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Full text of "La Sainte Eucharistie : somme de théologie et de prédication eucharistiques"

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HW.Y  B£»££*»ER  LIgRARï,  WinaSOR 


^  J^r 


SAINTE  EUCHARISTIE 


LA 


SOMME 

DE  THÉOLOGIE  ET  DE  PRÉDICATION 

EUCHARISTIQUES 

PAR 

L'ABBÉ    Z.-C.    JOURDAIN 

DU     DIOCÈSE     d'aMIENS 

CHANOINE    HONORAIRE 

AUTEUR     DE     LA     SOMME     DES     GRANDEURS    DE     MARIE 


TOME    QUATRIÈME 


SECONDE   PARTIE 

CULTE      ET      DÉVOTION 

II. 

DÉVOTION  ENVERS  LA  SAINTE  EUCHARISTIE  —  OBJET  ET  PRATIQUE 


PARIS 

HIPPOLYTE   WALZER,    LIB  R  A  IR  E  -  É  DITEUR 

7,    RUE   DE   MÉZIÈRES,    7 

1901 


HfltYREMEItERLIBMRY,  WINMOR 


BESANÇON.    —     IUPKIMfe:RIl!:    ET    STERBOTYPIE    PAUL   JAOQUIN 


LA 


SAINTE  EUCHARISTIE 


SECONDE  PARTIE 

CULTE     ET     DÉVOTION 


LIVRE  SECOND 

DÉVOTION    ENVERS    LA   SAINTE    EUCHARISTIE    — 
OBJET    ET    PRATIQUE 


CHAPITRE  PREMIER 

«E  LESSENCE  OU  DE  LA  NATURE  DIVINE  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST, 
OBJET  DE  NOTRE  DÉVOTION  DANS  LA  TRÈS  SAINTE  EUCHARISTIE 

.  En  quoi  consistent  la  dévotion  en  général  et  la  dévotion  au  Saint-Sacrement  en 
particulier.  —  II.  Ce  qu'il  faut  entendre  par  la  nature  ou  l'essence  divine  du  Dieu 
que  nous  adorons  sous  les  espèces  eucharistiques.  —  III.  La  nature  divine  ou  l'être 
divin  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  esprit  et  vie.  —  IV.  Vérité  et  bonté  de 
l'Être  divin,  ou  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  considéré  comme  Dieu  dans  l'Eu- 
charistie. —  V.  Simplicité  absolue,  réelle,  métaphysique  et  logique  de  la  nature 
divine  de  Notre-Seigneur  présent  dans  l'Eucharistie. 


I. 

EN    QUOI    CONSISTENT    LA.   DÉVOTION    EN    GÉNÉRAL   ET    LA   DÉVOTION 
AU   SAINT-SACREMENT   EN   PARTICULIER 

Le  culte  liturgique  rendu  par  la  sainte  Église  à  Notre-Seigneur 
ésus-Clirist,  présent  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin,  est  la 
lise  en  pratique  de  la  vertu  de  religion  envers  l'auguste  mys- 

re  de  nos  autels.  Il  faut  en  dire  autant  de  la  dévotion,  fleur  et 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IT.  1 


2  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   11*  PARTIE.  —    LIVRE  II.   —    CHAP.   I. 

parfum  de  ce  culte  qui,  sans  elle,  ne  ressemblerait  que  trop  à  un 
corps  privé  de  vie. 

Le  mot  dévotion,  si  l'on  considère  son  origine  étymologique, 
procède  du  mot  latin  vovere,  devovere,  qui  signifie  se  dévouer 
entièrement,  se  consacrer  par  vœu  à  l'accomplissement  d'un  acte 
quelconque.  «  Chez  les  gentils,  dit  S.  Thomas,  on  donnait  le  nom 
«  de  devoti  à  ceux  qui  se  dévouaient  à  la  mort,  en  l'honneur  des 
«  idoles,  pour  le  salut  de  leur  armée,  comme  Tite-Live  le  rap- 
€  porte  des  deux  Decius  *.  » 

Le  mot  dévotion  a  donc  primitivement  la  même  signification 
que  dévouement,  et  le  vrai  dévot  sera  l'homme  toujours  prêt  à 
servir  Notre-Seigneur  et  à  faire  sa  sainte  volonté. 

Une  tendresse  de  cœur  qui  se  manifeste  dans  la  prière,  non 
plus  que  le  goût  et  les  consolations  sensibles  que  donnent  les 
choses  spirituelles,  ne  sont,  à  proprement  parler,  la  dévotion  véri- 
table. Il  n'est  pas  rare  que  des  personnes  très  imparfaites,  ou 
même  coupables  de  fautes  graves,  éprouvent  cette  tendresse  et 
ces  consolations,  dit  Louis  de  Grenade  2,  tandis  que  des  saints  ne 
ressentiront  rien  de  pareil.  Or  on  ne  peut  pas  dire  que  la  dévotion 
véritable  fasse  défaut  à  ceux-ci,  ni  qu'elle  se  trouve  dans  ceux-là. 
S.  Augustin  goûtait  ces  consolations  sensibles  dans  les  premiers 
temps  de  sa  conversion,  beaucoup  plus  vivement  que  lorsqu'il  eut 
atteint  plus  tard  toute  la  perfection  d'une  admirable  sainteté  3.  La 
vraie  dévotion,  comme  l'entendent  les  Pères  et  comme  S.  Thomas 
la  définit,  est  «  un  acte  spécial  de  la  volonté  qui  se  porte  avec 
«  promptitude  à  l'acccomplissement  des  choses  relatives  au  ser- 
«  vice  de  Dieu  4.  »  Les  Hébreux,  après  la  sortie  d'Egypte,  faisaient 
acte  de  dévotion,  lorsqu'ils  offraient  à  Moïse  ce  qu'ils  avaient  de 
plus  précieux,  pour  la  construction  et  l'ornementation  du  taber- 
nacle et  de  l'arche  d'alliance,  selon  ce  qu'on  lit  dans  l'Exode  : 

1.  Devoti  apud  gentiles  olim  dicebantur  qui  se  idolis  devovebant  in  mortem 
pro  sui  exercitus  salute,  ut  de  duobus  Deciis  Titus  Livius  narrât.  (S.  Thom., 
II,  II,  q.  Lxxxii,  art.  1.) 

2.  LuDOV.  Granat.,  De  oral,  et  consider.,  II  p.,  cap.  i. 

3.  Quantum  flevi  in  hymnis  et  canticis  tuis  suave  sonantis  Ecclesise  tuas 
vociLus  commotus  acriter  1  Voces  illae  influebant  auribus  mois  et  eliquebatur 
Veritas  in  cor  meum  ;  et  exaestuabat  inde  affeclus  pietatis,  et  currebant  lacrymse, 
et  bene  mihi  erat  cum  eis.  (S.  August.,  Confess.,  lib.  IX,  cap.  vi.) 

A.  Unde  devotio  nihil  aliud  esse  videtur  quam  voluntas  qujedam  prompte 
Iradendi  se  ad  ea  quœ  pertinent  ad  Dei  famulalum.  (S.  Thom.,  II,  II,  q.  lxxxii, 
art.  1,  in  corp.  art.) 


DE    l'essence    ou   DE    LA    NATURE    DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  3 

«  Ils  offrirent,  d'un  cœur  très  empressé  et  dévoué,  les  prémices 
«  au  Seigneur,  pour  faire  l'ouvrage  du  tabernacle  de  témoignage, 
«  et  tout  ce  qui  était  nécessaire  au  culte  et  aux  vêtements  saints. 
«  Les  hommes  avec  les  femmes  donnèrent  des  bracelets,  des  pen- 
«  dants  d'oreilles,  des  anneaux  et  des  ornements  de  la  main  droite. 
«  Tout  vase  d'or  fut  mis  à  part  comme  offrande  au  Seigneur  K  » 
S.  Ambroise  trouve  un  admirable  exemple  de  dévotion  dans  l'em- 
pressement avec  lequel  Abraham  se  leva,  pour  accomplir  l'ordre 
que  lui  donnait  le  Seigneur,  d'aller  immoler  son  fils  Isaac.  Et 
cette  dévotion  fut  persévérante.  Pendant  trois  jours  entiers,  le 
saint  patriarche  imposa  silence  à  toutes  les  révoltes  de  la  nature, 
pour  accomplir  jusqu'au  bout  et  dans  sa  plénitude  le  sacrifice  que 
Dieu  lui  demandait  '-.  Zachée  montra  de  même  un  empressement 
très  louable,  pour  voir  d'abord  Notre-Seigneur,  ensuite  pour  le 
recevoir  dans  sa  maison  et  lui  être  agréable,  en  donnant  aux 
pauvres  la  moitié  de  ses  biens.  C'était,  de  la  part  de  ce  publicain, 
un  acte  de  dévotion  qui  méritait  une  haute  récompense  ;  aussi 
Jésus  se  hàta-t-il  de  l'eii  gratifier  3. 

S.  Bernard,  dans  le  dixième  sermon  sur  le  Cantique  des  can- 
tiques, compare  la  dévotion  au  parfum  que  Marie-Madeleine  ré- 
pandit sur  la  tête  du  Seigneur,  puis  il  dit  :  «  Mais  voyez  quels 
«  sont  ceux  qui  peuvent,  avec  raison,  se  vanter  de  posséder  en 
«  abondance  un  parfum  si  précieux.  Les  apôtres  sortaient  avec 
«  joie  de  la  présence  des  juges,  parce  qu'ils  avaient  été  trouvés 

4.  Obtulerunt  mente  promptissima  atque  devota,  etc.  Exod.,  xxxv,  21  et  seq. 

2.  Prima  voti  gratia  est  celeritas  solutionis.  Denique  Abraham  filium  suum 
ad  holocaustum  jussus  offerre,  non  post  dies,  ut  Gain  obtulit  :  sed  exurgens 
mane  stravit  asinam  suam  et  adhibuit  secum  duos  pueros,  et  Isaac  filium  suum  ; 
et  concidens  ligna  ad  holocaustum,  surgens  abiit,  et  venit  ad  locum  qtiem  dixerat 
ex  Deus,  die  tertia.  Primo  adverte  immola turi  studium  maturum  atque  festi- 
num  ;  ut  mora  expectationis  non  essct,  nisi  donec  audiretur  oraculum  :  deinde 
utsterneret  asinam  suam,  obsequium  omne  ipse  susciperet,  et  sacrificio  neces- 
saria  praepararet,  duabus  quoque  fide  et  spe  virtutibus  comitantibus,  hostiam 
suam  duceret,  de  potestate  Dei  certus,  et  de  bonitate  securus.  Quod  autem  ait, 
die  tertia,  vel  quod  continua  esse  débet  et  perpétua  devotio.  (S.  Ambros.,  J)e 
Gain  et  Abel,  lib.  I,  cap.  viii,  n.  29.) 

3.  Habes  in  Evangelio  dicentem  Dominum  Jesum  :  Zachœe,  festinans  de- 
scende. Et  ille  quia  impetraverat  quod  volebat,  ut  Christum  videret  ;  et  amplius 
impetraverat,  ut  videretur  et  vocaretur  a  Christo,  festinans  descendit,  et 
excepit  illum  gaudens  :  et  ideo  probavit  Dominus  ejus  affectum,  et  eum  céleri 
remuneratione  donavit  dicens  :  Quia  hodie  salus  domui  huic  facta  est.  Quod 
utique  praevenientis  fuit,  non  promiltentis.  Juslus  igitur  votum  suum  celeritate 
commandât.  Jrf.,  ibid. 


4  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  H*   PARTIE.    —   LIVRE    II.  —   CHAP.   I. 

«  dignes  de  soulTrir  des  affronts  pour  le  nom  de  Jésus.  Certes,  ces 
«  hommes,  dont  la  douceur  était  à  l'épreuve  non  seulement  des 
«  paroles  mais  des  coups  de  fouet,  étaient  bien  remplis  de  cette 
€  onction  de  l'Esprit.  C'est  qu'ils  étaient  riches  en  charité,  vertu 
«  qui  ne  s'épuise  jamais,  quelque  dépense  qu'on  en  fasse;  elle 
«  leur  fournissait  abondamment  de  quoi  otïrir  au  Seigneur  des 
a  victimes  de  choix.  Leurs  cœurs  répandaient  partout  la  sainte  li- 
f  queur  dont  ils  étaient  plus  que  remplis,  lorsqu'ils  publiaient  les 
€  grandeurs  de  Dieu  en  diverses  langues,  selon  que  le  Saint-Esprit 
«  les  inspirait  *.  » 

Il  faut  donc  se  garder  de  confondre  les  consolations  sensibles 
avec  la  dévotion,  qu'on  pourrait  définir  aussi  «  un  zèle  ardent 
a  pour  accomplir  avec  perfection  tout  ce  qu'on  sait  être  agréable 
«  à  Dieu  ;  »  mais  il  est  bon  néanmoins  de  remarquer  que  les 
consolations  sensibles  sont  souvent  une  récompense  de  la  dévo- 
tion et  un  encouragement,  en  même  temps  qu'un  secours  accordé 
aux  âmes  faibles  qui,  sans  elles,  n'avanceraient  pas  et  tomberaient 
dans  la  tiédeur.  «  Il  y  a,  dit  Louis  de  Grenade  2,  entre  la  dévotion 
«  et  les  consolations  intérieures,  réciprocité  de  services,  comme 
«  entre  une  mère  et  une  fille  affectueuse  ;  ce  qui  d'ailleurs  est 
a  assez  fréquent  dans  la  vie  surnaturelle.  De  semblables  rapports 
c  unissent,  par  exemple,  la  fçi  et  la  charité.  La  foi  est  la  racine,  le 
«  principe  de  la  charité  ;  la  charité,  à  son  tour,  est  la  forme  ou,  si 
«  l'on  aime  mieux,  l'àme  de  la  foi.  Le  Psalmiste  disait  :  Seigneur, 
«  j'ai  couru  dans  la  voie  de  vos  commandements  lorsque  vous 
«  avez  dilaté  mon  cœur  :  Viam  mandatorum  tuorum  cucurri 
«  cum  dilafasti  cor  meum  3.  Or  cette  dilatation  provenait  de  la 
«  joie  spirituelle,  car  il  appartient  à  la  joie  de  dilater  le  cœur, 
«  comme  à  la  tristesse  de  le  resserrer.  Cette  joie  du  prophète  était 
t  si  vive  qu'elle  le  poussait  à  courir  dans  le  chemin  de  la  loi  di- 

\.  Sed  videte  quinam  de  ejus  copia  (unguenti  devotionis)  non  immerito  glo- 
rienlur  :  Ibant  gaudentes  Apostoli  a  conspectu  conciln,  quoniam  digni  habiti 
sunlpro  nomine  Jesu  contumeliam  pnti  {AcL,  v,  ^\).  Multum  sibi  profecto  in- 
slillaverant  de  pingucdine  spiritus,  quorum  lenitas  non  dico  verbis,  sed  nec 
verheribus  cessit.  Erant  enirn  diviles  in  charitate,  qu8e  nuUis  exhauritur 
oxpensis,  et  de  ipsa  facile  bolocausta  medullata  offerre  sufficiebant.  Fundebant 
passim  sudantia  peclora  liquorem  .snncluin,  quo  iinbuta  plenius  erant,  quando 
loquebanlur  variis  iinguis  magnalia  Dei,  prout  Spiritus  sanctus  dabat  eloqui 
illis.  (S.  Bernaro.,  Serm.  Xm  Canl.,  n.  10.) 

a.  De  oratione  et  consolatione,  II  p.,  cap.  i,  n.  \. 

3.  Ps.  c.wiii,  32. 


DE   L  ESSENCE    OU    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  O 

«  vine,  et  c'est  en  quoi  consiste  principalement  la  dévotion.  Lesser- 
«  viteurs  de  Dieu  peuvent  donc  légitimement  désirer  les  consola- 
«  tions  spirituelles,  bien  qu'elles  ne  soient  pas  la  véritable  dévo- 
«  tion  ;  ils  le  peuvent,  non  pas  à  cause  de  la  satisfaction  qu'elles 
«  procurent,  car  l'amour-propre  se  substituerait  alors  à  l'amour 
«  de  Dieu,  mais  à  cause  de  l'élan  qu'elle  leur  inspire  vers  le 
«  bien.  » 

La  dévotion  anime  toutes  les  autres  vertus  et  dispose  l'homme 
à  toutes  sortes  de  biens.  Elle  est,  avec  le  culte  liturgique,  la  mise 
en  pratique  de  la  vertu  de  religion  ;  elle  en  est  l'expression  la 
plus  pure  et  la  plus  parfaite.  Or  la  vertu  de  religion  est  la  reine 
des  vertus  morales,  parce  qu'elle  a  pour  objet  direct  et  immédiat 
l'honneur  que  Dieu  réclame  de  ses  créatures.  L'honneur  de  Dieu 
est  la  fin  plus  ou  moins  éloignée  de  toutes  les  vertus  morales,  mais 
il  est  la  fin  immédiate  et  directe  de  la  vertu  de  religion,  et  par 
conséquent  de  la  dévotion  i. 

On  peut  dire  qu'il  n'y  a  rien  ici-bas  d'aussi  précieux  pour  nous 
que  la  dévotion  véritable.  Elle  établit  entre  l'homme  et  Dieu  une 
merveilleuse  intimité,  une  union  toute  céleste,  fondée,  non  sur 
des  motifs  naturels,  mais  sur  les  perfections  et  les  vertus  surnatu- 
relles de  l'àme  ;  c'est  par  la  dévotion  que  l'âme  s'immole  elle- 
même  à  Dieu,  comme  une  victime  pure  et  immaculée  -. 

La  dévotion  qui  nous  attache  à  Dieu  nous  enseigne  à  mépriser 
les  choses  de  la  terre  pour  n'aimer  et  ne  désirer  que  les  bienS/du 
ciel  ;  elle  nous  procure  la  sécurité  au  milieu  des  dangers  de  toutes 
sortes,  en  nous  assurant  la  protection  efficace  de  Dieu  ;  elle  nous 
donne  droit  enfin  à  ce  centuple  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
promet  à  ceux  qui  ont  tout  quitté  pour  le  suivre.  «  Ce  centuple  est 
l'adoption  des  enfants  de  Dieu,  dit  l'abbé  Geoffroy,  un  des  disciples 
de  S.  Bernard  ;  c'est  la  liberté  de  l'esprit,  les  délices  de  la  cha- 
rité, la  gloire  de  la  conscience,  le  règne  de  Dieu  qui  est  en  nous, 

1.  Virtutes  morales  sunt  circa  ea  quœ  ordinantur  in  Deum  sicut  in  finem. 
Religio  autem  magis  de  propinquo  accedit  ad  Deum  quam  alia;  virtutes  mo- 
jales,  in  quantum  operatur  ea  quœ  directe  et  immédiate  ordinantur  in  hono- 
rem  divinum.  Et  ideo  religio  praeeminet  inter  alias  virtutes  morales.  (S.  Thom., 
II,  II,  q.  Lxxxi,  art.  G.) 

2  Summum  hominis  bonum  in  sola  religione  est.  Hoc  vinculo  pietalis  ob- 
stricti  Deo  et  religati  sumus  ;  unde  ipsa  religio  nomen  accepit.  Hœc  est  religio 
cœlestis,  non  quae  constat  ex  rébus  corruptis,  sed  quse  virtutibus  animi.  Qui 
oritur  e  cœlo,  hic  verus  est  cullus,  in  quo  mens  colentis  seipsam  Deo  immacu- 
latam  victimam  sistit.  (Lactant.,  De  divin.  Inst.,  lib.  III,  cap.  x.) 


b  LA   SAINTE   EDCHARISTFE.   —    II"   PARTIE.  —  LIVRE   II.  —   CHAP.   I. 

non  comme  nourriture  et  boisson,  mais  comme  justice,  paix  et 
joie  dans  le  Saint-Esprit.  Et  cette  joie  doit  se  manifester,  non  seu- 
lement dans  l'espoir  de  la  gloire  future,  mais  aussi  dans  les  tribu- 
lations de  la  vie  présente.  C'est  le  feu  sacré  que  le  Christ  voulut 
si  ardent;  la  vertu  qui  fit  désirer  à  André  le  supplice  de  la  croix, 
qui  porta  Laurent  à  se  rire  des  bourreaux,  et  Etienne  à  prier  pour 
ceux  qui  le  lapidaient.  C'est  la  paix  que  le  Sauveur  laisse  à  ses 
disciples.  C'est  le  gage  de  paix  réservé  aux  élus  du  Seigneur  pour 
le  présent  et  pour  l'avenir.  Cette  paix  surpasse  tout  sentiment,  et 
rien  de  ce  qui  charme  sous  le  soleil,  qui  se  fait  désirer  sur  la 
terre,  ne  peut  lui  être  comparé.  C'est  la  grâce  de  la  dévotion 
connue  de  celui  qui  l'éprouve,  ignorée  de  celui  qui  ne  la  goûta 
jamais,  car  ceux  qui  la  reçoivent  sont  les  seuls  qui  la  compren- 
nent 1,  » 

S.  Augustin  nous  enseigne  que  la  considération  des  bienfaits  de 
Dieu  et  celle  de  nos  propres  défauts  sont  le  moyen  d'acquérir  la 
véritable  dévotion  :  «  La  méditation,  dit-il,  produit  la  science;  de 
«  la  science  naît  la  componction,  et  de  la  componction,  la  dévotion 
«  qui  rend  l'oraison  parfaite.  La  componction  est  la  peine  inté- 
«  rieure  dont  le  cœur  est  saisi  par  la  considération  du  mal  qui 
«  est  en  lui.  La  dévotion  est  un  sentiment  de  piété  et  d'humilité 
«  en  présence  de  Dieu  ;  d'humilité  par  la  conscience  que  l'on  a  de 
«  sa  propre  misère  ;  de  piété  par  la  considération  de  la  divine 
«  clémence  2.  » 

Mais  c'est  à  S.  Thomas  qu'il  faut  demander  quelle  est  précisé- 

1.  Hoc  ergo  centuplum  adoptio  filiorum  est  libertas,  et  primitiae  spiritus 
deliciae  charitatis,  gloria  conscientiae,  regnum  Dei,  quod  intra  nos  est  ;  non 
utique  escavel  potus,  sed  justilia  et  pax,  et  gaudium  in  Spiritu  sancto  {liom., 
XIV,  17).  Gaudium sane  non  modo  in  spegloriœ,  sedetiamin  tribulationibus.  Hic 
est  ignis  quem  voluit  Ghristus  vehementer  accendi.  Hsec  virtus  ex  alto,  quse 
Andream  fecit  amplecti  crucem,  Laurentium  riderecarnificem  ;  Stephanum  in 
morte  pro  lapidantibus  flectere  genua  ad  orationem.  Hsec  illa  pax,  quam  suis 
reliquit  Chrislus,  quando  dédit  et  suam.  Siquidem.donum  et  pax  electis  Dei, 
pax  utique  praesens  et  donum  futurse.  Illa  superatomnem  sensum,  sed  et  hinc 
qnidquid  in  mundo  concupiscitur,  non  poterit  comparari.  Heec  gratia  devo- 
tionis,  et  unctio  docens  de  omnibus,  quam  expertus  novit,  inexpertus  ignorât, 
quoniam  nemo  scit  nisi  qui  accipit.  (Geoff.  Abb.  apud  Opéra  S.  Bernardi, 
Declam.  lxviii.) 

2.  Meditatioparitscientiam,scientiacompunctionem,compunctiodevotionem, 
devotio  perfecit  orationem....  Compunctio  est  quando  ex  consideratione  malo- 
tum  suorum  cor  interno  dolore  tangitur.  Devotio  est  plus  et  humilis  affectus 
■itt  Deum;  humilis  ex  conscientia  infirmitalis  propriae,  pius  ex  consideratione 
divinae  clementise.  (S.  Augdst.,  De  Spirit.  et  Anim.,  cap.  l.) 


DE   l'essence   ou    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  7 

ment  la  source  où  doit  puiser  quiconque  désire  sincèrement  obte- 
nir de  Dieu  le  don  précieux  de  la  dévotion.  Son  enseignement,  du 
reste,  n'est  pas  autre,  au  fond,  que  celui  de  S.  Augustin.  «  La 
«  dévotion,  dit-il,  est  un  effet  nécessaire  de  la  méditation,  car  c'est 
«  par  la  méditation  que  l'homme  conçoit  la  volonté  de  se  livrer  au 
«  service  de  Dieu.  Deux  considérations  l'y  décident  :  la  première 
«  est  celle  de  la  bonté  divine  et  des  bienfaits  qui  en  découlent, 
«  selon  ce  texte  de  l'Écriture  :  Il  m'esi  bon  de  me  tenir  attaché  à 
«  Dieu,  et  de  mettre  dans  le  Seigneur  Dieu  toute  mon  espé- 
«  rance  ;  et  cette  considération  fait  naître  l'amour  qui  est  la 
«  cause  prochaine  de  la  dévotion.  La  seconde  considération  est 
«  celle  que  fait  l'homme  de  ses  propres  défauts,  qui  le  mettent 
«  dans  la  nécessité  de  chercher  un  appui  en  Dieu,  selon  cet  autre 
«  texte  :  J'ai  levé  mes  yeux  vers  les  montagties,  d'où  me  vien-^ 
«  dra  le  secours.  Mon  secours  vient  du  Seigneur  qui  a  fait  le 
«  ciel  et  la  terre.  Et  cette  considération  met  à  l'abri  de  la  pré- 
«  somption,  qui  a  pour  résultat  d'empêcher  l'homme  de  se  sou- 
ot  mettre  à  Dieu,  parce  qu'il  place  sa  confiance  dans  ses  propres 
«  forces  '.  )) 

La  bonté  de  Dieu  en  lui-même  et  envers  les  hommes,  où  peut- 
on  la  considérer  avec  plus  de  fruit  qu'en  présence  de  l'adorable 
Eucharistie,  mystère  des  mystères,  et  résumé  de  toutes  les  mer- 
veilles divines?  Là,  nous  trouvons  Jésus-Christ  réellement  présent, 
non  pas  seulement  comme  il  le  fut  autrefois  dans  la  Judée,  mais 
tel  qu'il  est  aujourd'hui  dans  la  gloire  du  ciel.  Là,  nous  adorons 
ce  divin  corps  qu'il  a  pris  pour  nous,  qui  a  tant  travaillé  et  tant 
souffert  pour  nous.  Là,  se  renouvelle  pour  nous  très  véritable- 
ment, quoique  d'une  manière  mystique,  le  sacrifice  de  la  croix,  et 
les  mérites  de  l'immolation  sanglante  du  Calvaire  nous  y  sont 
appliqués.   Là,    notre  Dieu   lui-même   se  fait  notre   nourriture. 

1.  Necesse  est  quod  meditatio  sitdevotionis  causa,  in  quantum  scilicet  homo 
per  meditationem  concipit  quod  se  tradat  divino  obsequio.  Ad  quod  quidam 
inducit  duplex  consideratio  :  una  quidcm  quae  est  ex  parte  divinae  bonitatis  et 
beneficiorum  ipsius,  secundum  illud  :  Mihi  adhwrere  Deo  bonum  est,  ponere 
in  Domino  Deo  spern  meam  {Psal.  xlix,  23);  et  haec  consideratio  excitât  dilec- 
tionem,  quae  est  proxima  devotionis  causa.  Aliavero  est  ex  parte  hoininiscon- 
sideranlis  sues  defectus,  ex  quibus  indiget  ut  Deo  innitatur,  secundum  illud  : 
Levavi  oculos  meos  in  montes,  unde  veniet  auxilium  mihi  :  auxiliwn  7neum  a 
Domino  qni  fecit  cœlum  et  lerram  (Psal.  cxx,  1);  et  liœc  consideratio  excludit 
praesumptionem,  per  quam  aliquis  impeditur  ne  Deo  se  subjiciat,  dum  suae 
virtuti  innititur,  (S.  Thom.,  II,  II,  q.  Lxxii,  art.  3.) 


»  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —    CHAP.    I. 

Parce  qu'il  est  la  vie,  il  se  donne  à  nous  pour  que  la  vie  demeure 
en  nous.  Là,  nous  le  trouvons  encore  vivant  au  milieu  de  nous, 
comme  un  ami  au  milieu  de  ceux  qu'il  aime,  toujours  prêta  nous 
écouter,  toujours  prêt  à  nous  venir  en  aide,  toujours  prêt  à  nous 
pardonner  si  nous  avons  eu  le  malheur  de  l'offenser  en  quelque 
chose. 

Pourrait-on  méditer  sur  tant  de  bienfaits  sans  être  embrasé  du 
désir  d'aimer  un  Dieu  qui  aime  tant? 

Mais  le  désir  d'aimer  notre  divin  Jésus  dans  l'Eucharistie  sera 
d'autant  plus  ardent,  la  volonté  de  lui  être  fidèle  en  tout  et  tou- 
jours, d'autant  plus  ferme  et  plus  inébranlable,  que  nous  con- 
naîtrons mieux  ce  Dieu  fait  homme,  présent  pour  nous  dans  le 
sacrement  de  son  amour.  Pour  comprendre  et  accepter  le  devoir 
qui  nous  est  imposé  de  lui  rendre  un  culte  liturgique,  il  nous  a 
suffi  de  savoir  que,  présent  dans  l'Eucharistie,  il  est  Dieu,  qu'il  est 
notre  Rédempteur,  notre  Sauveur,  notre  Pasteur  et  notre  guide 
suprême  :  pour  exciter  en  nos  cœurs  une  sincère  et  profonde 
dévotion  envers  ce  même  Dieu,  notre  Sauveur,  dans  l'Eucharistie, 
nous  irons  plus  loin.  Nous  chercherons  à  mieux  connaître  ce  qu'il 
est  comme  Dieu  et  comme  homme.  Nous  considérerons  les  gran- 
deurs et  les  amabilités  infinies  de  celui  qui  s'annihile  en  quelque 
manière,  sous  les  espèces  eucharistiques,  pour  mieux  se  rap- 
procher de  nous.  Et  parce  que,  selon  S.  Thomas,  la  véritable  dé- 
votion ne  va  pas  sans  un  retour  sur  nos  propres  infirmités,  nous 
considérerons  les  vertus  dont  notre  adorable  Jésus,  dans  l'Eucha- 
ristie, est  pour  nous  le  modèle  ;  la  comparaison  de  ce  que  nous 
sommes  avec  ce  que  nous  devrions  être  pour  lui  ressembler  davan- 
tage, nous  tiendra  dans  cette  humilité  qui  exclut  toute  présomp- 
tion et  qui  rend  aisé  de  rechercher  en  tout,  avec  empressement, 
l'accomplissement  fidèle  de  la  volonté  et  des  moindres  désirs  de 
Dieu. 

Nous  nous  efforcerons  d'imiter  ces  vertus,  dont  il  nous  a 
donné  l'exemple  pendant  sa  vie  mortelle,  et  qu'il  offre  encore  à 
notre  admiration  dans  le  très  saint  et  très  adorable  sacrement  de 
l'Eucharistie,  et  ce  sera  l'acte  de  dévotion  le  plus  agréable  à  son 
eœur. 

Enfin  il  est  des  actes  extérieurs  de  culte  envers  la  Sainte 
Eucharistie  que  tout  chrétien  est  obligé  de  remplir;  il  en  est 
aussi  qui  n'obligent  pas  de  la  même  manière,  mais  auxquels  un 


DE   l'essence   ou   DE   LA   NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  9 

cœur  qui  aime  Dieu  est  nécessairement  porté.  Ces  divers  actes,  il 
ne  suffit  pas  de  les  accomplir  :  il  faut  le  faire  avec  une  véritable 
dévotion.  Il  faut,  lorsqu'on  est  prêtre,  saintement  célébrer  la  messe  ; 
simple  fidèle,  on  doit  y  assister  de  même  ;  il  faut  s'acquitter  avec 
piété  de  tout  ce  qui  regarde  la  sainte  communion,  préparation 
éloignée  et  prochaine,  réception  du  sacrement  et  action  de  grâces  ; 
il  faut  visiter  d'une  manière  utile  Jésus  dans  son  saint  taber- 
nacle ;  il  faut  enfin  prendre  part,  autant  qu'on  le  peut,  aux  mani- 
festations publiques  de  la  dévotion  envers  la  Sainte  Eucharistie. 
Rien  de  facile,  de  doux  et  de  fortifiant,  pour  un  chrétien  qui 
comprend  ce  que  Jésus-Christ  est  pour  lui  dans  le  sacrement  de 
l'autel,  comme  l'accomplissement  de  ces  devoirs.  Mais  pour  le 
comprendre,  pour  connaître  Jésus-Christ  en  lui-même  et  savoir  ce 
qu'il  est  pour  nous,  pour  admirer  et  imiter  les  vertus  dont  il  est 
le  modèle,  pour  apprendre  à  vivre  dans  l'intimité,  toujours  res- 
pectueuse mais  accompagnée  du  plus  ardent  amour,  de  celui  qui 
s'est  fait  notre  victime,  notre  nourriture,  notre  compagnon  dans 
cette  vie,  et  notre  récompense  dans  l'autre,  il  est  nécessaire  d'é- 
tudier et  de  méditer  ses  mystères.  Alors  connaissant  mieux  com- 
bien Jésus  est  grand,  combien  il  est  aimable  et  imitable  dans 
la  Sainte  Eucharistie,  nous  pourrons  le  servir  avec  une  dévotion 
d'autant  plus  ardente  et  sincère,  qu'elle  reposera  sur  des  bases 
plus  solides,  et  sera  éclairée  d'une  plus  vive  lumière. 

II. 
CE  qu'il  faut  entendre  par  la  nature  ou  l'essence  divine  du  dieu 

QUE    nous    adorons    SOUS    LES    ESPÈCES    KUCIIARISTIQUES 

Nous  savons  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  que  nous  adorons 
dans  le  très  saint  sacrement  de  l'Eucharistie,  est  Dieu.  Nous 
n'avons  à  démontrer  ici  ni  sa  divinité  ni  la  réalité  de  sa  pré- 
sence. iMais,  prosternés  au  pied  de  l'autel  où  il  renouvelle  chaque 
jour  le  sacrifice  offert  à  Dieu  son  Père,  une  première  fois  pour 
notre  rédemption,  à  genoux  à  la  table  sainte  où  il  nous  donne  sa 
propre  chair  pour  notre  nourriture,  à  genoux  encore  devant  le 
saint  tabernacle  où  son  amour  pour  nous  le  retient  prisonnier, 
nous  avons  besoin  de  chercher  à  mieux  connaître  celui  qui  nous 
a  tant  aimés.  Ainsi,  à  notre  tour,  nous  l'aimerons  davantage, 
nous  serons  plus  empressés,  plus  dévoués  à  son  service. 


10  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE   If.  —  CHAP.    I.       " 

Qui  pourrait  connaître  dans  toute  sa  plénitude  l'être  infini  de 
Dieu?  Les  lumières  naturelles  ne  nous  disent  pas  ce  qu'il  est. 
Comment  le  feraient-elles?  Même  aidée  de  la  toi,  la  sublime  intel- 
ligence d'Augustin  s'avouait  impuissante  en  présence  de  tant  de 
grandeur.  «  Que  votre  charité  considère,  disait  cet  illustre  doc- 
teur, que  Dieu  est  ineffable.  Il  nous  est  plus  facile  de  dire  ce  qu'il 
n'est  pas  que  de  dire  ce  qu'il  est.  Vous  pensez  à  la  terre?  Dieu 
n'est  pas  cela.  Vous  pensez  à  la  mer?  Dieu  n'est  pas  cela.  Vous 
considérez  les  hommes,  les  animaux,  toutes  les  choses  qui  existent 
sur  la  terre?  Dieu  n'est  pas  cela.  Les  choses  qui  sont  dans  la  mer 
et  dans  l'air?  Dieu  n'est  pas  cela.  Tout  ce  qui  brille  au  ciel,  les 
étoiles,  la  lune,  le  soleil?  Dieu  n'est  pas  cela.  Le  ciel  même?  Le 
ciel  n'est  pas  Dieu.  Les  Anges,  les  Vertus,  les  Puissances,  les 
Archanges,  les  Trônes,  les  Dominations  ?  Ce  n'est  pas  encore  Dieu. 
Qu'est-ce  donc  que  Dieu  ?  Je  n'ai  pu  vous  dire  que  ce  qu'il  n'est 
pas.  Vous  me  demandez  ce  qu'il  est  ?  Il  est  ce  que  Vœil  rCa  pas 
vu,  ce  que  Voreille  n'a  pas  entendu,  ce  qui  n'est  pas  entré  dans 
le  cœur  de  V homme.  Pourquoi  demander  que  la  langue  exprime 
ce  que  le  cœur  ne  saurait  atteindre  ^  ?  » 

Mais  s'il  nous  est  impossible  de  connaître  et  de  définir  Dieu 
tel  qu'il  est,  dans  la  plénitude  de  son  être  et  de  ses  perfections, 
nous  pouvons  néanmoins  nous  former  une  idée  de  lui  qui,  bien  que 
nécessairement  incomplète  et  au-dessous  de  son  objet,  est  cepen- 
dant la  vérité  telle  qu'il  nous  est  donné  de  l'atteindre  ici-bas.  Les 
théologiens,  dans  leurs  recherches  et  leurs  enseignements  sur 
l'essence  et  les  attributs  de  Dieu,  ne  prétendent  pas  pénétrer  et 
montrer  ce  divin  objet  tel  qu'il  est  en  lui-même,  mais  tel  qu'il  se 
présente  et  qu'il  est  accessible  à  nos  intelligences. 

Une  question  si  ardue  a  fait  naître  les  opinions  les  plus  diverses 
parmi  les  théologiens.  Les  uns  font  consister  l'essence  de  Dieu 
dans  V ensemble  de  toutes  ses  perfections. 

1.  Intendat  Charitas  vestra,  Deus  ineffabilis  est.  P'acilius  dicimus  quid  non 
sit,  quam  quid  sit.  Terram  cogitas,  non  est  hoc  Deus;  mare  cogitas,  non  est 
hoc  Deus;  omnia  quœ  sunt  in  terra,  homines  et  animalia,  non  est  hoc  Deus; 
omnia  quœ  sunt  in  mari,  quae  volant  per  aerem,  non  est  hoc  Deus  ;  quidquid 
lucet  in  cœlo,  stellse,  sol  et  luna,  non  est  hoc  Deus;  ip.sum  cœlum,  non  est  hoc 
Deus  ;  Angelos  cogita,  Virtutes,  Potestates,  Archangelos,  Thronos,  Sedes,  Domi- 
nationes,  non  est  hoc  Deus.  Et  quid  est?  Hoc  solum  potui  dicere  quid  non  sit. 
Quaeris  quid  sit?  Quod  oculus  non  vidil,  nec  ouris  audivit,  nec  in  cor  hominis 
ascendit  (/.  Cor.,  ii,  9).  Quid  quaeris  ut  ascendat  in  linguam,  quod  in  cor  non 
ascendit?  (S.  August.,  Enarrat.  in  Psalm.  Lxxxv,  n.  12.) 


DE   l'essence    ou    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JBSUS-CHRIST,  11 

D'autres  la  voient  dans  Vinftniié  qu'ils  appellent  radicale,  ou 
dans  la  nécessité  qu'il  y  a  pour  Dieu  de  les  posséder  toutes. 

D'autres,  s'appuyant  sur  l'autorité  de  S.  Thomas,  croient  devoir 
la  placer  dans  V intelligence  en  acte. 

D'autres  enfin,  s'appuyant  aussi  sur  l'autorité  du  Docteur  An- 
gélique, enseignent  que  l'essence  de  Dieu  réside  dans  son  aséité, 
c'est-à-dire  dans  ce  fait  qu'il  existe  par  sa  propre  vertu,  et  néces- 
sairement. C'est  l'opinion  qui  a  généralement  prévalu.  Suarez 
trouve  qu'elle  manque  quelque  peu  de  précision  et  de  clarté  ; 
néanmoins  il  s'y  rallie  en  la  complétant.  Résumons  en  quel- 
ques mots  ce  que  dit  sur  l'essence  de  Dieu  cet  illustre  théolo- 
gien. 

L'essence  de  Dieu,  d'après  l'enseignement  à  peu  près  général 
des  Pères  et  des  anciens  écrivains  ecclésiastiques,  consisterait 
dans  son  existence  même,  avec  cette  marque  caractéristique  qu'il 
ne  tient  pas  cette  existence  d'un  autre,  mais  quil  est  par  lui- 
même.  Ainsi  l'entendent  S.  Denis,  S.  Jérôme,  S.  Augustin, 
S.  Bernard,  S.  Thomas,  pour  ne  citer  que  les  principaux. 

L'être  de  Dieu,  qui  constitue  son  essence,  ne  doit  pas  être  con- 
sidéré en  lui  comme  dans  les  créatures.  Ce  n'est  pas  en  Dieu 
quelque  chose  d'abstrait  et  de  distinct,  comme  est  Vétre  dans 
toutes  les  autres  choses  existantes.  L'être  de  Dieu,  qui  constitue 
son  essence,  est  tout  en  lui  ;  c'est  lui-même  formellement  et  tout 
entier,  actuellement  existant  dans  la  plénitude  de  sa  perfec- 
tion. 

C'est  dans  l'être  ainsi  conçu  qu'il  convient  de  voir  l'essence  de 
la  divinité. 

Faire  de  l'essence  de  Dieu  une  sorte  de  négation,  en  disant 
simplement  qu'elle  consiste  en  ce  qu'il  ne  tient  son  être  d'aucun 
autre  principe,  est  une  conception  qui  ne  satisfait  pas  pleinement 
l'esprit,  parce  que  l'esprit  veut  quelque  chose  de  positif  pour  s'y 
fixer. 

La  voir  dans  ses  rapports  de  cause  à  effet,  avec  les  autres  êtres 
dont  il  est  le  créateur,  ne  suffit  pas  non  plus  ;  et  c'est  une  idée 
qui  réclame  un  complément. 

Établir  une  comparaison,  reconnaître  une  analogie  quelconque 
entre  les  êtres  que  nous  connaissons  et  Dieu,  en  assignant  à  l'être 
divin  toutes  les  perfections  que  les  autres  possèdent,  mais  en 
vertu  de  son  essence  et  à  un  degré  incomparablement  plus  parfait, 


12  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —    11^   PARTIE,   —    LIVRE   II.  —   CHAP.    I. 

est  bien  en  soi,  mais  ne  précise  pas  assez  ce  qu'il  faut  entendre 
par  l'essence  divine. 

Laissant  donc  de  côté  ces  trois  conceptions,  tout  en  reconnais- 
sant la  portion  de  vérité  qu'elles  renferment,  nous  dirons  que 
Vesse7ice  divine  est  une  nature  substantielle  complète,  ou,  si 
l'on  aime  mieux,  que  Dieu  est  essentiellement  une  substance  com- 
plète. Elle  n'est  pas  substance  en  ce  sens  qu'elle  serve  de  base  ou 
de  soutien  à  des  accidents  ou  à  l'être  divin,  mais  elle  est  par  elle- 
même  et  n'a  aucun  besoin  de  reposer  sur  une  substance  qui  ne 
soit  pas  elle.  Elle  est,  selon  l'expression  de  S.  Denis,  la  supra- 
substance.  Substance  spirituelle  et  vivante,  substance  qui,  parce 
qu'elle  est  tout  l'être  de  Dieu,  se  confond  avec  la  vérité  et  le  bien 
absolu.  Nous  examinerons  avec  quelques  détails  ces  caractères  de 
l'essence  divine. 

Cette  doctrine  de  Suarez  satisfait  l'esprit  ;  cependant  les  théolo- 
giens qui  sont  venus  après  ne  l'ont  pas  admise  telle  qu'elle  se  pré- 
sente, et  c'est  dans  la  perfection  divine  qui  paraît  être  logique- 
ment la  première  et  la  source  de  toutes  les  autres,  qu'ils  ont 
voulu  voir  l'essence  de  Dieu  '. 

1.  Voici  ce  que  Billuart  dit  sur  cette  question  : 

In  hujus  quaestionis  non  minus  difficilis  quam  celebris  resolutione,  in  varias 
scinduntur  sententias  theologi.  Magisvulgatas  ad  capita  sequentia  reducimus. 

Prima.  Quidam distinguunt  inter  essentiam  et  naturam,  in  eoquod  essentia 
sit  principium  essendi,  et  natura  principium  operandi,  voluntque  essentiam 
constitui  per  aseitatem,  et  naturam  per  intellectionem.  Negant  alii  essentiam 
et  naturam  in  Deo  distingui  virtualiter,  seu  ratione  ratiocinata,  etc....  Verum, 
nos  hic  sumimus  pro  eodem  essentiam  et  naturam....  Concilia,  Patres,  theologi 
et  philosophi  passim  usurpant  essentiam  et  naturam  pro  eodem. 

Seciinda  sententia  constituit  naturam  divinam  in  collectione  omnium  perfec^ 
tionum  :  unde  juxta  illam  poterit  definiri  Deus,  Etis  summe  perfeclum.  Verum 
non  attigit  punctum  difficultatis.  Vera  quidem  est  de  constitutione  physica 
divinœ  natura;,  at  de  ea  non  agitur,  ut  praenotatum  est:  agitur  de  constitutione 
metaphysica,  in  qua  non  attenditur  id  omne  quod  resa  parte  rei  continet,  sed 
aliquid  primum  quod  sit  fons  et  origo  caeterarum.  Hoc  autem  primum  non  est 
collectio  omnium. 

Teriia  sententia  reponit  naturam  divinam  in  infinilate  et,  juxta  illam,  Deus 
definitur,  Eits  omnimode  infinilum.  Ita  Scotus  cum  suis.  Haec  sententia  affinis 
est  praecedenfi,  etenim  ens  omnimode  infinilum  perinde  est  ac  ens  summe 
perfectum;  unde  eadem  ratione  impugnatur.  Insuper  infinitas  non  est  nisi 
modus  naturae,  nempe  modus  habendi  perfectiones  sine  fine,  sicut  finitas  in 
creaturis  est  modus  natura?  :  atqui  modus  natura;  non  est  natura,  nec  eam 
constituit  sed  constilutam  supponit.  Adde  quod  infinitas  sit  praedicatum  trans- 
cendens  omnia  attributa,  nec  ab  eis  virtualiter  distinctum,  ut  modo  dicam  de 
aseitate. 

His  igitur  sententiis  omissis,  vertitur  difficultas  circa  duas  celebriores  sen- 


DE   l'essence    ou    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    jiSDS-CURIST.  13 

Les  conditions  que  doit  réunir  la  perfection  qui  recevra  le  nom 
d'essence  divine  sont  au  nombre  de  quatre  :  Il  faut  que  celte  qua- 
lité soit  intrinsèque  à  l'être  dont  elle  sera  l'essence.  Il  faut  en  se- 
cond lieu  qu'elle  le  distingue,  et  ne  permette  pas  qu'on  puisse  le 
confondre  avec  quelque  autre. 

Il  faut  troisièmement  qu'on  la  conçoive  comme  existant  anté- 
rieurement à  toute  autre  en  lui. 

Il  faut  enfin  qu'on  puisse  la  regarder  comme  la  cause  des  autres 
perfections  de  cet  être  et  leur  source  commune. 

On  peut  montrer  aisément  que  la  perfection  de  Dieu  qui 
consiste  en  ce  qu'il  est  de  lui-même  ou  par  lui-même,  ce  qu'on 
nomme  son  aséité  remplit  mieux  que  toute  autre  ces  quatre 
conditions. 

Elle  est  tellement  liée  à  l'être  de  Dieu  et  se  confond  si  parfaite- 
ment avec  lui,  même  dans  notre  pensée,  que  c'est  la  première 
idée  que  nous  nous  formons  de  lui,  lorsque  nous  recherchons  ce 
qu'il  est. 

Elle  distingue  Dieu  parfaitement  et  le  sépare  de  tous  les  autres 
êtres.  En  effet,  ils  ne  sont  pas  par  eux-mêmes  mais  ils  ont  été 
créés  par  Dieu. 

Tous  les  autres  attributs  de  Dieu,  sa  simplicité,  son  infinité,  son 

tentias  quarum  prima  reponit  essentiam  divinam  in  aseitale,  seu  in  existentia 
a  se  et  per  se  :  et  hœc  sententia  arridet  multis  prfesertim  extra  Scholam 
D.  Thomae.  Ex  Thomistis  autem  pro  ea  citantur  Capreolus,  Bannes,  Lesdema, 
quibus  novissime  suscribit  Contensonus.  Altéra  quae  est  communior  inter 
Thomistas  censet  essentiam  divinam  constilui  per  gradum  intellectivum,  cujus 
patroni  iterum  inter  se  dividuntur,  aliis  opinantibus  pro  intelligere  radicali, 
quibusdam  pro  remoto,  quibusdam  pro  proximo,  nimirum  pro  potentia  intel- 
lectiva.  Aliis  opinantibus  pro  intelligere  actuali,  non  sub  ratione  operationis, 
sed  sub  ratione  ultimae  actualitatis  per  se  subsistentis.  Potest  enim  actuale  intel- 
ligere dupliciter  accipi  :  1°  prout  est  formaliter  egrediens  a  principio  et  sub 
conceptu  ab;  2»  prout  est  ultima  hujus  principii  actualitas.  Haec  distinctio, 
quamvis  eam  obscuram  et  implicatam  dicat  D.  Tournely,  nobis  tamen  videtur 
perspicua  et  evidens.  Quis  enim  neget  operationem  esse  ultimum  actum 
potentiae  operativae?  Habet  fundamentum  in  D.  T.  infra,  q.  xviii,  art.  2  ad  1, 
ubi  dicit:  Sentire  et  intelligere,  et  bujusmodi  quandoque  accipiuntur  pro  qui- 
busdam operationibus,  quandoque  pro  ipso  esse  sic  operantium.  (Billuart, 
p.  I,  dissert.  II,  art.  1.) 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  opinions  diverses,  en  attendant  que  les  thomistes 
partisans  des  dernières  se  soient  mis  d'accord  entre  eux,  nous  croyons  qu'il 
est  sage  de  regarder  l'aséité  de  Dieu  comme  celle  de  ses  perfections  qui  le 
distingue  tout  d'abord  des  autres  êtres,  qui  est  la  source  de  toutes  les  autres 
et  qui  répond  le  mieux  aux  conditions  que  l'on  est  eu  droit  de  réclamer  de  ce 
qu'on  nomme  l'essence. 


14  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.    —  LIVRE   II.   —  CHAP.    I. 

éternité,  etc.,  découlent  évidemment  de  ce  qu'il  existe  par  lui- 
même,  et  ne  doit  rien  à  une  cause  qui  lui  soit  étrangère  et  qui  le 
bornerait. 

Il  en  résulte  de  même  que  Dieu  possède  toutes  les  perfections,  et 
que  chacune  de  ses  perfections  est  sans  bornes  ;  car  il  est  dans  la 
nature  de  l'être  de  tendre  à  toute  la  perfection  qu'il  lui  est  pos- 
sible d'atteindre.  Pour  l'être  qui  existe  par  lui-même,  l'infini  seul 
satisfait  à  cette  tendance,  et  rien  ne  l'arrêtera  qu'il  n'y  soit  par- 
venu, c'est-à-dire  qu'il  possède  toutes  les  perfections,  et  que  cha- 
cune d'elles  soit  telle  que  l'on  ne  puisse  pas  même  concevoir 
qu'une  plus  grande  soit  possible. 

Cette  opinion  s'accorde  d'ailleurs  parfaitement  avec  les  textes  de 
la  Sainte  Écriture,  qui  semblent  les  plus  propres  à  nous  révéler 
quelque  chose  de  la  nature  intime  de  Dieu. 

Lorsque  Moïse  demande  à  Dieu  quel  nom  il  doit  lui  donner,  en 
communiquant  ses  ordres  aux  enfants  d'Israël,  Dieu  lui  répond  : 
c  Je  suis  celui  qui  suis  ;  tu  parleras  ainsi  aux  fils  d'Israël  :  Celui 
«  qui  est  m'a  envoyé  vers  vous  :  »  Ego  sum  qui  sum.  Sic  dices 
filiis  Israël  :  qui  est  misit  me  ad  vos  K  Voilà  donc  la  définition 
que  Dieu  donne  de  lui-même  :  Il  est.  C'est  Vêtre  dans  toute  la  plé- 
nitude de  sens  que  l'on  peut  attacher  à  ce  mot,  et  ce  mot  renferme 
nécessairement  tout  ;  il  n'exclut  que  ce  qui  n'est  pas,  le  néant 
auquel  se  rattachent  le  mal  et  l'imperfection.  Dieu  veut  se  faire 
connaître  à  Moïse,  au  peuple  et  à  Pharaon  ;  ce  qu'il  dira  de  lui- 
même  marquera  donc  sa  nature  et  la  dévoilera  aux  hommes,  au- 
tant qu'elle  est  accessible  aux  intelligences  humaines  sur  la  terre  : 
or  il  ne  dit  que  ces  mots  :  Ego  sum  qui  sum.  Il  affirme  qu'il 
est  ;  trois  fois  l'expression  par  laquelle  il  l'affirme  revient,  dans  la 
courte  réponse  qu'il  fait  à  Moïse.  Cette  expression  est  donc  ce  qui 
révèle  le  plus  parfaitement  pour  nous  sa  divine  nature,  son  es- 
sence. Dieu  est.  Ne  cherchez  pas  d'où  il  vient  ;  il  ne  vient  pas  :  Il 
est.  Rien  n'a  concouru  à  lui  donner  l'être,  il  le  possède  par  lui- 
même.  Rien  ne  l'a  fait  entrer  en  possession  de  sa  perfection  in- 
finie, il  ne  la  doit  qu'à  lui-même.  «  Si  vous  demandez  ce  qu'il 
«  est,  dit  Bossuet,  il  est  impossible  qu'on  vous  réponde.  Il  est, 
«  personne  n'en  peut  douter,  et  c'est  aussi  tout  ce  qu'on  peut  en 
a  dire  :  Je  suis  celui  qui  est;  c'est  celui  qui  est  qui  te  parle, 

1.  Exod.,  m,  14.  .  .) 


DE    l'essence    ou    DE   LA    NATURE   DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  l5 

«  disait-il  autrefois  à  Moïse.  Je  suis;  n'en  demande  pas  davan- 
«  tage  K  » 

Les  Pères  ne  comprenaient  pas  autrement  cette  parole  de  Dieu 
à  Moïse  :  Je  suis  celui  qui  suis.  S.  Denis  l'Aréopagite  décrit  en 
ces  termes  l'essence  divine,  dans  son  traité  des  Noms  de  Dieu  : 
«  Être  par  soi-même  est  antérieur  à  vivre  par  soi-même  2.  » 
L'être  de  Dieu  se  présente  donc  logiquement  à  l'esprit  avant  sa  vie 
même;  c'est  par  conséquent  ce  que  l'on  conçoit  tout  d'abord,  et 
principalement,  en  lui. 

S.  Athanase  dit  à  son  tour  :  «  L'essence  de  celui  qui  est  est 
«  simple,  bienheureuse,  incompréhensible  ;  nous  ne  la  concevons 
«  pas  autrement  3.  » 

S.  Hilaire  de  Poitiers  disait  :  «  J'admire  profondément  cette 
«  affirmation  tellement  absolue,  qui  met  si  bien  la  connaissance 
«  incompréhensible  de  la  nature  divine  à  la  portée  de  l'intelli- 
«  gence  humaine.  Car  on  ne  conçoit  rien  de  plus  propre  à  Dieu 
a  que  d'é/re.  Ce  qui  doit  finir  et  ce  qui  a  commencé  n'est  pas 
«  selon  toute  la  rigueur  de  cette  expression  ^.  » 

S.  Ambroise  fait  la  réflexion  suivante  sur  la  réponse  du  Sei- 
gneur à  Moïse  :  »  Dieu,  qui  connaissait  la  pensée  de  son  serviteur, 
«  ne  lui  répond  point  par  un  nom  mais  par  une  chose.  Il  ne  révèle 
«  pas  le  nom  qu'on  doit  lui  donner,  mais  ce  qu'il  est,  par  ces  mots  : 
«  Je  suis  celui  qui  suis  ;  car  rien  n'est  autant  le  propre  de  Dieu 
«  que  d'être  toujours  ^.  »  Ailleurs  le  saint  docteur  dit  en  parlant 
de  Jésus-Christ  considéré  dans  sa  divinité  :  «  Le  Christ  est  aussi, 
«  et  il  est  toujours  ;  car  celui-là  est  véritablement  qui  toujours 
«  existe.  Certainement  Gabriel  était,  Raphaël  était,  les  Anges 
«  étaient,  mais  ils  n'avaient  pas  toujours  été,  et  l'affirmation  de 

\.  BossuET,  Sermons,  deuxième  discours  de  prise  d'habit. 

2.  Ipsum  per  se  esse,  antiquius  est  ipsa  per  se  vita.  S.  Dionys.  in  libro  de 
Divinis  I\'ominibus. 

3.  Non  aliud  quidquam,  sed  ipsam  simplicem,  beatam  et  incomprehensibi- 
lem  ejus  qui  est,  essentiam  intelligimus.  (S.  Athan.,  Epist.  inSynod.) 

4.  Admiratus  sum  plane  tam  absolutam  de  Deo  significationem,quae  natur» 
divinae  incomprehensibilem  cognitionem  aptissimo  ad  intelligentiara  humanam 
sermonc  loqueretur.  Non  enim  aliud  proprium  magis  Deo  quam  esse  intel- 
ligitur  quia  idipsum  quod  est,  nec  desinentis  aliquando,  nec  cœpti.  (S.  Hilar., 
de  Trinildle,  lib.  I,  n.  li.) 

5.  Cognoscens  mentem  ejus  Deus,  non  respondet  noraen  sed  negotium,  hoc 
est  rem  expresse,  non  appellalionem,  dicens  :  Ego  sum  qui  sum,  quia  nihil 
tam  proprium  Dei  quam  semper  esse,  (S.  Amdros.,  in  Psalm.  iv.) 


IG  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —    II"  PARTIE.  —   LIVRE  H.  —  CHAP.    I. 

«  leur  être  n'a  pas  le  même  sens.  Dans  le  Christ  au  contraire, 
«  d'après  ce  que  nous  lisons,  on  ne  peut  pas  affirmer  l'être  et  le 
«  non-être,  mais  uniquement  l'être  :  il  fut  et  il  est.  C'est  donc  de 
«  Dieu  seul  que  l'on  peut  affirmer  qu'il  est,  parce  qu'il  est  tou- 
«  jours  *.  » 

Citons  encore  S.  Jérôme  ;  «  Les  autres  êtres  n'existaient-ils 
«  donc  pas?  Certainement  les  anges,  le  ciel,  la  terre  et  Moïse  lui- 
«  même  à  qui  Dieu  parlait  existaient,  aussi  bien  qu'Israël  et  les 
«  Égyptiens.  Mais  Dieu  revendique  pour  lui  seul  le  nom  commun 
€  à  tous  les  êtres,  parce  que  tout  ce  qui  est  en  dehors  de  lui  existe, 
€  a  reçu  l'être,  par  un  effet  de  sa  bonté.  Dieu,  au  contraire,  esttou- 
«  jours  ;  il  ne  dépend  pas  d'un  principe  qui  lui  soit  étranger  ;  il 
€  est  lui-même  la  source  de  son  être,  la  cause  de  sa  substance,  et 
«  l'on  ne  peut  pas  concevoir  qu'il  tienne  d'ailleurs  son  existence  2.  » 

Les  paroles  suivantes  de  S.  Augustin  sont  plus  expressives  en- 
core :  «  Le  Seigneur  n'a  pas  ainsi  parlé  :  Tu  diras  aux  fils  d'Israël  : 
«  celui  qui  est  tout-puissant,  juste,  miséricordieux,  m'a  envoyé 
«  vers  vous;  mais  laissant  de  côté  tous  ses  autres  noms,  il  a  voulu 
«  qu'on  l'appelât  l'être  lui-même,  comme  si  c'était  là  son  nom 
«  propre,  celui  qui  fait  connaître  son  essence  3.  » 

Ces  quelques  textes  sont  plus  que  suffisants  pour  montrer  que 
les  Pères  sont  favorables  à  l'opinion  qui  regarde  comme  l'essence 
métaphysique  de  Dieu  celle  de  ses  perfections  en  vertu  de  laquelle 
il  est  par  lui-même.  Nous  pourrions  apporter  plusieurs  passages 
de  S.  Thomas  qui  la  favorisent  également;  mais  comme  les  par- 
tisans des  différentes  opinions  ont  cherché  à  s'appuyer  sur  l'auto- 
rité d'un  si  grand  docteur,  sans  y  insister  davantage  nous  conclu- 

i.  Est  et  Christus  et  est  semper.  Qui  enim  semper  est,  est.  Erat  utique 
Gabriel,  erat  Raphaël,  erant  Angeli,  sed  semper  esse,  quia  aliquando  non  fue- 
runt,  nequaquam  pari  ratione  dicuntur.  In  Christo  autem,  sicut  legimus,  non 
fuit  est,  et  non,  sed  in  illo  fuit  est  et  est.  Unde  vere  Dei  solius  est  esse,  qui 
semper  est.  (S.  Ambuos.,  lib.  V  de  Fide,  cap.  11.) 

2.  Numquid  caetera  non  eranl?  Utique  Angeli,  cœlum,  et  terra,  et  ipse 
Moyses,  cui  Dominus  loquebatur,  et  Israël,  et  ^Egyptii  erant.  Nomen  autem 
commune  substantiae  sibi  vendicat  Deus.  Quia  caetera  ut  sint,  Dei  sumpsere 
bénéficie  :  Deus  vero  qui  semper  est  nec  habet  aliunde  principium,  et  ipse  sui 
origo  est,  suaeque  causa  substantiae,  et  non  potest  intelligi  aliunde  habere  suse 
causam  substantiae.  (S.  Hieron.,  super  Ejnst.  ad  Ephes.,  caj).  m.) 

3.  Non  dixit  Dominus  sic  :  Dices  filiis  Israël,  qui  est  omnipotens,  justus, 
misericors,  misit  me  ad  vos;  sed,  sublatis  aliis  nominibus,  ipsum  esse  vocari 
voluit,  tanquam  hoc  sitproprium  nomen  ejus  essentiam  significans.  (S.  August., 
in  Psal.  cx.xxiv.) 


DE    l'essence   ou    DE    LA    NATURE   DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  17 

rons  par  ces  paroles  de  S.  Bernard  :  «  Quel  est  donc  ce  bien-aimé 
«  que  cherche  l'Épouse  des  Cantiques?  Je  ne  saurais  mieux  vous 

#  répondre  qu'en  disant  :  C'est  celui  qui  est.  C'est  ainsi  qu'il 
«  voulut  qu'on  le  nommât;  c'est  la  réponse  qu'il  suggéra  à  Moïse 
€  pour  son  peuple  en  lui  ordonnant  de  dire  :  Celui  qui  est  m'a 
«  envoyé  vers  vous.  Il  n'en  est  pas  de  plus  juste  ni  qui  convienne 

♦  mieux  à  l'éternité,  qui  n'est  autre  que  Dieu  lui-même.  Si  vous 
«  dites  qu'il  est  bon,  qu'il  est  grand,  qu'il  est  heureux,  qu'il  est 
«  sage,  et  le  reste,  tout  est  compris  dans  ce  mot  :  //  est;  car, 
«  pour  lui,  être,  c'est  être  tout  cela  en  même  temps  ;  quand  vous 
«  accumuleriez  cent  expressions  pareilles,  vous  ne  diriez  rien  de 
«  plus  que  si  vous  disiez  :  //  est.  Ajoutez-les  donc  si  vous  voulez, 
«  vous  n'ajoutez  rien  à  ce  mot  ;  laissez-les  de  côté,  et  vous  ne  lui 
«  ôtez  rien.  Si  vous  comprenez  bien  ce  qu'il  y  a  d'unique  et  de 
«  suprême  dans  son  être,  je  suis  sûr  qu'en  comparaison,  tout 
«  ce  qui  n'est  pas  lui  vous  paraîtra  plutôt  un  pur  néant  qu'un 
<f  être. 

«  Mais  qu'est-ce  encore  que  Dieu  ?  C'est  l'être  sans  lequel  nul 
«  autre  être  n'existe.  Il  est  même  aussi  impossible  à  quoi  que  ce 
<  soit  d'exister  sans  lui  qu'à  lui-même  d'être  sans  lui.  Il  est  pour 
«  lui,  il  est  pour  tout  ce  qui  est  ;  de  sorte  qu'on  peut  dire  en  un 
t  sens  qu'il  n'y  a  que  lui  qui  soit,  puisqu'il  est  son  propre  prin- 
«  cipe  à  lui-même,  comme  il  est  celui  de  tous  les  autres  êtres. 
«  Qu'est-ce  que  Dieu  ?  Le  pi^incipe  ;  c'est  même  le  nom  qu'il  se 
«  donne.  Il  y  a  bien  des  choses  qui  sont  appelées  principes  ;  mais 
«  elles  ne  méritent  ce  nom  que  par  rapport  à  celles  qui  les  sui- 
«  vent  ;  de  sorte  que  si  vous  considérez  la  chose  qui  les  précède, 
«  c'est  à  celle-ci  que  vous  réserverez  le  nom  de  principe.  D'où  il 
«  suit  que  si  vous  voulez  avoir  un  principe  pur  et  simple,  il  faut 
«  que  vous  en  veniez  à  ce  qui  n'a  point  eu  de  principe  ;  il  est  évi- 
«  dent  que  l'être  par  qui  tout  a  commencé  n'a  point  eu  lui-même 
«  de  commencement;  car  s'il  en  a  eu  un,  il  lui  vient  nécessaire- 
if  ment  d'ailleurs  ;  et  il  n'est  rien  qui  soit  son  propre  principe  à 
«  soi-même,  à  moins  qu'on  ne  s'imagine  que  ce  qui  n'était  pas 
«  a  pu  se  donner  le  commencement  de  l'être,  ou  bien  qu'une 
«  chose  a  été  avant  d'être  ;  or  ces  deux  propositions  répugnent 
«  également  à  la  raison.  11  s'ensuit,  par  conséquent,  que  rien  n'a 
«  pu  se  servir  de  principe  à  soi-même.  Mais  ce  qui  a  eu  une  autre 
«  chose  que  soi  pour  principe  n'a  pas  été  à  sui-mênie  sou  premier 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  2 


18  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —    II*  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.    I. 

«  principe.  Le  vrai  principe  n'a  donc  point  eu  de  principe;  il 
«  existe  tout  entier  par  lui-même  ^  » 

C'est  ce  principe  de  toutes  choses,  cet  être  qui  possède  en  lui- 
même  l'unique  cause  de  son  existence,  c'est  ce  Dieu  que  nous 
adorons  dans  la  personne  du  Verbe  incarné,  lorsque  nous  nous 
prosternons  en  présence  du  Très  Saint  Sacrement  de  nos  autels. 

III. 

LA   NATURE   DIVINE   OU    l'ÊTRE    DIVIN    DE   NOTRE-SEIGNEUR    JÉSUS-CHRIST 

EST   ESPRIT    ET   VIE 

Le  IV*  concile  de  Latran  déclare  que  la  simplicité  absolue  de 
Dieu  est  un  dogme  de  la  foi  catholique  :  L'essence  de  Dieu,  dit 
ce  saint  concile,  est  une  ;  sa  substance  ou  sa  natu?^e  absolument 
simple  2.  Cette  simplicité  de  Dieu  écarte  tout  d'abord  la  compo- 
sition physique,  l'assemblage  de  parties  réellement  distinctes,  ce 
qui  est  matériel  ou  corporel  ;  elle  ne  peut  convenir  qu'à  un  pur 
esprit. 

Est-il  vrai  que  notre  Dieu  soit  un  pur  esprit  et  n'ait  rien  de 
commun  avec  la  matière? 

Les  idolâtres  regardent  leurs  dieux  comme  des  êtres  semblables 
à  nous,  composés  d'un  esprit  et  d'un  corps,  ou  même  purement 
matériels.  Les  dieux  des  Grecs  et  des  Romains  buvaient,  man- 
geaient, se  livraient  à  toutes  sortes  de  passions  et  d'excès,  qui 
supposent  l'existence  du  corps  simultanément  avec  celle  de  l'esprit. 
Ils  adoraient  aussi  des  statues  inanimées,  le  soleil,  la  lune,  des 
plantes,  des  animaux,  le  feu,  tout  ce  qui  leur  semblait  posséder 
une  vertu  particulière.  Tous  les  autres  idolâtres  tombaient  et  tom- 
bent encore  dans  les  mêmes  égarements. 

Au  IV*  siècle,  on  vit  paraître  en  Mésopotamie  une  secte  d'héré- 
tiques, qui  attribuaient  à  Dieu  l'individualité  corporelle  et  spi- 

i.  S.  Bernard,  De  la  Considération,  liv.  V,  chap.  vi.  —  Traduction  de 
M.  l'abbé  Charpentier. 

A  cause  do  la  longueur  de  la  citation,  nous  n'en  reproduisons  que  les  quel- 
ques lignes  les  plus  en  rapport  avec  notre  sujet. 

Si  bonum,  si  magnum,  si  beatum,  si  sapientem,  vel  quidquid  taie  de  Deo 
dixeris,  in  hoc  verbo  instauratur,  quod  est  ;  est  nempe  hoc  est  ei  esse,  quod 
hsec  omnia  esse;  si  et  centum  talia  addas,  non  recessisti  ab  esse  ;  si  ea  dixeris, 
nihil  addidisti;  si  non  dixeris,  nihil  minuisti. 

2.  Concil.  Later.  IV,  cap.  Firmiter. 


DE    l'essence    ou    DE    LA   NATURE   DIVINE   DE    JBSUS-CHRIST.  19 

rituelle  de  l'homme.  On  leur  donna  le  nom  d'anthropomorphistes. 
Ils  entendaient  dans  le  sens  le  plus  strict  les  passages  de  la 
Bible,  qui,  pour  s'accommoder  à  notre  intelligence,  attribuent  à 
Dieu  des  yeux,  des  oreilles,  des  mains;  ils  s'appuyaient  particu- 
lièrement sur  ces  paroles  :  Faisons  l'homme  à  noire  image  et  à 
notre  ressemblance.  Cette  hérésie  se  répandit  peu,  et  s'éteignit 
complètement  vers  la  fin  du  v^  siècle.  On  a  dit  que  Tertullien  était 
tombé  dans  la  même  erreur  ;  mais  rien  n'est  moins  prouvé.  Il  est 
même  très  probable  qu'il  n'en  fut  rien  ;  si  l'on  prétendait  qu'il  fut 
anthropomorphiste  à  un  certain  moment,  ou  dans  quelques  pas- 
sages de  ses  écrits,  il  faudrait  au  moins  reconnaître  qu'il  ne  per- 
sévéra pas  dans  cette  croyance. 

Tous  les  systèmes  des  idolâtres,  des  anthropomorphistes,  des 
matérialistes  anciens  et  modernes,  car  il  s'en  est  trouvé  dans  tous 
les  temps,  et  ils  sont  nombreux  de  nos  jours  encore,  pèchent  par 
la  base  et  choquent  la  droite  raison.  Il  suffit  de  les  mettre  en  face 
de  la  vérité,  pour  reconnaître  qu'ils  sont  puérils  et  absurdes  *. 

1.  Le  matérialisme,  dit  le  docteur  Wôrter,  dont  nous  reproduisons  ici  quel- 
ques pages,  en  les  abrégeant,  est  un  système  philosophique,  ou  plutôt  anti- 
philosophique, qui  proclame  la  matière  le  principe  de  toutes  choses,  qui  en 
déduit  l'origine  du  monde  et  nie  par  conséquent  la  différence  essentielle  de 
l'esprit  et  du  corps,  parce  que  la  matière  ne  peut  produire  que  la  matière.  Le 
matérialisme,  sous  la  forme  la  plus  grossière,  a  été  fondé  par  Leucippe  et 
Démocrite,  et  adopté  par  Épicure,  sous  le  nom  de  Système  des  atomes,  suivant 
lequel  le  monde  est  né  de  la  rencontre  fortuite  d'une  multitude  de  corpus- 
cules matériels,  ou  d'atomes  semblables  par  la  qualité,  différents  par  la 
quantité,  indivisibles,  flottant  dans  l'espace  vide. 

Un  matérialisme  plus  élevé  que  celui  des  atomes,  c'est  le  matérialisme  dy- 
namique d'Heraclite,  qui  voit  dans  le  monde  le  produit  de  l'action  réciproque 
de  forces  diverses.  L'esprit,  dans  ce  système,  dont  Pline  le  naturaliste  fut  l'un 
des  principaux  représentants,  est  identifié  avec  la  matière.  L'homme  ne  dif- 
fère pas  essentiellement  de  l'animal,  et  il  n'y  a  pas  d'immortalité  pour  lui  plus 
que  pour  eux.  La  secte  des  Sadducéens  chez  les  Juifs  professait,  autant  qu'on 
peut  enjuger,  un  matérialisme  assez  semblable  à  celui  dont  nous  parlons.  Ils 
niaient  l'immortalité  de  l'âme  et  l'existence  des  esprits  célestes;  leur  doctrine 
était  un  déisme  aboutissant  au  matérialisme. 

Les  gnostiques  furent  aussi  matérialistes,  parce  qu'ils  étaient  panthéistes  et 
que  tout  panthéisme,  dès  qu'il  passe  de  l'unité  à  ses  parties,  mène  au  maté- 
rialisme. 

Le  manichéisme,  qui  renferme  les  mêmes  principes,  aboutit  au  même  ré- 
sultat. Cette  hérésie  révèle  son  matérialisme  par  l'idée  même  qu'elle  a  de 
Dieu.  S.  Augustin  nous  apprend,  dans  ses  Confessions,  combien  il  souffrait, 
tant  qu'il  fut  plongé  dans  le  manichéisme,  de  ne  pouvoir  se  représenter  Dieu 
autrement  que  sous  une  forme  matérielle  :  MuUiim  taihi  lurpe  videbatur  cre- 
dere  figuram  te  {se.  Deum)  habcre  humanx  carnis,  et  membrorum  nostrorum 


20  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —    II*  PARTIE.   —  LIVRE    II.  —  CHAP.    I. 

L'esprit  humain  paraît  bien  misérable,  lorsqu'on  s'arrête  à 
considérer  dans  quels  inextricables  dédales  il  se  perd  et  quelles 
ténèbres  l'aveuglent,  aussitôt  qu'il  refuse  de  prendre  Dieu  pour 
guide  et  d'accepter  les  lumières  de  la  foi.  Heureusement  que  le 
Seigneur  a  daigné  nous  éclairer  de  son  divin  flambeau.  Nous  sau- 
rons la  vérité  si  nous  écoutons  simplement  sa  parole,  interprétée 
par  ceux  qui  ont  reçu  de  lui  la  mission  de  nous  la  faire  connaître, 
et  nous  aurons  de  plus  la  consolation  de  constater  que  sa  vérité 
est  en  parfait  accord  avec  ce  que  la  raison,  éclairée  par  elle,  nous 
enseigne. 

La  Sainte  Écriture  proclame  bien  haut  le  dogme  de  la  spiritua- 
lité de  Dieu.  Écoutons  d'abord  le  prophète  Isaïe  s'adressant  aux 
adorateurs  de  vaines  idoles  :  «  A  qui  m'avez-vous  assimilé  et 
«  égalé  ?  dit  le  Saint.  Levez  en  haut  vos  yeux  et  voyez  qui  a  créé 
«  ces  choses;  qui  fait  lever  en  nombre  leur  milice;  qui  les  appelle 
c  toutes  par  leur  nom.  A  cause  de  la  grandeur  de  sa  puissance,  et 
«  de  sa  force,  et  de  sa  vertu,  pas  une  seule  ne  manque.  Pourquoi 
«  dis-tu,  ô  Jacob,  et  dis-tu,  ô  Israël  :  Ma  voie  a  été  cachée  au  Sei- 
«  gneur  ;  et  par  mon  Dieu,  mon  jugement  a  été  mis  de  côté  ?  Est-ce 
«  que  tu  ne  sais  pas,  ou  n'as-tu  pas  appris  ?  Dieu  est  l'éternel  Sei- 

f.ineamentis  corporalibus  terminari.  Et,  quoniam  cum  de  Deo  meo  cogitare  vel- 
lem,  cogitare  nisi  moles  corporum  non  noveram,neque  enùn  videbatur  mihi  esse 
quidquam  nisi  quod  taie  no?i  esset,  ea  maxima  et  prope  sola  causa  erat  inevita- 
bilis  erroris  mei.  [Confess.,  1.  IV,  cap.  x,  dO.) 

La  théorie  panthéiste  et  dualiste  se  résolvant  en  un  pur  matérialisme  se 
traîna  jusqu'au  moyen  âge,  s'y  associa  à  une  direction  mystique  et  porta, 
comme  toujours,  ses  fruits  désastreux.  L'esprit  fut  complètement  sacrifié  à  la 
chair  et  à  ses  concupiscences,  unique  moyen  de  parvenir  à  la  quiétude  inté- 
rieure. 11  n'y  a  plus  de  lutte  à  soutenir  contre  les  passions  lorsqu'on  s'y  aban- 
donne d'une  manière  absolue. 

Du  moyen  âge,  le  matérialisme  se  propagea  dans  les  temps  modernes. 
Quoique  son  point  de  départ  diffère,  les  résultats  sont  les  mômes  pour  la  foi 
et  les  moeurs.  Il  repose  scientifiquement  sur  le  sensualisme  anglais,  qui  con- 
sidère le  monde  physique,  non  seulement  comme  l'occasion,  mais  comme  la 
cause  de  nos  idées  et  de  notre  connaissance.  Ce  fut  Locke  qui,  à  la  suite  de 
cette  transposition  erronée,  posa  en  principe  que  toutes  nos  connaissances 
naissent  de  l'expérience  sensible,  que  l'Ame  est  une  table  rase,  et  que  les 
connaissances  qui  s'y  inscrivent  proviennent  toutes  de  l'expérience.  Kant, 
Hume,  Thomas  Hobbès  tirèrent  de  ce  principe  des  conséquences  qui  les  con- 
duisirent au  matérialisme  pur  et  au  strict  athéisme. 

Le  juif  Spinosa,  né  à  Amsterdam  en  1032,  considère  Dieu  comme  la  subs- 
tance unique,  infinie,  étendue  et  pensante,  qui  a  des  modes  d'être  variés  à 
l'infini;  ces  modes  sont  des  existences  individuelles,  qui  émanent  nécessaire- 
ment et  perpétuellement  de  la  nature  absolue  de  Dieu  et  constituent  la  nature 


DE   l'essence    ou    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  21 

«  gneur  qui  a  créé  les  limites  de  la  terre:  »  Cui  assimilas  Us  me, 
et  adœquastis,  dicit  Sanctus,  etc.  {Isa.,  xl).  Ainsi  donc,  Diea 
déclare  lui-même,  par  la  bouche  du  prophète,  qu'il  est  le  créateur 
de  toutes  choses  et  qu'il  est  éternel  :  or,  s'il  était  corporel,  il  ne 
serait  ni  l'un  ni  l'autre,  dit  Tertullien  dans  son  livre  contre  Her- 
mogèae.  Il  ne  serait  pas  créateur,  parce  qu'un  être  corporel  n'agit 
pas  sur  le  néant  ;  il  lui  faut  un  objet  existant  d'abord,  sur  lequel 
il  agisse.  Il  est  limité  en  effet,  et  il  ne  saurait  franchir  la  distance 
infinie  qui  existe  entre  l'être  et  le  néant.  Il  ne  serait  pas  davantage- 
éternel  parce  que  tout  être  matériel  tient  son  existence  d'un  autre 
être  ;  de  plus,  la  matière  est  passive  et  la  supposàt-on  toujours 
existante,  un  autre  être  toujours  en  acte  par  lui-même  était  indis- 
pensable pour  la  faire  passer  du  simple  état  de  puissance  à  l'acte 
et  au  mouvement.  Tertullien  dit  encore  dans  le  même  traité  :  Si 
Dieu  était  matériel,  il  serait  dépendant  de  la  matière,  car  il  aurait 
besoin  d'elle  pour  créer  quelque  chose.  Donc,  puisque  la  Sainte 
Écriture  nous  déclare,  non  seulement  dans  le  texte  d'Isaïe  que  nous 
avons  rapporté,  mais  dans  mille  autres  passages,  que  Dieu  a  créé 
toutes  choses  et  qu'il  est  éternel,  nous  sommes  en  droit  de  conclure 
avec  Tertullien  qu'il  est  incorporel,  immatériel  et,  par  conséquent, 
pur  esprit  '. 

actuelle.  De  là,  comme  conséquence  rigoureuse,  la  négation  de  l'immatéria- 
lité, de  la  transcendance,  de  la  personnalité  de  Dieu,  de  la  création  du  monde, 
de  la  liberté  humaine.  C'est  le  panthéisme  et  c'est  encore  l'athéisme  qui,  tous 
deux,  se  déguisent  volontiers  sous  les  formes  multiples  du  rationalisme  et  en 
prennent  le  nom.  —  Telles  furent  les  sources  empoisonnées  auxquelles  lea 
soi-disant  philosophes  français  du  xviii"  siècle  ont  puisé  les  doctrines  délétères 
qui  ont  amoncelé  tant  de  ruines  en  France  depuis  près  de  deux  siècles. 

Le  docteur  Wôrter  termine  ainsi  l'article  dont  nous  avons  donné  quelques 
extraits  :  «  Enfin  la  tourbe  sans  nombre  des  versificateurs,  des  hommes  de 
lettres,  des  rédacteurs  de  journaux,  sortis  de  la  maison  d'Israël,  ne  peut  être 
passée  sous  silence.  Leur  nom  est  légion.  Ils  sont  tous  d'accord  pour  attaquer 
et  détruire  la  religion,  la  moralité  et  la  vertu,  toute  vie  sérieusement  sociale, 
le  mariage,  la  famille,  l'esprit  et  la  raison,  et  ne  laisser  survivre  que  la  chair. 
Malheur  au  monde  si  ce  grossier  matérialisme  devenait  sa  morale  !  Le  monde 
serait  alors  dans  l'état  dont  parle  S.  Paul  et  qu'il  reproche  à  beaucoup  de  ses 
contemporains  :  «  Ennemis  du  Christ,  dont  la  fin  est  la  perdition,  qui  ont  fait 
««  un  dieu  de  leur  ventre,  qui  mettent  leur  gloire  dans  leur  propre  infamie, 
««  qui  ne  pensent  qu'aux  choses  terrestres  «  :  Inimicos  crucis  Christi,  quorum 
finis  i7ilerilus,  quorum  deiis  imiter  est,  et  gloria  iîi  confusione  ipsorum,  qui 
terrena  saj)iunt.  [Coloss.,  m,  IH,  19.)  Le  matérialisme  nait  de  l'athéisme  ou  y 
atoutit.  L'athéisme  n'est  que  l'incrédulité;  celle-ci  se  termine  toujours  par 
l'immoralité.  )> 
'  1.  Tertullien  que   l'on   a,  comme  nous  avons  dit,  accusé  d'anthropomor» 


22  LA    SAINTE    EDCHARISTIE.    —    II*  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.    I. 

Dans  l'Évangile  selon  S.  Jean,  ch.  iv,  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  pour  faire  comprendre  à  la  Samaritaine  comment  Dieu 
veut  être  adoré,  lui  dit  :  Spiritus  est  Deus,  «  Dieu  est  esprit,  » 
et  S.  Paul,  dans  la  II*  épître  aux  Corinthiens,  ch.  m,  affirme  la 
même  vérité  en  termes  équivalents  ou  plutôt  identiques,  lorsqu'il 
dit  :  a  Le  Seigneur  est  esprit  :  Dominus  enim  spiritus  est,  » 
On  pourrait  citer  des  textes  nombreux  qui  proclament  Dieu  l'être 
invisible  ^ ,  immenses,  immuable  3,  autant  d'attributs  absolu- 
«nent  inconciliables  avec  l'idée  qu'il  faut  se  former  de  la  ma- 
tière. 

Il  est  vrai  que  des  passages,  peut-être  plus  nombreux  encore, 
de  nos  saints  Livres  attribuent  à  Dieu  l'étendue,  ou  des  membres 
humains,  ou  des  situations  corporelles  qui  ne  sauraient  convenir 
à  un  pur  esprit,  ou  des  affections  que  peuvent  seuls  éprouver  des 
êtres  composés  d'un  corps  et  d'un  esprit.  Par  exemple,  il  est  dit 
dans  le  livre  de  Job,  ch.  xi,  que  Dieu  est  plus  élevé  que  le  ciel, 
plus  profond  que  l'enfer,  plus  étendu  que  la  terre,  plus  large  que  la 
mer  *.  Le  Psalmiste  représente  Dieu  se  levant  avec  des  sentiments 
de  colère;  il  parle  de  son  bras,  de  ses  yeux,  de  ses  oreilles  &.  Isaïe 
voit  Dieu  debout  pour  juger  ou  assis  sur  un  trône  élevé  ;  il  dit  que 

phisme,  a  pu  donner  prise,  par  quelques  passages  de  ses  écrits,  à  cette  accu- 
sation; mais  l'ensemble  de  son  œuvre  proteste  contre  elle.  «  11  parle  de  la 
substance  de  Dieu  et  des  anges,  dit  Tricalet,  comme  s'il  l'avait  crue  maté- 
rielle; mais  en  examinant  ses  paroles,  on  voit  que,  par  le  terme  de  corps  ou 
de  matière,  il  ne  voulait  dire  autre  chose,  sinon  que  Dieu  est  une  chose  vrai- 
ment subsistante  et  que  les  anges  en  sont  une  aussi;  car,  1"  il  pose  pour 
principe  que  le  propre  de  la  substance  de  Dieu  est  d'être  esprit.  Ce  qu'il  dit 
également  du  Verbe  qu'il  dit  être  Dieu  de  Dieu,  esprit  d'esprit.  2*  Il  distingue 
clairement,  dans  le  nombre  des  créatures,  celles  qui  sont  esprit,  d'avec  celles 
qui  ne  sont  que  matière.  3°  Quand  il  dit  que  Dieu  est  corps,  il  ajoute  qu'il 
l'est  d'un  genre  qui  lui  est  particulier.  4»  Enfin,  sous  le  nom  de  corps,  Ter- 
tullien  comprend  toutes  sortes  de  substances,  soit  corporelles,  soit  spiri- 
tuelles, ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  ne  nomme  quelquefois  substances  spiri- 
tuelles celles  qui  le  sont  en  effet,  comme  les  anges  bons  ou  mauvais.  » 
(Tricalet,  Bihliolk.  portative  des  Pères,  art.  TertuUien.) 

1.  Régi  aulem  saecuiorum  immortali,  invisibili  soli  Deo.  (/.  Tim.,  i,  17.) 

2.  Audielur  nomen  tuum  magnum,  et  manus  tua  fortis  et  brachium  tuum 
extentum  ubique.  (///.  Heg.,  viir,  41,  42.) 

3.  Ego  enim  Dominus,  et  non  mutor.  (Malac,  m,  6.) 

4.  Excelsior  cœlo  est,  et  quid  faciès?  profundior  inferno,  etunde  cognosces? 
Longior  terra  mensura  ejus  et  latior  mari.  (Joh,  ii,  8.) 

5.  Exurge,  Domine,  in  ira  tua.  (As.  vir,  7.)  —  Secundum  magnitudinem 
brachii  tui,  posside  filios  raortificatorum.  {Ps.  lxxviii,  i2.)  —  Oculi  Domini 
super  justos.  {Ps.  xxxiii,  16.)  —  Fiant  aures  tuse  intendentes.  (Ps.  cxxix,  2.) 


DE    l'essence    ou   DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSDS-CHRIST.  23 

la  bouche  de  Dieu  a  parlé  K  Toutes  ces  expressions  et  mille  autres 
analogues  ne  peuvent  s'entendre,  au  sens  littéral,  d'un  pur  esprit 
et  supposent  un  corps  semblable  au  nôtre.  D'ailleurs,  n'est-il  pas 
écrit  que  Dieu  a  créé  l'homme  à  son  image  et  à  sa  ressemblance  '-? 
Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  pour  faire  admettre  que  toutes 
ces  expressions,  qui  attribuent  à  Dieu  un  corps  et  des  membres, 
sont  purement  métaphoriques.  On  ne  peut  adopter  un  sens  littéral 
qui  serait  complètement  en  désaccord  avec  la  nature  même  de 
Dieu,  l'être  nécessaire,  existant  par  lui-même,  créateur  et  conser- 
vateur de  toutes  choses;  un  sens  en  opposition  formelle  avec  celui 
d'autres  textes  qui  disent  expressément  que  Dieu  est  esprit;  un 
sens  enfin  que  l'enseignement  chrétien  a  toujours  condamné. 
D'autre  part,  si  la  Sainte  Écriture  attribue  à  Dieu  certaines  pas- 
sions, la  colère  par  exemple,  ce  n'est  pas  formellement,  car  les 
passions  sont  des  imperfections,  par  conséquent  elles  sont  incom- 
patibles avec  la  nature  divine  ;  mais  c'est  pour  signifier  que  Dieu, 
dans  sa  justice,  agit  avec  une  rigueur  telle  qu'on  le  croirait  ému 
par  la  colère,  s'il  était  possible  que  ce  désordre  existât  en  lui. 
Enfin,  l'homme  est  créé  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu  ; 
mais  c'est  dans  son  àme  et  non  pas  dans  son  corps  que  réside 
cette  ressemblance  ^.  Ne  pourrait-on  pas  dire  aussi  que  le  premier 
homme  fut  créé  à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  l'humanité  que 
le  Verbe  divin  avait  décrété  de  revêtir  un  jour  ?  Le  prototype  de 

\.  Stat  ad  judicandum  Dominus.  (Isa.,  m,  d5.)  —  Vidi  Dominum  sedentem 
super  solium  excelsum.  (Isa.,  vi,  1.)  —  Os  Domini  locutum  est.  {Isa.,  i,  20.) 

2.  Facianius  hominem  ad  imaginemet  similitudinem  nostram  etpraesit,  etc. 
—  Et  creavit  Deus  hominem  ad  imaginem  suam.  {Gen.,  i,  26,  27.) 

3.  Homo  factus  est  ad  imaginem  Dei  inadaequate,  et  solummodo  secundum 
animam....  Nulla  creatura,  quantumvisperfecta,  Deum  perfecte  reprsesentare 
potest;  omnis  enim  creatura  certis  circumscribitur  terminis,  Deus  autem  est 
intinitus.  Praeterea  Deus  fecit  hominem  ad  imaginem  suam  solummodo  se- 
cundum animam  quse,  per  intellectum,  memoriam  et  voluntatem,  quadan 
tenus  sanctissimam  exprimit  Trinitatem;  neque  vero  res  corporeae  sunt  Dei 
imagines,  sed  ipsius  duntaxat  vestigia  nominantur  apud  sanctum  Job. 

S.  Ambrosius  hanc  tradit  solutionem  in  Ps.  cxvni,  his  verbis  :  «  Invisibilis 
Dei  imago,  inquit,  non  in  eo  est  quod  videtur,  sed  in  eo  utique  quod  non  vide- 
tur;  hic  porro  non  onines  omnino  consentiunt.  AHi  enim  imaginem  istam 
collocant  in  animge  spiritualitate,  qua  ad  Deum  quadantenus  accedit;  aUi  in 
tribus  ejus  facultatibus,  mente,  memoria  et  volunlale,  quibus  sanctam  Trini- 
tatem videtur  exprimere;  alii  in  dominio  quod  habebat  in  ros  externas, 
propter  id  quod  stalim  additur,  ut  pra^sit  piscibus  maris  et  volatilibus  cœli,  et 
bestiis,  universaeque  terraî,  omnique  replili  quod  movetur  in  terra.  »  (Ant. 
BoucvT,  Theologiu  Patruin,  dissert,  m,  art.  2.) 


24  LA    SAINTE    KUCIIARISTIE.  II"   PARTIE.  —   LIVRE   II.  —  CHAP.    I. 

l'humanité,  ce  n'est  pas  Adam,  c'est  Jésus-Christ  qui  existait 
comme  homme  dans  la  pensée  divine,  non  seulement  avant  Abra- 
ham, mais  dans  le  principe,  avant  que  nulle  chose  créée  ne  lût 
sortie  du  néant. 

Les  conciles  et  les  Pères  ont  proclamé  de  tout  temps,  avec  una- 
nimité, la  spiritualité  de  Dieu.  Nous  avons  déjà  cité  quelques  mots 
du  IV"  concile  de  Latran,  tenu  sous  le  grand  pape  Innocent  III; 
on  lit  encore  dans  les  actes  du  même  concile  :  «  Approuvés  par  le 
«  sacré  et  universel  concile,  nous  croyons  et  nous  confessons  avec 
«  Pierre,  qu'il  existe  un  être  souverainement  élevé,  mais  incom- 
«  préhensible  et  ineffable,  qui  est  véritablement  Père,  Fils  et 
(f  Saint-Esprit  '.  »  Si  les  trois  personnes  dont  parle  le  concile 
ne  sont  qu'une  seule  et  même  chose.  Dieu  est  nécessairement 
esprit,  puisque  l'une  des  trois  personnes  est  appelée  Saint-Esprit. 
Il  n'est  pas  seulement  esprit,  mais  pur  esprit,  puisque,  s'il  était 
matière  ou  qu'il  y  eût  au  moins  quelque  chose  de  matériel  en  lui, 
il  serait  nécessairement  divisible  selon  la  nature  de  la  matière,  et 
les  trois  personnes  ne  seraient  plus  un  seul  être,  mais  trois  êtres 
diftérents. 

Nous  ne  citerons  que  quelques  lignes  des  Pères,  car  leur  doc- 
trine sur  ce  point  n'a  jamais  fait  l'objet  d'un  doute. 

Origène  enseigne  souvent,  dans  ses  écrits,  la  spiritualité  de 
Dieu  :  «  Il  ne  faut  pas  penser,  dit-il,  par  exemple,  que  Dieu  soit 
«  un  corps  ou  qu'il  soit  dans  un  corps.  C'est  une  nature  intellec- 
(f  tuelle  simple....  Il  est  tout  esprit;  il  est  la  source  d'où  découle 
«  toute  la  nature  intellectuelle,  tout  ce  qui  est  esprit  -.  » 

S.  Grégoire  de  Nazianze  n'exprime  pas  moins  clairement  sa 
pensée  :  «  Direz-vous  que  Dieu  est  un  être  corporel  ?  Comment 
«  voulez-vous  qu'un  corps  soit  ce  qui  est  infini,  interminable,  sans 
•  forme  extérieure,  ce  que  l'on  ne  peut  ni  toucher  ni  voir?  Com- 
«  ment  avec  cette  doctrine  pourrions-nous  concilier  ce  que  dit 
«  l'Écriture,  que  Dieu  pénètre  tout,  remplit  toutes  choses,  selon 
«  ces  paroles  :  Est-ce  que  je  tie  remplis  pas  le  ciel  et  la  terre  ? 

\.  Nos  autem,  sacro  et  universali  concilio  approbante,  credimus  et  confite- 
irtur  cum  Petro,  quod  una  quaedam  summa  res  est,  incomprehensibilis  qui- 
dem  et  inefïnbilis,  quae  veraciter  est  Pater,  Filius  et  Spiritus  Sanctus.  (Concil. 
Later.  IV,  cap.  Firmiter.) 

2.  Non  ergo  aut  corpus  aliquod,  aut  in  corpore  esse  putandus^  est  Deus  ;  sed 
intellectualis  natura  simplex,  tolus  mens  acfons  ex  quo  initium  totius  intellec- 
tualis  natura;,  vel  mentis  est.  (Origen.,  S.  Periarch.,  cap.  i.)         ' 


DE    L  ESSENCE    OU   DE    LA   NATURE    DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  25 

«  Et  celles-ci  :  L'Esprit  du  Seigneur  a  rempli  le  globe  de  la 
«  terre  ^  ?  » 

Enfin  S.  Augustin  qualifie  de  honteusement  vaine  l'opinion 
d'après  laquelle  Dieu  serait  circonscrit  par  les  lignes,  qui  don- 
nent leur  forme  extérieure  aux  membres  corporels  2. 

A  tous  ces  témoignages  que  l'on  pourrait  multiplier  à  l'infini, 
nous  ajouterons,  en  terminant,  celui  que  rend  la  raison  humaine 
lorsqu'on  l'interroge  sur  l'immatérialité  et  la  spiritualité  de 
Dieu. 

Elle  nous  dit  d'abord  que  Dieu,  qui  est  le  moteur  premier  et  la 
cause  première  de  tout  ce  qui  existe,  ne  pourrait  pas  l'être,  et  par 
conséquent  ne  serait  pas  Dieu,  s'il  était  matière,  parce  que  la 
matière  est  par  elle-même  indifférente  au  mouvement  :  elle  ne 
peut  l'avoir  et  le  communiquer  si  elle  ne  l'a  pas  reçu  d'une  autre 
cause.  De  plus,  tout  être  matériel  est  limité,  par  conséquent  tient 
son  existence  d'une  autre  cause  et  n'est  pas  la  cause  première. 

Elle  nous  dit,  en  second  lieu,  que  l'Être  suprême  est  l'être 
nécessaire,  sans  lequel  rien  ne  serait.  Si  Dieu  était  corporel,  il 
serait  corruptible,  périssable,  et  l'être  nécessaire  pourrait  ne  plus 
être,  ce  qui  implique  contradiction. 

Elle  nous  dit  que  Dieu  est  tellement  parfait  que  l'on  ne  peut 
pas  concevoir  un  être  plus  parfait  que  lui.  S'il  était  corporel,  il 
serait  par  là  même  exposé  à  mille  variations  et  l'on  pourrait  con- 
cevoir pour  lui  une  perfection  plus  grande. 

Elle  nous  dit  encore  que  l'idée  de  Dieu  emporte  celle  de  l'être 
absolu,  existant  de  lui-même  et  indépendant,  ce  qui  ne  s'accorde 
nullement  avec  l'état  d'un  être,  soit  purement  matériel,  soit 
composé  de  corps  et  d'àme. 

Elle  nous  dit  que  Dieu  est  immuable.  Il  ne  le  serait  pas  s'il  était 
composé  de  matière  et  d'esprit,  parce  que  la  matière  a  des  bornes 
et  qu'elle  peut  toujours  subir  des  changements  substantiels  ou  for- 
mels. 

\.  An  corpus  eum  dices?  Quonam  vero  modo  corpus  (M'it  hoc  quod  est  infi' 
nitum,  interminabile,  figurœ  expers,  quod  nec  tarifri,  nec  videri  polest?.... 
Quinani  vero  illud  tueri  potuerimus,  quod  ait  Scriptura  Deum  cm  nia  perva- 
dere  attjue  implere,  juxta  illud  :  Nonne  cœluni  et  terrani  ego  iinpleo?  Et  : 
Spiritus  Domini  replevit  orbeni  terrarum?  (S.  Gregor.  Naz.,  Orat.  xxxiv.) 

2.  Cogitatio  quippe  turpiter  vana  est  quae  opcralur  Deum  membrorum  cor- 
p'oraliuni  lineamentis,  circumscribi  atque  tiniri.  (S.  August.,  de  Trinitnte, 
lib.  XII,  n.  12.) 


26  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II*   PARTIE.  —   LIVRE   II.  —   CIIAP.   I. 

Elle  nous  dit  surtout,  d'accord  avec  la  foi,  que  la  substance 
spirituelle  qui  est  Dieu  est  un  esprit  vivant.  Un  esprit  pourrait-il 
ne  pas  l'être?  Mais  la  vie  de  Dieu  est  à  celle  des  créatures  ce  que 
son  être  est  à  leur  être.  Sa  vie  est  lui-même.  Elle  se  confond  et  ne 
fait  qu'un  avec  sa  substance,  son  essence,  son  être. 

Il  est  de  foi  que  Dieu  est  vivant.  La  Sainte  Écriture  l'appelle  le 
Dieu  vivant,  pour  le  distinguer  des  faux  dieux  :  «  C'est  lui  qui 
«  est  le  Dieu  vivant,  »  disait  le  prophète  Daniel  au  roi  de  Baby- 
lone,  et  il  ajoutait  en  parlant  du  dragon  que  ce  roi  adorait  : 
«  Celui-ci  n'est  pas  le  Dieu  vivant  '.  »  Il  vit  par  son  essence,  d'une 
vie  immortelle,  ou  plutôt  il  est  la  vie  elle-même,  selon  cette  pa- 
role de  notre  divin  Jésus  :  «  Je  suis  la  voie,  la  vérité  et  la  vie  :  » 
Ego  suni  via,  veritas  et  vita  2.  La  raison  en  est  que  tout  être 
vivant  est  plus  parfait  qu'un  être  qui  ne  vit  pas;  or,  Dieu  est  par 
lui-même  le  plus  parfait  de  tous  les  êtres.  Ajoutez  que  Dieu  est  la 
cause  première  de  tout  ce  qui  possède  la  vie  :  comment  l'aurait-il 
donnée  aux  autres  s'il  ne  l'avait  pas  lui-même? 

Il  est  de  foi  encore  que  la  vie  de  Dieu  est  une  vie  intellectuelle. 
Dieu  a  la  science  3,  dit  l'apôtre  S.  Paul  ;  or  la  science  ne  peut 
reposer  que  sur  une  nature  intellectuelle;  elle  y  prend  racine  et 
s'identifie  avec  elle.  De  plus,  Dieu  est  une  substance  spirituelle 
vivante,  nécessairement  élevée  au  degré  le  plus  haut  que  la  vie 
puisse  atteindre  chez  les  esprits,  c'est-à-dire  à  la  vie  intellectuelle. 
Ce  mot  ne  suffit  même  pas  aux  Pères  et  ils  disent  super  intellec- 
tuelle. Ils  font  entendre  par  là  que  l'intelligence  de  Dieu  est  d'un 
ordre  incomparablement  plus  élevé  que  celle  des  autres  êtres  vi- 
vants. Les  créatures  accomplissent  des  actes  d'intelligence,  et  ces 
actes  sont  autre  chose  qu'eux-mêmes.  Pour  Dieu,  il  n'y  a  pas  de 
distinction  ;  son  essence  est  son  intelligence  en  acte.  Il  a  donné 
aux  hommes  et  aux  anges  l'intelligence  dont  ils  sont  ornés,  et  s'il 
a  pu  la  leur  donner,  c'est  parce  qu'elle  est  en  lui  dans  sa  perfec- 
tion suprême,  ou  plutôt,  parce  qu'elle  est  lui. 

Nous  pouvons  donc  conclure  que  Dieu  est  un  pur  esprit,  possé- 
dant la  vie  dans  toute  sa  plénitude,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  matière 

1.  Dixitque  Daniel  :  Dominum  Deum  meum  adoro  :  quia  ipse  est  Deus 
vivens  :  iste  autem  non  est  Deus  vivens.  [Dan.,  .\iv,  24.) 

2.  Joan.,  XIV,  6. 

3.  0  altitude  divitiarum  sapientige  et  scientiae  Dei.  {Rom.,  xi,  33.)  In  quo 
sunt  omnes  thesauri  sapientiae  et  scienti»  absconditi.  {Coloss.,  11,  3.) 


DE   L  ESSENCE    OU   DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHKIST.  27 

en  lui.  C'est  d'après  ce  modèle,  prototype  et  source  de  toute  perfec- 
tion, que  notre  âme  a  été  créée.  Mais  elle  est  unie  à  la  matière. 
Approchons-nous  autant  que  possible  de  notre  divin  modèle  en 
nous  dégageant  de  la  servitude  que  le  corps  veut  imposer  à  l'es- 
prit. Écoutons  Jésus-Christ  qui  nous  dit,  du  fond  de  son  saint 
tabernacle  :  «  Soyez  parfaits  comme  votre  Père  céleste  est  par- 
«  fait  :  »  Estote  ergo  perfecti^  sicut  et  Pater  vester  cœlestis  per- 
fectus  est  *. 

IV. 

VÉRITÉ  ET  BONTÉ  DE  l'ÈTRE  DIVIN,  OU  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST 
CONSIDÉRÉ   COMME  DIEU,   DANS  l'eUCHARISTIE 

Le  Dieu  fait  homme,  que  nous  adorons  au  Très  Saint  Sacrement 
de  l'autel,  n'est  pas  seulement  esprit  et  vie,  il  est  aussi,  par  sa 
nature  divine,  la  vérité  et  la  bonté  substantielle. 

Ce  divin  Sauveur  a  daigné  nous  dire,  tandis  qu'il  habitait  visi- 
blement au  milieu  des  hommes  :  «  Je  suis  la  vérité  :  »  Ego  sum 
Veritas  ^.  Il  nous  a  dit  encore  :  «  Personne  n'est  bon,  sinon  Dieu 
«  seul  :  »  Nemo  bonus  nisi  soins  Deus  '^. 

Mais  que  faut-il  entendre  par  la  vérité  et  la  bonté  de  Dieu  ? 

Tout  ce  qui  concerne  l'essence  divine  dépasse  infiniment  ce  que 
l'esprit  de  l'homme  peut  concevoir,  et  pour  parler  de  ces  mystères 
d'une  hauteur  inaccessible,  nous  devons  les  rapetisser,  en  quelque 
manière,  à  notre  mesure.  C'est  ainsi  que,  pour  répondre  à  la  ques- 
tion qui  se  présente  à  nous,  il  nous  faut  d'abord  distinguer  quatre 
sortes  de  vérités  :  1°  La  vérité  réelie  qui  consiste  dans  l'existence 
ou  l'essence  d'une  chose;  2°  la  vérité  de  connaissance  ;  3°  la  vérité 
de  parole  ou  à' écriture  ;  4°  la  vérité  de  volonté  ou  vérité  morale. 

Il  ne  peut  pas  être  question,  lorsqu'il  s'agil  de  Dieu,  de  la  vérité 
morale  qui  est  une  vertu  inclinant  l'homme  à  dire  ce  qui  est  vrai; 
la  volonté  divine  est,  par  elle-même,  toujours  déterminée  à  dire 
ce  qui  est  vrai  et  n'a  pas  besoin  d'être  inclinée  à  le  faire.  Dieu, 
s'il  veut  parler,  ne  peut  dire  que  la  vérité.  Aussi  David  l'appelle- 
t-il  :  «  Le  Dieu  de  vérité  :  Deus  veritatis  ^,  »  et  S.  Jean  :  «  L'Es- 
prit de  vérité  :  Spiritus  veritatis  ^.  » 

La  vérité  morale  est  liée  à  la   vérité  de   parole  ou  d'écriture 

1.   Malth.,  V,  48.  —  2.  Ego  sum  via,  veritas  et  vita.  {Joanu.,  xiv,  l>.)  — 
8.  Mntth.,  iix,  17.  —  i.  Ps.  xxx,  6.  —  b.  Joonn.,  xiv,  17. 


âS 


LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  ir  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —  CHAP.   I. 


comme  à  son  objet.  Celle-ci  se  trouve  dans  le  verbe  extérieur  de 
Dieu,  que  renferment  les  Saintes  Écritures. 

La  vérité  de  connaissance  est  nécessaire  aux  deux  autres.  En 
Dieu,  c'est  sa  science  infaillible  dont  nous  aurons  à  parler  plus 
tard.  La  seule  vérité  à  laquelle  il  faille  nous  arrêter  ici  est  donc 
la  vérité  de  chose,  ou  vérité  transcendantale. 

Il  est  de  foi  que  Dieu  est  le  seul  vrai  Dieu,  selon  ces  paroles  de 
Notre-Seigneur  à  son  Père  céleste  :  «  La  vie  éternelle,  c'est  qu'ils 
«  vous  connaissent,  vous  seul  vrai  Dieu  :  Hœc  est  vita  œterna  : 
«  Ut  cognoscant  te  soltim  Deum  verwn  ^  »  S.  Paul  recourt  à  la 
même  expression  :  «  Servir  le  Dieu  vivant  et  vrai  :  Servire  Deo 
«  vivo  et  vero  2.  »  Jérémie  avait  déjà  dit  :  «  Celui-ci  est  le  vrai 
«  Dieu  :  Hic  est  verus  Deus  3.  w  Cette  vérité  est  en  Dieu  indépen- 
damment de  toute  intelligence  créée.  Il  n'est  pas  besoin  que  quel- 
qu'un en  dehors  de  Dieu  la  connaisse  et  en  ait  une  idée  conforme 
à  la  réalité.  De  même  que  Dieu  est  essentiellement  l'être,  qu'il  est 
l'être  absolu  en  lui-même  et  par  lui-même,  il  est  aussi  essentielle- 
ment la  vérité,  en  lui-même  et  par  lui-même.  Sa  vérité  ne  con- 
siste pas  dans  une  relation  de  raison,  dans  une  dénomination 
extrinsèque  résultant  de  l'acte  d'une  intelligence  créée.  Elle  ne 
provient  pas  même  de  la  connaissance  parfaitement  vraie  que 
Dieu  a  de  son  essence  :  il  n'est  pas  formellement  le  vrai  Dieu 
parce  qu'il  se  connaît  comme  tel  ;  mais  il  se  connaît  comme  tel, 
parce  qu'il  est  en  réalité  le  vrai  Dieu.  Cependant,  il  faut  ajouter 
que  Dieu  n'est  pas  seulement  vrai,  ou  plutôt  le  vrai  absolu,  parce 
qu'il  est  l'être  absolu,  mais  qu'il  est  en  même  temps  la  vérité 
suprême,  parce  que  son  être  et  sa  connaissance  sont  une  seule  et 
même  chose  et  que  son  essence  ne  se  distingue  pas  de  son  intelli- 
gence. «  Le  Christ  est  la  vérité,  »  dit  S.  Jean  :  Christus  est  Ve- 
ritas *. 

La  bonté  n'est  pas  moins  essentielle  à  Dieu  que  la  vérité.  On 
peut  dire  que,  de  tous  ses  attributs,  il  n'en  est  pas  qui  nous 
touche  davantage  et  qu'on  se  rappelle  avec  plus  de  bonheur.  La 
qualification  de  bon  convient  tellement  à  Dieu  que  rarement  on  la 
sépare  de  son  nom  adorable,  dans  le  langage  de  la  conversation, 
pour  peu  qu'on  ne  soit  pas  étranger  à  la  piété. 

En  quoi  consiste  cette  bonté  de  Dieu  que  les  hérétiques  des  pre- 

1.  Joann.y  xvii,  3.  —  2.  7.  Thess.,  i,  9.  —  3.  Jerem.,  x,  \0.  —  4.  7.  Joann.y 
T,6.  .;: 


DE    l'essence    ou    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  29 

miers  siècles,  les  manichéens  principalement,  lui  ont  quelquefois 
déniée,  et  que  les  impies  de  nos  jours  méprisent  ou  méconnais- 
sent, au  lieu  d'y  recourir  humblement  pour  obtenir  le  pardon  de 
leurs  erreurs  et  de  leurs  crimes?  Peut-on  et  doit-on  reconnaître 
que  Dieu  est  bon,  qu'il  est  la  bonté  suprême? 

Une  chose  est  bonne,  dit  Suarez  S  lorsqu'elle  est  complète  et 
qu'il  ne  lui  manque  rien  pour  être  parfaite  en  son  genre.  Dieu, 
l'être  infiniment  parfait,  est  donc  bon  ;  on  doit  même  dire  qu'il  est 
la  bonté  surpassant  toutes  les  autres  bontés,  puisqu'il  est  infini; 
ou  plutôt  qu'il  est  seul  bon.  C'est  la  parole  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  :  «  Personne  n'est  bon,  sinon  Dieu  seul  :  »  Nemo 
bonus  nisi  solus  Deus  -. 

Considérée  à  ce  point  de  vue,  la  bonté  se  trouve,  dans  les  créa- 
tures, à  trois  degrés  différents,  ou  plutôt,  ce  sont  trois  bontés 
distinctes.  La  première  est  celle  qui  consiste  dans  la  perfection 
propre  de  leur  être  ;  la  seconde  est  ce  qui  ajoute  à  cette  première 
bonté  une  perfection  provenant  de  quelque  cause  accidentelle;  la 
troisième  est  celle  que  l'être  possède  lorsqu'il  atteint  sa  fin  et  s'y 
repose  ^. 

Aucun  être  créé  ne  possède  la  première  bonté  en  vertu  même 
de  sa  nature  :  elle  n'appartient  essentiellement  qu'à  Dieu  seul.  En 
effet.  Dieu  seul  existe  par  lui-même.  Sa  perfection  et  sa  bonté  se 
confondent  avec  son  existence;  ce  n'est  pas  à  une  cause  étrangère 
qu'il  les  doit,  car  elles  sont  lui-même,  et  il  n'a  pas  de  cause  en 
dehors  de  lui.  Dieu  est  l'être  dans  toute  sa  plénitude,  parce  qu'il 
est  la  cause  première,  et  sa  bonté  ou  sa  perfection  est  absolue 
comme  lui,  parce  qu'elle  est  lui.  Les  créatures,  au  contraire,  reçoi- 
vent d'un  autre  l'être  et  la  bonté  propres  à  leur  nature.  Cette 
bonté  est  inséparable  de  leur  essence  tant  qu'elles  existent,  car 
toute  nature  créée  de  Dieu  est  bonne  en  soi.  Mais  c'est  de  Dieu  et 
non  pas  d'elle-même  qu'elle  tient  cette  bonté. 

La  seconde,  la  bonté  accidentelle  qui,  dans  les  créatures, 
s'ajoute  à  la  bonté  essentielle,  ne  convient  pas  proprement  à  Dieu, 
car  il  n'y  a  rien  d'accidentel  en  lui.  Elle  lui  convient  néanmoins 
d'une  manière  éminente,  vis-à-vis  de  nous,  à  cause  du  mode 
selon  lequel  nous  concevons  ses  attributs  et  les  actes  transitoires 

i.  Suarez,  de  Deo  nno  et  irino,  tract.  I. 

2.  Malt  h.,  XIX,  17. 

3.  S.  TiiOM.,  I  p.,  q.  VI,  art.  3. 


30  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II*   PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.   I. 

par  lesquels  il  les  manifeste.  Mais,  au  fond,  ces  actes  transitoires 
n'ajoutent  rien  à  la  bonté  de  Dieu  ni  à  sa  perfection,  qui  réside 
tout  entière  dans  son  essence  et  n'admet  rien  d'accidentel. 

Quoiqu'il  n'y  ait  pas  pour  Dieu  de  fin  ultime  vers  laquelle  il 
tende  et  qu'il  doive  atteindre,  parce  qu'une  telle  fin  suppose  une 
imperfection,  cependant  il  possède  la  bonté  qui  résulte  pour  un 
être  du  fait  d'atteindre  à  sa  fin  dernière.  En  effet,  il  est  toujours  et 
nécessairement  heureux;  il  se  repose  en  lui-même;  il  trouve  sa 
béatitude  dans  sa  propre  essence  qu'il  comprend  et  qu'il  aime. 

Les  créatures  peuvent  encore  posséder  un  autre  genre  de  bonté, 
qui  procède  de  l'intégrité  et  de  l'arrangement  convenable  des  par- 
ties qui  les  composent;  cette  bonté  ne  peut  convenir  qu'aux  êtres 
matériels  dont  elle  constitue  la  beauté.  Il  est  donc  évident  qu'on 
ne  doit  pas  la  chercher  en  Dieu.  On  pourrait  dire  cependant  qu'il 
la  possède  éminemment,  en  vertu  de  la  perfection  infinie  de  son 
essence,  ou  bien  encore  parce  que  nulle  perfection  ne  lui  manque. 

Enfin,  dans  les  substances  créées,  outre  la  perfection  de  la 
nature,  il  y  a  la  perfection  propre  à  chaque  être  en  particulier 
considéré  comme  tel.  Ce  genre  de  perfection  ou  de  bonté  appar- 
tient à  Dieu,  pour  qui,  en  vertu  de  son  essence,  subsister  et  être 
la  perfection  incommunicable  sont  nécessairement  une  chose  iden- 
tique. A  ce  point  de  vue  encore,  nous  pouvons  dire  que  Dieu  est 
bon  et  qu'il  est  bon  par  lui-même. 

Remarquons  ici  que  l'on  peut  dire,  d'une  manière  absolue,  de 
toute  créature  considérée  en  elle-même  qu'elle  est  bonne  ;  cepen- 
dant, comparée  à  Dieu,  elle  ne  l'est  que  jusqu'à  un  certain  point. 
Dieu  est  seul  absolument  bon,  parce  qu'il  possède  toute  perfection, 
soit  formellement,  soit  d'une  manière  éminente  :  son  essence 
l'exige.  Aussi  dit-il  lui-même  à  Moïse,  dans  l'Exode,  en  lui  pro- 
mettant de  se  manifester  à  ses  yeux  :  «  Je  te  montrerai  tout  bien. 
Ostendam  tibi  omne  bonum.  » 

Suarez,  dont  nous  continuons  de  résumer  la  doctrine,  dit  encore 
que  la  bonté  d'une  chose  vient,  en  second  lieu,  de  ce  que  la  per- 
fection qui  est  en  elle  la  rend  agréable  à  elle-même  ou  à  quelque 
autre  et,  par  conséquent,  la  fait  désirer  et  aimer. 

Dieu  se  complaît  infiniment  dans  sa  perfection  souveraine,  ce 
qui  fait  nécessairement  qu'il  s'aime.  Sa  perfection  le  rend  en 
même  temps  l'objet  des  désirs  et  de  l'amour  des  créatures.  Tout 
tend  vers  lui  parce  qu'il  est  le  premier  principe,  la  source  de 


DE    l'essence    ou    DE    LA   NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  31 

tous  les  biens,  et  que  c'est  lui  qui  conserve  à  tous  les  êtres  leur 
existence  intime  et  leurs  perfections.  David  le  proclamait  lorsqu'il 
s'écriait  :  «  Que  le  Dieu  d'Israël  est  bon  pour  tous  ceux  qui  ont 
«  le  cœur  droit!  »  Quam  bonus  Israël  Deus  his  qui  recto  sunt 
corde!  Tout  s'élance  vers  lui  parce  qu'il  est  la  fin  dernière  de 
toutes  choses.  C'est  en  lui  que  les  créatures  intellectuelles  doivent 
trouver  leur  béatitude,  et  les  autres  êtres  le  recherchent,  chacun  à 
sa  manière  et  selon  sa  nature  :  il  est  leur  fin,  le  bien  qu'ils  pour- 
suivent par  des  voies  différentes,  le  souverain  bien  de  tous. 

Il  y  a  une  troisième  bonté  qui  convient  exclusivement  aux  êtres 
intellectuels,  la  bonté  morale. 

La  bonté  morale  est  actuelle  lorsqu'un  être  intelligent  accomplit 
actuellement  des  actes  moraux  qui  sont  bons.  Elle  est  habituelle 
lorsque  l'habitude  d'accomplir  de  tels  actes  a  fait  naître  en  lui  une 
inclination,  des  dispositions  qui  l'y  portent.  Cette  bonté,  que  l'on 
trouve  dans  l'ange  et  dans  l'homme,  existe  à  plus  forte  raison  en 
Dieu,  qui  la  possède  d'une  manière  incomparablement  plus  par- 
faite. C'est  la  droiture  intrinsèque  de  Dieu,  qui  ne  fait  qu'un  avec 
sa  nature  et  qui  est  la  règle  suprême  de  toute  bonté  morale  chez 
les  autres  êtres.  Cette  bonté  de  Dieu  est  la  rectitude  naturelle  de 
sa  volonté  ;  c'est  aussi  sa  volonté  libre  qui  répand  ses  bienfaits 
au  dehors  et  qui,  par  là  même,  est  une  bonté  morale. 

Dans  la  bonté  morale  de  Dieu  se  confondent  sa  charité,  sa  misé- 
ricorde, sa  justice,  toutes  les  vertus  particulières  et  les  actes  de  sa 
divine  volonté,  dont  nous  parlerons  en  leur  lieu. 

La  bonté  morale  élevée  à  un  degré  de  perfection  plus  qu'ordi- 
naire dans  les  anges  ou  dans  les  hommes  s'appelle  la  sainteté,  que 
l'on  peut  définir  :  la  pureté  parfaite  jointe  à  un  attachement 
solide  au  souverain  bien  qui  est  Dieu.  Pour  Dieu,  qui  est  lui- 
même  le  souverain  bien,  la  sainteté  est  Dieu  reposant  en  lui-même, 
bienheureux  par  lui-même. 

tt  Dieu  est  appelé  sam/,  dit  Lessius  ^  1°  comme  cause  et  source 
de  toute  sainteté  de  la  voie  et  de  la  patrie,  des  hommes  et  des 
anges;  car  toute  sainteté  vient  de  lui  comme  d'une  source  infinie 
de  pureté  et  de  sainteté. 

«  2°  Dieu  est  appelé  saint,  en  tant  qu'il  est  l'objet  et  la  mesure 
de  toute  sainteté.  Comme  il  est  lui-même  l'infinie  pureté  et  qu'il 

1.  Lessius,  de  Divinis  Nominibus,  cap.  xvir,  traduction  du  R.  P.  Bouix. 


32  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  H*   PARTIE.  —  LIVRE    II.  —  CHAP.   I. 

est  infiniment  spirituel,  plus  quelqu'un  s'approche  de  lui  par  la 
connaissance  et  par  l'amour,  plus  il  est  saint;  car  le  connaître, 
l'aimer  et  adhérer  à  lui  par  un  amour  très  sincère,  est  la  véritable 
et  formelle  sainteté,  par  laquelle  tout  esprit  créé  est  formellement 
sanctifié  et  appelé  saint. 

«  3°  Dieu  est  appelé  saint,  non  seulement  en  tant  qu'il  est 
l'objet  de  toute  sainteté  ou  la  sainteté  objective,  mais  encore  parce 
qu'il  est  formellement  saint  ou  la  sainteté  même.  En  effet,  comme, 
d'une  part,  la  vraie  sainteté  formelle  consiste  dans  la  connaissance, 
l'amour  et  la  jouissance  de  Dieu  et  que,  d'autre  part,  Dieu  se 
connaît  infiniment  lui-même,  s'aime  infiniment  lui-même  et  jouit 
infiniment  de  lui-même,  il  est  manifeste  que  sa  sainteté  est  infinie, 
et  que  lui-même  est  infiniment  saint;  je  dis  plus,  qu'il  est  la  sain- 
teté infinie,  puisqu'il  est  l'infinie  connaissance,  amour  et  jouis- 
sance de  lui-même. 

a  4°  Dieu  est  appelé  saint,  parce  que  tout  ce  qui  'appartient  à 
l'essence  de  la  sainteté,  il  l'a  de  lui-même,  et  avec  une  perfection 
infinie.  Deux  choses  sont  requises  pour  la  sainteté  :  l'amour  de 
l'objet  et  la  pureté  de  l'objet;  or.  Dieu  les  possède  l'une  et  l'autre 
par  lui-même;  il  est  l'amour  infini  de  lui-même  et  il  est  l'objet 
d'une  pureté  infinie,  dans  l'amour  duquel  consiste  la  sainteté  for- 
melle. Ainsi  donc,  il  est  lui-môme  la  sainteté,  tant  formelle 
qu'objective.  II  est  lui-même,  par  son  essence,  la  mesure  de  toute 
sainteté,  et  de  la  sienne,  et  de  celle  de  tous  les  anges  et  de  tous 
les  hommes.  Il  est,  par  l'amour  de  lui-même,  formellement  saint, 
et  la  sainteté  elle-même,  et  la  source  de  la  sainteté.  » 

Les  preuves  qui  établissent  la  bonté  et  la  sainteté  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  considéré  dans  sa  nature  divine  au  Très  Saint 
Sacrement,  sont  innombrables;  nous  pourrions  nous  contenter  de 
celles  que  nous  avons  données,  mais  on  aime  à  s'arrêter  sur  un 
tel  sujet  ;  nous  en  ajouterons  donc  quelques-unes. 

Il  serait  difficile  de  compter  tous  les  passages  de  la  Sainte  Écri- 
ture qui  rendent  témoignage  à  la  bonté  de  Dieu.  L'Ancien  et  le 
Nouveau  Testament  proclament  cette  bonté  infinie  à  chaque  page. 
David  surtout  ne  se  lasse  pas  de  la  célébrer.  Tantôt,  s'adressant  à 
Dieu  avec  confiance  et  humilité,  il  lui  dit  :  «  Souvenez-vous,  Sei- 
«  gneur,  de  vos  bontés  et  de  vos  miséricordes  des  temps  les  plus 
«  anciens;  les  fautes  de  ma  jeunesse  et  mes  ignorances,  oubliez- 
«  les.  Selon  votre  miséricorde,  souvenez-vous  de  moi  à  cause  de 


DE    l'essence    ou    DE    LA.    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIsT.  33 

«  votre  bonté  K  »  Tantôt  il  s'écrie,  ravi  d'admiration  :  «  Que  le 
«r  Dieu  d'Israël  est  bon  pour  ceux  qui  ont  le  cœur  droit  2  !»  Ou 
bien  encore,  il  supplie  Dieu  de  l'éclairer,  parce  qu'il  est  le  Dieu 
bon  :  a  Vous  êtes  bon  :  dans  votre  bonté  enseignez-moi  3.  »  Mais 
surtout  il  presse  son  peuple  de  s'unir  à  lui  pour  louer  le  Seigneur 
à  cause  de  ses  bienfaits  innombrables.  Combien  de  fois  ne  répète- 
t-il  pas  ces  mots  :  «  Louez  le  Seigneur  parce  qu'il  est  bon,  parce 
«  qu'à  jamais  s'étend  sa  miséricorde  ^?  »  Les  livres  de  la  Sagesse 
et  ceux  des  Prophètes  offrent  souvent  des  textes  analogues. 

Mais  les  actes  prouvent  plus  que  les  paroles.  On  a  souvent  at- 
taché à  l'ancienne  Loi  un  caractère  de  sévérité  que  l'on  exagère 
peut-être.  Certainement,  elle  n'est  pas  la  loi  de  grâce  et  de  misé- 
ricorde; ce  caractère  était  réservé  à  l'Évangile  :  cependant  avec 
quel  éclat  la  bonté  divine  ne  se  manifeste-t-elle  pas  dans  l'Ancien 
Testament  ! 

Ce  qui  est  bon  mérite  seul  d'être  aimé.  Dieu,  qui  est  la  justice  et 
la  vérité  par  essence,  ne  peut  donc  ordonner  d'aimer  que  ce  qui 
est  bon.  Or,  le  premier  de  tous  les  commandements  qu'il  donne 
est  celui-ci  :  «  Écoute,  Israël  :  le  Seigneur  notre  Dieu  est  le  seul 
«  Seigneur.  Tu  aimeras  donc  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton 
«  cœur,  de  toute  ton  âme  et  de  toutes  tes  forces.  Et  ces  comman- 
«  déments  que  je  te  donne  aujourd'hui  seront  en  ton  cœur.  Tu  les 
«  inculqueras  à  tes  enfants,  et  tu  en  parleras  quand  tu  te  tiendras 
»  en  ta  maison,  quand  tu  te  mettras  en  chemin,  quand  tu  te  cou- 
€  cheras  et  quand  tu  te  lèveras.  Et  tu  les  lieras  comme  un  signe 
«  sur  tes  mains,  et  ils  seront  comme  des  fronteaux  entre  tes  yeux. 
«  Tu  les  écriras  aussi  sur  les  poteaux  de  ta  maison  et  sur  tes 
«  portes  ^  » 

1.  Reminiscere  miserationum  tuaruin,  Domine,  et  misericordiarum  tuarum 
quae  a  Sceculo  sunt.  Delicta  juventulismeaî  et  ignorantias  meas  ne  meniineris. 
Secundum  misericordiam  tuam  mémento  mei  tu  :  propter  bonitatem  tuam 
Domine.  [Ps.  xxiv,  0,  7.) 

2.  Quam  bonus  Israël  Deus  his  qui  recto  sunt  corde.  {Ps.  lxxu,  1.) 

3.  Bonus  es  tu  :  et  in  bonitate  tua  doce  me.  {Ps.  cxviu,  1±) 

4.  Confitemini  Domino  quoniam  bonus,  quoniam  in  sseculum  misericordia 
ejus.  (/.  Par.,  xvi,  34;  IL  Par.,  v,  13;  Ps.  cv,  1  ;  cvi,  \  ;  cxvni,  1,  20;  cxxx"s-, 
1  ;  Dnn.,  m,  8U.) 

.y.  Audi»  Israël,  Dominus  Deus  nosler  Dominus  unus  est.  Diliges  Dominum 
Deum  tuum  ex  tofo  corde  tuo,  et  ex  tota  anima  tua,  et  ex  tota  iortiludine  tua, 
Elruntque  verba  hiec,  quœ  ego  prœcijjio  tibi  bodic,  in  corde  tuo  :  et  narrabis 
ea  filiis  tuis,  et  meditaberis  in  eis  sedens  in  donio  tua,  et  ambulans  in  ilinere, 

L\    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  3 


34  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —    H"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   I. 

Par  ce  passage  et  par  le  Décalogue  même,  il  est  de  la  dernière 
évidence  que  le  précepte  de  l'amour  de  Dieu  est  celui  que  Moïse 
recommande,  avec  le  plus  de  force,  aux  enfants  de  Jacob.  S'il  en 
fallait  une  preuve,  nous  n'aurions  qu'à  citer  les  paroles  de  Noire- 
Seigneur  Jésus-Christ  lui-même,  répondant  au  scribe  qui  lui  de- 
mandait quel  était  le  premier  de  tous  les  commandements  :  «  Tu 
«  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  de  toute  ton 
«  âme  et  de  toutes  tes  forces  K  » 

Quelles  plus  grandes  preuves  pourrait-on  donner  de  la  bonté 
infinie  de  Dieu  que  la  promesse  admirable  faite  à  nos  premiers 
parents  pour  les  consoler  après  leur  chute?  que  le  pardon  accordé 
à  tous  les  habitants  de  plusieurs  villes  criminelles  en  faveur  de 
dix  jusles,  s'ils  s'y  étaient  trouvés,  et  le  salut  effectif  de  la  petite 
ville  de  Tsohar,  en  considération  de  Loth  ?  que  les  bénédictions  pro- 
noncées par  Moïse  au  nom  du  Seigneur,  pour  tous  les  observateurs 
de  la  loi,  et  la  promesse  de  pardonner  à  ses  infracteurs,  dès  qu'ils 
seraient  touchés  d'une  sincère  repentance?  que  tant  de  soins,  tant 
de  sollicitude  pour  les  Israélites,  malgré  leurs  ingratitudes  et 
leurs  fréquentes  révoltes?  Aussi  David,  le  plus  pieux  des  rois,  s'é- 
criait-il dans  sa  reconnaissance  :  «  Bénis  le  Seigneur,  ô  mon 
«  âme,  et  n'oublie  point  ses  bienfaits  -.  Le  Seigneur  est  compatis- 
«  sant  et  miséricordieux  ^  ;  il  est  lent  à  punir  et  bien  miséricor- 
«  dieux.  De  même  qu'un  père  s'attendrit  sur  ses  enfants,  le  Sei- 
«  g'neur  a  eu  pitié  de  ceux  qui  le  craignent  ^.  » 

Mais  si  la  loi  de  Moïse  nous  donne  une  si  haute  idée  de  la  bonté 
de  Dieu,  l'Évangile  nous  la  montre  sous  un  jour  plus  propre  en- 
core à  toucher  nos  cœurs,  quand  il  dit  que  Dieu  a  envoyé  son  Fils 
unique  au  monde  pour  faire,  par  sa  mort,  la  propitiation  de  nos 
péchés.  La  croix  de  Jésus-Christ  devient  un  tribunal  auguste  où 
est  affichée  l'amnistie  qu'il  accorde  à  tous  les  pécheurs  repentants. 

dormiens  atque  consurgens.  Et  ligabis  ea  quasi  signum  in  manu  tua,  erunt- 
que  et  movebuntur  inter  oculos  tuos,  scribesque  ea  in  limine  et  in  ostiis  do- 
mus  tuœ.  (JJeuter.,  vi,  6  et  seq.) 

d .  Diliges  Dominum  Deum  tuum  ex  toto  corde  tuo,  et  ex  tota  anima  tua,  et 
ex  tota  virtute  tua.  [Marc,  xu,  30.) 

2.  Benedic  anima  mea  Domino,  et  noli  oblivisci  omnes  retributiones  ejus. 
{Ps.  cil,  2.) 

3.  .Miserator   et  misericors  Dominus;   longanimis   et  multum  misericors. 
(Ps.  Cii,  8.) 

4.  Quoniodo  miserelur  pater  filiorum,  misertus  est  Dominus  timentibus  se. 
{Ps.  cii,  13.) 


DE    l'essence    ou   DE    LA   NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  35 

L'étable  de  Bethléem  et  le  Calvaire  sont  les  deux  grandes  écoles 
où  Ton  peut,  mieux  que  dans  tous  les  livres,  apprendre  que  notre 
Dieu  est  bon,  ou  plutôt  qu'il  est  la  bonté  même,  la  bonté  par  es- 
sence. Et  parce  qu'il  est  bon,  il  veut  que  nous  soyons  bons  comme 
lui  ;  il  veut  que  nous  pardonnions  comme  lui  à  ceux  qui  nous  ont 
oifensés.  Pour  nous  obliger  en  quelque  sorte  à  imiter  sa  bonté,  il 
fait,  du  pardon  que  nous  accordons  à  nos  frères,  la  mesure  et  la 
règle  du  pardon  que  nous  désirons  pour  nous-mêmes. 

Dans  le  saint  Évangile,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  proclame 
que  Dieu  seul  est  bon  '.  S.  Paul,  dans  ses  épîtres,  rend  fréquem- 
ment hommage  à  la  bonté  de  Dieu  :  «  Est-ce  que  vous  méprisez 
«  les  richesses  de  sa  bonté  ^  ?  »  écrit-il  aux  Romains  ;  et  dans  la 
même  épître,  il  leur  dit  encore  :  «  Voyez  donc  la  bonté  et  la  sé- 
«  vérité  de  Dieu  :  sa  sévérité  envers  ceux  qui  sont  tombés,  et  sa 
«  bonté  envers  vous,  si  toutefois  vous  persévérez  dans  la  bonté  3.  » 

Inutile  de  dire  que  les  Pères  ont,  en  mille  endroits  de  leurs 
écrits,  célébré  la  bonté  de  Dieu.  Nous  ne  pouvons  ici  multiplier 
les  citations.  Voici  pourtant  quelques  lignes  de  S.  Augustin  qui 
reviennent  particulièrement  à  notre  sujet.  L'évêque  Macédonius 
avait  demandé  le  secours  de  ses  lumières  sur  quelques  points  de 
doctrine.  Dans  une  première  lettre  que  l'illustre  et  saint  docteur 
lui  adresse  en  réponse,  nous  lisons  ces  mots  :  «  Considérant  vos 
c  mœurs,  j'ai  dit  que  vous  êtes  bon  ;  mais  vous,  rappelez-vous 
«  les  paroles  du  Christ  et  dites-vous  à  vous-même  :  Nul  n'est 
«  bon  que  Dieu  seul  ^.  Ces  paroles  sont  nécessairement  vraies, 
«  car  elles  ont  été  prononcées  par  la  Vérité  substantielle  ;  cepen- 
«  dant  on  aurait  tort  de  croire  que  je  me  suis  trompé  et  qu'il  y  a 
«  désaccord  entre  mon  affirmation  et  l'enseignement  du  Seigneur, 
«  nul  n'est  bon  que  Dieu  seul,  en  avançant  que  vous  êtes  vrai- 
«  ment  bon.  En  effet  le  Seigneur  ne  s'est  pas  contredit  lui-même  ; 
«  or  il  a  dit  :  L'homme  bon  tire  le  bien  du  bon  trésor  de  son 
«  cœur  5.  Dieu  est  bon  d'une  manière  qui  n'appartient  qu'à  lui 

1.  Unus  est  bonus  Deus.  (j>/a«/i.,  xii,  35.)  —  Nemo  , bonus  nisi  solus  Deus. 
(Luc,  xvin,  49.) 

2.  An  divitias  bonitatis  ejus  contemnis?  [Rom.,  ii,  ^.) 

3.  Vide  ergo  bonitatem  et  severifatem  Dei  :  in  eos  quidem  qui  ceciderunt, 
severitalem  ;  in  te  autem  bonitatem  Dei  si  permanseris  in  bonitate.  [Rom., 
XI,  22.) 

4.  Neino  bonus  nisi  unus  Deus.  [Marc,  x,  18.) 

5.  Bonus  homo  de  bono  thesauro  cordis  sui  profert  bonum.  [Luc,  vi,  4î>.) 


36  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  U"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   I. 

«  seul,  et  il  ne  peut  pas  perdre  cette  bonté  singulière.  Sa  bonté 
«  ne  lui  vient  pas  de  la  participation  à  quelque  bien  distinct  de 
«  lui-même  :  il  est  lui-même  le  bien  en  vertu  duquel  il  est  bon. 
«  L'honmie  au  contraire,  lorsqu'il  est  bon,  tient  de  Dieu  sa  bonté 
a  qu'il  ne  peut  avoir  de  lui-même.  C'est  par  l'esprit  de  Dieu  que 
«  deviennent  bons  tous  ceux  qui  le  sont  :  notre  nature  a  été  créée 
«  capable  de  bonté,  grâce  à  notre  volonté  propre.  Notre  rôle  est 
«  donc,  pour  devenir  bons,  de  recevoir  et  de  posséder  ce  que 
t  donne  celui  qui  est  bon  par  sa  propre  nature  K  » 

Il  serait  difficile  de  demander  un  texte  exprimant  plus  claire- 
ment que  Dieu  est  la  bonté  absolue,  le  bien  existant  par  lui-même, 
ne  recevant  rien  d'aucun  être  différent  de  lui,  mais  qu'il  est  au 
contraire  pour  tous  la  cause  du  degré  de  bonté  qu'ils  possèdent. 
Dans  une  seconde  lettre  au  même  Macédonius,  S.  Augustin  pré- 
sente encore  la  même  doctrine  en  des  termes  un  peu  différents, 
a  Que  pouvons-nous  choisir,  dit-il,  pour  objet  principal  de  notre 
«  amour  que  le  plus  grand  de  tous  les  biens?  Et  quel  est-il  ?  C'est 
«  Dieu,  qui  est  tellement  le  souverain  bien  que  d'aimer  autre 
«  chose  que  lui,  ou  autant  que  lui,  ce  n'est  pas  savoir  nous  aimer 
«  nous-mêmes.  Car  notre  état  est  d'autant  meilleur,  que  nous 
t  nous  portons  avec  plus  d'impétuosité  vers  ce  qu'il  y  a  de  meil- 
«  leur.  Mais  ce  ne  sont  point  nos  pas,  c'est  notre  amour  qui 
«  nous  porte  vers  ce  bien  suprême,  et  il  nous  sera  d'autant  plus 
((  intimement  présent  que  l'amour  qui  nous  y  porte  sera  plus 
('  pur.  Nul  espace  ne  contient  ni  ne  renferme  ce  bien  ineffable  ; 
«  comme  il  est  présent  partout  et  tout  entier  partout,  ce  ne  sont 
«  point  nos  pieds  qui  nous  portent  vers  lui,  mais  nos  cœurs  2.  » 

{.  Ego  quidem  intuens  mores  tuos  appellavi  te  virum  l)onum  :  sed  tu 
intuens  verba  Christi,  die  tibi  ipsi  :  Nemo  bonus,  nisi  unus  JJeus.  Quod  cum 
verum  sit  (hoc  enim  veritas  dixit)  née  ego  tamen  illud  existimari  debes  fal- 
laci  assentione  dixisse,  et  dominicis  verbis  quasi  contrarius  extitisse,  ut  cum 
ijle  dicat  :  Nemo  bonus,  nisi  unus  JJeus,  ego  te  appellaverim  virum  bonum. 
Non  enim  et  ipse  Dominus  contraria  sibi  locutus  est,  ubi  ait  :  Bonus  homo  de 
bono  Ihcsauro  cordis  sui  proferl  bona.  Deus  ergo  singulariter  bonus  est,  et 
hoc  amittere  non  potest.  xNullius  enim  boni  parlicipatione  bonus  est,  quoniam 
bonum  quo  bonus  est,  ipse  sibi  est  :  homo  autem  cum  bonus  est  ab  illo  bonus 
esl,  quod  a  scipso  esse  non  potest.  liUus  enim  spiritu  boni  fiunt  quicumque 
boni  liunl;  cujus  capax  creala  est  nostra  natura  per  propriam  voluntatem. 
Pertincl  Crgo  ad  nos,  ut  boni  simus,  accipcre  et  habcre  quod  dal,  qui  de  suo 
bonus  est.  (S.  .\ugust.,  epist.  CLIIl  ad  Macedon.) 

"2.  Quid  aulcm  eMgamus  quod  praîcipue  diligamus,  nisi  quo  nihil  melius  in- 
venimus?  Hoc  Deus  est,  cui  si  diiigendo  aiiquid  vel  prœponimus,  vel  œqua- 


DE    L  ESSENCE    OU    DE    LA    NATDRE    DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  37 

A  ces  témoignages  de  S.  Augustin  nous  n'ajouterons  que 
quelques  lignes  de  S.  Bernard.  «  Personne  n'est  saint,  dit-il  dans 
€  un  sermon,  personne  n'est  bon,  personne  n'est  juste,  sinon  Dieu 
«  seul,  parce  qu'il  est  bon  par  lui-même  '.  » 

Ailleurs  il  dit  encore  :  «  Dieu  est  tout  bien  et  le  souverain  bien  ; 
«  il  est  en  même  temps  la  douceur,  et  un  genre  de  douceur  qui 
«  s'étend  à  tout  :  Ceux  qui  me  mangent  auront  encore  faim, 
«  dit-il,  et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif  -.  » 

Nous  en  avons  dit  assez  de  la  bonté  de  l'Être  divin.  Cette  bonté 
est  celle  de  Notre-Seigneur  IJésus-Christ,  puisqu'il  est  Dieu.  C'est 
elle,  en  même  temps  que  la  bonté  très  parfaite  de  son  humanité, 
qui  le  retient  captif  parmi  nous,  dans  l'adorable  Sacrement  de 
nos  autels.  Soyons  bons  comme  il  est  bon  et  aimons  ce  bien  su- 
prême, conmie  il  mérite  d'être  aimé  :  Sic  nos  amantem  quis  non 
redamaret  ? 

V. 

SIMPLICITÉ  ABSOLUE,  RÉELLE,  MÉTAPHYSIQUE  ET  LOGIQUE  DE  LA  NA- 
TURE DIVINE  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST  PRÉSENT  DANS  l'eU- 
CHARISTIE. 

Si  l'on  nous  demandait  pourquoi,  dans  un  traité  de  la  dévotion 
au  Très  Saint  Sacrement,  nous  abordons  des  questions  ardues  et 
difficiles,  telles  que  celles  de  la  nature  divine  et  de  ses  attributs, 
nous  répondrions  par  ces  paroles  que  le  divin  Maître  adressait  à 

mus,  nos  ipsos  diligere  nescimus.  Tanto  enim  nobis  melius  est,  quanto  magis 
in  illum  imus,  quo  nihil  melius  est.  Imus  autem  non  ambulando,  sed  amande. 
Quem  tanto  iiabebimus  praesentiorem,  quanto  eumdem  amorem,  quo  in  eum 
tendimus,  potuerimus  habere  puriorem  :  nec  enim  locis  corporalibus  vel 
extenditur  vel  includilur.  Ad  eum  ergo  qui  ubique  prœsens  est  et  ubique 
totus,  non  pedibus  ire  licet,  sed  moribus.  (S.  August..  epist.  CLV  ad  Macedo- 
nium.) 

Citons  encore  ces  paroles  de  S.  Augustin  dans  le  livre  des  Méditations  : 

Deus  vera  et  summa  vita,  a  quo  et  per  quem  et  in  quo  vivunt  omnia  quae- 
cumque  vere  et  béate  vivunt.  Deus  bonum  et.pulcbrum,  a  quo  et  per  quem 
et  in  quo  bona  et  pulcbra  sunt  omnia  qucfcumque  bona  et  pulclira  sunt. 
(Id.,  lib.  Médit.,  cap.  xxxii.) 

4.  Nemo  sanctus,  nemo  bonus,  nemo  justus  nisi  solus  Deus.  (S.  Bernard;, 
de  Grntia  Dei,  serm.  III.) 

2.  Deus  ergo  omne  bonum,  et  summum  bonum,  ctiam  dulcedo,  et  dulce- 
dinis  genus  generalissimum.  Qui  cdunt  me  adhuc  eaurient,  inquit,  et  qui 
bibunt  me  adhuc  siiient.  (In.,  serm.  Il  super  Salve  regina.) 


38  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   I. 

son  Père  céleste,  après  l'institution  de  l'Eucharistie  :  «  La  vie  éter- 
«  nelle,  c'est  qu'ils  vous  connaissent,  vous  le  seul  vrai  Dieu,  et 
t  celui  que  vous  avez  envoyé,  Jésus-Christ.  »  Pour  arriver  à  la 
vie  éternelle,  il  faut  connaître  Dieu.  Mieux  nous  le  connaîtrons, 
mieux  nous  connaîtrons  Jésus-Christ,  Fils  bien-aimé  du  Père,  plus 
nous  marcherons  avec  ardeur  et  sécurité  dans  la  voie  qui  conduit 
à  la  vie  éternelle,  c'est-à-dire,  plus  nos  ânies  seront  pénétrées  de  la 
véritable  dévotion  ;  plus  aussi  nous  goûterons,  dès  ici-bas,  les  pré- 
mices de  cette  éternelle  et  bienheureuse  vie,  dont  la  béatitude  trouve 
sa  source  intarissable  dans  la  connaissance  et  la  contemplation  de 
la  divinité  et  de  l'humanité  glorieuse  de  Notre-Seigneur.  Ne  con- 
vient-il pas  que  nous  nous  efforcions  de  connaître,  autant  qu'il 
nous  est  possible  ici-bas,  ce  Dieu,  l'unique  objet  de  notre  espérance 
et  de  notre  amour?  Lorsque  nous  nous  prosternons  au  pied  de 
l'autel  oîi  la  victime  divine  s'immole  chaque  jour  pour  nous,  ne 
faui-il  pas  que  nous  ayons  au  moins  une  idée  des  grandeurs  infi- 
nies de  notre  adorable  victime?  Il  est  vrai  que  les  âmes  simples 
reçoivent  parfois,  dans  leurs  pieuses  méditations,  des  lumières 
auxquelles  les  théologiens  n'atteignent  que  difficilement.  Mais  ce 
sont  là  des  grâces  particulières  sur  lesquelles  il  serait  présomp- 
tueux de  compter,  et  qui  ne  dispensent  nullement  de  recourir, 
lorsqu'on  le  peut,  aux  sources  ordinaires  de  lumière  que  Dieu  a 
mises  à  notre  portée. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie  est,  par 
sa  nature  divine,  l'Être  infiniment  vrai  et  infiniment  bon.  Il  est 
aussi  l'Être  infiniment  simple. 

Disons  d'abord,  en  nous  réservant  d'y  revenir  plus  tard,  que  la 
trinité  des  personnes  en  Dieu  ne  nuit  aucunement  à  la  simplicité 
parfaite  de  sa  nature,  qui  est  une  et  complète  en  chacune  d'elles. 
Mais  ne  pourrait-on  pas  établir  qu'il  existe  une  distinction  réelle 
entre  l'essence  divine  et  ses  attributs?  Ne  faudrait-il  pas  admettre 
au  moins  que  les  attributs  sont  différents  entre  eux?  S'il  en  était 
ainsi,  la  simplicité  n'existerait  pas  en  Dieu  ;  on  devrait  recon- 
naître en  lui  division  et  composition.  Or  la  simplicité  de  Dieu  est 
absolue.  C'est  une  vérité  de  foi.  Le  IV  concile  de  Latran  l'a  solennel- 
lement dé(;laré  :  Dieu  est  une  essence,  substance  ou  nature  ab- 
solument simple.  Ses  divers  attributs  ne  nuisent  donc  en  rien  à 
sa  simplicité.  Il  n'en  est  pas  de  Dieu  comme  des  êtres  bornés.  Dieu 
est  esprit  :  notre  ànie  aussi  est  esprit  ;  mais  les  facultés  de  notre 


DE    L  ESSENCE    OU   DE   LA    NATURE    DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  39 

âme  sont  parfaitement  distinctes  entre  elles;  notre  intelligence 
n'est  pas  notre  mémoire,  et  celle-ci  n'est  pas  notre  volonté  ;  il  en 
est  de  même  des  autres  qualités  que  nous  pouvons  avoir.  Mais  en 
Dieu  tout  est  un. 

Pour  mieux  comprendre  qu'il  en  soit  ainsi,  remarquons  d'abord 
qu'il  existe  plusieurs  modes  de  distinctions  '. 

Il  y  a  la  distinction  réelle  :  c'est  celle  que  l'on  constate  entre 
deux  choses  séparables  l'une  de  l'autre,  par  exemple  entre  le  corps 
et  l'âme;  ou  bien  simplement  entre  une  chose  et  son  mode  d'être; 
par  exemple,  entre  le  doigt  et  l'inflexion  du  doigt  :  le  doigt  et  l'in- 
flexion ne  vont  qu'accidentellement  ensemble  et  sont  très  sépara- 
bles; un  doigt  peut  trèsbien  n'être  pas  infléchi,  et  une  chose  courbée 
n'être  pas  un  doigt.  Il  y  a  la  distinction  purement  métaphysique 
et  logique.  Il  y  a  enfin  la  distinction  de  raison,  qm  n'existe  que  dans 
l'esprit  de  celui  qui  la  fait.  Une  intelligence  créée  ne  peut  pas 
saisir  dans  leur  ensemble  les  mystères  infinis  de  l'être  divin  et, 
pour  s'en  faire  une  idée  quelconque,  elle  doit  se  créer  une  multi- 
tude de  concepts  différents,  et  supposer  en  Dieu  des  distinctions 
qu'elle  sait  bien  ne  pas  exister  dans  la  réalité. 

Il  est  nécessaire  encore  de  bien  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  faut  en- 
tendre par  a^/rï7>M^.  Ou  nomme  attribut  toute  perfection  qui  convient 
à  Dieu  et  que  l'on  reconnaît  en  lui.  Les  attributs  sont  de  deux  sortes, 
les  uns  positifs,  les  autres  négatifs.  Les  attributs  positifs  sont 
ceux  que  l'on  énonce  de  Dieu  par  affirmation  ;  par  exemple,  on  dit 
qu'il  est  bon,  qu'il  est  sage.  Les  attributs  négatifs  sont  ceux  que 
l'on  énonce  sous  forme  de  négation,  pour  rejeter  loin  de  lui  ce  qui 
serait  une  imperfection  pour  la  nature  divine,  telles  sont  l'infinité 
qui  exclut  tout  terme  et  toute  limite  ;  Timmortalité  qui  exclut  la 
souffrance  et  la  mort. 

Il  y  a  aussi  les  attributs  relatifs  et  les  attributs  absolus.  Les 
attributs  relatifs  conviennent  à  Dieu  non  pas  précisément  parce 
qu'il  est  Dieu,  mais  pour  une  autre  raison  :  c'est  ainsi  que  la  pa- 
ternité convient  à  la  première  personne  de  la  Sainte  Trinité,  à 
cause  de  sa  relation  avec  la  seconde  personne  qui  est  son  Fils. 
Les  attributs  absolus  conviennent  à  Dieu  uniquement  parce  qu'il 
est  Dieu,  comme  la  bonté,  la  sagesse,  la  sainteté. 

Il  sera  aisé  maintenant  de  montrer  que  l'on  ne  peut  admettre 

i.  Voir  principalement  .\nt.  Boucat,  Theol.  Pntr. 


4ft  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II. CHAP.   I. 

aucune  distinction  réelle,  ni  entre  Dieu  et  ses  attributs,  soit  absolus^ 
soit  relatifs,  ni  entre  les  attributs  absolus  considérés  chacun  à  part. 
La  Sainte  Écriture,  l'autorité  des  conciles  et  des  Pères,  la  raison 
elle-même,  nous  fourniront  les  preuves  de  cette  vérité. 

On  lit  dans  l'Évangile  selon  S.  Jean,  au  chapitre  x%  verset  30, 
cette  parole  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  aux  Juifs  :  «  Moi  et 
«  mon  Père,  nous  sommes  une  seule  chose  :  Ego  et  Pater  unum 
<i  sumus.  »  Ces  quelques  mots  seuls  suffisent  pour  montrer  d'une 
manière  évidente  que  l'on  ne  peut  admettre  en  Dieu,  aucune  dis- 
tinction réelle,  et  que,  si  notre  esprit  en  conçoit  quelqu'une,  elle 
est  purement  subjective.  En  effet,  quelle  distinction  réelle  peut-il 
exister  là  où  tout  est  une  seule  et  unique  chose?  Or,  il  en  est  ainsi 
en  Dieu  :  tout  est  un.  Le  Père  est  Dieu;  le  Fils  est  Dieu  et  il  est  un 
même  et  unique  Dieu  avec  le  Père  ;  le  Saint-Esprit  est  Dieu,  et  il  est 
un  même  et  unique  Dieu  avec  le  Père  et  le  Fils.  Dieu  ou  la  nature 
de  Dieu  n'est  donc  pas  divisée  même  par  la  distinction  des  per- 
sonnes divines;  à  plus  forte  raison  ne  l'est-elle  pas  pour  rien  de  ce 
que  notre  intelligence  conçoit  en  elle  comme  distinct,  à  cause  de 
notre  impuissance  à  comprendre  Dieu  dans  toute  la  simplicité  et  la 
perfection  infinie  de  son  être.  Dieu  est  donc  sa  propre  sagesse  ;  il 
est  sa  vie  ;  il  est  sa  justice.  Tout  n'est  en  lui,  dans  la  réalité,  qu'une 
seule  et  même  chose  :  Ego  et  Pater  unum  sumus. 

Le  Concile  de  Reims  célébré  en  1148,  sous  le  pontificat  du  pape 
Eugène  III,  eut  à  s'occuper  de  certains  hérétiques  qui  prétendaient 
établir  une  distinction  réelle  entre  Dieu,  sa  divinité  et  ses  attributs. 
A  cette  occasion,  le  saint  concile  définit  ainsi  la  croyance  de  l'Église 
sur  ce  point  :  «  Nous  croyons  que  la  simple  nature  de  la  divinité 
«  est  Dieu,  et  que,  dans  le  sens  catholique,  on  ne  peut  pas  nier  que 
«  Dieu  est  la  divinité,  et  que  la  divinité  est  Dieu.  S'il  est  dit  quel- 
«  quefois  du  Seigneur  qu'il  est  sage  par  sa  sagesse,  grand  par  sa 
«  grandeur.  Dieu  par  sa  divinité,  si  l'on  rencontre  encore  d'autres 
«  expressions  analogues,  nous  croyons  que  la  sagesse  par  laquelle 
«  Dieu  est  sage  n'est  autre  que  Dieu  lui-même,  que  la  grandeur 
«  par  laquelle  il  est  grand  est  encore  lui  ;  que  l'éternité  en  vertu 
«  de  laquelle  il  est  éternel  est  lui;  qu'il  est  lui-même  l'unité  par 
<i  laquelle  il  est  un,  qu'il  est  la  divinité  par  laquelle  il  est  Dieu  ; 
«  en  un  mot,  que  Dieu  est  à  lui-même  sa  sagesse,  sa  grandeur, 
*  son  éternité,  sa  divinité....  Lorsque  nous  parlons  des  trois 
«  personnes  divines,  nous  confessons  qu'elles  sont  un   seul  et 


DE   l'essence    ou    DE  LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  41 

t  même  Dieu,  une  substance  divine  unique  ^  »  Le  Concile  de 
Reims,  auquel  assistait  S.  Bernard,  ne  séparait  donc  la  nature 
divine  ni  des  personnes  ni  des  attributs.  Il  ne  reconnaissait  pas 
davantage  de  distinction  réelle  entre  les  attributs  différents;  pour 
lui,  tout  est  unité  en  Dieu,  tout  est  une  seule  et  même  entité. 

Le  quatrième  Concile  de  Latran,  convoqué  par  le  grand  pape 
Innocent  III  et  tenu  en  l'an  1215,  formula  la  déclaration  suivante 
en  condamnation  de  quelques  erreurs  de  l'abbé  Joachim  :  «  Il  existe 
«  un  être  suprême,  l'incompréhensible  et  inestimable  essence 
«  divine,  qui  est  véritablement  Père,  Fils  et  Saint-Esprit.  Les  trois 
«  personnes  ensemble  sont  cet  être,  et  chacune  d'elles  prise  en  par- 
€  ticulier  l'est  aussi,  et  c'est  pourquoi  il  y  a  en  Dieu  seulement 
«  trinité  et  non  quaternité  *.  »  Si  la  divinité  n'était  pas  Dieu,  si 
la  sagesse  divine  n'était  pas  Dieu,  il  n'y  aurait  pas  seulement  qua- 
ternité en  lui  mais  autant  d'entités  distinctes  que  de  perfections, 
ce  qui  est  absolument  contraire  à  la  foi.  Il  n'y  a  donc  rien  en  Dieu 
qui  porte  trace  d'une  distinction  réelle,  et  par  conséquent  aucune 
distinction  de  ce  genre  n'existe. 

On  pourrait  trouver  dans  d'autres  Conciles  des  textes  ana- 
logues, par  exemple  dans  celui  de  Florence  ^,  mais  ce  que  nous 

{.  Credimus  et  confitemur  simplicem  naturam  divinitatis  esse  Deum,  nec 
aliquo  sensu  catholico  posse  negari  quin  divinitas  sit  Deus,  et  Deus  divinitas  : 
si  sicubi  dicitur  Domini  sapientia  sapientem,  magnitudine  magnum,  divinitate 
'Deum  esse,  et  alia  hujusmodi,  credimus,  non  nisi  ea  sapientia,  quae  est  ipse 
Deus  sapientem  esse  ;  non  nisi  ea  magnitudine,  quœ  est  ipse  Deus,  magnum 
esse;  non  nisi  ea  seternitate,  quae  est  ipse  Deus,  ceternum  esse;  non  nisi  ea 
unitate  unum  quae  est  ipse  ;  non  nisi  ea  divinitate  Deum,  quae  est  ipse,  id  est, 
seipso  sapientem,  magnum,  seternum,  unum  Deum....  Oum  de  tribus  per- 
sonis  loquimur....  ipsas  unum  Deum,  unam  divinam  substantiam  esse  fate- 
mur.  (Exact,  concil.  Bhem.,  anno  Hi8  celebrati.) 

2.  Una  qusedam  summa  res  est,  incomprehensibilis  quidem  et  inaestimabilis, 
divina  essentia,  quae  veraciter  est  Pater,  Filius  et  Spiritus  Sanctus;  très  simul 
personae,  et  sigillatim  quaelibet  earumdem,  et  ideo  inde  Trinitas  est  solum- 
modo,  non  quaternilas,  quia  quaelibet  trium  personarum  est  iila  res.  (Concil. 
Lateran.  IV,  cap.  ii.) 

3.  Fiorentinum  suum  addit  calcuium  tantae  veritati  dicens  omnia  in  Deo 
esse  unum,  ubi  non  obviât  relationis  oppositio.  Enimvero  sess.  XVIII,  Joannes 
pro  Latinis  Graecos  sic  alloquitur  :  «  Vos  quœritis  an  idem  sit  in  personis  di- 
M  vinis  substantia  et  persona  seu  hypostasis;  nos  vero  dicimus  substantiam 
«  etpersonam  seu  hypostasim  idem  esse  re,  diiïerre  autem  noslro  intelligendi 
•«  modo.  »  Tune  Marcus  Ephesinus  pro  Grapcis  respondens,  dixit  :  «  Hac  in 
«  parte  iiulla  discrepantia.  »  Ex  bis  ïioc  cftingitnr  arguniontum  :  Ouy.  rêvera 
sunt  unum  et  idem,  nuilo  modo  realiler  dislinguunlur,  quia  distint-lio  realis 
intercedit  solum  inter  res  plures;  sed  ex  Florentine  omnia  in  Deo  sunt  una 


42  LA    SAINTE    EUCUAKISTIE.  —  Il'=  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.    I. 

avons  rapporté  suffit  pour  mettre  en  évidence  la  croyance  de 
rÉglisc. 

Si  maintenant  nous  interrogeons  les  Pères  de  l'Église,  nous 
trouverons  dans  leurs  écrits  le  même  enseignement. 

S.  Denys,  cité  par  Euthymius,  s'exprime  ainsi  :  «  Dieu  est  unité 
«  et  il  ne  l'est  pas  :  il  est  unité  parce  qu'il  est  l'unité  elle-même; 
€  il  ne  l'est  pas  parce  qu'il  est  supérieur  à  toute  unité  et  que  c'est 
«  par  lui  que  toute  unité  existe  K  » 

S.  Grégoire  de  Nazianze  dit,  en  parlant  des  trois  adorables  per- 
sonnes de  la  Sainte  Trinité  :  «  Elles  sont  vies  et  vie,  lumières  et 
«  lumière,  biens  et  bien,  gloires  et  gloire;  elles  sont  le  vrai  et  la 
«  vérité,  l'esprit  de  vérité  ;  elles  sont  saintes  et  la  sainteté  elle- 
même  "'.  » 

Tout,  d'après  ces  paroles  du  saint  docteur,  se  résout  donc  en  Dieu 
dans  l'unité. 

S.  Augustin  exprime  la  même  doctrine  en  ces  termes,  dans  le 
livre  des  Méditations  :  «  Dieu  est  la  véritable  et  suprême  vie,  de  qui, 
«  par  qui  et  en  qui  vivent  toutes  choses  vivant  véritablement  et 
«  d'une  vie  bienheureuse.  Dieu  est  le  boa  et  le  beau  de  qui,  par 
«  qui  et  en  qui  sont  bonnes  et  belles  toutes  les  choses  qui  le 
«  sont  3.  » 

S.  Fulgence  dit  à  son  tour  :  «  Le  Christ,  Dieu  puissant,  est  Dieu 
«  de  telle  sorte  qu'il  est  sa  propre  divinité;  de  môme  il  est  puis- 
«  sant,  et  sa  puissance  c'est  aussi  lui-même;  il  est  grand,  et  sa  gran- 
«  deur  c'est  lui  ;  il  est  sage,  et  sa  sagesse  c'est  encore  lui.  Que  telle 
«  soit  la  doctrine  catholique,  il  est  aisé  de  le  reconnaître  à  ce  signe 
«  que  si  nous  nommons  la  grandeur,  la  bonté,  la  vertu  de  Dieu, 

res,  natura  scilicet  et  personae  et  attributa  ;  nec  reperitur  distinctio  nisi  ubi 
obviât  relationis  oppositio,  quse  quidem  intercedit  inter  personas  ad  invicem 
spectatas.  Igitur  non  est  distinctio  nisi  rationis,  inter  naturam  et  personas, 
inter  naturam  et  attributa,  inter  attributa  etsanctissimas  personas.  (Ant.  Bou- 
CAT,  Theologia  Palrum  scolastico-positiva,  dissert,  m.) 

1.  Deus  unitas  dicitur  et  non  imitas;  unitas  quidem,  quia  est  ipsa  unitas  ; 
non  unitas  vero,  quia  unitate  omni  superior  est,  et  omnis  constitutor  unitatis. 
(S.  DiONYSius,  apud  Eutiiimium,  part.  I.) 

2.  Vitas  et  vitam,  lumina  et  lumen,  bona  et  bonum,  glorias  et  gloriam,  ve- 
rum  et  veritatem,  spiritum  veritatissancta  et  ipsammet  sanctitatem.  (S.  Gre- 
GOR.  IVazianz.,  .serm.  XIII,  apud  Boucat.) 

3.  Deus  vera  et  summa  vita,  a  quo  et  per  quem  et  in  quo  vivunt  omnia 
quaecumque  vere  et  béate  vivunt.  Deus  bonum  et  pulchrum;  a  quo,  per 
quem  et  in  quo  bona  et  pulchra  sunt  omnia  quaecumque  bona  etpulchra  sunt. 
(S.  August.,  Médit.,  cap.  xxxii.) 


DE    L  ESSENCE    OU    DE   LA    NATURE    DIVINE    UE   JÉSDS-CHRIST.  43 

«  nous  n'entendons  pas  signifier,  sous  ces  divers  noms,  des  choses 
«  différentes,  mais  bien  une  seule  qui  est  l'essence  ou  la  nature 
t  divine  '.  » 

S.  Grégoire  le  Grand  dit  en  deux  mots  :  «  Dieu  est  ce  qu'il  a  '^.  » 
Et  S.  Isidore  :  «  Autre  chose  n'est  pas  ce  que  Dieu  est,  autre  chose 
«  ce  qui  est  en  lui  3.  .>  Enfin,  car  il  faut  se  borner,  citons  encore 
ces  paroles  de  S.  Bernard  :  «  Tout  ce  que  nous  croyons  de  la  divi- 
«  nité  n'est  en  Dieu  qu'une  seule  et  même  chose....  La  simplicité 
«  d'essence  qu'il  veut  que  l'on  reconnaisse  en  lui  est  absolue; 
«  nulle  chose  n'y  diffère  d'une  autre.  Il  est  grandeur,  il  est 
«  bonté  ^.  » 

D'après  ces  textes  et  d'autres  semblables  qu'on  lit  dans  les  écrits 
des  Pères,  Dieu  est  sa  vie  même,  sa  sagesse,  sa  grandeur,  sa  beauté, 
sa  bonté.  Il  n'existe  donc  pas  de  distinction  entre  lui  et  ses  attri- 
buts, puisque  de  toute  distinction  il  résulte  nécessairement  que  la 
chose  distinguée  n'est  pas  la  même  que  celle  dont  on  la  distingue. 
C'est  ainsi  que  Tàme  raisonnable  n'est  pas  distinguée  d'elle-même, 
mais  elle  l'est  du  corps,  de  la  science  et  des  autres  perfections 
qu'elle  peut  posséder.  Il  n'existe  donc  pas  de  distinction  réelle, 
entre  l'essence  de  Dieu,  les  personnes  divines  et  les  attributs,  ni 
entre  les  personnes  elles-mêmes,  ni  entre  les  attributs  considérés  à 
part. 

Une  seconde  preuve  de  l'absence  de  toute  division  ou  distinction 
réelle  est  celle-ci  :  Supposez  que  la  divinité  soit  distincte  de  Dieu, 
Dieu  ne  serait  plus  la  substance  divine  parce  que,  dans  les  êtres 
composés  de  parties  différentes,  l'une  n'est  pas  l'autre.  «  Ou  bien  la 
«  divinité  est  substance,  dit  S.  Augustin,  ou  bien  elle  ne  l'est  pas. 
«  Si  elle  est  substance  et  qu'elle  soit  autre  chose  que  le  Père,  ou 
«  que  le  Fils,  ou  que  le  Saint-Esprit,  ou  que  les  trois  personnes 

i.  Christus,  Deus  fortis  sic  est  Deus,  ut  ipse  sit  divinitas  sua,  quemadmo- 
dum  sic  est  fortis,  ut  ipse  sit  virtus  sua;  sic  est  magnus  ut  ipse  sitmagnitudo 
sua....  Claret  nempe  hoc  esse  catholicae  veritatis  ut,  cum  in  Deo  divinitatem, 
magnitudinem,  virtutem....  nominamus....  non  istis  diversis  nominibus  quae- 
dam  diversa,  sed  unum  illud  quod  est  essentia  vel  nalura  certissime  noveri- 
mus.  (S.  P^ULGENT.,in  Hespons.  ad  Ferrandum,  interr.  -2.) 

â.  Deus  hoc  est  quod  habet.  (S.  Gregor.,  lib.  X  Moral.) 

3.  Non  aUud  est  ipse,  et  aliud  quod  in  ipso  est.  (S.  IsinOR.  Hisp.,  lib.  I  de 
Swnmo  honn,  cap.  i,  sent.  0.) 

4.  Quod  de  divinitate  sentimus  unum  in  Deo  sunt....  Deus  hanc  sibi  vindi- 
cat  inerani  singulareiuque  suse  essentiae  siinplicitatein,  ut  non  ahudet  aliud.... 
Deus  est  magnitudo,  bonilas.  (S.  Bernard.,  serin.  LXXX  in  Cant.) 


44  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —   CHAP.   I. 

«  de  la  Trinité  prises  ensemble,  il  faut  nécessairement  admettre 
«  une  autre  substance,  ce  que  la  vérité  réprouve  et  rejette  ^  » 

Autre  raison  encore.  S'il  existait  une  distinction  réelle  entre 
l'essence  divine,  les  personnes  et  les  attributs,  Dieu  ne  serait  plus 
toujours  égal  à  lui-même  :  il  y  aurait  du  plus  et  du  moins  dans 
l'essence  divine.  Elle  serait  quelque  chose  de  plus  grand, 'considérée 
avec  les  personnes  et  les  attributs  que  simplement  en  elle-même, 
puisque,  de  fait,  ce  seraient  là  des  perfections  distinctes  d'elle, 
qui  lui  seraient  unies.  Il  en  serait  de  cette  divine  essence  comme  des 
hommes  qui  deviennent  plus  grands  par  les  perfections  qu'ils  ac- 
quièrent, parce  qu'ils  ne  sont  ni  leur  sagesse,  ni  leur  bonté,  ni 
leur  vertu  :  ces  qualités  s'ajoutent  à  leur  être,  mais  ne  sont  pas  leur 
essence.  Or  il  n'est  pas  admissible,  il  est  absurde  même,  et  par 
conséquent  erroné,  d'admettre  du  plus  ou  du  moins  en  Dieu.  «  Dieu, 
«  dit  encore  S.  Augustin,  n'est  pas  grand  d'une  grandeur  qui  ne 
«  serait  pas  ce  qu'il  est  lui-même,  mais  à  laquelle  il  aurait  seule- 
^«  ment  part....  Si  cela  était,  en  effet,  cette  grandeur  serait  plus 
«  grande  que  Dieu  :  or  il  n'y  a  rien  de  plus  grand  que  Dieu.  C'est 
«  donc  lui-même  qui  est  la  grandeur  en  vertu  de  laquelle  il  est 
«  grand  2.  » 

Gilbert  de  la  Porrée,  évêque  de  Poitiers  vers  le  milieu  du 
XII*  siècle,  avait  enseigné,  entre  autres  erreurs,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  les  termes  Dieu  et  divinité,  La  divinité,  disait-il,  est 
la  forme  de  Dieu,  ce  par  quoi  Dieu  est  Dieu,  mais  qui  n'est  pas 
Dieu,  tout  comme  l'humanité  est  la  forme  de  l'homme,  ce  par 
quoi  l'homme  est  homme.  Il  établissait  une  semblable  dis- 
tinction pour  les  personnes  divines  et  les  attributs.  S.  Bernard 
le  combattit  avec  vigueur.  «  Si  la  divinité,  disait-il,  est  quelque 
«  chose  autre  que  Dieu,  ce  quelque  chose  sera  moindre  que 
«  lui,  ou  plus  grand,  ou  égal  à  lui.  Mais  comment  serait-ce 
«  moindre,  puisque  c'est  par  cela  qu'il  est  Dieu?  Il  reste  donc 
t  que  ce  soit  plus  grand  que  lui,  ou  égal  à  lui.  Si  c'est  plus  grand 

4.  Aut  substanlia  est  (divinitas),  aut  non  est  substantia.  Si  substantia  est,  et 
alla  quam  Pater,  aut  Filius,  aut  Spiritus  sanctus,  aut  eadem  simul  Tri  ni  tas  ; 
procul  dubio  alia  substantia  est  :  hoc  autem  veritas  refellit  et  respuit.  (S.  Au- 
ousT.,  episl.  CXX,  alias  CXXII,  ad  Consentium.) 

2.  Deus  non  ea  magnitudine  magnns  est,  quae  non  est  quod  est  ipse,  ut 
quasi  particeps  sitejus  Deus....  aiioquin  illa  erit  major  magnitude  quam  Deus, 
Dec  autem  non  est  aliquid  majus  ;  ea  igitur  magnitudine  magnus  est,  quia 
est  ipse  eadem  magnitudo.  (S.  August.,  lib.  V  de  Trinil.,  cap.  x.) 


DE    l'essence    ou    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  45 

«  que  lui,  c'est  ce  quelque  chose  là  qui  est  le  souverain  bien, 
«  et  non  pas  Dieu.  Si  ce  lui  est  égal,  il  y  aura  deux  souverains 
4  biens.  Or,  l'un  et  l'autre  sont  également  contraires  à  la  foi 
«  catholique  ^  »  On  regrette  de  ne  pouvoir  citer  que  ces  quelques 
lignes  du  sermon  sur  les  Cantiques,  dans  lequel  S.  Bernard  déploie 
toute  la  richesse  de  sa  doctrine  et  toute  la  vigueur  de  sa  dialec- 
tique pour  défendre  la  simplicité  absolue  de  Dieu  contre  les  sub- 
tilités de  l'hérésie. 

S.  Anselme  trouve  une  preuve  de  la  simplicité  réelle  de  Dieu 
dans  ce  fait  que  Dieu  est  l'être  existant  par  lui-même,  qu'il  est  par 
conséquent  son  propre  être,  et  que  cet  être  est  tout  en  lui,  coquine 
serait  pas  s'il  existait  une  distinction  réelle  entre  l'essence  divine, 
les  personnes  et  les  attributs.  Alors  on  ne  pourrait  plus  dire  que 
Dieu  est  tout,  mais  qu'il  possède  tout.  Il  ne  serait  plus  le  souverain 
bien,  comme  il  convient  à  l'être  suprême  en  qui  tous  les  biens 
doivent  se  confondre  et  n'en  être  qu'un  seul.  «  L'homme,  dit 
a  S.  Anselme,  ne  peut  pas  être  la  justice,  mais  il  peut  posséder  la 
c  justice.  On  comprend  qu'un  homme  juste  ne  soit  pas  la  justice 
a  elle-même  :  elle  est  en  lui.  Mais  de  la  nature  suprême,  on  ne 
«  peut  pas  dire  précisément  qu'elle  soit  juste  parce  qu'elle  possède 
t  la  justice  :  son  être  et  la  justice  ne  sont  qu'un  ~.  » 

Nous  n'ajouterons  rien  à  ces  preuves  de  la  simplicité  de  Dieu.  Il 
nous  suffira  de  faire  remarquer  que  les  attributs  divins  ne  peuvent 
pas  plus  être  distincts  des  personnes  divines,  ou  différents  entre 
eux,  qu'ils  ne  le  sont  de  l'essence  divine.  Tout  en  Dieu  n'est  qu'une 
même  entité,  tout  est  Dieu  lui-même  :  «  Dieu,  dit  encore  S.Bernard, 
«  au  Concile  de  Reims,  c'est  le  Père,  c'est  le  Fils,  c'est  le  Saint-Es- 
«  prit,  c'est  la  sagesse,  c'est  la  bonté.  Voilà  ce  qu'il  faudrait  graver 
a  avec  un  poinçon  d'acier  et  une  pointe  de  diamant.  »  Établir  une 
distinction  réelle  entre  les  attributs  divins  eux-mêmes,  ou  bien 
entre  ces  attributs  et  les  trois  personnes  de  la  Sainte  Trinité,  ce 

1.  Erit  aliquid  quod  non  est  Deus,  aut  nihil  :  quod  si  aliquid  est,  quod  non 
est  Deus,  aut  minor  erit  Deo,  aut  major,  aut  par.  At  quomodo  minor  qua  Deus 
est?  Kestat  ut  aut  majorem  facias,  autparem:  sed  si  major,  ipsa  est  summum 
bonum,  non  Deus;  si  par,  duo  sunt  summa  bona,  non  unum,  quod  utrumque 
calholicus  refugit  sensus.  (S.  Bernard.,  serin.  LXXX  m  Catit.) 

2.  Quoniam  homo  non  potest  esse  justitia,  juslitiam  aulom  hal)ere  potest, 
non  enim  intelligitur  homo  eycistcns  justitia,  sed  habens  justitiam;  at  summa 
nalura  non  proprie  dicitur  justa  quia  habet  justitiam,  sed  existit  justitia. 
(S.  Anselm.,  Monolog.,  cap.  xiii.) 


46  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.    I. 

serait  prétendre  séparer  Dieu  de  lui-même  et  tomber  dans  l'hérésie 
en  même]temps  que  dans  l'absurdité. 

Mais  si  l'on  ne  doit  admettre  en  Dieu  aucune  composition  réelle 
ou  physique,  résultant  de  l'union  de  parties  différentes,  peut-on  en 
dire  autant  de  la  composition  métaphysique  et  logique?  Peut-on 
affirmer  qu'il  n'y  a  pas  en  Dieu,  comme  dans  les  autres  êtres,  ce 
que  les  philosophes  appellent  une  composition  de  matière  et  de 
forme  ;  ou  bien  que  Dieu  n'est  pas  la  même  chose  que  son  essence 
ou  sa  nature;  ou  bien  qu'être  n'est  pas  pour  lui  la  même  chose  que 
son  essence;  ou  bien  qu'il  appartient  à  un  genre  contenant  plu- 
sieurs espèces  dont  il  se  différencie  en  quelque  manière,  ce  qui 
suppose  des  points  de  contact,  des  limites  par  conséquent  et  des 
parties  composantes;  ou  bien  enfin  qu'il  y  a  en  Dieu  quelque  chose 
d'accidentel  n'appartenant  pas  nécessairement  à  son  essence? 

S.  Thomas  traite  ces  différentes  questions  et  y  répond  comme 
il  sait  le  faire. 

Il  n'y  a  pas,  dit-il,  de  composition  de  matière  et  de  forme  en  Dieu, 
parce  qu'il  ne  peut  y  avoir  en  lui  de  matière.  En  effet,  la  matière 
est  simplement  en  puissance  :  or.  Dieu  est  un  acte  pur,  en  qui  rien 
n'est  simplement  en  puissance,  mais  tout  est  en  acte.  En  second 
lieu,  tout  être  composé  de  matière  et  de  forme  tire  sa  perfection, 
sa  bonté,  de  sa  forme  ;  sa  perfection  ne  lui  vient  donc  que  secon- 
dairement, par  participation,  et  de  l'union  de  la  forme  avec  la  ma- 
tière; ce  n'est  plus  la  perfection,  le  bien  par  essence  qui  évidem- 
ment convient  seul  à  Dieu.  Dieu,  qui  est  bon  au  suprême  degré  ou 
plutôt  qui  est  le  bien  absolu,  ne  peut  pas  l'être  par  participation. 
Pour  ce  motif  encore,  il  est  impossible  qu'il  soit  composé  de  ma- 
tière et  de  forme.  Enfin,  Dieu  est  le  premier  moteur,  la  première 
cause  efficiente,  et  comme  tout  être  agit  en  vertu  de  sa  forme,  il  est 
nécessairement  et  essentiellement  sa  propre  forme  sans  adjonction 
de  matière  '. 

1.  Dicendum  quod  impossibile  est  in  Deo  esse  materiam,  1°  quidem  quia 
materia  est  id  quod  est  in  potentia  Ostensum  est  autem  quod  Deus  est  purus 
actus,  non  habens  aliquid  de  potentialitate.  Unde  impossibile  est  quod  Deus 
sit  composilus  ex  materia  et  forma.  2»  Quia  omne  compositum  ex  materia  et 
forma  est  perfectum  et  bonum  per  suam  formam  ;  unde  oportet  quod  sit  bo- 
num  per  participationem,  secundum  quod  materia  participât  formam.  Pri- 
mum  autem  quod  est  bonum  et  optimum,  quod  Deus  est,  non  est  bonum  per 
participationem.  Unde  impossibile  est  quod  Deus  sit  compositus  ex  materia  et 
forma.  3°  Quia  unumquodque  agens  agit  per  suam  formam;  unde  secundum 
quod  aliquid  se  habet  ad  formam,  sic  se  habet  ad  hoc  quod  sit  agens.  Quod 


DE   l'essence    ou    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSDS-CHRIST.  47 

S.  Thomas  prouve  ensuite  qu'il  n'y  a  pas  non  plus  de  distinction 
entre  la  nature  et  l'essence  divine.  Dans  les  êtres  composés  de  ma- 
tière et  de  forme,  dit-il,  la  nature  et  l'essence  diffèrent  nécessaire- 
ment de  leur  objet.  En  effet,  l'essence  ou  la  nature,  ne  renferme 
que  ce  qui  entre  dans  la  définition  de  l'espèce  ;  par  exemple,  l'hu- 
manité ne  comprend  que  ce  qui  entre  dans  la  définition  de  l'homme 
en  général.  Cette  définition  s'en  tient  aux  éléments  qui  font  que 
l'homme  est  homme;  le  mot  humanité  désigne  uniquement  ce  par 
quoi  un  être  a  droit  au  nom  d'homme.  Mais  la  matière  qui  se  ren- 
contre dans  les  individus,  avec  les  accidents  qui  distinguent  les 
hommes  entre  eux,  n'entre  pas  dans  la  définition  de  l'espèce.  Lors- 
qu'on définit  l'homme,  les  chairs,  les  os,  la  blancheur  ou  la  noir- 
ceur du  teint  ne  sont  pas  mentionnés;  ces  chairs,  ces  os,  ces  acci- 
dents qui  distinguent  ot  particularisent  la  matière  ne  rentrent  pas 
dans  l'humanité  :  cependant  tout  cela  fait  bien  partie  de  l'homme. 
II  y  a  donc  dans  un  homme  certaines  parties  qui  sont  étrangères 
à  l'humanité  :  l'homme  et  l'humanité  ne  sont  pas  identiquement 
la  même  chose.  L'homme  est  composé  de  matière  et  de  forme  : 
l'humanité  est  la  partie  formelle  qui  s'individualise  dans  la  matière, 
et  de  cette  union  de  la  matière  et  de  la  forme  résulte  l'homme. 
Mais  dans  les  êtres  qui  ne  sont  pas  composés  de  matière  et  de  forme, 
la  forme  ne  s'individualise  pas  par  son  union  avec  une  matière  qui 
n'existe  pas;  elle  esta  elle-même  son  propre  principe  d'individua- 
lisation; elle  subsiste  en  elle-même,  sans  être  soutenue  par  quelque 
chose  qui  ne  soit  pas  elle.  Les  formes,  en  ce  cas,  sont,  dit  S.  Tho- 
mas, des  suppôts  subsistants,  supposita  subsistantia.  En  de  tels 
êtres,  il  n'y  a  donc  pas  de  différence  entre  le  suppôt  et  la  nature  ; 
d'oli  il  suit  que  Dieu,  qui  n'est  pas  composé  de  matière  et  de  forme, 
mais  absolument  simple,  est  à  lui-même  sa  divinité,  sa  vie,  et  tout 
ce  que  l'on  peut  affirmer  de  lui  '. 

igitur  primum  est  et  per  se  agens,  oportet  quod  sit  primo  et  per  se  forma. 
Deusaulem  est  primum  agens,  cum  sit  prima  causa  efficiens,  utostensum  est. 
Est  igitur  per  essentiam  suam  forma,  et  non  compositus  materia  et  forma. 
(S.  Thom.,  I  p.,  q.  III,  art.  iJ.) 

1.  Respondeo  dicendum  quod  Deus  est  idem  quod  sua  essentia  vel  natura. 
Ad  cujus  intellectum  sciendum  est,  quod  in  rébus  compositis  ex  materia  et 
forma,  necesse  est  quod  dilïerant  natura  vel  essentia  et  suppositum.  Quia 
essentia  vel  natura  comprehendit  in  se  tantum  illa  i\\\x.  cadunt  in  definitione 
speciei,  sicut  humanitas  comprehendit  in  se  ea  quac  cadunt  in  definitione 
hominis  ;  his  enim  homo  est  homo,  et  hoc  significat  humanitas,  sciiicct  illud 
quo  homo  est  homo.  Sed  materia  individualis  cum  accidentibus  omnibus  indi- 


48  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —   LIVRE   H.  —  CHAP.    I. 

Le  cardinal  de  Lugo  trouve  cette  raison  subtile,  et  en  même 
temps  peu  concluante,  parce  qu'elle  pourrait  s'appliquer  tout  aussi 
bien  à  toutes  les  substances  spirituelles.  Plusieurs  des  commenta- 
teurs de  S.  Thomas  la  leur  appliquent  en  effet,  et  disent  qu'on  ne 
doit  pas  distinguer  en  elles  le  suppôt  de  la  nature;  mais  de  nom- 
breux passages  de  S.  Thomas  démontrent  que  telle  n'était  pas  sa 
pensée.  S.  Thomas,  dit  Suarez,  exclut  de  Dieu  tout  principe  indi- 
vidualisant l'essence  divine,  extrinsèque  à  cette  essence,  et  en  cela 
il  semble  mettre  sur  le  même  rang  que  lui  les  substances  immaté- 
rielles. Mais  il  est  évident  qu'il  ne  se  trouve  en  Dieu  rien  d'acci- 
dentel, comme  le  saint  docteur  le  prouve  quelques  pages  plus  loin, 
et  sans  attendre  cette  preuve  qui  viendra  en  son  temps,  il  conclut 
immédiatement  que  Dieu  est  sa  propre  divinité,  ce  qu'il  ne  dit 
pas  des  autres  substances  immatérielles,  parce  qu'il  y  a  en  elles 
des  qualités  accidentelles  K  Cette  explication  éclaircit  la  doctrine 
de  S.  Thomas  et  montre  qu'il  ne  se  contredit  en  rien. 

Il  n'y  a  pas  non  plus  de  distinction  entre  l'essence  de  Dieu  et  son 
être.  En  effet,  si  l'être  de  Dieu  n'était  pas  son  essence,  mais  quel- 
que chose  de  distinct,  ou  bien  il  en  découlerait,  ou  bien  il  procé- 
derait de  quelque  source  extrinsèque.  Ni  l'une  ni  l'autre  supposition 
n'est  admissible,  parce  que  nulle  chose  ayant  une  cause  ne  peut 
être  sa  cause  à  soi-même;  pour  l'être  il  faudrait  qu'elle  existât 

viduantibus  ipsam  non  cadit  in  definitione  speciei.  Non  enim  cadunt  in  defi- 
nitione  hominis  ha?  carnes  et  haec  ossa,  aut  albedo  vel  nigredo,  vel  aliqua 
hujusmodi.  Unde  hae  carnes  et  haec  ossa  et  accidentia  designantia  hanc  mate- 
riam  non  includuntur  in  humanilate;  et  lamcn  in  eo  quod  est  homo  inclu- 
duntur.  Unde  id  quod  est  homo  habet  in  se  aliquid  quod  non  habct  hurnanitas; 
et  propter  haec  non  est  totaliter  idem  homo  et  hurnanitas.  Sed  hurnanitas 
significatur  ut  pars  formalis  hominis;  quia  principia  definientia  habentse  for- 
maliter  respectu  materise  individuantis.  In  his  igitur  quae  non  sunt  composita 
ex  materia  et  forma,  in  quibus  individuatio  non  est  per  materiam  individualem, 
idest,  per  hanc  materiam,  sed  ipsa;  formée  per  se  individuantur,  oportct  quod 
ipsae  formae  sint  supposita  subsisfentia.  Unde  in  eis  non  diftert  supposilum  et 
natura.  Et  sic  cum  Deus  non  sit  compositus  ex  materia  et  forma,  ut  ostensum 
est,  oportet  quod  Deus  sit  sua  deitas,  sua  vita,  et  quidquid  aliud  sic  de  Deo 
praedicatur.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  q.  m,  art.  3.) 

1.  Deinde  S.  Thomas  excludit  a  Deo  principia  individuanlia,  quae  sint  extra 
essentiam  Dei,  et  quoad  hoc  videtur  œquiparare  illi  substanlias  omnes  imma- 
teriales,  atque,  ex  hac  parte,  negat  dislinctionem  naturae  et  personae  angelis. 
Gum  autem  manifestum  etiam  sit  in  Deo  non  dari  accidentia,  ut  statim  probat 
art.  G,  ideo  immédiate  conclusit,  Deum  esse  suam  Deitatem,  quod  de  aliis 
substantiis  immateriahbus  non  dixit,  quoniam  in  illis  accidentia  dari  saltem 
extra  specificam  naturam  aliis  locis  fatetur,  in  quo  juxta  suam  opinionem  de 
ir^dividuatione  philosophatur.  (Suarez.,  disp.  j;xxi  Metaphys.,  sect.  m,  n.  17.) 


DE    l'essence    ou    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CURlST.  49 

d'abord.  D'autre  part,  il  n'ya  pas  de  cause  existant  avant  Dieu.  En 
second  lieu,  si  l'être  de  Dieu  était  distinct  de  son  essence,  on  pourrait 
dire  que  l'être  est  l'acte  et  l'essence  la  puissance  ;  or,  il  n'y  a  rien 
en  Dieu  de  potentiel,  puisqu'il  est  acte  pur.  Enfin,  ce  qui  possède 
l'être,  sans  que  son  être  soit  son  essence,  ne  le  possède  que  par 
participation,  ce  que  Ton  ne  peut  admettre  de  Dieu  i. 

Les  textes  de  l'Écriture  sainte,  des  Conciles  et  des  Pères  que  nous 
avons  apportés  en  faveur  de  l'absence  de  toute  composition  phy- 
sique en  Dieu,  démontrent  en  même  temps  qu'il  faut  exclure  de 
l'idée  de  son  être  divin  toute  autre  composition,  quelle  qu'elle  soit. 
Dieu  esi  celui  qui  est.  Il  est  la  voie,  la  vérité  et  la  vie.  Quel 
assemblage  de  parties  peut-on  imaginer  dans  celui  qui  est  son  être 
à  lui-même,  qui  est  sa  vie,  qui  est  sa  vérité  ou  plutôt  qui  est  la 
vie,  la  vérité? 

1.  Dicendum  quod  Deus  non  solum  est  sua  essentia,  ut  ostensum  est,  sed 
etiam  suum  esse  :  quod  quidem  multipliciter  ostendi  potest.  1°  Quia  quidquid 
est  in  aliquo,  quod  est  praeter  essentiam  ejus,  oportet  esse  causatum  :  vel  a 
principiis  essentise,  sicut  accidentia  propria,  consequentia  speciem;  ut  risibile 
consequitur  hominem,  et  causatur  ex  principiis  essentialibus  speciei  :  vel  ab 
aliquo  exteriori,  sicut  calor  in  aqua  causatur  ab  igné.  Si  igitur  ipsum  esse  rei 
sit  aliud  ab  ejus  essentia,  necesse  est  quod  esse  illius  rei  vel  sit  causatum  ab 
aliquo  exteriori,  vel  a  principiis  essentialibus  ejusdem  rei.  Impossibile  est  autem 
quod  esse  sit  causatum  tantum  ex  principiis  essentialibus  rei  ;  quia  nulla  res 
sufficit  ad  hoc  quod  sit  sibi  causa  essendi,  si  habeat  esse  causatum.  Oportet 
ergo  quod  illud  cujus  esse  est  aliud  ab  essentia  sua,  habeat  esse  causatum  ab 
alio.  JIoc  autem  non  potest  dici  de  Deo  ;  quia  Deum  dicimus  esse  primam 
causam  efficientem.  Impossibile  est  ergo  quod  in  Deo  sit  aliud  esse,  et  aliud 
ejus  essentia.  2°  Quia  esse  est  actualitas  omnis  formée  vel  naturœ;  non  enim 
bonitas  vel  humanitas  significatur  in  actu,  nisi  prout  signifîcamus  eam  esse. 
Oportet  igitur  quod  ipsum  esse  comparetur  ad  essentiam,  quse  est  aliud  ab  ipso, 
sicut  actus  ad  potentiam.  Cum  igitur  in  Deo  nihil  sit  potentiale,  ut  ostensum 
est  supra,  sequitur  quod  non  sit  aliud  in  eo  essentia  quam  suum  esse.  Sua 
igitur  essentia  est  suum  esse.  3°  Quia  sicut  illud  quod  habet  ignem,  et  non  est 
ignis,  est  ignitum  per  participationem,  ita  illud  quod  habet  esse  et  non  est  esse, 
est  ens  per  participationem  :  Deus  autem  est  sua  essentia,  ut  ostensum  est.  Si 
igitur  non  sit  suum  esse,  erit  ens  per  participationem,  et  non  per  essentiam. 
Non  ergo  erit  primum  ens,  quod  absurdum  est  dicere.  Est  igitur  Deus  suum 
esse  et  non  solum  sua  essentia.  (S.  Tiio.m.,  I  p.,  q.  m,  art.  i.) 


LA    SAINTE    EUCIIARISTIK.    —  T.    IV. 


50  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CUAP.  II. 


CHAPITRE  II 

DKS   ATTRIBUTS  DE  LA  NATURE   DIVINE  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST 
PRÉSENT  AU  TRÈS  SAINT  SACREMENT 

I.  Quelques  mots  sur  les  attributs  divins  ou  les  perfections  de  Dieu  en  général.  — 
II.  Infinité  du  Dieu  de  l'Eucharistie.  —  III.  Son  immensité.  —  IV.  Son  immuta- 
bilité. 

I. 

QUELQUES    MOTS    SUR    LES    ATTRIBUTS    DIVINS    OU    LES    PERFECTIONS 
DE   DIEU    EN   GÉNÉRAL 

La  simplicité  absolue  de  l'Être  divin,  cette  unité  parfaite,  qui  fait 
de  lui  et  de  tout  ce  qui  est  en  lui  une  seule  et  môme  essence,  un 
seul  et  même  être,  étonne  et  déconcerte  notre  intelligence.  Pour 
nous  former  une  idée  de  Dieu  qui  soit  à  notre  portée,  nous  sommes 
obligés  d'établir  des  distinctions  qui  n'existent  pas  en  Dieu  réel- 
lement, mais  qui  pourtant  y  sont  d'une  manière  virtuelle.  Sans 
revenir  sur  la  trinité  des  personnes  divines,  nous  avons  besoin  de 
ne  pas  confondre  les  divers  attributs  de  Dieu.  Nous  savons  que  sa 
miséricorde,  sa  sagesse,  sa  justice,  ne  sont  pas,  dans  la  réalité, 
autre  chose  que  son  être  :  cependant  nous  les  distinguons  l'une  de 
l'autre;  nous  les  distinguons  de  lui,  et  nous  avons  raison  de  le  faire, 
car  la  Sainte  Écriture  nous  enseigne  à  ne  pas  tout  confondre.  Ne 
parle-t-ellc  pas  en  mille  endroits  de  la  grandeur  de  Dieu,  de  sa 
bonté,  de  sa  justice,  de  sa  colère,  de  sa  vengeance,  de  sa  miséri- 
corde? Ces  attributs,  ces  perfections  que  les  créatures  possèdent 
séparément  et  à  des  degrés  divers,  ne  sont  en  Dieu  qu'une  seule  et 
unique  chose  qui  est  lui-même;  dans  cette  unité  elles  existent 
toutes  à  un  degré  infini.  En  Dieu  elles  ne  sont  distinctes  réelle- 
ment ni  de  l'essence  divine,  ni  des  trois  adorables  personnes,  mais 
elles  le  sont  pour  nous,  et  la  distinction  que  nous  en  faisons  n'est 
pas  purement  imaginaire;  elle  a  son  fondement  en  Dieu,  elle  y 
existe  virtuellement. 

«  Nous  pouvons  concevoir  la  Divinité,  dit  Lessius  i,  comme  une 
«  Essence  ou  une  Nature  intellectuelle  infinie,  de  laquelle  émanent 
«  en  quelque  sorte  toutes  ces  perlections  qu'on  appelle  aitribuis  ; 

1.  Lessius,  les  Noms  divins,  ch.  i,  traduction  du  P.  M.  Bouix,  S.  J. 


DES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  51 

<t  mais  ces  attributs  émanent  de  telle  manière  qu'ils  ne  sont  pas 
«  formellement  contenus  dans  la  Divinité  ou  l'Essence  divine,  mais 
<(  qu'ils  ont  seulement  en  elle  leur  fondement,  comme  les  pro- 
«  priétésdans  les  choses  créées.  »  Lessius  ajoute  :  «  Secondement, 
«  nous  pouvons  concevoir  la  Divinité  comme  une  forme  très  sim- 
«  pie  subsistant  par  elle-même,  d'une  perfection  infinie,  qui  con- 

<  tient  formellement  toutes  les  perfections  considérées  dans  leur 
«  suprême  degré  d'élévation,  de  telle  sorte  que  Dieu,  par  cette 
«  forme,  soit  formellement  puissant,  sage,  bon,  saint,  juste,  etc.  ;  et 
«  que  de  plus  il  soit  formellement  la  puissance  elle-même,  la  sagesse, 
«st  la  bonté,  la  sainteté,  la  justice,  etc.,  non  accidentelles,  mais 
«  substantielles  et  subsistant  par  elles-mêmes.  Et  cette  manière  de 
«  concevoir  la  Divinité  est  plus  élevée,  plus  noble  et  plus  digne  de 
«  Dieu....  car  de  cette  manière  l'Essence  divine  contient  formelle- 
«  ment  toute  perfection  simple,  et  non  pas  seulement  en  qualité 
«  de  fondement.  Et  ces  perfections  se  présentent  à  nous  par  forme 

<  de  substance  et  non  pas  par  forme  d'accident  ou  de  propriété 
«  accessoire.  »  Ce  qu'il  importe  absolument  de  savoir,  ce  qu'il  ne  faut 
pas  perdre  de  vue,  de  quelque  manière  qu'on  se  représente  les  attri- 
buts divins,  c'est  que  chacun  d'eux  et  tous  ensemble  ne  sont  avec 
l'essence  de  Dieu  qu'une  seule  et  unique  chose  dans  la  réalité.  La 
distinction  n'existe  que  pour  nos  esprits  qui  ne  sauraient  embrasser 
l'infini. 

Avant  de  considérer  en  particulier  chacune  des  perfections 
divines,  que  nous  devons  reconnaître  en  Notre-Seigneur  présent 
au  Très  Saint  Sacrement,  ou  du  moins  celles  qui  sont  les  principales 
à  nos  yeux,  il  faut  remarquer  que  parmi  elles,  les  unes  sont  absolu- 
ment simples,  c'est-à-dire  n'éveillent  ni  n'admettent  l'idée  d'au- 
cune imperfection,  telles  que  V intelligence,  la  bonté.  On  doit  les 
affirmer  de  Dieu  d'une  manière  absolue  et  dire  sans  restriction 
ni  mesure  aucune  :  Dieu  est  intelligent,  Dieu  est  bon.  D'autres 
qualités,  au  contraire,  supposent  une  imperfection  quelconque;  elles 
éveillent  une  idée  de  perfection  moindre  que  celle  de  leur  contraire, 
par  exemple  l'extension  matérielle,  qui  est  une  perfection  de  la 
matière  serait  une  imperfection  dans  un  esprit.  Ces  sortes  de  per- 
fections auxquelles  on  a  donné  le  nom  de  perfections  mixtes  ne 
peuvent  exister  en  Dieu  et  l'on  ne  doit  pas  les  affirmer  de  lui. 
Personne  ne  peut  dire  que  l'extension  entendue  simplement  con- 
vienne à  Dieu. 


52  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11*   PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.   II. 

Cependant  il  n'y  a  rien  de  bon  dans  les  créatures  qui  ne  vienne 
de  Dieu  et  qui  ne  soit  en  lui  de  quelque  manière.  Gomment  donc 
ces  perfections  mixtes,  inconciliables  avec  la  perfection  souveraine, 
de  Dieu,  peuvent-elles  néanmoins  trouver  en  lui  leur  source.^ 

Dieu  les  possède,  mais  non  pas  telles  qu'elles  sont  réalisées  dans 
les  créatures.  Elles  sont  en  lui,  non  "^diS  formellement^  mais  d'une 
manière  que  l'on  a  nommée  éminente;  elles  y  sont  par  équivalence 
et  virtualité.  Dieu  les  possède  parce  qu'il  possède  les  perfections, 
absolues  qui  les  contiennent  en  racine,  et  dont  elles  sont  simple- 
ment une  application  faite  aux  créatures,  aux  êtres  finis,  qui  ne 
sont  pas  susceptibles  du  degré  de  perfection  suprême.  C'est  ainsi 
que  l'extension  qui  convient  aux  créatures  matérielles  est  renfermée 
dans  l'immensité  de  Dieu  ;  de  même  la  durée  temporelle  est  émi- 
nemment contenue  dans  l'éternité.  Il  les  possède  encore  dans  ce 
sens  qu'il  peut,  au  moyen  de  quelqu'une  de  ses  perfections  absolues, 
telles  que  sa  toute-puissance,  son  intelligence  infinie,  produire  des 
effets  auxquels  atteignent  les  créatures,  moyennant  les  perfections 
d'ordre  inférieur  dont  elles  sont  douées. 

Mais  est-il  vrai  que  Dieu  possède,  comme  nous  venons  de  l'avan- 
cer, toutes  les  perfections? 

Voici  comment  un  savant  auteur  protestant,  Grotius,  que  la  vé- 
rité attirait,  mais  qui  n'arriva  pas  jusqu'à  sa  possession  entière,, 
résout  cette  question  : 

«  Pour  connaître  les  autres  attributs  de  Dieu  (autresque  son  unité), 
«  il  faut  savoir  que  tout  ce  que  l'on  comprend  sous  le  nom  de  perfec- 
«  tion  se  trouve  en  lui.  Toute  perfection  a  eu  un  commencement 
«  ou  n'en  a  pas  eu.  Celle  qui  a  toujours  été  est  une  perfection  de  Dieu, 
«  c'est  un  de  ses  attributs;  celle  qui  a  eu  un  commencement  doit 
«  reconnaître  une  cause  de  sa  production;  et  comme  le  néant  ne 
«  produit  rien,  il  est  évident  que  les  perfections  manifestées  dans 
«  l'effet  étaient  dans  la  cause  ;  autrement  ces  perfections  ne  seraient 
«  pas.  Mais  comme  cette  cause  doit  en  reconnaître  une  autre,  et 
«(  celle-ci  encore  une  autre,  et  ainsi  successivement  jusqu'à  la  pre- 
«  mière,  il  est  clair  que  toutes  ces  perfections  sont  renfermées 
«  dans  la  première  cause.  Or,  cette  première  cause  ne  peut  être 
€  dépouillée  d'aucune  de  ses  perfections,  ni  par  le  temps,  ni  de 
a  quelque  autre  manière  que  ce  soit,  parce  que  ce  qui  est  de  toute 
«  éternité  existe  indépendamment  de  toute  autre  chose,  et  ne  peut 
«  souffrir  aucun  dommage  de  l'action  des  autres  êtres.  Sera-ce 


DES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATDRE    DIVINE    DE   JÉSCS-CHRIST.  53 

<(  d'elle-même  qu'elle  doit  craindre  cette  privation  ?  non  :  toute 
«  nature  tend  toujours  à  sa  propre  perfection  *.  » 

S.  Thomas  fait  remarquer  que  quelques  anciens  philosophes,  les 
pythagoriciens  en  particulier,  ne  crurent  pas  à  la  perfection  ab- 
solue du  premier  principe;  mais  ce  fut  parce  qu'ils  considérèrent 
ce  principe  comme  matériel;  or,  un  premier  principe  matériel  ne 
saurait  être  que  très  imparfait.  La  matière,  en  effet,  simplement 
regardée  comme  matière,  est  surtout  en  puissance,  ce  qui  est  une 
très  grande  imperfection.  Mais  Dieu,  premier  principe,  n'a  rien  de 
matériel  ;  il  est  cause  efficiente  de  toutes  choses,  et  à  ce  titre  il 
doit  être  parfait.  De  même,  en  effet,  que  la  matière,  en  tant  que  ma- 
tière, est  en  puissance,  l'être  essentiellement  agissant  est  en  acte 
au  degré  suprême.  Le  premier  principe,  qui  est  cet  être  essentielle- 
ment agissant,  est  par  conséquent  souverainement  parfait,  car  la 
perfection  est  absolue  là  où  tout  est  en  acte  et  rien  en  puissance  -. 

\.  Grotius,  Vérité  de  la  reiir/ioîi  chrétienne,  ch.  m. 

2.  S.  Thomas,  I  p.,  q.  iv,  art.  1. 

Voici  comment  le  saint  docteur  donne  la  preuve  de  la  perfection  souveraine 
de  Dieu  dans  la  Somme  contre  les  Gentils  : 

«  Licet  autem  ea  quse  sunt  et  vivunt  perfectiora  sint  quam  ea  quae  tantum 
sunt,  Deus  tamen,  qui  non  est  aliud  quam  suum  esse,  est  universaliter  ens 
perfectum,  cui  non  deest  alicujus  generis  nobilitas  ;  omnis  enim  nobilitas 
cujusque  rei  est  sibi  secundum  suum  esse,  nuUa  enim  nobilitas  esset  homini 
ex  sua  sapientia,  nisi  per  eam  sapiens  esset,  et  sic  de  aliis.  Sic  ergo  secundum 
modum  quo  res  habent  esse,  est  suus  modus  in  nobilitate,  nam  res  secundum 
quod  suum  esse  contrahitur  ad  aliquem  specialem  modum  nobilitatis  majo- 
rem  vel  minorera,  dicitur  esse  secundum  lioc  nobilior  vel  minus  nobilis.  Igi- 
tur  si  aliquid  est,  cui  competit  tota  virtus  essendi,  ei  nulla  nobilitas  déesse 
potest,  quae  alicui  rei  conveniat.  Sed  rei  quae  est  suum  esse,  competit  esse 
secundum  totam  essendi  potestatem.  Sicut  si  esset  aliqua  albedo  separata, 
nihil  eide  virtute  albedinis  deesset  ex  defectu  recipientis  albcdinem,  qui  eam 
•secundum  modum  suum  recipit,  et  fortasse  non  secundum  totum  posse  albe- 
dinis. Deus  igitur,  qui  est  suum  esse,  ut  probatum  est,  habet  esse  secundum 
totam  virtutem  ipsius  esse.  Non  potest  ergo  carere  aliqua  nobilitate  quse  ali- 
cui rei  competat.  Sicut  autem  omnis  nobilitas  et  perfectio  inest  rei  secundum 
quod  est,  ita  omnis  defectus  inest  ei  secundum  (juod  aliqualiter  non  est.  Deus 
autem  sicut  habet  esse  totaliter,  ita  ab  eo  lotaliter  absistit  non  esse,  quia  per 
modum  per  quem  habet  aliquid  esse,  déficit  a  non  esse.  A  Deo  ergo  omnis  de- 
fectus abscedit.  Est  igitur  universaliter  perfectus.  Ista  vero  qua?  tantum  sunt, 
non  sunt  imperfecta  propter  imperfeclionem  ipsius  esse  absoluti.  Non  enim 
ipsa  habent  esse  secundum  suum  totum  posse,  sed  participant  esse  secundum 
quemdam  particularom  modum  et  imperfectissimum. 

«  Item  oinne  imperfectum  ab  aliquo  perfecto  necesseest  utproccdat;  semen 
enim  est  ab  animali  vel  a  planta.  Igitur  primum  ens  débet  esse  perfectissi- 
mum.  Ostensum  est  autem  Deum  esse  primum  ens;  est  ergoperfectissimum. 

«  Amplius,  unumquodquc  perfectum  est,  in  ciuanlum  est  actu,  imperfectum 


54  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —    II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  II. 

S.  Thomas  ajoute  que  Dieu  possède  en  lui-même  toutes  les  per- 
fections que  l'on  trouve  dans  les  créatures.  Nous  avons  dit  de  quelle 
manière  elles  sont  en  lui.  Elles  y  sont  parce  que  rien  ne  peut  se 
trouver  dans  l'ellet  qui  n'ait  d'abord  été,  au  moins  en  quelque  ma- 
nière, dans  la  cause.  Elles  y  sont  encore  parce  que  la  plénitude  de 
l'être  est  en  Dieu.  Il  ne  se  trouve  aucune  parcelle  d'être  qu'il  ne 
possède;  or,  les  perfections  sont  justement  ce  qu'il  y  a  d'être  dans 
les  choses.  Elles  doivent  donc  se  retrouver  toutes  en  lui,  au  moins 
d'une  manière  éminente  ou  virtuelle. 

Nous  ne  nous  attarderons  pas  davantage  aux  raisonnements  de 
la  sagesse  humaine.  Il  est  bon  de  les  connaître;  mais  ce  qu'il  faut 
surtout,  c'est  croire  à  la  parole  de  Dieu.  Or,  Dieu  a  daigné  nous 
déclarer  lui-même  qu'il  est  parfait. 

Nous  lisons  dans  l'Exode  que  Dieu  dit  à  Moïse  qui  lui  demandait 
la  grâce  de  contempler  sa  gloire  :  «  Je  te  montrerai  tout  bien  :  > 
Ostendam  omnebonwn  tibi  K  Que  peut-on  entendre  par  cet  omne 
bonian  que  Dieu  promet  à  Moïse  de  lui  faire  voir,  sinon  le  bien 
complet,  le  bien  absolu  qui  comprend  toutes  les  perfections,  et  dans 
lequel  il  n'y  a  place  pour  rien  qui  ne  soit  très  parfait?  Aussi  le 
Psalmiste  avait-il  raison  de  chanter  :  «  Le  Seigneur  est  grand  et 
a  digne  de  louanges  infinies.  A  sa  grandeur  il  n'y  a  pas  de  fin  : 
«  Magnus  Domin  us  et  laudabilis  nimis,  et  inagnitudinis  ejiis  non 
«  est  finis  ~.  »  L'absence  d'une  seule  perlection  suffirait  pour  que 

autem  secundum  quod  est  in  potcntia  cum  privatione  actiis.  Id  igitur  quod 
nullo  modo  est  in  potentia,  sed  est  aclus  punis,  oportet  perfcclissimiim  esse. 
Taie  autem  Deus  est;  est  igitur  perfeclissimus.  »  (S.  Tiiom.,  Snmma  contra 
Getit.,  lib.  I,  cap.  xxviii.) 

Cette  dernière  preuve  est  la  seule  qui  se  retrouve  dans  la  Somme  de  théolo- 
gie. S.  Thomas  en  ajoute  encore  phisieurs  autres  dans  sa  Somme  contre  les 
Gentils.  Nous  y  renvoj'ons  le  lecteur. 

i.  Gènes.,  xxxiii,  19. 

±    Ps.   XLVII,  2. 

Le  P.  Lejcune,  dit  l'Aveugle,  après  avoir  parlé  dans  un  de  ses  sermons  de 
plusieurs  des  principaux  attributs  de  Dieu,  s'exprime  ainsi  : 

«  Toutes  ces  perfections  et  autres  semblables  que  nous  adorons  en  Dieu  ne 
se  connaissent  naturellement  que  par  rapport  et  réflexion  de  celles  qu'il  a 
données  aux  créatures,  et  ensuite  de  l'axiome  qui  dit  que  nul  ne  donne  ce 
qu'il  n'a  pas. 

«  Or  il  pourrait  produire  une  infinité  d'autres  saintes  créatures,  et  il  a  en 
soi  toutes  les  perfections  qu'il  pourrait  leur  communiquer.  Il  est  à  propos  de 
bien  étaler  cette  considération  :  Le  Créateur  a  fait  cet  univers  à  cinq  ordres 
supérieurs  les  uns  aux  autres  :  les  éléments,  les  plantes,  les  animaux,  les 
hommes  et  les  anges;  et  plus  un  ordre  est  élevé,  plus  les  créatures  y  .sont 


DES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSDS-CIIRIST.  o5 

les  paroles  de  David  ne  fussent  plus  justifiées.  Il  y  aurait  des  bornes 
à  la  grandeur  de  Dieu  ;  il  suffirait  même,  pour  que  ces  bornes 
existassent,  que  Tune  de  ses  perfections  n'allât  pas  jusqu'à  Tin- 
fini. 
Dieu  les  possède  donc  toutes  et  à  leur  degré  suprême  ;  celles  qui 

nobles  et  ornées  de  qualités  plus  éminentes.  L'eau,  par  exemple,  qui  n'est 
qu'un  simple  élément,  n'a  pour  qualité  que  la  fraîcheur,  l'humidité,  la  mol- 
lesse. Les  fleurs,  les  arbres,  les  herbes  et  les  fruits,  qui  sont  au  second  rang, 
ont  la  beauté,  les  couleurs,  les  odeurs,  les  saveurs  et  les  vertus  occultes. 
Les  animaux,  qui  sont  au  troisième,  ont  la  vue,  l'ouïe,  le  goût,  l'odorat,  l'at- 
touchement, le  mouvement,  la  vitesse,  l'imagination,  la  mémoire  sensitive  et 
l'industrie.  Les  hommes,  au  quatrième  ordre,  outre  toutes  ces  choses,  ont 
l'esprit,  la  raison,  le  jugement  et:  le  franc  arbitre.  Les  anges,  enfin,  ont  au- 
dessus  de  nous  plusieurs  rares  propriétés  que  nous  ne  connaissons  pas  ;  mais 
Dieu  pourrait  faire  en  un  moment  un  autre  monde  mille  fois  plus  grand,  plus 
spacieux,  plus  peuplé  et  plus  admirable  que  celui-ci;  un  monde  plus  diversifié 
que  les  hiérarchies  des  anges,  oii  il  y  a  autant  d'espèces  que  d'individus,  non 
à  milliers,  mais  à  millions  de  millions;  un  monde  non  à  cinq,  mais  à  dix 
mille  ordres  supérieurs  les  uns  aux  autres;  un  monde  dont  les  moindres 
créatures  du  plus  bas  rang  seraient  plus  nobles  et  auraient  des  qualités  plus 
excellentes  que  le  plus  haut  des  séraphins  :  pensez  quelle  perfection  aurait 
celle  qui  serait  au  plus  haut  de  ces  dix  mille  étages;  et  ayant  fait  ce  monde, 
il  en  pourrait  faire,  un  moment  après,  un  troisième  qui  surmonterait  ce  se- 
cond en  grandeur,  en  noblesse,  en  grand  nombre  d'excellentes  créatures, 
autant  que  le  second  aurait  surpassé  le  premier;  et  ainsi,  à  chaque  moment, 
d'ici  à  cent  mille  ans,  il  pourrait  créer  des  mondes  qui  se  surmonteraient  l'un 
l'autre  en  noblesse,  en  excellence,  en  perfection  :  et  il  a  en  soi  les  perfections 
de  "tous  ces  mondes  possibles  et  imaginables,  et  il  les  a  avec  tant  de  surcroît 
et  d'éminence  que,  s'il  les  avait  produits,  tous  ces  mondes  seraient  moins  en 
comparaison  de  lui  qu'un  grain  de  poussière  en  comparaison  de  tous  ces 
mondes;  car,  comme  a  dit  très  chrétiennement  et  très  doctement  lo  cardinal 
Cajétan  :  Dieu  est  une  infinité  do  fois  infiniment  infini  en  perfections  infi- 
nies :  Infinitis  modis  infimties  infinitiis  in  pevfectionibus  infinitis;  c'est-à- 
dire  qu'il  n'a  pas  seulement  un  nombre  infini  de  perfections,  et  que  ses  per- 
fections ne  sont  pas  seulement  infiniment  relevées,  mais  que  chacune  de  ses 
perfections  contient  en  soi  un  nombre  infini  de  grandeurs,  d'excellences,  de 
raretés  et  de  merveilles.  Pour  cela,  quand  l'Ecriture  traite  de  chacune  de  ses 
perfections  en  particulier,  elle  en  parle  au  nombre  pluriel  et  même  au  nombre 
infini  :  »  Louez  Dieu,  dit-elle,  selon  la  multitude  de  sa  grandeur  »  :  Laudate 
eum  secimdtim  mnllititdinrm  magnitudinifi  cjiis.  (Ps.  cl.)  «  Sa  sagesse  est  in- 
nombrable »  :  Sdjnmlix  rjiis  non  oui  numcrus  {Ps.  cxLVl),  «  et  n'a  point  de 
fin  »  :  Sainenlin-  rjus  non  rst  /inis.  (Ps.  xiv.)  «  Vos  miséricordes  sont  en  grand 
nombre  »  :  Misrricnrdix  lii.v  mn/lx,  Domine.  {Ps.  cxvin.)  <(  Qui  est-ce  qui 
pourrait    compter    votre    colère?   »    Quis    7wvit    irnm    tuai»     <lintimt>rnref 

{Ps.  LXXXIX.) 

«  Il  vous  Semble  que  c'est  beaucoup  dire  que  cela  :  ce  n'est  rien  dire,  c'est 
bégayer  comme  des  enfants,  c'est  ravaler  et  obscurcir  ses  perfections,  d'en 
parler  si  imparfaitement.  "  (P.  Lejeune,  de  l'Oratoire,  serin.  XIII,  Delà  gran- 
deur de  Dieu.) 


56  L\   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    II. 

ne  supposent  aucune  imperfection  et  celles  qui  en  supposent  quel- 
qu'une, mais  d'une  manière  particulière  qui  les  dépouille  en  lui  de 
ce  qu'elles  auraient  d'incompatible  avec  ce  qu'il  est. 

Quelles  sont  ces  perfections  de  Dieu  qui  ne  sont  en  lui  et  avec  lui 
qu'une  seule  et  même  chose,  que  notre  intelligence,  incapable  d'em- 
brasser l'infini,  doit  considérer  sous  divers  aspects  et  avec  des 
noms  différents? 

Bossuet,  dans  les  États  d^ oraison,  livre  II,  nous  montre  les  prin- 
cipales perfections  de  Dieu  présentées  comme  objet  de  notre  foi 
dans  le  symbole  des  Apôtres.  Il  dit  : 

«  Tous  les  attributs  de  Dieu  nous  3^  sont  clairement  proposés 

«  comme  l'unique  fondement  de  notre  espérance.   Et  d'abord  la 

«  toute-puissance  y  est  exprimée  en  termes  formels,  et  déclarée 

«  par  la  création  du  ciel  et  de  la  terre,  où  Véternité  paraît  aussi, 

«  puisque,  si  Dieu  n'était  éternel  et  de  soi-même,  il  serait  créé  et 

a  non  créateur.  La  miséricorde  s'y  trouve  dans  ces  paroles  :  Je 

«  crois  la  rémission  des  péchés,  qui  est  le  commencement  des 

«  miséricordes  de  Dieu,  comme  on  en  voit  la  consommation  dans 

«  l'article  où  est  énoncée  la  résurrection  de  la  chair  et  la  vie  éter- 

«  nelle.  La  justice  est  dans  celles-ci  :  //  viendi^a  juger  les  vivants 

«  et  les  morts.  Là  même  se  doit  entendre  en  Dieu  la  parfaite  com- 

«  préhension  de  toutes  choses  et  même  du  secret  des  cœurs  ;  puisque 

«  c'est  parla  que  les  hommes  seront  jugés,  selon  ce  que  dit  S.  Paul, 

«  qnil  révélera  ce  qu'on  croira  avoir  recelé  dans  les  ténèbres, 

<r  et  mettra  en  évidence  le  secret  des  cœurs,  et  alors  chacun  rece- 

«  vra  de  Dieu  la  louange  qu'il  mérite.  Ce  qui  induit  Vimmensité 

«  de  l'être  divin  présent  à  tous,  sans  qu'on  puisse  se  soustraire  à  sa 

«  providence,  à  sa  justice.  La  vraie  idée  de  la  sainteté  de  Dieu  est 

«  dans  ces  articles  :  Je  crois  au  Saint-Esprit,  la,  communion  des 

«  saints,  la  rémission  des  péchés,  où  l'on  nous  montre  que  la 

«  sainteté  de  Dieu  consiste  en  ce  qu'il  est  saint,  non  pas  d'une  sain- 

«  teté  empruntée,  mais  saint  et  sanctifiant;  non  sanctifié  par  l'in- 

«  fusion  d'une  sainteté  étrangère,  mais  opérant  par  lui-même,  avec 

«  la  rémission  des  péchés,  la  communion  des  saints,  par  la  charité 

«  vivifiante  et  sanctifiante  qui  les  unit  entre  eux  et  avec  Dieu.... 

«r  Que  s'il  y  a  quelques  attributs  plus  cachés,  et  peut-être  moins 

«  nécessaires  à  la  connaissance  de  tous  les  particuliers,  on  sait  en 

a  théologie  qu'ils  sont  renfermés  dans  ceux-ci  que  personne  ne 

«  peut  oublier  sans  mettre  son  salut  en  péril;  qui  est  aussi  la 


DES   ATTRIBUTS    DE   LA   NATDRE   DIVINE    DE   JÉSDS-CHRIST.  57 

<  raison  pour  laquelle  on  les  a  mis  si  expressément  dans  le  Sym- 

<  bole  des  Apôtres.  » 

On  pourrait  demander  ici  :  Tous  les  attributs  de  Dieu  sont-ils 
égaux  ? 

Billuart  répond  à  cette  question  ^  :  Si  nous  voulons  parler  des 
attributs  tels  qu'ils  sont  en  eux-mêmes,  ils  sont  égaux  ;  non  pas  ce- 
pendant d'une  égalité  positive  qui  ne  pourrait  exister  qu'à  la  condi- 
tion d'une  distinction  réelle  entre  eux,  ce  qui  n'est  pas,  mais  d'une 
égalité  négative.  Ils  sont  égaux  en  ce  sens  qu'aucun  d'eux  ne  dé- 
passe les  autres,  puisqu'ils  consistent  tous  en  une  seule  et  môme 
chose. 

Si  nous  entendons  parler  des  attributs  divins,  non  plus  tels  qu'ils 
sont  en  eux-mêmes,  mais  tels  que  notre  intelligence  bornée  nous 
permet  de  les  concevoir,  il  faut  distinguer.  Nous  pouvons  les  con- 
sidérer comme  étant  l'être  incréé,  l'être  infini  avec  lequel  ils  se 
confondent  :  en  ce  sens,  ils  sont  nécessairement  égaux,  puisque  cet 
être  infini  est  d'une  manière  égale,  indivisible  et  unique,  l'être  de 
chacun  d'eux.  Mais  nous  pouvons  les  considérer  aussi  dans  leur 
analogie  avec  les  perfections  que  les  créatures  offrent  à  nos  yeux.  A 
ce  point  de  vue,  on  peut  dire  que  les  attributs  de  Dieu  ne  sont  pas 
tous  égaux.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  l'on  pourra  placer  l'intel- 
ligence ou  la  science  de  Dieu  au-dessus  de  son  immensité  ou  de 
quelque  autre  de  ses  attributs  négatifs. 

On  pourrait  demander  encore  si  les  anges  et  les  saints  du  ciel 
établissent  comme  nous  une  distinction  de  raison  entre  l'essence  de 
Dieu  et  ses  attributs.  Cette  question  est  controversée,  mais  l'opinion 
qui  semble  la  plus  probable  est  que  les  heureux  habitants  du  ciel 
n'ont  pas  besoin  de  recourir  à  ce  moyen  artificiel  pour  se  rendre 
compte  de  la  perfection  infinie  de  l'être  divin.  Deux  causes  nous 
obligent  sur  la  terre  à  établir  une  distinction  de  raison  entre  Dieu 
et  ses  attributs  :  sa  grandeur  sans  mesure  et  les  bornes  de  notre 
intelligence,  qui  ne  nous  permettent  pas  de  nous  élever  si  haut. 
Dieu,  au  contraire,  embrasse  d'un  seul  regard  toute  l'infinité  de  son 
être,  et  l'on  peut  en  dire  autant,  proportion  gardée,  des  bienheureux 
qui  jouissent  de  la  vision  béatifique;  d'un  seul  regard  ils  voient 
Dieu  dans  la  simplicité  de  son  essence.  Mais  on  peut  admettre 
qu'ils  possèdent  en  même  temps  une  autre  connaissance  analogue 

{.  Billuart,  Tmct.  de  Deo,  dissert,  ii,  circa  lincm. 


58  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    II. 

à  la  nôtre,  qui  leur  permet  de  voir  non  seulement  l'essence  divine 
dans  son  absolue  simplicité,  mais  chacun  de  ses  attributs  pris  à 
part. 

En  attendant  qu'il  nous  soit  donné  de  contempler  dans  la  lumière 
de  la  gloire  ces  attributs,  ces  perfections  infinies  qui  sont  en  Dieu 
et  qui  sont  Dieu  lui-même,  nous  ne  pouvons  oublier  que  notre 
divin  Jésus,  présent  dans  l'Eucharistie,  les  possède  toutes  puisqu'il 
est  Dieu.  Nous  avons  donc  besoin  de  les  connaître. 

Nous  savons  qu'étant  Dieu  il  est  l'être  nécessaire  existant  par  lui- 
même.  Nous  avons  dit  qu'il  est  un  pur  esprit  n'ayant  rien  de  com- 
mun avec  la  matière;  qu'il  est  absolument  simple  et  qu'il  est  cepen- 
dant un  Dieu  en  trois  personnes,  qu'il  est  la  vérité  et  le  bien  infini. 
Ajoutons  qu'il  est  immense,  éternel,  incompréhensible,  invisible  à 
l'œil  corporel;  invisible  à  l'œil  de  l'intelligence,  visible  cependant 
à  l'intelligence  créée,  en  vertu  d'un  don  surnaturel.  Il  connaît  toutes 
choses  existantes,  passées,  futures  ou  simplement  possibles;  il 
possède  une  volonté  libre  et  toute  parfaite;  il  est  tout-puissant;  il 
est  infiniment  sage,  infiniment  saint,  infiniment  miséricordieux, 
infiniment  juste. 

L'étude  et  la  méditation  des  perfections  admirables  de  Notre- 
Seigneur  ne  pourra  qu'exciter  en  nous  une  dévotion  toujours  plus 
ardente  envers  le  sacrement  d'amour  où  il  se  fait  prisonnier  pour 
nous,  avec  tous  ses  attributs  divins. 

II. 

INFINITÉ    DU    DIEU    DK    l'eUCIIAUISTIE 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  voilé  à  nos  regards  sous  les  appa- 
rences d'un  peu  de  pain  et  d'un  peu  devin,  paraît  bien  petit.  Cepen- 
dant, aux  yeux  de  la  foi,  il  est  le  Dieu  que  nous  adorons,  le  Dieu 
du  ciel  et  de  la  terre,  et  parce  qu'il  est  Dieu,  il  est  infini.  Que  faut-il 
entendre  par  Vinfinilé? 

On  distingue  plusieurs  infinités,  ou  plutôt  plusieurs  aspects  sous 
lesquels  on  peut  considérer  l'infinité  :  celle  de  l'étendue  qui,  si 
elle  était  possible,  s'appliquerait  à  la  matière;  celle  de  la  puissance 
qui  ne  connaît  rien  au-dessus  de  ses  forces;  celle  de  l'essence  qui 
suppose  une  substance  immense  et  illimitée;  celle  de  la  perfection 
qui  exclut  toute  possibilité  de  perfection  plus  grande;  celle  de  la 
durée  qui  n'admet  d'autre  mesure  que  l'éternité. 


DES   ATTRIBUTS   DE   LA    NATURE    DIVINE    DE  JESUS-CHRIST.  59 

Qu'il  existe  un  être  infini,  nul  ne  peut  refuser  de  l'admettre,  sans 
nier  en  même  temps  qu'il  y  ait  un  être  nécessaire,  existant  par  lui- 
même,  et  possédant  ainsi  la  plénitude  de  son  existence.  Si  cet  être 
n'était  pas  infini,  qui  donc  lui  aurait  posé  des  limites?  Il  ne  pou- 
vait le  faire  lui-même,  puisqu'il  aurait  fallu  qu'il  fût  sa  propre 
cause  et  qu'il  existât  avant  d'exister.  Encore  moins  un  autre  être 
le  pouvait-il,  puisqu'il  aurait  dû,  pour  le  faire,  être  antérieur  à  l'être 
nécessaire  existant  par  lui-môme  et  cause  première  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  lui  '. 

i.  Nous  citerons  ici  une  page  de  Montaigne  dont  nous  respecterons  le  lan- 
gage un  peu  vieilli  : 

«  D'autant  qu'il  est  impossible  que  la  créature  enjambe  au-dessus  de  son 
Créateur,  il  est  aussi  impossible  que  l'homme,  par  son  discours,  voie  et  monte 
au-dessus  de  la  divine  essence.  Ainsi  notre  intelligence,  nos  cogitations,  nos 
souhaits  mêmes  ne  peuvent  ni  imaginer  ni  embrasser  rien  de  plus  haut  ou  de 
plus  grand  que  celui  de  la  libéralité  duquel  nous  tenons  toute  notre  suffi- 
sance ;  et  tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir  de  meilleur  ne  peut  être  meil- 
leur que  Dieu  :  autrement  la  créature  aurait  quelque  chose  en  soi  qui  serait 
plus  grande  que  le  Créateur  même,  à  savoir  l'homme,  son  cœur  capable  d'une 
telle  conception  :  ce  que  nous  voyons  être  d'une  merveilleuse  absurdité.  Car 
comment  aurait  le  Créateur  donné  quelque  présent  à  sa  créature  plus  grand 
qu'il  n'est?  Si  donc  l'extrême  force  de  notre  intelligence  ne  se  peut  allonger 
outre  la  grandeur  de  notre  facteur,  et  que  toutefois  elle  soit  capable  de  l'in- 
finité, tout  ainsi  que  les  nombres  :  de  sorte  que  se  présentant  quelque  chose 
finie  à  notre  imagination,  nous  puissions  toujours  la  pousser  au  delà,  et  en 
imaginer  une  plus  grande  et  meilleure,  il  s'ensuit  infailliblement  que  notre 
facteur  est  infini  en  toute  perfection.  Par  la  différence  de  l'homme  aux  autres 
choses,  qui  se  tire  de  la  puissance  qui  est  en  nous  d'entendre,  de  penser  et 
de  désirer,  il  s'en  engendre  une  très  belle  considération  qui  sert  comme  de 
racine  et  de  moyen  pour  connaître  et  prouver  très  certainement  et  sans  peine 
toutes  les  qualités,  les  circonstances  qui  sont  en  Dieu,  et  qui  plus  est,  cette 
manière  d'argumentation  nous  est  d'autant  plus  familière  que  nous  la  prenons 
de  nous-mêmes  et  de  notre  propre  intelligence,  sans  qu'il  soit  besoin  de  nous 
mettre  en  quête  d'autres  exemples  hors  de  nous,  ou  d'aucunes  preuves  étran- 
gères. La  considération  et  règle  de  quoi  je  parle  est  telle  :  Dieu  est  ce  qui  se 
peut  concevoir  de  plus  grand;  ou  /;ù'n,  Dieu  est  plus  grand  que  nulle  autre 
chose  qu'on  puisse  concevoir;  il  est  donc  tout  ce  qui  se  peut  imaginer  de  plus 
accompli,  et  tout  ce  qu'il  vaut  mieux  être  que  n'être  pas.  11  est  tout  ce  que 
nous  pensons  de  plus  parfait,  de  meilleur,  de  plus  digne,  de  plus  noble  et  de 
plus  haut.  Et  les  plus  {)arfaites,  plus  dignes  et  plus  hautes  choses  qui  tombent 
en  notre  intelligence,  nous  les  lui  devons  accommoder  et  attribuer.  Voila  une 
règle  sur  hujuelle  nous  pouvons  établir  l'entière  connaissance  de  sa  nature. 

«  Et  voici  comment  nous  la  {)raliquerons  en  toutes  ces  circonstances  ;  d'au- 
tant qu'il  est  meilleur  d'être  que  de  n'être  pas,  il  nous  faut  croire  que  Dieu 
est,  et  nous  ne  pouvons  j)enser  ([u'il  ne  soit  pas  ;  d'autant  qu'il  vaut  mieux 
être  de  toute  éternité,  élre  de  soi.  n'être  pas  produit  du  non-être,  et  être  soi- 
même  son  cs.sencc  que  le  contraire,  et  que  ce  discours  peut  tomber  en  notre 
imagination,  croyons  certainement  que  l'essence  de   Dieu  esl  sans  commen- 


60  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"   PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.    II. 

Les  différentes  infinités  que  nous  venons  d'énumérer,  celles  du 
moins  qui  n'impliquent  pas  contradiction,  ne  sont  donc  au  fond 
qu'une  seule  infinité,  un  unique  attribut  et  ne  font  qu'un  avec 
l'être  nécessaire,  l'être  existant  de  lui-même  qui  est  Dieu. 

Voici  l'idée  que  Fénelon  nous  donne  de  l'infini. 

'<  Je  ne  sauraisconcevoir qu'un  seul  infini, c'est-à-dire  que  l'Être 
infiniment  parfait  ou  infini  en  tout  genre.  Tout  infini  qui  ne  serait 
infini  qu'en  un  genre  ne  serait  point  un  infini  véritable.  Quiconque 
dit  un  genre  ou  espèce  dit  manifestement  une  borne,  et  l'exclusion 
de  toute  réalité  ultérieure;  ce  qui  établit  un  être  fini  ou  borné.  C'est 
n'avoir  point  assez  simplement  consulté  l'idée  de  l'infini  que  de 
l'avoir  renfermé  dans  les  bornes  d'un  genre.  Il  est  visible  qu'il  ne 
peut  se  trouver  que  dans  l'universalité  de  l'être,  qui  est  l'être  infi- 
niment parfait  en  tout  genre  et  infiniment  simple. 

«  Si  on  pouvait  concevoir  des  infinis  bornés  à  des  genres  parti- 
culiers, il  serait  vrai  de  dire  que  l'être  infiniment  parfait  en  tout 
genre  serait  infiniment  plus  grand  que  ces  infinis-là;  car  outre 
qu'il  égalerait  chacun  d'eux  dans  son  genre,  et  qu'il  surpasserait 
chacun  d'eux  en  les  égalant  tous  ensemble,  de  plus  il  aurait  une 
simplicité  suprême  qui  le  rendrait  infiniment  plus  parfait  que  toute 
cette  collection  de  prétendus  infinis. 

a  D'ailleurs,  chacun  de  ces  infinis  subalternes  se  trouverait  borné 


cernent,  quelle  est  de  soi,  qu'elle  n'a  été  nullement  produite  du  non-être  et 
qu'il  est  lui-même  son  essence.  D'autant  que  je  suis  capable  de  concevoir 
qu'il  y  a  quelque  essence  bornée  de  fin  et  de  commencement;  quelque  autre 
qui  pourrait  avoir  quelque  commoiicemcnt  et  être  sans  fin,  et  une  tierce  qui 
n'aurait  ni  commencement  ni  fin  :  je  suis  tenu  d'attribuer  h  Dieu  la  dernière, 
vu  qu'elle  est  la  plus  excellente  que  je  puisse  concevoir.  Car,  comme  je  disais 
tantôt,  il  est  ce  que  je  puis  imaginer  de  plus  parfait  ;  il  est  tout  ce  qu'il  vaut 
mieux  être  que  n'être  pas,  et  il  ne  peut  tomber  en  mon  intelligence  rien  plus 
grand  que  lui;  d'où  il  s'ensuit  encore  qu'il  est  le  souverain  être  de  tous  les 
êtres,  seul  subsistant  par  soi-même,  qu'il  a  fait  toutes  choses  de  néant;  car 
tout  cela  peut  entrer  en  ma  cervelle,  et  sert  à  la  perfection  d'une  grandeur 
excellente.  Davantage  je  dirai  que  Dieu  est  juste,  véritable,  très  heureux, 
plein  de  vie  et  d'intelligence,  attendu  que  je  sais  qu'il  vaut  mieux  être  juste 
que  méchant,  véritable  que  mensonger,  heureux  que  misérable,  vivant  que 
sans  vie  et  intelligence;  et  d'autant  aussi  que  c'est  plus  être  la  môme  bonté, 
la  même  justice,  la  vie,  la  sapience,  la  vérité  et  aussi  des  autres,  que  d'être 
bon,  juste,  vivant,  sage  et  véritable,  je  conclurai,  par  nécessité,  que  Dieu  est 
bonté,  justfce,  vie,  sapience  et  vérité.  Ne  vois-je  pas  ainsi  que  l'unité  est 
beaucoup  plus  excellente  que  division  mère  de  la  corruption?  Dieu  est  donc 
sans  doute  indivisible,  très  simple  et  très  un....  »  (Montaigne,  Théologie  na- 
turelle. ) 


DES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE   DIVINE   DE    JÉSUS-CHRIST.  61 

par  l'endroit  précis  où  son  genre  le  bornerait  et  le  rendrait  inégal 
à  l'être  infini  en  tout  genre. 

«  Quiconque  dit  inégalité  entre  deux  êtres  dit  nécessairement 
un  endroit  où  l'un  finit  et  où  l'autre  ne  finit  pas.  Ainsi,  c'est  se 
contredire  que  d'admettre  des  infinis  inégaux. 

«  Je  ne  puis  même  en  concevoir  qu'un  seul,  puisqu'un  seul,  par 
sa  réelle  infinité,  exclut  toute  borne  en  tout  genre,  et  remplit 
toute  l'idée  de  l'infini. 

«  D'ailleurs,  comme  je  l'ai  remarqué,  tout  infini  qui  ne  serait  pas 
simple  ne  serait  pas  véritablement  infini  :  le  défaut  de  simplicité 
est  une  imperfection;  car,  à  perfection  d'ailleurs  égale,  il  est  plus 
parfait  d'être  entièrement  un  que  d'être  composé,  c'est-à-dire  que 
de  n'être  qu'un  assemblage  d'êtres  particuliers.  Or  une  imperfec- 
tion est  une  borne  ;  donc  une  imperfection  telle  que  la  divisibilité 
est  opposée  à  la  nature  du  véritable  infini,  qui  n'a  aucune  borne. 
«  On  croira  peut-être  que  ceci  n'est  qu'une  vaine  subtilité,  mais 
si  l'on  veut  se  défaire  parfaitement  de  certains  préjugés,  on  recon- 
naîtra qu'un  infini  composé  n'est  infini  que  de  nom,  et  qu'il  est 
réellement  borné  par  l'imperfection  de  tout  être  divisible  et  réduit 
à  l'unité  d'un  genre.  Ceci  peut  être  confirmé  par  des  suppositions 
très  simples  et  très  naturelles  sur  ces  prétendus  infinis  qui  ne 
seraient  que  des  composés. 

«  Donnez-moi  un  infini  divisible  ;  il  faut  qu'il  ait  une  infinité 
de  parties  actuellement  distinguées  les  unes  des  autres.  Otez-en 
une  partie,  si  petite  qu'il  vous  plaira  ;  dès  qu'elle  sera  ôtée,  je 
vous  demande  si  ce  qui  reste  est  encore  infini  ou  non  :  s'il  n'est 
pas  infini,  je  soutiens  que  le  total,  avant  le  retranchement  de  cette 
petite  partie,  n'était  point  un  infini  véritable.  En  voici  la  démons- 
tration. Tout  composé  fini,  auquel  vous  rejoindrez  une  très  petite 
partie  qui  en  aurait  été  retranchée,  ne  pourrait  point  devenir 
infini  par  cette  réunion  ;  donc  il  demeurerait  fini  après  la  réunion  ; 
donc  avant  la  désunion  il  est  véritablement  fini.  En  effet,  qu'y 
aurait-il  de  plus  ridicule  que  d'oser  dire  que  le  même  tout  est 
tantôt  fini,  tantôt  infini,  suivant  qu'on  lui  ôte  ou  qu'on  lui  rend 
une  espèce  d'atome?  Quoi  donc,  l'infini  et  le  fini  ne  sont-ils  dif- 
férents que  par  cet  atome  de  plus  ou  de  moins? 

«  Si,  au  contraire,  ce  tout  demeure  infini  après  que  vous  en  avez 
retranché  une  petite  partie,  il  faut  avouer  qu'il  y  a  des  infinis  iné- 
gaux entre  eux  ;  car  il  est  évident  que  ce  tout  était  plus  grand 


62  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  if  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CBAP.   II. 

avant  que  cette  partie  fût  retranchée  qu'il  ne  l'est  depuis  son  retran- 
chement. Il  est  plus  clair  que  le  jour  que  le  retranchement  d'une 
partie  est  une  diminution  du  total,  à  proportion  de  ce  que  cette 
partie  est  grande.  Or  c'est  le  comble  de  l'absurdité  que  de  dire 
que  le  même  infini  demeurant  toujours  infini  est  tantôt  plus 
grand  et  tantôt  plus  petit. 

t  Le  côté  où  l'on  retranche  une  partie  fait  visiblement  une 
borne  par  la  partie  retranchée.  L'infini  n'est  plus  infini  de  ce  côté, 
puisqu'il  y  trouve  une  fin  marquée.  Cet  infini  est  donc  imaginaire, 
«tnul  être  divisible  ne  peut  jamais  être  un  infini  réel.  Les  hommes 
ayant  l'idée  de  l'infini  l'ont  appliquée  d'une  manière  impropre  et 
contraire  à  cette  idée  même,  à  tous  les  êtres  auxquels  ils  n'ont 
voulu  donner  aucune  borne  dans  leur  genre  ;  mais  ils  n'ont  pas 
pris  garde  que  tout  genre  est  lui-même  une  borne  et  que  toute 
divisibilité  étant  une  imperfection,  qui  est  aussi  une  borne  visible, 
elle  exclut  le  véritable  infini,  qui  est  un  être  sans  bornes  dans  sa 
perfection. 

«  L'être,  l'unité,  la  vérité  et  la  bonté  sont  la  môme  chose.  Ainsi 
tout  ce  qui  est  un  être  infini  est  infiniment  un,  infiniment  vrai, 
infiniment  bon  ;  donc  il  est  infiniment  parfait  et  indivisible. 

«  De  là  je  conclus  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  faux  qu'un  infini  im- 
parfait; rien  de  plus  faux  qu'un  infini  qui  n'est  pas  infiniment 
un  ;  rien  de  plus  faux  qu'un  infini  divisible  en  plusieurs  parties 
ou  finies  ou  infinies.  Ces  chimériques  infinis  peuvent  être  gros- 
sièrement imaginés,  mais  jamais  conçus. 

a  II  ne  peut  pas  y  avoir  deux  infinis  ;  car  les  deux,  mis  en- 
semble, seraient  sans  doute  plus  grands  que  chacun  d'eux  pris 
séparément,  et  par  conséquent  ni  l'un  ni  l'autre  ne  serait  vérita- 
blement infini. 

«  De  plus,  la  collection  de  ces  deux  infinis  serait  divisible,  et  par 
conséquent  imparfaite,  au  lieu  que  chacun  des  deux  serait  indivi- 
sible et  parfait  en  soi  :  ainsi  un  seul  individu  serait  plus  parfait 
que  les  deux  ensemble.  Si  au  contraire  on  voulait  supposer  que  les 
deux  joints  ensemble  seraient  plus  parfaits  que  chacun  d'eux  pris 
séparément,  il  s'ensuivrait  qu'on  les  dégraderait  en  les  séparant. 

«  Ma  conclusion  est  donc  qu'on  ne  saurait  concevoir  qu'un  seul 
infini  souverainement  un,  vrai  et  parfait  K  » 

i.  FÉNELON,  Lettres  sur  la  religion,  lettre  IV. 


DES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSUS- CHRIST.  63 

Cette  idée  de  l'infini,  que  Fénelon  nous  donne,  convient-elle  à 
Dieu,  ou  plutôt  Dieu  possède-t-il  la  plénitude  de  l'être  avec  tous 
les  attributs  qu'elle  comporte,  à  un  degré  infini  et  sans  aucune 
limite  ni  imperfection  ? 

Les  anciens  philosophes  avaient  reconnu  la  nécessité  d'un  pre- 
mier principe  infini  dans  son  essence,  mais  plusieurs  se  sont 
trompés  sur  la  nature  de  ce  premier  principe  et  sur  celle  de  son 
infinité.  S'imaginant  que  le  premier  principe  était  matériel,  ils 
attribuèrent  l'infinité  à  la  matière,  ce  qui  est  inadmissible.  La 
matière  n'est  quelque  chose,  dans  la  réalité  et  dans  l'acte,  que 
grâce  à  la  forme  qui  la  détermine.  Une  matière  sans  forme,  si  on 
la  suppose  infinie,  serait  un  infini  absolument  imparfait  ;  la  forme 
au  contraire,  dont  la  suprême  expression  est  l'être  pur,  existe  in- 
dépendamment de  la  matière  qui  ne  lui  sert  qu'à  se  localiser  et  à 
s'individualiser.  Si  donc  il  existe  une  forme  qui  ne  tire  son  origine 
d'aucun  autre  être,  n'étant  limitée  par  aucune  cause  ni  en  elle- 
même  ni  hors  d'elle-même,  elle  est  infinie  et  parfaite.  Cette  forme 
infiniment  parfaite  n'a  pas  besoin  de  la  matière,  qui  ne  servirait 
qu'à  la  circonscrire  et  la  borner,  si  elle  lui  était  unie.  A  plus  forte 
raison  n'est-elle  pas  la  matière  elle-même. 

S.  Thomas,  dans  la  Somme  contre  les  Gentils,  donne  ces 
preuves  et  plusieurs  autres  de  l'infinité  de  Dieu  tirées  de  la  nature 
de  l'essence  divine  :  nous  laissons  au  lecteur  désireux  de  les  étudier 
en  détail  le  soin  de  recourir  au  texte  même  de  l'Ange  de  l'École  ^ 
mais  il  en  est  deux  que  nous  voulons  néanmoins  signaler.  La  pre- 
mière est  tirée  de  cette  considération  que  jamais  une  vérité  finie 

1.  Voici  en  quelques  mots  le  résumé  de  ces  preuves  : 

«  Essentia  Dei  in  se  infinita  est  propter  multa  :  l°Quia  in  nullo  génère  entis 
limitati  invenitur,  sed  est  super  omnia.  2°  Quia  non  habet  subjectum  illa  mi- 
rabilis essentia,  unde  illimitata  est  ;  forma  autem  limitatur  a  subjecto  in  quo 
recipitur  :  Deus  autem  non  sustentatur  ;  quin  imoipse  solo  suo  verbo  sustentât 
omnia.  3°  Quia  in  rébus  finitis  quœdam  suntpotentia  tantum,  quœdam  actus 
tantum  :  potentia  autem  non  excedit  actum;  cum  igitur  materia  sit  potentia 
ad  infinitas  formas  successive  habendas,  oportet  ut  Deus  qui  formas  exhibet, 
sit  omnibus  formis  creatis  universalior,  adeoque  simpliciter  infinitus.  i"  In- 
tellectus  creatus  nuUa  finita  veritate  satiatur,  neque  voluntas  uUo  bono  finito 
dato  quiescit  :  igitur  datur  veritas  et  bonitas  infinita;  non  enim  frustraneus 
débet  esse  appetitus  rationalis  :  igitur  Deus  est  intlnitus.  5°  Eftectus  nunquam 
excedit  causam  primam,  imo  nec  ipsius  exhaurit  fœcunditatem,  sed  novae 
creatura;  f|uotidie  apparent  :  igitur  datur  causa  in  se  infinita  ex  qua  proma- 
nant, et  ex  qua  possent  sine  fine  promanare.  »  (Vide  :  S.  Thom.  Aquin., 
Summa  contra  Gentcs,  lib.  I,  cap.  XLiii.) 


64  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  ClIAP.   II. 

ne  rassasie  complètement  le  besoin  de  savoir  qu'éprouve  l'intelli- 
gence créée,  comme  jamais  non  plus  aucun  bien  fini  ne  satisfait 
entièrement  la  volonté  de  celui  qui  le  possède.  Ni  la  vérité  bornée, 
ni  le  bien  fini  ne  sont  pour  nous  le  bien  suprême  auquel  nous 
aspirons  et  dans  lequel  nous  pouvons  nous  reposer  comme  dans 
notre  fin  dernière.  Il  faut  donc  qu'il  existe  une  vérité  et  un  bien 
infini,  objet  de  ce  désir  de  notre  intelligence  et  de  notre  volonté. 
Car  comment  admettre  qu'un  tel  besoin  soit  naturel  à  l'homme, 
s'il  n'avait  pas  un  objet  réel  qui  lui  corresponde? 

La  seconde  preuve  est  tirée  du  spectacle  que  nous  avons  sous 
les  yeux  des  nouvelles  créatures  qui  ne  cessent  d'apparaître. 
Jamais,  dit  le  saint  docteur,  un  effet  ne  peut  surpasser  sa  cause 
première  ;  il  ne  peut  même  pas  épuiser  complètement  sa  fécondité. 
Or  nous  voyons  que  l'être  divin,  non  content  d'avoir  tiré  toutes 
choses  du  néant,  continue  de  donner  l'être  chaque  jour  à  d'innom- 
brables créatures.  Il  est  une  source  de  laquelle  toutes  choses  ont 
découlé  et  semblent  pouvoir  découler  indéfiniment.  Sa  puissance 
et  sa  richesse  n'en  sont  pas  épuisées  ;  et  parce  que  la  cause  est  plus 
grande  que  l'effet,  il  faut  conclure  qu'elles  sont  infinies. 

On  peut  dire  aussi  que  Dieu  est  infini  parce  qu'il  possède  abso- 
lument toutes  les  perfections  et  qu'il  lui  est  impossible  d'en  acqué- 
rir de  nouvelles.  «  Rien  de  nouveau  ne  survient  dans  cette  éternelle 
«  et  parfaite  nature,  dit  S.  Hilaire;  Dieu  bienheureux  et  parfait  n'a 
«  pas  besoin  de  progrès;  il  ne  lui  manque  rien  i.  »  Avant  S.  Hilaire, 
S.  Justin  avait  dit  :  «  L'être  souverainement  parfait  est  celui  qui 
«  ne  peut  recevoir  en  rien  ni  addition  ni  augmentation  -.  » 

L'éternité  de  Dieu,  sa  toute-puissance  et  chacune  de  ses  perfec- 
tions en  particulier  peuvent  servir  de  preuve  à  son  infinité,  puis- 
qu'elles sont  infinies  elles-mêmes  et  qu'elles  ne  sont  qu'un  avec 
l'essence  divine  :  nous  en  parlerons  en  leur  lieu. 

Pour  résumer  tout  en  quelques  mots,  nous  dirons  :  Il  faut  néces- 
sairement reconnaître  pour  infini  un  être  qui  ne  connaît  de  limites 
ni  dans  son  essence,  ni  dans  ses  perfections,  ni  dans  sa  puissance, 
ni  dans  sa  durée,  ni  dans  son  étendue  ou  son  immensité.  Or,  il  en 

4.  Nihil  enim  in  aeternam  illain  et  perfectam  naturam  novum  incidit.,.. 
Deus  autem  beatus  atque  perfectus  prolectu  non  eget,  cui  nihil  deest.  (S.  Hi- 
LAR.,  in  Ps,  II.) 

2.  Summe  perfectum  est  id  quod  nulla  in  re  accessionem  vel  incrementum 
potest  acciprre.  (S.  Just.,  q.  cxxni  ad  Or thocloxos.) 


DES    ATTRIBUTS   DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  65 

est  ainsi  de  Dieu  :  il  est  infini  en  lui-même,  infini  en  perfection, 
infini  en  puissance,  infini  en  durée,  infini  en  étendue;  donc  on  doit 
reconnaître  et  proclamer  qu'il  est  infini  en  tout,  ou  qu'il  est  sim- 
plement l'être  infini.  S.  Augustin  en  conclut  que  sa  grandeur  est  in- 
effable. «  La  suréminence  de  la  Divinité,  dit-il,  dépasse  toute  expres- 
«  sion  que  le  langage  usité  peut  fournir.  Ce  que  l'esprit  conçoit 
«  de  Dieu  est  plus  vrai  que  les  paroles  qui  servent  à  l'exprimer, 
«  mais  la  pensée  elle-même  n'atteint  pas  à  la  vérité  complète  '.  » 

Ajoutons  que  cette  infinité  de  Dieu  lui  appartient  tellement  en 
propre  qu'il  ne  peut  la  communiquer  à  une  autre  nature,  ou  à  un 
autre  être  qui  ne  soit  pas  Dieu  lui-même,  puisque  de  cette  com- 
munication résulterait  un  second  infini,  ce  que  la  raison  et  la  foi 
repoussent  également. 

La  Sainte  Écriture  ne  nous  permet  pas  de  mettre  en  doute  l'infi- 
nité de  Dieu.  Le  livre  de  Job  nous  en  parle  en  termes  magnifiques. 
Sophar  le  Naamathite  reproche  à  Job  de  méconnaître  la  justice  des 
jugements  de  Dieu.  Il  lui  dit  :  «  Découvriras-tu  par  hasard  les 
«  traces  de  Dieu,  et  atteindras-tu  parfaitement  jusqu'au  Tout-Puis- 
«  sant?  Il  est  plus  élevé  que  le  ciel;  que  feras-tu  donc?  Il  est  plus 
«  profond  que  l'enfer  :  comment  donc  le  connaîtras-tu  ?  Sa  me- 
«  sure  est  plus  longue  que  la  terre  et  plus  large  que  la  mer.  S'il 
0,  renverse  toutes  choses,  ou  s'il  les  confond  ensemble,  qui  le 
«  contredira  2?  »  David  ne  célèbre  pas  avec  moins  d'éloquence  la 
grandeur  infinie  de  Dieu;  il  lui  adresse  ces  paroles  :  «  Si  je  monte 
a  au  ciel,  vous  y  êtes;  si  je  descends  dans  l'enfer,  vous  y  êtes  pré- 
€  sent.  Si  je  prends  mes  ailes  au  point  du  jour  et  que  j'habite  aux 
«  extrémités  de  la  mer,  là  encore  votre  main  me  conduira  et  votre 
a  droite  me  retiendra  Et  j'ai  dit  :  Peut-être  que  les  ténèbres  me 
«t  couvriront;  et  la  nuit  est  une  lumière  autour  de  moi  dans  mes 
«  plaisirs.  Parce  que  les  ténèbres  ne  seront  pas  obscurcies  pour 
«  vous  et  la  nuit  sera  éclairée  comme  le  jour  ^.  » 

\.  Excedit  superemincntia  divinitatis  usitati  eloquii  facultatem;  verius 
enim  cogitatur  Deus,  quam  dicitur,  et  verius  est  quam  cogitatur.  (S.  August., 
de  Trinitate,  lib.  VII,  n.  7.) 

2.  Forsitan  vestigia  Dei  compreliendcs  et  usque  ad  perfectum  omnipoten- 
tem  reperies?  Excelsior  cœlo  est,  et  quid  faciès?  Profundior  inferno,  et  unde 
cognosces?  Longior  terra  mensura  ejus,  et  latior  mari.  Si  subverterit  omnia, 
vel  in  unum  coarctaverit,  quis  contradicet  ei  ?  [Job,  xi,  7-10.) 

;{.  Si  ascendero  in  coelum,  tu  illic  es  ;  si  descendero  in  infernum,  ades.  Si 
sumpsero  pennas   meas   diluculo  et  habitavero  in  extremis  maris  :  elenim 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  5 


66  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   II. 

Et  cet  autre  texte  que  nous  avons  déjà  cité  : 

«  Grand  est  le  Seigneur,  et  infiniment  louable;  et  à  sa  grandeur 
c  il  n'y  a  pas  de  fin  ^  »  Le  prophète  Baruch  disait  en  termes  pres- 
que identiques  :  «  Le  Seigneur  est  grand  et  il  n'a  pas  de  fin  2.  » 
C'est  bien  l'infinité  de  Dieu  que  proclament  le  Psalmiste  et  le 
Prophète  en  s'exprimant  ainsi. 

S.  Denys  l'Aréopagite  disait  de  Dieu  :  «  Il  n'est  pas  un  être  quel- 
«  conque,  mais  il  est  l'être  absolument  simple  et  infini,  embrassant 
«  en  lui-même  toute  la  plénitude  de  l'être  ^.  »  S.Grégoire  de  Nysse 
professe  la  même  foi.  «  Dieu,  dit-il,  ne  devient  pas  plus  grand  ou 
«  moindre  parl'accroissementouparquelquediminutionde  son  être, 
«  parce  que  tout  accroissement  est  impossible  pour  un  être  infini  *.  » 
S.  Augustin  dit,  dans  ses  Méditations  :  «  Dieu  n'est  pas  renfermé 
c  dans  un  lieu;  il  ne  connaît  pas  de  bornes  ni  de  limites;  il  est 
«  infini  de  toutes  manières  &.  »  Citons  encore  S.  Jean  Damascène  : 
€  Parmi  les  noms  de  Dieu,  il  semble  qu'on  doive  donner  le  pre- 
«  mier  rang  à  celui-ci  :  Celui  qui  est;  en  effet,  ce  nom  s'étendant 
€  à  tout  ce  qui  existe  exprime  l'être  lui-même,  comme  un  océan 
«  de  substance  infini  et  indéterminé  ^.  » 

Dieu  est  donc  infini.  Il  est  un  océan  sans  limite  d'être,  de  bonté 
et  de  béatitude.  Il  renferme  en  lui  tout  être  et  tout  bien  ;  il  est  la 
source,  la  cause  première  de  tous  les  biens  et  de  tous  les  êtres. 
Tout  ce  qui  est  possible  ne  l'est  que  par  lui,  et  rien  ne  peut  être 
sans  lui,  ni  en  acte  ni  même  en  puissance.  Il  est  le  principe  de  tous 
les  êtres,  leur  créateur,  leur  soutien,  leur  lien,  leur  âge,  leur 
durée,  leur  terme,  leur  harmonie  et  leur  consommation. 

illuc  manus  tua  deducet  me  et  tenebit  me  dextera  tua.  Etdixi  :  forsitan  tene- 
braî  conculcabunt  me  :  et  nox  illuminatio  mea  in  deliciis  meis.  Quia  tenebrse 
non  obscurabuntur  a  te.  {Ps.  cxxxviii,  8-12.) 

1.  Magnus  Dominus  et  laudabilis  nimis,  et  magnitudinis  ejus  non  est  finis. 

(Ps.  CXLIV,  2.) 

2.  Magnus  est  et  non  habet  finem.  (Baruch,  III,  25.) 

3.  Deus  non  quovis  modo  est  ens  sed  simpliciter  et  infinitus,  totum  esse 
in  se  complexus.  (S.  Dionys.,  de  Div.  nom.,  cap.  v.) 

4.  Neque  major  neque  minor  fit,  vel  accessione,  vel  decessione,  quippe 
incrementum  illud  quod  in  majus  fit  in  infinito  locum  non  habet.  (S.  Gregor. 
NiC/EN.,  contra  Eunom.) 

î5.  Illocalis,  interminus,  incircumscriptus,  nusquam  finitus.  (S.  August., 
Médit.,  cap.  xxix.) 

G.  Videtur  inter  Dei  nomina  primas  lenere  qui  est;  totum  enim  in  seipso 
comprehendens,  habet  ipsum  esse,  veluti  quoddam  pelagus  substantiae  infini- 
tum  et  indeterminatum.  (S.  Damasc,  lib.  IV  de  Fide,  cap.  xii.) 


DES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  67 

«  Qu'est-ce  donc  que  Dieu  ?  demande  S.  Bernard.  Par  rapport  à 
€  l'univers,  c'est  la  fin;  à  l'égard  des  élus,  c'est  le  salut;  mais  par 
«  rapport  à  lui-même,  lui  seul  sait  ce  qu'il  est.  Qu'est-ce  que  Dieu? 
«  Dieu,  c'est  la  volonté  toute-puissante,  la  bienveillance  et  la  force 
«  infinie,  la  lumière  éternelle,  la  raison  immuable  et  la  suprême 
«  béatitude....  Qu'est-ce  que  Dieu?  C'est  celui  qui  n'a  ni  passé  ni 
«  avenir,  rien  que  d'éternel  comme  lui.  Qu'est-ce  donc  que  Dieu? 
«  C'est  celui  de  qui  tout  vient,  par  qui  et  en  qui  tout  est.  De  qui 
e  tout  vient  par  voie  de  création,  non  de  génération.  Par  qui  tout 
c  est,  non  seulement  créé  mais  ordonné.  En  qui  tout  est,  non  loca- 
«  lement  mais  virtuellement.  De  qui  tout  vient  comme  d'un  principe 
€  unique  auteur  de  toutes  choses.  Par  qui  tout  est,  car  il  n'y  a  pas 
«  après  lui  un  autre  principe  qui  ait  mis  les  choses  en  œuvre.  En 
«  qui  tout  est,  car  il  n'y  a  pas  un  troisième  principe,  l'espace,  qui 
«  le  reçoive  ^  » 

Qu'est-ce  encore  que  Dieu?  Un  disciple  de  S.  Bernard,  l'abbé 
Guillaume,  répond  :  «  Dieu  est  une  vie  perpétuelle  existant  en  soi- 
«  même  et  donnant  l'existence  à  tout,  comprenant  tout,  créant  toute 
a  intelligence;  sage  et  la  sagesse  même,  vérité  permanente,  justice 
<r  immuable,  vertu  souveraine,  bonté  parfaite,  divinité,  éternité, 
c  grandeur,  immensité,  essence  suprême,  de  qui  procède  tout  être, 
«  substance  supérieure  et  éternelle,  non  soumise  aux  expressions 
«  ou  à  la  mesure  de  la  pensée  ;  mais  cause  efficiente  et  principe 
«  suressentiel  de  tous  les  êtres.  Dieu  est  simple,  pur,  entier,  parfait, 
«  n'ayant  rien  qui  sente  le  nombre,  le  temps  ou  les  lieux.  Il  se 
«  trouve  en  tout  lieu,  de  telle  sorte  qu'il  n'y  est  pas  inclus,  et  qu'il 
«  n'en  est  pas  exclu.  Il  faut  se  le  représenter  sans  forme  visible, 
«  sans  apparence  corporelle,  sans  composition  de  parties,  sans  dis- 
«  tinction  de  membres  ;  de  qui  tout  vient,  non  matériellement, 
«  mais  par  voie  de  causalité  ;  en  qui  tout  se  trouve,  non  comme 

\.  Quidergo  estDeus?Quod  ad  universum  spectat,  finis;  quod  ad  electio- 
nem,  salus;  quod  ad  se,  ipse  novit.  Quid  est  Deus?  Voluntas  omnipotens, 
benevolentissima  virtus,  lumen  œternum,  incommutabilis  ratio,  summa  bea- 
titudo....  Quid  est  Deus?  Cui  saecula  nec  accesserunt,  nec  decesserunt,  nec 
coaeterna  tamen.  Quid  est  Deus?  Ex  quo  omnia,  per  qiiem  omtiia,  in  quo  om- 
nia.  Ex  quo  omnia  creabiliter,  non  seminabiliter.  Per  quem  omnia,  ne  alium 
auctorem  atque  alium  opificem  arbitreris.  In  quo  omnia,  non  quasi  in  loco, 
sed  quasi  in  virtute.  Ex  quo  omnia  tanquam  uno  principio  auctore  omnium. 
Per  quem  omnia,  ne  alterum  inducatur  principium  arlit'ex.  In  quo  omnia,  ne 
tertium  inducatur,  locus.  (S.  Bernard.,  de  Considcvatione,  lib.  V,  cap.  xi  et 
cap.  VI.) 


68  LA   SAINTE    EUCEIARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  CHAP.   II. 

«  dans  un  lieu,  mais  en  vertu  et  puissance.  Bon  sans  qualité,  grand 
«f  sans  quantité,  président  sans  siège,  contenant  sans  enveloppe, 
a  il  dispose  de  tout.  Il  dispose  comme  sagesse,  il  opère  comme 
«  puissance,  il  aime  comme  charité,  il  éclaire  comme  lumière,  il 
«  compatit  comme  piété,  il  croit  comme  équité,  il  préside  comme 
«  majesté  *.  » 

Telle  est  la  grandeur,  la  perfection  infinie  de  ce  Dieu  qui  daigne 
s'approcher  de  nous  et  demeurer  parmi  nous,  comme  anéanti.  Qui 
donc  pourra  concevoir  sur  lui  des  pensées  qui  ne  soient  pas  trop 
indignes  de  sa  majesté  souveraine?  Le  même  saint  abbé  nous  ré- 
pond : 

«  Vous  ne  comprenez  pas  sa  grandeur,  à  moins  que  vous  ne 
«  vous  avilissiez  à  vos  yeux  en  le  contemplant.  Vous  n'embrassez 
a  pas  son  étendue,  à  moins  que  vous  ne  deveniez  petit  à  vos  regards, 
«  vous  soumettant  à  toute  créature  pour  son  amour  -.  »  Appro- 
chons-nous donc  avec  amour  et  humilité  de  cet  être  infini  qui  est 
notre  Dieu,  et  grâce  à  ces  dispositions,  nous  arriverons  à  le  con- 
naître chaque  jour  davantage. 

III. 

IMMENSITÉ   DU   DIEU    DE   l'eUCHARISTIE 

Tous  les  attributs  de  Dieu  ne  sont  entre  eux  et  avec  la  divine 
essence  qu'un  seul  et  même  être  qui  s'offre  à  nous  sous  divers 

\.  Credendus  itaque  et  cogitandus  est  Deus  qufedam  vita  perpétua,  vivens 
in  se,  et  omnia  vivificans,  omnia  intelligcns,  omnemque  creans  intelligentiam, 
sapiens  et  ipsa  sapientia,  veritas  fixa,  justitia  indeclinabilis,  summa  virtus, 
perfecta  bonitas,  divinitas,  œternitas,  magnitude,  immensitas,  summa  essen- 
tia,  a  quo  omneesse,  summa  et  œterna  substantia,  non  subjectapraedicamentis 
vocum  aut  cogitabilium  ;  sed  omnium  rerum  causale  efticiens,  et  superessen- 
tiale  principium.  Cogitandus  est  Deus  simplex,  purus,  integer  et  perfectus, 
nihil  habens  quod  in  numerum  transeat;  nihii  trahens  a  tempore  vel  a  loco. 
Sic  in  omni  loco  quod  non  includatur  nec  excludatur  a  loco.  Cogitandus  est 
Deus  sine  forma  visibili,  sine  specie  corporali,  sine  compositione  partium,  sine 
distinctione  membrorum  ;  ex  quo  omnia  causaliter,  non  materialiter  ;  in  quo 
omnia  non  in  loco,  sed  in  virtute.  Sine  qualitate  bonus,  sine  quantitate  magnus, 
sine  situ  praesidens,  sine  habitu  continens,  omnia  disponens.  Disponit  enim 
ut  sapientia,  operatur  ut  virtus,  scit  ut  veritas,  judicat  ut  aequitas,  prsesidet 
ut  majestas.  (Guill.  abb.,  tract,  de  Caritale,  cap.  x.  Inter  oper.  S.  Bernardi. 
La  traduction  est  de  M.  l'abbé  Dion.) 

2.  Non  comprehendis  ejus  allitudinem,  nisi  vilescas  apud  te  contemplatione 
ejus,  Nec  comprehendis  ejus  magnitudinem,  nisi  parvus  fias  in  oculis  tuis, 
subjiciens  te  omni  creaturae  propter  ipsum.  (1d.,  ibid.) 


DES   ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  G9 

aspects  à  cause  des  limites  de  notre  intelligence.  Il  n'est  donc  pas 
étonnant  qu'ils  nous  apparaissent  comme  reliés  entre  eux  de  la 
manière  la  plus  étroite,  et  que  les  preuves  qui  rendent  indubitable 
l'existence  de  l'un  d'eux  servent  en  même  temps  à  démontrer  celle 
des  autres.  C'est  ainsi  qu'avoir  établi  que  Dieu  est  l'être  infini,  c'est 
avoir  prouvé  par  là  même  qu'il  est  immuable  et  qu'il  est  éternel. 
Comment  pourrait-on  dire,  en  effet,  de  Dieu  qu'il  est  infini,  si  son 
être  était  limité  soit  par  l'espace,  soit  parle  temps?  Mais  chacun 
des  attributs  de  la  divinité  n'en  possède  pas  moins  son  caractère  à 
part  et  ses  preuves  particulières,  qu'il  convient  de  connaître. 

Nous  croyons  que  Dieu  est  immense.  Le  IV^  Concile  de  Latran  a 
fait  de  cette  proposition  un  article  de  foi  ^  Le  symbole  de  S.  Atha- 
nase  proclame  avec  insistance  la  même  vérité  :  «  Le  Père  est  im- 
«  mense,  le  Fils  est  immense,  le  Saint-Esprit  est  immense,  et 
<r  cependant  ce  n'est  qu'un  seul  immense  ~.  » 

La  Sainte  Écriture  revient  fréquemment  sur  cet  attribut  de  Dieu, 
l'immensité.  «  Il  est  grand  et  n'a  point  de  fin  ;  il  est  élevé  et  im- 
«  mense,  »  dit  Baruch  3.  Dieu  lui-même  demande  parla  bouche  du 
prophète  Jérémie  :  «  Est-ce  que  je  ne  remplis  pas  le  ciel  et  la 
terre  ^?  »  David  s'étonne  de  la  grandeur  infinie  de  Dieu,  et  pro- 
nonce ces  paroles  souvent  citées  :  «  Si  je  monte  au  ciel,  vous  y 
a  êtes;  si  je  descends  aux  enfers,  je  vous  y  trouve;  si  je  déploie 
«  mes  ailes  avec  l'aurore,  et  m'envole  aux  extrémités  de  la  terre, 
«  c'est  votre  main  qui  m'y  a  porté  ^.  » 

«  Le  Psalmiste,  dit  un  savant  théologien  ^,  pouvait-il  mieux 
«  exprimer  l'immensité  de  Dieu  ?  Partout  ou'  notre  imagination 
«  peut  s'élancer,  et  bien  au  delà.  Dieu  y  est.  Pour  soutenir  et  con- 
«  server  tous  les  êtres  qu'il  a  créés,  il  faut  bien  qu'il  soit  partout 
«  où  ils  sont.  Ils  nagent  en  lui  comme  dans  leur  élément  et  leur 
«  principe  de  vie,  comme  les  poissons  dans  la  mer  et  les  oiseaux 
«  dans  l'air.  Notre  àme  est  présente  à  tout  notre  corps  ;  car  quel- 

i.  Concil.  Laler.  IV,  cap.  Firmiter. 

2.  Immensus  Pater,  immensus  Filius,  immensus  Spiritus  Sanctus;  et 
tamen  non  très....  sed  unus  immensus.  [Symbol.  S.  Athnnns.) 

3.  Mafïnus  est  et  non  habet  finem,  excelsus  et  immensus.  (Barucii,  III,  -25.) 
4-.  Numquid  non  cœlum  et  terram  ego  impleo".'  [Jercm.,  xxiii,  :2t.) 

y.  Si  ascendero  in  cœlum  tu  illic  es,  si  desctMidero  in  infcrnum  ades;  si 
sumpsero  pennas  meas  diluculo  et  habilavero  in  extremis  maris  :  etenim 
illuc  rnanus  tua  deducet  me.  [Ps.  c.vxxiii,  8-10.) 

<■>.  Leclercq,  Théologie  du  catëchtsle. 


70  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.    —    CHAP.   II. 

♦  que  part  qu'on  le  blesse,  elle  le  sent;  et  cela  n'empêche  pas 
«  qu'elle  ne  soit  simple  et  sans  parties....  belle  image  de  la  présence 
«  de  Dieu,  pur  et  indivisible  esprit,  à  tous  les  êtres  de  la  création.  » 

Les  Pères  de  l'Église  sont  unanimes  à  reconnaître  l'immensité 
de  l'être  divin.  Tantôt  ils  le  représentent  comme  existant  dans  tous 
les  lieux  sans  être  contenu  par  eux,  mais  au  contraire  s'étendant 
au  delà  de  toutes  choses;  tantôt  comme  les  contenant  tous,  de  telle 
sorte  que  l'on  peut  dire  en  quelque  manière  qu'il  est  le  lieu  dans 
lequel  existent  tous  les  autres.  S.  Théophile  d'Antioche  adopte  cette 
méthode  lorsqu'il  dit,  pour  donner  une  idée  de  l'immensité  de 
Dieu  :  «  De  même  qu'une  grenade  est  renfermée  dans  uneécorce,  et 
«  qu'à  l'intérieur,  elle  compte  une  multitude  de  petites  cellules 
«  séparées  par  des  membranes,  et  des  grains  nombreux,  ainsi  toute 
€  la  création  est  comme  enveloppée  par  l'Esprit  de  Dieu  i.»  Ailleurs, 
il  ajoute  ces  paroles  qui  complètent  sa  pensée  :  «  C'est  le  propre 
€  de  Dieu,  non  seulement  d'être  partout,  mais  aussi  de  tout  voir  et 
«  de  tout  entendre  -.  » 

«  Dieu,  dit  Clément  d'Alexandrie,  n'est  pas  dans  l'obscurité  ni 
«  dans  un  lieu,  mais  au-dessus  de  l'espace,  du  temps  et  de  toute 
«  propriété  des  choses  créées.  C'est  pourquoi  il  n'est  jamais  en  un 
«  endroit  quelconque,  ni  comme  contenant,  ni  comme  contenu;  il 
«  n'est  circonscrit  dans  aucun  espace,  il  n'est  pas  divisé  entre 
«  plusieurs.  Quelle  maison  m  édifierez-vous  ?  dit  le  Seigneur.  Il 
«  ne  s'en  est  pas  préparé  à  lui-même,  parce  que  rien  ne  peut  le 
«  contenir.  II  est  vrai  que  le  ciel  est  appelé  le  lieu  de  son  repos; 
«  mais  ce  n'est  pas  qu'il  y  soit  contenu  ;  le  repos  qu'il  y  prend  est 
«  la  satisfaction  que  son  œuvre  lui  procure  ^.  »  Ailleurs  il  dit 
encore  :  «  Sachez  donc  qu'il  y  a  un  Dieu  dont  la  volonté  seule  à 

i.  Queinadmodum  punicum  malum  corticem  habens  quo  comprehenditur 
inlus  habet  mansiunculas  loculosque  plurcs  membranis  interceplos,  ac  multa 
grana  in  seipso  locata  continet,  sic  universa  crealuraa  SpiriluDei  continelur. 
(S.  Theoph.  Antioch.,  lib.  I  ad  AiUolicum.) 

2.  Cum  Dei  proprium  hoc  sit  non  solum  ubique  esse,  sed  etiam  intueri  om- 
nia  et  audire.  (Id.,  lib.  II  ad  Autolic.) 

3.  Non  est  enirn  in  caligine  Deus,  aut  in  loco,  sed  supra  locum,  et  tempus, 
et  proprietatem  eorum,  quœ  facta  siint  :  quare  nunquam  est  in  parte,  nec  ut 
continens,  nec  ut  contentus,  aut  per  circumscriptionem,  aut  per  sectionem. 
Quam  enim  domum  xdificabilis  7nihi  y'mqiût  Dominus.  Sed  nec  sibi  aedificavit, 
cum  capi  non  possit.  Et  quamvis  cœlum  dicatur  ejus  sedcs,  ne  sic  quidem 
continetur  sed  requiescit  delectatus  opificio.  (Clément.  Alex.,  lib.  II  Slro- 
matum.) 


DES   ATTRIBUTS   DE   LA   NATURE    DIVINE   DE   JÉSCS-CHRIST.  7i 

«  donné  leur  commencement  à  toutes  choses,  et  qu'il  est  aussi  le 
«  maître  de  leur  fin.  Il  est  invisible  pour  nous,  mais  il  voit  toutes 
«  choses;  rien  ne  le  circonscrit  et  il  renferme  tout  ^  » 

Giterons-nous  Origène,  S.  Athanase,  S.  Hilaire,  S.  Cyrille  de 
Jérusalem,  S.  Basile,  S.  Jean  Chrysostome,  S.  Jérôme,  S.  Ambroise 
et  tant  d'autres?  Il  nous  suffira  de  dire  que  tous  les  Pères  ont  pro- 
clamé l'immensité  de  Dieu  dans  leurs  écrits,  lorsque  la  matière 
qu'ils  traitaient  leur  donnait  occasion  de  le  faire  2.  s.  Augustin  en 
particulier  y  revient  très  souvent,  et  il  lui  arrive  de  s'y  arrêter 
assez  longuement,  par  exemple  dans  le  livre  sur  la  Présence  de 
Dieu  ou  Épître  à  Dardane.  Il  dit  que  Dieu  est  partout,  mais  il  rappelle 
que  cette  présence  n'a  rien  de  commun  avec  une  présence  corporelle. 
Dieu  n'est  pas  partout,  comme  l'air  par  exemple  ou  la  lumière,  il 
remplit  le  ciel  et  la  terre;  rien  ne  saurait  échapper  à  sa  puissance 
ni  se  dérober  à  son  regard;  mais  il  n'est  pas  répandu  dans  le 
monde  comme  une  qualité  du  monde.  Il  est  la  substance  créatrice 
du  monde;  il  régit  le  monde  sans  fatigue,  et  il  le  porte  sans  effort. 
Le  monde  qu'il  remplit  est  divisible,  mais  lui  ne  se  divise  pas 
avec  le  monde.  Il  est  tout  entier  dans  la  terre  seule;  nul  lieu  ne 
le  contient,  mais  il  est  en  lui-même  et  tout  entier  partout.  Cette 
immensité,  le  Père  la  possède,  le  Fils  la  possède,  le  Saint-Esprit 
la  possède,  et  la  Trinité  de  ces  adorables  Personnes  qui  ne  sont 

1.  Scitote  igitur  unum  esse  Deum,  qui  omnium  rerum  initium  est  molitus, 
ac  finem  habet  in  potestate;  quique  minime  aspectabilis  aspicit  omnia  ;  non 
comprehensus  omnia  comprehendit.  (Id.,  ibicL,  lib.  VI.) 

2.  Voici  néanmoins  quelques  lignes  de  plusieurs  des  Pères  : 

Ita  complet  omnia  Deus  ut  non  cum  exigua  creatura  extensus  adaequatur. 
(S.  Athanas.,  lib.  conlra  Sabell.) 

Sic  implet  omnia,  manens  extra  omnia.  Sic  enim  scriptum  est  :  Spiritus 
Domini  re/jlevit  orhem  terrnrum.  (Id.,  Epist.  ad  Serap.) 

Quia  Deus  invisibilis,  incomprehensibilis,  immensus  est,  ait  Dominus  ve- 
nisse  tempus  ut  non  in  monte  vel  in  templo  Deus  sit  adorandus,  quia  Deus 
spiritus  est  :  et  spiritus  nec  circumscribitur,  nec  tenetur,  qui  per  naturag 
suœ  virtulem  ubiquc  est,  nec  usquam  abest,  in  omnibus  omnis  exuberans. 
(S.  HiLAR.,  lib.  II  de  Trinit.) 

In  loco  minime  definitus,  sed  locorum  opifex,  in  omnibus  existenset  a  nullo 
circumscriptus.  (S.  Cyrill.,  Cnlech.  vi.) 

Neque  Pater  in  loco,  neque  Filins  in  circumsepta  aliqua  vel  de6nita  regione 
continetur;  sed  immensus  est....  quodcunique  spiritu  pervaseris,  id  ipsum  re- 
peries  Deo  plénum,  ubique  simul  extensum,  bypostasim  l'ilium.  (S.  Basil,  in 
Evang.  Joftnn.) 

Ostendens  ubique  Deum  esse  et  illic  et  hic;  non  enim  tanquam  aliquis  in 
coelo  conclusus  eminus  videt  quae  sunt  in  terra,  sed  ubique  prœsens  et  omni- 
bus assistens.  (S.  Chrysost.  in  Ps.  cxii  ad  verba  Quis  sictit  Dominus  Deus.) 


'Èi' 


LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II'  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.   II. 


qu'un  seul  Dieu  la  possède.  Elles  n'ont  pas  divisé  le  monde  entre 
elles,  de  manière  qu'elles  en  remplissent  chacune  une  partie  et  que 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ne  trouvassent  plus  de  place  dans  le 
monde  si  le  Père  était  partout;  car  ce  ne  sont  point  des  corps  et  rien 
n'empêche  que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  occupent  simulta- 
nément le  même  lieu....  Mais,  remarque  le  saint  docteur,  s'il  est 
présent  partout  en  vertu  de  sa  divinité,  il  n'est  pas  également  pré- 
sent partout  par  sa  grâce  *. 

S.  Grégoire  le  Grand  fait  une  admirable  description  de  l'im- 
mensité de  Dieu.  «  Dieu  est  dans  tout,  dit-il,  au  delà  de  tout,  au- 
«  dessus  de  tout  et  au-dessous  de  tout.  Il  est  supérieur  à  toutes 
«  choses  en  les  régissant  par  sa  puissance,  inférieur  en  les  soute- 
«  nant,  extérieur  en  les  environnant  de  son  immensité,  intérieur 

1.  Cavendum  est  enim,  ne  ita  divinitatem  astruamus  hominis  (scilicet 
Christi  Jesu)  ut  veritatem  corporis  auferamus.  Non  est  autem  consequens,  ut 
quod  in  Deo  est,  ita  sit  ubique  ut  Deus.  (S.  August.,  Wh.de  PrœsentiaDei^n.  40.) 

Quanquam  et  in  eo  ipso  quod  dicitur  Deus  ubique  dilï'usus,  carnali  resisten- 
dum  est  cogitationi,  et  mens  a  corporis  sensibus  avocanda,  ne  quasi  magnitu- 
dine  opinemur  Deum  per  cuncla  diffundi,  sicut  humus  aut  bumor,  aut  aer, 
autlux  ista  diftiinditur  (omnis  enim  hujuscemodi  magnitude  minor  est  in  sui 
parte  quam  in  toto)  :  sed  ita  potius  sicutiest  magna  sapientia,  etiam  inhomine, 
cujus  corpus  est  parvum....  (Id.,  ibid.,  n.  H.) 

Est  ergo  Deus  per  cuncta  diftusus.  Ipse  quippe  ait  per  Prophetam  :  Cœlum 
etterram  ego  impleo.  {Jerem.,  xxxi,  2i.)  Et  quod  paulo  ante  posui  de  sapientia 
ejus  :  Atliiigit  a  fine  usrjue  ad  finem  fortitcr,  et  disponit  omnia  suavite.r.  {Sap., 
ViH,  1.)  Itemque  scriptum  est  :  SpiiiUis  Domini  replevil  orhem  lerrarum 
{Sap.,  vni,  7)  ;  eique  dicitur  in  quodam  Psalmo  :  Qîio  ibo  a  spirilu  tuo,  et  a 
facie  tua  quo  fugiam  ?  Si  ascendero  in  cœlum,  lu  ibi  es  ;  si  descendero  in  iiifer- 
niim,  ades.  {Ps.  cxxxviii,  7.)  Sed  sic  est  Deus  per  cuncla  diffusus,  ut  non  sit 
qualitas  mundi  ;  sed  substantia  creatrix  mundi,  sine  labore  regens,  et  sine 
onere  continens  mundum.  Non  tamen  per  spatia  locorum,  quasi  mole  diffusa, 
ita  ut  in  dimidio  mundi  corpore  sit  dimidius,  et  in  alio  dimidio  dimidius, 
atque  ita  per  totum  tolus.  Sed  in  solo  cœlo  totus,  et  in  sola  terra  totus,  et  in 
ccelo  et  in  terra  totus,  et  nullo  contentus  loco,  sed  in  seipso  ubique  totus.  (Id., 
ibid.,  n.  14.) 

Ita  Pater,  ita  Filius,  ita  Spiritus  sanctus,  ita  Trinilas  unus  Deus.  Neque 
enim  mundus  inter  se  in  1res  partes  diviserunt,  quas  singulas  singuli  imple- 
rent,  quasi  non  haberet  ubi  esset  Filius  aut  Spiritus  sanctus  in  mundo,  si 
totum  occupasset  Pater.  Non  ita  se  babct  vera  incor])orea  immutabilisque 
divinitas.  Non  enim  corpora  sunt  quorum  amplior  sit  in  tribus  quam  in  sin- 
gulis  magnitudo;  nec  loca  suis  molibus  tenent  ut  distantibus  spatiis  esse  non 
possint....  (Id.,  ibid.,  n.  ]U.) 

Verum  illud  est  multo  mirabilius,  quod  cum  Deus  ubique  sit  totus,  non 
tamen  in  omnibus  habitat.  Non  enim  omnibus  dici  potest  quod  ait  Apostolus  : 
Nescitis  fjuia  temphim  Dei  estis  et  spiritus  JJei  habitat  in  vobis.  (/.  Cor.,  vi, 
29.)  Unde  falendumest  ubique  esse  Deum  per  divinitatispraesentiam,  sed  non 
ubique  per  habitationis  gratiam....  (Id.,  ibid.,  n.  46.) 


DES    ATTRIBUTS   DE    LA    NATDRE   DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  73 

«  en  les  remplissant  par  sa  pénétration.  Il  les  gouverne  par  une 
«  puissance  supérieure,  il  les  soutient  par-dessous,  il  les  envi- 
«  ronne  au  dehors,  il  les  pénètre  au  dedans.  Or  il  n'est  pas  au- 
«  dessus  par  une  partie  de  sa  substance,  ni  au-dessous  par  une 
«  autre,  ni  au  dehors  par  une  autre,  ni  au  dedans  par  une  autre; 
«  mais  c'est  toujours  le  même  qui  est  tout  entier  en  tous  lieux,  qui 
«  gouverne  toutes  choses  en  les  soutenant,  les  soutient  en  les  gou- 
«  vernant  ;  qui  les  environne  en  les  pénétrant  et  les  pénètre  en 
«  les  gouvernant.  Or  en  cela  même  qu'il  les  régit,  étant  au-dessus, 
«  il  les  soutient  aussi  étant  au  dehors  :  et  en  cela  même  qu'il  les 
«  environne  étant  au  dehors,  il  les  pénètre  ^tant  au  dedans. 
((  Comme  supérieur,  il  régit  tout  sans  inquiétude;  comme  infé- 
cf  rieur,  il  supporte  tout  sans  effort;  comme  intérieur,  il  pénètre 
«  tout  sans  exténuation  ;  comme  extérieur,  il  environne  tout  sans 
«  extension.  Ainsi  il  est  en  même  temps  et  au-dessus  et  au- 
«  dessous  sans  être  contenu  en  aucun  lieu.  Il  est  grand  sans  s'é- 
«  tendre  ;  il  est  subtil  et  pénétrant  sans  se  resserrer  i.  » 

Après  l'exposition  si  complète  et  si  lumineuse  de  l'immensité 
de  Dieu  que  nous  ont  donnée  ces  quelques  textes  des  Pères,  choisis 
entre  mille,  on  pourrait  hésiter  à  citer  les  témoignages  que  les 
philosophes  et  les  poètes  de  l'antiquité  païenne  ont  rendus  à  cet 

1.  Quia  ipse  manet  intra  omnia,  ipse  extra  omnia,  ipse  supra  omnia,  ipse 
infra  omnia;  et  superior  est  per  potentiam,  et  inferior  per  sustentationem. 
Exterior  per  magnitudinem,  interior  per  subtilitatem;  sursum  regens,  deor- 
sum  continens  :  extra  circumdans,  interiuspcnetrans;  nec  alia  ex  parte  supe- 
rior, alia  inferior,  aut  alia  ex  parte  exterior,  atque  alia  manet  interior;  sed 
unus  idemque  totus  ubique  prœsidens,  circumdando  penetrans,  penetrando 
circumdans.  Unde  superius  prsesidens,  inde  inferius  sustinens,  et  unde  exte- 
rius  ambiens,  inde  interius  replens,  sine  inquietudine  superius  regens,  sine 
labore  inferius  sustinens;  interius  sine  extenuatione  penetrans,  extcrius  sine 
exlensione  circumdans.  Est  itaque  inferior  et  superior  sine  loco;  est  amplior 
sine  latitudine;  est  subtilior  sine  extenuatione.  (S.  Gregor.  Magn.,  lib.  II 
Moral,  in  Exposit.  Joh,  cap.  viii.) 

Le  même  saint  docteur  dit  encore  : 

Deus  ubique  est  et  ubique  totus  est  ;  ait  enim  :  cœlum  mihi  sedes  est,  terra 
autem  scabellum  pedum  meorum  (/s.,  lAVi)  :  et  de  ipso  scriptumest(/."!.,  .\l)  : 
Qui  cœlum  metitur  palmo  et  terram  pugillo  concludit.  Ex  qua  re  considerare 
necesse  est,  quia  is,  qui  cœlum  velut  sedem  prœsidet,  super  et  intus  est,  el 
qui  cœlum  palmo  et  terram  pugillo  concludit,  exlerius,  superius  et  inferius 
est.  Ut  ergo  indicaret  Deus  interiorem  se  esse,  et  superiorem  omnibus, 
cœlum  sibi  sedem  esse  perbibuit,  ut  vero  se  ostenderet  omnia  circumdare, 
cœlum  metiri  palmo,  et  terram  se  asserit  pugillo  concludere,  ipse  est  interior 
et  exterior,  ipse  inferior  et  superior  :  regendo  superior,  portando  inferior, 
replendo  interior,  circumdando  exterior.  (1d.,  lib.  II  in  Kzech.,  \w\\\.  X\  11.) 


74  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   II. 

attribut  de  la  divinité.  Nous  le  ferons  cependant,  pour  montrer 
que  la  lumière  de  la  vérité  n'avait  pas  entièrement  cessé  de  briller 
au  milieu  des  ténèbres  du  paganisme. 

Salvien  et  Minutius  Félix,  parlant  de  la  providence  divine  qui 
gouverne  le  monde,  rapportent  cette  maxime  du  philosophe  Pytha- 
gore  :  «  Dieu  est  une  substance  vivante  répandue  dans  toutes 
«  les  parties  du  monde  et  les  pénétrant.  C'est  lui  qui  procure  la 
«  vie  à  tous  les  êtres  animés  qui  naissent  '.  » 

S.  Cyrille  d'Alexandrie  rapporte  des  vers  d'Orphée  dont  voici  le 
sens  :  «  Dieu  est  assis  inébranlable  dans  le  ciel  éthéré,  sur  un 
«  trône  d'or  ;  ses  pieds  reposent  sur  la  terre  et  sa  main  droite 
«  s'étend  jusqu'aux  extrémités  de  l'Océan  2.  » 

Virgile  mentionne  un  Dieu  qui  remplit  l'immensité  des  terres 
et  des  mers  et  la  profondeur  du  ciel  ^.  Sénèque  parle  en  ces  termes 
de  la  Divinité  suprême  :  «  De  quelque  côté  que  vous  tourniez  vos 
«  pas,  vous  la  verrez  se  présenter  à  vous.  Rien  qui  ne  la  con- 
«  tienne  :  elle  remplit  toute  son  œuvre  *.  »  Thaïes,  si  l'on  en  croit 
Aristote,  disait  que  tout  était  rempli  d'êtres  divins  ». 

Les  enseignements  de  l'Église,  les  oracles  de  la  Sainte  Écriture 
et  l'autorité  des  Pères  nous  font  donc  un  devoir  de  croire  à  l'im- 
mensité de  Dieu  que  les  païens  eux-mêmes  n'ont  pas  complète- 
ment méconnue.  Il  appartient  aux  docteurs  et  aux  théologiens  de 
nous  faire  connaître  ce  qu'il  faut  entendre  précisément  par  l'im- 
mensité de  Dieu  et  quelles  preuves,  en  dehors  des  autorités  appor- 
tées, nous  pouvons  donner  de  la  vérité  de  ce  dogme. 

1.  Animus  est  Deus  per  omnes  miindi  partes  commeans  atque  confusus,  ex 
quo  omnia  quae  nascuntur  animaUa  vitam  capiunt.  (Pythagor.,  apud  Salvia- 
NUM,  lib.  V  de  Gubernatione  Dei.) 

2.  Ipse  in  cœlo  aethereo  stabilis  sedet,  aureo  in  solio,  terrse  autem  pedibus 
insistit,  et  manum  dexteram  ad  fines  Oceani.  (Orpiieus,  apud  S.  Cyrill.  Alex., 
lib.  1  in  Julianum.) 

3.  ....Deum  ire  per  omnes 
Et  terras,  tractusque  maris,  cœluxnque  profundum. 

(ViRGiL.,  Georg.,  IV.) 

-4.  Quocumque  te  flexeris,  ibi  illum  videbis  occurrentem  tibi,  nihil  ab  illo 
vacat,  opus  suum  implet.  (Seneca,  lib.  I  de  Benefîciis,  cap.  viii.) 

Ailleurs,  Sénèque  dit  encore  : 

Non  sunt  ad  cœlum  elevandae  manus,  nec  exorandus  a^dituus,  ut  nos  ad 
aures  simulacri,  quasi  magis  exaudiri  possimus,  admittat  :  prope  est  a  te 
Deus,  tecum  est,  intus  est.  îta  dico,  Lucili,  sacer  intra  nosspiritus  sedet  bono- 
rum  malorurnque  nostroruin  observator  et  custos.  (Senec,  epist.  XLI.) 

y.  Aristot.,  lib.  1  de  Anima. 


DES    ATTRIBUTS   DE   LA   NATURE  DIVINE  DE   JÉSDS-CHRIST.  75 

Il  faut  remarquer  d'abord  qu'il  serait  inexact  de  confondre, 
comme  on  le  fait  quelquefois,  Vimmensité  avec  Vubiquité.  Uim- 
mensiié,  c'est  l'attribut  de  Dieu  considéré  en  lui-même,  c'est  l'apti- 
tude de  l'essence  divine  à  exister  dans  tous  les  lieux  ou  les  espaces, 
fussent-ils  mille  fois  plus  vastes,  et  s'étendissent-ils  jusqu'à  l'infini, 
si  une  telle  supposition  se  pouvait  réaliser.  Vubiquité  est  l'exis- 
tence actuelle  de  Dieu  dans  tous  les  êtres  et  les  lieux  existants.  L'ubi- 
quité est  donc  à  proprement  parler  un  fait  temporel  qui  dépend  de  la 
volonté  divine  ;  ce  n'est  pas  un  attribut  inséparable  de  son  essence 
et  ne  faisant  qu'un  avec  elle;  c'est  la  relation  qui  existe  entre  l'im- 
mensité divine  et  les  créatures,  en  vertu  de  leur  existence  actuelle. 

Dieu  est  présent  partout  et  à  tout  ce  qui  existe  de  trois  manières, 
par  sa  puissance,  par  sa  présence  et  par  son  essence.  Une  com- 
paraison fera  comprendre  en  quoi  consiste  cette  triple  présence  : 
c'est  ainsi  qu'un  roi  est  présent  par  sa  puissance  par  tout  son 
royaume;  il  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai,  dans  toutes  les  parties  de 
ses  États  en  même  temps,  mais  son  pouvoir  s'étend  partout  ;  il 
peut  donner  partout  ses  ordres  et  se  faire  obéir;  il  dirige  tout  par 
ses  ministres.  On  dit  de  même  que  quelqu'un  est  présent  à  tout  ce 
qu'il  embrasse  par  son  regard,  ou  que  tout  ce  qu'il  voit  et  peut 
voir  ainsi  se  trouve  en  sa  présence.  Enfin,  vous  êtes  présents  par 
votre  substance  ou  votre  essence  dans  le  lieu  que  vous  occupez 
réellement. 

Telles  sont  les  trois  présences  qu'il  faut  reconnaître  à  Dieu  dans 
l'univers  entier  et  dans  toutes  ses  parties. 

Il  est  partout  par  sa  puissance,  parce  que  tout  est  soumis  à  ses 
ordres  et  à  son  empire  :  il  gouverne  et  dirige  tout. 

Il  est  partout  par  sa  présence,  parce  que  «  toutes  choses  sont 
nues  et  à  découvert  à  ses  yeux  :  Omnia  nudaet  aperta  suntoculis 
ejus  1.  » 

Il  est  partout  par  son  essence  et  sa  substance,  parce  qu'il  est  la 
cause  immédiate  de  l'existence  de  tous  les  êtres. 

Outre  ces  trois  présences  communes  et  universelles  de  Dieu,  en 
vertu  desquelles  il  est  dans  tout  ce  qui  existe,  on  doit  en  recon- 
naître plusieurs  autres  particulières.  Ainsi  Dieu  est  d'une  manière 
toute  spéciale,  par  la  grâce,  dans  les  justes  et  les  saints  :  il  est  en 
eux  comme  l'objet  aimé  dans  celui  qui  l'aime;  comme  un  ami 

\.  Ilebr.,  IV,  i3. 


76        LA  Sainte  eucharistie.  —  ii"  partie.  —  livre  i/.  —  chap.  ii. 

habitant  avec  son  ami  et  vivant  de  la  même  vie;  comme  la  fin 
suprême  dont  la  possession  et  la  jouissance  commence  en  quelque 
sorte,  pour  les  justes  et  les  saints,  par  la  grâce  habituelle  sur  la 
terre.  Dieu  est  aussi  selon  un  mode  tout  particulier  dans  le  ciel 
par  la  manifestation  de  sa  gloire.  Enfin  il  est  en  Jésus-Christ  par 
l'union  hypostatique.  On  dit  encore  que  Dieu  est  particulièrement 
présent  dans  les  sacrements  et  partout  où  son  action  se  manifeste 
plus  ostensiblement. 

Les  manichéens  n'admettaient  pas  la  présence  générale  de  Dieu 
en  toutes  choses  par  sa  puissance;  ils  disaient  que  les  êtres  spiri- 
tuels et  incorporels  étaient  seuls  soumis  à  la  puissance  divine, 
tandis  que  les  corps  dépendaient  du  principe  contraire.  D'autres 
nièrent  l'existence  de  Dieu  en  toutes  choses  par  sa  présence,  et 
dirent  que  la  Providence  divine  n'étend  pas  son  action  jusqu'au 
monde  qui  nous  entoure,  que  Dieu  ignore  ce  qui  se  passe  sur  la 
terre  ou  du  moins  qu'il  y  est  étranger  et  indifférent. 

La  présence  universelle  de  Dieu  en  toutes  choses,  par  so/i  essence, 
trouva  des  contradicteurs  parmi  les  Juifs,  dont  plusieurs  pensaient 
que  Dieu  n'était  substantiellement  présent  que  dans  le  temple  de 
Jérusalem.  Presque  tous  les  Gentils  nièrent  aussi  l'immensité  de 
Dieu,  parla  même  qu'ils  donnaient  des  corps  à  leurs  divinités.  Les 
sociniens,  quelques  calvinistes,  et  même  plusieurs  catholiques 
imaginèrent  que  l'être  divin  habitait  uniquement  le  ciel,  et  qu"il 
était  présent  sur  la  terre  et  partout  uniquement  par  sa  puissance, 
comme  le  soleil  est  présenta  notre  monde  planétaire  parla  lumière 
et  la  chaleur  qu'il  y  répand. 

La  preuve  que  donne  S.  Thomas  de  la  présence  substantielle  de 
Dieu  en  toutes  choses,  car  nous  n'avons  à  nous  occuper  ici  que  de 
cette  présence,  est  ti  rée  de  la  nature  même  de  Dieu  qui  est  l'être  essen- 
tiel. D'après  le  saint  docteur,  Dieu  est  présent  dans  toutes  choses, 
non  pas  comme  s'il  fa'isait  partie  de  leur  essence  ou  qu'il  en  fût  un 
accident,  mais  comme  un  principe  actif  est  présent  à  l'objet  sur 
lequel  il  agit.  Il  est  nécessaire,  en  effet,  que  tout  agent  soit  présent 
à  l'objet  sur  lequel  il  agit  immédiatement,  et  qu'il  lui  fasse  éprouver 
sa  vertu.  Le  moteur  ne  peut  pas  être  séparé  de  la  chose  à  laquelle 
ilcommunique  le  mouvement.  Or,  Dieu  est  l'être  essentiel;  c'est  lui 
qui  produit  l'être  dans  toutes  les  créatures  et  qui  le  conserve.  Elles 
sont  proprement  un  effet  qu'il  cause,  et  qu'il  continue  de  causer 
aussi  longtemps  qu'elles  existent;  il  est  donc  nécessaire  qu'il  leur 


DES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  77 

soit  présent,  qu'il  soit  présent  à  leur  être,  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  pro- 
fond, de  plus  intime  en  elles. 

Un  principe  actif,  quelque  puissant  qu'on  le  suppose,  ne  saurait 
agir  sur  un  objet  éloigné  de  lui,  qu'à  l'aide  d'un  agent  secondaire 
interposé  entre  lui  et  cet  objet.  Or,  il  serait  indigne  de  la  souve- 
raine grandeur  de  Dieu  de  ne  pouvoir  agir  immédiatement  sur 
toutes  choses.  L'excellence  de  sa  nature  demande  qu'il  n'ait  pas 
besoin  d'intermédiaire  pour  exercer  son  action.  Rien  n'est  donc 
éloigné  de  Dieu;  il  est  en  toutes  choses  i. 

L'infinité  de  l'Être  divin,  sa  perfection  que  rien  ne  limite,  est 
une  preuve  indubitable  de  l'immensité  de  Dieu.  En  effet,  la  per- 
fection est  plus  grande  d'exister  en  plusieurs  lieux  que  de  n'être 
présent  qu'en  un  seul  :  la  perfection  absolue,  la  seule  qui  convienne 
à  Dieu,  sera  donc  d'exister  non  pas  en  un  lieu  ni  en  plusieurs, 
mais  absolument  partout,  non  seulement  dans  tous  les  êtres  qui 
sont  effectivement,  mais  aussi  dans  tous  ceux  qui  peuvent  exister, 
s'ils  passent  de  la  simple  possibilité  à  la  réalité  de  l'être. 

L'immutabilité  de  Dieu  réclame  de  même  son  immensité.  S'il 
n'était  pas  en  tous  les  lieux,  il  pourrait  passer  d'un  lieu  à  un  autre  ; 
il  y  aurait  un  mouvement  local,  un  changement  qui  est  inconci- 
liable avec  la  plénitude  de  son  être. 

Il  en  est  de  même  pour  l'éternité.  Elle  est  corrélative  à  l'im- 
mensité comme  le  temps  l'est  à  l'espace  ;  l'une  suppose  l'autre  et 
l'exige. 

S.  Thomas  prouve  encore  l'immensité  de  Dieu  par  la  compa- 

1.  Respondeo  dicendum  quod  Deus  est  in  omnibus  rebus,  non  quidem  sicut 
pars  essentiœ,  vel  sicut  accidens,  sed  sicut  agens  adest  ei  quod  agit.  Oportet 
enim  omne  agens  conjungi  ei  quod  immédiate  agit,  et  suavirtute  illud  contin- 
gere.  Unde  probatur  quod  motum  et  movens  oportet  esse  simul.  Cum  autem 
Deus  sit  ipsum  esse  per  suam  essentiam,  oportet  quod  esse  creatum  sit  pro- 
prius  effectus  ejus,  sicut  ignire  est  proprius  effectus  ipsius  ignis.  Hune  autem 
effectum  causât  Deus  in  rebus,  non  solum  quando  primo  esse  incipiunt,  sed 
quandiu  in  esse  conservantur.  Quandiu  igitur  res  liabet  esse,  tandiu  oportet 
quod  Deus  adsit  ei  secundum  modum  quo  esse  habet.  Esse  autem  est  illud 
quod  est  magis  intimum  cuilibet,  et  quod  profundius  omnibus  inest  ;  cum  sit 
formale  respectu  omnium  quaî  in  re  sunt,  ut  exdictis  patet.  Unde  oportet  quod 
Deus  sit  in  omnibus  rebus  et  intime.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  q.  viii,  art.  i.) 

Ad  tertium  dicendum  quod  nullius  agentis,  quantumcumque  virtuosi,  actio 
procedit  ad  aliquid  distans,  nisi  in  quantum  in  illud  per  médium  agit.  Hoc 
autem  ad  maximam  virtutem  Dei  pertinet  quod  immédiate  in  omnibus  agit. 
Unde  nihil  est  distans  ab  eo  quasi  in  se  illud  Deum  non  babeat.  (In.,  ibid., 
ad  3.^ 


78  LA    SAINTE    EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    II. 

raison  qu'il  fait  de  l'étendue  d'un  corps  avec  la  vertu  de  Dieu.  Si 
un  corps,  dit-il,  était  d'une  étendue  infinie,  il  remplirait  tous  les 
espaces  :  la  vertu  de  Dieu  est  infinie,  sa  puissance  n'a  pas  de  bornes; 
elle  atteint  donc  tous  les  espaces,  fussent-ils  infinis  *. 

Il  en  appelle  aussi  au  mouvement.  Tout  ce  qui  est  en  mouve- 
ment est  mû  par  Dieu,  qui  est  le  premier  moteur.  Or  Dieu  n'agit 
pas  comme  les  créatures  par  une  vertu  distincte  de  lui-même,  ou 
par  un  intermédiaire  quelconque,  mais  il  est  lui-même  sa  propre 
vertu  agissante.  Il  est  donc  partout,  puisque  le  mouvement  existe 
partout  dans  la  création  2. 

De  cette  vérité  que  l'action  de  Dieu  en  toutes  choses  prouve  in- 
dubitablement sa  présence  universelle,  des  théologiens  ont  conclu 
que  la  toute-puissance  de  Dieu,  en  vertu  de  laquelle  il  agit,  et  son 
immensité,  qui  est  aussi  la  condition  essentielle  de  son  opération 
s'étendant  à  tout  et  partout,  ne  sont  qu'un  seul  et  même  attribut. 
Les  passages  des  écrits  des  Pères  où  il  est  dit  que  Dieu  est  im- 
mense, non  par  une  étendue  matérielle,  mais  par  sa  vertu  ou  sa 
puissance  d'action,  ont  servi  d'appui  à  cette  opinion.  Ceux  qui 
ont  recouru  ainsi  à  l'autorité  de  ces  textes  vénérables  n'ont  pas 
assez  remarqué  que  les  Pères  s'efforçaient  avant  tout  d'éloigner 
de  Dieu  toute  idée  de  matérialité,  sans  chercher  à  définir  en 
quoi  précisément  consiste  la  présence  de  Dieu,  qui  permet  à  sa 
vertu  toute-puissante  de  s'exercer  en  toutes  choses  et  en  tous 
lieux. 

Le  cardinal  de  Lugo  dit  qu'il  n'est  pas  facile  d'expliquer  l'exis- 
tence des  êtres  matériels  dans  quelque  partie  de  l'espace,  plus  dif- 
ficile d'expliquer  celle  des  êtres  spirituels,  très  difficile  enfin,  d'ex- 
pliquer celle  de  Dieu.  «  Rien  de  plus  profondément  caché,  ni  rien 
«  de  plus  présent  que  Dieu,  dit  S.  Augustin  ;  on  ne  découvre  qu'à 
a  grand'peine  où  il  est,  et  avec  plus  de  difficulté  encore  où  il  n'est 

1.  Omne  quod  est  in  loco  vel  in  re  quacumque,  aliquo  modo  contingitillam; 
res  enim  corporea  est  in  loco  secundum  contactum  quantitatis  dimensivae; 
res  autem  incorporea  in  aliquo  esse  dicitur  secundum  contactum  virtutis, 
cum  careat  dimensiva  quantitate  ;  sic  igitur  se  habet  res  incorporea  ad  hoc 
quod  sit  in  aliquo  per  virtutem  suam,  sicut  se  habet  res  corporea  ad  hoc  quod 
sit  in  aliquo  per  quantitatem  dimensivam  :  si  autem  esset  aliquod  corpus  ha- 
bens  quantitatem  dimensivam  infinitam,  oporteret  illud  esse  ubique.  Osten- 
sum  est  autem  in  primo  Deum  esse  infinitse  virtutis,  est  igitur  ubique. 
^S.  TiiOM.,  Summa  contra  Gentes,  lib.  III,  cap.  Lxviii.) 

2.  Movens  et  motum  oportet  simul  esse.  Deus  autem  omnia  movet  ad  suas 
operationes;  est  igitur  in  omnibus  rébus.  (Id.,  ibid.) 


DES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE    JESUS-CHRIST.  79 

<  pas  K  »  Peut-être  pourrait-on  se  contenter  de  dire  à  ceux  pour 
qui  raction  de  Dieu  dans  les  créatures  n'est  qu'une  seule  même 
chose  de  raison  avec  son  immensité  :  l'action  de  Dieu  n'est  pas, 
pour  la  raison  humaine,  son  immensité,  mais  elle  en  est  la  preuve 
palpable.  Dieu  agit  parce  qu'il  est  présent  et  qu'il  ne  peut  pas  ne 
pas  agir  où  il  est;  mais  sa  toute-puissance,  en  vertu  de  laquelle  il 
agit,  et  son  immensité,  par  laquelle  il  est  présent,  sont  deux  at- 
tributsque  l'intelligencehumainedistingue,  quoique,  en  réalité,  ils 
se  confondent  avec  l'essence  divine. 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  prouve  bien  que  Dieu  est 
réellement  présent  dans  tous  les  espaces  et  les  êtres  actuellement 
existants,  et  qu'il  y  est  présent  non  seulement  en  vertu  de  son  opé- 
ration toute-puissante,  mais  par  sa  substance  même.  Mais  ce  n'est 
pas  l'immensité  complète;  ce  n'est  que  l'ubiquité.  Pour  que  la 
présence  universelle  de  Dieu  corresponde  entièrement  à  ce  que  de- 
mande sa  perfection  infinie,  pour  qu'elle  réalise  lidée  que  l'on 
doit  se  formerde  son  immensité,  elle  doit  s'étendre  à  tous  les  êtres, 
non  seulement  réalisés,  mais  possibles,  aux  espaces  mêmes  que  les 
théologiens  ont  nommés  imaginaires.  Ces  espaces  imaginaires 
sont  le  vide,  le  néant  que  nous  concevons  au  delà  des  limites  de  la 
création;  c'est  encore  l'espace  que  le  monde  occupe  maintenant, 
avant  que  le  monde  et  cet  espace  même  existassent  effective- 
ment. Faut-il  admettre  que  Dieu  existe  réellement  et  substantiel- 
lement dans  ces  espaces? 

S.  Augustin  demande  :  «  Avant  que  Dieu  fît  le  ciel  et  la  terre, 
«  où  habitait-il?  »  Et  il  répond  :  «  Dieu  habitait  en  lui-même; 
«  il  était  sa  propre  demeure  et  c'est  en  lui-même  que  Dieu  est  2  ». 
S.  Bernard  dit  de  même  :  «  Ne  vous  arrêtez  pas  davantage  à 
«  demander  où  était  Dieu  avant  que  le  monde  fût  créé,  puisqu'il 
<r  n'existait  rien  excepté  lui  seul  2.  »  S.  Bonaventu refait  remarquer 
que  Dieu  ne  peut  pas  être  substantiellement   présent  à  ce   qui 

1.  Deo  nihil  est  secretius,  nihilque  praesentius,  qui  difficillime  invenitur, 
ubi  sit,  difficilius  vero  ubi  non  sit.  (S.  Augost.,  1.  W,  De  Quantilate  animx, 
cap.  XXXIV.) 

2.  Antequam  faceret  Dcus  cœlum  et  terram,  ubi  habitabat?....  In  se  habi- 
tabat,  apud  se  babitabat,  et  apud  se  est  Deus,  (S.  August.,  in  Psal.  cxxii, 
n.4). 

3.  Ubi  erat  Deus  antequam  mundus  fieret?...  Non  est  quod  quseras  ultra 
ubi  erat,  prseter  ipsum  nihil  erat.  (S.  Bernard.,  lib.  \,  De  Considerationc, 
cap.  VI.) 


80  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   II. 

n'existe  pas,  au  néant  qui  n'est  rien  '.  Cependant  S.  Grégoire  le 
Grand,  dans  un  texte  déjà  cité,  dit  en  propres  termes  :  «  Dieu  est 
«  en  tout,  au  delà  de  tout,  au-dessus  de  tout  et  au-dessous  de  tout. 
«  Il  est  supérieur  à  toutes  choses  en  les  régissant  par  sa  puissance, 
«  inférieur  en  les  soutenant,  extérieur  en  les  environnant  de  son 
«  immensité,  intérieur  en  les  remplissant  par  sa  pénétration.  » 
Comment  ne  pas  reconnaître  dans  ces  paroles  du  grand  docteur 
l'expression  de  cette  doctrine  que  la  présence  de  Dieu  s'étend 
même  au  delà  du  monde  créé  ? 

S.  Augustin,  S.  Grégoire  et  les  autres  docteurs  ne  se  contre- 
disent pas.  Richard  de  Saint-Victor  résumait  bien  leur  enseigne- 
ment lorsqu'il  disait  :  «  Si  Dieu  est  partout  par  son  essence,  il  est 
«  donc  présent  là  où  l'espace  existe  et  là  où  il  n'existe  pas;  il  sera 
«  en  tout  lieu  et  en  dehors  de  tout  lieu,  il  sera  au-dessus  et  au- 
«  dessous  de  tout;  il  sera  dans  tous  les  êtres  et  en  dehors  de  tous 
«  les  êtres  -.  »  Dieu  est  présent  partout,  en  vertu  de  son  immen- 
sité, mais  sa  présence,  immuable  en  son  essence,  s'accommode  ac- 
cidentellement à  l'état  d'être  des  créatures,  qu'elles  existent,  ou 
qu'elles  soient  simplement  possiblesou  imaginaires.  Évidemment 
Dieu  n'est  pas  présent  dans  les  espaces  imaginaires  produits  de 
notre  pensée,  comme  il  l'est  aux  choses  réellement  existantes; 
mais  cette  différence  ne  procède  pas  de  son  essence;  elle  vient  uni- 
quement de  l'état  différent  de  ces  choses.  Dieu  est  présent  à  ces 
espaces  et  aux  êtres  qui  pourraient  les  remplir,  par  sa  connais- 
sance et  par  sa  puissance;  car  il  connaît  et  peut  réaliser  tous  les 
possibles.  Il  leur  est  présent  aussi  par  sa  substance,  mais  seule- 
ment d'une  manière  virtuelle,  c'est-à-dire  que  s'il  lui  plaisait  de 
réaliser  tous  ces  possibles,  fût-ce  à  l'infini,  partout  où  ils  s'éten- 
draient, ils  trouveraient  la  substance  divine,  les  soutenant,  les  en- 
vironnant, les  remplissant  par  sa  pénétration.  La  substance  divine 
n'aurait  pas  à  s'étendre  pour  remplir  des  mondes  nouveaux  en 
multitude  innombrable.  Fussent-ils  des  millions,  elle  serait  pré- 
sente à  tous  comme  à  celui  qui  existe  actuellement.  Leur  nombre 
se  serait  accru,  mais  elle-même  n'aurait  pas  changé. 

{.  Stultum  est  dicere  Deum  esse  in  eo  quod  est  nihil.  (S.  Bonavent.,  in 
I  dis  t.  xxxvii.) 

2.  Si  essentialiter  ubique  est,  ergo  ubi  locus  est  et  ubi  locus  non  est;  erit 
itaque  et  intra  omnem  locum,  et  extra  omnem  locum  ;  erit  supra,  erit  infra 
omnia,  intra  omnia  et  extra  omnia.  (Richard.  Victor.,  lib.  II,  de  Trinit., 
cap.  XXIII.) 


DES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE   DE    JÉSUS-CHRIST.  81 

Nous  avons  dit  que  des  hérétiques,  et  même  plusieurs  catholi- 
ques, avaient  méconnu  la  présence  substantielle  de  Dieu  dans 
tous  et  chacun  des  êtres  créés.  Ils  se  sont  laissé  induire  en  erreur 
par  quelques  textes  de  l'Écriture  mal  interprétés.  Par  exemple  on 
lit  dans  Isaie  :  «  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  :  Le  ciel  est  mon 
«  trône,  et  la  terre  l'escabeau  de  mes  pieds  '.  »  Le  Psalmiste  dit 
quelque  part  :  «  Le  Seigneur  est  dans  son  temple,  le  Seigneur 
«  a  son  trône  dans  le  ciel  -.  »  Il  dit  encore  :  «  Le  ciel  du  ciel  est 
«  au  Seigneur,  mais  il  a  donné  la  terre  aux  enfants  des  hommes  3.  » 
Mais  ces  textes  et  plusieurs  autres  semblables  n'ont  aucunement 
la  signification  qu'on  a  voulu  leur  prêter.  Ils  donnent  simplement 
à  entendre  que  Dieu  manifeste  plus  particulièrement  dans  le  ciel 
sa  puissance,  sa  gloire,  toutes  les  splendeurs  de  sa  royauté  divine, 
tandis  que  sur  la  terre  nous  n'en  apercevons  à  peine  que  quelques 
vestiges;  cela  veut  dire  encore  qu'il  écoute  avec  une  faveur  particu- 
lière, et  reçoit  comme  un  encens  d'agréable  odeur  les  prières  et 
les  hommages  qui  lui  sont  adressés  dans  son  temple  ;  cela  veut 
dire  enfin  que  la  demeure  naturelle  de  l'homme  est  la  terre  et  que 
la  demeure  surnaturelle  que  Dieu  lui  prépare,  s'il  sait  s'en  rendre 
digne,  est  le  ciel  où  le  Seigneur  se  montre  à  ses  anges  et  à  ses 
élus.  Mais  rien  dans  ces  textes  n'exclut  la  présence  générale  de 
Dieu  en  tous  les  lieux,  même  simplement  possibles.  D'autres 
textes  disent  que  Dieu  monte,  descend,  se  rend  d'un  endroit  dans 
un  autre  :  ce  sont  des  métaphores  qu'il  faut  se  garder  d'entendre 
dans  le  sens  littéral.  Elles  signifient  que  Dieu,  tout  en  étant  par- 
faitement immuable,  produit  des  effets  semblables  à  ceux  qui  ré- 
sultent de  nos  mouvements,  lorsque  nous  montons,  que  nous  des- 
cendons, que  nous  marchons.  On  dit  aussi  que  Dieu  s'approche 
de  nous  par  ses  bienfaits,  qu'il  s'en  éloigne  lorsqu'il  nous  prive 
de  sa  grâce,  qu'il  descend  vers  nous  ou  qu'il  marche,  lorsqu'il  té- 
moigne par  des  actes  la  sollicitude  avec  laquelle  il  veille  à  nos  be- 
soins. 

Ces  textes  de  la  Sainte  Écriture,  et  cent  autres,  ne  sont  donc 
nullement  contraires  au  dogme  de  l'immensité  de  Dieu.  Si  l'on 
apportait  quelques  passages  des  Pères  qui  semblassent  mécon- 

1.  Hccc  dicit  Dominus  :  Cœlum  sedes  mea,  terra  autem  scabellum  pedum 
meorum.  (Isa.,  xlvi,  1.) 

2.  Dominus  in  templo  suo,  Dominus  in  cœlo  sedes  ejus.  [Psal.  x,  5.) 

3.  Cœlum  cœli  Domino,  terram  autem  dédit  filiis  hominum.  {Psal.  cxiii,  10.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  6 


82  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    II. 

naître  cet  attribut,  il  serait  aisé  d'en  donner  de  même  une  inter- 
prétation orthodoxe,  à  moins  que,  ce  qui  est  arrivé  pour  plusieurs 
vérités,  quelques-uns  d'entre  eux  ne  se  fussent  trompés  et  n'eussent 
ignoré  la  vraie  doctrine.  L'ensemble  de  la  doctrine  des  Pères  est 
merveilleuse  d'unité  et  de  vérité  ;  mais  cette  vérité  parfaite  qui 
ressort  de  l'ensemble  n'est  pas  toujours  sans  tache  en  chacun 
d'eux,  pour  tous  les  points  de  dogme  sans  exception.  Ils  étaient 
hommes,  et  chacun  pris  à  part  a  bien  pu  tomber  quelquefois  dans 
l'erreur.  C'est  ainsi  que,  dans  un  concile  général,  plusieurs 
membres  du  concile  peuvent  avancer  des  propositions  erronées 
et  même  des  hérésies;  mais  les  enseignements  définitifs  du  concile 
seront  infailliblement  vrais. 

Adorons  donc  l'immensité  de  Dieu  ;  adorons  ce  Dieu  présent 
partout  et  tout  entier  partout;  adorons-le  surtout  dans  le  Sacre- 
ment de  son  amour  où  il  se  réduit  en  quelque  sorte  au  néant,  pour 
être  mieux  encore  avec  nous  et  se  donner  à  nous. 

IV. 

IMMUTABILITÉ    DU    DIEU    DE   l'eUCHARISTIE 

Toutes  les  choses  créées  sont  sujettes  au  changement  :  Dieu  seul 
ne  change  pas,  et  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  considéré  dans  sa 
divinité,  est  éternellement  le  même.  Cet  attribut  de  la  nature 
divine  se  nomme  V immutabilité.  Dieu  est  immuable,  c'est-à-dire 
qu'il  est  impassible,  inaltérable,  incorruptible,  qu'il  ne  peut  rien 
perdre  de  son  être,  et  qu'éternellement  il  sera  ce  qu'il  est  aujour- 
d'hui et  ce  qu'il  était,  avant  que  rien  de  ce  qui  peut  changer 
fût  sorti  du  néant.  «  Je  suis  le  Seigneur  et  je  ne  change  pas,  » 
nous  a-t-il  dit  lui-même  par  la  bouche  du  prophète  Malachie  : 
Ego  Dominus  et  non  muter  ^  Il  est  immuable  dans  son  être, 
dans  ses  perfections,  dans  ses  connaissances  et  dans  sa  volonté. 
Dans  son  être,  puisqu'il  est  nécessairement  tout  ce  qu'il  est;  dans 
ses  perfections,  car  elles  font  partie  de  son  essence  divine,  et  il 
ne  peut  en  perdre  aucune  ni  en  recevoir  de  nouvelles  ;  dans  ses 
connaissances  :  il  ne  peut  ni  rien  ignorer,  ni  rien  apprendre,  ni 
rien  oublier  ;  dans  sa  volonté  :  il  veut  de  toute  éternité  ce  qu'il 
veut,  ce  qu'il  fait  et  ce  qu'il  fera  jusqu'à  la  fin  des  temps.  Nicole 

1.  Matach.,  m,  G. 


DES    ATTRIBUTS    DE    LA   NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  83 

parle  en  ces  termes  de  l'immutabilité  de  Dieu  i  :  «  Il  faut  concevoir 
l'immutabilité  de  Dieu,  par  opposition  à  la  mutabilité  des  créa- 
tures, sur  laquelle  on  peut  considérer  que  nous  ne  voyons  dans  le 
monde  que  changements  perpétuels.  Tout  se  passe,  tout  finit;  rien 
n'est  stable  ni  permanent.  Non  seulement  les  particuliers,  mais 
les  États  et  les  royaumes  ont  leurs  âges,  leurs  vicissitudes  et  leurs 
révolutions.  Ce  ne  sont  à  tous  moments  que  changements  de 
théâtre.  Les  uns  sortent  pour  faire  place  à  d'autres  ;  et  l'on  voit, 
en  moins  de  rien,  se  renouveler  la  face  du  monde. 

«  Bien  loin  de  trouver  de  la  stabilité  dans  les  choses  qui  sont 
hors  de  nous,  nous  n'en  saurions  trouver  en  nous-mêmes.  C'est  un 
flux  et  un  reflux  continuel  de  pensées  et  de  mouvements.  Nous  ne 
voyons  presque  jamais  les  mêmes  objets  d'un  même  œil.  Ce  qui 
nous  paraît  vrai,  bon  et  utile  aujourd'hui  nous  paraîtra  demain 
faux,  mauvais  et  inutile.  Nos  affections  et  nos  humeurs  sont  en- 
core plus  changeantes  que  nos  jugements.  Nous  éprouvons  une 
variété  perpétuelle  de  mouvements  et  de  dispositions  différentes, 
tantôt  agités  et  tantôt  tranquilles,  tantôt  tristes  et  tantôt  gais, 
tantôt  pleins  de  courage  et  tantôt  découragés  et  abattus.  Enfin 
nous  ne  trouvons  en  nous-mêmes  rien  de  ferme,  rien  d'uniforme, 
rien  de  constant.  La  mutabilité  est  si  naturelle  à  l'homme,  qu'elle 
lui  est  nécessaire  :  l'uniformité  suffit  pour  le  détruire  ;  s'il  mange, 
s'il  dort,  s'il  se  repose,  s'il  travaille  sans  discontinuation,  il  est 
mort.  11  suffit,  pour  perdre  l'esprit,  de  l'appliquer  trop  longtemps 
à  un  même  objet.  La  constance  même  et  la  fermeté,  quand  on  les 
attribue  à  l'homme,  ne  marquent  qu'un  changement  moins  dé- 
réglé. 

a  Pour  connaître  donc  l'immutabilité  de  Dieu,  il  n'y  a  qu'à  en 
retrancher  toutes  les  idées  de  la  mutabilité  des  créatures.  Son 
être  est  incapable  d'altération  ;  il  ne  reçoit  ni  augmentation,  ni 
diminution,  ni  diversité  de  perfection,  parce  qu'étant  parfait,  il 
ne  peut  rien  acquérir  de  nouveau  ni  rien  perdre  de  ce  qu'il  a.  Il 
n'y  a  point  en  Dieu  de  succession  ni  de  contrariété  de  pensées.  Il 
pense  toujours  aux  mêmes  choses,  et  il  comprend  tout  par  une 
pensée  unique  et  immuable.  Sa  volonté  est  aussi  stable  que  son 
intelligence.  Il  aime  toujours  les  mêmes  choses,  et  dans  le  même 
degré  et  par  la  même  action.  Enfin  il  fait  toujours  les  mêmes 

1.  LEsprit  de  Nicole  sur  les  vérilcs  de  la  religion,  ch.  i. 


84  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —  CIIAP.    II. 

choses,  parce  que  son  opération  n'est  autre  chose  que  la  volonté 
qu'il  a  que  les  choses  soient  faites,  et  que  sa  volonté  est  son  essence 
et  sa  substance.  Les  effets  des  opérations  de  Dieu  peuvent  être 
temporels,  mais  son  opération  est  éternelle  ;  ils  peuvent  être  va- 
riables, mais  son  opération  est  immuable.  Dieu  change  tout,  mais 
il  ne  change  point  en  lui-même.  Il  sait  agir,  dit  S.  Augustin,  sans 
cesser  d'êlre  en  repos,  et  faire  de  nouveaux  ouvrages  par  un  con- 
seil éternel.  » 

Les  textes  ne  manquent  pas  dans  l'Ancien  et  dans  le  Nouveau 
Testament  qui  prouvent  l'immutabilité  de  Dieu.  C'est  ainsi  qu'au 
livre  des  Nombres,  il  est  écrit  :  «  Dieu  n'est  pas  comme  un  homme 
«  pour  qu'il  mente  ou  comme  le  fils  d'un  homme  pour  qu'il  change. 
«  xVinsi  ce  qu'il  a  dit  ne  le  fera-t-il  pas?  Sa  parole  donnée,  ne  l'ac- 
«  complira-t-il  pas  ^  ?  »  Au  premier  livre  des  Rois,  Samuel  an- 
nonce à  Saïil  prévaricateur  que  Dieu  l'a  rejeté;  il  lui  dit,  pour 
lui  faire  entendre  que  sa  disgrâce  est  définitive  :  «  Le  triompha- 
it teur  en  Israël  n'épargnera  point,  et  il  ne  sera  pas  touché  de  re- 
«  pentir;  car  ce  n'est  pas  un  homme  pour  qu'il  se  repente  ~.  »  Le 
saint  roi  David  oppose  à  la  fragilité  des  choses  de  ce  monde  et  à 
leur  existence  passagère  l'immutabilité  de  Dieu  ;  il  dit  :  «  Au 
a  commencement,  vous,  Seigneur,  vous  avez  fondé  la  terre,  et  les 
a  cieux  sont  les  ouvrages  de  vos  mains.  Pour  eux  ils  périront, 
«  mais  vous,  vous  subsistez  toujours  ;  et  tous,  comme  un  vête- 
«  ment,  ils  vieilliront.  Et  vous  les  changerez  comme  un  habit  dont 
«  on  se  couvre,  et  ils  seront  changés.  Mais  vous,  vous  êtes  tou- 
«  jours  le  même  et  vos  années  ne  passeront  pas  3.  »  Le  prophète 
Isaïe,  parlant  au  nom  du  Seigneur,  s'adresse  en  ces  termes  au 
peuple  d'Israël  :  «  Rappelez-vous  le  siècle  passé  :  parce  que  moi 
«  je  suis  Dieu  et  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu,  et  qu'il  n'y  a  pas  de 
«  semblable  à  moi,  annonçant  dès  l'origine  la  fin  des  temps,  et  dès 
«  le  commencement  les  choses  qui  ne  sont  pas  encore  faites, 
«  disant  :  Ma  résolution  sera  inébranlable,  et  toute  ma  volonté 

\.  Non  est  Deus  quasi  homo,  ut  mentiatur;  nec  ut  filius  hominis  ut  mute- 
tur.  Dixitergo  et  non  faciet?  locutus  est,  et  non  implebit?  (Num.,  xxiii,  49.) 

2.  Porro  triumphator  in  Israël  non  parcet,  et  pœnitudine  non  flectetur, 
neque  enim  homo  est,  ut  agat  pœnitentiam.  (7.  Beg.,  xv,  29.) 

3.  Initio  tu,  Domine,  terram  fundasti,  et  opéra  manuum  tuarum  suntcœli. 
Ipsi  peribunt,  tu  autem  permanes  ;  et  omnes  sicut  vestimentum  veterascent. 
Et  sicut  opertorium  mutabis  eos,  et  mutabuntur  :  tu  autem  idem  ipse  es,  et 
anni  tui  non  déficient.  {Ps.  ci,  24-28.) 


DES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  85 

€  s'exécutera  i.  »  Nous  avons  déjà  cité  ce  texte  de  Malachie  :  «  Je 
«  suis  le  Seigneur  et  je  ne  change  pas  '^.  »  L'apôtre  S.  Jacques, 
comme  un  fidèle  écho  des  anciens  prophètes,  nous  dit  dans  son 
Épître  catholique  :  «  Ne  vous  y  trompez  donc  point,  mes  frères 
«  bien-aimés.  Toute  grâce  excellente  et  tout  don  parfait  vient  d'en 
«  haut,  et  descend  du  Père  des  lumières,  en  qui  il  n'}^  a  ni  chan- 
«  gement  ni  ombre  de  vicissitude  3.  »  Enfin  S.  Paul,  écrivant  à 
son  disciple  Timothée,  parle  ainsi  de  Dieu  :  «  Il  est  le  seul  puis- 
«  sant,  le  Koi  des  rois,  le  Seigneur  des  seigneurs,  qui  seul  pos- 
«  sède  l'immortalité.  »  S.  Augustin  et  S.  Bernard  disent  que  par 
Y  immortalité  de  Dieu  dont  parle  l'Apôtre,  comme  d'un  attribut 
qui  n'appartient  qu'à  lui  seul,  il  faut  entendre  son  immutabilité, 
et  Suarez  admet  leur  interprétation. 

Ces  quelques  textes  suffisent  pour  montrer  que  la  Sainte  Écriture 
enseigne  l'immutabilité  de  Dieu.  Les  écrits  des  Pères  reproduisent 
souvent  la  même  doctrine  d'une  manière  non  moins  explicite. 

Bossuet,  défendant  cet  attribut  divin  contre  les  attaques  de  Jurieu, 
ministre  protestant,  en  appelle  au  témoignage  des  Pères  les  plus 
anciens.  «  L'auteur  du  Livre  de  la  Trinité,  dit-il  *,  qu'on  croit 
être  Novatien,  suit  les  idées  de  Tertullien,  et  déclare  comme  lui 
que  tout  ce  qui  change  est  mortel  par  cet  endroit-là  ^.  Il  faudrait 
donc  ôter  aux  anciens,  avec  l'idée  de  l'immutabilité,  celle  de  l'éter- 
nité de  Dieu,  dont  la  racine,  pour  ainsi  parler,  est  son  être  tou- 
jours immuable.  De  là  vient  qu'en  disputant  contre  ceux  qui  met- 
taient la  matière  éternelle,  ces  graves  théologiens  leur  démontraient 
qu'elle  ne  pouvait  l'être,  parce  qu'elle  était  sujette  aux  change- 
ments. Tertullien  soutient,  contre  Hermogène  g,  que  a  si  la  matière 
€  est  éternelle,  elle  est  immuable  et  inconvertible,  incapable  de 
«  tout  changement;  parce  que  ce  qui  est  éternel  perdrait  son  éter- 
«  nité,  s'il  devenait  autre  chose  que  ce  qu'il  était.  Ce  qui  fait  Dieu, 

1.  Recordamini  prioris  saeculi,  quoniam  ego  sum  Deus,  et  non  est  ultra 
Deus,  nec  est  similis  mei.  Annuntians  ab  exordio  novissimum,  et  ab  initio 
quae  necdum  facta  sunt,  dicens  :  Consilium  meum  stabit,  et  omnis  voluntas 
mea  fiet.  [Isa.,  xlvi,  l),  10.) 

"2.  EgoDominus  et  non  muter.  [Malnch.,  m,  0.) 

;i.  Nolite  itaque  errare,  fratres  mei  dilectissimi.  Omne  datum  optimum  et 
omne  donum  perfeclum  desursum  est,  descendens  a  Pâtre  luminuni,  apud 
quem  non  est  transmutatio,  nec  vicissitudinis  ol)umbratio.  [Jacob.,  i,  10,  17.) 

\.  Bossuet,  Sixième  avertissement  aux  protestants,  I  part.,  art.  ii,  13. 

5.  De  Trinit.,  cap.  i. 

0.  Tertuli..,  Contra  llerm.,  xii. 


86  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  Il'=   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   II. 

«  poursuit-il,  c'est  qu'il  est  toujours  ce  qu'il  est  :  de  sorte  que  si 
a  la  matière  reçoit  quelque  changement,  la  forme  qu'elle  avait  est 
«  morte  ;  ainsi  elle  aurait  perdu  son  éternité,  mais  l'éternité  ne 
«  peut  se  perdre.  »  Remarquez  qu'il  ne  s'agit  pas  de  changer 
quant  à  la  substance  et  à  l'être,  mais  quant  aux  manières 
d'être,  puisque  c'est  en  présupposant  que  la  matière  n'est  point 
muable  dans  le  fond  de  son  être,  qu'on  procède  à  faire  voir 
qu'elle  ne  peut  l'être  en  rien,  et  qu'on  ne  peut  rien  lui  ajouter. 
Téophile  d'Antioche  procède  de  même  ^.  «  Parce  que  Dieu  est 
«  ingénérable,  c'est-à-dire  éternel,  il  est  aussi  inaltérable.  Si  donc 
«  la  matière  était  éternelle,  comme  le  disent  les  platoniciens,  elle 
«  ne  pourrait  recevoir  aucune  altération,  et  serait  égale  à  Dieu; 
«  car  ce  qui  commence  est  capable  de  changement  et  d'altération: 
«  mais  ce  qui  est  éternel  est  incapable  de  l'un  et  de  l'autre.  » 
Athénagore  dit  aussi  que  «  la  Divinité  est  immortelle,  incapable 
«  de  changement  et  d'altération  -.  »  Ce  qui  emporte  non  seulement 
l'immutabilité  dans  le  fond  de  l'être,  mais  encore  dans  les  qualités 
et  universellement  en  tout;  d'où  il  conclut  que  le  monde  ne  peut 
pas  être  Dieu,  parce  qu'il  n'a  rien  de  tout  cela.  Il  ne  faut  pas 
oublier  que  ces  passages  sont  tirés  des  mêmes  endroits  d'où  le 
ministre  conclut  ces  prétendus  changements  dans  Dieu  et  dans 
son  Verbe.  Pour  se  former  une  idée  parfaite  de  l'immutabilité  de 
Dieu,  il  ne  faut  que  ce  petit  mot  de  S.  Justin  3  :  Qu  est-ce  que 
Dieu:*  et  il  répond  :  «  C'est  celui  qui  est  toujours  le  même, et  tou- 
«  jours  de  même  façon,  et  qui  est  lacausede  tout;  »  ce  qui  exclut 
tout  changement  dans  le  fond  et  dans  les  manières,  et  tout  cela  est 
tellement  l'essence  de  Dieu  qu'on  en  compose  sa  définition.  Les 
autres  anciens  ne  parlent  pas  moins  clairement;  et  si,  occupé  de 
toute  autre  chose  que  de  l'amour  de  la  vérité,  le  ministre  ne  veut 
pas  se  donner  la  peine  de  la  chercher  où  elle  est,  à  toutes  les  pages, 
Bullus  et  son  Scultet  lui  auraient  montré  dans  tous  les  auteurs 
qu'il  allègue,  dans  S.  Ilippolyte,  dans  S.  Justin,  dans  Athénagore, 
dans  S.  Théophile  d'Antioche  et  dans  S.  Clément  d'Alexandrie, 
que  non  seulement  le  Père,  mais  encore  nommément  le  Fils,  est 
inaltérable,  immuable,  itnpassible,  incapable  de  nouveauté,  sans 
commencement;  et  quand  ils  disent  sans  commencement,  ils  ne 

1.  TiiEOi'H,  Antiocii.,  lib.  II  ad  Autot. 

2.  Athenag.,  Légat,  pro  Christ,  ad  calcem  op.  S.  JusT. 

3.  S.  Justin.,  Dial.  cum  Tryph. 


DES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  87 

disent  pas  seulement  que  lui-même  ne  commence  pas,  mais  encore 
que  rien  ne  commence  en  lui,  comme  ils  viennent  de  nous  l'expli- 
quer ;  et  c'est  pourquoi  ils  joignent  ordinairement  à  cette  idée  celle  de 
tout  parfait,  pour  montrer  qu'on  ne  peut  rien  ajouter  ni  diminuer 
en  Dieu,  ce  qui  renferme  la  très  parfaite  immutabilité  de  son  être.  » 

La  voilà  donc  dans  les  plus  anciens  auteurs  la  parfaite  immuta- 
bilité de  Dieu,  et  Bossuet  la  trouve  enseignée  chez  les  mêmes 
Pères  auxquels  l'hérésie  avait  demandé  des  arguments  contre  elle. 

A  ces  textes  des  Pères  que  les  nécessités  de  la  controverse  don- 
nèrent à  Bossuet  l'occasion  de  citer,  il  est  bon  d'en  ajouter  quel- 
ques autres  qui  montreront,  mieux  encore,  que  la  doctrine  de  l'im- 
mutabilité de  Dieu,  acceptée  dès  les  premiers  jours  de  l'Église,  ne 
cessa  pas  de  l'être  dans  le  cours  des  siècles  suivants. 

S.  Hilaire  de  Poitiers  explique  ces  paroles  du  psaume  ii  : 
«  Celui  qui  est  dans  les  cieux  se  rira  d'eux,  et  le  Seigneur  se  mo- 
«  quera  d'eux.  Alors  il  leur  parlera  dans  sa  colère,  et  dans  sa  fureur 
«  il  les  confondra.  »  Il  dit  ce  qu'il  faut  entendre  par  la  colère  et 
la  fureur  de  Dieu  dont  parle  le  prophète  ;  mais  il  avertit  d'abord 
ses  lecteurs  et  ses  auditeurs  qu'ils  doivent  se  garder  de  croire 
que  Dieu  puisse  éprouver  quelque  trouble  ou  quelque  changement. 
a  Rien  de  nouveau,  dit-il,  ne  peut  survenir  en  cette  nature  par- 
«  faite;  celui  qui  est  tel  qu'il  doive  toujours  être  absolument  le 
«  même  qu'il  est,  ne  peut  pas  devenir  quelque  chose  de  différent, 
«  et  n'être  pas  ce  qu'il  est  toujours.  » 

Le  saint  docteur  montre  ensuite  que  les  changements  qu'on 
remarque  dans  les  choses  créées  dénotent  en  elles  l'imperfection 
de  leur  nature,  et  il  ajoute  :  «  Dieu,  bienheureux  et  parfait,  n'a  pas 
«  besoin  comme  nous  de  progresser  en  quoi  que  ce  soit,  car  il  ne 
«  manque  de  rien.  Celui  qui  n'a  pas  commencé  ne  se  renouvelle 
«  pas  par  le  changement.  II  est,  et  son  être  ne  lui  vient  pas  d'ail- 
«  leurs  que  lui-même;  il  est  en  lui-même;  il  est  avec  lui-même,  il 
«  est  pour  lui-même,  il  nappartient  qu'à  lui-même,  il  est  toutes 
«  choses  pour  lui-même,  il  est  exempt  de  tout  changement  et  de 
«  toute  nouveauté,  parce  que  c'est  par  lui-même  tout  entier  qu'il 
«  est  tout  ce  qu'il  est,  et  il  n'a  laissé  aucune  possibilité  à  quoi  que 
«  ce  soit  de  s'ajouter  à  lui  '.  » 

1.  Ac  priusquam  quis  iste  irae  sermo,  et  qua*  liœc  indignationis  perturbalio 
sit  oslendamus,  admoneri  legentes  atque  audientes  oportet,  ne  aliquas  demu- 
tationes  passionum   perturba Uonesque  motuum    cadere  in  Deum   credant. 


88  LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —   if  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.    II. 

Plus  loin  s.  Hilaire  dit  encore  :  «  Dieu  n'est  donc  pns  mobile  et 
«  changeant;  il  ne  passe  pas  d'un  état  à  un  autre.  Sa  nature  est 
«  immuable  et  constante;  elle  reste  toujours  la  même,  car  il  a  dit  : 
«  Je  suis  celui  qui  suis,  et  je  ne  change  pas.  Cette  bienheureuse, 
«  parfaite  et  éternelle  bonté  de  vertu  ne  souffre  pas  de  conversion; 
«  elle  ne  passe  pas  d'un  état  à  un  autre,  sous  l'inlluence  de 
a  quelque  cause  accidentelle,  et  le  prophète  inspiré  par  le  Saint- 
«  Esprit  en  rend  témoignage  lorsqu'il  dit  :  Le  Seigneur  est  un 
«  juge  équitable,  fort  et  patient;  est-ce  qu'il  s'irritera  tous  les 
«  jours  ?  Si  vous  ne  vous  convertissez,  il  fera  vibrer  son  glaive; 
«  il  a  tendu  son  arc,  et  il  l'a  préparé.  Il  y  a  adapté  des  instru- 
<  ments  de  mort,  il  a  préparé  ses  (lèches  cont7^e  ses  ardents  per- 
«  sécuteurs.  Ce  roi  magnanime  n'a  donc  pas  changé  ;  il  ne  s'est 
«  pas  laissé  dominer  par  la  colère,  mais,  comme  un  juge  puissant, 
«  il  a  proportionné  le  châtiment  à  la  grandeur  de  la  faute.  Contre 
«  ceux  qui  ne  se  convertissent  pas,  //  a  fait  vibre)'  S07i  glaive;  il  a 
«  tetidu  son  arc  et  il  y  a  adapté  des  instruments  de  7nort  ^.  » 

Nihil  enim  in  œternam  illam  et  perfectam  naturain  novum  incidit  :  neque 
qui  ila  est,  ut  qualis  est  talis  et  semper  sit,  ne  aliquando  non  idem  sit,  potest 
effici  aliquid  aliud  esse,  quam  semper  est.  Terrente  istud  imperfectaeque  causîe 
habent  generis,  ut  demutabiles  fiant  conversione  naturse,  cum  leetitiam  mœ- 
ror,  placabilitatem  ira,  benevolentiam  offensa,  sequanimitatem  invidia,  et 
securitatem  sollicitude  perturbât  :  sumusque  per  haec.  aliud  aliquando  quam 
fuimus,  cum  eam  quœ  prœsens  sit,  mentis  affectionem  subrepens,  per  incons- 
tantiam  infirmitatemque  nostram  motus  appetitionis  alterius  inquietet;  et  ex 
60  quod  fuimus,  in  ici  quod  sumus  conversio  nos  repentina  demutet.  Deus 
autem  beatus  atque  perfectus  profectu  non  eget,  cui  nihil  deest  :  demutatione 
non  novus  est  qui  origine  caret.  Ipse  est,  qui  quod  est  non  aliunde  est  :  in 
sese  est,  secum  est,  ad  se  est,  suus  sibi  est,  et  ipse  sibi  omnia  est  carens 
omni  demutatione  novitatis,  qui  nihil  aliud  quod  in  se  posset  incidere,  per  id 
quod  ipse  sibi  totum  totus  est,  reliquit.  (S.  IIilar.,  Tract,  in  Ps.  ii,  n.  13.) 

i.  Non  itaque  ad  demutationem  Deus  mobilis  est,  neque  ad  aliud  ex  alio 
transferendus  :  cum  certse  ipse  constantisque  naturae  sit,  maneatque  ut  est, 
quippe  qui  dixerit  :  Ego  sum  qui  sum  et  non  demutor.  Beata  illa  et  perfecta 
œternaque  virtutis  bonitas  non  patitur  conversionem  :  nec  demutatur  ex  alio 
in  aliud  motu  accidentis  instinctus.  Et  hoc  idem  hic  Sancto  Spiritu  loquens 
Propheta  testatur,  dicens  :  Deus  judex  justus,  fortis  et  magnanimus,  numquid 
irascelw  per  singulos  dies?  Nisi  conversi  fuei'itis,  gladium  suum  vihrabit,  et 
arcum  suum  letendit,  et  paravit  illum  :  et  in  eo  paravit  vasa  mortis,  sagittas 
suas  arsuris  operatus  est.  Non  ergo  ad  iram  magnanimus  demutatur;  sed  po- 
tens  judex  pœnam  decrevit  ad  culpam.  Nam  non  convertentibus  gladium 
vibravit,  et  arcum  tetendit,  et  in  eo  paravit  vasa  mortis,  et  sagittas  suas  arsu- 
ris operatus  est.  Operatus  autem  est  non  ad  motum  repentinae  irae,  quae  per 
cupiditatein  ulciscendi  subito  accensa  sit,  sed  operatus  arsuris  est,  qui  per 
impœnitentem  voluntatem  ipsi  se  constituent  urendos,  etc.  (Ii).,  ibid.,  n.  18.) 


DES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  89 

On  voit  avec  quel  soin  S,  Hilaire  sauvegarde  l'immutabilité  de 
Dieu,  dans  le  commentaire  de  ce  passage  du  psaume  vu  qui  sem- 
ble, à  la  première  vue,  prêter  au  Seigneur  des  émotions  et  des 
passions  semblables  aux  nôtres.  Il  nous  le  montre  exerçant  son 
éternelle  justice  contre  ceux  qui  ont  péché  et  qui  ne  font  point 
pénitence,  mais  il  ne  voit  en  lui  aucun  mouvement  de  colère,  aucun 
changement  de  disposition,  aucun  sentiment  nouveau  ;  Dieu  est 
toujours  celui  qui  dit  :  «  Je  suis  celui  qui  suis;  je  suis  le  Seigneur 
«  et  je  ne  change  pas.  » 

S.  Ambroise  fait  la  même  remarque  ;  il  dit  que  si  l'Écriture 
sainte  attribue  à  Dieu  des  passions  semblables  aux  nôtres,  comme 
la  colère,  la  vengeance,  c'est  uniquement  pour  faire  entendre  com- 
bien nos  prévarications  sont  graves  et  offensantes  pour  le  Seigneur, 
car  Dieu,  en  vertu  même  de  sa  nature,  est  immuable  et  exempt  de 
toute  passion  K 

S.  Augustin  ne  manque  pas,  à  l'occasion,  d'affirmer  l'immuta- 
bilité de  Dieu  ;  et  l'occasion  s'en  présente  souvent  dans  ses  innom- 
brables écrits.  Nous  n'en  pouvons  citer  que  deux  ou  trois  passages. 

Le  traité  De  la  nature  du  bien,  contre  les  manichéens,  débute 
■ainsi  :  «  Dieu  est  le  souverain  bien,  au-dessus  duquel  il  n'y  en  a 
c  pas  d'autre;  il  est  par  conséquent  le  bien  immuable,  et  telle  est 
«  la  cause  de  sa  véritable  éternité,  de  sa  véritable  immortalité. 
«  Tous  les  autres  biens  ont  été  faits  par  lui,  mais  ils  ne  provien- 
<t  nent  pas  de  sa  substance;  ils  ne  sont  pas  ce  qu'il  est.  Aussi  est-il 
«  seul  immuable,  tandis  que  toutes  les  choses  qu'il  a  faites  sont 
«  changeantes,  parce  qu'il  les  a  faites  de  rien....  Dieu  est  un  esprit 
«  qui  ne  peut  pas  changer  -.  »  Ces  paroles  de  l'illustre  docteur  sont 
suffisamment  claires  et  ne  demandent  pas  de  commentaire. 

Ailleurs,  expliquant  les  premiers  mots  de  l'Évangile  selon  S.  Jean, 

1.  Neque  enim  Deus  cogitât  sicut  homines,  ut  aliqua  ei  nova  succédât  sen- 
tentia;  neque  irascitur  quasi  mutabilis  :  sed  ideo  hagc  leguntur,  ut  exprima- 
tur  peccatorura  nostrorum  acerbitas,  quse  divinammeruit  offensam;  tanquam 
«0  usque  increvit  culpa,  ut  etiam  Deus,  qui  naturaliter  non  movelur  aut  ira, 
aut  odio,  aut  passione  uUa,  provocalus  videatur  ad  iracundiam.  (S.  Ambros., 
de  Noe  etarcn,  cap.  iv.) 

2.  Summum  bonuni  quo  superius  non  est,  Deus  :  ac  per  hoc  incommutabile 
bonum  est;  ideo  vere  aeternum,  et  vere  immortale.  Caetera  omnia  bona,  non- 
nisi  ab  illo  sunt,  sed  non  de  illo.  De  illo  enim  quod  est,  hoc  est  quod  ipse  est  : 
ab  illo  autem  quae  facta  sunt,  non  sunt  quod  ipse.  \c  per  lioc  si  solus  ipse 
incommulabihs,  omnia  quaa  fecit,  quia  ex  nihilo  fecit,  mutabilia  sunt....  Spi- 
ritus  incommutabihs  est  Deus.  (S.  August.,  de  Xatura  lioni,  n.  1.) 


90  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.  —  LIVRE   H.  —  CHAP.   II. 

il  dit  :  9  Au  commencement  était  le  Verbe  :  c'est  le  même 
«  Verbe,  existant  de  la  même  manière  ;  comme  il  est  toujours, 
«  il  est;  il  ne  peut  changer  :  il  est,  voilà  la  définition  de  son  être: 
«  c'est  son  nom  qu'il  a  révélé  à  Moïse,  son  serviteur  :  Je  suis  celui 
«  qtn  suis. —  Celui  qui  est  m'a  envoyé  K  » 

Le  saint  roi  David  décrit  la  grandeur  de  Dieu  dans  le 
psaume  lxxxix  :  «  Seigneur,  dit-il,  vous  êtes  devenu  un  refuge 
«  pour  nous,  de  génération  en  génération.  Avant  que  les  monta- 
«  gnes  fussent  faites,  ou  que  la  terre  fût  formée  et  l'univers,  d'un 
«  siècle  jusqu'à  un  autre  siècle  vous  êtes  Dieu  -.  »  S.  Augustin 
commente  ces  paroles  du  prophète,  et  fait  remarquer  l'exactitude 
des  termes  dont  il  s'est  servi.  «  David  ne  dit  pas,  et  il  a  raison  : 
«  Vous  avez  été  à  partir  d'un  siècle  et  vous  serez  jusqu'à  un 
«  autre  siècle  ;  mais  il  se  sert  d'un  verbe  au  temps  présent,  pour 
«  faire  entendre  que  la  substance  divine  est  absolument  im- 
«  muable  ;  il  n'y  a  pas  en  Dieu  :  il  fut  et  il  sera,  mais  seulement, 
«  il  est.  C'est  pourquoi  il  a  été  dit  :  Je  suis  celui  qui  suis  ;  Celui 
«  qui  est  m'a  envoyé  vers  vous.  Il  est  dit  encore  :  Vous  les  chan- 
«t  gérez,  et  ils  seront  changés,  mais  vous,  vous  êtes  toujours  le 
«  même,  et  vos  années  ne  passeront  pas.  Voilà  quelle  éternité  est 
«  devenue  notre  refuge  ;  c'est  en  elle  que  nous  devons  demeurer  ; 
«  c'estvers  elle  qu'il  faut  tendre,  pour  échapper  à  la  mobilité  de  ce 
«  siècle  3.  A 

Dans  une  de  ses  lettres,  S.  Augustin  explique  comment  Dieu  a 
pu,  sans  changer  lui-même,  faire  succéder  la  loi  nouvelle  à  la  loi 
ancienne.  Il  compare  Dieu  à  un  homme  qui  veut  pour  le  soir  une 
autre  chose  que  pour  le  matin,  et  pour  le  mois  présent  une  autre 
que  celle  qu'il  veut  pour  le  mois  prochain.  Sa  volonté  n'est  pas  la 

i.  In  principio  erat  Verhmn.  Idipsum  est,  eodem  modo  est,  sicut  est  semper 
sic  est,  mu  tari  non  potest;  hoc  est,  est.  Quod  nomen  dixit  famulo  suo  Moysi  : 
Ego  sum  qui  sum.  —  Misit  me  qui  est.  (Id.,  in  Joann.  Evang.,  tract.  II.) 

2.  Domine  refugium  factus  es  nobis,  a  generatione  in  generationem.  Prius- 
quam  montes  fièrent,  aut  formaretur  terra  et  orbis  :  a  sœculo  et  usque  in 
saeculum  tu  es  Deus.  [Ps.  lxxxix,  4,  2.) 

;i.  Optime  aulcm  non  ait  :  A  sseculo  tu  fuisti,  et  usque  in  saeculum  tu  eris  : 
sed  praesentis  significationis  verbum  posuit,  insinuans  Dei  substantiam  omni 
modo  incommutabilem,  ubi  non  est  luit  et  crit  ;  sed  tantum,  est.  Unde  dic- 
tum  est  :  Ego  sum  qui  sum,  et,  Qui  est,  misit  me  ad  vos;  et  Mutabis  ea  et  mu- 
tabunlur,  tu  autem  idem  ipse  es,  et  anni  lui  non  déficient.  Ecce  quae  aeternitas 
facta  est  nobis  refugium  :  ut  in  ea  mansuri,  ad  eam  de  bac  temporis  mutabi- 
litate  fugiamus.  (S.  August.,  Enarr.  in  Ps.  lxxxix.) 


DES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST,  91 

même  pour  ces  temps  différents  ;  cependant  on  ne  peut  pas  dire 
qu'il  a  changé  de  volonté.  La  volonté  de  Dieu  était  que  certaines 
choses  s'accomplissent  sous  la  loi  ancienne,  et  d'autres  très  diffé- 
rentes sous  la  loi  nouvelle.  Les  prescriptions  mosaïques  devaient 
être  changées,  mais  Dieu,  en  les  changeant,  ne  changerait  pas 
lui-même.  Ce  qui  est  nouveau  dans  le  siècle  n'est  pas  nouveau 
pour  lui  qui  a  créé  les  temps,  qui  possède  tout  sans  être  soumis  au 
temps,  et  qui,  sans  changer  lui-même,  assigne  aux  êtres,  avec 
une  infinie  variété,  les  temps  qui  leur  conviennent  '. 

Citons  enfin  ces  quelques  mots  empruntésà  un  sermon  du  même 
docteur  sur  la  première  épître  de  S.Jean:  «  Il  n'y  a  qu'un  seul 
«  créateur,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  unité  trine  et  trinité 
«  une.  Cette  unique  nature  est  immuable,  rien  ne  peut  la  chan- 
«  ger  ;  elle  ne  saurait  ni  rien  perdre  ni  rien  acquérir;  aucun  abais- 
«  sèment  ne  peut  l'amoindrir,  aucune  élévation  ajouter  à  sa  gran- 
di deur.  Elle  est  parfaite,  éternelle,  absolument  immuable  et  il  n'y  a 
«  qu'elle  qui  soit  telle  -.  » 

Ces  dernières  lignes  eussent  suffi  pour  montrer  quelle  était  la 
pensée  de  S.  Augustin  touchant  l'immutabilité  de  Dieu,  maison 
aime  à  citer  ce  qu'a  écrit  cet  illustre  docteur,  un  des  plus  grands 
génies  dont  Dieu  ait  fait  présent  à  son  Église. 

S.  Jean  Ghrysostome  rend  à  l'immutabilité  de  Dieu  plusieurs  té- 
moignages, entre  autres  celui-ci  :  «  Si  Dieu  pouvait  ^admettre  un 

\.  Sicut  autem  non  ideo  mutabilis  homo  quia  mane  aliud,  aliud  vespere; 
illud  hoc  mense,  aliud  alio  ;  non  hoc  isto  anno  quod  illo  :  ita  non  ideo  muta- 
biUs  Deus,  quia  universi  sgeculi  priore  volumine  aliud,  aliud  posteriore  sibi 
jussit  offerri  quo  convenienter  significationes  ad  doclrinam  religionis  saluber- 
rimam  pertinentes,  per  mutabilia  tempora  sine  ulla  sui  inutatione  disponeret. 
Nam  ut  noverint,  quos  hœc  movent,  jam  hoc  fuisse  in  ratione  divina,  nec 
cum  istanova  constituerentur,  subito  priera  displicuisse,  velut  mulabilivolun- 
late,  sed  ad  hoc  jam  fixum  et  statutum  fuisse  in  ipsa  sapientia  Dei,  cui  de 
majoribus  etiam  reruni  mutationibus,  eadem  Scriptura  dicit  :  Miitahis  ea  et 
mutabuntur  :  tu  autem  idem  ipse  est:  insinuandum  est  eis  niutationem  istani 
sacramentorum  ïestamenti  Veteris  et  Novi,  etiam  pra^dictam  fuisse  prophe- 
ticis  vocibus.  Ita  enim  videbunt,  si  poterunt,  id  quod  in  tempore  novum  est, 
non  esse  novum  apud  eum,  qui  condidit  tempora,  et  sine  tempore  habet 
omnia,  quae  suis  quibusque  temporibus  pro  eorum  varietate  distribuit. 
(S.  AucusT.,  Epist.  CXXXVIII  (alias  \)  ad  MarccUinum.) 

2.  Solus  enim  Creator,  Pater,  Filius  et  Spiritus  sanctus;  trina  unitas,  una 
trinitas;  sola  illa  natura  immutabilis,  incommulabilis,  nec  defectui,  nec  pro- 
fectui  obnoxia,  nec  cadit  ut  minus  sit;  nec  transcendit  ut  plus  sit;  perfecta, 
sempiterna,  omni  modo  immutabilis,  sola  illa  natura.  (S.  August.,  serm. 
CLXXXll,  de  Verbis  apostoli  I.  Joann.,  iv.) 


92  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE    }I.  —  CHAP.   II. 

<f  changement,  comment  serait-il  Dieu?  Toute  mutabilité,  tout 
«  changement  est  infiniment  éloigné  de  cette  nature  incorrup- 
c  tible.  C'est  pourquoi  le  prophète  disait  :  Ils  vieilliront  tous 
*  comme  un  vêtement.  Vous  les  changerez  comme  un  habit  dont 
€  on  se  couvre  et  ils  seront  en  effet  changés;  mais  pour  vous 
€  vous  êtes  toujours  le  même,  et  vos  aimées  7ie  passeront  point. 
«  Car  cette  substance  est  au-dessus  de  tout  changement  *.  » 

Nous  ne  citerons  pas,  car  on  ne  peut  tout  dire,  S.  Grégoire  de 
Nazianze,  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  S.  Grégoire  le  Grand,  Raban 
Maur,  Richard  de  Saint-Victor  et  tant  d'autres  ;  mais  pourrait-on 
ne  pas  donner  au  moins  quelques  lignes  de  S.  Bernard?  Dans  un 
sermon  sur  le  Cantique  des  cantiques,  il  établit  que  la  grandeur 
et  la  rectitude,  qui  sont  les  deux  biens  assignés  à  l'image  de  Dieu, 
ne  sont  point  une  môme  chose  ni  dans  l'àme  ni  avec  l'àme,  mais 
qu'elles  sont  une  même  chose  dans  le  Verbe  et  avec  le  Verbe. 
L'àme  et  la  grandeur  de  l'àme,  bien  qu'inséparables,  sont  néan- 
moins diflerentes  l'une  de  l'autre.  Et  comment  ne  le  seraient-elles 
pas,  puisque  l'une  est  dans  le  sujet,  et  que  l'autre  est  le  sujet  et  la 
substance  même  ?  Il  ajoute  :  «  La  seule  nature  souveraine  et  in- 
«  créée,  qui  est  la  Trinité  adorable,  s'approprie  cette  pure  et  sin- 
«  gulière  simplicité  d'essence,  en  sorte  qu'il  n'y  a  pas  en  elle 
«  une  chose  et  une  autre,  ici  et  là,  ni  tantôt  et  tantôt. 'Car  demeu- 
«  rant  en  elle-même,  elle  est  tout  ce  qu'elle  a,  et  tout  ce  qu'elle  est 
«  elle  l'est  toujours,  et  d'une  même  manière.  Tout  ce  qui  est  sé- 
«  paré  et  différent  dans  les  autres  êtres  est  réuni  et  semblable  à 
«  elle,  en  sorte  qu'en  elle,  le  nombre  ne  cause  point  la  pluralité, 
«  ni  la  diversité,  ni  l'altération.  Elle  contient  tous  les  lieux,  et 
«  n'étant  contenue  dans  aucun,  elle  place  chaque  chose  en  son 
«  lieu.  Les  temps  passent  au-dessous  d'elle,  mais  non  pas  pour 
«  elle.  Elle  n'attend  point  l'avenir,  elle  ne  se  souvient  point  du 
«  passé,  elle  n'expérimente  point  le  présent  -.  » 

\.  S.  CiiRYSOST.,  Comment,  in  S.  Joann.,  hom.  XI,  traduction  Jeannin. 

2.  Sola  summa  et  increata  natura  quse  estTrinitas  Deus,  hanc  sibi  vindicat 
meram  singularemque  suœ  essentiae  simplicilatein,  ut  non  aliud  et  aliud,  non 
alibi  quoque  et  alibi,  sed  ne  modo  quidem  et  modo  inveniatur  in  ea.  Nempe 
in  semet  manens,  quod  babet  est,  et  quod  est  semper  et  uno  modo  est.  In  ea 
et  multa  in  unum.  et  diversa  in  idem  rediguntur,  ut  nec  de  numerositate 
rerum  sumat  pluralitatem,  nec  alterationem  de  varietate  senliat.  Loca  omnia 
continet,  et  quœque  suis  ordinal  locis,  nusquam  contenta  locorum.  Tempora 
sub  ea  transeunt  non  ei.  P'utura  non  expectat,  prœterita  non  recogitat,  prae- 
.sentia  non  cxperitur.  (S.  Bernard.,  in  Cant.,  serm.  LXXX.) 


DES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  93 

A  tant  de  témoignages  en  faveur  de  l'immutabilité  de  Dieu, 
ajoutons  celui  qui  les  surpasse  tous  en  autorité  et  les  confirme,  le 
témoignage  de  l'Église  parlant  par  la  bouche  des  évêques  réunis 
en  concile  général.  Le  concile  de  Nicée,  dans  un  décret  de  Fide, 
porte  cet  anathème  :  <s  Ceux  qui  disent  qu"il  y  eut  un  temps  où  le 
«  Fils  de  Dieu  n'était  pas,  ou  que  le  Fils  de  Dieu  est  sujet  au  chan- 
«  gement  et  à  la  transformation,  la  sainte  Église  catholique  et 
«  apostolique  les  anathématise  i.  »  S.  Ambroise  a  cité  ce  canon 
dans  ses  œuvres.  Le  IV  Concile  de  Latran  déclare  de  même  que 
Dieu  est  immuable  '-. 

S.  Thomas  donne  trois  raisons  de  l'immutabilité  de  Dieu.  La 
première  est  que  Dieu,  en  sa  qualité  d'acte  pur,  exclut  de  son  être 
tout  ce  qui  serait  simplement  possible.  — La  seconde  est  tirée  de 
l'absolue  simplicité  de  Dieu,  qui  ne  donne  prise  à  aucun  change- 
ment. —  La  troisième  résulte  de  l'infinité  de  Dieu.  Or  comme  ces 
trois  attributs  appartiennent  à  Dieu  et  ne  peuvent  appartenir  qu'à 
Dieu  seul,  il  faut  conclure  que  Dieu  est  immuable  et  qu'il  possède 
seul  l'immutabilité  3, 

Les  objections  tirées  de  la  Sainte  Écriture  contre  l'immutabilité 
de  Dieu  ne  tiennent  pas  contre  cette  simple  réflexion  que  l'Écri- 
ture parle  de  Dieu,  en  mille  passages,  comme  elle  parlerait  d'un 
homme,  afin  de  s'accommoder  à  l'infirmité  de  notre  intelligence. 

1.  Eos  qui  diciint  erat  aliquando,  quando  non  erat....  aut  mutabilem  et 
convertibilem  Filiiim  Dei,  hos  anathematizat  catholica  et  apostolica  Ecclesia. 
{Concil.  Xicsen.  (apud  S.  Ambros.,  de  Fide,  lib.  I,  cap.  xviii,  n.  120.) 

2.  Concil.  Laterun.  IV,  cap.  Firmiter. 

3.  Ex  prsemissis  (qusest.  ii,  art,  3)  ostenditur  Deum  esse  omnino  immuta- 
bilem.  1°  Quidem  quia  supra  ostensum  est  {loc.  cit.)  esse  aliquod  primum  ens 
quod  Deum  dicimus;  et  quod  hujusmodi  primum  ens  oportet  esse  purum 
actum  absque  permixtione  alicujus  potentige  ;  eo  quod  potentia  simpliciter  est 
posterior  actu.  Omne  autem  quod  quocumque  modo  mutatur,  est  aliquo  modo 
in  potentia.  Ex  quo  patet  quod  impossibile  est  Deum  aliquo  modo  mutari.  — 
2">  Quia  omne  quod  movetur,  quantum  ad  aliquid  manet  et  quantum  ad  ali- 
quid  transit;  sicut  quod  movetur  de  albedine  in  nigredinem,  manet  secun- 
dum  substantiam.  Et  sic  in  omni  eo  quod  movetur,  attenditur  aliqua  compo- 
sitio.  Ostensum  est  autem  supra  (quaest.  m,  art.  7)  quod  in  Deo  nulla  est 
composilio,  sed  est  omnino  simplex.  Unde  manifestum  est  quod  Deus  moveri 
non  potest.  —  3°  Quia  omne  quod  movetur,  motu  suo  aliquid  acquirit,  et 
pertingit  ad  illud  ad  quod  prius  non  pertingebat.  Deus  autem,  cum  sit  infi- 
nitus,  comprehendens  in  se  omnem  plenitudinem  perfcctionis  folius  esse,  non 
potest  aliquid  acquirere;  nec  extendere  se  in  aliquid  ad  quod  prius  non  per- 
tingebat. Unde  nullo  modo  sibi  competit  motus.  Et  inde  est  quod  (juidam 
antiquorum,  quasi  ab  ipsa  coacti,  posuerunl  primum  principium  esse  immo- 
bile. (S.  Thom.,  I  p.,  q.  IX,  art.  1.  Vide  etiam  artic.  2.) 


04  LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II"'  PARTIE.  —    LIVRE  II.  —  CHAP.    II. 

S'il  fallait  toujours  se  servir,  en  parlant  de  Dieu,  d'un  langage 
exprimant  littéralement  les  profondeurs  de  ses  mystères,  où  trou- 
verait-on ce  langage  ?  On  ne  pourrait  pas  même  l'emprunter  aux 
anges  qui  adorent  Dieu  dans  son  essence  infiniment  parfaite,  mais 
qui  seraient  impuissants  à  exprimer  tout  ce  qu'ils  voient.  Dieu 
parlant  aux  hommes  dans  nos  saints  Livres  s'est  mis  à  la  portée 
des  hommes,  et  s'il  est  dit  qu'il  s'irrite,  ou  qu'il  va  d'un  lieu  à  un 
autre,  ou  qu'il  change  de  sentiment  et  revient  sur  une  sentence 
qu'il  avait  portée,  ces  manières  déparier  indiquent  seulement  que 
les  actes  qu'il  accomplit  seraient  tels,  s'ils  venaient  d'un  homme  ou 
d'un  ange.  Mais  en  Dieu  qui  est  partout,  qui  sait  tout,  qui  voit  tout 
et  pour  qui  le  passé  et  le  futur  se  confondent  avec  le  présent,  tous 
ces  changements  sont  impossibles.  Il  est  celui  qui  est  toujours 
et  toujours  le  même  ;  il  est  le  Seigneur,  et  il  ne  change  pas. 

Quelles  conclusions  tirer  de  l'immutabilité  de  Dieu?  Nicole,  que 
nous  avons  déjà  cité,  nous  les  indiquera  ^ 

«  De  là  il  s'ensuit,  dit-il  :  1**  que  nous  devons  nous  attacher  uni- 
quement à  Dieu,  parce  qu'il  n'y  a  que  Dieu  en  qui  nous  puissions 
trouver  un  appui  solide  :  tout  le  reste  est  changeant  et  passager  : 
le  torrent  du  monde  l'emporte  malgré  nous,  et  il  ne  peut  nous  en 
rien  rester  que  le  déplaisir  de  l'avoir  aimé  ;  2°  qu'il  faut  adorer, 
avec  une  profonde  humiliation,  l'immutabilité  de  l'être  de  Dieu,  en 
considérant  notre  mutabilité  et  l'inconstance  de  nos  pensées,  de 
nos  humeurs  et  de  nos  dispositions;  et  qu'il  faut  mettre  tout  notre 
appui  et  tout  notre  soutien  dans  l'amour  immuable  de  Dieu  pour 
ses  élus;  3°  qu'il  faut  désirer  avec  ardeur  cet  état  heureux  qui  nous 
est  promis,  où  nous  serons  rendus  participants  en  quelque  sorte  de 
l'immutabilité  de  Dieu,  où  nos  corps  seront  revêtus  pour  toujours 
d'une  incorruptibilité  immuable,  où  nous  verrons  Dieu  d'une  vue 
éternelle,  où  nous  l'aimerons  d'un  amour  qui  durera  toujours,  et 
où  nous  serons  délivrés  de  cette  agitation  de  pensées  et  de  mouve- 
ments qui  nous  fatiguent  pendant  cette  vie  ;  4**  que  dans  cette 
même  vie  nous  devons  tendre  à  une  piété  égale  et  uniforme,  en 
nous  mettant  au-dessus  de  l'inégalité  de  nos  humeurs,  en  agissant 
avec  paix  et  avec  tranquillité,  quelque  tumulte  intérieur  que  nous 
éprouvions;  et  c'est  là  la  manière  dont  Dieu  veut  que  nous  imitions 
et  que  nous  honorions  en  cette  vie  son  immutabilité.  » 

1.  Esprit  de  Nicole  sur  les  vérités  de  la  religion,  ch.  i. 


AUTRES    ATTRIBUTS   DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  93 


CHAPITRE  III 

AUTRES  ATTRIBUTS  :  JÉSUS-CHRIST  DANS  L'EUCHARISTIE  EST  LE  DIEU 
ÉTERNEL,  INCOMPRÉHENSIBLE,  INVISIBLE 

I.  Eternité  du  Dieu  de  l'Eucharistie.  —  II.  Son  incoinpréhensibilité.  

III.   Son  invisibilité. 


I. 

ÉTERNITÉ  DU   DIEU    DE    l'eUCHARISTIE 

Il  est  de  foi  que  Dieu,  et  par  conséquent  le  Verbe  de  Dieu  que 
nous  adorons  au  Très  Saint  Sacrement,  est  éternel.  Mais  que  faut- 
il  entendre  par  éternel,  éternité  ? 

Quelquefois  le  mot  éternité,  éternel,  signifie  simplement  une 
durée  très  longue,  mais  avec  un  commencement  et  une  fin.  Entendue 
en  ce  sens,  cette  expression  est  impropre  ;  mais  on  sait  comment 
il  faut  la  comprendre. 

Quelquefois  il  signifie  une  durée  qui  n'aura  pas  de  fin,  bien 
qu'elle  ait  commencé.  En  ce  sens  on  l'applique  aux  anges  et  à  nos 
âmes.  Les  scholastiques  remplacent  le  mot  éternité,  ainsi  compris, 
par  celui  cW-eviim  qui  n'a  pas  d'équivalent  exact  en  notre  langue. 
Cette  éternité  improprement  dite  et  incomplète  dépend  entièrement 
de  la  volonté  libre  de  Dieu.  Les  créatures  intelligentes  qui  en  jouis- 
sent ont  commencé  parce  que  Dieu  les  a  créées;  elles  ne  continuent 
d'exister,  et  n'existeront  toujours  désormais,  que  parce  qu'il  les 
conserve  et  veut  les  conserver  à  jamais.  Elles  n'ont  aucun  principe 
de  destruction  en  elles-mêmes  et  par  leur  nature,  il  est  vrai;  mais, 
par  leur  nature,  elles  n'ont  aussi  aucun  principe  nécessaire  de 
conservation  indépendante  de  la  volonté  de  Dieu. 

Le  mot  éternel  s'applique  encore  à  certains  actes  contingents  et 
libres  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  de  Dieu,  qui  n'ont  ni  com- 
mencement ni  fin,  mais  qui  ne  ressortent  pas  nécessairement  de  son 
essence;  telles  sont  la  volonté  de  créer  le  monde  et  de  prédestiner 
les  saints,  la  connaissance  de  tous  les  êtres  qui  ont  été  et  qui  seront 
créés.  Ici  le  mot  éternel  approche  davantage  de  sa  véritable  signi- 
fication, mais  il  ne  l'atteint  pas  encore  entièrement. 

