays que ce peuple habitait, et tous les
Hébreux furent saisis d'épouvante. C'est qu'en effet les ennemis
étaient tellement nombreux, que l'écrivain sacré les compare à ces
nuées de sauterelles, qui parfois envahissent et ravagent toute une
contrée. Cependant il suffit du présage tiré d'un pain, vu en rêve
par un soldat, pour i)orter le désordre au milieu de cette foule
innombrable et détruire cette immense armée. Mais avant que le
Seigneur lui accordât cette merveilleuse victoire, Gédéon avait
offert un sacrifice composé de chair et de pains azymes, figure du
sacrifice de l'Eucharistie, dans lequel la chair du Fils de Dieu est
cachée sous l'apparence d'un pain sans levain. Dieu avait accepté
ce sacrifice à cause de celui dont il était l'image.
En dehors de ces faits extraordinaires, dont on pourrait citer
un grand nombre, il en est d'autres qui, pour être moins éclatants,
n'en témoignent pas moins combien Dieu se plaît à nous accorder
ce que nous lui demandons en vertu du sacrifice de la messe.
Chacun de nous a éprouvé, et peut éprouver encore, l'efficacité
de l'oblation du saint sacrifice ou de l'assistance à la messe, pour
obtenir de Dieu les grâces spirituelles, la victoire sur les passions,
les démons et les autres ennemis de nos âmes, et même les grâces
d'un ordre inférieur et purement temporel. Ce n'est pas seule-
ment contre les ennemis qui menacent notre vie et notre liberté,
mais contre tous les dangers, quels qu'ils soient, que la sainte
Église in\ oque la divine Victime et qu'elle chante : « 0 salutaire
« Hostie, qui ouvrez les portes du ciel, des guerres violentes
« nous pressent ; donnez-nous la force, secourez-nous : » 0 salu-
tarisHostia quœ cœli pandis osiium, bella prémuni hostilia, da
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'unE GRANDE DÉVOTION. 653
robur, fer auxilium. La sainte Hostie, la divine Victime qui
s'immole sur l'autel est pour nous une hostie de salut : scUutaris
hostia, et si quelque danger menace soit votre vie corporelle, soit
surtout la vie de votre âme, infiniment plus précieuse, le jour où
vous aurez participé saintement à l'oblation du divin sacrifice,
elle sera pour vous une puissante sauvegarde. Vous délivrera-
t-elle infailliblement de tout danger? Non assurément, car il arrive
souvent que les maux temporels, que la mort même, sont utiles et
nécessaires pour notre salut ; mais elle vous donnera la force dont
vous aurez besoin pour que votre âme ne périsse pas ; elle vous
secourra pour que ces dangers eux-mêmes qui vous entourent, ces
épreuves qui vous frappent, contribuent à votre plus grand bien,
c'est-à-dire à la sanctification de votre àme.
S. Thomas ne distingue pas entre les ennemis contre lesquels
nous devons appeler la divine Hostie à notre aide ; il dit en géné-
ral : « Des guerres violentes nous pressent ; donnez-nous la force,
« secourez-nous. » Nous pouvons doncrecourir à elle en toute occa-
sion ; aucun de nos ennemis, visibles ou invisibles, ne saurait lui
résister. S. Jean Chrysostome, rappelant ces paroles du Psalmiste :
« Vous avez préparé en ma présence une table contre ceux qui
« me persécutent, » ajoute : « Cette table est la consécration qui
« s'opère sur l'autel du Seigneur; car voyez ce que dit la Sagesse :
a La Sagesse s'est bâti une maison, elle a taillé sept colonnes.
ce Elle a immolé ses victimes, mêlé le vin et dressé la table. Qui
a sont ceux qui nous persécutent? Les suggestions de l'ennemi, les
et troubles, les désirs déréglés, les plaisirs, les honneurs du siècle.
« Que ceux qui sont ainsi persécutés viennent donc à la table du
« Puissant; qu'ils considèrent ce qui leur est servi, qu'ils le
« reçoivent avec crainte et tremblement, et leurs tribulations
« seront changées en consolations; ils seront délivrés de ce qui
« procède de la chair, et recevront en eux ce qui procède de
« l'esprit ^ » Le cardinal Hugues enseigne aussi que ces mêmes
paroles du livre des Proverbes : « La Sagesse a immolé ses vic-
a times, elle a mêlé le vin et dressé la table, » contiennent une
1. Ista mensa agnoscitur altaris Domini consecratio ; nam vide quid dicit
Sapienlia (Prov., ix, 1) : Sapienlia xdificavil aihi ilotnum, etc. Qui sunt isti
qui nos tribulant? Suggestiones inimici, exagitationes, cupiditates, delecta-
tiones, Sceculi honores, etc. Veniant ad mensain Potenlis, considérantes ea,
quœ apponuntur eis, accipere cum timoré et tremore, et tribulationesefficien-
tur consolationes, auferentur ea, quai sunt spiritus. (S. Chrysost., in Ps.wn.)
6S4 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIII.
allusion au sacrifice de la messe. « Par ses victimes, dit-il, on
« doit entendre la divine Sagesse elle-même ; et si le mot victimes
<r est au pluriel, c'est que le Christ, victime unique, était figuré
« dans la loi par plusieurs hosties diflérentes. » Il ajoute aussitôt :
« Cette divine Sagesse a envoyé ses servantes, c'est-à-dire les
« prédicateurs, pour appeler ses conviés, à la forteresse et aux
<r murs de la cité, c'est-à-dire à la participation au corps sacra-
« mentel de Jésus-Christ, qui est un rempart contre les ennemis,
« parce que ce sacrifice donne force et porte secours ^ ; » il est
pour nous un mur inexpugnable à l'abri duquel nous résistons
victorieusement aux assauts furieux et souvent renouvelés de nos
ennemis.
S. Pierre Damien, voulant nous faire connaître un moyen assuré
de remporter la victoire sur l'ennemi infernal, qui ne cesSe de
travailler à notre perte, n'en trouve pas de plus efficace que l'ado-
rable Eucharistie. « Que l'ennemi caché, dit-il dans Tune de ses
« lettres, voie nos lèvres empourprées du sang du Christ. Saisi de
<r terreur et d'épouvante, il se réfugiera tout aussitôt, tremblant,
« dans les abîmes ténébreux qui lui servent derepaire 2. » C'est le
conseil que donnait déjà le saint martyr Ignace aux fidèles des
premiers temps du christianisme. Il leur disait : « Efforcez-vous
a de vous réunir le plus souvent possible pour célébrer l'Eucha-
« ristie et glorifier Dieu ; car, lorsque vous vous rassemblez ainsi
« souvent dans le même lieu, les forces de Satan sont brisées 3. »
Aux triomphes sur nos ennemis que le très saint sacrifice de la
messe nous assure, si nous en usons avec une sincère et ardente
dévotion, il faut ajouter les innombrables grâces spirituelles et
temporelles qu'il nous oblient.
Autrefois le Seigneur dit au peuple d'Israël parla voix de Moïse:
d. Victimas suas, id est seipsum ; dicit vero pluraliter viclimas, quia haec
una victima Christus, per multas hostias in lege figurata fuit. Hsec Sapientia
misil ancillas suas, id est praedicatores, ut vocarent ad arcem et ad mœnia
civilatis, id est, ad sacramentum corporis Christi, quod est contra inimicos
munimenlum, quia hoc sacrificium dat robur, fert auxilium. (HuG. card.,
in hune loc.)
2. Videat occultus hostis labia tua, Christi cruore rubentia quse territus
perhorrescat, et mox in tenebrarum suarum latibula pavescendo diffugiat.
(S. Petr. Damian., Epist. XXVIII.)
3. Date operam, ut sgepius congregemini ad Eucharistiam et gloriam Dei ;
cum enim saepius in idem loci convenitis, labefactantur vires Satanae.
(S. IGNAT. M., Epist. XIV ad Ephes.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'l'NE GRANDE DÉVOTION. 655
« Vous me ferez un autel de terre, et vous m'offrirez dessus vos
« holocaustes et vos hosties pacifiques, vos brebis et vos bœufs,
« dans tout lieu dans lequel sera la mémoire de mon nom : je
■a viendrai à toi et je te bénirai ^ » La miséricorde de Dieu est si
grande, son désir de nous faire du bien si ardent, qu'il suffisait
aux Juifs de lui offrir quelques animaux en sacrifice, sur un autel
informe, pour attirer sur eux ses bénédictions et ses grâces. Que ne
fera-t-il pas pour nous qui offrons au Père éternel, par une immo-
lation non sanglante, son Fils unique réellement présent sur nos
autels? Est-il un bien réellement désirable qu'il puisse nous re-
fuser, ou plutôt refuser à son Fils lui-même? Car c'est ce divin
Fils qui est notre pontife et notre médiateur. C'est lui qui offre
pour nous le sacrifice de l'Eucharistie, et c'est encore lui qui est
la victime cachée sous les apparences du pain et du vin. « Celui
« qui a livré son Fils pour nous tous, comment ne nous aurait-il
« pas donné tous les biens avec lui ~1 » demande le grand Apôtre.
Le Père Éternel nous donne son Fils, et avec lui tous ses mérites,
toutes ses satisfactions, toutes ses richesses inépuisables ; il veut
que nous ayons part à tout ; et chaque jour il les met à notre dis-
position dans le saint sacrifice de la messe. C'est un trésor immense
où il nous est loisible de puiser sans cesse : où sont les richesses
que nous en avons tirées ? Sommes-nous de ceux dont S. Paul a
dit : a Vous avez été faits en lui riches en toutes choses 3 ?» Si nos
richesses spirituelles ne sont pas immenses, la faute en retombe
de tout son poids sur nous ; car l'unique cause en est que nous ne
nous appliquons pas à faire valoir les dix talents, que le souverain
Maître de toutes choses nous confie. Célébrons et entendons la
messe avec toute la dévotion que mérite une action si sainte : nos
péchés nous seront pardonnes ; les peines qu'ils nous ont méritées
nous seront. remises ; la foi, l'espérance, la charité et toutes les
vertus se développeront merveilleusement dans nos âmes ; les plus
rudes assauts du monde, des démons et des passions ne nous
ébranleront, et les faveurs les plus précieuses que Dieu accorde à
ses plus fidèles serviteurs seront notre partage. Ce ne sont pas de
I. Ahare de terra facietis mihi, et offeretis super eo holocausta et pacifica
vestra, oves vestras et boves, in omni loco in quo memoria fuerit nominis
mei : veniam ad te et benedicam tibi. {ExoiL, xx, 24.)
"2. Qui pro nobis omnibus Iradidit illum, quomodo non etiam cum illo om-
nia nobis donavit? [liom., viii, ;J-2.)
3. Divites facti estis in illo omni gratia. (/. Cor., i, îi.) .
656 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. Mil.
vains mots que ces paroles que le prêtre et les assistants s'adressent
réciproquement plusieurs fois, pendant la célébration du saint
sacrifice : « Que le Seigneur soit avec vous ; — Et avec votre
« esprit. » Le Seigneur est véritablement avec le prêtre et avec tous
ceux qui prennent part à l'oblation de la divine victime ; il y est
pour les combler tous de ses bienfaits, pour peu qu'ils se mettent
en peine de les recevoir.
Un pieux auteur assure que « celui qui a dignement entendu la
« messe réussira ce jour-là dans ses travaux, son commerce, ses
« voyages, et Dieu le fortifiera pour le corps et pour lame. » Il
ajoute : « S'il vous arrivait de mourir un jour où vous auriez en-
« tendu la messe, Jésus-Christ vous assisterait à vos derniers
a moments ; il voudrait être présent à votre mort comme vous
« auriez été à la sienne, en assistant au saint sacrifice '. » En effet,
la messe rappelle et renouvelle d'une manière mystique la mort
de Notre-Seigneur sur le Calvaire. Celui qui assiste à ce divin
sacrifice mérite donc que .Jésus-Clirist vienne à son tour le sou-
tenir et le consoler, lorsqu'il lui faudra mourir. Et les anges eux-
mêmes se font un devoir d'assister celui qui, lorsqu'il le pouvait,
s'est fait un devoir d'assister leur divin Roi au moment de son im-
molation. Ils veillent avec une sollicitude infinie sur l'àme qui va
quitter son corps, après s'être unie tant de fois à eux pour célébrer
les louanges de la divine Victime de nos autels.
Nous avons dit que les biens spirituels ne sont pas les seuls que
le saint sacrifice de la messe procure à ceux qui ont la pieuse
habitude d'y assister dévotement. Dieu les bénit, môme dans leurs
intérêts temporels, et les quelques instants consacrés à l'accom-
plissement de r-et acte ne sont jamais un temps perdu, môme sous
ce rapport. Personne ne s'est jamais trouvé plus pauvre à la fin
de l'année, pour avoir été fidèle à cette sainte pratique. Les biens
temporels, en effet, ne sont pas moins que les autres entre les
mains du Seigneur ; il a mille moyens de faire que personne ne
perde rien, à s'efforcer de lui être agréable et de lui témoigner son
amour. Sans doute il ne veut point que les biens d'ici-bas soient
d'une manière trop évidente, ni même habituelle, attachés à la
fidélité et au zèle que l'on apporte à le servir; car la faiblesse
humaine est telle que bientôt les hommes chercheraient unique-
\. DisciPUL., serm. XLVIII.
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'uNE GX\NDE DÉVOTION. 637
ment, non plus les biens célestes mais les biens terrestres, dans
le service de Dieu, s'ils voyaient que ces biens en fussent une
récompense ordinaire; mais notre divin Sauveur nous a dit : « Ne
« vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni
« pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. Votre Père sait que
« vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume
« de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données
« par surcroît '. » Non pas qu'il faille négliger les moyens ordinaires
de se procurer les choses nécessaires à la vie, pour attendre exclu-
sivement tout des soins delà Providence. Dieu qui a dit à l'homme :
a Tu te nourriras de pain à la sueur de ton front, » exige au con-
traire de tout homme qu'il gagne, en quelque manière, selon sa
vocation et selon le rang qu'il occupe dans le monde, la nourri-
ture qu'il mange et le vêtement qui le recouvre : mais s'il nous
ordonne de travailler, il veut que nous le fassions non pas comme
des esclaves, mais comme des enfants qui attendent tout de leur
père et qui savent bien que ce bon père ne leur fera pas un reproche
d'avoir passé quelques instants dans une communication plus
intime et plus affectueuse avec lui. Il n'est pas nécessaire au
chrétien d'être riche, mais il est indispensable pour lui d'entre-
tenir dans son cœur le feu de l'amour divin. C'est sur l'autel que
brûle continuellement ce feu et c'est au pied de l'autel qu'il faut
aller souvent ranimer des flammes trop sujettes à faiblir et même
à s'éteindre. Pourquoi craindre que les intérêts même terrestres y
perdent? Au contraire, ils y gagneront, puisque Jésus-Christa dit :
« Toutes ces choses, » dont vous avez besoin, « vous seront données
« par surcroît. »
Mais les bienfaits obtenus demandent la reconnaissance. Le
saint sacrifice de la messe, qui est pour nous une source inta-
rissable de biens, sera aussi pour nous le moyen le plus sûr et
le plus efficace de rendre à Dieu de dignes actions de grâces,
pour les bénédictions dont il nous comble par lui. Ne le nomme-
t-on pas YEucharistie, c'est-à-dire Vaction de grâces par excel-
lence ?
Le saint roi David avait vu en esprit ce divin sacrifice, bien des
\. Ne sollicili silis animae vesirœ quid mnnducetis, neque corpori veslro
quid induamini.,.. Scit enim Pater quia his omnibus indigetis. Quaerite ergo
primum regnum Dei et justitiam ejus : et haec omnia adjicientur vobis.
[Malth., M, -i.'J, 3-2, 33.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 42
658 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XIII.
siècles avant qu'il fût institué; il s'écriait, dans un élan de recon-
naissance envers Dieu dont il avait reçu tant de grâces : « Que
« rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits? » Et
aussitôt il répondait lui-même à cette question : « Je prendrai le
« calice du salut '. » Il comprenait que le moyen le plus efficace
et le plus digne de remercier le Seigneur des bienfaits qu'il répand
sur nous, avec tant d'abondance, était l'oblation du sacrifice qui
devait être institué un jour et il s'unissait autant qu'il le pouvait,
par ses désirs, à ceux qui monteraient au saint autel, et présen-
teraient à Dieu le calice du sang de Jésus. Sans doute, c'est pour
rendre hommage à l'efficacité eucharistique du saint sacrifice de la
messe, que la liturgie ordonne au célébrant de dire dans la pré-
face du Canon : « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu ; » et
lorsque le ministre a l'épondu : « C'est chose digne et juste, » le
prêtre reprend : <r Véritablement il est digne et juste, il est équi-
« table et salutaire que nous vous rendions grâces toujours et par-
« tout. » C'est la même pensée qu'exprime S. Augustin lorsqu'il
nous dit : « Qui ne sait que Dieu n'a pas besoin de sacri-
« fice? Il n'a pas davantage besoin de nos louanges. Mais de même
« qu'il est utile, non pas à Dieu mais à nous, de le louer, de même
« il est utile, non pas à Dieu mais à nous, de lui offrir le sacri-
0 fice -. » Et quel est le sacrifice par lequel Dieu sera véritable-
ment honoré, sinon le sacrifice de l'Eucharistie? Aussi l'appelle-
t-il un sacrifice de louange. Il disait par la bouche de David : « Le
« sacrifice qui m'honorera e-st un sacrifice de louange '■^. » S. Au-
gustin dit encore en commentant ces paroles : « Qu'y a-t-il de plus
« sacré qu'un sacrifice de louange offert en action de grâces? Et
« quel sujet mérite de plus grandes actions de grâces, que la grâce
a que lui-mênie nous donne par Jésus-Christ Notre-Seigneur '^? »
Parlant ensuite du sacrifice de la messe, le saint docteur ajoute :
a Nous l'offrons à Dieu, non pas qu'il en ait besoin, mais pour lui
\. Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit mihi? Calicem salu-
taris accipiam. {Ps. cxv, 12, 13.)
2. Sacrificii Deum non egere qiiis nescit? Sed nec laudibus nostris eget.
\'erum sicut nobis, non illi, utile est laudare Deum : sic nobis, non illi, utile
est offerre sacriticium Deo. (S. August., lib. I contra advers. Lerjis et Proph.)
3. Sacrificium laudis lionorificabit me. {Ps. xlix, 23.)
4. Quod est autem sacratius laudis sacrificium, quam in aclione gratiarum?
Kt unde majores agendas suntgratiae quam pro ipsius gratia, per Jesum Chris-
tum Dominum nostrum? (S. August., ibid.)
LE SACRIFICE DE LA MESSE DIGNE d'i'NE GRANDE DÉVOTION. G59
« rendre grâce du don qu'il nous en fait '. » L'Église ne pouvait
pas mieux témoigner sa reconnaissance à son divin Chef, que par
l'oblation du sacrifice qu'il a institué lui-même, et dans lequel il
est non seulement le Dieu à qui le sacrifice est offert, mais aussi
le prêtre qui l'offre et la Victime qu'il immole. S. Jean Chrysos-
tome l'enseignait à ses ouailles lorsqu'il leur disait : « En se sou-
« venant des bienfaits de Dieu on se les assure, et la continuelle
« action de grâces est la gardienne fidèle de toutes les grâces. C'est
« pourquoi nos mystères si terribles et si salutaires tout ensemble,
« qui se célèbrent dans toutes les assemblées de l'Église, s'appellent
« Eucharistie, c'est-à-dire action de grâces, parce qu'ils sont le
« mémorial d'une infinité de dons que Dieu nous a faits et le plus
« grand de tous ces dons, et que nous y trouvons toujours de nou-
« veaux sujets de renouveler nos sentiments de gratitude et de
« reconnaissance.... Rendons-lui donc d'éternelles actions de
« grâces, et que la reconnaissance se mêle à toutes nos paroles et
« à toutes nos actions. Rendons grâces à Dieu, non seulement des
« biens que nous en avons reçus nous-mêmes, mais encore de
« ceux qu'il a faits aux autres. — C'est dans ce but que le prêtre,
a à l'autel, nous avertit de rendre grâces à Dieu en présence de
« cette divine hostie, et de prier généralement pour toute la terre,
« pour tous ceux qui nous ont précédés, pour ceux qui vivent
« maintenant, et pour ceux qui nous suivront. Car cette disposition
« nous dégage de la terre, nous élève dans le ciel et fait que
« d'hommes nous devenons des anges ~. »
On voit, par ces paroles de S. Jean Chr3'sostome, toute l'efficacité
qu'il reconnaît à la prière unie au sacrifice de la messe, pour
témoigner à Dieu la reconnaissance que nous inspirent ses bien-
faits et, en même temps, pour obtenir de nouvelles grâces pour
nous-mêmes et pour le prochain.
Tous les efforts du démon tendent à nous faire oublier les bien-
faits de Dieu, principalement celui de notre rédemption par la
passion et la mort de Notre-Seigneur, afin que l'oubli des bienfaits
éteigne en nous l'amour du bienfaiteur et la reconnaissance. Le
saint sacrifice de la messe, plus efficacement que le feu perpétuel
qui brûlait devant l'arriie, nous rappelle ces divins mystères et
1. Olierimus ci, non qunsi indigenli, sed gratias agenles donation! ejus. (Id,,
ibid.)
2. S. JOANN. CiiRYSOST., lioHi. .\XV in Matih.
G60 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
nous invite à la reconnaissance et à l'amour envers celui qui s'est
montré si généreux pour nous. L'Écriture ne manque pas de nous
faire connaître que Xotre-Seigneur a donné expressément le carac-
tère de sacrifice d'action de grâces au sacrifice de la nouvelle loi,
en l'instituant, et ((u'il a voulu qu'on le célébrât, en mémoire de
lui, c'est-à-dire en souvenir et en reconnaissance de ses bienfaits.
Elle nous représente ce Pontife suprême prenant entre ses mains
divines le pain et le calice, et rendant grâces à son Père céleste
avant de prononcer les paroles de la consécration, puis adressant
à ses apôtres cette recommandation solennelle : « Toutes les fois
a que vous ferez ces choses, vous les ferez en mémoire de moi : »
IJœc quotiescumque feceritis, in mei mcmoriam facietis.
C'est donc en mémoire de notre divin Sauveur et des mystères
de notre rédemption, c'est profondément pénétrés de reconnais-
sance pour ses ineffables bienfaits que nous devons approcher de
son autel pour y célébrer le saint sacrifice, ou du moins profiter de
l'immolation mystérieuse qui s'accomplit en notre présence. Heu-
reux ceux dont la foi est vive ! heureux ceux dont les désirs sont
ardents ! heureux ceux qui s'efforcent de profiter, autant qu'ils
le peuvent, de cette incompréhensible bonté d'un Dieu s'immolant
à sa propre justice afin de les sauver.
CHAPITRE XIV
CE QU'UNE VÉRITABLE ET SINCÈRE DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES
QUI CÉLÈBRENT LA MESSE ET DES FIDÈLES QUI Y ASSISTENT
I. Application de l'esprit et dévotion intérieure et extérieure requises pour l'obla-
lion du Saint Sacrifice. — II. Pureté de conscience. — III. Modestie, respect et pieux
empressement. — IV. Piété que demandent les fonctions de servant de messe. —
Honneur et avanlajj^es qui y sont attachés.
I.
Al'ILIG.\TIO.N DE l'eSPRIT ET DÉVOTION INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE
REQUISE.S POUR l'oBLATION DU SAINT SACRIFICE
Le B. Jean d'Avila, écrivant à un jeune prêtre, lui donnait
les conseils suivants i : « Puisque Jésus-Christ vous a fait la
1. B. Jean d'Avila, leUre .\II% à un PrcHre.
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 661
grâce d'entrer dans le sacerdoce, vous ne pouvez pas ignorer le
compte que vous aurez à rendre d'un ministère si élevé qu'il se-
rait redoutable aux anges eux-mêmes, ni combien est grande la
faveur que vous avez reçue. Que ces considérations aident à votre
recueillement, lorsque vous serez distrait, et qu'elles vous encou-
ragent lorsque vous serez abattu. Car cette faveur est si grande
que vous ne sauriez trop la ressentir et vous efforcer d'y répondre
par toutes sortes de services.
« La première règle que vous devez observer est, toutes les fois
que vous vous réveillerez la nuit, de vous imaginer entendre une
voix qui vous dit : « Voici l'Époux qui vient, allez au-devant de
« lui. » Car, si lorsque quelqu'un de nos amis vient nous visiter,
et particulièrement si c'est quelque haut personnage, il n'y a point
de soin que nous n'apportions pour nous préparer à le recevoir :
à combien plus forte raison, les jours que nous célébrerons la
messe devons-nous nous préparer le mieux qu'il nous sera possi-
ble pour recevoir un Dieu qui, étant adoré des anges, ne dédai-
gne pas de venir, en qualité de notre frère, loger dans notre cœur.
Dans cette pensée, récitez votre ofîice, et puis demeurez en repos,
au moins une heure et demie, pour considérer attentivement
quelle est la grandeur de celui que vous devez recevoir. Admirez
qu'un ver de terre ose traiter si familièrement avec Jésus-Christ
et dites-lui : « Qui vous a livré, Seigneur, entre les mains de ce
misérable pécheur? Et comment se peut-il faire que vous veniez
encore une fois dans l'étable de Bethléem? » Souvenez-vous que
S. Pierre ne se crut pas digne de demeurer avec lui dans une
barque ; que le centenier n'osait le recevoir dans sa maison; et que
d'autres semblables considérations vous apprennent à redouter
ce mystère si terrible, à y révérer une si haute majesté, et à vous
remettre devant les yeux que c'est une image de ce qui se passa
lorsque le Père éternel envoya son Fils unique prendre une chair
humaine dans le sein de la bienheureuse \'ierge, afin de sauver
le monde, et une représentation de la vie et de la mort de ce Ré-
dempteur des hommes. Considérez qu'il vient dans ce sacrement
pour nous appliquer les remèdes qui sont les effets de ses souf-
frances, et nous faire part des richesses qu'il a gagnées sur la
croix, où, en satisfaisant pour nous à la justice de son Père, il a
payé le prix de notre rançon.
« Après cela repassez dans votre esprit tous vos péchés et par-
662 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
ticulièrement les fautes et les imperfections auxquelles vous êtes
encore sujet. Présentez-vous à Dieu comme un malade qui mon -
tre ses plaies à son médecin. Demandez-lui qu'il vous les fasse
encore mieux connaître, et qu'il lui plaise de les guérir. Offrez
ensuite au Père éternel ce sacrifice de son propre Fils, pour toute
l'Église catholique en général, et particulièrement pour les per-
sonnes que vous êtes le plus obligé d'affectionner. Souvenez-vous
de quelle sorte il s'offrit sur la croix pour tout le monde, et priez-
le de vous donner quelque étincelle de son ardente charité, afin
qu'en qualité de son ministre, vous vous conformiez à lui. Priez
ensuite la très sainte Vierge de vouloir, par le souvenir de la joie
qu'elle ressentit lorsque l'ange lui annonça qu'elle serait la mère
d'un Dieu, vous obtenir de son Fils la grâce de le bien recevoir,
comme elle le reçut dans ses pudiques entrailles. Demandez la
même chose à son divin Fils. Lisez quelque chose qui traite de
ce grand sacrement, ou du quatrième livre de l'ouvrage qui porte
pour titre : Du mépris du monde, ou de quelques autres livres
semblables si vous les avez. Que si, après votre oraison, vous
vous trouvez fort recueilli et dans un grand sentiment de dévo-
tion, vous pourrez vous passer de cette lecture.
« Après avoir achevé la messe, vous vous recueillerez au moins
durant une demi- heure, pour remercier Notre-Seigneur de la fa-
veur qu'il vous aura faite de vouloir bien venir dans un cœur si
indigne de le recevoir. Vous lui demanderez pardon de l'avoir si
mal reçu, et le prierez que la grâce qu'il vous a faite vous attire
de nouvelles grâces. Il sera bon aussi que vous repassiez, dans
votre esprit, quelqu'un des passages de l'Évangile qui parlent des
miracles qu'il a faits en faveur des hommes, comme lorsqu'il gué-
rit le lépreux et calma la mer en faveur de ses disciples que la
tempête allait submerger. Commencez par l'un des quatre évangé-
listes; méditez-en chaque jour à loisir un passage, et priez No-
tre-Seigneur de vous faire une semblable grâce, puisque vous en
avez le même besoin. »
A un saint religieux qui lui demandait ses conseils, sur les dis-
positions que l'on doit apporter à la célébration de la messe, le
B. Jean d'Avila écrivait encore : « Vous savez que les dispositions
des âmes, aussi bien que celles des corps, sont diverses, que les
dons de Dieu sont différents et que son adorable providence con-
duit les uns par un chemin, et les autres par un autre. Or, comme
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 663
la connaissance que j'ai de vous me fait croire que votre dis-
position est d'une personne fort avancée dans la piété, j'estime
que le meilleur conseil que l'on puisse vous donner est de vous
exhorter à un ardent amour de Dieu, accompagné d'un profond
respect: à quoi rien ne me paraît pouvoir tant servir que de se
représenter que celui à qui nous allons offrir ce sacrifice est
Dieu et homme tout ensemble, et pour quel dessein nous montons
à l'autel.
« Je ne sais rien qui soit plus propre à exciter la dévotion que
l'on doit avoir pour une action si sainte que de considérer
attentivement ces vérités, et de se les dire à soi-même : C'est un
Dieu que je vais consacrer, que je tiendrai entre mes mains,
que je recevrai dans mon cœur, et à qui je pourrai parler sans
nulle interposition.
« Si nous considérons bien cela, et si l'Esprit de Dieu nous donne
ces sentiments, ils sont plus que suffisants pour nous mettre en
l'état où nous avons besoin d'être, pour nous acquitter, selon
notre faiblesse, d'un ministère si saint. Car qui est celui qui n'est
point touché d'un sentiment d'amour, lorsqu'il pense au bien
infini qu'il va recevoir? Qui est celui qu'un respect plein de ten-
dresse ne fait point trembler en la présence d'un Dieu dont la
majesté fait trembler les anges, et qui, bien loin de l'olfenser,
ne se trouve pas porté à le louer et à le servir? Qui est celui
qui n'a point de confusion et ne gémit pas d'avoir été si malheu-
reux que de déplaire à ce Dieu tout-puissant qu'il voit des yeux
delà foi? Qui est celui qui peut manquer de confiance lorsqu'il
tient entre les mains un tel gage de l'espérance de son salut?
Qui est celui qui, fortifié par ce divin viatique, n'entrerait pas
avec courage dans un désert pour y faire pénitence? Et enfin,
toutes ces considérations, jointes à l'existence de Dieu, ne doivent-
elles pas faire un si grand changement en nous, qu'elles nous
tirent hors de nous-mêmes, soit par respect, soit par amour, ou
par d'autres très puissants motifs qui naissent de la pensée de
la présence de Dieu, et dont, pour n'être pas très sensiblement
touché, il faudrait avoir un cœur de pierre ?
« Vous ne sauriez trop vous appliquer à ces considérations et
vous représenter que l'on vous dit : Voici C Époux qui vient;
voici votre Dieu qui s approche. Que cette voix vous fasse rentrer
dans votre cœur; ouvrez-le pour recevoir ce Sauveur du monde
664 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XIV.
qui, dans ces moments précieux, entre dans les âmes comme un
éclair; priez-le d'ajouter à la faveur qu'il vous a faite de se met-
tre entre vos mains, celle d'en avoir la reconnaissance que vous
lui devez, de lui en rendre des grâces infinies, de l'honorer et de
l'aimer, sinon comme il le mérite, au moins autant que vous en
êtes capable; demandez-lui avec instance de ne pas permettre
que vous demeuriez en sa présence sans lui rendre le respect et
l'amour qui lui sont dus. »
On voudrait rapporter intégralement toutes ces instructions
données à des saints par un saint, sur la dévotion que réclame,
de ceux qui l'offrent et de ceux qui y assistent, quoique à un
moindre degré, le très saint et très adorable sacrifice de nos
autels ; mais si nous ne le pouvons pas, au moins faut-il que nous
donnions encore cette page.
« Que si, en allant dire la messe, vous joignez à ces considérations
celle de penser qui est ce roi de gloire qui va se rendre sur cet
autel, et à quel dessein il y vient, vous y trouverez un tel rapport
avec son incarnation, sa naissance, sa vie et sa mort, que l'image
qui s'en renouvellera dans votre esprit vous le rendra comme
présent. Et si vous portez vos pensées jusqu'au cœur de ce divin
Sauveur, il vous fera voir que ce qui l'amène ainsi vers vous est la
violence de son amour qui ne peut permettre que vous soyez privé
du bonheur de sa présence. L'excès d'une telle faveur n'est-il pas
capable de faire tomber dans le ravissement et la défaillance? La
seule pensée d'avoir son Dieu présent fait une très forte impres-
sion sur un ministre de .Jésus-Christ. Mais lorsqu'il considère
qu'il doit la faveur de sa présence, dans cet adorable mystère, à
la grandeur de son amour qui fait que, comme un époux ne se
lasse jamais de voir son épouse et de lui parler, il ne se lasse
point de demeurer avec nous, le prêtre voudrait avoir mille cœurs
pour mieux répondre à un tel amour; il lui dit avec S. Augustin:
< Qui suis-je. Seigneur, pour mériter que vous me commandiez
« devons aimer? » Qui suis-je, mon Dieu, et que vous suis-je?
Comment est-il possible, ô Jésus, mon Sauveur, que vous ayez un
tel désir de me voir, qu'étant, comme vous êtes, dans le ciel avec
ces esprits bienheureux qui brûlent d'amour pour vous et qui ne
respirent que votre service, vous ne puissiez vous empêcher de
venir vers moi qui ne fais au contraire que vous offenser? Soyez
béni à jamais de ce qu'étant tel que vous êtes, et la perfection
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 665
même, vous avez bien voulu honorer de votre affection une vile
et imparfaite créature, jusqu'à souflrir de vous mettre entre mes
mains, avec une si extrême bonté, qu'il semble que vous me
disiez : Je suis mort pour vous une fois, et je viens vous assurer
qu'au lieu de m'en repentir, je mourrais encore une autre fois s'il
en était besoin, pour vous garantir d'une mort éternelle. Quel
cœur serait à l'épreuve d'un tel témoignage d'amour, et ne se
sentirait pas percé comme d'un trait enflammé, auquel rien n'est
capable de résister ? »
Le B. Jean d'Avila, en réclamant des dispositions si parfaites
de ceux qui ont le bonheur d'ofl'rir le saint sacrifice de la messe,
ne faisait que rappeler l'esprit de l'Église et les enseignements
des Pères et des théologiens. Le prêtre, au moment de commen-
cer les prières du Canon, dit d'abord la Préface, qu'il fait précéder
de cet avertissement donné aux assistants : « Les cœurs en haut: »
Sursum corda, et le ministre répond au nom de l'assistance:
Habemus ad Dominum : « Nous les avons vers le Seigneur. »
Que signifie ce dialogue, sinon que les fidèles, aussi bien que le
célébrant, ne doivent plus avoir de pensées qui ne se rapportent
aux divins mystères sur le point de s'accomplir ^ ? En un moment
si solennel, il s'agit de prier et non pas de se laisser aller à des
pensées étrangères et inutiles; ce n'est pas le temps des'occuper des
choses temporelles, mais il faut être sans partage à celles de Dieu ;
il ne convient pas de laisser d'accès aux distractions. C'est l'en-
seignement que donnait S. Antonin s'appuyant sur l'autorité de
S. Cyprien, dont il cite ces paroles : « Lorsque nous nous tenons
« debout pour la prière, nous devons veiller sur nous-mêmes avec
« le plus grand soin, pour nous y livrer de tout notre cœur. Que
« toute pensée de l'iiomme charnel, de l'homme du siècle soit re-
« poussée bien loin; que notre esprit ne pense alors à rien autre
« chose qu'à l'objet de sa prière -. » S. Cyprien ajoute ce que nous
1. Ideo sacerdos antc orationem, praefatione praemissa parât frnlruin men-
tes, dicendo : Surmim cordn, ut dum respondet plobs : llalicttnia ad Dominum,
admoneatur niliil se aliud cogitare deherc quam Dominum. ;S. Bernardin.,
t. II lie (JhservdI. So/j/k)
2. Quando stamus ad orationem fratres, invigilare et insistere ad preces
tolo corde debemus. Cogitalio oarnalis tune et sa^cularis hominis abscedat
nec quicciuam lune animus aliud, quam id solum cogitet, (juod precatur.
(S. Antonin., ))nrt. I.\, lit. IX, et S. Cvi'Rixn., tract. (Ir Omlioti. Donn'n.,
part. III.)
666 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. XIV.
avons fait remarquer à la suite de S. Bernardin, que c'est pour
rappeler aux fidèles la nécessité de ce recueillement parfait en
Dieu, que le prêtre dit à la messe : Sursum corda : « Les cœurs
« en haut; » et que le peuple répond : Habemus ad Dominum :
« Nous les avons vers le Seigneur K »
On lit dans la Genèse que Dieu ordonna un jour à Abraham
de lui offrir en sacrifice plusieurs animaux et des oiseaux, selon
un rit particulier. « Abram, prenant ces animaux, les divisa par la
« moitié et plaça les deux parties vis-à-vis l'une de l'autre, mais
« les oiseaux, il ne les divisa point. Or, des oiseaux descendirent
« sur les corps morts, et Abram les chassait ''. » Que signifient
ces victimes? que signifient ces oiseaux qui viennent se reposer
sur les victimes et que le saint patriarche s'efforce d'écarter?
Nous savons que les sacrifices anciens étaient la figure du sacri-
fice par excellence, le sacrifice de la loi nouvelle. Sans rechercher
ici, dans tous ses détails, la signification mystérieuse du sacrifice
d'Abraham, il faut bien reconnaître que les oiseaux déprédateurs
que le saint patriarche éloigne avec tant de soin sont la représen-
tation exacte des démons qui s'efforcent de nous ravir le fruit de
nos sacrifices, et des pensées étrangères qui nous assiègent quel-
quefois et nous empêcheraient de profiter comme nous devons le
faire du sacrifice qui s'accomplit sur l'autel, si nous n'y prenions
garde 3.
Mais puisque nous avons nommé le saint patriarciie Abraham,
rappelons aussi quelle fut sa conduite lorsque, après trois jours de
marche, il arriva au pied de la montagne sur laquelle il devait
oiïrir son fils unique en holocauste, selon l'ordre de Dieu. Ce sa-
crifice était l'image la plus frappante qui pût être donnée de celui
1. Et ideo sacerdos in Missa ait : Sttr.mm corda, ut, dum plebs respondet :
IlabemuR nd Dominum, ndmoneamur nihil aliud quam Dominum cogitare de-
bere; claudatur contra distractiones pecfus et soli Deo pateat. (S. Cyprian.,
ibid.)
•2. Qui toliens univer.sa haac, divisit ea per médium et utrasfjue partes con-
tra se altrinsecus posuit, aves aulem non divisit; descenderuntque volucres
super cadavera et abigebat oas Abram. {Gènes., xv, 10, \\.)
M. On lit dans la Vie de S. Guillaume, évéque de Bourges, publiée par les
Bollandistes : Si quœ se anima; illius voluissent peregrinee cogitationes inge-
rere, cum S. Abrabam cas abigebal, nostrœ redemptionis mysteria in tanto
sacrificio non sine maxiina spiritus delectatione revolvens, nec aliter illud
peragens sacrificium, quam si (>bristum Dominum coram cerneret pati, et
crucifigi. (fio//am/,, januar. 10, vita S. Gnilelm.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CELEBRENT LA MESSE. 667
par lequel le Père Éternel livrerait à son tour son Fils unique, et
permettrait qu'il fût sacrifié sur la croix pour le salut des hommes.
Nous lisons dans le texte sacré : « Le troisième jour, ayant levé les
« yeux, il vit de loin le lieu marqué; et il dit à ses serviteurs :
« Attendez ici avec l'àne; moi et mon fils, nous hâtant d'aller
« jusque-là, après que nous aurons adoré, nous reviendrons à
« vous ^ » L'àne et les serviteurs dont Abraham se sépare, lorsque
le moment d'accomplir le sacrifice approche, ce sont les choses
de la terre, les intérêts, les passions, tout ce qui pourrait le trou-
bler et l'empêcher d'offrir à Dieu, avec tout le recueillement que
demande un tel acte, la victime qu'il se prépare à immoler. Plus
tard il pourra revenir à ses occupations ordinaires, penser aux
affaires temporelles qui réclament ses soins; mais au moment de
rendre à Dieu l'hommage qu'il réclame, tout le reste doit dispa-
raître et être comme s'il n'existait pas.
Pourquoi le bienheureux vieillard Siméon reçut-il la faveur in-
signe de pouvoir porter entre ses bras et serrer sur sa poitrine le
divin Enfant qui porte le monde et règne au ciel et sur la terre?
L'Evangile nous le dit : « Il vint dans le temple, conduit par
l'Esprit de Dieu : » Venit in Spiritu in teniplo. N'est-ce pas
conduit uniquement par ce divin Esprit que doit venir à l'église
et approcher de l'autel quiconque veut célébrer le saint sacrifice
de la messe, ou y assister dignement? Si le Pontife de l'ancienne
loi, dit un pieux et savant auteur du xiii* siècle, entrait seul dans
le saint des saints, afin de prier pour le peuple, et si la foule,
comme on le voit par ce qui arriva à Zacharie, restait dehors à
l'heure de l'encensement et attendait afin de ne pas interrompre
sa prière, combien plus est-il nécessaire que le prêtre de la loi de
grâce qui n'offre plus un sacrifice corruptible, pour un seul
peuple, mais qui offre au Père son divin Fils pour le salut du monde,
accomplisse cet acte au sein de la paix et du silence ? Aussi S. Am-
broise recommandait-il aux fidèles, après la lecture de l'Évangile,
de s'abstenir de tousser ou de remuer pendant le temps du canon -.
Les rites et les cérémonies de la messe que l'Église a réglés avec
tant de soin, ses prescriptions si nombreuses et si variées tou-
1. Die autcm tertio, elevatis oculis vidit locuni procul. (iixit(jue ;ul pueros
8U0S : expectate hic cum asino : e^o et puer illuc usque})roperaiiles, postciuam
adoraveriinus, revertemur ad vos. (Grtws., xxii, i, U.)
2. C.ESARiLs llEisTERUACENsis, lib. L\ DifiloQ. (Ic Mivacul.
668 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
chant les ornements sacerdotaux, le calice, la patène, lecorporal,
la pale, le voile, le purificatoire, les bénédictions, les signes de
croix, les élévations des mains et tant d'autres observances, tout
enfin ne contribue-t-il pas à rappeler au prêtre et aux fidèles avec
quelle dévotion, quelle application de l'esprit et quel recueillement
il convient d'assister à un si grand mystère? Le saint concile de
Trente a soin de nous en avertir. Nous lisons, en ellet, au cha-
pitre v" de la XXIP session : « La nature de l'homme étant telle
« qu'il ne pi ut aisément et sans quelque secours extérieur s'éle-
« ver à la méditation des choses divines, l'Église, comme une
« bonne mère, a établi certains usages, comme de prononcer à
« la messe des choses à voix basse, d'autres d'un ton plus haut, et
« a introduit des cérémonies comme les bénédictions mystiques,
« les lumières, les encensements, les ornements et plusieurs
« autres choses pareilles, suivant la discipline et la tradition des
« Apôtres, et pour rendre par là plus recommandable la majesté
« d'un si grand sacrifice; et pour exciter les esprits des fidèles
« par ces signes sensibles de piété et de religion, à la contempla-
« tion des grandes choses qui sont cachées dans ce sacrifice ^ »
S. Ambroise, dans une prière préparatoire à la messe, demande
une grâce que devraient bien implorer avec lui tous ceux qui as-
sistent à ce divin sacrifice, afin de le faire avec toute l'attention
requise. 11 dit au Seigneur : « Faites que toujours par votre grâce,"
« je croie et je comprenne, je sente et je tienne fermement pour
t certain, je dise enfin et je pense, touchant un si grand mystère,
« tout ce qui vous est agréable et tout ce qui est utile à mon âme 2. »
En effet, lorsque vous assistez à ce divin sacrifice, vous devez ré-
fléchir sérieusement à cette vérité, qu'il est offert pour votre bien ;
d'abord pour le salut de votre âme, ensuite pour celui même de
\. Cumque nalura liominum ea sit ut non facile queat, sine adminiculis
exterioribus, ad rerum divinarum medilalionexn suslolli; propterea pia mater
Ecclesia ritus (juosdain, ut scilicet quéedam submissa voce, alia vero clariore,
in Missa pronuntiarenlur inslituit. Caireinonias item adhibuit, ut mysticas
benedictiones, lumina tbymiamata, vestes aliaque id genus muita, ex aposto-
lica discijtbna et tradilione, quo et majestas tanti sacrificii commendaretur,
et mentes fidelium per hœc visil)ilia religionis et pietatis signa ad rerum,
quae in lioc sacrificio latent, contemplationem excitarenlur. [Cancil. Trident.,
sess. XXII, cap. v.)
2. l'ac me per gratiam tuam semper illud de tanto myslerio credere et
intelligere, senlire et firmiter tenere, dicere et cogitare quod tibi placet et
expedit anim.t meœ. (S. Ambros., orat. projn-. in Dom.)
CE Ql'E LA DÉVOTION RÉCLvME DES PHÈTRES yUI CÉLÈURENT LA MESSE. 669
votre corps, et pour votre prospérité temporelle; qu'il a particu-
lièrement pour but d'expier vos péchés, de satisfaire à Dieu, et
d'éloigner de vous les châtiments dont la justice divine, irritée
par vos fautes, serait en droit de vous frapper. Voilà de quelles
sortes de pensées il convient de se pénétrer, lorsqu'on a le bonheur
d'assister à nos divins mystères et, à plus forte raison, de les cé-
lébrer soi-même. S. Jean Ghrysostome disait à son ami S. Basile :
« Quel majestueux appareil rehaussait le culte du Seigneur, même
e avant la loi de grâce ! Gomme tout inspirait une sainte terreur !
« Les sonnettes, les grenades, les pierres précieuses qui brillaient
« sur la poitrine et sur l'éphod du grand prêtre; le diadème, la
a tiare, la robe traînante, la lame d'or, le saint des saints et son
« impénétrable solitude ! Mais si l'on considère les mystères de
« la loi de grâce, que l'on trouvera vaine la pompe extérieure de
« l'ancienne loi, que l'on comprendra bien, dans ce cas particu-
« lier, la vérité de ce qui a été dit de toute cette loi en général :
« Ce qu'il y a eu d'éclatant dans le premier ministère n'est pas
« même gloire, comparé à la. gloire suréminente du second '.
« Quand tu vois le Seigneur immolé et étendu sur l'autel, le prêtre
« qui se penche et qui prie, et tous les fidèles empourprés de ce
« sang précieux, crois-tu encore être parmi les hommes, et même
« sur la terre ? N'es-tu pas plutôt transporté dans les cieux, et, toute
« pensée charnelle bannie, comme si tu étais un pur esprit, dé-
« pouillé de la chair, ne contemples-tu pas les merveilles d'un
a monde supérieur? 0 prodige! ô bonté de Dieu! Celui qui est
« assis là-haut, à la droite du Père, en ce moment même se laisse
V prendre par les mains de tous; il se donne à qui veut le rece-
« voir et le presser sur son cœur : voilà ce qui se passe aux regards
« de la foi -. » Ne devons-nous pas, en ell'et, nous croire au ciel
plutôt que sur la terre, lorsque le divin Agneau, qui a son trône au
plus liaut des cieux, est là sur nos autels et se tient au milieu de
nous? Aussi, quand approche le moment de sa venue, le prêtre
dit-il aux assistants : Sursum corda : « Les cœurs en haut. » Au
moment où la divine Victime descend du ciel et s'immole en
notre présence, nous ne sommes plus sur la terre, nous sommes
les compagnons des anges, et l'Église nous invite à nous joindre
\. Nam nec glorificalmn est quod claruil in hac parle, propler excellenlein
gloriam. (//. Cor., m, H» )
2. S. J. CHRYSOST., de Saccrdolio, lib. III. Traduction Jeannin.
670 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
à tous les ordres de leur glorieuse hiérarchie pour chanter avec
eux l'éternel Sanctus, sanctus, sanctus Domimis Deus sabaoth :
« Saint, saint, saint, le Seigneur le Dieu des armées. » On ne
peut songer sans trembler au sort réservé, au jour du jugement,
à tant de chrétiens qui assistent à la sainte messe, non seulement
avec négligence, mais avec une dissipation et une irrévérence
faites pour contrister les anges et toutes les âmes pénétrées d'une
foi vive et d'une piété sincère. S. François de Sales qui, tout jeune
encore, pouvait être proposé môme aux prêtres les plus vertueux,
comme un modèle de piété, s'était fait un règlement de vie dans
lequel nous lisons : « J'assisterai tous les jours au saint sacrifice
0 de la messe, et je convoquerai à cette grande action toutes les
a puissances de mon àme par ces saintes paroles : Venite et videte
« opéra Domini, quiv posuit prodiyia super terrain; transea-
Œ mus usque Bethléem et videamus hoc Verbum quod factum
« est, quod Dominus ostendit nobis ^ » Sans doute le pieux
jeune homme avait lu les conseils de S. Jean d'Avila rapportés
plus haut; car quelques lignes après celles que nous venons de
citer, il ajoute : « Pour y disposer mon àme, si je me réveille pen-
Œ dant la nuit, j'éveillerai mon cojurparces paroles : Media nocte
« clamor factus est : Ecce sponsus venit^exite obviam ei -. Puis
« pensant que c'est pendant la nuit que Jésus est venu au monde,
« je le prierai de naître encore en moi; les ténèbres extérieures
• me feront penser aux ténèbres intérieures, où la tiédeur et le
« péché jettent les âmes, et je conjurerai le Seigneur de dissiper
« ces ténèbres par sa douce et bienfaisante lumière 3. »
Telles étaient les pensées des saints : c'est avec ce recueillement
parfait de toutes les puissances de l'àme qu'ils comprenaient l'as-
sistance à la messe et la célébration du saint sacrifice. A leurs
conseils ajoutons encore quelques paroles empruntées à l'auteur de
l'Imitation de Jésus-Christ : elles achèveront de nous faire bien
comprendre les pensées et les sentiments que demandent de nous
ces adorables mystères :
« Le prêtre est le ministre de Dieu, usant de la parole de Dieu,
\. Venez et voyez les merveilles que le Seigneur a faites sur la terre.
Allons jusqu'à Belhléem et voyons le Verbe que le Seigneur nous a envoyé.
{Ps. \Lv, i), et A?/r., ii, \V>.)
2. Au milieu de la nuit, un cri se fit entendre : Voici l'Époux qui arrive,
allez au devant de lui. {.Motth., xxv, (».)
3. \'oir (Jjtiisculi's de S. François de Sales et ses différentes Vies.
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QLM CÉLÈBRENT LA MESSE. 671
« selon le commandement et l'institution de Dieu ; mais Dieu, à la
« volonté de qui tout est soumis, à qui tout obéit lorsqu'il com-
« mande, est le principal auteur du miracle qui s'accomplit sur
« l'autel, et c'est lui qui l'opère invisiblement. — Vous devez donc,
a dans ce divin sacrement, croire plus volontiers à la toute-puis-
« sance de Dieu qu'au témoignage de vos sens et à ce qui paraît aux
« yeux ; et vous ne sauriez dès lors approcher de l'autel avec assez
« de respect ni de crainte. — Pensez à ce que vous êtes. — Le prêtre,
« revêtu des ornements, tient la place de Jésus-Christ, afin d'offrir
« à Dieu d'humbles supplications pour lui-même et pour tout le
« peuple. Il porte devant et derrière lui le signe de la croix du Sau-
« veur, afin que le souvenir de sa passion lui soit toujours présent.
« Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considérer
« attentivement les traces de Jésus-Christ, et de s'appliquer avec
« ferveur à le suivre. Il porte derrière lui la croix, afin de s'exercer
« à souffrir avec douceur, pour Dieu, tout ce que les hommes
« peuvent lui faire de mal. — Il porte la croix devant lui, afin de
« pleurer ses propres péchés ; derrière lui, afin que par une tendre
« compassion, il pleure aussi les péchés des autres ; et que se sou-
« venant qu'il est établi médiateur entre Dieu et le pécheur, il
« ne se lasse point d'offrir des prières et des sacrifices, jusqu'à ce
« qu'il ait obtenu grâce et miséricorde.
<i Quand le prêtre célèbre, il honore Dieu, il réjouit les anges,
a il édifie l'Église ; il procure des secours aux vivants, du repos
« aux morts, et se rend lui-même participant de tous les biens ^»
A des réflexions si pieuses et si sages, nous n'ajouterons que
ces paroles du grand Apôtre à son disciple Timothée : « Méditez
a ces choses, soyez-y tout entier afin que votre avancement soit
« connu de tous : Hcvc meclilare, in liis esto, ut profeclus iuus
a manijeslus sit omnibus -. »
II.
l'URETK DE CONSCIENCE AVEC LAQUELLE IL FAUT CÉLÉBUKIl LA SAINTE
MESSE OU Y ASSISTER
« Avant sa résurrection, dit Pierre de Blois, Jésus-Cin-ist ne
a faisait pas difficulté de se laisser toucher par les pécheurs; mais
1. De Imitât. Christi, lib. I\', cap. v.
2. /. Tim., IV, l.'j.
672 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. XIV.
« une fois ressuscité, il fut très réservé à accorder cette faveur :
« c'était pour nous inculquer cette loi : Nul incirconcis naura
t part à V Agneau. Par incirconcis entendez tous ceux qui ne sont
« pas purs. Tout enflammée de la charité de Jésus-Christ qu'est
« Marie-Madeleine, il lui est défendu de toucher le divin Maître.
« Quoique le plus grand des enfants des hommes, au témoignage
« du Sauveur lui-même, Jean-Baptiste n'ose lever la main sur ce
« chef adorable que les anges regardent en tremblant ^ »
S. Jean Ghrysostome demande à son tour : « Quelle pureté
« pourra donc suffire pour l'oblation d'un tel sacrifice? L'éclat du
« soleil approche-t-il de celui que doivent jeter, et cette main qui
« divise la chair du Sauveur, et ces lèvres purifiées par un feu
« divin, et cette langue teinte d'un sang adorable? Songez quel
f honneur vous recevez et à quelle table vous êtes admis ! Celui
« dont la vue fait trembler les anges et dont la splendeur les
« éblouit, c'est lui-môme qui devient notre nourriture; il s'unit à
« nous et nous ne formons plus qu'un même corps et une même
« chair : le corps et la chair de Jésus-Christ 2. »
Dira-t-on que l'illustre et saint patriarche de Constantinople use
d'exagération, lorsqu'il réclame du prêtre et de tous ceux qui par-
ticipent à l'oblation du saint sacrifice une pureté si parfaite, des
mains et des lèvres plus resplendissantes que le soleil lui-même,
par leur sainteté?
Qu'on se rappelle le rit de l'immolation des victimes sous la loi
de Moïse. On sait que le prêtre qui les offrait en sacrifice devait
étendre la main sur leur tête. Si l'on en croit les explications que
\. Anle resurreclionem suam, Christus omnibus peccatoribus tangendum
seipsum permittebat; post resurreclionem vero suam non facile unicuique
concessit : ut eam nobis regulam traderet : Incircumcisus non comedet ex eo.
{Exod., XII, W.) Incircumcisum appellat omnem impurum. — Certe Maria
([uam Cbristi cbaritas vehementer accenderat prohil)etur Dominum tangere.
.loannes eliam Baptista, que major inlrr natos mulierum, teslimonio Christi,
non sxirrexit, vertici Salvatoris angelicis potestatibus tremendo manum verc-
tur apponere. (Petr. Bless., Serm. syn. LVII, et Epist. CXXIII ad Rie. Lond.
Episc.)
2. Quo igitur non oportet esse puriorem tali fruentem sacrificio? Quo so-
lari radio non splcndidiorem manum carnem banc dividentem, os quod igné
spiriluali ropletur, linguam quae tremendo nimis sanguine rubescit? Cogita
quali sis insignitus bonore, quali mensa fruaris. Quod angeli videntes horrcs-
cunt, neque libère audenl intueri proj)ter emicantem inde splendorem, boc
nos pascimur, huic unimur, et facti sumus unum Christi corpus et una caro.
(S. Chrvsost., bom. LXXII in Matth., alias LXXXIII.)
CE QUE LA DEVOTION RECLAME DES PRETRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 673
donne le juif Philon, cette imposition des mains signifiait que la
vie du sacrificateur était innocente, et qu'il observait exactement
tout ce qu'ordonnent les lois naturelles et les oracles sacrés; et
c'est ainsi que le peuple interprétait cette cérémonie. Car Dieu de-
mande de quiconque offre un sacrifice, d'abord qu'il soit bon,
saint, exercé à la pratique de la piété; ensuite que sa vie soit
ornée de bonnes œuvres, afin de pouvoir dire en toute sûreté de
conscience, lorsqu'il imposera les mains à la Victime : Ces mains
n'ont pas été corrompues par des présents, ni souillées par le sang
innocent. Elles n'ont nui à personne, outragé personne, ni commis
d'injustice; elles n'ont ni blessé ni violenté; elles n'ont prêté leur
concours à rien de honteux, mais uniquement à des actes honnêtes
et utiles, dignes d'être approuvés par tous les hommes justes et
sages. — Si telle était, au témoignage de Philon, la pureté requise
des prêtres de l'ancienne loi pour l'oblation des animaux sans
raison qu'ils offraient au Seigneur, quelle ne sera pas celle que
Dieu exigera des prêtres de la loi de grâce, lorsqu'ils tiennent entre
leurs mains et immolent sur l'autel l'Agneau de Dieu, Jésus-Christ
lui-même voilé sous les Espèces eucharistiques?
On lit dans la Genèse : « Dieu dit à Jacob : Lève-toi et monte à
a Béthel ; demeure là et fais un autel au Dieu qui t'apparut quand tu
a fuyais Esaù ton frère. Jacob donc assembla toute sa maison et dit :
« Rejetez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous, purifiez-
« vous et changez vos vêtements. Levez-vous et montons à Béthel,
« afin que nous fassions là un autel au Dieu qui m'a exaucé au
« jour de ma tribulation, et qui a été le compagnon de mon vo3^age.
« Ils lui donnèrent donc tous les dieux étrangers qu'ils avaient, et
« les pendants qui étaient à leurs oreilles; et il les enfouit sous le
« térébinthe qui est derrière la ville de Sichem K » Nous voyons
ici que le premier soin de Jacob, pour accomplir dignement l'ordre
qu'il avait reçu de Dieu, et offrir au Seigneur un sacrifice d'action
de grâces qui lui fût agréable, a été de sanctifier, autant qu'il lui
1. Interea locutus est Deus ad Jacob : Surge et ascende Bethel, et habita
ibi, facqiie altare Deo qui apparaît tibi quando fugiebas Esau fratrem tiium.
Jacob vero convocata omni domo sua, ait : Abjicite deos aliènes qui in medio
vestri sunl, et mundamini, ac mulate vestimenta vestra. Surgite, et ascenda-
mus in Bethel, et faciainus ibi altare Deo : qui exaudivil me in die tribulatio-
nis mefe, et socius fuit ilineris inei. Dederuntergo ei onincs deos alicnos quos
habebant, et inaures quae erant in auribus eoruin. At ille infodit ea sub tere-
binthum qui est post urbem Sichem. {Gènes., xxxv, 1-i.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 43
674 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
était possible, tous ceux qui l'accompagnaient et devaient parti-
ciper à loblation de ce sacrifice.
Rappelons-nous encore une fois ce principe posé par S. Paul,
que les actes et les paroles des personnages de l'Ancien Testament
étaient la figure de ce qui s'accomplirait sous la loi nouvelle :
Omnia in figura contingebant illis ^ En rapportant la conduite
de Jacob dans cette circonstance, la Sagesse divine a voulu nous
apprendre sans doute avec quel soin nous devons, nous qui sommes
chrétiens, nous préparer à célébrer la messe ou bien à l'entendre.
Nous ne pouvons pas nous approcher de l'autel du Seigneur, si
nous n'avons pas d'abord rejeté les dieux étrangers qui sont en
nous, c'est-à-dire si nous n'avons pas purifié nos cœurs, si nous
n'en avons pas rejeté les désirs désordonnés, les passions, les vices,
les péchés. Le faire sans une telle préparation serait s'exposer,
d'une manière certaine, à perdre tout le fruit d'un acte si solennel
et même à se rendre plus coupable, « Celui, dit Oleaster, qui se
« prépare à offrir au Dieu suprême le saint sacrifice, doit se puri-
« fier intérieurement et extérieurement -. »
Pourquoi, lorsque le moment de la consécration approche, le prê-
tre se lave-t-il les mains en récitant ces paroles du Psalmiste : « Je
« laverai mes mains parmi des innocents, et je me tiendrai autour
« de votre autel, ô Seigneur -^ ? » Remarquez qu'il n'a pas manqué
de le faire avant de se rendre dans la maison de Dieu ; il l'a fait
encore au moment de revêtir les ornements sacrés. Ce n'est donc
pas la nécessité qui a dicté ce rite à l'Église : mais il y a là un
enseignement pour le prêtre et pour les fidèles. Cet acte a une
signification mystique; il dit qu'une pureté ordinaire ne suffit pas
pour célébrer les saints mystères. Avant de monter à l'autel, le
prêtre s'est lavé les mains, car il faut avant tout que sa conscience
ne soit chargée d'aucune faute grave, et qu'il n'y ait rien de
sérieusement répréheiisible dans ses actes, que les mains repré-
sentent. Mais quand le moment approche oij les mystères les plus
sacrés de notre sainte religion vont s'accomplir, par son entre-
mise, il a besoin d'une pureté plus excellente encore ; il faut que
1. /. Cor., X, M.
2. Qui Deo summo est est litaturus, oportet eum mundnri intus et extra.
(Oleaster. in hune locum.)
3. Lavabo inter innocentes manus meas, et circumdabo altare tuum, Do-
mine. {Ps. XXV, 0.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 675
le regard des fidèles et des anges ne puisse apercevoir aucune
tache en lui, quelque légère qu'elle soit, et il se lave non plus les
mains, mais les extrémités des doigts ; ce n'est plus de fautes
graves qu'il s'agit pour lui de se purifier en ce moment, mais de
ces imperfections inhérentes à la faiblesse humaine, que même les
plus saints n'évitent pas complètement.
Être irrépréhensible, jusque dans ses moindres actes extérieurs,
ne suffirait pas pour offrir le divin sacrifice : « Il faut que toutes
« les affections du cœur soient aussi parfaitement purifiées, dit
4 Pierre de Blois. On voit dans le Lévitique qu'avant de faire
« l'oblation de la victime, on en lavait avec soin toutes les en-
« trailles. Dieu apparut à Moïse ; il apparut aussi à Josué ; or il
« donna à l'un et à l'autre l'ordre de quitter sa chaussure, c'est-à-
« dire ce qu'il avait sur lui de la dépouille des animaux. Point de
« lieu plus terrible que celui où le Fils unique de Dieu est immolé
« à son Père. Celui qui veut remplir un si saint ministère doit
« donc commencer par se décharger de la corruption de toutes
« les œuvres mortes •. » Il doit mériter, autant qu'il est en lui, de
voir s'accomplir le vœu que formulait S. Ambroise : « Plaise à
« Dieu que quand nous brûlons l'encens à l'autel, l'Ange du
« Seigneur soit aussi à nos côtés, et même se découvre à nos
« yeux ! Car il n'est pas douteux que nous n'ayons un ange auprès
« de nous, quand Jésus-Christ s'y trouve et qu'il y est sacrifié. Car
« c'est bien là Jésus-Christ notre Agneau pascal qui a été im-
« mole, dit l'Apôtre -. »
Pierre de Blois, qu'on nous permettra de citer encore, aimait à
revenir sur cette pensée que le prêtre est le coadjuteur de Jésus-
Christ dans l'œuvre de la rédemption. Il en tirait cette conclusion
que la sainteté du prêtre doit être bien grande, lorsqu'il célèbre le
\. Lavandi sunt equidem omnes interiores affectus. Nam in Levitico (i, ix
et xiii), ante(|uam olîeratur hostia, omnia ejus intestina lavantur. Appariiit
Dominus Moysi ; apparuil et Josue, prœcipiens ulrique ut solveret calceamenta
de pedibus suis : calceamenta quippefiuntde pcllibus mortuorum animalium.
Ideo quisquis accedit ad tantae sanctiticationis ministerium, necesse prius
habet deponcre omnem immunditiam operum mortuorum. (Petr. Blesens.,
Epist. CXXllI, ad liic. Lond. l'insc.)
!2. Utinam nobis quoque adolentibus Altaria, sacrificium deferentibus, as-
sistât angclus, imo prœbeat se videnduin! Non enim dubites adsistcre ange-
lum quando Christus adsislit, quando Christus immolatur : Ktenim pascha
nostruin immoiatus est Clirislus (/. Cor., v, 7). (S. ,\mbros. in Luc, lib. I,
n. 27.)
676 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV..
divin Sacrifice. « Personne, dil-il, n'est venu en aide ù l'Esprit du
« Seigneur ni ne lui a donné de conseil, pour r<Buvre de la créa-
« tion : mais pour accomplir notre rédemption, il a voulu des
« aides, et il a dit : Faites ceci en mémoire de moi. Le prêtre est
« donc l'aide du Rédempteur, le conseiller du Dieu des armées.
« C'est par les soins de ce conseiller que les pécheurs rentrent en
«r grâce avec leur Dieu. C'est lui qui prépare et présente les mets
« à la table du Christ, offrant à ceux qui sont serviteurs comme
a lui l'aliment qui vient du Père, car c'est sa parole qui s'unit à
« l'élément pour que le sacrement existe. C'est sa main qui
« prépare le médicament merveilleusement composé, qui rend la
« santé à tous ceux qu'a blessés le serpent '. » Ailleurs il dit encore:
« Je sais et je le professe ouvertement, au temps de l'immolation,
tf à rheure où l'on brûle l'encens, les cieux s'entr'ouvrent à la
« voix du prêtre, les anges assistent et sont présents, les choses
« visiblesetleschoses invisibles, terrestresetcélestes, s'unissentpar
« l'opération du Saint-Esprit et deviennent un seul tout. Il est donc
a grand, ce sacrement, grand au delà de toute estimation et de
0 toute imagination; il surpasse toute grandeur. En lui est le salut
« du monde, la rançon du siècle. Nul ne saurait concevoir la gran-
* deur de son prix, ou plutôt il est au-dessus de tout prix. C'est
« de lui que l'Apôtre a dit: // est manifestement grand, ce 7nys-
« tère de piétés qui s'est révélé dans la chair, qui a été justifié
« par VEsprit, dévoilé aux anges, annoncé aux nations, cru
« dans le monde, reçu dans la gloire. Or le Prophète a dit :
« Soyez purs, vous qui portez les vases du Seigneur. Combien
« faut-il que soient plus purs encore ceux qui portent le Christ lui-
« même dans leurs mains et dans leur chair -? » C'est surtout à
1. In opère creationis non fuit qui adjuvaret Spiritum Domini, aut consilia-
rius ejus esset. In mysterio vero Redemptionis nostrae, voluit liabere coadju-
tores, dicens : Hoc facile in mcam commemorationem. Est ergo sacerdos coad-
jutor Redemptoris, consiliarius Domini Sabaoth; cujus consilio offensi redeunt
ingratiam Dei sui. Hic est dapifer mensse Christi, oiferens Patris cibum con-
servis, cujus verbum accedit ad elementum, et fit sacramentum. Ejus manu
conficilur medicamentum medicatum sapienter, que restituuntur sanitati
vuhieratia serpente. (Petr. Blesens., serm. XLVII.)
2. Scio et aperte profiteor, tempore immolalionis, in ipsa hora incensi,
cœlos ad vocem sacerdotis aperiri, angelos praesenles assistere, unum et
idem ex visibilibus et invisibilibus fier!, et operatione sancti Spiritus terrena
cœlestibus jungi. Magnum itaque hoc est sacramentum, supra omnem aesti-
malionem, supra omnem intelligentiam, supra omnem eminentiam : in quo
•salus est mundi, pretium sseculi, pretium impretiabile. De ipso Apostolus
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 677
eux que S. Paul adresse cette recommandation : « Vous avez été
« achetés à haut prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps '. »
Le prêtre qui offre le saint sacrifice doit être pénétré des senti-
ments mêmes de Jésus-Christ, non seulement pour s'anéantir avec
lui par l'humilité, mais pour se crucifier, pour s'immoler lui-même
au Seigneur sur l'autel de son propre cœur. Il doit se souvenir de
cette parole de Salomon : c Vous vous êtes assis à la table d'un
« riche: sachez qu'il faut que vous lui prépariez un festin sembla-
« ble : » Sedisti ad mensam divitis, sciio quia eademte prœpa-
rare oportet '-.
Qu'il nous soit donc permis de dire aux prêtres, avec un pieux
disciple de S. Bernard : « Considérez donc, ayez toujours dans la
« mémoire la grâce singulière que Dieu vous a faite, grâce qu'il
« n'a pas accordée aux anges ni aux autres hommes. Car, en vos
€ mains, le pain est transsubstantié au corps du Fils unique de
€ Dieu; sous votre bénédiction, le vin est changé au sang sacré
« de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les Séraphins, plus rapprochés
« de la Sainte Trinité que tous les autres esprits, par le lieu et l'a-
* mour, brûlent de vives ardeurs: ils n'ont pas néanmoins ce pri-
« vilège de consacrer, dans une créature qui leur soit mise entre
« les mains, le corps et le sang du Rédempteur. Les Chérubins qui
« ont la plénitude de la science, comme l'atteste leur nom, parce
« que, plus intimement que les autres, ils connaissent les mystères
« célestes, s'étonnent de ce que la science et la puissance du
« prêtre soient si admirables et qu'ils n'en approchent pas. Les
« Trônes, dont la dignité est si élevée que le Seigneur siège sur eux
« et prononce par eux ses jugements, n'ont pas la prééminence
« qui distingue les prêtres. Tous les esprits bienheureux enfin,
« quoiqu'ils jouissent d'une béatitude si parfaite, qu'il ne manque
« rien à leur souverain bonheur, vénèrent néanmoins la gloire du
e prêtre; ils admirent sa dignité, ils reconnaissent son privilège
« et honorent sa puissance.