Enfin  l'éternité  proprement  dite,  si  on  la  considère  d'une  ma- 


96  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —  CHAP.   III. 

nière  absolue  et  sans  aucun  rapport  avec  le  temps,  est  la  mesure 
de  la  vie  de  Dieu,  ou  plutôt  elle  est  cette  vie  elle-même;  c'est  la 
simplicité  infinie  ou  Tin fniité  très  simple  du  Dieu  vivant;  si  on 
la  considère  dans  ses  relations  avec  le  temps,  c'est  une  durée  sans 
commencement,  ni  fin,  ni  changement. 

Ce  que  l'immensité  de  Dieu  est  à  l'espace,  son  éternité  l'est  au 
temps  ;  il  est  simultanément  présent  à  tous  les  instants  de  la  durée, 
les  supposa t-on  multipliés  et  prolongés  à  l'infini,  comme  il  est 
réellement  et  substantiellement  présent  à  tous  les  points  de  l'espace 
créé,  et  comme  il  le  serait  encore,  sans  aucun  besoin  d'accrois- 
sement, s'il  lui  plaisait  de  tirer  du  néant  mille  autres  mondes  pos- 
sibles, semblables  à  celui  qui  existe,  ou  plus  parfaits  et  plus  grands 
que  lui.  Le  temps  est  la  succession  de  l'existence  ou  le  dévelop- 
pement de  la  vie  de  chaque  chose;  Dieu  qui  n'a  pas  de  commen- 
cement, qui  ne  connaît  pas  de  progrès,  qui  ne  se  développe  pas, 
n'a  pas  non  plus  de  fin;  il  est  donc  hors  du  temps  comme  hors  de 
l'espace.  Ce  qui  n'a  pas  de  commencement  n'a  pas  de  terme;  l'Éter- 
nel n'est  pas  dans  le  temps,  il  est  au-dessus  de  tout  temps;  il  n'est 
ni  ancien  ni  nouveau.  L'éternité  est  le  présent  que  rien  ne  pré- 
cède, que  rien  ne  suit,  que  rien  n'interrompt;  elle  est  la  posses- 
sion totale  simultanée  et  parfaite  d'une  vie  sans  terme,  selon  la 
définition  de  Boëce  :  Interminabilis  vitœ  tota  simul  et  perfecta 
possessio  1. 

•  L'éternité  de  Dieu  ne  renferme  aucune  succession  de  durée,  de 
temps  et  d'instants;  à  chaque  moment,  à  chaque  instant,  elle  est 
tout  entière;  elle  est  à  présent  ce  qu'elle  a  toujours  été;  elle  a  à 
présent  tout  ce  qu'elle  aura  jamais;  des  millions  d'années  qui  se 
seraient  écoulées  ne  lui  auraient  rien  ôté  ;  des  millions  de  siècles 
qui  pourraient  encore  s'écouler  ne  lui  ajouteraient  rien.  L'éternité 
est  donc  un  moment  éternel,  sans  commencement,  sans  succession^ 
sans  diminution  et  sans  fin  :  un  moment,  parce  qu'à  chaque  ins- 
tant elle  est  tout  entière;  un  moment  éternel,  parce  que  ce  moment 
durera  toujours.  L'éternité  de  Dieu,  indivisible  comme  son  im- 
mensité, est  tout  entière  dans  tous  les  moments  de  la  durée  des 
temps  2. 

\.  BoET.,  Consol.  phiL,  v.  pros.,  6. 

'2.  Fénelon,  traitant  de  l'existence  de  Dieu,  parle  admirablement  de  l'éter- 
nité : 
«  Dirai-je,  ô  mon  Dieu,  s'écrie-t-il,  que  vous  aviez  déjà  une  éternité  d'exis- 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CIIRIST.  97 

S.  Thomas  adopte  la  définition  de  l'éternité  donnée  par  Boëce, 
et  la  plupart  des  théologiens  s'y  rallient  à  son  exemple  et  disent 
comme  lui  que  c'est  la  possessio7i  totale,  simultanée  et  jiarfaite 
d'une  vie  interminable. 

Ils  disent  que  l'éternité  est  la  possession  et  non  pas  la  durée  de  la 
vie  :  non  pas  que  l'éternité  ne  dure  point;  nous  verrons,  au  con- 
traire, qu'elle  a  une  durée  très  réelle;  mais  l'idée  de  succession 
de  parties  semble  inhérente  à  ce  mot;  or,  on  ne  peut  admettre  une 
telle  succession  dans  l'être  infiniment  simple  qui  est  Dieu.  Boëce 

tence  en  vous-même,  avant  que  vous  m'eussiez  créé,  et  qu'il  vous  reste  encore 
une  autre  éternité  après  ma  création,  où  vous  existez  toujours?  Ces  mots  de 
déjà  et  d'après  sont  indignes  de  celui  qui  est.  Vous  ne  pouvez  souftrir  aucun 
passé  ni  aucun  avenir  en  vous.  C'est  une  folie  de  vouloir  diviser  votre  éternité, 
qui  est  une  permanence  indivisible  :  c'est  vouloir  que  le  rivage  s'enfuie,  parce 
que  le  long  d'un  fleuve  je  m'éloigne  toujours  de  ce  rivage  qui  est  immo])ile. 
Insensé  que  je  suis!  je  veux,  ô  immobile  vérité,  vous  attribuer  l'être  borné, 
changeant  et  successif  de  votre  créature  !  Vous  n'avez  en  vous  aucune  mesure 
dont  on  puisse  mesvu'er  votre  existence  :  car  elle  n'a  ni  bornes  ni  parties, 
vous  n'avez  rien  de  mensurable  :  les  mesures  mêmes  qu'on  peut  tirer  des 
êtres  bornés,  changeants,  divisibles  et  successifs  ne  peuvent  servir  à  vous 
mesurer,  vous  qui  êtes  infini,  indivisible,  immuable  et  permanent. 

«  Comment  dirai-je  donc  que  la  courte  durée  de  la  créature  est  par  rapport 
à  votre  éternité  ?  N'étiez-vous  pas  avant  moi?  Ne  serez-vous  pas  après  moi? 
Ces  paroles  tendent  à  signifier  quelque  vérité  ;  mais  elles  sont  à  la  rigueur 
indignes  et  impropres.  Ce  qu'elles  ont  de  vrai,  c'est  que  l'infini  surpasse  infi- 
niment le  fini;  qu'ainsi  votre  existence  infinie  surpasse  infiniment  en  tous  sens 
mon  existence  qui,  étant  bornée,  a  un  commencement,  un  présent  et  un  futur. 

«  Mais  il  est  faux  que  la  création  de  votre  ouvrage  partage  votre  éternité 
en  deux  éternités.  Deux  éternités  ne  feraient  pas  plus  qu'une  seule;  une 
éternité  partagée,  qui  aurait  une  partie  antérieure  et  une  partie  postérieure, 
ne  serait  plus  une  véritable  éternité.  En  voulant  la  multiplier,  on  la  détrui- 
rait, parce  qu'une  partie  serait  nécessairement  la  borne  de  l'autre  par  le  bout 
où  elles  se  toucheraient.  Qui  dit  éternité,  s'il  entend  ce  qu'il  dit,  ne  dit  que 
ce  qui  est  et  rien  au  delà,  car  tout  ce  qu'on  ajoute  à  cette  infinie  simplicité 
l'anéantit;  qui  dit  éternité  ne  souffre  plus  le  langage  du  temps.  Le  temps  et 
l'éternité  sont  incommensurables;  ils  ne  peuvent  être  comparés;  et  on  est 
séduit  par  sa  propre  faiblesse  toutes  les  fois  qu'on  imagine  quelque  rapport 
entre  des  choses  si  disproportionnées.... 

«  Il  ne  faut  point  dire  que  vous  avez  toujours  été,  il  faut  dire  que  vous 
êtes;  et  ce  terme  de  toujours,  qui  est  si  fort  pour  la  créature,  est  trop  faible 
pour  vous,  car  il  marque  une  continuité  et  non  une  permanence.  Il  vaut 
mieux  dire  simplement  et  sans  restriction  que  vous  êtes. 

«  0  être!  ô  être!  votre  éternité,  qui  n'est  que  votre  être  même,  m'étonne, 
mais  elle  me  console.  Je  me  trouve  devant  vous  comme  si  je  n'étais  pas  :  je 
m'abîme  dans  votre  infini  ;  loin  de  mesurer  votre  permanence,  par  rapport  à 
ma  fluidité  continuelle,  je  commence  à  me  perdre  de  vue,  à  ne  me  trouver 
plus  et  à  ne  voir  en  tout  que  ce  qui  est,  je  veux  dire  vous-même. 

<<  Ce  (jue  j'ai  dit  du  passé,  je  le  dis  de  même  de  l'avenir.  On  ne  peut  point 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  7 


98  LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  III. 

a  donc  préféré  user  de  métaphore  et  recourir  au  mot  possession, 
pour  exprimer,  en  même  temps,  que  la  durée  de  l'éternité,  contrai- 
rement à  toute  autre,  n'implique  aucun  changement  ni  aucune  fin, 
mais  l'immutabilité  parfaite. 

Pourquoi  la  possessio7i  de  la  vie,  plutôt  que  la  possession  de 
l'être  ?  S.  Thomas  en  donne  pour  raison  que  ce  qui  est  éternel  n'a 
pas  seulement  l'existence  mais  aussi  la  vie  ;  c'est  un  être  sans 
doute,  mais  un  être  essentiellement  vivant. 

De  plus,  la  vie  ajoute  à  l'idée  de  l'être  celle  de  l'action  ;  or,  l'éternité 
n'est  pas  seulement  la  perpétuité  d'existence  d'un  être  invariable, 
elle  est  en  même  temps  la  perpétuité  d'action  de  ce  même  être. 

La  vie  dont  la  possession  constitue  l'éternité  est  une  vie  intermi- 
nable, dit  la  définition,  c'est  une  vie  qui  n'a  pas  eu  de  commence- 
ment et  qui  n'aura  pas  de  fin. 

Mais  comment  l'être  éternel  possède-t-il  cette  vie  interminable? 
Quel  est  le  caractère  distinctif  de  cette  possession  ? 

Il  la  possède  pleinement  et  simidtanément ,  tout  à  la  lois.  Il 
n'y  a  dans  la  possession  de  la  vie  interminable  qui  constitue  l'éter- 
nité, ni  division,  ni  succession,  ni  avant,  ni  après,  comme  il  arrive 
dans  le  temps,  qui  admet  nécessairement  la  succession,  parce  qu'il 

dire  que  vous  serez  après  ce  qui  se  passe,  car  vous  ne  passez  point;  ainsi 
vous  ne  serez  pas,  mais  vous  êtes,  et  je  me  trompe  toutes  les  fois  que  je  sors 
du  présent  en  parlant  de  vous.  On  ne  dit  point  d'un  rivage  immobile  qu'il 
devance  ou  qu'il  suit  les  flots  d'une  rivière  :  il  ne  devance  ni  ne  suit,  car  il  ne 
marche  point.  Ce  que  je  remarque  de  ce  rivage  par  rapport  à  l'immobilité 
locale,  je  dois  le  dire  de  l'être  infini  par  rapport  à  l'immobilité  d'existence.  Ce 
qui  se  passe  a  été  et  sera,  et  passe  du  prétérit  au  futur  par  un  présent  imper- 
ceptible qu'on  ne  peut  jamais  assigner  ;  mais  ce  qui  ne  passe  point  existe 
absolument  et  n'a  qu'un  présent  infini;  il  est,  et  c'est  tout  ce  qu'il  est  permis 
d'en  dire  :  il  est  sans  temps  dans  tous  les  temps  de  la  création.  Quiconque 
sort  de  cette  simplicité  sort  de  l'éternité  dans  le  temps. 

«  Il  n'y  a  donc  en  vous,  ô  vérité  infinie,  qu'une  existence  indivisible  et  per- 
manente; ce  qu'on  appelle  éternité  a  parle  post,  éternité  a  parte  ante,  n'est 
qu'une  expression  impropre.  Il  n'y  a  en  vous  non  plus  de  milieu  que  de  com- 
mencement et  de  fin.  Ce  n'est  donc  point  au  milieu  de  votre  éternité  que 
vous  avez  produit  quelque  chose  hors  de  vous.  Je  le  dirai  trois  fois,  mais  ces 
trois  ne  font  qu'une.  Les  voici  :  ô  permanente  et  infinie  Y érilél  vous  êtes; 
et  rien  n'est  hors  de  vous  :  vous  êtes;  et  ce  qui  n'était  pas  commence  à  être 
hors  de  vous  :  vous  êtes;  et  ce  qui  était  hors  de  vous  cesse  d'être.  Mais  ces 
trois  répétitions  de  ces  termes  vous  êtes  ne  font  qu'un  seul  infini  qui  est  indi- 
visible; c'est  cette  éternité  même  qui  reste  encore  tout  entière;  et  il  n'en  est 
point  écoulé  une  moitié,  car  elle  n'a  aucune  partie;  ce  qui  est  essentiellement 
toujours  tout  présent  ne  peut  jamais  être  passé,  »  (Fénelon,  De  Vexistence  de 
Dieu  démontrée  par  tes  merveilles  de  la  nature.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  99 

est  la  mesure  du  mouvement.  L'éternité  consiste  dans  l'existence 
actuelle,  dans  le  maintenant,  le  nimc,  pour  parler  le  langage  de 
l'École,  qui  n'est  jamais  ni  passé  ni  futur,  mais  toujours  présent. 
C'est  un  maintenant  qui  embrasse  tous  les  siècles  passés  et  tous 
ceux  qui  auraient  pu  les  précéder,  tous  les  siècles  futurs  et  pos- 
sibles, en  même  temps  que  le  moment  présent.  C'est  pour  bien 
accentuer  ce  caractère  de  l'éternité,  que  Boëce  ajoute  que  cette  pos- 
session est  parfaite.  La  grande  imperfection  de  la  vie  des  êtres 
créés,  c'est  qu'ils  ne  la  possèdent  pas  tout  entière  à  chaque  moment. 
Elle  leur  est  donnée  comme  goutte  à  goutte,  instant  par  instant; 
c'est  un  cours  d'eau  dont  un  Ilot  pousse  l'autre;  on  ne  possède  plus 
l'instant  qui  vient  de  s'écouler,  on  ne  possède  pas  encore  celui  qui 
va  venir,  et  l'instant  présent  glisse  dans  l'abîme  du  néant  sans  que 
rien  puisse  le  retenir.  îl  n'en  est  pas  ainsi  de  l'éternité.  C'est  une 
vie  qui  ne  passe  pas,  une  vie  pour  laquelle  le  passé  et  le  futur 
n'existent  pas,  ou  plutôt  ne  font  qu'un  avec  le  présent.  L'éternité, 
c'est  la  possession  parfaite  de  la  plénitude  de  la  vie.  L'éternité  ne 
connaît  pas  en  elle-même  d'instants,  ou  plutôt  elle  est  tout  entière 
à  tout  ce  qui,  dans  sa  durée,  pourrait  être  appelé  des  instants, 
selon  notre  manière  de  concevoir  et  de  parler  ^ 

4.  Utrum  convenienter  definiatur  aeternitas,  quod  est  inlerminabilis  vitas 
tota  simul  et  perfecta  possessio  ? 

Respondeo  dicendum  quod  sicut  in  cognitionem  simplicium  oportet  nos  ve- 
nire  per  composita,  ita  in  cognitionem  geternitatis  oportet  nos  venire  par 
tempus  ;  quod  nihil  aliud  est  quam  numerus  motus  secundum  prius  et  poste- 
rius.  Quum  enim  in  quolibet  motu  sit  successio,  et  una  pars  posl  alteram;  ex 
hoc  quod  numeramus  prius  et  posterius  in  motu,  apprehendimus  tempus  ; 
quod  nihil  aliud  est  quam  numerus  prioris  et  posterioris  in  motu.  In  eo  au- 
tem  quod  caret  motu,  et  semper  eodem  modo  se  habet,  non  est  accipere  prius 
et  posterius.  Sicut  igitur  ratio  lemporis  consistit  in  numeratione  prioris  et 
posterioris  in  motu,  ita  in  apprehensione  uniformitatis  ejus  quod  est  omnino 
extra  motum,  consistit  ratio  «lernitatis.  Item  ea  dicuntur  temporemensurari, 
quae  principium  et  fînem  habent  in  tempore  ut  dicilur  (Phijs.,  lib.  IV, 
text.  70.)  Et  hoc  ideo,  quia  in  omni  eo  quod  movetur,  est  accipere  aliquod 
principium  et  aliquem  finem.  Quod  vero  est  omnino  immutabile,  sicut  nec 
successionein,  ita  nec  principium  aut  finem  habere  potest.  Sic  ergo  ex  duobus 
notificatur  aeternitas.  1"  Ex  hoc  quod  id  quod  est  in  œternitate,  est  intermi- 
nabile,  id  est  principio  et  fine  carens;  ut  terminus  ad  utrumque  referatur. 
'2°  Per  hoc  quod  ipsa  œternitas  successione  caret,  tota  simul  existons.... 

Ad  secundum  dicendum,  quod  illud  quod  est  vere  a^ternum,  non  solum  est 
cns,  sed  vivens  ;  et  ipsum  vivere  se  extendit  quodam  modo  ad  opcrationem, 
non  autem  esse.  Protensio  autem  durationis  videtur  attendi  secundum  opcra- 
tionem magis  quam  secundum  esse  ;  unde  et  tempus  est  numerus  motus. 
(S.  TiiOM.,  I  p.,  q.  X,  art.  1.) 


100         LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  III. 

Il  nous  est  difficile,  sinon  impossible,  de  bien  nous  représenter 
cette  existence  toujours  la  même,  sans  commencement  comme 
sans  succession  et  sans  fin.  Tout  passe  autour  de  nous,  comment 
concevoir  ce  qui  ne  passe  pas?  Aussi  serait-on  tenté  de  croire,  par 
exemple,  que  l'éternité  a  duré  actuellement  plus  qu'il  y  a  dix  siècles 
et  qu'elle  a  mille  ans  de  plus.  Cependant  il  n'en  est  rien.  Le  temps 
a  duré  mille  ans  de  plus,  il  est  vrai,  mais  l'éternité  n'en  est  pas 
plus  longue,  parce  qu'elle  est  indivisible  et  qu'elle  existe  tout 
entière  à  la  fois.  Le  Dieu  éternel  n'a  pas  vieilli  parce  que  des  siècles 
et  des  siècles  se  sont  accumulés  depuis  la  création.  Tout  change  : 
lui  seul  ne  change  pas;  son  existence  ne  lui  est  pas  mesurée  par 
moments  successifs  comme  aux  créatures,  mais  il  en  possède  tout 
à  la  fois  et  toujours  l'océan  infini. 

L'éternité  rend  le  temps  possible  et  avec  lui  la  succession  des 
choses.  Elle  contient  cette  succession  virtuellement  et  d'une  ma- 
nière, non  pas  formelle,  mais  seulement  éminente.  Elle  coexiste  im- 
mobile et  invariable,  à  toutes  les  successions  des  êtres  et  à  tous  les 
temps  qui  passent.  On  a  comparé  l'éternité  au  centre  d'un  cercle; 
ce  centre  indivisible  correspond  à  toutes  et  à  chacune  des  parties 
de  la  circonférence  et  demeure  immobile,  quoique  tout  le  reste  se 
meuve  autour  de  lui.  On  l'a  comparée  encore  à  un  arbre  immense 
dont  le  feuillage  ombragerait  les  eaux  d'un  lleuve  depuis  la  source 
jusqu'à  rembouchure  ;  les  eaux  s'écouleraient  successivement  et 
seraient  néanmoins  présentes  en  même  temps  sous  l'arbre.  Mais  on 
comprend  combien  de  telles  comparaisons  sont  imparfaites  et  in- 
suffisantes K 

Il  résulte  des  considérations  précédentes  que  l'éternité,  au  point 
de  vue  de  sa  durée,  est  sans  mesure  :  elle  n'a  ni  commencement 
ni  fin  ;  elle  est  infinie.  De  plus,  le  mode  de  cette  durée  consiste  en 
ce  point  qu'il  n'y  a  en  elle  ni  succession  ni  changement. 

{.  Dico  res  successivas  et  ipsam  successionem  seu  tempus  contineri  in 
seternilate,  non  formaliter  sed  eminenter  ;  ita  ut  omnibus  successivis  succes- 
sionibus  et  temporibus  coexistât  iinmota  et  invariabilis  manens;  eo  ferme 
modo  quo  ccntrum  circuli,  quod  est  indivisibilc,  correspondet  omnibus  et  sin- 
gulis  partibus  circumferentiae,  et  manet  immotum,  quamvis  circulus  circum- 
agatur.  Accipe  aliam  similitudinem.  Finge  arborem  exlensam  super  fluvium 
ab  origine  ad  ostium  fluvii,  contineret  omnes  partes  aquœ  sub  se  fluentes  et 
ipsis  coexisteret,  ipsa  non  fluens  sed  immola  manens.  Ita  seternitas  omnia 
tempora  praeterita,  praesenlia,  futura  continens,  ipsis  fluentibus  coexistit  non 
fluens,  sed  immola  manens.  (Billuart.,  dissert,  m,  art.  8,  de  JUternitate 
Dei.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  101 

On  ne  peut  donc  pas  confondre  l'éternité  avec  le  temps  qui  déter- 
mine et  mesure  Tordre  dans  lequel  les  êtres  créés  et  leurs  mouve- 
ments se  succèdent.  Le  temps  a  commencé,  l'éternité  n'a  pas  eu  de 
commencement.  Le  temps  passe;  il  se  compose  d'un  passé  qui 
n'est  plus,  d'un  présent  insaisissable,  et  d'un  futur  qui  n'est  pas 
encore  :  l'éternité,  au  contraire,  existe  toujours,  dans  toute  sa  plé- 
nitude; pour  elle  le  passé  demeure,  le  présent  ne  passe  pas  et  le 
futur  est  déjà  la  réalité.  L'éternité  est  la  durée  de  l'être  infini,  per- 
manent, immuable;  le  temps  est  la  mesure  de  l'être  fini,  passager 
et  changeant  sans  cesse  ;  c'est  la  mesure  propre  du  mouvement, 
dit  S.  Thomas  '. 

Il  est  de  foi  que  Dieu  est  éternel.  Le  symbole  de  S.  Athanase  le 
proclame  solennellement  :  «  Éternel  est  le  Père;  éternel  est  le  Fils; 
«  éternel  est  le  Saint-Esprit;  et  cependant  ce  ne  sont  pas  trois 
<c  éternels,  mais  un  seul  éternel  :  .^ternus  Pater,  œternus  Filius, 
«  œternus  Spiritus  sanctus,  et  tamen  non  très  œterni,  sed  imus 
«  œternus.  » 

Telle  est  la  profession  de  foi  que  la  sainte  Église  impose  à  tous 
ses  ministres  lorsqu'ils  récitent  l'Office  du  dimanche,  et,  dans  le 
Te  Deum,  cet  admirable  chant  de  louange  et  de  glorification  attri- 
bué à  S.  Ambroise  et  à  S.  Augustin,  il  est  dit  encore  :  «  Père  éter- 
«  nel,  toute  la  terre  vous  vénère  :  Te  œternum  Patrem,  omnis 
«  terra  veneratur.  »  Peu  d'hérétiques  ont  attaqué  l'éternité  de 
Dieu  et  les  Conciles  n'ont  eu  que  rarement  à  établir  ou  à  défendre 
ce  dogme.  Cependant,  au  Concile  de  Latran,  tenu  sous  le  grand  et 
saint  pape  Innocent  III,  l'éternité  de  Dieu  fut  proclamée  comme 
l'un  de  ses  attributs  essentiels.  On  lit  dans  le  chapitre  Firmiter  -  : 
«  Nous  croyons  fermement  et  nous  confessons  simplement  qu'il 
«  n'y  a  qu'un  seul  et  vrai  Dieu,  éternel,  immense,  etc.  i> 

Cet  enseignement  de  l'Église  repose  sur  des  textes  nombreux  de 
la  Sainte  Écriture  :  plus  de  cent  cinquante  fois  les  mots  éternel  et 
éternité  s'y  retrouvent.  Par  exemple,  il  est  dit  dans  la  Genèse, 
chapitre  xxi,  qu'Abraham  planta  un  bois  à  Bersabée  et  qu'il  a  in- 
«  voqua  là  le  nom  du  Seigneur  Dieu  éternel  ^.  »  Dans  l'Exode,  Dieu 

i.  Sicut  aeternitas  est  propria  mensura  ipsiiis  esse  permancntis,  ita  tempus 
est  propria  mensura  motus.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  q.  x,  art.  i,  ad  'A.) 

2.  Firmiter  credimus,  et  simpliciter  confilemur,  quod  unus  solus  est  verus 
Deus,  aelernus,  immcnsus,  etc.  (Concil.  Laler.  \\,  cap.  Firmiter.) 

3.  Invocavit  nomen  Domini  Dei  aeterni.  {Gen.,  xxi,  ;W.) 


102         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  III. 

dit  lui-même  :  «  Je  suis  le  Dieu  d'Abraham....  C'est  mon  nom  pour 
«  l'éternité  '.  »  Dans  le  Deutéronome  :  «  Je  vis,  moi,  éternelle- 
«  ment  -.  »  Dans  les  deux  livres  des  Paralipomènes,  il  est  répété  un 
grand  nombre  de  fois  que  «  la  miséricorde  du  Seigneur  demeure 
«  éternellement  ^.  »  Le  saint  vieillard  Tobie  dit  à  Dieu  :  «  Seigneur, 
Œ  vous  êtes  grand  pour  l'éternité  ^.  *  Le  livre  des  Psaumes  rend 
d'innombrables  témoignages  à  l'éternité  de  Dieu  ;  nous  n'en  cite- 
rons que  quelques-uns  :  «  Le  Seigneur  demeure  éternellement  ^. 
«  — Le  Seigneur  régnera  éternellement  et  dans  lesiècledu  siècle  ^. 
«  —  Le  Seigneur  roi  siégera  éternellement  '^.  —  Vous  êtes  éter- 
«  nellement  le  Très-Haut,  ô  Seigneur  s.  —  Vous,  Seigneur,  vous 
«  subsistez  éternellement  ^.  Dans  l'Ecclésiastique  nous  lisons  : 
«  Celui  qui  vit  éternellement  a  créé  toutes  choses  ensemble,  et,  roi 
«  invincible,  il  subsiste  à  jamais  ^o.  »  Isaïe  affirme  que  «  le  Verbe 
«  du  Seigneur  demeure  éternellement  '',  »  et  que  «  le  Très-Haut,  le 
«  sublime  habite  l'éternité  ^-.  »  Jérémie,  dans  les  Lamentations,  dit 
à  Dieu  :  «  Mais  vous.  Seigneur,  vous  demeurerez  éternellement  ^^^  » 
Daniel  proteste  que  Dieu  est  «  le  Dieu  vivant  et  éternel  '*.  »  Michée 
annonce  la  naissance  du  Messie  à  Bethléem  et  il  proclame  en  même 
temps  l'éternité  de  sa  génération  divine  :  «  De  toi  sortira  pour  moi 
«  celui  qui  doit  être  le  dominateur  en  Israël  et  sa  génération  est 
«  du  commencement  des  jours  de  l'éternité  ^^  »  Habacuc  parle 
aussi  de  l'éternité  de  Dieu  :  «  Il  s'est  arrêté  et  il  a  mesuré  la  terre; 
«  il  a  regardé  et  il  a  dissipé  les  nations  et  les  montagnes  du  siècle 
«  se  sont  entr'ouvertes.  Les  collines  du  monde  ont  été  abaissées 


\.  Deus  Abraham....  hoc  nomen  mihi  est  in  aelernum.  {Exod.,  m,  V6.) 

2.  Et  dicam  :  vivo  ego  in  œternum.  {Dent.,  xxxii,  '40.) 

3.  In   aeternum  misericordia    ejus.  (/.  Par.,  xvi,  34,  41  ;  II.  Par.,  vu,  6; 
XX,  21.) 

4.  Senior  dixit  :  Magnus  es,  Domine,  in  aeternum.  [Tob.,  xiii,  1.) 
y.  Dominusin  aeternum  permanet.  [Ps.  ix,  8.) 

6.  Dominus  regnahit  in  aeternum  et  in  saeculum  sœculi.  [Ps.  x,  46.) 

7.  Et  sedebit  Dominus  rex  in  aeternum.  [Ps.  xxviii,  10.) 

8.  Tu  autem  Altissimus  in  aeternum  Domine.  [Ps.  xci,  9.) 

9.  Tu  autem,  Domine,  in  œternum  permanes.  [Ps.  ci,  13.) 

10.  Qui  vivit  in  aeternum  creavit  omnia  simul.  {Eccli.,  xviii,  1.) 

11.  Verbum  autem  Domini  manet  in  aeternum.  (7s.,  xl,  8.) 

12.  Haec  dicit  Excelsus  et  sublimis,  habitans  seternitatem.  (/s.,  Lvii,  15.) 

13.  Tu  autem,  Domine,  in  œternum  permanebis.  {Thren.,  v,  19.) 

14.  Ipse  enim  Deusvivens  etœternus.  {Dan.,  vi,  26.) 

Vô.  Ex  te  mihi  egredietur  qui  sit  dominator  in  Israël,  et  egressus  ejus  ab  ini- 
tio,  a  diebus  œternitatis.  [Mich.,  v,  2.) 


ADTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JESUS- CHRIST.  103 

«  par  les  marches  de  son  éternité  ^  »  c'est-à-dire  sous  les  pas  de 
ce  Dieu  éternel. 

Dans  le  Nouveau  Testament,  on  connaît  les  paroles  de  Noire- 
Seigneur  qui  promettent  la  vie  éternelle  à  ceux  qui  mangeront  le 
pain  qui  estsa  chairet  boiront  le  vin  qui  est  son  sang  -;  on  connaîtla 
sentence  par  laquelle  il  précipitera  les  méchants  dans  le  feu  éter- 
nel 3,  mais  ces  textes  ne  peuvent  s'entendre  que  de  l'éternité  se- 
conde et  incomplète,  telle  qu'elle  convient  aux  créatures  que  Dieu 
a  faites  immortelles.  Il  en  est  de  même  de  la  plupart  des  autres 
textes  que  l'on  pourrait  citer,  qui  renferment  les  mots  éternel  ou 
éternité  ;  aussi  les  théologiens  se  contentent-ils  d'en  donner  deux  ou 
trois,  exprimant  moins  le  mot  que  l'idée  d'éternité,  telle  qu'on 
doit  l'entendre  de  Dieu,  par  exemple  cette  parole  de  S.  Paul  à  son 
disciple  S.  Timothée  :  «  Dieu  seul  possède  l'immortalité  *.  »  Ici 
nous  ne  trouvons  pas  le  mot  éternel  ;  mais  quelle  peut  être  cette  im- 
mortalité refusée  aux  anges  et  aux  bienheureux  habitants  du  ciel? 
cette  immortalité  qui  ne  convient  uniquement  qu'à  Dieu  seul  ? 
Évidemment  ce  ne  peut  être  que  l'éternité  proprement  dite,  et  c'est 
ainsi  que  l'entend  S.  Augustin.  Pourquoi,  demande  ce  saint  doc- 
teur, l'Apôtre  affirme-t-il  que  Dieu  seul  possède  l'immortalité, 
sinon  pour  faire  entendre,  avec  toute  la  clarté  possible,  que  Dieu 
seul  est  exempt  de  tout  changement,  parce  que  seul  il  est  vérita- 
blement éternel  ^  et  que,  remarque  Suarez,  lui  seul  ne  peut  pas 
mourir  ou  cesser  d'être.  Toute  créature  a  été  tirée  du  néant  par 
un  ac^  libre  de  la  volonté  de  Dieu,  et  Dieu  peut  toujours  l'y  re- 
plonger s'il  lui  plaît  de  le  faire,  par  un  acte  semblable;  Dieu  prête 
l'existence  à  ses  créatures,  il  veut  même  que  quelques-unes  la  con- 
servent à  jamais;  mais  il  est  toujours  le  maître  absolu  de  ce  don, 
et  les  créatures  spirituelles  elles-mêmes  ne  possèdent  l'être  irrévo- 
cablement que  par  la  libéralité  toute  gratuite  de  Dieu,  et  parce  qu'il 
veut  qu'elles  soient  immortelles. 

\.  Stetit  et  mensus  est  terrain  ;  aspexit  et  dissolvit  Gentes,  et  contrili  sunt 
montes  saeculi.  Incurvati  sunt  colles  miindi  ab  itineribus  aelernitatis  ejus. 
{Habac,  m,  6.) 

2.  Joann.,  vi,  îi!2,  539. 

3.  Matth.,  XXV,  41,  4G. 

4.  Qui  solus  habet  immortalitatem.  (/.  Tim.,  vi,  10.) 

5j.  Quid  est  quod  ait  Apostolus  de  Deo,  qui  solus  habet  immortalitatem,  nisi 
quia  hoc  aperte  dixit,  solus  habet  incommutabilitatem,  quia  solus  habet  vcrnm 
œternitatem  ?  (S.  August.,  tract.  XXIII  in  Jonnn.,  n.  9.) 


104  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.   III. 

S.  Augustin,  puisque  nous  venons  de  le  citer,  s'adresse  au  Sei- 
gneur en  ces  termes  dans  ses  Confessions  :  «  II  n'y  avait  pas  d'alors, 
a  lorsque  le  temps  n'existait  pas.  Ce  n'est  point  par  le  temps  que 
«  vous  avez  précédé  les  temps,  autrement  il  aurait  existé  un  temps 
«  que  vous  n'eussiez  pas  précédé.  Mais  vous  êtes  avant  toutes  les 
«  choses  passées,  en  vertu  de  la  sublime  grandeur  de  votre  éter- 
«  nité  toujours  présente;  et  vous  dépassez  toutes  les  choses  futures, 
«  parce  qu'elles  seront  à  leur  tour  et  elles  entreront  dans  le  passé. 
a  Mais  vous,  vous  êtes  toujours  le  même  et  vos  années  ne  passeront 
«  pas.  Elles  ne  vont  ni  ne  viennent,  ainsi  que  les  nôtres,  afin  de 
«  se  pouvoir  accomplir  toutes;  vos  années  demeurent  toutes  en- 
«  semble,  dans  une  stabilité  immuable,  parce  qu'elles  sont  stables 
«  et  permanentes,  sans  que  celles  qui  passent  soient  chassées  par 
<i  celles  qui  leur  succèdent,  parce  qu'elles  ne  passent  point;  mais  les 
«  nôtres  ne  seront  toutes  entièrement  accomplies  que  lorsqu'elles 
«  se  seront  toutes  écoulées.  Vos  années  ne  sont  qu'un  jour,  et  votre 
«  jour  n'est  pas  tous  les  jours,  mais  aujourd'hui,  parce  que  votre 
«  jour  présent  ne  fait  point  de  place  à  celui  du  lendemain  et  ne 
«  succède  point  à  celui  d'hier;  et  ce  jour  présent  qui  est  le  vôtre  se 
«  nomme  l'éternité  i.  » 

Ainsi  donc,  selon  la  doctrine  de  S.  Augustin,  l'éternité  de  Dieu, 
ce  n'est  pas  un  siècle,  ce  n'est  pas  une  année,  c'est  un  moment 
qui  dure  toujours,  qui  ne  s'écoule  point;  c'est  un  moment  qui 
recueille  et  réunit  le  passé,  le  présent  et  l'avenir;  c'est  un  moment 
qui  coexiste  à  tous  les  jours,  à  tous  les  ans,  à  tous  les  siècle's  con- 
cevables. Dieu  n'a  pas  été,  il  ne  sera  pas,  il  est. 

Ailleurs  le  saint  docteur,  commentant  ces  paroles  du  Psalmiste  : 
«  D'un  siècle  jusqu'à  un  autre  siècle  vous  êtes  Dieu  :  A  sœculo  et 
«  usque  in  sœculwtn  tu  es  Deus  2,  »  remarque  que  l'auteur  inspiré 
ne  dit  pas  :  Mon  Dieu,  vous  avez  été  de  toute  éternité  et  vous  sere2 

i.  Non  erat  tune  ubi  non  erat  tempus.  Nec  tu  lempore  lempora  prsecedis, 
alioquin  non  omnia  tempera  prgecederes.  Sed  praeccdis  omnia  praîlerita  celsi- 
tudine  semper  praesentis  aeternitatis;  et  superas  omnia  futura,  quia  illa  futura 
sunt,  et  cum  venerint  praeterita  erunl.  Tu  autem  idem  ipse  es,  et  anni  tui 
non  deficiunt.  Anni  tui  nec  eunt,  nec  veniunt,  isti  autem  nostri  et  eunt  et  ve- 
niunt,  ut  omncs  veniant.  Anni  tui  omnes  simul  stant;  nec  cuntes  a  venienti- 
bus  excluduntur,  quia  non  transeunt;  isti  nostri  omncs  erunt,  cum  omnes 
non  erunt.  Anni  tui  dies  unus,  et  dies  tuus  non  quotidie  sed  hodie;  quia 
hodiernus  tuus  non  cedit  crastino;  nec  enim  cedit  hesterno.  Hodiernus  tuus 
aeternitas.  (S.  August.,  Co7ifess.,  lib.  XI,  cap.  xiii.) 

2.  A  saeculo  et  usque  in  saeculum  tu  es.  (Ps.  l.x.vxix.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSOS-CHRIST.  105 

de  toute  éternité;  mais  il  dit  :  Vous  éies  en  toute  éternité, de  siècle 
en  siècle,  parce  qu'en  l'éternité  de  Dieu,  il  n'y  a  rien  de  passé  ni 
rien  de  futur;  tout  y  est  présent  •. 

On  pourrait  citer  d'innombrables  passages  dans  lesquels  S.  Au- 
gustin parle  de  l'éternité  de  Dieu  et  donne  à  entendre  dans  quel 
sens  elle  doit  être  comprise. 

Avant  S.  Augustin,  Tertullien  avait  dit  que  le  Dieu  vivant  et 
véritable  n'a  rien  de  commun  avec  la  nouveauté  ou  la  vieillesse;  la 
vérité  de  son  être,  voilà  ce  qui  le  constitue.  S'il  vieillissait,  il  vien- 
drait un  temps  oii  il  ne  serait  plus;  s'il  était  nouveau,  il  n'aurait 
pas  toujours  existé,  car  qui  dit  nouveau  dit  commencement,  et  tout 
ce  qui  vieillit  se  précipite  vers  sa  fin;  or,  Dieu  n'a  pas  de  commen- 
cement ni  de  fm,  parce  qu'il  n'est  pas  soumis  au  temps  qui  les  me- 
sure et  leur  assigne  leur  place  2, 

«  Qu'est-ce  que  Dieu?  »  demande  à  son  tour  S.  Bernard;  et  il  ré- 
pond :  «  C'est  celui  qui  est.  C'est  ainsi  qu'il  voulut  qu'on  le  nom- 
«  mât;  c'est  la  réponse  qu'il  suggéra  à  Moïse  pour  son  peuple,  en 
«  lui  ordonnant  de  dire  :  Celui  qui  est  m'a  envoyé  vers  vous.  Il 
a  n'y  en  a  pas  de  plus  juste  ni  qui  convienne  mieux  à  l'éternité, 
«  qui  n'est  autre  chose  que  Dieu  même....  Qu'est-ce  que  Dieu?  Le 
«  pi^incipe  ;  c'est  encore  le  nom  qu'il  se  donne  lui-même.  Il  y  a 
«  bien  des  choses  qui  sont  appelées  principes,  mais  elles  ne  méri- 
«  tent  ce  nom  que  par  rapport  à  celles  qui  les  suivent,  de  sorte 
«  que  si  vous  considérez  la  chose  qui  les  précède,  c'est  à  celle-ci 
«  que  vous  réserverez  le  nom  de  principe.  D'où  il  suit  que  si  vous 
«  voulez  avoir  un  principe  pur  et  simple,  il  faut  que  vous  en  veniez 
«  à  ce  qui  n'a  point  eu  de  principe  ;  il  est  évident  que  l'être  par 
«  qui  tout  a  commencé  n'a  point  eu  lui-même  de  commencement. 
«  Le  vrai  principe  n'a  pas  eu  de  commencement;  il  existe  tout 
«  entier  par  lui-même. 

«  Qu'est-ce  enfin  que  Dieu?  C'est  celui  à  qui  les  siècles  passés 

\.  Optime  non  ait:  A  saeculo  tu  fuisti,  et  usque  in  saeculum  tu  eris;  sed 
praesentis  significalionis  verbum  posuit,  insinuans  Dei  substantiam  omni  modo 
incommutabilenn,  ubi  non  est  fuit  elerit,  sed  tantummodo  est;  unde  dictum 
est  :  Ego  sum  qui  sum.  (S.  AuuusT.,  in  Ps.  Lxxxix.) 

2.  Viva  et  germana  Divinitas,  nec  de  novitate,  nec  de  vetuslate,  sed  de  sua 
veritate  censetur.  Deus  si  vêtus  est  non  erit,  si  est  novus,  non  fuit  :  novitas 
initium  teslificatur,  vetustas  Hnem  comininatur  :  Deus  autein  tani  alienus  est 
ab  inilio  et  a  fine  quam  a  tempore,  arbitrio  et  melalore  initii  et  finis.  (Ter- 
TULL.,  lib.  I,  conlra  Mavcion.) 


106         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  11"  PARTIE.  —  LIVRE  II,  —  CHAP.  III. 

«  n'ont  rien  ajouté  et  pour  qui  ces  siècles  n'ont  pas  cessé  d'être, 
«  quoiqu'ils  ne  soient  pas  éternels  comme  lui.  C'est  celui  de  qui 
«  tout  vient,  par  qui  tout  est  et  en  qui  tout  est  K  s> 

Quelques  pages  plus  loin,  dans  le  même  traité  rfe  Considérations, 
S.  Bernard  répète  encore  la  même  question,  et  dit  :  «  Qu'est-ce 
«  enfin  que  Dieu?  Il  est  longueur,  dirai-je.  Que  faut-il  entendre 
«  parla?  l'éternité;  car  elle  est  si  longue  qu'elle  n'a  point  de  limites, 
«  ni  dans  le  temps  ni  dans  l'espace.  Il  est  aussi  largeur.  Qu'est-ce 
«  à  dire?  qu'il  est  charité.  Or,  comment  celle-ci  pourrait-elle  à 
«  son  tour  avoir  des  limites  en  Dieu  qui  ne  hait  rien  de  ce  qu'il  a 
«  créé?  Ne  fait-il  pas,  en  effet,  lever  son  soleil  sur  les  méchants 
a  comme  sur  les  bons,  et  tomber  la  pluie  sur  les  injustes  comme 
«  sur  les  justes?  Ainsi  la  charité  de  Dieu  bénit  dans  son  sein  jusqu'à 
«  ses  ennemis  :  ce  n'est  même  pas  assez  pour  elle,  elle  s'étend  à 
«  l'infini  et  dépasse  non  seulement  tout  ce  que  nous  pouvons  sentir, 
«  mais  encore  tout  ce  que  nous  pouvons  connaître,  au  dire  de  l'Apôtre 
«  lui-même  qui  voudrait  que  nous  connussions  la  charité  de  Jésus- 
«  Christ  qui  surpasse  toute  science.  Que  dirai-je  de  plus?  qu'elle 
«  est  éternelle;  ou  bien,  ce  qui  est  peut-être  encore  plus  fort, 
«  qu'elle  est  l'éternité  même.  Vous  le  voyez  donc;  en  Dieu  la  lon- 
«  gueurest  égale  à  la  largeur;  je  voudrais  que  vous  vissiez  non  pas 
«  qu'elle  est  aussi  grande,  mais  qu'elle  se  confond  avec  elle;  que 
«  l'une  ne  diffère  pas  de  l'autre,  qu'une  seule  n'est  pas  moindre 
«  que  les  deux  ensemble,  et  que  les  deux  ne  sont  pas  plus  qu'une 
«  seule.  Dieu  est  éternité, Dieu  est  charité;  longueur  sans  tension, 
«  largeur  sans  distension.  Il  excède  également  les  étroites  limites 
«  du  temps  et  de  l'espace,  non  point  par  la  masse  de  sa  substance, 
«  mais  par  la  liberté  de  sa  nature  2.  » 

\.  Quis  est?  Non  sane  occurrit  melius,  quam  Qui  est.  Hoc  ipse  de  se  vo- 
luit  responderi,  hoc  docuit  dicente  Moyse  ad  populum,  ipso  quidem  injungente  : 
Qui  est  misit  me  ad  vos.  Merito  quidem,  Nil  competenlius  seternitati,  quse 
Deus  est....  Quid  est  Deus?  Principium  :  et  hoc  ipse  de  se  responsum  dédit. 
Multa  in  rébus  dicuntur  principia,  sed  respectu  posteriorum.  Alioquin  si  ad 
aliquid  pragcedens  respicias,  ipsum  potius  principium  dabis.  Quamobrem  si 
quaeras  verum  simplexque  princijiium,  invenias  oportet  quod  principium  non 
habuerit.  Ex  quo  universum  cœpit,  ipsum  profecto  minime  cœpit....  Quod 
vero  aliud  principium  habuit  primum  non  fuit,  Verum  ergo  principium  ne- 
quaquam  cœpit,  sed  totum  ab  ipso  cœpit.  —  Quid  est  Deus  ?  Gui  ssecula  non 
accesserunt,  nec  decesserunt;  nec  coaeterna  tamen.  Quid  est  Deus?  £'a;  quo 
omnin,  per  quem.  omnin,  in  quo  omnin.  (liom.,  xi,  30.)  (S.  Bern.,  de  Consider., 
lib.  V,  cap.  VI.) 

2.  Quid  igitur  est  Deus?  Longitudo  inquam.  —  Quid  ipsa?  jEternitas.  Hœc 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  107 

Ces  quelques  textes  des  Pères  suffisent  amplement  pour  montrer 
dans  quel  sens  ils  entendaient  et  comment  il  faut  entendre  l'éter- 
nité que  la  Sainte  Écriture  attribue  à  l'Être  divin.  Ce  n'est  pas 
l'éternité  relative  et  incomplète  telle  qu'elle  peut  exister  par  la 
volonté  de  Dieu,  pour  des  créatures,  c'est  l'éternité  sans  aucune 
limite,  qui  se  confond  avec  l'essence  infiniment  simple  de  Dieu 
existant  par  lui-même,  sans  commencement  ni  fin,  sans  soumis- 
sion aucune  aux  divisions  du  temps,  dont  il  regarde,  sans  rien  per- 
dre de  son  immutabilité,  s'écouler  les  années  et  les  siècles  qu'il 
domine  et  qu'il  règle. 

Les  théologiens  ont  prouvé,  par  divers  arguments,  qu'il  serait 
contraire  à  la  raison  de  refuser  à  Dieu  l'attribut  de  l'éternité. 

S.  Thomas,  dans  sa  Somme  de  théologie,  se  contente  d'une  seule 
preuve  de  l'éternité  de  Dieu  ;  il  la  tire  de  son  immutabilité.  L'éter- 
nité, dit-il,  est  une  conséquence  de  l'immutabilité,  comme  le  temps 
en  est  une  du  mouvement.  Dieu,  dont  l'immutabilité  est  absolue,  est 
donc  nécessairement  éternel.  II  n'est  pas  seulement  éternel,  mais 
il  est  sa  propre  éternité.  Dans  tous  les  autres  êtres  la  durée  est  dis- 
tincte de  l'être  lui-même;  mais  en  Dieu,  la  simplicité  est  infini- 
ment parfaite,  et  de  même  qu'il  est  son  essence,  il  est  son  éternité  ^ 

Dans  la  Somme  contre  les  Gentils,  S.  Thomas  présente  cette 
même  preuve  d'une  autre  manière. 

Tout  ce  qui  commence  ou  qui  finit,  dit-il,  commence  ou  finit 

tam  longa,  ut  non  habeat  terminum,  non  magis  loci,  quam  temporis.  Est  et 
latitude.  Et  ipsa  quid?  Caritas.  Quibus  et  ipsa  terminisangustetur  in  Doo  qui 
nihil  odit  eorum  quae  fecerif?  Denique  solem  suum  oriri  facit  super  bonos  et 
malos,  pluit  super  justos  et  injustes.  Erge  et  inimicos  concludit  sinus  ille.  Nec 
hec  queque  cententus,  evadit  in  infinitum.  Omnem  non  mode  afïectionem  sed 
et  cognitionem  excedit,  adjiciente  Apostole  et  dicente,  scire  etiam  sitpei'emi- 
nentem  scientiœ  charilatem  Chrisli.  {Eph  ,  m,  19.)  Quid  plus  dicam  ?  .-Eterna 
est.  Nisi  quod  hoc  plus  forsitan  est,  quia  aeternitas  est.  Vides  tantum  esse 
latitudinem,  quantam  et  longitudinem?  Utinam  sic  videas  non  tantum  esse, 
sed  ipsam;  id  esse  unam  quod  alleram;  non  minus  unam  quam  duas,  nec 
plus  duas  quam  unam.  Deus  «ternitas,  Deus  caritas  est  :  longitudo  sine  pro- 
tensione,  latitude  sine  distensione.  In  utroque  pariter  locales  quidem  excedit 
temperalesque  angustias,  sed  libertate  naturae  non  enermitate  substantiae. 
(S.  Bernard.,  de  Considérât.,  lib.  V,  cap.  xiii.) 

i.  Ltrum  Deus  sit  «ternus?  Respendee  dicendum  quod  ratio  seternitatis 
consequitur  immutabilitatem,  sicut  ratio  temporis  consequilur  motum,  ut  ex 
diclis  patet.  Unde  cum  Deus  sit  maxime  immutabilis,  sibi  maxime  competit 
esse  aeternuin.Nec  soluin  est  «ternus  sed  est  sua  aeternitas.  Cum  tamen  nulla 
alia  res  sit  sua  duratio  ;  quia  non  est  suum  esse.  Deus  autem  est  suum  esse  uni- 
forme. Undesiculest  sua  essentia,  ita  sua  aeternitas.  (S.  Thom.,  I  p.,q.  x,  art. 2.) 


108         LA   SAINTE   EUCHRRISTIE.    —   II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.  III. 

par  TefTet  d'un  mouvement  ou  d'un  changement  quelconque.  Mais 
il  a  été  démontré  que  Dieu  est  tout  à  fait  immuable;  il  est  donc 
éternel,  sans  commencement  ni  fin. 

Il  ajoute  :  Les  choses  seules  qui  sont  sujettes  au  mouvement  sont 
mesurées  par  le  temps,  qui  en  régie  les  phases  successives.  Dieu, 
exempt  de  tout  mouvement,  ne  peut  donc  pas  être  soumis  au  temps  ; 
il  n'y  a  en  lui  ni  succession  ni  durée  que  le  temps  puisse  mesurer; 
il  n'y  a  pas  d'avant  ni  d'après,  rien  enfin  qui  permette  de  le  con- 
sidérer comme  soumis  au  temps  en  quelque  manière  que  ce  soit. 
Il  n'a  donc  ni  commencement  ni  fin  ;  il  possède  tout  son  être  à  la 
fois,  et  c'est  en  quoi  consiste  à  proprement  parler  l'éternité. 

S.  Thomas  prouve  encore  la  môme  vérité  en  partant  de  ce  prin- 
cipe que  Dieu  est  la  cause  première  ;  que,  par  conséquent,  il  n'a 
pas  commencé  et  ne  doit  pas  finir,  mais  être  toujours  ce  qu'il  a 
toujours  été.  Cette  cause  première  est  nécessaire  ;  elle  est  nécessaire 
par  elle-même,  et  c'est  pourquoi  elle  ne  peut  avoir  ni  commence- 
ment ni  fin  K 

1.  Omne  quod  incipit  esse  vel  desinit,  per  motiim  vel  mutationem  hoc  pa- 
titur.  Ostensum  autem  est  Deum  esse  omnino  immutabilem;  est  igitur  seter- 
nus,  carens  principio  et  fine. 

Item  :  lUa  sola  tempore  mensurantur  quae  moventur  eo  quod  tempus  est 
numerus  motus,  ut  patet  in  quarto  Physic.  (text.  comm.  101).  Deus  autem  est 
omnino  absque  motu,  ut  jam  probatum  est;  tempore  igitur  non  mensuratur. 
Igitur  in  ipso  non  est  prius  vel  posterius  accipere  ;  non  ergo  habet  esse  post 
non  esse,  née  non  esse  post  esse  potest  habere,  nec  aliqua  successio  in  esse 
ipsius  inveniri  potest,  quia  haîc  sine  tempore  intelligi  non  possunl.  Est  igitur 
carens  principio  et  fine,  totum  suum  esse  simul  liabcns;  in  qua  ratio  aeterni- 
tatis  consistit. 

Adhuc  :  Si  Deus  aliquando  non  fuit  et  postmodum  fuit,  ab  aliquo  eductus 
est  de  non  esse  in  esse  :  non  autem  a  seipso,  quia  quod  non  est  non  potest 
aliquid  agere.  Si  autem  ab  alio,  illud  est  prius  eo.  Ostensum  est  autem  Deum 
esse  primam  causam;  non  igitur  incepit,  unde  nec  esse  desinet,  quia  quod 
semper  fuit  habet  virtutem  semper  essendi.  Est  igitur  aglernus. 

AmpHus  :  Videmus  in  mundo  quœdam  quae  sunt  possibilia  esse  et  non  esse 
sicut  generabilia  et  corruptibilia.  Omne  autem  quod  est  possibiie  esse  causam 
habet;  quia  quum  de  se  aequaliter  se  habeat  ad  duo,  scilicet  esse  et  non  esse, 
oportet,  si  ei  approprietur  esse,  quod  hoc  sit  ex  aliqua  causa.  Sed  in  causis 
non  est  procedere  in  infinitum,  ut  supra  probatum  est,  per  rationem  Aristo- 
telis;  ergo  oportet  ponere  aliquid  quod  sitnecesse  esse  :  Omne  autem  neces- 
sarium,  vel  habet  causam  suag  necessitatis  aliunde,  vel  non,  sed  est  per 
seipsum  necessarium.  Non  est  autem  procedere  in  infinitum  in  necessariis 
quae  habent  causam  suae  necessitatis  aliunde;  ergo  oportet  ponere  aliquod 
primum  necessarium,  quod  est  per  seipsum  necessarium  ;  et  hoc  est  Deus, 
quum  sit  prima  causa,  ut  dictum  est.  Igitur  Deus  seternus  est  quod  omne  ne- 
•cessarium  per  se  sit  aeternum.  (S.  Thom.,  Summa  contra  Gent.,  lib.  I,  cap.  xvii.) 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSDS-CHRIST.  109 

Dieu  est  donc  éternel  et  il  est  le  seul  éternel,  parce  qu'il  n'y  a 
qu'un  seul  être  nécessaire,  existant  par  lui-même  et  donnant  à  tout 
la  possibilité  d'être;  il  n'y  a  qu'une  seule  cause  première  qui  n'a 
reçu  l'être  d'aucune  autre  cause  et  qui  donne  l'être  à  tout  ce  qui 
existe;  il  n'y  a  qu'un  seul  premier  moteur,  immuable  par  lui-même 
et  donnant  le  mouvement,  en  même  temps  que  l'être,  à  tout  ce  qui 
est.  Et  parce  que  cet  être  nécessaire,  cette  cause  première,  ce  mo- 
teur immuable.  Dieu  enfin,  est  infiniment  simple  dans  son  essence 
à  cause  même  de  ce  qu'il  est,  son  éternité  n'est  pas  autre  chose  que 
lui-même  :  son  être  et  son  éternité  ne  sont  qu'un. 

Dans  la  Sainte  Écriture,  il  est  quelquefois  parlé  de  Dieu  au  passé, 
au  présent  et  au  futur;  ainsi  on  lit  dans  l'Apocalypse  :  «  Je  suis 
«  l'alpha  et  l'oméga,  le  commencement  et  la  fin,  dit  le  Seigneur 
a  Dieu,  qui  est,  qui  était  et  qui  doit  venir,  le  Tout-Puissant  K  » 

Mais  il  est  évident,  par  ce  que  nous  avons  dit,  que  ces  expressions 
n'impliquent  aucune  idée  de  succession,  lorsqu'il  s'agit  de  Dieu  ; 
il  n'y  a  en  lui  ni  passé  ni  futur  distincts  du  présent,  et  son  éternité 
embrasse  le  temps  dans  toute  sa  plénitude.  Ce  qui  est  présent, 
passé  ou  futur  pour  nous  existe  éternellement  présent  pour  Dieu. 
Il  en  est  de  même  pour  les  actes  divins  qui  nous  sont  représentés 
comme  successifs  :  cette  succession  n'existe  que  pour  nous  et  aucu- 
nement pour  lui,  parce  qu'il  est  éternel. 

Cependant  on  peut  dire  que  l'éternité  a  une  durée  par  rapport  à 
Dieu,  comme  le  temps  et  l'éternité  improprement  dite  en  ont  une 
pour  les  créatures  ;  mais  c'est  une  durée  infiniment  parfaite  comme 
Dieu  lui-môme,  une  durée  qui  ne  comporte  aucune  succession  ;  il 
faut,  en  admettant  la  durée  pour  Dieu,  donner  à  ce  mot  un  autre 
sens  que  celui  qui  est  habituellement  le  sien. 

On  peut  dire  aussi  que  l'éternité  est  la  mesure  de  la  durée  de 
Dieu,  comme  le  temps  est  celle  de  la  durée  des  créatures;  mais 
c'est  une  mesure  intrinsèque,  identiqueavec  ce  qu'elle  a  pour  objet 
de  mesurer;  car  lorsqu'il  s'agit  de  l'être  de  Dieu,  il  faut  toujours 
en  revenir  à  la  simplicité  absolue  et  parfaite. 

On  pourrait  encore,  à  la  suite  des  docteurs  et  des  théologiens, 
traiter  d'autres  questions  subtiles,  concernant  cet  attribut  divin 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie;  mais  nous  en 
avons  dit  assez  pour  en  donner  une  idée  suffisamment  complète, 

1.  Ego  sum  alpha  et  oméga,  principium  et  finis,  dicit  Dominus  Deus,  qui 
est  et  qui  erat  et  qui  vcnlurus  est,  omnipotens.  [Apoc,  i,  8.) 


110         LA  SAINTE  EDCRARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    III. 

et  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  nous  écrier  avec  le  pieux  Baudrand  : 
«  0  Dieu  immortel,  je  vous  adore  ;  résidant  sur  le  trône  de  cette 
«  éternité  glorieuse,  vous  êtes  le  principe,  la  mesure  et  la  fin  de  tout; 
«  vous  êtes  antérieur  et  postérieur  à  tout;  vous  avez  donné  l'être  et 
«  la  vie  à  tous  les  êtres;  vous  étiez  avant  eux,  vous  existerez  après 
«  eux.  Du  haut  de  ce  trône  éternel  vous  voyez  couler  sous  vos 
«  pieds  le  torrent  des  choses  humaines,  et  les  révolutions  im- 
«  menses  des  jours,  des  années  et  des  siècles  qui,  semblables  à  un 
«  fleuve  rapide,  vont  se  rendre  et  se  perdre  dans  le  sein  de  cette 
«  éternité  immuable  et  à  jamais  subsistante.  » 

A  la  pensée  et  à  la  vue  de  l'éternité  de  Dieu,  comprenons  quelle  est 
la  brièveté  et  l'instabilité  de  notre  vie  en  ce  monde.  Quelques  années, 
souvent  quelques  jours,  terminent  notre  course;  nous  ne  faisons 
presque  que  naître  et  mourir.  Mais  ces  quelques  jours  de  vie,  si 
nous  les  employons  saintement,  nous  mériteront  d'entrer  en  pos- 
session pour  toujours  du  bonheur  que  Dieu  réserve  à  ceux  qui  le 
servent  et  qui  l'aiment.  Ce  sera  notre  éternité  à  nous;  elle  aura 
commencé,  mais  elle  ne  connaîtra  pas  de  fin. 

II. 

INCOMPRÉHENSIBILITÉ     DU     DIEU     DE     l'eUCHARISTIE.     —     COMMENT     ET 
jusqu'à    QUEL   POINT    NOtfS    POUVONS    LE    CONNAITRE 

Dieu  est  l'être  infini.  L'intelligence  humaine  peut,  jusqu'à  un 
certain  point,  connaître  ce  qu'il  est,  mais  elle  ne  saurait  le  com- 
prendre :  aux  attributs  de  la  nature  divine  dont  nous  avons  parlé 
jusqu'ici,  il  faut  donc  ajouter  celui  de  Vincompréhensibilité. 

Dieu,  pur  esprit  infiniment  parfait,  est  infiniment  intelligible; 
mais  de  cette  infinité  même  il  résulte  que  lui  seul  peut  savoir  tout 
ce  qu'il  est  :  lui  seul  peut  se  connaître  parfaitement,  parce  que  son 
intelligence  infinie  est  seule  assez  vaste  pour  embrasser  un  tel 
objet.  Mais  si  nul  être  créé  ne  peut  prétendre  à  la  connaissance 
parfaite  de  Dieu,  à  sa  compréhension,  les  moyens  ne  nous  man- 
quent pas  pour  acquérir  une  connaissance  de  l'Être  divin  telle  qu'il 
nous  est  nécessaire  et  utile  de  la  posséder  en  cette  vie. 

Nous  avons  ici-bas  deux  moyens  d'arriver  à  connaître  l'essence 
divine,  la  nature  de  Dieu;  c'est  d'abord  notre  raison  aidée  de  nos 
sens,  qui  lui  fournissent  les  éléments  sur  lesquels  elle  travaille  pour 
arriver  a  la  lumière;  c'est  en  second  lieu  la  révélation  que  Dieu  a 


AUTRES    ATTRIBUTS   DE    LA    NATURE   DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST,  111 

daigné  nous  faire  lui-même  de  quelques-unes  de  ses  grandeurs. 
Les  anges  et  les  saints,  dans  le  ciel,  ont  en  plus  que  nous  la  lumière 
de  la  gloire  :  mais  même  cette  lumière,  qui  dépasse  en  clarté  tout 
ce  que  nous  pouvons  imaginer,  n'est  pas  suffisante  pour  que  Dieu 
leur  soit  parfaitement  connu.  Il  manque  toujours  aux  anges  et  aux 
bienheureux  pour  atteindre  à  une  telle  perfection,  que  leurs  intel- 
ligences soient  infinies  comme  leur  objet. 

Les  Pères  ont  comparé  plus  d'une  fois  Dieu  au  soleil,  dont  la 
lumière  éclaire  ce  monde  visible  :  on  est  frappé  de  sa  lumière;  on 
entrevoit  ce  globe  éblouissant,  mais  le  regarder  en  face,  le  fixer, 
dans  tout  l'éclat  de  sa  splendeur,  est  impossible;  tenter  de  le  faire 
est  s'exposer  à  un  aveuglement  presque  certain.  Nous  connaissons 
le  soleil,  nous  l'entrevoyons  même,  nous  jouissons  de  sa  lumière 
accommodée  à  la  faiblesse  de  nos  sens  :  il  faut  nous  en  contenter; 
de  même  il  faut  nous  contenter  de  connaître  Dieu  autant  que  le  per- 
met l'infirmité  de  notre  nature  i. 

S.  Épiphane  assimile  ingénieusement  la  connaissance  que  nous 
pouvons  avoir  de  Dieu  à  celle  que  l'on  aurait  de  la  voûte  céleste, 
aperçue  par  une  étroite  ouverture;  on  la  verrait  sans  doute;  mais 
qu'on  la  verrait  peu  2  ! 

1.  Interdum  oculi  nostri  ipsam  naturam  lucis,  id  est  substantiam  solis  in- 
tueri  non  possunt;  splendorem  vero  ejus,  vel  radiis  fenestris  forte  et  quibus- 
libet  aliis  receptaculis  brevibus  infusos  intuentes,  considerare  possumus 
fomes  ipse  ac  fons  quantus  sit  corporei  luminis.  Ita  ergo  quasi  radii  quidam 
sunt  Dei  naturse,  opéra  divina  providenticE,  et  universitatis  hujus  ad  compa- 
rationem  substantife  ac  naturse.  Quia  ergo  mens  nostra  ipsum  per  se  Deum, 
sicut  est,  non  potest  intueri  :  ex  pulchritudine  operum  et  décore  creaturarum 
parentem  universitatis  intelligit.  (Origen.,  1.  Periarch.,  cap.  i.) 

Sol  hoc  est  in  sensibilibus,  quod  in  intelligibilibus  est  Deus.  Quippe  sic  ille 
oculos  illustrât,  ut  iste  mentem;  atque  ut  omnium  ille  quse  videntur,  pulcher- 
rimum  est  :  ita  Deus  omnium,  quœ  intelligibilia  capiuntur.  (S.  Gregor.  Naz., 
orat.  XXXIV.  Hoc  refert  ex  Platone.) 

Si  solis  radios  oculi  nostri  ferre  non  possunt,  et  si  quis  diutius  e  regione 
solis  intenderit,  cgecari  solere  perhibetur  :  si  creatura  creaturam  sine  fraude 
atque  offensione  sui  non  potest  intueri,  quomodo  potest  sine  periculo  sut 
vibrantem  cernere  vultum  crealoris  aeterni,  corporis  hujus  opertus  exuviis. 
(S.  Ambros.,  lib.  de  Bono  mortis,  cap.  xi.) 

2.  Infinitus  Deus  videtur,  non  ut  se  habet  in  sese  infinitus,  sed  quomodo 
natura  potest..,.  Vcluti  si  quis  per  angustum  foramen  cœlum  aspiciat,  ac 
dicat  :  Video  cœlum  :  non  utique  mentialur,  videt  enim  rêvera  cœlum.  Quod 
si  quis  prudenter  ei  dicat  :  non  vidisti  cœlum,  neque  iste  menfietur.  Tam 
enim  qui  ait  vidisse  non  mentitur  quam  qui  ei  dicit,  non  ipsum  vidisse,  vera 
loquitur.  Quippe  non  vidit  illius  exporrectionem  neque  latitudinem.  (S.  Epi- 
PiiAN.,  m  Jlœres.,  l.\.\.) 


112         LA   SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II,  —   CHAP.   III. 

Les  œuvres  extérieures  de  Dieu  qui  frappent  nos  sens  nous  le 
font  donc  connaître.  Comment  arrêter  un  instant  un  regard  attentif 
sur  le  monde  qui  nous  entoure,  sans  être  frappé  de  sa  grandeur, 
de  l'ordre  admirable  qui  règne  dans  l'ensemble  et  dans  toutes  les 
parties  qui  le  composent?  Tout  révèle  non  seulement  l'existence  de 
Dieu,  mais  sa  puissance  infinie,  sa  sagesse,  sa  bonté  et  plusieurs 
autres  de  ses  perfections,  selon  la  parole  de  S.  Paul  dans  l'Épître 
aux  Romains  :  «  Ses  perfections  invisibles,  son  éternelle  puissance 
a  et  sa  divinité  sont,  depuis  la  création  du  monde,  aperçues  par 
«  l'intelligence  au  moyen  de  ses  œuvres  '.  »  Le  livre  de  la  Sagesse 
nous  enseigne  de  même  que  les  œuvres  de  Dieu  révèlent  son  exis- 
tence ~  et  le  Psalmiste  dit  que  les  cieux  racontent  sa  gloire  3.  Aussi 
S.  Paul  déclare-t-il  inexcusables  les  philosophes  qui  ont  connu  Dieu 
ainsi  et  ne  l'ont  pas  honoré  comme  ils  le  devaient  ^. 

Le  second  moyen  que  nous  avons  de  connaître  Dieu  est  la  foi. 
«  Il  faut,  dit  S.  Augustin,  demander  des  lumières  à  ceux  qui 
«  passent  avec  juste  raison  pour  capables  d'en  procurer  ^.  »  Or,  il 
n'est  pas  de  meilleur  interprète  des  œuvres  et  des  paroles  de  Dieu 
que  Dieu  lui-même  et  Jésus-Christ  son  Fils.  Le  Verbe  divin  daigne 
nous  enseigner,  dans  la  Sainte  Écriture  et  dans  la  tradition  que 
garde  son  Église,  ce  que  nous  devons  croire  et  ce  que  nous  pouvons 
connaître  de  Dieu.  Heureux  ceux  qui  profitent  de  ses  lumières. 

Mais  l'Écriture  sainte  et  la  tradition  ne  nous  procurent  pas  néan- 
moins une  science  complète  et  évidente.  Ce  qu'elles  nous  révèlent 
est  rempli  d'obscurité;  par  elles  nous  savons  bien  que  Dieu  existe, 
mais  nous  connaissons  beaucoup  moins  sa  nature.  Comment  pour- 
rions-nous arriver  à  la  connaître  parfaitement,  nous  qui  sommes 
obligés  de  confesser  à  chaque  pas  notre  ignorance  sur  mille  objets 
qui  nous  entourent? 

C'était  l'objection  que  les  Pères  adressaient  quelquefois  aux 
Eunoméens  qui  prétendaient  connaître  Dieu  aussi  parfaitement 

1.  Invisibilia  enim  ipsius  a  creatura  mundi  per  ea  quae  facta  sunt  intellecta, 
conspiciuntur  :  sempiterna  quoque  ejiis  virtus  et  divinitas.  [Rom  ,  i,  20.) 

2.  V'ani  sunt  omnes  homines  in  quibus  non  subest  scientia  Dei,  et  de  his 
quae  videntur  bona  non  polueriint  intelligere  eum  qui  est.  {Sap.,  xiii,  1.) 

3.  Cœli  enarrant  gloriam  Dei.  {Ps.  xviii,  2.) 

4.  Quia  quod  nolum  est  Dei,  manifestum  est  illis  :  Deus  enim  illis  mani- 
festavit....  Qui  cum  cognovissent  Deum  non  sicut  Deum  glorificaverunt....  ita 
ut  sint  inexcusabiles.  (/.  Cor.^  10-21.) 

b.  Confugiendum  est  ad  eorum  praecepta  quos  sapientes  fuisse  probabile 
est.  (S.  AuGUST.,  lib.  I  de  Morihus  ÉccL,  cap.  vu.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE   DE   JÉSOS-CHRIST.  113 

qu'il  se  connaît  lui-même.  Le  raisonnement  de  ces  hérétiques  était 
celui-ci  :  Dieu,  parce  qu'il  est  infiniment  simple,  doit  être  ou  par- 
faitement connu,  ou  complètement  inconnu,  puisque  savoir  quel- 
que chose  de  lui,  c'est  le  connaître  tout  entier;  or,  il  n'est  pas 
complètement  inconnu  à  l'intelligence  humaine,  puisqu'elle  a  quel- 
que idée  de  lui  et  de  ses  perfections,  grâce  aux  lumières  naturelles, 
aidées,  si  l'on  veut,  de  la  révélation.  Elle  le  connaît  donc  et,  par 
conséquent,  le  connaît  parfaitement  et  tel  qu'il  se  connaît  lui-même. 
Ils  en  concluaient  que  la  vie  éternelle  était  leur  partage  assuré  ^ 

Il  était  aisé  de  répondre  que  Dieu,  à  cause  de  sa  simplicité 
infinie,  est  absolument  insaisissable  et  incompréhensible  en  son 
essence,  pour  l'intelligence  des  créatures  réduites  à  elles-mêmes  ; 
mais  ce  Dieu  infiniment  simple  manifeste  de  mille  manières  son 
existence  et  ses  principaux  attributs.  Il  n'est  aucunement  néces- 
saire à  l'être  intelligent  de  voir  Dieu  en  lui-même,  à  plus  forte  rai- 
son de  le  comprendre,  pour  savoir  qu'il  existe,  qu'il  est  puissant, 
qu'il  est  un,  qu'il  est  sage,  éternel.  On  peut  savoir  et  de  fait  on 
sait  de  Dieu  beaucoup  de  choses  ;  celles  plus  nombreuses  encore 
que  l'on  ne  connaît  pas  n'empêchent  point  l'intelligence  de  saisir 
les  premières.  Aussi  l'Église  a-t-elle  prononcé  l'anathème  contre 
cette  erreur  :  «  Toute  nature  intelligente  est  naturellement  bien- 
0  heureuse  en  elle-même,  et  l'âme  n'a  pas  besoin  de  la  lumière 
«  de  la  gloire  pour  être  élevée  jusqu'à  Dieu,  le  voir  et  jouir  heu- 
«  reusement  de  lui  -.  » 

La  Sainte  Écriture  ne  laisse  planer  aucun  doute  sur  cette  ques- 
tion. Nous  lisons  dans  l'Évangile  de  S.  Matthieu  ces  paroles  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même  :  «  Nul  ne  connaît  le  Fils, 
<i  si  ce  n'est  le  Père;  et  nul  ne  connaît  le  Père,  si  ce  n'est  le  Fils, 
«  et  celui  à  qui  le  Fils  aura  voulu  le  révéler  •'.  »  Une  révélation 

d.  Cum  enim  in  eos  aliquid  inciderit,  ac  de  mandatis  Dei  inentionem  fecerit, 
hoc  quod  ab  illo  profectum  est  usurpant  dictum  :  Nihil  est  aliud,  quod  Deus  a 
nobis  requirat,  nisi  ut  cognoscamus  ipsum  tantum.  Quemadmodum  Christus 
dixit  his  verbis  :  Da  ipsis,  Pater,  habere  in  se  vilain.  IIxc  est  aulem  vita,  ut 
cognoscaîit  tesolum  verum  Deum  et  quem  misisti  Jesum  Christiim.  (S.  ëpiphan., 
Hxr.,  Lxxvi,  n.  4.) 

-2.  Quailibet  intellectualis  natura,  in  seipsa  naturalitcr  est  beata,  et  anima 
non  indiget  lumine  gloriae  ipsum  élevante  ad  Deum  videndum  et  eo  béate 
fruendum.  {Concil.  Vienn.  Artic.  Y  errorum  Begg.  Vide  Glementinam  ad  nos- 
trum,  de  Jlaereticis,  lib.  V,  tit.  3.) 

'.i.  Nemo  novit  Kiliuni  nisi  Pater,  neque  Patrem  quis  novit  nisi  P'ilius,  et 
cui  voluerit  Filius  revelare.  {Matth.,  xii,  27.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  8 


il4         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  lU. 

particulière  est  donc  nécessaire  à  toute  intelligence  pour  connaître 
Dieu,  tel  qu'il  est,  pour  le  voir  comme  voient  les  esprits,  et  personne 
n'a  le  droit  de  prétendre  arriver  jusqu'ù  lui  par  ses  propres  forces. 
A  la  rigueur,  l'intelligence  humaine  peut  reconnaître,  ou  du  moins 
soupçonner  l'existence  de  Dieu  et  môme  quelque  chose  de  ses  attri- 
buts ;  mais  le  connaître  lui-même  dans  son  être  divin,  le  voir, 
Jésus-Christ  nous  déclare  que  nulle  créature  ne  le  peut,  à  moins 
d'une  lumière  particulière  qu'il  donne  à  qui  il  veut.  S.  Paul  nous 
affirme  que  «  la  vie  éternelle  dans  le  Christ  Jésus  Notre-Seigneur 
t  est  une  iirAce  de  Dieu  '.  »  Serait-elle  une  grâce  si  les  forces  natu- 
relles suffisaient  pour  y  atteindre?  Il  nous  dit  que  nous  ne  con- 
naissons Dieu  que  très  imparfaitement,  ex  parte  cognoscimus  -, 
que  c'est  la  foi  qui  nous  guide  et  non  pas  la  claire  vue  de  Dieu  : 
Per  fit/eni  enini  (mibulamus  et  non  per  speciem  3.  S.  Jean  nous 
promet  que  lorsque  Dieu  se  montrera  à  nous,  nous  lui  serons  sem- 
blables, parce  que  nous  le  verrons  tel  qu'il  est  :  Scimus  quoniam 
cum  apparue)  it  similes  ei  erimus,  quoniam  videbimus  eum 
sicuti  est  *.  S.  Paul,  pour  revenir  à  lui,  nous  dit  encore  que  nul 
d'entre  les  hommes  n'a  vu  Dieu  ni  ne  peut  le  voir  :  Quem  nullus 
hominuin  vidit  :  sed  nec  videre  potest  ^. 

Est-il  nécessaire  d'ajouter  quelque  chose  à  tant  de  textes?  Nous 
dirons  seulement  que  tout  ce  que  nous  pouvons  connaître  ici-bas, 
c'est  au  moyen  des  sens  que  nous  le  connaissons.  Ce  qui  est  pure- 
ment spirituel,  ce  qui  ne  tombe  en  aucune  manière  sous  les  sens, 
nous  ne  le  connaissons  que  par  déduction,  au  moyen  des  effets 
qu'il  produit.  Mais  il  nous  est  impossible  d'aller  plus  loin  et 
de  pénétrer  jusqu'à  l'essence  des  êtres  spirituels,  à  plus  forte 
raison  jusqu'à  l'être  de  Dieu,  esprit  infiniment  pur  et  infiniment 
simple.  En  vertu  de  nos  forces  naturelles,  nous  connaîtrons  bien 
quelque  chose  de  lui.  Nous  pourrons  entrevoir  l'infinité  de  sa  gran- 
deur et  de  ses  attributs,  mais  nous  ne  le  connaîtrons  pas  autant 
qu'il  peut  être  connu  ^.  La  révélation  môme  n'élèvera  pas  assez 

i.  Gratia  autem  Dei,  vita  aeterna,  in  Chrislo  Jesu  Domino  nostro.  {Rom., 
VI,  23.) 

2,  /.  Cor.,  XIII,  '.).  —  3.  IL  Cor.,  v,  7,  -  A.  I.  Joann.,  m,  2.  —  fi.  J.  Tim., 
VI,  16. 

6.  Nobis  qui  terrae  vincti  sumus,  crassaque  hac  carne  obtegimur,  hoc  pers- 
picuum  est,  quomadniodum  fieri  nequit  omnino  ut  quis  umbram  suam 
transcendât,  quantumvis  festinet.  Tantumdem  enim  semper  anteverlit,  quan- 
tum eam  assequaris.  Ita  etiam  impossibile  est  lis  qui  sunt  in  corpore,  absque 


AUTRES   ATTRIBUTS   DE    LA    NATURE    DIVINE    DE  JÉSUS-CURIST.  115 

haut  notre  intelligence  pour  que  notre  connaissance  soit  parfaite. 
Il  faut  quelque  chose  de  plus;  il  faut  ce  que  Dieu  donne  aux  anges 
et  aux  saints  dans  le  ciel. 

L'incompréhensibilité  de  Dieu  n'existe  pas  seulement  pour  les 
hommes  et  les  anges  réduits  à  leurs  forces  naturelles,  mais  l'état 
surnaturel  auquel  les  esprits  bienheureux  et  les  saints  du  ciel  sont 
élevés  ne  leur  confère  pas  le  pouvoir  de  comprendre  Dieu  ;  tel 
est  l'avis  général  des  théologiens.  Le  concile  de  Bàle  refuse  cette 
compréhension  à  l'àme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même, 
malgré  son  union  hypostatique  avec  la  divinité.  «  Dieu  est  incom- 
«  préhensible  à  l'entendement,  dit  Lessius,  parce  qu'aucun  esprit 
«  créé,  même  avec  la  lumière  de'la  gloire,  quelque  grande  qu'elle 
«  soit,  ne  peut  le  comprendre,  c'est-à-dire  le  connaître  de  telle 
«  sorte  que  rien  de  ce  qu'il  est  ne  demeure  caché  à  celui  qui  le 
«  contemple  et  le  connaît,  car  il  restera  toujours  une  infinité  de 
«  choses,  et  même  une  infinité  d'infinités  qu'il  ne  saurait  connaître 
«  ni  concevoir  distinctement;  savoir  :  une  infinité  de  notions  et  de 
«  connaissance  des  choses,  une  infinité  de  complaisances  qui  se 
«  rapportent  aux  choses  possibles,  une  infinité  de  décrets,  princi- 
er paiement  de  décrets  conditionnels,  une  infinité  de  manières  par 
«  lesquelles  l'essence  divine  peut  être  imitée.  Et  quand  bien  même 
«  un  esprit  créé  verrait  toutes  ces  choses  distinctement  en  Dieu, 
«  à  l'aide  de  quelque  lumière  très  élevée  de  la  gloire,  telle  que 
«  l'âme  de  Jésus-Christ  (ce  qui  est  absolument  impossible),  Dieu 
«  cependant  ne  serait  pas  encore  proprement  compris  par  cet  es- 
«  prit,  parce  que  cette  connaissance,  par  la  clarté,  n'égalerait  pas 
«  l'essence  divine  et  qu'elle  ne  parviendrait  pas  à  connaître  Dieu 
«  aussi  parfaitement  et  aussi  clairement  qu'il  peut  être  connu, 
«  mais  qu'elle  resterait  infiniment  au-dessous  de  cette  clarté,  at- 
«  tendu  qu'elle  serait  essentiellement  finie  ^.  » 

La  Sainte  Écriture  affirme  explicitement,  en  plusieurs  passages, 
l'incompréhensibilité  de  Dieu. 

On  lit  dans  le  prophète  Jérémie  cette  apostrophe  qu'il  adresse  au 
Seigneur  :  e  Vous  êtes  grand  dans  votre  conseil  et  incompréhen- 

corporeis  rébus,  cum  intelligentibus  omnino  copulari.  (S.  Gregor.  Nazianz., 
orat.  XXXIV.) 

Hic  est  de  quo  et  cum  dicitur,  non  potest  dici  ;  cum  œstimatur,  non  potest 
œslimari  ;  cum  comparatur,  non  potest  comparari;  cum  detinilur,  ipsa  sua 
definitione  crescit.  (S.  Ambros.,  de  Divin.  Fiiii,  cap.  vi.) 

i.  Lessius,  les  Noms  divins,  eh.  xi,  traduction  du  P.  M.  Bouix. 


116         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.   '-  CHAP.   III. 

«  sible  à  la  pensée  ^  »  La  plupart  des  commentateurs  rapportent 
l'incompréhensibilité  dont  parle  le  prophète  à  la  substance  divine, 
que  la  pensée  d'une  intelligence  créée  ne  saurait  saisir  dans  sa 
plénitude.  Mais  s'il  était  vrai,  comme  plusieurs  autres  le  donnentà 
entendre,  en  particulier  l'abbé  Glaire,  en  s'appuyant  sur  les  ver- 
sions grecque,  hébraïque  et  chaldaïque,  qu'il  s'agisse  de  l'incom- 
préhensibilité des  pensées  de  Dieu,  et  qu'il  faille  traduire,  dans 
vos  pensées,  et  non  à  la  pensée,  la  preuve  que  nous  cherchons 
n'en  sei*ait  pas  moins  évidente,  puisque lesdesseins  de  Dieu  et  ses 
pensées  ne  sont  qu'un  avec  sa  divine  essence.  Si  les  pensées  di- 
vines sont  incompréhensibles,  quoiqu'elles  se  manifestent  par  des 
effets  extérieurs,  comment  l'essehce  elle-même  de  Dieu  pourrait- 
elle  ne  pas  l'être?  Dans  le  livre  de  Job,  Sophar,  un  des  amis  du 
saint  patriarche,  venupour  le  consoler,  fait  un  magnifique  tableau 
de  la  grandeur  incompréhensible  de  Dieu.  Il  dit  :  «  Découvriras- 
«  tu  par  hasard  les  traces  de  Dieu,  et  atteindras-tu  parfaitement 
«  jusqu'au  Tout-Puissant?  11  est  plus  élevé  que  le  ciel;  que  feras- 
€  tu  donc  ?  Il  est  plus  profond  que  l'enfer;  comment  donc  le  con- 
«  naitras-tu  2?  »  Plus  loin  c'est  Élie  qui  parle.  Il  fait  l'éloge  de  la 
justice  de  Dieu  et  il  ajoute  :  «  Qui  pourra  scruter  ses  voies?  ou  qui 
«  peut  lui  dire  :  Vous  avez  commis  une  iniquité  ?  Souviens-toi  que 
«  tu  ignores  son  œuvre  que  les  hommes  ont  chantée.  Tous  les 
€  hommes  le  voient  ;  chacun  le  considère  de  loin.  Vois  donc  !  Dieu 
€  est  grand;  il  surpasse  notre  science  et  le  nombre  de  ses  années 
€  est  incalculable  ^.  »  Sans  doute  on  pourrait  objecter  à  ces  textes 
qu'ils  n'ont  rien  d'absolument  précis,  et  qu'il  serait  difficile  d'en 
tirer  un  argument  selon  toutes  les  règles  de  la  logique,  en  faveur 
de  l'incompréhensibilité  de  Dieu  :  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
cettevéritéen  ressort  pour  quiconque  les  lit  simplement  et  sans  pré- 
vention contraire.  On  peut  en  dire  autant  du  psaume  xci"  de  David, 
dont  nous  ne  citerons  que  ces  mots  :  «  Que  vos  œuvres  sont  ma- 

i.  Magnus  consilio  et  incomprchensibilis  cogitatu.  {Jerem.,  xxxii,  19.) 
il.  Forsitan  vestigia  Dei  comprchendes,  et  usque  ad  perfectum  Omnipoten- 
lem  reperies  ?  Excel.sior  cœlo  est,  et  quid  faciès?  profundior  inferno,  et  unde 
cognosccs  ?  {Joh,  XI,  7,  8.) 

3.  Quis  poterit  scrutari  vias  ejus?  aut  quis  potest  ei  dicere  :  operatus  es 
iniquitatem.  Mémento  quod  ignores  opus  ejus,  de  quo  cecinerunt  viri.  Omnes 
homines  vident  eum,  unusquisque  intuetur  procul.  Ecce,  Deus  magnus 
vincens  scientiam  :  numerus  annorum  ejus  inaestimabilis.  (Job,  xxxvi, 
23-26.) 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  117 

«  gnifiques,  Seigneur  !  Vos  pensées  sont  infiniment  profondes  '.  » 
Il  faut  rappeler  aussi  le  cri  d'admiration  de  S.  Paul  :  «  0  profon- 

<  deur  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu  !  Que  ses 
«  jugements  sont  incompréhensibles,  et  ses  voies  impénétrables  î 
«  car  qui  a  connu  la  pensée  du  Seigneur  -  ?  »  Et  ce  qu'il  écrit  à 
son  disciple  Timothée,  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  «  possède 
«  seul  l'immortalité,  et  qu'il  habite  une  lumière  inaccessible; 
«  qu'aucun  homme  n'a  vu  ni  ne  peut  voir;  à  qui  honneur  et  em- 
€  pire  éternel  ^.  » 

Les  Pères  ont  souvent  affirmé  l'incompréhensibilité  de  Dieu.  On 
pourrait  citer  de  nombreuses  pages  de  S.  Jean  Ghrysostome  dé- 
fendant ce  dogme  contre  les  hérétiques.  Six  de  ses  homélies  contre 
les  Anoméens  roulent  sur  ce  sujet,  et  plusieurs  passages  des  six 
autres  y  ont  aussi  rapport.  Il  prouveque  Dieu  est  incompréhensible, 
non  seulement  dans  son  essence  mais  dans  sa  providence  ;  que 
c'est  impiété  et  folie  de  prétendre  comprendre  Dieu  ;  que  losanges 
eux-mêmes  ne  le  comprennent  pas,  mais  que  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  comprennent  parfaitement  le  Père.  Il  faut  lire  en  entier  ces 
discours  si  remplis  de  doctrine  et  nous  y  renvoyons  le  lecteur. 
Citons  cependant  une  ou  deux  pages  de  la  première  homélie  contre 
les  Anoméens,  dans  laquelle  S.  Chrysostome  prouve  l'incompré- 
hensibilité de  Dieu,  en  s'appuyant  sur  différents  textes  du  psal- 
miste  et  de  S.  Paul.  Il  rappelle  d'abord  ces  paroles  de  David  :  «  Je 
«  vous  louerai,  mon  Dieu,  parce  que  votre  grandeur  est  effrayante. 
«  Vos  ouvrages  sont  admirables.  Votre  science  est  merveilleuse- 
«  ment  élevée  au-dessus  de  moi  ;  elle  me  surpasse  infiniment,  et 
«  je  ne  puis  y  atteindre  *  ;  »  puis  il  dit  :  «  Voyez  l'humble  recon- 
«  naissance  d'un  serviteur  docile.  Je  vous  rends  grâces,  mon  Dieu, 

<  dit  David,  de  ce  que  vous  êtes  pour  moi  un  maître  incompré- 
«  hensible.  Il  ne  parle  pas  de  l'essence  divine,  il  n'en  dit  rien  parce 
«  qu'elle  est  reconnue  comme  incompréhensible;  mais  parlant  de 

1.  Quam  magnificata  sunt  opéra  tua,  Domine!  nimis  profundae  factae  sunt 
cogitationes  tuae.  (Ps.  xci,  6.) 

2.  0  altitudo  divitiarum  sapientiae  et  scientiae  Dei  !  quam  incomprehensibi- 
lia  sunt  judicia  ejus.  Quis  enim  cognovit  sensum  Domini?  (Mom.,  \i,  33,  34.) 

3.  Qui  solus  habet  immortalitatcm  et  luccm  inliabitat  inaccessibilem  : 
quem  nullus  hominum  vidit,  sed  nec  videre  potest;  cui  honor,  et  imperium 
sempiternum.(/.  'Aw.,  vi,  U\.) 

■4.  Confitebor  tibi  quia  terribiliter  magnificatus  es;  inirabilia  opéra  tua. 
Mirabilis  facta  est  scientia  tua  ex  me;  conforlala  est  et  non  potero  ad  eam. 
{Ps.  cxxxvii,  13,  ti.) 


118         LA  SAINTE   EUCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.    IH. 

la  présence  de  Dieu  partout,  il  fait  voir  qu'il  ignore  comment 
Dieu  est  présent  partout.  Pour  prouver  que  c'est  là  l'objet  qu'il 
a  en  vue,  écoutez  la  suite  de  ses  dernières  paroles  :  Si  je  mo7ite 
au  ciel,  vous  y  êtes;  si  je  descends  dans  les  enfers,  vous  y 
êtes  encore.  Vous  voyez  comme  Dieu  est  présent  partout.  Mais 
le  prophète  en  ignore  la  raison  :  il  est  ébloui,  embarrassé,  ef- 
frayé de  cette  seule  idée.  N'est-ce  donc  pas  une  folie  extrême 
que  des  hommes  qui  sont  bien  éloignés  d'être  gratifiés  des 
mêmes  faveurs,  entreprennent  de  scruter  l'essence  divine 
elle-même?  Le  même  David  dit  dans  un  de  ses  psaumes  :  Vous 
m  avez  révélé  les  secrets  et  les  mystères  de  votre  sagesse  ^ 
Lui  cependant,  qui  avait  appris  les  secrets  de  la  sagesse  de 
Dieu,  dit  de  cette  même  sagesse  qu'elle  est  immense  et  incom- 
préhensible :  Le  Seigneur  est  vraiment  grand,  dit-il;  sa  puis- 
sance est  infinie,  sa  sagesse  n'a  pas  de  bornes  ~.  —  Sa  sagesse 
n'a  pas  de  bornes,  c'est-à-dire  qu'il  est  impossible  de  la  com- 
prendre. Comment,  je  vous  prie  ?  La  sagesse  de  Dieu  est  incom- 
préhensible pour  le  prophète,  et  son  essence  serait  compréhen- 
sible pour  nous!  n'est-ce  point  une  folie  manifeste?  Sa  grandeur 
n'a  point  de  limites,  et  vous  prétendez  circonscrire  son  es- 
sence ! 

«  Poussons  l'hérétique  dans  ses  derniers  retranchements,  et  ne 
le  laissons  point  partir  sans  le  convaincre.  Demandons-lui  ce  que 
veut  dire  S.  Paul  par  ces  mots  :  Ce  que  nous  avons  mainte- 
nant de  science  et  de  prophétie  est  très  imparfait  3.  Il  ne 
parle  pas,  dit-il,  de  l'essence  de  Dieu,  mais  de  ses  desseins.  S'il 
parle  des  desseins  de  Dieu,  notre  victoire  sera  beaucoup  plus 
complète  ;  car  si  les  desseins  de  Dieu  sont  incompréhensibles, 
à  plus  forte  raison  l'est-il  lui-même.  Mais  pour  preuve  que  l'A- 
pôtre ne  parle  pas  ici  des  desseins  de  Dieu,  mais  de  Dieu  lui- 
même,  écoutons  la  suite  du  passage.  Après  avoir  dit  :  Ce  que 
nous  avons  maintenant  de  science  et  de  prophétie  est  très 
imparfait,  il  ajoute  :  Je  ne  connais  maintenant  Dieu  qu'im- 
parfaitement et  en  partie  ;  mais  alors  je  le  connaîtrai  comme 

1.  Incerta  et  occulta  sapientiae  tu«e  manifestasti  mihi.  {Ps.  L,  8.) 

2.  Magnus  Dorninus  noster  et  magna  virlus  ejus,  et  sapientiae  ejus  non  est 
numerus.  (Ps.  CXLVI,  ii.) 

.'J.    Ex  parle  enim    cognoscimus,  et  ex    parte   prophetamus.    (/.   Coi\, 
XIII,  9.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE   DE   JÉSOS-CIIRIST.  119 

«  je  suis  connu  moi-même  '.  De  qui  connu?  Est-ce  de  Dieu  ou 
«  de  ses  desseins?  c'est  de  Dieu,  sans  doute  :  c'est  donc  Dieu 
<(  qu'il  ne  connaît  qu'imparfaitement  et  en  partie.  Quand  il  dit  en 
«  partie,  ce  n'est  pas  qu'il  connaisse  une  partie  de  l'essence  divine 
«  et  qu'il  ignore  l'autre;  car  Dieu  est  un  être  simple  :  mais  voici 
<r  le  développement  de  sa  pensée.  S'il  sait  que  Dieu  existe,  il 
a  ignore  quelle  est  son  essence  ;  s'il  sait  qu'il  est  sage,  il  ignore 
«  quelle  est  l'étendue  de  sa  sagesse  ;  s'il  n'ignore  point  qu'il  est 
«  grand,  il  ne  connaît  point  les  limites  de  sa  grandeur;  s'il  sait 
«  qu'il  est  partout,  il  ne  sait  pas  comment  il  remplit  tout  de  sa 
a  présence;  s'il  sait  que  sa  providence  s'étend  sur  tout  et  gou- 
«  verne  tout  dans  le  plus  grand  détail,  il  ignore  de  quelle  manière  ; 
a  voilà  pourquoi  il  a  dit  :  Ce  que  nous  avons  maintenant  de 
«  science  et  de  prophétie  est  très  imparfait. 

«  Mais  laissant  l'Apôtre  et  les  prophètes,  transportons-nous,  si 
«  vous  le  voulez,  dans  les  cieux,  et  voyons  si  là  même  il  est  des 
a  êtres  qui  comprennent  l'essence  divine.  Quand  il  y  aurait  de 
«  pareils  êtres,  ils  n'auraient  rien  de  commun  avec  nous,  vu  la 
«  grande  distance  qui  se  trouve  entre  les  anges  et  les  hommes  ; 
«  mais  pour  vous  instruire  par  surcroît,  pour  vous  apprendre  que 
«  même  dans  le  ciel  il  n'est  point  de  puissance  créée  qui  con- 
«  naisse  Dieu  parfaitement,  écoutons  les  anges  eux-mêmes.  Par- 
«  lent-ils  entre  eux  et  dissertent-ils  sur  l'essence  du  Très-Haut? 
«  Point  du  tout.  Que  font-ils  donc?  Pénétrés  de  frayeur  et  de  res- 
«  pect,  ils  le  glorifient,  l'adorent,  lui  adressent  continuellement 
«  des  hymnes  triomphales  et  des  chants  mystiques.  Les  uns  lui 
«  disent  :  Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  cieux  -.  Les  Séraphins 
a  s'écrient  :  Saint,  saint,  saint  ^  ;  ils  se  couvrent  le  visage,  et  ne 
♦  peuvent  même  soutenir  les  regards  d'un  Dieu  qui  tempère  sa 
«  gloire.  Les  Chérubins  font  retentir  ces  paroles  :  Bénie  soit  la 
«  gloire  du  Seigneur,  du  lieu  où  il  réside  ^.  » 

Un  peu  plus  loin,  le  saint  docteur  continue  :  «  Vous  voyez  quelle 
«  crainte  et  quel  respect  le  ciel  a  pour  le  souverain  Être,  et  com- 
«  bien  peu  la  terre  le  craint  et  le  respecte.  Les  anges  le  glorifient, 

\.  Nunc  cognosco  ex  parte  :  tune  autem  cognoscam  sicut  et  cognitus  sum. 
[1.  Cor.,  XIII,  12.) 

2.  Gloria  in  excelsis  Deo.  {Iaic,  ii,  li.) 

3.  Sanctus,  Sanctus,  Sanctus.  (/s.,  vi,  3.) 

4.  Benedicta  gloria  Domini  de  loco  suo.  {Ezech.,  m,  12.) 


120         LA    SAINTE    EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   III. 

<  les  hommes  veulent  scruter  sa  nature;  les  anges  le  bénissent, 
•  les  hommes  prétendent  le  connaître  ;  les  anges  se  couvrent  le 
€  visage  en  sa  présence,  les  hommes,  sans  nulle  pudeur,  osent 
€  porter  leurs  regards  sur  sa  gloire  ineffable  '.  » 

Dans  les  homélies  suivantes  S.  Ghrysostome  continue,  avec  son 
éloquence  incomparable  et  une  force  irrésistible,  la  preuve  de  la 
même  vérité  ;  aussi  peut-il  conclure,  dès  la  quatrième  :  «  J'ai  tenu 
€  la  promesse  que  je  vous  ai  faite  en  commençant  ;  j'ai  prouvé, 
«  je  crois,  avec  la  dernière  évidence,  que  l'essence  de  Dieu  est  in- 
€  compréhensible  à  toute  créature.  » 

Ces  magnifiques  témoignages  de  S.Jean  Ghrysostome  suffisent 
amplement  pour  faire  connaître  quelle  était  la  doctrine  de  l'Église 
de  son  temps,  doctrine  qu'il  avait  reçue  de  ses  pères  dans  la  foi,  et 
que  ceux  qui  l'ont  suivi  ont  toujours  fidèlement  gardée,  il  est  bon 
cependant  d'y  ajouter  ne  fût-ce  que  quelques  lignes  de  S.  Augustin. 

Nous  lisons  dans  le  premier  sermon  sur  l'Évangile  de  S.  Jean  : 
«  Nous  parlons  de  Dieu  :  pourquoi  vous  étonner  si  vous  ne  com- 
«  prenez  pas?  Si  vous  le  compreniez  en  effet,  il  faudrait  dire  qu'il 
«  n'est  pas  Dieu.  .Mieux  vaut  confesser  simplement  notre  igno- 
«  rance  que  vouloir  étaler  une  science  téméraire.  S'élever  jus- 
t  qu'à  saisir  quelque  chose  de  Dieu,  par  la  pensée,  c'est  un 
«  bonheur  inestimable  ;  mais  le  comprendre  est  impossible  -.  » 

Dans  l'explication  du  psaume  cxlvi,  S.  Augustin  revient  en  ces 
termes  sur  la  même  pensée  :  «  Parce  qu'il  n'y  a  pas  de  bornes  à  la 
«  grandeur  de  Dieu  :  Magnitudinis  ejus  non  est  finis,  nous  de- 
«  vons  le  louer,  bien  que  nous  ne  le  comprenions  pas.  Si  nous  le 
«  comprenions,  il  ne  serait  plus  vrai  que  sa  grandeur  n'a  pas  de 
«  bornes;  si  elle  n'a  pas  de  bornes,  nous  pouvons  bien  en  con- 
«  naître  quelque  chose,  mais  non  pas  comprendre  Dieu  tout  en- 
«  tier  y.  » 

1.  Nous  avons  emprunté  la  traduction  de  ces  pages  de  S.  Jean  Ghrysostome 
à  l'excellente  traduction  de  M.  Jeannin. 

2.  De  Dco  loquimur,  quid  mirum,  si  non  comprehendis?  Si  enim  compre- 
hendis,  non  est  Deus.  Sit  pia  confessio  ignorantiae  magis  quam  temeraria 
professio  scientiœ.  Attingere  aliquantum  mente  Deum,  magna  beatitudo  est  : 
compreliendere  autem,  omnino  impossibile.  (S.  August.,  serm.  CXVII,  de 
Verbis  Evang.  Joann.,  i,  n.  li.) 

3.  Verumtamen  quia  Magniludinis  ejus  non  est  fmis,  et  eum  quem  non 
capimus,  Inudare  debemus;  si  enim  capimus,  magnitudinis  ejus  est  finis  :  si 
autem  magniludinis  ejus  non  est  finis,  capere  ex  eo  aliquid  possumus,  Deum 
tamen  totum  cnpere  non  possumus.  (S.  August.,  Enarr.  in  Ps.  cxliv,  n.  0.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  121 

Dans  la  Cité  de  Dieu,  il  nous  rapporte  l'opinion  de  Platon  sur 
l'incompréhensibilité  de  la  nature  divine.  Dieu,  disait  ce  philo- 
sophe, est  le  seul  être  que  la  parole  humaine  se  reconnaisse  im- 
puissante à  décrire  tant  soit  peu.  A  peine  est-il  donné  aux  plus 
sages,  lorsque,  par  la  vigueur  de  leur  pensée,  ils  se  sont,  autant 
qu'on  le  peut,  dégagés  de  l'influence  des  sens,  d'entrevoir  quelque 
chose  de  ce  Dieu  ;  encore  cette  lumière  est-elle  intermittente  et 
semblable  à  un  éclair  brillant  au  milieu  des  ténèbres  ^ 

L'incompréhensibilité  de  Dieu  a  donc  été  soupçonnée  par  la  phi- 
losophie ancienne  ;  elle  a  été  admise  et  défendue  contre  les  héré- 
tiques par  les  Pères  et  les  docteurs  dont  nous  avons  appelé  en  té- 
moignage deux  des  plus  illustres,  comme  représentants  de  toute 
la  tradition  ^  ;  elle  a  été  proclamée  comme  une  vérité  de  foi  par  la 

1.  Sic  a  Platone  praedicari  asseverat,  quod  «  Ipse  sit  solus  qui  non  possit 
penuria  sermonis  humani  quavis  oratione  vel  modice  comprehendi;  vix  au- 
tem  sapientibus  viris,  cum  se  vigore  animi,  quantum  liquit,  a  corpore  remo- 
verint,  intellectum  hujus  Dei,  et  id  quoque  interdum,  velut  in  altissimis  tene- 
bris  rapidissimo  coruscamine  lumen  candidum  intermicare.  (Apuleius  in  lib. 
de  Deo  Sacral is,  apud  S.  August.,  de  Civil.  Dei,  lib.  XI,  cap.  xvi.) 

2.  A  ces  citations  des  Pères  nous  ajouterons  les  deux  ou  trois  suivantes  : 
Si  autem  plenitudinem  et  magnitudinem  m.anus  ejus  non  comprehendit 

homo,  quemadmodum  poterit  quis  intelligere  aut  cognoscere  in  corde  tam 
magnum  Deum?....  Quoniam  autem  magnitudinem  Dei  ex  his  quae  facta 
sunt,  nemo  enarrare  potest,  hoc  omnibus  manifestum  est  :  et  quoniam  ma- 
gnitudo  ejus  non  déficit,  sed  omnia  continet,  et  pervenit  usque  ad  nos,  et 
nobiscum  est,  omnis  quicumque  digne  Deo  sapit  confitebitur. 

Igitur  secundum  magnitudinem  non  est  cognoscere  Deura.  Impossibile  est 
enim  mensurari  Patrem.  (S.  Iren.,  lib.  IV  contra  Hxres.,  cap.  xix,  3,  et 
XX,  1.) 

Atque  hœc  senserim  potius  de  Pâtre,  quam  dixerim  :  nam  me  non  fugit, 
quod  ad  ea  quag  ejus  sunt  eloquenda,  sermo  omnis  infirmus  sit.  Sentiendus 
est  invisibilis,  incomprehensibilis,  geternus.  Caeterum  ipsum  quod  in  seinet- 
ipso,  et  a  semetipso  sit  et  per  se  sit;  quod  invisibilis,  et  incomprehensibilis, 
et  immortalis  :  in  his  quidam  honoris  confessio,  et  sensus  significatio,  et 
quaedam  circumscriptio  opinandi,  sed  naturœ  ssrmo  succumbit,  et  rem  ut  est 
verba  non  explicant....  Déficit  ergo  in  nuncupatione  confessio,  et  quidquid 
illud  sermonum  optabitur,  Deum  ut  est  quantusque  est,  non  eloquetur.  Per- 
fecta  scientia  est  sic  Deum  scire,  ut  licet  non  ignorabilem,  tamen  inenarra- 
bilem  scias.  Credendus  est,  intelligendus  est.  adorandus  est  :  et  his  officiis 
eloquendus.  (S.  Hilar.,  lib.  II  de  Trinil.,  n.  7.) 

Confirmât  Evangelista  Dei  esse  naturam  omnimodo  invisibilem  ubi  ait  : 
Deum  nemo  vidit  nnquam  ;  quia  plenitudinem  divinitatis,  quae  i'\  ^eo  est 
nemo  mente  comprehendit.  Nec  enim  angelicae  naturae  comprehensibilis  est 
Deus;  quia  vere  incomprehensibilis  dicitur.  Sed  secundum  mensuram  dona- 
tionis  Dei,  ila  Deum  vel  angeli,  vel  animae  sanctorum  intelligunt.  Proinde 
quamvis  usque  adaequalitatem  angelicam  humana  postresurrectionem  natura 
proficiat,  et  ad  contemplandum  Deum  glorificata  consurgat,  videre  tamen  ejus 


122         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   11°  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —     CHAP.  III. 

sainte  Église  réunie  en  concile  ;  nous  avons  vu  qu'elle  trouve  dans 
la  Sainte  Écriture  les  fondements  les  plus  solides  ;  il  ne  nous  reste 
plus  qu'à  exposer  ce  que  les  lumières  de  la  raison  éclairée  par  la 
foi  peuvent  ajouter  à  tant  d'autorités  irrécusables. 

S.  Thomas  ne  demande  même  pas  si  les  hommes  vivant  sur  la 
terre  peuvent  comprendre  l'essence  de  Dieu.  Ils  ne  voient  pas  cette 
divine  essence,  comment  pourraient-ils  s'élever  jusqu'à  la  com- 
prendre? Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  anges  bienheureux  et 
des  saints  du  ciel  ;  ils  voient  Dieu  face  à  face  dans  toute  sa  gloire  : 
le  comprennent-ils?  Nous  avons  déjà  répondu  négativement,  mais 
voici  la  raison  que  S.  Thomas  en  donne. 

D'après  S.  Augustin,  il  est  absolument  impossible  à  une  intelli- 
gence créée  de  comprendre  Dieu,  et  c'est  déjà  un  grand  bonheur 
pour  elle  d'avoir  de  lui  quelque  connaissance.  Pour  mettre  en 
évidence  ce  principe,  il  suffit  de  rappeler  que  l'on  ne  comprend 
une  chose  que  si  on  la  connaît  parfaitement,  c'est-à-dire  autant 
qu'elle  est  susceptible  d'être  connue  ;  ainsi  savoir  et  pouvoir  démon- 
trer que  les  trois  angles  d'un  triangle  sont  égaux  à  deux  angles 
droits,  c'est  comprendre  ce  qu'un  triangle  est  en  lui-même,  car 
c'est  savoir  de  lui  tout  ce  qui  constitue  son  être.  Mais  nulle  intel- 
ligence créée  ne  peut  s'élever  jusqu'à  cette  connaissance  complète 
de  l'être  divin  ;  nulle  ne  peut  le  connaître  autant  qu'il  peut  être 
connu.  Pourquoi?  Parce  que  l'être  de  Dieu  est  l'infini  réalisé,  tou- 
jours en  acte.  La  connaissance  qu'il  est  possible  d'avoir  de  lui  est 
donc  une  connaissance  infinie.  Quelle  intelligence  créée,  c'est-à- 
dire  bornée,  peut  posséder  une  connaissance  qui  n'aurait  pas  de 
bornes?  Sans  doute,  les  anges  et  les  bienheureux  voient  Dieu  d'une 
manière  admirable  ;  mais  chacun  d'eux  le  voit  selon  le  degré  de 
lumière  de  gloire  qui  lui  a  été  donné  ;  lumière  mesurée  pour  cha- 
cun, et  reçue  dans  une  intelligence  qui  a  des  limites  '. 

essentiam  plene  non  valet;  sed  unicuique  sanctorurn  ad  suse  sufficientiam 
bealitudinis  manifestabitur  gloria  ejus.  (Albin.  Flacc,  lib.  II  de  Trinitat.y 
cap.  XVI.) 

1.  Utruin  videnles  Deum  per  essentiam,  ipsum  cornprehendant. 

Kespondeo  dicendum  quod  comprehendere  Deum  impossibile  est  intellectui 
creato;  allingere  vero  mente  Deum  qualitercumque  magna  est  béatitude,  ut 
dicit  .\ugustinus.  —  Ad  cujus  evidentiam  sciendum  est  quod  illud  comprehen- 
ditur  quod  perfecte  cognoscitur;  perfecte  autem  cognoscitur  quod  tantum 
cognoscitur,  quantum  est  cognoscibile.  Undc  si  quod  est  cognoscibile  per 
scientiam  deinonstrativam,  opinione  teneatur  ex  aliqua  ratione  probabili  con- 
cepta;  non  comprehenditur.  Puta  si  quod  est  triangulum  babere  très  angulos 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  123 

Les  anges  et  les  saints  du  ciel  ne  comprennent  donc  pas  Dieu 
qu'ils  voient  face  à  face  :  à  plus  forte  raison  les  autres  créatures, 
que  la  lumière  de  la  gloire  n'éclaire  pas  et  qui  ne  voient  toutes 
choses  qu'à  travers  mille  obscurités,  ne  peuvent-elles  pas  le  com- 
prendre. 

Il  faut  ici  admirer  et  plaindre  l'orgueilleuse  folie  des  hommes, 
le  plus  souvent  ignorants,  qui  refusent  de  croire  en  Dieu,  sous  pré- 
texte qu'ils  ne  le  comprennent  pas.  L'intelligence  de  l'homme  est 
bornée  ;  les  moindres  choses  sont  pour  elle  remplies  de  mystères,  et 
elle  voudrait  comprendre  Dieu  !  Nous,  ô  Jésus  !  nous  ne  demandons 
pas  à  comprendre  votre  divine  essence,  mais  nous  savons  que  vous 
êtes  notre  Dieu,  notre  Rédempteur,  notre  Jésus  !  Nous  savons  que 
sur  nos  autels  et  dans  nos  tabernacles,  vous  êtes  notre  Dieu  infi- 
niment grand  et  infiniment  bon.  C'est  assez  pour  nous  :  humble- 
ment prosternés  en  votre  présence,  nous  croyons  en  vous,  nous 
vous  adorons,  nous  espérons  en  vous  et  nous  vous  aimons  de  tout 
notre  cœur. 

IIL 

INVISIBILITÉ    DU    DIEU    DE    l'eUCHARISTIE 

S.  Augustin  nous  dit,  en  parlant  du  bonheur  qui  nous  est  ré- 
servé au  ciel  :  «  Nous  verrons  Dieu,  nous  l'aimerons  et  nous  cclé- 
«  brerons  ses  louanges  :  »  Videbimus,  amabimus,  laudabimus. 
S.  Paul  avait  déclaré  avant  lui  que  nous  verrons  Dieu  face  à  face 
et  tel  qu'il  est  :  Facie  ad  faciem....  sicuti  est.  Comment  donc  la 
Sainte  Écriture  nous  affirme-t-elle,  en  plusieurs  endroits,  que  Dieu 
est  invisible? 

Il  faut  distinguer  ici  ce  qui  est  possible  aux  forces  naturelles  de 

aequales  duobus  rectis,  aliquis  sciât  per  demonstrationem,  comprehendit 
illud.  Si  vero  aliquis  ejus  opinionem  accipiat  probabiliter,  per  hoc  quod  a 
sapieiitibus  vel  pluribus  ita  dicitur,  non  comprehendet  ipsum;  quia  non  per- 
tinget  ad  illum  perfectum  modum  cognitionis  quo  cogniscibilis  est.  Nullus 
autem  intcllectus  creatus  pertingere  potest  ad  illum  perfectum  modum  cogni- 
tionis  divinae  essentiae,  quo  cognoscibilis  est.  Quod  patet.  Inumquodque  enim 
sic  cognoscibile  est,  secundum  quod  est  ens  actu.  Deus  igitur,  cujus  esse  est 
infinilum,  ut  supra  ostensum  est,  infinité  cognoscibilis  est.  Nullus  autem  intel- 
lectus  creatus  potest  Deum  infinité  cognoscere.  In  tantum  enim  inlellectus 
creatus  divinam  essentiani  perfectius  vel  minus  perfecte  cognoscit,  in  quan- 
tum majori  vel  minori  lumine  gloriae  perfunditur.  Cum  igitur  lumen  gloriae 
creatum  in  quocumque  intelleclu  creato  receptum  non  possit  esse  infinitum  ; 
impossibile  est  quod  Deum  comprehendat.  (S.  Tiiom.,  1  p.,  q.  \ii,  art.  7.) 


124         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —  CHAP.  III. 

la  créature,  et  ce  qu'elle  peut  en  certaines  circonstances,  avec  un 
secours  tout  particulier  de  Dieu.  Ce  que  ni  l'homme  ni  l'ange  ne 
peuvent  par  eux-mêmes,  pourquoi  ne  le  pourraient-ils  pas,  lors- 
qu'il n'y  a  pas  contradiction  absolue,  si  Dieu  daigne  leur  en  accor- 
der surnaturellement  la  faveur?  C'est  ce  qui  a  lieu  pour  la  vision 
de  Dieu.  Dieu  est  invisible  pour  les  yeux  corporels  de  l'homme; 
il  est  invisible  pour  toute  intelligence  créée.  Cependant  il  est  vi- 
sible au  ciel  pour  les  saints  et  les  anges,  parce  qu'il  daigne  se  ren- 
dre surnaturellement  visible  aux  créatures  intelligentes  qu'il  a 
tirées  du  néant,  pour  être  leur  éternel  bonheur.  Mais  même  après 
la  résurrection,  les  yeux  de  l'homme  glorifié  ne  verront  pas  l'es- 
sence de  Dieu. 

La  plupart  des  idolâtres  prêtaient  des  corps  à  leurs  dieux,  et 
croyaient  par  conséquent  que  ces  fausses  divinités  pouvaienttomber 
sous  les  sens;  quelques  hérétiques,  comprenant  mal  les  textes  de 
la  Sainte  Écriture  qui  attribuent  des  membres  à  Dieu,  se  laissèrent 
aller  à  une  erreur  semblable.  Ils  étaient  particulièrement  frappés 
par  les  paroles  de  la  Genèse,  qui  déclarent  que  l'homme  fut  créé 
à  l'image  et  à  la  ressemblance  de  Dieu,  et  par  celles  de  S.  Paul  : 
«  Alors  nous  verrons  Dieu  face  à  face  ^  »  qui  semblent  recon- 
naître à  Dieu  un  visage  que  les  bienheureux  contempleront  dans 
le  ciel.  D'autres  enfin  ont  prétendu  qu'après  la  résurrection,  nous 
verrons  Dieu  de  nos  yeux  corporels,  quoiqu'il  n'y  ait  rien  de  maté- 
riel en  lui,  et  qu'il  soit  un  esprit  absolument  pur.  S.  Augustin  con- 
sacre une  de  ses  lettres  à  la  réfutation  de  cette  erreur  -.  Quelques 
théologiens,  de  l'ordre  desCarmes,  ont  enseigné  que  l'œil  corporel, 
non  pas  tel  qu'il  est  maintenant  mais  glorifié,  sera  doué  d'une 
vertu  particulière  qui  lui  permettra  de  voir  Dieu  spirituellement. 
D'autres  ont  avancé  que  Dieu  peut  créer  des  yeux  corporels  qui 
verraientDieu  par  eux-mêmes,  ougràce  à  quelque  don  quileurserait 
surajouté.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  des  yeux  de  chair  ne  sont  pas 
faits  pour  voir  l'essence  infinie  de  Dieu,  même  après  qu'ils  au- 
ront reçu  la  transformation  glorieuse  de  la  résurrection. 

En  effet,  il  est  de  foi,  premièrement,  que  Dieu  est  invisible  pour 
des  yeux  corporels,  au  moins  selon  les  lois  ordinaires  établies  par 
la  volonté  divine.  Des  textes  nombreux  de  la  Sainte  Écriture  par- 
lent explicitement  de  l'invisibilité  de  Dieu.   Le  sens  le  plus  res- 

1.  Tune  jtutem  facie  ad  faciem.  (/.  Cor.,  xiii,  12.) 

2.  S.  AuousT.,  Epist.  VI  (alias  XCII)  ad  Italicam  viduam. 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE   DIVINE   DE   JÉSUS-CHRIST.  125 

treint  dans  lequel  il  soit  possible  d'entendre  ces  textes  est  que  la 
présence  de  Dieu  ne  saurait  être  constatée  directement  par  l'or- 
gane corporel  de  la  vue.  Ainsi,  dans  l'Exode,  Moïse  supplie  le 
Seigneur  de  se  montrer  à  lui,  et  Dieu  lui  répond:  «  Tu  ne  pourras 
«  voir  ma  face;    car  l'homme  ne  saurait  me  voir  et  vivre  i.  » 

L'apôtre  S.  Jean  déclare  dans  son  Évangile  que  «  personne 
€  n'a  jamais  vu  Dieu  2.  »  S.  Paul  dit  dans  l'épître  aux  Colossiens  : 
«  Le  Fils  est  l'image  du  Dieu  invisible  3.  »  Dans  la  première  à  Ti- 
mothée,  il  proclame  Dieu  «  le  roi  des  siècles,  immortel,  invisi- 
ble ^  ;  »  et  nous  lisons  encore  dans  la  même  épître  :  «  Dieu  qui 
«  possède  seul  l'immortalité  et  qui  habite  une  lumière  inacces- 
«  sible  ;  qu'aucun  homme  n'a  vu  ni  ne  peut  voir  '•.  »  Citons  encore 
ce  que  le  même  apôtre  dit  de  Moïse,  dans  l'épître  aux  Hébreux  : 
«  C'est  par  la  foi  qu'il  quitta  l'Egypte,  sans  craindre  la  fureur  du 
«  roi  ;  car  il  demeura  ferme  comme  s'il  avait  vu  celui  qui  est  in- 
«  visible  ^.  » 

Ces  paroles  de  la  Sainte  Écriture  affirment  d'une  manière  ab- 
solue l'invisibilité  de  Dieu  ;  il  n'est  pas  besoin  de  longs  raisonne- 
ments pour  s'en  convaincre  :  il  suffit  de  les  lire.  D'où  nous  pou- 
vons conclure  que  si  d'autres  textes  parlent  de  Dieu  comme  s'il 
était  visible,  il  faut  les  entendre  d'une  visibilité  purement  intellec- 
tuelle, ou  bien  d'apparitions  dans  lesquelles  Dieu  se  montrait 
sous  des  symboles  ou  des  figures  étrangères  à  son  être  divin,  mais 
propres  à  le  manifester  aux  hommes  selon  les  desseins  de  sa  sa- 
gesse. Par  exemple,  ces  paroles  de  l'Évangile  de  S.  Jean  que  nous 
avons  citées  :  «  Personne  n'a  jamais  vu  Dieu,  »  sont  immédiate- 
ment suivies  de  celles-ci  :  «  Le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du 
«  Père,  est  celui  qui  l'a  fait  connaître  :  Unigenitus  Filins,  qui  est 
«  in  sinu  Patris,  ipse  enarravit.  »  D'après  le  sens  purement 
littéral,  il  faudrait  admettre  que  Dieu  a  un  sein,  ce  qui  n'appar- 
tient qu'aux  corps.  Mais  il  n'y  a  personne  d'assez  insensé,  re- 

1.  Non  poteris  videre  faciem  meam  ;  non  enim  videhit  me  homo  et  vivet. 
{ExoiL,  xx.Mii,  20.) 

2.  Deum  nemo  vidit  unquam.  {Joann.,  i,  i8.) 

3.  Oui  (Kilius)  est  imago  Dei  invisibilis.  {Col.,  i,  \'6.) 

i.  Régi  autem  saeculorum  immortali,  invisibili,  soli  Deo  honor  et  gloria  in 
saecula  saeculorum.  (/.  Tim.,  i,  17.) 

îi.  Qui  solus  hahet  immortalitatem,  etlucem  inhabitat  inaccessibilem  :  quem 
nullus  iiominum  vidit,  sed  nec  videre  potest.  (/.  Tim.,  vi,  10.) 

6.  Fide  reliquit  .ligyptum,  non  veritus  animositatem  régis  :  invisibilem 
enim  tanquam  videns  sustinuit.  {/fe/jr.,\\,  27.) 


126         LA    SAINTE    EDCHARISTIE.  —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CKAP.   III. 

marque  S.  Chrysostome,  pour  penser  que  l'être  incorporel  soit  un 
corps. 

D'ailleurs,  c'est  aux  Pères  de  l'Église  qu'il  appartient  de  nous 
donner  la  véritable  interprétation  des  Écritures;  or,  les  Pères  et 
les  Docteurs  sont  unanimes  à  dire  que,  même  au  ciel,  les  bienheu- 
reux ressuscites  ne  verront  pas  Dieu  des  yeux  du  corps.  Ils  verront 
ses  œuvres  et  ils  connaîtront  par  là  son  essence  divine,  comme 
nous  connaissons  que  quelqu'un  possède  la  vie,  lorsque  nous  le 
voyons  agir;  mais  ils  ne  verront  pas  l'essence  ou  la  vie  de  Dieu  di- 
rectement de  leurs  yeux.  En  ce  sens  on  peut  dire,  quoique  im- 
proprement, que  les  yeux  glorifiés  des  saints  verront  Dieu,  ainsi 
que  l'explique  S.  Augustin  ^.  Ailleurs  le  saint  docteur  avait  avancé 
que  peut-être  le  corps  de  l'homme  spiritualisé  par  la  résurrection 
pourrait  voir  Dieu  ;  du  moins  cette  opinion  ne  lui  semblait  pas 
tout  à  fait  insoutenable  -;  mais  plus  tard  il  la  rejeta  absolument. 
«  L'œil  du  corps,  dit-il,  ne  peut  pas  et  ne  pourra  jamais,  même 
€  dans  le  ciel,  voir  la  lumière  qui  est  Dieu  ^.  »  Il  en  appelle  ^  en 
faveur  de  cette  vérité,  à  l'autorité  de  S.  Jérôme,  de  S.  Athanase, 
de  S.  Grégoire  deNazianze,  mais  particulièrement  de  S.  Ambroise 
qui,  dans  son  commentaire  sur  S.  Luc,  enseigne  que  l'on  voit 
Dieu  des  yeux  du  cœur  et  non  de  ceux  du  corps  ^ 

S.  Jérôme  n'est  pas  moins  affirmatif  que  S.  Augustin  et  S.  Am-. 
broise;  il  dit  :  «  Il  n'appartient  pas  à  l'œil  de  l'homme  de  voir 
«  Dieu  tel  qu'il  est  dans  sa  nature  6.  »  Il  dit  aussi  :  «  La  parole 
«  ne  saurait  expliquer  la  nature  de  Dieu  ni  l'œil  ne  saurait  le  voir  : 

i.  Nam  unde  viventia  discerniiiius  a  non  viventibus  corporibus,  nisi  cor- 
pora  simul  vitasque  videamus  ?  Vitas  autein  sine  corporibus  corporeis  oculis 
non  videmus?....  Quamobrem  ficri  potest,  valdequc  probabile  est  sic  nos  esse 
visuros  mundana  tune  corpora  cœli  novi  et  terrœ  novœ,  ut  Deum  ubique  prae- 
sentem  et  universa  etiam  gubernantem,  pcr  corpora  quœ  gestabimus,  et  quae 
conspiciemus  quaquaversum  omnes  duxerimus,  clarissima  perspicuitate 
videamus....  Sicut  liomines  inter  quos  viventes,  motusque  vitales  exerentes 
vivimus  ;  mox  ut  aspicimus,  non  credimus  vivere  sed  videmus.  (S.  August., 
de  Civitale  l)ei,  lib.  XXII,  cap.  xxix.) 

"i.  De  corpore  vero  spiritali,  si  Dominus  juverit,  opère  alio  experiemurquid 
disputera  valeamus.  (S.  Acgust.,  Epist.  CXII.) 

;i.  Hoc  oculus  videre  corporis  neque  nunc  potest,  neque  tune  poterit.  (Id., 
Eplst.  VI.) 

4.  If).,  Epist.  IV. 

\).  Non  enim  corporalibus,  sed  spiritualibus  oculis  Jésus  videtur,  (S.  Ambros., 
Comment,  in  Luc.) 

6.  \'idere  Deum  sicuti  est  in  natura  sua,  oculus  hominis  non  potest. 
(S.  lIiEBo.N  apud  S.  August.,  Epist.  III.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  127 

«  mais  il  est  vu  de  ceux  dont  il  est  écrit  :  Bienheureux  les  cœurs 
«  purs  parce  qu'Us  verront  Dieu  '.  » 

Les  Ariens  prétendaient  que  le  Père  seul  était  invisible  ;  que  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit  au  contraire  pouvaient  être  vus.  S.  Atha- 
nase  protesta  contre  une  telle  erreur.  Il  établit  contre  eux  que  la 
divinité  est  invisible  de  sa  nature  et  que  ni  le  Père,  ni  le  Fils,  ni 
le  Saint-Esprit  ne  peuvent  être  vus  des  yeux  du  corps  :  mais  l'es- 
prit peut  les  connaître.  S.  Grégoire  de  Nazianze  soutient  la  même 
doctrine  '-. 

Origène  avait  enseigné  avant  eux  la  même  vérité,  en  plusieurs 
passages  de  ses  écrits.  Entre  autres  choses  il  dit  :  «  Pour  con- 
«  naître  Dieu  il  n'est  nullement  besoin  du  corps.  Ce  qui  connaît 
«  Dieu,  ce  n'est  pas  l'œil  corporel,  c'est  l'esprit  3.  » 

S.  Cyrille  de  Jérusalem  dit  dans  sa  ix^  catéchèse  :  «  Il  est  im- 
«  possible  de  voir  Dieu  des  yeux  du  corps,  car  ce  qui  n'a  pas  de 
«  corps  ne  peut  pas  tomber  sous  les  regards  des  yeux  de  chair  *.  » 

La  raison  que  donnent  le  plus  souvent  les  anciens  Pères  de  l'im- 
possibilité de  voir  Dieu  avec  les  yeux  du  corps  est  que  Dieu  est  un 
pur  esprit  ;  qu'il  n'est  pas  du  même  genre  que  les  yeux  ^  ;  c'est 
par  les  yeux  de  notre  intelligence  que  nous  pouvons  saisir  ce  qui 
est  intelligence  pure  ^.  Une  forme  pure  et  sans  matière  ne  peut 
être  connue  que  par  l'esprit,  puisqu'elle  n'a  rien  qui  tombe  sous 
les  sens,  ni  couleur,  ni  goût,  ni  dimensions  extérieures.  Comment 
les  sens  connaîtraient-ils  ce  qui  est  absolument  en  dehors  de  leur 
portée  ? 


1.  Deus  nequaquam  sermonibus  explicatur,  nec  oculo  contemplabilis  est, 
sed  ab  bis  videlur,  de  quibus  scriptum  est  :  Beati  mundo  corde  quouiam  ipsi 
Deum  videbunt.  (S.  IIieron.,  in  cap.  LXiv  Isaiœ.) 

2.  Secundum  deitatis  autem  sute  proprielatem  omnino  Deum  esse  invisibi- 
lem,  id  est  Palrem,  et  Filiuni,  et  Spiritum  sanctum,  nisi  in  quantum  mente, 
ac  spiritu  nosci  potest.  (S.  Athan.  apud  S.  August.) 

3.  Quod  ad  Dei  cof^nitionem  pertinet,  nullo  modo  indigemus  corpore.  Quod 
enim  cognoscit  Deum,  non  oculus  est  corporis  sed  mens.  (Origen.,  t.  Vil 
contra  Celsiim.) 

i.  Garnis  quidem  oculis  contemplari  Deum  impossibile  est.  Quod  enim  cor- 
poris est  expers  in  carnis  oculos  cadere  nequit.  (S.  Cyrii.i..  Hierosolym., 
catecb.  IX.) 

U.  Corpus  corpus  videt;  simile  in  simile  inlendit  aciem  :  neque  possunt 
oculi  naturge  inferioris  quod  natura  praestanlius  et  excellentius  est,  videre. 
(TiT.  BosTR.,  lib.  I  contra  Manic/i.) 

0.  Opus  est  nobis  inlelligibilibus  oculis  ad  ca  percipienda,  quse  sola  inlelli- 
gentia  capiuntur.  (Tiieodoret.,  scrm.  I  contra  Grxd) 


128  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  III. 

S.  Augustin  donne  une  autre  raison.  «  Tout  ce  qui  est  visible 
«  pour  les  yeux  corporels,  dit-il,  est  nécessairement  circonscrit 
c  dans  un  espace  quelconque  ;  il  ne  peut  pas  se  trouver  partout. 
«  Une  partie  plus  petite  de  sa  masse  occupera  une  place  moindre, 
€  une  autre  partie  plus  grande  en  tiendra  une  plus  considérable. 
<  Le  Dieu  invisible  et  incorruptible  ne  peut  se  trouver  dans  de 
«  telles  conditions  ^  » 

Il  dit  encore  :  «  Si  Dieu  est  visible  pour  les  yeux  du  corps, 
«  pourquoi  serait-il  insaisissable  pour  les  autres  sens  ?  Il  sera  donc 
€  un  son,  pour  que  l'oreille  puisse  le  percevoir?  un  parfum,  pour 
0  que  l'odorat  puisse  le  sentir?  une  liqueur,  pour  qu'on  puisse  le 
«  boire  ^?  » 

On  dira  peut-être  :  Il  est  évident  qu'un  pur  esprit  ne  peut 
tomber  sous  les  sens  corporels,  et  que  nos  yeux  de  chair  ne  sau- 
raient voir  l'essence  divine  :  un  corps  n'étend  pas  son  action  au 
delà  de  la  sphère  qui  lui  est  assignée  ;  il  faut  que  son  acte  soit  pro- 
portionné à  sa  nature  :  un  organe  corporel  est  impuissant  lorsqu'il 
s'agit  de  l'incorporel  ;  la  matière  ne  saurait  s'élever  jusqu'à  Dieu. 
Mais  les  corps  des  bienheureux,  après  la  résurrection,  ne  seront 
plus  tels  qu'ils  sont  aujourd'hui,  et  ce  qu'ils  ne  peuvent  pas  faire 
maintenant,  ne  leur  sera-t-il  pas  possible  alors  ?  —  Non,  répond  De 
Lugo,  parce  que,  même  après  la  résurrection,  ils  ne  seront  pas  des 
esprits  mais  des  corps.  Sans  doute  ils  seront  doués  alors  de  pro- 
priétés merveilleuses,  mais  essentiellement  et  numériquement, 
ils  seront  les  mêmes  qu'aujourd'hui.  Job  affirme  qu'il  verra  Dieu 
dans  sa  chair  :  In  carne  mea  videbo  Deum  meum  quem  visurus 
sum  ego  ipse,  et  oculi  mei  conspecturi  sunt.  «  Et  dans  ma  chair 
«  je  verrai  mon  Dieu  ;  je  le  verrai  moi-même  et  mes  yeux  le  con- 
«  templeront  3.  »  Il  verra  Dieu  dans  sa  chair,  mais  ce  n'est  pas  sa 

\.  Omnc  quippe  quod  oculis  corporis  conspici  potest  in  loco  aliquo  sit  ne- 
cesse  est,  nec  ubique  sit  totum.  Sed  minore  sai  parte  minorem  locum  occu- 
pet,  et  majore  majorem.  Non  ita  est  Deus  invisibilis  et  incorruptibilis. 
(S.  AUGUST.,  Epist.  VI.) 

2.  Sonus  ergo  erit  Deus,  ut  possit  etiam  auribus  pcrcipi?  Et  halitus  erit  ut 
senliri  possit  olfactu?Et  liquor  aliquis  erit  ut  possit  bibi?  (Ii).,  lib.  I  in  Luc.) 

\i.  Impossibilc  est  Deum  videri  sensu  visus,  vel  quocumque  alio  sensu  aut 
polentia  sensitivae  partis.  Omnis  enim  potentia  hujusmodi  est  actus  corporalis 
organi.  Actus  autem  proporlionatur  ei  cujus  est  actus.  Unde  nulla  ejusmodi 
potentia  potest  se  extendcre  ultra  corporalia.  Deus  autem  incorporeus  est,  ut 
supra  osions um  est.  Unde  nec  sensu  nec  imaginatione  videri  potest,  sed  solo 
intelleclu.    S.  Thom.,I  p.,  q.  xii,  art.  3.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JESUS-CHRIST.  129 

chair,  c'est  lui-même,  c'est  son  âme  qui  le  verra.  Ses  yeux  le 
contempleront  ;  mais  ce  ne  sont  pas  les  yeux  du  corps,  ce  sont  les 
yeux  de  l'âme  qui  se  rassasieront  de  cet  admirable  spectacle.  Ne 
pourrait-on  pas  dire  aussi  qu'il  verra  des  yeux  de  sa  chair  le  Dieu 
qui  est  son  Rédempteur  et  son  Sauveur,  c'est-à-dire  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  dont  le  corps  adorable  sera  visible  aux  yeux  de  tous 
les  élus  et  non  pas  seulement  à  leurs  intelligences?  L'Église  nous 
insinue  cette  interprétation,  lorsqu'aux  paroles  de  l'Écriture  elle 
ajoute  dans  sa  liturgie  le  mot  Salvatorem  :  Et  videbo  Deum  Sal- 
vatorem  mewn  :  «  Et  je  verrai  Dieu  mon  Sauveur  '.  »  Quelques 
versets  plus  haut  Job  lui-même  avait  dit  :  «  Je  sais  que  mon  Ré- 
dempteur est  vivant  -.  «  C'est  lui  qu'il  doit  voir  dans  sa  chair, 
lorsqu'il  sera  ressuscité. 

Il  est  de  foi  que  les  âmes  de  ceux  qui  meurent  dans  la  grâce  et 
qui,  purs  de  toute  faute,  ne  sont  aucunement  redevables  à  la  jus- 
tice de  Dieu,  entrent  immédiatement  en  possesion  du  bonheur  du 
ciel  et  de  la  vue  de  Dieu.  Les  âmes  séparées  des  corps  n'ont  donc 
pas  besoin  des  yeux  de  chair  pour  voir  Dieu  et  jouir,  avec  une 
béatitude  et  une  gloire  infinie,  de  cette  vision  ;  c'est  un  fait  indé- 
niable, une  vérité  de  foi  qu'elles  voient  Dieu  sans  leur  secours. 
Comment  croire  que  la  résurrection  des  corps  privera  les  âmes  de 
cette  vision  immédiate?  seront-elles  donc  obligées  de  revenir  à  ces 
intermédiaires  qui  leur  sont  nécessaires  ici-bas,  pour  la  vision  des 
objets  corporels  ?  Et  si  elles  continuent  de  voir  Dieu  face  à  face, 
conformément  â  leur  nature  aidée  d'une  grâce  particulière,  de 
quoi  leur  servirait-il  que  leurs  yeux  soient  tellement  transformés 
que,  contrairement  â  leur  nature  corporelle,  ils  puissent  voir  ce 
qui  est  purement  spirituel?  Il  y  aurait  là  contradiction  llagrante 
avec  la  sagesse  qui  règne  parmi  les  œuvres  de  Dieu,  et  de  plus 
cette  contradiction  n'aurait  nulle  raison  d'être.  On  doit  même  dire 
que  non  seulement  aucun  œil  corporel  existant  ne  peut  voir  Dieu, 
mais  que  Dieu  ne  pourrait  pas  créer  un  organe  matériel  capable 
de  la  vision  intuitive;  et  cette  impossibilité  s'étend  jusqu'aux  yeux 
corporels  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même.  La  matière, 
quelque  parfaite  qu'on  la  suppose,  ne  peut  pas  voir  directement 
et  dans  son  essence  ce  qui  est  purement  esprit,  tant  qu'elle  de- 

1.  (Jffic.  Defunct.,  resp.  ad  I  lect.  I  nocturni. 

2.  Scio  quod  redemptor  meus  vivit  et  in  novissimo  die  de  terra  surrecturus 
sum.  [Joh,  xix,  2Î>.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.   IV.  9 


130         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    III. 

meure  elle-même  ce  qu'elle  est,  c'est-à-dire  matière.  De  nos  yeux 
(.lu  corps  nous  contemplerons  au  ciel,  après  la  résurrection, 
comme  nous  le  faisons  sur  la  terre,  mais  avec  un  plaisir  infini- 
ment plus  g-rand,  les  œuvres  extérieures  de  Dieu  qui  sont  faites 
pour  tomber  sous  les  sens  ;  telle  est  leur  part  et  elle  leur  suffira. 
C'est  à  l'intelligence  et  à  elle  seule  qu'il  appartient  de  voir  Dieu  tel 
qu'il  est,  face  à  face,  selon  la  parole  de  l'Apôtre,  et  non  plus  comme 
maintenant  à  travers  mille  obscurités  et  comme  en  énigme  :  Vi- 
demus  nunc  per  spéculum  in  œnigmate,  tune  aiUem  facie  ad 
faciem  '.  Bienheureux  ceux  qui  mériteront  de  voir  ainsi  le  Sei- 
gneur dans  la  pairie  céleste  ! 

Cependant  si  l'âme  humaine  peut  voir  Dieu  par  elle-même  et 
sans  le  secours  des  sens,  si  les  anges,  en  leur  qualité  de  purs 
esprits,  contemplent  Dieu  face  à  face  dans  le  ciel,  il  ne  faut  pas 
l'attribuer  aux  forces  naturelles  de  leur  intelligence.  Ni  l'intelli- 
gence humaine,  ni  celle  des  anges,  quelque  sublime  qu'elle  soit, 
ne  peut  s'élever  si  haut  par  elle-même.  L'essence  de  Dieu,  d'après 
la  doctrine  de  S.  Thomas,  est  tellement  au-dessus  de  toute  intelli- 
gence créée,  que  nulle  ne  peut  le  connaître  parfaitement  ni  le 
voir  2.  Sans  doute  il  est  infiniment  propre  à  satisfaire  la  vue  ; 
l'intelligence  assez  puissante  pour  le  contempler  tel  qu'il  est  peut 
y  trouver  un  plaisir  infini  ;  mais  par  le  fait  même  de  cette  infinité, 
les  intelligences  créées  ne  sauraient  rien  voir  directement  de  lui. 
Elles  le  contempleront  dans  ses  œuvres  comme  dans  un  miroir  ; 
elles  y  déchiffreront  quelques-unes  de  ses  perfections  comme  l'on 
devine  une  énigme,  mais  elles  ne  le  verront  pas.  Il  est  pour  elles 
ce  que  le  soleil  est  pour  les  oiseaux  de  nuit  ;  le  moindre  de  ses 
rayons  les  éblouit  et  les  aveugle  3. 

Des  hérétiques  ont  conclu  de  là  que  l'intelligence  humaine  et 
môme  celle  des  anges  ne  pouvaient  être  en  aucune  manière  élevées 
jusqu'à  la  vision  de  Dieu.  Mais  il  n'en  est  pas  des  esprits  comme 
des  corps.  Ce  qui  est  corporel  ne  peut  pas  arriver,  à  moins  de  chan- 
ger de  nature  et  de  cesser  d'être  ce  qu'il  est,  à  voir  une  substance 

1.  /.  Cor.,  xiii,  12. 

ii.  Dicendum  quod  impossibile  est  quod  aliquis  intcllectus  creatus,  per  sua 
naturalia  cssenliam  Dei  videat....  Non  potest  intelleclus  creatus  Deum  per 
essentiain  videre,  nisi  in  quantum  Deus  per  suam  graliam  se  intellectui 
creato  conjungit,  ut  intelligibilc  ah  ipso.  (S.  T110.M.,  I  p.,  q.  xii,  art.  4.) 

3.  Sicut  sol  qui  est  maxime  visibilis,  videri  non  potest  a  vespertilione 
propter  exces^uin  luminis.  (lu.,  ibid.,  art.  1.) 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE   LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS- CHRIST.  131 

purement  spirituelle  ;  mais  un  être  spirituel  peut  voir  un  autre 
être  spirituel,  à  la  condition  néanmoins,  lorsqu'il  s'agit  de  voir 
l'être  spirituel  par  excellence,  qui  est  Dieu,  de  recevoir  une  grâce 
particulière  qui,  sans  lui  ôter  rien  de  sa  nature  propre,  le  surna- 
turalise, et  le  rende  capable  d'un  acte  absolument  au-dessus  de 
ses  Ibrces  sans  un  tel  secours. 

Nous  voyons  en  effet  que  l'invisibilité  de  Dieu  pour  les  hommes 
est  un  dogme  de  foi.  Il  est  vrai  qu'à  la  rigueur  on  peut  ne  l'en- 
tendre que  pour  les  yeux  corporels;  mais  tous  les  textes  de  la 
Sainte  Écriture  et  des  Pères  montrent  bien  qu'il  faut  aller  plus 
loin,  et  admettre  cette  invisibilité,  même  pour  les  intelligences 
créées,  quelles  qu'elles  soient.  D'autre  part,  la  Sainte  Écriture  et  la 
tradition  proclament,  avec  non  moins  de  force,  que  Dieu  est  vi- 
sible, que  les  anges  et  les  saints  qui  sont  au  ciel  le  voient,  que 
tous  ceux  qui  ont  le  cœur  pur  sont  bienheureux  parce  qu'ils  le 
verront.  Ainsi  donc  Dieu  est  invisible,  et  cependant  il  est  vu  par 
les  saints  et  les  anges.  La  Sainte  Écriture  ne  peut  se  contredire 
et  les  deux  affirmations  sont  également  vraies  :  Dieu  est  invisible 
pour  les  intelligences  créées  réduites  à  leurs  propres  forces,  mais 
il  est  visible  pour  ces  mêmes  intelligences,  lorsque  Dieu  daigne 
ajouter  à  leurs  lumières  naturelles  une  lumière  incomparable- 
ment supérieure,  un  don  qui  n'est  aucunement  dû  à  leur  nature 
mais  qu'il  peut  leur  faire,  parce  qu'il  n'est  pas  contradictoire 
qu'une  intelligence  voie  une  autre  intelligence,  celle-ci  lui  fût-elle 
infiniment  supérieure  en  perfection,  en  dignité  et  en  grandeur. 
Peut-on  néanmoins  prouver  par  la  raison  seule  que  la  vision  in- 
tuitive de  Dieu  soit  possible  aux  intelligences  créées,  même  avec 
ce  secours  particulier  delà  gTàce?Suarez  et  Gajétanne  le  pensent 
pas.  Il  s'agit  d'un  acte  surnaturel  et  les  lumières  naturelles  peu- 
vent bien  en  constater  Texistence,  mais  il  leur  est  difficile,  sinon* 
impossible,  d'allerau  delà.  Heureusement  que  la  foi  vient  à  notre 
secours;  elle  nous  révèle  ce  que  nous  devons  croire,  et  c'est  déjà 
un  grand  honneur  pour  la  raison  humaine  de  pouvoir  écarter  les 
difficultés  et  les  impossibilités  qui  semblent  se  dresser  contre  la 
vérité  que  la  foi  nous  propose  ^ 

1 .  Quapropter  suppositis  liis  quae  de  illa  visione  fides  docet,  existimo  dicen- 
dum  esse,  non  posse  ralione  nnlurali  probari,  illam  visionem  esse  possihilem. 
Quia,  ul  infra  ostendcmus,  illa  visio  est  actus  quoad  substanliam  supcrnalu- 
ralis,  non  potest  autem  ralione  nalurali  cognosci,  hujusmodi  actus  esse  possi- 


132         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  III. 

Si  donc  les  intelligences  créées  voient  Dieu  dans  le  ciel  et  le 
voient  tel  qu'il  est  en  lui-même,  face  à  face,  c'est-à-dire  dans  son 
essence,  malgré  leur  impuissance  naturelle  pour  un  tel  acte,  il  faut 
en  conclure  que  cette  vision  intuitive  est  un  acte  surnaturel,  «  La 
«  vie  éternelle  est  une  grâce  de  Dieu,  »  dit  S.  Paul  ^  ;  et  le  même 
apôtre  dit  encore  :  «  L'œil  n'a  pas  vu,  l'oreille  n'a  pas  entendu,  et 
«  le  cœur  de  l'homme  n'a  pas  atteint  dans  ses  désirs  ce  que  Dieu 
«  a  préparé  à  ceux  qui  l'aiment  -.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
avait  dit  lui-même  :  «  Personne  ne  connaît  le  P'ils,  sinon  le  Père, 
«  et  personne  ne  connaît  le  Père,  sinon  le  Fils  et  celui  à  qui  le  Fils 
«  aura  voulu  le  révéler  ^.  »  Il  est  vrai  que  ces  paroles  peuvent 
s'entendre  de  la  connaissance  de  Dieu  par  la  foi,  mais  elles  n'en 
ont  que  plus  de  force  si  on  les  applique  à  la  vision  intuitive.  Voir 
Dieu  est  incomparablement  plus  que  savoir  simplement  ce  qu'il  est. 

Remarquons  ici,  avec  S.  Augustin,  que  ce  que  l'Écriture  dit 
de  la  charité,  de  là  grâce,  de  la  gloire,  qui  sont  des  dons  surnatu- 
rels de  Dieu,  n'est  pas  moins  vrai  pour  les  anges  que  pour  les 
hommes  '*.  Pour  les  anges  aussi  bien  que  pour  nous,  la  lumière 
que  Dieu  habite  est  inaccessible.  Aucun  homme  n'a  jamais  vu  Dieu 
naturellement,  ni  ne  peut  le  voir  ^  :  aucun  ange  non  plus  ne  peut 
jouir  de  la  vue  de  Dieu  en  sa  divine  essence,  que  par  un  don  sur- 
naturel, une  grâce  particulière  qu'il  reçoit  de  lui. 

Quelques  Pères  de  l'Église  ont  semblé  douter  et  même  ne  pas 
admettre  que  les  saints  du  ciel  et  les  anges  voient  Dieu  tel  qu'il 
est,  dans  son  essence  même  ;  mais  il  est  aisé  de  montrer,  en  se  re- 
portant aux  circonstances  dans  lesquelles  ils  ont  écrit,  que  leurcon- 

Inlis.  Pra'terca  inlellectus  ad  illain  visionem  non  concurrit  virlule  naturali, 
.sed  supernaturali  et  instrumentali  ;  non  potest  aiitem  rationc  naturali  probari 
aliquam  potenlian:i  possc  elevari  ad  agendurn  ultra  suam  virlulem....  Potest 
tanien  horno  naturali  discursu  difficultatcs  et  argumenta  quai  contra  hanc 
veritatem  fiunt  sufficienter  dissolvere,  praesertim  adjutus  lumine  fidei,  etc. 
(SuAREz,  tract,  de  J)iv.  su/jst.,  lib.  II,  cap.  vu.) 

i.  Gratia  autein  Dei  vita  œterna.  {Rom.,  vi.) 

2.  Oculu.s  non  vidit,  neque  auris  audivit,  neque  in  cor  hominis  ascendit, 
quae  praeparavit  Deus  diligentibus  se.  (/.  Cor.,  ii.) 

'•S.  .Nerno  novit  I-ilium.nisi  Pater;  neque  Patrem  (]uis  novit  nisi  Filius  et 
oui  voluerit  Kilius  revelare.  {Matth.,  xi,  27.) 

■4.  Confitendunri  est  igitur  cum  débita  laude  Creatoris,  non  ad  solos  sanctos 
liomines  pertinere,  verurn  etiam  de  sanctis  angelis  posse  dici  quod  charitas 
Dei  diffusa  sit  in  eis  per  Spiritum  sanctum.  (S.  August.,  de  Civitale  Dei, 
lib.  XII,  cap.  i.\.) 

'o.  Quod  nemo  bominum  vidit,  sed  ncc  videre  potest.  (/.  Tim.,  vi,  10.) 


AUTRES   ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE   JÉSUS-CHRIST.  133 

tradiction  avec  la  Sainte  Écriture  et  tout  l'ensemble  de  la  tradition 
est  purement  apparente.  Leurfoi  était  celle  que  TÉglise  a  toujours 
professée  et  qu'elle  professe  encore.  Elle  a  toujours  cru  à  la  parole 
de  Notre-Seigneur,  qui  disait  des  petits  enfants  :  «  Leurs  anges 
«  voient  toujours  la  face  de  mon  Père  qui  est  dans  le  ciel  '  ;  »  et 
à  cette  autre  de  S.  Paul,  déjà  plusieurs  fois  citée  :  Videbimus 
eum  sicuti  est  :  «  Nous  verrons  Dieu  tel  qu'il  est.  » 

S.  Irénée  disait  :  «  De  même  queceuxqui  voient  la  lumièresont 
«  dans  la  lumière,  ceux  qui  voient  Dieu  sont  en  Dieu  et  parti- 
«  cipent  à  sa  clarté.  Cette  clarté  les  vivifie.  Voir  Dieu,  c'est  donc 
«  puiser  la  vie  en  lui.  Et  c'est  pour  cette  cause  que  celui  qui  est 
«  immense  et  incompréhensible  s'est  rendu  visible  et  compréhen- 
<  sible  pour  les  hommes  et  qu'il  s'est  mis  à  leur  portée.  Il  a  voulu 
<i  vivifier  ceux  qui  le  connaîtraient  et  le  verraient  '-.  » 

Ces  paroles  de  S.  Irénée  non  seulement  nous  disent  que  les  saints 
voient  réellement  Dieu,  mais  de  plus  elles  nous  donnent  la  raison 
de  ce  bienfait  inestimable  que  Dieu  leur  accorde.  Il  veut,  en  se 
montrant  à  eux,  leur  communiquer  la  véritable  vie,  la  vie  bien- 
heureuse. S.  Irénée  ajoute  un  peu  plus  loin  :  «  Dieu  se  montre 
«  aux  hommes  parce  qu'il  le  veut,  il  se  montre  à  ceux  qu'il  veut, 
«  quand  il  veut  et  comme  il  veut,  parce  qu'il  est  tout-puissant 
«  en  tout  3.  » 

Clément  d'Alexandrie  cite  cette  déclaration  de  Dieu  à  Moïse  : 
«  Personne  ne  verra  ma  face  et  vivra  :  Nemovidebit  faciemmeam 
«  et  vivet  ;  »  et  il  ajoute  :  «  Il  est  évident  en  eflet  que  personne, 
«  dans  le  cours  de  sa  vie,  ne  peut  voir  Dieu.  Mais  ceux  dont  le 
«  cœur  est  pur  le  verront,  lorsqu'ils  seront  parvenus  à  leur  per- 
«  fection  dernière  ^.  » 


\.  Angeli  eorum  in  cœlis  semper  vident  faciem  Patris  mei,  qui  in  cœlis  est. 
{Mfitth.,  xviii,  10.) 

•i.  Quemadmodum  enim  videntes  lumen  intra  lumen  sunt,  et  claritatem 
ejus  percipiunt,  sic  et  qui  vident  Deum,  intra  Deum  sunt  percipientes  ejus 
claritatem.  Vivificat  autem  eos  claritas  :  percipiunt  orgo  vitain  qui  vident 
Deum.  Et  propter  hoc  incapabilis  et  incomprehensibilis,  visibilem  se  et  com- 
prehensibilem  et  capaccm  hominibus  prœstat,  ut  vivilicet  percipientes  et 
videntes  se.  (S.  Iren.,  lib.  IV,  cap.  xxxvii.) 

^.  Ille  autem  volens  videtur  ab  hominibus,  a  quibus  vult,  et  quando  vult, 
et  quemadmodum  vult  :  Polens  est  enim  in  omnibus  Deus.  (In.,  ihid.) 

■4.  Perspicuum  est  enim,  nullum  unquam  vita?  sua»  tempore  posse  Deum 
perspicue  comprehendero.  Qui  autem  sunt  mundi  corde  Deum  videbunt, 
postquam  extremam  perfectionem  attingerint.  (Clem.  Ai.ex.,  Strom.,  lib.  V.) 


134         LA    SAINTE    EUCHARISTIE. 11°  l'AUTlE.   —   LIVRE   11.   CIIAP.  III. 

S.  Augustin  parle  souvent,  dans  ses  nombreux  écrits,  du  bon- 
heur qu'ont  les  saints  et  les  anges  de  contempler  Dieu  face  à 
face  dans  le  ciel.  Par  exemple,  à  propos  de  ce  texte  de  l'Apôtre  : 
«  Au  Roi  des  siècles,  invisible  et  incorruptible  :  »  Régi  sœculorum 
invisibili  et  incorruptibili,  il  dit  :  «  Dieu  est  incorruptible  dans 
M  les  siècles  des  siècles;  mais  il  n'est  pas  invisible  dans  les  siècles 
«  des  siècles;  il  l'est  seulement  dans  ce  siècle.  En  effet,  ces  paroles 
«  de  Dieu  ne  peuvent  pas  être  vaines  :  Bienheureux  ceux  qui  ont 
«  le  cœur  pur,  parce  quils  verront  Dieu  i.  » 

Citons  encore  un  texte  de  S.  Bernard.  Dans  le  quatrième  sermon 
pour  la  Fête  de  tous  les  Saints,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Dans  cette 
0  éternelle  et  très  parfaite  béatitude,  nous  jouirons  triplement  de 
«  Dieu  :  nous  le  verrons  dans  toutes  les  créatures;  nous  le  possé- 
«  derons  même  en  nous,  et,  ce  qui  est  infiniment  plus  agréable, 
«  et  plus  heureux  encore,  nous  connaîtrons  la  Trinité  en  elle-même 
«  et  nous  contemplerons  cette  gloire  sans  aucun  voile,  avec  l'œil 
€  pur  du  cœur.  Car  la  vie  éternelle  et  bienheureuse  sera  précisé- 
«  ment,  pour  nous,  de  connaître  le  Père  et  le  Fils  avec  le  Saint- 
€  Esprit,  et  de  voir  Dieu  tel  qu'il  est,  je  veux  dire,  non  pas  tel  qu'il 
«  est  en,  nous  par  exemple,  ou  dans  les  autres  créatures,  mais  tel 
«  qu'il  est  en  lui-même  2.  » 

Dieu  n'est  donc  pas  visible  naturellement  pour  l'homme,  mais 
il  peut  se  montrer  à  lui  tel  qu'il  est  dans  son  essence  suprême,  en 
vertu  dune  grâce  surnaturelle. 

On  a  demandé  si  la  vision  intuitive  de  Dieu  a  jamais  été  le  par- 
tage d'un  homme  vivant  encore  sur  la  terre. 

Il  est  certain  que,  d'après  les  loisordijiaires  de  la  nature  établies 
de  Dieu,  une  créature  purement  humaine  ne  peut  pas,  pendant  sa 
vie  mortelle,  voir  l'essence  divine.  Le  Seigneur  dit  à  Moïse,  au 

1.  lncorruj)tiljili  quidcin  in  saecula  saîciilorum;  invisibili  aulem  non  in  sae- 
cula  sîeculoriun,  sed  tantum  in  hoc  sœculo.  Vcrum  quia  nec  ista  testimonia 
falsa  esse  possunt.  Beati  mundo  corde,  quoniam  ipsi  Deum  videbunt.  (S.  Au- 
ULST.,  Epist.  CXI.) 

2.  ïripiicilcr  in  aeterna  illa  et  perfecta  beatitudine  frucmur  Deo,  videnles 
eum  in  omnibus  creaturis,  habentes  eum  in  nobis  ipsis,  et  (quod  bis  omnibus 
ineffabiliter  jucundius  sit  atque  beatius)  ipsam  quoque  cognoscenlcs  insemet- 
ipsn  Trinilalem,  etgloriam  illam  sine  ullo  aenigmate  mundo  cordis  oculo  con- 
templantes. In  hoc  enim  erit  vita  aîterna  et  perfecta,  ut  cognoscamus  Patrem 
et  Fibum  eum  saiicto  Spiritu,  et  videamus  Deum  sicuti  est;  id  est  non  modo 
fiicut  inest  nobis  videlicet,  aut  caeteris  creaturis,  sed  sicut  est  in  semetipso. 
(S.  Bernard.,  scrin.  IV  in  /-V.s/o  omn.  sanct.) 


AUTRES    ATTRIBUTS    DE    LA    NATURE    DIVINE    DE    JÉSUS-CHRIST.  135 

livre  de  l'Exode  :  «  L'homme  ne  saurait  me  voir  et  vivre  '.  »  La 
raison  en  est  que  l'iiomme,  tant  que  son  àme  est  unie  à  son  corps, 
ne  peut  rien  connaître  ni  rien  voir  de  ce  qui  existe  hors  de  lui 
qu'à  l'aide  de  ses  sens.  Nos  sens  nous  révèlent  bien  l'existence  des 
œuvres  de  Dieu  ;  nous  voyons  Dieu  indirectement  dans  le  monde 
matériel  qui  nous  entoure,  mais  voir  Dieu  lui-même,  voir  son 
essence  purement  spirituelle,  nous  est  absolument  impossible.  C'est 
un  fait  d'expérience  qui  n'a  pas  besoin  d'autre  preuve. 

Ce  qui  n'est  pas  possible  à  l'homme  vivant  sur  la  terre,  en  vertu 
de  sa  nature  seule,  peut  le  devenir  et  le  devient  en  effet,  s'il  plaît 
à  Dieu  de  se  manifester  à  lui  d'une  manière  extraordinaire  et  sur- 
naturelle; et  de  fait  on  peut  croire  qu'il  s'est  manifesté  ainsi  à 
quelques-uns  de  ses  plus  fidèles  serviteurs. 

Nous  ne  parlons  pas  de  l'humanité  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  dont  l'àme,  hypostatiquement  unie  à  la  personne  du  Verbe, 
jouit,  dès  le  premier  instant  de  son  existence,  de  la  vision  béati- 
fique  ;  mais  la  Sainte  Écriture  nous  dit  clairement  que  Dieu  s'est 
entretenu  avec  Moïse  et  qu'il  s'est  fait  voir  aux  prophètes.  On  lit 
dans  le  livre  des  Nombres  ces  paroles  que  le  Seigneur  adressait  à 
Marie  et  à  Aaron,  qui  avaient  murmuré  contre  leur  frère  :  «  Écou- 
«  tez  mes  paroles  :  Si  quelqu'un  parmi  vous  est  prophète  du  Sei- 
«  gneur,  je  lui  apparaîtrai  dans  la  vision,  ou  je  lui  parlerai  en 
«  songe.  Mais  tel  n'est  pas  mon  serviteur  Moïse  qui  est  fidèle  dans 
«  toute  ma  maison;  car  c'est  bouche  à  bouche  que  je  lui  parle,  et 
«  c'est  clairement  et  non  en  énigme  et  en  figures  qu'il  voit  le  Sei- 
«  gneur  -.  i>  Il  faut  remarquer  ici  que  les  paroles  dont  Dieu  se. sert 
pour  caractériser  la  vision  dont  Moïse  est  favorisé,  tandis  que  les 
autres  prophètes  n'en  jouissent  point,  sont,  au  fond,  les  mêmes 
dont  S.  Paul  s'est  servi  plus  tard,  lorsqu'il  a  voulu  marquer  la 
différence  qui  existe  entre  la  manière  dont  nous  voyons  Dieu  ici- 
bas  et  celle  dont  les  bienheureux  le  voient  dans  le  ciel.  En  effet, 
l'Apôtre  dit  :  «  Nous  voyons  maintenant  à  travers  un  miroir,  en 
<r  énigme;  mais  alors  nous  verrons  face  à  face.  Maintenant  je 
«  connais  imparfaitement,  mais  alors  je  connaîtrai  comme  je  suis 

l.  Non  videbit  me  homo  et  vivet.  {Exocl.,  xwiii,  i20.) 

:2.  Audite  serinones  meos  :  Si  quis  fuerit  inter  vos  propheta  Domini,  in 
visione  apparebo  ei,  vel  por  snmnium  loquar  ad  illum.  Al  non  talis  serviis 
meus  Moyses,  (jui  in  omni  doino  mea  fidelissimus  est  :  Ore  enim  ad  os  loquar 
ei  :  et  palam  et  non  per  œnigmalaet  figuras  Doininum  vidcl.  {\uin.,  xii,  0-8.) 


136         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II'"   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.   III. 

«  connu  '.  »  Ces  mots  :  Nous  verrons  face  à  face,  n'équivalent-ils 
pas  exactement  à  ceux-ci  :  C'est  bouche  à  bouche  que  je  lui  parle  ? 
Et  ceux-ci  :  Nous  voyons  maintenant  à  travers  un  miroir  et 
en  énigme,  ne  sont-ils  pas  la  répétition  de  ceux-ci  :  C'est  claire- 
ment et  non  en  énigme  et  en  figures  qu'il  voit  le  Seigneur  ? 

L'apôtre  S.  Paul  nous  apprend  qu'il  a  été  favorisé  lui-même 
d'une  vision  non  moins  sublime,  qu'il  rapporte  en  ces  termes  : 
«  Je  sais  un  homme  en  Jésus-Christ,  qui,  il  y  a  quatorze  ans,  fut 
«  ravi  (si  ce  fut  dans  son  corps  ou  hors  de  son  corps,  je  ne  sais, 
«  Dieu  le  sait)  jusqu'au  troisième  ciel.  Et  je  sais  que  cet  homme 
«  (si  ce  fut  dans  son  corps  ou  hors  de  son  corps,  je  ne  sais.  Dieu 
((  le  sait)  fut  ravi  dans  le  paradis,  et  entendit  des  paroles  qu'il  n'est 
«  pas  permis  à  un  homme  de  dire  2.  » 

Faut-il  nécessairement  conclure  de  ces  textes  que  Moïse  et 
S.  Paul  ont  vu,  non  pas  des  yeux  du  corps  certainement,  mais  de 
ceux  de  l'intelligence,  l'essence  divine  elle-même?  Il  semble  dif- 
ficile au  moins  de  le  nier.  Celte  faveur  extraordinaire  ne  dépasse 
pas  la  puissance  de  Dieu,  et  sa  bonté  infinie  peut  s'étendre  jusqu'à 
l'accorder.  D'autre  part,  il  s'agit  de  faits  qui  ne  peuvent  être 
connus  que  par  le  témoignage  de  la  Sainte  Écriture  :  or  ce  témoi- 
gnage semble  formel,  malgré  les  objections  que  l'on  peut  faire  ;  le 
plus  sûr  est  donc  d'admettre  que  Moïse  et  S.  Paul,  les  deux  grands 
hérauts  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  ont  eu,  dès  cette  vie, 
le  bonheur  de  voir  Dieu,  tel  qu'il  est  en  lui-même. 

Ont-ils  été  les  seuls  à  recevoir  ce  don  ineffable?  Ilest  certain  que 
la  bienheureuse  Vierge  Marie  a  été  favorisée  pendant  sa  vie  mor- 
telle, comme  eux  et  plus  qu'eux,  de  la  vision  de  Dieu  :  son  titre 
de  Mère  du  Verbe  incarné  lui  donnait  des  droits,  au  moins  jusqu'à 
un  certain  point,  à  la  connaissance  aussi  parfaite  que  possible  de 
son  divin  Fils,  et  si  des  serviteurs  ont  été  élevés  jusqu'à  la  vision 
intuitive,  comment  Jésus-Christ  l'eùl-il  refusée  à  sa  Mère?  D'au- 
tres saints  ont-ils  été  favorisés  de  même?  Rien  n'autorise  à  le 

1 .  Videmus  nunc  per  spéculum  in  aenigmate  :  tune  autem  facie  ad  faciem. 
Nunc  cognosco  ex  parte  :  tune  autem  eognoscam  sicut  et  eognitus  .sum. 
(/.  Cor.,  XIII,  42.) 

2.  Scio  hominem  in  Christo  ante  annos  quatuordoeim  (sive  in  eorpore 
nescio,  sive  extra  corpus  nescio,  Deusscit)  raptum  hujusmodi  usquead  tertium 
cœium.  Et  scio  hujusmodi  hominem  (sive  in  eorpore  nescio,  sive  extra  corpus 
nescio,  Deus  scit),  quoniam  raptus  est  in  paradisum  et  audivit  arcana  verba 
quae  non  licethomini  loqui.  (//.  Cor.,  \ii,  2-4.) 


SCIENCE   ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       137 

croire.  Ceux  qui  ont  eu  des  visions  qui  ont  frappé  extérieurement 
leurs  sens,  ou  qui  ont  agi  sur  leur  imagination,  sont  nombreux; 
mais  en  est-il  quelqu'un  qui  ait  vu  Dieu  en  lui-même  et  dans  son 
essence?  Il  faut  dire  avec  S.  Paul  :  Deus  scit  :  «  Dieu  le  sait.  » 

Les  anges  et  les  saints  voient  donc  dans  la  gloire  du  ciel  le  Dieu 
invisible  que  nul  regard  corporel,  que  nulle  intelligence  créée, 
réduite  à  ses  seules  forces,  ne  peut  contempler.  Le  Seigneur  leur 
donne  une  lumière  surnaturelle,  une  connaissance  évidente,  claire, 
certaine,  une  science  parfaite  de  la  divinité;  science  infaillible, 
science  incomparablement  plus  parfaite  que  la  foi  elle-même, 
quoique  les  deux  aient  le  même  objet.  L'intelligence  éclairée  par  la 
lumière  de  la  gloire  voit  Dieu  directement,  immédiatement,  en  lui- 
même;  elle  le  voit  comme  chose  existante  et  dans  toutes  les  condi- 
tions de  son  existence;  elle  ne  le  comprend  pas,  parce  qu'il  est  in- 
compréhensible à  cause  de  son  infinité,  mais  elle  le  voit  tout  entier, 
autant  qu'il  lui  est  possible  de  le  voir,  et,  en  lui,  elle  voit,  dans  la 
simplicité  absolue  de  sa  nature,  tous  ses  attributs.  Ce  spectacle 
infiniment  beau  sera  le  grand  bonheur  de  tous  les  saints,  de 
tous  les  anges,  et  de  Dieu  lui-même,  pendant  toute  l'éternité. 
0  mon  Dieu,  bienheureux  ceux  qui  habitent  dans  votre  maison, 
ils  vous  loueront  dans  les  siècles  des  siècles  :  Beati  qui  habitant 
in  domo  tua,  Domine,  in  sœcula  Sâsculorum  laudabunt  te  ^  ! 


CHAPITRE   IV 

SCIENCE,  VOLONTÉ,  AMOUR  ET   TOUTE-PUISSANCE  DE   JÉSUS-CHRIST    DIEU 
PRÉSENT  DANS  L'EUCHARISTIE 

I.  Science  et  sagesse  divines  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  —  II.  Volonté  et  amour 
de  l'être  divin  de  Jésus  dans  l'Eucharistie.  —  Son  double  objet.  —  III.  Toute-puis- 
sance de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie. 

I. 

SCIENCE    ET    SAGESSE    DIVINES    DE    XOTRE-SEIGNEUR   JÉSUS-CHRIST 
PRÉSENT    DANS    l'eUCIIARISTIE 

Au  jour  de  la  dédicace  solennelle  du  temple  qu'il  avait  élevé  au 
Seigneur,  le  roi  Salomon  s'écriait,  avec  une  admiration  profonde  : 
«  Est-il  donc  croyable  que  Dieu  habite  avec  les  hommes  sur  la 

I.    Ps.   L.\.\.\III,  Ij. 


138         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.  IV. 

«  terre?  Si  le  ciel  et  les  cieux  des  cieux  ne  vous  contiennent  point, 
«  combien  moins  cettemaison  que  j'ai  bâtie  •?  »  Salomon,  le  plus 
sage  des  rois,  avait  raison  de  s'étonner  de  la  condescendance  in- 
finie de  Dieu,  mais  qu'eùt-il  pensé  s'il  avait  été  témoin  de  ce  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  fait  en  notre  faveur,  s'il  l'avait  vu  des-' 
cendre  chaque  jour  sur  nos  humbles  autels,  à  la  voix  du  prêtre, 
pour  s'immoler  de  nouveau,  se  donner  à  nous  comme  notre  ali- 
ment, et  demeurer  trop  souvent  solitaire  et  oublié  dans  nos  ta- 
bernacles ?  Peut-être  nous  familiarisons-nous  trop  avec  le  Seigneur, 
etnous  accoutumons-nous  à  recevoir  ces  bienfaits  d'un  prix  infini 
comme  s'ils  nous  étaient  dus. 

Il  importe  donc  de  ranimernotrefoi,  en  présence  du  Très  Saint 
Sacrement,  et  de  n'oublier  jamaisles  grandeurs  de  celui  que  nous 
adorons  sous  les  espèces  eucharistiques. 

Les  attributs  divins,  que  nous  avons  considérés  jusqu'ici  en  la 
personne  adorable  de  Notre-Seigneur,  disent  moins  ce  qu'il  est, 
comme  Dieu,  que  ce  qu'il  n'est  pas;  aussi  leur  a-t-on  donné  le  nom 
général  d'attributs  négatifs.  Il  en  est  d'autres  qui  affirment  des 
propriétés,  des  perfections  positives  de  Dieu,  dont  nous  devons 
aussi  parler. 

Ces  attributs  positifs  de  Dieu  peuvent  se  rapporter  à  trois  chefs 
principaux  :  Dieu,  en  sa  qualité  d"étre  infiniment  intelligent,  pos- 
sède la  science;  il  a  une  volonté;  il  est  souverainement  puissant. 
Nous  retrouvons  dans  les  intelligences  créées  ces  trois  mêmes  at- 
tributs, mais  à  un  degré  d'imperfection  ou  d'infériorité  tel,  si  on 
les  compare  à  ce  qui  est  çn  Dieu,  qu'ilspeuvent  à  peine  passer  pour 
un  reflet  des  attributs  divins.  Cependant  ils  en  sont  une  lointaine 
image,  et  nous  pouvons,  grâce  à  eux,  nous  en  former  une  idée  qui 
se  rapproche,  autant  que  possible,  de  la  vérité. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  sagesse  ou  de  la  science  de  Dieu  qui 
n'est  autre  que  le  Verbe  lui-même,  mais  ici  nous  devons  consi- 
dérer celle  sagesse  divine, non  plus  précisémentcomme  la  seconde 
personne  de  l'adorable  Trinité,  mais  comme  un  attribut  de  la  divi- 
nité. Au  fond,  c'est  toujours  de  notreJésus  qu'ils'agil,  puisque  les 
attributs  divins  ne  sont  qu'un  avecl'essence  divine,  et  que  le  Verbe 
lui-même  n'est  qu'un  seul  et  même  Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint- 

\.  Krgone  credibile  est  ut  habitet  Deus  cum  hominibus  super  terram?  Si 
cœluin  etcr.-li  cœlorum  non  te  capiunt,  quanlo  magis  dornus  ista,  quam  aedi- 
ficavi?  (//.  Parai.,  \\,  18.) 


SCIENCE    ET    AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       139 

Esprit.  Mais  nous  le  considérons  sous  un  nouvel  aspect,  pour  ap- 
prendre à  mieux  connaître,  et  par  conséquent  à  mieux  aimer  et 
mieux  servir  ce  Dieu  que  nous  adorons  voilé  avec  l'humanité 
sainte  dont  il  s'est  revêtu,  sous  les  espèces  eucharistiques. 

La  science  peut  se  définir  la  connaissance  des  choses  par  leurs 
causes.  De  cette  définition  Aristote  conclut  que  la  science  parfaite, 
la  science  complète,  est  quelque  chose  de  si  grand,  de  si  divin,  qu'il 
est  impossible  à  l'homme  d'y  atteindre  jamais.  Mais  Dieu  la  pos- 
sède, parce  qu'il  est  lui-même  le  principe  et  la  cause  première  de 
toutes  choses,  parce  qu'il  est  la  cause  intelligenteet  libre  de  toutes 
les  causes.  Il  serait  moins  absurde  peut-être  de  nier  l'existence 
même  de  Dieu  que  de  lui  refuser  la  science.  «  Ilfaut,  ditS.  Cyrille 
«  d'Alexandrie,  reconnaître  au  principe  unique  de  toutes  choses, 
a  commeunattributquilui  est  particulier,  de  tout  savoir,  sansavoir 
«  rien  appris  d'aucun  maître.  Tout  est  nu  et  à  découvert  devant 
«  ses  yeux.  De  même  il  peut  tout  ce  qu'il  veut,  et  rien  n'est  dif- 
«  ficile  pour  lui  '.  »  Il  dit  encore  :  «  C'est  le  propre  de  la  divinité 
«  de  ne  rien  ignorer  -.  » 

L'Écriture  rend  souvent  témoignage  à  la  science  de  Dieu.  Le 
saint  homme  Job  pose  cette  question  :  «  La  sagesse  où  se  trouve- 
a  t-elle?et  quel  est  le  séjour  de  l'intelligence  3?  »  ]l  répond  : 
«  Dieu  connaît  sa  voie  et  il  sait  le  lieu  où  elle  demeure.  Car  il  voit 
«  les  confins  du  monde,  et  il  abaisse  ses  regards  sur  tout  ce  qui 
«  existe  sur  la  terre.  »  Ce  n'est  pas  le  seul  témoignage  que  lelivre 
de  Job  renferme  en  faveur  de  la  sagesse  ou  de  la  science  de  Dieu. 
Ces  témoignages  sont  nombreux  aussi  dans  les  psaumes  ;  David 
se  plaît  à  dire  que  la  sagesse  de  Dieu  n'a  pas  de  bornes,  qu'il  con- 
naît toutes  choses  les  plus  anciennes  et  les  plus  nouvelles.  Dans  le 
premier  livre  des  Rois,  Dieu  est  appelé  le  Dieu  des  sciences.  Dans 
les  Proverbes  deSalomon,  la  Sagesse  déclare  que  Dieu  l'a  possédée 
dès  le  commencement  de  ses  voies,  avant  la  création  de  toutes 
choses.  Dans  le  Nouveau  Testament  S.Paul  appelle  le  FilsdeDieu 

1.  Proprie  et  soli  principi  omnium  naturae  tribuendum  esse,  tum  omnia 
scire,  docente  nullo,  ac  prae  oculis  habere  nuda  et  aperta;  tum  efficere  posse 
idque  facillime,  quidquid  lil)itum  fuerit.  (S.  Cvrill.,  lib.  XI  Comment,  in 
Joann.) 

2.  Divinitatisid  proprium  est  nihil  ignorare.  (Id..  lih.  XXXIl  Thesaur.) 

3.  Sapientiaubi  invenitur  ?  cl  quis  est  locus  intcUigenli*'?....  Deus  intelli- 
git  viam  ojus  et  ipse  novit  locuin  illius.  Ipse  onim  tincs  mundi  intuelur;  cl 
omnia  (\i\x:  sub  cœlo  sunt  respicil.  {./o/t,  wviii,  1-2,  2:î,  ->'i.) 


140         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IV. 

la  Sagesse  de  Dieu  K  II  dit  qu'en  lui  sont  tous  les  trésors  de  la  sa- 
gesse et  de  la  science  divine  2;  ailleurs  il  ne  peut  retenir  un  cri 
d'admiration,  à  la  pensée  de  la  grandeur  de  cette  science  et  de  cette 
sagesse  3,  Il  serait  superflu  de  citer  ici  les  textes  des  Pères  rendant 
hommage  à  la  science  et  à  la  sagesse  de  Dieu;  nul  d'entre  eux  n'a 
manqué  de  les  célébrer,  toutes  les  fois  que  l'occasion  s'en  est  pré- 
sentée. 

La  science  de  Dieu  se  distingue  de  celle  des  intelligences  créées, 
d'abord  en  ce  qu'elle  n'est  pas  pour  Dieu  quelque  chose  d'acciden- 
tel, une  qualité  surajoutée  à  la  substance  :  elle  est  la  substance 
même  de  Dieu.  «  En  Dieu,  dit  S.  Augustin,  comprendre  n'est  pas 
a  autre  chose  qu'exister.  Dans  l'àme  humaine  au  contraire,  être  et 
«  comprendre  ne  sont  pas  la  même  chose,  parce  que  l'âme  existe, 
«  même  lorsqu'elle  ne  comprend  pas  ^.  »  Et  le  saint  docteur  re- 
vient souvent  sur  cette  pensée,  pour  mieux  faire  entendre  l'admi- 
rable simplicité  de  Dieu.  S.  Cyrille  d'Alexandrie  démontre  aussi 
qu'il  serait  absurde  de  prétendre  que  la  science  de  Dieu  est  sem- 
blable à  la  nôtre;  il  base  son  raisonnement  sur  la  simplicité  de 
Dieu,  qui  fait  que  sa  sagesse  ou  sa  science  ne  peut  être  qu'une 
seule  et  même  chose  avec  son  être  divin,  ou  sa  substance  ^. 

Un  second  caractère  de  la  science  de  Dieu  est  qu'il  ne  puise  pas 
cette  science  dans  les  choses  qu'il  connaît  :  il  la  possède  par  lui- 
même  et  indépendamment  des  objets  de  sa  connaissance.  Il  se 
suffit  pour  connaître  tout.  La  raison  en  est  qu'il  est  la  cause  de 

i.  Jésus  qui  factus  est  nobis  sapientia  a  Deo.  (i.  Cor.,  i,  30.) 

2.  In  quo  sunt  omnes  thesauri  sapienticE  el  scientige  absconditi.  {Col.,  u,  3.) 

3.  0  altitudo  divitiarum  et  scientiae  Dei.  [Rom.,  \i,  33.) 

4.  In  Deo  propter  mirabilem  simplicitatem,  non  aliud  est  esse  aliud  intelli- 
gere.  Anima  vero,  quia  est,  etiain  dum  non  intelligit,  aliud  est  quod  est,  aliud 
quodintelligit.  (S.  August.,  Episl.  Cil.) 

5.  Simplexet  minime  compositus  omnium  praedicalione  celebrabitur  Deus. 
Quamobrem  absurdum  est  ipsum  se  de  se  talem  habere  cognitionem  dicere, 
qualem  nos  habcmus,  nam  si  ipse  aliud  quiddam  est,  alla  vero  ac  diversa  est 
ab  eo  quœ  inest  ipsi  cognilio,  compositus  erit  et  non  simplex.  Quum  vero  con- 
fessione  omnium  simplex  sit,  non  est  aliquid  ab  eo  diversum  illius  cognitio. 
Nostra  autem  est  alia  causa.  Nam  propria  quadam  ratione  sumus  secundum 
substantiam;  in  substantia  vero  sitam  habemus  cognitionem;  velut  colorem in 
corpore.  Igitur  non  similiter,  et  eodem  modo  scimus  quippiam  ac  Deus,  qui 
non  eodem  alque  ille  modo  nos  habemus.  Sed  ipse  quidem,  tanquam  hoc 
ipsum  mens  omnium  suprema,  itidem  ut  Deo  convenit,  tum  ea,  quae  sunt, 
tum  se  ipse  contemplabitur.  Nos  autem,  qui  datam  nobis  mensuram  trans- 
gredi  neiiuimus,  velut  in  speculo,  et  ainigmate  incomprehensibilem  cernimus 
Deum.  (S.  Cvrii.l.  Alex.,  lib.  XXXI  Thesaur.) 


SCIENCE    ET    AUTRES    PERFECTIONS   DIVINES    POSITIVES   DE    N.-S.    J.-C.       141 

toutes  choses,  dit  S.Denys  l'Aréopagite.  Sa  science  embrassait  les 
anges  avant  qu'ils  fussent,  et  ce  fut  elle  qui  les  produisit,  ainsi 
que  tout  le  reste;  ce  fut  elle,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  qui  tira  tout 
ce  qui  estdu  sein  de  Dieu.  C'estce  que  la  Sainte  Écriture  nous  en- 
seigne lorsqu'elle  dit  :  Dieu  connaît  toutes  choses  avant  quelles 
soient.  Il  n'apprend  pas  des  choses  qui  sont  ce  qu'elles  sont;  mais 
c'est  en  elle-même,  en  vertudesa  science  propre,  que  l'intelligence 
divine  connaît  d'abord  tout  et  qu'elle  est  la  cause  de  tout  '. 

C'est  donc  en  lui-même,  etsans  que  rien  d'extérieur  aide  à  sa  con- 
naissance, que  Dieu  connaît  toutes  choses.  Cependant  il  y  a  une 
différence,  selon  notre  manière  de  juger,  entre  la  connaissance 
qu'il  a  de  sa  propre  essence  et  celle  qu'il  a  des  créatures  :  il  se 
connaît  comme  la  cause  suprême  et  nécessaire  de  toutes  choses,  et 
il  connaît  toutes  choses  existantes  ou  possibles,  comme  des  effets 
que  sa  sagesse  unie  à  sa  puissance  produit  ou  peut  produire;  et  il 
les  connaît  toutes  selon  que  leur  nature  les  rend  susceptibles  d'être 
connues. 

Troisième  caractère  de  la  science  de  Dieu  :  elle  est  une  et  simple, 
tandis  que  la  nôtre  est  composée,  divisible,  et  qu'il  nous  est  im- 
possible d'embrasser  une  multitude  de  choses,  à  plus  forte  raison 
toutes  choses,  dans  un  seul  acte  de  notre  intelligence. 

Un  quatrième  caractère  de  la  science  divine  est  l'immutabilité. 
Dieu  ne  serait  pas  immuable  si  sa  science  ne  l'était  pas,  si  elle  pou- 
vait s'accroître  ou  diminuer  ou  changer  d'objet;  tandis  que  la 
science  des  hommes  et  même  des  anges,  au  moins  en  un  certain 
sens,  peut  toujours  grandir;  de  plus,  celle  des  hommes  peut,  hélas  ! 
diminuer,  s'égarer  et  s'éteindre. 

Enfin,  cinquième  caractère,  la  science  de  Dieu  est  la  cause  de 
toutes  choses,  parce  qu'il  a  tout  fait  dans  sa  sagesse  :  Omnia  in 
sapientia  fecisti  ;  il  a  tout  fait  avec  nombre,  poids  et  mesure,  et 
c'est  à  la  science  ou  à  la  sagesse  qu'il  convient  de  régler  toutes 
choses,  et  d'établir  l'ordre  qui  doit  régner  en  tout. 

I.  Divina  mens  omnia  conlinet  antecellente  omnibus  cognitione;  ratione 
illa  qua  causa  est  omnium  scientiam  in  se  omnium  ante  compleclens;  qua?  et 
angelos,  priusquam  essent,  noverat,  et  angelos  produxit,  ac  ca?tera  omnia,  ex 
intestine  et  ab  ipso  ut  ita  dicam,  principio  habens  perspecta,  et  ad  subsisten- 
dum  perducens.  Atque  hoc  ut  opinor  Scriptura  docere  nos  voluit,  cum  ait  : 
Qui  novit  omnia,  antct/iiam  fiant.  Non  enim  ex  iis  quœ  sunt,  ea  quœ  sunt  ad- 
discens  novit  divina  mens;  sed  ex  seipsa,  et  in  seipsa  secundum  eam  scien- 
tiam, (lUc-e  omnium  est  causa,  etc.  (S.  Dion.,  de  Div.  Xomin.,  cap.  vu.) 


142  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IV. 

Tels  sont  les  caractères  particuliers  de  la  science  de  Dieu  qui  la 
distinguent  de  toute  science  créée.  Il  faut  dire  maintenant  quel 
est  son  objet. 

Le  premier  et  le  principal  objet  de  la  science  de  Dieu,  c'est 
Dieu  lui-même. 

Les  philosophes  anciens,  mais  principalement  les  disciples  de 
Platon,  n"ont  pas  ignoré  cette  vérité.  «  La  première  intelligence, 
a  dit  l'un  d'eux,  étant  incomparablement  la  plus  parfaite,  il  est 
<i  nécessaire  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfaitement  intelligible, 
«  c'est-à-dire  elle-même,  lui  soit  proposé  pour  objet.  Elle  se  con- 
«  naît  donc  toujours  et  complètement  '.  » 

En  elTet,  il  n'est  pas  de  plus  digne  objet  de  la  science  de  Dieu 
que  Dieu  lui-même,  sa  nature  et  tout  ce  qui  constitue  réellement 
son  être.  Il  se  connaît  par  lui-même,  et  cette  connaissance  est  tel- 
lement liée  à  lui,  inséparable  de  lui,  qu'elle  n'est  pas  autre  que  sa 
propre  essence.  Il  ne  peut  rien  connaître  avant  de  se  connaître 
lui-même,  et  nul  objet  ne  peut  s'offrir  à  lui  qui  soit  plus  digne 
d'être  connu,  qui  soit  aussi  propre  à  satisfaire  son  intelligence. 
Par  cette  science  qu'il  a  de  lui-même,  Dieu  sait  donc  ce  qui  est  en 
lui,  et  il  le  sait  d'une  manière  infiniment  parfaite. 

La  science  de  Dieu  est  vraiment  digne  de  l'excellence  infinie  de 
la  nature  divine.  Elle  a  le  plus  noble  de  tous  les  objets.  Elle  est 
égale  à  son  objet  et  l'embrasse  dans  toute  son  étendue,  quoique 
cette  étendue  soit  l'infini  lui-même.  Elle  est  très  parfaite,  non  seu- 
lement parce  qu'elle  est  substantielle  et  très  actuelle,  mais  aussi 
parce  qu'elle  a  toutes  les  perfections,  toutes  les  propriétés  de  la 
science  au  plus  sublime  degré  :  la  vérité,  la  clarté  ou  l'évidence. 
Elle  est  souverainement  nécessaire  et  invariable,  parce  que  son 
objet  est  Dieu  lui-même.  Elle  est  toujours  en  acte,  parce  que  c'est 
par  elle  que  Dieu  le  Père  se  voit  et  se  contemple  éternelle- 
ment, et  qu'il  engendre  son  'Verbe  éternel  infini,  immuable 
comme  lui.  Elle  est  très  simple  enfin,  sans  composition,  sans  re- 
cherche, sans  argumentation  ni  déduction,  sans  aucune  des  imper- 
fections inhérentes  à  la  science  des  créatures.  Ni  la  grandeur  in- 
finie de  l'intelligence  divine,  ni  la  perfection  de  l'objet  sur  lequel 
s'exerce  cette  intelligence,  ne  laissent  place  à  ces  imperfections. 

i.  yuoniam  aulem  prima  mens  préeslantissima  est,  necesse  est  praistantis- 
simum  ci  intellif^ibile  propositum  esse.  Nihil  autem  seipsa  prcestantius  habet. 
Quare  semelipsam,  nolionesque  suas  semper  intelliget.  (Alcin.,  cap.  x.) 


SCIENCE    ET    AUTRES   PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       143 

Cette  simplicité  absolue  de  la  connaissance  que  Dieu  a  de  lui- 
même  n'empêche  pas  qu'il  se  connaisse  aussi  dans  les  créatures  : 
tel  est  du  moins  l'avis  de  de  Lugo  '  et  de  plusieurs  autres  théolo- 
giens dont  le  nom  fait  autorité.  En  effet,  soit  que  Dieu  con- 
naisse les  créatures  en  lui-même,  soit  qu'il  les  connaisse  immé- 
diatement en  elles,  du  moment  qu'il  les  comprend,  il  ne  peut 
pas  ne  pas  se  connaître  lui-même,  supposé  que  par  impossible  il 
ne  se  connût  pas  d'autre  part,  puisqu'il  ne  les  comprendrait  pas 
s'il  ne  connaissait  pas  leur  cause  et  leur  dépendance  essentielle 
envers  lui.  De  plus,  les  créatures  sont  des  effets  dont  il  est  la  cause. 
Dieu  connaît  nécessairement  la  cause  dans  les  effets,  comme  il 
connaît  les  effets  dans  la  cause,  autrement  sa  connaissance  ne  se- 
rait pas  complète.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  se  connaître  lui-même 
dans  les  créatures  serait  un  mode  de  science  peu  digne  de  l'in- 
finie perfection  de  Dieu,  une  science  sujette  à  l'erreur,  à  l'obscu- 
rité :  ce  qui  est  tel  pour  nous  ne  l'est  pas  pour  lui  ;  sans  doute,  les 
créatures  dans  lesquelles  Dieu  se  connaît  sont,  par  elles-mêmes, 
imparfaites  et  trompeuses,  mais  ce  qu'elles  sont  en  vertu  de  leur 
nature  finie  n'intlue  aucunement  sur  l'acte  de  Dieu  en  lui-même, 
qui  est  toujours  absolument  lumineux  et  infaillible. 

Dieu  se  connaît  donc  et  il  se  connaît  entièrement  ;  il  se  com- 
prend. C'est  une  vérité  de  foi  :  c^  L'Esprit  (de  Dieu)  pénètre  toutes 
<i  choses,  même  les  profondeurs  de  Dieu  -,  »  dit  S.  Paul.  Dieu  n'est 
pas  moins  infini  dans  sa  science  que  dans  son  être,  puisque  l'une 
et  l'autre  ne  sont  qu'un  3.  Mais  la  science  de  Dieu  ne  s'arrête  pas 
à  lui  seul  :  il  en  est  l'objet  essentiel  ;  on  pourrait  dire,  en  un  sens, 

1.  De  Luc,  lib.  I  deDeo  uno,  disp.  xxviii,  cap.  ii. 

2.  Spiritus  omnia  scrutatur,  etiam  profunda  Dei.  (J.  Cor.,  ii,  10.) 

3.  Dicendum  quod  Deus  perfecte  comprehendit  seipsum.  Quod  sic  patet. 
Tune  enim  dicitur  aliquid  comprehendi,  quando  pervenitur  ad  tinem  cogni- 
tionis  ipsius,  et  hoc  est,  quando  rescognoscitur  ita  perfecte  sicut  cognoscibilis 
est.  Sicut  propositio  demonstraljilis  comprehenditur,  quando  scitur  per  de- 
monstrationem  ;  non  autem,  quando  cognoscitur  per  aliquani  rationem  proba- 
bilem.  Manifestum  est  autem  quod  Deus  ita  perfecte  cognoscit  seipsum,  sicut 
perfecte  cognoscibilis  est.  Est  enim  unumquodque  cognoscil)ile  secunduna 
modum  sui  actus.  Non  enim  cognoscitur  aliquid,  secundum  quod  in  potentia 
est,  sed  secundum  quod  est  in  actu.  Tanta  est  autem  virlus  Dei  in  cognos- 
cendo,  quanta  est  actualitas  ejus  in  cxistendo;  quia  per  hoc  quod  actu  est,  et 
a])omni  materia  et  potentia  separatus,  Deus  cognoscitivus  est,  ut  ostensum 
est  (art.  1).  Unde  manifestum  est  quod  tantum  seipsum  cognoscit,  quantum 
cognoscibilis  est.  Et  propter  hoc  seipsum  perfecte  comprehendit.  (S.  TnoM., 
I  p.,  q.  xiv,  art.  3.) 


144         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CHAP.    IV. 

unique  ;  cependant  tout  ce  qui  existe  en  dehors  de  lui  est  aussi 
l'objet  de  la  science  divine  ;  il  ne  peut  même  pas  se  connaître  par- 
faitement s'il  ne  connaît  pas  en  même  temps  les  êtres  qui  ne  sont 
pas  lui  '. 

Dieu  connaît  donc,  non  seulement  tout  ce  qui  existe  actuelle- 
ment, mais  tout  ce  qui  a  été  et  qui  sera.  Sa  science  s'étend  plus 
loin  encore  ;  elle  embrasse  tous  les  êtres  possibles  :  il  les  connaît 
tous  autant  qu'ils  sont  susceptibles  d'être  connus,  même  par  lui 
dont  l'intelligence  est  infinie.  Aucun  être,  aucun  acte,  quelque 
petit,  quelque  insignifiant  qu'on  le  suppose,  ne  lui  échappe  ;  toutes 
les  substances  sont  à  découvert  devant  ses  yeux  et,  avec  elles, 
tous  leurs  accidents  et  toutes  les  circonstances  qui  accompagnent 
leur  existence,  ou  qui  peuvent  l'accompagner. 

Les  épicuriens  prétendaient  que  Dieuy>  satisfait  de  se  connaître 
lui-même,  ignorait  ce  qui  n'était  pas  lui  et  ne  s'en  occupait  aucu- 
nement. Les  impies  du  temps  de  Job  disaient  déjà  avant  eux  : 
«  Mais  que  connaît  Dieu?  Car  c'est  comme  au  travers  d'une  pro- 
«  fonde  obscurité  qu'il  juge.  Des  nuées  le  cachent;  il  ne  consi- 
«  dère  pas  ce  qui  est  de  nous,  et  il  parcourt  les  pôles  du  ciel  -.  » 
Averroès,  d'après  S.  Thomas  -,  admettait  que  Dieu  connaissait 
toutes  choses,  mais  seulement  d'une  manière  générale  et  confuse. 

Or  il  est  de  foi  que  Dieu  connaît  toutes  choses.  La  Sainte  Écri- 
ture le  proclame  souvent,  les  Pères  sont  d'accord  avec  elle  et  la 
raison  elle-même  ne  permet  pas  d'en  douter. 

S.  Paul  écrit  aux  Hébreux  :  «  Il  n'y  a  pas  de  créature  qui  soit 
«  invisible  en  sa  présence,  mais  tout  est  à  nu  et  à  découvert  aux 

1.  Respondeo  dicendum  quod  necesse  est  Deiim  cognoscere  alla  a  se.  Mani- 
feslum  est  enim  quod  seipsum  perfecte  intelligit;  alioquin  suum  esse  non 
esset  perfectum,  cum  suum  esse  sit  suunri  intelligere.  Si  autem  perfecte  ali- 
quid  cognoscitur  necesse  est  quod  virlus  ejus  perfecte  cognoscatur.  Virtus 
autem  alicujns  rei  perfecte  cognosci  non  potest,  nisi  cognoscantur  ea  ad  quae 
virtus  se  extendit.  Unde  cum  virtus  divina  se  extendat  ad  alia,  eo  quod  ipsa 
est  prima  causa  elïectiva  omnium  entium,  ut  ex  supradictis  palet,  necesse  est 
quod  Deus  alia  a  se  cognoscat.  —  Et  hoc  etiam  evidentius  fit  si  adjungatur, 
quod  ipsum  esse  causap,  agentis  primœ,  scilicet  Dei,  est  ejus  intelligere.  Unde 
quicumque  efiectus  praeexistunt  in  Deo,  sicut  in  causa  prima,  necesse  est 
quod  sint  in  ipso  ejus  intelligere,  et  quod  omnia  in  eo  sint  sccundum  modum 
intelligibilem.  Nam  omne  quod  est  in  altero  est  in  eo  secundum  modum  ejus 
in  quo  est,  etc.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  quœst.  xiv,  art.  U.) 

2.  Quid  novit  Deus?  Quasi  per  caliginem  judicat,  nubes  latibulum  ejus,nec 
nostra  considérât  et  circa  cardinescœli  perambulat.  {Jofj,  xxii,  13.) 

3.  S.  Tiiom.,  in  distinct,  xxxv,  q.  i,  art.  3. 


SCIENCE   ET    AUTRES    PERFECTIONS   DIVINES   POSITIVES    DE  N.-S.  J.-C.        145 

«  yeux  de  celui  dont  nous  parlons  '.  »  Le  Psalmiste  dit  à  son  tour  : 
«  Seigneur,  vous  avez  compris  de  loin  mes  pensées;  vous  avez 
€  observé  mes  sentiers  et  le  cours  de  ma  vie.  Et  toutes  mes  voies, 
«  vous  les  avez  prévues.  Voilà  que  vous,  Seigneur,  vous  avez 
«  connu  toutes  les  choses  anciennes  et  nouvelles.  Votre  science 
«  est  devenue  admirable  pour  nioi  2.  »  Le  psaume  cxxxviii%  d'où 
sont  tirées  ces  paroles,  est  consacré  presque  tout  entier  à  célébrer 
la  science  de  Dieu  embrassant  toutes  choses. 

On  comprend  aisément  que  rien  ne  puisse  échapper  à  la  connais- 
sance de  Dieu,  par  cette  raison  qu'il  se  connaît  parfaitement  lui- 
même  et  que  ni  l'étendue,  ni  l'action  de  sa  puissance,  qui  n'est  avec 
sa  nature  divine  qu'une  seule  et  même  chose,  ne  lui  est  caché.  Sa 
puissance  s'étend  à  tout  ce  qui  n'est  pas  lui  ;  c'est  elle  qui  donne 
l'être  à  tout  ce  qui  existe,  et  sa  science  est  la  cause  exemplaire  de 
tout  ce  qui  a  été,  qui  est,  qui  sera  et  qui  pourrait  être.  Il  ne  se 
connaîtrait  pas  lui-même  tel  qu'il  est,  si  un  seul  être  ou  un  seul 
acte  des  êtres  autres  que  lui  échappait  à  sa  science.  Ajoutons  que 
toute  nature  créée  n'existe  que  par  une  participation  quelconque  à 
la  perfection  divine.  Dieu  ne  se  connaîtrait  pas  lui-même  parfai- 
tement s'il  ne  savait  jusqu'à  quel  point  sa  nature  se  prête  à  cette 
participation.  Il  ne  connaîtrait  pas  non  plus  suffisamment  son 
être  absolu,  s'il  ne  connaissait  pas  tous  les  modes  d'être  des  na- 
tures relatives  et  de  leurs  différences  qui  dépendent  de  lui. 

On  cite,  il  est  vrai,  contre  cette  doctrine,  un  texte  de  S.  Jérôme, 
d'où  il  résulterait  que  la  majesté  divine  ne  s'abaisse  pas  jusqu'à 
s'occuper  de  chacun  des  insectes  qui  naissent  ou  qui  meurent; 
mais  il  suffit  de  lire  le  contexte  pour  comprendre  que  le  saint  doc- 
teur entend  simplement  dire  que  Dieu  ne  s'occupe  pas  de  ces  êtres, 
qui  sont  si  peu  de  chose  à  nos  yeux,  comme  des  hommes  capables 
de  le  connaître,  et  créés  pour  une  fin  surnaturelle  3.  Aussi  dit-il 

\.  Non  estulla  creatura  invisibilis  in  conspectu  ejus;  omnia  autem  nuda  et 
aperta  sunt  oculis  ejus.  {Hehr.,  iv,  13.) 

:2.  Intellexisti  cogitationes  meas  de  longe,  et  funicuhim  uieum  investigasti. 
Et  omnes  vias  meas  prœvidisti....  Ecce,  Domine,  tu  cognovisti  omnia,  novis- 
sima  et  antiqua....  Mirabilis  facta  est  scientia  tua  ex  me.  (Af.  c.wxviii,  :2  et 
seq.) 

3.  Sicut  igitur  in  hominibus  etiam  per  singulos,  Dei  currit  providentia,  sic 
in  cœteris  animalibus  generalem  quidem  dispositionem  et  ordinem,  cursum- 
que  rerum  intelligere  possumus,  v.  g.  quomodo  nascatur  piscium  multitudo 
et  vivat  in  aquis.  —  Céeterum  absurdum  est  ad  hoc  deducere  Dei  majeslatem 
ut  sciât  per  momenta  singula,  quot  nascantur  culices,  quotve  nioriuntur.  Non 

LA     SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  10 


146         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II»  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IV. 

ailleurs  que  nul  d'entre  eux  n'échappe  aux  soins  de  la  providence 
divine  et  ne  périt  que  par  la  volonté  de  Dieu  '.  C'est  dans  le  même 
sens  que  S.  Thomas  explique  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Est-ce 
«  que  Dieu  s'occupe  de  bœufs  2  ?»  Ce  n'est  pas,  dit  S.  Thomas, 
que  la  providence  de  Dieu  ne  veille  sur  chacun  d'eux,  mais  elle 
ne  s'en  orcupe  pas  au  point  de  vue  du  mérite  ou  du  démérite, 
pour  les  récompenser  ou  les  punir  3. 

Dieu  ne  connaît  pas  seulement  ce  que  sont  les  choses  existant  en 
dehors  de  lui,  mais  il  sait  aussi  ce  qui  leur  a  manqué,  leur  manque 
ou  leur  manquera  éternellement.  S'agit-il  des  êtres  simplement 
possibles,  qui  n'existeront  jamais?  Dieu  connaît,  par  science  de 
simple  intelligence,  l'essence  et  les  propriétés  qui  seraient  les 
leurs  s'ils  existaient;  mais  il  sait  en  même  temps  qu'ils  ne  sont 
pas  et  qu'ils  ne  seront  jamais. 

D'autres  êtres  n'existent  pas  maintenant,  mais  ils  ont  été  ou  ils 
seront  :  Dieu,  par  la  science  de  vision,  les  voit  exister  dans  le 
passé  ou  l'avenir;  il  voit  en  même  temps  qu'ils  ne  sont  pas 
actuellement  et  présentement. 

Les  êtres  chimériques  qui  ne  sont  pas  ni  ne  peuvent  être,  mais 
qu'il  est  possible  à  l'homme  d'imaginer,  n'échappent  pas  davan- 
tage à  la  science  de  Dieu  :  il  n'ignore  aucune  des  combinaisons 
irréalisables  que  peut  enfanter  l'esprit  de  l'homme,  ni  aucune  de 
celles,  plus  nombreuses  encore,  que  l'homme  ne  soupçonne  même 
pas.  Toutes  ces  choses  impossibles,  Dieu  les  connaît  telles  qu'elles 
sont,  c'est-à-dire  comme  impossibles. 

Dieu  connaît  aussi  le  mal  :  il  le  connaît  comme  étant  la  privation 
de  quelque  bien.  Il  y  a  les  biens  purement  naturels  et  les  biens 
moraux.  La  privation  des  biens  purement  naturels  est  une  peine, 

simus  tam  fatui  adulalores  Dei  ut  dum  potentiam  ejus  ad  ima  detrahimus,  in 
nos  ipsos  injuriosi  simus,  eamdem  rationabilium  quam  irrationabilium  provi- 
denliam  esse  dicentes.  (S.  Hieron.,  in  cap.  i  Ilohac.) 

\.  Parva  animalia  et  vilia  absque  Deo  auctore  non  decidunt  et  in  omnibus 
est  providentia,  etquae  in  bis  peritura  sunt,  sine  Dei  voluntate  non  pereunt. 
{\V).,  Comment,  in  cap.  x  Matlh.) 

'i.  Numquid  de  bobus  cura  est  Deo?  (/.  Cor.,  ix,  9.) 

3.  Adquintum  dicendum,  quod  quia  creatura  rationabilis  habet  per  liberum 
arbitrium  dominium  sui  actus,  ut  dictum  est  (quîest.  xix,  art.  ÎO),  spécial! 
quodam  modo  subditur  divin»  providenliae,  ut  scilicet  ei  imputetur  aliquid  ad 
culpnm,  vf'l  ad  meritum;  et  reddatur  ei  aliquid  ut  poena  vel  praemium.  Et 
quantum  ad  hoc.  curam  Dei  apostolus  a  bobus  removet;  non  tamen  ita  quod 
individua  irrationabilium  creaturarum  ad  Dei  providentiam  non  pertineant. 
(S.  TiioM.,  1  p.,  q.  .xxii,  art.  2  ad  «.) 


SCIENCE  ET  AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE   N.-S.    J.-C.        147 

quelquefois  un  châtiment,  et  Dieu  connaît  cette  privation  d'une 
science  d'approlDation;  elle  est  conforme  à  sa  volonté.  La  privation 
du  bien  moral  que  la  créature  intelligente  est  tenue  de  posséder 
est  une  faute  :  Dieu  connaît  cette  faute  d'une  science  non  plus  d'ap- 
probation, mais  de  simple  intelligence;  car  bien  que  la  science  de 
Dieu  soit  infiniment  simple  en  elle-même,  puisqu'elle  ne  se  distin- 
gue pas  de  la  substance  divine,  nous  sommes  obligés  néanmoins 
de  la  considérer  sous  divers  aspects  et  de  lui  donner  différents 
noms,  non  pas  à  cause  d'elle,  mais  à  cause  de  nous. 

Ainsi,  sous  le  rapport  des  objets  qu'elle  embrasse,  la  science 
divine  est  appelée  science  de  Dieu,  ou  science  des  créatures. 

Elle  est  appelée  science  de  vision  ou  intuitive,  parce  que  Dieu 
voit  toutes  choses  présentes,  passées  ou  futures.  Cette  science  est 
absolument  nécessaire  en  tant  qu'elle  a  Dieu  pour  objet;  elle  n'est 
nécessaire  que  conditionnellement  par  rapport  aux  créatures.  La 
condition  de  sa  nécessité,  c'est  leur  existence. 

Elle  est  appelée  science  de  simple  intelligence,  ou  science 
abstractive,  si  elle  a  pour  objet  les  simples  possibles,  abstraction 
faite  de  leur  existence  ou  de  leur  non-existence;  et  cette  science  est 
nécessaire,  parce  qu'il  ne  peut  pas  se  faire  que  ces  choses  ne  soient 
pas  possibles. 

Elle  est  spéculative,  si  elle  s'en  tient  simplement  à  la  connais- 
sance de  la  vérité  sans  passer  à  l'acte. 

Elle  e^i  pratique,  si  elle  a  pour  objet  ce  qui  a  été,  qui  est  ou  qui 
doit  être,  et,  sous  ce  rapport,  elle  est  le  principe  dirigeant  des 
opérations  divines  concernant  les  créatures.  Mais  la  science  de  Dieu, 
qui  concerne  sa  propre  nature  et  ses  actes  internes,  n'est  pas  appelée 
science  pratique,  parce  que  son  objet  est  nécessaire  :  Dieu  connaît 
cet  objet  parce  qu'il  existe,  et  cet  objet  n'existe  pas  parce  qu'il  le 
connaît;  il  le  connaît  par  la  science  de  vision  et  d'approbation. 

La  science  pratique  de  Dieu  est  la  cause  de  l'existence  de  toutes 
choses  créées,  parce  que  Dieu  opère  tout  par  sa  puissance.  Elle 
concourt  à  leur  donner  l'être  en  guidant  le  choix  de  la  volonté 
divine  qui  les  fait  exister,  tandis  qu'elle  laisse  dans  le  néant  tant 
d'autres  êtres  possibles.  Elle  y  concourt  aussi  en  déterminant  le 
mode  selon  lequel  elles  doivent  passer  du  non-être  à  l'être. 

C'est,  en  effet,  dans  la  science  pratique  de  Dieu,  c'est-à-dire  en 
Dieu  considéré  sous  cet  aspect,  que  se  trouvent  les  idées  d'après 
lesquelles  toutes  les  créatures  existent.  Il  est  certain  que  ces  idées. 


148  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IV. 

que  ces  plans  d'après  lesquels  Dieu  fait  tout  ce  qu'il  fait,  existent. 
Ces  idées  sont  incréées,  éternelles,  immuables,  invisibles.  S.  Paul 
écrit  aux  Hébreux  :  «  Nous  savons  que  les  siècles  ont  été  formés 
«  par  la  parole  de  Dieu,  de  manière  que  ce  qui  était  invisible  est 
«  devenu  visible  K  »  Ces  choses  devenues  visibles,  que  pouvaient- 
elles  être  avant  que  Dieu  les  eût  rendues  visibles  d'invisibles 
qu'elles  étaient,  sinon  les  idées  selon  lesquelles  elles  ont  été  faites? 
Dieu  n'agit  pas  au  hasard.  Comme  tout  habile  architecte  trace  son 
plan  avant  d'entreprendre  un  édifice,  Dieu  a  son  plan  tracé,  et  ce 
plan  comprend  toute  son  œuvre,  jusque  dans  les  détails  les  plus 
infimes;  l'exécution  de  chacun  de  ces  détails  arrive  en  son  temps, 
mais  le  plan  le  contient  d'abord  et  le  règle.  Ce  plan  est  en  Dieu  et 
n'est  pas  quelque  chose  de  distinct  de  lui,  quoique  éternel  comme 
lui,  selon  que  l'ont  rêvé  quelques  hérétiques  ~. 

Ces  idées  des  choses  ne  sont  pas  les  choses  elles-mêmes,  telles 
que  Dieu  les  voit  objectivement  réalisées  de  toute  éternité  dans  sa 
pensée  avant  leur  création,  car  l'idée  d'un  être  est  distincte  de  l'être 
lui-même,  qui  reçoit  l'existence  d'après  elle.  Elles  ne  sont  pas  non 
plus  l'essence  de  Dieu  considérée  dans  la  participation  que  les 
créatures  ont,  en  quelque  manière,  à  cette  divine  essence,  dès  lors 
qu'elles  existent  :  elles  sont  la  pensée  divine  elle-même,  l'idée 
formelle  et  essentielle  de  Dieu  considérant  les  créatures  comme  pos- 

].  Intclli^Minus  aptata  esse  sœciila  verbo  Dei,  ut  ex  invisihilibus  visibilia 
fièrent.  {I/ehr.,  xi,  3.) 

'■2.  Dicendum  quod  necesse  est  ponere  in  mente  divina  ideas.  Idea  enim 
graece,  latine  forma  dicitur.  Unde  per  ideas  intelligunlur  formse  aliquarum 
rerum,  pneter  res  ipsas  exislenles.  Forma  autem  alicujus  rei  praeter  ipsam 
existens,  ad  duo  essepotest;  vel  ut  sit  exemplar  ejus  cujus  dicitur  forma,  vel 
ut  sit  principium  cognitionis  ipsius,  secundum  quod  formée  cognoscibilium 
dicuntur  esse  in  cognoscente.  —  Et  quantum  ad  utrumque  est  necesse  ponere 
ideas  ;  quod  sic  patet  :  In  omnilius  enim  quae  non  a  casu  generantur,  necesse 
est  formam  esse  finem  gcneralionis  cujuscumque.  Agens  auteni  non  agit 
propter  formam,  nisi  in  quantum  similitudo  formge  est  in  ipso.  Quod  quidem 
contigit  dupliciter.  1°  In  quibusdam  enim  agentibus  prœexistit  forma  rei 
fiendae,  secundum  esse  naturale,  sicut  in  bis  quae  agunt  per  naturam,  sicut 
homo  générât  bominem,  et  ignis  ignem.  2°  In  quibusdam  vero,  secundum 
osse  intelligibile;  ut  in  bis  quse  agunt  per  intellectum;  sicut  similitudo  domus 
praeexistit  in  mente  a^dificatoris.  Et  hœc  potest  dici  idca  domus;  quia  artifex 
intendit  domum  assimilare  formse  quam  mente  concepit.  Quia  igitur  mundus 
non  est  casu  factus,  sed  est  factus  a  Deo  por  intellectum  agente,  ut  infra  pa- 
lebit  (qusest.  xlvi,  art.  G),  necesse  est  quod  in  mente  divina  sit  forma,  ad 
simiiitudinem  cujus  mundus  est  factus.  Et  in  hoc  consistit  ratio  ideae. 
(S.  Thom.,  I  p.,  q.  XV,  art.  1.) 


SCIENCE   ET    AUTRES   PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.   J.-C.       149 

sibles;  c'est  l'image,  c'est  le  modèle  d'après  lequel  Dieu  réalise  ce 
qu'il  lui  plaît  de  réaliser.  Ces  idées  appartiennent  donc  à  la  science 
pratique  de  Dieu. 

Dieu,  qui  a  créé  toutes  choses  avec  ordre,  poids  et  mesure,  ne 
pouvait  pas  avoir  seulement  une  idée  ou  plusieurs,  plus  ou 
moins  confuses;  il  fallait  avant  de  les  créer,  si  l'on  peut  se  servir 
des  expressions  avant  et  après  lorsqu'il  s'agit  de  Dieu,  qu'il 
eût  l'idée  de  chacune  d'elles  en  particulier,  pour  lui  assigner  la 
place  qui  lui  convenait  dans  l'espace  et  dans  le  temps;  et  cette  idée 
était  nécessairement  spéciale  et  complète,  car  on  ne  peut  admettre 
rien  d'imparfait,  de  confus,  d'incomplet  en  Dieu  ;  les  choses  dont 
ridée  est  en  lui  peuvent  être  imparfaites,  incomplètes,  désordon- 
nées même,  mais  l'idée  qu'il  en  a  est  absolument  exacte;  elle  est 
leur  image  ou  plutôt  leur  prototype  ;  elles  seront  telles  qu'il  les 
pense  et  il  les  pense  telles  qu'elles  seront,  qu'elles  sont  ou  ont  été, 
avec  toutes  les  circonstances,  tous  les  accidents  de  leur  existence. 

Dans  la  réalité  et  si  l'on  considère  la  vérité  telle  qu'elle  est  en 
Dieu,  il  n'y  a  en  lui  qu'une  seule  et  unique  idée.  C'est  par  un  seul 
acte  de  son  intelligence  infinie  qu'il  conçoit  toutes  choses;  cepen- 
dant les  objets  auxquels  cet  acte  infiniment  simple  s'applique  sont 
innombrables  et  notre  intelligence,  parce  qu'elle  n'est  pas  infinie 
comme  celle  de  Dieu,  multiplie  l'idée  très  simple  mais  infiniment 
féconde  de  Dieu,  selon  la  multitude  des  objets  auxquels  elle  s'at- 
tache. Il  y  a  donc,  pour  nous,  autant  d'idées  particulières  dans 
l'intelligence  divine,  qu'il  y  a  d'êtres  existants,  passés,  futurs  ou 
possibles.  Chacun  de  ces  êtres  est  connu  de  Dieu  dans  son  essence 
et  ses  accidents;  Dieu  en  a  tracé  le  plan;  ce  plan  demeure  en  Dieu 
qui  le  réalise  au  temps  fixé  par  lui,  ou  qui  le  laisse,  s'il  le  veut,  au 
nombre  des  êtres  qui  pourraient  exister  et  qui  n'existeront  pas. 

On  a  demandé  par  quel  moyen  Dieu  connaît  ainsi  toutes  choses, 
lui-même  d'abord,  et  en  second  lieu  tous  les  êtres  en  dehors  de  lui, 
même  les  possibles  qui  ne  seront  jamais.  Les  théologiens  ont  sur- 
tout longuement  discuté  sur  la  connaissance  des  futurs  conditionnels 
et  contingents.  Nous  n'entrerons  pas  dans  ces  discussions  infinies 
et  sans  solution  pratique.  Dieu  se  connaît  en  lui-même  et  il  n'a 
besoin  d'aucun  moyen  intermédiaire  pour  cette  connaissance.  Il 
connaît  les  autres  êtres  parce  qu'il  connaît  les  idées  de  ces  êtres, 
idées  que  son  intelligence  infinie  possède  de  toute  éternité.  Il  les 
connaît  encore  parce  qu'il  a  résolu  de  leur  donner  l'existence  au 


150         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IV. 

temps  voulu,  et  dans  les  circonstances  qu'il  sait.  Il  les  connaît 
parce  que  tout  est  présent  à  son  éternité  et  que  rien  de  ce  qui  est, 
a  été  ou  sera,  ne  cesse  d'être  à  nu  et  à  découvert  devant  ses  yeux.  II 
les  connaît  dans  leur  essence,  dans  leur  matière,  dans  leurs  acci- 
dents, et  s'il  s'agit  d'actes,  dans  toutes  leurs  circonstances,  leurs 
causes  et  leurs  effets.  Il  les  connaît  tels  qu'ils  ont  été,  qu'ils  sont 
ou  qu'ils  seront  :  les  faits  ou  les  êtres  nécessaires,  comme  néces- 
saires; les  faits  ou  les  êtres  conditionnels  ou  contingents,  comme 
conditionnels  et  contingents.  Vouloir  pénétrer  plus  avant,  c'est 
s'exposer  à  l'erreur  :  le  mieux  est  de  prendre  Dieu  tel  qu'il  est, 
de  reconnaître  simplement  son  éternité  à  laquelle  tout  ce  qui 
est  le  temps  pour  nous  est  actuellement  présent,  infiniment 
mieux  que  ce  que  nous  appelons  présent  ne  l'est  à  notre  égard, 
puisque  ce  présent  ne  consiste,  pour  la  créature,  qu'en  un  point 
insaisissable.  C'est  ce  que  les  théologiens  des  siècles  passés  ont 
peut-être  trop  oublié  dans  leurs  discussions  sur  ces  sujets  obs- 
curs ;  la  philosophie  des  anciens,  dans  laquelle  S.  Thomas  a 
puisé  tant  de  lumières,  n'a  pas  été  aussi  féconde  en  heureux  fruits 
pour  tous.  Nous  renvoyons  donc  ceux  qui  voudraient  étudiera  fond 
ces  sujets  peu  pratiques,  aux  théologiens  des  xvii'  et  xviii^  siècles. 
Qu'il  nous  suffise  ici  de  nous  écrier  avec  S.  Paul  :  «  0  altitudo! 
«  0  profondeur  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu  ! 
«  Que  ses  jugements  sont  incompréhensibles  et  ses  voies  impéné- 
<  trahies!  Puisque  c'est  de  lui,  et  par  lui  et  en  lui  que  sont  toutes 
«  choses  :  à  lui  la  gloire  dans  tous  les  siècles  des  siècles.  Amen  '.  » 

On  a  demandé  encore  si  la  science  de  Dieu  est  la  cause  des 
choses  qui  existent? 

La  science  de  Dieu  est  la  cause  de  tout  ce  qui  existe  endehorsde 
lui,  en  ce  sens  qu'elle  dirige,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  l'action 
créatrice  de  Dieu.  Elle  en  est  même  la  cause  efficiente,  non  pas 
précisément  en  qualité  de  science,  mais  parce  qu'elle  s'adjoint  à  la 
volonté  qui  agit  et  que  c'est  elle  qui  détermine  ses  actes.  La  Sainte 
Écriture  ne  nous  permet  pas  de  douter  que  Dieu  n'agisse  d'après 
les  lumières  de  son  intelligence  infinie,  d'après  sa  sagesse  ou  sa 
science.  Le  Psalmiste  dit  à  Dieu  :  «Combien  sont  magnifiques  vos 

{.  0  altitudo  divitiarum  sapientise  et  scientiae  Dei  !  Quam  incomprehensi- 
bilia  sunt  judicia  ejus  et  investigabiles  viœ  ejus  !....  Quoniam  ex  ipso,  et 
per  ipsum  et  in  ipso  sunt  omnia.  Ipsi  gloria  in  saecula.  Amen.  (Rom,,  xi, 
33,  30.) 


SCIENCE   ET    AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES   POSITIVES   DE    N.-S.    J.-C.       151 

«  œuvres,  Seigneur!  Vous  avez  fait  toutes  choses  avec  sagesse  *.  » 
Ailleurs  il  dit  encore  :  «  Glorifiez  le  Seigneur....  qui  a  fait  les  cieux 
avec  intelligence  -.  »  Ne  serait  ce  pas  d'ailleurs  faire  l'injure  la  plus 
grossière  à  Dieu,  dont  l'intelligence  est  infiniment  parfaite,  de  sup- 
poser que,  voulant  agir,  il  Ta  lait  aveuglément  et  sans  se  rendre 
compte  de  ses  actes?  On  lit  au  livre  des  Proverbes:  «  Le  Seigneur, 
«  par  la  sagesse,  a  fondé  la  terre  :  il  a  affermi  les  cieux  par  la 
«  prudence.  Par  sa  sagesse  ont  paru  tout  à  coup  les  abîmes,  et  les 
«  nuées  se  chargent  de  rosée  ^.  »  S.  Jean  dit  que  toutes  choses 
ont  été  faites  par  le  Verbe  :  Omniaper  ipsum  facta  sunt  '*.  Or  le 
Verbe  dont  il  parle  est  le  Fils  de  Dieu,  la  science  ou  la  sagesse 
incréée  de  Dieu,  égal  en  tout  au  Père.  Et  S.  Paul  nous  représente  le 
Fils  de  Dieu,  gloire  et  empreinte  de  sa  substance,  soutenant  toutes 
choses  par  la  puissance  de  sa  parole  ^.  Ces  textes  de  la  Sainte  Écri- 
ture, et  beaucoup  d'autres  analogues,  indiquent  clairement  que  la 
sagesse,  la  science  de  Dieu,  a  une  grande  part  dans  ses  œuvres. 
Elle  éclaire  et  dirige  les  actes  divins,  mais  elle  fait  plus  :  les  expres- 
sions fonder,  affermir,  soutenir,  ne  révèlent  pas  seulement  une 
simple  direction,  mais  aussi  une  action  efficace  par  elle-même. 

Les  Pères  et  les  docteurs  reconnaissent  à  la  science  de  Dieu  la 
même  action  efficace.  C'est  ainsi  que  S.  Augustin  dit,  dans  le 
traité  sur  la  Trinité  :  «  Dieu  ne  connaît  pas  toutes  les  créatures, 
«  soit  spirituelles,  soit  corporelles,  parce  qu'elles  sont,  mais  elles 
«  sont  parce  qu'il  les  connaît  ^.  »  Il  dit  dans  la  Cité  de  Dieu  :  «  Ce 
«  monde  ne  nous  serait  pas  connu  s'il  n'était  pas  ;  mais  s'il  n'était 
«  pas  connu  de  Dieu,  il  ne  pourrait  pas  être  '.  »  La  science  de  Dieu 
ne  ressemble  donc  pas  à  la  nôtre,  dont  les  objets  existent  indépen- 
damment d'elle;  mais  elle  cause  l'existence  de  son  objet  qui  sans 

1.  Quam  magnificata  sunt  opéra  tua,  Domine!  Omnia  in  sapientia  fecisti. 
(Ps.  cm,  3.) 

2.  Confitemini  Domino....  qui  fecit  cœlos  in  intellectu.  {Ps.  cxxxv.) 

3.  Dominus  sapientia  fundavit  terram,  stabilivit  cœlos  prudentia.  [Prov., 
m,  19.) 

4.  Omnia  par  ipsum  facta  sunt  :  et  sine  ipso  factum  est  nihil  quod  factum 
est.  {Joann.,  i,  4.) 

5.  Qui  cum  sit  splendor  gloriae  et  figura  substantiae  ejus,  portansque  omnia 
verbo  virtutis  suae.  {Ilebr.,  i,  3.) 

6.  Universas  creaturas  et  spirituales  et  corporales,  non  quia  sunt  ideo  novit 
Deus,  sed  ideo  sunt  quia  novit.  (S.  Al'gl'st.,  lib.  XV'  de  Trin.,  cap.  xu.) 

7.  Iste  mundus  nobis  notus  esse  non  posset  nisi  esset.  Deoautcinnisi  notus 
esset,  esse  non  posset.  (Id.,  de  Civil.  JJei,  lib.  II,  cap.  x.) 


155  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IV. 

elle  ne  serait  pas.  S.  Grégoire  exprime  la  même  pensée  lorsqu'il 
dit  :  a  Toutes  les  choses  qui  sont  ne  sont  pas  vuesde  Dieu  de  toute 
«  éternité,  parce  qu'elles  sont,  mais  elles  sont  parce  qu'il  les  voit  i.  » 

Il  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi,  puisque  Dieu  est  tout  acte  et  qu'il 
est  aussi  tout  intelligence.  Comment  pourrait-il  être  tout  à  la  fois 
agissant  et  étranger  à  son  action? 

Nous  dirons  donc,  en  résumant  la  doctrine  de  Suarez,  que  la 
science  de  Dieu  est  en  même  temps  spéculative  et  pratique.  Elle 
est  spéculative  ou  de  simple  intelligence,  ou  de  vision  en  ce  sens 
que  Dieu  connaît  toutes  les  natures  et  les  propriétés  des  êtres  sus- 
ceptibles de  recevoir  l'existence.  Elle  e^i  pratique  parce  que  Dieu 
connaît  par  elle  tous  les  moyens  de  donner  l'existence  aux  êtres 
qu'il  veut  créer  ;  c'est  elle,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  qui  dirige  son 
action.  Elle  est  pratique  encore,  parce  que  Dieu  opère  tout,  non 
seulement  d'après  les  lumières  de  sa  sagesse,  mais  par  sa  sagesse; 
car  la  sagesse  de  Dieu  se  confond  avec  le  Verbe  éternel,  par  le- 
quel tout  a  été  fait,  et  sans  lequel  rien  n'a  été  créé  de  ce  qui  a  été 
créé. 

Telles  sont  les  principales  notions  qu'il  est  bon  de  connaître  tou- 
chant la  science  de  Dieu.  Ajoutons  cependant  encore  que  la  science 
de  Dieu  pour  laquelle  tout  est  présent,  aussi  bien  l'avenir  que  le 
passé,  n'enlève  rien  à  la  liberté  des  hommes;  Dieu  sait,  ou,  si  l'on 
préfère,  il  voit  éternellement  ce  que  chacun  de  nous  a  été  ou  sera, 
ce  qu'il  a  fait  et  ce  qu'il  fera  dans  le  temps  et  dans  l'éternité,  car 
tout  est  à  nu  et  à  découvert  devant  ses  yeux,  mais  la  vue  qu'il  a 
de  nos  actes  n'enchaîne  pas  plus  notre  liberté,  que  celle  que  nous 
avons  du  vol  léger  de  l'hirondelle  ne  met  obstacle  à  ses  caprices. 
Nous  agissons  librement,  et  Dieu  le  voit.  Nous  faisons  librement  le 
bien,  et  Dieu  l'approuve.  Nous  faisons  librement  le  mal,  et  Dieu  le 
condamne.  Le  bien  ou  le  mal  que  nous  faisons  librement.  Dieu  le  ré- 
compense ou  le  punit,  selon  sa  miséricorde  et  sa  justice.  Mais  sa 
science  n'influe  pas  sur  nos  résolutions,  sinon  en  ce  sens  que  sa 
miséricorde  infinie  en  profite  pour  nous  préparer  des  grâces 
plus  abondantes  selon  nos  besoins,  et  écarter  de  nous  mille  dan- 
gers. 

«  A  vous  donc,  s'écrie  Lessius,  à  vous,  ô  plénitude  de  lumière, 
«  plénitude  de  vérité,  sagesse  infinie  de  Dieu,  à  vous  honneur  et 

i.  <juœ(|uae  sunt,  non  ab  aeternitale  ejus  ideo  videnlur  quia  sunt;  sed  ideo 
sunlcpua  videnlur.  (S.  Gregor.,  Moral.,  lib.  XX,  cap.  xxiii.) 


SCIENCE    ET    AUTRES   PERFECTIONS   DIVINES   POSITIVES   DE    N.-S.   J.C.       153 

«  gloire,  de  la  part  de  toutes  les  créatures  et  au-dessus  de  toutes 
«  les  créatures,  en  vous-même  qui  êtes  la  connaissance  claire  et 
«  consommée  de  l'excellence  divine.  Il  est  vrai,  Dieu  tout-puissant, 
«  vous  faites  jusqu'à  un  certain  point  éclater  votre  excellence  dans 
«  les  entendements  des  anges  et  des  saints,  et  dans  cet  éclat,  il 
a  faut  l'avouer,  votre  gloire  laisse  percer  quelque  rayon  ;  mais  elle 
«  resplendit  infiniment  plus  dans  votre  sagesse,  comme  une  lu- 
«  mière  infinie  brille  infiniment  plus  qu'une  petite  étincelle. 

«  Que  là  donc,  dans  son  inaccessible  hauteur,  votre  sagesse 
«  vous  soit  une  louange  infinie,  ô  Dieu,  et  qu'elle  se  glorifie  ainsi 
«  infiniment  elle-même  !  Que  toute  créature  se  réjouisse  avec  elle, 
«  et  la  félicite,  la  loue,  la  bénisse  et  la  glorifie.  Sans  doute  vous 
«  n'avez  pas  besoin  de  notre  gloire  et  de  nos  louanges;  une  étin- 
«  celle  n'ajoute  rien  à  une  clarté  infinie;  mais  nous  y  trouvons 
«  notre  avantage  :  car  vous  connaître  et  vous  louer  est  notre  sou- 
«  verain  bien  et  la  vie  éternelle  '.  » 


II. 

VOLONTÉ    ET    AMOUR    DE    l'ÊTRE    DIVIX   DE    JÉSUS    DANS    l'eUCHARISTIE. 
—    SOX    DOUBLE    OBJET 

Lorsque  nous  parlons  de  Dieu  et  des  choses  divines,  nous  nous 
servons  'nécessairement  des  expressions  qui,  dans  l'usage  ordi- 
naire, ont  le  plus  de  rapport  avec  une  matière  inexprimable  par 
elle-même.  On  se  tromperait  donc  si,  lorsque  nous  parlons,  par 
exemple,  de  la  volonté  de  Dieu  et  de  son  libre  arbitre,  on  donnait 
exactement  à  ces  mots  la  signification  qui  leur  est  propre  lorsqu'il 
s'agit  des  facultés  humaines.  Néanmoins,  il  faut  bien  en  user, 
puisqu'il  n'en  est  pas  d'autres  qui  puissent  nous  donner  une  idée 
plus  exacte  de  ce  qui  est  en  Dieu  ~. 

Il  est  de  foi  que  Dieu  a  une  volonté,  une  volonté  très  parfaite, 
une  volonté  libre.  Toute  la  Sainte  Écriture  proclame  que  Dieu  fait 
ce  qu'il  veut.  Il  n'agit  aucunement  poussé  par  la  nécessité;  et  ce 
qu'il  accomplit,  rien  ne  l'oblige  à  le  faire.  David  le  proclame  lors- 

1.  Lessius,  Élévations  à  Dieu,  ch.  vi  (extraites  du  grand  traité  des  Perfec- 
tions divines)  ;  traduction  du  R.  P.  Bouix. 

"i.  Sunt  enim  intelliiribilium  rerum  imagines  ea  quie  sunl  manifcstiora,  et 
ad  eorum,  quœ  sunt  supra  nos  comprehensionem,  ea  quaî  in  nohis  sunt  nos 
velut  manu  deducunt.  (S.  Cyiull.  Ai.ex.,  lib.  1  in  Joann.,  cap.  x.) 


154         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.    —  LIVRE  II.    —  CHAP.  IV. 

qu'il  dit  :  «  Le  Seigneur  a  fait  tout  ce  qu'il  a  voulu,  au  ciel,  sur  la 
«  terre,  dans  la  mer  et  dans  tous  les  abîmes  ^.  »  S.  Paul  n'est  pas 
moins  explicite  dans  l'Épître  aux  Romains  :  «  Donc  il  a  compassion 
€  de  qui  il  veut,  et  il  endurcit  qui  il  veut  -,  »  dit-il  ;  et  S.  Jacques 
dit  de  même  dans  son  Épître  canonique  :  «  C'est  volontairement 
«  qu'il  nous  a  enfantés  par  la  parole  de  la  vérité  3.  » 

Mais  les  faits  prouvent  plus  efficacement  encore  que  les  paroles, 
et  la  Sainte  Écriture  nous  en  présente  plusieurs  qui  manifestent, 
avec  évidence,  la  volonté  libre  de  Dieu,  Par  exemple,  elle  nous 
montre  en  cent  passages,  qu'il  est  inutile  de  rapporter,  que  l'homme 
peut  agir  selon  la  justice,  ou  s'abandonner  au  mal  s'il  le  veut  :  il 
est  libre  de  choisir  la  voie  dans  laquelle  il  s'engage.  D'autre  part, 
elle  nous  montre  aussi  Dieu  se  posant  en  juge  et  en  rémunérateur 
de  toutes  les  œuvres  des  hommes;  il  rendra  à  chacun  selon  ses 
mérites.  La  liberté  de  l'homme  pour  agir  bien  ou  mal  suppose 
nécessairement  la  liberté  de  Dieu  qui  doit  le  récompenser  ou  le 
punir,  puisqu'il  ne  le  fera  avec  justice  qu'autant  qu'il  lui  sera 
possible  d'accommoder  ses  actes  aux  mérites  et  aux  démérites  des 
hommes.  Ceux-ci  étant  libres,  il  faut  nécessairement  que  Dieu  le 
soit  aussi.  Nous  lisons  dans  le  prophète  Isaïe  :  «  Si  vous  le  voulez, 
«  si  vous  m'écoutez,  vous  mangerez  les  biens  de  la  terre.  Que  si 
«  vous  ne  le  voulez  pas,  si  vous  me  provoquez  à  la  colère,  le  glaive 
«  vous  dévorera  *.  »  Dieu  se  déclare  donc  prêt  à  régler  sa  conduite 
d'après  celle  des  Israélites;  selon  qu'ils  agiront,  il  agira  à  son 
tour.  Il  était  donc  libre  éternellement  de  préparer,  pour  ceux  à 
qui  il  parlait  ainsi,  des  biens  ou  des  maux,  selon  qu'il  leur  plairait 
d'agir.  La  guérison  du  roi  Ézéchias,  la  préservation  delà  ville  de 
Ninive  et  mille  autres  faits  prouvent  avec  évidence  que  Dieu  n'est 
pas  nécessité  dans  ses  actes,  qu'il  a  une  volonté  libre  et  qu'il  agit 
comme  il  lui  plaît. 

La  puissance  de  la  prière  auprès  de  lui  n'est-elle  pas  une  preuve 
plus  à  portée  encore  de  chacun  de  nous,  et  d'une  expérience  de 
tous  les  jours?  Comment  Dieu  nous  exaucerait-il  s'il  n'avait  pas 
une  volonté  parfaite  dont  le  premier  caractère  est  nécessairement 

i.  Omnia  quœcumque  voluit  Dominus  fecit,  in  cœlo  et  in  terra;  in  mari  et 
in  omnibus  abyssis.  (As.  cxxxiv.) 

2.  Ergo  cujus  vult  miseretur,  et  quem  vult  indurat.  lI{om.,  ix,  18.) 

3.  Volunlarie  genuit  nos  verbo  veritatis.  {Jacob.,  i,  18.) 

4.  Si  voluerilis,  et  audieritis  me,  bona  terrae  comedetis.  Quod  si  nolueritis, 
et  me  ad  iracundiarn  provocaveritis,  gladius  devorabit  vos.  (/s.,  i,  19.) 


SCIENCE    ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       155 

la  liberté?  Or,  personne  ne  peut  nier  l'utilité,  l'efficacité  de  la 
prière,  à  moins  de  prétendre  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui- 
même  nous  a  indignement  trompés,  lorsque,  si  souvent  dans  le 
cours  de  sa  vie  mortelle,  il  nous  a  pressés  de  prier.  «  Il  faut  tou- 
jours prier,  nous  dit-il,  et  ne  jamais  cesser  de  le  faire  ^.  »  Mais 
à  quoi  bon  si  Dieu  n'était  pas  libre,  s'il  n'était  que  l'exécuteur  des 
décrets  d'un  destin  irrévocable?  Et  comment  sa  libéralité,  sa  bonté, 
sa  miséricorde,  s'accommoderaient-elles  de  l'obligation  d'être  sourd 
à  toutes  nos  supplications,  sans  pitié  pour  nos  maux  ni  pour  notre 
repentir? 

D'ailleurs  Dieu  est,  par  sa  nature  même,  l'intelligence  suprême, 
la  raison  infinie,  la  sagesse  sans  bornes.  «  Or,  dit  S.  Honoré  d'Au- 
«  tun,  partout  où  est  la  raison,  là  aussi  se  trouve  la  liberté  de  vou- 
«  loir  et  de  ne  vouloir  pas  -.  »  Si  Dieu  n'avait  pas  lui-même  une 
volonté  libre,  qui  donc  aurait  donné  cette  liberté  aux  hommes? 
L'Être  souverainement  intelligent  serait  inférieur  sous  ce  rapport 
à  ses  créatures,  et  nous  pourrions  dire  à  Dieu  :  Nous  sommes  plus 
parfaits  que  vous  ;  nous  avons  une  volonté  libre,  et  vous,  vous  êtes 
esclave  de  la  nécessité;  vous  n'avez  ni  volonté  ni  liberté! 

Cependant,  d'après  S.  Jean  Damascène,  si  Dieu  fait  acte  de 
volonté,  on  ne  peut  pas  dire  à  proprement  parler  qu'il  y  ait  élec- 
tion ou  choix,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  consultation,  de  délibération. 
Une  telle  délibération  supposerait  une  ignorance  qui  n'existe  pas 
en  Dieu.  Dieu  sait  tout;  il  n'a  pas  besoin  de  consulter,  de  tenir 
conseil  3.  Mais  de  ce  qu'il  n'y  a  pas  en  Dieu  cette  hésitation  fille 
de  l'ignorance,  qu'on  trouve  chez  les  hommes,  il  n'en  est  pas  moins 
libre  de  choisir  entre  deux  actes,  et  il  n'en  fait  pas  moins  librement 
et  volontairement  ce  qu'il  fait.  «  lia,  dit  S.  Épiphanc,  la  puissance 
«  de  faire  ce  qu'il  veut,  et  il  fait  ce  qui  convient  à  sa  divinité  *.  » 
Et  S.  Augustin  ajoute  :  «  Il  aurait  pu  ressusciter  Judas,  comme  il 
«  a  ressuscité  Lazare,  mais  il  ne  l'a  pas  voulu  ^....  C'est  que,  dit- 

1.  Oportet senti per  orare  et  nunquam  deficere.  {Luc,  xviii,  l.) 

2.  Quibus  inest  ratio,  inest  etiam  volendi  nolendique  libertas.  (S.  Honor. 
AUGL'STOD.,  lib.  de  Prxdest.  et  lib.  arhitr.) 

'•S.  Deus  non  consultât.  Est  enim  ignorantiœ  proprium  consultare.  Quod  si 
ignorantiae  est  consilium,  erit  etiam  electio.  Itaque  Deus  qui  simpliciteromnia 
novit,  non  consultât.  (S.  Joann.  Damasc,  lib.  II,  cap.  xxii.) 

4.  Deus  potens  est  ut  quod  vult  faciat  :  verum  facit  illa  quœ  divinitati  suse 
congruunt.  (S.  Epiph.,  Ilxr.^  Lxx,  n.  7.) 

î).  Potuit  Judam  suscitare  uli  Lazarum  suscitnvit,  scd  noluit.  (S.  August., 
lib.  de  S'ahira  et  gratta,  cap.  vu.) 


156         L.\    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.  IV. 

«  il  ailleurs,  il  n'est  pas  soumis  à  la  nécessité,  mais  ce  qu'il  fait, 
«  il  l'exécute  en  vertu  de  sa  souveraine  et  ineffable  volonté,  par  le 


€  moyen  de  sa  puissance  ^ 


Les  œuvres  de  Dieu  prouvent  aussi  la  liberté  de  sa  volonté  sainte; 
Dieu  n'a  pas  créé  le  monde  de  toute  éternité,  mais  seulement  lors- 
qu'il l'a  voulu  ;  il  n'a  pas  non  plus  créé  plusieurs  mondes,  parce 
qu'il  lui  a  plu  de  n'en  créer  qu'un  seul.  Il  ne  tenait  qu'à  lui  d'en 
tirer  du  néant  une  multitude  d'autres  plus  grands  et  plus  parfaits 
encore.  Qui  pourrait  en  douter?  demande  S.  Ambroise.  Qu'y  a-t-il 
de  difficile  pour  qui  vouloir  et  faire  sont  une  seule  et  même 
chose  ■-?  Le  saint  docteur  ne  s'arrête  pas  là  ;  dans  son  traité  sur 
la  foi,  il  prouve  que  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ont  une  volonté 
libre  aussi  bien  que  le  Père,  ce  que  les  Ariens  ne  voulaient  pas 
admettre,  de  peur  d'être  obligés  de  conclure  que  les  trois  ado- 
rables personnes  de  la  Sainte  Trinité  sont  égales  en  toutes 
choses.  «  \'otre  impiété  en  est  arrivée  à  ce  comble,  leur  disait-il, 
«  que  vous  refusez  d'admettre  dans  le  Fils  de  Dieu  une  volonté 
«  libre.  Vous  dites  même  habituellement  que  le  Saint-Esprit 
«  n'en  a  point  davantage.  Cependant  vous  ne  pouvez  pas  nier 
«  qu'il  soit  écrit  :  L'Esprit  souffle  où  il  veut.  Si  donc  l'Esprit 
«  souflle  où  il  veut,  le  Fils  ne  fera-t-il  pas  de  même  ce  qu'il 
«  veut  3?  »  Il  cite  ensuite  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Un  seul  et 
«  même  P^sprit  opère  toutes  choses,  partageant  ses  dons  entre 
«  chacun  comme  il  veut  ^  ;  »  et  il  explique  :  «  Comme  il  veut, 
«  c'est-à-dire  au  gré  de  sa  volonté  libre,  et  non  par  nécessité  ni 
«  obéissance  ^.  »  S.  Ambroise  met  donc  ici  la  volonté  libre  en  op- 
position avec  la  nécessité,  et  il  conclut  des  paroles  de  l'Apôtre  que 
le  libre  arbitre  de  la  volonté  divine  consiste  en   ce  point  que 

1.  Quia  nuUain  necessilatem  patilur,  nequc  necessitalc  facil,  quae  facit,  sed 
suinma  et  inellaljili  volunlale  ac  potestale.  (Id.,  lib.  de  Fide  contra  Manich., 
cap.  x.wiii.) 

2.  De  Crcalore  (Jubilant  utrum  plures  cœlos  facere  potuerit  de  quo  scrip- 
lum  est  :  Dominus  outem  cœlos  fecil.  Et  alibi  :  Omnia  (jusecumquevoluit  fecit. 
Quid  enim  difficile  ei  cui  velle  fecisse  est?  (S.  Ambrus.,  llexamer.,  cap.  ii.) 

3.  In  tantum  processistis  inipietatis,  ut  negetis  quod  I-'ilius  Dei  liberse  vo- 
lunlalis  sit.  At  certe  soletis  etiam  sancto  Spiritui  derogare,  et  negare  non 
potestis  scriptum  esse  :  Spiritus  ubi  vult  xpirat.  Ergo  si  Spiritus  ubi  vult 
•spirat,  Filius  quod  vult,  non  agit?  (S.  Ambros.,  lib.  de  Fide,  cap.  m.) 

4.  Omnia  operatur  unus  atque  idem  Spiritus,  dividens  singulis,  prout  vult. 
(/.Cor.,  xii,  \\.) 

5.  Prout  vull,  inquit,  hoc  estpro  liberae  voluntatis  arbitrio,  non  pro  necessi- 
tatis  obsequio.  (S.  Ambros.,  lib.  de  Fide,  caj).  xii.) 


SCIENCE   ET   AUTRES    PERFECTIONS   DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       157 

cette  sainte  volonté  agit  sans  qu'aucune  nécessité  lui  impose  l'ac- 
tion; le  Saint-Esprit  souffle  ici  ou  là,  comme  il  lui  plaît  de  le  faire. 
Le  saint  docteur  montre  ensuite  qu'une  volonté  semblable  est  le 
partage  du  Père  et  du  Fils,  en  s'appuyant  sur  ces  paroles  de  Notre- 
Seigneur  :  «  Le  Père  vivifie  ceux  qu'il  veut  et  le  Fils  vivifie  ceux 
qu'il  veut  i.  » 

Ces  quelques  textes,  qu'il  serait  aisé  de  multiplier,  font  assez 
voir  que  la  Sainte  Écriture  et  les  Pères  de  l'Église  ont  toujours 
admis  une  volonté  libre  en  Dieu.  Et  comment  ne  l'auraient-ils  pas 
reconnue,  puisque  la  volonté  libre  est  une  perfection  nécessaire  de 
tout  être  intelligent?  Or,  Dieu  est  l'être  intelligent  par  excellence; 
il  est  l'intelligence  même,  l'intelligence  infiniment  parfaite.  Tout 
être,  dit  S.  Thomas,  tend  vers  sa  perfection  et  sa  conservation,  cha- 
cun selon  son  mode.  Les  animaux  sont  dirigés  vers  ce  but  parleur 
appétit  sensible  ;  les  êtres  qui  ne  possèdent  pas  l'usage  des  sens, 
par  une  inclination  naturelle  quelconque;  les  êtres  intelligents  ont, 
pour  y  atteindre,  la  volonté  libre,  c'est-à-dire  une  inclination  vers 
le  bien  que  l'intelligence  leur  propose,  un  appétit  du  bien  éclairé 
par  la  raison.  Lorsque  ces  divers  êtres  ont  atteint  le  but  que  tous 
recherchent,  ils  y  trouvent  le  bonheur  et  la  paix  dont  ils  sont  sus- 
ceptibles. Cette  perfection,  qui  se  retrouve  dans  tous  les  êtres, 
pourrait-elle  ne  pas  exister  chez  l'être  par  excellence,  chez  celui 
qui  l'a  donnée  à  tous  les  autres? 

Il  faut  dire  cependant  qu'il  y  a  en  Dieu,  plutôt  l'acte  de  vouloir 
que  la  volonté  proprement  dite,  ou,  si  l'on  veut,  que  la  volonté  de 
Dieu  est  toujours  en  acte,  qu'elle  est  un  acte  unique  infiniment 
simple,  embrassant  éternellement  et  tout  à  la  fois  tous  ses  objets  ; 
car  lorsqu'il  s'agit  de  Dieu,  on  doit  toujours  en  revenir  à  l'unité 
et  à  la  simplicité  absolue  qui  est  son  essence,  dont  tous  ses  attri- 
buts ne  sont  distincts  que  virtuellement  et  par  rapport  à  nous. 

Le  premier  objet  de  la  volonté  de  Dieu  est  cette  même  essence 
divine.  A  cet  objet,  la  volonté  de  Dieu  est  attachée  nécessairement 
par  l'amour.  Dieu  ne  peut  pas  ne  pas  se  vouloir,  et  il  ne  peut 
pas  ne  pas  s'aimer.  L'objet  de  la  volonté  c'est  le  bien  :  or,  vers 
quel  bien  peut  se  porter  d'abord  la  volonté  de  Dieu,  sinon  vers 
le  bien  infini  qui  n'est  autre  que  lui-même?  La  volonté  de 
Dieu  se  portera  donc  tout  d'abord,  avec  une  force  infinie,  vers 

1.  Pater  quos  vull  vivificat,  et  Filius  qiios  vult  vivificat.  [Joann.,  v,  ;2I,) 


158  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IV. 

ce  bien  qui  est  lui  ;  elle  l'aimera,  parce  que  c'est  le  bien  infini- 
ment aimable,  et  S.  Thomas  dit  que  cet  amour  est  une  nécessité 
absolue  pour  Dieu.  Il  veut  nécessairement  sa  bonté,  la  perfection 
infinie  de  son  être,  comme  notre  volonté  veut  nécessairement  pour 
nous  la  béatitude.  Il  est  vrai  que  nous  nous  trompons  trop  souvent 
et  que  nous  considérons  comme  un  bien  pour  nous  ce  qui  ne  l'est 
pas;  mais,  en  Dieu,  il  n'y  a  pas  d'erreur  possible.  C'est  lui-même 
qu'il  veut  et  qu'il  aime,  en  voulant  et  en  aimant  le  souverain  bien, 
la  souveraine  bonté.  On  peut  donc  dire  que  l'acte  de  volonté  par 
lequel  Dieu  se  veut  est  nécessaire  :  il  ne  serait  pas  Dieu  s'il  n'ai- 
mait pas  le  bien  infiniment  digne  d'amour,  dont  il  connaît  toute 
la  perfection,  toute  l'amabilité.  Et  s'il  aime  ce  bien,  il  le  veut, 
nécessairement  quoique  librement,  car  rien  d'étranger  ne  pèse  sur 
sa  volonté,  rien  ne  lui  impose  un  joug  quelconque.  Il  est  à  lui- 
même  sa  loi,  sa  liberté,  sa  nécessité,  et  tout  se  confond  en  ce  point 
unique,  sa  volonté,  qui,  à  son  tour,  n'est  pas  autre  que  son  être 
divin. 

Mais  la  volonté  de  Dieu  ne  s'arrête  pas  à  lui  seul  uniquement.  Elle 
peut  avoir  un  objet  secondaire.  C'est  une  vérité  de  foi,  carsouvent  il 
est  parlé  dans  les  Saintes  Lettres  de  la  volonté  de  Dieu  touchant  les 
créatures.  On  lit  dans  le  livre  de  la  Sagesse  :  «  Gomment  quelque 
«  chose  pourrait-il  subsister,  si  vous  ne  l'aviez  voulu  *?  »  Et  dans 
S.  Matthieu,  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  s'adressant  à  son  Père  cé- 
leste, lui  dit:  ff  Non  pas  comme  je  veux,  mais  comme  vous  voulez  -.  » 
Il  est  dit  dans  le  livre  des  Psaumes  :  «  Dieu  a  fait  tout  ce  qu'il  a 
«  voulu  3.  »  Dieu  veut  donc  ce  qu'il  fait.  Il  est  dit  encore  dans  la 
Genèse  qu'après  la  création,  il  vit  que  ses  œuvres  étaient  bonnes, 
par  conséquent  dignes  d'être  aimées,  donc  il  peut  les  vouloir.  C'est 
en  elles-mêmes  qu'il  les  considère,  qu'il  les  trouve  bonnes  et 
dignes  d'être  voulues  de  lui;  ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'elles 
existent  éternellement  dans  son  intelligence^  mais  parce  qu'elles 
ont  un  être  qui  leur  est  propre  et  qu'elles  sont  en  elles-mêmes.  Ce 
n'est  donc  pas  uniquement  lui-même  que  Dieu  veut  et  aime  en 
elles,  mais  il  les  veut  et  les  aime  elles-mêmes  pour  ce  qu'elles 
sont.  Il  veut  qu'elles  soient  faites,  qu'elles  existent,  et  non  pas 
seulement  en  lui  dans  sa  pensée,  mais  en  elles-mêmes.  Et  c'est  en 

\.  Quomodo  posset  aliquid  permanere,  nisi  voluisset?  {Sap.,  xi,  2G.) 

2.  .Non  sicut  ego  volo,  sed  sicut  tu.  {Malth.,  xxvi,  39.) 

3.  Omiiia  qnaocumque  voluit  fecit.  (/^s.- cxiii,  3.) 


SCIENCE   ET    AUTRES   PERFECTIONS   DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       159 

ce  sens  que  S.  Thomas  dit  que  Dieu  aime  toutes  les  choses  exis- 
tantes, car  la  volonté  de  Dieu  ne  peut  produire  que  la  bonté,  et 
c'est  par  la  volonté  de  Dieu  qu'elles  existent  i.  Dieu  aime  donc  en 
elles  la  bonté  créée.  S.  Paul  écrit  aux  fidèles  de  Thessalonique  : 
«  Votre  sanctification,  voilà  la  volonté  de  Dieu  -.  »  Or,  la  sanctifi- 
cation est  quelque  chose  de  créé  que  Dieu  veut.  Et  S.  Jean  n'hésite 
pas  à  dire  :  «  Dieu  a  tellement  aimé  le  monde  qu'il  a  livré  son 
«  Fils  unique  ^  »  pour  lui. 

S.  Thomas  dit  encore  que  Dieu  veut  l'existence  d'autres  êtres 
qui  ne  sont  pas  lui,  dans  le  but  de  se  communiquer  à  eux,  autant 
qu'il  est  possible  ;  non  pas  que  l'intention  de  Dieu  soit  de  se  com- 
muniquer à  ses  créatures  de  toutes  les  manières  possibles,  maison 
quelqu'une  de  celles  qui  le  sont,  dans  une  mesure  qui  ne  dépasse 
pas  la  capacité  d'un  être  fini  ;  car  Dieu  ne  peut  ni  ne  veut  se  com- 
muniquer aux  créatures  jusqu'à  l'infini. 

Pour  Dieu,  vouloir  c'est  aimer.  11  s'aime  donc  lui-même  d'un 
amour  infini,  et  il  aime  ses  créatures  à  cause  de  lui-même  et  du 
bien  qu'il  a  mis  en  elles. 

L'amour  de  Dieu  pour  les  créatures  et  pour  l'homme  en  par- 
ticulier est  un  amour  de  bienveillance.  Nous  ne  pouvons  rien 
ajouter  ni  à  son  bonheur  ni  à  sa  gloire;  il  n'attend  rien  de 
nous  pour  lui-même;  mais  il  nous  veut  du  bien.  Il  veut  ce  bien 
à  cause  de  lui-même  d'abord,  parce  qu'il  est  bon  et  que  sa  bonté 
s'exerce  ainsi  :  la  fin  ultime  de  tous  ses  actes  ne  peut  être  que 
lui,  parce  que  lui  seul  en  est  digne.  Mais  il  nous  veut  aussi  du 
bien  à  cause  de  la  bonté  que  son  regard  découvre  en  nous,  bonté 
qu'il  y  a  mise  et  qui  lui  plaît,  parce  qu'elle  vient  d3  lui  et  qu'elle 
rappelle  quelque  chose  de  sa  bonté  essentielle  et  suprême.  Les 
créatures  qui  sont  privées  de  l'intelligence  et  de  la  raison  ne  peu- 
vent pas  rendre  à  Dieu  l'amour  qu'il  leur  porte  :  mais  les  anges  et 
les  hommes  le  peuvent  dans  une  certaine  mesure,  et  leur  premier 
devoir,  le  plus  grand  de  tous,  est  d'aimer  le  Seigneur  leur  Dieu  de 
tout  leur  cœur,  de  tout  leur  esprit  et  de  toutes  leurs  forces. 

Le  propre  de  l'amour  est  de  se  réjouir  du  bien  de  ceux  qu'on 

1.  Deus  amat  omnia  existentia,  nam  omnia  existcntia  in  quantum  sunt 
bona  sunt,  et  voluntas  Dei  est  causa  bonitatis  in  rebus.  (S.  TiiOM.,  I  p.,  q.  xx, 
art.  2.) 

2.  Hase  est  voluntas  Dei  sanctificatio  vestra.  (Thess.,  iv,  3.) 

3.  Sic  Deus  dilexit  mundum  ut  Filium  suum  unigenitum  dareX.  {Joann., 
111,16.) 


160         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*"   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IV. 

aime  :  le  bien  que  Dieu  fait  à  ses  créatures  et  qu'il  reconnaît  en 
elles  lui  cause  donc  une  véritable  joie,  surtout  le  bien  spirituel  des 
créatures  raisonnables,  car  c'est  le  seul  qui  soit  tout  à  fait  digne  de 
cette  appellation. 

Si  donc  il  arrive  qu'une  personne  aimée  de  Dieu  soit  privée  de 
cette  sorte  de  bien,  Dieu  éprouvera  le  désir  qu'elle  en  soit  enrichie; 
pour  lui-même  il  ne  peut  rien  désirer,  puisqu'il  est  impossible 
qu'il  manque  de  quelque  chose  ;  mais  il  peut  désirer  pour  ses 
créatures  auxquelles,  hélas  !  tant  de  choses  manquent  si  souvent. 
C'est  ainsi  que  Dieu  veut,  ou  désire  que  tous  les  hommes  soient 
sauvés  ^.  Mais  si  ce  désir  ne  s'accomplit  pas,  il  n'en  résulte  aucun 
trouble  pour  Dieu  et  son  bonheur  infini  n'en  reçoit  pas  d'atteinte, 
parce  que  les  causes  pour  lesquelles  il  n'est  pas  accompli  sont  aussi 
connues  de  lui,  qu'elles  sont  dignes  de  son  infinie  perfection  et 
qu'il  les  approuve. 

L'amour  de  Dieu  pour  le  bien  suprême  qui  est  lui-même,  et  pour 
le  bien  relatif  qu'il  trouve  dans  les  créatures,  suppose  nécessaire- 
ment la  haine  du  mal.  Quelques  théologiens  disent  que  la  nature 
divine  ne  saurait  admettre  la  haine,  et  ils  s'appuient  sur  un  pas- 
sage de  la  Somme  contre  les  Gentils  de  S.  Thomas,  où  il  est  dit 
que  Dieu  n'a  de  haine  pour  rien  -.  Mais  il  semble  bien  que  le 
Docteur  angélique  ait  voulu  dire  tout  simplement  que  Dieu  n'a  de 
haine  pour  aucune  de  ses  créatures  considéréesdansleur  être,  selon 
la  parole  du  livre  de  la  Sagesse  :  «  Vous  aimez  toutes  les  choses 
<  qui  sont,  et  vous  ne  haïssez  aucune  de  celles  que  vous  avez 
«  créées  3.  »  Dieu  ne  hait  rien  de  ce  qu'il  a  fait,  mais  le  péché  est 
quelque  chose  qu'il  n'a  pas  fait  et  qu'il  ne  peut  ni  faire  ni  vouloir  : 
il  peut  donc  le  haïr  et,  de  fait,  il  le  hait.  C'est  en  ce  sens  que, 
d'après  S.  Thomas,  il  faut  entendre  les  textes  de  l'Écriture  où  il 
est  dit  que  Dieu  poursuit  de  sa  haine  l'impie  et  son  iniquité.  Dans 
le  pécheur,  ce  n'est  pas  l'homme  qui  déplaît  à  Dieu;  au  contraire, 
la  nature  humaine  qu'il  voit  en  lui  ne  cesse  pas  d'être  l'objet  de 
ses  complaisances,  mais  c'est  le  péché  qui  souille  l'homme.  De 
même  que  la  grâce  rend  agréables  à  Dieu  ceux  qui  en  sont  revêtus, 
le  péché  attire  sa  haine  sur  ceux  qui  en  sont  chargés  ;  il  se  dé- 
tourne d'eux  en  quelque  sorte,  et  il  les  fuit. 

1.  Deus  vult  oinnes  homines  salvos  fieri.  (/.  Tim.,  ii,  4.) 

2.  S.  Thom.,  Summa  contra  Génies,  cap.  xcvi. 

3.  Diligis  omnia  qu8e  sunt,  et  nihil  odisti  eorum  quae  fecisti.  [Sap.^  xi,  25.)' 


SCIENCE   ET    AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES   DE    N.-S.   J.-C.        161 

Mais  Dieu  s'affligera-t-il  des  maux  qui  surviennent  à  ses  amis? 

Si  ces  maux  sont  des  châtiments  ou  des  souffrances  quelconques. 
Dieu  ne  peut  pas  s'en  affliger,  parce  qu'ils  n'arrivent  que  par  sa 
volonté  ou  avec  sa  permission  expresse  :  ils  ont  pour  but  un  bien 
plus  grand  pour  ceux  qui  les  endurent.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  que 
Dieu  s'en  afflige.  Si  au  contraire  il  s'agit  d'un  mal  moral,  d'une 
faute,  celui  qui  commet  cette  faute  perd,  en  s'y  laissant  aller,  ses 
titres  à  l'amitié  de  Dieu,  ou  du  moins  il  les  affaiblit.  Dieu  haïra  en 
lui  la  faute  commise.  Si  elle  est  légère  et  par  là  même  facile  à 
réparer,  il  n'aura  pas  sujet  de  s'en  affliger;  si  elle  est  grave,  le 
pécheur  aura  cessé  d'être  aimé  de  lui;  il  aura  pris  rang  parmi  ses 
ennemis,  et  il  ne  sera  plus  digne  que  l'on  s'attriste  de  son  sort. 

Il  ne  s'affligera  pas  davantage  du  péché  lui-même.  L'homme 
peut  s'attrister  des  injures  qui  lui  viennent  d'ailleurs,  parce 
qu'il  a  besoin  de  l'estime,  du  respect  de  ses  semblables;  quel- 
quefois même  il  pousse  beaucoup  trop  loin  l'importance  qu'il 
attache  à  ces  sortes  de  choses.  Mais  Dieu  n'éprouve  aucun  besoin 
des  biens  qui  sont  en  dehors  de  lui.  S'il  tient  aux  honneurs  que 
lui  rendent  les  hommes,  à  leur  obéissance,  c'est  pour  leur  bien  et 
nullement  pour  l'avantage  qu'il  en  retire,  mais  le  péché  en  lui- 
même  ne  le  touche  pas,  ne  l'afflige  pas.  La  tristesse  est  d'ailleurs 
un  mal  incompatible  avec  la  béatitude  infinie,  attribut  essentiel  de 
la  nature  divine,  qui  est  le  bien  absolu;  elle  ne  peut  donc  pas  se 
trouver  en  Dieu,  dont  elle  serai  t  la  négation .  Toutes  les  fois  donc  qu'il 
est  dit,  dans  la  Sainte  Écriture,  que  Dieu  a  été  attristé,  qu'il  a 
éprouvé  du  regret,  il  faut  prendre  ces  expressions  au  sens  méta- 
phorique. Sans  doute  le  péché  lui  déplaît;  mais  il  ne  va  pas  jusqu'à 
produire  en  lui  des  sentiments  de  tristesse  ou  de  repentir. 

On  a  demandé  si  la  volonté  divine  s'exerce  aussi  sur  les  possi- 
bles. On  peut  dire  que  oui,  si  l'on  entend  que  c'est  par  la  volonté 
de  Dieu  que  les  possibles  n'arrivent  pas  jusqu'à  l'existence  réelle; 
mais  il  faut  reconnaître  alors  que  la  volonté  de  Dieu  à  leur  égard 
est  purement  négative. 

On  a  demandé  encore  si  Dieu  veut  librement  ou  nécessairement 
l'existence  des  créatures.  Il  ne  la  veut  pas  nécessairement,  d'une 
manière  absolue,  car  rien  ni  personne  ne  peut  imposer  de  néces- 
sité à  Dieu,  autre  que  celle  qui  ressort  de  son  essence  même  ;  mais 
il  la  veut  nécessairement  en  ce  sens  qu'étant  donnée  cette  existence, 
il  ne  peut  pas  rétracter  l'acte  éternel,  immuable,  en  vertu  duquel 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  H 


16â  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  iT  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IV. 

elles  existent.  Ce  que  Dieu  a  voulu  une  fois,  pour  parler  selon  notre 
manière  de  concevoir  les  choses  divines,  il  le  veut  toujours,  et  il 
ne  peut  pas  ne  pas  le  vouloir.  Il  faut  donc  admettre  tout  à  la  fois  que 
la  volonté  de  Dieu  concernant  l'existence  des  créatures  est  libre  et 
que,  cependant,  elle  ne  l'est  pas.  Cent  passages  de  la  Sainte  Écriture 
disent  clairement  la  liberté  de  la  volonté  divine,  mais  d'autre  part, 
nous  savons  que  cette  adorable  volonté,  même  lorsqu'elle  se  fait 
connaître  sous  forme  conditionnelle,  est  immuable.  Gomment  com- 
prendre qu'il  en  soit  ainsi  ?  C'est  encore  le  cas  de  s'écrier  avec 
S.  Paul  :  0  aUiiudo  !  0  profondeur  ! 

La  volonté  de  Dieu  ne  pose  ou  plutôt  n'est  qu'un  acte  unique, 
infiniment  simple  en  lui-même;  mais  cet  acte  est  multiple  dans 
ses  manifestations  à  l'endroit  des  créatures,  et  nous  sommes  obli- 
gés, pour  concevoir  quelque  chose  de  son  efficacité  infinie,  de  com- 
parer ses  manifestations  aux  actes  de  la  volonté  humaine. 

Entre  les  actes  de  la  volonté  humaine,  il  en  est  qui  se  rattachent 
aux  vertus  morales  dépendantes  de  la  volonté,  telles  que  la  justice, 
la  miséricorde,  la  libéralité,  la  charité.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'in- 
sister pour  faire  admettre  que  ces  sortes  d'actes  peuvent  être 
attribués  à  la  volonté  divine,  en  excluant  toutefois  ce  qu'il  pour- 
rait se  trouver  d'imperfection  en  eux. 

Les  théologiens  distinguent  en  Dieu  la  volonté  de  signe  et  celle 
de  bon  plaisir,  la  volonté  antécédente  et  la  volonté  conséquente. 

Ce  qu'on  nomme  la  volonté  de  signe  n'est  pas,  à  proprement 
parler,  la  volonté  elle-même,  mais  simplement  la  manifestation  de 
la  volonté.  C'est  dans  ce  sens  que  le  Psalmiste  disait  :  «  Il  a  fait 
«  connaître  ses  voies  à  Moïse,  et  ses  volontés  aux  fils  d'Israël  ^.  » 
Ses  volontés  ici  sont  évidemment  ses  préceptes,  l'expression  de  ses 
volontés.  Cette  expression  se  manifeste  par  le  précepte,  la  prohi- 
bition, le  conseil,  la  permission,  l'opération.  Ce  n'est  donc  que  par 
métaphore  que  la  volonté  de  signe  est  appelée  volonté.  Elle  ne 
marque  pas  que  Dieu  veille,  d'une  manière  absolue,  ce  qui  est 
signifié,  mais  seulement  qu'il  a  voulu  le  signifier,  et  faire  aux 
hommes  un  devoir  de  l'accomplir;  aussi  permet-il  à  la  liberté 
humaine  de  passer  outre,  se  réservant  d'agir  ensuite  selon  sa 
justice,  envers  les  prévaricateurs. 

La  volonté  de  bon  plaisir  est  la  volonté  réelle  de  Dieu  telle  qu'elle 

1.  Notas  fecit  vias  suas  Moysi,  filiis  Israël  voluntates  suas.  {Ps.  en,  7.) 


SCIENCE    ET  AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES   POSITIVES   DE    N.-S.    J.-C.       163 

existe  en  lui;  c'est  toute  sa  volonté  concernant  les  êtres  créés;  tout 
ce  que  Dieu  veut  en  dehors  de  lui  se  rattache  à  sa  volonté  de  bon 
plaisir.  C'est  dans  ce  sens  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  à 
son  Père  :  «  Oui,  mon  Père  (je  vous  rends  grâces),  parce  qu'il  vous 
«  a  plu  ainsi  i.  »  Il  s'agissait  de  la  volonté  de  Dieu  d'éclairer  les 
uns  et  d'aveugler  les  autres,  ou  pour  parler  exactement,  de  les  lais- 
ser dans  l'obscurité. 

On  explique  de  différentes  manières  ce  qu'il  faut  entendre  par 
volonté  antécédente  et  par  volonté  conséquente.  D'après  S.  Thomas, 
la  volonté  antécédente  ne  serait  pas  une  véritable  volonté,  mais 
mériterait  plutôt  le  nom  de  velléité,  tandis  que  le  nom  de  volonté 
conséquente  con\'iendra\t  à  la  volonté  réellement  efficace  qui  obtient 
toujours  son  accomplissement.  La  première  serait  appelée  antécé- 
dente, parce  qu'elle  aurait  pour  objet  un  bien  considéré  en  lui- 
même,  à  l'exclusion  des  circonstances  particulières  qui  devraient 
accompagner  ou  amener  ce  bien.  La  volonté  conséquente,  au  con- 
traire, voudrait,  avec  ce  bien,  toutes  les  circonstances,  toutes  les 
causes  particulières  qui  en  assureront  l'existence. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  diverses  explications  mises  en  avant  par 
les  docteurs  et  les  théologiens,  deux  vérités  demeurent  toujours 
qui  paraissent  inconciliables  à  notre  intelligence  bornée,  et  qu'il  est 
néanmoins  impossible  de  ne  pas  accepter,  car  leur  certitude  est 
également  hors  de  toute  atteinte  :  la  première,  que  la  volonté  de 
Dieu  est  infiniment  efficace,  irrésistible  et  immuable  en  elle-même; 
la  seconde  que  néanmoins  elle  ne  s'accomplit  pas  toujours,  et 
qu'elle  semble  subordonnée  à  la  conduite  des  hommes.  C'est  ainsi 
que  Dieu  veut  que  «  tous  les  hommes  soient  sauvés  ~  »  et  cepen- 
dant ils  ne  le  sont  pas  tous. 

II  est  nécessaire  que  la  volonté  de  Dieu  s'accomplisse  toujours, 
parce  qu'elle  est  la  cause  absolument  universelle  des  choses.  L'en- 
semble des  êtres  et  des  faits  qui  constituent  l'univers,  non  seule 
ment  pour  un  temps  quelconque,  mais  pour  tous  les  temps,  est 
donc  l'expression  absolue  de  la  divine  volonté.  Ce  qui  semble  y 
échapper  d'une  manière  rentre  d'une  autre  manière  dans  l'ordre 
qu'elle  a  marqué.  C'est  ainsi  que  l'homme  créé  libre,  par  la  volonté 

i.  Ita  Pater  quia  sic  fuit  placitum  ante  te.  {Mcitlh.,  xi.) 
2.  Qui  omnes  homines  vult  salvos  fieri.  (/.  Tim.,  ii,  4.) 
Voir  l'explication   que    S.   Thomas  donne  de  ce  texte,  1  p.,  q.  Xix,  art.  G 
adl. 


1G4         LA    SAINTE    ELCIIARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  JV. 

divine,  et  dont  Dieu  veut  le  salut  peut,  parce  qu'il  est  libre,  se 
mettre  en  contradiction  avec  la  volonté  divine  en  péchant.  Mais  s'il 
croit  échapper  à  cette  toute-puissante  volonté,  il  se  trompe.  La  volonté 
de  Dieu  est  qu'il  soit  libre  et  qu'il  use  de  sa  liberté,  pour  être 
récompensé  ou  puni.  Le  pécheur  use  mal  du  bien  que  Dieu  lui 
accorde  en  vue  de  son  salut  :  la  volonté  de  Dieu,  qui  est  que  tous 
les  hommes  soient  sauvés  ne  s'accomplira  pas  en  lui,  car  cette 
volonté  était  pour  lui  antécédente  ou  conditionnelle  :  mais  il  sera 
puni,  et  ainsi  s'accomplira  la  volonté  de  Dieu,  qui  est  que  sa  justice 
exerce  ses  droits  sur  les  prévaricateurs.  Mais  pourquoi  Dieu,  qui 
peut  toutes  choses,  permet-il  que  tel  ou  tel  tombe  et  se  perde, 
tandis  qu'il  soutient  tel  autre,  le  relève  s'il  vient  à  tomber  et  le 
sauve?  C'est  là  le  grand  secret  de  sa  justice  unie  à  son  infinie 
bonté.  Et  c'est  le  cas  de  répéter  encore  :  0  profondeur!  0  alti- 
tuclo! 

La  Sainte  Écriture  nous  enseigne  que  la  volonté  de  Dieu  est  la 
cause  de  toutes  choses.  S.  Paul  écrit  aux  Éphésiens  :  «  Nous  avons 
«  été  prédestinés  selon  le  décret  de  celui  qui  fait  toutes  choses  sui- 
«  vant  le  conseil  de  sa  volonté,  afin  que  nous  soyons  la  louange  de 
«  sa  gloire  '.  y» 

Dans  l'Apocalypse,  les  quatre  animaux  mystérieux  qui  se  tiennent 
devant  le  trône  de  Dieu  et  de  l'Agneau  se  prosternent  en  disant  : 
«  Vous  êtes  digne,  Seigneur  notre  Dieu,  de  recevoir  la  gloire,  l'hon- 
«  neur  et  la  puissance,  parce  que  vous  avez  créé  toutes  choses,  et 
«  que  c'est  par  votre  volonté  qu'elles  étaient  et  qu'elles  ont  été 
«  créées  -.  »  Ajoutons  encore  ces  paroles  de  l'auteur  du  livre  de 
la  Sagesse  :  «  Comment  quelque  chose  pourrait-il  continuer  d'être, 
«  si  vous  ne  l'aviez  voulu  '^V  »  Ce  n'est  donc  pas  par  suite  d'une 
nécessité  ou  d'un  besoin  de  sa  nature  que  Dieu  a  créé  toutes 
choses  *.  Existant  par  lui-même,  souverainement  indépendant  et 

\.  Sumus  pPcedeslinati  secundum  proposilum  cjus,  qui  operatur  omnia  se- 
cundum  coiisilium  voluntatis  sute  :  ut  simus  in  laudem  gloricB  ejus.  {Ephcs., 

2,  Dignus  es,  Domine  Deus  noster,  accipere  gloriam,  et  honorem  et  virtu- 

em,  quia  tu  creasti  omnia  et  propter  volunlatem  luam  erant,  et  creata  sunt. 

(Apoc,  IV,  11.) 

:{.  Quomodo  posset  aliquid  permanere,  nisi  tu  voluisses?  {Sap.,  xi,  26.) 

4.  Dcus   simplex  est,  nec  est  in  eo  aliud  essentia  quam  voluntas.  Unde  et 

nomina  ofjcralionis  ejus,  licet  inter  se  definitionil)Us  différant,  apud  ipsum 

tamen  nulla  dilîerentia,  vel  diversitas  invenitur.  Itaque  et  essentia  vel  natura 

facit,  quia  nihil  ei  accidcns  est;  et  tamen  eliam  voluntate,  quia  nihil  necessi- 


SCIENCE    ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       165 

cause  première  de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui,  éclairé  par  les  lumières 
de  son  intelligence  infinie,  il  fait  librement  son  choix  parmi  les 
choses  possibles  et,  ce  qu'il  a  choisi  librement,  il  l'accomplit  de 
même,  parce  qu'il  le  veut,  et  uniquement  parce  qu'il  lui  plaît  de 
le  faire.  «  Rien  n'est  plus  grand  que  la  volonté  de  Dieu,  dit  S.  Au- 
«  gustin,  et  l'on  aurait  tort  de  lui  chercher  une  cause  *  :  »  ce  qui 
ne  signifie  pas  que  Dieu  n'agisse  pas  pour  une  fin;  mais  l'acte  de 
volonté  par  lequel  il  veut  une  fin  n'est  pas  différent  de  celui  par 
lequel  il  veut  les  moyens  de  l'atteindre  ;  il  n'en  est  pas  la  cause,  il 
est  identique  avec  lui  et  ne  s'en  distingue  que  par  la  différence 
d'objets.  Il  veut,  dit  S.  Thomas,  que  telle  chose  soit  en  vue  de 
telle  autre,  mais  ce  n'est  pas  à  cause  de  cette  autre  qu'il  la 
veut  "-. 

La  volonté  de  Dieu  est  immuable,  comme  sa  science  et  sa  divine 
substance.  Mais  il  faut  bien  s'entendre  sur  le  sens  qu'on  doit  at- 
tribuer à  l'immutabilité  de  la  volonté  divine.  Il  existe  une  différence 
radicale  entre  changer  de  volonté  et  vouloir  le  changement  de  cer- 
taines choses.  On  peut  fort  bien  vouloir  que  tel  acte  s'accomplisse 
à  certain  moment  et,  en  même  temps,  vouloir  qu'il  ne  s'accom- 
plisse pas  en  tel  autre  temps  donné,  ou  en  certaines  circonstances. 
Dieu  changerait  de  volonté  s'il  commençait  de  vouloir  ce  qu'il  n'a 
pas  voulu  d'abord,  ou  s'il  cessait  de  vouloir  ce  qu'il  a  voulu.  Mais 
une  telle  instabilité  ne  convient  pas  à  la  nature  divine.  Ce  qui  est 
bon-  à  ses  yeux  l'a  toujours  été  et  le  sera  toujours,  et  comme  le  bien 
est  l'objet  auquel  sa  volonté  s'attache,  ce  qu'il  veut  aujourd'hui,  il 
l'a  toujours  voulu  et  il  le  voudra  éternellement.  Les  hommes  peu- 
vent se  tromper,  parce  que  leur  intelligence  est  bornée;  ce  qui  leur 
paraît  bon  un  jour  peut  leur  paraître  mauvais  le  jour  suivant;  et 
leur  volonté  change.  Mais  Dieu  ne  se  trompe  pas  et  sa  volonté  ne 
change  pas,  quoique  les  effets  de  cette  volonté  immuable  changent 


taie  efficit,  aut  coactus.  Non  enim  sicut  ignis  naturali  necessitate  urit,  aut 
apis  naturali  necessitate  fabricat  ceras,  vel  telas  aranea,  ita  etiam  Deus 
operatur.  Sed  Deus  ideo  natura,  vel  essentia  facere  dicitur,  ne  voluntas  in 
60,  quasi  aliud  aliquid  demonstretur.  Et  ideo  voluntate,  quia  niliil  operari 
compellitur;  sed  essentialiter  vult,  et  voluntate  subsistit.  (JuN.  African.  , 
cap.  -MX.) 

i.  Nibil  majus  est  voluntate  Dei.  Non  ergo  causa  ejus  quïerenda  est.  (S.  Au- 
GUST.,  Quaest.  lib.  LXXXIII,  q.  xxvm.) 

2.  Vult  ergo  hoc  esse  propter  hoc;  sed  non  propter  hoc  vult  hoc.  (S.  Tuom., 
I  p.,  q.  xi\,  art.  Jj.) 


166         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II,   —  CHAP.    IV. 

selon  les  temps  et  les  circonstances,  par  rapport  aux  êtres  qui  en 
sont  l'objet  '. 

La  volonté  de  Dieu,  quoique  toute-puissante,  n'est  pas  cependant, 
pour  tout  ce  qui  existe,  une  loi  nécessaire  et  inexorable.  Certaines 
choses  voulues  de  Dieu  seront  nécessairement  telles  qu'il  les  veut; 
d'autres,  qu'il  veut,  seront  aussi,  mais  sans  être  nécessitées  :  elles 
seront  librement.  La  volonté  de  Dieu  est  infiniment  puissante,  elle 
peut  donc  faire  que  les  choses  soient  selon  le  mode  qu'il  lui  con- 
vient de  choisir,  nécessairement  s'il  le  veut,  librement  s'il  le  pré- 
fère; mais  toujours  seront-elles,  si  sa  volonté  est  telle;  la  liberté 
qui  caractérisera  les  unes  ne  sera  pas  plus  un  obstacle  à  l'accom- 
plissement de  la  volonté  suprême  que  la  nécessité  imposée  aux 
autres.  Leur  contingence  sera  liée  aux  causes  secondes,  mais  par  des- 
sus tout  et  avant  tout,  elles  seront  parce  que  Dieu  le  voudra,  et  elles 
seront  librement  parce  que  Dieu  voudra  qu'elles  soient  librement. 
Leur  existence  ne  sera  pas  nécessaire  d'une  manière  absolue  mais 
seulement  conditionnelle  ;  cependant  il  ne  pourra  pas  se  faire 
qu'elles  n'existent  pas,  parce  que  Dieu  les  aura  voulues  quoique 
condilionnellement.  Ici  encore  se  rencontre  le  grand  mystère  de  la 
liberté  humaine  en  face  de  la  volonté  divine,  mystère  devant  lequel 
il  faut  s'arrêter,  car,  selon  la  parole  de  Salomon  :  «  Celui  qui 
«  scrute  la  majesté  sera  accablé  par  la  gloire  2.  »  Qu'il  nous  suf- 
fise de  savoir  que  Dieu  veut  très  réellement  le  salut  éternel  de  tous 
les  hommes,  et  que  ceux  qui  se  perdent  se  perdent  par  leur  faiite, 
et  parce  qu'ils  l'ont  voulu  librement. 

Que  celui  qui  désire  être  sauvé  travaille  donc  à  son  salut  géné- 
reusement, comme  s'il  ne  dépendait  que  de  ses  propres  efforts,  et 
qu'en  même  temps,  il  attende  tout  de  la  miséricordieuse  volonté 
du  Dieu  de  l'P^ucharistie.  Son  espérance  ne  sera  pas  trompée;  il 
arrivera  infailliblement  à  son  but. 

1.  Dicendum  quod  voluntas  Dei  est  omnino  immutabilis.  Scd  circa  hoc 
considerandum  est,  cjuod  aliud  est  mutare  voluntatem,  et  aliud  est  velle  ali- 
quarum  rerum  mutationem.  Potest  enim  aliquis  eadem  voluntate  immutabi- 
litrr  permanente,  velle  quod  nunc  fiât  fioc,  et  postea  fiât  contrarium,  Sed  tune 
voluntas  mutaretur  si  quis  inciperet  velle  quod  prius  non  voluit,  vel  desine- 
ret  velle  quod  volait.  Quod  quidem  accidere  non  potest,  nisi  praesupposlta 
mutatione,  vel  ex  parte  cognitionis,  vel  circa  dispositionem  substantiae  ipsius 
volentis...  Ostensum  est  autem  supra  quod  tam  substantia  Dei  quam  ejus 
scientia  est  omnino  immutabilis.  Unde  oportet  voluntatem  ejus  omnino  esse 
immutabilem.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  q.  xix,  art.  7.) 

2.  Scrutator  .Majestatis  opprimetur  a  gloria.  [Prov.,  xxv,  27.) 


SCIENCE   ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES   DE    N.-S.    J.-C.       167 

TOUTE-PUISSANCE  DE   NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST 
PRÉSENT    DANS    l'eUCHARISTIE 

Il  est  de  foi  que  Dieu  est  tout-puissant.  C'est  une  des  grandes 
vérités  que  le  Symbole  des  Apôtres  impose  à  la  croyance  de  tous 
les  fidèles.  Ils  ont  dit  tous,  ou  l'on  a  dit  pour  eux,  au  jour  de  leur 
baptême  :  Credo  in  Deum  P.atrem  omnipolentem  :  «  Je  crois  en 
«  Dieu  le  Père  tout-puissant,  »  et  la  sainte  Église  ne  se  lasse  pas 
de  leur  rappeler  et  de  leur  remettre  sur  les  lèvres  cette  profession 
de  foi.  Il  convient  donc  de  connaître  en  quoi  consiste  cet  attribut 
delà  divinité  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  au  Saint-Sacrement 
possède,  puisqu'il  est  Dieu. 

On  a  donné  plusieurs  significations  au  mot  toute-puissance. 
L'expression  grecque  qui  correspond  à  V Omnipotentem  latin,  dans 
le  Symbole  des  Apôtres,  signifie,  d'après  S.  Cyrille  de  Jérusalem  : 
«  Celui  qui  domine  tout  et  dont  la  puissance  s'étend  sur  tout  '.  » 
Origène  dit  que  Dieu  reçoit  le  nom  de  tout-puissant  à  cause  de 
l'universalité  des  êtres  qui  sont  soumis  à  son  pouvoir  2.  Cette 
interprétation  se  rattache  même  à  l'erreur  dans  laquelle  il  tomba, 
de  l'éternité  de  la  création,  parce  que,  disait-il,  si  des  êtres  créés 
n'avaient  pas  éternellement  existé,  le  nom  de  tout-puissant,  ou  l'at- 
tribut de  la  toute-puissance,  n'aurait  pas  convenu  à  Dieu  3.  Théo- 
phile d'Antioche  '-^  et  S.  Grégoire  de  Nysse  ^  entendent  dans  le 
même  sens  l'expression  du  Symbole,  qui  proclame  la  toute-puis- 
sance de  Dieu.  Ce  même  sens  a  été  adopté  quelquefois  aussi  par 
les  Pères  Latins,  mais  la  signification  commune,  celle  qui  est  uni- 
versellement  admise  et  que  personne  ne  conteste  ni  ne  refuse 

1.  nie  dicitur  pantochrator  {omnipolens)  qui  omnibus  dominatur,  et  in  om- 
nia  potestatem  habet.  (S.  Cyrill.  Hieron.,  Catech.  VIII.) 

2.  Oinnipotens  igitur  propter  illa  quae  potestati  ac  ditioni  subjecta  sunt 
appellatur.  (Origen.  apud  Method  ! 

3.  Origen.,  in  primo  Periarchon,  cap.  11. 

4.  Omnipotens  dicitur,  quod  omnia  continet  etamplectitur,  et  alta  cœlorum 
et  profunda  voraginum,  et  fines  orbis  terrarum  in  manu  cjus  sunt  :  nec  est 
locus  ullus  in  quo  requiescat.  (Tiieopii.  Antiocii.,  in  primo  ad  Antolycum.) 

y.  Omnipotentis  voca))ulum  si  quis  accuralius  expendat,  invenietur  nihil 
aliud  significare  in  divina  virtute  quam  habiludinem  quamdam  ad  aliud  effi- 
cientiie  illius  qua  res  creataî  continentur  (ut  enim  medicus  non  esset  nisi 
œgrotorum  gratia),  ita  nec  omnipotens,  nisi  crealura  universa  continente,  et 
in  natura  sua  conservante  ipsam  indigeret.  (S.  Gregor.  Nvss.,  lib.  1  contra 
Eunom.) 


168         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —    CHAP.  IV. 

d'appliquer  à  Dieu,  est  celle-ci  :  Tout-puissant  signifie  qui  peut 
tout,  pour  qui  rien  n'est  impossible.  S.  Augustin  demande  :  «  Qui 
«  donc  est  tout-puissant  sinon  celui  qui  peut  tout  ^  ?  »  Boëce  disait  : 
«  Il  n'est  rien  que  ne  puisse  accomplir  celui  qui  est  tout-puis- 
«  sant  ■-.  » 

Du  reste,  ces  deux  significations  du  mot  tout-puissant  convien- 
nent si  parfaitement  à  Dieu  qu'on  ne'peutse  faire  une  juste  idée  de 
la  divinité,  sans  les  lui  appliquer  l'une  et  l'autre.  Dieu  ne  peut  pas 
être  sans  que  toutes  choses  lui  appartiennent  et  se  rapportent  à  lui, 
et  ce  ne  serait  pas  être  Dieu  que  de  voir  sa  volonté  arrêtée  par 
l'impossible.  S.  Augustin  disait  :  «  Je  vous  mets  au  défi  de  me 
«  montrer,  je  ne  dis  pas  un  chrétien,  je  ne  dis  pas  un  juif,  mais  un 
«  païen,  un  idolâtre,  un  adorateur  des  démons  qui  ne  confesse  pas 
Π que  Dieu  est  tout-puissant.  Il  pourra  nier  le  Christ,  mais  nier  le 
«  Dieu  tout-puissant,  il  ne  le  pourra  pas  ^.  »  Et  nous  ajouterons 
avec  S.  Pierre  Damien  :  «  Celui  qui  nie  cette  vérité,  on  peut  dire 
«  qu'il  n'est  pas  d'être  plus  insensé  que  lui  ^.  »  Peut-être  faudra- 
t-il  avouer  humblement  que  jamais  le  nombre  de  ces  insensés  n'a 
été  plus  grand  que  dans  le  temps  où  nous  vivons.  L'orgueil  de  la 
science  mène  aisément  jusqu'à  la  folie  et  la  stupidité. 

Cependant,  plusieurs  sectes  hérétiques  des  premiers  siècles  se 
sont  ellorcées  de  ravir  à  Dieu  l'attribut  de  la  toute-puissance, 
comme  S.  Épiphane  le  constate  dans  le  IIP  livre  qu'il  consacre  à 
l'histoire  et  à  la  réfutation  des  hérétiques.  Les  manichéens,  les 
marcionites  et  plusieurs  autres  prétendaient  que  le  monde  n'avait 
pas  été  créé  par  Dieu  mais  parles  anges,  à  son  insu  ou  malgré  lui, 
et  'refusaient  à  Dieu  la  puissance  de  créer.  Ils  n'osaient  pas  cepen- 
dant proférer  ouvertement  ce  blasphème,  mais  ils  posaient  des 
principes  qui  aboutissaient  nécessairement  à  cette  conséquence, 
dit  S.  Augustin  •'.  Tous  ceux  qui  admettaient  l'éternité  de  la  ma- 

i.  Quis  est  autem  omnipotens  nisi  qui  omnia  polcst.  (S.  August.,  lib.  IV 
de  Trinil.) 

"1.  Qui  vero  est  omnipotens,  nihilest  quod  ille  non  possit.  (Boet.,  lib.  III  de 
Consolai.) 

;5.  Non  dico  da  mihi  christianum,  da  mihi  judseum,  sed  da  mihi  paganum, 
idolorurn  cultorem,  daemonum  servum,qui  non  dicat  Deum  esse  omnipoten- 
tem.  Ncgare  Cliristum  potest,  negare  oninipotentem  Deum  non  potest. 
(S.  AuGUST.,  serm.  CXXXIX  de  temjiore.) 

4.  Quilioc  negat,  nihil  illo  stullius  est.  (S.Petr.  Dam., opusc.  XXXVI,  cap.  v.) 

li.  Con.iti  sunt  quidam  pcrsuadcre  Deum  Patrem  non  esse  omnipotentem, 
non  quia  lioc  dicerc  ausi  sunt  :  sed  in  suis  Iraditionibus  hoc  sentire,  et  cre- 


SCIENCE    ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S,    J.-C.       169 

tière  étaient  dans  ce  cas,  puisque,  d'après  eux,  Dieu  avait  eu  besoin 
de  cette  matière  préexistante  pour  la  création  du  monde,  et  que, 
sans  elle,  il  lui  eût  été  impossible  de  l'accomplir. 

Comme  tous  les  autres  attributs  de  Dieu,  sa  toute-puissance  se 
confond  avec  son  être  divin,  avec  son  essence  infinie  et  infiniment 
parfaite.  Dieu  est  le  Tout-Puissant,  ou  si  l'on  veut,  il  est  la  Toute- 
Puissance.  Néanmoins,  à  nos  yeux,  cet  attribut  de  la  toute-puis- 
sance est  parfaitement  distinct  de  tous  les  autres.  Il  n'est  pas,  pour 
notre  raison,  la  science  divine,  ni  la  volonté  divine,  quoique  ces 
deux  attributs  soient  particulièrement  liés  avec  lui,  et  qu'ils  aient 
comme  lui,  pour  objet  secondaire,  ce  qui  n'est  pas  Dieu  lui-même. 
On  a  dit  cependant  que  la  toute-puissance  est  la  volonté  de  Dieu 
produisant  des  effets.  Il  est  certain,  d'après  notre  manière  de  com- 
prendre, que  la  toute-puissance  est  un  instrument  aux  ordres  de 
la  volonté,  et  que  la  volonté  elle-même  n'agit  que  d'après  les  lu- 
mières de  l'intelligence.  Il  y  a  entre  ces  trois  attributs  divins  une 
subordination  de  raison  ;  mais  en  fait  elles  sont  toutes  trois  infinies, 
par  conséquent  égales,  parce  qu'elles  ne  sont  toutes  trois  qu'une 
seule  et  même  chose  avec  la  nature  divine. 

La  Sainte  Écriture  se  plaît  à  constater  la  toute-puissance  de 
Dieu.  Dans  la  Genèse  et  ailleurs  encore,  le  Seigneur  proclame  qu'il 
est  le  Dieu  tout-puissant  :  Ego  Deus  omnipotens  ^  II  est  dit 
dans  le  livre  de  la  Sagesse  que  «  la  main  toute-puissante  de  Dieu  a 
«  créé  toutes  choses  ~\  »  et  l'ange  de  l'Annonciation,  dans  S.  Luc, 
adresse  à  Marie  ces  paroles  :  «  Il  n'y  aura  rien  d'impossible  à 
Dieu  3.  n  Le  saint  roi  David  ne  peut  pas  retenir  ce  cri  d'admira- 
tion :  «  Le  Seigneur  est  grand;  il  mérite  des  louanges  infinies  et 
«  sa  grandeur  n'a  pas  de  fin  ;  »  puis  il  ajoute  :  «  Les  générations 
«  et  les  générations  loueront  vos  œuvres,  et  célébreront  votre  puis- 
«  sance  *.  »  C'était  donc  surtout  la  grandeur  de  la  puissance  de  Dieu 

dere  convincuntur.  Cum  enim  dicunt  esse  naluram  quam  Deus  omnipotens 
non  creaverit,  quam  pulchre  ornatam  esse  concedunt  :  ita  Patrem  omnipo- 
lentem  Deum  negant,  ut  non  eum  credant  mundum  potuisse  facere,  nisi  ad 
eum  fabricandum  alla  natura,  scilicet  quœ  jam  fuerat,  et  quam  non  fecerat 
uteretur.  (S.  August.,  lib.  de  Fide  et  Symb.) 
{.  Gènes.,  xvii,  ]  ;  xxviii,  3,  etc. 

2.  Omnipotens  manus  Dei,  quee  creavit  omnia.  {Sap.,  xi,  18.) 

3.  Non  erit  impossibile  apud  Deum  omne  verbum.  {Lttc.,  i,  37.) 

4.  Magnus  Dominus  et  laudai)ilis  nimis,  et  magnitudinis  cjus  non  est  finis. 
Generatio  et  generatio  laudalnt  opéra  tua,  et  potentiam  tuam  pronuntiabunt. 
iPs.  cxi.iv,  i.) 


170         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IV. 

que  le  saint  roi  admirait  et  déclarait  sans  mesure.  On  lit  de  même 
dans  TEcclésiastique  :  «  Qui  sondera  ses  merveilles?  Et  la  puis- 
«  sance  de  sa  grandeur  qui  l'énoncera?  ou  qui  entreprendra  d'ex- 
«  pliquer  sa  miséricorde?  Il  n'y  a  rien  à  diminuer,  ni  à  ajouter,  ni 
«  à  découvrir  aux  merveilles  de  Dieu  ^.  » 

Que  la  toute-puissance  de  Dieu  soit  infinie,  il  n'est  pas  permis 
de  le  mettre  en  doute,  si  l'on  considère  que  cette  toute-puissance, 
aussi  bien  que  les  autres  attributs,  n'est,  au  fond,  que  l'essence 
divine  elle-même,  s'oflVant  à  notre  intelligence  sous  un  aspect  par- 
ticulier. Elle  est  donc  infinie  et  il  n'est  rien  qu'elle  ne  puisse 
accomplir.  Elle  agit  par  elle-même,  sans  que  nul  intermédiaire, 
nul  instrument  lui  soit  nécessaire.  La  toute-puissance  de  Dieu, 
c'est  Dieu  agissant,  réalisant  sa  volonté,  son  éternelle  pensée.  Mais 
cette  toute-puissance,  infinie  en  elle-même  et  dans  son  intensité 
irrésistible,  l'est-elle  aussi  dans  son  extension;  peut-on  dire  que 
son  objet  soit  infini  comme  elle? 

La  toute-puissance  de  Dieu  est  indivisible  comme  lui;  elle  ne 
peut  donc  avoir  d'extension  que  dans  les  objets  sur  lesquels  elle 
agit.  Pour  que  son  extension  soit  infinie,  il  est  nécessaire  que  ses 
effets  ne  puissent  être  limités  en  aucune  manière.  Il  ne  suffit  même 
pas  que  tel  ou  tel  effet  soit  susceptible  d'être  continué  ou  augmenté 
indéfiniment  :  ce  n'est  pas  assez  de  l'indéfini  ;  l'infini  est  nécessaire» 
Qui  peut  dire  jusqu'où  s'étend  la  puissance  donnée  par  Dieu  à  quel- 
ques-unes de  ses  créatures  ?  Y  a-t-il  des  limites  fixées  que  les  efforts 
de  tel  ou  tel  des  esprits  célestes  ne  puissent  franchir?  Peut  être  la 
puissance  de  plusieurs  d'entre  eux  est-elle  indéfinie,  peut-être  les 
effets  de  cette  puissance  peuvent-ils  grandir  et  augmenter  toujours 
sans  que  jamais  elle  soit  épuisée  :  c'est  beaucoup,  c'est  presque  inad- 
missible pour  une  créature,  et  cependant,  pour  Dieu,  ce  ne  serait  pas 
assez  :  il  faut  plus;  il  faut  l'infinité  des  effets  au  moins  possible. 

Nous  admettrons  donc  que  Dieu  peut  produire  des  effets  sans 
nombre  même  inimaginable,  et  qu'il  les  peut  produire  sans  cesse, 
se  succédant  les  uns  aux  autres  éternellement.  Cependant  ces  effets, 
dont  chacun  serait  fini,  ne  pourraient  jamais  constituer  pour  Dieu 
un  effet  infini  épuisant  sa  toute-puissance,  par  conséquent  digne 
d'elle  et  prouvant  qu'elle  n'a  pas  de  bornes. 

i.  <^uis  investigabit  magnalia  ejus,  virtutem  autem  magnitudiiiis  ejus  quis 
enuntiabil,  aut  quis  adjiciet  enarrare  misericordiam  ejus?  Non  est  minuere, 
neque  adjicere,  neque  est  invenire  magnalia  Dei.  (Eccli.,  xviii,  3,  4.) 


SCIENCE   ET   AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.      171 

Nous  admettrons  encore  que  la  puissance  de  Dieu  est  infinie 
dans  son  extension  en  ce  sens  que  Dieu  peut  produire  des  êtres  de 
plus  en  plus  parfaits,  sans  cesser  jamais  ni  d'en  produire  ni 
d'augmenter  leur  perfection,  quoique  des  théologiens  n'admettent 
pas  cette  possibilité.  Mais  là  encore,  nous  trouvons  des  bornes. 
Jamais  nous  ne  pouvons  reconnaître  dans  ces  effets  la  toute-puis- 
sance absolue  de  celui  qui  les  produit,  puisqu'ils  portent,  dans 
leur  accroissement  de  perfection  même,  la  preuve  qu'ils  sont  bornés. 
Or,  un  effet  borné  prouve  bien,  s'il  est  grand,  la  grandeur  de  la 
puissance  qui  le  produit,  mais  non  pas  son  infinité. 

Où  chercherons-nous  donc  une  preuve  irrécusable  de  l'exten- 
sion infinie  de  la  toute-puissance  divine,  sinon  dans  la  perfection 
qu'elle  possède,  en  vertu  même  de  sa  nature?  La  multitude,  l'in- 
finité même  des  êtres  possibles  ne  nous  est  connue  que  par  l'idée 
que  nous  avons  de  la  toute-puissance  divine  ;  c'est  uniquement 
elle  qui  nous  les  fait  admettre  comme  tels  ;  nous  ne  pouvons  donc 
pas  nous  servir  d'eux  pour  prouver  l'infinité  de  cette  toute-puis- 
sance; mais  nous  savons  que  Dieu  est  simplement  infini,  que  sa 
toute-puissance,  qui  n'est  pas  autre  que  lui-même,  est  infinie 
comme  lui.  Nous  savons,  par  conséquent,  que  Dieu,  s'il  veut  faire 
participer  d'autres  êtres  à  son  existence,  s'il  veut  que  d'autres 
actes  dérivent  de  l'acte  pur  et  éternel  qui  est  lui,  peut  communi- 
quer l'être  et  l'acte  infiniment  selon  sa  nature.  C'est  donc  dans  la 
nature  même  de  Dieu,  dans  l'infinité  de  son  être  et  non  ailleurs, 
que  nous  trouvons  la  vraie  preuve  de  l'infinité  extensive  de  sa 
toute-puissance. 

Quel  est,  dans  la  réalité,  l'objet  sur  lequel  la  toute-puissance 
de  Dieu  s'exerce  ? 

La  toute-puissance  de  Dieu  est  une  puissance  réelle,  toujours 
active  et  qui  ne  peut  pas  exercer  son  activité,  si  elle  n'a  pas 
d'objet.  Une  puissance  qui  n'aurait  pas  d'objet  auquel  s'appliquer 
serait  une  puissance  qui  ne  pourrait  rien,  une  négation  de  puis- 
sance. Il  ne  saurait  en  être  ainsi  de  la  toute-puissance  de  Dieu  ; 
elle  a  un  objet,  et  un  objet  digne  d'elle.  Cependant  il  ne  faudrait 
pas  conclure  qu'il  en  est  de  la  toute-puissance  de  Dieu  comme  des 
puissances  créées,  qui  sont  spécifiées  par  leurs  objets  et  n'existent 
que  pour  eux.  Ce  genre  de  puissance  est  incompatible  avec  l'infi- 
nie perfection  de  Dieu.  La  toute-puissance  divine  n'est  pas  faite 
pour  son  objet,  mais  son  objet  est  fait  pour  elle  et  par  elle.  Elle 


172         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  IV. 

est  Dieu;  elle  est  l'Être  divin,  TÊtre  absolu  qui  contient  en  soi 
toute  perfection,  et  qui  possède  ainsi  la  vertu  de  donner  l'être  à 
tout  ce  qui  peut  être.  La  toute-puissance  de  Dieu  embrasse  donc 
tout;  tout  dépend  d'elle  et  elle-même  n'est  attachée  à  rien,  ne  dé- 
pend de  rien.  Le  lien  qui  rattache  ses  eflels  à  la  toute-puissance 
de  Dieu  existe,  mais  s'il  est  nécessaire  pour  eux,  il  ne  l'est  pas 
pour  elle.  Dieu  n'en  serait  pas  moins  tout-puissant  s'il  n'avait  rien 
créé,  mais  rien  ne  serait  sans  la  toute-puissance  divine  ;  il  suffit 
à  Dieu  que  tout  lui  soit  possible,  et  les  possibles  ont  été  éternelle- 
ment un  objet  suffisant  pour  la  toute-puissance  de  Dieu,  avant 
qu'il  agît  extérieurement  par  la  création  de  ce  monde.  Quant  au 
néant  ou  au  non-étre,  il  ne  peut  pas  être  considéré  comme  un  ob- 
jet sur  lequel  s'exerce  la  toute-puissance  divine,  puisqu'il  n'est 
pas,  ou  qu'il  n'est  rien.  Mais  de  ce  rien.  Dieu  peut  faire  jaillir  un 
être  quelconque,  et  ce  possible  est  un  objet  dépendant  de  sa 
toute-puissance. 

Le  mode  dont  s'exerce  la  toute-puissance  divine  est  une  vaste 
matière,  car  elle  peut  embrasser  tout  ce  que  la  théologie  enseigne 
touchant  les  œuvres  de  Dieu.  Quelques  remarques  sur  ce  sujet 
nous  suffiront  pour  notre  but. 

Remarquons  d'abord  que  la  toute-puissance  divine  n'est  néces- 
sitée à  aucun  acte.  Elle  diffère,  en  ce  point,  de  l'intelligence  et  de 
la  volonté.  L'intelligence  et  la  volonté  de  Dieu  se  replient  néces- 
sairement sur  Dieu,  tout  d'abord  ;  il  est  leur  premier  objet,  leur 
objet  dont  il  est  impossible  qu'elles  ne  s'occupent  pas  avant  tout  ; 
leur  premier,  leur  principal  acte,  on  pourrait  dire  leur  acte 
unique,  se  rapporte  directement  à  Dieu.  La  toute-puissance,  au 
contraire,  a  pour  premier  objet  les  créatures  ;  c'est  sur  les  êtres 
autres  que  Dieu  qu'elle  exerce  son  action,  action  contingente  et 
passagère  comme  ces  êtres  eux-mêmes.  Elle  ne  l'exerce  pas  ni 
ne  l'exercera  jamais  sur  les  êtres  simplement  possibles,  qui  ne 
seront  en  aucun  temps  appelés  à  la  réalité  de  l'existence  ;  mais 
c'est  elle  qui  donne  l'être  à  tout  ce  qui  est  ou  qui  sera  de  fait, 
comme  elle  est  cause  de  la  possibilité  de  tout  ce  qui  pourrait  être 
et  néanmoins  ne  sera  pas. 

On  a  demandé  si  la  toute-puissance  de  Dieu  pourrait  faire  que 
ce  qui  a  été  ne  soit  pas.  C'était  oublier  que  le  temps  que  Dieu  a 
fait  pour  mesurer  l'existence  aux  créatures  n'a  pas  d'empire  sur 
lui.  Dieu  est  éternel  ;  il  n'y  a  pas  pour  Lui  de  passé  ni  de  futur. 


SCIENCE    ET   AUTRES    PERFECTIONS   DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       173 

Vouloir  qu'une  chose  qui  a  été  cesse  d'avoir  été  serait  vouloir 
que,  pour  Dieu  et  en  vertu  de  sa  puissance,  cette  chose  existât  et 
n'existât  pas,  tout  en  même  temps,  ce  qui  est  contradictoire.  Ce 
qui  a  été  est  pour  Dieu,  et  ne  peut  pas  ne  pas  être  ;  mais  il  est 
très  vrai  qu'en  vertu  de  sa  même  éternité,  Dieu  pourrait  vouloir 
qu'une  chose  qui  a  été  n'eût  pas  été  lorsqu'elle  fut,  mais  en  ce 
cas  la  volonté  de  Dieu  qui  est  immuable  eût  été  alors  comme  plus 
tard,  que  cette  chose  ne  fût  pas,  et  elle  n'aurait  jamais  passé  du 
possible  à  l'être. 

S.  Thomas  demande  encore  si  Dieu  aurait  pu  donner  l'existence 
à  plus  de  créatures  qu'il  ne  l'a  fait,  ou  élever  celles  qu'il  a  créées  à 
une  perfection  plus  haute.  Ces  questions  ne  souffrent  aucune  dif- 
ficulté. Il  est  de  foi  que  Dieu  aurait  pu  tirer  du  néant  d'autres 
êtres,  des  êtres  plus  nombreux  que  ceux  qu'il  a  créés,  ou  les 
créer  meilleurs.  L'erreur  contraire,  condamnée  par  le  Concile  de 
Sens,  ne  tient  pas  devant  les  textes  de  la  Sainte  Écriture  qui  pro- 
clament la  toute-puissance  de  Dieu.  Il  a  fait  tout  ce  qu'il  a  voulu, 
il  est  le  tout-puissant  ;  qui  l'empêcherait  de  semer  des  milliers 
d'autres  mondes  dans  les  espaces  possibles  auxquels  lui  seul  assi- 
gnera des  bornes?  Qui  peut  l'empêcher,  s'il  le  veut,  de  tirer  du 
néant  des  êtres  dont  nous  ne  pouvons  même  pas  concevoir  la  na- 
ture, plus  beaux,  plus  intelligents,  plus  parfaits  que  les  hommes 
et  les  anges  eux-mêmes?  Qui  l'empêcherait  de  donner  à  toutes  les 
créatures  existantes  une  perfection  naturelle  ou  surnaturelle  plus 
éminente  que  celle  dont  elles  sont  douées? 

Cependant  il  faut  reconnaître  qu'il  y  a  plusieurs  œuvres  de 
Dieu,  après  lesquelles  sa  toute-puissance  infinie  doit  s'arrêter  et 
reconnaître  l'impossibilité  de  monter  plus  haut.  La  première  de 
ces  œuvres  est  l'union  hypostatique  du  Verbe  divin  avec  la  nature 
humaine.  Dieu  a  pu  aller  jusque-là,  mais  il  n'est  pas  possible  à 
son  infinie  puissance  de  faire  qu'aucune  créature  surpasse  jamais 
le  Dieu  fait  homme,  ni  même  arrive  à  l'égaler.  Il  est  même  vrai 
de  dire  que  le  monde,  tel  que  Dieu  l'a  fait,  se  trouve  relevé  à  ce 
point  par  Tincarnation  du  Verbe,  que  Dieu  ne  pourrait  pas  créer 
un  autre  monde  égal  en  dignité  à  celui  qui  existe,  quoiqu'il  puisse 
en  créer  renfermant  une  foule  d'êtres  plus  parfaits  que  les 
hommes.  Et  il  n'y  a  pas  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  la  bien- 
heureuse vierge  Marie,  sa  mère,  est  elle-même  placée  si  haut,  par 
sa  maternité  divine  et  par  les  dons  qui  l'accompagnent  nécessai- 


174         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   ClIAP.    IV. 

rement,  que  Dieu  ne  saurait  élever  une  pure  créature  à  un  égal 
degré  de  sublimité  et  de  perfection.  On  peut  en  dire  autant,  pro- 
portion gardée,  de  tout  ce  qui  se  rapporte  à  Tordre  de  la  grâce 
et  à  celui  de  la  gloire^  résultats  de  l'Incarnation  du  Fils  de  Dieu 
et  de  sa  mort  pour  nous  :  rien  de  créé  ne  saurait  égaler  naturelle- 
ment ni  la  grâce  ni  la  gloire.  Cependant,  môme  dans  Tordre  de 
la  grâce  et  dans  celui  de  la  gloire,  il  était  possible  à  Dieu  de 
faire  plus  qu'il  n'a  fait.  Le  nombre  des  prédestinés  pouvait  être 
plus  grand  ;  leur  sainteté,  en  mettant  de  côté  la  très  sainte  Vierge 
et  l'humanité  adorable  de  Notre-Seigneur,  pouvait  s'élever  à  des 
hauteurs  encore  plus  sublimes.  Pourquoi  Dieu  ne  Ta-t-il  pas  voulu? 
C'est  son  secret.  La  seule  raison  que  nous  puissions  en  donner  est 
que  ce  monde,  tel  qu'il  est,  correspond  plus  parfaitement  que 
n'eût  fait  tout  autre  monde  possible  à  la  fin  qu'il  s'est  proposée  en 
le  créant,  car  si  un  autre  monde  avait  dû  mieux  remplir  cette  fin, 
ce  n'est  pas  le  monde  existant  mais  cet  autre  que  la  toute-puis- 
sance divine  aurait  tiré  du  néant.  S'il  n'en  était  pas  ainsi,  pour- 
quoi aurait-il  choisi  de  créer  un  monde  dans  lequel  le  salut  des 
hommes  demanderait  que  le  Verbe  divin  se  fit  homme  lui-même, 
qu'il  se  soumît  à  d'inexprimables  humiliations,  et  qu'il  subit  une 
mort  aussi  infamante  que  cruelle?  Sans  doute  Dieu  pouvait  vou- 
loir un  autre  ordre  de  choses.  Étant  admis  même  qu'il  donnât 
l'existence  à  la  nature  humaine,  il  lui  était  aisé  de  conserver  aux 
hommes  la  grâce  d'origine,  ou  de  les  réhabiliter,  s'ils  venaient  à 
tomber,  sans  que  la  mort  du  Verbe  incarné  fût  nécessaire  à  leur 
rançon  ;  il  pouvait  fixer  un  autre  temps  et  d'autres  circonstances 
pour  le  rachat  des  hommes.  Il  ne  Ta  pas  fait  parce  qu'il  ne  Ta  pas 
voulu,  et  il  ne  Ta  pas  voulu  par  des  raisons  dignes  de  sa  sagesse, 
de  sa  bonté  et  de  sa  justice  '. 

«  Dieu,  dit  Théodoret,  ne  voulut  pas  faire  tout  ce  qu'il  pouvait, 
«  mais  seulement  ce  qu'il  jugeait  suffisant.  Il  lui  aurait  été  assuré- 
a  ment  aisé  de  créer  dix  ou  vingt  mille  mondes,  puisque  sa  seule 
«  volonté  y  suffisait  et  qu'on  ne  conçoit  pas  de  mode  d'action  pré- 

\.  Poterat  elsi  nunquam  advenisset  Christus,  solummodo  loqui  Deus,  et 
maledictionem  solvere  ;  scd  considerandum  est  quid  hominibus  expédiât; 
neque  in  omnibus  aestimare  quid  possit  Deus....  Poterat  etiam  ab  initio  Salva- 
tor  advenire  ;  aut  cum  advenit  non  tradi  Pilato.  Verum  sub  consummationem 
sanculorum  venil,  et  quœsitus  dixit  :  Ego  sum.  Quidquid  enim  fecit,  boc  et 
utile  est  hominibus,  nec  aliter  decebat  lieri.  (S.  Athanas.,  lib.  III  contra  Aria- 
nos.) 


SCIENCE    ET    AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES   DE    N.-S,    J.C.       175 

«  sentant  moins  de  difficultés.  Il  nous  est  très  facile  à  nous-mêmes 
€  de  vouloir.  Mais  notre  volonté  n'a  pas  cette  efficacité  ni  cette 
«  vertu.  Pour  Dieu  au  contraire,  tout  ce  qu'il  veut  est  possible  : 
a  le  pouvoir  est  joint  en  lui  à  la  volonté.  Cependant  il  n'a  pas 
«  donné  dans  la  création  la  mesure  de  sa  puissance  ;  il  n'a  fait  que 
«  ce  qu'il  a  voulu  faire  ^.  » 

Lactance  résume  en  quelques  mots  précis  l'enseignement  catho- 
lique sur  ce  point;  il  dit:  c  Lorsque  je  considère  l'ensemble  des 
«  choses  existantes,  je  comprends  que  rien  n'a  dû  être  fait  autre- 
«  ment  qu'il  le  fut  en  réalité.  Je  ne  dis  pas  que  Dieu  ne  l'aurait 
«  pas  pu,  puisqu'il  peut  tout  ;  mais  il  est  nécesaire  que  la  majesté 
«  suprême,  dont  la  sagesse  est  infinie,  ait  fait  ce  qui  était  le  mieux 
«  et  le  plus  juste  2,  » 

S.  Épiphane  dit  à  son  tour  :  «  Dieu  a  la  puissance  àe  faire  ce 
«  qu'il  veut,  car  personne  ne  résiste  à  sa  volonté;  mais  il  fait  ce 
a  qui  est  digne  de  sa  divinité  3.  »  Est-ce  à  dire  que  Dieu  fait 
toujours  ce  qui,  à  nos  yeux,  paraîtrait  plus  digne  de  sa  majesté 
divine?  Assurément  non,  car  nous  sommes  des  juges  très  récusa- 
bles  de  cette  dignité;  certainement  nous  tomberions  mille  fois  dans 
l'erreur  si  nous  voulions  soumettre  les  actes  de  Dieu  à  notre  ap- 
préciation; mais  rien  ne  l'oblige  à  choisir,  entre  tous  les  modes 
d'agir  possibles,  celui  qui,  selon  nous,  serait  le  plus  digne  et  le 
plus  parlait.  Il  a  le  choix  libre  des  moyens  pour  atteindre  la  fin 
qu'il  se  propose,  sa  plus  grande  gloire,  et  le  plus  grand  bien  de 
ses  créatures.  Ce  qu'il  a  voulu  faire,  il  l'a  fait,  mais  il  était  libre  de 
vouloir  et  de  faire  autre  chose  ^. 

1.  Voluit  autem  non  quanta  poterat,  sed  quanta  sufticere  judicavit.  Nam 
ipsi  facile  quidem  erat,  decem  aut  viginti  millia  creare  mundoruni  :  quando- 
quidem  velle  eiïectionum  omnium  facillimum  est.  Siquidcm  etiam  nobis 
omnium  est  velle  facillimum.  Sed  voluntatem  nostram  vis  et  facultas  non  se- 
quitur.  At  universorum  Deo  possibilia  sunt  qusecumque  vult.  Quippe  cum 
voluntate  conjuncta  est  potestas.  Nihilominus  non  potentia  mensus  est  crea- 
turam  :  sed  quaecumque  voluit  fecit.  (Tiieodoret.,  serm.  IV  contra  Gentiles.) 

2.  Considerans  conditionem  rerum,  iiitelligonihilfieri  aliter  debuisse,  quam 
factum  est  :  ut  non  dicam  potuisse,  quia  Deus  potest  omnia;  sed  necesse  est 
quod  illa  providentissima  majestas  id  effecerit,  quod  erat  melius  et  rectius. 
(Lact.,  in  libro  de  Opificin  Dei,  cap.  m.) 

3.  Potens  est  Deus  ut  faciat  quod  vult;  nemo  enim  ejus  voluntati  resistit; 
verum  agit  quaecumque  sua*  Majestati  congruunt.  (S.  Epiph.,  Ilxres.,  l.\.\.) 

4.  Si  voluisset  ergo  Tilius  Dei  inde  sibi  liumanam  carncm,  veramque,  for- 
mare,  undc  formavit  et  illi  primo  bomini,  quoniain  omnia  per  ipsum  facta 
suni,  quis  eum  non  potuisse  audcat  aftirmarc  ?  Si  denique  de  cœlesti,  vel  de 


176         LA    SAISTE   EUCHARISTIE.  —  II*"  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —   CllAI'.    IV. 

11  est  cependant  des  choses  que  Dieu  ne  peut  pas  faire  et  qui 
sont,  comme  on  dit  communément,  impossibles  à  Dieu.  En  premier 
lieu.  Dieu  ne  peut  pas  faire  ce  qui  impliquerait  contradiction,  par 
exemple  qu'une  chose  soit  et  qu'elle  ne  soit  pas.  En  second  lieu,  il 
ne  peut  pas  faire  davantage  ce  qui  ne  s'accorde  pas  avec  sa  perfec- 
tion souveraine.  C'est  ainsi  qu'il  ne  saurait  ni  mourir,  ni  mentir, 
ni  commettre  le  péché. 

Il  est  certain  que  Dieu  ne  peut  ni  faire  ni  souffrir  rien  qui  soit 
incompatible  avec  l'infinie  perfection  de  sa  nature,  et  tout  le  monde 
comprend  que  cette  impuissance  n'enlève  absolument  rien  à  la 
toute-puissance  de  Dieu.  «  Dieu,  parce  qu'il  est  tout-puissant,  dit 
e  S.  Augustin,  fait  tout  ce  qu'il  veut  et  ne  souffre  rien  de  ce  qu'il 
a  ne  veut  pas  •.  » 

Il  faut  même  ajouter,  avec  l'illustre  docteur,  que  si  Dieu  pouvait 
ces  sortes  de  choses,  il  ne  serait  pas  tout-puissant.  «  Maintenant, 
«  dit-il  dans  un  de  ses  sermons,  parlons  des  choses  qui  sont  im- 
«  possibles  à  Dieu  :  Il  ne  peut  pas  mourir;  il  ne  peut  pas  pécher  ; 
«  il  ne  peut  pas  mentir;  il  ne  peut  pas  être  trompé.  Voilà  ce  que 
«  Dieu  ne  peut  pas  faire,  et  s'il  le  pouvait,  il  ne  serait  pas  tout- 
«  puissant  -.  » 

Hugues  de  Saint-Victor  dit  qu'il  faut  distinguer  deux  sortes  de 
puissance  :  celle  de  faire  et  celle  de  ne  pas  endurer  quelque  chose. 
«  Il  faut,  dit-il,  affirmer  la  toute-puissance  de  Dieu  comme  très 
«  véritable  dans  l'un  et  l'autre  sens.  Il  n'y  a  rien,  en  effet,  qui 
«  puisse  lui  infliger  quelque  souffrance  et  il  n'y  a  rien  non  plus 
«  qui  puisse  l'empêcher  de  faire  ce  qu'il  veut.  Il  peut  toute  chose, 
«  excepte  ce  qui  ne  pourrait  se  faire  sans  lui  causer  quelque  détri- 
«  ment;  mais  il  n'en  est  pas  moins  tout-puissant  :  au  contraire, 
«  s'il  pouvait  endurer  cette  sorte  de  choses,  sa  toute-puissance  dis- 
«  paraîtrait.  Je  dis  que  Dieu  peut  tout,  et  que  cependant  il  ne  peut 
«  pas  se  détruire  lai-même  :  le  pouvoir,  ce  ne  serait  plus  pouvoir 

aerea,  vel  liumida  creatura  corpus  assumptum  vellet  commutare  in  humanae 
carnis  verissimam  qualitatem  in  qua  et  vivere  mortalis  homo  posset  et  mori, 
hoc  eum  potuisse  quis  negaret  qui  negare  omnipo.tentem  omnipotentis  filium 
non  auderel?  (S.  August.,  lih.  XXVI  contra  Faustum.) 

1.  Omnipotens  est  enim  faciendo  quidquid  vult,  non  patiendo  quod  non 
vult.  (S.  Auglst.,  lib.  X  de  Civil.  Dei,  cap.  x.) 

2.  Jam  ego  dico  quanta  non  possit.  Non  potest  mori,  non  potest  peccare, 
non  potest  mentiri,  non  potest  falli.  Tanta  non  potest  :  quœ  si  posset,  non 
esset  omnipotens.  (S.  August.,  serm.  CIX(/e  Tempore.) 


SCIENCE    ET    AUTRES    PERFECTIONS    DIVINES   POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       177 

«  mais  être  impuissant.  Dieu  peut  donc  tout  ce  qui  est  un  effet  de 
«  la  puissance,  et  il  est  véritablement  tout-puissant,  parce  qu'il  ne 
a  peut  pas  être  impuissant  K  » 

On  peut  résumer  ainsi  avec  Nicole  tout  ce  qu'il  importe  de  sa- 
voir sur  la  puissance  de  Dieu  '-. 

<r  Dieu  peut  tout  par  sa  seule  volonté,  sans  instrument  et  sans 
dépendre  de  qui  que  ce  soit  :  sa  puissance  s'étend  à  tout  également. 
Il  a  tiré  et  il  tire  continuellement  du  néant  ces  corps  immenses  qui 
composent  l'univers,  c'est-à-dire  les  cieux,  les  éléments  et  tout  ce 
qui  en  est  composé.  Il  imprime  continuellement  dans  cette  vaste 
matière  un  mouvement  qui  en  produit  tous  les  changements  ;  de 
sorte  que,  jusqu'à  la  moindre  feuille  et  au  moindre  atome  de  pous- 
sière, aucun  corps  ne  se  remue  que  par  l'impression  qu'il  reçoit 
de  Dieu.  Il  crée  continuellement  cette  multitude  d'àmes  qu'il  joint 
aux  corps  de  ceux  qui  naissent  tous  les  jours.  Tous  les  êtres  spiri- 
tuels n'ont  aucune  pensée,  aucune  perception  à  laquelle  Dieu  ne 
contribue  et  ne  coopère.  Toutes  ces  opérations,  si  différentes  entre 
elles  par  les  sujets  et  par  les  lieux,  ne  lui  coûtent  rien  ;  il  fait  tout 
cela  par  un  seul  et  unique  acte,  dans  une  paix  souveraine.  Tous 
ces  ouvrages  qui  ne  regardent  que  l'ordre  de  la  nature  ne  sont  rien, 
en  comparaison  des  opérations  surnaturelles  dans  les  âmes,  par 
lesquelles  il  les  convertit,  il  les  ressuscite,  il  les  justifie  et  les  fait 
son  temple  et  sa  demeure.  Tout  ce  que  Dieu  fait  dans  les  âmes  en 
cette  vie  n'est  rien  en  comparaison  de  ce  qu'il  opérera  dans  les 
âmes  des  bienheureux. 

«  La  vue  de  la  toute-puissance  de  Dieu  doit  nous  inspirer  des 
sentiments  de  terreur  qui  doivent  nous  éloigner  d'offenser  un 
Dieu  tout-puissant.  Elle  doit  nous  faire  mépriser  toute  la  puissance 
des  hommes,  et  particulièrement  de  ceux  qui  attaquent  son  Église  : 
car  que  peuvent-ils  faire  contre  un  Dieu  tout- puissant,  qui  renver- 

1.  Potestas  duplex  est,  altéra  ad  aliquid  faciendum,  altéra  ad  nihil  patien- 
dum.  Secundum  utramque  Deus  omnipotens  verissime  affirmatur  :  quia  nec 
aliquid  est,  quod  ei  ad  patiendum  corruptionem  possit  inferre,  nec  aliquid 
quod  est  faciendum,  impedimentum  afierre.  Omnia  qujppe  facere  potest, 
prae ter  id  solum  quod  sine  ejus  laesione  fieri  non  potest;  in  quo  tamen  non 
minus  omnipotens  est,  quia  si  id  posset,  omnipotens  non  esset.  Dico  ergo 
quod  Deus  omnia  potest,  et  tamen  seipsum  destruere  non  potest.  Hoc  enim 
posse  non  esset,  sed  non  posse.  Itaque  omnia  potest  Deus,  quae  posse  potentia 
est.  Et  ideo  vere  omnipotens  est,  quia  impotens  esse  non  potest.  (Huo.  Victor., 
lib.  I  (le  Sacram.  ftdei,  cap.  xxii.) 

2.  Nicole.  Voir  Esprit  de  Xicole  sur  les  vérités  de  hi  religion,  ch.  i. 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  12 


178        LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —    CHAP.    IV. 

sera  en  un  moment  tous  leurs  desseins,  à  moins  que  leurs  desseins 
ne  servent  d'acheminement  aux  siens?  Elle  doit  nous  donner 
beaucoup  de  confiance  dans  nos  faiblesses,  en  nous  assurant  qu'il 
n'y  a  rien  d'impossible  à  un  Dieu  tout-puissant.  Elle  doit  nous  em- 
pêcher de  désespérer  d'aucune  chose,  parce  que  non  seulement 
rien  n'est  impossible  à  Dieu,  mais  qu'il  se  plaît  quelquefois  à  ren- 
verser les  projets  des  hommes  et  à  nous  faire  triompher  des  plus 
puissants  ennemis,  lorsque  nous  sommes  dans  la  plus  grande  fai- 
blesse. » 

Tels  sont  les  principaux  attributs  de  Dieu  dont  tous  les  autres 
découlent.  Ce  que  nous  en  avons  dit  peut  donner  une  idée  de  leur 
infinie  grandeur;  mais  qui  pourrait  jamais  les  étudier  assez? 
L'éternité  ne  suffira  pas  aux  anges  et  aux  élus  pour  les  connaître 
dans  toute  leur  plénitude.  Nous  pourrions  parler  encore  de  la  pro- 
vidence par  laquelle  Dieu  gouverne  le  monde  naturel  et  surnatu- 
rel '  ;  nous  pourrions  admirer  les  sollicitudes  infinies  de  ses  bontés 

1.  La  providence,  dit  le  cardinal  Gousset,  n'est  point  proprement  un  attribut 
de  Dieu,  c'est  l'action  de  la  volonté  constante  du  Créateur,  gouvernant  le 
inonde  par  les  lois  qu'il  a  lui-même  établies  et  conduisant  toutes  choses  en 
général  et  chaque  chose  en  particulier  à  la  fin  qu'il  s'est  proposée  dans  sa 
sagesse.  D'après  l'idée  que  nous  avons  de  la  Providence,  Dieu  arrange  et  règle 
tous  les  événements  ;  il  place  chaque  créature  dans  son  rang,  en  donnant  à 
chacune  sa  mesure,  son  degré,  sa  proportion  ;  il  les  régit  toutes  par  une  opé- 
ration aussi  douce  que  puissante  ;  il  opère  dans  les  hommes,  et  souvent  par  les 
hommes,  tout  ce  qu'il  lui  plait,  quand  il  lui  plaît  et  de  la  manière  qu'il  lui 
plait,  sans  être  jamais  arrêté  dans  l'exécution  de  ses  desseins  par  l'opposition 
de  la  part  des  hommes  :  Attingit  ergo  a  fine  usque  ad  finem  fortiter,  et  disponit 
omnia  nuaviter.  (Sagesse,  viii,  1.) 

«  Tout,  dans  l'histoire  de  la  religion,  prouve  le  dogme  de  la  divine  provi- 
dence. On  ne  peut,  en  effet,  nier  la  providence  sans  nier  toute  religion  : 
comme  on  ne  peut  admettre  une  religion  quelconque  sans  admettre  en  même 
temps  la  providence.  Aussi  parce  que  tous  les  peuples  ont  eu  des  croyances 
religieuses,  ils  ont  tous  reconnu  que  la  divinité  gouverne  le  monde.  Partout 
et  dans  tous  les  temps,  les  hommes  se  sont  adressés  à  Dieu  comme  à  leur 
souverain  Maître,  comme  au  souverain  modérateur  de  toutes  choses.  L'action 
de  Dieu  sur  les  créatures  n'a  jamais  été  méconnue  que  par  ceux  qui  ont  dit 
dans  leur  cœur  ou  dans  le  délire  de  l'orgueil  :  11  n'y  a  point  de  Dieu. 

«  Nous  devons,  pour  avoir  une  juste  idée  de  la  providence,  recourir  aux  en- 
seignements que  Dieu  a  bien  voulu  donner  lui-même  au  genre  humain.  Ce 
n'est  que  par  une  révélation  surnaturelle  que  nous  pouvons  connaître  jusqu'où 
s'étend  son  intervention  dans  le  gouvernement  du  monde  et  des  choses 
humaines.  C'est  la  foi  qui  nous  apprend  que  le  Tout-Puissant  pourvoit  à  tout; 
que  les  destinées  de  l'homme,  le  sort  des  empires  et  des  peuples  sont  entre 
les  mains  de  Dieu.  Les  livres  saints  contiennent  l'histoire  de  nos  premiers 
parents,  des  patriarches,  des  Hébreux  sous  la  conduite  de  Moïse,  du  peuple 


SCIENCE    ET    AUTRES   PERFECTIONS    DIVINES    POSITIVES    DE    N.-S.    J.-C.       179 

et  de  ses  miséricordes,  comme  nous  efifrayer  à  la  pensée  des 
rigueurs  de  sa  justice;  nous  pourrions  jeter  un  regard  sur  les 
profonds  mystères  de  la  prédestination  de  l'élection  des  bons,  de  la 
réprobation  des  méchants,  mais  de  tels  sujets  nous  entraîneraient 
trop  loin.  Notre  but  était  de  dire  le  nécessaire  sur  la  nature  divine 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  au  Très  Saint  Sacrement 
de  l'autel  :  nous  l'avons  fait  avec  quelques  développements,  trop 
longs  peut-être  à  l'avis  du  lecteur,  trop  courts  assurément  si  l'on 
considère  la  grandeur  et  l'importance  du  sujet.  Il  faut  avancer 
maintenant,  et  après  avoir  considéré  ce  que  Jésus-Christ  est  comme 
Dieu,  nous  devons  voir  aussi  ce  qu'il  est  en  qualité  de  Fils  de 
Dieu. 


juif  sous  les  prophètes,  de  Jésus-Christ,  des  apôtres,  des  premiers  chrétiens, 
et  cette  histoire  sainte  n'est  autre  chose  que  l'histoire  de  la  providence,  de  la 
puissance,  de  la  sagesse,  de  la  bonté,  de  la  justice  divine.  Dieu  s'y  montre  partout 
comme  l'auteur  et  le  conservateur  de  toutes  choses,  comme  le  roi  des  rois,  le 
seigneur  des  seigneurs,  le  législateur  suprême,  vengeur  du  crime  et  rémuné- 
rateur de  la  vertu  ;  comme  l'arbitre  souverain  du  sort  des  nations,  les  abais- 
sant ou  les  élevant  à  son  gré,  disposant  comme  il  lui  plaît,  dans  sa  miséricorde 
ou  sa  colère,  de  la  paix  et  de  la  guerre,  de  la  vie  et  de  la  mort,  sans  que  per- 
sonne puisse  jamais  s'opposer  à  l'exécution  de  ses  desseins.  Le  Seigneur  a  fait 
tout  ce  qu'il  a  voulu,  au  ciel,  sur  la  terre  et  dans  la  profondeur  des  abîmes  : 
Omnia  qusecwnque  voluit  Dominus  fecit  in  cœlo  et  in  terra,  in  mari  et  in  om- 
nibus abyssis.  [Ps.  c.xxxiv.)-".  Tout  dans  le  monde  moral  comme  dans  le 
monde  physique,  dans  l'ordre  surnaturel  comme  pour  les  choses  d'ici-bas,  est 
soumis  à  l'action  de  la  Providence  :  en  vain,  les  rois,  les  princes,  les  législa- 
teurs voudraient  s'y  soustraire  ;  quoi  qu'ils  fassent,  ils  seront  toujours  plus 
gouvernés  qu'ils  ne  gouvernent  :  il  n'y  a  point  de  sagesse,  il  n'y  a  point  de 
prudence,  il  n'y  a  point  de  conseil  contre  le  Seigneur.  {Prov.,  xxi,  30.)  » 
(Gousset,  Théol.  dogm.,  t.  II,  n.  U-2,  etc.) 


180         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11'  PARTIE.  — LIVRE  II.  —  CHAP.    V. 


CHAPITRE  V 

JÉSUS-CHRIST  PRÉSENT  SOUS  LES  ESPÈCES  EUCHARISTIQUES,  DANS  SES 
RAPPORTS  COMME  DIEU  AVEC  LES  DEUX  AUTRES  PERSONNES  DIVINES 

I.  Trinité  des  personnes  en  Dieu.  —  II.  Mystère  de  la  génération  éternelle  du  Fils 
de  Dieu  qui  s'accomplit  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie.  —  III.  Pourquoi  le  Fils  de 
Dieu  est  aussi  appelé  Verbe,  Image  et  Sagesse  du  Père.  —  IV.  Autre  mystère  de  la 
vie  intime  de  Dieu,  qui  s'accomplit  dans  l'Eucharistie  :  La  procession  du  Saint- 
Esprit.  —  V.  Le  Verbe  Fils  unique  de  Dieu,  présent  dans  l'Eucharistie,  consubstan- 
tiel  au  Père  et  au  Saint-Esprit.  ' 

I. 
TRINITÉ   DES   PERSONNES   EN    DIEU 

La  foi  ne  nous  enseigne  pas  seulement  qu'il  y  a  un  Dieu,  et  que 
ce  Dieu  unique,  infiniment  parfait,  est  absolument  simple  dans 
son  essence.  Elle  nous  dit  encore  qu'il  y  a  en  lui  trois  personnes, 
que  chacune  de  ces  trois  personnes  est  Dieu,  et  que  néanmoins 
elles  ne  sont  toutes  trois  ensemble  qu'un  seul  et  même  Dieu.  — 
C'est  l'adorable  mystère  de  la  Trinité,  devant  lequel  toute  intelli- 
gence créée  doit  s'incliner  humblement,  sans  espérer  de  le  com- 
prendre. Les  anges  et  les  saints  dans  le  ciel  contemplent  ce  mys- 
tère ;  mais  toute  l'éternité  ne  leur  suffira  pas  pour  en  scruter  les 
insondables  profondeurs. 

Notre  divin  Sauveur,  Jésus  Eucharistique,  est,  par  sa  nature 
divine,  la  seconde  personne  de  l'adorable  Trinité.  Si  donc  nous 
voulons  bien  connaître  celui  que  nous  possédons  au  milieu  de 
nous,  il  nous  faut  tout  d'abord  connaître,  autant  que  nous  le  pou- 
vons ici-bas,  en  quoi  consiste  précisément  l'essence  du  mystère 
de  la  Très  Sainte  Trinité. 

Quelles  que  soient  les-  profondeurs  du  mystère  dans  lequel 
nous  adorons  un  seul  et  unique  Dieu  en  trois  personnes  dis- 
tinctes, il  nous  est  donné,  grâce  aux  lumières  de  la  révélation 
unies  à  celles  de  la  raison,  de  ne  pas  nous  borner  simplement  à 
constater  qu'il  est,  avec  la  croyance  à  l'existence  de  Dieu,  le  point 
fondamental  sur  lequel  repose  tout  l'édifice  de  notre  sainte  re- 
ligion. Les  théologiens  se  sont  appliqués  à  l'étudier  dans  son 
essence  et  à  découvrir,  autant  que  le  peut  l'intelligence  humaine, 


JÉSDS    EUCHARISTIQDE    ET    LE    MYSTERE   DE    LA    TRINITÉ.  181 

en  quoi  elle  consiste.  Ils  ont  particulièrement  reconnu  quatre 
vérités. 

La  première,  qu'il  y  a  en  Dieu  deux  processions,  et  que  ces  deux 
processions  exigent  trois  personnes  distinctes; 

La  seconde,  qu'il  y  a  quatre  relations  et  que  de  ces  quatre  rela- 
tions résulte  aussi  la  distinction  de  trois  personnes  ; 

La  troisième,  que  les  trois  personnes  sont  véritablement  et  réel- 
lement distinctes  entre  elles  ; 

La  quatrième,  qu'elles  n'ont  ensemble  qu'une  même  et  unique 
essence,  un  seul  être  divin. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  traiter  ces  quatre  questions  avec  les 
développements  qu'elles  comportent  ;  néanmoins  il  faut  bien  dire 
quelques  mots  sur  chacune  d'elles,  si  l'on  veut  connaître,  autant 
qu'il  doit  nous  être  connu,  le  Verbe  divin  que  nous  adorons  in- 
carné et  caché  pour  nous  sous  les  Espèces  Eucharistiques. 

Que  la  nature  divine,  dans  son  unité  parfaite  et  sa  simplicité 
absolue,  soit  féconde,  la  Sainte  Écriture,  les  Pères  et  les  Conciles 
ne  nous  permettent  pas  d'en  douter.  Il  y  a  en  Dieu  un  principe 
premier  d'où  procède  quelque  chose  qui  se  distingue  de  ce  prin- 
cipe lui-même.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffirait  de  lire  ces  pa- 
roles que  le  Psalmiste  prête  au  Messie  :  «  Le  Seigneur  m'a  dit  : 
<!f  Vous  êtes  mon  fils  :  c'est  moi  qui  aujourd'hui  vous  ai  engendré  ^,  » 
et  cet  oracle  du  prophète  Michée  :  «  Et  toi  Bethléhem  Ephrata,  tu 
et  es  très  petit  entre  les  mille  de  Juda  ;  de  toi  sortira  pour  moi 
«  celui  qui  doit  être  le  dominateur  en  Israël,  et  sa  génération  est 
«  du  commencement,  des  jours  de  l'éternité  ~.  »  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  dit  lui-même  :  «  Je  suis  sorti  de  Dieu  ^  »  ;  et  ailleurs, 
parlant  du  Saint-Esprit,  il  indique  clairement  que  ce  divin  Esprit 
procède  de  lui  et  du  Père,  par  ces  mots  :  «  Il  recevra  de  ce  qui 
«  est  à  moi  ^.  —  Lorsque  sera  venu  le  Paraclet,  que  je  vous  en- 
«  verrai  du  Père,  l'Esprit  de  vérité  qui  procède  du  Père  ^.  »  Ces 
textes  n'ont  pas  besoin  de  commentaire  :  nous  y  voyons  expressé- 

d.  Dominus  dixit  ad  me  :  Filius  meus  es  tu  ;  Ego  hodie  genui  te.  {Ps.  ii,  7.) 

2.  Et  tu,  Bethléhem  Ephrata,  parvuhis  es  in  millihus  Juda;  ex  te  mihi 
egredietur  qui  sit  dominator  in  Israël,  et  egressus  ejus  ab  initio,  a  diebus 
aeternitatis.  {Mic/i.,  v,  -2.) 

3.  Ego  enim  ex  Dco  procossi.  [Joann.,  viii,  -42.) 

4.  De  mco  accipiet.  [Joann.,  xvi,  li.) 

M.  Cum  aulem  venerit  Paracletus,  quem  ego  mittam  vobis  a  Pâtre,  Spiritum 
veritatis,  qui  a  Pâtre  procedit.  {Joann.,  xv,  20.) 


182         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —    II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   V. 

ment  que  Dieu  a  un  Fils  qui  procède  du  Père  par  voie  de  généra- 
tion, et  que  cette  génération  est  éternelle,  c'est-à-dire  que  le  Fils 
n'a  pas  commencé  d'être  fils,  ni  le  Père  d'être  père,  mais  que  l'un 
et  l'autre  sont  éternellement  ce  qu'ils  sont.  Nous  y  voyons  de 
même  le  Saint-Esprit  qui  procède  du  Père,  mais  qui  procède  aussi 
du  Fils  qui  contribue  à  son  existence  et  qui,  avec  le  Père,  lui 
donne  sa  mission.  Mais  il  faut  bien  se  garder  de  confondre  ce  qui 
s'opère  en  Dieu,  l'être  intellectuel  par  excellence,  l'intelligence 
infiniment  jiure,  avec  ce  qui  parait  à  nos  sens  dans  les  êtres  ma- 
tériels. Ce  qui  procède  de  Dieu  ne  se  sépare  pas  de  la  substance 
divine,  et  ne  la  divise  en  aucune  manière.  C'est  un  acte  intérieur, 
dont  les  opérations  de  notre  propre  intelligence  peuvent  contri- 
buer à  nous  donner  une  idée.  Vous  comprenez,  c'est-à-dire  qu'il 
se  forme  dans  votre  intelligence,  par  la  vertu  qu'elle  a  de  com- 
prendre et  par  la  connaissance  d'une  chose,  une  conception  de 
cette  chose.  Cette  conception  est  purement  intérieure  et  elle  existe 
complète  dans  votre  intelligence  ;  mais  la  voix  ou  tout  autre 
moyen  extérieur  pourra  la  manifester  aux  sens  :  elle  ne  sortira 
point  pour  cela  de  votre  intelligence  et  ne  lui  sera  pas  moins  inti- 
mement unie,  ne  faisant  qu'un  avec  elle.  Il  se  passe  quelque  chose 
en  Dieu  d'analogue,  mais  avec  une  perfection  infiniment  plus 
grande,  et  c'est  à  cette  sorte  d'enfantement,  qui  s'accomplit  en 
l'essence  divine,  sans  blesser  aucunement  soit  son  unité,  soit  sa 
simplicité,  que  l'on  a  donné  le  nom  générique  de  procession  K 
Les  Pères  de  l'Église  n'ont  pas  été  sans  parler  des  processions 

1.  Cum  omnis  processio  sil  secundum  aliquam  aclionem  ;  sicul  secundum 
actionem  qua;  tendit  in  exteriorem  materiam,  est  aliqua  processio  ad  extra; 
ita  secundum  actionem  quap,  manet  in  ipso  agente,  attenditur  processio  ad 
intra.  Et  hoc  maxime  patet  in  intellectu  ;  cujusaclio,  scilicet  intelligere,  manet 
in  intelligente.  Quicuinque  autem  intelligit,  ex  hoc  ipso  quod  intelligit,  pro- 
cedit  aliquid  intra  ipsum  quod  est  conceptio  rei  intellectœ  ex  vi  intellectiva 
provenions,  et  ex  ejus  notitia  procedens.  Quam  quidem  conceptionem  vox 
significat;  etdicitur  verhiim  cordis  significatum  verbo  vocis.  —  Cum  autem 
Deus  sit  super  omnia,  ea  quae  in  Deo  dicuntur,  non  sunt  intelligenda  secun- 
dum modum  infimarum  creaturarum,  quée  sunt  corpora,  sed  secundum  simi- 
litudinem  suprcmarum  creaturarum,  quae  sunt  intellectuales  substantiae;  a 
quiljus  etiam  similitudo  accepta  déficit  a  reprœsentalione  divinorum.  Non 
ergo  accipienda  est  processio  secundum  est  in  corporalibus,  vel  per  motum 
localem,  vol  per  actionem  alicujus  causse  in  exteriorem  cffectum,  ut  calor  a 
calefacicnle  in  calefactum;  sed  secundum  emanationem  intelligibilem,  ulpote 
verbi  intelligibilisa  dicente,  quod  manet  in  ipso.  Et  sic  fides  calholica  ponit 
processionem  in  divinis.  (S.  Thom.,  I  p.,  q.  xxvii,  art.  \.) 


JÉSUS   EDCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  183 

qui  sont  en  Dieu.  S.  Justin,  dans  VExposiiion  de  la  foi,  dit  que 
«  le  Fils  est  lumière  et  qu'il  tire  son  origine  de  la  lumière  par 
«  génération.  Le  Saint-Esprit  est  aussi  lumière  et  il  vient  de  la 
«  lumière,  non  par  génération,  mais  par  procession  i.  »  S.  Atha- 
nase  écrit  à  l'évêque  Sérapion  :  «  Les  véritables  adorateurs  adorent 
«  le  Père,  mais  ils  l'adorent  en  esprit  et  en  vérité,  reconnaissant 
«  le  Fils,  et  dans  le  Fils  l'Esprit;  car  l'Esprit  est  inséparable  du 
«  Fils,  comme  le  Fils  est  inséparable  du  Père.  Ce  que  la  vérité 
«  elle-même  confirme  par  son  témoignage  lorsqu'elle  dit  :  Je  vous 
1  enverrai  le  Paraclet,  l'Esprit  de  vérité,  qui  procède  du  Père  et 
«  que  le  monde  ne  peut  recevoir  ~.  » 

S,  Augustin  apporte  aussi  son  témoignage  en  faveur  des  pro- 
cessions qui  sont  en  Dieu,  lorsqu'il  dit  :  «  Le  Saint-Esprit,  d'après 
«  les  Écritures,  ne  procède  ni  du  Père  seul,  ni  du  Fils  seul,  mais 
«  des  deux  3.  »  Ailleurs,  expliquant  ces  paroles  deNotre-Seigneur  : 
«  De  même  que  le  Père  a  la  vie  en  lui-même,  il  a  donné  au  Fils 
«  d'avoir  la  vie  en  lui-même  ^  »,  il  dit  :  «  Il  faut  comprendre  que 
«  de  même  que  le  Père  a  en  lui-même  cette  vertu  que  le  Saint- 
«  Esprit  procède  de  lui,  il  a  donné  au  Fils  que  le  même  Esprit 
«  saint  procède  aussi  de  lui,  et  cela  de  toute  éternité.  Ainsi,  lors- 
0  qu'il  est  dit  que  l'Esprit  saint  procède  du  Père,  c'est  pour  faire 
«  entendre  que  s'il  procède  aussi  du  Fils,  c'est  du  Père  que  le 
«  Fils  lient  cette  vertu.  Car  si,  tout  ce  que  le  Fils  possède,  il  l'a 
«  reçu  du  Père,  certainement  il  en  a  reçu  que  le  Saint-Esprit  pro- 
mît cède  de  lui  ^.  » 

1.  P'ilius  lumen  de  lumine  .seneratione  oritur.  Spiritus  sanctus  lumen  iti- 
dem  de  lumine,  non  generatione,  verum  processione  prodiit.  (S.  Justin., 
Exposit.  Fid.) 

2.  Veri  idcirco  adoratores  adorent  quidem  Patrem,  sed  in  spiritu  etveritate 
confitentes  Filium  et  in  Filio  Spiritum,  cum  sit  Spiritus  inseparabilis  a  Filio, 
ut  inseparabilis  est  Filius  a  Pâtre.  Quod  et  ipsa  veritas  suo  testimonio  probat, 
quum'dicit  :  Mittam  vobis  Paracletum  Spiritum  veritatis,  qui  a  Paire  procedit, 
quem  mundus  capere  non  potest.  (S.  Atiian.,  Epist.  ad  Sernpiori.) 

3.  Qui  Spiritus  sanctus  secundum  Scripturas  sanctas,  nec  Patris  solius  est, 
nec  Filii  solius,  sed  amborum.  (S.  August.,  lib.  XV  de  Tvinit.,  cap.  xxvii.) 

■4.  Sicut  Pater  habet  vitam  in  semetipso,  sic  dédit  Filio  vitam  habere  in 
semetipso.  {Jonnn.,  v,  -li).) 

y.  Intelligat,  sicut  babet  Pater  in  semetipso  ut  de  illo  procédât  Spiritus 
sanctus,  sic  dédisse  Filio  ut  de  illo  procédât  idem  Spiritus  sanctus,  et  utrum- 
que  sine  tempore;  atque  ita  dictum  Spiritum  sanctum  de  Pâtre  procedere  ut 
intelligatur  quod  etiam  procedit  de  Filio,  de  Pâtre  esse  Filio.  Si  enim  quidquid 
habet  de  Pâtre  babet  Filius,  de  Pâtre  babet  ulique  ut  et  de  illo  procédât  Spiri- 
tus sanctus.  (S.  .\ugust.,  lib.  X\'  île  Trinit.,  cap.  \\vii.) 


184         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —    II"  PARTIE.   —   LIVRE  II.   —  CHAP.   V. 

De  ces  textes  et  d'une  multitude  d'autres  analogues,  il  est  né- 
cessaire de  conclure  que,  d'après  les  écrits  des  Pères  comme 
d'après  la  Sainte  Écriture,  il  y  a  des  processions  dans  l'essence 
divine.  D'ailleurs  l'Église  en  a  fait  un  article  de  foi,  qu'elle  pro- 
clame solennellement  dans  le  symbole  de  Nicée.  «  Je  crois,  dit-elle, 
t  en  un  seul  Dieu  le  Père....  et  en  un  seul  Seigneur  Jésus-Christ, 
€  Fils  unique  de  Dieu,  Dieu  de  Dieu,  lumière  de  lumière,  vrai 
«  Dieu  de  vrai  Dieu....  et  en  l'Esprit  saint  qui  procède  du  Père  et 
€  du  Fils  K  »  Et  dans  le  symbole  de  S.  Athanase,  elle  dit  :  «  Le 
«  Fils  est  du  Père  seul  ;  il  n'est  pas  fait,  il  n'est  pas  créé,  mais 
«  engendré.  Le  Saint-Esprit  est  du  Père  et  du  Fils;  il  n'est  pas 
«  fait,  il  n'est  pas  créé,  il  n'est  pas  engendré,  mais  il  procède  -.  » 

La  foi  nous  oblige  donc  à  croire  qu'il  y  a  en  Dieu  des  proces- 
sions. Combien  faut-il  en  admettre? 

Les  textes  que  nous  avons  cités,  soit  de  l'Écriture,  soit  des  Pères 
ou  des  symboles  de  la  foi,  parlent  de  deux  et  ne  nous  autorisent 
pas  à  en  reconnaître  davantage.  Elles  sont  nécessaires  et  elles  suf- 
fisent pour  la  trinité  des  personnes  en  Dieu.  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  dit  en  parlant  de  lui-même  :  «  Je  suis  sorti  de  Dieu  ;  »  et 
en  parlant  du  Saint-Esprit  :  «  Je  vous  enverrai  l'Esprit  de  vérité 
«  qui  procède  du  Père.  »  Voilà  bien  les  trois  personnes  divines  : 
Le  Père,  le  Fils  qui  procède  du  Père,  et  le  Saint-Esprit  qui  pro- 
cède de  l'un  et  de  l'autre.  Dieu  est  intelligence.  Cette  intelligence 
infiniment  parfaite  ne  peut  pas  être  inactive,  et  son  acte  est  la 
procession  d'une  première  personne,  le  Verbe.  Cette  première  pro- 
cession a  reçu  le  nom  de  génération  :  le  Verbe  est  le  Fils  de  Dieu. 
Mais  outre  l'intelligence  qui  comprend  tout  bien,  il  y  a  dans  le 
Père  et  le  Fils  la  volonté  qui  agit  à  son  tour  et  qui  veut  ou  aime 
le  bien  infini  compris  par  l'intelligence.  Cet  acte  simultané  et 
unique  des  deux  premières  personnes  est  l'origine  delà  troisième, 
le  Saint-Esprit.  Et  l'on  ne  peut  pas  admettre  d'autres  processions 
en  Dieu  parce  que,  seules,  son  intelligence  et  sa  volonté  trouvent 
en  lui  l'objet  infini  que  réclame  leur  action  et  pour  lequel  elles 
existent  ^. 

\.  Credo  in  unum  Deum  Patrem....  Et  in  unum  Dominum  Jesum  Christum 
Fiiium  Dei  uni;renilum,  Deum  de  Deo,  lumen  de  lumine,  Deum  verum  de 
Deo  vero....  Kt  in  Sj)iritum  sanctum....  qui  ex  Pâtre  Filioque  procedit. 

2.  Filius  a  Pâtre  solo  est,  non  factus,  nec  creatus,  sed  genitus  :  Spiritus 
sanclus  a  Patro  et  Kilio  :  non  factus,  nec  creatus,  nec  genitus,  sed  procedens. 

y.  Dicenduin  (|uod  processiones  in  divinis  accipi  non  possunt,  nisi  secun- 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  185 

Il  n'en  est  pas  pour  la  toute-puissance  comme  pour  la  volonté  et 
rintelligence.  Ce  n'est  pas  en  Dieu  mais  hors  de  Dieu  que  se  dé- 
ploie son  action.  Les  êtres  qu'elle  multiplie  ne  procèdent  pas  de 
Dieu  et  en  Dieu  ;  ils  sont  créés  par  lui  et  en  dehors  de  lui. 

Nous  avons  dit  déjà  que  la  première  procession  reçoit  le  nom  de 
génération.  C'est  le  nom  que  la  Sainte  Écriture  lui  donne,  toutes 
les  fois  qu'elle  en  parle,  et  à  ce  nom  correspond  celui  de  Fils, 
donné  aussi  par  elle  à  la  personne  divine  qui  est  le  terme  de  cette 
génération. 

La  seconde  procession  conserve  particulièrement  ce  nom  de 
procession  parce  que  c'est  celui  sous  lequel  elle  est  ordinairement 
désignée  dans  la  Sainte  Écriture.  On  lui  donne  aussi  le  nom  de 
spiration  active,  parce  que  le  terme  auquel  elle  aboutit  est  le 
Saint-Esprit. 

Ces  deux  noms,  génération  et  procession,  ou  spiration,  sont  con- 
sacrés par  la  Sainte  Écriture,  par  toute  la  tradition  et  par  l'usage 
constant  de  l'Église;  on  ne  pourrait  donc  pas  s'en  écarter  sans 
errer  gravement;  mais  il  faut  reconnaître,  avec  tous  les  Pères,  que 
le  mystère  que  recouvrent  ces  mots  génération  et  procession,  Fils 
et  Esprit,  lorsqu'il  s'agit  de  Dieu,  est  absolument  ineffable,  et  que 
la  raison  ne  saurait  expliquer  ni  comprendre  le  pourquoi  de  ces 
noms  '.  Il  n'y  a  donc  qu'une  seule  conduite  sage  à  laquelle  on 
puisse  s'arrêter  :  recevoir  les  noms  et  adorer  humblement  le  mys- 
tère, tel  que  Dieu  nous  le  présente,  par  l'organe  de  sa  sainte 
Église. 

Les  deux  processions  qu'il  faut  reconnaître  en  Dieu  et  par  les- 
quelles sont  constituées,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  trois  hypostases 
ou  personnes  distinctes,  en  son  inviolable  unité,  nécessitent  et 

dum  actiones  quae  in  agente  manent;  hujusniodi  autem  actiones  in  natura 
intellectuali  et  divina  non  sunt  nisi  duae,  scilicet  intelligereet  velle.  (S.  Thom., 
I  p.,  q.  xxvii,  art.  iJ.) 

1.  Voici,  d'après  S.  Tliomas,  tout  l'éclaircissement  quepcut  donner  la  raison 
unie  à  la  foi  : 

Processio  igitur,  qu*  attenditur  secundum  rationem  intellectus,  est  secun- 
dum  rationem  siinilitudinis.  Et  in  tantum  potest  habere  rationem  generatio- 
nis,  quia  omne  generans  générât  sibi  simile.  Processio  autem  quaj  attenditur 
secundum  rationem  voluntatis,  non  consideratur  secundum  rationem  simili- 
tudinis,  sed  magis  secundum  rationem  impellenlis  et  moventis  in  aliquid,  et 
ideo  quod  procedit  in  divinis  per  modum  amoris,  non  proccdit  ut  genitum, 
vel  ut  filius,  sed  magis  procedit  ut  spirilus.  Quo  noniine  vitalis  motio  et  im- 
pulsio  designatur  :  prout  aliquis  ex  amore  dicitur  moveri  velimpelli  ad  aliquid 
faciendum.  (S.  Thom.,  I  p.,  q.  xxvii,  art.  4.) 


186         L\    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —   LIVRE   II.  —  CHAP.   V. 

établissent  des  relations  entre  ces  trois  adorables  personnes.  Ces 
relations  ne  sont  pas  seulement  de  raison,  c'est-à-dire  n'aj^ant  pas 
d'existence  réelle  en  elles-mêmes,  mais  uniquement  dans  notre  in- 
telligence :  elles  existent  réellement  en  Dieu  comme  les  personnes. 

Nous  lisons,  en  eflet,  dans  l'Évangile  selon  S.  Jean  :  «  Ils  sont 
«  trois  qui  rendent  témoignage  dans  le  ciel  :  le  Père,  le  Fils  et  le 
«  Saint-Esprit  i.  »  Les  relations  entre  ces  trois  personnes  sont 
évidentes.  «  Un  père  n'est  père,  dit  S.  Thomas,  qu'en  vertu  de  la 
«  paternité,  et  un  fils  n'est  fils  que  par  la  filiation.  Si  donc  la  pa- 
«  ternité  et  la  filiation  n'existaient  pas  réellement  en  Dieu,  il  s'en- 
«  suivrait  que  Dieu  ne  serait  pas  réellement  Père  ni  réellement 
«  Fils,  mais  seulement  pour  notre  manière  de  comprendre.  C'est 
«  en  quoi  consiste  l'hérésie  des  Sabelliens  ^.  » 

Le  saint  docteur,  dans  la  suite  du  même  article,  répète  plusieurs 
fois  que  les  relations  entre  les  personnes  divines  sont  des  relations 
réellement  existantes,  et  qu'il  est  nécessaire  qu'elles  le  soient, 
puisqu'elles  résultent  des  processions.  Comment  les  relations  pour- 
raient-elles n'être  pas  réelles  mais  seulement  le  fait  de  l'intelligence 
humaine,  lorsque  le  Père  engendre  réellement  le  Fils,  et  que  du 
Père  et  du  Fils  procède  réellement  le  Saint-Esprit?  Ces  relations 
existent  donc,  et  si  même  aucune  intelligence  créée  ne  les  soup- 
çonnait, elles  n'en  existeraient  pas  moins;  elles  ne  sont  pas  le  fruit 
de  nos  pensées  :  elles  sont  de  l'essence  môme  de  Dieu. 

Il  n'y  a  en  Dieu  que  deux  processions  et  trois  personnes,  mais  les 
deux  processions  suffisent  pour  établir  quatre  relations  entre  les 
trois  personnes.  Il  y  a,  de  la  part  du  Père,  la  génération  active,  en 
vertu  de  laquelle  il  est  le  principe  du  Fils.  Il  y  a  dans  le  Fils  la 
génération  passive  ou  la  filiation,  en  vertu  de  laquelle  il  est  le  Fils 
du  Père.  Il  y  a  la  spiration  active  de  la  part  du  Père  et  du  Fils, 
desquels  le  Saint-Esprit  procède  comme  d'un  principe  unique.  Il  y 
a,  dans  le  Saint-Esprit,  la  spiration  ou  procession  passive  qui  le 
fait  se  rapporter  au  Père  et  au  Fils  comme  à  son  principe  unique, 
quoique  le  Père  et  le  Fils  soient  deux  personnes  réellement  dis- 
tinctes. 

1 .  Trcs  sunl  qui  testiinonium  dant  in  cœlo,  Pater,  Filius  et  Spiritus  sanctus. 
(/,  Jonnn.,  v,  7.) 

2,  Pater  non  dicitur  nisi  a  paternilate,  et  Filius  a  filiatione.  Si  igitur  patcr- 
nitas  elfiliatio  non  sunt  in  Doo  realiler,  sequitur  quod  Deus  non  sit  reaiiter 
Pater,  aut  Filius,  sed  secundum  ralioneui  intelligenlijE  tanlum.  Quod  est 
haeresis  sabelliana.  (S.  Tikim.,  I  p.,  q.  xxvdi,  art.  \.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTÈRE   DE    LA    TRINITÉ.  187 

Ces  relations,  toutes  réelles  qu'elles  soient,  n'établissent  aucune 
supériorité  ni  aucune  infériorité  entre  les  trois  personnes,  parce 
qu'elles  n'atteignent  point  la  substance  divine  qui  est  toujours 
identiquement  la  même,  une  et  indivisible  dans  les  trois  réunies, 
comme  dans  chacune  d'elles  prise  à  part.  Sans  doute  il  n'en  est 
pas  ainsi  parmi  les  créatures,  et  les  relations  analogues  à  celles 
qui  existent  dans  la  Très  Sainte  Trinité  entraînent  des  consé- 
quences d'inégalité  et  de  dépendance;  mais  la  créature  n'est  pas 
Dieu  :  il  ne  faut  pas  juger  de  ce  qui  est  en  Dieu  par  ce  que 
nous  constatons  en  elle.  De  même,  s'il  s'agissait  de  créatures, 
d'êtres  finis  et  bornés,  ces  relations  ne  pourraient  exister  sans 
composition;  mais  en  Dieu,  il  est  de  foi  qu'elles  existent  et  que  la 
simplicité  absolue  de  Dieu  n'en  est  aucunement  altérée.  Il  n'y  a 
pour  cela,  dans  la  nature  divine,  aucun  genre  de  composition,  ni 
physique,  c"est-à  dire  de  matière  et  de  forme  ;  ni  métaphysique, 
c'est-à-dire  de  forme  et  de  subsistance;  ni  logique,  c'est-à-dire  de 
genre  et  de  différence.  Voilà  ce  que  la  raison  peut  constater  en  Dieu, 
avec  l'aide  des  lumières  de  la  foi  ;  mais  il  n'est  donné  à  aucune 
créature  de  comprendre  le  fond  de  ce  mystère  ;  il  faut  croire  et 
adorer. 

Faut-il  reconnaître  une  distinction  quelconque  entre  les  rela- 
tions qui  unissent  les  trois  adorables  personnes  de  la  Trinité  divine, 
et  l'essence  même  de  Dieu  ? 

Au  xii*"  siècle,  Gilbert  de  la  Porrée,  philosophe  subtil  mais  mau- 
vais théologien,  enseigna  qu'il  fallait  considérer,  dans  la  nature 
divine,  ce  qui  est  abstrait  selon  notre  manière  de  voir,  comme 
réellement  distinct  de  ce  qui  est  concret.  Selon  lui.  la  divinité  se- 
rait, dans  la  réalité,  différente  de  Dieu,  et  la  paternité  différente 
du  Père;  les  relations  se  distingueraient  réellement  de  l'essence,  et 
non  pas  seulement  d'une  manière  virtuelle.  Au  concile  de  Reims 
tenu  sous  le  pape  Eugène  III,  S.  Bernard  combattit  victorieuse- 
ment ces  erreurs  qui  ne  se  relevèrent  pas,  quoique  Durand  et 
Scot  aient  avancé  plus  tard  des  opinions  qui  en  approchaient. 

La  doctrine  de  l'Église,  enseignée  par  les  théologiens  et  résul- 
tant des  décisions  dogmatiques  de  plusieurs  conciles,  est  que  la 
seule  distinction  que  l'on  doit  admettre  enlre  les  relations  de& 
personnes  divines  et  l'essence  de  Dieu  est  une  distinction  purement 
virtuelle.  Ces  relations  sont  avec  l'essence,  la  nature,  la  substance 
divine  un  seul  et  même  être  infiniment  simple,  dont  elles  ne  se 


188         LA    SAINTE    EICHARISTIE.  —   11°  PARTIE.  —  LIVRE    II.   —  CIIAP.   V. 

diflerencient  pas  dans  la  réalité.  Mais  néanmoins  il  y  a,  dans  cette 
unité  et  celte  simplicité  de  Dieu,  quelque  chose  qui  autorise  la  rai- 
son humaine  à  distinguer  les  relations  de  l'essence.  Le  Concile  de 
Latran  dit  expressément  que  les  relations  en  Dieu  et  l'essence  sont 
une  même  et  simple  entité  '.  Celui  de  Reims  déclare  que  la  sagesse 
et  les  autres  attributs  de  Dieu  sont  la  même  chose  que  Dieu.  Le 
Concile  de  Florence  définit  qu'entre  l'essence  divine  et  les  relations, 
il  n'y  a  qu'une  distinction  de  raison,  et  les  théologiens  grecs  pré- 
sents à  ce  Concile  reconnaissent  que  tel  est  aussi  leur  enseigne- 
ment '. 

Il  faut  bien  qu'il  en  soit  ainsi  puisque,  si  l'on  admettait  une  dis- 
tinction réelle  entre  les  relations  des  personnes  et  l'essence  en 
Dieu,  il  faudrait  reconnaître  quatre  entités  distinctes,  l'essence  et 
les  trois  personnes,  une  quaternité  au  lieu  d'une  trinité,  ce  qui 
est  contraire  à  la  foi.  D'ailleurs  on  ne  saurait  admettre  en  Dieu 
d'autre  distinction  réelle  que  celles  qui  résultent  de  relations 
opposées,  comme  la  paternité  et  la  filiation,  qui  distinguent 
réellement  le  Père  et  le  Fils,  comme  personnes  divines;  autrement 
l'absolu  serait  multiplié  et  la  divinité  aussi.  S'il  y  avait  distinction 
réelle  entre  l'essence  et  les  personnes,  entre  les  attributs  différents, 
ou  les  attributs  et  la  nature,  il  faudrait  reconnaître  autant  de  dieux 
que  d'entités  réellement  distinctes,  ce  qui  est  absurde  et  inadmis- 
sible. On  ne  peut  donc  admettre  qu'une  distinction  virtuelle  entre 
les  relations  des  personnes  et  l'essence  divine  3. 

Les  théologiens  enseignent  que  les  relations  qui  constituent  les 
personnes  divines  ajoutent  une  perfection  à  l'essence  de  Dieu, 
quoique  l'essence  de  Dieu,  infiniment  parfaite  en  elle-même,  ne 
puisse  recevoir  aucune  perfection  qui  ne  soit  pas  elle-même,  et  ne 
lui  soit  pas  réellement  identique.  Mais  c'est  par  les  relations  que 
les  personnes  divines  sont  réellement  constituées;  c'est  par  la 
paternité  que  la  première  personne  est  le  Père;  parla  filiation  que 
la  seconde  personne  est  le  Fils;  par  la  spiration  que  la  troisième 
personne  est  le  Saint-Esprit;  ce  qui  distingue  entre  elles  ces  trois 
adorables  personnes,  ce  qui  fait  que  l'une  n'est  pas  l'autre,  ne  sau- 
rait être  quelque  chose  de  purement  virtuel  :  un  effet  réel  demande 
une  cause  réelle.  Qui  oserait  dire  qu'une  telle  cause,  qu'une  telle 

1.  Ldteran.,  cap.  Damnamus. 

2.  Florent.,  sess.  XVI. 

:».  Vide  S.  Tmni.,  I  p.,  q.  xxviii,  art.  2,  etq.  xxxiii,  art.  3. 


JESUS   EUCHARISTIQUE    ET    LE   MYSTERE    DE    LA    TRIMTÉ.  189 

relation  nuit  à  la  perfection  de  Dieu  ou  n'y  ajoute  rien?  Les  rela- 
tions divines  sont  donc  des  perfections  réelles  de  l'essence  de  Dieu, 
incompréhensiblement  unies  à  elle,  et  contribuant  à  son  infinie 
perfection,  sans  troubler  en  rien  son  admirable  simplicité.  L'Être 
absolu  est  toujours  un  et  unique,  subsistant  par  lui-même;  mais 
sa  simplicité  absolue  n'exclut  pas  les  attributs  et  les  perfections  qui, 
au  contraire,  sont  nécessaires  à  sa  nature.  Parmi  ces  perfections 
prennent  place  les  relations,  et  des  relations  résultent,  dans  l'être 
absolu  de  Dieu,  trois  subsistances  réelles  non  pas  absolues,  mais 
relatives,  trois  personnes  réellement  distinctes,  mais  qui  ne  sont 
ensemble  qu'un  seul  et  même  être,  un  Dieu  unique  et  indivisible. 

Il  est  nécessaire  d'examiner  de  plus  près  ce  qui  concerne  en  gé- 
néral les  trois  adorables  personnes  de  la  Très  Sainte  Trinité. 

Boëce  définit  la  personne  :  une  substance  indivisible  de  nature 
raisonnable.  C'est  une  substance,  c'est-à-dire  un  être  complet  ; 
d'où  il  suit  que  l'àme  humaine  séparée  de  son  corps,  bien  que 
subsistant  par  elle-même,  n'est  pas  une  personne  :  ce  n'est  pas 
un  homme,  une  substance  complète  selon  sa  nature.  Cette  subs- 
tance n'est  une  personne  qu'à  la  condition  d'être  individualisée  ; 
ce  qui  demeure  universel  et  n'a  pas  d'existence  concrète  et  sé- 
parée dans  un  être  particulier,  ne  saurait  être  une  personne.  Enfin 
le  nom  de  personne  ne  convient  qu'aux  êtres  dont  la  nature  est 
raisonnable  et  intelligente  ;  les  substances  privées  de  raison  ne 
sont  pas  des  personnes. 

Les  Pères  et  les  écrivains  ecclésiastiques  de  l'Église  grecque, 
lorsqu'ils  traitent  des  personnes  divines,  remplacent  ordinaire- 
ment ce  nom  personne  par  celui  dliypostase,  dont  la  signification 
est  la  même. 

Il  est  aisé  de  démontrer  que  la  notion  de  la  personne,  telle  qu'elle 
est  définie  par  Boëce  et  acceptée  par  S.  Thomas,  trouve  en  Dieu 
son  application.  Si  la  personne  est  une  substance  indivisible  de 
nature  raisonnable,  la  nature  de  Dieu  n'est-elle  pas  la  nature  rai- 
sonnable par  excellence,  puisqu'il  est  un  esprit  infiniment  et  ab- 
solument pur?  Et  cette  même  nature,  si  on  la  considère  sous  le 
rapport  de  la  paternité  qui  est  en  elle,  n'est-elle  pas  incommuni- 
cable ?  Le  Père  n'est-il  pas  dans  l'impossibilité  de  communiquer 
à  quelque  autre  sa  paternité?  Le  Père,  en  tant  que  Père,  commu- 
nique bien  au  Fils  tout  son  être  divin,  toutes  ses  perfections,  mais 
il  ne  lui  communique  pas  sa  paternité,  non  plus  qu'au  Saint-Es- 


190  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  IT  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   V. 

prit.  On  peut  appliquer  ce  même  raisonnement  aux  autres  per- 
sonnes divines.  Il  faut  donc  reconnaître  des  personnes  en  Dieu. 
Le  symbole  de  S.  Athanase  ne  permet  pas  d'ailleurs  d'en  douter, 
puisqu'on  y  lit  :  «  Autre  est  la  personne  du  Père,  autre  celle  du 
«  Fils,  autre  celle  du  Saint-Esprit.  »  Le  Concile  de  Florence  le 
déclare  aussi  formellement  K 

Ainsi  donc,  Dieu  est  l'être  absolu,  subsistant  par  lui-même,  et 
cette  subsistance  absolue  est  indépendante  des  personnes  avec 
lesquelles  elle  ne  se  multiplie  pas  -  ;  elle  est  unique  en  Dieu  ;  elle 
se  confond  avec  son  existence,  son  essence,  sa  nature.  Mais  cette 
subsistance  unique  est  en  quelque  manière  modifiée  par  les  rela- 
tions qui  sont  en  Dieu,  et  qui  constituent  les  personnes  ;  elle 
devient,  par  ces  relations,  triplement  incommunicable,  comme 
Père,  comme  Fils  et  comme  Saint-Esprit  ;  de  sorte  que  ces  trois 
adorables  personnes  ont  chacune  leur  subsistance  distincte 
comme  personnes,  et  que  ces  trois  subsistances  distinctes  n'en 
sont  au  fond  qu'une  seule,  comme  les  trois  personnes,  dont  cha- 
cune est  Dieu,  ne  sont  néanmoins  qu'un  seul  et  même  Dieu,  une 
seule  et  même  essence  divine. 

Il  y  a  donc  trois  personnes  en  Dieu,  et  ces  trois  personnes,  réel- 
lement distinctes  comme  personnes,  n'ont  qu'une  même  nature  et 
une  même  divinité  :  elles  ne  sont  qu'un  seul  Dieu.  Mais  peut-on 
prouver  que  l'unité  de  Dieu  subsiste  réellement  malgré  la  trinité  des 
personnes  divines?  Quelques  hérétiques  auxquels  on  a  donné  le  nom 
de  Trithéistes  l'ont  nié:  ils  ont  admis  trois  dieux  selon  le  nombre 
des  personnes  divines.  Sans  doute  leur  erreur  est  éteinte  depuis 
longtemps,  mais  il  est  toujours  bon  de  connaître  au  moins  quelques 
preuves  d'une  vérité  qui  a  été  attaquée  et  qui  peut  l'être  encore. 

La  Sainte  Écriture  qui  nous  parle,  en  cent  passages,  des  trois 
personnes  divines,  n'affirme  pas  avec  moins  d'autorité  l'unité  de 
Dieu.  C'est  ainsi  que,  dans  le  Deutéronome,  Dieu  dit  à  son  peuple  : 
«  Vous  voyez  que  je  suis  seul  et  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que 
«  moi  ^  »  Le  chapitre  xlv  d'Isaïe  est  consacré  presque  tout  entier 
à  proclamer  l'unité  de  Dieu.  Le  Seigneur  s'adresse  à  Cyrus,  par  la 

\.  ConcH.  Florent.,  cap.  Firmiter. 

2.  Natura  divina  est  in  se  habens  esse  subsistons,  nulla  intellecla  persona- 
rum  distinctione.  (S.  Thom.,  in  I,  dist.  xxi,  q.  ii.) 

3.  Videte  quod  ego  sim  solus  et  non  sit  alius  Deus  praeter  me.  [Deuter., 
XXXII,  39.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  191 

bouche  du  prophète,  et  lui  dit  :  «  Je  suis  le  Seigneur  et  il  n'y  en  a 
a  pas  davantage  ;  hors  de  moi  il  n'y  a  pas  de  Dieu  ;  et  je  t'ai  ceint, 
a  et  tu  ne  m'as  pas  connu  ;  afin  qu'ils  sachent,  ceux  qui  sont  du 
«  levant  et  ceux  qui  sont  de  l'occident,  que  hors  moi  il  n'y  en  a 
«  pas.  Je  suis  le  Seigneur  et  il  n'y  en  a  pas  d'autre  K...  Annoncez, 
«  venez  et  consultez  ensemble  :  qui  a  fait  entendre  cela  dès  le 
«  commencement,  et  dès  lors  qui  l'a  prédit?  N'est-ce  pas  moi,  le 
«  Seigneur,  et  il  n'y  a  plus  de  Dieu  hors  de  moi?  Un  Dieu  juste 
«  et  qui  sauve,  il  n'y  en  a  pas  excepté  moi.  Convertissez-vous  à 
«  moi,  et  vous  serez  sauvés,  vous  tous,  confins  de  la  terre,  parce 
«  que  moi  je  suis  Dieu  et  qu'il  n'y  en  a  point  d'autre  2.  » 

L'apôtre  S.  Paul  parle  comme  le  prophète.  Il  écrit  aux  Corin- 
thiens :  «  Quoiqu'il  y  ait  ce  qu'on  appelle  des  dieux,  soit  dans  le 
«  ciel,  soit  sur  la  terre  (or  il  y  a  ainsi  beaucoup  de  dieux  et  de 
«  seigneurs),  pour  nous,  cependant,  il  n'est  qu'un  seul  Dieu  :  le 
«  Père,  de  qui  toutes  choses  viennent,  et  nous  surtout  qu'il  a  faits 
«  pour  lui,  et  qu'un  seul  Seigneur  Jésus-Christ,  par  qui  toutes 
«  choses  sont,  et  nous  aussi  par  lui  3.  »  C'est  bien  là  l'unité  de 
Dieu  enseignée  par  opposition  avec  le  polythéisme  des  gentils,  et 
c'est  en  même  temps  la  pluralité  des  personnes  en  ce  Dieu  unique, 
proclamée  en  face  de  l'erreur  commune  chez  les  Juifs,  dont  la 
plupart  l'ignoraient  ou  refusaient  de  l'admettre.  On  lit  encore 
dans  l'Épître  aux  Éphésiens  :  «  Il  y  a  un  seul  Seigneur,  une  seule 
a  foi,  un  seul  baptême,  un  seul  Dieu  et  Père  de  tous  *.  »  C'est  bien 
encore  l'unité  de  Dieu  ;  en  même  temps,  la  pluralité  des  personnes 
ressort  de  l'ensemble  de  toute  cette  épître,  dans  laquelle  se  trouve 
affirmée  la  divinité  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  aussi  bien  que  celle 
du  Père  :  qu'on  lise  en  particulier,  dans  le  texte  même,  les  deux 

1.  Ego  Dominus  et  non  est  amplius  :  extra  me  non  estDeus  :  accinxi  te  et 
non  cognovisti  me  :  ut  sciant  hi  qui  ab  ortu  solis,  et  qui  ab  occidente,  quo- 
niam  absque  me  non  est.  Ego  Dominus  et  non  est  alter.  (/s.,  xlv,  5,  6.) 

2.  Annuntiate,  et  venite,  et  consiliamini  simul  :  quis  auditum  fecit  hoc  ab 
initio,  ex  tune  praedixit  illud?  Numquid  non  ego  Dominus,  et  non  est  ultra 
Deus  absque  me?  Deusjustus  et  salvans  non  est  prseter  me.  Convertimini  ad 
me,  et  salvi  eritis,  omnes  fines  terrae,  quia  ego  Deus,  et  non  est  alius.  (Id., 
ifnd.,  21,  22.) 

3.  Nam  etsi  sunt  qui  dicantur  dii,  sive  in  cœlo,  sive  in  terra  (siquidem  sunt 
dii  multi  et  domini  multi)  :  nobis  tamen  unus  Deus,  Pater,  ex  quo  omnia,  et 
nos  in  ilium  :  et  unus  Dominus  Jésus  Christus  per  quem  omnia  et  nos  per 
Ipsum.  (/.  Cor.,  vui,  U,  G.) 

4.  Unus  Dominus,  una  fides,  unum  baptismum.  Unus  Deus  et  Pater  om- 
nium. (Ej)hes.,  IV,  U,  G.) 


192  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  Il«  PARTIE.    —   LIVRE  II.   —   CHAP.   V. 

premiers  cliapitres  que  nous  ne  pouvons  transcrire  ici   :  on  en 
trouvera  la  preuve  presque  à  chaque  verset. 

Le  symbole  de  S.  Athanase  exprime,  avec  une  grande  précision, 
l'unité  de  Dieu  et  la  trinité  des  personnes  divines,  par  ces 
quelques  mots  :  «  Il  faut  vénérer  Tunité  dans  la  Trinité,  et  la 
t  Trinité  dans  l'unité  '.  » 

Le  Concile  de  Latran  définit  la  même  doctrine  en  ces  termes  : 
«  Approuvés  par  le  Concile  sacré  et  universel,  nous  croyons  et 
«  nous  confessons  avec  Pierre  qu'il  existe  quelque  chose  de  su- 
«  préme,  d'incompréhensible  et  d'ineffable  qui  est  véritablement 
0  Père,  Fils  et  Saint-Esprit,  trois  personnes  en  même  temps  et 
«  chacune  distincte  des  autres.  Et  il  y  a  en  Dieu  seulement  trinité 
«  et  non  quaternité,  parce  que  chaque  personne  est  cette  chose, 
«  cette  substance,  essence  ou  nature  divine,  qui  seule  est  le  principe 
«  de  tout,  en  dehors  duquel  on  n'en  peut  pas  trouver  d'autre  2.  » 

Le  sixième  Concile  général  réuni  àConstantinopleen  l'année  680, 
par  le  pape  S.  Agathon,  de  concert  avec  Tempereur  Constantin 
Pogonat,  s'occupa  principalement  de  mettre  fin  à  l'agitation  sou- 
levée par  les  monothélites.  On  y  lut  une  lettre  synodale  d'un  autre 
Concile  tenu  à  Rome,  et  cette  lettre  fut  approuvée  par  les  Pères  du 
Concile  de  Constantinople.  Elle  contenait,  entre  autres  déclara- 
tions, cette  profession  de  foi  :  «  Les  Pères  du  Concile  confessent  la 
«  Trinité  dans  l'unité,  et  l'unité  dans  la  Trinité;  l'unité  d'essence 
«  et  la  Trinité  des  personnes  ou  des  substances,  Dieu  le  Père,  Dieu 
a  le  Fils,  Dieu  le  Saint-Esprit  :  non  pas  trois  Dieux,  mais  un  seul 
«  Dieu  3.  »  —  On  trouve  encore,  dans  les  actes  de  ce  môme  Concile, 
l'approbation  d'une  lettre  synodale  adressée  au  pape  et  à  tous  les 
patriarciies,  quelques  années  auparavant,  par  S.  Sophrone  de  Jéru- 

1.  lia  ut  per  omnia  sicut  jam  supra  dictum  est,  et  unitas  in  Trinitate,  et 
Trinitas  in  unitate  veneranda  sit.  {Symb.  S.  Athanas.) 

2.  Nos  autem  sacro  et  universali  Concilio  approbante,  credimus,  et  confite- 
mur  cum  Petro  quod  una  quœdam  summa  res  est,  incomprehensibilis  quidem 
et  ineffabilis,  quae  veraciter  est  Pater,  et  Filius,  et  Spiritus  sanctus,  très  per- 
sonae  simul  ac  singulatim  quîelibet  earum.  Et  ideo  in  Deo  Trinitas  est  solum- 
modo,  non  quaternitas;  quia  quaelibet  personarum  est  illa  res,  videlicet 
substantia,  essentia,  sive  natura  divina  quse  sola  est  universorum  principium, 
prseter  quod  aliud  non  inveniri  potest.  [Concil.  Lateran.  IV,  cap.  11.) 

•1.  Trinitatom  in  unitate  et  unitatem  in  Trinitate;  unitatem  quidem  essen- 
tiee,  Trinitatem  vero  personarum,  sive  subsistentiaruin,  Deum  Patrem  confi- 
tentes,  Deum  Filium,  Deum  Spiritum  sanctum;  non  1res  Deos,  sed  unum 
Deum.  {Concil.  (jeneral.  VI,  Conslantinop.,  act.  vi.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  193 

salem.  Cette  lettre  renferme  un  magnifique  exposé  de  la  foi  catho- 
lique sur  le  mystère  de  la  Trinité  et,  en  particulier,  sur  l'unité  de 
l'Être  divin  dans  la  trinité  des  personnes. 

On  pourrait  aisément  multiplier  les  textes  de  cette  sorte  ;  les 
actes  des  Conciles  et  les  écrits  des  Pères  grecs  ou  romains  en  pré- 
sentent une  ample  moisson.  S.  Denis  l'Aréopagite,  S.  Justin, 
S.  Atlianase,  S.  Grégoire  deNysse,  S.  Basile,  Tertullien,  S.  Hilaire, 
S.  Ambroise,  S.  Augustin,  S.  Jérôme  et  bien  d'autres  apportent 
leur  témoignage  en  faveur  de  l'unité  de  Dieu  dans  la  trinité  des 
personnes  '  ;  ils  ne  se  contentent   pas  d'exposer  la  doctrine  de 

1.  Unitas  est,  unifica  unitatis  omnis.  (S.  Dionys.,  lib.  de  Divinis  Nomin., 
cap.  X.) 

Unitas  enim  in  Trinitate  intelligitur,  et  Trinitas  in  unitate  cognoscitur. 
(S.  Justin.,  in  Eclesi.) 

Qui  unum  dicit  Deuin  duo  profitetur  ;  eo  ipso  quod  Pater  et  Filius  divinitate 
sint  unum.  (S.  Atiianas.,  orat.  \  adversiis  Arianos.) 

NuUo  id  sermone  consequi  possumus  nos,  quemadmodum  res  eadem  nu- 
merabilis  sit  et  numerum  fugiat  :  tum  ut  distincta  noscatur  et  in  unitate 
nihilominus  intelligatur  :  atque  et  hypostasi  disjuncta,  et  subjecto  minime 
divisa  sit.  Ac  rursus  aliud  sit  illud,  cujus  et  Verbum  est  et  Spiritus.  (S.  Gre- 
GOR.  Nyss.,  Orat.  cathoL,  cap.  ni.) 

Xobis  unus  est  Deus,  quoniam  una  est  divinités....  Individua  individuis,  ut 
uno  verbo  dicam,  est  divinitas,  ac  velut  in  tribus  solibus  sibi  cobaerentibus 
una  lucis  est  commixtio  et  temperatio.  (S.  Greg.  Naz.,  orat.  XXXVII.) 

Xos  unum  Deum,  non  numéro,  sed  natura,  profiteri.  Quidquid  numéro  unum 

dicitur,  hoc  rêvera  unum  non  est,  neque  natura  simplex.  (S.  Basil  ,  epist.  CXLI.) 

Unum  est  iscilicet  Filius  Dei)  ad  suum  genitorem  identitate  naturali  :  ta- 

metsi  secundum  hypostasim  propriam  existât.  (S.  Cyrill.  Alex.,  lib.  X  contra 

Julianum.) 

Filius  namque  Dei  Deus  est  :  hoc  enim  significatur  ex  nomine.  Xon  duos 
Deos  connumerat  nomeu  unum,  quia  unius  atque  indifferentis  naturae  unum 
Deus  nomen  est.  (S.  Hilar.,  lib.  VII  de  Trinitate.) 

Adoremus  Patrem  et  Filium  et  Spiritum  sanctum;  in  Filio  Patrem,  in  Spi- 
ritu  autem  sancto  aut  Patrem  aut  Filium  intelligentes;  distinguentes  antequam 
conjungamus,  et  jungentes  antequam  dividamus;  unitatem  in  Trinitate  véné- 
rantes, et  Trinitatem  in  unitate  confitentes.  (S.  Ambros.,  lib.  in  Symbol. 
Aposlot.,  cap.  v.) 

Patris  ergo  et  Filii,  et  Spiritus  sancti,  etiamsi  disparem  potestatem,  natu- 
ram  saltem  confiteantur  aequalem.  (S.  August.,  lib.  contra  Sermonem  Ariatio- 
rtim,  cap.  xviii.) 

Cum  ergo  fides  et  confcssio  tua,  ut  credimus,  atque  confîdimus,  coîeternam 
Trinitatem  unius  divinitatis  et  substantias,  et  operis  et  regni  esse  te.sletur.... 
a  Deo  doctus  es,  docens  unitatem  Trinitalis  sine  confusione  jungens,  et  Tri- 
nitatem ipsius  unitatis  sine  separalione  distinguens;  ita  ut  nulla  alteri  per- 
sona*  conveniat,  et  in  omni  persona  trium  Deus  unus  eluceat;  et  lantus  qui- 
dcm  Filius  quantus  et  Pater,  quantus  et  Spiritus  sanctus.  Sed  semper  quiscjuis 
sui  nominis  proprietate  dislinctus,  individuam  rolinet  in  virtulis  et  gloriae 
aequalitale,  concordiam.  (S.  Paulin.,  Epist.  XW'II  ad  Virtricium.) 

LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —   T.    IV.  13 


194  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  IF  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  V. 

l'Église,  mais  ils  donnent  souvent  des  raisons  qui  militent  en  sa 
faveur.  C'est  ainsi  que  Tertullien,  dans  son  livre  contre  Praxéas, 
enseigne  que  nous  disons  que  Dieu  est  un,  parce  qu'il  y  a  en  lui 
trois  personnes  en  une  seule  nature  :  S.  Justin,  dans  son  Dialogue 
avec  Tnjphon,  et  Clément  d'Alexandrie,  dans  le  Pédagogue, 
reprennent  le  même  argument.  Athénagore,  S.  Théophile  Martyr, 
S.  Basile,  exposent  que  la  trinité  des  personnes  n'est  pas  un  obsta- 
cle à  l'unité  de  la  nature.  D'autres  montrent  la  différence  qui  existe 
entre  les  trois  personnes  divines  et  les  êtres  créés.  Dans  ceux-ci  la 
nature  se  divise  et  se  multiplie  avec  les  individus,  tandis  que, 
pour  les  personnes  divines,  la  nature  demeure  une  et  indivisible. 
D'autres  encore  font  remarquer,  avec  l'apôtre  S.  Paul,  que  le 
mystère  de  la  Très  Sainte  Trinité  est  incompréhensible  et  inef- 
fable, ce  qui  ne  serait  pas,  disent-ils,  si  chaque  personne  divine 
avait  sa  nature  particulière,  semblable  à  celle  des  autres,  mais 
non  pas  identiquement  et  numériquement  la  même.  Enfin  si 
l'unité  de  nature  n'existait  pas  dans  la  trinité  des  personnes,  les 
Pères  n'auraient  pas  eu  à  combattre,  pendant  les  premiers  siècles, 
tant  d'hérésies  diverses  occasionnées  par  la  profondeur  même  de 
cet  adorable  mystère. 

Ajoutons  pour  terminer  que  la  raison  elle-même  exige  que  les 
trois  personnes  divines,  du  moment  qu'elles  existent  réellement, 
n'aient  ensemble  qu'une  même  nature  et  une  même  divinité, 
qu'elles  ne  soient  qu'un  seul  être,  une  seule  substance.  Si  en  effet 
l'essence  ou  la  substance  divine  était  divisée  entre  les  trois  per- 
sonnes, Dieu  ne  serait  plus  l'être  infiniment  parfait,  car  toute 
division  est  une  imperfection;  chacune  des  trois  personnes  serait 
moins  que  les  trois  ensemble;  elles  ne  seraient  pas  infinies,  puis- 
qu'il y  aurait  du  plus  et  du  moins  entre  elles,  et  l'assemblage  de 
trois  êtres  finis  ne  pourrait  donner  qu'un  tout  qui,  semblable  à  ses 
parties,  serait  fini  comme  elles.  Il  y  aurait  trois  Dieux,  ou  plutôt 
il  n'y  aurait  plus  de  Dieu,  puisque  l'être  infiniment  parfait  et  indé- 
pendant de  toutes  choses  n'existerait  plus. 

Quiconque  croit  en  Dieu,  quiconque  reconnaît  en  même  temps  la 
divinité  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  serait  donc  inconsé- 
quent s'il  n'admettait  pas  l'unité  de  nature  dans  la  trinité  des  per- 
sonnes divines;  il  outragerait  la  raison  en  même  temps  qu'il  per- 
drait la  foi. 

Tel  est  le  Dieu  que  nous  adorons  dans  le  très  saint  et  très  véné- 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE   ET   LE   MYSTÈRE    DE   LA   TRINITÉ.  195 

rable  sacrement  de  l'Eucharistie,  où  la  divinité  tout  entière  se 
trouve  en  la  personne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Qui  pourrait 
ne  pas  se  dévouer  entièrement,  ne  pas  se  consacrer  sans  réserve  au 
culte  et  au  service  d'un  Dieu  si  grand,  et  qui  daigne  ainsi  s'ap- 
procher de  nous? 

II. 

MYSTÈRE    DE     LA.     GÉNÉRATION    ÉTERNELLE    DU     FILS    DE    DIEU 
QUI    s'accomplit    DANS    LA   TRES    SAINTE    EUCHARISTIE 

Les  trois  personnes  de  l'adorable  Trinité  qui  sont  un  seul  et 
même  Dieu  sont  inséparables,  et  l'une  d'elles  ne  peut  pas  être 
particulièrement  en  un  lieu,  pour  parler  selon  l'imperfection  du 
langage  humain,  sans  que  les  deux  autres  y  soient  avec  elles,  et 
que  l'acte  éternel  qui  constitue  leurs  relations  et  distingue  leur 
personnalité  s'y  accomplisse  en  même  temps.  Nous  adorons,  voilée 
sous  les  Espèces  eucharistiques,  la  seconde  des  trois  personnes 
divines;  mais  nous  ne  devons  pas  oublier  la  première  et  la  troi- 
sième, ni  les  mystères  infiniment  profonds  de  la  vie  intime  de  Dieu, 
qui  s'accomplissent  sur  nos  autels  et  dans  nos  tabernacles. 

La  foi  catholique  croit  et  enseigne  que  la  seconde  personne  de 
la  Sainte  Trinité  est  véritablement  le  Fils  de  Dieu.  Ce  nom  de  Fils 
de  Dieu  est  le  premier  sous  lequel  elle  le  désigne  proprement,  et 
si  l'Église,  instruite  par  l'Écriture  et  éclairée  par  l'Esprit  saint, 
donne  ce  nom  à  la  seconde  personne  de  la  très  adorable  Trinité, 
c'est  parce  qu'il  lui  convient  en  vertu  du  mode  selon  lequel  elle 
procède  du  Père.  On  donne  quelquefois,  il  est  vrai,  ce  nom  de  fils 
de  Dieu,  improprement  ou  par  métaphore,  aux  anges  ou  aux 
hommes  justes,  à  ceux  que  Dieu  adopte  en  raison  de  leur  partici- 
pation à  la  grâce  de  Jésus-Christ;  mais  le  véritable  Fils  de  Dieu, 
son  Fils  unique,  premier-né  avant  toute  créature,  c'est  celui  à  qui, 
de  toute  éternité,  il  a  dit  :  «  Vous  êtes  mon  Fils,  je  vous  ai  engen- 
«  dré  aujourd'hui  :  »  Filius  meus  es  tu;  ego  hodie  genui  te; 
c'est  celui  que  nous  adorons  au  Très  Saint  Sacrement  de  l'autel. 

Quatre  conditions,  en  effet,  sont  nécessaires  pour  que  la  seconde 
personne  de  la  Sainte  Trinité  soit  et  puisse  être  appelée,  dans 
toute  la  rigueur  des  termes,  le  Fils  de  Dieu. 

La  première  de  ces  conditions  est  que  le  Fils  procède  de  la  subs- 
tance et  de  la  nature  du  Père. 


196         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   11*   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.   V. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  daigné  nous  déclarer  lui-même 
que,  selon  sa  nature  divine,  c'est  du  Père  qu'il  procède.  Il  nous  a 
dit  :  «  Je  suis  sorti  du  Père,  et  je  suis  venu  dans  le  monde  ^  » 
S.  Augustin  fait  cette  remarque  :  «  Le  Fils  unique  de  Dieu  n'est 
0  pas  sorti  du  Père  comme  toutes  les  créatures  qu'il  a  tirées  du 
«  néant.  Il  n"a  pas  fait  son  Fils  de  rien,  mais  il  l'a  engendré  de  sa 
«  propre  substance.  Il  ne  lui  a  pas  donné  naissance  dans  le  temps  : 
a  au  contraire  c'est  par  lui  qu'il  a  créé  tous  les  temps  2.  »  s.  Atha- 
nase  parle  de  même,  ainsi  que  plusieurs  autres  Pères.  D'après 
S.  Hilaire,  dans  le  VP  livre  sur  la  Trinité,  lorsque  l'Écriture  dit  : 
«  Je  vous  ai  engendré  de  mon  sein,  »  on  ne  peut  pas  croire  que 
celui  dont  elle  parle  ainsi  ait  été  tiré  par  Dieu  du  néant.   Les 
expressions  qui  ne  conviennent  littéralement  qu'à  des  naissances 
corporelles  marquent  assez  qu'il  s'agit  d'une  nativité  véritable. 
Dieu  n'a  pas  de  corps  ni  de  membres,  quoiqu'il  dise,  en  parlant 
de  la  génération  de  son  Fils  :  «  Je  vous  ai  engendré  avant  l'étoile 
0  du  matin.  »  Mais  pour  exprimer  avec  plus  de  force  cette  inénarra- 
ble génération  de  son  Fils,  procédant  en  toute  vérité  de  sa  substance 
divine,  il  s'est  servi  d'expressions  que  les  hommes  pouvaient  com- 
prendre, parce  qu'elles  sont  en  rapport  avec  leur  nature.  Il  n'y  a 
pas  ainsi  d'équivoque  possible,  et  il  faut  bien  croire  que  c'est  réel- 
lement de  sa  substance  et  non  pas  du  néant  que  le  Fils  est  sorti  ^. 
La  seconde  condition  est  que  le  Fils,  non  seulement  procède  de 
la  substance  du  Père,  mais  qu'il  soit  de  même  nature,  de  môme 
essence  que  lui.  Qu'il  en  soit  ainsi,  l'Apôtre  ne  nous  permet  pas 
d'en  douter,  lorsqu'il  dit  que  le  Verbe  «  est  la   splendeur  de  la 
«  gloire  de  Dieu  et  la  figure  de  sa  substance  ^;  i>  c'est-à-dire  que 

1.  Kxivi  a  Pâtre  et  vcni  in  mundinn.  {.loann.,  wi,  ^S.) 

2.  Non  sic  ex  Deo  Pâtre  Unigenitus  Filius,  qucmadmodum  ex  illo  est  uni- 
vcrsa  creatura,  quam  ex  nihilo  croavil.  llunc  quipi)e  de  sua  substanlia  genuit, 
non  ox  nihilo  fecit  :  nec  eum  ex  temporc  genuit,  \)cv  quem  cuncta  tempera 
condidit.  (S.  .\ugust.,  Epist.  LXVI.) 

;j.  Deinde  rum  significatur  ex  utero,  interroge  an  credi  possil  esse  nalus 
ex  niliilo,  cuin  nativilatis  veritas  per  corporalium  efficienliam  nomina  revele- 
tur?  Non  enim  membris  corporalihus  consistens  Deus,  cuin  generalionem 
Filii  commemorasset,  ait  :  Ex  utero  mile  luci/'erum  r/enui  le.  Sed  inenarrabi- 
1cm  iliam  unigeniti  ex  se  Filii  nativilatein  ex  divinitalis  suœ  veritale  confir- 
mans,  ad  intelligentiie  fidem  loculus  est,  ut  de  divinis  bis  rébus  secundum 
bumanam  naturam  natura?  sensum  ad  fidei  scientiam  erudiret  :  ul  cum  ait, 
ex  utero,  non  ex  nibilo  crealio  substilisse,  sed  ex  se  unigeniti  sui  naluralis 
doccrelur  nalivilas.  (S.  Hilar.,  de  Trinit.,  lib.  VI.) 

4.  Qui  cum  sit  splendor  gloriae  et  figura  substantiae  ejus.  [Hehr.,  i,  3.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE   DE   LA    TRINITÉ.  197 

sa  similitude  avec  le  Père  est  parfaite.  «  Il  est  le  Fils  unique  et 
«  l'image  du  Dieu  invisible,  il  est  nécessaire  par  conséquent  qu'il 
«  soit  d'essence  semblable,  aussi  bien  selon  l'espèce  que  selon  la 
«  nature,  »  dit  S.  Hilaire  K  II  ajoute  :  «  Et  représenter  ainsi  dans 
«  toute  sa  vérité  la  forme  du  Père,  avec  la  similitude  parfaite 
«  sous  le  rapport  de  la  nature,  c'est  être  véritablement  Fils  de 
«  Dieu  2.  B 

Une  troisième  condition  est  encore  nécessaire,  pour  que  le  Fils 
de  Dieu  ait  droit  en  toute  rigueur  à  ce  titre  de  Fils;  il  ne  lui  suffit 
pas,  comme  aux  hommes  et  aux  autres  êtres  vivants,  que  sa  nature 
ressemble  à  celle  de  son  Père,  il  faut  qu'elle  soit  numériquement 
la  même  et  que  cette  nature  ne  soit  pas  celle  de  deux  êtres  dis- 
tincts, mais  d'un  seul.  S'il  en  était  autrement,  si  deux  êtres  dis- 
tincts et  séparés  l'un  de  l'autre  possédaient  la  nature  divine,  il  y 
aurait  deux  divinités  au  lieu  d'une  seule.  Aussi  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  a-t-il  eu  soin  de  nous  avertir  que  la  nature  divine,  si 
elle  est  le  propre  de  plusieurs  personnes,  n'est  pas  pour  cela  divisée 
entre  plusieurs  êtres,  lorsqu'il  a  dit  :  «  Mon  Père  et  moi  nous 
sommes  une  seule  chose  3.  »  Et  il  a  répété  le  même  enseignement 
sous  d'autres  termes,  en  disant  à  ses  apôtres,  qui  témoignaient  le 
désir  de  voir  son  Père  céleste  :  «  Celui  qui  me  voit  voit  aussi  mon 
Père  ^.  »  Que  le  Fils  soit  dans  le  Père,  dit  S.  Athanase,  et  que  le 
Père  soit  dans  le  Fils,  cela  signifie  uniquement  que  le  Fils  engen- 
dré de  Dieu  est,  par  sa  nature  même,  tel  que  le  Père  qui  l'engendre; 
que  la  forme  ou  l'essence  du  Père  se  retrouve  tout  entière  en  lui, 
et  que  lui-même  est  tout  entier  dans  la  substance  paternelle.  Il  y  a 
donc  dualité  de  personnes,  un  fils  et  un  père;  mais  la  nature  n'est 
pas  divisée,  car  son  intégrité  est  au-dessus  de  toute  atteinte  ^. 

Enfin,  la  quatrième  et  dernière  condition,  sans  laquelle  la  géné- 
ration du  Fils  de  Dieu  ne  serait  pas  une  génération  véritable  et 

1.  Cum  enim  unigenitus  Filius  Dei,  et  imago  invisibilis  Dei  sit,  necesse  est 
per  speciem  atque  naturam  similis  essentiœ  sit.  (S.  Hilar.,  de  Synodis,  n.  xi.) 

^.  Et  hoc  vere  est  esse  Filium  Dei,  paternae  sciiicet  formœ  veritatem  coima- 
ginatae  in  se  naturae  perfecta  similitudine  retulisse.  (Id.,  idid.) 

3.  Ego  et  Pater  unum  sumus.  {Joann.,  x,  30.) 

4.  Qui  videt  me  videt  et  Patrem  meum.  (Joaiin.,  xiv,  D.) 

y.  Igitur  in  Pâtre  Filium  esse,  et  Patrem  in  Filio,  hoc  nihil  est  aliud,  quam 
illum  qui  ex  Deo  genitus  est,  naturaliter  talem  esse,  qualis  est  genitor  Pater, 
eumque  ostendere  paternam  formam  in  se  et  vicissim  ostendi  in  paterna 
substantia  :  unus  igitur,  et  unus,  dualitas;  non  divisa  est  natura  cum  sil 
indeficiens  ad  suam  integritatem.  (S.  Athan.,  orat.  contra  Sahell.) 


198         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   11'=  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CIIAP.  V. 

lui-même  ne  serait  pas  réellement  Fils  de  Dieu,  est  que  celte  géné- 
ration soit  éternelle,  et  que  jamais  le  Verbe  divin  n'eût  été  sim- 
plement possible. 

L'Ecclésiastique  témoigne  de  l'éternité  de  cette  génération,  lors- 
qu'il fait  dire  au  Verbe  ou  à  la  Sagesse  de  Dieu  :  «  Dès  le  principe 
t  avant  tous  les  siècles,  j'ai  été  créée  i,  »  c'est-à-dire  engendrée, 
et  si  l'on  s'en  rapporte  au  texte  hébreu;  ce  qui  fait  dire  à  S.  Am- 
broise  :  Le  Père  n'a  pas  commencé  d'être  ce  qu'il  est,  c'est-à-dire 
Père,  et  s'il  n'a  pas  commencé,  le  Fils  non  plus  n'a  pas  commencé 
d'être  Fils  -,  Et  cette  génération  éternelle  exclut  toute  dépendance 
pour  le  Fils,  et  toute  possibilité  pour  le  Père  de  ne  pas  engen- 
drer, comme  pour  le  Fils  de  n'être  pas  engendré.  Le  Père,  parce 
qu'il  est  éternel,  est  immuable  ;  il  ne  peut  pas  devenir  Père,  s'il  ne 
l'est  éternellement;  il  ne  peut  pas  acquérir,  par  cet  acte  éternel, 
une  nouvelle  autorité.  Le  Fils  de  son  côté,  parce  qu'il  est  éternel 
comme  le  Père,  ne  peut  pas  devenir  Fils  puisqu'il  l'est  éternel- 
lement, ni  se  trouver  dans  un  état  de  dépendance  incompatible 
avec  sa  perfection  infinie.  Ce  qu'il  est,  il  l'a  toujours  été  et  le  sera 
toujours,  selon  la  parole  de  David  répétée  par  S.  Paul  :  «  Vous 
«  êtes  toujours  le  même  et  vos  années  ne  passent  pas  3.  » 

Quelle  reconnaissance  ne  doit  pas  être  la  nôtre  lorsque  nous 
savons  que  ce  Fils  éternel  de  Dieu  s'est  fait  homme  pour  nous,  et 
lorsqu'il  nous  est  donné  de  nous  approcher  de  lui  dans  le  sacre- 
ment adorable  où  il  s'est  caché  par  amour  pour  nous,  afin  d'être 
notre  consolateur,  notre  victime  et  notre  nourriture  ? 

Nous  pouvons  donc,  avec  Pierre  et  les  autres  apôtres,  dire 
au  Seigneur  :  «  Vous  êtes  véritablement  le  Fils  de  Dieu  *.  »  Ajou- 
tons avec  S.  .Jean  :  «  Nous  savons  que  le  Fils  de  Dieu  est  venu  et 
«  nous  a  donné  l'intelligence,  afin  que  nous  connaissions  le  vrai 
«  Dieu  et  que  nous  soyons  en  son  vrai  Fils.  C'est  lui  qui  est  le  vrai 
«  Fils  de  Dieu,  et  la  vie  éternelle  ^.  » 

Si  l'on  veut  maintenant  se  former  une  idée  aussi  peu  imparfaite 

\.  Ab  initio  et  ante  saecula  creata  sum.  [Eccli.,  xxiv,  1i.) 
'i.  Quod  Pater   est,  esse  non  cœpit;  et  si   non  cœpit,   nec  Filius  cœpit. 
(S.  Ambros.,  de  Symbole,  cap.  iv.) 

3.  Tu  autem  idem  ipse  es  et  anni  tui  non  déficient.  {Ps.  ci,  27.) 

4.  Vere  Filius  Dei  es.  [Malth.,  xiv,  3.'}.) 

y>.  Et  scinuis  quoniam  Filius  Dei  venit  et  dédit  nobis  sensum  ut  cognosca- 
mus  veruin  Deum,  et  simus  in  vero  Filio  ejus.  Hic  est  verus  Deus  et  vita 
aeterna,  (/.  Joann.,  v,  20.) 


JÉSUS   EUCHABISTIQUE    ET   LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  199 

que  possible  du  mode  selon  lequel  s'accomplit  l'éternelle  géné- 
ration du  Fils  de  Dieu,  ces  quelques  lignes  de  Bossuet  pourront  y 
aider.  Après  avoir  donné  diverses  comparaisons,  il  dit  :  «  Tout 
«  cela  est  mort  :  le  soleil,  son  rayon,  sa  chaleur;  un  cachet,  son 
«  expression  ;  une  image  ou  taillée  ou  peinte;  un  miroir  et  les  res- 
a  semblances  que  les  objets  y  produisent,  sont  choses  mortes.  Dieu 
((  a  fait  une  image  plus  vive  de  son  éternelle  et  pure  génération; 
«  et  afin  qu'elle  nous  fût  plus  connue,  c'est  en  nous-mêmes  qu'il 
«  l'a  faite. 

«  Il  l'a  faite  lorsqu'il  a  dit  :  Faisons  Vhomme.  Il  voulut  alors 
«  faire  quelque  chose  où  fût  déclarée  l'opération  de  son  Fils,  d'un 
«  autre  lui-même,  puisqu'il  dit  :  Faisons.  Il  voulut  faire  quelque 
«  chose  qui  fût  vivant  comme  lui,  intelligent  comme  lui,  autrement 
«  on  ne  saurait  ce  que  voudrait  dire  :  Faisons  Vhomme  à  notre 
«  image  et  ressemblance .  A  notre  image,  dans  le  fond  de  sa  nature; 
«  à  notre  ressemblance,  par  la  conformité  de  ses  opérations  avec 
«  la  nôtre,  éternelle  et  indivisible. 

«  C'est  par  l'effet  de  cette  parole.  Faisons  Vhomme  à  notre 
et  image,  que  l'homme  pense;  et  penser  c'est  concevoir.  Toute 
«  pensée  est  conception  et  expression  de  quelque  chose.  Toute 
«  pensée  est  l'expression,  et  par  là  une  conception,  de  celui  qui 
«  pense,  si  celui  qui  pense  pense  à  lui-même  et  s'entend  lui-même  : 
«  et  c'en  serait  une  conception  et  une  expression  parfaite,  éternelle, 
a  substantielle,  si  celui  qui  pense  était  parfait,  éternel,  et  s'il  était, 
«  par  sa  nature,  tout  substance,  sans  avoir  rien  d'accidentel  en  lui- 
«  même,  ni  rien  qui  puisse  être  surajouté  à  sa  pure  et  inaltérable 
<r  substance. 

a  Dieu  donc  qui  pense  substantiellement,  parfaitement,  éternel- 
«  lement,  et  qui  ne  pense  ni  ne  peut  penser  qu'à  lui-même,  en 
«  pensant  connaît  quelque  chose  de  substantiel,  de  parfait  et  d'éter- 
«  nel  comme  lui  :  c'est  là  son  enfantement,  son  éternelle  et  parfaite 
«  génération.  Car  la  nature  divine  ne  connaît  rien  d'imparfait;  et 
«  en  elle  la  conception  ne  peut  être  séparée  de  l'enfantement. 
.<  C'est  donc  ainsi  que  Dieu  est  Père;  c'est  ainsi  qu'il  donne  nais- 
«  sance  à  un  Fils  qui  lui  est  égal  :  c'est  là  cette  éternelle  et  par- 
«  faite  fécondité,  dont  l'excellence  nous  a  ravis,  dès  que,  sous  la 
*  conduite  de  la  foi,  nous  avons  osé  y  porter  notre  pensée.  Conce- 
«  voir  et  enfanter  de  cette  sorte,  c'est  être  la  perfection  et  l'ori- 
«  ginal,  et  concevoir  et  enfanter  comme  nous  faisons  à  notre  ma- 


200  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"   PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CIIAP.   V. 

«  nière  imparfaite,  c'est  être  fait  à  l'image  et  ressemblance  de 
«  Dieu  '.  » 

L'Apôtre,  dans  sa  lettre  aux  Romains,  appelle  expressément  le 
Verbe  de  Dieu  incarné,  le  FWs  propi'c  de  Dieu.  Dieu,  dit-il,  «  n'a 
«  pas  épargné  même  son  propre  Fils,  mais  il  l'a  livré  pour  nous  2,  » 
Si  donc  il  est  le  Fils  propre  de  Dieu,  certainement  il  a  été  engen- 
dré de  la  substance  de  Dieu  ;  car  les  hommes  mêmes  n'appellent 
pas  leur  fils  propre,  celui  qu'ils  ont  pu  adopter  pour  fils,  mais  bien 
celui  auquel  il  ont  communiqué  la  vie,  avec  leur  propre  subs- 
tance. 

Si  tout  ce  qui  est  écrit  ne  découlait  pas  de  la  même  source  qui 
est  l'Esprit  de  Dieu,  nous  pourrions  dire  que  nous  avons  à  citer 
des  autorités  plus  élevées  que  celle  de  S.  Paul  lui-môme.  En  effet, 
le  Père  céleste  rend  publiquement  et  directement  ce  témoignage  à 
Jésus-Christ,  le  Verbe  incarné  :  a  Vous  êtes  mon  Fils  bien-aimé; 
«  c'est  en  vous  que  j'ai  mis  mes  complaisances  3.  »  Dieu  est  infi- 
niment bon,  et  il  communique  quelque  chose  de  sa  bonté  à  cha- 
cune de  ses  créatures  en  particulier;  mais  il  ne  la  communique  à 
aucune  d'elles  dans  toute  sa  plénitude.  C'est  uniquement  au  Fils 
et  à  l'Esprit  saint  que  cette  plénitude  est  réservée,  et  c'est  pour- 
quoi Dieu  se  complaît  entièrement  dans  le  Fils  dont  la  bonté  est 
égale  à  celle  du  Père  ^.  Ce  n'est  pas  une  fois,  mais  jusqu'à  quatre 
fois  que  la  Sainte  Écriture  rapporte  ce  témoignage  rendu  par  le 
Père  éternel  à  son  véritable  Fils  5. 

Et  Jésus-Christ  lui-même  n'a-t-il  pas  affirmé  de  la  manière  la 
plus  authentique,  dans  les  circonstances  les  plus  graves,  lorsque 
cette  affirmation  devait  lui  coûter  la  vie,  qu'il  était  réellement  le 
Fils  de  Dieu?  Au  temps  de  sa  passion,  le  prince  des  prêtres,  Caiphe, 
lui  dit  :  «  Je  t'adjure,  par  le  Dieu  vivant,  de  nous  dire  si  tu  es  le 
«  Christ,  le  Fils  de  Dieu.  Jésus  lui  répondit  :  Tu  l'as  dit.  De  plus, 
«  je  vous  le  déclare,  vous  verrez  un  jour  le  Fils  de  l'homme  assis 
«  à  la  droite  de  la  majesté  de  Dieu,  et  venant  dans  les  nuées  du 

\.  BossuET,  Elévations  sur  les  mystères,  II'  sem.,  iv^  élév. 

2.  Oui  eliam  proprio  Filio  suo  non  pepercit,  sed  pro  nobis  omnibus  tradidit 
illum.  [liom.,  vm,  32.) 

3.  Tu  es  Filius  meus  dilectus  :  in  te  complacui  mibi.  [Luc,  m,  22.) 

4.  Bonilas  divina  est  in  qualibet  creatura  particulari,  sed  nunquam  tota 
perfecta,  nisi  in  Filio  et  Spiritu  sancto,  qui  lantum  babet  de  bonitate  quantum 
Pater.  (S.  T110.M.,  Commnil.  Evanr/.  in  hune  loc.) 

;j.  Miitth.,  III,  17;  xvii,  !i.  —  Marc,  i,  ]\.  —  Luc,  u,  22.  -  //.  Pelr.,  i,  47. 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  201 

«  ciel  1.  »  Par  ces  paroles,  Notre-Seigneur  affirmait  sa  double  na- 
ture. Il  est  fils  de  l'homme,  mais  il  est  en  même  temps  fils  de 
Dieu,  égal  au  Père  et  assis  à  sa  droite,  comme  il  convient  à  un 
égal  et  à  un  fils.  Le  prince  des  prêtres  ne  pouvait  pas  s'y  tromper. 
Il  attendait  cette  parole,  et  lorsque  Jésus  l'eut  prononcée,  il  l'accusa 
de  blasphème  et  le  déclara  digne  de  mort.  S.  Jean  nous  rapporte 
que,  dans  une  autre  circonstance,  les  Juifs  voulant  lapider  le 
Seigneur,  Jésus  leur  dit  :  «  J'ai  fait  devant  vous  beaucoup  d'œu- 
«  vres  excellentes,  par  la  vertu  de  mon  Père;  pour  laquelle  de  ces 
«  œuvres  me  lapidez-vous?  Les  Juifs  lui  répondirent  :  Ce  n'est  pas 
«  pour  une  bonne  œuvre  que  nous  te  lapidons,  mais  c'est  pour  un 
«  blasphème,  et  parce  que  toi  qui  es  homme,  tu  te  fais  Dieu  ~.  »  Assu- 
rément si  le  divin  Maître  n'avait  parlé  que  d'une  filiation  adoptive, 
semblable  à  celle  des  autres  justes,  les  Juifs  n'auraient  pas  songé 
à  l'accuser  de  blasphème  et  voulu  le  lapider.  Le  saint  Évangile 
nomme  donc  Fils  de  Dieu  la  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité, 
et  lui  donne  ce  nom  dans  des  conditions  telles  qu'il  est  impossible 
de  ne  pas  confesser  qu'il  s'agit  d'une  filiation  réelle  et  nullement 
métaphorique  ou  adoptive.  Le  Fils  de  Dieu  est  donc  véritablement 
Fils  de  Dieu,  et  si  les  Juifs  avaient  voulu  un  autre  témoignage 
que  celui  de  Jésus-Christ  lui-même,  ils  n'avaient  qu'à  se  rappeler 
les  paroles  que  S.  Jean-Baptiste  avait  prononcées  devant  la  foule 
accourue  pour  recevoir  le  baptême  de  la  pénitence  :  «  Celui  qui 

<  m'a  envoyé  baptiser  dans  l'eau  m'a  dit  :  Celui  sur  qui  tu  verras 

<  l'Esprit  descendre  et  se  reposer,  c'est  celui-là  qui  baptisera  dans 
«  l'Esprit  saint.  Et  je  l'ai  vu,  et  j'ai  rendu  témoignage  que  c'est  lui 
«  qui  est  le  Fils  de  Dieu  ^.  » 

Une  autre  preuve  plus  frappante  encore,  s'il  est  possible,  se  tire 
des  textes  de  la  Sainte  Écriture,  dans  lesquels  le  Verbe,  ou  le  Fils 

\.  Adjuro  te  per  Deum  vivum,  ut  dicas  nobis  si  tu  es  Christus  Filius  Dei. 
Dicit  illi  Jésus  :  Tu  dixisti  :  verumtamen  dico  vobis  :  Amodo  videbitis  filium 
hominis  sedentem  a  dextris  Dei,  et  venientem  in  nubibus  cœli.  (Matth.,  xxvi, 
64.) 

2.  Multa  bon  a  opéra  ostendi  vobis  ex  Pâtre  meo  :  propter  quod  eorum  opus 
me  lapidatis?  Responderunt  ei  Judaei  :  De  bono  opère  non  lapidamus  te,  sed 
de  blasphemia  :  et  quia  tu  homo  cum  sis,  facis  te  ipsum  Deum.  {Joatin.,  x, 

32,  lid.) 

3.  Qui  misit  me  baptizare  in  aqua,  ille  mihi  dixit  :  Super  quem  videris  Spi- 
ritum  descendentem,  et  manentem  super  eum,liic  est,  qui  baptizat  in  Spiritu 
sancto.  Et  e^'o  vidi  et  testimonium  perhibui  quia  hic  est  tilius  Dei.  [Joann.,  i, 

33,  3i.) 


20:2         LA    SAINTE    EUCFIARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CIIAP.    V. 

de  Dieu  incarné,  est  appelé  Fils  unique  du  Père.  S.  Jean  l'Évangé- 
liste,  qui  avait  reçu  la  mission  de  faire  particulièrement  resplendir 
la  divinité  de  Notre-Seigneur,  lui  a  plusieurs  fois  donné  ce  titre 
de  Fils  unique  du  Père  :  «  Nous  avons  vu  sa  gloire  comme  la  gloire 
«  qu'un  fils  unique  reçoit  de  son  père;  »  nous  l'avons  vu,  «  plein 
«  de  grâce  et  de  vérité  i.  »  Et  quelques  versets  plus  loin  :  «  Per- 
«  sonne  n'a  jamais  vu  Dieu  :  le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du 
«  Père  est  celui  qui  nous  l'a  fait  connaître  ~.  »  Il  y  a  plusieurs  re- 
marques à  faire  sur  ces  textes  empruntés  au  premier  chapitre  de 
l'Évangile  de  S.  Jean. 

S.  Jean  appelle  le  Verbe  divin  non  seulement  Fils  de  Dieu,  mais 
fils  unique.  S'il  n'était  Fils  de  Dieu  que  par  adoption,  tout  au  plus 
pourrait-il  dire,  à  cause  de  ses  perfections  incomparables,  qu'il  est 
son  Fils  premier-né,  mais  non  pas  son  Fils  unique. 

L'Évangéliste  affirme  que  le  Verbe,  Fils  de  Dieu,  qui  s'est  mani- 
festé aux  hommes,  est  plein  de  grâce  et  de  vérité.  La  plénitude 
de  la  grâce  et  de  la  vérité,  c'est-à-dire  de  la  bonté  et  de  la  science, 
ne  convient  qu'à  Dieu  seul,  parce  que  lui  seul  est  infini.  S.  Jean 
ajoute  que  la  grâce  et  la  vérité  ont  été  faites  par  Jésus-Christ  : 
Gratia  et  veritas  per  Jesum  Christum  fada  est.  Il  ne  possède 
donc  pas  cette  grâce  et  cette  vérité  pour  les  avoir  reçues  :  il  en  est 
la  source,  ce  qu'on  ne  peut  dire  que  de  Dieu,  selon  la  parole  du 
Psalmiste  :  «  Le  Seigneur  donnera  la  grâce  et  la  gloire  3.  » 

Enfin  il  dit  que  personne  n'a  jamais  vu  Dieu,  mais  que  le  Fils 
unique  qui  est  dans  le  sein  du  Père  nous  l'a  fait  connaître.  Il  est 
donc  seul  à  voir  Dieu  d'une  manière  absolument  parfaite,  et  à  le 
comprendre.  C'est  par  lui  seul  que  les  créatures  le  connaissent  à 
leur  tour,  autant  qu'il  est  possible  à  des  êtres  finis.  Le  Fils  connaît 
Dieu  parce  qu'il  est  dans  le  sein  du  Père  et  qu'il  est  son  fils  uni- 
que. C'est  donc  par  sa  nature  même  qu'il  est  le  Fils  de  Dieu  et  ce 
n'est  pas  pour  lui  un  privilège,  une  faveur,  c'est  un  droit  de  porter 
ce  nom. 

L'apôtre  S.  Paul  ne  manque  pas  de  rendre  témoignage  à  la  filia- 
tion de  la  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité.  Voici  comme  il 

1.  Et  vidimus  gloriam  ejus,  gloriam  quasi  unigeniti  a  Pâtre,  plénum  gratifie 
et  veritatis.  [Jonnn.,  i,  14.) 

2.  Deum  nomo  vidil  unquam  :  unigenitus  Filius,  qui  est  in  sinu  Patris, 
ipse  enarravit.  (M.,  i,  \%.) 

3.  Grali.'im  et  gloriam  dabit  Dominus.  (As.  lxxxiii.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  203 

en  parle  dans  le  premier  chapitre  de  l'Épitre  aux  Hébreux  :  «  Dieu 
€  qui  a  parlé  autrefois  à  nos  pères  par  les  prophètes,  bien  souvent 
«  et  en  bien  des  manières,  en  ces  derniers  jours  nous  a  parlé  par 
«  son  Fils,  qu'il  a  établi  héritier  en  toutes  choses,  par  qui  il  a  fait 
«  même  les  siècles;  et  qui  étant  la  splendeur  de  sa  gloire  et  Tem- 
«  preinte  de  sa  substance,  et  soutenant  toutes  choses  par  la  puis- 
«  sance  de  sa  parole,  après  avoir  opéré  la  purification  des  péchés, 
«  est  assis  au  plus  haut  des  cieux,  à  la  droite  de  la  Majesté,  ayant 
*  été  fait  d'autant  plus  supérieur  aux  anges  que  le  nom  qu'il  a 
«  reçu  en  partage  est  bien  différent  du  leur.  Car  auquel  des  anges 
«  Dieu  a-t-il  jamais  dit  :  Vous  êtes  mon  Fils  ;  je  vous  ai  engendré 
«  aujourd'hui?  Et  encore  :  Moi  je  serai  son  Père,  et  lui  sera  mon 
«  Fils?  Et  lorsqu'il  introduit  de  nouveau  son  premier-né  dans  le 
«  monde,  il  dit  :  Que  tous  les  anges  de  Dieu  l'adorent  *.  »  Le  Verbe 
divin  qui  s'est  incarné  et  que  nous  adorons  en  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  est  donc  bien  réellement  le  Fils  de  Dieu.  S.  Paul, 
dans  le  texte  que  nous  venons  de  citer,  ne  donne  pas  moins  de  six 
raisons  en  faveur  de  cette  vérité.  Le  Verbe,  d'après  l'Apôtre,  est  le 
vrai  Fils  de  Dieu,  parce  que  :  1°  Il  est  l'héritier  de  tous  les  biens 
du  Père;  2°  il  est  la  splendeur  de  la  gloire  de  Dieu,  et  sa  vivante 
image;  3°  il  soutient  toutes  choses  parla  puissance  de  sa  parole; 
-i°  il  remet  les  péchés;  5°  il  est  assis  à  la  droite  de  Dieu,  c'est-à-dire 
qu'il  est  son  égal;  6" il  est  adoré  par  les  anges  à  cause  de  sa  filia- 
tion divine. 

Reprenons  chacune  de  ces  preuves  pour  en  faire  ressortir  la 
force. 

l"  S.  Paul  nous  dit  premièrement  que  celui  par  qui  Dieu  a  parlé 
en  dernier  lieu  aux  hommes  est  son  Fils,  qu'il  a  constitué  l'héri- 
tier de  tous  ses  biens.  On  ne  peut  donc  pas  le  confondre  avec  les 
autres  enfants  de  Dieu  qui  ne  sont  que  des  fils  adoptifs.  Il  est  l'hé- 
ritier de  tout,  le  maître  de  tout,  et  si  d'autres  ont  reçu  le  nom  de 

1.  Multifariam  multisque  modis  olim  Deus  loquens  patribus  in  prophetis, 
novissime  diebus  istis  locutus  nobis  in  filio,  qiieni  constituit  haeredem  univer- 
sorum,  per  quem  fecit  etsaecula  ;  qui  cum  sit  splendor  gloriœ  et  figura  subs- 
tanlift;  ejus,  portansque  omnia  verbo  virtutis  suîb,  purgationem  peccatorum 
faciens,  sedet  ad  dexteram  Majostatis  in  excelsis.  Tanlo  nielior  Angelis  cffec- 
tus,  f|uaiito  dilTerentius  pr*  illis  nomen  baeredilavit.  Cuicnini  dixit  aliquando 
Angeloruin  :  Filius  meus  es  tu  ;  ego  hodie  genui  te?  Et  rursum  :  Ego  ero  illi 
in  patrem,  et  ipse  erit  mihi  in  filium  ?  Et  cum  iterum  introducit  primogenitum 
in  orbem  terrae,  dicit  :  Et  adorent  eum  omnes  Angeli  Dei.  (Hebr.,  i,  1-G.) 


204         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE    II.  —   CHAP.   V. 

fils  de  Dieu,  c'est  parce  que  le  Père  a  bien  voulu  leur  concéder 
cette  faveur,  pour  les  récompenser  d'avoir  cru  en  ce  Fils  unique  et 
véritable.  Par  lui  l'espoir  leur  est  donné  de  jouir,  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  de  la  gloire  qui  convient  à  des  enfants  de  Dieu;  mais 
cette  gloire  appartient  tout  entière  au  véritable  Fils,  ou  plutôt  il 
est  lui-même  la  splendeur  de  cette  gloire.  Et  si  Dieu  leur  accorde 
d'être  ses  fils  par  adoption,  c'est  uniquement  parce  qu'ils  sont 
l'image  de  celui  qui  est  son  Fils  par  nature,  son  image  à  lui-même 
et  la  figure  de  sa  substance  ^  Ils  reçoivent  encore  ce  nom  de  fils 
parce  que  le  Verbe  de  Dieu  les  éclaire  et  les  guide,  afin  qu'ils 
soient  sans  reproche,  comme  des  enfants  de  Dieu,  sans  répréhen- 
sion au  milieu  d'une  nation  dépravée  et  perverse,  et  qu'ils  brillent 
comme  des  astres  dans  le  monde,  gardant  la  parole  de  vie,  dit 
l'Apôtre  2.  Mais  ils  ne  sont  quelque  chose  devant  Dieu  qu'à  cause 
de  ce  Fils  véritable  à  qui  ils  doivent  tout,  dans  l'ordre  de  la  nature 
et  dans  celui  de  la  grâce,  car  c'est  à  lui  que  tout  a  été  donné,  et 
c'est  lui  seul  qui  leur  procure  une  part  des  biens  qu'il  tient  du 
Père  céleste. 

Remarquons  ici  l'expression  dont  se  sert  l'Apôtre  :  «  Son  Fils 
qu'il  a  établi  héritier.  »  On  pourrait  dire  :  Si  le  Fils  de  Dieu  a  été 
établi  héritier,  il  ne  l'était  donc  pas  naturellement?  Mais  il  suffit 
d'observer  qu'en  Jésus-Christ,  dont  parle  S.  Paul,  il  n'y  a  pas  seu- 
lement la  nature  divine,  mais  aussi  la  nature  humaine.  Gomme 
homme,  Jésus-Christ  a  été  établi  héritier  de  Dieu,  puisqu'il  ne 
pouvait  pas  l'être  avant  d'exister.  Mais  comme  Dieu,  il  est  héritier 
par  droit  de  naissance  ;  il  n'est  donc  pas  établi  héritier,  mais  il 
l'est  par  sa  nature  même;  engendré  de  toute  éternité,  de  toute  éter- 
nité aussi  il  possède  l'héritage  de  tout  ce  qui  est  au  Père,  sans  que 
le  Père  cesse  lui-même  de  le  posséder;  car  ces  deux  adorables 
personnes  ne  sont  qu'un  seul  et  même  Dieu,  un  seul  et  même  sou- 
verain Maître  et  Seigneur  par  qui  toutes  choses  ont  été  créées,  et 
à  qui  toutes  choses  appartiennent.  Si  l'on  veut  dire  néanmoins 
que,  même  en  tant  que  Dieu,  le  Fils  est  constitué  héritier  de  tous 
ses  biens,  rien  ne  s'oppose  à  cette  affirmation  :  il  est  constitué  héri- 

\.  Quos  praescivit  et  praedestinavit  conformes  fieri  imaginis  Filii  sui.  [Rom., 
vm,  -29.) 

■-2.  Ut  sitis  sine  querela  et  sirnplices  filii  Dei  sine  reprehensione,  in  medio 
nationis  pravae  et  perversae,  inter  quos  lucetis  sicut  luminaria  in  mundo, 
Verliurn  vitie  continentes  ad  gloriam  meam  in  die  Christi.  [Philipp.,  ii,  \U,  \G.) 


JESUS   EUCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ,  :20o 

tier  en  même  temps  et  par  là  même  qu'il  procède  du  Père,  par 
voie  de  génération  éternelle. 

2°  En  second  lieu,  le  Fils  de  Dieu  est  la  splendeur  de  la  gloire 
du  Père  et  sa  vivante  image  :  par  conséquent,  son  véritable  Fils. 
C'est  par  lui  que  la  gloire  du  Père  brille  d'un  éclat  souverain,  non 
seulement  aux  yeux  des  créatures,  mais  aux  regards  de  Dieu  lui- 
même  qui  contemple  en  son  Fils  la  figure  de  sa  substance,  toute 
sa  grandeur,  toutes  ses  infinies  perfections.  Se  voir  et  reconnaître 
qu'il  est  le  bien  absolu  et  sans  bornes,  digne  de  louanges  infinies, 
telle  est  la  gloire  suprême  que  Dieu  trouve  en  son  Fils,  et  qu'il  ne 
peut  trouver  qu'en  lui. 

C'est  encore  par  le  Fils  que  les  créatures  glorifient  leur  créateur, 
car  c'est  le  Fils  qui  les  a  faites,  c'est  sa  sagesse  qui  les  gouverne, 
sa  puissance  qui  les  maintient.  Et  si  les  êtres  intelligents  admirent 
les  œuvres  de  Dieu,  et  connaissent  l'auteur  de  tant  de  merveilles, 
si  elles  soupçonnent  quelque  chose  de  ses  grandeurs,  c'est  encore 
par  le  Fils  que  l'hommage  de  leurs  louanges  remonte  jusqu'au 
Père.  Connaître  l'excellence  de  l'Être  divin  et  la  louer,  telle  est 
la  gloire  que  nous  pouvons  rendre  à  Dieu,  gloire  bien  impar- 
faite, parce  que  nous  ne  connaissons  Dieu  que  très  imparfaite- 
ment sur  la  terre;  mais  ce  que  nous  connaissons  de  lui,  c'est  le 
Fils  qui  nous  le  manifeste;  il  est  le  resplendissement  de  cette 
gloire,  comme  il  est  le  resplendissement  de  la  gloire  que  Dieu  pos- 
sède en  lui-même  de  toute  éternité,  gloire  qui  est  le  caractère  ou 
la  figure  de  sa  substance  et  se  confond  avec  l'être  divin  lui-même. 
Celui  qui  est  cette  gloire  infinie  et  éternelle,  consubslantielle  à 
Dieu,  ne  peut  être  que  le  Fils  véritable  de  Dieu,  et  non  pas  un  fils 
adoptif. 

S.  Paul  ajoute  que  Jésus-Christ,  par  sa  divinité,  est  l'image  du 
Père,  la  figure  de  sa  substance  :  Figura  substantiœ  ejus.  Toute 
image  ressemble  à  l'original  qu'elle  représente,  mais  toute  ressem- 
blance n'est  pas  à  proprement  parler  une  image;  il  faut,  pour  mé- 
riter ce  nom,  que  la  ressemblance  représente  non  pas  un  trait 
quelconque,  mais  les  principaux  traits  de  l'objet  figuré,  ceux  qui 
le  distinguent  et  empêchent  qu'on  ne  le  confonde  avec  un  autre  de 
même  espèce  ou  d'espèce  différente.  Ces  traits,  lorsqu'il  s'agit  de 
l'homme,  sont  principalement  les  traits  de  la  figure;  aussi  S.  Paul, 
pour  faire  bien  comprendre  sa  pensée,  dit-il  que  le  Fils  de  Dieu 
est  non  pas  précisément  une  image,  mais  quelque  chose  de  plus 


206         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   V. 

frappant  encore,  la  figiire,  ce  qu'il  y  a  de  plus  essentiel,  de  plus 
important  dans  l'image. 

Le  Fils  de  Dieu,  image  ou  figure  du  Père,  n'est  pas  une  image 
quelconque,  mais  l'image  de  la  substance  de  celui  qu'elle  repré- 
sente; l'image  du  Dieu  invisible,  comme  il  est  dit  ailleurs  :  Est 
imago  invisibilis  Dei  i. 

Le  portrait  d'un  homme,  peint  sur  une  toile  ou  taillé  dans  le 
marbre,  est  bien  l'image  de  cet  homme;  mais  c'est  une  image  très 
imparfaite,  parce  qu'elle  n'est  pas  de  la  même  espèce  que  lui. 

Un  fds  est  l'image  de  son  père.  C'est  une  image  parfaite,  parce 
que  non  seulement  il  en  rappelle  les  traits,  mais  de  plus  il  appar- 
tient à  la  même  espèce.  Cependant,  l'un  et  l'autre  a  sa  substance 
propre  et  parfaitement  distincte. 

Une  autre  image  plus  parfaite,  la  seule  qui  le  soit  d'une  manière 
absolue,  est  celle  dans  laquelle  on  trouve,  non  seulement  la  ressem- 
blance exacte  des  traits  et  l'unité  d'espèce,  mais  aussi  l'unité  de 
substance.  C'est  celle  qui  existe  entre  le  Père  éternel  et  son  Fils, 
en  vertu  de  la  consubstantialité  ;  elle  est  unique  et  ne  peut  se 
trouver  qu'en  Dieu.  Le  Fils  de  Dieu  seul  est  la  figure  de  la  subs- 
tance du  Père,  figure  absolument  semblable  à  l'original,  figure 
qui  procède  de  lui  sans  division  ni  lésion  aucune,  figure  infiniment 
parfaite,  comme  ce  qu'elle  représente,  car  elle  n'est  avec  lui  qu'une 
seule  et  même  chose,  une  seule  et  même  substance,  un  seul  et  même 
Dieu.  Si  le  fils  d'un  homme  est  véritablement  son  image,  comment 
le  Fils  de  Dieu  ne  le  serait-il  pas,  lui  qui  non  seulement  est  en- 
gendré par  son  Père  dans  l'unité  d'espèce,  mais  qui,  de  plus, 
n'est  avec  lui  qu'une  substance  unique  et  indivisible? 

3°  S.  Paul  dit  ensuite  que  le  Fils  de  Dieu  soutient  toutes  choses 
par  la  puissance  de  sa  parole.  Il  ne  se  peut  pas  concevoir  de  di- 
gnit(''  plus  élevée  que  celle  de  Fils  de  Dieu.  Mais  que  penser  d'une 
dignité  à  laquelle  ne  serait  pas  jointe  la  puissance?  Assurément, 
un  caractère  des  plus  importants  lui  manquerait  :  or,  rien  ne  peut 
manquer  au  Fils  de  Dieu,  s'il  est  son  véritable  Fils.  Aussi  l'Apô- 
tre nous  le  montre-t-il,  soutenant  à  lui  seul,  par  la  puissance  uni- 
que de  sa  parole,  toute  rimmense  machine  de  cet  univers  :  Por- 
fansque  omnia  verbo  virtutis  suœ. 

Aucune  créature  ne  peut  ni  subsister  ni  agir  par  elle-même, 

\.  Coloss.,  I,  lij. 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET   LE    MYSTERE   DE    LA    TRINITÉ.  207 

parce  qu'elle  n'existe  point  par  sa  propre  vertu.  Elle  a  donc 
besoin  de  quelqu'un  qui  la  soutienne,  qui  la  porte  :  qui  le  fera, 
sinon  Celui  dont  la  puissance  fut  assez  grande  pour  tirer  du 
néant  tout  ce  qui  existe?  Ce  sera  donc  lui  qui  conservera  les 
substances  avec  leurs  accidents;  ce  sera  lui  qui  leur  donnera  la 
vertu  d'agir.  Et  par  qui,  ou  par  quoi,  le  fera-t-il?  Par  le  Verbe  de 
sa  puissance  :  Verbo  virtutis  suœ.  L'Apôtre  avait  dit  plus  haut, 
en  parlant  de  la  création,  que  Dieu  avait  fait  toutes  choses  par 
son  Fils  ',  et  il  dit  ici  que  c'est  le  Fils  qui  conserve  tout  par  sa 
puissance.  S'il  ne  s'agissait  pas  de  Dieu,  on  croirait  que  la  puis- 
sance du  Fils  est  autre  que  celle  du  Père,  que  c'est  par  la  puis- 
sance du  Père  qu'il  a  créé  toutes  choses  et  par  la  sienne  propre 
qu'il  les  conserve.  Mais  en  Dieu  il  n'y  a  qu'une  seule  et  unique 
puissance.  La  puissance  du  Fils  est  la  même  que  celle  du  Père  ; 
seulement  il  la  tient  de  lui  en  vertu  de  sa  filiation  divine.  Et  de 
même  qu'il  a  suffi  au  Père  de  prononcer  un  mot  pour  que  toutes 
choses  fussent  créées  :  Ipse  dixit  et  facta  sunt,  c'est  aussi  par 
un  mot  que  le  Fils  soutient  et  conserve  tout  ce  qui  existe  :  Por- 
tansque  omnia  verbo  virtutis  suœ.  Évidemment  une  telle  puis- 
sance qui  est  celle  de  Dieu  lui-même  ne  peut  pas  convenir  à  un 
fils  adoptif,  mais  à  celui-là  seul  qui  est  le  Fils  unique  du  Père 
et  n'est  avec  lui  qu'un  même  Dieu.  S'il  n'était  pas  son  véritable 
Fils,  toutes  choses  n'auraient  pas  été  faites  au  moyen  de  lui, 
comme  elles  l'ont  été  par  son  Père,  et  tout  ce  qui  existe  ne  serait 
pas  et  n'agirait  pas  en  vertu  de  sa  parole. 

4°  Mais  il  est  un  autre  caractère  du  Fils  de  Dieu  qui  ne  prouve 
pas  moins  qu'il  a  droit  à  ce  nom  en  vertu  même  de  sa  nature. 
S.  Paul  ajoute  qu'il  remet  les  péchés  :  Purgationem  peccatorum 
faciens. 

Remettre  les  péchés  est  un  acte  qui  requiert  essentiellement 
que  celui  qui  l'accomplit  soit  Dieu.  Les  Juifs  ne  s'y  trompaient  pas, 
lorsque,  ne  voulant  pas  croire  à  la  divinité  du  Sauveur,  ils  se 
scandalisaient  du  pardon  qu'il  accordait  à  la  Madeleine,  et  disaient 
entre  eux  :  «  Qui  donc  est  celui-ci  qui  remet  même  les  péchés  2?  » 
Le  Verbe  divin  peut  remettre  les  péchés  uniquement  parce 
qu'il  est  Dieu,  et  il  lui  convient  de  les  remettre  parce  qu'il  est  le 
Fils  de  Dieu. 

1.  Per  quem  fecit  et  saecula.  {I/e/jr.,  i,  2.) 

2.  Quis  est  liic  qui  etiam  peccala  dimiltil  ?  [Ltic,  vu,  40.) 


208         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  ClIAP.   V. 

Le  péché  est  en  effet  le  mal  de  la  créature  raisonnable,  et  ce 
mal  consiste  dans  la  dépravation  de  la  volonté  sur  laquelle  Dieu 
seul  peut  directement  agir.  Il  dit,  par  la  bouche  du  prophète 
Jérémie  :  «  Le  cœur  de  tous  les  hommes  est  dépravé  et  inscru- 
€  table  :  qui  le  connaîtra?  C'est  moi,  le  Seigneur  qui  scrute  le 
«  cœur  et  qui  éprouve  les  reins  ^  »  La  raison  en  est  que  la  volonté 
est  faite  pour  jouir  de  Dieu  ;  telle  est  sa  fin  suprême  et  immédiate. 
Si  elle  s'en  détourne,  rien  ne  peut  l'y  ramener  que  Dieu  lui- 
même.  D'autre  part,  c'est  Dieu  que  le  péché  offense,  c'est  donc  à 
Dieu  seul  qu'il  est  possible  de  le  pardonner.  Le  Verbe  incarné 
pardonne  les  péchés  parce  qu'il  est  vrai  Dieu. 

Mais  il  y  a  des  raisons  pour  que  ce  soit  particulièrement  comme 
^'erbe  et  Fils  de  Dieu  qu'il  les  pardonne. 

Le  péché  est  une  transgression  de  la  loi  de  Dieu  ;  or  la  loi  de 
Dieu,  c'est  le  Verbe  divin  communiqué  aux  hommes.  C'est  le  Fils 
de  Dieu  qui  a  dicté  à  Moïse  la  loi  ancienne  et  qui  l'a  imposée  aux 
Israélites  par  le  ministère  des  anges  ;  c'est  lui  qui  a  parlé  par  la 
bouche  des  prophètes  et  qui  leur  a  communiqué  son  esprit  ;  c'est 
lui  enfin  qui  s'est  incarné  pour  instruire  directement  les  hommes 
par  sa  parole  et  par  ses  exemples.  Pécher  contre  Dieu,  c'est  donc 
particulièrement  pécher  contre  le  Fils,  et  rien  de  plus  conforme  à 
la  raison  que  le  pardon  des  péchés  lui  revienne  de  droit  :  mais  à 
la  condition  toutefois  qu'il  sera  véritablement  Dieu  et  égal  en  tout 
à  son  Père,  car  un  Dieu  seul  peut  accorder  un  tel  pardon. 

o**  S.  Paul  nous  dit  encore  que  le  Fils  de  Dieu  est  assis  à  la 
droite  du  Père  ;  c'est-à-dire  qu'il  est  son  égal. 

ôue  le  Fils  de  Dieu  soit  égal  au  Père,  nous  n'en  pouvons  douter, 
puisque  nous  savons  qu'il  n'est  avec  lui  qu'un  seul  et  même 
Dieu,  une  seule  et  même  substance  ;  mais  l'Apôtre  nous  montre 
cette  égalité  dans  ce  fait  que  le  Fils  est  assis  à  la  droite  du  Père. 
Cet  honneur  lui  est  dû,  selon  la  pensée  de  S.  Paul,  parce  qu'il 
est  la  splendeur  de  sa  gloire,  la  figure  de  sa  substance  ;  parce 
qu'il  conserve  et  soutient  toutes  choses,  et  qu'il  pardonne  les  pé- 
chés, c'est-à-dire  parce  qu'il  est  Dieu  et  Fils  de  Dieu. 

Ce  que  l'Apôtre  dit  du  Verbe,  quil  est  assis,  fait  connaître  sa 
dignité,  son  autorité  suprême.  Un  roi  s'assied  au  milieu  de  ses 
courtisans,  et  nul  n'oserait  le  faire  en  sa  présence,  s'il  n'y  était 

1.  Pravuin  est  cor  liominis  et  inscrutabile;  quis  cognoscet  illud?Ego  Do- 
minus  scruUms  cor  et  ]jrol>ans  renés,  {./erem.,  xvii,  9.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTÈRE   DE    LA    TRINITÉ.  209 

invité.  Le  prophète  Daniel  nous  montre  des  millions  et  des  mil- 
liards d'anges  entourant  le  trône  de  Dieu  et  prêts  à  le  servir  *  ; 
mais  aucun  d'eux  n'est  assis,  parce  qu'ils  sont  des  serviteurs. 
Lorsque  le  Fils  de  l'homme  viendra,  dans  sa  majesté,  et  tous  ses 
anges  avec  lui,  il  sera  assis  sur  le  trône  de  sa  majesté  2. 

Être  assis  est  aussi  la  marque  de  la  stabilité,  de  la  puissance, 
stabilité  et  puissance  qui  ne  manqueront  pas  au  Fils  de  Dieu,  car 
Daniel  dit  encore  du  Fils  de  l'homme  qui  s'avança  jusqu'au  trône  : 
«  Dieu  lui  donna  la  puissance,  et  l'honneur,  et  la  royauté  ;  et  tous 
«  les  peuples,  tribus  et  langues  le  servirent.  Sa  puissance  est  une 
«  puissance  éternelle,  et  son  royaume  ne  sera  pas  détruit  3.  »  C'est 
pourquoi  l'Apôtre  ajoute  :  «  Jésus-Christ  était  hier;  il  est  au- 
«  jourd'hui,  et  il  sera  le  même  dans  tous  les  siècles  des  siècles  '^  ;  » 
éternité  d'être,  de  puissance  et  d'autorité  qui  ne  peut  convenir 
qu'à  celui  qui  est  le  véritable  Fils,  le  Fils  unique  de  Dieu  en  vertu 
de  sa  nature  même. 

6°  Enfin  S.  Paul  nous  montre  le  Père  éternel  introduisant  son 
Fils  premier-né  dans  le  monde,  et  ordonnant  à  tous  ses  anges  de 
l'adorer. 

Le  Verbe  divin  est  incomparablement  plus  élevé  en  dignité  que 
tous  les  esprits  célestes.  Le  nom  qu'il  tient  de  son  Père  par  héritage 
suffit  pour  le  prouver  :  «  Il  a  été  fait  d'autant  plus  supérieur  aux 
«  anges  que  le  nom  qu'il  a  reçu  en  partage  est  bien  différent  du 
c  leur,  »  dit  l'Apôtre.  «  Car  auquel  des  anges  Dieu  a-t-il  jamais 
«  dit  :  Vous  êtes  mon  Fils;  je  vous  ai  engendré  aujourd'hui?  »  Il 
est  supérieur  aux  anges  par  son  origine,  parce  qu'il  est  Fils  de 
Dieu;  par  ses  richesses  et  sa  puissance,  parce  qu'il  est  l'héritier  de 
Dieu;  par  son  opération,  parce  que  toutes  choses  ont  été  et  seront 
faites  par  lui;  par  l'honneur  qu'il  a  reçu  du  Père,  parce  qu'il  est 
assis  à  sa  droite.  Mais  il  y  a  un  honneur  encore  plus  élevé  s'il  est 
possible,  que  le  Père  exige  qui  soit  rendu  à  son  Fils;  c'est  celui 
qui  n'appartient  qu'à  Dieu  seul,  l'adoration.  Et  ce  n'est  point  par 

1 .  Mi'.lia  millium  ministrabant  ei  et  decies  millies  centena  millia  assistebant 
ei  :judicium  sedit.  [Dan.,  vu,  10.) 

!2.  Cum  autem  venerit  Filius  hominis  in  majestate  sua,etomnes  angeli  cum 
eo,  tune  sedebit  super  sedem  majestatis  suae.  {Matth.,  xxv,  31.) 

3.  Et  dédit  ei  potestatem,  et  honorem,  et  regnum  ;  et  omnes  populi,  tribus  et 
linguœ  ei  servient.  Potestas  ejus  potestas  aeterna  qute  non  auferetur  ;  et  regnum 
ejus  quod  non  corrumpetur.  {Dan.,  vu,  1-4.) 

i.  Chrislus  Jésus  heri  et  liodie  et  ipse  in  stecula.  [Ilebr.,  xiii,  8.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  14 


210  LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  V. 

les  créatures  inférieures  seulement,  mais  par  les  plus  parfaites  de 
toutes  et  les  plus  élevées  en  dignité  que  le  Fils  de  Dieu  doit  être 
adoré  :  «  Et  lorsqu'il  introduisit  de  nouveau  son  premier-né  dans 
«  le  monde,  il  dit  :  Que  tous  les  anges  de  Dieu  l'adorent  :  »  Et 
adorent  eum  omnes  angeli  Dei.  Déjà  il  avait  dit  par  la  bouche  du 
Psalmiste  :  «  Le  Seigneur  a  établi  son  règne;  que  la  terre  exulte.... 
«  Adorez-le,  vous  tous  qui  êtes  ses  anges  i.  » 

Il  est  juste  que  les  anges  rendent  au  Fils  de  Dieu  cet  hom- 
mage, puisque  Dieu  l'ordonne  et  qu'ils  ne  sont  que  des  serviteurs. 
Mais  Dieu,  qui  ne  donne  pas  sa  gloire  à  un  autre,  ne  leur  ferait 
pas  un  tel  commandement,  si  celui  qu'ils  doivent  adorer  n'était 
pas  Dieu  comme  lui,  ou  plutôt  un  seul  et  unique  Dieu  avec  lui,  s'il 
n'était  pas  son  Fils  procédant  de  sa  propre  substance  sans  sépara- 
tion ni  division  aucune. 

LeVerbedeDieu,  présent  dans  l'Eucharistie,  est  donc  bien  vérita- 
blement le  Fils  du  Père,  et  S.  Paul  ajoute,  moins  pour  le  prouver  que 
pour  exalter  sa  grandeur  :  «  Mais  au  Fils  il  est  dit  :  Votre  trône, 
€  ô  Dieu,  est  dans  les  siècles  des  siècles;  un  sceptre  d'équité  est  le 
a  sceptre  de  votre  empire....  C'est  vous.  Seigneur,  qui,  au  commen- 
«  cernent,  avez  fondé  la  terre  :  et  les  cieux  sont  l'ouvrage  de  vos 
«  mains.  Ils  périront,  mais  vous,  vous  demeurerez,  et  tous  vieil- 
«  liront  comme  un  vêtement,  et  vous  les  changerez  comme  un 
«  manteau.  Mais  vous,  vous  êtes  toujours  le  même,  et  vos  années 
a  ne  finiront  point  2.  »  Qui  donc  n'apporterait  pas  à  le  servir  le 
zèle  le  plus  ardent,  le  dévouement  le  plus  entier  et  le  plus  inébran- 
lable? 

m. 

POURQUOI    LE    FILS    DE    DIEU    QUE   NOUS    ADORONS    DANS    l'eUCHARISTIE 
EST  AUSSI    APPELÉ   VERBE,    IMAGE    ET    SAGESSE   DU    PICRE 

La  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité,  qui  s'est  incarnée  pour 
nous,  et  qui  se  donne  à  nous  dans  la  très  sainte  et  très  adorable 

4.  Dominus  regnavit  ;  exultet  terra....  Adorate  eum  omnes  angeli  ejus. 
[Ps.  xcvi,  1,7.) 

2.  Ad  Filium  autem  :  Thronus  tuus,  Deus,  in  saeculum  sœculi  :  virga  eequi- 
totis,  virga  regni  lui  ...  Tu  in  principio.  Domine,  terram  fundasti  :  et  opéra 
manuum  tunrum  sunt  cœli.  Ipsi  peribunt,  tu  autem  permanebis  :  et  omnes 
ut  vcstimenlum  veterascent  :  et  velut  amictum  mutabis  eos,  et  mutabuntur. 
Tu  autem  idem  ipso  es,  et  anni  tui  non  déficient.  [Ilehr.,  i,  8-12.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  211 

Eucharistie,  ne  s'appelle  pas  seulement  Fils  de  Dieu,  le  nom  de 
Verbe  lui  est  donné  non  moins  souvent,  plus  souvent  même  que 
celui  de  Fils,  et  il  n'est  pas  moins  approprié  à  sa  nature.  Les  héré- 
tiques ont  attaqué,  dès  l'origine  du  christianisme  et  dans  les  siè- 
cles suivants,  la  personnalité  et  la  divinité  du  Fils  de  Dieu  ;  ils  ne 
l'ont  pas  poursuivi  avec  un  moindre  acharnement  sous  le  nom  de 
Verbe.  Les  uns,  rejetant  l'Évangile  de  S.  Jean  et  l'Apocalypse,  ont 
dit  que  le  Verbe  n'était  rien  et  que  ce  mot  ne  répondait  à  aucun 
être  réellement  subsistant.  Les  ariens  ont  prétendu  que  la  seconde 
personne  était  une  créature  et  que,  par  conséquent,  le  Verbe,  tel 
que  le  reconnaît  la  foi  catholique,  le  Verbe  personnel  et  Dieu 
n'existait  pas.  Les  valentiniens  admettaient  que  le  Verbe  procédait 
de  Dieu,  mais  disaient  qu'il  n'était  pas  éternel  et  n'avait  été  en- 
gendré par  le  Père  qu'au  commencement  du  temps,  pour  la  créa- 
tioti  de  tous  les  autres  êtres.  Il  s'est  trouvé  même  des  théologiens 
catholiques,  entre  autres  le  docteur  Durand,  qui  jouit  d'une  grande 
autorité  au  xiv*  siècle,  pour  dire  que  le  nom  de  Verbe  ne  convenait 
pas  exactement  à  la  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité,  à  cause 
de  son  mode  de  procession  du  Père.  II  y  eut  aussi  des  hérétiques, 
les  monarchiens,  qui  essayèrent  d'établir  une  distinction  entre  le 
Fils  de  Dieu  et  le  Verbe.  Ils  en  faisaient  deux  êtres  séparés  de  telle 
sorte  qu'il  n'y  aurait  plus  eu  seulement  trois,  mais  quatre  per- 
sonnes en  Dieu. 

Mais  la  Sainte  Écriture  dissipe  toutes  les  ténèbres  qu'ils  se  sont 
efforcés  d'amasser.  Sous  le  nom  de  Verbe  elle  n'entend  personne 
autre  que  le  Fils  de  Dieu,  et  elle  affirme  de  la  manière  la  plus 
explicite  que  ce  Verbe  qui  est  le  Fils  existait  avant  tout  commen- 
cement, que  de  toute  éternité  il  était  en  Dieu  et  qu'il  était  Dieu  : 
«  Au  commencement  était  le  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu  et 
«  le  Verbe  était  Dieu  S  »  dit  S.  Jean.  Or,  ce  Verbe  s'est  fait  chair  : 
Et  Verbum  caro  factum  est  ;  et  ce  Verbe  fait  chair  n'est  autre  que 
Jésus-Christ  proclamé  Fils  de  Dieu  à  chaque  page  du  saint  Évan- 
gile. S.  Jean  dit  encore  :  «  Ils  sont  trois  qui  rendent  témoignage 
«  dans  le  ciel  :  le  ï^ère,  le  Verbe  et  l'Esprit  saint.'»  Le  Fils  n'est 
pas  nommé  parce  qu'il  est  suffisamment  désigné  sous  le  nom  de 
Verbe,  nom  qui  lui  est  propre  à  ce  point  qu'il  ne  peut  appartenir 
à  nul  autre  qu'à  lui.  Sur  quelle  base  voudrait-on,  d'ailleurs,  établir 

1.  In  principio  erat  Verbum  et  Verbum  erat  apud  Deum  et  Deus  erat  ^'e^- 
bum.  (Joann.,  i,  1.) 


212         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  11^  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  V. 

une  distinction  entre  le  Verbe  et  le  Fils?  Il  n'y  a  pas  de  relation 
qui  serve  de  point  de  départ  à  cette  distinction,  et  l'un  ne  procède 
pas  de  l'autre.  C'est  donc  une  rêverie,  mais  une  rêverie  très  grave- 
ment coupable  parce  qu'elle  offense  la  foi,  de  chercher  une  dis- 
tinction entre  le  Verbe  de  Dieu  et  le  Fils;  de  dire  par  exemple  avec 
Eunomius,  que  le  Fils  apprend  toutes  choses  par  un  Verbe  qui 
n'est  pas  lui  ;  ou  que  le  Fils  est  éternel  et  que  le  Verbe  ne  l'est  pas; 
ou  bien  encore  que  le  Verbe  existait,  mais  que  le  Fils  n'existait  pas 
avant  l'incarnation  ;  ou  que  la  procession  du  Verbe  n'est  pas  une 
génération,  et  que,  par  conséquent,  il  n'est  pas  le  Fils  de  Dieu. 

Le  Fils  n'apprend  rien  du  Verbe  puisqu'il  est  le  Verbe  lui-même. 
Son  être  est  son  intelligence  et  sa  science;  c'est  donc  du  Père  dont 
il  procède  uniquement  qu'il  tient  l'une  et  l'autre,  en  même  temps 
que  son  être.  S'il  y  avait  un  Verbe  apprenant  tout  au  Fils,  ce  serait 
ce  Verbe  qui  serait  le  Fils. 

Le  Fils  est  éternel  et  ie  Verbe  ne  lui  est  pas  postérieur,  puisqu'il 
existait  lorsque  toutes  choses  ont  commencé,  par  conséquent,  avant 
tout  commencement,  selon  la  parole  de  S.  Jean  :  «  Au  commence- 
«  ment  était  le  Verbe.  »  S.  Jean  affirme  de  plus  qu'il  était  Dieu, 
c'est-à-dire  éternel  :  «  Et  le  Verbe  était  Dieu.  »  Il  n'y  a  donc  pas  de 
distinction  à  établir  sous  cet  autre  rapport  entre  le  Verbe  et  le  Fils. 

Le  Fils  à  son  tour  existe  de  toute  éternité.  L'Ancien  Testament 
lui  donne  ce  nom  de  Fils  avant  l'incarnation.  Le  Sage,  au  livre  des 
Proverbes,  demande  :  «  Quel  est  son  nom  et  quel  est  le  nom  de  son 
a  Fils,  si  vous  le  savez  *?  »  Et  David  prononce  ces  paroles  au  nom 
du  Père  Éternel  :  «  Vous  êtes  mon  Fils  ;  je  vous  ai  engendré  au- 
«  jourd'hui  -.  »  De  toute  éternité  Dieu  a  été  Père,  sinon  il  y  aurait 
eu  dans  la  nature  divine  un  changement  que  l'on  ne  peut  admet- 
tre; donc  de  toute  éternité,  le  Fils  a  été  Fils,  comme  le  Verbe  a 
été  Verbe,  et  c'est  la  même  personne  divine  que  S.  Jean  appelle 
indifféremment  le  Verbe  ou  le  Fils  unique  de  Dieu. 

Ajoutons  que  si  le  Verbe,  en  Dieu,  était  autre  que  le  Fils,  il  y 
aurait  quatre  personnes  réellement  distinctes  :  le  Père,  le  Verbe, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit;  il  y  aurait  cinq  relations  réelles  :  la  pa- 
ternité, la  filiation,  la  commune  spiration,  la  procession  et  la  rela- 
tion  réelle  du  Verbe  à  celui  qui  le  produit;  toutes  choses  incompa- 
tibles avec  le  mystère  d'un  Dieu  en  trois  personnes. 

i.  Quod  nomen  estejus  et  quod  nomen  Filii  ejus,  si  nosti?  {Prov.,  xxx,  4.) 
2.  Filins  meus  es  tu  :  Ego  hodie  genui  te.  {Ps.  ii,  7.) 


JÉSDS   EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA   TRINITÉ.  213 

Le  mode  de  procession  en  vertu  duquel  le  Verbe  tire  son  origine 
du  Père  est  une  véritable  génération,  et  par  conséquent,  le  nom  de 
Fils  lui  appartient  de  droit,  parce  que  le  Verbe  est  vivant,  qu'il 
procède  du  Père  qui  est  aussi  vivant,  et  qu'il  a  la  même  nature  que 
le  Père  de  qui  il  procède  :  or,  telles  sont  les  trois  conditions 
requises  pour  la  paternité  et  la  filiation. 

Enfin,  quoique  la  raison  formelle  de  l'existence  du  Verbe  et  du 
Fils  de  Dieu  soit  la  même,  cependant  ces  mots  :  Fils  et  Verbe,  ne 
sont  pas  synonymes.  Ils  signifient  bien  une  même  et  unique  per- 
sonne divine,  mais  considérée  à  des  points  de  vue  différents.  Le 
mot  Fils  ofi"re  à  la  pensée  cette  adorable  personne,  en  tant  que  sa 
nature  est  la  même  que  celle  du  Père  dont  elle  procède.  Le  mot 
Verbe  nous  rappelle  l'immatérialité  de  cette  procession.  Ces  con- 
ceptions sont  donc  différentes,  et  l'on  peut  dire  que  les  noms  de 
Fils  et  de  Verbe,  donnés  à  la  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité, 
ne  sont  pas  synonymes, 

Origène  disait  que  le  Fils  de  Dieu  s'appelle  le  Verbe,  non  pas 
précisément  à  cause  du  mode  de  sa  génération,  mais  parce  que, 
dans  sa  prédication,  lorsqu'il  se  fut  lait  homme,  il  manifesta  les 
secrets  de  Dieu  ;  comme  S.  Jean-Baptiste  est  appelé  voix,  parce 
qu'il  manifestait  Jésus-Christ.  Origène  qui,  tant  de  fois  dans  ses 
écrits,  confessa  la  divinité  du  Verbe  divin,  ne  pouvait  pas  avoir 
l'intention  de  la  nier  en  avançant  cette  opinion  ;  mais  les  héré- 
tiques s'en  emparèrent.  Ils  prétendirent  que  le  Verbe  n'était  pas 
la  pensée  substantielle  de  Dieu,  procédant  éternellement  du  Père, 
mais*  seulement  la  voix  manifestant  extérieurement  la  pensée 
divine.  Le  Fils  de  Dieu  incarné  serait  appelé  Verbe,  non  pas  à 
cause  de  sa  nature,  mais  à  cause  de  sa  mission.  S.  Jean  ne  laisse 
aucun  prétexte  à  cette  explication.  Avant  que  le  Christ  se  fit  chair, 
avant  qu'il  fît  connaître  aux  hommes  la  volonté  divine,  S.  Jean  l'a 
appelé  le  Verbe,  et  l'a  montré  existant  comme  tel  dès  le  commen- 
cement :  In  principio  erat  Verbum.  Depuis  le  commencement  du 
monde,  une  foule  innombrable  d'envoyés  ou  de  messagers  de  la  vo- 
lonté divine  ont  apporté  aux  hommes  la  parole  de  Dieu  :  cependant 
aucun  des  anciens  prophètes  n'est  appelé  le  Verbe  dans  la  Sainte 
Écriture.  L'Esprit  saint  nous  a  bien  expliqué  la  volonté  divine  ; 
au  témoignage  de  Jésus-ChristJlui-même,  il  a  enseigné  aux  Apôtres 
toute  vérité  :  cependant  l'Esprit  saint  n'est  nulle  part  appelé  le 
Verbe.  Ce  n'est  donc  pas  parce  qu'il  nous  a  expliqué  la  volonté 


214         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.   V. 

divine  et  que  Dieu  a  parlé  par  sa  bouche,  que  le  Fils  de  Dieu  est 
appelé  le  Verbe,  mais  parce  qu'il  procède  éternellement  de  l'intel- 
ligence du  Père,  sans  corruption,  sans  passibilité.  Le  Père  éternel, 
se  comprenant  et  se  concevant,  conçoit  une  certaine  image  parfaite 
de  lui-même;  cette  image  ou  similitude  est  appelée  Verbe  de  la 
pensée  ou  de  l'intelligence  du  Père.  Et  ce  qui  est  appelé  le  Verbe 
reçoit  aussi  le  nom  de  Fils,  parce  que  c'est  une  personne  subsis- 
tant dans  la  nature  divine,  procédant,  par  son  origine,  comme  être 
vivant,  d'un  principe  vivant  auquel  il  est  uni  par  la  ressemblance 
et  la  communauté  de  nature. 

Le  nom  de  Verbe,  en  Dieu,  ne  signifie  donc  nullement  la  charge 
ou  la  fonction  d'un  envoyé  qui  nous  annoncerait  la  volonté  divine  : 
il  signifie  le  Fils  de  Dieu,  Jésus-Christ,  considéré  non  pas  comme 
homme  mais  comme  Dieu,  car  ce  Verbe  était  dès  le  commence- 
ment; il  était  en  Dieu  et  il  était  Dieu;  il  créait  toutes  choses;  il 
était  la  lumière  et  la  vie  de  tout  homme  venant  en  ce  monde. 
Même  improprement  et  au  figuré,  on  ne  peut  pas  lui  donner  le  nom 
de  Verbe  pour  cette  raison  qu'il  nous  a  manifesté  la  volonté  de 
Dieu,  car  à  ce  titre  il  a  un  autre  nom  :  la  Sainte  Écriture  l'ap- 
pelle Y  Ange  du  grand  conseil,  c'est-à-dire  le  messager  de  la  divi- 
nité. Mais  c'est  proprement  et  selon  la  stricte  signification  du  mot, 
que  le  Fils  de  Dieu  est  appelé  Verbe,  par  S.  Jean  et  par  les  autres 
écrivains  inspirés. 

Comment  serait-il  possible  de  n'entendre  pas  littéralement,  par 
exemple,  ces  paroles  du  Livre  de  la  Sagesse  :  «  Seigneur,  votre 
«  parole  toute-puissante  venant  du  ciel  est  descendue  du  haut  de 
«  votre  trône  royal  ^  ?  »  On  ne  peut  pas  entendre  icipar parole  la 
parole  vocale  qui  résonne  en  frappant  l'air,  car  cette  parole  n'est 
pas  toute-puissante,  mais  Dieu  seul  est  tout-puissant.  Il  est  dit  en- 
core plus  clairement  dans  S.  Jean  :  «  Ils  sont  trois  qui  rendent 
«  témoignage  dans  le  ciel  :  le  Père,  le  Verbe  et  le  Saint  Esprit  2.  » 
Citons  encore  ce  texte  d'Isaïe  :  «  L'herbe  s'est  desséchée,  la  fleur 
«  est  tombée,  mais  la  parole  du  Seigneur  demeure  éternelle- 
*  ment  ^.  »  Assurément,  le  prophète  ne  s'occupe  pas  ici  de  la  pa- 

\.  Omnipolcns  scrmo  tuus  de  cœlo  a  regalibus  sedibus....  prosilivit.  {Sap., 
XVIII,  \lj.) 

^2.  Très  sunt  qui  testimonium  dant  in  cœlo,  Pater,  Verbum  et  Spiritus 
sanctus.  (/.  Jonnn.,  v,  7.) 

3.  Exsiccatum  est  fœnum  et  cecidit  flos,  Verbum  autem  Domini  nostri  ma- 
net  in  aelernum.  (/s.,  XL,  8.) 


JÉSUS    EUCBARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  215 

rôle  vocale  qui  passe  à  l'instant  où  elle  est  prononcée,  et  qui  dure 
moins  que  l'herbe  des  champs;  mais  c'est  de  la  parole  personnelle, 
qui  est  le  Fils  de  Dieu,  dont  l'avènement  en  ce  monde  est  annoncé 
dans  le  chapitre  d'où  ce  texte  est  tiré. 

S.  Thomas  pose  cette  question  :  Le  nom  de  Verbe,  lorsqu'il 
s'agit  de  Dieu,  est-il  un  nom  personnel?  c'est-à-dire,  ce  nom  con- 
vient-il au  Fils  de  Dieu  considéré  dans  sa  personnalité  divine,  ou 
considéré  dans  sa  substance?  Et  il  répond  que  ce  nom  de  Verbe, 
parce  qu'il  indique  que  celui  qui  le  porte  procède  d'un  autre,  ne 
peut  être  pris,  lorqu'il  s'agit  de  Dieu,  comme  un  nom  convenante 
la  substance  divine,  mais  uniquement  à  l'une  des  trois  personnes 
de  la  Sainte  Trinité,  considérée  dans  sa  qualité  de  personne.  Ce 
n'est  pas  et  ce  ne  peut  pas  être  à  proprement  parler  de  la  substance 
divine  en  tant  que  substance  qu'il  est  écrit  :  «  Les  cieux  ont  été 
«  affermis  par  le  Verbe  du  Seigneur  ^  —  Son  nom  est  le  Verbe 
«  de  Dieu  ^  :  —  Au  commencement  était  le  Verbe  3  ;  »  la  distinction 
est  évidente,  dans  ces  textes  et  dans  plusieurs  autres  semblables, 
entre  Dieu  et  le  Verbe,  et  c'est  sur  eux  que  se  fonde  principalement 
la  doctrine  de  la  trinité  des  personnes  divines.  Ce  nom  est  donc 
le  nom  propre  de  l'une  de  ces  adorables  personnes,  et  ne  convient 
pas  à  toutes  trois,  mais  uniquement  à  la  seconde.  Il  en  serait  au- 
trement s'il  désignait  immédiatement  la  substance,  car  on  pour- 
rait alors  l'appliquer  tout  aussi  bien  au  Père  et  au  Saint-Esprit, 
dont  la  substance  n'est  pas  autre  que  celle  du  Fils. 

La  signification  du  mot  Verbe  est  multiple.  Si  nous  consultons 
les  grammairiens,  ils  nous  diront  que  le  verbe  est  la  partie  du  dis- 
cours énonçant  simplement  l'existence,  ou  l'existence  avec  relation 
à  l'action,  à  l'état,  ou  à  la  qualité  d'un  sujet.  Ce  verbe  extérieur 
manifesté  par  la  voix,  par  l'écriture  ou  par  quelque  autre  signe, 
n'est  que  l'expression  du  Verbe  intérieur,  de  la  pensée  ou  de 
l'image  qui  se  forme  et  existe  au  plus  intime  de  l'être  intelligent; 
mais  cette  pensée  elle-même,  ce  verbe  intérieur  premier-né  de  l'es- 
prit, ne  peut  se  manifester  extérieurement  qu'à  la  condition  de 
prendre,  dans  l'esprit  qui  le  produit,  une  forme  en  rapport  avec  le 
verbe  extérieur  qui  doit  le  manifester. 

Le  Verbe  de  Dieu,  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité,  n'est 

1.  Verbo  Domini  cœli  firmati  sunt.  (Ps.  xxxii,  C.) 

2.  Nomen  ejus  Verbum  Dei.  (Apoc,  xix,  13.) 

3.  In  principio  erat  Verbum.  [Joann.,  i,  1.) 


216  LA    SAINTE    EDCJIARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —   CHAP.   V. 

pas  une  parole  extérieure  quelconque  que  Dieu  ferait  entendre  aux 
iiommes  ou  aux  anges.  II  est  ce  fils  premier-né  de  la  substance 
infiniment  intelligente  qui  est  Dieu,  la  conception,  la  pensée  inté- 
rieure que  Dieu  forme  et  conserve  éternellement  en  lui-môme,  tout 
en  la  manifestant  extérieurement  lorsqu'il  lui  plaît  de  le  faire,  dans 
les  circonstances  et  par  les  moyens  qu'il  choisit  à  son  gré  *. 

Nous  pouvons  donc,  par  la  connaissance  que  l'expérience  nous 
donne  de  ce  qui  se  passe  dans  notre  propre  intelligence,  nous  faire 
une  idée  du  mystère  de  la  génération  du  Verbe,  qui  s'accomplit 
en  Dieu.  Mais  si  l'on  peut  trouver  quelques  traits  de  ressemblance 
entre  la  formation  du  Verbe  divin  et  celle  de  notre  verbe,  ce  n'est 
qu'en  éliminant  avec  le  plus  grand  soin  tout  ce  qui  ressentirait 
l'imperfection.  L'image  que  le  fini  donne  de  l'infini  est  à  peine  une 
ombre,  un  vestige  de  la  réalité,  et  la  distance  entre  les  deux  de- 
meurera toujours  incommensurable.  C'est  ainsi  que  le  Verbe  divin 
et  le  verbe  de  l'homme  procèdent  tous  deux  d'un  principe  spirituel 
et  intelligent;  mais  qui  peut  comparer  l'esprit  borné  de  l'homme 
et  son  intelligence  si  pleine  de  ténèbres  à  Dieu?  L'un  et  l'autre 
verbe  procède  naturellement  de  son  principe  et  demeure  en  lui; 
mais  tandis  que  le  Verbe  divin  est  engendré  du  Père  de  toute  éter- 
nité, tandis  qu'il  demeure  éternellement  en  lui,  et  qu'il  est  avec 
lui  une  seule  et  unique  substance,  le  verbe  humain  naît  et  se  déve- 
loppe avec  mille  difficultés,  sous  l'empire  des  circonstances  les 
plus  diverses  et  les  plus  accidentelles;  les  pensées  qui  le  compo- 

i.  Manifestius  et  communius  in  nobis  dicitur  Verbum  quod  voce  profertur  ; 
quod  quidera  ab  interiori  procedit  quantum  ad  duo  quae  in  verbo  exteriori 
inveniuntur,  scilicet  ipsa  vox,  et  significatio  vocis.  Vox  enim  signifîcat  intellec- 
lus  conceptum,  secundum  Philosophum.  Et  iterum  vox  ex  significatione,  vel 
imaginatione  procedit....  Vox  autem  quse  non  est  significativa,  verbum  dici 
non  potest.  Ex  boc  ergo  dicitur  Verbum  vox  exterior,  quia  significat  interio- 
rem  mentis  conceptum.  Sic  igitur  primo  et  principaliter  interior  mentis  con- 
ceptus  verbum  dicitur....  Dicitur  autem  proprie  Verbum  in  Deo,  secundum 
quod  Verbum  significat  conceptum  intellectus.  Unde  Augustinus  dicit  {de 
Trinit.,  lib.  XV,  cap.  x)  :  «  Quisquis  potest  intclligere  Verbum,  non  solum 
«  antequam  sonet,  verum  etiam  antequam  sonorum  ejus  imagines  cogitatione 
«  involvanlur,  jam  potest  videre  aliquam  Verbi  illius  similitudinem,  de  que 
«  dictum  est  :  In  principio  crat  Verbum.  »  Ipse  autem  conceptus  cordis  de 
ratione  sua  habet  quod  ab  alio  procédât,  scilicet  a  notitia  concipientis.  Unde 
Verbum  secundum  quod  proprie  dicitur  in  divinis,  significat  aliquid  ab  alio 
procedens,  quod  pertinet  ad  rationem  nominum  personalium  in  divinis  :  eo 
quod  personse  divinae  distinguuntur  secundum  originem,  ut  dictum  est.  Unde 
oporlet  quod  nomen  Verbi,  secundum  quod  proprie  in  divinis  accipitur,  non 
.sumatur  essentialitcr  .sed  personaliter.  (S.  Thom.,  I  p.,  q.  xxxi,  art.  1.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTÈRE   DE    LA   TRINITÉ.  217 

sent  peuvent  demeurer  présentes  à  l'intelligence,  mais  avec  quelle 
lacilité  elles  disparaissent,  et  comme  il  est  difficile  souvent  de  re- 
trouver celles  qui  ont  échappé  !  On  peut  dire  que  le  verbe  humain 
comparé  au  Verbe  de  Dieu  n'est  qu'une  lueur  tremblotante,  un  feu 
follet  en  présence  du  soleil. 

Le  Père  produit  le  Verbe  par  la  connaissance  très  parfaite,  com- 
préhensive  et  intuitive  de  sa  divinité.  Cette  connaissance  est  adé- 
quate à  son  objet,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  rien  dans  la  nature  divine 
du  Père  que  cette  connaissance  n'embrasse  et  ne  pénètre.  Le  Père 
connaît  sa  nature  aussi  complètement  qu'elle  est  susceptible  d'être 
connue;  il  la  connaît  donc  selon  son  mode  d'existence,  une  en 
trois  personnes,  autrement  sa  connaissance  ne  serait  pas  très  par- 
faite; il  ne  se  comprendrait  pas,  s'il  ne  voyait  pas  la  nature  divine 
en  trois  personnes,  et  s'il  ne  voyait  pas,  s'il  ne  connaissait  pas  et 
ne  comprenait  pas  ces  trois  personnes  qui  ne  sont  qu'une  seule 
substance,  une  seule  nature,  un  seul  Dieu. 

Le  Père,  par  la  connaissance  infiniment  parfaite  qu'il  a  de  lui- 
même,  produit  en  lui-même  son  image  qui  est  son  Fils,  et  il  con- 
naît aussi  cette  image.  Dans  cette  image  absolument  parfaite  se 
retrouve  nécessairement  tout  ce  qui  est  dans  le  Père  et  que  le  Père 
connaît,  par  conséquent  la  puissance,  ou  plutôt  l'acte,  en  vertu 
duquel  le  Saint-Esprit  procède  de  lui,  d'où  il  suit  que  le  Saint- 
Esprit  procède  du  Fils  en  même  temps  que  du  Père,  et  que  le  Fils 
procède  de  la  connaissance  que  le  Père  a  de  lui-même  et  aussi 
de  celle  qu'il  a  du  Saint-Esprit,  tous  actes  qui  sont  également 
éternels  et  simultanés  en  Dieu,  quoique  l'infirmité  de  notre  intel- 
ligence soit  obligée  d'y  introduire  un  certain  ordre  logique  ;  ou, 
pour  parler  avec  plus  d'exactitude,  tous  ces  actes  qui  diffèrent  à 
nos  yeux  ne  sont  qu'un  seul  et  même  acte. 

Suarez  ^  demande  si  l'on  peut  dire  que  le  Verbe  est  le  principe 
de  sa  propre  procession  et  que  le  Saint-Esprit  est  aussi  le  principe 
de  la  production  du  Verbe.  Ce  qui  pourrait  le  faire  penser,  c'est  que 
l'objet  connu  est  un  principe  de  la  connaissance  qui,  sans  lui,  ne 
saurait  exister.  Mais  il  n'en  est  rien.  Ni  le  Verbe  ni  le  Saint-Esprit 
ne  produisent  la  connaissance  que  le  Père  possède  de  sa  propre 
nature  et  de  tout  ce  qui  est  en  Dieu.  Ils  sont  l'objet  de  cette  con- 
naissance, mais  ils  n'en  sont  pas  les  auteurs;  ce  n'est  pas  du  Fils 

1.  Suarez,  part.  I,  lib.  VII,  cap.  v. 


218  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    V. 

ni  du  Saint-Esprit  que  le  Père  tient  cette  connaissance  et  la  pro- 
priété de  connaître,  mais  il  la  possède  par  lui-même  en  vertu  de 
sa  propre  nature.  Le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  le  terme  auquel 
la  connaissance  du  Père  s'arrête;  ils  n'en  sont  pas  le  principe  ni  la 
cause  :  ils  ne  sont  donc  pas  le  principe  de  la  génération  de  la 
seconde  personne.  Mais  cette  connaissance  que  le  Père  possède  du 
Fils  qu'il  engendre  et  du  Saint-Esprit  qui  procède  de  lui  en  même 
temps  que  du  Fils  est  comprise  dans  la  connaissance  infiniment 
parfaite  de  tout  ce  qui  est  Dieu,  que  possède  le  Père  et  d'où  le  Fils 
procède.  * 

Dieu  ne  connaît  pas  seulement  sa  propre  nature  et  les  admira- 
bles mystères  qui  s'accomplissent  au  sein  de  la  divinité.  Il  connaît 
aussi,  de  toute  éternité,  les  êtres  possibles  et  tous  ceux  qui  ont  existé, 
qui  existent  et  qui  existeront  dans  les  siècles  des  siècles.  Cette 
connaissance  contribue-t-elle  à  l'éternelle  génération  du  Verbe? 

Le  docteur  subtil,  Duns  Scot,  le  grand  théologien  de  l'ordre  de 
Saint-François,  a  enseigné  que  le  Verbe  divin  ne  procède  pas  de  la 
connaissance  qui  est  en  Dieu  des  créatures  soit  futures,  soit  sim- 
plement possibles.  La  raison  qu'il  en  donne  est  que  l'ordre  naturel 
exige  que  le  Père  produise  son  Fils,  avant  de  connaître  les  créa- 
tures même  possibles.  Ces  créatures,  en  effet,  ne  sont  que  l'objet 
secondaire  de  la  connaissance  du  Père  ;  elles  ne  doivent  donc  venir 
que  postérieurement  au  premier  objet,  à  l'objet  en  quelque  sorte 
unique,  tant  l'autre  est  peu  de  chose  auprès  de  lui,  l'essence  divine. 
Le  Fils  de  Dieu,  le  Verbe  qui  procède  du  Père  par  la  connaissance 
de  l'essence  divine,  ne  peut  donc  pas  venir  de  celle  des  créatures 
qui  lui  est  postérieure. 

Malgré  l'autorité  de  Scot  et  la  raison  qu'il  met  en  avant,  on  doit 
reconnaître  que  le  Verbe  procède  de  la  science  de  simple  intelli- 
gence qui  est  en  Dieu  de  toutes  les  créatures  possibles.  S.  Augus- 
tin, S.  Anselme,  S.  Thomas,  Cajetan  et  la  plupart  des  théologiens 
sont  de  cet  avis.  S.  Anselme  dit  bien  que  le  Verbe  n'est  pas  le  verbe 
des  créatures,  mais  il  parle  des  créatures  telles  qu'elles  sont  en 
elles-mêmes,  et  non  pas  de  ce  qu'elles  sont  éternellement  dans  la 
pensée  de  Dieu.  Le  Verbe  divin  procède  de  la  connaissance  abso- 
lument complète  et  compréhensive  de  l'essence  divine.  Or,  cette 
connaissance  ne  serait  pas  telle,  si  elle  ne  s'étendait  pas  à  tout 
ce  que  Dieu  peut  accomplir,  et  par  conséquent,  à  toutes  les  choses 
possibles. 


JÉSUS   EUCHARISTIQCE    ET   LE   MYSTÈRE   DE   LA    TRINITÉ.  219 

On  ne  peut  pas  en  dire  autant  de  la  connaissance  de  vision  des 
choses  existantes  ou  qui  doivent  exister  dans  un  temps  donné. 
L'existence  de  ces  choses  est  libre  et  contingente;  elles  sont  ou  elles 
seront,  parce  que  Dieu  l'a  voulu  librement,  et  il  pouvait  vouloir 
qu'elles  ne  fussent  pas;  il  les  connaît  ou  il  les  voit  comme  présentes 
ou  futures,  mais  il  eût  pu  tout  aussi  bien  ne  les  connaître  que 
comme  possibles,  et  par  science  de  simple  intelligence  :  c'est 
comme  telles  qu'il  les  a  connues  d'abord.  Le  décret  en  vertu  duquel 
elles  existent  est  postérieur  à  cette  connaissance  première  et  à  la 
génération  du  Verbe,  car  il  faut  connaître  avant  de  vouloir.  Contin- 
gente et  postérieure  à  la  génération  du  Verbe,  cette  connaissance 
des  choses  existantes  ou  futures,  considérées  comme  telles,  ne  peut 
être  pour  rien  dans  la  génération  du  Verbe  qui  la  précède  logi- 
quement, et  qui  n'a  rien  de  contingent,  puisqu'elle  est  dans  la  na- 
ture même  de  Dieu,  nécessaire  et  immuable.  Le  Verbe  divin  con- 
naît ces  choses,  comme  le  Père  et  le  Saint-Esprit  les  connaissent 
par  la  science  de  vision,  qui  lui  est  commune  avec  ces  deux  ado- 
rables personnes. 

Outre  les  noms  de  Fils  et  de  Verbe  qui  appartiennent  en  propre 
à  la  seconde  personne  de  la  Très  Sainte  Trinité  et  qui  ne  convien- 
nent qu'à  elle  seule,  les  noms  cVImage  et  de  Sagesse  du  Père  lui 
sont  aussi  donnés  en  de  nombreux  passages  de  la  Sainte  Écri- 
ture. S.  Paul  dit  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  qu'il  est  l'image  du 
Dieu  invisible  i.  En  effet,  il  est  son  image,  parce  qu'il  lui  ressem- 
ble de  la  manière  la  plus  parfaite  et  la  plus  absolue,  ressemblance 
qui  n'est  pas  le  produit  de  l'art,  comme  le  sont  la  plupart  des 
images,  mais  qui  procède  de  la  nature  même,  comme  toute  res- 
semblance d'un  fils  avec  son  père.  Le  Père  est  l'original  d'après 
lequel  le  Fils  existe  tel  qu'il  est;  il  est  en  même  temps  le  principe 
actif  qui  le  produit. 

Écoutons  Bossuet  : 

«  Le  Filsde  Dieu,  dit  l'Apôtre,  est  le  caractère  et  l'empreinte  de  la 
«  substance  de  son  Père  ~.  Lorsqu'un  sceau  est  appliqué  sur  la  cire, 
«  cette  cire,  sans  rien  détacher  du  sceau  qui  s'imprime  en  elle,  en 
«f  tire  la  ressemblance  tout  entière,  et  se  l'incorpore,  en  sorte  qu'on 
«  ne  peut  plus  l'en  séparer.  Regardez-la  bien;  aucun  trait  ne  lui  est 
«  échappé,  et  cependant  tout  est  demeuré  dans  le  sceau  sous  lequel 

i.  Qui  est  imago  Dei  invisibilis.  {Col.,  i,  15.) 

2.  Qui  cum  sit  figura  substantiae  ejus.  [Hebr.,  i,  3.) 


220  LA    SAINTE   EDCHARISTIE.  —   11°  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  V. 

«  elle  a  pris  sa  forme.  Ainsi  le  Fils  de  Dieu  a  tout  pris  du  Père 
«  sans  rien  lui  ôter  :  il  en  est  la  parfaite  image,  Vempreinte,  l'ex- 
«  pression  tout  entière,  non  de  sa  figure,  car  Dieu  n'en  a  point; 
«  mais,  comme  parle  S.  Paul,  de  sa  substance;  selon  la  force  de 
«  l'original,  on  pourrait  traduire,  de  sa  personne.  Il  en  porte  tous 
«  les  traits  :  c'est  pourquoi  il  dit  :  Qui  me  voit  voit  mon  Père  *  ; 
«  et  ailleurs  :  Comme  mon  Père  a  la  vie  en  soi,  ainsi  il  a  donné 
«  à  son  Fils  d'avoir  la  vie  en  soi  ^.  Comme  le  Père  ressuscite  les 
€  morts  et  leur  rend  la  vie,  aussi  le  Fils  donne  la  vie  à  qui  il 
«  lui  plaît  3.  Et  il  n'exprime  pas  seulement  son  Père  dans  les 
«  effets  de  sa  puissance  ;  il  en  exprime  tous  les  traits,  tous  les 
a  caractères  naturels  et  personnels,  en  sorte  que  si  on  pouvait 
«(  voir  le  Fils  sans  voir  le  Père,  on  le  verrait  tout  entier  dans  son 
«  Fils. 

«  Mais  qui  pourrait  expliquer  quels  sont  ces  traits  et  ces  carac- 
«  tères  du  Père  éternel  qui  reluisent  dans  son  Fils?  Gela  n'est  pas 
Π de  cette  vie,  et  tout  ce  qu'on  peut  en  dire,  c'est  que  n'y  ayant  rien 
«  en  Dieu  d'accidentel,  tous  ces  traits  du  Père  que  le  Fils  porte 
a  empreints  dans  sa  personne  sont  de  la  substance  ou  de  la  per- 
«  sonne  du  Père.  Il  est  cette  impression  substantielle  que  le  Père 
«  opère  de  tout  ce  qu'il  est;  et  c'est  en  opérant  cette  impression 
«  qu'il  engendre  son  Fils. 

«  Voici  dans  le  Sage  quelque  chose  de  plus  délicat  :  La  Sagesse, 
«  éternellement  conçue  dans  le  sein  de  Dieu,  est  un  miroir  sans 
«  tache  de  la  majesté,  et  r image  de  sa  bonté  ^.  C'est  quelque 
«  chose  de  trop  grossier  pour  le  Fils  de  Dieu,  que  l'impression 
«  d'un  cachet,  ou  que  l'expression  de  la  ressemblance,  dans  une 
«  image  qu'on  taille  avec  un  ciseau,  ou  qu'on  fait  avec  des  cou- 
«  leurs.  La  nature  a  quelque  chose  de  plus  délicat  :  et  voici,  dans 
«  de  claires  eaux  et  dans  un  miroir,  un  nouveau  secret  pour  peindre 
«  et  faire  une  image.  Il  n'y  a  qu'à  présenter  un  objet,  aussitôt  il 
«  se  peint  lui-même,  et  cet  admirable  tableau  ne  dégénère  par 
«  aucun  endroit  de  l'original  :  c'est  en  quelque  sorte  l'original  lui- 

4.  Qui  videt  me  videt  et  Patrem.  {Joonn.,  xiv,  9.) 

2.  Sicut  enim  Pater  habet  vitam  in  semetipso  :  sic  dédit  et  P'ilio  habere 
vilam  in  semetipso.  (Id.,  v,  '■26.) 

3.  Sicut  enim  Pater  suscitât  mortuos,  et  vivifient,  sic  et  Filius,  quos  vult, 
vivificat.  [Id.,  v,  21.) 

4.  Spéculum  sine  macula  Dei  majestatis  et  imago  bonitatis  iilius.  {Sap., 
VII,  2G.J 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET   LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  221 

«  même.  Cependant  rien  ne  dépérit,  ni  à  l'original,  ni  à  la  ^lace 
«  polie  où  il  s'est  imprimé  tout  entier.  Pour  achever  ce  portrait,  on 
«  n'a  pas  besoin  du  secours  du  temps,  ni  d'une  ébauche  impar- 
€  faite;  un  même  instant  le  commence  et  l'achève  et  le  dessein 
«  comme  le  fini* n'est  qu'un  seul  trait  •.  » 

Le  Fils  de  Dieu  est  l'image  du  Père  considéré  comme  personne, 
parce  que  tout  ce  qui  est  au  Père  est  au  Fils  et  que,  par  son  ori- 
gine, il  procède  du  Père.  Mais  la  paternité  ne  se  retrouve  pas  en  lui, 
parce  que  c'est  par  elle  qu'il  est  distingué  du  Père  comme  personne, 
et  que  cette  relation  ne  peut  pas  exister  à  la  fois  dans  l'un  et  dans 
l'autre  :  le  Père  et  le  Fils  ne  peuvent  être  tous  deux  père  et  tous 
deux  fils  l'un  de  l'autre. 

Il  n'est  pas  non  plus  l'image  du  Saint-Esprit,  dont  il  ne  procède 
pas.  Ces  deux  adorables  personnes  sont  semblables,  il  est  vrai  ; 
mais  la  ressemblance  n'est  pas  la  condition  unique  pour  qu'une 
chose  soit  l'image  de  l'autre.  Deux  fruits  cueillis  sur  le  même  arbre 
se  ressemblent  :  néanmoins  on  ne  peut  pas  dire  que  le  second 
cueilli  soit  l'image  du  premier  :  il  lui  ressemble,  il  a  été  produit 
par  le  même  arbre,  mais  il  n'en  est  pas  l'image.  Ainsi  en  est-il  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit  qui  l'un  et  l'autre  procèdent  du  Père. 

Il  n'est  pas  non  plus  l'image  de  la  divinité,  c'est-à-dire  de  l'es- 
sence ou  de  la  nature  divine,  car  il  est,  comme  Dieu,  cette  essence 
même  et  cette  nature,  aussi  bien  que  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  et 
l'on  ne  peut  pas  dire  qu'un  être  soit  sa  propre  image. 

Enfin,  il  n'est  pas  l'image  des  créatures,  parce  que  sa  substance 
ne  ressemble  en  rien  à  leur  substance,  et  qu'il  ne  procède  pas 
d'elles  ;  au  contraire,  ce  sont  elles  qui  procèdent  en  quelque  manière 
de  lui,  car  en  lui  se  trouve  l'idée  ou  le  prototype  de  toute  créature, 
à  cause  du  mode  selon  lequel  s'accomplit  son  éternelle  généra- 
tion. 

C'est  donc  uniquement  du  Père  que  le  Fils  de  Dieu  est  l'image,  et 
lorsqu'on  dit  de  lui  qu'il  est  l'image  de  Dieu,  c'est  l'image  de  la 
première  personne  de  la  très  sainte  et  très  adorable  Trinité  qu'il 
faut  entendre. 

Nous  aussi  nous  sommes  l'image  de  Dieu  ;  mais  combien  impar- 
faite est  cette  image,  si  nous  la  comparons  au  Verbe  divin  î  Le  fils 
d'un  roi  est  l'image  de  son  père  ;  la  moindre  pièce  de  monnaie  en 

\.  BossuET,  Elévations  sur  les  mystères,  Ile  semaine,  iv*  élév. 


222  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CUAP.   V. 

est  aussi  l'image  par  l'effigie  qu'elle  porte  :  nous  sommes  à  peine 
cette  humble  pièce  de  monnaie.  Aussi  l'Écriture  Sainte  ne  dit-elle 
pas  que  l'homme  est  l'image  de  Dieu;  elle  réserve  au  B'ils  seul  ce 
titre  dans  toute  sa  plénitude;  pour  l'homme,  elle  dit  seulement 
qu'il  a  été  fait  à  Vimage  de  Dieu,  afin  de  marquer  qu'il  y  a  quel- 
ques traits  de  ressemblance  en  lui  avec  ce  divin  modèle,  et  qu'il 
doit  travailler  sans  cesse  à  les  rendre  plus  parfaits  i.  Telle  est  la 
doctrine  de  S.  Thomas,  qui  l'avait  empruntée  aux  Pères  et  notam- 
ment à  S.  Ambroise  2  et  à  S.  Augustin  3. 

Fils  de  Dieu,  Verbe,  Image,  tels  sont  les  principaux  noms  que 
la  Sainte  Écriture  et,  après  elle,  l'Église  donne  à  la  seconde  per- 

1.  Dicendum  quod  imago  alicujus  dupliciter  in  aliquo  invenitur;  uno  modo, 
in  re  ejusdem  naturae  secundum  speciem;  ut  imago  régis  invenilur  in  filio 
suo  :  alio  modo,  in  re  allerius  naturaî;  sicut  imago  régis  invenitur  in  denario. 
Primo  autem  modo  Filius  est  imago  Patris  ;  secundo  autem  modo  dicitur  horao 
imago  Dei.  Et  ideo  ad  designandum  in  homine  imperfectionem  imaginis, 
homo  non  solum  dicitur  imago,  sed  et  ad  imaginem;  per  quod  motus  quidam 
tendentis  in  perfectionem  designatur.  Sed  de  Filio  Dei,  non  potest  dici  quod 
sit  ad  imaginem,  quia  est  perfecta  imago  Patris.  (S.  Tiiom.,  I  p.,  q.  xxxv, 
art.  2  ad  3.) 

2.  Solus  enim  Christus  estplena  imago  Dei,propterexpressam  in  se  palernae 
claritudinis  unitalem.  Justus  autem  homo  ad  imaginem  Dei  est,  si  propter 
imilandam  divinse  conversationis  similitudinem  mundum  hune  Dei  cognitione 
contemnat,  voluptatesque  terrenas  verbi  perceptione  despiciat  quo  alimur  in 
vitam  :  unde  et  corpus  Christi  edimus,  ut  vitse  seternae  possimus  esse  parti- 
cipes. (S.  Ambros.,  Ub.  X  in  Luc,  cap.  xxii.) 

3.  Non  eris  qualis  est  Deus,  sed  ad  quemdam  modum,  id  est  imitator  Dei 
velut  imago,  sed  non  qualis  imago  est  Fihus.  Nam  etiam  imagines  in  homini- 
bus  diversge  sunt.  Fihus  hominis  habet  imaginem  patris  sui,  et  hoc  est  quod 
pater  ejus,  quia  homo  est  sicut  pater  ejus.  In  speculo  autem  imago  tua  non 
hoc  est  quod  tu.  AHter  est  enim  imago  tua  in  filio,  aliter  in  speculo;  in  filio 
est  imago  tua  secundum  œqualitatem  substantiae  ;  in  speculo  autem  quantum 
longe  est  a  subsfantia,  et  tamen  est  quaedajn  imago  tua,  quamvis  non  talis 
qualis  in  filio  secundum  substantiam.  Sic  in  creatura  non  hoc  est  imago  quod 
est  in  Filio,  qui  hoc  est  quod  Pater,  id  est  Verbum  Dei  per  quod  facta  sunt 
omnia.  Sicut  enim  in  nummo  imago  imperatoris  aliter  est,  aliter  in  filio  :  nam 
imago  et  imago  est  :  sed  aliter  impressa  est  in  nummo,  aliter  in  Filio,  aliter 
in  solido  aureo  imago  imperatoris.  Sic  et  lu  nummus  Dei  es,  ex  hoc  melior, 
quia  cum  intellectu  et  cum  quadam  vita  nummus  Dei  es,  ut  scias  etiam  cujus 
imaginem  géras,  et  ad  cujus  imaginem  factus  sis.  (S.  August.,  serm.  IX,  de 
Decem  chordia.)  ....Dixi  :  Ncque  inscite  dùtinguitur,  quod  aliud  sit  imago  et 
simililndo  Dei,  aliud  ad  imaginem  et  similitudinem  Dei,  sicut  homincm  factum 
accipimus.  Quod  non  ita  intelligendum  est  quasi  homo  non  dicatur  imago  Dei, 
cum  dicat  Apostolus  :  Vir  quidem  non  débet  velare  capul,  cum  sit  imago  et 
glorin  Dei;  sed  dicitur  etiam  ad  imaginem  Dei,  quod  Unigenitus  non  dicitur, 
qui  tantummodo  imago  est,  non  ad  imaginem.  (Id.,  lib.  lietractationum  I, 
cap.  XXVI,  n.  VA.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA   TRINITÉ.  223 

sonne  de  l'adorable  Trinité.  Il  faut  y  ajouter  encore  ceux  de 
Splendeur,  Figure,  Éclat,  iMiroir  du  Père,  mais  surtout  celui  de 
Sagesse,  qui  lui  est  prodigué  dans  les  livres  sapientiaux.  Nous  ne 
citerons  que  ces  quelques  lignes  du  livre  des  Proverbes  :  «  Moi, 
«  Sagesse,  j'habite  dans  le  conseil  et  je  suis  présente  aux  savantes 
«  pensées....  Le  Seigneur  m'a  possédée  au  commencement  de  ses 
«  voies,  avant  qu'il  fît  quelque  chose  dès  le  principe.  Dès  l'éter- 
«  nité  j'ai  été  établie  ;  dès  les  temps  anciens,  avant  que  la  terre 
e  fût  faite.  Les  abîmes  n'étaient  pas  encore,  et  moi  déjà  j'avais  été 
4  conçue  :  les  sources  des  eaux  n'avaient  pas  encore  jailli  ;  les 
«  montagnes  à  la  pesante  masse  n'étaient  pas  encore  affermies, 
«  et  moi,  avant  les  collines,  j'étais  engendrée.  Il  n'avait  pas  en- 
«  core  fait  la  terre  et  les  fleuves,  et  les  pôles  du  globe  de  la  terre. 
«  Quand  il  préparait  les  cieux  j'étais  présente  ;  quand,  par  une 
«  loi  inviolable,  il  entourait  d'un  cercle  les  abîmes  ;  quand  il  af- 
«  fermissait  en  haut  la  voûte  éthérée,  et  qu'il  mettait  en  équilibre 
«  les  sources  des  eaux  ;  quand  il  mettait  autour  de  la  mer  ses  li- 
«  mites,  et  qu'il  imposait  une  loi  aux  eaux,  afin  qu'elles  n'al- 
€  lassent  point  au  delà  de  leurs  bornes  ;  quand  il  posait  les  fonde- 
<r  ments  de  la  terre,  j'étais  là  avec  lui,  disposant  toutes  choses  ;  et 
«  je  me  réjouissais  chaque  jour,  me  jouant  en  tout  temps  devant 
a  lui;  me  jouant  dans  le  globe  de  la  terre;  et  mes  délices  sont 
«  d'être  avec  les  fils  des  hommes  '.  «  S'il  n'y  avait  que  ce  passage 
on  pourrait  dire,  à  la  rigueur,  qu'il  n'y  a  là  qu'une  prosopopée  et 
que  l'écrivain  sacré  prête  la  parole  à  un  des  attributs  de  Dieu, 
comme  il  pourrait  le  faire  à  sa  justice  ou  à  sa  miséricorde,  sans 
que  la  Sagesse  qui,  selon  lui,  tient  ce  langage,  soit  autre  chose 
qu'un  attribut.  Mais  l'insistance  avec  laquelle  la  Sainte  Écriture 
présente  la  Sagesse  divine  en  une  foule  d'autres  endroits  comme 
une  personne  réelle  et  distincte,  parlant  et  agissant  par  elle-même, 
ne  permet  pas  de  voir  dans  ce  mode  de  langage  une  simple  figure 
de  rhétorique,  dont  il  faudrait  admettre  un  étrange  abus,  et  l'on 
est  obligé  de  reconnaître  dans  la  Sagesse  divine  parlant  et  agis- 
sant ainsi,  le  Verbe  de  Dieu,  le  Fils  du  Père,  par  qui  tout  a  été 
créé,  tout  est  conduit,  tout  subsiste. 

S.  Ambroise  ne  distingue  pas  la  Sagesse  de  Dieu  de  son  Verbe  : 
pour  lui  ce  n'est  qu'une  seule  et  même  personne.  «  La  Sagesse 

1.  Prov.,  viii,  12,  li  elsuiv.  Trad.  Glaire. 


224         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE,  —  LIVRE   II.  —   CIIAP.   V. 

«  affirme,  dit-il,  qu'elle  est  sortie  de  la  bouche  du  Très-Haut,  non 
0  pas  cependant  de  telle  sorte  qu'elle  soit  hors  du  Père,  mais 
«  qu'elle  demeure  dans  le  Père  :  parce  que  le  Verbe  était  en  Dieu^ 
«  non  seulement  chez  le  Père,  mais  dans  le  Père,  car  il  a  dit  \. 
«  Je  suis  dans  le  Père  et  le  Père  est  en  moi  ^  » 

S.  Augustin  ne  parle  pas  avec  moins  de  clarté  :  «  Dieu  lui- 
«  même  nous  enseigne  que  le  Fils  de  Dieu  n'est  rien  autre  que  la 
«  Sagesse  divine,  »  dit-il  dans  le  livre  qu'il  écrivit  sur  la  Vie  heu- 
reuse '.  Dans  le  livre  II,  sur  le  Libre  arbitre,  il  dit,  en  réponse  à 
une  objection  d'Évodius  :  «  Si  vous  vous  étonnez  que  nous  recevons 
«  comme  un  dogme  de  foi  de  la  religion  enseignée  par  le  Christ, 
«  que  Dieu  est  le  Père  de  la  Sagesse,  souvenez-vous  de  cet  autre 
«  enseignement  donné  aussi  par  cette  foi  que  la  Sagesse  qui  est 
«  née  du  Père  éternel  lui  est  égale  en  tout  ^.  «  On  le  voit  assez  par 
ces  quelques  mots,  S.  Ambroise  et  S.  Augustin  donnaient  couram- 
ment le  nom  de  Sagesse  du  Père  au  Fils  de  Dieu,  et  cette  déno- 
mination était  d'un  usage  ordinaire  dans  l'Église  ;  on  regardait 
alors  comme  une  vérité  de  foi  que  le  Verbe  divin  et  la  Sagesse  di- 
vine sont  une  seule  et  même  personne  avec  le  Fils  de  Dieu  ;  ainsi 
l'avaient  professé  les  chrétiens  des  premiers  âges,  ainsi  l'ensei- 
gnera la  sainte  Église  jusqu'à  la  fin  des  temps. 

Il  serait  aisé  mais  superflu  de  rapporter  une  foule  de  textes  ana- 
logues empruntés  à  la  tradition  chrétienne  de  toutes  les  époques, 
car  dans  tous  les  siècles,  les  Pères  et  les  docteurs  de  l'Église  ont 
parlé  le  même  langage. 

Le  Fils  de  Dieu  est  donc  la  Sagesse  du  Père,  la  Sagesse  incréée, 
avec  laquelle  et  par  laquelle  Dieu  a  fait  toutes  choses;  mais  comme 
on  ne  peut  pas  dire  que  le  Père  doit  au  Fils  son  intelligence,  sa. 
connaissance  de  soi-même  et  de  toutes  choses,  on  ne  peut  pas  dire 
non  plus  qu'il  tire  sa  sagesse  du  Fils,  ou  qu'il  n'y  ait  de  sagesse 
en  Dieu  que  celle  qui  prend   naissance  éternellement  dans  son 

d.  Denique  ita  Sapientia  ex  ore  Altissimi  prodiisse  se  dicit,  non  ut  extra  Pa- 
trem  sit,  sed  apud  Patrem  ;  quia  Verbum  eral  npud  Deum  :  nec  solum  apud 
Palrem,  sed  etiam  in  Patrc.  Dicit  enim  :  Ego  in  Paire,  et  Pater  in  me  est. 
(S.  Ambros.,  de  Spiritu  sancto,  lib.  1,  cap.  xi.) 

'2.  Accepimus  aucloritate  divina,  Dei  Filium  nihil  esse  aliud  quam  Dei  Sa- 
pienliarn.  (S.  Augdst.,  lib.  de  Beata  vita,  n.  34.) 

3.  Si  te  hoc  movet  quod  apud  sacrosanctam  disciplinam  Christi  in  fidem. 
recipimus,  esse  Patrem  sapientiae  :  mémento  nos  etiam  hoc  in  fidem  accepisse 
quod  leterno  Patri  sit  aequalis  quae  ab  ipso  genita  est  Sapientia.  (S.  AuGUST., 
lib.  II  de  Libero  arbilrio,  n.  39.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE   DE    LA    TRINITÉ.  ^25 

sein  :  «  Au  contraire  cette  sagesse  engendrée,  comme  l'appellent 
a.  les  Pères,  ne  naîtrait  pas  dans  le  sein  de  Dieu,  s'il  n'y  avait 
a  primitivement  dans  la  nature  divine  une  sagesse  infinie,  d'où 
«  vient  par  surabondance  la  sagesse  qui  est  le  Fils  de  Dieu;  car 
«  nous-mêmes  nous  ne  formons  dans  notre  esprit  nos  raisonne- 
«  ments  et  nos  pensées,  ou  ces  paroles  cachées  et  intérieures  par 
«  lesquelles  nous  nous  parlons  à  nous-mêmes,  de  nous-mêmes  et 
«  de  toutes  choses,  qu'à  cause  qu'il  y  a  en  nous  une  raison  primi- 
«  tive,  et  un  principe  d'intelligence,  d'où  naissent  continuellement 
«  et  inépuisablement  toutes  nos  pensées.  A  plus  forte  raison  faut- 
es il  croire  en  Dieu  une  intelligence  primitive  et  essentielle  qui, 
«  résidant  dans  le  Père  comme  dans  la  source,  fait  continuellement 
«  et  inépuisablement  naître  dans  son  sein  son  Verbe  qui  est  son 
«  Fils,  sa  pensée  éternellement  subsistante,  qui,  pour  la  même 
«  raison,  est  aussi  très  bien  appelée  son  intelligence  et  sa  sa- 
«  gesse  K  » 

Qu'elle  est  grande  cette  Sagesse  divine  !  qu'il  est  admirable  ce 
Verbe  de  Dieu  î  II  est  l'origine  de  toute  lumière  et  de  toute  intel- 
ligence, l'auteur  de  lout  entendement  et  de  toute  raison.  Sans  la 
lumière  qu'il  répand  en  dehors,  du  sein  de  son  Père,  il  n'y  aurait 
qu'ignorance  et  ténèbres.  Tous  les  arts,  toutes  les  sciences,  l'in- 
telligence même  des  anges,  ne  sont  qu'un  faible  rayon  emprunté 
à  ce  soleil  dont  la  splendeur  est  infinie.  Il  est  le  cachet,  le  sceau 
primordial  de  toutes  choses  ;  il  les  forme  toutes  intérieurement,  et 
dispose  tout  en  chacune  d'elles.  Il  pénètre  tout  et  ne  se  mêle  à  au- 
cune chose  ;  aucun  contact  ne  peut  ternir  l'éclat  de  sa  pureté,  au- 
cun abaissement  jusqu'aux  créatures  n'enlève  rien  à  son  immua- 
bilité  ni  à  sa  grandeur. 

Il  est  l'auteur  et  le  créateur  de  tout,  le  modèle,  la  mesure  et  la 
fin  de  tout,  même  des  êtres  qui  ne  sont  pas,  mais  qui  peuvent 
sortir  du  néant  par  sa  toute-puissance,  et  qui  existent  dans  sa 
pensée.  Devant  lui  toutes  les  choses  passées  ou  futures  sont  pré- 
sentes et  le  seront  éternellement.  En  lui  toutes  les  choses  ont  un 
être  sans  commencement  ni  fin,  et  souverainement  immuable; 
elles  sont  dans  l'essence  divine,  comme  dans  leur  fond  et  dans 
leur  fondement  primordial;  elles  sont  dans  la  puissance  de  Dieu 
comme  dans  la  cause  efficiente  qui  crée  tout  de  rien;  elles  sont 

\.  Bossi:et,  Avertissements  aux  protestants,  Vl"  avert.,  I  p.,  n.  31. 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  15 


226  LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*   PARTIE.   —  LIVRE   II.   —  CllAP.    V. 

dans  sa  Sagesse  ou  dans  son  Verbe  formellement  et  objectivement; 
en  lui  est  le  modèle,  l'idée  complète  de  tout  ce  que  Dieu  réalise  et 
peut  réaliser  par  sa  puissance  ;  mais  surtout  il  est  l'image  infini- 
ment parfaite  de  son  Père  ;  il  reproduit  en  lui  toutes  ses  gran- 
deurs, toutes  ses  perfections,  tous  ses  divins  attributs,  et  il  n'est 
avec  lui  qu'une  même  substance,  un  même  Dieu. 

«  A  vous  donc,  ô  plénitude  de  lumière,  plénitude  de  vérité,  Sa- 
a  gesse  infinie  de  Dieu,  à  vous  honneur  et  gloire  de  la  part  de 
«  toutes  les  créatures,  en  vous-même,  qui  êtes  la  connaissance 
«  claire  et  consommée  de  l'excellence  divine.  Il  est  vrai,  Dieu  tout- 
«  puissant,  que  vous  faites,  jusqu'à  un  certain  point,  éclater  votre 
«  excellence  dans  les  entendements  des  anges  et  des  saints  ;  et 
a  dans  cet  éclat,  il  faut  l'avouer,  votre  gloire  laisse  percer  quelque 
«  rayon  ;  mais  elle  resplendit  infiniment  plus  dans  votre  sagesse, 
«  comme  une  lumière  infinie  brille  infiniment  plus  qu'une  petite 
«  étincelle. 

«  Que  là  donc,  dans  son  inaccessible  hauteur,  votre  Sagesse 
«  vous  soit  une  louange  infinie,  ô  Dieu,  et  qu'elle  se  glorifie  ainsi 
*'  infiniment  elle-même  !  Que  toute  créature  se  réjouisse  avec  elle 
«  et  la  félicite,  la  loue,  la  bénisse  et  la  glorifie.  Sans  doute,  vous 
«  n'avez  pas  besoin  de  notre  gloire  et  de  nos  louanges;  une  étin- 
«  celle  n'ajoute  rien  à  une  clarté  infinie  :  mais  nous  y  trouvons 
((  notre  avantage  :  car  vous  connaître  et  vous  louer  est  noire  sou- 
«  verain  bien  et  la  vie  éternelle  i.  » 

IV. 

AUTRE    MYSTÈRE    DE    LA    VIE     INTIME    DE    DIEU,    QUI    s' ACCOMPLIT    DANS 
l'eucharistie    :    la    procession    du    SAINT-ESPRIT 

La  foi  nous  enseigne  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père. 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  l'a  dit  lui-môme  en  termes  expli- 
cites, en  promettant  à  ses  apôtres  de  leur  envoyer  ce  divin  Con- 
solateur '-2  :  «  Lorsque  sera  venu  le  Paracletque  je  vous  enverrai  du 
€  Père,  Y  Esprit  de  vérité  qui  procède  du  Père,  il  rendra  témoi- 
«  gnage  de  moi.  »  Mais  en  même  temps  que  cette  adorable  per- 

\.  Lessil's,  Élévations  à  Dieu,  ch.  vi,  traduct.  du  P.  Bouix. 

"2.  Cum  autexn  vcnerit  Paracletus,  quemego  mittam  vobis  a  Pâtre,  Spiritum 
veritatis  qui  a  Pâtre  procedit,  ille  testimonium  perhibebit  de  me.  {Joann., 
XV,  2f>.) 


JÉSUS   EOCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTÈRE   DE   LA    TRINITÉ.  227 

sonne  de  la  Sainte  Trinité  procède  du  Père,  elle  a  aussi  pour  principe 
le  Fils  que  nous  adorons  au  Très  Saint  Sacrement,  et  ces  deux  prin- 
cipes la  produisent  comme  n'en  étant  qu'un  seul.  Telle  fut  dans 
tous  les  temps  la  foi  de  l'Église  latine,  ainsi  que  le  témoignent  les 
définitions  de  nombreux  conciles;  mais  les  Grecs  se  séparèrent 
d'elle  sur  ce  point.  Théodoret  fut  le  premier  qui  enseigna  que  le 
Saint-Esprit  ne  procédait  pas  du  Fils,  et  les  Nestoriens  tombèrent, 
à  sa  suite,  dans  la  même  erreur,  qui  néanmoins  ne  se  dévoila  en- 
tièrement qu'au  temps  de  Théophylacte.  Ce  ne  fut  même  que  beau- 
coup plus  tard,  vers  l'an  loo2,  sous  le  pape  Léon  IX,  que  les  par- 
tisans de  cette  erreur  se  déclarèrent  en  révolte  ouverte  contre  l'en- 
seignement de  l'Église  sur  ce  point,  et  tombèrent  définitivement 
dans  l'hérésie  et  le  schisme. 

Si  nous  interrogeons  la  Sainte  Écriture,  nous  y  trouverons  des 
preuves  évidentes  de  cette  vérité  que  le  Saint-Esprit  procède  non 
seulement  du  Père,  mais  aussi  du  Fils.  On  ne  peut  pas  ne  pas  en- 
tendre dans  ce  sens  ces  paroles  de  Notre-Seigneur  :  «  Quand  cet 
«  Esprit  de  vérité  sera  venu,  il  vous  enseignera  toute  vérité....  Il 
«  me  glorifiera,  parce  qu  il  recevra  de  ce  qui  est  à  moi,  et  il  vous 
a  l'annoncera.  Tout  ce  qu'a  mon  Père  est  à  moi;  c'est  pourquoi  j'ai 
«  dit  qu'il  recevra  de  ce  qui  est  à  moi,  et  vous  Tannoncera  '.  » 

Il  avait  dit  plus  haut  :  «  Le  Paraclet,  qui  est  le  Saint-Esprit  et 
€  que  mon  Père  enverra  en  mon  nom,  vous  enseignera  toutes 
«  choses  -.  »  Le  Saint-Esprit  est  donc  envoyé  par  le  Fils  ;  il  rece- 
vra de  ce  qui  est  au  Fils  et  il  l'annoncera  ;  car  «  il  ne  parlera  pas 
»  de  lui-même  3,  »  est-il  dit  encore.  Gomment  serait-il  envoyé  par 
le  Fils,  comment  pourrait-il  en  recevoir  quelque  chose  et  en  parti- 
culier ce  qu'il  annoncera,  puisqu'il  est  Dieu,  égal  au  Père  et  au 
Fils,  si  ce  n'est  parla  procession  qui  le  fait  venir  du  Fils  aussi  bien 
que  du  Père?  Si  l'on  demande  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  parle  au 
futur,  lorsqu'il  dit  que  le  Saint-Esprit  recevra  de  ce  qui  est  à  lui, 
car  s'il  s'agit  de  sa  procession  elle  doit  être  éternelle,  il  suffit  d'ob- 
server que  le  Seigneur  s'exprime  ainsi,  non  pas  à  cause  de  ce  mys- 

1.  Cum  autem  venerit  ille  Spiritus  veritatis  docebitvos  omncm  veritatem.... 
Ille  me  clarificabit  :  quia  de  rrieo  accipiet,  et  aiuiuntiabit  vobis.  Oiniiia  quae- 
cunique  habet  Pater  mea  sunt.  Propterea  dixi  :  quia  de  meo  accipiet  et 
annuiiliabit  vobis.  (Joann.,  xvi,  13-15.) 

!2.  Paracletus  autem  Spiritus  sanctus,  qucm  mittet  Pater  in  iiomine  meo,  ille 
vos  docebit  omnia.  [Joann.,  xiv,  :2G.) 

3.  Non  enim  loquetur  a  semetipso.  [Joattn.,  xvi,  13.) 


228  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CIIAP.   V. 

tère  lui-même,  mais  parce  que  sa  manifestation  en  aura  lieu  dans- 
le  temps. 

Plusieurs  fois  la  troisième  personne  de  la  Sainte  Trinité  est  ap-, 
pelée  dans  l'Écriture  l'Esprit  de  Jésus,  TEsprit  du  Christ,  l'Esprit 
du  Fils  de  Dieu.  C'est  ainsi  que  nous  lisons  au  livre  des  Actes  des 
apôtres,  que  Paul  et  Timothée  traversant  la  Phrygie  et  le  pays  de 
Galatie.  «  il  leur  fut  défendu  par  l'Esprit  saint  d'annoncer  la  parole 
t  de  Dieu  dons  l'Asie;  »  le  texte  sacré  ajoute  :  «  Étant  venus  en 
•  Mysie,  ils  tentèrent  d'aller  en  Bithynie;  mais  V Esprit  de  Jésus 
a  ne  leleurpermit  pas  K  »  L'Esprit  saint  qui  conduit  les  messagers 
de  l'Évangile  est  donc  l'Esprit  de  Jésus.  La  môme  vérité  ressort  de 
cet  autre  texte  emprunté  à  l'Épître  aux  Romains  :  «  Pour  vous, 
«  vous  n'êtes  point  dans  la  chair,  mais  dans  l'esprit,  si  toutefois 
«  l'esprit  de  Dieu  habite  en  vous.  Or,  si  quelqu'un  n'a  point  Y  Esprit 
«  (hi  Christ,  celui-là  n'est  point  à  lui  2.  »  S.  Paul  dit  aussi  dans 
l'Épitre  aux  Galates  :  «  Parce  que  vous  êtes  ses  enfants  (d'adop- 
«  tion),  Dieu  a  envoyé  dans  vos  cœurs  l'Esprit  de  son  Fils,  criant  : 
«  Abba,  Pater  ^  !  » 

Ces  textes  de  la  Sainte  Écriture  sont  suffisamment  clairs  par 
eux-mêmes;  ils  n'ont  besoin  d'aucune  explication  pour  convaincre 
quiconque  ne  cherche  que  la  vérité.  Aussi  est-il  pleinement  dé- 
montré que  l'Église  grecque  elle-même  admettait,  comme  l'Église 
romaine,  le  dogme  de  la  procession  du  Saint-Esprit  du  Fils  aussi 
bien  que  du  Père.  Les  Pères  grecs  ne  professaient  pas  seulement 
indirectement  ce  dogme,  mais  ils  l'enseignaient  directement  et  sous 
diverses  formules.  S.  Athanase  disait  :  «  Tout  ce  que  l'Esprit  pos- 
«  sède,  il  le  tient  du  Verbe  ^;  »  et  nous  lisons  dans  le  Symbole  qui 
porte  son  nom  et  résume  sa  doctrine  :  «  Le  Saint-Esprit  est  du 
Père  et  du  Fils;  il  n'a  pas  été  fait  ni  créé,  ni  engendré,  mais  il 
procède  ''.  » 

I.  Traiiscuntes  autem  PhryKiani  et  Galatiic  regionem,  vetati  sunl  a  Spirilu 
sancto  loqui  verlnim  Dei  in  Asia.  Cum  vcnissenl  autem  in  Mysiam,  tentabant 
ire  in  Bilhyniam  :  et  non  permisit  0,0s  Spiritus  Jcsu.  [Acl.,  xvi,  0,  7.) 

•2.  Vos  autem  in  carne  non  estis,  sed  in  spiritu  :  si  tamen  Spiritus  Dei 
habitat  in  vobis.  Si  quis  autem  Spirilum  Christi  non  habct,  hic  non  est  ejus. 
{nom.,  VIII,  '.».) 

^.  Quoniam  autem  estis  Fiiii,  misit  Deus  Spirilum  Filii  sui  in  corda  vcstra 
clamantom  :  Abba,  Pater.  (Golat.,  iv,  0.) 

i.  Quaecunique  habet  Spiritus,  habet  a  Verbo.  (S.  Atiian.,  orat.  IV  contra 
Arian.,  n.  28.)  s 

fi.  Spiritus  sanctus  a  Pâtre  et  Filio,  non  factus  nec  crealus,  sed  procedens. 


JÉSUS   EUCHARISTIQDE    ET    LE   MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  229 

S.  Basile  ne  doutait  pas  que  le  Saint-Esprit  ne  procédât  du  Fils 
en  même  temps  que  du  Père,  car  en  réfutant  Eunomius,  qui  ensei- 
gnait que  le  Saint-Esprit  est  la  créature  du  Fils  et  qu'il  tire  de 
lui  seul  son  origine,  il  dit  :  «  Si  le  sentiment  de  cet  hérésiarque 
a  était  vrai,  il  s'ensuivrait  qu'il  faudrait  admettre  en  Dieu  deux 
«  principes,  l'un  du  Fils,  l'autre  du  Saint-Esprit,  ce  qui  est  abso- 
«  lument  faux,  puisque,  selon  les  Écritures,  le  Fils  ne  fait  rien 
«  sans  le  Père;  qu'il  n'y  a  rien  dans  le  Fils  qui  soit  étranger  au 
«  Père,  et  que  le  Saint-Esprit  est  appelé  tantôt  l'Esprit  du  Père, 
«  tantôt  l'Esprit  du  Fils.  »  Aussi,  dans  les  disputes  qui  se  sont 
élevées  dans  la  suite  touchant  la  procession  du  Saint-Esprit,  a-t-on 
souvent  allégué  le  témoignage  de  S.  Basile,  en  faveur  du  sentiment 
qui  attribue  au  Père  et  au  Fils  la  procession  du  Saint-Esprit.  Le 
pape  Adrien  cite  ce  Père  entre  beaucoup  d'autres,  pour  montrer 
que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  par  le  Fils.  Hugues  Étérien, 
dans  un  écrit  adressé  au  pape  Alexandre  III,  rapporte  un  passage 
de  S.  Basile  tiré  du  troisième  livre  contre  Eunomius,  qui  porte  que 
le  Saint-Esprit  tire  son  être  du  Fils  et  qu'il  en  dépend  comme  de 
sa  cause.  Nicétas,  archevêque  de  Thessalonique,  contemporain  de 
Hugues,  c'est-à-dire  du  xii^  siècle,  cite  encore  ce  passage,  comme 
nous  l'apprenons  du  cardinal  Bessarion.  On  a  reconnu  l'authenti- 
cité de  ce  passage  dans  le  concile  de  Florence,  et  les  Grecs,  frappés 
de  l'évidence  de  ce  témoignage,  embrassèrent  le  sentiment  de 
l'Église  romaine  sur  la  procession  du  Saint-Esprit  i. 

S.  Cyrille  de  Jérusalem  dit  dans  ses  Catéchèses  que  le  Saint- 
Esprit  a  la  gloire  de  la  divinité  avec  le  Père  et  le  Fils.  Il  tire  son 
origine  du  Fils  comme  le  Fils  tire  la  sienne  du  Père  -. 

S.  Cyrille  d'Alexandrie  parle  en  ces  termes  de  la  procession  du 
Saint-Esprit  :  «  Le  Saint-Esprit,  dont  la  nature  n'est  point  sujette 
<  au  changement,  est  du  Père  comme  du  Fils,  étant  une  efl'usion 
«  substantielle  de  l'un  et  de  l'autre  3.  Quoiqu'il  ait  son  hypostase 
a  propre  et  qu'il  soit  connu  par  lui-même  autant  qu'il  est  Esprit 
«  et  non  pas  Fils,  il  n'est  pas  néanmoins  étranger  au  Fils,  puis- 
«  qu'il  est,  comme  Jésus-Christ,  Esprit  de  vérité,  et  qu'il  vient  de 
«  lui  par  effusion,  comme  du  Père  ^  »  Par  effusion,  S.  Cyrille 

1.  Voir  Bibliot/iéf/iie  portative  des  Pères.  S.  Basile. 

±  Catech.  IV  et  XVI. 

3.  S.  Gyrill.  Alex.,  lib.  de  Adorât,  in  Spiritu  et  Vcrilale. 

4.  II).,  Epist.  ad  Nestor,  de  Excommttii.,  cap.  xxvi. 


230  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —   II'  PARTIE.   —  LIVRE  H.  —  CHAP.  V. 

entend  procession;  cela  se  voit  dans  son  exposition  du  S5'^mbole 
de  Nicée,  où  il  dit,  après  avoir  parlé  de  Jésus-Christ  :  «  Les  bien- 
«  heureux  Pères  font  aussi  mention  du  Saint-Esprit,  disant  qu'ils 
«  croient  en  lui  comme  au  Père  et  au  Fils;  car  il  leur  est  consubs- 
«  tanliel,  et  il  en  est  une  effusion,  c'est-à-dire  qu'il  en  procède  '.  » 
S.  Cyrille  enseigne  encore  ailleursque  le  Saint-Esprit  est  de  l'essence 
du  Père  et  du  Fils,  et  qu'il  procède  de  l'un  et  de  l'autre  -.  S.  Épi- 
phane  enseigne  que  le  Saint-Esprit  est  Dieu,  comme  le  Père  et  le 
Fils,  et  qu'il  procède  de  ces  deux  adorables  personnes  3, 

Didyme  prête  à  Notre -Seigneur  Jésus-Christ  ces  paroles  :  «  L'Es- 
«  prit  n'est  pas  de  lui-même,  mais  il  est  du  Père  et  de  moi  ^.  > 

On  remarque,  en  parcourant  les  écrits  des  Pères  grecs,  qu'au 
lieu  de  dire  comme  nous  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et 
du  Fils,  ils  disent  souvent  qu'il  procède  du  Père  par  le  Fils.  Mais 
au  Concile  de  Florence  il  fut  déclaré  unanimement  par  les  Latins 
et  par  les  Grecs  que  ces  deux  manières  d'exprimer  la  procession 
du  Saint-Esprit  avaient  au  fond  la  même  signification  et  pouvaient 
être  acceptées  ^. 

Les  Pères  de  l'Église  latine  n'ont  pas  été  moins  affirmatifs  que 

1.  s.  CvRiLL.  Alex.,  in  Sanct.  Symbol. 

2.  II).,  in  libr.  Themur. 

La  croyance  de  rp]glise  s'exprima  clairement  aussi  dans  les  négociations  qui 
résultèrent  de  la  controverse  élevée  entre  Jean  d'Antioche  et  S.  Cyrille 
d'Alexandrie.  S.  Cyrille  opposa  douze  analhèmes  ou  chapitres  aux  erreurs  de 
Nestorius  et,  dans  le  neuvième,  il  formula  le  dogme  de  la  procession  du  Saint- 
Esprit  du  Père  et  du  Fils.  Jean  d'Antioche  s'éleva  contre  ces  douze  anathèmes; 
Théodore  de  Mopsueste,  Théodoret  et  Ibas  écrivirent  dans  le  même  sens,  mais 
leurs  écrits  furent  condamnés  dans  le  second  concile  universel  de  Constanti- 
nople  (îi.'iîi),  ou  le  cinquième  universel,  et  frappés  d'analhème,  tandis  que  les 
douze  chapitres  de  S.  Cyrille  avaient  été  adoptés  et  ratifiés  par  le  troisième  con- 
cile universel  d'Kphôse  (/t31).  Conformément  à  ces  précédents,  la  profession  de 
foique  Tarasius,  patriarche  de  Constantinople,  avait  lue  dans  le  second  concile 
universel  de  Nicée  (787),  septième  universel,  renfermait  la  doctrine  du  Saint- 
Esprit  qui  procède  du  Père  par  le  Fils.  (I)icl.  cnnjclop.  de  la  Ihèol.  cathoL, 
lrad.de  l'allemand  par  Gosciiler,  art.  Èglùe  grecque.) 

3.  Et  Dei  Spiritus  a  Christo,  utpote  qui  ab  utroque  procedit,  id  quod  ipse 
Christus  lestatur  :  Qui  a  Paire  procedit^  inquit,  et  hic  de  meo  accipiet. 
(S.  Epiph.,  in  Anchoralo,  n.  67.) 

4.  Quia  non  ex  se  est,  sed  ex  Pâtre  et  me  est.  (Didvm.,  lib.  de  Spiritu 
tancto,  n.  34.) 

'•').  Quod  id  quod  sancti  Patres  et  Doctores  dicunt,  ex  Pâtre  per  F'ilium  pro- 
cedere  Spiritiim  sanctum,  ad  banc  intelligentiam  lendit,  ut  per  hoc  significe- 
tur  Hlium  qnoque  esse  secundum  Grœcos  quidem  causam,  secundum  Latinos 
vero  principium  subsistentise  Spiritus  sancti  sicut  et  Patrem.  (Concil.  Florent. 
Ad.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  231 

ceux  de  l'Église  grecque  sur  la  procession  du  Saint-Esprit  des 
deux  premières  personnes  de  la  Sainte  Trinité,  et  par  conséquent 
du  Fils.  Leur  enseignement  est  même  ordinairement  plus  clair, 
et  laisse  moins  de  prise  aux  interprétations  fausses  de  l'hérésie. 
Nous  ne  citerons  que  quelques  courts  passages  de  leurs  écrits. 

S.  Hilaire  reproche  aux  ariens  de  mettre  le  Fils  de  Dieu  au  rang 
des  créatures,  et  il  ajoute  :  Il  n'est  pas  surprenant  qu'ils  parlent  si 
diversement  du  Saint-Esprit,  puisqu'ils  pensent  si  mal  de  celui  de 
qui  il  tire  son  origine  et  de  qui  nous  le  recevons,  c'est-à-dire  du 
Fils  *.  iMais  c'est  dans  le  VHP  livre  sur  la  Trinité  qu'il  faut  voir 
avec  quelle  énergie  cet  invincible  athlète  de  la  foi  expose  la  vérité 
catholique,  et  oblige  les  Ariens  à  reconnaître  que  le  Saint-Esprit 
procède  non  seulement  du  Père  mais  en  même  temps  du  Fils  -. 

\.  Jam  vero  quid  mirum,  ut  de  Spirifu  Sancto  diversa  sentiant  qui  in  largi- 
toreejus  creandoet  demutando,  et  abolendo  tam  temerarii  sint  auctores?Atque 
ita  dissolvant  perfecti  hujus  sacramenti  veritatem,  dum  substantias  diversita- 
tum  in  rebus  tam  communibus  moliuntur  :  Patrem  negando,  dum  P'ilio  quod 
est  Filius  adimunt  ;  Spiritum  sanctum  negando,  dum  et  usum  et  auctorem 
ejus  ignorant.  (S.  Hilar.,  lib.  II  de  Tritiitat.,  n.  4-.) 

2 Omnia  quxcumque  habet  Patev,  mea  sunt  :  propterea  dixi,  de  meoacci- 

piet,  et  anmmtiabit  vobis.  A  lilio  igitur  accipit,  qui  et  ab  eo  mittitur,  et  a 
Pâtre  procedit.  Et  interrogo,  utrum  id  ipsum  sit  a  Filio  accipere,  quod  a  Pâtre 
procedere.  Quod  si  differre  creditur  inter  accipere  a  Filio,  et  a  Pâtre  proce- 
dere;certe  id  ipsum  atque  unum  esse  existimabitur,  a  Filio  accipere  quod 
sit  accipere  a  Pâtre.  Ipse  enim  Dominus  ait  :  Quoniam  de  meo  accipiet,  et 
annuntiabil  vobis.  Omnia  qusecumque  habet  Pater,  mea  sunt,  propterea  dixi  : 
de  meo  accipiet  et  annuntiabit  vobis.  Hoc  quod  accipiet  (sive  potestas  est,  sive 
virtus,  sive  doctrina  est),  Filius  a  se  accipiendum  esse  dixit;  et  rursum  hoc 
Ipsum  significat  accipiendum  esse  a  Pâtre.  Cum  enim  ait,  omnia  quaecumque 
habet  Pater  sua  esse,  et  idcirco  dixisse  se  de  suo  accipiendum  esse  :  docet 
etiam  a  Pâtre  accipienda,  a  se  tamen  accipi;  quia  omnia  qufe  Patris  .sunt  sua 
sint.  .\on  habet  hfec  unitas  diversilalem  :  nec  differt  a  quo  acceptum  sit, 
quod  datum  a  Pâtre,  datum  referatur  a  Filio.  Numquid  et  hic  voluntatis  uni- 
tas  aflertur?  Omnia  quae  habet  Pater,  Filii  .sunt:  et  omnia  quae  Filii  sunt, 
Patris  sunt.  Ipse  enim  ait  :  Et  mea  omnia  tua  sunt,  et  tua  mea.  Nondum  loci 
est,  ut  demonstrem,  cur  ita  dixerit,  Quoniam  de  meo  accipiet  :  futuri  enim 
temporis  significatio  est,  ubi  accepturus  ostenditur.  Nunc  certe  ideo  a  se 
accepturum  ait  quia  omnia  Patris  sua  essenl.  Disseca  naturae  hujus,  si  potes 
unitatem;  et  aliquam  dissimilitudinis  infer  necessitatem,  perquam  Filius  non 
sit  in  unitato  naturie.  A  Pâtre  enim  procedit  Spirilus  veritatis  :  sed  a  Filio  a 
Pâtre  mittitur.  Omnia  quce  Patris  sunt  Filii  sunt  :  et  idcirco  quidquid  acci- 
piet, a  Filio  accipiet  ille  mitlendus,  quia  Filii  siinl  universa  f|Uie  Patris  sunt. 
Natura  itaque  in  omnibus  tenet  legem  suam,  et  «luod  unum  ambo  sunt,  ejus- 
dem  in  utroque  pei-  generalionem  nativitatenH|ue  divinitalis  significatio  es 
cum  id  quod  accipiet  a  Paire  Spiritus  veritatis,  id  Filius  dandum  a  se  fatea- 
tur.  (S.  Hn.AH.,  lib.  Vlll  de  Trinitate,  n.  î20.} 


232         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  CIIAP.   V. 

S,  Ambroise  déclare  nettement  que  le  Saint-Esprit  procède  du 
Père  et  du  Fils.  En  nommant  le  Saint-Esprit,  dit-il,  vous  nom- 
mez et  Dieu  le  Père  dont  le  Saint-Esprit  procède,  et  le  Fils  dont 
il  est  pareillement  l'Esprit  ^.  Ailleurs  il  dit  que  le  Fils  procède  du 
Père,  et  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils  -', 

Il  est  à  peine  utile  de  dire  que  les  passages  des  écrits  de  S.  Au- 
gustin, dans  lesquels  il  est  dit  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et 
du  Fils,  sont  très  nombreux.  S.  Augustin  eut  à  combattre  une  foule 
d'hérétiques,  qui  s'attaquaient  aux  dogmes  les  plus  sacrés  de  notre 
sainte  religion,  et  par  conséquent  à  tout  ce  qui  regarde  les  trois 
adorables  personnes  de  la  Très  Sainte  Trinité.  Quelques  lignes  du 
grand  docteur  sufliront  pour  montrer  quelle  était  sa  doctrine  sur 
la  procession  du  Saint-Esprit.  Nous  lisons  dans  le  XCIX^  traité  sur 
l'Évangile  de  S.  .lean  :  «  Quelqu'un  nous  demandera  peut-être  : 
«  est-il  vrai  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Fils?  Le  Fils  est  uni- 
«  quement  le  Fils  du  Père,  et  le  Père  est  uniquement  le  Père  du 
«  Fils  :  mais  le  Saint-Esprit  n'est  pas  l'esprit  de  l'un  des  deux  ;  il 
«  est  l'esprit  de  l'un  et  de  l'autre.  »  Et  S.  Augustin  le  prouve  en 
citant  les  textes  de  l'Écriture  dans  lesquels  le  Saint-Esprit  est  ap- 
pelé tantôt  l'Esprit  du  Père  et  tantôt  l'Esprit  du  Fils.  Il  conclut  : 
«  Pourquoi  ne  croirions-nous  pas  que  le  Saint-Esprit  procède  aussi 
«  du  Fils  comme  il  procède  du  Père,  puisqu'il  est  l'esprit  du  Fils? 
«  Si  le  Saint-Esprit  ne  procédait  pas  de  lui,  lorsqu'il  se  montra  à 
«  ses  dis<ij)les  après  sa  résurrection,  il  n'aurait  pas  soufflé  sur 
«  eux  en  disant  :  Recevez  le  Sainl-Esprit.  Car  que  pouvait  signi- 
V  fier  ce  souffle,  sinon  que  le  Saint-Esprit  procédait  de  lui?  »  Plus 
loin,  il  se  fait  cette  objection  :  «  Si  le  Saint-Esprit  procède  du 
«  Père  et  du  Fils,  pourquoi  le  Fils  dit-il  :  Il  procède  du  Père?  — 
«  Pourquoi?  répond-il,  sinon  pour  rapporter,  comme  il  le  fait  or- 
«  dinairement,  ce  qui  est  de  lui  à  celui  dont  il  procède  lui-même? 
«  C'est  ainsi  qu'il  dit  :  Ma  doctrine  nest  pas  ma  doctrine,  mais 

y.  SiChristum  dicas,  et.  Deum  Patrem  <t  quo  uncUis  est  Filius,  et  Ipsum 
qui  unctus  est  Filium,  et  Spiritum  sancUuii  quo  unctus  est,  designasti.  Scrip- 
tum  est  enim  :  llunr  Jpsttm  a  Nazari^th,  //ucm  unxit  Dans  Spiritu  sanclo.  Et 
si  Patrem  dicas,  et  Filium  ejus  et  Spiritum  oris  ejuspariter  indicasti  ;  si  tamen 
id  etiam  corde  comprelicndas.  Kt  si  Spiritum  dicas,  et  Deum  Patrem  a  quo 
procedit  Spiritus  :  et  Filium  quia  Filii  quoque  est  Spirilus,  nuncupasti. 
(S.  Ambros.,  lib.  I  de  S/nritu  sanclo,  çap.  m,  n.  'M.) 

2.  Et  Filius  a  Pâtre  procedit,  et  Spirilus  ah  ipso  procedit.  De  unitate  ergo 
Divinilatis  ainbiguum  nihil.  (In.,  Enarral.  inPs.  Lxi,  U.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET   LE    MYSTERE    DE    LA   TRINITÉ.  233 

0  celle  de  celui  qui  ma  envoyé.  S'il  faut  entendre  ici  que  la  doc- 
c  trine  qu'il  lait  remonter  à  son  Père  comme  si  elle  n'était  point 
€  la  sienne  est  néanmoins  de  lui,  à  plus  forte  raison  faut-il  recon- 
«  naître  que  le  Saint-Esprit  procède  de  lui,  lorsqu'il  dit  que  ce 
«  divin  Esprit  procède  du  Père,  sans  ajouter  :  Il  ne  procède  pas 
«  de  moi.  Celui  à  qui  le  Fils  doit  sa  divinité  (car  il  est  Dieu  de 
«  Dieu),  il  lui  doit  aussi  d'être  le  principe  d'où  procède  le  Saint- 
«  Esprit,  et  c'est  par  le  Père  qu'il  est  donné  au  Saint-Esprit  de 
«  procéder  du  Fils  comme  du  Père  lui-même  K  » 

Citons  encore  quelques  lignes  du  traité  de  la  Trinité  :  a  Que 
tf  celui  qui  peut  comprendre  la  génération  du  Fils  par  le  Père,  en 
«  dehors  du  temps,  comprenne  aussi  la  procession  du  Saint-Esprit 
«  de  l'un  et  de  l'autre  en  dehors  du  temps.  Qu'il  comprenne  que, 
«  de  même  que  le  Père  a  en  lui  d'être  le  principe  dont  le  Saint- 
if  Esprit  procède,  il  a  donné  au  Fils  d'être  aussi  le  principe  de 
a  cette  même  procession,  avant  tous  les  temps.  Et  s'il  est  dit  que 
«  le  Saint-Esprit  procède  du  Père,  on  doit  l'entendre  en  ce  sens 
«  que  s'il  procède  aussi  du  Fils,  c'est  du  Père  que  le  Fils  tient 
a  d'être  son  principe.  Car  si  le  Fils  reçoit  du  Père  tout  ce  qu'il 
«  a,  évidemment  il  en  reçoit  aussi  d'être  le  principe  d'où  procède 
«  le  Saint-Esprit.  Mais  il  faut  écarter  toute  pensée  de  temps  ;  il 
«  n'y  a  dans  ces  mystères  ni  avant  ni  après  2.  » 

1.  Hic  aliquis  forsitam  quaerat,  utrum  et  a  Filio  procédât  Spiritus  sanctus. 
Filius  enim  solius  Patris  est  Filius,  et  Pater  solius  Filii  est  Pater  :  Spiritus 

autem  sanctus  non  est  unius  eorum  Spiritus  sed  amborum Cur  ergo  non 

credamus  quod  etiam  de  Filio  procédât  Spiritus  sanctus,  cum  Filii  quoque 
ipse  sit  Spiritus?  Si  enim  non  ab  eo  procederet,  non  post  resurrectionem  se 
reprffisentans  discipulis  suis  insufflasset  dicens  :  Accipite  Spiritum  snnctiim. 
Quid  enim  aliud  significavit  illa  insufflatio,  nisi  quod  procédât  Spiritus  sanc- 
tus et  de  ipso?..  . 

Si  ergo  et  de  Pâtre  et  de  Filio  procedit  Spiritus  sanctus,  cur  Filius  dixit  : 
De  Pâtre  procedit  ?  Cur  putas,  nisi  quemadinodum  ad  eum  solet  referre  et 
quod  ipsius  est,  de  quo  et  ipse  est?  Unde  illud  est  quod  ait  :  Mea  doctrinnnon 
est  mea,  sed  ejus  qui  me  inisit.  Si  igitur  intelligitur  hic  ejus  doctrina,  quam 
tamen  dixit  non  suam  sed  Patris  :  quanto  magis  illic  intelligendus  est  et  de 
ipso  procedere  Spiritus  sanctus,  ubi  sic  ait  :  De  Pâtre  procedit,  ut  non  dice- 
ret  :  De  me  non  procedit.  A  quo  autem  habet  Filius  ut  sit  Deus  (est  enim  de 
Deo  Deus),  ab  illo  habet  utique  ut  etiam  de  illo  procédât  Spiritus  sanctus  :  ac 
par  hoc  Spiritus  sanctus  ut  etiam  de  Filio  procédât,  sicut  procedit  de  Pâtre, 
ab  ipso  habet  Pâtre.  (S.  August.,  in  Joann.  Evang.,  tract.  XCIX.) 

2.  Quapropter  qui  potest  intelligere  sine  teinpore  gcncralionem  Filii  de 
Paire,  intelligat  sine  teinpore  processionem  Spiritus  .sancti  de  utroque.... 
Intelligat  sicut  habet  Pater  in  semelipso  ut  de  illo  procédât  Spiritus  sanctus, 
sic  dédisse  Filio  ut  de  illo  procédât  idem  Spiritus  sanctus,  et  utrumque  sine 


53V  LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE    II.  —  CHAP.   V, 

Le  Fils  de  Dieu  est  donc,  aussi  bien  que  le  Père,  le  principe 
d'où  procède  la  troisième  personne  de  la  Sainte  Trinité;  mais  il 
faudrait  se  garder  de  voir  dans  le  Père  et  dans  le  Fils  deux  prin- 
cipes distincts  de  cette  adorable  personne;  ils  ne  sont  ensemble 
qu'un  seul  et  unique  principe,  comme  les  textes  de  la  Sainte 
Écriture  que  nous  avons  cités  le  font  assez  connaître,  et  comme 
les  Pères  ont  eu  soin  de  le  remarquer.  S.  Basile,  dans  son  second 
livre  contre  Eunoniiits,  prend  à  tâche  de  prouver  cette  vérité  et 
nous  lisons  dans  S.  Augustin  :  Il  faut  reconnaître  que  le  Père  et 
le  Fils  sont  le  principe  et  non  pas  deux  principes  du  Saint-Esprit, 
comme  ils  sont  un  seul  Dieu,  un  seul  Créateur  et  un  seul  Seigneur 
avec  le  Saint-Esprit,  relativement  aux  créatures  ^  Le  IP  Concile 
de  Lyon  a  proclamé  cette  vérité  comme  dogme  de  foi.  Nous  lisons 
en  effet  dans  le  chapitre  consacré  à  la  Trinité  :  ce  Nous  condamnons 
«  et  nous  réprouvons  tous  ceux  qui,  poussés  par  une  audace  témé- 
€  raire,  oseraient  affirmer  que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et 
€  du  Fils  comme  de  deux  principes  et  non  comme  d'un  seul  2.  » 
Le  Concile  de  Florence,  dans  la  formule  d'union  entre  l'Eglise 
latine  et  l'Église  grecque,  s'exprime  ainsi  :  «  Nous  définissons 
que  le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils  comme  d'un  seul 
principe  et  par  une  spiration  unique  -K  »  La  raison  en  est  que 
l'amour  actif  du  Père  et  du  Fils,  par  lequel  s'accomplit  la  proces- 
sion du  Saint-Esprit,  n'est  qu'un  seul  et  unique  amour,  comme  le 
Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ne  sont  qu'un  seul  et  unique 
Dieu. 

Afin  que  les  fidèles  fussent  moins  exposés  à  se  laisser  tromper 
par  les  hérétiques,  qui  soulevaient  sans  cesse  de  nouvelles  diffi- 

tempore.  Atqiie  ita  dictum  Spiritum  sanctum  de  Paire  procédera,  ut  intelliga- 
tur,  quod  eliain  procedit  de  Kilio,  de  Pâtre  ess(!  Filio.  Si  enixn  quidquid  habet, 
de  Pâtre  hahet  Kilius;  de  Pâtre  liabet  utique  ut  et  de  illo  procédât  Spiritus 
sanctus.  Sed  nulla  ibi  lempora  cof^itcntur,  quae  haljent  prius  et  posterius  : 
quia  omnino  nulla  ibi  sunt.  (S.  August.,  lib.  XV  de  Trinilate,  n.  47.) 

1.  Falendum  estPatrem  et  Filiurn  principium  esse  Spiritus  sancti,  non  duo 
principia  :  sed  sicut  Pater  et  Filius  unus  Deus,  et  ad  creaturam  relative  unus 
Creator  et  unus  Dominus,  sic  relative  ad  Spiritum  sanctum  unum  principium  : 
ad  creaturam  vero  Pater  et  Filius  et  Spiritus  sanctus  unum  principium  et 
unus  Dominus.  (S,  Al'oust.,  lib.  V  de  Trinitate,  n,  dii.) 

'i  Damnamus  et  reprobamus  omnes  qui  temerario  ausu  asserere  preesump- 
serint,  quod  Spiritus  ex  Pâtre  et  Filio  tanquam  ex  duobus  principiis,  et  non 
lanquam  ex  uno  procedit.  [Concil.  Lugdun.  Il,  Act.) 

îi.  Detinimus  Spiritum  sanctum  ex  Pâtre  et  Filio,  tanquam  ab  uno  principia 
et  unica  spiratione  procedere.  [Concil.  Florent.,  Act.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE   DE    LA   TRINITÉ.  235 

cultes  contre  la  procession  du  Saint-Esprit,  l'Église  jugea  à  pro- 
pos d'exprimer  en  termes  explicites,  dans  le  symbole  de  la  foi, 
qu'il  procède  du  Père  et  du  Fils  :  Qui  ex  Pâtre  Filioque  procedit. 
L'addition  Filioque  fut  adoptée  d'abord  par  l'Église  d'Espagne  ♦, 
comme  il  paraît  dans  le  troisième  Concile  de  Tolède  (389).  Cet 
exemple  fut  suivi  à  la  fin  du  viii^  siècle  par  les  Églises  de  France 
et  d'Allemagne,  et  enfin,  peu  avant  Photius,  par  l'Église  romaine  ; 
et  ce  ne  fut  certainement  pas  sans  les  plus  graves  motifs.  En  809, 
la  députation  du  synode  d'Aix-la-Chapelle  envoyée  à  Rome  ne 
put  encore  obtenir  du  pape  Léon  III  aucune  autorisation  expresse 
de  changer  dans  la  liturgie  le  symbole  avec  le  Filioque.  On  voit, 
d'après  les  négociations  de  cette  députation  avec  le  Pape,  que  le 
motif  qui  avait  porté  à  adopter  l'addition  était  le  désir  de  mainte- 
nir la  pureté  de  la  foi  ;  comme  en  Espagne,  au  temps  du  troisième 
Concile  de  Tolède,  on  avait  eu  en  vue  l'extirpation  de  l'arianisme 
parmi  les  Visigoths.  L'intention  était  bonne,  mais  le  souverain 
Pontife  ne  pouvait  approuver  que  l'on  eût  ajouté  quelque  chose 
au  symbole  sans  son  autorisation  expresse,  quelque  conforme  à 
la  foi  que  fût  cette  addition.  C'eût  été  entrer  dans  une  voie  infini- 
ment dangereuse.  Peu  à  peu,  cependant,  l'usage  d'ajouter  le  Fi- 
lioque au  symbole  de  Constantinople  devint  universel  dans  l'Église 
latine,  sans  que  l'on  puisse  fixer  une  date  précise  à  la  généralisa- 
tion de  cet  usage. 

Une  question  pour  terminer  ce  qui  regarde  le  Fils  de  Dieu 
comme  principe  dont  le  Saint-Esprit  procède. 

On  a  demandé  si  le  Saint-Esprit,  supposé  qu'il  ne  procédât  pas 
du  Fils,  se  distinguerait  de  lui?  Les  Grecs  admettent  qu'il  s'en 
distinguerait  réellement,  puisqu'ils  reconnaissent  trois  per- 
sonnes en  Dieu  réellement  distinctes,  et  que  cependant  ils  refusent 
de  croire  que  la  troisième  personne  procède  du  Père,  en  même 
temps  que  du  Fils.  Cependant  il  n'existe  pas  entre  les  personnes 
de  la  Très  Sainte  Trinité  d'autre  distinction  que  celle  qui  résulte 
des  relations  de  procession  ou  de  génération  active  et  passive. 
Sans  relation,  conmient  distinguer  le  Fils  du  Saint-Esprit,  procé- 
dant tous  deux  du  Père,  et  n'ayant  ensemble  qu'une  même  subs- 
tance, une  même  divinité,  une  même  source  commune  de  leur  être, 
le  Père  ?  L'existence  du  Saint-Esprit,  sa  divinité,  son  unité  substan- 

1.  Voir  Diri.  encyclop.  delà  ihéol.  cathoL,  art.  Église  grecque. 


236         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —   CHAI'.   V.' 

tielle  avec  le  Père  et  le  Fils  étant  admises  ainsi  que  son  existence 
comme  personne  distincte,  il  faut  donc  admettre  aussi  sa  proces- 
sion non  seulement  du  Père,  mais  du  Fils,  sous  peine  de  le  con- 
fondre comme  personne  avec  le  Fils,  de  sorte  qu'il  n'y  aurait  plus 
en  Dieu  trinité,  mais  dualité. 

S.  Bernard  a  des  pages  délicieuses,  et  en  même  temps  d'une 
merveilleuse  profondeur,  sur  la  procession  du  Saint-Esprit,  qu'il 
compare  au  baiser  de  la  bouche  de  l'Époux  que  demande  l'Épouse 
mystique.  Citons  ces  quelques  lignes  en  terminant  : 

«  Quelqu'un  dira  peut-être  :  La  connaissance  du  Saint-Esprit 
0  n'est  donc  pas  nécessaire,  puisque  S.  Jean,  en  disant  que  la  vie 

<  éternelle  consiste  à  connaître  le  Père  et  le  Fils,  ne  parle  point  du 
^  Saint-Esprit.  Il  n'en  parle  point,  cela  est  vrai  ;  mais  aussi  n'en 
«  était-il  pas  besoin,  puisque  lorsqu'on  connaît  parfaitement  le 
«  Père  et  le  Fils,  on  ne  saurait  ignorer  la  bonté  de  l'un  et  de 
«  l'autre  qui  est  le  Saint-Esprit.  Car  un  homme  ne  connaît  pas 
€  suffisamment  un  autre  homme,  tant  qu'il  ignore  si  sa  volonté 
«  est  bonne  ou  mauvaise.  Sans  compter  que  lorsque  S.  Jean  dit  : 
«  Telle  est  la  vie  éternelle  :  c'est  de  vous  connaître,  vous  qui 

<  êtes  le  vrai  Dieu  et  Jésus-Christ  que  vous  avez  envoyé,  cette 
0  mission  témoignant  la  bonté  du  Père  qui  a  daigné  l'envoyer,  et 
«  celle  du  Fils  qui  a  obéi  volontairement,  il  n'a  pas  oublié  tout  à 
«  fait  le  Saint-Esprit,  puisqu'il  fait  mention  d'une  si  grande  faveur 
«  de  l'un  et  de  l'autre.  Car  l'amour  et  la  bonté  de  l'un  et  de  l'autre 
«  est  le  Saint-Esprit  même. 

«  Lors  donc  que  l'Épouse  demande  un  baiser,  elle  demande  de 

<  recevoir  la  grâce  de  cette  triple  connaissance,  au  moins  autant 
«  qu'on  en  peut  être  capable  dans  ce  corps  mortel.  Or,  elle  le  de- 
«  mande  au  Fils,  parce  qu'il  appartient  au  Fils  de  la  révéler  à 
t  qui  il  lui  plaît.  Le  Fils  se  révèle  donc  à  qui  il  veut,  et  il  révèle 
«  aussi  le  Père;  ce  qu'il  fait  par  un  baiser,  c'est-à-dire  par  le 
«  Saint-Esprit,  selon  le  témoignage  de  l'Apôtre,  qui  dit  :  Dieu 
«  nous  a  révélé  toutes  choses  par  V Esprit  saint.  Mais  en  don- 
«  nant  l'Esprit  par  lequel  il  communique  ces  connaissances,  il  fait 
«  connaître  aussi  l'Esprit  qu'il  donne.  Il  le  révèle  en  le  donnant 
«  et  le  donne  en  le  révélant  ^  » 

\.  Sctl  dicet  aliquis  :  Ergo  et  Spiritus  sancti  agnitio  non  est  necessaria,  ut 
cum  dixeril  esse  vitam  aeternam  nosse  et  P.itrem  et  Filium,  de  Spiritu  sancto 
tacueril?  Est  utique  :  sed  ubi  Pater  et  Filius  perfecte  agnoscitur,  utriusque 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE   ET   LE    MYSTERE   DE    LA   TRINITE.  237 

On  le  voit,  par  ce  langage  mystique,  S.  Bernard  enseigne  la 
même  doctrine  que  les  Pères  de  l'Église  grecque  et  de  l'Église  la- 
tine cités  plus  haut,  et  de  plus  il  nous  presse  de  demander  à  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  au  divin  Époux,  ce  baiser  de  sa  bouche, 
cet  Esprit  divin  qu'il  lui  appartient  de  donner,  parce  qu'il  procède 
de  lui  aussi  bien  que  du  Père,  et  comme  d'un  principe  unique. 

Nous  savons  que  ce  mystère  ineffable  de  la  procession  du  Saint- 
Esprit  s'accomplit  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie,  puisque  vous 
y  êtes  présent,  ù  Verbe  de  Dieu,  que  votre  Père  céleste  y  est  avec 
vous,  qu'il  vous  y  donne  éternellement  votre  être  divin,  et  que 
votre  Père  et  vous  ne  pouvez  pas  être  dans  l'Eucharistie  sans  que 
l'Esprit  qui  est  votre  amour  réciproque  y  procède  devons.  Donnez- 
nous  donc  ce  baiser  de  votre  bouche,  envoyez-nous,  communi- 
quez-nous largement  ce  Poraclet,  ce  Consolateur  que  vous  promet- 
tiez à  vos  Apôtres.  Sans  lui  tout  serait  ténèbres  et  dangers  pour 
nous  ici-bas;  sans  lui,  nous  n'arriverions  pas  au  ciel  que  vous 
nous  avez  préparé,  pour  y  jouir  de  vous  et  de  votre  éternelle  gloire. 


LE   VERBE,    FILS    UNIQUE   DE   DIEU,    PRESENT   DANS    L  EUCIIAUISTIE, 
CONSUBSTANTIEL   AU    PERE    ET   AU    SAINT-ESPRIT 

Le  Verbe  ou  Fils  de  Dieu,  Dieu  véritable  lui-même,  qui  a  dai- 
gné prendre  un  corps  et  une  âme  comme  les  nôtres  et  qui,  en  pos- 
session de  la  gloire  éternelle  qui  lui  appartient,  dans  le  sein  de  son 
Père,  daigne  néanmoins  habiter  parmi  nous,  sous  les  espèces  Eu- 
charistiques, n'est  qu'une  seule  et  même  substance  avec  le  Père 

bonitas,  quse  Spirilus  sanctus  est,  quomodo  ignoratur?  Neque  enim  intègre 
homo  homini  innotescit,  quamdiu  latet,  utrumnam  honse  an  malœ  sil  volunta- 
tis.  Quanquam  et  cum  dictum  est  :  Ilœc  est  vila  xterna,  ut  cognoaciuU  te  ve- 
rum  Deum,  et  quem  misisti  Jeaum  Christ iim  (./or/»».,  wir,  if))  ;  profeclo  si 
missio  illa  beneplacitum  lam  Patris  bénigne  mittentis,  quam  Filii  voluntarie 
obedientis  demonstrat,  non  omnino  tacituin  est  de  Spiritu  sando,  ubi  tanla; 
utriusque  gratiaî  mentio  facta  est.  Utriusque  siquidein  amor  et  benignitas 
Spiritus  sanctus  est. 

ïrinag  ergo  bujus  agnitionis  infundi  sibi  graliain,  quantum  quidom  capi  in 
carne  mortali  potest,  sponsa  petit,  cum  osculum  petit.  Petit  autom  a  l'ilio, 
quia  Filii  est  qui  volucrit  revelare.  Révélât  ergo  Filins  scipsum  cui  vult,  révé- 
lât et  Patrem.  Révélât  autem  sine  dubio  per  osculum,  hoc  est  per  Spiritum 
sanclum,  Apostolo  teste  qui  ait  :  Aolns  autem  révélante  Detts  per  Spiritum 
suum.  (/.  Cor.,  ii,  iO.)  Atvero  dando  Spiritum  i)cr  quem  révélât,  etiam  ipsum 
révélât  :  dando  révélât  et  revelando  dat.  (S.  Bernvru.,  serm.  VIll  in  Cant.) 


238  I.A   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.  —  LIVRE   II.    —    CHAP.  V. 

dont  il  procède  et  l'Esprit  saint  qui  procède  de  lui.  S'il  en  était 
autrement,  l'unité  divine  se  trouverait  brisée;  il  y  aurait  autant 
de  Dieux  que  de  substances  distinctes,  et  non  plus  un  seul  et 
unique  Dieu  en  trois  personnes  égales  en  toutes  choses.  Cette  vé- 
rité ressort  avec  évidence  de  tout  ce  qui  a  été  dit;  plus  d'une  fois 
elle  a  été  supposée  ou  même  affirmée  dans  les  pages  qui  précèdent. 
On  pourrait  ne  pas  s'y  arrêter  davantage  ;  mais  elle  fut,  pendant 
des  siècles,  l'objet  d'attaques  si  furieuses  de  la  part  de  l'hérésie  et 
de  l'enfer,  que  peut-être  ne  sera-t-il  pas  inutile  d'y  insister  encore. 
Nous  ne  connaîtrons  jamais  trop  bien  notre  divin  Jésus,  car  mieux 
nous  le  connaîtrons,  plus  nous  l'aimerons  avec  ardeur  et  le  servi- 
rons avec  zèle. 

Rappelons  d'abord,  pour  mémoire,  que  la  Sainte  Écriture,  le 
Nouveau  comme  l'Ancien  Testament,  proclame  en  cent  endroits 
l'unité  de  Dieu  ;  mais  en  môme  temps  nous  y  trouvons  exprimée 
la  divinité  du  Père  et  la  divinité  du  Fils.  Il  n'y  a  qu'un  seul  et 
unique  Dieu  :  «  Écoute,  Israël  :  Le  Seigneur  notre  Dieu  est  un 
«  seul  Seigneur  :  vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  ^  »  est-il 
écrit  dans  le  Deutéronome  ;  et  l'évangéliste  S.  Marc  redit  la 
même  vérité  et  le  même  précepte  en  des  termes  identiques  -.  Il 
ne  se  peut  rien  de  plus  explicite  pour  affirmer  l'unité  de  l'Être 
divin,  à  moins  qu'on  n'y  ajoute  encore  ces  autres  paroles  :  «  C'est 
€  le  Seigneur  qui  est  Dieu,  et  il  n'y  en  a  pas  d'autre  que  lui  3.  » 
Et  celles-ci  du  prophète  Isaïe  :  «  Je  suis  le  Seigneur  et  il  n'y  en  a 
«  pas  davantage  ;  hors  moi  il  n'y  a  pas  de  Dieu  '*.  »  Ces  textes,  en 
affirmant  l'unité  de  Dieu,  marquent  la  pluralité  des  personnes 
par  le  double  nom  qu'ils  lui  donnent. 

Le  Nouveau  Testament  exprime  clairement  ce  que  l'Ancien  don- 
nait seulement  à  entendre.  Tout  l'Évangile  noun  présente  Jésus- 
Christ  comme  le  Fils  de  Dieu,  le  Verbe  fait  homme,  et  il  proclame 
sa  divinité  en  même  temps  que  celle  du  Père,  ce  qui  offrirait  la 
plus  llagrante  contradiction,  si  l'on  ne  reconnaissait  pas  l'unité  de 
substance  pour  ces  deux  adorables  personnes  ^.  Et  quand  même 

1.  Audi  Isniol,  Dominus  Deus  noster,  Deus  unus  est  :  diliges  Dominum 
Dcum  tuum.  {Denier  ,  vi,  4  et  seq.) 

2.  Mfiir  ,  \u,  21». 

3.  I)oiTiinus  ipse  est  Deus  et  non  est  alius  praeter  eum.  (Deuter.,  iv,  35.) 
i.  Kgo  Dominus  et  non  est  amplius,  extra  me  non  est  Deus.  (/s.,  XLV,  5.) 
.*).  Si  ergo  Jésus  Christus  Filius  Dei  revelatus  est  esse  Deus,  Deus  verus, 

Deus  i«l<'iM  <iiii  se  unicum  Deum  revelavit  in  veteri  Tcstamento....  eo  ipso 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET   LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  239 

nous  ne  trouverions  pas  consignées  dans  le  texte  sacré  ces  paroles 
de  Notre-Seigneur  :  «  Moi  et  mon  Père  nous  sommes  une  seule 
«  chose,  »  l'Évangile  ne  nous  obligerait  pas  moins,  par  voie  de  con- 
séquence, à  reconnaître  la  vérité  de  cette  proposition  :  Le  Père  et 
Jésus-Christ  son  Fils  sont  un  seul  et  même  Dieu,  par  conséquent, 
une  seule  et  même  substance.  <r  Remarquez  ces  deux  mots  :  Nous 
«  sommes  un,  dit  S.  Augustin,  unum  et  sumus,  et  vous  échap- 
«  perez  à  un  double  péril.  Ce  que  Jésus  dit,  unum,  vous  délivre 
«  d'Arius;  et  ce  qu'il  ajoute,  sumus,  vous  délivre  de  Sabellius. 
«  Unum,  par  conséquent,  pas  de  division  ;  sumus,  donc  deux 
«  personnes,  le  Père  et  le  Fils  '.  » 

Les  Pères  ont  souvent  recouru  à  cette  parole  de  Notre-Seigneur 
pour  défendre  la  consubstantialité  des  personnes  divines  contre 
les  Ariens,  qui  s'efforçaient  de  le  détourner  de  son  sens  propre 
pour  n'y  voir  que  l'affirmation  d'une  simple  unité  morale  -,  semblable 
à  celle  que  Jésus-Christ  demandait  pour  ses  Apôtres  :  «  Qu'ils  soient 
«  un  comme  nous  sommes  un  3  ;  »  ou  telle  encore  que  celle  qui 
existait  entre  les  premiers  chrétiens,  selon  cette  parole  de  S.  Luc  : 
«  Les  croyants  n'avaient  qu'un  cœur  et  qu'une  àme  ^.  » 

Le  mot  unwn  dont  se  sert  Notre-Seigneur,  employé  ainsi  d'une 

revelatum  est,  Filium  Dei  esse  unum  cum  Pâtre  Deum.  ita  ut  non  numeren- 
tur  Deus  unus  et  praeter  hune  Deus  alius  ;  unus  enim  Deus  et  non  est  nlius 
vrxter  eum.  Duaa  igitur  propositiones  (prgemissœ)  :  Jésus  Christus  Dei  Filius 
est  verus  Deus;  atquiDeus  unus  est;  in  se  jam  continent  propositionem  con- 
sequentem  :  Ergo  Filius  cum  eo,  quem  ipse  dicit  Patrem  suum  et  verum 
Deum,  unum  est  divinitate  ac  proinde  tota  absolutse  perfectionis  plenitudine, 
quaî  est  una  numéro  Patris  et  Filii.  (Franzelin.,  tract,  de  Verbo  Incarnato, 
thés.  VIL) 

1.  Utrumque  audi  :  et  unum  et  sumus,  et  a  Charybdi  et  a  Scylla  liberabis. 
Quod  dixit  imiim  libérât  te  ab  Ario  :  quod  dixit  siimus  libérât  te  a  Sabellio.  Si 
unum,  non  ergo  diversum  :  si  sumus  ;  ergo  Pater  et  Filius.  (S.  August.,  apud 
S.  TiiOM.,  in  Catena  aurea,  in  hune  locum.) 

2.  Hsec  igitur,  quia  ha^retici  negare  non  possunt,  impietatis  suaî  mendacio 
neganda  corrumpunt.  Tentant  enim  id  ad  unanimitatis  referre  consensum,ut 
voluntatis  in  liis  unitas  sit,  non  naturœ,  ut  non  per  id  quod  sunt,  per  id  quod 
idem  volant  unum  sint,  sed  per  nalurae  nativitalem,  dum  niliil  Deus  in  eo  ex 
se  gignendo  eum  dégénérât,  unum  sunt.  Dumquede  manu  ejus  non  rapiun- 
tur,  non  rapiuntur  de  manu  Patris  ;  dum  in  opérante  .se,  operatur  Pater  ; 
dum  ipse  in  Pâtre  et  in  eo  Pater  est  :  hoc  non  prtestat  creatura,  sed  nativilas, 
non  efficit  voluntas,  sed  potestas  :  non  loquitur  unanimitas,  sed  natura. 
(S.  Hil.AR.,  tract,  de  Trinit.,  lib.  VIII.) 

3.  Ut  sint  unum  sicut  et  nos.  {Joann.,  xvii,  11.) 

4.  Multitudinis  autem  credentium  erat  cor  unum  et  anima  una.  {Act.,  iv, 
32.) 


240  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   V. 

manière  absolue,  signifie  l'unité  d'être,  de  nature,  de  substance,  et 
non  pas  une  unité  purement  accidentelle  ou  composée  de  parties. 
Jamais  on  ne  trouve  dans  la  Sainte  Écriture  que  Dieu  soit  une  seule 
chose,  iinum,  avec  quelque  créature,  mais  on  peut  y  lire  des  paroles 
comme  celles-ci  :  «  Celui  qui  s'unit  au  Seigneur  est  un  seul  esprit 
c  avec  lui  '.  »  Certainement  cette  unité  de  volonté,  cette  concorde 
existe  entre  le  Père  et  le  Fils  :  Notre-Seigneur  en  rend  témoignage 
dans  la  prière  qu'il  adresse  à  son  Père  céleste,  au  chapitre  xyu"  de 
ri^lvangilede  S.  Jean;  mais  il  y  a  quelque  chose  de  plus  dans  le 
texte  que  nous  avons  cité,  et  la  déclaration  qu'il  fait  n'aurait  pas 
de  raison  d'être,  si  la  signification  s'en  arrêtait  à  l'union  des  vo- 
lontés. Jésus-Christ  voulait  prouver  que  personne  ne  pouvait  arra- 
cher ses  brebis  de  ses  mains,  et,  pour  le  prouver,  il  donna  cette 
raison  :  «  Mon  Père  et  moi  nous  ne  sommes  qu'un.  »  Si  par  ce  mot 
il  entendait  l'unité  que  donne  la  concorde  delà  volonté,  il  ne  prou- 
vait rien.  Quelqu'un  peut,  en  effet,  être  parfaitement  d'accord  avec 
le  Père,  et  recevoir  de  lui  la  mission  de  garder  ses  brebis  sans  qu'il 
soit  impossible  de  les  lui  arracher,  comme  il  est  impossible  de  les 
ravir  au  Père.  Certainement  les  anges  et  les  saints  pasteurs  sont 
parfaitement  d'accord  avec  la  volonté  divine,  et  c'est  de  son  con- 
sentement qu'ils  prennent  soin  des  fidèles.  Cependant,  aucun  d'eux 
n'a  jamais  osé  dire  :  «  Le  Père  et  moi  nous  ne  faisons  qu'un,  »  de 
sorte  que  personne  ne  peut  arracher  ces  brebis  de  nos  mains,  non 
plus  que  des  mains  du  Père;  mais  ils  disent  avec  le  Psalmiste  : 
o  Qui  égalera  le  Seigneur  parmi  les  Fils  de  Dieu  2  ?»  ou  bien  avec 
Moïse  :  «  Qui  est  semblable  à  vous  parmi  les  forts,  ô  Seigneur  3?  » 
Mais  si  par  ces  paroles,  «  nous  ne  sommes  qu'un,  »  unum  sumuSy 
Jésus-Christ  entend  l'unité  de  substance,  la  preuve  qu'il  donne  est 
excellente.  C'est,  en  effet,  comme  s'il  disait  :  «  Personne  ne  peut 
arracher  mes  brebis  de  ma  main,  non  plus  que  de  la  main  du  Père, 
parce  que  le  Père  et  moi  nous  ne  sommes  qu'un;  ma  main  ou  ma 
puissance  et  la  main  ou  la  puissance  du  Père  n'en  font  qu'une.  »  Or, 
si  la  puissance  est  la  même,  l'essence  est  aussi  la  môme,  parce 
cpie  la  puissance  et  l'essence  ne  sont  en  Dieu  qu'une  seule  et  même 
cliose;  d'où  il  suit  que  la  vertu  et  l'opération  sont  aussi  les  mêmes. 

\.  (jui  adhieret  Deo,  unus  spiritus  est.  (/.  Cor.,  vi,  17.) 
y.  Quoniîim  quis  in   nubibus  îequabitur  Domino  :  similis  erit  Deo  in  filiis 
Del?  {Pi.  i.xxxviii,  7.) 
3.  Quis  similis  tui  in  fortibus,  Domine?  [ExocL,  xv,  M.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTÈRE    DE    LA   TRINITÉ.  241 

La  conclusion  est  donc  rigoureuse  :  Personne  ne  peut  arracher  les 
brebis  de  la  main  du  Fils  parce  que  sa  main,  sa  vertu,  son  opéra- 
tion, sa  nature,  ne  sont  qu'une  seule  et  unique  chose  avec  la  main, 
la  vertu,  l'opération  et  la  nature  du  Père. 

Il  est  vrai  que  Dieu  peut  communiquer  sa  puissance  aux  êtres 
créés;  mais  il  ne  Test  pas  que  la  créature  favorisée  d'une  telle 
communication,  quel  qu'en  soit  le  degré,  puisse  jamais  dire  :  Dieu 
et  moi,  nous  ne  sommes  qu'un.  —  En  effet,  cette  puissance  que 
Dieu  communique  à  un  être  en  dehors  de  lui-même  est  une  puis- 
sance créée;  elle  n'est  pas  la  puissance  du  Père  qui  se  confond  avec 
l'essence  même  de  Dieu  et  qui,  par  conséquent,  est  toujours  infi- 
niment supérieure  à  toute  perfection  que  peut  recevoir  une  créa- 
ture. Mais  lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dit  :  «  Mon  Père  et 
«  moi  nous  sommes  une  mêmechose,  »  il  indique  clairement  que  sa 
puissance  n'est  pas  créée,  dépendante,  mais  qu'elle  ne  diffèreen  rien 
de  celle  du  Père.  Ces  paroles  ne  peuvent  s'entendre  que  de  l'unité 
de  puissance  incréée  et  divine,  c'est-à-dire  de  l'unité  de  nature. 
C'est  dans  le  sens  propre  et  strictement  littéral  que  le  Fils  de  Dieu 
a  dit  :  «  Mon  Père  et  moi,  nous  sommes  une  même  chose;  »  et 
c'est  de  cette  unité  absolue  avec  son  Père  que  découle  sa  puissance; 
c'est  à  cause  d'elle  qu'il  peut  non  seulement  défendre  les  brebis 
qui  lui  ont  été  donné3s,  mais  faire  tout  ce  que  fait  le  Père  lui- 
même. 

Le  contexte  ajoute  encore  à  la  clarté  des  paroles  du  Sauveur 
prises  en  elles-mêmes.  Lorsque  Jésus-Christ  dit  :  «  Mon  Père  et 
«  moi  nous  sommes  une  seule  chose,  »  les  Juifs,  quoique  grossiers 
et  charnels,  comprirent  parfaitement  qu'il  s'agissait  de  l'unité  de 
nature  et  qu'il  affirmait  ainsi  sa  propre  divinité,  ce  qui  porta  jus- 
qu'à son  comble  leur  irritation  contre  lui.  Ils  prirent  des  pierres 
pour  les  lui  jeter  comme  à  un  blasphémateur,  ce  qu'ils  n'auraient 
pas  fait,  s'il  n'eût  été  question  que  de  l'unité  de  volonté,  que  tout 
homme  peut  et  doit  s'efforcer  d'avoir  avec  Dieu.  Quel  blasphème  y 
aurait-il  à  dire  :  «  Mon  Père  et  moi  nous  sommes  un,  par  l'union 
«  de  la  volonté?  »  Ils  ont  voulu  le  lapider,  parce  qu'il  se  disait  un 
avec  le  Père,  par  nature,  ce  que  les  Juifs  regardaient  comme  un 
blasphème  exécrable.  Cependant,  Jésus-Christ  ne  repoussa  pas  cette 
interprétation  ;  bien  plus,  il  a  voulu  mourir  pour  elle.  Il  se  con- 
tenta de  nier  que  les  paroles  qu'il  avait  prononcées  fussent  un 
blasphème,  et  de  prouver  par  ses  œuvres  que  l'on  doit  croire  à  la 

LA    SAINTE    EUCHARISTli;.    —  T.    IV.  16 


242         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  V. 

vérité  des  paroles  qu'il  venait  de  prononcer.  Voici  le  récit  que  nous 
fait  l'Évangile  :  «  Alors  les  Juifs  prirent  des  pierres  pour  le  lapider. 
€  Jésus  leur  dit  :  J'ai  fait  devant  vous  beaucoup  d'œuvres  excel- 
€  lentes  par  la  vertu  de  mon  Père  ;  pour  laquelle  de  ces  œuvres  me 
«  lapidez-vous?  LesJuifs  lui  répondirent:  Ce  n'est  paspour  une  bonne 
«  œuvre  que  nous  vous  lapidons,  mais  c'est  pour  un  blasphème, 
€  parce  que  vous,  qui  êtes  homme,  vous  vous  faites  Dieu.  Jésus 
«  leur  repartit  .•  N'est-il  pas  écrit  dans  votre  loi  :  Je  l'ai  dit  :  Vous 
«  êtes  des  Dieux?  Quand  elle  appelle  Dieux  ceux  à  qui  la  parole  de 
«  Dieu  a  été  adressée,  et  que  l'Écriture  ne  peut  être  détruite,  vous 
«  médites  à  moi,  que  le  Père  a  sanctifié  et  envoyé  dans  le  monde  : 
«  Tu  blasphèmes,  parce  que  j'ai  dit  :  Je  suis  le  Fils  de  Dieu.  Si  je  ne 
«  fais  pas  les  œuvres  de  mon  Père,  ne  me  croyez  pas.  Mais,  si  je 
«  les  fais,  quand  bien  même  vous  ne  voudriez  pas  me  croire. 
«  croyez  aux  œuvres,  afin  que  vous  connaissiez  et  croyiez  que  mon 
«  Père  est  en  moi  et  moi  dans  mon  Père  ^.  * 

Jésus-Christ  dit  donc  aux  Juifs  que,  n'eùt-il  été  qu'un  simple 
serviteur  de  Dieu,  il  aurait  pu  prendre  sans  blasphémer  le  titre  de 
Fils  de  Dieu,  d'après  la  loi.  Mais  il  n'est  pas  un  simple  serviteur, 
et  s'il  dit  qu'il  n'est  qu'une  même  chose  avec  son  Père,  que  son 
Père  est  en  lui  et  qu'il  est  en  son  Père,  en  un  mot  qu'il  est  vérita- 
blement un  seul  et  unique  Dieu  avec  lui,  les  œuvres  qu'il  fait  au 
nom  de  son  Père  prouvent  assez  que  ses  paroles  sont  conformes  à 
la  vérité,  et  que  nul  ne  peut  refuser  d'y  croire,  à  plus  forte  raison 
les  considérer  comme  des  blasphèmes  2. 

Si  l'on  examine  attentivement  les  paroles  de  Notre-Seigneur, 
dans  tout  ce  chapitre  de  l'Évangile  de  S.  Jean,  et  principalement 
les  quelques  versets  qui  viennent  d'être  cités,  on  y  remarquera 

1.  Sustulerunt  ergo  lapides  Judaei,  etc.  [Joann.,  x,  31-38.) 
-1.  Demonslraturus  quidem  quod  ipse  et  Pater  unum  natura  essent,  in  eo 
primum  ineptiain  ridiculi  opprobrii  confutat,  cum  in  reatum  vocaretur,  cum 
se,  cum  lioino  esset,  Deum  faceret;cum  enim  ejus  nominis  appellationem 
sanclis  hominihus  decerneret,  et  sermo  Dei  indissolubilis  confirmaret  hanc 
impartili  nominis  profession em,jam  ergo  non  est  crirninis  quod  se  Deum, 
cum  homo  sit,  cum  eos  qui  homines  sunt,  <leos  lex  dixerit.  Et  si  a  caeteris 
hominihus  non  irreligiosa  hujus  nominis  usurpatio  est,  ab  eo  honiine  quem 
sanctiticavit  Pater,  non  impudenter  usurpari  videtur,  quia  Dei  Filium  se 
dixerit;  cum  praeceliat  csbteros,  per  id  quod  sanctificatus  in  lilium  est;  beato 
Paulodicente  [liuin.,  cap.  i)  quod  prxdeslinutus  est  Films  Dei  in  virlute  se- 
cunilum  S/tii'itum  mnclificalionis  ;  omnis  enim  haec  de  homine  responsio  est, 
quod  Dei  l-ilius  eliam  hominis  fiiius  est.  (S.  HiLar.,  lib.  VII  de  Trinitate.) 


JÉSUS   EUCHARISTIQUE   ET   LE    MYSTÈRE    DE    L.\   TRINITÉ.  243 

quatre  affirmations  qui,  au  fond,  n'en  sont  qu'une  seule  :  «  Moi  et 
«  mon  Père  nous  sommes  un  ;  —  Je  suis  Dieu  ;  —  Je  suis  le  Fils 
«  de  Dieu  ;  —  Mon  Père  est  en  moi  et  je  suis  en  mon  Père.  »  Les 
Juifs  en  concluaient  avec  raison  que  Jésus-Christ  affirmait  qu'il 
était  Dieu,  non  pas  seulement  dans  le  sens  que  ce  nom  est  donné  à 
quelques  hommes  particulièrement  fidèles,  mais  Dieu  véritable  et 
le  même  Dieu  que  le  Père.  L'explication  qui  leur  est  donnée,  loin 
de  réprouver  ce  sens,  les  y  confirme;  c'est  pourquoi  ils  s'imaginent 
toujours  que  le  Seigneur  a  blasphémé,  et  cherchent  à  se  saisir  de 
lui.  Si  leur  manière  de  comprendre  les  paroles  de  Jésus  n'avait  pas 
été  conforme  à  la  vérité,  il  suffisait  d'un  mot  pour  les  éclairer; 
mais  il  ne  dit  pas  ce  mot;  il  appuie,  au  contraire,  sur  ce  qui  les 
scandalise  et  allume  leur  colère,  parce  que  leur  interprétation  était 
la  vraie,  parce  que  le  Père  et  le  Fils  ne  sont  qu'une  seule  chose, 
une  seule  et  même  substance,  un  seul  et  même  Dieu. 

Il  faut  donc  conclure  de  ce  texte  :  Ego  et  Pater  unum  sumus, 
et  des  autres  qui  le  précèdent  ou  le  suivent,  que  la  puissance  de 
Dieu  le  Père  et  celle  du  Verbe  divin  son  Fils  ne  sont  qu'une  seule 
et  unique  puissance,  que  leur  action,  leur  divinité,  leur  nature,  ne 
sont  aussi  qu'une  même  action,  une  même  divinité,  une  même 
nature,  que  tout  ce  qui  est  au  Fils  appartient  au  Père  et  récipro- 
quement, enfin  qu'ils  réalisent  ensemble  l'unité  la  plus  parfaite 
qu'il  soit  possible  de  concevoir. 

Mais  en  cette  unité  parfaite,  il  faut  respecter  la  distinction  des 
personnes.  Le  Père  et  le  Fils  sont  une  même  chose  et  ne  sont  qu'un 
seul  Dieu;  cependant  Jésus-Christ,  en  affirmant  cette  vérité,  affirme 
également  qu'il  y  a  deux  personnes  en  l'unité  qu'il  proclame  : 
«  Le  Père  et  moi,  nous  sommes  une  même  chose.  »  Cette  distinc- 
tion ne  nuit  pas  à  l'unité  parfaite,  mais  elle  existe  dans  la  réalité, 
et  nous  la  retrouvons  exprimée  d'une  manière  aussi  précise  en  de 
nombreux  passages  de  l'Évangile  •.  En  confessant  une  vérité  il  fau- 
drait se  garder  d'en  oublier  une  autre  qui  n'est  ni  moins  essen- 
tielle ni  moins  profondément  mystérieuse. 

On  pourrait  encore  demander  à  l'Écriture  sainte  d'autres  preuves 
de  la  consubstantialité  du  Fils  de  Dieu  avec  le  Père,  et  les  textes  ne 

i.  Pater  in  me  est  et  ego  in  Pâtre.  {Joaiin.,  x,  ;{8.)  —  Claritica  me  Pater, 
claritate  quam  habui  apud  te  antequam  miindus  esset.  {Joann.,  wii,  ti.)  —  Qui 
videt  me  videt  et  Patrem  mcum.  [Joann.,  xiv,  U.)  —  Qui  diligit  me  diligetur  a 
Pâtre  meo,  et  ego  diligam  eum.  [Joann.,  xiv,  ^1.) 


2'»4         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  IT  PARTIE.  —   LIVRE  II.   —   CHAP.    V. 

manqueraient  pas  qui  en  fourniraient  d'excellentes  :  par  exemple 
celui-ci  du  livre  des  Proverbes  :  «  Le  Seigneur  m'a  possédée  au 
«  commencement  de  ses  voies;  avant  qu'il  fit  quelque  chose  dès  le 
«  principe,  dès  l'éternité,  j'ai  été  établie.  J'étais  avec  lui  dispo- 
«  sant  toutes  choses  '.  »  Ce  texte,  il  est  vrai,  est  aussi  entendu  de 
la  très  sainte  Vierge,  mais  ce  n'est  que  secondairement,  et  c'est  de 
la  Sagesse  divine,  du  Verbe  de  Dieu,  qu'il  s'agit  tout  d'abord.  Les 
parolesde  S.  Jean  :  «  Au  commencement  était  le  Verbe,  et  le  Verbe 
«  était  en  Dieu,  et  le  Verbe  était  Dieu  -,  »  sont  tellement  présentes 
à  toutes  les  mémoires  que  c'est  à  peine  si  on  ose  les  citer  de  nou- 
veau; mais  le  témoignage  qu'elles  apportent  à  la  consubstantialité 
du  Verbe  n'en  est  pas  moins  irrécusable,  non  plus  que  celui  de  cet 
autre  texte  qu'on  lit  un  peu  plus  loin  :  «  Personne  n'a  jamais  vu 
«  Dieu;  le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du  Père  est  celui  qui 
«  l'a  fait  connaître  3.  »  Mais  il  suffit  des  développements  donnés  aux 
paroles  de  Notre-Seigneur  citées  toiit  d'abord,  parce  que  c'est  contre 
elles,  comme  étant  les  plus  claires,  que  les  héréti([ues  ont  surtout 
dirigé  leurs  attaques,  aussi  persévérantes  que  vaines  et  inutiles. 

Celte  fureur  de  l'enfer  et  de  ses  satellites  contre  le  dogme  de  la 
consubstantialité  du  Verbe  avec  le  Père  a  obligé  plus  d'une  fois 
les  Pères,  réunis  en  concile,  à  préciser  la  doctrine  de  l'Église  sur 
ce  point. 

Les  Conciles  d'Antioche,  tenus  dans  les  années  205,  268  et  270 
pour  condamner  les  erreurs  de  Paul  de  Samosate,  paraissent  être 
les  premiers  qui  eurent  à  s'occuper  de  la  consubstantialité  des  per- 
sonnes divines.  Dans  le  premier,  les  Pères  imposèrent  à  Paul  de 
Samosate  une  profession  de  foi  par  laquelle  la  divinité  du  Verbe, 
Fils  unique  du  Père,  image  du  Dieu  invisible  premier-né  avant 
toute  créature.  Sagesse,  Verbe  et  Vertu  substantielle  de  Dieu,  était 
formellement  reconnue.  Dans  le  second  et  le  troisième,  la  même 
doctrine  fut  de  nouveau  exprimée  et  défendue  contre  l'erreur,  et 
le  dogme  de  la  consubstantialité  présenté  d'une  manière  encore 
plus  explicite.  Mais  c'était  au  Concile  de  Nicée  qu'il  était  réservé 

1.  Dominus  possedit  me  in  initio  viarum  suarum,  antequain  quidquam 
faceret  a  principio.  Ab  geterno  ordinata  suin....  Cum  eo  eram  cuncta  compo- 
nens.  {J'rov.,  viii,  !2"2,  ;}().) 

2.  In  principio  erat  \'erbum  et  Verbum  erat  apud  Deum  et  Deus  erat  Ver- 
bum.  {Joann.,  i,  i.) 

li.  Deum  nemo  vidit  unquam  :  unigenitus  Filius,  qui  est  in  sinu  Patris, 
ipse  enarravit.  [Joann.,  i,iH.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTERE    DE   LA   TRINITE.  24o 

de  couper  court  à  l'erreur,  et  de  définir  la  vérité  catholique,  de 
manière  à  ne  plus  laisser  aucune  prise  à  l'erreur.  Ce  fut  par  les 
Pères  du  Concile  de  Nicée  que  le  mot  consubstaniiel  fut  choisi  et 
consacré,  pour  exprimer  la  foi  de  l'Église  touchant  ce  mystère.  Ce 
terme  exprimait  complètement  la  croyance  que  les  chrétiens  avaient 
reçue  de  la  bouche  même  du  Christ  et  de  celle  des  Apôtres,  que 
le  Fils  est  de  la  même  substance  que  le  Père.  Ce  terme  exprime  en 
même  temps  que  le  Fils  est  éternel  ;  s'il  n'était  pas  éternel,  sans 
commencement,  il  ne  serait  pas  d'une  même  substance  que  le 
Père.  Les  évêques  ne  firent  donc  autre  chose,  à  Nicée,  que  de 
témoigner  et  de  proclamer,  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  ce 
qu'ils  avaient  appris  dans  leurs  églises  de  leurs  prédécesseurs, 
ceux-ci  des  Apôtres,  les  Apôtres  de  Jésus  même,  le  Dieu  éternel  ^ 

Une  multitude  d'autres  conciles,  en  adhérant  au  Concile  de  Nicée 
et  en  condamnant  l'hérésie  d'Arius,  confessèrent  de  même  la  con- 
substantialité  du  Verbe,  conséquence  nécessaire  de  sa  divinité. 

On  trouve  la  même  doctrine  implicitement  contenue  dans  le 
Symbole  des  Apôtres,  qui  affirme  la  croyance  en  un  seul  Dieu, 
Père  tout-puissant,  Fils  unique  et  Saint-Esprit.  Les  symboles  de 
Nicée,  de  Constantinople  et  de  Florence,  que  l'on  a  réunis  en  une 
seule  formule,  et  qu'on  chante  le  dimanche  à  la  messe,  disent 
explicitement  ce  que  celui  des  Apôtres  ne  faisait  qu'indiquer  par 
voie  de  conséquence  :  «  Je  crois  en  un  seul  Dieu,  le  Père  Tout- 
«  Puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  des  choses  visibles  et 
«  invisibles.  Et  en  un  seul  Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  unique  de 
«  Dieu,  engendré  du  Père  avant  tous  les  siècles  :  Dieu  de  Dieu, 
«  lumière  de  lumière,  vrai  Dieu  de  vrai  Dieu,  engendré  et  non 
«  fait,  consubstaniiel  au  Père,  par  qui  tout  a  été  fait.  »  Le  sym- 
bole de  S.  Athanase  contient  tout  d'abord  cette  déclaration  :  «  La 
«  foi  catholique  est  que  nous  adorions  un  seul  Dieu  en  trois  per- 
«  sonnes,  et  trois  personnes  en  un  seul  Dieu,  sans  confondre  les 
«  personnes  ni  diviser  la  substance;  »  tout  ce  qui  suit  est  le  déve- 
loppement de  cette  proposition. 

La  consubstantialité  du  Verbe  ressort  donc  incontestablement  des 

1.  Hune  autem  Filium  genilum  unigenitum,  imaginem  Dei  invisibilis,  pri- 
mogenitum  omnis  creatune,  sapienliain  et  \'erbuni,  ac  virtulem  Dei  ante 
saecula  non  prœcognitione,  sed  siibslantia  et  hypostasi  Deum,  et|Dei  Filius 
cum  in  veteri  elinnovo  Testanientocognoverimus,  confitemur  ctpriudicamus. 
(C<mcil.  I.  Antioch.,  apud  Houc.vT.) 


246         LA    SAINTE   EDCHARISTIE.  —  II*   PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  V. 

textes  de  la  Sainte  Écriture,  des  paroles  des  conciles  et  de  symboles 
de  la  foi  catholique.  Aussi  la  retrouve-t-on  exprimée  d'une  manière 
plus  ou  moins  explicite,  selon  que  le  demandaient  les  circons- 
tances, dans  les  écrits  de  tous  les  Pères  de  l'Église. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  combats  que  S.  Atha- 
nase,  S.  Basile,  S.  Grégoire  de  Nazianze,  S.  Cyrille  d'Alexandrie 
soutinrent  contre  les  partisans  d'Arius,  en  faveur  du  dogme  de  la 
consubstantialité  et  du  mot  qui  l'exprime.  C'est  dans  leurs  écrits  et 
dans  l'histoire  de  l'Église  qu'il  convient  d'en  lire  le  récit.  Partout 
on  y  verra  que  la  croyance  de  l'Église  d'Orient  avait  été  avant  eux 
et  était  de  leur  temps  celle  qu'a  toujours  professée  et  que  professe 
encore  aujourd'hui  la  sainte  Église  catholique,  apostolique  et  ro- 
maine. 

L'Église  latine  ne  fut  pas  moins  vaillamment  représentée  dans 
la  grande  lutte  pour  la  consubstantialité  du  Verbe,  qui  se  confond 
avec  sa  divinité  dont  elle  est  inséparable. 

Au  premier  rang  des  témoins  qui  se  levèrent  pour  défendre  ce 
dogme,  on  doit  nommer  S.  Hilaire  de  Poitiers,  digne  éniule  de 
S.  Athanase.  Il  faut  lire  tout  entier  son  traité  de  Trinitate,  si  l'on 
veut  se  rendre  compte  de  la  force  et  de  la  clarté  avec  lesquelles  il 
combattait  l'hérésie  et  exposait  le  dogme  catholique. 

Dans  le  quatrième  livre  de  cet  admirable  traité,  après  avoir  dé- 
noncé les  erreurs  des  Ariens  et  des  autres  hérétiques,  touchant 
l'éternité  et  la  consubstantialité  du  Verbe,  et  dit  les  principales  rai- 
sons qu'ils  mettaient  en  avant  pour  rejeter  le  mot  consubstanliely 
le  saint  docteur  établit  contre  eux  la  foi  de  l'Église,  et  détruit 
toutes  les  fausses  interprétations  qu'ils  infligeaient  à  ce  terme.  Il 
dit  que  les  Ariens  se  sont  donné  bien  inutilement  tant  de  peines, 
pour  trouver  tous  ces  mouvais  sens  à  l'expression  consubstantiel ; 
que  l'Eglise  les  rejette  tous;  qu'elle  se  sert  de  ce  terme  pour  mar- 
quer la  nature  de  la  naissance  divine  du  Fils  qui,  étant  éternelle  et 
de  toute  la  substance  du  Père,  ne  peut  pas  être  désignée  par  un 
terme  qui  convienne  mieux  ^ 

1.  0  slullos  atque  impios  metus,  et  irreligiosam  de  Deo  solliciludinem  !  Hsec 
quîp  in  homousii  [consuhatantialis)  significatione  et  in  eo  qiiod  semper  Filius 
esse  dicitur  arguuntur,  Ecclesia  aborninatur,  respuit,  damnât.  Novit  enim 
unum  Deum  ex  quo  omnia;  novit  et  unum  Dominum  nostrum  Jesum  Chris- 
tum  per  qu<rn  oinnia;  unum  ex  quo  et  unum  per  quem;  ab  uno  universorum 
origincm,  per  unum  cunctorum  crealionem.  In  uno  ex  quo,  auctoritatem 
innascibilitatis  intelligit;  in  uno  per  quem,  potestatem  nihil  differentem  ab 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  247 

Les  passages  abondent  dans  les  livres  suivants  qui  exposent  Ja 
vérité  de  la  consubstantialitéet  réfutent  les  sophismes  des  ennemis 
de  ce  dogme,  mais  le  huitième  livre  n'a  pas  d'autre  objet.  S.  Hilaire 
insiste  principalement  sur  ces  paroles  de  Jésus-Christ  :  «  iMoi  et 
«  mon  Père  nous  sommes  un,  »  et  sur  quelques  autres  dont  il 
s'était  déjà  servi  pour  le  même  but  dans  les  livres  précédents  :  il 
faudrait  citer  le  livre  tout  entier  K 

Si  l'on  veut  des  témoignages  plus  éclatants  encore  de  sa  foi  à 
la  consubstantialité  du  Père  et  du  Fils,  c'est  à  l'histoire  des  persé- 
cutions qu'il  endura  pour  la  confession  de  ce  dogme  qu'il  faut  les 
demander. 

S.  Ambroise  n'est  pas  moins  explicite  que  S.  Hilaire,  lorsqu'il 
parle  de  la  divinité  de  Notre-Seigneur  et  de  sa  consubstantialité, 

auctore  veneratur;  cum  ex  quo  et  per  quem,  ad  id  quod  creatur,  in  his  quae 
creata  sunt  communis  auctoritas  sit.  Novit  in  Spiritu  Deum  Spiritum  impas- 
sibilem  et  insecabilem  ;  didicit  enim  a  Domino,  spiritui  carnem  et  ossa  non 
esse  :  ne  forte  cadere  in  eum  corporalium  passioniim  detrimenta  credantur. 
Novit  unum  innascibilem  Deum;  novit  et  unum  unigenitum  Del  Filium.  Con- 
fiteturPatrem  aeternum  et  ab  origine  liberum  :  confitetur  et  Filii  originem  ab 
aeterno;  non  ipsum  ab  initio,  sed  ab  ininitiabili  ;  non  per  seipsum,  sed  ab  eo, 
qui  a  nemine  semper  est,  natum  ab  œterno,  nativitatem-videlicet  ex  paterna 
aeternitate  sumentem.  Caret  ergo  fides  nostra  hœreticœ  pravitatis  opinione. 
Edita  namque  est  sensus  nostri  professio  licet  nondum  sit  ratio  professionis 
exposita.  Tamen  ne  quid,  in  homousii  a  Patribus  nuncupati  enuntiatione,  et 
in  ea  quod  semper  fuerit  confessione.  suspicionis  relinqueretur,  ista  memo- 
rata  suntquibus  et  subsistere  Filium  in  substantia  qua  genitus  ex  Pâtre  est 
cognosceretur,  et  Patri  de  substantia  qua  manebat  per  Filii  nativitatem  nihil 
esse  decerptum,  et  homousion  Patri  Filium  non  de  commemoratis  superius 
vitiis  causisque  a  sanctis  et  doclrina  Dei  calentibus  viris  esse  memoratum; 
ne  quis  forte  existimaret  adimi  per  uaiam  nativitatem  unigeniti   Filii,  quod 
Patri  homousios  diceretur.  (S.  Hilar.,  lib.  IV  de  Tritiil.,  n.  7.) 
i.  Voici  comme  il  résume  la  foi  catholique  vers  la  fin  de  ce  VIII*  livre  : 
Una  igitur  fides  est,  Patrem  in  Filio  et  Filium  in  Pâtre  per  inseparabilis 
naturag  unitatem  confiteri,  non  confusam  sed  indiscretam;  neque  permixtam 
sed  indifferentem;  neque  cohgerentem,  sed  existentem;  neque  inconsumma- 
tam,  sed  perfectam.  jNativitas  est  enim,  non  divisio;  et  Filius  est  non  adoptio. 
Neque  allerius  generis  est  Deus,  sed  Pater  et  Filius  unum  sunt  :  non  enim 
innovata  est  natura  nascendo,  ut  ab  originis  sucP  proprietate  esset  aliéna. 
Tenet  banc   itaque  manentis  in   Pâtre   Filii  et  Patris  in   Filio  fidem,  unum 
Deum  Palrem  et  unum  Dominum  Christum  sibi  esse  Apostolus  pnedicans  : 
cum  in  Domino  Chrislo  et  Deus  esset,  et  in  Deo  Pâtre  esset  et  Dominus;  et 
unum  esset  uterque  quod  Dominus  est  :  quia  imperfectum  et  Deo,  nisi  Domi- 
nus sit,  et  Domino   intelligalur  esse,  nisi   Deus  sit.  Alquc  ita   cum  uterque 
unus  est,  et  non  est  uterque  sine  uno;  non  excedit  evangelicam  prsedicatio- 
nem  Apostolus  docens,  nec  loquens  in  Paulo  (Ihrislus  diversus  ab  his  est,  quae 
corporeus  in  mundo  manens  locutus  est.  (S.  Hilar.,  de   Trinilate,  llb.  NUI, 
n.  41.) 


as         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   II"  PARTIE.  —   LIVRE  II.   —   CHAP.  V. 

comme  Verbe  de  Dieu,  avec  le  Père.  Dans  le  IIP  livre  de  son 
traité  de  Fide,  il  consacre  tout  un  chapitre  à  prouver,  à  l'aide  des 
textes  de  la  Sainte  Écriture,  que  le  Fils  de  Dieu  est  réellement 
consubstanliel  à  son  Père.  S'adressant  à  l'empereur  Gratien  qui 
lui  avait  demandé  ce  traité,  il  lui  dit  :  «  Pour  ce  qui  est  de  la 
«  substance  du  Fils,  pourquoi  m'arrôlerai-je  à  prouver  que  sa 
«  substance  est  la  même  que  celle  du  Père,  puisque  nous  lisons 
«  que  le  Fils  est  l'image  de  la  substance  paternelle,  ce  qui  vous 
«  fait  comprendre  qu'il  ne  diffère  en  rien  du  Père  sous  le  rapport 
«  de  la  divinité  '.  »  Le  saint  docteur  cite  ensuite  des  textes  nom- 
breux de  l'Écriture  à  l'appui  de  la  doctrine  de  l'Église,  et  dans 
les  chapitres  suivants,  il  met  l'empereur  Gratien  en  garde  contre 
les  ruses  et  la  mauvaise  foi  des  Ariens,  qui  abusent  des  textes 
sacrés  ou  qui  font  des  professions  de  foi  à  double  sens,  pour  sau- 
vegarder leur  hérésie  tout  en  s'efforçant  de  paraître  catho- 
liques. 

S.  Jérôme,  persécuté  par  les  semi-ariens  à  cause  de  l'intégrité  de 
sa  foi,  qui  ne  lui  permettait  pas  de  donner  le  même  sens  qu'eux 
au  mot  Injpostase,  dont  ils  se  servaient  en  traitant  du  mystère  de 
la  Trinité,  en  appela  au  pape  S.  Damase.  Nous  lisons  dans  sa 
lettre  :  «  Je  dis  hautement  :  quiconque  ne  confesse  pas  trois  hy- 
«  postases,  c'est-à-dire  trois  personnes  subsistantes,  qu'il  soit  ana- 
«  thème.  Mais  parce  que  je  ne  me  sers  pas  des  termes  qu'ils  sou- 
«  haitent,  ils  me  font  passer  pour  hérétique.  Toutes  les  écoles  du 
w  monde  n'entendent  autre  chose,  par  ce  mot  hypostase,  que  l'es- 
«  sence  et  la  substance.  Or,  je  vous  prie,  peut-on  dire  qu'il  y  ait 
«  trois  substances  dans  la  Trinité?  Il  n'y  a  que  Dieu  seul  dont  la 
«  nature  soit  parfaite,  et  il  n'y  a  aussi  qu'une  seule  divinité,  c'est- 
«  à-dire  une  seule  et  véritable  nature  en  trois  personnes.  Dire 
«  qu'il  y  a  trois  choses,  trois  hypostases,  trois  substances  en  Dieu, 
«  c'est  vouloir  soutenir,  sous  un  prétexte  spécieux  de  piété,  qu'il 
«  y  a  trois  natures.  Contentons-nous  de  dire  qu'il  n'y  a  en  Dieu 
«  qu'une  seule  substance,  et  trois  personnes  subsistantes,  par- 
«  faites,  égales  et  coéternelles.  Qu'on  ne  parle  point  de  trois  hy- 
«  postases,  et  qu'on  n'en  admette  qu'une  seule.  Si,   néanmoins, 

i.  De  subsUinlia  autcm,  quid  loquar  uiiius  Kilium  cum  l'atre  esse  subslaii- 
liœ,  rurn  irna^inem  paternae  substanlièe  Filium  legerimus,  ut  in  nulle  secun- 
dum  divinitatem  a  Pâtre  intelligas  discrepare.  (S.  Ambros.,  de  Fide,  lib.  III, 
cap.  XIV.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  249 

«  VOUS  jugez  à  propos  que  l'on  confesse  trois  hypostases,  en  expli- 
«  quant  ce  que  l'on  doit  entendre  par  ces  mots,  je  ne  m'y 
«  oppose  pas  ^.  » 

Toutes  les  preuves  que  donne  S.  Augustin  dans  ses  ouvrages  de 
la  divinité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  de  l'unité  de  Dieu, 
sont  en  même  temps  des  preuves  de  l'unité  de  substance  de  ces 
deux  adorables  personnes,  et  lorsque,  dans  ses  discussions  avec 
les  Ariens,  il  parle  de  l'unité  de  substance  dans  la  Sainte  Trinité, 
ses  enseignements  ne  sont  pas  moins  clairs,  ni  ses  arguments 
moins  pressants  que  ceux  de  S.  Athanase  ou  de  S.  Hilaire.  C'est 
ainsi  que,  dans  son  traité  contre  l'arien  Maximin,  il  s'écrie  : 
«  Qu'est-ce  donc  que  la  Trinité  dont  vous  parlez,  si  la  substance 
«  des  trois  personnes  n'est  pas  une  seule  et  unique  substance?  Le 
«  Fils  ne  vient  pas  d'une  matière  quelconque  ni  du  néant,  mais  de 
«  celui  par  lequel  il  est  engendré  ;  de  même  le  Saint-Esprit  ne 
«  vient  pas  non  plus  d'une  autre  matière  ni  du  néant,  mais  du 
«  principe  dont  il  procède.  Et  vous  ne  voulez  pas  admettre  que 
«  le  Fils  soit  engendré  de  la  substance  du  Père,  cependant  vous 
«  avouez  qu'il  n'est  sorti  ni  du  néant,  ni  de  quelque  matière,  mais 
«  du  Père.  Vous  ne  comprenez  donc  pas  que  nécessairement  celui 
«  qui  n'est  pas  sorti  du  néant  ni  d'autre  chose,  mais  de  Dieu,  ne 
«  peut  être  que  de  la  substance  de  Dieu,  être  ce  qu'est  le  Dieu  dont 
«  il  procède,  c'est-à-dire  Dieu  de  Dieu.  Et  puisqu'il  est  Dieu,  né 
«  de  Dieu,  qu'il  n'y  a  pas  en  Dieu  d'antériorité  et  que  tout  est 
«  coéternel  dans  la  nature  divine,  il  n'est  pas  autre  chose  que 
«  celui  qui  l'engendre.  Leur  nature  est  la  même,  elle  est  unique  ; 
«  leur  substance  est  la  même,  elle  est  unique  -.  »  Le  saint  doc- 

i.  s.  HiERON.,  Epist.  XIV  ad  Damas. 

2.  Quid  ergo  haec  Trinitas,  nisi  unius  ejusdemque  substantiae  est?  Quando- 
quidem  non  de  aliqua  niateria  vel  de  nihilo  est  Filins,  sed  de  quo  genitus  est  : 
itemque  Spiritus  sanctus  non  de  aliqua  materia,  vel  de  nihilo,  sed  inde  est, 
inde  procedit.  Vos  aulem  nec  Filium  de  Patris  substantia  genitum  vultis,  et 
tnmen  eum  nec  de  nihilo,  nec  ex  aliqua  materia,  sed  ex  Paire  esse  conceditis. 
Nec  videtis  quam  necesse  sit  ut  qui  non  est  ex  nihilo,  non  est  ex  aliqua  re 
alla,  sed  ex  Deo,  nisi  ex  Dei  substantia  esse  non  possit,  et  hoc  est  esse  quod 
Deus  est  de  quo  est,  hoc  est  Deus  de  Deo.  Quocirca  Deus  de  Deo  natus,  quia 
non  aliud  prius  fuit,  sed  natura  coa3terna  de  Deo  est,  non  est  aliud  (luani  est 
ille  de  quo  est,  hoc  est  unius  ejusdemque  natuivr,  vel  unius  ejusdemque  sub- 
stantiae.... Affirmasli  enim  non  vos  dicere,  de  nihilo  esse  Dei  Kilium.  De  aliqua 
ergo  substantia  est.  Si  non  de  Patris  :  do  qua,  (licite.  Sed  non  invenitis.  Jam 
igitur  unigenitum  Dei  Filium,  Jesum  Christum  Dominum  nostrum,  de  Patris 
esse  substantia  non  vos  nobiscum  pigeât  contiteri.  Pater  ergo  et  Filius  unius 


:2oO  LA    SAINTE    El  CIIARISTIE.  —  II"  J'ARTIE,  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   V. 

leur  continue  de  presser  son  adversaire  avec  la  même  véhémence, 
pour  le  contraindre  à  confesser  la  vérité  catiiolique,  et  à  dire, 
avec  le  Concile  de  Nicée,  que  le  Fils  est  consubstantiel  au  Père, 
et  ces  pages  sont  vraiment  dignes  du  plus  illustre  des  docteurs 
de  l'Église.  Mais  on  ne  peut  tout  citer,  et  c'est  dans  l'original  qu'il 
convient  de  les  lire. 

Telle  fut  la  doctrine  des  Pères  des  premiers  siècles.  Il  n'est  pas 
nécessaire  de  montrer  par  des  citations  que  l'Église  garda  tou- 
jours, avec  amour  et  fidélité,  cet  article  de  notre  foi.  Les  docteurs 
du  moyen  âge  l'enseignèrent,  comme  avaient  fait  S.  Athanase, 
S.  Ililaire,  S.  Ambroise,  S.  Augustin,  et  ils  développèrent  métho- 
diquement les  raisons  théologiques  qui  l'appuient.  S.  Thomas  y 
donne  tous  ses  soins  dans  plusieurs  chapitres  de  la  Somme  contre 
les  Gentils.  Les  principales  preuves  qu'il  apporte  de  la  consubs- 
tantialité  du  Fils  avec  le  Verbe  sont  celles-ci  : 

1°  Si  le  Christ  est  véritablement  Fils  de  Dieu,  il  est  de  toute 
nécessité  qu'il  soit  Dieu.  Car  celui  qui  provient  d'un  autre,  môme 
s'il  provient  de  sa  substance,  n'est  pas  véritablement  fils  s'il  n'est 
pas  de  la  même  espèce  que  celui  dont  il  vient.  Il  est  nécessaire 
que  le  Fils  de  l'homme  soit  homme  :  de  même,  il  est  nécessaire 
que  le  Fils  de  Dieu  soit  vrai  Dieu  et,  par  conséquent,  que  la 
substance  divine,  une  et  indivisible,  soit  en  lui  tout  entière  K 

2''  Tout  ce  qui  est  en  Dieu  est  son  essence  ;  or,  le  Verbe  possède 
tout  ce  qui  est  en  Dieu,  par  conséquent  toute  son  essence  ou  sa 
substance  -. 

sunt  ejusdemque  substantiae.  Hoc  est  illud  Jlotnonsion,  quod  in  concilio  Ni- 
caeno  adversus  haerelicos  arianos,  a  catholicis  Patribiis  veritatis  auctoritate  et 
auctorilatis  veritate  firmatum  est  :  quod  in  concilio  Ariminensi,  propler  novi- 
tatem  verbi  minus  quam  oporluit  intellectum,  quod  taincn  fides  antiqua  pepe- 
rerat,  niullis  paucorum  fraude  deceplis,  hseretica  in^pietas,  sub  baeretica 
impcralore  Conslantio  labefaclare  tontavit,  etc.  (S.  Auul'st.,  contra  Maxim., 
lib.  II,  n.  -18.) 

1.  1"  Si  Christus  verus  est  Hlius,  de  necessitate  sequitur  quod  sit  verus 
Deus  :  non  enirn  vere  Filius  potest  dici  quod  ab  alio  gignitur,  eliamsi  de 
substantia  generantis  nascatur,  nisi  in  similem  speciem  generantis  procédât; 
oportet  enirn  quod  Filius  hominis  sit  bomo.  Si  igilur  Cbristus  est  verus  Filius 
Dei,  oportet  quod  sit  verus  Deus.  (S.  Thom.,  Summ.  cojilr.  Gent.,  lib.  IV, 
cap.  VII.) 

'2.  t>"  Quidquid  Deus  hnbet  in  seipso  est  ejus  essontia,  ul  ostensum  est.  Om- 
nia  aulem  (|Ufe  babet  Pater  sunt  Filii  ;  dicil  enirn  ipse  Filius  :  Omnia  quaecum- 
que  babet  l'alor  meus,  mea  sunt  {Joann.,  xiv,  Mi);  et  ad  Patrem  loquens,  ait  : 
Mea  omnia  tua  sunt,  et  tua  mea  sunt.  {Joann.,  xvii,  10.)  Est  ergo  eadem  essen- 
tiaet  natura  Palris  et  Filii.  (Id.,  ibid.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE   ET    LE    MYSTÈRE    DE    LA    TRINITÉ.  251 

3"  La  forme  est  ce  qui  constitue  l'être  ;  or  le  Verbe  a  la  forme 
de  Dieu,  selon  la  parole  de  l'Apôtre  :  Cum  in  forma  Dei  esset. 
Il  est  donc  Dieu  ;  l'essence  ou  la  substance  indivisible  de  Dieu  est 
en  lui  '. 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  les  disputes  sans  fin  suscitées 
par  les  hérétiques,  ni  dans  le  détail  des  objections  toujours  les 
mêmes,  mille  fois  réfutées  par  les  écrivains  catholiques  et  par  les 
Pères  des  conciles.  A  bien  y  regarder,  elles  peuvent  se  réduire  à 
trois.  La  première  est  qu'il  est  quelquefois  parlé  de  la  Sagesse 
éternelle  ou  du  Verbe  de  Dieu,  comme  d'une  sagesse  créée  ;  mais 
il  est  facile  de  répondre  que  la  Sagesse  de  Dieu  est  considérée,  dans 
ces  passages,  comme  incarnée;  or  l'humanité  à  laquelle  le  Verbe 
divin  s'est  uni  hypostatiquement  a  été  véritablement  créée. 

La  seconde  est  que  le  mot  consubstantiel  n'est  pas  dans  l'Écri- 
ture. Ceci  est  très  vrai  ;  mais  qu'importe  que  le  mot  n'y  soit  pas, 
si  la  doctrine  qu'il  exprime  s'y  trouve,  comme  l'admet  la  sainte 
Église,  et  comme  les  textes  que  nous  avons  apportés  en  font 
foi? 

La  troisième  est  que  l'introduction  de  ce  mot  fut  une  pierre 
d'achoppement  et  de  scandale.  Il  faut  reconnaître  qu'il  en  fut 
ainsi,  pour  les  Ariens  et  les  autres  hérétiques,  dont  il  servait  à 
dévoiler  les  arrière-pensées  ;  mais  les  vrais  fidèles  l'acceptè- 
rent avec  joie,  comme  l'expression  exacte  de  leur  croyance. 

Citons,  pour  terminer,  une  page  de  Bossuet. 

«  Un  Dieu  peut-il  venir  d'un  Dieu  ?  Un  Dieu  peut-il  être  d'un 
«  autre  que  de  lui-même?  Oui,  si  ce  Dieu  est  Fils.  Il  répugne  à 
«  un  Dieu  de  venir  d'un  autre  comme  créateur  qui  le  tire  du  néant  ; 
a  mais  il  ne  répugne  pas  à  un  Dieu  de  venir  d'un  autre,  comme 
«  d'un  Père  qui  l'engendre  île  sa  propre  substance.  Plus  un  fils 
«  est  parfait,  ou,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  plus  un  fils  estlils,  plus 
«  il  est  de  la  même  nature  et  de  la  même  substance  que  son  père, 
«  plus  il  est  un  avec  lui;  et  s'il  pouvait  être  de  même  nature  et 
«  de  même  substance  individuelle,  plus  il  serait  fils  parfait.  Mais 
«  quelle  nature  peut  être  assez  riche,  assez  inlinie,  assez  immense 

{.  30  Prgeterea  Apostolus  dicit  quod  Filius,  antequam  erituttiiret  semetipsum, 
forma  servi  accipiens,  in  forma  Dei  erat.  (Phi/ipi).,  11,  0,  7.)  Per  forinam  au- 
tem  Dei  non  aliud  intclli.cilur  quain  nalura  diviiia,  sicut  per  formani  servi 
non  inlelligitur  aliud  (juam  humana  natura.  Est  ergo  Filius  in  nalura  divina. 
(Id.,  ibid.) 


252         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II'  PARTIE.   —  LIVKE   II.  —  CHAP.   V. 

«  pour  cela,  si  ce  n'est  la  seule  infinie  et  la  seule  immense,  c'est- 
t  à-dire  la  seule  nature  divine?  C'est  ainsi  qu'il  nous  a  été  révélé 
€  que  Dieu  est  père,  que  Dieu  est  fils,  et  que  le  Père  et  le  Fils  sont 
t  un  seul  Dieu,  parce  que  le  Fils  engendré  de  la  substance  de  son 
«  Père,  qui  ne  soulïre  point  de  division  et  ne  peut  avoir  de  parties, 
«  ne  peut  être  rien  moins  qu'un  Dieu  et  un  même  Dieu  avec  son 
«  Père.  Car  qui  dit  substance  de  Dieu  la  dit  toute,  et  dit  par  con- 
e  séquent  Dieu  tout  entier. 

«  Qui  sort  de  Dieu  de  cette  sorte,  c'est-à-dire  de  toute  sa  subs- 
«  tance,  possède  en  même  temps  son  éternité  tout  entière,  selon 
«  ce  que  dit  le  prophète  :  Sa  sortie  est  dès  le  commencement, 
«  dès  les  jours  de  l' éternité  ',  parce  que  l'éternité  est  la  substance 
«  de  Dieu,  et  quiconque  est  sorti  de  Dieu  et  de  sa  substance  en 
«  sort  nécessairement  avec  une  même  éternité,  une  même  vie,  une 
«  même  majesté.  Car  si  un  père  transmet  à  son  fils  toute  sa  iio- 
«  blesse,  combien  plus  le  Père  éternel  communique-t-il  à  son  Fils 
«  toute  la  noblesse  avec  toute  la  perfection  et  l'éternité  de  son 
«  être?  ainsi  le  Fils  de  Dieu  nécessairement  est  coéternel  à  son 
«  Père;  car  il  ne  peut  y  avoir  rien  de  nouveau  ni  de  temporel  dans 
<  le  sein  de  Dieu.  La  mutation  et  le  temps,  dont  la  nature  est  de 
«  changer  toujours,  n'approche  point  de  ce  sein  auguste,  et  la 
•  même  perfection,  la  même  plénitude  d'être  qui  en  exclut  le  néant, 
«  en  exclut  toute  nature  changeante.  En  Dieu  tout  est  permanent, 
«  tout  est  immuable  ;  rien  ne  s'écoule  dans  son  être,  rien  n'y 
«  arrive  de  nouveau,  et  ce  qu'il  est  un  seul  moment,  si  l'on  peut 
«  parler  de  moment  en  Dieu,  il  l'est  toujours. 

«  Au  commencement  le  Verbe  était.  Remontez  à  l'origine  du 
«  monde,  le  Verbe  était.  Remontez  plus  haut,  si  vous  pouvez,  et 
«  mettez  tant  d'années  que  vous  voudrez  les  unes  devant  les  autres, 
«  il  était  :  il  est  comme  Dieu  est,  celui  qui  est.  S.  Jean  disait  dans 
«  V Apocalypse  :  La  grâce  vous  soit  donnée  par  celui  ^^^^  est,  qui 
«  était  et  qui  viendra  2  :  c'est  Dieu.  Et  peu  après  c'est  Jésus- 
«  Christ,  dont  S.  Jean  dit  :  Le  voilà  qui  vient  dans  les  nues  ^. 
«  Et  c'est  lui  qui  prononce  ces  paroles  :  Je  suis  l'alpha  et  V oméga, 
«  le  commencement  et  la  fin,  dit  le  Seigneur  Dieu,  qui  est,  et 

1.  Et  eKressu.s  ejus  ab  inilio,  a  diebus  aeternitatis.  {Midi.,  v,  2.) 
•2.  Gratia  vobis  et  pax  ab  eo  qui  est,  qui  erat,  et  qui  venturus  est.  {Apoc, 
I,  4.) 

3.  Ecce  venit  cum  nubibus.  (Id.,  ifjù/.,  7.) 


JÉSUS    EUCHARISTIQUE    ET    LE    MYSTERE    DE    LA    TRINITÉ.  253 

«  qui  était,  et  qui  viendra  ^  Jésus-Christ  est  donc  comme  son 
«  Père,  celui  qui  est  et  qui  était  ;  il  est  celui  dont  l'immensité 
«  embrasse  le  commencement  et  la  fin  des  choses  ;  et  comme  Fils, 
«  et  étant  de  même  nature,  de  même  substance  que  son  Père, 
<r  il  est  aussi  de  même  être,  de  même  durée  et  de  même  éter- 
«  nité  -•. 

Qu'il  est  donc  grand,  le  Dieu  que  nous  adorons  dans  la  Très 
Sainte  Eucharistie!  C'est  le  \'erbe  de  Dieu,  c'est  sa  parfaite  Image 
et  sa  Sagesse  substantielle  ;  c'est  le  Fils  éternellement  engendré 
par  le  Père,  et  c'est  avec  le  Père  le  principe  unique  dont  procède 
le  Saint-Esprit.  Gonsubstantiel  aux  deux  autresadorables  personnes, 
il  est  substantiellement  présent  dans  le  sacrement  de  son  amour, 
où  elles  l'accompagnent,  parce  qu'elles  sont  avec  lui  un  seul  être 
infiniment  simple,  un  seul  et  même  Dieu.  Il  y  est  d'une  manière 
particulière,  et  l'on  pourrait  dire  plus  complète,  parce  que  lui  seul 
s'est  incarné  et  que  l'Eucharistie  est  le  sacrement  de  son  corps  et 
de  son  sang,  hypostatiquement  unis  à  sa  divinité.  Mais  le  Père  ne 
saurait  être  absent  du  lieu  où  est  le  Fils,  ni  le  Saint-Esprit  se  sé- 
parer du  Fils  et  du  Père.  Adorons  donc  notre  Dieu  dans  ce  sacre- 
ment divin  ;  anéantissons-nous  à  la  pensée  des  mystères  intimes 
de  la  vie  de  Dieu  qui  s'y  accomplissent  ;  rappelons-nous  que  l'amour 
que  le  Seigneur  nous  porte  est  la  cause  de  tant  de  merveilles,  et 
nous  aimerons  à  notre  tour,  nous  servirons  avec  la  dévotion  la  plus 
ardente  un  Dieu  si  bon  pour  nous. 

1.  Ego  sum  alpha  et  oméga,  principium  et  finis,  dicit  Dominus  Deus  qui 
est,  qui  erat  et  qui  venturus  est.  (Id.,  ibid.,  8.) 

2.  BossuET,  Élevât,  sur  les  myst.,  Ile  sem.,  Il'  élevât. 


254         LA    SAINTE    EL'CHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  — LIVRE   II. —  CHAP.   VI. 


CHAPITRE  VI 

DE  L'HUMAXITli:  SAINTE  DE  NOTRE-SEIGNEUR  PRÉSENT  DANS  L'EUCHARISTIE, 
ET  PARTICULIÈREMENT  DE  SON  CORPS  ADORABLE 

I.  Jésus-Christ,  fils  d'Adam  comme  nous,  a  un  corps  humain  semblable  aux  nôtres, 
dans  l'Eucharistie.  —  II.  Le  corps  de  .lésus-Christ  présent  au  Saint-Sacrement  est 
vivitit"  par  une  âme  semblable  aux  nôtres.  —  III.  En  quel  ordre  de  priorité  s'est 
accomplie  l'union  du  Verbe  avec  son  corps  et  son  âme  lorsqu'il  s'est  incarné.  — 
IV.  Union  de  toutes  les  parties  intégrantes  du  corps  de  Notre-Seigneur  et  particu- 
lièrement de  son  sang  avec  sa  divinité.  —  V.  Perfection  souveraine  du  corps  ado- 
rable de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie. 


I. 

JÉSUS-CHRIST,    FILS    d'aDAM    COMME    NOUS,    A    UN    CORPS    HUMAIN 
SEMBLABLE    AUX    NÔTRES,    DANS    l' EUCHARISTIE 

Le  Dieu  que  nous  adorons  au  Très  Saint  Sacrement  de  l'autel 
n'est  pas  uniquement  notre  Dieu,  avec  toutes  ses  infinies  gran- 
deurs ;  il  est  aussi,  j'oserais  presque  dire,  il  est  surtout  notre  frère. 
Sa  majesté  suprême  nous  étonne  et  peut  nous  inspirer  de  la  frayeur  ; 
mais  la  douceur  ineffable  de  son  humanité,  qu'il  a  prise  paramour 
pour  nous,  nous  rassure  et  nous  attire. 

S.  Thomas  nous  enseigne  qu'il  convenait  que  le  Fils  de  Dieu, 
puisqu'il  daignait  s'incarner  pour  régénérer  l'humanité  et  nous 
sauver,  empruntât  sa  nature  humaine  à  la  race  d'Adam  '.  Sans 
doute  il  aurait  pu  se  créer  un  corps  et  une  àme  comme  les  nôtres, 
sans  qu'ils  eussent  avec  nous  aucun  rapport  d'origine,  mais  il  ve- 

i.  Ulrum  conveniens  fuerit  quod  I'iliu.s  Dei  humanam  naturam  assumeret 
ex  slirpe  Adae? 

Hespondeo  dicendum,  quod  sicut  Augustinus  dicit  in  XIII  dcTrinitate,  «  po- 
terat  Deu.s  hominem  aliunde  susclpere,  non  de  génère  illius  Adae,  qui  suo 
peccato  obligavit  genu.s  humanurn;  .sed  melius  judicavit  ut  de  ipso  quod 
victum  fuerat  genus  assumeret  hominem  Dcus,  per  quem  generis  humani 
vinceret  inimicum.  »  Et  hoc  propler  tria.  Primo  quidcm,  quia  hoc  videtur  ad 
jusliliam  pertinere,  ut  ille  satisfaciat  qui  peccavit.  El  ideo  de  natura  per  pec- 
'•alum  corruj)la  del)uit  assumi  id  per  quod  salisfactio  esset  implenda  pro  tota 
natura.  Secundo,  quia  hoc  etiam  pertinet  ad  majorem  hominis  dignilatem; 
duni  ex  illo  génère  victor  dialwli  nascitur,  quod  per  diabolum  fuerat  victum. 
Tertio,  quia  per  hoc  etiam  Dei  potentia  magis  ostendilur,  dum  de  natura  cor- 
rupla  cl  infirma  assumpsit  id  quod  in  tantam  virlutem  et  dignitatem  est 
promotum.  (S.  Tiiom.,  111  p.,  q.  iv,  art.  0.) 


DE    l'hDMANITÉ    sainte   DE    NOTRE-SEIGNEDR    DANS    l'eDCHARISTIE.         255 

nait  sur  la  terre,  il  s'incarnait  pour  expier  nos  péchés,  et  il  était 
juste  que  l'expiation  fût  le  fait  de  la  même  race  qui  s'était  rendue 
coupable.  Il  convenaitaussi,  pourla  gloire  de  l'humanité  à  laquelle 
Dieu  voulait  rendre  avec  usure  sa  dignité  première,  que  le  démon 
fût  vaincu  par  le  descendant  de  celui  dont  il  avait  été  victorieux. 
Enfin,  la  puissance  de  Dieu  éclate  d'autant  plus  dans  l'œuvre  de 
la  rédemption  des  hommes  que  celui  qui  les  relève  sort  lui-même 
de  cette  race  déchue,  pour  être  élevé  au-dessus  de  toute  créature 
jusqu'au  trône  de  Dieu  même,  et  leur  faire  partager  son  héritage 
et  ses  grandeurs  comme  il  aurait  partagé  leurs  abaissements,  le 
péché  excepté,  et  leurs  souffrances. 

Ce  fut  donc  de  la  race  d'Adam  que  le  Fils  de  Dieu  voulut  naître, 
et  le  sang  d'Adam,  qui  est  notre  sang,  coula  véritablement  dans 
ses  veines.  Il  prit,  dans  le  sein  de  Marie,  fille  de  David  et  d'A- 
braham, un  corps  véritable  et  terrestre  comme  les  nôtres:  il  prit 
une  àme,  il  prit  enfin  tout  ce  qui  est  essentiel  à  l'intégrité  de  la 
nature  humaine  ',  car  il  voulut  être  en  tout,  non  seulement  sem- 

i.  Voici  le  résumé  de  la  doctrine  de  S.  Thomas  sur  cette  question,  tel  que 
le  donne  t).  Alvarez  dans  son  traité  :  De  Incarnatione  Verbi  : 

Quaestio  quinta  :  De  modo  unionis  ex  parte  partium  humanae  naturae. 

Art.  I.  Utrum  Dei  Filius  debuerit  assumere  verum  corpus.  —  Conclusio  est 
affirmativa.  —  Probatur  1°  :  Conveniens  fuit  Filium  Dei  assumere  humanam 
naturam,  ut  q.  i,  art.  1,  dictum  est  :  ergo  etiam  verum  corpus,  sine  quo  non 
salvatur  Veritas  naturte  humanae.  —  ^°  Quia  si  corpus  phantasticum  assump- 
sisset,  non  sustinuisset  pro  hominibus  veram  mortem;  et  consequenter  non 
fuisset  operati'is  veram  hominis  salutem.  —  3"  Nam  cum  persona  assumens 
sit  ipsa  Veritas,  non  decuit  ut  in  ejus  opère  aliqua  fictio  esset. 

.\rt.  II.  Utrum  Dei  Filius  debuerit  assumere  corpus  terrenum,  scilicet  car- 
nem  et  sanguinem?  —  Conclusio  est  affirmativa.  Probatur  :  1°  Si  corpus  ejus 
fuisset  cœleste  ut  posuit  Valentinus,  non  salvaretur  in  Christo  veritas  naturae 
humanae,  quae  necessario  requirit  determinatam  materiam,  scilicet  carnes  et 
ossa,  etc.  '■l"  Quia  hoc  etiam  derogaret  veritati  eorum  quée  Christus  in  corpore 
gessit  :  non  enim  vere  esuriisset  Christus,  nec  sitisset,  nec  etiam  passionem  et 
mortem  sustinuisset.  Haec  enim  corpori  cœlesti  competere  non  possunl,  cum 
sit  impassihile  et  incorruptibile. 

Art.  III.  Utrum  Filius  Dei  assumpserit  animam.  —  Conclusio  affirmativa  est 
de  fide;  habetur  ex  Matih.,  .xxvi  :  Tristis  est  anima  mea  iisque  ad  mortem;  et 
Joanti..  X  :  Potestatem  haheo  ponendi animam  meam.  Ratione  probatur  :  .\nima 
pertinet  ad  speciem  humanae  naturae;  caro  enim,  et  cœlerae  partes  hominum 
per  animam  speciem  sorliuntur;  sed  Filius  Dei  assumpsit  veram  naturam 
humanam  ut  supra  oslensum  est  :  ergo  et  animam. 

Art.  IV.  Utrum  Filius  Dei  assumere  debuerit  intellectutn.  —  Conclusio  est 
affirmativa.  Habetur  enim  ex  Is.,  \a\  :  Ecce  intelliget  puer  meus  :  ut  probat 
Augustinus,  lib.  de  Fide  ad  Petrum,  c.  xiv.  Prapterea  probatur  :  Si  Christus 
animam  sine  mente  habuisset,  talis  anima  non  fuisset  capax  gratiœ,  nec  po- 


256         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   if  l'ARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI. 

blable  à  nous,  lepéché  excepté,  mais  très  réellement  l'un  de  nous  et 
notre  frère. 

Ce  fut  donc  la  nature  humaine  que  s'unit  le  Verbe  de  Dieu  et  il 
se  l'unit  hypostatiquement,  c'est-à-dire  de  telle  sorte  que  ses  deux 
natures,  la  nature  divine  et  la  nature  humaine,  subsistent  en  une 
seule  et  unique  personne,  qui  est  la  personne  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme.  Il  a  pris  la  nature  humaine  dans  sa  perfection  et  sans  que 
rien  y  manque.  Il  est  de  foi  que  le  Verbe  s'est  fait  homme,  non 
pas  homme  incomplet  mais  parfait  :  S.  Jean  l'a  dit  :  Et  Verbum 
caro  factiim  est.  «  Et  le  Verbe  s'est  fait  chair  ;  »  et  la  sainte  Église 
le  proclame  dans  le  symbole  de  foi  qu'elle  fait  chanter  solennelle- 
ment par  tous  les  chrétiens,  au  sacrifice  de  la  messe  :  Ei  homo 
faclus  est  :  «  Et  le  Fils  de  Dieu  s'est  fait  homme.  » 

Le  Verbe  de  Dieu  a  pris  la  nature  humaine  et  il  n'en  a  pas  pris 
d'autre  quoique,  de  puissance  absolue,  il  eût  pu  le  faire  s'il  l'avait 
voulu;  mais  il  ne  l'a  pas  fait.  C'est  une  laveur  insigne  et  singu- 
lière qu'il  a  daigné  accorder  à  la  nature  humaine.  Du  Christ  seul, 
c'est-à-dire  de  l'homme  hypostatiquement  uni  à  la  divinité,  il  est 
dit  qu'il  est  le  prince,  le  chef  suprême  de  toutes  choses,  que  Dieu 
l'a  établi  sur  toutes  les  œuvres  de  ses  mains  ;  il  n'est  pas  d'autre 
être  que  lui  dont  on  puisse  dire  tout  à  la  fois  qu'il  est  Dieu  et  qu'il 
est  créature.  L'apôtre  S.  Paul  refuse  expressément  à  la  nature 
angélique  cet  honneur  incomparable  que  Dieu  a  fait  à  notre  na- 
ture humaine:  «  Il  n'a  pas  pris  la  nature  des  anges,  »  dit-il, 
t  mais  c'est  la  race  d'Abraham  qu'il  prend  i.  » 

D'autre  part,  il  faut  savoir  aussi  qu'en  s'unissant  à  la  nature 
humaine,  ce  n'est  pas  à  une  personne,  mais  uniquement  à  une 
nature  créée,  n'ayant  pas  de  personnalité  propre  et  créée  comme 
elle  qu'il  s'est  uni  -.  Que  serait  en  effet  devenue  la  personnalité 

luisset  mereri.  Secundo  sequeretur  non  liabuisse  animam  humanam,  sed  bes- 
tialem,  ut  arguit  Augustinus,  lib.  LXXXIl,  q.  lxxx;  quia  per  solam  mentem 
anima  nostra  differl  ab  anima  bestiali.  (Vide  Alvarez,  de  Incarnat,  divini 
Verbi.) 

\.  Nusquam  enim  Angeles  apprehendit,  sed  semen  Abrahse  apprehendit. 
{Ilebr.,  Il,  10.) 

2.  Utrum  Fitius  Dei  assumpserit  personam? —  Conclusio  (D.  Thomse,  III  p., 
q.  IV,  art.  2)  est  ncgativa.  Probatur  :  Illud  quod  assumitur  oportet  prseintelligi 
asisumptioni,  sicut  illud  quod  movetur  localiter,  prseintelligilur  ipsi  motui  : 
sed  persona  non  praeintelligitur  in  bumana  nalura  assuinplioni,  sed  magis  se 
babet  ut  terminus  assumptionis,  ut  fjriœst.  prxcedenti,  arl.  4  et  %  dictum  est. 
Si  enim  prseintelligeretur,  vel  oportet,  quod  corrumperetur,  et  sic  frustra 


DE   l'humanité    sainte    DE   NOTRE-SEIGNEUR    DANS    LEUCHARISTIE.  257 

humaine  au  moment  de  l'union  du  Verbe  avec  la  nature  si  elle 
avait  existé  d'abord?  Ou  bien  elle  aurait  disparu,  et  alors  à  quoi 
bon  l'existence  antérieure?  Ou  bien  elle  aurait  continué  d'être,  et 
alors  il  y  aurait  eu  deux  personnes,  la  personne  humaine  et  la 
personne  divine,  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  ce  qui  est  con- 
traire à  la  foi.  C'est  donc  uniquement  la  nature  humaine  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  prise.  Mais  il  l'a  prise  tout  entière 
avec  toutes  les  parties  essentielles  qui  la  constituent  et  les  parties 
qui,  sans  être  essentielles,  sont  réclamées  pour  son  intégrité. 

La  foi  nous  enseigne  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  véri-' 
tablement  homme.  Les  prophètes  ne  laissent  aucun  doute  sur  la 
réalité  de  l'humanité  du  Christ  qu'ils  annoncent  ;  le  Sauveur  lui- 
même  affecte  de  s'appeler  le  Fils  de  l'homme;  toutes  les  pages  de 
l'Évangile,  toutes  les  circonstances  de  sa  vie,  démontrent  évidem- 
ment que,  s'il  est  Dieu  et  Fils  de  Dieu,  il  est  en  même  temps 
homme,  né  de  Marie  et  descendant  de  David  et  d'Abraham.  Quel- 
ques hérétiques  ont  bien  essayé,  dans  les  premiers  siècles,  de 
mettre  en  doute  ce  dogme  de  notre  foi,  mais  leur  voix  n'a  pas  eu 
d'écho  et  l'humanité  de  Jésus-Christ  n'est  demeurée  à  l'état  de 
doute  pour  personne. 

Le  Fils  de  Dieu  s'est  uni  à  l'humanité,  de  telle  sorte  qu'il  est 
un  homme  particulier  et  distinct,  comme  chacun  de  nous  est  dis- 
tinct des  autres  hommes,  quoique  la  nature  humaine  se  retrouve 
en  tous  également.  Quelques  hérétiques  ont  rêvé  que  Jésus-Christ 
n'était  homme  que  d'une  manière  abstraite  et  générale;  mais 
outre  qu'il  est  difficile  de  comprendre  ce  mode  d'union  à  la  nature 
humaine,  il  fallait  un  homme  véritable  et  non  pas  une  vague 
humanité,  pour  accomplir  l'œuvre  de  la  rédemption,  expier  les 
péchés  des  hommes  et  nous  mériter  la  grâce  et  la  gloire.  C'est  bien 
d'un  homme  que  le  saint  Évangile  nous  rapporte  la  vie,  depuis  sa 
conception  par  l'opération  du  Saint-Esprit  dans  le  sein  de  la  bien- 
heureuse Vierge  Marie,  fille  de  David  et  fille  d'Abraham  et  d'Adam, 

esset  assumpta,  vel  quod  remaneret  post  unionem,  el  sic  essentdua;  personœ, 
iina  assumens  et  alia  assumpta;  quod  est  erroneum  :  ergo.,.. 

Vtrum  persfma  divina  fdisiimjiserit  hommcm?  {art  '.i.)  —  Conchisio  est  né- 
gative, si  proprie  loquamur,  et  opposita  est  erronca  :  nain  alias  essent  in  Chrislo 
duae  persona;  seu  hypostases  :  Ktenim  lioino  significat  naturam  humanain,  ut 
est  in  supposito  :  ergo  si  Filius  Dei  assum])sit  liomineni,  .se(|uilur  (|UO(i  sit  in 
Christo  proprium  supposituin  liumanum;  et  sic  essent  in  illo  duo  supposita 
rcalitcr  distincla.  (Alvarez,  de  Incarnai.,  qusest.  iv,  art.  -1  et  ;J.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  17 


558  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  11'  PARTIE.  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI. 

jusqu'à  sa  mort  ignominieuse  et  cruelle  sur  le  Calvaire  et  sa  ré- 
surrection suivie  bientôt  de  son  ascension  glorieuse  dans  le 
royaume  des  ci  eux. 

Mais  il  est  nécessaire  de  connaître,  autant  que  le  pouvoir  nous 
en  est  donné,  l'humanité  du  Seigneur  que  nous  adorons  au  Très 
Saint  Sacrement. 

Ce  qui  paraît  premièrement,  ce  qui  frappe  les  regards  et  que 
l'on  remarque  avant  tout  dans  l'homme,  c'est  le  corps,  et  c'est  aussi 
ce  que  la  Sainte  Écriture  nous  enseigne  tout  d'abord  que  le  Verbe 
de  Dieu  a  pris  de  notre  nature,  lorsqu'il  s'est  fait  semblable  à  nous. 

Que  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ  ait  eu  un  corps  semblable  aux 
nôtres,  une  chair  véritable  et  réelle,  c'est  une  vérité  dont  la  né- 
gation entraînerait  celle  de  la  plupart  des  mystères  de  notre 
sainte  religion.  Si  le  Verbe  de  Dieu  n'avait  pas  pris  dans  le  sein 
de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  un  corps  véritable,  l'incarna- 
tion n'existerait  pas;  elle  ne  serait  qu'une  vaine  apparence;  il  faut 
en  dire  autant  de  la  mort  et  de  la  résurrection  du  Sauveur  :  or, 
selon  la  parole  de  l'Apôtre,  si  le  Christ  n'est  pas  ressuscité,  notre 
foi  perd  sa  raison  d'être  K  Mais  nombreuses  et  irréfutables  sont 
les  preuves  sur  lesquelles  repose  la  croyance  à  la  réalité  du  corps 
et  de  la  chair  de  Jésus-Christ. 

L'apôtre  S.  Jean  nous  déclare;  dès  la  première  page  de  son  Évan- 
gile, que  a  le  Verbe  s'est  fait  chair  et  qu'il  a  habité  parmi  nous  :  » 
Et  Verbum  caro  factum  est,  et  liabitavit  in  nobis.  Il  a  pris  une 
chair  humaine,  il  s'est  fait  homme  semblable  aux  autres  hommes, 
pour  être  l'un  d'entre  eux  et  demeurer,  comme  tel,  au  milieu 
d'eux.  Personne  n'imaginera  sans  doute  que,  prenant  un  corps, 
une  chair  véritaljle  pour  se  montrer  et  demeurer  au  milieu  des 
hommes,  ce  n'est  pas  une  chair  humaine  qu'il  a  prise.  Et  si  quel- 
qu'un avait  cette  pensée  étrange,  chaque  page,  ciiaque  ligne  de 
l'Évangile  de  S.  Jean  serait  une  protestation  contre  un  pareil  rêve. 
Les  autres  évangélistes  nous  apprennent  qu'il  a  été  conçu  dans 
le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  et  de  sa  substance,  non 
pas,  il  est  vrai,  selon  le  mode  ordinaire,  mais  par  un  miracle  de  la 
toute-puissance  divine,  et  sans  que  la  virginité  de  sa  Mère  eût  à 
soullrir  ni  de  sa  conception  ni  de  sa  naissance.  Ils  nous  appren- 
nent qu'il  naquit  dans  l'étable  de  Bethléem,  qu'il  fut  enveloppé  de 

\.  Si  Christus  non  resurrexit,  vana  est  fides  vestra.  (/.  Cor.,  xv,  17.) 


DE    l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCHARISTIE.         239 

langes,  qu'il  reçut  la  circoncision  huit  jours  après  sa  naissance, 
ils  nous  rapportent  enfin  mille  circonstances  de  sa  vie,  de  sa  mort, 
de  sa  résurrection  glorieuse,  qui  supposent  nécessairement  et  par 
conséquent  prouvent,  jusqu'à  l'évidence,  que  le  corps  avec  lequel 
il  s'est  montré  aux  yeux  des  hommes  était  bien  un  corps  véri- 
table, un  corps  humain  comme  ceux  des  autres  fils  d'Adam. 

L'apôtre  S.  Paul  a  soin  de  remarquer  que  le  corps  du  Fils  de 
Dieu  fait  homme  tire  bien  son  origine  de  la  substance  de  sa  mère, 
et  qu'il  en  est  de  lui,  sous  ce  rapport,  comme  des  autres  enfants. 
Il  dit  en  effet  que  Dieu  l'a  choisi  pour  annoncer  l'Évangile  de 
a  son  Fils  qui  lui  est  né  de  la  race  de  David,  selon  la  chair  i.  » 
Ailleurs  il  fait  cette  déclaration  expresse  :  «  Lorsque  fut  venue  la 
«  plénitude  du  temps.  Dieu  a  envoyé  son  Fils  formé  d'une  femme, 
«  soumis  à  la  loi,  pour  racheter  ceux  qui  étaient  sous  la  loi,  pour 
«  que  nous  reçussions  l'adoption  des  enfants  -.  »  Ces  autres  paroles 
du  grand  Apôtre  ont  peut-être  encore  quelque  chose  de  plus  ex- 
pressif, car  elles  montrent  jusqu'à  quel  point  le  Fils  de  Dieu  s'est 
abaissé  en  acceptant  notre  nature  :  «  Étant  véritablement  Dieu,  il 
«  n'a  pas  cru  que  ce  fût  une  usurpation  de  se  faire  égal  à  Dieu  ; 
«  mais  il  s'est  anéanti  lui-même,  prenant  la  forme  de  serviteur, 
«  ayant  été  fait  semblable  aux  hommes  et  reconnu  pour  homme 
«  par  les  dehors.  Il  s'est  humilié  lui-même,  s'étant  fait  obéissant 
«  jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la  croix  3.  «  Véritablement  Dieu, 
ou  plus  littéralement,  «  dans  la  forme  de  Dieu,  »  in  forma  Dei, 
il  s'est  anéanti  jusqu'à  prendre  la  forme  de  serviteur,  fonnam 
servi  accipiens,  c'est-à-dire  jusqu'à  devenir  serviteur,  et  com- 
ment? en  se  faisant  semblable  aux  hommes,  de  sorte  que  tout  à 
l'extérieur  le  fît  reconnaître  pour  un  homme,  ei  liabitu  inventus 
ut  horao.  Et  devenu  homme  véritable  comme  il  était  Dieu  véri- 
table, il  poussa  plus  loin  encore  l'humilité  et  le  dévouement  pour 
sauver  ceux  dont  il  s'était  fait  le  frère  :  obéissant  à  son  Père  cé- 


1.  De  Filio  suo,  qui  factus  est  ei  ex  semine  David  secundum  carnem. 
[Rom.,  I,  3.) 

2.  At  ubi  venit  plénitude  lemporis,  misit  Deus  Filium  suuni,  factum  ex 
muliere,  factum  sub  legc  :  ut  eos  qui  sub  lege  erant  rediniorct  ut  adoptioncm 
filioruin  recipcremus.  [Galnt.,  iv,  i,  5.) 

3.  Cum  in  forma  Dei  esset,  non  rapinam  arbilratus  est  esse  se  ;vqualom 
Deo  :  sed  semetipsum  exinanivit,  formam  servi  accipiens,  in  simililudiniMu 
hominum  factus  et  haliilu  inventus  ut  liomo.  Iluniiliavit  semetipsum,  factus 
obediens  usque  ad  morlem,  mortem  autem  crucis.  [Pliiliiip.,  ii,  0-8.) 


260         LA    SAINTE   EL'CIIARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE   II.  CHAP.  VI. 

leste,  il  se  livra  à  la  mort  la  plus  cruelle  et  la  plus  infamante  de 
toutes,  la  mort  de  la  croix,  le  supplice  réservé  aux  esclaves.  Aurait- 
il  souffert  ainsi,  serait-il  mort,  et  mort  crucifié,  si  son  corps 
n'avait  pas  été  un  corps  véritable  ?  L'Apôtre  pourrait-il  nous 
affirmer  que  le  Fils  de  Dieu  s'est  imposé  tous  ces  abaissements  et 
qu'il  a  enduré  toutes  ces  ignominies  et  toutes  ces  douleurs  s'il 
n'y  avait  eu  là  que  de  vaines  apparences,  je  ne  sais  quelle  fantas- 
magorie trompeuse  ? 

Mais  Jésus-Christ  n'a  pas  seulement  souffert,  il  a  mangé,  il  a 
bu,  il  a  eu  faim,  il  a  eu  soif  comme  les  autres  hommes;  il  a  passé 
par  toutes  les  épreuves  de  notre  pauvre  nature,  selon  la  parole 
d'Isaïe  :  a  II  a  vraiment  lui-même  pris  nos  langueurs  sur  lui  et 
«  il  a  porté  nos  douleurs  i.  » 

Après  sa  résurrection,  ses  apôtres,  qui  ne  pouvaient  se  résigner 
à  la  croyance  d'une  si  grande  merveille,  le  prirent  d'abord  pour 
un  fantôme  lorsqu'il  se  fit  voir  à  eux  dans  le  Cénacle,  une  première 
fois.  Alors,  pour  leur  prouver  qu'ils  étaient  dans  l'erreur  et  que, 
même  après  sa  résurrection,  son  corps  qu'ils  voyaient  de  leurs 
yeux  était  bien  un  corps  véritable  et  sa  chair  une  véritable  chair 
et  non  pas  une  vaine  apparence,  il  se  fit  toucher  par  eux  et  leur 
dit  :  «  Pourquoi  êtes-vous  troublés,  et  pourquoi  ces  pensées  s'é- 
«  lèvent-elles  dans  vos  cœurs?  Voyez  mes  mains  et  mes  pieds  : 
«  c'est  bien  moi  ;  touchez  et  voyez  :  un  esprit  n'a  ni  chair  ni  os, 
«  comme  vous  voyez  que  j'ai.  Et  lorsqu'il  eut  dit  cela,  il  leur 
«  montra  ses  mains  et  ses  pieds.  Mais  ils  ne  croyaient  point  encore, 
«  quoiqu'ils  fussent  transportés  d'admiration  et  de  joie.  Il  leur 
«  dit  :  Avez-vous  ici  quelque  chose  à  manger?  Et  ils  lui  présen- 
«  tèrent  un  morceau  de  poisson  rôti  et  un  rayon  de  miel.  Or,  lors- 
«  qu'il  eut  mangé  devant  eux,  prenant  les  restes,  il  les  leur  of- 
«  frit  '.  » 

Jésus-Christ  pouvait-il  leur  donner  des  preuves  plus  claires, 

1.  Vere  languores  nostros  ipsc  tulit  et  dolores  nostros  ipse  portavit.  (/s., 
i.iii,  4.) 

•i.  Quid  turbati  estis  et  cogitationes  ascendunt  in  corda  vestra?  Videte  ma- 
nus  meas,  et  pedes,  quia  ego  ipse  surn  ;  palpate  et  videte  quia  spiritus  car- 
nem  et  ossa  non  habcnt,  sicut  me  videlis  habere.  Et  cum  hoc  dixisset  ostendit 
fis  manus  et  pedes.  Adhuc  autem  illis  non  credentibus,  et  mirantibus  prae 
gaudio,  dixit  :  Habetis  liic  aliquid  quod  manducetur?  At  illi  obtulerunt  ei  par- 
tem  piscis  assi,  et  favum  rnellis.  Et  cum  manducasset  coram  eis,  sumens  reli- 
quias  dédit  eis.  {Luc,  xxiv,  IW-i3.) 


DE    l'humanité    sainte    de    NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eDCHARISTIE.         261 

après  sa  résurrection,  de  la  réalité  de  ce  corps  adorable  qu'ils 
avaient  vu  et  touclié  tant  de  fois  avant  sa  mort,  qu'ils  voyaient  et 
touchaient  de  nouveau,  devenu  glorieux  par  la  résurrection? 

S.  Jean,  le  disciple  bien-aimé,  l'apôtre  évangéliste,  affirme  en 
ces  termes  la  même  vérité,  dans  sa  première  épitre  :  «  Voici  en 
«  quoi  se  connaît  l'esprit  de  Dieu  :  Tout  esprit  qui  confesse  que 
«  Jésus-Christ  est  venu  dans  la  chair  est  de  Dieu  ;  et  tout  esprit 
a  qui  détruit  Jésus  n'est  point  de  Dieu,  et  celui-là  est  l'Antéchrist, 
ft  dont  vous  avez  ouï  dire  qu'il  vient  ;  or  il  est  déjà  dans  le 
«  monde  ^.  »  Au  lieu  decesmots  :  «  Tout  eaprit  qui  détruit  Jésus,  » 
il  y  a  dans  le  texte  grec  :  «  Tout  esprit  qui  ne  confesse  pas  que 
Jésus-Christ  est  venu  dans  la  chair.  »  Au  fond  le  sens  est  le  même, 
mais  la  pensée  de  l'auteur  inspiré  se  manifeste  plus  clairement 
dans  cet  autre  texte  qui  semble  être  l'original. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut,  si  l'on  veut  être  du  nombre  des  servi- 
teurs et  des  enfants  de  Dieu,  reconnaître  que  le  corps  de  Jésus- 
Christ  a  été  un  véritable  corps,  que  sa  chair  a  été  une  véritable 
chair,  et  que,  maintenant  qu'il  est  ressuscité  et  qu'il  règne  dans 
la  gloire  de  son  Père  au  plus  haut  des  cieux,  ce  corps  est  toujours 
un  corps  véritable,  et  cette  chair  une  chair  réelle  et  véritable.  Qui- 
conque ne  reconnaît  pas  cette  vérité  n'a  plus  rien  de  commun 
avec  Dieu,  il  est  son  ennemi  ;  il  est  membre  de  l'Antéchrist. 

Les  symboles  de  la  foi  ne  pouvaient  pas  manquer  de  reproduire 
un  article  si  important  de  la  croyance  catholique,  afin  de  le  rap- 
peler, pour  ainsi  dire  à  chaque  instant,  au  souvenir  des  fidèles.  Le 
symbole  de  Nicée  dit,  en  parlant  du  Fils  de  Dieu  :  «  Il  s'est  incarné 
«  en  prenant  un  corps  dans  le  sein  de  la  Vierge  Marie,  par  l'opé- 
«  ration  du  Saint-Esprit,  et  s'est  fait  homme  :  »  Et  incarnatus 
est  de  Spiritu  sancto,  ex  Maria  Virgine,  et  Jiomo  factiis  est.  Le 
même  dogme  se  trouvait  exprimé  déjà  dans  le  Symbole  des  apôtres: 
«  Je  crois....  en  Jésus-Christ  son  Fils  unique,  Notre-Seigneur,  qui 
a  a  été  conçu  du  Saint-Esprit,  est  né  de  la  Vierge  Marie  :  » 
Credo....  in  Jesum  Christ um  Filium  ejus  unicuni,  Dominum 
nostrum  :  qui  conceptus  est  de  Spiritu  sancto,  natus  ex  Maria 
Virgine.  Le  Symbole  de  S.  Athanase  déclare  à  son  tour  que  Notre- 

\.  In  hoc  cognoscitur  Spiritus  Dei  :  Oinnis  spiritus  qui  confitotur  Jesum 
Christum  in  carne  vcnissc,  ex  Deo  est.  El  omnis  spiritus  qui  solvit  Jesum,  ex 
Deo  non  est  :  et  hic  est  Antichristus,  de  quo  audistis  quoniam  venil.  Kt  nunc 
jam  in  mundo  est.  (/.  Joann.,  iv,  2,  3.) 


262         LA    SAINTB   EUCHAKISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.'  —  CHAP.    VI. 

Seigneur  Jésus-Christ  est  Dieu  et  qu'il  est  homme.  «  Il  est  Dieu, 
«  étant  engendré  de  la  substance  de  son  Pèreavant  les  siècles;  et 
«  il  est  homme,  étant  né  delà  substance  de  samère  dans  le  temps. 
«  Dieu  parfait  et  homme  parfait,  ayant  une  âme  raisonnable  et  un 
«  corps  humain  :  »  Deusest  ex  subslantia  Patris  ante  sœculage- 
nitus  ;  et  homo  est  ex  siibstantia  matris  in  sœculo  natus.  Per- 
fectus  Deus,  perfectus  homo  :  ex  anima  rationali  et  humana 
carne  subsistens. 

Citer  les  conciles  serait  ici  superllu.  On  sait  en  effet  que  les 
Pères  qui  les  composaient  commençaient  ordinairement  leurs  tra- 
vaux par  l'adhésion  au  symbole  de  la  foi.  Nous  lisons  dans  les  actes 
du  saint  Concile  de  Trente,  IIP  session  :  «  Le  saint  et  sacré  Concile 
«  de  Trente....  a  résolu  et  prononcé  pour  première  ordonnance 
«  qu'il  faut  d'abord  commencer  par  la  profession  de  foi,  suivant 
«  en  cela  les  exemples  des  Pères  qui,  dans  les  plus  saints  conciles, 
«  ont  accoutumé  d'opposer  ce  bouclier  contre  toutes  les  hérésies, 
«  au  commencement  de  leurs  actions.  Ce  qui  leur  a  si  bien  réussi 
«  que  quelquefois,  par  ce  seul  moyen,  ils  ont  attiré  les  infidèles  à 
«  la  foi,  forcé  les  iiérétiquesdans  leurs  retranchements  et  confirmé 
«  les  fidèles.  Voici  donc  le  Symbole  de  la  foi,  dont  se  sert  la  sainte 
«  Église  romaine,  et  que  le  saint  Concile  a  jugé  à  propos  de  rap- 
«  porter  ici,  comme  étant  le  principe  dans  lequel  conviennent  né- 
«  cessairement  tous  ceux  qui  font  profession  de  la  foi  de  Jésus- 
«  Christ  '.»  Le  symbole  que  le  Concile  de  Trente  formule  ensuite 
est  celui  que  nous  avons  cité  plus  haut,  le  Symbole  de  Nicée  ou 
plutôt  de  Constanlinople,  que  le  peuple  fidèle  récite  chaque  di- 
manche à  la  messe,  en  union  avec  le  prêtre. 

Nous  devons  nécessairement  retrouver  dans  les  écrits  des  Pères 
la  même  doctrine,  qui  ressort  des  saintes  Écritures  et  que  les  Con- 
ciles ont  consacrée  par  leurs  définitions.  Aussi  voyons-nous,  dans 
tous  les  siècles,  ces  vénérables  témoins  de  la  vérité  proclamer  que 
le  Fils  de  Dieu  a  vécu  sur  la  terre  avec  un  corps  réel  et  véritable, 

\.  Maec  sacrosancla  el  gcneralis  Tridentina  synodus....  ante  oinnia  statuit 
el  decernit  j)ra3rniUendain  esse  cnnfessionein  fidei,  Palrum  exempla  in  hoc 
secuta  qui  sacrarioribus  Conciliis  hoc  sculum  contra  oinnes  haerescs  in  prin- 
cipio  suorum  actionum  apponere  consuevere  :  quo  solo  aHquando  et  infidèles 
ad  fidein  Iraxcrunt,  hsereticos  expurgarunt,  et  fidèles  confirnnarunt.  Quare 
Symbolum  fidei,  quo  sancta  romana  Ecclesia  utitur,  tanquam  principium 
illud,  in  quo  oinnes  qui  fidom  Christi  profitentur  necessario  conveniunt. 
(Concil.  Trid.,  sess.  III,  Dccrel.  de  Symholo  fidei.) 


DE   l'hDMANITÉ    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eDCHARISTIE.         263 

un  corps  humain  sorti  de  la  race  d'Adam.  Les  apôtres  S.  Pierre  et 
S.  André  étaient  transportés  de  joie,  parce  que  leurs  corps  étaient 
crucifiés  comme  celui  du  divin  Maître.  S.  Paul  se  glorifiait  de  ne 
connaître  que  Jésus-Christ  crucifié  ;  S.  Ignace,  dans  ses  épîtres, 
ne  cesse  de  rappeler  que  le  Fils  de  Dieu  est  mort  pour  lui  sur  la 
croix,  et  de  témoigner  un  ardent  désir  de  verser  pour  lui,  à  son 
tour,  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  sang. 

Au  II"  siècle,  S.  Irénée  disait  :  «  Si  Jésus-Christ  n'a  pas  pris 
«  de  l'homme  la  substance  de  sa  chair,  il  ne  s'est  pas  fait  homme 
«  ni  Fils  de  l'homme;  et  s'il  ne  s'est  pas  fait  ce  que  nous  étions, 
«  ce  qu'il  a  souffert  et  enduré  perd  toute  sa  grandeur.  Mais  l'A- 
«  pôtre  dit  explicitement  dans  l'Épître  aux  Galates  :  Dieu  a  en- 
«  votjé  son  Fils  formé  de  la  femme  K  »  Le  saint  martyr  ajoute 
quelques  preuves  à  l'autorité  de  l'Apôtre.  Il  dit  que  si  Notre-Sei- 
gneur  n'avait  pas  été  véritablement  homme  et  pourvu  d'un  corps 
réellement  existant,  il  n'aurait  pas  eu  véritablement  faim  et  il 
n'aurait  aucunement  souffert  des  cruelles  tortures  que  les  bour- 
reaux lui  faisaient  endurer;  il  n'aurait  pas  non  plus  répandu  des 
larmes  sur  Lazare  et  Jérusalem,  ni  une  sueur  de  sang  au  jardin 
des  Oliviers. 

Au  m*  siècle,  l'illustre  docteur  et  confesseur  de  la  foi,  S.  Atha- 
nase,  écrivait  aux  habitants  d'Antioche,  de  la  part  des  Pères  du 
synode  d'Alexandrie  :  «  Alors  que  le  Verbe  était  très  réelle- 
«  ment  Fils  de  Dieu,  il  a  été  fait  aussi  Fils  de  l'homme;  et  parce 
«  qu'il  était  Fils  unique  de  Dieu,  il  est  devenu  premier-né  entre 
«  beaucoup  de  frères  3.  »  TertuUien,  qui  vivait  dans  lemème  siècle, 
écrivit  plusieurs  livres,  pour  défendre  cette  vérité,  contre  l'héré- 
siarque Marcion.  On  y  lit  entre  autres  passages  :  «  Il  fut  permis  à 
«f  Valentin,  par  le  privilège  que  s'arrogent  les  hérétiques,  de  pré- 
«  tendre  que  la  chair  du  Christ  était  spirituelle.  Il  pouvait  l'ima- 
«  giner  telle  qu'il  lui  plaisait,  du  moment  qu'il  n'admettait  pas 
«  que  ce  fût  une  chair  humaine.  Mais  si  la  chair  du  Christ  ne  fut 

1.  Si  enim  non  accepit  ab  homine  substantiani  carnis.  neque  honio  factus 
est,  neque  l-"ilius  hominis;  et  si  hoc  non  factus  est  quod  nos  eramus,  non 
magnum  facicbat  (juod  passus  est  et  sustinuit....  Apostolus  autem....  ad  Galnt. 
manifeste  ait  :  Misit  Deus  l'ilium  suum,  factum  de  muliere.  (S.  Ir.kn.,  lib.  \U, 
cap.  xxxiii.) 

2.  Cum  rêvera  Dei  esset  Films,  factus  est  etiam  Filius  iiominis,  et  cum  uni- 
genitus  esset  Dei  Kilius,  idem  et  primogenitus  factus  est  in  mullis  fratribus. 
(Atiian.,  Epist.  nd  Anlinch.) 


:2t34         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI, 

«  pas  une  véritable  rhair  humaine  et  tirant  son  origine  deThomme, 
«  je  ne  vois  pas  en  lui  ce  qui  lui  permettrait  de  déclarer  qu'il  est 
€  homme  et  Fils  de  Thomme  ^  »  Or  S.  Matthieu  a  commencé  son 
Évangile  par  ces  mots  :  «  Livre  de  la  génération  de  Jésus-Christ 
«  fils  de  David,  fils  d'Abraham.  »  Gomment  le  serait-il,  s'il  n'y 
avait  rien  en  lui  qui  procédât  d'eux,  s'il  n'avait  pas  une  chair  vé- 
ritable dont  la  source  originelle  fût  leur  chair? 

Au  IV*  siècle,  S.  Basile,  combattant  l'erreur  d'Eunomius,  don- 
nait ce  commentaire  des  paroles  de  l'Apôtre  :  Qui  cum  in  forma 
Dei  esset  :  Qui  étant  dans  la  forme  de  Dieu  :  «  Pour  moi,  je  crois 
«  que  ces  expressions  de  la  Sainte  Écriture  :  étant  dans  la  forme 
«  de  Dieu,  signifient  tout  simplement  :  étant  de  la  substance 
«  de  Dieu,  comme  il  est  dit  ensuite  qu'il  prit  la  forme  de  servi- 
«  leur  pour  marquer  que  la  substance  de  notre  humanité  fut  en 
«  lui  '.  » 

Au  V*  siècle,  S.  Ambroise  expliquait,  dans  un  sens  iden- 
tique, ces  même  paroles  de  l'Apôtre.  Il  disait  :  «  Le  Christ,  en 
«  possession  de  la  divinité  dans  sa  plénitude,  s'annihila  et  prit  la 
<■  plénitude  de  la  nature  humaine.  De  même  que  rien  ne  lui  man- 
«  quait  comme  Dieu,  rien  non  plus  ne  manquait  à  sa  perfection 
«  comme  homme  :  il  était  complet  dans  l'une  et  l'autre  forme  3.  » 
S.  Augustin  enseigne  la  même  doctrine,  lorsqu'il  écrit  à  Volusien  : 
«  Un  médiateur  s'est  présenté  entre  Dieu  et  les  hommes,  réunis- 
«  sant  les  deux  natures  dans  l'unité  d'une  seule  personne  ^.  »  Deux 
natures  complètes,  par  conséquent  un  corps  humain  réel  et  véri- 
table. 

Au  vi"'  siècle,  le  grand  pape  S.   Léon  écrit  dans  une   de  ses 

\.  Licuit  et  Valentino  ex  privilegio  hseretico,  carnem  Christi  spiritualem 
comminisci.  Quidvis  eam  fingere  potuit,  quisquis  humanam  credere  noluit, 
quando....  si  humana  non  fuit,  nec  ex  hornine,  non  video  ex  qua  substantia 
ipse  se  Christus  hominem  et  Filiuin  honiinis  pronuiiliaverit.  (Tertull.,  lib.  I 
de  Cariv  C/iristi,  cap.  xv.) 

2.  PJgo  eniin  quod  scripluni  est  in  forma  esse  Dei,  idem  valere  arbitrer 
atque  in  substantia  Dei.  Ut  enim  formam  assuinpsisse  servi  ilkid  significat, 
Deum  in  substantia  fuisse  bumanitatis  nostrae.  (S.  Basil.,  conlra  Emiomium, 
apud  Tiieodoret.,  dialog.  II.) 

15.  Krgo  cum  esset  in  plenitudinc  divinitatis,  exinanivit  se,  et  accepit  pleni- 
tudinem  naturae  et  perfectionis  humancB  sicut  Deo  nibil  dcerat,  ita  nec  bomi- 
nis  consuinmationi,  ut  e.sset  perfectus  in  utraque  forma.  (S.  Ambros., 
Episl.  Vill.  alias  XLVI.) 

-4.  Inter  Deum  et  bomines  mediator  apparuit,  in  unitate  personse  copulans 
utramquo  naturam.  (S.  Aluust.,  Kpist.  Il  ad  Volusianum.) 


DE   l'humanité    sainte   DE   NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eDCHARISTIE.         265 

épîlres  :  «  Lui  qui  est  vrai  Dieu  est  aussi  véritablement  homme  '.  » 
Et  S.  Fulgence  confirme  en  ces  termes  la  même  vérité  :  «  La 
«  raison  pour  laquelle  Jésus-Christ  n'est  pas  un  médiateur  inutile 
«  entre  Dieu  et  les  hommes,  c'est  qu'étant  Dieu  lui-même,  il  s'est 
a  surajouté  la  nature  humaine  danstoute  sa  perfection,  et  qu'étant 
«  homme,  il  possède  en  soi  toute  la  substance  de  la  divinité  '-.  » 

On  pourrait  multiplier  à  l'infini  les  citations,  car  la  croyance 
des  Pères  à  la  réalité  du  corps  de  Notre-Seigneur  éclate  en  mille 
endroits  de  leurs  écrits;  mais  nous  en  avons  dit  assez  pour  qu'il 
ne  soit  pas  permis  de  mettre  leur  foi  en  doute,  touchant  cette  vérité. 
D'ailleurs  ils  ont  tous  enseigné  que  Notre-Seigneur  est  mort  etque, 
le  troisième  jour  après  sa  mort,  il  est  ressuscité.  Ces  deux  dogmes 
de  la  mort  et  de  la  résurrection  du  Sauveur  supposent  comme  une 
condition  absolument  essentielle  la  réalité  de  son  corps.  S'il  n'avait 
pas  eu  un  corps  véritable,  comment  serait-il  mort?  Et  s'il  n'était 
pas  mort,  sa  résurrection  ne  devenait-elle  pas,  du  même  coup,  im- 
possible ?  La  Sainte  Écriture  parle  de  sa  mort  et  de  sa  résurrec- 
tion comme  de  deux  faits  réellement  accomplis.  Elle  nous  indui- 
rait donc  en  erreur  si  le  corps  de  Jésus-Christ  n'avait  été  qu'une 
apparence  sans  réalité  ;  puisque  seul  un  corps  vivant  et  réellement 
existant  peut  mourir,  puis,  s'il  plaît  à  Dieu,  ressusciter  en  vertu 
de  la  toute-puissance  divine.  L'Évangile,  que  Dieu  nous  a  donné 
pour  nous  instruire  de  la  vérité,  nous  insinuerait  donc  le  men- 
songe :  supposition  absurde  et  qui  n'a  pas  besoin  de  réfutation. 

L'Évangile  nous  fait  connaître  encore  que  le  Fils  de  Dieu  a  versé 
son  sang  pour  notre  rédemption;  S.  Paul  dit,  dans  l'épitre  aux 
Romains,  que  nous  avons  été  justifiés  dans  le  sang  du  Christ  ^.  On 
lit  de  même  dans  l'Apocalypse  :  «  Seigneur,  vous  nous  avez  ra- 
ce chetés  pour  Dieu  par  votre  sang  ^.  »  Le  sang  suppose  la  chair  ; 
et  puisque  Jésus-Christ  a  versé  pour  nous  son  sang,  c'est  que  sa 
chair  était  véritable  aussi  bien  que  le  sang  lui-même,  par  lequel 

1.  Qui  enim  verus  est  Deus,  idem  verus  est  lioiiio.  (S.  Léo,  Epist.  X, 
cap.  IV.) 

-1.  Non  incassum  hominem  Jesum  Christum  Medialorem  Dei  et  hominum 
nuncupalum,  nisi  quia  idem  Deus  totam  in  se  naturam  suscepisset  hominis  : 
et  idem  homo  totam  in  se  haberet  substantiam  Deilalis.  (S.  Fulgent..  lib.  I 
ad  Trnsimunil.,  cap.  xv.) 

3.  Juslificati  gratis  per  gratiam  ipsius,  per  rcdcmptionem  qufe  est  in  Christo 
Jesu.  Quem  proposuit  Deus  })ropitiationem  per  lidem  in  sanguine  ipsius. 
{/iom.,  III,  -2t,  '21).) 

i.  Rcdomisti  nos  Deo  in  sanguine  tuo.  (.l/>or.,  v,  '.(.) 


266         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    VI. 

il  nous  a  rachetés.  Ajoutons  une  dernière  raison  :  Le  Christ  venait 
sur  la  terre  accomplir  toutes  les  figures  de  son  avènement  dont 
l'Ancien  Testament  est  rempli.  Si  sa  présence  parmi  les  hommes 
n'avait  encore  été  qu'une  simple  apparence,  il  y  aurait  eu  une  nou- 
velle figure  ajoutée  aux  anciennes,  et  rien  de  plus.  Ne  s'était-il  pas 
montré  tantôt  sous  une  forme  humaine,  tantôt  semblable  à  un 
ange,  à  iMoïse  et  aux  prophètes.  Ces  formes  n'étaient  que  des  ap- 
parences sans  réalité.  Il  fallait  bien  que  la  vérité  vînt  enfin  et  que 
la  réalité  succédât  aux  figures  '. 

Pour  qu'il  fût  impossible  de  douter  de  l'existence  réelle  de  son 
corps  adorable,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  voulu  que  ce  corps,, 
qu'il  avait  pris  pour  nous  racheter,  lût  susceptible  d'endurer  la 
douleur,  avant  sa  résurrection  glorieuse,  aussi  bien  que  tous  les 
autres  corps  humains.  Nous  avons  déjà  cité  ce  texte  du  prophète 
Isaïe  :  «  Il  a  vraiment  lui-même  pris  nos  langueurs  et  il  a  lui- 
«  même  porté  nos  douleurs  '-'....  11  a  été  blessé  à  cause  de  nos  ini- 
«  quités  -^  »  S.  Matthieu  nous  apprend  qu'après  avoir  recule  bap- 
tême des  mains  de  Jean,  Jésus  se  retira  dans  le  désert,  où  il  jeûna 
pendant  quarante  jours  et  quarante  nuits,  et  qu'ensuite  il  eut 
faim  *.  S.  Jean  nous  le  montre  fatigué  par  la  marche,  s'asseyant 
sur  le  bord  du  puits  de  Jacob,  où  les  Samaritains  avaient  coutume 
de  venir  puiser  de  l'eau,  et  demandant  à  boire  s.  Nous  voyons  en- 
core, dans  S.  Matthieu,  qu'il  dormait  pendant  que  le  bateau,  sur 
lequel  il  avait  pris  passage,  était  assailli  par  une  tempête  violente. 
Enfin,  S.  Paul  nous  dit  :  «  Nous  n'avons  pas  un  pontife  qui  ne 
«  puisse  compatir  à  nos  infirmités,  ayant  éprouvé  comme  nous 
«  toutes  sortes  de  tentations,  hors  le  péché  *''.  » 

\.  Si  non  nisi  plianlasia  intelligendus  est  advenlns  Christi  in  luunduni, 
nihil  novuni  in  Christi  adventu  accidit  :  nam  et  in  veteri  testainenlo  Deus 
a])l)aruit  Moysi  et  prophetis  secundum  multiplices  figuras,  ut  etiam  scriptura 
novi  Testamenti  testatur  :  hoc  autem  lotam  doctrinam  novi  Testainenli  éva- 
cuai. iNon  igitur  corpus  phantaslicurn,  sed  veruni,  Kilius  Dei  assumpsit. 
(S.  TiiMM.,  vonlra  Génies,  IV,  xxix,  n.  10.) 

2.  Vcre  languores  nostros  ipse  tulit,  et  dolores  nostros  ipse  portavit.  (/s.,. 
LUI,  4.) 

3.  Ipse  vulneralus  est  propter  iniquitates  nostras.  (/s.,  xiii,  ÎJ.) 

i.  Cum  jejunasset  quadraginta  dieljus  et  quadraginta  noctibus,  postea  esu- 
riit.  {Matlh.,  iv,  2.) 

ii.  Jésus  fatigatus  ex  itinere  sedebal  supra  fontem....  Dixit  mulieri  Samari- 
tanœ  :  Da  mihi  bibere.  [Joann.,  iv,  fi,  8.) 

G.  .Non  cnim  haljcmus  Pontificem,  qui  non  possit  compati  infirmitatibus  nos- 
tris:  tentaturn  autem  peromnia  pro  simililudine,  absque  peccalo.  {He/jr.^\y,\lî.)i 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS   l'eDCHARISTIE.  267 

On  le  voit  donc,  d'après  la  Sainte  Écriture,  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  eut  un  corps  dérivant  comme  les  nôtres  de  la  subs- 
tance d'Adam,  un  corps  véritable,  un  corps  de  chair.  Jésus-Christ 
eut  faim,  il  eut  soif,  il  endura  la  fatigue,  et  la  perfection  incom- 
parable de  sa  complexion  le  rendit  plus  sensible  que  tout  autre  aux 
souffrances,  quelles  qu'elles  fussent.  C'est  ainsi  que  l'ont  entendu 
les  Pères,  et  qu'ils  l'ont  enseigné  toutes  les  fois  qu'ils  ont  eu  l'oc- 
casion d'expliquer  les  textes  de  l'Écriture  qui  viennent  d'être 
cités,  ou  d'autres  analogues  i.  Il  le  faut  bien,  puisque  l'apôtre 
S.  Pierre  nous  déclare  que  Jésus-Christ  a  souffert  pour  nous  -,  et 
que  d'autre  part,  comme  dit  Tertullien  :  Celui  qui  n'a  pas  souf- 
fert réellement  n'a  rien  souffert  'K 

Le  corps  que  le  Verbe  de  Dieu  a  pris  dans  le  sein  de  la  ^bien- 
heureuse Vierge  Marie  et  qu'il  s'est  formé  de  la  substance  virgi- 
nale de  son  auguste.  Mère  est  donc  un  corps  véritable,  un  corps 
humain  semblable  aux  nôtres.  C'est  ce  véritable  corps  que  nous 
adorons  uni  à  la  divinité  dans  l'Eucharistie,  c'est  de  lui  que  nous 
faisons  l'aliment  de  nos  âmes.  Et,  ce  qui  doit  encore  augmenter 
notre  admiration  et  notre  reconnaissance,  c'est  ce  corps  glorifié 
par  la  résurrection,  ce  corps  dont  la  vue  et  la  présence  seront 
éternellement  la  joie  des  anges  et  des  élus  dans  le  royaume  des 
cieux.  Que  rendrons-nous  au  Seigneur,  pour  ce  bienfait  si  grand 
qu'il  a  daigné  nous  accorder  ? 


II. 

LE   CORPS    DE   XOTRE-SEIGNEUR   JÉSUS-CHRIST   EST  VIVIFIÉ   PAR   UNE   AME 
SEMBLABLE   AUX    NÔTRES 

Il  pourrait  paraître  superflu  de  démontrer,  à  l'aide  de  preuves 
spéciales,  que  le  corps  adorable  de  notre  divin  Sauveur  ne  fut 
pas  la  seule  partie  qu'il  emprunta  à  la  nature  humaine,  et  que,  se 
faisant  homme,  il  voulut  avoir  comme  les  autres  hommes  une 

i.  Voir  en  particulier  :  S.  Basile,  liom.  de  Grafianim  actione;  —  S.  Alha- 
nase,  lib.  de  Incnrnatione;  —  S.  Fulgence,  Epist.  ad  /ieffinas;  —  TerluUien, 
lib.  II  conlrn  Marcionom,  cap.  x.wii;  —  le  concile  d'Kphèse,  Anathnnn- 
tismo  XII. 

2.  Christus  passus  est  pro  nol)is.  (/.  Petr.,  ii,  -2\ .) 

'•i.  Niliil  eniin  passus  est  qui  non  vere  passus  est.  (Tertull.,  lib.  111  cnulra 
Marcion.,  cap.  vin.) 


268         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI. 

âme,  qui  est  la  plus  noble  partie  de  notre  nature.  Cependant  il 
s"est  trouvé  des  hérétiques  pour  attaquer  une  vérité  si  évidente. 

Les  Ariens  prétendirent  que  Jésus-Christ  n'avait  pas  d'âme  hu- 
maine, mais  que  sa  divinité  lui  en  tenait  lieu.  Apollinaire,  pressé 
par  l'évidence  des  textes  que  lui  opposaient  les  Pères,  voulut  bien 
lui  reconnaître  une  âme,  mais  seulement  une  âme  sensible,  et  non 
pas  une  âme  raisonnable.  L'un  et  l'autre  oubliaient  que  sans 
Tàme  raisonnable  il  n'y  a  pas  d'homme,  et  que  le  Fils  de  Dieu  in- 
carné n'aurait  pas  été,  sans  une  telle  âme,  un  homme  véritable. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est,  par  sa  divinité,  un  seul  et 
même  Dieu  avec  le  Père.  Toutes  les  fois  donc  qu'il  prie  son  Père, 
qu'il  lui  rend  grâces,  qu'il  cherche  la  gloire  de  son  Père  et 
non  sa  gloire  propre,  toutes  les  fois  qu'il  obéit,  qu'il  parle  de  sa 
volonté  comme  distincte  de  la  volonté  de  son  Père,  toutes  les  fois 
{ju'il  pratique  quelque  vertu,  telle  que  l'humilité,  le  respect  pour 
le  temple  de  Dieu,  toutes  les  fois  enfin  qu'il  manifeste  quelque 
sentiment  humain,  c'est  son  âme  d'homme  qui  se  révèle.  On  la 
voit  se  manifester  eacore,  avec  non  moins  d'évidence,  dans  les 
douleurs,  les  tourments  et  la  mort,  qu'il  a  endurés  pour  notre  ré- 
demption et  pour  la  gloire  du  Père  céleste.  La  divinité  est  inacces- 
sible ;i  la  souffrance,  à  la  tristesse,  au  trouble,  à  l'angoisse.  Il 
avait  pris  un  corps  pour  souffrir,  mais  il  lui  fallait  une  âme,  et 
une  âme  raisonnable,  pour  éprouver  les  tortures  morales  qui 
furent  son  supplice  le  plus  amer,  au  temps  de  sa  passion.  Pour 
mourir,  il  lui  fallait  une  âme  qui  se  séparât  de  son  corps  humain, 
et  cessât  ainsi  de  lui  communiquer  la  vie,  tandis  que  la  divinité 
ne  s'en  séparait  pas  '. 

Si  quelque  doute  pouvait  exister  sur  ce  point,  les  paroles  de 
Notre-Seigneur  lui-même  achèveraient  de  porter  la  conviction  dans 
les  esprits  les  plus  rebelles.  Plusieurs  fois  en  effet,  dans  le  saint 
F^angile,  nous  voyons  qu'il  a  parlé  de  son  âme  de  la  manière  la 
plus  explicite.  Peu  de  jours  avant  sa  passion,  il  disait  à  ses  Apô- 
tres :  «  Maintenant  mon  âme  est  troublée  2  ;  »  et  pendant  son 
agonie  au  jardin  des  Oliviers,  il  disait  encore  :  «  Mon  âme  est 

\.  Deitas  nec  absque  corpore  patiente  passionem  unquam  admittit,  necper- 
tMi'ljalionem  et  tristitiam  exhiljct  al)S(]ue  anima  dolente  et  perturbata,  nec 
absque  mente  anxia  et  orante,  aut  anxia  est  aut  orat.  (S.  Atiian.,  conira 
ApolL,  1.  II,  n.  \'.\.) 

2.  Nunc  anima  nif.i  turbata  est.  {Jonnn.,  xii,  '^7.) 


DE    l'humanité    sainte   DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS   l'eUCHARISTIE.         269 

triste  jusqu'à  la  mort  K  »  On  ne  peut  pas  dire  que,  dans  ces  textes, 
c'est  le  Verbe  divin  que  Jésus-Christ  entend  sous  le  nom  d'âme, 
d'abord  parce  qu'un  tel  nom  ne  lui  convient  en  aucune  manière, 
et,  en  second  lieu,  parce  que  le  Verbe  n'est  pas  susceptible  de 
trouble  ni  de  tristesse,  mais  absolument  impassible,  puisqu'il  est 
Dieu.  On  ne  peut  pas  dire  non  plus  que  Jésus-Christ  parlait  d'une 
âme,  non  pas  raisonnable  mais  uniquement  susceptible  de  sentir. 
En  effet,  il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  sentiment  de  tristesse  quelconque 
qu'une  douleur  physique  ou  une  autre  cause  suffirait  à  produire  : 
c'est  une  tristesse  qui  a  sa  source  dans  l'intelligence  et  la  volonté, 
comme  le  font  assez  entendre  ces  autres  paroles  du  Seigneur  : 
«  Cependant  que  ma  volonté  ne  se  fasse  pas,  mais  la  vôtre  -  ;  » 
c'est  une  tristesse  causée  par  la  considération  et  la  méditation  pro- 
fonde des  souffrances  que  le  moment  est  venu  pour  lui  d'endurer. 
On  lit  encore  dans  l'Évangile  de  S.  Jean  :  «  Je  quitte  mon  âme 
«  pour  la  reprendre.  Personne  ne  me  la  ravit,  mais  je  la  donne  de 
«  moi-même.  J'ai  le  pouvoir  de  la  donner  et  le  pouvoir  de  la  re- 
«  prendre  3.  «  Cette  àme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  était  donc 
quelque  chose  de  distinct  de  sa  divinité,  puisqu'il  en  avait  la  libre 
disposition,  et  qu'il  lui  était  loisible  de  la  quitter  et  de  la  reprendre 
à  son  gré.  C'était  une  àme  immortelle,  puisqu'il  devait  la  re- 
prendre après  l'avoir  quittée  ;  elle  n'était  donc  pas  semblable  à 
l'àme  purement  sensitive  des  animaux,  qui  périt  avec  le  corps 
qu'elle  anime.  C'était  une  àme  immortelle  et  raisonnable,  l'àme 
humaine  en  un  mot.  Aussi  l'apôtre  S.  Pierre  fait-il  à  Notre-Sei- 
gneur l'application  de  ces  paroles  du  prophète  :  «  Vous  ne  laisserez 
«  pas  mon  àme  dans  l'enfer  ^.  »  Quelquefois  elle  est  appelée  non 
pas  cime,  mais  esprit.  S.  Matthieu,  pour  dire  la  mort  du  Sauveur, 
s'exprime  ainsi  :  «  Cependant  Jésus,  criant  encore  d'une  voix  forte, 
«  rendit  Tesprit  -^  »  Et  S.  Luc  :  «  Alors  criant  d'une  voix  forte, 
a  Jésus  dit  :  Mon  Père,  je  remets  mon  esprit  entre  vos  mains  c.  » 

1.  Tristis  est  anima  mea  iisque  ad  niortein.  {Mnllh.,  xxvi,  38.) 

2.  Verumtamen  non  mca  voluntas  sed  tua  fiât.  (Lttr.,  xxii,  i2.) 

3.  Ego  pono  aniniain  meani,  ut  iterum  suniana  eam.  Neino  toUit  eani  a  me  : 
sed  ego  pono  eam  a  me  ipso,  et  potestatem  habeo  ponendi  eam  et  potestatem 
habeo  iterum  sumendi  eam.  {Joann.,  x,  17,  \H.) 

4.  Non  derclinques  animam  meam  in  infcrno.  {Ps.  xv,  K);  Art.,  ii,  27.) 

5.  Iterum  damans  voce  magna,  emisit  spiritum.  {Malt.,  xxvii,  50.) 

0.  Et  damans  voce  magna  .lesus  ait  :  Patoi-,  in  manus;  tuas  commendo  spi- 
ritum meum.  {Luc,  xxni,  40.) 


270         LA    SAINTE    EICIIARISTIE.  —  11"  PARTIE.   —  LIVRE  II.    —   CHAP.  VI. 

Ainsi  s'accomplissaient  les  paroles  prophétiques  que  nous  avons 
citées  plus  haut  :  «  Je  quitte  mon  àme  pour  la  reprendre.  Personne 
«  ne  me  la  ravit,  mais  je  la  donne.  »  Il  résulte  donc  clairement 
de  ces  textes  que  le  Verbe  divin,  en  s'incarnant,  n'a  pas  seulement 
pris  un  corps  senxblable  aux  nôtres,  mais  qu'il  a  pris  aussi  une  àme 
humaine,  la  nature  complète,  de  sorte  qu'il  faut  reconnaître  en  la 
personne  unique  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  le  Verbe  de  Dieu, 
le  corps  humain  et  l'âme  humaine  '.  Le  corps  et  l'àme  raison- 
nable du  Christ  constituent  la  nature  humaine,  en  lui  comme  dans 
les  autres  hommes,  par  leur  union  (jui  fait  de  l'âme  la  forme  de  la 
matière  dont  le  corps  se  compose.  Si  le  corps  et  l'âme  de  Jésus- 
Christ  n'étaient  pas  unis  de  cette  manière,  il  ne  serait  pas  un 
homme,  ses  actes  ne  seraient  pas  des  actes  humains,  ni  sa  mort 
une  mort  véritable. 

On  pourrait  donc  dire  à  la  rigueur  que  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  est  composé  de  trois  substances,  le  Verbe,  le  corps  et  l'àme, 
mais  mieux,  qu'il  est  composé  de  deux  natures,  la  nature  divine 
et  la  nature  humaine.  Les  l'èresont  employé  tantôt  Tune  et  tantôt 
l'autre  de  ces  deux  fqrmules  d'une  même  et  unique  vérité,  selon 
qu'ils  se  proposaient,  soit  d'exposer  simplement  ce  grand  mystère 
de  notre  foi,  soit  de  le  défendre  contre  les  attaques  des  hérétiques. 
En  combattant  les  Ariens  et  les  sectateurs  d'Apollinaire,  ils  étaient 
dans  la  nécessité  de  nommer  les  trois  substances,  parce  que  ces 
hérétiques  n'admettaient  pas  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  l'exis- 
tence d'une  âme,  ou  du  moins  d'une  âme  humaine  et  raisonnable  ; 
mais,  en  général,  ils  parlaient  simplement  des  deux  natures.  Le 
pape  Benoît  II,  en  revisant  les  actes  du  XIV  Concile  de  Tolède, 
recommanda  aux  Pères  de  ce  concile  qui  avaient  parlé  de  trois 
substances  en  Jésus-Christ  au  lieu  de  deux  natures,  d'expliquer 
soigneusement  ce  qu'ils  entendaient  par  ces  expressions.  Il  leur 
prouva  que  cette  manière  de  parler  n'était  pas  comme  l'autre  d'un 
usage  courant,  el  que  les  Pères  de  l'Église  n'en  usaient  que  s'ils 

1.  Audianl  erfro  isla  commemoranlibus  nobis  :  Tristis  est  anima  mea  usrjue 
ad  mortem;  polpslalcm  haheo  poncndi  animam  meam;....  et  quod  de  illo  intel- 
lexerunt  Apostoli  prophetalnin  :  quoiiiam  non  derelinques  animam  meam  in 
inferno.  Kt  his  alquc  hujusmodi  sanctarum  Scriplurarum  tesUmoniis  non  ré- 
sistant, fatcanturque  Christum  non  taiitum  carnem,  scd  animam  quoque 
humanam  Verljo  unigenito  coaptasse,ut  cssel  una  persona  quod  Ghristus  est, 
Verbum  et  homo;  sed  ipse  homo  anima  et  caro  :  acper  boc  Christus,  Verbum, 
anima,  et  caro.  (S.  August.,  contra  Sermon.  Arianor.,  cap.  ix,  n.  7.) 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCIIARISTIE.  271 

avaient  quelque  motif  particulier  de  le  faire.  Pour  eux,  le  corps  et 
1  ame  n'étaient  que  des  substances  partielles  dont  l'assemblage 
constituait  la  substance  complète  de  la  nature  liumaine.  Benoît  II 
ne  réprouvait  pas  absolument  cette  manière  de  parler,  mais  il  ne 
voulait  pas  que  Ton  y  recourût  sans  des  raisons  sérieuses,  ni  sans 
bien  établir  ce  que  l'on  entendait  par  ces  trois  substances  *. 

On  peut  remarquer,  en  lisant  les  Pères  du  i"''  et  du  if  siècle, 
qu'ils  ont  rarement  parlé  de  l'âme  de  Notre-Seigneur,  tandis  que 
très  souvent,  au  contraire,  ils  ont  fait  mention  de  son  corps 
adorable.  La  raison  en  est  que,  dans  l'homme,  le  corps  ne  va 
pas  sans  l'âme  et  que  nommer  la  partie  la  plus  apparente  de  la 
nature  humaine,  c'était  nommer  en  même  temps  celle  qui  n'est 
pas  directement  accessible  aux  sens,  mais  que  l'on  sait  si  néces- 
sairement unie  à  l'autre  que,  sans  elle,  il  n'y  a  pas  d'homme.  L'a- 
pôtre S.  Jean  avait  dit  le  premier,  dans  son  Évangile  :  «  Et  le 
Verbe  s'est  fait  chair  :  »  Ef  Verbum  caro  factum  est.  Lorsque 
Notre-Seigneur  promet  puis  institue  la  très  sainte  et  très  adorable 
Eucharistie,  c'est  sa  chair  et  son  sang  qu'il  promet  et  qu'il  donne  : 
il  ne  parle  pas  de  son  âme.  Cependant  nous  avons  cité  plusieurs 
textes  du  saint  Évangile,  dans  lesquels  il  parle  de  son  âme  aussi 
clairement  qu'il  a  fait  de  sa  chair.  Les  Pères  ont  suivi  l'exemple 
que  S.  Jean  et  Jésus-Christ  lui-même  leur  avaient  donné.  Ils  ont 
nommé  la  chair,  entendant  sous  ce  nom  la  nature  humaine  tout 
entière  et  parfaite,  et  n'ont  parlé  explicitement  de  l'âme  que  dans 
les  circonstances  qui  semblaient  le  demander.  Mais  plus  tard, 
lorsque  les  hérétiques  profitant  du  silence  relatif  des  anciens  Pères, 
osèrent  prétendre  qu'il  n'y  avait  pas  d'âme  humaine  en  Jésus- 
Christ,  ils  ont  réclamé  bien  haut  les  droits  de  la  vérité.  Pour  ne 
citer  que  TertuUien,  il  disait  ce  que  les  autres  Pères  venus  après 
lui  ont  répété  :  «  Le  Christ  n'a  pas  guéri  ce  qu'il  n'a  pas  pris  :  » 
Quodnon  est  assumptum  non  est  sanatum.  »  Il  faisait  remarquer 
combien  il  serait  absurde  de  dire,  avec  l'hérétique  Marcion,  que  le 
Verbe,  venu  sur  la  terre  pour  délivrer  les  âmes  liumaines,  aurait 
pris  pour  lui-même  une  âme  d'une  tout  autre  espèce  que  celles 
qu'il  venait  délivrer  '. 

1.  Vide  card.  Franzei.in,  Trarlntus  de  Dpo  Tnrartialu,  Ihesis  XII. 

2.  Primo  (luam  al).surduni,  ul  aiiimam  solam  lilicralurus  (ex  opinione  Mar- 
cionis),  id  ^'enus  corporis  eam  l'ccerit,  quod  non  eral  lihoralurus;  deinde  si 
animas  noslras  par  illam,  quam  geslavil,  liberare  suscepcrat,  illam  quoque 


2~i         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  CHAP.  VI. 

Dans  les  siècles  suivants,  les  Pères  et  les  Conciles  se  virent  plus 
souvent  obligés  de  proclamer  l'existence  de  1  ame  de  Notre-Sei- 
gneur;  ils  s'appuyèrent  volontiers,  pour  la  prouver,  sur  cette  con- 
sidération, que  S.  Augustin  développe  dans  son  livre  contre  Féli- 
cien, uu  des  chefs  des  plus  marquants  de  l'arianisme  à  son  époque  : 
si  Jésus-Christ  n'avait  pas  pris  une  âme,  et  une  àme  raisonnable 
comme  les  nôtres,  le  butde  l'Incarnation  eût  été  manqué,  puisqu'il 
n'aurait  pu,  sans  une  àme  raisonnable,  ni  prier,  ni  mériter,  ni  sa- 
tisfaire. —  Une  autre  raison  encore  :  Le  Fils  de  Dieu  s'est  incarné 
pour  racheter  l'homme  tombé  ;  il  convenait  donc,  ou  plutôt  il  était 
nécessaire  qu'il  prit  de  l'homme  ce  qui  avait  principalement  eu 
part  à  la  chute.  Or  c'est  l'àme  de  l'homme  qui  est  surtout  tombée; 
c'était  donc  à  elle  qu'il  devait  s'unir  avant  tout. 

quam  geslavit,  noslr.'iiu  gesl.isse  debuerat,  id  est  nostrœ  formag,  cujuscumque 
fonnje  est  in  occullo  anima  nostra,  non  lamen  carnese.  (Tertull.,  de  Carne 
Chrisli,  cap.  x.) 
Le  savant  cardinal  Franzelin,  à  qui  nous  empruntons  cette  citation,  ajoute  : 
PraUcr  Tertullianum,  inlcr  illos  paene  omnes  vetustiores  Patres  qui  Aria- 
nam  et  Apollinariam  lueresim  circa  Christi  animam  prœformaverint,  Miin- 
scher  (in  sua  historia  dogmatum),  Neander  (in  suo  Tertull iano),  De  Welte  (in 
historia  ethices  christianje)  inipudenter  recensent  Clcmentem  Homanum,^ 
Ignatium  M.,  Juslinum,  Irenjeum,  Origeiiem  in  operihus  (ut  aiunt)  scriptis 
ante  libres  contra  Celsum.  Atqui  ex  bis  PP.  omnibus,  nullus  est  qui  sicut 
carnis,  ita  et  anima;  vel  integne  bumanie  naturas  veritatem  in  Cbristo  non 
discrie  professas  sit.  Clemens,  epist.  I  ad  Coritdh.,  ii,  4i)  :  «  Uominus  noster 
«  Jésus  Cbristus  in  voluntate  Patris  sanguinem  suum  pro  nobis  tradidit,  et 
«  carnem  pro  carne  nostra,  et  animam  pro  animabus  noslris.  »  lisdem  paene 
verbis  Iren.-eus,  1.  V,  cap.  i,  n.  1  :  «  \crbum  potens,  liomo  verus....  cum  et 
«  suo  sanguine  redemerit  nos  Doininus  el'dederit  animam  ])ro  nostris  ani- 
«  mabus.  »  De  Ignalio  sufticit  animadverlisse  (|uod  ubique  Cbrislum  hominem 
per/'eriiim,  vere  natum,  vere  passum,  vere  mortuum,  vere  redivivum  docet 
resurrectione  quae  sit  exemplar  nostra;  resurrectionis,  e  g.  ad  Smyrn.,  n.  2, 4  ; 
ad  Tralian.,  n.  îl;  ad  Ejfhes.,  n.  7.  Justinus  non  solum  dicit  Apologia  2,  n.  10, 
Cbrislum  esse  «  Verbum,  corpus  et  animam  »  (cf.  August.,  co«<>\  serm.  A  rianor., 
n.  7);  sed  tamen  sollicite  probat  esse  vere  hominem  passibilem,  et  passum  ex 
ea  anima,  qua  clamabat  :  Non  mea  sed  tua  voluntas  fiât  [Dialog.  cum  Trtjph., 
n.  îm,  1»S>),  ut  mirum  sit  absurdam  suspicionem  cuiquam  in  mentem  venire 
potuisse.  Origenis  opus  requirunt  adversarii  scriptum  ante  libres  contra  Cel- 
sum, ubi  doctrinam  professus  sit  de  bumana  Cbristi  anima,  quam  in  libris 
contra  Celsum  agnovisse  fatentur  :  Dabimus  libres  de  principiis,  editos^ 
anno  2;}1,  cum  centra  Celsum  anno  demum  24!)  disputaverit.  Ibi  de  Princip., 
1.  II,  cap.  VI,  quod  caput  totum  est  de  Incarnatione,  ila  loquitur,  n.  !{,  4,  \i  : 
<i  Necjue  anima  illa  utpote  rationabilis  substantia  contra  naturam  babuit  capere 
Dcuni,...  Verbum  Dei  cum  anima  in  carne  una..,.  Anima  Ciirisli  cum  Verbe 
Dei  Cbristus  efficilur....  Halionabilem  animam  esse  in  Cbristo  supra  osten- 
dimus....  Naturam  anim<e  illius  banc  fuisse  quae  est  omnium  animarum,  non 
polest  dubilari,  etc.  »  (Card.  Franzelin,  Tract.de  Verbolncarnato,  thesisXIII.) 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCIIARISTIE.  273 

Le  pape  S.  Damase  définit  celte  vérité  comme  un  dogme  de  foi, 
dans  le  concile  qu'il  tint  à  Rome,  et  une  multitude  d'autres  con- 
ciles ont  renouvelé  cette  définition. 

A  ces  raisons  d'autorité,  Suarez  en  ajoute  plusieurs  autres  d'ordre 
philosophique. 

La  première  est  que  Dieu  ne  peut  pas  être  la  forme  d'un  corps, 
car  toute  forme  est  quelque  chose  d'incomplet  en  soi,  et  n'atteint 
sa  perfection  que  par  l'union  avec  sa  matière.  Peut-on  dire  que  le 
Verbe  de  Dieu,  ou  que  Dieu,  était  incomplet  avant  l'Incarna- 
tion ? 

La  seconde  est  que,  supposé  même  qu'il  fût  possible  à  Dieu  de 
s'unir  à  un  corps,  de  manière  à  ce  qu'il  en  soit  la  forme,  la  nature 
ainsi  composée  ne  serait  pas  la  nature  humaine,  puisqu'il  y  man- 
querait la  partie  la  plus  essentielle  de  cette  nature.  Il  y  aurait  bien 
dans  le  Christ  quelque  chose  de  l'homme,  s'il  s'était  ainsi  incarné, 
mais  il  ne  serait  pas  véritablement  homme. 

La  troisième  atteint  directement  Terreur  des  Apollinaristes,  qui 
n'admettaient  en  Jésus-Christ  qu'une  âme  sensitive  :  c'est  que 
l'àme  sensitive  n'est  pas  distincte  dans  l'homme  de  l'àme  raison- 
nable. Une  âme  purement  sensitive  n"est  pas  une  âme  humaine, 
mais  celle  d'une  brute.  Puisque  le  Fils  de  Dieu  s'est  fait  homme, 
il  était  donc  nécessaire  qu'avec  un  corps  humain  il  prît  une  âme 
humaine,  c'est-à-dire  raisonnable,  pour  animer  ce  corps,  pour  agir, 
souffrir  et  mériter  par  lui. 

S.  Thomas  enseigne  que  l'âme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
était  unie  à  son  corps  adorable,  de  la  même  manière  que  les  autres 
âmes  humaines  le  sont  aux  corps  qu'elles  vivifient.  Jésus-Christ 
est  homme;  il  appartient  aussi  bien  que  nous  à  l'espèce  humaine; 
le  lien  ([ui  unit  son  âme  à  son  corps  doit  donc  être  identique  *. 
C'est  une  vérité  de  foi  qui  a  été  définie  par  le  Concile  d'Éphèse, 
chapitre  xiii,  où  il  est  dit  que  le  Christ  a  pris  un  corps  vivifié 

1.  L'trum  sit  facta  aliqua  iinio  animas  et  corporis  inChristo? 

Respondeo  dicendum  quod  Christus  dicitur  homo  iinivoce  cuin  aliishomiiii- 
bus,  utpote  ejusdem  speciei  existens,  secundum  illud  Apostoli  [Philijjj).,  ii,  7)  : 
In  simililudinem  hominum  /'acttis.  Pertinet  aiUein  ad  rationeni  speciei  luimanœ 
quod  anima  corpori  uniatur  :  non  enini  forma  consliluit  speciem  nisi  per  hoc 
quod  Ht  actus  materiae;  et  hoc  est  ad  quod  generatio  tenninatur,  per  quem 
natura  speciem  intendit.  Unde  necesse  est  dicere  quod  in  Christo  fuerit  anima 
corpori  unifa:  et  contrarium  est  hœreticum,  ulpote  derogans  veritali  humani- 
talis  Christi.  (S.  Tiium.,  III  p.,  q.  ii,  art.  !J.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  18 


274         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  H.  CHAP.   VI. 

par  une  âme  raisonnable.  Le  cinquième  Concile  de  Gonstantinople 
prononce  ranalhème  contre  quiconque  nie  que  l'union  du  Verbe 
de  Dieu  s'est  faite  avec  une  chair  animée  par  une  âme  raison- 
nable '.  Médina  cite  de  nombreux  Conciles  renouvelant  la  même 
définition,  mais  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter  ici.  Terminons 
donc  en  disant,  avec  Alvarez,  que  la  preuve  de  cette  union  de  l'âme 
et  du  corps  de  Notre-Seigneur,  ressort  avec  évidence  de  l'article 
du  Symbole  des  apôtres  qui  déclare  que  Jésus-Christ  est  mort.  La 
mort  consiste  dans  la  séparation  de  l'âme  d'avec  le  corps,  et  l'on 
ne  peut  séparer  que  ce  qui  est  d'abord  uni  2. 

Lors  donc  que  nous  avons  le  bonheur  de  prendre  comme  notre 
nourriture  le  corps  adorable  de  Jésus,  ce  n'est  pas  seulement  sa 
chair  qui  s'unit  à  notre  substance,  c'est  son  âme  raisonnable  qui 
s'unit  à  notre  âme,  pour  la  sanctifier  et  la  diviniser.  Heureux  ceux 
qui  comprennent  le  prix  d'un  si  grand  bienfait;  heureux  surtout 
ceux  qui  en  profilent  ! 

IH. 

EN  QUEL  ORDRE  DE  PRIORITÉ  s'eST  ACCOMPLIE  l'uNION  DU  VERBE  DE  DIEU 
AVEC    SON    AME    ET    SON    CORPS    LORSQu'iL   s'eST    INCARNÉ 

La  Sagesse  divine  opère  tout  avec  ordre  ;  il  y  a  donc  lieu  de  re- 
chercher dans  quel  ordre  s'est  accomplie  la  plus  grande  et  la  plus 
étonnante  de  ses  œuvres,  l'union  de  la  nature  divine  avec  la  nature 
humaine  dans  le  mystère  de  l'Incarnation.  S.  Thomas  consacre 
toute  une  question  ^  et  Suarez  des  pages  très  nombreuses  à  l'étude 
de  cette  matière  :  on  peut  les  consulter  avec  fruit,  mais  ici  nous 
devons  nous  borner. 

Si  l'on  veut  se  rendre  compte  de  l'ordre  de  priorité  dans  lequel 
s'est  accomplie  l'union  hypostatique  du  Fils  de  Dieu  avec  la  nature 
humaine,  c'est-à-dire  avec  le  corps  et  l'âme  qu'il  a  pris  dans  le  sein 
de  la  bienheureuse  Vierge  pour  nous  sauver,  il  est  bon  de  distin- 
guer d'abord  deux  sortes  de  priorité,  la  priorité  de  temps  et  la 
priorité  de  raison. 

Y  a-t-il  eu  quelque  priorité  de  temps  dans  l'accomplissement  du 

i.  Si  quis  non  confitetur  unitatem  Dei  Verbi  ad  carnem  animatam  anima 
rationali  esse  factam,  anathema  sit.  [Concil.  V  Constantinop.,  confess.  VIII, 
cap.  IV.) 

2.  Alvarez,  de  Incamatione  Christi,  disput.  xii,  art.  ÎJ. 

3.  S.  TiiOM.,  III  p.,  quaest.  vi. 


DE    l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS  l'eUCHARISTIE.         275 

grand  mystère?  Le  Fils  de  Dieu  s'est-il  uni  à  l'àme  avant  de  s'unir 
au  corps,  ou  s'est-il  uni  à  l'un  et  à  l'autre  avant  de  s'unir  à  la  na- 
ture? Et  s'il  n'y  a  pas  eu  de  priorité  de  temps  pour  quelqu'une  de 
ces  trois  unions,  n'y  a-t-il  pas  au  moins  entre  elles  des  relations  de 
cause  et  de  dignité,  qui  font  que  l'une  précède  logiquement 
l'autre? 

Disons  tout  d'abord  que  l'union  du  Verbe  de  Dieu  avec  la  nature 
humaine  fut  instantanée  et  complète  dès  le  premier  moment.  Il 
n'y  eut  rien  de  successif,  mais  la  création  du  corps  et  de  l'àme,  et 
leur  union  avec  le  Verbe  divin,  eurent  lieu  dans  le  même  instant. 
Aucune  des  parties  qui  constituent  la  nature  humaine  de  Notre- 
Seigneur  n'exista  avant  l'autre,  et  la  nature  humaine,  résultat  de 
l'union  de  ce  corps  et  de  cette  âme,  assemblés  en  même  temps  que 
créés,  n'exista  pas  un  seul  instant  sans  être  hypostatiquement  unie 
à  la  personne  du  Verbe. 

Origène  avait  enseigné  la  préexistence  des  âmes,  et  par  consé- 
quent celle  de  l'àme  de  Notre-Seigneur,  qui  aurait  mérité,  dans 
une  vie  antérieure,  l'union  hypostatiqueavecla  divinité  ;Nestorius 
avait  proféré  ce  blasphème  que  Jésus-Christ  avait  d'abord  été  un 
homme  comme  les  autres,  mais  que  ses  perfections  et  ses  œuvres 
lui  avaient  valu  d'être  adopté  par  Dieu  comme  son  Fils,  et  uni  à 
la  seconde  personne  de  la  Sainte  Trinité.  Mais  l'erreur  d'Origène 
et  l'hérésie  blasphématoire  de  Nestorius  furent  toujours  rejetées 
et  condamnées  par  l'Église. 

En  effet,  l'humanité  de  Jésus-Christ  n'exista  pas  un  seul  instant 
sans  être  unie  au  Verbe  divin. 

C'est  une  vérité  de  foi  qu'il  est  aisé  de  prouver.  Dans  l'épître 
de  S.  Paul  aux  Hébreux,  nous  lisons  :  «  Et  lorsque  Dieu  introduit 
«  de  nouveau  son  premier-né  dans  le  monde,  il  dit  :  Et  que  tous 
«  les  anges  de  Dieu  l'adorent  ^  »  Ce  premier-né  dont  parle  l'Apôtre, 
c'est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  Dieu  l'introduisit  de  nouveau 
dans  le  monde  lorsqu'il  l'envoya  vers  nous,  prendre  notre  nature 
dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  Dès  ce  moment 
donc,  aussitôt  que  son  humanité  fut  conçue,  il  eut  droit  aux  ado- 
rations des  anges,  en  qualité  de  Dieu  véritable.  L'ange  Gabriel  di- 
sait à  Marie  en  lui  annonçant  l'Incarnation  :  «  La  chose  sainte  qui 
naîtra  de  vous  sera  appelée  le  Fils  de  Dieu.  »  Cet  être  humain 

1.  Et  cum  iterum  introducit  Primogenitum  in  orbem  terne,  dicit  :  Et  ado- 
rent eum  omnes  Angeli  Dei.  [Ilebr.,  \,  G.) 


276         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II®  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI. 

conçu  dans  les  entrailles  de  iMarie  était  donc  saint,  ou  plutôt  il 
était  la  sainteté  même,  dès  le  premier  moment  de  son  existence; 
et  s'il  devait  être  appelé  Fils  de  Dieu  lorsqu'il  paraîtrait  dans  le 
monde,  c'est  parce  qu'il  l'était  tout  d'abord. 

Aussi  les  Conciles  ont-ils  tenu  à  définir  cette  vérité  avec  une 
précision  qui  ne  laissât  place  à  aucun  doute. 

On  lit  dans  les  actes  du  Concile  d'Éphèse  un  canon  emprunté  à 
la  lettre  de  S.  Cyrille  à  Nestorius,  que  tout  le  Concile  approuva  et 
sanctionna  de  son  autorité  *  :  «  On  dit  que  Dieu  est  né  dans  la 
«  Vierge  et  qu'il  y  a  été  conçu,  parce  que,  dans  le  sein  de  la  Vierge 
«  et  dans  l'acte  môme  de  la  conception,  il  s'est  uni  à  la  chair  de 
«  l'homme  -.  » 

Le  Concile  de  Chalcédoine  sanctionna  à  son  tour,  en  l'introdui- 
sant dans  ses  actes,  la  lettre  de  S.  Cyrille  et  la  définition  du  Con- 
cile d'Éphèse,  et  il  y  ajouta  de  nombreux  textes  des  Pères  tendant 
à  prouver  que  l'union  de  la  nature  divine  de  Notre-Seigneur  avec 
sa  nature  humaine  s'est  faite  dans  le  sein  même  de  Marie.  Dans 
ce  temps  où  l'Église  avait  à  se  défendre  contre  l'hérésie  de  Nesto- 
rius, tous  les  Conciles  se  faisaient  un  devoir  de  rappeler  cette  doc- 
trine. Il  fallait  que  tous  les  fidèles  fussent  bien  instruits  de  la  vé- 
rité et  que  nul  d'entre  eux  n'ignorât  que  le  Fils  de  Dieu,  en  s'in- 
carnant,  n'avait  pas  pris  un  corps  ou  une  àme  existant  déjà,  mais 
que  ce  corps  et  cette  àme  avaient  éLé  créés  au  moment  même  de 
l'incarnation  et  n'avaient  pas  eu,  ne  fût-ce  qu'un  instant  d'exis- 
tence, sans  être  unis  au  Verbe  divin  ^. 

L'enseignement  des  Pères  n'est  pas  moins  explicite  que  celui 
des  Conciles.  Eux  aussi  aiment  à  proclamer  que  le  fruit  conçu 
dans  le  sein  de  Marie  fut  l'Homme-Dieu,  dès  le  premier  instant 

\.  Quod  ex  te  nascetur  sanctuin  vocabitur  Kilius  Dei.  {Iaic.,i,  313.) 

ii.  (Dicitur)  ideo  Deum  nalum  esse  in  Virgine  et  conceptum  quia  in  utero 
\irginis,  et  in  ipsa  conceplione  hominis  Deus  carni  unitus  est.  {Concil. 
Ejihpx.  I,  can.  \iî,  ex  Epist.  S   Cyrii.li  ad  Nentorium.) 

3.  Incarnatur  Verbum  Deus;  non  prsefactse  carni  copulatur,  vel  animas 
prœexistenli  conjunctus,  sed  tune  bis  ad  subsistcndum  venientibus  quando 
eis  ipsurn  Verbum  et  Deus  copulatus  est....  Et  non  ante  verissimum  ipsius 
Verbi  convenlum  in  seipsis  extiterunt....  Ncc  quantum  in  ictu  oculi,  banc 
quam  illam  priorem  baljentia;  simul  quippe  caro,  simul  Dei  Verbi  caro  ani- 
mata  nitionali.s,  simul  Dei  caro  animata  rationalis.  (S.  Sopiironii  epist.  in  VI 
Synod.  œcumenic.  lecta  et  approbata.) 

Nec  prius  in  utero  Virginis  caro  concepta  est  et  poslmodum  divinitas  venit 
in  carnem.  (S.  Gregor.,  in  Epist.  ad  Quirin.,  apud  Act.  concilii  Francfor- 
diensis.) 


DE    l'humanité    sainte   DE    NOTRE-SEIGNECR   DANS    l'eUCIIARISTIE.  277 

de  son  existence  ^  S.  Bernard  résume  ainsi  cette  doctrine  :  a  Car 
«  le  Saint  qui  naîtra  de  vous  sei^a  appelé  Fils  de  Dieu.  C'est- 
«  à-dire,  ce  n'est  pas  seulement  celui  qui  du  sein  de  son  Père  des- 
«  cendra  dans  le  vôtre,  et  vous  couvrira  de  son  ombre,  mais  en- 
«  core  ce  qu'il  empruntera  à  votre  propre  substance  pour  se  l'unir 
<r  à  soi,  qui  seraappelé  leFilsde  Dieu,  lorsque  cette  unionsera  con- 
«  sommée;  et  de  même  que  celui  qui  est  engendré  du  Père 
«  avant  tous  les  siècles  est  appelé  son  Fils,  ainsi  sera-t-il  appelé 
«  le  vôtre.  De  la  sorte,  ce  qui  est  né  du  Père  est  votre  Fils,  ce  qui 
«  naîtra  de  vous  sera  son  Fils  ;  non  pas  qu'il  y  ait  deux  Fils  pour 
«  cela  :  il  n'y  en  aura  toujours  qu'un  seul,  et  quoiqu'il  y  en  ait  un 
«  qui  naîtra  de  vous  et  un  qui  soit  né  de  lui,  vous  n'aurez  point 
«  chacun  le  vôtre,  mais  il  sera  votre  Fils  à  tous  les  deux  '-.  »  Plus 
loin  le  saint  docteur,  expliquant  ces  mots  prononcés  par  Marie  : 
Qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole,  dit  encore  :  «  C'est-à-dire 
«  qu'il  me  soit  fait,  au  sujet  du  Verbe,  selon  ce  que  vous  m'avez  dit. 
a  Que  le  Verbe  qui  au  commencement  était  en  Dieu  se  fasse  chair 
«  de  ma  chair,  selon  votre  parole  !  Oui,  je  le  demande  à  Dieu  : 
«  que  le  Verbe  soit  fait,  non  ce  verbe  qu'on  prononce,  qui  frappe 
«  l'air  et  qui  passe,  mais  un  Verbe  conçu,  fait  chair  et  qui  de- 
«  meure  3.  »  On  voudrait  citer  jusqu'aux  derniers  mots  les  pages 
merveilleuses  écrites  par  S.  Bernard  sur  Tlncarnation  du  Verbe, 
mais  c'est  dans  les  œuvres  mêmes  du  très  pieux  et  très  savant 
docteur  qu'il  faut  les  lire. 
Une  des  raisons  que  donnent  le  plus  souvent  les  Pères,  et  par- 

i.  Vere  genuit  Maria  corpus  habens  in  se  Deum  habitantem,  vere  natus  est 
Deus  Verbum  ex  Virgine,  vestitus  corpore  ;  vere  natus  ex  vulva,  qui  corpus 
sibi  fabricavit  ex  sanguinibus  Virginis.  (S.  Ignat.,  epist.  ad  Tra/h'anos.) 

Unus  Christus  est,  et  Dei  Filius  semper  natura,  et  hominis  Filius,  qui  ex 
tempore  assumpta,  non  ut  prius  creatus,  post  assumeretur,  sed  ut  ipsa 
assumptione  crearetur.  (S.  August.,  lib.  contra  sermon.  Arianor.,  cap.  viii.) 

2.  Ideoqite  et  qiiod  nascetur  ex  te  sanctum,  vocabitur  Filius  Dei.  Id  est,  non 
solum  qui  de  sinu  Patris  in  uterum  tuum  veniens  obumbrabit  tibi,  sed  etiara 
id  quod  de  tua  substanlia  sociabit  sibi,  ex  hoc  jam  vocabitur  Filius  Dei,  quem- 
admodum  et  is  qui  a  Pâtre  est  ante  saecula  genitus,  luus  quoque  amodo  repu- 
tabilur  filius.  Sic  autem  et  quod  natum  est  ex  ipso  Paire,  erit  tuus,  et  quod 
nascetur  ex  te,  erit  ejus;  ut  lamen  non  sint  duo  filii,  .sed  unus.  Kt  licet  aliud 
quideni  ex  te,  aliud  ex  illo  sit;jam  non  lamen  cujusque  suus,  sed  unus 
utriusque  filius.  (S.  Behnaiu).,  super  J/m-us  m/,  hom.  IV,  n.  i.) 

^.  Fiat  milii  de  Verbo  secundum  ^'erbunl  luum.  Verbum  quod  erat  in  prin- 
cipio  apud  Deum,  fiai  caro  de  carne  mea  secundum  verbum  luum.  Fiat,  obse- 
cro,  milii  \erbum,  non  prolalum  quod  transeat,  sed  conceptum  ut  maneat. 
(Id.,  iT-jV/.,  n.  H.) 


278         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   VI. 

liculièrement  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  de  l'union  instantanée  du 
Verbe  divin  avec  la  nature  humaine  de  Notre-Seigneur,  au  pre- 
mier moment  de  son  existence,  est  que  si  cette  union  n'avait  eu 
lieu  qu'après  la  conception  de  l'humanité  à  laquelle  le  Verbe  s'est 
uni,  on  ne  pourrait  pas  dire  que  la  très  sainte  Vierge  Marie  a 
conçu  le  Fils  de  Dieu  dans  son  sein,  de  même  que  l'on  ne  dirait 
pas  que  Dieu  est  mort  sur  la  croix  si  le  Verbe  n'avait  pas  été  hypos- 
tatiquement  uni  au  corps  et  à  l'âme  du  Sauveur  au  moment  de  sa 
mort.  D'ailleurs  Dieu  le  voulut  ainsi  et  il  convenait  que  telle  fût  sa 
volonté.  Puisqu'il  avait  résolu  de  toute  éternité  que  le  Verbe  s'uni- 
rait à  la  nature  humaine,  dans  le  sein  de  Marie,  pourquoi  aurait- 
il  difl'éré  de  le  faire  dès  le  premier  instant  que  cette  nature  avec 
laquelle  l'union  devait  se  faire  commença  d'exister  ?  Rien  ne  s'y 
opposait,  et  l'accomplissement  du  mystère  n'était  pas  plus  difficile 
pour  Dieu  au  premier  moment  que  plus  tard.  Si  même  l'union 
avait  tardé,  que  seraient  devenus  le  corps  et  l'âme  créés  en  vue  de 
l'union  personnelle  avec  le  Verbe?  Eussent-ils  formé  un  être  ayant 
sa  personnalité  propre,  personnalité  qui  aurait  disparu  nécessai- 
rement au  moment  de  l'union  avec  la  personne  du  Fils  de  Dieu? 
ou  bien  se  fussent-ils  rattachés  à  la  personnalité  de  Marie,  qu'il 
aurait  fallu  quitter  de  même?  ou  bien  n'en  eussent-ils  eu  aucune, 
ce  qu'on  ne  peut  concevoir  d'un  corps  et  d'une  âme  réellement 
existants  et  unis  ensemble  ?  Toutes  ces  suppositions  sont  inadmis- 
sibles et  il  ne  reste  debout  que  la  vérité  enseignée  par  la  Sainte 
Écriture,  les  Pères  et  les  conciles,  et  la  vérité,  c'est  que  la  nature 
humaine  de  Notre-Seigneur  n'a  pas  existé,  ne  fût-ce  qu'un  seul 
instant,  avant  son  union  avec  le  Verbe. 

Plusieurs  ont  prétendu,  et  ce  fut,  comme  on  l'a  dit  plus  haut, 
l'erreur  d'Origène,  que  l'âme  de  Jésus-Christ  avait  pu  exister 
avant  d'être  unie  à  son  corps,  et  par  conséquent  avant  l'union  du 
Verbe  avec  la  nature  humaine,  puisque  cette  nature  n'est  consti- 
tuée que  par  l'union  de  l'âme  et  du  corps. 

Mais  il  est  de  foi  que  l'âme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
n'exista  pas  avant  son  union  avec  le  corps  adorable  qu'elle  devait 
vivifier.  Il  en  est  d'elle,  sur  ce  point,  comme  de  toutes  les  autres 
âmes  humaines.  Le  pape  S.  Léon  dit  en  traitant  des  erreurs  d'Eu- 
tychès  :  «  De  telles  paroles  me  font  croire  que  d'après  lui  l'âme 
«  prise  par  le  Sauveur  a  d'abord  habité  le  ciel,  avant  de  naître  de 
<  la  \  ierge  Marie,  et  de  s'être  unie  dans  son  sein  avec  le  Verbe  : 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eUCHARISTIE.  279 

a  mais  ni  les  esprits  ni  les  oreilles  catholiques  ne  tolèrent  une 
a  telle  doctrine  K  »  Il  ajoute  que  cette  erreur  a  déjà  été  condamnée 
dans  Origène,  et  ailleurs  il  dit,  en  parlant  de  Jésus-Christ  :  «  Sa 
f  chair  n'était  pas  d'une  autre  nature  que  notre  chair,  et  son 
«  âme  ne  lui  a  pas  été  inspirée  par  un  autre  principe  2.  » 

La  raison  en  est  que  l'àme  étant  la  forme  du  corps,  sa  nature 
demande  qu'elle  commence  d'exister  avec  le  corps  lui-même. 
L'àme  de  Notre-Seigneur  fut  une  âme  humaine  véritable;  elle  a 
dû  commencer  comme  toutes  les  autres  âmes  humaines.  Rien,  ni 
dans  la  Sainte  Écriture,  ni  dans  la  tradition,  ne  permet  de  sup- 
poser qu'elle  fut  sous  ce  rapport  l'objet  d'un  privilège  spécial  : 
tout  s'y  oppose  au  contraire,  et  le  soutenir  serait  se  mettre  en  ré- 
volte contre  les  définitions  de  l'Église,  qui  condamnent  cette  opi- 
nion comme  hérétique.  Jésus-Christ  a  commencé  d'exister  comme 
homme  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge.  Avant  le  Fiat  pro- 
noncé par  cette  auguste  Vierge,  ni  son  corps  ni  son  àme  n'exis- 
taient, mais  sa  divinité  seule  qui  est  éternelle. 

Ajoutons  que  l'àme  de  Notre-Seigneur  ne  fut  unie  au  Verbe 
divin  ni  avant  de  l'être  avec  le  corps,  ni  après  qu'elle  l'eut  été. 
Elle  ne  fut  pas  unie  au  Verbe  avant  de  l'être  avec  le  corps,  puis- 
que alors  elle  n'existait  pas.  Elle  ne  le  fut  pas  après,  car  ce  corps  et 
cette  àme  n'eussent  été  d'abord  ni  le  corps  ni  l'àme  de  personne, 
la  personne  dont  ils  font  partie  et  en  vue  de  laquelle  ils  ont  été 
faits  étant  la  personne  du  Fils  de  Dieu. 

Ce  qui  est  vrai  de  l'àme  de  Notre-Seigneur  ne  l'est  pas  moins 
lorsqu'il  s'agit  de  son  corps  adorable.  Lui  non  plus  n'a  pas  existé 
avant  son  union  soit  avec  l'àme,  soit  avec  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Parmi  les  anciens  hérétiques,  on  n'en  trouve  pas  qui  aient  en- 
seigné l'erreur  contraire  à  la  vérité  catholique  sur  ce  point;  sinon 
peut-être  ceux  qui  ont  refusé  au  Fils  de  Dieu  fait  homme  une 
àme  raisonnable.  Parmi  les  modernes,  Calvin,  d'après  Canisius  3, 
a  prétendu  que  le  Verbe  de  Dieu  s'était  uni  à  la  chair,  avant  de 
s'unir  à  l'àme  du  Sauveur. 

\.  Arliitror  enim  talia  proloquentem  hoc  habere  persuasum,  quoil  anima 
quain  Salvator  assumpsit,  prius  in  cœlis  sit  commorata,  quam  de  Maria  Vir- 
gine  nasceretur,  eamque  sihi  Verbiim  in  ulero  copularit  :  scd  hoc  calhoHcae 
mentes  auresque  non  tolérant.  (S.  Léo,  Epist.  II.) 

a.  Nec  alteriu.s  lamen  naturaî  erat  ejus  caro,  quam  nostra,  nec  alio  illi, 
quam  c<eteri.s  hominibus,  anima  est  inspii-ata  principio.  (II).,  ibid.) 

3,  Canisiis,  lib.  III  de  B.  Maria,  cap.  xxi. 


280         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.  VI. 

La  foi  nous  enseigne  que  la  chair  de  Jésus-Christ,  ou  son  corps 
humain,  ne  fut  pas  conçue  avant  son  union  soit  avec  Tàme,  soit  avec 
la  divinité,  double  union  de  laquelle  résulta  l'existence  du  Verbe 
incarné.  La  matière  dont  fut  formé  ce  corps  adorable  existait  d'a- 
vance, puisqu'elle  fut  empruntée  à  la  substance  corporelle  de  la 
bieniieureuse  Vierge  ;  mais  elle  n'était  en  aucune  manière  dis- 
tincte et  séparée  de  son  corps  et  de  sa  chair  virginale  ;  elle  faisait 
partie  de  sa  personne.  Mais  au  moment  de  la  conception,  ces  élé- 
ments corporels  furent  séparés,  par  la  toute-puissance  de  Dieu,  du 
reste  de  la  chair  de  Marie,  et  devinrent  un  corps  à  part,  le  corps 
d'une  nouvelle  créature  humaine,  à  laquelle  fut  donnée  une  âme, 
et  en  même  temps  que  ce  corps  et  cette  âme  étaient  unis,  comme 
le  sont  entre  eux  le  corps  et  l'âme  de  tout  descendant  d'Adam,  le 
Verbe  divin  se  les  appropriait  l'un  et  l'autre,  se  les  adaptait,  pour 
ne  faire  plus  désormais  avec  eux  qu'une  seule  et  môme  personne, 
la  personne  du  Fils  de  Dieu  fait  homme.  Comme  l'ont  défini  les  cin- 
quième et  sixième  conciles  généraux,  et  plusieurs  autres  après 
eux,  la  chair  de  Jésus-Christ  a  été  simultanément  chair  et  chair  du 
Verbe,  et  le  Verbe  n'a  pas  pris  cette  chair  sans  qu'elle  fût  en  même 
temps  vivifiée  par  une  âme  raisonnable. 

Le  Verbe  divin,  en  s'unissant  au  corps  formé  dans  le  sein  de  Marie 
par  une  opération  merveilleuse  de  la  puissance,  de  la  sagesse  et 
de  l'amour  de  Dieu,  prit  en  môme  temps  toutes  les  parties  néces- 
saires â  l'intégrité  du  corps  humain.  Ce  ne  fut  pas  seulement  un 
corps  rudimentaire,  les  quelques  linéaments  premiers  d'un  corps, 
mais  bien  un  corps  parfait  organisé,  pourvu  de  tous  ses  membres, 
comme  doit  l'être  celui  d'un  enfant  qui  n  est  pas  encore  né,  mais 
auquel  il  ne  manque  rien  de  ce  que  doit  posséder  l'enfant  à 
l'heure  de  sa  naissance.  Cet  enfant,  à  peine  conçu,  était  déjà  un 
homme,  selon  la  parole  du  prophète  Jérémie  annonçant  ce  fait 
comme  un  prodige  extraordinaire  :  «  Une  femme  renfermera  un 
homme  dans  son  sein  :  Fœmina  circumdabit  virum  '.  »  Avec  le 
temps,  ces  membres  délicats  mais  parfaits  devaient  se  développer  ; 
le  petit  enfant  prendrait  tous  les  dehors  de  la  jeunesse,  puis  de 
l'âge  mùr;  mais  dès  le  premier  instant,  rien  ne  lui  manqua  de  ce 
qui  est  essentiel  ou  convenable  pour  l'intégrité  de  la  nature  hu- 
niaine.  Il  n'eut  pas  été  digne  du  Verbe  de  Dieu,  ni  digne  d'une 

\.  Jn-nm.,  xxxi,  ï>2. 


DE    l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eUCHARISTIE.  281 

àme  aussi  parfaite  que  celle  de  l'Homme-Dieu,  et  éclairée  d'aussi 
vives  lumières,  de  se  trouver  uni  à  quelque  masse  plus  ou  moins 
confuse  de  matière,  destinée  à  prendre  forme  et  à  s'organiser  avec 
le  temps.  Au  Fils  de  Dieu  se  revêtant  de  la  nature  humaine,  il 
fallait  un  corps  parfait  et  une  àme  parfaite,  capables  l'un  et  l'autre 
de  la  seconder  dès  le  premier  moment,  dans  la  grande  œuvre  qu'il 
venait  entreprendre,  la  glorification  de  son  Père  par  la  rédemption 
des  hommes. 

Mais  si,  lorsque  le  Verbe  divin  s'est  uni  à  la  nature  humaine  et 
à  chacune  des  parties  qui  la  composent,  cette  union  s'est  faite  en 
même  temps  pour  la  nature,  pour  Tàme  et  pour  le  corps,  il  faut 
cependant  reconnaître  qu'un  certain  ordre  y  exista  ;  il  n'y  eut  pas 
de  priorité  de  temps,  mais  il  y  eut  celle  qui  résulte  de  l'intention 
et  des  relations  de  cause  et  d'effet. 

On  peut  dire  que  le  Verbe  de  Dieu  s'est  uni  à  la  chair  par  l'in- 
termédiaire de  l'àme  et  que,  par  conséquent,  l'union  avec  l'àme 
passe  avant  celle  qui  eut  lieu  avec  le  corps;  elle  a  le  premier  rang 
non  seulement  par  convenance,  parce  que  l'àme  l'emporte  sur  le 
corps,  mais  aussi  par  nécessité.  Les  Pères  ont  souvent  donné  à  en- 
tendre que  tel  était  leur  sentiment.  S.  Grégoire  de  Nazianze  dit 
plusieurs  fois  en  propres  termes  que  Dieu  s'est  uni  à  la  chair  par 
l'intermédiaire  de  l'àme  '.  S.  Ambroise  s'exprime  ainsi  dans  son 
traité  sur  le  Symbole  :  «  Le  Verbe,  la  substance  de  Dieu  qui  est 
«  absolument  incorporelle,  ne  pouvait  pas  s'unir  au  corps  humain, 
«  sans  l'intermédiaire  de  quelque  nature  spirituelle,  et  cette  nature 
«  est  l'àme  '.  »  Rufin  compare  le  Verbe  de  Dieu  à  la  lumière  qui 
illumine  noire  corps  tout  entier  et  que  notre  œil  cependant  est 
seul  à  percevoir.  C'est  par  ses  yeux  que  le  corps  jouit  de  la  lumière 
et  lui  est  principalement  uni.  De  même,  le  Verbe  né  de  la  Vierge 

\.  Ob  hanc  causam,  Deus  animae  interventu,  carni  junclus  est  ;  ac  res 
inter  se  distinctae  ac  dissidentes  per  interpositœ  rei,  cum  utraque  illarum 
affinilatem  et  cognalionem  copulatae  sunt  :  atqiie  omnia  propter  omnia,  et  pro 
uno  illo  generis  nostri  principe  in  uniim  coierunt.  ^S.  Grecok.  Nazianz., 
orat.  I.) 

Per  intermediam  mentem,  ^'erbum  cum  carne  conjunctum  est.  (lo., 
oral.  XXXV.) 

Mens  menti  ut  propinquiori  et  conjuncliori  jungitur,  ac  per  eam  carni, 
inter  divinitatem  et  cariiis  molem  intervcnienlem.  (U).,  Kpist.  I  nd  Cledon.) 

2.  \erbum  et  substanlia  Dei,  qu!C  per  omnia  incorporea  est,  corpori  bumano 
inseri  non  poterat  nisi  alitiua  spirilab  natura  mcdiante,  id  est  anima.  (S.  Am- 
BROS.,  tract,  de  Symùolo,  abas  de  Trinitale.) 


282  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  if  PARTIE.  —  LIVRE    II.  —  CHAP.  VI. 

est  principalement  uni  à  l'àme  du  Seigneur,  et  par  Tàme  il  est  uni 
au  corps,  qui  sans  elle  serait  peu  propre  à  cette  union  K  S.  Au- 
gustin parle  de  même.  La  «  divinité,  dit-il,  s'est  adapté  une  àme 
«  raisonnable  et  par  cette  àme  un  corps  humain,  c'est-à-dire 
«  l'homme  tout  entier  -.  >•>  Et  ailleurs  :  «  Le  Verbe  s'est  incarné  par 
l'intermédiaire  de  l'àme  raisonnable  ^.  »  S.  Grégoire  le  Grand  en- 
seignait la  même  doctrine  *,  que  l'on  trouvait  déjà  plusieurs  siècles 
auparavant  dans  les  œuvres  d'Origène  '^. 

Si  l'on  rencontre  souvent  chez  les  Pères  l'expression  de  cette 
vérité,  il  faut  l'attribuer  à  l'utilité  qu'ils  en  retiraient  pour  réfuter 
les  Apollinaristes  qui  refusaient  à  Jésus- Christ  une  àme  raison- 
nable, et  les  païens  qui  tournaient  en  dérision  nos  plus  admirables 
mystères.  L'union  du  Verbe  divin  avec  sa  chair,  par  l'intermé- 
diaire de  son  âme  raisonnable,  supposait  nécessairement  l'exis- 
tence de  cette  àme  et  par  conséquent  ne  laissait  pas  de  place  à 
l'erreur  d'Apollinaire.  D'autre  part,  elle  mettait  à  néant  les  objec- 
tions des  philosophes  païens  qui  reprochaient  aux  chrétiens  d'ad- 
mettre qu'une  nature  infiniment  simple,  telle  que  la  divinité  qu'ils 
adorent  et  reconnaissent  pour  leur  Dieu,  se  soit  unie  à  quelque 
chose  de  grossier  et  de  matériel  comme  le  corps  humain.  L'àme 
humaine,  disaient  nos  saints  docteurs,  est  spirituelle;  cependant 
elle  est  unie  à  un  corps  sans  qu'il  y  ait  rien  dans  cette  union  d'in- 
digne ni  de  dégradant  pour  elle.  Pourquoi  trouverait-on  qu'il  soit 
inadmissible  qu'un  esprit  s'unisse  à  un  esprit,  quand  nous  voyons 
un  esprit  s'unir  à  un  corps?  Et  si  Dieu,  qui  est  esprit,  peut  s'unir 

1.  Sicut  lux  omnia  membra  corporis  ilhistrare  quidem  potest,  a  nuUo  tamen 
eoruni,  nisi  a  solo  oculo  capi  potest  ;  solus  est  enim  ociilus  qui  capax  est  lu- 
cis.  VA  Filius  erf,'o  Dei  nascitur  ex  Virgine,  non  principaliter  soli  carni  socia- 
tus;  sed  in  anima  in  carnenri  Deumque  média  generatur.  Anima  ergo  média, 
et  in  sécréta  ralionahilis  spiritus  arce  Verbum  Dei  capiente,  absqueulla  quam 
suspicaris  injuria,  Deus  est  natus  ex  Virgine.  (Rufin.,  in  Symbolum.) 

2.  Ipsa  (Deitas)  animam  ralionalem  et  per  eamdem  etiam  corpus  humanum 
totumque  omnino  hominem  sibi  coaptavit.  (S.  August.,  Epist.  CXXXVII,  alias 
III,  ad  Volusiaiiiim.) 

3.  Verbum  particeps  carnis  effectum  est  rationali  anima  mediante.  (Id., 
Epist.  CXL,  alias  CXX,  cap.  iv.) 

A.  Dominus  per  divinitatem  lumen  est;  quod  mediante  anima,  in  ejus 
utero  (H.  Virginis),  fieri  dignatus  est  per  humanitatem  corpus.  (S.  Gregor. 
Mag.,  lib.  XVIII  Mornl.,  cap.  xx.) 

!J.  liac  ergo  substantia  animîE  inter  Dcum  carnemque  mediante  :  non  enim 
possibile  erat,  Dei  naturam  corpori  sine  mediatore  misceri.  (Origen.,  lib.  II 
de  Prinripiis,  cap.  vi.) 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS   l'EDCHARISTIE.         283 

à  l'àme  humaine  en  cette  qualité,  rien  n'empêche  que  de  cette 
union  résulte  à  son  tour  l'union  avec  le  corps  vivifié  par  cette 
àme  »? 

Il  est  donc  légitime  de  conclure  que  l'union  de  la  divinité  avec 
la  chair  en  Notre-Seigneur  s'est  faite  par  l'intermédiaire  de  l'àme  : 
il  convenait  et  l'on  peut  dire  qu'il  était  nécessaire  qu'il  en  fût 
ainsi. 

Mais,  dira-t-on  peut-être,  puisque  l'àme  humaine,  qui  est  spiri- 
tuelle, s'unit  immédiatement  au  corps,  pourquoi  n'en  serait-il  pas 
de  même  du  Verbe  divin  ?  C'est  que  l'âme  est  une  partie  nécessaire 
de  l'homme;  elle  est  faite  pour  s'unir  au  corps,  et  sans  cette  union 
elle  n'aurait  pas  de  raison  d'exister.  Il  n'en  est  pas  de  même  delà 
divinité,  substance  totale  et  adéquate,  qui  ne  fait  pas  partie  d'un 
tout,  mais  qui  est  complète  et  infiniment  parfaite  en  elle-même. 
Elle  se  suffit,  tandis  que  l'âme  humaine  ne  se  suffit  pas.  Il  est  vrai 
que  pendant  les  trois  jours  de  la  mort  de  Notre-Seigneur,  sa  divi- 
nité resta  unie  â  son  corps,  quoique  son  âme  en  fût  séparée,  mais 
cette  union  qui  persévéra  avait  été  opérée  par  l'intermédiaire  de 
l'àme,  et  il  faut  remarquer  que  pendant  ces  trois  jours,  le  corps 
du  Sauveur,  tout  uni  qu'il  fût  avec  la  divinité,  n'accomplit  aucun 
acte  humain  ;  il  n'était  pas  dans  l'ordre  qu'il  agît  sous  l'impulsion 
du  Verbe  divin,  mais  sous  celle  de  l'âme,  par  l'intermédiaire  de 
laquelle  il  lui  avait  été  uni. 

Il  faut  ajouter  enfin  que,  dans  l'intention  de  Dieu,  l'union  avec 
la  nature  humaine  passait  avant  l'union  avec  l'une  ou  l'autre  des 
parties  sans  lesquelles  cette  nature  n'existe  pas  ou  n'est  pas  com- 

\.  Conchisio  istis  rationibus  confirmatur.  -loNatura  spiritualis  perfecta  et 
compléta  quce  non  nata  est  ut  sit  alterius  pars,  non  potest  cum  substantia 
corporea  seipsa  immédiate  conjungi.  2o  Divinitas  ex  sese  veritas  est,  sapien- 
tia,  sanctitas  :  at  caro  immédiate  ac  per  se  incapax  est  veritatis,  sapientiae  et 
sanctitatis.  3°  Deus  longe  facilius  attingitur  operatione,  quam  substantia  : 
cum  ergo  substantia  materialis  ac  corporea  operatione  sua  Deum  atlrectare 
non  possit,  quanto  minus  propria  et  immediata  substantia.  4°  Substantia  cor- 
porea nonnisi  animai  interventu  gratiae  et  sanctitatis  capax  est  :  ergo  nec 
increatam  ac  substantialem  divinte  personaegraliam,  nonnisi  anima  mcdiante, 
percipere  potest.  b°  Non  corpora,  sed  aninicC  justorum  dicunlur  esse  sedes 
sapientiaî  et  sanctitatis.  0°  Vis  tota  Incarnationis  divinœ  sita  est  in  altissima 
divinitatis  in  naturam  assumptam  immealione  ;  lia-c  porro  immeatio  deitatis 
in  carnem,  vix  intelligi  potest  sine  interventu  animie  spiritualis. 

Ista  rationum  momenta  eleganter  collegit  Pctrus  Cluniacensis  abbas,  lib.  II 
Epist.,  epist.  I. 

Vide  TouRNELY,  de  Incarnat ione,  quaest.  vm,  circa  fincni. 


iî84  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II'  PARTIE     —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI. 

plète.  Ce  que  le  Verbe  divin  avait  en  vue,  c'était  de  se  faire  homme 
semblable  à  nous  et  de  même  origine  que  nous  :  il  voulait  donc 
prendre  notre  nature  et,  par  voie  de  conséquence,  s'unir  à  une  âme 
et  à  un  corpscomme  les  nôtres.  Dans  Tordre  de  l'exécution,  l'union 
avec  le  corps  et  avec  l'âme  devait  passer  la  première,  mais,  comme 
fin,  cette  union  ne  venait  qu'en  second  lieu  et  comme  condition  de 
la  fin  premièrement  voulue,  qui  était  l'union  en  unité  de  personne 
avec  la  nature  humaine.  Et  parce  que  la  nature  humaine  n'existe 
que  par  l'union  du  corps  et  de  l'âme,  dans  l'intention  de  Dieu, 
cette  union  du  corps  et  de  l'âme  passait  avant  l'union  du  Verbe 
soit  avec  l'âme,  soit  avec  le  corps  pris  à  part,  quoique  dans  l'ordre 
de  l'exécution,  l'existence  du  corps  et  celle  de  l'àme  fussent  logi- 
quement nécessaires  avant  leur  union  entre  eux,  et  qu'en  môme 
temps  leur  existence  fût  liée  d'une  manière  si  intime  à  leur  union 
avec  le  Verbe  qu'elle  en  fût  inséparable.  Quant  aux  qualités  acci- 
dentelles de  riiumanité  de  Notre-Seigneur,  leur  union  avec  le 
Verbe  n'étant  qu'une  conséquence  de  son  union  avec  le  corps  et 
l'âme  dont  elles  étaient  les  accidents,  elle  ne  venait  logiquement 
et  intentionnellement  qu'après  l'union  avec  la  nature  humaine  et 
les  deux  principales  parties  dont  cette  nature  se  compose. 

Mais  n'oublions  pas  que  si  l'on  peut  distinguer  ainsi  un  ordre 
de  priorité  dans  l'union  entre  le  Verbe,  la  nature  humaine  et  ses 
diverses  jKirties,  cette  priorité  est  purement  logique;  dans  l'ac- 
complissement du  grand  mystère  de  l'Incarnation  tout  s'est  fait  en 
un  moment  indivisible.  Marie  a  prononcé  son  Fiat  mi/ii  secun- 
dum  verbum  tuum:  «  Qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole;  »  au 
même  instant,  la  nature  humaine  du  Sauveur  a  été  formée  dans 
son  sein,  parfaite  autant  que  peut  l'être  l'œuvre  par  excellence  de 
Dieu,  et  dans  le  même  instant  indivisible,  le  Verbe  divin  s'est  uni 
à  ce  corps  et  â  cette  âme,  pour  ne  s'en  séparer  jamais. 

C'est  ce  corps  de  Notre-Seigneur  avec  toutes  les  parties  qui  le 
composent;  c'est  son  âme  avec  toutes  les  perfections  qui  la  dis- 
tinguent ;  c'est  sa  divinité  unie  par  un  lien  indissoluble  à  ce  corps 
et  à  cette  âme  adorables  que  nous  possédons  dans  la  Sainte  Eucha- 
ristie, que  nous  adorons,  que  nous  offrons  en  sacrifice  et  que  nous 
l'i-.'iH.ns  pour  notre  nourriture  ! 


DE    l'humanité    sainte   DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS   l'eUCIIARISTIE.         285 

IV. 

UNION  DE  TOUTES  LES  PARTIES  INTÉGRANTES  DU  CORPS  DE  NOTRE-SEIGNEUR, 
ET  PARTICULIÈREMENT  DE  SON    SANG,  AVEC  SA  DIVINITÉ 

Le  Verbe  de  Dieu,  en  se  faisant  homme,  ne  pouvait  pas  prendre 
une  nature  amoindrie  et  mutilée.  Il  prit  la  nature  humaine  et  il 
la  prit  parfaite.  Le  corps  auquel  il  daigna  s'unir  était  donc  com- 
plet et  il  n'y  manquait  rien  de  ce  que  réclame  l'intégrité  d'un 
corps  humain.  Cette  conclusion,  dit  Suarez  i,  est  absolument  cer- 
taine ;  tous  les  théologiens  et  tous  les  Pères,  qui  ont  traité  ce  point, 
en  demeurent  d'accord.  L'Écriture,  il  est  vrai,  ne  dit  rien  explici- 
tement de  l'intégrité  de  la  nature  humaine  en  Jésus-Christ;  il  lui 
suffit  de  nous  révéler  que  le  Fils  de  Dieu  s'est  fait  homme,  en  pre- 
nant notre  nature  telle  qu'il  l'avait  créée  en  Adam,  pour  que  nous 
ne  puissions  douter  que  tout  ce  qui  est  essentiel  à  cette  nature,  ou 
contribue  seulement  à  sa  perfection,  se  trouve  en  lui.  Ainsi  l'ont 
entendu  les  Pères  et  les  Conciles,  lorsqu'ils  ont  répété  à  l'envi  que 
le  Verbe  a  pris  notre  corps,  et  qu'il  l'a  pris  tel  que  fut  celui  du 
premier  homme. 

La  raison  en  est  facile  à  comprendre  :  cette  perfection  était  exi- 
gée parla  majesté  du  Verbe  de  Dieu,  dont  ce  corps  devait  être  le 
propre  corps,  et  par  la  toute-puissance  du  Saint-Esprit,  dont  il  de- 
vait être  l'ouvrage  le  plus  grand  et  le  plus  parfait. 

Le  corps  humain  est  un  composé  de  parties  nombreuses  :  il  y 
a  la  chair,  les  os,  le  sang  et  d'autres  humeurs,  toutes  choses  in- 
dispensables pour  que  l'homme  possède  et  conserve  la  vie  ;  il  y  a 
les  dents,  les  ongles,  la  barbe,  les  cheveux,  sans  lesquels  on  peut 
vivre,  mais  que  l'intégrité  du  corps  réclame  plus  ou  moins  impé- 
rieusement. Toutes  ces  parties  ne  sont  pas  autre  chose  que  le  corps 
lui-même,  et  aucune  d'entre  elles  ne  lui  est  étrangère,  tant  qu'elle 
lui  demeure  unie.  Le  Verbe  divin,  en  prenant  un  corps,  s'est  donc 
uni  à  tout  ce  qui  composait  ce  corps,  et  l'on  ne  voit  pas  trop  sur 
quelle  raison  on  pourrait  s'appuyer  pour  dire  que  les  cheveux  de 
Noire-Seigneur  .lésus-Christ,  par  exemple,  n'étaient  pas  unis  à  sa 
divinité,  aussi  longtemps  du  moins  qu'ils  demeuraient  fixés  sur 
son  chef  adorable. 

1.  Suarez,  in  ///.  jKirtem  1).  Thomx,  disp.  xiil,  sect.  v. 


286        LA    SAINTE  EDCHARISTIE.    —  11^   PARTIE,  —  LIVRE  II.  —    CHAP.    VI. 

Mais  entre  les  parties  composant  le  corps  du  Seigneur,  il  en  est 
une  dont  l'union  avec  le  Verbe  divin  a  pour  nous  une  importance 
plus  grande,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  que  l'union  des  autres  parties 
avec  ce  même  Verbe  :  c'est  son  sang  précieux,  ce  sang  versé  sur 
la  croix  pour  la  rédemption  des  hommes  et  devenu  pour  eux,  dans 
l'Eucharistie,  le  breuvage  du  salut. 