« 0 famille ecclésiastique, sacerdoce royal, nation sainte, peuple
« d'acquisition, annoncez les grandeurs de celui qui vous a appelés
loqucns : Muf/nuDi, inquit, aarrnmenlum hoc /nclalis, i/Kiiu/'i-stnIum m came,
justificnlum in Siririlii, qiioil a/tprrruit nngelis, jjrœdictum est i/nitihits, credi-
tum mtnulo, tissumptum iii f//oria (/. Tim., m, \i\). (In., Epist. CXXIII.)
i. Empli enim estis prctio niagno. GloriHcate et porlate Deuin in corpore
vestro. (/. Cor., \i, 20.)
2. Prov., xxiii, 2.
678 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XIV.
« des ténèbres à son admirable lumière et à son ineffable mystère.
« Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre. Aux
a lévites on dit: Pari fiez-vous, vous qui portez les vases du Sei-
« gneur '. A vous il faut dire: Purifiez-vous, vous qui êtes les
a vases du Seigneur. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps ~.
« Dieu vous a choisis pour être son héritage. C'est en vous que
« s'ensevelit ce corps glorieux et glorifié, qui autrefois fut mis au
c tombeau à Jérusalem^ sans vie et frappé de la mort. Joseph, ce
« saint personnage, ne voulut le placer que dans un sépulcre tout
a neuf, dans lequel personne n'avait été mis, et il eut soin de l'en-
« velopper dans un suaire immaculé. Malheur à vous si vous ne le
« mettez pas dans un suaire blanc, c'est-à-dire dans une conscience
« entièrement dégagée et purifiée de toute tache. Le temple de
« Dieu est saint, dit l'Apôtre, et c'est vous qui êtes ce temple 3.
« Et encore : Ne savez-vous pas que nos corps sont le temple du
« Saint-Esprit et que le Saint-Esprit habite en nous ^? Si ces
« paroles sont vraies de tout chrétien qui vit dans la charité, com-
« bien doivent-elles l'être davantage d'un prêtre véritablement
« agréable à Dieu ?.... Souvenez-vous donc de ne toucher à ce
« sacrifice qu'avec des mains innocentes et un cœur pur. Si vous
« n'y prenez garde, le Seigneur vous dira : Ne me touchez pas
<r parce que votre attouchement est une souillure.
« Méditez donc, prêtre chéri du Seigneur, et considérez toujours
« que Jean-Baptiste, le précurseur du Seigneur, l'ami de l'Époux,
« le paranymphe de l'Épouse, prophète, plus que prophète, sanc-
« tifié dans le sein de sa mère, ce grand homme, ce personnage
« d'un mérite si éminent, d'une sainteté si singulière, tremble et
« n'ose toucher la tête adorable de Dieu, mais il s'écrie avec crainte:
« Sauveur, sanctifez-nioi. Remarquez que Pierre, désigné pour
« tenir les clefs du royaume des cieux, établi pasteur de brebis
« par la triple confession de son amour, mis à la tête du collège
« apostolique, en danger de périr dans un naufrage, se trouvant
« près du Seigneur, redoute de s'en approcher et veut, dans sa
« frayeur, s'éloigner de lui; il s'écrie : Retirez-vous de moi, Sei-
\. Mundfimini qui ferlis vasa Domini. (/s., lu, \\.)
2. Glorificate et portate Deum in corpore vestro. (/. Cor., vi, 20.)
3. Templurn Domini sanctum est quod estis vos. (/. Cor., m, M.)
4. An nescilis quia corpora noslra templa sunt Domini, et Spiritus sanctus
habitat in nobis? (/. Cor., vu, 16.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 679
« gneur, parce que je suis un homme pécheur ^ S. Jean, le dis-
« ciple vierge, choisi et préféré qui, y la cène, reposa sur la poitrine
« du Seigneur ; à qui Jésus-Christ, sur la croix, confia sa mère
« vierge; à qui, lorsqu'il vivait encore dans sa chair mortelle,
a furent révélés les secrets célestes, se glorifie, en ces termes,
« d'avoir entendu, vu et touché extérieurement le corps du Sei-
« gneur : Ce qui a été dès le principe, ce que nous avons entendu
« et vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos
« mains ont touché du Verbe de vie 2. Si donc ces princes
« glorieux de la terre, ces grands de la cour céleste, redoutaient à
« un tel point de toucher extérieurement le corps du Seigneur, qui
« n'était pas encore transféré dans la gloire des cieux, avec quel
« respect, avec quelle crainte et quel tremblement, avec quelle
« pureté de corps et d'àme faut-il que le prêtre le produise, le
« touche, le prenne et le reçoive dans sa propre poitrine, main-
« tenant qu'il est glorieux et établi au-dessus de tout dans la gloire
« du Père ^ ? »
On lit dans l'Exode, que Dieu donna cet ordre au grand prêtre
Aaron et à ses fils : « Vous ferez un bassin d'airain avec sa base
« pour se laver, et vous le placerez entre le tabernacle du témoi-
« gnage et l'autel. Or, de l'eau ayant été mise, Aaron et ses fils y
« laveront leurs mains et leurs pieds, quand ils devront s'appro-
t cher de l'autel pour y offrir un parfum à brûler au Seigneur 4. »
Cette prescription de l'ancienne loi qui fait comprendre quelle
perfection de pureté Dieu exige de ceux qui approchent de son
autel, semblait ne regarder autrefois que les prêtres et les lévites.
Mais nos mystères infiniment saints ne demandent pas seulement
que les prêtres appelés à les accomplir soient irréprochables, les
simples fidèles qui ont l'honneur d'y assister doivent s'efTorcer,
autant qu'il est en eux, d'apporter dans le lieu saint où l'on célèbre
1. Exi a me, quia homo peccator sum, Domine. (Luc, v, 8.)
2. Quod fuit ah) initio, quod audivimus, quod vidimus oculis nostris, quod
perspeximus, et manus nostrai contrectaverunt de Verbo vit*. [Joann.,
I. Epist., I, 1.)
3. Instrucl. sacenl., p. Il, caj). ix et x, inter opéra S. Bernardi. Traduction
de M. l'abbé Dion. — Vu la longueur de la citation, nous ne reproduisons pas
le texte latin.
4. Faciès et labrum aeneum cum basi sua adlavanduin.ponesque illud inter
tabernaculum tcstimonii et altare. Et missa aqua, lavabunt in ea Aaron et
filii ejus manus suas ac pedes, quando ingressuri sunt tabernaculum tcstimo-
nii, utofferent in co tbyiniama Domino. [Exod., xxx, 18.)
680 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
ces adorables mystères, des cœurs assez bien disposés pour que
Dieu puisse en agréer l'hommage.
Les prêtres, en ellet, ne sont pas seuls à offrir le saint sacrifice ;
tous les assistants doivent s'unir à eux et les prières de la messe
le rappellent en divers passages. S'ils ne sont pas obligés, sous
peine de faute grave, d'être en état de grâce, comme le célébrant
qui monte à l'autel, au moins convient-il qu'ils le soient ou, s'ils
ne le sont pas, qu'ils soient animés de sentiments de pénitence et
qu'ils puissent dire avec David : « 0 Dieu, vous ne mépriserez pas
« un cœur contrit et humilié : » Cor contritum et humiliatuin ,
Deus, non despicies K L'Église nous le rappelle par ce vase rem-
pli d'eau bénite, qu'elle place à l'entrée des églises, et qui n'est
pas seulement, comme le vase d'airain du tabernacle ou du tem-
ple, pour l'usage des prêtres, mais à la disposition de tous. Et
l'eau qu'il contient n'est pas destinée à une simple purification
extérieure et corporelle, elle est sanctifiée par des prières spécia-
les, et elle a la vertu, lorsqu'on en use avec dévotion, de purifier
les âmes de leurs taches légères, d'attirer les bénédictions de Dieu
et de mettre en fuite le démon. Baronius remarque que les ido-
lâtres eux-mêmes ne manquaient pas de pratiquer quelque puri-
fication, avant d'entrer dans leurs temples; car, dit-il, c'est dans
l'homme un sentiment instinctif de se purifier de toute souillure,
lorsqu'il doit approcher de Dieu '. Or, il n'est pas de circonstance
où l'homme puisse autant approcher de Dieu que lorsqu'il assiste
au sacrifice de la messe et qu'il participe au sacrement de l'Eu-
charistie, ou seulement lui rend visite et l'adore dans le saint ta-
bernacle. C'est bien Dieu lui-même, c'est bien le Verbe divin avec
le corps, le sang et l'âme qu'il a daigné s'unir, que le prêtre
tient entre ses mains ou qui repose sur l'autel. Le simple fidèle
est là, à quelques pas à peine du Dieu que les Chérubins et les
Séraphins adorent en tremblant dans le ciel, au sein de sa gloire
infinie. Comment comparer les sacrifices anciens à ce divin sa-
crifice ? Et si tant de respect était exigé de ceux qui participaient
à l'immolation de quelques animaux, s'ils devaient être purs de
toute souillure, au moins extérieure, quelle pureté intérieure ne
doivent pas s'efforcer d'apporter au pied de nos autels ceux qui
assistent à l'immolation de l'Agneau de Dieu qui efface les péchés
^. Ps. L, 21.
2. Baron., Annal., anno 57, n. lOG.
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 681
du monde? C'est àeux surtout qu'il faut dire avec le Psalrniste :
« Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle, et qui reposera
« sur votre montagne sainte? Celui qui marche sans tache et qui
« pratique la justice. Celui qui dit la vérité qui est dans son
« cœur, qui n'a pas trompé avec sa langue ; qui n'a pas fait de
« mal à son prochain, et qui n'a pas accueilli l'injure contre ses
« frères K »
S. Épiphane dit que le serpent qui va boire à un cours d'eau
rejette d'abord le venin dont il est gonflé; il s'approche ensuite
de l'eau pour boire. « Faisons ainsi, dit le saint docteur, lorsque
« nous approchons de l'autel de Dieu, rejetons d'abord tout venin
« dangereux 2. » Le venin de nos âmes, c'est la haine, c'est l'en-
vie, c'est la concupiscence charnelle, ce sont enfin tous les pen-
chants mauvais, tous les péchés qui exposent notre âme à la dam-
nation éternelle. Tous les membres de la famille de Jacob, tous ses
serviteurs lui obéirent sans hésitation, aussitôt qu'il leur eût dit
qu'il s'agissait d'offrir un sacrifice à Dieu et qu'il fallait, pour
s'en rendre digne, rejeter d'abord les idoles qu'ils possédaient et
les autres objets se rapportant au culte des fausses divinités.
N'est-ce pas un exemple que les chrétiens doivent s'empresser de
suivre? Hésiteront-ils à enfouir au pied de l'arbre de la croix
leurs idoles, leurs affections déréglées qui les assujettissent au
démon et les entraînent dans le péché ? Ce n'est pas un simple
sacrifice figuratif qui va s'accomplir en leur présence ; ce n'est
pas un chef de famille quelconque, fût-il le patriarche Jacob, qui
se prépare à offrir ce sacrifice. Le prêtre qui l'offrira sera le Fils
de Dieu lui-même, usant, pour le faire visiblement, de la voix et
des mains de son ministre ; et la victime offerte, ce sera encore
lui, ce divin Agneau qui se tient comme immolé en présence du
Père céleste.
Le saint Concile de Ti'ente s'inspirait de ces pensées lorsque,
dans un décret, il s'exprimait ainsi : « Puisque nous sommes
i. Domine, quis liabitabit in labernacuio tuo? aut quis requiescet in monte
sancto tuo? Qui ingreciitur sine macula, et operatur justitiam; qui loquiturve-
ritateni in corde suo, f(ui non e;,nt dolum in lingua sua : nec fecit proximo
suo malum, et opj)robrium non accepit adversus proximum suum. (As. xvi,
1,3.)
2. Serpens cum venerit ad bibendum aquam, priusquam bibat, extra fon-
lem evomit venenum .suum, et po.stea bibit; ita et nos, quando ad altare Dei
accedimus, seponamus venenum pessimum. (S. Kpipit., Ifxre.^., xxxvu.)
682 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. MV.
« nécessairement obligés d'avouer que les fidèles ne peuvent
« exercer aucune œuvre si sainte ni si divine que ce mystère ter-
« rible, dans lequel cette hostie vivifiante, par laquelle nous
« avons été réconciliés à Dieu le Père, est tous les jours immolée
« sur l'autel par les prêtres, il paraît assez clairement qu'il faut
« mettre tout son soin et toute son application pour faire cette
« action avec la plus grande netteté et pureté intérieure du cœur,
« et la plus grande piété et dévotion extérieure qu'il est possi-
« ble '. »
On lit dans la vie du bienheureux Guillaume, prêtre et ermite,
qu'un jour, étant à l'autel et célébrant le saint sacrifice de la
messe, il eut un ravissement et vit Notre- Seigneur Jésus-Christ
qui, sous la forme d'un enfant, après avoirbaisé l'autel, alla porter
le baiser de paix par toute l'église aux assistants. Mais il ne la
donna pas à tous et plusieurs furent privés de cette faveur, parce
qu'ils ne prenaient pas assez garde à conserver leur conscience
pure et qu'ils étaient en état de péché. Car, comme dit Salvien,
« bien qu'il ne soit pas défendu au pécheur d'entrer dans une
« église, il ne doit le faire qu'avec l'intention de pleurer ses fautes
« passées 2. » Souvenons-nous donc lorsque nous entrons dans la
maison de Dieu, soit pour assister au saint sacrifice, soit pour le
célébrer nous-mêmes, que Dieu attend de nous un regret sincère
des péchés que nous avons commis, et une volonté arrêtée et sé-
rieuse de tout faire, pour conserver nos cœurs purs et dignes de
lui à l'avenir.
III.
MODESTIE, RESPECT ET EMPRESSEMENT PIEUX QUE DEMANDE l' ASSISTANCE
AU SAINT SACRIFICE DE LA MESSE
Dieu voulait autrefois que les anciens Hébreux n'approchassent
du tabernacle qu'avec crainte et tremblement. Cependant qu'é-
1. (^uod si necessario fateinur, nulluin aliud opus adeo sanctum acdivinum
a Chrisli fidelil)u.s tractari posse, quam hoc ipsuni tremendum mysterium quo
vivifica illa'hostia, qua Ueo Patri reconciliati sumus, in altari per sacerdotes
quotidie immolalur : satis etiam apparet, omnem operam et diligentiam in eo
ponendam esse, ut quanta maxima fieri potest interiori cordis munditia etpu-
ritate, atque exteriori devotionis ac pietatis specie peragatur. [Concil. Trid.,
sess. XXII, décret, de Observandis el vitandis in cdebralione Missx.)
2. Etsi peccalor non prohibetur ab ingressu templi, débet tamen is aliter
non inlrare, nisi ut mala antiqua defleat. (Salvian., de Providentia.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 683
lait-il, sinon une tente richement ornée? L'arche d'alliance elle-
même, qu'il était destiné à renfermer, n'était qu'un coffre de bois
incrusté d'or. Mais l'arche et le tabernacle étaient consacrés au
Seigneur; il y avait manifesté sa gloire et s'en était servi pour
accomplir des prodiges, et rendre des oracles ; il était juste que
tout Israël fût saisi d'un profond respect, à l'approche de ces ob-
jets que Dieu lui-même avait sanctifiés.
Cependant il y a loin entre la sainteté du tabernacle et de l'ar-
che d'alliance et celle de nos églises et de nos autels. C'est à nous
surtout que s'adressent ces paroles : c Soyez saisis de crainte à
« l'approche de mon sanctuaire. Je suis lu Seigneur '. » Nos églises
sont la demeure habituelle que Jésus-Christ s'est choisie parmi
nous; il ne se contente pas d'y manifester de loin en loin sa vo-
lonté et sa puissance, il y réside personnellement. Ce n'est pas
assez encore : chaque jour il y renouvelle son divin sacrifice, lui
que les Dominations, les Puissances et tous les chœurs des es-
prits bienheureux adorent en tremblant. Dans une prière prépa-
ratoire à la messe, S. Ambroise demande que Dieu lui enseigne
a avec quelle contrition de cœur, avec quelles larmes abondantes,
« quelle vénération, quelle crainte respectueuse, quelle chasteté
« de corps, quelle pureté de cœur, il convient de célébrer ce divin
« et céleste sacrifice ~. »
Et ces dispositions sont requises, non seulement du prêtre qui
célèbre la messe, mais de tous ceux qui ont le bonheur d'y as-
sister, puisqu'ils se trouvent, eux aussi, en la présence du Fils
de Dieu s'immolant pour eux sur l'autel.
S. Jean Chrysostome, pour faire mieux comprendre le respect
qui doit accompagner la célébration de nos mystères sacrés, les
compare au sacrifice que le prophète Élie ofl'rit en présence de
tout le peuple, pour dévoiler l'impuissance des idoles et la fourbe-
rie de leurs faux prophètes. « Voulez-vous juger, dit-il, de l'ex-
« cellence de nos saints mystères par un autre prodige ? Repré-
« sentez-vous Élie, une foule immense debout autour de lui, et la
« victime étendue sur les pierres, tous les assistants dans l'attente
« et dans le plus profond silence, le prophète seul priant à haute
1. Pavete ad sanctuarium meuin : p]go Doiniiuis. [Levil., xwi, 2.)
2. Quanta cordis conlritione, cl lachryinarum fonte, quanta reverentia et
tremore, quanta corporis castilate et animœ purilate istud divinum et cœleste
sacrificium sit celebranduni. (S. Amuiuis., s. III in prxparatione ad Mxssam.)
684 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
« voix, puis, tout h coup, la flamme se précipitant du ciel sur
« l'holocauste.
« Tout cela est merveilleux et bien propre à pénétrer l'àme de
« frayeur. Mais de ce spectacle, passez à la célébration de nos
a mystères; vous y verrez des choses qui excitent, qui surpassent
« toute admiration. Le prêtre est debout ; il fait descendre non le
« feu, mais l'Esprit saint; sa prière est longue; elle s'élève, non
« pour qu'une flamme vienne d'en haut dévorer les offrandes qui
« sont préparées, mais pour que la grâce, descendant sur l'hostie,
« embrase par elle toutes les âmes et les rende plus brillantes
<( que l'argent épuré par le feu. Ne faudrait-il pas être privé de
t raison et de sens pour mépriser un mystère si redoutable?
« Ignorez-vous que jamais une âme humaine ne supporterait le
« feu de ce sacrifice, mais que nous serions tous promptement
« anéantis, sans un secours puissant de la grâce de Dieu '? »
Les païens eux-mêmes comprenaient que le respect le plus pro-
fond est dû à tout ce qui touche au culte de la divinité. On lit dans
le philosophe Sénèque: « Aristote avait raison de dire: Jamais
« nous ne devons nous montrer plus respectueux que lorsqu'il
« s'agit des dieux. Si nous entrons dans les temples, nous compo-
« sons tout notre extérieur; si nous assistons à un sacrifice,
« nous inclinons la tête, nous rassemblons les plis de notre toge;
« si, toutes les fois que nous dissertons, nous prenons un air mo-
« deste, combien plus devons-nous le faire lorsque nous avons à
« parler des astres, des étoiles, de la nature des dieux 2?» Quelle
leçon de la part d'un philosophe païen pour tant de chrétiens dont
la tenue et l'immodestie, en présence de nos saints Mystères, au-
raient fait rougir les adorateurs des idoles !
On lit dans les Constitutions Apostoliques, au livre où il est traité
du sacrifice de la Messe : « Tenons-nous debout avec crainte et
« tremblement pour en faire l'oblation ^. » Tel est l'esprit de la
sainte Église ; elle ne manque pas de nous le rappeler un moment
avant la consécration, lorsqu'elle fait dire au prêtre que le Dieu
1. S. JoANN. CiiRY.sûST., tie Sacevdtjl., li)). III (traduct. Jeannin).
2. Egregie Aristotcles ait : Nunquam nos verecundiores esse debere quam
cum de diis agitur. Si intramus templa compositi sumus; si ad sacrificium
accessuri, vullum submilliinus, togam adducimus;si in omne argumentum
modesliam fingimus, quanlo hoc inagis facere debemus cum de sideribus, de
stellis, de deorum natura disputamus. (Senec, lib. VII Xatur.)
3. Stemus erecli cum melu et tremore, ad offerendum. [Constit. Apost.)
CE QUE LA DEVOTION RECLAME DES PRETRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 685
qui va descendre sur l'autel est le Dieu d'éternelle majesté, en pré-
sence de qui les Chérubins et les Séraphins se prosternent et
adorent avec une religieuse frayeur, et qu'elle nous invite à unir
nos voix à celles de ces esprits bienheureux, pour célébrer les
louanges de ce Dieu trois fois saint. C'est en union avec les anges
que nous devons adorer le Seigneur s'immolant pour nous sur
l'autel, et lui rendre nos humbles hommages. Loin de nous, en ce
moment solennel, toutes les préoccupations de la terre ; les choses
du ciel réclament sans partage toutes nos pensées et tous nos senti-
ments K
Dans le même chapitre où il traite de l'institution de la Sainte
Eucharistie et, par conséquent, de la célébration de la première
messe, l'Apôtre parle d'abord de la modestie qui doit régner dans
les assemblées chrétiennes et, d'une manière plus particulière, dans
celles qui ont pour objet l'accomplissement de nos mystères divins.
« La femme, dit-il, doit avoir une puissance, » c'est-à-dire un
voile qui marque son état de sujétion, « sur sa tête, à cause des
a anges. — Jugez vous-mêmes : Sied-il à la femme de prier Dieu
« sans être voilée - ? » S. Paul recommande la modestie principale-
ment aux femmes, surtout dans les églises, parce qu'en y man-
quant elles seraient presque infailliblement une cause de ruine
pour plusieurs. En effet, S. Thomas explique ainsi ce texte de l'A-
pôtre : a La femme doit toujours être voilée dans l'église, à cause
«t des anges, c'est-à-dire à cause des prêtres, et cela pour deux rai-
« sons : la première est la vénération qu'elle leur doit, vénération
« qui ne lui permet pas de paraître devant eux, autrement que
« vêtue avec une parfaite modestie. La seconde est le soin qu'il faut
« prendre de n'être pas pour eux une occasion de danger: la vue
« des femmes non voilées pourrait éveiller en eux la concupis-
a cence ^. » Cette recommandation de l'Apôtre n'a pas toujours été
1. Ubi prius Cherubim nominavit, et Seraphim mentionem fecit, tune de-
mum ad hanc tremcndam vocem mitlendam omnes adhortatur; et dum coruin
nos admonet, qui nobiscum choros agitant, mentem nostram a terra subducit :
unumquemque noslrum liis prope modum verbis : Una cum Serajjhim canis,
una cum Serapbim sta. (S. Ciihysost., boni, de Chcru/nm.)
2. Ideo débet mubcr polestatem babere super caput suuin propter angelos. ..
Vos ipsi judicate : decet muliercm non velalam orare Doum"? (/. Cur., xi,
K), 13.)
3. Débet mulier velamen babere semper in Ecclesia propter angelos, id est
propter sacerdoles, duplici ratione : i)rlmo ([uideni propter eorum reveren-
tiam, ad quam pertinetcjuod mulieres corain eis boneste se babeant. Secundo
686 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE IJ. — CHAP. XIV.
assez fidèlement gardée; aussi plus d'une fois les inconvénients
qu'il redoutait se sont-ils produits. S. Anastase le Sinaïte se
plaignait que les assemblées des fidèles étaient quelquefois attris-
tées par l'immodestie de femmes esclaves du démon, qui fréquen-
taient l'église moins pour prier que pour être vues et pour entraî-
ner au mal les simples et les imprudents ^ Il arrive souvent qu'un
peu de vanité naturelle à la femme, un peu de légèreté, sont la
seule cause de ces toilettes moins que modestes, qui s'étalent dans
les églises. Cependant les désastres causés dans les âmes des jeu-
nes gens et même d'autres personnes, par cette vanité et cette
légèreté qu'on se reproche à peine, n'en sont pas moins graves
et quelquefois irréparables.
L'empereur Théodose le Jeune comprenait mieux tout le respect
dû à nos églises et à nos saints Mystères. Dans l'ordonnance qu'il
rendit, pour assurer l'exécution immédiate des décrets du Con-
cile d'Éphèse dans tout l'empire, il se donne lui-même en exemple
et dit : « Nous qui sommes toujours environné de gardes armés,
« comme le demande notre dignité impériale, et qui ne pourrions,
0 sans déroger, nous priver d'une telle suite, lorsque nous en-
0 trons dans l'église, nous laissons nos armes au dehors, nous
« déposons même le diadème, insigne de la majesté royale, nous
<r n'approchons de l'autel que pour remettre notre offrande et, ce
« devoir accompli, nous nous retirons aussitôt dans la partie la
« plus reculée du temple, (jui est assignée au commun des
« fidèles 2. » Voilà comme cet empereur véritablement chrétien,
à qui obéissait la plus grande partie du monde connu à cette
époque, entendait le respect qui est dû au Sacrement de nos
autels. Que ceux-là méditent cet exemple qui s'abandonnent à un
sans-gêne scandaleux, dans la maison de Dieu ; qu'ils réfléchissent
propter eorum caiitelam, ne scilicet ex conspectu miilierum non velatarum,
ad concupiscentiam provocentur. (S. TiioM., Comment. Epist. B. Paiili; in
hune locum.)
1, Nonnullae mulieres diabolo inservientes in Ecclesia non tam vacant ora-
tioni, quam spectari, incautosque ac simplices multos in errorem student
inducere. (S. Anastas. Sinait., orat. de Sacra Synaxi.)
2. Nam et nos, qui legilimi imperii armalis semper circumdamur; quosque
sine armalis stipatoribus esse non convenit Dei, templum ingressuri foris
arma reUiiquimus, et ipsum etiam diadema, regicc majestatis insigne deponi-
mus, et sacra altaria munerum lantum ofïerendorum causa accedimus, qui-
bus quoque oblalis, ad extimum conimuneqiie attributum mox nos recipi-
mus. (Apud Mansi, de Incruenlo Missx sacri/icio, dise. XIII.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 687
aussi à cette parole d'un ancien concile: « Tout crime, tout péché
« est effacé par les sacrifices offerts à Dieu ; mais que pourront
« bien offrir au Seigneur, en expiation de leur faute, ceux qui
« pèchent dans l'acte même de l'oblation du sacrifice ^ ? »
Le sacrifice de la messe est la représentation ou plutôt le renou-
vellement mystique de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur
la croix. Ceux qui se comportent sans respect pendant l'oblation
de ce divin sacrifice, ceux qui rient, plaisantent ou se laissent aller
à des pensées, à des désirs, à des regards répréhensibles, ressemblent
donc aux Juifs qui, présentsà la mortdu Seigneur sur le Calvaire, se
moquaient de lui, le conspuaient et l'outrageaient. Et cependant
personne n'ignore que l'institution de la messe n'a pas eu d'autre
but que la gloire de Dieu et le salut des hommes. Avez-vous ré-
fléchi jamais au moment que Dieu choisit, pour frapper Baltas-
sar et le punir enfin de la longue suite de ses forfaits? Ce ne fut
pas lorsqu'il se livra aux derniers excès de l'ivrognerie et de la
débauche, mais lorsqu'il eut osé profaner les vases sacrés destinés
à offrir des sacrifices au vrai Dieu dans le temple de Jérusalem.
Nous lisons en effet dans le Livre du prophète Daniel : « Le roi
« Baltassar ordonna donc, étant déjà ivre, qu'on apportât les vases
a d'or et d'argent que Nabuchodonosor son père avait emportés
« du temple qui fut à Jérusalem, afin que le roi et ses grands, et
« ses épouses, et ses concubines y bussent. Alors furent apportés
« les vases d'or et d'argent, qu'il avait transportés du temple qui
<t avait été à Jérusalem ; et le roi et ses grands, et ses épouses et
« ses concubines y burent. Ils buvaient du vin et louaient leurs
« dieux d'or, et d'argent, et d'airain, et de bois, et de pierre. A la
« même heure apparurent des doigts comme d'une main d'homme
« écrivant vis-à-vis du candélabre, sur la surface de la muraille
« du palais du roi, et le roi regardait les doigts de la main qui écri-
« vait. Alors le visage du roi changea ; et les jointures de ses reins
« se brisaient et ses genoux se heurtaient l'un contre l'autre -. »
On sait le reste, l'écriture mystérieuse que nul ne pouvait déchif-
frer fut lue et expliquée par Daniel. C'était l'arrêt de la justice
divine, condamnant irrévocablement le roi impie et sacrilège. Le
1. Cum omne crimen alque peccatum oblatis Deo sacrificiis deleatur, quid
de caetero pro deliclorum cxpiatione Domino dabitur, quando in ipsa sacrificii
oblatione poccatur? (Cuncil. IJrordrens. (anno ill).
i2. Daniel, v, i et seq.
688 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if l'ARTIE. — LIVRE II. — GHAP. XIV.
châtiment ne se fit pas attendre ; cette nuil-Ià même, les ennemis
qui assiégeaient la ville y pénétrèrent par le lit du fleuve qu'ils
réussirent à détourner. Baltassar fut tué avec ses compagnons de
débauche et Darius le iMède lui succéda. — Dieu ne châtie pas
toujours d'une manière aussi éclatante les profanateurs des
choses saintes; sa miséricorde l'incline ordinairement à leur lais-
ser le temps de faire pénitence ; mais s'ils ne profitent pas de ce
répit, le moment de la justice viendra. Si le châtiment des simples
irrévérences est moindre que celui des forfaits qui épouvantent
trop souvent le monde chrétien, il sera néanmoins terrible pour
ceux qui ne les auront pas expiées par un regret sincère et une
V raie pénitence ; car, selon l'expression de l'Apôtre : « Il est efi'rayant
« de tomber enlre les mains du Dieu vivant '. »
Dieu montra autrefois, en vision, à Ézéchiel des impies qui,
comme il s'en trouve, hélas ! des multitudes, de nos jours, tour-
naient le dos à l'autel, reniaient leur foi souvent par leurs paroles,
plus souvent encore par leurs actes. « Et il me conduisit dans le
« parvis intérieur de la maison du Seigneur, dit le prophète;
a et voilà qu'à l'entrée du temple du Seigneur, entre le vestibule
« et l'autel, environ vingt-cinq hommes tournaient le dos au temple
0 du Seigneur, et la face vers l'orient; et ils adoraient vers le
« lever du soleil. Et il me dit: Certes tu as vu, fils d'un homme.
« Est-ce peu à la maison de Juda d'avoir fait les abominations
a qu'ils ont faites ici ; puisque remplissant la terre d'iniquité, ils se
a sont appliquésà m'irriter?.... Ainsi donc moi aussi j'agirai dans
« ma fureur ; mon œil n'épargnera pas, je n'aurai pas de pitié, et
a lorsqu'ils crieront à mes oreilles, à haute voix, je ne les écou-
« terai point -. » Ceux qui tournaient le dos à l'autel adoraient le
soleil levant: c'est bien l'histoire de ces chrétiens qui, dans l'es-
poir d'obtenir. la faveur des puissants du jour, ou de ceux qui
pourraient bien le devenir, oublient leurs devoirs les plus sacrés
et s'exposent, eux et leurs familles, aux coups terribles et inévi-
tables de la justice divine. Il est rare que le sacrilège et l'apos-
tasie ne soient pas punis dès cette vie : en tout cas ils le sont tou-
jours en l'autre.
Mais sans aller jusqu'à l'apostasie, sans aller jusqu'au sacrilège,
\. Horrendum est incidere in manus Dei viventis. {Hebr., x, 31.)
2. El introduxit me in atrium domus Domini interius, etc. [Ezech., viii,
U-18.)
CE QUE LA DEVOTION RECLAME DES PRETRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 689
ni même jusqu'à l'inconvenance dans la maison de Dieu, lorsque
le prêtre célèbre la sainte messe en leur présence, il est des chré-
tiens qui ne ressentent aucun goût pour nos divins mystères; ils
n'assistent à la messe que forcés en quelque sorte, et ils ne le font
qu'avec ennui et dégoût, pour le moins avec indifférence. Ils
ressemblent à ces anciens Hébreux qui fatigués de la manne, ce
pain délicieux que Dieu leur préparait par les mains des anges,
n'en voulaient plus manger et disaient : « Notre âme a des nausées
« à cause de cette nourriture très légère '. » Les Hébreux voulaient
manger du pain et de la viande ; les chrétiens dont nous parlons
préfèrent les plaisirs et les occupations terrestres à l'assistance
à nos saints offices; la nourriture de l'âme que Dieu leur offre n'a
pas d'attrait pour eux ; il leur faut ce qui flatte la chair et les pas-
sions.
L'Église, dans la forme de la consécration du calice, appelle le
sacrifice de la messe: « Mystère de foi, » Mysterium fîdei; et
c'est bien le nom qui lui convient, car il échappe entièrement aux
sens corporels et on ne peut le voir que de l'œil d'une foi pure et
sincère. « Ce que vous ne comprenez pas, ce que vous ne voyez
« pas, une foi généreuse l'affirme : Quod non capis, quocl non
« vides, animosa firmat f(des. » Si nous savions, d'une manière
certaine, que le Fils de Dieu doit descendre visiblement dans une
église, accompagné de milliers d'anges, pour combler de toutes
sortes de présents apportés du ciel ceux qu'il y trouverait rassem-
blés, qui donc ne s'empresserait pas de se rendre dans cette église
et ne voudrait pas profiter d'une faveur si extraordinaire? On
attendrait volontiers des journées entières et, s'il le fallait, des
mois et des années, pour jouir à son tour de ce spectacle glorieux.
Or la foi nous enseigne que le Verbe incarné descend du ciel, que
de la droite du Père dont il partage le trône suprême, il vient sur
l'autel et y demeure voilé sous les apparences de l'hostie que con-
sacre le prêtre. Nous savons, par la foi, qu'il apporte avec lui tous
les trésors des cieux pour nous en faire part ; car, dit l'Apôtre,
« Dieu qui n'a pas épargné même son propre Fils, mais qui l'a
« livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes
« choses avec lui -? » Si dans tout le cours d'une année, le saint
1. Nauseat anima nostra super cibo isto levissimo. {.Vmw., xxi, y.)
2. Qui etiani proprio I-'ilio suc non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit
illum : quomodo non etiam cum illo omnia nobis donavil? [Rom., viii, .'Î2.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 44
690 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XIV.
sacrifice de la messe n'était célébré qu'une seule fois et en un seul
lieu, quels efforts, quelles fatigues ne s'imposerait-on pas pour
avoir le bonheur d'y assister? Et maintenant qu'il est possible et
facile à tous de le faire chaque jour, tant est multipliée l'oblation de
ce divin sacrifice, une multitude de chrétiens n'y assistent que
rarement et ne le font qu'avec ennui et tiédeur. Il semble que la
libéralité infinie de Dieu nous fatigue, que l'abondance même de
ses bienfaits fait naître en nous du mépris et de la répulsion pour
ce qu'il peut nous donner de plus précieux ici-bas, le froment des
élus et le vin qui fait germer les vierges '.
S. Augustin, parlant de la multiplication des pains dans le désert,
dit que Dieu s'est ainsi réservé des prodiges extraordinaires, qu'il
accomplit en temps opportun, en dehors de toutes les règles de la
nature, pour frapper d'étonnement ceux qui ne donnent plus aucune
attention aux merveilles dont ils sont témoins chaque jour ; non
pas que ces prodiges soient plus grands, mais parce qu'ils ne
sont pas habituels -. Autrefois il fut interdit aux Hébreux d'ap-
procher du mont Sinai, sur le sommet duquel Dieu parlait à Moïse :
s'il nous était défendu de même d'assister au sacrifice delà messe,
sans doute nous serions profondément affligés delà privation d'un
tel honneur et d'un tel bien. Mais maintenant que nous sommes
libres de le faire chaque jour, ce bien incomparable perd de son
prix pour nous ; c'est à peine si nous en faisons la moindre estime.
Nous savons que le souverain Roi du ciel et de la terre nous
attend, dans l'humble palais qu'il s'est choisi au milieu de nous;
nous savons qu'il est prêt à nous combler de toutes sortes de biens ;
cependant nous ne disons pas avec l'Apôtre : « Allons donc avec
<f confiance au trône de la grâce, afin d'obtenir miséricorde et de
« ti'ouver grâce dans un secours opportun 3. » Et sans parler ici de
cette multitude de soi-disant chrétiens, qui violent le précepte de
l'assistance à la messe les dimanches et les jours de fêtes, combien,
même parmi ceux qui accomplissent encore ce saint devoir, n'en
rencontre-t-on pas qui le font sans dévotion aucune et simplement
1. Quid enim bonum ejus est et quid pulchrum ejus, nisi frumentum elec-
torum, et vinum germinans virgines? (Zachar., i\, 17.)
2. Servavit sibi qiuedam, (juje faceret opporluno tempore, prseter usitatum
cursuiii ordineinque naturée, ut non majora, sed insolita videndo stuperent
quibus quolidiana viluerunt. (S. August., tract. XXXIV in Joann.)
3. Adeamus ergo cum fiducia ad tbronum gratise, lU misericordiam conse-
quamur et gratiam inveniamus in auxilio opporluno. [Ilebr., iv, 16.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 691
par un reste d'habitude, provenant d'une bonne éducation pre-
mière ?
Dira-t-on que la messe dure trop longtemps et que cette lon-
gueur engendre l'ennui et le dégoût? Un illustre serviteur de
Dieu, Ange de Paz, à qui plusieurs reprochaient d'être trop long
dans l'accomplissement des sacrés mystères, s'excusait en disant :
« Je suis sûr que ma messe ne dure jamais aussi longtemps que
« celle que Jésus-Christ a célébrée en versant son sang pour nous
« sur la croix. » N'est-ce pas un aveuglement inexcusable, de
considérer comme une sujétion pénible l'obligation de demeurer
une heure ou deux en présence de Dieu, qui daigne vous accorder
audience, vous permettre de lui exposer vos besoins, vous accorder
les dons les plus précieux pour votre vie spirituelle et même les
avantages purement temporels, qui sont pour vous de véritables
biens, et non pas des dangers ou des maux revêtus d'une appa-
rence trompeuse? Il semble qu'il n'y ait, pour plusieurs, de bien
employé que le temps qu'ils consacrent aux affaires, aux plaisirs,
aux futilités de ce monde, tant ils ont l'air de regretter ce qu'ils
en donnent au service de Dieu et au salut de leur âme.
On peut dire de l'assistance au saint sacrifice ce que S. Jean
Chrysostome disait autrefois de la parole de Dieu : « Lorsque dans
« une conversation, nos paroles n'obtiennent pas l'attention des
<r personnes présentes, nous nous en offensons comme d'une in-
<r jure, quelque vaines que soient d'ailleurs les choses que nous
a disons; et nous croyons que Dieu ne s'offensera pas, lorsque les
«c grandes vérités qu'il nous annonce nous laissent indifférents,
« que nous avons l'esprit ailleurs et que nous ne daignons pas
(f seulement nous y appliquer '? » Oui, Dieu supporte avec peine
l'affront que nous faisons à sa sainte parole, lorsque nous appor-
tons à l'entendre une négligence coupable : mais nous sommes
plus coupables encore à ses yeux, lorsque nous ne daignons pas
nous rendre à son divin sacrifice auquel il nous convoque, ou que
nous y sommes présents de corps, mais absents d'esprit et de cœur.
S'il ne réclame de nous qu'un temps relativement bien court, com-
paré à celui que nous prennent les choses de ce monde, au moins
ne devons-nous pas lui marchander ces quelques moments, ni les
employer de telle sorte que l'assistance à la messe devienne pour
i. S. CiiRYSOST., hom. I m Matlh.
692 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XIV.
nous une occasion de nouvelles foutes plutôt qu'une source des
grâces les plus précieuses. Ne soyons pas de ceux dont parle en-
core S. Jean Chrysostome lorsqu'il dit : « Lorsque certaines per-
« sonnes sont dans l'église où Dieu môme leur parle, elles ne
* peuvent y demeurer un instant sans entrer dans l'impatience.
« C'est pour cela que notre vie, qui devrait être toute céleste, n'a
t rien de commun avecle ciel, et que nous ne sommes plus chré-
€ tiens que de nom et en apparence K »
Peut-être plusieurs se croiront-ils excusés, parce que le prêtre
qui célèbre la messe à laquelle ils assistent ou pourraient assister
ne les édifie pas, que sa réputation laisse à désirer, que même son
indignité ne fait pas de doute. Assurément le malheur est très
grand pour un prêtre d'être ainsi un objet de scandale pour ceux,
dont le ministère qui lui est confié, le rend l'intermédiaire et le
médiateur nécessairement écouté auprès de Dieu. S'il vaudrait
mieux être jeté dans la mer, avec une pierre au cou, que de scan-
daliser le moindre des humbles et des petits, quel sort terrible la
justice de Dieu ne réservera-t-elle pas au prêtre qui devient, pour
toute une assemblée de pieux fidèles, un objet de scandale ? Mais
qu'importe pour vous que le prêtre ne soit pas, à vos yeux, digne
de l'office sacré qu'il remplit? Il n'est à l'autel que l'instrument
dont le Pontife suprême, Jésus-Christ, se sert pour accomplir les
saints mystères. L'oblation sacrée n'en est ni moins pure ni moins
efficace, et les fruits du sacrifice n'en seront ni moins précieux ni
moins abondants, pour ceux (|ui s'efforceront d'y assister avec une
vt'rilable piété. Sans doute une messe célébrée par un prêtre, avec
une grande dévotion, est plus propre à exciter chez les assistants
des sentiments analogues : mais, au fond, le sacrifice est toujours
le même et les fruits essentiels qu'il produit ne diffèrent pas -.
a C'est une oblation pure que ni l'indignité ni la malice de ceux
e qui l'offrent ne saurait souiller, » dit le saint concile de
Trente K
Nous en avons dit assez pour que l'on comprenne que non seu-
\. s. CiiRYSosT., ibid.
2. OmnesMissa; sunt aeque bonse quantum .-id opus operatum; una tamen
estmelior altéra quantum ad opus operans. Unde melius est audire Missam
boni sacerdotis, quam mali, sicut in mensa corporali, eumdem cibum jucun-
dius accipimus a mundo minisfro, quam ab immundo. (S. Bonav.)
.3. Et haec quidem illa munda oblatio est, quae nulla indignitate aut malitia
offerenlium inquinari potest. [Concil. Trident., sess. XXII, cap. i.)
â
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 693
lement il faut célébrer le sacrifice de la messe, ou y assister avec
un respect profond et un recueillement qui exclut toute pensée
étrangère et profane, mais qu'on doit se faire un devoir et un
bonheur véritable d'approcher de l'autel où le Fils de Dieu s'im-
mole, pour la gloire de son Père et pour notre salut. Quelques
lignes de S. François de Sales résumeront notre pensée et feront
mieux comprendre encore quels sentiments doivent nous animer
vis-à-vis du très saint et très adorable sacrement de l'Eucha-
ristie.
« Il est dit dans la Genèse qu'un ange ét;int apparu à Jacob près
« le gué de Jabot, il lutta toute la nuit contre lui, et quand l'aube
« commença à poindre, l'ange le voulut quitter : Laisse-moi aller,
« lui dit-il, ne me retiens pas davantage : Dimitte me, jam enim
« ascendit aurora i. Non, dit Jacob, je ne vous laisserai point
a aller que vous ne m'ayez donné votre bénédiction : Non dimit-
« tam te, nisi benedixeris mihi. Or cette bénédiction que Jacob
« demandait si instamment nous signifie l'espérance de jouir de
« Dieu en la vie future. Mais l'Épouse, tout éprise de l'amour de
« son divin Époux, ne se contente pas de l'espérance de le possé-
« der un jour en la gloire éternelle, mais elle veut encore jouir
« de sa présence en cette vie mortelle ; et afin d'obtenir ce bien,
« voyez quelle diligence elle fait pour le trouver, après que par
« négligence qu'elle eut de lui ouvrir sa porte, il fut passé outre :
« Surgam et circuibo civitatem ; per vicos et plateas quœram
« quem diligit anima mea - : Je me lèverai, dit-elle, et clier-
« cherai celui que mon àme aime et chérit, par toutes les rues et
« les carrefours de la cité. Voyez, je vous prie, avec quelle
« promptitude elle court après lui, et comme elle passe parmi les
t gardes de la ville, sans craindre aucune difficulté; puis enfin
« l'ayant trouvé, voyez avec quelle ardeur elle se jette à ses pieds,
« et lui embrassant les genoux, toute transportée de joie : Inveni
« quem diligit anima mea, tenui eum nec dimittam donec in-
« troducam illum in domum matris meœ ^ : Ah î je le tiens,
t dit-elle, lebien-aimédemon àme ; je ne le laisserai point aller que
« je ne l'aie introduit dans la maison de ma mère.... Rien ne la
« peut contenter que la présence de son bien-aimé ; elle ne veut
« point de bénédiction, ni ne s'arrête point à l'espérance des biens
1. Gene.s-., \x.\ii, -Jfi. - 2 Cnnt., m, 2. — 3. Cnnt., m, i.
694 LA Sainte eucharistie. — ii* partie. — livre ii. — cuai». \iv.
« à venir comme Jacob; elle ne veut que son Dieu, et pourvu
« qu'elle le possède, elle est contente '. »
Heureuses les âmes qui ne veulent s'éloigner de l'autel pour se
livrer aux occupations de la journée qu'après avoir, par leur
pieuse insistance, obligé le Seigneur à les bénir. Plus heureuses
encore celles qui, l'ayant trouvé, s'attachent à lui et ne le quittent
pas, même lorsque leurs devoirs les obligent à s'éloigner de l'au-
tel où il vient, sous leurs yeux, de s'immoler pour elles.
IV.
PIÉTK QUE nK>fANnE\T LES FONCTIONS DE SEIIVANT DE MESSE. —
MONNiaii kt avanta(;e.s c^ui y sont attachés.
Le prêtre qui célèbre le saint sacrilice a besoin d'un servant :
les convenances le demandent, le recueillement nécessaire à un
acte si solennel l'exige et l'Église en a fait une obligation. Il serait
peu digne que le célébrant se vît dans l'obligation de changer lui-
même le missel de côté, d'aller prendre les burettes à la crédence,
de verser lui-même l'eau pour se laver les doigts ou pour purifier
le calice. Le servant i-emplil encore un rôle plus élevé : il répond
au prêtre, il exprime la part spirituelle que le peuple prend au
saint sacrilice. Car quoique ce soit le prêtre seul qui célèbre spé-
cialement les saints mystères, cependant en général le peuple y
concourt par ses prières, ses vœux, certaines expressions de ses
pieux sentiments et de ses dévotes intentions. Le servant repré-
sente le peuple et seconde le prêtre en son nom '.
1. s. François de Sales, Dissertation sur ces paroles du cantique : Meliora
stint u/iern tua vitw.
2. .Nous lisons dans le savant Dictionnaire encyclopédique de la théologie
catholif/tte des docteurs Wetzer et W'elto, ;i l'article Messe (servants de) :
■' Dans l'origine, cotait le peuple qui apj)ortait quotidiennement les offrandes
à l'autel, qui répondait au jirélre, comme on le voit dans les plus anciennes
liturgies, .\iiisi on lit dans la liturKie de S. Jacques : Postquam sacerdos in-
rjressus ext ad altare, dicit : l'ax vuOis. — Pojmlus : Et cum spiritu tuo. Le
même u.sage se trouve dans les liturgies de S. Marc, de S. Basile, etc. S. Jus-
tin parle également de certaines acclamations, par lesquelles le peuple répond
au prêtre à l'autel. S. Cyprien dit que cette coutume était générale de son
temps. S, Grégoire écrit : Sacerdos missam solus nequaqiiam celehret, quia,
stctit nia rehhrari non jiotest sine salutatione sucerdotis et iX'sponsione plebis,
ita uimirum ncquaqxiam ah uno dehct celebrari; esse enim dehent qui illum cir-
cumstent, qiios ille salutel et a quihus illi respondeatur. Cette coutume s'ob-
serva même pendant les persécutions, lorsqu'on célébrait le saint sacrifice
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 695
Servir le prêtre à l'autel est une bien haute prérogative, si on
la considère des yeux de la foi, et l'on pourrait dire qu'il n'est pas
de fonction plus relevée en ce monde, après celle du célébrant lui-
même. Nul, en effet, no prend, après le prêtre, une part plus active
à l'oblation du saint sacrifice, que le servant; nul n'approche
plus que lui des divins mystères et n'y prête comme lui son con--
cours. Il vient en aide au prêtre visible; il vient en aide en même
temps au prêtre invisible dont le premier n'est que lereprésen-'
tant, l'instrument et le porte-voix. Notre-Seigneur Jésus-Christ
descend sur l'autel comme souverain sacrificateur et comme vic-
time : le servant est là, tout près de lui, concourant autant qu'il
est utile ou nécessaire à la régularité, à la dignité extérieure de
l'acte divin qui s'opère. Ce n'est pas seulement au prêtre mortel,,
dans les prisons, et que la Messe était servie par des diacres. Ainsi, dans
l'origine, les servants de Messe étaient des diacres; puis ce furent au moins
des clercs des ordres mineurs, plus tard des laïques, lorsque les clercs ne
furent plus assez nombreux.
« Le nombre des servants n'est pas toujours le même; un seul laïque ou un
clerc suffit pour une messe basse. Quand l'évêque dit une messe basse, il est
assisté par deux chapelains et un laïque. A la grand'messe, le prêtre a deux
servants, ou même plus dans les grandes solennités. A une Messe solennelle,
il y a ordinairement six servants : deux céroféraires, un thuriféraire qui
porte souvent aussi la navette, un maître de cérémonies, un diacre et un
sous-diacre. L'évêque, à la messe pontificale, outre le prêtre assistant (archi-
prêtre) et deux chanoines faisant diacre et sous-diacre, est assisté très sou-
vent encore par deux diacres d'honneur et un grand nombre de lévites, tous
revêtus des ornements de leur ordre. Au temps de S. Ignace et de S. Cyprien,
un diacre assistait le prêtre durant la messe basse.
« Plus tard, l'usage de dire la messe sans servant s'étant introduit, plusieurs
conciles, tels que ceux de Tolède et de Mayence, se prononcèrent contre cet
abus qui était contraire, sinon à la substance, du moins au respect dû au
saint Mystère. 11 va sans dire qu'en cas de nécessité absolue l'exception est
justifiée.
« Dans les temps primitifs, il n'y avait dans chaque communauté de fidèles
qu'une messe solennelle, célébrée par l'évêque, messe à laquelle, outre le
peuple, assistait tout le clergé. Lorsque plus tard chaque prêtre dit la messe,
non seulement les prêtres, mais les autres membres du clergé n'assistèrent
plus à la messe principale.
<< Pour remédier à l'orgueil des prélats inférieurs, qui dédaignaient les sim-
ples prêtres, une ordonnance de la Sacrée Congrégation des Rites, du "il sep-
tembre UiJji», ordonna à ces prélats de n'avoir qu'»n servant à l'autel durant
la messe bas.se, et de ne pas se faire porter et rapporter le calice.
« Dans le même but, l'église ordonne qu'il n'y ait que deux cierges allumés
pendant la messe basse dos i)rêlres du haut clergé, même d'un vicaire géné-
ral; que si quatre cierges sont allumés, il est contraire aux prescriptions et
aux intentions (le rKglise d'en éteindre deux lorsqu'un simple prêtre monte
immédiatement après à l'autel. » ( Dux, Dict. ennjclop., etc.)
696 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II** PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XIV.
c'est au Fils de Dieu lui-même que le servant de messe vient en
aide. On considère comme une grande dignité parmi les hommes
celle des officiers d'une cour royale, qui sont directement et inti-
mement attaches au service personnel du roi : ici ce n'est pas
d'un roi mortel qu'il s'agit, mais du Roi immortel des siècles. Les
Anges, les Archanges, les Trônes, les Principautés, les Domina-
tions, les Puissances, les Chérubins et les Séraphins assistent avec
crainte et tremblement à ce sacrifice adorable, auquel le servant
prêle son concours. Tous ces esprits bienheureux, moins favorisés
que lui, révèrent et glorifient la divine Victime qui s'immole sur
l'autel, mais il ne leur est pas donné de participer activement à
ce mystère infiniment saint. Si nous comprenions mieux tout ce
qu'il y a de beau et de grand dans ce service de l'autel, ne l'esti-
merions-nous pas davantage? Ne serions-nous pas heureux et fiers
de le remplir et ne le remplirions-nous pas avec une piété pro-
fonde et vraiment digne de lui ; soit comme diacres et sous-diacres
aux messes solennelles, si nous sommes dans les ordres sacrés,
soit comme simples servants aux messes basses? S. Thomas et
S. Bonaveiilure, ces illustres docteurs, gloire de leurs ordres res-
pectifs et de la sainte Église, regardaient comme un grand hon-
neur pour eux et un avantage inappréciable de servir la messe à
leurs frères ; jamais ils n'y manquaient lorsqu'une occasion s'offrait
de le faire. S. Bonaventure, devenu ministre général de l'ordre de
S. François, disait à ses religieux : Servir le prêtre à la messe,
c'est remplir la fonction des anges, qui en tous lieux servent leur
Dieu avec la plus grande dévotion '. — Ne lisons-nous pas en effet
dans le livre de Daniel que des milliers de milliers d'anges ser-
vaient le Seigneur : Millia millium ministrabant ei 2?
Lorsque la consécration est achevée, le prêtre célébrant adresse
au Père éternel cette humble supplication : « Nous vous en prions
« et vous en supplions, Dieu tout-puissant, ordonnez que ces choses
« soient portées par les mains de votre saint ange, sur votre autel
• sublime, en présence de votre divine Majesté 3. » Que conclure
de ces paroles, sinon que les anges assistent réellement à la messe
1. Hoc est officium angelorum, ipsi enim Deo suo ubique ministrant devo-
tissime. (S. Bonav., de Institut. Novit.)
2. Dnn., vu, 10.
3. Supplices te rogamus, omnipotens Deus, jubé haec perferri per manus
sancti Angeli tui, in sublime altare tuum in conspectu divinse majestatis tuae.
{In canone Missx.)
CE QUE LA DÉVOTION RÉCLAME DES PRÊTRES QUI CÉLÈBRENT LA MESSE. 697
et qu'ils sont là pour contribuer, en ce qui les concerne, à l'oblation
du saint sacrifice?
Au rang de ceux qui servirent la messe à S. Pierre et aux autres
apôtres, il faut certainement placer le premier des martyrs,
S. Etienne, cet homme rempli de l'esprit de Dieu, qui prêchait
l'Évangile avec une autorité si grande et appuyait sa prédication
par les miracles les plus éclatants. L'illustre martyr S. Ignace,
évêque d'Antioche, le propose comme modèle à un diacre de son
église nommé Héron ; il lui dit : « Vous faites comme S. Etienne
« qui, à Jérusalem, servait Jacques et les prêtres *. »
Si l'honneur est grand de servir le prêtre à la messe, il est hors
de doute que les avantages que l'on retire de cette pieuse action
sont aussi très grands et très nombreux. Tous ceux qui assistent
au divin sacrifice en recueillent des fruits abondants, s'ils n'y
mettent pas d'obstacle par leurs dispositions mauvaises et leur
malice. Ce n"est pas vainement que le prêtre, dans le canon, prie
pour tous ceux qui entourent l'autel : Et omnium circumstan-
tium, pour ceux qui offrent avec lui, ou pour lesquels il offre
l'adorable Victime : P7V quitus tibi offerimus vel qui tibi offe-
runt : or il n'est personne qui participe à l'oblation du saint sacri-
fice faite par le prêtre, aussi activement et aussi immédiatement
que celui qui le sert à l'autel. Les autres assistants peuvent s'unir
au célébrant par l'intention; ils peuvent faire des prières qui
aient rapport à celles qu'il fait, mais ils ne contribuent pas par
leurs actes à l'accomplissement du mystère des mystères : cet hon-
neur est réservé au servant, et puisqu'il le fait, il est juste que le
service qu'il rend obtienne une récompense en rapport avec la
grandeur et la sainteté de l'œuvre à laquelle il coopère. Lors-
que, après l'offertoire, le prêtre invite le peuple à prier en disant :
Orate, fratres, le servant répond au nom de tous : « Que le Seigneur
« reçoive ce sacrifice, de vos mains, pour notre utilité, et pour celle
« de toute sa sainte Église : » Suscipiat Dominus hoc sacrifi-
cium, etc. Comment celui qui prie pour lui-même, en même
temps que pour la sainte Église, ne recevrait-il pas tout d'abord
une large part des bénédictions attirées par sa prière, en vertu
du saint sacrifice auquel il coopère?
Le Père Joseph Mansi, de l'Oratoire de Rome, rapporte un fait
l. Tu aulem ipsis ministras ul S. Steplianus in Jerosolymis, Jacobo et
Presbyteris. (S. [(;n\t Antiocii., Epist. od Hevinwm.)
698 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XIV.
qui orriva de son temps et qu'on nous permettra de donner après
lui, comme une preuve des grâces que Dieu accorde à ceux qui
servent dévotement la messe. A l'époque où le Père François Mas-
Irilli, qui plus tard reçut glorieusement la couronne du martyre
au Japon, n'était encore que simple étudiant à Naples, il se rendit
un jour à la maison professe des Jésuites et entra dans la sacris-
tie. Il y trouva le Père Évangélisle de Gatti revêtu des ornements
sacrés et prêt à célébrer la messe, mais n'ayant personne pour la
lui servir. Le jeune étudiant s'offrit aussitôt pour remplir cet
office, mais le Père, par discrétion, refusa d'abord en disant que
c'était jour de récréation pour les étudiants et qu'il se trouverait
en retard pour aller avec les autres à la campagne, d'autant plus
que ce bon Père était, de son propre aveu, un peu long dans la
célébration de la messe. François Mastrilli insista si bien que le
saint religieux céda et accepta qu'il l'accompagnât à l'autel. Au
moment du Mémento des vivants, il se souvint de son servant et,
pour récompenser sa piété, il le recommanda particulièrement à
Dieu ; il voulait obtenir pour lui une faveur toute spéciale. Quelques
années s'écoulèrent. François Mastrilli, devenu religieux et prêtre
à son toui-, avait été envoyé comme missionnaire au Japon. Un
jour qu'il priait au tombeau de S. François-Xavier, il désira con-
naître ce qui lui avait valu la faveur insigne d'être désigné, entre
tant d'autres meilleurs que lui, pour cette mission. Le saint voulut
bien le lui révc'ler. Il lui dit que c'était la récompense du service
qu'il avait rendu autrefois au P. Évangéliste, en lui répondant et
l'assistant à la messe à Naples, telle année et tel jour. Le Père, lui
dit le saint, avait prié pour lui en cette occasion avec beaucoup de
ferveur. François Mastrelli, aussitôt après cette révélation, écrivit
à Naples, au P. Évangéliste de Galti, pour lui témoigner toute sa
reconnaissance. C'était à sa prière, disait-il, qu'il devait sa sainte
vocation. Il est permis d'ajouter que ce fut à cette même prière,
unie aux mérites infinis du saint Sacrifice à l'oblation duquel le
pieux étudiant avait contribué, qu'il dut, non seulement d'être un
zélé missionnaire, mais aussi de recevoir la couronne du martyre.
Il convient donc que ceux qui sont appelés, à quelque titre que
ce soit, à servir le prêtre qui célèbre la sainte messe, soient bien
pénétrés delà grandeur de l'acte auquel ils participent, et des avan-
tages qu'ils en retireront, s'ils le font dignement. Mais comment
les enfantsqui,à défaut d'ecclésiastiques, sontordinairementappelés
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. G99
à remplir des fonctions si hautes, en comprendraient-ils la dignité et
en recueilleraient-ilsles avantages, s'ils n'étaient point parfaitement
instruits de la grandeur et de la sainteté de nos mystères? 11 n'est pas
rare que ces enfants, par leur légèreté, par leur tenue peu conve-
nable, n'édifient pas l'assistance. Ils ne tirent que peu ou poin^t de
profit de ce qu'ils font pour Dieu; ils nuisent au recueillement des
fidèles et souvent à celui du prêtre lui-même. Ne pourrait-on pas
dire qu'ils ne sont pas toujours ici les plus coupables? Ne serait-
il pas possible au clergé de leur inspirer une piété plus grande,
en même temps qu'une tenue plus correcte? Il y a là peut-être,
pour plusieurs qui se croient à l'abri de tout reproche, de graves
responsabilités, car l'enfant qui a servi la messe sans piété ne
comprendra jamais rien aux pratiques de notre sainte religion.
Un des grands maux de notre époque, c'est que l'esprit de foi
soit si rare dans les familles et, par suite, dans les enfants. Il ar-
rive très souvent que les parents, qui permettent à leurs enfants
de servir à l'autel, ne le font que pour des motifs bien humains,
un peu de vanité et quelques petits avantages temporels. Il ap-
partient au prêtre d'élever plus haut la pensée des enfants. S'ils
s'eflbrcent de le faire, ils réussiront souvent; ils feront parfois
éclore des *\'ocations sacerdotales qui seraient atrophiées, et en
tout cas ils poseront dans ces jeunes âmes le fondement d'une
vie solidement chrétienne.
CHAPITRE XV
DE LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS
I. La sainte communion soutien, lumière et vie de l'Eglise et de ses enfants. — II. La
sainte communion, couronnement des bienfaits de Dieu, nous fait aimer les choses
du ciel, mépriser^elles de la terre et goûter la suavité des biens spirituels.
I.
L\ SAINTE COMMU.VIO.N SOUTIEN, LUMIÈRE ET VIE DE l'ÉGLISE
ET UE SES ENFANTS
Dans les sacrifices anciens, il étaitde règle, sauf quelques excep-
tions, que les prêtres qui les offraient et ceux pour qui ils étaient
offerts, y participassent en mangeant quelque chose de la chair
700 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. XV.
des victimes. Notre-Seigneur Jésus-Christ, en instituant son di-
vin sncrifice, dont les autres n'étaient qu'une ombre, a voulu qu'il
en fût de même. Il est notre victime et il veut que sa chair et son
sang soient pour nous une nourriture et un breuvage de salut.
Toutes les parties du culte antique, dit un des grands évêques
du XIX' siècle S aboutissaient à une communion à la grâce de
Dieu, figurée par la participation aux aliments consacrés par
l'oiïrande, et à la chair des victimes. La consommation du culte
chrétien est un acte du même genre, mais d'un ordre supérieur
constitué par le fait de l'Incarnation qui a exhaussé la religion
tout entière. La communion chrétienne n'est pas une simple
participation à la grâce, mais à la substance même de l'Homme-
Dieu, s'incarnant en chacun de nous, pour purifier notre âme et
la nourrir. C'est l'union avec Dieu élevée, si l'on peut parler
ainsi, à sa plus haute puissance, et parvenue au dernier degré
qu'il soit possible d'atteindre dans les limites de l'ordre présent;
au delà, c'est le ciel. Si, en effet, tandis que la substance divine
se mêle à notre substance, Dieu transformait dans la même pro-
portion notre intelligence en son intelligence, notre amour en
son amour, et notre force en sa force, nous le verrions face à
face, nous l'aimerions d'un amour égal à cette claire vue, nous
aurions atteint la plénitude de la régénération : le ciel n'est pas
autre chose. Attendons un peu, le jour de la transfiguration
approche. La vie terrestre n'est que l'enfance de l'homme.
Comme l'enfant reçoit la vie et s'attache, par un instinct conser-
vateur, au sein maternel, avant d'avoir ouvert les yeux à la
lumière, ainsi l'homme se nourrit de Dieu avant de le voir. Tel
est l'ordre universel de la Providence; car en toutes choses, il y
a une union substantielle qui précède l'union d'intelligence et
d'amour. Mais bientôt l'enfant connaît les auteurs de ses jours
comme il en est connu, et ne fait avec eux qu'une même âme.
Ainsi lorsque nous serons sortis de ce monde comme d'un ber-
ceau, cette union, commencée sur la terre, se consommera, et
Dieu, pénétrant à la fois tout notre être de sa puissance, de sa
lumière et de son amour, sera en nous et nous en lui, selon
tout ce qu'il est et selon tout ce que nous pouvons être.
« La coiinminion eucliaristique est quelque chose d'intermédiaire
\. Pli. (iERiJET, /)nf/mp f/ihiéraU'iir, chap. m.
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 701
« entre Tunion avec Dieu accordée aux anciens justes sur cette
e terre d'exil, et celle dont les saints jouissent dans la patrie. Plus
« heureux que les premiers, nous ne participons pas seulement à
« la grâce, mais à la substance même du Verbe incarné, comme
« les saints dans le ciel. Mais, bien moins heureux que les seconds,
« nous ne voyons encore Dieu qu'à travers un voile, en énigme,
« dit S. Paul : nous restons à cet égard dans l'état des anciens
« justes, qui est la condition commune de tous les hommes, pen-
« dant qu'ils demeurent dans ce monde des ombres et des images,
« éclairé, comme parlent les anciens, par un jour nocturne. L'u-
« nion avec Dieu est toujours le principe d'amour, mais il se déve-
« loppe à différents degrés. Sans cesser d'être un, il a pénétré
« plus profondément la nature humaine, depuis que l'incarnation
« a établi entre Dieu et l'homme des communications plus intimes;
« de même que, sans cesser d'être un, il recevra en tous sens une
a expansion sans limites, lorsque les liens qui le captivent encore
« et l'arrêtent tomberont enfin, sur le seuil du céleste séjour.
« Ainsi se prépare l'accomplissement de l'œuvre divine; tous les
« développements que la religion reçoit ici-bas ne sont qu'une
« transition de l'ordre terrestre à l'ordre éternel. »
Nous ne saurions donc trop estimer la grandeur du don que
Jésus-Christ; Notre-Seigneur, nous a fait en instituant non seule-
ment le sacrifice mais le sacrement de la très sainte et très ado-
rable Eucharistie, ni en donner une plus haute idée que celle qui
ressort de ces quelques lignes d'un écrivain aussi habile et d'un
théologien aussi profond que l'était le pieux évêque de Perpignan.
Mais si nous voulons nous pénétrer vivement des avantages que
procure la sainte communion faite avec piété, il est nécessaire de
nous y arrêter un peu plus longuement, et de les examiner avec
plus de détails.
Nous n'avons pas à redire ici tout ce que Jésus-Christ nous
donne, en se donnant lui-même à nous par la sainte communion.
Nous savons (juil est Dieu comme le Père et le Saint-Esprit, et
qu'en s'unissant substantiellement à nous, il nous unit en même
temps aux deux autres adorables personnes de la Trinité sainte.
Nous savons qu'il vient en nous avec toutes les perfections, tous
les attributs de sa nature divine. Nous savons qu'il est homme
comme nous et que, par la sainte communion, il mêle on quelque
manière son corps, son sang, son âme à notre substance, de sorte
70:2 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XV.
que nous pouvons dire en toute vérité qu'il vit en nous et que nous
vivons en lui. Sans doute cette admirable union ne produit pas tous
les effets qui lui sont propres, pendant notre vie nnortelle, puisque,
comme il a été dit, si elle les produisait tous, ce serait pour nous
non plus une vie d'épreuve et de passage, mais la vie même et le
bonheur du ciel. Mais il est des effets nombreux qui ressortent
de la sainte communion, surtout si elle est faite avec une véri-
table piété, effets qui se produisent dans le temps et qui, dans le
dessein de \otre-Seigneur, glorifient Dieu sur la terre et facilitent
le salut des hommes.
Considérée comme sacrifice, la Sainte Eucharistie est la colonne
qui soutient notre foi et rend l'Église inébranlable. Ce qu'elle est
pour l'Église comme sacrifice, elle ne l'est pas moins en qualité de
sacrement. Si nous voyons la foi résister victorieusement aux
assauts sans cesse renouvelés des hérésies et des passions humaines,
complices de l'enfer ; si nous la voyons prendre sans cesse des dé-
veloppements nouveaux et briller d'un éclat d'autant plus admirable
que ses ennemis se sont crus plus près de triompher d'elle, n'est-ce
pas, en très grande partie, au saint et adorable sacrement de
l'Eucharistie qu'il faut attribuer ce prodige?
D'après l'interprétation des Pères, la bénédiction que le saint
patriarche Isaac trompé par les apparences, mais accomplissant
néanmoins la volonté du Seigneur, donna à son fils Jacob, ren-
ferme une allusion évidente à cette vertu de la Très Sainte Eucha-
ristie qui fait d'elle la force de l'Église et la cause de son développe-
ment. En effet, que dit Isaac à Jacob, ou plutôt à l'Église de Jésus-
Christ qu'il représentait en cette circonstance? « Que Dieu vous
« donne l'abondance du froment et du vin ; que les peuples vous
« servent et que les tribus vous adorent K » Sans doute, pour Jacob
et pour ses enfants selon la chair, il pouvait n'être question que
de la nourriture et du breuvage matériels, dans la pensée d'Isaac.
Mais tout était figuratif dans ce que les écrivains sacrés, conduits
par l'Esprit de Dieu, nous ont rapporté des paroles et des actes
des anciens patriarches. Il ne faut donc pas s'arrêter à la lettre.
Sous cette écorce que trouvons-nous? Que représente ce froment,
que représente ce vin dont Isaac promet à Jacob, de la part de Dieu,
qu'il en recevra l'abondance? C'est la très sainte et très adorable
I. Del tilji Deus aViundantinm frumenli et vini. Serviant tibi populi et ado-
rent tribus. {Gènes., xxvii, !2H.)
Li SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIED ICI-BAS. 703
Eucharistie, dont le pain et le vin sont la matière nécessaire. Parler
comme le faisait Isaoc, lorsqu'il disait ensuite de Jacob : « Je l'ai
« affermi par le blé et le vin : » Frumento et vino stabilivi
eum ', c'était affirmer clairement que l'Église trouverait sa force
et son soutien dans le pain qui serait un jour le corps de Jésus-
Christ, et dans le vin qui serait son sang. Ainsi l'entendait Pas-
chase Radbert - ; ainsi l'entendait le bienheureux Albert le Grand,
qui expliquait en ces termes ce texte Stabilivi eum : « Je l'ai
« affermi, parce que toute la maison de Jacob, c'est-à-dire l'Église,
« est fondée sur ce sacrement du froment et du vin, par cette raison
« que le froment et le vin en sont la matière 3. » On peut consulter
les écrits des docteurs et des commentateurs ; tous ceux qui ont
interprété ces paroles d'Isaac leur ont reconnu ce sens.
Le Docteur Séraphique ajoute que l'Église, qui repose sur la
Sainte Eucharistie comme sur son fondement, y trouve aussi le
principe de sa vie et du développement de son culte : « Par ce sa-
« crement, dit-il, l'Église se tient debout ; la religion chrétienne
« est florissante aussi bien que le culte divin ^. » Timothee de Jéru-
salem va plus loin, il dit que si le monde existe encore, c'est à la
Sainte Eucharistie qu'il le doit : « Donnons, dit-il, toute notre
« attention à cette table divine et mystique par laquelle le monde
« est aflermi sur sa base et le globe de la terre subsiste ">. » C'est
la pensée qui faisait dire à l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ :
« Il y a bien lieu de s'affliger de ce que tant de personnes considèrent
« si peu ce sacrement salutaire qui fait la joie du ciel et le salut du
« monde ^. » Que deviendrait le monde, que deviendrait l'Église
et que deviendrions-nous tous si Jésus-Christ n'accomplissait pas
la promesse qu'il nous a faite : « Et voici que je suis avec vous
1. Gènes., xxvii, A, 7.
2. Hoc est aperte dicere : Firmavi eum pane corporis Christi, et vino san-
guinis. (Pasciias., de Corpore et sanguine Christi.)
3. Stabilivi eum, quia tota domus Jacob, id est Ecclesia, fundata est super
hoc sacramento frumenli et vini, quia materia in eo est frumenti et vini.
(B. Albert. Maca., de Euchar.)
i. Per hoc stat Ecclesia; viget christiana rehgio et divinus cultus. (S. Bo-
navent., (le Pr^jiaraiione ad missam.)
U. Divin» ac niyslicse mensœ operam demus, per quain inundus tîrniatur
per quam lerrarum orhis consistit. (Timotii. Hierosoi.vm., oral, de Proph.
Simeon.)
0. Dolenduin valde quod multi parum hoc salutare mysteriuni advertunt,
quod cœlum laetificat, et mundum conservât universum. [De Imit. Christi
lib. IV, cap. I.)
704 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XV.
« tous les jours, jusqu'à la consommation du siècle *? » La pré-
sence seule de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui ne cesse pas un
instant de demeurer parmi nous, et qui se donne ou veut se don-
ner, le plus souvent possible, à chacun de nous en particulier,
peut sauver ce monde de la colère de Dieu. Avant l'institution de
la Sainte Eucharistie, Dieu épargnait les hommes en vue de cette
divine présence qu'il préparait ; maintenant il l'épargne et attend
patiemment la pénitence des pécheurs, parce que Jésus-Christ est
là et que sa seule présence est une intercession toute-puissante
en notre faveur. La mort de notre divin Sauveur sur la croix a
bien payé notre rançon, mais l'ingratitude de l'humanité presque
tout entière, l'indifférence et les outrages de toutes sortes par les-
(juels elle répond à tant d'amour et de bonté, auraient depuis long-
temps fatigué la longanimité du Seigneur, et obligé sa justice à
tirer vengeance d'un monde qui ne lui rend que le mal pour le
bien, si Jésus-Christ n'était pas là dans son saint tabernacle, s'il
ne descendait pas par la sainte communion dans les cœurs des
fervents chrétiens, qui prient et dont la prière pour sauver l'Église
et le monde est toute-puissante, parce qu'en vertu de leur union
avec Jésus-Christ, elle est la prière du Fils de Dieu lui-même. Ils
peuvent dire avec S. Paul : « Ce n'est plus moi qui vis : c'est
« Jésus-Christ qui vit en moi ; » et ils peuvent en conséquence
ajouter : Ce n'est plus moi qui prie : c'est Jésus-Christ qui prie en
moi.
Non seulement la Sainte Eucharistie soutient l'Église et le monde
et elle arrête les coups de la justice divine qui réduirait tout au
néant, mais elle multiplie le peuple fidèle. Le B. Albert le Grand
explique en ce sens les paroles du Psalmiste: « Ils se sont multi-
« plies par l'abondance du froment, du vin et de l'huile -. » II
s'agit, dit-il, de la multiplication spirituelle qui s'opère pour les
fidèles par le moyen des sacrements ^; ajoutons, surtout par l'ado-
rable Eucharistie, représentée ici par le froment et le vin. Un fait
à remarquer c'est que, dans les Actes des Apôtres, à peine S. Luc
a-t-il fait mention des trois mille personnes converties par le pre-
1. Et ecce vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem sse-
culi. [Mou h., xwiii, 20.)
-2. \ fructu frumenti, vini et olei sui, multiplicati sunt. (Ps. iv, 8.)
3. ^1 fructu, etc., multiplicatione .spiritual! qua fidèles per sacramenta mul-
tiplicantur. (B. Albert. Mao.n., t. XXI.)
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 705
mier discours de Pierre aux Juifs accourus au Cénacle, le jour de
la Pentecôte, qu'il ajoute : « Ils étaient persévérants dans la frac-
< tion du pain. » Dès que les apôtres eurent commencé à pratiquer
la consécration du pain et à donner aux fidèles la Sainte Eucha-
ristie, l'Église fut solidement établie et elle se dilata avec rapidité :
« La chair du Christ, dit Rupert, ce grand sacrement, qui était
« avant la passion la chair du Verbe de Dieu seul, prit un tel
« accroissement par la passion, ellese dilata si merveilleusement, elle
« remplit si bien le monde entier, que grâce à l'infusion de cenou-
« veau sacrement, tous les élus qui ont existé depuis le commen-
« cément du monde, tous ceux, même le dernier, qui seront jusqu'à
u la fm du siècle, sont unis à Dieu et ne feront avec lui qu'une
« seule Église qui durera éternellement. Cette chair était un grain
« de froment qui demeura unique, jusqu'à ce que, tombant sur la
« terre, il y fût mort, mais ayant passé par la mort, il croît sur
« l'autel, il fructifie entre nos mains, dans nos personnes, et lors-
« que vient le grand, le riche maître de la moisson, il emporte
(i avec elle dans le grenier du ciel la terre qui a produit cette
« précieuse moisson '. »
Avant l'institution de la Très Sainte Eucharistie, le monde entier
était plongé dans une corruption digne de pitié et d'horreur. Tel
serait de nouveau son sort, dit S. Bonaventure, si la Sainte Eucha-
ristie disparaissait du milieu du peuple chrétien : mais ce sacre-
ment fortifie la foi -. S. Anselme écrit, à propos du festin auquel
furent conviés les pauvres, les débiles, les boiteux, les aveugles :
« Les Gentils ne possédaient ni les richesses de la loi, ni la force
« des vertus qui leur eût permis de résister au démon, ni la lumière
« de la science, car les yeux de leurs cœurs étaient plongés dans
1. Magnum hoc sacramentum caro Christi, quae an te passionem solius erat
caro Verbi Dei, per passionem ita crevit, adeo dilatata est, ita niundum
universum implevit, ut omnes electos qui fuerunt al) initio mundi, vel futuri
sunl usque ad ultimum eleclum in fine saeculi, nova conspersione hujus sa-
cramenli in unain Ecclesiain facial Deum et homines œternaliter copulari.
Caro illa unum erat granum frumenti, quod antequam cadens in terrain
mortuuin fuisset, nunc postquain morluum est, crescit in altari, fructificat in
manibus, corporibus noslris, et ascendenle magno et divite domino mossis,
terrain fructiferam in qua crevit, secum vehit in horrea cœli. (Rupert. abb.,
de Divin, offic.)
2. Toile hoc sacramentum de Ecclesia, et quid eril in mundo nisi crror et
infidelitas? El populus chrislianus crit quasi grex porcorum dispersus et ido-
lolalrite deditus, sicut exprcîsse palet in cjcteris infidelibus.... Per lioc sacra-
mentum roboratur fides. (S. Bonavent., de Prx parai ione ad Missam.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 45
706 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE — LIVRE II. — CHAP. XV.
« les ténèbres, ni la faculté de marcher d'un pas ferme et sans
« s'égarer dans la voie de la justice; cependant, invités au festin
« du Christ, ils sont devenus riches et forts spirituellement; ils ont
« été intérieurement illuminés, alors qu'ils n'étaient pas dans la
« voie de Dieu, et maintenant ils marchent dans le droit chemin '. »
S. Augustin affirme, et il faut l'en croire, que « le monde a été
« soumis au joug du Christ par le sacrement de son corps ". » Et
dans les temps troublés du moyen âge, où les hérésies se multi-
pliaient et où l'enfer semblait s'essayer au terrible assaut qu'il
allait bientôt livrer à l'Église par le protestantisme, ce fut encore
la Sainte Eucharistie qui vint au secours de la foi catholique.
L'institution de la fête et ensuite des processions du Très Saint
Sacrement amortit les coups de tant d'ennemis acharnés. Grâce
à elle, après des siècles de luttes sans merci, la sainte Église de
Jésus-Christ, fondée sur la Pierrequi est le Christ dans l'Eucharistie,
et sur Pierre, son représentant visible ici-bas, est toujours debout
et inébranlable. Toujours elle est là, pour nous montrer le chemin
qui conduit à la vie ; toujours elle est prête à nous donner le via-
tique souverain qui nous vivifie, nous fortifie et nous met à l'abri
de tout égarement dans le voyage qu'il faut faire ici-bas pour
arriver à la céleste patrie.
Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous a pas été seulement donné
comme rédempteur. Son corps adorable qui a souffert, et qui est
mort, son sang précieux répandu sur la croix, ont bien été le prix
de notre rançon, mais il en a fait de plus notre nourriture. Cette
nourriture qui n'est autre que lui-même, c'est-à-dire le Verbe de
Dieu, la Sagesse divine incarnée, est un aliment de lumière et de
justice. Pourquoi le Verbe de Dieu se donnerait-il à nous, sinon
pour nous illuminer des rayons de sa lumière infinie? Pourquoi la
sagesse de Dieu, qui est aussi sa justice, se ferait-elle notre aliment,
sinon pour nous communiquer la véritable sagesse qui est insépa-
rable de la justice?
1. Erant gentiles quia nec legis divitias, nec virtutum forlitudinem, qua
resistere possent diabolo, nec scientiae lumen, vel illuminatos cordis oculos
habehant, nec in via justitiae rectis pcdibus incedebant, qui tamen invitati
ad convivium Cbristi, diviles spiritualiter, et fortes facli sunt, et interius illu-
minali, dum in via Dei non erant, sed recto tramite gradiuntur. (S. Anselm.,
Enarr. in Evonr/.)
2. Sacramenlo corporis Christi, subjugatus est mundus. (S, AuousT., apud
Mansi.)
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 707
Pourquoi Jésus-Christ, qui s'est fait notre grâce, unirait-il sa
propre substance à notre substance par la sainte communion, si-
non pour nous communiquer la grâce dont il est 1^ source, ou
plutôt qui est lui, et nous en faire vivre?
Ce divin Sauveur, révélant un jour à Nicodème les mystères de
Tamour infini du Père éternel envers les hommes, lui disait :
« Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique,
a afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la
« vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde
a pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé
« par lui ^ j» Le Père éternel a envoyé son Fils pour que le monde
soit sauvé par la foi qu'il aurait en lui, et le Fils venu dans le
monde pour nous donner la vie par la foi, s'est donné lui-même,
comme un aliment dévie, dans la Sainte Eucharistie ; nous man-
geons la vie, la lumière et la grâce, en communiant à l'aliment
trois fois saint qu'il nous a préparé. Et si Jésus-Christ se donne
ainsi à nous comme aliment de vie et de sainteté, c'est encore le
Père qui nous le donne, car, dit S. Bonaventure : « Dieu a telle-
« ment aimé le monde qu'il a donné son Fils unique comme sa
« rançon et comme sa nourriture ~. »
Avant que le Verbe éternel descendît du sein de son Père sur
la terre, la mort régnait ici-bas en souveraine incontestée. La vie
était dans le Verbe, in ipso vita erat, et cette vie, lumière des
hommes, résidait au ciel, dans le sein du Père, et non point ici-
bas parmi les hommes plongés dans les ténèbres et assis à l'ombre
de la mort, selon la parole de Zacharie célébrant le prochain lever
du divin Soleil : « Pour éclairer ceux qui sont assis dans les té-
« nèbres et à l'ombre de la mort: » Illuminare his qui in tenebris
et in umbra morlis sedent ^. Mais lorsque celui qui est notre vie
et notre lumière fut descendu parmi nous, lorsqu'il eut vaincu
la mort en mourant lui-même sur la croix, il nous communiqua
sa vie et sa lumière; il nous donna la grâce en même temps que
la foi et, pour nous incorporer ces dons infiniment précieux, pour
\. Sic Deus dilexit munduin, ut Kilium suuin unigcnituin daret ut oinnis
qui crédit in euin non pereat sed iiabeat vitam ajtcrnam. Non cnim niisil
Deus Filium suuni in inundum ut judicet inundum, sed ut salvctur niundus
per ipsum. {./oaim., m, iO, 17.)
2. Sir Deus dilexil miindi/ni, iil f'nigenittim diiret, et in itrotiuni et in
cibum. (S. BoNAVENT., in liunc textum.)
3. Lur., I, 7!».
708 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XV,
qu'ils devinssent en quelque manière une partie intégrante de
nous-mêmes, il se fit notre aliment, lui qui est la vie et la lumière,
le pain vivant et vivifiant qui donne la vie au monde. Il nous dit :
« Prenez et mangez, ceci est mon corps ' ; » et les paroles que
nous adresse ce divin Agneau nous remettent en mémoire celles
que le serpent ou plutôt le démon lui-même, cet antique
ennemi du genre humain, fit entendre à nos premiers parents :
« Prenez et mangez et vous serez comme des dieux -. » Le fruit
olVert par le démon et accepté, malgré la défense du Seigneur, a
introduite mort dans le monde, et le Fils de l'homme, en nous
donnant la Sainte Eucharistie pour aliment, a mis la mort en fuite
et nous a rendu la vie. Il nous l'a dit lui-même : « C'est ce pain
« qui est descendu du ciel et donne la vie au monde : » Hic est
pauis qui de cœlo descendit et dat vitam mundo ^. « Le démon,
« dit Rupert, était un serpent : Jésus est un agneau ; l'un est ran-
ci cien p('clieur, l'autre l'antique créateur de toutes choses; l'un
« rampe sur la terre, l'autre est venu du ciel; l'un, esprit diabo-
" lique, souffle le mensonge, l'autre, esprit de Dieu, annonce la
« bonne nouvelle de la vérité ; l'un est un artisan de mort, l'autre
« de vie ; l'un a offert, comme un voleur, du fruit d'un arbre qui
• n'était pas à lui, l'autre a donné libéralement son propre corps
« et son propre sang ; l'un a promis mensongèrement ce qu'il n'a
" pas, en disant : Vous serez comme des dieux; l'autre a donné
« fidèlement ce qu'il avait et ce qu'il a toujours en vertu de sa
« nature même ; il nous a donné d'être des dieux, parce qu'il daigne
• habiter en nous *. » Mangeons donc le pain de la vie éternelle et
buvons le calice du salut qui ne passe pas, pour détruire l'effet
lumentable du fruit de mort donné par le démon au premier
homme.
On lit au livre de la Genèse qu'une cruelle famine sévit dans
l'univers entier: le pain manquait partout, excepté en Egypte, où
1. Accipile et comedite : hoc est corpus meum. [Matlh., wvi, %').)
2. Gènes., m.
:<. Joann., vi, VA).
\. llle serpens erat, isle A^rnus est; ille velus peccator, iste antiquus Crea-
tor ; ille pcr terrain repsit, iste de cœlo venit; ille spiritus diaboli falsum sibi-
lans, iste spiritus Dei verum evangelizans; ille mortis artifex,iste vilœ opifex;
ille de Hkho non suo raptor obtulit. iste de corpore et sanguine suo largitor
• Ifdit; ille quod non habot. mendaciter promisit, eritis, inquiens, sicut dii, iste
quod liabebat et quod soinj)er naturaliter babet, fideliter dédit, ut simus dii,
(lum manet in nobis. (Hi pert. abb., <le ()j,i-r. Spirit. annct.)
à
LA SAINTE COMMUNION, CODRONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 709
le patriarche Joseph, par une sage prévoyance inspirée de Dieu,
avait mis en réserve d'immenses quantités de froment. Pharaon
disaità ses sujets dont les provisions particulières furent vite épui-
sées : « Allez à Joseph. x> Or Joseph figurait Notre-Seigneur,
qui est appelé le froment des élus. Cette famine en représentait
une autre incomparablement plus déplorable encore. Le pain spi-
rituel, la nourriture de l'âme, manquait aux hommes; depuis des
milliers d'années, le besoin de ce pain se faisait sentir avec une
rigueur toujours plus grande. Dieu l'avait annoncé par la bouche
du prophète Amos : « J'enverrai la faim sur la terre, non pas la
« faim du pain, mais celle d'entendre la parole de Dieu K » Jésus,
notre Joseph, a ouvert largement ses greniers. Il nous a donné le
'Verbe de Dieu qui est lui-même, non seulement pour l'entendre,
mais pour en faire la nourriture de notre âme ; il nous a donné à
manger son corps adorable, qui est le froment des élus, et à boire
son sang, vin céleste qui fait germer les vierges. On voit ainsi
combien est vraie la parole du Psalmiste : ^ Les yeux du Seigneur
« sont sur les justes..., alm de délivrer leurs âmes de la mort et
« de les sauver de la famine '-. »
Autrefois, dans le Paradis terrestre, l'humanité entière puisa,
dans un seul fruit, un" poison tellement violent, qu'il fut pour elle
la cause de la mort éternelle. Dieu avait dit, en effet, à nos pre-
miers parents : « Du jour où vous mangerez de ce fruit, vous
« mourrez de mort ^. » Mais l'Eucharistie, pain vivant descendu
du ciel, a rendu la vie à l'homme devenu la proie de la mort.
Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ nous presse-t-il de recourir à
cet aliment sacré. Avant l'institution de l'adorable Eucharistie,
lorsqu'il ne faisait encore que préparer ses disciples à bien accep-
ter ce don incomparable, il disait : « Travaillez, non pas en vue
« de la nourriture qui périt, mais de celle qui demeure pour la
« vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donnera; car Dieu
1. Mittam famem in terram, non faxnem panis sed audiendi verbi Dei.
{Amos, VIII, M.)
2. Aperuit Joseph horrea tempore famis et ministrabat populis. Hoc de nos-
tro dictum est : Oculi Domini suijer justoa, et seqiiitur, uf eruat a morte ani-
mas eonim et alat eos in famé, nimiruin illa quain Deus per Amos comminalur
dicens : Mittam famem in terram, non famem jjanis, sed audiendi verbi Dei.
In hac faîne positus nosler Joseph Christus Donunus ex horreis suis nobis
divinam sui corporis annonam ministrat. (S. Prosper., apud Mansi, de Euch.
et comm., dise, ll.j
3. In quacumque enim die comederis ex eo, morte morieris. [Gènes., ii, 17.)
710 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XV.
« le Père l'a scellé de son sceau '. » Le sceau que Dieu avait im-
primé sur cet aliment mystérieux était la vie immortelle dont la
grâce est la semence et le gage. S. Bonaventure remarque que
Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans le chapitre vi de l'Évangile de
S. Jean, où il parle assez au long de la Très Sainte Eucharistie,
lui attribue jusqu'à dix fois la vertu de communiquer la vie -.
S. Augustin dit dans un sermon : « Boire ce calice, qu'est-ce,
« sinon vivre? Mangez la vie, buvez la vie et vous aurez la vie,
« mais la vie complète ^. » Dans le canon de la messe, un peu
après la consécration, le prêtre prononce ces paroles : « Pain sa-
« cré de vie éternelle, et calice de perpétuel salut : » Panem
sanctuni vitx œternœ et calieeni salutis perpetuœ.
Notre divin Sauveur nous affirme que sa chair est véritable-
ment une nourriture et son sang véritablement un breuvage :
Caro mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus. S. Bo-
naventure demande pourquoi Jésus-Christ dit de sa chair qu'elle
e&i véritablement une nourriture? et il répond avec S. Augustin :
« Les hommes désirent des aliments et de la boisson, pour n'avoir
« plus ni faim ni soif. Or, un seul aliment et un seul breu-
« vage peuvent produire cet effet dans toute sa vérité; c'est l'ali-
« ment et c'est le breuvage qui rendent immortel celui qui les
« prend ^ »
Si donc nous voulons vivre, mais vivre d'une vie bienheureuse
et qui n'aura pas de fin, répondons aux ardents désirs de notre
adorable Jésus. Mangeons le pain qu'il nous a préparé et buvons
le vin qu'il nous offre. Mais nous savons que pour nous asseoira
la table du divin Hoi, il faut en être digne. Éprouvons-nous nous-
mêmes, puis mangeons de ce pain, buvons à ce calice et nous
vivrons de la vie même de Jésus. Il nous a dit : « Celui qui
« mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et moi
\. Operamini non cihum qui périt sed qui permanet in vitam seternam,
quem Filius hominis dabit vobis; hune enim Pater signavit Deus. (Joann.,
VI, 27.)
2. Decies reperitur hic actus vivificandi et attribuitur pani. (S. Bonavent.
in Joann.)
'i. llium bibere quid est nisi vivere? Manduca vitam, bibe vitam, habebis
Yit.'im et intégra est vila. (S. August., serm. II de Verbis Apost.)
■4. Quaerilur quid ait : Vere est cilms?YA ad hoc respondet Augustinus, quod
cibos et potus idée appetunt liomines, ut non esuriant neque sitiant, hoc au-
tem non praeslat veraciter, nisi iste cibus et potus, qui eos a quibus sumitur,
immortales facit. (S. Bonav. in Joann.)
J
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-UAS. 711
« en lui K » Pouvail-il trouver un moyen plus efficace de nous
faire vivre qu'en s'incorporant à nous, lui qui est la vie substan-
tielle? Aussi ajoute-t-il : « Comme mon Père qui est vivant m'a
« envoyé et que moi je vis par mon Père, ainsi celui qui me
(( mange vivra aussi par moi 2. » Sa vie sera parfaite, car c'est
Jésus qui vivra en lui; et cette vie parfaite ici-bas sera le gage
de la résurrection future, et le commencement d'une éternité de
vie bienheureuse ; car notre divin Sauveur dit encore : ^ Qui
« mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le
« ressusciterai au dernier jour 3. »
II.
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-
BAS, NOUS FAIT AIMER LES CHOSES DU CIEL, MÉPRISER CELLES DE
LA TERRE ET GOUTER LA SUAVITÉ DES BIENS SPIRITUELS.
S. Thomas ^ constate que Dieu a suivi une progression toujours
croissante dans les bienfaits qu'il a départis à l'humanité, et si-
gnale les degrés par lesquels la souveraine libéralité du Seigneur
s'est élevée jusqu'à le faire se donner lui-même à nous comme
notre nourriture.
Le premier degré de la munificence divine envers nous a été
la création du ciel et de la terre. C'est pour l'homme qu'il a fait
ce monde visible et tout ce qu'il contient. On lit dans le Deutéro-
nome : « Le Seigneur votre Dieu a créé le soleil, la lune et tous
« les astres du ciel pour le service de toutes les nations qui sont
« sous le ciel ^. » Notre-Seigneur Jésus-Christ dit lui-même que
notre Père céleste qui est dans le ciel fait lever son soleil sur les
bons et sur les méchants ^.
A ce premier degré de libéralité envers nous. Dieu en a joint
1. Qui manducat meam carnein,et bibit meum sanguinem, in me nianetet
ego in illo. (Joann., vi, 47.)
2. Sicut rnisit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem ; et qui mandu-
cat me, et ipse vivel propter me. {Id., 58.)
3. Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem babet vitam
seternam, et ego resuscitabo eum in novissimo die. {Id., fJ.'i.)
4. Of)usc. LVIl, de Vencra/i. Sncram. A/l(iris, cap. v.
5. Solem et lunam et omnia astra cœli creavit Dominus Deus tuus in mi-
nisterium cunctis genlibusquae sub cœlo sunt.
t). (Ut sitis tilii) Palris vcstri qui in cœlis est : qui solem suum oriri facit
super bonos et inalos. {Mtitlh., v, i'6.)
712 LA SAINTE EUCHARISTIE. — if PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XV.
un second : il a donné à l'homme, pour le servir, les plus nobles
des créatures, créatures raisonnables et célestes qui sont les anges.
S. Paul nous le dit en ternies exprès dans l'Épître aux Hébreux :
« Les anges ne sont-ils pas tous des esprits chargés d'un minis-
« tère, et envoyés pour l'exercer en faveur de ceux qui recueille-
« ront l'héritage du salut ^? » Et de fait, nous voyons dans la
Sainte Écriture que souvent ils ont rendu des services aux hom-
mes. Ils continuent d'en rendre chaque jour, convertissant les
pécheurs, les préservant des maux qui les menacent, et condui-
sant les justes au ciel.
Le troisième degré de la libéralité de Dieu envers les hommes
est de s'être donné lui-même à nous, en se faisant le compagnon
de notre pèlerinage ici-bas. « C'est lui qui est notre Dieu; c'est
« lui qui a trouvé la voie de la vraie science et qui l'a donnée à
« Jacob, son serviteur, et à Israël son bien-aimé 2, » dit Baruch; le
prophète ajoute : « Après cela, il a été vu sur la terre, et il a de-
« meure avec les hommes. » C'est absolument, remarque S. Tho-
mas, comme s'il disait : Dieu a donné aux hommes des préceptes
pour qu'il ne s'écarte jamais d'une vie honnête et juste pendant
son pèlerinage sur la terre; et pour qu'il ne lui semblât pas trop
pénible de suivre cette voie, il s'est fait homme et s'est associé
ainsi à notre pèlerinage ici-bas.
On lit dans S. Luc : « Jésus parcourait les villes et les villages,
« prêchant et annonçant le royaume de Dieu ; et les douze étaient
« avec lui, ainsi que quelques femmes qu'il avait délivrées desesprits
« malins et de leurs maladies 3. » Lui qui est la bonté elle-même
de Dieu, il réconforta par sa divine parole ceux dont il s'était fait
le compagnon; il les délivra des dangers qui les menaçaient: il
guérit leurs maladies; il ressuscita leurs morts,
Cependant ce n'était pas encore à ce degré déjà si haut que la
munificence de Dieu pour, les hommes devait s'arrêter : elle en
atteignit un quatrième. Le Fils de Dieu, devenu notre compagnon,
4. Nonne omnes sunt (angeli) administratorii spiritus in ministerium missi
propter eos qui haereditatem capiunt salutis. {I/ebr.,i, M.)
"■1. Hic est Ueus noster.... Hic invenit omnem viam disciplinas et tradidit
illam Jacob puero suo, et Israël dilecto suo. Post haec in terra visus est et
cum hominibus conversatus est. {lifintrh, m, 88.)
3. Kl ipse iter faciebat per civitates et castella praedicans et evangelizans
regnum Dei, et duodecim cum illo, et mulieres aliquae quœ erant curatae a
spiritibus malignis et infirmitatibus. {Luc, viii, i, 2.)
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 713
voulut être notre serviteur dans nos besoins. « Il s'est abaissé
< lui-même, prenant la forme d'un esclave ', » dit S. Paul. Il
s'est fait le serviteur de tous, donnant à manger à ceux qui avaient
faim, à boire à ceux qui avaient soif; il a lavé les pieds de ses
apôtres, et il a fait cette déclaration : « Le Fils de l'homme n'est
t pas venu pour être servi, mais pour servir ~. »
Le Roi du ciel et de la terre, le Verbe divin fait homme pour
être le serviteur des hommes! La bonté de Dieu pouvait-elle aller
plus loin, et sa générosité franchir un cinquième degré? L'apôtre
S. Paul nous répond : « Le Christ nous a aimés et s'est livré lui-
« même pour nous, en oblation à Dieu et en hostie de suave
« odeur ^. » Déjà le Seigneur lui-même avait dit : « Le Fils de
« l'homme est venu pour donner sa vie pour la rédemption d'un
« grand nombre ^. »
Nous arrivons enfin, toujours à la suite de S. Thomas, au sixième
et suprême degré de la libéralité dont le Verbe de Dieu a voulu,
ou plutôt dont il a pu user envers nous : car tout Dieu qu'il soit,
pouvait-il faire davantage? Le Père Éternel nous a donné son Fils,
et le Fils lui-même s'est donné à nous pour être notre nourriture.
C'est à cet acte de bonté incompréhensible et que lui seul pouvait
accomplir, que le Seigneur fait allusion, lorsqu'il dit, par la
bouche du prophète Osée : « Et moi, comme le père nourricier
« d'Éphraïm, je les portais dans mes bras, et ils n'ont pas com-
« pris que je prenais soin d'eux. Je les attirais par les attaches
« d'Adam, par les liens de la charité, et je serai pour eux comme
« celui qui enlèverait le joug de dessus leurs joues, et je me suis
« tourné vers lui afin qu'il eût à manger ^ » Mais le prophète ne
savait pas quelle serait la nourriture que Dieu donnerait à ceux
dont il voulait être le père nourricier, à ceux qu'il porterait dans
ses bras et dont il s'efibrcerait d'attirer l'amour, en leur montrant
de mille manières combien il les aimait lui-même. Notre-Seigneur
i. Semetipsuin exinnnivit, formnm servi accipiens. [Philipp., ii, 7.)
2. Filins tioniiiiis non venit ininistrari sed minislrare. [Matth., xx, 28.)
3. Chrislns dilexit nos, et Iradidil semetipsum pro nobis oblationem et hos-
tiam Dec in odorem suavitalis. [Hplies., v, 2.)
4. Filins hominis (venit) dare animam suani redemplioncm pro multis.
(Matth., XX, 28.)
U. Et ego quasi nutricius Ephraim portabam eos in l)rncliiis meis, et nes-
cierunt qiiod curarem eos. In funiculis Adam Iraham eos, in vinculis chari-
tatis; et oro eis quasi exallans jugum super niaxillas coruni, et declinavi ad
eum nt vesceretur. {Ose., \i, :$, i.)
714 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11" PARTIE. — LIVRE 11. — CHAP. XV.
Jésus-Christ nous dit de quel aliment il entend nous nourrir :
« C'est moi qui suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne
« dans le désert et sont morts. Voici le pain qui descend du ciel,
« afin que si quelqu'un en mange, il ne meure point. Je suis le
« pain vivanl, moi qui suis descendu du ciel. Si quelqu'un mange
« de ce pain, il vivra éternellement : et le pain que je donnerai,
« c'est ma chair pour la vie du monde '. » C'est donc le Fils de
Dieu fait homme qui se donne à nous pour nous servir d'aliment.
Et parce qu'il s'agit d'une manducation réelle et non pas seu-
lement spirituelle ou figurative, il a soin de dire et de répéter
plusieurs fois, dans le même discours, que c'est sa chair qu'il
nous donne, que c'est elle qui est véritablement pour nous une
nourriture et que son sang est véritablement un breuvage : Caro
mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus. « Le Sei-
« gneur qui est le bon pasteur, dit S. Grégoire, a donné sa vie pour
« SCS brebis, afin qu'en changeant en notre sacrement son corps et
« son sang, il pût nourrir et rassasier de sa propre chair les brebis
« qu'il avait rachetées -. » Agir ainsi, n'était-ce pas faire preuve
d'un amour porté jusqu'aux limites les plus extrêmes? C'était beau-
coup sans doute de se donner à nous pour être le compagnon de
notre pèlerinage et notre serviteur âans nos besoins; c'est plus
encore de se faire notre rédempteur; ce don néanmoins laisse une
séparation entre le donateur et celui qui reçoit le don ; au contraire,
lorsqu'il se livre à nous comme notre nourriture, il n'y a plus
ombre de séparation, mais union parfaite. En effet, la nourriture
et celui qui la prend s'unissent pour n'être qu'un seul corps. C'est
ce que le divin Sauveur nous fait entendre lorsqu'il dit : « Celui
« qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en
« lui. » La Sainte Eucharistie est donc le don par excellence, le
couronnement de tous les dons que le Seigneur nous a faits, et nul
autre ne témoigne au môme point de son amour pour nous 3.
L Ego sum panis vitœ. Patres veslri manducaverunt manna in deserto, el
morlui sunt. Hic est panis de cœlo descendens : ut si quis ex ipso manduca-
verit, non moriatur. Kf,'o sum panis vivus qui de cœlo descendi. Si quis man-
ducaverit ex hoc pane, vivet in aeternum : et panis quem ego dabo, caro mea
est pro mundi vita. {Joann., vi, iH-lj'i.)
2. Bonus pastor Dominus an imam pro ovibus posuit, ut in sacramento nos-
tro corpus suum, et sanguinem verteret, et oves quas redemerat, carnis suae
alimento satiaret. (S. Greuor. Magn., hom. XIV in Evang.)
3. Magnum est enim dare se in socium peregrinationis, et in servum ne-
cessitatis; majus in pretium redemptionis, tamen taie donum adhuc est in
LA SAINTE COMMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 715
En se donnant à nous dans la sainte communion, Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ fait plus en notre faveur que le serpent infer-
nal ne promettait à Eve, en lui disant : « Vous serez comme des
« dieux : » Eritis sicutidii. Il nous dit, en effet : « Celui qui mange
« ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui : »
Qui manducat meam carnem et bibit meum sangiiinem in me
manet et ego in eo. Et S. Paul n'hésite pas à dire : « Je vis, mais
« ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi ^ »
Nous le mangeons : il demeure en nous et nous demeurons en lui ;
nous vivons de sa vie, ou plutôt nous ne vivons plus, mais lui seul
vit en nous. Sa vie, c'est son corps, son sang et son àme, sa vie, c'est
sa divinité, La vie de l'Homme-Dieu, vie divine et vie humaine,
est donc notre vie. Pouvons-nous vivre de la vie de Dieu et ne
point partager la divinité de celui qui est notre vie et qui vit en
nous? S. Paul nous donne cet avertissement : « Glorifiez et por-
« tez Dieu dans votre corps -. » N'est-ce pas ce que fait à la lettre
celui qui reçoit dignement la très sainte communion ? Et en
même temps qu'il porte ainsi Dieu, son àme est comme divinisée,
selon la parole de Tertullien : « La chair est nourrie du corps et
« du sang du Christ, afin que l'àme aussi soit engraissée de Dieu ^. »
S. Bernardin de Sienne s'écrie : «Oh! qu'il est suave, qu'il est ai-
« mable, qu'il est désirable, cet aliment qui fait de l'homme un
« Dieu. Vraiment notre doux Jésus peut bien nous dire : Ame qui
« m'appartiens, qu'ai-je pu faire de plus pour toi et que je n'ai
« pas fait ^ ? »
Que pourrait ne pas nous donner celui qui s'est livré lui-même
à nous pour être notre nourriture ? celui qui nous communique
sa propre vie et sa divinité, autant qu'il est possible à l'homme
aliqua separatione ab eo qui datur, sed cum dntur in cibum, datur non ad
separationem aliquam, sed ad omnimodam unionem. l'niuntur enim in uni-
tate corporis cibus et sumens. Joann., vi, .'i7 : Qui manducat nieam carnem
et bibit meum sanguinem in me manet et ego in illo. Et sic apparet in taU
dono summa largitas divinai bonitatis. (S. Thom., opusc. L^'I1 de Venerah.
Sacram. Euch., cap. v.)
1. Vivo autem, jam non ego; vivit vero in me Christus. {GnUtt., u, '20.)
2. Glorificate et portate Deum in corpore vestro. (/. Cor., vi, 20.)
3. Caro corpore et sanguine Clirisli vescitur, ut et anima de Deo saginetur.
(Tehtull., apud Mansi.)
4. 0 quain sapidus, quam ainal)ili.s et quam desiderabilis est cibus iste qui
hominem facit L)euin.\'ere dicere nul)is potest dulcis Jésus : Quid ultra, /nu»ut
mea, politi tihi farere et non />r/.''(S. Bemnahd., t. II, serm. LIV.)
716 LA SAINTE EUCHARISTIE, — H* PARTIE. — LIVRE II. — CHAI'. XV.
d'y participer pendant cette vie mortelle ? Tous les biens les plus
précieux accompagnent nécessairement pour nous ce couronne-
ment des libéralités divines en notre laveur. Sans parler des dons
d'ordre général que nous avons énumérés d'abord à la suite de
S. Thomas, disons encore qu'avec la Sainte Eucharistie, nous en-
trons dès ici-bas en possession de la vie éternelle et bienheureuse,
et qu'elle est pour nous un gage de la félicité qui nous est réservée
au ciel.
Annonçant à ses disciples l'institution de l'Eucharistie, Notre-
Seigneur Jésus-Christ leur affirme que ceux qui mangeront sa chair
et qui boiront son sang posséderont, dès la vie présente, la vie éter-
nelle et bienheureuse. Il leur dit, en effet : « Celui qui mange ma
« chair et qui boit mon sang a la vie éternelle. » Il ne parle pas
au futur, mais au présent : il ne dit pas que celui qui mange sa
chair et boit son sang aura la vie éternelle, mais il affirme que
déjà il la possède. Pourquoi, sinon parce que la sainte communion
en est le gage, et qu'un gage, s'il est sérieux, équivaut à l'ac-
complissement même de la promesse? Un objet donné en gage,
pour assurer le paiement d'une dette, doit être d'une valeur plus
grande que le montant de cette dette. Aussi le saint concile de Trente
a-t-il déclaré en propres termes que Jésus-Christ a voulu que « le
« sacrement de l'Eucharistie soit le gage de notre gloire future et
« de notre perpétuelle félicité ^. » Et le prêtre, au moment de don-
ner la sainte communion, ne dit-il pas à chacun de ceux qui vont
la recevoir : Corpus Domini nostriJesu Christi custodiat ani-
mam, tuain in vitam œternam : « Que le corps de Notre-Seigneur
Jésus-Christ garde votre àme pour la vie éternelle? » Le Psalmiste
avait dit : « Les pauvres mangeront et seront rassasiés -. » Veut-
on savoir de quel rassasiement il parlait? Cet autre texte nous
l'apprend : « Je serai rassasié lorsque votre gloire m'aura ap-
« paru -^ » Les pauvres, c'est-à-dire les humbles, et ceux qui
désirent ardemment les biei:s célestes, mangeront le pain eucha-
ristique; ils seront rassasiés de cet aliment divin, mais ils ne le
seront pleinement qu'au Jour où Dieu se montrera à eux dans sa
gloire, c'est-à-dire lorsqu'ils posséderont enfin le bonheur du ciel.
1. Pignus prœterea id esse voluit t'ulurse nostrse gloriae et perpétuas feli ci ta-
tis. {Coruil. Trident., sess. XIII.)
2. Edentpauperes et saturabuntur. [Ps. xxi, 27.)
3. Satiaborcum apparuerit gloria tua. [Ps. xvi, Vô.)
LA SAINTE COMMUNIO.N, COURONNEMENT DES HIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 717
Aussi s. Cyrille d'Alexandrie nomme-t-il la Sainte Eucharistie
« un aliment qui nourrit l'immortalité : » Cibum nutrientem
immortalitatem ^ S. Thomas d'Aquin compare le sacrement de
l'Eucharistie à l'arbre planté au milieu du paradis terrestre : « Le
« corps du Christ, dit-il, est le fruit de vie; il a la vertu de détruire
« la damnation et de procurer la vie éternelle 2; » et S. Thomas
de Villeneuve dit après lui : « Si vous trouviez un pain qui pût
« vous conserver dans une santé parfaite jusqu'à l'âge de cent ans,
« ne l'estimeriez-vous pas et ne le garderiez-vous pas comme le
« plus précieux des trésors, comme la pupille de vos 3''eux?Ne
« préféreriez-vous pas ce pain à toutes les délices du monde? Or
« tel est le pain eucharistique. Il donne à celui qui le mange, non
« pas une vie de cent ans, mais une vie éternelle, une vie pleine
« de douceur, une vie bienheureuse, une vie dont le bonheur ré-
« suite de la plénitude de tous les biens s. » Et pour citer encore
une parole du même saint : « Ce sacrement est le gage de Théri-
« tage éternel ; il est l'ancre unique de notre espérance, l'unique
« asile où nous trouvons notre consolation ; par lui nous avons
« confiance que nous serons un jour admis en présence de Dieu
« lui-même, au ciel, dans le saint des saints ^. »
C'est pour nous faire désirer plus ardemment ce bonheur du
ciel que notre divin Sauveur nous donne comme aliment de notre
âme son corps adorable qui en est le gage. Nourris de ce corps
sacré, nous tendons nécessairement vers le lieu où nous jouirons
de lui pleinement, sans énigme ni voiles, sans crainte de le perdre
ni d'en être jamais privés. Il nous a dit lui-même : « En quelque
« lieu que soit le corps, les aigles s'y rassembleront ^ » Ce corps
\. s. Cyrill. Alex., lii). IV in Joann.
2. Corpus Ghristi est fructus vitse, valens ad destructionem gehennae et acqui-
sitionem vitae seternae. (S. Tuom., opusc. LVII de Venerah. Sncrom. Altaris.)
3. Quid si panem quemdam invenires, qui vitam tuam per cenlum annos
servaret incolumem, numquid illuin quovis thesauro fïratiorem haberes et
custodires"? Numquid non sicut oculi pupillam panem illum servares? Nonne
illum omnibus mundi deliciis anteponeres? Talis autem est Panis eucharisti-
cus. Hic panis vitam edenti priestat, non centenariam, sed œternam vitam,
jucundam vitam, omnium bonorum plenitudine felicissimam. (S. TiiOM.
ViLLAN., conc. I in /'est. Corjior. Christ.)
4. Hoc sacramentum est i)ignus œternge haereditatis, hcEC unica anchora
spei nostne, hoc unicum solatii nostri asylum, per hoc ad Dei conspectum
intrasancta sanctorum ca'Iestes confidimus introire. (h)., conc. lUde Saeiom.)
V). Ubicumque fuerit corpus, iUic congregabuntur et aquilœ. (.l/rt///i., xxiv,
28.)
718 LV SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XV.
adorable est au ciel. C'est un lieu bien éloigné, c'est une élévation
bien sublime pour de pauvres créatures comme nous ; mais sa
grâce nous donne des ailes. Nourris de lui, nous ne rampons plus
sur la terre; nous sommes des aigles et rien n'arrêtera notre vol,
jusqu'à ce que nous ayons atteint le lieu où réside, dans toute sa
gloire et son bonheur, celui qui s'est fait notre aliment ici-bas et
dont nous avons expérimenté l'infinie douceur : car, « en quelque
a lieu que soit le corps, les aigles s'y rassembleront. » L'expé-
rience de chaque jour démontre que les âmes véritablement
pieuses qui reçoivent souvent la sainte communion se détachent
aisément des choses de la terre ; le ciel les attire et leurs pensées
s'élèvent naturellement vers Dieu comme vers leur centre. La
Sainte Écriture rapporte que le saint patriarche Abraham, après
avoir vaillamment combattu pour délivrer Loth son neveu, et avec
lui une foule d'autres prisonniers que plusieurs rois ennemis
emmenaient de Sodome en captivité, répondit au roi de Sodome
qui lui ofl'rail toutes les dépouilles reprises sur les ennemis vaincus :
« Je lève ma main vers le Seigneur, Dieu très haut, possesseur du
« ciel et de la terre, que, depuis le fil de la trame jusqu'à la cour-
t roie d'une chaussure, je ne recevrai rien de toi, afin que tu ne
« dises pas : J'ai enrichi Abraham K » Pourquoi ce refus?
Abraham n'avait pas témoigné jusque-là un semblable mépris des
richesses; il en avait au contraire amassé beaucoup, puisque ses
serviteurs seuls suffisaient pour former une petite armée, et
l'Écriture nous dit qu'il était très riche et possédait beaucoup d'or
et d'argent 2. Mais il s'était accompli un fait mystérieux : Melchi-
sédech, roi de Salem et prêtre du Très-Haut, avait offert en sa
présence un sacrifice de pain et de vin ; il avait béni le saint pa-
triarche et reçu de lui la dime de tout 3. Le sacrifice de Melchi-
sédech était la figure et la prophétie du sacrifice de nos autels.
Abraham avait communié à cette figure, comme on le faisait lors-
qu'on olfrait des sacrifices, et Dieu lui avait communiqué par
avance quelques-unes des grâces réservées à ceux qui, plus tard,
mangeraient et boiraient le pain et le vin qui sont le corps et le
1. Levo manum mcam ad Dominuin Deum excelsum, possessorem C(i;li et
terrae : quod a filo sultlegminis usqiie ad corrigiam caligae, non accipiam ex
omnil)Us. (Geties., xiv, :2-2.)
2. Erat aiitpm dives valde in possessione auri et argenti. {Id., xiii, "2.)
3. Melcliisedecli rex Salem proferens panein et vinum, erat enim sacerdos
Dei altissimi, benedixitei. (Iil., mx, US, lî).)
LA SAINTE CONrMUNION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 719
sang de son divin Fils. Le détachement des biens de la terre lut
le résultat de cette communion figurative, faite par le saint pa-
triarche.
L'amour des biens de la terre est incompatible avec la sainte
communion pieusement et fructueusement faite. Nul ne peut ser-
vir à la fois ces deux maîtres qui sont Dieu et l'argent. Xotre-Sei-
gneur Jésus-Christ nous en avertit en propres termes, et dans la
parabole de ceux qui refusent de venir prendre part au repas
somptueux qui leur a été préparé, il nous montre quels obstacles
les attachements terrestres mettent à la participation au grand
festin de l'Eucharistie, dont celui de l'Évangile est la figure K
Qu'allègue en effet le premier qui refuse de se rendre à l'invita-
tion? Il dit : « J'ai acheté une maison de campagne, et il faut
a que j'aille la voir. » Le second a acheté des bœufs qu'il désire
essayer. Un troisième allègue, pour justifier son refus, qu'il vient
de prendre une épouse. Les biens, les intérêts, les jouissances de
la terre les retiennent. S'ils faisaient un effort sur eux-mêmes; si,
pour un moment, ils secouaient le joug qui les opprime et prenaient
la place que Dieu leur offre à son divin banquet, ils y trouveraient
la force de conserver leur liberté et de vivre en enfants de Dieu,
qui aspirent à l'héritage céleste, et non pas aux misérables choses
qu'on appelle ici-bas richesses, dignités, plaisirs.
Mais si les riches, c'est-à-dire ceux qui font passer l'amour des
choses de ce monde avant celui des biens célestes, s'excluent eux-
mêmes de la table du divin Roi, les pauvres, ceux qui n'ont aucun
attachement pour ce que le monde aime, se rendent avec empres-
sement au banquet céleste qui leur est préparé, et les délices
qu'ils y trouvent les éloignent de plus en plus de tout désir ter-
restre ; car ils éprouvent la vérité de la parole du sage : « Vous
a leur avez donné un pain venant du ciel, renfermant en soi tout
a ce qui plaît 2. »
Salomon avait sans doute en vue la manne dont Dieu nourrit le
peuple juif dans le désert, lorsqu'il écrivit ces paroles que nous
venons de rapporter, mais le Saint-Ksprit qui l'inspirait annonçait,
sous cette figure, un autre pain inliniment meilleur encore, le
pain eucharistique, dont S. Cyprien dit quelque part : « Sa saveur
i. Luc, \iv, passim.
'■2. Paratiim panein de cœlo praestitisti, omne deleclamentum in se haben-
tem. [Saj)., \vi, -20.)
7:20 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XV.
€ est plus délicieuse que celle de la manne ; elle satisfait l'appétit
« de ceux qui la mangent et les rassasie ; la saveur des viandes les
« mieux préparées n'a rien qui excite au même point; sa douceur
« surpasse toutes les douceurs '. » Et comment n'en serait-il pas
ainsi? C'est l'Esprit saint qui donne lui-même à l'Eucharistie sa
douceur et sa suavité. Or, le B. Albert le Grand fait cette
remarque : « Il est dit de la bonté du Saint-Esprit par laquelle cet
« aliment est préparé, qu'il est l'objet de la délectation du Père et
« du Fils, la suavité qu'ils goûtent. Nous lisons en effet au livre
« de la Sagesse : Qu'il est bon et suave, votre Esprit, ô Sei-
« gneur - ! »
On lit dans la vie de S. Philippe de Néri que la douceur qu'il
trouvait à consommer les saintes Espèces était si grande qu'il ne
pouvait éloigner ses lèvres du calice dont il usait non seulement la
dorure, mais l'argent même de la coupe. On le comprend lorsqu'on
médite ces autres paroles du B. Albert le Grand : « Quelle pensez-
« vous que soit la douceur du sang de ce sacrement, qui a coulé
0 d'une fontaine si douce et qui, puisé à cette fontaine, a été
a transfusé dans un vase si doux? Car la source de ce sang fut le
« sang contenu dans les veines de la glorieuse Vierge, et c'est le
« Saint-Esprit qui l'a puisé à cette source. Le vase dans lequel il a
« été versé est le corps du Seigneur ; or, c'est de là qu'il coule dans
« le sacrement, et du sacrement dans le cœur des fidèles '^. »
Isaïe, le prophète évangéliste, comme on l'a nommé, parce qu'il
annonçait avec une clarté saisissante les mystères futurs de la loi
nouvelle, nous adresse cette exhortation : « Mangez une bonne
« nourriture et votre àme se délectera en s'en engraissant *. »
Est-ce donc que le prophète nous exciterait à la gourmandise ? On
i. Sapit ainplius quam manna, implet et sapit edentium appetitiis et omnia
carnalium saporum irritainenta, et omnium exsuperat dulcedinum voluptates.
(S. Cyprian., de Cœtm Domini.)
^1. De honitate Spiritus sancti per quam iste cibus est conditus, quia ipse
est Patris et l'ilii deleclatio et condimentum, ut dicitur, Sap., xii : 0 quam
bonus etsuavisest, Domine, Spiritus tuus. (B. Alijert. Magn., de Euchar.)
3. Quantœ putas dulcedinis est sanguis hujus sacramenli, qui de tam dulci
fonte manavit, et a tam dulci fonte haurienle in tam dulce vas est transfusus?
Tons enim liujus sanj^uinis est sanguis in visceriljus gloriosae Virginis con-
tcntus; hauriens hune fontem Spiritus sanctus est; vas in quod transfunditur,
corpus Dominicum est, ex quo eliam manat in Sacramentum et ex Sacra-
mento in corda fidelium. (lu., dist. m, tract. 4.)
4. Comedite bonuin, et delectal)itur in crassitudine anima vestra. {ha.,
i-v, 2.)
à
LA SAINTE COMMONION, COURONNEMENT DES BIENFAITS DE DIEU ICI-BAS. 721
ne. saurait l'admettre et il faut chercher le sens spirituel que
recèlent ses paroles. Un autre prophète, Zacharie, nous le fait
connaître lorsqu'il dit : « Qu'est-ce que le Seigneur a de bon et de
« beau, sinon le froment des élus et le vin qui fait germer les
« vierges i?» c'est-à-dire la Sainte Eucharistie. L'Ecclésiaste parle
à peu près comme le prophète Isaïe : « J'ai donc loué la joie, dit-il,
« parce qu'il n'était, pour l'homme, rien de meilleur sous le soleil
« que de manger, de boire et de se réjouir ~. » Des philosophes
païens ont pris cette maxime à la lettre pour règle de conduite,
et trop de gens, hélas î les imitent en ce point; mais l'Apôtre nous
déclare que « le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et
« dans le manger 3, » et Salomon, le plus sage des rois, ne pou-
vait pas enseigner la doctrine d'Épicure. Le véritable sens de ces
paroles nous est révélé par ce commentaire de S. Thomas : « Tai
« loué par-dessus tout la joie, mais la joie véritable, parce qu'il
a n'était pour rhomme rien de meilleur sous le soleil, en ce
« monde, que de manger le pain qui est descendu du ciel, et de
« boire le vin qui réjouit le cœur de l'homme, c'est-à-dire le
« sang du Seigneur ^. » C'est à ce pain, c'est à ce vin que se rap-
portent uniquement les paroles dictées à l'Ecclésiaste par l'Es-
prit de Dieu ; c'est dans la Sainte Eucharistie que sont renfermées
ces délices incomparables, auprès desquelles toutes les jouissances
que procurent les choses de la terre ne sont rien. L'àme ne peut
trouver qu'en Dieu seul une joie véritable, car il est « le Dieu de
« toute consolation ^, » et c'est dans l'Eucharistie qu'il communique
le plus largement ses consolations et ses joies, parce qu'il s'y
donne lui-même tout entier à ceux qui reçoivent cet auguste sa-
crement.
Aussi voyons-nous dans la vie des saints mille exemples de ces
douceurs infinies dont souvent il plaisait au Seigneur de les favo-
riser lorsqu'ils communiaient. Pour ne citer que sainte Marie-
1. Quid enim bonum ejus est, et quid pulchrum ejus, nisi frumentiim elec-
torum et vinuni germinans virgines ? (Zachar., ix, 17.)
2. Laudavi igitur laetitiam, quod non esset homini bonum sub sole nisi
quod comederet et biberet, atque gauderet. (Eccle., vm, lîJ.)
3. Non est regnum Dei esca et potus. {liom., xiv, 17.)
•i. Laudavi prae omnibus Icctiliam veram, quod non esset homini sub sole
melius m hoc miindo, nisi quod comederet panem, scilicet qui de cœlo descen-
dit, et biberet vinum, qui laetificat cor liominis, scilicet satigtiinem iJomini.
(S. Thom., opusc. LVIl.)
\j. Deus tolius consolationis. (//. Cor., i, 3.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 46
722 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
Madeleine de Pazzi, toute jeune encore et avant de pouvoir être
admise elle-même à la sainte table, elle éprouvait une jouissance
indicible à se presser sur le sein de sa mère, les jours où cette
pieuse mère avait communié, et comme on lui en demandait la
raison, elle répondait simplement : Je sens l'odeur de la divinité.
C'est que, selon l'explication que S. Laurent Justinien donne de ces
paroles de la Sagesse : « Mes délices sont d'être avec les enfants
« des hommes, » ce n'est pas tant pour y trouver des délices que
pour nouscommuniquer les siennes, que notre divin Sauveur se plaît
avec nous ^ Mais il ne peut se plaire avec nous, il ne peut nous
faire part de ses joies ineffables que si nous nous efforçons de lui
rendre agréable le séjour qu'il daigne faire en nous.
CHAPITRE XVI
DE LA PRÉPARATION A LA SAINTE COMMUNION ET DE LA CONDUITE A TENIR
APRÈS L'AVOIR FAITE
L Dispositions essentielles. — II. Dispositions souhaitables. — III. Action de grâces
et condaite à tenir après la sainte communion.
I.
DISPOSITIONS ESSENTIELLES POUR BIEN FAIRE LA SAINTE COMMUNION
On lit au livre de l'Ecclésiastique : « Ceux qui craignent le Sei-
« gneur prépareront leur cœur, et, en sa présence, ils sanctifieront
« leurs âmes -. » L'auteur inspiré de ce livre ne pensait qu'à la
présence de Dieu, qui est partout en vertu de son essence. Cepen-
dant il regardait comme inadmissible que ceux qui ont la crainte
de Dieu ne veillent pas sur eux-mêmes, et ne s'efforcent pas
d'être dignes de paraître devant lui. A combien plus forte raison
cette préparation lui eût-elle paru indispensable, s'il s'était agi de
s'approcher du Dieu fait homme, de le toucher, de se nourrir de sa
1. Exhibuit .se ut tecum habitet, ut de te laetetur; suis tecum deliciis per-
fruatur, quemadmodum in Sapientiae volumine testatur dicens : Et delicix
mex esse cum filiis hominum; non quidem ut suas a filiis hominum captet de-
licias, .sed ut cum filiis hominum communicet proprias. (S. Laur. Just., serm.
de Euchar.)
2. Qui liment Dominum praeparabunt corda sua, et in conspectu illius sanc-
tificabunt animas suas. {Eccti., u, 20.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 723
chair adorable et de son sang divin, cachés sous les apparences du
pain et du vin dans la Très Sainte Eucharistie?
On lit dans l'Évangile selon S. Matthieu qu'après que Notre-Sei-
gneur eut expiré sur la croix, « quand il se fit soir, il vint un
« homme riche d'Arimathie, du nom de Joseph, qui était disciple
« de Jésus. Cet homme vint à Pilate et lui demanda le corps de
« Jésus. Alors Pilate commanda que le corps lui fût remis. Ayant
« donc reçu le corps, Joseph l'enveloppa dans un linceul blanc; et il
« le fit mettre dans un sépulcre tout neuf qu'il avait fait tailler
« dans le roc ; ensuite il roula une grande pierre à l'entrée du sé-
« pulcre, et s'en alla *. » Que de zèle et que de soins de la part de
cet homme juste, pour donner au corps inanimé de Jésus une
sépulture qui ne soit pas trop indigne de lui. Il ne craint pas de se
présenter devant Pilate qui venait de condamner Jésus-Christ et
de le livrer à la fureur des bourreaux. Il ne redoute ni les sarcasmes
ni les violences dont les Juifs vont peut-être l'accabler^ à la vue
des honneurs dont il se propose d'entourer leur victime; il choisit
les linges les plus précieux qui soient à sa disposition, pour ense-
velir ce corps adorable; il lui cède le tombeau tout neuf, qu'il s'était
préparé pour lui-même, avec un soin jaloux. Et pour que nul ne
puisse violer ce tombeau et manquer de respect envers ce divin
corps, il ferme, avec une pierre énorme, ce lieu où il l'a déposé.
— Il ne s'agissait cependant que du corps inanimé de Jésus, de ce
corps souillé de sang et déchiré par mille blessures. La conduite
du juste Joseph nous enseigne de quelle préparation nous avons
besoin lorsque nous nous proposons de recevoir dans notre cœur,
non plus seulement le corps privé de vie de notre divin Maître,
mais son corps ressuscité, son corps resplendissant d'une gloire
immortelle, et avec lui, son sang, son âme et sa divinité.
L'apôtre S. Paul donnait aux fidèles de Gorinthe ce grave aver-
tissement : « Quiconque mangera ce pain et boira le calice du Sei-
« gneur indignement sera coupable du corps et du sang du
« Seigneur. Que l'homme donc s'éprouve lui-même et qu'il mange
« ainsi de ce pain et boive de ce calice. Car quiconque en mange
<f et en boit indignement mange et boit son jugement, ne discer-
« nant pas le corps du Seigneur 2. » L'homme ne peut pas, il est
i. Matth., xxvi, '67 et seq.
2. Itaque quicumque manducaveritpanem hune, velbiberit calicem Domini
indigne, reus erit corporis et sanguinis Domini. Probet autem seipsum homo,
724 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II» PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
vrai, connaître d'une manière absolue, sans une révélation parti-
culière, s'il estdigne d'amour et de haine ; mais il peut, en exami-
nant sérieusement l'état de son âme, acquérir une certitude morale
que ses dispositions sont suffisantes pour s'approcher de la sainte
communion, et Dieu n'en exige pas plus de notre faiblesse: sa
miséricorde infinie se charge de suppléer à ce qui manquerait,
sans qu'il y ait négligence ou mauvaise volonté de la part de celui
qui le reçoit. Il nous importe donc de connaître au moins les dis-
positions nécessaires, pour nous approcher dignement et avec fruit
de cet adorable sacrement. Ici encore on se contentera, sans entrer
dans de longs développements, d'indiquer ce qu'il importe le plus
à chacun de connaître.
I. // faut approcher de la Sainte Eucharistie avec droiture
d'intention. — Notre-Seigneur Jésus-Christ a institué le très
saint sacrement de l'Eucharistie pour notre salut: c'est donc en
vue du salut de notre âme que nous devons y recourir. Qu'à cette
intention première, il s'en joigne parfois une autre ; que l'on se
détermine à faire la sainte communion, parce que les convenances
le demandent, parce qu'on veut être agréable à telle personne, ou
que l'on craint de contrister quelqu'un, ces motifs et d'autres
semblables, honnêtes en eux-mêmes, ne vicient point l'acte saint
que l'on fait en communiant, pourvu qu'ils ne soient que secon-
daires et que l'on recherche avant tout et principalement le bien
de son âme et la gloire de Dieu. Vouloir se servir du corps et du
sang de Notre-Seigneur pour satisfaire sa vanité, ou pour toute
autre cause indigne d'un si grand sacrement serait une véritable
profanation.
Dieu avait ordonné aux Hébreux de manger l'agneau pascal
avec des pains sans levain. Cette condition que les pains fussent
azymes avait une signification mystique. S. Paul nous la fait con-
naître lorsqu'il dit : « Notre agneau pascal, le Christ, a été immolé.
« C'est pourquoi mangeons la pàque, non avec un vieux levain,
« ni avec un levain de malice et de méchanceté, mais avec les
« azymes de la sincérité et de la vérité i.» C'est bien le divin Agneau
et sic de pane illo edat, et de calice bibat. Qui enim manducat et bibit indigne
judicium sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus Domini. (/. Cor., xi,
i>7-29.)
\. Etenim Pascha nostrum immolatus est Christus. Itaque epulemur non
in fermento veteri, nequc in fermento malitiae et nequitiae, sed in azymis sin-
ceritatis et verilatis. (J. Cor., v, 7, 8.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 725
qu'il faut rechercher, c'est bien lui et non pas autre chose qu'il
faut désirer au plus intime de son cœur, lorsqu'on approche de
la sainte table ; sinon l'on s'expose à tomber sous le coup de cette
prescription de la loi : « Celui qui mangera du pain fermenté, son
a âme périra du milieu du peuple d'Israël i. i> Était-ce donc un si
grand crime de manger avec la pàque du pain qui fût levé, pour
que ce manquement fût puni de mort chez les Israélites? En soi,
la faute eût été légère peut-être, mais la pàque représentait la
Sainte Eucharistie, le levain l'intention mauvaise, la malice, et il
ne faut pas que l'ombre même de la malice et de la méchanceté se
montre, dès qu'il est question de cet auguste sacrement; les azymes
de la sincérité et de la vérité sont seuls admis, nous dit S. Paul.
II. Examen de la conscience. — S'éprouver soi-même selon la
recommandation de l'Apôtre : « Que l'homme s'éprouve lui-même,
« et qu'il mange ainsi de ce pain. » Assurément S. Paul ne défend
pas de demander l'avis des personnes sages, surtout du directeur
de la conscience, lorsqu'on se propose de faire la sainte communion.
Mais les personnes auxquelles nous pouvons demander conseil ne
connaissent de nos dispositions que ce que nous leur en manifes-
tons extérieurement ; nous seuls pouvons nous rendre compte de
ce qui se passe au plus profond de notre àme, et encore est-il né-
cessaire que nous y regardions avec une attention sérieuse, si nous
ne voulons pas être trop exposés à commettre des erreurs regret-
tables. C'est donc l'examen de la conscience que S. Paul nous
demande avant la communion. On peut appliquer ici ces paroles
du saint homme Job: « Avant que je mange, je soupire; et comme
« les eaux qui débordent, ainsi sont mes rugissements -. » Avant
de manger le pain sacré que Jésus-Christ nous a préparé, nous
aussi nous devons soupirer, et pousser en quelque sorte des rugis-
sements de douleur au souvenir de nos fautes et à la pensée de
notre indignité. Mais comment le ferons-nous si, par un examen
sérieux et attentif de notre conscience, nous ne nous sommes pas
rendu compte de ces fautes qu'il nous faut pleurer et dont, si elles
sont graves, il est nécessaire d'aller chercher le pardon au tribU'
nal delà pénitence?
1. Qui comederit fermentatum, peribit anima ejus de cœtu Israël. [Exod.,
XII, lu.)
:2. Antequam comedam suspiro, et tanquam inundantes aquîe, .sic rugitus
mei. {Job, m, :24.)
726 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
Dans l'Arche d'alliance, on conservait la manne que contenait
un vase d'or, et la verge d'Araon. La manne, c'est la Sainte
Eucharistie ; la verge représente la correction qui doit être infligée
pour les fautes commises. Mais qui peut infliger une juste correc-
tion pour des fautes qu'il ne connaîtrait pas ? Qui peut être sûr
qu'il n'y a pas en lui quelque défaut, quelque faute réclamant
l'usage de la ver^e, c'est-à-dire de la pénitence, et que son cœur
est véritablement un vase d'or, digne de renfermer la manne
céleste, sans un examen attentif et approfondi? « L'honneur du roi
« aime le jugement ^ » dit le Psalmiste, et Dieu tient à l'honneur
de son divin Fils présent dans l'Eucharistie ; instruisons donc
soigneusement notre cause et jugeons-nous nous-mêmes, lorsque
nous voulons communier, sinon Dieu nous jugera et nous savons
ce que disait encore David : « Si vous observez les iniquités,
« Seigneur, Seigneur, qui soutiendra 2 » la rigueur de votre juge-
ment?
IIL Douleur et contrition. — Dieu dit à Adam : « A la sueur
« de votre front vous vous nourrirez de pain. » On connaît le sens
littéral de cette parole qui condamnait l'homme coupable à un
travail pénible, mais en même temps moralisateur, plus que cela,
sanctificateur, s'il savait en user. Mais à côté de ce sens, il en est un
autre. Le pain matériel n'est que l'image du pain immatériel
et céleste, de l'adorable Eucharistie. Ce pain sacré ne doit aussi se
manger que mérité par le travail et les larmes de la pénitence. Si
l'on veut récolter dans la joie le froment des élus, c'est dans les
larmes qu'il en faut premièrement jeter la semence. Gomment d'ail-
leurs prendre place à la table de celui que nous avons offensé, car
tout homme pèche, sans lui témoigner d'abord une douleur sin-
cère de nos offenses envers lui ? Comment manger le pain vivant
descendu du ciel, si nous ne détestons pas la mort et ce qui y
conduit? Gomment ne faire qu'un avec notre Sauveur, si nous
aimons encore, si nous ne haïssons pas les maux auxquels il est
venu nous arracher au prix de tant de travaux, de tant de sang versé,
et de sa mort même? Gelui qui ne déteste pas le péchén'aime pas Jésus
cloué sur la croix par le péché ; celui qui ne regrette pas amèrement
d'avoir causé les souffrances et la mort de Jésus ne peut espérer
4. Honor régis judicium diligit. [Ps. xcviii, 3.)
2. Si iniquitates observaveris, Domine, Domine quis sustinebit? {Ps. cxxix,
8.)
i
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 727
que Jésus viendra en ami dans son cœur, pour s'unir à lui et le
combler de toutes ses grâces. N'espérons pas que des actes pure-
ment extérieurs, fussent-ils excellents en eux-mêmes, pourront
nous rendre dignes d'approcher de la sainte table, si les sentiments
que Dieu attend de nous ne les accompagnent pas. Or David nous
dit quels doivent être ces sentiments : « Le sacrifice que Dieu
« désire est un esprit brisé de douleur : vous ne dédaignerez pas,
« ô Dieu, un cœur contrit et humilié ^ »
Dans la vision rapportée au chapitre neuvième des prophéties
d'Ezéchiel, le Seigneur dit aux six hommes chargés d'exercer les
arrêts de sa justice : « Traversez la cité et frappez ; que votre œil
« n'épargne pas et n'ayez pas de pitié. Le vieillard, le jeune
« homme et la vierge, l'enfant et les femmes, tuez-les jusqu'à ex-
« termination complète : mais ne tuez personne sur qui vous verrez
« le thau; et commencez par mon sanctuaire ~. » Le thau repré-
sente la croix, et la croix c'est la pénitence, la contrition, la dou-
leur sincère des péchés. Dieu veut que l'exécuteur de sa justice
frappe d'abord ceux qui ne seraient pas marqués de ce signe, et
qui cependant seraient dans son sanctuaire, approcheraient de son
autel. Qui donc oserait s'avancer jusqu'à la table sainte, et parti-
ciper au plus redoutable des mystères, s'il ne portait cette marque
de la croix, ce signe de la douleur des péchés et de la contrition
sincère ?
IV. Changement de vie. — On lit dans l'Apocalypse : « Que ce-
« lui qui est juste devienne plus juste encore; que celui qui est
* saint se sanctifie encore ^. » Tous les hommes, quelque avancés
dans la vertu qu'on les suppose, ont donc besoin de travailler
sans cesse à devenir meilleurs ; à plus forte raison ceux dont la
vie est peu chrétienne, ceux qui tombent fréquemment dans des
péchés même graves, doivent-ils s'efforcer de changer de conduite
et d'embrasser une vie plus digne de Dieu, dès qu'ils se proposent
de recevoir la sainte communion.
i. Sacrificium Deo spiritus contribulatus; cor contritum et humiliatum
Deus non despicies. (Ps. L, 48.)
2. Transite per civitatem,.... et percutite; non parcat oculus vester, neque
misereamini. Senem, adolescentulum et virginem, parvulum et mulieres,
interficite usquead internecionem; omnem autem super quem viderilis thau,
ne occidatis. (Ezech., ix, 5, C.)
3. Qui justus est justificetur adhuc; qui sanctus est sanctifîcetur adhuc
(Apoc, XXII, Id.)
728 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II** PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. \VI.