Les  mêmes  hérétiques  qui,  dans  les  premiers  siècles,  ne  vou- 
lurent pas  reconnaître  que  le  corps  de  Notre-Seigneur  fût  un  corps 
véritable,  prétendirent  de  même  que  son  sang  n'avait  rien  de  réel 
mais  n'était  qu'une  apparence  de  sang  :  il  est  inutile  de  s'arrêter 
à  réfuter  cette  grossière  erreur,  depuis  longtemps  abandonnée  de 
tous. 

D'autres  hérétiques,  appartenant  à  la  secte  de  Calvin,  et  particu- 
lièrement Osiander,  imaginèrent,  pour  combattre  la  Sainte  Eucha- 
ristie, de  dire  que  Jésus-Christ  ayant  perdu  tout  son  sang  au 
temps  de  sa  passion  et  de  sa  mort,  il  n'en  était  rien  resté  qui  ne 
fût  pas  dissipé  et  corrompu  ;  mais  cette  erreur,  ou  plutôt  cette  hé- 
résie, est  réfutée  par  toutes  les  preuves  que  l'on  possède  de  la  ré- 
surrection de  Notre-Seigneur.  Ce  qui  est  vrai  de  sa  chair  l'est 
aussi  de  son  sang  ;  ce  n'est  pas  une  partie  de  son  humanité,  c'est 
son  humanité  tout  entière  qui  a  passé  de  l'état  de  mort  à  la  vie  de 
la  gloire,  par  la  résurrection  ;  c'est  de  Jésus-Christ  tout  entier 
qu'il  est  dit  :  «  Vous  ne  permettrez  pas  que  votre  saint  soit  sujet  à 
«  la  corruption  K  » 

Quelques  graves  théologiens  anciens,  tels  que  Durand,  Gabriel 
et  plusieurs  autres,  ont  dit  que  le  sang  de  Notre-Seigneur  n'était 
pas  uni  immédiatement  à  la  personne  du  Verbe,  mais  seulement 
d'une  manière  secondaire,  par  la  raison  qu'il  se  trouvait  dans  la 
chair  humaine  à  laquelle  le  Verbe  était  directement  uni.  Le  sang, 
selon  eux,  aurait  gardé  sa  subsistance  propre  et  indépendante, 
d'où  il  résulterait  qu'après  la  mort  de  Jésus-Christ,  son -sang  eût 
été  séparé  de  sa  divinité,  comme  il  l'était  de  son  corps,  jusqu'au 
moment  de  sa  résurrection. 

D'autres  ont  pensé  que  le  sang  de  Jésus-Christ  était  hypostati- 
quement  et  immédiatement  uni  à  la  divinité,  tant  qu'il  ne  fut  pas 
répandu  au  dehors,  mais  que  cette  union  cessa  par  l'effusion  de 
ce  sang  précieux,  qui  ne  recouvra  cette  union  qu'au  moment  de 

i.  Non  dabis  sanctum  tuum  videre  corruptionem.  (Ps.  xv,  /lO.) 


DE    l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCHARISTIE.         287 

la  résurrection.  Telle  fut  l'opinion  de  François  de  Mairon,  d'Avila 
et  du  cardinal  de  Saint-Pierre. 

D'autres  ont  distingué  deux  sortes  de  sang,  celui  qui  est  encore 
imparfait,  impur,  et  qui  sert  uniquement  à  entretenir  la  vie,  et 
celui  qui,  arrivé  à  sa  perfection,  n'est  plus  seulement  une  nourri- 
ture pour  le  corps,  mais  participe  à  sa  vie.  Ce  second  sang  seule- 
ment aurait  été  unià  la  divinité.  Cajétan  el  Sylvestre  embrassèrent 
cette  opinion,  quoique  cette  distinction  de  deux  sortes  de  sang  ne 
reposât  sur  rien  ;  la  science  d'aujourd'hui  en  démontre  toute  l'ina- 
nité. 

D'autres  ont  pensé,  et  l'on  peut  attribuer  cette  opinion  à  Valen- 
tia,  que  tout  le  sang  de  Jésus-Christ  était  hypostatiquement  uni  au 
Verbe,  et  que  cette  union  a  persisté  pour  les  gouttes  qui  appa- 
raissent encore,  soit  sur  les  épines  de  la  couronne,  soit  sur  le  suaire 
dans  lequel  le  Seigneur  fut  enseveli  ;  de  sorte  que  le  culte  de  la- 
trie leur  est  dû,  comme  à  la  Sainte  Eucharistie  elle-même. 

D'autres  enfin  disent  que  le  sang  de  Notre-Seigneur,  hypostati- 
quement uni  au  Verbe,  a  gardé  cette  union  pendant  les  trois  jours 
qu'il  fut  séparé  de  son  corps  divin  ;  ils  en  exceptent  quelques  par- 
ties que  Jésus-Christ  n'aurait  pas  reprises,  mais  laissées  sur  la 
terre,  au  moment  de  sa  résurrection.  Ce  sang  ainsi  délaissé 
aurait  perdu  l'union  avec  le  Verbe  au  moment  même  de  son  effu- 
sion. 

Dans  cette  variété  d'opinions,  quelle  doctrine  convient-il  d'a- 
dopter ? 

Sans  entrer,  à  la  suite  de  Vasquez,  de  Suarez,  du  cardinal  de 
Lugo,  dans  tous  les  développements  que  comporte  la  réponse  à  cette 
question,  donnons,  en  quelques  mots,  les  conclusions  auxquelles 
ils  s'arrêtent,  et  presque  tous  les  théologiens  avec  eux. 

La  première  conclusion  est  que,  contrairement  à  l'opinion  de 
Durand,  la  première  que  nous  avons  citée,  le  sang  de  Jésus- 
Christ  a  été,  comme  il  est  encore,  immédiatement  et  hypostati- 
quement uni  à  sa  divinité,  par  le  mystère  de  l'Incarnation. 
Telle  était  déjà  l'opinion  universelle  des  théologiens  au  temps  de 
Vasquez  et  de  Suarez,  et  l'on  n'en  trouverait  pas  un  seul  aujour- 
d'hui qui  enseigne  le  contraire.  On  ne  peut  pas  dire  avec  certi- 
tude que  l'opinion  de  Durand  ait  été  condamnée,  du  moins  comme 
hérétique;  mais  la  soutenir  serait  une  très  grave  imprudence  et  un 
péché  contre  la  foi. 


588  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II®   PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  VI. 

La  première  preuve  de  l'union  hypostatique  du  Verbe  divin  avec 
le  sang  de  Jésus-Christ  est  que  notre  rédemption  est  attribuée  à 
ce  sang  adorable.  L'Écriture  nous  dit  que  nous  sommes,  par  lui, 
purifiés,  blanrhis,  sanctifiés.  Il  est  vrai  cependant  que  la  moindre 
des  œuvres  de  Notre-Seigneur  aurait  suffi  à  notre  rédemption,  si 
telle  avait  été  la  volonté  de  Dieu,  et  qu'on  peut  dire  que  nousavons 
été  sanctifiés  par  ses  fatigues,  ses  soufl'rances,  ses  douleurs  qui 
certainement  ne  lui  étaient  pas  liypostatiquement  unies,  mais  ti- 
raient leur  infinie  valeur  de  celui  qui  les  offrait  pour  nous.  De 
même,  l'eflusion  du  sang  de  Jésus-Christ  aurait  pu  suffire  à  notre 
rédemption,  si  même  il  n'avait  pas  été  immédiatement  uni  à  la 
personne  du  Verbe.  Cette  preuve,  si  elle  était  seule,  ne  suffirait 
donc  pas  ;  mais  il  en  est  d'autres  plus  probantes. 

Citons,  en  premier  lieu,  ces  paroles  du  pape  Clément  VI  : 
«  \ictime  innocente  immolée  sur  l'autel  delà  croix,  Jésus-Christ 
«  ne  s'est  pas  contenté  de  répandre  une  petite  goutte  de  sang,  qui 
«  cependant  aurait  suffi  pour  la  rédemption  du  genre  humain,  à 
«  cause  de  son  union  avec  le  Verbe  ;  maison  sait  qu'il  a  versé  son 
«  sang  à  flots  '.  »  Ces  mots,  à  cause  de  son  union  avec  le  Verbe, 
ne  peuvent  pas  se  rapporter  à  l'humanité  de  Notre-Seigneur  dont 
il  n'est  aucunement  question,  tandis  qu"il  s'agit  expressément  du 
sang.  C'est  donc  le  sang  qui  est  uni  au  Verbe,  de  telle  sorte  que 
cette  union  lui  donne  un  prix  suffisant  pour  notre  rédemption.  Ce 
prix  ne  lui  vient  pas  uniquement  de  celui  qui  le  verse,  mais  il  le 
possède  en  lui-même  parce  qu'il  est  un  sang  divin,  le  sang  d'un 
Dieu. 

Les  textes  des  Pères  et  des  Conciles  ne  manquent  pas,  qui  disent 
expressément  que  le  Verbe  a  pris  non  seulement  la  chair,  mais  le 
sang  essentiels  à  la  nature  liuinaiiie,  et  qu'il  se  les  est  unis. 
S.  Cyrille  d'Alexandrie  écrivit  à  Nestorius  une  Ictlre,  qui  fut 
approuvée  par  tous  les  Pères  du  Concile  de  Nicée;  on  y  lit  :  «  Ces 
a  mots  :  Le.  Verbe,  s  est  fait  chair,  ne  signifient  qu'une  chose  2  :  il 

1.  l)e  minijume  Christi  sic  ait  :  Quem  in  ara  crucis  innocens  immolatus, 
non  gutlam  sanguinis  modicam,  (luœ  tamen  propter  unionem  ad  Verbum  pro 
redomplione  tolius  liurnani  generis  .sufficiel:)at  ;  sed  veliU  (|uoddam  profluvium 
noscitur  rlîudisse.  (Clemens  VI,  in  Extravaganli  Unif/cnitus,  de  pœnilentiis  et 
rcmissioni/ius.) 

2.  Verlmm  factum  est  caro,  nihil  aliud  est  quam  quod  in  carne,  et  sanguine 
nobis  cornmunicavit;  ac  nostrum  corpus  sibi  proprium  effecit.  (S.  Gyrill. 
Alex.,  cpist.  Vlil  ad  Nestorium.) 


DE    l'humanité   sainte    DE    NOTRE-SEIGNECR    DANS    l'eUCHARISTIE.  289 

«  a  communiqué  avec  nous  par  le  corps  et  le  sang  ;  il  s'est  appro- 
«  prié  notre  corps.  »  Et  si  l'on  veut  un  texte  plus  expressif  encore, 
du  môme  saint  docteur,  il  disait  dans  une  homélie  prononcée  au 
Concile  d'Éphèse  :  «  Le  Verbe  de  Dieu,  tout  Dieu  qu'il  soit,  a 
«  pris  notre  chair  et  notre  sang  K  »  Et  ailleurs  :  «  Nous  confessons 
«  que  Dieu  est  dans  la  chair  et  dans  le  sang  2.  » 

Mais  la  meilleure  preuve  de  cette  vérité  consiste  en  ce  point 
que  le  sang  fait  partie  de  la  nature  humaine,  et  que  Jésus-Christ, 
en  s'unissant  hypostatiquement  à  cette  nature,  a  dû  s'unir  de  la 
même  manière  à  toutes  ses  parties.  «  Nous  disons  que  toute  la, 
«  substance  divine  s'est  unie  à  toute  la  nature  humaine,  »  dé- 
clare S.  Jean  Damascène  ;  et  il  ajoute  :  «  Tout  entier  il  m'a  uni 
«  à  lui  tout  entier,  et  c'est  un  tout  qui  a  été  joint  à  un  tout  3.  » 

Le  saint  Concile  de  Trente  déclare  que,  dans  l'adorable  sacrement 
de  l'Eucharistie,  «  le  corps  de  Notre-Seigneur  se  trouve  aussi  sous, 
«  l'espèce  du  vin,  et  son  sang  sous  l'espèce  du  pain,  et  son  âme 
«  sous  l'une  et  sous  l'autre,  en  vertu  de  cette  liaison  naturelle,  et 
«  de  cette  concomitance,  par  laquelle  ces  parties,  en  Notre-Sei- 
«  gneur  Jésus-Christ  qui  est  ressuscité  des  morts,  et  qui  ne  doit 
«  plus  mourir,  sont  unies  entre  elles  ^.  »  Le  saint  Concile  déclare, 
par  ce  texte,  que  le  sang  de  Notre-Seigneur  est  véritablement  une 
partie  de  lui  ;  il  part  même  de  cette  vérité  pour  conclure  que  le 
corps  et  l'âme  se  trouvent  dans  l'Eucharistie  sous  l'espèce  du  vin, 
en  vertu  de  la  concomitance  et  de  l'union  des  parties,  avec  le  sang 
précieux  dont  les  paroles  de  la  consécration  du  calice  parlent  uni- 
quement. Jésus-Christ  est  donc  tout  entier  où  son  sang  se  trouve, 
parce  que  ce  sang  fait  partie  de  lui.  Cependant  on  ne  peut  pas 
dire  qu'il  soit  une  partie  de  sa  divinité.  C'est  à  son  humanité  qu'il 
se  rattache  ;  c'est  elle  dont  il  fait  partie,  c'est  elle  qu'il  complète, 

1.  Licel  enirn  Verbum  Dei,  cum  Deus  sit,  carnem  assumpserit,  ac  sangui- 
nem.  (Id.,  homilia  habita  in  Concilio  Ephesino.') 

2.  Confitemur  quod  Deus  est  in  carne  et  sanguine.  (Id.,  in  Apologetico,  in 
defensione  anatheinatismi  decimi.) 

3.  Omni  humauce  naturae  unitamdicimus  omnem  divinitatis  suhstantiani.... 
totum  enim  me  totus  nssumpsit,  et  totus  toti  unitus  est.  (S.  Damascen., 
lib.  III  Fidei  orthodox.,  cap.  vi.) 

i.  Ipsum  aulem  corpus  sub  specie  vini  et  sanguincm  sub  specie  panis, 
animamque  suit  utraque,  vi  naturnlis  illius  connexionis  et  concomitanlia.',  qua 
parles  Cbristi  Domini,  qui  jam  ox  mortuis  resurrexit,  non  amplius  morifurus, 
inter  se  copulantur,  Divin ilatem  porro  propter  admirabilein  illam  ejus  cum 
corpore  et  anima  hypostaticain  unionem.  {Concil.  Trid.,  scss.  XIII,  cap.  m.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  19 


290         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  II®  PARTIE.  —   LIVRE  M.  —   CHAP.  VI. 

de  telle  sorte  que  ni  l'âme  ni  le  corps  de  Jésus-Christ  n'en  sau- 
raient être  séparés,  même  dans  l'Eucharistie,  depuis  la  résurrec- 
tion. Partie  essentielle  de  l'humanité  du  Sauveur,  il  est  donc, 
comme  l'âme  et  le  corps,  hypostaliquement  uni  à  sa  divine  per- 
sonne, en  laquelle  il  subsiste  comme  l'âme  et  comme  le  corps,  et 
au  même  titre  qu'eux. 

Si  le  sang  n'était  pas  une  partie,  et  il  faut  dire  une  partie 
intégrante  de  l'être  humain,  pourquoi  ressusciterait-il?  Pourquoi 
Notre-Seigneur  aurait-il  repris,  en  sortant  du  tombeau,  le  sang- 
versé  pour  notre  rédemption,  ce  sang  qu'il  continue  d'offrir  en 
sacrifice  sur  les  autels,  pur  le  ministère  du  prêtre,  et  qu'il  nous 
donne  avec  sa  chair,  pour  vivifier  nos  âmes?  La  chair  glorifiée 
n'en  a  pas  plus  besoin  pour  son  entretien  qu'elle  n'a  besoin  de 
nourriture.  Cependant  il  ressuscite,  comme  tous  les  organes  inté- 
rieurs de  la  nutrition,  qui  n'ont  plus  de  fonctions  â  remplir.  Mais 
ces  organes,  et  le  sang  avec  eux,  font  essentiellement  partie  du 
corps  humain,  et  ils  ressuscitent  pour  que  ce  corps  soit  complet, 
pour  que  la  nature  humaine  ait  toute  la  perfection  qui  lui  convient, 
et  qu'elle  jouisse,  dans  une  intégrité  complète,  de  la  vie  réservée 
aux  corps  glorifiés.  Il  convenait  donc  que  le  Verbe  de  Dieu,  pre- 
nant un  corps  semblable  aux  nôtres,  s'unît  non  seulement  à  la 
chair  et  aux  os,  mais  aussi  et  de  la  même  manière,  c'est-à-dire 
hypostatiquement,  au  sang  qui  coulait  dans  les  veines  de  ce  corps 
et  qui  y  conservait  la  chaleur  et  la  vie. 

La  seconde  conclusion  à  laquelle  nous  nous  arrêterons,  à  la 
suite  du  cardinal  de  Lugo,  est  que  tout  le  sang  du  Christ  fut 
Iiypostatiquement  uni  au  Verbe  de  Dieu,  contrairement  â  ce 
qu'ont  avancé  Cajétan  et  quelques  théologiens  dont  l'opinion  a  été 
rapportée  plus  haut.  Déjà,  du  temps  de  Suarez,  il  eût  été  difficile 
de  trouver  un  théologien  pour  soutenir  qu'il  fallait  distinguer  en 
Notre-Seigneur  deux  qualités  de  sang,  dont  l'une  aurait  été  unie 
à  la  divinité,  tandis  que  l'autre  ne  l'aurait  pas  été.  Suarez  dit 
qu'une  telle  distinction  n'est  ni  pieuse  ni  sûre.  Toutes  les  preuves 
qui  établissent  l'union  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  avec  son  sang 
démontrent  également  que  cette  union  exista  pendant  sa  vie  mor- 
telle, non  pas  avec  une  partie  seulement  de  ce  sang  adorable,  mais 
avec  le  tout.  C'est  ainsi  que  le  pape  Clément  VI,  en  disant  qu'une 
goutte  du  sang  de  Notre-Seigneur  aurait  suffi  pour  la  rédemption 
du  monde,  â  cause  de  son  union  avec  la  divinité,  se  garde  bien  de 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS   l'eUCHARISTIE.  291 

distinguer  entre  goutte  et  goutte.  N'importe  laquelle  aurait  suffi, 
parce  que  tout  le  sang  et  toutes  les  gouttes  qui  le  composaient 
étaient  unies  au  Verbe.  De  même,  lorsque  les  Pères  disent,  en  cent 
endroits,  que  le  Fils  de  Dieu  s'est  uni  à  la  chair  et  au  sang  de 
l'homme,  ils  parlent  du  sang  en  général,  comme  ils  font  de  la 
chair.  Dira-t-on  qu'ils  ont  entendu  que  le  Verbe  ne  s'était  uni  qu'à 
une  partie  de  la  chair  qui  composait  son  corps?  Non  sans  doute. 
Pourquoi  dire  alors  du  sang  ce  qu'on  ne  dit  pas  delà  chair,  lorsque 
le  mode  de  s'exprimer  est  le  même  ?  De  même  encore  pour  la 
Sainte  Eucharistie.  Lorsque  Notre-Seigneur  eut  prononcé  les  pa- 
roles de  la  consécration,  tout  son  sang  qui  devait  être  versé,  c'est- 
à-dire  tout  le  sang  qui  circulait  alors  dans  son  corps  adorable,  se 
trouva,  par  la  vertu  toute-puissante  de  ses  paroles,  dans  le  calice, 
et  en  même  temps  sous  l'espèce  du  pain,  comme  il  se  retrouve  au- 
jourd'hui sur  l'autel  à  la  voix  du  prêtre.  Mais  s'y  retrouverait-il 
tout  entier,  si  une  partie  quelconque  n'avait  pas  été  hypostatique- 
ment  unie  à  la  divinité  ?  Surtout,  cette  partie  serait-elle  sous 
l'espèce  du  pain,  avec  ce  qui  aurait  l'honneur  de  l'union  hypos- 
tatique?  On  voit  à  quelles  conséquences  étranges  et  tout  à  fait 
inadmissibles  mènerait  l'opinion  de  Cajétan.  Aussi  est-elle  univer- 
sellement repoussée.  S.  Thomas  admet  S  il  est  vrai,  que  Notre- 
Seigneur  a  pu,  lorsqu'il  ressuscita,  ne  pas  reprendre  une  partie  du 
sang  qu'il  avait  versé  pendant  sa  passion  ;  mais  il  parle  d'une  su- 
rabondance de  sang  qui  pouvait  exister  et  qui  n'était  pas  plus  né- 
cessaire à  l'intégrité  de  sa  nature  que  la  salive  dont  il  se  servit 
pour  délayer  la  terre,  afin  d'en  guérir  l'aveugle-né,  ou  la  sueur 
et  les  larmes  qu'il  répandit  en  diverses  circonstances. 

Troisième  conclusion  :  Pendant  les  trois  jours  de  la  mort  de 
Notre-Seigneur,  tout  son  sang  demeura  hypostatiqiiement  uni 
à  sa  divinité.  C'est  la  doctrine  de  S.  Thomas  que  suivent  Suarez, 
Vasquez,  De  Lugoet.l'on  peut  dire,  tous  les  théologiens.  S.  Thomas 
dit,  en  parlant  de  l'union  de  la  chair  sacrée  du  Sauveur  avec  sa 

1.  In  resurrectione  tam  Chrisli,  quam  noslra.  tolum  qnnd  fuit  de  veritate 
humanae  naturae  reparaljitur,  non  autem  illa,  quae  de  veritate  humanae  na- 
turae  non  fuerunl  :  et  quamvis  circa  ea  quae  siint  de  veritate  liuniante  nalurœ, 
sit  diversa  diversorum  opiiiio,  secundum  quamlibet  tamen  non  lotus  sanguis 
nutrimentalis,  id  est  qui  ex  cibis  generatur,  pertinet  ad  verilatem  humanse 
naturae.  Cum  ergo  Christus  concederet,  etc.,  nihil  prohibet,  in  eo  fuisse  ali- 
quem  sanguincm  nutrimentalem,  qui  ad  veritatem  humanae  naturae  non  per- 
tineret.  (S.  Thom.,  Qtiodlih.  V,  q.  in,  art.  «.) 


i9â         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.   VI. 

divinité,  qui  persévéra  pendant  les  trois  jours  de  sa  mort,  que  ce 
que  Dieu  donne  par  grâce,  il  ne  le  reprend  pas,  à  moins  d'y  être 
obligé  par  la  faute  de  celui  qui  fut  l'objet  du  bienfait.  Car,  selon 
la  parole  de  S.  Paul  :  «  Les  dons  de  Dieu  et  son  appel  sont  sans 
«  repentance  '.  »  Or  la  grâce  d'union  en  unité  de  personne  avec 
le  Verbe,  faite  à  la  chair  du  Sauveur,  est  bien  supérieure  à  la 
grâce  d'adoption  elle-même,  qui  sanctifie  les  autres  élus  et  que  nul 
ne  perd  sinon  par  sa  propre  faute.  Or  jamais  il  n'y  eut  de  péché  en 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  jamais,  par  conséquent,  la  grâce  de 
l'union  hypostatique  ne  put  être  révoquée;  et  de  même  que  sa 
chair  fut  unie  au  Verbe  pemlant  sa  vie,  de  même  elle  le  fut  pen- 
dant les  trois  jours  de  sa  mort  '-.  Le  raisonnement  du  saint  doc- 
teur pour  prouver  que  l'union  hypostatique  avec  la  divinité  persé- 
véra, pendant  la  mort  de  Notre-Seigneur,  pour  sa  chair  adorable, 
a  la  même  force  absolument  si  on  l'applique  au  sang  qu'il  a  versé, 
et  si  S.  Thomas  ne  fait  pas  cette  application,  c'est  qu'il  lui  semble 
inutile  d'insister  sur  une  vérité  qui  éclate  d'elle-même.  Il  ajoute, 
après  S.  Damascène,  cette  raison  de  la  persévérance  de  l'union 
hypostatique  pendant  ces  trois  jours,  qu'il  y  aurait  eu  sans  elle  un 
changement  inacceptable  et  impossible.  La  personne  du  Verbe 
aurait  cessé  d'être  unie  à  toute  la  nature  humaine,  et  le  corps, 
l'âme  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  qui  n'avaient  point  d'hypostase 
autre  que  le  Verbe,  auraient  dû,  ou  cesser  d'exister  ou  recevoir 
une  autre  hypostase,  ce  qui  est  inadmissible  3. 

1.  Sine  pœnilentia  sunt  dona  Dei,  et  vocatio.  {Rom.,  xi,  21).) 

2.  Illud  quod  per  gratiam  Dei  conceditur,  nunquam  absque  culpa  revoca- 
lur.  Undc  dicitur  [Rom.,  xi,  2'J),  quod  sine  pœnilentia  sunt  dona  Dei,  et  voca- 
tio. Mullo  autem  major  est  gratia  unionis  per  quam  divinitas  unila  est  carni 
Chrisli  in  persona,  quam  gratia  adoptionis,  per  quam  alii  sanctificantur  ;  et 
etiain  magis  ])ermanens  ex  sui  rationc,  quia  liaec  gratia  ordinatur  ad  unionem 
personalein,  gratia  autem  adoptionis  ad  unionem  ariectualem  :  et  tamen  vide- 
mus  (juod  gratia  adoptionis  nunquam  pcrditur  sine  culpa.  Cum  igilur  in 
Chrislo  nulluui  fuerit  peccatum,  impossibilc  fuit  (|Uod  solveretur  unio  divini- 
lalis  a  carne  ipsius.  Et  ideo,  sicut  ante  mortem  Christi  unita  fuit  secundum 
personam  et  hyj)ostasim  Verbo  Dei,  ita  et  remansit  unita  post  mortem,  ut 
scilicet  non  esset  alia  hypostasis  Verbi  Dei  et  carnis  Christi  post  mortem,  ut 
Damascenus  dicit  [Orthod.  Fid.,  lib.  III,  cap.  xxvii,  ad  finem).  (S.  TiiOM., 
111  p.,  q.  L,  art.  2.) 

■\.  Et  quanquam  mortuus  est  ut  homo,  et  sancta  ejus  anima  ab  incontami- 
nato  separata  corpore,  non  tamen  divinitas  ab  utroque  separata  remansit,  ab 
anima,  inquam,  et  corpore,  neque  sic  una  hypostasis  in  duas  dissecta  est 
hyposlases.  Nam  et  tune  corpus  et  anima  secundum  idem  a  principio  in  Verbi 
hypostasi  habebat  existentiam,  et  ipsis  in  morte  ab  invicem  separatis,  unum- 


DE   l'HDMANITÉ    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEOR    DANS    l'eUCHARISTIE.  293 

La  Sainte  Eucharistie  donne  encore  une  preuve  de  l'union  qui 
ne  cessa  d'exister  entre  le  sang  de  Notre-Seigneur  et  sa  divinité, 
pendant  que  son  âme  demeura  séparée  de  sa  chair  et  de  son  sang. 
Rien  ne  s'opposait  à  ce  que  les  Apôtres  consacrassent  validement 
le  corps  et  le  sang  du  Sauveur  pendant  les  trois  jours  de  sa  mort. 
Il  est  vrai  que  le  corps  eût  été  seul  sous  l'espèce  du  pain,  et  le 
sang,  sous  l'espèce  du  vin,  mais  l'un  et  l'autre  auraient  eu  droit 
aux  adorations  des  anges  et  des  hommes  ;  et  pourquoi  ?  parce  que 
l'un  et  l'autre,  quoique  séparés  entre  eux  et  séparés  de  l'âme,  de- 
meuraient unis  à  la  divinité. 

Une  parole  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  fait  encore  mieux 
ressortir  cette  vérité.  II  dit  en  effet  aux  Juifs  et  à  ses  disciples, 
en  leur  promettant  l'institution  de  la  Sainte  Eucharistie  :  «  Celui 
«  qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi 
«  en  lui  ^  »  Ces  paroles  sont  universelles  et  sans  restriction  ;  elles 
promettent  la  présence  de  Jésus-Christ  â  quiconque  boira  son 
sang  ;  or.  elles  doivent  infailliblement  se  réaliser,  du  côté  de  celui 
qui  fait  la  promesse,  quoique  l'homme  qui  en  est  l'objet  puisse 
mettre  un  obstacle  invincible,  par  son  indignité,  au  bienfait  que 
Dieu  prétend  lui  accorder.  Celui  qui  boira  le  sang  de  Jésus-Christ 
possédera  donc  en  lui-même  Jésus-Christ  tout  entier.  Gomment  le 
posséderait-il  si  la  divinité  de  Jésus-Christ  n'était  pas  unie  à  ce 
sang  qu'il  boit? 

Quatrième  conclusion.  Pendant  les  trois  jours  de  la  mort  du 
Sauveur  tout  son  sang  répandu  au  temps  de  la  passion  demeura 
uni  à  la  divinité.  S.  Thomas  ajoute  que  rien  absolument  de  ce 
sang  précieux  ne  resta  sur  la  terre. 

Il  est  permis  d'admettre  que  Notre-Seigneur,  au  moment  de  sa 
résurrection,  ne  reprit  pas  tout  le  sang  qu'il  avait  perdu  pendant 
sa  passion.  Mais  supposé  qu'il  en  fût  ainsi,  tant  que  la  résurrec- 
tion ne  fut  pas  accomplie,  tout  le  sang  de  Jésus-Christ  ne  formait 
qu'un  seul  et  môme  sang,  et  nul  ne  pouvait  dire-:  telle  partie  de 
ce  sang  sera  réintégrée  dans  le  corps  glorieux  du  Sauveur,  et 
telle  autre  ne  le  sera  pas.  Il  n'y  avait  pas  deux  conditions  pour  ce 

quodque  eorum  mansit  iinam  Verl)i  habens  hypostasiin....  Ouare  unn  Verbi 
hyposlasis  et  Verhi,  et  animai  et  corporis  fuit  hypostasis,  nunquam  enim, 
neque  anima,  neque  corpus  habuere  hyposlasini  pneler  eam  qua»  \erbi  est 
hypostasis.  (S.  Damasc,  lib.  III  Fidei  orl/iod.,  ci\\).  x.wii.) 

1.  Qui  manducat  meam  carnem  et  Inbil  nieum  saiiguinem  in  nie  nianet  et 
ego  in  60.  (Joann,,  vi,  ÎJ7.) 


294         LA  SAINTE    EUCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.    VI. 

sang  divin,  et  puisque  le  Verbe  y  était  uni  en  unité  de  personne, 
ce  n'était  pas  à  une  partie  de  ce  sang,  mais  au  tout,  et  à  toutes  les 
parties  prises  à  part  qu'il  était  uni.  D'où  il  résulte  que  nulle 
d'elles  ne  pouvait  ni  se  perdre  ni  se  corrompre,  pas  plus  que  la 
chair  adorable  de  Jésus  ;  car  c'est  de  Jésus-Christ,  du  Verbe  fait 
homme  tout  entier,  qu'il  est  dit  :  «  Vous  ne  permettrez  pas  que 
«  votre  saint  soit  louché  par  la  corruption.  »  On  peut  encore  ici 
recourir  à  l'argument  tiré  de  la  Sainte  Eucharistie.  Si  les  Apôtres 
avaient  consacré  le  corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur  pendant  les 
trois  jours  de  sa  mort,  tout  son  sang  se  serait  trouvé  dans  le  ca- 
lice, par  conséquent  il  était  tout,  et  en  toutes  ses  parties,  uni  à  la 
divinité  du  Sauveur,  même  pendant  ces  trois  jours. 

On  peut  dire  qu'il  en  fut  de  même  du  sang  de  Notre-Seigneur 
que  de  son  corps  qui,  enseveli  pendant  trois  jours  dans  le  tom- 
beau, demeura  uni  en  toutes  et  en  chacune  de  ses  parties  au  Verbe 
divin.  Il  pouvait  se  faire  que  quelques-unes  des  parties  de  ce 
corps  adorable  dussent  être  laissées  au  moment  de  la  résurrection, 
par  exemple,  si  les  ongles,  les  cheveux  ou  la  barbe  s'étaient  trop 
développés,  l'excès  devait  disparaître,  pour  que  la  perfection  du 
corps  divin  fût  absolue  et  que  rien  ne  manquât  à  sa  beauté;  cepen- 
dant tant  que  ce  corps  adorable  ne  fut  pas  ressuscité,  ce  qui  de- 
vait être  ainsi  retranché  fut  uni  au  Verbe,  aussi  bien  que  le  reste 
qui  était  destiné  à  ressusciter.  Mais  s'il  fut  quelque  partie,  soit 
de  son  sang,  soit  de  son  corps,  que  Notre-Seigneur  ne  reprit  pas 
au  moment  de  sa  résurrection,  cette  partie  séparée  de  son  huma- 
nité cessa  aussi  d'être  unie  à  sa  nature  divine,  comme  il  reste  à 
l'établir  contre  l'opinion  de  Valentiaet  de  quelques  autres. 

Cinquième  conclusion  :  Le  sang  (s'il  en  existe)  desséché  sur  la 
Couronne  d'épines,  le  saint  Suaire  ou  la  Croix  du  Sauveur, 
nest  plus  hyposlaliquement  uni  avec  le  Verbe  divin.  Telle  est 
l'opinion  commune  et  elle  n'a  pas  besoin  d'autre  preuve  que  cette 
considération  :  ce  sang,  supposé  qu'il  existe,  ne  fait  plus  actuelle- 
ment partie  de  l'humanité  du  Sauveur,  et  il  n'est  pas  destiné  à  s'y 
réunir  jamais;  il  n'a  aucun  droit,  ni  intrinsèque  ni  extrinsèque,  à 
la  gloire  ou  à  l'union  éternelle  ;  il  n'y  a  donc  nulle  raison  pour 
qu'il  soit  demeuré  uni  au  Verbe.  Le  Seigneur,  en  ressuscitant, 
n'en  avait  nul  besoin  et  ne  lui  reconnaissait  aucun  droit,  puisqu'il 
l'a  laissé  ;  pourquoi  le  reprendrait-il  plus  tard  et  unirait-il  de  nou- 
veau à  son  humanité  ce  qu'il  a  jugé  à  propos  de  n'y  pas  joindre 


DE   l'humanité   sainte   DE    NOTRE-SEIGNEUR  DANS   l'eUCHARISTIE.  295 

tout  d'abord?   Et  peut-on  supposer  qu'il  demeure  uni  à  ce  qui 
serait  devenu  inutile  et  étranger  à  sa  nature  humaine? 

Les  taclies  que  l'on  aperçoit  sur  le  Saint-Suaire,  en  particulier, 
ne  sont  pas  du  sang,  mais  elles  proviennent  de  quelque  autre 
substance  en  laquelle  le  sang  s'est  décomposé.  Le  sang  demeuré 
uni  au  Verbe  serait  nécessairement  incorruptible  et  tel  qu'il  est 
sorti  des  veines  du  Seigneur.  Or,  rien  ne  ressemble  moins  à  du 
sang  frais  et  vermeil  que  les  quelques  taches  et  linéaments  que  l'on 
distingue  à  peine.  Assurément  ce  sont  là  de  bien  insignes 
reliques  et  des  souvenirs  d'une  valeur  inappréciable  ;  mais  il  n'y 
faut  pas  voir  d'union  actuelle  ou  future  avec  le  Verbe  de  Dieu,  qui 
est  ressuscité  comme  homme  parfait,  et  qui  n'ajoutera  rien  à 
l'humanité  glorifiée  dont  il  s'est  à  jamais  revêtu,  au  jour  de  sa  ré- 
surrection d'entre  les  morts. 

On  sait  qu'il  s'opère  dans  le  corps  humain  un  travail  incessant 
de  rénovation  ;  des  éléments  usés  font  place  à  d'autres  éléments 
qui,  à  leur  tour,  disparaîtront  bientôt.  Il  n'y  a  pas  de  raison  pour 
que  quelque  chose  de  semblable  ne  se  soit  pas  accompli  en  Notre- 
Seigneur,  puisqu'il  avait  pris  la  nature  humaine  dans  sa  réalité, 
et  véritablement  telle  qu'elle  est.  Il  n'est  pas  admissible  que  tout 
ce  qui  fit  partie  de  son  corps,  à  quelque  titre  que  ce  fût,  ait  eu 
part  à  la  résurrection,  puisque  ce  corps  fût  ainsi  devenu  quelque 
chose  d'extraordinaire,  dont  les  dimensions  eussent  été  tout  à  fait 
en  dehors  de  celles  qui  conviennent  au  corps  humain  parfait. 

Au  moins,  reprit-il,  en  ressuscitant,  le  sang  répandu  pendant  sa 
douloureuse  agonie  au  jardin  des  Oliviers,  qui  trempa  ses  vête- 
ments et  qui  découla  jusqu'à  terre? 

Il  semble  que  la  réponse  affirmative  s'impose.  Ce  sang  faisait 
partie  de  l'intégrité  de  sa  nature  corporelle  au  moment  oi^i  il  le  ré- 
pandit; sa  perte  fut  pour  lui  une  cause  d'affaiblissement,  et  si,  au 
lieu  de  mourir  quelques  heures  plus  tard,  il  avait  continué  de 
vivre,  ou  bien  il  serait  demeuré  dans  un  état  de  débilité,  ou  bien 
il  aurait,  grâce  à  la  nourriture,  refait  un  sang  nouveau.  Ce  sang 
était  donc  nécessaire  à  la  perfection  de  son  corps  adorable,  et  il  le 
reprit  à  sa  résurrection.  Il  faut  en  dire  autant,  et  à  plus  forte 
raison  même,  du  sang  répandu  pendant  la  tlagellation 

Mais,  est-il  resté  quelque  cliose  de  ce  précieux  sang  sur  la  terre? 

Nous  avons  déjà  touché  cette  question;  cependant,  il  convient 
d'y  revenir. 


296         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAI».  VI. 

S.  Thomas  ne  semble  pas  croire  qu'aucune  partie  du  sang  ré- 
pandu par  Notre-Seigneur,  au  temps  de  sa  passion,  ait  été  privée 
de  la  résurrection  glorieuse  et  soit  demeurée  sur  la  terre.  «  Tout 
*  le  sang  qui  découla  du  corps  de  Jésus-Christ,  dit-il,  appartient 
«  à  la  vérité  de  la  nature  humaine  e1,  par  conséquent,  ressuscita 
«  avec  son  corps.  Il  faut  en  dire  autant  de  toutes  les  particules  de 
«  ce  corps,  concourant  à  la  vérité  et  à  l'intégrité  de  sa  nature.  Le 
't  sang  que  l'on  conserve  comme  relique,  dans  quelques  églises, 
«  n'a  pas  coulé  du  côté  de  Notre-Seigneur,  mais  on  dit  qu'il  est 
«  sorti  miraculeusement  d'une  image  de  Jésus-Christ  blessée  ^  » 
Jean  de  Turrecremata  dit  même  que  l'opinion  contraire  ne  pour- 
rait être  défendue,  sans  péché  contre  la  foi  ~.  Mais  le  plus  grand 
nombre  des  théologiens  enseignent  qu'il  n'est  nullement  contraire 
à  la  foi  d'admettre  que  quelques  gouttes  de  ce  sang  précieux  sont 
restées  sur  la  terre  ^,  et  que  c'est  à  du  sang  réel  et  véritable  que 
sont  dues,  par  exemple,  les  taches  que  l'on  remarque  sur  le  saint 
Suaire,  la  Couronne  d'épines,  la  sainte  Tunique.  Il  est  vrai  que  ce 
précieux  sang  s'est  desséché,  qu'il  n'est  plus,  à  proprement  par- 
ler, du  sang,  mais  il  le  fut,  et  s'il  avait  eu  part  à  la  résurrection, 
il  n'en  serait  pas  resté  de  trace. 

Le  sang  n'est  pas  la  seule  partie  liquide  qui  entre  dans  la  com- 
position du  corps  humain  et  qui  soit  nécessaire  à  son  intégrité; 
il  se  trouve  encore  d'autres  humeurs  dont  on  doit  croire,  comme 
du  sang  lui-même,  qu'elles  étaient  réellement  unies  à  la  divinité, 
et  qu'elles  ont  eu  part  à  la  glorieuse  résurrection  du  Fils  de  Dieu. 

\.  Ad  lerlium  dicendum  qiiod  totus  sanguis  qui  de  corpore  Cliristi  lluxil, 
cum  ad  verilatem  humanœ  naturai  pertineat,  in  corpore  Christi  resurrexit; 
et  eadem  ratio  est  de  omnibus  particulis  ad  veritalem  et  integritatemhumanse 
nalurae  pertinentibus.  Sanguis  autern  ille  qui  in  quibusdam  ecclesiis  pro  reli- 
quiis  conservatur,  non  fluxitde  latere  Christi,  sed  miracuiose  dicitur  effluxisse 
dequadam  imagine  Christi  percussa.  (S.  TiiOM.,  III  p.,  q.  Liv,  art.  2  ad  3.) 

2.  JoANN.  A  Turrecremata,  in  cap.  invitât.,  dist.  ii. 

3.  Ad  hoc  ipsum  adducit  Sylvester,  in  Jiosa  aurea,  tract.  III,  q.  xxxi,  Bul- 
lam  quamdam  Pii  II,  ad  Abbatem  Sanctae  Marise  Xanlonensis  diœcesis,  in  qua 
fatelur  Ponlifex,  nullatenus  veritali  fidci  repugnare,  affirmare  Uedemptorem 
noslrum  de  sanguine  in  cruce  effuso,  ob  ipsius  passionis  memoriam,  parlem 
aliquam  in  terris  reliquisse.  Afi'erlur  cliain  ex  Platina  in  Vita  Leonis  III,  de 
quo  refert,  profectum  Mantuam  ad  visendum  Christi  sanguinem,  qui  lune  ob 
assidua  miracula  in  magna  veneratione  erat,  reque  examinata,  sanguinem 
illum  approbasse.  Cujus  sanguinis  veritatem  confirmât  Baronius,  anno  804. 
Aflerlur  etiam  revelatio  B.  Virginis  facta  ad  Beatam  Birgittam,  lib.  VI  revela- 
tionum  ipsius.  (Vide  De  Luoo,  de  Mysterio  Incarnationis,  disp.  xiv,  sect.  vi.) 


DE    l'humanité    sainte  de    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'EDCHARISTIE.         297 

Elles  sont  comprises  sous  le  nom  générique  de  sang,  comme  les 
cheveux,  les  ongles,  les  dents,  les  os  le  sont  sous  le  nom  de  chair 
ou  de  corps. 

Cependant,  pour  ces  humeurs,  comme  pour  les  ongles  et  les 
cheveux  du  corps  adorable  de  Jésus-Christ,  plusieurs  ont  conçu 
des  doutes.  Ces  doutes  n'ont  pas  de  sérieuse  raison  d'être,  puisque 
ce  sont  là  des  parties  nécessaires  à  l'intégrité  du  corps  humain,  et 
que  Notre-Seigneur  les  a  reprises  en  reprenant  son  corps  et  son 
sang.  Personne  ne  supposera  que  le  corps  du  Sauveur  est  dépourvu 
d'ongles  ni  de  cheveux  au  ciel.  Il  est  vrai  que  les  ongles  et  les 
cheveux,  à  cause  de  leur  croissance  continue,  ont  besoin  d'être 
coupés,  mais  rien  n'empêche  d'admettre  que  la  partie  matérielle 
qui  était  retranchée  des  cheveux  ou  des  ongles  du  Sauveur,  était 
alors  privée  de  l'union  hypostatique,  comme  ce  que  nous  perdons 
ainsi  cesse  d'être  uni  à  notre  personne  et  de  ne  faire  qu'un  avec 
elle.  La  divinité  de  Notre-Seigneur  ne  s'est  jamais  séparée  ni  de 
son  corps  ni  de  son  âme  ;  mais  rien  n'empêche  d'admettre  qu'elle 
ne  soit  pas  restée  unie  à  ce  qui,  pour  une  raison  quelconque, 
cessait  de  faire  partie  de  son  corps,  et  n'était  plus  utile  à  son  inté- 
grité. 

Faut-il  donc  admettre  que  les  éléments  purement  matériels  qui, 
dans  un  temps  donné,  ont  eu  part  à  la  composition  du  corps  de 
Notre-Seigneur,  puis  en  ont  été  séparés,  sont  rentrés  dans  la  circu- 
lation générale  et  ont  pu  faire  partie  de  n'importe  quel  autre  corps 
vivant  ou  inanimé?  Sans  doute  on  peut  le  croire.  Néanmoins  il  y 
a  là  quelque  chose  qui  répugne  à  la  piété  ;  et  s'il  faut  admettre  que 
quelque  chose  de  ce  qui  avait  fait  partie  du  corps  adorable  du 
Sauveur  en  a  été  réellement  séparé  pour  toujours,  ce  dont  on 
pourrait  douter,  puisqu'un  miracle  aurait  suffi  pour  qu'il  en  fût 
autrement,  sans  nuire  en  aucune  manière  à  la  réalité  de  la  nature 
humaine  du  Sauveur,  ne  pourrait-on  pas  admettre  aussi  que  Dieu, 
par  sa  providence  ou  par  le  ministère  de  ses  anges,  a  réservé  ces 
précieux  éléments,  et  qu'eux  aussi  doivent  jouir  de  la  part  de 
gloire  à  laquelle  ils  ont  bien  quelque  droit?  Au  moins  convient-il 
qu'ils  n'aient  jamais  une  destination  incompatible  avec  ce  qu'ils 
ont  eu  l'honneur  d'être,  ce  qui  serait  une  espèce  de  profanation. 

Il  y  avait  enfin,  faisant  partie  de  l'iiumanilé  de  Notre-Seigneur, 
certaines  choses  purement  accidentelles,  comme  la  couleur  de  sa 
chair,  de  ses  yeux,  de  ses  cheveux,  la  chaleur  naturelle,  et  les  im- 


298         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VI, 

pressions  corporelles  qu'il  éprouvait  ;  il  y  avait  la  tristesse  ou  la 
joie  de  son  ànie,  et  les  autres  sentiments  qui  se  succédaient  en  lui. 
Tous  ces  divers  accidents  étaient  unis  au  Verbe  de  Dieu,  par  là 
même  qu'ils  étaient  inhérents  à  son  humanité.  Il  les  avait  pris  en 
même  temps  qu'elle,  parce  que,  sans  eux,  elle  n'eût  pas  été  parfaite. 
Mais  ce  qui  est  purement  accidentel  dans  l'homme  fut  aussi  pure- 
ment accidentel  dans  l'Homme-Dieu.  Le  Verbe  divin  ne  s'unit  pas 
hypostatiquement  à  ces  accidents  divers,  qui  ont  leur  existence 
propre  et  distincte  de  celle  de  la  substance  à  laquelle  ils  adhèrent; 
mais  son  union  avec  eux  résulta  de  celle  qu'ils  avaient  avec  son 
corps  ou  son  âme;  elle  ne  fut  qu'indirecte  et  secondaire.  Telle  est 
au  moins  la  conclusion  qui  ressort  de  ce  que  disent  Suarez,  De 
Lugo  et  les  quelques  théologiens  qui  ont  traité  cette  question. 

Qu'on  nous  pardonne  d'être  entré  dans  tous  ces  détails  :  c'est 
du  corps  adorable  de  Jésus  qu'il  s'agit,  de  ce  corps  que  nous  possé- 
dons dans  l'adorable  Sacrement  de  nos  autels.  Rien  de  ce  qui  le 
regarde  n'est  petit  aux  yeux  de  la  foi  ni  aux  yeux  de  l'amour. 

V. 

PERFECTION    SOUVERAINE    DU    CORPS    ADORABLE    DE   NOTRE-SEIGNEUR 
PRÉSENT    DANS    l'eUCIIARISTIE 

Lorsque  le  Verbe  divin  daigna  s'unir  à  la  nature  humaine,  il 
prit  un  corps  passible  et  mortel,  car  il  fallait  qu'il  pût  souffrir  et 
mourir  pour  racheter  les  hommes.  «  C'est  par  les  souffrances  et 
»  les  épreuves  qu'il  a  lui-même  subies,  qu'il  est  puissant  pour 
«  secourir  ceux  qui  sont  ainsi  éprouvés  ',  »  dit  l'apôtre  S.  Paul. 
Et  Jésus-Christ  lui-même  disait  aux  deux  disciples  d'Emmaûs, 
troublés  dans  leur  foi  et  dans  leur  espérance,  par  sa  douloureuse 
passion  et  sa  mort  :  «  Ne  fallait-il  pas  que  le  Christ  souffrît  ces 
«  choses  et  entrât  ainsi  dans  sa  gloire  -?  »  Le  prophète  Isaïe  l'avait 
annoncé  en  s'écriant  :  «  11  a  véritablement  enduré  lui-même  nos 
langueurs  :  »  Vere  lamjuores  nostros  ipse  tulit  3,  et  S.  Pierre 
affirmait  qu'il  en  était  ainsi  :  CItrislus passus  est  pronobis,  vobis 

I.  In  eo  enim  in  quo  passus  est  ipse  et  tentatus,  potens  est  et  eis  qui  ten- 
tanlur  auxiliari.  [Ilehr.,  ii,  18.) 

•1.  Nonne  hsec  oportuit  pati  Chrislum,  et  ita  intrare  in  gloriam  suam?  [Luc, 
XXIV,  20.) 

3.  h.,  un,  4. 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCHARISTIE.  299 

relinquens  exemplum  '  :  «  Le  Christ  a  souffert  pour  nous,  vous 
«  laissant  cet  exemple.  »  Mais  pourquoi  citer  quelques  textes  parti- 
culiers? Tout  dans  l'Ancien  Testament  et  dans  le  Nouveau  témoigne 
de  la  passibilité  du  corps  de  Notre-Seigneur;  toute  notre  sainte 
religion  repose  sur  les  dogmes  de  sa  mort  et  de  sa  résurrection. 
Les  quelques  hérétiques  qui  ont  prétendu  que  le  corps  de  Jésus- 
Christ  n'était  ni  véritablement  passible  ni  véritablement  mortel 
ont  toujours  été  condamnés  par  l'Église.  Les  SS.  Pères  appuient 
principalement  sur  cette  raison  que  la  fin  delà  rédemption  n'aurait 
pas  été  atteinte,  si  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  n'avait  pas  pu 
souffrir  et  mourir.  Sans  doute  la  souffrance  et  la  mort  semblent 
peu  conciliables  en  elles-mêmes,  avec  l'union  hypostatique  de 
l'humanité  et  du  Verbe  de  Dieu.  Mais  l'homme  déchu  devait  être 
relevé  d'après  les  décrets  de  la  sagesse  éternelle,  par  les  souffrances 
et  la  mort  de  THomme-Dieu.  Il  fallait  donc  que  ces  souffrances  et 
cette  mort  fussent  réelles,  il  fallait  que  le  corps  du  Seigneur  fût  un 
corps  comme  les  nôtres,  de  la  même  nature  et  de  la  même  con- 
dition qu'eux,  mais  incomparablement  plus  parfait;  car  il  était 
passible  et  mortel  afin  d'expier  nos  péchés,  mais  il  était  le  corps 
du  saint  des  saints,  et  rien  ne  devait  être  incompatible  en  lui  avec 
la  personne  du  Fils  de  Dieu  qui  se  l'était  uni. 

Le  corps  de  notre  divin  Sauveur  était  donc  aussi  parfait  que 
le  comporte  la  nature  humaine;  son  tempérament,  sa  complexion 
et  sa  beauté  en  faisaient  le  chef-d'œuvre  de  la  création  visible. 
Cette  perfection,  loin  de  nuire  à  l'œuvre  de  la  Rédemption,  ne 
pouvait  qu'en  augmenter  les  mérites  :  pourquoi  le  Père  éternel 
l'aurait-il  refusée  à  l'humanité  de  son  Fils? 

Le  Psalmiste  dit,  en  parlant  du  Messie,  que,  par  sa  beauté,  il 
l'emporte  sur  tous  les  enfants  des  hommes  2.  Cette  beauté  incom- 
parable est  d'abord  celle  de  sa  divinité  ;  c'est  aussi  la  beauté  de  la 
grâce  dont  il  s'est  revêtu  lui-môme  ;  c'est  enfin  la  beauté  corporelle, 
digne  accompagnement  des  deux  premières,  et  qui  en  fait  res- 
plendir quelques  rayons  aux  yeux  des  hommes.  «  Qui  n'aurait 
«  désiré  de  voir  seulement  ce  visage  et  de  contempler  cette  bouche 
((  d'où  sortaient  des  paroles  si  divines?  »  demande  S.  Jean  Chry- 
sostome  ^.  0  Car  il  n'était  pas  seulement  admirable  par  les  prodiges 

1.  /.  /'t'/r.,  Il,  21. 

2.  Speciosus  forma  prae  filiis  hominum.  {Ps.  XLiv,  :{.) 

3.  S.  J.  Ciirysost.,  in  5.  Matlh.,  hom.  XXVI I. 


300         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.  VI. 

«  qu'il  faisait,  mais  sa  seule  vue  et  sa  seule  présence  répandaient  la 
«  joie  et  la  grâce  dans  tous  ceux  qui  le  regardaient.  C'est  pourquoi 
«  le  prophète  dit  de  lui  :  Votre  beauté  surpasse  la  beauté  de  tous 
«  les  hommes  K  Et  ce  que  dit  Isaïe  :  qu'il  n'avait  ni  forme  ni 
«  beauté  -,  ne  se  doit  entendre  qu'en  comparant  son  humanité  à 
«  la  gloire  ineffable  de  sa  divinité,  ou  en  le  considérant  dans  le 
«  moment  de  sa  passion  lorsqu'il  fut  souillé  et  défiguré  d'une 
«  manière  si  horrible,  ou  pour  marquer  l'état  simple  et  pauvre 
«  dans  lequel  il  a  passé  toute  sa  vie.  » 

S.  Jérôme  dit  que  Jésus  était  plus  beau  que  tous  les  autres  enfants 
d'Adam,  parce  qu'il  était  vierge,  que  sa  mère  était  vierge  et  qu'il 
était  né  non  pas  du  sang  mais  de  Dieu  ^.  D'après  S.  Grégoire  de 
Nazianze  ^  Notre-Seigneur,  au  moment  de  sa  résurrection,  ne  fit 
que  reprendre  la  beauté  corporelle  qu'il  possédait  avant  sa  passion. 
Ce  sont,  en  lui,  les  mêmes  proportions,  les  mêmes  formes  corpo- 
relles, les  mêmes  traits,  mais  le  tout  illuminé  par  la  lumière  de  la 
gloire.  C'est  l'enseignement  de  S.  Thomas,  qui  cite  ces  paroles  de 
S.  Pierre  Chrysologue  :  «  Que  personne  ne  s'imagine  que  les  traits 
«  de  Jésus  Christ  ont  été  changés  par  sa  résurrection.  »  Et  le 
Docteur  angélique  ajoute  qu'il  n'y  avait  rien  à  corriger  dans  la 
forme  extérieure  de  Jésus-Christ,  parce  que  son  corps  adorable, 
conçu  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  était  parfait  et  sans  aucun 
défaut.  La  résurrection  y  joignit  cependant  la  gloire  de  la  clarté, 
mais  sans  rien  changer  à  la  substance  ni  à  la  forme  extérieure  ^. 

Ni  la  beauté  ni  aucune  des  perfections  que  le  corps  humain  peut 
posséder  en  vertu  de  sa  nature  ne  manquaient  donc  au  corps  de 
notre  divin  Sauveur.  Il  devait  être  digne  en  tout  de  l'àme  très  par- 
faite du  Seigneur,  digne  même,  autant  qu'il  était  possible,  de  sa 

\.  As.  XLiv,  3. 

"2.  Non  est  species  ei..  neque  décor,  (/s.,  lui,  2.) 

3.  Universis  pulchior  est,  virgo  de  Virgine,  qui  non  ex  sanguinibus  sed  ex 
Dec  natus  est.  (S.  Hieron.,  Epist.  ad  Principiam.) 

4.  S.  Gregor.  Nazian.,  oral.  II  in  Pascha. 

y.  Ad  teriium  dicendum,  quod,  sicut  Severianus  dicit  in  sermone  pasohali 
(id  habet  Pelr.  Chrysol.  in  serm.  LXXXII,  ad  fin.),  «  nemoputet  Christum  sua 
resurreclione  sui  vultus  effigiem  commutasse.  »  Quod  est  intelligendum 
quantum  ad  iineamenta  inembrorum  ;  rjuia  nihil  inordinalum  et  déforme  fue- 
rat  in  corpore  Christi  per  Spiritum  sanctum  concepto,  quod  in  resurreclione 
corrigendum  esset.  Accepit  tamen  in  resurreclione  gloriam  claritatis;  unde 
idem  ibidem  subdit  :  «  Sed  mutatur  effigies  dum  efficilur  ex  mortali  immor- 
talis;ut  hoc  sit  acquisivisse  vultus  gloriam,  non  vultus  substantiam  perdidisse. 
S.  TiiOM.,  m  p.,  q.  liv,  art.  \  ad  3.) 


DE   l'humanité    sainte   DE   NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eUCHARISTIE.         301 

divinité,  puisque,  avec  l'àme  et  la  divinité,  il  ne  faisait  qu'une  seule 
et  unique  personne,  la  personne  adorable  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme.  Adam,  le  premier  homme,  était  tout  resplendissant  de 
beauté,  lorsqu'il  sortit  des  mains  du  Créateur  ;  eùt-il  été  convena- 
ble que  le  corps  du  Fils  unique  de  Dieu,  formé  directement  par 
le  Saint-Esprit,  non  pas  d'un  peu  de  limon,  comme  celui  d'Adam, 
mais  de  ce  qu'il  y  avait  de  plus  parfait  dans  la  substance  de  la  plus 
pure  des  Vierges,  ne  surpassât  pas  en  perfection  et  en  beauté  le 
corps  du  premier  homme? 

La  perfection  du  corps  adorable  deNotre-Seigneur  ne  le  rendait 
pas  insensible  à  la  faim,  à  la  soif,  à  la  fatigue.  Le  saint  Évangile 
nous  le  montre  s'asseyant  fatigué  auprès  du  puits  de  Jacob  et  de- 
mandant à  boire  à  la  Samaritaine;  il  nous  le  montre  pressé  par 
la  faim,  après  les  quarante  jours  et  les  quarante  nuits  de  jeûne 
passés  dans  le  désert;  il  nous  le  montre  encore  dormant  dans  une 
barque  violemment  agitée  par  les  flots.  Mais  S.  Thomas  enseigne 
qu'il  ne  fut  sujet  ni  à  la  maladie  ni  à  ces  indispositions  et  à  ces 
douleurs  qui  procèdent  de  causes  accidentelles,  d'une  imperfection 
quelconque  dans  la  constitution  du  corps,  ou  quelquefois  des  fautes 
personnelles  de  ceux  qui  en  sont  atteints.  Rien  de  semblable  ne 
pouvait  exister  en  Jésus-Christ  '.On  lit,  il  est  vrai,  dans  le  prophète 
Isaïe,  cité  par  S.  Matthieu  :  Verelanguores  nostros  ipse  tulit,  et 

\.  Christus  defectus  humanos  assumpsit  ad  satisfaciendum  pro  peccato 
humano  naturœ;  ad  quod  requirebatur  quod  haberet  perfectionem  scientiae 
etgratiœ  in  anima.  Illos  ergo  defectus  Christus  assumera  debuit,  qui  conse- 
quuntur  ex  peccato  communi  totius  naturse,  nec  tamen  répugnant  perfectioni 
scientiae  et  gratiœ.  Sic  igitur  non  fuit  conveniens  ut  omnes  defectus  seu  intîr- 
milates  humanas  assumeret.  Sunt  enim  quidam  defectus  qui  répugnant  per- 
fectioni scientiae  etgratiœ;  sicut  ignorantia,  pronitas  ad  malum  et  difticuitas 
ad  bonum.  Quidam  autem  defectus  sunt,  qui  non  conscquuntur  cominuniter 
totam  humanam  naturam  propter  peccatum  priini  parentis.  sed  causantur  in 
aliquibus  hominibus  ex  quibusdam  particularibus  causis  ;  sicut  lepra,  et  nior- 
bus  caducus,  et  alia  hujusmodi  :  qui  quidem  defectus  quandoque  causantur 
ex  culpa  hominis,  puta  ex  inordinato  viclu;  quandoque  autcm  ex  defectu  vir- 
tutis  formativœ  :  quorum  neutruin  convenit  Christo  :  (juia  et  caro  ejus  de 
Spiritu  sancto  concepta  est  qui  est  infinit;e  sapientiœ  et  virtutis,  errare  et  de- 
ficere  non  potens  :  et  ipse  nihil  inordinatum  in  regiinine  sua?  vita?  exorcuit. 
Sunt  autem  tertii  defectus  qui  in  omnibus  hominibus  communilorinveniuntur 
ex  peccato  primi  parentis,  sicul  mors,  famés,  sitis  et  aUa  hujusmodi  :  et  bos 
defectus  omnes  Christus  suscepit  quos  vocat  Damascenus  «  naturales  et  inde- 
tractabiles  passiones  ;  »  naturales  quidem  (juia  consequuntur  communiter 
totam  naturam  ;  indetractaliiles  autem,  quia  defectum  scientiae  et  gratiae  non 
important.  (S,  Tiiom.,  III  p.,  q.  xiv,  art.  4.) 


302         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  Il«  PARTIE.   —   LIVRE  II.   —  CHAP.  VI. 

dolores  nostros  ipse  portavit  :  «  Lui-même  a  pris  nos  infirmités, 
«  et  il  s'est  chargé  de  nos  maladies.  »  Mais  il  ne  faut  pas  entendre 
ces  paroles  dans  le  sens  que  le  Fils  de  Dieu  eût  éprouvé  toutes  les 
maladies,  toutes  les  infirmités  auxquelles  est  sujette  la  nature  hu- 
maine déchue.  D'après  S.Thomas  et  la  plupart  des  interprètes  de 
la  Sainte  Écriture,  il  s'en  est  chargé,  ou  plutôt  il  les  a  prises,  non 
pour  les  éprouver  mais  pour  nous  en  décharger  et  les  éloigner  de 
nous.  S.  Jérôme,  S.  Augustin,  S.  Basile,  disent  que  ces  paroles  du 
prophète  peuvent  et  doivent  s'entendre  des  guérisons miraculeuses 
qu'il  a  opérées  pendant  sa  vie  mortelle.  D'après  S.  Athanase,  il 
n'eût  pas  été  convenable  que  celui  qui  venait  sur  la  terre,  pour 
nous  délivrer  de  nos  maux,  y  fût  lui-même  assujetti,  et  lorsque 
Isaïe  appelle  Jésus-Christ  «  l'homme  des  douleurs,  connaissant 
<r  l'infirmité,  />  virum  dolorum  etscientem  infirmitatem,,  il  parle 
de  sa  douloureuse  passion  et  non  pas  de  maladies  ou  d'infirmités 
quelconques,  qui  ont  leur  source  dans  l'imperfection  corporelle, 
dans  certains  excès  ou  certains  actes,  ce  qui  répugne  absolument 
à  la  sagesse,  à  la  science,  à  la  sainteté  absolue  de  Notre-Seigneur. 

Le  Fils  de  Dieu,  en  prenant  un  corps  passible  pour  nous  racheter 
avait  par  là  même  accepté  d'endurer  les  souffrances  inhérentes 
par  elles-mêmes  à  la  nature  humaine  ici-bas,  quelque  parfaite 
qu'on  la  suppose.  Ces  souffrances,  il  les  voulait  comme  Dieu  et, 
comme  homme,  il  les  acceptait  librement,  pour  accomplir  la  vo- 
lonté de  son  Père  et  pour  notre  salut.  Non  seulement  il  les  ac- 
ceptait, mais  il  les  voulait  et  les  provoquait  lorsqu'il  le  jugeait  à 
propos,  par  exemple  en  se  livrant  au  jeûne,  à  la  fatigue  du  travail 
ou  des  voyages.  Mais  en  tout  cas,  c'était  en  toute  liberté  qu'il  en 
acceptait  et  en  ressentait  les  effets.  Il  le  fallait  du  reste,  puisque  ce 
divin  Rédempteur  ne  s'y  était  soumis  que  pour  notre  salut,  et  que 
ce  qu'il  aurait  enduré  sans  le  vouloir  librement  eût  été  sans  mé- 
rite. 

Tel  était  l'état  du  corps  de  notre  adorable  Sauveur,  lorsqu'il  ins- 
titua la  Sainte  Eucharistie  et  qu'il  se  donna  pour  la  première  fois 
à  ses  Apôtres,  la  veille  de  sa  douloureuse  passion  et  de  sa  mort 
sur  la  croix.  Mais  au  moment  de  sa  résurrection,  il  s'opéra  dans  la 
chair  de  Jésus  une  admirable  transformation.  Cette  chair  fut  re- 
vêtue de  gloire  et  reçut  les  attributs  nouveaux  qu'elle  gardera  pen- 
dant toute  l'éternité.  C'est  dans  cet  état,  toute  resplendissante  de 
la  gloire  céleste  qui  lui  est  propre,  qu'elle  se  donne  à  nous  dans 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEDR   DANS   l'eUCHARISTIE.         303 

l'Eucharistie.  Nous  ne  voyons  rien,  il  est  vrai,  tandis  que  nous  vi- 
vons encore  sur  la  terre,  de  ces  merveilleux  attributs  et  de  cette 
gloire  qui  ravit  les  anges  et  les  saints.  Mais  la  foi  nous  enseigne 
que  Jésus-Christ  est  dans  l'Eucharistie,  tel  qu'il  est,  quoique  voilé 
sous  les  espèces  sacramentelles.  C'est  assez  pour  nous  de  le  savoir: 
plus  tard,  si  nous  en  sommes  dignes,  nous  verrons  de  nos  yeux 
ce  que  déjà  nous  croyons  sur  la  terre,  avec  tant  de  joie  et  de  con- 
solation. 

Disons  un  mot  de  ces  perfections  acquises  par  le  corps  adorable 
de  Notre-Seigneur,  au  moment  de  sa  résurrection,  et  qu'il  ne  dé- 
pose pas,  quoiqu'elles  soient  cachées,  lorsqu'il  vient  s'immoler  de 
nouveau  sur  nos  autels,  et  se  donner  à  nous  par  la  sainte  com- 
munion. 

Que  le  corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  maintenant  qu'il 
est  ressucité,  soit  un  corps  véritable,  un  corps  appartenant  à  la  na- 
ture humaine,  la  foi  ne  permet  pas  d'en  douter.  Origène  et  Euty- 
chès  osèrent  avancer  qu'il  n'en  était  pas  ainsi  ;  mais  on  ne  com- 
prend pas  qu'ils  eussent  pu  tomber  dans  une  telle  erreur,  contre 
laquelle  le  Seigneur  lui-même  avait  prémuni  ses  Apôtres  avec 
tant  de  sollicitude.  Nous  ne  citerons  que  ce  passage  de  l'Évangile 
selon  S.  Luc  :  «  Pendant  que  les  disciples  s'entretenaient  ainsi,  » 
dans  le  Cénacle,  le  soir  du  jour  de  la  résurrection,  «  Jésus  parut  au 
«  milieu  d'eux,  et  leur  dit  :  Pourquoi  êtes-vous  troublés,  et  pour- 
«  quoi  ces  pensées  s'élèvent-elles  dans  vos  cœurs?  Voyez  mes  mains 
«  et  mes  pieds  ;  c'est  bien  moi  :  touchez  et  voyez  :  un  esprit  n'a 
«  ni  chair  ni  os  comme  vous  voyez  que  j'ai.  —  Et  lorsqu'il  eut  dit 
«  cela,  il  leur  montra  ses  mains  et  ses  pieds.  Mais  eux  ne  croyant 
«  point  encore,  et  étant  transportés  d'admiration  et  de  joie,  il  dit: 
«  Avez-vous  ici  quelque  choseà  manger?  Et  ils  lui  présentèrent  un 
«  morceau  de  poisson  rôti  et  un  rayon  de  miel.  Or,  lorsqu'il  eut 
«  mangé  devant  eux,  prenant  les  restes,  il  les  leur  donna  K  * 

F*ourrait-on  demander  une  preuve  plus  évidente  de  la  réalité  du 
corps  ressuscité  que  les  Apôtres  avaient  sous  les  yeux?  Ils  voient 
ce  corps  du  divin  Maître,  qu'ils  connaissaient  si  bien;  ils  le  tou- 
chent, ils  le  palpent,  ils  constatent  qu'il  est  réellement  composé  de 
chair  et  d'os  comme  tout  corps  humain.  Ce  n'est  pas  tout  encore, 
Jésus  mange,  en  leur  présence,  des  mets  qu'eux-mêmes  lui  ont 

1.  Luc,  XIV,  30-43. 


304         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CHAP.   VI. 

servis  sur  sa  demande,  et  pour  qu'ils  puissent  constater  par  leur 
propre  expérience  que  ce  sont  des  mets  très  réels,  et  que  Jésus  en 
a  consommé  une  partie,  ce  divin  Maître,  toujours  plein  de  con- 
descendance, leur  donne  ce  qu'il  en  est  resté,  pour  le  partager 
entre  eux  et  mangera  leur  tour.  Toute  illusion  était  donc  impos- 
sible et  la  réalité  du  corps  ressuscité  de  Jésus  ne  pouvait  plus 
être  l'objet  d'aucun  doute  pour  ceux  qui  étaient  présents.  Mais 
parce  que  Thomas  ne  se  trouvait  pas  en  ce  moment  avec  les  autres 
Apôtres,  huit  jours  après,  le  divin  Maître  revint  encore  dans  des 
circonstances  semblables,  au  milieu  de  ses  disciples,  et  Thomas, 
qui  n'avait  pas  voulu  croire  sur  la  parole  de  ses  frères,  tomba 
convaincu  aux  pieds  de  celui  qu'il  touchait  et  dont  il  voyait  les 
plaies,  en  s'écriant  :  «  Mon  Seigneur  et  mon  Dieu!  »  Dominus 
meus  et  Deus  meus  *  ! 

Jésus-Christ,  en  ressuscitant,  reprit  donc  le  môme  corps  avec 
lequel  il  avait  vécu  pendant  trente-trois  ans,  sur  la  terre  ;  il  le 
reprit  avec  les  mêmes  organes  des  sens,  en  état  de  remplir  leurs 
fonctions  naturelles,  avec  les  mêmes  dimensions,  les  mômes  pro- 
portions de  tous  les  membres,  parce  qu'au  moment  de  sa  mort,  il 
avait  atteint  son  développement  parfait.  Il  n'en  sera  pas  de  même 
pour  nous,  qui  ressusciterons  non  pas  précisément  tels  que  nous 
aurons  été  à  l'heure  de  la  mort,  mais  tels  que  nous  aurions  dû 
être  à  l'heure  de  notre  parfait  développement  corporel,  s'il  s'était 
accompli  sans  aucune  entrave  ni  aucun  accident  2. 

Le  corps  ressuscité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  que  nous 
recevons  dans  l'Eucharistie,  est  donc  un  corps  véritable,  de  la 
même  nature  qu'il  fut  avant  sa  résurrection,  mais  d'une  autre 
gloire,  comme  dit  S.  Thomas  3.  Tout  ce  qui  coopérait  à  l'intégrité 

1.  Joann.,  xx,  ïiH. 

2.  Sed  utique  Christus  in  ea  mensura  corporis,  in  qua  est  mortuus  resiir- 
rexit,  nec  fas  est  dicere,  cum  resurrectionis  omnium  tcmpiis  venerit  accessu- 
ram  corpori  ejus  eam  magniUidinem  quam  non  halniit,  quando  in  ea  disci- 
pulis,  in  qua  illis  erat  notus,  apparuit,  ul  longissimis  fiori  possit  œqualis.  Si 
autem  dixerimus  ad  dominici  corporis  modum  ctiam  quorumque  majora  cor- 
pora  rcdigenda,  peribit  de  mullorum  corporibus  plurimum,  cum  ipse  nec 
capillum  periturum  esse  promiserit.  Restât  crgo,  ut  suam  recipiat  quisque 
mensuram,  quam  vel  habuit  in  juventute  etiamsi  senex  est  mortuus  ;  vel  fue- 
rat  habilurus,  si  ante  defunctus  est.  (S.  August.,  de  Civitale  Bei,  lib.  XXII, 
cap.  XV.  j 

3.  Corpus  Christi  in  resurrectione  fuit  ejusdem  naturse,  sed  alterius  gloriae. 
L'nde  quicquid  ad  naturam  corporis  humani  pertinet,  totum  fuit  in  corpore 
Christi  resurgentis.  Manifestum  est  autem  quod  ad  naturam  corporis  humani 


DE   l'humanité    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR    DANS    l'eUCHARISTIE.  305 

de  ce  divin  corps  pendant  sa  vie  mortelle  s'y  retrouve  après  la  ré- 
surrection. C'est  bien  le  même  corps,  quoique  revêtu  de  qualités 
nouvelles.  Autrement  il  n'y  aurait  pas  de  véritable  résurrection. 
Contemplez  Jésus  dans  son  enfance  ;  contemplez-le  au  temps  de  sa 
douloureuse  passion  ;  contemplez-le  assis  dans  la  gloire  céleste  à 
côté  de  son  Père  ;  contemplez-le  enfin  dans  la  Très  Sainte  Eucha- 
ristie où  il  se  donne  à  vous  :  c'est  toujours  le  même  Jésus  ;  c'est 
toujours  le  même  Dieu,  la  même  àme,  le  même  corps  né  de  la 
bienheureuse  Vierge  Marie,  et  voilé  sous  les  espèces  eucharis- 
tiques, pour  la  nourriture  et  la  sanctification  de  nos  âmes. 

Parmi  les  qualités  surnaturelles  dont  le  corps  adorable  de  Notre- 
Seigneur  resplendit  dans  la  gloire  du  ciel,  il  en  est  quatre  prin- 
cipales que  l'on  est  convenu  d'appeler  la  clarté,  V impassibilité, 
Yagilité  et  la  subtilité. 

La  première  des  qualités  surnaturelles  du  corps  ressuscité  de 
notre  divin  Sauveur,  la  clarté,  est  signalée  par  S.Paul,  qui  dit  en 
parlant  de  notre  propre  résurrection  :  «  Il  réformera  le  corps  de 
«  notre  humilité  en  le  conformant  à  son  corps  glorieux  :  »  Refor- 
mabit  corpus  liumilitatis  configuratum  corpori  claritatis  suœ  ^ 

Cette  clarté  est  une  lumière  très  parfaite,  qui  appartient  en 
propre  au  corps  lui-même  ;  elle  le  pénètre  en  toutes  ses  parties  et 
le  revêt  d'un  merveilleux  éclat.  La  transparence  qu'elle  lui  con- 
fère n'est  pas  telle  que  les  formes  particulières  des  membres  et 
les  couleurs  différentes  en  soient  confuses  ou  indistinctes,  car  elle 
nuirait  ainsi  au  but  que  Dieu  se  propose  par  le  don  de  cette  admi- 
rable lumière.  La  pureté  et  l'éclat  du  diamant  n'empêchent  pas 
de  voir  combien  sa  taille  est  parfaite,  et  le  cristal,  tout  transpa- 
rent qu'il  soit,  n'en  revêt  pas  moins,  au  gré  de  l'artiste,  les 
nuances  les  plus  diverses  et  les  plus  délicates.  Ce  que  peut  l'art, 

pertinent  carnes,  et  ossa,  et  sanguis,  et  alia  hujusmodi.  Et  ideo  oinnia  ista  in 
corpore  Christi  resurgentis  fuerunt,  et  etiam  integraliter,  ahsqiie  omni  dimi- 
nutione  :  alioquin  non  fuissct  perfecta  resurrectio,  si  non  fiiisset  rcdinlegra- 
tum  quicquid  per  niortem  ceciderat.  Unde  et  Doininusfidclibus  suisproinitlit, 
dicens  {Matth.,  x,  30)  :  Vestri  niitem  cajnlli  cnpitis  omrws  numernti  sunt  ;  et 
{Luc,  XXI,  18)  dicitur  :  Capillus  décapite  veslro  non  peribil....  Si  enim  incon- 
veniens  est  ut  Christus  altcrius  naturœ  corpus  in  sua  conceptione  acceperit, 
puta  cœleste,  sicut  Valentinus  asseruit,  niulto  magis  inconveniens  est  quod 
in  resurrectione  alterius  naturfe  resumpserit,  quia  corpus  in  resurrectione 
resumpsit  ad  vitam  immorlalem,  quod  in  conceptione  assunipsorat  ad  vitain 
mortalem.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  liv,  art.  2.) 
1.  /.  Cor.,  XV,  43. 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  20 


306         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.    —  II®  PARTIE.   —   LIVRE   II.  —  CIIAP.    VI. 

au  moins  jusqu'à  un  certain  point,  pourquoi  Dieu  ne  le  pourrait-il 
pas  dans  un  ordre  plus  élevé,  pour  glorifier  la  chair  de  son  divin 
Fils  et  celle  de  ses  fidèles  serviteurs? 

On  a  demandé  si  cette  lumière  des  corps  glorifiés  est  de  la 
même  nature  que  celle  que  le  soleil  répand  sur  la  terre,  et  si  des 
yeux  mortels  peuvent  la  voir  sans  miracle.  S.  Thomas  et  Duns 
Scot  penchent  pour  l'affirmative.  Quoi  qu'il  en  soit,  elle  est  la 
même  pour  les  corps  ressuscites  des  saints  que  pour  le  corps  ado- 
rable du  Sauveur,  mais  non  pas  au  même  degré.  S.  Paul  nous 
dit  :  «  Autre  est  la  clarté  du  soleil,  autre  la  clarté  de  la  lune, 
«  autre  la  clarté  des  étoiles.  Une  étoile  même  diffère  d'une  autre 
0  étoile  en  clarté.  Ainsi  est  la  résurrection  des  morts  K  »  Tous  les 
corps  des  saints  ne  brilleront  pas  du  même  éclat.  Ils  n'égaleront 
pas  la  splendeur  du  divin  Agneau  dont  la  gloire  suffira  pour  illu- 
miner, dans  les  siècles  des  siècles,  la  céleste  Jérusalem,  dont 
S.  Jean  dit  dans  l'Apocalypse  :  «  Je  ne  vis  point  de  temple  dans  la 
«  ville,  parce  que  le  Seigneur  Dieu  tout-puissant  et  l'Agneau  en 
«  sont  le  temple.  Et  la  ville  n'a  pas  besoin  du  soleil  ni  de  la  lune 
«  pour  l'éclairer,  parce  que  la  gloire  de  Dieu  l'éclairé,  et  que  sa 
«  lampe  est  l'Agneau  2.  »  Plus  loin  il  dit  encore  :  «  Le  trône  de 
«  Dieu  et  de  l'Agneau  y  sera,  et  ses  serviteurs  le  serviront.  Ils 
«  verront  sa  face,  et  son  nom  sera  sur  leur  front.  Il  n'y  aura  plus 
«  là  de  nuit,  et  ils  n'auront  pas  besoin  de  lampe  ni  de  la  lumière 
«  du  soleil,  parce  que  le  Seigneur  les  éclairera  ^.  » 

C'est  donc  à  la  lumière  dont  Dieu  a  gratifié  le  corps  ressuscité  de 
son  divin  Fils  que  nous  participerons  un  jour,  si  nous  en  sommes 
dignes.  Mais  qu'elle  est  grande,  qu'elle  est  admirable,  cette  lumière 
du  corps  de  Jésus,  qui  suffit  à  illuminer  la  céleste  Jérusalem!  Et 
c'est  ce  divin  corps,  tout  revêtu  de  ces  immortelles  clartés,  quoique 
invisibles  à  nos  sens,  qui  se  donne  à  nous  dans  l'adorable  Eucha- 
ristie ! 

i.  Alia  claritas  solis,  alla  clarita.s  lunae,  alla  claritas  stellarum.  Stella  enim 
a  Stella  differt  in  claritate.  Sic  et  resurrectio  mortuorum.  (/.  Cor.,  xv,  40,  Al.) 

2.  Et  templum  non  vidi  in  ea  :  Dominus  enim  Deus  omnipolens  templum 
illius  est,  et  Agnus.  Et  civitas  non  eget  sole,  neque  luna,  ut  luceant  in  ea; 
nain  claritas  Dei  illuminavit  eam,  et  lucerna  ejus  est  Agnus.  {Apoc,  xxi, 
22,  23.) 

3.  Sed  sedes  Dei  et  Agni  in  illa  erunt,  et  servi  ejus  servient  illi.  Etvidebunt 
faciem  ejus,  et  nomen  ejus  in  frontibus  eorum.  Et  nox  ultra  non  erit  :  et  non 
egebunt  lumine  lucernae,  neque  lumine  solis,  quoniam  Dominus  Deus  illumi- 
nabit  illos.  {I<f.,  xxii,  3-Î3.) 


DE   l'humanité    sainte    de    NOTRE-SEIGNEUR  DANS   l'eUCHARISTIE.         307 

La  seconde  perfection  surnaturelle  du  corps  glorieux  de  Notre- 
Seigneur  est  Vimpassibiliié.  S.  Paul,  écrivant  aux  Romains,  a  dit  : 
«  Le  Christ  ressuscitant  des  morts  ne  meurt  plus  désormais  :  » 
Christus  resurgens  ex  mortuis  jam  non  nioriinr  K  La  souffrance 
n'est  pas  plus  compatible  que  la  mort  avec  la  gloire  du  corps  res- 
suscité de  notre  adorable  Sauveur.  S.  Jean  dit  encore  au  cha- 
pitre XXI  de  l'Apocalypse  :  «  Et  moi,  Jean,  je  vis  la  cité  sainte,  la 
«  nouvelle  Jérusalem  descendant  du  ciel,  d'auprès  de  Dieu,  parée 
«  comme  une  épouse,  et  ornée  pour  son  époux.  Et  j'entendis  une 
«  voix  forte  sortie  du  trône,  disant  :  «  Voici  le  tabernacle  de  Dieu 
«  avec  les  hommes,  et  il  demeurera  avec  eux.  Et  eux  seront  son 
«  peuple,  et  lui-même,  Dieu,  au  milieu  d'eux,  sera  leur  Dieu.  Et 
«  Dieu  essuiera  toute  larme  de  leurs  yeux,  et  il  n'y  aura  plus  ni 
«  mort,  ni  deuil,  ni  cris,  ni  douleur,  parce  que  les  premières 
«  choses  sont  passées  '-.  »  La  souffrance  sera  donc  inconnue  dans  la 
céleste  Jérusalem.  Tous  les  corps  des  saints  ressuscites  seront  im- 
passibles et  immortels  :  à  plus  forte  raison  le  sera-t-il,  le  corps 
adorable  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  cause  et  modèle  de  leur 
résurrection.  Le  roi  pourrait-il  se  refuser  à  lui-même  ce  qu'il 
accorde  avec  tant  de  libéralité  à  ses  sujets  fidèles?  Le  corps  du 
Fils  de  Dieu  incarné  pourrait-il  être  d'un  ordre  inférieur  à  ceux 
des  hommes  qui  lui  doivent  tout? 

Il  ne  faut  pas  confondre  l'impassibilité  dont  jouit  le  corps  ado- 
rable du  Sauveur  avec  l'insensibilité.  Il  ne  peut  pas  souffrir,  mais 
il  possède  dans  toute  leur  intégrité,  à  un  état  de  perfection  abso- 
lue, les  cinq  sens  que  Dieu  a  donnés  à  l'homme.  Ses  yeux  voient, 
ses  oreilles  entendent,  il  n'est  pas  insensible  à  l'odeur  des  par- 
fums et  le  sens  du  goût  lui-même  peut  trouver  sa  satisfaction. 
N'a-t-il  pas  mangé  avec  ses  disciples  après  sa  résurrection  ?  N'a-t-il 
pas  touché  et  pris  entre  ses  mains  adorables  le  pain,  qu'il  a 
rompu,  le  poisson,  le  rayon  de  miel  dont  il  leur  a  offert  le  reste 
après  y  avoir  goûté  lui-même  3? 

i.  Rom.,  VI,  8. 

2.  Et  ego  Joannes  vidi  sanctam  civitatem,  etc.  (.4/>oc.,  \m,  -2-i.) 

3.  In  glorioso  Cliristi  corpore  i'uerunt  omnes  poleiilia;  sensitivai,  cuin  om- 
nibus suis  organis  ad  ejus  integrilatem  ac  pcrfectioiiem  requisilis  :  atque  ita 
Christus  potuit  exercere  aliquos  actus  animae  sontientis,  tum  sensus  interni 
vel  appetitus  sensilivi  :  v.  gr.  actus  gaudii,  amoris,  aliosquo  ejusmodi  non 
répugnantes  statui  beatifico,  qui  sine  ulla  corporis.altcratione  tiunl;  tiun  po- 
tentiae  loco  motivée  eundo  de  loco  ad  locum;  tum  facultatis  ioquendi  coilo- 


308         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  11*^   l'ARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CIIAP.  VI. 

Il  faut  remarquer  cependant  que  l'usage  naturel  des  sens  requiert 
certaines  conditions  sans  lesquelles  il  est  absolument  impossible. 
L'œil  de  riiomme  ne  voit  pas  naturellement,  sans  que  la  lumière 
réfléchie  par  les  objets  extérieurs  y  vienne  peindre  leur  image  ; 
l'oreille  ne  peut  entendre  qu'à  la  condition  que  son  organisme  dé- 
licat soit  ébranlé  par  les  vibrations  de  l'air.  Les  sens  corporels  de 
Notre-Seigneur  ressuscité  peuvent,  comme  les  nôtres,  percevoir 
ces  sensations,  mais  leur  puissance  est  incomparablement  plus 
grande,  et  les  moyens  indispensables  pour  nous  ne  leur  sont  pas 
nécessaires.  Il  convient  dénoter  encore  que,  dans  la  Sainte  Eucha- 
ristie, le  mode  de  présence  du  corps  de  Jésus-Christ  n'est  aucune- 
ment compatible  avec  Tusage  des  sens  tel  que  nous  pouvons  le 
comprendre  et  l'expérimenter.  Sous  les  espèces  sacramentelles,  il 
voit  tout,  il  entend  tout,  il  agit  comme  Dieu  et  comme  homme, 
mais  non  pas  à  la  manière  ordinaire  des  hommes. 

Il  est  difficile  de  dire  avec  quelque  certitude  à  quelle  cause  il 
faut,  après  la  très  sainte  et  très  miséricordieuse  volonté  de  Dieu, 
attribuer  l'impassibilité  des  corps  ressuscites  pour  la  gloire,  et  par- 
ticulièrement du  corps  adorable  de  Notre-Scigneur.  Scot,  Durand 
et  plusieurs  autres  croient  que  l'impassibilité  des  corps  glorifiés 
provient  uniquement  d'une  cause  extérieure.  Dieu,  disent-ils,  in- 
terpose sa  volonté  pour  empêcher  toute  souffrance,  quelle  qu'en 

quendo  cuin  suis  discipulis  :  vera  enim  et  cor])oralis  vox  ac  Dei  laus  erit  in 
corporibus  Ijoalorum.  Dcnique  in  glorioso  Chrisli  corporc,  uti  in  omnibus 
bealorum  corporibus,  habent  locum  actus  omnium  sensuum  externorum  : 
io  possunt  videre,  quia  in  oculis  bealorum  possunt  ab  objeclis  distantibus  pro- 
duci  species  visibiles,  sive  virtute  naturali,  sivcdivina,  et  ipsa  bealorum  cor- 
pora  possunt  sine  impcdimento  cujusvis  dislantiae  imprimcre  divinitus  sut 
speciem  visibilcm.  bleoque  quidam  existimant  visivam  Christi  potentiam,  ad 
quodlil)et  objeclum  quantumvis  dislans  se  extendcre.  !2°  Idem  die  de  auditu; 
possunt  enim  soni  species,  etiam  sine  medio,  dcferri  ad  aurcs  bealorum,  aut 
beati  imprimere  speciem  suae  vocis  immédiate  in  audilum  dislantem,  nihil 
opérande  circa  médium.  3°  Possunt  etiam  actus  odoratus  exercere,  utpote 
qui  sine  materiali  corporis  sentientis  alteralione  pêne  fil,  objecte  fiullibi  défi- 
ciente, maxime  in  cœlo.  i"  Denique  tactus  et  guslus  etiam  corpori  glorioso 
conveniunl;  clarum  est  de  tactu.  Et  quoad  gustum,  non  est  Deo  difficile  ut 
aliquis  sapidus  bumor  resideat  in  Ira  organum  guslus  beatorum,  qui  illum 
sensuin  intenlionaliler  afficial,  liorum  siquidem  sensuum  bonestse  dclecta- 
tiones,  non  dedecent  corpus  gloriosum.  Ciirislum  aulcm  in  corpore  glorioso, 
anle  suam  ascensionem  hos  actus  exercuisse,  liquet  ex  bis  :  Pnipate  et  vi- 
dete,  etc.  {Luc,  xxiv,  39.)  Et  convescen/i  prxrepit  eis  ah  Ilierosolymis  ne  dis- 
cederent.  (Act.,  i,  A.)  (Noël,  Theoloy.  Suarez  Summa,  p.  II,  disput.  xlviii  de 
Inrarnat.) 


DE    l'hCMANITÉ    sainte    DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS   l'EDCIIARISTIE.         309 

puisse  être  la  source,  intérieure  ou  extérieure  ;  il  refuse  sa  coopé- 
ration à  tout  agent  et  à  tout  acte  contraire  à  l'incorruptibilité  et, 
par  conséquent,  à  l'impassibilité  des  corps  glorieux.  Mais  cette 
explication  ne  suffit  pas  à  plusieurs  autres  docteurs  ;  ils  font,  de 
plus,  appel  à  la  domination  complète  de  l'àme  sur  le  corps,  dans 
l'état  de  gloire.  Toutes  les  actions  aussi  bien  que  les  passions 
corporelles  dépendent  entièrement  de  la  volonté  en  ce  bienheureux 
état,  et  de  même,  disent-ils,  que  le  corps  n'agit  que  sous  l'influence 
de  la  volonté,  de  même  aussi  ne  peut-il  endurer  que  ce  qu'elle 
veut  :  or,  en  vertu  de  la  perfection  de  son  état  et  de  la  rectitude  de 
sa  volonté,  l'homme  ne  peut  pas  vouloir  souffrir.  Néanmoins  une 
assistance  particulière,  un  concours  de  la  puissance  divine  est 
nécessaire  pour  que  l'àme  possède  ce  pouvoir  dans  sa  plénitude, 
et  qu'elle  en  use  régulièrement. 

On  a  dit  enfin,  et  c'est  l'opinion  la  plus  claire  et  la  plus  accep- 
table, que  l'impassibilité  est  une  qualité  infuse  inhérente  aux 
corps  ressuscites,  en  vertu  d'une  disposition  particulière  de  la 
divine  Providence,  qualité  qui  les  met  à  l'abri  de  toute  altération 
et  de  toute  corruption.  D'après  Suarez,  ces  deux  dernières  opi- 
nions se  réclament  de  l'autorité  de  S.  Thomas,  mais  il  faut  avouer 
que  le  Docteur  angélique  ne  parle  de  cette  question  que  très  inci- 
demment, et  qu'il  est  difficile  de  tirer  un  argument  probant  des 
quelques  mots  qu'on  peut  y  rapporter  i. 

A  ces  deux  premières  qualités  des  corps  glorifiés  par  la  résur- 
rection, et  par  conséquent  de  ce  corps  adorable  du  Sauveur,  que 
nous  possédons  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie,  il  faut  ajouter 
celle  qu'on  désigne  sous  le  nom  cV agilité.  Le  prophète  Isaïe  parle 
des  fidèles  serviteurs  de  Dieu,  en  ces  termes,  qu'on  ne  peut  en- 
tendre dans  toute  leur  plénitude,  que  des  bienheureux  après  la 
résurrection  :  «  Ceux  qui  espèrent  dans  le  Seigneur  prendront  une 
«  force  nouvelle;  ils  prendront  des  ailes  comme  les  aigles;  ils 
«  courront  et  ne  se  fatigueront  pas;  ils  marcheront  et  ne  défau- 
«  dront  pas.  »  Les  corps  ressuscites  dans  la  gloire  useront  donc, 
comme  pendant  leur  vie  mortelle,  de  la  faculté  d'aller  et  venir  par 

1.  In  ultimo  vero  statu  post  resurrectioneiii  anima  conimunicabit  quodam- 
modo  corpori  ea  qucv  sunt  sihi  propria,  in  ([uantum  est  spiritus  :  immortalita- 
tem  quantum  ad  omnos;  impassibilitatem  vero,  et  trloriam,  et  virtutem 
quantum  ad  bonos,  quorum  corpora  spiritualia  diccntur.  (S.  Thom.,  I  p., 
q.  xcvii,  art.  îî,  in  corp.  art.) 


310         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —    II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  VI. 

une  suite  de  mouvements  successifs.  C'est  ainsi  que  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  marcliait  avec  les  disciples  d'Emmaiis,  le  jour 
même  de  sa  résurrection.  Mais  cette  faculté  sera  portée  à  une  per- 
fection incomparablement  plus  grande  qu'elle  n'est  pendant  la  vie 
mortelle.  Le  prophète,  pour  en  donner  une  idée,  ne  peut  que  com- 
parer leur  agilité  au  vol  de  l'aigle,  et  ce  que  l'aigle  lui-même  ne 
possède  pas,  ils  seront  inaccessibles  à  la  fatigue.  La  perfection 
absolue  du  corps  et  de  tous  ses  organes,  sa  soumission  complète  à 
l'action  de  Tàme,  et  enfin  le  concours  d'une  vertu  divine  opéreront 
cette  merveille,  qui  dépasse  les  forces  purement  naturelles,  quelque 
grandes  qu'on  les  suppose. 

Outre  ce  mouvement  progressif  d'un  endroit  à  un  autre,  les 
corps  des  saints,  après  la  résurrection,  pourront  être  transportés 
jusqu'aux  lieux  les  plus  éloignés,  tout  d'un  coup,  par  le  fait  seul  de 
leur  volonté,  sans  qu'il  soit  nécessaire  pour  eux  de  recourir  à  la 
marche  ou  à  quelque  mouvement  analogue  K  Le  corps  obéira  à 
l'àme  ;  partout  où  l'àme  voudra  qu'il  soit,  il  y  sera  transporté  à 
l'instant.  Rien  dans  la  nature  humaine,  telle  qu'elle  est  ici-bas,  ne 
peut  expliquer  ce  privilège  ;  il  fout  encore  ici  recourir  à  la  libéra- 
lité infinie  de  Dieu,  qui  ne  veut  priver  ses  saints  d'aucune  des 
qualités  qui  peuvent  accroître  leur  bonheur.  Rien,  dans  la  céleste 
patrie,  ne  doit  mettre  obstacle  à  la  réalisation  de  désirs  légitimes, 
et  le  corps  ne  sera  jamais  un  obstacle  pour  l'àme. 

Enfin  il  est  une  quatrième  qualité  du  corps  adorable  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  qu'il  daignera  partager  comme  les  autres  avec 
ses  fidèles  serviteurs  après  la  résurrection  ;  c'est  la  subtilité  en 
vertu  de  laquelle  un  corps  glorifié  peut  pénétrer  tout  autre  corps,  et 
occuper  ainsi  la  même  partie  de  Tespace  occupée  déjà  par  ce  corps. 
Les  propriétés  de  pénétration  que  la  science  découvre  chaque  jour, 
soit  à  des  rayons  de  lumière  jusqu'aujourd'hui  inaccessibles  à  nos 
sens,  soit  à  la  matière  dissociée  ou  à  l'état  rayonnant,  démontrent 
qu'il  n'y  a  pas  loin  de  la  subtilité  surnaturelle  des  corps  glorifiés 
aux  phénomènes  qui  s'accomplissent  dans  l'ordre  purement  na- 
turel. Au  moins  ces  propriétés  de  deux  ordres  essentiellement  dif- 
férents ne  sont-elles  pas  contradictoires.  En  tout  cas,  il  n'est  pas 
au-dessus  de  la  puissance  de  Dieu  de  faire  que  deux  corps  occu- 

\.  Certc  ubi  volet  spiritus,  ibi  prolinus  erit  corpus  :  nec  volet  aliquid  spiri- 
lus  quod  nec  spiritum  posslt  decere  nec  corpus.  (S.  Augost.,  de  Civitat.  Dei, 
lib.  XXII,  cnp.  XXX.) 


DE   l'humanité    sainte   DE    NOTRE-SEIGNEUR   DANS    l'eUCHARISTIE.         311 

pent  le  même  espace  en  même  temps  ;  il  faut  bien  admettre  qu'il 
en  fut  ainsi,  par  exemple,  lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Ciirist 
sortit  du  sein  de  sa  mère,  sans  nuire  à  son  intégrité  virginale, 
lorsqu'il  sortit  vivant  de  son  tombeau  sans  en  rompre  la  pierre, 
lorsqu'il  entra  dans  le  Cénacle  où  les  Apôtres  étaient  rassemblés, 
quoique  les  portes  en  fussent  soigneusement  fermées,  par  crainte 
des  Juifs.  Le  mystère  adorable  de  l'Eucharistie  exige  aussi  cette 
subtilité.  C'est  par  elle  que  le  corps  et  le  sang  du  Sauveur  peuvent 
se  trouver  dans  toute  leur  intégrité,  sous  les  apparences  d'un  peu 
de  pain  et  d'un  peu  de  vin.  Expliquer  la  possibilité  de  la  subti- 
lité ainsi  entendue,  dans  un  véritable  corps,  est  impossible  ;  mais 
il  nous  suffit  de  savoir  qu'elle  existe.  Qui  pourrait  donner  des  rai- 
sons suffisantes  de  tant  de  propriétés  purement  naturelles  de  la 
matière  que  la  science  découvre  chaque  jour,  à  l'époque  où  nous 
sommes?  Cependant  on  y  croit,  sur  les  expériences  des  savants 
qui  en  démontrent  l'existence.  Pour  croire  aux  propriétés  surna- 
turelles des  corps  glorifiés,  nous  nous  appuyons  sur  une  autorité 
plus  haute  et  plus  inattaquable,  celle  de  la  révélation  divine  expli- 
quée par  la  sainte  Église  et  imposée  à  notre  foi. 

Telles  sont  les  principales  propriétés  dont  la  divine  bonté  gra- 
tifiera les  corps  des  bienheureux  au  jour  de  la  résurrection,  telles 
sont  les  propriétés  du  corps  adorable  de  Notre-Seigneur  dans  la 
gloire  du  ciel.  Il  serait  aisé  de  se  livrer  ici  à  de  magnifiques  des- 
criptions ;  mais  tout  ce  que  nous  pourrions  imaginer  ne  serait 
rien  en  comparaison  de  la  réalité  K  S.    Paul  a  dit  :  «  L'œil  n'a 

i.  Etant  un  jour  en  oraison,  dit  sainte  Thérèse,  il  plut  à  Xotre-Seigneur  de 
me  montrer  ses  divines  mains,  et  nulles  paroles  ne  sont  capables  d'exprimer 
quelle  en  était  la  beauté.  Peu  de  jours  après,  il  me  laissa  voir  son  visage, 
dont  je  fus  tellement  ravie  que,  si  je  m'en  souviens  bien,  je  perdis  connais- 
sance. S'étant  depuis  montré  à  moi  tout  entier,  je  ne  pouvais  comprendre 
pourquoi  il  ne  se  montrait  auparavant  que  peu  à  peu;  mais  je  vois  bien  à  pré- 
sent que  c'était  par  un  effet  de  sa  bonté,  qu'il  me  traitait  en  cela  selon  ma 
faiblesse,  parce  qu'étant  si  misérable,  je  n'aurais  pu  soutenir  en  même  temps 
et  tout  à  la  fois  l'éclat  d'une  si  grande  gloire....  La  vue  des  corps  glorieux, 
comme  étant  surnaturelle,  va  si  fort  au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut  en  dire, 
qu'elle  étonne  l'esprit,  et  me  donnait  ainsi  tant  de  frayeur  que  j'en  demeu- 
rais toute  troublée  Mais  j'étais  ensuite  si  assurée  de  la  vérité  de  ce  que  je 
voyais,  et  les  effels  qu'elle  i>ro(luisait  en  moi  étaient  si  grands,  ([ue  cette 
crainte  se  changeait  bientôt  en  une  entière  assurance....  Quand  il  n'y  aurait 
point  d'autre  contentement  dans  le  ciel  que  de  voir  l'exlréme  beauté  des  corps 
glorieux,  et  particulièrement  celui  de  noire  divin  Uédempteur,  on  ne  saurait 
l'imaginer  tel  qu'il  est.  {La  Vie  de  sainte  Thérèse  écrite  jtar  elle-même, 
chap.  .wvni.) 


312         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VII. 

«  point  vu,  Toreille  n'a  point  entendu,  et  le  cœur  de  l'homme  n'a 
<f  pas  osé  désirer  ce  que  Dieu  prépare  à  ceux  qui  l'aiment.  »  Si 
l'Apôtre  parle  ainsi  du  commun  des  saints,  qui  pourrait  prétendre 
expliquer  les  grandeurs  infinies  de  la  gloire  dont  l'humanité  du 
Fils  de  Dieu,  et  particulièrement  son  corps  adorable,  est  revêtue  au 
ciel?  Et  ne  l'oublions  pas,  c'est  ce  même  corps  avec  la  môme  gloire, 
quoique  voilée  sous  les  espèces  sacramentelles,  que  nous  possé- 
dons au  milieu  de  nous. 


CHAPITRE  VII 

PERFECTION    SOUVERAINE    NATURELLE    ET    SURNATURELLE   DE    L'AME 
DE  NOTRE-SEIGNEUR  UNIE  AU  VERBE  DIVIN  DANS  L'EUCHARISTIE 

.  Perfections  de  l'ordre  naturel  propres  à  l'âme  de  Notre-Seigneur.  —  II.  L'âme  de 
Notre-Seipneur,  formellement  sanctitiée  par  son  union  hyposlatique  avec  le  Verbe, 
et  enrichie  de  la  grâce  habituelle  et  de  la  grâce  actuelle,  dont  il  est  la  source  pour 
nous.  —  III.  Dons  du  Saint-Esprit  et  autres  dons  spirituels  conférés  à  l'âme  de 
Notre-Seigneur.  —  IV.  Grâces  de  Jésus-Christ  qu'il  communique,  comme  homme, 
à  tous  les  membres  dont  il  est  le  chef.  —  V.  Grandeur  et  perfection  de  la  grâce  en 
Notre-Seigneur.  —  VI.  Quelques  mots  sur  les  vertus  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  en  général. 

I. 

I»EUKi;CTIO\S  DE  l'oRDRE  NATUREL  PROPRES  A  LAME  DE  NOTRE-SEIGNEUR 

JÉSUS-CIIRLST 

Si  le  corps  adorable  de  notre  divin  Sauveur  est  enrichi  de  per- 
fections et  de  beautés,  qui  seules  suffiraient  à  l'admiration  et  au 
bonheur  des  saints  et  des  anges,  admis  à  les  contempler,  pendant 
l'éternité  tout  entière,  que  pourrons-nous  dire  des  perfections  de 
son  àme?  Ne  fallail-il  pas  que  cette  âme,  destinée  à  ne  faire  qu'une 
seule  et  unique  personne  avec  le  Verbe  divin,  fût,  autant  qu'il  est 
possible  à  un  être  créé,  digne  de  cet  honneur  infini?  Nous  ne  pour- 
rons donc  que  balbutier  quelques  mots  à  la  suite  des  théologiens, 
et  nous  ne  nous  attarderons  pas  à  des  descriptions  qui  seraient 
toujours  infiniment  au-dessous  de  leur  objet.  Nous  exposerons 
siiiiplemoiil  la  doctrine,  laissant  aux  âmes  pieuses  la  douce  jouis- 
sance de  méditer,  auprès  du  tabernacle,  tant  de  grandeurs  et  de 
merveilles. 

La  première  perfection   de  l'âme  humaine  est   l'intelligence. 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'amE    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         313 

Noire-Seigneur  Jésus-Christ  est  Dieu.  Sa  divinité  possède  une 
science  infinie  qui  embrasse  toutes  choses.  Il  est  rinlelligence 
substantielle,  et  sa  science  se  confond  avec  son  intelligence.  Mais 
Jésus-Christ  n'est  pas  seulement  Dieu  :  il  est  homme;  il  a  une 
âme  raisonnable  et  parfaite,  par  conséquent  intelligente.  Si  elle  ne 
Tétait  pas,  les  nôtres  seraient  plus  parfaites  et  d'un  ordre  supérieur, 
ce  qui  n'est  pas  admissible.  L'humanité  de  Jésus-Christ  ne  fut  pas 
seulement  pleine  de  grâce  dès  le  premier  moment  de  son  exis- 
tence, mais  aussi  de  vérité  :  comment  aurait-elle  pu  l'être  sans 
une  intelligence  dont  la  vérité  est  l'objet  propre? 

Cependant,  quelques  hérétiques,  et  en  particulier  les  monothé- 
lites,  ont  refusé  au  Fils  de  Dieu  fait  homme  une  âme  raisonnable 
et  intelligente,  comme  ils  lui  ont  refusé  une  volonté  humaine, 
sous  prétexte  que  le  Verbe  suffisait  à  tout  ;  que  l'intelligence  et  la 
volonté  divines  n'admettaient  pas  une  autre  intelligence,  une 
autre  volonté  dans  la  même  personne.  Mais  l'Église  a  condamné 
■depuis  longtemps  leurs  erreurs,  et  il  est  de  foi  que  l'àme  de  Jésus- 
Christ  a  une  intelligence  créée. 

Tous  les  textes  de  la  Sainte  Écriture,  des  Pères  et  des  Conciles 
qui  prouvent  que  le  Verbe  divin  s'est  uni  à  la  nature  humaine 
complète  sont,  en  même  temps,  la  preuve  de  l'existence  en  Jésus- 
Christ  d'une  intelligence  créée.  On  ne  peut  pas,  en  effet,  conce- 
voir la  nature  humaine  complète  sans  une  âme  raisonnable,  c'est- 
à-dire  intelligente  et  capable  de  raisonnement. 

On  trouve  dans  les  actes  des  Conciles  des  définitions  générales 
•qui,  sans  nommer  l'intelligence  en  particulier,  la  comprennent 
néanmoins,  comme  un  élément  nécessaire  en  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  C'est  ainsi  que  nous  lisons  dans  les  actes  du  VP  Con- 
cile œcuménique  :  «  Nous  confessons  que  tout  ce  qui  appaiiienl  aux 
«  natures  du  Christ  se  trouve  en  double  dans  sa  personne  ;  nous 
«  proclamons  ses  deux  natures,  et  nous  reconnaissons  que  chacune 
Œ  d'elles  possède  les  propriétés  qui  lui  sont  naturelles  :  1;>  nature 
«  divine,  tout  ce  qui  est  de  la  nature  divine,  et  la  nature  humaine, 
a  tout  ce  qui  est  de  la  nature  humaine,  le  péché  excepté  ^ 

\.  Confilemur  in  Cliristo  omnia  duplicia,  qiu-ç  ad  naturas  pcrtinenl  ;  duas 
naluras  cjus  prœdicainus,  et  unaniquainquo  proprietates  nalurales  habere 
contiteimir  :  diviiiam  omnia,  qiue  divina,  huinanam  omnia,  qua;  humana 
sunt,  absque  ullo  peccato.  (Agatiiu  papa,  iu  Einstola  synodali  qu»  repcrilur 
in  Actione  l\\  synodi  scxti.) 


314         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —   LIVRE  11.  —   ClIAP.   VII. 

Et  pour  confirmer  cette  doctrine,  lepape  S.  Agathon,  qui  adres- 
sait au  Concile  les  paroles  qui  viennent  d'être  citées,  rapporte,  un 
peu  plus  loin,  cette  définition  du  Concile  de  Clialcédoine  :  <  Le 
«  Christ  a  pris  une  àme  raisonnable  parfaite,  avec  tout  ce  qui  lui 
«  est  propre,  semblable  en  tout  à  nous,  le  péché  excepté  i.  »  Les 
actes  du  VP  Concile  œcuménique  contiennent  aussi  une  lettre  de 
S.  Sophrone  de  Jérusalem  où  l'on  trouve  ces  mots  qui  semblent  se 
rapporter  directement  à  l'intelligence  créée  du  Sauveur.  «  Le  Verbe 
a  a  pris  une  àme  raisonnable  de  la  même  espèce  que  les  nôtres  et 
«  un  esprit  semblable  à  notre  esprit  ~.  »  Ces  déclarations,  adoptées 
et  confirmées  par  le  Concile,  sont  assez  claires  pour  que  S.  Thomas 
y  voie  la  condamnation  de  la  doctrine  d'après  laquelle  il  n'y  aurait 
en  Jésus-Christ  ni  deux  sciences  ni  deux  sagesses  3. 

Il  faut  donc  considérer  comme  une  vérité  de  foi  que  l'àme  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  cette  àme  qui  est  présente  dans  le 
Très  Saint  Sacrement,  en  même  temps  que  son  sang,  sa  chair  et 
sa  divinité,  est  une  àme  douée  d'intelligence.  Par  sa  nature  elle 
peut  paraître  inférieure  aux  intelligences  angéliques  ;  maiselle  leur 
est  incomparablement  supérieure  par  sa  perfection,  qui  borde  l'in- 
fini, et  par  son  union  hypostatique  avec  le  Verbe  divin. 

Une  intelligence  qui  n'accomplirait  pas  les  actes  propres  à  sa 
nature  serait  profondément  imparfaite,  ce  qu'on  ne  peut  supposer 
sans  blasphème  de  l'àme  de  Jésus-Christ  et  de  son  intelligence. 
Or  l'acte  par  excellence  d'une  àme  intelligente,  c'est  de  connaître. 
L'intelligence  de  Notre-Seigneur  accomplit  cet  acte.  Le  saint  Évan- 
gile le  dit  assez  clairement  pour  qu'il  ne  soit  pas  permis  d'en 
douter.  Il  est  évident  que  S.  Matthieu  parle  d'un  acte  de  l'intelli- 
gence créée  du  Seigneur,  lorsqu'il  dit  :  «  Jésus,  connaissant  leur 
«  malice,  dit  :  Hypocrites,  pourquoi  me  tentez-vous  ''*?  »  Et  quand 
Jésus-Christ  dit,  dans  l'Évangile  de  S.  Jean  :  «  Je  sais  d'où  je  suis 

I.  Halionalem  animam  pcrfectam  Christum  assumpsisse  (dicit)  salva  omni 
ejus  proprietate,  et  per  omnia  nobis  similem  absque  peccato.  [Concil.Yl.  Vide 
apud  SuAREz,  III  p.,disp.  xxiv,  sect.  i.) 

'■2.  Assumpsisse  \'erbuin  animam  rationalem  (dicit),  animabus  noslris  con- 
tribulcm,  et  mentem  nostrse  menti  comparem.  [Ilnd.) 

^.  Niliil  autem  naturalium  Christo  defuit  :  quia  totam  humanam  naturam 
susccpit,  ut  supra  diclum  est.  Et  ideo  in  sexta  synodo  damnata  est  positio 
neganlium  in  Christo  esse  duas  scientias  vel  duas  sapientias.  (S.  TnoM.,  III  p., 
q.  w,  art.  \.) 

^.  Cognita  aulem  Jésus  nequitia  eorum,  ait  :  Quid  me  tentatis,  hypocritae? 
(J/«/</t.,X\ll,  \9,.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    LAME    DE    N.-S.    DANS    L  EDCHARISTIE.         ôlô 

«  venu....  Je  connais  mon  Père  et  je  garde  sa  parole  ',  »  c'est-à- 
dire,  ff  j'observe  ses  commandements,  »  ce  n'est  pas  en  sa  qualité 
de  Dieu,  mais  comme  homme  qu'il  parle.  Il  faut  en  dire  autant  de 
ce  texte  et  de  plusieurs  autres  semblables  :  «  Jésus  sachant  que  son 
a  heure  est  venue  •.  »  Ajoutez  que  le  saint  Évangile  nous  parle  sou- 
vent des  prières,  des  mérites  et  d'autres  actes  de  Xotre-Seigneur, 
qui  supposent  nécessairement  l'intelligence,  car  ils  procèdent  de 
la  volonté  qui  n'agirait  pas,  si  l'intelligence  ne  l'éclairait  d'abord. 
Enfin,  il  enseignait  comme  homme  :  pourrait-on  dire  qu'il  ne 
connaissait  pas  lui-même  la  science  dont  il  était  le  suprême  doc- 
teur? 

L'àme  de  Notre- Seigneur  possède  donc  sa  science  propre, 
science  créée  comme  elle  et  distincte  de  la  science  infinie  qui  n'est 
autre  que  le  Verbe  divin,  science  et  sagesse  substantielle  duPère. 
Les  actes  de  la  nature  humaine  ne  peuvent  pas  être  confondus 
avec  ceux  de  la  nature  divine,  ni  la  connaissance  de  l'une  avec 
celle  de  l'autre,  pas  plus  que  le  fini  avec  l'infini;  la  science  infinie 
que  Jésus-Christ  possède  parce  qu'il  est  Dieu,  n'absorbe  ni  ne  dé- 
truit pas  davantage  sa  science  créée,  que  sa  divinité  n'absorbe  ni 
ne  détruit  son  humanité. 

Tous  les  théologiens  sont  d'accord  pour  reconnaître  cette  vérité, 
que  l'àme  de  Jésus-Christ  posséda,  dès  le  premier  moment  de  son 
existence,  sa  science  créée,  dans  toute  la  perfection  et  la  plénitude 
qui  convenait  à  l'àme  du  Verbe  divin  fait  homme.  C'est  l'ensei- 
gnement de  S.  Augustin  3  et  de  S.  Bernard,  pour  ne  nommer 
qu'eux.  Citons  une  page  de  cetadmirable  docteur.  «Je  jette  les  yeux, 

1.  Sciounde  veni....  Scio  eiim  et  sermonem  ejus  servo.  {Joann.,\\u,  11,35.) 

2.  Sciens  Jésus  quia  vcnit  hora  ejus.  {Joann.,  xiii,  \.) 

3.  Idem  ipse  itaque  Salvator  est  parvulorum  atque  majorum,  de  quo  dixe- 
runt  Angcli  :  Xalus  est  voltis  hodie  Salrator:el  de  quo  dictum  est  ad  virgi- 
nem  Mariam  :  Vocabia  nomen  ejus  Jesitm,  ipse  enim  salvum  faciet  jioiiiilum 
suurn  a  peccatis  eorum  :  ubi  aperte  demonstratuni  est,  eum  hoc  noinine,  quo 
appellatus  est  Jésus,  propter  salutem  quam  nobis  tribuit  uoiiiinari  :  Jésus 
quippe,  latine  Salvator  est.  Quis  est  igitur  qui  audeat  dicere  Doniinum  Chris- 
tum  tantum  majoribus  non  etiam  parvulis  esse  Jesum?  Qui  venit  in  siinilitu- 
dine  carnis  peccati,  ut  evacuaret  corpus  peccati,  in  quo  intirmissimo  nulli 
usui  congruis  vel  idoneis  infantibus  membris,  anima  rationalis  mi.serabili 
ignoranlia  praegravatur.  «  Quam  plane  ignorantiani  nuUo  modo  crediderim 
«  fuis.sc  in  infante  illo,  in  quo  Verbum  caro  factum  est  ut  habitaret  in  nobis 
«  nec  illam  ipsius  animi  infirmitatem  in  Chrislo  parvulo  fuerim  suspicalus 
«  quam  videmus  in  parvulis.  »  (S.  .\UGUST.,  de  Peccatorum  merilis  et  reniis- 
sione,  lib.  11,  n.  48.) 


316         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  iT  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   VII. 

«  dit-il  s  sur  la  conception  et  sur  l'enfantement  de  la  Vierge,  et 
«  je  me  demande  si,  par  hasard,  au  milieu  des  nouveautés  et  des 
«  merveilles  sans  nombre  que  découvre  celui  qui  considère  toutes 
«  ces  choses  attentivement,  je  n'apercevrai  pas  aussi  celle  dont 
«  parle  le  prophète  Jérémie....  Est-ce  que  vous  ne  voyez  pas  au 
«  milieu  de  toutes  ces  merveilles  une  femme  qui  entoure  un 
«  homme,  quand  vous  voyez  Marie  porter  Jésus  dans  son  sein, 
a  Jésus  cet  homme  goûté  de  Dieu?  Car  j'appelle  Jésus  un  homme, 
«  non  seulement  quand  il  était  proclamé  prophète  puissant  en 
a  œuvres  et  en  paroles,  mais  aussi  lorsque,  tout  petit  enfant,  il 
«  était  porté  dans  les  bras  de  sa  mère,  ou  même  encore  dans  son 
<r  sein.  Jésus  était  donc  un  homme,  même  avant  d'être  né,  non  point 
«  par  l'âge,  mais  par  la  sagesse;  non  par  les  forces  corporelles, 
«  mais  par  la  vigueur  de  l'âme  ;  non  par  le  développement  des 
«  membres,  mais  par  la  maturité  des  sens.  En  effet,  il  n'y  avait 
«  pas  moins  de  sagesse  en  Jésus,  ou  plutôt  Jésus  ne  fut  pas  moins 
«  la  sagesse  même  lorsqu'il  n'était  que  conçu  que  quand  il  fut  né  ; 
«  lorsqu'il  était  petit  que  lorsqu'il  était  grand.  Par  conséquent, 
<r  soit  qu'il  fût  encore  caché  dans  le  sein  de  sa  mère  ou  vagissant 

\.  Sed  vero  me  ad  conceptum  partumque  virginalem,  si  forte  inter  plurima 
nov;i  ac  mira,  qiiœ  ibi  profecto  inspicit  qui  diligenter  inquirit,  etiam  hanc 
quain  de  Propheta  protuli,  repcriam  novitalem....  Numquid  non  facile  qui  tibi 
est  inler  haec  fœminam  agnoscere  virum  circumdantcm  {Jcrem.,  xxxi,  2^2) 
cum  Mariam  videas  virum  approbatum  a  Deo  Jesum  suc  utero  circumplecten- 
tem?  Mrum  autem  dixerim  fuisse  Jesum,  non  solum  jam  cum  diceretur  vir 
jiro/iheta,  ]iotens  in  ojjp7\'  et  sermon/',  sed  etiam  cum  tenera  adhuc  infantis 
membra  Dei  mater  blando  vel  foveret  in  gremio,  vel  gestaret  in  utero.  Vir 
igilur  erat  Jésus,  necdum  etiam  natus,  sed  sapientia,  nonaîtate;  animi  vigore, 
non  viribus  corporis;  maturitate  sensuum,  non  corpulentia  meml)rorum. 
Neque  enim  minus  liabuit  sapientiœ,  vel  potins  non  minus  fuit  sapientia  Jésus 
conceptus  quam  natus,  parvus  quam  magnus.  Sive  ergo  latens  in  utero,  sive 
vagiens  in  jjraisepio,  sive  jam  grandiusculus  interrogans  doclores  in  templo, 
sive  jam  perfectœ  aetatis  docens  in  populo,  aeque  profecto  plenus  fuit  Spiritu 
sancto.  Nec  fuit  hora  in  quacumque  œtate  sua,  qua  de  plenitudine  illa  quam 
in  sui  conceptione  accepit  in  utero,  vel  aliquid  minueretur,  vel  aliquid  eidem 
adjiceretur  :  sed  a  principio  perfectus,  et  a  principio,  inquam,  plenus  fuit 
spiritu  sapientiae  et  intellectus,  spiritu  consilii  et  fortitudinis,  spiritu  scientiae 
et  pietatis,  spiritu  timoris  Domini. 

Nec  te  moveat,  quod  de  ipso  legis  in  alio  loco  :  Jésus  auletn  proficiebal  sa- 
jiientia  et  xtatc  et  grotia  apud  Deum  et  homines.  Nam  quod  de  sapientia  et 
gratia  hic  dictum  est,  non  secundum  quod  erat,  sed  secundum  quod  appare- 
bat,  inlelligendus  est  ;  non  quia  videlicet  aliquid  ei  novuni  accederet,  quod 
ante  non  haberet  :  sed  quod  accedere  videretur  quando  volebat  ipse  ubi  vide- 
retur.  (S.  Bernard.,  hom.  II  super  Missus  est,  n.  1),  \0.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS   l'eUCHARISTIE.         317 

«  dans  la  crèche,  déjà  jeune  garçon  interrogeant  les  docteurs  dans 
a  le  temple,  ou  instruisant  le  peuple,  il  était  toujours  également 
«  rempli  du  Saint-Esprit.  Il  n'y  a  pas  une  heure  dans  sa  vie  où  il 
«  y  eût  quelque  chose  de  plus  ou  de  moins  à  cette  plénitude,  qu'il 
«  reçut  au  moment  de  sa  conception,  dans  le  sein  de  Marie.  Dès 
«  le  premier  instant,  il  fut  parfait  ;  oui,  dès  It  premier  moment  de 
«  sa  conception  il  fut  rempli  de  l'esprit  de  sagesse  et  d'intelli- 
«  gence,  de  l'esprit  de  conseil  et  de  force,  de  l'esprit  de  science  et 
«  de  piété,  de  l'esprit  de  crainte  du  Seigneur. 

«  Ne  vous  étonnez  pas  après  cela  si  vous  lisez  dans  un  autre 
a  endroit  des  Livres  saints  :  Jésus  croissait  en  sagesse,  en  âge  et 
a  en  grâce  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  ;  car -pour  ce  qui  est 
a  de  la  sagessse  et  de  la  grâce,  il  faut  entendre  ce  que  dit  l'Évan- 
«  géliste  en  ce  sens,  non  qu'il  croissait  effectivement,  mais  qu'il 
«  paraissait  croître  en  sagesse  eten  grâce;  ce  qui  ne  veut  pas  dire 
«  qu'il  acquérait  chaque  jour  quelque  chose  de  nouveau  qu'il 
«  n'avait  point  auparavant,  mais  qu'il  paraissait  l'acquérir,  quand 
«  il  voulait  lui-même  que  cela  parût  ainsi  ^  ». 

Au  commencement  de  son  Évangile,  S.  Jean,  qui  proclame  que 
le  Verbe  de  Dieu  fait  homme  est  le  Fils  unique  du  Père,  déclare 
en  môme  temps  qu'il  est  plein  de  grâce  et  de  vérité  :  «  Et  nous 
<i  avons  vu  sa  gloire,  dit-il,  comme  la  gloire  que  le  Fils  unique 
a  reçoit  du  Père,  plein  de  grâce  et  de  vérité  :  Et  vidimus  gloriam 
«  ejus,  gloriam  quasi  Unigeniti  a  Pâtre,  plénum  gratise  et  veri- 
«  tatis.  »  La  vérité  dont  il  est  rempli,  disent  les  commentateurs, 
n'est  autre  que  la  science.  De  même  donc  que  Jésus-Christ  fut  le 
Fils  unique  du  Père,  dès  le  premier  moment  de  sa  conception,  il 
posséda  la  plénitude  de  la  science,  comme  il  convenait  à  la  dignité 
de  sa  personne.  Il  devait  en  être  ainsi,  car  il  ne  convenait  pas  que 
le  Fils  de  Dieu,  en  prenant  notre  nature,  acceptât  de  même  les 
imperfections  qui  lui  sont  habituellement  inhérentes,  mais  qui  ne 
pouvaient  contribuer  en  rien  à  l'œuvre  de  la  rédemption. 

Une  intelligence  aussi  parfaite  que  celle  de  Notre-Seigneur  ne 
saurait  produire  que  des  actes  parfaits.  Ces  actes  sont  de  deux  sortes, 
naturels  et  surnaturels.  L'intelligence  créée  de  Jésus-Christ  produit 
des  actes  naturels,  parce  qu'elle  est  une  intelligence  humaine  à 
laquelle  rien  ne  manque  de  ce  que  demande  son  intégrité  unie  à  sa 

I.  Traduction  de  M.  Vi\}>])v  CiiARPENTiEn. 


318         L.V    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

perfection.  Elle  produit  aussi  des  actes  surnaturels,  parce  qu'il  est 
de  foi  que  les  justes  et  les  saints  possèdent  des  connaissances 
surnaturelles  :  or  Jésus-Christ  est  le  Saint  des  saints,  le  juste  à 
qui  tous  les  autres  sont  redevables  de  leur  justice. 

Tout  acte  surnaturel  de  l'intelligence  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  est  nécessairement  parfait  comme  cette  intelligence  elle- 
même;  il  n'y  a  dans  les  connaissances  surnaturelles  de  l'âme 
humaine  du  Fils  de  Dieu  aucune  obscurité,  aucune  hésitation, 
aucune  erreur  possible  :  tout  est  clair  et  évident  pour  elle. 

Il  en  est  de  même  pour  tout  acte  purement  naturel  do  cette  intel- 
ligence :  la  vérité,  la  certitude,  l'évidence,  en  sont  les  accompagne- 
ments nécessaires.  Jésus-Christ  était  sur  la  terre,  comme  il  est  au 
ciel  et  dans  l'Eucharistie,  le  Fils  de  Dieu;  l'autorité  de  sa  parole 
était  infaillible;  il  ne  pouvait  ni  tromper  ceux  qui  entendaient  sa 
parole,  ni  se  tromper  lui-même;  il  ne  pouvait  pas  davantage  dire 
des  paroles  qui  ne  fussent  pas  conformes  à  ses  pensées  et  à  ses 
jugements.  Il  fallait  donc  que  toute  pensée,  tout  jugement,  tout 
acte  intellectuel  en  un  mot,  fruit  naturel  de  son  intelligence  hu- 
maine, fût  et  soit  à  jamais  marqué  au  coin  de  la  vérité,  de  la  certi- 
tude et  de  l'infaillibilité. 

On  trouve  quelquefois  dans  l'Évangile  des  expressions  qui 
semblent  supposer  en  Notre-Seigneur  l'ignorance  de  certaines 
choses.  Mais  s'il  agissait  ou  parlait  alors  comme  l'eût  fait  un  simple 
mortel,  c'était  pour  s'accommoder  à  la  faiblesse  et  aux  besoins  de 
ceux  qui  l'entouraient,  et  nullement  par  suite  d'une  ignorance 
réelle  :  comme  le  disait  S.  Pierre,  il  sait  tout  :  «  Seigneur,  vous 
a  connaissez  toutes  choses  :  »  Domine,  tu  omnia  nosli  K  II  savait 
donc  tout,  et  comme  rien  de  ce  qui  se  rattache  à  l'intelligence  et  à 
la  science  ne  lui  était  étranger,  il  possédait  comme  nous,  mais  à 
un  degré  excluant  toute  imperfection,  la  mémoire,  la  faculté  de 
raisonner  et  tout  ce  que  les  théologiens  entendent  sous  le  nom  de 
habitus  intellectuales  2. 

\.  Jonnn.,  xxi,  M . 

2.  Adverto  nomine  habituum  compreliendi  lioc  loco,  lam  species  intelligi- 
biles,  quam  habitus  scientiarum,  atque  omne  id,  quidquid  illud  est,  quod  in 
intellectu  manet  per  inodum  actus  prirni,  et  est  principiiim  recordationis,  seu 
memoriae,  et  reddit  illum  facilcm  et  promptum  ad  naturales  actus  scientise. 
Quanquam  enim  de  his  varias  versentur  opiniones  :  tamen  in  génère  quod 
aliquid  sit  in  intellectu  permanens  per  modum  habitus,  quo  intellectualis 
memoria  generctur,  fere  nullus  dubitat  :  negari  autem  non  potest,  quin  in 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE   l'aME   DE    N.-S.    DANS    l'EUCHARISTIE.         319 

L'âme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  donc  naturellement 
intelligente,  et  son  intelligence  agit  comme  celle  de  toute  âme 
humaine,  mais  avec  une  puissance  et  une  perfection  que  nulle 
autre  ne  saurait  atteindre,  pas  même  l'intelligence  presque  divine 
de  la  bienheureuse  Vierge  IMarie.  Elle  possède  nécessairement 
aussi  la  science  que  demande  une  si  haute  perfection,  et  son 
union  personnelle  avec  le  Verbe  divin. 

Quelle  est  donc  la  science  de  l'àme  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme? 

Nous  avons  parlé  de  la  science  infinie  de  Jésus-Christ  considéré 
dans  sa  divinité;  mais  cette  science  divine  de  la  personne  adorable 
du  Fils  de  Dieu  fait  homme  ne  s'oppose  pas  à  l'existence  simul- 
tanée d'une  autre  science  qui  lui  convienne  parce  qu'il  est 
homme.  Cette  autre  science  est  même  nécessaire,  puisque  sans 
elle  sa  nature  humaine  serait  comme  atrophiée,  n'exerçant  pas  son 
acte  propre  qui  est  de  connaître.  L'intelligence  humaine  de  Notre- 
Seigneur  n'aurait  plus  de  raison  d'être  si  elle  n'avait  sa  science 
propre.  Jésus-Christ  a  pris  la  nature  humaine  dans  son  intégrité; 
il  a  donc  pris  l'intelligence,  et  avec  elle  la  science  qui  ne  s'en 
sépare  pas  '. 

anima  Christi  fuerit  memoria  intellectiva  Est  enim  haec  naturalis  proprietas, 
et  ostensum  est  ex  detinitionibus  fidei  fuisse  in  anima  Christi  omnes  proprie- 
tates  naturales  humanitatis  :  sic  ergo  in  génère  omnino  constat  esse  in  intel- 
lectu  Christi  aliquid  permanens  per  modum  habitas  naturalis.  In  particulari 
vero,  quid  illud  fuerit  pendet  ex  opinionibus.  In  eis  tamen  loquendum  est  de 
Christo  sicut  de  aliis  hominibus,  ut  supra  dictum  est  :  quia  hoc  pertinet  ad 
consummatam  humanœ  naturag  perfectionem.  (Suarez,  III  p.,  disput.  xxiv, 
sect.  IV.) 

4.  Filius  Dei  humanam  naturam  integram  assumpsit,  id  est,  non  solum 
corpus,  sed  etiam  animam;  non  solum  sensiiivam,  sed  etiam  rationalem.  Et 
ideo  oportuit  quod  haberet  scientiam  creatam,  propter  tria.  Primo  quidem 
propter  animc-e  perfectionem.  Anima  enim  secundum  se  considerata  est  in 
potentia  ad  intelligibilia  cognoscenda;  est  enim  sicut  fal)ula  in  qua  nihil  est 
scriptum  ;  et  tamen  possibile  est  in  ea  scrihi  propter  intellectum  possibilem 
que  est  omnia  fieri,  ut  dicitur  {de  Anima,  lib.  III,  text.  18).  Quodautem  est  in 
potentia,  est  imperfectum,  nisi  reducatur  ad  actum.  Non  autem  fuit  conve- 
niens  quod  Filius  Dei  humanam  naturam  imporfectamassumeret,  sed  perfec- 
tam,  utpote  qua  mediante  totum  humanum  gonus  ad  perfectum  erat  reducen- 
duin.  Et  ideo  oportuit  quod  anima  Christi  esset  perfectaper  aliquam  scientiam 
prseter  scientiam  divinam  ;  alioquin  anima  Christi  esset  imperfectior  animabus 
aliorum  hominum.  Secundo  quia  cum  quœlibel  res  sit  propter  suam  opera- 
tionem,  ut  dicitur  (de  Cœlo,  lib.  II,  text.  17),  frustra  haberet  Christus animam 
intellectivam,  si  non  intelligeret  secundum  illam  :  quod  jjerlinel  ad  scientiam 
creatam.  Tertio,  quia  aliqua  scicntia  crcata  pertinet  ad  animas  huinanœ  na- 


3^0         LA    SAINTE   EUCHARISTIE,  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CIIAP.  Vil. 

L'homme  a  été  créé  pour  la  béatitude  céleste,  qui  consiste  pre- 
mièrement dans  la  connaissance  et  la  claire  vision  de  Dieu.  Notre 
divin  Sauveur,  demandant  à  son  Père  la  vie  éternelle  pour  ses- 
apôtres,  disait  :  «  Or  la  vie  éternelle  c'est  qu'ils  vous  connaissent, 
«  vous  seul  vrai  Dieu,  et  celui  que  vous  avez  envoyé,  Jésus- 
o  Christ  '  ».  Et  S.  Paul  écrivait  aux  Corinthiens  :  «  Quand  viendra 
«  ce  qui  est  parfait,  alors  s'anéantira  ce  qui  est  imparfait.  Nous 
«  voyons  maintenant  à  travers  un  miroir,  en  énigme,  mais  alors 
a  nous  verrons  face  à  face.  Maintenant  je  connais  imparfaitement; 
«  mais  alors  je  connaîtrai  aussi  bien  que  je  suis  connu  moi- 
Œ  même  ~.  »  S.  Jean  assure  aussi  que  nous  verrons  Dieu  tel  qu'il 
est  :  sicuii  est  ^. 

Cette  science,  cette  vision  de  Dieu,  qui  fait  la  gloire  et  le  bonheur 
des  saints  dans  le  ciel,  leur  a  été  méritée  par  les  souffrances  et  la 
mort  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  '*.  Il  est  donc  juste  que  sa  très 
sainte  humanité  possède  un  bien  dont  elle  a  été  la  source  pour 
les  autres,  et  qu'elle  le  possède  à  un  degré  incomparablement 

turnm,  scilicet  illa  per  quam  naluraliter  cognoscimus  prima  ])rincipia  :  scien- 
tiam  enim  hic  large  accipimus,  pro  qualil)et  cognilione  inlcllcctus  humani. 
iSiliil  autem  naturalium  Chrislo  defuit;  quia  totam  Immanam  naturam  susce- 
pil,  ut  supra  dictum  est  (qusest.  v).  Et  ideo  in  sexta  synodo  (Constantinop.  III 
gênerai.,  (5  act.,  i,  in  Epist.  Agath.  PP.  ad  imperat.),  damnata  est  positio 
negantium  in  Christo  esse  dues  scientiasvel  duas  sapientias.  (S.  Tiiom.,  III  p., 
q.  IX,  art.  i.) 

Actione  enim  iv  dicit  pontifex  :  Omnia  duplicia  unius  ejusdemque  Domini 
Salvatoris  nostri  Jesu  Christi  ;  secundum  evangelicam  traditionem  asserimus, 
id  est,  duas  ojusnaturaspraedicamus,  divinam  scilicet  etliumanam;  et  unam- 
quamque,  proprietates  naturalcs  habere  condtemur;  ethabcre  divinam  omnia 
quaî  divina  sunt,  et  humanani  omnia  quae  liumana  sunt,  absquc  ullo  peccato. 
1.  Hœc  est  autcm  vita  aeterna  :  Ut  cognoscant  le  soluni  Deuni  vorum,  et 
quem  misisti  Jesum  Christum.  {Joann.,  xvii,  3.) 

"2.  Cum  autem  venerit  quod  perfectum  est,  evacuabitur  quod  ex  parle  est.... 
Videmus  nunc  per  spéculum  in    èenigmate  :  tune  autem  facie  ad   faciem. 
Nunc   cognosco   ex  parte  :  lune  autem  cognoscam  sicut  et  cognitus  sum. 
(/.  Cor.,  XIII,  40,  12.) 
:{.  /.  Joann.,  m,  2. 

1.  Homo  est  in  potentia  ad  scienliam  beatorum,  quîE  in  Dei  visione  consis- 
tit;  et  ad  eam  ordinatur  sicut  ad  finem  :  est  enim  creatura  ralionalis  capax 
illius  beatag  cognitionis,  in  quantum  est  ad  imaginem  Dei.  Ad  hune  autem 
finem  beatitudinis  homines  reducuntur  per  Christi  humanitatem,  secundum 
illud  {Ilehr.,  ii,  10)  ;  Decebal  eum  propler  quem  omnia  et  per  quem  omnia,  qui 
mullos  filios  in  gloriam  adduxerat,  auclorem  salutis  eorum  per  passionem 
consummari.  Et  ideo  oportuit  quod  cognitio  beata  in  Dei  visione  consistens, 
excellentissime  Christo  homini  conveniret,  quia  semper  causam  oportet  esse- 
poliorem  causato.  (S.  Thom,,  III  p.,  q.  ix,  arl.  2.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         321 

plus  élevé.  Aussi  est-il  de  foi  que  Jésus-Christ,  en  son  humanité, 
non  seulement  voit  Dieu  dans  la  gloire  du  ciel,  mais  qu'il  est 
assis  à  sa  droite,  c'est-à-dire  qu'il  existe  entre  l'humanité  du  Sei- 
gneur et  sa  divinité  une  sorte  d'égalité,  telle  qu'elle  peut  exister 
entre  la  créature  et  le  Créateur,  le  fini  etl'infini  :  Domiiiusquidem 
Jésus....  assumptus  est  in  cœlum  et  sedet  a  dextris  Dei  K 

Mais  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  n'eut  pas  à  attendre  la  fin  de 
sa  vie  mortelle  pour  entrer  en  possession  de  la  claire  vision  de 
Dieu  et  de  la  science  réservée  aux  saints  dans  le  ciel,  il  la  posséda 
dès  ici-bas,  à  un  degré  de  perfection  inaccessible  aux  chérubins 
eux-mêmes. 

Ce  n'était  pas  seulement  comme  Dieu,  mais  surtout  comme 
homme,  que  Jésus-Christ  parlait  lorsqu'il  disait  :  «  Personne  n'a 
a  jamais  vu  Dieu,  mais  le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du 
ff  Père  est  celui  qui  l'a  fait  connaître  -.  »  N'est-ce  pas  par  son  huma- 
nité que  le  Seigneur  s'est  montré  au  milieu  de  nous  ?  N'est-ce  pas 
par  sa  bouche  adorable  qu'il  a  prêché  l'Évangile  et  fait  connaître 
les  mystères  sublimes  qu'il  nous  apportait  du  sein  de  son  Père  ? 
Dieu  était  donc  visible  pour  son  humanité,  et  il  pouvait  dire 
comme  il  le  dit  en  effet  dans  une  autre  circonstance  :  «  Moi  je 
«  parle  de  ce  que  j'ai  vu  en  mon  Père  :  »  Ego  quœ  vidi  apud 
Patrem  loquor  3.  Au  jour  de  sa  transfiguration,  l'éclat  divin  dont 
il  resplendit  aux  yeux  des  trois  Apôtres  choisis  n'était  qu'un 
reflet  de  la  gloire  dont  son  àme  était  en  possession,  mais  qu'il 
tenait  cachée  aux  yeux  des  hommes,  à  cause  de  l'œuvre  pour 
laquelle  il  était  venu. 

Il  ne  pouvait  pas  en  être  autrement,  car  la  vision  béatifique  res- 
sort, comme  une  conséquence  nécessaire,  de  l'union  hypostatique 
qui  s'accomplit  au  moment  de  lincarnation,  entre  l'âme  de  Notre- 
Seigneur  et  le  Verbe  divin.  «  Et  nous  avons  vu  sa  gloire,  comme 
a  la  gloire  qu'un  fils  unique  reçoit  de  son  Père,  plein  de  grâce  et 
«  de  vérité  ^,  »  dit  S.  Jean.  Cette  plénitude  de  grâce  et  de  vérité, 
c'est-à-dire  de  science,  dont  parle  l'Évangéliste,  était  donnée  à 
Jésus-Christ,  comme  homme,  en   sa  qualité  de  Fils  unique  du 

1.  Marc,  V,  11). 

i>.  Deum  nemo  vidit  unquam.  Unigenilus  (|ui  est  in  sinii  Pntris.  ipse  enar- 
ravit.  [Joann.,  i,  18.) 

3.  Joann.,  viii,  38. 

4.  Vidiinus  gloriam  ejus,  gloriam  quasi  Unigeniti  a  Pâtre,  plénum  graliœ 
et  veritatis.  [Joann.,  i,  li.) 

LA   SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  21 


322         L.V  SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II"  PARTIE,  —   LIVRE  II.  — CHAP.   VII. 

Père.  II  la  posséda  donc  à  l'instant  même  de  sa  conception  dans  le 
sein  de  Marie;  il  la  posséda  dans  toute  sa  plénitude  '  ;  il  la  pos- 
séda pour  en  jouir  éternellement,  car  éternellement  il  est  et  sera 
Fils  de  Dieu.  La  personne  divine  du  Verbe  aurait-elle  pu  admettre 
quelque  imperfection  dans  la  nature  humaine  à  laquelle  elle  s'unis- 
sait pour  toujours? 

La  science  de  béatitude  ou  de  vision  divine,  que  possède  l'àme 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  est  de  la  même  espèce  que  celle 
qui  nous  sera  donnée  un  jour,  si  nous  méritons  d'être  admis  dans 
la  patrie  céleste;  mais  sa  lumière  est  incomparablement  plus 
grande,  et  l'on  peut  dire  que  toute  celle  des  saints  et  des  anges 
n'est,  vis-à-vis  d'elle,  qu'un  simple  rayon  comparé  au  soleil.  Il  a 
été  placé  par  son  Père,  dit  S.  Paul,  «  au-dessus  de  toute  princi- 
«  pauté,  de  toute  puissance  et  de  toute  vertu  2....  En  lui  sont  tous 
«  les  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu  ^.  »  Néanmoins 
quelle  que  soit  la  perfection  de  la  science  béatifique  dont  jouit 
l'àme  de  Notre-Seigneur,  il  taut  reconnaître  qu'elle  ne  va  pas 
jusqu'à  comprendre  l'essence  divine,  car  cette  divine  essence  ne 
peut  être  comprise  que  par  Dieu  lui-même  :  or  l'àme  humaine  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  n'est  pas  Dieu,  quoiqu'elle  soit  l'àme 
du  Fils  de  Dieu  fait  homme.  Ses  actes  propres  ne  sont  pas  infinis, 
et  la  compréhension  de  Dieu  est  un  acte  infini  qui,  par  conséquent, 
dépasse  ses  forces,  môme  surnaturelles  *.  Mais  elle  voit  Dieu,  elle 
voit  le  Verbe  divin  auquel  elle  est  unie,  et  elle  voit  en  lui  tout  ce 
que  Dieu  voit  lui-même,  d'une  manière  aussi  complète  qu'il  est 
possible  à  une  intelligence  créée  de  voir  et  de  connaître.  Jésus- 
Christ,  chef  et  juge  des  anges  et  des  hommes,  ne  peut  ignorer 

1.  Propterea,  qui  dicunt  Christum  verum  incrementum  in  sapientia  acce- 
pisse,  propterea  negant  unionem  factam  esse  a  primo  illo  Garnis  ortu  :  nam 
si  tune  facta  est,  quid  tandem  afferri  potest  quin  omnibus  prorsus  sapientiae, 
gratiaeque  opibus  affluxerit?  (S.  Damascen.,  lit).  III  de  Fidc,  cap.  xxii.) 

2.  Supra  omnem  principatum,  et  potestatem,  et  virlutem,  et  dominationem. 
{Ephes.,\,  21.) 

3.  In  quo  sunt  omnes  thesauri  sapientiae  et  scientise  Dei.  [Col.,  11,  3.) 

4 Dicendum  quod,  sicut  ex  supra  dictis  patet  (q.  11,  art.  4   et  6),  sic 

facta  est  unio  naturarum  in  persona  Christi,  quod  tamen  proprietas  utriusque 
naturae  inconfusa  permanserit;  ita  scilicet  quod  «  increatum  manserit  increa- 
tum,  et  creatum  manserit  infra  limites  creaturae,  »  sicut  Damascenus  dicit 
{Orih.  fid.,  lib.  III,  cap.  m  et  cap.  iv).  Est  autem  impossibile  quod  aliqua 
creatura  comprehendat  divinam  essentiam....,  eo  quod  infinitum  non  com- 
prehenditur  a  finito.  Et  ideo  dicendum  quod  anima  Christi  nullo  modo  com- 
prehendit  divinam  essentiam.  (S.  TnOM.,  III  p.,  q.  x,  art.  1.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE   l'aME    DE    N.-S.    DANS   l'EUCHARISTIE.         323 

rien,  même  comme  homme,  de  ce  qui  est  soumis  à  sa  puissance 
et  dépend  de  sa  juridiction  K  Sa  condition  ne  peut  pas  être 
moindre  à  lui,  qui  est  hypostatiquement  uni  au  Verbe,  que  celle 
des  autres  hommes  qui  voient  plus  ou  moins  de  choses  dans  le 
Verbe,  selon  leur  degré  de  perfection,  et  qui,  en  tout  cas,  y  voient 
toujours  tout  ce  qui  peut  les  intéresser  n'importe  à  quel  point  de 
vue.  Que  les  créatures  et  leurs  actes  se  multiplient  donc,  non  pas 
jusqu'à  l'infini  qu'elles  ne  sauraient  atteindre,  mais  indéfiniment, 
rien  n'en  sera  iD;-noréde  l'intelligence  humaine  de  Notre-Seigneur. 
On  ne  peut  pas  en  dire  autant  d'une  manière  absolue  des  pos- 
sibles, car  ils  n'ont  d'autres  limites  que  la  puissance  de  Dieu  qui 
est  infinie.  Or,  l'intelligence  humaine  de  Notre-Seigneur  n'est  pas 
Dieu,  et  ne  peut  pas  aller  jusqu'à  la  compréhension  de  l'infini  -. 
Mais  elle  connaît  tout  ce  qui  est  possible  aux  créatures. 

Non  seulement  l'àme  de  Notre-Seigneur  voit  et  connaît  toutes 
choses  en  Dieu,  comme  les  bienheureux  du  ciel,  quoique  d'une 
manière  incomparablement  plus  claire  et  plus  complète,  mais  elle 
possède  la  lumière  d'une  science  infuse,  qui  embrasse  tous  les 

1.  Cum  quaeritur  an  Christus  cognoscat  omnia  in  Verbo,  ly  omnia  potest 
dupliciter  accipi  :  uno  modo  proprie,  ut  distribuât  pro  omnibus  quae  quocum- 
que  modo  sunt,  vel  erunt,  vel  fuerunt,  vel  facta,  vel  dicta,  vel  cogitata  a  quo- 
cumque,  secundum  quodcumque  tempus.  Et  sic  dicendum  est  quod  anima 
Christi  in  Verbo  cognoscit  omnia.  Unusquisque  enim  intellectus  creatus  in 
Verbo  cognoscit,  non  quidem  omnia  simpliciter,  sed  tanto  plura  quanto  per- 
fectius  videt  Verbum.  Nulli  tamen  intellectui  beato  deest  quin  cognoscat  in 
Verbo  omnia  quse  ad  ipsum  spectant.  Ad  Christum  autem  et  ad  ejus  dignita- 
tem  spectant  quodammodo  omnia,  in  quantum  ei  subjecta  sunt  omnia.  Ipse 
etiam  est  omnium  judex  constitutus  a  Deo,  quia  Filius  homùiis  est,  ut  dicitur 
[Joann.,  v,  ^7)  ;  et  ideo  anima  Christi  in  Verbo  cognoscit  omnia  existentia, 
secundum  quodcumque  tempus,  et  etiam  hominum  cogitatus,  quorum  est 
judex  :  ita  ut  quod  de  eo  dicitur  (Joann.,  ii,  2o)  :  /yjse  enim  sciebat  qtiid  esset 
in  homine,  possit  intelligi  non  solum  quantum  ad  scientiam  divinam,  sed 
etiam  quantum  ad  scientiam  animae  ejus  quam  habet  in  Verbo.  (S.  TiiOM., 
III  p.,  q.  XI,  art.  2.) 

2.  Alio  modo  ly  omnia  potest  accipi  magis  large,  ut  extendatur  non  solum 
ad  omnia  quae  sunt  actu  secundum  quodcumque  tempus,  sed  etiam  ad  omnia 
quœcumque  sunt  in  potenlia,  nunquam  reducenda  vel  reducta  ad  actum. 
Horum  autem  quaedam  sunt  in  sola  potentia  divina  :  et  hujusmodi  non  omnia 
cognoscit  in  Verbo  anima  Christi.  Hoc  enim  esset  comprehendere  omnia  quae 
Deus  potest  facere,  quod  esset  comprehendere  divinam  virtutem,  et  per  con- 
sequens  divinam  essenliam....  Quasdam  vero  sunt  non  solum  in  potenlia 
divina,  sed  etiam  in  potentia  creaturae  :et  iuijusmodi  omnia  scit  anima  Christi 
in  Verbo,  comprehendit  enim  in  Verbo  omnis  creaturic  essentiam,  et  per 
consequens  potentiam  et  virtutem  et  omnia  qua;  sunt  in  potentia  creaturaj. 
(Id.,  ibid.) 


324         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VII. 

êtres  et  toutes  les  vérités,  aussi  bien  de  l'ordre  naturel  que  de 
Tordre  surnaturel,  tout  ce  qui  peut  être  connu  par  une  intelligence 
humaine.  Cette  science,  elle  la  possède  déjà  par  la  vision  béatifique, 
mais  la  perfection  souveraine  de  l'àme  du  Fils  de  Dieu  incarné 
demande  qu'aucun  mode  de  connaître  ne  lui  soit  étranger.  Les 
bienheureux,  dans  le  ciel,  possèdent  aussi  la  science  de  la  vision 
béatifique,  chacun  selon  son  degré  de  mérite  et  de  gloire  ;  cepen- 
dant ils  gardent  en  même  temps  le  don  de  science,  la  science  in- 
fuse que  l'Esprit  saint  a  mise  en  eux  au  temps  de  leur  vie  mor- 
telle. 

Enfin  Jésus-Christ  possède  une  science  acquise.  Il  a  vu  de  ses 
yeux,  entendu  de  ses  oreilles,  touché  de  ses  mains  mille  choses 
diverses,  pendant  sa  vie  sur  la  terre  ;  il  a  fait  l'expérience  de  ce 
qu'il  savait  déjà  en  vertu  de  sa  science  divine,  de  sa  science  de 
béatitude  et  de  sa  science  infuse,  et  l'on  peut  entendre  en  ce  sens 
les  paroles  de  S.  Luc  :  «  Jésus  croissait  en  sagesse,  et  en  âge,  et  en 
«  grâce  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  K  »  Ni  les  hommes  ni 
les  anges  n'avaient  rien  à  lui  enseigner,  puisqu'il  est  leur  lumière, 
mais  il  voulut  s'assimiler  à  nous  jusqu'à  imiter  extérieurement 
les  progrés  que  nous  faisons  dans  les  connaissances  de  toutes  sortes, 
à  mesure  que  nous  croissons  en  âge  ;  il  voulut  faire  l'expérience 
des  faiblesses  de  l'enfance,  des  travaux  et  des  fatigues  de  l'âge 
mûr,  des  diverses  souffrances  venant  de  l'extérieur,  auxquelles 
la  nature  humaine  est  exposée,  pour  que  nous  comprenions  mieux 
combien  il  compatit  à  nos  maux  et  se  plaît  à  les  soulager. 

Aucune  science  ne  manqua  donc  à  notre  divin  Sauveur  consi- 
déré comme  homme,  pendant  sa  vie  mortelle;  aucune  science  ne 
lui  manque  dans  la  gloire  des  cieux  ;  aucune  science  ne  lui 
manque  par  conséquent  dans  l'adorable  sacrement  où  il  se  cache 
par  amour  pour  nous. 

A  la  science  que  possède  l'humanité  de  Notre-Seigneur  il  faut 
ajouter  la  puissance. 

Noire-Seigneur  Jésus-Ciirist  est  tout-puissant  parce  qu'il  est 
Dieu  ;  mais  l'humanité  ne  peut  pas,  par  elle-même,  posséder  un 
attribut  qui  n'appartient  qu'à  l'être  infini,  et  le  Verbe  divin,  en 
s'unissant  à  son  humanité,  ne  lui  communiqua  pas  sa  toute-puis- 
sance. Jésus-Christ  est  homme  et  il  est  tout-puissant  ;  mais  sa 

1.  Jésus  proficiebat  sapientia,  et  setate,  et  gratia  apud  Deum  et  homines. 
{Ltir.,  II,  ;j"2.) 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    l'aME    DE    N.-S.   DANS   l'EDCIIARISTIE.         325 

toute-puissance  est  l'attribut  de  sa  divinité  et  non  de  son  liuma- 
nité.  Il  est  tout-puissant  non  parce  qu'il  est  homme,  mais  parce 
qu'il  est  Dieu.  Son  humanité,  par  elle-même,  n'aurait  qu'une 
puissance  bornée  telle  qu'elle  convient  à  notre  nature.  Unie  au 
Verbe,  elle  garde  le  principe  d'action  qui  lui  est  propre  ;  sa  subs- 
tance n'est  pas  ciiangée,  sa  puissance  ne  l'est  pas  davantage,  non 
plus  que  son  existence,  bien  qu'elle  ait,  par  cette  union,  une 
subsistance  qui  n'est  pas  d'elle. 

Mais  si  la  nature  seule  ne  pouvait  pas  donner  à  l'humanité  du 
Seigneur  une  puissance  en  rapport  avec  la  dignité  suprême  que 
lui  communique  l'union  hypostatique  avec  le  Verbe,  Dieu  avait 
d'autres  moyens  de  l'en  revêtir,  et  ce  ne  fut  pas  seulement  comme 
Dieu,  mais  aussi  comme  homme,  qu'il  put  dire  à  ses  disciples  : 
a  Toute  puissance  m'a  été  donnée  au  ciel  et  sur  la  terre  :  »  Data 
est  mihi  omnis  potestas  in  cœlo  et  in  terra  ^.  Il  a,  comme 
homme,  autorité  sur  toutes  choses,  parce  qu'il  est  l'Homme-Dieu  ; 
il  a,  pour  la  même  raison,  le  pouvoir  d'accomplir  toutes  ses  vo- 
lontés, quelles  qu'elles  soient,  et  rien  n'excède  sa  puissance,  parce 
qu'il  est,  comme  homme,  l'instrument  de  la  toute-puissance  de 
Dieu.  L'Évangile  nous  montre,  à  chacune  de  ses  pages,  comment 
ce  divin  Sauveur  exerçait,  sur  les  hommes  et  sur  la  création  tout 
entière,  ce  pouvoir  sans  bornes  conféré  à  son  humanité.  Il  vou- 
lait, et  les  malades  étaient  guéris  ;  il  disait  un  mot,  et  les  morts 
ressuscitaient  ;  il  touchait  du  doigt  les  sourds,  les  aveugles,  et 
l'ouïe  aussi  bien  que  la  vue  leur  étaient  rendues.  Et  si  l'huma- 
nité de  Notre-Seigneur  était  puissante  à  ce  point,  pendant  son 
passage  sur  la  terre,  que  ne  pourra-t-elle  pas,  aujourd'hui  qu'elle 
est  assise  au  plus  haut  des  cieux  à  la  droite  du  Père? 

C'est  cette  humanité  du  Fils  de  Dieu  fait  homme  que  nous  pos- 
sédons dans  la  Très  Sainte  Eucharistie  :  c'est  elle  que  nous  rece- 
vons sous  les  espèces  sacramentelles.  Que  ne  pouvons-nous  pas 
espérer,  que  ne  pouvons-nous  pas  attendre  de  celui  qui  sait  tout, 
qui  peut  tout,  et  qui  nous  aime  jusqu'à  se  faire  notre  victime, 
notre  compagnon  d'exil  et  notre  nourriture? 

\.  Matlh.,  xxviii,  18. 


326         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  VII. 

II. 

l'ame  de  xotre-seigneur,  formellement  sanctifiée  par  son  union 
hypostatique  avec  le  verbe,  et  enrichie  de  la  grace  habi- 
tuelle et  de  la   grace  actuelle  dont   il  est  la  source  pour 

NOUS. 

L'humanité  de  Notre-Seigneur  ne  reçut  pas  seulement  de  Dieu 
les  dons  qui  l'élèvent,  dans  l'ordre  de  la  nature,  à  une  perfection 
souveraine,  que  nulle  autre  créature  ne  saurait  atteindre.  Ce 
n'est  pas  assez  pour  ce  corps  et  cette  âme  que  nous  possédons  au 
Très  Saint  Sacrement,  pour  le  corps  et  l'àme  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme. 

Au-dessus  de  l'ordre  naturel  s'élève  l'ordre  de  la  grâce,  qui  fait 
entrer  les  intelligences  créées  en  communication  intime  avec  Dieu. 
Quelle  que  soit  la  perfection  de  la  nature  humaine  en  Jésus-Christ, 
elle  avait  besoin,  pour  la  dignité  suprême  qui  lui  était  dévolue, 
d'être  rehaussée  par  les  dons  de  la  grâce  et  par  ceux  de  la  gloire, 
qui  en  sont  l'épanouissement  et  la  couronne. 

Que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ait  été,  dès  le  premier  instant 
de  sa  conception,  agréable  à  Dieu  comme  homme,  plus  que  nulle 
créature,  c'est  une  vérité  qui  n'a  jamais  été  mise  en  doute  par 
aucun  chrétien.  L'apôtre  S.  Jean  nous  dit  dans  son  Évangile  : 
«  Nous  avonsvu  sa  gloire,  comme  la  gloire  que  le  Fils  unique  re- 
«t  çoit  du  Père,  plein  de  grâce  et  de  vérité  K  » 

Dans  le  récit  qu'il  fait  du  mystère  de  l'Incarnation,  S.  Luc  rap- 
porte ces  paroles  de  l'Ange  à  Marie  :  «  La  chose  sainte  qui  naîtra 
«  de  vous  sera  appelée  Fils  de  Dieu  2.  »  —  «  Remarquez,  je  vous 
«  prie,  avec  quel  respect  l'Ange  s'exprime,  »  dit  S.  Bernard  :  La 
chose  sainte  quinailra  de  vous.  Pourquoi  donc  dit-il  simplement 
sanctum,  sans  ajouter  d'autre  mot  à  cette  appellation?  «  Je  crois 
«  que  c'est  parce  qu'il  manquait  d'un  nom  propre,  pour  désigner 
«  le  fruit  insigne,  magnifique  et  respectable  qui  devait  se  former 
«  de  l'union  de  l'âme  et  du  corps,  tiré  du  corps  très  pur  de  la 
«  Vierge,  avec  le  Fils  unique  du  Père.  S'il  disait  la  chair  sainte, 
«  l'homme  saint,  le  saint  enfant,  ou  autre  chose  semblable,  il  lui 

i.  Et  vidimus  gloriam  ejus,  gloriam  quasi  Unigeniti  a  Pâtre,  plénum  gratiae 
et  veritatis.  (Joann.,  i,  14.) 
2.  Quod  ex  te  nascetur  sanctum,  vocabitur  Filius  Dei.  (Luc,  i,  35.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    LAME    DE    N.-S.    DANS    l'eCCHARISTIE.         327 

«  semblerait  qu'il  n'a  point  assez  dit;  voilà  pourquoi,  sans  doute, 
«  il  se  sert  de  l'expression  indéfinie  :  sanctum.  Il  est  certain  en 
«  effet  que,  quel  que  soit  le  fruit  qui  naîtra  de  la  Vierge,  il  ne  peut 
«  être  que  saint  et  saint  par  excellence,  tant  à  cause  du  Saint-Es- 
«  prit  qui  l'aura  sanctifié,  qu'à  cause  du  Verbe  de  Dieu  qui  se  le 
«  sera  uni  '.  »  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  témoigne  d'ailleurs 
lui-même  qu'ilétait  saint  à  son  entrée  dans  le  monde,  lorsque,  ré- 
pondant aux  accusations  des  Juifs,  il  leur  dit  :  «  Vous  me  dites  à 
«  moi  que  le  Père  a  sanctifié  et  envoyé  dans  le  monde  :  Tu  blas- 
«  phèmes;  parce  que  j'ai  dit  :  Je  suis  le  Fils  de  Dieu.  »  S.  Augustin 
et,  après  lui,  le  vénérable  Bède  rapportent  ces  paroles  à  la  généra- 
tion éternelle  du  Verbe  qui  est  saint  par  nature  ~;  mais  il  faut  re- 
connaître en  même  temps  que  Jésus-Christ  parlait  principalement 
de  lui-même,  au  point  de  vue  humain,  en  cette  occasion,  ainsi  que 
S.  Hilaire  le  dit  expressément  3.  S.  Athanase  est  du  même  avis  : 
«  Celui  qui  est  saint  et  n'a  pas  besoin  de  sanctification  est  néan- 
«  moins  sanctifié  comme  homme  ^.  »  C'est  à  l'humanité  du  Sau- 
veur ainsi  sanctifié  que  s'adresse  le  témoignage  rendu  par  le  Père 
éternel,  sur  la  montagne  du  Thabor  :  «  Celui-ci  est  mon  Fils  bien- 
«  aimé,  en  qui  je  me  suis  complu  ^.  » 

1.  Attende,  quœso,  quam  reverenter  dixerit,  quod  nascetur  ex  te  sanction. 
Ut  quid  enim  ita  simpliciter  Satictum,  et  absque  additamento  ?  Credo  quia 
non  habuit  quid  proprie  digneve  nominaret  illud  eximium,  illud  magnifi- 
cum,  illud  reverendum,  quod  de  purissima  videlicet  Virginis  carne  cum  sua 
anima  Unico  Patris  erat  uniendum.  Si  diceret,  sancta  caro,  vel  sanctus  homo, 
vel  sanctus  infans,  quidquid  fale  poneret,  parum  sibi  dixisse  videretur.  Po- 
suit  ergo  indefinite,  Sanctum  :  quia  quidquid  illud  sit  quod  Virgo  genuit, 
sanctum  procul  dubio,  ac  singulariter  sanctum  fuit,  etper  Spiritus  sanctifica- 
tionem,  et  per  Verbi  assumptionem.  (S.  Bernard.,  serm.  IV  in  Missus  est, 
n.  5J.) 

2.  Sanctificavit,  id  est,  ut  sanctus  esset  gignendo  ei  dédit;  quia  sanctum 
eum  genuit.  Si  autem  sermo  Dei  factus  est  ad  homines  ut  dicerentur  dii, 
ipsum  Verbum  Dei  quomodo  non  est  Deus?  Si  per  sermonem  Dei,  homines 
participando  fiunt  Dii,  Verbum  unde  participantur,  non  est  Deus?(S.  Aucust., 
tract.  LXXVIII  in  Joann.) 

3.  Jam  ergo  non  est  criminis,  quod  .se  Deum,  cum  homo  sit,  faciat;  cum 
eos,  qui  homines  sint,  lex  dcos  dixerit.  Et  si  a  caeteris  hominibus  non  irreli- 
giosa  hujus  nominis  usurpalio  est  :  ab  eo  homine,  quem  Pater  .sanctificavit 
(omnis  enim  hic  de  homine  responsio  est),  non  impudenter  usurpari  videtur, 
quod  Dei  se  Filium  dixerit  (S.  IIilar.,  lib.  Vil  de  Trinitate,  n.  ±i.) 

4.  Ut  homo  etiam  sanctificatur  (jui  sanctus  est,  et  qui  sanctificatione  non 
eget.  (S.  Athan.,  de  Incarnat.,  n.  H.) 

îi.  Hic  est  Filius  meus  dilectus  in  quo  milii  bene  complacui.  {Matth., 
XVII,  îj.) 


328         LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VU. 

Mais  si  l'humanité  de  Notre-Seigneur  était  sainte,  et  le  fut  dès 
e  premier  instant  de  son  existence  et  de  son  union  avec  le  Verbe 
divin,  sa  sainteté  ressemble-t-elle,  dans  sa  cause,  à  celle  dont  les 
autres  créatures  sont  susceptibles?  N'a-t-elle  pas  sa  source  immé- 
diate, au  contraire,  dans  l'union  hypostatique  avec  le  Verbe? 
Ou  bien  enfin  les  deux  causes  n'y  contribuent-elles  pas  à  la 
fois? 

Des  théologiens  ont  dit  que  l'union  hypostatique  supposait,  avant 
toutet  comme  condition  absolue,  lagrâce  habituelle.  Ils  s'appuyaient 
avec  raison  sur  ce  principe,  que  le  Verbe  de  Dieu  n'aurait  pas  pu 
prendre  pour  lui  une  nature  qui  n'eût  pas  été  sainte;  et  parce 
qu'ils  ne  reconnaissaient  de  sainteté  possible  que  moyennant  la 
grâce  habituelle,  ils  concluaient  que  la  sanctification  de  Notre- 
Seigneur,  comme  homme,  consistait  tout  d'abord  dans  la  collation 
de  cette  grâce. 

D'autres  ont  supposé  qu'il  n'était  pas  indispensable  que  la  na- 
ture à  laquelle  s'unissait  le  Fils  de  Dieu  fût  d'abord  sainte,  mais 
qu'il  suffisait  qu'elle  ne  fût  pas  coupable,  car  la  grâce  habituelle, 
grâce  créée,  ne  fait  pas  partie  de  la  nature  humaine,  et  rien  n'obli- 
geait le  Verbe  à  prendre,  avec  cette  nature,  une  grâce  qui  fût  pu- 
rement accidentelle. 

D'autres  enfin,  et  c'est  l'opinion  commune,  il  faut  dire  la  seule 
vraie,  établissent  que  l'humanité  de  Notre-Seigneur  est  sainte  et 
juste,  par  le  seul  fait  de  son  union  avec  le  Verbe  divin.  Elle  n'a 
aucun  besoin,  pour  posséder  cette  justice,  de  la  grâce  habituelle; 
néanmoins  la  grâce  habituelle  lui  fut  donnée  par  surcroît,  comme 
on  le  verra  plus  loin,  pour  des  motifs  dignes  de  la  sagesse  de 
Dieu. 

Il  est  aisé  de  trouver  dans  la  Sainte  Écriture  les  bases  de  cet  en- 
seignement. Il  résulte  en  effetde  nombreux  passages,  dont  il  suf- 
fira de  citer  quelques-uns,  que  Jésus-Christ,  considéré  comme 
homme,  est  formellement,  absolument  et  simplement  saint,  en 
vertu  de  la  seule  grâce  d'union. 

Dans  le  psaume  xliv,  David  adresse  ces  paroles  au  Christ  qui 
doit  naître  de  lui  :  «  Dieu,  votre  Dieu,  vous  a  plus  excellemment 
«  oint  d'une  huile  de  joie  que  ceux  qui  participentà  l'onction  avec 
«  vous  K  »  Le  prophète  Isaïe  et  après  lui  S.  Luc  disent  à  leur  tour  : 

1.  Unxit  te  Deus,  Deus  tuas  oleo  Isetitiœ  prae  consortibus  luis.  {Ps.  xliv,  7.) 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         329 

*  L'esprit  du  Seigneur  est  sur  moi,  et  c'est  pour  cela  qu'il  m'a  con- 
t  sacré  par  l'onction  ^  »  On  lit  de  même  dans  le  prophète  Daniel: 
€  Et  le  saint  des  saints  sera  consacré  par  l'onction  '-.  » 

Enfin,  dans  les  Actes  des  Apôtres,  S.  Pierre  dit  au  centurion  Cor- 
neille et  à  ceux  qui  l'accompagnaient  :  «  Vous  savez  tous  comment 
«  Dieu  a  consacré,  par  l'onction  de  l'Esprit-Saint  et  de  sa  vertu, 
«  Jésus  de  Nazareth  qui  a  passé  en  faisant  le  bien  3.  » 

Quelle  fut  cette  onction  que  Jésus-Christ  reçut  comme  homme, 
et  à  laquelle  il  doit  ce  nom  de  Christ  par  excellence?  Tous  les 
Pères  sont  d'accord  pour  y  reconnaître  l'union  avec  la  divinité, 
avec  la  personne  du  Verbe  dont  la  présence  sanctifie  son  humanité. 
«  Le  Christ  fut  parfait,  dit  S.  Grégoire  de  Nazianze,  non  seule- 
«  ment  par  sa  divinité,  dont  la  perfection  est  au-dessus  de  tout, 
«  mais  aussi  dans  son  humanité  consacrée  par  l'onction  de  la  di- 
«  vinité  4.  »  Ailleurs  il  fait  ressortir  la  différence  entre  la  consécra- 
tion, qu'un  acte  quelconque  peut  conférer  aux  hommes,  et  celle  de 
Jésus-Christ,  qui  résulte  de  la  présence  même  du  souverain  con- 
sécrateur  ^  S.  Jean  Damascène  dit  que  Jésus-Christ,  étant  Dieu, 
s'est  consacré  lui-même  par  sa  divinité,  car  sa  divinité  est  l'onc- 
tion de  son  humanité  6.  S.  Cyrille  fait  remarquer  la  différence 
entre  l'onction  donnée  aux  saints  ou  aux  rois,  et  celle  de  Jésus- 
Christ  :  Le  Verbe  s'est  fait  chair;  voilà'  en  quoi  consiste  son 
onction  '.  «  Le  Verbe,  dit-il  encore,  n'était  pas  Christ,  avant  l'in- 
«  carnation,  mais  en  prenant  la  chair,  il  s'est  acquis  ce  nom  ^.  » 
S.  Denis  d'Alexandrie  avait  dit  avant  lui  que  Jésus-Christ  n'avait 
pas  eu  besoin  d'onction  extérieure,  parce  qu'il  fut  consacré  par 

1.  Spiritus  Domini  super  me,  eo  (propter)  quod  unxit  me.  {h.,  lni,  1.)  — 
Luc,  IV,  18. 

2.  El  ungatur  Sanclus  sanctorum.  {Dan.,  ix,  'îi.) 

3.  Vos  scitis....  quomodo  unxit  eum  {Jesum  a  Nazareth)  Deus  Spiritu  sancto 
et  virtule,  qui  pertransiit  benefaciendo.  (Act.,  x,  37,  38.) 

4.  Perfectus  autem  fuit  non  modo  propter  divinitatem,  qua  nihil  est  perfec- 
tius,  sed  eliam  propter  humanitatem  divinitate  delibutam.  (S.  Gregor.  >az., 
orat.  II  de  Paschate,  post  médium.) 

5.  Christus  igitur  propter  divinitatem,  ea  enim  humanitas  uncta  est  non 
actu,  vel  operatione,  ut  in  aliis  qui  Christi  nuncupantur,  sed  lotius  unclons 
prsesentia.  (lu.,  orat.  IV  dr  Theolog.,  ad  finem.) 

6.  Ipse  seipsum  unxit,  divinitas  enim  humanitatis  unctio.  (S.  JOANN.  Dam., 
orat.  I  de  Imagin.) 

7.  S.  Cyrill.  Alex.,  lib.  IV  inJoann.,  cap.  xxix. 

8.  Cum  Verbum  antea  non  esset  Christus,  in  ipsa  carnis  assumptione  dic- 
tas est  Christus.  (Id.,  in  libro  de  Fide  ad  Theodos.,  prope  finem.) 


330         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  U"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

lui-même,  et  qu'il  fut  à  lui-même  son  onction  ^  S.  Augustin  ne 
parle  pas  autrement.  La  nature  humaine,  dit-il,  fut  consacrée  par 
la  divinité  invisible,  lorsqu'elle  fut  unie  à  la  personne  divine  2.  Ci- 
tons aussi  ces  quelques  mots  de  S.  Anselme  :  «  Il  ne  fut  pas  conçu 
«  d'abord  et  ensuite  consacré  par  l'onction  ;  mais  être  conçu  de  la 
a  chair  de  la  Vierge,  par  l'opération  du  Saint-Esprit,  et  recevoir 
0  l'onction  du  Saint-Esprit,  fut  pour  lui  une  même  chose  ^.  » 

On  comprend  qu'il  ne  puisse  pas  en  être  autrement.  De  l'union 
hypostatique,  en  effet,  résulte  l'existence  de  l'Homme-Dieu.  La  na- 
ture divine,  dans  la  personne  du  Verbe,  et  la  nature  humaine  ne 
sont  plus  ensemble  qu'une  seule  et  même  personne.  Gomment  le 
Fils  de  Dieu  pourrait-il  être  homme  et  n'aimer  pas  l'humanité 
qu'il  unit  à  lui  par  un  lien  si  étroit?  La  grâce  qu'il  accorde  à  son 
humanité,  en  s'unissant  à  elle,  est  surnaturelle  au  degré  suprême^ 
car  il  se  donne  lui-même,  lui  qui  est  infiniment  au-dessus  de 
toute  nature  créée.  Un  tel  don  accordé  à  la  nature  humaine,  au 
moment  même  où  il  la  tirait  du  néant  et  s'en  revêtait  pour  ne  la 
quitter  jamais,  la  rendait  nécessairement  agréable  à  ses  yeux. 
Élevée  jusqu'à  l'honneur  infini  de  faire  partie  de  sa  divine  per- 
sonne, elle  ne  pouvait  pas  n'être  pas  digne  de  tout  son  amour.  Le 
Verbe  divin  pouvait-il  ne  pas  aimer  et  ne  pas  trouver  digne  de  lui 
ce  qui,  en  vertu  de  sa  volonté  divine  qui  est  celle  de  l'adorable 
Trinité  tout  entière,  faisait  désormais  partie  de  sa  personne,  et 
n'était  pas  autre  chose  que  lui  ? 

On  peut  donc  conclure  que  l'union  hypostatique  est  un  don  qui 
constitue,  par  sa  propre  vertu,  l'àme  de  Notre-Seigneur  dans  un 
état  de  grâce  d'un  ordre  particulier  et  supérieur  à  tout  autre.  Il  ne 
suit  pas  cet  état  de  grâce,  il  le  crée  par  lui-même,  et  l'union  ne 

1.  Quia  per  se  unctus  est,  et  sibi  ipsi  est  unctio.  (S.  Dionys.  Alexandr., 
Epist.  contra  Paulum  Sattiosat.) 

2.  Et  manifestius  de  illo  scriplum  est  in  Actibus  Apostolorum  :  Quoniam 
unxit  etim  JJeiis  Spiritu  sancto.  Non  utique  oleo  visibili,  sed  dono  gratise,quod 
visibili  significatur  unguento,  quo  baptizatos  ungit  Ecclesia.  Nec  sane  tune 
unctus  est  Christus  Spiritu  sancto,  quando  super  eum  baptizatum,  velut  co- 
lumba  descendit  :  tune  enim  corpus  suum,  id  est,  Ecclesiam  suam  prsefigu- 
r.'ire  dignntus  est,  in  qua  prgecipue  baplizati  accipiunt  Spiritum  sanctum  - 
sed  ista  mystica  et  invisibili  unctione  tune  intelligendus  est  unctus,  quando 
Verbum  Dei  caro  factum  est.  (S.  Al'gijst.,  lib.  XV  de  Trinitate,  n.  46.) 

3.  Non  ante  conceptus  et  poslmodum  unctus,  sed  boc  ipsum  de  Spiritu 
sancto  et  carne  Virginis  concipi,  Spiritu  sancto  ungi  fuit.  (S.  Anselm.  in  cap, 
ad  Hebr.,  i.) 


PERFECTION   SOUVERAINE    DE   l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'EUCHARISTIE.         331 

peut  pas  exister  que  la  grâce  n'existe  en  même  temps  ;  l'humanité 
de  Jésus-Christ  ne  peut  pas  être  l'humanité  du  Fils  de  Dieu,  sans 
être  un  objet  d'amour  pour  le  Fils  de  Dieu,  qui  s'aime  nécessaire- 
ment lui-même,  et,  par  conséquent,  un  objet  d'amour  pour  l'ado- 
rable Trinité  tout  entière. 

Ce  don  de  l'union  hypostatique  n'admet  aucune  tache,  quelque 
légère  qu'on  la  suppose,  en  la  nature  humaine  unie  au  Verbe 
de  Dieu;  il  la  constitue  donc  dans  un  état  de  pureté  parfaite  et 
d'innocence  ;  à  ce  point  de  vue  encore,  il  la  rend  agréable  à  Dieu 
et  digne  de  tout  son  amour. 

A  cause  de  l'union  hypostatique,  l'humanité  de  Notre-Seigneur 
fut  aussi  et  demeure  nécessairement  enrichie  de  toutes  les  perfec- 
tions surnaturelles,  en  rapport  avec  une  si  haute  dignité.  Tous  les 
actes  de  Jésus-Christ  sont  des  actes  de  THomme-Dieu,  des  actes 
divins;  il  faut  donc  que  sa  nature  humaine  soit  assez  parfaite,  pour 
que  les  actes  qu'il  produit  par  elle  soient  dignes  d'être  attribués  à 
Dieu  lui-même,  dont  la  sainteté  et  la  perfection  sont  infinies. 

Ajoutez  encore  que,  dès  le  premier  instant  de  son  existence  et, 
par  conséquent,  de  son  union  avec  le  Verbe,  l'âme  de  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ  fut  et  demeura,  pendant  sa  vie  mortelle,  comme 
elle  est  actuellement  dans  la  vie  de  la  gloire  et  dans  l'Eucharistie, 
en  pleine  possession  de  la  yision  béatifique.  Quelles  merveilleuses 
perfections  surnaturelles  suppose  cet  état  de  vision  incomparable- 
ment plus  parfait  en  Jésus  que  celui  des  anges  ! 

Dans  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  l'homme  est  lormellement 
Dieu  en  vertu  de  l'union  hypostatique;  il  est  donc  l'objet  suprême 
de  la  dilection  surnaturelle  de  Dieu.  Cette  dilection  le  constitue 
dans  un  état  de  dignité  et  de  grâce  d'un  ordre  plus  relevé  que  la 
grâce  habituelle,  et  donnant  droit  comme  elle  à  l'éternelle  béati- 
tude. Si  la  nature  humaine  était  unie  à  la  personne  d'un  ange, 
cette  personne  angélique  ne  communiquerait  pas,  par  elle-même, 
à  son  humanité  la  sainteté  et  le  droit  à  la  béatitude,  parce  que 
cette  sainteté  et  ce  droit  ne  sont  pas  essentiels  à  l'ange,  mais  seule- 
ment accidentels.  Pour  le  Verbe  de  Dieu,  dont  l'essence  même  est 
la  sainteté  et  la  béatitude  infinie,  ce  qui  lui  est  uni  et  fait  partie 
de  sa  personne  ne  peut  pas  ne  pas  être  saint  et  ne  pas  avoir  droit 
à  la  béatitude,  ainsi  qu'à  tous  les  privilèges  et  toutes  les  perfec- 
tions que  comporte  une  telle  dignité.  H  convient  cependant  de  re- 
connaître que  la  grâce  d'union  ne  confère  pas  précisément  et  for- 


33iJ         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

mellement,  par  elle-même,  à  la  nature  humaine,  toute  la  perfec- 
tion de  justice  et  de  sainteté  nécessaire  à  l'homme  juste,  pour  que 
toutes  ses  affections  et  ses  actes  soient  irréprochables,  et  qu'il  pos- 
sède la  béatitude  comme  un  bien  nécessaire.  L'union  hypostatique 
confère  à  la  nature  humaine  de  Notre-Seigneur  la  dignité  suprême 
de  ne  faire  qu'une  seule  personne  avec  le  Verbe  de  Dieu,  par  con- 
séquent d'être  sainte,  sans  avoir  besoin  d'une  sainteté  créée  et  ac- 
cidentelle. Toutes  les  grâces,  toutes  les  perfections  que  réclame 
cette  élévation  divine,  l'humanité  de  Notre-Seigneur  les  reçoit  en 
même  temps;  néanmoins  ce  sont  des  grâces  particulières,  et  théo- 
riquement séparables  de  la  grâce  d'union,  quoique,  dans  la  réalité, 
elles  l'accompagnent  infailliblement  ;  mais  elles  relèvent  de  la 
grâce  habituelle.  La  dignité  de  la  personne  ne  fait  pas  tout  en 
l'humanité  de  Notre-Seigneur;  il  y  a  de  plus  la  sainteté  surémi- 
nente  et  l'ensemble  de  perfections  et  de  vertus  nécessaires  pour 
que  cette  humanité  ne  soit  pas  trop  au-dessous  de  la  dignité  infinie 
que  le  Verbe  de  Dieu  lui  confère.  Il  en  est  de  même  pour  l'âme  de 
Jésus-Christ  que  pour  sa  chair  adorable.  Assurément  le  corps  de 
Notre-Seigneur  fut  sanctifié  par  son  union  avec  la  personne  du 
Fils  de  Dieu  ;  mais  à  cette  sanctification  il  fallait  que  Dieu  ajoutât, 
par  une  grâce  spéciale,  toutes  les  perfections  naturelles,  toutes  les 
inclinations  en  rapport  avec  cette  sainteté,  et  propres  à  rendreaisé 
Taccomplissement  de  tous  les  actes  extérieurs  qu'elle  demande. 
La  sainteté  conférée  à  l'humanité  de  Notre-Seigneur,  par  l'union 
hypostatique, est  une  sainteté  substantielle;  mais  une  nature  créée 
n'est  pas  une  substance  pure  et  infinie  comme  Dieu  ;  elle  n'existe 
pas  sans  qualités  accidentelles;  ces  qualités,  ces  grâces  acciden- 
telles, cette  adorable  humanité  les  reçoit,  non  pas  formellement 
du  fait  même  de  son  union  avec  le  Verbe,  mais  comme  consé- 
quence nécessaire  de  cette  union. 

La  première  des  grâces  accidentelles  est  sans  contredit  la  grâce 
habituelle,  celle  dont  la  possession  rend  les  hommes  et  les  anges 
agréables  à  Dieu  et  saints  en  sa  présence. 

Quelques  théologiens  ont  dit  que  l'âme  de  Notre-Seigneur  ne  pos- 
sède pas  cette  grâce,  qui  a  pour  but  la  sanctification  de  ceux  qui 
la  reçoivent,  puisqu'elle  est  sanctifiée  par  son  union  avec  le  Verbe. 

D'autres  accordent  volontiers  que  la  grâce  habituelle  existe  en 
l'âme  de  Jésus-Christ;  mais  ils  ne  croient  pas  néanmoins  qu'on 
puisse  l'affirmer  avec  autant  de  certitude  que  lorsqu'il  s'agit  du 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCII ARISTIE.         333 

commun  des  saints,  qui  ne  peuvent  être  sanctifiés  que  par  elle, 
tandis  que,  même  sans  elle,  Jésus-Christ  serait  saint,  ou  plutôt 
la  sainteté  même. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  de  l'avis  commun,  on  pourrait 
dire  unanime,  des  théologiens  et  des  docteurs,  l'àme  de  Notre-Sei- 
gneur  fut  en  possesion  de  la  grâce  habituelle.  De  nombreux  textes 
de  la  Sainte  Écriture  le  marquent  trop  clairement  pour  qu'il  soit  per- 
mis d'en  douter,  et  les  écrits  des  Pères  ne  sont  pas  moins  formels. 

Prenons  par  exemple  ces  paroles  du  psaume  xliv  que  nous 
avons  déjà  citées  :  «  C'est  pour  cela  que  Dieu,  votre  Dieu,  vous  a 
«  oint  d'une  huile  de  joie,  plus  excellemment  que  ceux  qui  parti- 
«  cipent  à  votre  onction  K  » 

Cette  onction  doit  s'entendre,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  de  la 
grâce  d'union,  en  vertu  de  laquelle  l'humanité  de  Notre-Seigneur 
était  nécessairement  et  substantiellement  sainte;  mais  elle  a  un 
autre  sens  encore.  S.  Athanase  l'entend  de  la  grâce  habituelle  ;  il 
dit  que  l'onction  dont  parle  le  prophète  est  la  sanctification  que  le 
Verbe  fait  homme  se  conféra  à  lui-même,  sanctification  ou  grâce 
dont  il  est  maître  de  disposer  â  son  gré,  et  qu'il  a  daigné  partager 
avec  nous.  «  C'est  lui,  dit-il,  qui  donne  et  qui  reçoit  l'Esprit 
«  saint.  Il  le  donne  comme  Verbe;  il  le  reçoit  comme  homme.... 
«  Il  a  reçu  cette  grâce  de  l'Esprit  comme  homme,  et  nous-mêmes 
«  l'avons  reçue  de  sa  plénitude  :  elle  a  débordé  jusqu'à  nous  -.  » 
S.  Cyrille  exprime  la  môme  pensée  dans  des  termes  à  peu  près 
identiques,  en  se  reportant  au  même  texte  ;  mais  il  ajoute  que 
cette  onction  de  grâce  que  nous  partageons  avec  Jésus-Christ 
n'est  pas  sa  seule  onction  :  il  n'est  pas  seulement  Christ,  ou  con- 
sacré :  il  est  Dieu  ;  d'où  il  conclut  :  «  Si  l'on  disait  que  le  Christ 
«  doit  être  reconnu  pour  Dieu  et  adoré  à  cause  de  cette  seule 
«  onction,  il  faudrait  dire  aussi  que  nous  sommes  des  dieux  et  que 
«  nous  avons  droit  à  l'adoration  comme  le  Christ  ^,   »  puisque, 

1.  Propterea  unxit  te  Deus,  Deus  tuus,  oleo  lœtiticB  prœ  consorlibus  luis. 
(Ps.  XLIV,  7.) 

2.  Ipse  est  qui  dat  et  accipit  Spiritum  sanctum.  Dal  ut  Verbum,  accipit  ut 
homo....  Ex  eo  quod  ipse  ut  homo  eam  gratiam  Spiritus  accipit,  factum  est  ut 
nos  illam  ex  plenitudine  dimnnantem  acceperimus.  (S.  Atiian.,  serm.  II 
contra  Arianos.) 

3.  Si  quis  propter  hanc  solam  unetionem  dicat  appellari  Christum  Deum  et 
adorari,  eadem  ratioiic  dicturum  est  nos  esse  Deos,  et  adorandos  œque  ac 
Christum.  (S.  Cyrili,.  Alex.,  Ejjist.  nd  xoUtnriam  vitam  or/entes.) 


334         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  VII. 

nous  aussi,  nous  avons  reçu  l'onction  de  l'Esprit  saint,  selon 
cette  parole  de  S.  Jean  :  «  Four  vous,  vous  avez  reçu  du  Saint 
«  l'onction,  et  vous  connaissez  toutes  choses  K  »  S.  Athanase  et 
S.  Cyrille  enseignent  donc  qu'il  y  a  en  Jésus-Christ  une  grâce 
qui  est  aussi  en  nous,  et  à  laquelle  il  nous  fait  participer.  Cette 
grâce,  il  la  donne  parce  qu'il  est  Dieu,  et  il  la  reçoit  parce  qu'il 
est  homme,  comme  nous  la  recevons  nous-mêmes  après  lui  et  de 
lui. 

Nous  lisons  dans  S.  Bernard  :  «  Le  Père  a  sacré  Jésus  d'une 
«  huile  de  joie,  d'une  matiière  beaucoup  plus  excellente  que  tous 
«  ceux  qui  participent  à  sa  gloire.  Il  l'a  sacré  et  envoyé  au 
a  monde  plein  de  grâce  et  de  vérité.  Il  l'a  sacré  pour  qu'il  en  sa- 
«  cràt  d'autres.  Tous  ceux  qui  ont  mérité  de  recevoir  de  sa  pléni- 
«  tude  ont  été  sacrés  par  lui.  Aussi  a-t-il  dit  :  L'Esprit  du  Sei- 
«  gneur  est  sur  moi,  parce  qu'il  m'a  oint;  il  m'a  envoyé  pour 
<i  annoncer  d'heureuses  nouvelles  à  ceux  qui  sont  pacifiques,  pour 
a  guérir  ceux  qui  ont  le  cœur  contrit,  pour  prêcher  la  liberté  aux 
«  captifs,  la  délivrance  aux  prisonniers,  et  pour  prédire  le  temps 
«  où  le  Seigneur  se  rendra  favorable  -.  »  Il  est  inutile  d'insister 
pour  faire  reconnaître,  dans  cette  plénitude  de  grâce  que  Jésus- 
Christ  a  reçue,  et  qu'il  daigne  partager  avec  nous,  une  grâce  dif- 
férente de  celle  que  l'union  hypostatique  confère,  par  elle-même, 
à  son  humanité.  Cette  grâce  d'union  n'est  pas  communicable  ;  elle 
appartient  en  propre  à  l'humanité  de  Notre-Seigneur  et  n'est  que 
pour  elle  seule. 

Lorsque  l'ange  Gabriel  annonça  à  Marie  qu'elle  enfanterait  le 
Sauveur,  il  lui  dit  :  «  La  chose  sainte  qui  naîtra  de  vous  :  »  Quod 
ex  te  nascetur  sanctum.  Pourquoi  cette  manière  extraordinaire 
de  s'exprimer,  sinon  pour  faire  entendre  que  la  sainteté  du  Fils 
de  Marie  serait  absolue  et  complète,  sous  tous  les  rapports  ?  Or, 
on  a  vu  que  la  sainteté  ne  peut  être  absolument  complète  et  très 
parfaite  sans  la  grâce  habituelle.  «  Ce  que  la  Vierge  a  conçu,  dit 

\.  Et  vos  unctionem  habetis  a  Sancto.  (/.  Joann.,  ii,  20.) 
2.  Quem  unxit  Pater  oleo  laetitix  prœ  consortibus  suis  ;unxil  et  misil  plénum 
gratix  et  verilatis.  Unxit  ut  ungeret.  Omnes  ab  eo  uncti  sunt,  qui  de  plenitu- 
dine  ejus  meruerunt  accipere.  Ideo  ait  :  Spiritus  Domini  super  me,  eo  quod 
unxerit  rne,  ad  annuntiandum  mansuetis  misit  me  :  ut  mederer  contritis 
corde,  ut  prsedicarem  captivis  indulgentiam,  et  clausis  apertionem,  ut  praedi- 
carem  annum  placabilem  Domino.  {Is.,  lxi,  1.  S.  Bernard.,  serm.  XVI  in 
Cantic,  ii.  13.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE   l'aME   DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         33o 

«  S.  Bernard,  fut  éminemment  saint,  et  par  la  sanctification  de 
«  l'Esprit,  et  par  l'union  avec  le  Verbe  K  » 

Il  faut  donc  regarder,  avec  Suarez  et  tous  les  théologiens, 
l'existence  de  la  grâce  habituelle  en  Notre-Seigneur  comme  une 
vérité  absolument  certaine  et  découlant,  par  une  conséquence  né- 
cessaire, des  principes  de  la  foi.  C'est  un  don  créé  et  inhérent  à 
son  âme.  Il  est  de  foi,  en  effet,  que  Tàme  de  Jésus-Christ  possède 
la  charité  inluse,  sans  laquelle,  dit  S.  Paul,  tout  le  reste  serait  de 
nulle  valeur  -.  Elle  est  le  partage  de  tous  les  justes,  et  nul  ne  la 
possède,  à  un  plus  haut  degré,  que  le  juste  par  excellence,  à  qui 
tous  les  autres  doivent  leur  justice.  Cette  charité,  qui  fait  les 
justes  et  les  saints,  n'est  pas  quelque  chose  de  transitoire  ;  ce  n'est 
pas  un  acte,  c'est  une  habitude,  une  qualité  que  Dieu  donne  à 
l'âme  et  qui  demeure.  C'est  de  cette  charité  que  parlait  le  divin 
Maître,  lorsqu'il  disait  à  ses  Apôtres  :  «  Si  vous  gardez  mes  com- 
«  mandements,  vous  demeurerez  dans  mon  amour,  comme  moi- 
«  même  j'ai  gardé  les  commandements  de  mon  Père,  et  je  de- 
«  meure  dans  son  amour  ^.  » 

C'est  elle  que  S.  Paul  souhaitait  et  demandait  par  d'ardentes 
prières,  pour  les  chrétiens  d'Éphèse.  «  Que  le  Christ  habite  par  la 
«  foi  dans  vos  cœurs,  disait-il,  afin  qu'enracinés  et  fondés  dans 
«  la  charité,  vous  puissiez  comprendre,  avec  tous  les  saints,  quelle 
«  est  la  largeur  et  la  longueur,  la  hauteur  et  la  profondeur,  et 
«  connaître  aussi  la  charité  du  Christ  qui  surpasse  toute  science  •*.  » 

La  dilection  dont  parle  le  divin  Maître,  la  charité  dont  S.  Paul 
fait  l'éloge  et  constate  la  nécessité  absolue  pour  quiconque  veut 
être  agréable  à  Dieu  dans  sa  personne  et  dans  ses  œuvres,  ces 
textes  nous  la  montrent  comme  une  grâce  que  Jésus-Christ  pos- 
sède et  qu'il  communiquée  ses  disciples.  Ce  n'est  pas  un  acte,  une 
opération;  c'est  quelque  chose  qui  demeure,  qui  habite  dans 
l'àme  et  ne  fait  plus  qu'un  avec  elle;  c'est  la  grâce  habituelle  que 

\.  Singulariter  sanctum  fuit  quod  Virgo  concepit  et  per  Spiritus  sanctifica- 
tionem,  et  per  \'crl)i  assiunptionem.  (In.,  serin.  IV  m  Carilir.) 

2.  Si  habuero  prophetiam....  charitatem  autem  non  habuero  nihil  siim,  etc. 
(7.  Cor.,  xiii,  1  et  seq.) 

3.  Si  praecepta  mea  servaveritis,  manebitis  in  dilectione  mea,  sicut  et  ego 
Patris  mei  praecepta  servavi.  et  maneo  in  ejus  dilectione.  (Jonnn.,  xv,  10.) 

4.  (Propter  quod  peto)  Christuin  habitare  per  fidem  in  cordibus  vestris  :  in 
charitate  radicati  et  fundati,  ut  possitis  comprehendere  cum  omnibus  sanctis, 
quse  sit  latitudo,  et  longitude,  et  sublimilas,  et  profundum  :  scire  et  superemi- 
nentem  scientiae  charitatem  Dei.  (Eplies.,  m,  17-19.) 


336         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

l'on  trouve,  même  chez  les  petits  enfants,  lorsqu'ils  ont  reçu  le 
baptême,  avant  qu'il  leur  soit  possible  de  faire  aucun  acte,  comme 
on  la  retrouve  chez  les  adultes  dont  elle  sanctitie  et  rend  méri- 
toires les  opérations. 

Cette  grâce  habituelle,  qui  est  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ^ 
ne  diffère  point,  par  son  espèce,  de  celle  qui  nous  sanctifie,  car  la 
charité  de  Jésus-Christ  est  la  même  que  la  nôtre  ;  elle  a  le  même 
objet  formel  qui  est  Dieu,  et  ne  trouve  sa  satisfaction  complète  que 
dans  la  possession  de  cet  objet.  Il  en  est  de  cette  grâce  comme  de 
la  vision  béatifique  et  de  la  lumière  de  la  gloire,  qui  sont  le& 
mêmes,  mais  à  des  degrés  dont  la  distance  est  incommensurable, 
pour  les  bienheureux  que  pour  l'humanité  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ. 

II  est  universellement  admis  que  l'âme  du  Verbe  incarné  fut  en- 
richie de  la  grâce  habituelle,  au  moment  même  de  sa  création  et 
de  son  union  avec  la  personne  du  Fils  de  Dieu. 

Ce  texte  du  prophète  Isaïe  semble  l'indiquer  :  «  Un  rejeton  sor- 
«  tira  de  la  racine  de  Jessé,  et  une  fleur  s'élèvera  de  sa  racine, 
«  et  l'Esprit  du  Seigneur  reposera  sur  lui.  »  Au  moment  donc  où 
la  bienheureuse  Vierge  fleurit,  pour  parler  comme  le  prophète,  en 
concevant  son  Fils,  l'Esprit  du  Seigneur  se  reposa  sur  lui  ;  un 
seul  et  indivisible  instant  vit  l'accomplissement  de  ce  double 
mystère.  La  raison  en  est  que  la  grâce  habituelle  fut  donnée  à 
l'âme  de  Notre-Seigneur,  à  cause  de  son  union  avec  le  Verbe,  et 
qu'il  convenait  qu'elle  la  possédât,  pour  être  vraiment  digne  de 
cette  union.  Il  était  donc  juste  que  l'union  n'existât  pas,  ne  fût-ce 
qu'un  moment,  sans  que  la  grâce  habituelle  fût  aussi  son  partage. 
L'âme  humaine,  que  le  Verbe  de  Dieu  avait  choisie  pour  en  faire 
sa  propre  âme,  ne  devait  être  privée  d'aucune  pefection  ;  or  c'est 
une  perfection  pour  une  âme  de  posséder  la  grâce  dès  son  origine, 
et  (luelque  chose  eût  manqué  â  l'âme  de  Jésus-Christ  si  la  grâce 
habituelle  ne  lui  avait  pas  été  infuse  en  même  temps  qu'elle  re- 
cevait l'existence. 

On  doit  reconnaître  cependant  que  la  grâce  habituelle  est  posté- 
rieure à  la  grâce  d'union,  en  ce  sens  que  celle-ci  est  la  cause  de 
celle-là,  mais  il  faudrait  se  garder  de  croire  que  la  grâce  habituelle, 
en  Noire-Seigneur,  procède  de  la  subsistance  incréée  du  Verbe,  ou 
qu'elle  est  un  résultat  physique,  pour  ainsi  parler,  de  son  union 
avec  la  nature  humaine.  C'est  un  don  qui  procède  tout  entier  de 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         337 

la  volonté  libre  et  de  la  toute-puissance  de  Dieu.  Par  l'union  hy- 
postatique,  la  nature  humaine  de  Notre-Seigneur  est  unie  à  la  per- 
sonne du  Verbe  pour  subsister  en  elle,  ce  qui  la  constitue  dans 
un  état  de  sainteté  qui  a  son  origine  dans  la  sainteté  du  Verbe  lui- 
même;  par  la  grâce  habituelle,  elle  entre  en  communication  in- 
time, non  plus  précisément  avec  la  personne  du  Fils  de  Dieu, 
mais  avec  la  nature  divine.  Ce  sont  donc  deux  grâces,  deux  sanc- 
tifications parfaitement  distinctes,  complètes  chacune  en  son  genre, 
et  dont  la  dignité  suprême  du  Verbe  incarné  réclame  l'existence 
simultanée  dans  sa  nature  humaine.  La  première  était  nécessaire, 
et  l'on  ne  conçoit  pas  que  le  mystère  de  l'Incarnation  eût  pu  s'ac- 
complir sans  la  sanctification  de  la  nature  humaine,  à  laquelle  le 
Verbe  s'unissait.  La  seconde  ne  l'était  pas  d'une  manière  absolue, 
et  ne  découlait  pas  invinciblement  de  l'union  hypostatique  ;  mais 
sa  convenance  était  telle  qu'elle  équivalait  à  une  nécessité,  et  l'on 
peut  dire  que  la  nature  humaine  aurait  manqué  de  Tun  des  élé- 
ments qui  constituent  son  intégrité  en  Jésus-Christ,  si  elle  en 
avait  été  absente.  Elle  est,  en  quelque  manière,  naturelle  à  la  per- 
sonne du  Fils  de  Dieu  fait  homme. 

Outre  la  grâce  habituelle,  l'âme  humaine  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  reçut-elle  aussi  de  Dieu  la  grâce  actuelle,  pendant  sa 
vie  mortelle  au  milieu  de  nous?  Pour  répondre  à  cette  question  il 
faut  remarquer  d'abord  que  la  grâce  actuelle  a  un  double  objet  : 
tantôt  elle  excite  et  tantôt  elle  aide  à  agir;  tous  les  secours  parti- 
culiers que  Dieu  nous  accorde,  dans  l'ordre  surnaturel,  peuvent 
se  rattacher  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux  fonctions  de  la  grâce 
actuelle.  Il  faut  remarquer  encore  que  ce  double  secours  de  Dieu 
peut  nous  être  nécessaire,  soit  pour  opérer  le  bien  surnaturel, 
soit  pour  éviter  le  mal  ou  le  péché.  D'où  il  suit  que,  pour  l'accom- 
plissement des  actes  purement  naturels,  la  grâce  adjuvante 
ne  nous  est  pas  nécessaire  :  la  nature  y  suffit.  Mais  pour  les  actes 
surnaturels  elle  nous  est  indispensable.  La  nature  ne  s'élève  pas 
au-dessus  d'elle-même  par  ses  propres  forces  :  il  lui  faut  un  se- 
cours d'un  ordre  plus  relevé.  Quant  à  la  grâce  excitante,  elle  est 
utile,  quelquefois  même  nécessaire  jusqu'à  un  certain  point  :  tout 
dépend  de  la  variété,  de  la  perfection,  de  la  multitude  des  actes 
surnaturels,  ou  même  purement  naturels,  qu'il  s'agit  d'accom- 
plir. 

La  grâce  actuelle  adjuvante  fut  nécessaire  à  l'âme  de  Notre-Sei- 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  22 


338         LA    SAINTE    EDCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

gneur  Jésus-Christ  sur  la  terre,  comme  elle  l'est  à  nous-mêmes, 
pour  accomplir  des  actes  surnaturels  proprement  dits.  Sans  elles 
les  actes  que  Notre-Seigneur  accomplissait  uniquement  en  vertu 
de  son  humanité,  comme  boire,  manger,  marcher,  dormir,  fussent 
demeurés  purement  naturels;  et,  si  nous  voulons  regarder  plus 
haut,  comment  son  intelligence  créée  aurait-elle  pu,  sans  un  se- 
cours surnaturel  de  la  grâce,  s'élever  jusqu'à  la  vision  de  Dieu, 
et  sa  volonté  créée,  jusqu'à  la  charité  parfaite?  Ce  sont  en  effet 
des  actes  essentiellement  surnaturels  et  la  nature  humaine,  môme 
en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  ne  peut  pas,  par  ses  propres  forces, 
accomplir  des  actes  pour  lesquels  elle  n'est  pas  faite.  Peut-être 
dira-t-on  que  la  présence  du  Verbe,  uni  à  l'âme  de  Jésus-Christ  et 
à  ses  puissances,  suppléait  amplement  à  ce  qui  pouvait  manquer 
du  côté  de  la  nature.  Il  n'en  est  rien.  La  nature  humaine  subsis- 
tait dans  la  personne  du  Verbe,  qui  lui  communiquait  une  dignité 
et  une  sainteté  sans  mesure;  mais  lorsque  cette  adorable  per- 
sonne agissait  en  vertu  de  son  humanité,  ses  actes  étaient,  par 
eux-mêmes,  des  actes  purement  humains,  comme  nos  actes  cor- 
porels sont  purement  corporels,  bien  que  commandés  et  réglés 
par  notre  intelligence.  Tl  fallait  quelque  chose  de  plus;  il  fallait 
une  grâce  particulière  par  laquelle  la  divinité  de  Notre-Seigneur 
venait  en  aide  à  son  humanité,  pour  que  tout  ce  qui  procédait  di- 
rectement de  la  nature  humaine  fût  élevé  à  l'ordre  surnaturel. 

Il  n'en  fut  pas  de  môme  de  la  grâce  excitante.  L'âme  de  Notre- 
Seigneur,  unie  au  Verbe  divin  et  jouissant  de  la  vision  intuitive 
de  Dieu,  n'avait  besoin  ni  d'être  éclairée  sur  ses  devoirs  ni  d'être 
poussée  à  les  remplir.  Les  lumières  infinies  qu'elle  puisait  dans  le 
sein  de  Dieu  même  et  l'amour  sans  bornes  dont  elle  était  embra- 
sée suffisaient  à  tout.  On  pourrait  dire,  en  théorie,  que  la  grâce 
excitante  eût  été  nécessaire  à  l'âme  de  Notre-Seigneur,  s'il  n'avait 
pas  joui,  dès  son  premier  moment,  delà  vision  béatifique  de  Dieu; 
elle  aurait  eu  besoin  alors  d'être  excitée  au  bien,  comme  elle  avait 
besoin  d'un  secours  particulier  pour  surnaturaliser  ses  actes.  Mais 
l'état  auquel  elle  fut  tout  d'abord  élevée  rendait  un  tel  secours  par- 
faitement inutile. 

Concluons  donc  qu'en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  pendant  sa 
vie  mortelle,  il  faut  reconnaître,  comme  en  nous-mêmes,  mais  à 
un  degré  infiniment  plus  parfait,  la  grâce  habituelle  qui  fait  de 
nous  des  saints,  et  la  grâce  actuelle  qui  surnaturalise  nos  actes, 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE   l'aME   DE    N.-S.    DANS    l'eL'CHARISTIE.         339 

et  les  rend  dignes  des  récompenses  célestes.  Et  maintenant  qu'il 
règne  dans  la  gloire  des  cieux,  assis  à  la  droite  de  son  Père;  main- 
tenant que,  par  une  merveille  incompréhensible  de  son  infmie 
bonté,  nous  le  possédons  sur  nos  autels  et  dans  nos  tabernacles, 
voilé  sous  les  espèces  eucharistiques,  toutes  ces  grâces,  il  les  pos- 
sède encore,  mais  telles  qu'elles  conviennent  à  son  état  glorieux. 
Il  en  est  pour  nous  le  trésor  inépuisable,  la  source  toujours  jaillis- 
sante. Et  c'est  en  son  très  saint  et  très  adorable  Sacrement  qu'il 
nous  invite  à  les  lui  demander.  Heureux  ceux  qui  entendent  sa 
voix  et  qui  n'endurcissent  pas  leurs  cœurs  :  Hodie  si  vocem  ejus 
audieritis,  nolite  obdurare  corda  vestra  ! 

III. 

DONS    DU    SAIXT-ESPRIT   ET   AUTRES    DONS    SPIRITUELS    CONFÉRÉS    A 
l'humanité   de    NOTRE-SEIGNEUR 

Les  dons  spirituels  et  surnaturels  que  l'Esprit  saint  distribue 
aux  membres  de  l'Église  de  Jésus-Christ  sont  divers  ^-.  La  multi- 
plicité des  dons  spirituels  repose  sur  l'individualité  des  esprits. 
Chaque  esprit  humain,  étant  un  être  distinct  de  tout  autre,  a  sa  vo- 
cation particulière,  et  par  conséquent  son  don  propre,  son  activité 
spéciale.  Nous  voyons  cette  individualité  se  manifester  d'abord 
dans  la  vie  naturelle.  Les  différences  des  sexes,  des  tempéraments, 
des  nationalités,  des  états,  des  vocations,  déterminent  autant  d'in- 
dividualités, et  ce  principe  ne  se  démontre  pas  seulement  dans 
ces  grandes  catégories,  mais  dans  chaque  individu  et  jusque  dans 
le  moindre  détail.  Chez  l'un  domine  l'intelligence,  chez  l'autre  la 
volonté,  chez  le  troisième  le  sentiment;  tantôt  l'intelligence  se 
révèle  par  sa  profondeur,  tantôt  par  sa  rapidité.  De  là  résultent  la 
richesse  de  la  vie,  l'abondance  et  la  diversité  des  dons  spirituels, 
auxquels  les  forces  naturelles  de  l'esprit  servent  de  base  et  de  sup- 
port. Car  il  ne  faut  pas  se  figurer  que  les  dons  spirituels  subsistent 
à  côté  des  capacités  naturelles,  indépendants  les  uns  des  autres, 
comme  une  seconde  série  de  facultés;  ce  sont  les  facultés  natu- 
relles et  originaires  elles-mêmes,  pénétrées,  vivifiées,  consacrées, 
sanctifiées  par  le  Saint-Esprit,  et  élevées  à  une  activité  qui  dé- 
passe le  mode  naturel.  Il  est  évident,  dit  S.  Thomas,  que  l'àme 

1.  Voir  Dicl.  cncyclop.  de  la  théol.  cctthoL,  art.  J)on  .ytirilucl. 


340         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VII. 

de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  était  mue  de  la  manière  la  plus 
parfaite  par  le  Saint-Esprit,  et  qu'elle  possédait  tous  ses  dons  au 
degré  le  plus  excellent  '. 

Parmi  ces  dons  spirituels  et  surnaturels,  il  en  est  sept,  particu- 
lièrement connus  sous  le  nom  de  dons  du  Saint-Esprit.  L'évêque 
les  demande  pour  tous  ceux  indistinctement  qu'il  confirme,  parce 
qu'ils  sont  utiles,  sinon  nécessaires  à  tous,  pour  mener  une  vie  vé- 
ritablement chrétienne  et  sainte.  Celui  qui  les  possède  est  rendu 
par  eux  plus  docile  à  suivre  les  impressions  et  les  inspirations  de 
l'Esprit  divin. 

Peut-être  pourrait-on  penser  que  Jésus-Christ  n'avait  pas  besoin 
de  ces  dons  particuliers,  lui  qui  possédait  toutes  les  vertus  au 
degré  suprême.  Mais,  dit  encore  S.  Thomas,  ce  qui  est  parfait  dans 
son  genre  n'en  reçoit  pas  moins  une  aide  utile  de  ce  qui  est  d'un 
ordre  plus  élevé  que  lui.  Les  vertus  qui  perfectionnent  les  puis- 
sances de  l'àme,  quelle  que  soit  leur  perfection  propre,  ont  besoin 
d'être  aidées  elles-mêmes  par  des  dons  qui  sont  d'un  ordre  supé- 
rieur ~. 

La  Sainte  Écriture  ne  nous  permet  pas  d'ailleurs  de  douter  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  n'ait  possédé  les  dons  du  Saint-Es- 
prit. C'est  de  lui  que  le  prophète  Isaïe  prononçait  cet  oracle  :  «  Il 
«  sortira  un  rejeton  de  la  racine  deJessé,  et  une  lïeur  s'élèvera  de 
tt  sa  racine.  Et  l'esprit  du  Seigneur  reposera  sur  lui  :  l'Esprit  de  sa- 
«  gesse  et  d'intelligence;  l'Esprit  de  conseil  et  de  force,  l'Esprit 
a  de  science  et  de  piété  ;  et  l'Esprit  de  la  crainte  du  Seigneur  le 
«  remplira  ^.  »  Théodore!  fait  cette  réflexion  :  «  Les  prophètes  re- 

1.  Proprie  sunt  (dona)  perfectiones  quaedam  polentiarum  animae,  secundum 
quod  sunt  natae  moveri  a  Spiritu  sancto.  Manifestum  est  autem  quod  anima 
Christi  perfectissime  a  Spiritu  sancto  movebatur  :  secundum  illud  Luc,  iv, 
Jésus  aulem  plenus  Spiritu  sancto  reyressus  est  a  Jordane,  et  agebalur  a  Spi- 
ritu in  desrrtum.  Unde  manifestum  est  quod  in  Christo  fueruntexcellentissime 
dona.  ((S.  TnoM.,  III  p.,  q.  vu,  art.  li.) 

■2.  Illud  quod  est  perfectum  secundum  ordinem  suœ  nalurae,  indiget  adju- 
vari  ab  eo,  quod  est  altioris  naturae  :  sicut  homo  quantumcumque  perfectus, 
indiget  adjuvari  a  Deo.  Et  hoc  modo  virtutes,  quse  perficiunt  potentias  ani- 
mae, secundum  quod  ducuntur  ratione,  quantumcumque  sint  perfectse,  indi- 
gent adjuvari  per  dona  quœ  perficiunt  potentias  animai  secundum  quod  sunt 
motsi  a  Spiritu  sancto.  (S.  Thom.,  III  p.,  q.  vu,  art,  !J  ad  I.) 

3.  El  egredietur  virga  de  radice  Jesse,  et  flos  de  radice  ejus  ascendet.  Et 
requiescet  super  eum  Spiritus  Domini  :  Spiritus  sapientiœ  et  intellectus;  Spi- 
ritus  consilii  et  fortitudinis  ;  Spiritus  scientiae  et  pietatis  ;  et  replebit  eum 
Spiritus  timoris  Domini.  [Is.,  i,  1-3.) 


PERFECTION   SOUVERAINE    DE    LAME   DE    N.-S.    DANS   l'eDCHARISTIE.         341 

<  curent  chacun  quelque  grâce  particulière  :  mais  toute  la  pléni- 
«  tude  de  la  divinité  habita  corporellement  en  Jésus-Christ,  et  son 
«  humanité  fut  en  possession  de  tous  les  dons  du  Saint-Esprit. 
«  Selon  la  parole  de  S.  Jean,  nous  recevons  tout  de  sa  pléni- 
«  tude  ^  »  Il  faut  dire  des  dons  du  Saint-Esprit  ce  qu'on  a  déjà  re- 
marqué à  propos  des  vertus.  Notre-Seigneur  les  a  reçus,  mais  de 
telle  sorte  qu'il  n'y  eût  rien  en  eux  qui  supposât  la  moindre  im- 
perfection. 

Dans  rénumération  qui  vient  d'être  faite  de  ces  dons,  d'après 
le  prophète  Isaïe,  ils  se  divisent  en  deux  classes.  Il  en  est  quatre 
qui  ont  pour  objet  de  perfectionner  l'intelligence  :  ce  sont  les 
dons  d'intelligence,  de  sagesse,  de  science  et  de  conseil  ;  les  trois 
autres,  la  crainte,  la  piété  et  la  force,  se  rapportent  à  la  vo- 
lonté. 

Si  le  texte  d'Isaïe  rapporté  plus  haut  n'était  pas  clair  et  expli- 
cite, si  les  Pères  n'avaient  pas  été  unanimes  à  l'interpréter  dans  le 
sens  que  nous  avons  dit,  on  pourrait  mettre  en  doute  que  l'âme 
de  Notre-Seigneur  ait  reçu  les  quatre  dons  de  sagesse  et  d'intelli- 
gence, de  science  et  de  conseil,  puisque  la  lumière  inlinie  qu'elle 
puisait  dans  son  union  avec  le  Verbe  de  Dieu  semblait  les  rendre 
tout  â  fait  inutiles,  et  élever  ses  facultés  intellectuelles  purement  hu- 
maines à  un  degré  tel  qu'il  ne  fût  plus  possible  d'y  ajouter  quelque 
chose  encore.  Pourquoi  donc  la  foi  nous  enseigne-t-elle  que  ces 
dons  furent  néanmoins  le  partage  du  Seigneur?  C'est  que  Jésus- 
Christ  devait  posséder,  comme  homme,  toutes  les  perfections  dont 
il  est  possible  à  la  nature  humaine  d'être  ornée.  Les  dons  que  nous 
avons  nommés  étaient,  en  Jésus-Christ,  de  la  même  espèce  qu'ils 
sont  en  nous,  et  ils  ne  se  confondaient  pas  avec  la  vision  béatifique, 
ni  avec  la  science  infuse  de  toutes  choses  qu'avait  reçue  l'âme  du 
Sauveur,  comme  ils  ne  se  confondent  pas  en  nous  avec  les  lumières 
de  la  foi  :  en  effet,  on  les  perd  en  perdant  la  grâce,  quoique  la  foi 
demeure,  et  on  les  conserve  au  ciel  quoique  la  foi  n'ait  plus  au 
ciel  de  raison  d'être  et  n'existe  plus.  D'autre  part,  aucun  de  ces 
dons  ne  suppose  une  imperfection  quelconque  en  Notre-Seigneur. 

1.  Prophetae  singuli  particularcm  quidem  frraliaiu  quaindain  acceperuiit  : 
in  ipso  autem  (Cliristo)  habitavit  tota  plénitude  divinitalis  corporaliter,  et  se- 
cundum  humanitatem  oinnia  spiritus  habuit  cbarismata.  Depleniludine  enim 
ipsius,  secundum  divinum  Joannem,  nos  omnes  accipimus.  (Tiieodoret.  in 
Js.,  XI,  2.) 


342         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II. —  CH.<P.  VII. 

Le  don  de  conseil  n'avait  pas  besoin,  pour  s'exercer,  qu'il  s'élevât 
en  Jésus-Christ  un  doute  ou  une  hésitation  sur  la  conduite  à  tenir  en 
diverses  circonstances  ;  il  suffisait  que  les  jugements  du  Seigneur 
fussent  particulièrement  inspirés  par  l'Esprit  de  Dieu  qui  était 
son  propre  Esprit,  et  par  conséquent  conformes  en  tout  à  la  pru- 
dence divine.  Les  trois  autres  dons  ne  supposaient  pas  davantage 
qu'il  y  eût  en  lui  quelques  ténèbres  à  dissiper  ;  mais  ils  étaient 
une  nouvelle  lumière  ajoutée  à.  celles  que  possédait  déjà  son  hu- 
manité sainte.  Ces  dons  n'étaient  pas,  pour  Jésus-Christ,  un  se- 
cours comme  ils  le  sont  pour  nous,  dont  la  foi  est  faible  et  les 
lumières  bornées,  mais  ils  étaient  une  perfection  s'ajoutant  à 
d'autres  perfections,  afin  qu'il  n'y  eût  rien  de  bon  dans  les  saints, 
qui  ne  se  retrouvât,  à  un  degré  incomparablement  plus  parfait, 
dans  leur  chef. 

Il  faut  en  dire  autant  des  dons  de  force,  de  piété  et  de  crainte. 
Il  est  de  foi  que  Jésus-Christ  les  posséda  ;  il  n'est  pas  moins  cer- 
tain que  ces  trois  dons  ne  supposaient  en  lui  aucune  imperfec- 
tion. Sans  doute  sa  volonté  humaine  avait  pour  règle  absolue  la 
volonté  de  son  Père,  c'est-à-dire  sa  propre  volonté  divine  ;  mais, 
comme  volonté  humaine,  rien  ne  s'opposait  à  ce  qu'elle  fût  en- 
richie de  dons  qui  ne  lui  étaient  pas  indispensables  mais  qui,  par 
leur  nature,  étaient  faits  pour  lui  faciliter  cette  obéissance  et  cette 
union  parfaite  à  la  volonté  divine.  Souvent,  dans  le  cours  de  sa 
vie  mortelle,  Jésus-Christ  eut  l'occasion  d'accomplir  des  actes  qui 
relèvent  de  la  vertu  de  force  :  pourquoi  cette  vertu  n'aurait-elle 
pas  été  accompagnée  en  lui  du  don  particulier  qui  porte  le  même 
nom?  Le  don  complète  la  vertu,  en  y  ajoutant  un  élément  nou- 
veau et  d'un  ordre  plus  élevé.  Puisque  Jésus  avait  la  vertu,  il 
convenait  au  moins  qu'il  eût  aussi  le  don.  De  même,  il  possé- 
dait la  vertu  de  piété;  les  actes  qu'il  en  faisait  étaient  infinis  en 
nombre  comme  en  perfection  :  pourquoi  le  don  de  piété  ne  se- 
rait-il pas  venu  apporter  son  appoint  de  perfection  et  de  mérite  à 
ces  actes  ? 

Le  don  de  crainte  du  Seigneur  offre  plus  de  difficultés,  lorsqu'on 
cherche  à  comprendre  comment  il  pouvait  se  trouver  en  Notre- 
Seigneur.  Mais  il  est  de  foi  que  l'âme  de  Jésus-Christ  en  était  re- 
vêtue, comme  des  autres  dons,  pourvu  qu'on  l'entende  en  un  sens 
qui  ne  suppose  aucune  imperfection  en  elle. 

Cette  crainte  de  Dieu  fut  en  Notre-Seigneur,  d'après  S.  Tho- 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eCCHARISTIE.         343 

mas  s  une  crainte  filiale.  Elle  n'avait  rien  de  commun  avec  celle 
qui  résulte  du  péché  commis  ou  du  châtiment  qui  doit  suivre,  puis- 
qu'il ne  pouvait  y  avoir  aucune  faute  en  Jésus-Christ  ;  mais  c'était 
la  crainte  révérentielle,  qui  s'adressait  toute  à  l'éminence  infinie 
de  la  majesté  divine.  C'est  ainsi  que  les  anges  craignent  Dieu  dans 
le  ciel.  Ils  n'ont  rien  à  redouter  de  lui  ;  ils  l'aiment  et  ils  savent 
qu'ils  en  sont  infiniment  aimés,  qu'ils  le  seront  éternellement; 
cependant  l'Église  dit  à  Dieu,  au  moment  d'entrer  dans  la  partie  la 
plus  sacrée  du  divin  sacrifice  :  «  Les  anges  louent  votre  Majesté 
a  suprême,  les  Dominations  l'adorent,  les  Puissances  la  craignent 
«  et  la  révèrent.  »  Les  esprits  célestes  reconnaissent  en  Dieu  la 
puissance  infinie  qu'il  possède  de  punir  le  mal  et,  parmi  les  autres 
grandeurs  de  Dieu,  ils  révèrent  cette  puissance,  quoiqu'ils  n'aient 
rien  à  en  redouter  :  c'est  dans  ce  respectueux  hommage,  rendu  à 
un  attribut  particulier  de  la  divinité,  que  réside  pour  eux  la 
crainte  de  Dieu,  et  que  résidait  aussi  celle  de  l'àme  humaine  de 
Notre-Seigneur.  Telle  est,  jusqu'à  un  certain  point,  la  crainte 
filiale,  qui  n'est  pas  autre  chose  qu'un  hommage  sincère  rendu  par 
les  enfants  à  l'autorité  que  leur  père  a  sur  eux. 

Cet  hommage  offert  par  l'humanité  du  Seigneur  à  la  puissance 
souveraine  de. son  Père,  pour  le  châtiment  des  coupables,  n'im- 
pliquait donc  en  lui  aucune  imperfection,  et  rien  ne  s'opposait  à 
ce  qu'il  reçût  le  don  de  crainte,  avec  les  autres  dons  du  Saint- 
Esprit  énumérés  par  le  prophète. 

Il  y  a  d'autres  dons  du  Saint-Esprit  qui  ne  sont  pas  accordés  à 
ceux  qui  les  reçoivent  directement  en  vue  de  leur  propre  salut, 
mais  bien  pour  qu'ils  puissent  travailler,  avec  efficacité,  à  l'édi- 
fication et  au  salut  des  autres.  Ces  dons  ne  sont  pas  le  partage  de 

1.  Timor  respicit  duo  objecta  ;  quorum  unum  est  malum  terribile  ;  aliud  est 
illud  cujus  potestate  malum  potest  inferri  ;  sicut  aliquis  limet  reprem,  in  quan- 
tum habet  occidendi  potestatem.  Non  autem  timeretur  ille  qui  potest  nocere, 
nisi  baberet  quamdam  eminentiam  potestatis  cui  de  facib  resisti  non  possit  : 
ea  enim  quee  in  promptu  baljcmus  repellere  non  timemus.  Et  sic  palet  quod 
aliquis  non  timetur  propter  suam  eminentiam.  Sic  i^nlur  dicendum  est  (juod 
in  Cbristo  fuit  timor  Dei,  non  quidem  secundum  quod  respicit  malum  punitio- 
nis  pro  culpa  ;  sed  secundum  quod  respicit  ipsam  divinam  eminentiam,  prout 
scilicet  anima  Christi  quodam  affectu  revcrcntiie  movcbatur  in  Deum  a  Spi- 
ritu  sancto  acta.  l'nde  [Ifebr.,  v,  7)  dicitur  quod  in  omnibus  exauditus  est 
pro  sua  rcverentio.  Ilunc  enim  affectum  reverenti»  ad  Deum  Christus,  secun- 
dum quod  bomo,  prœ  csetcris  babuit  pleniorem.  Et  idco  ci  attribuit  Scriptura 
plenitudinem  timoris  Domini.  (S.  TiiOM.,  111  p.,  q.  vu,  art.  0.) 


344         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VII. 

tous  indistinctement;  Dieu  les  répartit  comme  il  lui  plaît.  Ce  sont 
les  dons  spirituels  ou  surnaturels  entendus  au  sens  le  plus  strict. 

S.  Paul  parle  en  ces  termes  des  dons  spirituels,  dans  l'Épître 
aux  Romains  :  «  Comme  dans  un  seul  corps  nous  avons  beaucoup 
«  de  membres  et  que  tous  les  membres  n'ont  point  la  même  fonc- 
«  tion  :  ainsi,  quoique  nombreux,  nous  sommes  un  seul  corps  en 
«  Jésus-Christ,  étant  tous  en  particulier  les  membres  les  uns  des 
«  autres.  C'est  pourquoi,  comme  nous  avons  des  dons  différents 
«  selon  la  grâce  qui  nous  a  été  donnée,  que  celui  qui  a  reçu  le 
«  don  de  prophétie  en  use  selon  l'analogie  de  la  foi;  que  celui 
«  qui  est  appelé  au  ministère  s'y  applique  ;  que  celui  qui  a  reçu 
«  le  don  d'enseignement  enseigne  ;  que  celui  qui  a  le  don 
«  d'exhorter  exhorte  ;  que  celui  qui  fait  l'aumône  la  fasse  avecsim- 
«  plicité  ;  que  celui  qui  préside  soit  attentif;  que  celui  qui  exerce 
a  les  œuvres  de  miséricorde  les  exerce  avec  joie  *.  »  Dans  l'É- 
pître première  aux  Corinthiens,  il  reprend  le  même  enseignement 
sous  une  forme  un  peu  diftérente.  Il  dit  :  «  Il  y  a  des  grâces  di- 
«  verses,  mais  c'est  le  même  Esprit....  Or  à  chacun  est  donnée  la 
«  manifestation  de  l'Esprit  pour  l'utilité.  Car  à  l'un  est  donnée  par 
«  l'Esprit  la  parole  de  sagesse  ;  à  un  autre  la  parole  de  science, 
«  selon  le  même  Esprit  ;  à  un  autre  la  foi  par  le  même  Esprit; 
«  à  un  autre  la  grâce  de  guérir  par  le  même  Esprit;  à  un  autre  la 
«  vertu  d'opérer  des  miracles,  à  un  autre  la  prophétie  ;  à  un 
«  autre  le  discernement  des  esprits  ;  à  un  autre  le  don  des  lan- 
«  gués  ;  à  un  autre  l'interprétation  des  discours.  Or  tous  ces 
«r  dons,  c'est  le  seul  et  même  Esprit  qui  les  donne,  les  dislri- 
«  buant  à  chacun  comme  il  veut  '.  »  Enfin  il  y  revient  encore 
dans  l'Épître  aux  Éphésiens  3. 

On  peut  dire,  pour  résumer  la  doctrine  de  l'Apôtre,  que  ces  dons 
de  l'Esprit  saint  qu'il  distribue  aux  fidèles  comme  il  lui  plaît,  pour 
le  plus  grand  bien  de  tous,  sont  au  nombre  de  huit  principaux.  Ce 
sont  :  1°  Yapostolat,  ou  la  mission  de  l'apôtre;  2"  \di  prophétie,  ou 
le  don  de  dévoiler  les  choses  cachées  ;  3°  le  discernement  des  es- 
prits, probablement  pour  reconnaître  ce  qui  est  transmis  par  les 
prophètes;  4°  le  don  d"  enseignement  ;  5°  V  esprit  de  sagesse  qui 
transmet  les  idées  révélées  dans  leur  pureté  originelle  ;  6"  le  don 
de  science  qui  reconnaît  plus  directement  encore  ces  idées,  et  en 

1.  liom.,  XII,  4-10.  —  2.  /.  Cor.,  xii.  —  3.  Ephes.,  iv. 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    l'aME    DE   N.-S.    DANS    l'KUCHARISTIE.         345 

pénètre  le  sens  par  la  pensée  ;  T  le  don  de  gouverner,  pour  servir 
l'Église;  8"  le  don  des  miracles,  la  guérison  des  malades,  le  pou- 
voir de  parler  dans  des  langues  étrangères  et  de  les  interpré- 
ter. 

Ces  dons  surnaturels  étaient  plus  nécessaires,  dans  les  premiers 
temps  du  christianisme,  parce  qu'ils  étaient  la  preuve  la  plus  évi- 
dente de  sa  divinité,  et  servaient  à  le  propager  ;  ils  devinrent  plus 
rares  dans  la  suite,  parce  que  le  christianisme,  une  fois  fondé, 
pouvait  s'appuyer  sur  le  passé  et  se  fortifier  par  lui-même.  Ils 
n'ont  jamais  entièrement  cessé  dans  l'Église  et  ne  cesseront  ja- 
mais, parce  que  le  Saint-Esprit  n'a  pas  seulement  agi  dans  les 
premiers  temps,  mais  que,  suivant  la  promesse  de  Jésus-Christ, 
il  agira  dans  l'Église  jusqu'à  la  fin  des  siècles  ;  il  communiquera 
toujours  ses  dons,  dès  que  l'exigera  le  but  que  l'Église  doit  at- 
teindre, but  qui  n'est  autre  que  l'utilité  générale  des  fidèles,  ou 
dès  que  ces  dons  seront  nécessaires,  comme  autrefois,  pour  la  pro- 
pagation de  l'Évangile  et  la  gloire  de  Dieu. 

Il  est  manifeste  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  possédait  tous 
ces  dons  et  d'autres  encore  que  nous  ne  connaissons  pas,  et  qu'il 
les  possédait  de  telle  sorte  que  nulle  imperfection  n'en  résultât 
pour  sa  nature  humaine.  En  qualité  de  chef  de  l'Église,  il  ne  pou- 
vait manquer  d'aucune  des  perfections  qui  devaient  se  retrouver 
dans  ses  membres  '. 

Son  pouvoir  d'opérer  des  miracles  éclate  à  chaque  page  de  l'É- 
vangile. Nous  y  voyons  aussi  comment  il  enseignait  le  peuple,  et 
quelles  admirables  leçons  il  donnait  à  ses  apôtres  et  à  ses  autres  dis- 
ciples, comment  il  gouvernait  son  Église  naissante  et  comment  il 
établissait,  pour  toute  la  suite  des  siècles,  l'autorité  qui  devait  la 
régir.  Verbe  de  Dieu,  il  communiquait  à  son  intelligence  humaine 
une  science  parfaite,  qui  ne  pouvait  manquer  d'aucun  des  dons 

1.  Videtur  qiiod,  etc.  Sed  contra  est  quod  Augustinus  dicit  in  Epist.  ad  Dar- 
danum,  quod  sicut  in  capile  sunt  omnes  sensus,  ita  in  Cliristo  fuerunt  onines 
gratiae.  Respon.leo  dicendum,  quod  sicut  in  II*  p.  habitum  est,  gratiae  gratis 
datae  ordinantur  ad  fidei  et  spiritualis  doctrinae  manifestationem  :  oporlet 
enim,  qui  docet,  habereea,  per  quœ  sua  doctrina  inanifestetur  ;  alias  sua  doc- 
trina  esset  inutilis.  Spiritualis  autem  doctrinœ  et  lidei  primus  et  principalis 
doctor  est  Christus  :  secundum  illud  Ilohv.,  ii  :  Cum  initinm  arci'j)isscl  nuir- 
rari  per  Dominum,  ah  eis  qui  andienml,  in  nos  confirmoln  est,  contestante  J)eo 
signis,  et  jwrtentis,  etc.  Unde  manifestum  est  quod  in  Christo  excellentissime 
fuerunt  omnes  gratiae  gratis  datœ,  sicut  in  primo  et  principali  tidei  doctore. 
(S.  Thom.,  III  j).,  q.  VII,  art.  7.) 


346         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II»  PARTIE. LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

propres  à  la  rendre  plus  parfaite  encore.  Mais  justement,  à  cause 
de  cette  science,  on  pourrait  douter  s'il  posséda,  à  parler  stricte- 
ment, le  don  de  prophétie  '. 

Remarquons  d'abord,  avec  S.  Thomas,  que  le  nom  de  prophète 
est  donné  au  futur  Messie,  dans  l'Ancien  Testament.  Au  cha- 
pitre xviii''  du  Deutéronome  Moïse  dit  au  peuple  d'Israël  :  «  Le 
a  Seigneur  ton  Dieu  te  suscitera  un  Prophète  de  ta  nation,  et 
«  d'entre  tes  frères  2.  »  Dans  S.  Matthieu,  chapitre  xin%  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  dit,  en  parlant  de  lui-même  :  «  Un  prophète 
«  n'est  pas  sans  honneur,  si  ce  n'est  dans  sa  patrie  et  dans  sa  mai- 
«  son.  »  On  comprendra  que  le  nom  de  prophète  convienne  à 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  si  l'on  considère  en  quoi  précisément 
la  prophétie  consiste.  Pour  mériter  le  titre  de  prophète,  il  fautêtre 
du  nombre  des  hommes  vivant  encore  sur  la  terre,  ce  qui  fait 
qu'on  ne  le  donne  ni  à  Dieu,  ni  aux  anges,  ni  aux  saints  du  ciel, 
lors  même  qu'ils  révèlent  quelque  mystère  ;  il  faut  de  plus  connaître 
et  annoncer  à  ceux  au  milieu  desquels  on  vit,  des  faits  qui  ne 
peuvent  être  naturellement  connus  ni  de  celui  qui  les  révèle,  ni  de 

1.  Utrwn  in  Christo  fuerit  prophetia. —  Videtur  quod  in  Christo  non  fuerit 
prophetia,  etc. 

Sed  contra  est  quod  de  eo  praedicitur  [Deuter.,  xviii,  Vô)  :  Prophetam  susci- 
tahit  vobh  J)eus  de  fralrifnis  vestris;  et  ipse  de  se  dicit  (iV«///t.,  xiii,  !J7,  et 
Joann.^  iv)  :  Non  est  propheta  sine  honore  nisi  in  pat  n'a  sua. 

Respondeo  dicendum  quod  propheta  dicitur  quasi  procul  fans,  vel  procul 
videns  ;  in  quantum  scilicet  cognoscit  et  loquitur  ea  quae  sunt  procul  ab  homi- 
num  sensibus,  sicut  eliam  Augustinus  dicit  {contra  Faustum,  lib.  XVI,  c.  xviii). 
Est  autem  considerandum  quod  non  potest  dici  aliquis  propheta,  ex  hoc  quod 
cognoscit  et  annuntiatea  qute  sunt  aliis  procul,  cum  quibus  ipse  non  est.  Et 
hoc  inanifestum  est  secunduin  locum  et  secundum  teinpus.  Si  enim  aliquis 
in  Gallia  existens  cognoscerct  et  annuntiaret  aliis  in  Gallia  existentibus  ea 
quae  tune  in  Syria  agerentur,  prophelicum  esset;  sicut  Elisons  ad  Giezi  dixit 
{IV.  Jieg.,  m)  quomodo  vir  descenderat  de  curru,  et  occurrerat  ei.  Si  vero 
aliquis  in  Syria  existens,  ea  quœ  sunt  ibi  annuntiaret,  non  esset  propheticum. 
Et  idem  apparet  secundum  tempus.  Propheticum  enim  fuit  quod  Isaias  prae- 
nuntiavit,  quod  Cyrus  rex  Persarum  templum  Dci  esset  reaedificaturus,  ut 
palet  (y.s.,  xi.iv).  Non  autem  fuit  propheticum  quod  Esdras  hoc  scripsit,  cujus 
tempore  factum  est.  Si  igitur  Deus  aut  Angeli  vcl  etiam  beati  cognoscunt  et 
annuntiant  ea  quœ  sunt  procul  a  nostra  nolilia,  hoc  non  pertinet  ad  prophe- 
tiam;  quia  in  nuUo  nostrum  statum  attingunt.  Christus  autem  antepassionem 
nostrum  statum  attingebat,  in  quantum  non  solum  erat  comprehensor  sed 
etiam  viator.  Et  ideo  propheticum  erat,  quod  ea  quag  procul  erant  ab  aliorum 
viatorum  notilia,  et  cognoscebat  et  annuntiabat.  Et  hac  ratione  dicitur  in  eo 
fuisse  prophetia.  (S.  ïiiom.,  III  p.,  q.  vu,  art.  8.) 

2.  Prophetam  de  gente  tua  et  de  fratribus  tuis  suscitabit  tihi  Dominus  Deus 
tuus.  {Deuter.,  xvni,  lîi.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    L  EUCHARISTIE.         347 

ceux  à  qui  il  les  révèle,  soit  parce  qu'ils  s'accomplissent  en  des 
lieux  éloignés,  soit  parce  qu'ils  ne  doivent  s'accomplir  que  dans  un 
temps  futur.  Notro-Seigneur  Jésus-Christ  connaissait  toutes  choses, 
et  il  les  connaissait,  non  pas  tant  par  les  lumières  naturelles  de  son 
intelligence  humaine,  que  par  les  lumières  surnaturelles  et  divines 
qui  résultaient  pour  son  âme  de  l'union  hypostatique  avec  le  Verbe 
de  Dieu.  Souvent,  pendant  sa  vie  publique,  il  annonça  aux  Juifs  ou 
à  ses  disciples  des  faits  qui  ne  devaient  s'accomplir  que  plus  tard. 
On  ne  voit  donc  pas  pourquoi  le  titre  de  prophète  ne  lui  serait  pas 
donné,  et  pourquoi  on  refuserait  de  reconnaître  en  lui  le  don  de 
prophétie,  avec  les  autres  dons.  G'estsimplementun  fleuron  déplus 
à  la  couronne  de  perfections  qui  lui  appartiennent,  en  sa  qualité  de 
Christ  ou  de  Fils  de  Dieu  incarné. 

De  même,  on  ne  peut  lui  refuser  le  don  des  langues,  quoique 
l'on  ne  voie  pas  dans  l'Évangile  qu'il  en  eût  jamais  usé  ;  ni  le  don 
de  parler  avec  science  et  sagesse  :les  Juifs  eux-mêmes  admiraient 
en  lui  ce  don,  lorsqu'ils  disaient  :  «  Jamais  homme  n'a  parlé  comme 
«  cet  homme  •.  »  On  lit  de  même  dans  S.  Luc  :  «  Tous  lui  ren- 
«  daient  témoignage,  et  admiraient  les  paroles  de  grâce  qui  sor- 
«  taient  de  sa  bouche  ~.  »  Enfin  S.  Pierre  et  S.  Jean  lui  disaient  : 
«  Vous  avez  les  paroles  de  la  vie  éternelle  3.  s,  On  ne  peut  pas  lui 
refuser  davantage  le  don  de  la  foi  ou  de  la  confiance  en  Dieu,  qui 
opère  des  miracles  et  qui  obtient  tout  par  la  prière.  Lui-même 
nous  révèle  qu'il  possède  ce  don  au  degré  suprême,  lorsqu'il  dit  à 
son  Père  :  «  Je  vous  rends  grâces  parce  que  vous  m'avez  exaucé; 
a  pour  moi  je  sais  que  vous  m'exaucez  toujours  K  » 

Toutes  ces  grâces  et  toutes  celles  que  nous  ne  saurions  ni  nommer 
ni  connaître,  Jésus-Christ  les  posséda  d'une  manière  permanente; 
elles  étaient  en  lui  à  l'état  d'habitude  et  il  pouvait  en  user  en  tout 
temps  à  son  gré,  ce  qui  n'a  pas  lieu  pour  les  autres  hommes  fa- 
vorisés de  quelqu'un  de  ces  dons,  et  qui  n'en  peuvent  user  qu'avec 
mesure  et  dans  les  temps  où  l'inspiration  divine  les  y  porte.  Ce 
sont  pour  eux  des  éclairs  :  pour  Jésus,  c'était  l'irradiation  d'un  so- 
leil toujours  brillant  du  plus  magnifique  éclat.  L'Esprit  du  Seigneur 

1.  Nunquam  sic  loculus  est  hoino,  sicuthic  hoiiio.  [Jaann.,  vu,  M.) 

2.  Et  omnes  testimoniiim  illi  dabant  :  et  mirahanlur  in  verbis  gratiœ,  quae 
procedebant  de  ore  ipsius.  {Luc,  iv,  2''2.) 

3.  Verba  vitœ  îeternae  babes.  Ç/oann.,  vi,  CD.) 

4.  Pater,  j^ratias  ago  tibi,  quoniam  audisti  me.  Ego  autem  sciebam  quia 
semper  me  aiidis.  {Joann.,  xi,  tl,  ii2.) 


348         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  VII. 

reposait  sur  lui  et  demeurait  en  lui,  selon  la  parole  du  prophète  : 
Reqiiiescet  super  eiwi  Spiritus  Domini,  et  celle  de  l'Esprit  de 
Dieu  à  S.  Jean-Baptiste  :  «  Tu  verras  l'Esprit  descendre  sur  lui  et 
«  demeurer  :  »  Super  quem  videris  Spiritum  descendentem  et 
manentem  <.  Il  les  posséda  pendant  sa  vie  mortelle  :  il  les  possède 
encore  au  ciel  et  dans  la  Sainte  Eucharistie,  en  tout  ce  qu'ils  ont 
de  compatible  avec  sa  vie  glorieuse  ;  il  les  possède  afin  de  les  com- 
muniquer à  tous  ses  membres,  particulièrement  à  ceux  qui  ont  la 
vie  en  eux  parce  qu'ils  mangent  sa  chair  et  qu'ils  boivent  son  sang 
adorable,  au  Très  Saint  Sacrement. 

IV. 

GRACE    QUE    NOTRE-SEIGNEUR    JÉSUS-CHRIST    POSSÈDE,    EN    QUALITÉ 
DE    CHEF    DES    ANGES    ET    DES    HOMMES 

S.  Paul  dit,  en  parlant  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  que 
«  Dieu  a  mis  toutes  choses  sous  ses  pieds,  et  qu'il  l'a  établi  chef 
«  sur  toute  l'Église  qui  est  son  corps  -.  »  Il  dit  aussi,  en  s'adres- 
sant  aux  fidèles  de  Colosses  :  «  En  lui  toute  la  plénitude  de  la  divi- 
«  nité  habite  corporellement,  et  vous  êtes  remplis  en  lui,  qui  est 
«  le  chef  de  toute  puissance  et  de  toute  principauté  3.  »  Il  avertit 
de  même  les  Corinthiens  qu'ils  sont  les  membres  d'un  corps  dont 
Jésus-Christ  est  le  chef  ^  ou  la  tète. 

Pourquoi  ce  nom  de  tête  ou  de  chef  donné  à  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ? 

C'est  la  tète  qui  occupe  le  premier  rang  parmi  les  membres  du 
corps  humain;  c'est  elle  qui  l'emporte  en  perfection  sur  le  reste 
du  corps,  par  les  sens  auxquels  elle  sert  de  siège;  c'est  elle  qui 
gouverne  tout  le  corps  et  lui  communique  le  mouvement  et  la  vie. 
—  Il  en  est  de  même  pour  Jésus-Christ  et  pour  son  Église,  dont 
il  est  le  premier  membre.  Ajoutez  qu'il  ne  tient  pas  seulement  le 
premier  rang  dans  son  Église,  mais  dans  la  création  tout  entière. 
En  lui  seul  réside  la  plénitude  de  la  perfection  ;  ce  que  les  autres 
êtres  n'ont  qu'à  des  degrés  divers,  il  le  possède,  on  peut  dire,  sans 

\.  Joann.,  i,  33. 

2.  Omnia  suhjecit  sub  pedibus  ejus  :  et  ipsum  dédit  caput  supra  omnem 
Ecclesiam,  quîe  est  corpus  ejus   {Ephes.,  i,  22.) 

3.  In  ipso  inhabitat  omnis  plénitude  divinitatis  corporaliter,  et  estis  in  illo 
repleli,  qui  est  caput  omnis  principatus  et  potestatis.  [Coloss.,  ii,  U,  10.) 

4.  Nescitis  quoniam  corpora  vestra  membra  suntChristi.  {Cor.,  vi,  15.) 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    LAME    DE   N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         349 

mesure  et  plus  largement  à  lui  seul  que  tous  les  autres  ensemble  ; 
il  gouverne  tous  les  membres  de  son  Église  ou  plutôt  toute  la  créa- 
tion, et  son  action  bienfaisante  communique  la  vie  à  tout  ce  qui 
la  possède,  mais  principalement  la  vie  spirituelle,  aux  êtres  suscep- 
tibles de  la  recevoir  K 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  Dieu  ;  il  est,  à  ce  titre,  chef  et 
souverain  maître  de  toutes  choses,  et  tous  les  êtres  créés  tiennent 
de  lui,  avec  l'essence  et  l'existence,  tous  les  dons  naturels  ou  sur- 
naturels. Mais  il  faut  ajouter  que  la  dignité  de  chef  lui  appartient 
aussi  comme  homme;  non  pas  que  son  humanité  y  ait  droit  par 
son  unique  vertu,  mais  parce  que  sa  divinité  le  lui  communique, 
en  même  temps  qu'elle  donne  à  ses  œuvres  une  valeur  méritoire 
infinie.  L'homme,  en  Jésus-Christ,  est,  sous  tous  les  rapports,  le 
chef  et  la  vie  de  la  création  ;  mais  c'est  parce  que  la  divinité  unie  à 
l'humanité  élève  celle-ci  à  ce  degré  de  grandeur  et  de  vertu.  C'est 
parce  qu'il  est  Dieu,  en  même  temps  qu'il  est  homme,  que  tout 
genou  doit  fléchir  à  son  nom,  au  ciel,  sur  la  terre  et  jusque  dans 
les  enfers  ;  c'est  parce  qu'il  est  Dieu  qu'il  est,  comme  homme,  la 
source  universelle  de  la  grâce,  non  seulement  pour  les  hommes, 
mais  aussi  pour  les  anges. 

Quelques  théologiens  ont  dit  que  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  est 
bien,  dans  l'ordre  de  la  grâce  et  de  la  gloire,  le  chef  des  hommes, 
si  on  le  considère  dans  son  humanité,  mais  qu'à  ce  point  de  vue,  il 
ne  l'est  pas  des  anges.  Sans  doute  il  l'emporte  incomparablement 
sur  eux,  par  la  perfection  de  sa  grâce,  mais  il  ne  serait  pour  rien 

1.  Sicut  tota  Ecclesia  dicitur  unum  corpus  mysticum  per  siinilitudinem  ad 
naturale  corpus  hominis,  quod  secundum  diversa  membra  habet  diversos  ac- 
tus,  ut  Apostolus  docel  {fiom.,  xii,  et  /.  Cor.,  xii),  ita  Christus  dicitur  caput 
Ecclesiœ  secundum  similitudinem  humani  capitis.  In  quo  tria  possunius  con- 
siderare,  scilicet,  ordinem,  perfectionem  et  virtutem.  Ordinem  quidem  :  quia 
caput  est  prima  pars  liominis,  incipiendo  a  superiori.  Et  inde  est  quod  omne 
principium  consuevit  vocari  caput....  Perfectionem  autem,  quia  in  capite 
vifjTcnt  omnes  sensus,  et  interiores  et  exteriores,  cum  in  caîteris  meinbris  sit 
solus  tactus....  Virtutem  vero  quia  virtus  et  motus  cfeterorum  membrorum, 
et  gubernatio  eorum  in  suis  actibus,  est  a  capite,  propter  vim  sensilivain  et 
motivam  ibi  dominantem;  undc  et  reclor  dicitur  caput  populi....  Ha^c  aulem 
tria  competunt  Christo  spiritualiter.  Primo  enim  secundum  propinquitalom 
ad  Deum,  gratia  ejus  altior  est  et  prior,  etsi  non  tempore  ;  ([uia  oinnes  alii 
receperunt  gratiarn  per  rcspeclum  ad  graliam  ipsius....  Secundo  vcro  perfec- 
tionem liabet  quantum  ad  })lenitudinein  omnium  gratiarum....  Tertio  virtu- 
tem habet  intîuendi  graliam  in  omnia  membra  Ecclesiœ....  (S.  Thom.,  III  p., 
q.  VIII,  art.  \.) 


350         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11°  PARTIE.    —  LIVRE  II.    —  CllAP.  VII. 

dans  la  grâce  qu'ils  possèdent,  si  l'on  s'en  tenait  à  cette  opinion. 
Il  serait  bien  le  chef  des  anges  comme  il  est  celui  des  hommes, 
ainsi  que  l'enseigne  l'Apôtre,  mais  en  vertu  de  sa  seule  divinité. 
La  raison  qu'ils  en  donnent  est  la  dilïerence  entre  la  nature  angé- 
lique  et  la  nature  humaine.  Il  ne  convient  pas,  disent-ils,  que  le 
chef  et  les  membres  ne  soient  pas  homogènes.  Ils  ajoutent  que 
Jésus-Christ  n'a  pas  mérité  la  grâce  pour  les  anges. 

S.  Thomas  enseigne  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  bien  le 
chef  des  anges  '  et  des  hommes  -,  mais  il  ne  semble  pas  admettre 
que  ce  titre  lui  convienne  vis-à-vis  des  autres  créatures,  qui  ne 
sont  pas  susceptibles  de  la  grâce  spirituelle  ^. 

Une  troisième  opinion  considère  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
comme  chef  non  seulement  des  anges  et  des  hommes,  mais  de 
toutes  les  créatures.  Elle  s'appuie,  d'après  Suarez,  sur  des  textes 
d'Origène  et  de  S.  Hilaire. 

Une  première  vérité  que  personne  ne  met  en  doute,  parce  qu'elle 
est  exprimée  dans  la  Sainte  Écriture  de  la  manière  la  plus  for- 
melle, est  que  Jésus-Christ,  considéré  comme  homme,  est  le  véri- 
table chef,  la  tcHe  de  l'Église,  aussi  bien  de  l'Église  militante  que  de 

i.  Chrislus  est  caput  omnium  hominum,  sed  secundum  diverses  gradus. 
Primo  enim  et  principaliter  est  caput  eorum  qui  actu  uniuntur  sibi  per  glo- 
riam;  secundo  eorum  qui  actu  uniuntur  sihi  percharilalem  ;  tertio  eorum  qui 
uniuntur  sibi  per  fidem  ;  quarto  vero  eorum  qui  actu  sibi  uniuntur  solum  in 
potenlia,  nondum  reducta  ad  actum,  qute  tamen  est  ad  actum  reducenda  se- 
cundum divinam  pnedestinalionem  ;  quinlo  vero  eorum  qui  in  potentia  sunt 
sibi  unili,  qyae  nunquam  reducetur  ad  actum;  sicut  liomines  in  hoc  mundo 
viventes,  qui  non  sunt  pradestinati,  qui  tamen  ex  hoc  saeculo  recedentes, 
totaliter  desinunt  esse  meml)ra  Christi,  quia  jam  nec  sunt  in  potentia  ut 
Christo  uniantur.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  viii,  art.  3.) 

2.  Ubi  est  unum  corpus,  necesse  est  ponere  unuin  caput.  Unum  autem  cor- 
pus similitudinarie  dicitur  una  multitudo  ordinata  in  unum  secundum  dis- 
tinctes actus  sive  officia.  Manifostum  est  autem  quod  ad  unum  fînem,  qui  est 
gloria  divinae  fruitionis  ordinantur  et  homines  et  angeli.  Unde  corpus  Ecclesiae 
mysticum  non  soium  consistit  ex  hominibus  sed  etiam  ex  Angelis.  Totius 
autem  hujus  mullitudinis  Christus  est  caput  :  quia  propinquius  se  habet  ad 
Deum,  et  perfectius  participât  dona  ipsius,  non  solum  quam  homines,  sed 
etiam  quam  angeli,  et  de  ejus  influentia  non  solum  homines  respiciunt  sed 
etiam  angeli....  Et  ideo  Christus  non  solum  est  caput  hominum,  sed  etiam 
angelorum.  (Id.,  ibid.,  art.  4.) 

3.  Videtur  quod  secundum  corpora  communicamus  cum  brutis.  Si  ergo 
Christus  esset  caput  hominum  quantum  ad  corpora,  sequeretur  quod  etiam 
esset  caput  brutorum  animalium  :  quod  est  inconveniens.  Sed  conlra  dicen- 
dum  quod  corpus  animalis  bruti  nullam  habitudinem  habet  ad  animam  ratio- 
nalem,  sicut  habet  corpus  humanum.  Et  ideo  non  est  simile.  (lu.,  ibid.,  art.  2. 
Videtur  2  et  ad  2.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.  351 

celle  qui  règne  avec  lui  dans  le  ciel.  S.  Paul  le  dit  expressément 
dans  ce  texte  déjà  cité  de  l'Épître  aux  Éphésiens  :  «  Il  l'a  établi 
chef  sur  toute  l'Église  :  Ipsum  dédit  caput  supra  omnem  Eccle- 
siarn.  »  Et  pour  qu'on  ne  puisse  pas  douter  que  c'est  bien  de 
l'homme,  en  Jésus-Christ,  et  non  pas  du  Dieu  qu'il  parle,  il  a  soin 
de  dire  tout  d'abord  que  «  Dieu  l'a  ressuscité  des  morts,  qu'il  l'a 
«  placé  à  sa  droite  dans  les  cieux,  et  qu'il  a  mis  toutes  choses  sous 
«  ses  pieds  *.  »  En  effet,  ce  n'est  pas  comme  Dieu,  mais  comme 
homme,  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  été  ressuscité,  et  c'est 
à  son  humanité  et  non  pas  à  sa  divinité  que  toutes  choses  ont 
été  soumises.  N'était-il  pas  déjà,  par  sa  divinité,  souverain  Maître 
de  toutes  choses?  S.  Thomas  voit  une  allusion  à  l'humanité  du 
Christ  dans  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Il  a  mis  toutes  choses  sous 
«  ses  pieds.  »  Le  pied,  dit-il,  est  ce  qu'il  y  a  de  moins  élevé  dans 
l'homme;  c'est  par  ses  pieds  qu'il  touche  à  la  terre.  En  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ,  ce  qu'il  y  a  de  moins  élevé,  c'est  son  humanité 
sainte  qui  l'abaisse  jusqu'à  nous,  et  c'est  à  elle  que  Dieu  a  soumis 
toutes  choses.  Jésus-Christ  parle  de  cette  puissance  que  son  huma- 
nité a  reçue,  lorsqu'il  dit  dans  S.  Matthieu  :  «  Toute  puissance  m'a 
«  été  donnée  au  ciel  et  sur  la  terre.  »  Dans  l'Épitre  aux  Hébreux, 
nons  lisons  cette  remarque  de  l'Apôtre,  à  la  suite  du  texte  rapporté 
plus  haut  :  «  En  lui  assujettissant  toutes  choses,  Dieu  n'a  rien 
a  laissé  qui  ne  lui  fût  assujetti  ~.  » 
On  a  demandé  pourquoi  ce  nom  de  chef  ou  de  tête  donné  à 

1.  Operatus  est  in  Christo,  suscitans  illum  a  mortuis,  etconstituens  ad  dexte- 
ramsuam  incœlestibus....  Etomniasubjecit  subpedibus  eius.{Ephes.,i,-20,^2.) 

2.  Dicil  ergo  (Apostolus)  quod  respecta  totius  creaturse  habet  iiniversalem 
potestatem,  quia  Omnia  sub j ecit,  iicWïcei  Deus  Pater,  smô  pedibus  ej'iis,  llbi 
sciendum  quod  hoc  quod  dicit  :  Sub  pedibus,  potest  accipi  dupliciter.  Une 
modo,  ut  sit  locutio  tîgurativa  et  similitudinaria,  ut  scilicet,  per  hoc  detur 
intelligi,  quod  omnis  creatura  totaliter  est  subjecta  potestati  Christi.  lUud 
enim  est  a  nobis  omnino  subjectum,  quod  pedibus  conculcamus.  Kt  de  ista 
potestate  dicitur  :  Data  est  mihi  omnis  potestas  m  cœlo  et  in  terra  (Matth., 
xxviii,  48).  In  eo  enim  quod  ei  omnia  stibjiciimtur,  nihil  dimisit  non  subjec- 
tum ei  {Ifebr.,  ii,  8).  Alio  modo,  ut  sit  locutio  metaphorica;  nam  por  pedes 
inteUigilur  infirma  pars  corporis;  per  caput  vero  suprema.  Licet  autem  in 
Christo  divinitas  et  hunianitas  non  habeant  rationem  partis,  tamen  divinitas 
quae  est  supremum  in  Christo,  intelligiturper  caput  :  Caput  vero  C/irisii  Deus 
(/.  Cor.,  XI,  3)  ;  humanitas  vero,  quse  infima  est,  intelhgitur  per  pedes  :  Ado- 
rabimus  in  loco  ubi  steterunt  pedes  ejus  (Ps.  cxxxi,  7}.  Est  ergo  sensus,  quod 
omnia  creata,  non  solum  subjecit  Pater  Christo  in  quantum  est  Deus,  oui  ab 
aeterno  omnia  sunt  subjecta,  sed  etiam  humaiiitati  ejus.  (S.  Thom.,  Comment. 
in  Epist.  ad  Ephes.,  cap.  i,  lect.  8.) 


352         LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*'  PARTIE.  —  LIVPE  H.   —  CIIAP.  VII. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  plutôt  que  celui  de  cœur.  Le  cœur 
est  aussi  un  membre  principal  du  corps  humain;  lui  aussi  répand 
et  fi\it  circuler  la  vie  dans  tous  les  membres.  Rien  de  grave  ne 
s'opposerait,  au  fond,  à  ce  qu'on  donnât  au  Fils  de  Dieu  fait  homme 
le  nom  de  cœur  de  l'Église,  de  cœur  de  l'humanité  ou  du  monde 
créé  ;  mais  celui  de  chef  convient  mieux,  parce  que  c'est  la  tête  qui 
domine  extérieurement  dans  le  corps  humain  et  queson  action  est. 
très  apparente,  grâce  aux  sens  dont  elle  est  le  siège  principal  ;  tandis 
que  l'action  du  cœur  est  plus  intime  et  plus  cachée.  Elle  rappelle 
davantage  celle  du  Saint-Esprit,  dans  nos  âmes  et  dans  l'Église; 
c'est  pourquoi  le  nom  de  cœur  de  l'Église  conviendrait  mieux  à  ce 
divin  Esprit  '. 

Une  autre  question  :  Jésus-Christ  est-il  chef  non  seulement  par 
son  âme  mais  aussi  par  sa  chair?  sa  dignité  de  chef  s'étend-elle  non 
seulement  aux  âmes,  mais  aux  corpsdes  hommes,  et  principalement 
des  membres  de  son  Église. 

La  réponse  est  aisée.  Jésus-Christ  est  notre  chef  aussi  bien  par 
sa  chair  que  par  son  àme,  et  il  possède  cette  dignité,  non  seule- 
ment vis-à-vis  des  âmes  mais  aussi  des  corps.  En  effet,  l'âme  du 
Sauveur  ne  contribua  pas  seule  à  notre  rédemption  ;  la  chair  y  fut 
pour  une  grande  part  :  les  souffrances  corporelles  se  joignirent  aux 
souffrances  morales,  qui  méritèrent  pour  nous  des  grâces  si  abon- 
dantes. D'autre  part,  les  grâces  que  Jésus-Christ  communique,  en 
qualité  de  chef,  à  tous  ceux  qui  dépendent  de  lui  n'agissent  pas 
toutes  directement  sur  les  âmes;  souvent  elles  ont  pour  objet  d'a- 
paiser les  passions  dont  la  chair  est  le  siège;  elles  déposent  dans 
nos  corps  mortels  le  germe  de  la  gloire  future  ~. 

1.  Caput  habet  manifestam  eminentiam  respecta  cœterorum  exleriorum 
membrorum  ;  sed  cor  habet  quamdam  influentiam  occultam.  Et  ideo  cordi 
comparatur  Spirilus  sanctus,  qui  invisibiliter  Ecclesiam  vivificat  et  unit;  ca- 
piti  autem  comparatur  ipse  Christus  secundum  visibilem  naturam,  secundum 
quam  homo  hominibus  praeferlur.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  viii,  art.  1  ad  3.) 

2.  Dicendum  est  quod  habet  vim  influendi  humanitas  Christi,  in  quantum 
est  conjuncla  Dei  Verbo,  cui  corpus  unitur  per  animam,  ut  supra  dictum  est. 
Unde  tota  Christi  humanitas,  secundum  scilicet  animam  et  corpus,  influit  in 
homines  et  quantum  ad  animam,  et  quantum  ad  corpus  :  sed  principaliter 
quantum  ad  animam,  secundario  quantum  ad  corpus.  Uno  modo  in  quantum 
membra  corporis  exhibentur  arma  justitiœ  in  anima  existenti  per  Christum, 
ut  Apostolus  dicit  [Roman.,  vi).  Alio  modo  in  quantum  vita  gloriae  ab  anima 
derivatur  ad  corpus,  secundum  illud  Roman.,  viii  :  Qui  suscitavit  Christum 
Jesum  a  mortuis,  vivificabit  et  mortalia  corpora  vestra,  propter  inhabitantem 
Spiritum  ejus  in  vobis.  (S.  Thom.,  III  p.,  q.  viii,  art.  2.) 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    l'aME    DE    N.S.    DANS    l'eUCHARISTIE.  353 

Les  textes  apportés  plus  haut  prouvent  suffisamment  que  Jésus- 
Christ  est  le  chef  de  l'Église,  vérité  que  personne  d'ailleurs  ne  met 
en  doute;  mais,  en  même  temps  qu'il  est  le  chef  de  l'Église,  l'est- 
il  aussi  de  tant  d'hommes  qui  n'en  font  partie  à  aucun  titre,  des 
infidèles,  des  enfants  morts  sans  baptême  et  des  damnés? 

Jésus-Christ  fait  partie  de  l'humanité;  il  en  est  le  premier 
membre,  le  membre  le  plus  éminent;  c'est  à  cause  de  lui  que  tout 
le  reste  existe.  Rien  donc  de  ce  qui  fait  partie  de  l'humanité  ne  peut 
lui  être  étranger  ;  toutes  les  créatures  humaines,  quelles  qu'elles 
soient,  ont  en  lui  leur  chef,  mais  toutes  ne  sont  pas  reliées  à  ce 
chef  sacré  de  la  même  manière.  Plusieurs  se  refusent  à  recevoir 
la  vie  qu'il  voudrait  leur  communiquer;  plusieurs,  voulussent- 
elles  en  profiter,  ne  le  peuvent  pas  :  ce  sont  des  membres  morts, 
des  branches  que  la  sève  de  l'arbre  ne  saurait  plus  vivifier. 

L'ensemble  de  l'humanité  comprend,  au  premier  rang,  les  bien- 
heureux du  ciel  :  ce  sont  les  membres  glorieux  de  notre  divin 
chef.  Après  eux,  les  âmes  du  purgatoire  :  ce  sont  les  membres 
souffrants  ;  membres  assurés  de  la  gloire  céleste  qui  deviendra  leur 
partage  aussitôt  que  la  souffrance  les  aura  suffisamment  purifiés, 
pour  être  admis  à  la  vision  béatifique.  Viennent  ensuite  les  fidèles 
de  la  terre  qui  ont  le  bonheur  d'être  en  état  de  grâce,  qu'ils  soient 
ou  qu'ils  ne  soient  pas  prédestinés  à  la  persévérance  finale  et,  par 
suite,  au  bonheur  éternel.  Pour  ces  diverses  catégories  de  membres 
de  l'Église,  il  n'y  a  pas  de  difficulté  :  tous  ont  Jésus-Christ  pour 
chef,  et  tous  vivent  de  sa  vie.  Ils  sont  les  branches  de  la  vigne  et  sa 
sève  généreuse  circule  en  eux,  quoique  avec  plus  ou  moins  d'a- 
bondance. Les  pécheurs  eux-mêmes,  qui  ont  reçu  le  baptême,  ont 
Jesus-Christ  pour  chef;  sa  grâce  a  pénétré  leurs  âmes,  et  leur  chair 
a  été  consacrée  par  la  réception  de  ses  sacrements.  Ils  sont  indi- 
gnes de  lui,  mais  ils  ne  sauraient  lui  devenir  étrangers;  tant 
qu'ils  sont  sur  la  terre,  la  possibilité  de  sentir  de  nouveau  sa  vivi- 
fiante influence  ne  leur  est  pas  enlevée. 

Mais  les  infidèles  appartiennent-ils  aussi  à  Jésus-Christ  comme 
à  leur  chef? 

Ils  ne  sont  pas  membres  de  Jésus-Christ,  puisqu'ils  n'ont  pas 
la  foi  et  n'ont  pas  reçu  le  baptême.  Cependant  le  Seigneur  ne  les 
délaisse  pas  entièrement;  il  les  appelle  à  la  foi  ;  il  les  porte  par  sa 
grâce  à  quelques  bonnes  œuvres;  il  les  retient  pour  qu'ils  ne  s'en- 
foncent pas  aussi  profondément  dans  la  corruption  qu'ils  le  feraient 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  T     IV.  23 


354         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.   —  LIVRE  11.  —  CHAP.  VII. 

sans  un  tel  secours;  même  les  petits  enfants,  dans  le  sein  de  leurs 
mères,  profitent  indirectement  des  grâces  accordées  à  celles-ci  en 
vue  de  leur  maternité.  Ni  ces  petits  enfants,  ni  les  infidèles  qui 
ont  atteint  l'âge  de  raison,  ne  sont,  à  proprement  parler,  les 
membres  de  Jésus-Christ;  cependant  ils  le  sont  en  quelque  ma- 
nière et  ils  agissent  en  cette  qualité,  lorsqu'ils  correspondent  à 
quelqu'une  des  grâces  que  Dieu  ne  refuse  pas  même  à  ses  ennemis 
les  plus  endurcis. 

On  peut  aller  plus  loin  encore  et  dire  que  Notre-Seigneur  est  le 
chef  des  damnés  eux-mêmes,  en  ce  sens  qu'ils  appartiennent  à 
l'humanité,  et  que  l'humanité  tout  entière  doit  reconnaître  qu'elle 
lui  doit  tout,  qu'il  est  le  premier  de  tous  les  hommes.  Mais  si  les 
malheureux  qui  sont  dans  l'enfer  doivent  fiéchir  le  genou  au  nom 
de  Jésus,  ils  ne  ressentent  plus  l'influence  de  sa  grâce;  ce  sont  des 
branches  mortes,  détachées  de  l'arbre,  et  livrées  au  feu  :  la  sève 
n'y  peut  plus  circuler.  Quant  aux  petits  enfants  morts  sans  la 
grâce  du  baptême,  Jésus-Christ  est  aussi  leur  chef  et  l'influence  de 
sa  grâce  s'étend  jusqu'à  eux,  sous  la  forme  des  dons  de  l'ordre 
naturel  qu'il  daigne  leur  accorder.  Nous  ne  parlerons  pas  des 
démons,  pour  qui  le  trésor  de  la  grâce  ne  saurait  s'ouvrir. 

Jésus-Christ,  considéré  dans  son  humanité,  n'est  pas  seulement 
le  chef  des  hommes,  comme  nous  venons  de  le  montrer,  mais  aussi 
des  anges.  S.  Paul  dit,  dans  TÉpître  aux  Éphésiens  :  «  Dieu  a 
«  exercé  la  puissance  de  sa  vertu  dans  le  Christ,  le  ressuscitant 
«  d'entre  les  morts,  et  le  plaçant  à  sa  droite  dans  les  cieux,  au- 
«  dessus  detoute  principauté,  detoutepuissance,  de  toute  vertu,  de 
a  toute  domination  et  de  tout  nom  qui  est  nommé  non  seulement 
«  dans  ce  siècle,  mais  aussi  dans  le  siècle  futur.  Et  il  a  mis  toutes 
«  choses  sous  ses  pieds  et  il  l'a  établi  chef  sur  toute  l'Église,  qui 
a  est  son  corps  et  le  complément  de  celui  qui  se  complète  entiè- 
«  rement  dans  tousses  membres  K  » 

C'est  bien  en  qualité  d'homme  que  Jésus-Christ  nous  est  ici  pré- 
senté par  l'Apôtre  comme  élevé  au-dessus  de  toute  principauté,  de 

i.  Secundum  operationem  potentiœ  virtutis  ejus,  quam  operatus  est  in 
Christo,  suscitans  illum  a  mortuis,  et  constituens  ad  dexteram  suam  in  cœles- 
libus,  supra  omnem  principatum  et  potestatem,  et  virtutem  et  doininationem, 
et  omne  nomen  quod  nominatur,  non  solum  in  hoc  saeculo,  sed  etiam  in  fu- 
turo.  Et  omnia  subjecit  sub  pedibus  ejus,  et  ipsum  dédit  caput  supra  omnem 
Ecclesiam  ;  quae  est  corpus  ipsius  et  plénitude  ejus  qui  omnia  in  omnibus 
adimpletur.  [Ephes.,  i,  19-23.) 


PERFECTION   SOUVERAINE    DE    l'aME   DE    N.-S.    DANS    L'eDCHARISTIE.         3o5 

toute  puissance,  de  toute  vertu  et  de  toute  domination.  Il  est,  par 
rapport  aux  esprits  célestes,  quelque  chose  que  ne  sont  pas  le  Père 
ni  le  Saint-Esprit  :  il  est  leur  chef,  et  le  chef  de  toute  l'Église, 
d'une  manière  qui  n'appartient  qu'à  lui  et  qui,  par  conséquent,  est 
propre  à  son  humanité.  Tel  est  l'enseignement  des  Pères  et  en 
particulier  de  S.  Augustin.  «  Notre  chef,  dit  cet  illustre  docteur, 
«  est  Jésus-Christ.  Nous  sommes  le  corps  de  ce  chef;  maissommes- 
«  nous  seuls  à  l'être?  Ceux  qui  ont  vécu  avant  nous  ne  le  sont-ils 
«  pas  ?  A  tous  les  justes  qui  ont  existé  depuis  le  commencement  du 
«  monde,  ajoutez  les  légions  et  les  armées  des  anges  :  tout  cela 
«  n'est  qu'une  seule  cité  sous  le  sceptre  d'un  seul  roi,  une  pro- 
«  vince  unique  gouvernée  par  un  seul  général  K  » 

La  raison  en  est  que  les  anges  et  les  hommes  ne  forment  ensem- 
ble qu'une  seule  Église,  une  république  spirituelle  dont  Jésus- 
Christ  est  le  chef  suprême,  à  qui  tous  ceux  qui  la  composent  doi- 
vent obéissance.  Il  est  le  chef  des  hommes  et  il  l'est  aussi  des  anges, 
qui  sont  ses  ministres  et  ses  serviteurs.  Nous  lisons  dans  l'Évangile 
qu'après  qu'il  eut  été  tenté  par  le  démon,  les  anges  s'approchèrent 
et  le  servirent.  S.  Paul,  parlant  des  anges  dans  l'Épître  aux  Hébreux, 
s'exprime  ainsi  :  «  Ne  sont-ils  pas  tous  des  esprits  chargés  d'un 
«  ministère,  et  envoyés  pour  l'exercer  en  faveur  de  ceux  qui  re- 
«  cueilleront  l'héritage  du  salut  -?  »  Dans  l'exercice  de  ce  minis- 
tère auprès  des  hommes,  c'est  à  Jésus-Christ,  homme,  qu'ils  obéis- 
sent, parce  qu'il  est  l'auteur  de  notre  salut,  et  que  c'est  à  lui  qu'ap- 
partient le  gouvernement  de  l'Église.  Ajoutons  que,  d'après  S.  Denys 
l'Aréopagite,  suivi  sur  ce  point  par  tous  les  théologiens,  l'humanité 
de  Notre-Seigneur  répand  dans  les  anges  des  grâces  d'illumination. 

De  plus  il  est  permis  d'admettre  que  les  anges  qui  ont  persévéré 
dans  le  bien  ont  dû  à  ses  mérites  cette  grâce  de  la  persévérance 
et  la  gloire  éternelle  qui  est  leur  récompense. 

Il  faut  dire,  enfin,  que  Jésus-Christ,  considéré  dans  son  huma- 
nité, est  le  chef,  non  seulement  des  anges  et  des  hommes,  mais 
aussi  de  toutes  les  créatures.  L'apôtre  S.  Paul  lui  donne  le  nom  de 

1.  Caput  nostrum  Christus  est,  corpus  capitis  illius  nos  sumus:  numquid 
soli  nos?  Et  non  etiam  illi  qui  fuerunt  ante  nos?  omnes  qui  ab  initio  saeculi 
fuerunt  justi,  adjunctis  etiam  legionibus,  et  exercilihus  angelorum,  ut  illae 
una  civitas  fiât  sub  une  rege,  et  una  provincia  sub  uno  imperatore.  (S.  Au- 
GUST.,  enarrat.  in  J's.  xxxvi,  serm.  III.) 

2.  Nonne  omnes  suiit  administratorii  spiritus,  in  ministerium  missi  propter 
eos  qui  hœreditatem  capienl  salutis  ?  [Ilebr.,  \,  1-4.) 


35G         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CllAP.    VII. 

Premier-né  de  toute  créature,  parce  que  nulle  autre  n'approche 
comme  lui  de  Dieu  ;  nulle  autre  ne  possède  une  dignité  compara- 
ble à  la  sienne.  Il  fut  le  premier  dans  la  pensée  de  Dieu,  le  premier 
dont  Dieu  résolut  l'existence  et  qu'il  prédestina  ;  sa  perfection 
l'emporte  incomparablement  sur  toute  perfection  créée  ;  c'est  à 
cause  de  lui  et  d'après  lui  que  tout  a  été  fait.  Mais  il  serait  difficile 
d'admettre  que  son  humanité  possède  quelque  influence  directe, 
qui  ne  pourrait  être  que  physique,  sur  les  êtres  inanimés  ou  sans 
raison  ;  il  n'y  a  pas  de  motif  sérieux  de  lui  reconnaître  une  action 
actuelle  et  réelle  sur  tous  ces  êtres  divers.  On  ne  voit  pas  ce  que  la 
dignité  de  son  humanité  adorable  y  pourrait  bien  gagner.  Si  donc 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le  chef,  la  tête  de  toutes  créatures, 
c'est  parce  que  toutes  choses  lui  sont  soumises  et  accomplissent  sa 
volonté.  En  ce  sens,  les  démons  eux-mêmes  lui  reconnaissent  cette 
dignité  et  ce  pouvoir.  On  peut  dire  encore  qu'il  a  droit  à  ce 
titre  parce  qu'il  peut  faire  à  chacun  des  êtres  existants  un  bien  en 
rapport  avec  sa  nature,  et  que  tous,  les  démons  et  les  damnés 
exceptés,  recevront  une  beauté,  une  splendeur  nouvelle,  au  jour 
de  la  résurrection  générale,  en  vertu  des  mérites  de  la  rédemption, 
selon  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  La  créature  attend  d'une  vive 
a  attente  la  manifestation  des  lilsde  Dieu,  dans  l'espérance  qu'elle- 
«  même,  créature,  sera  aflranchie  de  la  servitude  et  de  la  cor- 
«  ruption,  pour  passer  à  la  liberté  de  la  gloire  des  enfants  de 
«  Dieu  '.  » 

Il  est  temps  maintenant  de  voir  en  quoi  consiste  la  grâce  particu- 
lière qui  accompagne,  en  Notre-Seigneur,  pour  la  répandre  dans 
ses  membres,  la  dignité  de  chef  suprême  et  particulièrement  de 
chef  des  anges  et  des  hommes,  dignité  qui  se  confond  avec  celle 
de  rédempteur  et  de  sauveur. 

L'humanité  sainte  de  Jésus-Christ  agit  sur  ses  membres  capables 
de  subir  l'influence  de  la  grâce,  d'une  double  manière  :  d'abord 
elle  leur  communique  le  pouvoir  d'accomplir  des  actes  de  l'ordre 
surnaturel;  en  second  lieu, elle  leur  procure  quelque  part,  moyen- 
nant ces  actes,  aux  mérites  qu'il  a  acquis  lui-même  pendant  sa  vie 
mortelle. 

D'après  une  première  opinion,  la  grâce,  en  vertu  de  laquelle  le 

\.  Nam  expectatio  creaturœ  revelationem  fiiiorum  Del  expectat....  quia  et 
ipsa  creatura  liberabitur  a  servitute  corruptionis  in  libertatem  gloriae  fiiiorum 
Dei.  {Hom.,  viii,  49,  21.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS   l'eUCHARISTIE.         3S7 

Seigneur  agit  ainsi  sur  ses  membres,  serait  tout  à  fait  distincte  de 
la  grâce  d'union  et  de  la  grâce  habituelle.  Mais  cette  manière  de 
voir,  que  nul  théologien  sérieux  n'a  adoptée,  ne  repose  sur  aucun 
fondement.  En  effet,  la  grâce  qui  est  le  principe  du  mérite  n'est  pas 
autre  que  celle  en  vertu  de  laquelle  l'homme  est  sanctifié  et  agit 
selon  Dieu.  Le  mérite  est  même  impossible  pour  quiconque  n'est 
pas  en  possession  de  la  grâce  sanctifiante.  Nous  avons  vu  que  la 
grâce  qui  rend  sainte  l'humanité  de  Notre-Seigneur  est  d'abord  la 
grâce  d'union  hypostatique,  grâce  incommunicable  qui  l'élève  à  un 
degré  de  gloire  et  de  grandeur  presque  infini.  C'est  ensuite  la  grâce 
habituelle.  L'une  ou  l'autre,  ou  toutes  les  deux  ensemble,  suffisent 
bien  pour  que  l'humanité  du  Fils  de  Dieu  contribue,  à  son  tour, 
à  la  sanctification  des  membres  dont  elle  est  la  tète;  et  l'on  ne  voit 
pas  la  raison  pour  laquelle  il  faudrait  recourir  à  une  troisième. 

D'après  une  autre  opinion  généralement  admise,  et  que  S.  Tho- 
mas enseigne  en  propres  termes  ',  la  grâce  que  Jésus-Christ  com- 
munique à  ses  membres,  en  qualité  de  chef,  est  sa  propre  grâce 
personnelle,  celle  dont  il  a  reçu  la  plénitude  et  par  laquelle  son 
âme  a  été  justifiée;  la  grâce  en  vertu  de  laquelle  il  est  saint  est 
donc  la  même  par  laquelle  il  nous  sanctifie.  C'est  elle  qui  fait  de 
lui  le  chef  des  anges  et  des  hommes,  non  seulement  par  la  dignité 
mais  par  l'influence  qu'il  exerce.  Néanmoins,  si  elle  est  essentiel- 
lement la  même,  elle  s'en  distingue  par  l'application  qui  en  est 
faite  aux  créatures. 

On  a  dit  aussi  que  la  grâce,  en  vertu  de  laquelle  Jésus-Christ  est 
le  chef  dont  l'infiuence  se  répand  sur  les  créatures,  qui  sont  ses 
membres,  est  la  grâce  d'union.  S.  Thomas  semble  le  croire  lors- 
qu'il enseigne  que  Jésus-Christ  est  proprement  le  chef  de  l'Église, 
parce  que  lui  seul  peut  agir  intérieurement  sur  les  âmes  par  la 

{.  Sed  contra,  quod  dicitur  Joanti.,  i  :  De  pleniludine  ejiis  7ios  omnes  acce- 
pimiis.  Secundum  hoc  aulem  est  caput  nostrum  quod  ab  eo  accepimus.  Ergo 
secundum  hoc,  quod  habuit  plenitudinem  gratife,  est  caput  nostrum.  Plenitu- 
dinem  autem  gratis  hal)uit  secundum  quod  pcrfecte  fuit  in  illo  gratia  perso- 
nalis,  ut  supra  dictum  est.  Ergo  secundum  gratiam  personalem  est  caput 
nostrum,  et  ita  non  est  alia  gratia  capitis,  et  alia  gratia  personaUs. 

Dictum  est  autem  supra  quod  in  anima  Christi  recepta  gratia  secundum 
maximam  eminentiam,  et  ideo  ex  iihi  eminentia  gratia\  quam  accei)il,  com- 
pelit  sibi  quod  gratia  illa  ad  aliosderivetur  :  quod  perlinel  ad  rationcm  capitis: 
et  ideo  eadem  est  secundum  essentiam  gratia  jiersonaiis,  (|ua  anima  Christi 
est  justificata,  et  gratia  ejus  secundum  quam  est  caput  Ecdesia*,  jusliticans 
alios;  diflert  tamen  secundum  rationem.  (S.  Tiiom.,  111  j).,  (j.  viii,  art.  U.) 


358         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

grâce,  et  que  son  humanité  possède  la  vertu  de  conférer  la  justice, 
à  cause  de  son  union  avec  le  Verbe  i. 

Au  fond,  ces  deux  dernières  opinions  diffèrent  peu  ou  plutôt 
n'en  font  qu'une,  puisque  toutes  deux  s'appuient  sur  la  doctrine 
de  S.  Thomas  exposée  dans  deux  articles  qui  se  suivent  et  ne  font 
que  se  compléter.  La  grâce  d'union  hypostatique  suffit  pour  que 
Notre-Seigneur  sanctifie  ceux  qu'il  veut  justifier,  à  cause  de  son 
excellence  intrinsèque;  mais  la  grâce  habituelle  qui  est  en  lui 
participe  à  cette  vertu;  et  parce  qu'elle  a  plus  d'affinité  que  la 
première  avec  la  grâce  habituelle  qui  sanctifie  les  créatures,  elle 
est,  en  quelque  sorte,  l'intermédiaire  par  le  moyen  duquel  la 
grâce  d'union  produit  la  justification  et  communique  la  sainteté. 

On  pourrait  donc  distinguer  en  Notre-Seigneur  la  grâce  en 
vertu  de  laquelle  il  est  constitué  chef  de  toutes  les  créatures,  et 
sanctificateur  des  anges  et  des  hommes  à  ce  titre,  et  la  grâce  au 
moyen  de  laquelle  il  exerce  les  fonctions  afférentes  à  cette  dignité, 
seconde  grâce  qui  a  sa  source  dans  la  première.  Celle-ci  est  la 
grâce  incommunicable,  la  grâce  d'union;  celle-là  est  la  grâce 
habituelle  personnelle  à  notre  divin  Sauveur,  mais  dont  la  plé- 
nitude est  telle  qu'il  peut  être  donné  à  toute  créature  d'y  parti- 
ciper, d'une  manière  plus  ou  moins  large,  selon  que  sa  nature  le 
permet. 

Ajoutons  que  c'est  la  grâce  d'union  qui  donnait  aux  actes  de 
Notre-Seigneur  .lésus-Christ  la  vertu  de  mériter,  non  seulement 
pour  lui-même,  mais  aussi  pour  les  autres,  et  de  satisfaire  à  Dieu 
pour  leurs  péchés. 

0  Jésus,  notre  chef,  vous  êtes  tout-puissant  et  infiniment  bon! 
Voyez  combien  sont  grands  les  besoins  de  chacun  de  nous,  et 
voyez  les  tribulations  et  les  épreuves  de  toutes  sortes  de  votre 
sainte  Église.  Puisque  vous  daignez  habiter  au  milieu  de  nous, 
venez  à  notre  aide.  C'est  le  moment  de  montrer  votre  amour  pour 
les  hommes  et  votre  infinie  libéralité.  0  Dieu  de  l'Eucharistie, 
répandez  votre  grâce!  jamais  peut-être  elle  ne  fut  plus  nécessaire 

1.  Caput  in  alia  membra  influit  dupliciter.  Uno  modo,  quodam  intrinseco 
infliixu,  prout  scilicet,  virtus  motiva  el  sensitiva  a  capite  derivatur  ad  caetera 
membra.  Alio  modo  secundum  quamdain  exteriorem  gubernationem  :  prout 
scilicet  secimdum  visum  et  alios  sensus,  qui  in  capite  Vadicantur,  dirigetur 
homo  in  exterioribus  aclibus.  Interior  aulem  influxus  gratiae,  non  est  ab  aliquo, 
nisi  a  solo  Christo  :  cujus  bumanitas  ex  boc  quod  est  divinitati  conjuncta, 
babet  virlutem  justificandi.  (S.  ïhom.,  III  p.,  q.  viii,  art.  C.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE   l'aME    DE    N.-S.    DANS   l'eUCHARISTIE.         359 

au  monde.  Vous  êtes  notre  chef;  ne  délaissez  pas  vos  membres, 
tout  réfractaires  qu'ils  soient  à  la  grâce,  et  daignez  leur  infuser  la 
vie.  N'est-ce  pas  dans  ce  but  que  vous  demeurez  parmi  nous  au 
Très  Saint  Sacrement? 


V. 

GRANDEUR  ET  PERFECTION  DES  DIVERSES  GRACES  QUE  REÇUT  l'hUMANITÉ 
SAINTE    DU    FILS   DE    DIEU    INCARNÉ   POUR   NOUS 

La  grâce  en  vertu  de  laquelle  le  Verbe  de  Dieu  s'unit  à  la  nature 
humaine,  de  sorte  que  l'humanité  fût  la  nature  propre  de  celui 
qui,  tout  en  s'unissanl  à  elle,  ne  cessait  pas  d'être  ce  qu'il  était  de 
toute  éternité,  le  Fils  de  Dieu,  égal  en  tout  au  Père,  fut  évidem- 
ment une  grâce  inlinie.  Mais  faut-il  reconniùtre  la  même  infinité 
à  la  grâce  habituelle  et  aux  autres  dons  qui  furent  le  partage  de 
l'humanité  de  Notre-Seigneur  par  suite  de  l'union  hypostatique? 

D'après  S.  Thomas,  Scot,  la  presque  unanimité  des  théologiens 
et,  en  particulier,  Suarez  et  De  Lugo,  la  grâce  que  reçut  l'âme  de 
Notre-Seigneur,  en  outre  de  la  grâce  d'union,  ne  fut  pas  infinie. 
Elle  ne  le  fut  ni  dans  son  essence  ni  dans  la  mesure  selon 
laquelle  il  la  reçut. 

La  raison  en  est  que  cette  grâce  était  quelque  chose  de  créé, 
par  conséquent  de  fini,  et  que,  d'autre  part,  l'humanité  de  Notre- 
Seigneur  était  finie  elle-même,  ayant  été  créée.  Elle  ne  pouvait 
pas  communiquer  à  la  grâce  l'infinité  qu'elle  ne  possédait  pas 
elle-même.  Certainement,  si  l'on  pouvait  prouver  qu'une  grâce 
infinie,  autre  que  celle  de  l'union  hypostatique,  peut  exister,  il 
faudrait  admettre  qu'elle  fut  en  Jésus-Christ,  à  cause  de  la  dignité 
de  sa  personne,  même  si  elle  n'était  nullement  nécessaire  pour 
l'œuvre  de  la  rédemption.  Mais  on  ne  peut  pas  le  prouver,  tandis 
que  le  contraire  paraît  évident  '. 

\.  In  Christo  potest  duplex  ^'ratia  considerari.  Una  quidem  est  p:ratia  unio- 
nis  :  quœ  sicut  supra  dictum  est,  est  ipsum  uniri  personaliter  Filio  Dei, 
quod  est  gratis  concessum  humanœ  natura^  :  et  hanc  gratiam  constat  esse 
infinitain,  secundum  quod  ipsa  ])ersona  \erbi  est  infinita.  Alla  vero  est  gratin 
habitualis,  quce  quidem  potest  dupliciter  considerari.  l'no  modo  secundum 
quod  est  quoddam  eus.  Et  sic  necesse  est  quod  sit  ens  finilum;  est  enim  in 
anima  Chrisli  sicul  in  subjecto  :  Anima  autem  Christi  est  crealura  quaedam 
habens  capacilalem  finitam  :  unde  esse  gratiie  cum  non  excédât  suum  sub- 
jectum  non  potest  esse  infinitum.  (S.  Tiiom.,  Ill  p.,  q.  vu,  art.  i\.) 


360         LA    SAINTE   EDCHARISTIE.  —  11*  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  CHAP.  VII. 

Cependant  il  est  permis  de  dire,  dans  un  certain  sens,  que  la 
grâce  reçue  par  Notre-Seigneur  est  infinie,  parce  que  toute  autre 
grâce  s'y  rapporte  et  en  découle;  elle  est  comme  le  principe 
universel  de  toute  grâce  qui  puisse  être  accordée  à  la  nature 
humaine  selon  la  parole  de  l'Apôtre  :  «  Dieu  nous  a  donné  la 
«  grâce  en  son  Fils  bien-aimé.  »  Elle  n'est  pas  infinie  en  elle- 
même,  mais  elle  l'est  par  rapport  à  nous;  quelles  que  soient  les 
grâces  qui  en  jaillissent  pour  l'humanité,  jamais  cette  source  tou- 
jours débordante  ne  sera  épuisée  '.  S.  Thomas,  pour  faire  mieux 
comprendre  sa  pensée,  compare  la  grâce  de  Notre-Seigneur  â  la 
lumière  du  soleil  à  laquelle  rien  ne  manque  pour  être  parfaite 
comme  lumière,  et  qui  suffit  à  éclairer,  sans  s'épuiser  jamais, 
tout  ce  qu'elle  a  reçu  la  mission  d'éclairer. 

On  peut  dire  encore  que  la  grâce  de  Jésus-Christ  est  infinie,  â 
cause  de  sa  relation  intime,  de  son  union  avec  la  personne  du 
Verbe.  Les  œuvres  accomplies  par  le  Seigneur,  selon  son  huma- 
nité, avaient  un  mérite  infini,  â  cause  de  cette  union;  pourquoi  la 
grâce  ne  trouverait-elle  i)as  une  infinité  en  rapport  avec  son  mode 
d'être,  dans  cette  même  union  de  la  nature  humaine  pour  laquelle 
elle  est  faite,  avec  la  nature  divine?  D'autant  plus  que  la  grâce  habi- 
tuelle et  les  autres  dons  sont  bien  pour  quelque  chose  dans  l'ac- 
complissement et  la  perfection  des  œuvres  du  Sauveur,  quoique  la 
grâce  d'union  soit  la  source  première  de  laquelle  l'infinité  du 
mérite  découle. 

Une  autre  question  se  présente  maintenant.  La  grâce  de  l'huma- 
nité de  Notre-Seigneur,  infinie  lorsqu'on  la  considère  â  certain 
point  de  vue,  mais  cependant  finie  dans  la  réalité,  était-elle  telle- 
ment grande,  tellement  parfaite,  qu'il  lui  fût  impossible  d'être 
plus  parfaite  ou  plus  grande? 

1.  Alio  modo  poiest  considerari  secunduin  propriam  rationem  gratiae.  Et  sic 
gratia  Christi  potest  dici  intinila,  co  quod  non  limitatur  :  quia  scilicot  habet 
quidquid  ])ote.sl  perlinere  ad  rationem  gratiœ  :  et  non  datur  ei  secundum  pro- 
priam rationem  gratiae.  Et  sic  gratia  Christi  potest  dici  infinita,  eo  quod  non 
limitatur;  quia  scilicel  habet  quidquid  potest  pertinere  ad  rationem  gratiœ  : 
et  non  datur  ei  secundum  aliquam  certam  mensuram  id  quod  ad  rationem 
gratiae  pertinet  :  eo  quod  secundum  propositum  Dei,  cujus  est  gratiam  men- 
surare,  gratia  confertur  animœ  Christi,  sicut  cuidam  universali  principio 
gratificationis  in  humana  natura  :  secundum  illud  Ejthes.,  i  :  Gralificavil.  nos 
in  dilerto  l'ilio  suo.  Sicut  si  dicamus  lucem  solis  esse  infinitam  :  non  quidem 
secundum  se,  sed  secundum  rationem  lucis,  qui  habet  quicquid  ad  rationem 
lucis  pertinere  potest.  (lu.,  ibid.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'eUCHARISTIE.         361 

Il  y  a  deux  poin  ts  dont  conviennent  tous  les  théologiens  :  le  premier 
est  que  l'immensité  et  la  perfection  de  la  grâce  furent  si  grandes  en 
Jésus-Christ,  qu'il  n'en  existe  pas  et  qu'il  ne  peut  pas  en  exister 
d'égales,  selon  les  lois  ordinaires  de  la  providence,  ni  chez  les  anges 
ni  chez  les  hommes.  C'est  une  vérité  de  foi,  dont  la  preuve  se  trouve 
dans  de  nombreux  textes  de  la  Sainte  Écriture  et  des  Pères.  A  défaut 
de  ces  textes,  il  suffirait  de  cette  seule  considération,  que  le 
Christ  est  le  Fils  de  Dieu  selon  la  nature,  qu'il  est  le  chef  des 
hommes  et  des  anges,  et  que  son  âme  a  dû,  par  conséquent,  être 
plus  riche  et  plus  ornée  de  grâce  et  de  gloire  que  toute  autre  créa- 
ture. C'est  la  pensée  de  l'apôtre  S.  Jean  lorsqu'il  dit  :  «  Nous 
«  avons  vu  sa  gloire,  comme  la  gloire  que  le  Fils  unique  reçoit 
«  du  Père  :  Vidimus  gloriam  ejus,  gloriam  quasi  unigeniti 
«  a  Pâtre;  »  et  c'est  l'interprétation  que  donnent  de  ce  texte 
S.  Cyrille,  S.  Augustin  et  plusieurs  autres  Pères.  Voici  le  com- 
mentaire de  S.  Jean  Chrysostome  :  «  Mais  que  signifient  ces  pa- 
«  rôles  :  Sagloire,  comme  celle  duFils  unique  du  Père?  Plusieurs 
«  prophètes  ont  paru  tout  éclatants  de  gloire,  comme  iMoïse,  Élie, 
«  Elisée,  et  beaucoup  d'autres  encore  ont  été  illustrés  par  des 
a  miracles;  de  même,  les  anges  qui  se  sont  fait  voir  aux  hommes 
a  dans  la  lumière  et  la  splendeur  de  leur  nature,  et  non  seule- 
«  ment  les  anges,  mais  aussi  les  chérubins  et  les  séraphins  qui 
«  ont  apparu  au  prophète,  couverts  d'une  grande  gloire  :  mais 
a  rÉvaiigéliste  écartant  de  nous  toutes  ces  choses,  élevant  nos 
«  esprits  au-dessus  de  la  splendeur  et  de  la  gloire  des  créatures, 
«  et  des  autres  serviteurs  nos  compagnons,  nous  installe  au  comble 
«  même  des  biens  et  au  centre  de  la  gloire.  Ce  n'est  pas  la  gloire 
«  d'un  prophète,  ni  d'un  ange,  ni  d'un  archange,  ni  des  vertus 
«  célestes,  ni  d'aucune  autre  créature,  s'il  en  est,  que  nous  avons 
«  vue  :  mais  nous  avons  vu  la  gloire  du  Seigneur  même,  du  roi 
«  même,  du  vrai  Fils  unique  même,  de  celui  qui  est  le  Seigneur 
«  de  tous  les  hommes;  comme  si  l'Évangéliste  disait  :  Nous  avons 
«  vu  la  gloire  qui  convient,  qui  est  propre  au  vrai  et  à  runi(]ue 
«  Fils  de  Dieu,  roi  de  tout  l'univers  '.  » 

\.  Quasi  unigeniti  a  Patri',  quia  multi  prophetarum  irlorificati  sunt  :  puta 
Moyses,  Elias,  Elisteus  et  alii  multi,  quicumqiie  iniracula  ostciuloruul  ;  sed  et 
angeli  hoininibus  apparentes,  et  eam  quai  est  propri;e  natuive  coruscantem 
lucem  manifestantes  :  sed  et  Cherubim  et  Scraphim  cum  multa  gloria  visa 
sunt  a  propheta.  Ah  omnibus  bis  nos  abducens  evanj^elista,  et  supra  omnem 
naturam  et  conservorum  nostrorum  claritatem  erigens  mentem,  ad  ipsum 


362         L.\   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

Le  second  point  est  que  l'âme  de  Notre-Seigneur  est  la  seule  qui 
reçut  la  plénitude  de  la  grâce  dans  le  sens  le  plus  absolu  et  sans 
restriction  aucune.  S.  Jean  le  lait  entendre  par  ces  mots  qui  com- 
plètent le  texte  cité  plus  haut  :  «  Plein  de  grâce  et  de  vérité  »  : 
Plénum  gratiœ  et  veritatis.  Le  moV  plein  se  rapporte  grammati- 
calement â  Verbe,  dont  il  est  séparé  par  ce  membre  de  phrase  qui 
forme  parenthèse  :  «  Et  nous  avons  vu  sa  gloire,  comme  la  gloire 
«  que  le  Fils  unique  reçoit  du  Père.  »  Pour  qu'il  soif  impossible 
de  s'y  tromper  et  d'attribuer  cette  plénitude  à  Jean-Baptiste,  dont 
il  est  question  immédiatement  après,  l'évangéliste  y  revient 
presque  aussitôt  et  met  ces  paroles  dans  la  bouche  de  Jean-Bap- 
tiste lui-même  :  «  Et  nous  avons  tous  reçu  de  sa  plénitude  :  Et  de 
«  plenUitdine  ejus  nos  omnes  accepimus.  » 

Il  est  dit  de  plusieurs  saints  personnages  qu'ils  reçurent  la 
plénitude  de  la  grâce;  tels  furent  les  apôtres,  tel  fut  le  saint  diacre 
Etienne  qui  eut  l'honneur  de  verser  le  premier  de  tous  son  sang 
pour  affirmer  la  divinité  du  Sauveur;  l'ange  Gabriel  salua  Marie 
pleine  de  grâce  en  lui  annonçant  qu'elle  serait  la  Mère  du  Fils 
de  Dieu.  Mais  la  plénitude  môme  de  la  grâce  de  Marie  n'était 
que  relative.  Sans  doute,  il  convient  de  la  placer  à  un  degré 
incomparablement  plus  élevé  que  celle  des  apôtres  et  de  S.  Etienne, 
mais  elle  n'approchait  pas  de  la  plénitude  que  possédait  l'âme 
de  son  divin  Fils;  elle  n'était  qu'un  écoulement  de  cette  plé- 
nitude de  laquelle  les  apôtres  et  tous  les  saints  reçoivent  la 
grâce  qui  leur  est  mesurée.  La  mesure  qu'ils  en  reçoivent  peut 
être  aussi  grande  que  leur  être  borné  est  susceptible  d'en  recevoir, 
et  alors  on  peut  dire  qu'ils  sont  remplis  de  grâce.  Mais  un  vase 
étroit,  tout  rempli  qu'il  soit  d'un  parfum  précieux,  n'en  contient 
pas  autant  qu'un  autre  de  dimensions  plus  grandes.  La  plénitude 
de  grâce  en  Notre-Seigneur  fut  telle  que,  sans  diminuer  aucune- 
ment, elle  suffit  à  procurer  â  toutes  les  créatures  les  plus  favori- 
sées, même  â  la  bienheureuse  Vierge  sa  Mère,  une  abondance  de 
grâce  presque  incommensurable.  C'est  S.  Jean-Baptiste  qui  nous 
l'assure  lorsqu'il  dit  :  «  Nous  avons  tous  reçu  de  sa  plénitude.  » 

nos  bonorum  perdiixit  verticem.  Quasi  dicat  :  Non  ut  prophetse  aut  alterius 
hominis,  anfreli,  aut  archangeli,  aut  alicujus  superiorum  virtutum  est  gloria 
quarn  vidimus,  sed  quasi  ipsius  dominatoris,  ipsius  régis,  ipsius  naturalis 
FUii  unigeniti.  Ac  si  dicat  :  Vidimus  gloriam  qualem  dccebat  et  conveniens 
esthabere  unigenitumet  naturalem  Fiiium.  (S.  Chrysost,,  hom.  XII  inJoann.) 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE    l'aME    DE    N.-S,    DANS    l'eDCHARISTIE.         363 

On  peut  demander  encore  :  La  grâce  que  reçut  l'àme  de  Notre- 
Sei^neur,  en  dehors  de  la  grâce  d'union  avec  la  personne  du 
Verbe,  aurait-elle  pu  être  plus  abondante  ou  plus  parfaite  qu'elle 
ne  le  fut  dans  la  réalité? 

Pour  ceux  qui  regardent  comme  infinie  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
il  n'existe  pas  de  difficulté  :  l'infini  n'est  pas  susceptible  d'augmen- 
tation et,  d'après  cette  opinion,  la  grâce  ne  pouvait  être  en  lui  ni 
plus  grande  ni  moins  grande  qu'elle  ne  fut.  Mais  on  a  vu  que  cette 
infinité  ne  convient  pas  à  la  grâce  habituelle,  non  plus  qu'aux 
autres  dons  :  ce  sont  des  grâces  créées  et  par  conséquent  finies.  De 
plus,  elles  sont  données  à  la  nature  humaine,  qui  est  elle-même 
créée,  et  ne  peut  pas  leur  communiquer  une  infinité  qui  ne  lui 
appartient  pas.  La  grâce  de  Notre-Seigneur  a  donc  des  bornes. 
Qu'on  les  recule  autant  qu'il  plaira,  elles  existent,  parce  que  cette 
grâce  n'est  pas  Dieu,  ni  un  attribut  essentiel  de  Dieu.  Puisque  ces 
bornes  existent,  il  n'était  pas  impossible  à  la  puissance  absolue  de 
Dieu  de  les  reculer  encore.  Il  pouvait  agrandir  le  vase  indéfini- 
ment et  le  tenir  toujours  rempli  de  parfums  toujours  plus  précieux. 
Pourquoi  s'est-il  arrêté  à  la  mesure  de  grâce  que  l'humanité  ado- 
rable du  Sauveur  a  reçue?  Lui  seul  le  sait.  Il  ne  pouvait  atteindre 
l'infini;  il  fallait  donc  faire  choix  d'un  point  auquel  il  s'arrêtât? 
Sans  doute  ce  point  est  aussi  près  de  l'infini  que  l'exigeait  la  di- 
gnité du  Verbe  divin  et  la  libéralité  de  Dieu.  Remettons-nous-en  à 
sa  sagesse  et  à  son  amour,  pour  la  nature  humaine  que  son  Fils 
unique  avait  daigné  prendre. 

Si  la  grâce  habituelle  n'était  pas  simplement  infinie,  mais  me- 
surée, en  la  personne  de  Notre-Seigneur,  que  faut-il  penser  de  sa 
charité  actuelle,  ou  de  l'amour  que  son  âme  humaine  portait  à 
Dieu  ? 

On  doit  en  raisonner  comme  de  la  grâce  habituelle  et  des  autres 
dons.  Sa  charité  n'était  pas,  à  proprement  parler,  infinie  ;  mais  il 
est  impossible  à  aucune  imagination  créée  de  se  faire  une  idée  de 
sa  grandeur.  En  effet,  il  convient  d'admettre  que  dans  tous  ses 
actes,  Jésus-Christ  agit  selon  toute  l'intensité  et  toute  l'étendue  de 
son  amour  pour  son  Père  ;  autrement  il  y  aurait  eu  de  sa  part  une 
imperfection,  ce  qu'où  ne  peut  avancer  sans  blasphème;  il  aurait 
pu  faire  mieux  qu'il  ne  faisait.  La  grâce  habituelle,  ou  la  charité 
qui  était  en  lui,  l'emportait,  en  intensité  comme  en  perfection,  sur 
celle  de  tous  les  saints  réunis,  sans  excepter  sa  bienheureuse  Mère; 


364         LA   SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II'^  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CliAP.   VII. 

chacun  des  actes  qu'il  faisait  méritait  donc  un  accroissement  de 
charité  plus  grand  que  tous  les  actes  ensemble  de  tous  les  saints, 
depuis  Abel  jusqu'au  dernier  des  élus  qui  vivra  sur  la  terre.  Comp- 
tez, si  vous  le  pouvez,  tous  les  actes  intérieurs  et  extérieurs  de 
Jésus-Christ  depuis  l'instant  de  son  Incarnation  jusqu'à  celui  de 
son  dernier  soupir  sur  la  croix,  et  jugez  de  ce  que  pouvait  être 
une  charité  presque  infinie  dès  son  origine,  et  qui  croissait  dans 
des  proportions  inconcevables  avec  chacun  de  ces  actes. 

Mais  il  faut  remarquer  que  si  nous  parlons  ici  comme  on  doit  le 
faire  lorsqu'on  parle  des  saints,  ce  n'est  que  pour  mieux  faire  com- 
prendre ce  qu'il  en  était  de  la  grâce  du  Seigneur.  Dans  la  réalité,  sa 
charité  actuelle  ne  reçut  pas  plus  d'accroissement  que  sa  grâce  habi" 
tuelle,  pendant  le  cours  de  sa  vie  parmi  nous.  Dieu  connaissait  à  l'a- 
vance tous  les  actes,  tous  les  mérites  futurs  de  l'humanité  sainte  que 
s'unirait  son  Fils,  et,  dès  le  premier  instant  de  son  existence  comme 
homme,  Jésus-Christ  agit  en  tout  avec  la  même  charité  actuelle, 
que  dans  les  derniers  jours  de  sa  vie.  Il  croissait  en  sagesse  en 
même  temps  qu'en  âge,  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  ;  mais 
cet  accroissement  n'était  que  la  manifestation,  graduée  et  réglée 
sur  les  circonstances,  des  trésors  incommensurables  de  grâce  et  de 
perfection  qu'il  avait  possédés  dès  le  sein  de  sa  Mère. 

Il  est  aisé  d'appliquer  ce  qui  vient  d'être  dit  sur  la  grâce  habi- 
tuelle et  la  charité  actuelle  en  Jésus-Christ  à  tous  les  autres  dons 
qui  furent  aussi  son  partage.  Il  les  posséda,  non  pas  à  un  degré 
infini,  mais  comme  il  convenait  à  la  personne  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme,  et  à  la  mission  qu'il  venait  remplir  sur  la  terre,  envoyé 
par  son  Père. 

Et  maintenant  dans  la  très  sainte  et  très  adorable  Eucharistie, 
qui  oserait  penser  que  l'humanité  du  Seigneur  est  moins  élevée  en 
perfection  qu'elle  ne  le  fut  pendant  sa  vie  mortelle?  Non,  vous 
n'avez  rien  perdu,  ô  notre  divin  Sauveur.  Vous  êtes  toujours 
l'Homme-Dieu,  le  chef-d'œuvre  le  plus  parfait  qu'il  fût  donné  à 
la  toute-puissance  divine  d'accomplir.  Pendant  toute  l'éternité,  le 
bonheur  des  anges  et  des  saints  sera  de  contempler,  avec  votre 
divinité  qui  est  aussi  celle  du  Père  et  du  Saint-Esprit,  les  perfec- 
tions presque  infinies  de  votre  humanité,  que  nous  possédons  dans 
nos  tabernacles. 


PERFECTION    SOUVERAINE  DE    l'aME    DE   N.-S.    DANS   l'eUCHARISTIE.         365 

VI. 

QUELQUES   MOTS    SUR    LES    VERTUS    DE    NOTRE-SEIGNEUR    JÉSUS-CHRIST 

EN    GÉNÉRAL 

Notre  divin  Sauveur,  dans  l'Eucharistie,  est  pour  nous  la  source 
de  toutes  les  grâces,  comme  il  en  est  l'auteur.  Est-il  aussi  le  ré- 
ceptacle et  le  modèle  de  toutes  les  vertus  ? 

S.  Thomas  pose  cette  question  :  Jésus-Christ  possédait-il  toutes 
les  vertus?  Et  il  répond  affirmativement.  La  raison  qu'il  en  donne 
est  la  plénitude  de  sa  grâce.  Toutes  les  vertus  découlent  de  la  grâce 
habituelle,  comme  toutes  les  puissances  de  l'âme  découlent  de  son 
essence.  La  grâce  habituelle,  que  Notre-Seigneur  possédait  dans 
toute  sa  plénitude,  était  donc  accompagnée  de  toutes  les  vertus  ;  et 
ces  vertus  étaient  d'autant  plus  parfaites  que  la  grâce  dont  elles 
découlaient,  comme  de  leur  source,  était  plus  abondante  '. 

Il  faut  cependant  observer  que  certaines  vertus  impliquent  une 
imperfection,  ou  même  des  fautes  passées;  il  en  est  aussi  qui  ne 
sont  pas  compatibles  avec  l'état  de  vision  béatifique  qui  fut  celui 
de  Notre-Seigneur,  dès  l'instant  même  de  son  incarnation.  Il  ne 
pouvait  donc  pas  posséder  ces  dernières  vertus,  incompatibles  avec 
son  état  ;  et  il  ne  pouvait  pas  non  plus  posséder,  sinon  d'une  ma- 
nière éminente  ou  indirecte,  celles  qui  impliquent  quelque  faute 
passée  ou  quelque  imperfection.  Ainsi  l'on  ne  peut  pas  dire  que  ni 
la  foi  ni  l'espérance  furent  des  vertus  de  Jésus-Christ,  parce  que 
la  foi  a  pour  objet  les  mystères  divins  que  l'on  ne  voit  pas,  mais 
que  l'on  croit  sur  la  parole  de  Dieu,  et  l'espérance,  les  biens  sur- 
naturels que  l'on  attend. 

Or  l'âme  de  Notre-Seigneur  contemplait  face  à  face  l'essence 
divine  et  ses  plus  profonds  mystères  et,  parla  même,  elle  jouissait 
du  bonheur  suprême  qui  fait  l'objet  de  l'espérance  des  saints,  tant 
qu'ils  vivent  sur  la  terre. 

1.  Respondeo  dicendum  quod,  sicut  in  secunda  parte  dictuni  est  (III,  q.  t:x, 
art.  3  et  i),  sicut  gratia  respicit  essentiam  anima',  ila  virlus  respicit  poten- 
tiam  ejus.  Unde  oportet  quod  sicut  potentiae  animai  derivanlur  ab  ejus  essen- 
tia,  ita  virtutes  sintqua'dam  derivationes  gralia*.  Quanto  autem  ali(|UiHl  prin- 
cipiuni  est  perfectius,  tanlo  magis  impriniit  suos  offectus.  Vnde  runi  gralia 
Ctiristi  fuerit  perfectissima,  consequens  est  (|Uod  ex  ipsa  processerint  virtutes 
ad  perficiendum  singulas  potentias  animce,  quantum  ad  omnes  animœ  actus  : 
et  ita  Christus  habuit  omnes  virtutes.  (S.  TiiOM.,  III,  q.  vii,  art.  2.) 


366         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VII. 

On  ne  peut  pas  dire  davantage  que  la  vertu  de  pénitence  fut  en 
lui,  si  la  pénitence  suppose  quelque  péché  commis  d'abord  par 
celui  qui  possède  et  pratique  cette  vertu;  mais  on  peut  l'entendre 
aussi  de  l'inclination  à  détester  le  péché  par  amour  pour  Dieu,  et  à 
regretter  sincèrement  qu'il  ait  été  commis,  quoique  celui  qui 
éprouve  cette  inclination  ne  soit  pour  rien  dans  l'acte  qu'il  regrette 
et  déteste,  sans  même  qu'il  y  ait  en  lui  le  pouvoir  de  pécher.  La 
vertu  de  pénitence  ainsi  entendue  n'implique  aucune  imperfection, 
ni  présente  ni  passée;  elle  pouvait  donc  convenir  à  Notre-Seigneur; 
mais  l'on  peut  dire  aussi  qu'elle  se  rapproche  tant  de  plusieurs 
autres  vertus  telles  que  la  charité,  la  justice,  la  religion,  qu'il  est 
difficile  de  ne  pas  les  confondre  sous  un  certain  rapport.  Ces  vertus, 
particulièrement  celles  de  justice  et  de  religion,  étaient  infuses  en 
Notre-Seigneur  et  elles  étaient  en  lui,  proportions  gardées,  ce 
qu'elles  sont  en  nous;  elles  y  étaient  avec  leurs  éléments  que  l'on 
retrouve  dans  la  vertu  de  pénitence,  la  détestation  du  péché  parce 
qu'il  offense  Dieu  et  la  volonté  de  le  réparer,  mais  non  pas  le  regret 
d'en  avoir  été  souillé,  regret  qui  ne  peut  convenir  qu'à  nous,  et  qui 
est  le  caractère  propre  de  la  pénitence  chez  tous  les  enfants  d'Adam, 
Jésus  et  Marie  exceptés. 

Non  seulement  Notre-Seigneur  possédait  toutes  les  vertus  morales 
qui,  par  leur  nature  môme,  sont  infuses  dans  l'àme,  mais  il  y  avait 
aussi  en  lui  les  vertus  acquises,  c'est-à-dire  cette  disposition  natu- 
relle, cette  facilité  à  pratiquer  les  diverses  vertus  morales,  que  pro- 
cureleurlongexerciceetlamultiplicité  de  leursactes.  Sans  doute,  ces 
vertus  acquises  n'avaient  pas  à  réprimer  en  lui,  comme  elles  le  font 
dans  les  autres  hommes,  les  révoltes  des  passions,  qui  n'existaient 
pas;  elles  n'avaient  pas  à  réprimer  des  excès  quelconques  même 
dans  l'inclination  vers  le  bien,  mais  elles  donnaientà  l'exercice  des 
vertus  infuses  la  dernière  perfection.  C'est  ainsi  que  le  premier 
homme  avait  reçu  par  infusion  ces  vertus  que  l'on  acquiert  par  la 
pratique,  quoiqu'il  n'y  eût  en  lui  aucune  passion  immodérée  à 
calmer  ou  à  réprimer.  On  verra  plus  tard  qu'il  yeut  en  Jésus-Christ 
une  science  acquise  :  pourquoi  n'admettrait-on  pas  de  môme  une 
vertu  acquise? 

Mais  il  faut  remarquer  ici  que  ces  vertus  que  l'on  nomme  ac- 
quises, et  qui  le  sont  en  réalité  chez  les  autres  hommes,  Jésus  les 
posséda  par  infusion,  dès  le  premier  instant  de  son  existence, 
comme  les  autres  vertus.  Elles  n'étaient  donc  pas,  à  proprement 


PERFECTION    SOUVERAINE   DE   l'amE    DE    N.-S.    DANS   l'eCCHARISTIE.         367 

parler,  des  vertus  acquises  pour  lui  et  par  lui.  Elles  étaient  les 
mêmes  que  chez  les  autres  hommes,  et  c'est  pourquoi  on  les  désigne 
sous  le  même  nom,  mais  leur  mode  d'origine  était  diflerent. 

Jésus-Christ  posséda  donc  ces  vertus  infuses  qui  sont  des  perfec- 
tions dont  l'humanité  est  susceptible,  et  qui  ne  répugnaient  en  rien 
à  l'union  de  sa  nature  humaine  avec  la  divinité,  puisqu'elles  ne 
supposent  aucune  imperfection  ni  aucune  faute  antérieure,  mais 
qu'elles  sont  simplement  une  perfection  nouvelle.  Il  les  posséda 
au  degré  suprême,  parce  qu'en  prenant  la  nature  humaine,  le 
Verbe  divin  orna  cette  nature  de  toute  la  perfection  qu'elle  était 
susceptible  de  recevoir;  il  convenait  donc  qu'il  eût,  comme  homme, 
les  vertus  acquises,  au  degré  le  plus  élevé  qu'elles  puissent  at- 
teindre. Il  est  vrai  qu'à  la  rigueur  il  aurait  pu  s'en  passer,  et  que 
l'union  du  Verbe  avec  sa  nature  humaine  suffisait  pour  qu'il  n'eût 
rien  à  craindre  des  faiblesses  ou  des  propensions  naturelles,  que 
les  vertus  acquises  ont  pour  effet  d'aider  la  volonté  à  surmonter  ;  mais 
il  convenait  aussi  que  la  facilité  pour  pratiquer  la  vertu  provînt,  en 
sa  nature  humaine,  des  mêmes  causes  qui  la  donnent  ordinaire- 
ment aux  saints. 

Ajoutons  encore  que  les  vertus  acquises  furent  le  partage  de 
Notre-Seigneur,  dès  le  premier  instant  de  son  existence  comme 
homme,  et  que,  dès  lors  aussi,  elles  possédèrent  toute  leur  perfec- 
tion. Il  le  fallait  bien  pour  que  le  Verbe  divin,  en  s'unissant  à  la 
nature  humaine,  trouvât  cette  nature  à  la  hauteur  de  la  dignité 
infinie  qu'il  lui  conférait.  Il  n'était  nullement  nécessaire  ni  utile 
à  l'œuvre  de  la  rédemption,  pour  laquelle  le  Fils  de  Dieu  venait 
sur  la  terre,  que  l'infusion  de  ces  vertus  dans  toute  leur  plénitude 
fût  retardée,  ne  fût-ce  que  d'un  instant.  Pourquoi  aurait-il  imposé 
ce  retard  et  cette  privation  à  son  humanité? 

On  dira  peut-être  qu'il  est  plus  parfait  d'acquérir  une  vertu  par 
ses  propres  efforts  que  de  la  recevoir  ainsi  par  infusion,  et  de 
tenir  un  bien  de  soi-même  que  d'un  autre.  Peut-être  en  est-il  ainsi 
en  plusieurs  circonstances;  mais  un  principe  certain  est  qu'il  vaut 
mieux  n'avoir  jamais  manqué  d'une  vertu  que  de  ne  l'avoir  acquise, 
à  un  degré  égal,  qu'avec  du  temps  et  des  eft'orts. 

Jésus-Christ  posséda  donc  toutes  les  vertus  compatibles  avec  son 
état  et  sa  sainteté  infinie  ;  il  les  posséda  par  infusion,  même  celles 
qu'on  nomme  vertus  acquises,  dès  le  premier  instant  de  son  exis- 
tence comme  Homme-Dieu  ;  il  les  posséda  telles  et  au  même  degré 


868         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   VII. 

qu'il  devait  les  posséder  pendant  toute  sa  vie  mortelle,  et  qu'il  les 
possède  encore  dans  la  gloire  du  ciel.  Les  actes  de  vertu  qu'il 
accomplissait  ne  lui  en  rendaient  pas  l'exercice  plus  agréable  ni 
plus  facile,  et  il  n'y  avait  pas  en  lui  plus  de  penchant  pour  une 
vertu  que  pour  une  autre;  sur  tous  les  points,  la  perfection  était 
portée  à  son  degré  suprême;  déchoir  était  impossible  et  s'élever 
plus  haut  ne  l'était  pas  moins. 

Il  faut  cependant  reconnaître  que  le  corps  adorable  du  Sauveur 
put  s'endurcir  par  l'exercice  et  devenir  ainsi  moins  sensible  aux  tra- 
vaux et  à  la  fatigue  ;  mais  ces  dispositions  corporelles  étaient  d'ordre 
matériel,  et  n'avaient  pas  de  rapport  avec  la  perfection  de  la  vertu. 

Il  a  été  dit  plus  haut  queNotre-Seigneur  Jésus-Christ  ne  posséda 
pas  les  vertus  qui  impliquent  quelque  imperfection,  telles  que  la  foi 
et  l'espérance  qui  sont  pour  nous  le  fondement  de  toutes  choses, 
tandis  que  nous  vivons  sur  la  terre,  mais  qui  n'auront  plus  de  raison 
d'être  dans  la  gloire  du  ciel.  Il  est  nécessaire,  vu  l'importance  de 
ces  deux  vertus  théologales,  d'y  revenir  avec  un  peu  plus  de  détails. 

S.  Thomas  demande  :  La  foi  était-elle  en  Jésus-Christ?  et  il 
répond  :  «  Selon  la  parole  de  l'Apôtre  aux  Hébreux  :  La  foi  est 
a.  le  fondement  des  choses  que  l'on  doit  espérer,  et  la  démons- 
«  tration  de  celles  qu'on  ne  voit  point.  Or  il  n'y  eut  rien  que 
«  Jésus-Christ  ne  vît,  comme  le  lui  dit  S.  Pierre  :  Vous  savez 
«  toutes  choses.  La  vertu  de  foi  n'exista  donc  pas  en  lui.  »  Puis, 
le  saint  docteur,  développant  cet  argument,  dit  que  l'objet  de  la  foi 
est  une  chose  divine  que  Ton  ne  voit  pas.  Ce  qui  distingue  for- 
mellement une  vertu  d'une  autre,  ce  qui  la  fait  être  ce  qu'elle  est, 
c'est  son  objet.  Si  donc  il  n'y  a  pas  de  chose  divine  qu'il  ne  voie 
pas,  il  n'existe  pas  davantage  pour  lui  d'objet  de  foi,  par  consé- 
quent cette  vertu  n'est  pas  en  lui.  Or,  dès  le  premier  instant  de  sa 
conception,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  vu  Dieu  dans  son  essence, 
par  conséquent  la  foi  ne  lui  a  pas  été  possible  K 

\.  i'trum  in  Christo  fucrit  ^(/e.s?  Videtur  quod,  etc.  Sed  contra  est  quod 
dicitur  [Ilehr.,  \\,  \)  quod  fides  est  argumentum  non  apparentium  :  sed 
Chrislo  nihil  fuit  non  apparens,  secundum  quod  dixit  ei  Petrus  {Joann.,  ult., 
M)  :  Tu  omnia  nosli.  ?>go  in  Christo  non  fuit  fides. 

Respondeo  dicendum  quod  sicut  in  secunda  parte  dictum  est  (II,  II,  q.  i, 
art.  i),  objectum  fidei  est  res  divina  non  visa.  Habitus  autem  virtulis  sicut  et 
quilibet  alius  recipit  speciem  ab  objecto.  Et  ideo  excluso  quod  res  divina  sit 
non  visa,  excluditur  ratio  fidei.  Cbristus  autem  a  primo  instanti  suae  concep- 
tionis  plane  vidit  Deum  peressentiam,  ut  infra  dicetur.  Unde  in  eo  fides  esse 
non  potuit.  (S,  Thom.,  III  p.,  q.  vu,  art.  3.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE    l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'EDCHARISTIE.  369 

Mais  si  Jésus-Christ,  parce  qu'il  jouissait  de  la  vision  intuitive  die 
Dieu,  ne  pouvait  avoir  la  vertu  de  foi  qui  suppose  nécessairement 
l'absence  de  ce  privilège  d'un  prix  infini,  il  n'en  a  pas  moins 
eu,  pendant  sa  vie  mortelle,  le  mérite  qui  résulte  de  l'acte  de  foi- 
bien  fait,  mérite  qui  consiste  en  ce  que  l'homme,  pour  obéir  à  Dieu, 
donne  son  assentiment  à  ce  qu'il  ne  voit  pas,  selon  cette  parole  de 
S.  Paul  aux  Romains  :  «  Nous  avons  reçu  par  Jésus-Christ  la 
a  grâce  et  l'apostolat  pour  faire  obéir  à  la  foi  toutes  les  nations  en 
«  son  nom.  »  Or  Jésus-Christ  a  pratiqué  l'obéissance  :  «  Il  fut  obéis- 
«  sant  jusqu'à  la  mort  et  à  la  mort  de  la  croix  ^  ^  Et  son  obéissance 
parfaite  lui  donna,  entre  tous  les  mérites  dont  cette  vertu  est  la 
source  première,  ceux  qui  proviennent  en  particulier  de  l'acte  de 
foi. 

Tous  les  théologiens  qui  prennent  S.  Thomas  pour  guide  recon- 
naissent, avec  lui,  que  Jésus-Christ  ne  fut  pas  privé  du  mérite  qui 
résulte  de  l'acte  de  foi  ;  mais  d'où  venait  précisément  ce  mérite?  Il 
y  a  sur  ce  point  deux  opinions  principales. 

Les  uns  disent  qu'il  eut  le  mérite  de  la  foi,  parce  que  son  esprit 
était  préparé  à  donner  son  assentiment  parfait  à  toutes  les  vérités 
de  la  foi,  s'il  ne  les  avait  pas  connues  par  la  vision  intuitive.  Mais 
cette  préparation  n'est  pas  autre  chose  que  la  foi  elle-même  ;  et  elle 
eût  été  absolument  inutile  en  Notre-Seigneur,  qui  jouissait  de  la 
vue  intuitive  comme  en  jouissent  les  saints  au  ciel,  et  qui  savait, 
comme  eux,  qu'il  ne  pouvait  la  perdre.  Le  Verbe  incarné  ne  s'ar- 
rêtait pas  à  des  hypothèses  irréalisables,  pour  y  trouver  la  source 
de  son  mérite. 

Les  autres  enseignent,  avec  plus  de  raison,  que  dans  la  science 
infuse  que  reçut  l'âme  de  Jésus-Christ,  se  trouvait  contenue  émi- 
nemment et  sans  aucune  imperfection  la  connaissance  du  mystère 
de  la  Trinité  et  de  tous  les  autres  mystères  qui  nous  sont  révélés 
par  la  foi  2.  Et  parce  que  cette  connaissance  était  libre  et  avait 

1.  Merilum  fidei  consistit  in  hoc  quod  homo  ex  obedientia  Dei  assentit  illis 
qusB  non  videt  :  secundum  illud  liomanor.  (1,  U)  :  Ad  obediendum  fidei  in  om- 
nibus gentibus  pro  nomine  ejus.  Obedientiam  autem  ad  Deum  plenissime 
habuit  Christus,  secundum  illud  Phili/)j).  (11,  8)  :  Factns  est  obediens  usqup  ad 
morti'm.  (S.  TiiOM.,  111  p.,  q.  vu,  art.  :$  ad  "1.) 

"i.  Anima  Christi  primo  quidem  cognovitquœcumque  pertinent  ad  scientias 
humanas;  secundo  vero  i)er  banc  scientiam  (divinitus  inditam),  cognovit 
Christus  omnia  illa  quse  per  revolationem  divinam  bominijjus  innotcscunl. 
(S.  TiiOM.,  m  p.,  q.  XI,  art.  1.) 

L\   SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  24 


370         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VII. 

toutes  les  conditions  requises  pour  le  mérite,  Tàme  de  Notre-Sei- 
gneur  avait  par  elle  tout  le  mérite  de  la  foi. 

La  vertu  d'espérance  n'était  pas  plus  possible  en  Jésus-Christ 
que  la  vertu  de  foi,  parce  que  l'on  n'espère  pas  ce  que  l'on  possède^ 
et  que  dès  le  premier  moment  de  l'union  du  Verbe  divin  avec  la 
nature  humaine,  l'humanité  du  Fils  de  Dieu  fut  en  pleine  posses- 
sion de  la  vision  béatifique.  La  possession  de  Dieu  est  l'objet  formel 
de  l'espérance,  vertu  théologique  :  comment  l'àme  de  Notre-Sei- 
gneur  aurait-elle  pu  espérer  ce  qui  était  à  elle  dans  toute  sa  pléni- 
tude, et  dont  elle  avait  la  certitude  absolue  de  n'être  jamais  pri- 
vée «? 

Il  était  cependant  des  biens  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne 
possédait  pas  encore,  mais  qu'il  savait  d'une  science  absolument 
certaine  qu'il  posséderait  un  jour.  Pendant  les  trente-trois  années 
de  sa  vie  mortelle,  son  corps  adorable  n'était  pas  en  possession 
habituelle  de  la  gloire  et  des  autres  qualités  que  la  résurrection 
devait  lui  communiquer  ;  il  était  sur  la  terre  et  non  pas  assis  à  la 
droite  du  Père  dans  le  ciel.  Peut-on  dire  que  notre  divin  Sauveur 
espérait  ces  biens  qu'il  attendait?  Il  les  attendait;  il  les  désirait 
même,  comme  il  désirait  ardemment  le  baptême  de  sang  dont  il 
devait  être  baptisé  au  temps  de  sa  passion;  mais  ce  n'était  pas  l'es- 
pérance, qui  suppose  toujours  quelque  possibilité  de  ne  pas  attein- 
dre le  but  que  l'on  désire,  et  vers  lequel  on  tend.  Ce  n'était  pas 
surtout  l'espérance,  vertu  théologique  dont  l'objet  formel  est  la 
possession  de  Dieu. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  désirait,  selon  sa  nature  humaine, 
la  glorification   et  le   triomphe  suprême  qui  lui  était  réservé; 

\.  Sicut  de  ratione  fidei  est  quod  aliquis  assentiat  iis  quse  non  videt;  ita  de 
ratione  spei  est,  quod  aliquis  expectet  id  quod  nondum  îiabet.  Et  sicut  fides, 
in  quantum  est  virtus  Iheologica,  non  est  de  quocumque  non  viso,  sed  solum 
de  Deo  :  ita  etiam  spes,  in  quantum  est  virtus  theologica,  habet  pro  objecto 
ipsum  Deum,  cujus  fruitionem  homo  principaliter  expectatper  spei  virtutem. 
Sed  ex  consequenti  ille  qui  habet  virtutem  spei,  potest  etiam  in  aliis  divinum 
auxilium  expectare  :  sicut  et  ille  qui  habet  virtutem  fidei,  non  solum  crédit 
Deo  de  rébus  divinis,  sed  etiam  de  quibuscumque  aliis  divinitus  sibi  revela- 
tis.  Christus  autem  a  principio  suse  conccptionis  plene  habuit  fruitionem 
divinam  (ut  infra  dicctur,  et  ideo  virtutem  spei  non  habuit).  Habuit  tamen 
spem  respectu  aliquorum,  quœ  nondum  erat  adeptus  :  licet  non  habuerit 
fidem  respectu  quorumcumque  :quia  licet  plene  cognosceret  omnia,  per  quod 
totaliter  fides  excludebatur  ab  eo,  non  tamen  adhuc  plene  habuit  omnia,  quae 
ad  ejus  perfectionem  pertinebant,  puta  immortalitatem,  et  gloriam  corporis, 
quam  poterat  sperare.  (S.  Thom.,  Ill  p.,  q.  vu,  art.  i.) 


PERFECTION    SOUVERAINE    DE   l'aME    DE    N.-S.    DANS    l'EDCHARISTIE.         371 

S.  Thomas  a  même  donné  le  nom  d'espérance  à  ce  désir,  mais  cfi 
n'était  pas  l'espérance  proprement  dite,  même  abstraction  faite  de 
la  vertu  tiiéologique.  D'autre  part,  la  vertu  théologique  d'espérance 
suppose  la  foi  et  s'appuie  sur  elle,  selon  la  parole  de  l'Apôtre  : 
*  La  foi  est  le  fondement  des  choses  que  l'on  doit  espérer  ' .  »  Nous 
avons  vu  que  la  foi  proprement  dite  n'existait  pas  en  Notre-Sei- 
gneur,  parce  qu'il  voyait  ce  que  nous  croyons  par  la  foi  sans  le 
voir  ;  l'espérance  ne  pouvait  donc  pas  être  non  plus  en  lui. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  la  vertu  de  charité,  qui  est  insépa- 
rable de  la  sanctification  et  de  la  grâce  habituelle.  Ce  n'est  pas  non 
plus  le  lieu  de  nous  arrêter  ici  à  chacune  des  vertus  de  Notre-Sei- 
gneur  en  particulier.  L'occasion  d'en  traiter  avec  l'ampleur  qu'un 
tel  sujet  réclame  se  présentera  lorsque  nous  aurons  à  considérer 
comment  nous  devons  témoigner  notre  amour  et  notre  dévotion 
envers  lui  présent  dans  la  sainte  Eucharistie,  par  l'imitation  des 
exemples  qu'il  nous  y  donne. 

Ces  quelques  mots  peuvent  suffire  pour  donner  une  idée  des 
vertus  de  Notre-Seigneur,  pendant  sa  vie  mortelle,  telle  du  moins 
qu'il  nous  est  possible  de  la  concevoir  ici-bas.  Mais  que  sont  ces 
mêmes  vertus,  maintenant  que  cet  adorable  Sauveur  est  au  ciel? 
Que  sont-elles  en  son  âme  présente  au  Très  Saint  Sacrement?  Nous 
le  saurons  un  jour  si  nous  en  sommes  dignes,  et  nous  le  serons  si 
nous  tâchons  d'imiter  les  exemples  que  Jésus  nous  a  donnés, 
tandis  qu'il  vivait  parmi  nous  et  comme  l'un  de  nous. 

i.  Est  autem  fides  sperandarum  substantia  rerum.  [Hebr.,  xi,  \.) 


372         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 


CHAPITRE  VIII 

UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  JÉSUS- 
CHRIST  EUCHARISTIQUE,  FILS  DE  DIEU  VÉRITABLE  ET  NON  PAR  ADOP- 
TION. 

I.  Unité  de  la  personne  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  et  Fils  de  la 
très  sainte  Vierge.  —  II.  Distinction  des  deux  natures  en  la  personne  unique  de 
Jésus-Christ  présent  au  Très  Saint  Sacrement.  —  III.  Jésus  Eucharistique,  Fils  de 
Dieu  par  nature  et  non  par  adoption.  —  IV.  Deux  volontés  et  deux  opérations  dis- 
tinctes en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  —  Communication  des  idiomes. 


UNITÉ  DE  LA   PERSONNE  EN  NOTRE-SEIGNEUR   JESUS-CHRIST,  FILS  DE  DIEU 
ET    FILS    DE    LA    TRES    SAINTE  VIERGE 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  présent  au  Très  Saint  Sacrement  de 
TEucharistie,  est.  Dieu  et  il  est  homme.  II  y  a  donc  en  lui  deux  na- 
tures; mais  ces  deux  natures  ont-elles  chacune  sa  personnalité  dis- 
tincte, OU  bien  appartiennent-elles  à  une  seule  et  unique  personne? 
Évidemment  il  n'y  a  qu'un  seul  Jésus-Christ,  et  les  deux  natures 
qui  sont  en  lui  ne  relèvent  que  d'une  personne  unique.  Cette  vérité 
n'aurait  pas  besoin  qu'on  s'y  arrêtât  davantage,  si  elle  n'avait  pas 
été,  au  commencement  du  v=  siècle  et  dans  la  suite,  l'occasion  des 
furieuses  attaques  de  Nestorius  et  de  ses  partisans,  contre  la  foi 
chrétienne. 

Nestorius,  natif  de  Germanicie,  mais  élevé  à  Antioche,  fut  fait 
évêque  de  Constantinople  en  428.  Son  ordination  fut  applaudie 
presque  universellement.  S.  Cyrille  lui  écrivit  pour  lui  en  témoigner 
sa  joie,  et  lui  souhaiter  de  la  bonté  de  Dieu  les  biens  les  plus 
excellents.  Mais  cette  joie  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Les  homélies 
de  Nestorius  ayant  été  portées  en  Egypte  aussi  bien  qu'ailleurs,  on 
vit  en  un  moment  s'évanouir  les  grandes  espérances  qu'on  avait 
conçues  de  lui.  S.  Cyrille  fut  un  des  premiers  à  réfuter  les  erreurs 
renfermées  dans  ces  homélies.  Sur  son  initiative,  ces  erreurs  fu- 
rent condamnées  d'abord  dans  un  concile  rassemblé  à  Alexandrie, 
puis  dans  un  autre  concile  tenu  à  Rome,  sous  la  présidence  du 
pape  Céiestin  et  dans  le  concile  général  d'Éphèse,  présidé  par 
S.  Cyrille,  au  nom  du  pape,  en  l'an  430. 


DNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN   J.-C.        373 

Les  preuves  sont  nombreuses  qui  démontrent  invinciblement 
l'unité  delà  personne,  dans  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  ^. 

Elles  abondent  dans  les  écrits  des  Pères  du  v'  siècle,  et  c'est  là 
principalement  qu'il  faut  les  aller  prendre  comme  à  leur  source. 
On  le  comprend  lorsqu'on  fait  attention  que  le  nestorianisme, 
l'eutychianisme,  l'arianisme  et  d'autres  hérésies  encore,  si  puis- 
santes à  cette  époque,  s'attaquaient  plus  ou  moins  ouvertement  à 
la  personne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Il  suffira  ici  d'en 
donner  quelques-unes  tirées  de  la  Sainte  Écriture,  de  la  tradition 
et  de  la  raison  théologique. 

La  Sainte  Écriture  nous  enseigne  d'abord  que  le  Fils  de  Dieu 
s'est  fait  homme.  Dès  la  première  page  de  son  Évangile,  l'apôtre 
S.  Jean,  le  grand  dépositaire  des  secrets  du  cœur  de  Jésus,  nous 
dit  :  «  Le  Verbe  s'est  fait  chair.  »  Et  comment  faut-il  entendre 
cette  parole?  Le  symbole  de  S.  Athanase  le  déclare  en  ces  termes  : 
«  Il  n'y  a  pas  deux  Christs  mais  un  seul  Christ  :  un,  non  parla 
«  conversion  de  la  divinité  en  la  chair,  mais  par  l'élévation  de 
«  l'humanité  jusqu'à  Dieu  -,  »  par  une  union  véritable  et  hyposta- 
tique.  Dieu  n'a  pas  cessé  d'être  Dieu  :  comme  tel  il  est  immuable  ; 
mais  il  existait  pour  lui  un  moyen  de  se  faire  homme,  de  devenir 
chair,  comme  dit  S.  Jean,  et  ce  moyen,  il  a  daigné  l'employer. 
A  sa  divinité  immuable  parce  qu'elle  est  éternelle  et  infinie,  il  a 
donné  une  âme  humaine  et  un  corps  comme  les  nôtres.  Ce  corps 
et  cette  âme,  il  les  a  élevés  jusqu'à  lui,  jusqu'à  les  faire  siens;  ils 
sont  devenus  son  corps  et  son  âme  comme  notre  corps  et  notre 
âme  sont  les  nôtres,  et  au  même  titre,  avec  cette  différence  pour- 
tant que  le  corps  et  l'âme  de  Jésus-Christ  sont  ceux  d'une  per- 
sonne divine  et  non  pas  humaine  comme  en  nous. 

C'est  ce  qu'explique  l'apôtre  S.  Paul  lorsqu'il  dit  :  «  Étant  dans 
«  la  forme  de  Dieu,  »  c'est-à-dire  étant  véritablement  Dieu,  le 
Christ  •  s'est  anéanti  lui-même,  prenant  la  forme  d'esclave,  ayan^ 
«  été  fait  semblable  aux  hommes  3.  »  Et,  de  fait,  Notre-Seigneur 
nous  a  été  semblable  en  tout,  le  péché  excepté.  On  lit  aussi  dans 
l'épître  aux  Galates  :  «  Lorsqu'est  venue  la  plénitude  du  temps, 

i.  Voir  particulièrement  Tournely,  de  Incornatione,  quaest.  vu. 

2.  Non  duo  tamen  sed  unus  est  Christus.  Unus  autem  non  conversione 
divinitatis  in  carnem,  sed  assumptione  humanitatis  in  Deum.  {Symb.  S.  Atha- 
nas.) 

3.  Qui  cum  in  forma  Dei  esset....,  formam  servi  accipiens,  in  similitiidi- 
nem  hominum  factus.  (Philipp.,  ii,  6.) 


374         LA  SAINTE  EDCHARISTIE.  —  H"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

«  Dieu  a  envoyé  son  Fils,  formé  d'une  femme,  soumis  à  la  loi, 
«  pour  racheter  ceux  qui  étaient  sous  la  loi  ^  »  Ces  mots  «  formé 
«  d'une  femme  :  factum  ex  muliere,  »  indiquent  évidemment, 
entre  la  nature  divine  du  Fils  de  Dieu  et  la  nature  humaine  à 
laquelle  il  s'unissait,  une  union  plus  intime  et  plus  complète  que 
celle  que  crée,  entre  deux  êtres,  un  rapprochement  quelconque, 
ou  un  sentiment  d'affection.  II  y  a  dans  ces  termes  l'expression 
d'une  union  réelle,  physique  et  personnelle  des  deux  natures  de 
Jésus-Christ.  Jamais  on  ne  dira  de  deux  amis  que  l'un  est  devenu 
l'autre,  ni  d'un  saint  qu'il  est  devenu  Dieu,  quelque  intime  que 
soit  son  union  avec  Dieu  par  la  grâce.  Le  Fils  de  Dieu,  envoyé  par 
son  Père,  est  devenu  fils  de  la  femme,  formé  de  sa  substance.  Sa 
divinité  n'a  pas  chang'é  assurément;  mais  néanmoins  il  a  emprunté 
à  une  femme  une  nature  nouvelle  qui  fait  que,  sans  cesser  d'être 
Dieu,  il  est  homme;  il  est  serviteur,  il  est  soumis  à  la  loi,  comme 
ceux  qu'il  vient  racheter  et  délivrer  d'un  joug  trop  pesant  pour 
la  faiblesse  humaine. 

Et  ce  Fils  de  Dieu  fait  homme  n'est  qu'une  seule  et  unique  per- 
sonne, Dieu  et  homme  tout  ensemble.  C'est  bien  le  Verbe  divin 
qui  s'est  fait  chair,  comme  dit  S.  Jean  :  Et  Verbum  caro  factum 
est.  Il  est  chair,  mais  il  est  encore  le  Verbe,  et  la  chair  ou  le  corps, 
en  lui,  ne  fait  pas  partie  de  quelque  personne  qui  soit  distincte  de 
lui.  C'est  bien  le  même  encore  qui,  selon  l'Apôtre,  était  dans  la 
forme  de  Dieu  :  cum  in  forma  Dei  esset,  et  qui,  s'étant  fait  sem- 
blable à  l'homme,  a  revêtu  la  forme  de  serviteur.  C'est  bien  le 
rftême  enfin  qui,  étant  Fils  de  Dieu,  a  été  envoyé  par  son  Père  et 
a  pris  un  corps  de  la  substance  d'une  femme,  factum  ex  muliere^ 
devenant  ainsi  sujet  de  la  loi  qu'il  avait  faite  comme  Dieu.  Si 
donc  c'est  le  même  fils  de  Dieu  qui  est  Dieu  et  qui  est  homme, 
qui  est  serviteur,  qui  est  chair,  il  n'y  a  qu'une  seule  et  unique 
personne.  On  voit  bien  dans  ces  textes  deux  natures  distinctes, 
mais  il  n'y  a  qu'un  seul  et  unique  Jésus-Christ  à  qui  ces  deux 
natures  appartiennent,  et  à  qui  sont  attribuées  les  propriétés  de 
chacune  d'elles. 

Qui  pourrait  méconnaître  la  nature  humaine  dans  ces  différents 
textes  :   Factum  ex  muliere,  «  formé  de  la  femme;  »  formam 

\.  At  ubi  venit  plénitude  temporis,  misit  Deus  Filium  suum,  factun^  ëx 
muliere,  factum  suh  lege,  ut  eos  qui  sub  lege  erant  redimeret.  (Ga/af.,  iv, 
4,8.) 


DNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES   EN  J.-C.       375 

se7^vi  accipietis,  «  prenant  la  forme  de  serviteur?  »  Qui  pourrait 
la  méconnaître  dans  ces  paroles  d'Isaïe  :  «  Un  petit  enfant  nous 
€  est  né  ^?  »  Et  dans  celles  de  S.  Paul  aux  Romains  :  «  Les  pères 
«  des  Israélites  sont  ceux  de  qui  est  sorti,  selon  la  chair,  le  Christ 
«  même  qui  est  au-dessus  de  toutes  choses,  Dieu  béni  dans  tous 
«  les  siècles  2?  » 

Et  s'il  est  impossible  de  refuser  à  Jésus-Christ  la  nature 
humaine  que  la  Sainte  Écriture  lui  attribue  en  tant  de  passages, 
il  ne  l'est  pas  moins  de  refuser  au  même  Jésus-Christ,  à  la  même 
et  unique  personne,  la  nature  divine  avec  tous  ses  attributs.  Lui, 
dont  tous  les  actes  et  toutes  les  paroles  nous  prêchent  l'humilité, 
n'hésite  pas  à  déclarer  en  plusieurs  circonstances  qu'il  est  vérita- 
blement Dieu  ;  ou,  ce  qui  est  la  même  chose,  qu'il  possède  les  attri- 
buts essentiels  de  la  divinité.  Il  affirme  son  éternité,  lorsqu'il  dit 
aux  Juifs  :  «  En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis  :  avant  qu'Abraham 
«  eût  été  fait,  je  suis  3.  »  L'importance  qu'il  attache  à  cette  décla- 
ration se  révèle  assez  par  la  forme  qu'il  lui  donne.  C'est  avec  ser- 
ment qu'il  affirme  que  son  existence  n'a  pas  commencé  lorsqu'il 
est  né  de  Marie,  mais  qu'il  existait  avant  même  qu'Abraham 
fût.  Et  ce  n'est  pas  sans  motif  qu'il  se  sert  de  l'expression  :  ego 
sum,  «  je  suis,  »  qui  exclut  le  passé  et  l'avenir,  pour  ne  laisser 
place  qu'au  présent.  Dieu  seul  peut  dire  d'une  manière  absolue  : 
Je  suis  :  Ego  sum;  et  c'est  à  ce  caractère  qu'il  a  voulu  se  faire 
reconnaître  par  le  peuple  qu'il  avait  choisi.  Lorsque  Moïse  lui 
demanda  son  nom,  il  ne  lui  en  donna  pas  d'autre  :  Ego  sum  qui 
sum  :  a  Je  suis  celui  qui  suis.  »  Jésus-Christ  est  aussi,  comme 
son  Père  céleste,  .Celui  qui  est;  par  conséquent,  il  est  Dieu.  Mais 
cette  déclaration,  si  elle  était  isolée,  pourrait  paraître  insuffisante 
à  prouver  la  divinité  du  Sauveur.  Voici  donc  une  autre  parole  de 
Jésus  :  «  Le  Père  et  moi,  nous  sommes  un  :  Ego  et  Pater  unum 
«  sumus.  »  Ce  n'est  plus  seulement  sa  propre  éternité  qu'il 
affirme  par  ces  mots,  mais  son  unité  de  nature  et  de  substance 
avec  son  Père,  f  Moi  et  mon  Père  nous  sommes  un  4,  »  dit-il  ;  ou 
plutôt,  pour  bien  rendre  la  force  du  texte  original,  «  nous  sommes 

1.  Parvulus  natus  est  nobis.  {Is.,  ix,  6.) 

^2.  Quorum  patres  ex  quibus  est  Christus  secundum  carnein,  qui  est  super 
omnia  Deus  benedictus  in  saecula.  {Hom.,  ix,  5) 

3.  Amen  amen  dico  vobis,  antequam  Abraham  tieret,  ego  sum.  {Joann., 
vni,  «8.) 

i.  Ego  et  Pater  unum  sumus.  [Joann.,  x,  30.) 


876        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  -^  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

«  une  même  chose.  »  Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu;  son  Père  est  ce 
Dieu,  et  lui-même  n'est  qu'une  seule  chose  avec  son  Père,  c'est-à- 
dire  Dieu  comme  lui  et  le  même  Dieu  que  lui.  Ailleurs,  il  dit 
encore  :  «  Je  suis  sorti  de  mon  Père  et  je  suis  venu  dans  le 
monde  *.  »  Lui  que  ses  apôtres  et  tout  le  peuple  juif  voyaient  de 
leurs  yeux  et  pouvaient  toucher  de  leurs  mains,  lui  que  tous  con- 
naissaient pour  le  Fils  de  Marie,  et  qu'ils  appelaient  le  fils  du 
charpentier,  était  homme  sans  doute;  mais  avant  de  paraître 
revêtu  de  notre  humanité,  il  existait  dans  le  sein  de  son  Père;  il 
était  Dieu.  Aussi,  lorsque,  après  sa  résurrection,  S.  Thomas  eut  vu 
de  ses  yeux  et  touché  de  ses  mains  les  glorieuses  cicatrices  qui 
prouvaient  la  réalité  de  sa  chair  et  de  sa  résurrection,  l'apôtre, 
d'abord  incrédule,  s'écria-t-il  :  «  Mon  Seigneur  et  mon  Dieu! 
«  Dominus  meus  et  Deus  meus!  »  Il  touchait  l'humanité,  et  il 
reconnaissait  la  divinité.  Dans  ces  quelques  textes,  qu'il  serait 
aisé  de  multiplier,  l'humanité  et  la  divinité  se  manifestent  très 
distinctes,  en  un  seul  et  même  Jésus-Christ,  et  nous  ne  voyons 
paraître  qu'une  personne  unique  en  deux  natures,  la  personne  du 
Verbe  divin  fait  chair. 

Une  autre  preuve  encore  de  l'unité  de  personne  en  Jésus-Christ 
est  la  qualité  de  Mère  de  Dieu  que  la  Sainte  Écriture  reconnaît  à 
Marie,  et  que  nous  saluons  comme  l'un  des  dogmes  les  plus  chers 
à  notre  foi  et  à  notre  piété  filiale. 

On  connaît  ce  texte  d'Isaïe  :  «  Voici  que  la  Vierge  concevra  et 
«  enfantera  un  Fils,  et  il  sera  appelé  du  nom  d'Emmanuel  :  ce  qui 
«  signifie  :  Dieu  avec  nous  2.  »  L'ange  de  l'Incarnation  disait  à 
son  tour  à  Marie  :  «  La  chose  sainte  qui  naîtra  de  vous  sera  appelée 
«  Fils  de  Dieu  'K  »  Nous  avons  déjà  cité  ces  paroles  de  l'Apôtre  aux 
Galates  :  «  Dieu  a  envoyé  son  Fils  fait  de  la  femme  ^.  »  Il  dit  aussi, 
dans  l'Épître  aux  Romains,  que  le  Fils  de  Dieu  «  est  né  de  la  race 
«  de  David,  selon  la  chair  ^.  »  On  voit  que  c'est  toujours  la  même 
personne,  le  même  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  et  Fils  de  l'homme. 
Marie  conçoit  dans  son  sein  et  elle  enfante  ce  Dieu  qui  se  fait 

^.  Exivi  a  Pâtre  et  veni  in  mundum.  {Joann.,  xvi,  28.) 

2.  Ecce  Virgo  concipiet  et  pariet  filium,  et  vocabitur  nomen  ejus  Emma- 
nuel, quod  est  interpretatum  :  Nobiscum  Deus,  (/.s.,  vu,  14.) 

3.  Quod  nascetur  ex  te  sanctum,  vocabitur  Filius  Dei.  [Luc,  \,  31». ) 

4.  .Misit  Deus  filium  suum  factum  ex  muliere.  {Galat.,  iv,  4-.) 

y.  Quod  ante  promiserat  per  prophetas  suos  in  Scripturis  de  Filio  suo,  qui 
factus  est  ei  ex  semine  David  secundum  carnem.  {Rom.,  i,  2,  3.) 


UNITÉ  DE  LA   PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        377 

homme  :  elle  est  sa  mère.  La  chose  sainte  ou  le  saint  qui  naît 
d'elle  est  le  Fils  de  Dieu  :  elle  est  sa  mère.  Le  Fils  de  Dieu  envoyé 
par  son  Père  prend  sa  nature  humaine  dans  le  sein  d'une  femme 
et,  par  elle,  il  sort  de  la  race  de  David  selon  la  chair;  il  est  donc 
réellement,  selon  la  chair,  le  Fils  de  cette  femme  comme  il  est 
celui  de  David.  Il  n'y  a  pas  deux  fils  de  Dieu  ni  deux  fils  de  Marie, 
mais  un  seul,  Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  fils  de  Dieu  et  fils  de 
Marie,  Dieu  et  homme  tout  à  la  fois,  parce  qu'il  possède  deux 
natures  en  sa  personne  unique,  la  nature  divine  de  son  Père  et  la 
nature  humaine  de  sa  Mère. 

C'est  ainsi  que  l'a  compris  la  Sainte  Église,  et  nous  en  trouvons 
la  preuve  dans  les  symboles  de  la  foi  et  dans  les  actes  des  conciles. 

Nous  lisons  dans  le  Symbole  des  apôtres  :  «  Je  crois  en  Dieu  le 
€  Père  tout-puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre;  et  en  Jésus- 
«  Christ  son  Fils  unique,  Notre-Seigneur;  qui  a  été  conçu  du 
«  Saint-Esprit,  est  né  de  la  Vierge  Marie  ^  »  Dans  ces  quelques 
mots,  les  deux  générations  et,  par  conséquent,  les  deux  natures  dans 
l'unité  de  personne  de  Notre-Seigneur,  sont  marquées  de  la  ma- 
nière la  plus  explicite.  «  Je  crois  en  Jésus-Christ.  »  Et,  qui  est-il 
ce  Jésus-Christ  objet  de  ma  foi?  Il  est  d'abord  le  Fils  unique  de 
Dieu  le  Père,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre;  il  est  de  plus  le  Fils 
de  la  Vierge  Marie  dans  le  sein  de  laquelle  il  a  été  conçu  par  l'opé- 
ration du  Saint-Esprit  et  dont  il  est  né.  Fils  unique  de  Dieu,  il  est 
Dieu  comme  son  Père;  fils  de  Marie,  il  appartient  comme  sa  Mère 
à  notre  humanité;  il  est  véritablement  homme  comme  il  est  véri- 
tablement Dieu,  et  c'est  toujours  le  même  et  unique  Jésus-Christ, 
la  même  et  unique  personne,  dont  la  divinité  et  l'humanité  sont 
affirmées  ainsi,  dès  les  premiers  mots  du  Symbole,  base  iné- 
branlable sur  laquelle  repose  tout  l'édifice  de  la  religion  chré- 
tienne. 

Le  Symbole  de  Nicée  proclame  le  même  dogme,  en  y  ajoutant 
quelques  développements  propres  à  faire  mieux  connaître  encore 
les  deux  natures  du  Sauveur.  Il  déclare  que  Jésus-Christ  est 
«  Dieu  de  Dieu,  lumière  de  lumière,  consubstantiel  au  Père  »  ;  et 
aussitôt  il  ajoute  :  «  Pour  nous  autres  hommes  et  pour  notre  salut, 
«  il  est  descendu  des  cieux,  s'est  incarné  en  prenant  un  corps 

\.  Credo  in  Deum  Patrem  oinnipotentem,  Creatorem  cœli  et  terrœ,  et  in 
Jesum  Christum  Filium  ojus  uiiicuni  Doniiiium  nostrum;  qui  conceptus  est 
deSpiritu  sancto,  natus  ex  Maria  Vir^ine.  {Syinb.  apost.) 


378         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  H*"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

«  dans  le  sein  de  la  Vierge  Marie  par  l'opération  du  Saint-Esprit, 
«  et  s'est  fait  iiomme  K  »  On  le  voit,  la  doctrine  est  absolument  la 
même,  mais  donnée  avec  plus  de  détails,  pour  couper  dans  leur 
racine  les  funestes  hérésies  qui  pullulaient,  surtout  en  Orient, 
lorsque  fut  tenu  le  Concile  de  Nicée.  Les  deux  natures  de  Notre- 
Seigneur  et  l'unité  de  sa  personne  ressortent  avec  évidence  de  ce 
te.xte  qui  n'a  pas  besoin  de  commentaire. 

Le  Concile  de  Constantinople  renouvelle  les  mêmes  déclarations 
en  termes  identiques. 

Au  Concile  d'Éphèse  tenu  en  431,  l'hérésie  de  Nestorius  est 
solennellement  condamnée.  S.  Cyrille  avait  résumé,  dans  une 
lettre  synodale,  les  principales  erreurs  de  Nestorius,  et  prononcé 
contre  elles  douze  anatiièmes  qui  furent  admis  et  confirmés  par 
ce  Concile.  Le  premier  des  anathèmes  de  S.  Cyrille  est  ainsi  for- 
mulé :  «  Si  quelqu'un  ne  confesse  pas  qu'Emmanuel  est  véritable- 
«  ment  Dieu,  et  par  conséquent  la  sainte  Vierge  Mère  de  Dieu, 
«  puisqu'elle  a  engendré  selon  la  chair  le  Verbe  de  Dieu  fait  chair  : 
«  qu'il  soit  anathème  ~.  » 

Le  second  :  «  Si  quelqu'un  ne  confesse  pas  que  le  Verbe  qui 
«  procède  de  Dieu  le  Père  est  uni  à  la  chair  selon  l'hypostase,  et 
«  qu'avec  la  chair  il  fait  un  seul  Christ,  qui  est  Dieu  et  homme 
«  tout  ensemble  :  qu'il  soit  anathème  3.  » 

Le  troisième  :  «  Si  quelqu'un,  après  l'union,  divise  les  hypos- 
«  tases  du  seul  Christ,  les  joignant  seulement  par  une  connexion 
«  de  dignité,  d'autorité  ou  de  puissance,  et  non  par  une  union 
«  réelle  :  qu'il  soit  anathème  ^'.  » 

Les  Pères  du  Concile  de  Chalcédoine  ^  tenu  en  451,  et  plus  tard 

\.  Deum  de  Deo,  lumen  de  lumine....  consubstantialem  Patri....  Qui  prop- 
ter  nos  homines  et  propter  noslram  salutem  descendit  de  cœlis  ;  et  incarnatus 
est  de  Spiritu  sancto,  ex  Maria  Virgine,  etliomo  factus  est.  [Concil.  Nicxn.) 

2.  Si  quis  non  contitetur,  Emmanuelein  vere  Deum  esse,  et  ob  id  sanctam 
Virginein  Deiparam  (genuit  cnim  ilia  incarnatum  Dei  Patris  Verbum  secun- 
dum  carnem)  :  anathema  sit.  {Actus  concil.  Ephes.,  cap.  i.) 

•J.  Si  quis  non  confitetur,  Dci  Patris  Verbum  carni  secundum  hypostasim 
unitum  unumque....  esse  Christum,  eumdem  nimirum  Deum  simul  et  homi- 
nem:  anathema  sit.  {Ibid.) 

^♦.  Si  quis  in  uno  Christo  post  unionem  dividit  hypostases,  eaque  dumtaxat 
conjuiictione  easdem  inter  se  nectit,  quse  est  secundum  dignitatem,  hoc  est, 
auctoritatem,  vel  potestatem,  et  non  ea  potius  quse  est  secundum  naturalem 
unionem  :  anathema  sit.  [Ibid.) 

S.  Confitemur  unum  eumdemque  Christum,  Filium,  Dominum,  Unigeni- 
tum,   in   duabus  naturis  inseparabiliter,   inconfuse,  indivise,  immutabiliter 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        379» 

ceux  du  second  Concile  de  Gonstantinople  ^  qui  est  le  cinquième 
Concile  général,  tenu  en  568,  ne  s'appliquent  pas  avec  moins  de 
sollicitude  à  exprimer  la  doctrine  de  l'unité  de  la  personne  et  de  la 
dualité  des  natures  en  Notre-Seigneur;  ils  ne  veulent  laisser  aucun 
interstice  par  lequel  puisse  se  glisser  l'erreur. 

A  l'autorité  des  conciles  il  faut  ajouter  celle  des  Pères.  Nous  ne 
citerons  que  quelques  témoignages. 

L'illustre  martyr  S.  Ignace,  dans  son  épître  aux  Éphésiens,  rend 
ce  témoignage  à  la  divinité  et  à  l'humanité  de  Notre-Seigneur  dans 
l'unité  de  sa  personne  :  «  Jésus-Christ,  notre  Dieu,  a  été  conçu 
«  dans  le  sein  de  Marie,  selon  la  disposition  de  Dieu,  du  sang  de 
«  David  et  du  Saint-Esprit.  Il  est  né  et  il  a  souffert  d'être  baptisé 
«  pour  purifier  l'eau  -.  » 

Un  peu  plus  loin,  S.  Ignace  dit  encore  :  «  Par  la  grâce  de  Jésus- 
ce  Christ,  vous  concourez  tous  en  une  seule  foi  et  en  un  seul  Jésus- 
«  Christ  qui,  selon  la  chair,  est  de  la  race  de  David,  qui  est  Fils 
«  de  l'homme  et  Fils  de  Dieu  ".  »  On  le  voit,  c'est  bien  une  union 
substantielle  et  hypostalique  que  S.  Ignace  reconnaît  entre  la  divi- 
nité et  l'humanité  de  Notre-Seigneur.  Si  l'union  n'était  à  ses  yeux 
que  morale  et  accidentelle,  il  y  aurait  deux  Christs  et  non  pas  un 
seul.  Mais  il  n'en  connaît  qu'un  seul,  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu, 
qui  a  joint  l'humanité  à  sa  divinité  par  sa  conception  dans  le  sein 
de  Marie,  sans  cesser  pour  cela  d'être  un  comme  personne. 

S.  Grégoire  de  Nazianze,  que  l'on  a  surnommé  le  Théologien  à 
cause  de  la  sûreté  de  sa  doctrine,  prouve,  contre  les  Apollinaristes, 

agnoscendum  ;  nusquam  sublata  differentia  naturarum  propter  unitionem, 
magisque  salva  proprietate  utriusque  naturae,  et  in  unam  personam  atque 
subsister! tiam  concurrente.  [Concil.  Chalced.  in  profess.  fid.) 

1.  Si  quis  dicit,  secundum  gratiam,  vel  secundum  operationem,  vei  secun- 
dum  dignitatem,  vel  secundum  honoris  aequalitatem,  vel  secundum  authori- 
tatem,  aut  relationem,  aut  affectum,  aut  virtutem....  et  non  secundum  com- 
positionem  sive  secundum  subsistentiam,  unitionem  Verbi  ad  carnem  factam 
esse,  anathemasit....  Sancta  Dei  Ecclesia  utriusque  perfidiœ  impietatem  reji- 
ciens,  unitionem  Dei  Verbi  ad  carnem  secundum  compositionem  confitetur, 
quod  est  secundum  subsistentiam.  (ConciY.  Constant inop.,  collât.  VIll,  ana- 
themat.  iv.) 

2.  Deus  noster  Jésus  Christus,  in  utero  gestatus  est  a  Maria,  juxta  dispensa- 
tionem  Dei,  ex  semine  Davidis.  Qui  iiatus  est,  et  baptizatus  est,  ut  passione 
aquam  purificaret.  (S.  Ignat.,  Epist.  ad  Ephes.,  n.  1!^.) 

i.  Singuli  communiter  omnes,  exgratia,  nominatim  convenitis  in  una  Me, 
et  uno  Jesu  Christo,  secundum  carnem  ex  génère  Davidis,  filio  hominis  et 
P'ilio  Dei.  (Id.,  ihid.y  n.  -20.) 


380         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

que  Jésus-Christ  est  à  la  fois  homme  parfait  et  Dieu  parfait  sans 
qu'il  y  ait  en  lui  deux  personnes,  mais  bien  une  seule  personne  ayant 
deux  natures  :  «  Nous  ne  séparons  point  en  Jésus-Christ,  dit-il  \ 
«  l'homme  de  la  divinité.  Il  est  notre  Seigneur  et  notre  Dieu,  et  nous 
«  faisons  profession  de  croire  que  c'est  le  même  qui  auparavant  n'é- 
€  tait  pas  homme,  mais  Dieu  et  Fils  unique  de  Dieu  avant  tous  les 
«  siècles,  sans  mélange  de  corps  ni  de  rien  de  corporel,  qui,  à  la  fin  des 
€  siècles,  a  pris  aussi  l'humanité  pour  notre  salut;  passible  par  la 
«  chair,  impassible  par  la  divinité  ;  borné  par  le  corps,  sans  bornes 
«  par  l'esprit  ;  le  même  terrestre  et  céleste,  visible  et  invisible, 
«  compréhensible  et  incompréhensible,  afin  que  l'homme  entier, 
«  tombé  dans  le  péché,  fût  réparé  par  celui  qui  est  homme  tout 
•  entier  et  Dieu.  Si  quelqu'un  ne  croit  pas  Marie  mère  de  Dieu,  il 
«  est  séparé  de  la  divinité.  En  un  mot,  le  Sauveur  est  composé  de 
«  deux  choses  difiérentes,  puisque  le  visible  et  l'invisible  ne  sont 
«  pas  la  même  chose,  non  plus  que  ce  qui  est  sujet  au  temps  et  ce 
«  qui  n'y  est  pas  sujet.  Mais  ce  ne  sont  pas  deux  personnes,  une 
«  autre  et  une  autre  ;  à  Dieu  ne  plaise,  car  les  deux  choses  sont 
«  unies  :  Dieu  est  devenu  homme,  ou  l'homme  est  devenu  Dieu,  ou 
«  comme  on  voudra  le  dire.  j>  S.  Grégoire  déclare  ailleurs  -  que 
le  Fils  de  Dieu  est  plus  ancien  que  les  siècles,  invisible,  incom- 
préhensible, incorporel,  principe  de  principe,  lumière  de  lumière, 
source  de  vie  et  de  l'immortalité,  vive  image  du  Père;  qu'il  s'est 
revêtu  d'un  corps  pour  guérir  les  faiblesses  de  la  chair;  qu'il  a  pris 
une  intelligence  semblable  à  la  nôtre,  afin  que  le  remède  fût  pro- 
portionné au  mal  ;  qu'il  s'est  chargé  des  faiblesses  humaines, 
excepté  le  péché  ;  qu'il  a  été  conçu  dans  le  sein  d'une  Vierge.  »  Il 
ajoute  3  «  que  celui  qui  existe  reçoit  l'être,  que  celui  qui  n'est 
point  créé  devient  une  créature  ;  que  celui  que  tous  les  espaces  ne 
peuvent  contenir  est  renfermé  dans  une  masse  de  chair  par  le  mi- 
nistère de  l'àme  intelligente  qui  est  unie  à  la  divinité  ;  que  celui 
qui  enrichit  les  autres  s'est  fait  pauvre  et  a  voulu  participer  aux 
misères  de  l'humanité,  pour  nous  combler  des  trésors  de  sa  divi- 
nité ;  qu'il  a  anéanti  sa  gloire  pour  un  temps,  afin  que  nous  ayons 
part  à  sa  plénitude.  —  Il  serait  aisé  de  trouver  encore  des  passages 
analogues  et  remplis  de  la  même  doctrine  dans  les  écrits  du  saint 

1.  s.  Gregor.  Nazianz.,  orat.  II. 

2.  ID.,  orat.  XXXVIII. 

3.  ID.,  ibid. 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        381 

docteur,  mais  on  voit  assez  par  ceux-ci  à  quel  point  il  insistait  sur 
Tunité  de  la  personne  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  sur  l'in- 
tégrité des  deux  natures. 

Voici  en  quels  termes  Tertullien  parle  de  l'Incarnation  du  Fils 
de  Dieu,  dans  son  traité  contre  Praxéas  :  «  Les  hérétiques,  pres- 
€  ses  par  la  distinction  du  Père  et  du  Fils  si  évidente  dans  la 
0  Sainte  Écriture,  se  réduisaient  à  dire  que  le  Fils  était  la  chair, 
a  l'homme,  Jésus;  le  Père,  l'esprit,  le  Dieu,  le  Christ  :  ainsi  il  n'y 
«  avait  qu'une  personne  divine.  Mais  pour  défendre  l'unité  de 
«  Dieu,  ils  détruisaient  l'Incarnation  :  car  ce  qui  est  né  de  la 
«  Vierge  est  le  Fils  de  Dieu  :  Emmanuel,  Dieu  avec  nous;  donc  ce 
€  n'est  pas  la  chair  seule,  car  la  chair  n'est  pas  Dieu.  De  plus  Dieu 
«  ne  peut  pas  changer;  toutefois,  le  Verbe  s'est  fait  chair  :  donc, 
a  il  n'a  pas  été  changé  en  chair,  mais  il  s'en  est  revêtu,  pour  se 
«  rendre  sensible  et  palpable.  Autrement,  si  Jésus-Christ  était  un 
a  mélange  de  la  chair  et  de  l'esprit  (de  l'humanité  et  de  la  divi- 
«  nité),  ce  serait  une  troisième  substance,  qui  ne  serait  ni  l'un  ni 
a  l'autre,  ni  Dieu  ni  homme.  Or  en  Jésus-Christ  il  y  a  deux  subs- 
«  tances  non  confuses,  mais  jointes  en  une  personne  :  le  Dieu 
<f  et  l'homme  ^.  » 

S.  Cyprien  enseigne  dans  son  traité  De  la  vanité  des  Idoles^ 
que  le  Fils  de  Dieu,  dont  tous  les  prophètes  ont  parlé  comme  du 
maître  du  genre  humain,  a  été  envoyé  au  monde  pour  être  l'ar- 
bitre et  le  dispensateur  des  grâces  de  Dieu.  C'est  lui  qui  est  sa 
vertu,  sa  raison,  sa  sagesse  et  sa  gloire.  Il  est  descendu  dans  le 
sein  d'une  Vierge  et  s'y  est  revêtu  d'un  corps  par  l'opération  du 
Saint-Esprit.  Dieu  s'étant  ainsi  uni  à  l'homme,  cet  homme  est 
devenu  par  là  notre  Dieu,  notre  Christ  et  notre  Médiateur  auprès 
de  son  Père.  Jésus-Christ  est  donc  Fils  de  Dieu  et  Fils  de  l'homme. 
Dieu  et  homme  tout  ensemble  -. 

«  Conservons  la  distinction  de  la  divinité  et  de  la  chair  en  Jésus- 
«  Christ,  dit  à  son  tour  S.  Ambroise  :  c'est  le  même  Fils  de  Dieu 
«  qui  parle  dans  l'une  et  dans  l'autre,  parce  qu'il  possède  en  une 
«  même  personne  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  natures.  Et  quoique 
«  ce  soit  toujours  la  même  personne  qui  parle,  elle  ne  le  fait  pas 
«  toujours  de  la  même  manière.  Tantôt  il  nous  découvre  la  gloire 
«  de  sa  divinité,  et  tantôt  les  souffrances  et  les  faiblesses  de  son 

1.  TEmvLL.,  contra  Praxeam. 

'i..  S.  Cyi'Rian.,  fie  Idolorwn  vanitale,  passim. 


382         L-V  SAINTE  ECCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

«  humanité.  Comme  Dieu,  il  parle  de  ce  qui  appartient  à  la  divir 
u  nité,  parce  qu'il  est  le  Verbe;  comme  homme,  il  parle  de  ce  qui 
«  appartient  à  la  nature  humaine,  parce  qu'il  est  revêtu  de  notre 
«  substance  '.  » 

S.  Augustin,  qu'on  peut  appeler  le  plus  grand  des  docteurs  de 
l'Église,  a  souvent  traité  dans  ses  écrits  de  l'unité  de  personne  en 
Notre-Seigneur.  Une  ou  deux  citations  suffiront  pour  faire  con- 
naître sa  doctrine  sur  ce  point. 

«  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu  est  Dieu  et  homme  tout  ensemble  ; 
Dieu  avant  tous  les  temps,  et  homme  dans  le  temps.  Dieu  parce 
qu'il  est  le  Verbe  de  Dieu  :  car  le  Verbe  était  Dieu,  et  homme, 
parce  que  le  corps  et  l'âme  se  sont  joints  au  Verbe  dans  l'unité 
d'une  seule  personne.  C'est  pourquoi,  en  tant  qu'il  est  Dieu, 
son  Père  et  lui  ne  sont  qu'un  ;  mais  en  tant  qu'il  est  homme,  le 
Père  est  plus  grand  que  lui  :  car  étant  Fils  unique  de  Dieu,  non 
par  grâce,  mais  par  nature,  il  a  été  fait  Fils  de  l'homme,  afin 
qu'il  fût  aussi  plein  de  grâce;  et  étant  le  même,  il  est  l'un  et 
l'autre,  et  de  l'un  et  de  l'autre,  il  ne  s'est  fait  qu'un  seul  Christ. 
Ayant,  en  effet,  la  forme  de  Dieu,  il  n'a  pas  cru  faire  un 
larcin  de  s'attribuer  ce  qui  était  dans  sa  nature,  savoir,  d'être 
égal  à  Dieu;  mais  il  s'est  anéanti  lui-même,  en  prenant  la 
forme  d'un  serviteur,  sans  perdre  ni  diminuer  la  forme  de  Dieu. 
Par  là  il  est  devenu  moindre  et  est  demeuré  égal,  étant  l'un  et 
l'autre  et  n'étant  qu'un  ;  mais  l'un  comme  Verbe,  et  l'autre  comme 
homme.  Comme  Verbe  il  est  égal  au  Père,  et  comme  homme  il 
est  moindre  que  lui.  Le  même  et  unique  Fils  de  Dieu  est  aussi 
Fils  de  l'homme,  et  le  même  Fils  de  l'homme  est  aussi  Fils  de 
Dieu.  Ce  ne  sont  pas  deux  Fils  de  Dieu,  un  Dieu  et  un  homme, 
mais  un  seul  Fils  de  Dieu  :  Dieu  n'ayant  point  de  commence- 
ment; homme  ayant  un  commencement  certain  :  l'un  et  l'autre 
est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  2.  » 

1.  Servemus  distinctionem  Divinitatis  et  carnis.  Unus  in  utraque  loquitur 
Dei  Filius;  quia  in  eodem  utraque  natura  est;  et  si  idem  loquitur,  non  uno 
sempcr  loquitur  modo.  Intende  in  eo  nunc  gloriam  Dei,  nunc  hominis  pas- 
siones.  Quasi  Deus  loquitur  quae  sunt  divina,  quia  Verbum  est.  Quasi  homo 
dicit  qujE  sunt  humana,  quia  in  mea  substantia  loquebatur.  (S.  Ambhos., 
lib.  II  de  Fidc,  cap.  ix,  n.  77.) 