Lorsque le patriarche Jacob se prépara, sur Tordre du Seigneur,
pour ort'rir un sacrifice, en reconnaissance de tous les bienfaits
dont il avait été comblé, il ordonna à tous ceux qui composaient sa
maison de se purifier et de rejeter les faux dieux, pour être dignes
de participer à cette action sainte. « Ils lui donnèrent donc tous les
« dieux étrangers qu'ils avaient, et les pendants qui étaient à leurs
« oreilles, et il les enfouit sous le térébinthe qui est derrière la
et ville de Sichem ^ » Béthel, comme Bethléem, signifie la cité de
pain, et le sacrifice que Jacob allait y offrir était l'image de celui
dans lequel nous offrons à Dieu un pain qui n'est autre que
son divin Fils lui-même. A cause du sacrifice de l'Eucharistie, et
par respect pour lui, il était nécessaire que ceux qui allaient par-
^ticiper au sacrifice offert par Jacob, et manger la chair des vic-
times fussent purs de toute faute grave contre Dieu, et de tout
attachement illicite. Ils rejetèrent donc leurs idoles et les hochets
de la vanité, et Jacob enfouit le tout dans la terre pour que nul ne
pût revenir aux pratiques coupables de sa vie passée. C'était un
changement de vie que le patriarche exigeait d'eux, avant de les
admettre à prendre part au sacrifice figure de l'Eucharistie. Tout
arrivait en figure aux saints patriarches, et Dieu, qui dirigeait
toutes choses, nous apprenait ainsi que quiconque veut avoir part
à son divin sacrifice et se nourrir de la chair de la victime sacrée
doit, avant tout, rejeter toute idole de son cœur, ne préférer ni
n'égaler rien à Dieu dans son estime et son amour, et savoir se
dépouiller pour lui, lorsqu'il le demande, des biens et des vanités
du monde.
Nous trouvons encore dans la Genèse une autre image symbo-
lique du soin qu'il faut avoir de se détacher de ses péchés, de ses
vices et de ses passions, lorsqu'on se prépare à communier.
La famine prédite par Joseph était venue ; les Égyptiens avaient
déjà épuisé toutes leurs provisions particulières et même l'argent
qu'ils pouvaient avoir. Alors ils vinrent demander du pain à
Joseph, et Joseph leur dit : « Amenez-moi vos troupeaux, et pour
« eux je vous donnerai du pain 2. » Ces animaux, ces bêtes sans
1. Jacob vero convocata omni doino sua, ait: abjicite deos alienos qui in
medio vestri sunt, etc.... Dederunt ergo ei omnes deos alienos quos iiabebant,
et inaures quae erant in auribus eorum; et ille infudit ea subter terebinthi-
num quHî est post urbem Sichem. [Gènes., xxxv, % 4.)
2. Adducite pecora vestra, et dabo pro eis vobis panes. {Gènes., xlix, 2i.}
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 729
raison qu'il fallait amener à Joseph et lui livrer, représentaient les
mauvais instincts avec les actes qu'ils inspirent, dont il faut se
défaire si l'on veut recevoir de Jésus-Christ, le véritable Joseph, le
pain de vie qui est descendu du ciel et qui n'est autre que lui-
même.
Pourquoi le peuple d'Israël était-il obligé de sortir du camp
pour recueillir la manne dont Dieu voulut bien le nourrir pendant
quarante ans, sinon pour nous marquer que nous devons sortir de
notre vie habituelle, lorque nous voulons, à notre tour, nous ras-
sasier du pain des anges. « Si nous désirons manger dignement
« ce pain qui est descendu du ciel, cette chair de l'Agneau de
« Dieu, dit Paschase Rathbert, nous devons renoncer à toutes les
« œuvres du péché, et chercher à purifier nos âmes devant Dieu *. »
Pourquoi, aux noces de Cana, notre divin Sauveur, avant de
changer l'eau en vin sur la demande de sa très sainte Mère, atten-
dit-il que la provision que l'on avait faite fût totalement épuisée?
3. Ambroise nous en donne la raison. Jésus-Christ préparait pour
son Église un nouveau sacrifice et un nouveau festin ; or il ne
voulait pas qu'aucun élément des sacrifices anciens et des aliments
figuratifs de la loi judaïque, qui étaient si peu de chose à ses yeux,
demeurât mêlé aux sublimes mystères qu'il allait instituer en
notre faveur. Il aima mieux transformer la nature qu'unir en-
semble des choses si diverses '-.
Il faut donc, lorsqu'on désire communier, selon le conseil de
l'Apôtre, se purifier de l'ancien levain, afin d'être une pâte nou-
velle ; il faut, comme il dit encore, se dépouiller du vieil homme
avec ses œuvres, et revêtir le nouveau, c'est-à-dire Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Il n'y a pas d'accord possible entre Dieu et le démon,
entre les œuvres du Seigneur et celles de Satan. Quiconque veut
revêtir le Christ, ou plutôt se nourrir de sa chair adorable pour
vivre en lui, quiconque veut faire les œuvres de Dieu et travailler
ainsi en vue de la nourriture qui demeui-e pour la vie éternelle,
doit repousser bien loin le démon et ses œuvres. S'il ne renonce
entièrement à ce qu'il y avait de coupable dans sa vie ancienne, il
1. Si volumus panem illum qui de cœlo descendit, et Agni Dei carnes digne
comedere, neccsse est ab oinnijjus peccati operibus vacare.purificationemqiie
mentis apud Deum dirigere. (Paschas., lib. de Cur/jure et sannnini' Domini,)
"2. Non vinuin miscuit sed aqiiain mulavit in vinuin, ne quid in sacro con-
vivio viiitatis Judaïca; résiderai; maluit naluram vertere, quain adulterare
substantiam. (S. Ambros., in cap. i Isa.)
730 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
ne peut pas vivre de la vie de Jésus-Christ, et la Sainte Eucharistie,
pain de vie pour les âmes bien disposées, sera pour lui un pain
de condamnation et de mort.
V. Grâce de Dieu. — Il est dit au commencement de l'histoire
de l'humanité, dans la Bible, que Dieu accepta en odeur de suavité
les sacrifices d'Abel, mais qu'il dédaigna ceux de Gain. Sans
doute cette conduite de Dieu, si différente entre les deux frères,
avait sa cause dans leurs dispositions intérieures. Abel était
simple, confiant et bon ; il était pieux, tandis que Gain prouva
bientôt que son âme était en proie à la jalousie et à l'envie, pous-
sées jusqu'à faire de lui le meurtrier de son frère. Des sacrifices
offerts avec des dispositions intérieures si coupables ne pouvaient
pas être agréables au Seigneur. S'il avait vaincu et dominé ses
passions. Dieu lui aurait su gré de ses luttes, et aurait accepté
ses sacrifices.
Lorsque Abraham revint de son expédition victorieuse contre les
cinq rois, qui avaient ravagé Sodome et emmené Loth prisonnier,
Melchisédech offrit au Seigneur le pain et le vin figures de l'Eu-
charistie, et sans doute, quoique la Sainte Écriture ne le dise
point, Abraham participa à cette oblation, en goûtant à cette
offrande, comme il se faisait pour la plupart des sacrifices. Or ce
ne fut qu'après la victoire remportée par le saint patriarche qu'il
lui fut donné de participer en figure à l'oblation de la Sainte Eu-
charistie. Avant cette faveur, il lui fallait d'abord triompher des
ennemis qu'il avait à combattre. Et quand ce saint patriarche
offrit l'hospitalité aux anges du Seigneur, pourquoi voulut-il leur
laver les pieds avant de leur servir le pain, autre figure du Très
Saint Sacrement, sinon parce qu'il faut une grande pureté pour y
participer?
Moïse fut averti par le Seigneur de n'approcher du buisson
ardent qu'après avoir ôté sa chaussure ; on sait avec quelle rigueur
la plus grande pureté corporelle était exigée de ceux qui rem-
plissaient quelque fonction du culte dans la loi ancienne : il fallait
être pur pour porter les vases du Seigneur : Mundamini qui
fertis vasa Domini K
Dans la parabole des vierges sages et des vierges folles, pour-
quoi l'Époux dit-il à ces dernières, qui voulaient entrer pour avoir
i. Isa., LU, H,
PBÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l' AVOIR FAITE. 731
part au festin : « Je ne vous connais pas : » Nescio vos /* Unique-
ment parce qu'elles n'avaient pas d'huile dans leurs lampes, lors-
que le cortège nuptial arriva. L'huile est le symbole de la grâce.
Sans la grâce on ne saurait prendre part au banquet divin ; et si
l'on voulait quand même manger le pain du Seigneur, ce ne serait
pas un pain de vie, mais la mort et le jugement que l'on man-
gerait.
Pour la dernière cène, pendant laquelle il voulut instituer l'ado-
rable sacrement de son amour, notre divin Sauveur fit à ses dis-
ciples des recommandations toutes particulières. Il voulut que
l'appartement dans lequel cette merveilleuse invention de l'amour
de Dieu allait se réaliser fût grand et bien meublé : la première
salle venue ne suffisait pas, mais il en fallait une que Jésus-Christ
lui-même avait choisie et que les disciples reconnaîtraient à la
marque qu'il leur donnait. C'est ainsi que pour communier, il
faut un cœur large, bien préparé, que ne dépare aucune souillure,
mais que des meubles convenables, c'est-à-dire des vertus, rendent
agréable aux regards du Seigneur. Par la sainte communion, il vit
en celui qui le reçoit : y vivrait-il? y pourrait-il demeurer même
un instant, si le cœur dans lequel il serait reçu était souillé par le
péché et habité par le démon son ennemi?
Pour en revenir une fois encore aux paroles de l'Apôtre : « Que
•M l'homme donc s'éprouve lui-même et qu'il mange ainsi de ce
« pain et boive de ce calice. »
S'éprouver, dit S. Grégoire, c'est ici, selon la pensée de l'Apôtre,
montrer que l'on est digne de participer à la cène du Seigneur,
parce qu'on s'est entièrement délivré de l'iniquité du péché '. »
VI. Fidélité aux commandements de Dieu. — On lit dans
l'Exode : « Moïse, lorsqu'il descendit de la montagne du Sinaï,
€ portait les deux tables du Testament -. » D'après Tertullien,
Moïse représente en cette circonstance ceux qui s'approchent pour
recevoir la sainte communion 3. Us doivent, comme lui, porter
dans les mains les deux tables de la loi, c'est-à-dire accomplir
exactement les œuvres qu'elles imposent. Dieu n'admet à sa
\. Quid enim est hoc se probare, nisi evacuata peccatorum nequitia, se
probatum ad dominicain cœnam exhibere? (S. Gregor., in /. Heg.)
2. Cum descenderel Moyses de monte Siiiai, tenebat duas tabellas testimonii.
(Exod., XXXIV, 11>.)
3. Tertull., c/eyf;unio, cap. vi.
732 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11= PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
table que des serviteurs fidèles, et la fidélité se prouve prin-
cipalement par les œuvres, sans lesquelles les paroles sont peu de
chose. C'est par nos œuvres que nous sommes justes et ce sont
les justes que Dieu appelle au festin sacré qu'il nous a préparé,
selon cette parole de David : « Que les justes prennent part à des
« festins i. » La pensée du prophète s'élève plus haut qu'à des
festins matériels ; ce n'est pas à de tels plaisirs qu'il invite les
justes, car d'autres qu'eux s'y livrent chaque jour; mais il est un
banquet auquel les justes seuls sont appelés à prendre part : c'est
le banquet eucharistique. Nul n'a le droit de s'y asseoir s'il n'est
pas juste, s'il ne porte pas dans ses mains les tables de la loi,
comme Moïse descendant du Sinaï, c'est-à-dire s'il ne garde pas
fidèlement les préceptes du Seigneur.
La Sainte Eucharistie est, en eflet, le Pain des anges ; c'est le
nom que l'Écriture lui donne en l'annonçant sous la figure de la
manne : « L'homme a mangé le pain des anges 2, » dit David; et
ailleurs ; « Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, puissants
« en force, accomplissant sa parole pour obéir à la voix de ses or-
« donnances ; bénissez le Seigneur, vous toutes ses armées cé-
« lestes, vous ses ministres qui faites sa volonté ". » Qui oserait
manger le pain des anges, s'il ne leur ressemblait pas, parce
point du moins où il est ordonné et facile à tous de leur ressem-
bler, la fidélité à la loi de Dieu ?
C'est le Fils de Dieu qui nous a donné la loi à laquelle nous
sommes tenus d'obéir. Il est notre législateur ; et il est en même
temps le Dieu qui se donne à nous dans l'Eucharistie. Le divin Lé-
gislateur ne saurait accorder la faveur infinie de s'unir à eux par le
sacrement de son amour, à ceux qui mépriseraient les lois qu'il
leur a imposées. Il ne veut accorder ce bienfait, cette bénédiction
suprême qu'à ceux qui s'efforcent d'en être dignes. A ceux-là
seulement, « le Législateur donnera sa bénédiction, et ils iront
« de vertu en vertu 4. »
VII. Ferme propos de ne plus pécher à l'avenir. — Le Sei-
1. Justi epulentur. {Ps. lxvii, i.)
"■2. Pancm angeloruni rnanducavit homo. {J*s. lxxvii, 2.').)
;{. Benedicile Domino omnes angeli ejus; potentes virtute, facientes ver-
liuin illius, ad audiendam vocem sermonum ejus. Benedicile Domino omnes
virtutes ejus, qui facilis voluntatem ejus. {Ps. eu, 20, 21.)
i. Ktenim benediclionem dabit iegislator. Ibunt de virtute in virtutem»
Ps. LXXXIII, 8.) . .
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVQIR FAITE. 733
gneur voulut que les Israélites captifs en Egypte n'immolassent
l'agneau pascal que lorsque l'heure de leur affranchissement fut
venue. Ils le mangèrent debout, les reins ceints, les chaussures
aux pieds et le bâton à la main, comme des voyageurs qui quittent
un pays pour n'y plus revenir. Dieu ne voulait pas qu'une fois
sortis de l'Egypte ils y revinssent jamais. C'est ainsi qu'après
avoir mangé le divin Agneau qui se donne à nous dans l'Eucha-
ristie, nous ne devons jamais retourner dans la terre du péché
et de l'esclavage. Libres de la liberté des enfants de Dieu, il nous
est interdit de courber de nouveau nos épaules sous le joug du
démon. Il nous faut marcher d'un pas ferme dans le chemin de la
terre promise, qui est le chemin de la justice; il nous faut courir,
dans la voie des commandements de Dieu, et profiter de ce que
nos cœurs sont dilatés par la présence de Jésus.
Lorsque Joseph d'Arimathie eut enseveli le corps du Sauveur
et l'eut placé dans le sépulcre, il roula à l'entrée une grosse pierre,
pour le fermer complètement. N'est-ce pas la coutume de fermer
les tombeaux, et pourquoi l'Évangile rapporte-t-il une circons-
tance que personne n'eût mise en doute, même s'il n'en avait
point parlé ? Entre autres raisons il y a celle-ci, que le sépulcre du
Seigneur représente le cœur dans lequel il est descendu par la
sainte communion. Ce cœur doit être fermé, pour conserver pré-
cieusement son trésor ; il doit être fermé, pour que rien ne s'y
introduise qui puisse conlrister le Seigneur, ou même l'obliger
d'en sortir.
VIII. Foi solide et éclairée. — L'auteur du livre des Proverbes
nous donne ce conseil qu'il convient de mettre en pratique, lors-
qu'on s'approche de la sainte communion : « Quand vous serez
« assis pour manger avec un prince, considérez attentivement
« ce qui est servi devant vous '. » Jésus-Ciirist est le Roi des rois et
le Seigneur des seigneurs ; il n'est pas de prince sur la terre dont
la grandeur ne s'évanouisse comme un peu de fumée, en présence
de sa grandeur; or, c'est lui qui nous invite à son banquet sacré.
Quelle attention ne devons-nous donc pas apporter, pour suivre l'a-
vertissement de l'auteur inspiré, à considérer les mets mystérieux
qu'on nous sert à sa table? Rappelons-nous bien ce que la foi nous
enseigne, et ne faisons pas au Fils de Dieu l'injure de manger le
1. Quando sederis, ut comedas cuin principe, diligenler attende quai appo-
sita sunt. [Prov., xxiii, 1.)
734 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
pain qu'il nous donne, avec indifférence, de sembler ignorer que
ce pain n'est pas autre chose que sa chair adorable, ou plutôt, que
tout lui-même, qui se voile sous de telles apparences pour se don-
ner à nous. Il faut considérer ce que renferme la Sainte Eucharis-
tie; il faut le méditer, il faut, par la méditation et, s'il est néces-
saire, par une étude approfondie, apprendre à le connaître de plus
en plus. Jésus-Christ lui-même se fera, d'ailleurs, notre lumière
si nous voulons le mieux connaître, pour le mieux recevoir et l'ai-
mer davantage. Quelle faute si, par négligence, indifférence ou
mauvaise volonté, nous ne savions que très vaguement qui est
celui qui se donne à nous dans l'Eucharistie, et pourquoi il se
donne; et quelle perte pour nous qui ne profiterions pas comme
nous devrions le faire d'un si grand sacrement, dont nous igno-
rerions la valeur infinie !
Lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, après sa résurrection, se
présenta aux deux disciples qui se rendaient à Emmaûs, il aurait
pu leur reprocher leur peu de persévérance et la lâcheté avec la-
quelle ils l'avaient abandonné, le soir même où ils venaient de lui
jurer fidélité jusqu'à la mort. Mais non : il ne leur parle ni de leur
inconstance ni de leur peu d'amour, mais c'est le manque de foi
qu'il leur reproche en disant : « 0 insensés et lents de cœur à
« croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! » Pourquoi ce reproche
plutôt que plusieurs autres qu'ils méritaient tout aussi bien ? Parce
que, disent plusieurs auteurs, il allait rompre devant eux le pain
eucharistique et qu'il voulait raviver leur foi, avant de les faire
participer au mystère de foi par excellence, et de les exhorter à
la pratique des autres vertus ^
Rupert fait remarquer que le prêtre, lorsqu'il dit le Communi-
cantes dans la célébration du saint sacrifice, et qu'il nomme un
certain nombre de bienheureux dont il vénère particulièrement
la mémoire, montre par là que la foi avec laquelle il immole et
mange l'Agneau de Dieu est la même que celle des saints qu'il
nomme: la foi avec laquelle Marie l'a conçu et enfanté, la foi que
les saints apôtres ont prêchée, la foi pour laquelle les martyrs ont
souffert 2.
1. Quia post parvum interstilium, Eucharisticum panem facturus, coram
eis, prius eos debuit ad fidem allicere quam aliarum virtutum exercitium
excitare. (Anton, de Escobar., bIMendosa, inEvang., t. II, lib. VIII.)
2. Dicimus : Communicantes et memoriam vénérantes in primis gloriosae
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS L'aVOIR FAITE. 735
IX. Une espérance ferme. — Pourrait-on ne pas tout espérer
de Dieu, avec la confiance la plus entière, lorsqu'on reçoit dans son
cœur, par la sainte communion, le Fils même de Dieu incarné
par amour pour nous? L'Apôtre nous dit : « Dieu qui n'a pas
« épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, com-
♦ ment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ^ ? » Si
Dieu nous a donné toutes choses par l'incarnation et la mort de
son divin Fils, ne nous les donne-t-il pas, à plus forte raison,
lorsque ce divin Fils descend en nous par la sainte communion
et nous livre, comme un bien qui devient nôtre, son corps, son
sang, son âme et sa divinité ? Si les paroles de l'Apôtre ne nous
suffisent pas, rappelons-nous celles du Seigneur lui-même, nous
révélant les effets de son adorable sacrement. II disait autrefois à
ses disciples et aux Juifs qui l'entouraient : « Je suis le pain vivant
« qui suis descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il
« vivra éternellement ~. » Et il disait encore : « Celui qui croit en
« moi a la vie éternelle ^. » Croire, ce n'est pas seulement ajouter
foi, mais aussi donner sa confiance. Et qui n'aurait pas une con-
fiance entière en ce Dieu qui est la bonté même? Qui pourrait ne
pas se fier, sans arrière-pensée, à sa divine parole et ne pas atten-
dre, avec la plus ferme espérance, l'effet de ses promesses? Il est le
Verbe de Dieu, la Vérité éternelle et par essence ; il ne peut donc
pas nous tromper. S'approcher de lui, le recevoir par la sainte
communion sans y apporter cette espérance ferme, cette confiance
absolue, serait donc lui faire outrage. De même que nous croyons
à sa présence au Très Saint Sacrement, nous devons croire aussi
qu'il y est pour nous sauver, et qu'il nous sauvera infailliblement
à moins que, par notre malice, nous ne mettions volontairement
obstacle aux desseins de sa miséricorde.
X. Une véritable charité. — Avant de confier à Pierre la garde
de ses agneaux et de ses brebis, Jésus lui demanda jusqu'à trois
semper Virginis, Genitricis Dei, sed et beatorum Apostolorum et MartjTum
tuorum, etc.; quod idem est, ac si dicamus, in eadem fide nos immolare et
comedere Agnum Dei, in qua Virgo concepit, et peperit, quam Apostoli sancti
praedicaverunt, pro qua beati Martyres passi sunt. (Rupert. abb., in Exod.,
XII.)
1. Qui etiamproprio l'ilio suo non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit
illum : quomodo, non etiain cum ilio, omnia nobis donavit? [Rom., viii, 3"2.)
2. Ego sum panis vitœ qui de cœlo descendi. Si quis manducaverit ex hoc
pane vivet in aeternum. [Joann.^ vi, 51, 132.)
3. Qui crédit in me habet vitam seternam. {Id., M.)
736 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II** PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
fois s'il l'aimait véritablement : « Simon, filsde Jean, m'aimes-tu?
« M'aimes-tu plus que ceux-ci?» Exigera-t-il moins d'être aimé
lorsqu'il s'agit, non plus de ses brebis, mais de son adorable per-
sonne? On ne devait manger l'agneau pascal que rôti devant un
feu ardent. Ce feu était le symbole de la charité brûlante qui doit
préparer nos cœurs, lorsque nous nous proposons de manger le
divin Agneau. Lui-même a été mis, par les ardeurs infinies de son-
amour, dans l'état qui lui permet de se donner à nous comme
notre nourriture. Mais nous devenons en quelque manière sa nour-
riture à lui-même, lorsqu'il se fait la nôtre; c'est nous qui somme»
changés en lui et non pas lui en nous ; s'il demeure en nous par
la sainte communion, à notre tour nous demeurons en lui. L'ali-
ment que nous lui offrons ne doit donc pas être cru ; il faut que nous
soyons tout pénétrés des ardeurs de son divin amour. Ici revient
encore la parole de Salomon au livre des Proverbes : « Quand vous
« serez assis pour manger avec le prince, considérez attentivement
« ce qui est servi devant vous. » La traduction des Septante ajoute :
« Parce qu'il vous faudra préparer des mets semblables ^ » C'est
un Dieu brûlant pour nous du plus ardent amour qui se donne à
nous pour être notre aliment : nous ne devons nous approcher
de lui et nous donner à lui qu'avec un cœur brûlant aussi de
charité.
Dans la parabole du festin des noces '^ qu'un roi fit à son fils,
nous voyons avec quelle rigueur furent punis ceux qui négligèrent
de se rendre à l'invitation que le roi leur avait faite, car l'invita-
tion d'un roi est un ordre et doit être considérée comme telle,
surtout si ce roi est Dieu lui-même. Mais ceux mêmes qui se ren-
dirent au festin n'y furent bien reçus qu'à la condition d'être re-
vêtus de la robe nuptiale. Or, de l'avis de tous les interprètes, cette
robe nuptiale est le symbole de la chanté sans laquelle on ne sau-
rait être en grâce avec Dieu 3. On sait ce qui arriva à l'invité
qui n'avait pas rempli cette condition : le roi lui dit : « Mon ami,
« comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale? et ce-
« lui-ci resta muet. Alors le roi dit à ses serviteurs : Liez-lui les
1. Quando sederis, ut comedas cum principe, diligenter attende quae appo-
sita sunt, quia et te oportet talia prseparare. {Prov., xxiii, 4.)
2. Matth., XXII, 1-14.
3. Vidit hominem non habentem vestem nuptialem, id est charitatem.
(S. TiiOM., opusc. LVII, de Ven. Sacr. Altar.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 737
« pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là il
« y aura des pleurs et des grincements de dents K »
XI. .Simplicité et innocence. — Lorsque Dieu ordonna aux
Israélites d'immoler l'agneau pascal, gage de leur délivrance de
la servitude, pourquoi choisit-il un agneau de préférence à toute
autre victime? C'est que l'agneau, par sa simplicité et son innocence,
figurait admirablement la victime divine, qui devait être immolée
un jour pour la délivrance de l'humanité entière, gémissant sous
le joug du démon et dans l'esclavage du péché, joug et esclavage
mille fois plus cruels et plus dégradants que ceux de l'Egypte.
Les qualités de la victime qui s'est immolée pour nous de-
mandent en nous des qualités semblables, si nous voulons être
nourris de sa chair. Pour participer à la nouvelle pàque qui est le
Christ immolé pour notre salut, il faut donc la simplicité de
l'agneau et son innocence. Aussi, dans une de ses homélies,
S. Chrysostome disait-il à son peuple : « Vous qui êtes rassemblés
« pour prendre part au festin de ce jour, présentez-vous aux divins
« mystères avec des cœurs sincères; qu'il n'y ait aucune duplicité
« dans votre âme, qu'aucune souillure de passion mauvaise ne vous
« salisse intérieurement. Que l'Agneau que vous aurez mangé
« témoigne que vous avez l'innocence de l'agneau. Il ne faut pas
« que les membres immaculés de la brebis soient engloutis dans
« les entrailles d'un loup 2. »
Le saint roi David invitait les Israélites à offrir au Seigneur des
sacrifices qui lui fussent agréables et il leur disait : « Apportez au
« Seigneur, enfants de Dieu, apportez au Seigneur des petits de
« béliers ^. » Pourquoi « des petits de béliers, » c'est-à-dire des
agneaux, sinon à cause de leur simplicité, de leur innocence? Et
n'est-ce pas pour la même raison que le Fils de Dieu, en se livrant
pour être immolé à la gloire et à la justice de son Père céleste, a
pris ce môme nom d'Agneau? Pourquoi S. Jean-Baptiste aurait-il
dit de lui : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du
« monde 's » s'il n'avait pas été la victime simple et innocente,
1. Malt h., x.xii, l'i, 13.
2. Ad hodiernuin convivium qui convenitis, sincera quaeso viscera divinis
exhibete mysteriis. Nulla sit in mente duplicitas, nec livoris lihidine interior
homo fuscetur. Agniis comesus Agni innocentiamprieferat, nec inimaculata ovis
membra.lupina Iransfundat in viscera. (S. Curysost., hoin. I tie Pdss. ad jwpul.)
3. AlVerte, filii Dei, aflerte Domino filiosarietum. {Ps. xxviii, 1.)
A. Ecce Agnus Dei, ecce qui lollit peccalum mundi. [Joann., i, 29.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 47
738 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
seule capable, à cause de son innocence même, de satisfaire à la
justice de Dieu ? Ce divin Agneau veut bien se faire notre nourri-
ture, mais à la condition que nous ne serons pas des loups rapaces
éternels ; à la condition que nous serons nous-mêmes des agneaux,
acceptant simplement ce qu'il nous donne; croyant, sur sa parole,
qu'un peu de pain est devenu sa chair, qu'un peu de vin est
devenu son sang; mangeant l'aliment divin qu'il nous donne
sous une forme qui, extérieurement, ne rappelle en rien la forme
de la chair et du sang, car le prendre avec de telles apparences
serait en contradiction avec l'innocence, la douceur, la simplicité
naturelles de l'agneau qu'il est et que nous devons être à son
exemple.
Notre-Seigneur Jésus-Christ disait, pendant sa vie mortelle :
« Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en empêchez
« point, carie royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent i.»
Il disait encore: « Si vous ne devenez pas comme les petits enfants,
« vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux -. » En quoi notre
divin Sauveur veut-il que nous ressemblions aux petits enfants?
Évidemment ce n'est pas par la faiblesse, l'ignorance et les autres
défauts naturels inhérents à leur condition, mais par la candeur, la
simplicité, l'innocence, tout ce qui fait le charme du premier âge.
Si nous possédons ces qualités, nous serons dignes du royaume de
Dieu, dignes de posséder Dieu lui-même, et, par conséquent, de le
recevoir dans la sainte communion. Mais si nous ne devenons pas
simples, droits, innocents et purs, nous n'entrerons pas dans le
royaume de Dieu ni le royaume de Dieu n'entrera pas en nous.
Jésus-Christ, le souverain roi du ciel et de la terre, se détournera
avec horreur ; il ne viendra pas habiter des cœurs qui n'auront
rien de commun avec la simplicité et l'innocence.
XII. Humilité. — Pourquoi Dieu ordonne-t-il à Moïse d'ôter sa
chaussure avant d'approcher du buisson ardent? Ne suffisait-il pas
qu'il se fût lavé les mains et la face? — Non, ce n'était pas assez,
car il ne suffit pas pour approcher de Dieu qui se tient au milieu
de nous dans la Sainte Eucharistie, dont le buisson ardent était
l'image, de n'être souillé d'aucune tache. Il faut l'humilité, et c'est
1. Sinite parvulos venire ad me, et ne prohibueritis eos : talium est enim
regnum Dei. {Marc, x, 14.)
2. Nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in regno cœlorum. [Matlh.,
xviii, 3.)
4
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 739
elle que Dieu nous demande par ce rite figuratif qu'il impose à
Moïse. S'approcher de quelqu'un les pieds nus fut toujours consi-
déré comme la marque d'une humilité profonde, d'une soumission
absolue. Dieu exigea de Moïse cet acte d'humilité, pour nous faire
comprendre que, si nous voulons nous approcher de lui, nous
devons le faire humblement, et rejeter loin de nous tout ce qui se
rattacherait à l'orgueil.
David nous dit que «les pauvres mangeront et seront rassasiés '. »
Il parle du véritable pain du ciel figuré par la manne. Les pauvres
qui mangeront ce pain sont les humbles ; cet aliment divin les
rassasiera, les nourrira véritablement. Ceux qui possèdent en
abondance les biens de la terre pourront être rassasiés aussi, mais
à la condition d'être petits, humbles, dénués de mérites et de
vertus à leurs propres yeux. Salomon fait dire à la Sagesse divine,
au livre des Proverbes : « Si quelqu'un est petit, qu'il vienne à
a moi. » Ce n'est pas encore assez de reconnaître sa petitesse selon
le monde ; il faut avouer que, même pour les plus nobles facultés
de l'àme, on est bien peu de chose, car Salomon ajoute: « Et à des
« insensés elle a dit : Venez, mangez mon pain et buvez le vin
« que je vous ai mêlé ~. » Elle appelle donc à son festin les humbles
véritables, ceux qui, parce qu'ils se connaissent bien et ont cons-
cience de leur faiblesse naturelle, ne sont rien à leurs propres yeux
et mettent toute leur confiance dans la miséricorde du Seigneur.
Le centurion dont parle l'Évangile montrait cette véritable hu-
milité, lorsqu'il disait à Jésus: « Seigneur, je ne suis pas digne que
« vous entriez sous mon toit ^. » Et S. Augustin fait cette remarque :
<r En se disant indigne, il se rendit digne ^. »
Lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ fit le miracle de la multi-
plication des pains, avant de distribuer à la foule, par la main de
ses apôtres, cette nourriture miraculeuse symbole de l'Eucharistie,
il voulut que tout le monde fût assis sur l'herbe, car l'herbe, que
chacun foule aux pieds et qui passe avec rapidité, représente l'hu-
milité nécessaire pour manger le pain rempli de mystères qui est
la Sainte Eucharistie.
1. Edent paupereset saturabunlur. {Ps. xxi, 27.)
2. Si quis est parvuhis, veniat ad me. Et insipientibus locuta est : Venite.
comedite panem meum, et bibite vinum quod miscui vobis. {Prov., ix, -4, 5.)
3. Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum. {Malth., viii, 8.)
i. Dicendo se indignum, praestitit se dignum. (S. August., ibid.)
740 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
Si donc nous voulons communier dignement, rejetons loin de
nous, selon le conseil de l'Apôtre, le vieux ferment de l'orgueil, et
soyons humbles comme le fut notre divin modèle que nous voulons
recevoir, Jésus doux et humble de cœur.
XIII. La chasteté. — Un jour que David fuyait la colère de Saûl,
il s'arrêta à Nobé où était alors l'arche d'alliance, et demanda du
pain au grand prêtre Achimélcch, pour lui-même et pour les
jeunes gens qui l'accompagnaient. Achimélech n'avait alors à sa
disposition que les pains retirés de la table de proposition, consa-
crés à Dieu par conséquent, et auxquels il n'était régulièrement
permis de toucher qu'aux prêtres et aux lévites. Cependant il les
donna à David lorsque celui-ci lui eut assuré que ses compagnons
n'avaient pas eu l'occasion de violer la sainte chasteté depuis plu-
sieurs jours. Les pains de proposition n'étaient qu'une lointaine
image de l'Eucharistie; cependant pour y toucher, même en cas de
nécessité, il fallait au moins la chasteté corporelle, sinon celle de
l'âme. Lorsqu'il s'agit non plus de la figure, mais de la réalité, lors-
qu'on veut manger le pain descendu du ciel, pain vivant qui donne
l'éternelle béatitude, la chasteté corporelle ne suffit plus, il faut
celle de 1 ame ; il faut que les pensées, les affections du cœur, les
désirs soient assez purs pour ne pas constrister le bien-aimé qui
se repaît au milieu des lis. On ne peut pas manger dignement le
pain des anges si l'on ne s'efforce pas d'imiter, autant qu'il est
possible à la nature humaine, la chasteté des anges.
XIV. L'obéissance aux supérieurs. — La manne dont Dieu
nourrit les Israélites dans le désert devait être consommée le jour
même où elle était recueillie et Moïse, par ordre de Dieu, avait
défendu d'en réserver pour le lendemain, excepté la veille du
sabbat. Ceux qui contrevenaient à cet ordre voyaient ce qu'ils
avaient mis en réserve se corrompre et se remplir de vers. La dé-
sobéissance leur rendait inutile ce don précieux du Seigneur ^.
On peut en dire autant de la Très Sainte Eucharistie. Refuser,
pour la recevoir, de se soumettre pleinement aux directions de
l'Eglise et des supérieurs spirituels ; vouloir agir, en une chose si
importante, de son propre chef, sans écouter un sage directeur,
c'est perdre le fruit de ses communions, c'est changer en un acte
nuisible un acte saint et fructueux entre tous. La désobéissance
i. Exod., xvi, \\), 20.
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 741
y mêle des éléments de corruption et le démon profite, pour tra-
vailler à la perte du désobéissant, du moyen le plus efficace que
Dieu ait préparé pour aider au salut de l'homme. C'est que, selon
la parole du prophète Samuel au roi Saiil : a L'obéissance est meil-
« leure que des victimes, » Jésus-Christ s'est fait obéissant jusqu'à
la mort et à la mort de la croix ; Jésus-Christ, dans l'Eucharistie,
donne à chaque instant des exemples de l'obéissance la plus
absolue au prêtre dont la parole le fait descendre du ciel, dont les
mains le touchent, le portent, le distribuent aux fidèles, sans qu'il
réclame jamais ; pourrait-il voir sans peine qu'on s'approchât de
lui et qu'on le reçût par la sainte communion, sans apporter à cet
acte sacré la vertu d'obéissance qui lui est si chère?
XV. La charité et la paix fraternelle. — Dans le sermon sur
la montagne, Notre-Seigneur Jésus -Christ prononça ces paroles :
« Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la
«c terre ^. » Ne semble-t-il pas que la possession de la terre soit plu-
tôt le lot dévolu aux violents et aux forts ? La guerre, la ruse,
l'injustice, réussissent souvent à ceux qui veulent à tout prix être
riches et puissants ici-bas. La douceur peut gagner les cœurs,
lorsqu'elle n'encourage pas les méchants à se montrer plus mé-
chants encore, mais il est rare qu'elle conduise à posséder la terre,
dans le sens où l'entend le monde. Cependant les apôtres envoyés
par leur divin Maître à la conquête de l'univers, comme quelques
faibles brebis perdues au milieu de loups affamés, ont achevé cette
conquête à force de verser leur propre sang et de se montrer doux
à l'exemple de Jésus. C'est que Jésus était avec eux, qu'il combat-
tait pour eux et que, d'avance, le monde était vaincu par lui.
S. Jérôme donne une autre explication de ce texte qu'il rapporte
à la Très Sainte Eucharistie. La terre que posséderont ceux qui
sont doux est le corps adorable du Sauveur. Il est appelé terre
parce qu'il est, par sa nature, sorti de la terre comme le corps de
tous les autres hommes. Il descend comme nous d'Adam que Dieu
forma d'un peu de limon. C'est donc le corps de Notre-Seigneur
que posséderont ceux qui sont doux; ils auront sur lui un droit
particulier, il leur appartiendra plus qu'à tous les autres hommes,
parce qu'ils mettent parfaitement en pratique cette leçon que Jésus
nous a faite : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de
\. Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram. [Matth., v, 4.)
742 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE II. — CUAP. \VI.
« cœur 1. » C'est dans les cœurs véritablement doux que le Fils
de Dieu se plaît à habiter K
Aussi la Sainte Écriture est-elle remplie de passages qui nous
recommandent la vertu de douceur et nous invitent à garder la
paix avec nos frères. Nous lisons dans S. Matthieu : «Si vous pré-
* sentez votre offrande à l'autel, et que là, vous vous souveniez
<f que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don
« devant l'autel, et allez d'abord vous réconcilier avec votre frère,
« et alors revenant, vous offrirez votre don ^. » Jésus-Christ ne veut
pas que l'on approche de son autel, même pour lui présenter des
offrandes, si l'on n'est pas en paix avec ses frères, si l'on ne pos-
sède pas la charité dans son cœur. Comment pourrait-il agréer
qu'on le reçoive lui-même, qu'on l'oblige à descendre dans ce cœur
où n'habitent pas la douceur et la paix ?
A l'occasion de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem,
S. Matthieu disait, après Isaïe et Zacharie : « Dites à la fille de
« Sion : Voici que votre roi vient à vous plein de douceur ^ » La
fille de Sion, c'est l'àmevers laquelle Jésus, le divin Roi, vient, afin
de se donner à elle par la sainte communion. Il y vient plein de
mansuétude : comment entrerait-il triomphalement dans cette
âme, si elle n'était pas douce, humble et pacifique comme lui?
Celui qui mange la chair de Jésus doit vivre en Jésus comme
Jésus vit en lui. Il doit n'avoir pas d'autres sentiments que ceux
de son hôte divin, par conséquent aimer la paix, être bon et doux
envers tous. Il est vrai que ce môme Jésus, si bon pour ceux qui
ont recours à lui, est terrible pour les méchants obstinés, et qu'il
sera pour eux un juge inexorable au jour de leur mort. Mais nous
ne connaissons pas comme lui le fond des cœurs, et surtout nous
n'avons pas comme lui à juger et à condamner les méchants. Ce
n'est pas sa rigueur, mais sa douceur et sa mansuétude qu'il veut
rencontrer dans nos cœurs, lorsqu'il daigne y venir habiter.
1. Discite a me quia mitis sum et humilis corde. [Matth., xi, 29.)
2. Haereditatem terrse Dominiis pollicetur, id est corporis habitaculum, quia
per mansuetudinem mentis nostrae habitat in nobis Christus. (S. IIieronymus,
apud Caten. Aur. S. Thom.)
3. Si ergo ofîers munus tuum ad altare, et ibi recordatus fueris quia frater
tuus habet aliquid adversum te : relinque ibi munus tuum ante altare et vade
prias reconciliari fratri tuo. Et tune veniens offeres munus tuum. {Matth.,
V, 23, 24.)
4. Dicite filiae Sion : Ecce Rex tuus venit tibi mansuetus. {Matth., xxi, 5.)
PRÉPARATION A LA COMMDN'ION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 743
XVI. La pratique des bonnes œuvres. — L'homme ne doit
manger le pain naturel qui nourrit son corps, que s'il l'a gagné,
à la sueur de son front, par son travail et ses œuvres. Sous la lettre
de cette sentence prononcée par le Seigneur, à l'origine de l'hu-
manité, se cache un sens mystérieux. Le pain de l'àme, lui aussi,
le pain qui n'est autre que le corps adorable de Jésus ne sera
mangé dignement que si on l'a gagné à la sueur de son front,
c'est-à-dire par la pratique des bonnes œuvres, des actes de vertu.
Lorsque Dieu donna la manne aux Israélites dans le désert, il
voulut que chacun se hâtât dès le matin, avant le lever du soleil,
de recueillir la part qui lui en revenait. Ceux qui n'accomplissaient
pas ce travail avec diligence étaient privés du pain miraculeux
qui se fondait aux premiers rayons du soleil. La Sainte Eucha-
ristie, que figurait la manne, ne sera pour nous une véritable
nourriture que si nous travaillons à le mériter par nos œuvres.
Le jour du sabbat était le seul où l'on se nourrit de la manne re-
cueillie et préparée dès la veille, parce que le sabbat était le sym-
bole de la bienheureuse éternité. Alors nous ne travaillerons plus,
mais nous jouirons pleinement de Dieu. Nous mangerons le pain
des anges qui nous sera préparé par les œuvres que nous aurons
faites pendant notre vie mortelle, qui est la vigile de ce sabbat
bienheureux.
Le Psalmiste disait : « Parce que vous mangerez du fruit de vos
« travaux, vous êtes bienheureux, et toiit vous réussira '. » La
Sainte Eucharistie, lorsque nous la mangeons, doit être le fruit de
nos travaux; à ce prix seul elle nous procurera le bonheur véri-
table et les bénédictions de Dieu. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne
nous a-t-il pas dit: « Travaillez, non pas en vue de la nourriture
« qui périt, mais de celle qui demeure pour la vie éternelle, et
cr que le Fils de l'homme vous donnera -. » Cette nourriture qu'il
nous promettait, c'était lui-même, voilé sous les espèces du pain et
du vin. C'est en vue de ce pain vivant, de ce vin qui fait germer
les vierges, que nous devons travailler. Mais quels travaux accom-
plir, sinon des œuvres bonnes et en rapport avec la sainteté de
cet aliment divin? Aux noces de Cana, lorsque Jésus était sur le
\ . Labores manuum tuarum quia manducabis, beatus es et bene tibi erit.
[Ps. cxxvii, 2.)
2. Operamini non cibum qui périt, sed qui permanet in vitam aeternam.
{Joann., vi, 27.)
744 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
point de changer l'eau en vin, et de préluder ainsi au changement
du vin en son sang, sa bienheureuse Mère dit aux serviteurs :
ff Faites tout ce qu'il vous dira '. » Ne semble-t-il pas qu'elle nous
adresse les mêmes paroles, lorsqu'il va nous donner sa chair à
manger et son sang à boire?
X\"II. Le jeune naturel. — Nous avons dit ailleurs ce qu'il faut
entendre par le jeûne naturel exigé par l'Église pour la sainte com-
munion, et combien est grave l'obligation de ce jeûne absolu
avant de recevoir la Sainte Eucharistie. Le respect profond que
demande de nous l'adorable Sacrement de nos autels explique cette
obligation et la rigueur avec laquelle elle nous est imposée. Moïse
était à jeun lorqu'il gravit les hauteurs du mont Sinaï, pour entrer
en conférence avec le Seigneur, et pendant les quarante jours
qu'il passa sur le sommet de la montagne, il ne prit aucun ali-
ment. Les Israélites étaient à jeun le matin, lorsqu'ils recueillaient
la manne dans le désert, et c'était aussi la première nourriture
qu'ils prenaient. Élie était à jeun ; il mourait de faim et de soif,
lorsque l'ange lui donna le pain mystérieux qui renouvela et
centupla ses forces. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-môme n'avait
ni bu ni mangé depuis quarante jours et quarante nuits, lorsque
les anges s'approchèrent de lui et le servirent dans le désert.
Au respect dû à la Très Sainte Eucharistie peut-être faut-il
ajouter une raison mystique de la loi de l'Église qui oblige au
jeûne naturel, lorsqu'on veut s'approcher de la sainte communion.
Ceux-là seuls profitent bien de la Très Sainte Eucharistie qui dé-
sirent ardemment s'en nourrir. Le désir, c'est la faim et la soif de
l'âme. N'est-il pas juste que le corps éprouve de son côté la faim
et la soif, puisqu'il doit participer à la réception du divin sacre-
ment, puisque même c'est par lui qu'elle s'opère? La faim et la
soif corporelles nous rappellent, si nous venions à l'oublier, com-
bien nous avons grand besoin du pain vivant que Jésus-Christ
nous a préparé, et elles éveillent ainsi en nous un plus grand désir
de la sainte communion. Ne peut-on pas faire encore ici l'appli-
cation de ces paroles du Psalmiste : « Mon cœur et ma chair ont
« exulté pour le Dieu vivant 2? »
1. Quaecumque dixerit vobis, facile. {Joann., 11, li.)
2. Cor meumet caro mea exultaverunt in Deum vivum. {Ps. Lxxxiii.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDDITE APRES l'aVOIR FAITE. 745
II.
DISPOSITIONS DÉSIRABLES POUR FAIRE LA SAINTE COMMUNION
AVEC UNE RÉELLE PIÉTÉ
Quiconque veut recevoir la sainte communion, non seulement
de manière à ne pas contrister notre divin Jésus qui descend dans
son cœur, mais à le réjouir pleinement, et à mériter ses bénédic-
ions les plus abondantes et les plus choisies, doit ajouter encore
d'autres dispositions à celles qui ont été marquées dans les pages
précédentes. Ces dispositions que Ton pourrait appeler secondaires,
malgré leur importance, sont nombreuses, mais il suffira ici de
dire un mot des principales.
I. Se préparer du mieux que Vonjjeut. — Rébecca, avant d'en-
voyer Jacob auprès de son père Isaac pour recevoir sa solennelle
bénédiction, le couvrit des vêtements précieux et embaumés de
parfums qu'elle gardait soigneusement, et ne sortait que dans les
grandes occasions. L'odeur de ces vêtements parfumés fut ce qui
décida Isaac à bénir son fils, et lui inspira les paroles de sa béné-
diction. Nous lisons dans la Sainte Écriture : « Dès qu'Isaac sentit
« la bonne odeur de ses vêtements, le bénissant, il dit : Voici que
« l'odeur qui s'exhale de mon fils est comme l'odeur d'un champ
a rempli, qu'a béni le Seigneur. Que Dieu te donne de la rosée, de
« la graisse de la terre et une abondance de blé et de vin i. n Les
vêtements de choix, le parfum qu'ils répandent, sont le symbole des
dispositions qu'il convient d'apporter à la sainte communion. La
robe nuptiale ne suffit pas si l'on veut être pleinement agréable
au roi qui fait les noces de son fils; il faut que cette robe soit
soignée, qu'elle soit la plus belle que l'on ait pu se procurer. Il
faut qu'on ait mis en pratique la recommandation de S. Thomas:
Quantum potes , tantum aude : « Tout ce que vous pouvez faire,
« faites-le. » Le Dieu que vous vous proposez de recevoir est le Dieu
infiniment s;iintet infiniment grand ; c'est aussi votre divin Jésus,
votre Rédempteur qui vous aime tant et qui fait tant pour vous :
serait-il admissible que vous vous contentiez, lorsqu'il vient à
1. Statimque ut sensit vestimentorum illius fragrantiam, benedicens illi
ait : Ecce odor filii mei sicut odor agri pleni, cui henedixit Dominas. Dct tibi
Deus de rore cœli, et de pinguedine terrc-e. nbundanliam frumenti et vini.
[Gènes., xxvii, -27, ^28.)
746 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II"' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
VOUS, de ne lui offrir que le strict nécessaire, ce que vous ne pour-
riez lui refuser sans le blesser au cœur et encourir sa colère?
II. La communion spirituelle. — Si les anges pouvaient,
comme nous, se nourrir non seulement de la divinité mais de
riiumanité adorable de Notre-Seigneur, ils le feraient avec joie ;
mais leur nature s'y oppose et leur communion est toute spirituelle.
Avant de communier sacramentellement, nous pouvons manger
le pain des anges, comme ils le font eux-mêmes, non pas avec la
même perfection ni avec les délices réservées pour la patrie céleste,
mais selon notre état et Finfirmité de cette vie mortelle. Pour-
quoi négligerions-nous de le faire ? « Ceux qui me mangent auront
a encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif i, » dit
la Sagesse incréée, au livre deFEcclésiastique. La Sagesse incréée,
c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ considéré dans sa divinité. Se
nourrir du Verbe divin, c'est penser à lui, c'est l'aimer, c'est
n'avoir d'autre volonté que la sienne; c'est surtout désirer ardem-
ment de s'unira lui dans le sacrement d'amour où il se fait notre
nourriture. Si nous le mangeons ainsi, nous aurons toujours faim
et soif de la communion, et ce désir de nos cœurs sera profondé-
ment agréable à notre divin Jésus. Il est le Dieu infiniment aimable
et désirable; il veut être aimé et désiré par les hommes: c'est
alors qu'il trouve ses délices à venir habiter en eux. Est-on heu-
reux lorsqu'on vit au milieu d'une glaciale indifférence?
III. Une sorte d'avidité pour la sainte communion. — Une
faim ordinaire, un simple désir de la sainte communion ne suffît
pas, lorsqu'on se prépare à recevoir le sacrement de l'Eucharistie.
Notre divin Sauveur voudrait nous voir apporter une sorte d'avidité
à manger le pain qu'il nous offre.
Lorsque Jacob eut reçu du Seigneur les promesses les plus ma-
gnifiques, ne devait-il pas tout d'abord lui témoigner sa reconnais-
sance? Cependant il ne pense qu'à une chose, le pain qu'il lui
faudra pour vivre, et sa première parole est pour demander à Dieu
qu'il ne manque pas de lui donner ce pain ; il dit : « Si le Seigneur
« Dieu me donne du pain pour me nourrir, le Seigneur sera mon
« Dieu 2, 9 Si Jacob ne pensait pas, en prononçant ces paroles, à
1. Qui manducant me adhuc esurient et qui bibunt me adhuc sitient.
{Ecclx.,x\\\, 29.)
2. Si Deus dederit mihi panem ad vescendum.... erit mihi Dominas in
Deum. [Gènes., xxviii, 20, 21.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 747
l'adorable Eucharistie dont il ne pouvait deviner le mystère, Dieu
y pensait pour lui, et nous apprenait par l'exemple du patriarche
que tout autre désir, que toute autre pensée doit s'etïacer devant
la pensée et le désir de manger le pain vivant descendu pour nous
du ciel.
En Egypte, Joseph n'ouvrit ses greniers que lorsque la famine
se fit sentir, et l'on sait avec quelle avidité se jettent sur la nour-
riture les malheureux torturés par la faim. Le froment, amassé
par Joseph pour les jours de famine, était le symbole du froment
des élus.
Dieu, en dictant à Moïse les rites selon lesquels l'agneau pascal
devait être mangé, se sert d'un mot que les traducteurs n'osent
pas toujours rendre dans toute sa crudité. Il dit : « Vous en dévore-
(( rez la tète, avec les pieds et les intestins : j» Caput cum pedibus
ejus et intestinis vorabitis '. Pourquoi le Seigneur a-t-il choisi
une expression si forte, on pourrait dire si peu en rapport avec
l'accomplissement d'un rite sacré, que ce mot vorabitis? C'est que,
dans l'ancienne loi, tout était figure, et ce mot faisait connaître la
sainte avidité que nous devons apporter à manger le divin Agneau
qui se donne à nous sous les espèces eucharistiques.
David éprouvait cette sainte avidité, cette soif dévorante, lors-
qu'il s'écriait : a Comme le cerf altéré soupire après les sources
« des eaux, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu -. ^ Il
voulait l'exciter chez les autres lorsqu'il disait au nom du Sei-
gneur : « Élargissez votre bouche et je la remplirai. » C'est dans
le même sens qu'Isaïe disait : « Vous tous qui avez soif, venez
a aux eaux 3. » Ces eaux qu'il les invite à venir boire représentent
la Sainte Eucharistie : mais il n'y appelle pas tout le monde indis-
tinctement; il n'invite à s'y rafraîchir que ceux qui sont pressés
par la soif, parce que Dieu ne voit avec plaisir s'approcher de
l'Eucharistie que ceux qui la reçoivent avec une véritable avidité.
Lorsqu'on a véritablement faim, on s'inquiète peu de la nature
des mets qui sont servis et du mode de préparation; l'important
est qu'on ait de quoi manger. Quand Notre-Seigneur nous invite
à sa table, il ne spécifie pas sous quelle forme il veut se donner à
i. Exod., XII, 19.
2. Quemadmodumdesiderat cervus ad fontes aquarum, ita dcsideral anima
mea ad le Deus. [Ps. xli, 1.)
3. Omnes sitientes venile ad aquas. [ha., lv, 1.)
748 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
nous, et sans autre explication il dit : « Ma chair est vraiment
« une nourriture, et mon sang véritablement un breuvage i. » Si
notre faim est grande, si notre soif est ardente, il sous suffira de
savoir que sa chair et son sang sont des aliments véritables, pour
que nous nous empressions d'accepter ce qu'il nous offre, sans
réclamer d'autres explications. Sans doute, ces explications, il
nous les donnera ; mais ce qu'il veut, c'est nous voir avides de
manger et de boire ce qu'il nous a préparé. Lui-même nous a mon-
tré l'exemple de cette sainte avidité lorsqu'il a dit à ses disciples :
a J'ai désiré d'un grand désir manger cette pàque avec vous ~. »
La pàque dont il parlait ainsi était la pàque de la loi nouvelle,
l'adorable Eucharistie qu'il allait instituer.
Imitons notre divin modèle; soyons avides de la céleste nour-
riture qu'il nous donne ; prenons cet aliment sacré aussi souvent
qu'il nous est possible de le faire; ne reculons pas même devant
des fatigues corporelles et des sacrifices pour n'en être pas privés,
et Jésus sera content de nous.
IV. Un respect profond. — Le saint roi David dit en parlant
de l'Eucharistie : « Tous les riches de la terre ont mangé et ont
« adoré. En sa présence tomberont tous ceux qui descendent dans
« la terre ^. » Cette prophétie s'est accomplie. Les riches, les puis-
sants de la terre, les rois eux-mêmes ont mangé le pain vivant
descendu du ciel et ils ont adoré cet aliment divin, que la miséri-
corde de Dieu a préparé pour le salut des hommes. En présence
de la Très Sainte Eucharistie se sont prosternés tous ceux qui des-
cendent dans la terre, tous les mortels, tous les hommes. Il est
écrit que tout genou doit fléchir au nom de Jésus, au ciel, sur la
terre et jusque dans les enfers. Si tout ce qui vit adore son nom,
comment pourrait-on ne pas adorer le sacrement dans lequel sa
divine personne se renferme, par amour pour nous? Il suffit de
savoir qui est celui que nous recevons dans la sainte communion
pour comprendre avec quels sentiments de profond respect nous
devons nous approcher de lui.
V. Une crainte véritable. — A la dernière Gène, lorsque notre
divin Sauveur dit à ses apôtres que l'un d'entre eux le trahirait,
\ . Caro mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus. {Joann., vi, y.'J.)
2. Dcsiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum. {Luc, xxn, lîi.)
3. Manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terrse : in conspectu ejus
cadent omnes qui descendunt in terram. {Ps. xxi, 30.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE AI'RÈS LAVOIR FAITE. 749
tous furent saisis de crainte et d'anxiété. L'Évangile dit, en effet :
« Alors grandement contristés, ils commencèrent à lui demander
a chacun en particulier : Est-ce moi, Seigneur? » Leur conscience
ne leur rendait-elle pas un témoignage suffisant i ? Ne se sentaient-
ils pas suffisamment disposés à tout braver pour demeurer fidèles
à leur Maître? Assurément ils se croyaient certains de leur fidélité;
cependant ils craignaient, parce qu'ils étaient assis à la table du
Seigneur et que ceux mêmes qui se regardent comme parfaitement
innocents n'en doivent pas approcher sans trembler. Dans la loi
de Moïse, Dieu disait à son peuple : « Tremblez près de mon sanc-
« tuaire '. » Cependant ce sanctuaire redoutable, dont il n'était
pas permis d'approcher sans une sainte fra3^eur, ne contenait que
les images ou les symboles de nos adorables mystères. Avec quel
tremblement ne devons-nous pas approcher, à notre tour, du
sanctuaire où réside le Seigneur lui-même, de la table oii lui-
même nous donne à manger et à boire son corps et son sang ado-
rables? Nous savons que son divin sacrement est la vie pour les
bons, mais qu'en même temps, pour les méchants, il est la mort.
Nous savons encore que nul ne connaît avec certitude s'il est digne
d'amour ou de haine : n'est-ce pas assez pour inspirer, même aux
plus parfaits, une crainte salutaire?
Cependant, malgré cette crainte légitime, il faut prendre part
au divin banquet préparé pour nous par le Seigneur. Il faut imi-
ter Joseph d'Arimathie, qui, sans s'arrêter aux graves sujets de
crainte qu'il pouvait avoir, se présenta audacieusement, dit
l'Évangile, audacter, devant Pilate pour réclamer le corps de Jé-
sus. Comme lui, appuyés sur la miséricorde infinie de Notre-Sei-
gneur et non sur nos mérites qui ne sont rien, demandons le corps
de Jésus, et ensevelissons-le dans notre âme par la sainte commu-
nion.
VL Une grande dévotion. — On lit dans le prophète Isaïe :
« Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux ; et vous qui n'avez
<f point d'argent, hàtez-vous, achetez et mangez; venez, achetez
« sans argent et sans aucun échange du vin et du lait ^ » Ne
\. Et contristali valde cœperiint singuli dicere : Numquid ego sum, Do-
mine? (Mntth., x.wi, ±2.)
'2. Pavete ad sanctuarium iiieum. [Levil., .x.xvi, 2.)
rj. Omnes sitientcs venite adaquas, et qui non liabetis argenlum properate,.
emite et comedile; venite, emite absque argento, et absqiie ulla cominutatione
vinum et lac. {ha., lv, 1.)
750 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. CHAP. XVI.
semble-t-il pas que Thomme de Dieu se contredise ici?Achète-
t-on légitimement sans argent, ou sans un échange quelconque?
Non sans doute, dans l'ordre ordinaire de la vie; mais lorsqu'il
s'agit du don de Dieu par excellence, de l'adorable Eucharistie,
donner en échange de l'argent ou de l'or serait méconnaître sa va-
leur infinie et faire injure à Dieu qui nous l'offre. Cependant le
Prophète veut que nous allions nous rafraîchir à cette fontaine
sacrée ; il veut que nous mangions ce pain, que nous buvions ce
vin que Dieu nous a préparé, et qui aura pour nous la douceur du
lait. Nous ne pouvons rien donner en échange, car il n'est rien
qu'on y puisse comparer, mais Dieu sera content si nous recevons
ses dons sacrés avec un pieux empressement, une ardente dévo-
tion. Il en coûte toujours un peu à la nature humaine de s'exciter
à de tels sentiments pour des biens d'un ordre qui lui est supé-
rieur. Cet effort que nous ferons pour nous élancer vers le surna-
turel sera le prix auquel nous achèterons de tels biens. Et c'est
pourquoi Isaïe a raison de nous dire, à nous tous qui avons un be-
soin si grand de l'adorable Eucharistie : « Vous tous qui avez soif,
« venez vers les eaux; et vous qui n'avez point d'argent, hâtez-
« vous, achetez et mangez. » Pourvu qu'on s'approche de la source
d'eaux vives avec une véritable soif de ces eaux, pourvu qu'on se
hâte, qu'on témoigne un empressement sincère pour manger le
pain et boire le vin offerts par le Seigneur, c'est assez; c'est le
seul prix auquel il veut les vendre. S. Ambroise compare Notre-
Seigneur Jésus-Christ à Joseph, et il dit : « Le Christ ouvrit donc
et ses greniers; il vendait son froment, ne demandant pas de l'ar-
« genten échange; mais il réclamait pour prix la foi et la dévo-
« tion *. » Le même saint Docteur dit encore : « Celui-là n'est pas
« digne de l'Eucharistie qui ne s'en approche pas avec une âme
« pénétrée de dévotion ~. » On connaît la parole de S. Paul aux
Corinthiens : « Que l'homme s'éprouve lui-même, et qu'il mange
« ainsi de ce pain et boive de ce calice ; car quiconque en mange
<f et en boit indignement mange et boit son jugement, » c'est-à-
dire sa condamnation.
VIL Un détachement et un regret sincère même des fautes
1. Aperuit ergo horrea sua Christus, et vendebat non aère pecuniae, sed fidei
pretiumetdevotioni.sstipendiumqugerens. (S. Ambros., Lih. de Joseph, ca]^.\n.)
2. Indignus est, qui non devota mente accedit ad Eucharistiam. (Id., apud
S. TnoM., opusc. LVII de Venei\ Sacram. Altar., cap. xvii.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 751
légères, — Au commencement Dieu sépara la lumière des ténèbres.
Il est lui-même la lumière surnaturelle infiniment parfaite, « la
« lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ', »
dit S. Jean dans son Évangile; et dans sa première Épître, il dit
encore : « Dieu est lumière et il n'y a point en lui de ténèbres 2. »
Les péchés sont pour l'àme des ténèbres qui l'obscurcissent, et ces
ténèbres, quelque légères qu'elles soient à nos yeux, déplaisent aux
regards du Seigneur. Il faut que nous les écartions avec le plus
grand soin, si nous voulons jouir de sa lumière. Lorsque le ciel
est couvert de nuages, la terre n'est pas pour cela dans l'obscurité
complète; le soleil fait, malgré ces obstacles, parvenir jusqu'à
nous un peu de sa lumière, mais nous ne jouissons pas de tout l'éclat
de ses rayons, ni de toute la chaleur bienfaisante qu'ils apportent
avec eux. Un seul nuage suffit pour nous en priver. Il en est ainsi
du divin Soleil de justice : les fautes, même les plus légères, inter-
ceptent jusqu'à un certain point les rayons de sa lumière, et nous
ne ressentons que peu la douce et vivifiante chaleur qui l'accom-
pagne.
Moïse dut ôter sa chaussure pour approcher du buisson ardent.
Quelque soin que l'on prenne d'éviter toute souillure, il est impos-
sible de marcher longtemps sans que la chaussure se couvre au
moins de quelque poussière. Cette poussière est le symbole des
fautes légères auxquelles sont exposées même les âmes les plus
parfaites. Il faut donc, avant de nous approcher du nouveau buis-
son ardent, de la table sainte où Jésus se donne à nous, ôter notre
chaussure et nous délivrer de la poussière qui s'y est attachée. Il ne
suffit pas lorsqu'on veut saintement communier, de n'être coupable
d'aucune faute grave; il faut, autant que l'on peut, n'apporter pas
même la moindre faute volontaire à la sainte table.
Lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ voulut laver les pieds de
ses disciples avant l'institution de la Très Sainte Eucharistie, il
dit à Pierre qui lui demandaitdelui laver aussi les mains et la tête,
afin d'être plus pur : « Celui qui a été lavé n'a besoin que de laver
« ses pieds, et il est entièrement pur. Vous aussi vous êtes purs 3. »
\. Erat hix vera quae illuminât omnem hominera venientem in liiinc mun-
dum. [Jonnn., i, 9.)
'2. Deus lux est, et tenebrae in eo non sunt ullae. (/. Jonnn., i, .'!.)
3. Qui lotus est non indiget nisi ut pedes lavet, sed est mundus totus. Et
vos mundi estis. {Joann., xiii, 10.)
752 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
Les apôtres, sauf Judas, étaient purs de toute souillure grave ; ni
leur tète ni leurs mains, c'est-à-dire ni leurs pensées ni leurs
œuvres, n'avaient plus besoin d'être purifiées ; il suffisait que leurs
pieds le fussent, pour que leur pureté fût complète. Jésus leur lava
donc les pieds et, en même temps qu'il accomplit envers eux cet
acte de charité symbolique, il les purifia intérieurement de leurs
moindres fautes ; il les rendit dignes de participer à la communion
de son corps et de son sang adorable. C'était une grande leçon
donnée à tous ceux qui, dans le cours des siècles, devaient, à la
suite des apôtres, participer à cet adorable sacrement.
VIII. La garde des sens. — 11 est impossible à l'homme de con-
server son cœur parfaitement pur et digne d'offrir l'hospitalité au
Seigneur, s'il ne veille avec un soin extrême sur ses sens. C'est
par eux que le mal s'introduit en nous. Jérémie disait: « La mort
« monte par nos fenêtres * ; » Joël se servait de la même image
pour exprimer une pensée identique : « Les ennemis entreront par
« les fenêtres comme le voleur -. » Chacun peut connaître, par sa
propre expérience, combien un regard imprudent est dangereux
pour l'âme, combien une parole entendue peut apporter de trouble,
combien la recherche des satistactions des sens, quels qu'ils soient,
conduit aisément au péché. II n'y a donc pas de préparation par-
faite à la sainte communion sans une vigilance extrême, qui ne
permette à aucun ennemi de Jésus de pénétrer en nous, par les
fenêtres qui sont les sens.
IX. La tranquillité de Vâme. — Lorsque le saint patriarche
Abraham donna l'hospitalité aux trois anges qui le visitèrent de
la part du Seigneur, avant même de leur offrir à manger, il leur
dit: a Reposez-vous sous l'arbre. » Cette parole ne manque pas de
mystère. Le patriarche va servir à ses hôtes un repas, figure de
la Très Sainte Eucharistie, et ses paroles qui nous sont rapportées,
par une inspiration expresse de Dieu, signifient qu'avant de com-
munier, il faut se reposer, établir son cœur dans la tranquillité
et la paix 3.
Il est écrit dans le livre des Cantiques que soixante guerriers
-1. Ascendit mors per fenestras nostras. {Jerem., ix, 21.)
2. Per feneslras inlrabunt (/lo.s/es), quasi fur. {Joël., ii, 9.)
;{. Non sine mysterio, anlequam vilulum comedant, requies eis persuadetur,
quia ut corpore Christi Domini reficiainur, maxima mentis tranquillitas re-
quiritur. (Haye, in hune locum.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 753
cliûisis entre les plus braves d'Israël veillaient autour du lit dans
lequel reposait Salomon; pourquoi, sinon pour que rien ne vînt
troubler le sommeil de ce roi ? Le véritable Salomon est Notre-
Seigneur Jésus-Christ ; c'est lui qui est le Roi de paix ; or, notre
cœur devient son lit de repos par la sainte communion. Nous
sommes établis ses gardiens, et c'est à nous que le devoir accompli
par les soixante braves d'Israël incombe. Veillons donc à C3 que
rien n'arrive par nos sens, de l'extérieur jusqu'à lui, qui soit
capable de troubler le calme et la paix dont il tient à jouir en
nous.
Les saintes femmes ne vinrent au tombeau de Jésus qu'après le
repos du sabbat. Nous aussi nous devons d'abord garder le repos,
établir dans notre àme la tranquillité et la paix, avant de nous
approcher de la Sainte Eucharistie où Jésus est enseveli pour nous
comme dans un tombeau, sous les espèces eucharistiques. Et
lorsque nous serons unis à lui par la sainte communion, veillons
avec plus de soin encore s'il est possible. L'Époux des Cantiques
disait: « Je vous en conjure, filles de Jérusalem, ne dérangez pas
« et ne réveillez pas la bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle-même le
« veuille S » et nous, nous devons dire à nos sens et aux choses
extérieures dont ils pourraient être frappés : Ne dérangez pas et ne
réveillez pas le bien-aimé, jusqu'à ce que lui-même le veuille.
X. La prière. — Dieu est infiniment bon et son désir est de
nous donner largement tous les biens qui peuvent nous être réelle-
ment utiles. Mais s'il veut nous combler de ses libéralités, il veut
en même temps nous faire souvenir que nous tenons tout de lui ;
c'est pour cela que souvent il attend d'être prié avant de concéder
ses grâces. Il ne fit pleuvoir la manne du ciel, dans le désert,
qu'après que les Israélites eurent demandéde la nourriture à Moïse,
de la manière la plus pressante. « Ils demandèrent, et du pain du
« ciel il les rassasia -, » dit David.
L'encens est le symbole de la prière. Lorsque nous approchons
de la sainte communion, il convient que nous soyons tout embau-
més de cet encens mystique. L'Époux du Cantique des cantiques
disait à son Épouse : « L'odeur de vos parfums est au-dessus de
« tous les aromates, et l'odeur de vos vêtements est comme l'odeur
1. Adjuro vos, filiée Jérusalem...., ne suscitetis, ncque eviirilnre faciatis
dilectaiii, qnoadusquc ii)sa velit. [Oint., ii, 7.)
'1. Poli(>runt et))ane c r!i sattiravit eos. (/*.s-. civ, \\\.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. -18
754 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
« de l'encens *. » C'est la prière qui prépare à la sainte communion,
en nous procurant toutes les grâces nécessaires pour la faire digne-
ment ; c'est elle qui nous obtient que Jésus vienne en nous avec
joie, et non pas comme forcé par ses promesses antérieures, ainsi
qu'il le fait pour ceux dont la préparation laisse gravement à
désirer. Aussi, dans la prière qu'il nous a enseignée lui-même,
a-t-il inséré cette demande: <r Donnez-nous aujourd'hui notre pain
« de chaque jour 2 ; » ce pain suprasubsiantiely selon le texte de
S. Matthieu, qui n'est autre que la Très Sainte Eucharistie. Sans
doute Dieu donne, même à une multitude d'hommes qui ne le lui
demandent pas, le pain destiné à la nourriture du corps, mais le
pain au-dessus de toute substance, il ne le donne avec toute sa
saveur et toute sa vertu vivifiante qu'à ceux qui le demandent avec
une pieuse et sainte ardeur. S. Luc nous représente les chrétiens^
des premiers jours unissant la prière persévérante à la sainte
communion. Il dit : « Et tous persévéraient dans la doctrine de&
« apôtres, dans la communion de la fraction du pain, et dans la
« prière ^. »
XI. L'action de (jnlces, même avant la communion. — Les
Juifs célébraient la pàque en souvenir et en reconnaissance de leur
délivrance miraculeuse de la servitude dans laquelle ils avaient
gémi pendant plusieurs siècles. Il semblerait que la mémoire et la
reconnaissance dussent suivre le bienfait, et que l'institution de
la pàque aurait dû venir après la délivrance et non pas la précéder.