2.  Proinde  Christus  Jésus  Dei  Filius  est  et  Deus  et  homo.  Deus  ante  omnia 
saecula,  homo  in  nostro  saeculo.  Deus,  quia  Dei  Verbum  :  Deus  enim  erat  Ver- 
bum, homo  autem  quia  in  unitatem  personae  accessit  Verbo  anima  rationalis 
et  caro.  Quocirca  in  quantum  Deus  est,  ipse  et  Pater  unum  sunt  :  in  quan- 


UNITÉ  DE  LA   PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        383 

Il  dit  encore  dans  un  de  ses  Traités  sur  l'Évangile  de  S.  Jean  : 
«  Reconnaissons  donc  en  Jésus-Christ  deux  substances,  dont  l'une 
«  est  la  nature  divine,  par  où  il  est  égal  à  son  Père,  et  l'autre  la 
«  nature  humaine,  par  où  il  est  moins  grand  que  lui.  Mais  recon- 
«  naissons  en  même  temps  que  ces  deux  natures  ne  sont  qu'un 
«  Jésus-Christ,  de  peur  d'introduire  dans  la  nature  divine  une 
«  quaternité  au  lieu  de  la  Trinité  :  car  comme  le  corps  et  l'âme 
«  raisonnable,  joints  ensemble,  ne  font  qu'un  Jésus-Christ,  ainsi 
«  Jésus-Christ  est  tout  ensemble  Dieu,  une  âme  raisonnable  et  un 
«  corps.  Nous  reconnaissons  Jésus-Christ  dans  ce  tout  divin  et  dans 
«  chacune  des  parties  dont  il  est  composé.  Quand  donc  on  nous 
«  demande  par  qui  a  été  fait  le  monde,  nous  répondons  :  Par 
«  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  quoiqu'il  n'ait  été  fait  que  par 
«  Jésus-Christ  comme  Dieu.  Et  si  on  nous  demande  qui  a  été  cru- 
«  cifié  sous  Ponce-Pilate,  nous  répondons:  Jésus-Christ,  quoiqu'il 
«  n'ait  été  crucifié  que  dans  sa  forme  et  dans  sa  nature  de  servi- 
«  teur.  Il  en  est  de  même  des  deux  parties  dont  est  composée  son 
«  humanité  sainte;  par  exemple,  si  on  nous  demande  qui  est-ce 
V  qui  n'a  pas  été  laissé  dans  les  enfers,  nous  répondons  :  Jésus- 
«  Christ,  quoiqu'il  ne  s'agisse  que  de  son  àme.  Si  on  nous  de- 
«  mande  qui  a  été  trois  jours  dans  le  sépulcre,  nous  disons:  Jésus- 
«  Christ,  quoiqu'il  ne  s'agisse  que  de  son  corps.  Le  nom  de  Jésus- 
«  Christ  est  donné,  dansTÉcriture,  à  chacune  des  parties  qui  entrent 
«  dans  ce  divin  composé,  sans  que,  pour  cela,  il  y  ait  ni  deux,  ni 
«  trois,  mais  un  seul  Jésus-Christ  •.  » 

tum  homo  est,  Pater  major  est  illo.  Cum  enim  esset  unicus  Dei  Filius,  non 
gratia,  sed  natura,  ut  esset  etiam  plenus  gratia,  factus  est  et  hominis  filius  : 
idemque  ipse  utrumque  ex  utroque  unus  Christus.  Quia  cum  in  forma  Dei 
esset,  non  rapinam  arbitratus  est,  quod  natura  erat,  id  est,  esse  xqualis  Deo. 
Exinanivil  autem  se,  accipiens  formam  servi,  non  amittens  vel  niinuens  for- 
mam  Dei.  Ac  per  hoc  et  minor  est  factus  et  mansit  aequalis,  utrumque  unus, 
sicut  dictum  est  :  sed  aliud  propter  Verbum,  aliud  propter  hominem  :  propter 
Verbum  aequalis  Patri;  propter  hominem  minor.  Unus  Dei  Filius,  idemque 
hominis  filius;  unus  hominis  filius,  idemque  Dei  Filius  :  non  duo  filii  Dei 
Deus  et  homo,  sed  unus  Dei  Filius.  Deus  sine  initio,  homo  a  certo  initie.  Do- 
minus  noster  Jésus  Christus.  (S.  August.,  Enchirid.  de  fide,  spe  et  charilate, 
lib.  I,  cap.  X.) 

1.  Agnoscamus  geminam  substantiam  Christi,  divinam  scilicet  qua  aequalis 
est  Patri  ;  humanam  qua  major  est  Pater.  Utrumque  autem  simul  non  duo  sed 
unus  est  Christus  ;  ne  sit  quaternitas,  non  Trinitas  Deus.  Sicut  enim  unus  est 
homo  anima  rationalis  et  caro,  sic  unus  est  Christus  Deus  et  homo  :  ac  per 
hoc  Christus  est  Deus,  anima  rationalis  et  caro.  Christum  in  his  omnibus, 
Christum  in  singulis  confitemur.  Quis  est  ergo  per  quem  factus  est  mundus? 


384         LA  SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

Une  autre  preuve  de  l'unité  de  la  personne  en  Notre-Seigneur, 
que  l'on  peut  tirer  des  écrits  des  Pères,  est  le  nom  de  Mère  de 
Dieu  qu'ils  donnent  à  la  bieniieureuse  Vierge  Marie.  Évidemment, 
s'il  y  avait  en  Jésus-Christ  deu.x  personnes,  une  personne  divine 
et  une  personne  humaine,  la  bienheureuse  Vierge  ne  serait  pas 
Mère  de  Dieu,  mais  seulement  mère  de  la  personne  humaine  qui 
se  trouverait  en  lui,  conjointement  avec  le  Verbe.  Or,  S.  Cyrille 
d'Alexandrie  déclare  que  cette  expression  de  Mère  de  Dieu  est 
familière  aux  anciens  Pères,  lorsqu'ils  parlent  de  Marie,  et  que 
ceux  qui  les  ont  suivis  ont  fait  comme  eux  et  se  sont  plu  à  lui  don- 
ner ce  nom  i.  Et  pour  prouver  cette  affirmation,  il  cite  une  multi- 
tude de  textes  que  l'on  peut  voir  dans  les  actes  du  Concile 
d'Éphèse  2. 

A  cette  considération  se  rattachent  les  diverses  raisons  tiiéolo- 
giques  dont  on  se  sert  pour  appuyer  les  preuves  de  l'unité  de  la 
personne  en  Jésus-Christ,  tirées  de  l'Écriture  ou  de  la  tradition. 
Qu'il  nous  suffise  d'une  seule.  S'il  y  avait  en  Jésus-Christ  deux 

Christus  Jésus,  sed  in  forma  Dei.  Quis  est  sub  Pontio  Pilato  crucifixus?  Chris- 
tus  Jésus,  sed  in  forma  servi.  Item  de  singulis,  quibus  homo  constat.  Quis  non 
est  derelictus  in  inferno?  Christus  Jésus,  sed  in  anima  sola.  Quis  resurrectu- 
rus  triduo  jacuit  in  sepulcro?  Christus  Jésus,  sed  in  carne  sola.  Dicitur  ergo 
in  liis  singulis  Christus.  Verum  hsec  omnia  non  duo,  vel  très,  sed  unus  est 
Christus.  (In.,  tract.  LXXVIII  in  Joann.) 

\.  Vocein  liane  Deipura  veteribus  Patribus,  quorum  sanctimoniam  et  fidei 
inlegritalem  admiramur;  nec  non  omnibus  qui  eos  deinceps  hucusque  sunt 
.seculi,  per  universum  (ut  ita  dicam  terrarum  orbem),  familiarem  esse,  osten- 
dendum  existimavi.  (S.  Cyrill.  Alex.,  libr.  de  Hecla  Fide,  ad  lieginas,  n.  9.) 

2.  S.  Cyrillus,  lib.  de  Hecla  Fide,  ut  probet  nomen  Deiparae  B.  Virgini  a 
veteribus  Patribus  datum  fuisse,  laudat  testimonia  S.  Athanasii,  Attici  Cons- 
tantinopolis  episcopi,  Amphilochii  episcopi  Iconiensis,  Ammonis  episcopi  An- 
drinopoleos,  Joannis  Chrysostomi,  Severiani  Gabalorum,  Vitalii  episcopi,  et 
Theophili  Alexandrini.  —  Eorumdem  Patrum  aucloritatem,  ac  totius  Ecclesiae 
fidem  urget  contra  Nestorium,  in  epistola  ad  Acacium  episcopum  Beroensem, 
additque  :  «  Denique  nemo,  opinor,  ex  Orthodoxorum  numéro,  illam  nomi- 
nare  dubitavit,  quandoquidem  verum  est,  Emmanuelem  Deum  esse.  îlrunt 
itaque  analhemate  constricti  SS.  Patres,  qui  jamdudum  ad  Deum  evolarunt, 
caeterique  ornnes,  quolquot  Christum  Deum  esse  confèssi,  recta  veritatis  dog- 
mata  consectantur.  »  Laudat  ibidem  S.  Athanasiurn,  Theophilum,  Basilium, 
Grcgorium,  Atticum;  et  in  Epist.  III  ad  Nestorium  :  «  Hoc,  inquit,  sanctos 
Patres  sensisse  reperiemus.  Ita  non  dubilarunt  sacram  Virginem  Deiparam 
appellare  :  nam  quod  Verbi  natura,  ipsiusve  divinitas  ortus  sui  principium 
ex  sancta  Virgine  sumpserit  ;  sed  quod  sacrum  illud  corpus  anima  intelligente 
pcrfectum  ex  ea  traxerit,  cui  et  Dei  Verbum  secundum  hypostasim  unitum, 
secundum  carnem  natum  dicitur.  »  Item  diserte  confirmât  Anathematismo  3. 
(TouiCELV,  de  Incarnation)',  quaest.  vu.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.         385 

personnes,  l'une  divine,  l'autre  humaine,  le  mystère  de  notre 
rédemption  aurait  été  impossible.  Laquelle,  en  effet,  de  ces  deux 
personnes  aurait  souffert  et  serait  morte  pour  nous?  laquelle 
aurait  satisfait  pour  nous,  nous  aurait  rachetés  du  péché  et  de  la 
damnation,  aurait  institué  les  sacrements?  La  personne  divine 
n'eût  pu  ni  souffrir,  ni  mourir,  ni  satisfaire  pour  nous.  La  per- 
sonne humaine  n'aurait  pas  pu  davantage  offrir  pour  notre  rançon 
un  prix  suffisant,  puisqu'il  eût  été  nécessairement  fini  et  borné 
comme  elle;  la  puissance  lui  aurait  manqué  aussi  pour  l'institu- 
tion des  sacrements  :  en  un  mot,  tout  croulerait  dans  notre  sainte 
religion,  s'il  y  avait  deux  personnes  en  Notre-Seigneur,  comme  il 
y  a  deux  natures,  au  lieu  que  tout  s'explique  par  l'union  des  deux 
natures  en  la  personne  unique  du  Verbe  incarné.  Grâce  à  cette 
unité  de  personne,  nous  savons  qui  nous  adorons  dans  le  très 
saint  et  très  divin  Sacrement  de  l'Eucharistie  ;  nous  savons  que 
c'est  l'Homme-Dieu,  notre  Créateur,  notre  Rédempteur,  notre  Sau- 
veur, qui  est  caché  dans  le  tabernacle  par  amour  pour  nous. 

IL 

DISTINCTION    DES   DEUX    NATURES    EN    LA    PERSONNE   UNIQUE   DE   NOTRE- 
SEIGNEUR   JÉSUS-CHRIST,    PRÉSENT   AU    SAINT-SACREMENT 

Une  hérésie  diamétralement  opposée  à  celle  de  Nestorius  fut 
l'hérésie  d'Eutychès.  Le  premier  prétendait  qu'il  y  avait  en  Jésus- 
Christ  deux  personnes  distinctes;  le  second  soutenait  qu'il  n'y 
avait  dans  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  qu'une  seule  et  unique 
nature.  Il  était  déjà  très  âgé  lorsque  son  hérésie  parut  au  grand 
jour,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  déployer  une  activité  extrême 
pour  la  répandre.  Il  la  résuma  dans  une  espèce  de  symbole,  et 
l'envoya  dans  plusieurs  couvents  pour  l'y  faire  adopter.  Eutychès 
obtint  au  Brigandage  d'Éphèse  une  victoire  passagère,  due  à  la 
ruse  et  à  la  violence,  mais  il  fut  anathématisé,  lui  et  son  hérésie, 
au  Concile  de  Chalcédoine.  Une  chose  digne  de  remarque  est  que, 
tandis  que  sa  doctrine  et  celle  de  Nestorius  s'écartent  également 
et  dans  un  sens  entièrement  opposé  de  la  vérité,  il  y  eut  une  ana- 
logie frappante  dans  le  caractère  des  deux  personnages  et  dans 
leur  conduite.  Tous  deux  extérieurement  austères,  sans  conversion 
véritable  du  cœur;  avides  de  popularité;  destitués  d'une  science 
profonde;   adversaires  et  persécuteurs  exagérés  des  hérétiques; 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.   IT.  25 


386         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  VIII. 

ayant  d'eux-mêmes  la  plus  haute  opinion  et  se  croyant  les  déposi- 
taires, les  conservateurs,  les  défenseurs  uniques  de  la  vraie  foi; 
d'un  entêtement  invincible,  qui  les  rendait  sourds  à  tout  enseigne- 
ment; implacables  envers  leurs  adversaires,  et  n'épargnant  ni 
mensonge  ni  violence  pour  en  triompher,  tous  deux  eurent  la 
même  fin  et  succombèrent  devant  la  vérité.  Leur  hérésie  est  toute 
dilïérente  dans  la  forme,  mais  le  truit  d'un  même  esprit  d'er- 
reur '. 

L'hérésie  qui  prétendait  n'admettre  qu'une  seule  personne  en 
J-ésus-Christ  n'était  pas  nouvelle,  lorsque  Eutychès  s'en  empara 
pour  semer  dans  l'Église  des  discordes  et  des  désordres  sans  fin. 
Les  Manichéens  et  d'autres  anciens  hérétiques,  tels  que  Paul  de 
Samosate,  avaient  nié  qu'il  existât  en  Jésus-Christ  une  véritable 
union  entre  la  nature  divine  et  la  nature  humaine.  Les  uns  ne 
voulaient  reconnaître  en  lui  que  la  nature  divine,  et  d'autres,  que 
la  nature  humaine.  Eutychès  enseigna  qu'avant  l'Incarnation,  la 
nature  divine  et  la  nature  humaine,  qui  s'unirent  en  Jésus-Christ, 
existaient  bien  distinctes  l'une  de  l'autre,  mais  que,  par  l'Incarna, 
tion,  elles  n'en  furent  plus  qu'une  seule  -. 

Comment,  d'après  Eutychès  et  ses  sectateurs,  cette  nature 
unique  fut-elle  substituée  aux  deux  natures  qui  lui  préexistaient? 

Les  uns  dirent  que  la  nature  divine  et  la  nature  humaine  se 
mêlèrent,  se  fondirent  ensemble  de  manière  à  n'en  former  plus 
qu'une,  qui  ne  serait  ni  divine  ni  humaine,  mais  tiendrait  des 
deux,  ce  qui  est  absolument  inconciliable  avec  l'immutabilité  et 
l'incorruptibilité  du  Verbe  divin. 

D'autres  crurent  mieux  faire  en  prétendant  que  la  nature 
humaine  s'était  transformée  en  la  nature  divine  dans  la  personne 
de  Jésus-Christ.  Ce  fut  l'erreur  particulière  d'Eulychès,  qui  semble 
l'avoir  empruntée  à  Valentin  et  aux  ApollinarisLes.  D'après  lui,  le 
Christ  aérait  un  composé  de  deux  natures  dont  l'une,  la  nature 
humaine,  aurait  été  complètement  absorbée  par  l'autre.  Il  tirait  de 
là  cette  conséquence  que  la  divinité  avait  souffert,  avait  été  cruci- 

1.  Voir  Dict.  encydop.  de  la  thcol.  cathol.,  art.  Eutychès. 

2.  S.  Irénée  nous  fournit  la  preuve  de  l'antiquité  de  ces  erreurs.  Il  dit  : 
Vos  qui  ad  baptisinum  aspirare  finf^itis,  qui,  ut  toîlatis  duas  naturas,  qu8es- 

tiones  taies  proponitis,  qui  mixturam,  conrusionein  et  mutationem  in  dcitalem 
ex  corpore,  ut  hœc  confundafis,  cominiscimini,  qui  nunc  in  carnem  Verbum 
versuin  asseritis,  nunc  carnem  iri  Verblesscntiam,  et  hac  mentis  depravatione 
nihil  vos  sapere  ostenditis.  (S.  Iren.,  in  Exposit.  Eid.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        387 

fiée,  était  morte,  avait  ressuscité.  Et  parce  que  le  Verbe  divin  est 
un  seul  et  même  Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  les  disciples 
d'Eutychès  ajoutèrent  que  le  Père  et  le  Saint-Esprit  avaient  aussi 
souffert  et  nous  avaient  rachetés  en  mourant  sur  la  croix. 

D'autres  hérétiques  prétendirent  que  l'unité  de  nature  en  Jésus- 
Christ  s'était  opérée  d'une  autre  manière.  D'après  eux,  la  divinité 
n'aurait  pas  absorbé  l'humanité  au  point  de  la  transformer  en 
elle-même,  mais  au  contraire  l'humanité  aurait  été  la  plus  forte, 
et  la  nature  divine  serait  tout  simplement  devenue  une  nature 
purement  humaine.  Cependant  Apollinaire  n'ose  pas  dire  que 
cette  conversion  aurait  atteint  l'être  de  Dieu  tout  entier.  Une 
seule  parcelle  de  la  divinité,  qu'il  suppose  divisible,  aurait  été 
ainsi  changée  et  serait  devenue  nature  humaine. 

Toutes  ces  erreurs  ont  leur  source  dans  la  confusion  que  les 
hérétiques  établissaient  entre  la  nature  et  la  personne.  Ils  ne  com- 
prenaient pas  que  la  nature  et  la  personne  fussent  séparables  l'une 
de  l'autre,  et  parce  qu'ils  ne  reconnaissaient,  conformément  à  la 
foi  catholique,  qu'une  seule  personne,  ils  concluaient  qu'il  n'y 
avait  de  même  qu'une  seule  nature.  Ils  cherchaient  donc  un  moyen 
pour  arriver  à  cette  unité  de  nature  et  s'arrêtaient,  soit  à  un  mé- 
lange, soit  à  l'absorption  de  la  divinité  par  l'humanité,  ou  de 
l'humanité  par  la  divinité. 

Il  est  aisé  de  prouver  par  la  Sainte  Écriture,  les  conciles,  la  tra- 
dition et  la  raison  théologique,  que  les  deux  natures  qui  sont  en 
Jésus-Christ,  la  nature  divine  et  la  nature  humaine,  ont  gardé 
toute  leur  intégrité,  lorsque  cette  union  a  été  accomplie. 

Il  suffit  de  lire  les  saints  Évangiles,  pour  reconnaître  à  chaque 
page  la  distinction  des  deux  natures  existant  en  Jésus-Christ  dans 
leur  intégrité,  conjointement  avec  l'unité  de  personne.  Le  grand 
pape  S.  Léon,  écrivant  à  Flavien,  évêque  de  Constantinople,  met 
parfaitement  en  lumière  cette  preuve  de  la  vérité  catholique,  et 
nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  donner  au  moins  un  résumé 
de  cette  lettre  que  l'on  trouve  dans  les  actes  du  Concile  de  Chal- 
cédoine. 

Le  saint  docteur  traite  avec  étendue  la  question  de  l'Incarna- 
tion 1,  renversant  également  les  deux  erreurs  opposées  de  Nesto- 
rius  et  d'Eutychès.  Il  fait  voir  que  si  ce  dernier  est  tombé  dans 


1 


\'oir  Bibliothèque  portative  des  Pères  de  l'Eglise,  l.  VI. 


388        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

l'erreur,  c'est  faute  d'avoir  étudié  les  Saintes  Écritures,  et  d'avoir 
même  fait  attention  aux  termes  du  symbole  que  savent,  non  seule- 
ment tous  les  fidèles,  mais  encore  ceux  que  l'on  prépare  au  bap- 
tême. Ils  y  disent,  en  effet,  qu'ils  croient  en  Dieu  le  Père  tout- 
puissant,  et  en  Jésus-Christ  son  Fils  unique,  Notre-Seigneur,  qui 
est  né  du  Saint-Esprit  et  de  la  Vierge.  «  Trois  articles,  dit  S.  Léon, 
€  qui  suffisent  pour  ruiner  presque  toutes  les  machinations  des 
«  hérétiques;  car  en  croyant  que  Dieu  tout-puissant  est  éternel  et 
«  Père,  on  montre  que  son  Fils  lui  est  coéternel,  consubstantiel, 
«  et  entièrement  semblable.  C'est  le  même  Fils  éternel  du  Père 
€  éternel  qui  est  né  du  Saint-Esprit  et  de  la  Vierge  Marie.  Cette 
«  génération  temporelle  n'a  rien  ôté  ni  rien  ajouté  à  la  génération 
«  éternelle;  mais  elle  a  été  employée  tout  entière  à  la  réparation 
«  de  l'homme,  pour  vaincre  la  mort  et  le  démon,  car  nous  n'au- 
«  rions  pu  surmonter  l'auteur  du  péché  et  de  la  mort,  si  celui-là 
«  n'avait  pris  notre  nature  et  ne  l'avait  faite  sienne,  qui  ne  pouvait 
«  être  infecté  par  le  péché,  ni  retenu  par  la  mort.  Il  a  donc  été  conçu 
«  du  Saint-Esprit,  dans  le  sein  de  la  Vierge  sa  Mère,  qui  l'a  en- 
«  fanté,  comme  elle  l'avait  conçu,  sans  préjudice  de  sa  virginité.  » 
S.  Léon  appuie,  comme  nous  l'avons  dit,  cette  doctrine  sur  plu- 
sieurs passages  de  l'Écriture,  où  nous  lisons  que  le  Verbe  a  pris 
une  véritable  chair,  L'Évangile  le  nomme  Fils  de  David  et  d'Abra- 
ham '.  S.  Paul  dit  qu'il  a  été  fait  du  sang  de  David  selon  la 
chair  -.  Cet  apôtre  applique  à  Jésus-Christ  la  promesse  faite  à 
Abraham  de  bénir  toutes  les  nations  par  son  Fils  3.  C'est  aussi  de 
Jésus-Christ  que  l'on  doit  entendre  les  prophéties  d'Isaïe,  touchant 
l'Emmanuel,  fils  d'une  Vierge,  et  l'Enfant  qui  est  né  pour  nous. 
D'où  il  suit  que  Jésus-Christ  n'a  pas  seulement  la  forme  apparente 
d'un  homme,  mais  un  corps  véritable,  tiré  de  sa  Mère.  L'opéra- 
tion du  Saint-Esprit  n'a  pas  empêché  que  la  chair  du  Fils  ne  fût 
de  la  même  nature  que  celle  de  la  Mère;  elle  a  seulement  donné 
la  fécondité  à  une  vierge.  L'une  et  l'autre  nature  demeurant  donc 
dans  son  entier,  a  été  unie  en  une  personne,  afin  que  le  même 
Médiateur  pût  mourir,  demeurant  d'ailleurs  immortel  et  impas- 

\.  Liber  generationis  Jesu  Christi,  filii  David,  filii  Abraham.  [Matth.,  i,  1.) 

2.  De  Filio  suo  qui  factus  est  ei  ex  semine  David  secundum  carnem.  {Bom.j 
1,  3.) 

3.  Providens  autem  Scriptura,  quia  ex  fide  justificat  gentes  Deus,  praenun- 
tiavit  Abrahse  :  Quia  benedicentur  in  te  omnes  gentes.  {Galat.,  m,  8.) 


DNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.       389 

sible.  Il  a  tout  ce  qui  est  en  nous,  tout  ce  qu'il  y  a  mis  en  nous 
créant,  et  ce  qu'il  s'est  chargé  de  réparer:  mais  il  n'a  point  ce 
que  le  trompeur  y  a  mis;  il  a  pris  la  forme  d'esclave,  sans  la  souil- 
lure du  péché,  augmentant  la  dignité  de  la  nature  humaine,  sans 
rien  diminuer  de  ce  qui  appartient  à  la  nature  divine.  Une  nature 
n'est  point  altérée  par  l'autre;  le  même  qui  est  vrai  Dieu  est  vrai 
homme  ;  il  n'y  a  point  de  mensonge  dans  cette  union.  Comme 
Dieu  ne  change  point  par  la  grâce  qu'il  nous  fait,  l'homme  n'est 
point  consumé  par  la  grâce  qu'il  reçoit.  Le  Verbe  et  la  chair 
gardent  les  opérations  qui  leur  sont  propres;  l'un  fait  des  mi- 
racles, l'autre  souffre  des  injures.  Le  Verbe  est  Dieu,  puisqu'il  est 
dit  :  «  Au  commencement  était  le  Verbe  et  le  Verbe  était  en  Dieu 
«  et  le  Verbe  était  Dieu  '.  »  Il  est  homme,  puisqu'il  est  dit  encore  : 
«  Le  Verbe  a  été  fait  chair  et  il  a  habité  parmi  nous  2.  »  H  est 
Dieu,  puisque  «  toutes  choses  ont  été  faites  par  lui,  et  que  sans 
«  lui,  rien  n'a  été  fait  3.  »  Il  est  né  homme,  étant  «  né  d'une 
«  femme,  et  soumis  à  la  loi  ^.  »  La  naissance  de  la  chair  montre 
la  nature  humaine;  l'enfantement  d'une  vierge  montre  la  puis- 
sance divine  ^.  C'est  un  enfant  dans  le  berceau,  et  le  Très-Haut 
loué  par  les  anges.  Hérode  veut  le  tuer;  mais  les  anges  viennent 
l'adorer  s.  H  vient  au  baptême  de  S.  Jean  et,  en  même  temps,  la 
voix  du  Père  céleste  déclare  que  c'est  «  son  Fils  bien-aimé  dans 
«  lequel  il  a  mis  toute  son  affection  "'.  »  Comme  homme  il  est 
tenté  par  le  démon;  comme  Dieu  il  est  servi  par  les  anges  «.  La 
faim,  la  soif,  la  lassitude,  le  sommeil,  sont  évidemment  d'un 
homme;  mais  il  est  certainement  d'un  Dieu  de  rassasier  cinq  mille 
hommes  avec  cinq  pains,  de  donner  à  la  Samaritaine  de  l'eau 
vive  9,  de  marcher  sur  la  mer  et  d'apaiser  la  tempête  ^o.  Il  n'est 

\.  In  principio  erat  Verbum,  et  Verbum  erat  apud  Deum,  et  Deus  erat 
Verbum.  {Joann.,  i,  1.) 

2.  Et  Verbum  caro  factum  est  et  habitavit  in  nobis.  (/rf.,  i.) 

3.  Omnia  per  ipsum  facta  sunt  et  sine  ipso  factum  est  nihil.  (/rf.,  i.) 

4.  MisitDeus  Fiiium  suum  factum  ex  muliere,  factum sub  lege.  (Galat.,iv,  4.) 

5.  Nativitas  carnis  manifestatio  est  huraanœ  naturse  :  partus  Virginis  divinae 
est  virtutis  indicium   (S.  Léo,  Epist.  I  ad  Flavianum.) 

0.  Luc,  II,  7  et  seq.;  Malth.,  11, 

7.  Hic  est  Filius  meus  dilectus  in  quo  mihi  complacui.  {Matth.,  m,  17.) 

8.  Matth.,  IV,  \  et  seq. 

9.  Esurire,  iassescere  atque  dormire  evidenter  liumanum  est;  sed  quinque 
panibus  quinque  millia  hominum  satiare  et  iargiri  Samaritanae  aquam  vi- 
vam...,  divinum  est.  (S.  Léo,  Epist.  I  ad  Flavian.) 

10.  Matth.,  XIV,  2«. 


390         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

pas  d'une  même  nature  de  pleurer  son  ami  mort  et  de  le  ressus- 
citer ';  d'être  attaché  à  la  croix  et  de  changer  le  jour  en  nuit;  de 
faire  trembler  les  éléments,  et  d'ouvrir  au  larron  les  portes  du 
ciel  ^.  Comme  Dieu,  il  dit  :  «  Le  Père  et  moi  nous  ne  sommes 
«  qu'un  ■^.  »  Comme  homme  :  «  Le  Père  est  plus  grand  que 
«  moi  ^.  »  Car  encore  qu'en  Jésus-Christ  le  Dieu  et  l'homme  ne 
soient  qu'une  personne,  toutefois  autre  est  le  sujet  de  la  souffrance 
commune  à  l'un  et  à  l'autre,  et  autre  est  le  sujet  de  la  gloire 
commune.  C'est  cette  unité  de  personne  qui  fait  dire  que  le  Fils 
de  l'homme  est  descendu  du  ciel,  et  que  le  Fils  de  Dieu  a  pris 
un  corps  dans  le  sein  de  la  Vierge;  que  le  Fils  de  Dieu  a  été  cru- 
cifié et  enseveli  comme  nous  le  disons  dans  le  symbole,  quoiqu'il 
ne  l'ait  été  que  dans  sa  nature  humaine  ^.  L'Apôtre  a  dit  :  «  S'ils 
«  avaient  connu  le  Seigneur  de  Majesté,  jamais  ils  ne  l'auraient 
«  crucifié  6.  »  Jésus-Christ  demande  à  ses  apôtres  :  «  Et  vous, 
«  qui  dites-vous  que  je  suis  ''?  »  Moi  qui  suis  le  Fils  de  l'homme 
et  que  vous  voyez  avec  une  véritable  chair.  S.  Pierre  répond  : 
«  Vous  êtes  le  Christ,  Fils  du  Dieu  vivant  s,  »  le  reconnaissant 
également  Dieu  et  homme,  parce  qu'il  y  avait  autant  de  danger 
de  croire  que  Jésus-Christ  était  seulement  Dieu  ou  seulement 
homme  ^.  Après  sa  résurrection,  il  montrait  son  corps  sensible  et 
palpable,  avec  les  trous  de  ses  plaies  ;  il  parlait,  mangeait  et  habi- 
tait avec  ses  disciples;  et  en  même  temps  il  entrait,  les  portes 
fermées,  et  leur  donnait  le  Saint-Esprit  et  l'intelligence  des  Écri- 
tures, montrant  ainsi  en  lui  les  deux  natures  distinctes  et  unies. 
Eutychès,  en  niant  que  notre  nature  est  dans  le  Fils  de  Dieu, 
doit  craindre  ce  que  dit  S.  Jean  :  «  Tout  esprit  qui  confesse  que 

\.  Joann.,  ix,  'ili,  43. 

2.  Matlh.,  XXVII,  passim. 

3.  Ego  et  Pater  unum  sumiis.  (Joann.,  x,  30.) 
•i.  Pater  major  me  est.  {Id.,  xiv,  28.) 

y.  Filius  Dei  crucifixus  dicitur  ac  sepultus,  cum  haec  non  in  divihitate  ipsa, 
qua  unigenitus  consempilernus  et  consubstantialis  est  Patri  sed  in  naturae 
humanœ  sit  infirmitate  perpessus.  (S.  Léo,  Epist.  I  ad  Flavinnmn.) 

6.  Si  enim  cognovissent,  nunquam  Dominum  glorite  crucifixissent.  (/.  Cor., 
11,8.) 

7.  Vos  autem  quem  me  e.sse  dicitis?  [Matth.,  xvi,  4;J.) 

8.  Tu  es  Christus  Filius  Dei  vivi.  [Id.,  \vi,  40.) 

9.  Nec  immerito  Heatus  e&t  pronuntiatus  (Petrus)  a  Domino,  quia  unum 
horum  sine  altero  receptum  non  proderat  ad  salutem  :  sed  aequalis  erat  peri- 
cu!i,  Dominum  Jesum  Christum  aut  Deum  tantummodo  sine  homine,  aut  sine 
Dec  solum  hominem  credidisse.  (S.  Léo,  Epist.  I  ad  Flavianum.)    , 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE   ET  DISTINCTION  DES  DEUX   NATURES  EN  J.-C.        391 

fc  Jésus-Christ  est  venu  dans  la  chair  est  de  Dieu  ;  et  tout  esprit  qui 
«  divise  Jésus-Christ  n'est  pas  de  Dieu,  et  c'est  l'Antéchrist  i.  »  CaT 
qu'est-ce  que  diviser  Jésus-Christ,  si  ce  n'est  séparer  en  lui  la 
nature  humaine  de  la  nature  divine,  et  anéantir,  pard'imprudentes 
fictions,  le  mystère  par  lequel  seul  nous  sommes  sauvés?  L'erreur 
touchant  la  nature  du  corps  de  Jésus-Christ  détruit  nécessairement 
sa  passion  et  l'efficacité  de  son  sang.  S.  Léon  continue  :  «  Quand 
«  Eutychès  vous  a  répondu  :  «  Je  confesse  que  Notre-Seigneur  était 
«  de  deux  natures  avant  l'union,  mais  après  l'union  je  ne  recon- 
a  nais  qu'une  nature,  »  je  m'étonne  que  vous  n'ayez  point  relevé 
«  un  si  grand  blasphème,  puisqu'il  n'y  a  pas  moins  d'impiété  à 
«  direque  le  Fils  de  Dieu  était  de  deux  natures  avant  l'Incarnation, 
a  que  de  n'en  reconnaître  qu'une  en  lui  après  l'Incarnation.  Ne 
«  manquez  pas  de  lui  faire  rétracter  cette  erreur,  si  Dieu  lui  fait 
«  la  grâce  de  se  convertir  :  mais  en  ce  cas,  vous  pouvez  user  envers 
«  lui  de  toutes  sortes  d'indulgences;  car  lorsque  l'errôur  est  con- 
«  damnée  par  ses  sectateurs  eux-mêmes,  la  foi  en  est  plus  utilement 
a  détendue.  » 

Dans  une  autre  lettre  à  Julien,  évèque  de  Cos,  son  légat  à 
Constantinople,  S.  Léon  dit  encore  qu'Eutychès  en  niant,  comme 
il  le  faisait,  la  vérité  de  l'Incarnation,  en  détruisait  toutes  les  suites 
et  toute  l'espérance  des  chrétiens  ;  que  par  l'union  qui  s'est  faite 
de  la  nature  divine  avec  la  nature  humaine,  en  une  seule  personne, 
le  Verbe  ne  s'est  point  changé  en  chair  ni  en  âme,  puisque  la 
divinité  est  immuable,  et  que  la  chair  ne  s'est  point  changée  en 
Verbe;  qu'il  ne  doit  point  paraître  impossible  que.  le  Verl>e,  avec 
la  chair  et  l'à.me,  fasse  un  seul  Jésus-Christ,  puisqu'eii  chaque 
homme,  la  chair  et  l'âme,  qui  sont  de  nature  si  différente,  font 
une  seule  personne;  que  ce  n'est  pas  un  autre  qui  est  né  du  Père 
et  un  autre  de  la  Mère,  mais  le  même  Médiateur  de.  Dieu  et  des 
hommes,  Jésus-Christ,  qui  est  né  autrement  du  Père,  avant  toutes 
choses,  et  autrement  de  la  Mère  à  la  fin  dés  siècles  ;  qu'il:  faut  qu'Eu- 
tychès,en  disant  qu'avant  l'Incarnation  ii  y  avait  deux  natures,  ait 
cru  que  l'âme  du  Sauveur  avait  demeuré  dans  le  ciel,  avant  d'être 
unie  au  Verbe  dans  le  sein  de  la  Vierge  Marie,  ce  que  la  foi  catho- 
lique ne  permet  pas  de  penser  ;  car  il  n'a  rien  apporté  du  ciel  qui 

i.  Omnis  spirilus  qui  confiletur  Jesum.(:iiristiim  in  carne  venisse,  ex  Ueo 
est;  et  omnis  spiritus  qui  suivit  Jesiim  e.\ J)^  non  est;  et  liic  est  Antidn-istus. 
(/.  Joanii.,  IV,  -2,  ;5.) 


392         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  GHAP.  VIII. 

fût  de  notre  condition;  il  n'a  pas  pris  une  âme  déjà  créée,  mais  il 
l'a  créée  en  la  prenant;  qu'il  faut  donc  punir  dans  Eutychès  ce 
qu'on  a  condamné  dans  Origène  :  savoir,  que  les  âmes  ont  vécu 
et  agi  avant  d'être  mises  dans  les  corps.  Quoique  la  naissance  de 
Jésus-Christ  soit  au-dessus  de  la  nôtre,  par  diverses  raisons,  ayant 
été  conçu  d'une  manière  différente  de  nous,  et  sa  Mère  l'ayant 
conçu  et  enfanté  sans  perdre  sa  virginité,  sa  chair  n'était  point 
d'une  nature  différente  de  la  nôtre.  Il  en  est  de  môme  de  son  âme; 
elle  n'est  pas  distinguée  des  nôtres  par  la  diversité  du  genre,  mais 
par  la  sublimité  de  la  vertu.  Sa  chair  ne  produisait  point  de  désirs 
contraires  à  l'esprit  ;  il  n'y  avait  point  en  lui  de  combat,  mais  seu- 
lement des  affections  soumises  à  la  divinité. 

L'autorité  du  grand  pape  S.  Léon,  un  des  plus  illustres  docteurs 
de  l'Église,  donnant  ses  instructions  à  son  légat  pour  les  commu- 
niquer au  Concile  de  Chalcédoine,  suffit  pour  montrer  quelle  a 
toujours  été  la  doctrine  de  l'Église  sur  l'intégrité  et  la  distinction 
des  deux  natures,  dans  la  personne  unique  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme;  et  les  extraits  de  ses  lettres  apportent  suffisamment  de 
preuves  pour  appuyer  cette  doctrine.  Il  est  bon  néanmoins,  afin 
d'être  complet,  d'y  ajouter  quelques  textes  prisa  d'autres  sources, 
et  de  montrer  ainsi  que  les  autres  Pères  professaient  une  doctrine 
identique  à  la  sienne. 

Disons  d'abord  que  les  Conciles  de  Nicée,  d'Éphèse,  de  Chalcé- 
doine, condamnèrent  officiellement  l'hérésie  d'Eutychès  et  sanc- 
tionnèrent ainsi,  par  leur  autorité,  la  véritable  doctrine. 

Si  nous  voulons  maintenant  interroger  directement  la  tradition, 
elle  ne  nous  répondra  pas  avec  moins  de  précision  et  de  clarté. 

Dès  le  i"  siècle  nous  voyons  S.  Ignace  parler  toujours  de  deux 
natures  en  Jésus-Christ,  comme  les  croyant  réellement  distinguées 
entre  elles,  sans  mélange  ni  confusion,  mais  unies  en  lui,  en  une 
seule  personne  '. 

Voici  comment,  dans  la  première  moitié  du  ii"  siècle,  S.  Jus- 
tin, philosophe  martyr,  parlait,  dans  sa  seconde  apologie,  de  la 
génération  du  Verbe  :  t  Nous  croyons  que  notre  doctrine  doit 

î.  Unus  raedicus  est,  carnalis  et  spiritualis,  factuset  non  factus;  in  homine 
Deus  ;  in  morte  vita  aeterna  ;  ex  Maria  et  ex  I)eo  :  primum  passibilis,  et  lune 
impassibilis,  Dominus  noster  Jésus  Christus.  (S.  Ignat.,  Epist.  ad  Ephes.) 

Vere  genitus  ex  Deo  et  Virgine,  non  tamen  eodem  modo,  nec  enim  idem 
»unt  Deus  et  homo,  vere  corpus  assumpsit,  quippe  Verbum  caro  factum  est. 
(Id,,  Epist.  ad  Trallianos.) 


DNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        393 

«  être  reçue,  parce  qu'elle  est  vraie  et  nous  a  été  enseignée  par 
«  Jésus-Christ  qui  seul  est  le  Fils  de  Dieu,  proprement  engendré, 
«  étant  son  Verbe,  son  premier-né  et  sa  vertu,  et  fait  homme  par 
«  sa  volonté....  Ceux  qui  prennent  le  Fils  pour  le  Père  font  voir 
«  qu'ils  ne  connaissent  pas  le  Père,  et  ne  savent  pas  que  ce  Père 
€  de  l'univers  a  un  Fils  qui,  étant  le  Verbe  et  le  premier-né  de 
«  Dieu,  est  aussi  Dieu,  et  a  paru  autrefois  à  Moïse  et  aux  autres 
4  prophètes  en  forme  de  feu  et  en  image  incorporelle.  Et  mainte- 
«  nant,  sous  votre  empire,  il  s'est  fait  homme  par  une  Vierge, 
«  selon  la  volonté  du  Père,  pour  le  salut  de  ceux  qui  croient  en 
«  lui  ^  » 

Quelques  années  plus  tard,  S.  Irénée  reprochait  aux  hérétiques, 
qui  ne  voulaient  voir  en  Jésus-Christ  que  la  nature  humaine,  de 
détruire  ainsi  le  mystère  de  notre  rédemption.  Ils  privent  l'homme, 
disait-il,  du  bonheur  de  s'élever  jusqu'au  Seigneur,  et  ils  sont  in- 
grats envers  le  Verbe  qui  s'est  incarné  pour  eux.  Car  c'est  pour  eux 
que  le  Verbe  de  Dieu  s'est  fait  homme,  que  celui  qui  est  Fils  de 
Dieu  est  devenu  aussi  Fils  de  l'homme,  pour  que  l'homme  devienne 
fils  de  Dieu  par  adoption  2.  Il  faudrait  citer  toutes  les  admirables 
pages  que  le  saint  docteur  a  consacrées  à  réfuter  les  erreurs  des 
hérétiques  touchant  la  divinité  et  l'humanité  du  Sauveur. 

Origène  n'est  pas  moins  orthodoxe  que  S.  Irénée  sur  le  mystère 
de  l'Incarnation  du  Verbe  de  Dieu.  Il  enseigne  que  le  corps  pris 
par  le  Verbe  de  Dieu  dans  le  sein  de  sa  Mère  était  un  corps  maté- 
riel, sujet  aux  blessures,  à  la  souftrance,  à  la  mort  même,  comme 

1.  S.  Justin.,  //.  Apolog. 

2.  Ignorantes  autem  qui  ex  Virgine  est  Emmanuel,  privantur  munere  ejus, 
quod  est  vita  aeterna  :  non  recipientes  autem  Verbum  incorruptionis  persévé- 
rant in  carne  mortali,  et  sunt  debitores  mortis,  antidotum  vitae  non  accipien- 
tes.  Ad  quos  Verbum  ait,  suum  munus  gratiae  narrans  :  Ego  dixi,  DU  estis, 
et  filii  Allissîmiom7ies;  vos  autem  sicut  hommes  moriemini.  Ad  eos  indubitate 
dicit  qui  non  percipiunt  munus  adoptionis,  sed  contemnunt  incarnationem 
purae  generatioiiis  Verbi  Dei,  fraudantes  hominem  ab  ea  ascensione  quœ  est 
ad  Dominum,  «t  ingrati  existentes  Verbo  Dei,  qui  incarnatusest  propter  ipsos. 
Propter  hoc  enim  Verbum  Dei  homo,  et  qui  Dei  Filius  est,  filius  hominis  factus 
est,  commixtus  Verbo  Dei,  ut  adoptionem  percipiens  fiât  Filius  Dei....  Sicut 
enim  homo  erat  ut  tentaretur;  sic  et  Verbum  ut  glorificaretur  :  requiescente 
quidem  Verbo,  ut  posset  tentari,  et  inhonorari,  et  crucifigi,  et  mori;  absorpto 
autem  homine  in  eo  quod  vincit  et  sustinet,  et  resurgit,  et  assumitur.  Hicigi- 
tur  Filius  Dei  Dominus  noster,  existens  Verbum  Patris  et  Filius  hominis  : 
quoniam  ex  Maria,  quae  ex  hominibus  habebat  genus,  quae  et  ipsa  erat  homo, 
habuit  secundum  hominem  generationem.  factus  est  filius  hominis,  etc. 
(S.  Iren.,  lib.  III  contra  Hxres.,  cap.  \xi.) 


394         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   VIII. 

celui  des  autres  hommes  •  ;  qu'il  s'est  aussi  uni  à  une  âme  hu- 
maine, d'une  union  très  intime,  pour  n'en  être  jamais  séparé  2  ; 
qu'il  y  a  deux  natures  en  Jésus-Christ,  l'une  divine,  l'autre  humaine, 
unies  en  une  seule  personne  :  Jésus-Christ  est  donc  vrai  Dieu  et 
vrai  homme  tout  ensemble  3.  Citons  seulement  ce  mot  d'une  de 
ses  homélies  :  «  Il  dormait  de  corps;  mais,  par  sa  divinité,  il 
«  soulevait  la  mer,  l'agitait  et  l'apaisait  à  son  gré  ^.  » 

S.  Hilaire  pose  pour  principe  que  c'est  le  Verbe  qui  s'est  formé 
le  corps  qu'il  a  pris  dans  le  sein  de  la  Vierge;  en  sorte  que  sa 
naissance  selon  la  chair  n'a  rien  de  commun  avec  celle  des  hom- 
mes; que  le  Verbe  n'a  pas  fait  dans  ce  corps  les  fonctions  d'àme, 
mais  qu'il  a  pris  en  même  temps  une  âme  et  un  corps  ;  qu'en  s'u- 
nissant  à  la  nature  humaine,  il  n'a  souffert  aucun  changement 
dans  sa  divinité.  De  là  il  conclut  que  Jésus-Christ,  quoique  conçu 
d'une  autre  manière  que  le  reste  des  hommes,  a  néanmoins  été 
vrai  homme  et  vrai  Dieu.  Que,  comme  homme,  il  a  bien  voulu 
soulï'rir,  mais  quil  n'y  a  été  contraint  par  aucune  nécessité,  cette 
nécessité,  qui  n'est  qu'une  suite  de  la  corruption  de  notre  origine, 
n'ayant  pas  lieu  dans  celui  qui  est  sans  péché  ;  que,  comme  Dieu, 
il  a  été  incapable  de  souffrir  ^  Le  X*  livre  du  traité  de  S.  Hilaire 

1.  Ork;en.,  lib.  III  contra  Cels. 

'i.  II).,  lib.  \'I  contra  Ce/s. 

■i.  In.,  lib.  II  contra  Cels. 

i.  Ipse  corporc  doriniebat,  deitate  vero  concitabat  et  conturbabat  mare  et 
iterum  complacabat.  (Id.,  hom.  VI  in  diversa.) 

V>.  nuod  si  assumpta  .sibi  per  se,  ex  A'irgine,  carne,  ipse  sibi  et  ex  se  ani- 
mam  concepli  per  se  cor])oris  coaptavit;  secunduni  animse  corporisque  natii- 
ram,  necesse  est  et  passionum  fuisse  naluram.  Evacuans  se  enim  ex  Dei 
forma,  et  formam  servi  accipiens,  et  Filius  Dei  etiam  Filius  hominis  nascens, 
ex  se  suaque  virtute  non  deficiens,  Deus  Verbum  consummavit  hominem 
yivenlem.  Nam  quomodo  Filius  Dei  hominis  filius  erit  natus,  vel  manens  in 
Dei  forma,  formam  .servi  acceperit:  si  non  potente  Verbo  Dei  ex  se  et  carnem 
intra  Virginem  assumere,  et  carni  animam  tribuerc,  homo  Christus  Jésus  ad- 
redemptionem  animae  et  corporis  noslri  perfectus  est  natus;  et  corpus  quidem 
ita  assuinpserit,  ut  id  ex  Virgine  conceptum  formam  eum  esse  servi  elïecerit. 
Virgo  enim  non  ni.si  ex  suo  sancto  Spiritu  genuit.  Kt  quamvis  tantum  adnati- 
vilatem  carnis  ex  se  daret,  quantum  ex  se  fœmijiae  edendorum  corporum, 
susreptis  originibus  impenderent;  non  tamen  Jésus  Christus  per  humanae 
conceptionis  coaluit  naturarn.Sed  omnis  causa  nascendi  invecta  per  Spiritum, 
tenuit  in  hominis  Ujativitate  quod  matris  est;  eum  tamen  haberet  in  originis 
virtute  quod  Deus  est.  (S.  IIilar.,  lib.  X  de  Trinitate.  n.  liJ.I 

Hujus  igitur  corporis  homo  Jésus  Christus  et  Dei  Filius,  et  hominis  est  Fi- 
lius, et  ex  forma  Dei  se  exinaniens  formam  servi  accepit.  Non  alius  Filius 
hominis,  quam  qui  Filius  Dei  est;  neque  alius  in  forma  Dei,  quam  qui  in 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION   DES  DEDX  NATURES  EN  J.-C.        395 

sur  la  Trinité  est  tout  entier  consacré  à  l'existence  des  deux  na- 
tures distinctes  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Nous  ne  citerons  rien  ici  ni  de  S.  Augustin  ni  de  S.  Ambroise  ; 
les  passages  apportés  en  témoignage  de  leur  croyance  à  Tunité  de 
la  personne  en  Notre-Seigneur  montrent  en  même  temps  qu'ils 
reconnaissaient  en  lui  la  nature  divine  et  la  nature  humaine, 
distinctes  et  parfaites. 

Quelques  mots  empruntés  à  S.  Cyrille  d'Alexandrie,  le  grand 
champion  de  la  vérité  contre  les  ennemis  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme,  suffiront  pour  montrer  qu'il  ne  croyait  pas  moins  aux 
deux  natures  en  Notre-Seigneur  qu'à  l'unité  de  la  personne. 

«  Il  n'y  a  qu'un  seul  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu,  dit-il  dans  la 
«  lettre  à  Aristobule.  Le  même  qui  est  engendré  de  Dieu  avant 
«  tous  les  temps  est  né  d'une  femme  dans  les  derniers  temps, 
«  selon  la  chair.  »  Et  dans  sa  lettre  à  Nestorius  :  «  Quoique  les 
«  deux  natures  en  Jésus-Christ  soient  différentes,  étant  unies 
«  d''une  manière  ineffable  en  unité  de  personne,  elles  constituent 
t  un  seul  Jésus-Christ,  sans  que  cette  union  détruise  la  différence 
«  des  deux  natures.  » 

S.  Anselme  dit  qu'en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  les  deux 
natures  entières,  la  divine  et  l'humaine,  ont  été  unies  en  une  seule 
personne,  comme  l'àme  et  le  corps  en  un  seul  homme.  Par  cette 
union,  la  divinité  n'a  point  été  rabaissée,  mais  la  nature  humaine 
a  été  élevée;  Dieu  n'a  souffert  dans  sa  nature  aucune  diminution, 
mais  l'homme  a  éprouvé  dans  ce  mystère  les  effets  de  la  miséri- 
corde de  Dieu  '. 

S.  Bernard  clora  cette  série  de  témoignages.  Il  écrivait  au  pape 

forma  servi  perfectus  homo  natus  est:  ut  sicut  per  naturam  constilutam  nobis 
a  Deo  originis  nostrae  principe,  corporis  atque  animse  homo  noscitur;  ita 
Jésus  Christus,  per  virtutem  suam  carnis  atcjue  animte  homo  ac  Deus  esset, 
habens  in  se  totum  verumque  quod  homo  est,  et  totum  verumque  quod  Deus 
est.  (Id.,  ifiUL,  n.  19.) 

•  Quanquam  multi  confirmandae  haereseos  suœ  arle,  ita  aures  imperitorum 
soleant  illudere,  ut  quia  et  corpus  et  anima  Ad.-e  in  peecato  fuit,  carnem  quo- 
que  .\daî  atque  animam  Dominus  ex  Virgine  acceperit.  neque  hominem  totum 
ex  Spiritu  sancto  Virgo  conceperit.  Qui  si  inlelligerent  sacramentum  carnis 
assumplte,  inlelligerent  etiam  sacramentum  ejusdem  et  hominis  l'ilii,  et  Dei 
Filii.  Quasi  vero  si  tantum  ex  Virgine  assumpsissct  corpus,  assumpsisset  quo- 
que  ex  eadem  anima  :  cum  anima  omnis  0])us  Dei  sil.  carnis  vero  goneratio 
semper  ex  carne  sit.  (Id.,  ibid.,  n.  !20.  —  Vide  totum  hune  lihrum  X  traclatus 
de  Tvinilnle.) 

\.  S.  Anselme.  \o\t  BihlioŒèque  portative  di'n  Pères. 


396         LX  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

Eugène  III,  qui  avait  été  son  disciple  :  «  En  Jésus-Christ  le  Verbe, 
«  1  ame  et  le  corps  ne  font  qu'une  personne,  sans  confusion  d'es- 
€  sences,  et  les  essences  à  leur  tour  font  nombre,  sans  préjudice 
«  de  l'unité  de  personne.  Je  ne  puis  nier  d'ailleurs  que  cette  espèce 
«  d'unité  a  du  rapport  avec  celle  par  laquelle  le  corps  et  l'âme 
«  constituent  l'homme;  il  convenait  en  eftet  que  le  mystère  qui 
«  s'est  accompli  en  faveur  de  l'homme  eût,  avec  sa  constitution, 
«  une  sorte  de  ressemblance  et  de  parenté;  de  même  qu'il  conve- 
€  nait  aussi  à  l'unité  suprême  qui  est  en  Dieu,  et  n'est  autre  que 
€  Dieu,  que  comme  elle  est  en  trois  personnes,  ne  laissant  pas  de 
«  ne  faire  qu'une  seule  et  même  essence,  ainsi,  par  une  opposition 
«  qu'on  s'explique  très  bien,  trois  essences  dans  l'autre  ne  fissent 
«  qu'une  seule  et  même  personne;  en  sorte  que  cette  seconde  unité 
a  se  trouve  admirablement  bien  placée  entre  les  deux  autres,  dans 
t  la  personne  de  l'Homme-Dieu,  Jésus-Christ,  le  médiateur  entre 
«  Dieu  et  l'homme.  Oui,  c'est  par  une  convenance  pleine  de  bonté 
«  que  le  mystère  du  salut  répond,  par  une  certaine  similitude,  à 
«  l'une  et  à  l'autre  unité,  à  celui  qui  sauve  et  à  celui  qui  est  sauvé. 
€  Cette  unité,  qui  tient  le  milieu  entre  les  deux  autres  unités,  est 
«  supérieure  à  l'une  de  même  qu'elle  est  inférieure  à  l'autre,  et 
h  dépasse  l'une  d'autant  qu'elle  est  elle-même  dépassée  par 
«  l'autre  K  » 

A  ces  autorités  si  imposantes  on  peut  ajouter  quelques  raisons 
qui  ont  leur  fondement  nécessaire  dans  la  révélation,  puisque 
Dieu  seul  peut  nous  révéler  des  mystères  qui  touchent  de  si  près  à 
sa  nature  divine. 

Une  première  raison  est  celle-ci  :  D'après  les  Pères,  le  Verbe 

i.  Dico  in  Ghristo  Verbum  animam  et  carnem  sine  confusione  essentiarum 
unam  esse  personam,  et  item  absque  praejudicio  personalis  unitatis,  in  sua 
numerositate  manere.  Nec  negaverim  hanc  ad  illud  quoque  genus  unitatis 
perlinere,  qua  anima  et  caro  unus  est  homo.  Decuit  quippe  familiarius  simi- 
îiusque  cum  hominis  convenire  constitutione,  quod  pro  homine  constitutum 
est  sacramentum.  Decuit  et  cum  summa,  quœ  in  Deo  est  et  Deus  est  unitate 
congruere,  ut  quomodo  ibi  très  personae  una  essentia  ;  ita  hic  convenientis- 
sima  quadam  contrarietate  très  essentiœ  sint  una  persona.  Videsne  pulchre 
inter  utramque  unitatem  hanc  collocari;  in  eo  utique  qui  constitutus  est  me- 
diator  Dei  hominisque,  homo  Christus  Jésus?  Pulcherrima,  inquam,  conve- 
nientia,  ut  salutare  sacramentum  congrua  quadam  similitudine  ambobus  res- 
pondeat,  et  salvanti  videlicet  et  salvato.  Ita  haec  unitas  duarum  consistens 
média  unitatum,  alteri  succumbere,  alteri  praeeminere  cognoscitur,  quantum 
superiore  inferior,  tantum  inferiore  superior.  (S.  Bernard.,  lib.  V  de  Consi- 
dérai., cap.  ix.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX   NATURES  EN  J.-C.       397 

divin  s'est  uni  à  l'humanité,  de  telle  sorte  que  le  Christ  est  véri- 
tablement Dieu  et  non  moins  véritablement  homme.  Or  il  n'en 
serait  pas  ainsi,  dans  le  cas  où  les  deux  natures  se  seraient  en 
quelque  manière  fondues  ensemble  pour  n'en  faire  plus  qu'une,  ou 
bien  si  l'une  des  deux  avait  absorbé  l'autre.  Le  Christ  ne  serait 
plus  ni  Dieu  ni  homme,  mais  quelque  chose  d'intermédiaire  ;  ou 
bien  la  nature  humaine  n'existerait  plus  en  lui  et  il  serait  uni- 
quement Dieu,  à  moins  que  ce  ne  fût  la  nature  divine  qui  eût  cessé 
d'être,  et  qu'il  ne  restât  plus  que  la  seule  humanité:  toutes  consé- 
quences que  la  foi  et  la  raison  repoussent  également. 

En  second  lieu,  comme  on  l'a  vu  par  les  textes  de  la  Sainte  Écri- 
ture et  par  les  passages  des  Pères  qui  ont  été  rapportés,  il  est 
affirmé  de  la  personne  de  Jésus-Christ  plusieurs  choses  qui  ne 
conviennent  aucunement  à  Dieu,  et  plusieurs  autres  qui  ne  s'ac- 
cordent pas  davantage  avec  la  nature  humaine.  Ainsi  on  dit  que 
Jésus-Christ  est  né  dans  le  temps,  qu'il  a  souffert,  qu'il  est  mort, 
et  l'on  proclame  d'autre  part  qu'il  est  éternel,  impassible,  tout- 
puissant.  Des  affirmations  si  contraires  ne  peuvent  avoir  d'expli- 
cation que  dans  l'existence  simultanée  de  deux  natures  parfaites 
en  sa  seule  et  unique  personne. 

Deux  natures  complètes  ne  peuvent  s'unir  pour  n'en  former 
qu'une  seule,  parce  que  les  natures  sont  incommunicables  comme 
telles  et  que,  par  cette  union,  elles  cesseraient  toutes  les  deux 
d'être  ce  qu'elles  sont,  pour  devenir  une  nature  nouvelle.  La  nature 
divine  et  la  nature  humaine  sont  complètes  toutes  les  deux;  elles 
ne  pourraient  s'unir  comme  nature  sans  qu'au  moins  l'une  d'elles 
cessât  d'exister  comme  telle,  et  d'une  telle  union  il  résulterait 
qu'il  n'y  aurait  plus  en  Jésus-Christ  ni  l'homme  ni  le  Dieu.  Or 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  homme  et  il  est  Dieu  ^ 

Mais  c'est  assez  nous  arrêtera  des  raisonnements  dont  l'évidence 
ne  saurait  l'emporter  sur  celle  des  textes  que  l'on  a  lus  plus  haut, 
et  puisqu'il  faut  toujours  en  revenir  à  l'autorité  de  la  parole  de 
Dieu  expliquée  par  la  tradition  et  par  la  sainte  Église,  nous  n'a- 
jouterons plus  rien,  si  ce  n'est  un  acte  de  reconnaissance  envers 

1.  Cum  igitur  natura  humana  sit  quaedam  natura  compléta,  et  similiter  na- 
tura  divina,  impossibile  est  quod  concurrat  in  unam  naturam,  nisi  utraque, 
vel  alla  corrumpatur,  quod  esse  non  potest,  cum  ex  supradictis  pateat  unum 
Cliristum  et  verum  Deum,  et  verum  hominem  esse.  Impossibile  est  igitur  in 
Christo  unam  esse  tantum  naturam.  (S.  Thom.,  Summa  contra  Génies,  IV  p., 
cap.  ixxv.) 


398       LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   ClIAP.    VIII. 

ce  Dieu  infiniment  bon  qui  a  daigné  prendre  notre  nature  et 
l'élever  jusqu'à  faire  partie  de  son  adorable  personne,  sans  qu'elle 
cesse  d'être  la  nature  humaine. 

III. 

JÉSUS  EUCHARISTIQUE,  DIEU  ET  HOMME,  EST  FILS  DE  DIEU  UNIQUEMENT 
PAR  NATURE,  ET  NON  PAS  AUSSI  PAR  ADOPTION,  MÊME  CONSIDÉRÉ 
DANS    SON    HUMANITÉ. 

De  l'unité  de  la  personne  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  de 
l'intégrité  des  deux  natures  en  cette  seule  et  unique  personne, 
résultent  plusieurs  conséquences,  dont  la  première  est  celle-ci  :  Le 
Verbe  de  Dieu  incarné,  ce  Dieu  que  nous  adorons  dans  la  Très 
Sainte  Eucharistie,  est  Fils  de  Dieu  par  nature  et  non  par  adoption. 
Dans  le  dernier  quart  du  viii^  siècle  ',  Élipand,  archevêque  de 
Tolède,  ville  alors  au  pouvoir  des  Maures,  comprenant  mal,  et  à 
un  point  de  vue  restreint,  quelques  explications  de  S.  Isidore  de 
Séville  et  quelques  passages  de  la  liturgie  mozarabique,  ne  put 
résoudre  cette  question  :  «  Le  Christ,  quant  à  son  humanité,  est- 
«  il  vrai  Fils,  ou  Fils  adoptif  de  Dieu?  »  Félix,  évêque  d'Urgel, 
dans  la  Marche  espagnole  soumise  à  l'empire  de  Charlemagïie, 
répondit  à  la  question,  «  que  le  Christ,  d'après  sa  nature  divine, 
est  vrai  Fils  de  Dieu  (proprius  Dei  Filius),  mais  que,  quant  à  sa 
nature  humaine,  il  n'est  que  fils  adoptif,  comme  les  fidèles  par  le 
Baptême  sont  adoptés  de  Dieu  et  deviennent  ses  enfants.  »  Cet 
adoptianisme  était  évidemment  une  erreur  et  un  retour  à  l'hérésie 
nestorienne  -.  Félix  ne  manqua  pas  d'adversaires,  mais  il  eut  aussi 
des  partisans,  même  au  nord  des  Pyrénées.  L'erreur  fut  condamnée 
dans  plusieurs  conciles  et  Félix  avoua  sa  faute;  mais  à  peine  de 
retour  dans  son  diocèse,  il  chercha  à  faire  encore  une  fois  prévaloir 
ses  opinions  anciennes,  si  bien  que  Charlemagne  se  vit  obligé  de 
convoquer  un  nombreux  concile  à  Francfort  (794).  Là  encore  Ta- 
doptianismefut  anathématisé.  Pendant  qu'un  concile  de  Rome  tenu 

1.  Voir  iJict.  nicycloj).  de  la  Ihéol.  rfithol.,  art.  Adoidianisles. 

ii.  Alcuin  le  comprenait  parfaitement  lorsqu'il  disait,  dans  le  premier  de 
ses  livres  contre  Félix,  chap.  ,\i  : 

Sicut  Nostoriana  im])ietas  in  duas  Christum  divisit  personas  propter  duas 
naturas,  ila  et  vestra  indocta  temeritas  in  duos  eum  dividit  filios,  unum  pro- 
prium,  alterum  adoptivum.  Si  vero  Christus  est  proprius  Filius  Dei  Patris  et 
adoplivus,  ergo  est  alter  et  aller. 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        399 

SOUS  le  pape  Léon  III,  en  799,  confirmait  les  décrets  de  Francfort, 
Félix  se  trouvait  à  un  concile  d'Aix-la-Chapelle,  où  il  fut  pleinement 
convaincu  de  son  erreur,  par  Alcuin,  dans  un  colloque  qui  dura 
plusieurs  jours,  et  il  renonça  sérieusement  à  ses  erreurs.  La  con- 
troverse eut  cet  avantage  pour  l'Église,  que  les  théologiens  espa- 
gnols et  français  étudièrent  plus  sérieusement  les  sources  de  la 
théologie  dogmatique  dans  les  Pères,  et  que  la  vie  religieuse  sortit 
renouvelée  de  ces  débats. 

Durand  et  Scot  pensèrent  aussi  plus  tard  que  l'on  pouvait  donner 
à  Jésus-Christ  le  nom  de  Fils  adoptif  de  Dieu,  à  cause  de  sa  nature 
humaine.  Leur  excuse  consiste  dans  l'ignorance  où  ils  étaient  de 
la  définition  du  Concile  de  Francfort,  que  les  hérétiques  étaient 
parvenus  à  dissimuler,  et  qui  ne  fut  retrouvée  que  vers  le  milieu 
du  XVI®  siècle,  par  Surius. 

C'est  un  article  de  foi  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  consi- 
déré comme  Verbe  de  Dieu,  est  Fils  de  Dieu  par  sa  nature  même. 
Nous  le  confessons  dès  les  premiers  mots  du  Symbole  des  Apôtres 
et  des  autres  symboles  :  Il  est  le  Fils  unique  de  Dieu.  Nous  lisons 
dans  la  première  épître  de  S.  Jean  :  «  Nous  savons  que  le  Fils  de 
«  Dieu  est  venu  et  nous  a  donné  l'intelligence,  pour  que  nous  con- 
«  naissions  le  vrai  Dieu  et  que  nous  soyons  en  son  vrai  Fils.  C'est 
«  lui  qui  est  le  vrai  Dieu  et  la  vie  éternelle  ^  » 

Au  moment  de  Tlncarnation,  le  messager  céleste  dit  à  la  bien- 
heureuse Vierge  :  «  Voilà  que  vous  concevrez  dans  votre  sein  et 
«  que  vous  enfanterez  un  Fils  à  qui  vous  donnerez  le  nom  de 
«  Jésus.  Il  sera  grand  devant  Dieu  et  sera  appelé  le  Fils  du  Très- 
«  Haut'.  »  Un  instant  après  il  dit  encore:  «  C'est  pourquoi  la 
«  chose  sainte  qui  naîtra  de  vous  sera  appelée  le  Fils  de  Dieu  3.  » 
Plus  tard  Notre-Seigneur  demandait  à  ses  apôtres  ce  qu'ils  pen- 
saient qu'il  était,  et  S.  Pierre  répondait  au  nom  de  tous  :  «  Vous 
«  êtes  le  Christ,  fils  du  Dieu  vivant.  »  L'apôtre  S.  Paul  dit,  dans 
l'Épltre  aux  Romains,  que  Jésus-Christ  est  le  Fils  propre  de  Dieu  : 
«  Il  n'a  pas  épargné  son  propre  Fils.  »  Aussi  est  il  souvent 
rapporté  dans  les  Évangiles  que  le  Seigneur  donne  à  Dieu  le  nom 

1.  Scimus  quoniam  Filius  Dei  venit,  et  dédit  nobis  sensum,  ut  cognoscamus 
verum  Deum,  et  simus  in  vero  rilio  ejus  :  liic  est  verus  Deus.  (/.  Joann., 
V,  '20.) 

!2.  Kcce  concipies  in  utero  et  paries  Filium,  et  vocalns  nomen  ejus  Jesum. 
Hic  erit  ma^'nus  et  Filius  Altissimi  vocabitur.  {Luc,  i,  31,  3-2.) 

3.  Quod  nasceiur  ex  te  sauctum  vocabitur  Filius  Dei.  (/</.,  i,  Sd.) 


I 


400         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  11*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

(Je  Père,  d'une  manière  qui  ne  peut  convenir  qu'à  un  fils  véritable. 
S.  Jean  rapporte  que  les  Juifs,  irrités  des  miracles  de  Jésus,  le 
persécutaient,  sous  prétexte  qu'il  faisait  ces  choses  le  jour  du 
sabbat  :  «  Mais  Jésus  leur  répondit  :  Mon  Père  agit  sans  cesse  et 
«  moi  j'agis  aussi.  Sur  quoi  les  Juifs  cherchaient  encore  plus  à  le 
«  faire  mourir,  parce  que,  non  seulement  il  violait  le  sabbat,  mais 
c  il  disait  que  Dieu  était  son  Père,  se  faisant  ainsi  égal  à  Dieu  K  » 
Jésus-Christ  cherche-t-il  à  les  faire  revenir  de  cette  pensée?  Leur 
dit-il  qu'ils  interprètent  mal  ses  paroles  ?  Au  contraire,  il  appuie 
sur  les  relations  qui  existent  entre  le  Père  et  lui;  il  redit  plusieurs 
fois  qu'il  est  réellement  le  Fils  de  Dieu,  en  termes  tellement  clairs 
qu'il  est  impossible  de  ne  pas  leur  donner  ce  sens.  Une  autre  fois 
il  dit  encore  aux  Juifs  :  «  Ce  que  mon  Père  m'a  donné  est  plus 
€  grand  que  toutes  choses....  Moi  et  mon  Père  nous  sommes  un  2.  > 
Les  ennemis  du  Sauveur  comprirent  encore  la  signification  de 
ses  paroles  et  voulurent  le  lapider,  parce  qu'il  se  faisait  Dieu; 
et  Jésus  ne  chercha  pas  plus  que  la  première  fois  à  les  détourner 
de  cette  pensée  ;  au  contraire,  il  les  y  confirma.  Après  sa  résur- 
rection il  apparaît  à  Madeleine  et  lui  dit  :  «  Allez  à  mes  frères  et 
«  dites-leur  :  Je  monte  vers  mon  Père  et  votre  Père  3.  »  H  montre 
par  cette  distinction  que  Dieu  est  son  Père  d'une  autre  manière 
qu'il  n'est  le  Père  des  apôtres. 

Plusieurs  fois  les  souverains  pontifes  eurent  l'occasion  d'affir- 
mer solennellement  que  Jésus-Christ  est  véritablement  Fils  de 
Dieu,  et  non  pas  seulement  son  Fils  adoptif.  C'est  ainsi  que  le 
pape  S.  Damase  écrite  Paulin,  évêque  d'Antioche  :  «  Nous  ana- 
«  thématisons  ceux  qui  disent  qu'il  y  a  en  Jésus-Christ  deux  fils, 
«  l'un  existant  avant  les  siècles,  et  l'autre  seulement  depuis  l'In- 
«  carnation  *.  » 

S.  Léon  le  Grand  écrit  à  Flavien  :  «  Le  Seigneur  a  dit  :  Voyez 
«  7nes  mains  et  mes  pieds,  car  c'est  moi,  pour  démontrer  que  la 
«  nature  divine  et  la  nature  humaine  demeuraient  distinctes  en 
M  lui,  et  nous  faire  ainsi  connaître  et  confesser  que  le  Verbe  n'est 

\.  Pater  meus  usque  modo  operatur,  etc.  {Joann.,  cap.  v,  per  totum.) 

2.  Pater  meus  quod  dédit  mihi,  majus  omnibus  est....  Ego  et  Pater  unum 
sumus.  (Joann.,  x,  20,  30.) 

3.  Vade  autem  ad  fratres  meos,  et  die  eis  :  Ascendo  ad  Patrem  meum  et 
Patrem  veslrum.  {Joann.,  xx,  17.) 

i.  Anathematizamus  etiam  eos,  qui  duos  filios  esse  profitentur,  unum  ante 
sœcula,  et  alium  post  carnis  assumptionem.  (S.  Damas.,  Epist.  ad  Paulin.) 


DNITÉ  DE  LA   PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        401 

«  pas  la  chair,  mais  que  le  Verbe  et  la  chair  sont  un  seul  Fils  de 
«  Dieu  '.  »  Il  ajoute  :  «  Il  faut  le  répéter  souvent  :  un  seul  et  même 
a  Jésus-Christ  est  véritablement  Fils  de  Dieu  et  véritablement 
«  Fils  de  l'homme  ~.  » 

Le  pape  Pelage  P'',  dans  une  lettre  au  roi  de  France  Childebert, 
rappelait  en  ces  termes  la  même  vérité  :  «  Un  seul  et  même  Jésus- 
«  Christ  est  donc  véritablement  fils  de  Dieu  et  véritablement  fils 
a  de  rhomme  \  » 

S.  Grégoire  le  Grand  ne  voulait  à  aucun  titre  du  nom  de  Fils 
adoptif  de  Dieu  pour  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  comme  l'in- 
diquent plusieurs  passages  de  ses  écrits,  celui-ci  entre  autres  : 
«  Jésus-Christ  est  au-dessus  de  tous  ceux  qui  naissent  enfants  de 
a  Dieu  par  la  foi;  car  ce  n'est  pas  comme  eux,  l'adoption,  mais  sa 
«  nature  divine  qui  l'élève.  Si,  par  son  humanité,  il  parut  sem- 
«  blable  aux  autres,  par  sa  divinité  il  fut  toujours  unique  et  supé- 
«  rieur  à  tout  ^.  » 

On  pourrait  ajouter  ici  une  multitude  de  textes  tirés  des  écrits 
des  Pères,  des  actes  des  conciles,  mais  cette  vérité  que  Jésus-Christ, 
considéré  comme  Dieu,  est  Fils  de  Dieu  par  sa  nature  même,  est 
admise  avec  une  telle  unanimité  qu'il  est  permis  de  ne  pas  y 
insister  davantage. 

Peut-on  dire  avec  la  même  certitude  que  Notre-Seigneur,  con- 
sidéré comme  homme,  est  véritablement  et  proprement  Fils  de 
Dieu? 

Ce  qui  oblige  à  étudier  de  près  cette  question,  c'est  que  Jésus- 
Christ,  considéré  uniquement  comme  homme,  n'est  pas  Dieu, 
d'où  l'on  pourrait,  semble-t-il,  légitimement  conclure  qu'il  n'est 
pas  non  plus  Fils  de  Dieu  comme  homme,  puisque  le  Fils  de  Dieu 
est  nécessairement  Dieu.  D'ailleurs,  il  ne  procède  pas  du  Père,  en 

1.  Videte  manus  meas  et  pedes  meos  quia  ego  sum....  Ut  agnosceretur  in 
eo  proprietas  divinœ  humanaeque  naturœ  individua  permanere  ;  et  ita  scire- 
mus,  Verbum  hoc  non  esse  quod  carnem  :  et  ut  unum  Dei  Filium  et  Verbum 
confiteremur  et  carnem.  (S.  Léo  Magn.,  Epist.  ad  Flavian.,  cap.  v.) 

2.  Unus  enim  idemque  est,  quod  saepe  dicendum  est,  vere  Dei  Filius,  et 
vere  hominis  Filius  est.  (h).,  ibid.,  cap.  iv.) 

3.  Est  ergo  unus  atque  idem  Christus  verus  Filius  Dei,  et  idem  ipse  verus 
Filius  hominis.  (Pelasg.  I,  Epist.  XVI  ad  Ilildebert.  Francor.  reg.) 

4.  Oinnes  qui  in  fide  Deo  nascuntur  superat,  quia  non  ut  caeteros  adoplio, 
sed  natura  illuin  divinitatis  exaltât,  qui  etsi  humanitate  cseteris  apparuit  simi- 
lis, divinitate  tamen  mansit  super  omnia  singularis.  (S.  Gregor.  Magn.,  lib.  I 
Moralium,  cap.  vi.) 

LA    SAINTE  EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  26 


402         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  LIVRE  II.   —  CHAP.  VIII. 

qualité  d'homme,  par  l'éternelle  génération.  On  ne  peut  pas  dire 
non  plus  qu'il  soit  Fils  adoptif,  puisque  son  humanité  fait  partie 
de  sa  personne,  et  que  sa  personne  n'est  pas  étrangère  à  la  divinité. 

A  cause  de  ces  difficultés,  quelques  théologiens  ont  pensé  que 
si  l'on  doit  dire  d'une  manière  absolue  du  Christ  qu'il  est  Fils  de 
Dieu,  on  ne  pourrait  l'affirmer  de  môme  si  l'on  ajoutait  :  Consi- 
déré comme  homme.  Mais  cette  opinion  est  fausse,  pour  ne  pas 
dire  plus. 

Il  faut  remarquer  d'abord  que  le  nom  de  Fils  de  Dieu  peut 
revêtir  plusieurs  significations. 

Il  y  a  d'abord  le  Fils  de  Dieu,  le  Verbe  divin,  à  qui  ce  titre 
appartient  dans  toute  sa  plénitude,  parce  qu'il  est  engendré  per- 
sonnellement par  le  Père,  de  toute  éternité. 

Il  y  a  les  créatures  qui,  comme  telles,  sont  appelées  enfants  de 
Dieu,  mais  dans  un  sens  très  large  et  très  impropre. 

Il  y  a  les  fils  adoptifs  de  Dieu,  qui  sont  devenus  ses  enfants  par 
la  grâce. 

Il  y  a  enfin  la  filiation  propre  à  l'humanité  de  Notre-Seigneur, 
filiation  qui  résulte  de  l'union  de  sa  nature  humaine  à  la  personne 
du  Verbe. 

Suarez  établit  d'abord  cette  proposition  :  Jésus-Christ,  consi- 
déré comme  homme,  est  Fils  de  Dieu. 

Le  pape  Adrien,  dans  une  lettre  qu'il  adressait  aux  évêques  d'Es- 
pagne à  l'occasion  de  l'hérésie  des  adoptianistes,  citait  ces  paroles 
de  l'Apôtre  :  «  Il  n'a  pas  épargné  son  propre  Fils,  mais  il  l'a 
«  livré  pour  nous  tous;  »  puis  il  disait  :  «  Nous  savons  que  le  Fils 
«  de  Dieu  n'a  pas  été  livré  selon  sa  divinité,  mais  selon  qu'il  était 
«  véritablement  homme.  L'Apôtre  atteste  donc  que  celui  qui  a  été 
«  livré,  c'est-à-dire  l'homme  lui-même,  est  le  propre  Fils  de 
*  Dieu  1.  »  Venant  ensuite  à  ces  paroles  de  l'Évangile  :  «  Celui-ci 
«  est  mon  Fils  bien-aimé,  »  il  dit  :  «  Sur  qui  est  descendu  l'Esprit 
«  saint  en  forme  de  colombe?  Est-ce  sur  le  Dieu  ou  sur  l'homme? 
«  C'est  comme  homme  qu'il  a  reçu  le  Saint-Esprit  descendant  sur 
«  lui.  C'est  donc  de  ce  Fils  de  l'homme  sur  lequel  le  Saint-Esprit 

1.  Proprio  Filio  suo  non  pepercit,  sed  pro  nobis  omnibus  tradidit  illum. 
{Rom.,  VIII.)  —  Scimus  quia  non  est  traditus  secundum  divinitatem,  sed  se- 
cundum  id  quod  verus  homo  erat,  illum  nimirum,  qui  traditus  est,  id  est 
horainem  ip.sum,  Apostolus  proprium  Dei  Filium  protestalur.  (Adrian.  papa, 
Epist.  ad  Episc.  Eispan.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        403 

«  est  descendu,  quoiqu'il  soit  tout  ensemble  Fils  de  Dieu  et  Fils 
«  de  l'homme,  que  la  voix  du  Père,  semblable  à  celle  du  tonnerre, 
a  a  fait  entendre  ces  paroles  :  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé  en 
«  qui  j'ai  mis  toutes  mes  complaisances  :  Hic  est  Filius  meus 
«  dilectus  in  quo  mihi  bene  complacui.  S'il  avait  parlé  de  Jésus- 
«  Christ  considéré  dans  sa  divinité,  il  n'aurait  pas  dit  :  In  quo 
a  mihi  bene  complacui,  mais  seulement,  m  quo  mihi  bene  pla- 
«  cui.  Ce  mot  complacui  comprend  les  complaisances  de  la  Sainte 
«  Trinité  tout  entière,  et  le  Père  éternel  le  choisit  parce  que  toute 
a  la  Trinité  a  mis  ses  complaisances  dans  l'humanité  de  Jésus- 
«  Christ.  Remarquez  cette  observation,  car  elle  ne  vous  laisse 
«r  aucun  prétexte  de  croire  que  c'est  de  la  divinité  seule  que  le 
«  Père  a  dit  :  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé  ;  mais  plutôt  il  le 
«  disait  de  l'humanité,  sur  laquelle  il  est  rapporté  que  l'Esprit  saint 
a  descendit  K  »  Nous  ne  citons  que  ces  quelques  paroles  du  pape 
Adrien,  quoique  sa  lettre  et  les  actes  du  Concile  de  Francfort, 
auquel  elle  fut  aussi  adressée,  contiennent  d'autres  passages  qui 
enseignent  la  même  doctrine  avec  non  moins  de  force  et  de  clarté. 

Mais  comment  se  peut-il  faire  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
uniquement  considéré  comme  homme,  soit  véritablement  Fils  de 
Dieu?  Quel  est  le  fondement  sur  lequel  repose  cette  dignité  incom- 
parable de  sa  nature  humaine? 

Le  fondement  de  la  filiation  divine,  qui  convient  à  Jésus-Christ 
comme  homme,  est  la  grâce  d'union.  L'union  hypostatique  de  la 
divinité  avec  l'humanité  pouvait  seule  opérer  ce  prodige.  S.  Tho- 
mas 2,  S.  Bonaventure  et  les  autres  docteurs  disent  souvent  et 

4.  Hic  est  Filius  meus  dilectus.  {Matth.,  m,  17,  et  xvii,  li.)  —  Super  quem 
descendit  Spiritus  sanctus  in  specie  columbae,  super  Deum  an  super  homi- 
nem?....  Secundum  id  quod  homo  est,  Spiritum  sanctum  super  se  venientem 
suscepit;  de  eo  ergo  hominis  Filio,  super  quem  Spiritus  sanctus  descendit, 
licet  unus  sit  Dei  et  hominis  Filius,  vox  Patris  intonuit  dicens  :  Hic  est  Filius 
meus  dilectus,  in  quo  mihi  bene  complacui.  Si  secundum  divinitatem  dixisset 
nequaquam  diceret,  in  quo  mihi  bene  complacui;  sed  tnntummodo  :  in  quo 
mihi  bene placui.  Dum  ergo  dicit  complacui,  totam  simul  Trinitatem  compre- 
hendit  :  quia  in  homine  Christo  tota  complacuit  Trinitas,  Animadvertite  quia 
nihil  vobis  restât  ut  secundum  divinitatem  tantummodo  credatis  dixisse  I^a- 
trem  :  Jlic  est  Filius  tneus  dilectus,  sed  potius  secundum  humanitatem,  super 
quam  Spiritus  sanctus  dicitur  descendisse.  (Id.,  ibid.) 

i.  Sicut  sine  meritis  quilibet  homo  habet  ut  sit  christianus,  ita  iste  homo 
sine  meritis  habuit  ut  esset  Christus.  Est  tamen  ditïerentia  quantum  ad  termi- 
num:  quia  scilicet  Christus  pergratiam  unionisest  filius  naturaUs;  aliusautem, 
pergratiam  habitualem  est  filius  adoptivus.  (S.TiiOM.,III  p.,  q.xxiii,art.  4ad"2.) 


404        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  ClIAP.  VIII. 

prouvent  que  Jésus-Christ,  comme  homme,  est  naturellement  Fils 
de  Dieu,  et  qu'il  est  ainsi  Fils  de  Dieu  par  l'union  de  l'humanité 
à  la  personne  du  Verbe.  C'est  en  vertu  de  cette  union  que  son 
humanité  même  est  souverainement  sainte,  et  qu'il  a,  comme 
homme,  un  droit  intrinsèque  absolu  à  l'héritage  céleste,  selon  la 
parole  de  l'Apôtre  :  «  Dieu  nous  a  parlé  par  son  Fils  qu'il  a  cons- 
«  titué  héritier  de  toutes  choses.  '  »  Comme  Dieu  il  n'hérite  pas, 
il  possède  :  mais  comme  homme  uni  à  Dieu,  il  hérite  de  tous  les 
biens  de  Dieu;  ce  n'est  point  par  faveur  mais  par  droit  qu'ils  sont 
à  lui. 

Cependant  il  ne  conviendrait  pas  de  dire,  avec  Duns  Scot,  qu'en 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  la  nature  humaine  est  la  fille  de  Dieu, 
parce  que  le  nom  de  fils  ou  de  fille  ne  s'applique  jamais  à  la 
nature,  mais  à  la  personne  en  qui  la  nature  se  concrète  et  existe. 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  considéré  dans  sa  nature  humaine, 
est  donc  réellement  et  naturellement  Fils  de  Dieu.  Il  faut  recon-  " 
naître  néanmoins  qu'il  ne  l'est  pas  par  essence  et  en  vertu  d'une 
éternelle  génération,  ainsi  qu'il  est  Fils  de  Dieu,  considéré  dans  sa 
nature  divine.  Comme  Dieu,  il  est  le  Fils  éternel  du  Père,  il  lui  est 
égal  en  toutes  choses,  et  n'est  avec  lui  qu'un  même  être  divin  : 
comme  homme,  il  ne  possède  pas  cette  égalité  de  nature  et  cette 
identité,  il  n'est  pas  éternellement  engendré  par  le  Père,  et  ce 
n'est  pas  en  vertu  de  sa  nature  humaine  qu'il  jouit  de  la  vue  de 
Dieu  et  de  la  divine  béatitude;  en  un  mot,  comme  homme,  il  n'est 
pas  Dieu,  et,  s'il  est  Fils  de  Dieu  en  sa  nature  humaine,  ce  n'est 
pas  à  sa  nature  humaine  qu'il  le  doit.  Mais  il  le  doit  à  l'union  qui 
existe  entre  cette  nature  et  le  Verbe  divin.  Grâce  à  cette  union,  la 
plus  parfaite  que  l'on  puisse  concevoir  entre  l'homme  et  Dieu,  son 
humanité  est  proprement  et  substantiellement  la  nature  du  Fils 
éternel  de  Dieu,  la  nature  du  Verbe;  elle  est  une  seule  et  unique 
personne  avec  lui;  elle  est,  sauf  la  divinité,  ce  qu'il  est  :  le  Fils  de 
Dieu  est  véritablement  homme,  et  cet  homme  est  non  moins  véri- 
tablement le  Fils  de  Dieu  et  l'héritier  de  tous  ses  biens. 

On  demandera  peut-être  :  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  consi- 
déré uniquement  dans  sa  nature  humaine,  ne  pourrait-il  pas,  tout 
en  conservant  le  litre  de  Fils  de  Dieu  par  nature,  qui  lui  appartient, 
être  appelé  aussi  Fils  adoplif?  Nous  sommes  enfants  adoptifs  de 

1.  Locutus  est  nobis  in  Filio,  quern  constituit  hgeredem  universorum. 
(//e/.;-.,  I,  2.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        405 

Dieu  par  la  grâce  habituelle  que  le  Saint-Esprit  répand  en  nos 
âmes;  cette  grâce  habituelle  ou  sanctifiante,  l'humanité  de  Notre- 
Seigneur  l'a  possédée  aussi  ;  pourquoi  ne  lui  donnerait-elle  pas, 
comme  à  nous,  le  caractère  de  fils  adoptif  de  Dieu  ? 

S.  Thomas  répond  que  la  filiation  convient  proprement  à  l'hy- 
postaseou  à  la  personne,  et  nullement  à  la  nature.  Or,  en  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  il  n'y  a  pas  d'autre  personne  que  la  personne 
incréée  du  Verbe,  qui  est  Fils  de  Dieu  par  sa  nature  même,  et  qui, 
par  conséquent,  ne  saurait  l'être  par  adoption  K  Un  père  n'adopte 
pas  son  propre  fils,  mais  il  adopte  un  étranger.  La  grâce  de  l'union 
hypostatique  ne  fait  pas  que  Jésus-Christ  soit  fils  adoptif  de  Dieu, 
comme  homme,  mais  elle  communique  â  l'homme  sa  propre  per- 
sonnalité et,  avec  elle,  la  qualité  de  fils  de  Dieu  par  nature,  qui 
exclut  l'adoption.  A  proprement  parler,  dit  Alvarez,  l'humanité  du 
Christ  n'est  fille  de  Dieu  ni  par  nature  ni  par  adoption,  mais 
elle  est  unie  personnellement  au  Fils  naturel  de  Dieu.  La  bienheu- 
reuse Vierge  Marie,  en  devenant  mère  du  Fils  de  Dieu,  lui  a  com- 
muniqué la  nature  humaine,  mais  non  pas  la  personnalité  hu- 
maine, qui  eût  été  nécessaire  pour  que  l'adoption  fût  possible.  La 
personne  du  Verbe  que  Dieu  engendre  éternellement  ne  saurait 
déchoir  et  tomber  au  rang  de  fils  adoptif;  elle  ne  descend  pas  de 
son  rang  en  s'unissant  la  nature  humaine,  mais  elle  élève  cette 
nature  â  sa  propre  hauteur.  On  ne  peut  donc  dire  en  aucun  sens 
acceptable  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  soit  le  Fils  adoptif  de 
Dieu  2. 

Quelques  hérétiques  ont  avancé  que  le  Saint-Esprit  pourrait 
être  appelé  le  père  de  Jésus-Christ;  mais  absolument  rien  ne  sau- 
rait justifier  une  pareille  appellation.  En  effet,  Notre-Seigneur 
n'a  reçu  du  Saint-Esprit  ni  sa  nature  ni  sa  personnalité.  Comme 
Dieu,  il  ne  procède  pas  du  Saint-Esprit,  mais  de  la  première  per- 
sonne de  la  Sainte  Trinité  qui  est  le  Père.  Comme  homme,  ce  n'est 

4.  Respondeo  dicendum,  quod  filiatio  proprie  convenit  hyposlasi  vel  per- 
sonae,  non  autem  naturap  :  unde  et  in  \'  parte  dictum  est  quod  tiliatio  est  pro- 
priétés personalis.  In  Cliristo  autem  non  est  alia  personavel  hypostasis,  quam 
increata,  cui  convenit  esse  filiuin  per  naturam.  Dictum  est  autem  supra, 
quod  filiatio  adoptionis  est  participala  similitudo  filialionis  naturalis.  Non  au- 
tem rccipitur  aliquid  dici  participative  quod  per  se  dicitur.  Kt  ideo  Cliristus 
qui  est  filius  Dei  naturalis,  nuUo  modo  potest  dici  filius  adoptivus.  (S.  Tiiom. 
III  p.,  q.  xxiii,  art.  i.) 

-2.  \L\'.\i{EZ,  de  Incarnat.,  disput.  Lxxv. 


406         LA  SAINTE  EUCHARISTIE,    —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  Vlll. 

pas  du  Saint-Esprit,  mais  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  qu'il  a 
reçu  son  corps.  Il  est  vrai  que  le  Saint-Esprit  a  formé  le  corps  du 
sang  très  pur  de  la  bienheureuse  Vierge  ;  mais  il  n'y  a  rien  mis 
de  sa  propre  substance  :  le  Saint-Esprit  est  Dieu  et  il  n'est  pas 
homme.  Il  peut  créer  un  homme,  mais  un  homme  ne  peut  pas  pro- 
céder de  lui  par  génération.  De  plus,  ce  ne  fut  pas  le  Saint-Esprit 
seul,  mais  l'adorable  Trinité  tout  entière,  qui  accomplit  le  grand 
mystère  de  l'Incarnation.  S.  Augustin  s'élève  fortement  contre 
l'appellation  de  Père  du  Christ  que  plusieurs  voulaient  donner  au 
Saint-Esprit,  et  il  n'hésite  pas  à  traiter  cette  expression  d'absurde 
et  de  scandaleuse  K  Dans  un  de  ses  sermons  il  dit  :  «  Celui  qui  a 
«  été  conçu  du  Saint-Esprit,  le  Christ,  est  né  de  la  Vierge  Marie; 
«  non  pas  de  la  substance  du  Saint-Esprit  mais  de  sa  puissance;  il 
«  a  été  conçu,  non  pas  par  génération,  mais  par  l'ordre  du  Saint- 
ci  Esprit  et  par  sa  bénédiction  -.  »  Le  XP  Concile  de  Tolède  a  inséré 
ces  paroles  du  saint  Docteur  dans  sa  profession  de  foi. 

C'est  donc  le  Fils  du  Père  Éternel  que  nous  adorons  en  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  non  seulement  comme  Dieu 
mais  comme  homme  ;  Fils  de  Dieu  selon  toute  la  plénitude  de  ce 
titre  et  sans  aucune  restriction.  Et  c'est  à  ce  Fils  unique  de  Dieu 
que  nous  devons  le  bonheur  incomparable  de  pouvoir,  nous  aussi, 
être  les  enfants  de  Dieu  ;  car,  dit  S.  Jean,  «  il  a  donné  ce  pouvoir  à 
«  tous  ceux  qui  croient  en  son  nom  ^\  »  Qu'il  en  soit  à  jamais  béni  ! 
Et  s'il  suffit  de  croire  en  Jésus-Christ  pour  être  enfant  de  Dieu, 
comment  ceux  qui  le  possèdent  et  qui  vivent  en  lui  par  la  sainte 

i.  Cum  hoc  ipsumjam  ita  sit  absurdum  ut  nullas  fidèles  esse  aures,  id  va- 
Icant  sustinere.  Proinde  sicut  confitemur,  Dominus  noster  Jésus  Christus, 
qui  de  Deo  Deus,  hoino  autem  natus  est  de  Spiritu  sancto,  et  Maria  Virgine, 
ulraque  substantia,  divina  scilicet  atque  humana,  Filius  est  unicus  Dei  Patris 
omnipotenlis,  de  quo  procedit  Spiritus  sanclus....  (S.  August.,  Enchiridion, 
cap.  xxxvui.) 

Non  igitur  concedendum  est  quidquid  de  re  aliqua  nascitur,  continuo  ejus- 
dem  rei  filium  nuncupandum....  certe  qui  nascuntur  ex  aqua  et  Spiritu 
sancto,  non  aquaî  filios  eos  rite  dixerit  quispiam,  sed  plane  dicuntur  Filii  Dei 
Patris,  et  matris  Ecclesiae.  Sic  ergo  de  Spiritu  sancto  natus  est  Filius  Dei  Pa- 
tris, non  Spiritus  sancti.  (Id.,  ibid.,  cap.  x.xxix.) 

2.  Conceptus  de  Spiritu  sancto,  id  est,  Christus,  natus  ex  Maria  Virgine, 
Christus  enim  non  de  substantia  Spiritus  sancti,  sed  de  potentia;  nec  gene- 
ratione  .sed  jussione  et  benedictione  conceptus  est.  (II).,  serm.  VI  de  Tem- 
pore.) 

3.  Dédit  eis  potestatem  filios  Dei  fieri,  his  qui  credunl  in  nomine  ejus. 
[Joann.,  i,  6.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN   J.-C.        407 

communion  ne  seraient-ils  pas  les  enfants  chéris  entre  tous  de  son 
Père  céleste  qui  est  dans  les  cieux? 


IV. 

DEUX   VOLONTÉS    ET  DEUX    OPÉRATIONS    DISTINCTES   EN    NOTRE-SEIGNEUR 
JÉSUS-CHRIST.    —    COMMUNICATION    DES    IDIOMES 

De  l'hérésie  d'Eutychès  qui  ne  prétendait  reconnaître  en  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  qu'une  seule  nature,  une  autre  hérésie  sor- 
tait naturellement  comme  de  sa  source  :  une  seule  nature  sup- 
posait une  seule  volonté.  Les  monothélites,  qui  parurent  dans  la 
première  moitié  du  vu''  siècle,  tirèrent  cette  conséquence  et  ne  vou- 
lurent reconnaître,  dans  le  Fils  de  Dieu  incarné,  qu'une  seule  vo- 
lonté et  une  seule  opération.  Pour  eux,  la  divinité  seule  voulait  et 
agissait  en  Jésus-Christ;  l'humanité  n'était,  en  quelque  sorte, 
qu'un  instrument  passif.  Paul,  patriarche  de  Constantinople,  fut 
le  principal  soutien  de  cette  hérésie;  il  admettait  bien  les  deux  na- 
tures en  Notre-Seigneur  ;  mais  en  les  admettant,  il  ne  voulait  re- 
connaître qu'une  seule  et  unique  volonté. 

Ces  nouveautés  jetèrent  un  grand  trouble  dans  l'Église.  Le  pape 
Honorius  crut  bien  faire,  pour  ramener  le  calme,  de  défendre  de 
parler  soit  d'une,  soit  de  deux  volontés  ou  opérations  en  Jésus- 
Christ.  Mais  cet  acte  de  prudence,  pour  ne  pas  dire  de  pusillanimité, 
ne  servit  qu'à  augmenter  l'audace  des  hérétiques,  qui  interprétèrent 
cette  défense  en  leur  propre  faveur.  Nous  n'avons  pas  ici  à  raconter 
toutes  les  luttes  qui  affligèrent  la  sainte  Église,  pendant  plus  d"un 
siècle;  il  nous  suffit  de  dire  que  le  VP  Concile  œcuménique,  tenu 
à  Constantinople  en  680  et  681,  condamna  solennellement  cette 
hérésie. 

Si  l'on  ne  connaissait  l'aveuglement  et  l'obstination  sataniquedes 
fauteurs  d'hérésie,  on  ne  comprendrait  pas  comment  ils  purent 
s'attacher,  malgré  tout,  à  une  doctrine  si  manifestement  contraire 
à  la  Sainte  Écriture  et  à  la  tradition  des  Pères. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  bien  voulu  établir  nettement  lui- 
même  la  distinction  entre  sa  volonté  huniaine  et  sa  volonté  divine 
qui  n'est  pas  autre  que  la  volonté  du  Père,  lorsque,  pendant  son 
agonie,  il  disait  :  «  Mon  Père,  s'il  est  possible,  que  ce  calice  s'éloi- 
«  gne  de  moi.  Cependant,  qu'il  en  soit  non  comme  je  veux,  mais 


408         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  VIII, 

€  comme  vous  voulez  '.  »  Ce  texte  est  de  S.  Matthieu.  S.  Luc  rap- 
porte la  même  prière  un  peu  différente  pour  la  forme,  mais  iden- 
tique pour  le  sens.  «  Cependant,  que  non  pas  ma  volonté  mais  la 
€  vôtre  soit  faite  -.  »Ces  paroles  qu'on  lit  dans  l'Évangile  de  S.  Jean 
ne  sont  pas  moins  explicites  :  «  Je  suis  descendu  du  ciel,  non  pour 
«  faire  ma  volonté,  mais  la  volonté  de  Celui  qui  m'a  envoyé  ^.  » 
Cette  volonté  que  Jésus-Christ  appelle  la  sienne  n'est  pas  sa  volonté 
divine,  car  il  n'en  a  pas  d'autre,  comme  Dieu,  que  le  Père  et  le 
Saint-Esprit,  puisqu'il  n'est  qu'un  seul  et  même  être  divin  avec  ces 
deux  adorables  personnes  :  «  Moi  et  le  Père,  nous  sommes  un  *.  » 
Et  ce  qui  marque  mieux  encore  la  distinction  entre  les  deux  vo- 
lontés de  Notre-Seigneur,  c'est  la  soumission  parfaite  de  la  volonté 
humaine  à  la  volonté  divine,  malgré  la  répulsion  naturelle  pour 
le  calice  de  douleurs  qu'il  s'agit  d'accepter.  Ainsi  l'ont  entendu  et 
expliqué,  en  divers  passages,  les  Pères  de  l'Église,  en  particulier 
S.  Grégoire  de  Nysse  &,  S.  Athanase  6,  S.  Ambroise  "^  et  S.  Augus- 
tin 8. 

\ .  Pater,  si  possibile  est,  transeat  a  me  calix  iste.  Verumtamen  non  sicut 
ego  volo,  sed  sicut  tu.  [Matth.,  xxvi,  39.) 

2.  Verumtamen  non  mea  voluntas  sed  tua  iiat.  {Luc,  xxii,  42.) 

3.  Descendi  de  cœlo,  non  ut  faciam  voluntatem  meam,  sed  voluntatem  ejus 
qui  misit  me.  [Joann.,  vi,  38.) 

4.  Ego  et  Pater  unum  sumus.  [Id.,  x,  30.) 

î).  Quia  igitur  alia  est  humana  voluntas,  et  alia  divina,  loquitur  quidem  et 
quasi  ex  homine,  quod  infirmitati  naturse  congruit,  qui  nostras  passiones 
assumpsit....  Qui  enim  dixit,  Aon  mea,  humanam  hoc  sermone  significavit. 
Addens  vero,  tua,  ostendit  conjunctionem  suae  deitalis  ad  Patrem,  cujus  nulla 
volunlatis  est  differentia  propter  communitatem  naturœ.  Nam  Patris  dicens, 
voluntatem  eliam  Filii  demonslravit.  (S.  Greuor.  Nyssen.,  lib.  Conlradict. 
contra  Apollinarem.) 

0.  Cum  ait  (Christus)  :  Pater,  si  possibile  est,  transeat  a  me  calix  iste  : 
verumtamen  non  mea  voluntas,  sed  tua  fiât  ;  et  :  Spii^itus  quidem  promptusest, 
caro  autem  infirma,  duas  voluntates  ibi  ostendit,  alteram  humanam  quse  est 
Garnis;  alteram  divinam  qUcE  Dei  est.  Siquidem  humana,  ob  infirmitatem 
Garnis  deprecatur  passionem;  divina  autem  ejus  voluntas  prompta  est. 
(S.  Atha.n.,  lib.  (le  Jncarnatione  contra  Arian.,  n.  21.) 

7.  Quod  autem  ait  (Christus)  :  A^on  mea  voluntas  sed  tua  fiât,  suam  ad 
hominem  retulit;  Patris  ad  divinitatem  :  voluntas  enim  hominis  temporalis; 
voluntas  divinitatis  alterna.  Non  alia  voluntas  Patris,  alia  Filii  :  una  enim  vo- 
luntas, ubi  una  divinitas.  (S.  Ambros.,  lib.  X  in  Luc,  n.  ^9.) 

^.  In  hoc  quod  ait  :  Non  quod  ego  volo,  aliud  se  ostendit  voluisse  quam 
Pater  :  quod  nisi  humano  corde  non  potuisset,  cum  infirmitatem  nostram  in 
suum,  non  divinum,  sed  humanum  transfigurât  affectum.  Homine  quippe 
non  assumpto  nullo  modo  posset  immutabilis  illa  natura  quidquam  aliud 
velle  quam  Pater.  (S.  August.,  lib.  II  contra  Marcionem,  cap.  x.) 


UNITÉ    DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION   DES  DEUX   NATURES  EN  J.-C.        409 

Dans  de  nombreux  passages  de  l'Évangile,  nous  voyons  agir  la 
volonté  humaine  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  tout  à  fait  indé- 
pendamment de  sa  volonté  divine.  Pour  en  citer  quelques  exemples, 
nous  lisons  dans  le  i'""  chapitre  de  TÉvangile  de  S.  Jean  :  «  Le  len- 
«  demain,  Jésus  voulut  aller  en  Galilée  •.  »  S'il  voulut  y  aller,  il  n'y 
était  donc  pas.  Mais  comment  n'y  était-il  pas?  Assurément  ce  n'é- 
tait pas  comme  Dieu,  puisqu'il  n'est  pas  de  lieu  où  il  ne  soit  présent 
par  sa  divinité  :  c'était  donc  par  son  humanité  qu'il  était  absent 
de  la  Galilée,  et  c'était  comme  homme  qu'il  voulait  y  aller.  Nous 
n'avons  pas  à  montrer  l'existence  simultanée  de  la  volonté  divine 
<le  Notre-Seigneur,  que  nul  de  ceux  qui  ont  reconnu  en  lui  le  Fils 
de  Dieu  fait  homme  n'a  mise  en  doute. 

On  lit  dans  S.  Marc,  chapitre  vii^  :  «  Jésus  s'en  alla  sur  les  con- 
«  fins  de  Tyr  et  de  Sidon,  et  étant  entré  dans  une  maison,  il  voulut 
«  que  personne  ne  le  sût  ;  mais  il  ne  put  demeurer  caché  2.  » 
Quelle  est  donc  cette  volonté  de  Notre-Seigneur  qui  demeure  im- 
puissante? Ce  n'est  pas  sa  volonté  divine,  car  rien  n'est  impossible 
à  Dieu.  Il  faut  donc  entendre  ce  texte  de  l'Évangile  d'une  autre 
volonté,  qui  ne  soit  pas  toute-puissante  par  elle-même,  et  ce  ne 
peut  être  que  la  volonté  de  sa  nature  humaine,  parfaitement  dis- 
tincte de  sa  volonté  divine.  Comme  homme,  il  voulait  se  cacher, 
mais  il  ne  le  voulait  pas  comme  Dieu. 

L'Évangile  de  S,  Jean  nous  fournit  encore  un  autre  exemple.  Il 
est  dit  au  chapitre  vu"  :  «  Jésus  parcourait  la  Galilée  ;  car  il  ne 
«  voulait  pas  parcourir  la  Judée,  parce  que  les  Juifs  cherchaient  à 
«  le  faire  mourir  3.  »  C'était  comme  homme  que  Jésus-Christ  par- 
courait la  Galilée,  et  comme  homme,  par  conséquent,  qu'il  voulait 
la  parcourir  et  non  pas  la  Judée.  Il  y  avait  donc  en  lui  une  volonté 
humaine  parfaitement  distincte  de  la  volonté  divine.  Ces  trois 
exemples,  avec  leur  conclusion,  sont  empruntés  aux  œuvres  du 
saint  abbé  Maxime,  un  des  plus  vaillants  défenseurs  de  la  vérité 
contre  le  monothélisme,  au  vu*  siècle  *. 

Mais  à  côtt'  de  ces  textes  qui  font  expressément  mention  de  la 
volonté  de  Notre-Seigneur,  et  qu'on  ne  peut  entendre  que  de  sa 

1.  In  crastinum  vohiit  exire  in  Galilœam.  [Jounn.,  i,  l;i.) 

2.  Abiit  in  fines  Tyri  et  Sidonis,  et  ingressus  domum  nemineni  voluit  scire, 
et  non  potuit  latere.  {.Marc,  vu,  23.) 

3.  Ambulal)at  Jésus  in  Galilctam;  non  enim  volebat  in  Judœam  ambulare, 
■quia  quœrebant  Judaei  eum  interficere.  [Joann.,  vu,  1.) 

4.  S.  Maxim,  abb.,  Disput.  cum  Pyrro. 


410         LA   SAINTE  EUCHARISTIE    —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   VIII. 

volonté  humaine,  il  en  est  d'autres,  plus  nombreux  encore,  qui 
supposent  en  lui  la  nature  humaine  complète,  avec  sa  volonté  et  ses 
opérations  diverses.  C'est  ainsi  que  nous  lisons  dans  les  saints 
Livres  que  Jésus-Christ  a  été  troublé,  attristé,  qu'il  a  répandu  des 
larmes,  qu'il  s'est  indigné,  qu'il  a  eu  faim  et  soif,  qu'il  s'est  fati- 
gué, toutes  affirmations  qui  seraient  inadmissibles  sans  la  nature 
et  la  volonté  humaines.  Car,  dit  S,  Augustin,  lorsque  l'àme  passe 
par  ces  états  divers,  la  chair  peut  y  être  pour  quelque  chose,  mais 
souvent  l'âme  elle-même  se  cause  ces  émotions,  et  sa  volonté  s'y 
trouve  tellement  mêlée  que  c'est  d'elle  que  ces  sentiments  divers  re- 
çoivent leur  moralité.  Si  elle  est  perverse,  ils  sont  pervers;  si  elle  est 
bonne,  non  seulement  ils  ne  sont  pas  coupables,  mais  ils  sont  bons 
et  dignes  de  louange.  D'où  le  saint  docteur  tire  pour  nous  cette 
conclusion  pratique,  que  celui  qui  vit  selon  Dieu,  et  non  pas  selon 
l'homme,  doit  aimer  le  bien  et,  par  conséquent,  haïr  le  mal.  Mais 
il  faut  que  ce  double  sentiment  soit  parfait.  Le  mal  est  mauvais; 
la  nature  humaine  en  elle-même  est  bonne.  Haïssez  donc  le  mal, 
mais  ne  haïssez  pas  l'homme  mauvais  ;  aimez  l'homme  tout  mau- 
vais qu'il  soit,  mais  n'aimez  pas  le  vice  qui  le  rend  tel  ^ 

S.  Ambroise  dit,  en  parlant  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  «  Il 
«  a  pris  une  volonté  comme  la  mienne;  il  a  accepté  de  ressentir 
a  ma  tristesse.  Je  ne  crains  pas  de  nommer  la  tristesse,  car  c'est  la 
«  croix  que  je  prêche.  C'est  ma  volonté  qu'il  a  reconnue  sienne; 
«  car  de  même  qu'il  a,  comme  homme,  accepté  ma  tristesse,  c'est 
«  comme  homme  qu'il  a  parlé  '^.  » 

1.  Non  ex  carne  tantum  afficilur  anima,  ut  cupiat,  metuat,  laetetur  et 
aegrescat;  verumetiam  ex  se  ipsa  his  potest  motibus  agitari.  —  Interesl  autem 
qualis  sit  voluntas  hominis  :  quia  si  perversa  est,  perverses  habebit  lios  mo- 
tus ;  si  autem  recta  est,  non  solum  inculpabiles,  verumetiam  laudabiles 
erunt.  Voluntas  quippe  est  in  omnibus  :  imo  omnes  nihil  aliud  quam  volunta- 
tes  sunt.  Nam  quid  est  cupiditas  et  IcTlitia,  nisi  voluntas  in  eorum  consensio- 
nem  quae  volumus....  Quapropter  homo,  qui  secundum  Deum,  non  secundum 
hominem  vivit,  oportet  ut  sit  amator  boni  :  unde  fit  consequens  ut  malum 
oderit.  Et  quoniam  nemo  natura,  sed  quisquis  malus  est,  vitio  malus  est  : 
perfectum  odium  débet  malis,  qui  secundum  Deum  vivit;  ut  née  propter 
vilium  oderit  bominem,  nec  amet  vitium  propter  hominem;  sed  oderit 
vilium,  amet  hominem.  Sanato  enim  vitio,  totum  quod  amare,  nihil  autem 
quod  debeat  odisse  remanebit.  (S.  August.,  lib.  XIV  de  Civitate  Dei,  cap.  v 
et  VI.) 

2.  Suscipit  ergo  voluntatem  meam,  suscipit  tristitiam  meam.  Confidenter 
tristitiam  nomino,  quia  crucem  praedico.  Mea  est  voluntas,  quam  suam  dixit  : 
quia  ut  homo  suscepit  tristitiam  meam,  ut  homo  locutus  est.  (S.  Ambros.^ 
lib.  il  (le  l'ide  ad  Gratian.,  cap.  m.) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET   DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES   EN  J.-C.        411 

S.  Jean  Damascène  dit  à  son  tour  :  «  Le  désir  de  manger  et  de 
«  boire  n'est  pas  le  fait  de  la  volonté  divine,  non  plus  que  l'intention 
«  de  changer  de  lieu  ou  d'accomplir  d'autres  actes  analogues  :  c'est 
a  la  volonté  humaine,  »  qui  se  révèle  et  se  manifeste  ^  » 

Peu  de  jours  avant  sa  Passion,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pro- 
nonçait ces  paroles  :  «  Maintenant  mon  âme  est  troublée,  et  que 
a  dirai-je?  Mon  Père,  délivrez-moi  de  cette  heure-là  ^.  »  A  l'oc- 
casion de  ces  paroles,  S.  Jean  Chrysostome  ^  met  bien  en  relief  les 
deux  volontés  du  Sauveur.  Voici  son  commentaire  :  «  Le  Sauveur, 
«  afin  qu'on  ne  dît  pas  qu'étant  exempt  des  douleurs  humaines, 
«  il  lui  était  facile  de  philosopher  sur  la  mort,  et  qu'il  y  exhortait 
a  les  autres,  n'ayant  rien  à  souffrir  lui-même,  fait  voir  ici  que, 
a  quoiqu'il  la  craignît,  il  ne  la  refusait  point,  parce  qu'elle  nous 
«  devait  être  très  utile  et  très  avantageuse.  En  un  mot,  ces  paroles 
«  appartiennent  à  la  chair  qu'il  a  prise,  et  non  à  sa  divinité.  Voilà 
a  pourquoi  il  dit  :  Maintenant  mon  âme  est  troublée.  S'il  n'en 
V  était  pas  ainsi,  quelle  suite  y  aurait-il  entre  ces  paroles  et  les 
«  suivantes  :  Mon  Père,  délivrez-moi  de  cette  heure?  Le  divin 
a  Sauveur  est  si  troublé,  qu'il  demande  à  son  Père  de  le  délivrer 
«  de  la  mort,  s'il  peut  l'éviter.  » 

a  Ces  paroles  marquent  la  faiblesse  de  la  nature  humaine.  — Mais 
«  je  ne  puis  rien  alléguer,  veut-il  dire,  pour  demander  à  être 
«  délivré  de  la  mort  :  Car  c  est  pour  cela  que  je  suis  venu  en  cette 
«  heure  *;  c'est  comme  s'il  disait  :  Quels  que  puissent  être  notre 
«  trouble  et  notre  abattement,  ne  fuyons  pas  la  mort  :  encore  que 
a  je  sois  troublé,  je  dis  qu'il  ne  faut  pas  fuir  la  mort.  Il  faut  souffrir 
«  ce  qui  nous  arrive;  mais,  mon  Père,  glorifiez  votre  nom  ». 
«  Quoique  le  trouble  où  je  suis  m'ait  fait  prononcer  ces  paroles,  je 
«  dis  le  contraire  :  Glorifiez  votre  nom;  c'est-à-dire  menez-moi 
«  à  la  croix  :  ce  qui  montre  une  faiblesse  humaine,  et  l'infirmité 
a  de  la  nature  qui  ne  veut  pas  mourir,  et  fait  voir  que  Jésus  n'était 
«  pas  exempt  des  sentiments  humains.  Comme  on  n'impute  pas 

\.  Divinae  voluntatis  non  est  cibi  potusque  appetitio,  ac  velle  locum  ex  loco 
mutare,  etsimilia;  sed  liumanœ.  (S.  Joann.  Damascen.,  lib.  de  Ihiolnis  volun- 
tat.,  n.  8.) 

±  Nunc  anima  mea  turbata  est.  Et  quid  dicam?  Pater  salvitica  me  ex  liac 
hora.  iJoann.,  xii,  "28.) 

'^.  S.  J.  CIIRYSOST.,  hom.  LWII  in  Joann.  Trad.  Jeannin. 

4.  Sed  propterea  veni  in  horain  hanc.  {Joann. ^  xii,  :28.) 

5.  Pater  clarifica  nomen  tiuun.  [Id.,  xu,  il).) 


412        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II®  PARTIE.  —  LIVRE  If.  —  CHAP.  VIII. 

«  à  crime  d'avoir  faim,  ou  d'avoir  envie  de  dormir,  de  même  aussi 
«  ce  n'en  est  pas  un  de  désirer  la  vie  présente.  Or  Jésus-Christ  était 
«  exempt  de  tout  péché,  mais  non  des  instincts  naturels,  autrement 
«  son  corps  n'aurait  pas  été  un  vrai  corps.  » 

Il  est  inutile  de  s'arrêter  à  faire  ressortir  la  pensée  de  S.  Ghry- 
sostome.  Chacune  des  lignes  que  nous  venons  de  citer  serait  inex- 
plicable, si  l'on  refusait  d'admettre  en  Notre-Seigneur  une  volonté 
humaine  accomplissant  réellement  les  actes  qui  lui  sont  propres, 
en  même  temps  qu'elle  était  parfaitement  soumise  et  unie  à  la 
volonté  divine. 

Parmi  les  vertus  dont  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  a  donné 
l'exemple  pendant  sa  vie  mortelle,  il  en  est  une  qui  ne  pouvait,  à 
aucun  titre,  être  attribuée  à  sa  divinité  :  c'est  la  vertu  d'obéissance. 
L'obéissance,  en  effet,  suppose  un  supérieur  à  qui  l'on  obéit.  Or  la 
divinité,  en  Notre-Seigneur,  ne  reconnaît  pas  de  supérieur.  Il  est 
en  tout  l'égal  du  Père  éternel  et  du  Saint-Esprit.  C'est  donc  comme 
homme  qu'il  a  pratiqué  cette  vertu.  C'est  comme  homme  qu'il  fut 
obéissant  à  Marie  et  à  Joseph  ^  ;  c'est  comme  homme  qu'il  fut 
obéissant  jusqu'à  la  mort,  et  la  mort  de  la  croix  -.  Sa  volonté  s'in- 
clinait sous  la  volonté  de  Marie  et  de  Joseph  ;  celui  qui  est  la  sagesse 
incréée  se  laissait  diriger  par  les  lumières  bornées  de  ses  créatures. 
Il  faisait  plus  encore,  il  se  soumettait  à  la  volonté  de  ses  persé- 
cuteurs et  de  ses  bourreaux  ;  il  permettait,  pour  le  sal  ut  des  hommes, 
que  leurs  odieux  desseins  contre  sa  personne  adorable  eussent  leur 
accomplissement.  A  plus  forte  raison  obéissait-il  à  son  Père  et 
pouvait-il  dire  :  «  Ce  qui  plaît  à  mon  Père,  je  le  fais  toujours.  *  Il 
laisse  voir  parfois  que  cette  soumission  de  sa  volonté  humaine 
coûte  à  la  nature  :  mais  la  vertu  d'obéissance  l'emporte,  et  il 
obéit  3. 

A  ces  témoignages  et  à  ces  raisons  qui  reposent  sur  la  Sainte 
Écriture  on  peut  encore  ajouter  quelques  autres  preuves  des  deux 

\.  Erat  subditus  illis.  {Luc,  u,  Iji.) 

2.  Factus  est  obediens  usque  ad  mortem,  mortem  autem  crucis.  {Philipp., 
11,  8.) 

3.  In  eo  quod  orat,  naturalem  sponte  infirmitatem  (carnis)  timoré  ac  pavore 
ostentat,  nec  prorsus  innititur,  sed  ait  :  Si  possilnlc  est.  Et  :  Non  quid  ego 
velim,  sed  fjuidlu....  Moxque  rursus  maximam  adversum  mortem  vim  exerit, 
summamque  humanae  suae  voluntatis,  oum  propria  sua,  Patrisquc  voluntate, 
necessitudinem  ac  unionem  prodil,  judicio  suc  approbans,  dicensque  :  Non 
mca  sed  tun  vohintas  fiai  :  hincquidem  divisionem,  illinc  rursus  confusionem 
procul  eliminans  atque  submovens.  (S.  Maxim,  abb.,  Disput.  cum  Pyrro.) 


UNITE  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES   DEUX   NATURES  EN  J.-C.        41^ 

volontés  et  des  deux  actions  en  Jésus-Christ,  tirées  de  la  nature 
même  des  choses. 

La  première  consiste  dans  la  distinction  des  deux  natures  en 
Notre-Seigneur.  Sa  nature  divine  et  sa  nature  humaine  sont  parfaites 
et  leur  union  n'établit  entre  elles  aucune  confusion,  aucun  mélange. 
La  nature  humaine  ne  serait  ni  parfaite  ni  complète,  si  elle  était 
privée  de  sa  volonté,  attribut  essentiel  de  tout  être  raisonnable. 
Elle  a  donc  sa  volonté,  distincte  de  la  volonté  divine,  avec  laquelle 
elle  n'est  nullement  confondue. 

Dans  le  troisième  livre  de  son  traité  De  Fide  orthodoxa,  S.  Jean 
Damascène  prouve,  contre  les  Nestoriens,  que  la  sainte  Vierge  est 
véritablementMèrede  Dieu.  A  cette  occasion,  il  traite  des  propriétés 
des  deux  natures,  montrant  qu'il  y  a  en  Jésus-Christ  deux  volontés 
et  deux  opérations,  comme  il  y  a  en  lui  deux  natures  distinctes  et 
parfaites,  sans  confusion  ni  changement.  Il  explique  l'opération 
théandrique  de  S.  Denis  l'Aréopagite,  et  fait  voir  que  cet  auteur 
n'a  point  dit  qu'il  n'y  eût  en  Jésus-Christ  qu'une  seule  opération, 
mais  seulement  qu'elle  était  nouvelle  et  hors  du  cours  ordinaire, 
parce  que  la  personne  du  Verbe  opérait  dans  ces  deux  natures, 
quoique  chacune  conservât  ses  propriétés  et  ses  opérations  natu- 
relles. «  Puisqu'il  y  a  deux  natures  en  Jésus-Christ,  dit-il,  il  est 
«  nécessaire  de  reconnaître  qu'il  s'y  trouve  aussi  deux  actions,  car 
«  la  diversité  des  natures  entraîne  la  diversité  des  opérations  '  ;  » 
et,  non  moins  nécessairement,  celle  des  volontés  qui  en  sont  la 
source. 

Une  seconde  preuve  résulte  de  la  condition  dans  laquelle  s'accom- 
plissent les  actes  ou  les  opérations  propres  à  chaque  nature.  C'est 
la  personne  qui  agit,  mais  elle  agit  en  vertu  et  par  le  moyen  des 
facultés  qui  lui  sont  naturelles.  En  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
c'est  la  personne  du  Verbe  divin  qui  accomplit  tous  les  actes,  mais 
il  les  accomplit  soit  comme  Dieu,  soit  comme  homme.  Les  actes 
humains  ne  peuvent  pas  procéder  directement  de  la  volonté  divine, 
ni  les  actes  divins  de  la  volonté  humaine  :  les  deux  sont  donc  néces- 
saires pour  que  l'Homme-Dieu  puisse  agir,  ainsi  que  l'Évangile 
nous  le  montre  à  toutes  ses  pages,  comme  homme  et  comme 
Dieu. 

\.  Cum  itaque,  duae  in  Christo  naturae  sint,  duas  qiioque  in  eo  actiones 
dicere  necesse  est.  Quorum  enim  diversa  natura  est,  horum  quoque  dispar 
est  actio.  (S.  J.  Damascen.,  lib.  III  de  Fide  orlhod.) 


414        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  11^   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

Veut-on  une  preuve  que  c'est  de  la  nature  que  découle  direc- 
tement l'action,  quoique  ce  soit  la  personne  qui  agisse  par  elle?  Il 
n'y  a  qu'à  considérer  ce  qui  a  lieu  dans  le  mystère  adorable  de  la 
sainte  Trinité.  Là,  nous  voyons  trois  personnes  et  une  seule  nature. 
Or  toutes  les  œuvres  de  Dieu  sont  les  œuvres  de  la  Trinité  tout 
entière.  Les  trois  adorables  personnes  n'ont  qu'une  même  nature, 
une  même  divinité;  et  parce  qu'il  en  est  ainsi,  elles  n'ont  qu'une 
même  volonté,  une  même  opération.  En  Jésus-Christ  au  contraire, 
il  n'y  a  qu'une  seule  personne  et  il  y  a  deux  natures;  et  c'est 
pour  cette  raison  qu'il  y  a  deux  volontés  et  deux  opérations  dis- 
tinctes. C'est  ce  qu'enseignait  le  pape  S.  Agathon,  dans  sa  lettre 
au  VI"  Concile  œcuménique  :  «  Si  l'on  prétendait,  dit-il,  que  la 
«  volonté  est  attachée  à  la  personne,  comme  il  y  a  trois  personnes 
«  dans  la  sainte  Trinité,  il  faudrait  nécessairement  dire  qu'il  y  a 
u  de  même  trois  volontés  personnelles  et  trois  opérations  person- 
«  nelles,  ce  qui  dépasse  les  limites  ordinaires  de  l'absurdité  et 
€  de  l'impiété  *.  » 

Une  autre  preuve  encore  :  Le  Verbe  de  Dieu  a  pris  ce  qu'il  a 
guéri;  or  il  a  guéri  notre  volonté  blessée  et  dépravée.  «  S'il  n'avait 
«  pas  pris  notre  volonté,  dit  S.  Damascène,  il  n'aurait  pas 
€  apporté  la  guérison  à  ce  qui,  dans  l'homme,  a  été  blessé  tout 
«  d'abord.  Car  ce  qui  n'a  pas  été  pris  n'a  pas  été  guéri,  dit 
«  S.  Grégoire  le  Théologien.  Et  qu'est-ce  qui  avait  péché,  sinon  la 
€  volonté  *  ?  » 

Tant  de  motifs  suffisent  pour  obliger  tous  les  fidèles  à  croire 
fermement  à  l'existence  et  à  la  distinction  de  deux  volontés  en 
Notre-Seigneur,  l'une  divine,  l'autre  humaine.  Mais  la  sainte  Église 
a  voulu  qu'il  ne  put  s'élever  aucun  doute,  si  léger  qu'il  fût,  sur  ce 
point.  Au  VI"  Concile  général,  elle  a  condamné  solennellement 
l'erreur  des  Monothélites  et  défini  la  vérité  catholique.  Sous  peine 
d'être  séparé  de  l'Église  et  de  n'être  plus  chrétien,  il  faut  croire  qu'il 
y  a  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  deux  natures  unies  sans  con- 

4.  Si  personalem  quispiam  intelligat  voluntatem,  dum  très  personas  in 
S.  Trinitate  dicunlur,  necesse  est  ut  très  voluntates  personales,  et  très  perso- 
nales  operationes  dicantur,  quod  nimis  absurdum  et  profanum  est.  (S.  Agatii., 
Epist.  in  Actione  iv,  VI.  Sijnod.  gcncral.). 

2.  Si  non  assumpsit  humanam  voluntatem  remedium  ei  non  attulit,  quod 
primum  sauciatum  erat.  Quod  enim  assurnptum  non  est,  nec  est  curatum,  ut 
ait  Gregorius  Tlieologus.  Ecquid  enim  offenderat,  nisi  voluntas?  (S.  J.  Damas- 
CE.N.,  oral,  de  Jiunhus  Christi  voluntatibus .) 


UNITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES  DEUX  NATURES  EN  J.-C.        415 

fusion,  inconvertibles,  inséparables,  indivisibles  ;  que  la  clinérence 
entre  ces  deux  natures  ne  disparaît  pas  à  cause  de  leur  union,  mais 
que  chacune  d'elles  garde  intact  tout  ce  qui  lui  est  propre....  Il 
faut  croire  en  particulier  qu'il  y  a  en  Notre-Seigneur  Jésus-Ciirist 
deux  volontés  naturelles  et  deux  opérations  naturelles  distinctes, 
qui  ne  sauraient  être  ni  divisées,  ni  transformées  l'une  en  l'autre, 
ni  séparées  ni  confondues  '.  —  Tel  est  l'enseignement  qui  ressort 
de  la  Sainte  Écriture  et  de  la  Tradition;  telle  est  la  vérité  que  la 
sainte  Église  notre  mère  nous  propose  à  croire.  Tel  est  notre 
divin  Sauveur,  l'Homme-Dieu  présent  par  amour  pour  nous,  au 
Très  Saint  Sacrement  de  l'autel. 

C'est  ici  le  lieu  de  dire  quelques  mots  de  ce  que  les  théologiens 
ont  appelé  la  communication  des  idiomes,  communication  qui 
résulte  nécessairement  de  l'union  hypostatique  des.deux  natures  en 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  2, 

1.  Unum  eumdemque  Christum  Filium  Dei  unigenitum,  in  duabus  naturis 
inconfuse,  inconvertibiliter,  inseparabiliter,  indivise  cognoscendum  ;  nusquam 
extincta  harum  naturarum  differentia,  propter  unionem,  salvataque  magis 
proprietate  utriusque  naturse,  et  in  unam  personam,  et  in  unam  subsistan- 
tiam  concurrente,  non  in  duas  personas  partitum  vel  divisum,  sed  unum 
eumdemque  unigenitum  Filium,  Deum,  Verbum,  Dominum  Jesum  Christum; 
juxta  quod  olim  Prophetae  de  eo,  et  ipse  nos  Dominus  Jésus  Christus  erudivit, 
et  sanctorum  Patrum  nobis  tradidit  Symbolum;  et  duas  naturales  voluntates 
in  60,  et  duas  naturales  operationes,  indivise,  inconvertibiliter,  inseparabili- 
ter, inconfuse,  secundum  SS.  Patrum  doctrinam,  prsedicandas.  [Concil.  VI 
gênerai.,  action,  xviii.) 

2  Ceux  qui  voudront  étudier  cette  intéressante  matière  plus  à  fond  consul- 
teront avec  fruit  S.  Thomas  et  ses  principaux  commentateurs,  le  cardinal 
Franzelin,  Tractatus  de  Vcrbo  incaniato,  etjles  grands  théologiens.  Voici  sur 
ce  sujet  une  page  de  D.  Mayer,  dans  le  Dictionnaire  encyclopédique  de  la 
théologie  catholique  : 

«  Le  Christ  s'attribua  des  propriétés  et  des  actions  divines,  même  lorsqu'il 
se  désigna  positivement  comme  homme  :  «  Personne  ne  monte  au  ciel  que 
«  celui  qui  est  descendu  du  ciel,  le  Fils  de  l'homme  qui  est  dans  le  ciel.  » 
D'un  autre  côté,  il  dit  de  lui-même,  en  tant  que  Fils  de  Dieu,  des  choses  qui 
ne  peuvent  être  attribuées  qu'à  sa  nature  humaine  :  «  Dieu  a  tellement  aimé 
«  le  monde  qu'il  a  livré  son  Fils  unique.  »  Les  apôtres  parlent  de  même  : 
«  Vous  avez  mis  à  mort  l'auteur  de  la  vie.  »  «  Le  Christ  descend  des  patriar- 
«  ches  selon  la  chair  :  il  est  au-dessus  de  tous,  Dieu  béni  dans  l'éternité.  » 

«  C'est  ainsi  que,  héritiers  du  langage  des  apôtres,  comme  de  leur  doctrine, 
les  plus  anciens  écrivains  du  christianisme,  par  exemple  Clément,  parlent 
«  des  souffrances  de  Dieu,  »  et  disent  :  «  Cet  homme  est  le  Créateur  et  le 
«  Dieu  souverain.  »  Mais  jamais  une  propriété  de  la  nature  divine  n'est  attri- 
baée  à  la  nature  humaine  comme  telle;  jamais  une  propriété  quelconque  de 
l'être  humain  n'est  attribuée  à  la  nature  divine  en  tant  que  divine.  Jamais,  ni 
dans  l'Écriture  ni  dans  les  Pères,  il  n'est  dit  que  l'humanité  est  éternelle  ou 


410         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CllAP.  VIII. 

Le  même  et  unique  Jésus-Christ  est  Dieu  parfait,  et  il  est  homme 
parlait. 

On  peut  donc  affirmer  de  lui  tout  ce  qui  lui  convient  comme 
Fils  do  Dieu.  On  peut  dire,  par  exemple,  qu'il  est  immense, 
éternel,  infini,  qu'il  a  créé  le  ciel  et  la  terre. 

On  peut  de  même  affirmer  de  lui  qu'il  est  né  de  la  Vierge 
Marie,  qu'il  a  été  passible,  qu'il  est  mort,  qu'il  est  ressuscité. 

On  i)eut  dire  encore  que  l'une  des  trois  personnes  de  l'adorable 
Trinité,  Dieu  comme  les  deux  autres  personnes,  a  un  corps  et  une 
àme  comme  les  nôtres  et  s'est  faite  en  tout  semblable  à  nous,  le 
péché  excepté,  en  un  mot,  que  cette  adorable  personne  est 
homme. 

On  peut  dire  enfin  qu'un  homme  est  véritablement  Dieu  et  pos- 
sède tous  les  attributs  de  la  divinité. 

En  elTet,  toutes  ces  affirmations  tombent  sur  la  personne  même 
du  Fils  de  Dieu  fait  homme,  et  parce  qu'elles  conviennent  soit  à 
l'une,  soit  à  l'autre  de  ses  deux  natures,  elles  conviennent  à  son 
adorable  personne,  malgré  la  contradiction  qu'elles  semblent  im- 
pliquer; car  rien  ne  parait  plus  contradictoire  au  premier  abord 
que  cette  proposition  :  Un  même  être  est  éternel  et  mortel,  fini  et 
infini. 

Mais  s'il  était  question  non  pas  de  la  personne  de  Notre-Seigneur, 
mais  de  ses  deux  natures,  il  n'en  serait  plus  de  même.  Chacune 
d'elles  conserve  pour  elle  seule  les  attributs  qui  lui  sont  propres^ 
sans  confusion  ni  mélange.  En  la  personne  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  la  divinité  n'est  pas  l'humanité,  ni  l'humanité  la 
divinité;  la  divinité  n'est  pas  mortelle  et  finie,  ni  l'humanité  éter- 
nelle et  immense.  Si  donc  l'on  doit  reconnaître  que  le  Fils  de 
Dieu  est  véritablement  homme  comme  il  est  véritablement  Dieu,  il 
n'est  cependant  pas  permis  de  dire  que,  même  en  lui,  l'humanité 
soit  la  divinité. 

Si  Nestorius  autrefois,  et  Luther  dans  des  temps  plus  rapprochés 
de  nous,  avaient  bien  compris  cette  distinction  élémentaire  entre 

toute  présente  dans  le  Christ,  ou  que  la  Divinité  a  souffert.  Comme  l'a  remar- 
qué déjà  le  plus  ancien  dogmatisle,  Jean  Damascène,  les  attributs  d'une  na- 
ture ne  sont  échangés  contre  ceux  d'une  autre  nature  qu'en  vertu  de  l'iden- 
tité de  la  personne,  et  en  vertu  des  rapports  vivants  et  réciproques  qui  en 
résultent.  Les  attributs  et  les  fonctions  de  l'homme  sont  prêtés  au  PMls  de 
Dieu,  ceux  de  Dieu  au  fils  de  l'homme,  mais  seulement  dans  la  personne  du 
Christ.  C'est  là  la  communication  des  idiomes.  » 


L'NITÉ  DE  LA  PERSONNE  ET  DISTINCTION  DES   DEUX   NATURES  EN  J.-C.        417 

les  attributs  de  la  nature  divine  et  de  la  nature  humaine  en  Notre- 
Seigneur,  dans  l'unité  de  sa  personne  adorable,  ils  eussent  évité, 
le  premier,  d'imaginer  deux  personnes  dans  le  Fils  de  Dieu  fait 
homme,  et  le  second,  d'attribuer  à  son  humanité  l'ubiquité  ou 
l'immensité  qui  ne  convient  qu'à  sa  divinité  seule. 

Cette  doctrine  ressort  trop  clairement  de  ce  qui  a  été  dit  jus- 
qu'ici pour  qu'on  s'arrête  à  l'établir  par  de  nouvelles  preuves,  que 
l'on  trouve  avec  abondance  dans  les  écrits  des  Pères  et  les  actes 
des  conciles,  mais  qu'il  serait  trop  long  et  peu  utile  de  donner  ici  ^. 

Qu'on  nous  permette  de  reproduire  ici  une  magnifique  page  de 
Bossuet.  Elle  résume  admirablement  et  complète  ce  que  nous  avons 
dit  des  deux  natures  qui  sont  en  Jésus-Christ  dans  l'unité  d'une 
seule  personne,  la  personne  du  Fils  de  Dieu  fait  homme  -. 

«  Je  frémis,  je  sèche,  Seigneur,  je  suis  saisi  de  frayeur  et  d'é- 
tonnement;  mon  cœur  se  pâme,  se  flétrit  quand  je  vous  vois  en 
butte  aux  contradictions,  non  seulement  des  infidèles,  mais  encore 
de  ceux  qui  se  disent  vos  disciples.  Et  premièrement  quelles  con- 
tradictions sur  votre  personne!  Vous  êtes  tellement  Dieu,  qu'on 
ne  peut  croire  que  vous  soyez  homme  ;  vous  êtes  tellement  homme, 
qu'on  ne  peut  croire  que  vous  soyez  Dieu.  Les  uns  ont  dit  :  «  Le 
Verbe  est  en  Dieu  ;  »  mais  ce  n'est  rien  de  substantiel  ni  de  sub- 
sistant :  il  est  en  Dieu  comme  notre  pensée  est  en  nous  ;  en  ce 
sens,  il  est  Dieu  comme  notre  pensée  est  notre  âme  :  car  qu'est-ce 
que  la  pensée,  sinon  notre  âme  en  tant  qu'elle  pense?  Non,  disent 
les  autres;  on  voit  trop  que  le  Verbe  est  quelque  chose  qui  sub- 

1.  Vide  Petavium,  lib.  IV  de  Incarnat.,  cap.  xv  et  xvi. 

Voici  cependant  quelques  lignes  de  Vigile,  évêque  de  Tapse  en  Afrique,  au 
ve  siècle,  remarquables  par  leur  netteté  : 

<<  Ergo  unus  atque  idem  et  aequalis  est  Patri  secundum  deitatem,  et  inferior 
est  Pâtre  secundum  humanitatis  naturam  :  atque  ita  nec  initium  liabet,  quia 
Deusest;  et  habet  initium,  quia  idem  Deus  homo  est.  Si  ergo  me  interroges, 
utrum  Christus  habeat  initium,  an  non  habeat;  respondebo  tibi  :  Et  habet  et 
non  habet.  Habet  secundum  humanitatem  suam  ;  non  habet  secundum  divi- 
nitatem  suam.  Cum  dico,  habet  vel  non  habet,  ad  personœ  pertinet  unionem  : 
cum  dico  secundum  divinitatem  et  secundum  humanitatem,  ad  naturarum 
pertinet  proprietatem....  Constat  et  divinitatem  humanitatis,  et  humanitatem 
divinitatis  habere  vocabulum;  id  est,  Verbum  dici  carnem,  et  carnem  dici 
Verbum  :  non  quia  in  se  utrumque  mutatum  sit,  sed  quia  utrumque  una  per- 
sona,  id  est  unus  Christus  sit.  Et  ideo  recte  credimus  et  pnedicamus  cum 
Apostolo,  Deum  crucifixum  et  mortuum  in  humana  natura,  quse  ex  uniti 
Verbi  consortio,  deitatis  possidct  nomen.  (Vicii,.  episc,  lib.  II  et  IV  adversus 
JVestorium  et  Eutijchetem.) 

2.  BossuET,  Elévations  sur  tes  mystères,  XVIII'  semaine,  xiv*  élév. 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  27 


418         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  VIII. 

siste  :  c'est  un  fils;  c'est  une  personne  :  qui  ne  le  voit  pas  par 
toutes  les  actions  et  toutes  les  choses  qu'on  lui  attribue?  Mais  aussi 
ne  doit-on  pas  croire  que  cet  homme  qui  est  né  de  Marie,  sans  être 
rien  autre  chose,  est  cette  personne  qu'on  nomme  le  Fils  de  Dieu. 
Quoi,  il  n'est  pas  devant  Marie,  lui  qui  dit  qu'il  est  devant 
Abraham  f  lui  qui  était  au  commencement?  Vous  vous  trompez  ; 
il  est  évident,  dit  Arius,  qu'il  est  devant  que  le  monde  fût  :  c'est 
dès  lors  une  personne  subsistante,  mais  inférieure  à  Dieu,  faite 
du  néant  comme  le  sont  les  créatures,  quoique  plus  excellente. 
Tiré  du  néant?  Gela  ne  se  peut  :  lui  par  qui  tout  a  été  tiré  du 
néant.  Gomment  donc  est-il  fils?  Un  fils  n'est-il  pas  produit  de  la 
substance  de  son  Tère  et  de  même  nature  que  lui  ?  Le  Fils  de  Dieu 
sera-t-il  moins  fils,  et  Dieu  sera-t-il  moins  père  que  les  hommes  ne 
le  sont?  Il  serait  donc  fils  par  adoption  comme  nous?  Et  comment 
avec  cela  être  le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du  Père  ? 

€  Arius,  vous  avez  tort,  dit  Nestorius  :  le  Fils  de  Dieu  est  Dieu 
comme  lui;  mais  aussi  ne  peut-il  pas  en  même  temps  être  fait 
homme.  Il  habite  en  l'homme  comme  Dieu  habite  dans  un  temple 
par  sa  prAce;  et  si  le  Fils  de  Dieu  est  fils  par  nature,  l'homme  qu'il 
s'est  uni  par  sa  grâce  ne  l'est  que  par  adoption. 

«  On  s'oppose  à  cette  perverse  doctrine;  on  dit  à  Nestorius  : 
Vous  séparez  trop;  il  faut  unir  jusqu'à  tout  confondre,  et  faire 
de  deux  natures  une  nature.  Hélas!  quand  finiront  ces  conten- 
tions? Pouvez-vous  croire,  disent  ceux-ci,  qu'un  Dieu  puisse  en 
effet  se  rabaisser  jusqu'à  être  effectivement  homme?  La  chair 
n'est  pas  digne  de  lui  ;  il  n'en  a  point,  si  ce  n'est  une  fantastique 
et  imaginaire.  Imaginaire?  dit  l'autre;  et  comment  donc  a-t-on 
dit  :  Le  Verbe  a  été  fait  chair,  en  définissant  l'incarnation 
par  l'endroit  que  vous  rebutez?  Il  a  une  chair,  et  l'incarnation 
n'est  pas  une  tromperie.  Mais  le  Verbe  lui  tient  lieu  d'âme,  ou 
bien  si  vous  voulez  lui  donner  une  ûme,  donnons-lui  celle  des 
bêtes  quelle  qu'elle  soit;  mais  ne  lui  donnons  pas  celle  des 
hommes.  Le  Verbe  est  son  âme,  encore  un  coup;  ou  du  moins 
il  est  son  intelligence,  il  veut  par  sa  volonté,  et  il  ne  peut  en 
avoir  d'autre.  Est-ce  tout  enfin?  Oui,  c'est  tout.  Car  on  a  tout 
contesté,  le  corps,  l'âme,  les  opérations  intellectuelles,  et  toutes 
les  contradictions  sont  épuisées.  Jésus  est  donc  en  butte  aux 
contradictions  de  ceux  qui  se  disent  ses  disciples.  Gar,  disent-ils, 
le  moyen  de  comprendre  cela  et  cela?  Mais  Jésus  avait  prévenu  les 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eDCHARISTIE.       419 

contradictions  par  une  seule  parole  :  Dieu  a  tant  aimé  le  monde, 
qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique.  » 

«  Pour  tout  entendre,  il  ne  faut  qu'entendre  son  amour  :  Dieu 
a  tant  aimé  le  monde!  Un  amour  incompréhensible  produit  des 
effets  qui  le  sont  aussi.  Vous  demandez  des  pourquoi  à  Dieu? 
Pourquoi  un  Dieu  se  faire  homme?  Jésus-Ghristvous  dit  ce  pourquoi  : 
Dieu  a  tant  aimé  le  monde.  Tenez-vous-en  là  ;  les  hommes  ingrats 
ne  veulent  pas  croire  que  Dieu  lesaime  autant  qu'il  fait.  Mais  le  dis- 
ciple bien-aimé  résout  leurs  doutes,  en  disant  :  <r  Nous  avons  cru 
«  à  l'amour  que  Dieu  a  pour  nous.  »  Dieu  a  tant  aimé  le  monde; 
et  que  reste-t-il  après  cela,  sinon  de  croire  à  l'amour,  pour  croire  à 
tous  les  mystères  ? 

«  Espritsaussi  insensibles  à  l'amour  divin,  que  vous  êtes  d'ailleurs 
présomptueux!  le  mystère  de  l'Eucharistie  vous  rebute?  Pourquoi 
nous  donner  sa  chair  et  s'unir  à  nous  corps  à  corps,  pour  s'y  unir 
esprit  à  esprit?  Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  dit  Jésus;  et  S.  Jean 
répond  pour  nous  tous  :  «  Nous  avons  cru  à  l'amour  que  Dieu  a 
«  pour  nous.  »  Mais  il  est  incompréhensible?  Et  c'est  pour  cela  que 
je  veux  le  croire,  et  m'y  abîmer  :  il  n'en  est  pas  de  plus  digne  de 
Dieu.  Après  cela  il  ne  faut  plus  disputer,  mais  aimer;  etaprès  que 
Jésus  a  dit  :  Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  il  ne  faudrait  plus  que 
dire  :  Le  monde  racheté  a  tant  aimé  Dieu  !  w 


CHAPITRE  IX 

QUELQUES  MOTIFS   PARTICULIERS   DE   DÉVOTION  ENVERS  JÉSUS-CHRIST, 
L'HOMME-DIEU  PRÉSENT  POUR  NOUS  AU  TRÈS  SAINT  SACREMENT 

I.  Jésus- Christ,  notre  Dieu  et  notre  modèle  dans  l'Eucharistie,  est  en  même  temps 
notre  Rédempteur.  —  II.  Il  est  notre  Sauveur.  —  III.  Il  est  notre  Médiateur  et  notre 
Avocat.  —  IV.  Il  est  notre  Roi  et  notre  Chef.  —  V.  Il  est  notre  Juge. 


I. 

JÉSUS-CHRIST,    NOTRE   DIEU    ET   NOTRE   MODÈLE  DANS   l'eUCHARISTIE, 
EST   EN    MÊME  TEMPS    NOTRE    RÉDEMPTEUR 

Les  limites  que  nous  nous  sommes  tracées  ne  nous  permettent 
pas  d'exposeravec  plus  d'ampleur  lesenseignements  de  la  théologie, 
sur  ce  que  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  est  en  lui-même,  comme 


420         LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.   IX. 

Dieu,  comme  homme  et  comme  Homme-Dieu.  Mais  le  peu  que  nous 
avons  dit  sur  un  sujet  si  vaste  sulïitpour  déterminer  toute  volonté 
droite  à  servir  avec  un  zèle  et  une  persévérance  qui  ne  se  lassent 
pas,  c'est-à-dire  avec  une  sincère  et  ardente  dévotion,  ce  Jésus,  qui, 
voilé  sous  les  espères  sacramentelles,  n'en  est  pas  moins  l'infini 
lui-même,  liypostatiquement  uni  à  une  nature  créée,  sinon  égale 
à  lui,  au  moins  digne  de  lui,  autant  que  le  fini  peut  l'être. 

Mais  il  convient  de  voir  aussi  ce  que  le  Dieu  de  l'Eucharistie 
est  pour  nous.  Notre  amour  pour  lui  et  notre  dévotion  qui  suit 
nécessairement  l'amour,  y  trouveront  des  motifs  de  s'accroître  i. 
En  mémo  temps  nous  comprendrons  mieux  ce  qu'il  attend  des 
âmes  réellement  dévouées  à  son  service. 

Disons  d'abord  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  demande  de 
nous,  avant  toute  chose,  l'imitation  de  ses  vertus.  Il  n'y  a  pas  de 
véritable  dévotion  envers  la  Sainte  Eucharistie  sans  des  efforts 
sérieux  et  persévérants  pour  devenir  semblable  au  divin  modèle 
qui  s'offre  à  nous  dans  le  Très  Saint  Sacrement.  Dieu  a  créé 
l'homme  à  son  image  et  à  sa  ressemblance.  Le  péché  a  défiguré 
en  nous  cette  image,  et  c'est  pour  la  réparer,  pour  lui  rendre  sa 
beauté  première  et  y  ajouter  un  éclat  nouveau,  que  le  Verbe  s'est 
fait  chair,  qu'il  a  habité  parmi  nous,  qu'il  a  souffert  et  qu'il  est 
mort  pour  nous  sur  la  croix;  c'est  pour  qu'il  nous  soit  possible  et 
facile  de  profiter  de  sa  vie  sur  la  terre,  de  sa  mort  et  de  sa  passion, 
de  tout  ce  qu'il  nous  veut  de  bien  comme  homme  et  comme  Dieu, 
qu'il  a  institué  le  sacrement  adorable  de  l'Eucharistie.  Nous  n'avions 
pas  de  modèle  pour  reformer  en  nous  la  divine  image  :  «  L'homme 
«  que  l'on  pouvait  voir,  dit  S.  Augustin,  ne  pouvait  être  imité  sûre- 
«  ment,  parce  qu'il  pouvait  errer.  Dieu  qu'il  aurait  fallu  imiter  était 
«  invisible  pour  nous.  Afin  donc  que  l'homme  possédât  un  modèle 
«  qu'il  pût  imiter,  et  qui  fût  visible,  Dieu  s'est  fait  homme  2.  » 

\ .  Dans  le  troisième  volume  de  ce  même  ouvrage,  nous  avons  consacré  les 
chapitres  iv  et  v  à  présenter  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  comme  notre 
Sauveur,  notre  Chef,  notre  Pasteur,  V Homme-Dieu,  à  qui  nous  devons  tout. 
Ces  titres  de  Notre-Seigneur  au  culte  liturgique  sont  aussi  des  titres  à  la  dé- 
votion et  au  culte  individuel.  Nous  y  renvoyons  le  lecteur;  mais  nous  ne  lais- 
sons pas  d'en  traiter  ici  de  nouveau,  à  un  autre  point  de  vue,  et  avec  des 
développements  différents. 

2.  Homo,  qui  videri  poterat,  hominibus  imitandus  non  erat,  quia  errare 
poterat;  Deus  qui  imitandus  erat,  non  poterat  videri.  Ut  ergo  haberet  homo 
exemplum,  quod  imitaretur,  et  quidem  visibile,  Deus  factus  est  homo.  (S.  Au- 
OOST.,  in  quodam  serm.  de  Nativ.  Dom.) 


QUELQUES  MOTIFS   PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eDCHARISTIE.      421 

Qui  n'admirerait  cette  infinie  miséricorde  de  notre  Dieu?  Parce 
que  l'homme  ne  peut  voir  que  les  exemples  qui  lui  sont  donnés 
dans  la  chair,  l'Esprit  infiniment  pur,  celui  dont  le  trône  est  placé 
au-dessus  de  tous  les  chœurs  des  anges  se  fait  chair  et,  devenu 
homme,  il  vit  au  milieu  des  hommes.  Et  lorsque  le  temps  de  re- 
monter dans  son  céleste  royaume  est  venu,  il  trouve  le  secret  de 
demeurer  encore  au  milieu  de  nous,  pour  nous  donner  de  nouveaux 
exemples,  et  pour  que  sa  présence  ne  nous  permette  pas  d'oublier 
ceux  qu'il  nous  a  laissés  en  achevant  sa  vie  mortelle.  Mais  parce 
qu'il  n'aurait  pas  suffi  que  Jésus-Christ  rendît  aimable  à  nos  yeux, 
par  ses  exemples,  la  vertu  qui  déjà  est  belle  par  elle-même,  sans 
gagner  pour  cela  les  cœurs  de  bien  des  hommes,  lorsqu'elle  est 
difficile  à  pratiquer,  ce  divin  Sauveur  a  daigné  marcher  lui-même 
par  les  voies  difficiles  pour  nous  entraîner  à  sa  suite.  On  l'a  vu 
pendant  sa  vie  mortelle,  et  on  le  voit  encore,  dans  le  sacrement  de 
son  amour,  pratiquer  l'humilité  en  supportant  les  opprobres  ;  la 
patience  en  acceptant  les  injures  et  les  douleurs  ;  la  mortification 
de  la  chair  en  endurant  la  fatigue,  la  faim,  la  soif,  toutes  les  pri- 
vations qu'impose  la  pauvreté  ;  l'obéissance  en  se  soumettant  aux 
hommes;  la  charité  en  faisant  du  bien  à  tous,  même  à  ses  ennemis. 
Il  était  Dieu,  et,  comme  dit  S.  Paul,  «  il  s'est  anéanti  lui-même, 
«  prenant  la  forme  d'esclave,  ayant  été  fait  semblable  aux  hommes, 
«  et  reconnu  pour  homme  par  les  dehors.  Il  s'est  humilie  lui-même, 
«  s'étant  fait  obéissant  jusqu'à  la  mort  et  à  la  mort  de  la  croix  K  » 

S.  Paul  avait  dit  d'abord  :  «  Ayez  en  vous  les  sentiments  qu'avait 
«  le  Christ  2.  »  C'est  donc  parce  qu'il  est  Dieu,  parce  qu'étant  Dieu 
il  s'est  fait  homme,  parce  que  s'étant  fait  homme  il  a  enduré  toutes 
sortes  d'humiliations  et  de  souffrances  pour  nous,  afin  de  nous 
racheter  et  de  nous  servir  de  modèle,  que  S.  Paul  nous  conjure 
d'imiter  Jésus-Christ.  Qui  pourrait  refuser  d'imiter  de  tout  son 
pouvoir  des  exemples  que  Dieu  lui-même  a  daigné  nous  donner, 
à  un  tel  prix,  pour  apprendre  comment  il  faut  pratiquer  la  vertu 
€t  restituer  en  nous-même  la  divine  image,  dont  la  malice  de 
Satan  avait  corrompu  tous  les  traits? 

1.  Qui,  cum  in  forma  Dei  esset....  semetipsum  exinanivit,  formam  servi 
accipiens,  in  similitudinem  hominum  factus,  et  habitu  invenlus  ut  homo. 
Humiliavit  semetipsum,  factus  obediens  usque  ad  mortem,  mortem  autem 
crucis.  [Philipp.,  11,  0-8.) 

2.  Hoc  sentite  in  vobis  quod  et  in  Cbristo  Jesu.  [Id.,  11,  îi.) 


422         L.\  SAINTE   EDCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  CHAP.   IX. 

On  peut  dire,  d'ailleurs,  que  ce  n'était  pas  trop  des  exemples 
donnés  par  Dieu  lui-même,  revêtu  de  la  nature  humaine,  pour 
faire  contrepoids  aux  exemples  sans  nombre  de  scélératesse  et  de 
crimes  de  toutes  sortes,  dont  la  terre  entière  était  affreusement 
souillée.  Les  faux  dieux  que  l'on  adorait  étaient  des  monstres  de 
vices,  inventés  par  une  imagination  en  délire;  les  grands  delà 
terre  n'imitaient  que  trop  ce  qu'ils  attribuaient  à  leurs  dieux,  et  la 
foule  suivait  les  grands,  dans  la  voie  facile  de  la  corruption.  Si 
parfois  un  homme  donnait  l'exemple  de  quelque  vertu,  cet  exem- 
ple était  une  goutte  d'eau  jetée  dans  un  brasier,  et  ne  pouvait 
l'éteindre.  11  fallait  les  exemples  de  Dieu  lui-même,  et  il  les  faut 
encore,  parce  que  la  nature  humaine  porte  toujours  avec  elle  son 
inclination  au  mal.  Et  c'est  pour  cela  que  Jésus-Christ  s'est  donné 
à  nous  comme  notre  Dieu  et  notre  modèle  ;  c'est  pour  cela  qu'il  ne 
cesse  point,  dans  son  adorable  Sacrement,  de  nous  rappeler  ses 
anciens  exemples,  et  de  nous  les  prodiguer  de  nouveau.  Dieu  fai- 
sait entendre  autrefois  par  la  bouche  d'Isaïe  cette  plainte  doulou- 
reuse :  «  C'est  dans  le  vide  que  j'ai  travaillé,  c'est  sans  motif  et 
«  vainement  que  j'ai  consumé  ma  force  sans  fruit  K  »  C'est  la 
parole  qu'il  pourrait  adresser  aujourd'hui  à  tant  de  chrétiens,  qui 
n'imitent  pas  les  exemples  donnés  par  son  divin  Fils,  pendant  sa 
vie  mortelle,  et  qui  ne  tirent  aucun  fruit  de  tant  d'humiliations,  de 
tant  de  souffrances  endurées  par  un  Dieu,  pour  leur  enseigner  la 
pratique  de  la  vertu,  le  chemin  de  la  paix  ici-bas  et  du  bonheur 
pour  la  vie  future.  Ce  n'est  pas  là  répondre  dignement  aux  avances 
que  Dieu  nous  a  faites  ;  ce  n'est  pas  lui  rendre  le  culte  de  dévotion 
que  méritent  tant  de  bontés  ;  ce  n'est  pas  honorer  comme  il  con- 
vient, et  comme  il  est  juste  de  le  faire,  ce  Dieu  présent  pour  nous 
au  Très  Saint  Sacrement. 

Un  autre  titre  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  à  la  dévotion  des 
fidèles,  c'est  qu'il  est  notre  Rédempteur.  Celui  que  nous  adorons 
sous  les  Espèces  eucharistiques  nous  a  rachetés,  et  c'est  pour  nous 
appliquer,  de  la  manière  la  plus  utile,  les  mérites  de  la  rédemption 
opérée  par  lui  au  prix  de  son  sang,  qu'il  a  daigné  instituer  cet 
adorable  sacrement. 

Lorsque  Dieu  créa  l'homme,  il  lui  donna  l'intégrité  de  la  nature 
humaine,  une  santé  parfaite  et  une  volonté  soumise  et  obéissante 

1.  In  vacuuin  laboravi,  sine  causa,  et  vane  fortitudinem  meam  consumpsi. 

(/«.,  XLIX.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.      423 

à  son  Créateur;  il  lui  donna  de  plus  sa  grâce.  L'homme  apparte- 
nait donc  tout  entier  à  Dieu,  dans  l'ordre  naturel  et  dans  l'ordre 
surnaturel,  parce  qu'il  était  tout  entier  la  créature  de  Dieu  ;  il  lui 
appartenait  aussi  parce  qu'il  se  soumettait  librement  à  son  divin 
Maître  et  obéissait  à  sa  volonté.  Il  n'avait  pas  d'autre  maître  que 
Dieu,  mais  il  appartenait  à  Dieu  et  lui  appartenait  exclusivement; 
ni  le  péché,  ni  la  souffrance,  ni  aucune  créature  n'avaient  de  droit 
sur  lui. 

Adam  n'avait  pas  reçu  pour  lui  seul  la  perfection  de  cet  heureux 
état  ;  il  devait  nous  la  transmettre  et  elle  nous  avait  été  donnée  en 
sa  personne.  S'il  l'avait  conservée,  Dieu  l'aurait  communiquée  à 
tous  ses  descendants  et  tous  les  hommes  eussent  appartenu  au  Sei- 
gneur sans  partage,  selon  la  nature  et  selon  la  grâce.  Mais  par  son 
péché  il  tomba  sous  l'empire  du  démon;  il  devint  la  proie  de  la 
mort,  des  passions,  des  misères  de  cette  vie,  de  la  malédiction  et 
de  la  damnation  éternelle.  C'est  l'héritage  qu'il  nous  a  transmis  au 
lieu  de  celui  que  Dieu  nous  avait  destiné.  Nous  naissons  enfants 
de  colère,  étrangers  au  ciel,  esclaves  de  Satan,  coupables  d'une 
faute  qui  ne  nous  est  pas  personnelle,  il  est  vrai,  mais  qui  ne  nous 
rend  pas  moins  indignes  d'entrer  jamais  dans  le  séjour  de  l'éternel 
bonheur.  Dieu  est  encore  le  maître  absolu  des  hommes,  comme 
il  l'est  de  toute  créature  ;  il  peut  faire  d'eux  tout  ce  qu'il  veut,  mais 
l'homme  a  rejeté  autant  qu'il  l'a  pu  son  autorité  souveraine  ;  il  a 
usé  de  sa  volonté  libre,  non  plus  pour  se  soumettre  à  son  Créa- 
teur dont  la  bonté  pour  lui  s'était  montrée  si  libérale,  mais  pour 
se  révolter  contre  sa  loi  et  se  faire  l'esclave  du  démon  qui  Ta  en- 
traîné au  mal  ;  car,  selon  la  parole  de  S.  Pierre  :  «  On  est  esclave 
«  de  celui  par  qui  on  a  été  vaincu  :  »  A  quo  quis  superatus  est 
hujus  et  servus  est  K 

Tous  les  hommes  sont  donc  devenus  les  esclaves  du  démon  par 
le  péché  d'Adam,  et  presque  tous  ont  aggravé  le  poids  de  leurs 
chaînes,  par  leurs  propres  péchés,  de  sorte  que  le  démon  est  bien 
«  le  prince  de  ce  monde,  »  princeps  Iiujus  miindi  '^,  comme  l'ap- 
pelle le  Seigneur  lui-même,  prince  dont  le  joug  cruel  ne  pouvait 
être  brisé  et  dont  nul  homme  ne  pouvait  être  exempt  :  il  fallait, 
pour  délivrer  l'homme  de  cet  odieux  esclavage,  la  main  du  Tout- 
Puissant  lui-même. 

\.  II.  Ih'tr.,  II,  19.—  ±  Joann.,  \\\,  31. 


424         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  IX. 

L'homme  qui  s'était  volontairement  plongé  dans  un  abîme  de 
maux,  en  se  donnant  le  maître  cruel  dont  il  était  l'esclave,  ne  mé- 
ritait pas  que  Dieu  lui  fit  la  grâce  de  le  rendre  à  la  liberté  et  au 
bonheur;  mais  il  convenait  à  la  divine  sagesse  de  lui  venir  en 
aide.  L'homme  avait  été  créé  pour  servir  Dieu  et  procurer  sa  gloire  : 
pourquoi  le  plan  du  Créateur  aurait-il  avorté?  Pourquoi  le  souve- 
rain Maître  de  toutes  choses  aurait-il  été  privé  de  la  gloire  qu'il 
avait  voulue  et  qu'il  s'était  préparée?  C'est  la  question  que  lui 
adresse  le  Psalmiste  :  «  Est-ce  en  vain  que  vous  avez  créé  tous  les 
«  fils  des  honmies?  »  Numquid  enini  vane  cons'tituisti  omnes 
fi/ios  hommum  '?  Et  convenait-il  à  l'infinie  miséricorde  de  Dieu 
de  laisser  l'homme  éternellement  privé  du  bonheur  éternel,  pour 
lequel  il  avait  été  fait,  à  cause  de  la  malice  du  démon  -? 

Était-il  admissible  que  le  démon  atteignît  son  but,  qui  était  de 
faire  partager  à  l'homme  son  éternelle  damnation,  et  que  Dieu  fût 
frustré  du  sien,  qui  était  de  rendre  l'homme  éternellement  heu- 
reux 3? 

Dieu  résolut  donc,  dans  sa  souveraine  sagesse,  de  réparer  le 
mal  causé  à  la  nature  liumaine  par  la  faute  du  premier  homme. 
Il  aurait  pu  le  faire  par  le  ministère  d'un  ange  ou  par  tout  autre 
moyen;  mais  ni  les  besoins  de  l'homme  ni  la  bonté  de  Dieu,  non 
plus  que  sa  justice,  n'eussent  reçu  ainsi  satisfaction  complète. 
L'offense,  en  s'attaquant  à  Dieu  lui-même,  revêtait  un  caractère 
d'infinité;  par  là  même,  elle  exigeait  une  réparation  infinie;  de 
plus,  les  péchés  ajoutés  par  les  descendants  d'Adam  au  péché  ori- 
ginel s'accumulaient  sans  cesse.  Quelle  créature  eût  jamais  pu, 
par  ses  propres  mérites,  payer  de  telles  dettes  et  obtenir  pour 
l'homme,  non  seulement  l'oubli  des  fautes  passées,  mais  la  grâce 

1.  Ps.  Lxx.wiii,  48. 

2.  Indi^'num  erat  bonitatc  Dei,  si  quae  ab  ipso  creata  essent,  in  interitum 
abirent  ob  diaboli  adversus  homines  fraudem.  Quin  imo  indecentissimum 
eral,  Dei  arlcin  hominibus  cxtingui,  vel  per  ipsorum  incuriam,  vei  per  dae- 
monis  imposturam.  (S.  Atmanas.,  lib.  de  IncariKitione  Yerbi.) 

3.  Qui  Kioriabalur  diabolus  hominem  sua  fraude  deceptum,  divinis  ca- 
ruisse  inuneribus  et  ininiortalitatis  dote  nudatum,  duram  mortis  subiisse  sen- 
tentiain,  soque  in  maliliis  (juoddanri  de  prœvaricatoris  consortio  invenisse 
solatium  :  Deum  quoque  juste,  severitatis  exigente  ratioiic,  erga  hominem, 
quem  in  tanto  honore  condiderat,  antiquam  mutasse  sententiam  :  opus  fuit 
secreti  dispositione  consiHi,  ut  incommutabiUs  Deus  (cujus  voluntas  non  po- 
test  sua  benignitate  privari)  primam  suœ  pietatis  disposilionem,  sacramento 
occultioro  compleret,  et  homo  diaboiicae  iniquitatis  versutia  actus  in  culpam, 
conlra  I)ci  proposilum  non  periret.  (S.  Léo,  .serm.  I  de  Nativit.  Dom.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       425 

■de  marcher  dans  la  voie  du  salut,  et  d'entrer  en  possession   du 
royaume  des  cieux?  S.  Anselme  ajoute  que  si  quelque  créature 
avait  reçu  de  Dieu  la  mission  de  racheter  les  hommes,  cette  créa- 
ture serait  devenue  pour  les  hommes  autant,  sinon  plus  que  Dieu 
lui-même,  car  le  bienfait  de  la  rédemption  l'emporte  sur  celui  de 
la  création  '.  De  plus,  la  nature  humaine  ainsi  rachetée  eût  été 
profondément  abaissée.  Destinée  à  partager  au  ciel  le  bonheur  et  la 
gloire  des  anges,  les  hommes,  rachetés  par  l'un  de  ces  esprits 
bienheureux,  eussent  paru  n'être  pas  dignes  que  Dieu  lui-même 
s'occupât  d'eux,  puisqu'il  confiait  à  une  créature  l'acte  le  plus 
important  qui  pût  les  concerner  2.  «  S'il  en  avait  été  ainsi,  dit 
-n  encore  S.  Anselme,  l'homme  n'aurait  été  nullement  rétabli  dans 
«  la    dignité  qu'il   aurait  possédée,    supposé    qu'il    n'eût  point 
<  péché  3.  »  Et  c'est  pourquoi  Dieu  s'est  fait   homme    afin   de 
racheter  les  hommes.  Le  Verbe  divin  s'est  revêtu  de  notre  nature. 
Homme,  il  a  pu  souffrir  et  expier  pour  les  hommes  ;  Dieu,   il  a 
donné  à  ses  souffrances  un  prix  infini.  David  l'avait  annoncé  par 
€es  paroles  :  «  Dans  le  Seigneur  est  la  miséricorde,  et  en  lui  une 
«  abondante  rédemption  ;  et  c'est  lui-même  qui  rachètera  Israël  de 
«  toutes  ses  iniquités  ^.  » 

En  rachetant  lui-même  les  hommes,  le  Fils  de  Dieu  a  satisfait  tout 
à  la  fois  à  la  miséricorde  et  à  la  justice  divines.  Nous  ne  méritions 
à  aucun  titre  un  si  grand  bienfait  :  au  contraire,  tout  nous  en  ren- 

1.  Non  potuit  Deus  aliquem  legatum  dirigere  qui  genus  humanum  redime- 
ret,  et  vice  illius  adversus  hostem  antiquum  posset  confligere?  Poluit  plane  si 
•vellet.  Verumtamen  œquissimus  Jiidex  noluit  quicquam  irrationabiliter  agere, 
sed  discretissimo  valde  consilio,  in  uno  voluit  generi  humano  clementer  sub- 
venire,  et  in  altero,  velut  potens  pro  impotente,  daemoni,  qui  jure  dominaba- 
tur  homini,  pro  liomine  curavit  légitime  satisfacere;  non  enim  poterat  tam 
optimum,  tamque  conveniens  aliud  reperiri  consilium.  Quod  ob  id  rêvera 
intelligimus,  quoniam  sic  summge  Deitati  placuisse  cognoscimus,  quod  non 
angélus  mitti  debuit.  (S.  Anselm.,  lib.  Cur  Deus  homo,  cap.  vi.) 

2.  Fuit  et  aliud  equidem,  etsi  merito  posset,  pro  quo  ad  hominum  redemp- 
tionem  mitti  non  debuit  Angélus.  Quoniam  qui  aliquem  redimit,  quasi  jure 
illius  obsequium  exigit,  et  se  velut  dominum  ipsius  merito  vult  recognosci. 
Esset  autem  valde  inconveniens,  ut  honor  qui  Creatori  soli  dcbetur,  a  crea- 
tura  creaturae  exhiberetur.  Et  sic  homo,  qui  ad  «qualitatem  angelorum  dedu- 
cendus  erat,  quasi  ab  omni  honore  et  divinilatis  cognitione  alienus,  valde 
inferior  angelis,  velut  non  Deo  dignus  invenirctur.  (li).,  ibid.) 

3.  Quod  si  esset,  nullatenus  homo  restaura  tus  esset  in  illam  dignitatem, 
quam  habiturus  erat,  si  non  peccasset.  (Id.,  ihid.) 

4.  Quia  apud  Dominum  misericordia,  et  copiosa  apud  eum  redemptio.  Et 
ipse  redimet  Israël  ex  omnibus  iniquilalibus  ejus.  [Ps.  cxxix,  7,  8.) 


426         LA   SAINTE    EUCHARISTir.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IX. 

dait  profondément  indignes,  aussi  bien  nos  propres  péchés  que  la 
désobéissance  du  chef  de  notre  race.  Ce  fut  donc  par  pure  misé- 
ricorde que  le  Père  éternel  promit  d'abord  aux  hommes  qu'il  leur 
donnerait  un  rédempteur;  par  pure  miséricorde  qu'il  annonça 
que  ce  rédempteur  serait  son  propre  Fils.  Rien  ne  l'obligeait  à  cet 
acte  de  miséricorde  infinie,  mais  il  voulut  s'y  engager  par  une 
promesse  solennelle.  Il  fit  cette  promesse  à  Adam  ;  il  la  renouvela 
aux  patriarches,  à  David  et  à  tout  le  peuple  d'Israël,  ou  plutôt  à 
l'humanité  tout  entière,  par  la  bouche  des  prophètes;  et  quand 
les  temps  furent  accomplis,  il  exécuta  sa  promesse,  selon  la  parole 
de  S.  Paul  :  «  Mais  lorsqu'est  venue  la  plénitude  du  temps,  Dieu  a 
«  envoyé  son  Fils,  formé  d'une  femme,  soumis  à  la  loi,  pour 
«  racheter  ceux  qui  étaient  sous  la  Loi,  pour  que  nous  reçussions 
«  l'adoption  des  enfants  i.  »  Le  Fils  de  Dieu  devenu  Fils  de 
l'homme  paya  nos  dettes;  il  nous  délivra  de  nos  péchés  et  de  la 
malédiction  qui  entraînait  pour  nous  la  damnation  éternelle;  il 
nous  procura  la  grâce,  d'un  prix  infini,  d'être  comptés  au  nombre 
des  enfants  de  Dieu,  si  nous  le  voulons. 

Ce  fut  encore  un  acte  de  la  miséricorde  infinie  de  Dieu  d'ins- 
pirer à  la  très  sainte  âme  de  son  divin  Fils,  dès  l'instant  même 
de  l'incarnation,  un  désir  ardent,  une  volonté  inébranlable  de 
satisfaire,  de  souffrir,  de  mourir  pour  les  hommes,  et  de  leur 
laisser,  après  l'accomplissement  de  l'œuvre  de  la  rédemption,  le 
Sacrement  adorable  qui  lui  permet  de  demeurer  au  milieu  d'eux, 
tout  en  occupant  son  trône  à  la  droite  du  Père  céleste  dans  la  gloire 
du  ciel.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  S.  Paul  :  «  Nous  étions  par  nature 
«  enfants  de  colère,  comme  tous  les  autres;  mais  Dieu,  qui  est 
«  riche  en  miséricorde,  par  le  grand  amour  dont  il  nous  a  aimés, 
«  et  lorsque  nous  étions  morts  par  les  péchés,  nous  a  vivifiés 
«  dans  le  Christ  (par  la  grâce  duquel  vous  êtes  sauvés),  nous  a 
«  ressuscites  avec  lui  et  nous  a  fait  asseoir  dans  les  cieux  avec 
«  Jésus-Christ  -.  » 

h.  At  ubi  venit  plénitude  temporis,  misit  Deus  Filium  suum,  factum  ex 
muliere,  factum  sub  lege  :  ut  eos  qui  sub  lege  erant,  redimeret,  ut  adoptio- 
nem  filiorum  reciperemus.  [Gulat.,  iv,  -4,  ÎJ.) 

2.  Et  cramus  natura  filii  irœ,  sicut  et  caeteri  :  Deus  autem  qui  dives  est  in 
misericordia,  propter  nimiarn  charitatem  suam,  qua  dilexit  nos,  et  cum  esse- 
mus  mortui  peccatis,  convivificavit  nos  in  Christo  (cujus  gratia  estis  salvati), 
et  conresusfitavit  et  consedere  fecit  in  cœlestibus  in  Christo  Jesu.  [Ephes.^ 
Il,  S-O.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION   ENVERS  l'eUCHARISTIE.       427 

C'est  donc  à  la  miséricorde  du  Père  éternel,  c'est  à  la  miséri- 
corde du  Verbe  incarné,  c'est  à  la  miséricorde  et  à  l'amour  pour 
nous  de  son  humanité  sainte  que  nous  devons,  non  seulement  la 
délivrance  du  joug  de  Satan  et  de  la  dette  énorme  de  nos  péchés, 
mais  le  titre  d'enfants  de  Dieu,  et  le  trône  qui  nous  attend  dans 
le  royaume  de  notre  Père.  Et  ce  Dieu  infiniment  miséricordieux, 
qui  nous  aime  jusqu'à  l'infini,  est  là  sur  nos  autels  dans  nos 
tabernacles  ;  il  nous  invite  à  sa  table,  et  l'aliment  qu'il  nous  donne, 
c'est  lui-même  pour  la  vie  de  notre  àme. 

La  justice  ne  brille  pas  moins  que  la  miséricorde  dans  l'œuvre 
de  la  rédemption  accomplie  par  notre  divin  Jésus. 

Dieu,  pour  pardonner  à  l'homme  et  lui  rendre,  même  avec 
usure,  tous  les  privilèges  dont  sa  nature  avait  été  dépouillée  par 
la  désobéissance  d'Adam,  pouvait  se  contenter  d'une  satisfaction 
incomplète;  il  pouvait  même  n'en  exiger  aucune.  Mais  s'il  avait 
manifesté  de  cette  manière  sa  libéralité  infinie,  outre  les  inconvé- 
nients qui  auraient  pu  en  résulter,  sa  justice  n'eût  pas  été  satis- 
faite. Il  ne  voulut  donc  pas  que  la  faute  originelle,  non  plus  que 
les  autres  péchés  des  hommes,  fût  remise  sans  une  réparation 
proportionnée  à  la  gravité  de  l'oflense.  La  rançon  de  l'humanité 
devait  être  d'une  valeur  infinie  comme  la  majesté  du  Dieu  que 
l'homme  avait  outragé.  Le  Fils  de  Dieu,  Dieu  comme  le  Père  et 
intéressé  comme  lui  à  sauvegarder  les  droits  de  la  justice  divine, 
s'offrit  pour  payer  cette  dette  énorme  dans  toute  son  intégrité. 
Incarné  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  et  devenu 
fils  d'Adam  sans  cesser  d'être  Dieu,  il  possédait  tout  ce  qui  était 
nécessaire  pour  accomplir  la  mission  que  son  Père  lui  avait 
confiée.  La  dignité  de  sa  personne  divine  conférait  à  chacun  de  ses 
actes,  à  chacune  même  de  ses  paroles  ou  de  ses  pensées  comme 
homme,  une  valeur  infinie;  la  moindre  de  ses  œuvres  aurait  suffi 
pour  le  salut  du  monde  entier. 

Ce  qu'il  offrait,  ce  qu'il  donnait  à  la  justice  divine  pour  notre 
rédemption  était  bien  à  lui  et  de  lui.  Les  créatures  n'ont  rien 
qu'elles  ne  tiennent  de  Dieu  ;  elles  ne  peuvent  rien  faire  que  par 
lui  et  moyennant  son  aide  ;  ou  plutôt  c'est  Dieu  qui  agit  en  elles. 
Pour  notre  divin  Sauveur,  ce  qu'il  a  fait,  ce  qu'il  a  livré  à  la  jus- 
tice divine  comme  prix  de  notre  rédemption  était  bien  à  lui  et  de 
lui  ;  car  il  est  Dieu  ;  tout  ce  qu'était,  tout  ce  que  faisait,  tout  ce  que 
souflVait   son  humanité  sainte,  hypostatiquement  unie  au  Verbe 


458  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE    II.   —  CHAP.   IX. 

divin,  appartenait  réellement  à  cette  adorable  personne,  tout  était 
divin,  même  les  actes  les  plus  ordinaires  de  la  nature  humaine, 
car  ils  étaient  les  actes  d'un  Dieu  fait  homme.  Il  les  accomplissait 
librement  comme  homme,  mais,  en  même  temps,  comme  Dieu,  il 
leur  attachait  une  valeur  infinie.  C'était  donc  avec  ses  propres 
biens  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  payait  notre  rançon  et  nos 
dettes  immenses,  mais  ses  richesses  étaient  telles  qu'il  satisfaisait 
pleinement  à  la  justice  divine,  et  qu'il  donnait  infiniment  plus 
qu'il  ne  devait  pour  nous.  Personnellement,  il  n'avait  aucune  dette 
à  payer  à  la  justice  de  Dieu  K  II  est  vrai  que  son  humanité  sainte 
avait  reçu  plus  de  grâces  à  elle  seule  que  toutes  les  autres  créa- 
tures ensemble  ;  mais  ces  grâces  ne  créaient  qu'un  devoir  de 
reconnaissance  et  d'amour,  et  c'était  envers  sa  propre  personne 
queleFilsdeDieufait  homme  était  tenu,  comme  homme,  d'accom- 
plir ce  devoir.  Rien  ne  s'opposait  donc  à  ce  que  tous  ses  mérites  nous 
fussent  appliqués  et  servissent  à  l'œuvre  de  notre  rédemption.  Ilsne 
pouvaient  pas  ne  pas  être  acceptés,  puisque  le  créancier  et  le 
débiteur  ne  faisaient  qu'un;  car  si  le  Fils  de  Dieu  n'est  pas  à  lui 
seul  les  trois  personnes  de  la  Très  Sainte  Trinité,  il  est  néanmoins 
tout  ce  Dieu  que  sont  ensemble  ces  trois  adorables  personnes,  et 
c'était  à  Dieu  qu'il  s'était  chargé  de  payer  notre  dette.  Et,  comme 
personnes  distinctes,  le  Père  et  le  Saint-Esprit  pouvaient-ils 
refuser  d'accepter  ce  que  le  Fils,  leur  égal  en  tout,  l'objet  de  leur 
amour  infini,  leur  ofi'rait  pour  le  rachat  de  l'homme?  Sa  dignité 
divine  s'opposait  à  une  telle  fin  de  non-recevoir,  selon  la  parole 
de  S.  Paul  :  «  Dans  les  jours  de  sa  chair,  ayant  offert  avec  larmes 
«  et  grands  cris  des  prières  et  des  supplications  à  celui  qui  pou- 
«  vait  le  sauver  de  la  mort,  il  a  été  exaucé  pour  son  respect  2  », 

1.  Impossibile  erat  hominem  resUtui,  nisi  omni  percepta  peccatoruin  re- 
missione,  quae  non  fit  nisi  praecedente  intégra  satisfactione;  quam  satisfactio- 
nem  talem  oportet  esse,  ut  peccator,  aut  aliquis  pro  illo  det  aliquid  Deo  de 
suo,  quod  del)ituni  non  sit,  quod  superet  oinne  quod  Deus  non  est.  Quod  quo- 
niam  a  nalura  sola  non  liabebat,  cani  in  suam  personam  assumpsit  Filius 
Dei,  ut  in  ea  persona  esset  homo  Deus,  qui  haberetquod  superaret  non  solum 
oninem  essentiam,  quae  Deus  non  est,  sed  et  omne  debitum  quod  solvere 
peccatores  debenl,  et  hoc  cum  nihil  pro  se  deheret,  solveret  pro  aliis,  qui 
quod  debebant,  reddere  non  habebant.  (S.  Anselm.,  in  Méditât.  liedempl., 
cap.  m.) 

2.  Qui  in  diebus  carnis  suse,  preces  supplicationesque  ad  eum,  qui  possit 
lUura  salvurn  facere  a  morte,  cum  clamore  valido  et  lachrymis  oiferens,  exau- 
ditus  est  })i .)  sua  reverenlia.  [Hebr.,  v,  7.) 


QUELQUES  MOTIFS   PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  L'eUCHARISTIE.       429 

c'est-à-dire  à  cause  du  respect,  de  la  vénération  qui  lui  est  due, 
parce  qu'il  est  Dieu. 

C'est  ainsi  que,  dans  le  mystère  de  la  Rédemption,  la  miséri- 
corde et  la  justice  divine  se  sont  unies  pour  arriver  au  même  but. 
Les  droits  de  l'une  n'ont  pas  été  lésés  par  l'action  de  l'autre,  mais 
Tune  et  l'autre  ont  été  exaltées  par  cet  embrassement.  La  miséri- 
corde a  rendu  gloire  à  la  justice,  parce  qu'elle  a  trouvé  le  moyen 
de  satisfaire  en  rigueur  de  justice  pour  les  iniquités  des  hommes  ; 
et  la  justice  a  rendu  gloire  à  la  miséricorde,  parce  que  non  seule- 
ment elle  a  pardonné  au  coupable,  et  rendu  la  liberté  au  captif, 
c'est-à-dire  à  l'homme,  mais  elle  a  daigné  lui  fournir  les  trésors  de 
mérites  nécessaires  pour  payer  ses  dettes.  Pardonner  à  l'homme 
son  péché  et  lui  rendre  la  liberté,  était  sans  doute  un  acte  de  mi- 
séricorde inappréciable;  mais  Dieu  faisait  encore  plus,  en  daignant 
nous  procurer  lui-même  ce  dont  nous  avions  besoin  pour  nous 
acquitter  envers  sa  justice.  Nos  dettes  n'étaient  pas  simplement 
remises,  elles  étaient  acquittées;  et  la  justice  de  Dieu  n'avait  pas 
seulement  obtenu  la  réparation  qu'elle  était  en  droit  d'exiger,  elle 
avait  infligé  à  l'auteur  premier  de  la  chute  de  l'homme  l'humi- 
liation d'être  vaincu  par  cette  nature  humaine  dont  il  croyait  avoir 
fait,  pour  toujours,  sa  chose  et  son  esclave.  Ne  peut-on  pas  dire, 
avec  S.  Jean  Damascène,  que  la  Rédemption  opérée  par  le  Fils  de 
Dieu  incarné  fut  le  chef-d'œuvre  de  la  bonté,  de  la  justice,  de  la 
sagesse  et  de  la  puissance  de  Dieu  ^  ? 

Et  c'est  cet  adorable  Rédempteur,  ce  Fils  de  Dieu  fait  homme 
pour  racheter  les  hommes,  que  nous  possédons  dans  la  Très  Sainte 
Eucharistie.  S'abaisser  jusqu'à  revêtir  notre  nature,  jusqu'à  se 
charger  devant  son  Père  céleste  de  la  responsabilité  de  tous  les 
crimes  de  l'humanité,  jusqu'à  souffrir  toutes  les  humiliations,  toutes 
les  douleurs  et  la  mort  la  plus  infâme  afin  de  les  expier,  n'a  pas 
suffi  à  son  amour  pour  de  misérables  créatures  comme  nous,  tom- 
bées dans  le  péché.  Il  a  voulu  continuer  de  vivre  parmi  nous,  dans 
un  état  tel  que  nous  puissions  nous  approcher  de  lui,  l'ofirir  à 

1.  Demonstratur  in  hoc  Christi  mysterio  simul  et  l)onitas  et  sapientia,  et 
justitia  et  potentia  Dei.  Bonitas  quidem,  quoniam  non  despexit  proprii  plas- 
matis,  facluraeque  infirmitalem.  Justitia,  quia  homine  victo,  non  alio  quam 
homine  fecit  vinci  tyrannum.  Sapientia  quia  rei  admodum  dubiœ  ac  difficilis 
invenit  solutionem,  quam  sufticientissimam  et  decentissimam.  Infinita  virtus 
ac  potentia;  quid  enim  majus,  quam  Deum  fieri  hominem?  (S.  Joann.  Damas- 
CEN.,  lib.  111  de  Fide  orthod.,  cap.  i.) 


430         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II®  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.   IX. 

Dieu  comme  notre  victime,  manger  sa  chair  adorable  et  boire  son 
sang  précieux.  Et  que  demande-t-il  en  reconnaissance  de  tant  de 
bonté?  Que  nous  l'aimions  davantage  chaque  jour,  et  que  nous 
proclamions  sa  grandeur  et  ses  bienfaits  '. 

La  conséquence  de  l'œuvre  de  rédemption,  accomplie  par  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  en  notre  faveur,  est  que  nous  lui  apparte- 
nons tout  entiers  et  sans  partage.  «  Dieu  le  Père  nous  a  arrachés 
«  de  la  puissance  des  ténèbres,  »  dit  S.  Paul;  il  nous  a  délivrés 
du  joug  du  démon  dont  le  pouvoir  s'étend  sur  ceux  qui  vivent  dans 
le  péché  ;  et  «  il  nous  a  transférés  dans  le  royaume  du  Fils  de  sa 
dilection  -,  »  il  nous  a  donnés  à  ce  divin  Fils  par  lequel  il  avait 
voulu  opérer  notre  délivrance  ;  il  nous  a  inscrits  au  nombre  des 
sujets  de  ce  Roi  victorieux.  D'esclaves  du  démon  il  nous  a  faits  les 
serviteurs,  les  amis,  les  frères,  les  membres  de  son  divin  Fils  et 
les  héritiers  de  son  royaume.  Il  nous  a  permis  de  vivre  avec  lui  dès 
ce  monde  dans  l'intimité  la  plus  étroite,  de  nous  asseoira  sa  table 
et  d'y  manger  dès  ici-bas,  sous  la  forme  sacramentelle,  l'aliment 
qui  rassasiera  les  saints  et  les  anges,  de  bonheur  et  de  gloire, 
pendant  toute  l'éternité.  Mais  c'est  à  la  condition  que  désormais  nous 
vivrons  pour  Jésus-Christ.  S.  Paul  nous  en  avertit,  lorsqu'il  écrit 
aux  Corinthiens  :  «  Le  Christ  est  mort  pour  tous,  afin  que  ceux  qui 
«  vivent  ne  vivent  plus  pour  eux-mêmes,  mais  pour  celui  qui  est 
«  mort  pour  eux  et  qui  est  ressuscité  ^.  «  Toutes  nos  œuvres,  toutes 
nos  paroles,  toutes  nos  pensées,  toutes  nos  volontés  doivent  donc 
avoir  pour  fin  suprême  Jésus-Christ  et  sa  gloire,  Jésus-Christ  ré- 
gnant dans  le  ciel  et  environné  de  toute  sa  cour  céleste,  mais  aussi 
et  surtout  Jésus-Christ  descendant  sur  nos  humbles  autels,  s'en- 
fermant  prisonnier  solitaire  dans  nos  tabernacles  ou  se  donnant 
en  nourriture  à  des  âmes  qui,  fussent-elles  aussi  pures  que  les 
anges,  ne  seraient  pas  encore  dignes  de  le  recevoir. 

Que  ne  devons-nous  pas  au  Dieu  de  l'Eucharistie  qui,  pour  se 
donner  à  nous  comme  il  le  fait,  nous  a  délivrés,  au  prix  de  son 

\.  Deus  homo  ac  redemptor  nosler  fieri  dignatus  est  quâtenus  tanto  illum 
plenius  diligamus  atque  laudemus,  quanto  clarius  ejus  amoris  et  benevolen- 
tiœ  gralia  prosecutos  nos  esse  cognoverimus.  (S.  August.,  lib.  Cur  et  quando 
JJewi  homo,  cap.  vi.) 

2.  Qui  eripuit  nos  de  potestate  tenebrarum,  et  transtulit  in  regnum  Filii 
sui.  (Coloss.,  1, 43.) 

3.  Et  pro  omnibus  mortuus  est  Christus,  ut  et  qui  vivunt  jam  non  sibi  vi- 
vant sed  ci  qui  pro  ipsis  mortuus  est  et  resurrexit.  (//.  Cor.,  v,  15.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.      431 

sang,  de  la  captivité  du  démon  et  des  chaînes  du  péché?  Il  a  donné 
sa  vie  pour  nous  sur  la  croix  et  il  continue  de  la  donner  au  Très 
Saint  Sacrement  de  l'autel.  Il  ne  meurt  plus  pour  nous,  car  il  ne 
pouvait  mourir  qu'une  fois,  mais  il  vit  pour  nous  afin  que  nous 
vivions  de  sa  vie.  Il  est  donc  juste  que  tout  ce  que  nous  sommes 
lui  appartienne  et  qu'à  notre  tour,  nous  lui  donnions  notre  vie 
tout  entière,  notre  sang  même  s'il  le  réclamait.  «  Est-ce  que  vous 
«  ne  savez  pas  que  vous  ne  vous  appartenez  plus  i?  »  demandait 
l'apôtre  S.  Paul.  Ni  votre  corps  ni  votre  âme  ne  sont  plus  à  vous, 
et  vous  n'êtes  pas  libres  d'en  user  à  votre  gré,  comme  d'un  bien 
qui  vous  soit  propre.  «  Vous  avez  été  achetés  à  haut  prix.  Glorifiez 
«  donc  et  portez  Dieu  dans  votre  corps,  »  vous  surtout  qui  vous 
unissez  par  la  sainte  communion  au  corps  adorable  du  Sauveur. 

II. 

JÉSUS-CnRIST    DAXS   l'eUCHARISTIE    est   NOTRE   SAUVEUR   - 

Le  Fils  de  Dieu  est  venu  sur  la  terre  pour  apporter  aux  hommes 
deux  biens  inestimables,  et  il  daigne  demeurer  dans  la  Sainte 
Eucharistie,  humblement  voilé  à  tous  les  regards,  pour  nous 
faire  profiter  plus  largement  et  plus  facilement  de  ces  dons 
précieux. 

Le  premier  de  ces  biens  est  la  délivrance  de  tous  les  maux  qui 
ont  découlé  sur  la  nature  humaine,  du  péché  du  premier  homme, 
comme  d'une  source  empoisonnée.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous 
l'a  procuré  en  payant  la  dette  énorme  dont  nous  étions  redevables 
envers  la  justice  de  Dieu.  Et  c'est  parce  qu'il  a  ainsi  satisfait  pour 
nous  aux  exigences  de  la  divine  justice  que  nous  reconnaissons  en 
lui  notre  Rédempteur. 

Le  second  est  la  communication  de  la  grâce  qui  nous  rend  agréa- 
bles à  Dieu,  qui  nous  donne  la  vie  spirituelle  et  nous  ouvre  les 
portes  du  royaume  des  cieux,  lorsque  nous  arrivons  au  terme  de 
notre  vie  mortelle.  Pour  nous  procurer  ce  second  bien,  notre  divin 
Jésus,  non  content  de  payer  ce  qu'il  devait  pour  nous  à  la  stricte 
justice  de  son  Père,  accumula  des  mérites  infinis  par  ses  travaux, 
ses  soulïrances,  ses  actes  de  toutes  sortes,  dont  il  eût  pu  se  dis- 

4.  An  nescitis  quoniam....  non  estis  vestri ?  Empti  enim  estis  pretiomagno. 
Glorificate  et  portate  Deum  in  corpore  vestro.  (/.  Cor.,  19,  '20.) 
2.  Voir  le  t.  III  du  même  ouvrage,  p.  10-2  et  suiv. 


432         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —    IT  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

penser  s'il  n'avait  voulu  que  payer  notre  dette.  Et  ce  fut  par  ce 
second  bienfait,  infini  comme  le  premier,  qu'il  justifia  le  nom  de 
Jésus,  c'est-à-dire  de  Sauveur,  qui  fut  le  sien  dès  l'instant  de  sa 
conception  miraculeuse  dans  le  sein  de  la  Vierge. 

Avant  de  paraître  sur  la  terre,  le  Verbe  divin  s'était  plu  à 
prendre  le  nom  de  Sauveur,  lorsqu'il  parlait  par  la  bouche  des 
prophètes.  «  Dieu  viendra  lui-môme  et  il  nous  sauvera  \  »  disait 
Isaïe;  et  ailleurs  :  «  Voilà  ce  que  le  Seigneur  a  fait  entendre  jus- 
c  qu'aux  extrémités  de  la  terre  :  Dites  à  la  fille  de  Sion  :  Voici  que 
«  ton  Sauveur  vient;  voici  que  sa  récompense  est  avec  lui  et  que  son 
«  oeuvre  est  devant  lui  ~.  »  Zacharie,  à  son  tour,  parlait  ainsi  au 
peuple  de  .lérusalem  :  «  Voici  que  vient  à  toi  ton  Roi  juste  et  sau- 
«  veur  3.  »  L'apôtre  S.  Paul  ne  pouvait  pas  manquer  de  signaler 
aussi  ce  titre  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  il  écrivait  à  Timo- 
thée  :  «  Nous  espérons  dans  le  Dieu  vivant  qui  est  le  Sauveur  de 
«  tous  les  hommes,  et  principalement  des  fidèles  ^.  » 

Pour  mériter  devant  Dieu,  au  sens  exact  de  ce  mot,  il  faut  que 
la  personne  qui  mérite  soit  agréable  à  Dieu  et  qu'il  accepte  ses 
o.'uvres.  Il  faut,  en  second  lieu,  que  l'acte  méritoire  ait  quelque 
proportion  avec  le  mérite  acquis,  sinon  le  mérite  n'en  est  plus  un; 
les  biens  reçus  à  cause  de  lui  sont  de  simples  faveurs.  Plus  la 
personne  est  agréable  au  Seigneur  et  l'acte  qu'elle  fait  digne  de 
lui  être  oflert,  plus  aussi  le  mérite  est  grand. 

La  personne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  infiniment 
agréable  à  Dieu,  puisqu'elle  n'est  autre  que  la  personne  même  du 
Verbe  divin,  le  Fils  de  Dieu,  Dieu  unique  avec  le  Père  et  le  Saint- 
Esprit.  La  moindre  de  ses  œuvres  était  donc  infiniment  méritoire, 
et  nous  savons  combien  il  a  multiplié  ces  œuvres  méritoires  pen- 
dant le  cours  de  sa  vie  mortelle,  depuis  le  moment  où  s'est  accompli 
le  grand  mystère  de  son  incarnation  jusqu'à  celui  de  sa  mort  sur 
la  croix.  Il  est  vrai  que,  pendant  tout  ce  temps,  il  a  joui,  dans  la 
partie  supérieure  de  son  âme,  de  la  vision  intuitive  de  Dieu  qui 
fait  le  bonheur  des  saints,  mais  la  partie  inférieure  decette  même 

\.  Deus  ipse  veniet  et  salvabit  nos.  (/s.,  xxxv,  A.) 

2.  Ecce  Uominus  auditnm  fecit  in  extremis  terrae,  dicite  filiœ  Sion  :  Ecce 
Salvator  tuus  venit  ;  ecce  merces  ejus  cum  eo,  et  opus  ejus  coram  illo.  (/s., 
LXII,  11.) 

3.  Ecce  Rex  tuus  veniet  tibi  justus  et  salvator.  {Zach.,  ix,  9.) 

4.  Speramus  in  Deum  vivum,  qui  est  Salvator  omnium  hominum,  et 
maxime  fidelium.  (/.  Tim.,  iv,  iO.) 


QUELQUES    MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       433 

âme  bienheureuse  ne  possédait  pas  la  béatitude  :  elle  y  tendait  et 
elle  devait  y  arriver  par  la  souffrance.  De  même,  son  corps  ado- 
rable pouvait  souffrir.  Il  avait  pris  cette  àme  et  ce  corps  pour  souf- 
frir et  pour  mourir  afin  de  nous  sauver;  il  leur  avait  donc  donné  de 
ressentir  la  souffrance,  autant  que  le  peut  l'être  humain  le  plus 
délicat  et  le  plus  parfait.  Or  nous  savons,  par  le  saint  Évangile,  à 
quels  affreux  tourments  l'âme  et  le  corps  de  notre  divin  Sauveur  ont 
été  en  proie,  pendant  tout  le  temps  de  sa  passion  ;  nous  savons 
encore  que,  pendant  toute  sa  vie  mortelle,  toutes  ces  souffrances 
qu'il  devait  endurer  ont  été  présentes  à  sa  pensée;  nous  savons 
enfin  que  c'est  pour  nous  qu'il  les  a  volontairement  acceptées  et 
offertes  à  son  Père  céleste.  Une  telle  offrande  était  digne  de  la 
majesté  divine,  parce  que  ces  souffrances  n'étaient  autres  que 
celles  d'un  Homme-Dieu  et  que  c'était  l'Homme-Dieu  lui-même 
qui  les  offrait.  Aussi,  de  quels  biens  inestimables  les  mérites  de 
notre  divin  Sauveur  n'ont-ils  pas  été  la  source  pour  nous  ? 

Rédempteur,  Jésus-Christ  nous  a  rachetés  de  l'esclavage  du 
démon;  sauveur,  il  est  l'auteur  du  salut  éternel  de  nos  âmes.  Non 
content  de  nous  avoir  rendus  à  la  liberté,  il  ouvre  devant  nous  le 
chemin  qui  mène  à  la  patrie  céleste  et  nous  donne  tous  les  secours 
dont  nous  avons  besoin  pour  y  arriver  et  en  franchir  les  portes, 
qui  nous  seraient  inexorablement  fermées  sans  ses  mérites  qu'il 
nous  applique.  Jésus  est  la  pierre  angulaire,  disait  le  Prince  des 
Apôtres,  parlant  aux  Juifs,  «  et  il  n'y  a  de  salut  en  aucun  autre; 
«  car  nul  autre  nom  n'a  été  donné  sous  le  ciel  aux  hommes,  par 
«  lequel  nous  devions  être  sauvés  i.  »  Dans  une  autre  circons- 
tance, S.  Pierre  disait  encore  en  parlant  de  Notre-Seigneur  :  «  Tous 
«  les  prophètes  lui  rendent  ce  témoignage,  que  tous  ceux  qui 
c  croient  en  lui  reçoivent  la  rémission  de  leurs  péchés  2,  »  La 
même  doctrine  se  retrouve  souvent  dans  les  Épîtres  de  S.  Paul. 
C'est  ainsi  qu'il  écrivait  aux  Romains  :  «  La  justice  de  Dieu  par  la 
«  foi  en  Jésus-Christ  est  pour  tous  ceux  et  sur  tous  ceux  qui 
«  croient  en  lui  ;  car  il  n'y  a  point  de  distinction  ;  parce  que  tous 
<»  ont  péché  et  ont  besoin  de  la  gloire  de  Dieu;  étant  justifiés  gra- 
«  tuitementparsagràce,  et  par  la  rédemption  qui  est  dans  le  Christ 

4.  Non  est  in  alio  aliquo  salus.  Nec  enim  aliud  noinen  est  sub  cœlo  datum 
hominibus  in  quo  oporteat  nos  salvos  fieri.  (.le/.,  iv,  12.) 

2.  Huic  omnes  prophetae  testimonium  perhibent,  remissionem  peccatorum 
accipere  per  nomen  ejus  omnes  qui  credunt  in  eum.  {Ad.,  x,  43.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —   T.    IV.  28 


434         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  ir  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.  IX. 

«  que  Dieu  a  établi  propitiation  par  la  foi  en  son  sang  i .  »  Aux  Éphé- 
siens  il  disait  :  «  Béni  soit  le  Dieu  et  le  Père  de  Notre-Seigneur 
«  Jésus-Christ,  qui  nous  a  bénis  de  toute  bénédiction  spirituelle 
«  des  dons  célestes  dans  le  Christ;  comme  il  nous  a  élus  en  lui 
€  avant  la  fondation  du  monde,  afin  que  nous  fussions  saints  et 
«  sans  tache  en  sa  présence  dans  la  charité  ;  qui  nous  a  prédesti- 
t  nés  à  l'adoption  de  ses  enfants,  par  Jésus-Christ,  selon  le  des- 
«  sein  de  sa  volonté;  pour  la  louange  de  la  gloire  de  sa  grâce  dont 
«  il  nous  a  gratifiés  par  son  bien-aimé  Fils,  en  qui  nous  avons  la 
«  rédemption  par  son  sang,  et  la  rémission  des  péchés  selon  la 
e  richesse  de  sa  grâce,  qui  a  surabondé  en  nous  en  toute  sagesse 
€  et  toute  intelligence  2.  »  Ce  n'est  donc  pas  à  nos  propres  mé- 
rites, mais  aux  mérites  seuls  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  que 
nous  devons  la  grâce  de  la  rédemption  et  toutes  les  autres  grâces 
qui  nous  donnent  le  salut,  depuis  la  prédestination  initiale  jus- 
qu'à l'invitation  que  nous  aurons  le  bonheur  d'entendre  au  der- 
nier jour,  si  nous  sommes  fidèles  :  «  Venez,  les  bénis  de  mon 
«  Père.  »  Toutes  ces  grâces,  Jésus-Christ  les  a  méritées,  mais  son 
mérite  est  tout  à  lui  et,  s'il  nous  en  fait  part,  c'est  uniquement  en 
vertu  de  sa  libéralité,  de  sa  miséricorde,  de  son  amour  infini  pour 
les  hommes.  Aucune  des  œuvres  qui  précèdent  la  justification,  pas 
même  la  foi  et  les  œuvres  qui  en  découlent,  ne  nous  créent  un 
droit  à  ce  bien  infini  :  la  grâce  ne  serait  plus  une  grâce  si  nous 
étions  justifiés  en  vertu  de  nos  œuvres,  dit  le  Concile  de  Trente, 
en  citant  les  paroles  de  l'Apùtre  ^. 

\.  Justitia  autem  Dei  per  fidem  Jesu  Christi,  in  omnes  et  super  omnes  qui 
credunt  in  eum;  non  enim  est  distinctio.  Omnes  enim  peccaverunt  et  egent 
gloria  Dei  :  justificati  gratis  per  gratiam  ipsius,  per  redemptionem  quae  est  in 
Christo  Jesu,  quem  proposuit  Deus  propitiationem  per  fidem  in  sanguine 
ipsius.  {Rum.,  m,  2:2-25.) 

2.  Benedictus  Deus  et  Pater  Doraini  nostri  Jesu  Christi,  qui  benedixit  nos 
in  omni  benedictione  spirituali,  in  cœlestibus,  in  Christo  :  sicut  elegit  nos  in 
ipsoante  mundi  constitutionem,  utessemus  sancti  et  immaculati  in  conspectu 
ejus  in  charitate.  Qui  praedestinavit  nos  in  adoptionem  filiorum  per  Jesum 
Christum  in  ipsum  secundum  propositum  voluntatis  suœ,  in  laudem  glorise 
gratiœ  sua;  in  qua  gratificavit  nos  in  dilecto  Filio  suo  :  in  quo  habemus  re- 
demptionem per  sanguinem  ejus,  remissionem  peccatorum,  secundum  divi- 
tias  gratiae  ejus,  quae  superabundavit  in  nobis  in  omni  sapientia  et  prudentia. 
[Ephes.,  I,  3-8.) 

3.  Quanquam  nemo  possit  esse  justus,  nisi  oui  mérita  passionis  Domini 
nostri  Jesu  Christi  communicantur,  id  taraen  in  impii  juslificatione  fit,  dum 
ejusdem  sanctissimae  passionis  merito  per  Spiritum  sanctum  charitas  Dei 
diffunditur  in  cordibus  eorum  qui  justificantur....  Gratis    autem  justifîcari 


QDELQDES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCIIARISTIE.       435 

Mais  si  la  foi  et  les  œuvres  ne  nous  méritent  pas  la  justifica- 
tion, avec  tous  les  biens  qui  l'accompagnent,  elles  nous  y  prépa- 
rent merveilleusement  et  inclinent  Dieu  à  nous  l'accorder.  Abra- 
ham a  été  justifié  parce  qu'il  a  cru  en  Dieu  et  conformé  ses  actes 
à  sa  croyance;  Marie-Madeleine,  l'humble  pécheresse,  a  cru  en 
Jésus-Christ,  elle  a  aimé  celui  qu'elle  reconnaissait  pour  le  Fils  de 
Dieu  et,  parce  qu'elle  n'a  reculé  devant  aucun  sacrifice,  devant 
aucune  humiliation,  pour  témoigner  son  amour  et  sa  foi,  elle  a 
mérité  le  pardon  de  ses  péchés  et  un  magnifique  éloge  de  la 
bouche  même  du  divin  Sauveur.  Sans  la  foi  et  sans  les  œuvres 
qui  y  correspondent.  Dieu  n'accorde  pas  à  l'homme  la  grâce  de  la 
justification.  «  Sans  la  foi,  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  S  » 
dits.  Paul;  par  conséquent,  impossible  d'obtenir  la  justification  et 
d'être  juste;  mais  en  même  temps  S.  Jacques  nous  enseigne  que 
«  la  foi  sans  les  œuvres  est  une  foi  morte  ~.  »  Il  dit  encore,  après 
avoir  cité  l'exemple  d'Abraham  :  «  Vous  voyez  donc  que  c'est  par 
«  les  œuvres  que  l'homme  est  justifié,  et  non  pas  seulement  par  la 
«  foi  3.  »  La  foi  est  le  commencement  du  salut,  le  fondement  et  la 
racine  de  toute  justification  et  l'on  dit  en  ce  sens  que  la  foi  nous 
justifie  *.  Plusieurs  choses  sont  nécessaires  pour  que  Dieu  accom- 
plisse en  nous  l'œuvre  de  la  justification,  et  c'est  Dieu  qui  nous 
les  donne.  Le  premier  de  ces  dons  nécessaires  est  la  foi,  après  elle 
les  vertus  et  les  œuvres  qui  en  jaillissent  comme  de  leur  source. 
Mais  la  justification  elle-même,  c'est  Dieu  qui  nous  l'accorde  gra- 
tuitement, en  vue  des  mérites  de  Jésus-Christ,  pour  notre  salut. 
La  correspondance  même  que  nous  donnons  à  la  grâce  nous  vient 
de  lui  ;  le  titre  de  Sauveur  des  hommes  lui  est  donc  dû  dans  toute 
sa  plénitude  et  sans  aucune  restriction  ni  partage. 

Dieu  l'a  voulu  ainsi  pour  que  personne  ne  se  glorifie  en  soi- 
même  et  ne  s'attribue  un  mérite  qu'il  n'a  pas.  Nous  sommes 
l'œuvre  de  Dieu,  nous  lui  appartenons  comme  ses  créatures,  dans 

ideo  dicamur,  quia  nihil  eorum  quae  justificationem  praecedunt,  sive  fides, 
sive  opéra,  ipsam  justificationis  gratiam  promeretur  :  Si  enim  gratta  est,jam 
non  ex  operibus  (Hom.,  ii)  :  alioquin,  ut  idem  Apostolus  inquit,  gratia  jam  non 
est  gratia.  (Concil.  Trident.,  sess.  VI,  cap.  vu  et  viii.) 

1.  Sine  fide  impossibile  est  placere  Deo.  {Ilebr.,  xi,  0.) 

"2.  Fides  sine  operibus  mortua  est.  {Jac,  ii,  :20.) 

3.  Videtis  quoniam  ex  operibus  justificatur  homo  et  non  ex  fide  tantum. 
(Id.,  II,  24.) 

•i.  Per  fidem  justificari  dicimus,  quia  fides  est  humanœ  salutis  initium, 
fundamenlum  et  radix  omnis  justificationis.  {Concil.  Trid.,  sess.  VI,  cap.  viii.) 


436        L\    SAINTE    EDCHARISTIE.  —  II«  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.    IX. 

Tordre  naturel  ;  nous  ne  sommes  pas  moins  son  œuvre,  nous  ne 
lui  appartenons  pas  moins  entièrement  dans  l'ordre  surnaturel  de 
la  grâce.  Nous  avons  été  créés  de  nouveau  par  la  vertu  du  Christ, 
notre  Sauveur,  alîn  que,  engendrés  avec  la  grâce  divine,  nous 
vivions  saintement,  nous  accomplissions  des  œuvres  saintes  et 
nous  devenions  ainsi  dignes  de  la  vie  éternelle. 

Qui  pourra  jamais  concevoir  la  grandeur  du  don  que  Dieu  nous 
fait,  lorsqu'il  nous  accorde  notre  justification  première?  Nous 
étions  ses  ennemis,  des  créatures  misérables,  dignes  seulement  de 
toutes  les  rigueurs  de  sa  justice,  et  il  efface  tous  nos  péchés.  Si  la 
faiblesse  de  l'Age  ne  nous  permet  pas  encore  de  désirer  le  salut  et  de 
recourir  aux  moyens  institués  pour  nous  le  procurer,  notre  divin 
Sauveur  se  contente  des  promesses  que  d'autres  font  pour  nous, 
et  de  leur  foi.  Si,  à  la  faute  commune,  nous  avons  ajouté  d'autres 
fautes,  fussent-elles  innombrables  et  effrayantes  de  noirceur,  sa 
miséricorde  est  si  grande,  dit  S.  Jean  Chrysostome,  qu'au  pre- 
mier bon  propos  qu'il  voit  en  nous  de  nous  rapprocher  de  lui, 
au  premier  désir  sincère  que  forme  notre  cœur,  il  accourt  sans 
retard,  il  se  hâte  et,  plein  de  miséricorde  comme  il  l'est  toujours, 
avant  même  que  le  pécheur  ait  achevé  de  formuler  sa  prière,  il  lui 
dit  :  Me  voici;  je  vous  apporte  le  remède  à  vos  maux  '.  Et  ce 
généreux  ami  qui  pardonne  si  aisément,  ce  Dieu  infini  et  tout-puis- 
sant ne  se  souviendra  même  plusdes  péchés  qui  l'ont  si  gravement 
offensé;  ils  seront  pour  lui  comme  s'ils  n'avaient  jamais  existé, 
pourvu  que  le  coupable  évite  désormais  de  tomber  de  nouveau  et 
qu'il  fasse  pénitence.  Il  nous  en  donne  l'assurance  par  la  bouche 
du  prophète  Ézéchiel  :  «  Si  l'impie  fait  pénitence  de  tous  les  pé- 
«  chés  qu'il  a  commis,  et  qu'il  garde  tous  mes  préceptes,  et  qu'il 
«  accomplisse  le  jugement  et  la  justice,  il  vivra  de  la  vie  et  ne 
«  mourra  pas.  Je  ne  me  souviendrai  d'aucune  de  ses  anciennes 
«  iniquités;  à  cause  de  la  justice  qu'il  a  pratiquée,  il  vivra  2.  » 

Telle  est  la  puissance  de  la  grâce  que  notre  divin  Sauveur  a 

\.  Tanta  est  Dei  erga  nos  peccatores  misericordia,  iibi  viderit  voluntatis 
nostrae  firmum  proposilum,  et  ferventi  nos  desiderio  ad  se  accedere  :  non 
lardât,  neque  differt,  sed  accélérât,  suamquo  solitam  liberalitatem  exhibens 
dicit  :  Ecce  adsum.  (S.  Chrysost.,  hoin.  XXVII  in  Gènes.) 

2.  Si  autem  impius  egerit  pœnitenliam  ab  omnibus  peccatis  suis,  quae  ope- 
ratus  est,  et  custodierit  omnia  praecepta  mea,  et  fecerit  judiciumet  justitiam  : 
vita  vivet  cl  non  morietur.  Omnium  inirjuitatum  ejus  quas  operatus  est,  non 
reconlMlidr    in  justitia  sua  quam  operatus  est  vivet.  {Ezech.,  xviii,  21,  22.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       437 

méritée  pour  nous,  qu'elle  suffit  à  enlever  immédiatement  toutes 
les  taches  du  péché  dans  les  âmes  bien  préparées,  quelque 
coupables  qu'elles  aient  été  d'abord.  S'il  en  reste  ordinairement 
quelques  vestiges,  si,  après  le  pardon,  quelques  expiations  en  ce 
monde  ou  dans  l'autre  sont  encore  nécessaires,  la  faute  n'en  est  pas 
au  remède  que  Jésus-Christ  nous  a  préparé,  mais  à  l'imperfection 
avec  laquelle  les  hommes  en  usent  trop  souvent. 

Et  ce  n'est  pas  assez  pour  l'infinie  munificence  de  Dieu  d'ac- 
corder au  pécheur  le  pardon  de  ses  fautes.  Les  mérites  de  notre 
Sauveur  demandent  davantage,  et  à  la  justification  s'ajoutent  des 
vertus,  des  dons  de  toutes  sortes,  des  consolations  que  l'Esprit 
saint  communique  aux  âmes.  Le  moindre  de  ces  biens  est  si  pré- 
cieux que  toutes  les  richesses  de  la  terre  ne  sont  que  néant  si  on 
les  y  compare.  S.  Paul  connaissait  le  prix  de  ces  trésors  que  Dieu 
distribue  avec  tant  de  libéralité  à  ceux  qu'il  justifie  ;  c'est  pour- 
quoi il  écrivait  aux  Corinthiens  :  «  Je  rends  grâces  à  mon  Dieu 
a  pour  vous  sans  cesse,  à  cause  delà  grâce,  qui  vous  a  été  donnée 
«  dans  le  Christ  Jésus  :  de  ce  que  vous  avez  été  faits  en  lui  riches 
«  en  toutes  choses;....  de  sorte  que  rien  ne  vous  manque  en 
«  aucune  grâce,  à  vous  qui  attendez  la  manifestation  de  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ  K  »  Voilà  comme  notre  divin  Jésus  nous 
a  aimés  ;  voilà  comment  il  accomplit  envers  nous  la  mission  de 
Sauveur  qu'il  a  reçue  de  son  père. 

Mais  peut-être  est-il  difficile  pour  l'homme  de  profiter  des  libé- 
ralités infinies  de  Dieu;  peut-être  ne  pouvons-nous  pas  connaître, 
avec  quelque  sécurité,  que  nous  participons  aux  dons  ineffables 
que  les  mérites  de  notre  Sauveur  ont  préparés  pour  nous? 

Rassurons-nous  :  Jésus  est  bien  Jésus  pour  nous,  c'est-à-dire  un 
Sauveur  qui  nous  sauve,  à  moins  que  nous  ne  refusions  obstiné- 
ment le  salut  qu'il  est  venu  nous  apporter  du  ciel  sur  la  terre. 

Pour  se  mettre  à  la  portée  de  notre  faiblesse,  et  nous  donner  le 
moyen  de  connaître,  non  pas  d'une  manière  absolue,  mais  autant 
que  le  comporte  notre  état  et  le  demande  notre  véritable  intérêt 
ici-bas,  si  nous  participons  aux  dons  du  salut,  il  a  institué  les 
Sacrements  de  la  Loi  nouvelle,  signes  sensibles  que  sa   grâce 

1.  Gralias  ago  Deo  meo  semper  pro  vobis,  in  gratia  Dei  quœ  data  est  vobis 
in  Christo  Jesu  :  quod  in  omnibus  divites  facli  estis  in  illo....  Ita  ut  nihil 
vobis  desit  in  uUa  gratia,  expectantibus  reveiationem  Domini  nostri  Jesu 
Christi.  (/.  Cor.,  i,  3,  Ij,  7.) 


438         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  if  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.   IX. 

accompagne  infailliblement,  pourvu  que  ceux  qui  les  reçoivent 
y  apportent  les  dispositions  que  suppose  le  désir  sincère  de  le  faire 
avec  fruit.  Ce  sont  les  trésors  de  la  grâce,  l'arsenal  des  armes  spi- 
rituelles, les  signes  révélateurs  et  visibles  des  actes  invisibles  que 
la  puissance  suprême,  l'autorité  de  Dieu,  accomplit  dans  les  âmes 
afin  de  leur  assurer  le  salut.  Par  les  Sacrements,  notre  divin 
Sauveur  donne  aux  uns  la  première  grâce,  avec  toutes  les  vertus 
infuses;  à  d'autres,  une  augmentation  de  la  même  grâce,  de 
toutes  les  vertus  et  de  tous  les  dons  du  Saint-Esprit;  à  d'autres, 
des  caractères  sacrés  et  des  pouvoirs  particuliers,  afin  qu'ils 
accomplissent,  dans  son  Église,  les  fonctions  les  plus  sublimes,  en 
vue  du  salut  de  tous  ;  à  d'autres  encore,  des  grâces  particulières 
aux  besoins  de  l'état  de  vie  qu'ils  ont  embrassé  ;  à  tous  enfin,  les 
secours  surnaturels  les  plus  efficaces  et  les  plus  abondants.  Grâce 
à  cette  invention  précieuse  de  la  divine  miséricorde,  nous  avons 
tous  à  notre  disposition  les  moyens  nécessaires,  non  seulement 
pour  obtenir  à  coup  sûr  le  pardon  de  nos  fautes  et  la  rémission 
des  peines  encourues  par  nos  infidélités,  mais  pour  avancer  à 
grands  pas  dans  la  voie  de  la  sanctification. 

Et  c'est  à  Jésus-Christ,  notre  Sauveur,  que  nous  devons  cet 
incomparable  bienfait. 

Parmi  les  Sacrements  que  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  nous  a 
donnés,  il  en  est  un  plus  grand  que  tous  les  autres  :  c'est  l'ado- 
rable Eucharistie.  Dans  ce  Sacrement  divin,  notre  Dieu  Sauveur 
n'a  pas  seulement  mis  sa  grâce  pour  nous  la  communiquer  :  il  a 
voulu  y  résider  lui-même  en  personne;  il  nous  y  donne  véritable- 
ment, réellement  et  substantiellement  son  corps,  son  sang,  son 
âme  et  sa  divinité.  Par  cet  adorable  Sacrement,  il  demeure  au 
milieu  de  nous,  lui  dont  le  trône  est  au  plus  haut  des  cieux,  où  des 
millions  d'anges  le  servent  et  célèbrent  sa  gloire  ;  il  a  sa  maison, 
souvent  bien  pauvre  et  bien  déserte,  jusque  dans  nos  moindres 
villages  ;  il  ne  la  quitte  pas,  et  quiconque  veut  lui  rendre  ses 
hommages  et  lui  exposer  ses  besoins,  est  sûr  de  l'y  trouver  à 
toute  heure  du  jour  ou  de  la  nuit,  et  de  recevoir  de  lui  l'accueil 
le  plus  bienveillant.  Dans  sa  maison,  il  y  a  un  autel,  et  sur  cet 
autel  il  renouvelle  chaque  jour  le  sacrifice  de  la  croix,  pour  en 
appliquer  les  mérites  à  ses  enfants  et  leur  montrer  qu'il  est  tou- 
jours leur  Jésus,  que  toujours  il  se  souvient  des  fonctions  que 
le  titre  de  Sauveur  des  hommes  lui  impose.  Dans  sa  maison,  sa 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       439 

table  est  dressée  chaque  jour,  et  il  invite  tous  ceux  qui  l'aiment  à 
venir  y  prendre  place.  C'est  là  qu'il  entre  avec  eux  dans  les  com- 
munications les  plus  intimes;  c'est  là  qu'il  les  nourrit  du  pain  des 
anges  devenu  le  pain  des  hommes,  c'est  là  qu'il  répand  en  eux 
ses  grâces  avec  une  libéralité  que  nos  négligences  et  le  peu  de 
profit  que  nous  tirons  de  ses  bontés  ne  lassent  point.  Avons-nous 
besoin  de  lumière,  de  force,  de  consolation?  nous  trouvons  tout 
dans  l'adorable  Eucharistie.  Partout  Jésus  est  notre  Sauveur; 
mais  il  semble  qu'il  ne  le  soit  nulle  part  autant  que  dans  ce  Sacre- 
ment de  son  amour.  Qui  donc  n'aimerait  pas  un  Dieu  si  bon 
pour  nous?  Sic  nos  amantem  quis  non  redamaret? 

Ajoutons  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  acceptant  de  nous 
sauyer  fet  nous  savons  au  prix  de  quels  travaux  et  de  quelles 
souffrances),  en  nous  comblant  de  dons  et  de  grâces  si  extraordi- 
naires, outre  le  pardon  de  nos  péchés  qu'il  nous  procure,  s'est 
proposé  pour  but  suprême  de  nous  faire  partager  sa  gloire.  S.  Paul 
écrivait  aux  Hébreux  :  «  Ainsi,  mes  frères,  nous  avons  l'assurance 
«  d'entrer  dans  le  sanctuaire  par  le  sang  du  Christ,  voie  nouvelle 
V  et  vivante  qu'il  nous  a  ouverte  à  travers  le  voile,  c'est-à-dire  sa 
a  chair  '.  »  Ce  saint  des  saints,  que  nous  a  ouvert  la  chair  de 
Jésus-Christ,  déchirée  par  les  fouets,  les  clous  et  la  lance  du 
soldat,  au  temps  de  sa  Passion,  c'est  le  ciel  où  désormais  nous 
pouvons  entrer.  Ailleurs,  l'Apôtre  exprime  plus  clairement  encore 
où  notre  divin  Sauveur  prétend  nous  conduire;  il  dit  :  «  Dieu,  qui 
«  est  riche  en  miséricorde,  par  le  grand  amour  dont  il  nous  a 
a  aimés,  et  lorsque  nous  étions  morts  par  les  péchés,  nous  a 
«  vivifiés  dans  le  Christ  (par  la  grâce  duquel  vous  êtes  sauvés), 
«  nous  a  ressuscites  avec  lui  et  nous  a  fait  asseoir  dans  les  cieux 
a  en  Jésus-Christ  ;  pour  manifester  dans  les  siècles  à  venir  les 
«  richesses  abondantes  de  sa  grâce,  par  sa  bonté  pour  nous  dans 
«  le  Christ  Jésus  2.  »  Grâce  à  notre  divin  Sauveur  et  à  ses  mérites 
infinis,  nous  sommes  dès  maintenant  ressuscites  à  la  vie  de  la 

1.  Habentes  itaque,  fratres,  tiduciam  in  introitu  sanctorum  in  sanguine 
Christi,  quam  initiavit  nobis  viam  novam  et  viventem  per  velamen,  id  est 
carnem  suam.  {Hebr.,  x,  11),  20.) 

2.  Deus  aiitem  qui  dives  est  in  misericordia,  propter  nimiam  charitatem 
suam,  qua  dilexit  nos;  et  cum  essemus  mortui  peccalis,  conviviticavit  nos  in 
Chrislo  (cujus  gratia  estis  salvati,  et  conresuscitavit,  et  consedcre  fecit  in  cœles- 
tibus  in  Christo  Jesu  :  ut  ostenderet  in  Sceculis  supervenientibus,  abundantes 
divitias  gratiae  suae,  in  Ijonitate  super  nos,  in  Christo  Jesu.  (Ephes.,  11,  ÎJ-7.) 


440         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

grâce;  nos  désirs,  notre  amour,  notre  espérance  inébranlable- 
ment  fondée  sur  Jésus-Christ,  nous  font  déjà  vivre  avec  lui  dans 
le  ciel  et  dans  l'assemblée  des  saints,  en  attendant  qu'après  cette 
vie,  nous  jouissions  réellement  de  ce  bonheur  et  de  cette  gloire 
que  notre  généreux  Sauveur,  présent  dans  la  sainte  Eucharistie, 
nous  destine. 

m. 

JÉSUS-CHRIST   DANS   l'eUCIIARISÏIE   EST   NOTRE   MÉDIATEUR 
ET   NOTRE    AVOCAT 

On  donne  le  nom  de  médiateur  à  celui  qui  accepte  la  mission  de 
rétablir  l'union  et  la  concorde  entre  deux  ou  plusieurs  partis  que 
leurs  intérêts  ou  d'autres  causes  ont  divisés  et  irrités.  Le  média- 
teur s'efforce  d'obtenir  que  celui  qui  est,  ou  se  croit  lésé,  par- 
donne à  l'autre  et  lui  rende  son  amitié,  ses  faveurs.  Dans  ce  but, 
il  lui  offre  une  satisfaction,  et  il  lui  expose  les  motifs  qui  doivent 
l'engager  à  se  montrer  généreux.  Mais  pour  être  en  mesure  de 
s'acquitter  avec  succès  de  son  entreprise,  il  est  bon,  sinon  néces- 
saire, que  chacun  des  partis  en  présence  puisse  mettre  en  lui  sa 
confiance  sans  arrière-pensée;  il  faut  que  nul  d'entre  eux  ne 
puisse  supposer  que  ses  intérêts  seront  sacrifiés  au  profit  du  parti 
adverse;  il  faut,  de  plus,  qu'il  soit  en  bons  rapports  avec  les  uns 
et  les  autres,  que  son  influence  soit  incontestable  auprès  des 
offensés  qu'il  se  propose  d'apaiser,  et  auprès  de  ceux  qui  se  sont 
rendus  coupables  de  l'offense,  afin  de  les  amener  à  offrir  les  satis- 
factions indispensables  pour  le  rétablissement  de  la  paix.  Le 
médiateur  tient  le  milieu  entre  les  deux  extrêmes  ;  si  l'un  des 
deux  partis  le  repoussait  ou  le  désavouait,  il  n'y  aurait  plus  de 
médiation  possible. 

Rétablir  une  union  parfaite  entre  Dieu  et  les  hommes  ne  pou- 
vait convenir  qu'à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  parce  qu'il  est 
l'Homme-Dieu.  S.  Paul  nous  dit  :  «  C'est  Dieu  qui  était  dans  le 
«  Christ,  se  réconciliant  le  monde.  »  Nous  savons  à  quel  prix  s'est 
opérée  cette  réconciliation  K 

1.  Ad  raedialoris  officium  proprie  pertinet  conjungere  et  unire  eos  inter 
quos  est  modialor  :  nam  extrema  uniunlur  in  medio.  Unire  autem  iiomines 
Deo  perfective  quidem  convenit  Christo,  per  quem  homines  reconciliati  sunt 
Deo,  secundum  illud  (//.  Cor.,  v,  19)  :  Jjeus  eral  in  Christo,  mundum  recon- 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'EUCHARISTIE.       441 

Le  genre  humain  était  séparé  de  Dieu  ;  il  avait  perdu  son  amitié 
«t  sa  grâce;  il  ne  pouvait  plus  espérer  aucune  part  à  sa  gloire. 
Les  oflenses  dont  il  s'était  rendu  coupable  avaient  provoqué  la 
colère  divine;  désormais  l'homme  relevait  non  plus  de  la  bonté  et 
de  la  miséricorde,  mais  de  l'inexorable  justice  de  Dieu.  Les  anges 
eux-mêmes  étaient  devenus  des  ennemis  pour  l'homme,  parce 
■qu'ils  embrassaient  le  parti  de  Dieu  outragé  par  le  péché  ;  la  di- 
vision, la  discorde  était  entière  entre  le  ciel  et  la  terre.  Alors  est 
venu  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Il  s'est  placé  entre  Dieu  et 
les  hommes  ;  il  a  fait  cesser  cette  division  funeste.  L'homme  est 
redevenu,  grâce  à  lui,  l'ami  de  Dieu;  les  anges  ont  regardé  les  en- 
fants d'Adam  avec  bienveillance  et  se  sont  montrés  prêts  à  leur 
venir  en  aide  :  il  n'y  avait  plus  de  discorde  entre  le  ciel  et  la 
terre. 

Mais  pour  atteindre  ce  but,  il  était  nécessaire  d'offrir  à  Dieu  une 
satisfaction  en  rapport  avec  la  grandeur  de  l'offense  et  la  dignité 
infinie  de  l'offensé.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  offert  cette  satis- 
faction ;  il  a  même  donné,  par  ses  mérites,  infiniment  plus  que 
ne  réclamait  la  stricte  justice.  Avec  un  profond  respect,  avec  une 
humilité  inconcevable,  il  a  intercédé  auprès  de  son  Père;  il  a  prié, 
il  a  supplié,  pour  que  l'homme  obtienne  de  rentrer  en  grâce,  d'être 
réintégré  dans  sa  dignité  première,  et  de  n'être  plus  exclu  de  la 
gloire  pour  laquelle  il  avait  d'abord  été  fait.  Ce  n'était  pas  assez  : 
il  a  représenté  à  son  Père  céleste  tous  les  mérites  que  lui  avaient 
acquis  sa  vie,  sa  passion  et  sa  mort,  et  il  a  tout  offert  pour  l'homme. 
C'était  plus  qu'il  ne  fallait  pour  que  Dieu  nous  pardonnât,  c'était 
assez  pour  qu'il  nous  rendit  sa  grâce,  qu'il  nous  reçût  au  nombre 
de  ses  enfants,  et  reconnût  de  nouveau  nos  droits  à  l'héritage  de 
la  gloire  céleste. 

Admirons  ici  l'infinie  sagesse  de  Dieu  dans  cette  œuvre  de  la 
réconciliation  des  hommes  avec  sa  souveraine  Majesté. 

Pour  accomplir  cette  œuvre  avec  toute  la  perfection  réclamée 
par  la  bonté  de  Dieu  et  les  besoins  de  l'homme,  il  ne  fallait  pas 
que  le  médiateur  fût  uniquement  Dieu,  ni  qu'il  fût  uniquement 
homme.   Dieu  pouvait  bien,  de  puissance  absolue,  pardonner  à 

<ilians  sibi.  Et  ideo  soins  Chrislus  perfectus  Dei  et  hominum  mediator.  in 
quantum  per  suam  morteiri  liunianuin  genus  Dec  reconciliavil.  Inde  cum  Apos- 
tolus  dixisset  :  Mediator  Jh-i  cl  hominum  homo  Chrislus  Jcsus,  subjunxit  :  Qui 
dédit  semetipsum  redemptionem  pro  omnibus.  {S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  xxvi,  art.  1.) 


442         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

l'homme  et  le  relever,  mais  il  ne  pouvait  pas  satisfaire.  L'homme, 
à  son  tour,  était  incapable  d'offrir  aucune  satisfaction  qui  fût  digne 
d'être  acceptée  de  Dieu.  Que  fait  notre  divin  Médiateur?  Celui  qui, 
par  sa  nature  même,  est  le  propre  Fils  de  Dieu,  ayant  avec  le  Père 
et  le  Saint-Esprit  une  seule  et  même  divinité,  se  fait  véritablement 
homme,  et  avec  l'humanité  qu'il  unit  à  sa  personne  divine,  il  prend 
toutes  les  misères  de  l'homme,  le  péché  excepté.  Il  rassemble  ainsi 
en  lui-môme  les  deux  partis  entre  lesquels  il  s'est  établi  comme 
médiateur.  Comment  la  nature  divine  et  la  nature  humaine  pour- 
raient-elles être  encore  ennemies  et  divisées,  réunies  qu'elles  sont 
en  une  seule  et  même  personne,  la  personne  adorable  du  Fils  de 
Dieu  fait  homme? 

Il  faut  remarquer  ici  que  notre  divin  Médiateur  a  droit  à  ce  titre 
et  qu'il  en  accomplit  les  fonctions,  non  pas  comme  Dieu  mais 
comme  homme.  C'est  en  qualité  d'homme  qu'il  se  place  entre  la 
nature  humaine  et  la  divinité;  c'est  en  qualité  d'homme  qu'il  prie, 
qu'il  satisfait,  qu'il  mérite  pour  l'humanité  dont  il  a  revêtu  la 
chair.  Et  parce  que  le  médiateur  doit  être  distinct  des  partis  aux- 
quels il  veut  procurer  la  paix,  notre  divin  Médiateur  se  distingue  de 
Dieu,  parce  que,  seconde  personne  de  l'adorable  Trinité,  il  a  pris 
la  nature  humaine;  il  se  distingue  de  l'homme  parce  que  l'union 
hypostatique  de  sa  nature  humaine  avec  le  Verbe  lui  confère  une 
dignité  infinie  et  l'élève,  en  grâce  et  en  gloire,  au-dessus  de  tout 
ce  qui  n'est  pas  Dieu  lui-même.  C'est  comme  homme  et  non  pas 
comme  Dieu  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  notre  médiateur 
auprès  de  Dieu.  Mais  il  n'aurait  pu  l'être  d'une  manière  efficace 
et  digne,  s'il  n'avait  pas  été  Dieu  en  même  temps  K 

C'est  la  personne  divine  qui  donne  à  la  nature  humaine  la 

1.  In  mediatore  duo  possumus  considerare  :  primo  quidem  rationemmedii; 
secundo,  officium  conjungendi.  Est  autem  de  ratione  medii  quod  distet  ab 
ulroque  extreinorum.  Conjungit  autem  mediator  per  hoc  quod  ea  quae  unius 
sunt  defert  ad  alterum.  Neutrum  autem  horum  potest  convenire  Christo,  se- 
cundum  quod  Deus,  sed  solum  sccundum  quod  homo.  Nam  secundum  quod 
Deus,  non  differt  a  Pâtre  et  a  Spiritu  sancto  in  natura  et  potestate  dominii. 
Nec  eliam  Pater  et  Spiritus  sanctus  aliquid  habent  quod  non  sit  P'ilii;  ut  sic 
possit  id  quod  est  Patris  vel  Spiritus  sancti,  quasi  quod  est  aliorum,  ad  alios 
déferre.  Sed  utrumque  convenit  ei  in  quantum  est  homo  :  quia  secundum 
quod  est  homo,  distat  et  a  Deo  in  natura,  et  ab  hominibus  in  dignitate  et  gra- 
tis et  gloriae.  In  quantum  etiam  est  homo,  convenit  ei  conjungere  homines 
Deo,  prserepta  et  dona  Dei  hominibus  exhibendo,  et  pro  hominibus  satisfa- 
ciendo,  et  interpellando.  —  Etideo  verissime  dicitur  mediator  secundum  quod 
homo.  (S.  Thom.,  111  p.,  q.  xxvi,  art.  2.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICDLIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.        443 

dignité  suprême  dont  elle  est  revêtue;  c'est  elle  qui  la  rend  infi- 
niment agréable  aux  yeux  de  Dieu  ;  c'est  elle  qui  donne  à  ses 
œuvres  tout  le  prix  que  réclame  son  office  de  médiateur.  Mais  en 
même  temps,  c'est  la  personne  du  Fils  de  Dieu  qui,  au  moyen 
de  cette  nature  humaine,  réconcilie  l'homme  avec  Dieu,  apaise  la 
justice  divine,  satisfait  et  mérite  pour  l'homme. 

La  Sainte  Écriture  nous  révèle  ce  mystère.  S.  Paul  écrivait  à 
son  disciple  Timothée  :  «  Il  n'y  a  qu'un  Dieu  et  qu'un  médiateur 
«  entre  Dieu  et  les  hommes,  le  Christ  Jésus  qui  est  homme;  qui 
«  s'est  livré  lui-même  pour  la  rédemption  de  tous  ^  »  L'Apôtre 
déclare  ici  que  Jésus-Christ  est  homme,  pour  que  nous  comprenions 
bien  que  s'il  est  Dieu,  c'est  en  qualité  d'homme  que  la  fonction  de 
médiateur  lui  convient. 

Il  y  a  bien,  il  est  vrai,  d'autres  médiateurs  entre  Dieu  et  les 
hommes  2.  Les  anges,  qui  ont  reçu  du  Seigneur  la  charge  de  veiller 
sur  nous  et  de  nous  garder,  offrent  leurs  prières  en  notre  faveur.  Il 
est  arrivé  souvent  aussi  que  Dieu  a  daigné  leur  confier  certaines 
missions  auprès  des  hommes.  Ils  sont  donc  de  véritables  média- 
teurs. Il  en  est  de  même  des  saints  qui  jouissent  de  la  gloire  du 
ciel  ou  qui  vivent  encore  sur  la  terre  :  nous  savons  combien  leur 
médiation,  surtout  celle  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie, est  puis- 
sante. Mais  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le  seul  médiateur  par- 
fait, le  seul  qui  puisse  s'approcher  de  Dieu  appuyé  sur  ses  propres 
mérites,  le  seul  qui  possède  la  dignité  et  l'autorité  nécessaires 
pour  réconcilier  les  hommes  avec  Dieu,  et  satisfaire  pour  eux,  en 
rigueur  de  justice,  à  la  justice  divine.  Les  autres  médiateurs  ne 
sont  tels  que  parce  qu'ils  font  valoir  auprès  de  Dieu  les  mérites  de 
Jésus-Christ  et  de  sa  passion,  mérites  qui  donnent  toute  leur  valeur 
aux  prières  des  hommes  que  les  anges  offrent  à  Dieu,  et  à  celles 
des  âmes  saintes  qui  jouissent  du  bonheur  du  ciel  3.  C'est  en  ce 

1.  Unus  enim  Deus,  unus  et  mediator  Dei  et  hominum  homo  Christus 
Jésus,  qui  dédit  redemptionem  semetipsum  pro  omnibus.  (/.  7ï/«.,  11,  '6,  0.) 

2.  Nihil  tamen  prohibet  aliquos  alios  secundum  aliquid  dici  mediatores 
inter  Deum  et  homines  :  prout  scilicet  cooperantur  ad  unionem  hominum 
cum  Dec  dispositive  vei  ministerialiter.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  xwi,  art.  i.) 

3.  Angeli  boni,  ut  Augustinus  dicit  (de  Civit.  Dei,  lib.  IX,  cap.  xni,  a  med.), 
non  recte  possunt  dici  mediatores,  inter  Deum  et  homines  :  «  Cum  enim 
utrumque  habeant  commune  cum  Deo,  et  beatitudinem  et  immortalilatem, 
nihil  autem  horum  cum  hominibus  miseris  et  mortalibus;  quomodo  non  po- 
tius  remoti  sunt  ab  hominibus,  Deoque  conjuncti,  quam  inter  utrosque  medii 
constituti?  )>  Dionysius  tamen  dicit  eos  esse  medios,  quia  secundum  gradum 


444         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  Il«  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  CHAP.  IX. 

sens  aussi  que  les  prêtres  de  l'ancienne  loi  ont  été  et  que  ceux  de 
la  loi  nouvelle  sont  les  médiateurs  entre  Dieu  et  les  hommes. 

Le  grand,  l'unique  médiateur,  le  Dieu  fait  homme  pour  récon- 
cilier l'homme  avec  Dieu,  ne  l'a  pas  été  en  faveur  d'un  seul  peuple 
ou  de  quelques  créatures  privilégiées  seulement.  Sa  médiation 
s'est  exercée  et  s'exerce  en  faveur  de  l'humanité  tout  entière,  nul 
des  hommes  qui  ont  été,  qui  sont  et  qui  seront  n'en  est  exclu,  et 
tous  sont  réconciliés  avec  Dieu,  par  lui,  autant  du  moins  qu'il  dé- 
pend de  lui.  Il  a  offert  à  Dieu,  pour  tous  et  pour  chacun,  une  satis- 
faction parfaite  et  abondante,  par  ses  souffrances  et  par  sa  mort.  Et 
si  les  saints  de  l'Ancien  Testament  ont  trouvé  grâce  devant  Dieu, 
c'est  à  sa  médiation  toute-puissante,  c'est  au  sang  qu'il  devait  ver- 
ser et  qu'il  a  versé  aussi  bien  pour  eux  que  pour  nous,  qu'ils  ont 
dû  cet  infini  bienfait.  Jésus-Christ  s'est  offert  en  sacrifice  pour  la 
sanctification  des  âmes.  C'est  pourquoi,  dit  S.  Paul,  «  il  est  le  mé- 
«  diateur  du  Nouveau  Testament,  afin  que  la  mort  intervenant  pour 
«  la  rédemption  des  prévarications  qui  existaient  sous  le  premier 
«  Testament,  ceux  qui  sont  appelés  reçoivent  l'éternel  héritage 
«  promis  ^  »  Il  est  le  médiateur  de  tous,  et  il  veut  que  tous  soient 
sauvés  par  sa  médiation.  Il  n'en  était  pas  ainsi  de  Moïse,  qui  n'in- 
tercédait auprès  de  Dieu  qu'en  faveur  de  son  peuple.  L'Écriture 
lui  donne,  il  est  vrai,  le  nom  de  médiateur,  mais  il  n'était  pas  le 
médiateur  promis,  le  médiateur  parfait  qui  devait  accomplir  la  ré- 
conciliation entre  Dieu  et  les  hommes.  Ce  titre  n'appartient  dans 
toute  sa  plénitude  qu'à  notre  divin  Sauveur,  qu'à  celui  qui  a  versé 
son  sang  pour  sauver  les  hommes  et  leur  a  mérité  la  grâce  et  les 
bienfaits  de  Dieu. 

L'action  de  notre  Médiateur  ne  s'arrête  pas  uniquement  à  réta- 
blir l'union  entre  Dieu  et  les  hommes  :  elle  étend  ses  effets  plus 

naturae  sunt  infra  Deum,  et  supra  homines  conslituti,  et  mediatoris  officium 
exercent,  non  quidem  principaliter  et  perfective,  sed  ministerialiter  et  dispo- 
.silive,  Unde  [Malth.,  iv,  2)dicitur  quod  accesserunl  angeli  et  minislrnbant  ei, 
scilicet  Chrislo....  Christus  autem  habuit  communem  cum  Deo  beatitudinem, 
cum  liominibus  autem  mortalitatem  :  et  ideo  ad  boc  se  interposuit  médium, 
ut  mortalitate  transacta,  et  ex  mortuis  faceret  immortales  (quod  in  se  resur- 
gendo  inonstravit),  et  exmiseris  beatos  efticeret;  unde  nunquam  ipse  discessil. 
Et  ideo  ipse  est  bonus  medialor  qui  réconciliât  inimicos.  (S.  TnoM.,  III  p., 
q.  XXVI,  art.  i  ad  2.) 

1.  Et  ideo  novi  tostamenti  mediator  est:  ut  morte  intercedente  in  redemp- 
lionein  earum  praevaricationum,  qu*  erant  sub  priori  testamento,  repromis- 
sionem  accipiant,  qui  vocati  sunt  aeternae  haereditatis.  {Hebr.,  ix,  IS.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       445 

loin  encore  ;  elle  efface  toute  trace  de  désunion  entre  la  nature 
humaine  et  la  nature  angélique;  elle  renverse  le  mur  de  séparation 
que  l'ancienne  loi  avait  élevé  entre  le  peuple  d'Israël  et  les  autres 
peuples.  Les  anges  ne  peuvent  plus  haïr  ni  mépriser  l'humanité 
qu'ils  adorent,  aiment  et  glorifient  en  la  personne  du  Verbe  divin 
fait  homme.  Eux  qui  n'ont  d'autre  volonté  et  d'autre  amour  que 
la  volonté  et  l'amour  de  Dieu,  comment  n'aimeraient-ils  pas  cette 
nature  qu'ils  voient  tant  honorée  et  tant  aimée  de  Dieu  lui-même? 
Comment  se  tiendraient-ils  éloignés  des  hommes  qu'ils  savent  ra- 
chetés par  Jésus-Christ  et  destinés  par  lui  à  partager  leur  éternelle 
gloire?  Et  l'union  des  hommes  entre  eux  n'est  pas  moins  com- 
plète grâce  à  lui.  Écoutons  la  parole  de  S.  Paul  :  «  Quiconque  croit 
«  en  lui  ne  sera  point  confondu;  attendu  qu'il  n'y  a  plus  de  dis- 
«  tinction  de  Juif  et  de  Grec,  parce  que  c'est  le  même  Seigneur  de 
«  tous,  riche  pour  tous  ceux  qui  l'invoquent.  Car  quiconque  invo- 
«  quera  le  nom  du  Seigneur  sera  sauvé  '.  »  Ailleurs,  le  grand 
Apôtre  s'adresse  en  ces  termes  aux  Éphésiens  :  «  Autrefois,  vous, 
a  Gentils,  vous  étiez  sans  Christ,  séparés  de  la  société  d'Israël, 
«  étrangers  aux  alliances,  n'ayant  point  l'espérance  de  la  pro- 
«  messe,  et  sans  Dieu  en  ce  monde.  Mais,  maintenant  que  vous 
«  êtes  dans  le  Christ  Jésus,  vous  qui  étiez  autrefois  éloignés,' vous 
«  avez  été  rapprochés  par  le  même  sang  de  ce  même  Christ.  Car 
«  c'est  lui  qui  est  notre  paix,  lui  qui  de  deux  choses  en  a  tait  une 
«  seule,  détruisant  dans  sa  chair  le  mur  de  séparation,  leurs  ini- 
«  mitiés  ;  abolissant  par  sa  doctrine  la  loi  des  préceptes,  pour  des 
a  deux  former  en  lui-même  un  seul  homme  nouveau,  en  faisant 
«  la  paix;  et  pour  réconcilier  à  Dieu,  par  la  croix,  les  deux  réunis 
a  en  seul  corps,  détruisant  en  lui-même  leurs  inimitiés  -.  »  Citons 
encore  ces   paroles  de  l'épitre  aux  Colossiens  :  «  Il  a  plu  (au 

1.  Omnis  qui  crédit  in  ilhim,  non  confundetur.  Non  enim  est  distinctio 
Judfei  et  Graeci  :  nam  idem  Dominus  omnium,  dives  in  omnes  qui  invocant 
illum.  Omnis  enim  quicumque  invocaverit  nomen  Domini  salvus  erit.  (Boni., 
X,  11-13.) 

;2.  Vos,  Gentes,....  eratis  illo  in  tempore  sine  Christo,  alienati  a  conversa- 
tione  Israël,  et  hospites  testamentorum,  promissionis  spem  non  habentes,  et 
sine  Deo  in  hoc  mundo.  Nunc  autem  in  Christo  Jesu,  vos,  qui  ahquando  eratis 
longe,  facti  estis  prope  in  sanguine  Christi.  Ipse  enim  est  pax  nostra,  qui 
fecit  utraque  unum,  et  médium  parietem  maceriae  solvens  inimicitias  in 
carne  sua,  legem  mandatorum  evacuans,  ut  duas  condat  in  semetipso  in 
unum  novum  hominem,  faciens  pacem,  et  reconciUet  ambos  in  uno  corpore 
Deo  par  crucem,  interficiens  inimicitias  in  semetipso.  {Ephes.,  ii,  11,  17.) 


446         L\    SAINTE    EUCHARISTIE,   —  II"  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

<(  Père)  que  toute  plénitude  habitât  dans  le  Christ  Jésus,  et  par  lui 
«  de  se  réconcilier  toute  chose,  pacifiant  par  le  sang  de  sa  croix 
«  soit  ce  qui  est  sur  la  terre,  soit  ce  qui  est  dans  les  cieux.  Et  vous, 
«  qui  autrefois  étiez  adversaires  et  ennemis  en  esprit  par  vos 
€  œuvres  mauvaises,  il  vous  a  maintenant  réconciliés  dans  le 
€  corps  de  sa  chair,  par  la  mort,  pour  vous  rendre  purs  et  irré- 
«  préhensibles  devant  lui  i.  »  Dieu  le  Verbe  est  donc  dans  le 
Christ  avec  la  plénitude  de  sa  majesté,  de  sa  sagesse,  de  sa  puis- 
sance infinie  ;  il  y  est  uni  en  unité  de  personne  avec  sa  très  sainte 
et  très  parfaite  humanité.  Dans  cette  adorable  personne  homme  et 
Dieu  tout  ensemble,  la  divinité  et  l'humanité  travaillent  de  concert 
à  opérer  entre  elles  la  réconciliation,  ou  plutôt  elles  sont  un  seul 
médiateur  entre  Dieu  et  le  genre  humain  devenu  son  ennemi  par 
le  péché.  L'homme  qui  est  en  Jésus-Christ  meurt  pour  satisfaire 
à  la  justice  de  Dieu,  et  le  Verbe,  qui  est  Dieu  et  qui  a  pris  ce 
corps  et  cette  âme  pour  soulTrir  et  mourir,  accepte  la  satisfaction 
offerte.  Non  seulement  il  pardonne,  mais  il  comble  de  biens  ceux 
qu'un  abîme  infranchissable  semblait  séparer  de  lui  à  jamais.  Et 
le  sang  versé  sur  la  croix  réconcilia  en  môme  temps  les  hommes 
entre  eux  et  avec  les  anges  ;  il  procura  la  paix  véritable  à  tous  les 
hommes  de  bonne  volonté,  comme  l'avaient  annoncé  les  anges  à 
la  venue  parmi  nous  du  divin  Médiateur  :  a  Gloire  à  Dieu  dans  le 
€  ciel,  et  sur  la  terre  paix  aux  hommes  de  bonne  volonté.  » 

Notre  Médiateur  n'a  pas  seulement  offert  la  satisfaction  exigée 
par  la  justice  divine;  il  ne  s'est  pas  contenté  de  présentera  Dieu 
des  mérites  assez  abondants  pour  attirer  sur  nous  toutes  sortes  de 
faveurs,  il  a  prié  pour  nous.  Ce  qu'il  avait  mérité  par  ses  travaux, 
ses  souffrances  et  sa  mort,  il  a  voulu  nous  l'obtenir  encore  par  ses 
prières  et  ses  humbles  supplications;  car  tout  médiateur  qui  prend  à 
cœur  sa  mission  doit  aller  jusque-là,  s'il  juge  utile  de  le  faire.  Jésus 
a  donc  prié  pour  nous,  pendant  sa  vie  mortelle.  L'Évangile  nous 
apprend  cju'il  se  retirait  la  nuit  dans  les  montagnes  pour  le  faire, 
et  S.  Jean  nous  rapporte  l'admirable  prière  qu'il  prononça  dans  le 
Cénacle  après  l'institution  de  l'adorable  sacrement  de  l'Eucharistie. 

1.  Quia  in  ipso  complacuit  omnem  plenitudinem  inhabitare  :  et  per  eum 
reconciliare  oinnia  in  ipsum,  pacificans  per  sanguinem  crucis  ejus,  sive  quae 
in  terris,  sive  quae  in  cœlis  sunt.  Et  vos  eum  essetis  aliquando  alienati,  et 
inimici  sensu  in  operibus  maiis  :  nunc  autem  reconciliavit  in  corpore  carnis 
ejus  per  mortem,  exhil)ere  vos  sanctos  et  immaculatos  et  irreprehensibiies 
coram  ipso.  {Coloss.,  i,  19-22.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       447 

«  Père  saint,  disait-il  à  son  Père  céleste,  conservez  en  votre 
«  nom  ceux  que  vous  m'avez  donnés,  afin  qu'ils  soient  une  seule 
«  chose  comme  nous  ^.  » 

Et  sur  la  croix,  au  milieu  des  souffrances  les  plus  cruelles,  il 
priait  pour  ses  bourreaux  eux-mêmes  et  ses  blasphémateurs.  —  0 
bonté  ineffable  de Notre-Seigneur  Jésus-Christ!  ô  cœur  brûlant  du 
plus  ardent  amour!  Même  suspendu  à  l'instrument  ignominieux 
du  supplice,  il  n'oublie  pas  son  office  de  médiateur  et  il  prie  pour 
ses  ennemis  les  plus  cruels. 

Non  content  de  prier  pour  nous,  notre  divin  Médiateur  se  fait 
notre  avocat  et  plaide  notre  cause  auprès  de  la  justice  céleste. 
L'apôtre  S.  Jean  qui,  mieux  que  tout  autre,  connaissait  les  infinies 
bontés  de  Jésuspour  nous,  adressait  ces  recommandations  précieuses 
aux  fidèles  de  son  temps  :  «  Mes  petits  enfants,  je  vous  écris  ceci 
«  afin  que  vous  ne  péchiez  point.  Cependant,  si  quelqu'un  pèche, 
«  nous  avons  pour  avocat,  auprès  du  père,  Jésus -Christ  le 
«  Juste  2.  ))  Et  c'est  un  avocat  plein  de  zèle,  un  avocat  dont  l'élo- 
quence et  l'autorité  sont  irrésistibles,  un  avocat  qui  ne  refuse  son 
aide  à  personne  de  ceux  qui  l'implorent  :  «  Et  il  est  lui-même 
«  propitiation  pour  nos  péchés;  non  seulement  pour  les  nôtres, 
a  mais  aussi  pour  ceux  de  tout  le  monde  3.  »  Il  plaide  notre  cause 
auprès  du  Père  céleste,  et  il  est,  non  seulement  pour  nous,  mais 
pour  tous  les  hommes  qui  veulent  y  puiser,  une  source  de  justice 
et  de  sainteté  toujours  intarissable. 

Jésus-Christ  n'a  pas  rempli  seulement  pendant  sa  vie  mortelle 
ce  rôle  d'intercesseur  et  d'avocat,  en  faveur  des  enfants  d'Adam 
dont  il  est  le  frère.  Il  continue  d'intercéder  pour  nous  et  de  plai- 
der notre  cause,  môme  maintenant  qu'il  est  assis  à  la  droite  de 
Dieu  dans  la  gloire;  il  le  fait  aussi,  ou  plutôt  il  le  fait  surtout 
dans  l'adorable  sacrement  de  l'Eucharistie,  où  il  s'offre  de  nou- 
veau chaque  jour  et  à  chaque  instant,  en  hostie  de  propitiation. 
Il  est  vrai  que  ni  au  ciel,  ni  sur  nos  autels  ou  dans  nos  taberna- 
cles, il  ne  satisfait  plus  pour  nous,  ni  n'acquiert  plus  de  mérites 

\.  Pater  sancte,  serva  eos  quos  dedisti  mihi,  ut  sint  unum  sicut  et  nos. 
{Joann.,  xvii,  H.) 

'2.  Filioli  mei,  haec  scribo  vobis,  ut  non  peccetis.  Sed  et  si  quis  peccave- 
rit,  advocatum  habemus  apud  Patrem,  Jesum  Christum  justum.  (/.  Joann., 
II,  i.) 

3.  Et  ipse  est  propilialio  pro  peccatis  nostris  :  non  pro  nostris  autem  tan- 
tum,  sed  etiam  pro  totius  mundi.  (/(/.,  n,  -1.) 


448         L.\    SAINTE   ECCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CHAP.   IX. 

nouveaux,  mais  ce  qui  convient  à  son  état  glorieux  ou  sacramen- 
tel, il  le  fait.  Il  présente  à  son  Père  céleste  la  nature  humaine  qu'il 
a  prise  pour  nous  et  dont  jamais  il  ne  se  séparera  ;  il  rappelle  tout 
ce  qu'il  a  fait  pour  l'homme,  tout  ce  qu'il  a  soullert  et  mérité.  Et 
c'est  afin  que  cette  intervention  soit  plus  eflicace,  qu'il  a  voulu 
garder,  après  sa  résurrection  glorieuse,  les  cicatrices  des  plaies 
de  ses  pieds,  de  ses  mains  et  de  son  côté.  Le  Père  éternel  refuse- 
rait-il à  son  Fils  ce  qu'il  lui  demande  en  notre  faveur,  comme 
prix  de  tant  de  sacrifices  et  de  soulVrances? 

L'homme  pouvait-il  désirer  et  Dieu  lui-même  pouvait-il  lui  don- 
ner un  mc-diateur,  un  intercesseur,  un  avocat  dont  l'intervention 
se  présentai  sous  des  auspices  plus  favorables?  Celui  que  Dieu 
nous  donne  pour  établir  et  cimenter  la  paix  entre  lui  et  nous, 
n'est  autre  que  son  Verbe  i)ar  lequel  il  a  fait  toutes  choses,  et  par 
lequel  aussi  il  veut  réparer  tout  ce  qui  avait  été  corrompu  ou 
détruit  par  la  malice  du  démon.  Il  nous  le  donne  pour  chef.  Le 
Fils  de  Dieu  devient  fils  de  l'homme.  Il  est  un  seul  Dieu  avec  le 
Père,  et  il  est  homme  comme  nous  avec  les  hommes;  de  sorte  que 
si  nous  adressons  nos  humbles  prières  à  Dieu,  nous  prions  en 
môme  temps  son  Fils;  et  quand  le  corps  du  Fils,  c'est-à-dire  la 
sainte  Église  dont  nous  sommes  les  membres,  prie,  elle  ne  se 
sépare  pas  de  son  divin  Chef,  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  notre 
unique  Sauveur.  Il  prie  pour  nous,  il  prie  en  nous,  il  est  prié  par 
nous.  Il  prie  pour  nous  comme  notre  prêtre  et  notre  intercesseur  ; 
il  prie  en  nous  comme  notre  chef;  il  est  prié  par  nous  comme 
notre  Dieu  ^ 

Plusieurs  saints  docteurs  admettent  comme  une  vérité  hors  de 
doute  que  l'àme  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  prie  et  intercède 
encore  réellement  pour  nous  dans  le  ciel.  Prier  Dieu,  en  effet,  c'est 
lui  témoigner  les  désirs  de  son  cœur,  les  exposer  dans  le  but  d'ob- 
tenir qu'il  les  accomplisse.  Ne  semble-t-il  pas  aussi  conforme  à  la 

\.  Nullum  majus  donum  praestare  posset  Deus  hominibus,  quam  ut  Ver- 
bum  suum  per  quod  condidit  omnia,  faceret  illis  caput,  et  illos  ei  tanquam 
membra  coaptaret,  ut  esset  Filius  Dei  et  filius  hominis,  unus  Deus  cum  Pâtre, 
unus  bomo  cum  hominibus  :  ut  et  quando  loquimur  ad  Deum  deprecantes 
non  inde  Filium  separemus  ;  et  quando  precatur  corpus  filii  non  a  se  separet 
corpus  suum;sitque  ipse  unus  salvator  corporis  sui  Dominus  noster  Jésus 
Cbristus  Filius  Dei  qui  et  oret  pro  nobis,  et  oret  in  nobis  et  oretur  a  nobis. 
Orat  pro  nobis,  ut  sacerdos  noster;  orat  in  nobis  ut  caput  nostrum,  oratur  ut 
Deus  noster.  (S.  Augdst.,  Enarr.  in  Ps.  lxxxv,  n.  j.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       449 

Sainte  Écriture  qu'à  la  raison  d'admettre  que  notre  divin. Média- 
teur, en  offrant  ses  mérites  au  Père  céleste,  accompagne  cette 
offrande  du  désir  qu'elle  serve  à  notre  salut  *  ?  Il  ne  demande  rien 
de  nouveau,  il  est  vrai,  rien  qui  n'ait  été  acquis  et  mérité  d'avance, 
mais  il  prie  son  Père,  pour  qu'il  accorde  aux  hommes  qu'il  aime 
tant  les  grâces  méritées  pour  eux  par  sa  très  sainte  humanité,  et 
par-dessus  tout  la  grâce  du  salut  sans  laquelle  les  autres  ne  seraient 
rien. 

Rien  d'efficace  pour  affermir  en  nous  l'espérance  d'arriver  un 
jour  au  ciel,  comme  la  pensée  de  ce  médiateur,  de  cet  interces- 
seur, de  cet  avocat,  si  puissant  auprès  de  Dieu,  qui  n'a  rien  épar- 
gné, pas  même  son  sang  ni  sa  vie,  pour  nous  rendre  l'amitié  du 
Seigneur,  et  nous  ouvrir  les  portes  de  la  véritable  patrie,  dont 
nous  étions  exilés  par  le  péché  d'Adam,  auquel  nos  propres  péchés 
sont  venus  s'ajouter  encore.  Lorsque  l'humanité,  tout  entière  cou- 
verte de  la  lèpre  hideuse  du  péché,  ne  pouvait  attendre  que  les 
coups  d'une  justice  inexorable,  Dieu  a  été  si  bon  que  le  Père 
nous  a  donné  son  Fils,  que  le  Fils  s'est  donné  lui-même  et  que  le 
Saint-Esprit  a  sanctionné  ce  don,  pour  nous  racheter  et  nous 
sauver. 

Maintenant  que  nous  sommes  rachetés,  que  nos  dettes  envers  la 
justice  divine  sont  payées,  que  nos  droits  au  titre  glorieux  d'en- 
fants de  Dieu  et  d'héritiers  de  son  royaume  nous  sont  rendus,  que 
ne  pouvons-nous  pas  attendre  de  la  bonté  infinie  d'un  Dieu  si  géné- 
reux? Que  ne  pouvons-nous  pas  espérer  d'un  intercesseur  â  qui 
Dieu  ne  saurait  rien  refuser  puisque,  étant  Dieu  lui-même,  il  n'est 
pas  autre  chose  que  le  Père  et  le  Saint-Esprit? 

C'est  le  raisonnement  que  S.  Paul  tenait  autrefois  aux  Romains  : 
Il  leur  disait  :  «  Dieu  témoigne  son  amour  pour  nous,  en  ce  que, 
«  dans  le  temps  où  nous  étions  encore  pécheurs,  le  Christ  est 
a  mort  pour  nous.  Maintenant  donc,  purifiés  par  son  sang,  nous 
«  serons,  à  plus  forte  raison,  délivrés  par  lui  de  la  colère.  Car  si, 
«  lorsque  nous  étions  ennemis  de  Dieu,  nous  avons  été  réconciliés 
«  avec  lui  par  la  mort  de  son  Fils,  à  plus  forte  raison,  réconci- 

\.  Interpellât  pro  nobis  (/.  Cor.,  ii,  1)  :  Advocatum  halmmis  apttd  Pntrem, 
Jesum  Christutn.  Interpellât  autem  pro  nobis,  primo,  luiinanitatem  suain, 
quam  pro  nobis  assunipsit,  repnesentando;  item  sanctissimœ  animas  suje  de- 
siderium,  quod  de  sainte  noslra  liabuit  expriinendo,  cum  quo  interpellât  pro 
nobis.  (S.  Thuxi.,  in  Kpist.  ud  Ilebr.,  cap.  vu,  lec.  i.) 

LA   SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  29 


450         LA   SAINTE   BL'CHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.  IX. 

«  liés,  serons-nous  sauvés  par  sa  vie  ',  »  Ce  qui  était  le  plus  dif- 
ficile, ce  qui  aurait  pu  sembler  impossible  à  la  toute-puissance 
même  de  Dieu,  le  rachat  des  liommes  parla  mort  d'un  Homme-Dieu 
est  accompli  :  pourrions-nous  craindre  que  la  miséricorde  de  Dieu 
s'arrête  et  se  détourne  de  nous,  lorsqu'il  ne  s'agit  plus  que  de  nous 
appliquer  dos  mérites  acquis  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  au 
prix  de  tant  d'humiliations,  d'opprobres  et  de  souffrances,  au  prix 
de  tout  son  sang  et  de  sa  vie?  Et  si  quelque  crainte  essayait  de  se 
glisser  encore  dans  notre  àme,  approchons  de  l'autel  où  Jésus 
s'immole  pour  nous,  de  la  table  sainte  où  il  se  fait  notre  nourri- 
ture, du  tabernacle  où  il  demeure  pour  écouter  nos  humbles  sup- 
plications, et  recevoir  les  témoignages  de  notre  confiance  et  de 
notre  amour.  Il  s'offre  de  nouveau  pour  nous,  il  nous  transforme 
en  lui-même,  il  se  joint  à  nous  comme  notre  compagnon  de  tous 
les  instants,  afin  de  montrer  qu'il  est  toujours  là,  prêt  à  nous  aider 
dans  tous  nos  besoins  et  à  nous  protéger  contre  notre  propre  fai- 
blesse et  contre  sa  propre  justice;  il  prie  pour  nous,  il  se  donne 
à  nous,  il  vit  pour  nous  dans  l'Eucharistie  :  comment  pourrions- 
nous  ne  pas  mettre  toute  notre  confiance  en  un  tel  médiateur,  en 
un  tel  avocat  qui  est  en  même  temps  notre  juge,  qui  peut  et  qui 
veut  à  tout  prix  nous  sauver?  Mais  aussi  combien  seraient  à 
plaindre,  combien  seraient  coupables  ceux  qui,  négligeant  le  don 
de  Dieu  ou  n'ayant  pour  lui  que  du  mépris,  ne  profiteraient  pas 
des  bontés  infinies  et  de  la  puissance  de  leur  divin  médiateur! 
Puisque  nous  avons,  selon  la  parole  de  S.  Jean,  un  avocat,  un 
intercesseur  auprès  du  Père,  et  que  cet  intercesseur  est  Jésus- 
Christqui  a  lui-mêmeexpié  nos  péchés,  Advocatum  habetnus apud 
Deum  Patrem  Jesum  Christum  justum,  et  ipse  est  propitiatio 
pro  peccatis  noslris,  recourons  à  lui.  Il  est  dans  le  ciel,  d'où  il 
nous  voit  et  nous  entend;  mais  il  est  aussi  dans  l'humble  demeure 
qu'il  s'est  choisie  au  milieu  de  nous.  Nous  sommes  ses  amis,  ses 
frères,  ses  enfants;  il  nous  attend  :  allons  à  lui. 

1.  Commendnt  autem  cliaritatem  suam  Deus  in  nobis  :  quoniam  cum  adhuc 
peccalores  essemus,  secundum  tempus,  Christus  pro  nobis  mortuus  est. 
Multo  igitur  magis  nunc  justificati  in  sanguine  ipsius,  salvi  erimus  ab  ira  per 
Ipsum.  Si  enim  cuni  inimici  essemus,  reconciliati  sumus  Deo  per  mortem 
FUii  ejus  :  multo  magis  reconciliati,  salvi  erimus  in  vita  ipsius.  [Rom.,  v, 
8-n.) 


QDELQDES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'BDCHARISTIE.      451 

IV. 

JÉSUS-CHRIST    DANS    l'eUCHARISTIE    EST    NOTRE    ROI 
ET    NOTRE    CHEF 

Aux  divers  titres  qui  conviennent  à  notre  adorable  Sauveur 
et  que  nous  lui  avons  déjà  reconnus,  dans  le  Sacrement  auguste 
de  l'Eucharistie,  il  convient  d'ajouter  ceux  de  Roi  et  de  Chef. 

Le  titre  de  roi  est  un  de  ceux  qui  lui  sont  le  plus  souvent  donnés 
dans  la  Sainte  Écriture.  Le  prophète  Isaïe  disait  :  <r  Voici  que 
«  dans  la  justice  régnera  un  roi  K  »  C'est  le  même  roi  dont  parle 
Jérémie  :  «  Voilà  que  des  jours  viendront,  dit  le  Seigneur,  et  je 
«  susciterai  à  David  un  germe  juste  ;  un  roi  régnera  ;  il  sera  sage, 
<r  et  il  rendra  le  jugement  et  la  justice  sur  la  terre  -.  »  C'est  de  ce 
roi  et  non  pas  de  lui-même  que  David  chantait  :  «  Pour  moi,  j'ai 
«  été  établi  roi  par  lui,  sur  Sion,  sa  montagne  sainte,  annonçant 
«  ses  préceptes.  Le  Seigneur  m'a  dit  :  Vous  êtes  mon  Fils  ;  c'est 
«  moi  qui  aujourd'hui  vous  ai  engendré.  Demandez-moi  et  je  vous 
«  donnerai  les  nations  en  héritage,  et  en  possession  les  extrémités 
«  de  la  terre  3.  » 

Qui  ne  reconnaîtrait  dans  ce  roi,  dont  les  prophètes  célébraient 
la  gloire  et  annonçaient  la  venue,  tant  de  siècles  à  l'avance,  le 
Verbe  incarné,  le  Fils  de  Dieu  venant  sur  la  terre  pour  racheter 
les  hommes  et  les  conduire  dans  la  voie  du  salut  ?  Qui  n'avouerait 
que  lerôle  de  roi  terrestre  et  de  conquérant  aussi  vulgaire  n'était  pas 
digne  de  la  souveraine  majesté  de  Dieu?  Il  venait  pour  sauver  et 
gouverner  les  âmes  ;  il  venait  pour  triomplier  du  démon  et  du  vice, 
et  pour  faire  pratiquer  la  vertu.  Si  les  Juifs  y  ont  été  trompés, 
c'est  qu'ils  ont  voulu  l'être,  car  le  prophète  Zacharie  leur  avait 
dit  :  a  Fille  de  Sion,  sois  transportée  de  joie;  jubile,  fille  de  Jéru- 
«  salem.  Voici  que  ton  roi  viendra  à  toi,  juste  et  sauveur, pauvre, 
«  et    monté    sur    une    ânesse    et   sur   un    poulain,   petit  d'une 

1.  Ecce  in  justilia  regnabit  rex.  {Is.,  xxxii,  1.) 

2.  Ecce  dies  veniunt,  dicit  Dominas  :  et  suscitabo  David  germen  justum, 
et  regnabit  rex,  et  sapiens  erit,  et  faciet  judicium  et  justitiam  in  terra. 
{Jerem.,  xxiii,  ti.) 

3.  Ego  autem  constitutus  sum  rex  ab  eo  super  Sion  montera  sanctum  ejus, 
praedicans  praeceptum  ejus.  Dominus  dixit  ad  me  :  Filius  meus  es  tu  ;  ego 
hodie  genui  te.  Postula  a  me,  et  dabo  tibi  gentes  hœreditatem  tuam,  et  pos 
sessionem  tuam  termines  terrse.  (Ps.  ii,  5-8.) 


•452         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CUAP.   IX. 

«  ânesse  *.  »  Rien  dans  ces  paroles  ne  permet  de  penser  à  un  roi 
fastueux,  à  un  guerrier  redoutable  asservissant  tous  les  peuples  à 
son  empire,  par  la  force  des  armes.  Mais  nous  y  reconnaissons 
bien  le  portrait  de  notre  divin  Jésus,  tel  qu'il  se  montra  au  jour 
de  son   entrée  triomphale  à  Jérusalem,  quelques  jours  à   peine 
avant  l'institution  de  son  adorable  Sacrement,  et  la  mort  cruelle 
qu'il  endura  pour  faire  la  conquête  de  son  royaume.  Car,  dans 
cette  conquête,  il  ne  voulut  pas  qu'il  y  eût  d'autre  sang  versé  que 
le  sien.  Au  moment  de  sa  conception  dans  le  sein  de  la  bienheu- 
reuse Vierge  Marie,  l'Ange  du   Seigneur  avait  dit  à   sa  Mère  : 
a  ^'oilà  que  vous  concevrez  dans  votre  sein,  et  que  vous  enfan- 
«  terez  un  fils,  à  qui  vous  donnerez  le  nom  de  Jésus.   Il  sera 
a  grand  et  sera  appelé  le  Fils  du  Très-Haut,  et  le  Seigneur  Dieu 
a  lui  donnera  le  trône  de  David,  son  père,  et  il  régnera  éternelle- 
«  ment  sur  la  maison  de  Jacob,  et  son  règne  n'aura  pas  de  fin  2.  » 
Un  règne  qui  n'aura  'pas  de  fin  ne  convient  pas  un  roi  de  la  terre; 
il  n'y  a  d'éternelle  que  la  royauté  de  Dieu  lui-même.  C'est  donc 
la  royauté  de  Dieu  que  Jésus-Christ  possède,  et  il  exerce  cette 
royauté,  non  seulement  comme  Dieu,  mais  comme  fils  de  David, 
c'est-à-dire  comme  homme.  Sa  royauté  est  complète,  absolue;  les 
nations  lui  ont  été  données  en  héritage.  Si,  parmi  les  hommes,  il 
en  est  qui  commandent  aux  autres,  c'est  uniquement  parce  qu'il 
le  veut  ainsi  pour  que  l'ordre  existe  sur  la  terre  ;  les  plus  puissants 
des  monarques  ne  sont  entre  ses  mains  que  de  fragiles  instru- 
ments qu'il  brise  quand  il  lui  plait,  comme  un  vase  d'argile.  Mais 
la  royauté   qu'il   se  réserve  expressément,  c'est  la  royauté  des 
âmes.  Pour  l'exercer  visiblement  ici-bas,  il  a   établi  son  Église; 
ses  ministres  parlent,  commandent  et  agissent  en  son  nom.  On 
croirait  parfois  qu'il  se  désintéresse  de  la  conduite   des  choses 
temporelles,  tant  ceux  qui  les  dirigent  ici-bas  oublient  souvent 
que  la   puissance  leur  vient  de  lui,  et  qu'ils  devront  lui  rendre 
compte  de  leurs  actes.  Mais  pour  la  royauté  spirituelle,  pour  l'ac- 
tion de  l'Église,  c'est  toujours  en  son  nom  qu'elle  s'exerce  visible- 

1.  Exulta  satis  filia  Sion,  jubila,  filia  Jérusalem.  Ecce  Rex  tuus  veniet  tibi 
juslus  et  salvator;  ipse  pauper;  et  ascendens  super  asinam,  et  super  pullum 
filium  asinae.  {Zach.,  ix,  0.) 

2.  Ecce  concipies  in  utero,  et  paries  filium  ;  et  vocabis  nomen  ejus  Jesum. 
Hic  erit  magnus,  et  Filius  Altissimi  vocabitur  :  et  dabit  illi  Dominus  Deus 
sedem  David  patris  ejus  :  et  regnabit  in  domo  Jacob  in  œternum,  et  regni 
ejus  non  erit  finis.  {Luc,  i,  31-33.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  EXVERS  l'eUCHARISTIE.       453 

ment  et  invisiblement.  Ceux  qui  détiennent  l'autorité,  dans  ce 
royaume  des  âmes,  ne  sont  et  ne  peuvent  quelque  chose  qu'autant 
qu'ils  se  reconnaissent  eux-mêmes,  et  sont  reconnus  parmi  les 
hommes  pour  les  représentants  légitimes  du  Seigneur. 

Ce  divin  Roi,  ce  Sauveur  et  ce  Chef,  comme  nous  l'avons  dit 
ailleurs,  en  traitant  du  culte  public  que  lui  doit  la  sainte  Église,  a 
vaincu  tous  nos  ennemis  et  nous  a  enseigné  la  manière  de  les 
vaincre.  Et  c'est  dans  la  Sainte  Eucharistie  qu'il  aime  à  nous 
donner  ses  leçons  et  à  nous  faire  partager  le  fruit  de  ses  triomphes. 
C'est  là,  dans  le  Sacrement  de  son  amour,  que  ce  Roi  infiniment 
miséricordieux  et  libéral  nous  prodigue  ses  grâces.  Il  nous  con- 
sole dans  nos  épreuves,  nous  soutient  dans  nos  combats,  nous 
encourage  et  nous  relève  si  nous  venons  à  tomber,  nous  prodigue 
ses  conseils,  ses  saintes  inspirations.  Il  est  notre  roi  et  veut  que 
nous  entrions  un  jour  dans  le  royaume  de  sa  gloire,  pour  y  régner 
avec  lui  ;  il  veut  que  nous  entendions  un  jour  de  sa  bouche  ces 
bienheureuses  paroles  :  «  Venez,  les  bénis  de  mon  Père,  possédez 
«  le  royaume  qui  vous  a  été  préparé  :  Venite,  benedicti  Patris 
«  mei,  possidete  paratum  vobis  regnum  *.  »  Et  pour  nous  pro- 
curer ce  bonheur,  il  n'épargne  rien  et  consent  à  vivre  parmi 
nous,  à  s'immoler  encore  par  le  ministère  de  ses  prêtres,  et  à 
devenir  l'aliment  de  nos  âmes. 

«  0  bon  Roi,  s'écrie  un  pieux  auteur,  que  vous  êtes  puissant, 
que  vous  êtes  riche,  que  vous  êtes  libéral,  que  votre  amour  pour 
vos  sujets  est  grand  !  De  ceux  qui  vous  servent,  vous  faites  autant 
de  rois;  non  pas  des  rois  de  la  terre,  mais  des  rois  célestes.  Les 
princes  de  ce  monde  s'efforcent  d'acquérir  de  nouvelles  villes,  de 
nouvelles  provinces,  au  prix  de  mille  travaux,  de  mille  dangers, 
de  la  vie  même  de  leurs  sujets;  et  c'est  non  pas  pour  leurs  sujets, 
mais  pour  leurs  propres  intérêts,  pour  leur  gloire  personnelle, 
qu'ils  en  agissent  ainsi  ;  mais  notre  Roi  céleste  ne  travaille  que 
pour  ses  sujets;  c'est  pour  eux  qu'il  a  fait,  au  prix  de  mille  tra- 
vaux, au  prix  de  son  sang  et  de  sa  vie,  la  conquête  du  royaume 
du  ciel  2.  »  Mais  il  leur  demande  de  ne  pas  s'éloigner  de  lui  à 
l'heure  du  combat,  et  de  lui  demeurer  toujours  fidèles.  Il  dit  à 
ses  Apôtres,  au  moment  de  se  séparer  d'eux  pour  achever  l'œuvre 
de  notre  rédemption  par  sa  mort  sur  la  croix  :  «  C'est  vous  qui 

\.  Matth.,  XXV,  34. 

2.  Arias,  S.J.,  Tliesaurus  inexkaustus,  tract.  II,  c.np.  xxi. 


454         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  IX. 

€  êtes  demeurés  avec  moi  dans  mes  tentations.  Aussi,  moi,  je 
«  vous  ai  préparé  le  royaume,  comme  mon  Père  me  l'a  préparé  ; 
«  afin  que  vous  mangiez  et  buviez  à  ma  table  dans  mon  royaume, 
€  et  que  vous  siégiez  sur  des  trônes,  pour  juger  les  douze  tribus 
«  d'Israël  '.  »  La  nourriture  et  le  breuvage  qu'il  nous  prépare  au 
ciel,  c'est  la  claire  vision  de  Dieu.  Mais  déjà  sur  la  terre  il  nous 
donne  un  avant-goût  de  cet  aliment  divin,  ou  plutôt  il  se  donne 
lui-même  tout  entier  à  nous  comme  notre  nourriture,  dans  la 
Sainte  Eucharistie,  lui  qui  est  le  Dieu  fait  homme  pour  sauver  les 
hommes,  lui  dont  le  nom  seul  oblige  tout  genou  à  fléchir  au  ciel, 
sur  la  terre  et  dans  les  enfers  ~. 

Entre  les  merveilles  annoncées  par  les  prophètes  touchant  la 
royauté  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  il  convient  de  mettre  au 
rang  des  plus  admirables  son  universalité.  L'univers  entier  doit 
être  soumis  à  ce  divin  roi.  Ce  roi,  dit  David,  «  subsistera  avec  le 
«  soleil  et  devant  la  lune  dans  toutes  les  générations.  Il  dominera 
«  depuis  une  mer  jusqu'à  une  autre  mer,  et  depuis  un  fleuve  jus- 
«  qu'aux  extrémités  de  la  terre.  Devant  lui  se  prosterneront  les 
«  Éthiopiens  ;  et  ses  ennemis  lécheront  la  poussière.  Les  rois  de 
«  Tharsis  et  des  îles  lui  offriront  des  présents,  et  les  rois  de 
«  l'Arabie  et  de  Saba  lui  apporteront  des  dons.  Et  tous  les  rois  de 
«  la  terre  l'adoreront  :  toutes  les  nations' le  serviront  3.  »  Et  com- 
bien de  temps  durera  cette  royauté?  «  Pendant  toute  la  suite  des 
«  générations  :  »  hi  generationem  et  generationem.  Elle  durera 
«  jusqu'à  ce  que  la  lune  disparaisse  à  jamais  »,  dit  encore  le  pro- 
phète, c'est-à-dire  toujours  :  Donec  auferatur  luna.  Isaïe,  Jéré- 
mie,  Daniel,  Zacharie  ^,  proclament  à  leur  tour  que  la  royauté  du 


1.  Vos  autem  estis,  qui  permansistis  mecum  in  tentationibus  meis.  Et  ego 
dispono  vobis,  sicut  disposuit  mihi  Pater  meus  regnum.  Ut  edatis  et  bibatis 
super  mensam  meam  in  regno  meo,  et  sedeatis  super  thronos  judicantes  duo- 
decim  tribus  Israël.  [Luc,  xxii,  28-30.) 

2.  Ut  in  nomine  Jesu  omne  genu  flectatur,  cœlestium,  terrestrium  et  infer- 
norum.  \Philipp.,  ii,  10.) 

3.  Et  permanebit  cum  sole,  et  ente  lunam,  in  generatione  et  generatio- 
nem.... Et  dominabitur  a  mari  usque  ad  mare;  et  a  flumine  usque  ad  termi- 
nes orbis  terrarum.  Coram  illo  procident  ^]thiopes,  et  inimici  ejus  terram 
lingenl.  Reges  Tharsis  et  insulae  munera  olïerent;  reges  Arabum  et  Saba 
dona  adducent;  et  adorabuiit  cum  ouines  reges  terrse;  omnes  gentes  servient 
ei.  iPs.  I.XXI,  y,  8-H.) 

4.  Voir  /«.,  XIV,  XLV,  XLix,  LX,  Lxi,  Lxvi;  Jcrem.,  xvi,  dii;  Dan.,  ii,  44,  vu, 
14;  Zuch.,  II,  H,  ix,  10. 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE,      455 

Messie  embrassera  l'univers  entier,  et  qu'elle  ne  disparaîtra  de  ce 
monde  que  lorsqu'il  cessera  d'exister  lui-même. 

Dès  les  premiers  temps  du  christianisme,  les  apôtres  et  leurs 
successeurs  immédiats  prêchèrent  l'Évangile  et  établirent  la 
royauté  de  Jésus-Christ  sur  les  âmes,  dans  toutes  les  parties  du 
monde  alors  connu  ^  En  Asie,  en  Europe,  en  Afrique,  notre  divin 
Roi  compta  d'innombrables  sujets  qui,  non  contents  d'obéir  à  ses 
lois  saintes,  versèrent  généreusement  leur  sang  pour  son  amour 
et  pour  sa  gloire.  Malgré  tous  les  efforts  de  l'enfer  et  des  passions 
humaines,  le  nombre  des  fidèles  sujets  du  Seigneur  alla  se  multi- 

4.  Il  serait  trop  long  d'en  appeler  ici  au  témoignage  des  Pères.  Nous  n'en 
citerons  que  deux  ou  trois  des  plus  anciens. 

5.  Justin  écrivait  dans  la  première  moitié  du  ne  siècle  : 

Neque  enim  ullum  est  omnino  genus  hominum,  sive  barbarorum,  sive 
Graecorum,  sive  eorum  qui  quovis  nomine  appellantur,  aut  eorum  qui  plaus- 
tris  pro  domibus  utuntur,  aut  eorum  qui  domorum  usum  non  norunt,  vel  in 
tabernaculis  eorum  qui  pecora  pascunl  habitant,  apud  quos  Jesu,  qui  cruci 
suffixus  est,  nomine,  preces  et  Eucharistise  (sive  gratiarum  actiones),  rerum 
omnium  parenti  et  effectori  non  fiant.  (S.  Justin.,  in  Dialogo  cum  Tryphone.) 

On  lit  dans  l'histoire  d'Eusèbe  de  Césarée  ces  paroles  du  martyr  S.  Lucien, 
évêque  de  Nicomédie  vers  l'an  240,  au  juge  qui  le  livrait  aux  bourreaux  : 

Nos  christiani,  non  humanœ  alicujus  persuasionis  errore  constringimur, 
nec  parentum  traditione  decipimur.  Author  nobis  de  Deo  Deus  est.  Hic  erro- 
res  misera  tus  humanos,  sapientiam  suam  misit  in  hune  mundum,  carne  ves- 
titam,  quae  nos  doceret  Deum  qui  cœlum  fecisset  et  terram  non  in  manufac- 
tis,  sed  in  aeternis  atque  invisibilibus  requirendum.  Vitae  etiam  nobis  leges 
ac  disciplinae  prsecepta  constituit,  servare  parcimoniam,  paupertate  gaudere, 
mansuetudinem  colère,  studere  pietati,  puritatem  cordis  amplecti,  patientiam 
custodire.  Sed  et  ipse  qui  erat  immortalis  utpote  Verbum  et  Sapientia  Dei, 
morti  se  praebuit,  quo  nobis  in  corpore  positus,  patientiee  prcieberet  exemplum. 
Quae  autem  dico  non  sunt  in  obscuro  gesta  loco,  nec  testibus  indigent.  Pars 
pêne  mundi  jam  major  huic  veritati  adstipulatur.  (Euseb.,  Hisl.  EccL,  lib.  IX, 
cap.  VI.) 

Vers  la  même  époque,  Tertullien  écrivait  : 

In  quem  aUum  universag  gentes  crediderunt,  nisi  in  Christum  qui  jam  ve- 
nit?  Cui  et  alise  gentes  crediderunt,  Parthi,  Medi,  Elamit»,  et  qui  inhabitant 
Mesopotamiam,  Armeniam,  Phrygiam,  Cappadociam  et  incolentes  Pontum,  et 
Asiam,  et  Pamphyliam,  immorantes  /Egyptum,  et  regionem  Africae  inhabitan- 
tes, Romani  et  incolae,  tune  et  in  Ilierusalem  Judjei;  et  caeterse  gentes,  ut 
jam  Getulorum  varietates,  et  Maurorum  multi  fines,  Hispaniarum  omnes  ter- 
mini,  et  Cialliarum  divers»  nationes,  et  Britannorum  inacccssa  romanis  loca, 
et  Sarmatorum,  et  Dacorum,  et  Germanorum,  et  Scylharum,  et  abdilarum 
mulUirum  gentium,  et  provinciarum,  et  insularum  nobis  ignotarum  et  quse 
enuinerare  minus  possumus?  In  quibus  omnibus  locis  Christi  nomen  régnât. 
Quis  enim  alius  in  tôt  gentibus  regnare  potuisset,  nisi  Jésus  Christus,  Dei 
Filius,  qui  in  omnil)US  gentibus  in  cEternuin  regnaturus  nunliabatur?  (Ter- 
TULL.,  lib.  (tdversus  Judseos,  cap.  vu  et  viii.) 


4o6         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

pliant  ;  le  sang  des  martyrs  était,  comme  on  l'a  dit,  une  semence 
de  chrétiens  ;  ce  sang  coula  partout,  et  partout  aussi  levèrent 
et  mûrirent  d'abondantes  moissons.  Et  quand  de  nouvelles  con- 
trées ignorées  jusque-là  étaient  découvertes,  les  messagers  de 
l'Évangile  suivaient  toujours  de  près  les  premiers  explorateurs, 
s'ils  ne  les  précédaient  pas.  Partout  a  été  planté  l'étendard  victorieux 
de  Jésus-Glirist,  la  croix;  partout  son  pouvoir  suprême  a  été 
reconnu  et  sa  divinité  adorée.  S'il  reste  encore  quelques  contrées 
qui  ne  connaissent  pas  et  ne  vénèrent  pas  le  nom  de  Jésus  auquel 
tout  genou  doit  fléchir,  elles  le  connaîtront;  elles  lui  rendront  à 
leur  tour  leurs  hommages  et  leurs  adorations,  comme  au  souve- 
rain roi. 

Mais,  dira-t-on,  où  donc  Jésus-Christ  exerçait-il  sa  puissance 
royale,  pendant  les  premiers  siècles  de  l'Église  ?  Où  même  l'exerce- 
t-il  de  nos  jours?  Toutes  les  nations  de  la  terre  ne  semblent-elles 
pas  en  révolte  contre  lui,  et  ceux  qui  les  gouvernent  paraissent-ils 
avoir  quelque  souci  plus  grave  que  celui  de  combattre  et  de 
détruire,  s'ils  le  pouvaient,  toute  son  autorité?  Il  est  vrai  qu'il  en 
est  ainsi.  Cependant,  jamais  la  royauté  spirituelle  de  Notre-Sei- 
gneur  n'a  répandu  un  plus  brillant  éclat.  L'enfer  et  le  monde  ont 
beau  faire,  le  Christ  est  vainqueur,  le  Christ  règne,  le  Christ  com- 
mande; ses  ennemis,  môme  dans  l'ordre  purement  temporel,  ne  font 
que  ce  qu'il  leur  permet;  toutes  les  trames  ourdies  contre  lui  con- 
courent à  l'accomplissement  de  ses  desseins  et  à  l'exaltation  de  sa 
gloire.  Dès  le  premier  siècle,  ce  divin  Roi  eut  partout  des  sujets 
fidèles,  qui  prirent  en  son  nom  possession  du  monde  entier  :  il  en 
est  de  même  encore  aujourd'hui  ;  il  n'est  pas  de  pays  où  sa  royauté 
suprême  ne  soit  proclamée.  Sans  doute,  partout  aussi  les  révoltés 
abondent;  mais  leur  révolte  n'enlève  rien  aux  droits  de  leur  roi 
légitime,  dont  la  puissance  infinie,  qui  n'a  rien  à  redouter  d'eux, 
les  chiUiera  quand  l'heure  aura  sonné,  s'ils  ne  viennent  pas  à 
résipiscence.  , 

Une  considération  grave  s'impose  ici.  Les  nations  actuellement     ' 
chrétiennes,  même  si  leurs  gouvernements  ne  le  sont  pas,  renfer- 
ment une  multitude  de  saintes  âmes  soumises  ,avec  bonheur  et     ^ 
amour  au  sceptre  du  divin  Roi  ;  il  règne  véritablement  sur  elles. 

D'autres  nations  ont  été  chrétiennes  et  ne  le  sont  plus.  Peut- 
être  Dieu  y  trouve-t-il  çà  et  là  quelques  fidèles  serviteurs,  et  c'est 
tout  :  mais  lorsqu'elles  étaient  chrétiennes,  ces  mêmes  nations, 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.      457 

aujourd'hui  infidèles  ou  liérétiques,  ont  donné  au  ciel  des  multi- 
tudes de  saints.  Le  divin  Roi  a  recruté  parmi  elles  tout  ce  qu'il  lui 
plaisait,  dans  son  infinie  sagesse,  d'en  tirer  de  vaillants  soldats  et 
de  sujets  fidèles.  Il  règne  au  ciel  sur  cette  élite  en  attendant  qu'un 
jour  peut-être,  ces  peuples  insoumis  reviennent  à  l'obéissance. 

D'autres  nations  encore  n'ont  pas  reçu,  jusqu'à  ce  jour,  la 
lumière  de  l'Évangile,  et  ne  reconnaissent  pas  Jésus-Christ  pour 
leur  roi  :  mais  le  temps  viendra  où  leurs  yeux  s'ouvriront  à  la 
lumière;  alors  elles  donneront,  à  leur  tour,  d'innombrables  sujets 
au  royaume  des  cieux. 

Le  royaume  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  c'est  la  vigne  que 
le  père  de  famille  a  plantée.  Les  branches  de  la  vigne  ne  sont  pas 
chargées  en  toute  saison  de  grappes  vermeilles.  Mais  si,  pendant 
l'hiver,  ces  branches  ne  semblent  être  qu'un  bois  aride,  si  la  sève 
même  n'y  circule  plus,  elles  n'en  sont  pas  moins  précieuses  aux 
yeux  du  vigneron  ;  le  printemps  ramènera  la  vie,  l'été  mûrira  de 
nouveaux  raisins  que  recueillera  l'automne.  Et  si,  pour  quelques 
plants  moins  avancés,  le  temps  de  donner  des  fruits  n'est  pas 
encore  venu,  il  ne  peut  manquer  d'arriver  à  son  tour,  grâce  aux 
soins  empressés  qui  leur  seront  prodigués. 

Il  en  est  ainsi  de  la  vigne  du  Seigneur  ou  du  royaume  de  Jésus- 
Christ.  Plusieurs  peuples  ont  produit  des  fruits  de  sainteté,  mais 
n'en  donnent  plus  :  c'est  pour  eux  l'hiver  ;  mais  la  bonne  saison 
reviendra.  Plusieurs  autres  n'ont  rien  donné  encore,  mais  à  leur 
tour,  ils  deviendront  fertiles.  Heureux  les  peuples  pour  qui  la 
stérilité  de  l'hiver  est  inconnue  ;  heureux  ceux  qui,  dès  les  pre- 
miers siècles,  se  sont  attachés  à  l'étendard  du  divin  Roi  et  qui, 
depuis,  l'ont  toujours  suivi  avec  fidélité;  heureux  les  peuples  qui, 
non  contents  de  cette  fidélité,  ont  de  tout  temps  accepté  la  mis- 
sion sacrée  de  faire  connaître,  aimer  et  servir  Jésus-Christ,  leur 
Seigneur  et  leur  Dieu. 

Qu'il  est  beau  le  royaume  de  notre  divin  Jésus  !  Partout  la  per- 
fection la  plus  entière  y  resplendit  d'un  merveilleux  éclat.  Parfaite 
est  la  vérité  de  la  foi  dans  cet  heureux  royaume  ;  parfaite  la  pureté 
de  la  doctrine;  parfaite  la  sainteté  de  la  vie;  parfaites  la  suavité 
et  l'utilité  des  lois  ;  les  miracles,  la  sagesse  spirituelle,  l'abon- 
dance de  la  grâce  et  des  dons  célestes,  la  multitude  de  ceux  qui 
jouissent  de  ces  biens,  tout  concourt  à  le  rendre  vraiment  digne 
du  roi  qui  le  gouverne.  0  cité  de  Dieu, où  Dieu  daigne  tout  régir  et 


468         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

diriger  lui-même  pour  le  plus  grand  bien  de  ceux  qui  l'habitent  î 
0  maison  de  Dieu,  dont  tous  les  habitants  sont  les  temples 
vivants  de  Dieu  et  son  séjour  aimé  entre  tous!  0  véritable  royaume 
des  cieux,  puisque  l'Église  d'ici-bas  n'est  avec  celle  qui  triomphe 
dans  les  cieux,  qu'une  seule  et  unique  Église  ! 

La  reine  de  Saba  disait  autrefois  au  roi  Salomon  :  «  Heureux 
€  vos  sujets  et  heureux  vos  serviteurs,  qui  sont  toujours  devant 
«  vous,  et  qui  écoutent  votre  sagesse  *.  »  Notre  bonheur  est  plus 
grand  que  celui  des  serviteurs  de  Salomon.  Nous  avons  comme 
eux  l'avantage  de  jouir  chaque  jour,  si  nous  le  voulons,  de  la  pré- 
sence de  notre  Roi.  Nous  le  possédons  dans  la  Très  Sainte  Eucha- 
ristie; il  est  toujours  prêt  à  nous  donner  audience,  à  nous  recevoir 
avec  une  ineflable  bonté.  Il  est  plus  puissant  que  Salomon  pour 
nous  défendre;  plus  riche,  plus  libéral  et  plus  sage  pour  nous 
venir  en  aide  dans  tous  nos  besoins;  plus  miséricordieux  pour 
nous  pardonner  et  nous  relever  s'il  nous  arrive  de  tomber.  Il  n'est 
pas  entouré  d'un  appareil  de  majesté  qui  intimide  les  petits  et  les 
pauvres  ;  et  cependant  il  est  le  Roi  des  rois,  le  Seigneur  des  sei- 
gneurs; il  est  Dieu  lui-même  fait  homme  et  voilé  sous  les  espèces 
eucharistiques,  pour  vivre  parmi  les  hommes;  roi  par  sa  toute- 
puissance,  et  père  par  son  ineffable  tendresse. 

Le  saint  homme  Job  disait  autrefois  que  la  vie  de  l'homme  est 
un  état  de  lutte,  une  guerre  continuelle  sur  la  terre  :  Militia  est 
vita  hominis  super  terrain.  Cette  parole,  vraie  pour  tous  les  des- 
cendants d'Adam,  l'est  particulièrement  pour  les  chrétiens.  Or,  pour 
combattre  avec  succès,  toute  armée  a  besoin  d'un  chef.  Jésus- 
Christ,  roi  de  la  sainte  Église  de  Dieu,  est  aussi  le  chef  qui  con- 
duit ses  enfants  au  combat  et  les  fait  triompher.  Nous  lisons  dans 
l'Apocalypse  :  «  Un  grand  prodige  parut  dans  le  ciel  :  une  femme 
«  revêtue  du  soleil,  ayant  la  lune  sous  ses  pieds,  et  sur  sa  tête  une 
«  couronne  de  douze  étoiles.  Elle  était  enceinte  et  elle  criait,  se 
«  sentant  en  travail,  et  elle  était  tourmentée  des  douleurs  de  l'en- 
•  fantement.  Et  un  autre  prodige  fut  vu  dans  le  ciel  :  un 
«  grand  dragon  roux,  ayant  sept  têtes  et  dix  cornes,  et  sur  ses 
«  sept  têtes  sept  diadèmes.  Or  sa  queue  entraînait  la  troisième 
«  partie  des  étoiles,  et  les  jeta  sur  la  terre;  et  le  dragon  s'arrêta 
«  devant  la  femme  qui  allait  enfanter,  afin  de  dévorer  son  fils, 

1.  Beati  viri  lui  et  beati  servi  lui,  qui  stant  coram  te  semper,  et  audiunt 
sapienliarn  tuam.  (///.  neg.,  x,  8.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.      459 

«  aussitôt  qu'elle  serait  délivrée.  Elle  enfanta  un  enfant  mâle, 
«  qui  devait  gouverner  toutes  les  nations  avec  un  sceptre  de  fer, 
«  et  son  fils  fut  enlevé  vers  Dieu  et  vers  son  trône.  »  Plus  loin,  on  lit 
encore  :  «  Et  le  dragon  poursuivit  la  femme  qui  avait  enfanté  l'en- 
«  fant  mâle....  etil  s'irrita  contre  la  femme,  et  il  alla  faire  la  guerre 
«  à  ses  autres  enfants  qui  gardent  les  commandements  de  Dieu  et 
«  qui  ont  le  témoignage  de  Jésus-Christ  '.  » 

La  femme  revêtue  du  soleil,  ayant  la  lune  sous  les  pieds  et  une 
couronne  de  douze  étoiles,  est  la  bienheureuse  Vierge  Marie; 
mais  c'est  aussi  la  sainte  Église  de  Dieu.  Le  fils  que  l'Église 
enfante  ce  sont  les  fidèles.  Elle  les  enfante  dans  la  douleur,  priant 
et  gémissant  pour  eux,  afin  qu'ils  soient  des  saints  sur  la  terre; 
elle  leur  prêche  l'Évangile,  les  presse  de  pratiquer  le  bien;  elle 
souffre  avec  eux,  s'afflige  de  leur  malheur  tant  qu'ils  sont  dans  le 
péché,  se  livre  à  toutes  les  rigueurs  de  la  pénitence  pour  obtenir 
leur  justification.  C'est  ce  fils,  ou  plutôt  ce  sont  ces  justes,  qui 
jugeront  un  jour  les  nations  en  toute  rigueur  de  justice,  avec 
Jésus-Christ,  le  souverain  juge,  de  qui  David  a  dit  aussi  qu'il 
régirait  les  peuples  avec  une  verge  de  fer  :  Reges  eos  in  virga 
ferrea. 

Le  fils  de  la  femme  mystérieuse  qui  est  enlevé  vers  le  trône  de 
Dieu  représente  les  enfants  de  l'Église,  les  justes  qui,  après  cette 
vie,  sont  enlevés  au  ciel,  où  ils  jouissent  de  réternelle  félicité,  par 
la  vision  béatifique  de  Dieu.  Le  dragon,  qui  voudrait  dévorer  ce 
fils  et  qui  ne  le  peut  pas,  est  le  démon,  dont  toute  la  rage  se 
tourne  contre  l'Église  et  contre  ceux  de  ses  enfants  qui  sont 
encore  sur  la  terre.  Il  leur  déclare  une  guerre  sans  merci.  C'est 
donc  contre  le  démon  et  ses  anges,  contrôles  sept  péchés  capitaux, 
qui  sont  ses  sept  têtes,  contre  la  désobéissance  à  chacun  des  dix 
commandements,  dont  le  démon  se  fait  dix  cornes  acérées  pour 
transpercer  notre  àme,  que  nous  avons  à  combattre.  Que  pour- 
rions-nous si  nousmanquionsd'unchef  qui  nousdirige  qui  noussou- 
tienne  et  nous  donne  les  forces  dont  nous  avons  besoin?  Mais  notre 
divin  Roi  est  le  chef  qui  nous  conduit  à  la  bataille  et  la  force  de 
nos  ennemis  n'est  rien,  comparée  à  sa  puissance.  Il  a  vaincu  le 
démon,  il  a  vaincu  le  monde,  qui  s'allie  au  démon  pour  combattre 
les  saints  ;  il  ne  nous  demande  que  de  faire  quelques  elTorts,  afin 

\.  Apoc,  iii,  passim. 


460         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IX. 

de  contribuer,  selon  notre  faiblesse,  à  la  victoire  dont  tout  le 
profit  sera  pour  nous.  Mais  la  victoire  est  remportée  d'avance, 
pour  peu  que  nous  voulions  combattre  et  que  nous  n'allions  pas 
honteusement  nous  livrer  à  notre  ennemi.  S.  Paul  disait  :  «  Je 
«  rends  grâces  à  Dieu  qui  nous  a  donné  la  victoire  par  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ.  C'est  pourquoi,  mes  frères  bien-aimés, 
c  soyez  fermes  et  inébranlables  ^.  »  Dieu  nous  a  donné  la  victoire 
par  Noire-Seigneur  Jésus-Christ  ;  soyons  fermes  et  inébranlables 
autant  qu'il  est  en  nous,  et  il  nous  gardera  le  fruit  de  cette  vic- 
toire. 

Nous  qui  avons  été  baptisés,  nous  surtout  qui  avons  reçu  le 
sacrement  de  Confirmation,  nous  sommes  tous  les  soldats  de  Jésus- 
Christ  :  il  est  notre  chef,  notre  général.  Mais  entre  tous  ses  soldats, 
il  en  est  qu'il  distingue  et  qu'il  honore  d'une  manière  particulière  ; 
ce  sont  les  saints  martyrs.  C'est  ainsi  qu'un  chef  d'armée  estime 
surtout  les  braves  qui  se  sont  exposés  à  la  mort  avec  plus  de  vail- 
lance, et  sont  tombés  sur  le  champ  de  bataille.  Endurer  le  martyre 
est  l'acte  de  charité  ou  d'amour  de  Dieu  le  plus  grand  que  l'homme 
puisse  accomplir  ici-bas.  Il  est  possible  qu'un  chrétien  qui  n'a  pas 
l'occasion  de  donner  à  Dieu  cette  preuve  de  son  dévouement,  l'aime 
néanmoins  plus  qu'un  autre  chrétien  qui  sacrifie  réellement  sa  vie. 
Néanmoins  ce  dernier  fait  en  réalité  davantage,  car  l'acte  est  plus 
que  la  simple  disposition  et  le  désir.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
n'a-t-il  pas  dit  que  la  plus  grande  marque  d'amour,  c'est  de  donner 
sa  vie  pour  celui  qu'on  aime  :  Majorem  hac  dilectionem  neino 
liahet,  ut  animam  suam  ponat  joro  amicis  suis  2?  L'exemple  des 
martyrs  est,  pour  les  autres  fidèles,  une  puissante  exhortation  à 
la  pratique  de  toutes  les  vertus  ;  leur  intercession  auprès  de  Dieu 
dans  le  ciel  est  puissante  pour  ceux  qu'ils  ont  laissés  après  eux  sur 
la  terre  ;  le  témoignage  rendu  à  la  vérité  par  l'effusion  de  leur 
sang  glorifie  Dieu,  convertit  les  infidèles,  et  fortifie  la  foi  de  tous. 
La  parole  des  prédicateurs  de  l'Évangile  pouvait  trouver  des  incré- 
dules ou  des  hésitants;  mais  qui  pourrait  mettre  en  doute  un 
témoignage  confirmé  par  le  sang  même  de  ceux  qui  le  rendent  3? 

i.  Deo  autem  gratias  ago,  qui  dédit  nobis  victoriam  per  Dominum  nostrum 
Jesum  Christum.  Ilaque,  fratres  mei  dilecti,  stabiles  estote  et  immobiles. 
(/.  Cor.,  XV,  ÎJ7-;J8.) 

2.  Jonnn.,  xv,  13. 

3.  Videle  quantum  martyribus  debeamus.  Martyr  torquetur  ut  alii  salven- 
tur;  martyr  carnificem  excipit  et  mortem,  ut  alii  Christum  agnoscant,  vitam- 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'EUCHARISTIE.      461 

En  sa  qualité  de  notre  Chef,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  com- 
battu pour  nous;  ses  exemples  nous  enseignent  comment  nous  de- 
vons nous-mêmes  lutter  contre  nos  ennemis,  et  de  quelles  armes  il 
nous  faut  user. 

Si  le  Verbe  divin  avait  déployé,  pour  vaincre  ses  ennemis,  la 
toute-puissance  qu'il  possède  parce  qu'il  est  Dieu,  nous  ne  pour- 
rions pas  le  prendre  pour  modèle  ;  mais  il  est  homme  aussi,  et  c'est 
son  humanité  qui  a  livré  le  combat.  Elle  a  triomphé  en  mourant 
sur  la  croix  ;  elle  a  triomphé  par  la  llagellation,  les  épines,  les 
clous  et  les  autres  instruments  de  sa  douloureuse  passion  ;  elle  a 
triomphé  par  l'humilité,  la  patience,  la  pauvreté,  la  miséricorde,  la 
charité  et  toutes  les  autres  vertus  qu'elle  pratiqua  pendant  sa  vie 
mortelle. 

Telles  furent  les  armes  dont  notre  divin  chef  se  servit  pour 
vaincre  le  démon,  le  monde,  le  péché  et  tous  les  ennemis  des 
hommes.  Si  nous  voulons  profiter  de  sa  victoire  et  partager  son 
triomphe,  rien  de  plus  facile,  mais  à  la  condition  de  nous  servir 
des  mêmes  armes.  Servons-nous  de  la  croix  de  Jésus-Christ,  en 
nous  souvenant  souvent  de  la  mort  qu'il  a  endurée  pour  nous  et 
dont  elle  fut  l'instrument,  ignominieux  aux  yeux  du  monde,  mais 
à  jamais  béni  des  saints.  Aimons  et  vénérons  les  croix  qui  nous 
rappellent  celle  de  notre  divin  Rédempteur.  Traçons  le  signe  de  la 
croix,  avec  amour  et  respect,  sur  nous-mêmes.  Un  signe  de  croix 
bien  fait  suffit  pour  mettre  tous  les  démons  en  fuite  et  vaincre 
les  tentations  les  plus  violentes  ;  un  signe  de  croix  opère  des  mi- 
racles. 

Mais  il  y  a  une  autre  croix  que  celle  sur  laquelle  Jésus-Christ  est 
mort  afin  de  nous  sauver,  une  croix  que  nous  devons  aimer  et 
porter  en  union  avec  lui  tous  les  jours  de  notre  vie  sur  la  terre  : 
ce  sont  les  souffrances,  les  privations,  les  épreuves  de  toutes  sortes 
qui  ne  manquent  jamais  ici-bas.  Si  nous  unissons  cette  croix  à  celle 
de  Jésus  ;  si  nous  la  portons  amoureusement  en  union  avec  lui  ;  si 
nous  ajoutons  encore  à  son  poids  par  des  mortifications,  des  sacri- 

que  aeternam  obtineant.  Idcirco  voluit  Dominus  in  omnibus  inundi  partibus 
esse  martyres,  qui  diversas  pœnas  ac  mortes  pro  Christo  paterentur,  ut  tan- 
quam  locupletissimi  testes,  fideli  dicto  suœ  confessionis  persuadèrent  nobis 
veritatem  fidei,  et  liumana  fragilitas,  quœ  soli  priedicationi  divini  verbi  non 
integram,  nec  perfectam  liabebat,  haberet  eam  verbo  divine  confirmalo  tôt 
martyrum  testimoniis,  quos  ibi  présentes  oculissuispati  videbat.(S.  August., 
serm.  III  de  Mnrtijribus.) 


462         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IX. 

fices  volontaires,  nous  n'aurons  rien  à  redouter  des  attaques  de 
ceux  qui  cherchent  notre  perte,  et  la  victoire  nous  est  assurée. 
Soulïrir  avec  une  pieuse  résignation,  pratiquer  fidèlement  toutes 
les  vertus  dont  le  divin  Maître  nous  a  donné  l'exemple,  résister 
avec  courage  et  persévérance  aux  ennemis  qui  nous  entourent 
mais  qui  ne  peuvent  rien  contre  nous  tant  que  nous  resterons  fidè- 
lement attachés  à  notre  Roi  et  à  notre  chef,  voilà  notre  devoir  et 
voilà  notre  bonheur  pour  la  vie  présente  et  la  vie  future.  0  notre 
divin  Chef,  ô  notre  Roi,  vous  êtes  là,  tout  près  de  nous,  dans  le 
sacrement  de  votre  amour.  C'est  au  pied  de  votre  autel  et  de  votre 
tabernacle  que  nous  jurons  d'être  vos  sujets  à  jamais  fidèles,  et  de 
toujours  combattre  vos  ennemis  qui  sont  aussi  les  nôtres,  comme 
vous  nous  avez  enseigné  à  le  faire.  Nous  garderons  vos  saintes 
lois  ;  nous  imiterons  vos  exemples,  grâce  à  votre  secours,  et  nous 
recevrpns  un  jour  la  couronne  que  vous  réservez  à  ceux  qui,  selon 
la  parole  de  TApùtre,  auront  légitimement  combattu. 

V. 

JÉSUS-CHRIST    PRÉSENT    DANS    l'eUCHARISTIE    EST    NOTRE   JUGE 

Lorsque  prosternés  devant  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent 
sur  nos  autels  ou  dans  nos  tabernacles,  nous  méditons  sur  ses 
grandeurs  et  ses  miséricordes,  il  est  une  vérité  que  nous  ne  devons 
pas  oublier.  Ce  Dieu  notre  prêtre  et  notre  victime,  notre  compa- 
gnon ici-bas,  notre  aliment,  est  aussi  notre  Juge.  Un  jour  viendra 
où  nous  paraîtrons  devant  lui  pour  lui  rendre  compte  de  tous  les 
actes  de  notre  vie,  et  entendre  de  sa  bouche  la  sentence  de  béné- 
diction ou  de  malédiction,  de  vie  ou  de  mort  éternelle  que  nous 
aurons  méritée.  Mais  ne  parlons  pas  ici  des  châtiments  que  sa 
justice  réserve  aux  coupables  impénitents.  Ce  n'est  pas  à  le  craindre 
mais  à  l'aimer  qu'il  nous  invite,  dans  son  Sacrement  divin.  N'ou- 
blions pas  ce  qu'il  est  pour  les  méchants,  mais  aimons  surtout  à 
considérer  ce  qu'il  est  pour  ceux  dont  le  cœur  se  donne  entière- 
ment à  lui  et  qui  s'efforcent  de  devenir  plus  dignes  de  lui  chaque 
jour. 

Le  juge,  en  eflet,  n'a  pas  seulement  pour  mission  de  convaincre 
les  criminels  et  de  les  punir;  il  doit  favoriser  les  bons,  les  défendre, 
se  montrer  miséricordieux  envers  eux  s'ils  ont  commis  quelque 
faute,  et  les  récompenser  pour  le  bien  qu'ils  ont  fait.  C'est  là  sur- 


QCELQDES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'EUCHARISTIE.      463 

tout  ce  qui  doit  faire  l'objet  de  nos  pieuses  méditations,  lorsque 
nous  nous  présentons  devant  Jésus-Eucharistie,  eLque  nous  recon- 
naissons en  lui  notre  juge  suprême. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  homme  et  c'est  comme  homme 
qu'il  doit  nous  juger.  Il  convient  en  effet  que,  composés  d'un 
corps  et  d'une  âme,  nous  puissions  voir  de  nos  yeux,  entendre  de 
nos  oreilles  celui  qui  doit  prononcer  sur  notre  sort  éternel.  Il  con- 
vient qu'il  soit  l'un  de  nous,  pour  que  sa  sentence  soit  mieux  com- 
prise et  mieux  acceptée  de  tous,  pour  que  nous  ne  puissions  pas 
dire  que  la  faiblesse  de  notre  nature  lui  est  étrangère,  et  que  nos 
maux  ne  le  touchent  pas.  Notre  divin  Sauveur  nous  a  dit  :  «  Le 
«  Père  ne  juge  personne,  mais  il  a  confié  tout  jugement  au  Fils, 
«  parce  qu'il  est  Fils  de  l'homme  ^  »  Il  est  vrai  que  le  Père  éternel 
possède  dans  toute  sa  plénitude  l'autorité  de  juge  suprême  ;  c'est 
à  lui  premièrement  qu'il  appartient  d'approuver  et  de  récompenser 
le  bien,  de  réprouver  et  de  punir  le  mal.  Il  en  est  de  même  du  Fils 
considéré  comme  Dieu  et  du  Saint-Esprit,  car  ils  ne  sont  avec  le 
Père  qu'un  seul  et  même  Dieu.  Cependant,  prendre  place  visible- 
ment à  un  tribunal,  se  présenter  avec  toute  l'autorité  et  la  majesté 
du  juge  suprême  des  vivants  et  des  morts,  prononcer  extérieure- 
ment, à  la  vue  des  bons  et  des  méchants,  une  sentence  qui  puisse 
être  entendue  de  tous,  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  le  peut  seul,  en 
vertu  de  son  humanité.  Le  Père  et  le  Saint-Esprit  sont  juges  avec 
lui,  ou  plutôt  ne  sont  avec  lui  qu'un  même  juge,  mais  c'est  lui  qui 
remplit  extérieurement  les  fonctions  de  juge,  déléguées  à  sa  très 
sainte  Humanité  par  les  trois  adorables  Personnes. 

Si  quelqu'un,  accusé  de  crimes  qui  l'exposeraient  aux  plus  rudes 
châtiments,  apprenait  qu'il  aura  pour  juge,  non  pas  un  étranger  et 
un  indifférent,  non  pas  surtout  celui  qu'il  aurait  offensé,  mais  son 
propre  frère,  un  frère  qui  l'aurait  aimé  jusqu'à  sacrifier  non  seu- 
lement ses  biens,  mais  sa  vie  même  pour  le  sauver,  quelles  ne  se- 
raient pas  sa  consolation  et  son  espérance?  Ne  serait-il  pas  en  droit 
de  penser  qu'un  tel  juge  profiterait  des  moindres  circonstances,  des 
moindres  prétextes  même,  pour  le  déclarer  innocent,  ou  du  moins 
pour  adoucir  la  sentence.  Le  juge  doit  être  juge,  et  il  ne  peut  aller 
contre  les  droits  imprescriptibles  de  la  loi  :  mais  la  miséricorde  a 
ses  droits  aussi  ;  l'amour  trouve  mille  moyens  de  venir  en  aide  à 

1.  Pater   non  judical  quemquam,  sed  omnc  judicium   dédit   Filio,  quia 
Filius  hominis  est.  [Joann.,  v,  !28.) 


4G4         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —   Il'=   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   IX. 

l'objet  aimé;  un  frère  jugé  par  un  tel  frère  serait  bien  malheureux, 
si  son  juge  n'était  pas  en  même  temps- son  sauveur. 

Dieu  a  voulu  nous  donner  cette  consolation  et  ce  motif  d'espé- 
rance. Nous  sommes  tous  des  accusés  et  des  coupables  ;  presque 
tous  nous  avons  commis  des  fautes  pour  lesquelles  la  divine  justice 
nous  réserverait  des  supplices  éternels,  et  la  même  justice  exige 
que  nous  soyons  jugés.  Que  fera  la  miséricorde  infinie  de  Dieu  ?  Le 
Père  éternel  se  récusera  en  quelque  sorte  lui-même  et,  pour  juge, 
il  nous  donnera  Jésus-Christ  son  Fils,  dont  la  nature  humaine  est 
la  même  que  la  nôtre,  qui  nous  aime  d'un  amour  indicible,  qui 
désire  tant  notre  délivrance  et  notre  gloire  que  pour  nous  les  pro- 
curer il  s'est  livré  lui-même  aux  douleurs  les  plus  cruelles,  aux 
opprobres  les  plus  ignominieux,  à  la  mort  enfin,  et  à  la  mort  de  la 
croix. 

Et  ce  juge  si  bon,  mais  en  même  temps  si  juste,  afin  de  nous 
apprendre  et  de  nous  aider  à  désarmer  la  colère  céleste,  daigne 
habiter  au  milieu  de  nous,  pour  nous  exciter  à  la  pénitence,  nous 
encourager  au  bien,  nous  soutenir,  nous  relever  si  nous  tombons; 
il  est  là  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie,  pour  être  notre  force, 
notre  aliment,  notre  vie,  notre  défense  contre  les  châtiments  sus- 
pendus sur  nos  têtes.  Que  pouvaient  désirer  de  plus  de  pauvres 
pécheurs,  qui  devront  rendre  compte  un  jour  au  tribunal  suprême, 
non  seulement  de  tous  leurs  actes,  mais  de  leurs  sentiments  même 
les  plus  fugitifs  et  de  leurs  moindres  pensées? 

Notre  Juge  très  clément  nous  a  manifesté  de  plusieurs  manières 
combien  il  désire  avec  ardeur  nous  trouver  innocents,  n'avoir  pas 
à  nous  condamner,  mais  nous  absoudre  au  contraire,  nous  déli- 
vrer et  nous  sauver,  lorsqu'il  viendra  prononcer  sur  nous  la  sen- 
tence sans  appel.  C'est  ainsi  que,  devant  venir  à  la  fin  des  temps 
pour  exercer  sur  tous  les  hommes  sa  juste  justice  et  rendre  à  cha- 
cun selon  ses  mérites,  il  est  descendu  d'abord  du  ciel  sur  la  terre, 
une  première  fois,  pour  détruire  le  péché,  le  consumer,  le  mettre 
à  mort  par  sa  propre  mort;  il  est  venu  pour  vaincre  nos  ennemis, 
le  démon,  le  monde,  la  chair,  leur  ravir  l'autorité  qu'ils  exerçaient 
sur  les  hommes,  énerver  et  briser  les  forces  qu'ils  avaient  pour 
nuire  aux  âmes  ;  il  est  venu  pour  enseigner  aux  hommes  la  pra- 
tique de  toutes  les  vertus,  pour  leur  donner  la  force  de  faire  à  leur 
tour  le  bien,  selon  qu'il  le  leur  enseignait  par  ses  paroles  et  par 
ses  exemples;  il  est  venu  enfin  pour  procurer  à  tous  ceux  qui  vou- 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       465 

draient  profiter  de  tant  de  bontés  une  victoire  parfaite  sur  le  mal  ; 
ainsi  lorsqu'il  descendra  une  seconde  fois  sur  la  terre,  dans  tout 
l'éclat  de  sa  gloire,  pour  procéder  au  jugement  final,  au  lieu  de  les 
punir  il  leur  dira  :  «  Venez,  les  bien-aimés  de  mon  Père,  »  et  les 
mettra  en  possession  de  l'éternelle  gloire  de  son  royaume. 

Tel  est  le  mystère  que  Jésus-Christ  nous  a  donné  à  entendre  plus 
d'une  fois  dans  le  saint  Évangile,  en  disant  qu'il  n'était  pas  venu 
pour  juger  le  monde  mais  pour  le  sauver.  On  lit  au  iii^  chapitre 
de  l'Évangile  de  S.  Jean  :  <r  Dieu  a  tellement  aimé  le  monde  qu'il 
«  a  donné  son  Fils  unique,  afin  que  quiconque  croit  en  lui  ne  pé- 
«  risse  point,  mais  qu'il  ait  la  vie  éternelle.  Car  Dieu  n'a  pas  envoyé 
«  son  Fils  dans  le  monde  pour  juger  le  monde,  mais  afin  que  le 
«  monde  soit  sauvé  par  lui  *.  » 

Ailleurs,  Jésus-Christ  dit  encore  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  pour 
«  juger  le  monde,  mais  pour  sauver  le  monde  2.  »  Cependant  le 
même  Évangéliste  rapporte  aussi  de  lui  ces  paroles  qui  semblent 
contredire  celles  que  nous  venons  de  citer  :  «  Je  suis  venu  dans  ce 
a  monde  pour  exercer  le  jugement  3.  C'est  maintenant  que  le 
«  monde  est  jugé  ^.  »  Comment  concilier  ces  textes  entre  eux?Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  est  la  vérité  même  ;  il  ne  peut  ni  se  contre- 
dire ni  se  tromper.  Par  sa  première  déclaration,  qu'il  n'est  pas 
venu  pour  juger  mais  pour  sauver  le  monde,  il  nous  fait  connaître 
que  s'il  a  pris  un  corps  et  une  âme  comme  les  nôtres,  s'il  a  voulu 
souffrir  et  mourir,  ce  n'a  pas  été  pour  juger  les  hommes  en  ce  pre- 
mier avènement  ;  il  ne  se  proposait  ni  de  les  punir,  ni  de  les  con- 
damner, ni  d'exercer  contre  eux  les  droits  sacrés  et  rigoureux  de 
sa  justice.  Si  tel  avait  été  son  but,  il  aurait  dû  condamner  et  per- 
dre tous  les  hommes  ;  car  presque  tous  étaient  gravement  coupa- 
bles, et  s'il  se  rencontrait  quelques  justes  parmi  les  descendants 
d'Adam,  ils  ne  l'étaient  que  par  la  vertu  anticipée  de  la  mort  que 
ce  divin  Sauveur  devait  endurer  pour  eux.  Ce  ne  fut  donc  pas 
comme  juge  des  hommes  qu'il  parut  au  milieu  de  nous,  lorsqu'il 

1.  Sic  enini  Deus  dilexit  mundiim  ut  Filiiim  siuim  l'nigenitum  daret;  ut 
omnis  qui  crédit  in  eum,  non  pereat,  sed  liabeat  vitam  {eternam.  Non  enim 
misit  Deus  Filium  suum  ut  judicet  mundum,  sed  ut  salvetur  mundus  per 
Ipsum.  {Jonnn.,  lu,  Ki,  17.) 

2.  Non  veni  ut  judicem  mundum,  sed  ut  salvificem  mundum.  [Joann., 
XII,  -47.) 

3.  In  judicium  ego  in  hune  mundum  veni.  [Joann. ^  i.\,  39.) 
■i,  Nuncjudicium  est  niundi.  (./o«nn.,  xii,  31.) 

LA     SAINTE   EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  30 


466         LA    SAINTE   EDCHARISTIE.  —  II'   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP,   IX. 

naquit  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  ni  lorsqu'il  se  manifesta 
au  monde  par  sa  prédication  et  par  ses  miracles.  Il  venait  comme 
sauveur,  il  voulait  les  sauver  en  souflVant,  en  mourant  pour  eux, 
en  les  délivrant  de  leurs  péchées,  en  leur  donnant  la  grâce. 

Mais  néanmoins  il  venait  juger  le  monde  et  il  pouvait  dire  en 
toute  vérité  :  «  C'est  maintenant  que  le  monde  est  jugé  :  »  Nunc 
judicium  est  mundi.  Il  venait  prononcer  et  exécuter  son  jugement 
en  faveur  des  hommes  contre  les  péchés  sous  le  poids  desquels 
riiumanité  était  comme  écrasée,  contre  les  démons  qui  tenaient  les 
hommes  esclaves  et  courbés  sous  leur  joug  tyrannique  :  «  C'est 
€  maintenant  le  jugement  du  monde,  disait-il  ;  maintenant  le 
«  prince  du  monde  sera  jeté  dehors,  et  moi,  quand  j'aurai  été  élevé 
c  de  terre,  j'attirerai  tout  à  moi.  »  L'élévation  dont  il  parlait,  c'était 
son  crucifiement  ;  c'était  aussi  son  élévation  jusque  dans  les  cieux 
au  jour  de  son  ascension  glorieuse.  Juger  le  monde  ou  plutôt  juger 
entre  le  monde  et  le  démon  qui  l'oppressait,  pour  délivrer  le 
monde  et  briser  la  puissance  et  le  joug  de  Satan,  tel  était  le  juge- 
ment que  le  Fils  de  Dieu  s'était  proposé  de  rendre,  en  paraissant 
parmi  les  hommes  une  première  fois,  et  en  donnant  sa  vie  pour 
eux.  Il  ne  venait  pas  juger  et  condamner  les  hommes  qui  vivaient 
dans  le  monde,  mais  juger  et  condamner  la  corruption  et  le  dé- 
mon, qui  régnaient  en  maîtres  incontestés  dans  l'univers  entier. 

La  présence  de  notre  divin  Sauveur,  ses  enseignements,  ses 
miracles,  les  grùces  intérieures  qui  accompagnaient  ses  paroles  et 
ses  actes,  pour  tous  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  le  voir  et  de 
l'entendre,  opéraient  aussi  une  sorte  de  jugement,  en  séparant  les 
méchants  des  bons.  Ceux  qui  se  convertissaient  à  lui  recevaient  le 
pardon  de  leurs  fautes  ;  le  divin  Juge  prononçait  sur  eux  une 
sentence  de  délivrance  et  de  pardon;  de  plus  il  les  comblait  de  ses 
bienfaits  ;  ceux  au  contraire  qui  se  révoltaient  contre  l'attrait  de 
sa  grâce  et  fermaient  obstinément  les  yeux  à  la  lumière,  afin  de 
continuera  vivre  dans  le  péché,  il  les  laissait  en  proie  à  leur  sens  ré- 
prouvé. Mais  ce  n'était  pas  lui  qui  les  condamnait  :  ils  se  condam- 
naient eux-mêmes  par  leur  obstination. 

Une  autre  marque  du  désir  dont  notre  divin  Juge  est  possédé  de 
prononcer  sur  nous,  quand  le  jour  sera  venu,  une  sentence  favo- 
rable, et  de  ne  trouver  ni  péchés  à  punir  ni  pécheurs  à  condam- 
ner, c'est  que,  en  vertu  de  la  loi  qu'il  nous  a  donnée  lors  de  son 
premier  avènement,  chacun  de  nous  a  le  pouvoir  de  se  juger  soi- 


à 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.       467 

même.  Aussi  longtemps  que  durera  le  monde,  tout  homme  qui, 
pendant  sa  vie,  se  jugera,  reconnaîtra  ses  péchés  et  se  condamnera 
lui-même,  recevra  son  pardon,  s'il  les  confesse  au  prêtre,  minis- 
tre de  Jésus-Christ,  avec  une  véritable  douleur  et  une  volonté  sin- 
cère d'en  faire  pénitence  et  de  ne  les  plus  commettre.  Quiconque  se 
sera  ainsi  jugé  soi-même  et  condamné  n'aura  plus  à  craindre  ni 
le  jugement  ni  la  condamnation  au  dernier  jour. 

Qui  n'admirerait  pas  la  douceur  d'un  tel  jugement,  la  miséri- 
corde ineffable  d'un  tel  juge?  Que  notre  divin  Jésus  montre  bien 
que  son  intention  n'est  pas  de  nous  punir,  mais  de  nous  pardonner  ! 
Non,  ce  n'est  pas  notre  châtiment  qu'il  veut,  mais  notre  salut.  Les 
Juifs  avaient  entendu  ces  paroles  du  prophète  Ézéchiel  :  «  Est-ce 
«  que  je  veux  la  mort  de  l'impie,  dit  le  Seigneur  Dieu,  et  non  pas 
«  qu'il  se  détourne  de  ses  voies  et  qu'il  vive  ^  ?  »  Mais  ils  n'avaient 
pas  été  témoins  de  la  douceur  ineffable  de  Jésus.  Ils  ne  l'avaient 
pas  vu  s'entretenir,  près  du  puits  de  Jacob,  avec  la  Samaritaine  ; 
ils  n'avaient  pas  entendu  de  sa  bouche  adorable  la  parabole  du 
retour  de  l'enfant  prodigue;  ils  n'avaient  pas  admiré  comment  il 
savait  sauvegarder  le  respect  de  la  loi  et  en  même  temps  accorder 
le  pardon  à  la  femme  adultère  ;  ils  ne  savaient  pas  que  de  Made- 
leine la  pécheresse  il  ferait  une  àme  si  pure,  un  cœur  si  brûlant 
de  l'amour  divin,  que  nulle  femme,  dans  le  Saint  Évangile,  ne 
serait  jugée  digne  d'un  éloge  semblable  à  celui  dont  il  récompen- 
sait son  humilité,  sa  pénitence  et  sa  ferveur  ;  ils  ne  l'avaient  pas 
entendu,  enfin,  promettre  à  un  misérable  assassin,  expiant  ses 
crimes  sur  le  bois  infâme  d'une  croix,  qu'il  serait  ce  jour-là  même 
en  possession  des  joies  du  paradis,  parce  qu'un  rayon  de  lumière 
avait  éclairé  cette  grossière  intelligence,  et  que  ce  malheureux 
n'avait  pas  étouffé  un  bon  sentiment  éveillé  dans  son  cœur  par  la 
grâce. 

Nous  qui  connaissons  la  miséricorde  infinie  de  notre  souverain 
Juge,  nous  qui  en  avons  profité  tant  de  fois  déjà,  ne  nous  lassons 
pas  d'y  recourir,  toutes  les  fois  que  nous  en  sentons  le  besoin, 
tandis  qu'il  en  est  temps  encore.  L'apôtre  S.  Jean  écrivait  à  ses 
disciples  :  a  Si  nous  confessons  nos  péchés,  il  est  fidèle  et  juste 
a  pour  nous  remettre  nos  péchés  et  pour  nous  purifier  de  toute  ini- 
«  quité.  »  Et  l'Apôtre  ajoutait  :  «  Si  nous  disons  que  nous  n'avons 

1.  Numquid  vohintatis  mex  est  mors  impii,  dicit  Dominus,  et  non  ut  con- 
vertatur  a  viis  suis,  et  vivat?  (Ezech.,  xviii,  "2'^.) 


468        L.\   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II«  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  IX. 

«  point  péché,  nous  le  faisons  menteur,  et  sa  vérité  n'est  point  en 
«  nous  '.  »  Lors  même  que  nous  ne  nous  sentirions  coupables 
d'aucune  faute,  ne  comptons  pas  sur  une  justice  qui  pourrait  nous 
tromper.  Tout  homme  manque  en  beaucoup  de  choses.  Reconnais- 
sons doni^  que  nous  sommes  pécheurs;  humilions-nous  devant 
notre  juge;  implorons  notre  pardon.  Et  si  nous  sommes  sérieuse- 
ment coupables,  si  même  nous  avons  commis  des  fautes  très 
graves,  écoutons  encore  cet  autre  conseil  que  S.  Jean  nous  donne 
avec  une  tendre  sollicitude  :  <■'  Mes  petits  enfants,  je  vous  écris 
«  ceci  pour  que  vous  ne  péchiez  point.  Cependant,  si  quelqu'un 
o  pèche,  nous  avons  pour  avocat  auprès  du  Père,  Jésus-Christ  le 
«  Juste.  »  Ainsi,  notre  juge  lui-même  se  fait  notre  avocat  :  il  a 
fait  plus,  car  :  «  Il  est  lui-même  propitiation  pour  nos  péchés  ; 
«  non  seulement  pour  les  nôtres,  mais  aussi  pour  ceux  de  tout  le 
«r  monde  -.  » 

Mais  si  la  miséricorde  de  notre  juge  est  infinie,  si  nous  pou- 
vons avoir  en  sa  bonté  une  confiance  absolue,  il  ne  faudrait  pas 
cependant  oublier  les  rigueurs  de  sa  justice,  car  nous  sommes 
faibles;  nos  ennemis,  quoique  vaincus  par  Jésus-Christ,  sont 
encore  puissants,  et  nous  pourrions  tomber. 

S.  Bernard  nous  apprend  que  les  pieds  de  Dieu,  dont  il  est 
parlé  plusieurs  fois  dans  la  Sainte  Écriture,  sont  la  miséricorde 
et  le  jugement.  «  C'est  avec  ces  deux  pieds,  dit-il,  qui  sou- 
«  tenaient  avec  tant  de  proportion  la  tête  de  la  Divinité,  que 
«  l'invisible  Emmanuel,  né  d'une  femme,  né  sous  la  Loi,  a  paru 
'<  sur  la  terre  et  a  conversé  avec  les  hommes.  C'est  encore  avec 
a  ces  pieds  qu'il  passe  parmi  eux,  mais  spirituellement  et  invisi- 
«  blement,  en  leur  faisant  du  bien,  et  en  guérissant  tous  ceux 
«  que  le  diable  tient  dans  l'oppression.  C'est,  dis-je,  avec  eux 
«  qu'il  marche  au  milieu  des  âmes  dévotes,  éclairant  et  pénétrant 
«  sans  cesse  les  cœurs  et  les  reins  des  fidèles. 
«  Heureuse  l'âme  en  qui  le  Seigneur  a  imprimé  ses  deux  pieds. 

1.  Si  confiteamur  peccata  noslra,  fidelis  est  et  justus  ut  remitlat  nobis  pec- 
cata  nostra,  et  emundet  nos  ab  omni  iniquitate.  —  Si  dixerimus  quoniam  non 
peccavimus,  mendacem  facimus  eum  :  et  verbum  ejus  non  est  in  nobis.  (/, 
Joann.,  i,  1),  10.) 

2.  Kilioli  mei,  haec  scribo  vobis  ut  non  peccetis.  Sed  si  quis  peccaverit,  ad- 
vocalum  habemus  apud  Patrem,  Jesum  Christum  justum.  Et  ipse  est  propi- 
tiatio  pro  peccatis  nosiris,  non  pro  noslris  lantuin,  sed  etiam  pro  totius 
miindi.  '/.  Jonnn.,  ii,  \,  2.) 


QUELQUES  MOTIFS  PARTICULIERS  DE  DÉVOTION  ENVERS  l'eUCHARISTIE.      469 

€  Vous  reconnaîtrez  à  deux  marques  celle  qui  a  reçu  cette  faveur, 
«  car  il  est  nécessaire  qu'elle  porte  en  soi  cette  divine  empreinte. 
«  C'est  la  crainte  et  l'espérance.  L'une  représente  l'image  du  ju- 
«  gement,  et  l'autre  celle  de  la  miséricorde.  Aussi  est-ce  avec 
«  beaucoup  de  raison  que  Dieu  honore  de  sa  bienveillance  ceux 
«  qui  le  craignent  et  ceux  qui  espèrent  en  sa  miséricorde,  car  la 
«  crainte  est  le  commencement  de  la  sagesse,  et  l'espérance  en 
Œ  est  le  progrès  ;  la  charité  en  fait  la  perfection.  Cela  étant  ainsi, 
«  il  n'y  a  pas  peu  de  fruit  à  recueillir  du  premier  baiser  qui  se 
«  prend  sur  les  pieds.  Ayez  soin  seulement  de  n'être  privé  de 
«  l'un  ni  de  l'autre  pied.  Si  vous  êtes  vivement  touché  de  vos 
«  péchés  et  de  la  crainte  du  jugement  de  Dieu,  vous  avez  imprimé 
«  vos  lèvres  sur  les  pas  de  la  vérité  et  du  jugement.  Si  vous  tem- 
«  pérez  cette  crainte  et  cette  douleur,  parla  vue  de  la  divine  bonté 
f  et  par  l'espérance  d'en  obtenir  le  pardon,  sachez  que  vous  em- 
«  brassez  le  pied  de  la  miséricorde.  Mais  il  n'est  pas  bon  de 
<i  baiser  l'un  sans  l'autre  :  parce  que  le  souvenir  du  seul  juge- 
«  ment  précipite  dans  l'abîme  du  désespoir,  et  la  pensée  de  la 
«  miséricorde,  dont  on  se  flatte  faussement,  engendre  une  con- 
«  fiance  très  pernicieuse  K  » 

S.  Bernard  ajoute  qu'il  sait,  par  sa  propre  expérience,  combien 
il  est  nécessaire  de  joindre,  dans  le  service  de  Dieu,  la  crainte 

1.  His  duobus  ergo  pedibus  apte  sub  uno  divinitatis  capite  concurrentibus, 
natus  ex  muliere,  factus  sub  lege  invisibilis  Emmanuel,  in  terris  visus  est,  et 
cum  hominibus  conversatus  est.  His  certe  pertransit  et  nunc,  benefaciendo 
et  sanando  omnes  oppresses  a  diabolo,  sed  spiritualiter,  sed  invisibiliter.  His, 
inquam,  pedibus  devotas  perambulat  mentes,  incessanter  lustrans,  scrutans 
que  corda  et  renés  fidelium.... 

Félix  mens,  cui  semel  Dominus  Jésus  utrumque  infixerit  pedem  !  A  duobus 
signis  cognoscite  eam  quae  hujusmodi  est,  qu»  secum  necesse  est  référât  di- 
vinis  impressa  vestigiis.  Ipsa  sunt  Timor  et  Spes  :  ille  judicii,  ista  misericor- 
diae  repraesentans  imaginem.  Merito  beneplacitum  est  Deo  super  timentes 
eum,  et  in  eis  qui  sperant  super  misericordia  ejus  :  cum  timor  initium  sit 
sapientiee,  spes  profectus;  nam  consummatio  sibi  charitas  vindicat.  Quîe  cum 
ita  sint,  non  parvus  fructus  est  in  primo  hoc  osculo,  quod  ad  pedes  accipitur  : 
tantum  curato,  ut  neutro  frauderis  illorum.  Porro  eniin  si  jam  dolore  peccati, 
et  judicii  timoré  compungeris,  veritatis  judiciique  vestigio  labia  impressisti, 
Quod  si  timorem  doloremque  divinée  intuitu  bonitatis,  et  spe  consequendae 
indulgentise  temperas,  ctiam  misericordiaî  pedem  amplecti  te  noveris.  Alio- 
quin  alterum  sine  altero  osculari  non  expedit  :  quia  et  recordatiosolius  judicii 
in  barathrum  desperationis  praecipitat,  et  miscricordiae  fallax  assentatio  pes- 
simam  générât  securitatem.  (S.  Bernard.,  in  Cant.,  serm.  VI,  n.  7  et  8.  —  La 
traduction  est  de  M.  l'abbé  Charpentier,  édit.  Vives.) 


470         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   IX. 

à  l'amour,  selon  renseignement  de  la  Sainte  Écriture  et  des 
Pères. 

Il  y  a  une  crainte  servile  qui  fait  qu'on  évite  d'offenser  Dieu, 
uniquement  parce  qu'on  redoute  les  peines  qui  sont  le  châtiment 
du  péché.  Cette  crainte  n'est  pas  méritoire  devant  Dieu  ;  elle  est 
imparfaite  ;  elle  est  bonne  néanmoins  en  ce  sens  que  plusieurs 
chutes  sont  évitées  à  cause  d'elle;  mais  la  crainte  de  Dieu  que  la 
Sainte  Écriture  recommande  et  que  notre  divin  Jésus  veut  trouver 
en  nous,  est  la  crainte  filiale,  par  laquelle  on  redoute  et  on  fuit  le 
péché,  parce  qu'il  offense  Dieu.  C'est  encore  la  crainte  révéren- 
tielle,  qui  naît  du  profond  respect  dont  on  se  sent  pénétré  à  la 
pensée  de  la  souveraine  majesté  de  Dieu  :  on  redoute  tout  ce  qui 
pourrait  blesser  les  regards  d'un  Dieu  si  grand,  en  même  temps 
que  si  bon  ;  et  cette  crainte  est  agréable  au  Seigneur  comme  celle 
qui  procède  de  l'amour,  avec  laquelle  elle  se  fond  aisément.  La 
crainte  par  laquelle  on  n'aime  pas  la  vertu,  mais  on  redoute  le 
châtiment,  est  une  crainte  d'esclave,  dit  S.  Augustin  *  ;  et  c'est 
cette  crainte  que  chasse  la  charité;  mais  à  son  tour,  la  charité  qui 
chasse  cette  crainte  servile  engendre  une  crainte  chaste  qui  fait 
que  l'on  redouterait  de  pécher,  si  même  le  châtiment  n'existait 
pas.  S.  Augustin  ne  fait  qu'expliquer  les  paroles  du  disciple  bien- 
aimé  :  «  Il  n'y  a  point  de  crainte  dans  la  charité;  mais  la  charité 
«  parfaite  chasse  la  crainte,  parce  que  la  crainte  est  accompagnée 
«  de  peine.  Ainsi  celui  qui  craint  n'est  point  parfait  dans  la  cha- 
«  rite  2,  »  Ajoutons  avec  S.  Augustin  :  Si  sa  crainte  est  une  crainte 
servile  qui  étouffe  l'amour. 

Nous  ne  sommes  pas  plus  parfaits  ni  plus  forts  que  S.  Bernard, 
et  s'il  a  quelquefois  éprouvé  l'utilité,  sinon  la  nécessité  d'exciter 
dans  son  âme  un  vif  sentiment  de  crainte  du  Seigneur,  imitons-le 
lorsque  nous  en  éprouvons  le  besoin,  et  même  sans  attendre  de 
l'éprouver.  Pensons  au  compte  terrible  que  nous  aurons  un  jour 
à  rendre  au  tribunal  de  notre  souverain  juge,  mais  prenons  garde 

1.  Timor  quo  non  virtus  amalur,  sed  pœna  timetur,  servilis  timor  est; 
nique  liic  est  ille  timor,  qui  foras  mittit  charitatem  ;  eademque  charitas  quae 
hune  timorem  foras  mittit,  producit  timorem  castum,  quo  anima  timet  pec- 
care,  quamvis  pœna  non  esset.  (S.  August.  —  Vide  Enarr.  in  Psal.  xxv  et 
passim.) 

2.  Timor  non  est  in  charitate  :  sed  perfecla  charitas  foras  mittit  timorem, 
quoniam  timor  pœnam  habet.  Qui  autem  timet  non  est  perfectus  in  charitate. 
(/.  Jounn.,  IV,  IS.) 


AUTRES   TITRES   DE   JÉSUS   EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  471 

que  cette  crainte  ne  nuise  à  l'amour  sans  bornes,  à  la  confiance 
sans  mesure  que  ce  juge,  qui  est  en  même  temps  le  plus  tendre,  le 
plus  généreux  des  amis  et  des  frères,  s'efforce  de  nous  inspirer. 
Que  notre  crainte  soit  la  crainte  révérentielle,  la  crainte  filiale, 
qu'un  père  vénéré  inspire  à  des  enfants  qui  l'aiment.  Profitons  de 
ce  qu'il  est  encore  notre  Emmanuel,  notre  Jésus,  notre  Dieu  habi- 
tant au  milieu  de  nous,  non  pas  pour  nous  juger,  mais  pour  nous 
sauver.  Vénérons-le,  adorons-le  comme  les  Séraphins  qui  trem- 
blent en  sa  présence,  mais  aimons  à  entourer  son  humble  trône 
Eucharistique  et  à  l'aimer  comme  eux.  Alors,  s'il  se  souvient 
qu'il  est  notre  Juge,  ce  sera  uniquement  pour  prononcer  la  sen- 
tence qui  assurera  notre  éternel  bonheur. 


CHAPITRE  X 

AUTRES  TITRES  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST,  HOMME-DIEU  PRÉSENT 
DANS  L'EUCHARISTIE,  A  NOTRE  DÉVOTION 

I.  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie  est  notre  Pontife  et  la  Victime  de  notre 
sacritice.  —  II.  Il  est  notre  Maître  ou  notre  Docteur.  —  III.  Il  est  notre  Législateur. 
—  IV.  Il  est  l'Époux  de  l'Église  et  des  âmes  pures.  —  V.  11  est  notre  Vie  et  l'ali- 
ment surnaturel  de  nos  âmes. 


I. 

JÉSUS-CHRIST,    PRÉSENT    DANS    L  EUCHARISTIE,    EST    NOTRE    PONTIFE 
ET   LA   VICTIME    DE    NOTRE    SACRIFICE 

Parmi  les  titres  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qu'il  est  utile 
de  méditer  pour  implanter  dans  nos  cœurs  une  forte  et  persévérante 
dévotion  envers  l'adorable  Sacrement  de  nos  autels,  il  convient  de 
rappeler  ceux  de  Pontife  et  de  Victime.  Nous  avons  déjà  traité 
longuement  de  l'adorable  Sacrifice  dans  lequel  le  Seigneur,  prêtre 
et  victime  tout  à  la  fois,  s'offre  lui-même  à  son  Père  céleste,  sous 
les  Espèces  eucharistiques,  parles  mains  de  ses  ministres;  mais 
il  est  nécessaire  d'y  revenir  encore.  Nous  ne  comprendrons  jamais 
assez  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  et  de  glorieux  pour  nous,  dans  la 
possession  d'un  tel  prêtre  et  d'une  telle  victime;  nous  ne  serons 
jamais  pénétrés  d'un  amour  trop  ardent,  d'une  dévotion  trop  pro- 
fonde ou  trop  agissante  pour  celui  qui  demeure  au   milieu  de 


47:2  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —   LIVRE  II.   —  CHAP.   X. 

nous,  afin  d'y  exercer  chaque  jour,  en  notre  faveur,  le  sacerdoce 
suprême  dont  il  fut  investi  par  son  Père. 

Le  prêtre  a  pour  office  d'offrir  à  Dieu  des  prières,  des  dons  et 
des  sacrifices  en  faveur  du  peuple  ;  il  doit,  en  même  temps,  pré- 
senter à  Dieu  les  hommages  et  les  supplications  des  fidèles.  Le 
but  de  cet  auguste  ministère  est  d'apaiser  la  justice  de  Dieu,  irritée 
par  tant  de  péchés  commis  par  les  hommes,  de  satisfaire  pour 
leurs  iniquités  et  d'attirer  sur  eux  les  bienfaits  de  Dieu,  au  lieu 
des  châtiments  qu'ils  ont  encourus.  Le  prêtre  doit  encore  commu- 
niquer au  peuple  les  choses  divines,  enseigner  la  Iparole  de  Dieu, 
déclarer  sa  volonté,  faire  connaître  ses  lois,  ses  Sacrements,  les 
conférer  à  chacun  selon  ses  besoins  et  ses  dispositions.  Tel  est 
l'office  dont  la  grandeur  et  le  poids  épouvanteraient  les  anges 
eux-mêmes,  que  le  prêtre  a  reçu  et  qu'il  doit  remplir. 

La  Sainte  Écriture  témoigne  en  plusieurs  endroits  que  les  fonc- 
tions du  prêtre  sont  bien  celles  que  nous  venons  de  dire.  S.  Paul 
écrivait  aux  Hébreux  :  «  Tout  Pontife  »,  c'est-à-dire  tout  prêtre 
principal  et  supérieur  aux  autres  prêtres,  «  tout  Pontife  pris 
a  d'entre  les  hommes  est  établi  pour  les  hommes,  en  ce  qui 
a  regarde  Dieu,  afin  qu'il  offre  des  dons  et  des  sacrifices  i.  »  Pour- 
quoi ces  dons  et  ces  sacrifices,  sinon  pour  expier  les  péchés, 
apaiser  ainsi  la  colère  de  Dieu  et  attirer  ses  bienfaits?  Le  prophète 
Malachie  avait  dit  :  «  Les  lèvres  du  prêtre  garderont  la  science  et 
«  l'on  recherchera  la  loi  de  sa  bouche,  parce  qu'il  est  l'ange  du 
*  Seigneur  des  armées  2. 

On  sait  avec  quelle  perfection  souveraine  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  le  Prêtre  par  excellence,  de  qui  découle  tout  sacerdoce, 
a  rempli  ces  diverses  fonctions  pendant  sa  vie  mortelle.  Nous 
avons  dit  déjà  qu'il  a  prié  et  qu'il  prie  encore  pour  nous,  en  qua- 
lité de  médiateur.  Il  a  prié  non  seulement  par  la  contemplation  de 
l'essence  divine,  dont  son  humanité  sainte  jouit  dès  l'instant 
même  où  s'accomplit  l'incarnation  du  Verbe,  non  seulement  par 
la  sagesse  et  la  science  infuse  qui  lui  faisait  connaître  toutes  les 
choses  divines  et  dont  son  âme,  plus  vaste  que  le  ciel,  était  toute 
remplie,  mais  il  a  prié  en  demandant  au  Père  éternel  des  grâces 

1.  Omnis  Pontifex  ex  hominibus  assumptus,  pro  hominibus,  constituitur  in 
ils,  quae  sunt  ad  Deum,  ut  offerat  dona  et  sacrificia.  {Ilebr.,  v,  \.) 

2.  Labia  enim  sacerdotis  custodient  scientiam;  et  legem  requirent  ex  ore 
ejus;  quia  angélus  Domini  exercituum  est.  [Malach.,  11,  7.) 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS    EDCHARISTIQDE    A  NOTRE    DÉVOTION.  473 

et  des  dons  pour  les  hommes,  et  pour  sa  sainte  humanité  elle- 
même,  selon  que  l'affirme  S.  Paul  dans  son  Épître  aux  Hébreux  : 
«  Dans  les  jours  de  sa  chair,  ayant  offert  avec  larmes  et  grands 
a  cris  des  prières  et  des  supplications  à  celui  qui  pouvait  le  sauver 
€  de  la  mort,  il  a  été  exaucé  pour  son  humble  respect  *.  »  Que 
pouvait-il  demander  à  son  Père,  lorsqu'il  le  suppliait  de  le  sauver 
de  la  mort,  sinon  de  ressusciter  et  de  glorifier  son  corps  adorable, 
après  qu'il  aurait  accompli,  en  mourant,  l'œuvre  de  notre  rédemp- 
tion? Car  S.  Paul  nous  dit  qu'il  a  été  exaucé,  comme  le  demandait 
son  respect  pour  le  Père,  et  le  respect  que  le  Père  lui  portait  à 
son  tour.  Or,  nous  savons  qu'il  est  mort  sur  la  croix.  Ce  n'était 
donc  pas  de  ne  point  mourir  qu'il  demandait,  mais  de  sortir  victo- 
rieux des  liens  de  la  mort,  après  qu'il  se  serait  livré  à  elle. 

Jésus  priait  donc  pendant  sa  vie  mortelle  ;  il  priait  avec  des 
larmes,  des  soupirs,  des  cris  même,  afin  de  montrer  extérieure- 
ment l'intensité  des  désirs  dont  son  àme  était  embrasée.  Il  prie 
encore  dans  la  gloire  du  ciel.  Il  prie  dans  la  Très  Sainte  Eucha- 
ristie, où  sa  présence  seule  est  une  prière  infiniment  puissante  en 
notre  faveur,  auprès  de  Dieu. 

Mais  pourquoi  Jésus  priait-il  et  prie-t-il  encore?  N'est-il  pas  le 
Dieu  tout-puissant  dont  il  est  dit  :  «  Tout  ce  qu'il  a  voulu,  il  l'a 
fait  :  »  Omnia  quœcumque  voluit  fecit?  —  Aussi  le  souverain 
Prêtre  ne  priait-il  pas  comme  Dieu,  mais  comme  homme,  et 
même  à  ce  titre,  s'il  priait,  c'était  librement  et  sans  aucune  néces- 
sité, mais  pour  la  plus  grande  gloire  de  son  Père,  et  pour  notre 
plus  grand  bien.  Sa  divinité  pouvait  accorder  à  sa  volonté  créée 
tout  ce  qu'elle  aurait  voulu,  sans  même  que  le  désir  en  fût 
exprimé.  Mais  Dieu,  dans  sa  divine  sagesse,  en  ordonna  autre- 
ment. Il  voulut  que  l'humanité  du  Verbe  incarné  priât  pour  le 
salut  du  monde,  pour  ajouter  à  sa  propre  gloire  et  pour  rendre  à 
la  divinité  l'hommage  le  plus  parfait  qu'elle  pût  recevoir  de  la 
part  d'un  esprit  créé.  Jésus-Christ,  en  priant,  rendait  gloire  à  son 
Père;  il  s'humiliait  devant  lui  et  reconnaissait  qu'il  tenait  tout  de 
ce  bien  infini,  de  qui  tout  bien  procède;  il  enseignait  aux  hommes 
le  devoir  et  l'efficacité  de  la  prière  ;  il  nous  sauvait  par  sa  prière, 

1.  In  diebus  carnis  suse,  preces  supplicationesque  ad  eum  qui  possit  illum 
salvum  facere  a  morte,  cuin  clamore  valido,  et  lachrymis  ofterens,  exauditus 
est  pro  sua  reverentia.  {Ilehr.,  v,  7.) 

2.  Ps.  cxm,  3. 


474  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II»  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

en  môme  temps  que  par  ses  mérites,  et  nous  obtenait  des  grâces 
plus  précieuses  et  plus  abondantes,  ajoutant  ainsi  à  la  gloire  de 
notre  rédemption. 

C'est  en  ce  sens  que  le  Psalmiste  met  ces  paroles  sur  les  lèvres 
du  Messie  :  «  Le  Seigneur  m'a  dit  :  Vous  êtes  mon  Fils;  c'est  moi 
«  qui,  aujourd'hui,  vous  ai  engendré.  Demandez-moi  et  je  vous 
«  donnerai  les  nations  en  héritage,  et  en  possession  les  extrémités 
«  de  la  terre  *.  »  Jésus-Christ  est  le  Fils  du  Père,  comme  Dieu, 
parce  qu'il  est  engendré  par  lui  de  toute  éternité;  il  est  aussi  son 
Fils  comme  homme  :  c'est  au  moment  de  l'incarnation  que  le 
Père  éternel  dit  au  Verbe  incarné  :  Ego  hodie  genui  te  :  «  C'est 
«  moi  qui,  aujourd'hui,  vous  ai  engendré.  »  Et  c'est  alors  qu'il^ 
lui  dit  aussi  :  Postula  a  me  :  «  Demandez-moi,  »  et  je  vous  don-; 
nerai  les  nations  en  héritage.  Il  veut  que  l'humanité  du  Verbe 
demande,  qu'elle  prie  :  et  que  demandera-t-elle?  Toutes  les 
nations,  qui  deviendront  son  héritage  par  la  foi,  qui  seront  son 
royaume,  son  peuple,  ses  élus.  Jésus-Christ  a  fait  cette  prière;  il 
l'a  faite  souvent  sans  doute,  mais  il  l'a  faite  surtout  la  veille  de  sa 
Passion,  lorsqu'il  dit  :  «  Père,  l'heure  est  venue  :  mettez  votre  Fils. 
«  en  lumière  :  »  Pater,  venit  hora;  clarifica  Filium  tuum  2. 
Faites  connaître  au  monde  qui  je  suis,  de  telle  sorte  qu'il  ne 
puisse  en  douter,  que  tous  les  hommes  croient  en  moi,  qu'ils 
obéissent  à  mon  Évangile  et  que,  par  ma  Passion  et  ma  mort,  ils^ 
obtiennent  la  vie  éternelle.  Par  cette  prière  que  Jésus-Christ 
adressait  à  son  Père,  en  qualité  de  prêtre,  au  moment  d'offrir  le 
sacrifice  de  son  sang  et  de  sa  vie  sur  la  croix,  il  obtint  pour  les 
hommes  tous  les  secours  qui  leur  sont  nécessaires  pour  arriver  au 
salut,  tous  les  dons,  toutes  les  faveurs,  toutes  les  grâces  qui  les 
aident  à  faire  un  bon  usage  de  leur  liberté  et  à  mériter  le  ciel.  Si 
désormais  les  hommes  se  damnent,  ils  seront  sans  excuse,  car 
rien  ne  leur  manquera  pour  se  sauver. 

A  cette  prière  pour  tous  les  hommes  en  général,  le  divin  Prêtre 
en  ajoute  une  particulière  pour  ceux  qui  seront  fidèles  à  la  grâce 
et  ne  repousseront  pas  les  moyens  de  salut  qu'il  leur  offre.  Mais 
c'est  dans  le  texte  même  de  l'Évangile  de  S.  Jean,  au  chapitre  xvii% 

\.  Dominus  dixitad  me  :  Filius  meus  es  tu;  ego  hodie  genui  te.  Postula  a 
me  et  dabo  tibi  gentes  hœreditatem  tuam,  et  possessionem  tuam  terminos 
terrae.  (/>x.  11,  7,  8.) 

2.  Jounn.,  xvii,  I. 


à 


ADTRES   TITRES   DE  JÉSUS   EDCHARISTIQUE   A   NOTRE   DÉVOTION.  475 

qu'il  faut  lire  cette  admirable  prière,  où  se  révèle  tout  l'amour 
et  toute  la  tendresse  de  Jésus  pour  ceux  qui  se  donnent  à  lui, 
parce  qu'ils  reconnaissent  en  lui  le  Fils  de  Dieu,  vrai  Dieu  lui- 
même  envoyé  par  le  Père.  Il  prie  pour  ceux  qui  ont  déjà  la  foi,  et 
il  demande  pour  eux  l'union  par  la  charité,  parce  que  la  foi  rend 
cette  union  possible.  Pour  ceux  qui  ne  croient  pas  encore,  il 
demande  que  l'union  et  la  foi,  régnant  parmi  les  fidèles,  les  tou- 
chent et  les  convertissent.  Pour  ceux  qu'un  tel  spectacle  ne  fera 
pas  sortir  de  leur  infidélité,  il  demande  qu'ils  aient  au  moins  les 
grâces  qui  leur  sont  nécessaires  pour  croire  et  se  soumettre  aux 
lois  de  l'Évangile. 

Notre  divin  Prêtre,  en  priant  pour  nous,  ne  craint  pas  de  s'iden- 
tifier avec  nous,  et  de  se  présenter  devant  son  Père  comme  l'un  de 
nous,  en  proie  à  toutes  les  misères  humaines  et  chargé  comme 
nous  de  péchés.  C'était  lui  qui  disait,  par  la  bouche  de  David  : 
«  Dieu,  mon  Dieu,  abaissez  vos  regards  sur  moi  ;  pourquoi  m'a- 
c  vez-vous  délaissé?  Les  cris  de  mes  péchés  sont  loin  de  mon 
«  salut  »  ;  c'est-à-dire,  y  sont  un  obstacle  :  Domine  Deus  meuSy 
respice  in  me  :  quare  me  dereliquisti?  Longe  a  salute  mea 
verba  delictorum  meorum  •.  Évidemment,  le  Fils  de  Dieu  fait 
homme  ne  parle  pas  de  péchés  qui  lui  soient  propres,  lui  qui  es 
la  sainteté  même.  Mais  il  a  pris  sur  lui  tous  les  péchés  des 
hommes;  il  s'en  reconnaît  responsable  envers  la  divine  Justice,  et 
il  demande  grâce  pour  lui-même,  afin  de  l'obtenir  pour  nous.  Dans 
un  autre  psaume,  il  dit  encore  :  «  Levez-vous,  Seigneur,  et  sau- 
«  vez-moi  :  »  Exurge,  Domine,  salviim  me  fac  -.  Ce  n'est  pas  pour 
lui-même  qu'il  réclame  ainsi  l'aide  du  Seigneur;  il  n'a  pas  besoin 
d'être  sauvé,  parce  que  nul  mal  ne  le  saurait  atteindre,  mais  c'es 
en  notre  nom  qu'il  parle,  c'est  pour  nous  qu'il  fait  appel  à  la 
toute-puissance  de  Dieu;  il  veut  n'être  avec  nous  qu'une  seule 
personne  morale  :  ce  que  nous  faisons,  il  le  fait;  ce  que  nous 
souffrons,  il  le  souffre.  C'est  dans  le  même  sens  qu'il  disait  à 
Saul,  terrassé  soudain  sur  le  chemin  de  Damas,  par  sa  grâce  et 
l'éclat  de  sa  présence  :  «  Saul,  Saul,  pourquoi  me  persécutes-tu  3?  » 
Saul  poursuivait  les  premiers  disciples  et  voulait  leur  mort  : 
Jésus-Christ  parle  comme  s'il  était  directement  lui-même  l'objet 
de  ces  persécutions.  Ne  doit-il  pas  dire,  au  dernier  jugement,   à 

\.  Ps.  XXI,  I.  —  ±  Ps.  m,  H. 

3.  Saule,  Saule,  quid  me  persequeris?  {Act.,  ix,  i.) 


476  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

ceux  qui  auront  fait  du  bien  aux  hommes  et  à  ceux  qui  leur  auront 
fait  du  mal,  ou  auront  seulement  refusé  d'être  bons  pour  eux  : 
«  Chaque  fois  que  vous  l'avez  fait  à  l'un  de  ces  petits,  qui  sont 
€  mes  frères,  c'est  à  moi  que  vous  l'avez  fait  *  ?»  Et  l'on  peut  dire 
qu'il  y  a  plus  qu'une  union  morale  entre  Jésus-Christ  et  nous, 
tant  sont  énergiques  les  paroles  dont  il  se  sert,  et  dont  S.  Paul 
s'est  servi  après  lui  pour  l'exprimer  :  «  Je  suis  la  vigne  et  vous 
«  êtes  les  branches  2,  »  dit-il  ;  et  S.  Paul  n'hésite  pas  à  dire  : 
€  Vous  êtes  tous  le  corps  du  Christ  3....  Ne  savez-vous  pas  que 
«  vos  corps  sont  membres  du  Christ  4?....  Nous  sommes  les 
a  membres  de  son  corps  5.  »  L'amour  que  Notre-Seigneur  Jésus- 
Clirist  a  pour  nous  est  si  grand  que,  pour  implorer,  en  sa  qualité 
de  Pontife  suprême,  la  miséricorde  de  Dieu  dont  nous  avons 
besoin,  il  s'identifie  avec  nous  et  parle  comme  il  conviendrait  à  un 
pauvre  pécheur,  lui  qui  est  le  Dieu  de  toute  sainteté. 

Que  ne  devons-nous  pas  attendre  d'un  Pontife  qui  nous  aime 
tant  et  qui  intercède  pour  nous  avec  tant  de  ferveur?  Que  ne 
devons-nous  pas  attendre  de  Jésus-Christ,  entre  les  mains  de  qui 
le  Père  a  déposé  tous  les  trésors  de  sa  miséricorde  et  de  sa  muni- 
ficence? Il  nous  aime  sans  mesure  et  il  implore  pour  nous  le  Père 
céleste  :  le  Père  pourra-t-il  refuser  quelque  chose  à  son  Fils,  qui 
regarde  comme  fait  à  lui-même  le  bien  qui  nous  est  fait?  Quelle 
gloire  ne  nous  obtiendra-t-il  pas,  celui  qui  désire  ce  qu'il 
demande  pour  nous,  autant  que  s'il  le  dem'andait  pour  lui-même? 
Et  comment  le  Père  refuserait-il  quelque  chose  à  son  Fils,  qu'il 
aime  d'un  amour  infini,  qu'il  honore  comme  son  égal  et  qui  a 
mérité,  par  ses  travaux,  ses  humiliations,  ses  souffrances  et  sa 
mort,  toutes  les  grâces  qu'il  lui  plaira  de  demander  pour  nous 
dans  les  siècles  des  siècles? 

S.  Paul,  s'adressant  aux  Hébreux,  leur  disait,  pour  les  exciter  à 
la  confiance  :  «  Nous  n'avons  pas  un  Pontife  qui  ne  puisse  com- 
«  patirà  nos  infirmités,  ayant  éprouvé  comme  nous  toutes  sortes 
«  de  tentations,  hors  le  péché.  Allons  donc  avec  confiance  au  trône 
«  de  la  grâce,  afin  d'obtenir  miséricorde,  et  de  trouver  grâce  dans 

1.  Amen  dico  vobis  :  quandiu  fecistis  uni  ex  his  fratribus  mais  minimis, 
mihi  fecistis.  {Matth.,  xxv,  AO,  AU.) 

2.  Ego  sum  vitis,  vos  palmites.  {Joann.,  xv,  ÎJ.) 

3.  Vos  aulem  eslis  corpus  Christi.  (/.  Cor.,  xii,  27.) 

A.  Nescitis  quoniam  corpora  vestra  membra  sunt  Christi?  (/.  Cor.,  vi,  V6.) 
5.  Membra  sumus  corporis  ejus.  {Ephes.,  v,  30.) 


AUTRES   TITRES   DE   JESUS   EUCHARISTIQUE    A    NOTRE   DÉVOTION.  477 

«  un  secours  opportun.  »  Suivons  le  conseil  de  S.  Paul,  appro- 
chons-nous avec  confiance  du  trône  de  miséricorde  de  notre  Pontife. 
Ce  trône  est  au  plus  haut  des  cieux,  à  la  droite  du  trône  même  du 
Père.  Mais  il  est  aussi  sur  la  terre  ;  il  est  dans  nos  églises.  C'est 
le  tabernacle  où  Jésus  demeure  caché  pour  ne  pas  s'éloigner  de 
nous  ;  c'est  la  table  sainte  où  il  se  donne  à  nous  comme  nourriture, 
c'est  le  saint  autel,  où,  Pontife  suprême,  il  offre,  par  le  ministère 
de  ses  prêtres,  un  sacrifice  mystérieux  dont  la  victime  n'est  autre 
que  lui-même. 

Tout  homme,  et  surtout  tout  chrétien,  peut  prier  et  doit  le  faire. 
Si  le  Pontife  en  a  reçu  particulièrement  la  mission,  il  n'est  néan- 
moins pas  seul  à  remplir  ce  devoir  et  à  rendre  cet  hommage  à 
Dieu.  Mais  il  est  un  acte  plus  grand  et  plus  sacré  que  le  prêtre 
peut  seul  accomplir  :  c'est  l'oblation  du  sacrifice.  Les  fidèles  peu- 
vent s'unir  à  lui  d'intention  pendant  l'acte  du  sacrifice,  mais  il 
n'appartient  qu'au  prêtre  d'accomplir  ce  grand  acte  :  c'est  sa  fonc- 
tion propre,  car,  selon  la  parole  de  S.  Paul  :  «  Tout  prêtre  est  éta- 
«  bli  pour  offrir  des  dons  et  des  sacrifices  '.  »  Notre  divin  Prêtre, 
Jésus-Christ,  doit  donc  offrir  à  son  Père  des  dons  et  des  sacrifices  : 
car,  dit  encore  S.  Paul,  «  il  est  nécessaire  que  celui-ci  ait  aussi 
«  quelque  chose  à  offrir  ~.  »  Et  que  pouvait-il  offrir  à  Dieu  en  sa- 
crifice qui  fût  vraiment  digne  de  Dieu,  sinon  lui-même?  Souverain 
prêtre,  il  est  aussi  la  victime  par  excellence,  ou  plutôt  la  seule 
véritable  victime  qui  plaise  à  Dieu,  et  dont  les  oblations  anciennes 
n'étaient  que  de  simples  figures,  destinées  à  préparer  les  hommes 
pour  le  grand  jour  où  serait  offert  le  seul  sacrifice  capable  d'a- 
paiser la  colère  de  Dieu  et  de  procurer  sa  gloire.  «  Le  Christ  nous 
«  a  aimés  et  s'est  livré  lui-même  pour  nous  en  oblation  à  Dieu,  et 
<r  en  hostie  de  suave  odeur  ^.  Il  était  impossible  que  les  péchés 
tt  fussent  effacés  par  le  sang  des  taureaux  et  des  boucs  ;  c'est  pour- 
«  quoi,  en  entrant  dans  le  monde,  il  dit  :  Vous  n'avez  pas  voulu 
«  d'hostie  ni  d'oblation,  mais  vous  m'avez  formé  un  corps.  Les 
«  holocaustes  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu.  Alors  j'ai  dit  : 
«  Me  voici,  je  viens,  comme  il  est  écrit  de  moi  en  tête  du  livre, 

1.  Omnis  enim  Ponlifex  ad  ofierendum  miincra  et  liostias  consliluilur. 
{/le/jr.,  VIII,  3.) 

2.  Unde  necesse  est  et  hiuic  habere  aliquid  qiiod  oflerat.  (/</.,  vm,  3.) 

3.  Christus  dilexit  nos  et  Iradidit  semetipsum  pro  nobis  oblationem  et  hos- 
tiam  Deo  in  odorem  suavitatis.  {Ephes.,  v,  "1.) 


478  L.\    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —     CHAP.  X. 

«  pour  faire,  ô  Dieu,  votre  volonté  ».  »  Ainsi  parlait  l'apôtre 
S.  Paul.  Il  disait  encore,  après  avoir  rappelé  les  purifications 
auxquelles  était  employé  le  sang  des  victimes  de  l'ancienne  Loi  : 
€  Combien  plus  le  sang  du  Christ  qui,  par  l'Esprit  saint,  s'est  offert 
«  lui-iiK'me  à  Dieu,  comme  une  victime  sans  tache,  purifiera-t-il 
«  nos  consciences  des  œuvres  mortes,  pour  servir  le  Dieu  vivant  2?  » 
Et  plus  loin  il  ajoutait  :  «  Jésus-Christ  a  paru  une  seule  fois,  à  la 
€  consommation  des  siècles,  pour  détruire  le  péché,  en  se  faisant 
€  lui-même  victime.  Et  comme  il  est  arrêté  que  les  hommes 
«  meurent  une  fois,  et  qu'ensuite  ils  sont  jugés,  ainsi  le  Christ 
«  s'est  offert  une  fois,  pour  effiicer  les  péchés  d'un  grand  nom- 
€  bre  3.  » 

Notre  divin  Jésus  fut  donc  victime  en  même  temps  que  prêtre, 
lorsqu'il  offrit  au  Père  céleste  le  sacrifice  destiné  à  la  rédemption 
du  monde.  La  dignité  de  la  victime  était  égale  à  celle  de  celui  qui 
l'offrait,  et  le  sacrificateur  n'était  autre  que  le  Fils  de  Dieu  lui- 
même,  semblable  en  tout  à  son  Père.  Le  prophète  Isaïe  vit  en  esprit 
l'accomplissement  de  ce  mystère,  et,  six  siècles  à  l'avance,  il  le 
dépeignit  avec  des  traits  que  les  témoins  du  sacrifice  sanglant  du 
Calvaire  n'eussent  pas  désavoués.  Avec  quel  oubli  de  soi-même, 
avec  quelle  générosité  infinie,  pour  grandir  ses  mérites  en  notre 
faveur,  l'adorable  victime  ne  s'est-elle  pas  livrée,  et  le  souverain 
Prêtre  ne  l'a-t-il  pas  frappée?  Écoulons  le  prophète  :  «  Méprisé  et  le 
€  dernier  des  hommes,  homme  de  douleur  connaissant  l'infirmité  ; 
«  son  visage  était  comme  caciié  et  méprisé,  et  nous  l'avons  compté 
t  pour  rien.  Il  a  vraiment  lui-même  pris  nos  langueurs,  et  il  a  lui- 
«  même  porté  nosdoulcurs,et  nous  l'avons  considéré  comme  un  lé- 
«  preux  frappe  de  Dieu  et  humilié.  Mais  lui-même  il  a  été  blessé  à 
€  cause  de  nos  crimes  ;  le  châtiment  prix  de  notre  paix  est  tombé  sur 

\.  Irnjx)ssibile  enim  est  sanfînine  laurorum  el  hircorum  auferri  peccata. 
Ideo  ingrediens  mundum  dicit  :  Hosliam  et  oblationem  noluisti  :  corpus  au- 
tem  aplasli  mihi.  Holocautomata  pro  peccato  non  tibi  placuerunt.  Tune 
dixi  :  Ecce  venio.  In  capile  libri  scriptuin  est  de  me  :  Ut  faciam,  Deus,  volun- 
tatem  tuam.  (I/ehr.,  \,  A,  7.) 

■2.  Quanto  inagis  sanguis  Christi,  qui  per  Spiritum  sanctunti  semetipsum 
obtulil  imrnaculatum  Ueo,  emundabit  conscientiam  nostram  ab  operibus  mor- 
tuis,  ad  servienduin  Deo  viventi.  (Id.,  ix,  44.) 

3.  Nunc  autem  semel  in  consuminaliono  saîculorum,  ad  destitutionem  pec- 
cati  per  hostiam  suam  app;iruit.  VA  queuiadmodum  statutum  est  bominibus 
semc'l  mori,  iwsl  hoc  aulein  judiciuin  :  sic  el  Christus  semel  oblatus  est  ad 
mullorum  exiiaurienda  peccata.  (Id.,  ix,  i20-28.) 


AUTRES   TITRES    DE   JÉSDS    ECCHARISTIQDE   A  NOTRE    DÉVOTION.  479 

«  lui  ;  et  nous  avons  été  guéris  par  ses  meurtrissures.  Nous  tous 
«  comme  des  brebis  nous  avons  erré  ;  chacun  a  tourné  vers  sa 
€  voie  ;  et  le  Seigneur  a  mis  sur  lui  l'iniquité  de  nous  tous.  Il  a  été 
«  offert  parce  que  lui-même  Ta  voulu,  et  il  n'a  pas  ouvert  sa  bou- 
«  che;  comme  une  brebis  il  sera  conduit  à  la  tuerie,  et  comme  un 
«  agneau  devant  celui  qui  le  tond,  il  sera  muet,  et  n'ouvrira  pas 
«  sa  bouche.  A  la  suite  des  angoisses  et  d'un  jugement,  il  a  été 
«  enlevé  ;  qui  racontera  sa  génération  ?  car  il  a  été  retranché  de  la 
«  terre  des  vivants  ;  à  cause  des  crimes  de  mon  peuple,  je  l'ai 
«  frappé  1.  » 

Voilà  notre  Prêtre  et  notre  Victime  !  Que  rendrons-nous  au  Sei- 
gneur pour  l'immense  bienfait  que  nous  avons  reçu  de  lui?  Que  lui 
rendrons-nous  pour  la  bonté,  pour  l'amour  infini  qu'il  nous  a  té- 
moigné en  se  livrant  ainsi  pour  nous  ? 

Car  c'est  son  amour  pour  les  hommes  qui  a  porté  le  Père  éternel 
à  donner  son  Fils  pour  notre  salut  :  «  Dieu  a  tellement  aimé  le 
«  monde,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique,  afin  que  quiconque  croit 
«  en  lui  ne  périsse  point,  mais  qu'il  ait  la  vie  éternelle,  »  dit  l'apôtre 
S.  Jean  2.  Et  en  nous  donnant  son  Fils,  il  nous  a  communiqué 
les  droits  qui  appartiennent  à  ce  Fils  bien-aimé.  Son  héritage  cé- 
leste est  devenu  notre  héritage,  son  royaume  notre  royaume,  sa 
gloire  notre  gloire;  sa  famille  notre  famille.  Avec  lui  nous  sommes 
enfants  de  Dieu  ;  avec  lui  nous  sommes  enfants  de  Marie.  L'apôtre 
S.  Paul  ne  se  lassait  pas  de  témoigner  à  Dieu  sa  reconnaissance 
pour  de  si  grand  bienfaits.  «  Béni  soit  le  Dieu  et  Père  de  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ,  s'écriait-il,  qui  nous  a  bénis  de  toute 
«  bénédiction  spirituelle,  des  dons  célestes  dans  le  Christ  !  Comme 
a  il  nous  a  élus  en  lui  avant  la  fondation  du  monde,  afin  que  nous 
a  fussions  saints  et  sans  tache,  en  sa  présence  dans  la  charité  ;  qui 
«  nous  a  prédestinés  à  l'adoption  de  ses  enfants  par  Jésus-Christ, 
«  selon  le  dessein  de  sa  volonté  ;  pour  la  louange  de  la  gloire  de  sa 
«  grâce,  dont  il  nous  a  gratifiés  par  son  bien-aimé  Fils,  en  qui 
«  nous  avons  la  rédemption  par  son  sang  et  la  rémission  des  péchés, 

1.  Voir  le  texte  latin  dans  la  Vulgate,  Is.,  lui,  3-8.  —  Nous  rappelons  que,  le 
plus  souvent,  nous  empruntons  nos  traductions  de  la  Sainte  Kcriture  à  la 
Bible  de  M.  l'abbé  Glaire,  la  plus  autorisée  et  la  plus  sûre  des  traductions 
françaises  de  nos  saints  Livres. 