Mais le Seigneur n'en jugea pas ainsi; le sacrifice de reconnais-
sance précéda la sortie d'Egypte, dont il fut le signal, et chez nous
qui mangeons le divin Agneau, l'Agneau de Dieu immolé chaque
jour sur nos autels, pour nous délivrer d'un joug plus cruel que
celui de Pharaon, la reconnaissance doit aussi précéder et accom-
pagner l'oblation du saint sacrifice et la communion.
Le divin Maître, en instituant la Sainte Eucharistie, nous a,
d'ailleurs, donné l'exemple de cette action de grâces avant la com-
munion. Nous lisons dans S. Matthieu que, « prenant le calice,
« il rendit grâces, et le leur donna (c'est-à-dire à ses disciples),
1. Odor unguentorum tuorum super omnia aromata....; et odor vestimen-
orum tuorum sicut odor thuris. (Cemt., iv, 10, M.)
2. Panem nostrum supersubslantialem da nobis hodie. {Matlh., vi, 41.)
3. Erant autern persévérantes in doctrina Apostolorum et communicalione
fractionis panis, et orationibus. {Ad. Apost., u, 42.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 755
« en disant : Buvez-en tous, car ceci est mon sang '. » II le fit,
dit S. Jean Clirysostome cité par S. Thomas, pour nous enseigner
comment nous devons agir à l'égard d'un si grand mystère -.
N'est-il pas juste, au moment de recevoir le bienfait le plus grand
que Dieu puisse accorder à l'homme ici-bas, de lui témoigner tout
d'abord, avant même de l'avoir reçu, combien nous sommes tou-
chés de sa miséricorde et de sa munificence envers des créatures
faibles et misérables comme nous sommes?
XII. L" audition préalable de la parole de Dieu. — Abraham,
en se dirigeant vers la montagne sur laquelle il devait offrir son
fils unique en holocauste au Seigneur, portait lui-même le glaive
et le feu. Pourquoi ne chargeait-il pas de ce fardeau les serviteurs
qui le suivaient? C'est que le glaive est le symbole de la parole de
Dieu. Ce glaive devait frapper avant que la victime fût livrée aux
flammes pour être consumée. De même, il faut que le glaive de la
parole de Dieu nous frappe avant que nous soyons consumés du
feu de l'amour divin, avec l'adorable Victime, qui s'immole pour
nous et veut que nous soyons immolés avec elle, en la recevant par
la sainte communion. « Il porte le glaive, dit Rupert, parce que
« cet holocauste du salut n'est pas immolé sans le glaive de la
« parole de Dieu 3. » Aussi la divine Sagesse, après avoir bâti sa
maison et dressé sa table, envoie-t-elle ses servantes pour dire à
ceux qu'elle désirait voir y prendre place : « Venez, mangez mon
« pain et buvez le vin que je vous ai préparé ^. »
Parmi les conseils que donne l'auteur de rEcclésiastique, nous
lisons celui-ci : « Écoute en silence, et pour ta réserve te viendra
« la bonne grâce. » La bonne grâce de Dieu, c'est la Sainte Eucha-
ristie : « Car qu'est-ce que le Seigneur a de bon et de beau, sinon
« le froment des élus et le vin qui fait germer les vierges s? » dit
le prophète Zacharie.
Lorsque les apôtres demandèrent à notre divin Sauveur de ren-
\. Et accipiens calicem, gratias egit, et dédit illis dicens : Bibite ex hoc
onines; hic est enim sanguis meus. [Mm th., xxvi, 27.)
2. Ideo etiam gratias egit ut nos doceret quaiiter oporteat, nos hoc myste-
rium perficere. (S. Chrysost., apud Catcn. Aur. D. Tiiom.)
3. Portât quoque gladium, quoniam profecto sine gladio Verbi non immola-
tur hoc sakitis holocaustum. (Rupert. abl)., de Sncram. Euchar.)
i. Venite, comedite panem meuin et bibite vinum quod miscui vobis. {Prov.,
IX, y.)
li. Quid enim bonum ejus est, et quid pulcliruin ejus nisi frumentum elec-
torum, et vinum germinans virgines? iZach.. i\, 17.)
756 LA SAINTE ELXHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
voyer la foule immense qui l'entourait, parce que le pain manquait
pour tant de gens, Jésus leur répondit : « Donnez-leur vous-
« mêmes à manger. » Il savait bien que les apôtres n'avaient pas
à leur disposition le pain matériel, mais ils étaient déjà constitués
les distributeurs du pain immatériel qui est la parole de Dieu, et
Jésus voulait qu'ils distribuassent au peuple cette parole, avant de
donner lui-même le pain miraculeux, figure de l'Eucharistie, dont
il allait rassasier la foule. Le pain de la parole de Dieu prépare
à manger dignement le pain qui est encore la parole ou le Verbe
de Dieu, mais le Verbe de Dieu incarné, mort, ressuscité et glorifié
pour notre salut '.
XIII. La wèditation du mystère de VEudiaristie. — Une des
recommandations que Dieu fit aux Israélites par la bouche de
Moïse, pour la manducation de l'agneau pascal, était celle-ci :
« Vous n'en mangerez rien qui ne soit cuit -. » Sans doute il n'en-
trait pas dans les habitudes des descendants de Jacob démanger
des viandes crues; ils n'avaient rien de commun avec les bêtes
sauvages. Cette recommandation eût donc été superflue si elle
n'avait pas renfermé une signification mystique. L'agneau pascal
ne devait pas être mangé cru, parce qu'il était la figure de l'Agneau
divin que nous recevons comme notre aliment dans l'adorable
Eucharistie. Si nous mangions celui qui s'est fait notre pâque en
s'immolant pour nous, sans l'exposer aux flammes d'une médita-
tion ardente, si notre esprit, jusqu'au moment de prendre place
à la table où il se donne à nous, était rempli de pensées vaines, ou
en proie à une indiflérence glaciale ou à la tiédeur, nous mange-
rions crue cette chair adorable ; ce ne serait plus pour nous l'agneau
pascal, le gage et la cause de la délivrance et du salut -K
Invités et assis à la table du souverain Roi, considérons donc avec
une attention profonde ce qui est servi devant nous '% selon la recom-
mandation que nous en fait l'auteur du livre des Proverbes, et
i. Habes apostolicum cibum : manduca illum, ut non deficias; illum autem
manduca, ut postea venins ad cilmm Christi, ad cibum corporis Dornini.
(S. Amuros., in Pu. c.wiii.)
2. Non comedetis ex eo crudum quid. [Exod., xii, 9.)
3. Quid crudae Agni carnes, nisi inconsideratam, ac sine reverentia cogita-
tionis relictam illius humanitatem significant? Omnia enim quae .subtiliter
cogitamus quasi mente coquimus. (S. Gregor. Mag., hom. XXII in Hvangel.)
i. Quando sederis ut comedas cum Principe, diligenler attende quae appo-
sita sunt anle faciem tuam. [Prov., xxiii, \.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 757
profitons encore de cet autre conseil qu'il nous donne : « Ouvrez
« les yeux et rassasiez-vous de pain '. » Le pain que Dieu a fait
descendre du ciel pour nous ne nous rassasiera que si nous le
mangeons d'abord des yeux ; c'est-à-dire si nous le considérons
attentivement, si nous en scrutons tous les mystères, si nous exci-
tons en nous, par une profonde méditation, un ardent désir de le
manger.
XIV. La méditation des souffrances de Notre-Seigneur et de
sa mort pour nous. — Ce fut la veille de sa Passion que notre
adorable Sauveur institua le sacrement de l'Eucharistie. Tout,
dans ce mystère sacré, rappelle ses souffrances, son crucifiement,
son sang versé pour nous, sa mort. On ne peut méditer sur la
Très Sainte Eucharistie sans se souvenir de la Passion de Jésus ;
et d'ailleurs il nous a dit en l'instituant : « Faites ceci en mémoire
« de moi -. » L'Épouse des Cantiques l'avait compris ; c'est pour-
quoi elle disait : « Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de
« myrrhe ^. » Or la myrrhe est très amère; elle est le symbole
des pensées douloureuses.
XV. Le mépris du monde et te détachement de ses biens. —
On lit au psaume xxf : <r Les pauvres mangeront et ils seront ras-
« sasiés ^. j> David parlait de la manne; mais l'Esprit de Dieu qui
l'inspirait avait en vue la Sainte Eucharistie. Pourquoi dit-il
que les pauvres mangeront cet aliment divin ? N'est-il pas fait
tout aussi bien pour ceux qui possèdent les richesses d'ici-bas ?
Sans doute ; il est offert à tous les hommes, mais il ne sera pour
les riches un véritable aliment, il ne les rassasiera que s'ils se font
pauvres, s'ils détachent leurs cœurs de ces richesses qui sont à
eux et les regardent comme des biens dont Dieu leur a donné non
pas la possession, mais l'administration, en faveur de ceux qui sont
dans le besoin. Pour manger véritablement le pain descendu pour
nous du ciel, il faut que nous soyons pauvres par l'esprit, c'est-à-
dire humbles et contempteurs des richesses. Ailleurs, Dieu dit
encore par la bouche de David : « Je comblerai sa veuve de béné-
« dictions, et je rassasierai ses enfants de pain ^. » La veuve et les
1. Aperioculos tuos, et saturare panibus. (Prov., xx, 13.)
2. Hoc facile in meam commemorationem. {Luc, xx, 11).)
3. Fasciculus myrrlue dileclus meus mihi. {Canl., i, 12.)
4. Edent pauperes el salurnbuiUur. {Ps. xxi, "21.)
\i. Viduam ejus benedic(>ns benedicain, el pauj)eres ejus saturabo panibus.
{Ps. cxxxi, l;j.)
758 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11*= PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. \VI.
orplielins dont parle le Seigneur sont des pauvres puisqu'ils ont
besoin qu'on leur donne du pain. Dieu promet de les en rassasier:
ce pain est encore la Sainte Eucharistie, aliment des âmes déta-
chées des choses d'ici-bas.
Lorsque Abraham délivra Loth et les habitants de Sodome ré-
duits en captivité, et les ramena avec toutes leurs richesses et les
dépouilles de leurs ennemis vaincus, Melchisédech le fit partici-
per au sacrifice de pain et de vin, figure de l'Eucharistie, qu'il
offrit en sa présence. Mais Abraham ne reçut cette faveur qu'après
avoir renoncé à la part du butin, qui lui revenait de droit, et que
le roi de Sodome le pressait d'accepter '.
Au temps de la grande famine qui sévit pendant sept années
entières dans la terre d'Egypte, les habitants, après avoir épuisé
leurs provisions, demandèrent du pain à Joseph. Le sage gouver-
neur voulut bien leur en donner, mais à la condition qu'ils livre-
raient d'abord les troupeaux, puis leurs terres elles-mêmes au roi.
Celui-ci leur en laissa l'usage, mais en réalité les Égyptiens ne
possédèrent plus rien : tout appartenait au roi. Une excellente
disposition, si nous voulons que Dieu nous donne le pain du ciel,
est de faire comme les Égyptiens. Remettons entre les mains de
Dieu tout ce qui peut être à nous. S'il nous en retire l'adminis-
tration, c'est bien : que sa sainte volonté soit faite. S'il nous la
laisse, usons de nos biens, comme étant à lui, de la manière que
nous saurons lui être la plus agréable. La Sainte Eucharistie est
bien assez précieuse pour qu'à l'imitation du marchand qui a
trouvé une perle, ou de l'homme qui a découvert un trésor dans
un champ, nous soyons disposés à sacrifier tous les biens de la
terre pour nous la procurer.
XVL La pensée de la mort prochaine. — Ce fut quelques heures
avant de mourir sur la croix, que Notre-Seigneur Jésus-Christ
institua la Sainte Eucharistie et qu'il la distribua à ses apôtres
après l'avoir prise lui-même. Il nous donnait l'exemple pour que
nous fassions comme il fit. Sans doute nous ne voudrions pas
quitter la vie sans avoir été fortifiés par la réception du saint via-
tique; mais nous ignorons quand viendra notre mort, et si elle
se présentera dans de telles conditions qu'il nous soit possible de
1 . Et quidem benedixit Melchisédech, qui erat figura Christi, sicut docuit
Paulus, et cum nullum accepisset spolium, pane et vino eum aluit. (S. Cyrill.
Alex., in Coll. cap. vi de Abraham.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 759
faire alors la sainte communion. Chaque fois que nous recevons
l'Eucharistie peut être la dernière. Pensons-y, pensons à la mort,
et si ce moment redoutable arrive sans s'être fait annoncer, au
moins ne serons-nous pas pris au dépourvu, car chacune de nos
communions aura été une préparation à paraître devant Dieu. La
mort pourra bien frapper notre chair, mais notre âme sera hors
de ses atteintes, et un jour notre cliair elle-même recouvrera la
vie, car nous aurons mangé le pain dont le Seigneur a dit :
<f Celui qui mange ce pain vivra éternellement i. »
XVII. Le désir de la gloire céleste. — Jésus disait à ses dis-
ciples : « Travaillez, non pas en vue de la nourriture qui périt,
« mais de celle qui demeure pour la vie éternelle, et que le Fils
<r de l'homme vous donnera 2. » Ce pain qu'il promettait à ceux
qui s'eflbrceraient de le gagner était la Sainte Eucharistie. A la
manducation de ce pain était attachée, disait-il, la vie éternelle.
Aussi les disciples demandèrent-ils avec instances qu'il le leur
procurât : « Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous toujours
ff ce pain ^. >■> Nous devons imiter ces désirs des disciples, avoir
faim et soif de cet aliment divin, parce qu'il donne la vie éternelle
avec sa gloire et sa béatitude. Si notre divin Sauveur a institué la
Sainte Eucharistie, ne fut-ce pas pour nous procurer la joie de
partager avec lui sa gloire et sa béatitude éternelle?
XVIII. Des efforts sérieux pour avancer dans la perfection. —
Le travail qu'il faut nécessairement s'imposer, si l'on veut faire
des progrès réels dans la voie de la perfection, est la sueur avec
laquelle Dieu a jadis condamné l'homme à gagner son pain. Si
donc nous voulons mériter, autant qu'il est possible à notre fai-
blesse, de manger le pain descendu du ciel, il faut sérieusement
ti-availler à devenir chaque jour plus parfaits. C'est uniquement
moyennant ce travail que nous tirerons de nos communions tout
r.ivantage qu'elles doivent nous procurer *.
Les Hébreux, pour manger l'agneau pascal, devaient être de-
boiit, les reins ceints, les chaussures aux pieds et le bâton de
1. Qui manducat hune pancm vivet in ceternum. {./ontin., vi, irl.)
-2. Operamini non ciliuin qui pcrit, sed qui permanet in vitam «ternam,
quem i-'ilius hominis dabit vobis. (//;jV/.,^.)
;{. Domine, semper dn nobis panem hune. [IhiiL, ^54.)
4. Non enim qui viiio quodam vcl sopore inertia^ resolvuntur, atl illius panis
qui de cœlo descendit, esuin eito perveniunt, sed qui sanelis laboribus invigi-
laverint. (JusT. Orgelitan., in Cant.)
760 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11* PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. \V1.
voyagea la main, comme des pèlerins au moment même de leur
départ. C'est que la manducation de cet agneau figuratif était le
premier acte, le premier pas qu'ils faisaient pour arriver à la terre
promise. De même la sainte communion devrait, chaque fois que
nous la faisons, nous rapprocher d'un pas de notre terre promise
(fui est le ciel, et nous faire gravir un nouveau degré de l'échelle
de la perfection par laquelle on monte jusqu'à Dieu.
La nue qui servait de guide aux Hébreux pendant le jour, et la
colonne de feu pendant la nuit, lorsqu'ils étaient dans le désert,
n'étaient-elles pas aussi des figures de l'Eucharistie ? Dieu ne se
voilait-il pas, en quelque manière, sous ces apparences, pour les
conduire? Ils avançaient à la suite de ce guide; et nous, nous de-
vons avancer à la suite de Jésus réellement présent sous les voiles
de l'Eucharistie; nous devons aller où il nous mène, c'est-à-dire
suivre généreusement sur ses traces le chemin de la perfection.
Mais ne le devons-nous pas surtout lorsqu'il nous prend par la
main? plus encore, lorsqu'il s'incorpore à nous pour que nous
vivions de sa vie? Il nous a dit : « Soyez parfaits comme votre
« Père céleste est parlait. » Nous ne sommes jamais plus les en-
fants du Père céleste que lorsque nous sommes intimement
unis à son Fils, par la sainte communion. C'est donc alors surtout
que nous devons nous eflorcer d'être parfaits à son exemple.
XIX. La générosité qui exclut toute pusillanimité. — Tout
était figure et mystère dans la manducation de l'agneau pascal
telle que Dieu l'imposa aux Juifs. Cet agneau devait être mâle,
parce que l'Eucharistie qu'il représentait exige de la virilité, de
la force d'àme, et réprouve tout ce qui est lâche ou efféminé, dans
ceux qui la reçoivent.
Pour le manger, il était nécessaire d'avoir les reins ceints,
comme le travailleur qui se met à l'ouvrage, comme le voyageur
qui entreprend une longue route, comme le guerrier qui part pour
le combat.
Il était nécessaire aussi d'avoir un bâton à la main. Un bàtôn
est un appui, mais c'est aussi une arme, et ce bâton indique que
quiconque communie doit être prêt à repousser toutes les attaques,
et surtout à défendre le divin Agneau qui se fait notre nourriture,
contre ceux qui oseraient l'outrager dans son adorable Sacrement.
XX. Les vertus qui font le plus bel ornement de rdme. —
Lorsque Rébecca voulut que Jacob se présentât devant Isaac pour
i
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 701
s'efforcer d'obtenir d'être béni par lui, elle le revêtit tout d'abord
des habits les plus précieux qu'elle eût à sa disposition. Le parfum
qui s'en dégageait fut agréable au saint vieillard, et il céda à l'ins-
piration de bénir ce fils dont de si douces senteurs lui révélaient la
présence K II en sera de même pour nous, et nous recevrons de
Dieu les meilleures bénédictions, si nous nous approchons de la
Très Sainte Eucharistie avec des vêtements précieux et embaumés.
Mais ce n'est pas des vêtements corporels qu'il s'agit pour nous ; il
suffit qu'ils soient décents et convenables pour notre état selon le
monde : c'est des vêtements de l'àme, et ces vêtements ce sont les
vertus, dont le parfum ravit le Seigneur.
Lorsque Joseph d'Arimathie et Nicodème ensevelirent le corps
adorable du Sauveur, ils ne se contentèrent pas de l'envelopper
dans le linceul le plus blanc et le plus fin qu'ils eussent sous la
main, mais ils entourèrent le corps sacré d'une très grande quan-
tité de parfums. Les saintes femmes, à leur tour, voulant mettre
la dernière main à cet ensevelissement qu'elles considéraient
sans doute comme accompli trop à la hâte pour être parfait, appor-
taient de nouveaux parfums, lorsqu'elles vinrent au tombeau, le
matin de la résurrection. C'est ainsi que, lorsqu'on veut faire de
sa propre âme un tombeau digne du corps du Seigneur, il ne faut
pas ménager les parfums des vertus : jamais ils ne seront ni trop
abondants ni trop précieux pour une œuvre si grande et si
sainte.
XXL A ces dispositions qu'il convient d'apporter à la sainte com-
munion lorqu'on désire la faire saintement, et en tirer les fruits
qui y sont attachés, on peut en ajouter beaucoup d'autres encore.
Qu'il nous suffise de les nommer, en laissant aux pieuses médita-
tions de chacun le soin d'en reconnaître l'opportunité, pour ne
pas dire la nécessité.
1° L'aumône, car elle efface la multitude des péchés, et nous
sommes nous-mêmes des mendiants auprès de Dieu.
2° Les larmes ou l'amertume de la pénitence, qui est la mer
Uouge que nous devons passer avant d'être nourris du pain ilu
ciel.
:> ■ La patience et la résignation dans les épreuves, dont Jésus
I. Quia Hcbecca vestibus vakle bonis, ((uas apud se habel)at domi, induit
.lacobuni ; nain statini ul iiatcr illius sonsit veslimenloruni illius fragrantiani,
Jjenediccns ail : Ecce odor filii niei, sicut odur agri pleni. {Geves., xxvii, \Ik)
762 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
nous a donné pendant sa vie mortelle et nous donne encore dans
l'Eucharistie de si admirables exemples.
4' L'éloignement pour les satisfactions des sens, satisfactions qui,
même innocentes, constituent presque toujours un danger.
[V^ L'application à imiter les exemples des saints, qui nous
montrent comment nous devons vivre pour être véritablement
dignes d'approcher de la sainte table.
6° La volonté sincère de tendre à la sainteté.
7" Le don de sagesse qui fait que l'on estime et que l'on
recherche par-dessus tout la gloire de Dieu et le salut éternel,
pour soi-même et pour les autres.
8° La chasteté telle que chacun peut et doit la pratiquer selon
son état.
9° La sainte virginité, si chère au cœur de Jésus. Heureux ceux
qui peuvent lui en offrir l'hommage, lorsqu'ils reçoivent, par la
sainte communion, sa chair vierge formée de la substance imma-
culée de la plus pure des vierges !
10° L'innocence baptismale. Plus heureux encore ceux qui se
présentent à la sainte table sans avoir jamais commis aucune faute
grave. Nul n'est digne de se nourrir du pain des anges, comme
celui qui, sur la terre, imite la sainteté des anges, et conserve sa
robe baptismale pure de toute tache.
m.
ACTION DE GRACES ET CONDUITE A TENIR APRES QUE NOUS AVONS COMMUNIÉ
La préparation à la communion est un devoir que nous imposent
la sainteté de l'adorable Eucharistie que nous voulons recevoir,
et le soin de nos propres intérêts. Mais après l'accomplisse-
ment de cet acte sacré, après que Jésus-Christ est descendu en
nous pour nous communiquer sa vie, il nous reste d'autres devoirs
à remplir. Nous serions coupables d'ingratitude, et nous aurions
reçu sans grand profit le don de Dieu, si nous négligions de faire
ce qu'il attend de nous.
Nous ne parlerons pas ici du recueillement profond avec lequel
on doit se retirer de la sainte table, ni des prières et des actes qu'il
convient de dire avant de quitter la maison de Dieu dans laquelle
il s'est donné lui-même à nous pour être notre nourriture. Chacun
peut trouver dans son cœur les sentiments et les pensées qu'attend
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 763
de lui, en ce moment précieux, l'iiôte divin qui vient le visiter;
les manuels de piété contiennent une foule de prières qui, en cas
de besoin, suppléeraient à l'impuissance de rien dire ou de rien
ressentir par soi-même. Mais l'influence de la communion faite
avec dévotion doit se prolonger au delà de ces quelques instants ;
elle doit réagir sur tous les actes, tous les sentiments, toutes les
pensées qui la suivent, non seulement pendant un jour, mais pen-
dant des semaines, des années, ou plutôt la vie tout entière. Lors-
qu'on peut dire avec l'Apôtre : « Je vis, mais ce n'est plus moi,
« c'est Jésus-Christ qui vit en moi, » comment n'être pas complète-
ment transformé en lui ? Comment ne pas lui témoigner sa recon-
naissance, et sa volonté d'être toujours uni à lui, par des actes
réels plus encore que par des paroles et des sentiments passagers?
Mais les généralités ne suffisent pas ; la pratique de la dévotion
exige qu'on entre dans les détails. Voici donc ce que notre divin
Sauveur attend de chacun de nous, lorsque nous avons eu le
bonheur de le recevoir par la sainte communion. Nous ne préten-
dons pas tout dire, et bien des âmes seront inspirées de faire pour
leur divin Jésus plus encore qu'il n'est indiqué ici : mais il im-
porte à tous de n'en rien négliger.
I. On doit, après la sainte communion, demeurer fidèlement
attaché à Dieu et ne plus pécher. — La Sainte Eucharistie est
un trésor infiniment précieux ; aussi devons-nous prendre garde
de perdre ce trésor et de nous séparer, par le péché, de ce Dieu qui
s'est donné à nous dans la sainte communion. A peine la verge de
Moïse eut-elle fait jaillir l'eau du rocher dans le désert, que les
Amalécites qui, jusque-là, s'étaient tenus à l'écart vinrent attaquer
le peuple d'Israël. S. Augustin voit, dans l'eau qui jaillit du rocher
frappé de la verge, le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ sorti
de son côté percé par la lance du soldat. C'est le symbole de l'ado-
rable Eucharistie. Voici les paroles du saint docteur : « Le peuple
« but de l'eau de la pierre, et aussitôt commença la guerre contre
« Amalech. Faites attention, mes frères, car après que chacun de
« nous a bu de l'eau de la pierre, c'est-à-dire a reçu les sacrements
Œ du Christ, il est nécessaire qu'il s'avance au combat '. » Le démon
1. Bibit ergo de petra populus, et statim bellum init contra Amalech. Videte,
fratres, quia, posteaquam quisque de petra biberit, id est Christi sacramenta
susceperit, necesse est illum ad pugnam prodire. (S. Auciustin., serm. XCVI
de tempore.)
764 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVI.
sait combien la présence de Jésus-Christ nous est utile, combien il
nous est bon et nécessaire de vivre dans la grâce de Dieu, et par-
faitement unis à lui : aussi fait-il les plus grands efforts pour dis-
soudre cette union, pour obliger le Seigneur à s'éloigner de nous.
S'il nous fait tomber dans des péchés véniels, il nuira d'autant à
l'intimité que la communion a créée entre Dieu et nous ; mais son
triomphe serait complet s'il nous entraînait à quelque faute grave.
Jésus-Christ disait par la bouche du Psalmiste : « De quelle uti-
« lité sera mon sang, lorsque je descendrai dans la corruption '? »
Comment celui qui est incorruptible peut-il descendre dans la
corruption ? N'est-ce pas de lui qu'il est dit : « Vous ne permettrez
« pas que votre Saint voie la corruption -? »
Le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ sont incor-
ruptibles ; cependant on peut dire que la corruption les atteint en
un certain sens, lorsque celui qui s'est uni à eux par la sainte com-
munion retombe dans le péché. N'était-il pas une branche de la
vigne dont il est le cep? un membre du corps dont il est le chef?
La vie de Jésus n'était-elle pas en lui, eln'en vivait-il pas? Retour-
ner au péché après avoir communié, ce n'est donc pas seulement
se séparer de Jésus-Christ, c'est prendre sa chair adorable et lui
faire, autant que l'on peut, subir la corruption qui ne saurait l'at-
teindre en elle-même. On comprend que le démon déploie toute sa
rage et toute sa malice pour arriver à ce but etinlliger cet outrage
au Dieu qui lui a repris un royaume usurpé, et brisé sa puissance.
Prenons donc garde que l'auteur de tout mal ne vienne à nous
surprendre : ne donnons pas à notre Rédempteur l'ocxasion de
redire cette plainte : « De quelle utilité sera mon sang, lorsque je
a descendrai dans la corruption 3 ? »
Il n'arrive, hélas! que trop souvent que des chrétiens, après
avoir communié, môme avec de bonnes dispositions, retombent
encore dans les fautes qu'ils avaient promis d'éviter. On voit se,
réaliser dans l'ordre surnaturel ce qui est écrit du peuple hébreu
au livre du Deutéronome : « Le Seigneur seul fut son guide, et
i. Quce utilitns in sanguine meo dum descendo in corruptionem? {Ps. xxix,
10.)
2. Nec dabis sanctum tiium videre corruptionem. (As-, xv, \0.)
3. Itaque conservamini, ne aulhor malarum cupiditaturn, diabolus, iterum
principetur in vobis, inde merito Chrislus conqueratur : Quae utilités in san-
guine meo, dum descendo in corruptionem? (S. Gaudent., episc. Brix.,
tract. XII.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 765
« il n'y avait point avec lui de dieu étranger. Il l'a établi sur une
« terre élevée, afin qu'il mangeât les fruits des champs, afin qu'il
<f savourât le miel de la pierre, et l'huile du rocher le plus dur.
« Le bien-aimé s'appesantit et se révolta; appesanti, engraissé,
« grossi, il a abandonné Dieu son créateur, et il s'est éloigné de
a Dieu son salut K » C'est bien l'histoire de ceux que Dieu aime
jusqu'à se donner à eux et, pour user de l'expression du texte
sacré, dont il engraisse l'âme de sa propre substance, s'ils
viennent â retomber ensuite dans le péché. Ceux qui agissent
avec une telle ingratitude ne doivent-ils pas craindre que Dieu
accomplisse contre eux la menace qu'il faisait aux Hébreux révol-
tés : a Je leur cacherai ma face, et je considérerai leur fin 2....
« J'assemblerai sur eux les maux, et j'épuiserai mes flèches sur
<r eux 3. »
Cependant le nombre de ceux qui retombent dans le péché
mortel, après avoir communié, est grand. Peut-être le serait-il
moins si ceux qui se rendent coupables de ce crime réfléchissaient
qu'ils sont les bourreaux de Notre-Seigneur et qu'ils renouvellent,
autant qu'il est en eux, les scènes douloureuses de sa passion et
de sa mort. Comme Caïn meurtrier d'Abel, ils entendront Dieu
qui, dans sa justice inexorable, leur demandera : « Où est ton
« frère? » Le Christ était venu vers toi; il s'était donné â toi :
où est-il ? qu'en as-tu fait ? Son sang répandu pour ton salut, tu
las profané, et il crie contre toi.
D'où peut venir un si grand mal? Tous ceux qui retombent
n'ont cependant pas communié indignement. Sans doute même le
plus grand nombre d'entre eux a cru le faire bien. Mais, outre la
faiblesse naturelle de l'homme ; outre les tentations du démon et
les mille occasions dangereuses qui se présentent chaque jour, il
y a eu souvent le manque de préparation sérieuse. On n'a pas suf-
fisamment désiré s'unir à Jésus-Christ pour vivre de sa vie; on
n'a pas assez médité sur la grandeur de l'acte qu'on se proposait
\. Dominus diix ejus fuit, et non erat cum eo deus nlienus. Constituit eum
super excelsam terram, ut coinederet fructus aijroruni, et sugeret mel de
petra, oleumque de saxo durissiino.... Incrassatus et dilectus et recalcitravit ;
incrassatus, impinguatus.dilatatus dereliquit Deuin factorem suum et recessit
a Deo salutari suo. (Dculcr., xxxii, 1:2, l.'i, lîi.)
-2, Abscondam facieni meam ab eis, et considerabo novissima eorum. (Ihid
3. Congregabo super eos mala, et sagitlas meas complebo in eis. [Ihid., -2:i.)
766 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
de faire et sur les devoirs qui en résulteraient; on ne s'est pas
appliqué à multiplier les bonnes œuvres et à changer d'abord de
vie, pour persévérer après la communion dans ce changement in-
térieurement opéré ; on s'est contenté d'une confession faite à la
hâte, avec une contrition à grand'peine suffisante, et de quelques
formules de prières que les lèvres ont prononcées, mais auxquelles
le cœur a pris trop peu de part. Comment espérer, après une com-
munion faite avec tant de laisser aller et d'imperfection, vaincre
tous les obstacles qui se dressent devant quiconque veut sérieuse-
ment persévérer dans la grâce de Dieu et la pratique de la vertu ?
Par ces rechutes après la communion, on se rend plus indigne
encore qu'on ne l'était d'approcher de cet auguste Sacrement. Ce
n'est que par une condescendance infinie que Dieu permet, même
aux plus saints, de le recevoir sous les espèces eucharistiques.
Comment donc oseront le faire encore ceux qui, après avoir été
admis à sa table et traités comme ses amis les plus chers, ou plu-
tôt comme ses enfants, l'ont trahi de nouveau et ont repris place
dans les rangs de ses ennemis? La manne dont Dieu nourrissait
les Israélites cessa de tomber dès qu'ils eurent commencé de man-
ger les fruits récoltés dans la terre de Chanaan K La manne était
la figure de la Sainte Eucharistie : on ne mérite plus de s'en
nourrir, du moment que l'on mange des fruits de la terre, c'est-à-
dire que l'on retourne au péché.
Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit : « Celui qui mange ma chair
« et boit mon sang demeure en moi et moi en lui 2. » C'est la
merveille qui s'accomplit en vertu de la sainte communion. Mais
si le péché survient, Jésus se retire, car il n'habite pas un cœur
souillé par le péché. Reviendra-t-il volontiers dans cette demeure,
d'où il a été honteusement chassé pour faire place au péché son
ennemi et au démon qui l'accompagne? Sans doute, sa miséri-
corde n'a pas de bornes, et il pardonne même à ceux qui l'ont reçu
indignement, s'ils se repentent; mais leur retour est difficile, si
difficile même que l'Apôtre le déclare impossible sans un miracle
particulier de la bonté divine, lorsqu'il dit : « Il est impossible à
« ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goûté le don du
« ciel.... et qui après cela sont tombés, d'être renouvelés par la pé-
i. Defecit manna, postquam comederunt de frugibus terrse. [Jos., v, 12.)
2. Qui rnanducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manetet
ego in illo. {Joaun., vi, .%.)
I
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 767
« nitence •. <> Et il en donne la raison : « Car une terre qui boit
« la pluie venant souvent sur elle et qui produit une herbe utile
« à ceux qui la cultivent, reçoit la bénédiction de Dieu. Mais quand
a elle produit des épines et des ronces, elle est abandonnée et bien
« près de la malédiction ; sa fin est la combustion '-. i> L'Apôtre
ne dit pas qu'elle ait reçu la malédiction finale, mais il ne s'en
faut que de peu. De même, ceux qui, après avoir communié, re-
prennent leurs habitudes coupables et se livrent au péché comme
ils le faisaient d'abord, sont bien près de la malédiction finale.
Qu'ils se hâtent de changer de vie, s'ils ne veulent pas tomber
dans les flammes de l'enfer.
IL Rendre grâce à Dieu. — L'immolation de l'agneau pascal
fut pour les Hébreux, la première fois qu'ils l'accomplirent, le
signal de leur délivrance. De même, lorsque notre-Seigneur Jésus-
Christ mangea la Pàque nouvelle avec ses apôtres pour la pre-
mière fois, dans le Cénacle, il donnait le signal de notre délivrance.
Ce fut alors que Judas s'en alla trouver les Juifs afin de le livrer,
et que commença sa douloureuse passion qui nous arracha au
joug de Satan et nous rendit nos droits au ciel. Dieu voulut que
les Israélites continuassent d'immoler chaque année l'agneau pas-
cal, pendant le cours des siècles, en mémoire de leur affranchis-
sement et des miracles qui l'accompagnèrent. Il en est de même
pour nous. Nous devons manger notre Pàque, la chair du divin
Agneau immolé pour nous, en reconnaissance de notre rédemp-
tion, et de la multitude des autres bienfaits dont le Seigneur nous a
comblés. De tous ces bienfaits, le plus étonnant, et l'on pourrait
dire le plus grand, est celui-là même qu'il nous accorde, lorsqu'il
daigne s'abaisser jusqu'à nous et se donner à nous par la sainte
communion. Il est donc juste de lui témoigner notre reconnais-
sance pour toutes ses miséricordes, en lui donnant asile dans nos
cœurs; mais il n'est pas moins juste de la lui témoigner encore,
lorsque nous l'avons reçu, de ce qu'il a bien voulu se donner à
nous, vivre en nous, afin que nous vivions par lui.
1. Impossibile est enim eos qui semel sunt iiluminati, gustaverunt etiain
donum cœleste,.... et prolapsi sunt, riirsum renovari ad pœnitentiam. {fiom.,
VI, .i, 0.)
'i. Terra enim sœpe venicntem super se bibens imbrein,et generans her-
bam opporlunam illis a quibus colitur, accipitbenedictionern a Deo. Proferens
autem spinas et Iribulos, reproba est et maledictio proxima; cujus consum-
matio in combustioncin. (/(/., vi, 7.)
768 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
S. Matthieu nous apprend que notre divin Sauveur ne sortit
pas du Cénacle où il avait, pour la première lois, célébré l'Eucha-
ristie, sans avoir dit l'hymne d'action de grâces : Et hijmno dicto,
exierunt in montem Oliveti ^ S. Jean nous rapporte les derniers
entretiens, les dernières effusions d'amour auxquelles Jésus se
livra envers ses disciples, avant de se rendre au mont des Oliviers.
Cependant le temps pressait ; l'heure marquée pour que ses en-
nemis, conduits par le traître Judas, s'emparassent de lui allait
sonner. Mais il n'en voulut pas moins nous donner l'exemple de
l'action de grâces après la communion, et inspirer à ses disciples
les pensées de reconnaissance, de confiance et d'amour dont il
convient d'être pénétré lorsqu'on a participé à cet adorable sacre-
ment. « Il a rendu grâces avant de distribuer les mystères
« sacrés â ses disciples, pour que nous aussi nous rendions
« grâces ; il a dit une hymne après les avoir distribués, pour que
« nous aussi nous fassions de même S » dit S. Jean Chrysostome
cité par S. Thomas.
Dans la parabole des dix serviteurs qui avaient reçu chacun une
certaine somme d'argent, une mine, pour la faire valoir pendant
l'absence de leur maître, il s'en trouva un qui garda fidèlement
cette somme, mais ne lui fit produire aucun intérêt, de sorte qu'il
la rendit à son maître telle qu'il l'avait reçue. Ce n'était pas assez :
il n'était pas voleur peut-être, mais il n'était pas fidèle non plus,
car il n'avait pas fait, comme les autres plus courageux et plus
habiles que lui, ce que son maître attendait. Aussi fut il privé
même de cette somme, tandis que ses compagnons reçurent des
récompenses magnifiques, chacun en proportion de ce qu'il avait
fait produire à la mine que le maître lui avait confiée. Il en est
ainsi pour la sainte communion. Ceux qui, après la réception de
ce bien d'un prix infini, ne s'appliquent pas à en tirer parti et à lui
faire produire au moins quelque fruit, ceux qui n'ont pas pour
Dieu de reconnaissance et se gardent uniquement de perdre la
grâce, parce qu'ils craignent la colère du Seigneur, ne seront
pas récompensés. Il faut témoigner sa reconnaissance, il faut
témoigner son amour, il faut tirer de la mine céleste tous les
1. Mntth., XXVI, 30.
'1. Gratias ergo egit, antequam sacra mysteria discipulis daret, ut et nos
gratias agamus ; hymnum dixit, postquam dédit ut et nos idipsum agamus.
i^S. CURVSOST., apud Dix . Tiiom., in Catena aurea.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRÈS l'aVOIR FAITE. 769
fruits qu'elle peut donner, si l'on veut plaire au divin Maître et
mériter ses grâces.
Quiconque a communié doit s'efforcer, autant que le permet la
condition humaine sur la terre, d'imiter les quatre animaux m\'s-
térieux dont parle l'Apocalypse. Ils se tenaient devant le trône de
. Dieu, « et ils ne se donnaient de repos ni jour ni nuit, disant : Saint,
or saint, saint, est le Seigneur le Dieu tout-puissant. » Ne pas rendre
suffisamment grâces à Dieu, lorsqu'il s'est donné à nous par la
sainte communion, pourrait être un indice que la préparation appor-
tée à le recevoir n'avait pas été suffisante. Plusieurs docteurs ont
pensé que si Adam est tombé avec tant de facilité dans le péché
qui le perdit avec toute sa race, il le faut attribuer à son manque
de reconnaissance envers le Seigneur, pour tous les biens naturels
et surnaturels dont il avait été comblé. On ne voit pas en effet, dans
la Sainte Écriture, qu'il eût dit un seul mot ou fait un seul acte
pour témoigner sa gratitude. Prenons garde, à notre tour, de ne
pas nous montrer ingrats. Ne nous exposons pas à détourner de
nous les grâces dont nous avons tant besoin, pour vivre unis à
Dieu par la grâce et ne pas tomber misérablement, après tant de
bienfaits reçus, comme il arriva au premier homme.
III. S'adonner à F oraison. — Le saint roi David disait : « Les
« yeux de tous espèrent en vous. Seigneur, et vous leur donnez
c la nourriture ^ » Dieu donne la nourriture, même à ceux qui ne
le connaissent pas, ou ne veulent pas le prier; il la donne même
aux êtres sans raison. Mais il est une nourriture qu'il ne donne,
avec la plénitude de sa vertu et de sa douceur, qu'à ceux dont les
regards sont attachés sur lui, et qui attendent tout de lui. Cette
nourriture est l'adorable Eucharistie. Si nous voulons qu'elle soit,
non seulement en elle-même, mais pour chacun de nous, une nour-
riture véritable et produisant ses effets, il faut que nos regards
demeurent en quelque sorte toujours fixés sur le Seigneur. C'est
par la prière, par la sainte oraison, que nous élevons vers Dieu les
regards de nos âmes. Jésus-Christ nous a dit qu'il faut toujours
prier et ne jamais cesser de le faire 2. On serait particulièrement
coupable si l'on négligeait de mettre ce conseil en pratique, lors-
qu'on a le bonheur d'être uni à Jésus-Christ par la réception de son
auguste sacrement.
\. Oculi omnium in le sperant, Domine, et tu dasillis escam. (As\ cxLiv, Itj.)
i2. Oporlet scinperorare et non deticere. [Joann., w, H.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 49
770 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE H. — CHAP. XVI.
Ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Celui qui mange
« ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui ^ »
nous font comprendre que tout n'est pas achevé lorsque nous avons
communié. Il nous reste à demeurer en Jésus-Christ, c'est-à-dire à
ne pas nous répandre au dehors de nous-mêmes, en donnant toutes
nos pensées, toutes nos affections, tous nos actes aux choses étran-
gères à Dieu. Sans doute, nous pouvons et nous devons nous occu-
per des affaires de ce monde, lorsque notre état et les circonstances
le demandent, mais nous devons le faire comme les anges qui,
tout en veillant aux choses d'ici-bas dont Dieu leur a donné la
charge, ne cessent pas d'être toujours en sa présence; nous devons
imiter les saints, et remplir ces devoirs extérieurs sans nous éloi-
gner de Dieu. Nous sommes en Jésus-Christ: il ne faut pas que
nous sortions de lui.
En même temps que nous demeurons en Jésus-Christ par la
sainte communion, lui-même demeure en nous. Ne convient-il pas
que nous fassions à notre hôte divin une réception qui lui plaise?
Pouvons- nous le laisser là seul, dans un cœur où bien des choses
peut-être blesseraient ses regards, et l'empêcheraient d'y trouver
ses délices? Pouvons- nous ne pas demeurer attentifs à sa parole
comme le fut Madeleine, et ne pas lui parler à notre tour, lors-
que tant de motifs nous presseraient de le faire ? Non, nous ne le
pouvons pas. Laisser là Jésus seul lorsqu'on a eu le bonheur de le
recevoir, et le laisser pour s'occuper de choses souvent vaines et
sans importance, de conversations moins édifiantes que coupables,
serait plus qu'un manque de convenance : ce serait une véritable,
une grossière injure à la grandeur infinie de celui qui, pour se
montrer si condescendant envers nous, n'en est pas moins le Dieu
tout-puissant que le ciel et la terre adorent. Si tant de personnes
qui communient souvent, si tant de prêtres même ne font que peu
ou point de progrès dans la perfection, peut-être la raison princi-
pale en est-elle dans la négligence que l'on met trop souvent à
vivre en Dieu par la prière, et à tenir compagnie au divin Sauveur
pendant le cours de la journée, lorsqu'on l'a reçu le matin dans
son sacrement d'amour.
IV. Faire V aumône. — Notre-Seigneur Jésus-Christ est bon,
miséricordieux, libéral ; s'il vit en nous véritablement et si nous
1. Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et
ego in eo. {Joann., vi, Îi7.)
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 771
vivons de sa vie après la sainte communion, nous devons être
bons, miséricordieux, généreux comme lui, envers ceux qui sont
dans le besoin ; nous devons faire l'aumône selon nos facultés. Au-
trement, comment pourrions-nous dire que c'est lui qui vit en nous?
Notre vie ressemblerait-elle en quelque chose à la sienne ?
Jésus-Christ, pour préparer ses disciples à la promesse qu'il
allait leur faire de donner sa chair à manger et son sang à boire,
comme un aliment d'une éternelle vie, accomplit d'abord un
éclatant miracle : la multiplication des pains. C'était une figure
de l'adorable Eucharistie, mais c'était en même temps un acte de
charité, une aumône qu'il faisait à toute cette multitude qui souf-
frait de la faim et dont il avait compassion. Si l'aumône doit ser-
vir de préparation à la sainte communion, comment pourrait-elle
ne pas la suivre aussi? Comment pourrait-on refuser quelque
chose aux malheureux lorsqu'on vient soi-même de recevoir, sans
aucun mérite, l'aumône la plus riche que Dieu puisse faire à ses
créatures ici-bas? Le serviteur, à qui son maître avait remis sa
dette énorme de dix mille talents, encourut les châtiments les plus
terribles, pour n'avoir pas été compatissant à son tour : que ré-
pondra au Seigneur celui qui, après avoir reçu Dieu lui-même,
refusera durement la moindre des choses aux malheureux qui im-
plorent son secours ?
Il est plusieurs sortes d'aumônes. On ne peut pas toujours don-
ner largement l'aumône matérielle ; il se peut qu'on ait à peine
assez pour suffire à ses propres besoins. Mais l'aumône spirituelle,
l'aumône d'une bonne parole, d'un peu de sympathie, l'aumône
d'une prière, est toujours et en tout temps à la portée de chacun.
S'en contenter, lorsqu'on pourrait y ajouter l'aumône temporelle
dont le pauvre a réellement besoin, serait se faire illusion, se
tromper soi-même et chercher à tromper Dieu. Mais à défaut de
celle-ci, ou en même temps qu'elle, elle est toujours précieuse,
et souvent la plus précieuse des deux aux regards du Seigneur.
Qu'importe, d'ailleurs, que ceux qui demandent l'aumône pa-
raissent peu dignes d'intérêt ? C'est pour Dieu qu'on leur donne,
et Dieu, de qui nous tenons tout, mérite bien qu'on lui rende
quelque chose dans la personne des pauvres. Lorsque nous avons
communié et que Jésus-Christ vit en nous, il est heureux de don-
ner ainsi par notre main.
Mais il y a des pauvres qui, plus que tous les autres, ont besoin
ll'i LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
qu'on leur fasse l'aumône. Ce sont d'abord les agonisants, qui vont
paraître devant Dieu : qui pourrait leurrefuser une prière ? Elle leur
obtiendra une dernière grâce, et ce sera pour eux le salut éternel.
Ce sont ensuite les âmes du purgatoire. Il n'y a pas de pauvres
dont les besoins soient plus pressants, ni les souffrances plus
dignes de compassion. Il n'en est pas non plus dont le soulage-
ment que nous leur apportons soit plus agréable à Dieu. Il nous
est si facile de leur venir en aide par nos prières, nos bonnes
œuvres, les indulgences nombreuses que nous pouvons gagner
pour elles, surtout les jours de communion, que nous serions im-
pardonnables de leur refuser l'aumône qu'elles attendent de nous.
Au jour du jugement, Jésus-Christ nous dirait : « J'ai eu faim
€ dans la personne des âmes du purgatoire, et vous ne m'avez pas
a donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à
« boire ; j'ai été prisonnier et vous ne m'avez pas visité. »
N'oublions pas non plus les pécheurs qui ont besoin de conver-
sion ; les tentés près de succomber, les hérétiques, les infidèles.
Le nombre des pauvres spirituels pour qui Jésus-Christ lui-même
nous demande l'aumône est infini. Pourrions-nous la refuser en
échange de la grande aumône que ce divin Hôte vient de nous
faire, de son corps, son sang, son âme, sa divinité, de sa personne
tout entière enfin, et de tous les biens qui l'accompagnent?
V. Être tempérant et mortifier ses sens. — Lorsque nous
avons mangé le pain des anges, il semble que les aliments pure-
ment terrestres doivent être pour nous peu de chose, et qu'en user
sans modération serait un manque d'égard, une injure même faite
à la nourriture divine que Dieu nous a donnée. Notre divin Sauveur
nous a recommandé de demander à notre Père céleste le pain de
chaque jour : lorsqu'il habite en nous, ne convient-il pas que
nous nous contentions, ne fût-ce qu'à cause de sa présence,
d'une nourriture simple et frugale, telle qu'il faut l'entendre par
ce mot de pain? et si les circonstances mettent à notre disposition
des aliments plus recherchés, ne devons-nous pas en user avec
une sage retenue, lorsque Jésus, qui nous dit de demander uni-
quement du pain, est à table avec nous? Il en est de même pour
ce qui concerne nos autres besoins : il nous faut user de la même
mesure, éviter avec soin tout excès et toute recherche. Les plai-
4. Esurivi enim, et non dedistis mihi manducare; sitivi, et non dedistis
milii potum.... et in carcere, et non visitastis me. (Matth., xxv, 41, 42. )
PRÉPARATION A LA COMMUNION ET CONDUITE APRES l'aVOIR FAITE. 773
sirs même légitimes des sens deviennent facilement de graves
dangers si l'on s'y abandonne. Et comment goûter ces plaisirs
lorsqu'on vit de la vie de Jésus? Si nous considérons ce divin
Agneau que nous avons mangé comme victime, sa passion, son
immolation cruelle, le fiel et le vinaigre dont il fut abreuvé,
doivent nous rendre amères toutes les jouissances que procure
le monde. Si nous le considérons régnant au ciel dans le sein de
la gloire et de l'éternelle béatitude, que seront pour nous les dé-
lectations les plus délicates ? pourrons-nous nous y arrêter en sa
divine présence ?
Mais ce n'est pas assez de tenir peu de compte des jouissances
même permises qui sont à notre portée, ce n'est pas assez de la
tempérance, après la communion, il faut y ajouter la mortifica-
tion, et refuser à nos sens au moins quelque chose des satisfac-
tions que nous pourrions leur accorder sans la moindre faute. Ce
sacrifice sera agréable à notre Hôte divin; il le portera à multi-
plier ses grâces et ses douceurs spirituelles, pour nous rendre
avec usure les douceurs naturelles dont nous nous serons privés
par attention pour lui. D'autre part, la mortification des sens, même
dans les choses permises, est une barrière élevée entre nous et
celles qui ne le sont pas.
VI. Extirper ses passions. — Jésus-Christ est le Dieu de paix
et il ne se plaît pas au milieu du trouble : Non in commotione
Dominus ^ ; comment aimerait-il voir l'âme qu'il a choisie pour sa
demeure en proie au trouble des passions? Il veut que la paix
règne en ceux qui lui donnent asile. C'était la paix qu'il souhai-
tait, ou plutôt qu'il conférait à ses apôtres, dans les visites qu'il
leur fit après sa résurrection; c'est aussi la paix qu'il nous apporte
lorsque nous le recevons dans la sainte communion. Mais il ne
nous la donnera qu'autant que nous voudrons y contribuer nous-
mêmes. Il ne calmera la violence de nos passions que si nous tra-
vaillons sérieusement de notre côté à les réprimer. Nous ne pou-
vons rien sans lui, et lui-même ne fait ordinairement que peu de
chose en nous, si nous négligeons de l'aider. Il veut donner la
paix, mais à la condition qu'on s'emploie sérieusement à obtenir
ce bien auquel l'homme ne saurait atteindre par ses propres lorces,
mais qui sera la récompense de sa bonne volonté.
\, III. Reg., XIX, \\.
774 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVI.
VII. S'elf'orcer de retirer les autres du péché et de les gagner
à Dieu. — Jésus-Christ est venu apporter le feu sur la terre, et
tout son désir est que ce feu, qui est celui de son amour, embrase
tous les cœurs '. Celui qui vient de communier porte des charbons
ardents dans son cœur. Il doit tout le premier être embrasé de ce
feu divin ; mais Jésus ne veut pas qu'il en réserve toutes les ar-
deurs uniquement pour lui. Ce feu doit être communiqué et s'é-
tendre comme un incendie tout aux alentours. Celui qui a commu-
nié s'efforcera donc d'allumer dans les cœurs des autres ce feu
sacré de l'amour divin, et les ardeurs de cet amour seront d'autant
plus vives en son propre cœur i[u'il les aura plus largement com-
muniquées.
On manquerait donc à Jésus-Christ et on prouverait que l'on
comprend peu son amour, si l'on ne s'efforçait pas, par tous les
moyens possibles, de retirer les pécheurs de leur mauvaise voie
et^de les ramener à Dieu. Cette œuvre, l'œuvre par excellence, car
c'est pour l'accomplir que le Fils de Dieu est venu sur la terre et
qu'il est mort sur la croix, est à la portée de tous. Tous ne sont
pas appelés au ministère évangélique, mais tous peuvent dire, au
moins de temps en temps, quelqu'une de ces paroles qui font du
bien à ceux qui les entendent ; tous peuvent édifier par une con-
duite véritablement chrétienne ; tous peuvent prier, offrir à Dieu
des mortifications, accomplir des actes de vertu en vue de la con-
version des pécheurs. Ne semble-t-il pas que ce soit pour nous un
devoir de le faire, surtout lorsque nous avons communié, puisque
notre divin Jésus l'attend de nous; puisqu'il souhaite ardemment
le retour des pauvres âmes égarées ; puisque ce que nous ferons
pour les ramener à lui aidera puissamment à lui donner cette sa-
tisfaction? D'ailleurs, parmi ces âmes, il en est plusieurs peut-
être qui nous sont attachées par des liens étroits, plusieurs dont,
à un titre ou à un autre, nous devrons rendre un jour compte à
Dieu. Donner des âmes à Jésus-Christ qui s'est donné lui-même à
nous, n'est-ce pas le plus puissant moyen de lui témoigner notre
reconnaissance?
VIII. S'appliquer avec une ardeur nouvelle à la pratique de
la vertu. — Jésus-Christ est notre docteur, notre modèle et notre
force. Il est venu sur la terre, et s'est fait semblable à nous pour que
1. Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur? {Luc.f
XII, 49.)
PREPARATION A LA COMMDNION ET CONDUITE APRES L AVOIR FAITE. I If)
nous devenions, à notre tour, semblables à lui. Il nous a enseigné
par sa parole quelle conduite nous devons tenir, pour être par-
faits comme notre Père céleste est parfait, et, par sa propre con-
duite extérieure, il nous a tracé la voie qui peut et doit nous
mener à ce but. Il nous a dil : «r Je vous ai donné Texemple
« afin que vous aussi vous fassiez comme j'ai fait ^ » Le devoir
d'imiter Jésus-Christ nous oblige toujours, mais jamais plus que
dans les jours bénis où nous l'avons reçu et le possédons en nous-
mêmes, par la sainte communion. C'est pour nous rendre parfai-
tement semblables à lui, nous transformer en lui, qu'il est venu
en nous : il faut que cette mystérieuse transformation s'opère. Or,
nous ne ressemblerons véritablement à Jésus que si notre àme
brille des mêmes vertus que nous admirons dans cet adorable
modèle.
Mais arriver à cette ressemblance désirable n'est pas l'affaire
d'un moment ni d'un jour. Une communion faite avec une piété
sincère fortifie les vertus que nous possédons déjà et dépose en
nous les germes de celles qui nous manquent; mais ces germes
ne se développeront, et les vertus qui déjà ornent notre âme ne
se conserveront et ne grandiront encore que par l'exercice. Imi-
tons donc l'exemple de notre divin Sauveur. Pendant les trente
premières années de sa vie,qu'a-t-il fait? lia consacré tout ce long
temps à la pratique des vertus qu'il venait nous recommander;
ce n'est qu'après ces trente années de pratique qu'il nous a ensei-
gné par la parole ce qu'il avait accompli par ses actes. Et les trois
années consacrées à l'enseignement de sa doctrine n'ont-elles pas
été, comme les premières, consacrées en même temps à ces mômes
actes de vertu, dont le saint Évangile nous a conservé quelques
traits, pour nous servir d'exemple ?
Si donc nous voulons être agréables à notre très bon Maître,
si nous voulons lui ressembler, comme il nous le demande, que
chaque communion soit pour nous le motif d'apporter une ardeur
nouvelle à conquérir les vertus qui nous manquent et à multiplier
les actes de celles que nous avons déjà.
Ces quelques indications suffiront pour montrer ce que le Sei-
gneur attend de ceux qui ont le bonheur de faire la sainte commu-
nion. Il ne faut pas qu'un bienfait si grand demeure stérile ; il ne
1. Exemplum enim dodi vobis, ul quemadiuoduni ego feci vohis, iia et vos
faciatis. {Jounn., xiii, lîi.)
776 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVII.
faut pas que ceux qui le reçoivent s'exposent à la colère de Dieu,
comme la terre dont il est dit : « Une terre qui boit la pluie venant
«1 souvent sur elle et qui produit des épines et des ronces est aban-
M donnée, bien près d'être maudite et l'on finit par y mettre le
« feu '. »
CHAPITRE XVII
DES EFFETS DE LA SAINTE COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT
AVEC PIÉTÉ
I. Fruits de la sainte coinnmnion bien faite, d'après l'Ecriture et les auteurs ascé-
tiques. — II. Autres fruits de la sainte communion. — III. Derniers fruits de la
sainte communion. — Un mot sur les funestes résultats de la communion sacrilège.
I.
FRUITS DE LA SAINTE COMMUNION d'aPRÈS l'ÉCRITURE
ET LES AUTEURS ASCÉTIQUES
Les fruits que la très sainte et très adorable Eucharistie produit
dans une âme, qui la reçoit avec une véritable dévotion, sont in-
nombrables. On ne saurait prétendre à les énumérer tous ici, ni
surtout à faire ressortir pleinement leur excellence; mais au moins
faut-il donner une indication sommaire de ceux que les auteurs
ascétiques ont signalés. Elle suffira pour montrer combien il im-
porte de faire la sainte communion, de la faire souvent et de la
très bien laire -.
I. La sainte communion demande et obtient la grâce pour
nous.
Le saint patriarche Jacob prophétisait que son fils Juda laverait
sa robe dans le vin •". Quel peut être ce vin, sinon le vin de l'Eucha-
ristie, c'est-à-dire le sang de Notre-Seigneur? C'est dans ce vin
précieux que les membres de la tribu royale du peuple de Dieu,
1. Terra enim saepe venienlem super se bibens imbrem,.... proferens au-
lem spinasac tribulos, reproba est et maledictio proxima, cujus consummatio
in combustioneni. [Ilehr., vi, 7, 8.)
2. Nous suivons ici principalement les indications d'un ancien ouvrage :
Aquila maf/nrinim alortim, H. P. .JuLii Francisci Conti, Ordin. Minor. stric-
tior. observant.
3. Lavabit in vino stolann suam. [Gènes., XLix, M.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 777
les enfants de la sainte Église, purifient leur robe d'innocence
des souillures qu'elle contracte presque nécessairement en ce
monde.
Le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ reçu dans la sainte com-
munion est pour nous, mais dans un sens plus élevé, ce que fut le
sang de l'agneau pascal dont les Hébreux teignirent les portes de
leurs maisons, en la nuit où l'ange du Seigneur, pour les délivrer,
frappa tous les premiers-nés d'Egypte. « Ce sang vous sera un
« signe, et je verrai ce sang, et je passerai ', » disait le Seigneur.
Si le sang de l'agneau immolé eut une telle vertu, s'il obtint aux
Hébreux pitié et miséricorde, que n'obtiendra pas pour nous le
sang de Jésus-Christ dont il n'était que la figure? Quand nos lèvres
sont marquées de ce sang précieux, quand nous avons mangé di-
gnement la chair de l'Agneau divin, pouvons-nous craindre en-
core que Dieu nous refuse le pardon de nos fautes? Le sang
d'Abel criait vengeance, mais le sang qui coule sur l'autel du Sei-
gneur dont nous approchons demande pardon pour nous et obtient
notre grâce '-.
IL La sainte communion nous aide à surmonter nos défauts
et guérit les blessures de notre âme.
Elle est ce vin que le bon Samaritain versa avec de l'huile sur
les blessures du voyageur que le prêtre et le lévite de l'ancienne
loi n'avaient pas secouru. Le bon Samaritain est Notre-Seigneur
Jésus-Christ; le vin qu'il verse avec l'huile de sa grâce sur les
blessures que les passions, que les démons et leurs complices ont
faites à notre àme, est le sang versé sur la croix, sang précieux
devenu pour nous un breuvage salutaire et un médicament efli-
cace contre tous nos maux dans la Sainte Eucharistie. C'est dans
la Sainte Eucharistie que le divin Rédempteur est pour nous le
Samaritain, le gardien par excellence. C'est là qu'il charge en
quelque sorte sur ses épaules le pauvre voyageur, que les brigands
ont laissé à demi mort sur le chemin, pour le transporter dans
l'hôtellerie et lui sauver la vie; c'est dans l'Eucharistie, c'est dans
la sainte communion que nous devons recourir à lui, si nous vou-
I. Krit vobis sanguis in signum et videbo sanguinem, et transibo vos.
{ExoiL, XXV, :iU.)
^. Acccssislis <i<l montem Doi, et sfiuf/uiuis f/aperxiuueni mclius loquenlem
quam Abcl {/leur., mi, '2'2), quia scilicet sanguis Aliel clamât ad Deum vindic-
tam; sanguis Christi postulat et impetrat gratiam. (S. Thom., opusc. LVll de
Vervr. Sdcrmn. iillav.)
778 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
Ions guérir de nos blessures et de nos foiblesses, avoir la vie et
l'avoir avec plus d'abondance '.
III. La sainte communion expie particulièrement le péché de
la chair.
La chair de l'homme est la cause des péchés les plus graves et
les plus nombreux qui se commettent dans le monde. II appartient
à la chair toute sainte et tout immaculée de Jésus de porter re-
mède à un si grand mal, et de faire disparaître les traces de ces
horribles souillures. David avait commis un adultère et par suite
un liomicide. Reconnaissant son double crime, il le pleurait amè-
i-ement et disait au Seigneur : « Lavez-moi davantage de mon ini-
« quité, et purifiez-moi de mon péché : » Amplius lava me ah ini-
quitate mea, et a peccato meo munda me. Pour le péché d'homi-
cide, il demandait simplement d'en être purifié : A peccato meo
mundame;Q,'es\,(\\i"\\ existaitdéjà un remède pour ce crime, la mort
du coupable; les eaux du déluge avaient purifié la terre souillée
par le sang d'Abel que Caïn avait répandu. Mais pour l'adultère, le
remède particulier n'avait pas été donné encore : il fallait le sang de
.Tésus-Christ, et c'est de ce sang précieux que le prophète pénitent
implore la vertu purificatrice; c'est en lui qu'il veut être lavé 2.
IV. La sainte communion bien faite répare le péché commis
en communiant mal.
C'est ce que paraissent indiquer ces paroles du Psaliniste : « Ils
« ont été enrichis par le fruit du froment, du vin et de leur huile 3. »
Le froment et le vin sont les figures de la Sainte Eucharistie qui
enrichit les âmes qui la reçoivent; mais pourquoi le prophète y
ajoute-t-il l'huile, comme si elle ne faisait, avec le froment et le
vin, qu'une seule figure de cette source de richesses que Jésus
nous a préparée ? C'est que l'huile adoucitetguérit les blessures. Il
peut se faire que le pain et le vin du Seigneur nuisent à notre âme,
si elle est mal préparée, et la blessent profondément : il faut verser
de l'hujle sur la blessure, et quelle sera cette huile, sinon la Sainte
1. Rétine carnem Cliristi, in qua leveris œgrotus, et a vulneribii-s latronum
.semivivus relictus, ut ad stabulurn perducaris, et il)i saneris. Ergo curramus
ad dornum Domini. (S. Augi;st., in Luc, x, 31.)
i. Profecto homicidio tune proprium aderat medicamen : aquadiluvii ineral
divagante mortis calamitate. Vcrum quia adulterii propria ablutio nondum a
Dominico corpore diffluxerat, amplius petit lavari. (Escohar., in Evang.,
lib. VIII.)
■i. A fruclu frumenti, vitii el olei sui multiplicati sunl. {Pu. iv, ^.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 779
Eucharistie mieux reçue? Par elle le dommage sera réparé; par
elle les richesses de la grâce recevront un nouvel accroissement.
Les Juifs avaient mal mangé la manne dans le désert ; ils l'avaient
considérée non pas comme la figure et le gage du pain spirituel
et divin que Dieu se préparait à nous donner un jour, mais comme
un aliment purement corporel : « Ils sont morts, » dit Notre-Sei-
gneur, et il ajoute: « Celui qui mange ce pain vivra élernelle-
« ment. » Quel enseignement pouvons-nous tirer de ces paroles,
sinon que celui qui aurait encouru la mort de l'âme en commu-
niant sans apporter à cette action sacrée toutes les dispositions né-
cessaires retrouvera la vie véritable, la vie éternelle s'il commu-
nie de nouveau, mais saintement, comme un tel sacrement le
réclame.
V. La sainte communion calme et éteint les ardeurs de la
concupiscence.
Moïse avait promis, de la part de Dieu, au peuple d'Israël, dans
le désert, que le lendemain matin ils auraient du pain en abon-
dance et a le matin, dit le texte sacré, la rosée se trouva répan-
« due autour du camp. Et lorsqu'elle eut couvert la surface de la
« terre, il apparut quelque chose de menu et comme pilé au mor-
« tier, ressemblant à la gelée blanche sur la terre ^ » C'était la
manne, le pain que le Seigneur avait promis et qu'il donnait à son
peuple. Pourquoi cet aliment, l'une des figures les plus frappantes
de la Sainte Eucharistie, se présentait-il sous la forme de rosée et
de gelée blanche? S. Thomas répond : « Le pain céleste apparais-
« sait sous la forme de rosée et de gelée blanche, parce que le corps
« du Seigneur délivre des ardeurs de la concupiscence mauvaise -. »
David disait au Seigneur : a Vous avez préparé devant moi une
« table contre ceux qui me troublent -^ » Les Pères reconnaissent
dans cette table la table eucharistique, la sainte communion.
Mais qui faut-il entendre par ceux qui nous troublent? Assuré-
ment il faut entendre tout d'abord nos ennemis intérieurs, la con-
cupiscence et tous les mauvais désirs, tous les attachements cou-
1. Mane ros jacuit per circuituin castrorum. Cumque operuissetsuperficiem
terrae, apparuil in solitudine minutuin, et quasi pilo tusum, in siniilitudinem
pruina^ super lerr.mi. (h'.roil., \vi, 1:5, 14.)
'2. Panis ifritur cœleslis in similitudinom pruinae, rorisque apparohat, quia
corpus Doniini a fervorepravae concupiscentiïe libérât. (S. TiioM., opusc. LVll,)
3. Parasti in conspectu meo mensam advcrsus eos qui trihulant me.
[Ps. \xii, ti.)
780 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
pables qu'elle enfante. C'est principalement contre de tels ennemis
que Dieu nous a préparé un secours tout-puissant dans la sainte
communion. Avec la communion bien faite, la victoire est assurée,
mais sans elle que pourrait-on contre tant d'ennemis intérieurs
qui se joignent à ceux du dehors, pour pousser une àme à sa perte ?
La Sainte Eucharistie, c'est encore l'eau qui a jailli de la pierre
frappée par Moïse, dans le désert. L'eau éteint le feu ; la Sainte Eu-
charistie, eau vivante et vivifiante, sortie du côté de Jésus frappé
par la lance du soldat, éteint aussi le feu des passions ou de la
concupiscence.
VL La sainte communion guérit de tous les maux.
Le Prophète royal le savait et c'est pourquoi il disait au Seigneur :
« Je prendrai le calice du salut. » Ce calice du salut, quel peut-il
être, sinon celui qui contient le sang adorable de notre Sauveur?
Le nom de calice du salut ne saurait convenir aussi bien à aucun
autre et il n'en est pas qui puisse nous être autant utile, exposés
comme nous le sommes à toutes sortes de maux. Sa vertu est infinie,
puisqu'il contient le sang d'un Dieu. La Sagesse incréée, ou plutôt
Jésus-Christ lui-même, nous invite à boire ce calice. Nous lisons
en effet au livre des Proverbes : « Buvez le vin que je vous ai
« mêlé. » Évidemment la sagesse divine ne nous excite pas à
boire le vin matériel qui engendre l'ivresse et fait commettre tant
de crimes. Le vin qu'elle nous oflre est bien le même dont parle
le Psalmiste, la Sainte Eucharistie, le calice qui sauve.
Pendant la vie mortelle de Notre-Seigneur, tous ceux qui tou-
chaient avec foi, non seulement son corps adorable, mais les vête-
ments qui le recouvraient, trouvaient la guérison de leurs maux et
le salut de leur âme dans cet attouchement : comment ne trouve-
rions-nous pas dans la sainte communion les guérisons spiri-
tuelles dont celles que rapporte l'Évangile étaient la figure et le
gage? Comment n'y trouverions-nous pas même un soulagement
pour nos peines temporelles, lorsqu'une telle faveur est utile à
notre salut? — Mais celui que la Sainte Eucharistie ne guérit pas
est en bien grand danger de se perdre. C'est après avoir reçu de
Jésus-Christ le pain qui était au moins l'image de l'Eucharistie, si
ce n'élait l'Eucharistie elle-même, que Juda se livra tout entier au
démon, qu'il livra Jésus, qu'il tomba dans le désespoir et se donna
là mort.
VII. Jm SaiÉite Eucharistie transforme les loups en agneaux.
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 781
ramène les égarés dans la bonne voie et les fait renaître à une
vie nouvelle.
L'Ecclésiastique dit, en parlant de celui qui craint Dieu : « La
sagesse le nourrira du pain de vie et d'intelligence, et elle l'abreu-
vera de l'eau de la sagesse qui donne le salut i. » Ce pain de vie
et d'intelligence, cette eau de la sagesse, n'est autre que l'adorable
Eucharistie. Les instincts mauvais que le péché originel a déchaî-
nés en l'homme, et que les péchés volontairement commis rendent
plus impérieux encore, tendent à le rapprocher des animaux sans
raison. Celui que dominent des passions violentes est moins un
homme qu'une bête fauve ou un animal immonde. Mais s'il s'ef-
force de revenir à Dieu, s'il communie, le pain de vie et d'intelli-
gence lui rendra la vie raisonnable, la vie de la grâce, l'intelli-
gence des choses de Dieu. C'est ce qu'annonçait le prophète Isaïe
lorsqu'il disait : « Le loup habitera avec l'agneau, et le léopard se
tt couchera près du chevreau 2 ; » et un peu plus loin il ajoutait :
<s Le veau et l'ours iront aux mêmes pâturages. » Le Prophète, par
ces dernières paroles, révélait le secret d'un changement si in-
croyable dans des bêtes de rapine et de sang, vivant en paix avec
les animaux paisibles qu'on offrait en sacrifice au Seigneur: c'est
qu'ils devaient prendre la même nourriture et se rendre aux mêmes
pâturages.