2.  Sic  Deus  dilexit  mundum,  ut  Filium  suum  Unigenitum  daret;  ut  omnis 
qui  crédit  in  cum,  non  pereat,  sed  habeat  vitam  œternam.  {Joann.,  m, 
16.) 


480  LV  SAINTE  EL'CRARISTIE.  —   11"  PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CIIAP.    X. 

«  selon  les  richesses  de  sa  gloire  K  »  Et  si  le  Père  nous  a  tant 
aimés,  qu'il  nous  a  donné  ce  Fils  par  qui  nous  sont  venus  tous  les 
biens;  s"il  nous  a  tant  aimés  qu'il  a  livré  pour  nous  à  la  mort 
Téternel  objet  de  ses  complaisances,  le  Fils,  à  son  tour,  s'est  donné 
librement  pour  nous,  et  c'est  aussi  par  amour  qu'il  l'a  fait.  C'est 
encore  l'apotre  S.  Paul  qui  nous  raflirme.  Aux  Galates  il  écrit,  en 
parlant  du  Seigneur  :  «  Il  m'a  aimé  et  il  s'est  livré  lui-même  pour 
«  moi  -.  »  Aux  Éphésiens  :  «  Il  s'est  livré  lui-même  en  sacrifice 
«  pour  nous  3.  »  Et  ailleurs  :  «  Il  a  aimé  l'Église  et  il  s'est  livré 
c  pour  elle  *.  »  Il  nous  a  aimés  dès  le  premier  instant  de  sa  con- 
ception dans  le  sein  immaculé  de  Marie,  et  dès  cet  instant  il  s'est 
offert  en  victime  pour  l'Église  et  pour  chacun  des  hommes  en  par- 
ticulier. Cette  première  oITrande,  il  l'a  ratifiée  tous  les  jours  de  sa 
vie,  ne  vivant  que  pour  la  gloire  de  son  Père  et  pour  nous,  jus- 
qu'au moment  où  il  accomplit  enfin,  sur  l'autel  de  la  Croix,  le 
sacrifice  pour  lequel  il  avait  pris  un  corps  capable  de  souffrir  et 
de  mourir.  Voilà  comme  il  nous  a  aimés,  et  voilà  comme  il  nous 
aime. 

Si  nous  voulons  la  preuve  que  l'amour  du  Père  éternel  et  de  son 
divin  Fils  pour  nous  est  toujours  le  même,  que  le  Père  nous  donne 
encore  son  Fils  et  que  le  Fils  se  livre  encore  pour  nous,  approchons 
de  l'autel  où  le  prêtre  olVre  chaque  jour  le  sacrifice  eucharistique. 
Jésus-Christ  est  encore  là  ;  le  Père  éternel  nous  le  donne  encore, 
afin  quil  intercède  pour  nous,  qu'il  olVrc  pour  nous  une  oblalion 
sainte  qui  n'est  autre  que  lui-même,  afin  qu'il  s'immole  mystique- 
ment mais  aussi  réellement  qu'il  l'a  fait  autrefois  sur  le  Calvaire, 
quoique  d'une  autre  manière.  Ecoulons  le  saint  Concile  de  Trente  : 
«  Quoique  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dût  une  fois  s'offrir  lui- 
«  même  à  Dieu  son  Père,  en  mourant  sur  l'autel  de  la  Croix,  pour 
«  opérer  la  rédemption  éternelle,  néanmoins,  parce  que  son  sacer- 

i.  Fiencdictus  Deus  et  l'alcr  Doinini  noslri  Jesu  Christl,  qui  elegit  nos  in 
omni  licnedictione  sj)irifu.'ili  in  cœleslihus  in  Christo  :  sicut  elegit  nos  in  ipso 
anle  inundi  constilulionoin,  ut  essemus  sancti,  et  immaculati  in  conspectu 
c'jus  in  cliarilate.  Oui  jtra'deslinavit  nos  in  adoptionein  filiorum,  per  Jesum 
Chrisluin  in  ipsuin,  secunduin  propositum  voluntatis  ejus,  in  laudcm  gloriae 
gratiai  suœ,  in  <|ua  gratificavit  nos  in  diiecio  Filio  suo  :  in  quo  habemus  re- 
deniplionem  per  sanguinem  ejus,  remissionem  peccatorum,  secundum  divi- 
tiasgr.iliae  ejus.  {Ej/ltes.,  i,  ;{-7.) 
2.  Dilexit  me  et  tradidit  semetipsuiu  j)roptcr  me.  {Galal.,  n,  "20.) 
:j.  Tradidit  semetipsum  pro  nobis  oblalionem.  {Ephes.,  v,  2.) 
4.  Dilexit  Ecclesiam  et  semetipsum  tradidit  pro  ea.  {Id.,  v,  25.) 


AUTRES    TITRES    DE  JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  481 

«  doce  ne  devait  pas  être  éteint  par  la  mort,  pour  laisser  à  l'Église, 
«  sa  chère  Épouse,  un  sacrifice  visible,  tel  que  la  nature  des 
«  hommes  le  requérait,  par  lequel  ce  sacrifice  sanglant,  qui  de- 
«  vait  s'accomplir  une  fois  par  la  croix,  fût  représenté,  la  mémoire 
«  en  fût  conservée  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  et  la  vertu  si  salutaire 
«  en  fût  appliquée  pour  la  rémission  des  péchés  que  nous  commet- 
«  tons  tous  les  jours  :  dans  la  dernière  Cène,  la  nuit  même  qu'il 
«  fut  livré,  se  déclarant  Prêtre  établi  pour  l'éternité  selon  l'ordre 
«  de  Melchisédech,  il  offrit  à  Dieu  le  Père  son  corps  et  son  sang, 
«  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin,  et  sous  les  symboles  des 
«  mêmes  choses,  les  donna  à  prendre  à  ses  Apôtres  qu'il  établis- 
«  sait  dès  lors  prêtres  du  Nouveau  Testament;  et  par  ces  paroles  : 
«  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi,  leur  ordonna  à  eux  et  à  leurs 
a  successeurs  de  les  offrir  '.  »  Les  successeurs  des  apôtres,  les  évo- 
ques et  les  prêtres,  obéissent  à  l'ordre  qu'ils  ont  reçu,  ils  offrent 
le  divin  sacrifice  comme  Jésus-Christ  leur  a  enseigné  à  le  faire.  A 
leur  voix  il  descend  du  ciel  et  change  le  pain  et  le  vin  en  sa  propre 
substance.  Il  est  là,  prêtre  suprême  et  victime,  comme  il  était  dans 
le  Cénacle,  comme  il  était  sur  le  Calvaire,  et  c'est  son  amour  pour 
son  Église  et  pour  chacun  de  nous  qui  l'y  appelle.  Heureuse 
l'Église  qui  peut  offrira  Dieu  un  tel  sacrifice  par  le  ministère  d'un 
tel  prêtre!  Heureux  les  fidèles  qui  peuvent  chaque  jour  se  proster- 
ner au  pied  de  l'autel  où  le  Fils  de  Dieu  s'immole  lui-même  réel- 
lement, d'une  manière  non  sanglante,  pour  leur  appliquer  avec 
abondance  les  mérites  du  sacrifice  sanglant  de  la  Croix.  Heureux 
les  ministres  choisis  et  consacrés  par  les  successeurs  des  apôtres, 
pour  monter  au  saint  autel,  et  prononcer,  au  nom  du  Pontife  su- 
prême, les  paroles  par  lesquelles  s'accomplit  le  plus  grand  des 

\.  Is  igitur  Deus  et  Dominus  noster,  etsi  semel  seipsum  in  ara  cruels, 
morte  intercédante,  Deo  Patri  oblaturus  erat,  ut  seternam  illic  redemptionem 
operaretur  :  quia  tamen  per  mortem  sacerdotium  ejus  extinguendum  non 
erat;  in  cœna  novissima,  qua  nocte  tradebatur,  ut  dilectœ  sponsœ  suae  Eccle- 
siae,  visibile,  sicut  natura  liominuin  exigit,  relinqueret  sacrificium  quo  cruen- 
tum  illud,  semel  in  cruce  peragendum  reprsesentaretur  ;  ejusque  memoriara 
In  finemusque  sseculi  permaneret,  atque  illius  salutaris  virtus  in  remisslonem 
eorum  quae  a  nobis  quotidie  committuntur,  peccatorum  applicaretur;  sacer- 
dotem  secundum  ordlnem  Melchisedecli  se  in  ceternum  constitutum  declara- 
vit,  corpus  et  sanguinem  suum  sub  speciebus  panis  et  vini  Deo  Patri  obtulit  ; 
ac  sub  earumdem  rerum  syml)olis  Apostolis,  quos  tune  novi  Testamenti  sacer- 
dotes  constiluebat,  ut  suinerent  tradidit  et  eisdem,  eorumque  in  sacerdotium 
successoribus,  ut  oiïerrent  iJrascipit,  per  ba^c  verba  :  Hoc  facile  in  meam 
commemorationein.  {Concil.  Trident.,  sess.  XXII,  cap.  i.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.   IV.  31 


48:î  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II""  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  X. 

miracles  que  pouvait  inventer  l'amour  d'un  Dieu,  uni  à  son  in- 
finie sagesse  :  «  Ceci  est  mon  corps  ;  ceci  est  mon  sang.  » 

II. 

JÉSLS-CHIUST    l'IlKSENT    DANS    LEUCIIAHISTIE   EST    NOTRE   MAITRE 
OU    NOTRE    DOCTEUR 

Le  Dieu  que  nous  adorons  dans  la  très  sainte  Eucharistie  avait 
été  promis  aux  hommes  par  les  Prophètes,  comme  le  Maître  ou  le 
Docteur  par  excellence,  qui  devait  leur  enseigner  les  voies  du 
salut,  et  dissiper  toutes  les  erreurs.  Le  prophète  Joël  s'écriait,  en 
s'adressant  non  pas  seulement  aux  Juifs,  mais  à  toutes  les  âmes 
désireuses  de  la  vérité  :  «  Et  vous,  fils  de  Sion,  exultez  et  réjouissez- 
«  vous  dans  le  Seigneur  votre  Dieu,  parce  qu'il  vous  a  donné  un  doc- 
€  teur  de  justice  '.  »  Ce  n'est  pas  le  premier  maître  venu,  donnant 
un  enseignement  quelconque  :  c'est  le  docteur  par  excellence,  celui 
qui  lait  connaître  aux  honmies  la  véritable  justice  et  leur  apprend 
à  pratiquer  la  piété  envers  Dieu  et  toutes  les  vertus  que  la  véritable 
justice  embrasse.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne  repousse  pas  ce 
titre  (|ue  lui  donne  le  prophète  ;  au  contraire,  il  dit  à  ses  Apôtres  : 
«  ouon  ne  vous  appelle  point  non  plus  Maîtres,  parce  qu'un  seul 
«  est  votre  Maître,  le  Christ  2.  »  Et  la  veille  de  sa  mort,  dans  les 
dernières  instructions  qu'il  leur  adresse  au  moment  de  se  rendre 
au  jardin  des  Olives,  il  répète  le  même  enseignement  :  «  Vous 
t  m'appelez  Maître  et  Seigneur,  et  vous  dites  bien,  car  je  le  suis  ^.  » 
Il  est  le  seul  et  unique  maître  à  qui  ce  titre  appartienne  dans  toute 
sa  plénitude,  parce  qu'il  possède  seul  l'autorité,  la  science  et  la 
sagesse  absolues. 

Il  fallait  aux  hommes  un  maître  ou  un  docteur  en  rapport  avec 
leur  nature,  un  maître  qu'ils  pussent  voir  de  leurs  propres  yeux  et 
dont  les  paroles  frappassent  leurs  oreilles,  un  maître  qui  demeurât 
au  milieu  d'eux,  s'entretînt  familièrement  avec  eux,  pût  se  mettre 
en  tout  à  leur  portée  :  il  était  donc  nécessaire  que  ce  Maître  fût 
un  homme.  Mais  il  fallait  aussi  que  cet  homme  fût  infaillible, 

\.  Filii  Sion,  exullate  et  Isetamini  in  Domino  Deo  veslro,  quia  dabit  vobis 
Doctorein  Jusliliîe.  {Joël.,  11,  23.) 

2.  Nec  voceinini  inagistri  :  quia  magister  vester  unus  est  Christus.  {Matth., 
xxiii,  10.) 

3,  Vos  vocatis  me  Magister,  et  Domine  :  et  bene  dicitis  :  sum  etenlm. 
{Joann.,  xili,  13.) 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  483 

qu'il  ne  pût  s'égarer,  qu'il  ne  pût  ni  tromper  ni  vouloir  tromper  ; 
afin  que  l'on  suivît  son  enseignement  dans  la  sécurité  la  plus 
parfaite. 

Isaïe  annonçait  au  peuple  juif  que  tel  serait  le  Maître  que  Dieu 
lui  enverrait  ou  plutôt  qu'il  donnerait  à  son  Église  :  «  Le  Sei- 
«  gneur  ne  fera  pas  que  celui  qui  vous  instruit  s'en  aille  loin  de 
«  vous  :  et  vos  yeux  verront  votre  maître.  Et  vos  oreilles  enten- 
«  dront  la  voix  de  celui  qui  derrière  vous  vous  avertira.  Voici  la 
«  voie  ;  marchez-y,  et  ne  vous  détournez  ni  à  droite  ni  à  gauche  K  » 
C'est  bien  ce  que  fait  pour  nous  le  divin  Maître  que  nous  possédons 
au  Très  Saint  Sacrement  de  l'autel.  Il  ne  s'éloigne  pas  de  son 
Église.  Présent  en  tous  lieux  par  sa  divinité,  il  multiplie  la  pré- 
sence de  son  humanité  sainte  et  fait  sa  demeure  dans  nos  taberna- 
cles, pour  être  toujours  au  milieu  de  nous.  Il  est  vrai  que  nous  ne 
le  voyons  pas  de  nos  yeux  comme  l'ont  vu  les  Juifs,  et  que  nous 
ne  l'entendons  pas  de  nos  oreilles;  mais  nous  le  voyons  des  yeux 
de  la  foi  qui,  plus  clairvoyants  que  les  yeux  de  la  chair,  ne  peuvent 
nous  tromper.  Nous  recueillons  ses  enseignements  divins  de  la 
bouche  de  ses  ministres  à  qui  l'Église,  chargée  par  lui  de  conserver 
intacte  et  d'interpréter  sa  divine  parole,  donne  la  mission  de  nous 
les  transmettre.  C'est  ainsi  qu'il  nous  parle  extérieurement,  tandis 
que  par  sa  grâce  il  agit  intérieurement  sur  nos  âmes,  les  éclaire, 
les  excite  au  bien,  les  enrichit  de  ses  dons  et  de  ses  faveurs.  Le 
Christ  qui  est  la  splendeur  du  Père,  le  soleil  de  l'éternelle  vérité, 
se  fait  ainsi  notre  flambeau,  au  milieu  des  ténèbres  de  cette 
vie. 

Car  les  ténèbres,  dont  l'homme  est  naturellement  entouré  ici-bas, 
sont  profondes.  Le  péché  du  premier  homme  a  tout  obscurci  pour 
nous.  Nous  ne  comprenons  plus  rien  de  nous-mêmes  aux  choses 
de  Dieu  ;  nous  ne  comprenons  presque  rien  aux  choses  naturelles 
qui  nous  entourent;  et  si  parfois  brille  pour  nous  un  pâle  rayon  de 
lumière,  au  lieu  d'admirer  la  sagesse  et  la  puissance  du  Créateur, 
c'est  nous-mêmes  que  nous  admirons.  L'orgueil  tourne  en  mal 
pour  nous-mêmes  ce  qui  nous  reste  des  lumières  primitives.  «  Toutes 
«  choses  sont  difficiles  à  comprendre  ;  l'homme  ne  peut  les  expli- 

d.  Et  non  faciet  avolare  a  te  ultra  doctorem  tuum  :  eterunl  oculi  tui  viden- 
tes  praeceptorem  tuum.  Et  aures  tuse  audient  verbum  post  tergum  inonentis  : 
Haec  est  via  ;  ambulate  in  ea  ;  et  non  declinelis  neque  ad  dexteram  neque  ad 
sinistram.  {Is.,xxx,  20,  21.) 


.'»S4  L\   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CllAP.  X. 

.  quer  par  le  discours  ',  »  disait  le  plus  sage  des  rois  et  le  plus 
éclairé  des  hommes,  Salomon.  Dieu  a  livré  le  monde  à  nos  études, 
à  nos  discussions  ^,  mais  quels  que  soient  nos  elTorts  et  nos  dé- 
couvertes, nous  ne  connaîtrons  jamais  ici-bas  qu'une  faible  partie 
des  merveilles  dont  il  a  semé  son  œuvre. 

Comment  donc,  sans  les  enseignements  d'un  Docteur  qui  sait 
toutes  choses  et  qui  ne  peut  pas  vouloir  nous  tromper,  pourrions- 
nous  connaître  l'origine  de  tout  ce  qui  existe,  et,  en  particulier, 
de  cette  ignorance  qui  pèse  sur  nous,  contrairement  à  la  nature 
spirituelle  de  nos  âmes?  Comment  saurions-nous  que  Dieu  nous 
a  créés  et  que  le  péché  d'Adam  nous  a  aveuglés  et  perdus  »?  Com- 
ment connaîtrions-nous  la  véritable  fin  de  l'homme  et  le  moyen 
qui  peut  le  conduire  au  bonheur? 

Quelques  anciens  philosophes,  les  plus  sages  d'entre  les  Gentils, 
ont  semblé  reconnaître  l'existence  d'un  Dieu  unique,  créateur  et 
souverain  maître  de  toutes  choses.  Socrate,  Platon,  Aristote,  Cicé- 
ron  n'ignorèrent  pas  absolument  cette  vérité.  Mais  outre  que  la 
connaissance  tju'ils  en  curent  était  pleine  de  ténèbres  et  d'incer- 
titudes, on  peut  dire  que  ce  n'était  là  qu'un  reste  des  anciennes 
traditions,  que  la  connaissance  qu'ils  eurent,  au  moins  indirecte- 
ment, des  livres  sacrés  de  la  nation  juive,  raviva  pour  eux.  Et 
cette  connaissance  telle  quelle  de  l'existence  de  Dieu  demeura  tou- 
jours pour  eux  à  l'état  de  pure  théorie,  sans  qu'ils  songeassent 
même  à  en  tirer  quelque  conséquence  pratique.  Aussi,  S.  Paul 
dit-il,  en  parlant  d'eux  :  «  Ils  sont  inexcusables  parce  que,  ayant 
€  connu  Dieu,  ils  ne  l'ont  point  glorifié  comme  Dieu,  ou  ne  lui 
€  ont  f>as  rendu  grâces  ;  mais  ils  se  sont  perdus  dans  leurs  pensées, 
«  et  leur  co'ur  insensé  a  été  obscurci.  Ainsi,  en  disaùt  qu'ils  étaient 
c  sages,  ils  sont  devenus  fous  ''.  »  Et  l'Apôtre  énumère  quelques- 


1.  CunctîE  rei  difficiles;  non  potest  cas  homo  explicare  sermone.  {Eccles., 

I.  «.) 

2.  Dcus  mundum  tradidit  disputationibus  eorum.  {Id.,  m,  M.) 

3.  Quod  ad  jtriimin  nriginem  pertinet,  omnein  inortalium  progeniem  fuisse 
correctam  ac  dainnalain,  hiv.c  ipsa  vita  si  vita  dicenda  esl,  lot  et  tantis  malis 
plena  leslatur.  Quid  enim  aliud  indicat  horrenda  quœdam  profunditas  igno- 
rantiae,  ex  qiia  omnis  error  existit,  qui  nuines  filios  Adam  lenebroso  quodam 
sinu  suscipit,  ut  liomo  ab  illo  liberari  sino  labore,  dolore,  timoré  non  possit  ? 
(S.  Al<;ust.,  de  Civitatc  J)ei,  lib.  XXII,  cap.  xxii.  —  Vide  etiam  S.  Thom., 
contra  Gentes,  lib.  IV,  cap.  LU.) 

i.  Itaul  sint  inexcusabiles,  quia  cum  cognovissent  Deum,  non  sicut  Deum 
glorificaverunt,  aut  gratias  egerunt  :  sed  evanuerunl  in  cogilationibus  suis. 


ADTRES   TITRES   DE  JÉSUS  EOCHARISTIQUE   A   NOTRE   DÉVOTION.  485 

unes  des  abominations  dans  lesquelles  ces  sages,  ces  moralistes  de 
l'antiquité  païenne  se  plongeaient  ignominieusement  ^ 

Mais  Dieu  n'avait  pas  abandonné  la  nature  humaine  et,  même 
avant  la  venue  du  Verbe  divin  sur  la  terre,  quelques  rayons  de  la 
lumière  qu'il  devait  apporter  aux  hommes  avaient  été  communi- 
qués au  peuple  choisi,  par  les  prophètes.  C'était  déjà  notre  Docteur 
qui  parlait  par  leur  bouche  et  qui  leur  dictait  les  enseignements 
que  leurs  écrits  nous  ont  gardés.  Aussi  le  grand  Apôtre  adressait-il 
ces  sages  conseils  à  son  disciple  Timothée  :  «  Pour  toi,  demeure 
«  ferme  dans  ce  que  tu  as  appris  et  qui  t'a  été  confié,  sachant  de  qui 
«  tu  l'as  appris,  et  que  dès  l'enfance  tu  as  connu  les  saintes  lettres 
«  qui  peuvent  t'instruire  pour  le  salut  par  la  foi  qui  est  en  Jésus- 
«  Christ.  Toute  écriture  divinement  inspirée  est  utile  pour  ensei- 
«  gner,  pour  reprendre,  pour  corriger,  pour  former  à  la  justice, 
«  afin  que  l'homme  de  Dieu  soit  parfait  et  préparé  à  toute  bonne 
«  œuvre  ~.  »  Aux  livres  de  l'Ancien  Testament  dont  parlait  princi- 
palement l'Apôtre,  dans  son  Épître  à  Timothée,  se  sont  ajoutés 
les  saints  Évangiles,  les  Actes,  les  Épîtres  canoniques,  l'Apoca- 
lypse. Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  après  avoir  parlé  aux  hommes 
en  mille  manières  par  les  prophètes,  a  daigné  venir  leur  enseigner 
de  sa  propre  bouche  les  vérités  du  salut.  Ses  divines  paroles  ont 
été  recueillies,  et  la  sainte  Église  est  chargée  de  conserver  inal- 
térable ce  précieux  trésor  et  de  le  communiquer  aux  hommes. 
Désormais  la  lumière  brille  à  tous  les  yeux.  Elle  fait  plus  que  pro- 
curer à  l'intelligence  une  satisfaction  en  rapport  avec  sa  nature, 
elle  enseigne  à  tous,  quels  que  soient  leur  âge,  leur  sexe,  leur 
condition  dans  le  monde,  ce  qui  peut  leur  procurer  la  paix  dès  ici- 
bas  et  les  conduire  à  la  véritable  vie  ;  elle  les  presse  de  suivre  la 

et  obscuratum  est  insipiens  cor  eorum.  Dicentes  enim  seesse  sapientes,  stulti 
facti  sunt.  {Hom.,  \,  !20-22.) 

\.  Propterquod  tradidit  illos  Deus  in  desideria  cordis  eorum..  in  immundi- 
tiam  :  ut  contumeliis  afficiant  corpora  sua  in  semetipsis....  Propterea  tradidit 
illos  Deus  in  passiones  ignominias.  Nam  femina;  eorum  immutaverunt  natu- 
ralem  usum,  in  eum  usum  quod  est  contra  naturam.  Similiter  autem  et  mas- 
culi,  relicto  naturali  usu  feminae,  exarserunt  in  desideriis  suis  in  invicem,  etc. 
{Hom.,  1,  n,  26,  27.) 

2.  Tu  vero  permane  in  iis  quse  didicisti  et  crédita  sunt  tibi  sciens  a  quo 
didiceris  :  et  quia  ab  infantia  sacras  litteras  nosti  qucT  te  possunt  instruere  ad 
salutem  per  fidem  quaj  est  in  Christo  Jesu. 

Oranis  scriptura  divinitus  inspirata,  utilis  est  ad  docendum,  ad  arguendum, 
ad  corripiendum,  ad  erudiendum  in  justitia  :  ut  perfectus  sit  homo  Dei,  ad 
omne  opus  bonum  instructus.  (//.  Tim.,  m.) 


486  U  SALNTl   EUCHARISTIE.  —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  II,  —  CHAP.  X. 

voie  droite,  et  leur  montre  les  abîmes  dans  lesquels  ils  pourraient 
se  perdre,  afin  de  les  en  détourner.  On  lit  dans  Isaïe  :  «  Voici  ce 
«  que  dit  le  Seigneur  ton  Rédempteur,  le  saint  d'Israël  :  Moi  le 
«  Seigneur  ton  Dieu,  je  t'enseigne  des  choses  utiles,  je  te  dirige 
«  dans  la  voie  par  laquelle  tu  marches.  Oh!  si  tu  avais  été  attentif 
«  à  mes  commandements,  ta  paix  aurait  été  comme  un  fleuve,  et 
«  ta  justice  comme  les  Ilots  de  la  mer  M  *  Si  les  enseignements 
donnés  i>ar  la  bouche  des  prophètes  devaient  produire,  avec  une 
telle  abonilance,  les  fruits  les  plus  précieux,  quels  fruits  ne  pro- 
duira pas  chez  les  hommes  de  bonne  volonté  la  parole  que  le  Sei- 
gneur lui-même  est  venu  nous  annoncer  de  sa  propre  bouche  et 
confirmer  par  ses  miracles  et  ses  exemples? 

Notre  divm  Docteur  nous  parle  avec  une  simplicité  accessible  à 
tous,  et  en  même  temps  avec  une  profondeur  qui  laissera  toujours 
aux  plus  sagesde  nouvelles  merveilles  à  découvrir.  Il  ne  recherche 
pas  les  elTets  de  l'éloquence  humaine;  cependant  rien  n'égale  celle 
de  ses  moindres  discours.  On  sent,  lorsqu'il  parle,  que  c'est  Dieu  qui 
s'adresse  aux  hommes etqui  veut  être  comprisdes  hommes.  S.  Au- 
jfustin  ne  se  lasse  pas  d'admirer  les  beautés  et  les  richesses  des 
discours  de  notre  divin  Jésus,  qui  daigne  nous  parler  comme  un 
ami  à  ses  amis  -, 

On  ne  peut  lire  ni  méditer  la  Sainte  Écriture  sans  éprouver  une 

i.  Hœc  dicit  Dominus  redemptor  tuns,  sanctus  Israël  :  Ego  Dominus  Deus 
tuus,  doo'ns  le  ulilia,  gubernans  to  iii  via,  qua  ambulas.  Utinam  attendisses 
mandaUi  mca.  Kacta  fuissot  sicut  llumen  pax  tua,  et  justitia  tua  sicul  gurgites 
maris,  (/s.,  xLvm,  17,  IK.) 

2.  Modus  ipse  dicendi,  (|Uo  sancta  Scriptura  contexitur,  quam  omnibus 
accessibilis,  quamvis  jiaucissiniis  penctrabilis,  ea,  quai  aperla  continel  quasi 
ainicus  fainiliaris,  sine  fuco  ad  cor  loquitur  indoctorum  atque  doctoruin.  Ea 
vero  quœ  in  inysleriis  occultât,  nec  ipso  oloquio  superbo  erigit,  quo  non  au- 
deat  arcedere  mens  tardiuscula  et  inerudila,  quasi  pauper  ad  divilem,  sed  in- 
vitât omnes  huinili  scrmone,  quos  non  solum  manifesta  pascat,  sed  eliam  sé- 
créta exercent  veritate,  hoc  in  promptis  quod  in  reconditis  liabens.  Sed  ne 
aperta  fastidirentur,  eadem  rursus  operta  desiderantur,  desiderata  quodam- 
modo  desiderantur,  renovata  suaviter  intiinantur.  His  salubriter  et  prava 
corrijrunlur,  et  parva  nutriuntur,  et  magna  oblectantur  ingénia.  (S.  August,, 
Epist.  II  ad  Volusianum.) 

rbi  authores  nostros,  quorum  scripla  divinitus  inspirata  canonem  nobis 
saluberrima  autlioritatc  fecerunl,  intelligo,  non  solum  nihil  eis  sapientius, 
verum  etiam  niliil  eloffuentius  milii  videri  potest.  Sicut  est  enim  quœdam  elo- 
quentia.quaemagis  a;tatem  juvenilem  decet,  est,  qufe  senilem,  nec  jam  dicenda 
est  eioquenlia,  si  personae  non  congruat  eloquentis:  ita  est  qua^dam,  quae 
viros  summa  auctoritate  dignissimos,  planeque  divinos  decet.  Hac  illi  locuti 
sont:  nec  ipsis  decet  alia,  nec  alios  ipsa.  (lu.,  de  Doctrina  christiana,  Vih.  IV.) 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS   EUCHARISTIQUE   A    NOTRE   DÉVOTION.  487 

douceur,  une  suavité  intérieure  qui  montre  bien  son  origine  cé- 
leste. Tout  en  elle  excite  à  la  pratique  de  la  vertu.  Elle  est  la  nour- 
riture de  l'àme;  elle  subvient  à  son  indigence;  elle  guérit  son 
infirmité,  fortifie  sa  faiblesse,  éloigne  une  tristesse  dangereuse, 
inspire  la  joie  et  conduit  à  la  perfection,  dit  S.  Denys  l'Aréopa- 
gite  ^  L'univers  que  Dieu  a  tiré  du  néant  est  un  livre  merveil- 
leux :  par  Tordre,  par  la  beauté,  la  variété  et  l'utilité  qu'on  y 
admire,  il  révèle  la  puissance,  la  sagesse  et  la  bonté  de  celui  qui 
l'a  créé  et  qui  le  gouverne.  David  ne  pouvait  le  considérer  sans  être 
touché  d'une  émotion  profonde,  parce  qu'il  y  reconnaissait  par- 
tout la  main  et  la  bonté  de  Dieu.  Il  s'écriait  :  «  Vous  m'avez  ré- 
a  joui,  Seigneur,  par  ce  que  vous  avez  fait,  et  à  la  vue  des  œuvres 
«  de  vos  mains,  je  tressaillirai.  Que  vos  œuvres  sont  magnifiques, 
«  Seigneur!  Vos  pensées  sont  infiniment  profondes  -.  »  Mais  la 
Sainte  Écriture  que  Dieu  a  dictée  lui-même  est  un  livre  incompa- 
rablement plus  admirable  encore.  Ce  livre  ne  nous  enseigne  pas 
seulement  des  vérités  que  l'intelligence  humaine  peut  atteindre  par 
ses  forces  naturelles.  Il  nous  révèle  des  mystères  qu'il  n'appartient 
qu'à  Dieu  seul  de  faire  connaître  aux  hommes;  il  ouvre  à  nos  re- 
gards des  trésors  infinis  de  puissance,  de  sagesse,  de  bonté  que  le 
spectacle  de  l'univers,  malgré  toute  sa  magnificence,  ne  pouvait 
faire  soupçonner  ;  il  nous  enseigne  une  perfection,  nous  procure 
des  consolations  et  nous  conduit  à  un  bonheur  que,  sans  une  révé- 
lation divine,  l'homme  ne  pourrait  ni  connaître  ni  atteindre.  Sau- 
rions-nous, sans  les  enseignements  de  notre  divin  Docteur,  relatés 
dans  ce  livre,  qu'il  y  a  en  Dieu  trois  personnes,  que  le  Fils  de 
Dieu  s'est  fait  homme  pour  nous,  qu'il  est  mort  sur  la  croix  pour 
nous  racheter  de  la  mort  et  de  la  damnation  éternelle?  Saurions- 
nous  qu'il  nous  a  aimés  jusqu'à  se  voiler  sous  les  espèces  Eucharis- 
tiques, afin  de  demeurer  sans  cesse  corporellement  au  milieu  de 
nous,  de  se  sacrifier  pour  nous,  et  de  nous  donner  sa  propre  chair 
et  son  propre  sang  pour  être  les  aliments  de  nos  âmes'.''  Il  est  là, 
cet  adorable  Maître,  dans  son  sacrement  d'amour  ;  de  l'autel  et  du 
tabernacle,  il  veille  sur  nous  ;  il  ne  tombe  pas  un  cheveu  de  notre 

1.  Sacra  scriptura  cibus  est  animœ,  indi^^enliœ,  infirmitatis  et  imbeoillitatis 
curatrix,  Iristitice  expultrix,  ethelitiœ  ac  perfectionis  suppeditalrix.  (S.  Dionys. 
Areop.,  Eftist.  ad  TU.) 

2.  Quia  deleclasli  me,  Domine,  in  factura  tua  ;  et  in  operibus  manuum  tua- 
rum  exultabo.  Quam  luagnificata  sunt  opéra  tua,  Domine  !  Nimis  profundœ 
factœ  sunt  cogitaliones  tuae.  [Ps.  xci,  î>.  G.) 


488  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II*"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

icic  sans  sa  |)erinission,  et  il  nous  dit  :  «  Quand  bien  même  une 
«  mère  pourrait  oublier  le  fruit  de  ses  entrailles,  moi  je  ne  vous 
€  oublierai  jamais  *.  » 

N'est-ce  pas  encore  dans  le  livre  sacré  que  nous  tenons  de  notre 
Maître  que  le  pardon  des  péchés  est  promis  à  ceux  qui  se  repen- 
tent, que  la  promesse  nous  est  faite  de  voir  exaucer  nos  prières; 
que  le  titre  d'enfants  adoptifs  de  Dieu  nous  est  oflert;  que  nous 
trouvons  les  plus  puissants  motifs  d'attendre  avec  une  espérance 
inébranlable  le  bonheur  éternel  préparé  pour  nous,  à  la  condition 
de  servir  fidèlement  un  si  bon  Maître? 

La  docti-ine  que  le  Kils  de  Dieu  nous  a  révélée,  d'abord  par  les 
anges  et  par  les  prophètes,  puis  par  sa  propre  bouche  lorsqu'il  se 
montra  parmi  nous  revêtu  de  notre  nature,  enfin  par  le  minis- 
tère de  ses  apôtres  et  île  son  Église,  est  telle  que  sa  majesté,  sa 
dignité,  sa  perfection,  sa  grâce,  sa  beauté,  sa  suavité  incompara- 
bles, ne  laissent  aucun  doute  sur  sa  céleste  origine.  On  reconnaît 
tout  d'abord  que  c'est  Dieu  qui  parle,   à  l'autorité  absolue  avec 
laquelle  elle  se  prosente.  Ne  cherchez  pas  dans  la  Sainte  Écriture 
de  preuves  et  d'arguments  péniblement  rassemblés  pour  démon- 
trer la  vérité  de  la  doctrine  enseignée.  Celui  qui  parle  dans  ces 
pages  sacrées  n'a  pas  besoin  de  recourir  à  de  tels  moyens,  parce 
qu'il  est  la  vérité  même,  et  qu'il  n'y  a  rien  de  commun  entre  lui 
et  l'erreur.  Il  déclare  ce  qu'il  faut  croire  ou  ce  qu'il  faut  faire,  et 
c'est  assez  :  .son  autorité  suprême  ne  souffre  pas  de  discussion  ni 
n'a  besoin  de  s'appuyer  sur  aucune  preuve.  L'esprit  humain  qui 
sait  que  Dieu  parle  n'en  demande  pas  davantage,  s'il  n'est  pas  aveu- 
glé par  l'orgueil  ;  il  croit  et  sa  volonté  se  soumet.  Sans  doute,  nous 
avons  besoin  d'être  certains  d'abord  que  c'est  la  parole  de  Dieu 
qui  nous  est  communiquée,  mais  lorsque  cette  certitude  nous  est 
acquise,  lorsque  Dieu  a  montré,  comme  il  l'a  fait  par  ses  miracles 
et  mille  autres  moyens,  que  la  parole  de  nos  Livres  Saints  est  bien 
sa  propre  parole,  il  serait  injurieux  pour  lui  et  indigne  de  nous 
d'attendre  qu'il  s'abaisse  à  raisonner  comme  un  homme  pourrait 
le  faire,  pour  faire  admettre  ce  qu'il  enseigne,  et  réfuter  quelques 
vaines  objections.  Il  parle  en  maître;   il   parle  comme  l'auteur 
même  de  la  vérité. 
N'est-ce  pas  bien  ce  caractère  d'autorité  suprême  et  indiscutable 

1.  Numquid  oblivisci  potest  mulier  infanlem  siium,  ut  non  misereatur  filio 
uleri  sui?  Kl  ni  illa  oblita  fuerit,  ego  tainen  non  obliviscar  tui.  {Is.,  xLi,  il).) 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  489 

que  l'on  reconnaît,  par  exemple,  lorsque  du  haut  de  la  montagne 
de  Sinaï,  le  Seigneur  donne  sa  loi  au  peuple  d'Israël?  Il  lui  dit  qui 
il  est;  il  lui  rappelle  ses  miracles,  et  dicte  ses  volontés  :  «  Je  suis 
«  le  Seigneur  ton  Dieu,  qui  t'ai  fait  sortir  de  la  terre  d'Egypte,  de 
«  la  maison  de  servitude.  Tu  n'auras  point  de  dieux  étrangers  de- 
«  vant  moi....  Tu  ne  les  adoreras  point  ni  ne  les  honoreras  :  car 
«  c'est  moi  qui  suis  le  Seigneur  ton  Dieu,  fort,  jaloux,  visitant 
«  l'iniquité  des  pères  dans  les  enfants,  jusqu'à  la  troisième  et  la 
<f  quatrième  génération,  de  ceux  qui  me  haïssent,  et  faisant  misé- 
«  ricorde  des  milliers  de  fois  à  ceux  qui  m'aiment  et  gardent  mes 
«  préceptes.  Tune  prendras  point  le  nom  du  Seigneur  ton  Dieu  en 
a  vain  S  etc.  »  Peut-on  lire  ces  paroles  et  pouvait-on  les  entendre 
sans  comprendre  aussitôt  que  celui  qui  parlait  ainsi  était  bien  le 
Maître  et  que  ses  enseignements,  aussi  bien  que  ses  ordres,  étaient 
indiscutables? 

Écoutez  maintenant,  non  plus  un  ange  parlant  au  nom  du  Sei- 
gneur, mais  le  Seigneur  lui  même  s'adressant  directement  à  la 
foule  qui  l'entourait  et,  en  elle,  à  toutes  les  générations  de  tous  les 
peuples  qui  doivent  se  succéder  dans  l'univers,  jusqu'à  la  consom- 
mation des  siècles  :  «  Bienheureux  les  pauvres  d'esprit,  parce  que 
«  le  royaume  des  cieux  leur  appartient.  Bienheureux  ceux  qui  sont 
«  doux,  parce  qu'ils  posséderont  la  terre.  Bienheureux  ceux  qui 
«  pleurent,  parce  qu'ils  seront  consolés  2  »,  et  toute  la  suite  de  cet 
admirable  discours  prononcé  sur  la  montagne.  Jésus-Christ  donne 
un  résumé  de  sa  doctrine  qui  embrasse  tout  l'ensemble  de  la  mo- 
rale qu'il  vient  annoncer  au  monde.  Il  pose  des  principes  et  pro- 
cède par  affirmations.  Toutes  les  maximes  reçues  jusque-là  dans  le 
monde,  même  chez  les  philosophes  qui  faisaient  parade  de  vertu, 
sont  mises  à  néant,  sans  que  celui  qui  prononce  leur  condamna- 
tion en  énonce  les  motifs.  Bienheureux  les  pauvres,  bienheureux 
ceux  qui  souffrent,  bienheureux  les  cœurs  purs.  Pourquoi  bien- 
heureux? parce  qu'ils  posséderont  le  royaume  du  ciel,  parce  que 
Dieu  lui-même  sera  leur  récompense.  Et  ce  qu'il  y  a  de  plus  mer- 

I.  Ego  sum  Dominus  Deus  tuus  qui  eduxi  te  de  terra  /Egj-pti,  de  domoser- 
vitutis.  Non  habebis  deos  aliènes  coram  me....  Non  adorabis  ea,  neque  coles. 
Ego  sum  Dominus  Deus  tuus  fortis,  zelotes,  visitans  iniquitatem  patrum  in 
filios,  in  tertiam  etquartam  generationem  eorum  qui  oderunt  me  :  et  faciens 
misericordiam  in  millia,  his  qui  diligunt  me,  et  custodiunt  prsecepla  mea. 
Non  assumes  nomen  Domini  Dei  tui  in  vanum,  etc.  (Exod.,  xx,  2,  3,  5,  6.) 

!2.  Beati  pauperes  spiritu,  etc.  [Malth.,  v,  3  et  seq.) 


490  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

veilleux  encore  que  celle  forme  autoritaire  de  l'enseignement  du 
divin  Maître,  c'est  que  cet  enseignement  est  accepté  par  l'univers 
entier  et  qu'il  transforme  le  monde.  Ses  disciples  iront,  répandant 
partout  sa  doctrine  :  sans  doute,  ils  montreront  combien  elle  est 
belle,  utile  aux  hommes  et  raisonnal»le,  quoique  supérieure  à  la 
raison  humaine  ;  mais  la  grande  ou  plutôt  l'unique  preuve  qu'ils 
donneront  de  la  vérité  de  leur  enseignement  sera  toujours  que  c'est 
l'enseignement  de  Jésus-Christ  lui-même,  dont  leurs  miracles  et 
leurs  vertus  feront  éclater  la  divinité  i. 

Un  autre  caractère  de  la  parole  de  notre  divin  Maître  est  que 
toujours  elle  a  pour  but  de  rendre  les  hommes  meilleurs  et  de  les 
sanctifier.  Non  seulement  elle  se  propose  ce  but  si  élevé,  mais  elle 
l'atteint.  La  parole  purement  humaine  renferme  souvent  de  bonnes 
ciioses  mêlées  à  d'autres  qui  ne  le  sont  pas;  quelquefois  elle  peut 
se  proposer  de  rendre  les  hommes  vertueux,  mais  son  impuissance 
pour  le  faire  même,  ce  qui  est  très  rare,  lorsqu'elle  poursuit  réel- 
lement l'e  but,  éclate  à  tous  les  yeux.  Platon  avoue  qu'aucun  des 
orateurs  de  son  temps,  qui  s'exerçaient  à  prêcher  la  morale,  n'a- 
vait amené  les  hommes  vicieux  à  devenir  bons,  ni  les  bons  à  de- 
venir meilleurs.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  la  doctrine  enseignée  par 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  l'univers  entier  a  été  transformé 
par  elle  ;  cha(|ue  siècle,  depuis  qu'elle  éclaire  le  monde,  a  vu  pa- 
raître d'innombrables  légions  de  saints,  et  qui  peut  dire  les  mil- 
lions (le  martyrs  dont  le  sang  a  rendu  et  rend  encore  témoignage 
à  la  vérité,  à  l'utilité,  à  la  sainteté  de  cette  doctrine  sacrée? 

Quelles  actions  de  grâces  ne  devons-nous  pas  à  notre  adorable 
Jésus  qui  a  daigné  se  faire  ainsi  notre  Maître?  Dans  sa  parole,  que 
les  Évangélistes  et  les  Apôtres  nous  ont  conservée,  nous  trouvons 
tout  ce  qui  peut  nous  conduire  au  bonheur  véritable,  et  nous  y 
apprenons  aussi  les  dangers  qu'il  faut  éviter,  les  erreurs  qu'il  faut 
fuir.  «  Il  n'y  a  pas  une  seule  syllabe,  pas  un  accent  dans  les  lettres 
«  sacrées,  dit  S.  Jean  Chrysostome,  qui  ne  renferme  un  trésor  de 
«  grand  prix.  Nous  avons  donc  besoin,  pour  étudier  la  parole  sainte, 

i.  In  hoc  maxime  potestas  divina  in  Cliristo  monstrata  est,  quod  discipulis 
suis  lantam  virlutem  conlulerit  in  docendo,  ut  génies,  qufe  nihil  de  Christo 
audjerant,  convfrlerentad  ipsurn.  Potestas  autem  Christi  attenditur,  et  quan- 
tum ad  iniracula,  per  qua;  docirinam  suam  confirmabat,  et  quantum  ad  effi- 
caciam  persuadendi,  et  quantum  ad  auUioritatem  loquentis,  (juia  loqueba- 
tur,  quasi  dominium  habens  supra  legem.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  xLii,  art.  i, 
ad  2.) 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS   EUCHARISTIQUE   A   NOTRE    DÉVOTION.  491 

«  d'être  assistés  de  la  gràcedivine,et  éclairés  par  le  Saint-Esprit  i.» 
S.  Augustin  dit  à  son  tour  :  «  De  tout  ce  que  Thomine  peut  ap- 
«  prendre,  ce  qui  est  nuisible  est  condamné  par  la  Sainte  Écri- 
«  ture  :  ce  qui  est  utile  s'y  trouve  renfermé.  Et  parce  que  chacun 
«  peut  trouver  là  tout  ce  qu'il  a  pu  apprendre  d'utile  ailleurs,  il 
«  l'y  trouvera  en  plus  grande  abondance  que  n'importe  où.  Ce 
«  n'est  que  dans  la  profondeur  admirable  et  dans  Thumilité  non 
VI  moins  admirable  des  Saintes  Écritures  que  l'on  apprend  toutes 
«  choses  2.  »  Grâce  à  l'enseignement  de  notre  divin  Maître,  grâce  à 
la  prédication  de  sa  doctrine  par  ses  apôtres  et  leurs  successeurs, 
aucune  de  ces  vérités  nécessaires  ou  utiles  au  salut  des  hommes 
ne  leur  est  maintenant  cachée.  L'humble  femme,  qui  ne  connaît 
même  pas  les  noms  des  sages  de  l'antiquité,  est  instruite  des  mys- 
tères que  ces  philosophes  n'ont  pas  soupçonnés,  malgré  tout  leur 
génie,  et  le  petit  enfant  élevé  par  une  mère  chrétienne  enseigne- 
rait à  Socrate  et  à  Platon  la  nature  du  vrai  Dieu  dont  l'existence 
même  était  pour  eux  problématique;  il  dirait  à  Pythagore  ce  que 
deviennent  après  le  trépas  ces  âmes  que  le  profond  philosophe  de- 
vinait immortelles.  C'est  l'accomplissement  de  la  parole  d'Isaïe  : 
«  La  terre  est  remplie  de  la  connaissance  du  Seigneur,  comme  les 
a  eaux  qui  couvrent  la  mer  ^.  » 

Connaître  le  Seigneur  est  un  grand  bien  en  soi,  mais  qui  servi- 
rait peu  si  cette  connaissance  n'était  pas  accompagnée  ou  suivie  de 
la  conversion  du  cœur  et  de  la  transformation  des  mœurs.  Aussi 
notre  divin  Docteur  prêchait-il  la  pénitence  des  péchés  passés  et  la 
pratique  de  la  vertu.  S.  Paul,  aussi  bien  que  tous  les  autres  apô- 
tres, suivait  l'exemple  de  son  Maître.  Il  disait  aux  fidèles  de  Corin- 
the  dont  plusieurs  semblaient  l'oublier  :  «  Ne  savez- vous  pas  que 
«  les  injustes  ne  posséderont  pas  le  royaume  de  Dieu?  Ne  vous  abu- 

1.  Neque  enim  vcl  syllaba,  vel  apiculus  est  in  sacris  litteris,  in  cujus  pro- 
fundo  non  sit  grandis  quispiam  tliesaunis  :  proinde  nobis  opus  est  ut  divina 
gratia  ducamur,  etSpiritu  sancto  illustrati,  eloquia  divina  adeamus.  (S.  CiiRY- 
sosT.,  hom.  XXI  in  Gen.) 

'2.  Quidquid  homo  extra  divinas  Scripturas  didicerit,  si  noxium  est,  ihi 
damnatur;  si  utile  est,  ibi  invenitur;  et  cum  ibi  quisque  invenerit  omnia, 
quae  utiliter  alibi  didicit,  multo  abundantius  ibi  inveniet,  quve  nusquam  om- 
nino  alibi,  sed  in  illaruni  tnntummodo  Scripturaruni  mirabili  alliludine,  et 
mirabili  bumilitate  discunlur.  (S.  August.,  de  Doctr.  christ.,  lib.  11.  cap. 
ultim.) 

3.  Repleta  est  terra  scientia  Domini,  sicul  aquœ  maris  operientes.  (/s., 
XI.  9.) 


A9i  LA    SAINTE  EUCHARISTIE.   —    II"  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.   X. 

«  sez  point  :  ni  les  fornicateurs,  ni  les  idolâtres,  ni  les  adultères, 
«  ni  leseflV'niinés,  ni  les  abominables,  ni  les  voleurs,  ni  les  avares, 
€  ni  les  ivrognes,  ni  les  médisants,  ni  les  rapaces,  ne  posséderont 
«  le  royaume  de  Dieu  '.  »  Et  l'ApcMre  ajoutait  :  «  C'est  ce  que  quel- 
€  ques-uns  de  vous  ont  été  ;  mais  vous  avez  été  justifiés,  au  nom 
«  de  Nôtre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  par  l'Esprit  de  notre  Dieu  2.  » 
<^uel  merveilleux  changement  opéré  par  la  parole  de  notre  admi- 
rable Docteur,  enseignée  à  des  peuples  plongés  jusque-là  dans 
tous  les  vices  les  plus  abominables!  Cette  merveille  s'opère  encore 
chaque  jour.  Outre  les  conversions  éclatantes  de  pécheurs  qui  se 
font  parmi  les  chrétiens,  ne  voit-on  pas  les  missionnaires  convertir 
des  peuplades  anthropoj)hages,  descendues  au  dernier  degré  de  la 
corruption,  et  en  amener  plusieurs  à  une  telle  élévation  de  vertu 
qu'elle  serait  un  objet  d'élonncment,  même  parmi  nos  populations 
les  plus  chrétiennes?  C'est  la  doctrine  de  Jésus-Christ  qui  trans- 
forme ainsi  les  mœurs,  et  qui  rend  de  misérables  pécheurs,  s'ils 
ont  le  bonheur  de  l'accepter,  dignes  qu'on  leur  applique  ces  pa- 
roles de  S.  Pierre  aux  fidèles  de  son  temps  :  «  Vous  êtes,  vous,  une 
«  race  choisie,  un  sacerdoce  royal,  une  nation  sainte,  un  peuple 
«  conquis  :  afin  (juevous  annonciez  les  grandeurs  de  celui  qui  des 
•  ténèbres  vous  a  appelés  à  son  admirable  lumière  :  vous  qui, 
«  autrefois,  n'étiez  point  le  peuple  de  Dieu  ,  mais  qui  êtes  mainte- 
€  nant  le  peuple  de  Dieu  ;  vous  qui  n'aviez  point  obtenu  miséri- 
«  corde,  mais  qui  maintenant  avez  obtenu  miséricorde  -K  » 

Il  suffit  de  connaître  la  fragilité  des  hommes(etqui  ne  la  connaît,  ne 
(ùl-ce  que  par  sa  propre  expérience?)  pour  constater  combien  grande 
est  l'efficacité  de  l'enseignement  de  notre  divin  Maître  accompagné 
de  sa  grâce,  qui  produit  de  si  merveilleux  effets.  S.  Bernard  disait 
à  ses  frères  :  «  \'os  âmes  sont  saintes  parce  que  l'Esprit  de  Dieu 
«  habite  en  vous.  Celui  qui  disait  :  Gardez  mon  âme.  Seigneur, 

1.  \n  nescilis  quia  iniqui  regnum  Dei  non  possidebunt?  Nolite  errare  :  ne- 
que  fornicarii,  neque  idolis  servientes,  neque  adulteri,  neque  molles,  neque 
masculorum  concubitores,  nc(}ue  fures,  neque  avari,  neque  ebriosi,  neque 
inaiedici,  neque  raparos,  re^'ium  Dei  ]tossidebunt.  (J.  Cor.,  vi,  9,  10.) 

"■1.  Kl  ba:c  quidciii  fuistis;  sed  abluti  eslis,  sed  sanctificati  estis  in  nomine 
Doinini  nostri  Jesu  Cbristi,  et  in  Spiritu  Dei  nostri.  (Id.,\'\,  11.) 

3.  Vos  autem  ^'enus  electum,  recale  sacerdotium,  gens  sancta,  populus 
acquisitionis,  ut  virtules  annuntielis  ejus  qui  de  tenebris  vos  vocavitin  admi- 
rabile  lumen  suuin.  Qui  aliquando  non  populus,  nune  autem  populus  Dei  : 
qui  non  ronseculi  misericordiam,  nunc  autem  misericordiam  consecuti. 
(/.  Pelr.,  11.  y,  10.) 


AUTRES   TITRES    DE   JESUS    EUCHARISTIQUE   A   NOTRE   DÉVOTION.  495 

€  parce  que  je  suis  saint  ',  était  encore  dans  une  chair  corrupti- 
«  ble,  dans  un  corps  de  péché,  où  son  âme  avait  même  commis 
«  l'énorme  crime  de  l'adultère.  Dieu  est  admirable  dans  ses  saints, 
«  non  seulement  dans  les  saints  qui  sont  au  ciel,  mais  encore  dans 
«  ceux  qui  sont  sur  la  terre.  Puisqu'il  y  a  des  saints  dans  l'un  et 
«  .l'autre  endroit,  il  est  admirable  dans  les  uns  en  les  rendant  bien- 
«  heureux,  et  dans  les  autres  en  les  rendant  saints. 

<t  Voulez-vous  que  je  vous  donne  une  preuve  de  la  sainteté  dont 

«  je  vous  parle,  et  que  je  vous  montre  les  miracles  des  saints  d'ici- 

«  bas?  Il  y  en  a  beaucoup  parmi  vous  qui,  après  avoir  pourri  sur 

a  leurs  péchés  et  sur  leurs  vices,  comme  les  bêtes  de  somme  sur 

«  leur  fumier,  ont  eu  le  courage  de  les  quitter,  et  résistent  main- 

«  tenant  avec  force  à  leurs  attaques  quotidiennes,  selon  ce  mot  de 

a  l'Apôtre  qui  dit,  en  parlant  des  saints  :  Ils  ont  guéri  de  leurs 

«  maladies  et  sont  devenus  forts  dans  les  combats  ~.  Peut-on  voir 

«  quelque  chose  de  plus  admirable  que  ces  hommes  qui,  après  avoir 

a  eu  bien  de  la  peine  à  passer  deux  ou  trois  jours  seulement  loin 

«  de  la  luxure,  des  excès  de  la  bonne  chair,  des  délices  de  la  table,  de 

«  l'ivresse,  des  débauches,  des  impudicités  et  de  mille  autres  vices 

«  pareils,  s'en  tiennent  maintenant  éloignés  des  années,  une  vie 

«  tout  entière  ?  Où  trouver  un  plus  grand  miracle  que  celui  de  tant 

«  de  jeunes  gens,  de  tant  d'adolescents,  de  tant  de  nobles,  de  tous 

«  ceux,  en  un  mot,  que  je  vois  là  rester  captifs  sans  liens,  dans 

«  une  prison  ouverte,  où  la  sainte  crainte  de  Dieu  les  retient,  et 

a  qui  persévèrent  dans  les  exercices  pénibles  de  la  pénitence,  au 

«  delà  de  toute  force  humaine,  malgré  la  nature  et  en  dépit  de 

«  toute  habitude?  Vous  voyez  vous-mêmes,  je  pense,  quels  mira- 

«  clés  il  nous  serait  possible  de  trouver,  s'il  nous  était  permis  de 

«  rechercher  en  détail  comment  chacun  de  vous  a  quitté  l'Egypte, 

«  pour  entrer  dans  le  désert,  c'est-à-dire,  comment  chacun  a  re- 

«  nonce  au  siècle,  est  entré  dans  ce  monastère,  et  quel  genre  de 

«  vie  il  y  mène  maintenant.  Qu'est-ce  que  tout  cela,  mes  frères, 

«  sinon  des  preuves  manifestes  que  le  Saint-Esprit  demeure  en 

«  vous  ^  ?  » 


\.  Custodi  animammeam,  quoniam  sanctussuin.  {Ps.  lxxxv,  2.) 

%  Convaluerunt  de  infirmitate,  fortes  facti  sunt  in  bello.  (Ilebr.,  xi,  34.) 

3.  S,  Bernahi).,  /.  Serin,  de  Dedicatione  Ecclesix.  Traduction  de  M.  l'abbé 

Charpentier.  —  Nous  ne  donnons  pas  le  texte  latin  à  cause  de  la  longueur  de 

la  citation. 


.i94  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

La  doctrine  enseignée  par  le  Verbe  de  Dieu  devenu  le  docteur 
des  hommes  n"a  pas  seulement  transformé  les  pécheurs  pour  en 
faire  des  saints,  elle  a  aussi  répandu  des  torrents  de  science  et  de 
lumière  dans  le  monde.  Qui  pourrait  compter  la  multitude  des  dis- 
ciples de  Jésus-Christ  qui,  dans  le  cours  des  siècles,  ont  brillé  par 
leur  science  éminente,  non  moins  que  par  leur  sainteté?  Nous  n'en- 
treprendrons pas  ici  de  les  citer,  un  volume  entier  n'y  suffirait  pas  ; 
n'en  donner  que  quelques-uns  serait  s'exposer  à  laisser  injuste- 
ment de  côté  trop  de  noms  illustres  ;  mais  que  l'on  parcoure  quel- 
que grande  collection  de  la  vie  des  saints,  et  l'on  sera  saisi  d'ad- 
miration à  la  vue  du  nombre  des  saints  canonisés  qui  ont  brillé 
par  leur  savoir  :  que  l'on  entre  dans  quelque  grande  bibliothèque 
où  sont  amassés  les  trésors  de  science  que  les  âges  passés  nous 
ont  légués,  et  l'on  sera  effrayé  à  la  vue  de  tant  d'ouvrages,  quelque- 
fois immenses,  où  les  saints  ont  renfermé,  en  y  ajoutant  chacun  son 
tribut,  la  somme  des  sciences  naturelles  ou  divines  que  l'humanité 
possédait  de  leur  temps.  Et  de  nos  jours,  où  la  science  semblerait, 
au  dire  de  quelques-uns,  se  séparer  des  enseignements  de  notre 
Maître  et  s'opposer  à  l'Évangile  :  si  l'on  veut  trouver  un  véritable 
savant,  un  iiomme  ami  de  la  vérité,  qui  la  recherche  et  la  reçoive 
simplement  d'où  qu'elle  vienne  et  quelle  qu'elle  soit,  n'est-ce  pas 
encore  parmi  les  disciples  de  Jésus-Christ  qu'il  faut  la  chercher? 
Les  autres  ne  sont  jamais  des  savants  complets.  On  sent  trop  qu'ils 
redoutent  et  haïssent  toute  vérité  qui  ne  flatte  pas  leur  orgueil  ou 
leurs  autres  passions. 

Quelles  actions  de  grâces  ne  devons-nous  pas  rendre  à  notre 
divin  Docteur,  pour  tant  de  lumière  qu'il  a  répandue  dans  le 
monde,  et  qu'il  accorde  à  chacun  de  nous,  suivant  ses  besoins  et 
sa  correspondance  à  la  grâce?  Il  est  le  Dieu  des  sciences,  scien- 
tiai-um  Dominus;  il  est  la  sagesse  incrôée,  le  Verbe  ou  la  Science 
de  Dieu.  Allons  à  lui,  recueillons  pieusement  les  enseignements 
qu'il  nous  donne  par  la  voix  de  sa  sainte  Église,  et  par  les  inspira- 
tions qu'il  nous  envoie  du  fond  de  son  tabernacle.  Ainsi  nous  se- 
rons des  enfants  de  lumière  et  nous  n'aurons  à  craindre  ni  les 
ténèbres  de  l'ignorance  et  du  péché  en  cette  vie,  ni  celles  plus 
horribles  encore  de  la  damnation  éternelle  en  l'autre. 


AUTRES  TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE    DÉVOTION.  495 

III. 
JÉSUS-CHRIST   PRÉSENT    DANS    l'eUCHARISTIE    EST    NOTRE   LÉGISLATEUR 

Dans  le  saint  Évangile,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne  nous  en- 
seigne pas  seulement  sa  doctrine,  il  nous  impose  des  devoirs,  avec 
l'obligation  de  les  accomplir;  il  n'est  pas  seulement  notre  Maître 
ou  notre  Docteur,  il  est  notre  Législateur.  Le  prophète  Isaïe  avait 
dit  :  «  Le  Seigneur  est  notre  législateur,  et  c'est  lui  qui  nous  sau- 
ce vera;  »  il  nous  visitera  visiblement  revêtu  d'une  chair  mortelle; 
il  nous  fera  connaître  la  volonté  de  son  Père  céleste,  il  nous  don- 
nera des  lois,  nous  enseignera  à  les  observer  et  nous  conduira 
ainsi  au  salut. 

La  loi  est  un  règlement  général,  juste,  fait  et  publié  en  forme 
de  précepte  et  de  commandement,  pour  le  bien  commun  d'une 
société,  par  le  supérieur  qui  a  droit  de  la  gouverner.  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ,  à  qui  toute  puissance  a  été  donnée  au  ciel  et 
sur  la  terre,  possède  évidemment  celle  de  donner  des  lois  aux 
hommes.  Verbe  de  Dieu,  il  l'a  fait  dès  l'origine,  en  imprimant  dans 
l'àme  humaine  ces  premiers  principes  qu'on  appelle  la  loi  natu- 
relle, qui  ne  disparaissent  jamais  complètement,  à  quelque  degré 
de  corruption  que  le  péché  ait  fait  descendre  l'homme.  Il  l'a  fait 
plus  explicitement  à  l'égard  d'Adam  et  des  patriarches,  par  les  révé- 
lations dont  il  les  a  favorisés.  Il  l'a  fait  par  l'entremise  de  Moïse  et 
des  anges,  sur  le  mont  Sinaï,  au  milieu  des  flammes  et  au  bruit 
du  tonnerre.  Mais  il  l'a  fait  surtout  en  notre  faveur,  lorsqu'il  est 
venu  lui-même  parmi  nous,  fils  d'Adam  comme  nous,  enseigner  le 
saint  Évangile,  et  lorsque,  après  avoir  fait  connaître  sa  doctrine  et 
ses  lois  au  peuple  d'Israël,  il  dit  à  ses  apôtres  :  «  Allez  dans  l'uni- 
«  vers  entier  et  prêchez  l'Évangile  à  toute  créature  »  :  Euntes  in 
mundum  universum,  pra?dicate  Evangelium  omni  creaturœ  *  ; 
commandement  qui  ne  s'adressait  pas  seulement  à  la  personne  des 
apôtres  et  à  tous  les  disciples  qui  étaient  présents,  mais  à  tous 
ceux  qui  leur  succéderaient  dans  le  cours  des  siècles  -. 

\.  Matth.,  XVIII,  19. 

2.  La  loi  du  Nouveau  Testament,  ou  la  loi  évangélique,  dit  le  docteur  Aberlé, 
est  la  loi  absolument  parfaite.  Elle  est  parfaite  parce  qu'elle  est  fondée  sur  le 
Fils  de  Dieu,  par  lequel  la  grâce  et  la  vérité,  dans  toute  l'étendue  de  ces 
termes,  sont  directement  entrées  dans  le  monde.  La  loi  du  Nouveau  Testa- 
ment accomplit  et  abroge  celle  de  l'Ancien  Testament.  L'abrogation  d'une  loi 


496  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.   X. 

Ce  qui  distingue  essentiellement  la  loi  nouvelle  de  la  loi  an- 
cienne, c'est  qu'elle  n'est  pas  purement  extérieure.  Outre  les  pré- 
ceptes tels  que  ceux  défaire  pénitence,  de  recourir  aux  Sacrements,, 
d'observer  le  Décalogue,  il  y  a  la  grâce,  la  charité  intérieure  que 
celte  loi  procure  et  imprime  dans  les  âmes  au  moyen  de  la  foi,  de 
la  pénitence  et  des  sacrements,  principalement  du  sacrement  de 
lEucharistie  qui  contient  la  source  môme  de  la  grâce.  Cette  partie 
de  la  loi  évangélique  en  est  l'âme,  et  c'est  à  cause  d'elle  qu'on  la 
distingue  de  l'ancienne  loi  par  le  nom  de  loi  de  grâce.  Elle  n'est 
pas  seulement  une  loi  écrite,  elle  est  la  loi  vivante  et  qui  donne 
la  vie.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  l'apôtre  S.  Paul  :  «  La  loi  de  l'Esprit 
€  de  vie,  qui  est  dans  le  Christ  Jésus,  m'a  affranchi  de  la  loi  du 
u  péché  et  de  la  mort  ^  »  La  loi  de  l'Esprit  de  vie  est  celle  que 
l'Esprit  saint  qui  donne  la  vie  imprime  dans  nos  cœurs;  c'est  la 
grâce  divine  qui  nous  vient  de  Jésus-Christ,  qui  nous  délivre  de 
l'inclination  désordonnée  que  nous  ressentons  pour  le  péché,  qui 
nous  purilie  de  nos  fautes  par  lesquelles  nous  serions,  sans  elle, 
condamnés  à  la  mort  éternelle,  qui  nous  donne  enfin  les  forces 
nécessaires  pour  triompher  du  péché  et  de  la  mort.  Cette  loi  inté- 

pcut  avoir  lieu  dune  double  façon  :  la  loi  peut  perdre  sa  vertu  obligatoire  ; 
elle  peut  recevoir  une  extension  nouvelle  et  une  nouvelle  base  obligatoire. 
L'un  et  l'autre  s'est  réalisé  à  l'égard  de  la  loi  ancienne  par  la  loi  nouvelle. 

En  tant  que  la  loi  ancienne  avait  un  caractère  préparatoire,  la  loi  nouvelle- 
l'a  aljrogée;en  tant  qu'elle  est  la  restauration  de  la  loi  naturelle,  elle  est 
élargie  dans  ses  dispositions  et  repose  sur  le  fondement  de  l'amour,  au  lieu 
de  reposer  sur  celui  de  la  crainte.  C'est  pourquoi  on  nomme  la  loi  nouvelle  la 
loi  de  l'amour,  lex  rharitalis,  par  opposition  à  la  loi  de  la  crainte  qui  est  le 
caractère  de  la  loi  ancienne.  La  loi  nouvelle,  n'étant  pas  seulement  une  règle 
extérieure,  mais  ét<int  l'expression  vivante  de  la  grâce,  qu'elle  suppose  et  qui 
fait  son  essence,  porte  en  elle  la  possibilité  de  son  accomplissement  et  donne 
la  force  de  se  délivrer  du  péché  à  celui  qui  l'observe.  Sous  ce  rapport,  elle 
s'appelle  la  loi  de  grâce  et  de  la  liberté,  ou  la  loi  évangélique. 

11  ne  faut  pas  concevoir  la  loi  du  Nouveau  Testament  comme  étant  simple- 
ment l'ensemble  des  dispositions  législatives  contenues  dans  les  livres  du 
Nouveau  Testament;  mais  elle  est  l'ensemble  des  règles  données  par  Jésus- 
Christ,  Fils  de  Dieu.  L'Kglise  du  Nouveau  Testament  est  dépositaire  de  ces 
règles;  elle  a  seule  le  droit  de  déterminer  ce  qui  appartient  ou  non  à  la  loi 
nouvelle.  Ces  décisions,  émanées  de  l'Église,  doivent  être  distinguées  des 
dispositions  de  la  législation  purement  ecclésiastique  ;  car  quant  aux  disposi- 
tions divines,  l'Église  ne  fait  que  les  itromulguer;  elle  ne  peut  ni  les  abroger 
ni  les  modifier,  tandis  que  les  lois  purement  ecclésiastiques  dont  elle  est  la 
source,  elle  peut  les  changer  ou  les  abolir.  {JJict.  encyclop.  delà  théol.  cathol.) 

1.  Lex  enim  spiritus  vitte  in  Christo  Jesu   liberavit  me  a  lege  peccati  et 
morlis.  {Hom.,  vui,  '2.) 


AUTRES    TITRES    DE    JESUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE   DÉVOTION,  497 

rieure,  cette  grâce  que  notre  divin  Législateur  nous  donne,  nous 
était  promise  par  le  prophète  Jérémie  :  «  Voici  Talliance  que  je 
«  ferai  avec  la  maison  d'Israël  après  ces  jours-là,  dit  le  Seigneur  : 
«  Je  mettrai  ma  loi  dans  leurs  entrailles  et  je  l'écrirai  dans  leur 
«  cœur;  et  je  serai  leur  Dieu,  et  eux  seront  mon  peuple  K  »  Dieu 
avait  livré  la  loi  ancienne,  gravée  sur  des  tables  de  pierre,  parce 
que  c'était  uniquement  la  lettre  de  la  loi  qu'il  donnait;  mais  la  loi 
nouvelle  est  imprimée  par  lui  dans  les  entrailles  et  dans  les  cœurs 
de  ceux  qui  la  reçoivent,  parce  qu'elle  est  grâce  et  charité  :  or, 
c'est  dans  le  cœur,  c'est  au  plus  intime  de  l'être  humain  que  la 
grâce  et  la  charité  résident. 

Toute  loi  a  pour  objet  d'enseigner  aux  hommes  ce  qu'ils  doivent 
faire,  et  de  les  obliger  à  l'accomplissement  de  ce  devoir.  C'est 
ce  que  fait  admirablement  la  grâce  de  Jésus-Christ  et  c'est  pour- 
quoi le  nom  de  loi  lui  convient,  comme  celui  de  législateur  au 
divin  Maître  qui  nous  la  donne.  N'est-ce  pas  la  grâce,  en  effet,  qui, 
par  la  lumière  qu'elle  communique  à  l'âme,  l'éclairé,  lui  montre 
ce  qu'elle  doit  faire?  N'est-ce  pas  elle  qui  agit  doucement  sur  sa 
volonté,  et  l'incline  à  faire  le  bien  qu'elle  lui  montre,  à  remplir  les 
devoirs  qu'elle  lui  révèle?  Aussi,  S.  Paul,  le  grand  docteur  de  la 
loi  et  de  la  grâce  qu'on  ne  se  lasse  pas  de  citer,  dit-il  :  «  Notre 
«  suffisance  vient  de  Dieu,  qui  nous  a  rendus  propres  à  être  les 
«  ministres  de  la  nouvelle  alliance,  non  par  la  lettre,  mais  par 
«  l'esprit  :  car  la  lettre  tue,  tandis  que  l'esprit  vivifie  2.  »  La  lettre 
sans  l'esprit  tue,  parce  qu'elle  fait  connaître  le  péché  qu'il  faut 
fuir  et  la  vertu  qu'il  faut  pratiquer,  sans  donner  en  même  temps 
les  forces  nécessaires  pour  accomplir  l'un  et  l'autre  devoir;  d'où  il 
résulte  que  Tinclination  au  péché  s'accroît  par  la  connaissance 
que  l'on  a  de  lui,  que  la  volonté  finit  par  être  vaincue,  et  que  le 
péché  commis  est  d'autant  plus  grave  que  sa  malice  est  plus 
connue;  de  même  l'omission  du  bien  est  aussi  plus  coupable  lors- 
qu'on n'ignore  pas  l'obligation  de  l'accomplir.  C'est  ainsi  que  la 
lettre  tue,  non  par  elle-même,  mais  parce  qu'elle  est  pour  la  fai- 
blesse de  l'homme  une  occasion  de  chute  et  de  prévarication.  Au 

1.  Sed  hoc  eritpactum,  quod  feriam  cum  domo  Israël,  post  dies  illos,  dicit 
Doininus  :  Dabo  legem  meam  in  visceribus  eorum,  et  in  corde  eorum  scribam 
eam  ;  et  ero  eis  in  Deum,  et  ipsi  erunt  mihi  in  popnlum.  [Jerem.,  x.vxi,  33.) 

2.  Sed  sufficientia  nostra  ex  Deo  est  :  qui  et  idoneos  nos  fecit  ministres 
novi  Testamenli,  non  littera  sed  Spiritu.  Littera  enim  occidit;  Spiritus  autem 
vivi6cat.  (//.  Cor.,  \n,  13,  fi.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  32 


498  LA  SAINTE  ElCIIARrSTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  X. 

contraire,  la  foi,  la  grâce,  la  charité  intérieure  et  les  autres  dons 
que  Dieu  verse  dans  l'âme,  l'Esprit,  en  un  mot,  vivifie  parce  qu'il  ré- 
prime la  concupiscence,  vient  en  aide  à  notre  faiblesse,  nous  presse 
de  fuir  le  péché,  nous  donne  des  forces  pour  observer  les  lois  de 
Dieu.  Le  prophète  Ézéchiel  annonçait  cette  loi  bienfaisante,  si  su- 
périeure à  l'ancienne,  lorsqu'il  disait  :  «  Je  répandrai  sur  vous  une 
«  eau  pure,  et  vous  serez  purifiés  de  toutes  vos  souillures,  et  je 
€  vous  purifierai  de  toutes  vos  idoles.  Et  je  vous  donnerai  un  cœur 
€  nouveau,  et  je  mettrai  un  esprit  nouveau  au  milieu  de  vous;  et 
€  j'ôterai  le  cœur  de  pierre  de  votre  chair,  et  je  vous  donnerai  un 
«  cœur  de  chair.  Et  mon  Esprit,  je  le  mettrai  au  milieu  de  vous, 
«  et  je  ferai  que  vous  marchiez  dans  mes  préceptes  et  que  vous 
€  gardiez  mes  ordonnances,  et  que  vous  les  pratiquiez  i.  »  Cet  Es- 
prit divin  sera  votre  lumière,  votre  soutien,  votre  force. 

Si  nous  voulions  démontrer  ici  l'excellence  de  la  loi  que  notre  divin 
Jésus  nous  a  donnée  en  qualité  de  législateur  et  qu'il  continue  de 
nous  donner  à  chaque  instant  par  sa  grâce,  la  matière  serait  in- 
finie. Signalons  seulement  quelques-uns  de  ses  principaux  carac- 
tères. 

La  première  excellence  de  la  loi  évangélique  est  que  Dieu  a  dai- 
gné nous  la  donner  immédiatement  par  lui-même.  C'est  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  Dieu  comme  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  que 
nous  la  tenons  sans  intermédiaire.  La  loi  ancienne  avait  été  pro- 
mulguée par  le  ministère  des  anges  et  de  Moïse;  mais  nous,  c'est 
la  parole  du  Verbe  divin,  fait  iiomme  pour  nous  instruire  et  nous 
sauver,  que  nous  avons  entendue. Le  Père  Éternel  avait  promis  à 
Moïse,  et  Moïse  à  son  tour  promettait  au  peuple  d'Israël,  ce  légis- 
lateur divin;  il  disait  :  «  Le  Seigneur  ton  Dieu  te  suscitera  un  pro- 
«  pliètede  ta  nation,  d'entre  tes  frères,  comme  moi  :  c'est  lui  que 
«  tu  écouteras;  comme  tu  as  demandé  au  Seigneur  ton  Dieu  à  Horeb, 
€  quand  l'assemblée  fut  réunie,  et  comme  tu  as  dit  :  Que  je  n'en- 
«  tende  plus  la  voix  de  mon  Dieu,  et  que  je  ne  voie  plus  ce  très 
«  grand  feu  afin  que  je  ne  meure  pas.  Et  le  Seigneur  me  répon- 
«  dit  :  Ils  ont  bien  dit  toutes  choses.  Je  leur  susciterai  un  prophète 

1.  Kt  elTundam  super  vos  aquam  inundam,  et  mundabimini  al)  omnibus 
iniquitatibus  vcslris,  et  ab  universis  idolis  vestris  mundabo  vos.  Et  dabo  vobis 
cor  novum,  et  spiritum  novum  ponam  in  niedio  veslri,  et  auferam  cor  lapi- 
deum  de  carne  vestra,  et  dabo  vobis  cor  carneum.  Et  Spiritum  meum  ponam 
in  mcdio  veslri  ;  et  faciam  ut  in  prœceptis  mois  ambuletis,  et  judicia  mea 
cuslodiatis,  et  operemini.  [Ezech.,  xxxvi,  25-27.) 


AUTRES    TITRES   DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE   DÉVOTION.  499 

«  du  milieu  de  leurs  frères,  semblable  à  toi,  et  il  leur  dira  tout  ce 
«  que  je  lui  aurai  ordonné.  Or,  celui  qui  ne  voudra  pas  écouter  ses 
«  paroles,  qu'il  dira  en  mon  nom,  c'est  moi  qui  m'en  vengerai  ».  » 

Le  prophète  que  le  Père  Éternel  promettait  ainsi  solennellement 
à  son  peuple  n'était  autre  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui- 
même.  S.  Pierre  et  S.  Etienne  le  déclarent,  en  citant  ce  texte  dans 
leurs  discours  adressés  aux  Juifs.  Dieu  véritable,  il  a  dissimulé  sa 
majesté  infinie;  il  s'est  fait  homme,  prenant  une  chair  humaine 
dans  le  sein  d'une  vierge  de  la  race  de  David;  il  a  vécu  au  milieu 
de  son  peuple,  promulguant  lui-même  sa  loi  évangélique,  non 
plus  au  milieu  d'un  appareil  terrible,  comme  sur  le  mont  Sinaï, 
mais  avec  une  douceur,  avec  une  bénignité  et  un  amour  ineffables, 
montrant,  par  toute  sa  conduite,  qu'il  était  réellement  celui  dont 
David  a  dit  :  «  Le  Seigneur  est  doux  et  il  est  droit  :  »  Dulcis  et 
reclus  Dominus.  Il  est  doux  et  suave  par  sa  bonté,  sa  miséri- 
corde et  les  bienfaits  qu'il  répand  :  il  est  droit  par  sa  justice  et  son 
amour  de  toute  vertu.  Le  prophète  ajoute  :  «  C'est  pour  cela  qu'il 
(f  donnera  à  ceux  qui  pèchent  la  loi  pour  rentrer  dans  la  voie.  Il 
«  conduira  dans  la  justice  ceux  qui  sont  dociles,  et  il  enseignera 
«  ses  voies  à  ceux  qui  sont  doux  -.  »  Il  leur  enseignera  ce  qu'ils 
doivent  faire  pour  fuir  les  erreurs  et  les  vices,  pour  expier  leurs 
fautes  par  la  pénitence,  pour  vivre  saintement  et  vertueusement. 

Un  autre  caractère  de  la  loi,  que  le  divin  Législateur  est  venu 
nous  apporter,  est  son  universalité.  Elle  est  faite  pour  tous  les 
hommes  ;  tous  doivent  la  recevoir  et  s'y  soumettre.  La  loi  de  Moïse 
était  une  loi  particulière  donnée  aux  seuls  descendants  d'Abraham 
ou  plutôt  de  Jacob  :  elle  n'obligeait  qu'eux  seuls  :  mais  la  loi 
évangélique  oblige  tous  les  peuples  du  monde  ;  sans  la  foi  et  sans  la 
fidélité  à  garder  les  préceptes  que  cette  loi  renferme,  il  n'y  a  pas  de 
salut  possible.  Jésus-Christ,  qui  nous  la  donne,  est  le  souverain 
Maître  de  tous  les  hommes,  car  c'est  lui  qui  les  a  créés  parce  qu'il 
est  Dieu.  Il  est  aussi  leur  souverain  maître  parce  que,  comme 
homme,  il  est  leur  Rédempteur  et  leur  Sauveur.  Or,  il  leur  a 
donné  cette  loi  pour  les  conduire  au  salut.  S'ils  ont  la  foi  et  s'ils 
observent  les  préceptes  qui  leur  sont  imposés,  ils  seront  guéris  de 
tous  leurs  maux  spirituels  et  comblés  de  tous  les  biens  célestes 

\.  Prophelam  de  gente  tua,  etc.  {Deutcr.,  xviii,  lo-li).) 
2.  Bonus  et  rectus  Dominus  :  propter  hoc  legem  dabit  delinquentibus  in 
via.  Diriget  mansuelos  in  judicio  ;  docebit  mites  vias  suas.  [Ps,  .\.\iv,  8,  9.) 


500  lA    SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.  \. 

qu'il  désire  leur  communiquer.  Mais,  sans  l'accomplissement  de 
celte  double  condition,  il  n'y  a  pas  de  salut;  sans  la  foi,  il  est  im- 
possible de  plaire  à  Dieu,  et  la  foi  sans  les  œuvres  ne  servirait 
elle-même  de  rien,  car  la  foi  sans  les  œuvres  est  une  foi  morte. 

Ajoutons  que  la  loi  de  grâce  tend  uniquement  au  bien  des  âmes. 
Notre  divin  Législateur  nous  l'a  donnée  pour  nous  conduire  au 
salut  et  à  rélernelle  gloire.  S'il  a  paru  au  milieu  de  nous,  pauvre, 
accablé  do  soulTrances  et  d'opprobres;  s'il  a  voulu  mourir  sur  la 
croix,  ce  fut  pour  nous  montrer  qu'il  ne  venait  pas  apporter  aux 
hommes  les  richesses,  les  honneurs,  les  plaisirs  du  monde,  mais 
le  mépris  de  toutes  ces  choses  passagères  et  dangereuses.  Ce  qu'il 
veut  de  nous,  c'est  que  nous  soyons  saints,  justes  et  parfaits,  et 
c'est  vers  ce  but  que  tend  toute  sa  loi.  En  récompense  des  vertus 
dont  il  nous  a  donné  le  précepte  et  l'exemple,  il  nous  promet,  si 
nous  les  pratiquons,  non  pas  l'abondance  des  biens  de  la  terre, 
mais  l'abondance  des  biens  du  ciel.  Ce  n'est  pas  non  plus  par  la 
crainte,  mais  par  l'amour,  qu'il  veut  nous  amener  à  suivre  fidèle- 
ment sa  loi.  Cependant  il  nous  fait  connaître  les  maux  terribles 
qui  attendent  dans  la  vie  future  ceux  qui  lui  seront  infidèles,  afin 
de  ramener  au  moins  par  la  crainte  ceux  que  l'amour  ne  suffirait 
pas  à  retenir  sous  le  joug  si  doux  qu'il  leur  impose;  il  n'oublie 
pas  que,  pour  l'homme,  la  crainte  est  le  commencement  de  la 
sagesse. 

L'ancienne  loi  venait  aussi  de  Dieu  et  avait  pour  fin  le  salut  des 
hommes.  .Mais  cette  fin  était  rejetée  à  l'arrière-plan;  les  biens  et 
les  maux  temporels  semblaient  en  être  l'unique  sanction;  les  vertus 
intérieures,  qui  sont  la  véritable  perfection  de  l'âme,  n'étaient,  aux 
yeux  de  la  plupart  des  Juifs,  que  d'une  importance  tout  à  fait  se- 
condaire :  il  leur  suffisait  de  la  justice  légale,  c'est-à-dire  des  pra- 
tiques extérieures,  des  purifications  diverses  que  la  loi  leur  impo- 
sait, l'eu  leur  importait  que  le  vase,  c'est-à-dire  le  cœur,  ne  fût 
rempli  que  de  corruption,  d'impiété,  de  haine,  pourvu  que  la  lettre 
des  prescriptionf;  mosaïques  fût  intégralement  gardée.  Sans  doute, 
la  loi  demandait  autre  chose;  les  âmes  qui  cherchaient  ce  que  re- 
couvrait l'écorce  de  la  lettre  le  trouvaient  :  mais  ces  âmes  étaient 
d'autant  plus  rares  que  les  gloses  des  Scribes  et  des  Pharisiens 
favorisaient  l'interprétation  purement  littérale,  et  ne  cherchaient 
rien  au  delà. 

Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  notre  Législateur  suprême,  a  con- 


AUTRES   TITRES    DE    JESUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE    DÉVOTION.  501 

damné  ces  interprétations  qui  faisaient  de  la  loi  un  corps  sans 
âme;  il  en  a  révélé  l'esprit;  il  a  dicté  les  lois  qui  régissent,  non 
pas  seulement  les  actes  extérieurs,  mais  les  actes  intérieurs  de 
l'homme,  de  son  intelligence,  de  sa  volonté,  de  son  cœur;  il  a  fait 
connaître  la  nécessité  de  pratiquer  la  vertu,  et  en  même  temps  il 
a  donné  la  force  sans  laquelle  l'homme  ne  pourrait  le  faire.  Sa  loi 
est  sainte  et  elle  sanctifie  les  hommes;  sa  loi  est  parfaite,  et  elle 
les  rend  parfaits;  sa  loi  est  une  loi  de  grâce  et  elle  nous  rend  agréa- 
bles à  Dieu;  elle  fait  de  nous  des  enfants  de  Dieu,  dignes  du 
royaume  céleste.  C'est  ainsi  que,  par  la  loi  de  l'Évangile,  le  Fils 
de  Dieu  atteint  le  but  qu'il  s'est  proposé  en  se  faisant  homme  et  en 
mourant  sur  la  croix:  rétablir  les  hommes  dans  la  justice  et  dans 
leurs  droits  à  l'héritage  céleste.  C'est  ce  que  dit  S.  Paul,  dans  son 
Épitre  à  Tite  :  «  La  grâce  de  Dieu  notre  Sauveur  est  apparue  à 
<i  tous  les  hommes,  nous  enseignant  à  renoncer  à  l'impiété  et  aux 
«  désirs  du  siècle,  et  à  vivre  sobrement,  justement  et  pieusement 
«  dans  ce  monde,  attendant  la  bienheureuse  espérance  et  l'avè- 
«  nement  de  la  gloire  du  grand  Dieu  et  de  notre  Sauveur  Jésus- 
«  Christ,  qui  s'est  livré  lui-même  à  nous  afin  de  nous  racheter  de 
a  toute  iniquité  et  de  se  faire  un  peuple  pur,  agréable  et  zélé  pour 
«  les  bonnes  œuvres  ^.  » 

Enfin  la  loi  ancienne  était,  pour  sa  partie  cérémoniale  et  son 
histoire,  la  figure  et  l'ombre  des  mystères  que  Dieu  devait  accom- 
plir pour  la  rédemption  et  le  salut  des  hommes.  Toute  la  loi,  tous 
les  prophètes  redisent  à  chaque  page  les  promesses  des  biens  que 
Dieu  devait  accorder,  non  seulement  au  peuple  d'Israël,  mais  à 
l'humanité  tout  entière,  pour  le  salut  de  tous.  Ce  que  la  loi  an- 
cienne promettait,  la  loi  nouvelle  le  contient  et  le  donne  ;  tous  ces 
biens  dont  parlaient  les  prophètes.  Dieu  les  verse  avec  abondance 
dans  le  sein  de  ceux  qui  croient  en  Jésus-Christ  et  s'attachent  à 
pratiquer  sa  loi.  S.  Jean-Baptiste  disait  :  «  La  loi  a  été  donnée  par 
a  Moïse,  la  grâce  et  la  vérité  sont  venues  par  Jésus-Christ  -.  »  Non 

1.  Apparuit  enim  gratia  Dei  Salvatoris  nostri  omnibus  hominibus,  erudiens 
nos,  ut  abnegantes  impietatem  et  saecularia  desideria,  sobrie  et  juste  et  pie 
vivamus  in  hoc  saeculo  :  expectantes  beatani  spem,  et  adventum  gloriae 
magni  Dei,  et  Salvatoris  nostri  Jesu  Christi.  Qui  dédit  semetipsum  pro  nobis, 
ut  nos  redimeret  ab  omni  iniquitate,  et  mundaret  sibi  popuium  acceptabilem 
sectatorem  bonorum  operum.  (Tit.,  ii,  dl-U.) 

2.  Lex  per  Moysen  data  est,  gratia  et  veritas  per  Jesum  Christum.  [Joann., 
I,  i7.) 


î\Oi  L.\    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE  —  LIVRE   II.  —  ClIAP.   X. 

pas  que  Moïse  fût  l'auteur  de  la  loi  :  mais  il  a  été  l'instrument 
dont  Dieu  s'est  servi  pour  la  donner  aux  hommes.  Cette  loi  don- 
née par  Moïse,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  n'est  pas  venu  la  dé- 
truire, mais  l'accomplir  et  la  rendre  parfaite. 

Le  divin  Législateur,  en  nous  donnant  sa  loi  qui  nous  oblige, 
parce  qu'il  est  notre  Créateur,  notre  Rédempteur,  notre  Maître  ab- 
solu, ne  nous  a  pas  privés  de  la  liberté.  Nous  pouvons  à  notre  gré 
accepter  les  préceptes  qu'il  nous  donne  ou  les  repousser;  mais  a 
ces  préceptes  il  y  a  une  sanction.  Heureux  ceux  qui  les  gardent  ; 
malheureux,  éternellement  malheureux  ceux  qui  les  méprisent  et 
se  révoltent  contre  eux.  Nous  lisons  dans  le  Deutéronome  que 
Moïse  dit  au  peuple  d'Israël,  après  avoir  reçu  de  la  main  de  Dieu 
les  tables  de  pierre,  sur  lesquelles  le  Décalogue  était  gravé  :  «  Et 
«  maintenant,  Israël,  qu'est-ce  que  le  Seigneur  ton  Dieu  demande 
«  de  toi,  si  ce  n'est  que  tu  craignes  le  Seigneur  ton  Dieu,  que  tu 
«  marches  dans  ses  voies,  que  tu  l'aimes,  que  tu  serves  le  Sei- 
€  gneur  ton  Dieu  en  tout  ton  cœur  et  en  toute  ton  àme;  et 
t  que  tu  gardes  les  commandements  du  Seigneur  et  ses  céré- 
•  monies,  que  moi,  je  te  prescris  aujourd'hui,  afin  qu'il  t'arrive 
«  du  bien?  Voici  que  le  ciel,  le  ciel  du  ciel,  la  terre  et  tout  ce  qu'elle 
t  contient  sont  au  Seigneur  ton  Dieu.  Et  cependant  le  Seigneur 
€  s'est  uni  étroitement  à  tes  pères,  il  les  a  aimés  et  il  a  choisi  leur 
«  postérité  après  eux,  c'est-à-dire,  vous,  d'entre  toutes  ces  nations, 
«  comme  il  est  prouvé  aujourd'hui.  Opérez  donc  la  circoncision 
«  de  votre  cœur,  et  ne  rendez  plus  votre  cou  inflexible  K  »  Soyez 
soumis  et  dociles  à  sa  loi.  —  Si  Dieu,  en  reconnaissance  des  bienfaits 
dont  il  avait  comblé  Israël,  exigeait  l'amour  de  ce  peuple,  s'il  exi- 
geait son  obéissance,  parce  qu'il  est  le  souverain  Seigneur  du 
ciel  et  de  la  terre  :  comment  pourrions-nous  lui  refuser  notre 
obéissance  et  notre  amour,  nous  qui  connaissons  mieux  encore  ses 
grandeurs  et  ses  droits,  nous  qu'il  a  comblés  de  bienfaits  plus 
abondants  et  plus  précieux,  nous  qu'il  a  instruits  lui-même  dans 
sa  loi,  qu'il  a  rachetés  au  prix  de  son  sang,  et  qu'il  nourrit  de 
sa  chair  adorable?  Et  si  tant  de  bienfaits  ne  suffisent  pas  pour  as- 
surer notre  obéissance,  souvenons-nous  de  la  sanction  suprême  de 
la  loi  qui  nous  est  imposée;  souvenons-nous  de  ce  que  Jésus-Christ 
lui-même  nous  apprend  du  sort  qui  attend  les  méchants,  et  de  celui 

1.  Et  nunc,  Israël,  (|ui(l  Dominus  Deus  tuus  petit  a  te,  etc.  {Deut.,  x,  10  et 
»eq.) 


AUTRES    TITRES   DE   JÉSUS  EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  503 

réservé  aux  justes  :  Ibunt  hi  in  suppliciumœ(ernuni,justi  aiitem 
in  vitam  œternam  :  «  Et  ceux-là  s'en  iront  à  l'éternel  supplice, 
«  et  les  justes  dans  la  vie  éternelle  '.  »  Notre  sort  est  dans  notre 
main  ;  c'est  à  nous  aussi  bien  qu'aux  Israélites  que  Moïse  dit  : 
«  Voici  que  je  mets  aujourd'hui  en  votre  présence  la  bénédiction 
«  et  la  malédiction  :  la  bénédiction,  si  vous  obéissez  aux  comman- 
«  déments  du  Seigneur  votre  Dieu,  que  je  vous  prescris  aujour- 
«  d'hui  ;  la  malédiction,  si  vous  n'obéissez  pas  aux  commande- 
«  ments  du  Seigneur  votre  Dieu  '".  9 

Notre  divin  Législateur  tient  tant  à  nous  voir  fidèles  à  sa  loi, 
parce  que  cette  fidélité  nous  procurera  des  biens  infinis  et  nous 
épargnera  des  maux  affreux,  qu'il  a  daigné  nous  donner  lui-même 
l'exemple  de  l'obéissance.  Il  s'est  soumis  à  la  loi  de  Moïse,  malgré 
son  imperfection  et  les  difficultés  presque  insurmontables  qu'elle 
présentait  à  la  faiblesse  humaine.  Il  s'y  est  soumis,  quoiqu'elle  ne 
l'obligeât  en  aucune  manière,  qu'il  en  fût  le  maître  et  qu'il  vînt 
pour  l'abroger.  «  Mais  lorsqu'est  venue  la  plénitude  du  temps, 
«  dit  S.  Paul,  Dieu  a  envoyé  son  Fils,  formé  d'une  fjmme,  soumis 
«  à  la  loi,  pour  racheter  ceux  qui  étaient  sous  la  loi,  pour  que 
«  nous  reçussions  l'adoption  des  enfants  '^.  »  En  se  soumettant  lui- 
même  à  la  loi  de  Moïse,  il  nous  a  délivrés  de  ce  joug  pesant  que 
les  anciens  pères  n'avaient  pu  porter  ;  il  nous  a  délivrés,  au  prix  de 
sa  passion,  de  la  malédiction  de  la  loi  ancienne,  loi  de  rigueur  et 
de  crainte,  pour  nous  imposer  son  joug  suave  et  son  fardeau  léger. 
N'est-ce  pas  pour  nous  un  encouragement  puissant,  une  bien  douce 
consolation  de  voir  notre  divin  Maître  marcher  le  premier  dans 
la  voie  de  l'obéissance,  afin  de  nous  donner  l'exemple?  Il  n'a  pas 
seulement  accepté  ce  que  la  loi  de  Moïse  imposait  de  plus  dur  et 
de  plus  humiliant,  la  circoncision,  le  rachat  au  jour  de  la  Présen- 
tation, comme  s'il  eût  été  un  vil  esclave  :  il  a  embrassé  avec  joie 
la  loi  particulière  que  son  Père  avait  faite  pour  lui,  la  loi  de  la 

1.  Ibunt  hi  in  supplicium  œternum,  hi  autem  in  vilam  aeternam.  {Mntth., 
XXV,  4G.) 

"2.  En  propono  in  conspectu  vestro  hodie  benedictionem  et  maledictionem  : 
benedictionem  si  obedieritis  niandatis  Domini  Dei  vestri,  quai  ego  hodie  prae- 
cipio  vobis  :  maledictionem,  si  non  obedieritis  niandatis  Dei  vestri.  (Dénier., 
XI,  ^2t>>28.) 

3.  At  ubi  venit  plénitude  temporis,  misit  Deus  Filium  suum,  factum  ex 
muliere,  factum  sub  lege,  ut  eos  qui  sub  lege  erant  redimeret,  ut  adoptionem 
filiorum  reciperemus.  (Galal.,  iv,  i,  li.) 


504  L.\   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  GHAP.   X. 

soulïrance,  de  l'ignominie  et  de  la  mort  sur  la  croix,  pour  le  salut 
des  iiommes.  Qui  pourrait  se  plaindre  et  refuser  l'obéissance  qui 
doit  le  conduire  à  la  victoire  et  au  royaume  céleste,  lorsqu'il  voit 
le  législateur  lui-même  donner  de  tels  exemples,  pour  l'exciter,  le 
fortilier.  le  consoler  au  milieu  des  épreuves  et  des  difficultés  dont 
est  semé  tout  chemin  qui  conduit  à  la  vie? 

Et,  dès  ici-bas,  quels  avantages  infinis  ne  trouvons-nous  pas  à 
suivre  la  voie  que  notre  Législateur  nous  a  tracée?  Ne  nous  dit-il 
pas  :  «  Si  quelqu'un  m'aime,  il  gardera  ma  parole  et  mon  Père 
«  l'aimera,  et  nous  viendrons  à  lui  et  nous  ferons  notre  demeure  en 
«  lui  '?»  Ailleurs  il  dit  encore:  «  Si  vous  m'aimez,gardez  mes  com- 
te mandements  :  et  je  prierai  le  Père  et  il  vous  donnera  un  autre 
«  consolateur  pour  qu'il  demeure  avec  vous  éternellement,  l'Esprit 
«  de  v<'ritèque  le  monde  ne  peut  recevoir  '^.  »  Est-il  un  trésor  compa- 
rable à  celui  que  Jésus-Christ  promet  à  ceux  qui  garderont  sa  parole, 
qui  observeront  fidèlement  ses  lois?  L'adorable  Trinité  tout  entière 
lei-a  sa  demeure  en  eux,  et  l'Esprit  de  Dieu  sera  leur  consolateur 
pendant  cette  vie  et  la  source  de  leur  bonheur  pendant  l'éternité  ! 
Selon  une  autre  parole  de  Notre-Seigneur  :  Le  royaume  même  de 
Dieu  sera  en  eux  3.  L'homme  aurait-il  jamais  pu  élever  si  haut  son 
ambition  et  ses  pensées? 

El  que  nul  ne  perde  confiance  à  la  vue  de  la  sublimité  du  but 
qu'il  faut  atteindre,  et  des  difficultés  qu'il  s'agit  de  vaincre.  Le 
Seigneur  a  dit,  il  est  vrai,  que  la  porte  est  étroite  et  que  le  chemin 
qui  conduit  à  la  vie  éternelle  l'est  aussi,  qu'il  est  difficile  à  un 
riche  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  ^.  Mais  toute  difficulté  dis- 
parait pour  quiconque  met  sa  confiance  en  lui  et  s'attache  avec 
amour  à  suivre  ses  traces.  David  qui  disait  à  Dieu  :  «  J'ai  suivi,  à 
«  cause  de  vos  paroles,  des  voies  dures  »,  »  s'écriait  aussi  :  «  J'ai 
«  couru  dans  la  voie  de  vos  commandements,  lorsque  vous  avez  di- 
•  laté  mon  co3ur  c.  >  Les  forces  que  nous  avions  perdues  par  le 

i.  Si  quis  (Jiligit  me,  sermonem  meum  servabit:  et  Pater  meus  diliget  eum, 
et  ad  eum  veniemus,  et  apud  eum  mansionem  faciemus.  {./oann.,  xiv,  ^3.) 

±  Si  diligitis  me,  mandata  mea  servate.  Et  ego  rogabo  Patrem,  et  alium 
Paracletum  dabit  vobis,  ut  maneat  vobiscum  in  ceternum,  Spiritum  veritatis, 
quem  mundus  non  potest  accipere.  {lùid.,  l.'i-17.) 

:<.  Hegnum  Dei  intra  vos  est.  {Luc,  xvii,  2d.) 

^4.  Quam  angusta  porta,  et  arcta  via  est  quae  ducit  ad  aeternam  vitam. 
{.yfrttih.,  vu,  U.j  —  iJives  difficile  intrabit  in  regnum  cœlorum.  (Id.,  xix,  %i.) 

o.  Propter  verba  iabionim  tuorum,  ego  custodivi  vias  duras.  {Ps.  xvi,  4.) 

6.  \  lam  mandatorum  tuorum  cucurri,  eum  dilatasti  cor  meum.  [Ps.  cxvm,  32.) 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE   DÉVOTION.  505 

péché  originel  nous  sont  rendues  avec  usure,  lorsque  nous  vou- 
lons sérieusement  être  fidèles  à  Jésus-Christ  et  garder  la  loi.  Atta- 
chons-nous à  lui,  ne  cherchons  à  faire  que  sa  sainte  volonté  et  non 
pas  la  nôtre  ;  aimons-le  enfin  comme  il  veut  être  aimé  et  selon  la 
parole  de  S.  Augustin,  tout  ce  que  nous  voudrons  faire,  nous  le 
ferons  :  Ama  et  fac  quod  vis. 

N'est-ce  pas  pour  nous  aider  à  remplir  fidèlement  sa  loi  quece  divin 
Législateur  a  voulu  demeurer  jusqu'à  la  fin  des  siècles  au  milieu  de 
nous?  Il  est  avec  son  Église,  pour  qu'elle  ne  s'égare  pas  en  nous  in- 
terprétant ses  divines  volontés,  pour  qu'elle  triomphe  de  tous  ses 
ennemis,  et  qu'elle  répande  partout  la  lumière  du  salut.  Mais  son 
amour  pour  nous  l'oblige  à  faire  plus  encore  :  il  vit  au  milieu  de 
nous  quoique  invisible  à  nos  sens,  comme  autrefois  au  milieu  des 
Juifs.  Si  nous  manquons  de  sagesse,  si  nous  manquons  de  forces 
pour  bien  pratiquer  sa  loi,  ne  craignons  pas  d'approcher  de  lui. 
Prosternons-nous  devant  son  tabernacle  ;  prenons  place  à  sa  table 
sainte  et  nous  deviendrons  forts;  la  fidélité  à  ses  lois  nous  sera 
facile,  le  triomphe  sur  nos  ennemis  assuré  et,  par  lui,  la  royauté 
céleste  promise  à  ceux  qui  auront  combattu  le  bon  combat  pendant 
leur  vie  mortelle. 

IV. 

JÉSUS-CHRIST    PRÉSENT    DANS   l'eUCHARISTIE    EST    L  ÉPOUX    DE    LÉGLISE 

ET    DES    AMES   JUSTES 

Le  Dieu  qui  daigne  habiter  parmi  nous,  et  se  donner  à  nous  au 
Très  Saint  Sacrement  de  l'autel,  est  souvent  appelé,  dans  la  Sainte 
Écriture,  du  doux  nom  d'Époux  ;  c'est  un  des  titres  qu'il  affectionne. 
«  Il  a  placé  sa  tente  dans  le  soleil,  dit  le  saint  roi  David;  et  lui- 
«  même  est  semblable  à  un  époux  sortant  de  sa  chambre  nuptiale. 
«  Il  s'est  élancé  comme  un  géant  pour  parcourir  sa  carrière  '.  »  Le 
prophète  Isaïe  célèbre  en  ces  termes  les  grandeurs  futures  de  la 
véritable  Sion  à  laquelle  le  Seigneur  donnera  un  nom  nouveau. 
Cette  Sion  bénie  est  la  sainte  Église  :  «  A  cause  de  Sion  je  ne  me  tairai 
a  pas,  et  à  cause  de  Jérusalem,  je  ne  me  reposerai  pas,  jusqu'à  ce 
«  que  paraisse  son  juste,  comme  une  éclatante  lumière,  et  que  son 
«  Sauveur,  comme  un  flambeau,  répande  sa  clarté.  Et  les  nations 

1.  In  sole  posuit  tabernaculum  suum;  et  ipse  tanquam  sponsus  procedens 
de  thalamo  suo.  Exultavit  ut  gigas  ad  currendam  viam.  {Ps.  xvui,  '6.) 


O06  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   X, 

«  verront  ton  juste,  et  tous  les  rois  ton  roi  illustre  :  et  l'on  t'ap- 
«  pellera  d'un  nom  nouveau  que  la  bouche  du  Seigneur  nommera. 
•  Et  tu  seras  une  couronne  de  gloire  dans  la  main  du  Seigneur,  et 
«  un  iliadème  royal  dans  la  main  de  ton  Dieu.  Tu  ne  seras  plus 
«  appelée  délaissée,  et  ta  terre  ne  sera  plus  appelée  désolée,  mais 
€  tu  seras  appelée  :  Ma  volonté  en  elle,  et  ta  terre  habitée,  parce 
«  que  le  Seigneur  s'est  complu  en  toi,  et  ta  terre  sera  habitée.  Car 
«  le  jeune  homme  habitera  avec  la  vierge,  et  tes  fils  demeureront 
«  en  toi.  Et  l'Époux  se  réjouira  en  son  Épouse,  et  ton  Dieu  se  ré. 
€  jouira  en  toi  '.  »  Ce  fut  lorsqu'il  parut  sur  la  terre  revêtu  de 
notre  humanité,  que  ce  divin  Époux  prit  possession  de  l'Église 
sou  Épouse  et  s'unit  à  elle  par  des  liens  que  rien  ne  saurait  briser. 
Aussi,  lorsque  S.  Jean-Baptiste  lui  rendit  témoignage,  le  désigna- 
t-il  sous  ce  nom  d'Époux.  «  Vous  m'ôLes  témoins  vous-mêmes, 
€  dit-il  à  ses  disciples,  que  j'ai  dit  :  Ce  n'est  pas  moi  qui  suis 
«  le  Christ,  mais  j'ai  été  envoyé  devant  lui.  Celui  qui  a  VÉpouse 
«  est  VÉpoux;  mais  l'ami  de  l'Époux  qui  est  présent  et  l'écoute 
t  se  réjouit  de  joie  à  cause  de  la  voix  de  l'Époux.  Ma  joie  est  donc 
«  maintenant  à  son  comble  2.  »  Et  le  Seigneur  lui-même  ne  disait- 
il  pas  aux  Pharisiens,  qui  se  scandalisaient  parce  que  les  apôtres 
ne  menaient  pas  une  vie  austère  qui  les  distinguât  du  commun  : 
€  Est-ce  que  les  fils  de  l'Époux  peuvent  pleurer,  aussi  long- 
«  temps  que  l'Époux  est  avec  eux  3?  »  C'est  ainsi  qu'il  donne 
à  lui-même  le  nom  d'Époux,  et  à  ses  apôtres  le  nom  de  fils  de 
l'Époux. 

L'homme  qui  prend  une  épouse  et  la  femme  qui  accepte  un 
époux,  se  livrent  l'un  à  l'autre,  de  sorte  que  pour  l'âme,  pour  la 
chair  et  pour  les  biens  terrestres,  on  peut  dire  qu'ils  ne  sont  plus 
deux,  mais  un  seul  être.  Ils  n'ont  plus  qu'une  seule  âme,  parce  que 
l'époux  aime  son  épouse  comme  lui-même  et  qu'elle  lui  porte  un 
semblable  amour.  Ils  n'ont  plus  qu'une  même  chair,  parce  qu'ils 
travaillent  de  concert  et  vivent  de  la  même  vie,  et  parce  qu'ils 
sont  ensemble  le  principe  unique  des  enfants  que  Dieu  leur  donne. 

I.   In.,  LXil,  1-0. 

±  Ipsi,  vos  mihi  lestimonium  perliibclis  quod  dixerim  :  Non  sum  ego  Chris- 
lu«  :  sed  quia  missus  sum  ante  illum.  Qui  habet  sponsam,  sponsus  est  :  ami- 
cus  autem  sponsi,  qui  stat  el  audit  eum,  gaudio  gaudebit  propter  vocem 
sponsi.  Hoc  ergo  gaudium  meum  impletum  est.  [Joann.,  m,  28,  %).) 

3.  Numquid  possunl  tilii  sponsi  lugere  quamdiu  cum  illis  est  sponsus? 
(Matlh.,  i.x,  lii.) 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  507 

Ils  possèdent  les  mêmes  richesses,  car  ce  qui  appartient  à  l'un 
appartient  à  l'autre. 

Cette  union  des  époux  chrétiens  est  l'image  fidèle  de  l'union  qui 
existe  entre  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  son  Église.  Les  fiançailles 
avaient  eu  lieu  dès  l'origine,  lorsque,  après  le  péché  d'Adam,  Dieu 
lui  promit  que  de  la  femme  naîtrait  un  Fils  qui  écraserait  la  tête 
du  serpent.  Les  prophètes  rappelèrent  souvent,  dans  le  cours  des 
siècles,  cette  promesse  et  annoncèrent  le  jour  de  son  accomplis- 
sement comme  le  dit  S.  Pierre  :  «  Tous  les  prophètes  depuis 
«  Samuel,  et  tous  ceux  qui  depuis  ont  parlé,  ont  annoncé  ces 
«  jours  1.  »  Les  épousailles  du  Fils  de  Dieu  et  de  la  nature  humaine 
ont  eu  leur  premier  accomplissement  dans  le  sein  virginal  de  la 
bienheureuse  Vierge  Marie.  Ce  fut  là,  au  moment  à  jamais  béni  de 
rincarnation  du  Verbe,  que  l'humanité  et  la  divinité  furent  unies 
eu  une  seule  personne  par  des  liens  indissolubles.  Le  Fils  de  Dieu 
ne  prenait,  il  est  vrai,  qu'un  seul  corps  humain  et  qu'une  seule 
âme  humaine,  mais  ce  corps  et  cette  âme  étaient  de  la  même 
nature  et  tirés  du  même  fond  que  les  nôtres.  Il  y  avait  un  lien  de 
parenté  avec  nous  créé  par  cette  union.  Ce  lien  allait  devenir  plus 
étroit  bientôt,  par  la  mort  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  voulut 
endurer  sur  la  croix  pour  toute  l'humanité,  et  pour  chacun  de  ses 
membres  en  particulier. 

Ce  fut  alors  que  le  divin  Époux  éleva  son  Épouse  assez  haut  et 
l'enrichit  assez  pour  qu'elle  ne  fût  pas  indigne  de  sa  souveraine 
grandeur.  Par  sa  mort  il  la  délivra  de  la  servitude  du  démon  et 
du  joug  du  péché  qui  la  retenaient  misérablement  captive.  Il  la 
racheta  et  la  sauva  :  dès  lors  elle  lui  appartenait  à  titre  de  justice; 
c'était  une  épouse  achetée  au  prix  de  son  sang.  Il  lui  donna  pour 
dot  toutes  les  richesses  de  sa  grâce  et  toutes  celles  de  sa  gloire,  ce 
qui  fait  dire  à  S.  Paul  :  «  Le  Christ  a  aimé  l'Église,  et  s'est  livré 
<i  lui-même  pour  elle,  afin  de  la  sanctifier,  la  purifiant  parle  baptême 
«  d'eau,  par  la  parole  dévie;  pour  la  faire  paraître  devant  lui  une 
«  Église  glorieuse,  n'ayant  ni  tache,  ni  ride,  ni  rien  de  semblable, 
«  mais  pour  qu'elle  soit  sainte  et  immaculée  ~.  s> 

1.  Omnes  prophetae  a  Samuel,  et  deinceps  qui  locuti  sunt,  annuntiaverunt 
dies  istos.  {Act.,  m,  2i.) 

2.  Christus  dilexit  Ecclesiam  et  semetipsuni  tradidit  pro  ea,  ut  illam  sancti- 
ficaret,  mundans  lavacro  aqucC,  in  verbo  vitcB  :  ut  exhiberetipse  sibi  gloriosam 
Ecclesiam,  non  babentem  maculam,  aut  rui?am,  aut  abquid  hujusmodi,  sed 
ut  sit  sancta  et  immaculata.  (Ephcs.,  v,  -2U,  27.) 


ii08  L.\   SAINTE    EUCHARISTIE.  —  IT'  PARTIE.  LIVRE   II.   —   CHAP.   \. 

Ce  sont  ces  épousailles  du  Fils  de  Dieu  avec  la  sainte  Église, 
par  sa  mort  sur  la  croix,  que  l'auteur  inspiré  du  Cantique  des  can- 
tiques annonçait  en  disant  :  «  Sortez  et  voyez,  filles  de  Sion,  le 
«  roi  Saloinon  avec  le  diadème  dont  le  couronna  sa  mère  au  jour 
«  de  ses  noces,  et  au  jour  de  la  joie  de  son  cœur  '.  »  La  couronne 
du  divin  Époux,  du  véritable  Salomon,  c'est-à-dire  du  roi  paci- 
/iijuc  par  excellence,  c'est  sa  passion,  c'est  sa  croix,  c'est  la  mort 
cruelle  et  ignominieuse  que  lui  lit  endurer  le  peuple  juif  auquel 
il  ajiparlenait  selon  la  chair.  Et  ce  fut  une  couronne  de  gloire  et 
d'iionneur  parce  que,  par  sa  passion,  il  acquit  la  gloire  de  son 
corps  el  l'exaltation  de  son  nom.  Par  elle  il  vainquit  le  péché, 
triompha  du  démon,  et  fut  glorifié  dans  le  monde  :  ce  qui  fait  dire 
à  S.  Paul  :  «  Ce  Jésus  qui  a  été  abaissé  un  peu  au-dessous  des 
€  anges,  nous  le  voyons,  à  cause  de  la  mort  qu'il  a  soufferte,  cou- 
«  ronné  de  gloire  et  d'honneur,  ayant  par  la  grâce  de  Dieu  goûté 
«  la  mort  pour  tous  '-.  »  Et  ce  jour  de  la  mort  du  divin  Époux, 
l'Écriture  le  nomme  «  le  jour  de  la  joie  de  son  cœur,  »  parce 
que  son  amour  pour  la  sainte  Église  était  si  grand,  son  désir  si 
ardent  d'arracher  les  hommes  au  péché,  de  les  délivrer  du  joug 
de  Satan  et  de  la  damnation,  de  leur  procurer  la  grâce  et  la  gloire 
éternelle,  que  les  souffrances  les  plus  cruelles  lui  semblaient  des 
délices,  à  cause  du  résultat  qu'il  en  attendait.  Il  souffrait  dans 
son  corps  adorable,  il  souffrait  dans  la  partie  inférieure  de  son 
âme,  plus  que  jamais  créature  humaine  n'a  souffert;  mais  sa  vo- 
lonté planait  au-dessus  de  ces  souffrances.  Il  les  acceptait  avec 
une  joie  indicible,  parce  qu'il  entrait  par  elles  en  possession  de 
sa  sainte  Église  et  qu'il  rachetait  nos  âmes.  Ses  souffrances  et  sa 
mort  étaient  la  dot  qu'il  constituait  à  son  Épouse,  et  il  se  considé- 
rait comme  trop  heureux  d'en  devenir  l'époux  à  ce  prix.  «  Le 
«  Christ  est  la  voie  qui  conduit  au  Père,  dit  S.  Ignace  d'Antioche; 
«  c'est  la  voie  que  suivit  tout  le  chœur  des  patriarches  et  des  pro- 
«  phétes,  la  voie  par  laquelle  ont  marché  les  apôtres,  ces  colonnes 
«  qui  soutiennent  le  monde;  c'est  la  voie  que  suit  l'Église,  l'Épouse 

\.  Egredimini  et  videte,  filia;  Sion,  regein  Salomoiiem  in  diademate,  quo 
coronavit  illum  mater  sua  in  die  desponsationis  illius,  et  in  die  Isetitiœ  cordis 
ejus.  iCaul.,  m,  M,) 

2.  Eum  autem,  qui  modico  quam  Angeli  minoratus  est,  videmus  .lesum, 
propter  passionem  niortis,  gloria  et  honore  coronatum,  ut  gratia  Dei  pro  om- 
nibus Kustnret  morlem.  (^IMr.,  n,  9  ) 


AUTRES   TITRES    DE    JESUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE   DÉVOTION.  o09 

«  du  Seigneur  pour  laquelle  il  a  donné  son  sang  comme  dot,  afin 
«  de  la  racheter  i.  » 

La  Sainte  Écriture  nous  apprend  qu'Adam  s'étant  endormi  d'un 
sommeil  mystérieux,  Dieu  lui  enleva  une  de  ses  côtes,  et  il  en 
forma  Eve,  la  première  femme,  qu'il  lui  présenta  pour  être  son 
épouse  et  qui  reçut  le  nom  de  mère  des  vivants.  Ce  fait,  inscrit  à 
la  première  page  des  annales  de  l'humanité,  était  l'image  du 
grand  mystère  qui  devait  s'accomplir  un  jour  sur  le  Calvaire. 
Jésus-Christ  s'endormit  sur  la  croix,  du  sommeil  de  la  mort,  et  ce 
fut  là  que  l'Église  son  Épouse  lui  fut  livrée.  La  lance  du  soldat 
entr'ouvrit  son  côté  sacré  :  il  en  sortit  du  sang  et  de  l'eau,  le  sang 
de  la  passion  qui  racheta  l'Église,  et  l'eau  du  baptême  qui  lui 
applique  les  mérites  de  ce  sang  et  de  cette  passion,  la  purifie,  la 
sanctifie  et  l'unit  par  la  grâce  à  son  divin  Époux.  Eve,  tirée  du  côté 
d'Adam  pour  être  la  mère  des  vivants,  ne  fut,  à  cause  du  péché, 
que  la  mère  de  ceux  qui  meurent;  mais  l'Épouse  du  Christ,  la 
sainte  Église,  sortie,  elle  aussi,  du  côté  de  son  Époux,  avec 
son  sang,  est  la  mère  de  ceux  qui  vivent  'de  la  vie  de  la  grâce 
et  qui  vivront  de  celle  de  l'éternelle  gloire  ~.  Car  l'Église  est  fé- 
conde, et  les  enfants  qui  lui  doivent  la  vie  sont  destinés  à  peu- 
pler le  ciel,  après  avoir  quelque  temps  habité  et  mérité  sur  la 
terre. 

Tous  les  descendants  du  premier  homme  et  de  la  première 
femme  sont  invités  à  devenir  les  enfants  ou  les  membres  de  la 
sainte  Église;  tous  peuvent  avoir  part  à  l'union  sacrée  qui  s'est 
accomplie  entre  le  divin  Époux  et  son  Épouse  mystique,  mais  à  la 
condition  qu'ils  répondront  à  l'invitation  qui  leur  est  faite  et  qu'ils 
revêtiront  la  robe  nuptiale,  le  vêtement  d'innocence  que  Jésus- 
Christ  leur  a  préparé  et  que  l'Église  est  chargée  de  leur  donner. 
Et  parce  que  les  âmes  purifiées  sont  les  membres  vivants  de  la 
sainte  Église,  elles  sont,  avec  l'Église  et  comme  elle,  les  épouses 
de  Jésus-Christ.  S.  Paul  disait  aux  fidèles  de  Corinthe  :  «  Je  vous 
«  ai  fiancés  à  un  époux  unique,  au  Christ,  pour  vous  présenter  à  lui 

1.  Christus  est  via  quœ  ducil  ad  Patrem;  per  quam  introivit  omnis  Patriar- 
charurn  et  Prophetarum  chorus,  et  column»  mundi  Apostoli,  et  sponsa  Do- 
mini  Ecclesia,  pro  qua  dotis  nomine  sanguineni  suuni  fudit,  uteam  redimeret. 
(S.  Ignat.,  apud  Bosium,  iib.  I,  cap.  vi.) 

2.  Somniis  AdcC  mors  erat  Christi  dormiluri  in  mortem,  ut  de  injuria 
perinde  lateris  ejus  vera  mater  viventium  figurarelur  Ecclesia.  (Tertull., 
Iib.  (le  Animn.) 


510  LK   SAINTE   EDCHARISTIE.  —    II*"   PARTIE,  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

«  comme  une  vierge  pure  '.  »  Et  ces  âmes  que  Jésus-Christ  a 
choisies  pour  ses  épouses,  ces  âmes  qu'il  appelle  à  lui  chaque 
jour  de  tous  les  pays  du  monde,  de  tous  les  âges,  de  tous  les  sexes, 
de  toutes  les  conditions,  il  les  aime  comme  un  fidèle  époux  doit 
aimer  son  épouse  :  ne  sont-elles  pas  ses  créatures  les  plus  par- 
fiùles?  n'onl-elles  pas  été  rachetées  au  prix  de  son  sang?  ne  sont- 
elles  pas  destinées  à  partager  éternellement  son  bonheur,  sa  gloire, 
sa  royauté  céleste  ?  Elles  ne  sont  pas  de  simples  invitées  aux 
noces  que  le  Hoi  des  rois  fait  à  son  Fils,  et  pour  lesquelles  il  a  tout 
préparé  au  ciel  et  sur  la  terre;  elles  sont^les  reines  du  festin, 
parce  qu'elles  sont  les  épouses  bien-aimées  de  celui  dont  les  noces 
dureront  à  jamais. 

Le  Sage  disait  :  «  Toutes  choses  sont  à  vous,  ù  Seigneur  qui 
€  aimez  lésâmes  '-;  »  mais  s'il  aime  toutes  les  âmes,  de  quel  amour 
n'est-il  pas  enllammé  pour  celles  qui  savent  profiter  de  ce  qu'il 
fait  pour  elles?  S.  Paul  écrivait  à  Timothée  :  «  Le  Dieu  vivant 
c  est  le  sauveur  de  tous  les  hommes,  et  pricipalement  des 
€  fidèles  '\  »  Ce  sont  les  fidèles  qu'il  aime,  ce  sont  leurs  âmes  qui 
lui  sont  chères  par-dessus  tout,  parce  qu'elles  sont  pures  et  saintes 
à  ses  yeux  et  qu'il  les  considère  comme  ses  épouses.  Il  dit,  au 
livre  des  Proverbes  :  a  Moi,  j'aime  ceux  qui  m'aiment  »  :  Ego 
dUvjentos  me  diligo  '*.  Quel  ne  sera  donc  pas  son  amour  pour 
ces  âmes  qui  le  regardent  comme  leur  époux,  qui  le  recher- 
chent de  toutes  leurs  forces  et  ne  veulent  vivre  que  pour  lui? 
L'amour  des  enfants  pour  ceux  qui  leur  ont  donné  la  vie  est  grand 
sans  doute;  la  tendresse  des  mères  pour  le  fruit  de  leurs  entrailles, 
pour  les  enfants  qu'elles  ont  élevés  au  prix  de  tant  de  soins  et  de 
sacrifices,  ne  saurait  être  dignement  exprimée  :  cependant,  réu- 
nissez dans  un  seul  co^ur  tout  l'amour  de  tous  les  enfants  et  de 
tous  les  parents  qui  ont  vécu,  ou  qui  vivront  sur  la  terre  :  il  n'é- 
galera pas  encore  celui  de  Jésus  pour  les'âmes  créées  à  son  image, 
rachetées  par  son  sang,  purifiées, ornées  et  sanctifiées  par  sa  grâce. 
C'est  cet  amour  dont  l'Époux  des  Cantiques  cherchait  à  exprimer 
l'ardeur  et  la  tendresse,  lorsqu'il  disait:  «  Vous  avez  blessé  mon 

I.  Despondi  (îniin  vos  uni  viro,  virginem  castam  exhibere  Christo.  (//.  Cor., 

XI,  -i.) 
±  Tua  suntoiniii.-i,  Domine,  qui  amas  animas.  [Sap.,  xi,  27.) 
•* Ueum  vivum,  qui  est  Salvator  omnium  hominum,  maxime  fidelium. 

(/.  Tim.,  IV,  10.) 

i.    proi       vin     17, 


AUTRES   TITRES    DE    JÉSUS  EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  511 

«  cœur,  ma  sœur,  mon  épouse,  vous  avez  blessé  mon  cœur  par 
«  l'un  de  vos  yeux,  et  par  un  cheveu  de  votre  cou  ^  » 

Aucune  intelligence  créée,  soit  humaine,  soit  angélique,  ne  sau- 
rait concevoir  combien  est  grande  la  faveur  que  le  divin  Époux 
nous  fait  de  nous  aimer  ainsi.  Qu'est-il,  en  effet,  et  que  sommes- 
nous?  Il  est  rinfmie  Majesté  devant  laquelle  toute  autre  grandeur 
s'etTace  comme  la  moindre  étoile  en  présence  du  soleil;  il  est  le 
bien  infini,  la  beauté  infinie,  d'où  procèdent  tout  bien  et  toute 
beauté  ;  'il  est  la  gloire  infinie,  la  béatitude  infinie  dont  la  vue 
seule  suffira  pour  plonger  les  bienheureux  du  ciel  dans  un  océan 
de  bonheur,  pendant  toute  l'éternité.  Et  nous,  nous  ne  sommes 
que  de  misérables  créatures,  enfants  de  colère,  en  proie  à  la  con- 
cupiscence et  à  toutes  sortes  d'inclinations  mauvaises,  condamnés 
à  la  mort  temporelle  et  à  l'exil,  loin  de  notre  véritable  patrie,  le 
ciel,  à  cause  du  péché  que  notre  premier  père  nous  a  transmis, 
comme  un  funeste  héritage;  condamnés  à  la  mort  éternelle,  à 
cause  des  péchés  commis  volontairement  par  nous.  Et  cependant, 
quoique  nous  fussions  si  peu  de  chose,  et  que  nos  fautes  eussent 
encore  aggravé  sans  mesure  notre  indignité,  ce  Dieu  si  bon  nous 
a  fait  échapper  à  une  condamnation  justement  méritée  ;  il  a  lavé 
et  purifié  nos  âmes  dans  son  propre  sang  par  les  sacrements  insti- 
tués à  cet  effet;  il  les  a  ornées  de  ses  dons  les  plus  précieux;  il 
les  a  faites  aussi  belles  qu'il  convient  à  la  sublime  dignité  qu'il 
leur  réservait;  il  les  a  prises  enfin  pour  ses  épouses,  et  il  les  aime 
d'un  amour  dont  lui  seul  peut  mesurer  la  force  et  la  tendresse. 

Moïse  avait  choisi  pour  femme  une  Éthiopienne,  ou  l'une  de  ces 
Madianites  bronzées  par  le  soleil  qui  habitaient  sous  des  tentes. 
Son  frère  Aaron  et  sa  sœur  Marie  le  lui  reprochaient  vivement,  et 
considéraient  cette  alliance  comme  indigne  de  lui  et  de  sa  famille. 
Le  Verbe  divin  n'a  pas  dédaigné  de  prendre  pour  épouses  nos 
âmes  que  le  péché  avait  rendues  étrangères  à  Dieu  et  à  ses  anges, 
qui  habitaient  dans  les  régions  désolées  du  péché,  qui  étaient 
souillées,  noircies,  aveuglées  par  les  ténèbres  spirituelles,  et  dont 
les  esprits  immondes  avaient  fait  leur  demeure.  Et  les  anges  ne 
s'en  offensèrent  pas;  ils  ne  se  plaignirent  pas  à  Dieu  de  ce  qu'il 
prenait  de  telles  âmes  pour  ses  épouses.  Le  Fils  de  Dieu  jugea  lui- 
même  qu'il  pouvait  le  faire,  sans  manquer  aux  égards  réclamés 

I.  Vulnorasti  cor  meum,  soror  mea,  sponsa,  vulnerasti  cor  meiun  in  uiio 
orniormn  tuorum,  et  in  uno  crinc  coUi  lui.  (fiant.,  iv,  U.) 


k 


ol2         1.A    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CllAP.  X. 

par  sa  souveraine  Majesté,  et  les  anges  se  réjouirent;  ils  jugèrent 
qu'un  tel  acte  convenait  à  sa  bonté  infinie;  ils  le  louèrent  et  le 
glorifièrent;  ils  le  loueront  et  le  glorifieront  éternellement  de  ce 
qu'il  a  daigné  faire  ainsi  pour  nous.  C'est  que  le  Fils  de  Dieu  est 
tout-puissant  et  que  le  choix  qu'il  fait  d'une  àme,  l'amour  qu'il 
conçoit  pour  elle,  donnent  à  cette  àme  tout  ce  qu'il  faut  pour  être 
vraiment  à  la  hauteur  de  la  dignité  à  laquelle  il  plaît  à  sa  souve- 
raine bonté  de  l'élever,  fût-ce  à  la  dignité  de  son  épouse. 

«  Et  moi,  dit  S.  Jean,  dans  l'Apocalypse,  je  vis  la  cité  sainte,  la 
«  nouvelle  Jérusalem,  descendant  du  ciel,  d'auprès  de  Dieu,  parée 
c  comme  une  épouse ,  ornée  pour  son  époux  ^  ;  »  afin  qu'il 
soit  charmé  de  sa  vue  et  heureux  d'habiter  avec  elle.  Dans  une 
autre  vision,  il  dit  encore  :  «  Elles  sont  venues,  les  noces  de  l'Agneau, 
■  et  son  Épouse  s'y  est  préparée.  Et  il  lui  a  été  donné  de  se  vêtir 
«  d'un  lin  fin,  éclatant  et  blanc.  Ce  lin  fin,  ce  sont  lesjustifications 
«  des  saints  -,  »  la  pureté  et  la  sainteté,  toutes  les  œuvres  justes 
et  saintes. 

C'est  ainsi  que  notre  divin  Jésus  orne  nos  âmes,  qu'il  admet  au 
nondjre  de  ses  épouses,  et  la  beauté  qu'il  leur  donne  ajoute  à  sa 
propre  gloire.  Plus  il  élève  en  sainteté  et  en  grandeur  des  âmes 
qui,  par  elles-mêmes,  étaient  profondément  misérables,  plus  il 
fait  éclater  la  grandeur  de  sa  puissance,  de  sa  bonté,  de  son  infinie 
miséricorde.  L'âme,  épouse  de  Jésus-Christ,  reconnaît  cet  amour 
et  cet  infini  bienfait;  elle  confesse  qu'elle  le  doit  tout  entier,  et 
sans  mérite  de  sa  part,  à  celui  qui  le  lui  accorde  ;  elle  lui  témoigne 
sa  reconnaissance,  et  célèbre  ses  louanges  avec  le  prophète  Isaïe 
(jui  s'écriait  :  «  Je  me  réjouirai  dans  le  Seigneur  et  mon  âme 
«  exultera  en  mon  Dieu  ;  parce  qu'il  m'a  revêtu  des  vêtements  du 
«  salut,  t-'t  du  manteau  de  la  justice,  il  m'a  enveloppé  comme 
€  l'époux  paré  d'une  couronne,  et  comme  l'épouse  ornée  de  ses 
«  colliers  ^.  » 

Tel  est  l'amour  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pour  les  âmes 

1.  Kl  ego  Joannes  vidi  sanctam  civitatem,  Jérusalem  novain  descendentem 
de  cœlo  a  Deo,  paralam  sicut  sponsam,  ornatam  viro  siio.  (Apoc,  xxi,  2.) 

±  Venerunt  nuplise  .\gni,  et  uxor  ejus  praeparavit  se.  Et  datum  est  illi  ut 
cooperiat  se  byssino  splendenti  et  candide.  Byssinum  enim  justificationes 
»unt  sanclorum.  {Apoc,  xix,  7,  8.) 

;{.  Gaudebo  in  Domino,  et  exultabo  in  Deo  meo;  quia  induit  me  vestimen- 
tis  saluti»;  cl  indumenlo  jVistitJje  circumdedit  me,  quasi  sponsum  decoratum 
corona,  et  quasi  sponsam  ornatam  monilibus  suis,  {/s.,  lxi,  10.) 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS    EUCII ARliTl'jLE    A    NOTRE    DÉVOTION.  513 

qu'il  a  daigné  admettre  au  nombre  de  ses  épouses;  c'est  ainsi  qu'il 
lesennolDJitet  les  enrichit,  par  amour,  des  dons  de  la  grâce  et  delà 
gloire,  dont  il  les  comble.  Pourrait-il  oublier  lésâmes  ses  épouses? 
Pourrait-il  cesser  de  les  aimer?  Les  époux  de  la  terre  portent  or- 
dinairement sur  eux  quelque  signe,  quelque  gage,  une  bague  par 
exemple,  qui  leur  rappelle  l'amour  de  celles  à  qui  leur  vie  appar- 
tient ici-bas.  Le  divin  Époux  de  nos  âmes  porte  aussi  des  sio-nes 
des  gages  indélébiles  de  son  amour  pour  nous.  Il  est  sorti  glorieux 
du  tombeau  ;  ni  la  soufl'rance  ni  la  mort  ne  peuvent  plus  rien  sur 
lui  ;  mais  il  a  gardé  les  cicatrices  des  plaies  de  ses  pieds,  de  ses 
mains  et  de  son  côté.  S'il  pouvait  oublier  qu'il  nous  aime,  la  vue 
de  ces  marques  sacrées  lui  rappellerait  ce  qu'il  a  été  et  ce  qu'il 
est  pour  nous.  Aussi  disait-il  par  la  bouche  d'Isaïe  :  «  Voici  que 
«  je  t'ai,  dans  mes  mains,  gravée  S  »  c'est-à-dire  :  Tu  es  toujours 
présente  devant  mes  yeux,  et  jamais  je  ne  cesserai  de  penser  à 
toi,  ni  de  t'aimer. 

L'amour  seul  peut  payer  l'amour  et  celui  qui  aime  beaucoup  dé- 
sire être  beaucoup  aimé.  L'épouse  doit  donc  aimer  son  époux; 
l'âme  fidèle  doit  donc  aimer  Jésus.  S.  Jean  disait  :  «  Aimons  Dieu, 
«  parce  que  lui-même  nous  a  aimés  le  premier  2.  »  Si  même  il  ne 
nous  avait  pas  aimés,  nous  lui  devrions  encore  notre  amour,  parce 
qu'il  est  l'être  infiniment  parfait,  le  bien  essentiel  et  infiniment 
aimable  :  pourrions-nous  refuser  de  l'aimer,  lorsqu'il  a  daigné  nous 
aimer  le  premier?  Mais  pour  que  l'amour  d'une  âme  pour  son 
divin  Époux  soit  véritable  et  constant,  il  convient  que  cette  âme 
recoure  habituellement  à  quelques  moyens  propres  à  l'entretenir. 

Le  premier  moyen  de  demeurer  fidèle  à  l'amour  de  Dieu  est 
d'entretenir  ordinairement  dans  son  esprit  quelque  bonne  pensée, 
quelque  souvenir  pieux,  quelque  considération  propre  â  ranimer 
cet  amour  et  â  l'exciter  encore  davantage.  Il  faut  se  rappeler  sa 
divine  présence,  sa  bonté,  sa  puissance,  sa  beauté,  sa  suavité,  sa 
libéralité,  sa  magnificence  et  ses  autres  perfections.  Il  faut  élever 
souvent  son  cœur  vers  Dieu  pai-  des  désirs  ardents,  des  aspirations 
brillantes,  des  oraisons  jaculatoires;  il  faut  désirer  surtout  de  l'ai- 
mer d'un  amour  parfait,  de  lui  plaire  par  une  pureté  semblable  à 
celle  des  anges,  de  le  servir  sur  la  terre  avec  une  soumission  et 
une  exactitude  qui  ressemblent  à  celle  de  ces  esprits  bienheureux  ; 

1.  Kcce  in  manibus  meis  descripsi  te.  (/.s.,  \i.i\.  1(5.) 

iJ.  Dili^^amus  Deiim,  quoniam  ipse  prior  dilexil  nos.  (/.  Joaun.,  iv,  |'.).) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  33 


:;i  i  LA  SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  LIVRE   II.   —  CHAP.   X. 

il  faut  enfin  désirer  ardemment  de  voir  un  jour  au  ciel  son  infinie 
beauté,  de  posséder  sa  gloire  éternelle,  et  d'être  uni  par  la  béati- 
tude céleste  à  sa  bonté  infinie.  Et  lorsqu'on  s'aperçoit  de  quelque 
iié^-ligence  dans  l'outretien  de  ces  saintes  pensées  et  de  ces  pieux 
désirs,  on  doit  reconnaître  son  ingratitude,  confesser  sa  paresse, 
sa  négligence,  sa  faute,  demander  humblement  pardon  et  redou- 
bler de  zèle  et  de  vigilance  pour  persévérer  dans  cette  sainte  pra- 
tique. Même  au  milieu  des  occupations  les  plus  absorbantes,  on 
peut  réserver  quelque  chose  de  son  intelligence  et  de  son  cœur 
pour  Dieu. 

l'n  second  moyen  de  conserver  précieusement  et  d'augmenter 
chaque  jour  le  trésor  de  l'amour  de  Dieu,  est  d'avoir  recours  à 
lui.  de  le  consulter  pour  toutes  ses  affaires,  qu'on  ait  à  les  traiter 
seul  ou  avec  les  hommes.  11  faut  examiner  en  tout  ce  qui  sera  le 
plus  conforme  à  sa  sainte  volonté,  ce  qui  servira  le  plus  à  sa  gloire 
ou  au  bien  des  âmes;  et  si,  pour  des  aiïaires graves,  on  doit  avoir 
recours  aux  lumières  des  hommes,  il  faut  prier  le  Seigneur  pour 
qu'il  soit  lui-même  leur  lumière. 

Enfin,  si  l'on  veut  avancer  dans  l'amour  de  Dieu,  et  ne  pas  s'ex- 
poser à  le  perdre,  on  doit  s'appliquer  à  considérer  en  toutes  choses 
sa  sainte  volonté,  et  s'y  soumettre  sans  murmure  ou  même  avec 
joie,  quelque  rudes  que  soient  parfois  à  la  nature  les  épreuves  par 
les(|uelles  on  passe.  Les  afiïictions  les  plus  pénibles  ne  nous  vien- 
nent pas  moins  de  la  main  de  Dieu  que  les  consolations;  s'il  nous 
les  envoie,  lui  qui  nous  aime  infiniment,  c'est  qu'elles  nous  sont 
utiles  pour  ce  monde  ou  pour  l'autre.  Celui  qui  veut  suivre  Jésus 
doit  prendre  sa  croix,  pour  marcher  sur  ses  traces,  et  cette  croix, 
ce  n'est  pas  à  nous  de  la  choisir  ordinairement  :  celles  que  Dieu 
nous  envoie  sans  que  nous  y  soyons  pour  rien  sont  les  meilleures; 
mais  il  faut  les  porter  humblement,  avec  résignation,  avec  joie; 
il  faut  se  reconnaître  heureux  d'avoir  quelque  chose  à  souffrir  avec 
Jésus-Christ  et  par  lui. 

l'n  tel  amour  doit  être  constant.  L'Épouse  des  Cantiques  disait  : 
«  J'ai  rencontré  celui  (|ue  chêrii.  mon  âme  :  je  l'ai  saini  et  je  ne  le 

•  laisserai  pus  aller  ".  »  .S.  Paul  disait  :  «  Je  suis  certain  que  ni 

•  mort,  ni  vie,  ni  anges,  ni  principautés,  ni  puissances,  ni  choses 
«  présentes,  ni  chrjses  futures,  ni  violence,  ni  ce  qu'il  y  a  de  plus 

1.  liivc-iii  quciri  Uiiigil  anima  inca  :  lenui  eimi  :  nec  dimittam.  [Cant.,  m,  1.) 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A   NOTRE    DÉVOTION.  515 

«  élevé,  ni  ce  qu'il  y  a  de  plus  profond,  ni  aucune  créature  ne 
«  pourra  nous  séparer  de  Tamour  de  Dieu  qui  «^st  dans  le  Christ 
«  Jésus,  Notre-Seigneur  '.  »  Hélas!  nous  sommes  faibles  et  nous 
n'avons  pas  reçu,  comme  l'Apôtre,  l'assurance  de  notre  persévé- 
rance finale  :  mais  avec  la  grâce  de  Dieu,  si  nous  la  demandons 
et  si  nous  veillons  à  y  être  toujours  fidèles,  nous  demeurerons, 
comme  lui,  attachés  inébranlablement  à  notre  divin  Époux  :  nous 
dirons  comme  l'Épouse  des  Cantiques:  Tenui  eum  nec  dimittam  : 
K  Je  l'ai  saisi  et  je  ne  le  laisserai  pas  aller.  » 

L'âme  devenue  l'épouse  de  Jésus-Christ  par  la  grâce,  et  brûlante 
d'amour  pour  cet  Époux  divin,  écoutera  fidèlement  sa  parole  et 
profitera  de  ses  enseignements,  «  parce  que  l'homme  est  le  chef  de 
«  la  femme  comme  le  Christ  est  le  chef  de  l'Église  -,  »  dit  S.  Paul. 
Elle  s'écriera  avec  le  Psalmiste  :  «  Que  vos  paroles  sont  douces 
«  à  ma  gorge,  plus  douces  que  le  miel  à  ma  bouche  3;  »  c'est-à- 
dire  :  Que  j'aime  à  les  répéter  après  vous,  parce  qu'elles  sont  les 
délices  de  mon  cœur!  Et  encore  :  «  Votre  parole  est  une  lampe  qui 
«  éclaire  mes  pieds,  et  une  lumière  dans  mes  sentiers  ^.  —  J'ai 
<i  caché  vos  paroles  au  fond  de  mon  cœur,  afin  de  ne  point  vous 
«t  offenser  ^  —  Je  suis  prêt  et  je  n'hésite  pas  â  garder  vos  com- 
<t  mandements  ^.  »  Le  divin  Époux,  de  son  côté,  donnera  des  lu- 
mières de  choix  aux  âmes  ses  épouses  qui  lui  seront  les  plus  fidèles; 
quelquefois  il  portera  la  bonté  jusqu'à  les  favoriser  de  visions  et 
de  révélations,  signes  sensibles  et  incontestables  de  l'amour  qu'il 
leur  porte.  Les  vies  des  saints  sont  remplies  de  ces  témoignages 
de  tendresse  du  divin  Époux  :  si  toutes  les  âmes  pieuses  ne  sont 
pas  l'objet  de  telles  faveurs,  elles  n'en  apprennent  pas  moins,  par 
ces  exemples,  combien  le  Seigneur  est  bon  pour  ceux  qui  le  ser- 
vent. 

L'amour  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pour  les  âmes  qui  lui 

1.  Cerlus  sum  enim,  quia  neque  mors,  neque  vita,  neque  angeli,  neqiic 
principatus,  neque  virtutes,  neque  instantia,  neque  futura,  neque  fortitudo, 
neque  allitudo,  neque  profundum,  neque  creatura  alia  poterit  me  separare  a 
charitate  Dei  (juie  est  in  Clirislo  Jesu  Domino  nostro.  {Rom.,  viii,  8S,  30.) 

2.  Quoniam  vir  caput  est  mulieris,  sicut  Christus  caput  est  Ecclesiœ. 
(Ëphes.,  V,  itl.) 

'.i.  Quam  dulcia  faucibus  meis  eloquia  tua  !  super  mel  ori  meo.  {Ps.  cxviii, 
103.) 
•i.  Lucerna  pedibus  meis  verbum  tuum,  et  lumen  semilismeis,  {IbùL,  lOIJ.) 
îj.  hi  corde  meo  abscondi  eloquia  tua  ut  non  peccem  tibi.  {Ibùl,  M.) 
«•).  Para  tus  sum  et  non  sum  lurbatus,  ut  custodiam  mandata  tua.  {I/mL,  (10.) 


516  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11''  PAUTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

appartiennent  d'une  manière  si  intime  le  porte  nécessairement  à 
leur  communiquer  ses  biens.  Entre  l'époux  et  l'épouse,  tous  les 
liiens  sont  communs  :  ils  ont  le  même  héritage,  la  même  demeure, 
la  même  table,  la  même  chambre  nuptiale,  la  même  chair;  et  c'est 
à  cause  de  cette  communauté  de  biens,  dit  S.  Bernard,  que  Jésus- 
Christ  a  donné  le  nom  de  ses  épouses  aux  âmes  qui  l'aiment  *. 
Les  saints  ont  été  prédestinés  de  Dieu,  à  cause  de  Jésus-Christ,  et 
Dieu  n'a  créé  l'humanité  que  pour  les  saints  qui  devaient  en  sor- 
tir. Si  l'homme  a  quelque  grandeur,  c'est  uniquement  aux  saints 
qu'il  la  doit  et  c'est  en  eux  qu'elle  brille  de  tout  son  éclat.  David 
disait  au  Seigneur  :  «  Je  considérerai  vos  ci  eux,  les  œuvres  de 
t  vos  doigts,  la  lumière  et  les  étoiles  que  vous  avez  affermies. 
«  Qu'est-ce  que  l'homme  pour  que  vous  vous  souveniez  de  lui,  et 
«  le  fils  d'un  homme,  pour  que  vous  le  visitiez?  Vous  ne  l'avez 
«  abaissé  qu'un  peu  au-dessous  des  anges;  vous  l'avez  couronné 
«  de  gloire  et  d'honneur,  et  vous  l'avez  établi  sur  les  œuvres  de 
«  vos  mains.  Vous  avez  mis  toutes  choses  sous  ses  pieds,  les  brebis, 
CI  les  bœufs  et  de  plus  les  animaux  des  champs  ;  les  oiseaux  du  ciel 
«  et  les  poissons  de  la  mer  qui  parcourent  les  sentiers  de  la  mer. 
«  Seigneur  notre  Seigneur  !  que  votre  nom  est  admirable  dans  tou  te 

•  la  terre  '-'.  »  Mais  ces  dons  de  l'ordre  naturel  que  Dieu  fait  à 
l'homme  à  cause  des  âmes  choisies,  épouses  bien-aimées  de  son 
divin  P^ils,  sont  peu  de  chose  si  on  les  compare  aux  dons  de  l'ordre 
surnaturel  qu'il  accorde  à  ces  âmes,  aux  consolations,  à  la  joie,  à 
la  douce  et  confiante  espérance  dont  il  les  pénètre,  à  la  fécondité 
qu'il  leur  communique  ;  car  la  sainte  Église,  l'Épouse  par  excel- 
lence de  notre  divin  Jésus,  n'est  pas  seule  féconde  ;  ce  n'est  pas 
d'elle  seule  que  le  Prophète  disait  :  «  Louez  le  Seigneur,  stérile 
«  qui  n'enfantez  pas  ;  chantez  sa  louange  et  poussez  des  cris  de 
«  joie,  vous  qui  n'enfantiez  pas,  parce  que  les  fils  de  la  délaissée 

•  seront  j.lus  nombreux  que  les  fils  de  celle  qui  a  un  époux  3.  » 
La  stérile,  la  délaissée  était  la  gentilitéqui  se  convertit  à  Dieu  et, 

1.  Non  sunt  inventa  seque  dulcia  nomina,  quibus  Verbi  animaeque,  dulces 
ad  invicem  expriniercntur  aireclus,  (lueinadmodum  sponsus  et  spoma ,  qu'nppe 
quibus  omnia  communia  suiil  :  una  utriusque  haereditas,  una  domus,  una 
mensa,  unus  tborus,  una  caro.  (S.  Bernard.,  serm.  vu,  in  Cant.) 

•1.  «^uoniam  videbo  cœlos  tuos,  etc.  [Ps.  vin,  4.  40.) 

:«.  Lauda,  sterilis,  qua;  non  paris;  décanta  laudem,  et  hinni  quae  non  pa- 
riobas,  r|uoniam  mulli  filii  desertae  magis  quam  ojus  quse  habet  virum.  (/s., 

LIV,  1.) 


AUTRES    TITRES   DE   JÉSUS   EUCHARISTIQUE   A    NOTRE  DÉVOTION.  517 

devenue  l'Église,  lui  donna  d'innombrables  enfants,  tandis  que  la 
Synagogue  fut  stérile  à  son  tour.  De  même  pour  chaque  âme  en 
particulier  :  elle  a  été  stérile,  elle  n'a  produit  aucua fruit  de  bonnes 
œuvres  ni  de  sainteté,  tant  qu'elle  a  vécu  séparée  de  son  divin 
Époux  ;  mais  du  jour  où  elle  s'est  donnée  à  lui,  sa  fécondité  a  été 
merveilleuse,  les  fruits  qu'elle  a  produits,  aussi  abondants  que  dé- 
licieux et  agréables,  devant  Dieu  et  devant  ses  anges;  fruits  de 
bénédiction  que  le  Seigneur  met  en  réserve  pour  les  transformer 
au  ciel  en  une  gloire  dont  rien  ne  saurait  nous  donner  une  idée 
ici-bas,  car,  selon  la  parole  de  l'Apôtre  :  «  L'œil  n'a  point  vu, 
«  l'oreille  n'a  point  entendu,  le  cœur  de  l'homme  n'a  pas  soupçonné 
«  ce  que  Dieu  a  préparé  à  ceux  qui  l'aiment.  » 

Mais  entre  tous  les  bienfaits  que  Dieu  accorde  aux  âmes  qui  lui 
sont  chères,  à  ses  épouses  bien-aimées  et  à  sa  sainte  Église,  il 
n'en  est  pas  un  que  l'on  puisse  comparer  ici-bas  au  don  qu'il  leur 
fait  de  lui-même.  Il  est  présent  à  tous  et  à  chacun  par  sa  divinité 
et  par  les  secours  de  sa  grâce;  il  est  présent  à  son  Église  selon  la 
parole  qu'il  a  dite  à  ses  apôtres  :  «  Allez,  enseignez  toutes  les  na- 
«  tions,  leur  apprenant  à  garder  tout  ce  que  je  vous  ai  commandé  : 
«  et  voici  que  je  suis  avec  vous  tous  les  jours,  jusqu'à  la  consom- 
«  mation  du  siècle  2  ;  »  mais  il  y  est  aussi,  et  l'on  peut  dire,  il  y  est 
surtout  dans  le  très  saint  et  très  adorable  sacrement  de  l'Eucha- 
ristie. Grâce  à  ce  Sacrement  divin,  les  âmes  qui  le  cherchent, 
comme  l'Épouse  des  Cantiques,  savent  où  le  trouver.  Il  est  là,  hum- 
blement caché  sous  des  apparences  qui  ne  sauraient  inspirer  la 
crainte.  La  foi  seule  révèle  sa  présence,  mais  la  foi  suffit  et  ne 
trompe  pas.  A  chaque  heure,  à  chaque  instant,  il  est  prêt  à  donner 
audience,  à  admettre  dans  son  intimité  quiconque  vient  vers  lui  en 
toute  simplicité  et  avec  amour.  0  vous  qui  aimez  Jésus!  Ames 
fidèles,  épouses  de  Jésus-Christ,  allez  à  votre  divin  Époux  et  aimez- 
le  comme  il  vous  aime! 


1.  Oculus  non  vidit,  nec  auris  audivit,  nec  in  cor  hominis  ascendit,  quse 
praeparavitDeus  iis  qui  diligunt  illum.  (/.  Coi\,  11,  0.) 

2.  Eunlesergo,  docele  omnes  gentes....  docentes  eos  servare  oninia  quœ- 
cumque  mandavi  vobis.  Kt  ecce  ego  vobiscum  sum  omnibus  diebus,  usque 
ad  consummationem  saeculi.  [Matth.,  xxviii,  Ut,  20.) 


118  LA  SAINTE  EDCHARISTIE.  —   II"  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 


JKSIS-CIIHIST   PRÉSENT   DANS    l'eUCHARISTIE    EST   NOTRE   VIE, 
ET    l'aliment    surnaturel    DE   NOS   AMES 

On  dit  qu'un  être  est  vivant,  lorsqu'il  possède  en  soi-mênne  le 
principe  de  ses  mouvements  et  de  son  action.  Dieu  possède  la  vie 
dans  toute  sa  plénitude,  et  c'est  de  lui  que  la  tiennent  toutes  les 
créatures  qui  participent  à  ce  bienfait.  Il  ne  possède  pas  seule- 
ment la  vie,  mais  il  est  la  vie  elle-même,  la  vie  infiniment  parfaite 
qui  se  confond  avec  l'essence  divine. 

Notre-Seigneur  .Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  possède  la  vie  en  lui- 
même,  comme  le  Fère  qui  la  lui  communique  i  :  mais  il  n'est 
pas  seulement  la  vie  :  il  est  notre  vie.  C'est  le  nom  que  S.  Paul  lui 
donne  :  «  Lorsque  aura  paru  le  Christ,  notre  vie  2,  »  écrit-il  aux 
lidèles  de  Colosses  ;  et  le  divin  Maître  ne  dit-il  pas  lui-même  :  «  Je 
€  suis  la  voie,  la  vérité  et  la  vie  •'*?».  Il  est  la  voie,  parce  que,  grâce 
à  ses  mérites,  à  la  foi  que  nous  avons  en  lui  et  à  l'imitation  de  ses 
vertus,  nous  arrivons  jusqu'à  lui  et  nous  possédons  la  vie  bien- 
heureuse. Il  est  la  vérité,  parce  qu'il  nous  enseigne  toute  vérité  et 
qu'il  garde  fidèlement  toutes  ses  promesses.  Il  est  la  vie,  parce 
qu'il  nous  a  mérité  la  vie  de  la  grâce  et  celle  de  la  gloire  et  qu'il 
opère  cette  vie  en  nous,  par  sa  divinité  et  par  son  humanité  qui  en 
est  l'instrument.  C'est  en  ce  sens  que  S.  Pierre  l'appelle  V Auteur 
de  la  vie.  «  Vous  avez  demandé  qu'on  vous  délivre  un  homme 
«  homicide,  et  vous  avez  mis  à  mort  l'auteur  de  la  vie  *,  »  dit-il 
aux  Juifs.  Le  Seigneur  dit  à  son  tour  :  «  Je  suis  venu  pour  que 
«  mes  brebis  aient  la  vie,  et  qu'elles  l'aient  avec  plus  d'abon- 
«  dance  ^\  »  Di-jà  les  justes  avaient  la  vie  par  lui  avant  sa  bienheu- 
reuse incarnation  :  mais  il  s'est  fait  homme  pour  souffrir  et  mou- 
rir, afin  de  leur  dispenser  ce  bien  avec  une  abondance  et  une 
libéralité  plus    grandes.  C'est  ainsi  que   Notre-Seigneur  Jésus- 

\.  Sicut  Palor  l»al>ct  vitam  in  semetipso,  sic  dédit  el.  Fiiio  habere  vitam  ia 
Remetipso.  [Jonnn.,  v,  !20.) 

2.  Cum  Christus  jipparueril  vita  nostra.  {Cofoss.,  m,  3.) 

:».  Kpo  suiii  via,  veritas  et  vita.  [Joann.,  xiv,  6.) 

4.  Vos  petislis  virum  homicidam  donari  voi>is  ;  auctorem  vero  vitae  inter- 
fecistis.  (Art.,  m.  Mi.) 

!».  Ego  veni,  ut  oves  iiie«e  vitam  Imbeant  et  abundantius  habeant.  (Joann., 
X,  lu.) 


AUTRES   TITRES    DE  JÉSDS   EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  519 

Christ,  comme  Dieu  et  comme  iiomme,  est  véritablement  notre 
vie. 

Mais  quelle  est  cette  vie  que  nous  devons  à  Jésus  présent  pour 
nous  au  Très  Saint  Sacrement  ? 

L'Écriture  nous  apprend  qu'au  commencement  du  monde,  Dieu 
forma  l'homme  du  limon  de  la  terre,  qu'il  souflla  sur  son  visage 
un  souffle  de  vie,  et  que  l'homme  fut  ainsi  fait  âme  vivante  i. 
S.  Cyprien,  S.  Basile  et  plusieurs  autres  Pères  n'entsndent  pas 
seulement  ici  la  vie  naturelle  que  Dieu  donna  à  l'homme,  mais  la 
vie  surnaturelle  de  la  grâce  dont  il  orna  son  âme  et  qui  fit  d'elle 
une  âme  vivante,  dès  l'instant  de  sa  création  ~.  Il  lui  communiqua 
quelque  chose  de  son  divin  Esprit,  en  le  faisant  juste  et  saint,  en 
l'élevant  par  sa  grâce  à  la  dignité  de  son  fils  adoptif.  Il  communi- 
qua la  vie  à  son  corps,  en  lui  unissant  une  âme  immortelle,  et  lui 
accordant  plusieurs  autres  dons  qui  lui  permettraient  de  conserver 
la  vie  naturelle  sans  crainte  de  la  perdre.  Parmi  ces  dons,  il  faut 
nommer  la  justice  originelle,  qui  établissait  dans  l'homme  une  si 
parfaite  harmonie  que  rien  ne  pouvait  lui  nuire;  les  fruits  du  Pa- 
radis terrestre,  dont  la  vertu  nourrissante  suffisait  à  entretenir  les 
forces  corporelles  de  l'homme  sans  qu'elles  faiblissent  jamais, 
jusqu'au  jour  oii,  sans  passer  par  la  mort,  il  aurait  été  introduit 
dans  le  ciel. 

Telle  fut  la  vie  de  l'âme  et  telle  fut  celle  du  corps  que  Dieu 
donna  à  l'homme  dès  l'origine,  et  que  l'homme  perdit  par  son  pé- 
ché. A  cause  de  sa  désobéissance,  Adam  fut  privé  de  la  grâce,  de 
tous  les  dons  surnaturels,  et  encourut  la  mort  de  l'âme.  En  même 
temps,  la  mort  corporelle,  avec  tous  les  maux  qui  la  préparent  et 
l'accompagnent,  devint  son  partage.  Son  corps  qui  n'était  pas  im- 
mortel par  nature  comme  l'âme,  mais  par  grâce,  fut  condamné  à 
retourner  en  poussière  après  quelques  années  de  rudes  labeurs, 
pour  l'entretien  d'une  vie  menaçant  à  chaque  instant  de  s'éteindre. 
Dieu  prononça  contre  lui  celte  sentence  qui,  après  plus  de  six 
mille  ans,  pèse  encore  de  tout  son  poids  sur  l'humanité  coupable  : 

\.  Fonnavit  igitur  Doininus  Deus  liominem  de  limo  terr.T,  et  iiispiravit  in 
facicm  ejus  spiraculum  vitœ.  et  factus  est  homo  in  aniniam  viventem.  {Gènes., 
II,  7.) 

"■2.  At  carte  vis  intelligendi  et  cognoscendi  condilorem  et  opiticein  siium 
inest  etiam  in  hominibus.  Itisnf/Iavit  enim  in  faciem,  hoc  est  aliquam  grati<e 
propriœ  partem  in  liominem  immisit,  ut  simile  par  similecognoscat.  (S.  Basil. 
Maun.,  hom.  X  in  /'.s-,  xi.viii,  n.  8.) 


îiâO  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II*"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CllAP.  X. 

«  C'est  à  la  sueur  de  ton  front  que  lu  te  nourriras  de  pain,  jusqu'à 
«  ce  que  tu  retournes  à  la  terre  d'où  tu  as  été  tiré  :  puisque  tu  es 
«  poussière,  tu  retourneras  à  la  poussière  •.  » 

Mais  cette  mort  corporelle,  quelque  terrible  qu'elle  fût,  n'était 
rien,  comparée  à  la  seconde  mort,  à  la  mort  surnaturelle  de  l'âme 
qui  commence  par  le  péché  et  qui  se  consomme  par  la  damnation 
éternelle;  elle  n'était  rien,  comparée  à  ce  soulèvement  des  passions, 
à  ces  tentations  de  toutes  sortes  qui  allaient  faire  leur  proie  du 
cœur  de  riiomme  et  Tentrainer  d'iniquités  en  iniquités,  d'abîmes 
en  abîmes,  jusqu'au  plus  profond  de  la  corruption  et  de  l'enfer. 

Que  le  sort  de  l'Iiumanité,  que  le  sort  de  chacun  de  nous  eût 
donc  été  terrible  et  lamentable,  si  Dieu  n'avait  pas  eu  pitié  de  l'hu- 
manité. Mais  il  est  la'  vie,  et  son  divin  Fils  a  daigné  se  faire  homme 
pour  rendre  aux  hommes  la  double  vie  que  le  péché  leur  avait 
ôlée. 

«  L'Ame  qui  aura  péché  mourra  -,  »  dit  le  Seigneur  par  la 
bouche  du  prophète  Ézéchiel.  Pour  détruire  la  mort  parmi  les 
hommes,  il  fallaiten  enlever  la  cause  et  faire  disparaître  le  péché. 
Jésus-Christ  est  donc  venu;  il  a  satisfait  à  la  juslice  divine  pour 
les  péchés  des  hommes;  il  a  fait  aux  coupables  l'application  de 
ses  propres  mérites;  il  les  a  justifiés;  il  leur  a  enseigné  à  refréner 
leurs  passions  et  à  réprimer  leurs  inclinations  mauvaises.  Ce  n'é- 
tait pas  assez  de  les  délivrer  de  leurs  péchés  passés  et  de  les  ame- 
ner à  n'en  plus  commettre,  ce  n'était  pas  assez  de  les  arracher  à 
l'enfer,  il  leur  a  rendu  la  vie  surnaturelle  avec  tous  les  biens  qui 
l'accompagnent  :  la  foi,  la  charité,  la  grâce,  les  vertus  infuses, 
tout  ce  qui  fait  vivre  l'âme,  parce  que  ces  dons  du  Saint-Esprit 
permettent  â  Dieu  lui-même  rl'habiter  dans  l'âme  dont  il  est  la  vie. 
VA  grâce  â  ces  dons,  l'âme  qui  possède  la  vie  exerce  librement,  et 
avec  bonheur,  les  actes  qui  lui  sont  propes.  Par  son  intelligence, 
elle  connaît  et  contemple  Dieu;  par  sa  volonté,  elle  l'aime,  le 
goûte  et  se  confie  en  lui  ;  et  en  l'aimant  elle  aime  les  biens  célestes, 
et  tout  ce  qui  lui  plaît,  à  cause  de  lui.  En  même  temps,  la  paix  et 
riiarmonie  détruites  par  le  péché  renaissent;  les  puissances  de 
l'âme,  purifiées  et  fortifiées  par  l'Esprit  de  Dieu,  s'inclinent  vers 
le  bien;  la  concupiscence,  si  elle  ne  s'éteint  pas,  s'affaiblit  telle- 

i.  In  sudore  vullus  lui  vesceris  pane  tuo,  donec  revertaris   in  terrain,  de 
«ua  suinptus  es  :  quia  pulvis  es,  et  in  pulverem  reverteris.  {Gènes.,  m,  19.) 
2.  Anima  quae  peccaverit,  ipsa  morietur.  [Ezech.,  xviii,  20.) 


AUTRES    TITRES    DE   JESUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  o2l 

ment  qu'elle  n'est  plus  un  danger  prochain  de  chute.  C'est  ainsi 
que  notre  divin  Sauveur  fait  renaître  et  conserve  la  vie  de  nos 
âmes. 

L'Apôtre  nous  dévoile  ce  mystère  de  la  bonté  infinie  de  Dieu 
])0ur  nous,  dans  l'Épître  aux  Éphésiens,  où  il  dit  :  Dieu  qui 
«  est  riche  en  miséricorde,  par  le  grand  amour  dont  il  nous  a 
K  aimés,  et  lorsque  nous  étions  morts  par  les  péchés,  nous  a  vivi- 
<i  fiés  dans  le  Christ  (par  la  grâce  duquel  vous  êtes  sauvés),  nous 
«  a  ressuscites  avec  lui,  et  nous  a  fait  asseoir  dans  les  cieux  en 
«  Jésus-Christ,  pour  manifester  dans  les  siècles  à  venir  les  richesses 
«  abondantes  de  sa  grâce,  par  sa  bonté  pour  nous  dans  le  Christ 
<(  Jésus  •.  »  Nos  âmes  étaient  la  proie  de  la  mort,  et  nos  corps  avec 
elles,  pour  le  temps  et  pour  l'éternité,  à  cause  du  péché  ;  mais  Dieu 
nous  a  rendu  la  vie  spirituelle  et  divine  par  la  vertu  de  Jésus- 
Christ  pour  que  nous  lui  fussions  semblables.  Et  c'est  par  la  grâce 
de  ce  même  Jésus  que  nous  sommes  sauvés.  Il  a  ressuscité  nos 
âmes  par  la  grâce  qu'il  nous  a  rendue  et,  par  l'espérance  de  la  vie 
éternelle  qu'il  nous  donne,  il  assure  à  nos  corps  eux-mêmes  le 
triomphe  final  sur  la  mort,  par  la  résurrection  qui  les  réunira  à 
nos  âmes,  lorsque  le  temps  sera  venu  de  nous  introduire  en  corps 
et  en  âme  dans  son  royaume  céleste  et  de  nous  y  faire  asseoir  avec 
lui  sur  les  trônes  qu'il  nous  y  a  préparés.  L'Apôtre  dit  encore  : 
«  Comme  tous  meurent  en  Adam,  tous  revivront  dans  le  Christ  '-.  » 
Nous  mourons  tous  en  Adam,  de  la  mort  de  l'âme  et  de  celle  du 
corps  :  il  convenait  donc  que  tous  les  hommes  retrouvassent  en 
Jésus-Christ,  non  seulement  la  vie  de  l'âme  par  la  grâce,  mais 
aussi  la  vie  du  corps  par  sa  réunion  avec  l'âme,  dont  il  aura  été 
séparé  par  la  mort  naturelle,  que  doit  subir  tout  descendant 
d'Adam. 

Mais  ce  qui  augmente  encore  la  grandeur  du  bienfait  de  cette 
double  résurrection,  c'est  le  moyen  que  le  Fils  de  Dieu  a  voulu  em- 
ployer pour  nous  le  conférer. 

1.  Deus  autem,  qui  divcs  esl  in  misericordia,  propter  nimiam  charitatem 
snam,  qua  dilcxit  nos,  et  cum  essemus  inorlui  peccalis,  convivificavit  nos  in 
Christo  (cujus  f,'ratia  estis  salvati),  et  conrosuscilavit,  et  consedere  fecit,  in 
•'(l'iestibus  in  Christo  Jesu;  ut  ostenderet  in  sceculis  supcrvenientibus  abun- 
dantes  divitias  gratiae  sumb,  in  bonitate  super  nos  in  Christo  Jesu.  {l-^plies.,  ii, 
4-7.) 

2.  Et  sicut  in  Adam  omnes  moriuntur,  ita  et  in  Christo  omnes  viviticabun- 
tur.  (/,  Cor.,  XV,  ±2.) 


bZZ  LA   SAINTE  EUClIARfSTIE.   —  IT  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   X. 

II  est  écrit  au  HT  livre  des  Rois,  que  le  prophète  Élie  voulant 
rendre  la  vie  au  fils  de  la  veuve  de  Sarephta,  «  le  porta  dans  la 
«  chambre  où  lui-même  demeurait,  et  le  mit  sur  son  lit.  Puis  il 
a  cria  au  Seigneur  et  dit  :  Seigneur  mon  Dieu,  même  la  veuve 
«  chez  laquelle  moi-même  en  tout  cas  je  suis  nourri,  vous  l'avez 
«  aflligée  au  point  de  faire  mourir  son  fils?  Et  il  s'étendit  et  se 
(f  rapetissa  sur  l'enfant  jusqu'à  sa  mesure,  par  trois  fois,  puis  il 
«  cria  au  Seigneur  et  dit  :  Seigneur  mon  Dieu,  je  vous  conjure, 
«  que  l'àme  de  cet  enfant  retourne  en  son  corps.  Et  le  Seigneur 
«  exauça  la  prière  d'Élie,  et  l'àme  de  l'enfant  retourna  en  lui,  et  il 
«  revécut  *.  »  Le  disciple  de  ce  prophète,  Elisée,  ressuscita  le  fils 
de  la  Sunamite,  en  employant  le  même  moyen  que  son  maître  ~. 

La  double  résurrection  opérée  par  ces  deux  grands  prophètes, 
figures  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  représente  la  double  résur- 
rection que  cet  adorable  Sauveur  daigne  nous  accorder  :  la  résur- 
rection de  nos  âmes  par  la  grâce,  et  la  résurrection  de  nos  corps 
pour  la  gloire.  Mais  le  moyen  particulier  auquel  ils  ont  tous  deux 
recours,  pour  accomplir  cette  résurrection  miraculeuse,  n'est  pas 
dépourvu  de  myslère.  Lorsqu'ils  se  rapetissent  à  la  mesure  de 
l'enfant,  ils  nous  représentent  le  Fils  de  Dieu  qui,  pour  rendre  la 
vie  à  l'homme  mort  par  le  péché,  s'est  lait  semblable  à  lui,  s'est 
rabaissé  en  sa  mesure  en  prenant  la  nature  humaine  et  en  accep- 
tant la  soutlriînce  et  la  mort  châtiment  du  péché.  Le  Dieu  d'éter- 
nelle majesté,  le  Dieu  qui  est  la  vie  et  la  gloire  infinie  s'est  humi- 
lié: il  s'est  fait  homme:  il  a  enduré  pour  les  hommes  les  tour- 
ments, les  opprobres,  la  mort  même.  C'est  ainsi  qu'il  les  a  délivrés 
de  la  mort  du  péché  et  de  la  damnation  éternelle  ;  c'est  ainsi  qu'il 
leur  a  procuré  de  nouveau  une  double  vie,  la  vie  de  la  grâce  et 
celle  de  la  gloire. 

Qu'il  est  grand,  ce  bienfait  ;  qu'elle  est  ineffable,  cette  miséricorde  ; 
qu'elle  est  immense,  cette  tendresse  pour  nous  !  L'Être  infini  que 
ni  le  ciel  ni  la  terre  ne  sauraient  contenir;  celui  qui  a  créé  le  monde 
et  qui,  s'il  le  voulait,  ferait  jaillir  du  néant  des  mondes  innombra- 
bles auxquels  il  .serait  présent,  comme  à  celui  que  nous  habitons, 
par  son  essence  et  sa  puissance  infinies,  ce  Dieu  si  grand  se  fait 
homme  et  il  naît  d'une  femme;  ce  Dieu  immuable  et  impassible, 
qui  seul  possède  par  lui-même  l'immortalité,  se  fait  passible  et 

1.   ///.  Jiefj.,  VII,  m.  —  ±   IV.  /{,■;/.,  IV,  1-2. 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS   EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  523 

mortel;  ce  Dieu  infiniment  heureux,  ou  plutôt  la  béatitude  elle- 
même,  l'auteur  et  la  source  de  tout  bonheur,  se  soumet  aux  tour- 
ments, aux  ignominies,  à  la  mort,  pour  nous  délivrer  de  !a  mort 
et  nous  donner  la  véritable  vie,  la  vie  parfaite  et,  selon  la  parole  de 
l'Apôtre,  «  afin  de  détruire  par  la  mort  celui  qui  avait  l'empire 
«  de  la  mort,  le  diable  ^.  » 

Et  par  quels  moyens  notre  divin  Jésus  nous  communique-t-il 
cette  vie  dont  il  est  la  source,  ou  plutôt  qu'il  est  lui-même?  C'est 
d'abord  par  la  foi  en  sa  sainte  parole  ;  c'est  par  l'obéissance  à  ses 
préceptes  et  par  la  pratique  des  vertus  ;  c'est  par  la  soumission  en- 
tière à  sa  très  sainte  et  très  adorable  volonté;  c'est  par  la  réception 
des  sacrements.  Il  est  écrit,  en  eflet  :  «  Le  juste  vit  de  la  foi  -  ;  » 
mais  il  faut  l'entendre  de  la  foi  que  la  charité  accompagne  ;  com- 
ment, en  effet,  une  foi  morte,  une  foi  que  la  vie  de  Dieu,  c'est-à-dire 
la  charité,  n'accompagne  pas,  pourrait-elle  communiquer  une  vie 
dont  elle  est  privée?  D'autre  part,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous 
a  fait  cette  promesse  :  <?-  En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  si  quel- 
«  qu'un  garde  ma  parole,  il  ne  verra  jamais  la  mort  ^;  »  parce 
que  la  mort  éternelle  ne  le  frappera  pas  ;  il  passera  de  la  vie  de  la 
grâce  à  la  vie  de  la  gloire,  s'il  garde  les  commandements,  s'il  pra- 
tique les  vertus  que  Jésus-Christ  a  bien  voulu  nous  enseigner, 
par  sa  parole  et  par  ses  exemples.  Enfin  les  sacrements  sont  des 
sources  dévie  auxquelles  tout  homme  peut  et  doit  puiser  abondam- 
ment. Le  Baptême  nous  donne  la  vie  de  la  grâce  dont  nous  étions 
privés  par  le  péché  du  premier  homme  ;  la  pénitence  nous  rend 
cette  grâce,  si  nous  avons  eu  le  malheur  de  la  perdre  par  nos  pro- 
pres péchés  *  ;  les  autres  sacrements  ajoutent  à  cette  vie  chacun 
selon  les  besoins  particuliers  pour  lesquels  il  est  institué,  et  même 
quelquefois  ils  la  confèrent  accidentellement.  Mais  le  sacrement 
de  vie  par  excellence,  celui  dans  lequel  Jésus-Christ  nous  la  donne 
avec  une  abondance  infinie,  parce  qu'il  se  donne  lui-même  entiè- 
rement à  nous,  lui  qui  est  la  vie  par  essence,  c'est  l'adorable 
Eucharistie.  «  Celui  qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement,  »  nous 

1.  Ut  per  mortem  destrueret  eum  qui  habebat  mortis  imperium,  id  est, 
diabolum.  [Ile/tr.,  ii,  14.) 

2.  Justus  autem  ex  fide  vivit.  {Rom.,  i,  17.) 

3.  Amen,  amen  dico  vobis  :  Si  quis  scrinonem  meum  .servavcrit,  mortem 
non  videbit  in  ielernum.  (Joann.,  viil,  V>\.) 

4.  Pœnitentiam  aj,'ile  et  baptizetur  unusquisque  vestrum  in  nomine  Jesu 
Christi,  in  remissionem  peccatorum.  (-4c/.,  ii,  38.) 


524  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.    —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

dit-il  :  Qui  manducat  hune  panein,  vivct  in  œtenium  L  »  La 
sainte  Eucliaristie  est  l'aliment  sacré  que  Dieu  a  préparé  pour 
conserver  la  vie  des  âmes,  comme  l'arbre  de  vie,  dans  le  paradis 
terrestre,  devait  conserver  aux  hommes  la  vie  des  corps,  si  Adam 
n'avait  pas  péché.  Il  dit  encore  :  «  C'est  moi  qui  suis  le  pain  de 
«  vie.  Vos  pères  ont  mangé  la  manne  dans  le  désert  et  sont  morts. 
«  Voici  le  pain  qui  descend  du  ciel,  afin  que  si  quelqu'un  en  mange, 
«  il  ne  meure  point....  En  vérité,  en  vérité  je  vous  le  dis  :  Si  vous 
«  ne  mangez  la  chair  du  Fils  de  l'homme  et  si  vous  ne  buvez  son 
«  sang,  vous  n'aurez  point  la  vie  en  vous.  Qui  mange  ma  chair  et 
«  boit  mon  sang  a  la  vie  éternelle  ;  et  moi,  je  le  ressusciterai  au 
«  dernier  jour.  Qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  demeure  en 
«  moi  et  moi  en  lui,  et  celui  qui  me  mange  vivra  par  moi  2.  » 

C'est  ainsi  que  notre  divin  Sauveur  est  notre  vie  en  tout  et  par- 
tout, mais  principalement  au  sacrement  de  son  amour,  la  sainte 
Eucharistie,  qui  conserve  et  augmente  sans  cesse  la  vie  de  la  grâce 
en  ceux  qui  l'aiment,  l'honorent  et  la  reçoivent.  Or  la  grâce,  comme 
dit  encore  Notre-Seigneur,  «  est  une  fontaine  d'eau  jaillissant 
«  jusque  dans  la  vie  éternelle  :  »  Fous  est  aqux  salientis  in  vitam 
âsternam  ^. 

Feut-étre  demandera-t-on  pourquoi  notre  adorable  Sauveur,  qui 
nous  délivre  du  péché  et  nous  donne  la  vie  infiniment  précieuse 
de  la  grâce,  ne  nous  délivre  pas  en  même  temps  de  la  mort  tem- 
porelle suite  et  châtiment  du  péché,  et  des  mille  maux  qui  s'y 
rattachent?  La  grûce  que  Jésus-Christ,  notre  vie,  nous  a  méritée 
n'est-elle  pas  plus  grande  que  les  iniquités  dont  la  race  d'Adam 
était  souillée  aux  yeux  de  Dieu?  Ne  peut-il  pas  plus  pour  notre  bien 
que  le  premier  homme  n'a  pu  pour  nous  perdre? 

Sans  doute  Jésus-Christ,  s'il  l'avait  voulu,  aurait  pu  délivrer 
l'humanité  de  toutes  les  suites  du  péché  originel;  ni  les  mérites, 
ni  la  puissance,  ni  la  miséricorde  ne  lui  manquaient  pour  le  faire  : 

1.  Jonnn.,  vi,  .'JD. 

2.  Kgo  suin  panis  vitae.  Patres  veslri  manducaverunt  manna  in  deserto,  et 
rnorliii  sunt.  Hic  est  panis  de  cœlo  descendens  :  ut  si  quis  ex  ipso  manduca- 
verit,  non  inoriatur....  Amen,  amen  dico  vobis  :  Nisi  manducaveritis  carnem 
Filii  hominis,  et  hiberitis  ejus  sanguinem,  non  habebitis  vitam  in  vobis.  Qui 
manducat  meam  carnem,  et  bibit  meum  sanguinem,  habet  vitam  seternam  : 
et  c'go  resu.scitabo  eum  in  novissimo  die....  Qui  manducat  meam  carnem  et 
bibit  meum  .san;juinem,  in  me  manet  et  ego  in  eo.  {Joann.,  vi,  48  et  seq., 
passim.; 

■i.  Jimnn.,  iv,  14. 


AUTRES    TITRES    DE   JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  525 

mais  il  ne  l'a  point  voulu,  et  s'il  ne  l'a  point  fait,  c'est  justement 
à  cause  de  sa  miséricorde  et  de  son  amour  pour  nous,  qui  recher- 
chent toujours  et  en  tout  notre  plus  grand  bien.  Nous  ne  pouvons 
connaître  tous  les  motifs  pour  lesquel  il  lui  plut  d'en  agir  ainsi 
dans  son  infinie  sagesse,  mais  il  en  est  cependant  plusieurs  qu'il 
nous  est  aisé  de  comprendre. 

Et  d'abord,  ce  fut  pour  nous  laisser  tout  le  mérite  et  l'exercice 
de  la  foi.  Si,  au  chrétien  qui  croit  en  Jésus-Christ  et  reçoit  ses 
sacrements,  l'immortalité  était  aussitôt  donnée;  s'il  n'y  avait  plus 
pour  lui  ni  mort  à  attendre,  ni  douleur  sur  la  terre,  cet  acte  visi- 
ble, ce  miracle  éclatant  et  toujours  renouvelé,  de  la  puissance  et 
de  la  bonté  de  Dieu  envers  les  chrétiens,  rendrait  la  vérité  de  notre 
sainte  religion  tellement  évidente  qu'il  n'y  aurait  plus  aucun  mé- 
rite à  l'accepter.  Tout  le  monde  voudrait  être  chrétien,  à  cause  des 
avantages  tangibles  attachés  à  ce  titre  ;  la  foi  qui  a  pour  objet  ce 
qui  ne  peut  être  connu  naturellement,  rerum  non  appar^entium^ 
ni  prouvé  par  l'expérience,  n'aurait  plus  de  raison  d'être  :  on 
croirait,  non  plus  sur  la  parole  de  Dieu  enseignée  par  l'Église,  mais 
sur  le  témoignage  des  sens  et  l'expérience  de  chaque  jour.  C'est 
pourquoi  Dieu  a  voulu  que  la  mort  naturelle  et  les  souftrances  de 
cette  vie  continuassent  d'être  le  partage  des  fidèles  aussi  bien  que 
des  infidèles.  Ainsi  ce  ne  sont  pas  des  avantages  terrestres  qui 
portent  les  hommes  à  s'attacher  au  service  de  Dieu,  mais  seulement 
le  désir  et  l'espérance  des  biens  spirituels  et  célestes.  C'est  la  rai- 
son que  donne  S.  Augustin  ^. 

En  second  lieu.  Dieu  a  voulu  que  par  les  souflrances  de  cette  vie 
et  la  mort,  nous  pratiquions  la  patience,  en  les  supportant  sans 
murmure;  il  a  voulu  que  nous  reconnaissions  ainsi  notre  faiblesse, 
notre  fragilité  naturelle;  il  a  voulu  nous  donner  l'occasion  de  mon- 
trer notre  soumission  entière  à  sa  sainte  volonté,  notre  amour 
pour  lui,  qui  doit  aller  jusqu'à  recevoir  avec  joie  les  épreuves  de 
toutes  sortes,  même  la  mort,  par  amour  pour  lui,  et  à  donner  pour 
lui  notre  sang  et  notre  vie,  comme  il  a  donné  son  sang  et  sa  vie 
pour  nous,  si  l'occasion  l'exige,  ainsi  que  l'ont  fait  autrefois  et  que 

1.  Ah  his  qui  per  gratiam  regeneralionis  sunt  al).snluti  a  peccalo,  non  au- 
ferlur  mors,  quoniam  si  regeneralionis  sacramentoruin  continuo  sequeretur 
immortalitas  corporis,  ipsa  fides  evacuaretur,  quœ  tune  est  fides,  quando  ex- 
peclatur  in  spe  quod  in  re  nondum  videtur.  (S.  AuausT.,  de  Civitote  Dei, 
lib.  XIII,  cap.  IV.) 


oiij  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*^  PARTIE.    —   LIVRE  II.   —   CHAI'.  X. 

le  t'ont  même  de  nos  jours  d'innombrables  martyrs.  C'est  encore 
à  S.  Augustin  que  nous  empruntons  ce  motif  *. 

Ne  fallait-il  pas  aussi  que  nouseussionstoujours sous  les  yeux  quel- 
que chose  qui  nous  fit  comprendre,  et  ne  nous  laissât  pas  oublier, 
combien  le  péché  est  grave  aux  yeux  du  Seigneur,  combien  sont 
épouvantables  les  châtiments  qu'il  mérite?  On  ne  s'inquiète  pas 
d'un  mal  que  l'on  ne  ressent  point,  mais  si  l'on  est  en  proie  à  des 
douleurs  aiguës,  on  cherche  le  remède  propre  à  les  calmer,  et  l'on 
évite  avec  soin  ce  qui  pourrait  les  aggraver  encore,  ou  les  faire  re- 
paraître, si  l'on  en  est  délivré.  Sans  les  souffrances  de  cette  vie, 
celles  qui  attendent  les  pécheurs  dans  la  vie  future  sembleraient 
un  rêve  ;  mais,  comme  dit  S.  Grégoire  le  Grand  :  «  Tout  pécheur, 

•  qui  agit  follement  en  oflensant  Dieu,  devient  prudent  lorsque  le 
«  châtiment  se  fait  sentir.  Eu  proie  à  la  souffrance,  il  ouvre  à  la 
«  lumière  de  la  raison  ses  yeux  obstinément  fermés  au  milieu  des 
t  plaisirs  coupables  2.  »  Les  soulTrances  de  cette  vie  nous  font 
mieux  comprendre  aussi  la  grandeur  du  bienfait  que  Dieu  a  daigné 
nous  accorder,  en  nous  délivrant  du  péché  qui  en  est  la  source 
première,  et  en  nous  ouvrant  le  ciel  fermé  par  la  désobéissance 

•  l'Adam. 

Ajoutons  encore  qu'elles  nous  empêchent  de  nous  attacher  trop 
à  la  terre,  qu'elles  nous  invitent  à  désirer  les  biens  de  la  vie  future 
et  qu'elles  nous  rendent  plus  semblables  à  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  pendant  sa  vie  mortelle.  Serait-il  vraiment  notre  vie  lui 
qui  a  tant  souffert  ici-bas  pour  nous,  si  nous  ne  souffrions  pas,  à 
notre  tour,  quelque  chose  avec  lui  et  pour  lui? 

I.  Fidei  robore  atque  certamine,  in  majoribus  aetatibus,  fortis  fuerat  super- 
andus  timor,  quod  in  sanctis  marlyribus  maxime  eminuit  :  cujus  profeclo 
cerlaminis  esset  nuUa  Victoria,  nulla  gloria  (quia  nec  ipsum  omnino  posset 
esse  cerlainen)  si  posl  lavacrum  regenerationis  jam  sancti  non  possent  mor- 
tem  perpeti  corporalem.  Nunc  vero  majore  et  mirabiliore  gratia  Salvatoris,  in 
usus  juslitiae,  peccati  pœna  conversa  est.  Prius  enini  dictum  est  homini  : 
morieris,  si  peccaveris.  Nunc  dicit  marlyri  :  morere  ne  pecces.  Prius  dictum 
est  :  si  mandatum  transgressi  fucritis,  morte  moriemini.  Nunc  dicitur  :  si 
morlein  recusaveritis,  mandatum  trans.i:rediemini.  Quod  tune  timendum  fue- 
rat ut  non  peccaretur,  nunc  suscipiendum  est,  ne  peccetur.  Sic  per  ineffabi- 
lem  Dei  misericordiam  et  ipsa  pœna  vitiorum,  quœ  mors  est,  transit  in  arma 
virtutis,  et  fit  instrumentum  per  quod  transitur  in  vitam.  (S.  August.,  de  Ci- 
vilalp  Dci,  lib.  XIII,  cap.  iv.) 

-2.  Omnis  peccator  prudens  erit  in  pœna,  qui  stultus  fuit  in  culpa  ;  quia  ibi 
jam  dolore  constrictus,  ad  rationem  oculos  aperit,  quos  hic  voluptati  deditus 
clausit.  (S.  Gregmr.  Magn.,  Moral.,  lib.  XV,  cap.  x.\m.) 


AUTRES   TITHES    DE    JÉSUS    EUCHARISTIQUE   A    NOTRE    DÉVOTION.  i'}'ll 

Mais  si  la  miséricode  infinie  de  Dieu  n'a  pas  voulu  nous  délivrer 
de  la  mort  et  des  autres  soulYrances,  que  le  péché  du  premier 
homme  a  introduites  parmi  nous,  elle  s"est  donné  pleine  carrière 
pour  compenser  par  des  biens  sans  nombre  et  sans  mesure  ces 
maux  auxquels  notre  nature  est  demeurée  assujettie.  Ce  n'est  pas 
assez  pour  elle  de  nous  aider  à  les  supporter  vaillamment  et  même 
avec  joie;  elle  les  transforme  pour  nous  en  trésors  de  mérites  et 
de  gloire  pour  l'éternité.  L'àme  ne  sera  pas  seule  à  profiter  de  cette 
gloire  et  de  ces  mérites  :  le  corps  aussi  sera  glorifié.  Humilié  jus- 
qu'à tomber  dans  la  corruption  et  la  poussière  du  tombeau,  il  res- 
suscitera comme  le  corps  adorable  de  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ 
est  lui-même  ressuscité.  A  l'exemple  du  corps  de  Jésus-Christ,  il 
'jouira  d'une  vie  glorieuse,  bienheureuse,  éternelle.  Écoutons  en- 
core les  enseignements  du  grand  Apôtre  :  «  Mais  dira  quelqu'un  : 
<f  Comment  les  morts  ressusciteront-ils?  ou  avec  quel  corps  revien- 
«  dront-ils?  Insensé,  ce  que  tu  sèmes  n'est  point  vivifié,  si  aupa- 
«  ravant  il  ne  meurt.  Et  ce  que  tu  sèmes  n'est  pas  le  corps  même 
a  qui  doit  venir,  mais  une  simple  graine,  comme  de  blé  ou  de 
«  quelque  autre  chose.  Mais  Dieu  lui  donne  un  corps  comme  il 
«  veut,  de  même  qu'il  donne  à  chaque  semence  son  corps  propre.... 
0  Ainsi  est  la  résurrection  des  morts.  Le  corps  est  semé  dans  la 
«  corruption,  il  ressuscitera  dans  l'incorruptibilité.  Il  ect  semé 
<i  dans  l'abjection,  il  ressuscitera  dans  la  force.  Il  est  semé  corps 
«  animal,  il  ressuscitera  corps  spirituel....  Il  faut  quece  corps  cor- 
«  ruptible  revête  l'incorruptibilité  et  que  ce  corps  mortel  revête 
a  l'immortalité.  Et  quand  ce  corps  mortel  aura  revêtu  l'immorta- 
<i  lité,  alors  sera  accomplie  cette  parole  qui  est  écrite  :  La  mort  a 
«  été  absorbée  dans  sa  victoire.  0  mort,  où  est  ta  victoire?  0  mort, 
«  où  est  ton  aiguillon?  Or  l'aiguillon  de  la  mort,  c'est  le  péciié,  et 
a  la  force  du  péché,  la  loi.  Ainsi,  grâces  à  Dieu  qui  nous  a  donné  la 
4  victoire  par  Nôtre-Seigneur  Jésus-Christ!  »  Et  l'Apôtre  conclut  : 
«  C'est  pourquoi,  mes  frères  bien-aimés,  soyez  fermes  et  inébran- 
«  labiés,  vous  appliquant  de  plus  en  plus  à  l'œuvre  du  Seigneur, 
«  saciianl  que  votre  travail  n'est  pas  vain  dans  le  Seigneur  '.  »  En 
un  mot,  vivons  de  la  vie  de  Jésus-Christ;  mais  pour  le  faire  plus 
sûrement,  souvenons-nous  souvent  de  ces  paroles  du  divin  Maître  : 
«  Celui  qui  memange  vivra  à  cause  de  moi  -.  »  Recourons  souvent, 

1.  Sed  dicet  aliquis,  etc.  {/.  Cor.,  xv,  rj.'j  et  seq.  passiin.) 

iJ.  Qui  inaiiducat  me,  et  ipse  vivet  proj)ler  me.  {Jutaut.,  vi,  ÎJ8.) 


528  LA  SAINTE   EUCHARISTIE.  —  ir  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  X. 

très  souvent  même,  à  la  Très  Sainte  Eucharistie,  et  nous  pourrons 
dire  avec  S.  Paul  :  «  Ce  n'est  plus  moi  qui  vis,  mais  c'est  le  Christ 
0  qui  vit  en  moi  '.  » 

Car  Jésus-Christ  est  l'aliment  de  nos  âmes.  Il  les  nourrit  par  sa 
divine  parole  que  Ton  écoute,  qu'on  lit  et  quon  médite  à  loisir 
avec  tant  de  fruit.  Il  nous  nourrit  par  sa  grâce  qu'il  infuse  dans 
nos  cœurs.  Il  nous  nourrit  par  ses  dons  de  toutes  sortes,  même  de 
l'ordre  temporel,  qui  rafraîchissent  et  réjouissent  nos  âmes.  Il  nous 
nourrit  même  par  la  tribulation  qu'il  nous  enseigne  à  supporter 
avec  patience  et  qui,  bien  acceptée,  ajoute  à  notre  vigueur  spiri- 
tuelle. S.  Paul  disait  :  «  Je  me  complais  dans  mes  faiblesses,  dans 
«  les  outrages,  dans  les  nécessités,  dans  les  persécutions,  dans  les 
«  angoisses  pour  le  Christ,  puisque  quand  je  suis  faible,  c'est  alors 
a  que  je  suis  fort  -.  »  Mais  c'est  surtout  dans  la  très  sainte  et  très 
adorable  Eucharistie  qu'il  est  notre  pain,  notre  aliment  par  excel- 
lence. 

Toute  vie  a  besoin  d'un  aliment  qui  l'entretienne.  Dieu  a  la  vie; 
il  est  la  vie  elle-même;  et  cette  vie  est  sa  divine  essence  d'où  toute 
vie  dérive.  David  disait  au  Seigneur  :  «  En  vous  est  la  source  de 
«  la  vie  :  Apud  le  est  fous  vitœ  3.  »  Et  parce  que  Dieu  a  la  vie, 
qu'il  faut  un  aliment  à  sa  vie,  et  qu'il  ne  peut  rien  y  avoir  en  Dieu 
qui  ne  soit  pas  Dieu,  il  est  lui-mêmesa  i)ropre  nourriture.  Son  infinie 
vérité  est  l'aliment  de  son  intelligence  infinie  comme  elle  ;  sa  bonté, 
sa  suavité  infinie  qui  n'est  autre  que  son  essence  nourrit  sa  volonté. 
Voir  Dieu,  comprendre  Dieu,  aimer  Dieu,  jouir  de  Dieu  avec  une 
douceur  et  une  joie  sans  bornes,  qu'est-ce  autre  chose  que  se  nourrir 
de  Dieu?  Et  c'est  en  quoi  consiste  la  béatitude  de  Dieu  lui-même. 

Les  anges  et  tous  les  saints  du  ciel  ont  aussi  la  vie,  une  vie  très 
parfaite,  en  comparaison  de  laquelle  notre  vie  mériterait  plutôt  le 
nom  de  mort.  Et  parce  qu'ils  vivent,  ils  ont  aussi  un  aliment. 
L'ange  Raphaël  disait  au  jeune  Tobie  :  «  Lorsque  j'étais  avec  vous, 
«  je  paraissais,  il  est  vrai,  manger  avec  vous  et  boire;  mais,  moi, 
a  c'est  d'une  nourriture  invisible  et  d'une  boisson  qui  ne  peut  être 
«  vue  par  les  hommes  que  je  fais  usage  *.  » 

1.  Vivo  autem  jam  non  ego  :  vivit  vero  in  me  Christus.  (GnlfH.,  ii,  20.) 

2.  Piaceo  mihi  in  infirmilatibu.s  meis,  in  perseculionibus,  in  angustiis  pro 
Chrislo,  cuin  enim  infirmer,  lune  potens  sum.  (//.  Cor.,  xiii,  10.) 

3.  Ps.  XXXV,  H). 

4.  Videljar  (juiclt'in  vobiscum  manducare  et  bibere  ;  sed  ego  cibo  invisibili, 
et  potu  qui  ab  hominibits  videri  non  potcst,  utor.  {Tob.,  xii,  19.) 


AUTRES    TITRES   DE   JÉSUS   EUCHARISTIQUE    A    NOTRE   DÉVOTION.  529 

Cet  aliment  des  anges  et  des  saints  esl  Dieu  lui-même.  La  divine 
essence  qui  est  l'aliment  de  Dieu  est  aussi  leur  aliment.  Ils  voient 
Dieu  face  à  face;  ils  l'aiment  d'un  amour  ineffable;  ils  jouissent 
de  lui  avec  un  bonheur  dont  l'homme  ici-bas  ne  peut  concevoir 
l'immensité  ;  le  bien  infini  qu'ils  possèdent  ne  hisse  place  à  aucun 
désir;  ils  sont  rassasiés,  parce  que  la  gloire  de  Dieu  leur  apparaît 
dans  sa  plénitude.  Il  avait  bien  raison,  cet  homme  dont  parle 
l'Évangile  qui,  ayant  entendu  notre  divin  Sauveur  reconmiander 
la  charité  envers  les  pauvres,  disait  :  «  Bienheureux  celui  qui 
«  mangera  du  pain  dans  le  royaume  de  Dieu  K  » 

Dieu,  dans  son  infinie  miséricorde,  a  voulu  faire  partager  aux 
hommes  le  pain  dont  il  nourrit  les  anges  et  les  saints  dans  le  ciel, 
le  pain  qui  est  sa  propre  nourriture.  Il  a  voulu  donner  ce  pain,  en 
nrième  temps  que  la  loi  de  grâce,  à  ceux  qui  lui  sont  fidèles,  afin 
de  les  fortifier,  de  les  consoler,  de  leur  procurer  un  rayon  de  joie 
dans  les  tristesses  de  leur  exil.  Notre  divin  Sauveur  a  donc  institué 
le  sacrement  de  l'Eucharistie,  dans  lequel  il  se  donne  à  nous  comme 
l'aliment  de  nos  âmes;  et  c'est  de  ce  sacrement,  qui  n'est  autre 
que  lui-même  sous  des  apparences  étrangères,  qu'il  a  dit  :  «  Voici 
«  le  pain  qui  est  descendu  du  ciel  :  »  Hic  est  panis  qui  de  cœlo 
descendit.  Non  pas  que  ce  pain  adorable  quitte  le  ciel  pour  venir 
sur  la  terre,  et  se  donner  à  nous;  mais  le  même  Jésus-Christ  qui 
est  au  ciei,  sans  s'éloigner  du  trône  qu'il  occupe  à  la  droite  de  son 
Père,  change  sur  nos  autels  la  substance  du  pain  en  son  propre 
corps,  de  sorte  qu'il  est  présent  sous  les  espèces  sacramentelles, 
aussi  réellement  qu'il  le  serait,  s'il  quittait  le  ciel  corporel lement, 
pour  venir  au  milieu  de  nous  à  la  voix  du  prêtre. 

Mais  quoique  nous  prenions,  à  la  table  eucharistique,  le  même 
aliment  qui  fait  et  fera  éternellement  les  délices  des  saints  et  des 
anges,  que  dis-je?  de  Dieu  lui-même,  au  ciel,  nous  ne  le  prenons 
cependant  pas  de  la  même  manière. 

Dans  le  ciel  le  Verbe  incarné  se  donne  aux  saints  et  aux  anges, 
sans  voiles  ni  nuages.  Ils  voient  son  humanité  sainte  dans  toute  la 
splendeur  qui  convient  au  Fils  de  Dieu  lui-même,  et  ils  voient  sa 
divinité.  Cette  double  vision  leur  procure  une  jouissance  infinie-, 
un  rassasiement  qui,  renouvelé  sans  cesse,  ne  les  lasse  point  et 
n'éveille  en  eux  ([u'un  désir,  celui  d'en  juuir  encore  et  toujours. 

1.  l5(.'aUis  (jui  inanducal)it  pancm  iii  reirno  Dei.  (/,'"•..  .\iv.  l.'i.l 

L\    SAINTE    EUCIIAllISTIK.    —    T.    IV.  \\\ 


530  LA   SAINTE   EUCIIAUISTIE.  —  II*"  l'AKTlE.   —  LIVUE  Jl.  —  CHAP.   X. 

Sur  la  terre  il  n'en  est  pas  ainsi.  Les  âmes  justes  mangent  ce  pain 
descendu  du  ciel,  mais  elles  Reconnaissent  sa  présence  que  par  la 
foi.  Les  accidents,  les  espèces  qui  dénotent  sa  présence,  le  dérobent 
en  même  temps  à  nos  yeux.  Nous  le  mangeons  ;  mais  notre  âme 
ne  prend  pas  part  à  ce  divin  banquet,  avec  toutes  les  dispositions, 
qu'elle  voudrait  y  apporter;  et  lorsqu'elle  s'est  nourrie  de  Dieu  lui- 
même,  il  semble  qu'il  lui  manque  encore  quelque  chose.  Elle  au- 
rait besoin  devoir,  d'entendre,  de  toucher,  de  sentir  d'une  manière 
plus  complète  celui  qui  vient  de  se  donner  à  elle.  Il  lui  manque 
ce  que  les  saints  possèdent  dans  toute  sa  plénitude  au  sein  de  la 
béatitude  céleste.  Au  ciel,  Jésus  se  donne  pour  communiquer  aux 
bienheureux  la  joie  infinie  qui  est  la  sienne.  Sur  la  terre  il  se 
donne,  mais  il  se  donne  caché,  pour  exercer  notre  foi  et  nous 
faire  acquérir  des  mérites,  pour  augmenter  en  nous  la  vie  spiri- 
tuelle, pour  nous  soutenir,  nous  fortifier  contre  les  tentations  et 
les  vices,  nous  aider  à  suivre  la  voie  qui  doit  nous  conduire  au  ciel, 
par  la  fidélité  à  garder  ses  commandements  et  à  pratiquer  la  vertu. 
Il  se  cache  en  se  donnant  sur  la  terre,  afin  de  faire  des  justes,  et 
il  se  montre  tel  (lu'il  est,  en  se  donnant  au  ciel  afin  de  faire  des 
bienheureux. 

Cet  aliment  divin  ne  se  transforme  pas  en  nous,  mais  il  nous 
transforme  en  lui  si  nous  n'y  mettons  pas  d'obstacle.  Il  possède 
toutes  les  vertus,  toutes  les  perfections,  et,  à  nous  en  nourrir  sou- 
vent avec  les  dispositions  nécessaires,  nos  âmes  revotent  comme 
lui  toutes  les  vertus  et  toutes  les  perfections.  Il  est  juste  et  il  nous- 
rend  justes;  il  est  saint  et  il  nous  rend  saints.  Il  est  humble,  plein 
de  mansuétude  et  de  bénignité;  il  est  affable,  pieux,  pur,  chaste, 
modeste,  et  il  communique  tous  ces  dons  célestes  à  ceux  qui  le  re- 
çoivent; et  parce  qu'il  est  Dieu,  il  les  rend  divins  :  Ego  dixi  :  DU 
estis. 

Ajoutons  que  ce  pain  est  souverainement  délectable.  Si  nous 
en  sommes  dignes,  Dieu  nous  fera  sentir  quelquefois  la  vérité  de 
cette  parole  du  Sage  :  «  Vous  leur  avez  donné  un  pain  venant  du 
«  ciel,  préparé  sans  travail,  renfermant  en  soi  tout  ce  qui  plaît  '.  » 

«  Voulez-vous  n'avoir  jamais  faim,  dit  Bossuet  2,  jamais  n'avoir 
soif?  venez  au  pain  qui  ne  périt  point,  et  au  Fils  de  l'homme  qui 

1.  Panem  de  cœlo  praestitisti  eis  sine  labore,  omne  delectamentum  in  se 
iiabentcm.  {Sap.^  xvi,  20.) 

2.  Bossuet,  Médilatiuns  sur  les  Évangiles  ;  la  Cène,  xxxe  jour. 


AUTRES    TITRES    DE    JÉSUS    EUCHARISTIQUE    A    NOTRE    DÉVOTION.  531 

VOUS  Fadministre;  à  sa  chair,  à  son  sang  où  tout  est  ensemble  et 
la  vérité  et  la  vie,  parce  que  c'est  la  chair  et  le  sang,  non  point  du 
Fils  de  Joseph,  comme  disaient  les  Juifs,  mais  du  Fils  de  Dieu  : 
0  Seigneur,  donnez-moi  toujours  ce  pain.  Qui  n'en  serait  affamé? 
Qui  ne  voudrait  être  assis  à  votre  table?  Qui  la  pourrait  jamais 
quitter  ? 

«  Mais  pour  nous  piquer  davantage  du  désir  d'en  approcher, 
Jésus-Christ  nous  dit  que  ce  n'est  pas  une  chose  aisée  et  commune. 
II  faut  être  aimé  de  Dieu,  touché,  tiré,  prévenu,  choisi.  Voyez 
combien  de  ses  auditeurs  s'en  éloignent,  combien  murmurent,  com- 
bien s'en  scandalisent.  Ses  disciples  mêmes  se  retirent  d'avec  lui  ; 
il  y  en  a  même  parmi  ses  apôtres  qui  ne  croient  pas.  Plus  ces  infi- 
dèles se  rebutent,  plus  les  vrais  disciples  doivent  s'approcher. 
Venez,  écoutez,  suivez  le  Père  qui  vous  tire,  qui  vous  enseigne  au 
dedans,  qui  vous  fait  sentir  vos  besoins,  et  en  Jésus-Christ  le  vrai 
moyen  de  les  rassasier.  Mangez,  buvez,  vivez,  nourrissez-vous, 
contentez-vous,  rassasiez-vous.  Si  vous  êtes  insatiables,  que  ce  soit 
de  lui,  de  sa  vérité,  de  son  amour  :  car  la  Sagesse  éternelle  dit, 
en  parlant  d'elle-même  :  «  Ceux  qui  me  mangent  auront  encore 
faim,  et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif.  »  Hé!  nous  venons 
d'entendre  de  sa  bouche  :  «  Celui  qui  boit  de  l'eau  que  je  donnerai, 
«  n'aura  jamais  soif;  »  et  encore  :  «  Celui  qui  vient  à  moi  n'aura 
a  jamais  faim,  et  celui  qui  croit  en  moi  n'aura  jamais  soif.  »  Il 
n'aura  jamais  ni  faim  ni  soif  d'autre  chose  que  de  moi,  mais  il 
aura  une  faim  et  une  soif  insatiable  de  moi,  et  jamais  il  necessera 
de  me  désirer.  En  même  temps  qu'il  sera  insatiable,  il  sera  néan- 
moins rassasié;  car  il  aura  la  bouche  à  la  source.  «  Les  lïeuves 
«  d'eau  vive  lui  sortiront  des  entrailles.  L'eau  que  je  lui  donnerai 
«  deviendra  en  lui  une  source  d'eau  jaillissante  pour  la  vie  éter- 
«  nelle.  »  Il  aura  donc  toujours  soif  de  ma  vérité  ;  mais  aussi  il 
pourra  toujours  boire,  et  je  le  mènerai  à  la  vie,  où  il  n'aura  plus 
même  à  désirer,  parce  que  je  le  réjouirai  par  la  beauté  de  ma  face, 
et  je  remplirai  tous  ses  désirs.  «  Venez  donc.  Seigneur  Jésus,  venez. 
«  L'Esprit  dit  toujours  :  Venez.  L'Épouse  dit  toujours  :  Venez.  Vous 
«  tous  qui  écoutez,  dites  :  Venez.  Et  que  celui  qui  a  soif  vienne  : 
«  vienne  qui  voudra  recevoir  gratuitement  l'eau  vive.  «Venez,  on 
n'exclut  personne;  venez,  il  n'en  coûte  rien,  il  n'en  coûte  que  le 
vouloir.  Viendra  le  temps  qu'on  ne  dira  plus  :  Venez.  Quand  cet 
Époux  tant  désiré  sera  venu,  alors  on  n'aura  plus  besoin  de  dire  : 


532         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CUAP.  XI. 

Venez.  On  dira  éternellement  :  Amen,  il  est  ainsi,  tout  est  accom- 
pli :  Alléluia,  louons  Dieu  :  il  a  bien  fait  toutes  choses,  il  a  fait 
tout  ce  qu'il  avait  promis,  il  n'y  a  plus  qu'à  le  louer.  » 

Pouvions-nous  mieux  clore  ce  que  nous  avions  à  dire  sur  les 
titres  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie, 
à  la  dévotion  de  ses  fidèles,  que  par  cette  merveilleuse  page  de 
notre  grand  Bossuet  ? 


CHAPITRE  XI 

JÉSUS-CHRIST.  PAR  SA  PRÉSENCE  DANS  L'EUCHARISTIE,  NOUS  MONTRE  SON 
AMOUR,  SA  SAGESSE,  SA  PUISSANCE,  SA  MAGNIFICENCE,  ET  NOUS  INVITE 
A  LES  IMITER. 

1.  La  présence  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  nous  révèle  son  amour  et  demande  le 
nôtre.  —  II.  Elle  révèle  sa  sagesse.  —  III.  Elle  révèle  sa  puissance.  —  IV.  Elle 
révèle  .sa  munificence  ou  sa  libéralité  divine. 


I. 

LA    PRÉSENCE    DE   JÉSUS    DANS    l'eUCIIARISTIE   NOUS    RÉVÈLE   SON    AMOUR 
DIVIN    ET   DEMANDE    LE  NOTRE 

Dans  les  chapitres  qui  précèdent,  nous  avons  vu  ce  que  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ,  que  nous  adorons  présent  dans  la  Très  Sainte 
Eucharistie,  est  en  lui-même.  Nous  l'avons  considéré  dans  ses  ama- 
bilités et  ses  grandeurs,  comme  Dieu,  comme  homme  et  comme 
Homme-Dieu.  Nous  avons  énuméré  quelques-uns  des  titres  qu'il 
apporte  en  cet  adorable  Sacrement,  et  qui  lui  donnent  un  droit 
particulier  à  notre  dévotion  ;  tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici 
lui  convient,  qu'on  le  considère  dans  le  Sacrement  de  son  amour, 
ou  dans  les  splendeurs  de  sa  gloire  céleste.  Mais  il  est  des  ensei- 
gnements particuliers,  des  exemples  qu'il  nous  donne,  des  devoirs 
qu'il  nous  impose  précisément  par  sa  présence  dans  la  Très  Sainte 
Eucharistie  et  à  cause  d'elle.  C'est  ainsi  que,  plus  d'une  fois,  nous 
yvons  eu  l'occasion  de  faire  ressortir  l'amour,  la  sagesse,  la  puis- 
sance, la  magnificence,  de  ce  Dieu  qui  s'est  fait  homme  pour 
nous  et  qui  demeure  humblement  caché  parmi  nous,  sous  les  es- 
pèces eucharistiques,  mais  nous  n'avons  pas  dit  comment  la  sainte 
Eucharistie  révèle  et  fait  éclater  aux  yeux  de  notre  foi  et  à  ceux  des 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.  533 

anges  cet  amour,  cette  sagesse,  cette  puissance,  cette  magnifi- 
cence, qu'il  faut  bien  reconnaître  et  vénérer  en  Jésus-Christ  pré- 
sent dans  l'Eucharistie,  puisqu'il  est  le  Fils  de  Dieu  fait  homme. 
Il  en  est  de  même  des  autres  vertus  de  l'humanité  de  Notre-Sei- 
gneur.  Or,  il  importe  d'autant  plus  de  nous  y  arrêter,  que  la  pra- 
tique de  dévotion  envers  le  Très  Saint  Sacrement,  la  plus  agréable 
à  notre  divin  Jésus,  sera  précisément  l'imitation,  par  amour  pour 
lui,  des  vertus  dont  il  nous  donne  l'exemple. 

Ce  qu'il  convient  d'admirer  d'abord,  c'est  l'amour  infini  que 
notre  adorable  Sauveur  nous  témoigne  dans  le  Sacrement  de  l'Eu- 
charistie. Après  nous  être  arrêtés  un  moment  à  le  considérer,  nous 
devrons  bien  nous  écrier  avec  la  sainte  Église  :  Sic  nos  aman- 
tem  quis  non  redamaret  ?  «  Qui  n'aimerait  pas  à  son  tour  celui 
«  qui  nous  a  tant  aimés?  »  Qui  ne  serait  pas  pénétré  de  la  dévo- 
tion la  plus  ardente  pour  un  sacrement  dans  lequel  et  par  lequel 
un  Dieu  nous  témoigne  une  si  vive  tendresse  ?  Le  Concile  de  Trente 
ne  craint  pas  de  dire,  en  effet,  que  Dieu  a  déversé,  en  quelque 
sorte,  toutes  les  richesses  de  son  amour  divin  envers  les  hommes, 
dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie  i.  Cet  amour  est  la  racine  pre- 
mière, le  principe  de  toutes  les  merveilles  qu'on  y  admire. 

Aussi  S.  Jean  l'Évangéliste,  le  disciple  bien-aimé  de  Jésus, 
ayant  à  parler  de  la  Cène  en  laquelle  son  divin  Maitre  institua 
l'Eucharistie,  commence-t-il  par  rappeler  cet  amour  de  Jésus  pour 
ses  fidèles  :  «  Comme  il  avait  aimé  les  siens,  qui  étaient  dans  le 
«[  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin  -,  »dit-il.  Que  signifient  ces  pa- 
roles de  S.  Jean,  sinon  que  notre  adorable  Sauveur  qui,  pendant 
les  trois  années  de  sa  vie  publique,  avait  donné  des  preuves  de 
son  amour  pour  les  hommes,  fit  quelque  chose  de  plus  étonnant 
encore  pour  leur  montrer  combien  il  les  aimait,  au  moment  d'a- 
chever l'œuvre  de  la  rédemption  par  sa  mort  sur  la  croix?  «  Tant 
«  qu'il  resta  corporellement  avec  eux,  dit  l'abbé  Guerric,  disciple 
«  de  S.  Bernard,  il  ne  leur  fit  voir  ni  facilement,  ni  par  de  nom- 
«  breux  témoignages,  l'affection  qu'il  avait  pour  eux  ;  il  se  montra 
«  envers  eux  plutôt  grave  que  tendre,  comme  il  convient  à  un 
«  maitre  et  à  un  père.  Mais,  lorsque  le  temps  de  se  séparer  d'eux 

\.  In  quo  Salvator  divitias  divini  sui  erga  liomines  amoris  velul  elVudit. 
(Concil.  TricL,  sess.  XIIl,  cap.  ii.) 

■2.  Cum  dilexissct  suos  qui  crant  in  inundo,  in  tinoin  dilcxit  eos.  (.lo(tnn., 
XIII,   1.) 


534  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP,  XI. 

«  fut  venu,  il  parut  comme  vaincu  par  sa  vive  tendresse,  et  ne  put 
«  leur  dérober  davantage  la  grandeur  de  son  amour,  qu'il  leur  avait 
«  caciiée  jusqu'alors.  De  là  vient  qu'ayant  aimé  les  siens  qui  étaient 
<  dans  te  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin.  Alors  il  épancha 
«  presque  toute  l'étendue  de  son  affection  pour  ses  amis,  avant  de 
«  répandre  son  sang  comme  l'eau,  mèmepourses  ennemis.  Il  leur 
«  donna  le  sacrement  de  son  corps  et  de  son  sang,  avec  le  pouvoir 
«  de  le  reproduire.  Et  je  ne  sais  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer  ici  de 
a  sa  puissance  ou  de  sa  charité.  Car  en  inventant,  pour  les  consoler 
«  de  son  départ,  cette  nouvelle  manière  de  demeurer  avec  nous, 
«  s'il  se  séparait  d'eux  de  corps  en  apparence,  par  l'effet  du  sacre- 
»  mont,  il  restait  non  seulement  avec  eux,  mais  encore  en  eux  ^.  » 
11  est  donc  vrai  de  dire  que  jusqu'au  temps  où  il  institua  la  sainte 
Eucharistie,  notre  divin  Sauveur  n'avait  pas  encore  donné  à  ses  dis- 
ciples une  preuve  de  son  amour  qui  fût  comparable  à  ce  bienfait. 

S.  Paul,  avant  de  rapporter  les  paroles  de  l'institution  du  Très 
Saint  Sacrement,  a  soin  de  remarquer  que  Jésus-Christ  accomplit 
cet  acte  la  nuit  même  où  il  fut  livré  à  ses  ennemis,  par  le  traître 
.Judas,  pour  être  crucifié  :  In  qua  nocte  tradebatur.  C'est  que  l'Apôtre 
trouve  dans  cette  circonstance  un  motif  de  nous  faire  apprécier  da- 
vantage cet  ineffable  bienfait  du  Seigneur,  et  l'amour  sans  me- 
sure dont  il  est  le  fruit.  C'est  au  moment  même  où  Judas  s'apprête 
à  consommer  son  crime,  au  moment  où  notre  adorable  Sauveur 
a,  plus  vivement  que  jamais,  présentes  à  la  pensée  toutes  les  dou- 
leurs et  les  ignominies  de  sa  Passion,  que  ce  Dieu  si  bon  s'oublie  en 
quelque  sorte  pour  ne  penser  qu'à  nous.  Ce  corps  adorable  sur 
lequel  va  s'exercer,  dans  quelques  heures,  toute  la  rage  des  bour- 
reaux, ce  sang  qui  va  couler  par  mille  plaies  béantes  pour  le  salut 

1.  Quamdiu  tamen  cum  eis  corporaliter  conversari  volait,  non  facile  aut 
multuni  hune  siinm  cis  nfîectum  prodidit,  maturiorem  se  eis,  quam  tenerio- 
rem  oxlnljons,  sicut  maprislrum  decebal  et  patrem.  Cum  autem  tempus,  quo 
ab  eis  recessurus  erat  instaret,  tune  veluti  vinci  tenero  eoruin  afïectu  visus 
est,  ut  mnfrnam  rnuititudinem  dulcedinis  suae,  quam  eis  absconderat,dissimu- 
lare  non  posset.  Hinc  illud  est,  quod  cum  dilcxisset  suos  qui  crant  in  nmndo, 
in  finem  dilexil  eos.  Tune  enim  propemodum  omnem  vim  amoris  effudit 
amicis,  antequam  eliam  ipse  sicut  aqua  etfunderetur  pro  iniinicis.  Tune  eis 
.sacramentiiin  corporis  et  sanguinis  sui  Iradidit,  et  celebrandum  instituit, 
nescio  virtute  an  charitate  mirabiliori  :  hoc  novum  genus  mansionis  adinve- 
niens  in  consolationem  rece.ssus  sui  :  ut  si  recederet  ab  eis  specie  corporis, 
maneret  non  solum  cum  eis,  sed  etiam  in  eis  virtute  sacramenti.  (Guerric. 
abb.,  .serm.  in  Ascens.  JJom.,  apud  opéra  S.  Bernardi.) 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE   DE  JÉSUS  DANS   l'eUCHARISTIE.  535 

lies  hommes,  il  nous  les  donne.  Car  ce  n'est  pas  seulement  à  ses 
apôtres,  c'est  à  tous  les  fidèles  de  tous  les  siècles  qu'il  dit  :  «  Pre- 
«  nez  et  mangez  :  ceci  est  mon  corps.  —  Prenez  et  buvez-en  tous, 
«  ceci  est  mon  sang.  » 

Mais  est-il  vrai  de  dire  qu'avant  d'instituer  la  sainte  Eucharistie, 
Notre-Seigneur  n'avait  rien  fait  encore  qui  témoignât  d'un  aussi 
grand  amour  pour  les  hommes?  Ne  s'était-il  pas  incarné  dans  le 
sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie?  Ne  s'était-il  pas  fait  l'un  de 
nous,  notre  frère,  pour  qu'à  notre  tour,  devenus  ses  frères,  nous 
puissions  être  les  enfants  de  Dieu? 

Sans  doute,  il  l'avait  fait,  et  l'apôtre  S.  Paul  dit,  en  parlant  du 
mystère  de  l'Incarnation  :  «  Lorsqu'est  apparue  la  bonté  et  l'hu- 
<r  manité  de  notre  Sauveur  Dieu  '.  >>  C'était  dire  que  la  bonté  de 
notre  divin  Sauveur  s'est  manifestée  dans  sa  plénitude,  lorsqu'il 
est  venu  parmi  nous,  revêtu  de  notre  humanité  qu'il  avait  faite 
sienne,  afin  de  nous  sauver.  L'homme  n'aurait  pas  été  délivré,  si 
Dieu  ne  s'était  pas  fait  homme,  et  nulle  part  ne  se  montre  avec 
plus  d'éclat  la  bénignité  de  la  grâce,  la  libéralité  de  la  toute-puis- 
sance de  Dieu  qu'en  Jésus-Christ  l'Homme-Dieu,  médiateur  entre 
Dieu  et  les  hommes.   «  De  même,  dit  S.  Jean  Chrysostome,  que 
«  nous  ne  pourrions  pas  compter  les  flots  de  la  mer,  de  même 
a  nous  ne  pourrions  pas  énumérer  les  bienfaits  que  Dieu  a  épan- 
«  chés  sur   notre  nature.   Enfin,  quand  il  vit  qu'après  tant  de 
«  bienveillance  de  sa  part,  et  sa  miséricorde  inouïe,  la  race  hu- 
*  maine  était  encore  tombée,  sans  avoir  pu  être  retenue  par  les 
<^  patriarches,  les  prophètes,  les  miracles  les  plus  frappants,  les 
«  châtiments  et  les  avertissements  si  souvent  répétés,  enfin  par 
«  les  captivités  consécutives.    Dieu  ayant   pitié  de   notre   race, 
<'  pour  guérir   nos  âmes   et  nos   corps,  nous   envoya  son   Fils 
<f  unique,  sortant,    pour  ainsi  dire,  des  bras  paternels;    il    lui 
«  fit  prendre  la  forme  d'un  esclave  dans  le  sein  d'une  Vierge, 
«  vivre   avec  nous   et   supporter  toutes  nos    misères,    pour  en- 
«  lever  de  la  terre  au  ciel  notre  race  abattue  sous  le   poids  de 
i  ses  péchés.  Le  fils  du  tonnerre,  frappé  de  l'excès  de  bonté  que 
«  Dieu  avait  déployée  à  l'égard  du  genre  humain,  nous  disait  hau- 
(f  tement  :  Cesf  ainsi  que  Dieu  a  aimé  le  momie.  \'oyez  quels 
«  prodiges  renferme  ce  mot  :  Cest  ainsi!  Il  fait  comprendre  la 

\.  Cum  nutem  benignilas  et  humanilr\s  apparuit  Salvafnris  iiostri  Dei,  {Til.. 
III,  4.) 


ÎÎ30         LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE   H.  —  CHAP.    XI. 

«  grandeur  de  ce  qui  va  suivre,  et  c'est  pourquoi  l'Écriture  corn- 
•«  menée  de  cette  manière.  Donnez  donc,  ô  S.  Jean,  l'explication  de 
«<  ce  mot  :  cest  ainsi;  dites-nous  l'étendue,  la  grandeur,  l'excel- 
«  lence  d'un  pareil  bienfait.  Cest  ainsi  que  Dieu  a  aimé  le 
€  monde,  au  point  de  nous  donner  son  Fils  unique,  pour  que 
€  tout  tiommc  croyant  en  lui  ne  meure  pas,  mais  ait  la  vie 
o  éternelle  '.  »  Voilà  donc  la  cause  de  la  venue  du  Fils  de  Dieu 
«  en  ce  momie  :  il  y  est  venu  pour  que  les  hommes  qui  allaient 
«  périr  trouvassent  une  occasion  de  salut  dans  la  foi  en  lui.  Qui 
«  pourra  concevoir  une  libéralité  si  admirable  et  si  grande?  Elle 
«  dépasse  les  forces  de  notre  raison  2.  » 

S.  Jean  Chrysostome  reconnaît  donc  qu'aucune  langue  humaine 
ne  pourrait  dire  la  grandeur  du  bienfait  que  Dieu  a  daigné  nous 
accorder,  par  l'incarnation  de  son  Fils,  et  tous  les  autres  Pères 
sont  d'accord  à  confesser  cette  vérité,  lorsqu'ils  ont  à  parler  de 
ce  mystère  auguste. 

Cependant  ne  peut-on  pas  dire  que  le  mystère  du  Fils  de  Dieu 
fait  homme,  se  donnant  aux  hommes  dans  l'Eucharistie,  et  dai- 
gnant s'unir  à  chacun  d'eux  par  la  sainte  communion,  ajoute 
encore  quelque  chose  de  plus  doux,  de  plus  libéral  pour  nous,  de 
plus  ineffable  enfin,  au  mystère  de  l'Incarnation  qui  nous  révèle 
déjà  un  amour  infini? 

Quelle  bonté,  quelle  tendresse  de  la  part  du  Fils  de  Dieu  fait 
homme  de  continuer  d'habiter  sur  la  terre,  au  milieu  des  hommes, 
même  lorsque  son  ascension  glorieuse  dans  le  ciel  les  a  privés  de 
sa  pn'sence  sensible!  Il  n'est  demeuré  visiblement  ici-bas  que  pen- 
dant le  court  espace  de  trente-trois  ans;  et  sur  ce  petit  nombre 
d'années,  trois  seulement  ont  été  consacrées  à  se  manifester  au 
monde.  Il  n'a  pas  parcouru  l'univers  entier,  mais  une  seule  con- 
trée, peu  connue  du  reste  du  monde,  a  été  favorisée  de  sa  pré- 
sence. Et  parmi  les  hommes  qui  le  virent,  combien  ne  l'ont  pas 
apprécié?  Fallait-il  donc  que  sa  présence  parmi  les  hommes  passât 
inaperçue?  Fallait-il  (jue  ceux  qui  croiraient  en  lui  dans  le  cours 
des  siècles,  fussent  privés  d'un  bien  ignoré  ou  dédaigné  de  ceux 
qui  vécurent  au  temps  0(1  lui-même  se  montra  sur  la  terre?  Ses 

1.  Sic  enim  Deu.s  dilexit  munduiri,  ni  Filium  suum  unigenitum  daret;  ut 
omnis  qui  rredit  in  euni,  non  pereat,  sed  habeat  vitam  aeternam.  {Joann.y  m, 
J(i.) 

2.  S.  J.  C-HRYSosTOME,  lioni.  XXVII  sur  la  Cenèse.  Traduction  de  M.  Jea.nnin. 


CE   QUE  NOUS  REVELE  LA  PRÉSENCE   DE  JÉSUS  DANS  l'euCHARISTIE.  537 

apôtres  eux-mêmes  allaient-ils  être  privés  de  sa  présence,  pres- 
que aussitôt  après  avoir  appris  à  connaître  la  valeur  d'un  tel 
bien  ? 

L'amour  de  notre  divin  Sauveur,  qui  s'était  montré  si  grand 
dans  l'incarnation,  fit  encore  un  pas  et  monta  d'un  degré  :  il  alla 
jusqu'aux  dernières  limites  qu'il  pût  atteindre  :  In  finem  dilexit. 
Et  cet  effort  suprême  de  l'amour  du  Seigneur  pour  nous,  après 
son  incarnation,  et  sans  parler  de  sa  mort  sur  la  croix,  en  vue  de 
laquelle  il  s'était  incarné,  fut  l'institution  de  la  Très  Sainte  Eu- 
charistie. Par  elle,  il  demeurait  à  jamais  avec  ses  disciples,  les 
consolant  de  son  absence  visible.  Par  elle,  il  était  présent,  non 
pas  en  un  seul  lieu,  mais  en  mille  lieux  différents,  partout  où  il 
se  trouverait  un  prêtre  pour  prononcer  sur  le  pain  et  sur  le  vin 
les  paroles  de  la  consécration.  Par  elle,  il  était  donné  à  tous  les 
fidèles  de  mériter  de  s'entendre  appliquer  ces  paroles  :  «  Bienheu- 
«  reux  ceux  qui  n'ont  point  vu  et  qui  ont  cru  '•,  »  et  ces  autres 
adressées  à  S.  Pierre  :  «  Tu  es  heureux,  Simon,  fils  de  Jean,  car 
1  ni  la  chair  ni  le  sang  ne  t'ont  révélé  ceci,  mais  mon  Père  qui 
«r  est  dans  les  cieux  -.  »  Puisque  la  foi  fait  le  bonheur,  puisque 
le  juste  vit  de  la  foi,  quel  plus  grand  bien  Jésus  pouvait-il  nous 
donner  que  sa  présence  parmi  nous,  et  dans  des  conditions  telles 
que  ni  la  chair  ni  le  sang  ne  pussent  nous  la  faire  connaître,  mais 
la  foi  seule  que  le  Père  céleste  fait  briller  dans  nos  âmes? 

Mais  si  la  présence  sacramentelle  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  parmi  nous  témoigne  d'un  si  grand  amour,  combien  cet 
amour  ne  paraît-il  pas  davantage  encore,  si  l'on  considère  dans 
quelles  conditions  ce  roi  du  ciel  et  de  la  terre,  ce  Dieu  d'infinie 
majesté  daigne  nous  accorder  un  tel  bien  ?  Il  s'annihile,  pour  ainsi 
dire,  en  voilant  toute  la  grandeur  de  sa  divinité  et  de  son  huma- 
nité sainte,  sous  les  apparences  d'un  peu  de  pain  et  de  vin;  il  se 
laisse  aborder  partons,  pauvres  et  riches,  justes  et  coupables;  il 
reçoit  tous  les  hommages,  écoute  toutes  les  prieras,  et  nul  ne  s'a- 
dresse à  lui  qu'il  n'en  reçoive  quelque  bienfait.  Son  amour  le  vou- 
lut ainsi,  parce  que  si  les  justes  seuls  avaient  accès  auprès  de 
lui,  qui  oserait  s'approcher  de  ses  autels?  Et  n'est-il  pas  venu  pour 
appeler  et  sauver  les  pécheurs?  Mais  quelle  bonté,  quelle  humilité 

1.  Beali  qui  non  vidorunt  et  crediderunt.  (Jonnn.,  xx,  2i).) 

2.  lîeatus  es,  Simon  Harjona,  quia  caro  et  sanguis  non  revelavil  tihi.  sed 
Pater  meus  qui  est  in  cœlis.  (Mattli.,  \vi,  17.) 


538  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE   II.    —   CIIAP.  XI. 

dans  cette  condescendance  d'un  Dieu  pour  de  pauvres  et  misé- 
rables créatures  telles  que  nous  sommes  !  On  conçoit  les  extases 
des  saints  à  la  pensée  d'un  tel  amour. 

Cependant  il  faut  nous  élever  encore.  L'amour  de  Jésus-Christ 
pour  nous  dans  l'Eucharistie  est  une  montagne  immense,  et  nous 
ne  sommes  qu'au  pied  de  cette  montagne.  S.  Jean  Damascène  * 
nous  dit  que  toute  la  charité,  toute  la  suavité  d'amour  que  Dieu  a 
déversée  sur  nous  dans  le  mystère  de  l'Incarnation,  se  retrouve 
dans  l'Eucharistie,  mais  avec  une  abondance  plus  grande  et  plus 
visible.  Par  l'Incarnation,  en  effet,  une  seule  créature,  celle  com- 
posée du  corps  et  de  l'àme  que  le  Verbe  divin  a  daigné  prendre 
pour  se  les  unir  hypostatiquement,  a  été  élevée  jusqu'à  l'union 
avec  Dieu  lui-même.  Mais  dans  la  sainte  Eucharistie,  Dieu  n'ac- 
corde plus  à  un  seul  être  humain  cette  union  ineffable  :  tous  les 
hommes  sont  appelés  à  y  participer,  non  pas  au  même  degré  que 
l'humanité  sainte  de  Notre-Seigneur,  non  pas  par  l'union  hypos- 
tatique,  mais  par  l'union  qui,  après  elle,  peut  attacher  le  plus 
étroitement  à  son  Dieu  une  créature  vivant  encore  sur  la  terre;  par 
une  union  qui  permet  de  dire  avec  l'Apôtre  :  «  Je  vis,  mais  ce  n'est 
"  plus  moi,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi:  »  Vivo  autemjam 
non  ego;  vivit  vero  in  me  Cliristus  -.  La  faveur  accordée  à  un 
seul  devient,  par  la  sainte  Eucharistie,  le  partage  de  tous.  «  Con- 
«  sidérez,  mes  frères,  disait  S.  Jean  Chrysostorne,  que  le  Sauveur 
«  est  né  de  notre  propre  substance;  et  ne  dites  pas  que  cela  ne  re- 
«  garde  point  tous  les  hommes;  puisques'ilest  venu  pour  prendre 
«  notre  nature,  cet  honneur  rejaillit  nécessairement  sur  toute  la 
«  nature  humaine.  S'il  est  venu  pour  tous,  il  est  venu  aussi  pour 
(f  chacun  en  particulier.  Pourquoi  donc,  dites-vous,  tous  en  parti- 
<•  culier  n'ont-ils  pas  reçu  le  fruit  qu'ils  devaient  de  cette  venue? 
0  II  ne  faut  point  en  accuser  celui  qui  le  désire  avec  tant  d'ar- 
«  deur  :  il  faut  en  rejeter  la  faute  sur  ceux  qui,  par  une  négli- 
«  gence  et  une  ingratitude  insupportables,  ne  le  veulent  point 
«  recevoir.  Car  Jésus-Christ,  s'unissnnt  et  se  mêlant,  par  le 
«  mystère  de  l'Eucharistie,  avec  chacun  des  fidèles  qu'il  a  fait 
«  renaître,  et  se  donnant  lui-même  à  eux  pour  être  leur  nourri- 
«  ture,  nous  persuade  par  là  de  nouveau  qu'il  s'est  véritablement 
«  revêtu  de  notre  chair.  Ne  demeurons  donc  pas  dans  l'insensi- 

1.  S.  JoASN.  Damasc,  lib.  IV  de  Fvie,  cap.  xiv. 

2.  Gnlnt.,  II,  20. 


CE   QUE   NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE   DE  JÉSUS  DANS   l'eUCHARISTIE.         539 

«  bilité,  après  avoir  reçu  des  marques  d'un  si  grand  honneur  et 
«  d'un  si  prodigieux  amour  ^  » 

L'amour  tend  à  l'union  et  l'on  peut  dire  qu'il  est  d'autant  plus 
grand  que  l'union  qu'il  cause  est  plus  parfaite.  Celle  qui  s'accom- 
plit entre  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  nous,  dans  la  sainte  Eucha- 
ristie, ne  saurait  être  comparée  à  l'union  hypostatique  entre  le  Verbe 
divin  et  le  corps  et  l'àme  semblables  aux  nôtres,  qu'il  a  daigné 
prendre  pour  opérer  notre  rédemption.  L'amour  que  Jésus  porte  à 
chacun  des  fidèles  qui  le  reçoivent,  à  la  table  sainte,  n'est  donc 
pas  comparable,  non  plus,  à  l'amour  dont  il  est  pénétré  pour  sa 
propre  humanité;  mais,  néanmoins,  l'union  qui  s'opère  entre  le  Sei- 
gneur et  nous,  par  la  sainte  communion,  témoigne  d'un  amour 
pour  nous  qui  dépasse  toute  imagination,  à  cause  de  l'intimité  de 
cette  union  et  des  obstacles  que  cet  amour  doit  vaincre,  pour  y 
arriver;  n'y  en  eût-il  d'autres  que  notre  misère,  notre  indifférence 
et  trop  souvent  notre  indignité. 

L'union  entre  Jésus-Christ  et  le  fidèle  qui  le  reçoit  dans  l'Eucha- 
ristie n'est  pas  une  union  physique  :  il  n'y  a  pas,  entre  lui  et 
nous,  une  simple  juxtaposition;  son  corps  ne  nourrit  pas  non  plus 
notre  chair  et  son  sang  ne  se  mêle  pas  matériellement  et  physi- 
quement avec  notre  sang.  On  ne  peut  pas  dire  que  sa  substance  se 
confonde  avec  notre  substance,  ni  sa  personne  avec  notre  per- 
sonne; mais  le  Verbe  incarné  tout  entier  se  cache  sous  les  appa- 
rences sacramentelles,  pour  se  donner  à  nous  d'une  manière  sen- 
sible. Il  arrive  ainsi  plus  efficacementjusqu'à  notre  àme,  l'éclairé, 
la  nourrit  et  la  sanctifie,  agissant  sur  notre  intelligence  et  notre 
volonté  comme  le  chef  agit  sur  les  membres  et  Jésus-Christ  dans 
l'Ég-lise  -. 


-o' 


1.  s.  J.  Chrysost.,  hom.  LXXXIII  in  Matth.  Traduction  Jeannin. 

2.  Panis  iste  quem  Dominus  discipulis  porrigebat,  non  effigie  sed  natura 
mutatus,  omnipotentia  Verbi  factus  est  caro;et  sicutin  personaChristi,huma- 
nitas  videbatur,  et  latebat  divinitas:  ita  sacramento  visibili  ineftabiliter  divina 
se  infudit  essentia,  ut  esset  religioni  circa  sacramenta  devotio,  et  ad  verita- 
tem  cujus  corpus  et  sanguis  sacramenta  sunt,  sincerior  pateret  accessus, 
usque  ad  participationem  Spiritus.  Non  quod  usque  ad  consubstantialitateni 
Christi,  sed  usque  ad  societatein  germanissimam  ejus,  lisec  unitas  pervenis- 
set.  Solusquippe  Filius  Patri  consubstantialis  est,  nec  divisibiiis  est  nec  par- 
tiabilis  substantia  Trinitatis.  Nostra  vero  et  ipsius  conjunctio,  nec  miscet 
personas,  nec  unit  substantias;  sed  affectus  consociat  et  confœderat  volun- 
tates.  Ita  Ecclesia  corpus  Christi  effecla,  obsequitur  capili  suo;  et  superius 
lumen  in  inferiora  dilTusum,  claritatis  su*  plenitudine  a  fine  usque  ad  tinem 
attingens,  totum  se  omnibus  commodat,  et  caloris  illius  identitas  ita  corpori 


540         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  CHAP.   XI. 

Mais  si  l'union  du  Fils  de  Dieu  avec  nous,  par  la  sainte  com- 
munion, n'est  pas  une  union  physique  et  matérielle  de  son  corps 
adorable  avec  nos  propres  corps,  elle  n'est  pas  davantage  une 
union  purement  intellectuelle  et  aflective  par  la  foi  et  par  la  cha- 
rité. Une  telle  union  doit  exister  déjà  lorsqu'on  s'approche  de  la 
sainte  communion,  sous  peine  de  la  recevoir  indignement  :  sans 
doute  elle  la  resserrera  ;  mais  elle  ne  la  fera  point  naître  si  elle 
n'existe  pas.  Il  s'opère,  en  vertu  de  la  communion,  une  union  très 
réelle,  quoique  sans  confusion,  de  la  substance  de  Notre-Seigneur 
avec  notre  substance,  et  S.  Cyrille  ne  craint  pas  de  la  comparer  à 
celle  de  deux  masses  de  cire  que  l'on  fait  fondre  et  que  l'on  mêle 
ensemble,  pour  en  faire  un  seul  tout.  C'est  ainsi,  dit-il,  que  le 
Christ  est  en  nous  et  nous  en  lui  i. 

Écoutons  ces  paroles  que  S.  Jean  Chrysostome  prête  à  notre 
divin  Sauveur  :  «  C'est  pour  toi  que  l'on  m'a  craché  au  visage,  que 
«<  l'on  m'a  souflïeté,  que  j'ai  anéanti  ma  gloire,  et  que,  descendant 
a  du  séjour  de  mon  Père,  je  suis  venu  vers  toi,  qui  me  haïssais, 
«  qui  le  détournais  de  moi  et  ne  voulais  pas  entendre  mon  nom. 
«  J'ai  couru  à  ta  poursuite  afin  de  te  saisir;  je  t'ai  attaché  et  uni  à 
«  moi-même  ;  je  t'ai  dit  :  Mange  ma  chair  et  bois  mon  sang.  Je 
«  t'élève  au  ciel,  et  je  viens  t'embrasser  sur  la  terre.  Je  ne  me  suis 
«  pas  contenté  de  placer  si  haut  tes  prémices  ;  cela  ne  suffisait  pas 
«  à  mon  amour.  Je  suis  descendu  sur  la  terre  ;  et  je  ne  me  joins 
«  pas  seulement  à  toi,  mais  je  pénètre  tout  ton  être,  je  suis  mangé 
•  par  toi,  je  m'amincis  peu  à  peu,  afin  que  la  fusion,  que  l'union, 
«  soient  plus  parfaites.  Ce  qui  s'unit  demeure  dans  les  limites  de 
«  sa  propre  étendue;  mais  moi,  je  ne  fais  plus  qu'un  avec  toi.  Je 
«  veux  que  nous  ne  fassions  plus  qu'un  avec  toi.  Je  veux  que  rien 
«  ne  nous  Sf-pare  plus  ;  je  veux  que  nous  ne  fassions  plus  qu'un.  » 
Et  le  saint  Docteur  ajoute  :  «  Sachant  cela,  sachant  la  grande  ten- 
«  dresse  de  Dieu  pour  nous,  faisons  tout  pour  ne  pas  être  indignes 

assidet,  ut  a  capite  non  recédât.  Panis  itaf|ue  liic  azymiis,  cibus  verus  et  sin- 
cprus,  per  speciein  et  sacramentum  nos  tactu  sanctificat,  fide  illuminât,  veri- 
late  Christo  conformât.  (S.  Cyprian.,  dp  Cœna  Domini.) 

\.  Inde  considerandum  est,  non  haldtudine  solum  quœ  per  charitatem 
intelligitur  Christum  in  nobis  esse,  voruin  etiam  et  participatione  naturali. 
Nam  quemadmodum  si  cpiis  igné  liquefactam  ceram,  alii  cerœ  similiter  lique- 
faclae  ita  miscuerit,  ut  unum  quid  ex  ulrisque  factum  videatur  :  sic  commu- 
nicatione  corporis  et  sanguinis  Christi,  ipse  in  nobis  est  et  nos  in  ipso.  (S.  Cy- 
RILL.  Alex.,  lib.  X  in  Joaun.,  cap.  xiii.) 


CE  QUE   NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCUARISTIE.  341 

«  de  si  grands  dons  ;  obtenons-les  tous  dans  le  Christ  Jésus  Notre- 
«  Seigneur,  avec  qui  soient  au  Père  et  au  Saint-Esprit,  gloire, 
«  puissance,  honneur,  maintenant  et  toujours,  et  aux  siècles  des 
«  siècles  ^.  » 

S.  Hilaire  élève  si  haut  l'union  qui  s'opère  entre  Jésus-Christ  et 
les  fidèles  qui  le  reçoivent  dignement  dans  la  sainte  communion, 
qu'il  ne  craint  pas  de  la  comparer,  jusqu'à  un  certain  point,  à 
l'union  de  circuminsession  qui  existe  entre  les  personnes  de  l'ado- 
rable Trinité.  «  Si  le  Verbe  s'est  véritablement  fait  chair,  dit-il,  et 
a  si  nous  prenons  véritablement  le  Verbe  fait  chair,  dans  cet  ali- 
«  ment  que  le  Seigneur  nous  donne,  comment  pourrait-on  ne  pas 
«  admettre  qu'il  ne  demeure  pas  naturellement  en  nous,  celui 
a  qui  d'abord,  en  se  faisant  homme,  s'est  uni  inséparablement  à 
«  la   nature  de  notre  chair  et  a  renfermé  la  nature   de  sa  chair 
<t  unie  à  celle  de  son  éternité,  sous  les  apparences  du  Sacrement, 
«  pour  nous  les  communiquer?  Ainsi  nous  sommes  tous  un,  parce 
»  que  le  Père  est  dans  le  Christ  et  que  le  Christ  est  en  nous.  Qui 
a  donc  nierait  que  le  Père  est  dans  le  Christ  par  sa  nature,  devrait 
<i  nier  d'abord  que  lui-même  est  naturellement  dans  le  Christ  ou 
«  le  Christ  en  lui.  parce  que  l'existence  du  Christ  dans  le  Père 
a  en  même  temps  que  son  existence  en  nous  est  la  cause  de  cette 
«  unité.  Si  donc  le  Christ  a  pris  véritablement  la  chair  de  notre 
«  corps,  si  véritablement  cet  homme  qui  est  né  de  Marie  est  le 
«  Christ,  si  véritablement  nous  recevons  la  chair  de  son  corps, 
«  sous  le  voile  du  Sacrement,  nous  serons  un,  parce  que  le  Père 
«  est  en  lui  et  lui  en  nous.   Comment  dire  alors  que   tout  se 
«  borne  à  une  union  de  volonté,  lorsque  le  Sacrement,  par  une 
«  propriété   essentielle  à  sa   nature,    est    un   sacrement  d'unité 
«  parfaite  2  ?»   S.  Hilaire  revient  souvent  sur  cette  doctrine  de 

1.  S.  Chrysost.,  hom.  XV  in  /.  ad  Timotli.  Traduction  Jeannin. 

2.  Si  enim  vere  Verbum  caro  factum  est,  et  nos  vere  Verbiim  carnem  cibo 
Dominico  sumimus,  quomodo  non  naturaliter  manere  in  nobis  existimandus 
est,  qui  et  naturam  carnis  nostra^  jani  inseparal)ilem  sibibouio  nnlus  assump- 
sit,  et  naturam  carnis  suae  ad  naturam  aeternitatis  sub  Sacramento  nobis  com- 
municandae  carnis  admiscuit?  Ita  enim  omnes  unum  sumus,  quia  et  in 
Christo  Pater  est,  et  Chrislus  in  nobis  est.  Quisquis  ergo  naturaliter,  Pafrem 
in  Christo  negabit,  neget  priusnon  naturaliter,  vel  se  in  Christo,  vel  Christum 
sibi  inesse,  quia  in  Christo  Pater,  et  Christus  in  nobis,  unum  in  bis  esse  res 
faciunt.  Si  vere  igitur  carnem  corporis  nostri  Cliristus  assumpsit,  et  vere 
liomo  ille  qui  ex  Maria  natus  fuit,  Christus  est,  nosque  ver(>  sub  mystorio  car- 
nem cor])oris  sui  sumimus,  et  per  hoc  unum  erimus  quia  Pater  in  eo  est,  et 


545         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —    11®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CUAP.  XI. 

l'union  parfaite  qu'il  nomme  union  naturelle,  ce  qui,  dans  le  lan- 
gage des  Pères,  équivaut  à  union  des  substances,  que  la  réception 
de  l'Euclinristie  opère  entre  Jésus-Christ  et  les  fidèles.  Mais  il  lui 
était  impossible  d'en  donner  une  plus  haute  idée  qu'en  la  compa- 
rant à  celle  qui  existe  entre  le  Père  éternel  et  son  Fils.  Que  faisait- 
il  en  cela,  sinon  imiter  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-même? 
Ne  lisons-nous  pas  dans  l'Évangile  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair 
«  et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  '?  »  Et  le  divin 
Maître  n'ajoute-t-il  pas  :  «  De  même  que  le  Père  qui  est  vivant  m'a 
«  envoyé,  et  moi  je  vis  à  cause  de  mon  Père,  et  celui  qui  me 
«  mange  vivra  à  cause  de  moi  -1  »  Aussi  les  meilleurs  inter- 
prètes de  la  Sainte  Écriture  aiment-ils  à  conclure  de  ces  textes 
de  S.  Jean,  que  ceux  qui  communient  vivent  d'une  vie  divine  et 
sont  en  quelque  sorte  transformés  en  Dieu  lui-môme,  en  vertu  de 
l'union  qu'ils  contractent  avec  lui  ^.  C'est  là  ce  qu'ils  entendent 
par  vivre  à  cause  du  Christ  comme  il  vit  lui-même  à  cause  du  Père; 
c'est  ainsi  qu'ils  expliquent  la  parole  de  Notre-Seigneur  :  «  Il  de- 
«  meure  en  moi  et  moi  en  lui.  » 

S.  Denys  l'Aréopagite  affirme  que  l'union  qui  s'opère  entre  le 
Seigneur  et  nous,  par  la  sainte  communion,  est  l'union  par  excel- 
lence, l'union  la  plus  parfaite  qui  se  puisse  concevoir.  Il  va  sans 
dire  qu'il  faut  toujours  excepter  celle  qui  existe  entre  les  trois  Per- 
sonnes divines  et  celle  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  avec  son 
humanité.  •  En  eflét,  dit-il.  Dieu  le  Verbe  qui,  par  sa  nature,  est 
«  absolument  simple  et  invisible,  s'est  fait  homme  par  amour  pour 

ille  in  nobis  :  quomodo  voluntatis  unitas  asseritur  cum  naluralis  per  sacra- 
mentuin  propriotas,  ])erfectum  sacramentum  sit  unitatis.  (S.  Hilar.,  lib.  VIII 
(le  Trùiittilc,  n.  V.i.) 

1.  nui  inanducal  meara  carnem,  et  bibil  meiim  .sanguinem,  in  me  manet 
et  ego  in  illo.  {Joaun.,  vi,  Ul],  1)7.) 

2.  Sicul  misit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter  Patrem,  et  qui  manducat 
me,  et  ipse  vivet  propter  me.  [Ihid.) 

:i.       Suinam  sacram  Synaxim,  Sermo  Dei  supremi. 

Qua  vivit  et  Deus  fit  Nam  qui  sacram  Synaxim 

Quicum{|ue  corde  puro  Ejusque  suscipit  vim, 

Kdit  bibitque.  Sermo  Non  solus  ille,  non  jam 

Hic  namque  fluxit  a  te  :  Est  ille  solus  inquam, 

Quisquis  bibet  cruorem  Sed,  magne  Cbriste  tecum, 

Meum  meamque  carnem  Qui  lumen  es  trifulgens. 

Edet,  manebit  in  me.  (S.  Joann.  Damasc.  AymnMS.deGraeco 

In  liocque  rursus  ipse  in    Latino  sermone  translatus   a 

Manebo.  Verus  hic  est  Theopii.  Ravnodo.) 


CE   QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS   DANS  l'eUCHARISTIE.         543 

«  les  hommes.  Sans  éprouver  le  moindre  changement  en  lui-même, 
«t  il  est  devenu  composé  et  visible.  Puis,  fait  homme,  par  un 
«  nouvel  acte  de  sa  bonté,  il  a  institué  la  communion  qui  fait  de  lui 
«  une  seule  chose  avec  nous,  et  qui  unit  les  misères  et  les  bassesses 
«  de  notre  nature,  de  la  manière  la  plus  intime,  avec  ses  perfec- 
«  tions  divines  '.  » 

Sansdoute,  cette  union,  si  parfaite  qu'elle  soit,  de  l'avis  de  S.  De- 
nys,  est  loin  d'égaler  celle  qui,  dans  l'adorable  Trinité,  n'est  plus 
seulement  une  union  mais  une  unité  véritable.  Néanmoins  sa  per- 
fection est  grande  à  ce  point  que  les  paroles  mêmes  de  Notre-Sei- 
gneur  nous  invitent  à  l'y  comparer,  et  à  établir  quelque  proportion 
de  l'une  avec  l'autre.  De  même,  bien  qu'elle  n'approche  pas  de 
l'intimité  de  l'union  qui  existe  entre  les  deux  natures  en  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  elle  l'emporte  cependant  de  beaucoup  sur 
l'union  que  l'incarnation  du  Verbe  a  établie  entre  lui  et  toutes  les 
créatures  humaines.  Elle  est  telle  enfin  qu'on  ne  peut  pas  en  con- 
cevoir de  plus  complète  entre  deux  personnes  conservant  chacune 
son  individualité  distincte. 

Puisque  Dieu  nous  a  aimés  au  point  de  s'unir  ainsi  à  nous,  dans 
l'adorable  Eucharistie,  quel  amour  ne  devons-nous  pas  lui  porter 
en  reconnaissance  d'un  si  grand  bienfait  ?  Selon  la  pensée  de 
S.  Jean  Chrysostome,  nous  donner  son  corps  était,  de  la  part  de 
Jésus,  l'acte  d'un  amour  immense.  Ceux  que  nous  aimons  beau- 
coup, nous  voudrions  en  quelque  sorte  nous  les  incorporer.  Job, 
pour  montrer  combien  il  était  aimé  de  ses  serviteurs,  ne  rapportait- 
il  pas  d'eux  ces  paroles  :  «  Qui  nous  donnera  de  ses  chairs  pour 
«  nous  en  rassasier  :  »  Quis  det  de  carnibus  ejus  ut  sature- 
mur  2?  Aussi  Jésus-Christ  a-t-il  voulu  nous  nourrir  de  sa  propre 
chair,  afin  de  nous  gagner  à  son  amour  3.  Approchons-nous  donc 
de  la  table  à  laquelle  il  nous  invite,  mais  avec  dévotion,  avec 
ferveur,  avec  une  ardente  charité. 

Que  cette  charité  ne  soit  pas  seulement  brûlante,  mais  que,  plus 
embrasée  encore  par  la  Sainte  Eucharistie,  elle  soit  inextinguible 
et  ne  perde  jamais  rien  de  son  ardeur  première.  Jésus-Christ  se 
donne  à  nous  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin.  Les  grains  de  blé 
et  les  grains  de  raisin,  dont  sont  faits  le  pain  et  le  vin,  peuvent- 

1.  S.  DiONYS.  Areop.,  in  Eccles.  hiemrch. 

2.  Job,  xxxi,  'M. 

3.  S.  J.  CuRYSosT.,  lioin.  .\XI\'  in  /.  ad  Cor. 


544         LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAI'.   XI. 

ils  se  séparer  de  nouveau?  Non,  sans  doute.  De  même,  nous  ne 
devrions  pas  pouvoir  nous  séparer  de  celui  qui,  pour  s'unir  à  nous, 
a  daigné  se  cacher  sous  les  apparences  de  ces  aliments.  Avec  S.  Paul 
nous  devons  dire  :  «  Qui  nous  séparera  de  la  charité  du  Christ? 
•  La  tribulation,  les  angoisses,  la  persécution  »,  et  le  reste  ?  «  Non, 
«  rien  ne  pourra  nous  séparer  de  l'amour  de  Dieu  qui  est  dans  le 
«  Christ  Notre-Seigneur  i.  » 

II. 

L.V    PRÉSENCE    DE   JÉSUS-CIIRIST    DANS    l'eUCHA.UISTIE   NOUS    RÉVÈLE 
SA   SAGESSE    DIVINE 

L'amour  est  ingénieux,  dit  Théophile  Raynaud  "^  ;  et  parce  que 
l'amour  du  Seigneur  pour  les  hommes,  qui  se  dévoile  dans  l'Eu- 
charistie, est  souverainement  grand,  les  inventions  de  cet  amour, 
pour  nous  être  utiles,  ne  peuvent  être  que  merveilleuses.  Isaïe 
parlait  de  ces  inventions  ou  de  ces  œuvres  de  l'amour  de  Jésus 
dans  le  très  saint  Sacrement,  lorsqu'il  disait  :  «  Vous  puiserez 
€  avec  joie  des  eaux  des  fontaines  du  Sauveur,  et  vous  direz,  en  ce 
a  jour-là  :  Glorifiez  le  Seigneur  et  invoquez  son  nom  ;  faites  con- 
€  naître  ses  inventions  parmi  les  peuples;  souvenez-vous  que  su- 
ce bliiue  est  son  nom  3.  »  H  convient  donc,  après  avoir  admiré  tout 
l'amour  que  Jésus-Christ  nous  a  témoigné  par  l'institution  de  son 
adorable  Sacrement,  de  jeter  un  regard  sur  les  inventions  de  son 
amour,  c'est-à-dire  sur  ce  qui  nous  révèle  principalement  sa  divine 
sagesse  dans  ce  mystère. 

La  première  invention  merveilleuse  de  la  sagesse  de  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Ciirist,  stimulée  par  son  amour,  fut  le  secret  qu'il 
trouva  de  demeurer  continuellement  et  à  jamais  parmi  nous,  grâce 
à  l'Eufharistie  ;  ce  fut  en  même  temps  celui  de  nous  procurer, 
quoique  invisible  à  nos  yeux  corporels,  tous  les  avantages  dont  sa 
présence  sensible  pouvait  être  la  source,  pour  ceux  qui  en  jouirent 
pendant  sa  vie  mortelle. 

\.  Quis  ergo  nos  separabit  a  charilate  Christi  ?  Tribulatio?  an  angustia?  an 
persecutio?  etc.  Certus  sum  quia  neque  mors,  etc.,  poterit  nos  separare  a 
charilate  Dei  quœ  est  in  Christo  Jcsu,  Domino  nostro.  {liom.,  viii,  35,  39.) 

2.  Voir  Candelahrum  s/nirtum  de  Ewhnrislia,  secl.  III,  cap.  il. 

3.  Haurielis  aquas  in  gaudio  de  fontihus  Salvaloris  :  et  dicetis  in  die  illa  : 
Confitemini  Domino,  et  invocate  nomen  ejus;  notas  facile  in  populis  adin- 
ventiones  ejus;  nicmentote  quoniam  excelsum  est  nomen  ejus.  {/s.,  xii,  3,  i.) 


CE  QUE   NOUS   RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.  345 

Il  n'était  pas  possible,  selon  les  desseins  de  Dieu,  que  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  demeurât  visible  parmi  les  hommes,  jusqu'à  la 
fin  des  siècles,  lorsqu'il  eut  achevé  l'œuvre  de  la  rédemption,  pour 
laquelle  il  était  descendu  sur  la  terre  et  avait  pris  notre  nature.  Il 
fallait  que  son  Humanité  sainte  entrât  dans  la  gloire  que  la  Trinité 
tout  entière  lui  avait  préparée  dès  l'éternité;  les  anges,  les  saints, 
toute  la  cour  céleste,  attendaient  leur  Roi  suprême,  et  désiraient 
ardemment  le  voir  assis  sur  son  trône  à  la  droite  du  Père.  Mais 
Jésus-Christ  n'était  pas  jnoins  le  rédempteur  des  générations  à  venir 
que  de  celle  au  milieu  de  laquelle  il  s'était  montré  et  avait  vécu, 
comme  l'un  de  nous,  pendant  trente-trois  ans  :  il  n'en  voulait  pri- 
ver aucune  de  sa  présence,  ni  des  biens  infinis  qu'elle  procure  à 
ceux  qui  ne  refusent  pas  d'en  profiter.  Nous  quitter  et  rester  en 
même  temps  sur  la  terre  parmi  nous,  tel  était  le  difficile  problème 
que  l'amour  de  Jésus  pour  son  Père,  pour  les  anges,   pour  les 
saints  du  ciel  et  pour  nous  posait  à  sa  sagesse.  Elle  a  résolu  cette 
difficulté  insurmontable  pour  toute  autre  que  pour  elle,  par  l'insti- 
tution de  la  très  sainte  et  très  adorable  Eucharistie.  Grâce  à  ce 
divin  mystère,  où  il  se  cache  sous  les  apparences  d'un  peu  de  pain, 
il  vit  au  milieu  de  nous,  il  nous  rassemble  auprès  de  lui,  comme 
autrefois  ses  disciples,  il  nous  parle  soit  directement,  en  s'adres- 
sant  intérieurement  à  nos  âmes,  soit  extérieurement  par  la  bouche 
de  ses  ministres;  il  fait  plus  encore,  il  se  donne  à  nous;  ce  pain, 
qui  est  sa  chair,  ce  vin  qui  est  son  sang  répandu  pour  le  salut  du 
monde,  il  nous  les  donne.  Les  Apôtres  eux-mêmes  n'ont  été  admis 
à  les  recevoir  qu'une  seule  fois  de  sa  main,  pendant  sa  vie  mor- 
telle :  nous,  plus  favorisés,  nous  pouvons  les  recevoir  aussi  sou- 
vent qu'il  nous  plaît  :  la  seule  condition  qu'il  y  mette,  c'est  que 
nous  nous  efforcions  de  n'en  pas  être  trop  indignes.  Une  telle  in- 
vention n'est-elle  pas  digne  d'une  sagesse  infinie  mise  au  service 
de  l'amour  d'un  Dieu  i?  Des  docteurs  et  des  saints,  au  premier 

i.  Quoniam  vero  sic  apparuit  in  visibili  specie  Dei  sapientia,  ut  completo 
dispensationis  suse  ministerio,  regrederetur  ad  Patrem  unde  venerat,  et  a 
quo  non  discesserat,  congruum  fuit  ut  taliter  se  exhiberet,  quatenus  nec  quos 
elegerat  prœsentes  derelinqueret,  nec  venturis  se  negaret,  sed  cunctos  pari 
se  ostenderet  dilexisse  charitate.  Quod  quidem  optime  perfecit,  cum  se  sub 
modica  panis  vinique  specie  realiter  communicavit.  Merilo  enim  taie  opus 
divinœ  convenit  sapientije,  nullique  nisi  ^'erbo  sempiterno,  hujusmodi  debe- 
batur  elargitio  charitatis.  ^S.  Laurent.  Justin.,  lib.  de  Casio  conmihio  Verbi  et 
animx,  cap.  wiv,  n.  2.) 

LA   SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  35 


546         LA    SAINTE   EUCHARESTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

rang  desquels  il  convient  de  nommer  S.  François  d'Assise  S  croient 
que  le  divin  Maître  avait  particulièrement  en  vue  sa  présence  au 
Saint-Sacrement,  lorsqu'au  moment  de  quitter  ses  disciples,  il  leur 
disait  :  «  Et  voici  que  je  suis  avec  vous  tous  les  jours,  jusqu'à  la 
«  consommation  des  siècles  2.  » 

Quant  aux  fruits  que  la  présence  de  Notre-Seigneur  dans  l'Eu- 
charistie nous  procure,  n'est-ce  pas  encore  la  sagesse  de  ce  bon 
Maître  qui  les  a  choisis  et  préparés?  Ne  brille-t-elle  pas  d'un  vif 
éclat  dans  le  moyen  qu'il  a  trouvé  de  nous  taire  participer  aux 
mêmes  biens  que  sa  présence  sensible  procurait  jadis  aux  habi- 
tants de  la  Judée,  qui  savaient  en  profiter?  Que  faisait-il,  en  effet, 
parmi  eux,  lorsqu'il  parcourait  leurs  villes  et  leurs  hameaux?  Il 
leur  enseignait  sa  sainte  doctrine,  leur  révélant  les  principaux 
mystères  qu'il  est  nécessaire  de  connaître  pour  arriver  au  salut;  il 
priait,  se  fatiguait  et  souffrait  pour  acquérir  des  mérites  en  leur 
faveur,  et  enfin  il  mourait  sur  la  croix,  s'ofTrant  en  sacrifice  à  son 
Père  pour  le  salut  de  tous.  N'est-ce  pas  encore  ce  qu'il  fait  parmi 
nous?  La  Sainte  Eucharistie  est  un  mémorial  qui  nous  rappelle 
tous  les  mystères  de  notre  religion,  et  toutes  les  merveilles  que 
Jésus-Christ  a  accomplies  pour  nous.  Elle  est  en  même  temps  un 
sacrifice  où  Jésus-Christ  ne  meurt  plus,  il  est  vrai,  mais  où  toutes 
ses  prières,  tous  ses  travaux,  toutes  ses  souffrances,  tout  son  sang 
versé  et  enfin  sa  mort  sont  de  nouveau  présentés  au  Père  céleste, 
pour  que  l'application  nous  soit  faite  de  tant  de  mérites  une  fois 
acquis. 

L'homme  oublie  aisément  les  bienfaits  reçus  et  les  enseigne- 
ments que  rien  de  sensible  ne  rappelle  à  sa  mémoire.  Et  s'il  s'agit 
des  choses  de  Dieu,  le  démon,  le  monde  et  les  passions  accélèrent 
encore  cet  oubli.  Cependant,  rien  ne  nous  importe  plus  que  de 
conserver  toujours  un  souvenir  bien  vivant  des  mystères  de  notre 
sainte  religion,  et  des  bienfaits  que  nous  avons  reçus  de  Dieu. 
Jésus,  notre  ami,  a  voulu  nous  donner  quelque  chose  qui  nous 
aidât  à  combattre  l'oubli,  cette  faiblesse  si  dangereuse  de  notre 
nature.  Sa  sagesse  divine  a  inventé,  à  notre  usage,  un  mémorial 
SflMuewr,  comme  l'appelle  S.  Laurent  Justinien  ;  ce  mémorial  est 
l'Eucharistie.  Il  a  pris  soin  de  nous  avertir  lui-même  de  ce  carac- 

1.  Admonitio  ad  omnes  Fratres,  cap.  11. 

2.  Ecce  ego  vobiscum  sum  omnibus  diebus,  usque  ad  consummationem 
saeculi.  {Matth.,  xxviii,  20.) 


CE   QUE   NOUS  REVELE  LA   PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.         547 

tère  particulier  de  cet  adorable  sacrement,  car,  dans  l'acte  même 
de  son  institution,  il  a  dit  :  «  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  »  : 
Hoc  facile  in  meam  commemorationem  ^ .  Il  a  donc  voulu  que 
cette  adorable  invention  de  son  amour  servît  à  nous  rappeler 
tout  ce  qu'il  est  et  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  nous,  la  charité  qu'il 
nous  a  témoignée  par  son  incarnation,  sa  vie  mortelle,  sa  passion 
et  sa  mort  sur  la  croix,  sa  présence,  son  regard  qui  voit  tout  et 
qui,  du  fond  du  tabernacle,  est  fixé  sur  nous,  son  avènement 
futur  pour  juger  les  vivants  et  les  morts  2. 

Le  premier  de  nos  saints  mystères,  celui  sur  lequel,  en  même 
temps  que  sur  l'existence  même  de  Dieu,  reposent  tous  les  autres, 
est  le  Mystère  d'un  Dieu  en  trois  personnes.  La  Sainte  Eucharistie 
ne  nous  permet  pas  d'en  perdre  la  mémoire,  car  c'est  la  seconde 
personne  de  l'adorable  Trinité  que  nous  reconnaissons,  unie  à  un 
corps  et  à  une  âme  semblables  aux  nôtres,  dans  ce  divin  sacre- 
ment. La  seconde  Personne  suppose  la  première  :  le  Père  existe 
puisqu'il  y  a  un  Fils,  et  le  souvenir  du  Père  et  du  Fils  rend  im- 
possible l'oubli  du  Saint-Esprit,  qui  n'est  qu'un  seul  et  unique 
Dieu  avec  les  deux  autres  personnes  divines. 

Si  l'on  veut  chercher  des  analogies  entre  le  mystère  de  la  Trinité 
et  celui  de  l'Eucharistie,  il  est  aisé  d'en  découvrir.  Dans  la  Très 
Sainte  Trinité,  nous  adorons  trois  personnes  dans  l'unité  de  la 
substance  :  dans  l'Eucharistie,  nous  adorons,  dans  l'unité  d'une 
même  personne,  trois  substances,  le  Verbe  divin,  le  corps  humain 
et  lame  humaine  de  Notre-Seigneur.  Le  Verbe  incarné,  comme 
chacune  des  autres  personnes  divines,  parce  qu'il  est  Dieu,  existe 
en  toutes  choses  par  son  essence,  sa  présence  et  sa  puissance;  il 
existe  dans  les  seuls  justes  par  la  grâce  sur  la  terre,  par  la  gloire 
dans  le  ciel  et,  de  plus,  d'une  manière  incomparablement  plus 
intime,  dans  la  nature  humaine  qui  ne  fait  qu'un  avec  son  ado- 
rable personne.  Par  sa  volonté,  son  humanité  sainte  possède  aussi 
un  triple  mode  d'existence  :  c'est  un  trait  de  ressemblance  qu'il 
lui  donne  avec  la  nature  divine.  Elle  existe  donc  dans  le  ciel, 
comme  dans  le  lieu  où  elle  réside,  entourée  de  tout  l'éclat  de  sa 


\.  Luc,  XXII,  19. 

±  Dominus  dédit  nobis  escam,  scilicet,  seipsum  ad  memoriam  mirabilium  : 
prseleritorum,  quod  nos  redemit;  praesentium,  quod  omnia  nostra  respicit; 
futuroruin,  quod  distincte  tandem  judicabit.  (B.  Alberti  Magni  de  Sacro- 
sanclo  Eucharistix  sacramenlo  sermones,  serm.  II.) 


548  L.\  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

gloire  et  de  sa  puissance;  elle  existe  dans  le  Verbe  divin,  qui  a 
voulu  n'être  avec  elle  qu'une  seule  et  unique  personne;  elle  existe 
enfin  sacramentellement  sur  nos  autels  et  dans  nos  tabernacles. 
De  sorte  que  Jésus-Christ,  qui  est  en  toutes  choses  par  son  essence 
divine,  est  tout  entier  sacramentellement,  selon  son  humanité, 
partout,  dans  tous  les  lieux  où  réside  la  Sainte  Eucharistie  i.  C'est 
ainsi  que  la  présence  de  la  Très  Sainte  Eucharistie  et  la  foi  qui 
nous  révèle  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  voilé  sous  les  espèces  du 
Sacrement,  ne  nous  permettent  pas  d'oublier  le  grand  mystère 
d'un  Dieu  en  trois  personnes. 

La  Sainte  Eucharistie  nous  rappelle,  en  second  lieu,  le  mystère 
de  l'Incarnation. 

Le  mystère  de  la  Trinité  offre  à  nos  adorations  trois  personnes 
divines  en  une  seule  substance,  et  celui  de  Tlncarnation  trois 
substances  en  une  seule  personne.  «  De  même,  dit  S.  Bernard,  que 
«  dans  l'unique  divinité  subsiste  la  trinité  des  personnes,  en 
«  même  temi>s  que  l'unité  de  la  substance,  ainsi  dans  ce  mé- 
«  lange  tout  particulier,  rincarnation,  il  y  a  trinité  de  substances 
«  et  unité  de  personne.  Si,  dans  l'une,  les  trois  personnes  ne  dé- 
«(  truisent  point  l'unité,  de  même  que  l'unité  ne  fait  point  dispa- 
«  raitre  la  trinité,  ainsi  dans  le  mélange  dont  nous  parlons, 
«  l'unité  de  personne  n'est  point  la  confusion  des  substances,  non 
a  plus  que  le  nombre  des  substances  n'empêche  point  l'unité  de 
a  personne.  Voilà  l'oeuvre  admirable,  l'œuvre  unique  entre  toutes, 
«  et  qui  les  dépasse  toutes,  que  la  suprême  Trinité  nous  a  mon- 
«  trée,  cette  Trinité  où  le  Verbe  de  Dieu,  l'àme  et  le  corps  forment 
«  une  seule  personne  ;  ces  trois  ne  font  qu'un  et  cet  un  fait  trois, 
«  sans  confusion  de  substances,  mais  par  l'unité  de  personne  '-.  » 

i.  Valde  pulchrum  est  considerare,  qualiter  cœlestis  alliludo  consiliidispo- 
suit,  ul  sicut  très  sunt  personae  in  unitate  divinae  substanliae,  scilicet  Pater, 
Veri)Uin,  et  Spiritus  sanctus;ita  très  essent  substantiae  in  unitate  personae, 
scilicet  (livinitas,  corpus  et  anima.  Et  sicut  Christus  secundum  naturam  divi- 
nam  trilms  inodis  existit  in  omnibus,  per  essentiam,  pnesentiam,  et  poten- 
tiam;  in  solis  justis  per  gratiam  et  gloriam  ;  in  liomine  assumpto,  per  unio- 
nem  :  sic  voluit,  ut  idem  ipse  secundum  naturam  liumanam,  tribus  modis 
in  rébus  existeret,  scilicet  localiter  in  crelo,  personaliter  in  Verbo,  sacramen- 
taliler  in  allari.  Sicut  enim  secundum  divinitatem,  totus  essentialiter  est  in 
omnibus,  ita  secundum  bumanitatem,  totus  sacramentaliter  est  in  omnibus 
locis  in  quibus  conficitur  et  celebratur.  (.Joannes  de  Rauusio,  oratio  de  Com- 
munione  sufi  utj'fif/iip  specie,  habita  in  concilie  Basiliensi.) 

2.  Sicut  enim  in  illa  singulari  Divinitate,  trinitas  est  in  personis,  unitas  in 
Kubstantia  :  sic  in  ista  speciali  commixtione,  trinitas  est  in  substantiis,  et  in 


CE  QUE   NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.         549 

La  Sainte  Eucharistie  ne  nous  permet  pas  d'oublier  cette  Tri- 
nité secondaire,  trinité  des  substances  dans  l'unilé  de  la  personne, 
qui  résulte  de  l'Incarnation  du  Verbe  divin. 

En  effet,  non  seulement  le  mystère  de  l'Incarnation  se  reproduit 
en  quelque  manière,  dans  le  mystère  de  l'Eucharistie,  mais  il  y  a 
entre  la  composition  de  l'un  et  de  l'autre  une  affinité  singulière. 
Par  l'Incarnation,  le  Verbe  de  Dieu,  devenu  Jésus-Christ,  se  trouve 
être  composé  de  la  divinité  qui  reste  invisible,  et  de  l'humanité 
que  les  sens  perçoivent  :  de  même  l'Eucharistie  est  composée  de  la 
substance  cachée  du  Christ,  et  des  espèces  qui  le  recouvrent,  et 
qui  nous  font  connaître  sa  présence.  L'Eucharistie,  disait  S.  Iré- 
née,  est  un  tout  composé  d'un  élément  céleste  et  d'un  élément  ter- 
restre, des  espèces  sacramentelles  et  du  corps  de  Jésus-Christ  *. 

Si  l'incarnation  du  Seigneur  est  représentée  dans  l'Eucharistie 
par  la  composition  même  de  cet  adorable  mystère,  qui  pourrait 
oublier  sa  nativité,  lorsqu'il  le  voit  naître  de  nouveau  entre  les 
mains  du  prêtre,  qui  le  dépose  sur  l'autel,  comme  autrefois  Marie 
le  déposa  dans  la  crèche  de  Bethléem?  Qui  pourrait  de  même  ou- 
blier, en  assistant  au  sacrifice  de  la  messe,  la  passion,  la  mort,  la 
résurrection  et  l'ascension  de  Notre-Seigneur?  Le  sacrifice  de  la 
messe  n'est-il  pas,  sous  une  forme  mystique,  la  répétition  ou  la 
continuation  très  réelle  de  ces  touchants  mystères  ?  Peut-on  savoir 
que  Jésus-Christ  renouvelle  sur  l'autel,  par  le  ministère  du  prêtre, 
l'immolation  accomplie  pour  nous  d'une  manière  sanglante  sur  la 
croix,  et  oublier  ce  premier  sacrifice  offert  sur  le  Calvaire,  lors- 
qu'on a  le  bonheur  d'assister  à  la  messe?  La  sainte  Église,  d'ail- 
leurs, parles  prières  et  les  cérémonies  liturgiques  dont  elle  accom- 
pagne ce  divin  sacrifice,  rend  impossible  un  tel  oubli.  Après  avoir 
consacré  pour  la  première  fois  le  pain  et  le  vin,  et  les  avoir  trans- 
substantiés  en  son  corps  et  son  sang  adorables,  Jésus  dit  à  ses  apô- 
tres :  a  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  »  :  Hoc  facile  in  nieam 
commemorationem.  Consacrez  à  votre  tour,  et  vos  successeurs 

personis  unitas.  Et  sicut  ibi  personœ  non  scindunt  unitatem,  unitas  non  mi- 
nuit trinitatem;  ita  et  hic  persona  non  confundit  suljstantias,  nec  substantiae 
ipsœ  person*  dissipant  unitatem.  Summa  illa  Trinitas,  hanc  nobis  exhibuit 
Trinitatem,  opus  mirabile,  opus  singulare  inter  omnia,  et  super  omnia  opéra 
sua.  Verbum  enim,  et  anima  et  caro,  in  unam  convenere  personam,  et  haec 
tria  unum,  et  hoc  unum  tria,  non  confusione  substantiae  sed  unitate  personae. 
(S.  Bernard.,  serm.  III  de  Vigiliu  nativitatis  Domini.) 
1.  S.  Iren.,  lib.  IV,  cap.  x.xxiv. 


550  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II**  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —    CIIAP.  XI. 

après  vous,  le  pain  et  le  vin  ;  changez-les  en  mon  corps  et  en  mon 
sang  :  mais,  en  le  faisant,  souvenez-vous  de  moi,  de  ma  divinité 
et  de  mon  humanité;  de  ce  que  j'ai  été  et  de  ce  que  j'ai  fait  parmi 
vous  et  pour  vous,  pendant  ma  vie  mortelle  :  souvenez-vous  des 
grands  mystères  qui  ne  sont  pas  accomplis  encore,  mais  qui  le  se- 
ront lorsque,  à  votre  tour,  vous  consacrerez  le  pain  et  le  vin  ; 
souvenez-vous  de  mes  souffrances  et  de  ma  mort,  de  ma  résurrec- 
tion et  de  mon  ascension,  de  ma  gloire  et  de  ma  puissance  au  ciel, 
d'où  je  vous  protégerai  avec  la  plus  tendre  sollicitude,  lorsque 
vous  serez  privés  de  ma  présence  visible  :  Faites  ceci  en  mémoire 
de  moi,  de  moi-  tout  entier,  de  ce  que  j'ai  été,  de  ce  que  je  suis  et 
de  ce  que  je  serai  en  moi-même  et  pour  vous.  —  On  se  souvient 
de  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs,  en  traitant  de  la  liturgie  moza- 
rabe, que  le  prêtre  qui  célèbre  la  sainte  messe  selon  les  rites  de 
cette  liturgie,  divise  la  sainte  hostie  en  neuf  parcelles,  qu'il  dis- 
pose en  croix  sur  la  patène  où  sont  gravés  les  noms  des  principaux 
mystères  de  Notre-Seigneur  :  l'Incarnation,  la  Nativité,  la  Circon- 
cision, l'Epiphanie,  la  Passion,  la  Mort,  la  Résurrection,  l'Ascen- 
sion, la  Royauté  céleste. 

Remarquons  toutefois  que  la  Sainte  Eucharistie  ne  remémore 
directement,  en  vertu  de  son  institution,  que  la  passion  et  la  mort 
de  Notre-Seigneur,  selon  la  parole  de  S.  Paul  aux  Corinthiens  : 
«  Toutes  les  fois  que  vous  mangerez  ce  pain  et  boirez  ce  calice, 
€  vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  ^  » 
Les  autres  mystères  n'y  sont  rappelés  qu'indirectement,  les  uns 
parce  que  le  mystère  eucharistique  n'eût  pas  été  possible  sans  eux; 
les  autres  parce  qu'ils  ont  rendu  son  institution,  sinon  nécessaire, 
au  moins  très  utile  pour  le  salut  des  hommes.  Gomment  Jésus- 
Christ  aurait-il  institué  la  Sainte  Eucharistie  s'il  ne  s'était  pas 
d'abord  incarné?  Et  pourquoi  aurait-il  institué  ce  mystère  ado- 
rable, s'il  n'avait  pas  dû  ressusciter,  ou  si,  ressuscité  glorieux,  il 
avait  dû  continuer  de  vivre  sur  la  terre  au  milieu  des  hommes? 

La  sagesse  divine  brillerait  déjà  d'un  éclat  admirable  dans  l'ins- 
titution de  la  Très  Sainte  Eucharistie,  si  cette  institution  nous 
procurait  uniquement  l'avantage  de  nous  remettre  vivement  en 
mémoire  tous  les  principaux  mystères  de  notre  sainte  religion  : 
mais  ce  ne  serait  pas  assez  pour  cette  divine  sagesse,  qui  se  confond 

1.  (Juotiescumque  enim  manducabitis  panem  hune  et  calicem  bibetis,  mor- 
tem  Domini  annuntiabitis,  donec  veniat.  (/.  Cor.,  xi,  26.) 


CE  QDE  NOUS  RÉVÈLE  LA   PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.         551 

et  n'est  qu'une  même  chose  avec  l'amour  infini  de  Dieu  pour  nous. 
C'est  beaucoup  assurément  de  nous  rappeler  les  enseignements  de 
Notre-Seigneur,  et  les  prodiges  que  sa  bonté  pour  les  hommes  lui 
a  fait  accomplir,  pendant  sa  vie  terrestre;  c'est  beaucoup  de  nous 
le  montrer  souffrant  et  s'immolant  pour  opérer  notre  rédemption  ; 
mais  la  divine  sagesse  a  trouvé  moyen  de  faire  plus  encore  :  par 
l'Eucharistie,  elle  ne  nous  représente  pas  seulement  ce  que  Jésus- 
Christ  a  fait  et  enduré  pour  nous,  elle  nous  applique  les  mérites  de 
ses  travaux,  de  ses  souffrances  et  de  sa  mort.  Ce  qu'il  a  mérité 
pour  tous  est  appliqué  à  chacun  personnellement,  par  ce  sacre- 
ment d'amour. 

En  effet,  la  passion  de  Notre-Seigneur  a  été  la  cause  universelle 
de  notre  salut  ;  c'est  d'elle  qu'ont  découlé  tous  les  biens  spirituels 
que  Dieu  daigne  accorder  aux  descendants  d'Adam.  La  vertu  mé- 
ritoire et  satisfactoire  de  tous  les  actes  de  Notre-Seigneur  pendant 
sa  vie  mortelle,  et  en  p^articulier  de  sa  passion  et  de  sa  mort,  ne 
saurait  avoir  de  mesure,  parce  que  Jésus-Christ,  comme  homme 
morlel,  était  capable  de  mérite,  et  que,  comme  Dieu,  il  donnait  à 
chacun  de  ses  actes  humains  un  mérite  infini.  Or,  de  concert  avec 
son  Père,  il  a  voulu  que  tous  ces  mérites  servissent  au  bien  des 
hommes.  C'est  pour  nous  qu'il  a  mérité,  pour  nous  qu'il  a  satis- 
fait à  la  justice  divine.  Mais  maintenant  qu'il  n'est  plus  en  état 
d'acquérir  des  mérites  nouveaux,  parce  qu'il  a  rempli  la  mission 
de  nous  racheter  qu'il  avait  reçue  de  son  Père,  maintenant  qu'il 
est  en  possession  de  sa  gloire,  comment  ces  mérites,  rassemblés 
par  lui  en  faveur  du  genre  humain,  seront-ils  appliqués  à  ceux 
que  Dieu  a  choisis  pour  les  combler  particulièrement  de  ses  grâces? 
Comment,   surtout,  pourrons-nous  connaître,  avec  quelque  certi- 
tude, que  nous  y  avons  part?  Car  si  nous  ignorons  les  trésors  que 
la  miséricorde  de  notre  Dieu  nous  a  préparés,  si  nous  ne  savons 
pas  de  quelle  manière  il  nous  est  possible  et  facile  d'y  puiser  à  coup 
sûr,  à  quoi  nous  serviront-ils?  La  sagesse  et  la  bonté  de  notre  divin 
Jésus  a  tout  prévu.  Deux    moyens  principaux  ont  été  institués, 
pour  que  les  mérites  de  notre  Rédempteur  devinssent  notre  par- 
tage :  les  sacrements  et  le  sacrifice.  Dieu  peut  se  servir  et  se  sert 
souvent  d'autres  moyens  encore,  mais  ce  sont  là  les  principaux, 
les  plus  fructueux,  les  plus  sûrs  et  les  mieux  appropriés  à  tous 
nos  besoins.  La  Sainte  Eucharistie  est,  sans  comparaison,  le  plus 
auguste  et  le  plus  saint  des  sacrements,  parce  qu'elle  ne  donne  pas 


552  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

seulement  la  grâce,  mais  qu'elle  renferme  et  donne  l'auteur  même 
de  la  grâce.  Elle  est,  en  même  temps,  le  sacrifice,  le  seul  et  unique 
sacrifice  que  Dieu  réclame  de  nous  et  qu'il  soit  permis  de  lui 
olïrir  sur  ses  autels,  par  le  ministère  de  ses  prêtres.  Ce  sacrifice 
n'est  plus  méritoire  par  lui-même;  mais  il  possède  tous  les  mérites 
acquis  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  lorsqu'il  l'oArit  lui-même 
sous  une  autre  forme,  en  mourant  sur  la  croix;  il  possède  de  plus 
tous  les  mérites  acquis  par  ce  divin  Sauveur  lorsque,  la  veille 
de  sa  passion,  il  poussa  son  amour  pour  nous  jusqu'au  dernier 
excès  et  offrit,  pour  la  première  fois,  son  corps  et  son  sang  à 
son  Père,  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin.  Lorsque  le  prêtre, 
ministre  du  Seigneur,  offre  le  Saint  Sacrifice  à  l'autel,  il  puise  à 
pleines  mains  dans  ces  trésors  des  richesses  de  Jésus,  et  Dieu  les 
distribue  selon  les  intentions  du  prêtre,  selon  les  intentions  de  sa 
propre  sagesse  et  de  sa  miséricorde  ;  enfin,  selon  les  dispositions  et 
les  besoins  de  ceux  qu'il  admet  à  y  avoir  quelque  part.  Heureux 
ceux  qui  assistent  au  divin  sacrifice  avec  un  cœur  bien  pur  et  lar- 
gement dilaté  !  Dieu  versera  dans  ce  cœur,  jusqu'à  le  remplir,  les 
plus  précieux  parfums  de  sa  grâce. 

Que  ce  sacrifice  de  nos  autels  est  saint!  Qu'il  est  digne  de  Dieu 
à  qui  nous  l'offrons!  C'est  bien  lui  que  le  prophète  Malachie  an- 
non<;ail  lorsque,  parlant  au  nom  du  Seigneur,  il  disait  :  «  Depuis 
«  le  lever  du  soleil  jusqu'à  son  coucher,  grand  est  mon  nom  parmi 
«  les  nations;  et  en  tout  lieu  on  sacrifie,  et  une  oblation  pure 
«  est  offerte  â  mon  nom,  parce  que  grand  parmi  les  nations  est 
«  mon  nom,  dit  le  Seigneur  des  armées  ^  »  Le  prêtre  visible  qui 
TolTre  est  le  représentant  de  Jésus-Christ  lui-même  qui,  pour  cet 
acte  solennel,  lui  remet  entre  les  mains  sa  toute-puissance.  La  vic- 
time offerte,  c'est  encore  Jésus-Christ.  Quel  prêtre  et  quelle  victime 
plus  dignes  d'elle  la  Majesté  souveraine  de  Dieu  pourrait-elle  de- 
mander? Et  parce  que  ce  sacrifice  si  grand,  si  divin  est  offert  en  notre 
faveur,  parce  qu'il  est  nécessaire  que  nous  puissions  y  assister  avec 
confiance  et  amour,  sans  mourir  de  frayeur  à  la  vue  des  grandes 
choses  qui  s'opèrent  sur  l'autel  :  le  souverain  Prêtre  est  représenté 
par  un  prêtre  qui  est  un  homme  comme  nous,  et  la  victime  trois 

i.  Ab  ortu  enim  solis  usque  ad  occasum,  magnum  est  nomen  meum  in 
genlibus,  <:l  in  omni  loco  sacrificatur,  et  ofîertur  nomini  meo  oblatio  munda; 
quia  magnum  est  nomen  meum  in  gentibus,  dicit  Dominus  exercituum. 
{^fahch.,\,i\.) 


CE  QUK  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSOS  DANS  L'BUCHARISTIE.  553 

fois  sainte,  l'Agneau  de  Dieu,  Jésus-Christ,  se  voile  sous  les  hum- 
bles apparences  d'un  peu  de  pain  et  d'un  peu  de  vin,  nos  aliments 
de  chaque  jour.  Ne  devons-nous  pas  nous  écrier  avec  l'Apôtre  : 
a  0  profondeur  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de 
«  Dieu  M  »  Et  parce  qu'il  pourra  se  trouver  en  tout  lieu,  parce  qu'il 
se  trouvera  en  tout  temps  des  fidèles  qui  auront  besoin  du  secours 
que  cet  adorable  sacrifice  est  destiné  à  leur  procurer.  Dieu  en  a 
tellement  facilité  l'oblation,  par  la  multiplicité  des  prêtres  et  le 
choix  de  la  matière,  qu'il  n'y  a  pas  une  contrée  au  monde,  ni  un 
instant  du  jour  ou  de  la  nuit  qui  ne  soient  sanctifiés  par  l'immo- 
lation de  la  divine  Victime. 

Mais  la  Sainte  Eucharistie  n'est  pas  seulement  un  sacrifice,  elle 
est  aussi  un  sacrement.  Si  nous  la  considérons  comme  telle,  la  sa- 
gesse de  Dieu  ne  s'y  révèle  pas  avec  un  moindre  éclat. 

D'après  S.  Grégoire  de  Nysse  2,  il  était  nécessaire  que  Jésus- 
Christ  instituât  un  mode  de  communion  entre  son  divin  corps  et 
les  nôtres,  s'il  voulait  les  sanctifier  et  les  revêtir  de  l'immorta- 
lité. Le  Fils  de  Dieu  était  venu  sur  la  terre  pour  sauver  l'homme 
tout  entier  :  or,  l'homme  est  composé  d'un  corps  et  d'une  âme. 
Ce  n'était  donc  pas  assez  que  Dieu  qui  est  la  vie  s'unît  à  l'âme 
seule,  ce  qu'il  pouvait  faire  en  lui  donnant  une  foi  vive  enflam- 
mée par  la  charité  :  il  fallait  que  le  corps  eût  part  à  cette  faveur 
inappréciable  faite  à  l'âme;  il  fallait  que  lui-même  s'unît  à  ce  Dieu 
qui  est  la  vie,  afin  que  le  bienfait  dont  le  Seigneur  daignait  nous 
favoriser  s'étendît  à  tout  notre  être.  Et  c'est  pour  atteindre  ce  but 
que  la  sagesse  divine  inventa  de  nous  faire  prendre  corporelle- 
ment  le  pain  de  vie  et  de  salut.  Un  aliment  avait  corrompu  la  na- 
ture humaine  alors  qu'elle  était  renfermée  tout  entière  en  Adam  : 
il  convenait  qu'un  autre  aliment,  non  plus  de  mort,  mais  de  vie, 
rendît  la  vie  et  la  santé  surnaturelles  à  ceux  des  enfants  d'Adam 
qui  le  prendraient,  avec  les  dispositions  que  sa  sainteté  demande. 

Mais  cet  aliment  de  vie,  nous  ne  pouvons  pas  le  prendre  tel 
qu'il  s'est  montré  sur  la  terre,  car  c'est  Jésus-Christ  lui-même,  ni 
tel  qu'il  existe  aujourd'hui  dans  la  gloire  du  ciel.  Invisible  par  sa 
nature  propre,  il  s'était  d'abord  rendu  visible  à  nos  yeux  en  se 
revêtant  de  notre  nature,  car  nous  avions  besoin  qu'il  se  montrât 
ainsi  à  nous  ;  et  maintenant  qu'il  nous  est  nécessaire,  comme  nour- 

1.  0  altitudo  divitiarum  sapientiae  et  scientiae  Dei!  [liom.,  xi,  33.) 

2.  Oral.  magn.  catech.,  cap.  xxxvii. 


S54  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  XI. 

riture  de  nos  âmes  et  sanctification  de  notre  chair  elle-même,  il  se 
voile  de  nouveau  :  nos  yeux  ne  le  voient  plus,  mais  ils  voient  les 
apparences  sous  lesquelles  il  demeure  :  notre  chair  mange  sa  chair 
et  notre  àme  s'unit  à  sa  nature  divine,  en  même  temps  qu'à  son 
humanité.  L'Eucharistie,  voilà  bien,  dit  S.  Anselme,  le  pain  qui 
alTermit  le  cœur  de  l'homme  et  le  vin  qui  le  réjouit  K  L'homme 
avait  besoin  de  manger  ce  pain  qui  est  Jésus-Christ,  et  comme 
il  ne  pouvait,  pour  mille  raisons,  se  rassasier  de  cette  nourriture 
telle  qu'elle  s'offrait  à  ses  regards,  l'amour  de  Jésus-Christ  pour 
nous  lui  a  suggéré  l'invention  de  se  voiler  et  de  s'offrir  à  l'homme 
sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin. 

Pouvait-il  choisir,  pour  se  donner  aux  hommes,  d'autres  sym- 
boles qui  nous  lissent  mieux  connaître  l'intimité  de  l'union  qu'il 
contractait  avec  eux?  Quelle  union  plus  complète  que  celle  des  ali- 
ments avec  le  corps  qu'ils  nourrissent,  en  quoi  ils  se  transforment 
et  dont  ils  deviennent  partie  intégrante?  Il  est  vrai  que  nous 
transformons  nos  aliments  en  nous,  tandis  que  cet  aliment  divin 
transforme  en  lui-même  ceux  qui  le  reçoivent,  mais  l'union  n'en 
est  pas  moins  parfaite. 

Lne  autre  matière  du  sacrement  de  l'Eucharistie  aurait  pu  ou 
ne  pas  plaire  à  tous,  ou  ne  pas  être  à  la  portée  de  tous  :  mais  qui 
donc,  à  moins  de  maladie,  se  sentirait  de  l'éloignement  pour  le 
pain?  quelle  communauté  de  chrétiens  serait  réduite  à  un  tel 
dénuement,  que  le  pain  lui  manquerait,  même  pour  la  consécra- 
tion de  ces  divins  mystères?  Et  pour  rendre  plus  facile  encore  à 
tous  la  participation  à  la  Très  Sainte  Eucharistie,  Jésus-Christ  a 
voulu  que  la  moindre  parcelle  du  pain  ou  du  vin  consacrés  ren- 
fermât toute  sa  personne,  aussi  bien  qu'une  hostie  de  dimen- 
sions plus  grandes. 

Ajoutons  enfin  que  la  sagesse  divine  nous  a  préparé,  dans  le 
sacrement  de  nos  autels,  une  occasion  d'exercer  et  de  fortifier 
notre  foi.  Dans  la  formule  même  de   la  consécration,  la  Sainte 

1.  Oportebat  ut  sicut  cum  necessaria  nobis  fuit  visibilis  ejus  prœsentia, 
invisibile  in  suis,  visibile  factum  est  in  nostris  Verbum  caro  ;  sic  cum  res 
exigit  nostrae  salutis  ut  manducetur  caro  ejus,  quod  non  est  ipsa  caro  in  na- 
tura  sua,  fiât  in  aliéna  manducabilis.  Quod  in  nullis  rébus  aptius  fieri  potuit^ 
quam  in  eis  quae  inter  omnia  victualia  liurnani  corporis  quodammodo  tenent 
principatuni,  quae  sunt  panis  et  vinum.  Nom  et  ad  litteram  prse  cunctis  cibis 
panis  cor  hominis  confirmât,  et  vinum  lœtificat.  (S.  Ambros.,  lib.  de  Sacram. 
altaris,  p.  il,  cap.  v.) 


CE  QDE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSDS  DANS  l'EUCHARISTIE.  o55 

Eucharistie  est  appelée  le  mystère  de  foi  par  excellence  :  myste- 
rium  ficlei.  Quelle  vérité  révélée  de  Dieu  pourrait,  en  effet,  refuser 
de  croire  celui  qui  admet  simplement  et  de  tout  son  cœur  que, 
sous  les  apparences  d'un  peu  de  pain  et  de  vin,  consacrés  par  la 
parole  du  prêtre,  c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui  est  substantielle- 
ment présent.  Jésus-Christ,  l'Homme-Dieu,  est  là  tout  entier;  son 
corps,  son  sang  et  sa  divinité  remplacent  la  substance  du  pain  et 
celle  du  vin  qui  ne  sont  plus.  Croire  cette  vérité,  malgré  le  témoi- 
gnage des  sens,  malgré  les  objections  et  les  réclamations  que  peut 
faire  entendre  la  raison  purement  humaine,  le  croire  uniquement 
parce  que  Notre-Seigneur  l'a  dit,  et  que  l'Église,  interprète  infail- 
lible de  sa  parole,  le  répète  et  l'assure  après  lui,  n'est-ce  pas  faire 
l'acte  de  foi  le  plus  complet,  le  plus  méritoire  que  Dieu  puisse 
attendre  de  nous?  N'est-ce  pas,  par  conséquent,  faire  croître  mer- 
veilleusement et  se  fortifier  cette  vertu  dans  nos  âmes  ? 

«  Qu'on  est  heureux,  dit  un  pieux  auteur,  de  sacrifier  ainsi 
«  dans  ce  Mystère  de  notre  foi,  comme  dans  tous  les  autres  de 
a  notre  religion,  toutes  les  lumières  de  la  raison  humaine  à  la 
«  vérité  de  la  parole  de  Dieu,  et  tous  les  attachements  du  cœur  de 
a  l'homme  à  l'amour  infini  que  le  Sauveur  nous  marque,  dans 
a  l'nstitution  et  dans  l'usage  du  Très  Saint  Sacrement,  où,  comme 
«  dit  S.  Bernard,  il  est  tout  amour  pour  nous;  où,  selon  le  saint 
«  Concile  de  Trente,  il  répand  dans  nos  cœurs  toutes  les  richesses 
«  de  son  amour,  mais  d'un  amour  infiniment  libéral,  qui  le  porte 
«  à  s'y  donner  tout  entier  et  à  y  être  prodigue  de  lui-même.  Car 
a  c'est,  dit  le  texte  sacré,  dans  ce  sacrement  qu'il  a  institué  sur  la 
«  fin  de  sa  vie,  qu'il  nous  a  donné  les  marques  les  plus  tendres 
0  et  les  plus  sensibles  de  son  amour,  en  s'unissant  intimement  à 
«  nous,  et  nous  unissant  intimement  à  lui,  pour  prendre  dès 
«  maintenant  possession  de  nos  cœurs,  et  nous  donner  par  là  un 
«  gage  de  la  possession  qu'il  en  prendra  dans  l'éternité  *.  » 

Que  de  considérations  ne  pourrait-on  pas  ajouter  encore,  pour 
faire  ressortir  la  sagesse  divine  dans  l'institution  de  l'adorable 
Sacrement  de  nos  autels;  mais  nous  devons  nous  borner,  et  nos 
lecteurs  ne  nous  en  voudront  pas  de  leur  laisser  le  soin  et  la 
douce  jouissance  de  les  découvrir  eux-mêmes  dans  leurs  pieuses 
méditations. 

\.  GoNNELiEU,  traduction  de  Vlmitation,  réflexion  sur  le  dernier  chapitre  du 
IV*  livre. 


556  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClUP.  XI. 

III. 

LA    PRÉSENCE    DE   JÉSUS-CHRIST    DANS    l'eUCHARISTIE   NOUS    RÉVÈLE 
SA    PUISSANCE   DIVINE 

S.  Jean  Chrysostome  a  dit  quelque  part  ^  que  l'Évangile  de 
Jésus-Christ  est  Y  Évangile  de  sa  puissance.  Nulle  part  la  vérité 
de  cette  parole  ne  se  montre  plus  visiblement  que  dans  l'adorable 
sacrement  de  l'Eucharistie.  Il  est  véritablement  le  mémorial  des 
merveilles  que  Dieu  a  faites  :  memoriam  inirabilium.  suorum, 
et  tout  ce  que  l'on  admire  séparément  ailleurs,  on  le  trouve  rassem- 
blé dans  ce  chef-d'œuvre  de  l'amour,  de  la  sagesse  et  de  la  puis- 
sance de  Jésus. 

Au  Concile  de  Bàle,  Jean  de  Raguse  a  résumé,  dans  un  sermon 
prononcé  en  présence  des  Pères,  sur  la  communion  sous  l'une  et 
l'autre  espèce,  les  miracles  les  plus  frappants  que  la  Sainte  Eucha- 
ristie olïre  à  notre  admiration.  Voici,  d'après  lui,  quels  sont  ces 
miracles  : 

Dès  que  la  parole  de  Dieu  est  appliquée  aux  éléments,  la  matière 
terrestre  du  pain  et  du  vin  est  à  l'instant  même  changée  en  la 
substance  du  Christ,  quoique  les  accidents,  les  apparences  exté- 
rieures ne  changent  pas. 

Les  accidents  du  pain  et  du  vin  continuent  d'exister,  contraire- 
ment aux  règles  ordinaires  de  la  nature,  quoique  la  substance  qui 
leur  est  propre  ne  soit  plus. 

Ces  accidents  reçoivent  un  mode  d'existence  qui  leur  donne  les 
propriétés  de  la  substance  qui  s'est  séparée  d'eux  ;  ils  peuvent, 
comme  si  elle  existait  encore,  produire  ou  endurer  tout  ce  que 
comportait  sa  nature. 

Jésus-Christ,  sans  changer  de  lieu,  sans  s'éloigner  du  ciel, 
commence  d'être  tout  entier,  véritablement  et  intégralement,  dans 
le  Sacrement. 

Non  seulement  Jésus-Christ  est  tout  entier  dans  le  tout,  mais  il 
est  aussi  tout  entier  sous  chacune  des  parties  des  espèces;  qu'on 
les  divise,  qu'on  les  rompe,  qu'on  les  broie  sous  la  dent,  il  ne 
laisse  pas  de  se  trouver  dans  toute  son  intégrité  sous  chacune  des 
parties,  les  transportàt-on  dans  les  lieux  les  plus  divers  et  jus- 

1.  Hom.  de  Uno  législature. 


CE  QUE   NOUS  RÉVÈLE  LA   PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.         557 

qu'aux  extrémités  du  monde.  Il  est  en  même  temps  au  ciel,  en 
même  temps  dans  tous  les  lieux  où  le  saint  sacrifice  est  célébré, 
en  même  temps  partout  où  se  trouve  quelque  parcelle  du  pain 
eucharistique  consacré  par  le  prêtre;  il  est  partout  le  même,  et 
malgré  la  multiplicité  des  lieux  où  on  le  trouve,  malgré  leur  éloi- 
gnement  les  uns  des  autres,  il  n'est  pas  multiplié,  il  n'est  qu'un 
seul  et  même  Jésus,  n'ayant  qu'un  seul  et  unique  corps,  une  seule 
et  même  âme,  une  seule  et  .même  divinité.  Partout  c'est  bien 
l'Homme-Dieu  qui  est  né  de  la  Vierge  Marie,  qui  s'est  montré  et 
a  vécu  au  milieu  du  monde,  qui  s'est  donné  à  ses  disciples  dans 
la  dernière  Cène,  en  instituant  ce  Sacrement,  qui  est  mort  attaché 
sur  la  croix,  qui  est  ressuscité,  qui  est  monté  au  ciel,  qui  a  fait 
descendre  le  Saint-Esprit  sur  les  apôtres,  après  sa  glorieuse  ascen- 
sion, et  qui  maintenant  règne  au  ciel,  assis  à  la  droite  de  son 
Père.  C'est  identiquement  et  numériquement  le  même  Jésus- 
Christ,  le  même  Seigneur  qui  est  au  ciel  avec  son  Père  et  avec 
nous  sur  l'autel,  partout  où  l'on  célèbre  ce  divin  mystère.  Et  de 
même  qu'il  n'y  a  pas  ici  un  Jésus-Christ,  et  là  un  autre  Jésus- 
Christ,  mais  un  seul  et  unique  Jésus-Christ,  le  même  sur  tous  les 
autels,  de  même  il  n'est  pas  offert  ici  un  sacrifice  et  là  un  autre 
sacrifice,  mais  partout  où  le  sacrifice  immaculé  est  offert,  il  est 
le  même,  et  toutes  ses  oblations  ne  sont  qu'une  seule  immola- 
tion d'une  seule  et  même  victime,  par  un  seul  et  même  souverain 
Prêtre,  Jésus-Christ. 

Qui  donc  peut  accomplir  toutes  ces  merveilles  et  tant  d'autres 
qu'il  serait  trop  long  d'énumérer,  tant  d'autres  que  les  hommes 
ne  peuvent  connaître  et  que  les  anges  découvrent  avec  admiration? 
C'est  l'œuvre  de  la  puissance  de  Dieu.  Lorsque  le  prêtre  prononce 
ces  paroles  du  Clirist  :  «  Ceci  est  mon  corps;  ceci  est  mon  sang  », 
le  pain  est  changé  au  corps  et  le  vin  au  sang  de  ce  divin  Sauveur, 
par  la  même  vertu  qui  a  fait  que  le  Verbe  a  été  revêtu  de  notre 
humanité,  par  la  même  puissance  qui,  d'un  mot,  a  fait  sortir 
l'univers  du  néant. 

Ces  merveilles  de  la  puissance  de  Dieu  qui  éclatent  dans  la  Très 
Sainte  Eucharistie  demandent  que  nous  les  considérions  un  peu 
plus  en  détail. 

On  peut  les  diviser  en  trois  classes  :  celles  qui  s'accomplissent 
dans  la  personne  même  de  Jésus-Christ  se  réduisant  pour  nous  à 
l'état  sacramentel  ;  celles  dont  le  pain  et  le  vin  transsubstantiés 


558  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XI. 

sont  l'objet  ;  celles  enfin  qui  accompagnent  cette  transsubstantia- 
tion. 

Le  changement  qui  s'opère  lorsque  le  prêtre,  agissant  au  nom 
du  Seigneur,  prononce  les  paroles  de  la  consécration,  a  pour  fin  et 
pour  etïet  la  présence  de  Jésus-Christ,  sous  une  apparence  toute 
différente  que  celle  qui  est  la  sienne  dans  son  royaume  céleste.  Il 
a  voulu,  dit  Algerus,  se  montrer  à  nous  sous  l'apparence  de  l'ali- 
ment qui  entretient  notre  vie  mortelle,  quoiqu'il  soit  en  réalité, 
par  lui-même,  la  vie,  et  la  vie  qui  n'a  pas  de  fin  K  S'accommodant  à 
notre  nature,  il  nous  donne  dans  l'Eucharistie  une  vie  nouvelle, 
la  véritable  vie  :  mais  elle  ne  se  manifeste  pas  extérieurement; 
elle  est  tout  intérieure  et  ne  nous  revêt  pas  de  la  gloire  de  l'im- 
mortalité. Il  a  voulu  que  la  foi  seule  nous  fasse  connaître  que  ce 
sacrement  est  la  vie  et  que  nous  vivons  véritablement  si  nous  y 
avons  recours.  Ce  que  nous  sommes  grâce  à  l'Eucharistie  ne  se 
manifeste  donc  pas  encore  extérieurement,  et  c'est  pourquoi  Jésus- 
Christ  n'a  pas  voulu  manifester  non  plus  ce  qu'il  est;  il  a  voulu 
allumer  en  nous  le  désir  de  le  voir  un  jour  dans  sa  gloire,  afin 
que  notre  félicité  soit  plus  grande  lorsque  nous  le  verrons  tel  qu'il 
est,  et  que  ce  que  nous  sommes  grâce  à  lui  apparaîtra  enfin. 
L'apôtre  S.  Jean  disait  à  ses  disciples  :  «  Mes  bien-aimés,  nous 
«  sommes  maintenant  enfants  de  Dieu,  mais  on  ne  voit  pas  encore 
«  ce  que  nous  serons.  Nous  savons  que  lorsqu'il  apparaîtra,  nous 
«  serons  semblables  à  lui  -.  »  S.  Paul  dit  à  son  tour  :  «  Quand  le 
«  Christ  qui  est  votre  vie  apparaîtra,  alors  vous  aussi  vous  appa- 
«  raîtrez  avec  lui  dans  la  gloire  3.  »  De  môme  qu'il  se  montra  aux 
disciples  d'EmmaiJs  sous  la  forme  d'un  étranger,  parce  qu'eux- 
mêmes  étaient  étrangers  à  la  foi,  il  se  montre  à  nous  qui  sommes 
des  étrangers,  des  pèlerins  sur  cette  terre  d'exil,  sous  une  forme 
extérieure  qui  lui  est  étrangère.  Ce  qui  paraît  de  nous,  c'est  notre 
corps  mortel  :  il  prend  donc,  pour  se  donner  à  nous,  l'apparence 
d'un  aliment  propre  à  entretenir  la  vie  mortelle,  quoiqu'il  soit  en 
réalité  le  pain  qui  donne,  mais  invisiblement,  l'immortalité,  et  le 
remède  qui  délivre  de  la  mort  éternelle. 

i.  Alger.,  lib.  II  contra  Dereng.,  cap.  v. 

2.  Charissimi,  nunc  filii  Dei  sumus,  et  nondum  apparuit  quid  erimus.  Sci- 
mus  quoniam  oum  apparuerit,  similes  ei  erimus.  (/.  Joann.,  m,  2.) 

3.  Cum  Clirislus  apparuerit,  vita  vestra,  tune  et  vos  appareljitis  cum  ipso 
in  gloria.  {Coloss.,  m,  4.) 


CE  QDE  NOUS  RÉVÈLE   LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.  559 

Ainsi  donc  il  y  a,  dans  l'adorable  mystère  de  l'Eucharistie,  la 
véritable  substance  du  corps  du  Seigneur,  mais  privée  de  l'appa- 
rence visible  qui  lui  est  propre,  et  il  y  a  l'apparence  propre  du 
pain,  mais  sans  sa  substance. 

Si  nous  voulons  nous  faire  une  idée  de  la  puissance  que  Dieu 
a  déployée,  pour  se  donner  ainsi  à  nous  dans  la  Sainte  Eucharistie, 
en  s'accommodant  à  notre  nature  et  à  l'état  dans  lequel  nous  vivons 
ici-bas,  nous  pouvons  comparer  le  miracle  de  l'Eucharistie  à  celui 
de  l'Incarnation. 

Ce  fut  sans  doute  une  grande  merveille,  que  le  Verbe  de  Dieu  prît 
un  corps  et  une  àme  comme  les  nôtres,  et  se  les  adjoignît  d'une  ma- 
nière si  parfaite  que  ce  corps  et  cette  âme  ne  fusssent,  avec  lui, 
qu'une  seule  et  même  personne.  La  contemplation  de  ce  mystère 
inconcevable  n'épuisera  pas  l'admiration  des  anges  et  des  saints 
pendant  l'éternité.  On  peut  cependant  dire  que  la  puissance  de 
Dieu  paraît  plus  éclatante  encore  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie. 

Dans  le  mystère  de  l'Incarnation,  en  effet,  le  Verbe  divin  s'unit 
à  l'humanité.  Il  se  forme  un  corps  dont  la  matière  préexistait  déjà 
dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  ;  à  ce  corps,  il  unit 
une  àme  qu'il  tire  du  néant;  à  ce  corps  et  à  cette  àme  il  s'unit  lui- 
même  hypostatiquement  :  et  toutes  ces  merveilles  s'accomplissent 
par  un  seul  acte  et  dans  un  seul  instant. 

Au  moment  de  la  consécration  du  pain  et  du  vin  au  corps  et  au 
sang  de  Notre-Seigneur,  ces  merveilles  se  retrouvent;  la  toute- 
puissance  de  Dieu  accomplit  les  mêmes  prodiges  ou  d'autres  équi- 
valents et  qui  peuvent  sembler  plus  étonnants  encore. 

Le  prêtre  parle,  et  le  Verbe  divin  prend  entre  ses  mains,  dans 
la  sainte  hostie,  le  même  corps  et  la  même  âme  auxquels  il  s'est 
uni  dans  le  sein  de  la  Vierge.  Ce  corps  adorable,  le  Verbe  ne  l'ap- 
pelle pas  du  ciel,  où  les  anges  et  les  saints  le  contemplent  sur  un 
trône  à  la  droite  du  Père  :  il  le  forme  en  vertu  de  sa  puissance  in- 
finie. Lui  qui  est  partout,  il  veut  que  son  corps  humain  et  que  son 
âme  humaine  soient  avec  lui  sur  l'autel,  revêtus  des  apparences 
d'un  peu  de  pain,  sans  cesser  d'être  au  ciel,  et  dans  mille  endroits 
où  ils  se  trouvent  aussi  sacramentellement  ;  et  ce  qu'il  veut  s'ac- 
complit. Ce  n'est  pas  une  multiplication  de  son  corps,  c'est  ce 
même  corps  humain,  absolument  le  môme,  absolument  unique,  et 
cependant  présent  en  même  temps  au  ciel  et  sous  les  espèces 
sacramentelles,  quel  que  soit  le  nombre  des  temples  où  la  ma- 


o60  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

tière  légitime  est  consacrée.  N'y  a-t-il  pas  dans  ce  mystère  quelque 
chose  de  plus  étonnant  encore,  et  qui  semble  réclamer  un  plus 
grand  déploiement  de  puissance,  que  dans  le  mystère  même  de 
l'Incarnation  ? 

Ajoutons  qu'en  vertu  du  mystère  de  l'Incarnation,  si  le  Verbe 
divin  ne  se  rendit  pas  visible  directement  aux  yeux  des  hommes^ 
au  moins  sa  sainte  humanité  le  fut  :  on  la  vit,  on  la  toucha,  comme 
on  peut  voir  et  toucher  tout  homme  vivant  en  ce  monde  :  At  hic 
lalet  simul  et  Humanitas,  dit  S.  Thomas  :  «  Mais,  dans  la  Sainte 
«  Eucharistie,  l'humanité  aussi  est  cachée.  » 

Ce  n'est  pas  tout  encore  :  l'ange,  en  annonçant  à  Marie  qu'elle 
serait  la  Mère  du  Messie  attendu,  l'avertit  que  Dieu  agira  lui-même 
directement,  pour  opérer  en  elle  le  grand  mystère  de  l'Incarnation. 
Il  lui  dit  :  «  L'Esprit  saint  surviendra  en  vous  et  la  vertu  du 
«  Très-Haut  vous  couvrira  de  son  ombre.  »  Dans  la  consécration 
de  l'Eucharistie,  c'est  la  toute-puissance  de  Dieu  qui  agit  sans 
doute,  mais  ce  qui  paraît  à  nos  yeux,  c'est  l'action  du  prêtre;  c'est 
la  prononciation  des  paroles  sacrées  qui  détermine  Dieu,  qui  oblige 
Dieu  à  faire  acte  de  toute-puissance.  Dieu  est,  si  l'on  veut,  la  cause 
physique  du  miracle  qui  s'accomplit;  le  prêtre  en  est  la  cause  mo- 
rale, et  c'est  à  la  volonté  du  prêtre  que  Jésus-Christ  prend  sur 
l'autel  la  place  du  pain  et  du  vin  dont  il  revêt  les  apparences. 

Chercherons-nous  à  expliquer  comment  il  se  peut  faire  que  Jé- 
sus-Christ tout  entier  se  trouve,  non  seulement  au  ciel,  mais  sur 
la  terre,  en  tant  de  lieux  à  la  fois?  Essaierons-nous  de  dire  com- 
ment un  corps  humain  peut  être  contenu  dans  les  limites  étroites 
d'une  hostie,  dans  celles  plus  étroites  encore  d'une  parcelle  de 
celte  hostie  presque  invisible  à  nos  regards;  comment  ce  corps 
adorable  peut  être  toujours  mangé  et  jamais  consumé;  comment 
il  disparait  lorsque  les  accidents  cessent,  pour  une  raison  quel- 
conque, d'être  ceux  du  pain  et  du  vin  dans  leur  état  normal,  et 
comment  une  autre  substance  prend  sa  place  sous  ces  accident» 
corrompus.  Les  théologiens  ont  tâché  de  jeter  quelque  lumière 
sur  ces  matières  obscures;  mais  nous  préférons  ne  pas  les  suivre 
ici  et  prendre  pour  règle  de  conduite  ce  conseil  du  livre  de  l'Imi- 
tation :  a  Gardez-vous  bien  de  vouloir  sonder,  par  une  recherche 
«  curieuse  et  inutile,  la  haute  profondeur  de  ce  mystère,  si  vous 
«  ne  voulez  pas  vous  plonger  dans  un  abîme  de  doutes.  Celui  qui 
«  veut  approfondir  la  Majesté  de  Dieu  sera  accablé  du  poids  de 


CE   QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA   PRÉSENCE  DE  JESUS   DANS  l'eUCIIARISTIE.  561 

«  sa  gloire.   Dieu  peut  faire  plus  que  l'homme  ne    peut  com- 
«  prendre  '.  » 

Si  nous  considérons  maintenant  le  pain  et  le  vin  qui  sont  la  ma- 
tière du  sacrement  auguste  de  l'Eucharistie,  nous  découvrirons 
encore  que  la  puissance  de  Dieu  en  fait  l'objet  de  plusieurs  mer- 
veilles qu'elle  seule  peut  accomplir. 

La  première  de  ces  merveilles  est  la  disparition  entière  de  la 
substance  du  pain  et  du  vin  :  elle  cesse  d'être  ce  qu'elle  était;  elle 
n'a  plus  rien  de  commun,  comme  substance,  avec  le  pain  et  le  vin; 
un  changement  radical  et  absolu  s'est  opéré  ;  ce  qui  était  substance 
de  pain  et  de  vin  est  devenu,  en  vertu  des  paroles  de  la  consécra- 
tion, la  substance  même  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  la  subs- 
tance de  son  corps  et  de  son  sang  adorable.  Il  s'est  opéré  une 
transsubstantiation  très  véritable  et  très  réelle,  instantanément, 
quoiqu'il  n'en  paraisse  rien  à  l'extérieur,  et  c'est  Jésus-Christ  lui- 
même,  personnellement  présent,  qu'on  adore,  sous  ces  apparences 
d'une  autre  substance  qui  n'est  plus. 

Mais  comment  un  tel  changement  peut-il  s'opérer?  La  subs- 
tance du  pain  et  du  vin  ne  se  mêle  pas  à  celle  de  Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ  et  ne  saurait  se  confondre  avec  cette  subs- 
tance adorable  :  ses  éléments  premiers,  sa  matière  et  sa  forme 
n'ont  pas  de  place  possible  dans  la  personne  du  Verbe  incarné; 
ils  ne  sont  pas  rejetés  hors  des  accidents  qui  sont  les  leurs;  où 
iraient-ils  et  que  deviendraient-ils  ?  Ils  ne  demeurent  pas  davan- 
tage sous  ces  accidents,  en  même  temps  que  la  substance  de  Jésus- 
Christ,  car  il  est  lui  seul  tout  ce  pain  et  tout  ce  vin  dont  il  dit: 
Ceci  est  mon  corps  ;  ceci  est  mon  sang.  Ces  éléments  premiers 
n'existent  donc  plus  ;  or,  si  les  formes  peuvent  changer,  si  des 
combinaisons  des  éléments  premiers  peuvent  naître  des  formes 
et  des  substances  nouvelles  à  l'infini,  ces  éléments  eux-mêmes  ne 
peuvent  pas  cesser  d'être,  sinon  par  un  acte  souverain  de  la  toute- 
puissance  divine.  Dieu  seul  peut  faire  rentrer  dans  le  néant  ce 
qu'il  en  a  tiré  -.  La  destruction  de  la  matière  du  pain  et  du  vin, 

\.  Cavendum  est  tibi  a  curiosa  et  inutili  perscrutatione  hujus  profundissimi 
sacramenti,  si  non  vis  in  dubitationis  profundum  submergi.  Qui  scnitator  est 
àMajeatath  opprimetiir  a  gloria.  Plus  valet  Deiis  operari  quam  homo  intelli- 
gere  potest.  [De  hnilntionc  Chriali,  lib.  I\',  cap.  xviii.) 

-2.  Materiam  priniam  sola  Dei  omnipotentia  qme  eani  creavit,  potest  des- 
truere,  Cum  igitur  in  hoc  mysterio,  et  materia  prima  panis,  et  materia  prima 
vini,  abolealur,  ad  Christi  sub  species  advenlinn  consuminata  prolatione  ver- 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  36 


562  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

dans  l'Eucharistie,  est  donc  un  miracle  comparable  à  celui  de  la 
création. 

Mais  le  corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne  de- 
meurent sous  les  Espèces  eucharistiques  qu'aussi  longtemps  que 
ces  Espèces  sont  elles-mêmes  ce  qu'elles  étaient  au  moment  de 
la  consécration,  des  espèces  de  pain  et  de  vin.  Si  elles  viennent  à 
changer,  à  se  corrompre,  soit. par  la  manducation  qui  en  est  faite, 
soit  de  toute  autre  manière,  un  nouveau  miracle  devient  nécessaire. 
Ces  accidents,  qui  ne  reposent  plus  sur  la  substance  adorable  du 
Seigneur,  ont  revêtu  une  autre  forme;  ils  ne  sont  plus  extérieure- 
ment les  mêmes,  mais  sous  ces  apparences  nouvelles  ils  existent 
encore.  Leur  première  substance,  le  pain  et  le  vin,  ils  ne  l'ont 
plus  ;  leur  seconde  substance  qui  remplace  la  première,  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ,  ils  ne  l'ont  plus  davantage.  Cependant, 
sans  reposer  sur  une  substance,  ils  n'existeraient  pas  :  ils  en  ont 
donc  retrouvé  une  troisième  :  quelle  est-elle?  d'où  leur  vient-elle? 

Qu'une  sainte  hostie  soit  brûlée  :  que  reste-t-il  ?  Les  accidents  du, 
pain  ont  disparu  et  avec  eux  la  présence  adorable  de  Notre-Sei- 
gneur; il  n'y  a  plus  là  qu'un  peu  de  cendre,  avec  les  accidents 
propres  à  cette  matière.  Il  serait  absurde  et  blasphématoire  de 
dire  que  la  substance  de  Notre-Seigneur  s'est  changée  en  celle  de 
cette  cendre.  Il  faut  donc  chercher  autre  chose. 

Ce  qui  reste  après  que  la  Sainte  Eucharistie  a  subi  l'un  de  ces 
changements  qui  ne  permettent  plus  que  Jésus-Christ  soit  présent, 
parce  que  les  accidents  ne  sont  plus  ceux  du  pain  et  du  vin  en  leur 
état  normal,  possède  exactement  les  mômes  qualités  qui  seraient 
les  siennes,  si  la  consécration  n'avait  pas  eu  lieu,  et  que  les 
espèces  du  pain  et  du  vin  eussent  continué  d'avoir  pour  support 
la  substance  qui  leur  était  propre.  Il  faut  donc  que  Dieu  ait  fait 
renaître  cette  substance  première,  qu'il  l'ait  retirée  du  néant  où  il 
l'avait  plongée,  pour  l'unir  de  nouveau  à  ses  accidents,  mais  avec 
les  modifications  qu'exigent  les  changements  que  les  accidents 

horum,  perspicue  liquet,  eam  destructionem  maleriarum,  esse  opus  omnipo- 
tentise  Dei,  quale  nusquam  alibi  exercet,  vel  exercuit  unquam.  In  caeleris 
(juippe  transinutalionibus  quibuscumque,  salva  semper  fuit  materia  prima, 
vclul  hospilium  commune  pluribus  formis  sibi  inlra  illud  succedentibus,  pro 
veritate  dispositionum,  nunc  hanc,  nunc  illam  formam,  immitti  materiae  de- 
poscentium.  In  bac  soin  mutatione,  par  robustissimam  Dei  manum,  etiam 
materia  extruditur.  (Theopii.  Raynalm).,  Cnndelabrum  sanctum  de  Eucharistia, 
sect.  III,  cap.  III,  class.  2.) 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE   LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.  563 

eux-mêmes  ont  subis.  Vous  faites  la  sainte  communion  ;  bientôt 
l'hostie  consacrée  que  vous  avez  reçue  se  transforme  ;  les  appa- 
rences du  pain  disparaissent,  et  la  présence  corporelle  de  Jésus- 
Christ  disparaît  en  même  temps.  Mais  ce  qui  n'est  plus  Jésus- 
Christ  en  vous,  et  n'a  plus  les  apparence  du  pain,  est  devenu,  avec 
des  apparences  nouvelles,  quelque  chose  qui  produira  en  vous  tous 
les  effets  que  l'on  peut  attendre  d'une  hostie  qui  n'a  pas  été  consa- 
crée. D'où  vient  cette  substance  nouvelle?  Dieu  seul,  dont  la  toute- 
puissance  opère  ce  miracle,  aurait  pu  nous  le  dire  :  il  n'a  pas 
jugé  utile  à  notre  salut  de  nous  le  révéler.  Contentons-nous  donc 
d'adorer  en  silence  les  merveilles  de  sa  puissance  et  de  sa  sagesse. 
Un  autre  miracle  de  la  toute-puissance  divine,  concernant  le 
pain  et  le  vin  matière  de  l'Eucharistie,  est  que  les  accidents  du 
pain  et  du  vin,  tout  ce  qui  frappe  nos  sens  en  eux,  continuent 
d'exister,  lorsque  leur  raison  naturelle  d'être  a  disparu  par  la 
transsubstantiation.  Ils  existent  très  réellement.  Ce  ne  sont  pas  de 
simples  apparences,  ce  sont,  si  Ion  peut  ainsi  parler,  des  appa- 
rences substantialisées,  des  accidents  qui  se  servent  de  sujet  à 
eux-mêmes.  Il  n'y  a  point  là  d'illusion  d'optique,  ni  de  fantôme 
sans  réalité  :  ce  que  l'on  voit,  c'est  bien  encore  ce  qui  frappait  les 
yeux  lorsque  la  substance  du  pain  et  du  vin  était  présente  ;  c'est  la 
même  couleur,  la  même  forme  extérieure,  le  même  goût  si  l'on 
prend  cet  aliment  céleste.  Les  sens  ne  sont  pas  trompés  sur  ce 
qu'ils  voient  et  touchent;  leur  objet  n'est  pas  la  substance  mais 
les  accidents,  l'intelligence  seule  connaît  la  substance.  Dans  l'Eu- 
charistie, les  accidents  n'ont  pas  changé  et  les  sens  le  constatent; 
la  substance  a  changé  et  l'intelligence  le  sait  grâce  aux  lumières 
de  la  foi.  Le  Dieu  de  vérité  n'a  pas  voulu  qu'il  se  trouvât  dans  son 
sacrement  rien  de  faux,  rien  qui  ressemblât  aux  prestiges  des 
mages  •.  Quant  aux  propriétés  du  pain  et  du  vin  qui  ne  sont  pas 
connues  de  l'homme,  s'il  s'en  trouve,  et  ne  peuvent  pas  l'être,  on 
ne  saurait  dire  si  elles  demeurent  comme  les  accidents  accessibles 
aux  sens,  ou  si  elles  cessent  d'être  avec  la  substance  à  laquelle 
elles  étaient  attachées,  et  nous  n'étudierons  pas  cette  question  de 

1.  Nihil  enim  falsum,  factum  putandum  est  in  sacrificio  veritatis,  sicul  in 
Magorum  prassligiis,  ubi  dehisione  quadam  falluntur  oculi,  ut  videalur  illis 
esse  quod  non  est  omnino.  Sed  vera  species  visibilis,  qiuv.  fuit  in  pane,  ipsa 
facta  praeter  substantiam  suam,  quodammodo  in  aliéna  peregrinatur,  conti- 
nentem  eum  qui  fecit  eam,  et  ad  suuni  transferenle  corpus.  (S.  Anselm.,  lib. 
de  Sacram.  attar.,  p.  I,) 


564         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

pure  curiosité,  non  plus  que  plusieurs  autres  qui  se  rattachent  à 
ce  que  nous  venons  de  dire,  mais  ressortent  plus  des  sciences  phi- 
losophiques que  de  la  théologie.  II  nous  suffit,  pour  satisfaire 
notre  dévotion  envers  la  Très  Sainte  Eucharistie,  d'avoir  reconnu 
quelques-uns  des  miracles  que  la  toute-puissance  de  Dieu  accom- 
plit, pour  conserver  les  apparences  du  pain  et  du  vin  au  Très 
Saint-Sacrement,  quoique  la  substance  de  notre  divin  Sauveur  ait 
pris  la  place  de  ces  substances  communes.  Nous  voyons  que  Dieu 
n'est  pas  avare  de  prodiges,  lorsqu'il  veut  se  donner  à  nous  et  le 
faire  de  la  manière  qui  nous  soit  le  plus  utile. 

Nous  avons  parlé  du  pain  et  du  vin  qui  sont  transsubstantiés  et 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  qui  est  le  terme  auquel  aboutit 
cette  admirable  transsubstantiation  ;  il  nous  reste  quelque  chose  à 
dire  de  la  transsubstantiation  elle-même  et  des  prodiges  que  la 
toute-puissance  de  Dieu  opère  au  moment  où  elle  s'accomplit. 

Le  changement  qui  se  fait  dans  la  Sainte  Eucharistie  est 
quelque  chose  de  si  sublime,  qu'il  dépasse  infiniment  tout  ce  que 
peut  une  vertu  créée,  et  que  Dieu  lui-même  n'a  montré  nulle  part, 
d'une  manière  plus  évidente,  que  sa  puissance  est  sans  bornes. 
La  raison  pour  laquelle  la  transsubstantiation  qui  s'opère  dans 
l'Eucharistie  surpasse  tout  ce  que  peut  une  créature,  quelle  qu'elle 
soit,  c'est  qu'elle  est  le  changement  d'une  substance  tout  entière 
en  une  autre  substance  déjà  existante  et  tout  entière  aussi.  La  ma- 
tière du  pain  n'est  pas  convertie  en  la  matière  du  Christ,  ni  la 
forme  du  pain  en  sa  forme,  comme  il  arrive  des  aliments  que 
nous  prenons  :  mais  toute  la  substance  du  pain  est  absolument 
changée  en  toute  la  substance  de  Jésus-Christ;  tout  ce  qui  était  le 
pain  cesse  d'exister  et  c'est  Jésus-Christ  tout  entier  que  ce  pain 
est  devenu.  Et  parce  que  la  chair  vivante  de  Jésus-Christ  et  son 
sang  subsistent  dans  la  personne  du  Verbe,  la  transsubstantiation 
ne  s'accomplit  pas  sans  que  le  Verbe  lui-même  accompagne,  dans 
le  sacrement,  la  substance  de  son  corps  et  de  son  sang,  en  laquelle 
la  substance  du  pain  et  du  vin  a  été  changée.  Supposez  que  Dieu 
donne  à  une  créature  le  pouvoir  de  transformer  ainsi  totalement 
une  substance  en  une  autre,  de  telle  sorte  que  rien  absolument 
n'existe  plus  de  la  première,  mais  uniquement  la  seconde,  ce  qui 
serait  un  miracle  égal  au  miracle  de  la  création  :  cette  créature 
pourrait-elle  prendre  le  Fils  de  Dieu  lui-même,  pour  expérimen- 
ter sur  lui  l'infinité  de  cette  puissance? 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'EUCUARISTIE.  563 

Cependant  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  dans  lequel  s'opère 
cette  transsubstantiation,  chef-d'œuvre  de  la  puissance  divine,  est 
instituée  pour  les  hommes;  il  est  donc  nécessaire  que  quelque 
chose  leur  dise  que  ce  pain  et  ce  vin  qu'ils  voient  sur  l'autel  sont 
changés  au  corps  et  au  sang  de  Notre-Seigneur  ;  il  faut  que  quel- 
qu'un prononce  devant  eux  les  paroles  sacrées  qui  accomplissent 
ce  prodige,  comme  il  faudra  que  quelqu'un  leur  partage  le  pain 
descendu  pour  eux  du  ciel  sur  l'autel. 

C'est  au  prêtre  qu'une  fonction  si  sublime  a  été  dévolue.  Il  sera 
le  représentant  visible  de  Jésus-Christ;  il  parlera  en  son  nom,  et 
la  merveille,  plus  grande  que  toutes  les  merveilles,  le  prodige 
des  prodiges  opérés  par  la  puissance  de  Dieu  existera  sur  l'autel. 
Il  ne  sera  pas  un  simple  instrument,  un  écho  dépourvu  d'action, 
n'ayant  d'autre  part  à  ce  miracle  sans  égal  que  l'émission  maté- 
rielle de  quelques  sons  de  voix  :  il  parlera  réellement,  et  c'est 
parce  qu'il  posera  l'acte  humain  de  la  parole  en  homme  raison- 
nable, qu'il  saura  dans  quel  but  ses  paroles  seront  prononcées  et 
qu'il  voudra  que  ce  but  soit  atteint,  que  Dieu  accomplira  la  trans- 
substantiation, possible  uniquement  à  sa  toute-puissance.  Dieu 
sera  la  cause  physique,  la  cause  efficiente  de  ce  grand  mystère  et 
lui  seul  peut  l'être,  mais  le  prêtre  en  sera  la  cause  morale,  et  l'on 
peut  dire  la  cause  instrumentale  K 

1,  Nec  créât  illud  opus  homo,  sed  vis  cuncta  creantis, 

Assistens  arae  pro  sacris  presbyter  orat. 
Mensem  cœlestem  Deus  implel,  gratia  rorat, 
Compluit  a  superis  divina  potentia  totam. 
Quidquid  presbyteri  sacrât  admirabile  votum. 
Nil  aliud  sacrifex  est  quam  Christi  simulacrum, 
Dum  tractât  corpus  Christi,  cum  sanguine  sacrum 
Dumque  suos  oculos  in  cœhun  cordaque  figit 
Extendendo  manus  et  brachia  se  crucifigit. 
Et  dum  quœ  fuerit  mors  Christi,  flendo  rétractât, 
Facta  suae  carnis,  Domino  velut  in  cruce,  mactat. 
Sic  Christus  Christum  offert,  homo  victima  factus, 
Sicque  crucem  patitur,  dum  commémorât  crucis  actus 
Qui  recto  Christus  quomodo  crucitîxus,  et  unctus, 
Par  fidei  membrum  cum  Christi  corpore  j  unctus, 
Non  abus  celel^rat,  quamvis  alius  videalur 
Mysterium  sacrum,  Verbum  Deus  hoc  operatur. 
Verbum  nam(|ue  caro  factum,  sacra  verba  magistrat. 
Etper  sacrificem  carnem  de  pane  ministrat. 
Hic  opus,  hic  opifex  Deus  est,  sacrât  atque  sacratur; 
Fitque  creatura  per  quem  res  cuncta  creatur. 

(Petr.  Blesens.,  Carm.  de  Euchar.,  cap.  vu.) 


566  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le  prêtre  éternel  selon  l'ordre  de 
Melchisédech.  Il  n'a  pas  exercé  seulement  une  fois|son  sacerdoce,  en 
instituant  l'Eucharistie  et  en  s'immolant  lui-même  sur  la  croix  ;  il 
ne  l'exerce  pas  seulement  dans  le  cours  des  siècles,  d'une  manière 
indirecte,  par  l'intermédiaire  des  prêtres  qui  montent  à  l'autel, 
le  représentent,  redisent  ses  paroles  et  agissent  en  son  nom.  Ce 
que  le  prêtre  fait  au  nom  de  Jésus-Christ,  Jésus-Christ  lui-même 
le  fait  avec  le  prêtre,  et  les  actes  du  prêtre,  aussi  bien  que  ses  pa- 
roles, n'auraient  ni  efficacité  ni  valeur,  si  Jésus-Christ  n'unissait 
pas  directement  et  efficacement  son  action  à  celle  de  son  représen- 
tant visible.  C'est  la  puissance  du  Seigneur,  et  non  pas  une  vertu 
humaine,  qui  opère  le  changement  du  pain  et  du  vin  au  corps 
et  au  sang  de  Notre-Seigneur  ;  mais  cette  puissance,  Dieu  la  prête 
à  l'homme  qui  en  use  à  son  gré.  C'est  Jésus-Christ  qui  offre  de 
nouveau,  avec  la  sainte  Église  et  le  prêtre  agissant  en  son  nom, 
la  divine  victime,  offerte  et  immolée  autrefois  sur  le  Calvaire,  avec 
tous  ses  mérites.  L'homme,  quelque  saint  qu'il  soit,  ne  serait  pas 
digne  de  se  présenter  devant  Dieu,  pour  lui  offrir  un  sacrifice 
qui  méritât  d'être  accepté,  ni  surtout  ce  sacrifice  qui,  après  avoir 
une  fois  pour  toutes  mérité  pour  les  hommes  le  pardon  et  la  grâce 
sanctifiante,  applique  à  toutes  les  générations  et  à  chacun  des 
fidèles  en  particulier  ces  mérites  infinis,  acquis  par  la  passion  et 
la  mort  du  Rédempteur.  L'homme  qui  participe  au  sacerdoce  de 
Jésus-Christ  agit,  consacre,  sacrifie  extérieurement,  parce  que 
notre  nature  réclame  un  sacrifice  et  des  sacrements  accessibles  à 
nos  sens  :  mais  Jésus-Christ  agit  avec  son  prêtre;  c'est  sa  toute- 
puissance  qui  accomplit  la  merveille  incompréhensible  de  la  trans- 
substantiation, et  toutes  les  autres  qui  l'accompagnent;  c'est  lui 
le  souverain  ou  plutôt  l'unique  prêtre.  Et  s'il  arrivait  que  l'un  de 
ceux  qui  montent  à  l'autel  pour  le  représenter  fût  tout  à  fait  in- 
digne d'un  si  sublime  ministère,  l'acte  divin  n'en  serait  pas  moins 
accompli;  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  n'en  seraient  pas 
moins  présents  sur  l'autel,  et  Dieu  n'en  recevrait  pas  moins,  en 
odeur  de  suavité,  le  sacrifice  offert,  parce  qu'il  est  olïert  beaucoup 
moins  par  le  prêtre  visible  que  par  le  Prêtre  invisible,  le  Fils 
même  de  Dieu,  notre  pontife  et  notre  victime.  «  Dieu,  dit  S.  Jean 
«  Chrysostome,  opère  lui-même  par  le  ministère  de  tous  les 
«  prêtres,  même  des  indignes,  pour  le  salut  du  peuple.  S'il  s'est 
«  autrefois  servi  d'un  âne  et  d'un  méchant  homme,  Balaam,  pour 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS   l'eUCHARISTIE.  567 

«  bénir  son  peuple,  pourquoi  ne  se  servirait-il  pas  d'un  prêtre? 
«  Qu'est-ce  qu'il  ne  fait  pas  pour  notre  salut?  Que  ne  dit-il  pas? 
e  De  quel  intermédiaire  dédaigne-t-il  de  se  servir?  S'il  a  opéré  par 
«  le  ministère  de  Judas,  et  par  celui  de  ces  prophètes  auxquels  il 
«  dit  :  Je  ne  vous  connais  pas,  retirez-vous  de  moi,  vous  qui 
«  opérez  V iniquité  ',  si  d'autres  pécheurs  ont  chassé  le  démon  en 
a  son  nom;  à  plus  forte  raison  opérera-t-il  par  le  ministère  des 
«  prêtres  '-.  » 

Que  Dieu  accomplisse  par  lui-même  des  actes  qui  réclament  une 
puissance  infinie,  on  le  comprend  et  l'on  ne  s'en  étonne  pas,  mais 
qu'il  mette  cette  puissance  en  quelque  manière  au  service  de 
l'homme,  et  qu'un  simple  prêtre  puisse  en  user  et  en  use  chaque 
jour,  pour  exécuter  un  acte  qui  est  peut-être  le  plus  grand  de 
tous  ceux  qui  sont  possibles  à  la  divinité  :  n'est-ce  pas  là  un  sujet 
d'admiration  qui  dépasse  tous  les  autres?  Et  si  nous  ajoutons  que 
Dieu  n'agit  ainsi,  qu'il  ne  se  remet  entre  les  mains  des  hommes, 
avec  sa  toute-puissance,  que  par  amour  pour  nous  :  quelle  ne  sera 
pas  notre  reconnaissance  pour  un  Dieu  qui  nous  aime  au  point 
d'opérer,  non  seulement  pour  nous  mais  par  nous,  de  si  grandes 
merveilles?  Avec  quelle  ardeur  et  quelle  dévotion  ne  rendrons- 
nous  pas  nos  humbles  adorations  à  la  Sainte  Eucharistie  où  Dieu 
a  rassemblé  tous  les  prodiges  de  son  amour,  de  sa  sagesse  et  de 
sa  puissance  infinie? 

IV. 

LA    PRÉSENCE    DE   JÉSUS-CHRIST   DANS    l' EUCHARISTIE    NOUS   RÉVÈLE 
SA    MUNIFICENCE   OU    SA    LIBÉRALITÉ    DIVINE 

Tout  ce  que  la  sagesse  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  pressée 
par  son  amour,  a  inventé  de  plus  précieux  et  de  plus  admirable 
en  notre  faveur,  toutes  les  merveilles  opérées  pour  nous  dans  la 
Très  Sainte  Eucharistie  par  sa  toute-puissance,  c'est  à  sa  libéralité 
divine  que  nous  devons  de  les  posséder.  C'est  par  un  acte  de  cette 
libéralité,  de  cette  magnificence  infinie,  qu'il  nous  a  donné  son 
corps  et  son  sang  sous  une  forme  adaptée  aux  besoins  de  notre 
nature,  celle  des  espèces  ou  apparences  du  pain  et  du  vin.  Ce  don 

1.  \um.,  xxn. 

2.  Quia  nunquam  novi  vos  :  discedile  a  me  qui  operamini  iniquilatem. 
[Matlh.,  VII,  23.) 


568  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   XI. 

qu'il  nous  a  fait  est  si  grand  que  tous  les  autres  biens  que  nous 
tenons  de  sa  libéralité  paraissent  peu  de  chose,  si  on  les  y  compare. 
«  En  nommant  l'Eucharistie,  c'est  le  trésor  tout  entier  de  la  bé- 
«  nignité  de  Dieu,  dont  j'évoque  la  pensée,  »  dit  S.  Jean  Ghrysos- 
tome  '.  Nulle  part,  en  effet,  on  ne  voit  rassemblées  autant  de 
preuves  de  la  munificence  et  de  la  libéralité  divines  que  dans  cet 
auguste  sacrement;  nulle  part  autant  de  motifs  ne  se  présentent 
à  nous,  pour  lesquels  nous  devions  à  Dieu  une  reconnaissance  et 
des  louanges  infinies.  Il  suffit,  pour  en  être  convaincu,  de  consi- 
dérer un  moment  ce  qui  nous  est  donné  dans  la  Sainte  Eucharistie, 
et  quelles  circonstances  relèvent  encore  le  prix  de  ce  présent. 

Ce  que  Dieu  nous  donne  dans  la  Sainte  Eucharistie,  c'est  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  lui-même,  son  corps,  son  sang,  son  àme, 
la  personne  du  Verbe  qui  se  les  est  unis  indissolublement  et,  par 
une  conséquence  nécessaire,  la  personne  du  Père  et  celle  du  Saint- 
Esprit  qui  accompagnent  le  Verbe  avec  lequel  elles  sont  un  seul 
et  même  Dieu.  Et  ce  n'est  pas  seulement  sous  les  deux  espèces 
réunies  du  pain  et  du  vin,  mais  sous  chacune  d'elles,  prises  sépa- 
rément, que  Jésus-Christ  nous  est  ainsi  donné  tout  entier. 

Cependant  si  notre  divin  Sauveur  est  ainsi  tout  entier  sous  cha- 
cune des  deux  espèces,  les  paroles  de  la  consécration  ne  demandent 
pas  directement  cette  présence  intégrale  de  toute  sa  personne  ; 
sous  chaque  espèce  il  y  a  quelque  chose  de  Jésus-Christ  qui  s'y 
trouve  en  vertu  même  des  paroles  prononcées,  et  quelque  chose 
qui  ne  s'y  trouve  que  par  suite  de  l'indivisibilité  réelle,  existant 
entre  le  corps,  le  sang,  l'àme  et  la  divinité  du  Seigneur  ressuscité 
et  vivant  dans  sa  gloire.  Le  corps  seul  est  appelé  sous  l'espèce  du 
pain  par  la  vertu  des  paroles  :  «  Ceci  est  mon  corps  »,  mais  il  ne 
peut  pas  y  être  présent,  que  le  sang,  l'àme  et  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  ne  s'y  trouvent  avec  lui.  De  même  pour  le  calice  :  les  pa- 
roles sacrées  ne  produisent  directement  par  elles-mêmes  que  la 
présence  du  sang,  mais  le  sang  de  Notre- Seigneur  ne  peut  s'y 
trouver  seul,  et  Jésus-Christ  tout  entier  est  aussi  dans  le  calice, 
quoique  la  formule  de  consécration  ne  mentionne  ni  le  corps,  ni 
l'àme,  ni  la  divinité.  Le  corps  est  présent  et,  avec  lui,  toute  la 
personne  adorable  de  notre  divin  Sauveur.  Le  sang  est  dans  le 
calice  et,  avec  lui,  le  Verbe  de  Dieu  incarné,  sans  que  rien  manque 

1.  Dicendo  Eucharistiam ,  omnem  benignitatis  Dei  thesaurum  aperio. 
(S.  JoA.NN.  Ghrysost.,  hom.  XXIV  in  I.  Cor.) 


CE   QUE  NOUS   RÉVÈLE   LA  PRÉSENCE   DE  JÉSUS  DANS  l'eUCHARISTIE.         569 

ai  de  sa  divinité,  ni  de  l'iiumanitédontil  s'est  revêtu  pour  l'amour 
de  nous. 

Ce  n'est  pas  assez  dire,  et  l'on  peut  croire  que  les  paroles  de  la 
consécration  ont  une  efficacité  directe  plus  étendue  que  celle  qui 
ressort  des  quelques  lignes  qui  précèdent. 

En  vertu  de  ces  mots  :  «  Ceci  est  mon  corps  »,le  corps  de  Jésus- 
Christ  se  trouve  sous  les  espèces  du  pain;  mais  de  quel  corps 
peut-il  être  question  dans  ces  paroles  de  Jésus-Christ  prononcées 
en  son  nom  par  le  prêtre,  sinon  du  corps  du  Sauveur  tel  qu'il  est 
actuellement  dans  la  gloire  des  cieux?  C'est  donc  un  corps  vivant, 
un  corps  hypostatiquement  uni  à  la  divinité  que  ces  paroles  ont  la 
vertu  de  produire  sur  l'autel,  c'est  donc  directement  que  l'àme  de 
Notre-Seigneur  et  sa  divinité  s'y  trouvent,  et  non  pas  seulement 
par  concomitance.  Le  même  raisonnement  peut  s'appliquer  au 
sang  précieux  que  contient  le  calice.  Ce  n'est  pas  du  sang  mort 
et  séparé  de  l'àme  qui  le  vivifie  ;  ce  n'est  pas  un  sang  qui  puisse 
être  séparé  du  Verbe  divin  auquel  il  est  hypostatiquement  uni  : 
c'est  le  sang  de  Jésus-Christ  tel  qu'il  est  dans  les  veines  de  son 
corps  ressuscité  et  glorieux,  un  sang  vivant,  un  sang  divin,  que 
la  parole  du  prêtre  :  «  Ceci  est  mon  sang  »,  produit  directement 
dans  le  calice.  On  peut  donc  dire  que  l'âme  et  la  divinité  de  Notre- 
Seigneur  se  trouvent  directement,  en  vertu  des  paroles  sacrées, 
sous  chacune  des  deux  espèces,  mais  que  le  sang  n'est  qu'indirec- 
tement et  par  concomitance  sous  l'espèce  du  pain,  le  corps  indi- 
rectement et  par  concomitance  sous  l'espèce  du  vin,  et  les  deux 
Personnes  de  la  Sainte  Trinité,  autres  que  le  Fils,  par  concomi- 
tance et  indirectement,  sous  chacune  des  deux  espèces.  Quoi  qu'il 
en  soit  de  ces  distinctions,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  avec  ses 
deux  natures,  n'en  est  pas  moins  vraiment,  réellement  et  substan- 
tiellement présent  sous  l'espèce  du  pain  et  sous  l'espèce  du  vin. 
Il  y  est  non  seulement  par  sa  substance,  mais  avec  tous  ses  acci- 
dents, sauf  SOS  dimensions,  ses  apparences  extérieures,  et  ce  qui 
frapperait  nos  sens.  Il  y  est  avec  tous  ses  dons  de  la  grâce  et  de 
la  gloire.  Il  y  est  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit.  Voilà  le  don  par 
excellence  que  Dieu  nous  a  fait,  don  véritablement  digne  de  la  mu- 
nificence d'un  Dieu,  car  lui  seul  pouvait  le  faire  à  ses  créatures. 
En  instituant  l'Eucharistie,  Dieu  nous  a  donné  tout  ce  qu'il  a  de 
plus  précieux,  tout  ce  qu'il  pouvait  nous  donner.  S'il  n'est  pas 
permis  de  dire,  en  parlant  de  quelqu'une  des  grandes  œuvres  du 


570  LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.  XI. 

Créateur,  qu'il  a  épuisé  sa  puissance  en  l'accomplissant,  on  peut 
l'affirmer  au  moins  sous  certains  rapports  lorsqu'on  parle  de  cet 
auguste  mystère. 

Quelle  autre  faveur,  en  effet,  pourrait  mériter  d'entrer  en  com- 
paraison pour  le  prix  et  la  dignité,  avec  ce  sacrement  adorable 
dans  lequel  Jésus-Christ  se  donne  à  nous  avec  toutes  ses  gran- 
deurs, ses  attributs,  ses  perfections  infinies,  avec  tout  ce  qu'il  est 
et  tout  ce  qu'il  possède?  «  Ce  mystère,  dit  S.  Jean  Chrysostome, 
€  fait  que  la  terre  devient  pour  nous  le  ciel.  Montez  jusqu'aux 
«  portes  du  ciel,  je  ne  dis  pas  seulement  du  ciel,  mais  du  ciel  des 
€  cieux,  et  regardez  attentivement;  vous  reconnaîtrez  la  vérité  de 
«  ce  que  nous  avons  dit,  car  ce  qu'il  y  a  de  plus  digne  d'être  ho- 
«  noré  dans  le  ciel,  je  puis  vous  le  montrer  ici-bas.  Dans  un  palais 
«  royal,  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux,  ce  ne  sont  pas  les  murailles 
«  ni  le  toit  où  partout  l'or  étincelle,  c'est  le  roi  lui-même  assis  sur 
t  son  trône.  Dans  le  ciel  il  en  est  de  même  :  or,  c'est  le  Roi  du 
«  ciel  qui  maintenant  est  exposé  à  vos  regards  sur  la  terre.  Ce  ne 
€  sont  pas  les  anges  ni  les  archanges,  ce  ne  sont  pas  les  cieux  ni 
«  les  cieux  des  cieux,  mais  le  souverain  Seigneur  de  toutes  ces 
c  choses  que  je  vous  présente.  Et  remarquez  bien  ce  qui  rehausse 
€  infiniment  la  faveur  qui  vous  est  faite  :  sur  la  terre  vous  ne  vous 
«  contentez  pas  de  voir  le  Roi  du  ciel,  vous  le  touchez;  ce  n'est 
«  pas  assez,  vous  le  prenez  comme  votre  nourriture,  et  c'est  après 
«  l'avoir  reçu  que  vous  retournez  dans  votre  demeure  '.  » 

Dieu  s'était  montré  magnifiquement  libéral  envers  toute  chair, 
au  moment  de  la  création,  en  préparant  pour  tous  les  êtres  vi- 
vants une  nourriture  en  rapport  avec  leurs  besoins.  Il  avait  mis 
à  la  disposition  de  l'homme  tout  ce  que  produiraient  la  terre  et 
la  mer.  L'univers  entier  semblait  n'être  qu'une  immense  salle 
préparée  pour  le  festin,  salle  éclairée  par  deux  merveilleux  flam- 
beaux, le  soleil  et  la  lune  accompagnés  d'une  multitude  d'étoiles, 
et  sur  laquelle  la  voûte  céleste  s'étend  à  l'infini  2. 

1.  S.  JoANN.  Chrysost.,  hom.  XXIV  m  /.  Cor. 

ii.  Ecce  panes,  ecce  mensa,  et  seniores  domus  Israël,  qui  cum  junioribus 
comedunt,  Jaudantes  noinen  Domini.  Sed  qui  ministrat?  Certe  omnia  vasa, 
ulensilia  et  lumlnaria,  in  u.sus  epulantium  necessaria,  Moyses  tanquam  fîde- 
lis  dispensator,  in  dorno  Dei,  quae  est  Ecclesia,  administrât  :  prgecipue  tamen 
in  aquis  painndis  (unde  et  nomen  habet),  offîcium  suum  exercet.  Quid  enim 
aliud,  ordincm  cre.itionis  tôt  creaturae  contexem  insinuât,  nisi  quando,  et  a 
quo,  et  unde  et  quomodo,  et  ad  quid,  haec  mensa   sive  massa  universitatis 


CE  QUE  NODS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eDCHARISTIE.  571 

Mais  toute  cette  magnificence  n'est  plus  rien  si  on  la  compare  à 
la  table  eucharistique.  Sur  la  table  préparée  pour  sustenter  l'homme 
et  toutes  les  créatures  vivant  ici-bas,  que  voyons-nous,  en  effet,  pa- 
raître? Tout  y  vient  de  la  mort  ou  en  rappelle  le  souvenir.  Ce  sont 
les  chairs  d'animaux  égorgés;  ce  sont  des  herbes  arrachées  à  la 
terre  qui  les  avait  produites,  des  fruits  séparés  des  arbres  ou 
des  plantes  qui  les  avaient  portés.  A  la  table  eucharistique  au 
contraire,  le  pain  que  nous  mangeons  est  un  pain  de  vie  et  d'intel- 
ligence, que  l'usage  qui  en  est  fait  ne  détruit  ni  ne  corrompt;  un 
pain  qui,  mangé  par  nous,  conserve  néanmoins  toute  son  intégrité. 
Les  mets  terrestres,  lorsqu'ils  ont  apaisé  la  faim,  rebutent  loin 
d'attirer  encore  :  le  pain  eucharistique,  lorsqu'on  le  mange,  excite 
le  désir  de  le  manger  encore  et  éveille  une  faim  insatiable,  selon  la 
parole  de  Notre-Seigneur  :  «  Ceux  qui  me  mangent  auront  encore 
«  faim,  et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif  '  ;  »  et  c'est  sans 
se  lasser  jamais,  c'est  avec  un  bonheur  toujours  nouveau  que  ceux 
qui  ont  la  foi  et  qui  aiment  Dieu  prennent  l'aliment  divin  tou- 
jours consommé  et  toujours  entier  qu'il  leur  a  préparé.  Et  quel 
aliment!  Une  mère,  malgré  tout  son  amour,  ne  peut  donner  qu'un 
peu  de  sa  substance  corporelle  à  l'enfant  qu'elle  nourrit  de  son 
lait;  mais  Jésus-Christ,  notre  maître  ou  plutôt  notre  père,  nous 
donne  tout  son  corps  à  manger  et  tout  son  sang  à  boire  ;  il  nous  les 
donne  pour  toujours,  et  toujours  il  les  tiendra  à  notre  disposition. 
€  0  bonté  dont  nul  ne  saurait  mesurer  la  grandeur!  s'écrie  Théo- 
«  dore  Studite,  ô  don  que  nul  autre  don  ne  saurait  surpasser! 
«r  Pourrions-nous  donc  ne  pas  aimer  celui  qui  nous  aime  à  ce 
«  point?  pourrions-nous  ne  pas  l'honorer  et  ne  pas  lui  rester  in- 
«  dissolublement  attachés?  Le  soleil  crierait  contre  nous,  la  terre 
«  pousserait  des  gémissements,  les  pierres  elles-mêmes,  surprises 

subsistât?  Unde  terram  fundatam  animadvertere  potes,  quasi  mensam  posi- 
tam,  cœlum  super  et  circum  positum  quasi  mappam  circuin  extensam;  sicut 
et  arca  circumlexta  erat  ex  omni  parte  auro.  Firmamentum  tanquam  cande- 
labrum,  et  in  candélabre  duo  magna  luminaria,  solem  et  lunain,  sublucenti- 
bus  stellis  tanquam  candelis.  Aerem  imbriferum,  tanquam  lavatorium  vel 
infusorium.  Rursus  serenum  tanquam  exhibentem  manutergium.  Mare  velut 
omnium  ordium  emundalorium.  Terram,  panem  et  vinuni,  carnem  et  pul- 
mentum,  et  aliud  vita;  hujus  suftîciens  sustentanientum,  natura  subinferen- 
tem,  ex  moderatione  Spiritus  cuncta  régente  et  disponente.  (Petrus  Cellens., 
lib.  de  l'dnihus,  cap.  ii.) 

1.  Oui  edunt  me  adhuc  esurient,  et  qui  bibunt  me  adbuc  sitient.  {Joann., 
VI,  3'o.) 


572  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  li"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  M. 

«  de  notre  insensibilité,  élèveraient  la  voix  pour  nous  accuser  i.  » 
Uupert  coniimente  ces  paroles  de  Notre-Seigneur  :  «  Recevez  et 
«  mangez,  ceci  est  mon  corps  2;  »  et  ces  autres  :  «  Celui  qui  mange 
«  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  ^.  » 
Elles  lui  rappellent,  dit-il,  celles  à  peu  près  semblables  que  le  ser- 
pent adressait  à  nos  premiers  parents  dans  le  paradis  terrestre  : 
<  Prenez,  mangez,  et  vous  serez  comme  des  dieux.  »  Mais  le  ser- 
pent, ou  plutôt  le  démon  qui  les  prononçait,  était  un  artisan  de 
mensonge,  de  péché  et  de  mort.  Jésus-Christ,  au  contraire,  est 
l'Agneau  de  Dieu;  il  est  la  vérité  même  ;  il  est  le  Saint  des  saints 
et  ses  paroles  donnent  la  vie.  Le  démon  offrait  des  fruits  d'un 
arbre  qui  ne  lui  appartenait  pas,  et  Jésus-Christ  nous  donne  sa 
propre  chair  et  son  propre  sang.  Le  démon  mentait  en  promet- 
tant ce  qu'il  n'était  pas  en  son  pouvoir  de  donner,  c'est-à-dire 
une  sorte  d'égalité  avec  Dieu  lui-môme  :  Jésus-Christ  a  promis  et 
il  donne  fidèlement  ce  qu'il  possède  en  vertu  môme  de  sa  nature  ; 
nous  sommes  véritablement  des  dieux,  tant  qu'il  demeure  en  nous. 
Adam  et  Eve  eurent  le  malheur  de  croire  à  la  parole  du  démon 
plutôt  qu'à  celle  de  Dieu  et  ce  fut  un  grand  crime  ;  pour  nous, 
croyons  à  la  parole  que  Dieu  nous  a  fait  entendre  par  la  bouche 
de  Jésus-Christ  son  Fils;  croyons-y  plus  fermement,  plus  efficace- 
ment que  nos  premiers  parents  n'ont  cru  à  celle  du  démon.  Ils 
ont  cru  qu'il  y  avait  dans  le  fruit  oflert  par  le  démon  une  vertu 
cachée,  capable  de  les  transformer  au  point  défaire  qu'ils  fussent  des 
dieux  :  nous,  ce  que  nous  devons  croire,  c'est  que,  sous  les  espèces 
sacramentelles,  il  y  a  non  seulement  une  vertu  qui  échappe  aux 
regards,  mais,  en  toute  vérité,  en  toute  réalité,  le  corps  et  le  sang 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  qui  font  que  nous  demeurons  en 
lui,  qu'il  demeure  en  nous,  que  nous  vivons  de  sa  vie  et  que  nous 
sommes  ainsi  divinisés  lorsque  nous  le  mangeons. 

Mais  il  faut  d'abord  le  recevoir  :  Accipite,  en  apportant  à  la 
sainte  Table  la  foi  la  plus  entière,  l'amour  le  plus  ardent,  la  re- 
connaissance la  plus  vive.  Alors  seulement  on  sera  digne  de  le 
manger  :  Et  comedite,  et  de  le  manger  avec  fruit  4. 

1.  Theodor.  Stl'Dit.,  Cnlec/i.,  xxiv. 

2.  Accipite  et  comedite,  hoc  est  corpus  mcum.  (/.  Co7\,  xi,  2i.) 

•J.  Qui  in.inducat  meam  carnem  et  bil)it  meum  sanguinem  in  me  manet  et 
ego  in  iilo,  {Joann.,  vi,  Vil.) 

^.  Hri'Ein.,  lili.  III  de  Oper.  Sinr.  sanct.,  cap.  xxiv. 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PKÉSENCE  DE  JESUS  DANS  l'eUCHARISTIE.  o73^ 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  se  donne  à  nous  pour  que  nous 
puissions  l'offrir  en  sacrifice  à  son  Père.  Nous  avons  besoin  d'une 
victime  de  choix  non  seulement  pour  détourner  la  colère  de  Dieu, 
mais  pour  attirer  ses  bénédictions.  Rien,  dans  l'univers  créé,  ne 
serait  digne  d'être  immolé  sur  son  autel  ;  rien  n'est  assez  pui-, 
rien  n'est  assez  saint,  rien  n'est  assez  grand.  Cependant  il  nous 
faut  une  victime.  Les  sacrifices  sanglants  offerts  pendant  des  mil- 
liers d'années  chez  tous  les  peuples,  même  chez  le  peuple  choisi 
de  Dieu,  et  par  ordre  du  Seigneur,  témoignent  assez  de  ce  besoin 
inhérent  à  notre  nature  déchue.  Il  faut  du  sang  et  nul  sang  ne 
mérite  de  couler  en  l'honneur  du  Très-Haut.  Alors  Jésus-Christ 
nous  dit  :  Si  vous  voulez  offrir  à  Dieu  le  sang  de  l'expiation,  si 
vous  voulez  non  seulement  détourner  de  vous  la  colère  du  Sei- 
gneur, mais  obtenir  qu'il  vous  comble  de  ses  bienfaits,  ne  ver- 
sez pas  inutilement  le  sang  des  animaux  sans  raison  :  prenez  mon 
propre  sang  et  inondez-en  vos  autels.  —  Voilà  ce  que  fait  pour 
nous  ce  Dieu  qui  veut  être  notre  victime  et  notre  offrande,  pour 
expier  nos  péchés  et  nous  obtenir  d'être  considérés  par  le  Père 
éternel  comme  ses  enfants  et  les  héritiers  de  son  royaume. 

En  même  temps  qu'il  se  donne  à  nous,  pour  que  nous  puis- 
sions Toffrir  au  Père  céleste,  comme  une  hostie  pure,  une  hostie 
sainte,  une  hostie  immaculée,  il  veut  être  pour  nous  un  pain 
d'éternelle  vie,  un  calice  où  nous  puiserons  le  salut  qui  ne  passe 
pas.  Il  se  donne  à  nous  pour  demeurer  en  nous,  pour  être  notre 
bien  et  ne  faire,  en  quelque  sorte,  qu'un  seul  tout  avec  nous. 

Le  présent  qu'il  nous  fait  n'est  pas  un  de  ces  dons  qui  recèlent 
un  danger;  ce  n'est  pas  une  de  ces  roses  qui  sont  accompagnées 
d'épines  acérées;  ce  n'est  pas  un  mal  sous  l'apparence  d'un  bien. 
Non  ;  tout  est  bon  dans  ce  que  Jésus-Christ  nous  donne,  ou  plu- 
tôt c'est  l'assemblage  de  tous  les  biens;  c'est  plus  encore  :  c'est 
le  bien  par  excellence,  le  bien  suprême,  le  bien  d'où  tous  les  autres 
découlent  et  auquel  ils  doivent  d'être  des  biens  ;  en  un  mot,  c'est 
le  bien  infini.  Dieu  lui-même  uni  à  la  nature  humaine,  pour  pou- 
voir se  donner  à  nous  plus  intimement  et  d'une  manière  absolu- 
ment conforme  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  convenances  de 
notre  être. 

a  Le  cœur  est  trop  étroit,  la  langue  fait  défaut,  le  sens  hu- 
main s'étonne  et  demeure  impuissant  pour  sonder  les  arcanes 
d'un  si  profond  mystère.  Oh  !  quelles  délices  infinies,  quel  parfum, 


574  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

quelles  paroles,  quel  amour  ardent,  quels  chastes  et  délicieux 
baisers!  Qui  pourra  jamais  l'exprimer  assez?  On  n'entend  dans 
ce  mystère  que  les  cantiques  d'ineffable  douceur  que  l'âme  chante 
dans  le  secret  le  plus  intime  d'elle-même,  les  cris  des  désirs,  les 
actions  de  grâces,  des  chants  de  louange  et  de  glorification,  des 
soupirs  d'amour  vers  le  bien-aimé.  L'âme  pieuse,  heureuse  de 
la  présence  de  son  bien-aimé  qu'elle  possède  au  Très  Saint  Sacre- 
ment, est  remplie  de  joie  et  se  livre  à  des  transports  de  l'allégresse 
la  plus  entière.  En  même  temps,  elle  se  sent  pénétrée  d'humilité, 
de  lumière,  de  paix,  fortifiée  dans  la  foi,  affermie  dans  la  dévo- 
tion et  enchaînée  intérieurement  â  son  divin  Rédempteur  par  le 
lien  d'un  indissoluble  amour.  Aussi  sera-t-elle  désormais  plus  fer- 
vente et  plus  charitable,  plus  courageuse  dans  les  épreuves,  plus 
ardente  au  travail,  plus  prudente  dans  les  tentations,  plus  appli- 
quée à  la  pratique  de  la  vertu,  plus  empressée  à  bien  s'acquitter 
des  charges  qui  lui  sont  confiées,  plus  brûlante  surtout  du  désir  de 
s'approcher  souvent  de  l'adorable  Sacrement.  Car  vos  présents  sont 
tels,  ù  Seigneur  Jésus,  les  gages  de  votre  amour  que  vous  donnez  à 
vos  amis,  à  vos  dévots,  à  vos  bien-aimés,  par  ce  très  saint  mystère, 
sont  d'un  si  grand  prix  qu'aucune  joie  de  ce  monde  qui  passe  ne 
peut  être  comparée  à  celle  qu'ils  procurent.  C'est  que,  par  ce  vé- 
nérable mystère,  vous  vous  donnez  vous-même  à  vos  fidèles,  afin 
que  la  douceur  qu'ils  y  goûtent  leur  enseigne  à  vous  aimer,  à  vous 
garder,  à  vous  connaître,  à  vous  louer  K  » 

Ainsi  parle  S.  Laurent  Justinien,  ce  grand  ami  de  Jésus,  qui 
savait  par  expérience  combien  le  Seigneur  est  doux. 

Mais  ce  qui  fait  mieux  ressortir  encore  l'infinie  grandeur  du 
don  que  le  Fils  de  Dieu  a  daigné  nous  faire,  en  instituant  la  Sainte 
Eucharistie,  c'est  qu'il  n'a  pas  borné  les  effets  de  son  admirable 
libéralité  à  un  seul  temps,  à  un  seul  lieu,  à  quelques  personnes 
privilégiées.  Tous  les  hommes  qui  croiront  en  lui,  à  quelque  na- 
tion qu'ils  appartiennent,  en  quelque  siècle  qu'ils  vivent,  sont 
invités  à  son  banquet  sacré.  La  table  en  sera  dressée  partout  où  se 
trouvera  un  prêtre  légitimement  consacré,  pour  accomplir  les 
divins  mystères  au  nom  de  Jésus-Christ  lui-même  ;  partout  et  en 
tous  les  temps,  les  pauvres  et  les  petits  pourront  prendre  place 
à  la  table  du  souverain  Roi  qui  les  y  appelle  pour  se  donner  à  eux. 

1.  S.  Laurent.  Justin.,  Liber  de  Disciplina  et  perfectione  monasticas  conver- 
tationis,  cap.  xix,  n.  1. 


CE   QUE   NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS   l'eUCHARISTIE.  575 

Ils  y  trouveront  les  richesses  véritables  ;  ils  y  trouveront  la  santé 
de  l'âme  et  la  force;  ils  y  trouveront  le  gage  et  les  prémices  d'une 
vie  bienheureuse  qui  ne  fmira  point.  Mais  que  les  grands,  que 
les  riches  et  les  forts  s'empressent  aussi  d'y  venir  manger  le  pain 
qui  leur  est  préparé  ;  leur  grandeur,  leur  force  et  leur  richesse 
augmenteront  encore. 

L'apôtre  S.  Paul  nous  fait  connaître  que  le  présent  merveilleux, 
accordé  par  le  divin  Maître  à  son  Église  et  à  tous  les  fidèles,  ne 
doit  pas  se  borner  à  un  temps  ni  à  un  lieu,  lorsqu'il  dit  aux  chré- 
tiens de  Corinthe  et  dans  leurs  personnes  à  ceux  de  tous  les  temps: 
«  Toutes  les  fois  que  vous  mangerez  ce  pain  et  boirez  ce  calice, 
«  vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  '.  » 
On  mangera  donc  ce  pain  sacré,  on  boira  donc  le  vin  qui  est  le 
sang  du  Seigneur,  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  de  nouveau  pour  juger 
les  vivants  et  les  morts.  S.  Jean,  le  disciple  bien-aimé,  donne  à 
entendre  la  même  vérité  lorsqu'il  commence  par  ces  mots  le  récit 
de  ce  qui  s'est  passé  en  la  dernière  Gène  :  «  Jésus  ayant  aimé  les 
«  siens  qui  étaient  dans  le  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin  -.  » 
Sans  doute  ces  paroles  signifient  qu'il  porta  son  amour  pour  eux 
jusqu'aux  dernières  limites  possibles;  mais,  en  instituant  la  Sainte 
Eucharistie,  il  aima  les  hommes  jusqu'à  la  fin,  in  finem  dilexit 
eos,  parce  que  l'amour  qu'il  leur  témoignait  devait  produire  son 
fruit  jusqu'à  la  fin  des  temps  ;  le  don  qu'il  leur  faisait  de  lui- 
même,  sous  les  Espèces  eucharistiques,  devait  se  renouveler  per- 
pétuellement et  durer  jusqu'au  dernier  jour  du  monde.  C'est  ainsi 
que  l'entendent  plusieurs  théologiens  dont  le  nom  fait  autorité  3. 
Le  Psalmiste  nedonne-t-il  pas  ce  sens  aux  mots,  in  fineni,  lorsqu'il 
dit  :  Ul  quicl  Deusrepulisti  in  ftnem  :  «  Pourquoi,  ô  Dieu,  nous 
«  avez-vous  rejetés  pour  toujours  ^?  »  S.  Paul  dit  dans  le  même 
sens  :  Pervenit  ira  Dei  super  eos  usque  in  finem  ^  :  a  La  colère 
a  de  Dieu  est  venue  sur  eux  jusqu'à  la  fin.  » 

Qui  n'admirerait  ici  la  libéralité  que  l'amour  du  Seigneur  pour 
nous  lui  inspire?  Ordinairement  l'amour  des  hommes  est  très  im- 

1.  Quotiescumque  enim  manducabitis  panem  hune  etcalicem  bibetis,  mor- 
tem  Domini  annuntiabitis  donec  veniat.  {/.  Cor.,  xi,  2G.) 

2.  Cum  dilexisset  suos  qui  erant  in  mundo,  in  finem  dilexit  eos.  {Joann., 
XIII,  I.) 

3.  TuRRiANUS,  lib.  I  de  Euch.,  cap.  x;  Toletds,  Joann.,  xiii,  annot.  0  et  in 
prœvio  commentario;  et  alii. 

4.  Ps.  Lxxiii,  i.  —  li.  I.  Thess.,  ii,  10. 


576  LA  SAINTE  EDCIIARISTIE.  —    IT  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XI. 

parfait  :  ils  commencent  tard  à  s'attacher  à  ceux  qu'ils  aiment? 
leur  attachement  n'est  pas  bien  étroit,  et  trop  souvent  il  dure  peu- 
Comment  pourrait-il  en  être  autrement  ?  Souvent  bien  des  années 
s'écoulent  avant  que  deux  hommes  que  l'amitié  doit  lier  ensemble 
se  rencontrent;  de  plus,  il  faut  du  temps  pour  se  connaître,  s'ap- 
précier, s'attacher  l'un  et  l'autre.  Et  lorsqu'une  amitié  réelle  s'est 
enfin  établie,  ira-t-elle  fréquemment  jusqu'à  inspirer  de  véritables 
sacrifices?  les  deux  amis  seront-ils  prêts  à  immoler  l'un  pour 
l'autre  leurs  intérêts  temporels,  leur  vie  même?  Un  malentendu 
quelconque  ne  suffi ra-t-il  pas  pour  briser  une  union  que  des  rap" 
ports  de  plusieurs  années  auraient  dû  rendre  plus  solide? 

Mais  il  n'y  a  rien  à  craindre  de  pareil  lorsque  c'est  Jésus-Christ 
que  l'on  a  choisi  pour  ami.  Il  a  aimé  les  siens  dès  le  premier  ins- 
tant de  sa  conception  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  ; 
avant  même  ce  moment  béni  à  jamais,  il  les  aimait  de  toute  éter- 
nité, comme  Dieu  ;  il  les  a  aimés  d'un  amour  si  ardent  qu'il  n'a 
pas  hésité  à  accepter  pour  eux  tous  les  travaux,  toutes  les  souf- 
frances, toutes  les  humiliations  de  sa  vie  mortelle,  et  la  mort 
même  sur  la  croix,  entre  deux  scélérats  ;  il  les  a  aimés  d'un  amour 
perpétuel,  qui  ne  s'est  ni  démenti  ni .  refroidi  un  seul  instant, 
pendant  tout  le  cours  de  son  existence  parmi  nous,  et  dont  la 
mort  même  n'a  pas  interrompu  les  témoignages,  car  il  a  trouvé 
le  moyen  de  rester  au  milieu  de  nous,  maintenant  qu'il  est  assis 
dans  le  ciel,  sur  un  trône,  à  la  droite  du  Père.  Non  seulement  il 
est  avec  nous  en  corps  et  en  àme,  comme  autrefois  avec  ses  dis- 
ciples, mais  il  se  donne  à  nous,  il  s'identifie  avec  nous  bien  plus 
parfaitement  qu'il  ne  l'avait  jamais  fait  avec  ses  disciples  les  plus 
chers,  avant  la  dernière  Cène;  et  cette  preuve  de  son  amour,  qui 
est  le  résumé,  le  couronnement  de  ses  bienfaits,  il  continuera  de 
la  fournir  aux  hommes  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Telle  est  l'inter- 
prétation que  donne  du  texte  de  S.  Jean  le  savant  cardinal  Tolet, 
une  des  plus  brillantes  lumières  de  la  théologie  catholique  au 
xvi'  siècle. 

Souvent  on  a  comparé  la  table  eucharistique  à  laquelle  Jésus- 
Christ  invite  tous  ses  amis,  aux  magnifiques  festins  auxquels  le 
roi  Assuérus  convia  les  grands  de  son  royaume,  pendant  six  mois 
entiers.  La  Sainte  Écriture  ne  dédaigne  pas  de  rapporter  quel  luxe 
et  quelle  magnificence  Assuérus  déploya  en  cette  occasion.  Mais 
que  sont  les  magnificences  des  festins  du  roi  de  Perse,  en  présence 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE  LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'BUCHARISTIE.  577 

de  celles  que  Dieu,  dans  son  amour,  déploie  en  notre  faveur?  Ce 
ne  sont  pas  les  grands  d'un  royaume,  ce  n'est  pas  même  la  popu- 
lation tout  entière  d'une  ville  immense  que  Dieu  invite,  pour  une 
fois,  à  un  banquet;  ce  n'est  pas  pendant  quelques  mois  que  des  per- 
sonnages plus  ou  moins  nombreux  sont  appelés  à  se  nourrir  de 
mets  et  de  vins  exquis.  Dieu  fait  plus  :  il  invite  tous  les  hommes, 
de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays,  au  festin  qu'il  a  préparé  : 
tous  y  pourront  prendre  place  non  pas  une  fois,  mais  tous  les  jours 
de  leur  vie,  s'ils  le  désirent  et  s'ils  s'efforcent  de  s'en  rendre 
dignes.  Les  mets  et  les  vins  qui  sont  servis  à  ce  banquet  ne  s'é- 
puiseront jamais;  ils  n'engendreront  jamais  ni  le  dégoût  ni  la 
fatigue;  ceux  qui  s'en  nourriront  désireront  toujours  davantage 
s'en  nourrir  encore,  et  ils  ne  craindront  pas  qu'ils  leur  soient  re- 
fusés :  or,  ces  mets  et  ces  vins  ne  sont  autre  chose  que  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ  lui-même.  La  reine  de  Saba  ne  pouvait 
revenir  de  son  admiration,  en  voyant  la  belle  ordonnance,  la  ri- 
chesse, l'abondance  de  la  table  royale,  dressée  dans  le  palais  de 
Salomon  :  qu'eùt-elle  dit  et  qu'eùt-elle  pensé,  si  elle  avait  pu  soup- 
çonner les  magnificences  de  la  table  que  le  Roi  des  rois  a  prépa- 
rée pour  ses  fidèles  serviteurs  sur  la  terre,  magnificences  dont 
celles  de  la  table  du  roi  Salomon  n'étaient  qu'une  imparfaite 
image? 