A l'aliment divin que Dieu nous a préparé revient donc tout
l'honneur de la transformation des pécheurs les plus endurcis en
véritables serviteurs de Dieu, en chrétiens doux et humbles de
cœur.
C'est la sainte communion qui fait rentrer dans la bonne voie
ceux qui s'en éloignent. Lorsque le divin Maître, après sa résur-
rection, eut rompu le pain aux disciples qui s'en étaient allés à
Emmaus, au lieu de demeurer à Jérusalem]|avec les ap(3tres, leurs
yeux s'ouvrirent, ils reconnurent Jésus, et se hâtèrent de retourner
à Jérusalem. S'ils n'avaient pas mangé la chair du Fils de l'homme
et bu son sang, ils n'auraient pas eu la vie en eux, car ils prenaient
un chemin qui les éloignait de lui. Mais la sainte communion remet
dans la bonne voie ; elle change et purifie les dispositions inté-
1. Cibabit illum pane viUe el intellectus, cl aqua sapientiae saUUaris potabit
illutn. (Eccli., xv, W.)
"2. Habitabit lupus cum agno et pardus cuin hœdo accubabit.... Vitulus et
ursus pascentur. {Isa., xv, 13, It.)
782 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
Heures ; par elle ceux qui étaient pauvres en vertus se trouvent
bientôt enrichis et transformés, selon la parole du Psalmiste : « Les
u pauvres mangeront et seront rassasiés; et ils loueront le Sei-
« gneur, ceux qui le cherchent ; leurs cœurs vivront dans les
« siècles des siècles '. » Et comment s'accomplira un tel change-
ment? « Ils se souviendront du Seigneur et se convertiront à
« lui -. » Tel sera pour eux le bienheureux effet d'une commu-
nion faite avec piété.
Lorsque le charbon mystérieux dont parle Isaïe eut touché ses
lèvres, le prophète fut purifié de toutes ses taclies et vécut d'une
vie nouvelle. Que ne fera pas en nous la Sainte Eucharistie qui ne
s'arrête pas à nos lèvres, mais qui s'unit à nous comme l'aliment
de tout notre être ? Si nous sommes morts, elle nous rendra la vie;
si nous sommes malades, elle nous guérira; si nous sommes déchus
de notre grâce première, elle nous la rendra en y ajoutant une
perfection nouvelle. Ce fut pour montrer l'efficacité de son corps
adorable dans l'ordre de notre salut, que le divin Sauveur voulut
toucher le cercueil du fils de la veuve deNaïm, introduire le doigt
dans l'oreille du sourd, toucher aussi le lépreux et les yeux de
l'aveugle, afin de leur rendre la vie et la santé du corps, en même
temps que celle de l'àme. Et lorsque, prenant la main de la fille de
Jaire, il l'eut ressuscitée, il ordonna de lui donner à manger, pour
marquer encore plus expressément que c'est par la Sainte Eucha-
ristie qu'il nous donne la vie de la grâce et qu'il nous la conserve.
VIIL La sainte communion empêche que nous ne tombions
dans le péché.
On lit dans la Genèse que Melchisédech, roi de Salem, offrit
un sacrifice de pain et de vin 3. Ce pain et ce vin étaient la figure
de la Sainte Eucharistie. Mais pourquoi le prêtre du Très-Haut
qui offre ce sacrifice est-il appelé roi de Salem, c'est-à-dire, roi de
la cité de paix ? C'est que la Sainte Eucharistie établit en nous la
paix intérieure lorsque nous communions. Elle réprime et apaise
tous les mouvements de la concupiscence et des passions, et fait
que nous ne tombons pas.
1. Edenl pauperes et saturabuntur et laudabunt Dominiim qui requirunt
eum : vivent corda eorum in saeculum saeculi. [Ps. xxi, 27.)
2. Reminiscentur et convertentur ad Dominum. {Id., 28.)
3. Melchisédech, rex Salem, proferens panem et vinum; erat enim sacer-
dos Dei Altissimi. {fienes., xiv, 18.)
à
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 783
La bouchée de pain qu'Abraham offre aux anges qui le viennent
visiter a la même signification : « Je vous servirai une bouchée
« de pain: affermissez votre cœur, » en la mangeant, dit-il *.
C'est que, selon la parole de S. Bernardin de Sienne, « ce très
a saint sacrement fortifie non seulement l'àme, mais aussi la chair
« en quelques manière : l'àme pour qu'elle persévère dans le bien,
« la chair pour qu'elle ne se précipite pas dans le mal -. »
Le saint roi David disait au Seigneur : « Quand je marcherais
« au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrais point les
« maux, parce que vous êtes avec moi 'K » Et d'où vient au saint
roi une telle assurance? C'est qu'il peut ajouter : « Vous avez pré-
<i paré en ma présence une table, contre ceux qui me tour-
« mentent ^. » Le Seigneur est avec lui, que pourrait-il craindre?
Et comment le Seigneur est-il avec lui, ou plutôt avec nous ? Par
la Sainte Eucharistie, cette table, ce banquet divin que Dieu nous
a préparé. David ne possédait ce bien qu"en figure et en espérance:
cependant c'était assez déjà pour le mettre au-dessus de toute
crainte. Mais sans la sainte communion au moins de désir, telle
que David la pouvait faire, il n'y'a pas pour nous de vie ni de salut
possible : nous tomberons nécessairement dans le péché et la mort
éternelle, selon cette parole du Seigneur : « Si vous ne mangez
« pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son
« sang, vous n'aurez pas la vie en vous ■=>. »
IX. La sainte communion protège contre la colère de Dieu, et
préserve l'âme de toute corruption.
Lorsque Dieu, au moment de délivrer les Hébreux de la ser-
vitude d'Egypte, leur ordonna d'immoler l'agneau pascal, figure
du divin Agneau dont le sacrifice devait un jour racheter le
monde, il voulut qu'ils marquassent du sang de leur victime les
deux montants des portes de leurs demeures; il leur dit: « Le
« sang sera un signe en votre faveur dans les maisons où vous
1. Poiiam buccellam panis, et confortate cor vestrum. {Gcnes., xviii, M.)
'•î. Roborat menteiu et quodammodo carnem hoc sanctissimum Sacramcn-
tuin : mentem ut persistât in bono, carnem ne ruât in maliim. (S. Bernard.
Senens., serm. XII de Euchar., art. i, cap. iv.)
3. Si ambulavero in medio umbrae mortis, non limebo mala, quoniam tu
mecum es. [Ps. xxii, i.)
4. Parasti in conspectu meo mensam, adversus eos qui Iribulant me.
[Ps. XXII, JJ.)
U. Nisi manducaveritis carnem Filii hoininis, et biberilis ejus sanguinem,
non babebitis vitam in vobis. {Joanu., vi, 11.)
784 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11° l'ARTIE. — LIVRE II. — CHAI-. XVII.
« serez ; car je verrai le sang, et je passerai au delà de vous ; et la
« plaie de la destruction ne vous atteindra pas K » Comment Dieu
ne détournerait-il pas les coups de sa juste colère, de ceux dont les
lèvres sont teintes du sang de son divin Fils et qui ont le bonheur
d'être comme un tabernacle sacré où il se plaît à demeurer? Aussi
Notre-Seigneur Jésus-Christ nous recommande-t-il d'avoir en vue,
dans tous nos actes, la possession de l'aliment sacré qu'il nous a
préparé. Il nous dit : « Travaillez, non pas en vue de la nourriture
a qui périt, mais de celle qui demeure pour la vie éternelle et que
« le Fils de l'homme vous donnera ; car Dieu le Père Ta scellé de
« son sceau ^. » D'après Bossuet et la plupart des interprètes,
c'est le Fils de l'homme qui est marqué du sceau de son Père :
mais la Sainte Eucharistie, le pain qui ne périt pas, n'est-ce pas ce
même Fils de l'homme ? Manger ce pain, c'est donc s'incorporer
le sceau de Dieu, c'est être marqué par lui pour la persévérance
dans le bien ici-bas, et pour la félicité qui n'aura pas de fm dans
le ciel.
La Sainte Eucharistie est le testament de notre divin Sauveur en
mômetempsque le mémorial de sa mort :par elle il nous met en pos-
.session de tous ses biens, car sa mort est venue valider ce testament
aussitôt qu'il l'eut fait. Parmi les biens que nous tenons de lui, en
vertu de ce testament, il faut compter l'incorruptibilité de l'âme,
car il a dit : a Voici le pain qui descend du ciel, afin que si quel-
a qu'un en mange, il ne meure point 3. » Ce pain est l'aliment par
ex'cellence, celui qui conserve la vie, non pour un temps, mais
pour Téternité. Lui seul mérite ce norii d'aliment ou de nourriture
dans toute sa plénitude, car il réalise le désir de vivre toujours,
et toujours d'une vie heureuse, que portent en eux les hommes; il
les rend immortels et incorruptibles.
X. La sainte communion met en fuite le démon.
L'ange que Dieu avait chargé de frapper de mort tous les pre-
miers-nés de l'Egypte n'osa pas franchir le seuil des maisons
marquées du sang de l'agneau pascal : le démon redoute mille
1. Erit autem sanguis vobis in signum, in aedibus in quibus eritls; et videbo
.sanguinem et transibo vos; nec erit in vobis plaga disperdens. [Exod., xii, 13.)
!2. Operamini non cibum qui périt, sed qui permanet in vitam œternam,
quem Filius hominis dabit vobis. Hune enim Pater signavit Deus. {Joann.,
VI, ^n.)
;i. Hic est panis de coelo descendens : ut si quis ex ipso manducaverit, non
moriatur. [Ihid., 50.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIETÉ. 785
fois plus encore l'approche de ceux qu'il voit marqués du sang de
Jésus-Christ. La vue de la colonne de feu et de nuée qui protégeait
les Israélites épouvanta les Égyptiens qui les poursuivaient à travers
la mer Rouge dont les eaux s'étaient retirées; un désordre épouvan-
table se mit dans leur armée, et Pharaon s'écria : « Fuyons Israël,
« car le Seigneur combat pour eux contre nous *. » Ainsi le Pha-
raon infernal est épouvanté et toute son armée fuit en désordre à
la vue de la Sainte Eucharistie dans laquelle Dieu se donne voilé
sous les saintes Espèces que représentait la nuée, protection et
lumière du peuple Israélite. Pourquoi, demande un commentateur
de l'Écriture sainte, Pharaon qui avait été tant de fois vaincu par
le Seigneur, sans rien perdre de son obstination, renonce t-il dé-
finitivement à la lutte lorsqu'il voit la nuée mystérieuse? C'est,
répond-il, que cette nuée est l'image de la Sainte Eucharistie -.
Cependant le démon mis en fuite par la Sainte Eucharistie re-
vient bientôt à la charge. Mais celui qui a communié se sent fort
pour lui résister et remporte aisément la victoire sur cet ennemi,
rusé, implacable et obstiné. Le peuple de Dieu mourait de soif dans
le désert. Moïse frappa de sa verge le rocher, figure de Jésus-
Christ, et il en jaillit une eau abondante. Cette eau représentait
le sang adorable versé pour notre salut, et devenu notre aliment
dans l'adorable Eucharistie. Lorsque les Israélites eurent bu de
cette eau, il leur fallut combattre les Amalécites, sur l'ordre
même du Seigneur, et ils remportèrent une éclatante victoire.
« Le peuple but de l'eau sortie de la pierre, dit S. Augustin, et
a aussitôt il entreprit la guerre contre Amalech. Vous voyez, mes
« frères, qu'après avoir bu de l'eau de la pierre, c'est-à-dire par-
« ticipé au sacrement du Christ, il faut partir en guerre contre
« le démon '^. » Se tenir sur la défensive ne suffit pas; il faut re-
prendre à l'ennemi ce dont il s'est emparé; il faut réparer le mal
qu'il a fait, en y substituant le bien ; il faut énerver ses forces et
1. Fugiamus Israelem : Doininus pugnat enim pro eis contra nos. {Exod.,
XIV, 2y.)
2. Cur ergo modo animo consternatus (Pharao) vincere desperat qui loties
detriumphatus pertinaci ol)stinatione pugnaral? Quia nubes Kucharistiam
adumbrabat. (Naxera in Joseph, cap. vi, n. iJ.)
3. Bibil ergo de petra populus, etslatim bcllum init contra Ainalecli. Videte
Iratres quia postea quam (juisquc de pelra l)il)erit, id est Clirisli sacramenta
.susceperit, necesse est ilium ad pugnam prodire. (S. August., serm. XCIII de
Tcmporc.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV, 50
786 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVII.
amoindrir son empire. On le doit et on le peut, lorsqu'on fait la
sainte communion avec la dévotion que réclame un tel acte.
XI. La sainte communion nous fortifie confiée nos ennemis et
nous en rend victorieux.
Lorsque le Seigneur voulut enfin que son peuple choisi sortît
de l'Egypte, où Pharaon le retenait esclave, il dit : « Que chacun
< prenne un agneau par chacune des familles et des maisons i. »
Pourquoi cette recommandation et les rites si minutieux prescrits
pour la manducation de cet agneau? C'est qu'il était la figure de
la Très Sainte Eucharistie. Les enfants de Jacob allaient entre-
prendre un voyage plein de fatigues et de périls, et Dieu voulait
leur donner un secours efficace contre les unes et contrôles autres.
La Sainte Eucharistie n'existait pas encore, mais l'agneau pascal
en fut la ligure, et il suflit de cette figure pour faire triompher
de tous les obstacles le peuple choisi.
Ici reviennent à la pensée les paroles de David. : « Vous avez
a préparé devant moi une table contre ceux qui me persécutent 2. »
Ainsi, c'est une table que Dieu nous donne comme rempart inex-
pugnable, et un aliment sera notre bouclier! Mais cette table est
la table eucharistique, cet aliment n'est autre que la chair et le
sang de celui qui a vaincu le monde, enchaîné le démon, de celui
au seul nom de qui tout genou doit fléchir au ciel, sur la terre et
jusque dans les enfers. S'il suffit de son nom pour mettre tous les
démons en fuite et les obliger à chercher un refuge au plus pro-
fond des enfers, que ne fera pas la table du banquet auquel il nous
invite? Que ne feront pas son corps, son sang, son âme et sa divi-
nité qu'il nous y sert lui-même comme aliments ?
Nous sommes donc forts contre nos ennemis par la sainte com-
munion, nous n'avons rien à redouter de leurs attaques et nous
serons victorieux. Isaac, bénissant Jacob, lui disait : « Que Dieu
a te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, l'abon-
« dance du froment et du vin. » Puis il ajoutait : « Les peuples
«f te seront asservis '^. » Qu'a de commun, pour qu'Isaac les unisse,
l'abondance du froment et du vin avec l'asservissement des peuples?
1. ToUet unusquisque agnum per familias et domos suas. [Exod., xii, 3.)
2. Parasti in conspeclu meo mensam adversus eos qui tribulant me.
{Ps. XVII, y.)
3. Det libi Dcus de rorc cœli et de pinguedine terrse abundantiam frumenti
et vini. Serviant tibi populi. {Gènes., xxvii, 28.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 787
Ce froment et ce vin représentent l'adorable Eucharistie : or qui-
conque est fortifié par elle remportera la victoire sur ses ennemis
qui, même en croyant lui nuire, travailleront efficacement à son
triomphe final et à sa gloire éternelle, ^e fut-ce pas, nourris par
la manne figure de l'Eucharistie, que les Israélites vainquirent
leurs ennemis et s'emparèrent des contrées fertiles que Dieu leur
avait promises ?
Le pain cuit sous la cendre, dont il est parlé au livre des Juges,
qui renversa les tentes des Madianites et amena la destruction de
leur armée, nous montre encore toute la puissance du pain eucha-
ristique contre nos ennemis; et le calice que David appelle le
calice du salut, parce qu'en le prenant il sortira victorieux de
toutes ses épreuves, n'est-ce pas encore le calice du sang de
Notre-Seigneur? S. Paul disait : « Qui donc nous séparera de
« l'amour du Christ? Est-ce la tribulation? est-ce l'angoisse ? est-
« ce la faim ? est-ce la nudité ? est-ce le péril ? est-ce la persécu-
« tion ? est-ce le glaive? » Et il répondait : « Je suis certain que
« ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni puissances, ni choses
« présentes ni choses futures, ni ce qu'il y a de plus élevé, ni ce
« qu'il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra
« nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus
« Notre-Seigneur •. » Où donc l'Apôtre puisait-il cette confiance
et cette force? Dans la Sainte Eucharistie, répond S. Césaire
d'Arles -. Et si vous avez quelque doute de la force qu'elle donne
au milieu des tribulations, considérez les martyrs qu'elle rendit
invincibles, considérez les confesseurs et les vierges qu'elle a sou-
tenus au milieu de luttes souvent plus pénibles et surtout plus
longues que le martyre lui-même. Ou plutôt, faites-en personnel-
lement l'essai, communiez souvent, avec une dévotion sincère, et
vous expérimenterez quelle force la sainte communion vous don-
nera contre vos ennemis.
1. Quis ergo nos separabit a charitale Christi? Tribulatio? an angustia? an
famés? an nuditas? an periculurn? an perseculio? an trladius ?.... Ccrlus
sum cniin quia ncque mors, neque vita, neque angeli, neque principaUis, ne-
(jue virtutes, neque instantia, ncque futura, neque fortitudo, neque altiludo,
neque profundum, neciue crealura alia polerit nos separare a charitale Dei
quœ est in Christo Jesu Domino nostro. {liom , viu, 3;i, '^H, nO.)
2. Dum in Sacramentis vino aqua miscetur, Christo fidelis popuhis incorpo-
ratur et junpitur, et quadam ci copula perfcctcG charitatis unitur, ut possit
dicere cum Apostoln : Quis nos separahit a charitale Christi? Tribulatio? an
famés, etc. (S. C.esar. Arelat., hom. VII.)
788 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE — LIVRE II. — CIIAP. XVII.
XII. La Sainte Eucharistie nourrit celui qui la reçoit, et le
rend fort en cette vie.
Le Psalmiste disait : « Les pauvres mangeront et seront rassa-
« siés. » C'est de l'Euciiaristie que l'Esprit de Dieu parlait ainsi
par la bouche de David. La Sainte Eucharistie nourrit donc ceux
qui la mangent, car l'Esprit de Dieu pourrait-il promettre un ali-
ment trompeur, qui rassasierait sans nourrir véritablement ceux
qui le prendraient? Notre divin Sauveur nous a, du reste, expli-
qué clairement ce que le roi-prophète n'avait fait que donner à
entendre. Il a dit : « Ma chair est véritablement une nourriture
c et mon sang véritablement un breuvage. » Or il n'y a de véri-
table nourriture et de véritable breuvage que ce qui nourrit ou
apaise réellement la soif. Mais la Sainte Eucharistie n'est pas faite
pour entretenir la santé et la vie du corps, qui est ce qu'il y a de
plus infime dans l'homme. Sans doute elle réagit sur le corps en
quelque manière, mais c'est de l'àme qu'elle est l'aliment; c'est
l'àme qu'elle nourrit ; c'est à l'àme qu'elle donne des forces.
Un fleuve mystérieux sortait du paradis terrestre, pour arroser
et fertiliser toute la terre. Ce fleuve est la Sainte Eucharistie,
comme le paradis est la sainte Église. Si nous avons soif, si notre
cœur est une terre desséchée et stérile, allons à ce fleuve et rafraî-
chissons-nous à longs traits. Quelles plantes, quelles fleurs et
quels fruits merveilleux produisait ce jardin que le Seigneur avait
planté, et qu'arrosait le fleuve figure de l'Eucharistie! Adam, s'il
n'eût pas péché, aurait été immortel, tant il aurait trouvé de vi-
gueur dans les aliments que lui ofl'rait ce paradis.
Lorsque le prophète Élie eut mangé par deux fois du pain cuit
sous la cendre que lui apportait l'ange, il accomplit, sans un ins-
tant de repos, un voyage de quarante jours et quarante nuits,
tant il puisa de force dans cet aliment. Cependant le pain offert
par l'ange n'était qu'une figure de l'adorable Eucharistie; elle
aussi nous donne la force nécessaire pour arriver à la montagne
de Dieu qui, pour nous, n'est pas Horeb, mais le ciel même avec
tout son bonheur et toute sa gloire ^.
1. Edent pauperes et saturabuntur, {Ps. xxi, 27)
-2. Caro mea vere est cibus et sanguis meus vere est potus. {Joann., vi, Jifi.
;5. Horeb interpretatur Memn ; mons ergo iste est mensa Dei et significat
satietalem cœlestis gloriae. Panis itaque corporis Christi confortât nos et robo-
rat quadraginta diebus, id est tolo tempore prœsentis pœnilentiae usque ad
montcm et mensam Dei, id est quoadusque veniamus ad altitudinem securi-
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 789
Le pain fortifie le cœur de l'homme, dit le psalmiste; le vin le
réjouit, et l'iiuile illumine sa face d'un rayon de gaieté K Ce pain,
ce vin, cette huile, ne sont autres que Jésus-Christ dans la Très
Sainte Eucharistie : c'est lui qui produit ces différents effets en
ceux qui le reçoivent. Nous avons donc bien raison de demander
au Père ce pain céleste comme notre pain quotidien. Si nous ne
mangions pas ce pain, si nous ne buvions pas ce vin, si nous ne
recevions pas Fonction de cette huile, nous n'aurions ni force, ni
joie, ni consolation ; nous n'aurions pas la vie en nous.
XIII. La sainte communion est notre soutien.
Par la Sainte Eucharistie, Notre-Seigneur Jésus-Christ est avec
nous ; par la sainte communion, il est non seulement avec nous
mais en nous. Or laSagesse éternelle, qui n'est autre que lui, nous
déclare que ses délices sont d'être avec les enfants des hommes ;
et en quoi consistent ces délices? Dans les secours qu'il nous ap-
porte, l'appui qu'il nous prête, le bien qu'il nous fait. Il est heu-
reux, comme Dieu et comme homme, de venir ainsi en aide à notre
misère, à notre faiblesse, et d'exercer sa douceur, sa mansuétude,
sa libéralité envers nous ; il trouve ses délices à se faire le compa-
gnon de notre pèlerinage, la lumière de notre ignorance, le remède
de notre infirmité 2.
Il est dit au livre de l'Ecclésiastique que la Sagesse viendra au-
devant de celui qui pratique la justice, et «elle le nourrira du pain
« de vie et d'intelligence.... elle le maintiendra, et il ne sera pas
« confondu 3. » Ce pain de vie et d'intelligence que la Sagesse,
c'est-à-dire le Verbe de Dieu fait homme, Jésus-Christ, donne au
juste, c'est encore la Sainte Eucharistie. C'est par la communion
qu'il nous soutient dans la voie de la justice; c'est par elle qu'il
éloigne de nous les chutes honteuses et la contusion qui les suit.
XIV. La sainte communion donne la vie.
Il y avait dans le paradis terrestre un arbre de vie, et cet arbre
tatis, et satietatem dulcedinis aeternae gloriae. (S. Tiiom., opusc. LVII de Admi-
rah. Sacram. altar., cap. xxi.)
1. Et vinum lœlificet cor hominis, ut exhilaret faciem in olco, et panis cor
hominis confirmet. (Ps. cm, lo.)
2. Exhibait se ut luae sit percgrinationis comes, ignorantiœ tute lux, infir-
mitatis tuae remedium, tccuni habitet. (S. Laurent. Justin., serm. de Eu-
char.)
3. Qui continens est justiliaî apprehendet illam, et obviabit illi.... Cibabit
illum pane vitae et intellectus.... et continebil ilhiin, cl non confundetur.
(Eccli., XV, 1-i.)
790 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
devait communiquer une vie immortelle à l'homme qui aurait
mangé de ses fruits. Cet arbre était l'image de la Très Sainte
Eucharistie, le véritable arbre de vie planté au milieu de
l'Église. Goûter au fruit de cet arbre par la sainte communion,
c'est s'incorporer la vie immortelle, la vie divine. Tout vit en
nous par la sainte communion: nos pensées, nos affections, nos
désirs, nos volontés. Toutes nos paroles, tous nos actes, toutes
nos souffrances, tous nos sacrifices sont vivifiés et sanctifiés par
une communion bien faite. Nos fleurs et nos fruits sont spiritua-
lisés, divinisés par elle i.
Mais nous avons plus qu'une figure pour nous apprendre que la
Sainte Eucharistie est pour nous la vie. Notre-Seigneur nous a dit
lui-même : « Je suis le pain de vie. Celui qui mangera de ce pain
« vivra éternellement '. » Il nous a dit encore : « Ma chair est véri-
« tablement une nourriture et mon sang véritablement un breu-
« vage. » Ce corps et ce sang adorables ont nécessairement la pro-
priété essentielle de tout aliment, qui est de faire vivre, et celui
qui mange ce pain et boit ce vin qui sont le corps et le sang du
Seigneur a véritablement la vie en lui.
XV. La sainte communion éclaire et illumine.
On lit dans l'Exode : « Lorsque Moïse descendait de la montagne
« de Sinaï, il tenait les deux tables du témoignage, et il ignorait
« que sa face était rayonnante de lumière, depuis l'entretien du
« Seigneur avec lui 3. » Tertullien dit que Moïse, en cette circons-
tance, représente ceux qui approchent de Dieu par la sainte com-
munion '*. Si Dieu ne leur voilait pas lui-même la face, personne
n'en pourrait supporter l'éclat.
Nous lisons au livre des Proverbes ces paroles de l'éternelle
Sagesse : « Venez, mangez mon pain, et buvez le vin que je vous
« ai mêlé. Quittez l'enfance et vivez, et marchez dans les voies de
1. A vitali profecto ligno, nempe ab Eucharistia, quod in medio Paradisi
consitum est, omnes Ilores, ac fructus .spiritual! vita donantur. (Escobar.,
t. Il, lib. VIII in Evang.)
2. Ego sum panis virus.... Qui manducat ex hoc pane, vivet in seternum.
{Joann., vi, îiC).)
3. Cumque descendisset Moyses de monte Sinaï, tenebat duas tabellas tes-
timonii, et ignorabat quod cornuta esset faciès sua ex consortio sermonis Do-
mini. {Exoit., xxxiv, 29.)
4. Cum quidem neque ipsum Moysen Deo pastum inediamque ejus nomine
saginalfim constanter contemplari valeret propinquior populus. (Tertull., de
Jejtmio, cap. vi.)
J
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX OUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 791
« la prudence i. » Le pain et le vin que l'éternelle Sagesse nous in-
vite à manger, c'est elle-même, avec le corps, le sang et lame aux-
quelselles'estunieafmdenoussauver. Etqu'arrivera-t-ilsinousnous
nourrissons de la Sagesse divine incarnée? Nous quitterons l'enfance
avec ses ignorances et ses ténèbres, la prudence nous éclairera de
sa lumière et nous marcherons dans ses voies. Le vin naturel fait
oublier la prudence et obscurcit la raison, mais le vin surnaturel,
le sang de Jésus-Christ inséparable de son divin corps, reçu par la
communion, illumine l'intelligence et donne la sagesse. C'est la
sainte communion qui ouvre les yeux de ceux qui la reçoivent, et
leur permet de contempler les choses divines. « Où sera le corps,
« là se rassembleront les aigles 2, » dit Notre-Seigneur. Tous ceux
que le corps de Jésus attire, tous ceux qui communient sont des
aigles, et leur regard peut se fixer sur le divin Soleil de justice.
XVL La Sainte Eucharistie attire les hommes à Dieu.
Le divin Maître, lorsqu'il appela Pierre et André son frère à
l'apostolat, leur dit : « Suivez-moi, et je vous ferai devenir pécheurs
« d'hommes ^. » Que dites-vous. Seigneur? Vous avez dessein d'en-
voyer vos apôtres à la conquête de tous les peuples de la terre, et
vous les comparez à d'humbles pêcheurs? C'est que, selon la
remarque d'un commentateur, de môme que le premier soin des
pêcheurs est d'offrir quelque nourriture aux poissons pour les
attirer, les apôtres et tous les prédicateurs de l'Évangile doivent
d'abord parler de l'Eucharistie à leurs auditeurs, et les excitera
la communion ^. Grâce à ce pain divin qu'ils ont offert au monde,
« ils se sont fait entendre par toute la terre, et leurs paroles ont
« retenti jusqu'aux confins de l'univers. » Ils avaient avec eux ce
Dieu tout-puissant, créateur de toutes choses, qui a placé sa tente
dans le soleil •^ c'est-à-dire, qui s'est rendu visible aux hommes,
en prenant ce corps adorable dans lequel il s'est montré à nous,
\. Venite, comedite panem meum et bibite vinuni quod miscui vobis. Re-
linquite infantiam et vivite et ambulate per vias prudenlicP. (Prov., viii, y, 6.)
2. Ubicumque fuerit corpus, illic confrre.cabuntur et aquila\ {Matth.,
xxiv, 28.)
3. Venite post me : faciam vos fieri piscatores boniiinun. {Id., iv, \\).)
4. Nam sicut piscatores in primis escam conquirunt quam piscibus obji-
ciant, non aliter apostoli et concionatores in ])riniis auditoribus suis debeni
Kucharistiam objicere, et eos ad Cœnamdominicam (rabore (Pinnv, in Kcc/es.,
t. II, n. im.)
ti. In omnem terrain exivit sonus eorum et in linos orbis terra* verba
eorum. In sole posuit taliernarulum suuni. {Ps. \vm, !».)
792 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVII.
Comment, ayant avec eux le soleil, n'aurait-ils pas attiré l'atten-
tion des hommes? Comment ne les auraient-ils pas gagnés en leur
offrant le pain et le vin qui donnent l'immortalité?
XVII. La sainte communion excite à aimer Dieu.
Lorque le saint patriarche Abraham offrit l'hospitalité aux
anges du Seigneur, il leur dit : « Je vous servirai aussi une bou-
« chée de pain, et vous raffermirez votre cœur ^. » Abraham se
proposait, comme il le fit, de servir encore plusieurs autres mets
à ses hôtes, mais il ne parle que d'un peu de pain, et c'est à
cette bouchée de pain qu'il attribue la vertu de raffermir leur cœur.
C'est que ce pain représentait la divine Eucharistie qui peut tout,
pour donner à nos ca^urs des forces toujours nouvelles, pour
avancer dans la voie de l'amour de Dieu et nous embraser des
feux de ce saint amour. Sans elle le cœur défaille et l'amour s'éteint.
C'est ce que S. Cyprien écrivait au pape S. Corneille : « Les forces
« manquent à l'àme qui ne reçoit pas l'Eucharistie 2. » C'est de la
Sainte Eucharistie que l'Ecclésiastique disait : « Ceux qui me
€ mangent auront encore faim, et ceux qui me boivent auront en-
te core soif 3. » Plus on se nourrit de cet aliment, plus on désire
le manger encore, et plus on mange ce pain qui est Jésus, plus on
l'aime. Notre divin Sauveur est venu apporter le teu sur la terre:
où le déposera-t-il, ce feu qu'il désire tant voir tout embraser, sinon
dans les cœurs qui le reçoivent par la sainte communion, dans les
cœurs qui habitent en lui, parce que lui-môme habite en eux? Les
commentateurs s'accordent à reconnaître une figure de la Sainte
Eucharistie dans le charbon ardent qu'un Séraphin prit sur l'autel
pour en toucher les lèvres du prophète Isaïe et les purifier. Pour-
quoi un charbon ardent représenterait-il la Sainte Eucharistie,
sinon parce que toutes les ardeurs de famour divin sont rassem-
blées dans cet auguste sacrement qu'il nous est donné de recevoir?
Marie-Madeleine pleurait, se tenant debout hors du tombeau de
Jésus '*, dit l'Évangile. Et pourquoi pleurait-elle? Elle ne redoutait
pas qu'il arrivât rien de mal à ce corps sacré; elle savait que le
Seigneur lui-môme veillait sur son corps. Que craignait-elle donc,
\. Ponam buccellam panis, et confortate cor vestrum. (Gen., xviii, ÎJ.)
2. Mens déficit, quam non accepta Eucharistia accendit. (S. Cvprian.,
Epist. LIV ad Cornel. pap.)
3. Qui edunt me adhuc esurient, et qui bibent me adhuc sitient. [Eccli.,
XXIV, 29.)
i. Maria autem stabat ad nionumentum foris plorans. (Joann., xx, il.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIETÉ. 793
et pourquoi pleurait-elle ? Ce n'était pas pour Jésus-Christ, dit Ori-
gène, qu'elle était en peine, mais pour elle-même. Elle craignait
que l'absence du corps du Seigneur n'affaiblît dans son propre
cœur l'amour qu'elle lui portait, tandis que sa vue aurait suffi
pour entretenir toute l'ardeur de son amour '. Dans la sainte com-
munion, nous ne voyons pas ce corps adorable, mais nous faisons
plus, nous le mangeons. Or, dit S. Anselme, celui qui aime davan-
tage se nourrit aussi plus souvent de cet aliment, et l'aimant ainsi
davantage encore, il y recourt encore plus souvent; et plus il le
mange, plus il l'aime ~.
XVIII. La sainte communion excite en nous le désir de com-
munier encore.
Pourquoi dites-vous, ô divine Sagesse, que ceux qui vous mangent
auront encore faim et que ceux qui vous boivent auront encore soif?
Est-ce que l'aliment que vous donnez est incapable de satisfaire à
nos besoins? L'aliment de la divine Sagesse, qui est l'Eucharistie,
rassasie pleinement ceux qui le mangent ; mais ils ont encore faim
néanmoins. L'amour de Dieu toujours croissant que cette nourri-
ture céleste allume dans leurs cœurs excite des désirs de plus en
plus ardents d'union avec lui : et quelle union peut-on désirer sur
la terre plus parfaite que celle qui s'opère par la sainte commu-
nion, en attendant l'union du ciel?
XIX. La sainte comtnunion nous facilite V obéissance à la
volonté divine.
On lit dans la Genèse qu'après la création de l'homme. Dieu dit:
// nest pas bon que Vhomme soit seul; faisons-lui une aide
semblable à lui 3. Cette aide que Dieu donna au premier homme
lui fut fatale, ainsi qu'à tous ses descendants. Mais la miséricorde
divine a réparé le mal originel. Elle a donné aux hommes un autre
aide, qui répare largement tout le mal causé par la première
femme, et nous rend beaucoup plus que nous n'avions perdu. Cet
aide n'est autre que lui-même. II ne veut pas que nous soyons seuls,
et pour que le compagnon qu'il nous donne soit semblable à nous,
il prend notre nature. Homme et Dieu tout ensemble, il se voile
1. Metuebat ne amor Magistri sui in corpore suo frigesceret, nisi corpus
ejus inveniret; quo vise recalesceret. (Orioen., hom. I ex variis.)
2. Hune cibum plus inanducal qui ampUus amnl, et phis ainando, rursum
qui plus et plus manducat phis et plus amat. (S. .\NSELM.,f/e Sarrom. altcnW
3. Non est bonum bomineni esse .soluni : faciamus ei adjutorium simile
sibi. (Gcnrs., ii, 11).)
794 LA SAINTE EUCHARISTIE. II'' PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVII.
SOUS les espèces Eucharistiques et se fait ainsi le compagnon, l'ali-
ment, le soutien de notre vie. Il nous communique sa force par
la grâce et nous aide ainsi à pratiquer le bien. Si une société mau-
vaise, dit un commentateur, poussa Adam et Eve à transgresser la
loi et à manger du fruit défendu, la société salutaire du Clirist,
qui demeure en celui qui a bien communié, l'excite au contraire à
observer cette même loi ^
Dans la prière qu'il a daigné nous enseigner, le divin Maître
nous dit de demander à notre Père du ciel que sa volonté soit
faite : Fiat voiuntas tua ; et il veut que nous ajoutions aussitôt :
« Donnez-nous aujourd'hui notre pain, » qui est l'Eucharistie, car
S. Matthieu le nomme le pain suprasubstantiel, c'est-à-dire au-
dessus de toute substance. Pourquoi cette demande immédiate-
ment après la première, sinon parce que, pour accomplir la vo-
lonté de Dieu sur la terre comme les anges et les saints au ciel,
nous avons besoin de nous unir souvent et, s'il est possible, chaque
jour à celui qui est le pain vivant. Par ce moyen il vivra en nous,
nous vivrons en lui, sa volonté sera la nôtre, et nous ne voudrons
plus rien que ce que veut notre Père qui est dans les cieux.
XIX. La sainte communion fait que Von s'applique à la pra-
tique des bonnes œuvres.
Gomment pourrait-il en être autrement puisque c'est surtout
par elle que l'on vit d'une même vie avec Notre-Seigneur Jésus-
Christ? Nous lisons au psaume cm* : « Le soleil s'est levé et
c l'homme ira à son travail '. » Notre-Seigneur Jésus-Christ est le
soleil de justice qui s'est levé sur la terre, et qui y demeure par
la Sainle Eucharistie. Lorsque le soleil matériel se lève, les
hommes en profitent pour se livrer à leurs travaux de toutes
sortes, et ceux sur qui le soleil de justice s'est levé se livrent aux
œuvres de justice. Que ce divin soleil se lève dans une âme; qu'il
y descende et y habite par la sainte communion : que d'œuvres
de justice, que d'œuvres saintes n'accomplira pas cette âme?
On ne peut faire que des œuvres de lumière lorsqu'on est illu-
miné par le soleil qui est le Fils de Dieu lui-même.
1. Si prava societas Evam, Adamumque ad transgressionem legis impulit,
ad ligni prohibiti excitans esum, bona Christi societas, manentis scilicet in
hoxnine digne communicante, cum allicit ad ejusdem legis observantiam.
(EscoBAR.. t. II in Evang., lib. VIII.)
2. Ortus est sol. Exibit homo ad opus suum. {Pu. cm, 23.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 795
XX. La sainte communion enseigne à parler des choses di-
vines.
La Sainte Eucharistie devient, en ceux qui la reçoivent, ce que
la sève est pour un arbre qui, vivifié par elle, produit des feuilles,
des tïeurs et des fruits. Les fruits sont les œuvres méritoires que
l'on accomplit comme naturellement lorsqu'on a mangé le pain
du Seigneur et qu'on s'est enivré du vin qu'il donne à ses bien-
aimés ; les feuilles et les fleurs sont les saintes paroles que fait
naître avec abondance une sève si généreuse '. Le saint roi David
disait : « Je recevrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du
ft Seigneur ~. » Ce calice du salut, il ne le prenait qu'en esprit
et par l'ardeur de ses désirs; c'était assez cependant pour qu'il
pût ajouter : « J'invoquerai le nom du Seigneur ; » je parlerai de
lui, je le ferai connaître, aimer et servir, je le prierai et je ferai
en sorte que les autres célèbrent ses louanges et le prient avec
moi. Que les lèvres du prêtre qui chaque jour s'approchent de ce
calice du salut, non plus seulement en désir et en figure mais dans
la réalité, doivent donc être éloquentes î qu'elles doivent célébrer
dignement les grandeurs et les miséricordes infinies du Seigneur!
qu'elles doivent être puissantes pour attirer les hommes à lui ! Et
même dans les conversations ordinaires entre chrétiens, est-ce
que ceux qui ont souvent le bonheur de communier ne devraient
pas parler de celui qui vit en eux? est-ce qu'ils ne devraient pas
pouvoir dire encore avec le Psalmiste : <r Mon cœur a produit une
« bonne parole : » Eructavit cor meum verbum bonum 3? Re-
marquez que ce mot, eructavit, signifie rejeter au dehors, avec
une sorte de violence. La bonne parole, ou plutôt le Verbe qui est
la bonté même de Dieu, doit jaillir avec impétuosité de ce cœur,
qui en est devenu le réceptacle et en même temps la source. C'est
à tous ceux qui ont goûté au pain et au vin du Seigneur que la
divine Sagesse adresse ces paroles : « Fructifiez comme une rose
« plantée près du courant des eaux. Gomme le Liban, ayez une
« odeur de suavité. Portez des fleurs comme le lis, donnez de
« l'odeur et couvrez-vous d'un feuillage gracieux ; louez de con-
1. Ex spiritual! perfusione, sive potu sanguinis Christi, oriuntur in anima
quasi in paradiso Dci frondes verborum, et utiliuni alloquioruin. (S. TiiOM.,
opusc LVII de Vtmerah. Snrram. altar.)
"2. Galicem salutaris accipiam, et nomcn Doniini invocabo. {Ps. cxxv. V,\.)
3. Ps. XLIV, 1.
796 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II» PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
« cert en chantant un cantique, et bénissez le Seigneur dans vos
« œuvres. Rendez gloire à son nom, et glorifiez-le par la voix de
« vos lèvres, par les cantiques de vos lèvres et par vos cithares K »
II.
AUTRES FRUITS DE LA SAINTE COMMUNION
XXI. La sainte communion fait avancer les âmes dans le
chetnin de la perfection.
Dieu, en prescrivant à Moïse les rites selon lesquels la mandu-
cation de l'agneau pascal devait être faite, lui dit : « Vous le man-
« gérez à la iiàte ; car c'est la Pàque, c'est-à-dire le passage du
« Seigneur -. » Pourquoi ce nom depassage donné à l'agneau pas-
cal, figure de l'Eucharistie? S. Ambroise en donne pour raison
que la Sainte Eucharistie nous fait passer de vertu en vertu, qu'elle
ne nous permet pas de nous arrêter dans la voie de la perfection,
et qu'elle nous élève toujours à un degré plus haut de sainteté. La
« Pàque du Seigneur, c'est le passage de l'abandon aux passions,
« à l'exercice de la vertu ^, » dit-il. Et c'est après avoir mangé
cette pàque que les Israélites partirent pour ce long voyage à travers
le désert, qui devait les conduire a la terre promise, comme après
avoir mangé notre Agneau pascal, après avoir communié, nous
nous mettons en route avec une nouvelle vigueur, pour notre terre
promise qui est le ciel. S. Jérôme disait : « Rien ne donne des
« forces à ceux qui avancent dans la vertu, comme le pain de vie
« dont il est écrit : Et le pain affermira le cœur de Vhomm,e *. »
On lit dans le prophète Isaïe : « Dieu viendra lui-même et il nous
« fortifiera. Alors le boiteux bondira comme un cerf ^. » Nous sa-
1. Quasi rosa plantata super rivos aquarum fructificate; quasi Libanus
odorem suavitatis habete. Florete flores quasi lilium, et date odorem, et fron-
dete in gratiam, et collaudate canticum, et benedicite Dominum in operibus
suis. Date nomini ejus nnagnificentiain, et confiteinini illi, in voce labiorum
vestrorum, et in canticis labiorum, et citharis. [Ecdi , xxxix, 17, 20.)
!2. Comedetis festinanter; est enim Phase, id est transitus Domini. (Exod.,
XII, i\.)
3. Pasclia enim Domini transitus est a passionibus ad exercitium virtutis.
(S. Amuros., lib. I de Cain et Abel, cap. viii.)
i. Nihil ita crescentis animum roborat quomodo facit panis vitae de que
scriptum est : Et panis cor hominis confirmet. (S. Hieronym., t. V, p. 69ii.)
5. Deus ipse veniet et salvabit nos.... Tune saliet sicul cervus claudus. [Isa.,
XXX, 4.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIETÉ. 797
vons que le Fils de Dieu guérit toutes les infirmités pendant sa
vie mortelle, et qu'il rendit aux boiteux et aux paralytiques toute
leur agilité première. Mais le prophète nous invite à contempler
une autre merveille, et c'est par la Sainte Eucharistie qu'elle s'ac-
complit. Les boiteux, les paralytiques sont les pécheurs et ceux
qui se laissent aller à une dangereuse indifférence. Mais que Dieu
vienne en eux, ou plutôt qu'ils aillent à lui par la sainte commu-
nion : alors ils ne s'arrêteront plus; ils ne se traîneront plus misé-
rablement dans la voie de la perfection, ils s'y élanceront par
bonds impétueux. Car la Sainte Eucharistie ne se contente pas de
retirer les pécheurs de la voie mauvaise où ils sont engagés, elle
les fait s'élever, s'ils savent en profiter, jusqu'aux vertus les plus
sublimes ; elle les jette hors d'eux-mêmes; elle les enivre du vin
de l'amour de Dieu et du zèle pour sa gloire. C'est à eux que la
divine Sagesse adresse cette invitation : « Mangez, mes amis, et
« buvez, et enivrez-vous, vous qui m'êtes très chers i. »
XXII. La Sainte Eucharistie donne à ceux qui s'en nour-
rissent une merveilleuse beauté.
C'est de la beauté de l'âme qu'il s'agit ici, quoique quelques
rayons de cette beauté se manifestent ordinairement sur les traits
du visage et que le corps lui-même doive briller d'un merveilleux
éclat après la résurrection.
Les vertus font la beauté d'une âme, et lorsque Dieu a résolu de
demeurer dans une âme, lorsqu'il veut s'en faire un palais digne
de lui, il a soin de l'orner de toutes les vertus. Nous lisons, en
efl'ct. au livre des Proverbes : « La Sagesse s'est bâti une maison ;
« elle a taillé sept colonnes 2. » Ces colonnes qui soutiennent la
maison que Dieu daigne habiter sont les vertus; elles sont au
nombre de sept, nombre mystérieux qui comprend leur universa-
lité. C'est la Sagesse elle-même, c'est le Verbe divin fait homme
pour habiter parmi nous, le Dieu caché dans TEucharistie pour
demeurer en nous, qui taille lui-même ces colonnes. Il est venu
dans sa maison; il y a mis la première main, et il continue d'y
travailler jusqu'à ce qu'elle soit achevée, qu'il ne manque plus
rien ni à sa solidité ni à ses ornementations, jusqu'à ce qu'elle soit
vraiment digne de lui et qu'il puisse faire ses délices d'y demeu-
1. Comedite amici et bibite, et inobriamini, charissiini. {Cnnl., v, 1.)
'2. Sapientia ciîdificavit sibi domum, excidit cohimnas septein. {Prov.
IX, 1.)
798 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
rer. Et dans cette demeure il a préparé un festin; il a immolé ses
victimes, mêlé le vin et dressé sa table. Il a dit à ses invités :
« Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai mêlé ^. »
C'est bien la Sainte Eucharistie, c'est bien son corps et son sang
adorables qu'il donne comme aliments. L'àme qui communie est
sa demeure. Dans cette àme qu'il orne comme un riche palais,
comme une salle préparée pour un banquet magnifique, il dresse
lui-même la table, et il se donne lui-même en nourriture. Doit-
elle être belle, cette àme, ou plutôt cette demeure, cette salle du
banquet où Dieu veut être l'hôte, et donner comme mets son corps,
son sang, son àme et sa divinité?
Aussi le Psalmiste dit-il à l'àme fidèle : « Le roi sera épris de
« votre beauté, parce qu'il est le Seigneur votre Dieu -. » Et l'É-
poux des Cantiques : « Comme le lis entre les épines, ainsi est
« mon amie entre les filles ^.... Ma colombe cachée dans les trous
« de la pierre, dans les creux du mur d'enclos, montre-moi ta
« face, que ta voix retentisse à mes oreilles; car ta voix est douce,
« et ta face gracieuse *. » L'Esprit-Saint ne trouve pas d'expres-
sions trop vives ni de comparaisons trop délicates, pour exprimer
combien est belle aux yeux de Dieu l'àme qui est unie au divin
Époux par une pieuse et sainte communion.
XXIII. La sainte communion procure la paix intérieure et
la paix entre les fidèles.
Lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ naquit dans Tétable de
Bethléem, les anges descendirent du ciel et chantèrent : « Paix
« sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Qui donc jouira
davantage de cette paix que ceux qui voient Jésus-Christ des-
cendre, non seulement sur la terre pour la leur apporter, mais
jusque dans leurs cœurs? La seule condition requise pour qu'ils
jouissent pleinement de cet inappréciable bienfait, c'est la bonne
volonté; cette condition n'est nullement difficile à remplir, avec la
\. Immolavit victimas suas; miscuit vinum et posuit mensam.... Ve-
nite, comedite panem meum et bibite vinum quod miscui vobis. {Prov., iX,
2, y.)
2. Et concupiscet rex decorem luum, quia ipse est Dominus Deus tuus.
[Ps. XLIV, 12.)
3. Sicutlilium inter spinas, sic arnica mea inter filias. (Cant., ii, 2.)
4. Columba mea in foraminibus pctrae et caverna maceriœ, ostende mihi
faciem tuam, sonet vox tua in auribus meis; vox enim tua dulcis et faciès
décora. [Cant., ii, 14.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 799
grâce de Dieu qui ne saurait leur manquer. L'Apôtre dit de Notre-
Seigneur Jésus-Glirist : « C'est lui qui est notre paix K » Aussi le
voyons-nous, surtout dans la dernière Cène et après sa résurrec-
tion, dire à ses disciples qu'il leur laisse la paix, qu'il leur donne
la paix. Lorsqu'il daigne leur apparaître, c'est par ce mot de
« paix » qu'il les salue d'abord. Comment ceux qui ont le bon-
heur de participer à son auguste sacrement, et de manger le pain
qui est lui-même, ne posséderaient-ils pas cette paix qu'il sou-
haite, qu'il donne et qu'il laisse?
S. Jean nous apprend que les Juifs, en entendant le Seigneur
annoncer qu'il donnerait sa chair comme aliment aux hommes,
disputaient entre eux et disaient : « Comment celui-ci peut-il nous
« donner sa chair à manger ~ ? » Ils savaient bien que rien n'est
impossible à la puissance de Dieu, mais ils disputaient parce
qu'ils ne voulaient pas du présent que le divin Maître promettait
de leur faire. Ils ne Taimaient pas, ils ne voulaient pas contracter
avec lui la merveilleuse union qui s'opère dans la sainte commu-
nion. Et voilà pourquoi la paix ne régnait pas entre eux. « Ils
« disputaient entre eux, dit S. Augustin, parce qu'ils ne compre-
« naient rien au pain qui fait régner la paix, et qu'ils ne voulaient
« pas le prendre. Car ceux qui mangent un tel pain ne disputent
« pas entre eux par la raison que, quoiqu'en grand nombre,
« nous sommes un seul pain, un seul corps "\ ^ L'Apôtre ajoute :
« Nous tous qui participons à un seul pain *. » Aussi est-il écrit
des premiers disciples, au livre des Actes des Apôtres : « Tous les
« jours, persévérant unanimement dans le temple, et rompant le
« pain de maison en maison, ils prenaient leur nourriture avec
<i allégresse et simplicité de cœur -K » Cette union touchante, quelle
en était la source, sinon ce pain mystérieux qu'ils rompaient en-
semble, comme S. Luc le fait remarquer aussitôt qu'il a parlé de
1. Ipse enim est pax nostra. {Ephes., ii, li.)
2. Litigabant ergo Juda^i ad invicem dicentes : Quomodo potest hic nobis
carnem suain dare ad manducaiidum? [Joann., vi, tiîi.)
3. Litigabant uticiue ad invicem, quoniam panem concordiai non inteHigo-
bant, nec suniere vuicbant : namqui manducant talem pancni, non liliganlad
invicem, quoniam unus panis, unum corpus mulli sumus. (S. August., in
Joann., vi, Îi3.)
i. Omncs qui de uno pane participamus. (/. Cov., x, 17.)
y. Quolidie quoque perdurantes unanimiler in tcmplo, el frangenles circa
domos panem, sumebanl cilium cum cxultatione et simplicitate cordis. {Act.
Apost., Il, Ul.)
800 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
lunanimilé de leur persévérance : Frangeâtes panem, a rompant
a le pain ? »
XXIV. La Sainte Eucharistie fait oublier ou mépriser les
choses de ce monde.
Lorsque Jacob quitta la maison de son père pour fuir la colère
d'Esaii, le Seigneur lui apparut en songe et lui fit les plus magni-
fiques promesses, pour lui et pour sa postérité. A son réveil, Jacob
fit un vœu au Seigneur, et dit : « Si le Seigneur Dieu est avec moi,
« s'il me garde dans le chemin par lequel je marche, et me donne
« du pain pour me nourrir, et des vêtements pour me couvrir, le
« Seigneur sera mon Dieu '. » Le pain qu'il demandait lui faisait
oublier tous les autres biens qui lui étaient promis ; c'était assez
pour lui de recevoir ce pain de la main de Dieu, parce qu'il était
la figure de la Très Sainte Eucharistie. Sans doute le patriarche
n'avait pas la claire vue de ce mystère futur; sa pensée ne portait
pas si loin : mais l'Esprit saint y pensait lorsqu'il voulut que le sou-
venir de cette parole fût religieusement gardé par les descendants
de Jacob, et que Moïse la consignât dans nos Livres saints.
Le roi David s'écriait : « Dieu, mon Dieu, je veille et j'aspire
« vers vous dès la lumière. Mon âme a eu soif! En combien de
« manières ma chair même se sent pressée de cette ardeur - ! »
L'ardeur qui consumait l'âme du prophète se communiquait à son
corps. Il languissait, il mourait épuisé de chaleur et brûlant de
soif. Et quel breuvage pouvait calmer cette soif ardente ? Il n'y en
avait point parmi les choses créées. II avait soif de Dieu : tout le
reste n'était rien pour lui. Dieu a daigné se donner lui-même en
breuvage dans la Très Sainte Eucharistie, aux âmes que la même
soif, que les mêmes désirs ardents consument; et ce breuvage
divin, lorsqu'on le prend, foit qu'on désire le prendre encore et
qu'on ne désire que lui seul. Plaisirs, dignités, richesses de ce
monde ne sont plus rien pour celui qui a goûté combien le Sei-
gneur est doux. Son calice est rempli d'un vin qui produit une
ivresse qui fait oublier ou regarder comme rien tout ce qui n'est
pas Dieu. La chair elle-même se détache de ce qui fait naturelle-
1. Si fucrit Deus mecum, et custodierit me in via per quam ambulo, et dc-
dcrit inihi panem ad vescendum et vestimentum ad inducnduin.... erit mihi
Dominus in Deuin. (Gènes., xxviii, 20, 21.)
2. Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo. Sitivit in te anima mea, quam
mullipliciter libi caro mea! {Ps. lxii, 1.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIETE. 801
ment ses délices : elle aussi s'élance vers Dieu et jouit de Dieu.
Aussi la divine Sagesse dit-elle à ceux qu'elle invite à son festin
sacré : « Mangez, mes amis, et buvez, et enivrez-vous, mes bien-
ce aimés ^ » Et le Sage, parlant de la manne figure du même mys-
tère, dit au Seigneur : ^ Vous avez nourri votre peuple de la nour-
« riture des anges ; vous leur avez donné un pain venant du ciel,
€ préparé sans travail, renfermant en soi tout ce qui plaît et ce qui
a est agréable à tous les goûts 2. » Comment pourrait-on trouver
encore du charme aux choses de la terre, lorsqu'on boit au calice
du Seigneur, lorsqu'on mange le pain dont les esprits bienheureux
se nourrissent au ciel, ce pain qui possède en soi toutes les saveurs
les plus suaves et qui satisfait à tous les goûts? C'est ce qui faisait
dire à S. Cyprien : a Celui qui boit au calice sacré a encore plus
« soif, et ses désirs s'élèvent vers le Dieu vivant, avec tant d'im-
« pétuosité, qu'il n'a plus faim et soif que de lui. Les coupes em-
« poisonnées dont les pécheurs se délectent lui font horreur,
« toutes les jouissances qui procèdent de la chair lui soulèvent le
« cœur et sont pour lui comme un vinaigre mordant qui lui brûle-
« rait le palais 3. »
XXV. La sainte communion fait oublier les injures.
Isaac avait été gravement offensé par Abimélech, roi des Philis-
tins, qui même l'avait chassé des terres qui dépendaient de lui.
Cependant ce roi, voyant combien le patriarche que bénissait le Sei-
gneur était devenu puissant, vint le trouver où il était, pour faire
la paix. Isaac fit un festin à Abimélech et à ses compagnons.
« Après qu'ils eurent mangé et bu, dit la Sainte Écriture, se
« levant le matin, ils firent serment de part et d'autre. Ensuite
a Isaac les renvoya paisiblement chez eux 4. » Ce festin de paix offert
à des ennemis par le patriarche était la figure de la paix, du par-
don que nous devons accorder à ceux qui nous ont oftensés, surtout
1. Comedite, amici, et bibite, et inebriamini, charissimi. {Cant., v, 1.)
2. Angelorum esca nutrivisti populum tuurn, et paratum panem de cœlo
prœstitisti illis sine labore, omne delectaraentum in se habentem, et omnis
saporis suavitatem. {Sop., xvi, 20.)
3. Qui de sacro Calice bibit amplius sitit et ad Deum vivum erigens deside-
rium.itasingularifame unoappetitu tenetur.utdeinceps fellea peccatorum hor-
reat pocula.et omnis sapor delectamentorum carnalium sit ei quasi rancidum,
radensque palatum acutcc mordacitatis acelum. (S. Cyprian., ch Cœna Domini.)
A. Ad quem locum, etc. Fecit ergo eis convivium, et post cibum et potum,
surgentes mane, juraverunt sibi mutuo : dimisitque eos Isaac pacifice in lo-
cum suum. [Gènes., xxvi, 20-31.)
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 51
802 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11*^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
lorsqu'ils prennent place avec nous au banquet eucharistique. Par
ce repas qu'il leur offrait et prenait avec eux, Isaac montrait à ceux
qui l'avaient ofl'ensé qu'il oubliait tous leurs torts. Et nous,
pourrions-nous garder un souvenir irrité des injures et des injus-
tices dont nous avons été l'objet, de la part de ceux que Jésus-
Christ appelle avec nous à son divin banquet ?
XXVI. La sainte communion donne la chasteté.
Le Psalmiste dit, en rapportant les merveilles que Dieu opéra
en faveur des Hébreux, lorsqu'il les dirigeait vers la terre promise :
a L'homme a mangé le pain des anges. » Pourquoi ce nom de pain
des anges donné à la manne, ou plutôt à la Sainte Eucharistie
dont la manne était seulement l'image? On pourrait en apporter
plusieurs raisons, mais nous ne voulons nous arrêter qu'à une qui
se rapporte directement à notre sujet. La Sainte Eucharistie est le
pain des anges, parce que ceux qui s'en nourrissent deviennent
purs et chastes comme les anges, dont la pureté et la chasteté sont
parfaites, en vertu même de leur nature. Salomon dit, au livre de
la Sagesse : « Et comme j'ai su que je ne pouvais être continent si
« Dieu ne me donnait de l'être, je recourus au Seigneur et je le
« suppliai 1. » Si Salomon avait toujours agi avec cette piété et cette
prudence, sa vieillesse n'aurait pas été souillée par des désordres
qui font craindre pour son salut. Mais tant qu'il pria il conserva la
chasteté. Combien la sainte communion aura-t-elle plus de vertu
qu'une simple prière? C'est le Dieu de toute pureté, c'est la chair
virginale formée par le Saint-Esprit lui-même, du sang le plus pur
de la plus chaste des vierges, que nous recevons. Un tel aliment
ne doit-il pas communiquer sa vertu à ceux qui s'en nourrissent?
S. Augustin, avant sa conversion, ne comprenait pas comment
S. Ambroise pouvait se résigner à une vie pure et étrangère à toutes
les jouissances charnelles. Il dit au livre de ses Confessions. « Je
« considérais Ambroise comme un homme heureux selon le siècle,
« à la vue des honneurs que lui rendaient les grands ; cependant je
« croyais qu'il devait souffrir de garder le célibat. » Ainsi pensait
Augustin, avant d'avoir éprouvé parlui-même la vertu de la Sainte
Eucharistie; mais après sa conversion il comprit la conduite et le
véritable bonheur d'Ambroise. Il ajoute en effet: « La bouche
« cachée qui était dans son cœur, avec laquelle il savourait à loisir
\. Et ut scivi quoniam aliter non possem esse continens nisi Deus det....
adii Doniinum et deprecatus suin illum. {Sap., viii, 21.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 803
« les joies délicieuses que procure votre pain, je ne pouvais pas la
« deviner ; l'expérience me manquait ' . » Aussi le prophète Zacharie
dit-il que la Sainte Eucharistie est ce que Dieu peut donner de plus
précieux et de plus beau à son Église : « Qu'est-ce que le Seigneur
« a de bon et de beau, sinon le froment des élus et le vin qui fait
« germer les vierges 2? » Multiplier le nombre de ceux qui gardent
la sainte chasteté dans son degré le plus parfait, tel est, avec
celui de nourrir les élus, l'effet de la Sainte Eucharistie, qui la
fait élever par le prophète au-dessus de tous les autres trésors du
Seigneur.
S. Paul disait aux Éphésiens : « Ne vous enivrez pas du vin qui
« engendre la luxure 3. » C'est le vin qui fait germer les vierges
qu'il faut boire, c'est le froment des élus qu'il faut manger si nous
voulons être chastes et avoir accès dans le royaume du ciel où
rien de souillé n'entrera jamais.
XXVII. La sainte communion fortifie dans les épreuves.
Pourquoi Dieu voulut-il que les Hébreux mangeassent l'agneau
pascal avant de sortir de l'Egypte, sinon parce que cet agneau
était la figure de la Sainte Eucharistie, et que l'Eucharistie est notre
soutien au milieu des souffrances et des tribulations? Les enfants
de Jacob devaient craindre, comme il arriva en effet, d'être pour-
suivis par les Égyptiens, qu'ils dépouillaient d'une foule d'objets
précieux. De plus, des épreuves, des fatigues, des souffrances sans
nombre, qu'ils ne soupçonnaient pas, les attendaient sur le chemin
de la terre promise. Mais l'agneau mystique leur donnait des forces,
parce qu'il représentait l'Agneau, qui devait être immolé pour
nous et se faire notre nourriture. C'est ce divin Agneau qui sou-
tient les forts et les faibles au milieu de leurs luttes. S. Cyprien
voulait que nul ne fût privé de la sainte communion lorsque la
persécution devenait menaçante. Il écrivait : « A l'heure qu'il est,
« il faut admettre à la communion ceux qui sont forts et vivants,
« afin de ne pas laisser nus et sans armes ceux que nous excitons
1. Ainbrosium feliccm quemdam hominem secundum sieculum opinabar,
quem sic tantae pote.states honorarent. Cœlibatus tamen ejus mihi laboriosus
videbatur. — Occulluiu os ejus quod crat in corde cjus, quam sapida gaudia
de pane tuo ruminabat, nec conjicere poleram, nec experlus eram. (S. Au-
GUST., lib. VI Confess., cap. m.)
2. Quid enim bonum ejus est, et quid pulchruui ejus, nisi frumenUnn
electorum et vinum germinans virgines? [Zach., l\, 17.)
3. Nolite inebriari vino in quo est luxuria. {£'/;/teA'., v, 18.)
804 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
€ et que nous exhortons au martyre. Munissons-les delà protection
« du corps et du sang du Christ i. » Notre-Seigneur Jésus-Christ
a voulu nous montrer, par son propre exemple et par celui de ses
apôtres, qu'il faut recourir à la sainte communion dans le temps
des épreuves, des souffrances, des persécutions. Ce ne fut qu'après
avoir pris lui-même et donné aux apôtres la Sainte Eucharistie,
qu'il s'en alla avec eux sur la montagne des Oliviers, pour être
livré à ses ennemis. C'est que la Sainte Eucharistie est la table que
Dieu nous a préparée, contre ceux qui nous persécutent : Parasti
in conspectu meo inensam adversus eos qui tribulant me. Grâce
à elle, nous pouvons tout supporter sans faiblesse, même les tour-
ments du martyre ; elle nous donnerait, au besoin, le courage de
les affronter. S. Cyprien disait encore dans la lettre déjà citée :
<f Comment enseignerons-nous aux fidèles qu'il faut verser leur
« sang pour la confession du nom de Jésus-Christ, si nous refusons
« son sang à ceux qui doivent combattre pour lui 2? »
XXVIII. La sainte communion nous nourrit de Dieu et nous
fait entrer en communication intime avec lui.
Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que moi, je ferai pleuvoir pour
« vous du pain du ciel 3. » Dieu, qui voulait donner la manne
en nourriture à son peuple, ne pouvait-il pas se dispenser de la
faire tomber du ciel comme une pluie ? Il ne lui était pas plus dif-
ficile de changer en pains les pierres du désert, que de faire jaillir
l'eau d'un rocher aride, sous la verge de Moïse. Mais la manne
était la figure de la Sainte Eucharistie. Il fallait montrer qu'un
tel aliment ne peut venir que du ciel et que c'est directement Dieu
qui le donne : « Voici que moi, dit-il, ecceego,']e ferai pleuvoir
or pour vous du pain du ciel. » Mais la manne ne venait pas du
ciel des cieux ; elle n'avait pas été créée dans le séjour des anges,
avant que Dieu la fît tomber autour du camp des Israélites. Le
véritable pain venu du ciel était réservé pour nous. Un jour notre
1. Nunc vero fortibus et viventibus, communicatio a nobis danda est, ut,
quos excitamus, et hortamur ad praelium, non inermes et nudos relinquamus,
sed protectione corporis et sanguinis Christi muniamus. (S. Cyprian.,
Epist. LIV.)
2. Quomodo docemus, aut provocamus eos in confessione Nominis, sangui-
nem suum fundere, si eis militaturis Christi sanguinem denegamus? (Id.,
ibid.)
3. Dixit autem Dominus ad Moysen : Ecce ego pluam vobis panes de cœio.
{Exod.y XVI, 4.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEDX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 805
divin Jésus devait dire aux descendants de ceux qui mangèrent la
manne dans le désert : « Voici le pain qui descend du ciel, afin
€ que si quelqu'un en mange, il ne meure point. Je suis le pain
« vivant, moi qui suis descendu du ciel K » Sans doute Dieu avait
témoigné d'une bonté bien grande à l'égard des Israélites, en vou-
lant se faire ainsi, pendant quarante ans, leur fournisseur de
chaque jour : mais que dirons-nous de celle dont il use envers
nous, lorsqu'il se fait lui-même notre pain quotidien, qu'il des-
cend lui-même chaque jour sur nos autels, afin de se donner à
nous, et qu'il nous promet cette faveur inconcevable, non pas pour
un temps, mais pour tous les siècles qui s'écouleront jusqu'à la
fin du monde? Il est avec nous dans la tribulation et c'est pour
nous consoler et nous communiquer ses délices. L'union la plus
intime s'établit entre lui et nous; il nous permet avec lui les rela-
tions les plus familières; enfin il va, et malgré sa toute- puissance
et son infinie bonté, pourrait-il aller plus loin ? il va jusqu'à se
donner à nous comme notre aliment; il se laisse manger par nous,
comme nous ferions d'une nourriture vulgaire et corporelle.
XXIX. La sainte communion nous rend Dieu propice.
Nous devons beaucoup à Dieu et, comme le Psalmiste, nous pou-
vons demander : « Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il
€ m'a donné? » Ne pas lui témoigner dignement notre reconnais-
sance serait le blesser : or, nous avons à chaque instant besoin
qu'il nous soit propice. David avait trouvé le moyen de satisfaire
à ce que Dieu attendait de lui et il répondait à sa propre question;
« Je recevrai le calice du salut ^. » Ce calice est la Sainte Eucharis-
tie que David ne pouvait recevoir qu'en désir. Pour nous, plus
heureux, nous pouvons nous nourrir réellement de cet aliment
divin et rendre ainsi le Seigneur propice à nos vœux et prêt à nous
combler de nouveaux bienfaits.
Combien la Sainte Eucharistie est efficace pour incliner vers
nous la miséricorde du Seigneur, nous le voyons par ce fait que
le sang de l'agneau pascal, qui ne pouvait rien par lui-môme, suf-
fit néanmoins pour détourner des familles Israélites les coups de
l'ange exterminateur qui frappa tous les premiers-nés d'Egypte,
î. Hic est panis de cœlo descendens : ut si quis de ipso manducaverit non
moriatur. Ego sum panis vivus qui de cœlo descendi. {Joann., vi, SO, 51.)
2. Quid retribuam Domino pro omnibus quœ relribuil mihi? Calicem salu-
taris accipiam. {Ps. cxv, l!2,)
806 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II« PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
parce que cet agneau et son sang représentaient la Sainte Eucha-
ristie. « Le san^i^ mystique de l'Eucliaristie attire vers nous les
« anges et le Seigneur des anges, » dit S. Jean Ghrysostome :
Hic mysticus sanguis angelos et angelorum Dominum ad nos
allicit. Pourquoi Dieu avait-il voulu qu'il y eût toujours, devant
l'arche d'alliance, des pains de proposition, sinon parce que ces
pains, figure du sacrement de nos autels, étaient auprès de lui une
intercession en faveur de son peuple?
XXX. La sainte communion fait que Dieu nous comble de
ses dons.
Avant que les Israélites eussent mangé l'agneau pascal, le Sei-
gneur avait fait pour eux des miracles éclatants. Il avait frappé
l'Egypte des coups les plus terribles; mais le peuple dont il pré-
parait ainsi la délivrance n'en avait ressenti aucun bien ; au con-
traire, le joug sous lequel il gémissait n'avait fait que s'appesan-
tir. Mais après la manducation de l'agneau pascal, il n'en fut plus
ainsi; la miséricorde du Seigneuf pour son peuple se manifesta
par toutes sortes de bienfaits. Les eaux de la mer Rouge s'en-
tr'ouvrirent pour leur livrer passage, et se refermèrent sur l'armée
ennemie qui les poursuivait; l'eau jaillit du rocher, la manne tomba
du ciel ; la loi fut donnée sur le mont Sinaï, le .Jourdain fut traversé,
la terre de promission fut conquise, et ils y trouvèrent en grande
abondance tous les biens qui rendent la vie agréable ici-bas.