Voilà  ce  que  Jésus-Christ  nous  donne  lorsqu'il  nous  invite  à  son 
banquet  sacré,  et  que  nous  avons  le  bonheur  d'y  prendre  part,  re- 
vêtus de  la  robe  nuptiale.  Mais,  en  retour,  il  attend  de  nous  que 
nous  soyons  reconnaissants  comme  le  mérite  un  si  grand  bienfait. 
L'Évangile  nous  apprend  qu'après  la  dernière  Cène  et  l'institution 
de  l'adorable  Eucharistie,  le  divin  Maître  et  ses  Apôtres  chantèrent 
ensemble  une  hymne  au  Seigneur  :  Et  hymno  clicto  exierunt. 
«  Arrêtons-nous  un  moment  sur  cette  hymne,  dit  Bossuet  •,  sur 
ce  cantique  d'actions  de  grâces  et  d'allégresse,  par  lequel  Jésus 
et  ses  apôtres  finirent  le  saint  mystère.  Que  pouvaient-ils  chan- 
ter ceux  qui  étaient  rassasiés  de  Jésus-Christ  et  enivrés  du  vin 
de  son  calice,  sinon  les  louanges  de  celui  dont  ils  étaient  pleins  : 
«  L'Agneau  qui  a  été  immolé  est  vraiment  digne  de  recevoir  la 
«  force,  la  divinité,  la  sagesse,  la  puissance,  l'honneur,  la  gloire, 
«  la  bénédiction;  et  j'entendis  toute  créature  qui  est  au  ciel,  sur 

1.  Bossuet,  Mcditalions  sur  les  Évaivjilcs.  hi  Ccnc,  l"  p.,  O.'j"' jour. 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  37 


578         LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II*   PARTIE.  —  LIVRE  II.    —  CHAP.  XI. 

«  la  terre,  sous  la  terre,  sur  la  mer  et  dans  la  mer,  et  tout  ce  qui 
«  est  dans  ces  lieux,  qui  criaient,  en  disant  à  celui  qui  est  assis 
«  sur  le  trône  et  à  l'Agneau  :  Bénédiction,  honneur,  gloire  et  puis- 
«  sance  au.\  siècles  des  siècles  ^.  » 

t  Le  monde  chante  les  joies  du  monde;  et  nous,  que  chanterons- 
nous  après  avoir  reçu  le  don  céleste,  que  les  joies  éternelles? 

«  Le  monde  chante  ses  passions,  ses  folles  et  criminelles 
amours  ;  et  nous,  que  chanterons-nous,  sinon  Celui  que  nous 
aimons? 

«  Le  monde  fait  retentir  de  tous  côtés  ses  joies  dissolues  ;  et 
qu'entendra-t-on  de  notre  bouche,  après  avoir  bu  ce  «  vin  qui 
germe  les  vierges  -,  »  sinon  des  cantiques  de  sobriété  et  de  con- 
tinence ?  Remplis  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  qui  vient  de  nous 
être  remise  sous  les  yeux,  et  de  la  chair  de  son  sacrifice,  que 
chanterons-nous,  sinon  :  «  Le  monde  est  crucifié  pour  moi,  et  moi 
pour  le  monde  ^  ?  » 

«  Ne  vous  en  allez  pas  sans  dire  cet  hymne,  sans  réciter  le  can- 
tique delà  rédemption  du  genre  humain.  Quoi  !  Moïse  et  l'ancien 
peuple  chantèrent  avec  tant  de  joie  le  cantique  de  leur  délivrance, 
après  être  sortis  de  TÉgypte  et  avoir  passé  la  mer  Rouge  !  Chantez 
aussi,  peuple  délivré,  chantez  le  cantique  de  Moïse  et  de  l'Agneau, 
en  disant  :  «  Que  vos  œuvres  sont  grandes  et  admirables,  Sei- 
«  gneur,  Dieu  tout-puissant!  que  vos  voies  sont  justes  et  vérita- 
«  blés,  ô  Roi  des  siècles  !  Seigneur,  qui  ne  vous  craindrait,  et 
*  qui  ne  glorifierait  votre  nom  ?  car  vous  seul  êtes  saint  :  toutes 
a  les  nations  viendront  et  adoreront  devant  votre  face,  parce  que 
«  vos  jugements  sont  manifestes  ^.  Vous  avez  détruit,  par  votre 
a  mort,  celui  qui  avait  l'empire  de  la  mort,  c'est-à-dire  le  diable  ^; 

\.  Dignus  est  Agnus,  <[n\  occisus  est,  accipere  virtutem,  et  divinitatem,  et 
sapienliam,  et  forlitudinem,  et  honorem,  et  gloriam,  et  benedictionem.  Et 
omnem  crealuram  qua;  in  cœlo  est,  et  super  terram,  et  sub  terra,  et  quaesunt 
in  mari,  et  quag  in  eo,  omnes  audivi  dicentes  :  Sedenti  in  throno  et  Agno,  be- 
nedictio,  et  honor,  et  gloria,  et  potestas  in  sœcula  sœculorum.  [Apoc,  vi,  12,  13.) 
2.  Et  vinum  germinans  virgines.  {Zach.,  ix,  17.) 
'\.  Mihi  mundus  crucifixus  est,  et  ego  mundo.  [Galat.,  vi,  14.) 
i.  .Magna  et  miral)ilia  sunt  opéra  tua,  Domine  Deus  omnipotens;  justae  et 
verae  sunt  viae  tuae,  Rex  saeculorum.  Quis  non  timebit  te,  Domine,  et  magni- 
ficabit  nomcn  tuum?  quia  solus  pius  es  :  quoniam  omnes  gentes  venient  et 
adorabunt  in  conspectu  tuo,  quoniam  judicia  tua  manifesta  sunt.  [Apoc,  xv, 
3,  i.) 

•'>.  l  t  per  mortem  deslrueret  eum  qui  liabcijat  mortis  impcrium,  id  est  dia- 
bolum.  {Ifefjt:,  ii,  li.) 


CE  QUE  NOUS  RÉVÈLE   LA  PRÉSENCE  DE  JÉSUS  DANS  l'eDCHARISTIE.  579 

«  le  prince  de  ce  monde  est  chassé  i  ;  et,  attachant  à  votre  croix 
«  la  cédule  de  notre  condamnation,  vous  avez  désarmé  les  princi- 
«  pautés  et  les  puissances,  vous  les  avez  menées  en  triomphe 
«  hautement,  et  à  la  face  de  tout  l'univers,  après  les  avoir  vaincues 
«  par  votre  croix  '-.  »  Et  maintenant,  en  mémoire  d'une  si  belle 
victoire,  nous  offrons  par  vous  et  en  vous,  à  votre  Père  céleste,  ce 
sacrifice  de  louanges  et  d'actions  de  grâces,  qui,  au  fond,  n'est 
autre  chose  que  vous-même,  parce  que  nous  n'avons  que  vous  à 
offrir  pour  toutes  les  grâces  que  nous  avons  reçues  par  votre 
moyen.  » 

On  peut  dire,  ou  plutôt  il  est  certain  que  le  but  premier  que 
s'est  proposé  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  instituant  la  Sainte 
Eucharistie,  fut  de  nous  donner  un  moyen  de  rendre  à  Dieu  le 
tribut  d'actions  de  grâces  qui  lui  est  dû  par  le  genre  humain.  Le 
culte  de  Dieu,  dit  S.  Augustin,  a  surtout  pour  objet  d'empêcher 
que  l'àme  ne  soit  ingrate.  Aussi,  dans  le  sacrifice  unique  et  très 
véritable  que  nous  offrons  au  Seigneur  notre  Dieu,  sommes-nous 
avertis  qu'il  faut  lui  rendre  grâces  3.  Le  saint  docteur  revient  sou- 
vent sur  cette  pensée.  David  l'avait  prévenu,  lorsque,  cherchant 
un  moyen  de  témoigner  à  Dieu  toute  sa  reconnaissance,  il  disait  : 
«  Je  prendrai  le  calice  du  salut,  et  j'invoquerai  le  nom  du  Sei- 
gneur :  »  Calicem  salutaris  accipiam,  et  nomen  Domini  invo- 
cabo  ^.  Redisons  du  plus  intime  de  notre  cœur  ces  paroles  du 
Psalmiste,  car  le  bienfait  que  Dieu  nous  a  donné,  en  instituant  la 
Sainte  Eucharistie,  mérite  une  reconnaissance  que  ni  les  anges  ni 
les  hommes  ne  sauraient  dignement  sentir  ni  exprimer.  Mais 
par  un  nouveau  prodige  de  la  bonté,  de  la  sagesse,  de  la  puissance 
et  de  la  libéralité  de  Dieu,  ce  qui  dépasse  toute  la  puissance  des 
anges  et  des  hommes  est  à  notre  portée.  Nous  pouvons  témoigner 
à  Dieu,  d'une  manière  infinie,  la  reconnaissance  infinie  qu'il  de- 

1.  Nunc  princeps  hujus  mundi  ejicietur  foras.  {Jonnn.,  \ii,  31.) 

•1.  Delens  quod  adversus  nos  erat  chirograplium  decreli,  quod  erat  contra- 
rium  nobis,  et  ipsum  tulit  de  medio,  aftigens  illud  cruci.  Et  expolians  princi- 
patus  et  potestates,  traduxit  confidenter,  palam  triumphans  illos  in  semetipso. 
[Coloss.,  II,  13,  li,  l;i.) 

3.  Cultus  Dei  in  hoc  maxime  constitutus  est,  ut  anima  ei  non  sit  ingrala. 
Unde  et  in  ipso  verissimo  et  singulari  sacrificio,  Domino  Deo  nostro  agere 
gratias  admonemur.  (S.  August.,  lib.  de  Spiritu  et  liltera,  cap.  ii.  —  Vide 
etiam,  lib.  contra  Adimantum,  cap.  wii,  in  ha^c  verl)a  :  Sacriflcium  lundis, 
honorificnfjit  me.) 

i.  J's.  c.W,  13. 


580        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XII. 

mande.  Prenons  le  calice  du  salut;  offrons  Jésus-Christ  lui-même 
à  son  Père  qui  nous  l'a  donné  et,  en  même  temps,  ne  nous  sépa- 
rons pas  de  ce  don  précieux.  Dieu  n'en  demande  pas  davantage  ; 
l'offrande  que  lui  présente  ainsi  notre  reconnaissance  est  égale  à 
ses  bienfaits. 


CHAPITRE  XII 

JÉSUS-CHRIST  DANS  L'EUCHARISTIE  EST  LA  SOURCE  ET  LE  MODÈLE  DES  VERTUS 
NÉCESSAIRES  A  LA  VIE  ET  A  LA  PERFECTION  CHRÉTIENNES 

1.  La  Sainte  Eucharistie  est  un  sacrement  de  Foi,  d'Espérance  et  de  Charité.  — 
II.  Elle  nous  communique  les  vertus  de  Prudence,  de  Justice,  de  Force  et  de  Tem- 
pérance. —  III.  Elle  nous  donne  l'esprit  d'humilité,  de  pauvreté,  de  chasteté  et 
d'obéissance. 

I. 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE    EST    UN    SACREMENT   DE    FOI,    d'eSPÉRANCE 

ET    DE    CHARITÉ 

Quoique  notre  dessein  soit  de  présenter  avec  quelque  détail,  dans 
la  suite  de  cet  ouvrage,  les  vertus  du  Cœur  adorable  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Clirist  voilé  pour  nous,  sous  les  Espèces  sacramen- 
telles, on  nous  reprocherait  avec  juste  raison  d'être  incomplet,  si 
nous  n'en  disions  pas,  dès  maintenant,  quelques  mots.  Le  sujet 
est  immense,  mais  puisque  nous  y  reviendrons  plus  tard,  on  nous 
pardonnera  de  ne  faire  que  l'effleurer. 

Jésus-Christ  est  la  lumière  du  monde,  la  véritable  lumière  hors 
de  laquelle  il  n'y  a  que  ténèbres.  Il  est  la  lumière  qui  éclaire  tout 
homme  qui  vient  en  ce  monde;  c'est  à  lui  seul  que  doivent  leur 
intelligence  et  leur  raison  tant  d'hommes  qui,  dans  leur  orgueil, 
abusent  de  ces  dons  précieux,  et  les  retournent  contre  Celui  dont 
la  main  généreuse  les  en  a  gratifiés.  A  cette  lumière  il  en  ajoute 
une  autre,  qu'il  donne  à  ceux  que  son  Père  a  choisis,  la  lumière 
de  la  foi.  Puis,  lorsque  le  temps  de  l'épreuve  sur  la  terre  a  passé, 
il  met  en  possession  d'une  troisième  lumière  ceux  qui  ont  rem- 
porté la  victoire  :  c'est  la  lumière  de  la  gloire,  la  lumière  qui  se 
confond  avec  l'éternelle  béatitude. 

Nous  espérons  la  lumière  de  la  gloire  et,  par  la  grâce  de  Dieu, 
nous  possédons  celle  de  la  foi  ;  mais  la  lumière  de  la  foi,  si  l'on 


JÉSUS  EDCHARISTIQDE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        581 

n'y  prenait  garde,  perdrait  facilement  de  sa  vivacité  et  de  son 
éclat  à  nos  yeux.  Il  faut  donc  l'entretenir,  raviver  sans  cesse  ce 
flambeau  que  Dieu  nous  a  confié  ;  or,  c'est  au  sacrement  adorable 
de  l'Eucharistie  que  nous  devons  particulièrement  demander  les 
lumières  d'une  foi  qui  ne  connaisse  pas  de  défaillance. 

En  effet,  la  Sainte  Eucharistie  est  le  sacrement,  le  mystère  de 
foi  par  excellence,  Mysterium  fidei,  comme  la  sainte  Église  le 
nomme,  au  moment  le  plus  solennel  du  sacrifice  de  la  messe. 

Pourquoi  ce  nom  de  Mystère  de  foi  donné  à  la  Très  Sainte 
Eucharistie  ?  Deux  motifs  l'expliquent  :  le  premier  est  que  ce  divin 
sacrement  nous  oblige  aux  actes  de  foi  les  plus  méritoires  devant 
Dieu,  tant  il  humilie  notre  raison  et  contredit  le  témoignage  de  nos 
sens.  Le  second  est  que,  s'il  exige  de  nous  des  actes  de  foi  très  par- 
faits, il  nous  donne  en  même  temps  des  grâces  pour  les  accomplir  ' . 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dit  un  jour  à  ses  disciples  :  «  Si 
«  votre  œil  droit  vous  scandalise,  arrachez-le  et  jetez-le  loin  de 
«  vous  ^.  »  Notre  œil  droit  qui  pourrait  nous  scandaliser,  lorsque 
nous  sommes  en  présence  de  l'Eucharistie,  n'est-ce  pas  notre  rai- 
son qui  ne  comprend  rien  à  tant  de  mystères  que  Dieu  a  rassem- 

1.  Quia  ineffabile  est,  quomodo  corpus  Christi  hic  fiât,  et  ibi  maneat,  ad 
intelligentiam  spiritualem,  et  fideni  talia  cogitantes  revocat,  quia  etsi  scire 
non  potest,  credi  potest  :  quia  quod  videtur,  non  materiale  corpus  panis  est, 
sed  species  corporalis  :  quod  autem  intelligitur,  Christus  est,  qui  omnia  quae- 
cumquevult,  in  coelo  et  in  terra  potest.  Sicque  dum  exteriorum  sensuum  tes- 
timonio  non  acquiescit,  nec  interiore  inquisitione  comprehendens,  de  veritate 
tamen  non  titubât;  fit  per  Dei  gratiam,  ut  in  tali  suo  agone  fides  nostra  exer- 
ceatur,  exercendo  augeatur,  augendo  perficiatur,  perfecta  coronetur.  Unde 
Augustinus,  in  serraone  super  Joann.,  lxviii  :  Fides  qua  eorum  qui  Deum 
visuri  sunt,  quandiu  peregrinantur,  corda  mundantur,  quod  non  videt  crédit. 
Nam  si  vides,  non  est  fides.  Credenti  coUigitur  meritum,  videnti  redditur 
praemium,  Eat  ergo  Dominus,  eat  ne  videatur,  lateat  ut  credatur,  creditus 
desideretur,  ut  desideratushabeatur.  Quia  ergo  in  hac  peregrinalione  nostra, 
expedit  latere  Christum  ut  credatur,  bene  igitur  Christus  sub  sacramento 
dédit  nobis  seipsum,  ut  per  lioc  nobis,  et  fidei  meritum  et  gratiae  suse  augeat 
beneficium,  dum  in  terrena  quadam  et  prorsus  sohta  panis  et  vini  forma, 
majestatem  sapientiai  \'erbi  Dei  substantialiter  comprehensam,  incomprehen- 
sibilem  credere,  et  venerari  non  erubescimus,  qua?  quanlitate  et  qualitate 
sua,  ita  ejus  excellentiae  videtur  indigna,  ut  nullatenus  etianiiestimari  debeal, 
nisi  quia  ipse  est,  Deus  qui  omnia  quœcumque  vokiit  fecit  in  cœlo  et  in  terra, 
nisi  quia  etiam  caro  cjus  ipsa  est,  cui  data  est  omnis  potestas  in  cœlo  et  in 
terra;  ut  potestate  taH,  sit  in  veritate  persona^  in  cœlo  et  in  terra,  quando- 
cumque  et  quomodocumque  ipsi  placuerit.  (Alceh.,  lib.  II  </<•  lùichanstia, 
cap.  m,  sub  Hnem.) 

t2.  Quod  si  oculus  tuus  dexter  scandaHzat  te,  crue  eum,  et  projice  abs  le. 
{Matt/i.,  V,  -29.) 


582         LA  SAINTE  EOCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  ClIAP.  .MI. 

blés  en  ce  seul  sacrement?  De  concert  avec  les  sens  au  rapport 
desquels  elle  se  fie  ordinairement,  elle  s'étonne,  elle  proteste,  elle 
voudrait  refuser  d'admettre  ce  qu'elle  ne  saisit  pas,  ce  que  les 
yeux  ne  voient  pas,  que  les  oreilles  n'entendent  pas,  que  les  mains 
ne  touchent  pas,  que  ni  le  goût  ni  l'odorat  ne  reconnaissent.  Elle 
voudrait  ne  croire  qu'à  la  présence  d'un  peu  de  pain  et  d'un  peu 
de  vin  ;  or  la  foi  dit  à  l'homme  :  le  pain  ni  le  vin  ne  sont  plus. 
Renonce  à  tes  propres  lumières  et  crois,  non  pas  au  langage  de 
tes  sens,  mais  à  la  parole  de  Dieu  lui-mrme  qui  te  propose  les  plus 
étonnantes  merveilles  : 

La  substance  du  pain  et  du  vin  n'existe  plus,  et  sous  les  espèces 
qui  frappent  encore  tes  sens,  il  y  a  Jésus-Christ  lui-même  :  son 
corps,  son  sang,  son  âme  et  sa  divinité. 

Il  y  a  très  réellement  et  très  véritablement  ce  Jésus-Christ  qui 
est  né  pour  toi,  qui  a  souffert  pour  toi,  qui  est  mort  pour  toi,  qui 
est  monté  au  ciel  pour  toi,  afin  de  t'y  préparer  un  royaume  où  tu 
régneras  éternellement  avec  lui,  si  tu  lui  es  fidèle. 

Il  y  a  ce  Jésus-Christ  qui  est  le  Dieu  infiniment  saint,  infini- 
ment parfait,  infiniment  grand,  ce  Verbe  image  du  Père  et  égal  à 
son  Père,  qui  s'est  incarné  pour  le  salut  des  hommes. 

Il  y  a  l'homme,  l'humanité  trois  fois  sainte,  à  laquelle  le  'Verbe 
de  Dieu  s'est  uni  pour  se  rapprocher  de  toi,  se  donner  à  toi  et  te 
donner  à  son  Père,  qui  te  mettra  au  nombre  de  ses  entants  adop- 
tit's  si  tu  consens  à  l'aimer  et  à  le  servir. 

Il  y  a  ce  même  Roi  du  ciel  et  de  la  terre,  que  les  anges  et  les 
saints  adorent  au  milieu  de  sa  cour  céleste,  et  qui,  en  même 
temps,  daigne  descendre  et  demeurer  parmi  les  hommes,  partout 
où  la  voix  d'un  prêtre  l'appelle. 

Mais  qui  pourrait  seulement  énumérer  toutes  les  merveilles  in- 
compréhensibles autant  qu'admirables  que  la  Sainte  Eucharistie 
offre  à  notre  croyance?  En  présence  de  tant  de  mystères  inacces- 
sibles à  ses  lumières  naturelles,  la  raison  ne  peut  que  se  taire, 
s'incliner  humblement  et  (Toire  :  le  sacrement  qui  s'offre  à  elle 
est  vraiment  le  sacrement,  le  mystère  de  foi,  Myslerium  fidei. 

Chacun  sait  que  les  vertus,  comme  les  habitudes  naturelles,  se 
fortifient  et  se  développent  à  mesure  que  l'on  en  multiplie  les 
actes.  On  comprend  combien  la  Sainte  Eucharistie,  qui  nous 
oblige  à  des  actes  de  foi  si  nombreux,  si  difficiles  et  si  parfaits, 
doit  contribuer  à  fortifier  la  foi  en  nous.  Or,  la  foi  est  la  première. 


JÉSDS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.         583 

le  fondement  de  toutes  les  autres  vertus:  sa  nécessité  est  telle  que 
sans  elle  il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu.  Bénissons  donc  le 
Seigneur  qui  nous  a  donné,  dans  le  Très  Saint  Sacrement,  l'oc- 
casion d'augmenter  sans  cesse  notre  foi  et  de  nous  affermir  ainsi 
dans  la  voie  qui  mène  au  salut. 

La  Sainte  Eucharistie  fait  plus;  non  seulement  elle  nous  donne 
l'occasion  ou  plutôt  l'obligation  d'accomplir  des  actes  de  foi,  mais 
elle  agit  directement  sur  nos  âmes  et  nous  procure,  par  elle-même, 
l'accroissement  de  cette  vertu.  L'effet  propre  de  l'Eucharistie,  son 
effet  sacramentel  est  d'augmenter  la  vie  de  l'âme,  la  justice  inté- 
rieure en  ceux  qui  la  reçoivent.  Cette  vie  de  justice  intérieure, 
sur  laquelle  agit  sacramentellement  la  Sainte  Eucharistie,  n'est 
pas  seulement  la  grâce  sanctifiante,  mais  tout  l'ensemble  des 
vertus  théologiques,  qui  font  en  quelque  sorte  partie  de  la  subs- 
tance de  l'homme  intérieur.  Et  c'est  pourquoi  le  concile  de  Trente, 
lorsqu'il  parle  de  la  justice  intérieure  qui  est  la  vie  du  juste, 
comprend,  sous  le  nom  de  justice,  la  foi,  l'espérance  et  la  charité, 
tout  en  remarquant  que  celle-ci  en  est  l'expression  principale  et 
complète. 

Nul  ne  peut  faire  partie  du  corps  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  de 
la  sainte  Église,  s'il  n'a  pas  la  foi  véritable.  Mais  quiconque  a  la 
foi  et  joint  à  cette  véritable  connaissance  de  Notre-Seigneur  les 
vertus  d'espérance  et  de  charité,  s'il  mange  la  chair  de  Jésus-Christ 
et  boit  son  sang  divin  avec  dévotion,  grandira  dans  la  charité, 
dans  l'espérance  et  dans  la  foi  qui  sont  la  vie  de  l'âme.  Cet  ali- 
ment céleste  deviendra  en  lui  une  source  de  vie,  c'est-à-dire  de 
charité,  d'espérance  et  de  foi,  qui  jaillira  abondamment  pendant 
sa  vie  mortelle.  Et  quand  le  temps  de  la  consommation  sera  venu, 
quand  la  foi  et  l'espérance  n'auront  plus  leur  raison  d'être,  parce 
que  l'âme  verra  et  possédera  Dieu,  cette  source  continuera  de 
jaillir  encore.  L'Eucharistie  aura  été  l'aliment  de  la  foi  en  même 
temps  que  des  autres  vertus. 

Si  l'on  demande  pourquoi  Dieu  a  voulu  que  le  sacrement  de 
l'Eucharistie  fût  un  assemblage  de  mystères  si  impénétrables  à 
l'intelligence  humaine  qu'il  méritât  d'être  nommé  le  Mystère  de 
foi,  Mijstermm  l'tdei,  nous  répondrons,  avec  Rupert,  qu'il  conve- 
nait que  nous  fussions  éprouvés  de  la  même  manière  que  nos  pre- 
miers parents.  Un  aliment  avait  été  l'occasion  dont  le  démon 
s'était  servi  pour  les  tenter.  Il  leur  avait  dit  :  «  Mangez  et  vous 


584         LA   SAINTEE  UCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.   —   LIVRE  II.  —  CHAP.   XII. 

«  serez  semblables  à  Dieu.  »  Jésus-Christ  nous  éprouve  à  son  tour; 
il  prend  du  pain  et  du  vin;  il  nous  les  offre  et  il  dit  :  «  Ceci  est 
«  mon  corps;  ceci  est  mon  sang.  Mangez  et  buvez,  et  vous  serez 
c  les  fils  de  Dieu.  »  Adam  et  Eve  ont  cru  à  la  parole  du  démon, 
plutôt  qu'à  celle  de  Dieu  qui  leur  avait  dit  :  «  Du  jour  où  vous 
a  mangerez  de  ce  fruit,  vous  mourrez  de  mort.  »  Jésus-Christ  de- 
mande de  nous  que  nous  ayons  foi  en  sa  parole  plus  qu'au  témoi- 
gnage de  nos  sens,  et  que  nous  réparions,  par  notre  pieuse  et 
ferme  croyance  en  lui,  les  maux  infinis  que  nous  a  causés  la  cou- 
pable crédulité  du  premier  homme  et  de  la  première  femme. 

On  ne  trouve  pas  rapportés  textuellement  dans  les  Évangiles,  ni 
dans  rÉpître  F"  de  S.  Paul  aux  Corinthiens,  ces  mots  reproduits 
par  la  sainte  Église  dans  les  paroles  de  la  consécration  :  Myste- 
rium  fidei.  Les  Évangélistes  et  l'Apôtre  les  ont  omis  parce  qu'ils 
pouvaient  l'être,  sans  que  la  vérité  du  mystère  en  souffrît;  la 
transsubstantiation  est  pleinement  déclarée,  par  conséquent  ac- 
complie, avant  que  le  prêtre  les  prononce.  On  pourrait  donc  ad- 
mettre que  Notre-Seigneur  ne  les  a  pas  prononcés  textuellement  ; 
mais  en  tout  cas  la  sainte  Église  ne  les  a  insérés  à  la  place  qu'ils 
occupent  dans  le  canon  que  par  une  inspiration  particulière  du 
Saint-Esprit.  N'était-il  pas  à  propos  de  rappeler  aux  fidèles  que 
le  divin  sacrifice  offert  en  leur  présence  est  le  mystère  des  mys- 
tères, celui  qui  résume  toutes  les  merveilles  que  Dieu  a  daigné 
accomplir  pour  le  salut  des  hommes?  Ne  convenait-il  pas  que 
l'Église  nous  avertît  de  la  grandeur  infinie  des  choses  qui  s'opé- 
raient devant  nous,  sans  que  nos  sens  pussent  nous  les  révéler  ? 
Elle  voulait  ainsi  nous  inspirer  des  sentiments  analogues  à  ceux 
que  S.  Jean  Chrysostome  supposait  à  son  ami  Basile,  lorsqu'il  lui 
disait  :  «  Quand  tu  vois  le  Seigneur  immolé  et  étendu  sur  l'autel, 
«  le  prêtre  qui  se  penche  sur  la  victime  et  qui  prie,  et  tous  les 
«  fidèles  empourprés  de  ce  sang  précieux,  crois-lu  encore  être 
«  parmi  les  hommes,  et  même  sur  la  terre?  N'es-tu  pas  plutôt 
«  transporté  dans  les  cieux;  et,  toute  pensée  charnelle  bannie, 
«  comme  si  tu  étais  un  pur  esprit,  dépouillé  de  la  chair,  ne  con- 
«  temples-tu  pas  les  merveilles  d'un  monde  supérieur?  0  prodige! 
«  ô  bonté  de  Dieu  !  Celui  qui  est  assis  là-haut,  à  la  droite  du  Père, 
«  en  ce  moment  même,  se  laisse  prendre  par  les  mains  de  tous  ; 
«  il  se  donne  à  qui  veut  le  recevoir  et  le  presser  sur  son  cœur; 
«  voilà  ce  qui  se  passe  aux  regards  de  la  foi.  »  Et  plus  loin  :  «  Le 


JESUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        585 

«  prêtre  est  debout;  il  fait  descendre,  non  Je  feu,  mais  l'Esprit 
«  saint;  sa  prière  est  longue  :  elle  s'élève,  non  pour  qu'une 
«  flamme  vienne  d'en  haut  dévorer  les  offrandes  qui  sont  prépa- 
«  rées,  mais  pour  que  la  grâce,  descendant  sur  l'hostie,  embrase 
<>  par  elle  toutes  les  âmes  et  les  rende  plus  brillantes  que  l'argent 
«  épuré  par  le  feu.  Ne  faudrait-il  pas  être  privé  de  raison  et  de 
«  sens  pour  mépriser  un  mystère  si  redoutable?  Ignores-tu  que 
«  jamais  une  âme  humaine  ne  supporterait  le  feu  de  ce  sacrifice, 
«  mais  que  nous  serions  tous  promptement  anéantis  sans  un  se- 
«  cours  de  la  grâce  de  Dieu?  Si  l'on  vient  à  réfléchir  que  c'est  un 
«  mortel,  enveloppé  dans  les  liens  de  la  chair  et  du  sang,  qui  peut 
«  ainsi  se  rapprocher  de  cette  nature  bienheureuse  et  immortelle, 
«  on  demeurera  étonné  de  la  profondeur  de  ce  mystère,  en  même 
«  temps  que  pénétré  de  la  grandeur  du  pouvoir  que  la  grâce  de 
tt  l'Esprit  saint  a  conféré  aux  prêtres,  par  qui  s'accomplissent  ces 
«  merveilles  K  » 

La  Sainte  Eucharistie,  mystère  et  sacrement  de  foi,  est  en  même 
temps  le  sacrement  le  plus  propre  à  nous  affermir  dans  la  vertu 
d'espérance,  ce  second  degré  qu'il  faut  franchir  pour  arriver  à  la 
sainte  charité.  Elle  est,  selon  l'expression  même  de  S.  Augustin, 
le  Sacrement  de  Vespérance  -,  et  nous  jouissons  par  elle  du  bien 
suprême  qui  nous  est  promis,  en  attendant  que  notre  exil  cesse, 
que  rien  ne  s'oppose  plus  à  notre  pleine  et  entière  possession  de 
Dieu,  et  que  les  sacrements  visibles  nous  soient  devenus  inutiles. 

La  foi  sans  l'espérance  serait  comme  un  corps  sans  vie,  un  corps 
qui  aurait  perdu  tout  son  sang  3;  elle  serait  morte.  Il  ne  suffirait 
donc  pas  que  la  Sainte  Eucharistie,  mystère  de  foi,  nous  lut  donnée 
par  le  Seigneur,  si  cet  adorable  sacrement  n'était  pas  en  même 
temps  un  sacrement  d'espérance.  Mais  Jésus-Christ  présent  sous 
les  espèces  sacramentelles  n'est  pas  avare  de  ses  grâces  ;  s'il  fait 

1.  S.  J.  Chrysost.,  Tract,  de  saceniot.,  lib.  III,  num.  4.  —  Traduction .Ieannin. 

2.  Quod  post  .ilios  septem  dies  (columba  ex  arca  Noe)  dimissa,  reversa  non 
est,  significat  iiiieni  saeciili,  quando  erit  sanctorum  rcquies,  non  adhuc  in 
Sncramento  spri,  que  in  hoc  tempore  consocialur  Kcclesia,  qiuundiii  hibitur 
quod  de  Christi  latere  manavit;  sed  jam  in  ipsa  perfectione  salulis  ;vternœ, 
cum  traditur  regnum  Deo  et  Patri,  ut  in  illa  pcrspicua  contemplationeincom- 
mutabilis  veritatis,  nullis  mysteriis  corporalibu.s  egeamus.  (S.  AuousT., 
lib.  Xil  rotitra  /Viustum,  cap.  xx.) 

^.  Rêvera  enim  sanguis  Hdei  est  spes,  qua  continetur  fides  tanquam  ab 
anima  :  cum  autem  spes  expiraverit,  perinde  ac  si  sanguis  effluxerit,  vitalis 
fidei  facultas  dissolvetur.  (Ci.ement.  .\le\.  Pedag.,  lib.  I,  cap.  vi.) 


586  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.   —  LIVRE  II.    —  CHAP.  XII. 

croître  notre  foi,  s'il  lui  donne  des  lumières  et  des  forces  toujours 
grandissantes,  il  en  agit  de  même  pour  la  seconde  des  trois  vertus 
théologales. 

Nous  avons  dit  déjà  que  l'espérance  fait  partie  intégrante  de  la 
justice,  que  la  Sainte  Eucharistie  a  pour  objet  principal  d'aug- 
menter en  nous.  Il  suffit  donc  de  recevoir  dignement  la  sainte 
communion,  pour  que  l'espérance  se  développe  et  se  fortifie;  c'est 
un  elfet  nécessaire  du  sacrement,  que  la  mauvaise  disposition  de 
ceux  qui  en  approchent  pourrait  seule  paralyser.  Outre  cette 
action  sacramentelle  qui  fait  d'elle  un  sacrement  d'espérance,  la 
Sainte  Eucharistie  agit  encore  de  différentes  manières  sur  les  âmes, 
pour  augmenter  en  elles  cette  précieuse  vertu. 

Peut-on  ne  pas  se  sentir  affermi  dans  l'espérance  en  Dieu,  lors- 
qu'on se  rappelle  par  exemple  les  circonstances  dans  lesquelles 
Jésus-Christ  nous  donna  son  corps  et  son  sang,  sous  les  Espèces 
eucharistiques  ?  Ce  fut  après  avoir  mangé  l'agneau  de  la  Pàque 
ancienne  que.  Pontife  suprême,  il  institua  le  nouveau  sacrifice  et 
permit  à  ses  fidèles  de  participer  aux  chairs  de  la  victime,  qui 
n'est  autre  que  lui-même.  L'agneau  pascal  des  Juifs  leur  rappe- 
lait la  délivrance  de  la  servitude  d'Egypte,  délivrance  dont  il 
avait  été  le  gage,  la  première  fois  qu'on  l'avait  immolé.  Notre 
Agneau  pascal,  Jésus-Christ,  qui  s'immole  et  se  donne  à  nous 
dans  l'Eucliaristie,  peut-il  être  moins  agréaljle  à  Dieu  que  cet 
agneau  figuratif  que  les  Juifs  lui  offraient?  Si  le  sang  d'un  animal 
sans  raison  avait  été  le  signal  de  la  délivrance  et  du  salut  pour 
tout  un  peuple,  comment  le  sang  de  la  seule  victime  agréable  à 
Dieu  par  elle-même,  et  dont  les  autres  n'étaient  que  la  figure, 
pourrait-il  n'être  pas  aussi  un  signal,  ou  plutôt  une  cause  de  déli- 
vrance et  de  salut,  pour  tous  ceux  en  faveur  de  qui  Dieu  a  voulu 
qu'il  fût  versé?  «  Si  la  figure  a  eu  tant  de  force  que  de  délivrer 
«  tout  un  peuple  d'une  dure  captivité,  dit  S.  Chrysostome,  com- 
«<  bien  plus  la  vérité  aura-t-elle  le  pouvoir  de  tirer  tout  l'univers  de 
«  la  servitude  et  de  combler  de  biens  tous  les  hommes  *?  »  Et 
parce  que  les  effets  produits  doivent  être  en  rapport  avec  la  gran- 
deur de  leur  cause,  ce  n'est  pas  seulement  la  délivrance  d'une  ser- 
vitude purement  temporelle,  comme  celle  qui  pesait  sur  le  peuple 
hébreu,  que  nous  devons  espérer  en  vertu   de  l'immolation  du 

\.  Nam  si  figura  a  tanta  servitute  libenivit,  multo  magis  veritas  terrarum 
orbem  vindicabit.  (S.  Chrysost.,  hom.  LXXXII  m  Matth.) 


JÉSUS  EDCHARISTIQUE  SODRCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        587 

divin  Agneau  ;  c'est  la  délivrance  de  la  servitude  du  péché  et  du 
démon,  c'est  la  liberté  des  enfants  de  Dieu  qui  nous  est  donnée, 
c'est  la  véritiible  terre  promise,  le  ciel  que  nous  devons  considérer 
avec  pleine  confiance  comme  terme  de  notre  voyage,  à  travers  la 
mer  rouge  des  tribulations  et  le  désert  de  cette  vie. 

L'union  que  l'adorable  Eucharistie  établit  entre  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  et  nous  n'est  pas  moins  faite  pour  affermir  notre 
espérance. 

Lorsque  nous  voyons  ce  divin  Rédempteur  choisir  au  milieu  de 
nous  une  habitation,  nous  tenir  compagnie,  se  mettre  à  notre 
portée  et  permettre  que  nous  le  traitions  moins  comme  notre  Dieu 
que  comme  un  ami,  comme  un  membre  de  la  famille,  pourrions- 
nous  craindre  qu'il  nous  abandonne,  qu'il  nous  regarde  comme  des 
étrangers  et  nous  laisse  misérablement  nous  perdre,  alors  qu'il  lui 
suffit  de  nous  tendre  la  main  afin  de  nous  sauver?  Lui  qui  a  tant 
fait,  tant  souffert  pour  notre  salut.  Lui  qui  s'est  caché  sous  les 
humbles  apparences  d'un  peu  de  pain  et  d'un  peu  de  vin,  pour 
être  notre  aliment  de  vie,  ne  serait-il  pas  offensé  si  nous  man- 
quions de  confiance  en  Lui  et  si  nous  n'espérions  pas  tout  de  sa 
miséricorde  toute-puissante  ?  Lui  qui  s'unit  à  nous  d'une  manière 
si  intime  par  la  sainte  communion,  pourrait-il  permettre  que  ce 
corps  dans  lequel  il  a  demeuré,  que  cette  àme  dont  il  s'est  fait  la 
vie,  deviennent  éternellement  la  proie  delà  seconde  mort?  Assuré- 
ment il  le  permettra,  si  nous  repoussons  jusqu'à  la  fin  la  grâce  et 
le  salut  qu'il  nous  offre  :  mais  si  nous  acceptons  ses  bienfaits,  si 
nous  recourons  humblement  à  sa  bonté,  ne  sommes-nous  pas  cer- 
tains qu'il  ne  laissera  pas  son  œuvre  inachevée,  et  qu'il  sauvera 
notre  àme  ei  nos  corps  sanctifiés  par  le  contact  et  par  l'union  avec 
son  corps,  son  sang,  son  àme  et  sa  divinité? 

N'est-ce  pas  lorsqu'on  est  auprès  de  l'autel  sur  lequel  s'immole 
le  divin  Agneau,  ou  du  tabernacle  dans  lequel  il  demeure  prison- 
nier pour  nous,  n'est-ce  pas  surtout  lorsqu'on  vient  de  le  recevoir 
par  la  sainte  communion,  que  l'on  peut  dire  en  toute  confiance 
avec  le  saint  roi  David  :  «  Le  Seigneur  me  conduit  et  rien  ne  me 
«  manquera;  c'est  dans  un  lieu  abondant  en  pâturage  qu'il  m'a 
a  établi  ;  il  m'a  élevé  auprès  d'une  eau  fortifiante.  Il  a  fait  revenir 
«  mon  àme  ;  il  m'a  conduit  dans  les  sentiers  de  la  justice  pour  la 
«  gloire  de  son  nom.  Quand  je  marcherais  au  milieu  de  l'ombre 
«  de  la  mort,  je  ne  craindrais  aucun  mal,  parce  que  vous  êtes  avec 


588  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  \II. 

«  moi  :  votre  verge  et  votre  bâton  m'ont  consolé.  Car  vous  avez 
«  préparé  devant  moi  une  table  contre  ceux  qui  me  persécutent; 
«  et  vous  avez  oint  ma  tète  d'une  huile  sacrée.  Que  mon  calice 
«  enivrant  est  admirable  î  Et  votre  miséricorde  me  suivra  tous  les 
«  jours  de  ma  vie,  afin  que  j'habite  pendant  de  longs  jours  dans 
«  la  maison  du  Seigneur  K  »  Que  pourraient  ne  pas  espérer  de  la 
divine  miséricorde  ceux  que  Jésus-Christ  lui-même  daigne  con- 
duire en  demeurant  au  milieu  d'eux,  non  seulement  par  sa  pré- 
sence dans  la  sainte  Église  qu'il  inspire,  mais  par  sa  présence 
personnelle,  en  corps  et  enàme,  dans  la  Sainte  Eucharistie?  Que 
pourraient  ne  pas  espérer  de  Lui  ceux  qu'il  appelle  à  la  table 
eucharistique,  table  terrible  pour  les  démons,  ceux  qu'il  invite  à 
boire  son  sang  divin  dans  le  calice  préparé  par  lui-même  ?Sa  verge 
les  redressera  s'ils  s'écartent  du  droit  chemin  ;  son  bâton  les  sou- 
tiendra s'ils  faiblissent  et  les  aidera  à  se  relever  s'ils  tombent;  il 
leur  donnera  avec  abondance  l'huile  de  ses  consolations;  sa  misé- 
ricorde ne  cessera  pas  un  instant  de  veiller  sur  eux,  jusqu'à  ce 
qu'ils  entrent  enfin  dans  la  maison  de  l'éternité  bienheureuse  que 
Dieu  leur  a  préparée. 

S.  Augustin  avait  donc  bien  raison  de  dire  que  l'Eucharistie 
est  le  sacrement  de  l'Espérance.  Nous  pourrions  ajouter  avec  les 
Pères  que  c'est  un  breuvage  d'immortalité,  que  c'est  le  gage  de 
la  résurrection  seconde,  selon  cette  parole  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  a  la 
«  vie  éternelle  et  je  le  ressusciterai  au  dernier  jour;  »  que  c'est  le 
gage  du  salut  éternel,  un  gage  de  vie  et  de  gloire  :  autant  de 
titres  qui  font  d'elle  le  sacrement  de  l'Espérance;  mais  nous  en 
avons  dit  assez  pour  justifier  ce  titre,  et  il  faut  montrer  aussi 
qu'elle  est  le  sacrement  de  la  charité  par  excellence. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  instituant  la  Sainte  Eucharistie, 
s'est  proposé  de  donner  un  aliment  à  la  vie  surnaturelle  de  notre 
àme,  de  rendre  cette  vie  plus  parfaite,  et  de  la  conserver  en  nous. 
La  vie  surnaturelle  de  notre  àme,  c'est  la  grâce  sanctifiante;  c'est 
elle  que  le  sacrement  de  Notre-Seigneur  fait  croître,  qu'il  perfec- 
tionne et  qu'il  garde  en  nous  comme  le  plus  précieux  des  biens. 
Or,  la  grâce  sanctifiante  et  la  charité  sont  tellement  inséparables 
que  Ion  peut  dire  qu'elles  sont  une  même  chose;  l'Eucharistie  ne 

1.  Dominas  régit  mo  et  nihil  milii  deerit,  etc.  [Ps.  xxii,  per  totum.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        589 

peut  développer,  fortifier  et  conserver  l'une  sans  qu'il  en  soit  de 
même  pour  l'autre.  Nous  avons  dit  que  ce  divin  sacrement  agit 
ainsi,  par  lui-même,  en  ce  qui  concerne  la  foi  et  l'espérance  :  à 
plus  forte  raison  le  fait-il  pour  la  charité,  qui  est  le  but  auquel 
tendent  les  deux  premières  vertus  théologales. 

S.  Thomas  justifie  en  ces  termes  le  nom  de  sacrement  de  la 
charité  donné  à  la  Sainte  Eucharistie  :  «  Le  corps  du  Seigneur 
«  s'appelle  aussi  le  sacrement  de  la  charité,  à  cause  de  trois  effets 
«  qu'il  produit,  ou  si  l'on  veut,  de  trois  biens  qu'il  nous  commu- 
«  nique  principalement.  Il  nous  fait  participer  très  réellement  à 
«  l'Esprit  saint;  il  fait  habiter  véritablement  en  nous  .Jésus-Christ; 
«  il  nous  transforme  en  l'image  et  ressemblance  de  Dieu  ^  »  Mais 
nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  les  développements  qu'il  donne 
à  sa  pensée  :  qu'il  nous  suffise  de  constater  que  la  Sainte  Eucha- 
ristie est  pour  lui  le  sacrement  de  la  charité,  à  cause  des  effets 
qu'il  produit  dans  les  âmes  par  le  fait  même  qu'il  est  reçu. 

Ajoutons  que  l'effet  sacramentel  de  l'Eucharistie  ne  s'arrête  pas 
à  la  charité  envers  Dieu,  mais  qu'elle  produit  aussi  la  charité  en- 
vers les  hommes  et  l'union  avec  eux;  car  l'amour  de  Dieu  ne  se- 
rait pas  complet,  il  ne  serait  pas  véritable  si  l'on  n'aimait  pas 
aussi  les  hommes  à  cause  de  Dieu. 

Non  seulement  la  Sainte  Eucharistie  produit  directement  en 
nous  la  charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain,  comme  son  effet 
propre  et  sacramentel,  mais  elle  la  produit  encore  par  tout  ce 
qu'il  y  a  en  elle  qui  nous  invite  à  cet  amour.  La  Sainte  Eucharistie 
a  été  instituée  sous  la  forme  d'un  aliment  et  cet  aliment  divin, 
lorsque  nous  le  prenons,  nous  fait  aimer  celui  qui  est  son  propre 
amour,  celui  que  l'on  possède  du  moment  qu'on  l'aime,  dit 
S.  Anselme.  Tout  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  pendant  qu'il  a  vécu 
dans  sa  chair  mortelle,  il  l'a  fait  pour  être  aimé  de  nous.  Non 
pas  qu'il  eût  besoin  de  notre  amour,  lui  qui  n'a  pas  besoin  de  nos 
biens,  et  qui  se  suffit  à  lui-même,  mais  parce  que  ceux  qu'il  avait 
entrepris  de  rendre  bienheureux  ne  pouvaient  l'être  qu'en  l'ai- 
mant. Ce  ne  fut  pas  seulement  en  nous  aimant  le  premier,  mais 
en  nous  prévenant  par  mille  marques  d'amour,  qu'il  a  voulu  mé- 

I.  Corpus  Domini  nominatur  sacramentiim  c-harilatis,  el  secuiiduni  hoc 
très  habel  effectus,  quia  tria  maxime  bona  operatur  in  nobis,  scilicet  Spiritus 
sancli  veram  participalionem;  ipsius  Christi  cerlam  inhabitationem,  iii  simili- 
tudinem  imaginis  Dei   trausformationem.  (S.  TiioM.,  opusc.  L\n,  cap.  x.w.) 


o9Ô         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CIIAP.   XII, 

riter  d'être  aimé  de  nous.  Pour  y  arriver,  il  a  guéri  nos  maux, 
ressuscité  nos  morts,  choisi  pour  sa  part  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
méprisable  aux  yeux  du  monde  ;  il  a  confondu  les  puissants,  en- 
seigné le  mépris  des  choses  de  la  terre,  et  l'amour  des  biens  cé- 
lestes. Il  était  en  effet  descendu  vers  nous  pour  ramener  à  lui,  à 
force  de  bienfaits  et  de  mansuétude,  notre  amour  corrompu  et  di- 
visé entre  mille  objets  terrestres.  Il  voulait  transformer  notre  vie 
en  une  vie  nouvelle  et  élever  jusqu'à  lui  nos  cœurs  purifiés  de  tout 
attachement  à  ces  misérables  choses,  dont  l'amour  est  inconciliable 
avec  son  saint  amour  ^ 

Lors  donc  que  nous  recevons  cette  chair  adorable  qui  fut  comme 
l'instrument  dont  l'infinie  bonté  de  Notre-Seigneur  se  servit  pour 
nous  combler  de  tous  les  biens,  cette  chair  par  laquelle  il  a  souf- 
fert et  il  est  mort  pour  l'homme,  nous  donnant  ainsi  la  preuve  la 
plus  grande  qui  soit  possible  de  son  amour  pour  nous,  pourrions- 
nous  ne  pas  être  touchés  et  ne  pas  aimer  à  notre  tour  un  si  généreux 
ami?  Le  pourrions-nous  lorsqu'il  nous  présente  le  calice  enivrant 
de  son  sang  divin,  qu'il  a  versé  en  notre  faveur  dans  un  temps  où  le 
péché,  dont  nous  étions  esclaves,  faisait  de  nous  ses  ennemis?  Et 
en  le  versant  il  a  fait  de  nous  ses  amis,  et  des  enfants  de  Dieu  -. 

En  même  temps  que  la  Sainte  Eucharistie  nous  rappelle  les 
motifs  les  plus  pressants  que  nous  avons  d'aimer  le  Fils  de  Dieu 

1.  ut  ergo  ille  ametur  qui  est  ipse  amor  suus,  et  qui  habetur  ubi  amatur, 
ad  hoc  enutrire  nos  débet  cibus  iste.  Quidquid  enini  Iledemptor  noster  in 
carne  fecit,  ob  hoc  utique  fecit  ut  amaretur  a  nobis  :  non  quod  egeret  ipse 
nostro  amore,  qui  bonorum  nostrorum  non  eget,  per  omnia  sufficiens  ipse 
sibi;  sed  quia  quos  l)eatos  facerc  suscepernl,  nisi  cum  amnndo  non  poterant 
esse  beati.  Neque  vero  solummodo  amore  quo  nos  prior  dilexit,  sed  omnimo- 
dis  amoris  obsequiis,  ut  amaretur  a  nobis  (|uodnmmodo  iaborat  mereri;  in- 
firma nostra  curando,  mortua  resuscitando,  ignobilia  mundi  eligendo,  fortia 
ejus  confundendo,  terrenorum  odium,  cœlestium  amorem  commcndando. 
Idée  quippe  descenderat  ad  nos,  ut  amorem  nostrum  in  terrenis  dispcrsum  et 
putrefactum,  bénéficia  pietatis  exhibendo  in  se  colligeret,  et  in  novitatem 
vitae  reformaret,  et  abstractum  ac  emendatum  a  fsece  earum  rerum  quae  cum 
ipso  pariter  amari  non  possunt,  secum  sursum  levaret.  (S.  Anselm.,  Ub.  de 
Sarramenlo  altnris,  p.  II,  cap.  viii.) 

2.  Nemo  majorem  charitatem  habet,  quamut  animarnsuamponatproamicis 
suis.  Si  non  est  majus  eximiœ  benevolentiœ  Icstimonium,  quam  si  quis  vitam 
imparliat  amico,  gravius  est  Dominici  sanguinis  testimonium  qui  pro  inimicis 
effusus  est.  Efîusus  pro  inimicis,  fecit  amicos  ac  filios  Dei  :  atque  ut  conside- 
remus  banc  fore  perpetuam  amicitiarn,  reliquit  nobis  edendam  carnemsuam, 
reliquit  bihendum  sanguinem,  ut  per  cadem  alteremur,  per  quaî  sumus  rc- 
dempli.  (S.  Cyi'RIan.,  lib.  de  Duplici  martyrio.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        591 

notre  frère  et  notre  rédempteur,  elle  nous  remet  devant  les  yeux  la 
charité  qui  doit  nous  unir  à  nos  frères.  S.  Jean  l'Évangéliste  dit, 
dans  sa  première  Épitre  :  «  De  même  que  le  Christ  a  donné  son 
«  âme  pour  nous,  ainsi  nous  devons  nous-mêmes  donner  nos  âmes 
«  pour  nos  frères  i  ;  »  nous  devons  les  aimer  comme  nous  a  aimés 
celui  qui  a  sacrifié  sa  vie  pour  nous.  C'est  en  ce  sens  que  S.  Au- 
gustin explique  ce  passage  du  livre  des  Proverbes  :  «  Quand  tu 
tt  seras  assis  pour  manger  à  la  table  d'un  puissant,  considère  at- 
«  tentivement  ce  qui  est  servi  devant  toi,  et  porles-y  la  main, 
«  sachant  qu'il  te  faudra  préparer  des  mets  semblables  -,  »  à  ton 
tour,  c  Vous  connaissez  cette  table  du  Puissant,  dit  le  saint  doc- 
«  teur,  c'est  celle  où  sont  servis  le  corps  et  le  sang  du  Christ.  Et 
<r  que  signifient  ces  mots  :  préparer  des  mets  semblables,  sinon 
«  'n:e  de  même  qu'il  a  livré  son  âme  pour  nous,  nous  devons  à 
«  notre  tour  livrer  nos  âmes  pour  nos  frères,  donner  notre  vie  pour 
«  leur  édification  et  pour  affirmer  notre  foi  3.  »  Ailleurs  S.  Augus- 
tin dit  encore  :  «  Quelle  est  cette  table  du  Puissant,  sinon  celle  où 
«  l"on  se  nourrit  du  corps  et  du  sang  de  celui  qui  a  donné  son 
«  âme  pour  nous?  Qu'est-ce  que  s'asseoira  cette  table,  sinon  en 
«  approcher  avec  humilité?  Et  qu'est-ce  que  considérer  et  com- 
«  prendre  ce  que  sont  les  mets  qui  vous  sont  servis,  sinon  avoir 
«  des  pensées  dignes  d'une  si  grande  grâce?  Qu'est-ce  enfin  que 
«  porter  la  main  à  ces  mets  en  sachant  bien  qu'il  faudra  en  prépa- 
«  rer  de  semblables,  sinon,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  reconnaître 
<f  que  nous  devons  donner  nos  âmes  pour  nos  frères,  comme  le 
«  Christ  a  donné  son  âme  pour  nous?  Car  selon  la  parole  de  l'a- 
«  pôtre  S.  Pierre  :  «  Le  Christ  a  souffert  pour  nous,  nous  laissant 
«  son  exemple,  afin  que  nous  suivions  ses  traces.  Voilà  ce  qu'il 
«  faut  entendre  par  ces  mots,  «  préparer  des  mets  semblables  ^.  » 

1.  Ille  animam  suam  pro  nobis  posuit,  et  nos  debemus  pro  fratribus  nostris 
animas  ponere.  (/.  Jonnn.,  m,  Ul.) 

■2.  Si  sederis  cœnare  ad  mensam  potentis,  sapienter  intellige  quœ  apponun- 
tur  tibi  :  et  mitte  manum  tuam,  sciens  quia  talia  te  oportet  prieparare. 
(Prnv.,  xxni.  —  Cité  par  S.  Augustin  d'après  les  Septonte.) 

■i.  Mensa  potentis  quai  sit  nostis  :  ibi  est  corpus  et  sanguis  Christi  :  qui 
accedil  ad  talein  mensam,  prœparet  talia.  Et  quid  est,  pra-paret  talia?  Quo- 
modo  ipse  pro  nobis  animam  suam  posuit,  sic  et  nos  debemus,  ad  œditican- 
dam  plebem  et  asscrendam  fidem,  animas  pro  fratribus  ponere.  (S.  Auoust., 
tract.  XL\'II  in  Joann.,  n.  ^.) 

i.  Nam  qu;e  mensa  est  potentis,  nisi  unde  sumitur  corpus  et  sanguis  ejus, 
qui  animam  suam  posuit  pro  nobis?  Et  quid  est  ad  eam  sedere,  nisi  luimi- 


5Ùi  H  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  11*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAI'.  Xll. 

S.  Jean  Clirysostonie  parle  en  ces  termes  de  l'union  que  crée  la 
Sainte  Eucharistie  entre  tous  ceux  qui  la  reçoivent,  en  les  unis- 
siint  tous  à  Jésus-Christ  :  «  Ce  n'est  pas  assez  de  dire  que  nous 
sommes  tous  unis  par  la  communion  à  un  même  corps  :  il  faut 
ajouter  que  nous  sommes  ce  corps-là  même  auquel  la  commu- 
nion nous  unit.  Qu'est-ce,  en  efl'et,  que  le  pain  de  l'Eucharistie, 
sinon  le  corps  de  Jésus-Christ?  Or,  que  deviennent  ceux  qui  le 
reçoivent,  sinon  le  corps  même  de  Jésus-Christ  qu'ils  ont  reçu, 
non  pour  faire  avec  lui  plusieurs  corps,  mais  un  seul  corps?  Car 
di'  mémo  (pi'un  pain  composé  de  plusieurs  grains  de  blé  est  tel- 
lement uni  en  une  seule  masse,  que  la  distinction  des  grains 
n'y  parait  plus;  de  même  aussi  nous  sommes  étroitement  liés  et 
unis  en  Jésus-Christ  ;  le  corps  dont  l'un  est  nourri  n'est  pas  dif- 
férent de  celui  dont  un  autre  est  nourri,  mais  c'est  le  môme 
corps  »|ui  est  l'aliment  de  tous.  C'est  pour  cela  que  l'Apôtre 
ajoute  que  nous  sommes  tous  participants  du  même  pain.  Si  donc 
nous  tirons  tous  la  vie  d'un  même  corps  duquel  nous  faisons 
aussi  partie,  comment  ne  nous  témoignons-nous  pas  les  uns  aux 
autres  une  même  charité  qui  nous  unisse  ensemble  '?  » 
S.  Jean  Chrysostome  dit  encore  :  «  De  ce  sacrifice  terrible  et 
re<luutuble,  nous  ne  devons  approciier  qu'avec  un  esprit  de  paix 
el  une  ardente  charité;  afin  qu'étant  comme  transformés  en  des 
aigles  nobles  el  généreux,  nous  nous  élevions  jusque  dans  le 
ciel;  puisque,  selon  la  parole  du  Seigneur  :  Les  aigles  s  as- 
semblent où  est  le  corps  mort.  C'est  ainsi  que  Jésus-Christ  ap- 
pelle son  corps,  à  cause  de  la  mort  qu'il  a  soufferte  pour  nous 
faire  vivre.  Car  s'il  ne  fût  pas  mort  nous  ne  serions  pas  ressus- 
«  cités  2.  »  Soyons  donc  des  aigles,  des  âmes  sublimes  qui  ne  re- 
gardent que  le  ciel,  et  un  môme  lien  de  charité  nous  rassemblera 
tous  autour  du  corps  adorable  du  Sauveur.  Nous  serons  unis 
entre  nous,  car  nous  le  serons  avec  lui  et  en  lui. 

IfTfi?  Kl(iuicl  csl  consiflerare  cl  intelligere  quBe  apponuntur  tibi, 
tanlani  gratiain  cogilare?  VA  i\\xu\  est  sic  miltere  manum,  ut  scias 
U'  ojiorlet  pra-parare,  nisi  quod  jam  dixi,  quia  sicut  pro  nobis 
lîiiinam  suain  posuit,  sic  el  nos  debemus  animas  pro  fratribus  po- 
nt eiiiiii  ait  ctiam  aposlolus  VcWwn  :  Chrislus  pro  nobis  passus  est, 
,      '<  nnhiH  cxemplum,  ul  sefju(t7nur  vesligia  ejm.  Hoc  est  talin  pra^parare. 
«>.  Ar(.LsT.,  tract.  LXXXIV  m  Jounn.,  n.  \.) 
I.  î>.  J.CHHYsobT.,  hoin.  XXIV  in  1.  ad  Cor 
%  ID.,  ibid. 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        593 

IL 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE   NOUS    COMMUNIQUE    LES    VERTUS   DE  PRUDENCE, 
DE   JUSTICE,    DE    FORCE    ET    DE   TEMPÉRANCE 

Nous  avons  dit  un  mot  du  concours  précieux  que  cet  adorable 
sacrement  apporte  aux  trois  vertus  théologales,  du  nouvel  éclat, 
de  la  nouvelle  fécondité  qu'il  leur  confère.  Ces  vertus  sont  seules 
absolument  nécessaires  au  salut,  mais  elles  ne  sont  pas  les  seules 
que  nous  ayons  le  devoir  et  le  besoin  de  pratiquer.  Au  premier 
rang  des  vertus  que  le  Dieu  de  l'Eucharistie  veut  trouver  en  nous, 
outre  les  trois  dont  nous  avons  parlé,  il  convient  de  placer  celles 
qu'on  nomme  les  quatre  vertus  cardinales  :  la  Prudence,  la  Jus- 
tice, la  Force  et  la  Tempérance.  Elles  aussi  trouvent  dans  le  Très 
Saint  Sacrement  de  l'autel  leur  plus  puissant  moyen  de  développe- 
ment et  de  conservation. 

La  Sainte  Eucharistie  est  un  pain  de  vie  et  d'intelligence,  un 
aliment  qui  procure  la  lumière.  On  ne  s'étonnera  donc  pas  si  ceux 
qui  la  reçoivent  y  puisent  des  trésors  de  sagesse  et  de  lumière, 
pour  les  éclairer  sur  la  voie  qu'ils  doivent  suivre,  sur  la  conduite 
qu'ils  doivent  adopter  en  tout  ce  qui  concerne  le  véritable  bien. 
Jésus-Christ,  qui  se  donne  à  eux,  n'est-il  pas  la  Sagesse  divine?  Il 
est  écrit  au  livre  des  Proverbes  :  «  La  Sagesse  s'est  bâti  une 
ce  maison,  elle  o  taillé  sept  colonnes.  Elle  a  immolé  ses  victimes, 
<r  mêlé  le  vin  et  dressé  sa  table.  Elle  a  envoyé  ses  servantes  pour 
«  appeler  ses  convives  à  la  forteresse  et  aux  murs  de  la  cité.  Si 
«  quelqu'un  est  tout  petit,  qu'il  vienne  à  moi.  Et  à  des  insensés, 
«  elle  a  dit  :  Venez,  mangez  mon  pain  et  buvez  le  vin  que  je  vous 
«  ai  mêlé.  Quittez  l'enfance,  et  vivez,  et  marchez  par  les  voies  de 
«  la  prudence  ^.  »  La  Sagesse  de  Dieu,  le  Verbe  divin  nous  a  donc 
préparé  une  table  ;  le  pain  et  le  vin  sont  les  aliments  offerts  à  ses 
invités.  Ce  pain  et  ce  vin,  qui  ne  sont  autres  que  l'adorable  Eucha- 
ristie, à  qui  la  Sagesse  les  ofïre-t-elles  ?  qui  presse-t-elle  d'y  venir 
prendre  part?  «  Si  quelqu'un  est  tout  petit,  qu'il  vienne  à  moi.  Et 
«  à  des  insensés,  elle  a  dit  :  Venez,  mangez  mon  pain  et  buvez  le 
tt  vin  que  je  vous  ai  mêlé.  »  Et  pourquoi  sont-ce  les  enfants  et  les 
insensés  qu'elle  appelle  à  manger  son  pain  et  à  boire  le  vin  qu'elle 

1.  Sapientia  aedificavit  sibi  domum,  etc.  [Prov.,  ix,  I-(>.) 

LA     SAINTE    EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  38 


594         U.  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —   CHAP.  XII. 

a  prt'paré?  Parce  que  les  enfants  et  les  insensés  ont  besoin  de 
sagesse  et  de  prudence,  et  qu'ils  en  trouveront  en  prenant  place  à 
ce  festin  mysti(iue  :  «  Quittez  l'enfance  et  vivez,  et  marchez  par 

*  les  voies  de  la  prudence.  »  C'est  de  cette  enfance,  dont  la  Sainte 
Eucharistie  délivre  et  qu'il  faut  quitter,  que  S.  Paul  disait  :  «  Ne 
€  devenez  pas  enfants  par  l'intelligence;  mais  soyez  petits  enfants 
c  en  malice,  et  hommes  faits  par  l'intelligence  K  »  C'est-à-dire  : 
Soyez  sans  malice,  soyez  simples,  innocents  et  droits  comme  le 
sont  les  enfants,  mais  non  pas  ignorants  comme  eux  :  ayez  l'in- 
telligence, la  sagesse,  la  prudence  qui  font  la  perfection  de 
l'homme.  Les  enfants  que  la  divine  Sagesse  appelle  et  qu'elle 
veut  rendre  dignes  de  s'asseoir  à  sa  table  sont  tous  ces  malheu- 
reux qui,  privés  des  lumières  de  la  foi,  vivent  uniquement  de  la 
vie  des  sens,  comme  l'enfant  qui  vient  de  naître,  et  ne  compren- 
nent rien  aux  choses  de  Dieu.  Les  insensés  sont  ceux  qui  ont  connu 
et  repoussé  la  lumière,  les  pécheurs  dont  la  vie  est  devenue  sem- 
blable à  celle  des  animaux  privés  de  raison.  C'est  à  ces  enfants  et 
à  ces  insensés  que  la  divine  Sagesse  adresse  son  invitation.  Qu'ils 
commencent  par  entrer  dans  la  maison  qu'elle  s'est  construite, 
dans  la  sainte  Église,  par  la  foi,  l'espérance  et  la  charité,  et  qu'ils 
prennent  place  à  sa  table.  Leurs  ténèbres  se  dissiperont  :  l'aliment 
divin  qui  leur  sera  servi  leur  donnera  la  prudence  ;  désormais  ils 
ne  seront  plus  de  ceux  qui  ne  savent  ni  réfléchir  sur  le  passé, 
ni  user  comme  il  faut  du  présent,  ni  prévoir  l'avenir.  Ils  com- 
prendront leurs  égarements  d'autrefois  et  ils  les  pleureront;  ils 
sanctifieront  tous  leurs  actes  et  ne  feront  rien  qui  puisse  leur 
attirer  la  colère  de  Dieu;  ils  prendront  de  sages  résolutions,  pour 
assurer  dans  l'avenir  leur  fidélité  au  Seigneur  et  par  conséquent 
leur  salut. 

On  lit  dans  le  livre  de  l'Ecclésiastique  :  «  Celui  qui  craint  Dieu 
«  fera  le  bien,  et  celui  qui  garde  la  justice  possédera  la  sagesse. 
«  Et  elle  viendra  au-devant  de  lui  comme  une  mère  honorée;  et 
«  comme  une  épouse  vierge,  elle  le  recevra.  Elle  le  nourrira  du 

•  p.iin  de  vie  et  d'intelligence,  et  elle  l'abreuvera  de  l'eau  de  la 
«  sagesse  qui  donne  le  salut  2.   .   La   crainte  de   Dieu   pousse 

».  Noiitc  pueri  efflci  sensibus  :  sed  malilia  parvuli  estote,  .sensibus  autem 
I"  'e.  (/.  Cor.,  XIV,  20.) 

"^^  Deum,  faciel  bona  ;  el  qui  continen.s  est  justiliae  apprehendet 
iliam  ;  et  obviabil  illi  quasi  mater  honorificata,  et  quasi  mulier  a  virginitate 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        595 

quiconque  en  est  pénétré  à  faire  le  bien  et  à  pratiquer  la  justice  ; 
or,  «  celui  qui  garde  la  justice  possédera  la  sagesse  »,  dit  le  texte 
sacré.  Et  cette  sagesse  qui  n'est  autre  que  le  Verbe  divin,  la  sagesse 
de  Dieu  même,  semblable  à  une  mère  digne  de  tout  respect  et  à 
une  tendre  épouse,  se  montrera  pour  lui  pleine  des  attentions  les 
plus  délicates.  «  Elle  le  nourrira  du  pain  de  vie  et  d'intelligence, 
«  et  elle  l'abreuvera  de  l'eau  de  la  sagesse  qui  donne  le  salut.  » 
Qui  ne  reconnaîtrait  dans  ce  pain  de  vie  et  d'intelligence,  dans 
cette  eau  de  sagesse  qui  donne  le  salut,  l'adorable  Eucharistie  ?  Le 
Verbe  de  Dieu,  Jésus-Christ,  ne  donne  ce  pain  et  ce  breuvage 
qu'à  ceux  qui  déjà  possèdent  la  vie  et  la  sagesse.  Mais  il  le  leur  donne 
pour  augmenter  encore  cette  vie,  cette  intelligence,  cette  sagesse, 
cette  prudence  nécessaires  au  salut.  Le  Sage  ajoute  :  «  Elle  le 
«  maintiendra  et  il  ne  sera  pas  confondu  ^.  »  Grâce  à  la  prudence, 
à  la  sagesse  communiquée  par  cet  aliment  sacré,  la  persévérance 
dans  le  bien  sera  facile  à  ceux  qui  auront  pris  place  à  la  table  du 
Seigneur. 

Peut-être  s'étonnera-t-on  que  nous  reconnaissions  dans  *  l'eau 
«  de  la  sagesse  qui  donne  le  salut,  »  la  Sainte  Eucharistie  ;  mais 
S.  Jérôme  a  vu  dans  cette  eau  le  symbole  de  l'adorable  sacrement. 
Paschase  Rathbert  affirme  qu'il  n'y  a  point  de  doute  que  dans  le 
mystère  eucharistique,  nous  ne  buvions  cette  eau  dont  le  Seigneur 
a  dit  :  «  Celui  qui  boira  de  l'eau  que  je  lui  donnerai  n'aura  jamais 
«  soif;  mais  l'eau  que  je  lui  donnerai  deviendra  en  lui  une  fontaine 
«  d'eau  jaillissante  jusque  dans  l'éternité  2.  »  S.  Cyrille  interprète 
de  même  ces  paroles  de  Notre-Seigneur  à  la  Samaritaine,  et  en 
général  les  Pères,  lorsqu'ils  citent  un  passage  de  la  Sainte  Écriture 
dans  lequel  il  est  parlé  d'une  eau  mystérieuse,  trouvent  dans  cette 
expression  une  allusion  à  la  Très  Sainte  Eucharistie  3. 

Commentant  ces  paroles  du  Psalmiste  :  a  Lesenfantsdes  hommes 
«  espéreront  à  l'abri  de  vos  ailes.  Ils  seront  enivrés  de  l'abondance 

suscipiet  illum.  Cibabit  illum  pane  vitae  et  intellectus,  et  aqua  sapientiae  salu- 
tarispotabit  illum.  {Eccli.,x\,  1-3.) 

1.  Et  continebit  illum,  et  non  confundetur.  (Eccli.,  xv,  i.) 
"■2.  Nec  dubium  quin  sub  hoc  mysterio,  illam  bibamus  aquam,  de  qua  Do- 
minus  :  Qui  hiberit  (iiiquit)  aqiuun  qunm  ego  daho  ei,  fret  in  eo  fons  aqiœ  sa- 
Hentis  in  vitam  œteniam.  (Pasciias.,  lib.  de  Sacram.,  cap.  xi.) 

3.  Vide  :  S.  Cyrill.  Alex,  in  cap.  xciv  Is.  et  ibid.  in  cap.  xxx.  —  Vide 
etiam  Justin.,  in  une  secumla;  A/Jolog.;  —  Tertull.,  lib.  de  Coron,  mil.,  cap.  xv, 
et  lib.  de  Prxscrip.,  cap.  XL;  etc. 


59C         L\  SAINTE  EICHARISTIE.  —  11"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

«  lie  votre  maison  :  et  vous  les  abreuverez  du  torrent  de  vos  dé- 
t  lices,  parce  qu'en  vous  est  une  source  de  vie  et  que,  dans  votre 
.  lumière,  nous  verrons  la  lumière.  »  S.  Augustin  dit  que  la  source 
lie  vie  est  Jésus-Christ,  qui  est  venu  à  nous  dans  la  chair  pour  ra- 
fraîchir nos  gosiers  altérés.  Comme  il  a  désaltéré  ceux  qui  avaient 
soif,  il  rassasiera  ceux  qui  auront  faim.  En  lui  est  la  source  dévie 
et  dans  sa  lumière  nous  verrons  la  lumière.  Sur  la  terre,  la  source 
et  la  lumière  ne  sont  pas  la  même  chose,  mais  en  Jésus-Christ 
il  n'en  est  pas  ainsi.  Il  est  la  source,  il  est  la  lumière,  il  est  autre 
chose  encore  si  vous  voulez  lui  donner  un  autre  nom,  parce  qu'au- 
cun des  noms  dont  vous  pouvez  l'appeler  ne  dit  complètement  ce 
qu'il  est.  Prétendez-vous  qu'il  est  seulement  lumière?  On  vous 
objectera  :  C'est  donc  sans  motif  qu'il  m'a  été  dit  d'avoir  faim  et 
soif'.' Car  est- il  quelqu'un  qui  mange  de  la  lumière?...  Mais  il  est 
fontaine  parce  qu'il  désaltère  ceux  qui  ont  soif,  et  il  est  lumière 
parce  qu'il  illumine  les  aveugles.  Les  sources  peuvent  jaillir  au 
milieu  des  ténèbres,  et  le  soleil  darder  ses  rayons  brûlants  sur  un 
sol  tiesséché.  Mais  en  Jésus-Christ,  l'eau  ne  peut  pas  être  séparée 
de  la  lumière;  la  source  ne  jaillit  pas  dans  les  ténèbres  parce 
qu'elle  est  lumière  '. 

Allons  donc  puiser  à  cette  divine  fontaine;  approchons-nous 
souventde  la  saintecommunion  et  recevons-la,  avec  un  désir  ardent 
d'apaiser  notre  faim  et  notre  soif,  mais  en  même  temps  d'y  trouver 
la  lumière  et,  avec  elle,  la  sagesse,  la  prudence  qui  doit  nous  con- 
duire. Les  disciples  d'Emmaiis  ne  furent-ils  pas  soudainement 
éclairés,  lorsque  le  divin  Maître  leur  rompit  le  pain?  Prenons 
place,  nous  aussi,  au«festin  que  le  Seigneur  nous  a   préparé,  et 

i.  gui»  estfonsvilae  nisi  Christus?  Veiiil  ad  te  in  carne,  utirrigaret  fauces 
tuas  sitienles.  Satiabit  sporaritem,  qui  irrif,'avit  sitientem.  Quoniam  apud  te 
e«t  fons  vitae,  et  in  iuniine  luo  vidcbimus  lumen.  Hic  aliud  est  fons,  aliud 
lumen  :  ibi  non  ita.  Quod  eniin  est  fons,  hoc  est  et  lumen,  et  quidquid  vis 
illud  vocas,  quia  non  est  quod  vocas.  Quia  non  potes  congruum  nomen  inve- 
nire,  non  remanel  in  uno  nomine.  Si  diceres  quia  lumen  est  solum,  diceretur 
tibi  :  Sine  causa  ergo  niilii  diclum  est,  ut  esuriam  et  sitiam.  Quis  enim  est 
qui  inanducal  lumen?  Illud  plane  recte  mihi  dictum  est  :  Reatimundicordes, 
tpionuim  ijmi  Deum  vidchunf.  Si  lumen  est,  oculos  meos  parem.  Para  et  fauces  : 
quia  illud  quod  lumen  est,  et  fons  est  :  fons  quia  satiat  silientes;  lumen  quia 
iliunim.-it  cH-cos.  Hic  aliquando  alibi  lumen,  alibi  fons.  Aliquando  enim  cur- 
runt  fniiif.s  et  in  tenebris  :  et  aliquando  in  eremo  pateris  solem,  non  invenis 
fonlein  :  hic  ergo  jmsunt  isla  duo  esse  separata  :  ibi  non  fatigaberis,  quia 
Ions  est;  non  tenebraberis,  quia  lumen  est.  (S.  August.  in  Ps.  xxxv  ) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        597 

nous  comprendrons  par  notre  propre  expérience  que  l'on  y  trouve 
la  véritable  prudence,  celle  qui  fait  rechercher  les  vrais  biens  et 
éviter  les  vrais  maux. 

La  Sainte  Eucharistie,  lumière  de  nos  âmes,  pain  et  vin  qui 
nourrissent  en  nous  et  développent  la  vertu  de  prudence,  est  en 
même  temps  un  sacrifice  et  un  aliment  de  justice. 

La  justice  est  une  vertu  qui  a  pour  objet,  d'une  manière  géné- 
rale, de  veiller  aux  intérêts  des  autres,  sans  exclure  toutefois 
quelque  soin  de  ses  intérêts  propres  :  car  l'homme  doit  être  juste 
envers  lui-même  et  se  rendre  ce  qu'il  doit  à  sa  propre  personne. 
Nous  avons  donc  à  pratiquer  la  vertu  de  justice  envers  Dieu  d'a- 
bord, envers  le  prochain  ensuite,  et  enfm  envers  nous-mêmes.  La 
Sainte  Eucharistie,  sacrifice  et  sacrement  de  justice,  nous  ensei- 
gnera la  pratique  de  cette  vertu  et  nous  donnera  les  forces  qui 
nous  sont  nécessaires  pour  y  progresser  chaque  jour. 

Ce  que  nous  devons  avant  tout  à  Dieu,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit, 
à  l'adorable  et  indivisible  Trinité,  comme  à  la  source  première  de 
tous  les  biens,  c'est  le  culte  et  l'honneur  suprême.  L'expression 
par  excellence  de  ce  culte  est  le  sacrifice;  or,  le  sacrifice  qui  seul 
mérite  d'être  offert  à  Dieu  est  le  sacrifice  de  l'Eucharistie.  C'est 
par  l'oblation  de  l'Eucharistie  que  Dieu  se  reconnaît  dignement 
adoré  ;  s'il  reçoit  avec  faveur  tout  ce  que  nous  pouvons  faire  et 
même  souffrir  pour  sa  gloire,  il  daigne  l'accepter  uniquement  en 
union  avec  le  sacrifice  eucharistique  et  à  cause  de  lui.  Lorsque 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  à  la  Samaritaine  :  «  Femme, 
«  croyez-moi,  vient  une  heure  où  vous  n'adorerez  le  Père  ni  sur 
<t  cette  montagne  ni  à  Jérusalem  ;  mais  l'heure  vient  où  les  v^ais 
«  adorateurs  adoreront  le  Père  en  esprit  et  en  vérité  ^  ;  i>  de  quelle 
adoration  parlait-il,  sinon  de  celle  qui  s'exprime  par  l'offrande  du 
sacrifice?  En  effet,  jamais  il  ne  fut  interdit  d'adorer  Dieu  en  quel- 
que endroit  que  ce  fut,  par  la  célébration  de  ses  louanges  ou  par 
d'autres  prières;  mais  il  n'était  permis  aux  Juifs  de  lui  offrir  l'ado- 
ration suprême,  en  aucun  lieu  autre  que  Jérusalem.  Aujourd'hui, 
cette  adoration  suprême  est  rendue  en  tout  lieu  au  Seigneur,  selon 
la  prophétie  de  Malachie  :  «  Depuis  le  lever  du  soleil  jusqu'à  son 
«  coucher,  grand  est  mon  nom  parmi  les  nations  :  et  en  tout  lieu 

\.  Millier,  crede  milii,  quia  venit  hora  quando  neque  in  monte  hoc  neque 
in  Jerosolyma  adorabitis  Patrem....  Sed  venit  hora  quando  veri  adoratores 
adorabunt  Patrem  in  spiritu  et  veritate.  (Joann.,  iv,  21,  23.) 


598         UK  SAINTE  EUCyARlSTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

«  l'on  sacrifie,  et  une  oblation  pure  est  offerte  à  mon  nom  *.  »  Cette 
oblation  pure,  ofl'erte  partout  au  nom  du  Seigneur,  ce  sacrifice  que 
I>ieu  demant-le  et  qu'il  accepte  en  odeur  de  suavité,  c'est  la  Très 
Sainte  Eucharistie. 

Lo  sacrifice  que  nous  offrons  à  Dieu  sur  nos  autels  est  un  sacri- 
fice de  justice.  Il  mérite  ce  nom  parce  qu'il  est  la  continuation, 
sous  une  forme  non  sanglante,  du  sacrifice  offert  une  fois  sur  la 
croix,  pour  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  ;  ou  plutôt  il  n'est  avec 
lui  qu'un  seul  et  unique  sacrifice.  Mais,  en  même  temps,  n'est-il 
pas  souverainement  juste  que  la  créature  rende  à  Dieu  le  culte 
suprt^me  qui  n'atteint  à  sa  perfection  que  par  l'oblation  du  sacrifice 
de  nos  autels?  C'est  en  ce  sens  que  Rupert  entend  ces  autres  paroles 
du  prophète  Malachie  :  «  Ils  offriront  au  Seigneur  des  sacrifices 
dans  la  justice  -.  »  Malachie  donne  aux  prêtres  qui  offriront  ces  sa- 
crifices le  nom  de  fils  de  Lévi  ;  mais  il  est  évident  que,  sous  ce 
nom,  il  désigne  les  prêtres  du  Nouveau  Testament,  car  il  a  dit 
d'abord  que  les  prêtres  dont  il  parle  offriront  à  Dieu  cette  oblation 
pure  (|ue  le  concile  de  Trente,  à  la  suite  de  tous  les  Pères,  a  dé- 
clarée n'être  autre  que  le  sacrifice  eucharistique. 

En  offrant  à  Dieu  ce  divin  sacrifice,  ce  n'est  pas  leur  propre  jus- 
tice qu'offrent  les  prêtres  du  Nouveau  Testament,  mais  celle  de 
Notre-.Seigneur  Jésus-Clirist,  qui  est  la  justice  môme.  C'est  lui  qui 
est  notre  justice,  parce  qu'il  est  la  victime  dont  l'immolation  a 
seule  satisfait  pleinement  à  la  justice  de  Dieu.  Et  parce  qu'il  est 
notre  justice  et  qu'il  est  présent  dans  l'Eucharistie,  c'est  bien  un  sa- 
crifice de  justice  que  nous  offrons  à  Dieu  dans  cet  adorable  mystère. 
Nous  offrons  à  Dieu  plus  que  sa  justice  ne  pouvait  exiger  de  nous; 
nous  lui  rendons  en  même  temps  un  culte  infiniment  plus  parfait 
et  plus  digne  de  lui,  que  ne  pourraient  le  faire  tous  les  esprits 
célestes  et  toutes  les  créatures  unissant  leurs  efforts. 

Ouels  ne  doivent  donc  pas  être  nos  sentiments,  lorsque  nous 
offrons  ce  sacrifice  terrible  et  redoutable,  comme  l'appelle  S.  Jean 
Chrysostonie,  ou  que  nous  y  assistons?  Écoutons  ce  qu'en  dit  cet 
illustre  Docteur  : 

«  Lorsqu'on  vous  présente  le  corps  de  Jésus-Christ,  dites-vous  à 

!    '  '^^n^que  ad  occasuin, magnum  est  nomenmeumingentibus, 

"'"'  .  'atur.etofîerturnominimeooblatiomunda.  (i»/«/acA.,i,H.) 

±  Sarnficia  in  jiutitia,  non  in  sua,  sed  in  Dei  justitia,  in  corpore  et  san- 
joime  Jfsu  Clirisfi,  qui  e.st  ipsorum  justitia.  (Rupert.  in  cap.  m  Malach.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQDE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        599 

«  vous-mêmes  :  C'est  ce  corps  qui  a  fait  que  je  ne  suis  pas  terre  et 
«  poussière,  que  je  ne  suis  plus  captif,  mais  libre.  C'est  ce  corps 
«  qui  me  donne  l'espérance  d'entrer  un  jour  dans  le  ciel,  de  jouir 
«  de  tous  les  biens  qui  s'y  trouvent,  d'obtenir  la  vie  éternelle, 
«  d'être  élevé  à  l'état  des  anges  et  d'être  admis  à  la  compagnie  de 
«  Jésus-Christ.  La  mort  n'a  pu  détruire  ce  corps  par  les  clous  dont 
«  il  a  été  percé,  ni  par  les  coups  dont  il  a  été  meurtri.  Le  soleil, 
«  voyant  ce  corps  attaché  a  une  croix,  en  a  détourné  ses  rayons  et 
«  s'est  obscurci  ;  ce  corps,  en  mourant,  a  fait  déchirer  le  voile  du 
a  temple,  fendre  les  pierres  et  trembler  la  terre.  C'est  ce  corps 
«  tout  ensanglanté,  qui,  ayant  été  ouvert  du  fer  d'une  lance,  en  a 
«  fait  rejaillir  deux  vives  sources,  l'une  de  sang  et  l'autre  d'eau, 
«'  qui  ont  répandu  le  salut  par  tout  l'univers.  Autrefois  les  Mages 
«  ont  témoigné  de  la  révérence  pour  ce  corps,  lors  même  qu'il 
«  n'était  que  couché  sur  une  crèche  et  dans  une  étable  :  ce  n'est 
«  plus  sur  une  crèche  que  nous  le  voyons,  mais  sur  un  autel  ;  ce 
«  n'est  plus  entre  les  bras  d'une  femme,  c'est  entre  les  mains  du 
«  prêtre  et  sous  les  ailes  du  Saint-Esprit  qui  descend  sur  les  obla- 
<i  tions  sacrées,  avec  une  grande  abondance  de  grâces.  Or,  nous 
«  ne  voyons  pas  seulement  ce  même  corps  que  virent  les  Mages, 
«  nous  en  connaissons  la  vertu.  Témoignons  donc,  s'il  est  possi- 
«t  ble,  beaucoup  plus  de  vénération  pour  ce  corps  que  ces  rois 
«  barbares  n'en  firent  paraître,  de  peur  qu'en  nous  approchant 
€  d'une  manière  indigne,  nous  n'amassions  sur  nos  têtes  des  char- 
«r  bons  ardents  K  » 

Ajoutons  encore  que  ce  divin  sacrifice  est  un  sacrifice  de  justice 
vis-à-vis  de  Dieu,  parce  qu'il  nous  aide,  par  sa  vertu  propre,  à 
nous  libérer  des  dettes  dont,  même  après  le  pardon  des  fautes 
graves,  nous  lui  sommes  redevables,  soit  parce  que  nous  n'avons 
pas  fait  une  pénitence  suffisante  des  péchés  pardonnes,  soit  parce 
que  nous  avons  commis  des  fautes  qui,  pour  n'être  pas  bien  graves, 
nous  rendent  néanmoins  passibles  d'un  châtiment,  et  que  nous 
n'en  avons  pas  encore  obtenu  la  rémission  entière.  L'oblation  du 
saint  sacrifice  est  une  satisfaction  que  Dieu  accepte,  dans  la  me- 
sure qu'il  lui  plait,  et  parce  que  nous  sommes  tenus,  en  rigueur 
de  justice,  à  satisfaire  pour  nos  fautes,  ce  sacrifice  qui  satisfait  pour 
nous  est  encore,  à  ce  titre,  un  sacrifice  de  justice. 

\.  S.  J.  Chrysost.,  hom.  XXIV  in  /.  ad  Cor. 


600         U  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II«  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

La  Sainte  Eucliaristie  est  aussi  un  mystère  de  justice  envers  le 
prochain,  parce  qu'elle  porte  cette  vertu  à  sa  plus  haute  perfection. 

Nous  avons  vu  que  la  charité  fraternelle  trouve  son  aliment  et 
son  ressort  leplusprécieux  et  le  plus  efficace  dans  la  Sainte  Eucharis- 
tie. C'est  par  elle  que  nous  devenons  tous  ensemble  un  seul  corps  en 
Jésus-Christ;  c'est  elle  qui  nous  enseigne  à  sacrifier  notre  vie  pour 
le  prochain  à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  et  qui  nous  donne  la  force 
de  le  faire  si  l'occasion  le  demande.  Si  donc  la  Sainte  Eucharistie 
allume  dans  nos  âmes  un  tel  feu  de  charité  que  nous  soyons  prêts 
à  livrer  raéme  notre  vie  pour  le  prochain,  à  plus  forte  raison  n'hé- 
siterons-nous pas,  nourris  et  fortifiés  par  elle,  à  rendre  largement 
et  libéralement  aux  autres  tout  ce  qui  leur  est  dû. 

Qu'on  nous  permette  de  citer  encore  une  page  de  S.  Jean  Chry- 
soslome.  11  se  plaint  de  quelques  divisions  qui  existaient  entre  les 
chrétiens;  et  pour  les  engagera  plus  de  charité  et  d'union,  il  leur 
dit  :  *  Respectez,  mes  Irères,  respectez  cette  sainte  Table,  dont 
«  nous  sommes  tous  participants,  et  cet  Agneau  égorgé,  dont  on 

•  nous  sert  ici  la  chair,  après  qu'elle  a  été  offerte  en  sacrifice.  Les 
«  voleurs  mêmes  qui  mangent  ensemble  cessent  d'être  voleurs, 
t  les  uns  à  l'égard  des  autres,  dès  qu'ils  ont  pris  place  à  la  même 
«  table.  Cette  union  les  transforme  en  quelque  sorte  ;  de  cruels 
«  qu'ils  étaient  auparavant,  comme  des  tigres,  ils  deviennent  doux 
«  comme  des  agneaux.  Et  nous  qui  mangeons  un  pain  et  une 
0  chair  aussi  respectables,  et  à  la  même  table,  nous  ne  laissons 
«  pas  de  nous  armer  les  uns  contre  les  autres,  lorsque  tous  en- 
«  semble,  nous  devrions  nous  armer  contre  le  démon,  notre 
«  ennemi  commun.  C'est  là  ce  qui  nous  rend  tous  les  jours  si 
«  faibles  et  ce  qui  rend  le  démon  si  fort.  —  Mais  quel  moyen, 

•  direz-vous,  d'étouffer  pour  jamais  cette  guerre  contre  nos  frères? 
«  Ce  sera  en  vous  souvenant  que  lorsque  vous  leur  dites  quelque 
«  chose  d'olTensant,  c'est  un  membre  de  Jésus-Christ  même  que 
«  vous  déshonorez,  que  c'est  votre  propre  chair  que  vous  déchirez. 
«  —  .Mais  il  m'a  offensé,  dites-vous?  Gémissez  pour  lui.  —  Il 
«  ma  fait  grand  tort?  Pleurez-le,  non  pour  le  tort  qu'il  vous  a  fait, 
«  mais  pour  le  tort  qu'il  s'est  fait  à  lui-même.  Jésus-Christ  a 
«  pleuré  Judas,  non  parce  qu'il  le  vendait,  mais  parce  qu'il  se 
«  perdait.  Votre  frère  vous  a  outragé?  priez  donc  Dieu  prompte- 
«  ment  qu'il  le  lui  pardonne.  C'est  un  de  vos  membres;  il  a  reçu 

•  la  naissance  avec  vous,  et  dans  le  sein  de  la  même  mère.  » 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        601 

Nous  n'ajouterons  rien  aux  paroles  ardentes  et  lumineuses  de 
S.  Jean  Ghrysostome.  Elles  nous  font  voir  assez  comment  la  Sainte 
Eucharistie  nous  enseigne  et  nous  donne  la  vertu  de  justice  envers 
nos  frères. 

Justes  envers  Dieu  et  envers  le  prochain,  nous  avons  un  égal 
besoin  de  l'être  envers  nous-mêmes.  Or  nous  serions  injustes  si 
nous  ne  reconnaissions  pas  notre  propre  dignité,  si  nous  ne  faisions 
pas  ce  qu'il  faut  pour  procurer  à  notre  âme  et  à  notre  corps  lui- 
même  l'éternelle  félicité  pour  laquelle  l'une  et  l'autre  ont  été 
<îréés,  et  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  leur  a  méritée  au  prix 
de  tant  de  sacrifices. 

Où  donc  pouvons-nous  mieux  apprendre  qu'en  présence  de  l'a- 
dorable Sacrement  de  nos  autels  le  respect  que  nous  nous  devons  . 
à  nous-mêmes?  Oserions-nous  mépriser  une  créature  que  le  Fils 
même  de  Dieu  ne  dédaigne  pas  de  visiter,  pour  laquelle  il  s'im- 
mole, à  laquelle  il  se  donne  lui-même  en  nourriture?  Il  est  vrai 
que  le  souvenir  de  nos  fautes  et  de  nos  misères  doit  nous  inspirer 
une  profoïide  et  salutaire  humilité  ;  mais  il  est  vrai  qu'en  même 
temps,  nous  devons  nous  dire  avec  S.  Augustin  :  «  Reconnais, 
«  chrétien,  ta  dignité.  »  Est-il  permis  de  mépriser  celui  que  Dieu 
honore?  Méprisons  et  pleurons  nos  péchés  qui  ont  sali  et  défiguré 
notre  âme,  mais  ne  méprisons  ni  cette  âme  à  laquelle  Dieu  daigne 
s'unir  pour  lui  rendre  toute  sa  beauté  ;  ni  même  ce  corps,  compa- 
gnon fidèle  de  notre  âme,  destiné  à  partager  son  sort  pendant 
cette  vie  et  pendant  l'éternité. 

La  justice,  outre  le  respect  pour  nous-mêmes,  réclame  que  nous 
n'attirions  pas  sur  nous  les  maux  innombrables  qui,  dans  ce 
monde  et  dans  l'autre,  sont  la  conséquence  inévitable  du  péché.  II 
n'est  pas  plus  conforme  à  la  justice  de  perdre  notre  corps  et  notre 
àme,  qu'il  ne  le  serait  de  perdre  le  corps  et  l'àme  du  prochain  : 
■ce  que  nous  devons  aux  autres  sous  le  rapport  du  salut,  à  plus 
forte  raison  nous  le  devons-nous  à  nous-mêmes.  Or,  c'est  dans  la 
Sainte  Eucharistie  que  nous  trouvons,  avec  une  abondance  iné- 
puisable, les  secours  dont  nous  avons  besoin  pour  éviter  les  maux 
spirituels  dont  nous  sommes  sans  cesse  menacés,  et  pour  les  guérir 
s'ils  nous  ont  atteints.  C'est  elle  aussi  qui  nous  délivre  des  maux 
corporels,  non  pas  toujours  en  les  faisant  disparaître,  mais  en 
nous  aidant  à  les  transformer  en  biens.  Grâce  à  la  Sainte  Eucha- 
ristie, nous  pouvons  donc  remplir  dans  toute  leur  plénitude  nos 


602        L.\  SAINTE  ErCHARISTIE    —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

devoirs  de  justice  envers  Dieu,  envers  le  prochain  et  envers  nous- 

nit^nies. 

La  troisième  des  vertus  cardinales,  nécessaires  à  tout  chrétien 
nui  veut  servir  Dieu  fidèlement  ici-bas,  est  la  vertu  de  Force. 
C'est  encore  la  Sainte  Eucharistie  qui  est  par  excellence  l'aliment 
de  cette  vertu.  On  l'appelle  «  le  pain  des  jeunes  hommes,  »  partis 
juvenum:  t  le  pain  qui  affermit  le  cœur,  »  panis  cor  confinna7is r 

*  Ta  liment  des  grands  et  des  robustes,  »  cibus  grandium,  ac  ro- 
fntsforuni. 

La  force  nous  est  nécessaire  pour  accomplir  vaillamment  nos 
devoirs,  pour  résister  à  nos  ennemis  et  les  vaincre,  pour  suppor- 
ter généreusement  toutes  les  épreuves  de  cette  vie  et,  s'il  le  faut, 
verser  même  notre  sang,  à  l'exemple  des  martyrs. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  avertit  ses  apôtres  qu'ils  rendraient 
témoignage  de  lui.  Ils  ont  rendu  ce  témoignage  par  l'effusion  de 
leur  sang,  mais  ils  l'ont  rendu  d'abord  par  la  sainteté  de  leur 
vie  :  €  Vous  êtes  la  lumière  du  monde,  »  leur  dit  le  divin  Maître; 
«  Que  votre  lumière  reluise  donc  de  telle  sorte  aux  yeux  des 
«  hommes,  qu'en  voyant  vos  bonnes  œuvres,  ils  glorifient  votre 
«  Père  ^ui  est  dans  les  cieux  i.  »  Pratiquer  les  bonnes  œuvres, 
faire  le  bien  et  éviter  le  mal,  donner  un  salutaire  exemple  qui  ra- 
nièiie  à  Dieu  les  cœurs  éloignés  de  lui,  voilà  donc  le  devoir,  non 
^seuIement  des  apôtres,  mais  de  quiconque  veut  se  montrer  digne 
du  titre  de  chrétien. 

•S.  Jean  Ghrysostome  disait  à  ses  auditeurs,  en  expliquant  ces 
paroles  du  divin  Maître  :  «  Que  votre  lumière  luise,  c'est-à-dire, 
«  qu'il  y  ait  en  vous  une  grande  vertu,  que  le  feu  de  la  charité 

*  brille  dans  vos  cœurs,  et  que  sa  lumière  éclate  au  dehors.  Car, 
«  lors<iue  la  vertu  est  dans  cette  haute  perfection,  il  est  impossible 
«  qu'elle  demeure  inconnue,  quelque  effort  que  puisse  faire  celui 
«'  qui  la  possède,  pour  la  cacher.  Rendez  donc  toute  votre  vie 

*  irrépréhensible  aux  yeux  des  hommes,  et  qu'ils  ne  trouvent  en 
«  vous  aucun  prétexte   de  vous  accuser  2.  »  Ainsi  ont  fait  les 

'    'rcs,  ainsi  font  toutes  ces  saintes  âmes  qui,  depuis  dix-neuf 
•    ^'-8,  illuiiiin^'iit  l'Église  de  Dieu  par  l'éclat  de  leurs  vertus. 

\.  Nos  f-,tis  lux  rnundi....  Sic  Iuce;il  lux  veslra  coram  hominibus,  ut  videant 
ïrVfT^''^'*  ^'**"'^'  ^"'fc''^"^*^^"^  Patrern  vestrurn,  qui  in  cœlis  est.  {Matth.,  v, 
2.  S.  J.  CfiRvsosT.,  hom.  XV  in  Matth. 


JÉSUS  EDCHARISTIQDE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS   CHRÉTIENNES.         603 

Mener  une  telle  vie  n'est  pas  possible  à  l'homme  sans  un  secours 
surnaturel,  et  parce  que  tous  y  sont  appelés,  il  faut  que  ce  secours 
soit  à  la  portée  de  tous  et  que  chacun  sache  bien  où  il  peut  le 
trouver. 

On  lit  au  IIP  livre  des  Rois,  que  le  prophète  Élie,  épuisé  de 
fatigue  et  de  faim  s'endormit,  à  l'ombre  d'un  genévrier,  dans  le 
désert,  en  attendant  la  mort  :  «  Et  voilà  qu'un  ange  du  Seigneur 
«  le  toucha,  et  lui  dit  :  Lève-toi,  et  mange.  Il  regarda,  et  voilà  au- 
«  près  de  sa  tête  un  pain  cuit  sous  la  cendre  et  un  vase  d'eau;  il 
«  mangea  donc  et  but,  et  de  nouveau  il  s'endormit.  Et  l'ange  du 
«  Seigneur  revint  une  seconde  fois,  le  toucha,  et  lui  dit  :  Lève-toi 
«  et  mange,  car  il  te  reste  un  grand  chemin.  Et  lorsqu'il  se  fut 
«  levé,  il  mangea  et  but;  et  il  marcha  fortifié  par  cette  nourriture, 
«  quarante  jours  et  quarante  nuits,  jusqu'à  Horeb,  la  montagne 
«  de  Dieu  K  »  Nous  aussi  nous  avons  un  grand  voyagea  accomplir. 
Le  chemin  de  la  vie  qui  doit  nous  conduire  à  la  montagne  du  Sei- 
gneur est  rude  à  parcourir  ;  comme  le  prophète,  nous  sentirions 
bientôt  nos  forces  défaillir  dans  ce  désert  aride,  mais  comme  lui, 
nous  avons,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  un  pain  tout  préparé,  le 
pain  des  anges  qui  nous  donne  la  force  de  marcher  sans  nous  las- 
ser jamais,  et  d'arriver  au  ciel,  pourvu  que  nous  le  prenions  toutes 
les  fois  que  nous  craignons  quelque  défaillance,  c'est-à-dire  le  plus 
souvent  possible,  car  nous  sommes  toujours  exposés  à  tomber. 

S'il  n'y  avait  à  surmonter  que  les  fatigues  du  chemin,  ce  serait 
déjà  trop  pour  notre  faiblesse,  comme  c'était  trop  pour  le  pro- 
phète Élie,  avant  qu'il  eût  mangé  le  pain  mystérieux,  et  comme 
lui  nous  aurions  besoin  d'un  secours  extraordinaire;  mais  de  plus, 
à  chaque  pas  nous  avons  des  luttes  à  soutenir.  Nos  ennemis  nous 
entourent;  acharnés  à  notre  perte,  ils  ne  nous  laissent  pas  un 
moment  de  sécurité  ;  et  les  plus  redoutables  ne  sont  pas  ceux  du 
dehors,  mais  ceux  que  nous  portons  en  nous-mêmes,  nos  inclina- 
tions mauvaises,  notre  faiblesse,  nos  passions.  «  Qui  pourrait  ré- 
sister aux  attaques  incessantes  des  esprits  immondes,  demande 
S.  Laurent  Justinien  ',  et  remporter  définitivement  la  victoire  sur 
de  pareils  ennemis,  sans  un  secours  venu  du  ciel,  sans  l'aliment 
que  le  Verbe  de  Dieu  nous  a  préparé?  Que  personne  ne  s'attribue 

1.  Lib.  ///.  Heg.,  cap.  .\l.\. 

2.  S.  Laurent.  Justin.,  lib.  de  Disciplina  et  per/ectione  monasticx  conversa- 
tionis,  cap.  xix. 


604         L.\  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

la  victoire;  que  personne  ne  présume  de  ses  propres  forces,  mais 
que  chacun,  pour  les  bonnes  œuvres  qu'il  a  faites,  rende  grâces  à 
Dieu  et  qu'il  revendique  pour  le  Seigneur  des  armées  tout  l'hon- 
neur du  triomphe  remporté  sur  ses  ennemis.  Car  c'est  lui  qui 
arrache  ses  élus  des  mains  de  ceux  qui  les  persécutent;  c'est  lui 
qui  mène  paître  ses  brebis  sur  les  hautes  montagnes  et  dans  les 
gras  pâturages;  c'est  lui  dont  la  miséricorde  les  protège  contre 
les  incursions  des  animaux  carnassiers.  Il  choisit  ses  soldats;  il 
leur  donne  la  force  de  résister  aux  puissances  de  l'air,  et  de  com- 
battre avec  persévérance.  Et  lorsqu'ils  reviennent  auprès  de  lui, 
après  le  combat,  il  les  soigne  tendrement  et  leur  donne  pour  nour- 
riture son  Sacrement  divin.  Oh  !  qu'ils  sont  salutaires  les  aliments 
que  Dieu  nous  donne!  Qu'ils  sont  invincibles  les  remparts  qu'il 
élève  autour  de  nous!  Quelqu'un  a-t-il  senti  couler  dans  ses  veines 
le  venin  du  démon?  quelqu'un  a-t-il  été  blessé  par  le  péché?  qu'il 
recoure  en  toute  hâte  à  la  confession  qui  guérira  ses  blessures. 
Quelqu'un  est-il  atteint  d'une  langueur  mortelle,  ou  fatigué  par 
le  combat,  et  désire-t-il  réparer  ses  forces?  Qu'il  reçoive  digne- 
ment les  mystères  sacrés  du  Corps  de  Jésus-Christ  :  sur-le-champ. 
il  recouvrera  la  santé,  et  avec  elle  toute  sa  vigueur  première.  » 

Mais  outre  la  force  pour  combattre  et  nous  défendre  contre  nos 
ennemis,  nous  avons  encore  besoin  de  force  et  de  courage  pour 
supporter  les  épreuves  et  les  souffrances  de  toutes  sortes  aux- 
quelles nous  sommes  exposés  ici-bas.  S.  Gyprien,  en  traitant  de 
rOraison  dominicale  et  particulièrement  de  la  demande  que  nous 
faisons  à  Dieu  pour  qu'il  nous  donne  notre  pain  de  chaque  jour, 
témoigne  la  crainte  qu'il  éprouve  pour  le  salut  de  ceux  qui  né- 
gligent pendant  un  temps  notable  de  s'approcher  de  la  Très  Sainte 
Eucharistie;  car,  dit-il,  le  démon  ne  se  donne  pas  de  relâche,  et 
il  ne  cesse  pas  de  lancer  contre  les  fidèles  ses  traits  enflammés. 
Ailleurs  il  affirme  que  le  courage  surhumain  des  martyrs,  au  mi- 
lieu des  tourments  les  plus  cruels,  procède  de  l'Eucharistie;  aussi 
était-il  d'avis  qu'on  reçût  à  la  communion  ceux  qui  étaient  tombés 
une  première  fois,  afin  de  leur  donner  la  force  de  triompher  s'ils 
étaient  de  nouveau  livrés  aux  bourreaux,  dans  la  persécution  pro- 
chaine que  l'on  attendait.  «  Que  l'armée  du  Seigneur,  écrivait-il, 
«  soit  toute  prête  pour  le  combat.  On  a  raison  d'imposer  une  longue 
«  pénitence  à  ceux  qui  pleurent  leur  chute,  et  d'attendre,  pour 
«  leur  venir  en  aide,  qu'ils  soient  malades  et  sur  le  point  de  mou- 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        603 

«  rir;  cette  conduite  est  bonne  tant  que  régnent  la  paix  et  la 
«  tranquillité,  et  qu'il  est  possible  d'assister  les  pénitents  en  dan- 
«  ger  de  mort.  Mais  maintenant  ce  n'est  pas  aux  malades,  c'est  aux 
«  bien  portants  que  la  paix  est  nécessaire  ;  ce  n'est  pas  aux  mou- 
«  rants  mais  aux  vivants  que  nous  devons  donner  la  communion, 
«  afin  de  ne  pas  laisser  nus  et  sans  armes  ceux  que  nous  excitons 
a  et  que  nous  exhortons  au  combat.  Et  parce  que  l'Eucharistie 
«  est  consacrée  pour  que  ceux  qui  la  reçoivent  puissent  y  trouver 
<f  une  protection  efficace,  armons  ceux  que  nous  voulons  fortifier 
«  contre  les  coups  de  l'ennemi  en  les  rassasiant  du  pain  du  Sei- 
«  gneur.  Car  comment  enseignerons-nous  et  exciterons-nous  à 
«  confesser  le  nom  de  Jésus-Christ,  jusqu'à  l'effusion  de  leur 
«  propre  sang,  ceux  qui  sont  appelés  à  combattre,  si  nous  leur  re- 
«  fusons  le  sang  du  Seigneur?  Comment  les  rendrons-nous  aptes 
«  à  boire  le  calice  du  martyre,  si  nous  ne  les  admettons  pas  d'a- 
«  bord  à  boire,  dans  l'église,  celui  du  Seigneur  en  leur  permet- 
«  tant  la  communion  ^  ?  » 

Plus  loin,  il  dit  encore  :  «  Celui  que  l'Église  n'a  pas  armé  pour 
«  le  combat  n'est  pas  préparé  au  martyre  ;  l'âme  est  sans  force 
«  lorsque  la  réception  de  l'Eucharistie  lui  manque  pour  l'élever  et 
«  l'enflammer  -.  » 

S.  Augustin  attribue  à  la  sainte  communion  le  courage  avec 
lequel  S.  Laurent  et  S.  Vincent  ont  supporté  les  tourments  les  plus 
cruels  3  ;  leurs  corps  étaient  comme  insensibles  à  tout  ce  que  la 
fureur  des  bourreaux  pouvait  inventer,  parceque  leurs  âmes  étaient 

1.  Exercitus  Domini  ad  certamen  militiae  cœlestis  armetur.  Merito  eniin 
trahetur  dolentiumpœnitentia  tempore  longiore,  ut  infirmis  in  exitii  subveni- 
retur,  quandiu  quies  et  tranquillitas  aderat;  qu?e  dilferre  diu  plangentium 
lachrymas,  et  subvenire  sero  morientibus  in  infirmitate  pateretur.  At  vero 
nunc  non  infirmis  sed  fortibus  pax  necessaria  est;  nec  morientibus  sedviven- 
tibus  communicatio  a  nobis  danda  est,  ut  quos  excitamus  et  hortamur  ad 
praelium  non  inermes  et  nudos  relinquamus.  Et  cum  ad  hoc  fiât  Eucharistia, 
utpossit  accipientibus  esse  tutela  :  quos  tutos  esse  contra  adversarium  volu- 
mus,  munimenlo  Dominical  saturitatis  armemus.  Nam  quomodo  docemus  aut 
provocamus  eos  in  confessione  nominis  sanguinem  suum  fundcre,  si  eis  mili- 
taturis,  Christi  sanguinem  denegamus?  Aut  quomodo  ad  marfyrii  poculum 
idoneos  facimus,  si  non  eos  prius  ad  bibendum  in  Ecclesia  poculum  Domini, 
jure  communicationis  adinittimus?  (S.  Cyprian.,  Epist.  LIN.) 

2.  Idoneus  esse  non  potest  ad  martyrium,  qui  ab  Ecclesia  non  armatur  ad 
praelium  ;  et  mens  déficit,  quam  non  recepta  Eucharistia  erigit  et  accendit. 
(Id.,  ibid.) 

3.  S.  AuuusT.,  tract.  XXVII  in  Joann.  et  serm.  XIII  t/c  Sunctis. 


606  LA  SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

vivifiées  et  soutenues  par  l'Esprit  de  Dieu.  Ils  avaient  dignement, 
mangé  la  chair  et  bu  le  sang  de  Jésus-Christ.  Jésus-Christ  était  en 
eux,  il  combattait  avec  eux  et  leur  donnait  la  victoire.  • 

Mais  si  l'on  veut  savoir  quelle  force  la  Sainte  Eucharistie  pro- 
cure à  ceux  qui  la  reçoivent  bien,  soit  pour  pratiquer  fidèlement  la 
vertu,  soit  pour  résistera  tous  les  ennemis  extérieurs  ou  intérieurs, 
aux  persécuteurs  aussi  bien  qu'aux  démons,  aux  passions  et  aux 
tentations  de  toutes  sortes,  qu'on  lise  la  vie  des  saints  ;  à  chaque 
page  on  trouvera  des  preuves  que  cet  adorable  sacrement  a  été 
pour  eux  la  source  de  cet  héroïsme  surnaturel  qui  confond  les  enne- 
mis de  Dieu  et  plonge  dans  l'admiration  les  anges  et  les  hommes. 

Il  nous  reste  à  dire  un  mot  de  la  vertu  de  tempérance,  la  qua- 
trième des  vertus  cardinales.  Elle  aussi  trouve  dans  la  Sainte  Eu- 
charistie son  aliment  et  son  soutien  le  plus  efficace. 

Cette  vertu  consiste  dans  la  domination  qu'on  exerce  sur  ses 
aiïections,  ses  passions,  ses  instincts,  qu'on  subordonne  aux  fins 
plus  élevées  que  doit  atteindre  la  volonté.  Elle  a  pour  compagnes 
la  sobriété  dans  toutes  les  jouissances  corporelles  et  spirituelles,  la 
modération,  c'est-à-dire  l'éloignement  de  toute  exagération,  la 
bienveillance,  la  douceur,  l'humilité;  dans  un  sens  strict,  la  chas- 
teté, la  continence. 

Il  suffit  de  se  rappeler  les  paroles  de  notre  divin  Sauveur: 
«  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi 
«  et  je  demeure  en  lui  i  ;  »  et  celles  du  grand  Apôtre:  «  Je  vis,  mais 
«  cen'estplus  moi,  c'estle  Christ  qui  vitenmoi  2,  »  pourcomprendre 
que  la  vertu  do  tempérance,  telle  que  nous  l'avons  définie,  a,  dans  la 
sainte  communion,  un  secours  d'une  efficacité  merveilleuse.  Pour 
que  tout  suit  parfaitement  pondéré  en  nous ,  pour  que  nous  évi- 
tions tous  les  excès,  même  dans  la  pratique  du  bien,  car  alors  le 
bien  n'en  serait  plus  un,  mais  un  désordre  et  un  mal,  rien  ne  peut 
nous  être  plus  utile  que  la  présence  en  nous  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  et  avec  lui  des  deux  autres  Personnes  de  l'adorable 
Trinité.  N'est-il  pas  le  Dieu  dont  il  est  écrit  :  «  Vous  avez  disposé 
«  toutes  choses  avec  mesure  et  nombre  et  poids  3?  »  Si  Jésus- 
Christ  vit  en  nous  comme  il  vivait  en  S.  Paul,  s'il  est  notre  vie, 

1.  Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem,  in  me  manet  et 
'•go  in  illo.  {Joann.,  vi,  !J7.) 

2.  Vivo  auUrm,  jam  non  ego;  vivit  vero  in  me  Christus.  {Galat.,  11,  20.) 

3.  Scd  omnia  in  mensura,  et  numéro,  et  pondère  disposuisti.  {Sap.,  xi,  21.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        607 

notre  règle,  et  qu'en  toutes  choses  nous  agissions  selon  son  esprit, 
il  est  évident  que  toutes  nos  affections,  toutes  nos  passions,  tous 
nos  instincts  devront  subir  son  ifluence,  prendre  la  direction  qu'il 
lui  plaira  de  leur  imprimer,  par  conséquent  servir  à  notre  avan- 
cement dans  le  chemin  du  bien,  loin  d'entraver  notre  marche.  Mais 
outre  cet  effet,  que  produit  par  elle-même  la  présence  de  Jésus- 
Christ  reçu  dans  son  saint  Sacrement,  on  comprend  combien  celui 
qui  communie  souvent  et  qui  s'efforce  de  le  faire,  comme  le  de- 
mande une  action  si  sainte,  est  nécessairement  éloigné  de  tout 
excès,  de  tout  désordre  même  léger,  par  le  souvenir  de  la  commu- 
nion qu'il  a  faite  et  par  la  pensée  de  celle  à  laquelle  il  se  prépare. 
Manquer  de  modération  dans  ses  pensées,  ses  paroles  et  ses  actes, 
jusqu'à  se  rendre  coupable  de  quelque  faute  envers  Dieu  et  de 
scandale  envers  le  prochain,  lui  semblerait  un  crime.  Il  sera 
donc  tempérant  en  toutes  choses  ;  il  évitera  ce  qui  serait  un  véri- 
table excès,  même  dans  la  pratique  des  actes  naturellement  bons. 
Surtout  il  se  mettra  en  garde  contre  les  plaisirs  des  sens,  tou- 
jours si  dangereux,  quels  qu'ils  soient,  même  lorsqu'on  ne  dépasse 
pas  les  bornes  tracées  par  la  loi  de  Dieu.  Peut-on  vivre  de  la  vie 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Clirist,  l'homme  des  souffrances  ici-bas, 
Vw  dolorum,  comme  l'appelle  le  prophète,  et  rechercher  toutes 
ses  satisfactions  ?  Peut-on  s'unir  cœur  à  cœur  au  Dieu  qui  est 
venu  sur  la  terre,  nous  enseigner  à  marcher  après  lui  dans  la 
voie  étroite  et  difficile  qui  mène  au  ciel,  et  rechercher  ses  aises? 
Peut-on,  lorsqu'on  l'a  reçu  par  la  sainte  communion,  lui  qui  a 
vaincu  tous  nos  ennemis,  se  laisser  dominer  encore  par  les  ins- 
tincts naturels,  et  par  les  passions,  par  l'orgueil,  l'avarice  ou 
quelque  vice  que  ce  soit  ?  Non,  l'àme  qui  s'unit  à  Dieu  en  recevant 
la  Sainte  Eucharistie  doit  être  maîtresse  d'elle-même  ;  elle  doit 
faire  à  son  hôte  divin  les  honneurs  de  sa  maison,  et  ne  permettre 
pas  que  rien,  qu'aucun  excès  puisse  blesser  les  regards  de  celui 
qui  demeure  en  elle,  afin  qu'elle  demeure  en  lui. 

III. 

LA  SAINTE  EUCHARISTIE  NOUS  DONNE  l'eSPRIT  d'hUMILITÉ,  DE  PAUVRETÉ, 
DE    CHASTETÉ    ET    d'oBÉISSANCE 

Toujours  et  partout,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  fut  pour  nous, 
pendant  sa  vie  mortelle,  le  modèle  de  l'humilité  parfaite  ;  ce  n'est 


tiO«         L.\  SAINTE  KCCIIARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   -    CIIAP.   XII. 

pas  en  vain  qu'il  a  dit:  «  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et 
humble  de  cœur  '.  »  S.  Augustin  dit  quelque  part  :  «  Nommer  le 
«  Christ,  c'est  faire  de  l'humilité  l'éloge  qui  doit  nous  toucher  le 
«  plus  ;  car  nous  nous  étions  éloignés  de  Dieu  par  l'orgueil,  et  c'est 
«  par  l'humilité  qu'il  nous  a  préparé  le  chemin  du  retour  2.  »  Toute 
la  vie  do  Jésus-Christ,  tous  ses  mystères,  nous  enseignent  les  mé- 
rites et  la  pratique  de  celte  précieuse  vertu  ;  mais  c'est  dans  le 
mystère  de  l'Eucharistie  qu'elle  resplendit  avec  le  plus  vif  éclat, 
c  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  dit  encore  S.  Augustin,  a  voulu 
que  son  corps  et  son  sang  fussent  notre  salut.  Et  comment  nous 
recommande-t-il  l'usage  de  son  corps  et  de  son  sang?  Par  son 
humilité.  S'il  n'était  pas  humble,  sa  chair  ne  serait  pas  mangée 
et  l'on  ne  boirait  pas  son  sang.  Considérez  sa  grandeur:  Au 
counnencement  était  te  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu,  et  le 
Verbe  était  Dieu.  Voilà  l'aliment  éternel.  Les  anges  le  mangent^ 
les  vertus  d'en  haut  le  mangent,  les  esprits  célestes  le  mangent; 
ils  le  mangent  et  s'en  engraissent,  et  ce  qui  les  rassasie  et  les 
réjouit  demeure  intact.  Mais  quel  homme  pourrait  se  nourrir 
d'un  tel  aliment?  D'où  lui  viendrait  un  cœur  digne  de  le  rece- 
voir? 11  fallait  donc  le  transformer  en  lait  pour  le  mettre  à  la 
p<3rtée  des  petits.  Comment  la  nourriture  devient-elle  du  lait, 
sinon  par  le  moyen  de  la  chair?  C'est  la  mère  qui  accomplit  ce 
changement.  Ce  qu'elle  mange,  l'enfant  le  mange  ;  mais  parce 
quf  l'enfant  n'est  pas  encore  capable  de  se  nourrir  directement 
de  pain,  la  mère  assimile  à  sa  chair  ce  pain  que  ses  mamelles 
transforment  mystérieusement  en  lait  ;  et  c'est  ainsi  que  la  mère 
nourrit  son  enfant  de  pain.  Et  maintenant  comment  la  sagesse 
de  Dieu  nous  nourrit-elle  de  pain,  à  son  tour?  Le  Verbe  s'est 
fait  chair  et  il  a  habité  panni  nous.  Voyez  comme  l'humilité 
éclate  en  ce  mystère  dont  il  est  dit  que  l'homme  a  mangé  le  pain 
des  anges,  selon  la  parole  de  l'Écriture  :  //  leur  a  donné  le 
pain  du  ciel  ;  r homme  a  mangé  le  pain  des  anges.  Il  a  mangé 
ce  Verbe  dont  les  anges  se  nourrissent  éternellement,  ce  Verbe 
égal  au  Père  selon  la  parole  de  S.  Paul  :  Étant  dans  la  forme  de 
DieUy  il  n'a  pas  cru  que  ce  fût  une  usurpation  de  se  faille  égal 

\.  IdHcite  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis  corde.  {Matth.,  xxi,  20.) 

ii.  Cum  ergo  Chrislum  nomino,  fratres  inei,  maxime  nobis  liumilitas  com- 

mcndntur.  Viain  eniin  iiohis  fecit  per  humilitatem,  quia  per  superbiam  reces- 

Mraniu-  a  Deo.  (S.  Al'gust.  in  Ps.  x.xxiii,  serm.  1.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MUDÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        609 

«  à  Dieu.  Les  anges  s'engraissent  de  lui  :  Mais  il  s  est  anéanti 
«  lui-même,  pour  que  l'homme  mangeât  la  nourriture  des  anges; 
€  il  a  pris  la  forme  d'esclave,  ayant  été  fait  lui-même  semblable 
«  aux  hommes,  et  reconnu  pour  homme  par  les  dehors.  Il  s'est 
«  humilié  lui-même,  s' étant  fait  obéissant  jusqu  à  la  mort  et  à 
«  la  mort  de  la  croix,  pour  que  de  la  croix  nous  recevions  son 
<  corps  et  son  sang,  la  victime  du  nouveau  sacrifice  '.  » 

La  véritable  humilité  est  la  reconnaissance,  la  confession  de  son 
propre  néant,  en  présence  de  la  grandeur  infinie  de  Dieu  à  qui 
l'on  doit  tout,  et  à  qui  l'on  se  soumet  entièrement,  en  disant  avec 
le  Psalmiste  :  «  Est-ce  que  mon  àme  ne  sera  pas  soumise  à  Dieu? 
a  car  c'est  de  lui  que  vient  mon  salut  :  >^  Nonne  Deo  subjecta  erit 
anima  mea  ?  Ab  ipso  enim  salutare  meum  ~.  Être  humble,  c'est 
dire,  au  plus  intime  de  son  âme  :  Tout  mon  être  selon  la  nature 
et  selon  la  grâce,  mon  existence,  ma  vie,  le  bien  que  je  fais,  tout 
vient  de  Dieu  ;  de  moi-même  je  ne  fais  rien,  je  ne  possède  rien.  Je 
n'ai  à  moi  que  mes  défauts  et  mes  péchés.  Il  est  donc  juste  que  je 
m'abaisse  profondément  en  présence  d'une  si  grande  majesté,  qui 
est  pour  moi  la  source  de  tout  bien.  S'il  y  a  quelque  bien  en  moi, 

1.  Dominus  noster  Jésus  Chrislus  in  corpore  et  sanguine  suo  voluit  esse 
salutem  nostram.  l'nde  autem  commendavit  corpus  et  sanguinem  suum  ?  De 
humilitate  sua?  Nisi  enim  esset  humilis,  nec  manducaretur,  nec  biberetur. 
Respice  altitudinem  ipsius  :  «  In  principio  erat  A'erbum,  et^■erbum  erat  apud 
«  Deum  et  Deus  erat  Verbum.  »  Ecce  cibus  sempiternus  :  sed  manducant 
angeli,  manducant  supernae  virtutes,  manducant  cœlestes  spiritus,  et  mandu- 
cantes  saginantur,  etintegrum  manet  quod  eos  satiat  et  laetifîcat.  Quis  autem 
homo  posset  ad  illum  cibum  ?  Unde  cor  tam  idoneum  illi  cibo  ?  Oportebat 
ergo  ut  mensa  illa  lactesceret,  et  ad  parvulos  perveniret.  Unde  autem  fit  cibus 
lac?  unde  cibus  in  lac  convertitur,  nisi  per  carnem  trajiciatur?  Nam  mater 
hoc  facit.  Quod  manducat  mater  hoc  manducat  infans  :  sed  quia  minus  ido- 
neus  est  infans,  qui  pane  vescatur,  ipsum  panem  mater  incarnat,  et  perhumi- 
litatem  mammillae  et  lactis  succum,  de  ipso  pane  pascit  infantem.  Quomodo 
ergo  de  ipso  pane  pavit  nos  Sapientia  Dei?  «  Quia  Verbum  caro  factum  est,  et 
((  habitavit  in  nobis.  »  Videte  ergo  humilitatem  :  quia  panem  angelorumman- 
ducavit  homo;  ut  scriptum  est  :  «  Panem  angelorum  dédit  eis,  panem  angelo- 
<(  rum  manducavit  homo  :  »  id  est,  Verbum,  illud  quo  pascuntur  angeli  sem- 
piternum,  quod  est  œquale  Patri,  manducavit  homo  :  quia  «  cum  in  forma 
«  Dei  esset,  non  rapinam  arbitratus  est  esse  œqualis  Deo.  »  Saginantur  illo 
angeli:  «  Sed  semetipsum  exinanivit,  ut manducaret panem  angelorum  homo, 
«  formam  servi  accipiens,  in  simililudinem  hominum  factus,et  habitu  invon- 
«  tus  ut  homo,  humiliavit  se  factus  obediensusque  ad  mortem,  morfem  autem 
«  crucis  :  «ut  jam  de  crues  commendaretur  nobis  caro  et  sanguis  Domini 
novum  sacrificium.  (S.  August.  iîi  Ps.  xxxiii,  serm.  \.) 

2.  Ps.  i.M,  1. 

Là   sainte   eucharistie.   —   t.    IV.  39 


610         U\  SAINTE  EUCHARISTIE.    —  H'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

c'est  à  lui  seul  qu'en  doit  revenir  tout  l'honneur  ;  moi  je  n'ai  droit 
qu'au  mépris  et  à  la  confusion,  à  cause  de  mes  innombrables 

fautes. 

Il  est  impossible  ù  l'homme  d'exprimer  d'une  manière  plus  par- 
faite que  par  le  sacrifice,  ce  souverain  domaine,  cette  supériorité 
infinie  de  Dieu  et  son  propre  néant.  Or,  la  Sainte  Eucharistie  est 
notre  sacrifice.  Le  prêtre  qui  l'ofl're  est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
liii-inrine,  dans  la  personne  de  son  ministre.  La  victime  offerte, 
c'est  encore  lui.  Il  s'offre  à  son  Père  comme  homme,  et  il  s'offre 
chariré  de  toutes  les  iniquités  des  hommes  dont  il  accepte  la  res- 
ponsabilité en  présence  de  la  justice  divine.  Non  seulement  il  re- 
connaît son  néant  comme  créature,  tout  en  n'ignorant  pas  les  tré- 
sors infinis  de  grâces  qui  sont  en  lui,  mais  qu'il  doit  tout  entiers 
A  la  divinité;  il  se  présente  de  plus  redevable  à  Dieu  des  dettes 
immenses  accumulées  par  ceux  dont  il  tient  la  place.  Prêtre  et 
victime,  il  accomplit  donc  sur  nos  autels,  comme  autrefois  sur  la 
croix,  cet  acte  d'humilité  qu'admirait  tant  S.  Paul,  de  la  part  de 
celui  qui,  étant  Dieu  et  égal  au  Père,  s'est  humilié,  se  faisant  obéis- 
sant jusqu'à  la  mort  et  à  la  mort  de  la  croix.  Cet  acte  d'humilité, 
il  le  renouvelle  chaque  fois  qu'un  prêtre  monte  à  l'autel  et  pro- 
nonce sur  le  pain  et  sur  le  vin  les  paroles  de  la  consécration.  Et 
lorsque  les  paroles  sont  prononcées,  lorsque  le  glaive  mystique  a 
immolé  la  victime,  Jésus-Christ  reste  sur  l'autel,  dans  cet  état 
df  victime,  dans  cet  état  d'abaissement  et  d'humiliation,  en  pré- 
sence de  son  Père,  jusqu'à  ce  que  les  saintes  Espèces  soient  con- 
sommées. Si  elles  ne  le  sont  pas  toutes,  si  plusieurs  hosties  de- 
meurent et  sont  renfermées  dans  le  tabernacle,  l'humble  victime 
sera  toujours  là,  dans  son  état  d'abaissement,  on  dirait  presque 
d'anéantissement,  jusqu'à  ce  que  les  espèces  elles-mêmes  cessent 
d'être  ce  qu'elles  étaient  et  laissent  à  son  corps  immolé  la  liberté 
de  se  retirer.  C'est  bien  dans  la  Sainte  Eucharistie  que  Notre-Sei- 
Kneur  Jésus-Christ  peut  dire  à  son  Père  :  «  Ma  substance  est 
«onime  un  néant  devant  vous  :  »  Substantia  mea  tanquam  nihi- 
lum  aille  te  '. 

Aussitôt  que  le  mystère  de  l'Incarnation  fut  accompli,  l'àme  de 
.Notre-Seigneur,  unieau  Verbe  divin,  eut  le  choix  entre  le  bonheur 
et  la  gloire  extérieure  qui  convenaient  dans  ce  monde  au  Fils  de 

1.   /'s.  VXXVIll,  fi. 


JÉSDS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        611 

Dieu  fait  liomme,  et  une  vie  humble,  cacliée,  une  vie  méprisée  et 
douloureuse.  Il  choisit  l'humiliation  et  la  souffrance,  et  S.  Jean 
Chrysostome  dit  que  cet  acte  d'humilité  fut  plus  grand  que  celui 
qu'il  accomplit  en  mourant  sur  le  Calvaire  de  la  mort  la  plus 
ignominieuse;  car  il  y  avait  beaucoup  plus  loin  de  la  gloire  due  au 
Verbe  incarné,  à  une  vie  humble  et  méprisée,  que  de  cette  vie 
elle-même  à  la  mort  sur  la  croix.  Si  nous  en  croyons  S.  Fran- 
çois d'Assise,  ce  que  Jésus-Christ  fait  chaque  jour  pour  nous,  en 
descendant  sur  nos  autels,  peut  être  comparé  à  l'acte  d'humilité 
qu'il  accomplit  au  premier  moment  de  son  existence  humaine. 
«  Voici,  dit  le  saint  Patriarche,  qu'il  s'humilie  chaque  jour  comme 
9  il  l'a  fait  lorsqu'il  descendit  de  son  trône  royal  et  vint  dans  le 
«  sein  de  ja  Vierge.  Tous  les  jours  il  vient  à  nous;  il  se  montre  à 
«  nous  sous  l'apparence  la  plus  humble  ;  tous  les  jours,  il  descend 
«  du  sein  de  son  Père  suprême,  sur  l'autel,  dans  les  mains  du 
«  prêtre.  Et  de  même  qu'il  se  montra  à  ses  saints  apôtres  dans 
«  une  chair  véritable,  il  se  montre  à  nous  maintenant  sous  les  ap- 
«  parences  d'un  pain  sacré.  Et  comme  les  apôtres,  de  leurs  yeux 
«  de  chair,  ne  voyant  que  sa  chair,  croyaient  cependant  qu'il  était 
«  le  Seigneur  Dieu,  et  le  contemplaient  comme  tel  des  yeux  de 
«  l'esprit  ;  nous  qui  voyons,  de  nos  yeux  corporels,  du  pain  et  du 
«  vin,  croyons  fermement  que  c'est  son  très  saint  corps,  et  son 
a  sang,  vivant  et  véritable.  C'est  ainsi  que  le  Seigneur  est  toujours 
«  avec  ses  fidèles  comme  il  le  leur  a  promis  :  Et  voici  que  je  suis 
«  avec  vous  fiisquà  la  consommation  des  siècles  '.  » 

La  sainte  Église  s'étonne,  dans  l'une  de  ses  hymnes  les  plus  so- 
lennelles, que  le  Fils  de  Dieu  n'ait  pas  craint  de  s'abaisser  jusqu'à 
descendre  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  iMarie  pour  sau- 
ver les  hommes  :  Tu  ad  liberandum  suscepturus  hominem,  non 
horruisti  Virginis  uterum.  Sur  l'autel,  ce  n'est  plus  dans  le  sein 

\.  Ecce  qiiolidie  humiliât  se,  sicut  quando  a  regalibus  sedibus  venit  ad  ule- 
rum  Virginis.  Quotidie  venit  ad  nos,  ipse  humilis  apparens  :  quotidie  descen- 
dit de  sinu  summi  Patris  super  altare  in  manibus  sacerdotis.  Et  sicut  sanctis 
Apostolis  apparuit  in  vera  carne,  ita  et  modo  se  nobis  ostendit  in  sacro  pane. 
Et  sicut  ipsi  intuitu  carnis  suae,  tantum  ejus  carnem  videbant,  sed  ipsum 
Dominum  Deum  esse  credebant,  oculis  spirilualibus  contemplantes  :  sic  et  nos 
panem  et  vinum  oculis  corporels  videamus,  et  credamus  Hriniter,  sanctissi- 
mum  ejus  corpus  et  sanguinem  vinum  esse  et  verum.  Et  lali  modo  semper 
est  Dominus  cum  tîdelibus  suis,  sicut  ipse  dixit  :  Ecce  ego  vobisciim  sum, 
usque  ad  comummulionem  sxculi  [Matt/i.,  xxvui,  "lO).  (S.  Francisc,  Admoti. 
ad  l'ratres,  cap.  i.) 


6!f         H  SAINTE  KDCHARISTIE.   —  11*  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.   XII. 

immaculé  de  Mario,  la  plus  parfaite  et  la  plus  digne  de  toutes  les 
créatures,  qu'il  descend.  Marie  était  le  temple  vivant  de  l'Esprit 
de  Dieu  :  maintenant,  le  Fils  de  Dieu  se  revêt  sur  l'autel,  non  plus 
d'un  corps  emprunté  à  sa  substance  très  sainte  et  très  pure,  mais 
des  apparences  d'un  peu  de  pain  et  d'un  peu  de  vin,  matières 
inertes  et  communes,  nourriture  ordinaire  des  hommes  et  môme 
des  simples  animaux.  «  Que  tout  homme  soit  saisi  de  crainte, 
«  s'écrie  encore  S.  François  d'Assise;  que  le  monde  entier  tremble 
«  et  que  le  ciel  exulte,  lorsque  le  Christ  Fils  du  Dieu  vivant  est 
«  sur  l'autel  entre  les  mains  du  prêtre.  0  grandeur  admirable  ! 
€  û  condescendance  suprême!  ô  sublime  humilité!  Le  Seigneur 
.  de  l'univers,  le  Fils  de  Dieu,  Dieu  véritable,  s'humilie  à  ce 
«  point  qu'il  se  voile  pour  notre  salut  sous  les  apparences  d'un 
€  peu  de  pain.  Voyez,  mes  frères,  l'humilité  d'un  Dieu;  épanchez 
«  vos  cœurs  en  sa  présence  et  humiliez-vous  afin  d'être  exaltés 
€  par  lui  K  » 

L'humilité  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  au  Très  Saint  Sacre- 
ment de  l'Eucharistie  va  plus  loin  encore.  Il  se  laisse  toucher  par 
des  mains  profondément  indignes  d'un  tel  honneur,  parce  qu'elles 
sont  coupables.  A  la  messe,  le  prêtre,  avant  de  commencer  le  ca- 
non, se  lave  non  pas  les  mains,  mais  l'extrémité  des  doigts.  Quelle 
est  la  signilication  mystique  de  cette  cérémonie,  sinon  que  pour 
oITrir  à  Dieu  le  sacrifice  de  l'Eucharistie,  il  ne  suffit  pas  d'une 
sainteté'  ordinaire,  mais  qu'il  faut  être  pur  même  des  souillures 
les  plus  légères?  Cependant  combien  de  fois  n'arrive-t-il  pas  que 
(les  prêtres  n'apportent  pas  au  saint  autel  cette  pureté  parfaite  et 
immaculée,  qu'exigerait  d'eux  la  sainteté  du  sacrifice  qu'ils  offrent? 
Narrive-t-il  pas  même  que  plusieurs  sont  véritablement  indignes 
d'accomplir  un  acte  si  grand,  et  que  si  leurs  mains  sont  pures, 
leurs  consciences  sont  misérablement  souillées?  De  même  pour 
les  fidèles  qui  reçoivent  la  sainte  communion  :  n'en  est-il  pas  dont 
les  dispositions  laissent  sérieusement  à  désirer?  Cependant 
llmmblc  Jésus  n'hésite  pas.  Il  obéit  à  la  voix  de  ce  prêtre  qui  ne 

1.  Totus   homo  paveat,   tolus  muiuJus  contremiscat,    et   cœlum    exultet; 

quando  super  altare,  iii  manibus  sacerdotis  est  (Jhristus  Filius  Dei  vivi.  0  ad- 

mirnnda  nltiludo!  o  superna   dignaho!  o  suhlimitas  humilis   quod    Dominus 

'1  ix,  Deus  et  Dci  Filius,  sic  se  humiliât;  ut  pro  nostra  salute,  sub 

liK  formula,  se  abscondat.  Videle  fratres  burnilitatem  Dei,  et  eftun- 

^■'' i"  illo  corda  veslra,  et  humiliamini,  ut  et  vos  exaltemini  ab   eo. 

(S.  Hms.jsc.  Assis.,  Epist.  Xll.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODÈLE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        613 

devrait  pas  monter  à  son  autel;  il  se  remet  entre  ses  mains  pour 
qu'il  fasse  de  lui  ce  qu'il  lui  plait.  II  ne  refuse  pas  davantage  de 
se  laisser  donner  à  ceux  dont  le  cœur  n'est  pas  assez  pur  pour  le 
recevoir,  comme  il  n'a  pas  refusé  le  baiser  de  Judas.  Qu'elle  est 
donc  admirable,  surtout  en  cette  circonstance,  l'humilité  de  notre 
divin  Sauveur,  dans  son  adorable  sacrement  !  mais  il  est  bien  cou- 
pable, le  malheureux  dont  l'indignité  lui  impose  cet  acte  d'humi- 
lité. Selon  la  pensée  de  S.  Jean  Chrysostome,  celui  qui  s'approche 
indignement  de  la  communion,  et  qui  par  conséquent  n'en  reçoit 
aucun  fruit,  est  semblable  à  ceux  qui  prirent  autrefois  le  corps  du 
Seigneur,  non  pour  boire  son  sang,  mais  pour  le  répandre  i.  11 
n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  si,  pour  cette  raison  et  pour  plu- 
sieurs autres  qu'il  serait  trop  long  de  développer  ici,  les  saints  et 
les  docteurs  ont  enseigné  que  l'humilité  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  se  manifeste  davantage  encore,  dans  cet  auguste  Sacrement, 
qu'elle  ne  le  fit  au  temps  de  sa  passion  et  de  sa  mort  sur  la  croix. 
Ajoutons  seulement  que  la  Sainte  Eucharistie  est  l'aliment  des 
pauvres.  C'est  d'elle  que  le  Psalmiste  a  dit  :  «  Les  pauvres  man- 
«  geront  et  ils  seront  rassasiés  2  ;  »  c'est  à  elle  encore  qu'il  fait  allu- 
sion par  ces  autres  paroles  :  «  Vous  avez,  ô  Dieu,  préparé,  au 
«  pauvre,  par  un  effet  de  votre  douceur  3,  s,  une  nourriture.  C'est 
donc,  d'après  le  prophète,  pour  les  pauvres,  c'est-à-dire  pour  les 
humbles,  que  Dieu  a  préparé  cet  aliment  divin.  Eux  seuls  en  se- 
ront pleinement  rassasiés.  Les  riches,  les  puissants  de  la  terre  ne 
seront  admis  à  ce  festin  et  n'en  goûteront  les  délices,  ils  n'en  se- 
ront rassasiés  que  s'ils  se  font  petits  et  humbles.  A  cette  condition, 
eux  aussi  pourront  s'asseoir  à  la  table  du  Seigneur.  «  Ils  mange- 
ront et  ils  adoreront.  *  Mais  qu'ils  songent  au  compte  qu'il  leur 
faudra  rendre  de  ce  qu'ils  mangeront  ^. 

1.  Qui  manducal  et  bibit  indigne,  reus  erit  corporis  et  sanguinis  Domini. 
Quemadmodum  illi  qui  Jesum  crucifixerunt,  sic  et  iili  qui  indigne  fiunt  mys- 
teriorum  participes,  pœnas  dabunt....  Judaei  quidem  illud  clavis  in  cruce 
disruperunt  :  tu  vero  dum  in  peccatis,  et  immunda  lingua  ac  mente  vivis, 
inquinas  :  Ideo  inter  vos  mutti  infirmi  et  dormiunt  multi.  (S.  Chrysost., 
serm.  LXV  de  Martyribus.) 

2.  Edent  pauperes  et  saturabuntur.  {Ps.  xxi,  27.) 

3.  Parasti  in  dulcedine  tua  pauperi  Deus.  {Ps.  Lxvii,  11.) 

4.  Dicit  (David)  in  alio  Psalmo  :  Edent  pauperes  et  saturabuntur.  Quomodo 
commendavit  pauperes?  Edent  pauperes  et  saturabuntur.  Quod  edent?  Quod 
sciunt  fidèles.  Quomodo  saturabuntur?  Imitando  passionein  Domini  sui,  et 
non  sine  causa  accipiendo  pretium  suum.  Edent  pauperes  et  saturabuntur,  et 


614         L\   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —    CHAP.  XII. 

Et  pourquoi  la  Sainte  Euciiaristie  est-elle  particulièrement  des- 
tinée aux  petits  et  aux  humbles,  sinon  parce  que  Jésus-Christ,  dans 
cet  adorable  Sacrement,  se  fait  profondément  petit  et  humble?  Il 
est  nécessaire  qu'une  certaine  affinité  existe  entre  les  aliments  et 
ceux  qui  s'en  nourrissent.  Mais  plus  il  se  fait  petit,  plus  il  a  droit 
à  nos  hommages  et  à  nos  adorations.  C'est  encore  ce  dont  le  Psal- 
miste  nous  avertit  lorsqu'il  dit  :  «  Tous  les  confins  de  la  terre  se 
«  souviendront  du  Seigneur  et  se  convertiront  à  lui  ;  et  toutes 
«  les  familles  des  nations  adoreront  en  sa  présence.  Parce  qu'au 
«  Seigneur  appartient  le  règne,  et  que  c'est  lui  qui  dominera  sur 
«  les  nations.  Tous  les  riches  de  la  terre  ont  mangé  et  ont  adoré  '.  » 
Ils  ont  mangé  parce  qu'ils  se  sont  faits  humbles  en  sa  présence  et 
qu'ils  l'ont  adoré.  Ils  l'ont  adoré,  parce  que  toutes  les  nations  de 
la  terre  ont  reconnu  qu'il  est  le  Seigneur  et  que,  voilé  sous  les  ap- 
parences d'un  aliment  commun,  il  a  droit  à  tous  les  honneurs 
qui  sont  dus  à  la  divinité. 

L'humble  Jésus,  voilé  sous  les  apparences  d'un  peu  de  pain  et 
d'un  peu  de  vin,  nous  donne  aussi  l'exemple  le  plus  parfait  du  dé- 
tachement des  biens  et  des  richesses  de  la  terre.  C'est  au  pied  de 
l'autel,  c'est  en  face  du  tabernacle,  que  les  saintes  âmes  qui  se 
sont  vouées  à  la  pratique  des  conseils  évangéliques  dans  la  vie  reli- 
gieuse doivent  prendre  des  leçons.  Jésus-Christ  leur  enseignera 
la  pratique  de  la  pauvreté,  de  la  chasteté,  de  l'obéissance,  qu'elles 
ont  promis  de  garder  fidèlement  par  amour  pour  lui. 

Notre-SeigiM'ur  Jésus-Christ,  dans  la  Sainte  Eucharistie,  nous 
enseigne  par  son  exemple  la  pratique  de  la  pauvreté  la  plus  par- 
faite. Est-ce  à  dire  qu'il  manque  de  quoique  bien,  et  que  tous  les 
trésors,  toutes  les  richesses  infinies  de  Dieu  ne  sont  pas  à  lui  ? 
Non  :  ce  n'est  pas  ainsi  qu'il  faut  entendre  la  pauvreté  du  Fils  de 
Dieu  au  Très  Saint  Sacrement.  Il  y  possède,  comme  dans  le  ciel 

laudahunt  JJominum  qui  rcquirunt  eum.  Divites  quid?  Etiam  ipsi  edunt,  sed 
quoinodo  cdunt?  Manducaverunt  et  ndoraverunt  omnes  divites  terrœ.  Non 
(lixit,  mandurnvcrunt  et  saturali  stml,  sed  manducaverunt  et  adoraverunt. 
Adorant  quidem  Deum,  sed  hum.-initatem  nolunt  exhibere  fraternam.  Mandu- 
canl  illi  et  adorant,  manducant  isli  et  saturanlur  :  tamen  omnes  manducant. 
Exif^tur  de  mandiu.-anto  quod  manducat;  non  prohibeatur  manducare  a  dis- 
ponsalore,  sed  moneatur  timere  exactorcm.  (S.  AuGUST.,  Enarr.  in  Ps.  xxi.) 

<.  Keminiscentur  et  convertenlur  ad  Dominum  univers!  fines  terrae  :  et 
adorahunl  in  conspectu  ejus  universae  familiae  gentium.  Quoniam  Domini  est 
^  l  •P"*'  dominabitur  gentium.  Manducaverunt  et  adoraverunt  omnes 

j  Tf».  (/>«.. \xi,  2«-:{0.) 


JÉSDS  EDCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.        615 

même,  tous  les  biens  de  la  gloire;  il  a  entre  les  mains  tous  les 
trésors  de  la  grâce,  et  il  est  toujours  le  Dieu  à  qui  appartiennent 
le  ciel,  la  terre,  les  mers  et  tout  ce  que  sa  puissance  y  a  renfermé. 
Mais  Tétat  sacramentel  dans  lequel  il  s'offre  à  nous  n'en  est  pas 
moins  un  état  de  pauvreté  absolu.  Qu'a-t-il  en  effet  par  lui-même 
dans  cet  auguste  sacrement?  Dans  la  crèche  de  Bethléem  il  avait 
quelques  langes  pour  envelopper  ses  membres  délicats.  Sur  l'autel, 
les  langes  qui  le  voilent  à  nos  yeux  ne  sont  même  pas  des  langes  ; 
ce  sont  de  simples  apparences,  une  sorte  de  nuage  qui  n'a  même 
pas  la  réalité  d'un  nuage,  et  qui  cependant  suffisent  pour  le  dé- 
rober à  nos  regards  et  créer  autour  de  lui  des  ténèbres  qui  nous 
sont  impénétrables.  «  Il  a  fait  des  ténèbres  son  lieu  de  retraite,  » 
dit  le  Psalmiste  :  Posuit  tenebras  latibulum  suum  K  Voilà  son 
manteau  royal,  voilà  sa  pourpre,  sa  couronne  d'or,  son  trône 
d'ivoire,  toutes  ses  magnificences.  Où  sont  ses  gardes?  où  est  sa 
cour?  Si,  comme  il  arrive,  hélas!  trop  souvent,  les  prêtres  et  les 
âmes  pieuses  ne  s'empressent  pas  autour  de  lui,  de  lui-même  il 
sera  seul,  abandonne,  méconnaissable  pour  ceux  mêmes  qui  lui 
sont  les  plus  dévoués,  si  rien  d'extérieur  ne  les  avertit  de  sa  pré- 
sence. C'est  vraiment  dans  la  Sainte  Eucharistie  que  notre  divin 
Sauveur  peut  dire  en  toute  vérité,  non  seulement  à  son  Père 
céleste  mais  à  nous  :  «  Et  ma  substance  est  comme  un  néant 
a  devant  vous  :  »  Et  substantiel  mea  tanquam  niliilum  ante  te  -. 
On  peut  dire  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  qu'il  est  plus  pauvre  que 
sur  la  croix,  où  sa  chair  adorable  servait  de  vêtement  à  son  àme 
età  sa  divinité  :  ici  sa  chair  même  disparait,  et  toute  sa  divine  per- 
sonne n'a  plus  pour  se  voiler  que  quelques  vaines  apparences  qui 
ne  subsistent  que  par  miracle. 

Il  est  vrai  que  les  fidèles  disciples  de  Notre-Seigneur  s'efforcent 
de  suppléer  à  sa  pauvreté.  Ils  lui  bâtissent,  lorsqu'ils  le  peuvent, 
des  temples  magnifiques  ;  ils  trouvent  que  rien  n'est  trop  riche, 
rien  n'est  trop  beau  pour  ses  autels;  mais  leurs  efforts  ne  peuvent 
pas  faire  que  lui-même  ne  se  présente  à  nous  dans  un  état  de  pau- 
vreté complète.  Si  ses  prêtres  et  ses  enfants  n'ont  qu'une  pauvre 
chaumière  à  lui  offrir  pour  tout  palais,  il  y  demeurera  et  sera 
pauvre  avec  eux  et  plus  qu'eux.  S'ils  ont  moins  encore,  comme  il 
arrive  souvent  aux  missionnaires  annonçant  l'Évangile  à  de  pauvres 

i.  Ps.  xvii,  11.  —  2.  Pu.  xxxviii,  0. 


616         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  U.  —  CHAP.  XII. 

siiuvages,  il  se  contentera  de  ce  moins,  et  il  n'y  ajoutera  rien,  car 
il  n'a  rien  que  les  frt^es  espèces  sous  lesquelles  il  voile  sa  pré- 
sence. Il  est  riche,  et  cependant  son  dénuement  est  absolu,  selon 
cette  parole  de  David:  Simid  in  unum  dives  et  pauper  ».  Pen- 
dant sa  vie  mortelle  il  pouvait  dire  :  «  Les  renards  ont  des  tanières, 
t  et  les  oiseaux  du  ciel  des  nids  ;  mais  le  Fils  de  l'homme  n'a  pas 
«  où  reposer  sa  t«He  ^.  » 

Lui  dont  le  Psalmiste  a  chanté  :  «  Au  Seigneur  est  la  terre  et 
«  toute  sa  plénitude  ;  le  globe  du  monde  et  tous  ceux  qui  l'ha- 
it bitent,  parce  que  c'est  lui-même  qui  l'a  fondé  3;  »  il  a  voulu  se 
montrer  parmi  les  hommes,  semblable  aux  plus  pauvres  d'entre 
eux,  pour  leur  enseigner  à  supporter  la  pauvreté  sans  chagrin  et 
même  avec  joie.  Dans  la  Sainte  Eucharistie  sa  pauvreté  paraît  plus 
grande  encore  :  c'est  que  dans  l'Eucharistie,  il  n'est  plus  seule- 
ment notre  docteur:  il  est  notre  aliment;  ce  que  sa  parole  et  ses 
exemples  nous  ont  enseigné,  il  nous  l'incorpore  en  quelque  ma- 
nière et  nous  l'assimile,  en  se  donnant  à  nous  dans  la  sainte  com- 
munion. Il  nous  a  donné  l'exemple  pour  que  nous  nous  efforcions 
de  vivre  comme  lui  :  mais  ce  n'était  pas  assez  pour  son  amour,  et 
il  a  voulu  que,  mangeant  sa  chair  et  buvant  son  sang,  nous  vivions 
de  sa  vie.  Si  après  de  tels  enseignements  et  de  tels  exemples,  si 
après  avoir  conmiunié  au  corps  et  au  sang  de  ce  Dieu  devenu 
volontairement  pauvre  à  ce  point,  par  amour  pour  nous,  nous 
avions  encore  quelque  estime  et  quelque  attachement  pour  les 
biens  de  ce  monde,  pourrions-nous  dire  avec  l'Apôtre  :  «  Ce  n'est 
«  plus  moi  qui  vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi.  »  Mais  lors- 
qu'on se  nourrit  de  Jésus  plus  pauvre  encore  que  dans  l'étable  de 
Bethléem  et  sur  la  croix,  il  est  impossible  de  ne  pas  aimer  la  sainte 
pauvreté  qui  lui  est  si  chère,  et  l'on  comprend  que  des  âmes  ap- 
pelées à  une  haute  perfection  renoncent  absolument,  par  amour 
pour  lui,  aux  biens  de  la  terrre  et  ne  consentent  plus  à  posséder 
en  propre  même  une  pierre  où  reposer  leur  tète,  même  les  vête- 
ments qui  les  couvrent. 

Noire-Seigneur   Jésus-Christ    présent   dans    l'Eucharistie    est 

\ .  P».  XLvin,  3. 

2.  VulpoB  foveas  hahont,  et  volucres  cœli  nidos  :  Filius  autem  hominis  non 
habft  uM  capul  reclinot.  (Malth.,  viii,  i>().) 

.J.  I)o:nini  est  terra  et  plenitudo  ejus,  orbis  terrarum,  et  universi  qui 
habitant  m  eo;  rjuia  ipse  super  maria  fundavit  eum.  [Ps.  xxiii,  \,  2.) 


JÉSUS  EUCHARISTIQUE  SOURCE  ET  MODELE  DES  VERTUS  CHRÉTIENNES.         617 

l'Homme-Dieu  ;  il  est  infiniment  pur  parce  qu'il  est  la  sainteté 
même  ;  de  plus,  le  mode  selon  lequel  il  s'y  donne  à  nous  n'a  rien 
de  commun  avec  ce  qui  pourrait  flatter  et  émouvoir  les  sens.  On 
peut  donc  dire  que  communier,  c'est  prendre  pour  aliment  la  chas- 
teté substantielle.  N'est-ce  pas  de  l'Eucliaristie  qu'il  est  écrit  : 
«  Qu'est-ce  que  le  Seigneur  a  de  bon  et  de  beau,  sinon  le  froment 
«  des  élus,  et  le  vin  qui  fait  germer  les  vierges  2?  »  Aussi  est-ce 
une  vérité  d'expérience  bien  connue  de  tous  les  directeurs  des  âmes 
que  la  communion  est  le  moyen  le  plus  efficace  que  Dieu  nous  ait 
donné  pour  conserver  la  sainte  chasteté.  Sans  doute  elle  ne  suffi- 
rait pas  sans  la  prière  et  la  garde  des  sens  ;  mais  sans  elle,  la 
résistance  aux  tentations  deviendrait  presque  impossible  ;  rares  sont 
les  chrétiens  dont  l'esprit  et  le  cœur  ne  seraient  pas  souillés  plus 
ou  moins  gravement  ;  infiniment  plus  rares  encore  seraient  ces 
âmes  angéliques  auxquelles  la  sainte  chasteté,  gardée  avec  une 
vigilance  extrême,  donne  le  courage  et  la  force  de  pratiquer  toutes 
les  vertus  et  tous  les  dévouements.  Il  peut  se  faire  que  des  circons- 
tances exceptionnelles  et  une  nature  privilégiée  protègent  plusieurs 
personnes  contre  les  tentations,  et  leur  permettent  de  demeurer 
chastes,  quoiqu'elles  ne  communient  pas  ou  ne  le  fassent  que  ra- 
rement; mais  ce  ne  peuvent  être  là  que  des  exceptions.  Vienne  la 
tentation,  et  leur  chute  sera  presque  certaine. 

Dans  la  Sainte  Eucharistie  notre  divin  Jésus  est  aussi  le  modèle 
de  la  plus  parfaite  obéissance.  Il  a  dit  en  parlant  de  son  Père  cé- 
leste :  «  Je  fais  toujours  ce  qui  lui  plaît  :  »  Ego  quœ  placita  sunt 
ei  facio  semper  '-.  Le  saint  Évangile  nous  apprend  qu'il  était 
d'une  obéissance  parfaite  envers  Marie  et  Joseph  :  Eteratsubditus 
mis  3.  Enfin  S.  Paul  nous  le  montre  obéissant  jusqu'à  la  mort  et 
à  la  mort  de  la  croix  :  Factus  est  obediens  usque  ad  inortem, 
mortem  autem  crucis  ^.  Mais  on  doit  dire  qu'en  nulle  occasion, 
il  ne  montra  une  obéissance  plus  complète  et  plus  digne  de  notre 
admiration  fjue  dans  le  Sacrement  de  nos  autels. 

On  peut  distinguer  trois  degrés  dans  l'obéissance.  Au  degré  le 
plus  infime,  il  faut  placer  l'exécution  pure  et  simple  de  l'ordre 
que  l'on  a  reçu.  L'obéissance  est  plus  parfaite  si,  non  content 
d'obéir  extérieurement,  on  soumet  sa  volonté  et  on  la  rend  con- 

1.  Quid  enim  bonum  ejus  est,  et  quid  pulchrum  ejus,  nisi  frumentum  elec- 
torum,  et  vinurn  gerniinans  virgines?  [Zach.,  ix,  17.) 

2.  Joantu,  vin,  -20.  —  3.  Luc,  ii,  51.  —  t.  Philipj).,  ii,  8. 


618         L\  SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XII. 

forme  è  celle  du  supérieur  qui  commande.  Enfin  elle  est  très  par- 
faite lorsqu'on  faitmême,  en  quelquesorte,  abnégation  de  sa  propre 
intelligence,  et  qu'on  s'abstient  de  juger  l'opportunité  ou  le  bien 
fondé  des  ordres  qu'on  reçoit. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pratique  dans  toute  leur  perfection 
ces  trois  degrés  d'humilité.  Quel  que  soit  le  prêtre  qui  monte  au 
saint  autel,  pourvu  qu'il  ait  été  légitimement  ordonné;  quels  que 
soient  le  lieu,  l'heure,  les  circonstances  où  les  paroles  de  la  con- 
sécration sont  prononcées,  quand  même  le  prêtre  serait  indigne 
et  userait  sacrilègement  de  son  pouvoir,  le  Fils  de  Dieu  est  aussi- 
tôt présent  sous  les  espèces  eucharistiques.  Il  est  Dieu,  et  cepen- 
dant il  obt'ità  la  voix  d'un  homme,  cet  homme  fût-il  un  monstre 
d'iniquité.  Il  se  laisse  toucher  par  des  mains  coupables  ;  il  se  lais- 
sera, s'il  le  faut,  déposer  sur  une  langue  souillée  par  la  calomnie, 
le  blasphème  ou  les  paroles  impures.  Les  maladies  corporelles 
même  les  plus  rebutantes  ne  l'empêcheront  de  se  laisser  donner  à 
ceux  qui  le  réclament,  et  le  plus  misérable  pécheur,  fût-il  en  même 
temps  la  proie  de  la  lèpre  la  plus  horrible,  n'a  pas  à  craindre  que 
Jésus  refuse  de  se  donner  à  lui.  C'est  ainsi  qu'il  obéit  au  prêtre. 

Cette  obéissance  de  Notre-Seigneur  n'est  pas  seulement  un  acte 
extérieur  :  sa  volonté  se  soumet  à  la  volonté  du  prêtre.  Il  veut  ce 
que  veut  son  ministre.  S'il  ne  le  voulait  pas,  qui  pourrait  le  forcer? 
Souvent  les  inférieurs,  dans  le  monde,  obéissent,  malgré  leur  vo- 
lonté, à  ceux  qui  leur  sont  préposés  :  ils  ne  sont  pas  les  plus  forts, 
ils  ne  sont  pas  les  maîtres.  iMais  Jésus-Christ  est  le  maître,  il 
est  le  plus  fort,  et  le  prêtre  auquel  il  se  soumet  est  devant  lui 
moins  qu'une  feuille  desséchée  emportée  par  le  vent:  pourtant  il 
obéit;  il  semble  n'avoir  plus  d'autre  volonté  que  celle  du  prêtre 
entre  les  mains  duquel  il  s'est  remis. 

Ce  n'est  pas  encore  assez.  Le  Verbe  divin,  celui  qui  est  la  sagesse 
ni(''me  de  Dieu,  fait  abstraction  de  son  propre  jugement,  de  son 
intelligence,  pour  que  sa  soumission  soit  plus  complète  encore, 
et  [X)ur  que  son  obéissance  nous  soit  un  plus  parfait  modèle.  Qui 
mieux  que  lui  sait  quand  il  convient  que  le  prêtre  otïre  le  saint 
sacrilice,  qu'il  donne  ou  refuse  la  sainte  communion,  qu'il  accom- 
plisge  ou  n'accomplisse  pas  telle  et  telle  cérémonie  du  culte?  Ce- 
I-  !i«i.iiit  il  laisse  l'initiative  au  prêtre  en  toutes  choses;  il  ne  juge 
pas  ses  ordres  ;  il  se  soumet  simplement  à  toutes  ses  volontés, 
qu'elles  soient  ou  non  conformes  à  la  piété  et  à  la  sagesse.  Le 


LE    SACRIFICE    DE    LA   MESSE    DIGNE    d'uNE   GRANDE   DÉVOTION.  619 

prêtre  n'est  cependant  pas  le  supérieur  de  celui  dont  il  est  dit  qu'à 
son  nom,  tout  genou  doit  fléchir  au  ciel,  sur  la  terre  et  jusque  dans 
les  enfers  ;  mais  Jésus  se  conduit  envers  lui  comme  s'il  était  vrai- 
ment son  supérieur,  et  il  ne  dédaigne  pas  même  d'être  béni  par 
lui,  malgré  cette  parole  de  l'Apôtre  :  «  Sans  aucun  doute,  c'est 
«  l'inférieur  qui  est  béni  par  le  supérieur  '.  »  C'est  ainsi  qu'il  nous 
apprend  comment  nous  devons  obéir,  et  c'est  de  cet  esprit  d'obéis- 
sance parfaite  qu'il  nous  sustente,  lorsqu'il  se  donne  à  nous. 

Recourons  donc  à  la  Sainte  Eucharistie,  nous  tous  qui  voulons 
imiter  Jésus  doux  et  humble  de  cœur,  nous  tous  qui  voulons  pra- 
tiquer, chacun  selon  notre  état  de  vie,  la  pauvreté  évangélique,  la 
chasteté,  l'obéissance.  Que  ceux  qui  ont  embrassé  la  vie  religieuse 
y  puisent  avec  confiance  les  forces  nécessaires  pour  être  fidèles  à 
leurs  vœux,  et  que  ceux,  moins  privilégiés,  qui  n'ont  pas  été 
appelés  à  la  vie  parfaite,  sachent  bien  qu'ils  trouveront  dans  cet 
auguste  sacrement  toutes  les  grâces  dont  ils  ont  besoin  pour 
s'élever,  eux  aussi,  à  un  très  haut  degré  dans  la  pratique  de  ces 
saintes  vertus. 


CHAPITRE  XIII 

POURQUOI  LE  SACRIFICE  DE  LA  MESSE  DOIT  ÊTRE  POUR  NOUS  L'OBJET 
D'UNE   GRANDE  DÉVOTION 

L  Le  sacrifice  de  l'Eucharistie,  colonne  qui  soutient  notre  sainte  religion  et  rend 
l'Église  inébranlable.  —  II.  Dignité  suprême  du  sacrifice  de  la  Messe.  —  III.  La 
Messe  sacrifice  propitiatoire  et  satisfactoire,  offert  pour  la  rémission  de  nos  péchés  et 
pour  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu.  —  IV.  La  Messe  sacrifice  qui  nous  obtient  de 
Dieu  toutes  sortes  de  grâces,  et  par  lequel  nous  lui  témoignons  notre  reconnais- 
sance. 

I. 

LK   SACRIFICE   DE   LEUCHARISTIE,  COLONNE   QUI    SOUTIENT  NOTRE  SAINTE 
RELIGION    ET    REND    l'ÉGLISE    INÉBRANL.VBLE 

Le  saint  roi  David  fait,  au  lxxi*"  psaume,  un  magnifique  tableau 
du  règne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Il  s'adresse 
au  Père  éternel  et  lui  dit  :  «  Dieu,  donnez  votre  jugement  au  roi, 

1.  Sine  uUa  autem  contradictione,  quod  minus  est  a  meliore  benedicitur. 
(Hehr.,  vu,  7.) 


€50         L\   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

R  et  votre  justice  au  fils  du  roi,  pour  qu'il  juge  votre  peuple  dans 
la  justice,  et  vos  pauvres  dans  l'équité.  Que  les  montagnes  re- 
çoivent la  paix  pour  le  peuple,  et  les  collines  la  justice.  Il  jugera 
les  pauvres  du  peuple  ;  il  sauvera  les  fils  des  pauvres  et  il  humi- 
liera le  calomniateur.  Il  subsistera  avec  le  soleil  et  devant  la 
lune,  dans  toutes  les  générations.  Il  descendra  comme  la  pluie 
sur  une  toison,  et  comme  des  eaux  qui  tombent  goutte  à  goutte 
sur  la  terre.  Dans  ses  jours  s'élèvera  la  justice  et  une  abondance 
de  paix  :  jusqu'à  ce  que  la  lune  disparaisse  entièrement.  Et  il 
dominera  depuis  une  mer  jusqu'à  une  autre  mer,  et  depuis  un 
neuve  jusqu'aux  limites  de  la  terre.  Devant  lui  se  prosterneront 
les  Éthiopiens,  et  ses  ennemis  lécheront  la  poussière.  Les  rois 
deTharsiset  les  lies  lui  offriront  des  présents  ;  les  rois  de  l'Arabie 
et  de  Saba  lui  apporteront  des  dons.  Et  tous  les  rois  de  la  terre 
l'adoreront  :  toutes  les  nations  le  serviront.  Parce  qu'il  délivrera 
le  pauvre  du  puissant  ;  et  le  pauvre  qui  n'avait  point  d'aide.  Il 
traitera  avec  ménagement  le  pauvre  et  l'homme  sans  ressources, 
et  il  sauvera  les  âmes  des  pauvres.  Des  usures  et  de  l'iniquité  il 
rachètera  leurs  âmes;  et  honorable  sera  leur  nom  devant  lui. 
Et  il  vivra,  et  on  lui  donnera  de  l'or  de  l'Arabie,  et  on  adorera  tou- 
jours à  son  sujet  :  tout  le  jour  on  le  bénira.  Et  il  y  aura  du 
froment  sur  la  terre,  sur  le  sommet  des  montagnes  ;  au-dessus 
du  Liban  s'élèvera  son  fruit  :  et  les  habitants  de  la  cité  fleuriront 
comme  l'herbe  de  la  terre.  Que  son  nom  soit  béni  dans  les  siècles 
des  siècles  :  avant  le  soleil  subsiste  son  nom.  Et  seront  bénies 
en  lui  toutes  les  tribus  de  la  terre  ;  toutes  les  nations  le  glori- 
fieront. Béni  le  Seigneur  le  Dieu  d'Israël,  qui  fait  des  merveilles 
seul.  Et  béni  le  nom  de  sa  majesté  éternellement  :  et  toute  la 
«  terre  en  sera  remplie.  Ainsi  soit-il,  ainsi  soit-il  '.  » 

On  demandera  peut-être  où  se  trouve  marqué,  dans  cette  des- 
cription merveilleuse  du  royaume  de  Jésus-Christ  qui  est  la  sainte 
Église,  le  rôle  de  l'Eucharistie,  sa  force  et  son  soutien  le  plus 
inébranlable.  Qu'on  relise  ce  verset  :  «  Et  il  y  aura  du  froment 
■  sur  la  terrre,  sur  le  sommet  des  montagnes  :  au-dessus  du  Liban 
«  s'-'l.'vern  son  fruit.  .   Ce  n'est  pas  la  coutume  que  le  froment 

1.  l'cu' judiciuin  luum  régi  da,  etc.  {Ps.  lxxi.)  —  Nous  rappelons  encore 
une  fois  que  nos  traductions  des  textes  de  l'Écriture  sont  ordinairement  em- 
prunt<ies  a  la  Bible  de  l'abbé  Glaire,  la  plus  autorisée  de  toutes  les  traductions 
françaises. 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE   GRANDE    DÉVOTION.  621 

croisse  de  préférence  sur  le  sommet  glacé  des  montagnes,  ni  sur- 
tout qu'il  s'y  développe  au  point  que  ses  épis  s'élèvent  plus  haut 
que  la  cime  des  cèdres  du  Liban.  Il  faut  donc  chercher  un  sens 
spirituel  aux  exagérations  inacceptables  que  présente  la  lettre,  si 
l'on  ne  considère  qu'elle.  Or  ce  sens  n'est  pas  difficile  à  découvrir, 
car  tout  le  monde  sait  qu'en  mille  endroits  de  l'Écriture,  le  froment 
ou  le  pain,  lorsqu'il  en  est  parlé,  sont  des  figures  irrécusables  de 
l'adorable  Eucharistie.  Ce  froment  qui  croît  avec  une  telle  abon- 
dance, jusque  sur  le  sommet  des  plus  hautes  montagnes,  et  qui 
s'élève  au-dessus  des  cèdres  eux-mêmes,  c'est  donc  l'Eucharistie 
qui  domine  tout  dans  le  royaume  de  Jésus-Christ  sur  la  terre,  et 
qui  nourrit  les  innombrables  peuples,  enfants  de  l'Église,  dont  il 
est  dit  dans  le  même  verset  :  «  Et  les  habitants  de  la  cité  fleuri- 
«  ront  comme  l'herbe  de  la  terre.  » 

Mais  il  faut  remarquer  que  dans  la  V'ulgate  on  ne  lit  pas  fru- 
mentum,  mais  bien  finnamentum,  qu'il  conviendrait  de  traduire 
par  appui,  soutien.  Pourquoi  les  commentateurs  et  les  interprètes 
écrivent-ils  froment  et  traduisent-ils  comme  s'il  y  avait  en  réalité 
frumentum  ?  C'est  que  tel  est  le  sens  du  texte  hébreu,  et  que, 
d'autre  part,  le  mot  firmament  ou  appui,  sans  autre  explication, 
n'aurait  ici  aucune  raison  d'être.  D'autre  part,  les  Septante,  que 
la  Vulgate  a  suivis,  ont  pris  l'hébreu  comme  signifiant  la  force  du 
pain  ou  du  froment,  suivant  une  manière  de  parler  fort  commune 
dans  l'Écriture,  oi^i  le  froment  est  appelé  la  force,  l'appui  ou  le 
bâton  de  l'homme.  «  Je  briserai  le  bâton  du  pain,  »  disent  les  pro- 
phètes ^  ;  et  le  Psalmiste,  en  parlant  de  la  famine  qui  arriva  sous 
Joseph,  dit  que  le  Seigneur  «  brisa  tout  l'appui  du  pain  :  Omne 
«  firmamentumpaniscontrivit  ~.  »  C'est  donc  du  froment,  du  pain 
eucharistique,  force,  soutien  et  beauté  de  la  sainte  Église,  que  parle 
David  en  cet  endroit.  Il  faut  ajouter,  avec  les  commentateurs,  que  les 
sommets  des  montagnes  qui  produisent  ce  froment  sont  les  prêtres  '^. 

1.  Ecce  enim  Dominalor  Dominas  exercituum  auferel  a  Jérusalem,  et  a 
Juda  validum  et  forlem,  omne  robur  pnnis.  (/s.,  m,  \.)  —  Fili  hominis  :  ecce 
ego  conteram  baculum  panis  in  Jérusalem.  [Ezech.,  iv,  10.)  —  Et  conteram 
virgam  panis  ejus.  {Ezech.,  xiv,  13.) 

2.  Ps.  civ,  10. 

3.  De  quo  (sacrificio)  prfeclare  vaticinatus  est  David,  dum  ait  :  Et  erit  fir- 
mament um  in  terra  in  stimmis  montium:  quo  loco  hebrsea  habent  :  Et  erit 
placenta  patiis  tritici,  vel  memorabile  triticum,  m  capitiOus  sacerdotum. 
(JOANN.  OsoH.,  Conc.  de  Divin,  sarrif.) 


6ti         L\   SAINTE  EOCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

Rupert  demande  ce  que  deviendrait  l'Église,  si  elle  était  privée 
du  sacrifice  do  la  Messe  qui  est  son  soutien,  et  il  répond  :  <r  Otez 
€  aux  assemblées  de  l'Église  ces  obsèques  quotidiennes  du  Sauveur, 
«  et  vous  verrez  combien  il  pourra  dire  avec  vérité  :  De  quelle 
«  utiliU'  sera  mon  sang  .^  Le  souvenir  que  l'on  a  de  lui  dans  le 
€  monde  entier  s'affaiblira  rapidement.  En  même  temps  la  charité 
€  se  refroidira  dans  tous  les  cœurs;  la  foi  perdra  son  intégrité; 
«  l'espérance  n'aura  plus  qu'une  marche  hésitante;  un  cri  puissant 
€  cessera  de  se  faire  entendre,  le  cri  du  sang  du  juste  Abel  qui, 
«  par  l'oblation  traditionnelle  d'un  si  grand  sacrifice,  rafraîchit 
c  chaque  jour  la  bouche  de  la  terre  qui  le  boit  et  qui  réclame,  c'est- 
c  à-dire  de  l'Église  qui  accuseCaïn,  le  maudit,  et  qui  demande  une 
€  prompte  vengeance  du  sang  indignement  versé.  —  Aussi  long- 
«  temps  donc  que  le  souvenir  précieux  du  Sauveur  est  entretenu 
«  par  ce  sacrifice,  la  charité  du  Christ  grandit  et  l'édifice  de  la 
«  foi  demeure  inébranlable  sur  son  fondement  K  » 

Le  démon  n'ignore  pas  que  le  saint  sacrifice  de  la  Messe  fait  la 
principale  force  de  l'Église  :  aussi  tous  ses  efforts  ont-ils  tendu, 
surtout  dans  les  derniers  siècles,  à  supprimer  ce  divin  sacrifice. 
Notre-SeigneurJésus-Christa  établi  son  Église  sur  un  roc  inébran- 
lable: il  a  dit  au  chef  de  ses  Apôtres:  «  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette 
«  pierre  je  bâtirai  mon  Église,  et  les  portes  de  l'enfer  ne  prévau- 
€  drout  point  contre  elle  :  »  Tu  es  Petrus  et  super  hanc  petram 
a'f/i/iniho  /•kclesiam  meam  ;  et  portes  infey^i  non  prœvalebunt 
adversuseani  -.  Mais  cette  Église  bâtie  sur  la  pierre  inébranlable, 
par  les  travaux  de  Pierre  lui-même  et  des  autres  apôtres  dont  11 
est  écrit:  «  Ce  sont  eux  qui  ont  planté  l'Église  3,  »  devait  être 
l'objet  d'attaques  furieuses  de  la  part  des  ennemis  de  Dieu.  Le  divin 

I.  .\ufer  a  ctflu  Ecclesiae  quotidianas  Salvatoris  nostri  hujusmodi  exequias, 
et  vide  qunm  merito  dicat  ipse  Salvator  :  Quœ  ulilitas  in  sanguine  meo? 
(P».  XXIX,  \0.)  Ftefrigescente  enim  ea,  quœ  in  hoc  mundo  nunc  ubique  calet, 
ejus  memoria,  refrigescet  universa  charilas,  mutila  eril  fides,  claudicabit 
SJK.-S,  conlicescct  magnus  ilie  clamor  .sanguinis  justi  Abel,  qui  per  traditum 
t.iiiti  sacrifirii  riluin,  quotidie  laxat  os  libantis  et  vociferantis  terrae,  scilicet 
F.<-.  l.-si?p,  inaledictum  coarguens  Gain,  et  maturam  indigne  fusi  sanguinis 
viii-iiclnm  reposcens.  Calente  ergo  memoria  tam  celebri  charitas  Christi  coa- 
IfM-ii,  jjcr.stat  super  fundanjenlum  suum  aedificium  fidei.  (Rupert.  abb., 
ilr  Ihrxti.  offlc.) 

■1.  Mii'th.,  XVI,  i8. 

3.  Isli  sunt  qui  planlaverunt  Ecclesiam,  [Brcv.  rom.,  in  Offic.  apost.f 
lecl.  VII  in  Responsorio.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE   DIGNE   d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  623 

Maître  ne  le  laissait  pas  ignorera  ses  fidèles  disciples  et  il  leur  disait 
avant  de  les  quitter,  en  s'adressant  principalement  à  leur  chef: 
«  Simon,  Simon,  voilà  que  Satan  vous  a  demandés,  pour  vous  cri- 
ce  bler,  comme  le  froment;  mais  j'ai  prié  pour  toi  afin  que  ta  foi 
«  ne  défaille  point  ;  et  toi,  quand  tu  seras  converti,  confirme  tes 
«  frères  '.  »  A  quel  moment  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  annon- 
çait-il à  ses  apôtres  les  combats  qu'ils  auraient  à  livrer,  et  leur 
triomphe,  assuré  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  sur  leurs  ennemis? 
C'était  après  l'institution  de  la  Très  Sainte  Eucharistie.  Il  leur 
avait  donné  sa  chair  à  manger  et  son  sang  à  boire  ;  il  leur  avait 
intimé  de  renouveler  ce  sacrifice  non  sanglant  qu'il  venait  d'ofi'rir 
et  d'y  participer  en  mémoire  de  lui.  Grâce  à  ce  don  d'une  valeur 
inestimable,  ils  étaient  forts;  si  quelques  défaillances  individuelles 
venaient  à  se  produire,  Pierre  au  moins  serait  infaillible,  TÉglise 
reposant  sur  lui  demeurait  intacte  et  inébranlable,  et  les  frères  dé 
Pierre,  les  apôtres  et  les  évêques  leurs  successeurs  n'auraient,  pour 
être  sûrs  de  ne  pas  s'égarer,  qu'à  se  tenir  étroitement  unis  à  lui. 

Aussi  S.  Bonaventure  n'hésite-t-il  pas  à  dire:  «  Par  le  sacrifice 
«  de  la  Messe,  l'édifice  de  la  foi  repose  inébranlable  sur  son  fonde- 
€  ment  ;  par  lui  la  religion  et  le  culte  de  Jésus-Christ  conservent 
«  leurjeunesse,  leur  force  et  leur  éclat  2.  »  D'après  Osorius,  la  Messe 
est  l'abrégé,  le  résumé  complet  de  toute  la  religion  ^;  et  S.  Bona- 
venture ajoute,  pour  le  citer  encore  :  «  Otez  de  l'Église  ce  sacre- 
«  ment:  que  restera-t-il  dans  le  monde,  si  ce  n'est  l'erreur  et 
«  l'infidélité?  Vous  verrez  alors  si  le  peuple  chrétien  ne  sera  point 
«t  comme  un  troupeau  dispersé  d'animaux  immondes,  et  s'il  ne  se 
«  plongera  pas  dans  l'idolâtrie,  comme  le  reste  des  infidèles  ^.  » 

Le  démon  n'avait  donc  pas  à  sa  disposition  de  moyen  plus  puis- 
sant pour  combattre  la  religion  chrétienne  et  faire  retomber  sous 

1.  Simon,  Simon,  ecce  Satanas  expetivit  vos  ut  cribraret  sicut  Iriticum. 
Ego  autem  rogavi  pro  te,  ut  non  deficiat  fîdes  tua  :  et  tualiquando  conversus, 
confirma  fratres  tuos.  {Ltic,  xxii,  31,  3:2.) 

2.  Per  hoc  stat  super  fundamenlum  suum  œdifîcium  fidei;  per  hoc  stat 
Ecclesia,  viret  et  viget  christiana  religio,  et  divinus  cultus.  (S.  Bonavent.,  de 
Prxparat.  ad  missam,  cap.  11.) 

3.  Missa  est  compendium  et  summa  totius  christianœ  religionis.  (OsoR., 
ibid.) 

4.  Toile  hoc  sacramentum  de  Ecclesia,  et  quid  erit  in  mundo,  nisi  error  et 
infidelitas?  Et  populus  christianus  erit  quasi  grex  porcorum  dispersus,  et 
idoloialricK  deditus,  sicut  expresse  patet  in  caeteris  inlidelibus.  (S.  Bonavent., 
iôid.) 


6i4         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —  CHAP.  XIII. 

son  joug  odieu.x  ceux  que  le  Seigneur  avait  affranchis,  que  de 
supprimer,  s'il  le  pouvait,  le  saint  sacrifice  de  la  messe;  et  s'il 
n'atteignait  pas  ce  but,  suprôme  objet  de  ses  efforts,  au  moins 
d'éloiirner  le  plus  possible  les  hommes  des  autels  où  s'offre  pour 
eux  la  divine  Victime. 

Qu'on  lise  l'histoire  des  hérésies  et  l'on  verra  que  partout  et 
toujours,  elles  tendent  plus  ou  moins  directement  à  l'abolition  du 
Saint  Sacrifioe  tel  que  Jésus-Christ  l'a  institué,  et  des  cérémonies 
dont  l'a  entouré  l'Église  conduite  par  l'Esprit  de  Dieu.  Si  quelques- 
unes  laissent  intacte  la  substance  de  l'Eucharistie,  au  moins  elles 
attentent  à  sa  forme  extérieure  et  s'efforcent  de  réduire  à  rien  son 
utilité  dans  la  pratique. 

Le  protestantisme  tient  une  place  à  part  dans  la  guerre  faite  à  la 
messe  par  le  démon,  ses  satellites  et  leurs  victimes.  Luther  ne 
craint  pas  de  raconter  comment  l'esprit  infernal,  se  montrant  visi- 
blement à  lui,  s'efforçait  de  le  déterminer  à  se  déclarer  pour  l'abo- 
lition  de  la  messe.  Satan  n'ignorait  pas  le  bouleversement  épou- 
vantable qui  résulteiait  dans  le  monde  chrétien  de  cette  déclaration. 
Il  fit  tant  que  Luther  se  laissa  convaincre  K  Une  guerre  san& 
merci  fut  déclarée  au  saint  sacrifice  de  la  messe  par  le  moine 
apostat,  et  par  tous  ceux  qui  le  suivirent  dans  sa  révolte.  Dieu  seul 
peut  connaître  le  nombre  des  milliers  de  martyrs  qui  payèrent  de 
leur  vie  leur  attachement  et  leur  dévotion  à  ce  mystère  sacré.  Que 
de  fois  la  fureur  des  hérétiques  mêla  le  sang  des  prêtres  et  des 
fidèles  au  sang  du  divin  Agneau,  au  moment  où  il  renouvelait 
son  sacrifice  sur  les  autels  !  Aujourd'hui  ces  haines  féroces  ont 
pris  un  autre  tour  :  elles  se  manifestent  plus  rarement  par  des 
éclats  de  violence  ;  le  sang  ne  coule  plus,  mais  le  démon  et  ses 
suppôts  emploient  une  arme  non  moins  redoutable  :  ils  éloignent 
par  la  peur,  le  respect  humain  et  l'indifférence,  la  plupart  des 

I.  Illiui  vere  ;idinir;induin,  quod  in  causa  tam  ardua  ex  qua  mutatio  publie! 
sLiiiis  in  orbe  cbrisliano  pendebat,  obtentu  revelationis  in  eam  se  viam  duci 
i  is  est  (.scilicel  Lutberus)  quain  eamdem  Satan  ipse  non  transfonnatus  in 
.1  ..  lum  lucis,  .sed  aperla  fronle  congressus  demonstrabat  :  quam  ingredi 
■  MU  non  jK)tuit  nisi  Mclchisedechicum  sacerdotiunn  abrogaret,  Christi  hierar- 
«  i...  uni  ordinem  in  Ecclesia  convelleret  et  ad  evertendum  juge  sacrificium 
vi.uii  Anlicbristo  munirct....  Inila  nocte  cum  cacodaimone  disputatione,  ma- 

'•'    ' "unentis  vicias,  Missse  sacrificium,  quod  antealevioribus  oppugnarat, 

.,  decrevit;  quo  eodem  lempore  ejus  socii,  Augustani  Wittember- 
g.  M-.  .  .L-resi  conlarninati,  diabolico  impulsu  Missam  abrogarunt.  (Annal. 
£rc/ri.,  ann.  I!i2l.  (Kaynald.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE   d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  625 

chrétiens  de  l'assistance  à  la  sainte  messe  ;  ils  font  ainsi  que,  pour 
eux,  ce  soutien,  cet  appui  nécessaire  de  la  foi  et  de  la  piété,  est 
comme  s'il  n'existait  pas.  Aussi  la  démoralisation  fait-elle  des  pro- 
grès effrayants  chez  les  nations  protestantes  qui  ne  possèdent  pas 
la  messe,  et  chez  les  nations  catholiques  qui  négligent  et  mé- 
prisent ce  moyen  tout-puissant  de  salut  social  et  surnaturel,  que 
Dieu  leur  a  donné.  Quelle  désolation,  pour  la  plupart  des  pasteurs 
des  âmes,  de  ne  plus  voir  leurs  églises  ordinairement  fréquentées, 
même  le  dimanche,  que  par  quelques  femmes  pieuses  et  quelques 
enfants!  Il  semblerait  qu'une  multitude  de  chrétiens,  qui  ne  le 
sont  plus  que  de  nom,  se  rendant  justice  à  eux-mêmes,  se  recon- 
naissent indignes  de  franchir  le  seuil  de  la  maison  de  Dieu  ;  ils 
s'excommunient  volontairement  et  n'assistent  plus  à  nos  sacrés 
mystères.  C'est  le  développement  de  la  semence  maudite  jetée  à 
pleines  mains  dans  le  champ  de  l'Église,  par  les  hérésiarques  du 
xv''  siècle. 

Cette  seule  considération  doit  suffire  pour  faire  comprendre  aux 
âmes  généreuses  avec  quelle  dévotion  et  quelle  régularité  il  leur 
faut  assister  à  la  sainte  "messe,  non  seulement  les  jours  de  di- 
manche et  de  fêtes,  mais  tous  les  autres  jours,  lorsque  les  cir- 
constances n'y  mettent  pas  de  sérieux  obstacles.  Il  ne  s'agit  pas 
seulement  pour  elles  d'une  satisfaction  pieuse  :  elles  doivent  ré- 
parer, autant  qu'il  est  en  leur  pouvoir,  l'outrage  que  font  au 
Seigneur  l'indifférence  et  le  mépris  du  monde  pour  la  Très  Sainte 
Eucharistie  ;  elles  doivent  détourner  la  malédiction  de  Dieu  qu'une 
telle  ingratitude,  ou  plutôt  une  folie  si  dangereuse,  attire  ;  elles 
doivent  mettre,  par  leur  piété,  une  digue  au  débordement  d'ini- 
quités qui  a  sa  cause  dans  l'éloignement  que  le  peuple  chrétien 
affecte  pour  l'assistance  aux  saints  offices.  De  leur  côté,  les  prêtres 
chargés  du  ministère  paroissial  sont  tenus  de  tout  faire,  d'employer 
toute  leur  énergie,  tout  leur  zèle,  de  recourir  à  toutes  les  indus- 
tries, pour  attirer  dans  la  maison  de  Dieu,  non  seulement  quelques 
pieuses  femmes  et  quelques  enfants,  mais  toute  la  population,  toute 
la  paroisse.  La  responsabilité  pour  un  prêtre  sera  grande  devant 
Dieu  si,  parmi  les  âmes  qui  lui  sont  confiées,  il  y  en  a  une  seule 
pour  laquelle  il  soit  obligé  d'avouer  qu'il  n'a  pas  fait  tout  ce  qu'il 
lui  était  moralement  possible  de  faire,  afin  de  la  ramener  à  fré- 
quenter l'église,  et  à  remplir  tous  les  devoirs  de  la  vie  chrétienne. 
Dieu  ne  demande  pas  de  nous  le  succès,  il  le  donne  lorsqu'il  le  juge 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  40 


6il\         L.\  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  U'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

à  propos,  mais  il  exige  que  tout  ce  qui  dépend  de  nous,  nous  le 
fiissions.  Qui  ne  connaît  d'ailleurs  des  exemples  frappants  de  ce 
que  peut  faire  le  zèle  prudent,  mais  ardent  et  persévérant,  d'un 
bon  et  saint  curé,  pour  le  renouvellement  d'une  paroisse  et  le 
retour  à  Dieu  de  ceux  qui  en  étaient  le  plus  éloignés?  Mais  il  faut 
vouloir,  il  faut  prier,  il  faut  agir.  Le  prêtre  qui  monte  tous  les 
jours  saintement  à  l'autel  et  qui  veut  amener  autour  de  cet  autel 
les  brebis  dont  il  est  le  pasteur,  les  amènera  à  la  fin,  excepté  peut- 
être  quelques  enfants  de  perdition  ;  et  le  simple  fidèle  qui 
assiste  à  la  messe  avec  le  désir  ardent  de  voir  d'autres  chrétiens, 
ses  frères,  y  assister  plus  nombreux  avec  lui,  verra  son  désir 
exaucé.  On  lit  dans  la  vie  de  S.  Grégoire  Thaumaturge  qu'à  son 
lit  de  mort,  il  demanda  à  ceux  qui  l'entouraient  combien  d'infi- 
dt'les  habitaient  encore  dans  la  ville  de  Néocésarée  dont  il  était 
évéque.  On  lui  répondit  :  Dix-sept.  —  Que  Dieu  soit  béni,  dit-il. 
II  y  avait  juste  ce  même  nombre  de  chrétiens,  lorsque  j'y  vins  en 
qualité  d'évêque.  —  Il  est  vrai  que  Grégoire  était  un  saint  ;  mais 
tout  pasteur  des  âmes  ne  devrait-il  pas  Tètre,  ou  du  moins  s'efforcer 
sérieusement  de  l'être? 

Que  les  prêtres  qui  olfrent  le  Saint  Sacrifice  y  apportent  tous 
les  jours  les  dispositions  parfaites  que  réclame  cet  acte  divin  ;  que 
les  simples  fidelesy  assistent  plus  nombreux;  qu'ils  le  fassent  avec 
une  sincère  dévotion:  bientôt  l'enfer  sera  confondu,  les  pécheurs 
.se  convertiront  et  la  gloire  de  Jésus-Christ  et  de  sa  sainte  Église 
resplendira  au.t  yeux  de  tous  d'un  merveilleux  éclat. 

II. 

DIGNITÉ   SUPRÊMK    DU    SACRIFICE    DE    LA    MESSE 

«<  Personne,  dit  S.  Augustin,  n'oserait  prétendre  que  le  sacrifice 
«  doive  ôtre  offert  à  un  autre  qu'à  Dieu  seul  K  »  S'il  est  arrivé  que 
les  hommes  ont  offert  des  sacrifices  à  quelques  créatures  ou  même 
à  des  êtres  purement  imaginaires,  c'est  qu'ils  croyaient  y  recon- 
naître quelque  chose  de  divin.  Mais  depuis  Abel  et  Gain,  ou  plutôt 
depuis  Adam  lui-même,  cette  offrande  fut  toujours  considérée 
comme  Pacte  de  religion  par  excellence,  qui  ne  devait  avoir 
d'autre  objet  que  la  divinité.  Cependant  rien  de  ce  que  les  hommes 

iV  ,^*^"**'<^'"ro  certc  nullus  hominum  est,  qui  audeatdlccre  deberi,  nisi  Deo 
wll.  (S.  Ar.iusT.,  de  Civil.  Dei,  lib.  X,  cap.  iv.) 


LE    SACRIFICE    DE   LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  627 

pouvaient  offrir  à  Dieu  n'était  digne  de  lui  être  présenté  ;  rien  ne 
pouvait  satisfaire  à  sa  justice  offensée,  ni,  à  plus  forte  raison, 
provoquer  ses  miséricordes  et  ses  bienfaits.  Les  hommes  faisaient 
ce  dont  leur  infirmité  était  capable  ;  mais  il  fallait  un  Dieu  pour 
offrir  à  Dieu  une  victime  digne  de  lui,  et  cette  victime,  pour  être 
digne  du  Dieu  qui  l'offrait  et  du  Dieu  qui  acceptait  l'offrande,  de- 
vait être  divine  elle-même.  Nous  savons  comment  la  seconde  Per- 
sonne de  l'adorable  Trinité,  qui  est  un  seul  et  même  Dieu  avec  le 
Père  et  le  Saint-Esprit,  résolut  ce  problème.  Le  grand  sacrifice,  dont 
tous  les  autres  ne  furent  que  les  avant-coureurs  et  les  figures,  fut 
offert  d'abord  sur  la  montagne  du  Calvaire,  sur  l'autel  de  la  croix, 
où  le  Pontife  suprême,  selon  l'ordre  de  Melchisédech,  s'immola 
par  la  main  des  bourreaux,  pour  la  gloire  de  son  Père  et  pour  le 
salut  des  hommes.  Ce  fut  là,  selon  l'expression  de  S.  Cyprien  ^,  le 
sacrifice  véritable,  le  sacrifice  complet,  et  les  autres  n'eurent  ja- 
mais d'autre  valeur,  en  présence  de  Dieu,  que  celle  qu'ils  lui  em- 
pruntaient parce  qu'ils  en  étaient  l'image. 

«  Qu'offrirai-je  de  digne  au  Seigneur?  demandait  le  prophète 
«  Michée.  Fléchirai-je  le  genou  devant  le  Dieu  Très-Haut?  Est-ce  que 
«  jelui  offrirai  des  holocaustes  etdesgénissesd'uneannée?Est-ceque 
«  le  Seigneur  peut  être  apaisé  avec  mille  béliers,  ou  avec  plusieurs 
a  milliers  de  boucs  engraissés?  Est-ce  que  je  donnerai  mon  premier- 
ce  né  pour  mon  crime,  et  le  fruit  de  mes  entrailles  pour  le  péché 
«  de  mon  àme?  *  Non,  de  telles  offrandes,  prises  en  elles-mêmes, 
n'étaient  rien  et  ne  comptaient  pas  en  présence  du  Seigneur.  Que 
pouvait  faire  alors  l'homme  réduit  à  ses  seules  forces  ?  Le  prophète 
va  le  dire. 

«  Je  t'indiquerai,  ô  homme,  ce  qui  est  bon,  et  ce  que  le  Seigneur 
<i  demande  de  toi  :  C'est  de  pratiquer  la  justice,  d'aimer  la  miséri- 
«  corde  et  d'être  vigilant  à  marcher  avec  ton  Dieu  -.  » 

Mettre  en  pratique  ce  conseil  du  prophète  était  déjà  beaucoup, 
plus  même  qu'on  ne  pouvait  moralement  espérer  de  la  faiblesse 

1.  SacriQcium  verum  et  plonum.  (S.  Cyprian.,  lib.  II  Epist.) 

2.  Quid  dignum  oHerarn  Domino?  Curvabo  genu  Deo  Excelso?  Numquid 
offeram  ei  holocaulomata,  et  vitulos  anniculos?  Numquid  placari  potest  Do- 
minus  in  millibus  arietum,  aut  in  multis  millibus  bircoruni  pinguium?  Num- 
quid dabo  primogenitum  meum  pro  scelere  meo,  fructum  ventris  mei  pro 
peccato  anima;  meae?  —  Indirabo  libi,.o  homo,  quid  sit  bonum,  et  quid  Do- 
minus  requirat  a  te  :  Utique  facere  judicium,  et  diligere  misericordiam,  et 
soUicitum  ambulare  cum  Deo  tuo.  {Micfi.,  vi,  0-8.) 


f»i8        L\  SAINTE  EUCHARISTIE.   —   11"  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —  CIIAl'.  XIII. 

luimaino.  Cependant,  devant  Dieu  ce  n'était  que  le  strict  néces- 
saire pour  ne  pas  irriter  davantage  sa  justice  ;  il  n'y  avait  là  rien 
qui  put  réparer  les  outrages  faits  à  sa  divine  majesté;  rien  qui 
pût  rendr.'  liignc  de  ses  bénédictions  et  de  son  amour  l'homme 
qui,  par  le  péché,  avait  mérité  sa  malédiction  et  sa  haine  éternelle. 
Il  fallait  davantage,  ou  plutôtquelque  chose  d'infiniment  plusgrand. 
C'est  pourquoi  le  Verbe  de  Dieu,  qui  nous  avait  créés  à  son  image, 
intervint  en  notre  faveur.  Il  dit  à  son  Père  :  «  Vous  n'avez  point 
€  voulu  d'hostie  ni  d'oblation,  mais  vous  m'avez  formé  un  corps. 
«  Les  holocaustes  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu  ;  alors  j'ai  dit: 
«  iMe  voici,  pour  faire,  ô  Dieu,  votre  volonté  '.  »  C'est-à-dire,  selon 
l'explication  de  S.  Thomas  :  «  Lorsque  vous  m'avez  donné  un  corps 
«  dans  ma  conception,  j'ai  dit  :  Voici  que  je  viens  pour  endurer  le& 
«  souffrances  de  la  passion,  pour  m'olTrir  en  victime.  »  Il  s'offrit 
et  se  sacrifia  en  répandant  pour  nous  jusqu'à  la  dernière  goutte  de 
son  sang,  sur  le  Calvaire,  et  il  continue  de  s'offrir  et  de  s'immoler 
pour  nous,  d'une  manière  non  sanglante,  sur  nos  autels.  Après  ce 
sacrilice,  tous  les  autres,  que  S.  Augustin  ne  craint  pas  d'appeler 
de  faux  sacrifices,  devinrent  inutiles  et  dangereux  même,  parce 
qu'ils  auraient  détourné  les  hommes  de  celui  dont  ils  n'étaient 
qu'une  image  anticipée  :  ils  ont  cessé  ^.  Toutes  les  grâces  que  les 
hommes  pouvaient  demander  en  vertu  des  sacrifices  anciens,  ou 
plutôt  de  celui  qu'ils  figuraient,  sont  renfermées  dans  le  sacrifice 
institué  et  offert  par  Noire-Seigneur  .Jésus-Christ.  C'est  par  lui 
seul  que  s'est  opérée  notre  rédemption,  par  lui  que  nous  obtenons 
la  rémission  de  nos  péchés,  que  nous  faisons  des  progrès  dans  la 
foi  et  dans  toutes  les  vertus;  c'est  lui  qui  nous  conduit  à  la  vie 
éternelle.  Les  sacrifices  que  Dieu  avait  institués  sous  l'ancienne 
ici  n'étiiient  si  nombreux  que  parce  qu'aucun  d'eux  ne  suffisait 
l)Our  atteindre  le  but  qu'on  s'y  proposait.  Dieu  montrait  leur  im- 
puissance par  leur  multitude  même,  afin  d'inspirer  le  désir  de 
posséder  le  sacrifice  parfait  (jui  seul  suffirait  à  tout  ^  le  sacrifice 

1.  Mosliam  ol  oblalioncm  noluisti  :  corpus  autem  aptasti  mihi.  Holocau- 
tomala  pro  peccato,  non  lihi  placuerunt,  tune  dixi  :  Ecce  venio....  Ut  faciam, 
I>eus,  voluntatem  tuam.  (llebr  ,  x,  5-7.) 

2.  Huic  summo  vcroque  sacrificio  cuncta  sacrificia  falsa  cesserunt.  (S.  Au- 
OC8T.,  Conc.  I  advers.  Lerj.  et  Proiih.) 

3.  Non  Bolum  plus  Dominas,  uinbras  et  figuras  veteres,  et  superflues, 
impen-cniente  novilate,  et  veritale  sui  sacrificii,  distulit;  sed  et  mulliplicita- 
tem  Mcnficiorum  veterum  singularitate  sui  sacrificii  abbrevians,  occupatio- 


LA    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE   GRANDE    DÉVOTION.  6:29 

qu'annonçait  Malachie  lorsque,  parlant  au  nom  du  Seigneur,  il 
disait  :  «  Depuis  le  lever  du  soleil  jusqu'à  son  coucher,  grand  est 
«  mon  nom  parmi  les  nations  ;  et  en  tout  lieu  l'on  sacrifie,  et  une 
«  oblation  pure  est  offerte  à  mon  nom,  parce  que  grand  parmi  les 
«  nations  est  mon  nom,  dit  le  Seigneur  des  armées  ^  »  Puisque 
l'homme,  en  vertu  même  de  sa  nature,  et  indépendamment  de 
toute  loi  positive,  est  tenu  d'offrir  des  sacrifices  à  Dieu  parce  que 
tel  est  le  mode  le  plus  efficace  et  le  plus  parfait  de  reconnaître  son 
souverain  domaine,  en  est-il  un  plus  agréable  à  Dieu  et  plus  utile 
aux  hommes  que  cette  oblation  pure  prédite  par  le  prophète,  que 
cet  adorable  sacrifice  de  l'Eucharistie,  offert  chaque  jour  et  dans 
toutes  les  contrées  du  monde,  par  les  prêtres  de  la  sainte  Église  ? 
C'est  de  cette  oblation  divine  que  S.  Laurent  Justinien  a  dit  : 
«  Nulle  n'est  plus  grande,  nulle  n'est  plus  utile,  nulle  n'est  plus 
a  aimable  ni  plus  agréable  aux  yeux  de  la  divine  majesté.  Elle 
<r  procure  à  Dieu  l'honneur,  aux  anges  la  cohabitation  avec  nous, 
a  aux  exilés  le  ciel,  à  la  religion  un  culte,  à  la  justice  la  répara- 
«  tion  qu'elle  réclame,  à  la  sainteté  une  règle,  à  la  loi  l'obéissance, 
«  aux  gentils  la  foi,  au  monde  la  joie,  aux  croyants  le  bonheur, 
«  aux  peuples  l'unité,  aux  sacrements  de  la  loi  ancienne  leur  fin, 
«  à  la  grâce  son  commencement,  à  la  vertu  la  force,  aux  hommes  la 
«  paix,  aux  esprits  la  lumière,  à  ceux  qui  travaillent  l'espérance, 
«  aux  voyageurs  le  chemin,  et  à  ceux  qui  arrivent  la  possession 
a  de  la  beauté  suprême  -.  » 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  d'après  l'apôtre  S.  Paul,  ayant  dit 
d'abord  :  «  Vous  n'avez  voulu  ni  d'hosties,  ni  d'oblations,  ni 
«  d'holocaustes  pour  le  péché  ;  et  ce  qu'on  offre  selon  la  loi  ne 
a  vous  a  point  plu,  »  ajoute  :  «  J'ai  dit  ensuite  :  Me  voici,  je  viens 
«  pour  faire, ô  Dieu,  votre  volonté.  »  Et  l'Apôtre  conclut:  «  Il  abo- 

nem  exteriorum  nobis  minuit,  beneficiorum  nobis  gratiam  multiplicavit,  uno 
unico  suo  sacrificio  redemptionem,  remissionemque  peccatorum  faciens,  pro- 
fectuque  fidei,  cœterarumque  virtulum  ad  vitam  œternam  perducens.  Scien- 
dum  enim  quod  ideo  Deus  tam  multa  sacrificia  dédit  in  loge,  ut  nuUum 
eorum  sufficiens  esse  ostenderet,  quia  caetera  essent  superflua,  si  unum  suffi- 
cere  posset,  ut  unum  suum  sufticiens  magis  desideraretur.  (B.  Alger., 
Biblioth.  veter.  Pair.) 

\.  Ab  ortu  enim  solis  usque  ad  occasum,  magnum  est  noinen  meum  in  gen- 
tibus;  et  in  omni  loco  sacrilicatur,  et  olïertur  nomini  meo  oblatio  munda  ; 
quia  magnum  est  nomen  meum  in  gentibus,  dicit  Dominus  exercituum. 
{Malach.,  i,  11.) 

2.  Quae  nuUa  major,  nuUa  utilior,  etc.  (S.  L.  Justin.,  serm.  rfe  Corp.  Christi.) 


630        U  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

«  lit  ainsi  le  premier  sacrifice,  pour  établir  le  second.  C'est  en 
«  vertu  de  cette  volonté  que  nous  sommes  sanctifiés  par  l'unique 
«  oblation  du  corps  de  Jésus-Christ  K  »  Le  sacrifice  que  Dieu  at- 
tendait, le  seul  qui  fût  digne  de  lui,  le  seul  qui  pût  lui  témoigner 
suffisamment  notre  reconnaissance  et  manifester  sa  gloire,  était 
le  sacrifice  que  son  Fils  unique  se  préparait  à  lui  offrir.  En  quoi 
pouvaient  le  flatter  les  immolations  d'animaux  dont  le  sang  inon- 
dait les  anciensautels?  Il  n'avait  de  regards  que  pour  le  sacrifice  de 
celui  liont  il  a  dit  :  «  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aiméen  qui  j'ai 
«  mis  toutes  mes  complaisances  '-.  » 

Comment  pourrait-il  en  être  autrement?  A  la  sainte  Messe,  qui 
n'est  qu'un  seul  et  unique  sacrifice  avec  le  sacrifice  sanglant  offert 
une  fois  sur  le  Calvaire,  on  présente,  comme  victime,  au  Père 
Éternel,  ce  Fils  bien-aimé,  en  qui,  selon  l'expression  de  l'Écriture, 
«  toute  la  plénitude  de  la  divinité  habite  corporellement  ^  ;  »  ce 
Fils  qui  porte  en  soi-même  l'inestimable  trésor  des  mérites  de  sa 
vie  et  do  sa  passion  ;  ce  F'ils  dont  l'intercession  est  toute-puissante 
pour  nous  obtenir  les  biens  d'une  valeur  infinie  que  nous  espérons 
en  vertu  de  son  sacrifice.  Car  lorsque  la  messe  est  célébrée,  ce 
n'est  pas  le  mérite  du  prêtre  qui  monte  à  l'autel  que  Dieu  consi- 
dère, mais  le  principal  célébrant,  le  Fils  de  Dieu  lui-même  dont 
le  prêtre  mortel  est  l'instrument  visible  et  le  représentant.  Et 
c'est  pourquoi  le  sacrifice  de  la  messe,  quel  que  soit  le  prêtre  qui 
rolfre,  est  toujours  agréable  à  Dieu  K  Aussi  le  prophète  Zacharie, 
entrevoyant  à  l'avance  ce  mystère,  s'écriait-il  :  «  Qu'est-ce  que  le 
«  Seigneur  a  de  bon  et  de  beau,  sinon  le  froment  des  élus,  et  le 
«  vin  qui  fait  germer  les  vierges  '•>  ?  » 

Que  l'on  considère,  en  effet,  celui  qui  offre  ce  sacrifice,  celui  à 

1.  Superius  dicens  quia  lioslias  et  oblationes  et  holocautomata  pro  peccato 
noluisti,  nec  placila  sunl  libi  quae  secundum  legem  offeruntur.  Tune  dixi  : 
Ecoe  vcnio,  ut  faciam,  Deus,  voluntatem  tuam  :  aufert  primum  ut  sequens 
statuât.  In  qua  voluntate  sanctiticali  sumus  per  oblationcm  corporis  Jesu 
Christi  semcl.  {Ileôr.,  x,  8-10.) 
^  2.  HiceslFilius  meus  dilectus,  in  quo  inihi  hene  complacui.  [Matth.,x\u, 

3.  In  quo  inhabiiat  omnis  picnitudo  divinitatis  corporaliter.  (Cofoss.,  ii,  9.) 
4.^  Quando  sacerdos  oflerl  boc  sacrificiuin,  Pater  aeternus  intuens  donum 

'■ sistit  in  saccrdote,  sed  in  illo  respicit  personam   Filii  sui,  quem 

^'  '•  '"'  "'^'0  acceptât  illann  purissimam  oblationern,  ut  suinme  gratam 

fi^'r-^.    ;„lpm  sibi.  (SuAREZ.,  t.  III  de  Sacr.) 
K.  Uii'A  enim  bonum,  quid  pulcbrum  ejus,  nisi  frumentum  electorum,  et 

vlnum  germinans  virgincs?  {Zach.,  ix,  H.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA   MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE   DÉVuTION.  631 

qui  il  est  offert,  la  victime  immolée  et  le  but  de  son  immolation, 
et  qu'on  dise  s'il  est  possible  d'imaginer  quelque  chose  de  plus 
sublime  et  de  plus  digne  de  Dieu. 

Le  sacrificateur  est  Jésus-Christ  lui-même,  à  qui  S.  Paul  ap- 
plique ces  paroles  du  Psalmiste  :  «  Vous  êtes  prêtre  pour  l'éter- 
«  nité  :  T)  Tu  es  sacerdos  in  œternum.  •.  Il  est  prêtre,  prêtre  su- 
prême, prêtre  divin  qui  n'a  pas  besoin  d'implorer  d'abord  son 
propre  pardon,  lorsqu'il  accomplit  les  fonctions  de  son  sacerdoce, 
car  il  est  Dieu  lui-même,  égal  en  tout  à  celui  qui  reçoit  l'oblation 
de  son  sacrifice,  ou  plutôt  il  n'est  qu'un  seul  et  même  Dieu  avec 
lui,  car  il  faut  dire  avec  Denis  le  Chartreux  :  «  Le  Dieu  qui  re- 
«  çoit  le  sacrifice  est,  par  sa  nature  divine,  le  même  qui  s'offre 
«  selon  la  nature  humaine  qu'il  a  prise  -.  »  Par  une  merveilleuse 
disposition  de  la  Providence,  la  victime  offerte  en  sacrifice  est 
une  seule  et  même  chose  considérée  dans  sa  divinité,  avec  la  très 
sainte  et  très  adorable  Trinité  à  laquelle  elle  est  offerte,  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  pour  le  salut  de  nos  âmes;  et  celui  qui  offre 
cette  victime  incomparable  est  lui-même  l'un  de  nous,  car  il  a 
pris  notre  humanité,  et  c'est  elle  qu'il  immole  sur  l'autel. 

C'est  donc  à  Dieu,  et  par  conséquent  à  Jésus-Christ  considéré 
comme  Dieu,  en  même  temps  qu'aux  deux  autres  personnes  di- 
vines, que  le  sacrifice  qui  s'accomplit  sur  nos  autels,  et  qui  n'est 
autre  que  celui  de  la  Croix,  est  offert.  C'est  Jésus-Christ  considéré 
dans  son  humanité,  victime  seule  véritablement  digne  d'être  of- 
ferte à  Dieu,  qui  est  immolé.  C'est  encore  Jésus-Christ  qui  est  le 
prêtre  du  sacrifice  comme  il  en  est  l'hostie.  «  Le  Christ  notre  Sei- 
«  gneur,  dit  Suarez,  est  le  souverain  prêtre  qui  offre  principale- 
«  ment  le  sacrifice  de  l'Euciiaristie  toutes  les  fois,  et  en  tous  les 
«  lieux  qu'il  est  otTert  3.  »  Et  il  cite  ces  paroles  de  S.  Augustin  : 
«  C'est  le  Christ  lui-même  qui  offre,  et  c'est  lui  qui  est  l'oblation  '*.  » 
S.  Cyprien  dit  non  moins  clairement  :  «  Le  prêtre  à  l'autel  tient 

4.  Ifebi\,y,  0;  Ps.  cix,  4. 

2.  Deus  acceptans  sacrificium,  ipse  est  secundum  divinam  naturam  idem 
offerens  seipsum  secundum  naturam  assumptam.  (Dionys.  Carthus.,  apud 
Raynaud.) 

3.  Clirislus  Dnminus  est  summus  sacerdos,  qui  principaliter  offert  sacrifi- 
cium I']ucharisliae,  quandocumquc  et  ubique  offertur.  (Suarez,  t.  III  de  Sa- 
cram.) 

i.  Christus  ipse  offerens,  ipsa  et  oblatio,  (S.  August.,  lib.  IV  de  Trinit., 
cap.  VII  et  xiv.) 


635        U-V  SAINTE  lUCHARlSTlE.  —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  Mil. 

.  la  place  de  Jésus-Christ  '.  »  Et  S.  Ghrysostome  dit  en  traitant 
de  la  dernière  Cène  :  «  Celui  qui  sacrifia  dans  cette  Cène  est  en- 
0  core  celui  qui  le  fait  maintenant  '^.  »  Ailleurs,  le  saint 'docteur 
ajoute  :  «  Lorsque  vous  voyez  le  prêtre  offrir  le  sacrifice,  ne  pen- 
€  sez  pas  que  ce  soit  lui  qui  le  fasse,  mais  considérez  la  main  de  Jé- 
€  sus-Christ  invisiblenient  étendue  "•  »  surlesoblations  saintes.  En 
effet,  pourrait-il  en  être  autrement  ?  Serait-il  admissible  qu'une  telle 
offrande  fût  faite  à  Dieu  par  des  mains  qui  n'en  fussent  pas  dignes 
et  qui  ne  pussent  lui  plaire?  Il  faut  qu'une  telle  victime  soit  pré- 
sentée à  Dieu  par  un  prêtre  qui  soit  vraiment  digne  de  la  victime 
elle-même  et  de  celui  à  qui  elle  est  offerte  ;  il  faut  en  un  mot  que 
Jésus-Christ  lui-même  présente  à  l'adorable  Trinité  le  même 
Jésus-Christ  réduit  à  l'état  de  victime  pour  rendre  à  Dieu,  dans 
toute  son  étendue,  la  gloire  infinie  à  laquelle  il  a  droit,  et  pour 
appliquer  aux  hommes  les  mérites  du  sacrifice  du  Calvaire,  qui 
détruisent  la  malédiction  encourue  par  eux  et  leur  donnent  des 
droits  à  l'héritage  du  ciel.  Lorsque  celui  qui  offre  cet  adorable 
sacrifice  est  le  Fils  de  Dieu;  lorsqu'il  l'offre  à  son  Père  céleste  et 
au  Saint-Esprit,  lorsqu'il  se  l'offre  à  lui-même,  parce  qu'il  est 
Dieu  et  qu'il  n'est  qu'un  seul  et  unique  Dieu  avec  ces  deux  ado- 
rables personnes,  et  lorsque  la  victime  offerte  est  encore  lui-même 
considéré  dans  son  humanité,  mais  dans  son  humanité  ne  faisant 
avec  sa  divinité  qu'une  seule  et  unique  personne,  comment  une 
telle  offrande  pourrait-elle  n'être  pas  agréable  aux  yeux  de  l'Éter- 
nel? pourrait-elle  n'être  pas  toute-puissante,  pour  obtenir  de  lui 
tout  ce  qui  n'est  pas  en  désaccord  avec  les  desseins  de  son  infinie 
sagesse  et  de  son  infinie  miséricorde? 

Ou  comprend  que  la  dignité  du  prêtre  mortel  qui  tient  la  place 
de  Jésus-Christ,  agissant  en  son  nom  et  par  la  vertu  de  sa  toute- 
puissance,  ou  son  indignité,  soit  bien  peu  de  chose  et  disparaisse 
môme  complètement,  lorsque  s'accomplissent  d'aussi  grands  mys- 
tères. Qu'il  soit  un  saint  ou  qu'il  ne  le  soit  pas,  la  grandeur  du 
sacrifice  et  son  efficacité  essentielle  ne  peuvent  ni  rien  y  perdre 
ni  rien  y  gagner  ;  c'est  la  dignité  du  Pontife  divin,  c'est  le  mé- 

1.  ^ac.-nio.s  in  allari  viceChristi  fungitur.  (S.  Cyrpbian.,  Epist.  LXIII.) 

2.  Qui  lune  in  illa  Otna,  ipse  mine  quoque  operatur.  (S.  Chrysost., 
hom.  \\\\U  supnr  Matth.)  i     ^  i^  v 

JJ.  Cuin  videris  sacenJotem  offerentem,  ne  Ipsum  considères  hoc  facientem, 
«ed  Chmti  inanum  invisibiliter  extensam.  (Id.,  hom.  deprodilione  Judx.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  633 

rite  infini  de  l'auguste  Victime  qui  est  tout  devant  Dieu.  Néan- 
moins, si  le  prêtre  est  un  saint,  quelles  grâces  rejailliront  sur  lui 
de  cette  intimité  dans  laquelle  il  entre  avec  Dieu?  Lorsque  Moïse 
descendit  du  mont  Sinaï  où  il  avait  conversé  face  à  face  avec  le 
Seigneur,  ou  du  moins  avec  les  anges  qui  le  représentaient,  son 
visage  parut  resplendissant  d'un  tel  éclat  que  les  Hébreux  ne  pou- 
vaient plus  lever  les  yeux  vers  lui.  A  l'autel  dont  le  prêtre  gravit 
les  degrés,  il  s'accomplit  des  mystères  plus  grands  que  sur  le 
sommet  du  Sinaï,  et  l'intimité  des  relations  du  Seigneur  avec  Moïse 
était  moins  grande  que  celle  qu'il  daigne  avoir  avec  le  prêtre. 
Quelles  grâces  infinies  celui  que  Dieu  appelle  à  cet  honneur  incon- 
cevable doit-il  donc  y  trouver  ?  Mais  pour  puiser  à  cette  source,  il 
faut  en  être  digne. 

Malheur  au  contraire  au  prêtre  négligent  qui  ne  sait  pas  profi- 
ter du  don  de  Dieu.  Ses  mains,  je  le  suppose,  sont  assez  pures 
pour  qu'il  puisse,  sans  sacrilège,  toucher  le  corps  adorable  du 
Sauveur;  il  ne  lui  est  pas  interdit  de  se  nourrir  de  la  chair  ado- 
rable, et  de  boire  le  sang  précieux  descendus  à  sa  voix  sur  l'autel  : 
mais  quel  profit  en  retirera-t-il?  Quelle  responsabilité  terrible  pour 
n'avoir  pas  mieux  fait  valoir  le  talent  de  prix  infini  que  Dieu  lui 
confie  chaque  jour? 

Il  en  est  de  même,  proportion  gardée,  des  fidèles  qui  n'as- 
sistent pas  aussi  souvent  qu'il  leur  serait  aisé  de  le  faire,  au  saint 
sacrifice  de  la  messe,  ou  qui  le  font  avec  trop  peu  de  dévotion  et 
de  respect.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  se  montre  infiniment  bon, 
lorsqu'il  vient  parmi  nous,  et  s'immole  chaque  jour  sur  nos  au- 
tels; mais  il  exige  en  retour  que  nous  ne  soyons  pas  inditïérents 
à  tant  de  bonté  et  que  nous  ne  manquions  pas  au  respect  qui  est 
dû  à  sa  Majesté  suprême. 

S.  François  d'Assise  comprenait  si  bien  la  grandeur  infinie  du 
sacrifice  de  la  messe,  et  la  sainteté  qu'il  exige  des  prêtres  appelés 
à  l'offrir,  qu'il  ne  consentit  jamais  à  recevoir  le  caractère  sacer- 
dotal. Cependant,  qui  plus  que  lui  eût  été  digne  de  monter  à 
l'autel,  si  quelqu'un  pouvait  vraiment  l'être  ?  Aussi  recomman- 
dait-il à  ceux  de  ses  frères  qui  étaient  revêtus  du  sacerdoce,  d'ac- 
complir toujours  avec  le  plus  profond  respect  leurs  fonctions 
saintes  et  redoutables.  «  Mes  frères,  leur  disait-il,  vous  qui  êtes 
«  prêtres,  considérez  votre  dignité,  et  soyez  des  saints,  parce  que 
«  Jésus-Christ  est  saint;  et  de  même  que  le  Seigneur  votre  Dieu 


634         L\  SAINTE  BDCHARISTIK.   —  II'  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

«  VOUS  a  élevés  en  honn(?ur  au-dessus  de  tous  les  autres,  à  cause 
e  de  ce  mystère,  à  votre  tour,  aimez-le,  révérez -le,  honorez-le. 
€  C'est  une  grande  misère,  une  infirmité  bien  déplorable,  qu'il 
«  vous  arrive  de  le  posséder  ainsi  présent  et  de  vous  préoccuper 
o  nt'anmoins  d'une  chose  quelconque  qui  soit  au  monde.  Que  tout 
€  l'homme  soit  saisi  de  crainte,  que  tout  le  monde  tremble  et  que 
€  le  ciel  exulte,  lorsque  sur  l'autel,  entre  les  mains  du  prêtre,  est 
€  le  Christ,  Fils  du  Dieu  vivant.  0  grandeur  digne  de  toute  ad- 
«  miration  !  0  condescendance  stupéfiante!  ô  sublime  humilité! 
«  Le  souverain  Seigneur  de  toutes  choses,  Dieu  et  Fils  de  Dieu, 
0  s'humilie  à  ce  point  que,  pour  notre  salut,  il  se  cache  sous  les 
€  apparences  d'un  petit  morceau  de  pain  K  » 

S.  .Jean  Chrysostome  disait  :  «  Combien  y  en  a-t-il  maintenant 
«  qui  pensent  :  Je  voudrais  voir  Notre-Seigneur  revêtu  de  ce  même 
«  corps  dans  lequel  il  a  vécu  sur  la  terre.  Je  serais  ravi  de  voir  son 
«  visage  et  même  ses  vêtements.  Et  moi  je  vous  dis  que  c'est  lui- 
«  même  que  vous  voyez,  que  c'est  lui-même  que  vous  touchez,  que 
«  c'est  lui-même  que  vous  mangez.  Vous  désirez  voir  ses  vête- 
«  ments,  et  le  voici  qui  vous  permet  de  le  toucher  lui-même  et  de 
€  le  recevoir  au  dedans  de  vous  -.  »  Nous  le  voyons,  nous  le  pos- 
sédons, il  s'immole  sous  nos  yeux  comme  il  s'immola  sous  les 
yeux  des  Apôtres  dans  le  cénacle,  comme  il  s'est  immolé  parla 
main  des  bourreaux,  sous  les  yeux  de  .lean  et  de  Marie  sur  le  Cal- 
vaire. Elles  fruits  de  l'immolation  qui  s'accomplit  sur  l'autel  ne 
diiïèrent  pas  de  ceux  que  Jésus-Christ  recueillit  pour  nous,  en 
vertu  de  son  sacrifice  sanglant.  «  La  célébration  de  la  messe  vaut 
«  autant  que  la  mort  du  Christ  sur  la  croix  3,  »  dit  encore  S.  Jean 
Chrysostome  ;  ce  que  l'Ange  de  l'École  confirme  en  disant  à  son 
tour  :  <*  En  chaque  messe,  il  y  a  tout  le  fruit  et  toute  l'utilité  résul- 
«  tant  de  la  mort  de  Jésus-Christ  sur  la  croix,  au  jour  de  sa 
«  passion  *.  » 

Ne  nous  étonnons  donc  pas  des  pressantes  recommandations 
adressées  par  le  saint  patriarche  de  Constantinople  à  ses  prêtres  et 

1.  s.  Franxisc.  Assis.,  Opu.sc.  t.  I,  epist.  XH. 
±  S.  CiiRvsosT.,  horn.  LXXXVI  m  Matlh. 

3.  Tanluin  valet  celebratio  missœ  quantum  mors  Christi  in  cruce.  (S.  Chry- 
sosT.  apud  Mansi.) 

i-  ■  ■  •  Imissa  invenitur  omnis  fructu.s,  et  utilitas,  quam  Christus  in 

aie  uperatus  est  in  cruce  cum  morte  sua.  (S.  Thom.  apud  Mansi, 

ul  supr.i  ;  ^  ^ 


LE    SACRIFICE    DE   LA    MESSE    DIGNE   d'uNE    GRANDE   DÉVOTION.*  635 

à  ses  fidèles.  «  Quelles  qualités,  dit-il,  doit  avoir  celui  dont  la  fonc- 
Œ  tion  est  d'être  intercesseur  auprès  de  Dieu,  non  pour  une  seule 
a  ville,  mais  pour  toute  la  terre,  et  qui  est  établi  afin  de  prier  pour 
«  les  péchés  de  tous  les  hommes,  non  seulement  de  ceux  qui  sont 
et  vivants,  mais  même  de  ceux  qui  sont  morts  !  Il  doit  d'autant 
«  plus  exceller  au-dessus  de  ceux  pour  qui  il  prie,  qu'un  prince 
«  est  élevé  au-dessus  de  ceux  qui  lui  sont  soumis.  Que  si  l'on  con- 
«  sidère,  de  plus,  que  c'est  lui  qui,  après  avoir  invoqué  le  Saint- 
ce  Esprit,  accomplit  ce  sacrifice  redoutable,  qu'il  tient  longtemps 
«  entre  ses  mains  le  Seigneur  de  tout  l'univers,  je  vous  demande 
«  en  quel  rang  nous  devons  le  mettre,  quelle  pureté  nous  devons 
a  exiger  de  lui,  quelle  piété  il  doit  avoir?  Considérez  quelles 
«  doivent  être  les  mains  qui  servent  à  ce  ministère;  quelle  doit 
«  être  la  langue  qui  prononce  ces  paroles  sacrées,  et  combien  pure 
«  doit  être  l'àme  qui  reçoit  ce  divin  Esprit  i.  » 

Pour  donner  une  idée  plus  haute  encore,  s'il  était  possible,  de 
la  dignité  du  sacrifice  de  la  messe  et  de  la  sainteté  qu'il  réclame, 
aussi  bien  des  simples  assistants  que  du  prêtre  qui  l'offre,  S.  Jean 
Chrysostome  ajoutait  que,  pendant  la  célébration  des  divins  mys- 
tères, les  anges  sont  là  qui  entourent  le  prêtre  et  le  saint  autel.  Il 
l'avait  appris,  dit-il,  d'une  personne  à  qui  un  vieillard  de  grande 
vertu,  que  Dieu  favorisait  de  plusieurs  révélations  et  de  visions 
merveilleuses,  avait  raconté  que,  pendant  le  temps  du  sacrifice, 
il  avait  eu  le  bonheur  de  voir,  autant  que  les  yeux  mortels  en  sont 
capables,  une  multitude  d'anges  vêtus  de  robes  blanches  environner 
l'autel,  la  tête  inclinée  en  signe  de  respect,  comme  font  les  cour- 
tisans en  présence  de  leur  roi  2. 

S.  Nil  dit  à  son  tour  que  S.  Jean  Chrysostome,  qu'il  appelle  la 
lumière  de  l'Église  de  Gonstantinople  et  même  de  l'univers,  voyait 
à  toute  heure  des  anges  dans  l'église,  mais  particulièrement  dans 
le  temps  du  sacrifice  non  sanglant.  Il  ajoute  que  ce  Père,  plein 
d'admiration  et  de  joie,  faisait  part  à  ses  intimes  amis  les  plus 
spirituels  de  ces  visions  d'anges,  et  qu'il  leur  disait  que,  lorsque 
l'on  commençait  l'oblation  sacrée,  il  voyait  descendre  du  ciel 
plusieurs  de  ces  esprits  bienheureux,  revêtus  de  robes  très  écla- 
tantes et  nu -pieds,  qui  environnaient  l'autel  avec  respect  et  si- 
lence, regardant  la  table  sacrée,  et  le  visage  baissé.  S.  Chrysostome 

1.  S.  CnRYSOST.,  de  Sacerdolio,  lib.  VI. 

2.  Id.,  ibïd. 


636         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  iT  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CHAP.  XIII. 

ajoutait  que  lorsqu'on  avait  achevé  la  célébration  des  Mystères,  et 
que  les  évéques,  les  prêtres  et  les  diacres  distribuaient  au  peuple 
le  corps  et  le  sang  précieux,  les  anges  les  aidaient  dans  ces  fonc- 
tions, et  les  soutenaient,  de  peur  qu'ils  ne  se  lassassent  K 

Il  n'y  a  pas  à  être  surpris  que  les  anges  descendent  ainsi  du  ciel 
pour  entourer  l'autel  où  le  prêtre  célèbre  nos  saints  mystères;  le 
contraire  aurait  plutôt  lieu  de  nous  étonner.   La  sainte  Église  les 
invite,  et  elle  nous  invite  en  même  temps,  à  unir  nos  voix  aux 
leurs  pour  chanter  humblement,  en  présence  de  Jésus-Christ  des- 
cendu   sur  l'autel,  ce  que  les  Séraphins  répètent  éternellement  : 
Saint,  Saint,  Saint  le  Seigneur  le  Dieu  des  armées.  «  Reconnaissez- 
«  vous  ce  langage?  demande  encore  S.  Jean  Ghrysostome.  Est-ce 
«  le  nôtre  ou  celui  des  Séraphins?  C'est  le  nôtre  et  c'est  celui  des 
Séraphins,  car  le  Christ  a  levé  la  cloison  qui  séparait  les  deux 
mondes;  il  a  foit  régner  la  paix  sur  la  terre  et  dans  les  cieux  ; 
il  a  fait  de  deux  choses  une  seule.  D'abord  cette  hymne  n'était 
chantée  que  dans  le  ciel;  mais  quand  le  Seigneur  eut  daigné 
descendre  sur  la  terre,  il  nous  a  initiés  à  cette  mélodie.  Voilà 
pourquoi  le  pontife,  quand  il  se  tient  debout  à  cette  table  sainte 
pour  offrir  le  culte  raisonnable  avec  la  Victime  non  sanglante, 
ne  se  contente  pas  de  nous  inviter  à  pousser  cette  acclamation. 
Il  commence  par  nommer  les  Chérubins,  par  faire  mention  des 
Séraphins,  puis  il  nous  exhorte  à  unir  nos  voix  dans  ce  cri  plein 
d'une  sainte  horreur.     En   nous    faisant  connaître   ceux  qui 
chantent  avec  nous,  il  élève  notre  pensée  au-dessus  de  la  terre  ; 
on  dirait  qu'il  crie  à  chacun  de  nous  :  tu  chantes  avec  les  Séra- 
phins, tiens-toi  debout  avec  les  Séraphins  ;  avec  eux  déploie  tes 
ailes,  avec  eux  voltige  autour  du  trône  royal. 
«  Faut-il  s'étonner,  continue  le  saint  orateur,  de  vous  voir  dans 
la  compagnie  des  Séraphins,  quand  Dieu  vous  permet  de  toucher 
impunément  les  choses  dont  les  Séraphins  n'osent  affronter  le 
contact?  —  Un  des  Séraphins  me  fut  envoyé,  dit  le  Prophète,  et 
il  avait  un  charbon  allumé  qu'il  avait  pris  avec  la  pince  sur 
l'autel.  —Cet  autel  est  l'image  et  le  symbole  de  celui  que  vous 
avez  sous  les  yeux  ;  ce  feu  représente  le  feu  spirituel.  Les  Séra- 
phins n'avaient  osé  le  saisir  qu'au  moyen  d'une  pince,  et  toi,  tu 
ne  crains  pas  d'y  porter  la  main  !  Si  vous  considérez  la  grandeur 

1.  s.  Nil,  Epist.  ml  Monach. 


LE   SACRIFICE   DE   LA   MESSE   DIGNE   d'uNE   GRANDE    DÉVOTION.  637 

«  des  objets,  vous  comprendrez  que  les  Séraphins  mêmes  n'aient 
«  pas  été  dignes  d'y  toucher  ;  mais  si  vous  vous  représentez  la 
«  bonté  du  Seigneur,  vous  concevrez  comment  ces  objets  sublimes 
«  peuvent  descendre  sans  honte  au  niveau  de  notre  bassesse.  — 
«  Homme,  songe  à  cela,  réfléchis  à  la  magnificence  du  présent  qui 
«  t'est  fait  ;  lève-toi,  détache-toi  de  la  terre  et  remonte  au  ciel  '.  » 
Nous  n'ajouterons  rien  à  ces  magnifiques  paroles,  si  capables  de 
nous  faire  comprendre  la  dignité  infinie  du  sacrifice  que  le  prêtre 
offre  chaque  jour,  et  les  dispositions  que  tant  de  grandeur  et  de 
sainteté  exige  de  ceux  qui  l'offrent  et  de  ceux  qui  y  assistent. 

III. 

LA  MESSE  SACRIFICE  PROPITIATOIRE  ET  SATISFACTOIRE  OFFERT  POUR 
LA  RÉMISSION  DE  NOS  PÉCHÉS  ET  POUR  LE  PAIEMENT  DE  NOS  DETTES 
ENVERS    LA   JUSTICE   DE    DIEU. 

Xotre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  mourant  pour  tous  les  hommes 
sur  la  croix,  avait  satisfait  à  la  justice  de  Dieu  ~.  Non  seulement 
la  condamnation  portée  contre  l'humanité  tout  entière  était  révo- 
quée, mais  des  grâces  et  des  bénédictions  infinies  pouvaient  dé- 
sormais devenir  le  partage  de  tous  les  descendants  d'Adam.  C'est 
que,  selon  l'enseignement  de  S.  Thomas  3,  le  Christ  avait  reçu  la 
grâce  en  qualité  de  chef  de  l'Église,  afin  qu'elle  ne  lui  servit  pas 
uniquement  à  lui  seul,  mais  qu'il  la  communiquât  à  tous  ses 
membres  et  leur  méritât  le  salut.  Il  fut  le  juste  par  excellence;  il 
souffrit  pour  la  justice  et,  par  ses  souffrances,  il  mérita  le  salut, 
non  pas  pour  lui-même  qui  n'en  avait  pas  besoin,  mais  pour  ceux 
qui  étaient  ses  membres,  parce  qu'il  était  constitué  leur  chef,  selon 
cette  parole  de  S.  Paul  aux  Golossiens  :  «  Il  est  lui-même  la  tête 
du  corps  de  l'Église  ^;  »  ce  qu'il  répète  en  d'autres  termes  dans 
l'Épitre  aux  Éphésiens  :  «  Le  Dieu  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 

\.  S.  J.  Chrysost.,  hom.  W  in  Oziam,  seu  m  Scrdphim.  Traduction  de 
l'abbé  Jeannin. 

2.  Nous  avons  eu  précédemment  l'occasion  de  traiter  au  point  de  vue  pure- 
ment dogmatique  des  effets  et  des  fruits  du  sacrifice  de  nos  autels.  (Voir 
même  ouvrage,  t.  II,  p.  'iiil.)  Nous  y  reviendrons  néanmoins  ici,  car  il  y  a  là, 
pour  les  prêtres  et  pour  les  fidèles,  des  motifs  puissants  de  dévotion  envers 
cet  adorable  mystère. 

;5.  III  p.,  i\.  XLViii,  art.  1. 

■i.  Ipsc  est  caput  corporis  Ecclesise.  (Coloss.,  i,  18.) 


638        L.V   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —  CHAP.  XIII. 

«  le  Père  de  la  gloire....  a  mis  toutes  choses  sous  ses  pieds  et  il 
€  Ta  établi  sur  toute  l'Église  qui  est  son  corps  et  le  complément 
c  de  celui  qui  se  complète  entièrement  dans  tous  ses  membres  K  » 
Et  ce  divin  Chef  avait  dit  lui-même,  en  usant  d'une  autre  compa- 
raison :  «  Moi  je  suis  la  vigne  et  vous  les  sarments.  Celui  qui  de- 
«  meure  en  moi  et  moi  en  lui  portera  beaucoup  de  fruit  -.  »  Les 
sarments  ne  font  qu'un  avec  le  cep  duquel  ils  sortent  et  dont  la 
sève  les  vivifie  et  les  féconde  ;  les  membres  ne  font  qu'un  avec  le 
chef  duquel  ils  dépendent  et  sans  lequel  ils  ne  seraient  qu'une 
matière  inutile,  inerte  et  destinée  à  une  dissolution  prochaine.  Le 
cep  de  la  vigne  est  tout  pour  les  sarments,  la  tête  est  tout  pour 
les  membres,  comme  Jésus-Christ  est  tout  pour  les  membres  de 
riiumanilé  qui  consentent  à  l'avoir  pour  chef.  Ils  ont  part  à  ses 
mé-rites  et  participent  à  sa  grcàce.  Or  c'est  principalement  par  sa 
passion  que  .Jésus-Christ  a  conquis  ce  mérite,  qu'il  communique 
à  ses  membres  en  qualité  de  chef.  Il  avait  dit  :  «  Bienheureux  ceux 
t  qui  souIVrenl  persécution  à  cause  de  la  justice.  »  Il  a  souffert 
celte  persécution,  et  l'a  soufferte  jusqu'à  la  mort  :  c'est  ainsi  que 
ses  membres  ont  été  mis  à  même  de  participer  à  son  bonheur.  Il 
dit  après  sa  résurrection  :  i'  Il  a  fallu  que  le  Christ  souffrît  et  qu'il 
entnU  aussi  dans  sa  gloire  ^.  »  Mais  il  ne  voulait  pas  entrer  seul 
dans  la  gloire  qui  lui  appartenait  en  propre,  parce  qu'il  était  le 
Fils  unique  de  Dieu  ;  il  prétendait  que  ses  membres  y  entrassent 
avec  lui  :  c'est  pour  cela  qu'il  lui  fallut  souffrir. 

Far  ses  souffrances  et  par  sa  mort,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
a  pleinement  satisfait  pour  tous  les  péchés  des  hommes,  car  ce 
(ju'il  a  offert  à  Dieu,  lorsqu'il  s'est  livré  en  victime  et  en  sacrifice 
pour  le  salut  des  hommes,  honorait  infiniment  plus  l'adorable 
Trinité,  que  les  péchés  de  l'humanité  tout  entière  ne  pouvaient 
l'offenser. 

La  grandeur  de  la  réparation  se  mesure,  en  effet,  à  la  perfection 
des  sentiments  dont  elle  procède,  à  la  dignité  de  l'acte  dans  lequel 
elle  consiste,  à  la  nature  de  cet  acte  en  lui-même.  Or,  Notre-Sei- 

1.  Deus  Domini  nostri  Jesu  Chrisli,  Pater  gloriae,....  omnia  subjecit  sub 
pedibus  ejus,  et  ipsuiii  dédit  caput  super  ornnem  Ecclesiam,  quse  est  corpus 
ipsius,  et  plenitudo  ejus,  qui  omnia  in  omnibus  adimpletur.  (Enhes.,  i,  17, 

I.  Kgo  sum  vitis,  vos  palmites.  Qui  manel  in  me  et  ego  in  eo  hic  fert  fruc- 
tum  nmltum.  {Jonnn.,  xv,  .'].) 
:i.  Oportuil  pal!  Christum,  et  ita  inlrare  in  gloriam  suam.  {Luc,  xxiv,  2G.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  639 

gneur  Jésus-Christ,  qui  voulut  réparer  nos  fautes  auprès  de  Dieu 
en  souffrant  par  charité  et  par  obéissance,  le  fit  avec  une  charité 
infinie  et  une  perfection  d'obéissance  à  laquelle  un  Dieu  fait 
homme  pouvait  seul  atteindre  ;  sa  vie,  qu'il  offrit  et  qu'il  sacrifia 
pour  expier  nos  iniquités,  était  la  vie  d'un  Dieu  en  même  temps 
que  la  vie  d'un  homme;  les  souffrances  qu'il  voulut  endurer  attei- 
gnirent tout  son  être  humain,  et  rien  de  ce  que  les  autres  hom- 
mes ont  souffert  ici-bas  ne  peut  leur  être  comparé.  C'est  pourquoi 
la  passion  de  Notre-Seigneur,  sa  mort  sur  la  montagne  du  Cal- 
vaire a  été  plus  que  suffisante  pour  expier  les  péchés  des  hommes 
et  les  faire  rentrer  en  grâce  avec  Dieu  ;  ses  mérites  ont  été  sura- 
bondants, et  S.  Jean  a  pu  dire  :  «  Il  est  lui-même  propitiation 
«f  pour  nos  péchés,  non  seulement  pour  les  nôtres,  mais  pour 
«  ceux  de  tout  le  monde  i.  » 

La  passion  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  a  donc  déli- 
vrés de  la  servitude  du  péché,  S.  Thomas  nous  dit  encore  qu'elle 
nous  a  conféré  ce  bienfait  inestimable,  en  premier  lieu,  parce 
qu'elle  a  excité  chez  les  hommes  un  véritable  amour  pour  un  Dieu 
qui  les  aime  tant.  S.  Paul  nous  fait  remarquer,  dans  l'Épître  aux 
Romains,  combien  est  grand  Tamour  que  Dieu  nous  témoigne 
dans  la  passion  de  son  divin  Fils  ;  il  dit  :  «  Ainsi,  Dieu  manifeste 
<f  son  amour  pour  nous,  en  ce  que,  dans  le  temps  où  nous  étions 
a  encore  pécheurs,  le  Christ  est  mort  pour  nous  2,  »  Tant  d'amour 
de  la  part  d'un  Dieu  ne  peut  manquer  d'éveiller  dans  nos  cœurs 
quelques  sentiments  de  reconnaissance  et,  par  suite,  de  nous  faire 
aimer  celui  qui  s'est  montré  si  bon  pour  nous.  Or,  nous  obtenons 
le  pardon  de  nos  péchés  si  nous  aimons  véritablement  Dieu, 
selon  cette  parole  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  «  Beaucoup 

1.  nie  proprie  satisfacit  pro  offensa  qui  exhibet  offense  id  quod  feque  vel 
magis  diligil  quam  oderit  ofïensam.  Christus  autem  ex  charitate  et  obedientia 
patiendo,  majus  aliquid  Deo  exbibuit  quam  exigeret  reconipensatio  totius 
offensct  humani  generis  :  primo  quidem  propter  magnitudinem  charitatis  ex 
qua  patiebatur;  secundo,  propter  dignitatem  vitae  suae,  quam  pro  satisfactione 
ponebat,  quae  eratvila  Dei  et  hoininis  ;  tertio  propter  generalitalem  passionis 
et  magnitudinem  doloris  assumpti,  utsupra  dictum  est(quœst.  XLVi,  art.  0).Et 
ideo  passio  Cbristi  non  solum  suftlciens,  sed  etiam  superabundans  satisfactio 
fuit  pro  peccatis  bumani  generis,  secundum  illud  (/.  Joann.,  11,  2)  :  Ipse  est 
propilialio  pro  peccatis  nostris,  non  pro  7ioslris  autem  tantum,  sed  etiam  pro 
totius  mundi.  (S.  TiiOM.,  III  p.,  q.  xLvni,  art.  û) 

2.  Commendat  Ueus  suam  cbaritatem  in  nobis,  quoniam  cum  adbuc  iniinici 
essemus,  Cbristus  pro  uobis  mortuus  est.  [Rom.,  v,  8.) 


640        L.\  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  iT  PARTIE.  —    LIVRE  II.  —   CHAP.   XIII. 

.  de  pécliés  lui  ont  été  remis,  parce  qu'elle  a  aimé  beaucoup  i.  » 
De  plus,  la  passion  du  Sauveur  nous  procure  la  rémission  de 
nos  péchés  par  mode  de  rédemption.  Il  est  notre  chef;  par  ses 
souffrances  et  sa  mort  endurées  pour  nous,  il  nous  a  délivrés, 
comme  ses  membres,  de  nos  péchés;  sa  passion  a  été  le  prix  dont 
il  a  payé  notre  délivrance.  C'est  ainsi  qu'un  homme,  en  accom- 
plissant avec  la  main  une  œuvre  méritoire,  pourrait  racheter  une 
faute  commise  avec  un  autre  membre.  De  même,  en  effet,  qu'un 
corps  naturel  est  un  tout  composé  de  membres  divers,  l'Église, 
qui  est  le  corps  mystique  du  Christ,  est  considérée  comme  un  seul 
tout,  comme  une  personne  unique  avec  Jésus-Christ,  son  chef,  et 
les  mérites  de  ce  divin  chef  rejaillissent  sur  tous  ses  membres. 
Ajoutons  enfin  que  la  chair  dans  laquelle  le  Fils  de  Dieu  a  souf- 
fert est  l'instrument  de  sa  divinité.  Il  n'est  avec  sa  chair  qu'une 
seule  et  unique  personne;  ce  qu'elle  endure,  c'est  bien  le  Verbe  in- 
carné qui  l'endure;  toutes  ses  actions  comme  toutes  ses  souf- 
frances sont  bien  les  actions  et  les  souffrances  d'un  Dieu  fait 
homme  afin  de  pouvoir  souffrir,  et  donner  à  ses  souffrances  une 
vertu  divine,  seule  capable  de  détruire  le  péché.  Nous  pouvons 
donc  et  nous  devons  reconnaître  que  la  passion  de  Notre-Seigneur 
est  la  cause  propre  de  la  rémission  des  péchés  qui  est  faite  aux 
hommes  par  la  justice  et  la  bonté  de  Dieu  2. 

¥.n  acceptant  toutes  les  douleurs  de  sa  passion  et  la  mort 
même  sur  la  croix  pour  nous,  notre  divin  Rédempteur  a  posé  la 
cause  première   de  notre  délivrance.  Désormais,   il    nous  était 

1.  Dimiltunlur  ei  pcccala  inulta,  quoniam  dilexit  multum.  {Luc,  vu,  iâ.) 
•2.  Hespoiuleo  ilicendum  quod  Passio  Christi  est  propria  causa  remissionis 
poccnlonim  Iripliciter.  Primo  (|uidem  per  modiim  provocantis  ad  charitatem, 
quia,  ul  Aposlolus  dicit  {Iiom.,v,  H)  :  CommemUtt  Deus  stiam  charitatem  in 
lutbis  i/tumiam  cum  ad/iuc  inimici  essemus,  Chrislus  pro  nobis  morluus  est. 
Per  ctiarilalcin  autein  consequimur  veniam  peccatorum,  secundum  illud 
[Luc,  VII,  M)  :  Dimisxa  sunt  ei  pcccala  mulla,  quoniam  dilexit  multum.  —  Se- 
cundo, passio  Christi  causât  rcrnissionein  peccatorum  per  modum  redemptio- 
nis.  (^)uia  eniin  ipse  est  capul  iiostrum  per  passionem  suam,  quam  ex  chari- 
tale  et  obedienlia  sustinuil,  li))eravit  nos  lanquam  mcml)ra  sua  a  peccatis, 
quasi  per  pretium  suae  passionis  :  sicut  si  liomo  per  aliquod  o])us  meritorium 
quod  manu  cxcrceret  redimeret  se  a  peccato  quod  pedibus  commisisset.  Sicut 
enim  iiaturale  corpus  est  unum  ex  membrorum  divorsitate  consistens,  ita 
loU  Kcclesia,  quœ  est  mysticum  corpus  Cliristi,  computatur  quasi  una  per- 
soiia  cum  suo  capite,  quod  est  Christus  —  Tertio,  per  modum  efficientiffi,  in 
quantum  caro  secundum  quam  Christus  passionem  sustinuit,  est  instrumen- 
lum  diviniuitis,  ex  quo  ejus  passionos  et  actiones  oporantur  in  virlute  divina 
ad  cxpcllcndum  peccalum.  (S.  Tiiom.,  III  p.,  q.  xux,  art.  \.] 


LE    SACRIFICE    DE   LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  641 

possible  d'obtenir  le  pardon  de  nos  péchés  passés,  présents  ou 
futurs,  quels  qu'ils  fussent.  Il  a  été  pour  nous  ce  que  serait  un 
médecin  infiniment  habile  et  charitable,  qui  préparerait  et  met- 
trait à  la  portée  de  tous  un  remède  assez  efficace  pour  rendre  une 
santé  parfaite  à  tous  les  malades  sans  exception,  qui  voudraient 
en  user.  Mais  ce  merveilleux  remède,  guérissant  non  pas  les 
maladies  du  corps,  mais  celles  de  l'àme,  incomparablement  plus 
graves  et  plus  redoutables,  doit  être  appliqué  à  chaque  homme 
en  particulier,  pour  le  purifier  des  souillures  qui  lui  sont  propres. 
On  se  tromperait  néanmoins  beaucoup  si  l'on  s'imaginait  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  tout  fait,  et  qu'il  ne  nous  reste 
qu'à  profiter  des  mérites  acquis  au  prix  de  tant  de  souffrances. 
S.  Paul  disait  :  «  J'accomplis  dans  ma  chair  ce  qui  manque  aux 
«  souffrances  du  Christ  '.  a  Théophylacte  demande  si  ces  paroles 
de  l'Apôtre  n'étaient  pas  empreintes  d'un  peu  d'ostentation  et 
d'arrogance,  et  il  répond  que  non.  S.  Thomas  en  donne  la  rai- 
son :  «  Ce  qui  manquait,  dit-il,  c'était  que  Jésus-Christ  souffrît 
«  dans  Paul  et  dans  ses  autres  membres,  comme  il  avait  souffert 
«  dans  ses  membres  propres  -.  »  Selon  les  desseins  de  Dieu,  il  ne 
suffit  pas  que  Jésus-Christ  ait  souffert,  il  faut  que  nous  souffrions 
avec  lui,  si  nous  voulons  être  glorifiés  comme  lui.  «  Jésus-Christ 
«  a  souffert  pour  nous,  vous  laissant  l'exemple  afin  que  vous  suiviez 
a  ses  traces  3.  »  H  ne  suffit  donc  pas  que  le  Seigneur  ait  souffert  pour 
notre  salut,  si  nous  ne  savons  pas  tirer  parti  de  ses  souffrances, 
si  nous  ne  nous  appliquons  pas  ses  mérites  en  imitant  son  exem- 
ple et  en  souffrant  comme  lui.  L'Apôtre  ne  disait-il  pas  :  «  Je 
«  porte  sur  mon  corps  les  stigmates  de  mon  Seigneur.  Je  châtie 
a  mon  corps  et  le  réduis  en  servitude  ^?  »  Dévalues  paroles,  de 
vains  désirs,  une  compassion  stérile,  à  la  pensée  des  souffrances 
de  Notre-Seigneur,  ne  suffisent  pas.  Il  faut  imiter  Jésus-Christ 
par  la  pureté  de  la  conscience;  il  faut  l'imiter  par  la  patience  et  la 
résignation  parfaite  au  milieu  des  épreuves  de  la  vie;  il  faut  l'i- 

1.  Adimpleo  ea  quae  desunt  passionum  Christi  in  carne  mea.  [Coloss.,  i,  2i.) 

2.  Hoc  deerat  quod  sicut  Christiis  passus  erat  in  corpore  suo,  ita  pateretur 
in  Paulo  membro  suo,  et  similiter  in  aliis.  (S.  Thom.  in  Epist.  S.  Pxtdi  ad 
Coloss.) 

3.  Christus  passas  est  pro  nohis,  vobis  relinquens  exemplum  ut  sequamini 
vestigia  ejus.  (/.  Petr.,  ii,  21.) 

4.  Ego  stigmata  Domini  inei  in  corpore  mec  porto.  Castigo  corpus  meum, 
et  in  servitutem  redigo.  {Gatft.,  vi,  il.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  41 


642         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  11*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

miter  par  la  pratique  de  la  mortification  volontaire.  Ainsi,  nous 
mériterons  que  nous  soient  appliqués,  dans  toute  leur  plénitude, 
les  mérites  amassés  pour  nous,  par  sa  passion  et  par  sa  mort. 

Mais  si  nous  voulons  suivre  l'exemple  de  Jésus-Christ  notre 
Rédempteur  et  profiter  largement  de  la  rançon  payée  pour  notre 
salut,  le  moyen  le  plus  puissant  qui  soit  à  notre  portée  est  la  dé- 
votion au  saint  sacrifice  de  la  messe.  Là,  en  effet,  l'immolation 
opérée  sur  la  croix  se  renouvelle.  Qui  ne  sait  que  celui  qui  s'im- 
mole sur  nos  autels,  d'une  manière  non  sanglante,  est  le  même 
Jésus-Christ  dont  S.  Paul  a  dit  :  «  Il  s'est  livré  lui-même  pour 
«  nous  en  oblation  à  Dieu,  et  en  hostie  de  suave  odeur  *?  »  Le 
souverain  sacrificateur  est  le  même;  la  victime  est  la  même;  le 
Dieu  à  qui  elle  est  offerte  est  le  même;  l'intention  de  l'oblation 
du  sacrifice  ne  diffère  pas  :  le  fruit  ne  doit  donc  pas  différer  da- 
vantage, et  si  le  sacrifice  de  la  croix  eut  la  vertu  d'effacer  nos 
péchés,  cette  même  vertu  se  retrouve  nécessairement  dans  le  sa- 
crifice de  l'autel, qui  est  identique  avec  lui.  Aussi  lisons-nous  dans 
les  actes  du  Concile  de  Trente  :  «  Parce  que  le  même  Jésus-Christ 
«  qui  s'est  offert  une  foi^  lui-même  sur  l'autel  de  la  croix,  et  avec 
«  effusion  de  son  sang,  est  contenu  et  immolé  sans  effusion  de 
«  sang,  dans  ce  divin  sacrifice  qui  s'accomplit  à  la  messe  :  le 
«  saint  Concile  dit  et  déclare  que  ce  sacrifice  est  vraiment  propi- 
«  tiatoire,  et  que  par  lui  nous  obtenons  miséricorde  et  trouvons 
«  grâce  et  secours  au  besoin,  si  nous  approchons  de  Dieu  contrits 
«  et  pénitents,  avec  un  cœur  sincère,  une  foi  droite,  et  dans  un 
tt  esprit  de  crainte  et  de  respect.  Car  Notre-Seigneur,  apaisé  par 
«  cette  offrande  et  accordant  la  grâce  et  le  don  de  pénitence,  re- 
«  met  les  crimes  et  les  péchés  même  les  plus  grands;  puisque 
<r  c'est  la  même  et  l'unique  hostie,  et  que  c'est  le  même  qui  s'of- 
«  frit  autrefois  sur  la  croix,  qui  s'offre  encore  à  présent  par  le 
«  ministère  des  prêtres,  n'y  ayant  de  différence  qu'en  la  manière 
«  de  l'offrir  ;  et  c'est  même  par  le  moyen  de  cette  oblation  non 
a  sanglante,  que  l'on  reçoit  avec  abondance  le  fruit  de  celle  qui 
«t  s'est  faite  avec  effusion  de  sang  2.  » 

1.  Tradidit  semetipsum  pro  nobis  oblationem,  et  hostiam  Deo  in  odorem 
suavitatis.  (Ephes.,  v,  2.) 

2.  Et  quoniam  in  divino  hoc  sacrificio  quod  in  Missa  peragitur,  idem  ille 
Christus  continetur,  et  incruente  immolalur  qui  in  ara  crucis  semel  seipsum 
cruente  obtulit;  docet  sancta  Synodus  illud  vere  propitiatorium  esse,  per 
ipsumque  fieri,  ut,  si  cum  vero  corde  et  recta  fide,  cum  metu  ac  reverentia, 


LE    SACRIFICE   DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  643 

S.  Jean,  l'apôtre  bien-aimé  de  Jésus,  avait  été  présent  non  seu- 
lement au  sacrifice  delà  Croix,  mais  à  celui  offert  dans  le  Cénacle. 
Bien  des  fois  il  avait  renouvelé  lui-même  ce  sacrifice  non  sanglant, 
selon  la  recommandation  du  divin  Maître  :  il  en  connaissait  donc 
toute  la  valeur  et  ce  n'était  pas  seulement  du  sacrifice  de  la  croix, 
mais  de  celui  que  Jésus-Christ  a  coutume  d'offrir  par  les  mains 
du  prêtre,  quoiqu'il  soit  en  possession  de  la  gloire  du  ciel,  qu'il 
entendait  parler,  lorsqu'il  disait  :  «  Si  quelqu'un  pèche,  nous 
«  avons  pour  avocat  auprès  du  Père  Jésus-Christ,  le  Juste.  Et  il 
«  est  lui-même  propitiation  pour  nos  péchés,  et  non  seulement 
«  pour  les  nôtres,  mais  pour  ceux  de  tout  le  monde  >.  » 

Jésus-Christ,  dont  la  mort  a  expié  nos  fautes  sur  le  Calvaire, 
continue  donc  d'être  propitiation  pour  nos  péchés,  selon  l'expres- 
sion de  S.  Jean,  maintenant  qu'il  est  assis  à  la  droite  du  Père.  Et 
comment  l'est-il,  sinon  par  l'oblation  de  son  sacrifice  renouvelé 
sans  cesse  sur  nos  autels?  Aussi  la  sainte  Église  dit-elle  dans  une 
oraison  secrète  de  la  messe  :  «  Nous  offrons,  Seigneur,  ces  hos- 
«  ties  d'apaisement,  afin  qu'ayant  pitié  de  nous,  vous  nous  absol- 
ut viez  de  nos  péchés  ~.  »  La  messe  renouvelle  le  sacrifice  de  la 
croix  par  lequel  nous  avons  été  rachetés,  elle  renouvelle  donc 
l'œuvre  de  notre  rédemption,  et  l'Église  n'hésite  pas  à  le  dire 
dans  une  autre  oraison  secrète  :  «  Toutes  les  fois  qu'est  célébrée 
«  la  commémoration  de  cette  hostie,  l'œuvre  de  notre  rédemption 
«  s'accomplit  3.  » 

S'il  nous  avait  été  donné  de  nous  trouver  au  pied  de  la  croix 
du  Sauveur,  et  de  savoir  que  c'était  en  notre  faveur  qu'il  mourait 
au  milieu  des  plus  cruels  tourments,  si  nous  avions  connu  que 

contriti  ac  pœnitentes  ad  Deum  accedamus,  misericordiam  consequamur,  et 
gratiam  inveniamus  in  auxilio  opportuno. 

Hujus  quippe  oblatione  placatus  Dominus,  gratiam  et  donum  pœnitentiae 
concedens,  crimina  et  peccala  etiam  ingentia  dimittit,  iina  euim  eademque 
est  hostia,  idem  nunc  offerens  sacerdotum  ministerio,  qui  seipsum  tune  in 
cruce  obtulit,  sola  offerendi  ratione  diversa.  Cujus  quidem  olilationis, 
cruentae,  inqiiam  fructus  per  hanc  uberrime  percipiuntur.  {Concil.  Trident., 
sess.  XXII,  cap.  ii.) 

1.  Si  quis  peccaverit,  advocatum  habemus  apud  Patrem  Jesum  Clirislum 
Justum.  Et  ipse  est  propitiatio  pro  pcccalis  nostris  :  non  pro  nostris  aulem 
tantum,  sed  etiam  pro  lotius  mundi.  (/.  Joann.,  ii,  1,  "1.) 

-1.  Hostias  tibi,  Domine,  placationis  ollcrimus,  ut  delicta  nostra  miseratus 
absolvas.  {Orat.  secret,  in  Dom.  V  Ej)iph.) 

3.  Quoties  bujus  hostias  commemoratio  celebratur,  opus  nostrœ  redemptio- 
nis  cxercetur.  (Orat.  secret,  in  Dom.  IX ))ust.  Petit.) 


644       LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XIII. 

son  sang  était  le  prix  de  notre  rançon,  aurions-nous  hésité  un 
instant  à  croire  au  pardon  de  nos  péchés?  Nous  eussions  fait 
comme  le  bon  larron;  notre  foi  en  la  miséricorde  de  Dieu  eût  été 
entière,  et  comme  lui  nous  eussions  été  purifiés  de  toutes  les 
souillures  de  notre  âme. 

Lorsque  nous  célébrons  la  sainte  messe  ou  que  nous  y  assistons, 
le  même  Rédempteur  qui  fut  alors  immolé  sur  la  croix  s'immole 
sur  l'autel  ;  il  offre  au  Père  Éternel  le  même  sacrifice  pour  l'ex- 
piation de  nos  péchés.  Sans  doute  il  ne  mérite  plus,  car  il  n'est 
plus  en  état  de  le  faire  :  il  ne  pouvait  mourir  qu'une  lois;  mais 
les  mérites  infinis  et  inépuisables,  acquis  par  son  sacrifice  san- 
glant, sont  toujours  à  sa  disposition;  et  il  les  offre  de  nouveau 
en  la  laveur  de  sa  sainte  Église,  de  ceux  que  le  prêtre  lui  recom- 
mande et  de  ceux  qui,  présents  à  son  sacrifice,  s'y  unissent  par 
la  foi  et  la  dévotion  de  leurs  cœurs. 

Dieu  pourrait-il  regarder  encore  d'un  œil  irrité  ceux  pour  qui 
son  Fils  bien-aimé  lui  offre  une  telle  réparation  ?  Pourrait-il  exi- 
ger une  réparation  plus  complète  que  celle  qui  lui  est  faite  par 
l'oblation  d'un  tel  sacrifice?  Qu'ils  entrent  dans  les  sentiments  de 
Jésus-Christ  lui-même,  autant  qu'ils  le  peuvent;  qu'ils  offrent 
avec  lui  ses  souffrances  et  sa  mort  au  Père  éternel,  et  leurs  ini- 
quités disparaîtront,  consumées  par  le  feu  de  l'amour  divin  qui 
brûle  sur  l'autel.  «  Si  vous  craignez  de  ne  pouvoir  apaiser  la  co- 
«  1ère  de  Dieu,  dit  un  pieux  auteur,  hàtez-vous  de  lui  offrir  un 
«  présent  de  grand  prix  ;  offrez-lui  le  Christ,  ses  mérites,  sa  satis- 
«  faction.  Le  Fils  de  Dieu  est  plus  agréable  à  son  Père  que  vous 
«  ne  pourriez  lui  déplaire,  vous  et  le  monde  entier.  Dites  donc-  à 
«  son  Père  :  Je  suis  indigne  de  pardon  ;  mes  péchés  ont  été  plus 
«  nombreux  que  les  grains  de  sable  du  rivage  de  la  mer  :  mais 
«  voici  votre  P'ils  que  vous  m'avez  donné,  et  que  je  vous  offre  ;  il 
«  vous  plaît  davantage  que  je  ne  vous  ai  déplu,  ses  mérites  sont 
«  plus  grands  que  ne  sont  mes  péchés  ^  » 

Un  lit  dans  le  prophète  Isaïe  :  «  Si  le  Seigneur  des  armées  ne 
«r  nous  avait  laissé  un  rejeton,  nous  aurions  été  comme  Sodome, 
o  nous  serions  devenus  semjjlables  à  Gomorrhe  -.  »  S.  Paul  rap- 
pelle ce  texte  en  parlant  des  restes  du  peuple  juif,  qui  furent 

\.  Osonius,  de  }fiss.  div.  aacrif. 

2.  Nisi  Dominus  exercituum  reliquisset  nobis  semen,  quasi  Sodoma  fuisse- 
mus  et  quasi  Gomorrha  similes  cssemus.  (/s.,  i,  0.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'unE    GRANDE    DÉVOTION.  645 

fidèles  à  l'inspiration  de  la  grâce  et  se  convertirent  dans  les  pre- 
miers temps  de  la  prédication  de  l'Évangile  '  ;  mais  cette  applica- 
tion faite  par  TApôtre  ne  s'oppose  pas  à  l'interprétation  de  ceux 
qui  voient  Jésus-Christ  dans  le  rejeton  dont  parle  le  prophète. 
C'est  ainsi  que  quelques  lignes  plus  haut,  Isaïe  dit,  en  parlant  du 
peuple  juif  qu'il  compare  à  un  homme  :  «  De  la  plante  des  pieds 
«  jusqu'au  sommet  de  la  tête,  il  n'y  a  rien  de  sain  en  lui.  C'est 
«  blessure,  meurtrissure,  plaie  enflammée  qui  n'a  pas  été  bandée, 
«  ni  pansée,  ni  adoucie  par  l'huile  -.  »  Qui  ne  sait  que  la  sainte 
Église  n'hésite  pas  à  entendre  ce  texte  de  Notre-Seigneur  lui- 
même  au  temps  de  sa  passion  ?  C'est  donc  lui  aussi  qui  est  ce  re- 
jeton sans  lequel  non  seulement  les  Juifs,  mais  les  Chrétiens  eux- 
mêmes,  fussent  devenus  semblables  à  Sodome  et  à  Gomorrhe.  Et 
pour  que  nous  n'en  puissions  douter,  le  prophète  ajoute  :  «  Qu'ai- 
«  je  à  faire  de  la  multitude  de  vos  victimes  ?  dit  le  Seigneur.  Je 
«  suis  rassasié  ;  les  holocaustes  des  béliers  et  la  graisse  des  ani- 
«  maux,  et  le  sang  des  veaux  et  des  agneaux  et  des  boucs,  je  n'en 
«  veux  plus  3.  »  Cependant  l'oblation  du  sacrifice  est  l'acte  essentiel 
du  culte.  Pourquoi  Dieu  repoussait-il  absolument  les  sacrifices 
anciens,  sinon  parce  que  le  sacrifice  par  excellence,  celui  dont  ils 
n'étaient  que  l'image  et  la  préparation,  allait  être  offert  sur  le  Cal- 
vaire? Pourquoi,  sinon  parce  que  cette  oblation  pure  serait  offerte 
bientôt,  non  seulement  sur  le  Calvaire,  mais  chez  tous  les  peuples, 
parmi  toutes  les  nations?  Et  c'est  grâce  à  ce  sacrifice  divin,  à 
cette  semence  du  ciel  répandue  par  tout  l'univers,  que  le  peuple 
chrétien,  la  sainte  Église,  ne  ressemblera  pas  à  Sodome  et  à  Go- 
morrhe et  qu'elle  ne  sera  pas  traitée  comme  ces  malheureuses 
villes.  Hélas!  nous  sommes  pécheurs  et  souvent  les  iniquités  des 
peuples  chrétiens  crient  vengeance  vers  le  ciel;  mais  nous  avons 
un  rejeton  sauveur  que  Dieu  nous  a  laissé;  nous  avons  Jésus- 
Christ  s'immolant  pour  nous  des  milliers  de  fois  chaque  jour,  sur 
nos  autels;  et  voilà  pourquoi  la  miséricorde  de  Dieu  désarme 
sa  justice;  voilà  pourquoi  nous  ne  sommes  pas  frappés  comme  les 

\.  Hom.,  IX,  21). 

2.  A  planta  pedis  usque  ad  verticem  non  est  in  eo  sanitas;  vulnus  et  livor, 
et  plaga  tumens,  non  est  circumiigata,  nec  curata  medicamento,  nec  fota 
oleo.  (/s.,  I,  G.) 

r<.  Quo  milii  niultitudincm  viclimarum  vestrarum?  dicit  Doniinlis.  Plenus 
sum;  holocausta  arieluni,  et  adipem  pinguium,  el  sanguinem  vitulorum,  et 
agnorum  et  hircorum  nolui.  (/s.,  i,  11.) 


646        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIII. 

antiques  villes  coupables.  Mais  il  faut  que  nous  sachions  recon- 
naître le  don  d'une  valeur  infinie  que  le  Seigneur  nous  a  fait  ;  il 
faut  que  nous  approchions  de  l'autel  sur  lequel  s'immole  la  divine 
victime,  avec  tout  le  respect  et  toute  la  dévotion  que  réclame  un 
si  saint  mystère. 

S.  Paul  nous  enseigne,  dansl'Épître  aux  Hébreux,  que  :  «  Tout 
«  Pontife  pris  d'entre  les  hommes  est  établi  pour  les  hommes  en 
«  ce  qui  regarde  Dieu,  afin  qu'il  offre  des  dons  et  des  sacrifices 
«  pour  les  péchés  K  »  Quel  présent  plus  agréable  à  Dieu  pourrait- 
on  lui  olTrir  que  ce  Fils  dont  il  s'est  plu  à  répéter  :  «  Celui-ci 
«  est  mon  Fils  bien-aimé  en  qui  j'ai  mis  toutes  mes  complai- 
«  sances  :  »  Hic  est  Filius  meus  dilectus  in  quo  milii  bene  com- 
placui  -?  que  ce  Fils  qui,  certain  que  son  immolation  serait  bien 
accueillie  par  son  Père,  a  dit  à  son  tour  :  «  Les  holocaustes  pour 
«  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu  ;  alors  j'ai  dit  :  Me  voici  ;  je  viens 
«  pour  faire,  ô  Dieu,  votre  volonté  '^'l  »  Et  d'ailleurs  ce  don  que 
nous  offrons  à  Dieu,  cette  victime  que  nous  immolons  ou  plutôt 
qui  s'immole  par  le  ministère  du  prêtre  n'est  autre  que  Dieu  lui- 
même.  C'est  la  victime  même  de  notre  sacrifice  que  nous  implo- 
rons; c'est  de  cette  victime,  qui  se  sacrifie  elle-même  volontaire- 
ment pour  notre  salut,  que  nous  attendons  le  pardon  de  nos  pé- 
chés, c'est  à  elle  que  nous  redisons  :  «  Agneau  de  Dieu  qui  effacez 
«  les  péchés  du  monde,  ayez  pitié  de  nous.  Agneau  de  Dieu  qui 
«  effacez  les  péchés  du  monde,  donnez-nous  la  paix.  »  Le  divin 
Agneau  qui  verse  son  sang,  afin  de  nous  mériter  le  pardon  dont 
nous  avons  besoin,  ne  peut  pas  nous  refuser  ce  pardon,  demandé 
en  vertu  de  ce  même  sang  répandu  pour  nous  et  offert  sur  l'autel, 
pour  notre  salut.  Il  nous  l'a  d'ailleurs  solennellement  promis  en 
instituant  cet  adorable  sacrifice.  N'a-t-il  pas  dit,  et  les  prêtres  ne 
répètent-ils  pas  tous  les  jours  après  lui  :  «  Ce  calice  est  celui  de 
«  mon  sang,  du  nouveau  et  éternel  testament,  mystère  de  foi  qui 
«  pour  vous  et  pour  plusieurs  sera  répandu  en  rémission  des 
e  péchés  :  »  Hic  est  enim  calix  sangiiinis  mei,  novi  et  œterni 
testamenti,  mysterium  fidei,  qui  pro  vobis  et  pro  multis  eff'un- 

i.  Omnis  namque  Pontifex  ex  hominibus  assumptus,  pro  hominibus  consti- 
tuitur  in  iis,  quae  sunt  ad  Deum,  ut  offerat  dona  et  sacrificia  pro  peccatis. 
{IIcfjr.,\,  1.) 

2.  Matth.,  III,  17. 

3.  Holocausta  pro  peccato  non  tibi  placuerunt.  Tune  dixi  :  Ecce  venio....  Ut 
faciam,  Deus,  voluntatem  tuam.  [Hebr.,  x,  6,  7.) 


LE    SACRIFICE    DE   LA   MESSE    DIGNE   d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  647 

detur  in  remissionem  peccaiorum  ?  <s  Ces  paroles,  dit  très  bien 
«  le  cardinal  Bellarmin,  nous  enseignent  clairement  que  le  Christ 
«<  a  offert  le  sacrifice  de  la  Cène  pour  les  péchés  des  apôtres.  Or, 
«  notre  sacrifice  est  identiquement  le  même  qui  fut  offert  en  cette 
«  circonstance  i.  »  Et  S.  Ambroise  en  tire  la  conséquence  en  ces 
termes  :  «  Si  toutes  les  fois  que  le  sang  du  Christ  est  versé,  il  est 
«  pris  pour  la  rémission  des  péchés,  je  dois  toujours  le  prendre, 
«  pour  que  toujours  mes  péchés  me  soient  remis  '".  » 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  le  saint  sacrifice  de  la 
messe  efface  directement  le  péché  par  sa  propre  vertu.  Cet  effet 
est  réservé  aux  sacrements,  et  particulièrement  au  Baptême  et  à  la 
Pénitence.  Mais  il  nous  obtient  de  Dieu  des  grâces  abondantes 
qui  finissent  souvent  par  triompher  des  cœurs  même  les  plus  en- 
durcis. Après  la  mort  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  sur  la  croix, 
beaucoup  de  ceux  qui  avaient  assisté  au  sanglant  sacrifice  et  qui 
avaient  insulté  la  divine  Victime,  se  retirèrent  pénétrés  de  com- 
ponction, se  frappant  la  poitrine  et  confessant  sa  divinité.  C'est  le 
même  sang  qui  coule  sur  nos  autels;  il  n'a  rien  perdu  de  sa  vertu 
pour  la  conversion  des  pécheurs,  et  c'est  pour  nous  appliquer  les 
mérites  acquis  par  l'effusion  de  ce  sang  sacré,  que  la  divine  Vic- 
time renouvelle  son  sacrifice. 

Ici  se  place  un  enseignement  du  Docteur  Angélique.  «  L"Eu- 
«  charistie,  dit  S.  Thomas,  n'est  pas  uniquement  un  sacrement, 
«  elle  est  aussi  un  sacrifice.  Comme  sacrement,  elle  produit  son 
«  effet  sur  quiconque  est  vivant,  mais  il  est  requis  qu'il  vive 
«t  d'abord  ;  comme  sacrifice  elle  produit  son  effet  même  dans 
«  les  autres  pour  qui  elle  est  offerte,  sans  exiger  qu'ils  vivent 
«  actuellement  de  la  vie  spirituelle  :  il  suffit  que  cette  vie  soit 
«  possible  pour  eux.  Si  donc  elle  les  trouve  disposés,  elle  leur 
«  obtient  la  grâce  en  vertu  de  ce  véritable  sacrifice,  duquel  toute 
«f  grâce  est  découlée  en  nous;  par  conséquent,  elle  détruit  en 
«  eux  le  péché  mortel,  non  pas  comme  cause  prochaine  et  im- 
«  médiate,  mais  parce  qu'elle  leur  obtient  la  grâce  de  la  contri- 

1.  Nam  illa  verha  hic  l'sl,  etc.,  apertissime  docent,  Christum  obtulisse  in 
cœna  sacrificiuni  prn  p(>ccatis  Apostolorum.  Idem  autem  est  sacrificium  nos- 
trum  cum  illo  quod  in  cœnaohlatuin  fuit  (Hellahmin.  card.,  t.  11,  de  Socrî/icio 
t7iissœ.) 

2.  Si  quotiescumque  elViindilur  sanguis  Cliristi,  in  reniissionem  peccato- 
rum  sumitur,  debeo  illum  seinpcr  sumere,  ut  semper  mihi  peccata  dimittan- 
tur.  (S.  Ambros.,  lib.  IV  de  Sacram.) 


648         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  XIII. 

tion  '.  »  Que  si  le  saint  sacrifice  de  la  messe  a  une  efficacité  telle 
qu'il  procure  même  la  rémission  des  péchés  mortels  à  ceux  qui 
participent  en  quelque  manière  à  son  oblation  :  à  plus  forte  raison 
les  purifiera-t-il  de  leurs  fautes  vénielles  ;  à  plus  forte  raison  encore 
soulagera-t-il  les  âmes  du  purgatoire  pour  lesquelles  il  est  offert 
et  contribuera-t-il  à  les  délivrer  de  leurs  peines. 

Le  savant  cardinal  Bellarmin  confirme  en  ces  termes  l'ensei- 
gnement de  S.  Thomas  :  «  Le  sacrifice  de  la  messe  ne  peut  pas 
«  avoir  une  efficacité  plus  grande  que  celui  de  la  Croix,  puisque 
«  c'est  du  sacrifice  de  la  Croix  que  celui  de  la  messe  emprunte 
«  toute  sa  vertu.  Or,  le  sacrifice  de  la  Croix  n'a  pas  produit  la 
«  justification  de  fait  et  immédiatement,  mais  seulement  d'une 
«  manière  impétratoire  et  par  son  mérite  :  autrement  tous  les 
«  hommes  eussent  été  justifiés  immédiatement,  puisque  le  Sei- 
«  gneur  s'est  offert  en  sacrifice  à  Dieu  pour  tous  les  hommes.  » 
Et  le  savant  théologien  conclut  :  «  Le  sacrifice  de  la  messe  ne 
a  justifie  donc  pas  l'homme  immédiatement,  mais  il  obtient  aux 
«  iiommes,  en  vertu  du  mérite  de  ce  sacrifice,  la  grâce  et  le  don 
«  de  pénitence  '-.  » 

Que  nous  reste-t-il  donc  à  faire,  sinon  de  recourir  avec  une  dé- 
votion qui  ne  faiblisse  pas,  mais  plutôt  grandisse  tous  les  jours, 
à  ce  divin  sacrifice,  source  de  pardon  et  de  grâce.  Tous  nous 
avons  des  fautes  dont  il  nous  faut  obtenir  la  rémission;  tous  nous 
avons  des  dettes  à  payer  à  la  justice  de  Dieu  :  le  saint  sacrifice  de 
la  messe  nous  facilitera  d'obtenir  la  purification  parfaite  qui  nous 
est  nécessaire.  Et  que  notre  intention,  lorsque  nous  célébrons  ce 

\.  Dicendum  quod  Eucharistia  non  solum  est  sacramentum,  sed  etiam  sa- 
crificium;  in  quantun^i  autem  est  sacramentum,  habet  effectum  in  omni 
vivente,  in  quo  requiritur  vitam  prœexislere  ;  sed  in  quantum  est sacrificium, 
habet  effectum  etiam  in  aliis,  pro  quibus  offertur,  in  quibus  non  prœexigit 
vitam  spiritualem  in  actu,  sed  in  potentia  tantum,  et  ideo,  si  eos  dispositos 
inveniat,  eis  gratiam  obtinet,  virtute  illius  veri  sacrificii,  a  quo  omnis  gratia 
in  nos  influxit;  et  per  consequens  peccala  morlalia  in  eis  delet,  non  sicut 
causa  proxima,  sed  in  quantum  gratiam  contritionis  eis  impetrat.  (S.  Tiiom., 
in  IV'  Sentent.,  d.  xii.) 

2.  Non  majorem  vim  habere  potest  sacrificium  Missas  quam  sacrificium 
crucis,  cum  sacrificium  Missse  vim  habeat  a  sacrificio  crucis  ;  sacrificium  au- 
tem crucis,  non  efficienter  et  immédiate  justificavit,  sed  tantum  impetratorie 
et  meritorie  ;  alioquin  continuo  omnes  homines  justi  effecti  essent,  cum  Do- 
minus  pro  omnibus  hoininibus  se  Deo  in  sacrificium  obtulerit....  Sacrificium 
Missae  non  justificat  homines  immédiate,  sed  impetrat,  ut  ex  merito  sacrificii 
detur  hominibus  gratia  et  donum  pcenitentiee.  (Bellarm.,  lib.  II  de  Missa.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE   DIGNE   d'UNE   GRANDE   DÉVOTION.  649 

divin  sacrifice,  ou  que  nous  y  assistons  avec  une  véritable  piété, 
ne  s'arrête  pas  uniquement  à  notre  propre  personne  :  offrons-b 
pour  tant  d'àmes  qui  sont  bonnes,  mais  qui  pourraient  encore, 
avec  un  secours  plus  abondant  de  la  grâce,  faire  d'immenses  pro- 
grès dans  la  vertu  ;  offrons-le  pour  les  pauvres  pécheurs  afin 
qu'ils  se  convertissent  et  deviennent  des  saints  ;  offrons-le  pour 
les  pauvres  âmes  du  purgatoire,  pour  lesquelles  le  sang  divin  ré- 
pandu sur  l'autel  deviendra  ainsi  une  rosée  rafraîchissante; 
offrons-le  enfin  pour  la  sainte  Église  de  Dieu  tout  entière,  et  nous 
accumulerons  ainsi  sur  notre  propre  tête  une  multitude  infinie 
de  grâces  et  de  bénédictions. 

IV. 

LA  MESSE  SACRIFICE  IMPÉTRATOIRE  QUI  NOUS  OBTIENT  DE  DIEU  TOUTES 
SORTES  DE  GRACES,  ET  PAR  LEQUEL  NOUS  LUI  TÉMOIGNONS  NOTRE 
RECONNAISSANCE. 

Le  cardinal  Bellarmin,  dont  l'autorité  théologique  est  si  grande, 
enseigne  que  le  caractère  propre  et  tout  spécial  du  saint  sacrifice 
de  la  messe  est  d'être  impétratoire,  c'est-à-dire  de  demander  et 
d'obtenir  pour  nous  les  grâces  qui,  toutes,  nous  viennent  par  lui. 
Le  sacrifice  de  la  Croix,  dit-il,  fut  méritoire,  satis  facto  ire  et  im- 
pétratoire, «  véritablement  et  proprement,  parce  qu'alors  le  Christ 
«  était  mortel  et  qu'il  pouvait  mériter  et  satisfaire  :  le  sacrifice 
«  de  la  messe  est  seulement  impétratoire,  parce  que  le  Christ, 
«  désormais  immortel,  ne  peut  ni  mériter  ni  satisfaire.  Lors 
«  donc  qu'on  dit  de  lui  qu'il  est  propitiatoire,  ou  qu'il  satisfait 
«  pour  nous  à  la  justice  de  Dieu,  ce  nom  lui  est  donné  à  cause 
«  du  genre  de  grâces  que  nous  obtenons  par  lui,  et  c'est  ainsi 
«  qu'il  faut  l'entendre.  On  le  nomme  propitiatoire  parce  qu'il 
«  nous  obtient  la  rémission  de  notre  culpabilité;  satis  facto  ire  y 
«  parce  qu'il  nous  obtient  la  rémission  de  la  peine;  méritoire 
«  enfin,  parci.'  qu'il  nous  obtient  la  grâce  de  faire  le  bien  et  d'ac- 
«  quérir  des  mérites  '.  » 

\.  Sacrificium  crucis  fuit  ineritorium,  satisfactoriumet  inipetratorium  vere, 
et  proprie  :  quia  Christus  tune  mortalis  eral,  et  mereri  et  satisfacere  pote- 
rat;  sacritîcium  Missae  proprie  solum  est  impelratorium,  quia  Christus,  nunc 
immortalis,  nec  mereri  nec  satisfacere  potest.  Cum  autcin  dicitur  propitiato- 
rium,  vel  satisfaclorium,  ici  intellif^endum  est  ralione  rei  quae  iiupetratur. 
Dicitur  enim  propitiatoriuin,  quia  impetrat  remissionem  culpte;   satisfacto- 


650        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  11.  —  CHAP.  XIll. 

Que  l'humanité  serait  à  plaindre  si  la  miséricorde  infinie  de 
Dieu  n'avait  pourvu  à  nos  besoins  par  l'institution  de  cet  adorable 
sacrifice  !  Nous  sommes  dans  une  vallée  de  larmes,  où,  selon  la 
parole  du  Psalmiste,  <r  des  maux  innombrables  nous  envi- 
«  ronnent  '  ;  »  nous  avons  besoin  d'une  multitude  de  grâces  et 
de  secours  :  or  il  nous  serait  impossible  de  les  obtenir  jamais, 
parce  que  nous  ne  cessons  de  mettre  obstacle  aux  bons  desseins 
de  Dieu  envers  nous,  et  de  nous  rendre  indignes  de  ses  grâces,, 
par  la  multitude  de  nos  péchés.  Cependant  il  est  d'expérience  que, 
même  pécheurs  et  rebelles,  nous  éprouvons  les  effets  de  la  misé- 
ricorde divine  et  nous  recevons  mille  bienfaits  de  sa  main.  D'où 
peut-il  venir  que  Dieu  en  agisse  ainsi  envers  nous,  sinon  de  ce 
que  le  sacrifice  de  la  messe  est  offert  à  chaque  instant  sur  la  terre, 
partout  où  Jésus-Christ  est  connu  et  servi  ?  Partout  et  toujours 
«  il  interpelle  pour  nous  2,  »  selon  l'expression  de  l'Apôtre. 
Il  est  lui-même  le  Soleil  de  justice  et  c'est  de  lui  qu'il  est  dit  que 
Dieu  «  fait  lever  son  soleil  sur  les  bons  et  sur  les  méchants  ^.  i> 
Il  ne  cesse  d'intercéder  pour  nous  et  de  demander  ce  qu'il  sait  né- 
cessaire à  notre  salut.  Le  prophète  Amos  rapporte  une  vision  et 
dit  :  «  J'ai  vu  le  Seigneur  debout  sur  l'autel  ^.  »  Évidemment  ce- 
n'était  pas  sans  quelque  intention  mystérieuse  que  le  Seigneur  se 
montrait  ainsi  debout  sur  l'autel,  aux  yeux  du  prophète.  Peut-être 
comprendra-t-on  mieux  la  signification  de  cette  vision,  si  l'on  se 
rappelle  ce  qui  est  écrit  du  saint  martyr  Etienne.  Nous  lisons  de 
lui  au  livre  des  Actes  des  Apôtres  :  «  Comme  il  était  rempli  de 
«  l'Esprit  saint,  levant  les  yeux  au  ciel,  il  vit  la  gloire  de  Dieu,  et 
«  il  dit  :  Voilà  que  je  vois  les  cieux  ouverts,  et  le  Fils  de 
«  l'homme  qui  est  à  la  droite  de  Dieu  '\  »  S.  Etienne  vit  Jésus 
debout  à  la  droite  du  Père,  comme  Amos  l'avait  vu  debout  sur 
l'autel,  pour  marquer  qu'il  est  toujours  prêt  à  nous  venir  en  aide 
et  qu'il  ne  cesse  jamais  de  nous  protéger.  C'est  dans  le  même 

rium,  quia  impetrat  remissionem  pœnae;  meritorium,  quia  impetrat  gratiam 
benefaciendi  ac  mérita  acquirendi.  (Bellarm.,  de  Sacrif.  Missx.) 
i.  l'bi  circumdederunt  nos  mala,  quorum  non  est  numerus.  {Ps.  xxxix,  13.) 

2.  Qui  etiam  interpellât  pro  nobis.  (liom.,  viii,  34.) 

3.  Qui  solem  suuni  oriri  facit  super  bonos  et  malos.  [Malth.,  v,  ili.) 
■i.  Vidi  Dominum  stantem  super  altare.  (Amos,  ix,  M.) 

■j.  Cum  aulem  esset  plenus  Spiritu  sancto,  intendens  in  cœlum  vidit  glo- 
riam  Dei,  et  Jesum  stantem  a  dexlris  Dei,  et  ait  :  Ecce  video  cœlos  apertos, 
et  Filium  hominis,  stantem  a  dextris  Dei.  [Act.  Apost.,  vu,  îiij.) 


LE   SACRIFICE   DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GRANDE    DÉVOTION.  651 

sens  que  l'apôtre  bien-aimé  nous  dit  :  «  Nous  avons  un  avocat  au- 
«  près  du  Père,  Jésus-Christ,  le  Juste  :  s>  Advocatum  habemus 
apud  Patrem,  Jesum  Christum  justum  i.  Il  n'est  avec  le  Père 
qu'un  seul  et  même  Dieu  ;  sa  substance  est  la  même,  son  essence 
est  la  même  et  c'est  sa  très  sainte  humanité  que  nous  offrons,  ou 
plutôt  qu'il  offre  par  notre  intermédiaire,  à  Dieu  en  sacrifice  :  qui 
ne  comprend  dès  lors  la  toute-puissance  de  son  intercession?  Car 
c'est  pour  intercéder  en  notre  faveur  qu'il  se  tient  à  la  droite  de 
son  Père  et  qu'il  s'offre  en  sacrifice,  selon  la  parole  de  l'Apôtre  : 
«  Jésus-Christ  est  entré  dans  le  ciel  même,  afin  de  paraître  main- 
(f  tenant  pour  nous  devant  la  face  de  Dieu  -.  » 

Combien  doit  être  grande  l'efficacité  de  notre  prière,  lorsque 
nous  l'adressons  à  Dieu  en  union  avec  la  céleste  victime  qui  s'im- 
mole sur  nos  autels,  lorsque  le  Fils  de  Dieu,  debout  à  la  droite  de 
son  Père,  lui  offre  de  nouveau  son  sacrifice,  avec  tous  les  mérites 
acquis  par  sa  mort  sur  la  croix,  pour  appuyer  notre  demande  et 
nous  obtenir  ce  que  nous  implorons?  Aussi  convient-il  que  nos 
prières  soient  en  rapport  avec  la  dignité  d'un  tel  intercesseur  et 
d'un  tel  sacrifice.  Osorius  rapporte  qu'un  homme  d'une  insigne 
piété  avait  coutume  de  dire  :  «  Il  me  semble  que  ce  que  je 
«  demande  n'est  rien,  lorsque  j'offre  le  sacrifice  de  la  messe;  car 
«  ce  qui  est  offert  à  Dieu  est  quelque  chose  de  si  grand,  que  l'on 
«  doit  considérer  comme  un  néant  tout  ce  qu'on  demande  en 
«  échange  à  Dieu.  Supposez  que  vous  trouvant  au  pied  de  la  croix 
a  de  Jésus-Christ,  lorsqu'il  répandait  son  sang  pour  le  monde,  et 
«  que  le  bon  larron  fut  exaucé  ;  si  en  ce  moment  vous  eussiez 
«  recueilli  le  sang  du  Seigneur  et  que  vous  eussiez  demandé 
«  quelque  chose  à  Dieu,  en  vertu  de  ce  sang  :  est-il,  dites-moi, 
«  une  faveur  que  vous  n'ayez  pu  réclamer,  avec  la  confiance  la 
«  plus  absolue  d'être  exaucé  ?  C'est  avec  la  même  confiance  qu'il 
a  faut  prier  à  la  messe,  car  c'est  le  même  sacrifice  qui  est  offert, 
«  c'est  le  même  sang,  ce  sont  les  mêmes  mérites  que  Ion  présente 
«  à  Dieu  3.  B 

Aussi  les  chrétiens  pénétrés  d'une  foi  vive  et  éclairée  ont-ils, 
dans  tous  les  temps,  recouru  au  sacrifice  de  la  messe,  pour  obte- 

1.  /.  Joanti.,  II,  1. 

2.  Jésus  introivit.,..  in  ipsiun  cœliim,  ut  apparent  nunc  vultui  Dei  pro 
nobis.  {Ilehr.,  i.\,  Si.) 

3.  OsoR.,  de  Miss.  div. 


652        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE   II,  —  CUAr.    XIII. 

nir  de  Dieu  les  grâces  dont  ils  éprouvaient  un  pressant  besoin. 
Que  de  fois  les  anciens  rois  et  les  généraux  les  plus  fameux 
n'ont-ils  pas  obtenu,  en  assistant  à  la  messe  avant  d'engager  la  ba- 
taille, les  victoires  les  plus  complètes  et  les  plus  inespérées,  sur  les 
ennemis  de  la  foi  ou  de  la  patrie  !  Ils  ne  rougissaient  pas  de  mon- 
trer que  leur  confiance  était  moins  dans  le  nombre  et  la  vaillance 
de  leurs  soldats  que  dans  la  protection  de  Dieu,  obtenue  par  l'obla- 
tion  du  saint  sacrifice,  et  le  succès  récompensait  leur  foi. 

Mais  sans  rechercher  ces  exemples  dont  les  anciennes  chro- 
niques et  les  vies  des  saints  sont  remplies,  rappelons-nous  ce  que 
nous  lisons  dans  la  Sainte  Écriture. 

Au  temps  où  le  peuple  de  Dieu  avait  Gédéon  pour  juge,  une 
armée  ennemie  envahit  le  pays  que  ce  peuple  habitait,  et  tous  les 
Hébreux  furent  saisis  d'épouvante.  C'est  qu'en  effet  les  ennemis 
étaient  tellement  nombreux,  que  l'écrivain  sacré  les  compare  à  ces 
nuées  de  sauterelles,  qui  parfois  envahissent  et  ravagent  toute  une 
contrée.  Cependant  il  suffit  du  présage  tiré  d'un  pain,  vu  en  rêve 
par  un  soldat,  pour  i)orter  le  désordre  au  milieu  de  cette  foule 
innombrable  et  détruire  cette  immense  armée.  Mais  avant  que  le 
Seigneur  lui  accordât  cette  merveilleuse  victoire,  Gédéon  avait 
offert  un  sacrifice  composé  de  chair  et  de  pains  azymes,  figure  du 
sacrifice  de  l'Eucharistie,  dans  lequel  la  chair  du  Fils  de  Dieu  est 
cachée  sous  l'apparence  d'un  pain  sans  levain.  Dieu  avait  accepté 
ce  sacrifice  à  cause  de  celui  dont  il  était  l'image. 

En  dehors  de  ces  faits  extraordinaires,  dont  on  pourrait  citer 
un  grand  nombre,  il  en  est  d'autres  qui,  pour  être  moins  éclatants, 
n'en  témoignent  pas  moins  combien  Dieu  se  plaît  à  nous  accorder 
ce  que  nous  lui  demandons  en  vertu  du  sacrifice  de  la  messe. 

Chacun  de  nous  a  éprouvé,  et  peut  éprouver  encore,  l'efficacité 
de  l'oblation  du  saint  sacrifice  ou  de  l'assistance  à  la  messe,  pour 
obtenir  de  Dieu  les  grâces  spirituelles,  la  victoire  sur  les  passions, 
les  démons  et  les  autres  ennemis  de  nos  âmes,  et  même  les  grâces 
d'un  ordre  inférieur  et  purement  temporel.  Ce  n'est  pas  seule- 
ment contre  les  ennemis  qui  menacent  notre  vie  et  notre  liberté, 
mais  contre  tous  les  dangers,  quels  qu'ils  soient,  que  la  sainte 
Église  in\  oque  la  divine  Victime  et  qu'elle  chante  :  «  0  salutaire 
«  Hostie,  qui  ouvrez  les  portes  du  ciel,  des  guerres  violentes 
«  nous  pressent  ;  donnez-nous  la  force,  secourez-nous  :  »  0  salu- 
tarisHostia  quœ  cœli  pandis  osiium,  bella  prémuni  hostilia,  da 


LE    SACRIFICE  DE    LA    MESSE    DIGNE    d'unE    GRANDE    DÉVOTION.  653 

robur,  fer  auxilium.  La  sainte  Hostie,  la  divine  Victime  qui 
s'immole  sur  l'autel  est  pour  nous  une  hostie  de  salut  :  scUutaris 
hostia,  et  si  quelque  danger  menace  soit  votre  vie  corporelle,  soit 
surtout  la  vie  de  votre  âme,  infiniment  plus  précieuse,  le  jour  où 
vous  aurez  participé  saintement  à  l'oblation  du  divin  sacrifice, 
elle  sera  pour  vous  une  puissante  sauvegarde.  Vous  délivrera- 
t-elle  infailliblement  de  tout  danger?  Non  assurément,  car  il  arrive 
souvent  que  les  maux  temporels,  que  la  mort  même,  sont  utiles  et 
nécessaires  pour  notre  salut  ;  mais  elle  vous  donnera  la  force  dont 
vous  aurez  besoin  pour  que  votre  âme  ne  périsse  pas  ;  elle  vous 
secourra  pour  que  ces  dangers  eux-mêmes  qui  vous  entourent,  ces 
épreuves  qui  vous  frappent,  contribuent  à  votre  plus  grand  bien, 
c'est-à-dire  à  la  sanctification  de  votre  àme. 

S.  Thomas  ne  distingue  pas  entre  les  ennemis  contre  lesquels 
nous  devons  appeler  la  divine  Hostie  à  notre  aide  ;  il  dit  en  géné- 
ral :  «  Des  guerres  violentes  nous  pressent  ;  donnez-nous  la  force, 
«  secourez-nous.  »  Nous  pouvons  doncrecourir  à  elle  en  toute  occa- 
sion ;  aucun  de  nos  ennemis,  visibles  ou  invisibles,  ne  saurait  lui 
résister.  S.  Jean  Chrysostome,  rappelant  ces  paroles  du  Psalmiste  : 
«  Vous  avez  préparé  en  ma  présence  une  table  contre  ceux  qui 
«  me  persécutent,  »  ajoute  :  «  Cette  table  est  la  consécration  qui 
«  s'opère  sur  l'autel  du  Seigneur;  car  voyez  ce  que  dit  la  Sagesse  : 
a  La  Sagesse  s'est  bâti  une  maison,  elle  a  taillé  sept  colonnes. 
ce  Elle  a  immolé  ses  victimes,  mêlé  le  vin  et  dressé  la  table.  Qui 
a  sont  ceux  qui  nous  persécutent?  Les  suggestions  de  l'ennemi,  les 
et  troubles,  les  désirs  déréglés,  les  plaisirs,  les  honneurs  du  siècle. 
«  Que  ceux  qui  sont  ainsi  persécutés  viennent  donc  à  la  table  du 
«  Puissant;  qu'ils  considèrent  ce  qui  leur  est  servi,  qu'ils  le 
«  reçoivent  avec  crainte  et  tremblement,  et  leurs  tribulations 
«  seront  changées  en  consolations;  ils  seront  délivrés  de  ce  qui 
«  procède  de  la  chair,  et  recevront  en  eux  ce  qui  procède  de 
«  l'esprit  ^  »  Le  cardinal  Hugues  enseigne  aussi  que  ces  mêmes 
paroles  du  livre  des  Proverbes  :  «  La  Sagesse  a  immolé  ses  vic- 
a  times,  elle  a  mêlé  le  vin  et  dressé  la  table,  »  contiennent  une 

1.  Ista  mensa  agnoscitur  altaris  Domini  consecratio  ;  nam  vide  quid  dicit 
Sapienlia  (Prov.,  ix,  1)  :  Sapienlia  xdificavil  aihi  ilotnum,  etc.  Qui  sunt  isti 
qui  nos  tribulant?  Suggestiones  inimici,  exagitationes,  cupiditates,  delecta- 
tiones,  Sceculi  honores,  etc.  Veniant  ad  mensain  Potenlis,  considérantes  ea, 
quœ  apponuntur  eis,  accipere  cum  timoré  et  tremore,  et  tribulationesefficien- 
tur  consolationes,  auferentur  ea,  quai  sunt  spiritus.  (S.  Chrysost.,  in  Ps.wn.) 


6S4        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.   XIII. 

allusion  au  sacrifice  de  la  messe.  «  Par  ses  victimes,  dit-il,  on 
«  doit  entendre  la  divine  Sagesse  elle-même  ;  et  si  le  mot  victimes 
<r  est  au  pluriel,  c'est  que  le  Christ,  victime  unique,  était  figuré 
«  dans  la  loi  par  plusieurs  hosties  diflérentes.  »  Il  ajoute  aussitôt  : 
«  Cette  divine  Sagesse  a  envoyé  ses  servantes,  c'est-à-dire  les 
«  prédicateurs,  pour  appeler  ses  conviés,  à  la  forteresse  et  aux 
<r  murs  de  la  cité,  c'est-à-dire  à  la  participation  au  corps  sacra- 
«  mentel  de  Jésus-Christ,  qui  est  un  rempart  contre  les  ennemis, 
«  parce  que  ce  sacrifice  donne  force  et  porte  secours  ^  ;  »  il  est 
pour  nous  un  mur  inexpugnable  à  l'abri  duquel  nous  résistons 
victorieusement  aux  assauts  furieux  et  souvent  renouvelés  de  nos 
ennemis. 

S.  Pierre  Damien,  voulant  nous  faire  connaître  un  moyen  assuré 
de  remporter  la  victoire  sur  l'ennemi  infernal,  qui  ne  cesSe  de 
travailler  à  notre  perte,  n'en  trouve  pas  de  plus  efficace  que  l'ado- 
rable Eucharistie.  «  Que  l'ennemi  caché,  dit-il  dans  Tune  de  ses 
«  lettres,  voie  nos  lèvres  empourprées  du  sang  du  Christ.  Saisi  de 
<r  terreur  et  d'épouvante,  il  se  réfugiera  tout  aussitôt,  tremblant, 
«  dans  les  abîmes  ténébreux  qui  lui  servent  derepaire  2.  »  C'est  le 
conseil  que  donnait  déjà  le  saint  martyr  Ignace  aux  fidèles  des 
premiers  temps  du  christianisme.  Il  leur  disait  :  «  Efforcez-vous 
a  de  vous  réunir  le  plus  souvent  possible  pour  célébrer  l'Eucha- 
«  ristie  et  glorifier  Dieu  ;  car,  lorsque  vous  vous  rassemblez  ainsi 
«  souvent  dans  le  même  lieu,  les  forces  de  Satan  sont  brisées  3.  » 

Aux  triomphes  sur  nos  ennemis  que  le  très  saint  sacrifice  de  la 
messe  nous  assure,  si  nous  en  usons  avec  une  sincère  et  ardente 
dévotion,  il  faut  ajouter  les  innombrables  grâces  spirituelles  et 
temporelles  qu'il  nous  oblient. 

Autrefois  le  Seigneur  dit  au  peuple  d'Israël  parla  voix  de  Moïse: 

d.  Victimas  suas,  id  est  seipsum  ;  dicit  vero  pluraliter  viclimas,  quia  haec 
una  victima  Christus,  per  multas  hostias  in  lege  figurata  fuit.  Hsec  Sapientia 
misil  ancillas  suas,  id  est  praedicatores,  ut  vocarent  ad  arcem  et  ad  mœnia 
civilatis,  id  est,  ad  sacramentum  corporis  Christi,  quod  est  contra  inimicos 
munimenlum,  quia  hoc  sacrificium  dat  robur,  fert  auxilium.  (HuG.  card., 
in  hune  loc.) 

2.  Videat  occultus  hostis  labia  tua,  Christi  cruore  rubentia  quse  territus 
perhorrescat,  et  mox  in  tenebrarum  suarum  latibula  pavescendo  diffugiat. 
(S.  Petr.  Damian.,  Epist.  XXVIII.) 

3.  Date  operam,  ut  sgepius  congregemini  ad  Eucharistiam  et  gloriam  Dei  ; 
cum  enim  saepius  in  idem  loci  convenitis,  labefactantur  vires  Satanae. 
(S.  IGNAT.  M.,  Epist.  XIV  ad  Ephes.) 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'l'NE    GRANDE    DÉVOTION.  655 

«  Vous  me  ferez  un  autel  de  terre,  et  vous  m'offrirez  dessus  vos 
«  holocaustes  et  vos  hosties  pacifiques,  vos  brebis  et  vos  bœufs, 
«  dans  tout  lieu  dans  lequel  sera  la  mémoire  de  mon  nom  :  je 
■a  viendrai  à  toi  et  je  te  bénirai  ^  »  La  miséricorde  de  Dieu  est  si 
grande,  son  désir  de  nous  faire  du  bien  si  ardent,  qu'il  suffisait 
aux  Juifs  de  lui  offrir  quelques  animaux  en  sacrifice,  sur  un  autel 
informe,  pour  attirer  sur  eux  ses  bénédictions  et  ses  grâces.  Que  ne 
fera-t-il  pas  pour  nous  qui  offrons  au  Père  éternel,  par  une  immo- 
lation non  sanglante,  son  Fils  unique  réellement  présent  sur  nos 
autels?  Est-il  un  bien  réellement  désirable  qu'il  puisse  nous  re- 
fuser, ou  plutôt  refuser  à  son  Fils  lui-même?  Car  c'est  ce  divin 
Fils  qui  est  notre  pontife  et  notre  médiateur.  C'est  lui  qui  offre 
pour  nous  le  sacrifice  de  l'Eucharistie,  et  c'est  encore  lui  qui  est 
la  victime  cachée  sous  les  apparences  du  pain  et  du  vin.  «  Celui 
«  qui  a  livré  son  Fils  pour  nous  tous,  comment  ne  nous  aurait-il 
«  pas  donné  tous  les  biens  avec  lui  ~1  »  demande  le  grand  Apôtre. 
Le  Père  Éternel  nous  donne  son  Fils,  et  avec  lui  tous  ses  mérites, 
toutes  ses  satisfactions,  toutes  ses  richesses  inépuisables  ;  il  veut 
que  nous  ayons  part  à  tout  ;  et  chaque  jour  il  les  met  à  notre  dis- 
position dans  le  saint  sacrifice  de  la  messe.  C'est  un  trésor  immense 
où  il  nous  est  loisible  de  puiser  sans  cesse  :  où  sont  les  richesses 
que  nous  en  avons  tirées  ?  Sommes-nous  de  ceux  dont  S.  Paul  a 
dit  :  a  Vous  avez  été  faits  en  lui  riches  en  toutes  choses  3  ?»  Si  nos 
richesses  spirituelles  ne  sont  pas  immenses,  la  faute  en  retombe 
de  tout  son  poids  sur  nous  ;  car  l'unique  cause  en  est  que  nous  ne 
nous  appliquons  pas  à  faire  valoir  les  dix  talents,  que  le  souverain 
Maître  de  toutes  choses  nous  confie.  Célébrons  et  entendons  la 
messe  avec  toute  la  dévotion  que  mérite  une  action  si  sainte  :  nos 
péchés  nous  seront  pardonnes  ;  les  peines  qu'ils  nous  ont  méritées 
nous  seront. remises  ;  la  foi,  l'espérance,  la  charité  et  toutes  les 
vertus  se  développeront  merveilleusement  dans  nos  âmes  ;  les  plus 
rudes  assauts  du  monde,  des  démons  et  des  passions  ne  nous 
ébranleront,  et  les  faveurs  les  plus  précieuses  que  Dieu  accorde  à 
ses  plus  fidèles  serviteurs  seront  notre  partage.  Ce  ne  sont  pas  de 

I.  Ahare  de  terra  facietis  mihi,  et  offeretis  super  eo  holocausta  et  pacifica 
vestra,  oves  vestras  et  boves,  in  omni  loco  in  quo  memoria  fuerit  nominis 
mei  :  veniam  ad  te  et  benedicam  tibi.  {ExoiL,  xx,  24.) 

"2.  Qui  pro  nobis  omnibus  Iradidit  illum,  quomodo  non  etiam  cum  illo  om- 
nia  nobis  donavit?  [liom.,  viii,  ;J-2.) 

3.  Divites  facti  estis  in  illo  omni  gratia.  (/.  Cor.,  i,  îi.)  . 


656        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  Mil. 

vains  mots  que  ces  paroles  que  le  prêtre  et  les  assistants  s'adressent 
réciproquement  plusieurs  fois,  pendant  la  célébration  du  saint 
sacrifice  :  «  Que  le  Seigneur  soit  avec  vous  ;  —  Et  avec  votre 
«  esprit.  »  Le  Seigneur  est  véritablement  avec  le  prêtre  et  avec  tous 
ceux  qui  prennent  part  à  l'oblation  de  la  divine  victime  ;  il  y  est 
pour  les  combler  tous  de  ses  bienfaits,  pour  peu  qu'ils  se  mettent 
en  peine  de  les  recevoir. 

Un  pieux  auteur  assure  que  «  celui  qui  a  dignement  entendu  la 
«  messe  réussira  ce  jour-là  dans  ses  travaux,  son  commerce,  ses 
«  voyages,  et  Dieu  le  fortifiera  pour  le  corps  et  pour  lame.  »  Il 
ajoute  :  «  S'il  vous  arrivait  de  mourir  un  jour  où  vous  auriez  en- 
«  tendu  la  messe,  Jésus-Christ  vous  assisterait  à  vos  derniers 
a  moments  ;  il  voudrait  être  présent  à  votre  mort  comme  vous 
«  auriez  été  à  la  sienne,  en  assistant  au  saint  sacrifice  '.  »  En  effet, 
la  messe  rappelle  et  renouvelle  d'une  manière  mystique  la  mort 
de  Notre-Seigneur  sur  le  Calvaire.  Celui  qui  assiste  à  ce  divin 
sacrifice  mérite  donc  que  .Jésus-Clirist  vienne  à  son  tour  le  sou- 
tenir et  le  consoler,  lorsqu'il  lui  faudra  mourir.  Et  les  anges  eux- 
mêmes  se  font  un  devoir  d'assister  celui  qui,  lorsqu'il  le  pouvait, 
s'est  fait  un  devoir  d'assister  leur  divin  Roi  au  moment  de  son  im- 
molation. Ils  veillent  avec  une  sollicitude  infinie  sur  l'àme  qui  va 
quitter  son  corps,  après  s'être  unie  tant  de  fois  à  eux  pour  célébrer 
les  louanges  de  la  divine  Victime  de  nos  autels. 

Nous  avons  dit  que  les  biens  spirituels  ne  sont  pas  les  seuls  que 
le  saint  sacrifice  de  la  messe  procure  à  ceux  qui  ont  la  pieuse 
habitude  d'y  assister  dévotement.  Dieu  les  bénit,  môme  dans  leurs 
intérêts  temporels,  et  les  quelques  instants  consacrés  à  l'accom- 
plissement de  r-et  acte  ne  sont  jamais  un  temps  perdu,  môme  sous 
ce  rapport.  Personne  ne  s'est  jamais  trouvé  plus  pauvre  à  la  fin 
de  l'année,  pour  avoir  été  fidèle  à  cette  sainte  pratique.  Les  biens 
temporels,  en  effet,  ne  sont  pas  moins  que  les  autres  entre  les 
mains  du  Seigneur  ;  il  a  mille  moyens  de  faire  que  personne  ne 
perde  rien,  à  s'efforcer  de  lui  être  agréable  et  de  lui  témoigner  son 
amour.  Sans  doute  il  ne  veut  point  que  les  biens  d'ici-bas  soient 
d'une  manière  trop  évidente,  ni  même  habituelle,  attachés  à  la 
fidélité  et  au  zèle  que  l'on  apporte  à  le  servir;  car  la  faiblesse 
humaine  est  telle  que  bientôt  les  hommes  chercheraient  unique- 

\.  DisciPUL.,  serm.  XLVIII. 


LE    SACRIFICE    DE    LA    MESSE    DIGNE    d'uNE    GX\NDE    DÉVOTION.  637 

ment,  non  plus  les  biens  célestes  mais  les  biens  terrestres,  dans 
le  service  de  Dieu,  s'ils  voyaient  que  ces  biens  en  fussent  une 
récompense  ordinaire;  mais  notre  divin  Sauveur  nous  a  dit  :  «  Ne 
«  vous  inquiétez  point  pour  votre  vie  de  ce  que  vous  mangerez,  ni 
«  pour  votre  corps  de  quoi  vous  vous  vêtirez.  Votre  Père  sait  que 
«  vous  en  avez  besoin.  Cherchez  donc  premièrement  le  royaume 
«  de  Dieu  et  sa  justice,  et  toutes  ces  choses  vous  seront  données 
«  par  surcroît  '.  »  Non  pas  qu'il  faille  négliger  les  moyens  ordinaires 
de  se  procurer  les  choses  nécessaires  à  la  vie,  pour  attendre  exclu- 
sivement tout  des  soins  delà  Providence.  Dieu  qui  a  dit  à  l'homme  : 
a  Tu  te  nourriras  de  pain  à  la  sueur  de  ton  front,  »  exige  au  con- 
traire de  tout  homme  qu'il  gagne,  en  quelque  manière,  selon  sa 
vocation  et  selon  le  rang  qu'il  occupe  dans  le  monde,  la  nourri- 
ture qu'il  mange  et  le  vêtement  qui  le  recouvre  :  mais  s'il  nous 
ordonne  de  travailler,  il  veut  que  nous  le  fassions  non  pas  comme 
des  esclaves,  mais  comme  des  enfants  qui  attendent  tout  de  leur 
père  et  qui  savent  bien  que  ce  bon  père  ne  leur  fera  pas  un  reproche 
d'avoir  passé  quelques  instants  dans  une  communication  plus 
intime  et  plus  affectueuse  avec  lui.  Il  n'est  pas  nécessaire  au 
chrétien  d'être  riche,  mais  il  est  indispensable  pour  lui  d'entre- 
tenir dans  son  cœur  le  feu  de  l'amour  divin.  C'est  sur  l'autel  que 
brûle  continuellement  ce  feu  et  c'est  au  pied  de  l'autel  qu'il  faut 
aller  souvent  ranimer  des  flammes  trop  sujettes  à  faiblir  et  même 
à  s'éteindre.  Pourquoi  craindre  que  les  intérêts  même  terrestres  y 
perdent?  Au  contraire,  ils  y  gagneront,  puisque  Jésus-Christa  dit  : 
«  Toutes  ces  choses,  »  dont  vous  avez  besoin,  «  vous  seront  données 
«  par  surcroît.  » 

Mais  les  bienfaits  obtenus  demandent  la  reconnaissance.  Le 
saint  sacrifice  de  la  messe,  qui  est  pour  nous  une  source  inta- 
rissable de  biens,  sera  aussi  pour  nous  le  moyen  le  plus  sûr  et 
le  plus  efficace  de  rendre  à  Dieu  de  dignes  actions  de  grâces, 
pour  les  bénédictions  dont  il  nous  comble  par  lui.  Ne  le  nomme- 
t-on  pas  YEucharistie,  c'est-à-dire  Vaction  de  grâces  par  excel- 
lence ? 

Le  saint  roi  David  avait  vu  en  esprit  ce  divin  sacrifice,  bien  des 

\.  Ne  sollicili  silis  animae  vesirœ  quid  mnnducetis,  neque  corpori  veslro 
quid  induamini.,..  Scit  enim  Pater  quia  his  omnibus  indigetis.  Quaerite  ergo 
primum  regnum  Dei  et  justitiam  ejus  :  et  haec  omnia  adjicientur  vobis. 
[Malth.,  M,  -i.'J,  3-2,  33.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.   IV.  42 


658         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11"  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  XIII. 

siècles  avant  qu'il  fût  institué;  il  s'écriait,  dans  un  élan  de  recon- 
naissance envers  Dieu  dont  il  avait  reçu  tant  de  grâces  :  «  Que 
«  rendrai-je  au  Seigneur  pour  tous  les  biens  qu'il  m'a  faits?  »  Et 
aussitôt  il  répondait  lui-même  à  cette  question  :  «  Je  prendrai  le 
«  calice  du  salut  '.  »  Il  comprenait  que  le  moyen  le  plus  efficace 
et  le  plus  digne  de  remercier  le  Seigneur  des  bienfaits  qu'il  répand 
sur  nous,  avec  tant  d'abondance,  était  l'oblation  du  sacrifice  qui 
devait  être  institué  un  jour  et  il  s'unissait  autant  qu'il  le  pouvait, 
par  ses  désirs,  à  ceux  qui  monteraient  au  saint  autel,  et  présen- 
teraient à  Dieu  le  calice  du  sang  de  Jésus.  Sans  doute,  c'est  pour 
rendre  hommage  à  l'efficacité  eucharistique  du  saint  sacrifice  de  la 
messe,  que  la  liturgie  ordonne  au  célébrant  de  dire  dans  la  pré- 
face du  Canon  :  «  Rendons  grâces  au  Seigneur  notre  Dieu  ;  »  et 
lorsque  le  ministre  a  l'épondu  :  «  C'est  chose  digne  et  juste,  »  le 
prêtre  reprend  :  <r  Véritablement  il  est  digne  et  juste,  il  est  équi- 
«  table  et  salutaire  que  nous  vous  rendions  grâces  toujours  et  par- 
«  tout.  »  C'est  la  même  pensée  qu'exprime  S.  Augustin  lorsqu'il 
nous  dit  :  «  Qui  ne  sait  que  Dieu  n'a  pas  besoin  de  sacri- 
«  fice?  Il  n'a  pas  davantage  besoin  de  nos  louanges.  Mais  de  même 
«  qu'il  est  utile,  non  pas  à  Dieu  mais  à  nous,  de  le  louer,  de  même 
«  il  est  utile,  non  pas  à  Dieu  mais  à  nous,  de  lui  offrir  le  sacri- 
0  fice  -.  »  Et  quel  est  le  sacrifice  par  lequel  Dieu  sera  véritable- 
ment honoré,  sinon  le  sacrifice  de  l'Eucharistie?  Aussi  l'appelle- 
t-il  un  sacrifice  de  louange.  Il  disait  par  la  bouche  de  David  :  «  Le 
«  sacrifice  qui  m'honorera  e-st  un  sacrifice  de  louange  '■^.  »  S.  Au- 
gustin dit  encore  en  commentant  ces  paroles  :  «  Qu'y  a-t-il  de  plus 
«  sacré  qu'un  sacrifice  de  louange  offert  en  action  de  grâces?  Et 
«  quel  sujet  mérite  de  plus  grandes  actions  de  grâces,  que  la  grâce 
a  que  lui-mênie  nous  donne  par  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  '^?  » 
Parlant  ensuite  du  sacrifice  de  la  messe,  le  saint  docteur  ajoute  : 
a  Nous  l'offrons  à  Dieu,  non  pas  qu'il  en  ait  besoin,  mais  pour  lui 

\.  Quid  retribuam  Domino  pro  omnibus  quae  retribuit  mihi?  Calicem  salu- 
taris  accipiam.  {Ps.  cxv,  12,  13.) 

2.  Sacrificii  Deum  non  egere  qiiis  nescit?  Sed  nec  laudibus  nostris  eget. 
\'erum  sicut  nobis,  non  illi,  utile  est  laudare  Deum  :  sic  nobis,  non  illi,  utile 
est  offerre  sacriticium  Deo.  (S.  August.,  lib.  I  contra  advers.  Lerjis  et  Proph.) 

3.  Sacrificium  laudis  lionorificabit  me.  {Ps.  xlix,  23.) 

4.  Quod  est  autem  sacratius  laudis  sacrificium,  quam  in  aclione  gratiarum? 
Kt  unde  majores  agendas  suntgratiae  quam  pro  ipsius  gratia,  per  Jesum  Chris- 
tum  Dominum  nostrum?  (S.  August.,  ibid.) 


LE    SACRIFICE   DE    LA    MESSE   DIGNE   d'i'NE    GRANDE   DÉVOTION.  G59 

«  rendre  grâce  du  don  qu'il  nous  en  fait  '.  »  L'Église  ne  pouvait 
pas  mieux  témoigner  sa  reconnaissance  à  son  divin  Chef,  que  par 
l'oblation  du  sacrifice  qu'il  a  institué  lui-même,  et  dans  lequel  il 
est  non  seulement  le  Dieu  à  qui  le  sacrifice  est  offert,  mais  aussi 
le  prêtre  qui  l'offre  et  la  Victime  qu'il  immole.  S.  Jean  Chrysos- 
tome  l'enseignait  à  ses  ouailles  lorsqu'il  leur  disait  :  «  En  se  sou- 
«  venant  des  bienfaits  de  Dieu  on  se  les  assure,  et  la  continuelle 
«  action  de  grâces  est  la  gardienne  fidèle  de  toutes  les  grâces.  C'est 
«  pourquoi  nos  mystères  si  terribles  et  si  salutaires  tout  ensemble, 
«  qui  se  célèbrent  dans  toutes  les  assemblées  de  l'Église,  s'appellent 
«  Eucharistie,  c'est-à-dire  action  de  grâces,  parce  qu'ils  sont  le 
«  mémorial  d'une  infinité  de  dons  que  Dieu  nous  a  faits  et  le  plus 
«  grand  de  tous  ces  dons,  et  que  nous  y  trouvons  toujours  de  nou- 
«  veaux  sujets  de  renouveler  nos  sentiments  de  gratitude  et  de 
«  reconnaissance....  Rendons-lui  donc  d'éternelles  actions  de 
«  grâces,  et  que  la  reconnaissance  se  mêle  à  toutes  nos  paroles  et 
«  à  toutes  nos  actions.  Rendons  grâces  à  Dieu,  non  seulement  des 
«  biens  que  nous  en  avons  reçus  nous-mêmes,  mais  encore  de 
«  ceux  qu'il  a  faits  aux  autres.  —  C'est  dans  ce  but  que  le  prêtre, 
a  à  l'autel,  nous  avertit  de  rendre  grâces  à  Dieu  en  présence  de 
«  cette  divine  hostie,  et  de  prier  généralement  pour  toute  la  terre, 
«  pour  tous  ceux  qui  nous  ont  précédés,  pour  ceux  qui  vivent 
«  maintenant,  et  pour  ceux  qui  nous  suivront.  Car  cette  disposition 
«  nous  dégage  de  la  terre,  nous  élève  dans  le  ciel  et  fait  que 
«  d'hommes  nous  devenons  des  anges  ~.  » 

On  voit,  par  ces  paroles  de  S.  Jean  Chr3'sostome,  toute  l'efficacité 
qu'il  reconnaît  à  la  prière  unie  au  sacrifice  de  la  messe,  pour 
témoigner  à  Dieu  la  reconnaissance  que  nous  inspirent  ses  bien- 
faits et,  en  même  temps,  pour  obtenir  de  nouvelles  grâces  pour 
nous-mêmes  et  pour  le  prochain. 

Tous  les  efforts  du  démon  tendent  à  nous  faire  oublier  les  bien- 
faits de  Dieu,  principalement  celui  de  notre  rédemption  par  la 
passion  et  la  mort  de  Notre-Seigneur,  afin  que  l'oubli  des  bienfaits 
éteigne  en  nous  l'amour  du  bienfaiteur  et  la  reconnaissance.  Le 
saint  sacrifice  de  la  messe,  plus  efficacement  que  le  feu  perpétuel 
qui  brûlait  devant  l'arriie,  nous  rappelle  ces  divins  mystères  et 

1.  Olierimus  ci,  non  qunsi  indigenli,  sed  gratias  agenles  donation! ejus.  (Id,, 
ibid.) 

2.  S.  JOANN.  CiiRYSOST.,  lioHi.  .\XV  in  Matih. 


G60         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —   CHAP.  XIV. 

nous  invite  à  la  reconnaissance  et  à  l'amour  envers  celui  qui  s'est 
montré  si  généreux  pour  nous.  L'Écriture  ne  manque  pas  de  nous 
faire  connaître  que  Xotre-Seigneur  a  donné  expressément  le  carac- 
tère de  sacrifice  d'action  de  grâces  au  sacrifice  de  la  nouvelle  loi, 
en  l'instituant,  et  ((u'il  a  voulu  qu'on  le  célébrât,  en  mémoire  de 
lui,  c'est-à-dire  en  souvenir  et  en  reconnaissance  de  ses  bienfaits. 
Elle  nous  représente  ce  Pontife  suprême  prenant  entre  ses  mains 
divines  le  pain  et  le  calice,  et  rendant  grâces  à  son  Père  céleste 
avant  de  prononcer  les  paroles  de  la  consécration,  puis  adressant 
à  ses  apôtres  cette  recommandation  solennelle  :  «  Toutes  les  fois 
a  que  vous  ferez  ces  choses,  vous  les  ferez  en  mémoire  de  moi  :  » 
IJœc  quotiescumque  feceritis,  in  mei  mcmoriam  facietis. 

C'est  donc  en  mémoire  de  notre  divin  Sauveur  et  des  mystères 
de  notre  rédemption,  c'est  profondément  pénétrés  de  reconnais- 
sance pour  ses  ineffables  bienfaits  que  nous  devons  approcher  de 
son  autel  pour  y  célébrer  le  saint  sacrifice,  ou  du  moins  profiter  de 
l'immolation  mystérieuse  qui  s'accomplit  en  notre  présence.  Heu- 
reux ceux  dont  la  foi  est  vive  !  heureux  ceux  dont  les  désirs  sont 
ardents  !  heureux  ceux  qui  s'efforcent  de  profiter,  autant  qu'ils 
le  peuvent,  de  cette  incompréhensible  bonté  d'un  Dieu  s'immolant 
à  sa  propre  justice  afin  de  les  sauver. 


CHAPITRE  XIV 

CE   QU'UNE  VÉRITABLE  ET   SINCÈRE  DÉVOTION   RÉCLAME  DES   PRÊTRES 
QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE  ET  DES  FIDÈLES  QUI  Y  ASSISTENT 

I.  Application  de  l'esprit  et  dévotion  intérieure  et  extérieure  requises  pour  l'obla- 
lion  du  Saint  Sacrifice.  —  II.  Pureté  de  conscience.  —  III.  Modestie,  respect  et  pieux 
empressement.  —  IV.  Piété  que  demandent  les  fonctions  de  servant  de  messe.  — 
Honneur  et  avanlajj^es  qui  y  sont  attachés. 


I. 

Al'ILIG.\TIO.N    DE    l'eSPRIT    ET    DÉVOTION    INTÉRIEURE   ET   EXTÉRIEURE 
REQUISE.S    POUR    l'oBLATION    DU    SAINT   SACRIFICE 

Le  B.  Jean  d'Avila,  écrivant  à  un  jeune   prêtre,  lui  donnait 
les  conseils  suivants  i  :   «  Puisque  Jésus-Christ  vous  a  fait  la 


1.  B.  Jean  d'Avila,  leUre  .\II%  à  un  PrcHre. 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.   661 

grâce  d'entrer  dans  le  sacerdoce,  vous  ne  pouvez  pas  ignorer  le 
compte  que  vous  aurez  à  rendre  d'un  ministère  si  élevé  qu'il  se- 
rait redoutable  aux  anges  eux-mêmes,  ni  combien  est  grande  la 
faveur  que  vous  avez  reçue.  Que  ces  considérations  aident  à  votre 
recueillement,  lorsque  vous  serez  distrait,  et  qu'elles  vous  encou- 
ragent lorsque  vous  serez  abattu.  Car  cette  faveur  est  si  grande 
que  vous  ne  sauriez  trop  la  ressentir  et  vous  efforcer  d'y  répondre 
par  toutes  sortes  de  services. 

«  La  première  règle  que  vous  devez  observer  est,  toutes  les  fois 
que  vous  vous  réveillerez  la  nuit,  de  vous  imaginer  entendre  une 
voix  qui  vous  dit  :  «  Voici  l'Époux  qui  vient,  allez  au-devant  de 
«  lui.  »  Car,  si  lorsque  quelqu'un  de  nos  amis  vient  nous  visiter, 
et  particulièrement  si  c'est  quelque  haut  personnage,  il  n'y  a  point 
de  soin  que  nous  n'apportions  pour  nous  préparer  à  le  recevoir  : 
à  combien  plus  forte  raison,  les  jours  que  nous  célébrerons  la 
messe  devons-nous  nous  préparer  le  mieux  qu'il  nous  sera  possi- 
ble pour  recevoir  un  Dieu  qui,  étant  adoré  des  anges,  ne  dédai- 
gne pas  de  venir,  en  qualité  de  notre  frère,  loger  dans  notre  cœur. 
Dans  cette  pensée,  récitez  votre  ofîice,  et  puis  demeurez  en  repos, 
au  moins  une  heure  et  demie,  pour  considérer  attentivement 
quelle  est  la  grandeur  de  celui  que  vous  devez  recevoir.  Admirez 
qu'un  ver  de  terre  ose  traiter  si  familièrement  avec  Jésus-Christ 
et  dites-lui  :  «  Qui  vous  a  livré,  Seigneur,  entre  les  mains  de  ce 
misérable  pécheur?  Et  comment  se  peut-il  faire  que  vous  veniez 
encore  une  fois  dans  l'étable  de  Bethléem?  »  Souvenez-vous  que 
S.  Pierre  ne  se  crut  pas  digne  de  demeurer  avec  lui  dans  une 
barque  ;  que  le  centenier  n'osait  le  recevoir  dans  sa  maison;  et  que 
d'autres  semblables  considérations  vous  apprennent  à  redouter 
ce  mystère  si  terrible,  à  y  révérer  une  si  haute  majesté,  et  à  vous 
remettre  devant  les  yeux  que  c'est  une  image  de  ce  qui  se  passa 
lorsque  le  Père  éternel  envoya  son  Fils  unique  prendre  une  chair 
humaine  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  \'ierge,  afin  de  sauver 
le  monde,  et  une  représentation  de  la  vie  et  de  la  mort  de  ce  Ré- 
dempteur des  hommes.  Considérez  qu'il  vient  dans  ce  sacrement 
pour  nous  appliquer  les  remèdes  qui  sont  les  effets  de  ses  souf- 
frances, et  nous  faire  part  des  richesses  qu'il  a  gagnées  sur  la 
croix,  où,  en  satisfaisant  pour  nous  à  la  justice  de  son  Père,  il  a 
payé  le  prix  de  notre  rançon. 

«  Après  cela  repassez  dans  votre  esprit  tous  vos  péchés  et  par- 


662        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —   LIVRE  II.    —  CHAP.  XIV. 

ticulièrement  les  fautes  et  les  imperfections  auxquelles  vous  êtes 
encore  sujet.  Présentez-vous  à  Dieu  comme  un  malade  qui  mon  - 
tre  ses  plaies  à  son  médecin.  Demandez-lui  qu'il  vous  les  fasse 
encore  mieux  connaître,  et  qu'il  lui  plaise  de  les  guérir.  Offrez 
ensuite  au  Père  éternel  ce  sacrifice  de  son  propre  Fils,  pour  toute 
l'Église  catholique  en  général,  et  particulièrement  pour  les  per- 
sonnes que  vous  êtes  le  plus  obligé  d'affectionner.  Souvenez-vous 
de  quelle  sorte  il  s'offrit  sur  la  croix  pour  tout  le  monde,  et  priez- 
le  de  vous  donner  quelque  étincelle  de  son  ardente  charité,  afin 
qu'en  qualité  de  son  ministre,  vous  vous  conformiez  à  lui.  Priez 
ensuite  la  très  sainte  Vierge  de  vouloir,  par  le  souvenir  de  la  joie 
qu'elle  ressentit  lorsque  l'ange  lui  annonça  qu'elle  serait  la  mère 
d'un  Dieu,  vous  obtenir  de  son  Fils  la  grâce  de  le  bien  recevoir, 
comme  elle  le  reçut  dans  ses  pudiques  entrailles.  Demandez  la 
même  chose  à  son  divin  Fils.  Lisez  quelque  chose  qui  traite  de 
ce  grand  sacrement,  ou  du  quatrième  livre  de  l'ouvrage  qui  porte 
pour  titre  :  Du  mépris  du  monde,  ou  de  quelques  autres  livres 
semblables  si  vous  les  avez.  Que  si,  après  votre  oraison,  vous 
vous  trouvez  fort  recueilli  et  dans  un  grand  sentiment  de  dévo- 
tion, vous  pourrez  vous  passer  de  cette  lecture. 

«  Après  avoir  achevé  la  messe,  vous  vous  recueillerez  au  moins 
durant  une  demi- heure,  pour  remercier  Notre-Seigneur  de  la  fa- 
veur qu'il  vous  aura  faite  de  vouloir  bien  venir  dans  un  cœur  si 
indigne  de  le  recevoir.  Vous  lui  demanderez  pardon  de  l'avoir  si 
mal  reçu,  et  le  prierez  que  la  grâce  qu'il  vous  a  faite  vous  attire 
de  nouvelles  grâces.  Il  sera  bon  aussi  que  vous  repassiez,  dans 
votre  esprit,  quelqu'un  des  passages  de  l'Évangile  qui  parlent  des 
miracles  qu'il  a  faits  en  faveur  des  hommes,  comme  lorsqu'il  gué- 
rit le  lépreux  et  calma  la  mer  en  faveur  de  ses  disciples  que  la 
tempête  allait  submerger.  Commencez  par  l'un  des  quatre  évangé- 
listes;  méditez-en  chaque  jour  à  loisir  un  passage,  et  priez  No- 
tre-Seigneur de  vous  faire  une  semblable  grâce,  puisque  vous  en 
avez  le  même  besoin.  » 

A  un  saint  religieux  qui  lui  demandait  ses  conseils,  sur  les  dis- 
positions que  l'on  doit  apporter  à  la  célébration  de  la  messe,  le 
B.  Jean  d'Avila  écrivait  encore  :  «  Vous  savez  que  les  dispositions 
des  âmes,  aussi  bien  que  celles  des  corps,  sont  diverses,  que  les 
dons  de  Dieu  sont  différents  et  que  son  adorable  providence  con- 
duit les  uns  par  un  chemin,  et  les  autres  par  un  autre.  Or,  comme 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      663 

la  connaissance  que  j'ai  de  vous  me  fait  croire  que  votre  dis- 
position est  d'une  personne  fort  avancée  dans  la  piété,  j'estime 
que  le  meilleur  conseil  que  l'on  puisse  vous  donner  est  de  vous 
exhorter  à  un  ardent  amour  de  Dieu,  accompagné  d'un  profond 
respect:  à  quoi  rien  ne  me  paraît  pouvoir  tant  servir  que  de  se 
représenter  que  celui  à  qui  nous  allons  offrir  ce  sacrifice  est 
Dieu  et  homme  tout  ensemble,  et  pour  quel  dessein  nous  montons 
à  l'autel. 

«  Je  ne  sais  rien  qui  soit  plus  propre  à  exciter  la  dévotion  que 
l'on  doit  avoir  pour  une  action  si  sainte  que  de  considérer 
attentivement  ces  vérités,  et  de  se  les  dire  à  soi-même  :  C'est  un 
Dieu  que  je  vais  consacrer,  que  je  tiendrai  entre  mes  mains, 
que  je  recevrai  dans  mon  cœur,  et  à  qui  je  pourrai  parler  sans 
nulle  interposition. 

«  Si  nous  considérons  bien  cela,  et  si  l'Esprit  de  Dieu  nous  donne 
ces  sentiments,  ils  sont  plus  que  suffisants  pour  nous  mettre  en 
l'état  où   nous  avons   besoin  d'être,    pour  nous  acquitter,  selon 
notre  faiblesse,  d'un  ministère  si  saint.  Car  qui  est  celui  qui  n'est 
point  touché  d'un  sentiment  d'amour,   lorsqu'il  pense  au  bien 
infini  qu'il  va  recevoir?  Qui  est  celui  qu'un  respect  plein  de  ten- 
dresse ne  fait  point  trembler  en  la  présence  d'un  Dieu  dont  la 
majesté  fait  trembler  les  anges,  et  qui,  bien  loin  de  l'olfenser, 
ne  se  trouve  pas  porté  à  le  louer  et   à  le   servir?  Qui  est  celui 
qui  n'a  point  de  confusion  et  ne  gémit  pas  d'avoir  été  si  malheu- 
reux que  de  déplaire  à  ce  Dieu  tout-puissant  qu'il  voit  des  yeux 
delà  foi?  Qui  est  celui   qui  peut  manquer  de  confiance  lorsqu'il 
tient  entre  les  mains  un  tel  gage  de  l'espérance  de  son  salut? 
Qui  est  celui  qui,  fortifié    par  ce  divin  viatique,  n'entrerait  pas 
avec  courage  dans  un  désert  pour  y  faire  pénitence?  Et  enfin, 
toutes  ces  considérations,  jointes  à  l'existence  de  Dieu,  ne  doivent- 
elles  pas  faire  un  si  grand  changement  en  nous,  qu'elles  nous 
tirent  hors  de  nous-mêmes,  soit  par  respect,  soit  par  amour,  ou 
par  d'autres  très  puissants  motifs  qui  naissent  de  la  pensée  de 
la  présence  de  Dieu,  et  dont,   pour  n'être  pas  très  sensiblement 
touché,  il  faudrait  avoir  un  cœur  de  pierre  ? 

«  Vous  ne  sauriez  trop  vous  appliquer  à  ces  considérations  et 
vous  représenter  que  l'on  vous  dit  :  Voici  C Époux  qui  vient; 
voici  votre  Dieu  qui  s  approche.  Que  cette  voix  vous  fasse  rentrer 
dans  votre  cœur;  ouvrez-le  pour  recevoir  ce  Sauveur  du  monde 


664        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CIIAP.  XIV. 

qui,  dans  ces  moments  précieux,  entre  dans  les  âmes  comme  un 
éclair;  priez-le  d'ajouter  à  la  faveur  qu'il  vous  a  faite  de  se  met- 
tre entre  vos  mains,  celle  d'en  avoir  la  reconnaissance  que  vous 
lui  devez,  de  lui  en  rendre  des  grâces  infinies,  de  l'honorer  et  de 
l'aimer,  sinon  comme  il  le  mérite,  au  moins  autant  que  vous  en 
êtes  capable;  demandez-lui  avec  instance  de  ne  pas  permettre 
que  vous  demeuriez  en  sa  présence  sans  lui  rendre  le  respect  et 
l'amour  qui  lui  sont  dus.  » 

On  voudrait  rapporter  intégralement  toutes  ces  instructions 
données  à  des  saints  par  un  saint,  sur  la  dévotion  que  réclame, 
de  ceux  qui  l'offrent  et  de  ceux  qui  y  assistent,  quoique  à  un 
moindre  degré,  le  très  saint  et  très  adorable  sacrifice  de  nos 
autels  ;  mais  si  nous  ne  le  pouvons  pas,  au  moins  faut-il  que  nous 
donnions  encore  cette  page. 

«  Que  si,  en  allant  dire  la  messe,  vous  joignez  à  ces  considérations 
celle  de  penser  qui  est  ce  roi  de  gloire  qui  va  se  rendre  sur  cet 
autel,  et  à  quel  dessein  il  y  vient,  vous  y  trouverez  un  tel  rapport 
avec  son  incarnation,  sa  naissance,  sa  vie  et  sa  mort,  que  l'image 
qui  s'en  renouvellera  dans  votre  esprit  vous  le  rendra  comme 
présent.  Et  si  vous  portez  vos  pensées  jusqu'au  cœur  de  ce  divin 
Sauveur,  il  vous  fera  voir  que  ce  qui  l'amène  ainsi  vers  vous  est  la 
violence  de  son  amour  qui  ne  peut  permettre  que  vous  soyez  privé 
du  bonheur  de  sa  présence.  L'excès  d'une  telle  faveur  n'est-il  pas 
capable  de  faire  tomber  dans  le  ravissement  et  la  défaillance?  La 
seule  pensée  d'avoir  son  Dieu  présent  fait  une  très  forte  impres- 
sion sur  un  ministre  de  .Jésus-Christ.  Mais  lorsqu'il  considère 
qu'il  doit  la  faveur  de  sa  présence,  dans  cet  adorable  mystère,  à 
la  grandeur  de  son  amour  qui  fait  que,  comme  un  époux  ne  se 
lasse  jamais  de  voir  son  épouse  et  de  lui  parler,  il  ne  se  lasse 
point  de  demeurer  avec  nous,  le  prêtre  voudrait  avoir  mille  cœurs 
pour  mieux  répondre  à  un  tel  amour;  il  lui  dit  avec  S.  Augustin: 
<  Qui  suis-je.  Seigneur,  pour  mériter  que  vous  me  commandiez 
«  devons  aimer?  »  Qui  suis-je,  mon  Dieu,  et  que  vous  suis-je? 
Comment  est-il  possible,  ô  Jésus,  mon  Sauveur,  que  vous  ayez  un 
tel  désir  de  me  voir,  qu'étant,  comme  vous  êtes,  dans  le  ciel  avec 
ces  esprits  bienheureux  qui  brûlent  d'amour  pour  vous  et  qui  ne 
respirent  que  votre  service,  vous  ne  puissiez  vous  empêcher  de 
venir  vers  moi  qui  ne  fais  au  contraire  que  vous  offenser?  Soyez 
béni  à  jamais  de  ce  qu'étant  tel  que  vous  êtes,  et  la  perfection 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      665 

même,  vous  avez  bien  voulu  honorer  de  votre  affection  une  vile 
et  imparfaite  créature,  jusqu'à  souflrir  de  vous  mettre  entre  mes 
mains,  avec  une  si  extrême  bonté,  qu'il  semble  que  vous  me 
disiez  :  Je  suis  mort  pour  vous  une  fois,  et  je  viens  vous  assurer 
qu'au  lieu  de  m'en  repentir,  je  mourrais  encore  une  autre  fois  s'il 
en  était  besoin,  pour  vous  garantir  d'une  mort  éternelle.  Quel 
cœur  serait  à  l'épreuve  d'un  tel  témoignage  d'amour,  et  ne  se 
sentirait  pas  percé  comme  d'un  trait  enflammé,  auquel  rien  n'est 
capable  de  résister  ?  » 

Le  B.  Jean  d'Avila,  en  réclamant  des  dispositions  si  parfaites 
de  ceux  qui  ont  le  bonheur  d'ofl'rir  le  saint  sacrifice  de  la  messe, 
ne  faisait  que  rappeler  l'esprit  de  l'Église  et  les  enseignements 
des  Pères  et  des  théologiens.  Le  prêtre,  au  moment  de  commen- 
cer les  prières  du  Canon,  dit  d'abord  la  Préface,  qu'il  fait  précéder 
de  cet  avertissement  donné  aux  assistants  :  «  Les  cœurs  en  haut:  » 
Sursum  corda,  et  le  ministre  répond  au  nom  de  l'assistance: 
Habemus  ad  Dominum  :  «  Nous  les  avons  vers  le  Seigneur.  » 
Que  signifie  ce  dialogue,  sinon  que  les  fidèles,  aussi  bien  que  le 
célébrant,  ne  doivent  plus  avoir  de  pensées  qui  ne  se  rapportent 
aux  divins  mystères  sur  le  point  de  s'accomplir  ^  ?  En  un  moment 
si  solennel,  il  s'agit  de  prier  et  non  pas  de  se  laisser  aller  à  des 
pensées  étrangères  et  inutiles;  ce  n'est  pas  le  temps  des'occuper  des 
choses  temporelles,  mais  il  faut  être  sans  partage  à  celles  de  Dieu  ; 
il  ne  convient  pas  de  laisser  d'accès  aux  distractions.  C'est  l'en- 
seignement que  donnait  S.  Antonin  s'appuyant  sur  l'autorité  de 
S.  Cyprien,  dont  il  cite  ces  paroles  :  «  Lorsque  nous  nous  tenons 
«  debout  pour  la  prière,  nous  devons  veiller  sur  nous-mêmes  avec 
«  le  plus  grand  soin,  pour  nous  y  livrer  de  tout  notre  cœur.  Que 
«  toute  pensée  de  l'iiomme  charnel,  de  l'homme  du  siècle  soit  re- 
«  poussée  bien  loin;  que  notre  esprit  ne  pense  alors  à  rien  autre 
«  chose  qu'à  l'objet  de  sa  prière  -.  »  S.  Cyprien  ajoute  ce  que  nous 

1.  Ideo  sacerdos  antc  orationem,  praefatione  praemissa  parât  frnlruin  men- 
tes, dicendo  :  Surmim  cordn,  ut  dum  respondet  plobs  :  llalicttnia  ad  Dominum, 
admoneatur  niliil  se  aliud  cogitare  deherc  quam  Dominum.  ;S.  Bernardin., 
t.  II  lie  (JhservdI.  So/j/k) 

2.  Quando  stamus  ad  orationem  fratres,  invigilare  et  insistere  ad  preces 
tolo  corde  debemus.  Cogitalio  oarnalis  tune  et  sa^cularis  hominis  abscedat 
nec  quicciuam  lune  animus  aliud,  quam  id  solum  cogitet,  (juod  precatur. 
(S.  Antonin.,  ))nrt.  I.\,  lit.  IX,  et  S.  Cvi'Rixn.,  tract.  (Ir  Omlioti.  Donn'n., 
part.  III.) 


666        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  ClIAP.  XIV. 

avons  fait  remarquer  à  la  suite  de  S.  Bernardin,  que  c'est  pour 
rappeler  aux  fidèles  la  nécessité  de  ce  recueillement  parfait  en 
Dieu,  que  le  prêtre  dit  à  la  messe  :  Sursum  corda  :  «  Les  cœurs 
«  en  haut;  »  et  que  le  peuple  répond  :  Habemus  ad  Dominum  : 
«  Nous  les  avons  vers  le  Seigneur  K  » 

On  lit  dans  la  Genèse  que  Dieu  ordonna  un  jour  à  Abraham 
de  lui  offrir  en  sacrifice  plusieurs  animaux  et  des  oiseaux,  selon 
un  rit  particulier.  «  Abram,  prenant  ces  animaux,  les  divisa  par  la 
«  moitié  et  plaça  les  deux  parties  vis-à-vis  l'une  de  l'autre,  mais 
«  les  oiseaux,  il  ne  les  divisa  point.  Or,  des  oiseaux  descendirent 
«  sur  les  corps  morts,  et  Abram  les  chassait  ''.  »  Que  signifient 
ces  victimes?  que  signifient  ces  oiseaux  qui  viennent  se  reposer 
sur  les  victimes  et  que  le  saint  patriarche  s'efforce  d'écarter? 
Nous  savons  que  les  sacrifices  anciens  étaient  la  figure  du  sacri- 
fice par  excellence,  le  sacrifice  de  la  loi  nouvelle.  Sans  rechercher 
ici,  dans  tous  ses  détails,  la  signification  mystérieuse  du  sacrifice 
d'Abraham,  il  faut  bien  reconnaître  que  les  oiseaux  déprédateurs 
que  le  saint  patriarche  éloigne  avec  tant  de  soin  sont  la  représen- 
tation exacte  des  démons  qui  s'efforcent  de  nous  ravir  le  fruit  de 
nos  sacrifices,  et  des  pensées  étrangères  qui  nous  assiègent  quel- 
quefois et  nous  empêcheraient  de  profiter  comme  nous  devons  le 
faire  du  sacrifice  qui  s'accomplit  sur  l'autel,  si  nous  n'y  prenions 
garde  3. 

Mais  puisque  nous  avons  nommé  le  saint  patriarciie  Abraham, 
rappelons  aussi  quelle  fut  sa  conduite  lorsque,  après  trois  jours  de 
marche,  il  arriva  au  pied  de  la  montagne  sur  laquelle  il  devait 
oiïrir  son  fils  unique  en  holocauste,  selon  l'ordre  de  Dieu.  Ce  sa- 
crifice était  l'image  la  plus  frappante  qui  pût  être  donnée  de  celui 

1.  Et  ideo  sacerdos  in  Missa  ait  :  Sttr.mm  corda,  ut,  dum  plebs  respondet  : 
IlabemuR  nd  Dominum,  ndmoneamur  nihil  aliud  quam  Dominum  cogitare  de- 
bere;  claudatur  contra  distractiones  pecfus  et  soli  Deo  pateat.  (S.  Cyprian., 
ibid.) 

•2.  Qui  toliens  univer.sa  haac,  divisit  ea  per  médium  et  utrasfjue  partes  con- 
tra se  altrinsecus  posuit,  aves  aulem  non  divisit;  descenderuntque  volucres 
super  cadavera  et  abigebat  oas  Abram.  {Gènes.,  xv,  10,  \\.) 

M.  On  lit  dans  la  Vie  de  S.  Guillaume,  évéque  de  Bourges,  publiée  par  les 
Bollandistes  :  Si  quœ  se  anima;  illius  voluissent  peregrinee  cogitationes  inge- 
rere,  cum  S.  Abrabam  cas  abigebal,  nostrœ  redemptionis  mysteria  in  tanto 
sacrificio  non  sine  maxiina  spiritus  delectatione  revolvens,  nec  aliter  illud 
peragens  sacrificium,  quam  si  (>bristum  Dominum  coram  cerneret  pati,  et 
crucifigi.  (fio//am/,,  januar.  10,  vita  S.  Gnilelm.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CELEBRENT  LA  MESSE.      667 

par  lequel  le  Père  Éternel  livrerait  à  son  tour  son  Fils  unique,  et 
permettrait  qu'il  fût  sacrifié  sur  la  croix  pour  le  salut  des  hommes. 
Nous  lisons  dans  le  texte  sacré  :  «  Le  troisième  jour,  ayant  levé  les 
«  yeux,  il  vit  de  loin  le  lieu  marqué;  et  il  dit  à  ses  serviteurs  : 
«  Attendez  ici  avec  l'àne;  moi  et  mon  fils,  nous  hâtant  d'aller 
«  jusque-là,  après  que  nous  aurons  adoré,  nous  reviendrons  à 
«  vous  ^  »  L'àne  et  les  serviteurs  dont  Abraham  se  sépare,  lorsque 
le  moment  d'accomplir  le  sacrifice  approche,  ce  sont  les  choses 
de  la  terre,  les  intérêts,  les  passions,  tout  ce  qui  pourrait  le  trou- 
bler et  l'empêcher  d'offrir  à  Dieu,  avec  tout  le  recueillement  que 
demande  un  tel  acte,  la  victime  qu'il  se  prépare  à  immoler.  Plus 
tard  il  pourra  revenir  à  ses  occupations  ordinaires,  penser  aux 
affaires  temporelles  qui  réclament  ses  soins;  mais  au  moment  de 
rendre  à  Dieu  l'hommage  qu'il  réclame,  tout  le  reste  doit  dispa- 
raître et  être  comme  s'il  n'existait  pas. 

Pourquoi  le  bienheureux  vieillard  Siméon  reçut-il  la  faveur  in- 
signe de  pouvoir  porter  entre  ses  bras  et  serrer  sur  sa  poitrine  le 
divin  Enfant  qui  porte  le  monde  et  règne  au  ciel  et  sur  la  terre? 
L'Evangile  nous  le  dit  :  «  Il  vint  dans  le  temple,  conduit  par 
l'Esprit  de  Dieu  :  »  Venit  in  Spiritu  in  teniplo.  N'est-ce  pas 
conduit  uniquement  par  ce  divin  Esprit  que  doit  venir  à  l'église 
et  approcher  de  l'autel  quiconque  veut  célébrer  le  saint  sacrifice 
de  la  messe,  ou  y  assister  dignement?  Si  le  Pontife  de  l'ancienne 
loi,  dit  un  pieux  et  savant  auteur  du  xiii*  siècle,  entrait  seul  dans 
le  saint  des  saints,  afin  de  prier  pour  le  peuple,  et  si  la  foule, 
comme  on  le  voit  par  ce  qui  arriva  à  Zacharie,  restait  dehors  à 
l'heure  de  l'encensement  et  attendait  afin  de  ne  pas  interrompre 
sa  prière,  combien  plus  est-il  nécessaire  que  le  prêtre  de  la  loi  de 
grâce  qui  n'offre  plus  un  sacrifice  corruptible,  pour  un  seul 
peuple,  mais  qui  offre  au  Père  son  divin  Fils  pour  le  salut  du  monde, 
accomplisse  cet  acte  au  sein  de  la  paix  et  du  silence  ?  Aussi  S.  Am- 
broise  recommandait-il  aux  fidèles,  après  la  lecture  de  l'Évangile, 
de  s'abstenir  de  tousser  ou  de  remuer  pendant  le  temps  du  canon  -. 
Les  rites  et  les  cérémonies  de  la  messe  que  l'Église  a  réglés  avec 
tant  de  soin,  ses  prescriptions  si  nombreuses  et  si  variées  tou- 

1.  Die  autcm  tertio,  elevatis  oculis  vidit  locuni  procul.  (iixit(jue  ;ul  pueros 
8U0S  :  expectate  hic  cum  asino  :  e^o  et  puer  illuc  usque})roperaiiles,  postciuam 
adoraveriinus,  revertemur  ad  vos.  (Grtws.,  xxii,  i,  U.) 

2.  C.ESARiLs  llEisTERUACENsis,  lib.  L\  DifiloQ.  (Ic  Mivacul. 


668        LA    SAINTE   EUCHARISTIE.  —  if  PARTIE.   —  LIVRE  II.   —  CHAP.   XIV. 

chant  les  ornements  sacerdotaux,  le  calice,  la  patène,  lecorporal, 
la  pale,  le  voile,  le  purificatoire,  les  bénédictions,  les  signes  de 
croix,  les  élévations  des  mains  et  tant  d'autres  observances,  tout 
enfin  ne  contribue-t-il  pas  à  rappeler  au  prêtre  et  aux  fidèles  avec 
quelle  dévotion,  quelle  application  de  l'esprit  et  quel  recueillement 
il  convient  d'assister  à  un  si  grand  mystère?  Le  saint  concile  de 
Trente  a  soin  de  nous  en  avertir.  Nous  lisons,  en  ellet,  au  cha- 
pitre v"  de  la  XXIP  session  :  «  La  nature  de  l'homme  étant  telle 
«  qu'il  ne  pi  ut  aisément  et  sans  quelque  secours  extérieur  s'éle- 
«  ver  à  la  méditation  des  choses  divines,  l'Église,  comme  une 
«  bonne  mère,  a  établi  certains  usages,  comme  de  prononcer  à 
«  la  messe  des  choses  à  voix  basse,  d'autres  d'un  ton  plus  haut,  et 
«  a  introduit  des  cérémonies  comme  les  bénédictions  mystiques, 
«  les  lumières,  les  encensements,  les  ornements  et  plusieurs 
«  autres  choses  pareilles,  suivant  la  discipline  et  la  tradition  des 
«  Apôtres,  et  pour  rendre  par  là  plus  recommandable  la  majesté 
«  d'un  si  grand  sacrifice;  et  pour  exciter  les  esprits  des  fidèles 
«  par  ces  signes  sensibles  de  piété  et  de  religion,  à  la  contempla- 
«  tion  des  grandes  choses  qui  sont  cachées  dans  ce  sacrifice  ^  » 
S.  Ambroise,  dans  une  prière  préparatoire  à  la  messe,  demande 
une  grâce  que  devraient  bien  implorer  avec  lui  tous  ceux  qui  as- 
sistent à  ce  divin  sacrifice,  afin  de  le  faire  avec  toute  l'attention 
requise.  11  dit  au  Seigneur  :  «  Faites  que  toujours  par  votre  grâce," 
«  je  croie  et  je  comprenne,  je  sente  et  je  tienne  fermement  pour 
t  certain,  je  dise  enfin  et  je  pense,  touchant  un  si  grand  mystère, 
«  tout  ce  qui  vous  est  agréable  et  tout  ce  qui  est  utile  à  mon  âme  2.  » 
En  effet,  lorsque  vous  assistez  à  ce  divin  sacrifice,  vous  devez  ré- 
fléchir sérieusement  à  cette  vérité,  qu'il  est  offert  pour  votre  bien  ; 
d'abord  pour  le  salut  de  votre  âme,  ensuite  pour  celui  même  de 

\.  Cumque  nalura  liominum  ea  sit  ut  non  facile  queat,  sine  adminiculis 
exterioribus,  ad  rerum  divinarum  medilalionexn  suslolli;  propterea  pia  mater 
Ecclesia  ritus  (juosdain,  ut  scilicet  quéedam  submissa  voce,  alia  vero  clariore, 
in  Missa  pronuntiarenlur  inslituit.  Caireinonias  item  adhibuit,  ut  mysticas 
benedictiones,  lumina  tbymiamata,  vestes  aliaque  id  genus  muita,  ex  aposto- 
lica  discijtbna  et  tradilione,  quo  et  majestas  tanti  sacrificii  commendaretur, 
et  mentes  fidelium  per  hœc  visil)ilia  religionis  et  pietatis  signa  ad  rerum, 
quae  in  lioc  sacrificio  latent,  contemplationem  excitarenlur.  [Cancil.  Trident., 
sess.  XXII,  cap.  v.) 

2.  l'ac  me  per  gratiam  tuam  semper  illud  de  tanto  myslerio  credere  et 
intelligere,  senlire  et  firmiter  tenere,  dicere  et  cogitare  quod  tibi  placet  et 
expedit  anim.t  meœ.  (S.  Ambros.,  orat.  projn-.  in  Dom.) 


CE  Ql'E  LA  DÉVOTION  RÉCLvME  DES  PHÈTRES  yUI  CÉLÈURENT  LA  MESSE.      669 

votre  corps,  et  pour  votre  prospérité  temporelle;  qu'il  a  particu- 
lièrement pour  but  d'expier  vos  péchés,  de  satisfaire  à  Dieu,  et 
d'éloigner  de  vous  les  châtiments  dont  la  justice  divine,  irritée 
par  vos  fautes,  serait  en  droit  de  vous  frapper.  Voilà  de  quelles 
sortes  de  pensées  il  convient  de  se  pénétrer,  lorsqu'on  a  le  bonheur 
d'assister  à  nos  divins  mystères  et,  à  plus  forte  raison,  de  les  cé- 
lébrer soi-même.  S.  Jean  Ghrysostome  disait  à  son  ami  S.  Basile  : 
«  Quel  majestueux  appareil  rehaussait  le  culte  du  Seigneur,  même 
e  avant  la  loi  de  grâce  !  Gomme  tout  inspirait  une  sainte  terreur  ! 
«  Les  sonnettes,  les  grenades,  les  pierres  précieuses  qui  brillaient 
«  sur  la  poitrine  et  sur  l'éphod  du  grand  prêtre;  le  diadème,  la 
a  tiare,  la  robe  traînante,  la  lame  d'or,  le  saint  des  saints  et  son 
«  impénétrable  solitude  !  Mais  si  l'on  considère  les  mystères  de 
«  la  loi  de  grâce,  que  l'on  trouvera  vaine  la  pompe  extérieure  de 
«  l'ancienne  loi,  que  l'on  comprendra  bien,  dans  ce  cas  particu- 
«  lier,  la  vérité  de  ce  qui  a  été  dit  de  toute  cette  loi  en  général  : 
«  Ce  qu'il  y  a  eu  d'éclatant  dans  le  premier  ministère  n'est  pas 
«  même  gloire,  comparé  à  la.  gloire  suréminente  du  second  '. 
«  Quand  tu  vois  le  Seigneur  immolé  et  étendu  sur  l'autel,  le  prêtre 
«  qui  se  penche  et  qui  prie,  et  tous  les  fidèles  empourprés  de  ce 
«  sang  précieux,  crois-tu  encore  être  parmi  les  hommes,  et  même 
«  sur  la  terre  ?  N'es-tu  pas  plutôt  transporté  dans  les  cieux,  et,  toute 
«  pensée  charnelle  bannie,  comme  si  tu  étais  un  pur  esprit,  dé- 
«  pouillé  de  la  chair,  ne  contemples-tu  pas  les  merveilles  d'un 
a  monde  supérieur?  0  prodige!  ô  bonté  de  Dieu!  Celui  qui  est 
«  assis  là-haut,  à  la  droite  du  Père,  en  ce  moment  même  se  laisse 
V  prendre  par  les  mains  de  tous;  il  se  donne  à  qui  veut  le  rece- 
«  voir  et  le  presser  sur  son  cœur  :  voilà  ce  qui  se  passe  aux  regards 
«  de  la  foi  -.  »  Ne  devons-nous  pas,  en  ell'et,  nous  croire  au  ciel 
plutôt  que  sur  la  terre,  lorsque  le  divin  Agneau,  qui  a  son  trône  au 
plus  liaut  des  cieux,  est  là  sur  nos  autels  et  se  tient  au  milieu  de 
nous?  Aussi,  quand  approche  le  moment  de  sa  venue,  le  prêtre 
dit-il  aux  assistants  :  Sursum  corda  :  «  Les  cœurs  en  haut.  »  Au 
moment  où  la  divine  Victime  descend  du  ciel  et  s'immole  en 
notre  présence,  nous  ne  sommes  plus  sur  la  terre,  nous  sommes 
les  compagnons  des  anges,  et  l'Église  nous  invite  à  nous  joindre 

\.  Nam  nec  glorificalmn  est  quod  claruil  in  hac  parle,  propler  excellenlein 
gloriam.  (//.  Cor.,  m,  H»  ) 
2.  S.  J.  CHRYSOST.,  de  Saccrdolio,  lib.  III.  Traduction  Jeannin. 


670         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  XIV. 

à  tous  les  ordres  de  leur  glorieuse  hiérarchie  pour  chanter  avec 
eux  l'éternel  Sanctus,  sanctus,  sanctus  Domimis  Deus  sabaoth  : 
«  Saint,  saint,  saint,  le  Seigneur  le  Dieu  des  armées.  »  On  ne 
peut  songer  sans  trembler  au  sort  réservé,  au  jour  du  jugement, 
à  tant  de  chrétiens  qui  assistent  à  la  sainte  messe,  non  seulement 
avec  négligence,  mais  avec  une  dissipation  et  une  irrévérence 
faites  pour  contrister  les  anges  et  toutes  les  âmes  pénétrées  d'une 
foi  vive  et  d'une  piété  sincère.  S.  François  de  Sales  qui,  tout  jeune 
encore,  pouvait  être  proposé  môme  aux  prêtres  les  plus  vertueux, 
comme  un  modèle  de  piété,  s'était  fait  un  règlement  de  vie  dans 
lequel  nous  lisons  :  «  J'assisterai  tous  les  jours  au  saint  sacrifice 
0  de  la  messe,  et  je  convoquerai  à  cette  grande  action  toutes  les 
a  puissances  de  mon  àme  par  ces  saintes  paroles  :  Venite  et  videte 
«  opéra  Domini,  quiv  posuit  prodiyia  super  terrain;  transea- 
Œ  mus  usque  Bethléem  et  videamus  hoc  Verbum  quod  factum 
«  est,  quod  Dominus  ostendit  nobis  ^  »  Sans  doute  le  pieux 
jeune  homme  avait  lu  les  conseils  de  S.  Jean  d'Avila  rapportés 
plus  haut;  car  quelques  lignes  après  celles  que  nous  venons  de 
citer,  il  ajoute  :  «  Pour  y  disposer  mon  àme,  si  je  me  réveille  pen- 
Œ  dant  la  nuit,  j'éveillerai  mon  cojurparces  paroles  :  Media  nocte 
«  clamor  factus  est  :  Ecce  sponsus  venit^exite  obviam  ei  -.  Puis 
«  pensant  que  c'est  pendant  la  nuit  que  Jésus  est  venu  au  monde, 
«  je  le  prierai  de  naître  encore  en  moi;  les  ténèbres  extérieures 
•  me  feront  penser  aux  ténèbres  intérieures,  où  la  tiédeur  et  le 
«  péché  jettent  les  âmes,  et  je  conjurerai  le  Seigneur  de  dissiper 
«  ces  ténèbres  par  sa  douce  et  bienfaisante  lumière  3.  » 

Telles  étaient  les  pensées  des  saints  :  c'est  avec  ce  recueillement 
parfait  de  toutes  les  puissances  de  l'àme  qu'ils  comprenaient  l'as- 
sistance à  la  messe  et  la  célébration  du  saint  sacrifice.  A  leurs 
conseils  ajoutons  encore  quelques  paroles  empruntées  à  l'auteur  de 
l'Imitation  de  Jésus-Christ  :  elles  achèveront  de  nous  faire  bien 
comprendre  les  pensées  et  les  sentiments  que  demandent  de  nous 
ces  adorables  mystères  : 

«  Le  prêtre  est  le  ministre  de  Dieu,  usant  de  la  parole  de  Dieu, 

\.  Venez  et  voyez  les  merveilles  que  le  Seigneur  a  faites  sur  la  terre. 
Allons  jusqu'à  Belhléem  et  voyons  le  Verbe  que  le  Seigneur  nous  a  envoyé. 
{Ps.  \Lv,  i),  et  A?/r.,  ii,  \V>.) 

2.  Au  milieu  de  la  nuit,  un  cri  se  fit  entendre  :  Voici  l'Époux  qui  arrive, 
allez  au  devant  de  lui.  {.Motth.,  xxv,  (».) 

3.  \'oir  (Jjtiisculi's  de  S.  François  de  Sales  et  ses  différentes  Vies. 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QLM  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      671 

«  selon  le  commandement  et  l'institution  de  Dieu  ;  mais  Dieu,  à  la 
«  volonté  de  qui  tout  est  soumis,  à  qui  tout  obéit  lorsqu'il  com- 
«  mande,  est  le  principal  auteur  du  miracle  qui  s'accomplit  sur 
«  l'autel,  et  c'est  lui  qui  l'opère  invisiblement.  — Vous  devez  donc, 
a  dans  ce  divin  sacrement,  croire  plus  volontiers  à  la  toute-puis- 
«  sance  de  Dieu  qu'au  témoignage  de  vos  sens  et  à  ce  qui  paraît  aux 
«  yeux  ;  et  vous  ne  sauriez  dès  lors  approcher  de  l'autel  avec  assez 
«  de  respect  ni  de  crainte.  —  Pensez  à  ce  que  vous  êtes.  —  Le  prêtre, 
«  revêtu  des  ornements,  tient  la  place  de  Jésus-Christ,  afin  d'offrir 
«  à  Dieu  d'humbles  supplications  pour  lui-même  et  pour  tout  le 
«  peuple.  Il  porte  devant  et  derrière  lui  le  signe  de  la  croix  du  Sau- 
«  veur,  afin  que  le  souvenir  de  sa  passion  lui  soit  toujours  présent. 

«  Il  porte  devant  lui  la  croix  sur  la  chasuble,  afin  de  considérer 
«  attentivement  les  traces  de  Jésus-Christ,  et  de  s'appliquer  avec 
«  ferveur  à  le  suivre.  Il  porte  derrière  lui  la  croix,  afin  de  s'exercer 
«  à  souffrir  avec  douceur,  pour  Dieu,  tout  ce  que  les  hommes 
«  peuvent  lui  faire  de  mal.  —  Il  porte  la  croix  devant  lui,  afin  de 
«  pleurer  ses  propres  péchés  ;  derrière  lui,  afin  que  par  une  tendre 
«  compassion,  il  pleure  aussi  les  péchés  des  autres  ;  et  que  se  sou- 
«  venant  qu'il  est  établi  médiateur  entre  Dieu  et  le  pécheur,  il 
«  ne  se  lasse  point  d'offrir  des  prières  et  des  sacrifices,  jusqu'à  ce 
«  qu'il  ait  obtenu  grâce  et  miséricorde. 

<i  Quand  le  prêtre  célèbre,  il  honore  Dieu,  il  réjouit  les  anges, 
a  il  édifie  l'Église  ;  il  procure  des  secours  aux  vivants,  du  repos 
«  aux  morts,  et  se  rend  lui-même  participant  de  tous  les  biens  ^» 

A  des  réflexions  si  pieuses  et  si  sages,  nous  n'ajouterons  que 
ces  paroles  du  grand  Apôtre  à  son  disciple  Timothée  :  «  Méditez 
a  ces  choses,  soyez-y  tout  entier  afin  que  votre  avancement  soit 
«  connu  de  tous  :  Hcvc  meclilare,  in  liis  esto,  ut  profeclus  iuus 
a  manijeslus  sit  omnibus  -.  » 

II. 

l'URETK    DE    CONSCIENCE   AVEC    LAQUELLE    IL    FAUT    CÉLÉBUKIl    LA    SAINTE 
MESSE   OU    Y     ASSISTER 

«  Avant  sa  résurrection,  dit  Pierre  de  Blois,  Jésus-Cin-ist  ne 
a  faisait  pas  difficulté  de  se  laisser  toucher  par  les  pécheurs;  mais 

1.  De  Imitât.  Christi,  lib.  I\',  cap.  v. 

2.  /.  Tim.,  IV,  l.'j. 


672         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.   XIV. 

«  une  fois  ressuscité,  il  fut  très  réservé  à  accorder  cette  faveur  : 
«  c'était  pour  nous  inculquer  cette  loi  :  Nul  incirconcis  naura 
t  part  à  V Agneau.  Par  incirconcis  entendez  tous  ceux  qui  ne  sont 
«  pas  purs.  Tout  enflammée  de  la  charité  de  Jésus-Christ  qu'est 
«  Marie-Madeleine,  il  lui  est  défendu  de  toucher  le  divin  Maître. 
«  Quoique  le  plus  grand  des  enfants  des  hommes,  au  témoignage 
«  du  Sauveur  lui-même,  Jean-Baptiste  n'ose  lever  la  main  sur  ce 
«  chef  adorable  que  les  anges  regardent  en  tremblant  ^  » 

S.  Jean  Ghrysostome  demande  à  son  tour  :  «  Quelle  pureté 
«  pourra  donc  suffire  pour  l'oblation  d'un  tel  sacrifice?  L'éclat  du 
«  soleil  approche-t-il  de  celui  que  doivent  jeter,  et  cette  main  qui 
«  divise  la  chair  du  Sauveur,  et  ces  lèvres  purifiées  par  un  feu 
«  divin,  et  cette  langue  teinte  d'un  sang  adorable?  Songez  quel 
f  honneur  vous  recevez  et  à  quelle  table  vous  êtes  admis  !  Celui 
«  dont  la  vue  fait  trembler  les  anges  et  dont  la  splendeur  les 
«  éblouit,  c'est  lui-môme  qui  devient  notre  nourriture;  il  s'unit  à 
«  nous  et  nous  ne  formons  plus  qu'un  même  corps  et  une  même 
«  chair  :  le  corps  et  la  chair  de  Jésus-Christ  2.  » 

Dira-t-on  que  l'illustre  et  saint  patriarche  de  Constantinople  use 
d'exagération,  lorsqu'il  réclame  du  prêtre  et  de  tous  ceux  qui  par- 
ticipent à  l'oblation  du  saint  sacrifice  une  pureté  si  parfaite,  des 
mains  et  des  lèvres  plus  resplendissantes  que  le  soleil  lui-même, 
par  leur  sainteté? 

Qu'on  se  rappelle  le  rit  de  l'immolation  des  victimes  sous  la  loi 
de  Moïse.  On  sait  que  le  prêtre  qui  les  offrait  en  sacrifice  devait 
étendre  la  main  sur  leur  tête.  Si  l'on  en  croit  les  explications  que 

\.  Anle  resurreclionem  suam,  Christus  omnibus  peccatoribus  tangendum 
seipsum  permittebat;  post  resurreclionem  vero  suam  non  facile  unicuique 
concessit  :  ut  eam  nobis  regulam  traderet  :  Incircumcisus  non  comedet  ex  eo. 
{Exod.,  XII,  W.)  Incircumcisum  appellat  omnem  impurum.  —  Certe  Maria 
([uam  Cbristi  cbaritas  vehementer  accenderat  prohil)etur  Dominum  tangere. 
.loannes  eliam  Baptista,  que  major  inlrr  natos  mulierum,  teslimonio  Christi, 
non  sxirrexit,  vertici  Salvatoris  angelicis  potestatibus  tremendo  manum  verc- 
tur  apponere.  (Petr.  Bless.,  Serm.  syn.  LVII,  et  Epist.  CXXIII  ad  Rie.  Lond. 
Episc.) 

2.  Quo  igitur  non  oportet  esse  puriorem  tali  fruentem  sacrificio?  Quo  so- 
lari  radio  non  splcndidiorem  manum  carnem  banc  dividentem,  os  quod  igné 
spiriluali  ropletur,  linguam  quae  tremendo  nimis  sanguine  rubescit?  Cogita 
quali  sis  insignitus  bonore,  quali  mensa  fruaris.  Quod  angeli  videntes  horrcs- 
cunt,  neque  libère  audenl  intueri  proj)ter  emicantem  inde  splendorem,  boc 
nos  pascimur,  huic  unimur,  et  facti  sumus  unum  Christi  corpus  et  una  caro. 
(S.  Chrvsost.,  bom.  LXXII  in  Matth.,  alias  LXXXIII.) 


CE  QUE  LA  DEVOTION  RECLAME  DES  PRETRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      673 

donne  le  juif  Philon,  cette  imposition  des  mains  signifiait  que  la 
vie  du  sacrificateur  était  innocente,  et  qu'il  observait  exactement 
tout  ce  qu'ordonnent  les  lois  naturelles  et  les  oracles  sacrés;  et 
c'est  ainsi  que  le  peuple  interprétait  cette  cérémonie.  Car  Dieu  de- 
mande de  quiconque  offre  un  sacrifice,  d'abord  qu'il  soit  bon, 
saint,  exercé  à  la  pratique  de  la  piété;  ensuite  que  sa  vie  soit 
ornée  de  bonnes  œuvres,  afin  de  pouvoir  dire  en  toute  sûreté  de 
conscience,  lorsqu'il  imposera  les  mains  à  la  Victime  :  Ces  mains 
n'ont  pas  été  corrompues  par  des  présents,  ni  souillées  par  le  sang 
innocent.  Elles  n'ont  nui  à  personne,  outragé  personne,  ni  commis 
d'injustice;  elles  n'ont  ni  blessé  ni  violenté;  elles  n'ont  prêté  leur 
concours  à  rien  de  honteux,  mais  uniquement  à  des  actes  honnêtes 
et  utiles,  dignes  d'être  approuvés  par  tous  les  hommes  justes  et 
sages.  —  Si  telle  était,  au  témoignage  de  Philon,  la  pureté  requise 
des  prêtres  de  l'ancienne  loi  pour  l'oblation  des  animaux  sans 
raison  qu'ils  offraient  au  Seigneur,  quelle  ne  sera  pas  celle  que 
Dieu  exigera  des  prêtres  de  la  loi  de  grâce,  lorsqu'ils  tiennent  entre 
leurs  mains  et  immolent  sur  l'autel  l'Agneau  de  Dieu,  Jésus-Christ 
lui-même  voilé  sous  les  Espèces  eucharistiques? 

On  lit  dans  la  Genèse  :  «  Dieu  dit  à  Jacob  :  Lève-toi  et  monte  à 
a  Béthel  ;  demeure  là  et  fais  un  autel  au  Dieu  qui  t'apparut  quand  tu 
a  fuyais  Esaù  ton  frère.  Jacob  donc  assembla  toute  sa  maison  et  dit  : 
«  Rejetez  les  dieux  étrangers  qui  sont  au  milieu  de  vous,  purifiez- 
«  vous  et  changez  vos  vêtements.  Levez-vous  et  montons  à  Béthel, 
«  afin  que  nous  fassions  là  un  autel  au  Dieu  qui  m'a  exaucé  au 
«  jour  de  ma  tribulation,  et  qui  a  été  le  compagnon  de  mon  vo3^age. 
«  Ils  lui  donnèrent  donc  tous  les  dieux  étrangers  qu'ils  avaient,  et 
«  les  pendants  qui  étaient  à  leurs  oreilles;  et  il  les  enfouit  sous  le 
«  térébinthe  qui  est  derrière  la  ville  de  Sichem  K  »  Nous  voyons 
ici  que  le  premier  soin  de  Jacob,  pour  accomplir  dignement  l'ordre 
qu'il  avait  reçu  de  Dieu,  et  offrir  au  Seigneur  un  sacrifice  d'action 
de  grâces  qui  lui  fût  agréable,  a  été  de  sanctifier,  autant  qu'il  lui 

1.  Interea  locutus  est  Deus  ad  Jacob  :  Surge  et  ascende  Bethel,  et  habita 
ibi,  facqiie  altare  Deo  qui  apparaît  tibi  quando  fugiebas  Esau  fratrem  tiium. 
Jacob  vero  convocata  omni  domo  sua,  ait  :  Abjicite  deos  aliènes  qui  in  medio 
vestri  sunl,  et  mundamini,  ac  mulate  vestimenta  vestra.  Surgite,  et  ascenda- 
mus  in  Bethel,  et  faciainus  ibi  altare  Deo  :  qui  exaudivil  me  in  die  tribulatio- 
nis  mefe,  et  socius  fuit  ilineris  inei.  Dederuntergo  ei  onincs  deos  alicnos  quos 
habebant,  et  inaures  quae  erant  in  auribus  eoruin.  At  ille  infodit  ea  sub  tere- 
binthum  qui  est  post  urbem  Sichem.  {Gènes.,  xxxv,  1-i.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  43 


674         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIV. 

était  possible,  tous  ceux  qui  l'accompagnaient  et  devaient  parti- 
ciper à  loblation  de  ce  sacrifice. 