Notre Agneau pascal, la Sainte Eucharistie, fait plus encore
pour nous. Elle nous procure tous les biens qui donnent la vie
éternellement heureuse du ciel, et elle change en dqns inesti-
mables ce qu'on serait tenté de regarder comme des maux, pen-
dant cette vie mortelle. Elle est pour nous la source de tous les
biens et c'est auprès d'elle que nous trouvons secours et protec-
tion lorsque le besoin s'en présente. David disait : « Le Seigneur
et m'a caché dans son tabernacle ; au jour des malheurs, il m'a
« protégé en me cachant dans son tabernacle. Il m'a élevé sur un
« rocher, et maintenant il a élevé ma tête au-dessus de mes enne-
« mis. Et j'ai immolé dans son tabernacle une hostie au milieu des
« cris de joie : je chanterai et je dirai un psaume au Seigneur ^ »
1. Abscondit me in tabernaculo suo; in die malorum protexitmein abscon-
dito tabernaculi sui. In petra exaltavit me ; et nunc exaltavit caput meum
super inimicos meos.... Et immoiavi in tabernaculo ejus hostiam vociferatio-
nis : cantabo et psalmum dicam Domino. {Ps. xxvi, 5, 6.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 807
Ce que le tabernacle ancien était pour David, notre tabernacle,
dans lequel réside Jésus-Christ, ne doit-il pas l'être mille fois
plus pour nous? Ne devons-nous pas y trouver un refuge, une
protection, la source de tous les biens?
XXXI. La Sainte Eucharistie fait de celui qui la reçoit le
paradis de Dieu.
Au milieu du paradis terrestre, Dieu avait planté l'arbre de vie.
Le véritable arbre de vie est Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la
Sainte Eucharistie, que nous recevons par la communion, plante
cet arbre à jamais béni au milieu de notre âme; elle en fait ainsi
le paradis de Dieu, où il aime à demeurer, pour nous enrichir de
ses dons, pour y ajouter sans cesse de nouvelles beautés, pour y
être notre bonheur et notre vie. Il ne veut pas que ni les plantes
rares, ni les fleurs ravissantes, ni les fruits au goût exquis, manquent
dans ce paradis qu'il cultive lui-même avec nous. Ces plantes, ces
fleurs et ces fruits sont les vertus, et les actes de vertus qui
abondent, à mesure que la sainte communion est reçue plus sou-
vent et avec plus de piété.
XXXII. La sainte communion élève Vâme à la dignité d'é-
pouse de Dieu.
Dieu dit au commencement : <r II n'est pas bon que l'homme soit
« seul; faisons-lui une aide semblable à lui. » L'aide que Dieu
donna au premier homme fut Eve, et cette aide fut une épouse.
Il en est encore de même aujourd'hui. Dans l'ordre surnaturel, il
n'est pas bon que l'homme soit seul ; il lui faut une aide, une épouse,
ou plutôt il faut un époux à son âme. Quel époux Dieu donne-t-il
à notre âme, sinon lui-même, présent dans la Très Sainte Eucha-
ristie? Il est la chair de notre chair, il est l'os de nos os lorsque
nous le recevons, puisqu'il nous dit : <■< Ma chair est véritablement
« une nourriture et mon sang véritablement un breuvage. » Mais
ce n'est pas tant avec notre chair qu'avec notre âme que s'accom-
plit cette union mystérieuse; c'est de notre âme qu'il est l'époux,
c'est à notre âme qu'il rend le baiser qu'il semble recevoir de nos
lèvres, lorsque nous participons à son auguste sacrement ; c'est
en elle qu'il demeure et c'est elle qui demeure en lui ; car les saintes
P^spèces sous lesquelles il s'est communiqué à elle, par l'intermé-
diaire de notre chair, s'évanouissent bientôt, tandis que l'union
contractée avec notre âme persiste ; il demeure en nous et nous
demeurons en lui.
808 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
XXXIII. La sainte communion nous rend semblables à Dieu,
Nous lisons au premier chapitre de l'Évangile de S. Jean :
« A tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir d'être faits en-
« fants de Dieu i. » S. Thomas donne cette explication : « G'est-
« à-dire, d'être faits conformes à Dieu et à son image 2. » C'est la
pensée que S. Paul exprimait ainsi dans l'Épître aux Romains :
« Ceux que Dieu a connus par sa prescience, il les a aussi prédes-
« tinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-
« même le premier-né entre beaucoup de frères 3. » S. Thomas
ajoute : « Or l'homme, par la vertu du corps du Christ, devient
« semblable à Dieu, intérieurement, par la bonté du cœur, exté-
« rieurenient, par l'abondance des œuvres, surnaturellement, par
« la possession du royaume céleste *. »
Mais devenir enfant de Dieu est quelque chose de plus que lui
être simplement semblable. Or S. Jean nous dit que Dieu donne à
ceux qui ont reçu Jésus-Christ de devenir les enfants de Dieu;
l'Apôtre ajoute que Dieu les a choisis pour être conformes à l'image
de son Fils, « afin qu'il fût lui-môme le premier-né entre beau-
« coup de frères. » Les frères du Fils de Dieu sont nécessairement
enfants de Dieu comme lui et c'est pour qu'ils arrivent à cette di-
gnité sublime que Dieu les rend semblables à son Fils premier-né.
Des enfants ne sauraient être étrangers à la nature de leur Père :
si nous sommes semblables à Jésus-Christ, s'il vit en nous plus que
nous ne vivons en nous-mêmes, s'il est la vigne dont nous sommes
les branches, la tête dont nous sommes les membres, nous sommes
avec lui et par lui des dieux, autant qu'il est possible à des êtres
créés de mériter ce nom. Dieu disait aux juges de l'ancienne loi :
« Moi j'ai dit : Vous êtes des dieux, et tous fils du Très-Haut '". »
A combien plus forte raison cette parole est-elle véritable lors-
qu'elle s'applique à ceux qui, par la manducation de l'adorable
\. Quotquot autem receperunt eum, dédit eis potestatem filios Dei fieri.
(Joann., i, 12.)
2. Quotquot autem receperunt eum, etc., id est conformes Deo, et Deo se-
cundum imaginem similes. (S. Thom,, opusc. LVII de Venerab. Sacram.
altar.)
3. Quos praescivit, hos et praedestinavit conformes fieri imagini Filii sui,
ut sit ipse primogenitus in multis fratribus. {liom., viii, 29.)
t. Assimila tur autem homo Deo virtute corporis Christi, in interiori cordis
bonitate, in exteriori operis fertilitate, in superiori cœlestis regni bonitate.
(S. Thom., opusc LVII de Venerab. Sacrum, allar.)
a. Ego dixi : Dii estis et filii Excelsi omnes. {Ps. Lxxi, 6.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIETÉ. 809
Eucharistie, sont devenus d'autres Jésus-Christ, vivant de sa vie
comme il vit de la leur,
XXXIV. La sainte communion fait que nous donnons, à notre
tour, un aliment à Jésus-Christ.
L'Épouse des Cantiques disait : « Mon bien-aimé est à moi et
« je suis à lui, qui se repaît au milieu des lis '. » S. Ambroise en-
tend ces paroles du sacrement de l'autel. Notre-Seigneur Jésus-
Christ se fait notre nourriture dans le sacrement adorable de l'Eu-
charistie, mais l'Épouse mystique dit plus. Son bien-aimé est à
elle ; il est sa nourriture, elle, à son tour, est à son bien-aimé ; elle
est sa nourriture; et pourquoi : parce qu'il se repaît au milieu des
lis qui représentent la pureté d'âme avec laquelle ou doit s'appro-
cher de cet auguste sacrement. Si l'àme n'était pas pure, si elle
n'était pas comme un jardin où s'épanouissent les fleurs de toutes
sortes de vertus, le bien-aimé n'y trouverait pas l'aliment qu'il
cherche; il ne se donnerait pas ; l'âme indigne de lui ne serait pas
non plus pour lui un aliment. C'est au milieu des lis de l'innocence
qu'il se repaît.
Au jour du dernier jugement, Jésus-Christ, le souverain Juge,
dira aux élus : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai
« eu soif et vous m'avez donné à boire -. » Accomplir ces œuvres de
charité envers les pauvres pour l'amour de lui, c'était lui venir
en aide en leur personne. Mais il est une autre faim et une autre
soif que celles dont souffrent les corps. Jésus-Christ éprouve per-
sonnellement cette faim et cette soif dans nos âmes ; il a faim et soif
de lui-même ; il veut se recevoir en nous et par nous dans la sainte
communion : il vit en nous par sa grâce, mais il a faim de l'ali-
ment destiné à nourrir cette vie ; et si nous accédons à ses désirs,
si nous communions souvent et avec ferveur, c'est à nous qu'il
dira, mieux encore qu'à ceux qui ont simplement soulagé ses
membres souffrants : « Venez, les bénis de mon Père. J'ai eu faim
« et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez
< donné à boire. » Jésus-Christ a soif de lui-même en nous, et il a
soif de nous ; il veut nous incorporer de plus en plus à lui. Lors-
qu'il demandait à la Samaritaine qu'elle lui donnât à boire, était-
ce l'eau matérielle du puits de Jacob qu'il voulait boire? Non; son
1. Dilectus meus mihi et ego illi qui pascitur inter lilia. {Canl., ii, 16.)
2. Esurivi, et dedistis mihi manducare ; silivi et dedistis mihi bibere.
{Malth., XXV, 3ij.)
810 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
breuvage et son aliment sont autres; il voulait la conversion de
cette âme, et celle des Samaritains qui, par elle, ouvriraient les
yeux à la lumière. Nos âmes sont la nourriture et le breuvage de
Jésus. Il brûle du désir ardent de se les assimiler, et c'est lorsqu'il
se donne à nous et que nous nous donnons à lui par la sainte com-
munion, que nous satisfaisons surtout à cette faim et à cette soit
de notre divin Sauveur.
' XXXV. La sainte communion nous élève à la dignité de
frères de Jésus-Christ.
L'Époux des Cantiques dit à sa bien-aimée : « Je suis venu dans
« mon jardin, ma sœur, mon épouse; j'ai recueilli mes aromates;
« j'ai mangé le rayon avec le miel, j'ai bu mon vin avec mon lait:
« mangez, mes amis, buvez et enivrez-vous, mes bien-aimés ^. »
Tous les commentateurs s'accordent à reconnaître ici une allusion
à la Sainte Eucharistie. Mais pourquoi l'Époux divin qui appelle
ordinairement son Épouse, ma toute belle, ma colombe, lui donne-
t-il ici le nom de sœur ? C'est que la Sainte Eucharistie, lorsque
nous la recevons, nous donne un droit particulier au titre d'en-
fants de Dieu et de frères de Jésus-Christ, tant est étroite l'union
qui s'établit entre lui et nous. Il vit en nous et nous vivons en lui.
II est le Fils de Dieu, et nous aussi nous sommes les enfants de Dieu,
en lui et par lui. Nous le sommes devenus par le baptême; nous
le sommes par la grâce habituelle; mais combien plus parfaite-
ment encore ne le sommes-nous pas, lorsque Jésus habite en nous
véritablement, réellement et substantiellement par la Très Sainte
Eucharistie?
On lit dans S. Matthieu que Notre-Seigneur, après sa résurrec-
tion, dit aux saintes femmes accourues les premières à son sé-
pulcre: a Ne craignez point; allez, annoncez à mes frères qu'ils
« aillent en Galilée ; c'est là qu'ils me verront 2. » Pourquoi ce nom
de frères à ceux que le divin Maître avait appelés jusque-là ses
apôtres, ses disciples? La vie glorieuse dans laquelle il était entré,
par sa résurrection, ne devait-elle pas s'opposer à ce qu'il leur
donnât ce nom ? Peut-être ; mais il y avait une considération en
\. Veni in hortum meum, soror mea, sponsa; messui myrrham meam cum
aromatibus meis; comedi favum cum melle meo; bibi vinum meum cum
lacté meo. Comedite, amici, et bibite et inebriamini, charissimi. {Cant., v, 1.)
2. Nolite timere. Ite, nunciate fratribus meis, ut eant in Galilaeam. Ibi me
videbunt. [Matih., xxviii, iO.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 811
présence de laquelle toutes les autres s'effaçaient. Ils avaient par-
ticipé à la Sainte Eucharistie ; ils avaient reçu de sa propre main
son corps et son sang adorables ; ils s'en étaient nourris à la der-
nière cène. Une union si intime leur donnait droit à un nom nou-
veau ; et voilà pourquoi il les nomma ses frères, dans une circons-
tance qui ne devait jamais s'effacer de la mémoire des hommes. Il
voulait que toujours on se souvînt que quiconque fait la sainte
communion avec les dispositions requises et une véritable dévotion
n'est plus seulement un disciple du Verbe incarné ; il est réelle-
ment son frère.
XXXVI. La sainte communion nous unit à Jésus-Christ au
point de nous transformer d'une certaine manière en lui.
Au livre des Proverbes, la Sagesse éternelle, c'est-à-dire le
Verbe divin qui s'est fait homme pour nous sauver, dit ces paroles:
« Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes i. » Est-ce
donc que la société des hommes peut être agréable à Dieu au point
d'y trouver des délices? Ne semblerait-il pas plus naturel qu'il
dise : Les délices des enfants des hommes sont d'être avec moi ? —
Il n'a nul besoin de nous pour être heureux, tandis que nous avons
absolument besoin de lui. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ s'unit
à nous si intimement, surtout par la sainte communion, qu'il
regarde comme ses propres délices celles qu'il nous procure. Nos
joies sont ses joies, nos douleurs sont ses douleurs; il augmente et
sanctifie les unes ; il adoucit et sanctifie les autres ; il vit en nous,
nous vivons en lui, ou, selon la parole de l'Apôtre, nous vivons et
nous ne vivons plus ; c'est Jésus-Ghrit qui vit en nous, tant son
union avec nous est parfaite. Il nous a dit: « Celui qui mange ma
« chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Comme
« je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi
« par moi '^. » Pouvait-il nous donner une plus haute idée de son
union avec nous et de sa vie en nous que par cette comparaison
qu'il en fait avec les liens qui l'unissent à son Père céleste, et la
vie qu'il tient de lui et qu'il partage sans division avec lui? Quels
insondables mystères de grandeur et d'amour dans cette union
que réalise en nous une communion saintement faite !
\. Deliciae meae esse cum filiis hominum. {Prov., viii, 'M.)
2. Qui nianducat raeam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et
ego in illo. Sicut.... ego vivo propter Patrem : et qui manducat me, et ipse
vivetpropter me. (Joann., vi, 57, 58.)
812 LA SAINTE EDCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
XXXVII. Lasainte communion procure d'autant plies de grâce
quon s'en appi'oche avec un désir plus grand et des dispositions
plus parfaites.
On sait avec quel empressement le saint patriarche Abraham
reçut les anges qui venaient lui faire part de la destruction pro-
chaine de Sodome et des autres villes coupables. Loth, neveu
d'Abraham, reçut aussi ces envoyés de Dieu, mais n'y mit ni le
même empressement ni la même générosité. Il ne courut pas au-
devant d'eux, mais les attendit ; il ne tua pas un veau pour le repas
qu'il leur offrit, et ne leur présenta pas de lait, mais se contenta
de préparer des pains cuits sous la cendre. Néanmoins il fut récom-
pensé de l'hospitalité donnée aux anges, et surtout de les avoir dé-
fendus contre les violences d'une ignoble population. Mais quelle
différence entre le salut qui lui fut uniquement accordé et les
bénédictions que reçut Abraham ! Il en est de même quand le Roi
des anges, au lieu de nous envoyer ses messagers, daigne venir
lui-même, et que nous le recevons dans nos cœurs. Les grâces qu'il
nous donne sont en rapport avec notre empressement à le bien
recevoir, et la sainteté des dispositions de nos cœurs.
Dans ce texte déjà plusieurs fois cité : « Mangez, mes amis, et
« buvez, et enivrez-vous, mes bien-aimés ^ » il y a une grada-
tion observée qui mérite qu'on la remarque. A ses amis, la divine
Sagesse dit de manger et de boire ; mais ceux qu'elle aime davan-
tage encore, elle les presse d'aller jusqu'à l'ivresse. « Dieu donne
à manger à ses amis, dit Richard de Saint-Victor, mais ceux qu'il
aime tout particulièrement, il leur sert ses mets avec plus de lar-
gesse, il leur donne à boire, il va jusqu'à les enivrer de l'abondance
de sa grâce 2. »
Nous lisons au livre de la Sagesse : « Vous leur avez donné un
« pain venant du ciel, renfermant en soi tout ce qui plaît et ce qui
« est agréable à tous les goûts 3. » Toutes les satisfactions du goût
que pouvaient souhaiter les Israélites, ils les trouvaient donc dans
la manne: elle en changeait au gré de leurs désirs, et ceux qui
voulaient éprouver le plus de jouissances les trouvaient dans ce
1. Comedite, amici, et bibite, et inebriamini, charissimi. (Cant., v, i.)
2. Amicos igitur Deus cibo pascit; charissimos vero plenius reficit, et po-
tat, imo abundantiore gratia etiam inebriat.- (Richard. Victor., in Cant.,
cap. xxxni.)
3. Panem de cœlo praestitisti illis.... omne delectamentum in se habentern,
et omnis saporis suavitatem. {Sap,, xvi, 20.)
â
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEtIX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 813
mystérieux aliment. C'était la figure de l'adorable Eucharistie. C'est
elle qui est véritablement le pain descendu du ciel, renfermant
tout 'ce qui plaît. Mais les Israélites se lassèrent à la fin de la
manne que Dieu leur envoyait; ils s'en nourrirent sans y chercher
les délices qu'elle renfermait, et le dégoût survint. C'est ce qui arrive
à ceux qui ne se mettent pas en peine de rechercher les délices
de la Très Sainte Eucharistie : elles sont cachées ; il faut les désirer,
il faut se rendre digne de les goûter; sinon l'on n'y trouve aucun
charme ; on s'en fatigue, et l'on en vient à désirer les grossières et
vaines joies du monde. C'est ainsi que tous ne participent pas
également à la vertu du très saint sacrement de l'Eucharistie et
ne retirent pas les mêmes fruits de la communion.
XXXVIII. La Sainte Eucharistie tient lieu de tous les autres
biens à ceux qui la reçoivent.
Sous le nom de pam, les anciens n'entendaient pas seulement
le pain proprement dit, mais en même temps, tout ce qui est né-
cessaire ou utile à l'entretien de la vie. Abraham invitait les anges
à manger un morcean de pain, et il leur servait un repas complet;
Jacob disait : « Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir,
e le Seigneur sera mon Dieu, » mais il attendait de la bonté divine
d'autres aliments outre le pain qu'il demandait. Et plus tard dans
le saint Évangile, l'expression manger du pain revient souvent
pour signifier un repas quelconque, quoique plusieurs mets dussent
le composer. Même dans la prière où Notre-Seigneurnous apprend
ce que nous devons demander à notre Père céleste, c'est le mot
pain qui désigne tout ce qui est nécessaire à l'entretien de la vie.
Pourquoi, sinon parce que le pain matériel qui nourrit la chair est
la figure du pain au-dessus de toute substance, que Dieu a préparé
pour nourrir les âmes de ceux qu'il a choisis? Or ce pain vérita-
blement descendu du ciel, celte manne, dont la première qui con-
tenait en elle tout ce qui peut flatter le goût n'était qu'une image
lointaine, est l'assemblage de tous les biens: tout ce que l'homme
peut désirer en ce monde lui est donné dans la Sainte Eucharistie,
ou par elle et avec elle. C'est de la Sainte Eucharistie, parce que
c'est de la Sagesse divine, que Salomon disait : « Tous les biens
« me sont venus avec elle *. » Ce qui inspirait au cardinal Hugues
cette réflexion : « Il est utile de recevoir convenablement un tel
1. Venerunt mihi omnia bona pariter cum illa. [Sap., vu, H.)
814 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H* PARTIE, — LIVRE II. — CHAP. XVII.
« hôte, parce qu'il solde toutes les dépenses de la famille et comble
€ chacun de présents '. »
Notre-Seigneur Jésus-Christ disait : « L'homme ne vit pas seule-
« ment de pain, mais de toute parole qui procède de la bouche de
« Dieu 2. » Le pain matériel ne suffit pas à la vie de l'homme ; il
a besoin d'un pain immatériel, parce qu'il est esprit en même temps
que chair; or ce pain immatériel doit être Dieu lui-même, parce
que l'homme est destiné à vivre surnaturellement de la vie même
de Dieu. Dieu se communique donc à l'homme par son Verbe, sa
parole. Mais le Verbe divin, pour se donner à l'homme de la ma-
nière la plus complète possible, pour se donner tout entier et subs-
tantiellement, se voile sous les Espèces eucharistiques. Il prend les
apparences du pain, et ce pain vivant descendu du ciel, ce pain
qui est toute parole sortie de la bouche de Dieu parce qu'il est le Verbe
incarné, supplée à l'insuffisance du pain matériel ; c'est lui qui donne
vraiment la vie à l'homme 3, et Jésus-Christ qui nous dit: «L'homme
* ne vit pas seulement de pain, » veut que nous le demandions à
notre Père qui est dans le ciel. C'est ce pain qui a été préparé pour
le festin dont il est écrit dans l'Évangile: « Dites aux conviés de
« venir, parce que tout est prêt. » Avec ce pain, avec le corps et
le sang de Jésus-Christ qui se donne à nous, rien ne saurait nous
manquer; car selon la parole de l'Apôtre: « Dieu qui n'a pas
« épagné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, com-
« ment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ^? »
XXXIX. La sainte communion rassasie notre âme.
Le saint patriarche Jacob demandait seulement à Dieu du pain
comme nourriture : cependant il est d'autres aliments, en grand
nombre, qui peuvent servir à entretenir la vie corporelle. Mais
le pain qui suffisait à combler les désirs de Jacob était la figure
du pain eucharistique, de ce pain descendu du ciel, dans lequel
Dieu a condensé tout ce qui peut flatter le goût de l'âme et satis-
\. Utile est talem hospitem recipere honeste in domum suam, quia solvit
omnes expensas totius familiae, et dat singulis mimera. (Hugo card., in cap. vi
Joann.)
2. Non in solo pane vivit homo sed in omni verbo quod procedit de ore
Dei. {Malth., iv, 4.)
3. Non in solo pane, etc. : Putasne Verbum Dei non sit panis? Si non esset
panis, non diceret Verbum Dei per quod omnia facta sunt : Ego sum panis
vivus qui de cœlo descendi. (S. August., in Ps. xxxvi.)
i. Qui etiam proprio Filio suo non pepercit, sed pro nobis omnibus tradi-
dit illum : quomodo non etiam cum illo omnia nobis donavit? [Rom., viii, 32.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEDX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 815
faire entièrement à ses désirs légitimes. Les Hébreux, tant qu'ils
furent dignes de manger la manne, dans le désert, trouvèrent dé-
licieux ce pain que Dieu leur envoyait, ou plutôt ces pains, car le
Seigneur leur dit: « Je ferai pleuvoir pour vous des pains du
« ciel 1. » Pourquoi des pains, sinon parce que, dans la seule
manne qui leur en tenait lieu, ils trouvaient les saveurs différentes
d'une foule d'autres aliments, et parce que la quantité de cette
nourriture était telle qu'elle suffisait amplement à les rassasier?
Ce n'était pas un pain mais une multitude inépuisable de pains
que Dieu leur promettait de faire descendre du ciel, comme les
gouttes d'une pluie abondante. Aussi le Psalmiste, parlant de la
manne et, en figure, delà Sainte Eucharistie, dit-il : <r Les pauvres
« mangeront et seront rassasiés ~. » Ailleurs il dit encore: « Dila-
« tez votre bouche et je la remplirai 3. » C'est le Seigneur qui
parle par la voix de Moïse, et il parle de la bouche du cœur, de la
bouche de l'àme qui a faim et soif de Dieu. Quelle que soit voire
faim, nous dit-il, quelle que soit votre soif, j'ai un aliment et un
breuvage tout prêts, pour y satisfaire pleinement. — Ouvrez votre
cœur ; donnez carrière à vos désirs et tous seront comblés; car
c'est bien de l'Eucharistie qu'il est écrit au livre de la Sagesse :
* Cette nourriture venant de vous montrait votre douceur que vous
« avez pour vos enfants ; et s'accommodant à la volonté de chacun,
« elle se changeait en ce que chacun voulait ^. » La manne du
désert à laquelle Dieu donnait cette vertu n'était qu'une pâle image
du pain vivant véritablement descendu du ciel, et devenu le par-
tage des enfants de Dieu. Le texte même du livre de la Sagesse ne
laisse pas lieu d'en douter, car il donne à la manne le nom de
substance du Seigneur, substantia tua. Or la véritable substance
du Seigneur, ne la recevons-nous pas comme notre nourriture,
dans la très sainte et adorable Eucharistie? C'est elle qui rassa-
sie notre âme et satisfait à tous nos désirs. Que penser de l'avidité
de celui à qui Dieu ne suffirait pas?
1. Ecce ego pluam vobis panes de ccelo. {ExoiL, xvi, 4.)
:2. Edent pauperes et saturabuntur. {Ps. xxi, "27.)
3. Dilata os tuum et implebo illud. {Ps. Lxxx, 11.)
4. Substantia enim tua dulcedineni tuam, quani in filios liabes, ostendebat;
et deserviens uniuscujusque voluntati ad quod quisque volebat convertebatur.
(Sap., XVI, 21.)
816 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II*^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
m.
DERNIERS FRUITS DE LA. SAINTE COMMUNION. — UN MOT SUR LES
FUNESTES RÉSULTATS DE LA COMMUNION SACRILÈGE
XL. La sainte communion nous donne la sagesse.
Gomment, en effet, ne deviendrions-nous pas sages, lorsque
nous faisons notre nourriture de la Sagesse divine elle-même, du
Verbe incarné, voilé pour nous sous les Espèces eucharistiques?
La Sainte Eucharistie est le pain des anges, et c'est d'elle que
parle le Psalmiste lorsqu'il dit : « L'homme a mangé le pain des
a anges ' . » Qu'y a-t-il, en effet, dans l'Eucharistie? Le Verbe divin
avec l'humanité à laquelle il s'est uni pour se donner à nous. Le
Verbe divin est la vérité infinie; c'est de la vérité que vivent les
intelligences; elle est leur aliment nécessaire, et la vérité de Dieu,
le Verbe, estau ciel l'éternel aliment des intelligences bienheureuses.
Il est donc leur lumière, il est leur science et leur sagesse. Malgré
la chair à laquelle elle est unie, notre âme aussi est une intelli-
gence; elle a besoin d'un aliment. La vérité créée lui suffirait si
elle ne devait vivre que d'une vie purement naturelle. Mais Dieu
l'a faite pour un état plus sublime, pour une vie surnaturelle et
divine; elle a donc besoin d'un aliment surnaturel et divin; elle a
besoin pour vivre que le Verbe de Dieu devienne sa nourriture
comme il est celle des anges. Dieu nous communique son Verbe
de différentes manières, et par conséquent sa Sagesse. Mais c'est
surtout dans la Sainte Eucharistie, c'est surtout par la communion
que nous devenons participants de cette Sagesse divine. C'est là
qu'elle nous engraisse de sa propre substance. Gomment n'avance-
rions-nous pas dans la sagesse, lorsque nous mangeons, lorsque
nous buvons la Sagesse même de Dieu ?
Mais qui donc pourra prétendre à la faveur incomparable et
incompréhensible de prendre place à la table que la divine Sa-
gesse a dressée, de manger son pain et de boire le vin pré-
paré par elle ? Qui appelle-t-elle à cet honneur ? « Si quelqu'un
« est petit, qu'il vienne à moi. — Et à des insensés, elle dit : Ve-
€ nez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai mêlé.
« Quittez l'enfance et vivez, et marchez par les voies de la pru-
r_l. Panem angelorum manducavit homo. {Ps. Lxxvii, 25.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA RE(^:01V£NT AVEC PIÉTÉ. 817
€ dence ^ » Elle ne rebute donc personne. Les petits, les humbles,
les enfants avec leur simplicité, les insensés eux-mêmes sont
admis à sa table. Mais en mangeant son pain et en buvant son vin,
ils cesseront d'être des enfants et des insensés; ils vivront de la
véritable vie, et marcheront dans les voies de la prudence. Les
aliments qu'ils prendront à sa table leur donneront la sagesse.
On lit dans l'Ecclésiastique : a Celui qui craint Dieu fera le
« bien, et celui qui garde la justice possédera la sagesse. Et elle
€ viendra au-devant de lui, comme une mère honorée, et comme
♦ une épouse vierge, elle le recevra. Elle le nourrira du pain de
« vie et d'intelligence, et l'abreuvera de l'eau de la sagesse qui
<i donne le salut, et elle s'affermira en lui ~. » Ce pain de vie et
d'intelligence que donne la divine Sagesse, c'est bien la Sainte
Eucharistie. Cette eau de la sagesse qui donne le salut, c'est bien
encore le sang divin et l'eau sortie du côté de Notre-Seigneur en-
tr'ouvert par la lance du soldat, sang et eau que contient le calice
de l'autel. C'est ce pain, ce sang, cette eau, l'Eucharistie enfin,
que la divine Sagesse donne à ceux qui craignent Dieu, pour s'en-
raciner et s'affermir en eux, de sorte qu'ils ne fléchissent pas, et
qu'ils ne soient pas confondus.
XLI. La sainte communion donne la véritable joie.
Le saint roi David avait un avant-goût des joies que donne
l'Eucharistie, lorsqu'il s'écriait : « Goûtez et voyez combien le
« Seigneur est doux ^ ; » et c'est pourquoi il disait encore : « Je
a m'approcherai de l'autel de Dieu, du Dieu qui est la joie de ma
« jeunesse ^. » C'est sur l'autel que s'accomplit le grand sacrifice
de la loi nouvelle ; c'est de l'autel que l'adorable Victime qui s'im-
mole chaque jour pour nous, d'une manière mystérieuse, descend
pour se donner en nourriture à ceux qui la désirent. David sou-
pirait après cet autel ; il voulait approcher de ce Dieu qu'il ne
pouvait recevoir qu'en esprit, car le Fils de Dieu ne s'était pas en-
4. Si quis est parvulus veniat ad me. Kt insipientibus locula est: Venite,
comedite panem nieuin et bibite vinum quod iniscui vobis. Reliiuiuite infan-
tiain, et vivite et auiljulate per vias prudentia;. {Prov., ix, 4-0.)
2. Qui timet Deum faciet bona ; et qui conlinens est justilite, appreliendet
iliam. Et obvial)it illi (|uasi mater honorificala, et quasi n)ulier a vir!.çinitate
.suscipiet illam. Cibabil illum pane vita; et intellectus, et aqua sapientije salu-
taris potabit illum; et firmabitur in illo, et non fleclelur. {lùr/i., xv, 1, 3.)
3. Gustate etvidele quoniam suavis est Doininus. (/'.s\ xxx, D.)
4. Introibo ad altare Dei, ad Deum qui iietitical juvcntutem meam.
{Ps. XLU, A.)
L\ SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV, 52
818 LA SAINTE EUCHARISTIE. II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
core incarné et n'avait pas institué son adorable sacrement. Mais
cette communion de désir suffisait pour réjouir le cœur du pro-
phète, et il s'écriait : « J'approcherai de l'autel de Dieu, j'appro-
« cherai du Dieu qui réjouit ma jeunesse. » Il voulait que chacun
goùtàt avec lui les douceurs ineffables que l'on trouve en Dieu, et
il disait : Goûtez donc, et reconnaissez par votre propre expé-
rience combien le Seigneur est doux.
Ailleurs le Psalmiste nous montre ceux qui ont semé dans les
larmes, moissonnant dans l'allégresse : « Ils allaient et pleuraient,
« jetant leurs semences, mais venant, ils venaient avec exulta-
« tion, portant leurs gerbes K » Les semences de la Sainte Eu-
charistie sont les travaux et les larmes de la pénitence; mais
quelle joie lorsque ces travaux et ces larmes ont produit leur
fruit, lorsqu'on est en possession de la gerbe mystique, et que
l'on porte enfin le Dieu de l'Eucharistie dans son cœur ! C'est
de celte joie que parlait l'Apôtre aux premiers fidèles qui com-
muniaient si souvent, lorsqu'il leur disait: « Réjouissez-vous tou-
tt jours dans le Seigneur ; je le dis encore, réjouissez-vous, j» Et il
ajoutait : « Que votre modestie soit connue de tous les hommes - ;
« le Seigneur est proche. » Si prociie que chacun d'eux le portait
dans son cœur; et c'est pourquoi leur joie devait être accompagnée
d'une modestie parfaite, qui la distinguât des joies bruyantes et
dissolues du monde.
XLII. La sainte communion tranquillise et repose.
David disait au Seigneur : « Si même je marchais au milieu de
« l'ombre de la mort, je ne craindrais point les maux, parce (juo
« vous êtes avec moi 3, » La présence du Seigneur le mettait à
l'abri de toute crainte, mais pourquoi? C'est que, lui disait-il en-
core, « vous avez préparé en ma présence une table contre ceux
« qui me tourmentent ^, » Ce n'est pas une table commune qui
meta l'abri de tout danger ceux pour qui elle est préparée. Mais
la table du Seigneur a cette vertu, à cause des mets divins qu'elle
offre aux conviés. Ceux qui mangent la chair et boivent le sang
\. Eunles ibant et flebant, miUentes semina sua; venientes autem venient
cum exultatione, portantes manipulos suos. {Ps. cxxv, 0.;
2. Gaudete in Domino semper, iterum dico gaudete ; modestia vestra nota
sit omnibus hominibus : Dominus enim prope est. {Phili])p., iv, 4, 5.)
B. Si ambulavero in medio umbrae mortis non timebo mala;quoniam lu
mecum es. {Ps. xxii, 4.)
4. Parasti in conspeclu meo mensam adversus eos qui tribulant me. {Id., U.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA RCCOIVENT AVEC PIÉTÉ. 819
du Verbe incarné, ceux dont Jésus-Christ lui-même est la vie,
tant il s'unit intimement à eux, peuvent denieurer en paix ; ils
savent que tous les efforts de leurs ennemis seront vains, et que
fortifiés par la sainte communion, ils sont assurés de la victoire
définitive.
Nous voyons au livre des Proverbes que la divine Sagesse fait
appeler ses conviés au festin, figure de l'Eucharistie, qu'elle leur
a préparé : mais en quel lieu les convoque-t-elle pour y prendre
part ? « Elle a envoyé ses servantes pour appeler ses conviés à la
« forteresse et aux murs de la cité *. » Le lieu dans lequel sa
table est dressée est une forteresse, ou bien c'est une ville protégée
par des murs contre les attaques imprévues; mais plutôt, le pain
et le vin qu'elle offre sont eux-mêmes cette forteresse et ces murs
de la cité, grâce auxquels il n'y a rien à craindre. La Sainte Eucha-
ristie combat pour ceux qui la reçoivent; ils peuvent jouir de leur
bonheur dans la paix et la tranquillité, même lorsque les assauts
des ennemis se multiplient.
XLIIL La sainte communion est remplie de douceur pour ceux
qui la reçoivent.
Samson proposait cette énigme aux jeunes gens de Gaza : « De
« celui qui est fort est sortie la douceur ^. » Il entendait parler du
lionceau qu'il avait mis à mort, et dans la gueule duquel il avait
trouvé un rayon de miel. Mais l'Esprit saint, qui a voulu que ces
paroles nous fussent transmises, avait une autre vue. Le fort,
c'est Jésus-Christ, c'est le lion de Juda, et ce fort, en mourant
pour nous sur la croix, nous a laissé la douceur même de Dieu,
l'adorable Eucharistie, dans laquelle lui-même se donne à nous
sous forme de nourriture 3.
Le Psalmiste dit, en parlant des Israélites qui ont mangé la
manne dans le désert : « Le Seigneur les a nourris de la moelle
« du froment et il les a rassasiés du miel sorti de la pierre *. »
1. Misit ancillas suas, ut vocarent ad arcem et ad mœnia civitatis. (Saj).,
IX, 3.)
2. De forti egressa est dulcedo. 'Jndic, xiv, 14.)
3. Hic leonis catulus qui Filius Dei, et idem leo, quia t-equalis Patri. Quare,
ut mihi videtur, huic aptum est Iconi : De comeilentc cxiril exra, et de iiotcute
dulce. A quo nisi a Salvatore nostro, qui hanc nol)is escam simul et runiina-
vit docens, etprompsit iiiipcrticns. (S. Paulin., Kpist. IV.)
■4. Cibaviteos ex adipc frumenti et de petra inclle saturavit eos. {Ps. lxxx,
16.)
820 LA SAINTE EUCHARISTIE, — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
S. Paul nous apprend que « la pierre était le Christ ^ » La moelle
du froment, figure de l'adorable Eucharistie, représentait aussi
le Christ sous une autre image. Pourquoi cette double figure du
Sacrement de nos autels, dans le même verset ? C'est que si le fro-
ment nourrit l'homme, le miel le délecte par sa douceur. La
Sainte Eucharistie n'est pas seulement le froment des élus, le pain
des âmes saintes, elle est un aliment d'une incomparable douceur,
et le Prophète ne pouvait mieux faire pour en donner une idée que
de comparer cette douceur à celle du miel.
On lit dans l'Apocalypse ces paroles du Seigneur : « Me voici à
« la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre
a la porte, j'entrerai chez lui, et je souperaiavec lui, et lui avec
« moi ^. » Ce souper, c'est la continuation ou le renouvellement de
la dernière Cène pendant laquelle notre divin Sauveur institua son
sacrement d'amour. Il allait se livrer pour être crucifié ; les an-
goisses de l'agonie torturaient déjà son âme; cependant quelle
ineffable douceur dans son dernier entretien avec ses disciples
bien-aimés ! Cette douceur sera-t-elle moindre, si nous prenons
place à sa table avec lui, maintenant qu'il ne ressent pluslesaffres
de la mort, mais qu'il vient du ciel tout exprès pour se donner à
nous et nous prodiguer les marques de son amour?
XLIV. La sainte communion nous élève à un état sublime.
On connaît ces paroles du prophète Isaïe : « Son sépulcre sera
« glorieux 3. » H parlait du tombeau dans lequel Joseph d'Arima-
thie et Nicodème déposèrent le corps adorable de Jésus, après l'a-
voir descendu de la croix. Mais il est un autre tombeau dans le-
quel Jésus-Christ veut être déposé. Après que son immolation
mystique sur l'autel l'a mis dans un état qui rappelle sa mort sur
la croix, l'àme de celui qui communie devient, pour son corps ado-
rable, un sépulcre vivant, plus glorieux que le premier, car il
renferme le Seigneur ressuscité, dans tout l'éclat de sa gloire du
ciel. Et ce sépulcre n'est pas un rocher inerte; c'est une âme im-
mortelle qui connaît, qui goûte celui qu'elle renferme et qui espère
jouir éternellement de lui dans la cité bienheureuse.
\. Petra autem erat Christus. (/. Cor., x, A.)
-1. Ecce sto ad ostium et piilso : si quis audierit vocem ineam et aperuerit
niilii januam, intrabo ad illum, et cœnabo cum illo, et ipse mecum. {Apoc,
III, -J).)
:'.. Kt erit sepulchrum ejus gloriosum. {Isa., xi, 10.)
DES EFFETS DE LA COMMDNION EN CEDX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 321
Mais nous sommes plus encore que le sépulcre glorieux du Sei-
gneur, par la sainte communion. Il nous a dit : « Gomme mon
« Père qui est vivant m'a envoyé, et que moi je vis par mon Père,
€ ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi i. » La sainte
communion nous élève si haut, elle établit entre nous et Jésus-
Christ une relation telle qu'il ne craint pas de la comparer à la re-
lation par laquelle il tient sa vie de son Père céleste. Ailleurs il
s'adresse à son Père et lui dit, en parlant de ses disciples : « Pour
« moi je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils
« soient une seule chose, comme nous sommes une seule chose *. >
Et quand prononçait-il ces paroles ? quand disait-il qu'il avait
donné à ses disciples la gloire même reçue par lui de son Père?
quand allait-il jusqu'à comparer l'union qu'il opérait entre eux
avec l'unité, en un seul Dieu, des trois personnes divines? quand
ajoutait-il enfin : « Je suis en eux et vous en moi, afin qu'ils soient
« consommés dans l'unité^? » C'était quelques instants après
s'être donné à eux par la sainte communion. Il exprimait ainsi les
effets de la divine Eucharistie et donnait à comprendre la sublime
hauteur à laquelle elle élève ceux qui la reçoivent dignement.
XLV. La sainte communion nous procure y en un certain sens,
la béatitude dès ici-bas.
Lorsque Moïse fut sur le point de rendre son àme au Seigneur,
il bénit toutes les tribus d'Israël, et il conclut ainsi cette bénédic-
tion prophétique: « Israël habitera avec assurance et seul. L'œil
« de Jacob sera fixé sur une terre de vin et de froment, et les cieux
€ seront obscurcis par la rosée. Tu es heureux, Israël. Qui est
« semblable à toi peuple qui es sauve par le Seigneur ^? » Pour-
quoi Moïse parle-t-il du bonheur futur d'Israël, comme si ce peuple
le possédait déjà? C'est qu'il voit dans le vin et le froment l'image
et la promesse de la Très Sainte Eucharistie, qu'accompagnera la
rosée abondante de toutes sortes de grâces. L'Eucharistie est ici-bas
la béatitude commencée, à cause des joies et des grâces qui l'ac--
1. Sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem, et qui mandu-
cat me et ipse vivet propter me. (Joann., vi, {i8.)
2. Et ego claritatein quam dedisti inihi, dedi eis : ut sint ununi sicut et nos
nnum sumus. (Joann., xvii, 2i2.)
3. Ego in eis, et tu in me : ut sint consummati in unum. {Id., !23.)
4. Habitabit Israël confidcnler et solus. Oculus Jacob in terra frumenti et
vini, cœlique caligabunt rorc. Boalus es tu Israël : (juisiiuis similis tui po-
pule, qui salvaris in Domino. [Deulcr., xxxiii, ii8, !2d.)
822 LA SAINTE EUCHARISTIE. — H® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
conipagnent, à cause surtout de l'espérance fondée, on pourrait
presque dire de l'assurance qu'elle donne de la félicité céleste. Pos-
séder dans son cœur le Dieu du ciel, avec toute sa gloire et son
bonheur, est-ce autre chose que posséder le ciel lui-même?
Le saint roi David s'irritait contre la foule de ceux qui disent:
« Qui nous montrera les biens ' ? » qui nous enseignera où nous
trouverons le vrai bonheur? Il est naturel à l'homme de vouloir
être heureux; mais David s'irritait, parce que ceux qui parlent
ainsi ne veulent pas voir que le bonheur est à leur portée, et qu'ils
n'ont qu'à étendre la main pour le posséder. Ils ont eu en abon-
dance le fruit de leur froment, de leur vin et de leur huile -, mais
ils n'ont pas voulu comprendre que le froment des élus, le vin qui
fait germer les vierges, l'huile de la grâce du Seigneur, sont la
source de toute béatitude. Le prophète, lui, l'a compris, et c'est
pourquoi il dit: « Dans la paix je m'endormirai et me reposerai,
« en paix 3. » Aussi nous donne-t-il en un autre psaume ce pré-
cieux conseil : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon.
« Bienheureux l'homme qui espère en lui ^. » Les délices de notre
divin Sauveur sont d'être avec les enfants des hommes : comment
ne leur ferait-il pas partager, autant qu'il est utile pour leur salut,
ces délices qu'il goûte dans leurs cœurs bien préparés, lorsqu'il
vient y habiter parla communion?
XLVI. La sainte communion délivre de la mort.
Elle est le véritable arbre de vie. Dieu l'a planté dans son Église,
comme dans un paradis nouveau, pour donner la vie aux hommes.
Le divin pasteur dit de ses brebis : « Moi je suis venu pour qu'elles
« aient la vie et pour qu'elles l'aient plus abondamment ^. » Mais
où donc nous donnera-t-il cette vie plus abondante qu'il est venu
nous apporter, sinon à la table où il se sert lui-même comme ali-
ment? « Comme mon Père qui est vivant, dit-il, m'a envoyé et que
« moi je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi
« par moi. Voici le pain qui est descendu du ciel. Ce n'est pas
« comme vos pères, qui ont mangé la manne et sont morts. Celui
« qui mange ce pain vivra éternellement ". » N'est-ce pas ici que
4. Quis o.stendet nobis bona?
2. A fructu frumenti, vini et olei sui multiplicati sunt.
3. In pace in idipsum, dormiam et requiescam. [Ps. iv, 6,8, 9.)
4. Gustate et videte, quoniam suavi.s est Dominus. {Ps. xxxiii, 9.)
ti. Ego veni ut vitam habeant, et abundantius habeant. Joann , x, iO.)
6. Sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem : et qui mandu-
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 823
l'on peut s'écrier avec S. Paul : « 0 mort, où est ta victoire? ô mort,
«r où est ton aig"uillon? » Sans doute, l'adorable sacrement de nos
autels n'a pas été institué pour nous délivrer de la mort corporelle
quoiqu'il le fasse quelquefois, lorsque l'intérêt de notre salut
le demande; mais il nous fait triompher de la mort du péché, de
la mort éternelle, et nous prépare efficacement à la résurrection
glorieuse. Notre chair si souvent unie à la chair du divin Sauveur,
et pour ainsi dire fondue avec elle, pourrait-elle ne pas ne jamais
en partager la gloire ? Le vin et l'huile versés sur les blessures du
voyageur par le bon Samaritain lui sauvèrent la vie : la Sainte
Eucharistie, que représentaient ce vin et cette huile, n'aura pas
moins de vertu pour nous arracher à la mort, surtout à la mort
éternelle.
. XLVII. La sainte communion nous procure même les secours
temporels dont nous avons besoin.
Esaù privé, par le stratagème dont usa Jacob, de la bénédiction
paternelle sur laquelle il comptait, quoiqu'il eût renoncé à son droit
d'aînesse, demandait à Isaacde le bénir aussi et de lui accorder quel-
ques biens. Le saint vieillard lui répondit : « J'ai enrichi Jacob de blé
a et de vin; après cela que puis-je faire pour toi i? » Le blé et le
vin entraînaient après eux toutes les autres richesses temporelles :
la Sainte Eucharistie est aussi l'essentiel auquel se rattachent et
que suivent tous les biens spirituels, et même les biens temporels,
s'ils favorisent les premiers, ou du moins n'y font pas obstacle.
C'est ainsi que le sang de l'agneau immolé par les Hébreux, la
nuit qui précéda leur délivrance de la servitude d'Egypte, sauva
la vie à leurs enfants premiers-nés, leur fit obtenir des Égyptiens
une multitude d'objets précieux, et les arracha au danger d'être
engloutis dans la mer Rouge, ou massacrés par les soldats de
Pharaon.
Noire-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il daigne s'unir à nous par
la sainte communion, s'engage par un pacte tacite, mais très réel,
y prendre un soin particulier de notre âme qui devient son àme, de
notre chair qui devient sa chair. Sans doute, c'est à tous ceux qui
c.il me ot ipse vivet ])ropler me. Hic esl panis qui de cœlo descendit. Non
sicul manducaverunt j)atres vestri manna, elmortui snnt. Qui manducat hune
panem vivet in feternum. i.Ionnn.^w, !i8, îjO.)
1. KruiiuMilo et vino .stal)ilivi eum, et tibi, tili mi, ultra quid faciam?
(Genea., wvii, 28.)
82 1 LA SAINTE EUCHARISTIE. — ]f PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
croient en lui qu'il s'adresse, mais c'est surtout à ceux qui reçoivent
pieusement la sainte communion, lorsqu'il dit: » Ne vous inquiétez
« point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre
« corps de quoi vous vous vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que
t la nourriture, et le corps plus que le vêtement? Regardez les
« oiseaux du ciel; ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n'amassent
« dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit; n'êtes-vous
« pas beaucoup plus qu'eux '?» Si Dieu est si bon pour tous, même
pour de pauvres petits oiseaux, même pour l'herbe des champs,
comme il le dit encore, quelle confiance ne doivent pas avoir en
lui, pour tous leurs besoins, ceux qui le servent, ceux qu'il regarde
comme ses enfants adoptifs, ceux qui sont à ses yeux comme
d'autres Jésus-Christ, parce qu'ils se nourrissent de l'humanité et
de la divinité de ce Fils bien-aimé? Et Jésus-Christ lui-même,
pourrait-il délaisser, au milieu de ses besoins, celui qui le reçoit
et lui donne l'hospitalité dans son cœur?
XLVIII. La Sainte Eucharistie arme et protège celui qui la
reçoit.
Le sang de l'agneau pascal fut une protection efficace pour les
demeures des Israélites, contre les coups de l'ange exterminateur,
et la manne tombant, non pas dans leur camp mais autour de leur
camp, leur fut comme un rempart. L'agneau pascal et la manne
figuraient la protection dont la Sainte Eucharistie entoure ceux
qui la reçoivent. Si Jésus-Christ n'était pas dans nos tabernacles,
qui protégerait les nations chrétiennes, les villes et jusqu'aux
moindres hameaux contre la colère du Seigneur? Si nos lèvres
n'étaient pas teintes du sang du divin Agneau, est-il quelqu'un
parmi nous qui n'aurait rien à craindre de l'ange extermina-
teur? Est-il quelqu'un qui ne succomberait pas sous les coups
du démon ?
Mais nous sommes forts, parce que nous pouvons dire, mieux
que le Psalmiste : « Vous avez préparé en ma présence une table
« contre ceux qui me persécutent 2. » Et encore : « Quand je mar-
1. Ne solliciti silis animae vestrse quid manducetis, neque corpori vestro
quid indu.imini. Nonne anima plus est quam esca : et corpus plus quam ves-
timenlum? Respicite volatilia cœli, quoniam neque metunt, neque congre-
gant in horrea : et Pater vester cœlestis pascit ilJa. Nonne vos magis pluris
estis illis? {Malfh., vi, 2», 26.)
2. Parasti in conspectu meo mensara adversus eos qui tribulant me.
{Ps. XXII, 5.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 825
« cherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais pas les
«r maux, parce que vous êtes avec moi K » Que craindre en effet
lorsqu'on se sent protégé par la présence d'un Dieu tout-puissant,
qui vous aime jusqu'à demeurer avec vous et en vous, jusqu'à se
faire votre nourriture?
XLIX. La sainte communion produit les plus heureux effets
sur nous-mêmes au point de vue corporel.
Ces paroles de Notre-SejgneurJésus-Christ : « Le pain que je don-
« nerai est ma chair, pour la vie du monde -, » nous font claire-
ment entendre que les effets de la Très Sainte Eucharistie ne se
bornent pas exclusivement à procurer la vie des âmes ; ils s'é-
tendent jusqu'à la vie corporelle, car la vie du monde embrasse
ces deux vies, et l'on pourrait même dire que la vie corporelle y
tient une très large place. Ne nous étonnons donc pas si, dans la
vie des saints, nous voyons quelquefois cet adorable Sacrement
produire les effets les plus extraordinaires et suffire pour leur
conserver la vie et la santé, sans le secours d'aucun autre aliment.
Le pain cuit sous la cendre, que mangea Élie dans le désert, n'é-
tait qu'une ombre de l'Eucharistie : il le soutint cependant pen-
dant tout un long et pénible voyage, qui ne dura pas moins de
quarante jours. Les aliments simples et communs que prenaient
Daniel et les trois autres jeunes gens, qui refusaient de partager
les délices de la table de Nabuchodonosor, étaient aussi une figure
de la Sainte Eucharistie, et ils leur donnèrent une santé et une
beauté resplendissantes. On peut ajouter que la Sainte Eucharis-
tie communique à nos corps le germe de la résurrection future.
Notre-Seigneur ne dit-il pas : « Celui qui mange ma chair et boit
« mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier
« jour 3? » Sans doute, même ceux qui n'ont pas eu le bonheur
de faire la sainte communion réellement, pendant leur vie mor-
telle, pourront avoir la vie éternelle et ressusciter au dernier jour,
puisque tous ressusciteront. Ce n'est pas néanmoins sans motif
que notre divin Sauveur promet particulièrement la grâce de la
résurrection à ceux qui mangent sa chair et qui boivent son sang.
1. Si amljulavero in medio umbrae mortis, non limeho mala, quoniam lu
mecum es. (As. xx, i.)
2. Panis quem ef^o dabo, caro mea est prn muiidi vila. {Joann., vi.fil.)
3. Qui manducal moam carnem cl hibit meuin .sanguinem habel vilam
œternam, et ego resuscitabo eum.in novissimo die. {Joann., vi, lili.)
8:26 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
Par ces paroles il donne à entendre que ceux qui communient
acquièrent à la glorieuse résurrection un droit nouveau que n'ont
pas les autres, qui ressusciteront aussi, mais dont la gloire corpo-
relle sera moindre à mérite égal. Sinon, pourquoi une telle pro-
messe en ce passage ' ?
Lorsque Adam eut péché, Dieu le chassa du paradis terrestre,
afin qu'il ne lui fût plus possible de manger du fruit destiné à
donner aux hommes l'immortalité. Nous qui vivons dans îe sein
de l'Église et qui sommes ses enfants, nous devons nous considé-
rer comme réintégrés dans ce paradis, ou plutôt dans un autre où
est planté un nouvel arbre de vie, dont le fruit, plus précieux mille
fois et plus efficace que le premier, n'est autre que le Fils de Dieu
lui-même. Ce fruit ne nous conserve pas indéfiniment, il est vrai,
notre vie mortelle, mais il est un gage, une cause efficace de notre
résurrection pour la vie éternellement bienheureuse. Puisque
notre divin Sauveur nous a dit encore : « Celui qui me mnnge vi-
« vraà cause de moi : » El qui manducat me, et ipse vivet propter^
me; à cause de lui nous vivrons, nous qui le mangeons dans l'Eu-
charistie, et nous vivrons tout entiers, corps et àme, de sa vie
qu'il nous communiquera, vie éternelle, vie glorieuse, vie dont
le bonheur dépasse tout désir et toute imagination.
L. Jésus-Christ dans V Eucharistie est notre guide qui nous
conduit au bonheur et à la gloire du ciel.
Lorsque le Seigneur délivra son peuple de la servitude d'Egypte,
il daigna se faire lui-même son guide, jusqu'au jour où il l'eut in-
troduit dans la terre de promission. Mais dans quel appareil mar-
cha-t-il ainsi à la tête de son peuple? Était-il revêtu de l'éclat
majestueux et terrible qui l'entourait, lorsqu'il se manifesta sur
le mont Sinaï pour dicter sa loi sainte, ou lorsqu'il apparut en vi-
sion au prophète Ézéchiel? Non. Pendant le jour, une colonne de
nuée révélait seule sa présence ; et pendant la nuit, cette colonne
de nuée semblait être de feu, pour que les Israélites ne la per-
dissent pas de vue, et connussent que leur divin guide ne cessait
pas de veiller à leur sécurité. Cette colonne, feu et nuée, mais feu
presque toujours invisible et voilé par l'épaisseur du nuage, était
la figure de la très sainte et très adorable Eucharistie, où Jésus
1. El ego rnsuscitoho eum in novisximo die. — Ego, dixit, id est corpus meum
quod comeditur, resuscitabo eum.... Ego qui homo factus sum, per meam
carnem, in novissimo die, comedentes resuscitabo. (S. Cyrill. in Joann.)
DES EFFETS DE LA COMMUNION EN CEUX QUI LA REÇOIVENT AVEC PIÉTÉ. 827
se cache sous les nuages des espèces du pain et du vin, et où la foi
ne nous révèle tout l'éclat de son feu divin que lorsque nous fer-
mons entièrement les yeux de notre cœur aux choses de la terre.
C'est dans l'Eucharistie qu'il a établi sa résidence ; c'est de là,
c'est par elle qu'il nous sert de guide et nous introduit à la fm
dans notre terre promise, son divin royaume où nous le verrons
face à face, tel qu'il est et sans crainte de le perdre jamais.
Lorsque Dieu voulut pourvoir à la nourriture du peuple choisi
qu'il conduisait à «travers un désert aride, que fit-il? Le Psalmiste
nous l'apprend : « Il ouvrit les portes du ciel, et il leur fit pleuvoir
« de la manne pour manger, et il leur donna un pain du ciel ^. »
Tout se passait alors en figure. Pourquoi ouvrir les portes du ciel
avant que la manne tombât, c'est-à-dire avant l'institution de la
Sainte Eucharistie dont elle était la prophétie et l'image? G'estque
Dieu prévoyait que cette institution allaitdonner au ciel une si grande
multitude de nouveaux bienheureux, qu'il était temps d'en ouvrir
les portes pour leur faciliter l'entrée de leur nouvelle patrie. Dé-
sormais les portes du ciel ne seraient plus fermées pour les habi-
tants de la terre. Nourris de la chair du Fils de Dieu, devenus
avec lui une même chair et un même sang, ils auraient libre en-
trée dans le royaume de Celui qui les aura aimés jusqu'à se donner
à eux en nourriture ~. Aussi notre divin Jésus nous dit-il lui-
même : a. Je suis le pain vivant, moi qui suis descendu du ciel.
« Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement 3. »
Il est le pain vivant ; il donne la vie à ceux qui le mangent, et
la vie qu'il leur donne est éternelle. Il est le pain de vie, comme
il le dit encore, et, selon la remarque de S. Jean Chrysostome, il
renferme pour nous la vie présente et la vie future ^.
Mais pour manger de ce pain, non seulement sur la terre mais
éternellement dans le ciel, il faut être victorieux ; il faut vaincre
le démon, il faut vaincre le monde, il faut, aidé par ce pain sacré,
i. Digna ergo prophetae exclaraatio quia januas cœli aperuit, panem luan-
ducavit homo. Unde hoc?.... Clau.sas ]mns liominibus janua.s cœli aperuit, so-
lutis in carne sua veteribus inimicitiis, sicquo terrenis cœlestia conjunxit.
(RUPERT. abb., iib. ill in Exod.)
2. Ego sum pani.s vivus qui (le cœlo de.scendi. Si quis manducaveril ex hoc
pane vivet in aeternum. [Jonnn., vi, Til, .'i-2.)
3. Ego sum panis vitai. [Id., 48.)
4. Panem vita> se dicit qui nostram continet prsesentein cl futuram.
(S. Chrysost., apud Ugonem card., ihid.)
828 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II® PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVII.
se vaincre généreusement soi-même. A ce prix on jouira du bon-
heur dont parlait un des auditeurs de Jésus : « Heureux celui qui
« mangera du pain dans le royaume de Dieu K »
UN MOT SUR LES EFFETS DE LA COMMUNION SACRILEGE
Peut-être devrions-nous parler ici des malheureux effets, que
produit une communion faite volontairement en état de péché
mortel. Mais il nous répugne de nous attarder à traiter ce sujet.
Qu'il nous suffise de dire que ceux qui ont le malheur de commu-
nier sacrilègement se rendent très gravement coupables. Ils attirent
sur eux la colère de Dieu et les châtiments les plus terribles. On
peut comparer leur crime à celui de Judas et, sous certains rapports,
ils sont plus inexcusables et plus criminels que lui. Ils se donnent
au démon dont ils imitent la malice, et lui livrent Jésus-Christ,
comme Judas le livra aux Juifs. — Ils profanent et souillent en
quelque sorte la Sainte Eucharistie elle-même. — Ils nuisent à
l'Église tout entière. — Ils ne retirent aucun avantage de leur
communion et n'y goûtent aucune douceur. Ils y trouvent au con-
traire la source des plus grands maux et un germe de mort,.
Tout n'est pas néanmoins perdu pour ceux qui ont mal commu-
nié, tant qu'ils vivent encore sur la terre. S'ils font sérieusement
pénitence, ce crime, tout grave qu'il est, leur sera pardonné. Jésus-
Christ ne les abandonne pas complètement. Dans son sacrement
adorable, il prend encore leur défense; il s'immole pour eux comme
pour les autres pécheurs, et leur donne quelque part aux bénédic-
tions que les communions des âmes pieuses attirent sur l'Église.
Souvent il les punit dès ce monde ; mais si les coups de sa justice
sont inutiles aussi bien que les sollicitations de sa grâce, ils ver-
ront s'élever contre eux la Sainte Trinité tout entière ; ils seront
condamnés au jour du jugement et ils mourront de la mort éter-
nelle.
Que Dieu éloigne un si grand malheur de tous ceux qui liront ces
lignes ; qu'il leur accorde au contraire de recueillir, avec une
abondance toujours croissante, les innombrables fruits que produit,
la sainte communion dans une âme qui s'y est dignement pré-
parée.
\. Beatus qui manducabit panem in regno Dei. {Luc, xiv, 15.)
â
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 829
CHAPITRE XVIII
DES VISITES AU SAINT SACREMENT, ET DE QUELQUES AUTRES ACTES
DE DÉVOTION ENVERS L'EUCHARISTIE
I. Visites au Très Saint Sacrement. — II. Quelques aspirations affectueuses de saint
Alphonse de Liguori, pouvant servir d'exercice pour la sainte Messe, de prépara-
tion à la Communion et d'entretien devant le Saint Sacrement. — III. Autres pra-
tiques de dévotion, individuelles ou collectives, envers le Très Saint Sacrement.
VISITES AU TRES SAINT SACREMENT
S. Alphonse de Liguori dit dans sa Pratique pour les visites
au Saint Sacrement : « Jésus-Christ est jour et nuit au milieu de
« nous, dans le sacrement adorable de l'autel, pour y être notre
a consolation dans nos peines, notre soutien dans nos tentations,
« notre force dans nos combats. Ce Dieu d'amour nous invite et
« nous presse d'aller à lui. C'est en sa présence et dans son
« cœur sacré que les saints ont puisé ces grâces spéciales, ces grâces
« de choix qui les ont fait triompher de tous les ennemis de leur
« salut, et surmonter tous les obstacles â leur sanctification.
<f Allez donc puiser à la même source les eaux qui jaillissent jus-
« qu'à la vie éternelle.
« Mais pensez que les différentes visites que vous pourrez rendre
<f à Jésus-Christ chaque jour ne lui seront agréables qu'autant
V qu'elles seront faites avec un esprit de foi et d'amour. La foi, en
* vous rappelant la sainteté du lieu où vous êtes, et la majesté du
« souverain Maître qui y réside, vous pénétrera d'un saint respect,
<r et l'amour vous y unissant intimement à ce Dieu de bonté, vous
« inspirera envers lui la confiance que doit avoir un fils envers le
« plus tendre de tous les pores. »
Notre pensée ne devrait jamais s'éloigner un instant de ce saint
tabernacle dans lequel notre bien-aimé Jésus daigne habiter par
amour pour nous. Si nous nous éveillons la nuit, surtout lorsque
nous nous préparons à communier, notre première pensée doit
être pour lui, et ces paroles de l'Évangile jailliront de nos cœurs:
Ecce Sponsus venit : exite obviant ilti : « Voici venir l'Époux :
830 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CIIAP. XVIII.
« allez au-devant de lui L » Le matin, au moment du lever, pour-
quoi ne pas faire comme tant de saints et de pieux fidèles, dont le
premier acte est d'adorer le Saint Sacrement, en se prosternant
dans la direction de l'église la plus rapprochée? Et lorsqu'on sort
de chez soi, si l'on ne peut assister à la messe, il convient au moins
d'entrer dans la première église que l'on rencontre, pour y offrir au
divin Maître les prémices de sa journée. Si même on ne pouvait
.entrer, au moins faudrait-il, en passant, saluer la maison du Sei-
gneur, et adorer de cœur l'Hôte caché du tabernacle.
Pourrions-nous refuser à notre adorable Jésus ces marques de
déférence et d'amour ?
Il accomplit, en demeurant dans nos saints tabernacles, la pro-
messe qu'il nous a faite : « Voici que je suis avec vous tous les
« jours, jusqu'à la consommation du siècle ''. » Et pourquoi veut-îl
être ainsi au milieu de nous, à tous les instants?
Pour ne jamais abandonner ceux qui l'aiment, mais leur être
sur la terre aussi réellement présent qu'il l'est aux anges dans le
ciel.
Pour se trouver toujours à portée soit d'être reçu de nous
quand nous le voulons, soit de recevoir nos hommages et nos
vœux comme lorsqu'il vivait parmi les Juifs, de sa vie mortelle.
Pour nous communiquer par lui-même les richesses de sa
grâce.
Pour exciter notre piété par sa douce présence, et nous servir
de modèle.
Pour être auprès de son Père notre perpétuel intercesseur, et
pour détourner de nous les maux qui nous menacent.
Enfin il reste avec nous dans notre exil comme le doux consola-
teur de nos peines, comme le cher compagnon de notre pèleri-
nage, comme le plus parfait des amis auprès de ses amis.
Nous ne pouvons refuser nos visites à Dieu qui daigne les
attendre et les réclame à tant de titres. — Visites d'honneur,
de piété, de devoir, que des enfants ne sauraient refuser à leur
père, ni des courtisans à leur souverain. Ibo ad Paireniy dit l'en-
fant prodigue dès qu'il se reconnaît : « J'irai trouver mon père ^. »
i. Mnllh., XXIII, 6.
2. Ecr.e ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummationem
saeculi. (Matth., xxviii, 20.)
3. rMC.,\v, 18.
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 831
Obsecro, ut videam faciem régis, dit Absalon, cet autre fils
rebelle, dès qu'il sent les rigueurs de son exil : « Je vous en prie,
« que je puisse voir mon roi '. » Et David s'écriait : Adoyxibo ad
templum sanctum tmcm : v J'irai, Seigneur, vous adorer dans
« votre saint temple ~. »
Visites d'intérêt et de nécessité, conformément au dessein du
Sauveur pourtant de maux qui nous pressent, pour tant de biens
qui nous manquent; pour obtenir ceux-ci et détourner ceux-là.
Venite ad me omnes qui laboratis, nous dit le Sauveur lui-même:
« Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine, » qui êtes travaillés
par l'épreuve et par la souffrance, « et je vous soulagerai ^. » Et
n'est-ce pas de Jésus dans l'Eucharistie qu'il est vrai de dire: « 0
« lumière de nos yeux et consolation de notre vie, ayant tout en
« vous seul, nous ne devions pas nous éloigner de vous ^. »
Visites de charité pour l'intérêt du prochain, pour les personnes
dont les dangers et les besoins, soit spirituels, soit temporels, nous
doivent toucher. Car notre divin Sauveur étant si près de nous, ne
semble-t-il pas que nos frères dans la peine ou le danger nous
disent, comme autrefois à Jonas, le pilote du vaisseau qui le por-
tait : « Lève-toi, invoque ton Dieu, et peut-être que ce Dieu songera
« à nous et que nous ne périrons pas '^. »
Visites de confiance et d'amitié. Car qui voit-on, si l'on ne voit
pas ses amis? Où se console-t-on, si ce n'est auprès de ses amis?
Quelle marque plus ordinaire, entre personnes qui doivent être
unies, ou que l'on ne s'aime point, ou que l'on est très indifférent,
ou que l'on est ennemi, que de ne jamais se voir, jamais se parler?
Et si parfois il en est ainsi entre les hommes, une telle conduite
envers Jésus dans son divin sacrement est-elle possible ?
L'auteur inspiré du livre de l'Ecclésiastique assure que rien n'est
comparable à un ami fidèle ^', et proclame heureux celui qui a
trouvé un ami véritable '. Où est cet ami incomparable, ce véritable
ami, si ce n'est dans le saint tabernacle, où Jésus demeure pour ne
pas cesser d'être au milieu de nous? Il est pour nous cet ami an-
i. //. Heg., xiv, îî-i. — 2. Ps. v, 8. — 3. Mallh., xi, 28.
4. Lumen oculorum nostrorum, solatium vita' nos(ra>, omnia siniul in le
uno hal)entes, te non debuimus dirniltere. {Toù., x, 4, li.)
y. Suriîe, invoca Doum luuin, si forte recogitct Deus de nohis, et non pc-
reamus. (Jon., i, (5.)
6. Ainico fidcii nuUa est comparatio. [Eccli., vi, 1!J.)
7. Bealus qui Invenil ainicum vcrum. (/</., xxiii, \-2.) .
S^Û LA SAINTE EUCHARISTIE. — II"' PARTIE. — LIVRE II. — ClIAP. XVIIl.
cien que le Sage recommande de ne pas négliger * ; cet ami de
qui dépend notre salut et que nous devons nous garder de blesser
en lui manquant d'égards -. Car s'il se fait petit dans son adorable
sacrement, il y conserve néanmoins toute sa grandeur qu'il con-
sent à voiler uniquement dans notre intérêt et par amour pour nous.
L'Ecclésiastique dit encore : a Quand même il m'arriverait
« quelque mal par un ami, je le soufirirais patiemment 3. » L'au-
teur sacré parle d'un ami changeant, en qui cependant il respec-
terait encore jusqu'à l'ombre de l'amitié. L'amitié de Jésus n'a
rien de ces inconstances. S'il arrive donc qu'il semble, en certaines
rencontres, s'être retiré de nous; si, lorsque la barque qui nous
porte est secouée par la lenipêle, il semble dormir; si, lorsque les
maux nous pressent, il semble moins les guérir que les causer,
souvenons-nous du mot de l'Ecclésiastique, et ne négligeons pas
celui qui aime encore, celui qui aime surtout ceux qu'il éprouve.
Lorsqu'il veut ou permet que nous soyons en proie à la douleur,
c'est un bon père qui corrige ; c'est un maître expérimenté qui
redresse; c'est un ami qui réveille l'indolence; c'est un médecin
qui incise la chair pour expulser un sang gâté ou des humeurs
pernicieuses ; c'est un sage dispensateur du mal comme du bien,
qui sait faire tourner à notre avantage ce qui semble nous être le
plus contraire.
N'interrompons donc pas, dans ces occasions, les relations de l'a-
mitié. Si la nature réclame, si la chair murmure, si les sens ré-
sistent, imposons leur silence, et que le mal nous fasse recourir
au remède. Ne laissons pas .Jésus isolé dans son saint tabernacle,
et loin de négliger les visites que nous avons coutume de lui faire,
multiplions-les au contraire, et efforçons-nous de les rendre plus
ferventes. Quoi que notre divin Jésus veuille, quoi qu'il fasse, quoi
qu'il permette, souffrons-le de bon cœur; si parfois nous sentons
nos forces défaillir, c'est à lui qu'il faut nous plaindre ; prosternés
au moins par l'esprit au pied de ses autels, implorons son aide
pour moins souffrir, ou, mieux encore, pour souffrir avec plus de
résignation en union avec lui ^*.
\. Ne derelinquas amicum antiquum. {M., ix, 14.)
2. Amicum salutarc non confundar. {Ici., xxii, 31.)
3. El si mala mihi evenirent pcr illum, sustinebo. {Id., ibid.)
4. Voir Hugues Morot, S. J., Pratique de la dévotion au Très Saint Sacre-
ment, W- p., art. 1.
i
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DEVOTION. 833
S. Alphonse de Liguori déclare que parmi toutes les dévotions,
après la sainte communion, il n'en est point de plus agréable à
Dieu, et de plus avantageuse pour nous, que les fréquentes visites
rendues à Jésus-Christ présent sur nos autels. « Soyez donc em-
« pressées, dit-il, âmes chrétiennes, à suivre cette sainte pratique.
« Détachez- vous de la compagnie des hommes, pour aller goù-
€ ter les douceurs ineffables de la compagnie de votre adorable Sau-
« veur: Gustate et videte quoniam suavis est Dominus. Soyez
<r assurées que le temps que vous consacrerez à demeurer en pré-
« sence de ce divin sacrement vous procurera les plus grands
« avantages durant votre vie et la plus douce consolation à la
« mort. Dieu exauce les prières partout ; mais c'est surtout au pied
« de ses autels qu'il les récompense le plus abondamment. »
« Mais pour faire ces visites avec plus de fruit, dit encore le
€ même saint docteur, et pour exciter de plus en plus votre ferveur,
« il convient d'avoir dans chaque visite une intention spéciale qui
« fixe votre esprit et anime votre cœur. Dans cette vue, considérez
« Jésus-Christ tantôt comme votre Dieu, tantôt comme votre Sau-
« veur, tantôt comme votre tendre Père i. »
Le P. Vaubert, de la Compagnie de Jésus, pose cette question :
Avec quelles dispositions faut-il venir visiter Notre-Seigneur et
s'entretenir avec lui? Voici sa réponse -.
« La première est une foi vive en sa présence dans l'Eucharistie.
Si vous êtes bien persuadé que Notre-Seigneur est effectivement
sur l'autel devant lequel vous paraissez, vous ne manquerez jamais
de respect et de dévotion dans les églises. Vous y entrerez saisi
d'une sainte frayeur; vous y demeurerez dans ces postures respec-
tueuses dans lesquelles les anges paraissent devant le trône du
Tout-Puissant.
« Mais après tout, ce respect ne doit point diminuer notre con-
fiance. S'il n'y a rien de plus terrible que la majesté de Dieu, il
n'y a rien de plus engageant que sa bonté. Si Jésus-Christ avait
prétendu nous faire trembler, il n'aurait pas caché aussi absolu-
1. Pratique pour les visites au Saint Sacrement.
S. Alphonse de Liguori a laissé plusieurs opuscules pour faciliter aux fidèles
raccomplissement de ce pieux devoir envers Noire-Seigneur Jésus-Christ. Ils
sont très répandus. Nous croyons donc peu utile de les reproduire ici et nous
y renvoyons le lecteur.
2. La dévotion à Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, 111= part.,
chap. II.
L\ SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 53
834 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
ment qu'il a fait dans ce mystère tout l'éclat dont il brille. Venez
donc lui ouvrir confidemment votre cœur ; c'est la seconde chose
qu'il demande de vous. Songez qu'il est votre Père, qu'il est le
meilleur de vos amis et que vous ne sauriez lui faire plus de plaisir
que de traiter librement avec lui. Fussiez-vous un pécheur, un
pauvre méprisé de tout le monde ; ne fussiez-vous qu'un enfant, un
homme simple et grossier, il vous recevra avec la tendresse de la
plus passionnée de toutes les mères. Il invite à le venir voir tout
le monde sans distinction: Venite ad me, omnes '. Il déclare
qu'il est venu chercher les pécheurs et instruire les pauvres. Il
trouva mauvais que les apôtres écartassent de lui les enfants ^, et
Salomon nous apprend qu'il s'entretient volontiers avec les âmes
simples : Et cum simplicibus sermocinatio ejus 3.
a Mais afin que vos entretiens avec Notre-Seigneur soient de
part et d'autre plus agréables, à cette foi vive, à celte parfaite con-
fiance, ajoutez-y l'amour.
« On ne peut dire combien cet amour perfectionne la foi et la
confiance. L'amour divin est infiniment éclairé; il découvre in-
failliblement son objet, quelque caché qu'il soit, et jamais per-
sonne n'a manqué de confiance en parlant à un ami sûr et déclaré.
Ainsi, plus vous aimerez, plus il vous sera aisé de reconnaître
Jésus-Christ présent dans l'Eucharistie; plus vous aimerez, moins
vous serez embarrassé quand il sera question de l'entretenir.
Votre amour pour Jésus-Christ empêchera les distractions, rem-
plira votre esprit de lumières, inspirera de la hardiesse à votre
cœur, et fournira abondamment à la conversation. »
Sur quoi faut-il entretenir Notre-Seigneur? demande encore le
P. Vaubert.
« Il y a des gens qui viennent devant le Saint Sacrement réciter
des prières ou faire quelque lecture : cela est louablo; mais il est
beaucoup plus avantageux, au moins durant quelqu'une de vos
visites, de l'entretenir cœur à cœur, et de lui parler comme si vous
le voyiez de vos yeux. No vous imaginez pas que pour cela il faille
avoir, ou bien de l'esprit, ou une grande capacité. Ce ne sont pas
de beaux discours ni des pensées sublimes que le Sauveur attend
de vous. Parlez- lui de vos affaires, soit temporelles, soit spiri-
tuelles ; parlez-lui des affaires de votre prochain, tant publiques
1. Mriith., M, 28, — 2. Luc, wiii, 16. — .'5. Prov., m, 82.
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 835
que particulières; mais parlez-lui aussi de ce qui le regarde.
Voilà , comme vous voyez , une ample matière pour l'entre-
tenir.
« Tout grand que soit Jésus-Christ, il sait s'accommoder à notre
petitesse; par un excès de bonté qu'on ne peut assez admirer, il
se plaît à nous entendre faire le détail de nos misères. La plupart
des hommes s'ennuient bientôt, quand nous ne les entretenons que
de nos affaires et de nos calamités; mais il n'en est pas ainsi de
Jésus-Glirist. Quoiqu'il n'ignore rien, il veut que nous lui expo-
sions nos besoins, sans jamais se lasser de nous écouter. Quelque-
fois, mettez-lui devant les yeux tout ce qui se passe dans votre do-
mestique : les chagrins que vous recevez d'un mari, d'une femme,
d'un procès qu'on vous suscite, d'une maladie qui vous tour-
mente, de la pauvreté et de l'abandon où vous gémissez. D'autres
fois, entretenez-le de votre intérieur, des péchés où vous retom-
bez, malgré toutes vos bonnes résolutions; découvrez-lui cette
méchante habitude, ce violent penchant qui est la source de tant de
maux. Dites-lui, avec ce lépreux de l'Évangile : « Seigneur, si
« vous voulez, vous pouvez me guérir K » Dites-lui avec les sœurs
de Lazare : <r Celui que vous aimez. Seigneur, est grièvement ma-
« lade ~. » Priez-le encore, à l'imitation de cet aveugle qui sou-
haitait de recouvrer la vue du corps, qu'il vous ouvre les yeux de
l'âme : Domine, lit videam ^. Mais ne soyez pas tellement occupé
de vos [intérêts que vous ne pensiez à ceux du prochain. Comme
le Sacré Cœur de Jésus-Christ brûle, dans l'Eucharistie, d'un
amour inexplicable pour tous les hommes, rien n'est plus de son
goût que les requêtes qu'on lui présente en faveur de tous les mi-
sérables. Priez-le pour les pécheurs que le démon opprime sous
une cruelle tyrannie; priez-le pour les infidèles qui sont encore
ensevelis dans les ténèbres de l'idolâtrie; priez-le pour les âmes
du purgatoire, surtout pour celles qui sont les plus abandonnées.
Je ne parle point ici de vos parents ni de vos amis, car je ne crois
pas qu'il soit nécessaire de vous en faire ressouvenir. Au reste, ne
craignez pas de rien perdre en sollicitant pour les autres. Je ne
sais pas s'il y a un moyen plus efficace pour participer aux libé-
ralités de Jésus-Christ, que de le presser de les répandre sur le
1. Domine, si vis, potes me mundare. {Malth., vin, !2.)
2. Uomine, ecce quem amas intirniatur. [Joon., xi, 3.)
■). Lu»-., xviii, îl.
S36 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
prochain. Un procédé si charitable lui ouvre le cœur et la main,
pour nous combler de grâces et de bénédictions.
« Enfin ne l'oubliez pas lui-même; parlez-lui de ses affaires;
réjouissez-vous avec lui des conquêtes que fait tous les jours la
foi dans les pa3^s idolâtres; compatissez aux offenses que l'on com-
met contre lui, priez-le de prendre en main sa propre cause pour
dissiper les ennemis de sa gloire : Exurgat Deus et dissipen-
tur inimici ejus, et fugiant qui oderunt eum a facie ejus '. »
S. Augustin disait : Ama et fac quod vis : « Aimez et faites
€ ce que vous voulez. » On peut adopter cette maxime pour règle,
lorsqu'il s'agit de déterminer le nombre des visites que l'on doit
faire au Très Saint Sacrement et le tenips qu'il faut y accorder.
Les âmes embrasées d'amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ
sont des aigles au vol rapide, qui s'ébncent avec impétuosité vers
son corps adorable, et l'on ne doit pas s'étonner que les saints
aient passé au pied de l'autel tous les instants du jour et de la
nuit, dont des occupations indispensables et la sainte obéissance
leur laissaient la libre disposition. C'est un fait d'expérience que
les personnes fidèles à visiter souvent le Très Saint Sacrement
doivent à cette pieuse pratique des grâces abondantes et un avan-
cement rapide dans la voie de la perfection. Un des grands avan-
tages de la vie de communauté religieuse est la facilité qu'elle
donne de rendre ainsi de fréquentes visites à Notre-Seigneur pré-
sent dans le tabernacle. Ceux qui vivent au milieu du siècle
doivent faire au moins ce qu'ils peuvent, et s'unir d'intention
avec les saintes âmes dont un si grand nombre sont, à chaque ins-
tant du jour et de la nviit, prosternés en présence du Seigneur.
Mais s'il convient que chaque jour, autant que possible, et
même plusieurs fois par jour, un chrétien qui aime Jésus-Christ
et désire sincèrement l'honorer et lui témoigner son amour, le
visite dans quelqu'une des églises où il réside par amour pour
nous, certaines circonstances font de cet acte de dévotion une
obligation plus étroite. Lorsque, pour quelque raison grave, le
Très Saint Sacrement est solennellement exposé aux adorations
des fidèles, par exemple aux prières de quarante heures, et dans
d'autres circonstances analogues, on serait inexcusable si, sans
motif sérieux, on négligeait ces visites, auxquelles l'Église nous
1. Ps. LXVIT, 1.
â
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET ADTRES ACTES DE DÉVOTION. 837
invite de la manière la plus pressante, par le fait même de la per-
mission qu'elle a donnée d'exposer ainsi la Sainte Eucharistie aux re-
gards de tous, pendant des journées et des nuits entières. Il est vrai
qu'il n'y a pas d'obligation proprement dite, mais pour quiconque ne
compte pas de trop près avec Dieu, pour tout cœur qui n'est pas
étranger à tout sentimentde dévotion, il n'est pas nécessaire d'un
commandement exprès, et c'est assez que .Jésus-Christ fasse con-
naître, par l'intermédiaire de sa sainte Église, le désir qu'il a de
donner une audience plus solennelle à ses enfants. Lorsqu'il vient
ainsi, les mains pleines de grâces, et prêt à les répandre sur ceux
qui se présenteront devant lui , ne serait-ce pas lui manquer d'égard
et, en quelque manière, l'outrager que de n'aller pas à lui ? On
imiterait le condamnable exemple de ces invités dont parle l'Évan-
gile, qui, retenus par leurs intérêts ou leurs plaisirs, refusèrent
de participer au festin que leur roi leur avait préparé.
Ajoutons que des indulgences précieuses autant qu'abondantes
sont attachées aux visites faites au Très Saint Sacrement et à une
multitude de formules de prières que l'on trouve dans les ma-
nuels de piété, et que l'on peut dire en cette circonstance.
C'est assez pour montrer combien il importe aux personnes
véritablement désireuses d'avancer dans la perfection et d'assu-
rer le salut de leur àme, de ne pas négliger la sainte pratique de
visiter Notre-Seigneur présent au Très Saint Sacrement. Allons
souvent le voir dans les demeures qu'il daigne habiter parmi
nous, et tenons pour certain que nous le verrons éternellment
dans sa demeure du ciel. Familiers de sa maison ici-bas, nous
n'aurons pas à craindre que la porte de son palaisglorieux demeure
fermée pour nous.
II.
QUELQUES ASPIRATIONS AFFECTUEUSES DE S. ALPHONSE DE LIGUORI
QUI PEUVENT SERVIR DE PRÉPARATION POUR LA SAINTE COMMUNION,
d'exercice pour la sainte MESSE ET d'eNTRETIEN DEVANT LE TRÈS
SAINT SACREMENT.
1. — Première aspiration.
Egredimini, et videte, filiœ Sion, regem Salomonem in diademate quo coro-
Bavit illum mater sua in die desponsationis illius. [Cant., m, II.)
0 /nies de la grâce, âmes qui aimez le Seigneur! sortez des ténèbres de la
838 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
terre, et considérez votre roi Jésus avec la couronne d'épines sur la tête; cou-
ronne de mépris et de dotileur, dont le couronna l'impie Synagogue, qui devait
être sa mère au jour de ses noces sacrées, c'est-à-dire au jour de sa mort, par
le moyen de laquelle il daigne épouser et s'unir à nos âmes sur la croix ; sortez
de nouveau pour le voir encore tout rempli d'amour et de honte, maintenant
qu'il vient pour s'unir à vous dans ce sacrement d'amour.
0 mon bien-aimé Jésus ! il devait donc tant vous en coûter
pour former une si douce union avec nos âmes dans votre aimable
Sacrement! Il vous a fallu d'abord souffrir une mort si doulou-
reuse et si ignominieuse ! Gomment pourrais-je être insensible à
tant d'empressement de votre part ? Ah ! venez, venez vous unir
encore à mon âme par votre présence réelle, ou, si j'en suis très
indigne, faites-le du moins par les précieux effets de votre bonté.
Il est vrai que j'ai été trop longtemps votre ennemi par mes péchés:
mais maintenant vous voulez rendre mon ûme votre épouse par
votre grâce. Venez donc, ô Jésus, divin époux de nos âmes! non,
je ne veux plus vous trahir, je veux vous être toujours de plus en
plus fidèle. Telle qu'une chaste épouse, je ne veux penser qu'à
vous plaire, je veux vous aimer sans réserve, je veux être tout à
vous, ô mon Jésus ! oui, tout à vous.
II. — Deuxième aspiration.
Sentite de Domino in bonitate. (Sap., i, 1.)
Prenez des sentiments dignes du Seigneur, au sujet de sa bonté.
0 mon âme ! pourquoi es-tu si timide et si pusillanime à la vue
de la bonté et de l'amour infini de ton Seigneur? Pourquoi
manques-tu de confiance, maintenant que Jésus-Christ veut bien
te rendre digne de le recevoir? Conçois donc des sentiments de
confiance qui répondent à cette immense bonté d'un Dieu qui se
donne tout entier à toi. Il est vrai que ses jugements sont terribles:
mais c'est pour les orgueilleux et pour les obstinés qu'ils sont ter-
ribles : quant aux pécheurs humbles et pénitents, qui désirent de
l'aimer et de lui plaire, ses jugements ne sont que miséricorde et
qu'amour, sortant d'un cœur plein de compassion et de tendresse.
Ils sont tels que David, considérant ces jugements de Dieu, sura-
bondait de confiance : Injudiciis tuis supersperavi (Psal. cxviii,
43), et qu'il sentait la joie et la consolation se répandre dans son
cœur. Memor fui judiciorum tuorum et consolatus sum. (Ibid.,
52.)
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 839
Ah ! oui, il est plein d'amour et de bonté, ce grand Dieu, en-
vers rame qui le cherche avec amour. « Bonus est Dominus
animœ quœrenti illum. » iThren., m, 25.) Qu'il est bon, s'écrie
encore David, le Dieu d'Israël, à ceux qui ont le cœur droit et qui
s'efforcent de conformer leur volonté à la sienne ! Quam bonus
Israël Deus his qui recto sunt corde. {Psal. lxxii, 1.) Mon Dieu,
mon espérance, mon tout, je ne veux que vous : je ne veux que
vous aimer, que vous plaire, et faire en tout votre sainte volonté.
Faites que je vous trouve partout ; faites que je suive toujours votre
bon plaisir et que je ne vous quitte jamais plus. Fiat, fiât!
Ainsi soit-il.
m. — Troisième aspiration.
Ad ubera portabimini. (Isaï., lxvi, ^2.)
Vous serez comme des enfants qu'on porte à la mamelle.
C'est particulièrement dans le divin sacrement de l'autel que
Jésus fait cette touchante promesse et cette douce invitation à nos
âmes. Venez, leur dit-il, sucer le lait divin que je vous donne en
ce sacrement, en vous donnant mon sang précieux à boire et mon
corps à manger. Quel pasteur, demande S. Jean Ghrysostome, nourrit
jamais ses brebis de son sang? Les mères, même les plus tendres,
donnent souvent leurs enfants à des nourrices étrangères; mais
vous, divin Pasteur, plein d'amour pour les âmes, vous voulez les
nourrir de votre sang même.
0 mon bien-aimé Jésus ! puisque vous êtes disposé à me nourrir
aujourd'hui, si j'y suis disposé moi-même, de votre sang précieux
que vous me présentez avec votre cœur dans la sainte commu-
nion, il est bien juste que je renonce de bon cœur à toutes les dé-
lices et à toutes les satisfactions que le monde peut me donner.
Oui, Seigneur, j'y renonce, et je vous les sacrifie toutes. Je pro-
teste que j'aime mieux souffrir tous les maux, uni à vous, que de
jouir (le tous les biens, séparé de vous. Je ne veux plus chercher
d'autre contentement que le vôtre, que votre bon plaisir, puisque
vous seul méritez que toutes les créatures vous contentent ;i quelque
prix que ce soit. Donnez-moi la seule chose que je vous demande,
votre amour et votre grâce, cela me suffit et je suis content:
Amon'ui lui solum eu m (jratia tua m Un doues, et dives suni
salis.
840 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVHI.
IV. — Quatrième aspiration.
Apparuit benignitas et humanités Salvatoris nostri Dei. [Tit., m, 4.)
La douceur et la bonté du Sauveur notre Dieu s'est montrée.
S. Paul dit que Dieu, en se faisant homme, a fait paraître dans
le monde jusqu'à quel point allait sa bonté pour nous; mais en se
mettant dans le sacrement de nos autels, il fait voir jusqu'où va
la tendresse de son amour pour les âmes. Ne semble-t-il pas,
s'écrie S. Augustin, que ce soit la pousser jusqu'à l'excès, que de
nous dire : Mangez ma chair et buvez mon sang : Nonne insania
videtur dicere: Manducate meam carnem, bibite meum san-
guinem ? C'est cependant ce qu'a fait notre divin Sauveur en cette
nuit si douloureuse pour lui, et si heureuse pour nous, quand il
dit : Accipite etcomedite, hoc est corpusmeum. (I Cor., xi, 24.)
« Prenez et mangez ; ceci est mon corps. » 0 hommes ! semble-t-il
nous dire, pour faire comprendre combien je vous aime, je veux
que vous vous nourrissiez de ma propre chair. 0 sainte foi ! hé !
qui jamais aurait pu porter ses désirs jusqu'à cette incompréhen-
sible faveur? Qui même aurait pu en concevoir l'idée, si Jésus-
Christ n'eût inventé et exécuté ce dessein de son amour? Quelques-
uns d'entre les disciples du Sauveur l'ayant appris de sa bouche,
c'est-à-dire ayant entendu dire qu'il voulait leur donner son
corps à manger, s'écrièrent que c'était une chose trop difficile à
concevoir; et qu'ils ne pouvaient l'entendre, tellement qu'ils se
séparèrent de lui : Durus est hic sermo, et quispotest eum audire?
[Joan., VI, Gl.) 0 prodige d'amour vraiment inconcevable! non, ce
n'est pas le miracle de sa puissance qui m'étonne, c'est celui de sa
bonté ; et cependant il est de foi ; c'est la vérité même que la chose
est ainsi.
Et, pour tout ce que l'amour de Jésus a fait pour nous, que nous
demande-t-il autre chose, sinon que nous l'aimions, comme le Sei-
gneur le fit entendre autrefois à son peuple : Et nunc, Israël, quid
Dominus tuus petit a te.... nisi ut diligas eum ? (Deut., x, 12.)
0 mon Jésus si rempli d'amour! quels dons, quelles magnifiques
promesses ne faites-vous pas à ceux qui vous aiment ! Vous leur
promettez votre amour. J'aime ceux qui m'aiment, dites-vous : Ego
diligentes me diligo. {Prov., viii, 17.) Vous leur promettez le
retour de toute votre tendresse, quoiqu'ils vous aient autrefois in-
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 841
dignement abandonné: Convertimini ad me.... et convertar ad
vos. 'Zach.. I, 3.) Vous leur promettez de venir, avec votre Père
céleste et l'Esprit saint, faire votre demeure dans leur àme. Ad
eum veniemus, et apud eum mansionem faciemus. [Joan., xiv,
23.) Hé! que pouvez- vous donc, Seigneur, promettre et donner
de plus, pour engager les hommes à vous aimer? 0 mon aimable
Sauveur ! je vous entends, vous voulez particulièremi^nt être aimé
de moi. C'en est fait, oui, Seigneur, je vous aime de tout mon
cœur ; et si je ne vous aime pas encore bien, enseigne/-moi à vous
aimer avec toute l'ardeur possible : Da quod jubés, et jubé quod
vis. Donnez-moi l'amour que vous me commandez, ensuite com-
mandez-moi ce que vous voudrez.
V. — Cinquième aspiration.
Trahe me post te : curremus in odorem unguentorum tuoriim (Cant., i, 3.)
Attirez-moi après vous ; nous courrotis à l'odeur de vos parfums.
Vous savez, ô divin Jésus ! que je ne puis de moi-m niem'élever
à vous, tant que je suis dans cette vie, et vous av( --^ voulu des-
cendre à moi pour m'unir à vous dans ce sacremi nt d'amour.
Attirez-moi donc, Seigneur, tout à vous, afin que vos d ss.-'ins soient
remplis. Je ne veux pas vous attirer à moi, pour qu • vous m'ac-
cordiez vos satisfactions; mais je souhaite ardemm it que vous
m'attiriez à vous par les doux attraits de votre gràc . nfin que je
ne désire ni ne fasse autre chose que votre très sain • volonté. II
est bien juste que toutes mes inclinations cèdent à v«- .siintes dis-
positions. Unissez-moi donc tout à vous, et par c('ie heureuse
union, étant dégagé de toutes les affections terrestr- -, je courrai
dans la voie des saintes vertus, pour parvenir à me eposer dans
cette vie et dans l'autre, uniquement en votre sa île volonté,
source de la vraie paix. In pace in idipsum dormia'in et requies-
cam. ÇPsai. iv, 9.)
VI. — Sixième aspiration.
Dilectus meus... totu.s desiderabilis. {Cnnl., v, H^.)
Mon bien-dimê est tout désirable.
Jésus, pour les âmes qui l'aiment en véritables époi ses, se rend
toujours tout désirable*, soit qu'il leur fasse éprouver ses rigueurs
842 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
OU ses consolations, soit qu'il leur fasse sentir sa présence, ou
qu'il paraisse s'éloigner, parce qu'il fait tout par amour, et pour
être aimé. Traitez-moi donc, ô mon Jésus î comme il vous plaira ;
je vous aimerai toujours, soit que vous employiez la douceur ou
les tribulations; je sais que tout me viendra de votre cœur plein
d'amour, et sera pour mon plus grand bien : Paratum cornieum,
Deus, paratum cor meum. « Mon cœur est prêt à tout : oui,
Seigneur, il est prêt. » (Psal. lvi, 8.) Voilà ma volonté prête à
embrasser toutes les dispositions de votre providence. Benedictum
Dominum in omni tempore. {Psal. xxxiii, 2.) En tout temps,
heureux ou fâcheux, je veux également vous bénir et vous aimer,
ô mon Créateur. Je ne demande ni ne mérite aucune consolation
de votre part, moi qui vous ai si souvent contristé par mes péchés.
Je ne demande que votre contentement et votre bon plaisir. Pourvu
que vous soyez content, ô mon Jésus ! je serai content moi-même,
en quelque peine que vous me laissiez. Oui, mon aimable Jésus,
soit que vous soyez près, soit que vous soyez loin, vous me serez
toujours désirable, toujours cher; soit que vous me consoliez, soit
que vous m'affligiez, je veux toujours vous aimer et vous rendre
grâces de tout.
VII. — Septième aspiration.
(^uae est ista quae ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super dilec-
tum suum? (Cant., viii, U.)
Quelle est celle qui s'élève du désert, comhlée de délices, appuyée sur son
bien-aimé f
Qui sont-elles ces âmes qui, demeurant sur la terre, la regardent
comme un désert ; qui, détachées des choses visibles, ne vivent
que pour Dieu, n'aiment que lui, ne cherchent à plaire qu'à lui,
comme si elles ne voyaient rien autre chose que Dieu ; et qui par
là sortent, pour ainsi dire, de la terre, et s'élèvent au-dessus, jouis-
sant des délices que goûte quiconque ne veut que Dieu, et ne met
ses espérances qu'en Dieu? Qui sont-elles ces âmes heureuses,
sinon celles qui s'unissent souvent et avec un amour pur à Jésus,
au saint sacrement? Ah ! Seigneur, je désire être aussi moi-môme
de ce nombre, étant par le secours de votre grâce entièrement
détaché de tout le reste, et totalement à vous. Le monde désormais
ne sera plus pour moi qu'un désert, dans lequel j'éviterai de m'at-
tacher à aucune créature, pour ne penser qu'à vous uniquement.
DES VISITES AD SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 843
comme s'il n'y avait plus au monde que vous et moi. C'est en vous
seul que je veux mettre toute ma confiance, tout mon amour, ô
Dieu ! ô mon Dieu, mon bien-nimé, mon espérance, mon amour,
mon tout !
VIIL — Huitième aspiration.
Panis cor hominis confirmet. [Psal. cm, 15.)
Le pain fortifie le cœur de Vhomme.
Jésus nous fait connaître que comme le pain terrestre conserve
la vie du corps, de même le pain céleste de la sainte communion
conserve la vie de 1 ame. Celui qui se nourrit de moi vivra pour
moi {Joan., vi, 58), nous dit-il; et ailleurs encore : Celui qui
mange ma chair et qui boit mofi sang demeure en moi, et moi
en lui. {Ibid., 55.) Voilà les magnifiques promesses que fait Jésus
à qui le reçoit dans son sacrement.
Ah! mon Jésus, qui est plus fragile et plus infidèle que moi?
Vous le savez, combien de fois je me suis rendu à mes ennemis ;
combien de fois ils se sont emparés des portes de mon âme, c'est-
à-dire de ma volonté, par laquelle ils sont entrés pour me perdre
et pour m'enlever le précieux trésor de votre amitié. Ah! fortifiez-
moi, Seigneur, par votre lumière et par votre force, afin que je ne
sois plus assez malheureux pour vous perdre et pour vous bannir
de mon cœur. Si je devais jamais recommencer à vous off"enser, ô
mon Seigneur et Rédempteur, faites-moi plutôt mourir en ce mo-
ment, où j'espère être dans votre sainte grâce, et uni à vous par
votre saint amour. Je ne veux plus vivre sans vous, ô mon bien-
aimé ! mais je ne puis compter sur moi : hélas ! tant que je vivrai,
je puis encore changer de volonté, et retourner à vous trahir,
comme j'ai fait autrefois. Seigneur, qui ne changez point, aidez-
moi donc à ne point changer moi-même. Ayez pitié de moi, très
sainte Marie, vous qui êtes la Mère de la persévérance ; obtenez-
moi ce don précieux de votre Fils Jésus. C'est par vous que je le
demande, c'est par votre intercession que je l'espère et que je
l'attends.
IX. — Neuvième aspiration.
Inveni quem diligit anima mea; tenui eum, nec dimiUani. (Canl., m, 4.)
J'ai trouvé celuique mon cœur aime; je lepossède et je ne le laisserai point aller.
Ainsi doit parler toute âme qui a le bonheur d'être unie à Jésus
844 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
dans son sacrement. Créatures, éloignez- vous de moi, sortez toutes
de mon cœur. Je vous ai aimées trop longtemps, parce que j'étais
aveugle ; maintenant je ne vous aime ni ne puis plus vous aimer,
J'ai trouvé un autre bien infiniment plus aimable que vous; j'ai
trouvé en moi mon Jésus, qui m'a gagnée par ses charmes ; et éprise
de son amour, je me suis donnée tout à lui ; il m'a acceptée : ainsi
je ne suis plus à moi. Créatures, je vous dis un éternel adieu, je
ne suis plus et ne serai plus à vous; je suis et serai toujours à
mon Jésus : il est aussi et sera toujours à moi. Je l'ai uni à mon
cœur par la sainte communion, et, par la suite, je le fixerai par
mon amour, et je ne le laisserai jamais s'éloigner de moi.
Permettez-moi, ô mon très aimable Sauveur! de m'attacher
étroitement à vous, afin que je ne puisse plus jamais m'en séparer.
Souffrez que j'ose embrasser vos pieds sacrés ; je m'y tiens lié par
toutes mes affections, ô mon .Jésus! je vous aime; oui, je vous
aime, et je voudrais vous aimer autant que vous le méritez. Je
veux que tout mon repos et tout mon bonheur soient de vous aimer
et de vous plaire. Commandez aux créatures de me laisser et de
ne pas troubler mon repos ; dites-leur de ne point éveiller votre
bien-aimée : Neque evigilare faciatis dileclam. (Cant., m, 5.)
Ah ! si je ne le veux pas, les créatures ne pourront jamais me
retirer de mon repos en vous ni m'en séparer. Fortifiez donc ma
volonté, pour qu'elle ne change point ; unissez mon misérable cœur
à votre cœur divin, afin qu'il veuille toujours ce que vous voulez
vous-même: faites-le. Seigneur, par vos mérites, ainsi que je l'es-
père. Ainsi soit-il.
X. — Dixième aspiration.
Dominus régit me, et nihil mihi deerit : in loco pascuee ibi me coUocavit
(Psal. xxn, i.)
Le Seigneur me conduit ; il m'a placé dans un milieu d'abondance, où rien
ne me manquera.
0 mon aimable Jésus ! puisque vous m'invitez à cette table d'a-
mour pour me nourrir de votre chair divine, hé ! qu'est-ce donc
qui pourrait me manquer? Qu'est-ce que j'aurai à craindre, puisque
vous voulez bien être ma lumière et mon salut ? Dominus illumi-
natio mea et satus mea, quetn timebo ? (Psal. xxvi, 1.) Je m'a-
bandonne donc entièrement entre vos mains, daignez me recevoir,
et traitez-moi ensuite comme vous voudrez; châtiez-moi, frappez-
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 845
moi, ôtez-moi la vie, détruisez-moi ; je veux toujours, comme votre
fidèle serviteur Job, espérer en vous : Etiara si occiderit me, m
ipso spet^abo. (Job, xiii, 15.) Oui, quand vous me donneriez le coup
de la mort, j'espérerais encore en vous. Pourvu que je sois à vous,
et que je vous aime, je suis content que vous me traitiez avec
toute la rigueur que vous voudrez, je consens à être détruit, si
c'est votre bon plaisir, pour votre gloire.
XL — Onzième aspiration.
In manibus meis descripsi te; et mûri tui coram oculis meis semper (/sa.,
XLIX, 16.)
Je t'ai écrit dana mes moins, et tes murs sont toujours devant mes yeux.
Voilà les tendres soins que Dieu prend d'une âme qui veut être
toute à lui ; il la porte écrite dans ses mains pour ne l'oublier
jamais ; il assure qu'une mère oubliera plutôt son propre fils qu'il
n'oubliera l'âme qui est dans sa grâce. Et si illa oblita fuerit, ego
tanien tion obliviscar tui. « Et quand une mère pourrait oublier
son enfant, lui dit-il, pour moi jamais je ne t'oublierai. n'Ibid., 15.)
Il tient sans cesse ses yeux attentifs à la garde de cette âme, afin
que ses ennemis ne puissent y entrer pour lui causer du dommage.
La bonne volonté qu'il a pour elle est comme un bouclier dont il
l'environne pour la mettre à couvert de tout danger: Scuto bonœ
voluntatis tuœ coronasti nos. (Psal. v, 13.) Ah ! mon Dieu, bonté
infinie, qui plus que personne, m'aimez et désirez mon bien, je
m'abandonne tout à vous ; que tout le reste me manque, j'y con-
sens, pourvu que vous ne m'abandonniez jamais.
Je sais que je dois coopérer de mon côté â suivre votre sainte
volonté ; eh bien ! Seigneur, que voulez-vous que je lasse? Parlez,
je ne puis vous dire autre ciiose : me voici prêt et résolu, ô mon
aimable Sauveur! à faire tout ce qu'il vous plaira. Fiat voluntas
tua. Je n'ai d'autre désir que d'exécuter ce que vous voulez. Mais
aidez-moi puissamment, sans vous je ne ferai aucun bien. Appre-
nez-moi non seulement à connaître, mais encore à faire en même
temps votre sainte volonté. Faites, ô Père éternel ! que je puisse
dire avec vérité ce que disait votre Fils Jésus dans sa vie mortelle
sur la terre : Je fais toujours tout ce qui platt à mon Père. 0
mon Dieu ! c'est l'objet de mes désirs, de mes prières, de ma con-
fiance, par les mérites de votre Fils et de sa sainte Mère.
846 LA SAINTE EDCHABISTIE. — 11° PARTIE. — LIVRE II. — CKAP. XVIII.
XII. — Douzième aspiration.
Prsebe, fili mi, cor tuum mihi. {Prov., xxiii, 26.)
Moti fils, donne-moi ton cœur.
Voilà, ô mon àme ! tout ce que demande de toi le Seigneur,
quand il vient te visiter : il veut ton cœur, ta volonté. Il se donne
à toi sans réserve: il est juste que tu te donnes aussi à lui sans
réserve, uniquement attentive à exécuter en toi toutes ses saintes
volontés. Fais en sorte que quand ton Jésus viendra de nouveau
te visiter, il ail sujet de se complaire en voyant ta fidélité à te con-
former à toutes ses dispositions. Revertetm\... Dominus, ut gau-
deat super te in omnibus bonis. {Deut., xxx, 9.) Qu'il ait à se
réjouir, à son retour, de tout le bien que tu auras fait. 0 mon Jésus!
je ne veux que vous plaire, secondez et soutenez mon désir par
votre grâce : donnez-moi les forces, et faites de moi selon votre
bon plaisir.
XIII. — Treizième aspiration.
Quid debui facere vinese meœ, et non feci ? {Isa., v, i.)
Quai-je dû faire à ma vigne que je n'aie pas fait ?
Entends, ô mon àme, les paroles que t'adresse ton Dieu : Que
devais-je faire de plus pour toi, que je n'aie fait? Pour toi, je me
suis fait homme; pour toi, de Seigneur je me suis fait esclave :
Formam servi accipiens {Philip., ii, 7); pour toi, j'en suis
venu jusqu'à naître dans une établc comme un vermisseau : Ver-
mis sum, et non homo (Psal. xxi, 7), jusqu'à mourir et à mourir
sur un bois infâme : Factus obediens usque ad mortem, mortem
autem crucis. (Philip., ii, 8.) Que pouvais-je donc faire de plus
que de mourir pour toi ? Mais mon amour a imaginé et fait quelque
chose de plus pour toi : j'ai voulu, après ma mort, rester dans mon
sacrement, pour me donner tout à toi en forme de nourriture. Dis-
moi ce que j'ai pu faire de plus pour gagner ton amour.
0 mon Rédempteur et Seigneur ! ce que vous me dites est trop
vrai : que vous répondrai-je? Ah ! je ne puis que me taire: oui,
vous avez été trop bon à mon égard, et j'ai été trop ingrat envers
vous. J'admire votre immense bonté, je considère mon ingratitude
et je me jette à vos pieds, en disant: 0 mon Jésus! ayez pitié de
moi, qui ai payé votre amour de tant d'ingratitude. Vengez-vous,
1
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DEVOTION. o47
il est juste, vengez-vous de moi, et chàtiez-moi, non pas en m'a-
bandonnant, mais en me changeant ; ne permettez pas que je vive
plus longtemps ingrat envers vous. Faites qu'au moins, par recon-
naissance, je vous aime, et, qu'avant de mourir, je paie votre
amour de quelque retour.
XIV. — Quatorzième aspiration.
Pone me ut signacuhim super cor tuum. (Cant., viii, 6.)
Mettez-moi comme un cachet sur votre cœur.
Oui, divin Jésus, unique objet de mon amour, puisque je vous
ai consacré mon cœur, il est juste que je vous mette sur lui comme
le sceau de l'amour, pour en fermer l'entrée à toute autre affection,
et que par là je fasse connaître à tous que mon cœur est à vous,
et que vous seul en avez le domaine. Mais, mon Seigneur, qu'y
a-t-il à espérer de moi, si vous ne le faites avec moi? Je ne puis
que vous donner mon cœur, afin que vous en disposiez à votre gré.
Je vous le donne donc, je vous le consacre, je vous le sacrifie.
Prenez-en possession pour toujours, je ne veux plus rien en re-
prendre ni retenir. Si vous l'aimez, sachez vous le conserver. Oh ! ne
le laissez plus à ma disposition, parce que je vous le ravirais de
nouveau. 0 Dieu infiniment aimable ! ô amour infini ! puisque
vous m'avez obligé par tant d'endroits à vous aimer, je vous
en conjure, faites-vous aimer, oui, faites-vous aimer de moi. Je ne
veux vivre que pour vous aimer, et je ne veux vous aimer que
pour vous-même et pour votre bon plaisir. Vous qui faites tant de
miracles pour pouvoir entrer dans mon cœur par ce sacrement,
faites encore celui-ci : faites que mon cœur soit tout à vous ; mais
sans partage, sans réserve, sans changement. En sorte que je
puisse dire en cette vie et en l'autre que vous êtes l'unique Sei-
gneur de mon cœur, et mon unique richesse : Deus cordis mei,
et pars mea, Deus in œternum ^
Très sainte Vierge Marie, ma Mère et mon espérance, aidez-moi,
et je serai certainement exaucé. Ainsi je l'espère.
Ainsi soit-il.
\. Ps. i.xxii, 20.
848 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II'' PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
III.
AUTRES PRATK^UES DE DÉVOTION INDIVIDUELLES OU COLLECTIVES
ENVERS LE TRES SAINT SACREMENT ^
I. — Actes individuels de dévotion au Très Saint Sacrement.
L'amour véritable est ingénieux et le cœur qui s'est entièrement
donné à Notre-Seio-neur Jésus-Christ, présent au Très Saint Sacre-
ment, trouvera mille moyens de lui témoigner toute sa dévotion.
Il n'est pa'^ inutile néanmoins d'indiquer ici quelques pratiques
de piété pour honorer la Sainte Eucharistie. Donner les motifs
particuliers de chacune d'elles nous entraînerait trop loin, et se-
rait à peu près superflu, car ils ressortent d'eux-mêmes. Une
simple mention suffira donc. Il est évident qu'il serait imprudent
et même impossible de prétendre les adopter toutes, mais chacun
pourra choisir celles qui lui reviennent le mieux, pour lui-même et
pour les personnes auxquelles il croirait utile de les conseiller.
I. Adorer le Saint Sacrement à son lever, en se mettant à ge-
noux, comme il a été dit déjà, et se tournant du côté de l'église la
plus rapprochée, à l'exemple de Daniel, de S. Louis deGonzague
et d'une foule d'autres saints.
II. Au sortir de son logis, entrer dans un église, pour offrir à
Jésus-Christ les actions de la journée. La loi ancienne ordonnait
aux Juifs d'offrir à Dieu les prémices de tous leurs biens, et de les
apporter dans le temple de Jérusalem. Jésus-Christ, dans son ta-
bernacle, a droit aux prémices de notre journée.
III. Entendre tous les jours la messe si on le peut; les avantages
les plus précieux sont attachés à cette pratique.
IV. Lorsqu'on passe devant une église, la saluer et, en même
temps, adorer dans son cœur le Saint Sacrement.
V. Lorsque, dans les rues, on rencontre un prêtre portant la
sainte communion à quelque malade, donner au Très Saint Sacre-
ment toutes les marques de vénération que les circonstances per-
mettent.
VI. N'entreprendre aucune affaire importante sans venir au
pied des autels demander à Jésus-Christ les lumières nécessaires
\ . Voir : Pratique de piété pour honorer le Saint Sacrement, tirées de la doc-
trine des Conciles et des saints Pères, par X.
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 849
pour se bien conduire dans cette circonstance, et implorer sa bé-
nédiction ; avoir un soin particulier de venir encore à l'église pour
le remercier ensuite de sa protection. S. Ambroise porta à l'autel
et y déposa les lettres de Théodose, qui le priait de remercier Dieu
de la victoire qu'il lui avait fait remporter.
VII. Même pendant les voyages, ne pas négliger de visiter le
Saint Sacrement le matin, à midi et le soir, lorsqu'il n'y a pas
d'empêchement sérieux.
VIII. Garder toujoui's dans les églises un grand silence et un
respect profond.
IX. Mettre tout son bonheur à se rendre digne d'approcher sou-
vent de la sainte communion, et s'estimer très malheureux si l'on
s'en voit indigne à cause de ses péchés. La joie des premiers chré-
tiens était si grande dans leurs jours de communion, que plu-
sieurs n'hésitaient pas à se présenter aux tyrans, afin de mourir
pour Jésus-Christ.
X. Demander souvent à Notre-Seigneur que notre mort soit
honorée de la réception de son corps adorable.
XI. Faire l'aumône plus abondamment les jours où l'on a com-
munié.
XII. Se souvenir, en présence de Jésus-Christ au Très Saint Sa-
crement, qu'il est notre père, notre roi, l'époux de nos âmes,
notre pasteur, notre rédempteur, notre médecin, notre juge, notre
prêtre et notre victime, et s'efforcer de l'aimer toujours davantage
à ces différents titres.
XIII. Considérer que Jésus-Christ dans l'Eucharistie est le
maître qui nous enseigne, et recueillir attentivement ses le-
çons.
XIV. Considérer qu'il nous enseigne, par ses exemples, l'amour
du Père éternel, l'adoration de sa grandeur infinie, l'obéissance à
ses commandements, l'immolation pour son service, l'humilité en
présence d'un Dieu si grand, la patience dans les maux qui nous
arrivent, la retraite pour éviter la corruption du monde, le si-
lence pour ne penser qu'à lui, la libéralité pour venir en aide au
prochain dans ses besoins.
XV. Procurer au Saint Sacrement, en toutes les manières, tout
l'honneur que l'on peut.
XVI. S'efforcer de réparer les outrages et les profanations que
Notre-Seigneur subit dans son adorable sacrement.
LA SAINTE EUCHARISTIE. — T. IV. 54
8o0 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
XVII. Mettre sa dévotion à changer de vie, plutôt qu'à commu-
nier souvent sans travailler à ce changement.
XVIII. Demander la sainte communion lorsqu'on se voit dange-
reusement malade, mais ne la demander pas lorsqu'on n'est
malade que légèrement et qu'on a tout lieu d'espérer pouvoir, sous
peu de jours, aller le recevoir à l'église; car il faut toujours trai-
ter Notre-Seigneur avec le plus profond respect et ne pas le faire
venir dans sa maison sans nécessité.
XIX. Rester paisiblement, humblement et avec amour dans l'é-
tat de vie où la divine Providence nous a engagés, à l'exemple
de Jésus humblement caché dans nos tabernacles, sous les espèces
eucharistiques.
XX. Aimer la beauté, la richesse, ou au moins la propreté de
la maison de Dieu, et concourir, autant que l'on peut, à la pro-
curer.
XXI. Éviter, les jours où l'on a communié, les réunions fri-
voles et les plaisirs mondains.
XXII. Multiplier les actes de dévotion envers le Très Saint Sacre-
ment, pendant les jours où le monde s'abandonne le plus aux plai-
sirs et à la débauche.
XXIII. Aller se prosterner devant le Saint Sacrement toutes
les fois qu'on se trouve sous le coup de quelque grande affliction
ou maladie de l'àme, et y attendre la consolation que donne .Jé-
sus-Christ.
XXIV. A l'exemple de la bienheureuse Vierge Marie, repasser
dans son cœur, après la communion, les mystères que contient le
Très Saint Sacrement.
XXV. S'appliquer, après la communion, à vivre dans une sainte
union dépensées, d'affections et de volonté avec Jésus-Christ, pour
demeurer en lui.
XXVI. Réveiller sa foi lorsqu'on assiste à la sainte messe, pour
se pénétrer de l'esprit de sacrifice. Nous oublions facilement ce
que nous devons à Dieu : la messe doit nous en faire ressouvenir
et nous apprendre à tout sacrifier à l'amour de Jésus-Christ et par
amour de Jésus-Christ.
XXVII. La coutume était, du temps de S. Jean Chrysostome, de
faire prosterner les enfants au pied de l'autel pendant le saint
sacrifice, afin d'obtenir, par la prière de ces âmes innocentes, la
miséricorde de Jésus-Christ alors présent, pour la conversion des
DES VISITES AU SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 851
pécheurs et les besoins de l'Église : remettre en usage cette
pieuse pratique, autant que les circonstances le permettent.
XXVIII. Mourir à toute aflection pour les choses de ce monde,
si l'on veut célébrer la messe chaque jour ou faire souvent la
sainte communion.
XXIX. Vivre uni de cœur et d'afiection avec tous les membres
de l'Église, comme Notre-Seigneur l'a demandé jusqu'à cinq fois
à son Père céleste, après avoir institué le Saint Sacrement, pour
tous ceux qui croiraient en lui.
XXX. En assistant à la messe, qui est la plus excellente et la
plus efficace de toutes les prières, s'unir d'esprit et de cœur avec
le prêtre, et le suivre dans tout ce qu'il fait et dans tout ce qu'il
dit au saint autel.
XXXI. Éviter avec soin de s'approcher négligemment et par ma-
nière d'acquit de la sainte communion, pour ne pas s'exposer à la
malédiction du Seigneur : « Maudit est celui qui fait l'œuvre de
• Dieu avec négligence : » Maledictas qui facit opus Dei negli-
genter ^
XXXII. Pardonner de bon cœur à ses ennemis et, s'il est pos-
sible, se réconcilier avec eux avant la communion.
XXXIII. Se mortifier en quelque chose ou faire quelques actes
de vertu qui coûtent à la nature, comme préparation à la sainte
communion ou comme action de grâces.
XXXIV. Se souvenir que pour prendre dignement place à la
table du festin eucharistique, il faut être, selon l'Évangile, pauvre,
débile, aveugle et boiteux, c'est-à-dire être humble et détaché des
biens de la terre, ne pas mettre sa force et sa confiance en de
tels biens mais uniquement en Dieu; ne pas donner son attention
aux choses d'ici-bas mais à celles du ciel ; marcher, quoi qu'il en
coûte, dans le chemin étroit et difficile du salut, pour arriver au
but, qui est le ciel.
II. — Actes collectifs de dévotion au Très Saint Sacrement.
Notre-Seigneur Jésus-Christ disait à ses disciples : « Si deux
« d'entre vous s'accordent sur la terre, quelque chose qu'ils de-
« mandent, il le leur sera fait par mon Père qui est dans les
« cieux. Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, jesuis au
1. Jerem , xLviii, 10.
852 LA SAINTE EUCHARISTlJt:. — II*" PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
« milieu d'eux ^ » L'association pour la prière lui donne donc une
efficacité très grande auprès de Dieu et, de tout temps, les fidèles
ont senti l'utilité et le besoin d'y recourir. En même temps, l'hom-
mage rendu ainsi par plusieurs, animés au même esprit et de la
même dévotion, est plus agréable au Seigneur et lui procure plus
de gloire.
Il était donc dans l'ordre des choses que de pieuses associations
se formassent pour honorer la très sainte et très adorable Eucha-
ristie et pour obtenir d'elle d'abonc' ntes bénédictions.
Les premières confréries instituées en l'honneur du Très Saint
Sacrement ne paraissent pas remonter plus haut que le xv® siècle.
Elles furent un moyen eflicace que Dieu mit entre les mains de
son Église pour contre-balancer les efforts des démons et des hé-
rétiques déchaînés contre l'adorable sacrement de nos autels.
Aussi prirent-elles un développement très considérable, pendant
le cours du xvi" siècle, et les évoques, sollicités par le clergé et les
pieux fidèles, en érigèrent-ils dans une multitude de paroisses.
Ce fut en 1539, que le Souverain Pontife Paul III approuva so-
lennellement, par une Bulle, la confrérie instituée à Rome en
l'honneur du Très Saint Corps de Notre-Seigneur et publia les in-
dulgences accordées à ceux qui en faisaient i)artie.
Un des principaux buts des confréries du Très Saint Sacrement
est d'assurer à Notre-Seigneur Jésus-Christ des adorateurs qui se
relèvent à tour de rôle, et lui rendent ainsi, au nom de tous, un
hommage perpétuel.
Les confréries, surtout en France, ont sombré à peu près toutes,
dans l'effrayant cataclysme qui a désolé la fm du xviii" siècle. Plu-
sieurs se sont relevées depuis, mais li leur est difficile, dans les
temps où nous sommes, de retrouver la vie et le développement
qu'elles avaient autrefois. Cependant, quoique peu de chrétiens
puissent ou veuillent s'astreindre à d js pratiques régulières d'ado-
ration, et aux autres devoirs qu'une confrérie impose à ceux qui
en font partie, l'adoration publique et solennelle uu Très Saint Sa-
crement n'en est pas moins pratiquée. Peut-être même l'est-elle, en
beaucoup de villes et de diocèses, avec autant de piété qu'elle le fut
autrefois. Les curés des paroisses populeuses assignent aux per-
1. Si duo ex vobis consenserint super terram, de omni re quamcumque
petierint fiet illis a Pâtre meo qui in cœlis est. Lbi eniiri sunt duo vel très
congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum. [Matth., xvin, 20, 21.)
DES VISITES AU SAINT SACREMENT KT AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 853
sonnes de bonne volonté des heures d'adoration pour chaque se-
maine ou chaque mois ; l'es évêques instituent l'adoration perpétuelle
dans leurs diocèses. Chaque paroisse a son jour ou ses jours d'a-
doration, et souvent cette adoration, faite avec pompe et solennité,
sert de clôture à une retraite ou une mission d'où résultent les
plus précieux avantages pour les âmes.
La fête et l'octave du Très Saint Sacrement, les prières deQua-
rante-Heures, le reposoir ou le tombeau du jeudi saint, sont au-
tant de circonstances que les âmes pieuses saisissent avec empres-
sement, de rendre au Dieu de l'Eucharistie les hommages et le
culte qui lui sont dus. Il faut y ajouter encore les premiers ven-
dredis du mois consacrés au culte du Sacré Cœur, et les jours de
fêtes solennelles, pendant lesquelles, surtout dans les communau-
tés, le Saint Sacrement est exposé, avec une autorisation particu-
lière de l'évêque du diocèse.
Mais les adorations les plus touchantes, celles qui dénotent la
dévotion la plus fervente et la plus généreuse, sont peut-être les
adorations nocturnes, et principalement celles pratiquées à Mont-
martre, dans cette admirable basilique élevée par la France péni-
tente au Sacré Cœur de Jésus.
Un autre acte de dévotion collective que la fin du xix^ siècle a
vue éclore, c'est la réunion en congrès d'une foule de chrétiens
éminents, prêtres et laïques, non seulement pour prier, mais
pour se concerter sur les moyens les plus opportuns et les plus
efficaces de développer la dévotion à la Très Sainte Eucharistie. De
tous ces congrès nous n'en citerons qu'un seul, le plus étonnant de
tous et certainement le plus fertile en résultats : le congrès eucha-
ristique tenu dans la ville même de Jérusalem, en 1893, par l'ini-
tiative des Pères Assomptionistes, sous la présidence du cardinal
Langénieux, archevêque de Reims, désigné à cet effet par l'im-
mortel pape Léon XIII.
La dévotion au Très Saint Sacrement ne s'est pas arrêtée à ces
pieuses associations, à ces réunions si utiles et si édifiantes.
Des congrégations religieuses se sont formées sous le vocable
du Saint Sacrement. Des âmes d'élite se sont consacrées à Dieu
pour que leur vie tout entière fût un hommage perpétuel au Dieu
caché sous les Espèces eucharistiques.
C'est ainsi qu'on vit naître à Avignon, en 1636, une Comiréga-
tion du Saint-Sacrenirnf due à l'initiative du P. Antoine Le
854 LA SAINTE EUCHARISTIE. — 11^ PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
Quien. Cette congrégation, qui se rattachait à l'ordre des Frères
Prêcheurs, n'existe plus.
Vers la même époque et dans la même ville, Autiiier de Sisgau,
préchantre de l'abbaye de Saint-Victor à Marseille, fonda la Congré-
gation des Prêtres missionnaires du Saint Sacrement, appelés
dans l'origine Missionnaires du clergé. Le pape Innocent X, en
1647, approuva cette congrégation sous le nom de Congrégation
du Saint- Sacrement pour la direction des unissions et des
séminaires, d'où leur nom de Prêtres missionnaires du Saint-
Sacrement. — Cette congrégation a aussi cessé d'exister.
Mais il en a été fondé une autre de nos jours, la congrégation des
Prêtres du Très-Saint-Sacrement, qui brille d'un vif éclat par la
sainteté de ses membres, leurs travaux et les talents de plusieurs.
La congrégation des Prêtres du Très-Saint-Sacrement a été
fondée à Paris, le 13 mai 1856, par le P. Eymard, prêtre du dio-
cèse de Grenoble. Elle se dévoue entièrement, par les trois vœux,
au service et au culte de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent dans
l'Eucharistie et solennellement exposé sur l'autel. Son but est
l'exercice perpétuel de l'adoration, de l'action de grâces, de la ré-
paration et de la supplication pour la conversion du monde, et
pour le règne eucharistique de Jésus-Christ.
Les œuvres de la vie active, qui se joignent à cette vie de con-
templation si parfaite, se rapportent toutes directement aussi à la
Très Sainte Eucharistie. L'apostolat de la Société se borne à nour-
rir la foi, la dévotion et l'amour des fidèles envers le Très Saint
Sacrement. Ses œuvres sont : les retraites intérieures en faveur
des prêtres surtout; les retraites de première communion; des
associations d'adoration établies dans des paroisses ; les retraites
ecclésiastiques et religieuses; l'œuvre des premières communions
des adultes; la prédication des quarante heures; l'œuvre des ta-
bernacles.
La devise de cette congrégation est : Tout pour l'amour et la
gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ au Très Saint Sacrement
de Vautel.
La Société admet dans son sein des prêtres et des laïques vivant
sous la même règle et avec les exercices communs. Ses membres
sont divisés en trois classes : les religieux contemplatifs; les reli-
gieux contemplatifs et actifs ; les agrégés qui forment le tiers-
ordre du Très Saint Sacrement.
DES VISITES AD SAINT SACREMENT ET AUTRES ACTES DE DÉVOTION. 855
La mîiisop. mère est à Paris, où réside le vicaire général avec
un procureur général.
Plusieurs congrégations de religieuses sont aussi consacrées à
Dieu sous le vocable du Très Saint Sacrement. Nous nommerons :
Les religieuses du Saint-Sacrement , dont la maison mère est
' à Romans (Drôme). Cette congrégation fut fondée en 1715, à
Boussieux-le-Roi, petit village du Vivarais, par un saint mis-
sionnaire, l'abbé Vigne, pour s'occuper de l'insti-uction et de
l'éducation des jeunes filles de Boussieux et des villages voi-
sins. Plus tard les sœurs ajoutèrent le service des pauvres ma-
lades dans les hôpitaux.
Après la Révolution, un respectable magistrat, Marie Des-
croches, préfet de la Drôme, résolut de rétablir la congrégation
fondée par l'abbé Vigne. L'ancienne abbaye des religieuses de
Saint-Just, à Romans, lui parut propre à cette destination. Un
décret du il thermidor an XII l'affecta aux religieuses du Saint-
Sacrement. Le but de cette institution fut dès lors la formation de
sujets pour le service des hôpitaux, l'administration de secours à
domicile et la tenue des petites écoles.
Les Sœurs du Saint- Sacrement, appelées dans le Midi Sœuj^s
de Mâcon, fondées par un saint prêtre, M. Agut, secrétaire du
chapitre noble de la collégiale de Saint-Pierre à Màcon..
En 1733, M. Agut, qui s'adonnait avec ardeur à la prédication
et à toutes les bonnes œuvres, loua une petite maison dans la-
quelle il recul trois ou quatre incurables. Ce fut l'origine de l'hos-
pice des Incurables ou de l'hospice de la Providence de Màcon.
Pour desservir son hospice, M. Agut résolut de former une société
de pieuses filles sous le nom de Sœurs du Saint-Sacrement . La
maison mère fut transportée à Autun en 1836, sous l'épiscopat de
Mgr d'Héricourt.
Les Sœurs du Saint-Sacrement se dévouent au soin des malades,
des pauvres et des enfants. Hospitalières, elles dirigent des pro-
vidences, des hospices, des maisons de charité; elles ambitionnent
avant tout le soin des incurables. Institutrices, elles ont des exter-
nats gnituits et payants; elles dirigent des salles d'asile et des
pensionnats.
Noiniiions enfin les religieuses du Saint-Sacrement, dont la mai-
son mèri' est à Saint-Bonnet-le-Ghàteau (Loire), où elles dirigent
un hôpital et un orphelinat.
856 LA SAINTE EUCHARISTIE. — II* PARTIE. — LIVRE II. — CHAP. XVIII.
Que ne pourrions-nous pas ajouter encore à ce que nous avons
dit touchant le culte et la dévotion qui sont dus à la très sainte et
très adorable Eucharistie ! Le sujet est immense et les points sont
nombreux que nous avons effleurés à peine. Mais l'occasion d'y
revenir se présentera dans les volumes qui doivent suivre. Plu-
sieurs des développements que nous n'avons pu donner ici, car il
faut se borner, on les trouvera dans la troisième partie de cet ou-
vrage, magnifiquement présentés par les grands orateurs catho-
liques. D'autres, en abondance, seront contenus dans le prochain
volume qui traitera du culte et de la dévotion au Sacré Cœur de
Jésus présent dans la Sainte Eucharistie.
Que Dieu daigne seulement bénir notre travail et faire qu'il ne
soit pas inutile à la gloire du très saint et très adorable Sacrement
de nos autels et au salut des âmes.
FIN DU SECOND LIVRE DE LA DEUXIEME PARTIE
TABLE DU TOME QUATRIÈME
DE
LA SAINTE EUCHARISTIE
SECONDE PARTIE
CULTE ET DÉVOTION
LIVRE SECOND
DÉVOTION ENVERS LA SAINTE EUCHARISTIE. —
OBJET ET PRATIQUE
Chapitre I". — De l'essence ou de la nature divine de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, objet de notre dévotion dans la
Très Sainte Eucharistie 1
I. En quoi consiste la dévotion en général et la dévotion au
Saint Sacrement en particulier 1
II. Ce qu'il faut entendre par la nature ou l'essence divine du
Dieu que nous adorons sous les espèces eucharistiques. 9
III. La nature de l'Être divin de Notre-Seigneur Jésus-Christ
est esprit et vie 18
IV. Vérité et bonté de l'Être divin ou de Notre-Seigneur Jésus-
Christ considéré comme Dieu dans l'Eucharistie ... 27
V. Simplicité absolue, réelle, métaphysique et logique de la
nature divine de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent
dans l'Eucharistie 37
Chapitre II. — Des attributs [de la nature tlivine de Notre-
Seigneur Jésus-Christ présent au Très Saint Sa-
crement 50
I. Quelques mots sur les attributs divins ou les perfections de
Dieu en général 50
858 LA SAINTE EUCHARISTIE. — SECONDE PARTIE. — LIVRE II.
II. Infinité du Dieu de l'Eucharistie 58
III. Immensité du Dieu de l'Eucharistie 68
IV. Immutabilité du Dieu de l'Eucharistie 82
Chapitre III. — Autres attributs : Jésus-Christ dans l'Eu-
charistie est le Dieu éternel, incompréhensible,
invisible 95
I. Éternité du Dieu de l'Eucharistie 95
II. Incompréhensibilité du Dieu de l'Eucharistie. — Comment
et jusqu'à quel point nous pouvons le connaître . . . 110
III. Invisibilité du Dieu de l'Eucharistie 123
Chapitre IV. — Science, volonté, amour et toute-puissance
de Jésus-Christ, Dieu présent dans l'Eucharistie. 137
I. Science et sagesse divines de Notre-Seigneur Jésus-Christ pré-
sent dans l'Eucharistie 137
II. Volonté et amour de l'être divin de Jésus dans l'Eucharis-
tie. — Son double objet 153
III. Toute-puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ présent
dans l'Eucharistie 167
Chapitre V. — Jésus-Christ présent sous les Espèces eucha-
ristiques, dans ses rapports comme Dieu avec les
deux autres Personnes divines 180
I. Trinité des Personnes en Dieu 180
II. Mystère de la Génération éternelle du Fils de Dieu qui
s'accomplit dans la Très Sainte Euchai'istie 195
III. Pourquoi le Fils de Dieu que nous adorons dans l'Eucha-
ristie est aussi appelé Verbe, Image et Sagesse du
Père ...,.., 210
IV. Autre mystère de la vie intime de Dieu, qui s'accomplit
dans l'Eucharistie : La Procession du Saint-Esprit. . . 226
V. Le Verbe, Fils unique de Dieu, présent dans l'Eucharistie,
consubstantiel au Père et au Saint-Esprit 237
Chapitre VI. — De l'humanité sainte de Notre-Seigneur pré-
sent dans l'Eucharistie, et particulièrement de
son Corps adorable 254
I. Jésus-Christ, fils d'Adam comme nous, a un corps humain
semblable aux nôtres, dans l'Eucharistie 254
II. Le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ est vivifié par une
âme semblable aux nôtres 267
III. En quel ordre de priorité s'est accomplie l'union du Verbe
de Dieu avec son âme et son corps lorsqu'il s'est in-
carné 274
TABLE DU TOME QUATRIEME. 859
IV. Union de toutes les parties intégrantes du corps de Notre-
Seigneur, et particulièrement de son sang avec sa divi-
nité 285
V, Perfection souveraine du corps adorable de Notre-Seigneur
présent dans l'Eucharistie 298
Chapitre VII. — Perfection souveraine et surnaturelle de
l'âme de Notre-Seigneur unie au Verbe divin
dans l'Eucharistie 312
I. Perfections de l'ordre naturel propres à l'âme de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ 312
II. L'àme de Notre-Seigneur, formellement sanctifiée par son
union hypostatique avec le Verbe, et enrichie de la grâce
habituelle et de la grâce actuelle dont il est la source
pour nous 326
III. Dons du Saint-Esprit et autres dons spirituels conférés
à l'humanité de Notre-Seigneur 339
IV. Grâce que Notre-Seigneur Jésus-Christ possède, en qualité
de chef des anges et des hommes 348
V. Grandeur et perfection des diverses grâces que reçut l'hu-
manité sainte du Fils de Dieu incarné pour nous . . . 359
VI. Quelques mots sur les vertus de Notre-Seigneur Jésus-
Christ en général 365
Chapitre VIII. — Unité de la personne et distinction des
deux natures en Jésus-Giirist eucharistique, Fils
de Dieu véritable et non par adoption .... 372
I. Unité de la personne en Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de
Dieu et fils de la très sainte Vierge 372
II. Distinction des deux natures en la personne unique de
Notre-Seigneur Jésus-Christ présent au Saint Sacre-
ment 385
III. Jésus eucharistique, Dieu et homme, est Fils de Dieu uni-
quement par nature et non par adoption, même consi-
déré dans son humanité 39S
IV. Deux volontés et deux opérations distinctes de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ. — Communication des idiomes . . 407
Chapitre IX. — Quelques motifs particuliers de dévotion
envers Jésus-Christ, l'Hoinme-Dieu présent pour
nous au Très Saint Sacrement 419
I. Jésus-Christ, notre Dieu et notre modèle dans l'Eucharistie,
est en môme temps notre Rédempteur 419
II. Jésus-Christ dans rEucliaristie est notre Sauveur .... 431
III. Jésus-Christ dans l'Eucharistie est notre médiateur et
notre avocat 440
860 LA SAINTE EUCHARISTIE. — SECONDE PARTIE. — LIVRE H.
IV. Jésus Christ dans l'Eucharistie est notre roi et notre
chef 451
"V. Jésus-Christ dans l'Eucharistie est notre juge 462
Chapitre X. — Autres titres de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
Homme-Dieu présent dans l'Eucharistie, à notre
dévotion 471
I. Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, est notre pontife et
la victime de notre sacrifice 471
II. Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, est notre maître
et notre docteur 482
III. Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, est notre législa-
teur 495
IV. Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, est l'Époux de
l'Église et des fîmes justes 505
V. Jésus-Christ, présent dans l'Eucharistie, est notre vie et l'ali-
ment surnaturel de nos ùmes 518
Chapitre XI. — Jésus-Christ, par sa présence dans l'Eucha-
ristie, nous montre son amour, sa sagesse, sa
puissance, sa magnificence, et nous invite à les
imiter 532
I. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nous révèle son
amour divin et demande le nôtre 532
II. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nous révèle sa sa-
gesse divine 544
III. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nour révèle sa
puissance divine 55r
IV. La présence de Jésus dans l'Eucharistie nous révèle sa
munificence et sa libéralité divine 5(
Chapitre XIL — Jésus-Christ dans l'Eucharistie est la source
et le modèle des vertus nécessaires à la perfec-
tion chrétienne
I. La Sainte l*]ucharistie est un sacrement de foi, d'espérance
et de charité
II. La Sainte Eucharistie nous communique les vertus de pru-
dence, de justice, de force et de tempérance ,
III. La Sainte Eucharistie nous donne l'esprit d'humilité, de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance
4
Chapitre XIII. — Pourquoi le sacrifice de la messe doit être
pour nous l'objet d'une grande dévotion ... 7
I. Le sacrifice de l'Eucharistie, colonne qui soutient notre
sainte religion et rend l'Église inébranlable ....
II. Dignité suprême du sacrifice de la messe [
TABLE DU TOME QUATRIÈME. 861
III. La messe, sacrifice propitiatoire et satisfactoire offert pour
la rémission de nos péchés et pour le paiement de nos
dettes envers la justice de Dieu 637
IV. La messe, sacrifice impétratoire qui nous obtient de Dieu
toutes sortes de grâces, et par lequel nous lui témoi-
gnons notre reconnaissance, 649
Chapitre XIV. — Ce qu'une véritable et sincère dévotion ré-
clame des prêtres qui célèbrent la messe, et des
fidèles qui y assistent 660
I. Application de l'esprit et dévotion intérieure et extérieure
requises pour l'oblation du saint sacrifice 660
II. Pureté de conscience avec laquelle il faut célébrer la sainte
messe ou y assister 671
III. Modestie, respect et empressement pieux que demande
l'assistance au saint sacrifice de la messe 682
IV. Piété que demandent les fonctions de servant de messe.
— Honneur et avantages qui y sont attachés . . . . 694
Chapitre XV. — De la sainte communion couronnement des
bienfaits de Dieu ici-bas 699
I. La sainte communion, soutien, lumière et vie de l'Église et
de ses enfants 699
II. La sainte communion, couronnement des bienfaits de Dieu
ici-bas, nous fait aimer les choses du ciel, mépriser
celles de la terre et goûter la suavité des biens spiri-
tuels 711
V
Chapitre XVI. — De la préparation à la sainte communion
et de la conduite à tenir après l'avoir faite. . . 722
I. Dispositions essentielles pour bien faire la sainte commu-
nion 722
; II. Dispositions désirables pour faire la sainte communion
avec une réelle piété 745
III. Action de grâces et conduite à tenir après que nous avons
communié 762
C PITRE XVII. — Des eflets de la sainte communion en
ceux qui la reçoivent avec piété 776
I. Fruits de la sainte communion bien faite, d'après l'Écriture
et les auteurs ascétiques 77()
II. Autres fruits de la sainte communion 71U»
III. Derniers fruits de la sainte communion. — Un mot sur
les funestes résultats de la communion sacrilège . . . 816
(TRE XVIII. — Des visites au Saint Sacrement, et de quel-
862 LA SAINTE EDCHARISTIE. — SECONDE PARTIE. — LIVRE II.
ques autres actes de dévotion envers l'Eucha-
ristie 829
I. Visites au Très Saint Sacrement 829
II. Quelques aspirations affectueuses de S. Alphonse de Li-
guori qui peuvent servir de préparation à la sainte com-
munion, d'exercice pour la sainte messe et d'entretien
devant le Très Saint Sacrement 837
III. Autres pratiques de dévotion individuelles ou collectives,
envers le Très Saint Sacrement 8' -
FIN DE LA TABLE DES MATIERES DU TOME QUATRIEME.
BESANCON. — IMPRIMERIE ET STEREOTYPIE DE PAUL JACyUIN.
I
f
BQT 1318 .J8
V.4 IMS
Jourdain, Z.C.
La Sainte Eucharistie
somme de th/ologie et
ALE-5813 (awab)