Rappelons-nous  encore  une  fois  ce  principe  posé  par  S.  Paul, 
que  les  actes  et  les  paroles  des  personnages  de  l'Ancien  Testament 
étaient  la  figure  de  ce  qui  s'accomplirait  sous  la  loi  nouvelle  : 
Omnia  in  figura  contingebant  illis  ^  En  rapportant  la  conduite 
de  Jacob  dans  cette  circonstance,  la  Sagesse  divine  a  voulu  nous 
apprendre  sans  doute  avec  quel  soin  nous  devons,  nous  qui  sommes 
chrétiens,  nous  préparer  à  célébrer  la  messe  ou  bien  à  l'entendre. 
Nous  ne  pouvons  pas  nous  approcher  de  l'autel  du  Seigneur,  si 
nous  n'avons  pas  d'abord  rejeté  les  dieux  étrangers  qui  sont  en 
nous,  c'est-à-dire  si  nous  n'avons  pas  purifié  nos  cœurs,  si  nous 
n'en  avons  pas  rejeté  les  désirs  désordonnés,  les  passions,  les  vices, 
les  péchés.  Le  faire  sans  une  telle  préparation  serait  s'exposer, 
d'une  manière  certaine,  à  perdre  tout  le  fruit  d'un  acte  si  solennel 
et  même  à  se  rendre  plus  coupable,  «  Celui,  dit  Oleaster,  qui  se 
«  prépare  à  offrir  au  Dieu  suprême  le  saint  sacrifice,  doit  se  puri- 
«  fier  intérieurement  et  extérieurement  -.  » 

Pourquoi,  lorsque  le  moment  de  la  consécration  approche,  le  prê- 
tre se  lave-t-il  les  mains  en  récitant  ces  paroles  du  Psalmiste  :  «  Je 
«  laverai  mes  mains  parmi  des  innocents,  et  je  me  tiendrai  autour 
«  de  votre  autel,  ô  Seigneur  -^  ?  »  Remarquez  qu'il  n'a  pas  manqué 
de  le  faire  avant  de  se  rendre  dans  la  maison  de  Dieu  ;  il  l'a  fait 
encore  au  moment  de  revêtir  les  ornements  sacrés.  Ce  n'est  donc 
pas  la  nécessité  qui  a  dicté  ce  rite  à  l'Église  :  mais  il  y  a  là  un 
enseignement  pour  le  prêtre  et  pour  les  fidèles.  Cet  acte  a  une 
signification  mystique;  il  dit  qu'une  pureté  ordinaire  ne  suffit  pas 
pour  célébrer  les  saints  mystères.  Avant  de  monter  à  l'autel,  le 
prêtre  s'est  lavé  les  mains,  car  il  faut  avant  tout  que  sa  conscience 
ne  soit  chargée  d'aucune  faute  grave,  et  qu'il  n'y  ait  rien  de 
sérieusement  répréheiisible  dans  ses  actes,  que  les  mains  repré- 
sentent. Mais  quand  le  moment  approche  oij  les  mystères  les  plus 
sacrés  de  notre  sainte  religion  vont  s'accomplir,  par  son  entre- 
mise, il  a  besoin  d'une  pureté  plus  excellente  encore  ;  il  faut  que 

1.  /.  Cor.,  X,  M. 

2.  Qui  Deo  summo  est  est  litaturus,  oportet  eum  mundnri  intus  et  extra. 
(Oleaster.  in  hune  locum.) 

3.  Lavabo  inter  innocentes  manus  meas,  et  circumdabo  altare  tuum,  Do- 
mine. {Ps.  XXV,  0.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.   675 

le  regard  des  fidèles  et  des  anges  ne  puisse  apercevoir  aucune 
tache  en  lui,  quelque  légère  qu'elle  soit,  et  il  se  lave  non  plus  les 
mains,  mais  les  extrémités  des  doigts  ;  ce  n'est  plus  de  fautes 
graves  qu'il  s'agit  pour  lui  de  se  purifier  en  ce  moment,  mais  de 
ces  imperfections  inhérentes  à  la  faiblesse  humaine,  que  même  les 
plus  saints  n'évitent  pas  complètement. 

Être  irrépréhensible,  jusque  dans  ses  moindres  actes  extérieurs, 
ne  suffirait  pas  pour  offrir  le  divin  sacrifice  :  «  Il  faut  que  toutes 
«  les  affections  du  cœur  soient  aussi  parfaitement  purifiées,  dit 
4  Pierre  de  Blois.  On  voit  dans  le  Lévitique  qu'avant  de  faire 
«  l'oblation  de  la  victime,  on  en  lavait  avec  soin  toutes  les  en- 
«  trailles.  Dieu  apparut  à  Moïse  ;  il  apparut  aussi  à  Josué  ;  or  il 
«  donna  à  l'un  et  à  l'autre  l'ordre  de  quitter  sa  chaussure,  c'est-à- 
«  dire  ce  qu'il  avait  sur  lui  de  la  dépouille  des  animaux.  Point  de 
«  lieu  plus  terrible  que  celui  où  le  Fils  unique  de  Dieu  est  immolé 
«  à  son  Père.  Celui  qui  veut  remplir  un  si  saint  ministère  doit 
«  donc  commencer  par  se  décharger  de  la  corruption  de  toutes 
«  les  œuvres  mortes  •.  »  Il  doit  mériter,  autant  qu'il  est  en  lui,  de 
voir  s'accomplir  le  vœu  que  formulait  S.  Ambroise  :  «  Plaise  à 
«  Dieu  que  quand  nous  brûlons  l'encens  à  l'autel,  l'Ange  du 
«  Seigneur  soit  aussi  à  nos  côtés,  et  même  se  découvre  à  nos 
«  yeux  !  Car  il  n'est  pas  douteux  que  nous  n'ayons  un  ange  auprès 
«  de  nous,  quand  Jésus-Christ  s'y  trouve  et  qu'il  y  est  sacrifié.  Car 
«  c'est  bien  là  Jésus-Christ  notre  Agneau  pascal  qui  a  été  im- 
«  mole,  dit  l'Apôtre  -.  » 

Pierre  de  Blois,  qu'on  nous  permettra  de  citer  encore,  aimait  à 
revenir  sur  cette  pensée  que  le  prêtre  est  le  coadjuteur  de  Jésus- 
Christ  dans  l'œuvre  de  la  rédemption.  Il  en  tirait  cette  conclusion 
que  la  sainteté  du  prêtre  doit  être  bien  grande,  lorsqu'il  célèbre  le 

\.  Lavandi  sunt  equidem  omnes  interiores  affectus.  Nam  in  Levitico  (i,  ix 
et  xiii),  ante(|uam  olîeratur  hostia,  omnia  ejus  intestina  lavantur.  Appariiit 
Dominus  Moysi  ;  apparuil  et  Josue,  prœcipiens  ulrique  ut  solveret  calceamenta 
de  pedibus  suis  :  calceamenta  quippefiuntde  pcllibus  mortuorum  animalium. 
Ideo  quisquis  accedit  ad  tantae  sanctiticationis  ministerium,  necesse  prius 
habet  deponcre  omnem  immunditiam  operum  mortuorum.  (Petr.  Blesens., 
Epist.  CXXllI,  ad  liic.  Lond.  l'insc.) 

!2.  Utinam  nobis  quoque  adolentibus  Altaria,  sacrificium  deferentibus,  as- 
sistât angclus,  imo  prœbeat  se  videnduin!  Non  enim  dubites  adsistcre  ange- 
lum  quando  Christus  adsislit,  quando  Christus  immolatur  :  Ktenim  pascha 
nostruin  immoiatus  est  Clirislus  (/.  Cor.,  v,  7).  (S.  ,\mbros.  in  Luc,  lib.  I, 
n.  27.) 


676         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIV.. 

divin  Sacrifice.  «  Personne,  dil-il,  n'est  venu  en  aide  ù  l'Esprit  du 
«  Seigneur  ni  ne  lui  a  donné  de  conseil,  pour  r<Buvre  de  la  créa- 
«  tion  :  mais  pour  accomplir  notre  rédemption,  il  a  voulu  des 
«  aides,  et  il  a  dit  :  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  Le  prêtre  est 
«  donc  l'aide  du  Rédempteur,  le  conseiller  du  Dieu  des  armées. 
«  C'est  par  les  soins  de  ce  conseiller  que  les  pécheurs  rentrent  en 
«r  grâce  avec  leur  Dieu.  C'est  lui  qui  prépare  et  présente  les  mets 
«  à  la  table  du  Christ,  offrant  à  ceux  qui  sont  serviteurs  comme 
a  lui  l'aliment  qui  vient  du  Père,  car  c'est  sa  parole  qui  s'unit  à 
«  l'élément  pour  que  le  sacrement  existe.  C'est  sa  main  qui 
«  prépare  le  médicament  merveilleusement  composé,  qui  rend  la 
«  santé  à  tous  ceux  qu'a  blessés  le  serpent  '.  »  Ailleurs  il  dit  encore: 
«  Je  sais  et  je  le  professe  ouvertement,  au  temps  de  l'immolation, 
tf  à  rheure  où  l'on  brûle  l'encens,  les  cieux  s'entr'ouvrent  à  la 
«  voix  du  prêtre,  les  anges  assistent  et  sont  présents,  les  choses 
«  visiblesetleschoses invisibles,  terrestresetcélestes,  s'unissentpar 
«  l'opération  du  Saint-Esprit  et  deviennent  un  seul  tout.  Il  est  donc 
a  grand,  ce  sacrement,  grand  au  delà  de  toute  estimation  et  de 
0  toute  imagination;  il  surpasse  toute  grandeur.  En  lui  est  le  salut 
«  du  monde,  la  rançon  du  siècle.  Nul  ne  saurait  concevoir  la  gran- 
*  deur  de  son  prix,  ou  plutôt  il  est  au-dessus  de  tout  prix.  C'est 
«  de  lui  que  l'Apôtre  a  dit:  //  est  manifestement  grand,  ce  7nys- 
«  tère  de  piétés  qui  s'est  révélé  dans  la  chair,  qui  a  été  justifié 
«  par  VEsprit,  dévoilé  aux  anges,  annoncé  aux  nations,  cru 
«  dans  le  monde,  reçu  dans  la  gloire.  Or  le  Prophète  a  dit  : 
«  Soyez  purs,  vous  qui  portez  les  vases  du  Seigneur.  Combien 
«  faut-il  que  soient  plus  purs  encore  ceux  qui  portent  le  Christ  lui- 
«  même  dans  leurs  mains  et  dans  leur  chair  -?  »  C'est  surtout  à 

1.  In  opère  creationis  non  fuit  qui  adjuvaret  Spiritum  Domini,  aut  consilia- 
rius  ejus  esset.  In  mysterio  vero  Redemptionis  nostrae,  voluit  liabere  coadju- 
tores,  dicens  :  Hoc  facile  in  mcam  commemorationem.  Est  ergo  sacerdos  coad- 
jutor  Redemptoris,  consiliarius  Domini  Sabaoth;  cujus  consilio  offensi  redeunt 
ingratiam  Dei  sui.  Hic  est  dapifer  mensse  Christi,  oiferens  Patris  cibum  con- 
servis,  cujus  verbum  accedit  ad  elementum,  et  fit  sacramentum.  Ejus  manu 
conficilur  medicamentum  medicatum  sapienter,  que  restituuntur  sanitati 
vuhieratia  serpente.  (Petr.  Blesens.,  serm.  XLVII.) 

2.  Scio  et  aperte  profiteor,  tempore  immolalionis,  in  ipsa  hora  incensi, 
cœlos  ad  vocem  sacerdotis  aperiri,  angelos  praesenles  assistere,  unum  et 
idem  ex  visibilibus  et  invisibilibus  fier!,  et  operatione  sancti  Spiritus  terrena 
cœlestibus  jungi.  Magnum  itaque  hoc  est  sacramentum,  supra  omnem  aesti- 
malionem,  supra  omnem  intelligentiam,  supra  omnem  eminentiam  :  in  quo 

•salus  est  mundi,  pretium  sseculi,  pretium   impretiabile.  De  ipso  Apostolus 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      677 

eux  que  S.  Paul  adresse  cette  recommandation  :  «  Vous  avez  été 
«  achetés  à  haut  prix.  Glorifiez  et  portez  Dieu  dans  votre  corps  '.  » 
Le  prêtre  qui  offre  le  saint  sacrifice  doit  être  pénétré  des  senti- 
ments mêmes  de  Jésus-Christ,  non  seulement  pour  s'anéantir  avec 
lui  par  l'humilité,  mais  pour  se  crucifier,  pour  s'immoler  lui-même 
au  Seigneur  sur  l'autel  de  son  propre  cœur.  Il  doit  se  souvenir  de 
cette  parole  de  Salomon  :  c  Vous  vous  êtes  assis  à  la  table  d'un 
«  riche:  sachez  qu'il  faut  que  vous  lui  prépariez  un  festin  sembla- 
«  ble  :  »  Sedisti  ad  mensam  divitis,  sciio  quia  eademte  prœpa- 
rare  oportet  '-. 

Qu'il  nous  soit  donc  permis  de  dire  aux  prêtres,  avec  un  pieux 
disciple  de  S.  Bernard  :  «  Considérez  donc,  ayez  toujours  dans  la 
«  mémoire  la  grâce  singulière  que  Dieu  vous  a  faite,  grâce  qu'il 
«  n'a  pas  accordée  aux  anges  ni  aux  autres  hommes.  Car,  en  vos 
€  mains,  le  pain  est  transsubstantié  au  corps  du  Fils  unique  de 
€  Dieu;  sous  votre  bénédiction,  le  vin  est  changé  au  sang  sacré 
«  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Les  Séraphins,  plus  rapprochés 
«  de  la  Sainte  Trinité  que  tous  les  autres  esprits,  par  le  lieu  et  l'a- 
*  mour,  brûlent  de  vives  ardeurs:  ils  n'ont  pas  néanmoins  ce  pri- 
«  vilège  de  consacrer,  dans  une  créature  qui  leur  soit  mise  entre 
«  les  mains,  le  corps  et  le  sang  du  Rédempteur.  Les  Chérubins  qui 
«  ont  la  plénitude  de  la  science,  comme  l'atteste  leur  nom,  parce 
«  que,  plus  intimement  que  les  autres,  ils  connaissent  les  mystères 
«  célestes,  s'étonnent  de  ce  que  la  science  et  la  puissance  du 
«  prêtre  soient  si  admirables  et  qu'ils  n'en  approchent  pas.  Les 
«  Trônes,  dont  la  dignité  est  si  élevée  que  le  Seigneur  siège  sur  eux 
«  et  prononce  par  eux  ses  jugements,  n'ont  pas  la  prééminence 
«  qui  distingue  les  prêtres.  Tous  les  esprits  bienheureux  enfin, 
«  quoiqu'ils  jouissent  d'une  béatitude  si  parfaite,  qu'il  ne  manque 
«  rien  à  leur  souverain  bonheur,  vénèrent  néanmoins  la  gloire  du 
e  prêtre;  ils  admirent  sa  dignité,  ils  reconnaissent  son  privilège 
«  et  honorent  sa  puissance. 

«  0  famille  ecclésiastique,  sacerdoce  royal,  nation  sainte,  peuple 
«  d'acquisition,  annoncez  les  grandeurs  de  celui  qui  vous  a  appelés 

loqucns  :  Muf/nuDi,  inquit,  aarrnmenlum  hoc  /nclalis,  i/Kiiu/'i-stnIum  m  came, 
justificnlum  in  Siririlii,  qiioil  a/tprrruit  nngelis,  jjrœdictum  est  i/nitihits,  credi- 
tum  mtnulo,  tissumptum  iii  f//oria  (/.  Tim.,  m,  \i\).  (In.,  Epist.  CXXIII.) 

i.  Empli  enim  estis  prctio  niagno.  GloriHcate  et  porlate  Deuin  in  corpore 
vestro.  (/.  Cor.,  \i,  20.) 

2.  Prov.,  xxiii,  2. 


678         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  XIV. 

«  des  ténèbres  à  son  admirable  lumière  et  à  son  ineffable  mystère. 
«  Vous  êtes  la  lumière  du  monde,  vous  êtes  le  sel  de  la  terre.  Aux 
a  lévites  on  dit:  Pari  fiez-vous,  vous  qui  portez  les  vases  du  Sei- 
«  gneur  '.  A  vous  il  faut  dire:  Purifiez-vous,  vous  qui  êtes  les 
a  vases  du  Seigneur.  Glorifiez  et  portez  Dieu  dans  votre  corps  ~. 
«  Dieu  vous  a  choisis  pour  être  son  héritage.  C'est  en  vous  que 
«  s'ensevelit  ce  corps  glorieux  et  glorifié,  qui  autrefois  fut  mis  au 
c  tombeau  à  Jérusalem^  sans  vie  et  frappé  de  la  mort.  Joseph,  ce 
«  saint  personnage,  ne  voulut  le  placer  que  dans  un  sépulcre  tout 
a  neuf,  dans  lequel  personne  n'avait  été  mis,  et  il  eut  soin  de  l'en- 
«  velopper  dans  un  suaire  immaculé.  Malheur  à  vous  si  vous  ne  le 
«  mettez  pas  dans  un  suaire  blanc,  c'est-à-dire  dans  une  conscience 
«  entièrement  dégagée  et  purifiée  de  toute  tache.  Le  temple  de 
«  Dieu  est  saint,  dit  l'Apôtre,  et  c'est  vous  qui  êtes  ce  temple  3. 
«  Et  encore  :  Ne  savez-vous  pas  que  nos  corps  sont  le  temple  du 
«  Saint-Esprit  et  que  le  Saint-Esprit  habite  en  nous  ^?  Si  ces 
«  paroles  sont  vraies  de  tout  chrétien  qui  vit  dans  la  charité,  com- 
«  bien  doivent-elles  l'être  davantage  d'un  prêtre  véritablement 
«  agréable  à  Dieu  ?....  Souvenez-vous  donc  de  ne  toucher  à  ce 
«  sacrifice  qu'avec  des  mains  innocentes  et  un  cœur  pur.  Si  vous 
«  n'y  prenez  garde,  le  Seigneur  vous  dira  :  Ne  me  touchez  pas 
<r  parce  que  votre  attouchement  est  une  souillure. 

«  Méditez  donc,  prêtre  chéri  du  Seigneur,  et  considérez  toujours 
«  que  Jean-Baptiste,  le  précurseur  du  Seigneur,  l'ami  de  l'Époux, 
«  le  paranymphe  de  l'Épouse,  prophète,  plus  que  prophète,  sanc- 
«  tifié  dans  le  sein  de  sa  mère,  ce  grand  homme,  ce  personnage 
«  d'un  mérite  si  éminent,  d'une  sainteté  si  singulière,  tremble  et 
«  n'ose  toucher  la  tête  adorable  de  Dieu,  mais  il  s'écrie  avec  crainte: 
«  Sauveur,  sanctifez-nioi.  Remarquez  que  Pierre,  désigné  pour 
«  tenir  les  clefs  du  royaume  des  cieux,  établi  pasteur  de  brebis 
«  par  la  triple  confession  de  son  amour,  mis  à  la  tête  du  collège 
«  apostolique,  en  danger  de  périr  dans  un  naufrage,  se  trouvant 
«  près  du  Seigneur,  redoute  de  s'en  approcher  et  veut,  dans  sa 
«  frayeur,  s'éloigner  de  lui;  il  s'écrie  :  Retirez-vous  de  moi,  Sei- 

\.  Mundfimini  qui  ferlis  vasa  Domini.  (/s.,  lu,  \\.) 

2.  Glorificate  et  portate  Deum  in  corpore  vestro.  (/.  Cor.,  vi,  20.) 

3.  Templurn  Domini  sanctum  est  quod  estis  vos.  (/.  Cor.,  m,  M.) 

4.  An  nescilis  quia  corpora  noslra  templa  sunt  Domini,  et  Spiritus  sanctus 
habitat  in  nobis?  (/.  Cor.,  vu,  16.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      679 

«  gneur,  parce  que  je  suis  un  homme  pécheur  ^  S.  Jean,  le  dis- 
«  ciple  vierge,  choisi  et  préféré  qui,  y  la  cène,  reposa  sur  la  poitrine 
«  du  Seigneur  ;  à  qui  Jésus-Christ,  sur  la  croix,  confia  sa  mère 
«  vierge;  à  qui,  lorsqu'il  vivait  encore  dans  sa  chair  mortelle, 
a  furent  révélés  les  secrets  célestes,  se  glorifie,  en  ces  termes, 
«  d'avoir  entendu,  vu  et  touché  extérieurement  le  corps  du  Sei- 
«  gneur  :  Ce  qui  a  été  dès  le  principe,  ce  que  nous  avons  entendu 
«  et  vu  de  nos  yeux,  ce  que  nous  avons  contemplé  et  que  nos 
«  mains  ont  touché  du  Verbe  de  vie  2.  Si  donc  ces  princes 
«  glorieux  de  la  terre,  ces  grands  de  la  cour  céleste,  redoutaient  à 
«  un  tel  point  de  toucher  extérieurement  le  corps  du  Seigneur,  qui 
«  n'était  pas  encore  transféré  dans  la  gloire  des  cieux,  avec  quel 
«  respect,  avec  quelle  crainte  et  quel  tremblement,  avec  quelle 
«  pureté  de  corps  et  d'àme  faut-il  que  le  prêtre  le  produise,  le 
«  touche,  le  prenne  et  le  reçoive  dans  sa  propre  poitrine,  main- 
«  tenant  qu'il  est  glorieux  et  établi  au-dessus  de  tout  dans  la  gloire 
«  du  Père  ^  ?  » 

On  lit  dans  l'Exode,  que  Dieu  donna  cet  ordre  au  grand  prêtre 
Aaron  et  à  ses  fils  :  «  Vous  ferez  un  bassin  d'airain  avec  sa  base 
«  pour  se  laver,  et  vous  le  placerez  entre  le  tabernacle  du  témoi- 
«  gnage  et  l'autel.  Or,  de  l'eau  ayant  été  mise,  Aaron  et  ses  fils  y 
«  laveront  leurs  mains  et  leurs  pieds,  quand  ils  devront  s'appro- 
t  cher  de  l'autel  pour  y  offrir  un  parfum  à  brûler  au  Seigneur  4.  » 
Cette  prescription  de  l'ancienne  loi  qui  fait  comprendre  quelle 
perfection  de  pureté  Dieu  exige  de  ceux  qui  approchent  de  son 
autel,  semblait  ne  regarder  autrefois  que  les  prêtres  et  les  lévites. 
Mais  nos  mystères  infiniment  saints  ne  demandent  pas  seulement 
que  les  prêtres  appelés  à  les  accomplir  soient  irréprochables,  les 
simples  fidèles  qui  ont  l'honneur  d'y  assister  doivent  s'efTorcer, 
autant  qu'il  est  en  eux,  d'apporter  dans  le  lieu  saint  où  l'on  célèbre 

1.  Exi  a  me,  quia  homo  peccator  sum,  Domine.  (Luc,  v,  8.) 

2.  Quod  fuit  ah)  initio,  quod  audivimus,  quod  vidimus  oculis  nostris,  quod 
perspeximus,  et  manus  nostrai  contrectaverunt  de  Verbo  vit*.  [Joann., 
I.  Epist.,  I,  1.) 

3.  Instrucl.  sacenl.,  p.  Il,  caj).  ix  et  x,  inter  opéra  S.  Bernardi.  Traduction 
de  M.  l'abbé  Dion.  —  Vu  la  longueur  de  la  citation,  nous  ne  reproduisons  pas 
le  texte  latin. 

4.  Faciès  et  labrum  aeneum  cum  basi  sua  adlavanduin.ponesque  illud  inter 
tabernaculum  tcstimonii  et  altare.  Et  missa  aqua,  lavabunt  in  ea  Aaron  et 
filii  ejus  manus  suas  ac  pedes,  quando  ingressuri  sunt  tabernaculum  tcstimo- 
nii, utofferent  in  co  tbyiniama  Domino.  [Exod.,  xxx,  18.) 


680         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIV. 

ces  adorables  mystères,  des  cœurs  assez  bien  disposés  pour  que 
Dieu  puisse  en  agréer  l'hommage. 

Les  prêtres,  en  ellet,  ne  sont  pas  seuls  à  offrir  le  saint  sacrifice  ; 
tous  les  assistants  doivent  s'unir  à  eux  et  les  prières  de  la  messe 
le  rappellent  en  divers  passages.  S'ils  ne  sont  pas  obligés,  sous 
peine  de  faute  grave,  d'être  en  état  de  grâce,  comme  le  célébrant 
qui  monte  à  l'autel,  au  moins  convient-il  qu'ils  le  soient  ou,  s'ils 
ne  le  sont  pas,  qu'ils  soient  animés  de  sentiments  de  pénitence  et 
qu'ils  puissent  dire  avec  David  :  «  0  Dieu,  vous  ne  mépriserez  pas 
«  un  cœur  contrit  et  humilié  :  »  Cor  contritum  et  humiliatuin , 
Deus,  non  despicies  K  L'Église  nous  le  rappelle  par  ce  vase  rem- 
pli d'eau  bénite,  qu'elle  place  à  l'entrée  des  églises,  et  qui  n'est 
pas  seulement,  comme  le  vase  d'airain  du  tabernacle  ou  du  tem- 
ple, pour  l'usage  des  prêtres,  mais  à  la  disposition  de  tous.  Et 
l'eau  qu'il  contient  n'est  pas  destinée  à  une  simple  purification 
extérieure  et  corporelle,  elle  est  sanctifiée  par  des  prières  spécia- 
les, et  elle  a  la  vertu,  lorsqu'on  en  use  avec  dévotion,  de  purifier 
les  âmes  de  leurs  taches  légères,  d'attirer  les  bénédictions  de  Dieu 
et  de  mettre  en  fuite  le  démon.  Baronius  remarque  que  les  ido- 
lâtres eux-mêmes  ne  manquaient  pas  de  pratiquer  quelque  puri- 
fication, avant  d'entrer  dans  leurs  temples;  car,  dit-il,  c'est  dans 
l'homme  un  sentiment  instinctif  de  se  purifier  de  toute  souillure, 
lorsqu'il  doit  approcher  de  Dieu  '.  Or,  il  n'est  pas  de  circonstance 
où  l'homme  puisse  autant  approcher  de  Dieu  que  lorsqu'il  assiste 
au  sacrifice  de  la  messe  et  qu'il  participe  au  sacrement  de  l'Eu- 
charistie, ou  seulement  lui  rend  visite  et  l'adore  dans  le  saint  ta- 
bernacle. C'est  bien  Dieu  lui-même,  c'est  bien  le  Verbe  divin  avec 
le  corps,  le  sang  et  l'âme  qu'il  a  daigné  s'unir,  que  le  prêtre 
tient  entre  ses  mains  ou  qui  repose  sur  l'autel.  Le  simple  fidèle 
est  là,  à  quelques  pas  à  peine  du  Dieu  que  les  Chérubins  et  les 
Séraphins  adorent  en  tremblant  dans  le  ciel,  au  sein  de  sa  gloire 
infinie.  Comment  comparer  les  sacrifices  anciens  à  ce  divin  sa- 
crifice ?  Et  si  tant  de  respect  était  exigé  de  ceux  qui  participaient 
à  l'immolation  de  quelques  animaux,  s'ils  devaient  être  purs  de 
toute  souillure,  au  moins  extérieure,  quelle  pureté  intérieure  ne 
doivent  pas  s'efforcer  d'apporter  au  pied  de  nos  autels  ceux  qui 
assistent  à  l'immolation  de  l'Agneau  de  Dieu  qui  efface  les  péchés 

^.  Ps.  L,  21. 

2.  Baron.,  Annal.,  anno  57,  n.  lOG. 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      681 

du  monde?  C'est  àeux  surtout  qu'il  faut  dire  avec  le  Psalrniste  : 
«  Seigneur,  qui  habitera  dans  votre  tabernacle,  et  qui  reposera 
«  sur  votre  montagne  sainte?  Celui  qui  marche  sans  tache  et  qui 
«  pratique  la  justice.  Celui  qui  dit  la  vérité  qui  est  dans  son 
«  cœur,  qui  n'a  pas  trompé  avec  sa  langue  ;  qui  n'a  pas  fait  de 
«  mal  à  son  prochain,  et  qui  n'a  pas  accueilli  l'injure  contre  ses 
«  frères  K  » 

S.  Épiphane  dit  que  le  serpent  qui  va  boire  à  un  cours  d'eau 
rejette  d'abord  le  venin  dont  il  est  gonflé;  il  s'approche  ensuite 
de  l'eau  pour  boire.  «  Faisons  ainsi,  dit  le  saint  docteur,  lorsque 
«  nous  approchons  de  l'autel  de  Dieu,  rejetons  d'abord  tout  venin 
«  dangereux  2.  »  Le  venin  de  nos  âmes,  c'est  la  haine,  c'est  l'en- 
vie, c'est  la  concupiscence  charnelle,  ce  sont  enfin  tous  les  pen- 
chants mauvais,  tous  les  péchés  qui  exposent  notre  âme  à  la  dam- 
nation éternelle.  Tous  les  membres  de  la  famille  de  Jacob,  tous  ses 
serviteurs  lui  obéirent  sans  hésitation,  aussitôt  qu'il  leur  eût  dit 
qu'il  s'agissait  d'offrir  un  sacrifice  à  Dieu  et  qu'il  fallait,  pour 
s'en  rendre  digne,  rejeter  d'abord  les  idoles  qu'ils  possédaient  et 
les  autres  objets  se  rapportant  au  culte  des  fausses  divinités. 
N'est-ce  pas  un  exemple  que  les  chrétiens  doivent  s'empresser  de 
suivre?  Hésiteront-ils  à  enfouir  au  pied  de  l'arbre  de  la  croix 
leurs  idoles,  leurs  affections  déréglées  qui  les  assujettissent  au 
démon  et  les  entraînent  dans  le  péché  ?  Ce  n'est  pas  un  simple 
sacrifice  figuratif  qui  va  s'accomplir  en  leur  présence  ;  ce  n'est 
pas  un  chef  de  famille  quelconque,  fût-il  le  patriarche  Jacob,  qui 
se  prépare  à  offrir  ce  sacrifice.  Le  prêtre  qui  l'offrira  sera  le  Fils 
de  Dieu  lui-même,  usant,  pour  le  faire  visiblement,  de  la  voix  et 
des  mains  de  son  ministre  ;  et  la  victime  offerte,  ce  sera  encore 
lui,  ce  divin  Agneau  qui  se  tient  comme  immolé  en  présence  du 
Père  céleste. 

Le  saint  Concile  de  Ti'ente  s'inspirait  de  ces  pensées  lorsque, 
dans  un  décret,  il  s'exprimait  ainsi  :  «  Puisque  nous  sommes 

i.  Domine,  quis  liabitabit  in  labernacuio  tuo?  aut  quis  requiescet  in  monte 
sancto  tuo?  Qui  ingreciitur  sine  macula,  et  operatur  justitiam;  qui  loquiturve- 
ritateni  in  corde  suo,  f(ui  non  e;,nt  dolum  in  lingua  sua  :  nec  fecit  proximo 
suo  malum,  et  opj)robrium  non  accepit  adversus  proximum  suum.  (As.  xvi, 
1,3.) 

2.  Serpens  cum  venerit  ad  bibendum  aquam,  priusquam  bibat,  extra  fon- 
lem  evomit  venenum  .suum,  et  po.stea  bibit;  ita  et  nos,  quando  ad  altare  Dei 
accedimus,  seponamus  venenum  pessimum.  (S.  Kpipit.,  Ifxre.^.,  xxxvu.) 


682        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   MV. 

«  nécessairement  obligés  d'avouer  que  les  fidèles  ne  peuvent 
«  exercer  aucune  œuvre  si  sainte  ni  si  divine  que  ce  mystère  ter- 
«  rible,  dans  lequel  cette  hostie  vivifiante,  par  laquelle  nous 
«  avons  été  réconciliés  à  Dieu  le  Père,  est  tous  les  jours  immolée 
«  sur  l'autel  par  les  prêtres,  il  paraît  assez  clairement  qu'il  faut 
«  mettre  tout  son  soin  et  toute  son  application  pour  faire  cette 
«  action  avec  la  plus  grande  netteté  et  pureté  intérieure  du  cœur, 
«  et  la  plus  grande  piété  et  dévotion  extérieure  qu'il  est  possi- 
«  ble  '.  » 

On  lit  dans  la  vie  du  bienheureux  Guillaume,  prêtre  et  ermite, 
qu'un  jour,  étant  à  l'autel  et  célébrant  le  saint  sacrifice  de  la 
messe,  il  eut  un  ravissement  et  vit  Notre- Seigneur  Jésus-Christ 
qui,  sous  la  forme  d'un  enfant,  après  avoirbaisé  l'autel,  alla  porter 
le  baiser  de  paix  par  toute  l'église  aux  assistants.  Mais  il  ne  la 
donna  pas  à  tous  et  plusieurs  furent  privés  de  cette  faveur,  parce 
qu'ils  ne  prenaient  pas  assez  garde  à  conserver  leur  conscience 
pure  et  qu'ils  étaient  en  état  de  péché.  Car,  comme  dit  Salvien, 
«  bien  qu'il  ne  soit  pas  défendu  au  pécheur  d'entrer  dans  une 
«  église,  il  ne  doit  le  faire  qu'avec  l'intention  de  pleurer  ses  fautes 
«  passées  2.  »  Souvenons-nous  donc  lorsque  nous  entrons  dans  la 
maison  de  Dieu,  soit  pour  assister  au  saint  sacrifice,  soit  pour  le 
célébrer  nous-mêmes,  que  Dieu  attend  de  nous  un  regret  sincère 
des  péchés  que  nous  avons  commis,  et  une  volonté  arrêtée  et  sé- 
rieuse de  tout  faire,  pour  conserver  nos  cœurs  purs  et  dignes  de 
lui  à  l'avenir. 

III. 

MODESTIE,  RESPECT  ET  EMPRESSEMENT  PIEUX  QUE  DEMANDE  l' ASSISTANCE 
AU    SAINT   SACRIFICE    DE    LA    MESSE 

Dieu  voulait  autrefois  que  les  anciens  Hébreux  n'approchassent 
du  tabernacle  qu'avec  crainte  et  tremblement.  Cependant  qu'é- 

1.  (^uod  si  necessario  fateinur,  nulluin  aliud  opus  adeo  sanctum  acdivinum 
a  Chrisli  fidelil)u.s  tractari  posse,  quam  hoc  ipsuni  tremendum  mysterium  quo 
vivifica  illa'hostia,  qua  Ueo  Patri  reconciliati  sumus,  in  altari  per  sacerdotes 
quotidie  immolalur  :  satis  etiam  apparet,  omnem  operam  et  diligentiam  in  eo 
ponendam  esse,  ut  quanta  maxima  fieri  potest  interiori  cordis  munditia  etpu- 
ritate,  atque  exteriori  devotionis  ac  pietatis  specie  peragatur.  [Concil.  Trid., 
sess.  XXII,  décret,  de  Observandis  el  vitandis  in  cdebralione  Missx.) 

2.  Etsi  peccalor  non  prohibetur  ab  ingressu  templi,  débet  tamen  is  aliter 
non  inlrare,  nisi  ut  mala  antiqua  defleat.  (Salvian.,  de  Providentia.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.       683 

lait-il,  sinon  une  tente  richement  ornée?  L'arche  d'alliance  elle- 
même,  qu'il  était  destiné  à  renfermer,  n'était  qu'un  coffre  de  bois 
incrusté  d'or.  Mais  l'arche  et  le  tabernacle  étaient  consacrés  au 
Seigneur;  il  y  avait  manifesté  sa  gloire  et  s'en  était  servi  pour 
accomplir  des  prodiges,  et  rendre  des  oracles  ;  il  était  juste  que 
tout  Israël  fût  saisi  d'un  profond  respect,  à  l'approche  de  ces  ob- 
jets que  Dieu  lui-même  avait  sanctifiés. 

Cependant  il  y  a  loin  entre  la  sainteté  du  tabernacle  et  de  l'ar- 
che d'alliance  et  celle  de  nos  églises  et  de  nos  autels.  C'est  à  nous 
surtout  que  s'adressent  ces  paroles  :  c  Soyez  saisis  de  crainte  à 
«  l'approche  de  mon  sanctuaire.  Je  suis  lu  Seigneur  '.  »  Nos  églises 
sont  la  demeure  habituelle  que  Jésus-Christ  s'est  choisie  parmi 
nous;  il  ne  se  contente  pas  d'y  manifester  de  loin  en  loin  sa  vo- 
lonté et  sa  puissance,  il  y  réside  personnellement.  Ce  n'est  pas 
assez  encore  :  chaque  jour  il  y  renouvelle  son  divin  sacrifice,  lui 
que  les  Dominations,  les  Puissances  et  tous  les  chœurs  des  es- 
prits bienheureux  adorent  en  tremblant.  Dans  une  prière  prépa- 
ratoire à  la  messe,  S.  Ambroise  demande  que  Dieu  lui  enseigne 
a  avec  quelle  contrition  de  cœur,  avec  quelles  larmes  abondantes, 
«  quelle  vénération,  quelle  crainte  respectueuse,  quelle  chasteté 
«  de  corps,  quelle  pureté  de  cœur,  il  convient  de  célébrer  ce  divin 
«  et  céleste  sacrifice  ~.  » 

Et  ces  dispositions  sont  requises,  non  seulement  du  prêtre  qui 
célèbre  la  messe,  mais  de  tous  ceux  qui  ont  le  bonheur  d'y  as- 
sister, puisqu'ils  se  trouvent,  eux  aussi,  en  la  présence  du  Fils 
de  Dieu  s'immolant  pour  eux  sur  l'autel. 

S.  Jean  Chrysostome,  pour  faire  mieux  comprendre  le  respect 
qui  doit  accompagner  la  célébration  de  nos  mystères  sacrés,  les 
compare  au  sacrifice  que  le  prophète  Élie  ofl'rit  en  présence  de 
tout  le  peuple,  pour  dévoiler  l'impuissance  des  idoles  et  la  fourbe- 
rie de  leurs  faux  prophètes.  «  Voulez-vous  juger,  dit-il,  de  l'ex- 
«  cellence  de  nos  saints  mystères  par  un  autre  prodige  ?  Repré- 
«  sentez-vous  Élie,  une  foule  immense  debout  autour  de  lui,  et  la 
«  victime  étendue  sur  les  pierres,  tous  les  assistants  dans  l'attente 
«  et  dans  le  plus  profond  silence,  le  prophète  seul  priant  à  haute 

1.  Pavete  ad  sanctuarium  meuin  :  p]go  Doiniiuis.  [Levil.,  xwi,  2.) 

2.  Quanta  cordis  conlritione,  cl  lachryinarum  fonte,  quanta  reverentia  et 
tremore,  quanta  corporis  castilate  et  animœ  purilate  istud  divinum  et  cœleste 
sacrificium  sit  celebranduni.  (S.  Amuiuis.,  s.  III  in  prxparatione  ad  Mxssam.) 


684        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XIV. 

«  voix,  puis,  tout  h  coup,  la  flamme  se  précipitant  du  ciel  sur 
«  l'holocauste. 

«  Tout  cela  est  merveilleux  et  bien  propre  à  pénétrer  l'àme  de 
«  frayeur.  Mais  de  ce  spectacle,  passez  à  la  célébration  de  nos 
a  mystères;  vous  y  verrez  des  choses  qui  excitent,  qui  surpassent 
«  toute  admiration.  Le  prêtre  est  debout  ;  il  fait  descendre  non  le 
«  feu,  mais  l'Esprit  saint;  sa  prière  est  longue;  elle  s'élève,  non 
«  pour  qu'une  flamme  vienne  d'en  haut  dévorer  les  offrandes  qui 
«  sont  préparées,  mais  pour  que  la  grâce,  descendant  sur  l'hostie, 
«  embrase  par  elle  toutes  les  âmes  et  les  rende  plus  brillantes 
<(  que  l'argent  épuré  par  le  feu.  Ne  faudrait-il  pas  être  privé  de 
t  raison  et  de  sens  pour  mépriser  un  mystère  si  redoutable? 
«  Ignorez-vous  que  jamais  une  âme  humaine  ne  supporterait  le 
«  feu  de  ce  sacrifice,  mais  que  nous  serions  tous  promptement 
«  anéantis,  sans  un  secours  puissant  de  la  grâce  de  Dieu  '?  » 

Les  païens  eux-mêmes  comprenaient  que  le  respect  le  plus  pro- 
fond est  dû  à  tout  ce  qui  touche  au  culte  de  la  divinité.  On  lit  dans 
le  philosophe  Sénèque:  «  Aristote  avait  raison  de  dire:  Jamais 
«  nous  ne  devons  nous  montrer  plus  respectueux  que  lorsqu'il 
«  s'agit  des  dieux.  Si  nous  entrons  dans  les  temples,  nous  compo- 
«  sons  tout  notre  extérieur;  si  nous  assistons  à  un  sacrifice, 
«  nous  inclinons  la  tête,  nous  rassemblons  les  plis  de  notre  toge; 
«  si,  toutes  les  fois  que  nous  dissertons,  nous  prenons  un  air  mo- 
«  deste,  combien  plus  devons-nous  le  faire  lorsque  nous  avons  à 
«  parler  des  astres,  des  étoiles,  de  la  nature  des  dieux  2?»  Quelle 
leçon  de  la  part  d'un  philosophe  païen  pour  tant  de  chrétiens  dont 
la  tenue  et  l'immodestie,  en  présence  de  nos  saints  Mystères,  au- 
raient fait  rougir  les  adorateurs  des  idoles  ! 

On  lit  dans  les  Constitutions  Apostoliques,  au  livre  où  il  est  traité 
du  sacrifice  de  la  Messe  :  «  Tenons-nous  debout  avec  crainte  et 
«  tremblement  pour  en  faire  l'oblation  ^.  »  Tel  est  l'esprit  de  la 
sainte  Église  ;  elle  ne  manque  pas  de  nous  le  rappeler  un  moment 
avant  la  consécration,  lorsqu'elle  fait  dire  au  prêtre  que  le  Dieu 

1.  S.  JoANN.  CiiRY.sûST.,  tie  Sacevdtjl.,  li)).  III  (traduct.  Jeannin). 

2.  Egregie  Aristotcles  ait  :  Nunquam  nos  verecundiores  esse  debere  quam 
cum  de  diis  agitur.  Si  intramus  templa  compositi  sumus;  si  ad  sacrificium 
accessuri,  vullum  submilliinus,  togam  adducimus;si  in  omne  argumentum 
modesliam  fingimus,  quanlo  hoc  inagis  facere  debemus  cum  de  sideribus,  de 
stellis,  de  deorum  natura  disputamus.  (Senec,  lib.  VII  Xatur.) 

3.  Stemus  erecli  cum  melu  et  tremore,  ad  offerendum.  [Constit.  Apost.) 


CE  QUE  LA  DEVOTION  RECLAME  DES  PRETRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.   685 

qui  va  descendre  sur  l'autel  est  le  Dieu  d'éternelle  majesté,  en  pré- 
sence de  qui  les  Chérubins  et  les  Séraphins  se  prosternent  et 
adorent  avec  une  religieuse  frayeur,  et  qu'elle  nous  invite  à  unir 
nos  voix  à  celles  de  ces  esprits  bienheureux,  pour  célébrer  les 
louanges  de  ce  Dieu  trois  fois  saint.  C'est  en  union  avec  les  anges 
que  nous  devons  adorer  le  Seigneur  s'immolant  pour  nous  sur 
l'autel,  et  lui  rendre  nos  humbles  hommages.  Loin  de  nous,  en  ce 
moment  solennel,  toutes  les  préoccupations  de  la  terre  ;  les  choses 
du  ciel  réclament  sans  partage  toutes  nos  pensées  et  tous  nos  senti- 
ments K 

Dans  le  même  chapitre  où  il  traite  de  l'institution  de  la  Sainte 
Eucharistie  et,  par  conséquent,  de  la  célébration  de  la  première 
messe,  l'Apôtre  parle  d'abord  de  la  modestie  qui  doit  régner  dans 
les  assemblées  chrétiennes  et,  d'une  manière  plus  particulière,  dans 
celles  qui  ont  pour  objet  l'accomplissement  de  nos  mystères  divins. 
«  La  femme,  dit-il,  doit  avoir  une  puissance,  »  c'est-à-dire  un 
voile  qui  marque  son  état  de  sujétion,  «  sur  sa  tête,  à  cause  des 
a  anges.  —  Jugez  vous-mêmes  :  Sied-il  à  la  femme  de  prier  Dieu 
«  sans  être  voilée  -  ?  »  S.  Paul  recommande  la  modestie  principale- 
ment aux  femmes,  surtout  dans  les  églises,  parce  qu'en  y  man- 
quant elles  seraient  presque  infailliblement  une  cause  de  ruine 
pour  plusieurs.  En  effet,  S.  Thomas  explique  ainsi  ce  texte  de  l'A- 
pôtre :  a  La  femme  doit  toujours  être  voilée  dans  l'église,  à  cause 
«t  des  anges,  c'est-à-dire  à  cause  des  prêtres,  et  cela  pour  deux  rai- 
«  sons  :  la  première  est  la  vénération  qu'elle  leur  doit,  vénération 
«  qui  ne  lui  permet  pas  de  paraître  devant  eux,  autrement  que 
«  vêtue  avec  une  parfaite  modestie.  La  seconde  est  le  soin  qu'il  faut 
«  prendre  de  n'être  pas  pour  eux  une  occasion  de  danger:  la  vue 
«  des  femmes  non  voilées  pourrait  éveiller  en  eux  la  concupis- 
a  cence  ^.  »  Cette  recommandation  de  l'Apôtre  n'a  pas  toujours  été 

1.  Ubi  prius  Cherubim  nominavit,  et  Seraphim  mentionem  fecit,  tune  de- 
mum  ad  hanc  tremcndam  vocem  mitlendam  omnes  adhortatur;  et  dum  coruin 
nos  admonet,  qui  nobiscum  choros  agitant,  mentem  nostram  a  terra  subducit  : 
unumquemque  noslrum  liis  prope  modum  verbis  :  Una  cum  Serajjhim  canis, 
una  cum  Serapbim  sta.  (S.  Ciihysost.,  boni,  de  Chcru/nm.) 

2.  Ideo  débet  mubcr  polestatem  babere  super  caput  suuin  propter  angelos.  .. 
Vos  ipsi  judicate  :  decet  muliercm  non  velalam  orare  Doum"?  (/.  Cur.,  xi, 
K),  13.) 

3.  Débet  mulier  velamen  babere  semper  in  Ecclesia  propter  angelos,  id  est 
propter  sacerdoles,  duplici  ratione  :  i)rlmo  ([uideni  propter  eorum  reveren- 
tiam,  ad  quam  pertinetcjuod  mulieres  corain  eis  boneste  se  babeant.  Secundo 


686        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II®  PARTIE.   —  LIVRE  IJ.  —  CHAP.  XIV. 

assez  fidèlement  gardée;  aussi  plus  d'une  fois  les  inconvénients 
qu'il  redoutait  se  sont-ils  produits.  S.  Anastase  le  Sinaïte  se 
plaignait  que  les  assemblées  des  fidèles  étaient  quelquefois  attris- 
tées par  l'immodestie  de  femmes  esclaves  du  démon,  qui  fréquen- 
taient l'église  moins  pour  prier  que  pour  être  vues  et  pour  entraî- 
ner au  mal  les  simples  et  les  imprudents  ^  Il  arrive  souvent  qu'un 
peu  de  vanité  naturelle  à  la  femme,  un  peu  de  légèreté,  sont  la 
seule  cause  de  ces  toilettes  moins  que  modestes,  qui  s'étalent  dans 
les  églises.  Cependant  les  désastres  causés  dans  les  âmes  des  jeu- 
nes gens  et  même  d'autres  personnes,  par  cette  vanité  et  cette 
légèreté  qu'on  se  reproche  à  peine,  n'en  sont  pas  moins  graves 
et  quelquefois  irréparables. 

L'empereur  Théodose  le  Jeune  comprenait  mieux  tout  le  respect 
dû  à  nos  églises  et  à  nos  saints  Mystères.  Dans  l'ordonnance  qu'il 
rendit,  pour  assurer  l'exécution  immédiate  des  décrets  du  Con- 
cile d'Éphèse  dans  tout  l'empire,  il  se  donne  lui-même  en  exemple 
et  dit  :  «  Nous  qui  sommes  toujours  environné  de  gardes  armés, 
«  comme  le  demande  notre  dignité  impériale,  et  qui  ne  pourrions, 
0  sans  déroger,  nous  priver  d'une  telle  suite,  lorsque  nous  en- 
0  trons  dans  l'église,  nous  laissons  nos  armes  au  dehors,  nous 
«  déposons  même  le  diadème,  insigne  de  la  majesté  royale,  nous 
<r  n'approchons  de  l'autel  que  pour  remettre  notre  offrande  et,  ce 
«  devoir  accompli,  nous  nous  retirons  aussitôt  dans  la  partie  la 
«  plus  reculée  du  temple,  (jui  est  assignée  au  commun  des 
«  fidèles  2.  »  Voilà  comme  cet  empereur  véritablement  chrétien, 
à  qui  obéissait  la  plus  grande  partie  du  monde  connu  à  cette 
époque,  entendait  le  respect  qui  est  dû  au  Sacrement  de  nos 
autels.  Que  ceux-là  méditent  cet  exemple  qui  s'abandonnent  à  un 
sans-gêne  scandaleux,  dans  la  maison  de  Dieu  ;  qu'ils  réfléchissent 

propter  eorum  caiitelam,  ne  scilicet  ex  conspectu  miilierum  non  velatarum, 
ad  concupiscentiam  provocentur.  (S.  TiioM.,  Comment.  Epist.  B.  Paiili;  in 
hune  locum.) 

1,  Nonnullae  mulieres  diabolo  inservientes  in  Ecclesia  non  tam  vacant  ora- 
tioni,  quam  spectari,  incautosque  ac  simplices  multos  in  errorem  student 
inducere.  (S.  Anastas.  Sinait.,  orat.  de  Sacra  Synaxi.) 

2.  Nam  et  nos,  qui  legilimi  imperii  armalis  semper  circumdamur;  quosque 
sine  armalis  stipatoribus  esse  non  convenit  Dei,  templum  ingressuri  foris 
arma  reUiiquimus,  et  ipsum  etiam  diadema,  regicc  majestatis  insigne  deponi- 
mus,  et  sacra  altaria  munerum  lantum  ofïerendorum  causa  accedimus,  qui- 
bus  quoque  oblalis,  ad  extimum  conimuneqiie  attributum  mox  nos  recipi- 
mus.  (Apud  Mansi,  de  Incruenlo  Missx  sacri/icio,  dise.  XIII.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      687 

aussi  à  cette  parole  d'un  ancien  concile:  «  Tout  crime,  tout  péché 
«  est  effacé  par  les  sacrifices  offerts  à  Dieu  ;  mais  que  pourront 
«  bien  offrir  au  Seigneur,  en  expiation  de  leur  faute,  ceux  qui 
«  pèchent  dans  l'acte  même  de  l'oblation  du  sacrifice  ^  ?  » 

Le  sacrifice  de  la  messe  est  la  représentation  ou  plutôt  le  renou- 
vellement mystique  de  la  mort  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  sur 
la  croix.  Ceux  qui  se  comportent  sans  respect  pendant  l'oblation 
de  ce  divin  sacrifice,  ceux  qui  rient,  plaisantent  ou  se  laissent  aller 
à  des  pensées,  à  des  désirs,  à  des  regards  répréhensibles,  ressemblent 
donc  aux  Juifs  qui,  présentsà  la  mortdu  Seigneur  sur  le  Calvaire,  se 
moquaient  de  lui,  le  conspuaient  et  l'outrageaient.  Et  cependant 
personne  n'ignore  que  l'institution  de  la  messe  n'a  pas  eu  d'autre 
but  que  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  hommes.  Avez-vous  ré- 
fléchi jamais  au  moment  que  Dieu  choisit,  pour  frapper  Baltas- 
sar  et  le  punir  enfin  de  la  longue  suite  de  ses  forfaits?  Ce  ne  fut 
pas  lorsqu'il  se  livra  aux  derniers  excès  de  l'ivrognerie  et  de  la 
débauche,  mais  lorsqu'il  eut  osé  profaner  les  vases  sacrés  destinés 
à  offrir  des  sacrifices  au  vrai  Dieu  dans  le  temple  de  Jérusalem. 
Nous  lisons  en  effet  dans  le  Livre  du  prophète  Daniel  :  «  Le  roi 
«  Baltassar  ordonna  donc,  étant  déjà  ivre,  qu'on  apportât  les  vases 
a  d'or  et  d'argent  que  Nabuchodonosor  son  père  avait  emportés 
«  du  temple  qui  fut  à  Jérusalem,  afin  que  le  roi  et  ses  grands,  et 
«  ses  épouses,  et  ses  concubines  y  bussent.  Alors  furent  apportés 
«  les  vases  d'or  et  d'argent,  qu'il  avait  transportés  du  temple  qui 
<t  avait  été  à  Jérusalem  ;  et  le  roi  et  ses  grands,  et  ses  épouses  et 
«  ses  concubines  y  burent.  Ils  buvaient  du  vin  et  louaient  leurs 
«  dieux  d'or,  et  d'argent,  et  d'airain,  et  de  bois,  et  de  pierre.  A  la 
«  même  heure  apparurent  des  doigts  comme  d'une  main  d'homme 
«  écrivant  vis-à-vis  du  candélabre,  sur  la  surface  de  la  muraille 
«  du  palais  du  roi,  et  le  roi  regardait  les  doigts  de  la  main  qui  écri- 
«  vait.  Alors  le  visage  du  roi  changea  ;  et  les  jointures  de  ses  reins 
«  se  brisaient  et  ses  genoux  se  heurtaient  l'un  contre  l'autre  -.  » 
On  sait  le  reste,  l'écriture  mystérieuse  que  nul  ne  pouvait  déchif- 
frer fut  lue  et  expliquée  par  Daniel.  C'était  l'arrêt  de  la  justice 
divine,  condamnant  irrévocablement  le  roi  impie  et  sacrilège.  Le 

1.  Cum  omne  crimen  alque  peccatum  oblatis  Deo  sacrificiis  deleatur,  quid 
de  caetero  pro  deliclorum  cxpiatione  Domino  dabitur,  quando  in  ipsa  sacrificii 
oblatione  poccatur?  (Cuncil.  IJrordrens.  (anno  ill). 

i2.  Daniel,  v,  i  et  seq. 


688        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  if  l'ARTIE.   —   LIVRE  II.   —   GHAP.  XIV. 

châtiment  ne  se  fit  pas  attendre  ;  cette  nuil-Ià  même,  les  ennemis 
qui  assiégeaient  la  ville  y  pénétrèrent  par  le  lit  du  fleuve  qu'ils 
réussirent  à  détourner.  Baltassar  fut  tué  avec  ses  compagnons  de 
débauche  et  Darius  le  iMède  lui  succéda.  —  Dieu  ne  châtie  pas 
toujours  d'une  manière  aussi  éclatante  les  profanateurs  des 
choses  saintes;  sa  miséricorde  l'incline  ordinairement  à  leur  lais- 
ser le  temps  de  faire  pénitence  ;  mais  s'ils  ne  profitent  pas  de  ce 
répit,  le  moment  de  la  justice  viendra.  Si  le  châtiment  des  simples 
irrévérences  est  moindre  que  celui  des  forfaits  qui  épouvantent 
trop  souvent  le  monde  chrétien,  il  sera  néanmoins  terrible  pour 
ceux  qui  ne  les  auront  pas  expiées  par  un  regret  sincère  et  une 
V  raie  pénitence  ;  car,  selon  l'expression  de  l'Apôtre  :  «  Il  est  efi'rayant 
«  de  tomber  enlre  les  mains  du  Dieu  vivant  '.  » 

Dieu  montra  autrefois,  en  vision,  à  Ézéchiel  des  impies  qui, 
comme  il  s'en  trouve,  hélas  !  des  multitudes,  de  nos  jours,  tour- 
naient le  dos  à  l'autel,  reniaient  leur  foi  souvent  par  leurs  paroles, 
plus  souvent  encore  par  leurs  actes.  «  Et  il  me  conduisit  dans  le 
«  parvis  intérieur  de  la  maison  du  Seigneur,  dit  le  prophète; 
a  et  voilà  qu'à  l'entrée  du  temple  du  Seigneur,  entre  le  vestibule 
«  et  l'autel,  environ  vingt-cinq  hommes  tournaient  le  dos  au  temple 
0  du  Seigneur,  et  la  face  vers  l'orient;  et  ils  adoraient  vers  le 
«  lever  du  soleil.  Et  il  me  dit:  Certes  tu  as  vu,  fils  d'un  homme. 
«  Est-ce  peu  à  la  maison  de  Juda  d'avoir  fait  les  abominations 
a  qu'ils  ont  faites  ici  ;  puisque  remplissant  la  terre  d'iniquité,  ils  se 
a  sont  appliquésà  m'irriter?....  Ainsi  donc  moi  aussi  j'agirai  dans 
«  ma  fureur  ;  mon  œil  n'épargnera  pas,  je  n'aurai  pas  de  pitié,  et 
a  lorsqu'ils  crieront  à  mes  oreilles,  à  haute  voix,  je  ne  les  écou- 
«  terai  point  -.  »  Ceux  qui  tournaient  le  dos  à  l'autel  adoraient  le 
soleil  levant:  c'est  bien  l'histoire  de  ces  chrétiens  qui,  dans  l'es- 
poir d'obtenir. la  faveur  des  puissants  du  jour,  ou  de  ceux  qui 
pourraient  bien  le  devenir,  oublient  leurs  devoirs  les  plus  sacrés 
et  s'exposent,  eux  et  leurs  familles,  aux  coups  terribles  et  inévi- 
tables de  la  justice  divine.  Il  est  rare  que  le  sacrilège  et  l'apos- 
tasie ne  soient  pas  punis  dès  cette  vie  :  en  tout  cas  ils  le  sont  tou- 
jours en  l'autre. 

Mais  sans  aller  jusqu'à  l'apostasie,  sans  aller  jusqu'au  sacrilège, 

\.  Horrendum  est  incidere  in  manus  Dei  viventis.  {Hebr.,  x,  31.) 
2.  El  introduxit  me  in  atrium  domus  Domini  interius,  etc.  [Ezech.,  viii, 
U-18.) 


CE  QUE  LA  DEVOTION  RECLAME  DES  PRETRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      689 

ni  même  jusqu'à  l'inconvenance  dans  la  maison  de  Dieu,  lorsque 
le  prêtre  célèbre  la  sainte  messe  en  leur  présence,  il  est  des  chré- 
tiens qui  ne  ressentent  aucun  goût  pour  nos  divins  mystères;  ils 
n'assistent  à  la  messe  que  forcés  en  quelque  sorte,  et  ils  ne  le  font 
qu'avec  ennui  et  dégoût,  pour  le  moins  avec  indifférence.  Ils 
ressemblent  à  ces  anciens  Hébreux  qui  fatigués  de  la  manne,  ce 
pain  délicieux  que  Dieu  leur  préparait  par  les  mains  des  anges, 
n'en  voulaient  plus  manger  et  disaient  :  «  Notre  âme  a  des  nausées 
«  à  cause  de  cette  nourriture  très  légère  '.  »  Les  Hébreux  voulaient 
manger  du  pain  et  de  la  viande  ;  les  chrétiens  dont  nous  parlons 
préfèrent  les  plaisirs  et  les  occupations  terrestres  à  l'assistance 
à  nos  saints  offices;  la  nourriture  de  l'âme  que  Dieu  leur  offre  n'a 
pas  d'attrait  pour  eux  ;  il  leur  faut  ce  qui  flatte  la  chair  et  les  pas- 
sions. 

L'Église,  dans  la  forme  de  la  consécration  du  calice,  appelle  le 
sacrifice  de  la  messe:  «  Mystère  de  foi,  »  Mysterium  fîdei;  et 
c'est  bien  le  nom  qui  lui  convient,  car  il  échappe  entièrement  aux 
sens  corporels  et  on  ne  peut  le  voir  que  de  l'œil  d'une  foi  pure  et 
sincère.  «  Ce  que  vous  ne  comprenez  pas,  ce  que  vous  ne  voyez 
«  pas,  une  foi  généreuse  l'affirme  :  Quod  non  capis,  quocl  non 
«  vides,  animosa  firmat  f(des.  »  Si  nous  savions,  d'une  manière 
certaine,  que  le  Fils  de  Dieu  doit  descendre  visiblement  dans  une 
église,  accompagné  de  milliers  d'anges,  pour  combler  de  toutes 
sortes  de  présents  apportés  du  ciel  ceux  qu'il  y  trouverait  rassem- 
blés, qui  donc  ne  s'empresserait  pas  de  se  rendre  dans  cette  église 
et  ne  voudrait  pas  profiter  d'une  faveur  si  extraordinaire?  On 
attendrait  volontiers  des  journées  entières  et,  s'il  le  fallait,  des 
mois  et  des  années,  pour  jouir  à  son  tour  de  ce  spectacle  glorieux. 
Or  la  foi  nous  enseigne  que  le  Verbe  incarné  descend  du  ciel,  que 
de  la  droite  du  Père  dont  il  partage  le  trône  suprême,  il  vient  sur 
l'autel  et  y  demeure  voilé  sous  les  apparences  de  l'hostie  que  con- 
sacre le  prêtre.  Nous  savons,  par  la  foi,  qu'il  apporte  avec  lui  tous 
les  trésors  des  cieux  pour  nous  en  faire  part  ;  car,  dit  l'Apôtre, 
«  Dieu  qui  n'a  pas  épargné  même  son  propre  Fils,  mais  qui  l'a 
«  livré  pour  nous  tous,  comment  ne  nous  aurait-il  pas  donné  toutes 
«  choses  avec  lui  -?  »  Si  dans  tout  le  cours  d'une  année,  le  saint 

1.  Nauseat  anima  nostra  super  cibo  isto  levissimo.  {.Vmw.,  xxi,  y.) 

2.  Qui  etiani  proprio  I-'ilio  suc  non  pepercit,  sed  pro  nobis  omnibus  tradidit 
illum  :  quomodo  non  etiam  cum  illo  omnia  nobis  donavil?  [Rom.,  viii,  .'Î2.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  44 


690        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XIV. 

sacrifice  de  la  messe  n'était  célébré  qu'une  seule  fois  et  en  un  seul 
lieu,  quels  efforts,  quelles  fatigues  ne  s'imposerait-on  pas  pour 
avoir  le  bonheur  d'y  assister?  Et  maintenant  qu'il  est  possible  et 
facile  à  tous  de  le  faire  chaque  jour,  tant  est  multipliée  l'oblation  de 
ce  divin  sacrifice,  une  multitude  de  chrétiens  n'y  assistent  que 
rarement  et  ne  le  font  qu'avec  ennui  et  tiédeur.  Il  semble  que  la 
libéralité  infinie  de  Dieu  nous  fatigue,  que  l'abondance  même  de 
ses  bienfaits  fait  naître  en  nous  du  mépris  et  de  la  répulsion  pour 
ce  qu'il  peut  nous  donner  de  plus  précieux  ici-bas,  le  froment  des 
élus  et  le  vin  qui  fait  germer  les  vierges  '. 

S.  Augustin,  parlant  de  la  multiplication  des  pains  dans  le  désert, 
dit  que  Dieu  s'est  ainsi  réservé  des  prodiges  extraordinaires,  qu'il 
accomplit  en  temps  opportun,  en  dehors  de  toutes  les  règles  de  la 
nature,  pour  frapper  d'étonnement  ceux  qui  ne  donnent  plus  aucune 
attention  aux  merveilles  dont  ils  sont  témoins  chaque  jour  ;  non 
pas  que  ces  prodiges  soient  plus  grands,  mais  parce  qu'ils  ne 
sont  pas  habituels  -.  Autrefois  il  fut  interdit  aux  Hébreux  d'ap- 
procher du  mont  Sinai,  sur  le  sommet  duquel  Dieu  parlait  à  Moïse  : 
s'il  nous  était  défendu  de  même  d'assister  au  sacrifice  delà  messe, 
sans  doute  nous  serions  profondément  affligés  delà  privation  d'un 
tel  honneur  et  d'un  tel  bien.  Mais  maintenant  que  nous  sommes 
libres  de  le  faire  chaque  jour,  ce  bien  incomparable  perd  de  son 
prix  pour  nous  ;  c'est  à  peine  si  nous  en  faisons  la  moindre  estime. 
Nous  savons  que  le  souverain  Roi  du  ciel  et  de  la  terre  nous 
attend,  dans  l'humble  palais  qu'il  s'est  choisi  au  milieu  de  nous; 
nous  savons  qu'il  est  prêt  à  nous  combler  de  toutes  sortes  de  biens  ; 
cependant  nous  ne  disons  pas  avec  l'Apôtre  :  «  Allons  donc  avec 
<f  confiance  au  trône  de  la  grâce,  afin  d'obtenir  miséricorde  et  de 
«  ti'ouver  grâce  dans  un  secours  opportun  3.  »  Et  sans  parler  ici  de 
cette  multitude  de  soi-disant  chrétiens,  qui  violent  le  précepte  de 
l'assistance  à  la  messe  les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes,  combien, 
même  parmi  ceux  qui  accomplissent  encore  ce  saint  devoir,  n'en 
rencontre-t-on  pas  qui  le  font  sans  dévotion  aucune  et  simplement 

1.  Quid  enim  bonum  ejus  est  et  quid  pulchrum  ejus,  nisi  frumentum  elec- 
torum,  et  vinum  germinans  virgines?  (Zachar.,  i\,  17.) 

2.  Servavit  sibi  qiuedam,  (juje  faceret  opporluno  tempore,  prseter  usitatum 
cursuiii  ordineinque  naturée,  ut  non  majora,  sed  insolita  videndo  stuperent 
quibus  quolidiana  viluerunt.  (S.  August.,  tract.  XXXIV  in  Joann.) 

3.  Adeamus  ergo  cum  fiducia  ad  tbronum  gratise,  lU  misericordiam  conse- 
quamur  et  gratiam  inveniamus  in  auxilio  opporluno.  [Ilebr.,  iv,  16.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      691 

par  un  reste  d'habitude,  provenant  d'une  bonne  éducation  pre- 
mière ? 

Dira-t-on  que  la  messe  dure  trop  longtemps  et  que  cette  lon- 
gueur engendre  l'ennui  et  le  dégoût?  Un  illustre  serviteur  de 
Dieu,  Ange  de  Paz,  à  qui  plusieurs  reprochaient  d'être  trop  long 
dans  l'accomplissement  des  sacrés  mystères,  s'excusait  en  disant  : 
«  Je  suis  sûr  que  ma  messe  ne  dure  jamais  aussi  longtemps  que 
«  celle  que  Jésus-Christ  a  célébrée  en  versant  son  sang  pour  nous 
«  sur  la  croix.  »  N'est-ce  pas  un  aveuglement  inexcusable,  de 
considérer  comme  une  sujétion  pénible  l'obligation  de  demeurer 
une  heure  ou  deux  en  présence  de  Dieu,  qui  daigne  vous  accorder 
audience,  vous  permettre  de  lui  exposer  vos  besoins,  vous  accorder 
les  dons  les  plus  précieux  pour  votre  vie  spirituelle  et  même  les 
avantages  purement  temporels,  qui  sont  pour  vous  de  véritables 
biens,  et  non  pas  des  dangers  ou  des  maux  revêtus  d'une  appa- 
rence trompeuse?  Il  semble  qu'il  n'y  ait,  pour  plusieurs,  de  bien 
employé  que  le  temps  qu'ils  consacrent  aux  affaires,  aux  plaisirs, 
aux  futilités  de  ce  monde,  tant  ils  ont  l'air  de  regretter  ce  qu'ils 
en  donnent  au  service  de  Dieu  et  au  salut  de  leur  âme. 

On  peut  dire  de  l'assistance  au  saint  sacrifice  ce  que  S.  Jean 
Chrysostome  disait  autrefois  de  la  parole  de  Dieu  :  «  Lorsque  dans 
«  une  conversation,  nos  paroles  n'obtiennent  pas  l'attention  des 
<r  personnes  présentes,  nous  nous  en  offensons  comme  d'une  in- 
<r  jure,  quelque  vaines  que  soient  d'ailleurs  les  choses  que  nous 
a  disons;  et  nous  croyons  que  Dieu  ne  s'offensera  pas,  lorsque  les 
«c  grandes  vérités  qu'il  nous  annonce  nous  laissent  indifférents, 
«  que  nous  avons  l'esprit  ailleurs  et  que  nous  ne  daignons  pas 
(f  seulement  nous  y  appliquer  '?  »  Oui,  Dieu  supporte  avec  peine 
l'affront  que  nous  faisons  à  sa  sainte  parole,  lorsque  nous  appor- 
tons à  l'entendre  une  négligence  coupable  :  mais  nous  sommes 
plus  coupables  encore  à  ses  yeux,  lorsque  nous  ne  daignons  pas 
nous  rendre  à  son  divin  sacrifice  auquel  il  nous  convoque,  ou  que 
nous  y  sommes  présents  de  corps,  mais  absents  d'esprit  et  de  cœur. 
S'il  ne  réclame  de  nous  qu'un  temps  relativement  bien  court,  com- 
paré à  celui  que  nous  prennent  les  choses  de  ce  monde,  au  moins 
ne  devons-nous  pas  lui  marchander  ces  quelques  moments,  ni  les 
employer  de  telle  sorte  que  l'assistance  à  la  messe  devienne  pour 

i.  S.  CiiRYSOST.,  hom.  I  m  Matlh. 


692        LA    SAINTE    EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CIIAP.    XIV. 

nous  une  occasion  de  nouvelles  foutes  plutôt  qu'une  source  des 
grâces  les  plus  précieuses.  Ne  soyons  pas  de  ceux  dont  parle  en- 
core S.  Jean  Chrysostome  lorsqu'il  dit  :  «  Lorsque  certaines  per- 
«  sonnes  sont  dans  l'église  où  Dieu  môme  leur  parle,  elles  ne 
*  peuvent  y  demeurer  un  instant  sans  entrer  dans  l'impatience. 
«  C'est  pour  cela  que  notre  vie,  qui  devrait  être  toute  céleste,  n'a 
t  rien  de  commun  avecle  ciel,  et  que  nous  ne  sommes  plus  chré- 
€  tiens  que  de  nom  et  en  apparence  K  » 

Peut-être  plusieurs  se  croiront-ils  excusés,  parce  que  le  prêtre 
qui  célèbre  la  messe  à  laquelle  ils  assistent  ou  pourraient  assister 
ne  les  édifie  pas,  que  sa  réputation  laisse  à  désirer,  que  même  son 
indignité  ne  fait  pas  de  doute.  Assurément  le  malheur  est  très 
grand  pour  un  prêtre  d'être  ainsi  un  objet  de  scandale  pour  ceux, 
dont  le  ministère  qui  lui  est  confié,  le  rend  l'intermédiaire  et  le 
médiateur  nécessairement  écouté  auprès  de  Dieu.  S'il  vaudrait 
mieux  être  jeté  dans  la  mer,  avec  une  pierre  au  cou,  que  de  scan- 
daliser le  moindre  des  humbles  et  des  petits,  quel  sort  terrible  la 
justice  de  Dieu  ne  réservera-t-elle  pas  au  prêtre  qui  devient,  pour 
toute  une  assemblée  de  pieux  fidèles,  un  objet  de  scandale  ?  Mais 
qu'importe  pour  vous  que  le  prêtre  ne  soit  pas,  à  vos  yeux,  digne 
de  l'office  sacré  qu'il  remplit?  Il  n'est  à  l'autel  que  l'instrument 
dont  le  Pontife  suprême,  Jésus-Christ,  se  sert  pour  accomplir  les 
saints  mystères.  L'oblation  sacrée  n'en  est  ni  moins  pure  ni  moins 
efficace,  et  les  fruits  du  sacrifice  n'en  seront  ni  moins  précieux  ni 
moins  abondants,  pour  ceux  (|ui  s'efforceront  d'y  assister  avec  une 
vt'rilable  piété.  Sans  doute  une  messe  célébrée  par  un  prêtre,  avec 
une  grande  dévotion,  est  plus  propre  à  exciter  chez  les  assistants 
des  sentiments  analogues  :  mais,  au  fond,  le  sacrifice  est  toujours 
le  même  et  les  fruits  essentiels  qu'il  produit  ne  diffèrent  pas  -. 
a  C'est  une  oblation  pure  que  ni  l'indignité  ni  la  malice  de  ceux 
e  qui  l'offrent  ne  saurait  souiller,  »  dit  le  saint  concile  de 
Trente  K 

Nous  en  avons  dit  assez  pour  que  l'on  comprenne  que  non  seu- 

\.  s.  CiiRYSosT.,  ibid. 

2.  OmnesMissa;  sunt  aeque  bonse  quantum  .-id  opus  operatum;  una  tamen 
estmelior  altéra  quantum  ad  opus  operans.  Unde  melius  est  audire  Missam 
boni  sacerdotis,  quam  mali,  sicut  in  mensa  corporali,  eumdem  cibum  jucun- 
dius  accipimus  a  mundo  minisfro,  quam  ab  immundo.  (S.  Bonav.) 

.3.  Et  haec  quidem  illa  munda  oblatio  est,  quae  nulla  indignitate  aut  malitia 
offerenlium  inquinari  potest.  [Concil.  Trident.,  sess.  XXII,  cap.  i.) 


â 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.   693 

lement  il  faut  célébrer  le  sacrifice  de  la  messe,  ou  y  assister  avec 
un  respect  profond  et  un  recueillement  qui  exclut  toute  pensée 
étrangère  et  profane,  mais  qu'on  doit  se  faire  un  devoir  et  un 
bonheur  véritable  d'approcher  de  l'autel  où  le  Fils  de  Dieu  s'im- 
mole, pour  la  gloire  de  son  Père  et  pour  notre  salut.  Quelques 
lignes  de  S.  François  de  Sales  résumeront  notre  pensée  et  feront 
mieux  comprendre  encore  quels  sentiments  doivent  nous  animer 
vis-à-vis  du  très  saint  et  très  adorable  sacrement  de  l'Eucha- 
ristie. 

«  Il  est  dit  dans  la  Genèse  qu'un  ange  ét;int  apparu  à  Jacob  près 
«  le  gué  de  Jabot,  il  lutta  toute  la  nuit  contre  lui,  et  quand  l'aube 
«  commença  à  poindre,  l'ange  le  voulut  quitter  :  Laisse-moi  aller, 
«  lui  dit-il,  ne  me  retiens  pas  davantage  :  Dimitte  me,  jam  enim 
«  ascendit  aurora  i.  Non,  dit  Jacob,  je  ne  vous  laisserai  point 
a  aller  que  vous  ne  m'ayez  donné  votre  bénédiction  :  Non  dimit- 
«  tam  te,  nisi  benedixeris  mihi.  Or  cette  bénédiction  que  Jacob 
«  demandait  si  instamment  nous  signifie  l'espérance  de  jouir  de 
«  Dieu  en  la  vie  future.  Mais  l'Épouse,  tout  éprise  de  l'amour  de 
«  son  divin  Époux,  ne  se  contente  pas  de  l'espérance  de  le  possé- 
«  der  un  jour  en  la  gloire  éternelle,  mais  elle  veut  encore  jouir 
«  de  sa  présence  en  cette  vie  mortelle  ;  et  afin  d'obtenir  ce  bien, 
«  voyez  quelle  diligence  elle  fait  pour  le  trouver,  après  que  par 
«  négligence  qu'elle  eut  de  lui  ouvrir  sa  porte,  il  fut  passé  outre  : 
«  Surgam  et  circuibo  civitatem  ;  per  vicos  et  plateas  quœram 
«  quem  diligit  anima  mea  -  :  Je  me  lèverai,  dit-elle,  et  clier- 
«  cherai  celui  que  mon  àme  aime  et  chérit,  par  toutes  les  rues  et 
«  les  carrefours  de  la  cité.  Voyez,  je  vous  prie,  avec  quelle 
«  promptitude  elle  court  après  lui,  et  comme  elle  passe  parmi  les 
t  gardes  de  la  ville,  sans  craindre  aucune  difficulté;  puis  enfin 
«  l'ayant  trouvé,  voyez  avec  quelle  ardeur  elle  se  jette  à  ses  pieds, 
«  et  lui  embrassant  les  genoux,  toute  transportée  de  joie  :  Inveni 
«  quem  diligit  anima  mea,  tenui  eum  nec  dimittam  donec  in- 
«  troducam  illum  in  domum  matris  meœ  ^  :  Ah  î  je  le  tiens, 
t  dit-elle,  lebien-aimédemon  àme  ;  je  ne  le  laisserai  point  aller  que 
«  je  ne  l'aie  introduit  dans  la  maison  de  ma  mère....  Rien  ne  la 
«  peut  contenter  que  la  présence  de  son  bien-aimé  ;  elle  ne  veut 
«  point  de  bénédiction,  ni  ne  s'arrête  point  à  l'espérance  des  biens 

1.   Gene.s-.,  \x.\ii,  -Jfi.  -  2    Cnnt.,  m,  2.  —  3.  Cnnt.,  m,  i. 


694      LA  Sainte  eucharistie.  —  ii*  partie.  —  livre  ii.  —  cuai».  \iv. 

«  à   venir  comme  Jacob;  elle  ne  veut  que  son  Dieu,  et  pourvu 
«  qu'elle  le  possède,  elle  est  contente  '.  » 

Heureuses  les  âmes  qui  ne  veulent  s'éloigner  de  l'autel  pour  se 
livrer  aux  occupations  de  la  journée  qu'après  avoir,  par  leur 
pieuse  insistance,  obligé  le  Seigneur  à  les  bénir.  Plus  heureuses 
encore  celles  qui,  l'ayant  trouvé,  s'attachent  à  lui  et  ne  le  quittent 
pas,  même  lorsque  leurs  devoirs  les  obligent  à  s'éloigner  de  l'au- 
tel où  il  vient,  sous  leurs  yeux,  de  s'immoler  pour  elles. 

IV. 

PIÉTK    QUE   nK>fANnE\T    LES    FONCTIONS    DE    SEIIVANT    DE   MESSE.    — 

MONNiaii  kt  avanta(;e.s  c^ui  y  sont  attachés. 

Le  prêtre  qui  célèbre  le  saint  sacrilice  a  besoin  d'un  servant  : 
les  convenances  le  demandent,  le  recueillement  nécessaire  à  un 
acte  si  solennel  l'exige  et  l'Église  en  a  fait  une  obligation.  Il  serait 
peu  digne  que  le  célébrant  se  vît  dans  l'obligation  de  changer  lui- 
même  le  missel  de  côté,  d'aller  prendre  les  burettes  à  la  crédence, 
de  verser  lui-même  l'eau  pour  se  laver  les  doigts  ou  pour  purifier 
le  calice.  Le  servant  i-emplil  encore  un  rôle  plus  élevé  :  il  répond 
au  prêtre,  il  exprime  la  part  spirituelle  que  le  peuple  prend  au 
saint  sacrilice.  Car  quoique  ce  soit  le  prêtre  seul  qui  célèbre  spé- 
cialement les  saints  mystères,  cependant  en  général  le  peuple  y 
concourt  par  ses  prières,  ses  vœux,  certaines  expressions  de  ses 
pieux  sentiments  et  de  ses  dévotes  intentions.  Le  servant  repré- 
sente le  peuple  et  seconde  le  prêtre  en  son  nom  '. 

1.  s.  François  de  Sales,  Dissertation  sur  ces  paroles  du  cantique  :  Meliora 
stint  u/iern  tua  vitw. 

2.  .Nous  lisons  dans  le  savant  Dictionnaire  encyclopédique  de  la  théologie 
catholif/tte  des  docteurs  Wetzer  et  W'elto,  ;i  l'article  Messe  (servants  de)  : 

■'  Dans  l'origine,  cotait  le  peuple  qui  apj)ortait  quotidiennement  les  offrandes 
à  l'autel,  qui  répondait  au  jirélre,  comme  on  le  voit  dans  les  plus  anciennes 
liturgies,  .\iiisi  on  lit  dans  la  liturKie  de  S.  Jacques  :  Postquam  sacerdos  in- 
rjressus  ext  ad  altare,  dicit  :  l'ax  vuOis.  —  Pojmlus  :  Et  cum  spiritu  tuo.  Le 
même  u.sage  se  trouve  dans  les  liturgies  de  S.  Marc,  de  S.  Basile,  etc.  S.  Jus- 
tin parle  également  de  certaines  acclamations,  par  lesquelles  le  peuple  répond 
au  prêtre  à  l'autel.  S.  Cyprien  dit  que  cette  coutume  était  générale  de  son 
temps.  S,  Grégoire  écrit  :  Sacerdos  missam  solus  nequaqiiam  celehret,  quia, 
stctit  nia  rehhrari  non  jiotest  sine  salutatione  sucerdotis  et  iX'sponsione  plebis, 
ita  uimirum  ncquaqxiam  ah  uno  dehct  celebrari;  esse  enim  dehent  qui  illum  cir- 
cumstent,  qiios  ille  salutel  et  a  quihus  illi  respondeatur.  Cette  coutume  s'ob- 
serva même  pendant  les  persécutions,  lorsqu'on  célébrait  le  saint  sacrifice 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      695 

Servir  le  prêtre  à  l'autel  est  une  bien  haute  prérogative,  si  on 
la  considère  des  yeux  de  la  foi,  et  l'on  pourrait  dire  qu'il  n'est  pas 
de  fonction  plus  relevée  en  ce  monde,  après  celle  du  célébrant  lui- 
même.  Nul,  en  effet,  no  prend,  après  le  prêtre,  une  part  plus  active 
à  l'oblation  du  saint  sacrifice,  que  le  servant;  nul  n'approche 
plus  que  lui  des  divins  mystères  et  n'y  prête  comme  lui  son  con-- 
cours.  Il  vient  en  aide  au  prêtre  visible;  il  vient  en  aide  en  même 
temps  au  prêtre  invisible  dont  le  premier  n'est  que  lereprésen-' 
tant,  l'instrument  et  le  porte-voix.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
descend  sur  l'autel  comme  souverain  sacrificateur  et  comme  vic- 
time :  le  servant  est  là,  tout  près  de  lui,  concourant  autant  qu'il 
est  utile  ou  nécessaire  à  la  régularité,  à  la  dignité  extérieure  de 
l'acte  divin  qui  s'opère.  Ce  n'est  pas  seulement  au  prêtre  mortel,, 

dans  les  prisons,  et  que  la  Messe  était  servie  par  des  diacres.  Ainsi,  dans 
l'origine,  les  servants  de  Messe  étaient  des  diacres;  puis  ce  furent  au  moins 
des  clercs  des  ordres  mineurs,  plus  tard  des  laïques,  lorsque  les  clercs  ne 
furent  plus  assez  nombreux. 

«  Le  nombre  des  servants  n'est  pas  toujours  le  même;  un  seul  laïque  ou  un 
clerc  suffit  pour  une  messe  basse.  Quand  l'évêque  dit  une  messe  basse,  il  est 
assisté  par  deux  chapelains  et  un  laïque.  A  la  grand'messe,  le  prêtre  a  deux 
servants,  ou  même  plus  dans  les  grandes  solennités.  A  une  Messe  solennelle, 
il  y  a  ordinairement  six  servants  :  deux  céroféraires,  un  thuriféraire  qui 
porte  souvent  aussi  la  navette,  un  maître  de  cérémonies,  un  diacre  et  un 
sous-diacre.  L'évêque,  à  la  messe  pontificale,  outre  le  prêtre  assistant  (archi- 
prêtre)  et  deux  chanoines  faisant  diacre  et  sous-diacre,  est  assisté  très  sou- 
vent encore  par  deux  diacres  d'honneur  et  un  grand  nombre  de  lévites,  tous 
revêtus  des  ornements  de  leur  ordre.  Au  temps  de  S.  Ignace  et  de  S.  Cyprien, 
un  diacre  assistait  le  prêtre  durant  la  messe  basse. 

«  Plus  tard,  l'usage  de  dire  la  messe  sans  servant  s'étant introduit,  plusieurs 
conciles,  tels  que  ceux  de  Tolède  et  de  Mayence,  se  prononcèrent  contre  cet 
abus  qui  était  contraire,  sinon  à  la  substance,  du  moins  au  respect  dû  au 
saint  Mystère.  11  va  sans  dire  qu'en  cas  de  nécessité  absolue  l'exception  est 
justifiée. 

«  Dans  les  temps  primitifs,  il  n'y  avait  dans  chaque  communauté  de  fidèles 
qu'une  messe  solennelle,  célébrée  par  l'évêque,  messe  à  laquelle,  outre  le 
peuple,  assistait  tout  le  clergé.  Lorsque  plus  tard  chaque  prêtre  dit  la  messe, 
non  seulement  les  prêtres,  mais  les  autres  membres  du  clergé  n'assistèrent 
plus  à  la  messe  principale. 

<<  Pour  remédier  à  l'orgueil  des  prélats  inférieurs,  qui  dédaignaient  les  sim- 
ples prêtres,  une  ordonnance  de  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites,  du  "il  sep- 
tembre UiJji»,  ordonna  à  ces  prélats  de  n'avoir  qu'»n  servant  à  l'autel  durant 
la  messe  bas.se,  et  de  ne  pas  se  faire  porter  et  rapporter  le  calice. 

«  Dans  le  même  but,  l'église  ordonne  qu'il  n'y  ait  que  deux  cierges  allumés 
pendant  la  messe  basse  dos  i)rêlres  du  haut  clergé,  même  d'un  vicaire  géné- 
ral; que  si  quatre  cierges  sont  allumés,  il  est  contraire  aux  prescriptions  et 
aux  intentions  (le  rKglise  d'en  éteindre  deux  lorsqu'un  simple  prêtre  monte 
immédiatement  après  à  l'autel.  »  (  Dux,  Dict.  ennjclop.,  etc.) 


696        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II**  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XIV. 

c'est  au  Fils  de  Dieu  lui-même  que  le  servant  de  messe  vient  en 
aide.  On  considère  comme  une  grande  dignité  parmi  les  hommes 
celle  des  officiers  d'une  cour  royale,  qui  sont  directement  et  inti- 
mement attaches  au  service  personnel  du  roi  :  ici  ce  n'est  pas 
d'un  roi  mortel  qu'il  s'agit,  mais  du  Roi  immortel  des  siècles.  Les 
Anges,  les  Archanges,  les  Trônes,  les  Principautés,  les  Domina- 
tions, les  Puissances,  les  Chérubins  et  les  Séraphins  assistent  avec 
crainte  et  tremblement  à  ce  sacrifice  adorable,  auquel  le  servant 
prêle  son  concours.  Tous  ces  esprits  bienheureux,  moins  favorisés 
que  lui,  révèrent  et  glorifient  la  divine  Victime  qui  s'immole  sur 
l'autel,  mais  il  ne  leur  est  pas  donné  de  participer  activement  à 
ce  mystère  infiniment  saint.  Si  nous  comprenions  mieux  tout  ce 
qu'il  y  a  de  beau  et  de  grand  dans  ce  service  de  l'autel,  ne  l'esti- 
merions-nous  pas  davantage?  Ne  serions-nous  pas  heureux  et  fiers 
de  le  remplir  et  ne  le  remplirions-nous  pas  avec  une  piété  pro- 
fonde et  vraiment  digne  de  lui  ;  soit  comme  diacres  et  sous-diacres 
aux  messes  solennelles,  si  nous  sommes  dans  les  ordres  sacrés, 
soit  comme  simples  servants  aux  messes  basses?  S.  Thomas  et 
S.  Bonaveiilure,  ces  illustres  docteurs,  gloire  de  leurs  ordres  res- 
pectifs et  de  la  sainte  Église,  regardaient  comme  un  grand  hon- 
neur pour  eux  et  un  avantage  inappréciable  de  servir  la  messe  à 
leurs  frères  ;  jamais  ils  n'y  manquaient  lorsqu'une  occasion  s'offrait 
de  le  faire.  S.  Bonaventure,  devenu  ministre  général  de  l'ordre  de 
S.  François,  disait  à  ses  religieux  :  Servir  le  prêtre  à  la  messe, 
c'est  remplir  la  fonction  des  anges,  qui  en  tous  lieux  servent  leur 
Dieu  avec  la  plus  grande  dévotion  '.  —  Ne  lisons-nous  pas  en  effet 
dans  le  livre  de  Daniel  que  des  milliers  de  milliers  d'anges  ser- 
vaient le  Seigneur  :  Millia  millium  ministrabant  ei  2? 

Lorsque  la  consécration  est  achevée,  le  prêtre  célébrant  adresse 
au  Père  éternel  cette  humble  supplication  :  «  Nous  vous  en  prions 
«  et  vous  en  supplions,  Dieu  tout-puissant,  ordonnez  que  ces  choses 
«  soient  portées  par  les  mains  de  votre  saint  ange,  sur  votre  autel 
•  sublime,  en  présence  de  votre  divine  Majesté  3.  »  Que  conclure 
de  ces  paroles,  sinon  que  les  anges  assistent  réellement  à  la  messe 

1.  Hoc  est  officium  angelorum,  ipsi  enim  Deo  suo  ubique  ministrant  devo- 
tissime.  (S.  Bonav.,  de  Institut.  Novit.) 

2.  Dnn.,  vu,  10. 

3.  Supplices  te  rogamus,  omnipotens  Deus,  jubé  haec  perferri  per  manus 
sancti  Angeli  tui,  in  sublime  altare  tuum  in  conspectu  divinse  majestatis  tuae. 
{In  canone  Missx.) 


CE  QUE  LA  DÉVOTION  RÉCLAME  DES  PRÊTRES  QUI  CÉLÈBRENT  LA  MESSE.      697 

et  qu'ils  sont  là  pour  contribuer,  en  ce  qui  les  concerne,  à  l'oblation 
du  saint  sacrifice? 

Au  rang  de  ceux  qui  servirent  la  messe  à  S.  Pierre  et  aux  autres 
apôtres,  il  faut  certainement  placer  le  premier  des  martyrs, 
S.  Etienne,  cet  homme  rempli  de  l'esprit  de  Dieu,  qui  prêchait 
l'Évangile  avec  une  autorité  si  grande  et  appuyait  sa  prédication 
par  les  miracles  les  plus  éclatants.  L'illustre  martyr  S.  Ignace, 
évêque  d'Antioche,  le  propose  comme  modèle  à  un  diacre  de  son 
église  nommé  Héron  ;  il  lui  dit  :  «  Vous  faites  comme  S.  Etienne 
«  qui,  à  Jérusalem,  servait  Jacques  et  les  prêtres  *.  » 

Si  l'honneur  est  grand  de  servir  le  prêtre  à  la  messe,  il  est  hors 
de  doute  que  les  avantages  que  l'on  retire  de  cette  pieuse  action 
sont  aussi  très  grands  et  très  nombreux.  Tous  ceux  qui  assistent 
au  divin  sacrifice  en  recueillent  des  fruits  abondants,  s'ils  n'y 
mettent  pas  d'obstacle  par  leurs  dispositions  mauvaises  et  leur 
malice.  Ce  n"est  pas  vainement  que  le  prêtre,  dans  le  canon,  prie 
pour  tous  ceux  qui  entourent  l'autel  :  Et  omnium  circumstan- 
tium,  pour  ceux  qui  offrent  avec  lui,  ou  pour  lesquels  il  offre 
l'adorable  Victime  :  P7V  quitus  tibi  offerimus  vel  qui  tibi  offe- 
runt  :  or  il  n'est  personne  qui  participe  à  l'oblation  du  saint  sacri- 
fice faite  par  le  prêtre,  aussi  activement  et  aussi  immédiatement 
que  celui  qui  le  sert  à  l'autel.  Les  autres  assistants  peuvent  s'unir 
au  célébrant  par  l'intention;  ils  peuvent  faire  des  prières  qui 
aient  rapport  à  celles  qu'il  fait,  mais  ils  ne  contribuent  pas  par 
leurs  actes  à  l'accomplissement  du  mystère  des  mystères  :  cet  hon- 
neur est  réservé  au  servant,  et  puisqu'il  le  fait,  il  est  juste  que  le 
service  qu'il  rend  obtienne  une  récompense  en  rapport  avec  la 
grandeur  et  la  sainteté  de  l'œuvre  à  laquelle  il  coopère.  Lors- 
que, après  l'offertoire,  le  prêtre  invite  le  peuple  à  prier  en  disant  : 
Orate,  fratres,  le  servant  répond  au  nom  de  tous  :  «  Que  le  Seigneur 
«  reçoive  ce  sacrifice,  de  vos  mains,  pour  notre  utilité,  et  pour  celle 
«  de  toute  sa  sainte  Église  :  »  Suscipiat  Dominus  hoc  sacrifi- 
cium,  etc.  Comment  celui  qui  prie  pour  lui-même,  en  même 
temps  que  pour  la  sainte  Église,  ne  recevrait-il  pas  tout  d'abord 
une  large  part  des  bénédictions  attirées  par  sa  prière,  en  vertu 
du  saint  sacrifice  auquel  il  coopère? 

Le  Père  Joseph  Mansi,  de  l'Oratoire  de  Rome,  rapporte  un  fait 

l.  Tu  aulem  ipsis  ministras  ul  S.  Steplianus  in  Jerosolymis,  Jacobo  et 
Presbyteris.  (S.  [(;n\t   Antiocii.,  Epist.  od  Hevinwm.) 


698         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XIV. 

qui  orriva  de  son  temps  et  qu'on  nous  permettra  de  donner  après 
lui,  comme  une  preuve  des  grâces  que  Dieu  accorde  à  ceux  qui 
servent  dévotement  la  messe.  A  l'époque  où  le  Père  François  Mas- 
Irilli,  qui  plus  tard  reçut  glorieusement  la  couronne  du  martyre 
au  Japon,  n'était  encore  que  simple  étudiant  à  Naples,  il  se  rendit 
un  jour  à  la  maison  professe  des  Jésuites  et  entra  dans  la  sacris- 
tie. Il  y  trouva  le  Père  Évangélisle  de  Gatti  revêtu  des  ornements 
sacrés  et  prêt  à  célébrer  la  messe,  mais  n'ayant  personne  pour  la 
lui  servir.  Le  jeune  étudiant  s'offrit  aussitôt  pour  remplir  cet 
office,  mais  le  Père,  par  discrétion,  refusa  d'abord  en  disant  que 
c'était  jour  de  récréation  pour  les  étudiants  et  qu'il  se  trouverait 
en  retard  pour  aller  avec  les  autres  à  la  campagne,  d'autant  plus 
que  ce  bon  Père  était,  de  son  propre  aveu,  un  peu  long  dans  la 
célébration  de  la  messe.  François  Mastrilli  insista  si  bien  que  le 
saint  religieux  céda  et  accepta  qu'il  l'accompagnât  à  l'autel.  Au 
moment  du  Mémento  des  vivants,  il  se  souvint  de  son  servant  et, 
pour  récompenser  sa  piété,  il  le  recommanda  particulièrement  à 
Dieu  ;  il  voulait  obtenir  pour  lui  une  faveur  toute  spéciale.  Quelques 
années  s'écoulèrent.  François  Mastrilli,  devenu  religieux  et  prêtre 
à  son  toui-,  avait  été  envoyé  comme  missionnaire  au  Japon.  Un 
jour  qu'il  priait  au  tombeau  de  S.  François-Xavier,  il  désira  con- 
naître ce  qui  lui  avait  valu  la  faveur  insigne  d'être  désigné,  entre 
tant  d'autres  meilleurs  que  lui,  pour  cette  mission.  Le  saint  voulut 
bien  le  lui  révc'ler.  Il  lui  dit  que  c'était  la  récompense  du  service 
qu'il  avait  rendu  autrefois  au  P.  Évangéliste,  en  lui  répondant  et 
l'assistant  à  la  messe  à  Naples,  telle  année  et  tel  jour.  Le  Père,  lui 
dit  le  saint,  avait  prié  pour  lui  en  cette  occasion  avec  beaucoup  de 
ferveur.  François  Mastrelli,  aussitôt  après  cette  révélation,  écrivit 
à  Naples,  au  P.  Évangéliste  de  Galti,  pour  lui  témoigner  toute  sa 
reconnaissance.  C'était  à  sa  prière,  disait-il,  qu'il  devait  sa  sainte 
vocation.  Il  est  permis  d'ajouter  que  ce  fut  à  cette  même  prière, 
unie  aux  mérites  infinis  du  saint  Sacrifice  à  l'oblation  duquel  le 
pieux  étudiant  avait  contribué,  qu'il  dut,  non  seulement  d'être  un 
zélé  missionnaire,  mais  aussi  de  recevoir  la  couronne  du  martyre. 
Il  convient  donc  que  ceux  qui  sont  appelés,  à  quelque  titre  que 
ce  soit,  à  servir  le  prêtre  qui  célèbre  la  sainte  messe,  soient  bien 
pénétrés  delà  grandeur  de  l'acte  auquel  ils  participent,  et  des  avan- 
tages qu'ils  en  retireront,  s'ils  le  font  dignement.  Mais  comment 
les  enfantsqui,à  défaut  d'ecclésiastiques,  sontordinairementappelés 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      G99 

à  remplir  des  fonctions  si  hautes,  en  comprendraient-ils  la  dignité  et 
en  recueilleraient-ilsles  avantages,  s'ils  n'étaient  point  parfaitement 
instruits  de  la  grandeur  et  de  la  sainteté  de  nos  mystères?  11  n'est  pas 
rare  que  ces  enfants,  par  leur  légèreté,  par  leur  tenue  peu  conve- 
nable, n'édifient  pas  l'assistance.  Ils  ne  tirent  que  peu  ou  poin^t  de 
profit  de  ce  qu'ils  font  pour  Dieu;  ils  nuisent  au  recueillement  des 
fidèles  et  souvent  à  celui  du  prêtre  lui-même.  Ne  pourrait-on  pas 
dire  qu'ils  ne  sont  pas  toujours  ici  les  plus  coupables?  Ne  serait- 
il  pas  possible  au  clergé  de  leur  inspirer  une  piété  plus  grande, 
en  même  temps  qu'une  tenue  plus  correcte?  Il  y  a  là  peut-être, 
pour  plusieurs  qui  se  croient  à  l'abri  de  tout  reproche,  de  graves 
responsabilités,  car  l'enfant  qui  a  servi  la  messe  sans  piété  ne 
comprendra  jamais  rien  aux  pratiques  de  notre  sainte  religion. 
Un  des  grands  maux  de  notre  époque,  c'est  que  l'esprit  de  foi 
soit  si  rare  dans  les  familles  et,  par  suite,  dans  les  enfants.  Il  ar- 
rive très  souvent  que  les  parents,  qui  permettent  à  leurs  enfants 
de  servir  à  l'autel,  ne  le  font  que  pour  des  motifs  bien  humains, 
un  peu  de  vanité  et  quelques  petits  avantages  temporels.  Il  ap- 
partient au  prêtre  d'élever  plus  haut  la  pensée  des  enfants.  S'ils 
s'eflbrcent  de  le  faire,  ils  réussiront  souvent;  ils  feront  parfois 
éclore  des  *\'ocations  sacerdotales  qui  seraient  atrophiées,  et  en 
tout  cas  ils  poseront  dans  ces  jeunes  âmes  le  fondement  d'une 
vie  solidement  chrétienne. 


CHAPITRE  XV 

DE  LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS 

I.  La  sainte  communion  soutien,  lumière  et  vie  de  l'Eglise  et  de  ses  enfants.  —  II.  La 
sainte  communion,  couronnement  des  bienfaits  de  Dieu,  nous  fait  aimer  les  choses 
du  ciel,  mépriser^elles  de  la  terre  et  goûter  la  suavité  des  biens  spirituels. 

I. 

L\    SAINTE    COMMU.VIO.N    SOUTIEN,    LUMIÈRE    ET   VIE    DE    l'ÉGLISE 
ET    UE    SES    ENFANTS 

Dans  les  sacrifices  anciens,  il  étaitde  règle,  sauf  quelques  excep- 
tions, que  les  prêtres  qui  les  offraient  et  ceux  pour  qui  ils  étaient 
offerts,  y  participassent  en  mangeant  quelque  chose  de  la  chair 


700  LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —   II*"  PARTIE.  —  LIVRE   11.   —  CHAP.  XV. 

des  victimes.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  instituant  son  di- 
vin sncrifice,  dont  les  autres  n'étaient  qu'une  ombre,  a  voulu  qu'il 
en  fût  de  même.  Il  est  notre  victime  et  il  veut  que  sa  chair  et  son 
sang  soient  pour  nous  une  nourriture  et  un  breuvage  de  salut. 
Toutes  les  parties  du  culte  antique,  dit  un  des  grands  évêques 
du  XIX'  siècle  S  aboutissaient  à  une  communion  à  la  grâce  de 
Dieu,  figurée  par  la  participation  aux  aliments  consacrés  par 
l'oiïrande,  et  à  la  chair  des  victimes.  La  consommation  du  culte 
chrétien  est  un  acte  du  même  genre,  mais  d'un  ordre  supérieur 
constitué  par  le  fait  de  l'Incarnation  qui  a  exhaussé  la  religion 
tout  entière.  La  communion  chrétienne  n'est  pas  une  simple 
participation  à  la  grâce,  mais  à  la  substance  même  de  l'Homme- 
Dieu,  s'incarnant  en  chacun  de  nous,  pour  purifier  notre  âme  et 
la  nourrir.  C'est  l'union  avec  Dieu  élevée,  si  l'on  peut  parler 
ainsi,  à  sa  plus  haute  puissance,  et  parvenue  au  dernier  degré 
qu'il  soit  possible  d'atteindre  dans  les  limites  de  l'ordre  présent; 
au  delà,  c'est  le  ciel.  Si,  en  effet,  tandis  que  la  substance  divine 
se  mêle  à  notre  substance,  Dieu  transformait  dans  la  même  pro- 
portion notre  intelligence  en  son  intelligence,  notre  amour  en 
son  amour,  et  notre  force  en  sa  force,  nous  le  verrions  face  à 
face,  nous  l'aimerions  d'un  amour  égal  à  cette  claire  vue,  nous 
aurions  atteint  la  plénitude  de  la  régénération  :  le  ciel  n'est  pas 
autre  chose.  Attendons  un  peu,  le  jour  de  la  transfiguration 
approche.  La  vie  terrestre  n'est  que  l'enfance  de  l'homme. 
Comme  l'enfant  reçoit  la  vie  et  s'attache,  par  un  instinct  conser- 
vateur, au  sein  maternel,  avant  d'avoir  ouvert  les  yeux  à  la 
lumière,  ainsi  l'homme  se  nourrit  de  Dieu  avant  de  le  voir.  Tel 
est  l'ordre  universel  de  la  Providence;  car  en  toutes  choses,  il  y 
a  une  union  substantielle  qui  précède  l'union  d'intelligence  et 
d'amour.  Mais  bientôt  l'enfant  connaît  les  auteurs  de  ses  jours 
comme  il  en  est  connu,  et  ne  fait  avec  eux  qu'une  même  âme. 
Ainsi  lorsque  nous  serons  sortis  de  ce  monde  comme  d'un  ber- 
ceau, cette  union,  commencée  sur  la  terre,  se  consommera,  et 
Dieu,  pénétrant  à  la  fois  tout  notre  être  de  sa  puissance,  de  sa 
lumière  et  de  son  amour,  sera  en  nous  et  nous  en  lui,  selon 
tout  ce  qu'il  est  et  selon  tout  ce  que  nous  pouvons  être. 
«  La  coiinminion  eucliaristique  est  quelque  chose  d'intermédiaire 

\.   Pli.  (iERiJET,  /)nf/mp  f/ihiéraU'iir,  chap.  m. 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      701 

«  entre  Tunion  avec  Dieu  accordée  aux  anciens  justes  sur  cette 
e  terre  d'exil,  et  celle  dont  les  saints  jouissent  dans  la  patrie.  Plus 
«  heureux  que  les  premiers,  nous  ne  participons  pas  seulement  à 
«  la  grâce,  mais  à  la  substance  même  du  Verbe  incarné,  comme 
«  les  saints  dans  le  ciel.  Mais,  bien  moins  heureux  que  les  seconds, 
«  nous  ne  voyons  encore  Dieu  qu'à  travers  un  voile,  en  énigme, 
«  dit  S.  Paul  :  nous  restons  à  cet  égard  dans  l'état  des  anciens 
«  justes,  qui  est  la  condition  commune  de  tous  les  hommes,  pen- 
«  dant  qu'ils  demeurent  dans  ce  monde  des  ombres  et  des  images, 
«  éclairé,  comme  parlent  les  anciens,  par  un  jour  nocturne.  L'u- 
«  nion  avec  Dieu  est  toujours  le  principe  d'amour,  mais  il  se  déve- 
«  loppe  à  différents  degrés.  Sans  cesser  d'être  un,  il  a  pénétré 
«  plus  profondément  la  nature  humaine,  depuis  que  l'incarnation 
«  a  établi  entre  Dieu  et  l'homme  des  communications  plus  intimes; 
«  de  même  que,  sans  cesser  d'être  un,  il  recevra  en  tous  sens  une 
a  expansion  sans  limites,  lorsque  les  liens  qui  le  captivent  encore 
«  et  l'arrêtent  tomberont  enfin,  sur  le  seuil  du  céleste  séjour. 
«  Ainsi  se  prépare  l'accomplissement  de  l'œuvre  divine;  tous  les 
«  développements  que  la  religion  reçoit  ici-bas  ne  sont  qu'une 
«  transition  de  l'ordre  terrestre  à  l'ordre  éternel.  » 

Nous  ne  saurions  donc  trop  estimer  la  grandeur  du  don  que 
Jésus-Christ;  Notre-Seigneur,  nous  a  fait  en  instituant  non  seule- 
ment le  sacrifice  mais  le  sacrement  de  la  très  sainte  et  très  ado- 
rable Eucharistie,  ni  en  donner  une  plus  haute  idée  que  celle  qui 
ressort  de  ces  quelques  lignes  d'un  écrivain  aussi  habile  et  d'un 
théologien  aussi  profond  que  l'était  le  pieux  évêque  de  Perpignan. 
Mais  si  nous  voulons  nous  pénétrer  vivement  des  avantages  que 
procure  la  sainte  communion  faite  avec  piété,  il  est  nécessaire  de 
nous  y  arrêter  un  peu  plus  longuement,  et  de  les  examiner  avec 
plus  de  détails. 

Nous  n'avons  pas  à  redire  ici  tout  ce  que  Jésus-Christ  nous 
donne,  en  se  donnant  lui-même  à  nous  par  la  sainte  communion. 
Nous  savons  (juil  est  Dieu  comme  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  et 
qu'en  s'unissant  substantiellement  à  nous,  il  nous  unit  en  même 
temps  aux  deux  autres  adorables  personnes  de  la  Trinité  sainte. 
Nous  savons  qu'il  vient  en  nous  avec  toutes  les  perfections,  tous 
les  attributs  de  sa  nature  divine.  Nous  savons  qu'il  est  homme 
comme  nous  et  que,  par  la  sainte  communion,  il  mêle  on  quelque 
manière  son  corps,  son  sang,  son  âme  à  notre  substance,  de  sorte 


70:2         LA  SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II*   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   XV. 

que  nous  pouvons  dire  en  toute  vérité  qu'il  vit  en  nous  et  que  nous 
vivons  en  lui.  Sans  doute  cette  admirable  union  ne  produit  pas  tous 
les  effets  qui  lui  sont  propres,  pendant  notre  vie  nnortelle,  puisque, 
comme  il  a  été  dit,  si  elle  les  produisait  tous,  ce  serait  pour  nous 
non  plus  une  vie  d'épreuve  et  de  passage,  mais  la  vie  même  et  le 
bonheur  du  ciel.  Mais  il  est  des  effets  nombreux  qui  ressortent 
de  la  sainte  communion,  surtout  si  elle  est  faite  avec  une  véri- 
table piété,  effets  qui  se  produisent  dans  le  temps  et  qui,  dans  le 
dessein  de  \otre-Seigneur,  glorifient  Dieu  sur  la  terre  et  facilitent 
le  salut  des  hommes. 

Considérée  comme  sacrifice,  la  Sainte  Eucharistie  est  la  colonne 
qui  soutient  notre  foi  et  rend  l'Église  inébranlable.  Ce  qu'elle  est 
pour  l'Église  comme  sacrifice,  elle  ne  l'est  pas  moins  en  qualité  de 
sacrement.  Si  nous  voyons  la  foi  résister  victorieusement  aux 
assauts  sans  cesse  renouvelés  des  hérésies  et  des  passions  humaines, 
complices  de  l'enfer  ;  si  nous  la  voyons  prendre  sans  cesse  des  dé- 
veloppements nouveaux  et  briller  d'un  éclat  d'autant  plus  admirable 
que  ses  ennemis  se  sont  crus  plus  près  de  triompher  d'elle,  n'est-ce 
pas,  en  très  grande  partie,  au  saint  et  adorable  sacrement  de 
l'Eucharistie  qu'il  faut  attribuer  ce  prodige? 

D'après  l'interprétation  des  Pères,  la  bénédiction  que  le  saint 
patriarche  Isaac  trompé  par  les  apparences,  mais  accomplissant 
néanmoins  la  volonté  du  Seigneur,  donna  à  son  fils  Jacob,  ren- 
ferme une  allusion  évidente  à  cette  vertu  de  la  Très  Sainte  Eucha- 
ristie qui  fait  d'elle  la  force  de  l'Église  et  la  cause  de  son  développe- 
ment. En  effet,  que  dit  Isaac  à  Jacob,  ou  plutôt  à  l'Église  de  Jésus- 
Christ  qu'il  représentait  en  cette  circonstance?  «  Que  Dieu  vous 
«  donne  l'abondance  du  froment  et  du  vin  ;  que  les  peuples  vous 
«  servent  et  que  les  tribus  vous  adorent  K  »  Sans  doute,  pour  Jacob 
et  pour  ses  enfants  selon  la  chair,  il  pouvait  n'être  question  que 
de  la  nourriture  et  du  breuvage  matériels,  dans  la  pensée  d'Isaac. 
Mais  tout  était  figuratif  dans  ce  que  les  écrivains  sacrés,  conduits 
par  l'Esprit  de  Dieu,  nous  ont  rapporté  des  paroles  et  des  actes 
des  anciens  patriarches.  Il  ne  faut  donc  pas  s'arrêter  à  la  lettre. 
Sous  cette  écorce  que  trouvons-nous?  Que  représente  ce  froment, 
que  représente  ce  vin  dont  Isaac  promet  à  Jacob,  de  la  part  de  Dieu, 
qu'il  en  recevra  l'abondance?  C'est  la  très  sainte  et  très  adorable 

I.  Del  tilji  Deus  aViundantinm  frumenli  et  vini.  Serviant  tibi  populi  et  ado- 
rent tribus.  {Gènes.,  xxvii,  !2H.) 


Li  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIED  ICI-BAS.     703 

Eucharistie,  dont  le  pain  et  le  vin  sont  la  matière  nécessaire.  Parler 
comme  le  faisait  Isaoc,  lorsqu'il  disait  ensuite  de  Jacob  :  «  Je  l'ai 
«  affermi  par  le  blé  et  le  vin  :  »  Frumento  et  vino  stabilivi 
eum  ',  c'était  affirmer  clairement  que  l'Église  trouverait  sa  force 
et  son  soutien  dans  le  pain  qui  serait  un  jour  le  corps  de  Jésus- 
Christ,  et  dans  le  vin  qui  serait  son  sang.  Ainsi  l'entendait  Pas- 
chase  Radbert  -  ;  ainsi  l'entendait  le  bienheureux  Albert  le  Grand, 
qui  expliquait  en  ces  termes  ce  texte  Stabilivi  eum  :  «  Je  l'ai 
«  affermi,  parce  que  toute  la  maison  de  Jacob,  c'est-à-dire  l'Église, 
«  est  fondée  sur  ce  sacrement  du  froment  et  du  vin,  par  cette  raison 
«  que  le  froment  et  le  vin  en  sont  la  matière  3.  »  On  peut  consulter 
les  écrits  des  docteurs  et  des  commentateurs  ;  tous  ceux  qui  ont 
interprété  ces  paroles  d'Isaac  leur  ont  reconnu  ce  sens. 

Le  Docteur  Séraphique  ajoute  que  l'Église,  qui  repose  sur  la 
Sainte  Eucharistie  comme  sur  son  fondement,  y  trouve  aussi  le 
principe  de  sa  vie  et  du  développement  de  son  culte  :  «  Par  ce  sa- 
«  crement,  dit-il,  l'Église  se  tient  debout  ;  la  religion  chrétienne 
«  est  florissante  aussi  bien  que  le  culte  divin  ^.  »  Timothee  de  Jéru- 
salem va  plus  loin,  il  dit  que  si  le  monde  existe  encore,  c'est  à  la 
Sainte  Eucharistie  qu'il  le  doit  :  «  Donnons,  dit-il,  toute  notre 
«  attention  à  cette  table  divine  et  mystique  par  laquelle  le  monde 
«  est  aflermi  sur  sa  base  et  le  globe  de  la  terre  subsiste  ">.  »  C'est 
la  pensée  qui  faisait  dire  à  l'auteur  de  l'Imitation  de  Jésus-Christ  : 
«  Il  y  a  bien  lieu  de  s'affliger  de  ce  que  tant  de  personnes  considèrent 
«  si  peu  ce  sacrement  salutaire  qui  fait  la  joie  du  ciel  et  le  salut  du 
«  monde  ^.  »  Que  deviendrait  le  monde,  que  deviendrait  l'Église 
et  que  deviendrions-nous  tous  si  Jésus-Christ  n'accomplissait  pas 
la  promesse  qu'il  nous  a  faite  :  «  Et  voici  que  je  suis  avec  vous 

1.  Gènes.,  xxvii,  A,  7. 

2.  Hoc  est  aperte  dicere  :  Firmavi  eum  pane  corporis  Christi,  et  vino  san- 
guinis.  (Pasciias.,  de  Corpore  et  sanguine  Christi.) 

3.  Stabilivi  eum,  quia  tota  domus  Jacob,  id  est  Ecclesia,  fundata  est  super 
hoc  sacramento  frumenli  et  vini,  quia  materia  in  eo  est  frumenti  et  vini. 
(B.  Albert.  Maca.,  de  Euchar.) 

i.  Per  hoc  stat  Ecclesia;  viget  christiana  rehgio  et  divinus  cultus.  (S.  Bo- 
navent.,  (le  Pr^jiaraiione  ad  missam.) 

U.  Divin»  ac  niyslicse  mensœ  operam  demus,  per  quain  inundus  tîrniatur 
per  quam  lerrarum  orhis  consistit.  (Timotii.  Hierosoi.vm.,  oral,  de  Proph. 
Simeon.) 

0.  Dolenduin  valde  quod  multi  parum  hoc  salutare  mysteriuni  advertunt, 
quod  cœlum  laetificat,  et  mundum  conservât  universum.  [De  Imit.  Christi 
lib.  IV,  cap.  I.) 


704         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.  XV. 

«  tous  les  jours,  jusqu'à  la  consommation  du  siècle  *?  »  La  pré- 
sence seule  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  ne  cesse  pas  un 
instant  de  demeurer  parmi  nous,  et  qui  se  donne  ou  veut  se  don- 
ner, le  plus  souvent  possible,  à  chacun  de  nous  en  particulier, 
peut  sauver  ce  monde  de  la  colère  de  Dieu.  Avant  l'institution  de 
la  Sainte  Eucharistie,  Dieu  épargnait  les  hommes  en  vue  de  cette 
divine  présence  qu'il  préparait  ;  maintenant  il  l'épargne  et  attend 
patiemment  la  pénitence  des  pécheurs,  parce  que  Jésus-Christ  est 
là  et  que  sa  seule  présence  est  une  intercession  toute-puissante 
en  notre  faveur.  La  mort  de  notre  divin  Sauveur  sur  la  croix  a 
bien  payé  notre  rançon,  mais  l'ingratitude  de  l'humanité  presque 
tout  entière,  l'indifférence  et  les  outrages  de  toutes  sortes  par  les- 
(juels  elle  répond  à  tant  d'amour  et  de  bonté,  auraient  depuis  long- 
temps fatigué  la  longanimité  du  Seigneur,  et  obligé  sa  justice  à 
tirer  vengeance  d'un  monde  qui  ne  lui  rend  que  le  mal  pour  le 
bien,  si  Jésus-Christ  n'était  pas  là  dans  son  saint  tabernacle,  s'il 
ne  descendait  pas  par  la  sainte  communion  dans  les  cœurs  des 
fervents  chrétiens,  qui  prient  et  dont  la  prière  pour  sauver  l'Église 
et  le  monde  est  toute-puissante,  parce  qu'en  vertu  de  leur  union 
avec  Jésus-Christ,  elle  est  la  prière  du  Fils  de  Dieu  lui-même.  Ils 
peuvent  dire  avec  S.  Paul  :  «  Ce  n'est  plus  moi  qui  vis  :  c'est 
«  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi  ;  »  et  ils  peuvent  en  conséquence 
ajouter  :  Ce  n'est  plus  moi  qui  prie  :  c'est  Jésus-Christ  qui  prie  en 
moi. 

Non  seulement  la  Sainte  Eucharistie  soutient  l'Église  et  le  monde 
et  elle  arrête  les  coups  de  la  justice  divine  qui  réduirait  tout  au 
néant,  mais  elle  multiplie  le  peuple  fidèle.  Le  B.  Albert  le  Grand 
explique  en  ce  sens  les  paroles  du  Psalmiste:  «  Ils  se  sont  multi- 
«  plies  par  l'abondance  du  froment,  du  vin  et  de  l'huile  -.  »  II 
s'agit,  dit-il,  de  la  multiplication  spirituelle  qui  s'opère  pour  les 
fidèles  par  le  moyen  des  sacrements  ^;  ajoutons,  surtout  par  l'ado- 
rable Eucharistie,  représentée  ici  par  le  froment  et  le  vin.  Un  fait 
à  remarquer  c'est  que,  dans  les  Actes  des  Apôtres,  à  peine  S.  Luc 
a-t-il  fait  mention  des  trois  mille  personnes  converties  par  le  pre- 

1.  Et  ecce  vobiscum  sum  omnibus  diebus  usque  ad  consummationem  sse- 

culi.  [Mou h.,  xwiii,  20.) 
-2.  \  fructu  frumenti,  vini  et  olei  sui,  multiplicati  sunt.  (Ps.  iv,  8.) 
3.  ^1  fructu,  etc.,  multiplicatione  .spiritual!  qua  fidèles  per  sacramenta  mul- 

tiplicantur.  (B.  Albert.  Mao.n.,  t.  XXI.) 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      705 

mier  discours  de  Pierre  aux  Juifs  accourus  au  Cénacle,  le  jour  de 
la  Pentecôte,  qu'il  ajoute  :  «  Ils  étaient  persévérants  dans  la  frac- 
<  tion  du  pain.  »  Dès  que  les  apôtres  eurent  commencé  à  pratiquer 
la  consécration  du  pain  et  à  donner  aux  fidèles  la  Sainte  Eucha- 
ristie, l'Église  fut  solidement  établie  et  elle  se  dilata  avec  rapidité  : 
«  La  chair  du  Christ,  dit  Rupert,  ce  grand  sacrement,  qui  était 
«  avant  la  passion  la  chair  du  Verbe  de  Dieu  seul,  prit  un  tel 
«  accroissement  par  la  passion,  ellese  dilata  si  merveilleusement,  elle 
«  remplit  si  bien  le  monde  entier,  que  grâce  à  l'infusion  de  cenou- 
«  veau  sacrement,  tous  les  élus  qui  ont  existé  depuis  le  commen- 
«  cément  du  monde,  tous  ceux,  même  le  dernier,  qui  seront  jusqu'à 
u  la  fm  du  siècle,  sont  unis  à  Dieu  et  ne  feront  avec  lui  qu'une 
«  seule  Église  qui  durera  éternellement.  Cette  chair  était  un  grain 
«  de  froment  qui  demeura  unique,  jusqu'à  ce  que,  tombant  sur  la 
«  terre,  il  y  fût  mort,  mais  ayant  passé  par  la  mort,  il  croît  sur 
«  l'autel,  il  fructifie  entre  nos  mains,  dans  nos  personnes,  et  lors- 
«  que  vient  le  grand,  le  riche  maître  de  la  moisson,  il  emporte 
(i  avec  elle  dans  le  grenier  du  ciel  la  terre  qui  a  produit  cette 
«  précieuse  moisson  '.  » 

Avant  l'institution  de  la  Très  Sainte  Eucharistie,  le  monde  entier 
était  plongé  dans  une  corruption  digne  de  pitié  et  d'horreur.  Tel 
serait  de  nouveau  son  sort,  dit  S.  Bonaventure,  si  la  Sainte  Eucha- 
ristie disparaissait  du  milieu  du  peuple  chrétien  :  mais  ce  sacre- 
ment fortifie  la  foi  -.  S.  Anselme  écrit,  à  propos  du  festin  auquel 
furent  conviés  les  pauvres,  les  débiles,  les  boiteux,  les  aveugles  : 
«  Les  Gentils  ne  possédaient  ni  les  richesses  de  la  loi,  ni  la  force 
«  des  vertus  qui  leur  eût  permis  de  résister  au  démon,  ni  la  lumière 
«  de  la  science,  car  les  yeux  de  leurs  cœurs  étaient  plongés  dans 

1.  Magnum  hoc  sacramentum  caro  Christi,  quae  an  te  passionem  solius  erat 
caro  Verbi  Dei,  per  passionem  ita  crevit,  adeo  dilatata  est,  ita  niundum 
universum  implevit,  ut  omnes  electos  qui  fuerunt  al)  initio  mundi,  vel  futuri 
sunl  usque  ad  ultimum  eleclum  in  fine  saeculi,  nova  conspersione  hujus  sa- 
cramenli  in  unain  Ecclesiain  facial  Deum  et  homines  œternaliter  copulari. 
Caro  illa  unum  erat  granum  frumenti,  quod  antequam  cadens  in  terrain 
mortuuin  fuisset,  nunc  postquain  morluum  est,  crescit  in  altari,  fructificat  in 
manibus,  corporibus  noslris,  et  ascendenle  magno  et  divite  domino  mossis, 
terrain  fructiferam  in  qua  crevit,  secum  vehit  in  horrea  cœli.  (Rupert.  abb., 
de  Divin,  offic.) 

2.  Toile  hoc  sacramentum  de  Ecclesia,  et  quid  eril  in  mundo  nisi  crror  et 
infidelitas?  El  populus  chrislianus  crit  quasi  grex  porcorum  dispersus  et  ido- 
lolalrite  deditus,  sicut  exprcîsse  palet  in  cjcteris  infidelibus....  Per  lioc  sacra- 
mentum roboratur  fides.  (S.  Bonavent.,  de  Prx parai ione  ad  Missam.) 

LA  SAINTE   EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  45 


706         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —    II*  PARTIE    —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XV. 

«  les  ténèbres,  ni  la  faculté  de  marcher  d'un  pas  ferme  et  sans 
«  s'égarer  dans  la  voie  de  la  justice;  cependant,  invités  au  festin 
«  du  Christ,  ils  sont  devenus  riches  et  forts  spirituellement;  ils  ont 
«  été  intérieurement  illuminés,  alors  qu'ils  n'étaient  pas  dans  la 
«  voie  de  Dieu,  et  maintenant  ils  marchent  dans  le  droit  chemin  '.  » 

S.  Augustin  affirme,  et  il  faut  l'en  croire,  que  «  le  monde  a  été 
«  soumis  au  joug  du  Christ  par  le  sacrement  de  son  corps  ".  »  Et 
dans  les  temps  troublés  du  moyen  âge,  où  les  hérésies  se  multi- 
pliaient et  où  l'enfer  semblait  s'essayer  au  terrible  assaut  qu'il 
allait  bientôt  livrer  à  l'Église  par  le  protestantisme,  ce  fut  encore 
la  Sainte  Eucharistie  qui  vint  au  secours  de  la  foi  catholique. 
L'institution  de  la  fête  et  ensuite  des  processions  du  Très  Saint 
Sacrement  amortit  les  coups  de  tant  d'ennemis  acharnés.  Grâce 
à  elle,  après  des  siècles  de  luttes  sans  merci,  la  sainte  Église  de 
Jésus-Christ,  fondée  sur  la  Pierrequi  est  le  Christ  dans  l'Eucharistie, 
et  sur  Pierre,  son  représentant  visible  ici-bas,  est  toujours  debout 
et  inébranlable.  Toujours  elle  est  là,  pour  nous  montrer  le  chemin 
qui  conduit  à  la  vie  ;  toujours  elle  est  prête  à  nous  donner  le  via- 
tique souverain  qui  nous  vivifie,  nous  fortifie  et  nous  met  à  l'abri 
de  tout  égarement  dans  le  voyage  qu'il  faut  faire  ici-bas  pour 
arriver  à  la  céleste  patrie. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne  nous  a  pas  été  seulement  donné 
comme  rédempteur.  Son  corps  adorable  qui  a  souffert,  et  qui  est 
mort,  son  sang  précieux  répandu  sur  la  croix,  ont  bien  été  le  prix 
de  notre  rançon,  mais  il  en  a  fait  de  plus  notre  nourriture.  Cette 
nourriture  qui  n'est  autre  que  lui-même,  c'est-à-dire  le  Verbe  de 
Dieu,  la  Sagesse  divine  incarnée,  est  un  aliment  de  lumière  et  de 
justice.  Pourquoi  le  Verbe  de  Dieu  se  donnerait-il  à  nous,  sinon 
pour  nous  illuminer  des  rayons  de  sa  lumière  infinie?  Pourquoi  la 
sagesse  de  Dieu,  qui  est  aussi  sa  justice,  se  ferait-elle  notre  aliment, 
sinon  pour  nous  communiquer  la  véritable  sagesse  qui  est  insépa- 
rable de  la  justice? 

1.  Erant  gentiles  quia  nec  legis  divitias,  nec  virtutum  forlitudinem,  qua 
resistere  possent  diabolo,  nec  scientiae  lumen,  vel  illuminatos  cordis  oculos 
habehant,  nec  in  via  justitiae  rectis  pcdibus  incedebant,  qui  tamen  invitati 
ad  convivium  Cbristi,  diviles  spiritualiter,  et  fortes  facli  sunt,  et  interius  illu- 
minali,  dum  in  via  Dei  non  erant,  sed  recto  tramite  gradiuntur.  (S.  Anselm., 
Enarr.  in  Evonr/.) 

2.  Sacramenlo  corporis  Christi,  subjugatus  est  mundus.  (S,  AuousT.,  apud 
Mansi.) 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      707 

Pourquoi  Jésus-Christ,  qui  s'est  fait  notre  grâce,  unirait-il  sa 
propre  substance  à  notre  substance  par  la  sainte  communion,  si- 
non pour  nous  communiquer  la  grâce  dont  il  est  1^  source,  ou 
plutôt  qui  est  lui,  et  nous  en  faire  vivre? 

Ce  divin  Sauveur,  révélant  un  jour  à  Nicodème  les  mystères  de 
Tamour  infini  du  Père  éternel  envers  les  hommes,  lui  disait  : 
«  Dieu  a  tellement  aimé  le  monde,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique, 
a  afin  que  quiconque  croit  en  lui  ne  périsse  pas,  mais  qu'il  ait  la 
«  vie  éternelle.  Car  Dieu  n'a  pas  envoyé  son  Fils  dans  le  monde 
a  pour  condamner  le  monde,  mais  pour  que  le  monde  soit  sauvé 
«  par  lui  ^  j»  Le  Père  éternel  a  envoyé  son  Fils  pour  que  le  monde 
soit  sauvé  par  la  foi  qu'il  aurait  en  lui,  et  le  Fils  venu  dans  le 
monde  pour  nous  donner  la  vie  par  la  foi,  s'est  donné  lui-même, 
comme  un  aliment  dévie,  dans  la  Sainte  Eucharistie  ;  nous  man- 
geons la  vie,  la  lumière  et  la  grâce,  en  communiant  à  l'aliment 
trois  fois  saint  qu'il  nous  a  préparé.  Et  si  Jésus-Christ  se  donne 
ainsi  à  nous  comme  aliment  de  vie  et  de  sainteté,  c'est  encore  le 
Père  qui  nous  le  donne,  car,  dit  S.  Bonaventure  :  «  Dieu  a  telle- 
«  ment  aimé  le  monde  qu'il  a  donné  son  Fils  unique  comme  sa 
«  rançon  et  comme  sa  nourriture  ~.  » 

Avant  que  le  Verbe  éternel  descendît  du  sein  de  son  Père  sur 
la  terre,  la  mort  régnait  ici-bas  en  souveraine  incontestée.  La  vie 
était  dans  le  Verbe,  in  ipso  vita  erat,  et  cette  vie,  lumière  des 
hommes,  résidait  au  ciel,  dans  le  sein  du  Père,  et  non  point  ici- 
bas  parmi  les  hommes  plongés  dans  les  ténèbres  et  assis  à  l'ombre 
de  la  mort,  selon  la  parole  de  Zacharie  célébrant  le  prochain  lever 
du  divin  Soleil  :  «  Pour  éclairer  ceux  qui  sont  assis  dans  les  té- 
«  nèbres  et  à  l'ombre  de  la  mort:  »  Illuminare  his  qui  in  tenebris 
et  in  umbra  morlis  sedent  ^.  Mais  lorsque  celui  qui  est  notre  vie 
et  notre  lumière  fut  descendu  parmi  nous,  lorsqu'il  eut  vaincu 
la  mort  en  mourant  lui-même  sur  la  croix,  il  nous  communiqua 
sa  vie  et  sa  lumière;  il  nous  donna  la  grâce  en  même  temps  que 
la  foi  et,  pour  nous  incorporer  ces  dons  infiniment  précieux,  pour 

\.  Sic  Deus  dilexit  munduin,  ut  Kilium  suuin  unigcnituin  daret  ut  oinnis 
qui  crédit  in  euin  non  pereat  sed  iiabeat  vitam  ajtcrnam.  Non  cnim  niisil 
Deus  Filium  suuni  in  inundum  ut  judicet  inundum,  sed  ut  salvctur  niundus 
per  ipsum.  {./oaim.,  m,  iO,  17.) 

2.  Sir  Deus  dilexil  miindi/ni,  iil  f'nigenittim  diiret,  et  in  itrotiuni  et  in 
cibum.  (S.  BoNAVENT.,  in  liunc  textum.) 

3.  Lur.,  I,  7!». 


708         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XV, 

qu'ils   devinssent  en  quelque  manière  une  partie  intégrante  de 
nous-mêmes,  il  se  fit  notre  aliment,  lui  qui  est  la  vie  et  la  lumière, 
le  pain  vivant  et  vivifiant  qui  donne  la  vie  au  monde.  Il  nous  dit  : 
«  Prenez  et  mangez,  ceci  est  mon  corps  '  ;  »  et  les  paroles  que 
nous  adresse  ce  divin  Agneau  nous  remettent  en  mémoire  celles 
que   le  serpent    ou   plutôt    le    démon    lui-même,    cet   antique 
ennemi  du  genre  humain,  fit  entendre  à  nos  premiers  parents  : 
«  Prenez  et  mangez  et  vous  serez  comme  des  dieux  -.  »  Le  fruit 
olVert  par  le  démon  et  accepté,  malgré  la  défense  du  Seigneur,  a 
introduite  mort  dans  le  monde,  et  le  Fils  de  l'homme,  en  nous 
donnant  la  Sainte  Eucharistie  pour  aliment,  a  mis  la  mort  en  fuite 
et  nous  a  rendu  la  vie.  Il  nous  l'a  dit  lui-même  :  «  C'est  ce  pain 
«  qui  est  descendu  du  ciel  et  donne  la  vie  au  monde  :  »  Hic  est 
pauis  qui  de  cœlo  descendit  et  dat  vitam  mundo  ^.  «  Le  démon, 
«  dit  Rupert,  était  un  serpent  :  Jésus  est  un  agneau  ;  l'un  est  ran- 
ci cien  p('clieur,  l'autre  l'antique  créateur  de  toutes  choses;  l'un 
«  rampe  sur  la  terre,  l'autre  est  venu  du  ciel;  l'un,  esprit  diabo- 
"   lique,  souffle  le  mensonge,  l'autre,  esprit  de  Dieu,  annonce  la 
«  bonne  nouvelle  de  la  vérité  ;  l'un  est  un  artisan  de  mort,  l'autre 
«  de  vie  ;  l'un  a  offert,  comme  un  voleur,  du  fruit  d'un  arbre  qui 

•  n'était  pas  à  lui,  l'autre  a  donné  libéralement  son  propre  corps 
«  et  son  propre  sang  ;  l'un  a  promis  mensongèrement  ce  qu'il  n'a 
"  pas,  en  disant  :  Vous  serez  comme  des  dieux;  l'autre  a  donné 
«  fidèlement  ce  qu'il  avait  et  ce  qu'il  a  toujours  en  vertu  de  sa 
«  nature  même  ;  il  nous  a  donné  d'être  des  dieux,  parce  qu'il  daigne 

•  habiter  en  nous  *.  »  Mangeons  donc  le  pain  de  la  vie  éternelle  et 
buvons  le  calice  du  salut  qui  ne  passe  pas,  pour  détruire  l'effet 
lumentable  du  fruit  de  mort  donné  par  le  démon  au  premier 
homme. 

On  lit  au  livre  de  la  Genèse  qu'une  cruelle  famine  sévit  dans 
l'univers  entier:  le  pain  manquait  partout,  excepté  en  Egypte,  où 

1.  Accipile  et  comedite  :  hoc  est  corpus  meum.  [Matlh.,  wvi,  %').) 

2.  Gènes.,  m. 

:<.  Joann.,  vi,  VA). 

\.  llle  serpens  erat,  isle  A^rnus  est;  ille  velus  peccator,  iste  antiquus  Crea- 
tor ;  ille  pcr  terrain  repsit,  iste  de  cœlo  venit;  ille  spiritus  diaboli  falsum  sibi- 
lans,  iste  spiritus  Dei  verum  evangelizans;  ille  mortis  artifex,iste  vilœ  opifex; 
ille  de  Hkho  non  suo  raptor  obtulit.  iste  de  corpore  et  sanguine  suo  largitor 

•  Ifdit;  ille  quod  non  habot.  mendaciter  promisit,  eritis,  inquiens,  sicut  dii,  iste 
quod  liabebat  et  quod  soinj)er  naturaliter  babet,  fideliter  dédit,  ut  simus  dii, 
(lum  manet  in  nobis.  (Hi  pert.  abb.,  <le  ()j,i-r.  Spirit.  annct.) 


à 


LA  SAINTE  COMMUNION,  CODRONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      709 

le  patriarche  Joseph,  par  une  sage  prévoyance  inspirée  de  Dieu, 
avait  mis  en  réserve  d'immenses  quantités  de  froment.  Pharaon 
disaità  ses  sujets  dont  les  provisions  particulières  furent  vite  épui- 
sées :  «  Allez  à  Joseph.  x>  Or  Joseph  figurait  Notre-Seigneur, 
qui  est  appelé  le  froment  des  élus.  Cette  famine  en  représentait 
une  autre  incomparablement  plus  déplorable  encore.  Le  pain  spi- 
rituel, la  nourriture  de  l'âme,  manquait  aux  hommes;  depuis  des 
milliers  d'années,  le  besoin  de  ce  pain  se  faisait  sentir  avec  une 
rigueur  toujours  plus  grande.  Dieu  l'avait  annoncé  par  la  bouche 
du  prophète  Amos  :  «  J'enverrai  la  faim  sur  la  terre,  non  pas  la 
«  faim  du  pain,  mais  celle  d'entendre  la  parole  de  Dieu  K  »  Jésus, 
notre  Joseph,  a  ouvert  largement  ses  greniers.  Il  nous  a  donné  le 
'Verbe  de  Dieu  qui  est  lui-même,  non  seulement  pour  l'entendre, 
mais  pour  en  faire  la  nourriture  de  notre  âme  ;  il  nous  a  donné  à 
manger  son  corps  adorable,  qui  est  le  froment  des  élus,  et  à  boire 
son  sang,  vin  céleste  qui  fait  germer  les  vierges.  On  voit  ainsi 
combien  est  vraie  la  parole  du  Psalmiste  :  ^  Les  yeux  du  Seigneur 
«  sont  sur  les  justes...,  alm  de  délivrer  leurs  âmes  de  la  mort  et 
«  de  les  sauver  de  la  famine  '-.  » 

Autrefois,  dans  le  Paradis  terrestre,  l'humanité  entière  puisa, 
dans  un  seul  fruit,  un" poison  tellement  violent,  qu'il  fut  pour  elle 
la  cause  de  la  mort  éternelle.  Dieu  avait  dit,  en  effet,  à  nos  pre- 
miers parents  :  «  Du  jour  où  vous  mangerez  de  ce  fruit,  vous 
«  mourrez  de  mort  ^.  »  Mais  l'Eucharistie,  pain  vivant  descendu 
du  ciel,  a  rendu  la  vie  à  l'homme  devenu  la  proie  de  la  mort. 
Aussi  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  presse-t-il  de  recourir  à 
cet  aliment  sacré.  Avant  l'institution  de  l'adorable  Eucharistie, 
lorsqu'il  ne  faisait  encore  que  préparer  ses  disciples  à  bien  accep- 
ter ce  don  incomparable,  il  disait  :  «  Travaillez,  non  pas  en  vue 
«  de  la  nourriture  qui  périt,  mais  de  celle  qui  demeure  pour  la 
«  vie  éternelle,  et  que  le  Fils  de  l'homme  vous  donnera;  car  Dieu 

1.  Mittam  famem  in  terram,  non  faxnem  panis  sed  audiendi  verbi  Dei. 
{Amos,  VIII,  M.) 

2.  Aperuit  Joseph  horrea  tempore  famis  et  ministrabat  populis.  Hoc  de  nos- 
tro  dictum  est  :  Oculi  Domini  suijer  justoa,  et  seqiiitur,  uf  eruat  a  morte  ani- 
mas eonim  et  alat  eos  in  famé,  nimiruin  illa  quain  Deus  per  Amos  comminalur 
dicens  :  Mittam  famem  in  terram,  non  famem  jjanis,  sed  audiendi  verbi  Dei. 
In  hac  faîne  positus  nosler  Joseph  Christus  Donunus  ex  horreis  suis  nobis 
divinam  sui  corporis  annonam  ministrat.  (S.  Prosper.,  apud  Mansi,  de  Euch. 
et  comm.,  dise,  ll.j 

3.  In  quacumque  enim  die  comederis  ex  eo,  morte  morieris.  [Gènes.,  ii,  17.) 


710  LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XV. 

«  le  Père  l'a  scellé  de  son  sceau  '.  »  Le  sceau  que  Dieu  avait  im- 
primé sur  cet  aliment  mystérieux  était  la  vie  immortelle  dont  la 
grâce  est  la  semence  et  le  gage.  S.  Bonaventure  remarque  que 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  dans  le  chapitre  vi  de  l'Évangile  de 
S.  Jean,  où  il  parle  assez  au  long  de  la  Très  Sainte  Eucharistie, 
lui  attribue  jusqu'à  dix  fois  la  vertu  de  communiquer  la  vie  -. 
S.  Augustin  dit  dans  un  sermon  :  «  Boire  ce  calice,  qu'est-ce, 
«  sinon  vivre?  Mangez  la  vie,  buvez  la  vie  et  vous  aurez  la  vie, 
«  mais  la  vie  complète  ^.  »  Dans  le  canon  de  la  messe,  un  peu 
après  la  consécration,  le  prêtre  prononce  ces  paroles  :  «  Pain  sa- 
«  cré  de  vie  éternelle,  et  calice  de  perpétuel  salut  :  »  Panem 
sanctuni  vitx  œternœ  et  calieeni  salutis  perpetuœ. 

Notre  divin  Sauveur  nous  affirme  que  sa  chair  est  véritable- 
ment une  nourriture  et  son  sang  véritablement  un  breuvage  : 
Caro  mea  vere  est  cibus,  et  sanguis  meus  vere  est  potus.  S.  Bo- 
naventure demande  pourquoi  Jésus-Christ  dit  de  sa  chair  qu'elle 
e&i  véritablement  une  nourriture?  et  il  répond  avec  S.  Augustin  : 
«  Les  hommes  désirent  des  aliments  et  de  la  boisson,  pour  n'avoir 
«  plus  ni  faim  ni  soif.  Or,  un  seul  aliment  et  un  seul  breu- 
«  vage  peuvent  produire  cet  effet  dans  toute  sa  vérité;  c'est  l'ali- 
«  ment  et  c'est  le  breuvage  qui  rendent  immortel  celui  qui  les 
«  prend  ^  » 

Si  donc  nous  voulons  vivre,  mais  vivre  d'une  vie  bienheureuse 
et  qui  n'aura  pas  de  fin,  répondons  aux  ardents  désirs  de  notre 
adorable  Jésus.  Mangeons  le  pain  qu'il  nous  a  préparé  et  buvons 
le  vin  qu'il  nous  offre.  Mais  nous  savons  que  pour  nous  asseoira 
la  table  du  divin  Hoi,  il  faut  en  être  digne.  Éprouvons-nous  nous- 
mêmes,  puis  mangeons  de  ce  pain,  buvons  à  ce  calice  et  nous 
vivrons  de  la  vie  même  de  Jésus.  Il  nous  a  dit  :  «  Celui  qui 
«  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi,  et  moi 

\.  Operamini  non  cihum  qui  périt  sed  qui  permanet  in  vitam  seternam, 
quem  Filius  hominis  dabit  vobis;  hune  enim  Pater  signavit  Deus.  (Joann., 
VI,  27.) 

2.  Decies  reperitur  hic  actus  vivificandi  et  attribuitur  pani.  (S.  Bonavent. 
in  Joann.) 

'i.  llium  bibere  quid  est  nisi  vivere?  Manduca  vitam,  bibe  vitam,  habebis 
Yit.'im  et  intégra  est  vila.  (S.  August.,  serm.  II  de  Verbis  Apost.) 

■4.  Quaerilur  quid  ait  :  Vere  est  cilms?YA  ad  hoc  respondet  Augustinus,  quod 
cibos  et  potus  idée  appetunt  liomines,  ut  non  esuriant  neque  sitiant,  hoc  au- 
tem  non  praeslat  veraciter,  nisi  iste  cibus  et  potus,  qui  eos  a  quibus  sumitur, 
immortales  facit.  (S.  Bonav.  in  Joann.) 


J 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-UAS.      711 

«  en  lui  K  »  Pouvail-il  trouver  un  moyen  plus  efficace  de  nous 
faire  vivre  qu'en  s'incorporant  à  nous,  lui  qui  est  la  vie  substan- 
tielle? Aussi  ajoute-t-il  :  «  Comme  mon  Père  qui  est  vivant  m'a 
«  envoyé  et  que  moi  je  vis  par  mon  Père,  ainsi  celui  qui  me 
((  mange  vivra  aussi  par  moi  2.  »  Sa  vie  sera  parfaite,  car  c'est 
Jésus  qui  vivra  en  lui;  et  cette  vie  parfaite  ici-bas  sera  le  gage 
de  la  résurrection  future,  et  le  commencement  d'une  éternité  de 
vie  bienheureuse  ;  car  notre  divin  Sauveur  dit  encore  :  ^  Qui 
«  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  a  la  vie  éternelle,  et  je  le 
«  ressusciterai  au  dernier  jour  3.  » 

II. 

LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI- 
BAS,  NOUS  FAIT  AIMER  LES  CHOSES  DU  CIEL,  MÉPRISER  CELLES  DE 
LA   TERRE    ET   GOUTER   LA    SUAVITÉ    DES    BIENS    SPIRITUELS. 

S.  Thomas  ^  constate  que  Dieu  a  suivi  une  progression  toujours 
croissante  dans  les  bienfaits  qu'il  a  départis  à  l'humanité,  et  si- 
gnale les  degrés  par  lesquels  la  souveraine  libéralité  du  Seigneur 
s'est  élevée  jusqu'à  le  faire  se  donner  lui-même  à  nous  comme 
notre  nourriture. 

Le  premier  degré  de  la  munificence  divine  envers  nous  a  été 
la  création  du  ciel  et  de  la  terre.  C'est  pour  l'homme  qu'il  a  fait 
ce  monde  visible  et  tout  ce  qu'il  contient.  On  lit  dans  le  Deutéro- 
nome  :  «  Le  Seigneur  votre  Dieu  a  créé  le  soleil,  la  lune  et  tous 
«  les  astres  du  ciel  pour  le  service  de  toutes  les  nations  qui  sont 
«  sous  le  ciel  ^.  »  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dit  lui-même  que 
notre  Père  céleste  qui  est  dans  le  ciel  fait  lever  son  soleil  sur  les 
bons  et  sur  les  méchants  ^. 

A  ce  premier  degré  de  libéralité  envers  nous.  Dieu  en  a  joint 

1.  Qui  manducat  meam  carnein,et  bibit  meum  sanguinem,  in  me  nianetet 
ego  in  illo.  (Joann.,  vi,  47.) 

2.  Sicut  rnisit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter  Patrem  ;  et  qui  mandu- 
cat me,  et  ipse  vivel  propter  me.  {Id.,  58.) 

3.  Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem  babet  vitam 
seternam,  et  ego  resuscitabo  eum  in  novissimo  die.  {Id.,  fJ.'i.) 

4.  Of)usc.  LVIl,  de  Vencra/i.  Sncram.  A/l(iris,  cap.  v. 

5.  Solem  et  lunam  et  omnia  astra  cœli  creavit  Dominus  Deus  tuus  in  mi- 
nisterium  cunctis  genlibusquae  sub  cœlo  sunt. 

t).  (Ut  sitis  tilii)  Palris  vcstri  qui  in  cœlis  est  :  qui  solem  suum  oriri  facit 
super  bonos  et  inalos.  {Mtitlh.,  v,  i'6.) 


712         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —   if  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.   XV. 

un  second  :  il  a  donné  à  l'homme,  pour  le  servir,  les  plus  nobles 
des  créatures,  créatures  raisonnables  et  célestes  qui  sont  les  anges. 
S.  Paul  nous  le  dit  en  ternies  exprès  dans  l'Épître  aux  Hébreux  : 
«  Les  anges  ne  sont-ils  pas  tous  des  esprits  chargés  d'un  minis- 
«  tère,  et  envoyés  pour  l'exercer  en  faveur  de  ceux  qui  recueille- 
«  ront  l'héritage  du  salut  ^?  »  Et  de  fait,  nous  voyons  dans  la 
Sainte  Écriture  que  souvent  ils  ont  rendu  des  services  aux  hom- 
mes. Ils  continuent  d'en  rendre  chaque  jour,  convertissant  les 
pécheurs,  les  préservant  des  maux  qui  les  menacent,  et  condui- 
sant les  justes  au  ciel. 

Le  troisième  degré  de  la  libéralité  de  Dieu  envers  les  hommes 
est  de  s'être  donné  lui-même  à  nous,  en  se  faisant  le  compagnon 
de  notre  pèlerinage  ici-bas.  «  C'est  lui  qui  est  notre  Dieu;  c'est 
«  lui  qui  a  trouvé  la  voie  de  la  vraie  science  et  qui  l'a  donnée  à 
«  Jacob,  son  serviteur,  et  à  Israël  son  bien-aimé  2,  »  dit  Baruch;  le 
prophète  ajoute  :  «  Après  cela,  il  a  été  vu  sur  la  terre,  et  il  a  de- 
«  meure  avec  les  hommes.  »  C'est  absolument,  remarque  S.  Tho- 
mas, comme  s'il  disait  :  Dieu  a  donné  aux  hommes  des  préceptes 
pour  qu'il  ne  s'écarte  jamais  d'une  vie  honnête  et  juste  pendant 
son  pèlerinage  sur  la  terre;  et  pour  qu'il  ne  lui  semblât  pas  trop 
pénible  de  suivre  cette  voie,  il  s'est  fait  homme  et  s'est  associé 
ainsi  à  notre  pèlerinage  ici-bas. 

On  lit  dans  S.  Luc  :  «  Jésus  parcourait  les  villes  et  les  villages, 
«  prêchant  et  annonçant  le  royaume  de  Dieu  ;  et  les  douze  étaient 
«  avec  lui,  ainsi  que  quelques  femmes  qu'il  avait  délivrées  desesprits 
«  malins  et  de  leurs  maladies  3.  »  Lui  qui  est  la  bonté  elle-même 
de  Dieu,  il  réconforta  par  sa  divine  parole  ceux  dont  il  s'était  fait 
le  compagnon;  il  les  délivra  des  dangers  qui  les  menaçaient:  il 
guérit  leurs  maladies;  il  ressuscita  leurs  morts, 

Cependant  ce  n'était  pas  encore  à  ce  degré  déjà  si  haut  que  la 
munificence  de  Dieu  pour,  les  hommes  devait  s'arrêter  :  elle  en 
atteignit  un  quatrième.  Le  Fils  de  Dieu,  devenu  notre  compagnon, 

4.  Nonne  omnes  sunt  (angeli)  administratorii  spiritus  in  ministerium  missi 
propter  eos  qui  haereditatem  capiunt  salutis.  {I/ebr.,i,  M.) 

"■1.  Hic  est  Ueus  noster....  Hic  invenit  omnem  viam  disciplinas  et  tradidit 
illam  Jacob  puero  suo,  et  Israël  dilecto  suo.  Post  haec  in  terra  visus  est  et 
cum  hominibus  conversatus  est.  {lifintrh,  m,  88.) 

3.  Kl  ipse  iter  faciebat  per  civitates  et  castella  praedicans  et  evangelizans 
regnum  Dei,  et  duodecim  cum  illo,  et  mulieres  aliquae  quœ  erant  curatae  a 
spiritibus  malignis  et  infirmitatibus.  {Luc,  viii,  i,  2.) 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.       713 

voulut  être  notre  serviteur  dans  nos  besoins.  «  Il  s'est  abaissé 
<  lui-même,  prenant  la  forme  d'un  esclave  ',  »  dit  S.  Paul.  Il 
s'est  fait  le  serviteur  de  tous,  donnant  à  manger  à  ceux  qui  avaient 
faim,  à  boire  à  ceux  qui  avaient  soif;  il  a  lavé  les  pieds  de  ses 
apôtres,  et  il  a  fait  cette  déclaration  :  «  Le  Fils  de  l'homme  n'est 
t  pas  venu  pour  être  servi,  mais  pour  servir  ~.  » 

Le  Roi  du  ciel  et  de  la  terre,  le  Verbe  divin  fait  homme  pour 
être  le  serviteur  des  hommes!  La  bonté  de  Dieu  pouvait-elle  aller 
plus  loin,  et  sa  générosité  franchir  un  cinquième  degré?  L'apôtre 
S.  Paul  nous  répond  :  «  Le  Christ  nous  a  aimés  et  s'est  livré  lui- 
«  même  pour  nous,  en  oblation  à  Dieu  et  en  hostie  de  suave 
«  odeur  ^.  »  Déjà  le  Seigneur  lui-même  avait  dit  :  «  Le  Fils  de 
«  l'homme  est  venu  pour  donner  sa  vie  pour  la  rédemption  d'un 
«  grand  nombre  ^.  » 

Nous  arrivons  enfin,  toujours  à  la  suite  de  S.  Thomas,  au  sixième 
et  suprême  degré  de  la  libéralité  dont  le  Verbe  de  Dieu  a  voulu, 
ou  plutôt  dont  il  a  pu  user  envers  nous  :  car  tout  Dieu  qu'il  soit, 
pouvait-il  faire  davantage?  Le  Père  Éternel  nous  a  donné  son  Fils, 
et  le  Fils  lui-même  s'est  donné  à  nous  pour  être  notre  nourriture. 
C'est  à  cet  acte  de  bonté  incompréhensible  et  que  lui  seul  pouvait 
accomplir,  que  le  Seigneur  fait  allusion,  lorsqu'il  dit,  par  la 
bouche  du  prophète  Osée  :  «  Et  moi,  comme  le  père  nourricier 
«  d'Éphraïm,  je  les  portais  dans  mes  bras,  et  ils  n'ont  pas  com- 
«  pris  que  je  prenais  soin  d'eux.  Je  les  attirais  par  les  attaches 
«  d'Adam,  par  les  liens  de  la  charité,  et  je  serai  pour  eux  comme 
«  celui  qui  enlèverait  le  joug  de  dessus  leurs  joues,  et  je  me  suis 
«  tourné  vers  lui  afin  qu'il  eût  à  manger  ^  »  Mais  le  prophète  ne 
savait  pas  quelle  serait  la  nourriture  que  Dieu  donnerait  à  ceux 
dont  il  voulait  être  le  père  nourricier,  à  ceux  qu'il  porterait  dans 
ses  bras  et  dont  il  s'efibrcerait  d'attirer  l'amour,  en  leur  montrant 
de  mille  manières  combien  il  les  aimait  lui-même.  Notre-Seigneur 

i.  Semetipsuin  exinnnivit,  formnm  servi  accipiens.  [Philipp.,  ii,  7.) 

2.  Filins  tioniiiiis  non  venit  ininistrari  sed  minislrare.  [Matth.,  xx,  28.) 

3.  Chrislns  dilexit  nos,  et  Iradidil  semetipsum  pro  nobis  oblationem  et  hos- 
tiam  Dec  in  odorem  suavitalis.  [Hplies.,  v,  2.) 

4.  Filins  hominis  (venit)  dare  animam  suani  redemplioncm  pro  multis. 
(Matth.,  XX,  28.) 

U.  Et  ego  quasi  nutricius  Ephraim  portabam  eos  in  l)rncliiis  meis,  et  nes- 
cierunt  qiiod  curarem  eos.  In  funiculis  Adam  Iraham  eos,  in  vinculis  chari- 
tatis;  et  oro  eis  quasi  exallans  jugum  super  niaxillas  coruni,  et  declinavi  ad 
eum  nt  vesceretur.  {Ose.,  \i,  :$,  i.) 


714  LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —   11"  PARTIE.  —    LIVRE   11.   —    CHAP.   XV. 

Jésus-Christ  nous  dit  de  quel  aliment  il  entend  nous  nourrir  : 
«  C'est  moi  qui  suis  le  pain  de  vie.  Vos  pères  ont  mangé  la  manne 
«  dans  le  désert  et  sont  morts.  Voici  le  pain  qui  descend  du  ciel, 
«  afin  que  si  quelqu'un  en  mange,  il  ne  meure  point.  Je  suis  le 
«  pain  vivanl,  moi  qui  suis  descendu  du  ciel.  Si  quelqu'un  mange 
«  de  ce  pain,  il  vivra  éternellement  :  et  le  pain  que  je  donnerai, 
«  c'est  ma  chair  pour  la  vie  du  monde  '.  »  C'est  donc  le  Fils  de 
Dieu  fait  homme  qui  se  donne  à  nous  pour  nous  servir  d'aliment. 
Et  parce  qu'il  s'agit  d'une  manducation  réelle  et  non  pas  seu- 
lement spirituelle  ou  figurative,  il  a  soin  de  dire  et  de  répéter 
plusieurs  fois,  dans  le  même  discours,  que  c'est  sa  chair  qu'il 
nous  donne,  que  c'est  elle  qui  est  véritablement  pour  nous  une 
nourriture  et  que  son  sang  est  véritablement  un  breuvage  :  Caro 
mea  vere  est  cibus,  et  sanguis  meus  vere  est  potus.  «  Le  Sei- 
«  gneur  qui  est  le  bon  pasteur,  dit  S.  Grégoire,  a  donné  sa  vie  pour 
«  SCS  brebis,  afin  qu'en  changeant  en  notre  sacrement  son  corps  et 
«  son  sang,  il  pût  nourrir  et  rassasier  de  sa  propre  chair  les  brebis 
«  qu'il  avait  rachetées  -.  »  Agir  ainsi,  n'était-ce  pas  faire  preuve 
d'un  amour  porté  jusqu'aux  limites  les  plus  extrêmes?  C'était  beau- 
coup sans  doute  de  se  donner  à  nous  pour  être  le  compagnon  de 
notre  pèlerinage  et  notre  serviteur  âans  nos  besoins;  c'est  plus 
encore  de  se  faire  notre  rédempteur;  ce  don  néanmoins  laisse  une 
séparation  entre  le  donateur  et  celui  qui  reçoit  le  don  ;  au  contraire, 
lorsqu'il  se  livre  à  nous  comme  notre  nourriture,  il  n'y  a  plus 
ombre  de  séparation,  mais  union  parfaite.  En  effet,  la  nourriture 
et  celui  qui  la  prend  s'unissent  pour  n'être  qu'un  seul  corps.  C'est 
ce  que  le  divin  Sauveur  nous  fait  entendre  lorsqu'il  dit  :  «  Celui 
«  qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en 
«  lui.  »  La  Sainte  Eucharistie  est  donc  le  don  par  excellence,  le 
couronnement  de  tous  les  dons  que  le  Seigneur  nous  a  faits,  et  nul 
autre  ne  témoigne  au  môme  point  de  son  amour  pour  nous  3. 

L  Ego  sum  panis  vitœ.  Patres  veslri  manducaverunt  manna  in  deserto,  el 
morlui  sunt.  Hic  est  panis  de  cœlo  descendens  :  ut  si  quis  ex  ipso  manduca- 
verit,  non  moriatur.  Kf,'o  sum  panis  vivus  qui  de  cœlo  descendi.  Si  quis  man- 
ducaverit  ex  hoc  pane,  vivet  in  aeternum  :  et  panis  quem  ego  dabo,  caro  mea 
est  pro  mundi  vita.  {Joann.,  vi,  iH-lj'i.) 

2.  Bonus  pastor  Dominus  an  imam  pro  ovibus  posuit,  ut  in  sacramento  nos- 
tro  corpus  suum,  et  sanguinem  verteret,  et  oves  quas  redemerat,  carnis  suae 
alimento  satiaret.  (S.  Greuor.  Magn.,  hom.  XIV  in  Evang.) 

3.  Magnum  est  enim  dare  se  in  socium  peregrinationis,  et  in  servum  ne- 
cessitatis;  majus  in  pretium  redemptionis,  tamen  taie  donum  adhuc  est  in 


LA  SAINTE  COMMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      715 

En  se  donnant  à  nous  dans  la  sainte  communion,  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  fait  plus  en  notre  faveur  que  le  serpent  infer- 
nal ne  promettait  à  Eve,  en  lui  disant  :  «  Vous  serez  comme  des 
«  dieux  :  »  Eritis  sicutidii.  Il  nous  dit,  en  effet  :  «  Celui  qui  mange 
«  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  :  » 
Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sangiiinem  in  me 
manet  et  ego  in  eo.  Et  S.  Paul  n'hésite  pas  à  dire  :  «  Je  vis,  mais 
«  ce  n'est  plus  moi  qui  vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi  ^  » 
Nous  le  mangeons  :  il  demeure  en  nous  et  nous  demeurons  en  lui  ; 
nous  vivons  de  sa  vie,  ou  plutôt  nous  ne  vivons  plus,  mais  lui  seul 
vit  en  nous.  Sa  vie,  c'est  son  corps,  son  sang  et  son  àme,  sa  vie,  c'est 
sa  divinité,  La  vie  de  l'Homme-Dieu,  vie  divine  et  vie  humaine, 
est  donc  notre  vie.  Pouvons-nous  vivre  de  la  vie  de  Dieu  et  ne 
point  partager  la  divinité  de  celui  qui  est  notre  vie  et  qui  vit  en 
nous?  S.  Paul  nous  donne  cet  avertissement  :  «  Glorifiez  et  por- 
«  tez  Dieu  dans  votre  corps  -.  »  N'est-ce  pas  ce  que  fait  à  la  lettre 
celui  qui  reçoit  dignement  la  très  sainte  communion  ?  Et  en 
même  temps  qu'il  porte  ainsi  Dieu,  son  àme  est  comme  divinisée, 
selon  la  parole  de  Tertullien  :  «  La  chair  est  nourrie  du  corps  et 
«  du  sang  du  Christ,  afin  que  l'àme  aussi  soit  engraissée  de  Dieu  ^.  » 
S.  Bernardin  de  Sienne  s'écrie  :  «Oh!  qu'il  est  suave,  qu'il  est  ai- 
«  mable,  qu'il  est  désirable,  cet  aliment  qui  fait  de  l'homme  un 
«  Dieu.  Vraiment  notre  doux  Jésus  peut  bien  nous  dire  :  Ame  qui 
«  m'appartiens,  qu'ai-je  pu  faire  de  plus  pour  toi  et  que  je  n'ai 
«  pas  fait  ^  ?  » 

Que  pourrait  ne  pas  nous  donner  celui  qui  s'est  livré  lui-même 
à  nous  pour  être  notre  nourriture  ?  celui  qui  nous  communique 
sa  propre  vie  et  sa  divinité,  autant  qu'il  est  possible  à  l'homme 

aliqua  separatione  ab  eo  qui  datur,  sed  cum  dntur  in  cibum,  datur  non  ad 
separationem  aliquam,  sed  ad  omnimodam  unionem.  l'niuntur  enim  in  uni- 
tate  corporis  cibus  et  sumens.  Joann.,  vi,  .'i7  :  Qui  manducat  nieam  carnem 
et  bibit  meum  sanguinem  in  me  manet  et  ego  in  illo.  Et  sic  apparet  in  taU 
dono  summa  largitas  divinai  bonitatis.  (S.  Thom.,  opusc.  L^'I1  de  Venerah. 
Sacram.  Euch.,  cap.  v.) 

1.  Vivo  autem,  jam  non  ego;  vivit  vero  in  me  Christus.  {GnUtt.,  u,  '20.) 

2.  Glorificate  et  portate  Deum  in  corpore  vestro.  (/.  Cor.,  vi,  20.) 

3.  Caro  corpore  et  sanguine  Clirisli  vescitur,  ut  et  anima  de  Deo  saginetur. 
(Tehtull.,  apud  Mansi.) 

4.  0  quain  sapidus,  quam  ainal)ili.s  et  quam  desiderabilis  est  cibus  iste  qui 
hominem  facit  L)euin.\'ere  dicere  nul)is  potest  dulcis  Jésus  :  Quid  ultra,  /nu»ut 
mea,  politi  tihi  farere  et  non  />r/.''(S.  Bemnahd.,  t.  II,  serm.  LIV.) 


716         LA  SAINTE  EUCHARISTIE,  —  H*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAI'.  XV. 

d'y  participer  pendant  cette  vie  mortelle  ?  Tous  les  biens  les  plus 
précieux  accompagnent  nécessairement  pour  nous  ce  couronne- 
ment des  libéralités  divines  en  notre  laveur.  Sans  parler  des  dons 
d'ordre  général  que  nous  avons  énumérés  d'abord  à  la  suite  de 
S.  Thomas,  disons  encore  qu'avec  la  Sainte  Eucharistie,  nous  en- 
trons dès  ici-bas  en  possession  de  la  vie  éternelle  et  bienheureuse, 
et  qu'elle  est  pour  nous  un  gage  de  la  félicité  qui  nous  est  réservée 
au  ciel. 

Annonçant  à  ses  disciples  l'institution  de  l'Eucharistie,  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  leur  affirme  que  ceux  qui  mangeront  sa  chair 
et  qui  boiront  son  sang  posséderont,  dès  la  vie  présente,  la  vie  éter- 
nelle et  bienheureuse.  Il  leur  dit,  en  effet  :  «  Celui  qui  mange  ma 
«  chair  et  qui  boit  mon  sang  a  la  vie  éternelle.  »  Il  ne  parle  pas 
au  futur,  mais  au  présent  :  il  ne  dit  pas  que  celui  qui  mange  sa 
chair  et  boit  son  sang  aura  la  vie  éternelle,  mais  il  affirme  que 
déjà  il  la  possède.  Pourquoi,  sinon  parce  que  la  sainte  communion 
en  est  le  gage,  et  qu'un  gage,  s'il  est  sérieux,  équivaut  à  l'ac- 
complissement même  de  la  promesse?  Un  objet  donné  en  gage, 
pour  assurer  le  paiement  d'une  dette,  doit  être  d'une  valeur  plus 
grande  que  le  montant  de  cette  dette.  Aussi  le  saint  concile  de  Trente 
a-t-il  déclaré  en  propres  termes  que  Jésus-Christ  a  voulu  que  «  le 
«  sacrement  de  l'Eucharistie  soit  le  gage  de  notre  gloire  future  et 
«  de  notre  perpétuelle  félicité  ^.  »  Et  le  prêtre,  au  moment  de  don- 
ner la  sainte  communion,  ne  dit-il  pas  à  chacun  de  ceux  qui  vont 
la  recevoir  :  Corpus  Domini  nostriJesu  Christi  custodiat  ani- 
mam,  tuain  in  vitam  œternam  :  «  Que  le  corps  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  garde  votre  àme  pour  la  vie  éternelle?  »  Le  Psalmiste 
avait  dit  :  «  Les  pauvres  mangeront  et  seront  rassasiés  -.  »  Veut- 
on  savoir  de  quel  rassasiement  il  parlait?  Cet  autre  texte  nous 
l'apprend  :  «  Je  serai  rassasié  lorsque  votre  gloire  m'aura  ap- 
«  paru  -^  »  Les  pauvres,  c'est-à-dire  les  humbles,  et  ceux  qui 
désirent  ardemment  les  biei:s  célestes,  mangeront  le  pain  eucha- 
ristique; ils  seront  rassasiés  de  cet  aliment  divin,  mais  ils  ne  le 
seront  pleinement  qu'au  Jour  où  Dieu  se  montrera  à  eux  dans  sa 
gloire,  c'est-à-dire  lorsqu'ils  posséderont  enfin  le  bonheur  du  ciel. 

1.  Pignus  prœterea  id  esse  voluit  t'ulurse  nostrse  gloriae  et  perpétuas  feli ci ta- 
tis.  {Coruil.  Trident.,  sess.  XIII.) 

2.  Edentpauperes  et  saturabuntur.  [Ps.  xxi,  27.) 

3.  Satiaborcum  apparuerit  gloria  tua.  [Ps.  xvi,  Vô.) 


LA  SAINTE  COMMUNIO.N,  COURONNEMENT  DES  HIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      717 

Aussi  s.  Cyrille  d'Alexandrie  nomme-t-il  la  Sainte  Eucharistie 
«  un  aliment  qui  nourrit  l'immortalité  :  »  Cibum  nutrientem 
immortalitatem  ^  S.  Thomas  d'Aquin  compare  le  sacrement  de 
l'Eucharistie  à  l'arbre  planté  au  milieu  du  paradis  terrestre  :  «  Le 
«  corps  du  Christ,  dit-il,  est  le  fruit  de  vie;  il  a  la  vertu  de  détruire 
«  la  damnation  et  de  procurer  la  vie  éternelle  2;  »  et  S.  Thomas 
de  Villeneuve  dit  après  lui  :  «  Si  vous  trouviez  un  pain  qui  pût 
«  vous  conserver  dans  une  santé  parfaite  jusqu'à  l'âge  de  cent  ans, 
«  ne  l'estimeriez-vous  pas  et  ne  le  garderiez-vous  pas  comme  le 
«  plus  précieux  des  trésors,  comme  la  pupille  de  vos  3''eux?Ne 
«  préféreriez-vous  pas  ce  pain  à  toutes  les  délices  du  monde?  Or 
«  tel  est  le  pain  eucharistique.  Il  donne  à  celui  qui  le  mange,  non 
«  pas  une  vie  de  cent  ans,  mais  une  vie  éternelle,  une  vie  pleine 
«  de  douceur,  une  vie  bienheureuse,  une  vie  dont  le  bonheur  ré- 
«  suite  de  la  plénitude  de  tous  les  biens  s.  »  Et  pour  citer  encore 
une  parole  du  même  saint  :  «  Ce  sacrement  est  le  gage  de  Théri- 
«  tage  éternel  ;  il  est  l'ancre  unique  de  notre  espérance,  l'unique 
«  asile  où  nous  trouvons  notre  consolation  ;  par  lui  nous  avons 
«  confiance  que  nous  serons  un  jour  admis  en  présence  de  Dieu 
«  lui-même,  au  ciel,  dans  le  saint  des  saints  ^.  » 

C'est  pour  nous  faire  désirer  plus  ardemment  ce  bonheur  du 
ciel  que  notre  divin  Sauveur  nous  donne  comme  aliment  de  notre 
âme  son  corps  adorable  qui  en  est  le  gage.  Nourris  de  ce  corps 
sacré,  nous  tendons  nécessairement  vers  le  lieu  où  nous  jouirons 
de  lui  pleinement,  sans  énigme  ni  voiles,  sans  crainte  de  le  perdre 
ni  d'en  être  jamais  privés.  Il  nous  a  dit  lui-même  :  «  En  quelque 
«  lieu  que  soit  le  corps,  les  aigles  s'y  rassembleront  ^  »  Ce  corps 

\.  s.  Cyrill.  Alex.,  lii).  IV  in  Joann. 

2.  Corpus  Ghristi  est  fructus  vitse,  valens  ad  destructionem  gehennae  et  acqui- 
sitionem  vitae  seternae.  (S.  Tuom.,  opusc.  LVII  de  Venerah.  Sncrom.  Altaris.) 

3.  Quid  si  panem  quemdam  invenires,  qui  vitam  tuam  per  cenlum  annos 
servaret  incolumem,  numquid  illuin  quovis  thesauro  fïratiorem  haberes  et 
custodires"?  Numquid  non  sicut  oculi  pupillam  panem  illum  servares?  Nonne 
illum  omnibus  mundi  deliciis  anteponeres?  Talis  autem  est  Panis  eucharisti- 
cus.  Hic  panis  vitam  edenti  priestat,  non  centenariam,  sed  œternam  vitam, 
jucundam  vitam,  omnium  bonorum  plenitudine  felicissimam.  (S.  TiiOM. 
ViLLAN.,  conc.  I  in  /'est.  Corjior.  Christ.) 

4.  Hoc  sacramentum  est  i)ignus  œternge  haereditatis,  hcEC  unica  anchora 
spei  nostne,  hoc  unicum  solatii  nostri  asylum,  per  hoc  ad  Dei  conspectum 
intrasancta  sanctorum  ca'Iestes  confidimus  introire.  (h).,  conc.  lUde  Saeiom.) 

V).  Ubicumque  fuerit  corpus,  iUic  congregabuntur  et  aquilœ.  (.l/rt///i.,  xxiv, 
28.) 


718  LV  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XV. 

adorable  est  au  ciel.  C'est  un  lieu  bien  éloigné,  c'est  une  élévation 
bien  sublime  pour  de  pauvres  créatures  comme  nous  ;  mais  sa 
grâce  nous  donne  des  ailes.  Nourris  de  lui,  nous  ne  rampons  plus 
sur  la  terre;  nous  sommes  des  aigles  et  rien  n'arrêtera  notre  vol, 
jusqu'à  ce  que  nous  ayons  atteint  le  lieu  où  réside,  dans  toute  sa 
gloire  et  son  bonheur,  celui  qui  s'est  fait  notre  aliment  ici-bas  et 
dont  nous  avons  expérimenté  l'infinie  douceur  :  car,  «  en  quelque 
a  lieu  que  soit  le  corps,  les  aigles  s'y  rassembleront.  »  L'expé- 
rience de  chaque  jour  démontre  que  les  âmes  véritablement 
pieuses  qui  reçoivent  souvent  la  sainte  communion  se  détachent 
aisément  des  choses  de  la  terre  ;  le  ciel  les  attire  et  leurs  pensées 
s'élèvent  naturellement  vers  Dieu  comme  vers  leur  centre.  La 
Sainte  Écriture  rapporte  que  le  saint  patriarche  Abraham,  après 
avoir  vaillamment  combattu  pour  délivrer  Loth  son  neveu,  et  avec 
lui  une  foule  d'autres  prisonniers  que  plusieurs  rois  ennemis 
emmenaient  de  Sodome  en  captivité,  répondit  au  roi  de  Sodome 
qui  lui  ofl'rail  toutes  les  dépouilles  reprises  sur  les  ennemis  vaincus  : 
«  Je  lève  ma  main  vers  le  Seigneur,  Dieu  très  haut,  possesseur  du 
«  ciel  et  de  la  terre,  que,  depuis  le  fil  de  la  trame  jusqu'à  la  cour- 
t  roie  d'une  chaussure,  je  ne  recevrai  rien  de  toi,  afin  que  tu  ne 
«  dises  pas  :  J'ai  enrichi  Abraham  K  »  Pourquoi  ce  refus? 
Abraham  n'avait  pas  témoigné  jusque-là  un  semblable  mépris  des 
richesses;  il  en  avait  au  contraire  amassé  beaucoup,  puisque  ses 
serviteurs  seuls  suffisaient  pour  former  une  petite  armée,  et 
l'Écriture  nous  dit  qu'il  était  très  riche  et  possédait  beaucoup  d'or 
et  d'argent  2.  Mais  il  s'était  accompli  un  fait  mystérieux  :  Melchi- 
sédech,  roi  de  Salem  et  prêtre  du  Très-Haut,  avait  offert  en  sa 
présence  un  sacrifice  de  pain  et  de  vin  ;  il  avait  béni  le  saint  pa- 
triarche et  reçu  de  lui  la  dime  de  tout  3.  Le  sacrifice  de  Melchi- 
sédech  était  la  figure  et  la  prophétie  du  sacrifice  de  nos  autels. 
Abraham  avait  communié  à  cette  figure,  comme  on  le  faisait  lors- 
qu'on olfrait  des  sacrifices,  et  Dieu  lui  avait  communiqué  par 
avance  quelques-unes  des  grâces  réservées  à  ceux  qui,  plus  tard, 
mangeraient  et  boiraient  le  pain  et  le  vin  qui  sont  le  corps  et  le 

1.  Levo  manum  mcam  ad  Dominuin  Deum  excelsum,  possessorem  C(i;li  et 
terrae  :  quod  a  filo  sultlegminis  usqiie  ad  corrigiam  caligae,  non  accipiam  ex 
omnil)Us.  (Geties.,  xiv,  :2-2.) 

2.  Erat  aiitpm  dives  valde  in  possessione  auri  et  argenti.  {Id.,  xiii,  "2.) 

3.  Melcliisedecli  rex  Salem  proferens  panein  et  vinum,  erat  enim  sacerdos 
Dei  altissimi,  benedixitei.  (Iil.,  mx,  US,  lî).) 


LA  SAINTE  CONrMUNION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      719 

sang  de  son  divin  Fils.  Le  détachement  des  biens  de  la  terre  lut 
le  résultat  de  cette  communion  figurative,  faite  par  le  saint  pa- 
triarche. 

L'amour  des  biens  de  la  terre  est  incompatible  avec  la  sainte 
communion  pieusement  et  fructueusement  faite.  Nul  ne  peut  ser- 
vir à  la  fois  ces  deux  maîtres  qui  sont  Dieu  et  l'argent.  Xotre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  nous  en  avertit  en  propres  termes,  et  dans  la 
parabole  de  ceux  qui  refusent  de  venir  prendre  part  au  repas 
somptueux  qui  leur  a  été  préparé,  il  nous  montre  quels  obstacles 
les  attachements  terrestres  mettent  à  la  participation  au  grand 
festin  de  l'Eucharistie,  dont  celui  de  l'Évangile  est  la  figure  K 
Qu'allègue  en  effet  le  premier  qui  refuse  de  se  rendre  à  l'invita- 
tion? Il  dit  :  «  J'ai  acheté  une  maison  de  campagne,  et  il  faut 
a  que  j'aille  la  voir.  »  Le  second  a  acheté  des  bœufs  qu'il  désire 
essayer.  Un  troisième  allègue,  pour  justifier  son  refus,  qu'il  vient 
de  prendre  une  épouse.  Les  biens,  les  intérêts,  les  jouissances  de 
la  terre  les  retiennent.  S'ils  faisaient  un  effort  sur  eux-mêmes;  si, 
pour  un  moment,  ils  secouaient  le  joug  qui  les  opprime  et  prenaient 
la  place  que  Dieu  leur  offre  à  son  divin  banquet,  ils  y  trouveraient 
la  force  de  conserver  leur  liberté  et  de  vivre  en  enfants  de  Dieu, 
qui  aspirent  à  l'héritage  céleste,  et  non  pas  aux  misérables  choses 
qu'on  appelle  ici-bas  richesses,  dignités,  plaisirs. 

Mais  si  les  riches,  c'est-à-dire  ceux  qui  font  passer  l'amour  des 
choses  de  ce  monde  avant  celui  des  biens  célestes,  s'excluent  eux- 
mêmes  de  la  table  du  divin  Roi,  les  pauvres,  ceux  qui  n'ont  aucun 
attachement  pour  ce  que  le  monde  aime,  se  rendent  avec  empres- 
sement au  banquet  céleste  qui  leur  est  préparé,  et  les  délices 
qu'ils  y  trouvent  les  éloignent  de  plus  en  plus  de  tout  désir  ter- 
restre ;  car  ils  éprouvent  la  vérité  de  la  parole  du  sage  :  «  Vous 
a  leur  avez  donné  un  pain  venant  du  ciel,  renfermant  en  soi  tout 
a  ce  qui  plaît  2.  » 

Salomon  avait  sans  doute  en  vue  la  manne  dont  Dieu  nourrit  le 
peuple  juif  dans  le  désert,  lorsqu'il  écrivit  ces  paroles  que  nous 
venons  de  rapporter,  mais  le  Saint-Ksprit  qui  l'inspirait  annonçait, 
sous  cette  figure,  un  autre  pain  inliniment  meilleur  encore,  le 
pain  eucharistique,  dont  S.  Cyprien  dit  quelque  part  :  «  Sa  saveur 

i.  Luc,  \iv,  passim. 

'■2.  Paratiim  panein  de  cœlo  praestitisti,  omne  deleclamentum  in  se  haben- 
tem.  [Saj).,  \vi,  -20.) 


7:20         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XV. 

€  est  plus  délicieuse  que  celle  de  la  manne  ;  elle  satisfait  l'appétit 
«  de  ceux  qui  la  mangent  et  les  rassasie  ;  la  saveur  des  viandes  les 
«  mieux  préparées  n'a  rien  qui  excite  au  même  point;  sa  douceur 
«  surpasse  toutes  les  douceurs  '.  »  Et  comment  n'en  serait-il  pas 
ainsi?  C'est  l'Esprit  saint  qui  donne  lui-même  à  l'Eucharistie  sa 
douceur  et  sa  suavité.  Or,  le  B.  Albert  le  Grand  fait  cette 
remarque  :  «  Il  est  dit  de  la  bonté  du  Saint-Esprit  par  laquelle  cet 
«  aliment  est  préparé,  qu'il  est  l'objet  de  la  délectation  du  Père  et 
«  du  Fils,  la  suavité  qu'ils  goûtent.  Nous  lisons  en  effet  au  livre 
«  de  la  Sagesse  :  Qu'il  est  bon  et  suave,  votre  Esprit,  ô  Sei- 
«  gneur  -  !  » 

On  lit  dans  la  vie  de  S.  Philippe  de  Néri  que  la  douceur  qu'il 
trouvait  à  consommer  les  saintes  Espèces  était  si  grande  qu'il  ne 
pouvait  éloigner  ses  lèvres  du  calice  dont  il  usait  non  seulement  la 
dorure,  mais  l'argent  même  de  la  coupe.  On  le  comprend  lorsqu'on 
médite  ces  autres  paroles  du  B.  Albert  le  Grand  :  «  Quelle  pensez- 
«  vous  que  soit  la  douceur  du  sang  de  ce  sacrement,  qui  a  coulé 
0  d'une  fontaine  si  douce  et  qui,  puisé  à  cette  fontaine,  a  été 
a  transfusé  dans  un  vase  si  doux?  Car  la  source  de  ce  sang  fut  le 
«  sang  contenu  dans  les  veines  de  la  glorieuse  Vierge,  et  c'est  le 
«  Saint-Esprit  qui  l'a  puisé  à  cette  source.  Le  vase  dans  lequel  il  a 
«  été  versé  est  le  corps  du  Seigneur  ;  or,  c'est  de  là  qu'il  coule  dans 
«  le  sacrement,  et  du  sacrement  dans  le  cœur  des  fidèles  '^.  » 

Isaïe,  le  prophète  évangéliste,  comme  on  l'a  nommé,  parce  qu'il 
annonçait  avec  une  clarté  saisissante  les  mystères  futurs  de  la  loi 
nouvelle,  nous  adresse  cette  exhortation  :  «  Mangez  une  bonne 
«  nourriture  et  votre  àme  se  délectera  en  s'en  engraissant  *.  » 
Est-ce  donc  que  le  prophète  nous  exciterait  à  la  gourmandise  ?  On 

i.  Sapit  ainplius  quam  manna,  implet  et  sapit  edentium  appetitiis  et  omnia 
carnalium  saporum  irritainenta,  et  omnium  exsuperat  dulcedinum  voluptates. 
(S.  Cyprian.,  de  Cœtm  Domini.) 

^1.  De  honitate  Spiritus  sancti  per  quam  iste  cibus  est  conditus,  quia  ipse 
est  Patris  et  l'ilii  deleclatio  et  condimentum,  ut  dicitur,  Sap.,  xii  :  0  quam 
bonus  etsuavisest,  Domine,  Spiritus  tuus.  (B.  Alijert.  Magn.,  de  Euchar.) 

3.  Quantœ  putas  dulcedinis  est  sanguis  hujus  sacramenli,  qui  de  tam  dulci 
fonte  manavit,  et  a  tam  dulci  fonte  haurienle  in  tam  dulce  vas  est  transfusus? 
Tons  enim  liujus  sanj^uinis  est  sanguis  in  visceriljus  gloriosae  Virginis  con- 
tcntus;  hauriens  hune  fontem  Spiritus  sanctus  est;  vas  in  quod  transfunditur, 
corpus  Dominicum  est,  ex  quo  eliam  manat  in  Sacramentum  et  ex  Sacra- 
mento  in  corda  fidelium.  (lu.,  dist.  m,  tract.  4.) 

4.  Comedite  bonuin,  et  delectal)itur  in  crassitudine  anima  vestra.  {ha., 
i-v,  2.) 


à 


LA  SAINTE  COMMONION,  COURONNEMENT  DES  BIENFAITS  DE  DIEU  ICI-BAS.      721 

ne.  saurait  l'admettre  et  il  faut  chercher  le  sens  spirituel  que 
recèlent  ses  paroles.  Un  autre  prophète,  Zacharie,  nous  le  fait 
connaître  lorsqu'il  dit  :  «  Qu'est-ce  que  le  Seigneur  a  de  bon  et  de 
«  beau,  sinon  le  froment  des  élus  et  le  vin  qui  fait  germer  les 
«  vierges  i?»  c'est-à-dire  la  Sainte  Eucharistie.  L'Ecclésiaste parle 
à  peu  près  comme  le  prophète  Isaïe  :  «  J'ai  donc  loué  la  joie,  dit-il, 
«  parce  qu'il  n'était,  pour  l'homme,  rien  de  meilleur  sous  le  soleil 
«  que  de  manger,  de  boire  et  de  se  réjouir  ~.  »  Des  philosophes 
païens  ont  pris  cette  maxime  à  la  lettre  pour  règle  de  conduite, 
et  trop  de  gens,  hélas  î  les  imitent  en  ce  point;  mais  l'Apôtre  nous 
déclare  que  «  le  royaume  de  Dieu  ne  consiste  pas  dans  le  boire  et 
«  dans  le  manger  3,  »  et  Salomon,  le  plus  sage  des  rois,  ne  pou- 
vait pas  enseigner  la  doctrine  d'Épicure.  Le  véritable  sens  de  ces 
paroles  nous  est  révélé  par  ce  commentaire  de  S.  Thomas  :  «  Tai 
«  loué  par-dessus  tout  la  joie,  mais  la  joie  véritable,  parce  qu'il 
a  n'était  pour  rhomme  rien  de  meilleur  sous  le  soleil,  en  ce 
«  monde,  que  de  manger  le  pain  qui  est  descendu  du  ciel,  et  de 
«  boire  le  vin  qui  réjouit  le  cœur  de  l'homme,  c'est-à-dire  le 
«  sang  du  Seigneur  ^.  »  C'est  à  ce  pain,  c'est  à  ce  vin  que  se  rap- 
portent uniquement  les  paroles  dictées  à  l'Ecclésiaste  par  l'Es- 
prit de  Dieu  ;  c'est  dans  la  Sainte  Eucharistie  que  sont  renfermées 
ces  délices  incomparables,  auprès  desquelles  toutes  les  jouissances 
que  procurent  les  choses  de  la  terre  ne  sont  rien.  L'àme  ne  peut 
trouver  qu'en  Dieu  seul  une  joie  véritable,  car  il  est  «  le  Dieu  de 
«  toute  consolation  ^,  »  et  c'est  dans  l'Eucharistie  qu'il  communique 
le  plus  largement  ses  consolations  et  ses  joies,  parce  qu'il  s'y 
donne  lui-même  tout  entier  à  ceux  qui  reçoivent  cet  auguste  sa- 
crement. 

Aussi  voyons-nous  dans  la  vie  des  saints  mille  exemples  de  ces 
douceurs  infinies  dont  souvent  il  plaisait  au  Seigneur  de  les  favo- 
riser lorsqu'ils  communiaient.   Pour  ne  citer  que  sainte  Marie- 

1.  Quid  enim  bonum  ejus  est,  et  quid  pulchrum  ejus,  nisi  frumentiim  elec- 
torum  et  vinuni  germinans  virgines  ?  (Zachar.,  ix,  17.) 

2.  Laudavi  igitur  laetitiam,  quod  non  esset  homini  bonum  sub  sole  nisi 
quod  comederet  et  biberet,  atque  gauderet.  (Eccle.,  vm,  lîJ.) 

3.  Non  est  regnum  Dei  esca  et  potus.  {liom.,  xiv,  17.) 

•i.  Laudavi  prae  omnibus  Icctiliam  veram,  quod  non  esset  homini  sub  sole 
melius  m  hoc  miindo,  nisi  quod  comederet  panem,  scilicet  qui  de  cœlo  descen- 
dit, et  biberet  vinum,  qui  laetificat  cor  liominis,  scilicet  satigtiinem  iJomini. 
(S.  Thom.,  opusc.  LVIl.) 

\j.  Deus  tolius  consolationis.  (//.  Cor.,  i,  3.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  46 


722         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XVI. 

Madeleine  de  Pazzi,  toute  jeune  encore  et  avant  de  pouvoir  être 
admise  elle-même  à  la  sainte  table,  elle  éprouvait  une  jouissance 
indicible  à  se  presser  sur  le  sein  de  sa  mère,  les  jours  où  cette 
pieuse  mère  avait  communié,  et  comme  on  lui  en  demandait  la 
raison,  elle  répondait  simplement  :  Je  sens  l'odeur  de  la  divinité. 
C'est  que,  selon  l'explication  que  S.  Laurent  Justinien  donne  de  ces 
paroles  de  la  Sagesse  :  «  Mes  délices  sont  d'être  avec  les  enfants 
«  des  hommes,  »  ce  n'est  pas  tant  pour  y  trouver  des  délices  que 
pour  nouscommuniquer  les  siennes,  que  notre  divin  Sauveur  se  plaît 
avec  nous  ^  Mais  il  ne  peut  se  plaire  avec  nous,  il  ne  peut  nous 
faire  part  de  ses  joies  ineffables  que  si  nous  nous  efforçons  de  lui 
rendre  agréable  le  séjour  qu'il  daigne  faire  en  nous. 


CHAPITRE  XVI 

DE  LA  PRÉPARATION  A  LA  SAINTE  COMMUNION  ET  DE  LA  CONDUITE  A  TENIR 
APRÈS    L'AVOIR   FAITE 

L  Dispositions  essentielles.  —  II.  Dispositions   souhaitables.  —  III.  Action  de  grâces 
et  condaite  à  tenir  après  la  sainte  communion. 

I. 
DISPOSITIONS   ESSENTIELLES    POUR   BIEN   FAIRE   LA   SAINTE   COMMUNION 

On  lit  au  livre  de  l'Ecclésiastique  :  «  Ceux  qui  craignent  le  Sei- 
«  gneur  prépareront  leur  cœur,  et,  en  sa  présence,  ils  sanctifieront 
«  leurs  âmes  -.  »  L'auteur  inspiré  de  ce  livre  ne  pensait  qu'à  la 
présence  de  Dieu,  qui  est  partout  en  vertu  de  son  essence.  Cepen- 
dant il  regardait  comme  inadmissible  que  ceux  qui  ont  la  crainte 
de  Dieu  ne  veillent  pas  sur  eux-mêmes,  et  ne  s'efforcent  pas 
d'être  dignes  de  paraître  devant  lui.  A  combien  plus  forte  raison 
cette  préparation  lui  eût-elle  paru  indispensable,  s'il  s'était  agi  de 
s'approcher  du  Dieu  fait  homme,  de  le  toucher,  de  se  nourrir  de  sa 

1.  Exhibuit  .se  ut  tecum  habitet,  ut  de  te  laetetur;  suis  tecum  deliciis  per- 
fruatur,  quemadmodum  in  Sapientiae  volumine  testatur  dicens  :  Et  delicix 
mex  esse  cum  filiis  hominum;  non  quidem  ut  suas  a  filiis  hominum  captet  de- 
licias,  .sed  ut  cum  filiis  hominum  communicet  proprias.  (S.  Laur.  Just.,  serm. 
de  Euchar.) 

2.  Qui  liment  Dominum  praeparabunt  corda  sua,  et  in  conspectu  illius  sanc- 
tificabunt  animas  suas.  {Eccti.,  u,  20.) 


PRÉPARATION   A  LA   COMMUNION   ET   CONDUITE   APRES   l'aVOIR   FAITE.      723 

chair  adorable  et  de  son  sang  divin,  cachés  sous  les  apparences  du 
pain  et  du  vin  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie? 

On  lit  dans  l'Évangile  selon  S.  Matthieu  qu'après  que  Notre-Sei- 
gneur  eut  expiré  sur  la  croix,  «  quand  il  se  fit  soir,  il  vint  un 
«  homme  riche  d'Arimathie,  du  nom  de  Joseph,  qui  était  disciple 
«  de  Jésus.  Cet  homme  vint  à  Pilate  et  lui  demanda  le  corps  de 
«  Jésus.  Alors  Pilate  commanda  que  le  corps  lui  fût  remis.  Ayant 
«  donc  reçu  le  corps,  Joseph  l'enveloppa  dans  un  linceul  blanc;  et  il 
«  le  fit  mettre  dans  un  sépulcre  tout  neuf  qu'il  avait  fait  tailler 
«  dans  le  roc  ;  ensuite  il  roula  une  grande  pierre  à  l'entrée  du  sé- 
«  pulcre,  et  s'en  alla  *.  »  Que  de  zèle  et  que  de  soins  de  la  part  de 
cet  homme  juste,  pour  donner  au  corps  inanimé  de  Jésus  une 
sépulture  qui  ne  soit  pas  trop  indigne  de  lui.  Il  ne  craint  pas  de  se 
présenter  devant  Pilate  qui  venait  de  condamner  Jésus-Christ  et 
de  le  livrer  à  la  fureur  des  bourreaux.  Il  ne  redoute  ni  les  sarcasmes 
ni  les  violences  dont  les  Juifs  vont  peut-être  l'accabler^  à  la  vue 
des  honneurs  dont  il  se  propose  d'entourer  leur  victime;  il  choisit 
les  linges  les  plus  précieux  qui  soient  à  sa  disposition,  pour  ense- 
velir ce  corps  adorable;  il  lui  cède  le  tombeau  tout  neuf,  qu'il  s'était 
préparé  pour  lui-même,  avec  un  soin  jaloux.  Et  pour  que  nul  ne 
puisse  violer  ce  tombeau  et  manquer  de  respect  envers  ce  divin 
corps,  il  ferme,  avec  une  pierre  énorme,  ce  lieu  où  il  l'a  déposé. 
—  Il  ne  s'agissait  cependant  que  du  corps  inanimé  de  Jésus,  de  ce 
corps  souillé  de  sang  et  déchiré  par  mille  blessures.  La  conduite 
du  juste  Joseph  nous  enseigne  de  quelle  préparation  nous  avons 
besoin  lorsque  nous  nous  proposons  de  recevoir  dans  notre  cœur, 
non  plus  seulement  le  corps  privé  de  vie  de  notre  divin  Maître, 
mais  son  corps  ressuscité,  son  corps  resplendissant  d'une  gloire 
immortelle,  et  avec  lui,  son  sang,  son  âme  et  sa  divinité. 

L'apôtre  S.  Paul  donnait  aux  fidèles  de  Gorinthe  ce  grave  aver- 
tissement :  «  Quiconque  mangera  ce  pain  et  boira  le  calice  du  Sei- 
«  gneur  indignement  sera  coupable  du  corps  et  du  sang  du 
«  Seigneur.  Que  l'homme  donc  s'éprouve  lui-même  et  qu'il  mange 
«  ainsi  de  ce  pain  et  boive  de  ce  calice.  Car  quiconque  en  mange 
<f  et  en  boit  indignement  mange  et  boit  son  jugement,  ne  discer- 
«  nant  pas  le  corps  du  Seigneur  2.  »  L'homme  ne  peut  pas,  il  est 

i.  Matth.,  xxvi,  '67  et  seq. 

2.  Itaque  quicumque  manducaveritpanem  hune,  velbiberit  calicem  Domini 
indigne,  reus  erit  corporis  et  sanguinis  Domini.  Probet  autem  seipsum  homo, 


724       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II»  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

vrai,  connaître  d'une  manière  absolue,  sans  une  révélation  parti- 
culière, s'il  estdigne  d'amour  et  de  haine  ;  mais  il  peut,  en  exami- 
nant sérieusement  l'état  de  son  âme,  acquérir  une  certitude  morale 
que  ses  dispositions  sont  suffisantes  pour  s'approcher  de  la  sainte 
communion,  et  Dieu  n'en  exige  pas  plus  de  notre  faiblesse:  sa 
miséricorde  infinie  se  charge  de  suppléer  à  ce  qui  manquerait, 
sans  qu'il  y  ait  négligence  ou  mauvaise  volonté  de  la  part  de  celui 
qui  le  reçoit.  Il  nous  importe  donc  de  connaître  au  moins  les  dis- 
positions nécessaires,  pour  nous  approcher  dignement  et  avec  fruit 
de  cet  adorable  sacrement.  Ici  encore  on  se  contentera,  sans  entrer 
dans  de  longs  développements,  d'indiquer  ce  qu'il  importe  le  plus 
à  chacun  de  connaître. 

I.  //  faut  approcher  de  la  Sainte  Eucharistie  avec  droiture 
d'intention.  —  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  institué  le  très 
saint  sacrement  de  l'Eucharistie  pour  notre  salut:  c'est  donc  en 
vue  du  salut  de  notre  âme  que  nous  devons  y  recourir.  Qu'à  cette 
intention  première,  il  s'en  joigne  parfois  une  autre  ;  que  l'on  se 
détermine  à  faire  la  sainte  communion,  parce  que  les  convenances 
le  demandent,  parce  qu'on  veut  être  agréable  à  telle  personne,  ou 
que  l'on  craint  de  contrister  quelqu'un,  ces  motifs  et  d'autres 
semblables,  honnêtes  en  eux-mêmes,  ne  vicient  point  l'acte  saint 
que  l'on  fait  en  communiant,  pourvu  qu'ils  ne  soient  que  secon- 
daires et  que  l'on  recherche  avant  tout  et  principalement  le  bien 
de  son  âme  et  la  gloire  de  Dieu.  Vouloir  se  servir  du  corps  et  du 
sang  de  Notre-Seigneur  pour  satisfaire  sa  vanité,  ou  pour  toute 
autre  cause  indigne  d'un  si  grand  sacrement  serait  une  véritable 
profanation. 

Dieu  avait  ordonné  aux  Hébreux  de  manger  l'agneau  pascal 
avec  des  pains  sans  levain.  Cette  condition  que  les  pains  fussent 
azymes  avait  une  signification  mystique.  S.  Paul  nous  la  fait  con- 
naître lorsqu'il  dit  :  «  Notre  agneau  pascal,  le  Christ,  a  été  immolé. 
«  C'est  pourquoi  mangeons  la  pàque,  non  avec  un  vieux  levain, 
«  ni  avec  un  levain  de  malice  et  de  méchanceté,  mais  avec  les 
«  azymes  de  la  sincérité  et  de  la  vérité  i.»  C'est  bien  le  divin  Agneau 

et  sic  de  pane  illo  edat,  et  de  calice  bibat.  Qui  enim  manducat  et  bibit  indigne 
judicium  sibi  manducat  et  bibit,  non  dijudicans  corpus  Domini.  (/.  Cor.,  xi, 
i>7-29.) 

\.  Etenim  Pascha  nostrum  immolatus  est  Christus.  Itaque  epulemur  non 
in  fermento  veteri,  nequc  in  fermento  malitiae  et  nequitiae,  sed  in  azymis  sin- 
ceritatis  et  verilatis.  (J.  Cor.,  v,  7,  8.) 


PRÉPARATION    A    LA   COMMUNION    ET    CONDUITE    APRES    l'aVOIR   FAITE.       725 

qu'il  faut  rechercher,  c'est  bien  lui  et  non  pas  autre  chose  qu'il 
faut  désirer  au  plus  intime  de  son  cœur,  lorsqu'on  approche  de 
la  sainte  table  ;  sinon  l'on  s'expose  à  tomber  sous  le  coup  de  cette 
prescription  de  la  loi  :  «  Celui  qui  mangera  du  pain  fermenté,  son 
a  âme  périra  du  milieu  du  peuple  d'Israël  i.  i>  Était-ce  donc  un  si 
grand  crime  de  manger  avec  la  pàque  du  pain  qui  fût  levé,  pour 
que  ce  manquement  fût  puni  de  mort  chez  les  Israélites?  En  soi, 
la  faute  eût  été  légère  peut-être,  mais  la  pàque  représentait  la 
Sainte  Eucharistie,  le  levain  l'intention  mauvaise,  la  malice,  et  il 
ne  faut  pas  que  l'ombre  même  de  la  malice  et  de  la  méchanceté  se 
montre,  dès  qu'il  est  question  de  cet  auguste  sacrement;  les  azymes 
de  la  sincérité  et  de  la  vérité  sont  seuls  admis,  nous  dit  S.  Paul. 

II.  Examen  de  la  conscience.  —  S'éprouver  soi-même  selon  la 
recommandation  de  l'Apôtre  :  «  Que  l'homme  s'éprouve  lui-même, 
«  et  qu'il  mange  ainsi  de  ce  pain.  »  Assurément  S.  Paul  ne  défend 
pas  de  demander  l'avis  des  personnes  sages,  surtout  du  directeur 
de  la  conscience,  lorsqu'on  se  propose  de  faire  la  sainte  communion. 
Mais  les  personnes  auxquelles  nous  pouvons  demander  conseil  ne 
connaissent  de  nos  dispositions  que  ce  que  nous  leur  en  manifes- 
tons extérieurement  ;  nous  seuls  pouvons  nous  rendre  compte  de 
ce  qui  se  passe  au  plus  profond  de  notre  àme,  et  encore  est-il  né- 
cessaire que  nous  y  regardions  avec  une  attention  sérieuse,  si  nous 
ne  voulons  pas  être  trop  exposés  à  commettre  des  erreurs  regret- 
tables. C'est  donc  l'examen  de  la  conscience  que  S.  Paul  nous 
demande  avant  la  communion.  On  peut  appliquer  ici  ces  paroles 
du  saint  homme  Job:  «  Avant  que  je  mange,  je  soupire;  et  comme 
«  les  eaux  qui  débordent,  ainsi  sont  mes  rugissements  -.  »  Avant 
de  manger  le  pain  sacré  que  Jésus-Christ  nous  a  préparé,  nous 
aussi  nous  devons  soupirer,  et  pousser  en  quelque  sorte  des  rugis- 
sements de  douleur  au  souvenir  de  nos  fautes  et  à  la  pensée  de 
notre  indignité.  Mais  comment  le  ferons-nous  si,  par  un  examen 
sérieux  et  attentif  de  notre  conscience,  nous  ne  nous  sommes  pas 
rendu  compte  de  ces  fautes  qu'il  nous  faut  pleurer  et  dont,  si  elles 
sont  graves,  il  est  nécessaire  d'aller  chercher  le  pardon  au  tribU' 
nal  delà  pénitence? 

1.  Qui  comederit  fermentatum,  peribit  anima  ejus  de  cœtu  Israël.  [Exod., 
XII,  lu.) 

:2.  Antequam  comedam  suspiro,  et  tanquam  inundantes  aquîe,  .sic  rugitus 
mei.  {Job,  m,  :24.) 


726       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

Dans  l'Arche  d'alliance,  on  conservait  la  manne  que  contenait 
un  vase  d'or,  et  la  verge  d'Araon.  La  manne,  c'est  la  Sainte 
Eucharistie  ;  la  verge  représente  la  correction  qui  doit  être  infligée 
pour  les  fautes  commises.  Mais  qui  peut  infliger  une  juste  correc- 
tion pour  des  fautes  qu'il  ne  connaîtrait  pas  ?  Qui  peut  être  sûr 
qu'il  n'y  a  pas  en  lui  quelque  défaut,  quelque  faute  réclamant 
l'usage  de  la  ver^e,  c'est-à-dire  de  la  pénitence,  et  que  son  cœur 
est  véritablement  un  vase  d'or,  digne  de  renfermer  la  manne 
céleste,  sans  un  examen  attentif  et  approfondi?  «  L'honneur  du  roi 
«  aime  le  jugement  ^  »  dit  le  Psalmiste,  et  Dieu  tient  à  l'honneur 
de  son  divin  Fils  présent  dans  l'Eucharistie  ;  instruisons  donc 
soigneusement  notre  cause  et  jugeons-nous  nous-mêmes,  lorsque 
nous  voulons  communier,  sinon  Dieu  nous  jugera  et  nous  savons 
ce  que  disait  encore  David  :  «  Si  vous  observez  les  iniquités, 
«  Seigneur,  Seigneur,  qui  soutiendra  2  »  la  rigueur  de  votre  juge- 
ment? 

IIL  Douleur  et  contrition.  —  Dieu  dit  à  Adam  :  «  A  la  sueur 
«  de  votre  front  vous  vous  nourrirez  de  pain.  »  On  connaît  le  sens 
littéral  de  cette  parole  qui  condamnait  l'homme  coupable  à  un 
travail  pénible,  mais  en  même  temps  moralisateur,  plus  que  cela, 
sanctificateur,  s'il  savait  en  user.  Mais  à  côté  de  ce  sens,  il  en  est  un 
autre.  Le  pain  matériel  n'est  que  l'image  du  pain  immatériel 
et  céleste,  de  l'adorable  Eucharistie.  Ce  pain  sacré  ne  doit  aussi  se 
manger  que  mérité  par  le  travail  et  les  larmes  de  la  pénitence.  Si 
l'on  veut  récolter  dans  la  joie  le  froment  des  élus,  c'est  dans  les 
larmes  qu'il  en  faut  premièrement  jeter  la  semence.  Gomment  d'ail- 
leurs prendre  place  à  la  table  de  celui  que  nous  avons  offensé,  car 
tout  homme  pèche,  sans  lui  témoigner  d'abord  une  douleur  sin- 
cère de  nos  offenses  envers  lui  ?  Comment  manger  le  pain  vivant 
descendu  du  ciel,  si  nous  ne  détestons  pas  la  mort  et  ce  qui  y 
conduit?  Gomment  ne  faire  qu'un  avec  notre  Sauveur,  si  nous 
aimons  encore,  si  nous  ne  haïssons  pas  les  maux  auxquels  il  est 
venu  nous  arracher  au  prix  de  tant  de  travaux,  de  tant  de  sang  versé, 
et  de  sa  mort  même?  Gelui  qui  ne  déteste  pas  le  péchén'aime  pas  Jésus 
cloué  sur  la  croix  par  le  péché  ;  celui  qui  ne  regrette  pas  amèrement 
d'avoir  causé  les  souffrances  et  la  mort  de  Jésus  ne  peut  espérer 

4.  Honor  régis  judicium  diligit.  [Ps.  xcviii,  3.) 

2.  Si  iniquitates  observaveris,  Domine,  Domine  quis  sustinebit?  {Ps.  cxxix, 
8.) 


i 


PRÉPARATION   A   LA  COMMUNION   ET   CONDUITE  APRES   l'aVOIR  FAITE.       727 

que  Jésus  viendra  en  ami  dans  son  cœur,  pour  s'unir  à  lui  et  le 
combler  de  toutes  ses  grâces.  N'espérons  pas  que  des  actes  pure- 
ment extérieurs,  fussent-ils  excellents  en  eux-mêmes,  pourront 
nous  rendre  dignes  d'approcher  de  la  sainte  table,  si  les  sentiments 
que  Dieu  attend  de  nous  ne  les  accompagnent  pas.  Or  David  nous 
dit  quels  doivent  être  ces  sentiments  :  «  Le  sacrifice  que  Dieu 
«  désire  est  un  esprit  brisé  de  douleur  :  vous  ne  dédaignerez  pas, 
«  ô  Dieu,  un  cœur  contrit  et  humilié  ^  » 

Dans  la  vision  rapportée  au  chapitre  neuvième  des  prophéties 
d'Ezéchiel,  le  Seigneur  dit  aux  six  hommes  chargés  d'exercer  les 
arrêts  de  sa  justice  :  «  Traversez  la  cité  et  frappez  ;  que  votre  œil 
«  n'épargne  pas  et  n'ayez  pas  de  pitié.  Le  vieillard,  le  jeune 
«  homme  et  la  vierge,  l'enfant  et  les  femmes,  tuez-les  jusqu'à  ex- 
«  termination  complète  :  mais  ne  tuez  personne  sur  qui  vous  verrez 
«  le  thau;  et  commencez  par  mon  sanctuaire  ~.  »  Le  thau  repré- 
sente la  croix,  et  la  croix  c'est  la  pénitence,  la  contrition,  la  dou- 
leur sincère  des  péchés.  Dieu  veut  que  l'exécuteur  de  sa  justice 
frappe  d'abord  ceux  qui  ne  seraient  pas  marqués  de  ce  signe,  et 
qui  cependant  seraient  dans  son  sanctuaire,  approcheraient  de  son 
autel.  Qui  donc  oserait  s'avancer  jusqu'à  la  table  sainte,  et  parti- 
ciper au  plus  redoutable  des  mystères,  s'il  ne  portait  cette  marque 
de  la  croix,  ce  signe  de  la  douleur  des  péchés  et  de  la  contrition 
sincère  ? 

IV.  Changement  de  vie.  —  On  lit  dans  l'Apocalypse  :  «  Que  ce- 
«  lui  qui  est  juste  devienne  plus  juste  encore;  que  celui  qui  est 
*  saint  se  sanctifie  encore  ^.  »  Tous  les  hommes,  quelque  avancés 
dans  la  vertu  qu'on  les  suppose,  ont  donc  besoin  de  travailler 
sans  cesse  à  devenir  meilleurs  ;  à  plus  forte  raison  ceux  dont  la 
vie  est  peu  chrétienne,  ceux  qui  tombent  fréquemment  dans  des 
péchés  même  graves,  doivent-ils  s'efforcer  de  changer  de  conduite 
et  d'embrasser  une  vie  plus  digne  de  Dieu,  dès  qu'ils  se  proposent 
de  recevoir  la  sainte  communion. 

i.  Sacrificium  Deo  spiritus  contribulatus;  cor  contritum  et  humiliatum 
Deus  non  despicies.  (Ps.  L,  48.) 

2.  Transite  per  civitatem,....  et  percutite;  non  parcat  oculus  vester,  neque 
misereamini.  Senem,  adolescentulum  et  virginem,  parvulum  et  mulieres, 
interficite  usquead  internecionem;  omnem  autem  super  quem  viderilis  thau, 
ne  occidatis.  (Ezech.,  ix,  5,  C.) 

3.  Qui  justus  est  justificetur  adhuc;  qui  sanctus  est  sanctifîcetur  adhuc 
(Apoc,  XXII,  Id.) 


728        LA  SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II**  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —  CHAP.  \VI. 

Lorsque  le  patriarche  Jacob  se  prépara,  sur  Tordre  du  Seigneur, 
pour  ort'rir  un  sacrifice,  en  reconnaissance  de  tous  les  bienfaits 
dont  il  avait  été  comblé,  il  ordonna  à  tous  ceux  qui  composaient  sa 
maison  de  se  purifier  et  de  rejeter  les  faux  dieux,  pour  être  dignes 
de  participer  à  cette  action  sainte.  «  Ils  lui  donnèrent  donc  tous  les 
«  dieux  étrangers  qu'ils  avaient,  et  les  pendants  qui  étaient  à  leurs 
«  oreilles,  et  il  les  enfouit  sous  le  térébinthe  qui  est  derrière  la 
et  ville  de  Sichem  ^  »  Béthel,  comme  Bethléem,  signifie  la  cité  de 
pain,  et  le  sacrifice  que  Jacob  allait  y  offrir  était  l'image  de  celui 
dans  lequel  nous  offrons  à  Dieu  un  pain  qui  n'est  autre  que 
son  divin  Fils  lui-même.  A  cause  du  sacrifice  de  l'Eucharistie,  et 
par  respect  pour  lui,  il  était  nécessaire  que  ceux  qui  allaient  par- 
^ticiper  au  sacrifice  offert  par  Jacob,  et  manger  la  chair  des  vic- 
times fussent  purs  de  toute  faute  grave  contre  Dieu,  et  de  tout 
attachement  illicite.  Ils  rejetèrent  donc  leurs  idoles  et  les  hochets 
de  la  vanité,  et  Jacob  enfouit  le  tout  dans  la  terre  pour  que  nul  ne 
pût  revenir  aux  pratiques  coupables  de  sa  vie  passée.  C'était  un 
changement  de  vie  que  le  patriarche  exigeait  d'eux,  avant  de  les 
admettre  à  prendre  part  au  sacrifice  figure  de  l'Eucharistie.  Tout 
arrivait  en  figure  aux  saints  patriarches,  et  Dieu,  qui  dirigeait 
toutes  choses,  nous  apprenait  ainsi  que  quiconque  veut  avoir  part 
à  son  divin  sacrifice  et  se  nourrir  de  la  chair  de  la  victime  sacrée 
doit,  avant  tout,  rejeter  toute  idole  de  son  cœur,  ne  préférer  ni 
n'égaler  rien  à  Dieu  dans  son  estime  et  son  amour,  et  savoir  se 
dépouiller  pour  lui,  lorsqu'il  le  demande,  des  biens  et  des  vanités 
du  monde. 

Nous  trouvons  encore  dans  la  Genèse  une  autre  image  symbo- 
lique du  soin  qu'il  faut  avoir  de  se  détacher  de  ses  péchés,  de  ses 
vices  et  de  ses  passions,  lorsqu'on  se  prépare  à  communier. 

La  famine  prédite  par  Joseph  était  venue  ;  les  Égyptiens  avaient 
déjà  épuisé  toutes  leurs  provisions  particulières  et  même  l'argent 
qu'ils  pouvaient  avoir.  Alors  ils  vinrent  demander  du  pain  à 
Joseph,  et  Joseph  leur  dit  :  «  Amenez-moi  vos  troupeaux,  et  pour 
«  eux  je  vous  donnerai  du  pain  2.  »  Ces  animaux,  ces  bêtes  sans 

1.  Jacob  vero  convocata  omni  doino  sua,  ait:  abjicite  deos  alienos  qui  in 
medio  vestri  sunt,  etc....  Dederunt  ergo  ei  omnes  deos  alienos  quos  iiabebant, 
et  inaures  quae  erant  in  auribus  eorum;  et  ille  infudit  ea  subter  terebinthi- 
num  quHî  est  post  urbem  Sichem.  [Gènes.,  xxxv,  %  4.) 

2.  Adducite  pecora  vestra,  et  dabo  pro  eis  vobis  panes.  {Gènes.,  xlix,  2i.} 


PRÉPARATION   A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE   APRES  l'aVOIR    FAITE.       729 

raison  qu'il  fallait  amener  à  Joseph  et  lui  livrer,  représentaient  les 
mauvais  instincts  avec  les  actes  qu'ils  inspirent,  dont  il  faut  se 
défaire  si  l'on  veut  recevoir  de  Jésus-Christ,  le  véritable  Joseph,  le 
pain  de  vie  qui  est  descendu  du  ciel  et  qui  n'est  autre  que  lui- 
même. 

Pourquoi  le  peuple  d'Israël  était-il  obligé  de  sortir  du  camp 
pour  recueillir  la  manne  dont  Dieu  voulut  bien  le  nourrir  pendant 
quarante  ans,  sinon  pour  nous  marquer  que  nous  devons  sortir  de 
notre  vie  habituelle,  lorque  nous  voulons,  à  notre  tour,  nous  ras- 
sasier du  pain  des  anges.  «  Si  nous  désirons  manger  dignement 
«  ce  pain  qui  est  descendu  du  ciel,  cette  chair  de  l'Agneau  de 
«  Dieu,  dit  Paschase  Rathbert,  nous  devons  renoncer  à  toutes  les 
«  œuvres  du  péché,  et  chercher  à  purifier  nos  âmes  devant  Dieu  *.  » 

Pourquoi,  aux  noces  de  Cana,  notre  divin  Sauveur,  avant  de 
changer  l'eau  en  vin  sur  la  demande  de  sa  très  sainte  Mère,  atten- 
dit-il que  la  provision  que  l'on  avait  faite  fût  totalement  épuisée? 
3.  Ambroise  nous  en  donne  la  raison.  Jésus-Christ  préparait  pour 
son  Église  un  nouveau  sacrifice  et  un  nouveau  festin  ;  or  il  ne 
voulait  pas  qu'aucun  élément  des  sacrifices  anciens  et  des  aliments 
figuratifs  de  la  loi  judaïque,  qui  étaient  si  peu  de  chose  à  ses  yeux, 
demeurât  mêlé  aux  sublimes  mystères  qu'il  allait  instituer  en 
notre  faveur.  Il  aima  mieux  transformer  la  nature  qu'unir  en- 
semble des  choses  si  diverses  '-. 

Il  faut  donc,  lorsqu'on  désire  communier,  selon  le  conseil  de 
l'Apôtre,  se  purifier  de  l'ancien  levain,  afin  d'être  une  pâte  nou- 
velle ;  il  faut,  comme  il  dit  encore,  se  dépouiller  du  vieil  homme 
avec  ses  œuvres,  et  revêtir  le  nouveau,  c'est-à-dire  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Il  n'y  a  pas  d'accord  possible  entre  Dieu  et  le  démon, 
entre  les  œuvres  du  Seigneur  et  celles  de  Satan.  Quiconque  veut 
revêtir  le  Christ,  ou  plutôt  se  nourrir  de  sa  chair  adorable  pour 
vivre  en  lui,  quiconque  veut  faire  les  œuvres  de  Dieu  et  travailler 
ainsi  en  vue  de  la  nourriture  qui  demeui-e  pour  la  vie  éternelle, 
doit  repousser  bien  loin  le  démon  et  ses  œuvres.  S'il  ne  renonce 
entièrement  à  ce  qu'il  y  avait  de  coupable  dans  sa  vie  ancienne,  il 

1.  Si  volumus  panem  illum  qui  de  cœlo  descendit,  et  Agni  Dei  carnes  digne 
comedere,  neccsse  est  ab  oinnijjus  peccati  operibus  vacare.purificationemqiie 
mentis  apud  Deum  dirigere.  (Paschas.,  lib.  de  Cur/jure  et  sannnini'  Domini,) 

"2.  Non  vinuin  miscuit  sed  aqiiain  mulavit  in  vinuin,  ne  quid  in  sacro  con- 
vivio  viiitatis  Judaïca;  résiderai;  maluit  naluram  vertere,  quain  adulterare 
substantiam.  (S.  Ambros.,  in  cap.  i  Isa.) 


730        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

ne  peut  pas  vivre  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  et  la  Sainte  Eucharistie, 
pain  de  vie  pour  les  âmes  bien  disposées,  sera  pour  lui  un  pain 
de  condamnation  et  de  mort. 

V.  Grâce  de  Dieu.  —  Il  est  dit  au  commencement  de  l'histoire 
de  l'humanité,  dans  la  Bible,  que  Dieu  accepta  en  odeur  de  suavité 
les  sacrifices  d'Abel,  mais  qu'il  dédaigna  ceux  de  Gain.  Sans 
doute  cette  conduite  de  Dieu,  si  différente  entre  les  deux  frères, 
avait  sa  cause  dans  leurs  dispositions  intérieures.  Abel  était 
simple,  confiant  et  bon  ;  il  était  pieux,  tandis  que  Gain  prouva 
bientôt  que  son  âme  était  en  proie  à  la  jalousie  et  à  l'envie,  pous- 
sées jusqu'à  faire  de  lui  le  meurtrier  de  son  frère.  Des  sacrifices 
offerts  avec  des  dispositions  intérieures  si  coupables  ne  pouvaient 
pas  être  agréables  au  Seigneur.  S'il  avait  vaincu  et  dominé  ses 
passions.  Dieu  lui  aurait  su  gré  de  ses  luttes,  et  aurait  accepté 
ses  sacrifices. 

Lorsque  Abraham  revint  de  son  expédition  victorieuse  contre  les 
cinq  rois,  qui  avaient  ravagé  Sodome  et  emmené  Loth  prisonnier, 
Melchisédech  offrit  au  Seigneur  le  pain  et  le  vin  figures  de  l'Eu- 
charistie, et  sans  doute,  quoique  la  Sainte  Écriture  ne  le  dise 
point,  Abraham  participa  à  cette  oblation,  en  goûtant  à  cette 
offrande,  comme  il  se  faisait  pour  la  plupart  des  sacrifices.  Or  ce 
ne  fut  qu'après  la  victoire  remportée  par  le  saint  patriarche  qu'il 
lui  fut  donné  de  participer  en  figure  à  l'oblation  de  la  Sainte  Eu- 
charistie. Avant  cette  faveur,  il  lui  fallait  d'abord  triompher  des 
ennemis  qu'il  avait  à  combattre.  Et  quand  ce  saint  patriarche 
offrit  l'hospitalité  aux  anges  du  Seigneur,  pourquoi  voulut-il  leur 
laver  les  pieds  avant  de  leur  servir  le  pain,  autre  figure  du  Très 
Saint  Sacrement,  sinon  parce  qu'il  faut  une  grande  pureté  pour  y 
participer? 

Moïse  fut  averti  par  le  Seigneur  de  n'approcher  du  buisson 
ardent  qu'après  avoir  ôté  sa  chaussure  ;  on  sait  avec  quelle  rigueur 
la  plus  grande  pureté  corporelle  était  exigée  de  ceux  qui  rem- 
plissaient quelque  fonction  du  culte  dans  la  loi  ancienne  :  il  fallait 
être  pur  pour  porter  les  vases  du  Seigneur  :  Mundamini  qui 
fertis  vasa  Domini  K 

Dans  la  parabole  des  vierges  sages  et  des  vierges  folles,  pour- 
quoi l'Époux  dit-il  à  ces  dernières,  qui  voulaient  entrer  pour  avoir 

i.  Isa.,  LU,  H, 


PBÉPARATION   A   LA   COMMUNION  ET  CONDUITE   APRES  l' AVOIR   FAITE.       731 

part  au  festin  :  «  Je  ne  vous  connais  pas  :  »  Nescio  vos  /*  Unique- 
ment parce  qu'elles  n'avaient  pas  d'huile  dans  leurs  lampes,  lors- 
que le  cortège  nuptial  arriva.  L'huile  est  le  symbole  de  la  grâce. 
Sans  la  grâce  on  ne  saurait  prendre  part  au  banquet  divin  ;  et  si 
l'on  voulait  quand  même  manger  le  pain  du  Seigneur,  ce  ne  serait 
pas  un  pain  de  vie,  mais  la  mort  et  le  jugement  que  l'on  man- 
gerait. 

Pour  la  dernière  cène,  pendant  laquelle  il  voulut  instituer  l'ado- 
rable sacrement  de  son  amour,  notre  divin  Sauveur  fit  à  ses  dis- 
ciples des  recommandations  toutes  particulières.  Il  voulut  que 
l'appartement  dans  lequel  cette  merveilleuse  invention  de  l'amour 
de  Dieu  allait  se  réaliser  fût  grand  et  bien  meublé  :  la  première 
salle  venue  ne  suffisait  pas,  mais  il  en  fallait  une  que  Jésus-Christ 
lui-même  avait  choisie  et  que  les  disciples  reconnaîtraient  à  la 
marque  qu'il  leur  donnait.  C'est  ainsi  que  pour  communier,  il 
faut  un  cœur  large,  bien  préparé,  que  ne  dépare  aucune  souillure, 
mais  que  des  meubles  convenables,  c'est-à-dire  des  vertus,  rendent 
agréable  aux  regards  du  Seigneur.  Par  la  sainte  communion,  il  vit 
en  celui  qui  le  reçoit  :  y  vivrait-il?  y  pourrait-il  demeurer  même 
un  instant,  si  le  cœur  dans  lequel  il  serait  reçu  était  souillé  par  le 
péché  et  habité  par  le  démon  son  ennemi? 

Pour  en  revenir  une  fois  encore  aux  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Que 
•M  l'homme  donc  s'éprouve  lui-même  et  qu'il  mange  ainsi  de  ce 
«  pain  et  boive  de  ce  calice.  » 

S'éprouver,  dit  S.  Grégoire,  c'est  ici,  selon  la  pensée  de  l'Apôtre, 
montrer  que  l'on  est  digne  de  participer  à  la  cène  du  Seigneur, 
parce  qu'on  s'est  entièrement  délivré  de  l'iniquité  du  péché  '.  » 

VI.  Fidélité  aux  commandements  de  Dieu.  —  On  lit  dans 
l'Exode  :  «  Moïse,  lorsqu'il  descendit  de  la  montagne  du  Sinaï, 
€  portait  les  deux  tables  du  Testament  -.  »  D'après  Tertullien, 
Moïse  représente  en  cette  circonstance  ceux  qui  s'approchent  pour 
recevoir  la  sainte  communion  3.  Us  doivent,  comme  lui,  porter 
dans  les  mains  les  deux  tables  de  la  loi,  c'est-à-dire  accomplir 
exactement    les   œuvres   qu'elles   imposent.  Dieu   n'admet  à  sa 

\.  Quid  enim  est  hoc  se  probare,  nisi  evacuata  peccatorum  nequitia,  se 
probatum  ad  dominicain  cœnam  exhibere?  (S.  Gregor.,  in  /.  Heg.) 

2.  Cum  descenderel  Moyses  de  monte  Siiiai,  tenebat  duas  tabellas  testimonii. 
(Exod.,  XXXIV,  11>.) 

3.  Tertull.,  c/eyf;unio,  cap.  vi. 


732        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11=  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

table  que  des  serviteurs  fidèles,  et  la  fidélité  se  prouve  prin- 
cipalement par  les  œuvres,  sans  lesquelles  les  paroles  sont  peu  de 
chose.  C'est  par  nos  œuvres  que  nous  sommes  justes  et  ce  sont 
les  justes  que  Dieu  appelle  au  festin  sacré  qu'il  nous  a  préparé, 
selon  cette  parole  de  David  :  «  Que  les  justes  prennent  part  à  des 
«  festins  i.  »  La  pensée  du  prophète  s'élève  plus  haut  qu'à  des 
festins  matériels  ;  ce  n'est  pas  à  de  tels  plaisirs  qu'il  invite  les 
justes,  car  d'autres  qu'eux  s'y  livrent  chaque  jour;  mais  il  est  un 
banquet  auquel  les  justes  seuls  sont  appelés  à  prendre  part  :  c'est 
le  banquet  eucharistique.  Nul  n'a  le  droit  de  s'y  asseoir  s'il  n'est 
pas  juste,  s'il  ne  porte  pas  dans  ses  mains  les  tables  de  la  loi, 
comme  Moïse  descendant  du  Sinaï,  c'est-à-dire  s'il  ne  garde  pas 
fidèlement  les  préceptes  du  Seigneur. 

La  Sainte  Eucharistie  est,  en  eflet,  le  Pain  des  anges  ;  c'est  le 
nom  que  l'Écriture  lui  donne  en  l'annonçant  sous  la  figure  de  la 
manne  :  «  L'homme  a  mangé  le  pain  des  anges  2,  »  dit  David;  et 
ailleurs  ;  «  Bénissez  le  Seigneur,  vous  tous  ses  anges,  puissants 
«  en  force,  accomplissant  sa  parole  pour  obéir  à  la  voix  de  ses  or- 
«  donnances  ;  bénissez  le  Seigneur,  vous  toutes  ses  armées  cé- 
«  lestes,  vous  ses  ministres  qui  faites  sa  volonté  ".  »  Qui  oserait 
manger  le  pain  des  anges,  s'il  ne  leur  ressemblait  pas,  parce 
point  du  moins  où  il  est  ordonné  et  facile  à  tous  de  leur  ressem- 
bler, la  fidélité  à  la  loi  de  Dieu  ? 

C'est  le  Fils  de  Dieu  qui  nous  a  donné  la  loi  à  laquelle  nous 
sommes  tenus  d'obéir.  Il  est  notre  législateur  ;  et  il  est  en  même 
temps  le  Dieu  qui  se  donne  à  nous  dans  l'Eucharistie.  Le  divin  Lé- 
gislateur ne  saurait  accorder  la  faveur  infinie  de  s'unir  à  eux  par  le 
sacrement  de  son  amour,  à  ceux  qui  mépriseraient  les  lois  qu'il 
leur  a  imposées.  Il  ne  veut  accorder  ce  bienfait,  cette  bénédiction 
suprême  qu'à  ceux  qui  s'efforcent  d'en  être  dignes.  A  ceux-là 
seulement,  «  le  Législateur  donnera  sa  bénédiction,  et  ils  iront 
«  de  vertu  en  vertu  4.  » 

VII.  Ferme  propos  de  ne  plus  pécher  à  l'avenir.  —  Le  Sei- 

1.  Justi  epulentur.  {Ps.  lxvii,  i.) 

"■2.   Pancm  angeloruni  rnanducavit  homo.  {J*s.  lxxvii,  2.').) 

;{.  Benedicile  Domino  omnes  angeli  ejus;  potentes  virtute,  facientes  ver- 
liuin  illius,  ad  audiendam  vocem  sermonum  ejus.  Benedicile  Domino  omnes 
virtutes  ejus,  qui  facilis  voluntatem  ejus.  {Ps.  eu,  20,  21.) 

i.  Ktenim  benediclionem  dabit  iegislator.   Ibunt  de  virtute  in   virtutem» 

Ps.  LXXXIII,  8.)  .     . 


PRÉPARATION    A   LA   COMMUNION   ET   CONDUITE  APRES   l'aVQIR   FAITE.       733 

gneur  voulut  que  les  Israélites  captifs  en  Egypte  n'immolassent 
l'agneau  pascal  que  lorsque  l'heure  de  leur  affranchissement  fut 
venue.  Ils  le  mangèrent  debout,  les  reins  ceints,  les  chaussures 
aux  pieds  et  le  bâton  à  la  main,  comme  des  voyageurs  qui  quittent 
un  pays  pour  n'y  plus  revenir.  Dieu  ne  voulait  pas  qu'une  fois 
sortis  de  l'Egypte  ils  y  revinssent  jamais.  C'est  ainsi  qu'après 
avoir  mangé  le  divin  Agneau  qui  se  donne  à  nous  dans  l'Eucha- 
ristie, nous  ne  devons  jamais  retourner  dans  la  terre  du  péché 
et  de  l'esclavage.  Libres  de  la  liberté  des  enfants  de  Dieu,  il  nous 
est  interdit  de  courber  de  nouveau  nos  épaules  sous  le  joug  du 
démon.  Il  nous  faut  marcher  d'un  pas  ferme  dans  le  chemin  de  la 
terre  promise,  qui  est  le  chemin  de  la  justice;  il  nous  faut  courir, 
dans  la  voie  des  commandements  de  Dieu,  et  profiter  de  ce  que 
nos  cœurs  sont  dilatés  par  la  présence  de  Jésus. 

Lorsque  Joseph  d'Arimathie  eut  enseveli  le  corps  du  Sauveur 
et  l'eut  placé  dans  le  sépulcre,  il  roula  à  l'entrée  une  grosse  pierre, 
pour  le  fermer  complètement.  N'est-ce  pas  la  coutume  de  fermer 
les  tombeaux,  et  pourquoi  l'Évangile  rapporte-t-il  une  circons- 
tance que  personne  n'eût  mise  en  doute,  même  s'il  n'en  avait 
point  parlé  ?  Entre  autres  raisons  il  y  a  celle-ci,  que  le  sépulcre  du 
Seigneur  représente  le  cœur  dans  lequel  il  est  descendu  par  la 
sainte  communion.  Ce  cœur  doit  être  fermé,  pour  conserver  pré- 
cieusement son  trésor  ;  il  doit  être  fermé,  pour  que  rien  ne  s'y 
introduise  qui  puisse  conlrister  le  Seigneur,  ou  même  l'obliger 
d'en  sortir. 

VIII.  Foi  solide  et  éclairée.  —  L'auteur  du  livre  des  Proverbes 
nous  donne  ce  conseil  qu'il  convient  de  mettre  en  pratique,  lors- 
qu'on s'approche  de  la  sainte  communion  :  «  Quand  vous  serez 
«  assis  pour  manger  avec  un  prince,  considérez  attentivement 
«  ce  qui  est  servi  devant  vous  '.  »  Jésus-Ciirist  est  le  Roi  des  rois  et 
le  Seigneur  des  seigneurs  ;  il  n'est  pas  de  prince  sur  la  terre  dont 
la  grandeur  ne  s'évanouisse  comme  un  peu  de  fumée,  en  présence 
de  sa  grandeur;  or,  c'est  lui  qui  nous  invite  à  son  banquet  sacré. 
Quelle  attention  ne  devons-nous  donc  pas  apporter,  pour  suivre  l'a- 
vertissement de  l'auteur  inspiré,  à  considérer  les  mets  mystérieux 
qu'on  nous  sert  à  sa  table?  Rappelons-nous  bien  ce  que  la  foi  nous 
enseigne,  et  ne  faisons  pas  au  Fils  de  Dieu  l'injure  de  manger  le 

1.  Quando  sederis,  ut  comedas  cuin  principe,  diligenler  attende  quai  appo- 
sita  sunt.  [Prov.,  xxiii,  1.) 


734        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

pain  qu'il  nous  donne,  avec  indifférence,  de  sembler  ignorer  que 
ce  pain  n'est  pas  autre  chose  que  sa  chair  adorable,  ou  plutôt,  que 
tout  lui-même,  qui  se  voile  sous  de  telles  apparences  pour  se  don- 
ner à  nous.  Il  faut  considérer  ce  que  renferme  la  Sainte  Eucharis- 
tie; il  faut  le  méditer,  il  faut,  par  la  méditation  et,  s'il  est  néces- 
saire, par  une  étude  approfondie,  apprendre  à  le  connaître  de  plus 
en  plus.  Jésus-Christ  lui-même  se  fera,  d'ailleurs,  notre  lumière 
si  nous  voulons  le  mieux  connaître,  pour  le  mieux  recevoir  et  l'ai- 
mer davantage.  Quelle  faute  si,  par  négligence,  indifférence  ou 
mauvaise  volonté,  nous  ne  savions  que  très  vaguement  qui  est 
celui  qui  se  donne  à  nous  dans  l'Eucharistie,  et  pourquoi  il  se 
donne;  et  quelle  perte  pour  nous  qui  ne  profiterions  pas  comme 
nous  devrions  le  faire  d'un  si  grand  sacrement,  dont  nous  igno- 
rerions la  valeur  infinie  ! 

Lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  après  sa  résurrection,  se 
présenta  aux  deux  disciples  qui  se  rendaient  à  Emmaûs,  il  aurait 
pu  leur  reprocher  leur  peu  de  persévérance  et  la  lâcheté  avec  la- 
quelle ils  l'avaient  abandonné,  le  soir  même  où  ils  venaient  de  lui 
jurer  fidélité  jusqu'à  la  mort.  Mais  non  :  il  ne  leur  parle  ni  de  leur 
inconstance  ni  de  leur  peu  d'amour,  mais  c'est  le  manque  de  foi 
qu'il  leur  reproche  en  disant  :  «  0  insensés  et  lents  de  cœur  à 
«  croire  tout  ce  qu'ont  dit  les  prophètes  !  »  Pourquoi  ce  reproche 
plutôt  que  plusieurs  autres  qu'ils  méritaient  tout  aussi  bien  ?  Parce 
que,  disent  plusieurs  auteurs,  il  allait  rompre  devant  eux  le  pain 
eucharistique  et  qu'il  voulait  raviver  leur  foi,  avant  de  les  faire 
participer  au  mystère  de  foi  par  excellence,  et  de  les  exhorter  à 
la  pratique  des  autres  vertus  ^ 

Rupert  fait  remarquer  que  le  prêtre,  lorsqu'il  dit  le  Communi- 
cantes dans  la  célébration  du  saint  sacrifice,  et  qu'il  nomme  un 
certain  nombre  de  bienheureux  dont  il  vénère  particulièrement 
la  mémoire,  montre  par  là  que  la  foi  avec  laquelle  il  immole  et 
mange  l'Agneau  de  Dieu  est  la  même  que  celle  des  saints  qu'il 
nomme:  la  foi  avec  laquelle  Marie  l'a  conçu  et  enfanté,  la  foi  que 
les  saints  apôtres  ont  prêchée,  la  foi  pour  laquelle  les  martyrs  ont 
souffert  2. 

1.  Quia  post  parvum  interstilium,  Eucharisticum  panem  facturus,  coram 
eis,  prius  eos  debuit  ad  fidem  allicere  quam  aliarum  virtutum  exercitium 
excitare.  (Anton,  de  Escobar.,  bIMendosa,  inEvang.,  t.  II,  lib.  VIII.) 

2.  Dicimus  :  Communicantes  et  memoriam  vénérantes  in  primis  gloriosae 


PRÉPARATION   A   LA   COMMUNION   ET   CONDUITE   APRÈS   L'aVOIR   FAITE.      735 

IX.  Une  espérance  ferme.  —  Pourrait-on  ne  pas  tout  espérer 
de  Dieu,  avec  la  confiance  la  plus  entière,  lorsqu'on  reçoit  dans  son 
cœur,  par  la  sainte  communion,  le  Fils  même  de  Dieu  incarné 
par  amour  pour  nous?  L'Apôtre  nous  dit  :  «  Dieu  qui  n'a  pas 
«  épargné  son  propre  Fils,  mais  qui  l'a  livré  pour  nous  tous,  com- 
♦  ment  ne  nous  aurait-il  pas  donné  toutes  choses  avec  lui  ^  ?  »  Si 
Dieu  nous  a  donné  toutes  choses  par  l'incarnation  et  la  mort  de 
son  divin  Fils,  ne  nous  les  donne-t-il  pas,  à  plus  forte  raison, 
lorsque  ce  divin  Fils  descend  en  nous  par  la  sainte  communion 
et  nous  livre,  comme  un  bien  qui  devient  nôtre,  son  corps,  son 
sang,  son  âme  et  sa  divinité  ?  Si  les  paroles  de  l'Apôtre  ne  nous 
suffisent  pas,  rappelons-nous  celles  du  Seigneur  lui-même,  nous 
révélant  les  effets  de  son  adorable  sacrement.  II  disait  autrefois  à 
ses  disciples  et  aux  Juifs  qui  l'entouraient  :  «  Je  suis  le  pain  vivant 
«  qui  suis  descendu  du  ciel.  Si  quelqu'un  mange  de  ce  pain,  il 
«  vivra  éternellement  ~.  »  Et  il  disait  encore  :  «  Celui  qui  croit  en 
«  moi  a  la  vie  éternelle  ^.  »  Croire,  ce  n'est  pas  seulement  ajouter 
foi,  mais  aussi  donner  sa  confiance.  Et  qui  n'aurait  pas  une  con- 
fiance entière  en  ce  Dieu  qui  est  la  bonté  même?  Qui  pourrait  ne 
pas  se  fier,  sans  arrière-pensée,  à  sa  divine  parole  et  ne  pas  atten- 
dre, avec  la  plus  ferme  espérance,  l'effet  de  ses  promesses?  Il  est  le 
Verbe  de  Dieu,  la  Vérité  éternelle  et  par  essence  ;  il  ne  peut  donc 
pas  nous  tromper.  S'approcher  de  lui,  le  recevoir  par  la  sainte 
communion  sans  y  apporter  cette  espérance  ferme,  cette  confiance 
absolue,  serait  donc  lui  faire  outrage.  De  même  que  nous  croyons 
à  sa  présence  au  Très  Saint  Sacrement,  nous  devons  croire  aussi 
qu'il  y  est  pour  nous  sauver,  et  qu'il  nous  sauvera  infailliblement 
à  moins  que,  par  notre  malice,  nous  ne  mettions  volontairement 
obstacle  aux  desseins  de  sa  miséricorde. 

X.  Une  véritable  charité.  —  Avant  de  confier  à  Pierre  la  garde 
de  ses  agneaux  et  de  ses  brebis,  Jésus  lui  demanda  jusqu'à  trois 

semper  Virginis,  Genitricis  Dei,  sed  et  beatorum  Apostolorum  et  MartjTum 
tuorum,  etc.;  quod  idem  est,  ac  si  dicamus,  in  eadem  fide  nos  immolare  et 
comedere  Agnum  Dei,  in  qua  Virgo  concepit,  et  peperit,  quam  Apostoli  sancti 
praedicaverunt,  pro  qua  beati  Martyres  passi  sunt.  (Rupert.  abb.,  in  Exod., 

XII.) 

1.  Qui  etiamproprio  l'ilio  suo  non  pepercit,  sed  pro  nobis  omnibus  tradidit 
illum  :  quomodo,  non  etiain  cum  ilio,  omnia  nobis  donavit?  [Rom.,  viii,  3"2.) 

2.  Ego  sum  panis  vitœ  qui  de  cœlo  descendi.  Si  quis  manducaverit  ex  hoc 
pane  vivet  in  aeternum.  [Joann.^  vi,  51,  132.) 

3.  Qui  crédit  in  me  habet  vitam  seternam.  {Id.,  M.) 


736         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II**  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —  CIIAP.  XVI. 

fois  s'il  l'aimait  véritablement  :  «  Simon,  filsde  Jean,  m'aimes-tu? 
«  M'aimes-tu  plus  que  ceux-ci?»  Exigera-t-il  moins  d'être  aimé 
lorsqu'il  s'agit,  non  plus  de  ses  brebis,  mais  de  son  adorable  per- 
sonne? On  ne  devait  manger  l'agneau  pascal  que  rôti  devant  un 
feu  ardent.  Ce  feu  était  le  symbole  de  la  charité  brûlante  qui  doit 
préparer  nos  cœurs,  lorsque  nous  nous  proposons  de  manger  le 
divin  Agneau.  Lui-même  a  été  mis,  par  les  ardeurs  infinies  de  son- 
amour,  dans  l'état  qui  lui  permet  de  se  donner  à  nous  comme 
notre  nourriture.  Mais  nous  devenons  en  quelque  manière  sa  nour- 
riture à  lui-même,  lorsqu'il  se  fait  la  nôtre;  c'est  nous  qui  somme» 
changés  en  lui  et  non  pas  lui  en  nous  ;  s'il  demeure  en  nous  par 
la  sainte  communion,  à  notre  tour  nous  demeurons  en  lui.  L'ali- 
ment que  nous  lui  offrons  ne  doit  donc  pas  être  cru  ;  il  faut  que  nous 
soyons  tout  pénétrés  des  ardeurs  de  son  divin  amour.  Ici  revient 
encore  la  parole  de  Salomon  au  livre  des  Proverbes  :  «  Quand  vous 
«  serez  assis  pour  manger  avec  le  prince,  considérez  attentivement 
«  ce  qui  est  servi  devant  vous.  »  La  traduction  des  Septante  ajoute  : 
«  Parce  qu'il  vous  faudra  préparer  des  mets  semblables  ^  »  C'est 
un  Dieu  brûlant  pour  nous  du  plus  ardent  amour  qui  se  donne  à 
nous  pour  être  notre  aliment  :  nous  ne  devons  nous  approcher 
de  lui  et  nous  donner  à  lui  qu'avec  un  cœur  brûlant  aussi  de 
charité. 

Dans  la  parabole  du  festin  des  noces  '^  qu'un  roi  fit  à  son  fils, 
nous  voyons  avec  quelle  rigueur  furent  punis  ceux  qui  négligèrent 
de  se  rendre  à  l'invitation  que  le  roi  leur  avait  faite,  car  l'invita- 
tion d'un  roi  est  un  ordre  et  doit  être  considérée  comme  telle, 
surtout  si  ce  roi  est  Dieu  lui-même.  Mais  ceux  mêmes  qui  se  ren- 
dirent au  festin  n'y  furent  bien  reçus  qu'à  la  condition  d'être  re- 
vêtus de  la  robe  nuptiale.  Or,  de  l'avis  de  tous  les  interprètes,  cette 
robe  nuptiale  est  le  symbole  de  la  chanté  sans  laquelle  on  ne  sau- 
rait être  en  grâce  avec  Dieu  3.  On  sait  ce  qui  arriva  à  l'invité 
qui  n'avait  pas  rempli  cette  condition  :  le  roi  lui  dit  :  «  Mon  ami, 
«  comment  êtes-vous  entré  ici  sans  avoir  la  robe  nuptiale?  et  ce- 
«  lui-ci  resta  muet.  Alors  le  roi  dit  à  ses  serviteurs  :  Liez-lui  les 


1.  Quando  sederis,  ut  comedas  cum  principe,  diligenter  attende  quae  appo- 
sita  sunt,  quia  et  te  oportet  talia  prseparare.  {Prov.,  xxiii,  4.) 

2.  Matth.,  XXII,  1-14. 

3.  Vidit  hominem  non  habentem   vestem    nuptialem,    id  est  charitatem. 
(S.  TiiOM.,  opusc.  LVII,  de  Ven.  Sacr.  Altar.) 


PRÉPARATION    A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE    APRÈS    l'aVOIR    FAITE.       737 

«  pieds  et  les  mains,  et  jetez-le  dans  les  ténèbres  extérieures  ;  là  il 
«  y  aura  des  pleurs  et  des  grincements  de  dents  K  » 

XI.  .Simplicité  et  innocence.  —  Lorsque  Dieu  ordonna  aux 
Israélites  d'immoler  l'agneau  pascal,  gage  de  leur  délivrance  de 
la  servitude,  pourquoi  choisit-il  un  agneau  de  préférence  à  toute 
autre  victime?  C'est  que  l'agneau,  par  sa  simplicité  et  son  innocence, 
figurait  admirablement  la  victime  divine,  qui  devait  être  immolée 
un  jour  pour  la  délivrance  de  l'humanité  entière,  gémissant  sous 
le  joug  du  démon  et  dans  l'esclavage  du  péché,  joug  et  esclavage 
mille  fois  plus  cruels  et  plus  dégradants  que  ceux  de  l'Egypte. 

Les  qualités  de  la  victime  qui  s'est  immolée  pour  nous  de- 
mandent en  nous  des  qualités  semblables,  si  nous  voulons  être 
nourris  de  sa  chair.  Pour  participer  à  la  nouvelle  pàque  qui  est  le 
Christ  immolé  pour  notre  salut,  il  faut  donc  la  simplicité  de 
l'agneau  et  son  innocence.  Aussi,  dans  une  de  ses  homélies, 
S.  Chrysostome  disait-il  à  son  peuple  :  «  Vous  qui  êtes  rassemblés 
«  pour  prendre  part  au  festin  de  ce  jour,  présentez-vous  aux  divins 
«  mystères  avec  des  cœurs  sincères;  qu'il  n'y  ait  aucune  duplicité 
«  dans  votre  âme,  qu'aucune  souillure  de  passion  mauvaise  ne  vous 
«  salisse  intérieurement.  Que  l'Agneau  que  vous  aurez  mangé 
«  témoigne  que  vous  avez  l'innocence  de  l'agneau.  Il  ne  faut  pas 
«  que  les  membres  immaculés  de  la  brebis  soient  engloutis  dans 
«  les  entrailles  d'un  loup  2.  » 

Le  saint  roi  David  invitait  les  Israélites  à  offrir  au  Seigneur  des 
sacrifices  qui  lui  fussent  agréables  et  il  leur  disait  :  «  Apportez  au 
«  Seigneur,  enfants  de  Dieu,  apportez  au  Seigneur  des  petits  de 
«  béliers  ^.  »  Pourquoi  «  des  petits  de  béliers,  »  c'est-à-dire  des 
agneaux,  sinon  à  cause  de  leur  simplicité,  de  leur  innocence?  Et 
n'est-ce  pas  pour  la  même  raison  que  le  Fils  de  Dieu,  en  se  livrant 
pour  être  immolé  à  la  gloire  et  à  la  justice  de  son  Père  céleste,  a 
pris  ce  môme  nom  d'Agneau?  Pourquoi  S.  Jean-Baptiste  aurait-il 
dit  de  lui  :  «  Voici  l'Agneau  de  Dieu,  voici  celui  qui  ôte  le  péché  du 
«  monde  's  »  s'il  n'avait  pas  été  la  victime  simple  et  innocente, 

1.  Malt  h.,  x.xii,  l'i,  13. 

2.  Ad  hodiernuin  convivium  qui  convenitis,  sincera  quaeso  viscera  divinis 
exhibete  mysteriis.  Nulla  sit  in  mente  duplicitas,  nec  livoris  lihidine  interior 
homo  fuscetur.  Agniis  comesus  Agni  innocentiamprieferat,  nec  inimaculata  ovis 
membra.lupina  Iransfundat  in  viscera.  (S.  Curysost.,  hoin.  I  tie  Pdss.  ad jwpul.) 

3.  AlVerte,  filii  Dei,  aflerte  Domino  filiosarietum.  {Ps.  xxviii,  1.) 

A.  Ecce  Agnus  Dei,  ecce  qui  lollit  peccalum  mundi.  [Joann.,  i,  29.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —    T.    IV.  47 


738         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

seule  capable,  à  cause  de  son  innocence  même,  de  satisfaire  à  la 
justice  de  Dieu  ?  Ce  divin  Agneau  veut  bien  se  faire  notre  nourri- 
ture, mais  à  la  condition  que  nous  ne  serons  pas  des  loups  rapaces 
éternels  ;  à  la  condition  que  nous  serons  nous-mêmes  des  agneaux, 
acceptant  simplement  ce  qu'il  nous  donne;  croyant,  sur  sa  parole, 
qu'un  peu  de  pain  est  devenu  sa  chair,  qu'un  peu  de  vin  est 
devenu  son  sang;  mangeant  l'aliment  divin  qu'il  nous  donne 
sous  une  forme  qui,  extérieurement,  ne  rappelle  en  rien  la  forme 
de  la  chair  et  du  sang,  car  le  prendre  avec  de  telles  apparences 
serait  en  contradiction  avec  l'innocence,  la  douceur,  la  simplicité 
naturelles  de  l'agneau  qu'il  est  et  que  nous  devons  être  à  son 
exemple. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait,  pendant  sa  vie  mortelle  : 
«  Laissez  venir  à  moi  les  petits  enfants  et  ne  les  en  empêchez 
«  point,  carie  royaume  des  cieux  est  à  ceux  qui  leur  ressemblent  i.» 
Il  disait  encore:  «  Si  vous  ne  devenez  pas  comme  les  petits  enfants, 
«  vous  n'entrerez  pas  dans  le  royaume  des  cieux  -.  »  En  quoi  notre 
divin  Sauveur  veut-il  que  nous  ressemblions  aux  petits  enfants? 
Évidemment  ce  n'est  pas  par  la  faiblesse,  l'ignorance  et  les  autres 
défauts  naturels  inhérents  à  leur  condition,  mais  par  la  candeur,  la 
simplicité,  l'innocence,  tout  ce  qui  fait  le  charme  du  premier  âge. 
Si  nous  possédons  ces  qualités,  nous  serons  dignes  du  royaume  de 
Dieu,  dignes  de  posséder  Dieu  lui-même,  et,  par  conséquent,  de  le 
recevoir  dans  la  sainte  communion.  Mais  si  nous  ne  devenons  pas 
simples,  droits,  innocents  et  purs,  nous  n'entrerons  pas  dans  le 
royaume  de  Dieu  ni  le  royaume  de  Dieu  n'entrera  pas  en  nous. 
Jésus-Christ,  le  souverain  roi  du  ciel  et  de  la  terre,  se  détournera 
avec  horreur  ;  il  ne  viendra  pas  habiter  des  cœurs  qui  n'auront 
rien  de  commun  avec  la  simplicité  et  l'innocence. 

XII.  Humilité.  —  Pourquoi  Dieu  ordonne-t-il  à  Moïse  d'ôter  sa 
chaussure  avant  d'approcher  du  buisson  ardent?  Ne  suffisait-il  pas 
qu'il  se  fût  lavé  les  mains  et  la  face?  —  Non,  ce  n'était  pas  assez, 
car  il  ne  suffit  pas  pour  approcher  de  Dieu  qui  se  tient  au  milieu 
de  nous  dans  la  Sainte  Eucharistie,  dont  le  buisson  ardent  était 
l'image,  de  n'être  souillé  d'aucune  tache.  Il  faut  l'humilité,  et  c'est 

1.  Sinite  parvulos  venire  ad  me,  et  ne  prohibueritis  eos  :  talium  est  enim 
regnum  Dei.  {Marc,  x,  14.) 

2.  Nisi  efficiamini  sicut  parvuli,  non  intrabitis  in  regno  cœlorum.  [Matlh., 
xviii,  3.) 


4 


PRÉPARATION   A    LA    COMMUNION   ET    CONDUITE  APRES    l'aVOIR    FAITE.       739 

elle  que  Dieu  nous  demande  par  ce  rite  figuratif  qu'il  impose  à 
Moïse.  S'approcher  de  quelqu'un  les  pieds  nus  fut  toujours  consi- 
déré comme  la  marque  d'une  humilité  profonde,  d'une  soumission 
absolue.  Dieu  exigea  de  Moïse  cet  acte  d'humilité,  pour  nous  faire 
comprendre  que,  si  nous  voulons  nous  approcher  de  lui,  nous 
devons  le  faire  humblement,  et  rejeter  loin  de  nous  tout  ce  qui  se 
rattacherait  à  l'orgueil. 

David  nous  dit  que  «les  pauvres  mangeront  et  seront  rassasiés  '.  » 
Il  parle  du  véritable  pain  du  ciel  figuré  par  la  manne.  Les  pauvres 
qui  mangeront  ce  pain  sont  les  humbles  ;  cet  aliment  divin  les 
rassasiera,  les  nourrira  véritablement.  Ceux  qui  possèdent  en 
abondance  les  biens  de  la  terre  pourront  être  rassasiés  aussi,  mais 
à  la  condition  d'être  petits,  humbles,  dénués  de  mérites  et  de 
vertus  à  leurs  propres  yeux.  Salomon  fait  dire  à  la  Sagesse  divine, 
au  livre  des  Proverbes  :  «  Si  quelqu'un  est  petit,  qu'il  vienne  à 
a  moi.  »  Ce  n'est  pas  encore  assez  de  reconnaître  sa  petitesse  selon 
le  monde  ;  il  faut  avouer  que,  même  pour  les  plus  nobles  facultés 
de  l'àme,  on  est  bien  peu  de  chose,  car  Salomon  ajoute:  «  Et  à  des 
«  insensés  elle  a  dit  :  Venez,  mangez  mon  pain  et  buvez  le  vin 
«  que  je  vous  ai  mêlé  ~.  »  Elle  appelle  donc  à  son  festin  les  humbles 
véritables,  ceux  qui,  parce  qu'ils  se  connaissent  bien  et  ont  cons- 
cience de  leur  faiblesse  naturelle,  ne  sont  rien  à  leurs  propres  yeux 
et  mettent  toute  leur  confiance  dans  la  miséricorde  du  Seigneur. 

Le  centurion  dont  parle  l'Évangile  montrait  cette  véritable  hu- 
milité, lorsqu'il  disait  à  Jésus:  «  Seigneur,  je  ne  suis  pas  digne  que 
«  vous  entriez  sous  mon  toit  ^.  »  Et  S.  Augustin  fait  cette  remarque  : 
<r  En  se  disant  indigne,  il  se  rendit  digne  ^.  » 

Lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  fit  le  miracle  de  la  multi- 
plication des  pains,  avant  de  distribuer  à  la  foule,  par  la  main  de 
ses  apôtres,  cette  nourriture  miraculeuse  symbole  de  l'Eucharistie, 
il  voulut  que  tout  le  monde  fût  assis  sur  l'herbe,  car  l'herbe,  que 
chacun  foule  aux  pieds  et  qui  passe  avec  rapidité,  représente  l'hu- 
milité nécessaire  pour  manger  le  pain  rempli  de  mystères  qui  est 
la  Sainte  Eucharistie. 

1.  Edent  paupereset  saturabunlur.  {Ps.  xxi,  27.) 

2.  Si  quis  est  parvuhis,  veniat  ad  me.  Et  insipientibus  locuta  est  :  Venite. 
comedite   panem  meum,  et  bibite  vinum  quod  miscui  vobis.  {Prov.,  ix,  -4,  5.) 

3.  Domine,  non  sum  dignus  ut  intres  sub  tectum  meum.  {Malth.,  viii,  8.) 
i.  Dicendo  se  indignum,  praestitit  se  dignum.  (S.  August.,  ibid.) 


740        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'"  PARTIE.  —  LIVRE   II.  —   CIIAP.   XVI. 

Si  donc  nous  voulons  communier  dignement,  rejetons  loin  de 
nous,  selon  le  conseil  de  l'Apôtre,  le  vieux  ferment  de  l'orgueil,  et 
soyons  humbles  comme  le  fut  notre  divin  modèle  que  nous  voulons 
recevoir,  Jésus  doux  et  humble  de  cœur. 

XIII.  La  chasteté.  —  Un  jour  que  David  fuyait  la  colère  de  Saûl, 
il  s'arrêta  à  Nobé  où  était  alors  l'arche  d'alliance,  et  demanda  du 
pain  au  grand  prêtre  Achimélcch,  pour  lui-même  et  pour  les 
jeunes  gens  qui  l'accompagnaient.  Achimélech  n'avait  alors  à  sa 
disposition  que  les  pains  retirés  de  la  table  de  proposition,  consa- 
crés à  Dieu  par  conséquent,  et  auxquels  il  n'était  régulièrement 
permis  de  toucher  qu'aux  prêtres  et  aux  lévites.  Cependant  il  les 
donna  à  David  lorsque  celui-ci  lui  eut  assuré  que  ses  compagnons 
n'avaient  pas  eu  l'occasion  de  violer  la  sainte  chasteté  depuis  plu- 
sieurs jours.  Les  pains  de  proposition  n'étaient  qu'une  lointaine 
image  de  l'Eucharistie;  cependant  pour  y  toucher,  même  en  cas  de 
nécessité,  il  fallait  au  moins  la  chasteté  corporelle,  sinon  celle  de 
l'âme.  Lorsqu'il  s'agit  non  plus  de  la  figure,  mais  de  la  réalité,  lors- 
qu'on veut  manger  le  pain  descendu  du  ciel,  pain  vivant  qui  donne 
l'éternelle  béatitude,  la  chasteté  corporelle  ne  suffit  plus,  il  faut 
celle  de  1  ame  ;  il  faut  que  les  pensées,  les  affections  du  cœur,  les 
désirs  soient  assez  purs  pour  ne  pas  constrister  le  bien-aimé  qui 
se  repaît  au  milieu  des  lis.  On  ne  peut  pas  manger  dignement  le 
pain  des  anges  si  l'on  ne  s'efforce  pas  d'imiter,  autant  qu'il  est 
possible  à  la  nature  humaine,  la  chasteté  des  anges. 

XIV.  L'obéissance  aux  supérieurs.  —  La  manne  dont  Dieu 
nourrit  les  Israélites  dans  le  désert  devait  être  consommée  le  jour 
même  où  elle  était  recueillie  et  Moïse,  par  ordre  de  Dieu,  avait 
défendu  d'en  réserver  pour  le  lendemain,  excepté  la  veille  du 
sabbat.  Ceux  qui  contrevenaient  à  cet  ordre  voyaient  ce  qu'ils 
avaient  mis  en  réserve  se  corrompre  et  se  remplir  de  vers.  La  dé- 
sobéissance leur  rendait  inutile  ce  don  précieux  du  Seigneur  ^. 
On  peut  en  dire  autant  de  la  Très  Sainte  Eucharistie.  Refuser, 
pour  la  recevoir,  de  se  soumettre  pleinement  aux  directions  de 
l'Eglise  et  des  supérieurs  spirituels  ;  vouloir  agir,  en  une  chose  si 
importante,  de  son  propre  chef,  sans  écouter  un  sage  directeur, 
c'est  perdre  le  fruit  de  ses  communions,  c'est  changer  en  un  acte 
nuisible  un  acte  saint  et  fructueux  entre  tous.  La  désobéissance 

i.  Exod.,  xvi,  \\),  20. 


PRÉPARATION   A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE   APRES    l'aVOIR    FAITE.       741 

y  mêle  des  éléments  de  corruption  et  le  démon  profite,  pour  tra- 
vailler à  la  perte  du  désobéissant,  du  moyen  le  plus  efficace  que 
Dieu  ait  préparé  pour  aider  au  salut  de  l'homme.  C'est  que,  selon 
la  parole  du  prophète  Samuel  au  roi  Saiil  :  a  L'obéissance  est  meil- 
«  leure  que  des  victimes,  »  Jésus-Christ  s'est  fait  obéissant  jusqu'à 
la  mort  et  à  la  mort  de  la  croix  ;  Jésus-Christ,  dans  l'Eucharistie, 
donne  à  chaque  instant  des  exemples  de  l'obéissance  la  plus 
absolue  au  prêtre  dont  la  parole  le  fait  descendre  du  ciel,  dont  les 
mains  le  touchent,  le  portent,  le  distribuent  aux  fidèles,  sans  qu'il 
réclame  jamais  ;  pourrait-il  voir  sans  peine  qu'on  s'approchât  de 
lui  et  qu'on  le  reçût  par  la  sainte  communion,  sans  apporter  à  cet 
acte  sacré  la  vertu  d'obéissance  qui  lui  est  si  chère? 

XV.  La  charité  et  la  paix  fraternelle.  —  Dans  le  sermon  sur 
la  montagne,  Notre-Seigneur  Jésus -Christ  prononça  ces  paroles  : 
«  Bienheureux  ceux  qui  sont  doux,  parce  qu'ils  posséderont  la 
«c  terre  ^.  »  Ne  semble-t-il  pas  que  la  possession  de  la  terre  soit  plu- 
tôt le  lot  dévolu  aux  violents  et  aux  forts  ?  La  guerre,  la  ruse, 
l'injustice,  réussissent  souvent  à  ceux  qui  veulent  à  tout  prix  être 
riches  et  puissants  ici-bas.  La  douceur  peut  gagner  les  cœurs, 
lorsqu'elle  n'encourage  pas  les  méchants  à  se  montrer  plus  mé- 
chants encore,  mais  il  est  rare  qu'elle  conduise  à  posséder  la  terre, 
dans  le  sens  où  l'entend  le  monde.  Cependant  les  apôtres  envoyés 
par  leur  divin  Maître  à  la  conquête  de  l'univers,  comme  quelques 
faibles  brebis  perdues  au  milieu  de  loups  affamés,  ont  achevé  cette 
conquête  à  force  de  verser  leur  propre  sang  et  de  se  montrer  doux 
à  l'exemple  de  Jésus.  C'est  que  Jésus  était  avec  eux,  qu'il  combat- 
tait pour  eux  et  que,  d'avance,  le  monde  était  vaincu  par  lui. 

S.  Jérôme  donne  une  autre  explication  de  ce  texte  qu'il  rapporte 
à  la  Très  Sainte  Eucharistie.  La  terre  que  posséderont  ceux  qui 
sont  doux  est  le  corps  adorable  du  Sauveur.  Il  est  appelé  terre 
parce  qu'il  est,  par  sa  nature,  sorti  de  la  terre  comme  le  corps  de 
tous  les  autres  hommes.  Il  descend  comme  nous  d'Adam  que  Dieu 
forma  d'un  peu  de  limon.  C'est  donc  le  corps  de  Notre-Seigneur 
que  posséderont  ceux  qui  sont  doux;  ils  auront  sur  lui  un  droit 
particulier,  il  leur  appartiendra  plus  qu'à  tous  les  autres  hommes, 
parce  qu'ils  mettent  parfaitement  en  pratique  cette  leçon  que  Jésus 
nous  a  faite  :  «  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et  humble  de 

\.  Beati  mites,  quoniam  ipsi  possidebunt  terram.  [Matth.,  v,  4.) 


742         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CUAP.  \VI. 

«  cœur  1.  »  C'est  dans  les  cœurs  véritablement  doux  que  le  Fils 
de  Dieu  se  plaît  à  habiter  K 

Aussi  la  Sainte  Écriture  est-elle  remplie  de  passages  qui  nous 
recommandent  la  vertu  de  douceur  et  nous  invitent  à  garder  la 
paix  avec  nos  frères.  Nous  lisons  dans  S.  Matthieu  :  «Si  vous  pré- 
*  sentez  votre  offrande  à  l'autel,  et  que  là,  vous  vous  souveniez 
<f  que  votre  frère  a  quelque  chose  contre  vous,  laissez  là  votre  don 
«  devant  l'autel,  et  allez  d'abord  vous  réconcilier  avec  votre  frère, 
«  et  alors  revenant,  vous  offrirez  votre  don  ^.  »  Jésus-Christ  ne  veut 
pas  que  l'on  approche  de  son  autel,  même  pour  lui  présenter  des 
offrandes,  si  l'on  n'est  pas  en  paix  avec  ses  frères,  si  l'on  ne  pos- 
sède pas  la  charité  dans  son  cœur.  Comment  pourrait-il  agréer 
qu'on  le  reçoive  lui-même,  qu'on  l'oblige  à  descendre  dans  ce  cœur 
où  n'habitent  pas  la  douceur  et  la  paix  ? 

A  l'occasion  de  l'entrée  triomphale  de  Jésus  à  Jérusalem, 
S.  Matthieu  disait,  après  Isaïe  et  Zacharie  :  «  Dites  à  la  fille  de 
«  Sion  :  Voici  que  votre  roi  vient  à  vous  plein  de  douceur  ^  »  La 
fille  de  Sion,  c'est  l'àmevers  laquelle  Jésus,  le  divin  Roi,  vient,  afin 
de  se  donner  à  elle  par  la  sainte  communion.  Il  y  vient  plein  de 
mansuétude  :  comment  entrerait-il  triomphalement  dans  cette 
âme,  si  elle  n'était  pas  douce,  humble  et  pacifique  comme  lui? 
Celui  qui  mange  la  chair  de  Jésus  doit  vivre  en  Jésus  comme 
Jésus  vit  en  lui.  Il  doit  n'avoir  pas  d'autres  sentiments  que  ceux 
de  son  hôte  divin,  par  conséquent  aimer  la  paix,  être  bon  et  doux 
envers  tous.  Il  est  vrai  que  ce  môme  Jésus,  si  bon  pour  ceux  qui 
ont  recours  à  lui,  est  terrible  pour  les  méchants  obstinés,  et  qu'il 
sera  pour  eux  un  juge  inexorable  au  jour  de  leur  mort.  Mais  nous 
ne  connaissons  pas  comme  lui  le  fond  des  cœurs,  et  surtout  nous 
n'avons  pas  comme  lui  à  juger  et  à  condamner  les  méchants.  Ce 
n'est  pas  sa  rigueur,  mais  sa  douceur  et  sa  mansuétude  qu'il  veut 
rencontrer  dans  nos  cœurs,  lorsqu'il  daigne  y  venir  habiter. 

1.  Discite  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis  corde.  [Matth.,  xi,  29.) 

2.  Haereditatem  terrse  Dominiis  pollicetur,  id  est  corporis  habitaculum,  quia 
per  mansuetudinem  mentis  nostrae  habitat  in  nobis  Christus.  (S.  IIieronymus, 
apud  Caten.  Aur.  S.  Thom.) 

3.  Si  ergo  ofîers  munus  tuum  ad  altare,  et  ibi  recordatus  fueris  quia  frater 
tuus  habet  aliquid  adversum  te  :  relinque  ibi  munus  tuum  ante  altare  et  vade 
prias  reconciliari  fratri  tuo.  Et  tune  veniens  offeres  munus  tuum.  {Matth., 
V,  23,  24.) 

4.  Dicite  filiae  Sion  :  Ecce  Rex  tuus  venit  tibi  mansuetus.  {Matth.,  xxi,  5.) 


PRÉPARATION    A   LA    COMMDN'ION   ET    CONDUITE   APRÈS   l'aVOIR   FAITE.       743 

XVI.  La  pratique  des  bonnes  œuvres.  —  L'homme  ne  doit 
manger  le  pain  naturel  qui  nourrit  son  corps,  que  s'il  l'a  gagné, 
à  la  sueur  de  son  front,  par  son  travail  et  ses  œuvres.  Sous  la  lettre 
de  cette  sentence  prononcée  par  le  Seigneur,  à  l'origine  de  l'hu- 
manité, se  cache  un  sens  mystérieux.  Le  pain  de  l'àme,  lui  aussi, 
le  pain  qui  n'est  autre  que  le  corps  adorable  de  Jésus  ne  sera 
mangé  dignement  que  si  on  l'a  gagné  à  la  sueur  de  son  front, 
c'est-à-dire  par  la  pratique  des  bonnes  œuvres,  des  actes  de  vertu. 

Lorsque  Dieu  donna  la  manne  aux  Israélites  dans  le  désert,  il 
voulut  que  chacun  se  hâtât  dès  le  matin,  avant  le  lever  du  soleil, 
de  recueillir  la  part  qui  lui  en  revenait.  Ceux  qui  n'accomplissaient 
pas  ce  travail  avec  diligence  étaient  privés  du  pain  miraculeux 
qui  se  fondait  aux  premiers  rayons  du  soleil.  La  Sainte  Eucha- 
ristie, que  figurait  la  manne,  ne  sera  pour  nous  une  véritable 
nourriture  que  si  nous  travaillons  à  le  mériter  par  nos  œuvres. 
Le  jour  du  sabbat  était  le  seul  où  l'on  se  nourrit  de  la  manne  re- 
cueillie et  préparée  dès  la  veille,  parce  que  le  sabbat  était  le  sym- 
bole de  la  bienheureuse  éternité.  Alors  nous  ne  travaillerons  plus, 
mais  nous  jouirons  pleinement  de  Dieu.  Nous  mangerons  le  pain 
des  anges  qui  nous  sera  préparé  par  les  œuvres  que  nous  aurons 
faites  pendant  notre  vie  mortelle,  qui  est  la  vigile  de  ce  sabbat 
bienheureux. 

Le  Psalmiste  disait  :  «  Parce  que  vous  mangerez  du  fruit  de  vos 
«  travaux,  vous  êtes  bienheureux,  et  toiit  vous  réussira  '.  »  La 
Sainte  Eucharistie,  lorsque  nous  la  mangeons,  doit  être  le  fruit  de 
nos  travaux;  à  ce  prix  seul  elle  nous  procurera  le  bonheur  véri- 
table et  les  bénédictions  de  Dieu.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ne 
nous  a-t-il  pas  dit:  «  Travaillez,  non  pas  en  vue  de  la  nourriture 
«  qui  périt,  mais  de  celle  qui  demeure  pour  la  vie  éternelle,  et 
cr  que  le  Fils  de  l'homme  vous  donnera  -.  »  Cette  nourriture  qu'il 
nous  promettait,  c'était  lui-même,  voilé  sous  les  espèces  du  pain  et 
du  vin.  C'est  en  vue  de  ce  pain  vivant,  de  ce  vin  qui  fait  germer 
les  vierges,  que  nous  devons  travailler.  Mais  quels  travaux  accom- 
plir, sinon  des  œuvres  bonnes  et  en  rapport  avec  la  sainteté  de 
cet  aliment  divin?  Aux  noces  de  Cana,  lorsque  Jésus  était  sur  le 

\ .  Labores  manuum  tuarum  quia  manducabis,  beatus  es  et  bene  tibi  erit. 
[Ps.  cxxvii,  2.) 

2.  Operamini  non  cibum  qui  périt,  sed  qui  permanet  in  vitam  aeternam. 
{Joann.,  vi,  27.) 


744        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.  —  LIVRE   II.   —  CIIAP.   XVI. 

point  de  changer  l'eau  en  vin,  et  de  préluder  ainsi  au  changement 
du  vin  en  son  sang,  sa  bienheureuse  Mère  dit  aux  serviteurs  : 
ff  Faites  tout  ce  qu'il  vous  dira  '.  »  Ne  semble-t-il  pas  qu'elle  nous 
adresse  les  mêmes  paroles,  lorsqu'il  va  nous  donner  sa  chair  à 
manger  et  son  sang  à  boire? 

X\"II.  Le  jeune  naturel.  —  Nous  avons  dit  ailleurs  ce  qu'il  faut 
entendre  par  le  jeûne  naturel  exigé  par  l'Église  pour  la  sainte  com- 
munion, et  combien  est  grave  l'obligation  de  ce  jeûne  absolu 
avant  de  recevoir  la  Sainte  Eucharistie.  Le  respect  profond  que 
demande  de  nous  l'adorable  Sacrement  de  nos  autels  explique  cette 
obligation  et  la  rigueur  avec  laquelle  elle  nous  est  imposée.  Moïse 
était  à  jeun  lorqu'il  gravit  les  hauteurs  du  mont  Sinaï,  pour  entrer 
en  conférence  avec  le  Seigneur,  et  pendant  les  quarante  jours 
qu'il  passa  sur  le  sommet  de  la  montagne,  il  ne  prit  aucun  ali- 
ment. Les  Israélites  étaient  à  jeun  le  matin,  lorsqu'ils  recueillaient 
la  manne  dans  le  désert,  et  c'était  aussi  la  première  nourriture 
qu'ils  prenaient.  Élie  était  à  jeun  ;  il  mourait  de  faim  et  de  soif, 
lorsque  l'ange  lui  donna  le  pain  mystérieux  qui  renouvela  et 
centupla  ses  forces.  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  lui-môme  n'avait 
ni  bu  ni  mangé  depuis  quarante  jours  et  quarante  nuits,  lorsque 
les  anges  s'approchèrent  de  lui  et  le  servirent  dans  le  désert. 

Au  respect  dû  à  la  Très  Sainte  Eucharistie  peut-être  faut-il 
ajouter  une  raison  mystique  de  la  loi  de  l'Église  qui  oblige  au 
jeûne  naturel,  lorsqu'on  veut  s'approcher  de  la  sainte  communion. 
Ceux-là  seuls  profitent  bien  de  la  Très  Sainte  Eucharistie  qui  dé- 
sirent ardemment  s'en  nourrir.  Le  désir,  c'est  la  faim  et  la  soif  de 
l'âme.  N'est-il  pas  juste  que  le  corps  éprouve  de  son  côté  la  faim 
et  la  soif,  puisqu'il  doit  participer  à  la  réception  du  divin  sacre- 
ment, puisque  même  c'est  par  lui  qu'elle  s'opère?  La  faim  et  la 
soif  corporelles  nous  rappellent,  si  nous  venions  à  l'oublier,  com- 
bien nous  avons  grand  besoin  du  pain  vivant  que  Jésus-Christ 
nous  a  préparé,  et  elles  éveillent  ainsi  en  nous  un  plus  grand  désir 
de  la  sainte  communion.  Ne  peut-on  pas  faire  encore  ici  l'appli- 
cation de  ces  paroles  du  Psalmiste  :  «  Mon  cœur  et  ma  chair  ont 
«  exulté  pour  le  Dieu  vivant  2?  » 

1.  Quaecumque  dixerit  vobis,  facile.  {Joann.,  11,  li.) 

2.  Cor  meumet  caro  mea  exultaverunt  in  Deum  vivum.  {Ps.  Lxxxiii.) 


PRÉPARATION   A   LA   COMMUNION    ET    CONDDITE   APRES    l'aVOIR   FAITE.        745 

II. 

DISPOSITIONS    DÉSIRABLES    POUR    FAIRE   LA    SAINTE   COMMUNION 
AVEC    UNE   RÉELLE    PIÉTÉ 

Quiconque  veut  recevoir  la  sainte  communion,  non  seulement 
de  manière  à  ne  pas  contrister  notre  divin  Jésus  qui  descend  dans 
son  cœur,  mais  à  le  réjouir  pleinement,  et  à  mériter  ses  bénédic- 
ions  les  plus  abondantes  et  les  plus  choisies,  doit  ajouter  encore 
d'autres  dispositions  à  celles  qui  ont  été  marquées  dans  les  pages 
précédentes.  Ces  dispositions  que  Ton  pourrait  appeler  secondaires, 
malgré  leur  importance,  sont  nombreuses,  mais  il  suffira  ici  de 
dire  un  mot  des  principales. 

I.  Se  préparer  du  mieux  que  Vonjjeut.  —  Rébecca,  avant  d'en- 
voyer Jacob  auprès  de  son  père  Isaac  pour  recevoir  sa  solennelle 
bénédiction,  le  couvrit  des  vêtements  précieux  et  embaumés  de 
parfums  qu'elle  gardait  soigneusement,  et  ne  sortait  que  dans  les 
grandes  occasions.  L'odeur  de  ces  vêtements  parfumés  fut  ce  qui 
décida  Isaac  à  bénir  son  fils,  et  lui  inspira  les  paroles  de  sa  béné- 
diction. Nous  lisons  dans  la  Sainte  Écriture  :  «  Dès  qu'Isaac  sentit 
«  la  bonne  odeur  de  ses  vêtements,  le  bénissant,  il  dit  :  Voici  que 
«  l'odeur  qui  s'exhale  de  mon  fils  est  comme  l'odeur  d'un  champ 
a  rempli,  qu'a  béni  le  Seigneur.  Que  Dieu  te  donne  de  la  rosée,  de 
«  la  graisse  de  la  terre  et  une  abondance  de  blé  et  de  vin  i.  n  Les 
vêtements  de  choix,  le  parfum  qu'ils  répandent,  sont  le  symbole  des 
dispositions  qu'il  convient  d'apporter  à  la  sainte  communion.  La 
robe  nuptiale  ne  suffit  pas  si  l'on  veut  être  pleinement  agréable 
au  roi  qui  fait  les  noces  de  son  fils;  il  faut  que  cette  robe  soit 
soignée,  qu'elle  soit  la  plus  belle  que  l'on  ait  pu  se  procurer.  Il 
faut  qu'on  ait  mis  en  pratique  la  recommandation  de  S.  Thomas: 
Quantum  potes ,  tantum  aude  :  «  Tout  ce  que  vous  pouvez  faire, 
«  faites-le.  »  Le  Dieu  que  vous  vous  proposez  de  recevoir  est  le  Dieu 
infiniment  s;iintet  infiniment  grand  ;  c'est  aussi  votre  divin  Jésus, 
votre  Rédempteur  qui  vous  aime  tant  et  qui  fait  tant  pour  vous  : 
serait-il  admissible  que  vous  vous  contentiez,    lorsqu'il   vient  à 

1.  Statimque  ut  sensit  vestimentorum  illius  fragrantiam,  benedicens  illi 
ait  :  Ecce  odor  filii  mei  sicut  odor  agri  pleni,  cui  henedixit  Dominas.  Dct  tibi 
Deus  de  rore  cœli,  et  de  pinguedine  terrc-e.  nbundanliam  frumenti  et  vini. 
[Gènes.,  xxvii,  -27,  ^28.) 


746         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"'  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XVI. 

VOUS,  de  ne  lui  offrir  que  le  strict  nécessaire,  ce  que  vous  ne  pour- 
riez lui  refuser  sans  le  blesser  au  cœur  et  encourir  sa  colère? 

II.  La  communion  spirituelle.  —  Si  les  anges  pouvaient, 
comme  nous,  se  nourrir  non  seulement  de  la  divinité  mais  de 
riiumanité  adorable  de  Notre-Seigneur,  ils  le  feraient  avec  joie  ; 
mais  leur  nature  s'y  oppose  et  leur  communion  est  toute  spirituelle. 
Avant  de  communier  sacramentellement,  nous  pouvons  manger 
le  pain  des  anges,  comme  ils  le  font  eux-mêmes,  non  pas  avec  la 
même  perfection  ni  avec  les  délices  réservées  pour  la  patrie  céleste, 
mais  selon  notre  état  et  Finfirmité  de  cette  vie  mortelle.  Pour- 
quoi négligerions-nous  de  le  faire  ?  «  Ceux  qui  me  mangent  auront 
a  encore  faim  et  ceux  qui  me  boivent  auront  encore  soif  i,  »  dit 
la  Sagesse  incréée,  au  livre  deFEcclésiastique.  La  Sagesse  incréée, 
c'est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  considéré  dans  sa  divinité.  Se 
nourrir  du  Verbe  divin,  c'est  penser  à  lui,  c'est  l'aimer,  c'est 
n'avoir  d'autre  volonté  que  la  sienne;  c'est  surtout  désirer  ardem- 
ment de  s'unira  lui  dans  le  sacrement  d'amour  où  il  se  fait  notre 
nourriture.  Si  nous  le  mangeons  ainsi,  nous  aurons  toujours  faim 
et  soif  de  la  communion,  et  ce  désir  de  nos  cœurs  sera  profondé- 
ment agréable  à  notre  divin  Jésus.  Il  est  le  Dieu  infiniment  aimable 
et  désirable;  il  veut  être  aimé  et  désiré  par  les  hommes:  c'est 
alors  qu'il  trouve  ses  délices  à  venir  habiter  en  eux.  Est-on  heu- 
reux lorsqu'on  vit  au  milieu  d'une  glaciale  indifférence? 

III.  Une  sorte  d'avidité  pour  la  sainte  communion.  —  Une 
faim  ordinaire,  un  simple  désir  de  la  sainte  communion  ne  suffît 
pas,  lorsqu'on  se  prépare  à  recevoir  le  sacrement  de  l'Eucharistie. 
Notre  divin  Sauveur  voudrait  nous  voir  apporter  une  sorte  d'avidité 
à  manger  le  pain  qu'il  nous  offre. 

Lorsque  Jacob  eut  reçu  du  Seigneur  les  promesses  les  plus  ma- 
gnifiques, ne  devait-il  pas  tout  d'abord  lui  témoigner  sa  reconnais- 
sance? Cependant  il  ne  pense  qu'à  une  chose,  le  pain  qu'il  lui 
faudra  pour  vivre,  et  sa  première  parole  est  pour  demander  à  Dieu 
qu'il  ne  manque  pas  de  lui  donner  ce  pain  ;  il  dit  :  «  Si  le  Seigneur 
«  Dieu  me  donne  du  pain  pour  me  nourrir,  le  Seigneur  sera  mon 
«  Dieu  2,  9  Si  Jacob  ne  pensait  pas,  en  prononçant  ces  paroles,  à 

1.  Qui  manducant  me  adhuc  esurient  et  qui  bibunt  me  adhuc  sitient. 
{Ecclx.,x\\\,  29.) 

2.  Si  Deus  dederit  mihi  panem  ad  vescendum....  erit  mihi  Dominas  in 
Deum.  [Gènes.,  xxviii,  20,  21.) 


PRÉPARATION   A   LA   COMMUNION    ET    CONDUITE   APRES   l'aVOIR    FAITE.       747 

l'adorable  Eucharistie  dont  il  ne  pouvait  deviner  le  mystère,  Dieu 
y  pensait  pour  lui,  et  nous  apprenait  par  l'exemple  du  patriarche 
que  tout  autre  désir,  que  toute  autre  pensée  doit  s'etïacer  devant 
la  pensée  et  le  désir  de  manger  le  pain  vivant  descendu  pour  nous 
du  ciel. 

En  Egypte,  Joseph  n'ouvrit  ses  greniers  que  lorsque  la  famine 
se  fit  sentir,  et  l'on  sait  avec  quelle  avidité  se  jettent  sur  la  nour- 
riture les  malheureux  torturés  par  la  faim.  Le  froment,  amassé 
par  Joseph  pour  les  jours  de  famine,  était  le  symbole  du  froment 
des  élus. 

Dieu,  en  dictant  à  Moïse  les  rites  selon  lesquels  l'agneau  pascal 
devait  être  mangé,  se  sert  d'un  mot  que  les  traducteurs  n'osent 
pas  toujours  rendre  dans  toute  sa  crudité.  Il  dit  :  «  Vous  en  dévore- 
((  rez  la  tète,  avec  les  pieds  et  les  intestins  :  j»  Caput  cum  pedibus 
ejus  et  intestinis  vorabitis  '.  Pourquoi  le  Seigneur  a-t-il  choisi 
une  expression  si  forte,  on  pourrait  dire  si  peu  en  rapport  avec 
l'accomplissement  d'un  rite  sacré,  que  ce  mot  vorabitis?  C'est  que, 
dans  l'ancienne  loi,  tout  était  figure,  et  ce  mot  faisait  connaître  la 
sainte  avidité  que  nous  devons  apporter  à  manger  le  divin  Agneau 
qui  se  donne  à  nous  sous  les  espèces  eucharistiques. 

David  éprouvait  cette  sainte  avidité,  cette  soif  dévorante,  lors- 
qu'il s'écriait  :  a  Comme  le  cerf  altéré  soupire  après  les  sources 
«  des  eaux,  ainsi  mon  âme  soupire  après  vous,  ô  mon  Dieu  -.  ^  Il 
voulait  l'exciter  chez  les  autres  lorsqu'il  disait  au  nom  du  Sei- 
gneur :  «  Élargissez  votre  bouche  et  je  la  remplirai.  »  C'est  dans 
le  même  sens  qu'Isaïe  disait  :  «  Vous  tous  qui  avez  soif,  venez 
a  aux  eaux  3.  »  Ces  eaux  qu'il  les  invite  à  venir  boire  représentent 
la  Sainte  Eucharistie  :  mais  il  n'y  appelle  pas  tout  le  monde  indis- 
tinctement; il  n'invite  à  s'y  rafraîchir  que  ceux  qui  sont  pressés 
par  la  soif,  parce  que  Dieu  ne  voit  avec  plaisir  s'approcher  de 
l'Eucharistie  que  ceux  qui  la  reçoivent  avec  une  véritable  avidité. 

Lorsqu'on  a  véritablement  faim,  on  s'inquiète  peu  de  la  nature 
des  mets  qui  sont  servis  et  du  mode  de  préparation;  l'important 
est  qu'on  ait  de  quoi  manger.  Quand  Notre-Seigneur  nous  invite 
à  sa  table,  il  ne  spécifie  pas  sous  quelle  forme  il  veut  se  donner  à 

i.  Exod.,  XII,  19. 

2.  Quemadmodumdesiderat  cervus  ad  fontes  aquarum,  ita  dcsideral  anima 
mea  ad  le  Deus.  [Ps.  xli,  1.) 

3.  Omnes  sitientes  venile  ad  aquas.  [ha.,  lv,  1.) 


748        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

nous,  et  sans  autre  explication  il  dit  :  «  Ma  chair  est  vraiment 
«  une  nourriture,  et  mon  sang  véritablement  un  breuvage  i.  »  Si 
notre  faim  est  grande,  si  notre  soif  est  ardente,  il  sous  suffira  de 
savoir  que  sa  chair  et  son  sang  sont  des  aliments  véritables,  pour 
que  nous  nous  empressions  d'accepter  ce  qu'il  nous  offre,  sans 
réclamer  d'autres  explications.  Sans  doute,  ces  explications,  il 
nous  les  donnera  ;  mais  ce  qu'il  veut,  c'est  nous  voir  avides  de 
manger  et  de  boire  ce  qu'il  nous  a  préparé.  Lui-même  nous  a  mon- 
tré l'exemple  de  cette  sainte  avidité  lorsqu'il  a  dit  à  ses  disciples  : 
a  J'ai  désiré  d'un  grand  désir  manger  cette  pàque  avec  vous  ~.  » 
La  pàque  dont  il  parlait  ainsi  était  la  pàque  de  la  loi  nouvelle, 
l'adorable  Eucharistie  qu'il  allait  instituer. 

Imitons  notre  divin  modèle;  soyons  avides  de  la  céleste  nour- 
riture qu'il  nous  donne  ;  prenons  cet  aliment  sacré  aussi  souvent 
qu'il  nous  est  possible  de  le  faire;  ne  reculons  pas  même  devant 
des  fatigues  corporelles  et  des  sacrifices  pour  n'en  être  pas  privés, 
et  Jésus  sera  content  de  nous. 

IV.  Un  respect  profond.  —  Le  saint  roi  David  dit  en  parlant 
de  l'Eucharistie  :  «  Tous  les  riches  de  la  terre  ont  mangé  et  ont 
«  adoré.  En  sa  présence  tomberont  tous  ceux  qui  descendent  dans 
«  la  terre  ^.  »  Cette  prophétie  s'est  accomplie.  Les  riches,  les  puis- 
sants de  la  terre,  les  rois  eux-mêmes  ont  mangé  le  pain  vivant 
descendu  du  ciel  et  ils  ont  adoré  cet  aliment  divin,  que  la  miséri- 
corde de  Dieu  a  préparé  pour  le  salut  des  hommes.  En  présence 
de  la  Très  Sainte  Eucharistie  se  sont  prosternés  tous  ceux  qui  des- 
cendent dans  la  terre,  tous  les  mortels,  tous  les  hommes.  Il  est 
écrit  que  tout  genou  doit  fléchir  au  nom  de  Jésus,  au  ciel,  sur  la 
terre  et  jusque  dans  les  enfers.  Si  tout  ce  qui  vit  adore  son  nom, 
comment  pourrait-on  ne  pas  adorer  le  sacrement  dans  lequel  sa 
divine  personne  se  renferme,  par  amour  pour  nous?  Il  suffit  de 
savoir  qui  est  celui  que  nous  recevons  dans  la  sainte  communion 
pour  comprendre  avec  quels  sentiments  de  profond  respect  nous 
devons  nous  approcher  de  lui. 

V.  Une  crainte  véritable.  —  A  la  dernière  Gène,  lorsque  notre 
divin  Sauveur  dit  à  ses  apôtres  que  l'un  d'entre  eux  le  trahirait, 

\ .  Caro  mea  vere  est  cibus,  et  sanguis  meus  vere  est  potus.  {Joann.,  vi,  y.'J.) 

2.  Dcsiderio  desideravi  hoc  pascha  manducare  vobiscum.  {Luc,  xxn,  lîi.) 

3.  Manducaverunt  et  adoraverunt  omnes  pingues  terrse  :  in  conspectu  ejus 
cadent  omnes  qui  descendunt  in  terram.  {Ps.  xxi,  30.) 


PRÉPARATION    A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE    AI'RÈS    LAVOIR    FAITE.       749 

tous  furent  saisis  de  crainte  et  d'anxiété.  L'Évangile  dit,  en  effet  : 
«  Alors  grandement  contristés,  ils  commencèrent  à  lui  demander 
a  chacun  en  particulier  :  Est-ce  moi,  Seigneur?  »  Leur  conscience 
ne  leur  rendait-elle  pas  un  témoignage  suffisant  i  ?  Ne  se  sentaient- 
ils  pas  suffisamment  disposés  à  tout  braver  pour  demeurer  fidèles 
à  leur  Maître?  Assurément  ils  se  croyaient  certains  de  leur  fidélité; 
cependant  ils  craignaient,  parce  qu'ils  étaient  assis  à  la  table  du 
Seigneur  et  que  ceux  mêmes  qui  se  regardent  comme  parfaitement 
innocents  n'en  doivent  pas  approcher  sans  trembler.  Dans  la  loi 
de  Moïse,  Dieu  disait  à  son  peuple  :  «  Tremblez  près  de  mon  sanc- 
«  tuaire  '.  »  Cependant  ce  sanctuaire  redoutable,  dont  il  n'était 
pas  permis  d'approcher  sans  une  sainte  fra3^eur,  ne  contenait  que 
les  images  ou  les  symboles  de  nos  adorables  mystères.  Avec  quel 
tremblement  ne  devons-nous  pas  approcher,  à  notre  tour,  du 
sanctuaire  où  réside  le  Seigneur  lui-même,  de  la  table  oii  lui- 
même  nous  donne  à  manger  et  à  boire  son  corps  et  son  sang  ado- 
rables? Nous  savons  que  son  divin  sacrement  est  la  vie  pour  les 
bons,  mais  qu'en  même  temps,  pour  les  méchants,  il  est  la  mort. 
Nous  savons  encore  que  nul  ne  connaît  avec  certitude  s'il  est  digne 
d'amour  ou  de  haine  :  n'est-ce  pas  assez  pour  inspirer,  même  aux 
plus  parfaits,  une  crainte  salutaire? 

Cependant,  malgré  cette  crainte  légitime,  il  faut  prendre  part 
au  divin  banquet  préparé  pour  nous  par  le  Seigneur.  Il  faut  imi- 
ter Joseph  d'Arimathie,  qui,  sans  s'arrêter  aux  graves  sujets  de 
crainte  qu'il  pouvait  avoir,  se  présenta  audacieusement,  dit 
l'Évangile,  audacter,  devant  Pilate  pour  réclamer  le  corps  de  Jé- 
sus. Comme  lui,  appuyés  sur  la  miséricorde  infinie  de  Notre-Sei- 
gneur  et  non  sur  nos  mérites  qui  ne  sont  rien,  demandons  le  corps 
de  Jésus,  et  ensevelissons-le  dans  notre  âme  par  la  sainte  commu- 
nion. 

VL  Une  grande  dévotion.  —  On  lit  dans  le  prophète  Isaïe  : 
«  Vous  tous  qui  avez  soif,  venez  vers  les  eaux  ;  et  vous  qui  n'avez 
<f  point  d'argent,  hàtez-vous,  achetez  et  mangez;  venez,  achetez 
«  sans  argent  et  sans  aucun  échange  du  vin  et  du  lait  ^  »  Ne 

\.  Et  contristali  valde  cœperiint  singuli  dicere  :  Numquid  ego  sum,  Do- 
mine? (Mntth.,  x.wi,  ±2.) 

'2.  Pavete  ad  sanctuarium  iiieum.  [Levil.,  .x.xvi,  2.) 

rj.  Omnes  sitientcs  venite  adaquas,  et  qui  non  liabetis  argenlum  properate,. 
emite  et  comedile;  venite,  emite  absque  argento,  et  absqiie  ulla  cominutatione 
vinum  et  lac.  {ha.,  lv,  1.) 


750         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  CHAP.  XVI. 

semble-t-il  pas  que  Thomme  de  Dieu  se  contredise  ici?Achète- 
t-on  légitimement  sans  argent,  ou  sans  un  échange  quelconque? 
Non  sans  doute,  dans  l'ordre  ordinaire  de  la  vie;  mais  lorsqu'il 
s'agit  du  don  de  Dieu  par  excellence,  de  l'adorable  Eucharistie, 
donner  en  échange  de  l'argent  ou  de  l'or  serait  méconnaître  sa  va- 
leur infinie  et  faire  injure  à  Dieu  qui  nous  l'offre.  Cependant  le 
Prophète  veut  que  nous  allions  nous  rafraîchir  à  cette  fontaine 
sacrée  ;  il  veut  que  nous  mangions  ce  pain,  que  nous  buvions  ce 
vin  que  Dieu  nous  a  préparé,  et  qui  aura  pour  nous  la  douceur  du 
lait.  Nous  ne  pouvons  rien  donner  en  échange,  car  il  n'est  rien 
qu'on  y  puisse  comparer,  mais  Dieu  sera  content  si  nous  recevons 
ses  dons  sacrés  avec  un  pieux  empressement,  une  ardente  dévo- 
tion. Il  en  coûte  toujours  un  peu  à  la  nature  humaine  de  s'exciter 
à  de  tels  sentiments  pour  des  biens  d'un  ordre  qui  lui  est  supé- 
rieur. Cet  effort  que  nous  ferons  pour  nous  élancer  vers  le  surna- 
turel sera  le  prix  auquel  nous  achèterons  de  tels  biens.  Et  c'est 
pourquoi  Isaïe  a  raison  de  nous  dire,  à  nous  tous  qui  avons  un  be- 
soin si  grand  de  l'adorable  Eucharistie  :  «  Vous  tous  qui  avez  soif, 
«  venez  vers  les  eaux;  et  vous  qui  n'avez  point  d'argent,  hâtez- 
«  vous,  achetez  et  mangez.  »  Pourvu  qu'on  s'approche  de  la  source 
d'eaux  vives  avec  une  véritable  soif  de  ces  eaux,  pourvu  qu'on  se 
hâte,  qu'on  témoigne  un  empressement  sincère  pour  manger  le 
pain  et  boire  le  vin  offerts  par  le  Seigneur,  c'est  assez;  c'est  le 
seul  prix  auquel  il  veut  les  vendre.  S.  Ambroise  compare  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  à  Joseph,  et  il  dit  :  «  Le  Christ  ouvrit  donc 
et  ses  greniers;  il  vendait  son  froment,  ne  demandant  pas  de  l'ar- 
«  genten  échange;  mais  il  réclamait  pour  prix  la  foi  et  la  dévo- 
«  tion  *.  »  Le  même  saint  Docteur  dit  encore  :  «  Celui-là  n'est  pas 
«  digne  de  l'Eucharistie  qui  ne  s'en  approche  pas  avec  une  âme 
«  pénétrée  de  dévotion  ~.  »  On  connaît  la  parole  de  S.  Paul  aux 
Corinthiens  :  «  Que  l'homme  s'éprouve  lui-même,  et  qu'il  mange 
«  ainsi  de  ce  pain  et  boive  de  ce  calice  ;  car  quiconque  en  mange 
<f  et  en  boit  indignement  mange  et  boit  son  jugement,  »  c'est-à- 
dire  sa  condamnation. 
VIL  Un  détachement  et  un  regret  sincère  même  des  fautes 

1.  Aperuit  ergo  horrea  sua  Christus,  et  vendebat  non  aère  pecuniae,  sed  fidei 
pretiumetdevotioni.sstipendiumqugerens.  (S.  Ambros.,  Lih.  de  Joseph,  ca]^.\n.) 

2.  Indignus  est,  qui  non  devota  mente  accedit  ad  Eucharistiam.  (Id.,  apud 
S.  TnoM.,  opusc.  LVII  de  Venei\  Sacram.  Altar.,  cap.  xvii.) 


PRÉPARATION    A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE   APRES   l'aVOIR    FAITE.       751 

légères,  —  Au  commencement  Dieu  sépara  la  lumière  des  ténèbres. 
Il  est  lui-même  la  lumière  surnaturelle  infiniment  parfaite,  «  la 
«  lumière  véritable  qui  éclaire  tout  homme  venant  en  ce  monde  ',  » 
dit  S.  Jean  dans  son  Évangile;  et  dans  sa  première  Épître,  il  dit 
encore  :  «  Dieu  est  lumière  et  il  n'y  a  point  en  lui  de  ténèbres  2.  » 
Les  péchés  sont  pour  l'àme  des  ténèbres  qui  l'obscurcissent,  et  ces 
ténèbres,  quelque  légères  qu'elles  soient  à  nos  yeux,  déplaisent  aux 
regards  du  Seigneur.  Il  faut  que  nous  les  écartions  avec  le  plus 
grand  soin,  si  nous  voulons  jouir  de  sa  lumière.  Lorsque  le  ciel 
est  couvert  de  nuages,  la  terre  n'est  pas  pour  cela  dans  l'obscurité 
complète;  le  soleil  fait,  malgré  ces  obstacles,  parvenir  jusqu'à 
nous  un  peu  de  sa  lumière,  mais  nous  ne  jouissons  pas  de  tout  l'éclat 
de  ses  rayons,  ni  de  toute  la  chaleur  bienfaisante  qu'ils  apportent 
avec  eux.  Un  seul  nuage  suffit  pour  nous  en  priver.  Il  en  est  ainsi 
du  divin  Soleil  de  justice  :  les  fautes,  même  les  plus  légères,  inter- 
ceptent jusqu'à  un  certain  point  les  rayons  de  sa  lumière,  et  nous 
ne  ressentons  que  peu  la  douce  et  vivifiante  chaleur  qui  l'accom- 
pagne. 

Moïse  dut  ôter  sa  chaussure  pour  approcher  du  buisson  ardent. 
Quelque  soin  que  l'on  prenne  d'éviter  toute  souillure,  il  est  impos- 
sible de  marcher  longtemps  sans  que  la  chaussure  se  couvre  au 
moins  de  quelque  poussière.  Cette  poussière  est  le  symbole  des 
fautes  légères  auxquelles  sont  exposées  même  les  âmes  les  plus 
parfaites.  Il  faut  donc,  avant  de  nous  approcher  du  nouveau  buis- 
son ardent,  de  la  table  sainte  où  Jésus  se  donne  à  nous,  ôter  notre 
chaussure  et  nous  délivrer  de  la  poussière  qui  s'y  est  attachée.  Il  ne 
suffit  pas  lorsqu'on  veut  saintement  communier,  de  n'être  coupable 
d'aucune  faute  grave;  il  faut,  autant  que  l'on  peut,  n'apporter  pas 
même  la  moindre  faute  volontaire  à  la  sainte  table. 

Lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  voulut  laver  les  pieds  de 
ses  disciples  avant  l'institution  de  la  Très  Sainte  Eucharistie,  il 
dit  à  Pierre  qui  lui  demandaitdelui  laver  aussi  les  mains  et  la  tête, 
afin  d'être  plus  pur  :  «  Celui  qui  a  été  lavé  n'a  besoin  que  de  laver 
«  ses  pieds,  et  il  est  entièrement  pur.  Vous  aussi  vous  êtes  purs  3.  » 

\.  Erat  hix  vera  quae  illuminât  omnem  hominera  venientem  in  liiinc  mun- 

dum.  [Jonnn.,  i,  9.) 
'2.  Deus  lux  est,  et  tenebrae  in  eo  non  sunt  ullae.  (/.  Jonnn.,  i,  .'!.) 
3.  Qui  lotus  est  non  indiget  nisi  ut  pedes  lavet,  sed  est  mundus  totus.  Et 

vos  mundi  estis.  {Joann.,  xiii,  10.) 


752         LA    SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XVI. 

Les  apôtres,  sauf  Judas,  étaient  purs  de  toute  souillure  grave  ;  ni 
leur  tète  ni  leurs  mains,  c'est-à-dire  ni  leurs  pensées  ni  leurs 
œuvres,  n'avaient  plus  besoin  d'être  purifiées  ;  il  suffisait  que  leurs 
pieds  le  fussent,  pour  que  leur  pureté  fût  complète.  Jésus  leur  lava 
donc  les  pieds  et,  en  même  temps  qu'il  accomplit  envers  eux  cet 
acte  de  charité  symbolique,  il  les  purifia  intérieurement  de  leurs 
moindres  fautes  ;  il  les  rendit  dignes  de  participer  à  la  communion 
de  son  corps  et  de  son  sang  adorable.  C'était  une  grande  leçon 
donnée  à  tous  ceux  qui,  dans  le  cours  des  siècles,  devaient,  à  la 
suite  des  apôtres,  participer  à  cet  adorable  sacrement. 

VIII.  La  garde  des  sens.  —  11  est  impossible  à  l'homme  de  con- 
server son  cœur  parfaitement  pur  et  digne  d'offrir  l'hospitalité  au 
Seigneur,  s'il  ne  veille  avec  un  soin  extrême  sur  ses  sens.  C'est 
par  eux  que  le  mal  s'introduit  en  nous.  Jérémie  disait:  «  La  mort 
«  monte  par  nos  fenêtres  *  ;  »  Joël  se  servait  de  la  même  image 
pour  exprimer  une  pensée  identique  :  «  Les  ennemis  entreront  par 
«  les  fenêtres  comme  le  voleur  -.  »  Chacun  peut  connaître,  par  sa 
propre  expérience,  combien  un  regard  imprudent  est  dangereux 
pour  l'âme,  combien  une  parole  entendue  peut  apporter  de  trouble, 
combien  la  recherche  des  satistactions  des  sens,  quels  qu'ils  soient, 
conduit  aisément  au  péché.  II  n'y  a  donc  pas  de  préparation  par- 
faite à  la  sainte  communion  sans  une  vigilance  extrême,  qui  ne 
permette  à  aucun  ennemi  de  Jésus  de  pénétrer  en  nous,  par  les 
fenêtres  qui  sont  les  sens. 

IX.  La  tranquillité  de  Vâme.  —  Lorsque  le  saint  patriarche 
Abraham  donna  l'hospitalité  aux  trois  anges  qui  le  visitèrent  de 
la  part  du  Seigneur,  avant  même  de  leur  offrir  à  manger,  il  leur 
dit:  a  Reposez-vous  sous  l'arbre.  »  Cette  parole  ne  manque  pas  de 
mystère.  Le  patriarche  va  servir  à  ses  hôtes  un  repas,  figure  de 
la  Très  Sainte  Eucharistie,  et  ses  paroles  qui  nous  sont  rapportées, 
par  une  inspiration  expresse  de  Dieu,  signifient  qu'avant  de  com- 
munier, il  faut  se  reposer,  établir  son  cœur  dans  la  tranquillité 
et  la  paix  3. 

Il  est  écrit  dans  le  livre  des  Cantiques  que  soixante  guerriers 

-1.  Ascendit  mors  per  fenestras  nostras.  {Jerem.,  ix,  21.) 
2.  Per  feneslras  inlrabunt  (/lo.s/es),  quasi  fur.  {Joël.,  ii,  9.) 
;{.  Non  sine  mysterio,  anlequam  vilulum  comedant,  requies  eis  persuadetur, 

quia  ut  corpore  Christi  Domini  reficiainur,  maxima  mentis  tranquillitas  re- 

quiritur.  (Haye,  in  hune  locum.) 


PRÉPARATION    A    LA    COMMUNION    ET    CONDUITE    APRES    l'aVOIR    FAITE.       753 

cliûisis  entre  les  plus  braves  d'Israël  veillaient  autour  du  lit  dans 
lequel  reposait  Salomon;  pourquoi,  sinon  pour  que  rien  ne  vînt 
troubler  le  sommeil  de  ce  roi  ?  Le  véritable  Salomon  est  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  ;  c'est  lui  qui  est  le  Roi  de  paix  ;  or,  notre 
cœur  devient  son  lit  de  repos  par  la  sainte  communion.  Nous 
sommes  établis  ses  gardiens,  et  c'est  à  nous  que  le  devoir  accompli 
par  les  soixante  braves  d'Israël  incombe.  Veillons  donc  à  C3  que 
rien  n'arrive  par  nos  sens,  de  l'extérieur  jusqu'à  lui,  qui  soit 
capable  de  troubler  le  calme  et  la  paix  dont  il  tient  à  jouir  en 
nous. 

Les  saintes  femmes  ne  vinrent  au  tombeau  de  Jésus  qu'après  le 
repos  du  sabbat.  Nous  aussi  nous  devons  d'abord  garder  le  repos, 
établir  dans  notre  àme  la  tranquillité  et  la  paix,  avant  de  nous 
approcher  de  la  Sainte  Eucharistie  où  Jésus  est  enseveli  pour  nous 
comme  dans  un  tombeau,  sous  les  espèces  eucharistiques.  Et 
lorsque  nous  serons  unis  à  lui  par  la  sainte  communion,  veillons 
avec  plus  de  soin  encore  s'il  est  possible.  L'Époux  des  Cantiques 
disait:  «  Je  vous  en  conjure,  filles  de  Jérusalem,  ne  dérangez  pas 
«  et  ne  réveillez  pas  la  bien-aimée,  jusqu'à  ce  qu'elle-même  le 
«  veuille  S  »  et  nous,  nous  devons  dire  à  nos  sens  et  aux  choses 
extérieures  dont  ils  pourraient  être  frappés  :  Ne  dérangez  pas  et  ne 
réveillez  pas  le  bien-aimé,  jusqu'à  ce  que  lui-même  le  veuille. 

X.  La  prière.  —  Dieu  est  infiniment  bon  et  son  désir  est  de 
nous  donner  largement  tous  les  biens  qui  peuvent  nous  être  réelle- 
ment utiles.  Mais  s'il  veut  nous  combler  de  ses  libéralités,  il  veut 
en  même  temps  nous  faire  souvenir  que  nous  tenons  tout  de  lui  ; 
c'est  pour  cela  que  souvent  il  attend  d'être  prié  avant  de  concéder 
ses  grâces.  Il  ne  fit  pleuvoir  la  manne  du  ciel,  dans  le  désert, 
qu'après  que  les  Israélites  eurent  demandéde  la  nourriture  à  Moïse, 
de  la  manière  la  plus  pressante.  «  Ils  demandèrent,  et  du  pain  du 
«  ciel  il  les  rassasia  -,  »  dit  David. 

L'encens  est  le  symbole  de  la  prière.  Lorsque  nous  approchons 
de  la  sainte  communion,  il  convient  que  nous  soyons  tout  embau- 
més de  cet  encens  mystique.  L'Époux  du  Cantique  des  cantiques 
disait  à  son  Épouse  :  «  L'odeur  de  vos  parfums  est  au-dessus  de 
«  tous  les  aromates,  et  l'odeur  de  vos  vêtements  est  comme  l'odeur 

1.  Adjuro  vos,  filiée  Jérusalem....,  ne  suscitetis,  ncque  eviirilnre  faciatis 
dilectaiii,  qnoadusquc  ii)sa  velit.  [Oint.,  ii,  7.) 

'1.  Poli(>runt  et))ane  c  r!i  sattiravit  eos.  (/*.s-.  civ,  \\\.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  -18 


754        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  H^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XVI. 

«  de  l'encens  *.  »  C'est  la  prière  qui  prépare  à  la  sainte  communion, 
en  nous  procurant  toutes  les  grâces  nécessaires  pour  la  faire  digne- 
ment ;  c'est  elle  qui  nous  obtient  que  Jésus  vienne  en  nous  avec 
joie,  et  non  pas  comme  forcé  par  ses  promesses  antérieures,  ainsi 
qu'il  le  fait  pour  ceux  dont  la  préparation  laisse  gravement  à 
désirer.  Aussi,  dans  la  prière  qu'il  nous  a  enseignée  lui-même, 
a-t-il  inséré  cette  demande:  <r  Donnez-nous  aujourd'hui  notre  pain 
«  de  chaque  jour  2  ;  »  ce  pain  suprasubsiantiely  selon  le  texte  de 
S.  Matthieu,  qui  n'est  autre  que  la  Très  Sainte  Eucharistie.  Sans 
doute  Dieu  donne,  même  à  une  multitude  d'hommes  qui  ne  le  lui 
demandent  pas,  le  pain  destiné  à  la  nourriture  du  corps,  mais  le 
pain  au-dessus  de  toute  substance,  il  ne  le  donne  avec  toute  sa 
saveur  et  toute  sa  vertu  vivifiante  qu'à  ceux  qui  le  demandent  avec 
une  pieuse  et  sainte  ardeur.  S.  Luc  nous  représente  les  chrétiens^ 
des  premiers  jours  unissant  la  prière  persévérante  à  la  sainte 
communion.  Il  dit  :  «  Et  tous  persévéraient  dans  la  doctrine  de& 
«  apôtres,  dans  la  communion  de  la  fraction  du  pain,  et  dans  la 
«  prière  ^.  » 

XI.  L'action  de  (jnlces,  même  avant  la  communion.  —  Les 
Juifs  célébraient  la  pàque  en  souvenir  et  en  reconnaissance  de  leur 
délivrance  miraculeuse  de  la  servitude  dans  laquelle  ils  avaient 
gémi  pendant  plusieurs  siècles.  Il  semblerait  que  la  mémoire  et  la 
reconnaissance  dussent  suivre  le  bienfait,  et  que  l'institution  de 
la  pàque  aurait  dû  venir  après  la  délivrance  et  non  pas  la  précéder. 
Mais  le  Seigneur  n'en  jugea  pas  ainsi;  le  sacrifice  de  reconnais- 
sance précéda  la  sortie  d'Egypte,  dont  il  fut  le  signal,  et  chez  nous 
qui  mangeons  le  divin  Agneau,  l'Agneau  de  Dieu  immolé  chaque 
jour  sur  nos  autels,  pour  nous  délivrer  d'un  joug  plus  cruel  que 
celui  de  Pharaon,  la  reconnaissance  doit  aussi  précéder  et  accom- 
pagner l'oblation  du  saint  sacrifice  et  la  communion. 

Le  divin  Maître,  en  instituant  la  Sainte  Eucharistie,  nous  a, 
d'ailleurs,  donné  l'exemple  de  cette  action  de  grâces  avant  la  com- 
munion. Nous  lisons  dans  S.  Matthieu  que,  «  prenant  le  calice, 
«  il  rendit  grâces,  et  le  leur  donna  (c'est-à-dire  à  ses  disciples), 

1.  Odor  unguentorum  tuorum  super  omnia  aromata....;  et  odor  vestimen- 
orum  tuorum  sicut  odor  thuris.  (Cemt.,  iv,  10,  M.) 

2.  Panem  nostrum  supersubslantialem  da  nobis  hodie.  {Matlh.,  vi,  41.) 

3.  Erant  autern  persévérantes  in  doctrina  Apostolorum  et  communicalione 
fractionis  panis,  et  orationibus.  {Ad.  Apost.,  u,  42.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET   CONDUITE  APRÈS  l'aVOIR  FAITE.  755 

«  en  disant  :  Buvez-en  tous,  car  ceci  est  mon  sang  '.  »  II  le  fit, 
dit  S.  Jean  Clirysostome  cité  par  S.  Thomas,  pour  nous  enseigner 
comment  nous  devons  agir  à  l'égard  d'un  si  grand  mystère  -. 
N'est-il  pas  juste,  au  moment  de  recevoir  le  bienfait  le  plus  grand 
que  Dieu  puisse  accorder  à  l'homme  ici-bas,  de  lui  témoigner  tout 
d'abord,  avant  même  de  l'avoir  reçu,  combien  nous  sommes  tou- 
chés de  sa  miséricorde  et  de  sa  munificence  envers  des  créatures 
faibles  et  misérables  comme  nous  sommes? 

XII.  L" audition  préalable  de  la  parole  de  Dieu.  —  Abraham, 
en  se  dirigeant  vers  la  montagne  sur  laquelle  il  devait  offrir  son 
fils  unique  en  holocauste  au  Seigneur,  portait  lui-même  le  glaive 
et  le  feu.  Pourquoi  ne  chargeait-il  pas  de  ce  fardeau  les  serviteurs 
qui  le  suivaient?  C'est  que  le  glaive  est  le  symbole  de  la  parole  de 
Dieu.  Ce  glaive  devait  frapper  avant  que  la  victime  fût  livrée  aux 
flammes  pour  être  consumée.  De  même,  il  faut  que  le  glaive  de  la 
parole  de  Dieu  nous  frappe  avant  que  nous  soyons  consumés  du 
feu  de  l'amour  divin,  avec  l'adorable  Victime,  qui  s'immole  pour 
nous  et  veut  que  nous  soyons  immolés  avec  elle,  en  la  recevant  par 
la  sainte  communion.  «  Il  porte  le  glaive,  dit  Rupert,  parce  que 
«  cet  holocauste  du  salut  n'est  pas  immolé  sans  le  glaive  de  la 
«  parole  de  Dieu  3.  »  Aussi  la  divine  Sagesse,  après  avoir  bâti  sa 
maison  et  dressé  sa  table,  envoie-t-elle  ses  servantes  pour  dire  à 
ceux  qu'elle  désirait  voir  y  prendre  place  :  «  Venez,  mangez  mon 
«  pain  et  buvez  le  vin  que  je  vous  ai  préparé  ^.  » 

Parmi  les  conseils  que  donne  l'auteur  de  rEcclésiastique,  nous 
lisons  celui-ci  :  «  Écoute  en  silence,  et  pour  ta  réserve  te  viendra 
«  la  bonne  grâce.  »  La  bonne  grâce  de  Dieu,  c'est  la  Sainte  Eucha- 
ristie :  «  Car  qu'est-ce  que  le  Seigneur  a  de  bon  et  de  beau,  sinon 
«  le  froment  des  élus  et  le  vin  qui  fait  germer  les  vierges  s?  »  dit 
le  prophète  Zacharie. 

Lorsque  les  apôtres  demandèrent  à  notre  divin  Sauveur  de  ren- 

\.  Et  accipiens  calicem,  gratias  egit,  et  dédit  illis  dicens  :  Bibite  ex  hoc 
onines;  hic  est  enim  sanguis  meus.  [Mm th.,  xxvi,  27.) 

2.  Ideo  etiam  gratias  egit  ut  nos  doceret  quaiiter  oporteat,  nos  hoc  myste- 
rium  perficere.  (S.  Chrysost.,  apud  Catcn.  Aur.  D.  Tiiom.) 

3.  Portât  quoque  gladium,  quoniam  profecto  sine  gladio  Verbi  non  immola- 
tur  hoc  sakitis  holocaustum.  (Rupert.  abl).,  de  Sncram.  Euchar.) 

i.  Venite,  comedite  panem  meuin  et  bibite  vinum  quod  miscui  vobis.  {Prov., 
IX,  y.) 

li.  Quid  enim  bonum  ejus  est,  et  quid  pulcliruin  ejus  nisi  frumentum  elec- 
torum,  et  vinum  germinans  virgines?  iZach..  i\,  17.) 


756         LA   SAINTE  ELXHARISTIE.  —  II''  PARTIE.   —   LIVRE  II.   —   CIIAP.    XVI. 

voyer  la  foule  immense  qui  l'entourait,  parce  que  le  pain  manquait 
pour  tant  de  gens,  Jésus  leur  répondit  :  «  Donnez-leur  vous- 
«  mêmes  à  manger.  »  Il  savait  bien  que  les  apôtres  n'avaient  pas 
à  leur  disposition  le  pain  matériel,  mais  ils  étaient  déjà  constitués 
les  distributeurs  du  pain  immatériel  qui  est  la  parole  de  Dieu,  et 
Jésus  voulait  qu'ils  distribuassent  au  peuple  cette  parole,  avant  de 
donner  lui-même  le  pain  miraculeux,  figure  de  l'Eucharistie,  dont 
il  allait  rassasier  la  foule.  Le  pain  de  la  parole  de  Dieu  prépare 
à  manger  dignement  le  pain  qui  est  encore  la  parole  ou  le  Verbe 
de  Dieu,  mais  le  Verbe  de  Dieu  incarné,  mort,  ressuscité  et  glorifié 
pour  notre  salut  '. 

XIII.  La  wèditation  du  mystère  de  VEudiaristie. —  Une  des 
recommandations  que  Dieu  fit  aux  Israélites  par  la  bouche  de 
Moïse,  pour  la  manducation  de  l'agneau  pascal,  était  celle-ci  : 
«  Vous  n'en  mangerez  rien  qui  ne  soit  cuit  -.  »  Sans  doute  il  n'en- 
trait pas  dans  les  habitudes  des  descendants  de  Jacob  démanger 
des  viandes  crues;  ils  n'avaient  rien  de  commun  avec  les  bêtes 
sauvages.  Cette  recommandation  eût  donc  été  superflue  si  elle 
n'avait  pas  renfermé  une  signification  mystique.  L'agneau  pascal 
ne  devait  pas  être  mangé  cru,  parce  qu'il  était  la  figure  de  l'Agneau 
divin  que  nous  recevons  comme  notre  aliment  dans  l'adorable 
Eucharistie.  Si  nous  mangions  celui  qui  s'est  fait  notre  pâque  en 
s'immolant  pour  nous,  sans  l'exposer  aux  flammes  d'une  médita- 
tion ardente,  si  notre  esprit,  jusqu'au  moment  de  prendre  place 
à  la  table  où  il  se  donne  à  nous,  était  rempli  de  pensées  vaines,  ou 
en  proie  à  une  indiflérence  glaciale  ou  à  la  tiédeur,  nous  mange- 
rions crue  cette  chair  adorable  ;  ce  ne  serait  plus  pour  nous  l'agneau 
pascal,  le  gage  et  la  cause  de  la  délivrance  et  du  salut  -K 

Invités  et  assis  à  la  table  du  souverain  Roi,  considérons  donc  avec 
une  attention  profonde  ce  qui  est  servi  devant  nous  '%  selon  la  recom- 
mandation que  nous  en  fait  l'auteur  du  livre  des  Proverbes,  et 

i.  Habes  apostolicum  cibum  :  manduca  illum,  ut  non  deficias;  illum  autem 
manduca,  ut  postea  venins  ad  cilmm  Christi,  ad  cibum  corporis  Dornini. 
(S.  Amuros.,  in  Pu.  c.wiii.) 

2.  Non  comedetis  ex  eo  crudum  quid.  [Exod.,  xii,  9.) 

3.  Quid  crudae  Agni  carnes,  nisi  inconsideratam,  ac  sine  reverentia  cogita- 
tionis  relictam  illius  humanitatem  significant?  Omnia  enim  quae  .subtiliter 
cogitamus  quasi  mente  coquimus.  (S.  Gregor.  Mag.,  hom.  XXII  in  Hvangel.) 

i.  Quando  sederis  ut  comedas  cum  Principe,  diligenler  attende  quae  appo- 
sita  sunt  anle  faciem  tuam.  [Prov.,  xxiii,  \.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRÈS  l'aVOIR  FAITE.  757 

profitons  encore  de  cet  autre  conseil  qu'il  nous  donne  :  «  Ouvrez 
«  les  yeux  et  rassasiez-vous  de  pain  '.  »  Le  pain  que  Dieu  a  fait 
descendre  du  ciel  pour  nous  ne  nous  rassasiera  que  si  nous  le 
mangeons  d'abord  des  yeux  ;  c'est-à-dire  si  nous  le  considérons 
attentivement,  si  nous  en  scrutons  tous  les  mystères,  si  nous  exci- 
tons en  nous,  par  une  profonde  méditation,  un  ardent  désir  de  le 
manger. 

XIV.  La  méditation  des  souffrances  de  Notre-Seigneur  et  de 
sa  mort  pour  nous.  —  Ce  fut  la  veille  de  sa  Passion  que  notre 
adorable  Sauveur  institua  le  sacrement  de  l'Eucharistie.  Tout, 
dans  ce  mystère  sacré,  rappelle  ses  souffrances,  son  crucifiement, 
son  sang  versé  pour  nous,  sa  mort.  On  ne  peut  méditer  sur  la 
Très  Sainte  Eucharistie  sans  se  souvenir  de  la  Passion  de  Jésus  ; 
et  d'ailleurs  il  nous  a  dit  en  l'instituant  :  «  Faites  ceci  en  mémoire 
«  de  moi  -.  »  L'Épouse  des  Cantiques  l'avait  compris  ;  c'est  pour- 
quoi elle  disait  :  «  Mon  bien-aimé  est  pour  moi  un  bouquet  de 
«  myrrhe  ^.  »  Or  la  myrrhe  est  très  amère;  elle  est  le  symbole 
des  pensées  douloureuses. 

XV.  Le  mépris  du  monde  et  te  détachement  de  ses  biens.  — 
On  lit  au  psaume  xxf  :  <r  Les  pauvres  mangeront  et  ils  seront  ras- 
«  sasiés  ^.  j>  David  parlait  de  la  manne;  mais  l'Esprit  de  Dieu  qui 
l'inspirait  avait  en  vue  la  Sainte  Eucharistie.  Pourquoi  dit-il 
que  les  pauvres  mangeront  cet  aliment  divin  ?  N'est-il  pas  fait 
tout  aussi  bien  pour  ceux  qui  possèdent  les  richesses  d'ici-bas  ? 
Sans  doute  ;  il  est  offert  à  tous  les  hommes,  mais  il  ne  sera  pour 
les  riches  un  véritable  aliment,  il  ne  les  rassasiera  que  s'ils  se  font 
pauvres,  s'ils  détachent  leurs  cœurs  de  ces  richesses  qui  sont  à 
eux  et  les  regardent  comme  des  biens  dont  Dieu  leur  a  donné  non 
pas  la  possession,  mais  l'administration,  en  faveur  de  ceux  qui  sont 
dans  le  besoin.  Pour  manger  véritablement  le  pain  descendu  pour 
nous  du  ciel,  il  faut  que  nous  soyons  pauvres  par  l'esprit,  c'est-à- 
dire  humbles  et  contempteurs  des  richesses.  Ailleurs,  Dieu  dit 
encore  par  la  bouche  de  David  :  «  Je  comblerai  sa  veuve  de  béné- 
«  dictions,  et  je  rassasierai  ses  enfants  de  pain  ^.  »  La  veuve  et  les 

1.  Aperioculos  tuos,  et  saturare  panibus.  (Prov.,  xx,  13.) 

2.  Hoc  facile  in  meam  commemorationem.  {Luc,  xx,  11).) 

3.  Fasciculus  myrrlue  dileclus  meus  mihi.  {Canl.,  i,  12.) 

4.  Edent  pauperes  el  salurnbuiUur.  {Ps.  xxi,  "21.) 

\i.  Viduam  ejus  benedic(>ns  benedicain,  el  pauj)eres  ejus  saturabo  panibus. 
{Ps.  cxxxi,  l;j.) 


758         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   11*=  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  \VI. 

orplielins  dont  parle  le  Seigneur  sont  des  pauvres  puisqu'ils  ont 
besoin  qu'on  leur  donne  du  pain.  Dieu  promet  de  les  en  rassasier: 
ce  pain  est  encore  la  Sainte  Eucharistie,  aliment  des  âmes  déta- 
chées des  choses  d'ici-bas. 

Lorsque  Abraham  délivra  Loth  et  les  habitants  de  Sodome  ré- 
duits en  captivité,  et  les  ramena  avec  toutes  leurs  richesses  et  les 
dépouilles  de  leurs  ennemis  vaincus,  Melchisédech  le  fit  partici- 
per au  sacrifice  de  pain  et  de  vin,  figure  de  l'Eucharistie,  qu'il 
offrit  en  sa  présence.  Mais  Abraham  ne  reçut  cette  faveur  qu'après 
avoir  renoncé  à  la  part  du  butin,  qui  lui  revenait  de  droit,  et  que 
le  roi  de  Sodome  le  pressait  d'accepter  '. 

Au  temps  de  la  grande  famine  qui  sévit  pendant  sept  années 
entières  dans  la  terre  d'Egypte,  les  habitants,  après  avoir  épuisé 
leurs  provisions,  demandèrent  du  pain  à  Joseph.  Le  sage  gouver- 
neur voulut  bien  leur  en  donner,  mais  à  la  condition  qu'ils  livre- 
raient d'abord  les  troupeaux,  puis  leurs  terres  elles-mêmes  au  roi. 
Celui-ci  leur  en  laissa  l'usage,  mais  en  réalité  les  Égyptiens  ne 
possédèrent  plus  rien  :  tout  appartenait  au  roi.  Une  excellente 
disposition,  si  nous  voulons  que  Dieu  nous  donne  le  pain  du  ciel, 
est  de  faire  comme  les  Égyptiens.  Remettons  entre  les  mains  de 
Dieu  tout  ce  qui  peut  être  à  nous.  S'il  nous  en  retire  l'adminis- 
tration, c'est  bien  :  que  sa  sainte  volonté  soit  faite.  S'il  nous  la 
laisse,  usons  de  nos  biens,  comme  étant  à  lui,  de  la  manière  que 
nous  saurons  lui  être  la  plus  agréable.  La  Sainte  Eucharistie  est 
bien  assez  précieuse  pour  qu'à  l'imitation  du  marchand  qui  a 
trouvé  une  perle,  ou  de  l'homme  qui  a  découvert  un  trésor  dans 
un  champ,  nous  soyons  disposés  à  sacrifier  tous  les  biens  de  la 
terre  pour  nous  la  procurer. 

XVL  La  pensée  de  la  mort  prochaine. —  Ce  fut  quelques  heures 
avant  de  mourir  sur  la  croix,  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
institua  la  Sainte  Eucharistie  et  qu'il  la  distribua  à  ses  apôtres 
après  l'avoir  prise  lui-même.  Il  nous  donnait  l'exemple  pour  que 
nous  fassions  comme  il  fit.  Sans  doute  nous  ne  voudrions  pas 
quitter  la  vie  sans  avoir  été  fortifiés  par  la  réception  du  saint  via- 
tique; mais  nous  ignorons  quand  viendra  notre  mort,  et  si  elle 
se  présentera  dans  de  telles  conditions  qu'il  nous  soit  possible  de 

1 .  Et  quidem  benedixit  Melchisédech,  qui  erat  figura  Christi,  sicut  docuit 
Paulus,  et  cum  nullum  accepisset  spolium,  pane  et  vino  eum  aluit.  (S.  Cyrill. 
Alex.,  in  Coll.  cap.  vi  de  Abraham.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRÈS  l'aVOIR  FAITE.  759 

faire  alors  la  sainte  communion.  Chaque  fois  que  nous  recevons 
l'Eucharistie  peut  être  la  dernière.  Pensons-y,  pensons  à  la  mort, 
et  si  ce  moment  redoutable  arrive  sans  s'être  fait  annoncer,  au 
moins  ne  serons-nous  pas  pris  au  dépourvu,  car  chacune  de  nos 
communions  aura  été  une  préparation  à  paraître  devant  Dieu.  La 
mort  pourra  bien  frapper  notre  chair,  mais  notre  âme  sera  hors 
de  ses  atteintes,  et  un  jour  notre  cliair  elle-même  recouvrera  la 
vie,  car  nous  aurons  mangé  le  pain  dont  le  Seigneur  a  dit  : 
<f  Celui  qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement  i.  » 

XVII.  Le  désir  de  la  gloire  céleste.  —  Jésus  disait  à  ses  dis- 
ciples :  «  Travaillez,  non  pas  en  vue  de  la  nourriture  qui  périt, 
«  mais  de  celle  qui  demeure  pour  la  vie  éternelle,  et  que  le  Fils 
<r  de  l'homme  vous  donnera  2.  »  Ce  pain  qu'il  promettait  à  ceux 
qui  s'eflbrceraient  de  le  gagner  était  la  Sainte  Eucharistie.  A  la 
manducation  de  ce  pain  était  attachée,  disait-il,  la  vie  éternelle. 
Aussi  les  disciples  demandèrent-ils  avec  instances  qu'il  le  leur 
procurât  :  «  Ils  lui  dirent  donc  :  Seigneur,  donnez-nous  toujours 
ff  ce  pain  ^.  >■>  Nous  devons  imiter  ces  désirs  des  disciples,  avoir 
faim  et  soif  de  cet  aliment  divin,  parce  qu'il  donne  la  vie  éternelle 
avec  sa  gloire  et  sa  béatitude.  Si  notre  divin  Sauveur  a  institué  la 
Sainte  Eucharistie,  ne  fut-ce  pas  pour  nous  procurer  la  joie  de 
partager  avec  lui  sa  gloire  et  sa  béatitude  éternelle? 

XVIII.  Des  efforts  sérieux  pour  avancer  dans  la  perfection.  — 
Le  travail  qu'il  faut  nécessairement  s'imposer,  si  l'on  veut  faire 
des  progrès  réels  dans  la  voie  de  la  perfection,  est  la  sueur  avec 
laquelle  Dieu  a  jadis  condamné  l'homme  à  gagner  son  pain.  Si 
donc  nous  voulons  mériter,  autant  qu'il  est  possible  à  notre  fai- 
blesse, de  manger  le  pain  descendu  du  ciel,  il  faut  sérieusement 
ti-availler  à  devenir  chaque  jour  plus  parfaits.  C'est  uniquement 
moyennant  ce  travail  que  nous  tirerons  de  nos  communions  tout 
r.ivantage  qu'elles  doivent  nous  procurer  *. 

Les  Hébreux,  pour  manger  l'agneau  pascal,  devaient  être  de- 
boiit,   les  reins  ceints,   les  chaussures  aux  pieds  et  le  bâton  de 

1.  Qui  manducat  hune  pancm  vivet  in  ceternum.  {./ontin.,  vi,  irl.) 

-2.  Operamini  non  ciliuin  qui  pcrit,  sed  qui  permanet  in  vitam  «ternam, 
quem  i-'ilius  hominis  dabit  vobis.  (//;jV/.,^.) 

;{.  Domine,  semper  dn  nobis  panem  hune.  [IhiiL,  ^54.) 

4.  Non  enim  qui  viiio  quodam  vcl  sopore  inertia^  resolvuntur,  atl  illius  panis 
qui  de  cœlo  descendit,  esuin  eito  perveniunt,  sed  qui  sanelis  laboribus  invigi- 
laverint.  (JusT.  Orgelitan.,  in  Cant.) 


760        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11*  PARTIE.  —  LIVRE  H.    —  CHAP.  \V1. 

voyagea  la  main,  comme  des  pèlerins  au  moment  même  de  leur 
départ.  C'est  que  la  manducation  de  cet  agneau  figuratif  était  le 
premier  acte,  le  premier  pas  qu'ils  faisaient  pour  arriver  à  la  terre 
promise.  De  même  la  sainte  communion  devrait,  chaque  fois  que 
nous  la  faisons,  nous  rapprocher  d'un  pas  de  notre  terre  promise 
(fui  est  le  ciel,  et  nous  faire  gravir  un  nouveau  degré  de  l'échelle 
de  la  perfection  par  laquelle  on  monte  jusqu'à  Dieu. 

La  nue  qui  servait  de  guide  aux  Hébreux  pendant  le  jour,  et  la 
colonne  de  feu  pendant  la  nuit,  lorsqu'ils  étaient  dans  le  désert, 
n'étaient-elles  pas  aussi  des  figures  de  l'Eucharistie  ?  Dieu  ne  se 
voilait-il  pas,  en  quelque  manière,  sous  ces  apparences,  pour  les 
conduire?  Ils  avançaient  à  la  suite  de  ce  guide;  et  nous,  nous  de- 
vons avancer  à  la  suite  de  Jésus  réellement  présent  sous  les  voiles 
de  l'Eucharistie;  nous  devons  aller  où  il  nous  mène,  c'est-à-dire 
suivre  généreusement  sur  ses  traces  le  chemin  de  la  perfection. 
Mais  ne  le  devons-nous  pas  surtout  lorsqu'il  nous  prend  par  la 
main?  plus  encore,  lorsqu'il  s'incorpore  à  nous  pour  que  nous 
vivions  de  sa  vie?  Il  nous  a  dit  :  «  Soyez  parfaits  comme  votre 
«  Père  céleste  est  parlait.  »  Nous  ne  sommes  jamais  plus  les  en- 
fants du  Père  céleste  que  lorsque  nous  sommes  intimement 
unis  à  son  Fils,  par  la  sainte  communion.  C'est  donc  alors  surtout 
que  nous  devons  nous  eflorcer  d'être  parfaits  à  son  exemple. 

XIX.  La  générosité  qui  exclut  toute  pusillanimité.  —  Tout 
était  figure  et  mystère  dans  la  manducation  de  l'agneau  pascal 
telle  que  Dieu  l'imposa  aux  Juifs.  Cet  agneau  devait  être  mâle, 
parce  que  l'Eucharistie  qu'il  représentait  exige  de  la  virilité,  de 
la  force  d'àme,  et  réprouve  tout  ce  qui  est  lâche  ou  efféminé,  dans 
ceux  qui  la  reçoivent. 

Pour  le  manger,  il  était  nécessaire  d'avoir  les  reins  ceints, 
comme  le  travailleur  qui  se  met  à  l'ouvrage,  comme  le  voyageur 
qui  entreprend  une  longue  route,  comme  le  guerrier  qui  part  pour 
le  combat. 

Il  était  nécessaire  aussi  d'avoir  un  bâton  à  la  main.  Un  bàtôn 
est  un  appui,  mais  c'est  aussi  une  arme,  et  ce  bâton  indique  que 
quiconque  communie  doit  être  prêt  à  repousser  toutes  les  attaques, 
et  surtout  à  défendre  le  divin  Agneau  qui  se  fait  notre  nourriture, 
contre  ceux  qui  oseraient  l'outrager  dans  son  adorable  Sacrement. 

XX.  Les  vertus  qui  font  le  plus  bel  ornement  de  rdme.  — 
Lorsque  Rébecca  voulut  que  Jacob  se  présentât  devant  Isaac  pour 


i 


PRÉPARATION  A  LA   COMMUNION  ET   CONDUITE  APRES  l'aVOIR  FAITE.  701 

s'efforcer  d'obtenir  d'être  béni  par  lui,  elle  le  revêtit  tout  d'abord 
des  habits  les  plus  précieux  qu'elle  eût  à  sa  disposition.  Le  parfum 
qui  s'en  dégageait  fut  agréable  au  saint  vieillard,  et  il  céda  à  l'ins- 
piration de  bénir  ce  fils  dont  de  si  douces  senteurs  lui  révélaient  la 
présence  K  II  en  sera  de  même  pour  nous,  et  nous  recevrons  de 
Dieu  les  meilleures  bénédictions,  si  nous  nous  approchons  de  la 
Très  Sainte  Eucharistie  avec  des  vêtements  précieux  et  embaumés. 
Mais  ce  n'est  pas  des  vêtements  corporels  qu'il  s'agit  pour  nous  ;  il 
suffit  qu'ils  soient  décents  et  convenables  pour  notre  état  selon  le 
monde  :  c'est  des  vêtements  de  l'àme,  et  ces  vêtements  ce  sont  les 
vertus,  dont  le  parfum  ravit  le  Seigneur. 

Lorsque  Joseph  d'Arimathie  et  Nicodème  ensevelirent  le  corps 
adorable  du  Sauveur,  ils  ne  se  contentèrent  pas  de  l'envelopper 
dans  le  linceul  le  plus  blanc  et  le  plus  fin  qu'ils  eussent  sous  la 
main,  mais  ils  entourèrent  le  corps  sacré  d'une  très  grande  quan- 
tité de  parfums.  Les  saintes  femmes,  à  leur  tour,  voulant  mettre 
la  dernière  main  à  cet  ensevelissement  qu'elles  considéraient 
sans  doute  comme  accompli  trop  à  la  hâte  pour  être  parfait,  appor- 
taient de  nouveaux  parfums,  lorsqu'elles  vinrent  au  tombeau,  le 
matin  de  la  résurrection.  C'est  ainsi  que,  lorsqu'on  veut  faire  de 
sa  propre  âme  un  tombeau  digne  du  corps  du  Seigneur,  il  ne  faut 
pas  ménager  les  parfums  des  vertus  :  jamais  ils  ne  seront  ni  trop 
abondants  ni  trop  précieux  pour  une  œuvre  si  grande  et  si 
sainte. 

XXL  A  ces  dispositions  qu'il  convient  d'apporter  à  la  sainte  com- 
munion lorqu'on  désire  la  faire  saintement,  et  en  tirer  les  fruits 
qui  y  sont  attachés,  on  peut  en  ajouter  beaucoup  d'autres  encore. 
Qu'il  nous  suffise  de  les  nommer,  en  laissant  aux  pieuses  médita- 
tions de  chacun  le  soin  d'en  reconnaître  l'opportunité,  pour  ne 
pas  dire  la  nécessité. 

1°  L'aumône,  car  elle  efface  la  multitude  des  péchés,  et  nous 
sommes  nous-mêmes  des  mendiants  auprès  de  Dieu. 

2°  Les  larmes  ou  l'amertume  de  la  pénitence,  qui  est  la  mer 
Uouge  que  nous  devons  passer  avant  d'être  nourris  du  pain  ilu 
ciel. 

:>  ■  La  patience  et  la  résignation  dans  les  épreuves,  dont  Jésus 

I.  Quia  Hcbecca  vestibus  vakle  bonis,  ((uas  apud  se  habel)at  domi,  induit 
.lacobuni  ;  nain  statini  ul  iiatcr  illius  sonsit  veslimenloruni  illius  fragrantiani, 
Jjenediccns  ail  :  Ecce  odor  filii  niei,  sicut  odur  agri  pleni.  {Geves.,  xxvii,  \Ik) 


762         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.    —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

nous  a  donné  pendant  sa  vie  mortelle  et  nous  donne  encore  dans 
l'Eucharistie  de  si  admirables  exemples. 

4'  L'éloignement  pour  les  satisfactions  des  sens,  satisfactions  qui, 
même  innocentes,  constituent  presque  toujours  un  danger. 

[V^  L'application  à  imiter  les  exemples  des  saints,  qui  nous 
montrent  comment  nous  devons  vivre  pour  être  véritablement 
dignes  d'approcher  de  la  sainte  table. 

6°  La  volonté  sincère  de  tendre  à  la  sainteté. 

7"  Le  don  de  sagesse  qui  fait  que  l'on  estime  et  que  l'on 
recherche  par-dessus  tout  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  éternel, 
pour  soi-même  et  pour  les  autres. 

8°  La  chasteté  telle  que  chacun  peut  et  doit  la  pratiquer  selon 
son  état. 

9°  La  sainte  virginité,  si  chère  au  cœur  de  Jésus.  Heureux  ceux 
qui  peuvent  lui  en  offrir  l'hommage,  lorsqu'ils  reçoivent,  par  la 
sainte  communion,  sa  chair  vierge  formée  de  la  substance  imma- 
culée de  la  plus  pure  des  vierges  ! 

10°  L'innocence  baptismale.  Plus  heureux  encore  ceux  qui  se 
présentent  à  la  sainte  table  sans  avoir  jamais  commis  aucune  faute 
grave.  Nul  n'est  digne  de  se  nourrir  du  pain  des  anges,  comme 
celui  qui,  sur  la  terre,  imite  la  sainteté  des  anges,  et  conserve  sa 
robe  baptismale  pure  de  toute  tache. 

m. 

ACTION  DE  GRACES  ET  CONDUITE  A  TENIR  APRES  QUE  NOUS  AVONS  COMMUNIÉ 

La  préparation  à  la  communion  est  un  devoir  que  nous  imposent 
la  sainteté  de  l'adorable  Eucharistie  que  nous  voulons  recevoir, 
et  le  soin  de  nos  propres  intérêts.  Mais  après  l'accomplisse- 
ment de  cet  acte  sacré,  après  que  Jésus-Christ  est  descendu  en 
nous  pour  nous  communiquer  sa  vie,  il  nous  reste  d'autres  devoirs 
à  remplir.  Nous  serions  coupables  d'ingratitude,  et  nous  aurions 
reçu  sans  grand  profit  le  don  de  Dieu,  si  nous  négligions  de  faire 
ce  qu'il  attend  de  nous. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  du  recueillement  profond  avec  lequel 
on  doit  se  retirer  de  la  sainte  table,  ni  des  prières  et  des  actes  qu'il 
convient  de  dire  avant  de  quitter  la  maison  de  Dieu  dans  laquelle 
il  s'est  donné  lui-même  à  nous  pour  être  notre  nourriture.  Chacun 
peut  trouver  dans  son  cœur  les  sentiments  et  les  pensées  qu'attend 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRES  l'aVOIR  FAITE.  763 

de  lui,  en  ce  moment  précieux,  l'iiôte  divin  qui  vient  le  visiter; 
les  manuels  de  piété  contiennent  une  foule  de  prières  qui,  en  cas 
de  besoin,  suppléeraient  à  l'impuissance  de  rien  dire  ou  de  rien 
ressentir  par  soi-même.  Mais  l'influence  de  la  communion  faite 
avec  dévotion  doit  se  prolonger  au  delà  de  ces  quelques  instants  ; 
elle  doit  réagir  sur  tous  les  actes,  tous  les  sentiments,  toutes  les 
pensées  qui  la  suivent,  non  seulement  pendant  un  jour,  mais  pen- 
dant des  semaines,  des  années,  ou  plutôt  la  vie  tout  entière.  Lors- 
qu'on peut  dire  avec  l'Apôtre  :  «  Je  vis,  mais  ce  n'est  plus  moi, 
«  c'est  Jésus-Christ  qui  vit  en  moi,  »  comment  n'être  pas  complète- 
ment transformé  en  lui  ?  Comment  ne  pas  lui  témoigner  sa  recon- 
naissance, et  sa  volonté  d'être  toujours  uni  à  lui,  par  des  actes 
réels  plus  encore  que  par  des  paroles  et  des  sentiments  passagers? 

Mais  les  généralités  ne  suffisent  pas  ;  la  pratique  de  la  dévotion 
exige  qu'on  entre  dans  les  détails.  Voici  donc  ce  que  notre  divin 
Sauveur  attend  de  chacun  de  nous,  lorsque  nous  avons  eu  le 
bonheur  de  le  recevoir  par  la  sainte  communion.  Nous  ne  préten- 
dons pas  tout  dire,  et  bien  des  âmes  seront  inspirées  de  faire  pour 
leur  divin  Jésus  plus  encore  qu'il  n'est  indiqué  ici  :  mais  il  im- 
porte à  tous  de  n'en  rien  négliger. 

I.  On  doit,  après  la  sainte  communion,  demeurer  fidèlement 
attaché  à  Dieu  et  ne  plus  pécher.  —  La  Sainte  Eucharistie  est 
un  trésor  infiniment  précieux  ;  aussi  devons-nous  prendre  garde 
de  perdre  ce  trésor  et  de  nous  séparer,  par  le  péché,  de  ce  Dieu  qui 
s'est  donné  à  nous  dans  la  sainte  communion.  A  peine  la  verge  de 
Moïse  eut-elle  fait  jaillir  l'eau  du  rocher  dans  le  désert,  que  les 
Amalécites  qui,  jusque-là,  s'étaient  tenus  à  l'écart  vinrent  attaquer 
le  peuple  d'Israël.  S.  Augustin  voit,  dans  l'eau  qui  jaillit  du  rocher 
frappé  de  la  verge,  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  sorti 
de  son  côté  percé  par  la  lance  du  soldat.  C'est  le  symbole  de  l'ado- 
rable Eucharistie.  Voici  les  paroles  du  saint  docteur  :  «  Le  peuple 
«  but  de  l'eau  de  la  pierre,  et  aussitôt  commença  la  guerre  contre 
«  Amalech.  Faites  attention,  mes  frères,  car  après  que  chacun  de 
«  nous  a  bu  de  l'eau  de  la  pierre,  c'est-à-dire  a  reçu  les  sacrements 
Œ  du  Christ,  il  est  nécessaire  qu'il  s'avance  au  combat  '.  »  Le  démon 

1.  Bibit  ergo  de  petra  populus,  et  statim  bellum  init  contra  Amalech.  Videte, 
fratres,  quia,  posteaquam  quisque  de  petra  biberit,  id  est  Christi  sacramenta 
susceperit,  necesse  est  illum  ad  pugnam  prodire.  (S.  Auciustin.,  serm.  XCVI 
de  tempore.) 


764        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —    II''  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XVI. 

sait  combien  la  présence  de  Jésus-Christ  nous  est  utile,  combien  il 
nous  est  bon  et  nécessaire  de  vivre  dans  la  grâce  de  Dieu,  et  par- 
faitement unis  à  lui  :  aussi  fait-il  les  plus  grands  efforts  pour  dis- 
soudre cette  union,  pour  obliger  le  Seigneur  à  s'éloigner  de  nous. 
S'il  nous  fait  tomber  dans  des  péchés  véniels,  il  nuira  d'autant  à 
l'intimité  que  la  communion  a  créée  entre  Dieu  et  nous  ;  mais  son 
triomphe  serait  complet  s'il  nous  entraînait  à  quelque  faute  grave. 

Jésus-Christ  disait  par  la  bouche  du  Psalmiste  :  «  De  quelle  uti- 
«  lité  sera  mon  sang,  lorsque  je  descendrai  dans  la  corruption  '?  » 
Comment  celui  qui  est  incorruptible  peut-il  descendre  dans  la 
corruption  ?  N'est-ce  pas  de  lui  qu'il  est  dit  :  «  Vous  ne  permettrez 
«  pas  que  votre  Saint  voie  la  corruption  -?  » 

Le  corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  sont  incor- 
ruptibles ;  cependant  on  peut  dire  que  la  corruption  les  atteint  en 
un  certain  sens,  lorsque  celui  qui  s'est  uni  à  eux  par  la  sainte  com- 
munion retombe  dans  le  péché.  N'était-il  pas  une  branche  de  la 
vigne  dont  il  est  le  cep?  un  membre  du  corps  dont  il  est  le  chef? 
La  vie  de  Jésus  n'était-elle  pas  en  lui,  eln'en  vivait-il  pas?  Retour- 
ner au  péché  après  avoir  communié,  ce  n'est  donc  pas  seulement 
se  séparer  de  Jésus-Christ,  c'est  prendre  sa  chair  adorable  et  lui 
faire,  autant  que  l'on  peut,  subir  la  corruption  qui  ne  saurait  l'at- 
teindre en  elle-même.  On  comprend  que  le  démon  déploie  toute  sa 
rage  et  toute  sa  malice  pour  arriver  à  ce  but  etinlliger  cet  outrage 
au  Dieu  qui  lui  a  repris  un  royaume  usurpé,  et  brisé  sa  puissance. 
Prenons  donc  garde  que  l'auteur  de  tout  mal  ne  vienne  à  nous 
surprendre  :  ne  donnons  pas  à  notre  Rédempteur  l'ocxasion  de 
redire  cette  plainte  :  «  De  quelle  utilité  sera  mon  sang,  lorsque  je 
a  descendrai  dans  la  corruption  3  ?  » 

Il  n'arrive,  hélas!  que  trop  souvent  que  des  chrétiens,  après 
avoir  communié,  môme  avec  de  bonnes  dispositions,  retombent 
encore  dans  les  fautes  qu'ils  avaient  promis  d'éviter.  On  voit  se, 
réaliser  dans  l'ordre  surnaturel  ce  qui  est  écrit  du  peuple  hébreu 
au  livre  du  Deutéronome  :  «  Le  Seigneur  seul  fut  son  guide,  et 

i.  Quce  utilitns  in  sanguine  meo  dum  descendo  in  corruptionem?  {Ps.  xxix, 
10.) 

2.  Nec  dabis  sanctum  tiium  videre  corruptionem.  (As-,  xv,  \0.) 

3.  Itaque  conservamini,  ne  aulhor  malarum  cupiditaturn,  diabolus,  iterum 
principetur  in  vobis,  inde  merito  Chrislus  conqueratur  :  Quae  utilités  in  san- 
guine meo,  dum  descendo  in  corruptionem?  (S.  Gaudent.,  episc.  Brix., 
tract.  XII.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRÈS  l'aVOIR  FAITE.  765 

«  il  n'y  avait  point  avec  lui  de  dieu  étranger.  Il  l'a  établi  sur  une 
«  terre  élevée,  afin  qu'il  mangeât  les  fruits  des  champs,  afin  qu'il 
<f  savourât  le  miel  de  la  pierre,  et  l'huile  du  rocher  le  plus  dur. 
«  Le  bien-aimé  s'appesantit  et  se  révolta;  appesanti,  engraissé, 
«  grossi,  il  a  abandonné  Dieu  son  créateur,  et  il  s'est  éloigné  de 
a  Dieu  son  salut  K  »  C'est  bien  l'histoire  de  ceux  que  Dieu  aime 
jusqu'à  se  donner  à  eux  et,  pour  user  de  l'expression  du  texte 
sacré,  dont  il  engraisse  l'âme  de  sa  propre  substance,  s'ils 
viennent  â  retomber  ensuite  dans  le  péché.  Ceux  qui  agissent 
avec  une  telle  ingratitude  ne  doivent-ils  pas  craindre  que  Dieu 
accomplisse  contre  eux  la  menace  qu'il  faisait  aux  Hébreux  révol- 
tés :  a  Je  leur  cacherai  ma  face,  et  je  considérerai  leur  fin  2.... 
«  J'assemblerai  sur  eux  les  maux,  et  j'épuiserai  mes  flèches  sur 
<r  eux  3.  » 

Cependant  le  nombre  de  ceux  qui  retombent  dans  le  péché 
mortel,  après  avoir  communié,  est  grand.  Peut-être  le  serait-il 
moins  si  ceux  qui  se  rendent  coupables  de  ce  crime  réfléchissaient 
qu'ils  sont  les  bourreaux  de  Notre-Seigneur  et  qu'ils  renouvellent, 
autant  qu'il  est  en  eux,  les  scènes  douloureuses  de  sa  passion  et 
de  sa  mort.  Comme  Caïn  meurtrier  d'Abel,  ils  entendront  Dieu 
qui,  dans  sa  justice  inexorable,  leur  demandera  :  «  Où  est  ton 
«  frère?  »  Le  Christ  était  venu  vers  toi;  il  s'était  donné  â  toi  : 
où  est-il  ?  qu'en  as-tu  fait  ?  Son  sang  répandu  pour  ton  salut,  tu 
las  profané,  et  il  crie  contre  toi. 

D'où  peut  venir  un  si  grand  mal?  Tous  ceux  qui  retombent 
n'ont  cependant  pas  communié  indignement.  Sans  doute  même  le 
plus  grand  nombre  d'entre  eux  a  cru  le  faire  bien.  Mais,  outre  la 
faiblesse  naturelle  de  l'homme  ;  outre  les  tentations  du  démon  et 
les  mille  occasions  dangereuses  qui  se  présentent  chaque  jour,  il 
y  a  eu  souvent  le  manque  de  préparation  sérieuse.  On  n'a  pas  suf- 
fisamment désiré  s'unir  à  Jésus-Christ  pour  vivre  de  sa  vie;  on 
n'a  pas  assez  médité  sur  la  grandeur  de  l'acte  qu'on  se  proposait 

\.  Dominus  diix  ejus  fuit,  et  non  erat  cum  eo  deus  nlienus.  Constituit  eum 
super  excelsam  terram,  ut  coinederet  fructus  aijroruni,  et  sugeret  mel  de 
petra,  oleumque  de  saxo  durissiino....  Incrassatus  et  dilectus  et  recalcitravit  ; 
incrassatus,  impinguatus.dilatatus  dereliquit  Deuin  factorem  suum  et  recessit 
a  Deo  salutari  suo.  (Dculcr.,  xxxii,  1:2,  l.'i,  lîi.) 

-2,  Abscondam  facieni  meam  ab  eis,  et  considerabo  novissima  eorum.  (Ihid 

3.  Congregabo  super  eos  mala,  et  sagitlas  meas  complebo  in  eis.  [Ihid.,  -2:i.) 


766         LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XVI. 

de  faire  et  sur  les  devoirs  qui  en  résulteraient;  on  ne  s'est  pas 
appliqué  à  multiplier  les  bonnes  œuvres  et  à  changer  d'abord  de 
vie,  pour  persévérer  après  la  communion  dans  ce  changement  in- 
térieurement opéré  ;  on  s'est  contenté  d'une  confession  faite  à  la 
hâte,  avec  une  contrition  à  grand'peine  suffisante,  et  de  quelques 
formules  de  prières  que  les  lèvres  ont  prononcées,  mais  auxquelles 
le  cœur  a  pris  trop  peu  de  part.  Comment  espérer,  après  une  com- 
munion faite  avec  tant  de  laisser  aller  et  d'imperfection,  vaincre 
tous  les  obstacles  qui  se  dressent  devant  quiconque  veut  sérieuse- 
ment persévérer  dans  la  grâce  de  Dieu  et  la  pratique  de  la  vertu  ? 

Par  ces  rechutes  après  la  communion,  on  se  rend  plus  indigne 
encore  qu'on  ne  l'était  d'approcher  de  cet  auguste  Sacrement.  Ce 
n'est  que  par  une  condescendance  infinie  que  Dieu  permet,  même 
aux  plus  saints,  de  le  recevoir  sous  les  espèces  eucharistiques. 
Comment  donc  oseront  le  faire  encore  ceux  qui,  après  avoir  été 
admis  à  sa  table  et  traités  comme  ses  amis  les  plus  chers,  ou  plu- 
tôt comme  ses  enfants,  l'ont  trahi  de  nouveau  et  ont  repris  place 
dans  les  rangs  de  ses  ennemis?  La  manne  dont  Dieu  nourrissait 
les  Israélites  cessa  de  tomber  dès  qu'ils  eurent  commencé  de  man- 
ger les  fruits  récoltés  dans  la  terre  de  Chanaan  K  La  manne  était 
la  figure  de  la  Sainte  Eucharistie  :  on  ne  mérite  plus  de  s'en 
nourrir,  du  moment  que  l'on  mange  des  fruits  de  la  terre,  c'est-à- 
dire  que  l'on  retourne  au  péché. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  dit  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair 
«  et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  2.  »  C'est  la 
merveille  qui  s'accomplit  en  vertu  de  la  sainte  communion.  Mais 
si  le  péché  survient,  Jésus  se  retire,  car  il  n'habite  pas  un  cœur 
souillé  par  le  péché.  Reviendra-t-il  volontiers  dans  cette  demeure, 
d'où  il  a  été  honteusement  chassé  pour  faire  place  au  péché  son 
ennemi  et  au  démon  qui  l'accompagne?  Sans  doute,  sa  miséri- 
corde n'a  pas  de  bornes,  et  il  pardonne  même  à  ceux  qui  l'ont  reçu 
indignement,  s'ils  se  repentent;  mais  leur  retour  est  difficile,  si 
difficile  même  que  l'Apôtre  le  déclare  impossible  sans  un  miracle 
particulier  de  la  bonté  divine,  lorsqu'il  dit  :  «  Il  est  impossible  à 
«  ceux  qui  ont  été  une  fois  illuminés,  qui  ont  goûté  le  don  du 
«  ciel....  et  qui  après  cela  sont  tombés,  d'être  renouvelés  par  la  pé- 

i.  Defecit  manna,  postquam  comederunt  de  frugibus  terrse.  [Jos.,  v,  12.) 
2.  Qui  rnanducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem,  in  me  manetet 
ego  in  illo.  {Joaun.,  vi, .%.) 


I 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRES  l'aVOIR  FAITE.  767 

«  nitence  •.  <>  Et  il  en  donne  la  raison  :  «  Car  une  terre  qui  boit 
«  la  pluie  venant  souvent  sur  elle  et  qui  produit  une  herbe  utile 
«  à  ceux  qui  la  cultivent,  reçoit  la  bénédiction  de  Dieu.  Mais  quand 
a  elle  produit  des  épines  et  des  ronces,  elle  est  abandonnée  et  bien 
«  près  de  la  malédiction  ;  sa  fin  est  la  combustion  '-.  i>  L'Apôtre 
ne  dit  pas  qu'elle  ait  reçu  la  malédiction  finale,  mais  il  ne  s'en 
faut  que  de  peu.  De  même,  ceux  qui,  après  avoir  communié,  re- 
prennent leurs  habitudes  coupables  et  se  livrent  au  péché  comme 
ils  le  faisaient  d'abord,  sont  bien  près  de  la  malédiction  finale. 
Qu'ils  se  hâtent  de  changer  de  vie,  s'ils  ne  veulent  pas  tomber 
dans  les  flammes  de  l'enfer. 

IL  Rendre  grâce  à  Dieu.  —  L'immolation  de  l'agneau  pascal 
fut  pour  les  Hébreux,  la  première  fois  qu'ils  l'accomplirent,  le 
signal  de  leur  délivrance.  De  même,  lorsque  notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  mangea  la  Pàque  nouvelle  avec  ses  apôtres  pour  la  pre- 
mière fois,  dans  le  Cénacle,  il  donnait  le  signal  de  notre  délivrance. 
Ce  fut  alors  que  Judas  s'en  alla  trouver  les  Juifs  afin  de  le  livrer, 
et  que  commença  sa  douloureuse  passion  qui  nous  arracha  au 
joug  de  Satan  et  nous  rendit  nos  droits  au  ciel.  Dieu  voulut  que 
les  Israélites  continuassent  d'immoler  chaque  année  l'agneau  pas- 
cal, pendant  le  cours  des  siècles,  en  mémoire  de  leur  affranchis- 
sement et  des  miracles  qui  l'accompagnèrent.  Il  en  est  de  même 
pour  nous.  Nous  devons  manger  notre  Pàque,  la  chair  du  divin 
Agneau  immolé  pour  nous,  en  reconnaissance  de  notre  rédemp- 
tion, et  de  la  multitude  des  autres  bienfaits  dont  le  Seigneur  nous  a 
comblés.  De  tous  ces  bienfaits,  le  plus  étonnant,  et  l'on  pourrait 
dire  le  plus  grand,  est  celui-là  même  qu'il  nous  accorde,  lorsqu'il 
daigne  s'abaisser  jusqu'à  nous  et  se  donner  à  nous  par  la  sainte 
communion.  Il  est  donc  juste  de  lui  témoigner  notre  reconnais- 
sance pour  toutes  ses  miséricordes,  en  lui  donnant  asile  dans  nos 
cœurs;  mais  il  n'est  pas  moins  juste  de  la  lui  témoigner  encore, 
lorsque  nous  l'avons  reçu,  de  ce  qu'il  a  bien  voulu  se  donner  à 
nous,  vivre  en  nous,  afin  que  nous  vivions  par  lui. 

1.  Impossibile  est  enim  eos  qui  semel  sunt  iiluminati,  gustaverunt  etiain 
donum  cœleste,....  et  prolapsi  sunt,  riirsum  renovari  ad  pœnitentiam.  {fiom., 
VI,  .i,  0.) 

'i.  Terra  enim  sœpe  venicntem  super  se  bibens  imbrein,et  generans  her- 
bam  opporlunam  illis  a  quibus  colitur,  accipitbenedictionern  a  Deo.  Proferens 
autem  spinas  et  Iribulos,  reproba  est  et  maledictio  proxima;  cujus  consum- 
matio  in  combustioncin.  (/(/.,  vi,  7.) 


768         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVI. 

S.  Matthieu  nous  apprend  que  notre  divin  Sauveur  ne  sortit 
pas  du  Cénacle  où  il  avait,  pour  la  première  lois,  célébré  l'Eucha- 
ristie, sans  avoir  dit  l'hymne  d'action  de  grâces  :  Et  hijmno  dicto, 
exierunt  in  montem  Oliveti  ^  S.  Jean  nous  rapporte  les  derniers 
entretiens,  les  dernières  effusions  d'amour  auxquelles  Jésus  se 
livra  envers  ses  disciples,  avant  de  se  rendre  au  mont  des  Oliviers. 
Cependant  le  temps  pressait  ;  l'heure  marquée  pour  que  ses  en- 
nemis, conduits  par  le  traître  Judas,  s'emparassent  de  lui  allait 
sonner.  Mais  il  n'en  voulut  pas  moins  nous  donner  l'exemple  de 
l'action  de  grâces  après  la  communion,  et  inspirer  à  ses  disciples 
les  pensées  de  reconnaissance,  de  confiance  et  d'amour  dont  il 
convient  d'être  pénétré  lorsqu'on  a  participé  à  cet  adorable  sacre- 
ment. «  Il  a  rendu  grâces  avant  de  distribuer  les  mystères 
«  sacrés  â  ses  disciples,  pour  que  nous  aussi  nous  rendions 
«  grâces  ;  il  a  dit  une  hymne  après  les  avoir  distribués,  pour  que 
«  nous  aussi  nous  fassions  de  même  S  »  dit  S.  Jean  Chrysostome 
cité  par  S.  Thomas. 

Dans  la  parabole  des  dix  serviteurs  qui  avaient  reçu  chacun  une 
certaine  somme  d'argent,  une  mine,  pour  la  faire  valoir  pendant 
l'absence  de  leur  maître,  il  s'en  trouva  un  qui  garda  fidèlement 
cette  somme,  mais  ne  lui  fit  produire  aucun  intérêt,  de  sorte  qu'il 
la  rendit  à  son  maître  telle  qu'il  l'avait  reçue.  Ce  n'était  pas  assez  : 
il  n'était  pas  voleur  peut-être,  mais  il  n'était  pas  fidèle  non  plus, 
car  il  n'avait  pas  fait,  comme  les  autres  plus  courageux  et  plus 
habiles  que  lui,  ce  que  son  maître  attendait.  Aussi  fut  il  privé 
même  de  cette  somme,  tandis  que  ses  compagnons  reçurent  des 
récompenses  magnifiques,  chacun  en  proportion  de  ce  qu'il  avait 
fait  produire  à  la  mine  que  le  maître  lui  avait  confiée.  Il  en  est 
ainsi  pour  la  sainte  communion.  Ceux  qui,  après  la  réception  de 
ce  bien  d'un  prix  infini,  ne  s'appliquent  pas  à  en  tirer  parti  et  à  lui 
faire  produire  au  moins  quelque  fruit,  ceux  qui  n'ont  pas  pour 
Dieu  de  reconnaissance  et  se  gardent  uniquement  de  perdre  la 
grâce,  parce  qu'ils  craignent  la  colère  du  Seigneur,  ne  seront 
pas  récompensés.  Il  faut  témoigner  sa  reconnaissance,  il  faut 
témoigner  son  amour,   il  faut  tirer  de  la  mine  céleste  tous  les 

1.  Mntth.,  XXVI,  30. 

'1.  Gratias  ergo  egit,  antequam  sacra  mysteria  discipulis  daret,  ut  et  nos 
gratias  agamus  ;  hymnum  dixit,  postquam  dédit  ut  et  nos  idipsum  agamus. 
i^S.  CURVSOST.,  apud  Dix .  Tiiom.,  in  Catena  aurea.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRÈS  l'aVOIR  FAITE.  769 

fruits  qu'elle  peut  donner,  si  l'on  veut  plaire  au  divin  Maître  et 
mériter  ses  grâces. 

Quiconque  a  communié  doit  s'efforcer,  autant  que  le  permet  la 
condition  humaine  sur  la  terre,  d'imiter  les  quatre  animaux  m\'s- 
térieux  dont  parle  l'Apocalypse.  Ils  se  tenaient  devant  le  trône  de 
.  Dieu,  «  et  ils  ne  se  donnaient  de  repos  ni  jour  ni  nuit,  disant  :  Saint, 
or  saint,  saint,  est  le  Seigneur  le  Dieu  tout-puissant.  »  Ne  pas  rendre 
suffisamment  grâces  à  Dieu,  lorsqu'il  s'est  donné  à  nous  par  la 
sainte  communion,  pourrait  être  un  indice  que  la  préparation  appor- 
tée à  le  recevoir  n'avait  pas  été  suffisante.  Plusieurs  docteurs  ont 
pensé  que  si  Adam  est  tombé  avec  tant  de  facilité  dans  le  péché 
qui  le  perdit  avec  toute  sa  race,  il  le  faut  attribuer  à  son  manque 
de  reconnaissance  envers  le  Seigneur,  pour  tous  les  biens  naturels 
et  surnaturels  dont  il  avait  été  comblé.  On  ne  voit  pas  en  effet,  dans 
la  Sainte  Écriture,  qu'il  eût  dit  un  seul  mot  ou  fait  un  seul  acte 
pour  témoigner  sa  gratitude.  Prenons  garde,  à  notre  tour,  de  ne 
pas  nous  montrer  ingrats.  Ne  nous  exposons  pas  à  détourner  de 
nous  les  grâces  dont  nous  avons  tant  besoin,  pour  vivre  unis  à 
Dieu  par  la  grâce  et  ne  pas  tomber  misérablement,  après  tant  de 
bienfaits  reçus,  comme  il  arriva  au  premier  homme. 

III.  S'adonner  à  F  oraison.  —  Le  saint  roi  David  disait  :  «  Les 
«  yeux  de  tous  espèrent  en  vous.  Seigneur,  et  vous  leur  donnez 
c  la  nourriture  ^  »  Dieu  donne  la  nourriture,  même  à  ceux  qui  ne 
le  connaissent  pas,  ou  ne  veulent  pas  le  prier;  il  la  donne  même 
aux  êtres  sans  raison.  Mais  il  est  une  nourriture  qu'il  ne  donne, 
avec  la  plénitude  de  sa  vertu  et  de  sa  douceur,  qu'à  ceux  dont  les 
regards  sont  attachés  sur  lui,  et  qui  attendent  tout  de  lui.  Cette 
nourriture  est  l'adorable  Eucharistie.  Si  nous  voulons  qu'elle  soit, 
non  seulement  en  elle-même,  mais  pour  chacun  de  nous,  une  nour- 
riture véritable  et  produisant  ses  effets,  il  faut  que  nos  regards 
demeurent  en  quelque  sorte  toujours  fixés  sur  le  Seigneur.  C'est 
par  la  prière,  par  la  sainte  oraison,  que  nous  élevons  vers  Dieu  les 
regards  de  nos  âmes.  Jésus-Christ  nous  a  dit  qu'il  faut  toujours 
prier  et  ne  jamais  cesser  de  le  faire  2.  On  serait  particulièrement 
coupable  si  l'on  négligeait  de  mettre  ce  conseil  en  pratique,  lors- 
qu'on a  le  bonheur  d'être  uni  à  Jésus-Christ  par  la  réception  de  son 
auguste  sacrement. 

\.  Oculi  omnium  in  le  sperant, Domine,  et  tu  dasillis  escam.  (As\  cxLiv,  Itj.) 
i2.  Oporlet  scinperorare  et  non  deticere.  [Joann.,  w,  H.) 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  49 


770        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  H.  —  CHAP.   XVI. 

Ces  paroles  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  «  Celui  qui  mange 
«  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui  ^  » 
nous  font  comprendre  que  tout  n'est  pas  achevé  lorsque  nous  avons 
communié.  Il  nous  reste  à  demeurer  en  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  à 
ne  pas  nous  répandre  au  dehors  de  nous-mêmes,  en  donnant  toutes 
nos  pensées,  toutes  nos  affections,  tous  nos  actes  aux  choses  étran- 
gères à  Dieu.  Sans  doute,  nous  pouvons  et  nous  devons  nous  occu- 
per des  affaires  de  ce  monde,  lorsque  notre  état  et  les  circonstances 
le  demandent,  mais  nous  devons  le  faire  comme  les  anges  qui, 
tout  en  veillant  aux  choses  d'ici-bas  dont  Dieu  leur  a  donné  la 
charge,  ne  cessent  pas  d'être  toujours  en  sa  présence;  nous  devons 
imiter  les  saints,  et  remplir  ces  devoirs  extérieurs  sans  nous  éloi- 
gner de  Dieu.  Nous  sommes  en  Jésus-Christ:  il  ne  faut  pas  que 
nous  sortions  de  lui. 

En  même  temps  que  nous  demeurons  en  Jésus-Christ  par  la 
sainte  communion,  lui-même  demeure  en  nous.  Ne  convient-il  pas 
que  nous  fassions  à  notre  hôte  divin  une  réception  qui  lui  plaise? 
Pouvons- nous  le  laisser  là  seul,  dans  un  cœur  où  bien  des  choses 
peut-être  blesseraient  ses  regards,  et  l'empêcheraient  d'y  trouver 
ses  délices?  Pouvons- nous  ne  pas  demeurer  attentifs  à  sa  parole 
comme  le  fut  Madeleine,  et  ne  pas  lui  parler  à  notre  tour,  lors- 
que tant  de  motifs  nous  presseraient  de  le  faire  ?  Non,  nous  ne  le 
pouvons  pas.  Laisser  là  Jésus  seul  lorsqu'on  a  eu  le  bonheur  de  le 
recevoir,  et  le  laisser  pour  s'occuper  de  choses  souvent  vaines  et 
sans  importance,  de  conversations  moins  édifiantes  que  coupables, 
serait  plus  qu'un  manque  de  convenance  :  ce  serait  une  véritable, 
une  grossière  injure  à  la  grandeur  infinie  de  celui  qui,  pour  se 
montrer  si  condescendant  envers  nous,  n'en  est  pas  moins  le  Dieu 
tout-puissant  que  le  ciel  et  la  terre  adorent.  Si  tant  de  personnes 
qui  communient  souvent,  si  tant  de  prêtres  même  ne  font  que  peu 
ou  point  de  progrès  dans  la  perfection,  peut-être  la  raison  princi- 
pale en  est-elle  dans  la  négligence  que  l'on  met  trop  souvent  à 
vivre  en  Dieu  par  la  prière,  et  à  tenir  compagnie  au  divin  Sauveur 
pendant  le  cours  de  la  journée,  lorsqu'on  l'a  reçu  le  matin  dans 
son  sacrement  d'amour. 

IV.  Faire  V aumône.  —  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  bon, 
miséricordieux,  libéral  ;  s'il  vit  en  nous  véritablement  et  si  nous 

1.  Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem,  in  me  manet  et 
ego  in  eo.  {Joann.,  vi,  Îi7.) 


PRÉPARATION  A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRES  l'aVOIR  FAITE.  771 

vivons  de  sa  vie  après  la  sainte  communion,  nous  devons  être 
bons,  miséricordieux,  généreux  comme  lui,  envers  ceux  qui  sont 
dans  le  besoin  ;  nous  devons  faire  l'aumône  selon  nos  facultés.  Au- 
trement, comment  pourrions-nous  dire  que  c'est  lui  qui  vit  en  nous? 
Notre  vie  ressemblerait-elle  en  quelque  chose  à  la  sienne  ? 

Jésus-Christ,  pour  préparer  ses  disciples  à  la  promesse  qu'il 
allait  leur  faire  de  donner  sa  chair  à  manger  et  son  sang  à  boire, 
comme  un  aliment  d'une  éternelle  vie,  accomplit  d'abord  un 
éclatant  miracle  :  la  multiplication  des  pains.  C'était  une  figure 
de  l'adorable  Eucharistie,  mais  c'était  en  même  temps  un  acte  de 
charité,  une  aumône  qu'il  faisait  à  toute  cette  multitude  qui  souf- 
frait de  la  faim  et  dont  il  avait  compassion.  Si  l'aumône  doit  ser- 
vir de  préparation  à  la  sainte  communion,  comment  pourrait-elle 
ne  pas  la  suivre  aussi?  Comment  pourrait-on  refuser  quelque 
chose  aux  malheureux  lorsqu'on  vient  soi-même  de  recevoir,  sans 
aucun  mérite,  l'aumône  la  plus  riche  que  Dieu  puisse  faire  à  ses 
créatures  ici-bas?  Le  serviteur,  à  qui  son  maître  avait  remis  sa 
dette  énorme  de  dix  mille  talents,  encourut  les  châtiments  les  plus 
terribles,  pour  n'avoir  pas  été  compatissant  à  son  tour  :  que  ré- 
pondra au  Seigneur  celui  qui,  après  avoir  reçu  Dieu  lui-même, 
refusera  durement  la  moindre  des  choses  aux  malheureux  qui  im- 
plorent son  secours  ? 

Il  est  plusieurs  sortes  d'aumônes.  On  ne  peut  pas  toujours  don- 
ner largement  l'aumône  matérielle  ;  il  se  peut  qu'on  ait  à  peine 
assez  pour  suffire  à  ses  propres  besoins.  Mais  l'aumône  spirituelle, 
l'aumône  d'une  bonne  parole,  d'un  peu  de  sympathie,  l'aumône 
d'une  prière,  est  toujours  et  en  tout  temps  à  la  portée  de  chacun. 
S'en  contenter,  lorsqu'on  pourrait  y  ajouter  l'aumône  temporelle 
dont  le  pauvre  a  réellement  besoin,  serait  se  faire  illusion,  se 
tromper  soi-même  et  chercher  à  tromper  Dieu.  Mais  à  défaut  de 
celle-ci,  ou  en  même  temps  qu'elle,  elle  est  toujours  précieuse, 
et  souvent  la  plus  précieuse  des  deux  aux  regards  du  Seigneur. 
Qu'importe,  d'ailleurs,  que  ceux  qui  demandent  l'aumône  pa- 
raissent peu  dignes  d'intérêt  ?  C'est  pour  Dieu  qu'on  leur  donne, 
et  Dieu,  de  qui  nous  tenons  tout,  mérite  bien  qu'on  lui  rende 
quelque  chose  dans  la  personne  des  pauvres.  Lorsque  nous  avons 
communié  et  que  Jésus-Christ  vit  en  nous,  il  est  heureux  de  don- 
ner ainsi  par  notre  main. 

Mais  il  y  a  des  pauvres  qui,  plus  que  tous  les  autres,  ont  besoin 


ll'i         LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —   CHAP.   XVI. 

qu'on  leur  fasse  l'aumône.  Ce  sont  d'abord  les  agonisants,  qui  vont 
paraître  devant  Dieu  :  qui  pourrait  leurrefuser  une  prière  ?  Elle  leur 
obtiendra  une  dernière  grâce,  et  ce  sera  pour  eux  le  salut  éternel. 

Ce  sont  ensuite  les  âmes  du  purgatoire.  Il  n'y  a  pas  de  pauvres 
dont  les  besoins  soient  plus  pressants,  ni  les  souffrances  plus 
dignes  de  compassion.  Il  n'en  est  pas  non  plus  dont  le  soulage- 
ment que  nous  leur  apportons  soit  plus  agréable  à  Dieu.  Il  nous 
est  si  facile  de  leur  venir  en  aide  par  nos  prières,  nos  bonnes 
œuvres,  les  indulgences  nombreuses  que  nous  pouvons  gagner 
pour  elles,  surtout  les  jours  de  communion,  que  nous  serions  im- 
pardonnables de  leur  refuser  l'aumône  qu'elles  attendent  de  nous. 
Au  jour  du  jugement,  Jésus-Christ  nous  dirait  :  «  J'ai  eu  faim 
€  dans  la  personne  des  âmes  du  purgatoire,  et  vous  ne  m'avez  pas 
a  donné  à  manger;  j'ai  eu  soif  et  vous  ne  m'avez  pas  donné  à 
«  boire  ;  j'ai  été  prisonnier  et  vous  ne  m'avez  pas  visité.  » 

N'oublions  pas  non  plus  les  pécheurs  qui  ont  besoin  de  conver- 
sion ;  les  tentés  près  de  succomber,  les  hérétiques,  les  infidèles. 
Le  nombre  des  pauvres  spirituels  pour  qui  Jésus-Christ  lui-même 
nous  demande  l'aumône  est  infini.  Pourrions-nous  la  refuser  en 
échange  de  la  grande  aumône  que  ce  divin  Hôte  vient  de  nous 
faire,  de  son  corps,  son  sang,  son  âme,  sa  divinité,  de  sa  personne 
tout  entière  enfin,  et  de  tous  les  biens  qui  l'accompagnent? 

V.  Être  tempérant  et  mortifier  ses  sens.  —  Lorsque  nous 
avons  mangé  le  pain  des  anges,  il  semble  que  les  aliments  pure- 
ment terrestres  doivent  être  pour  nous  peu  de  chose,  et  qu'en  user 
sans  modération  serait  un  manque  d'égard,  une  injure  même  faite 
à  la  nourriture  divine  que  Dieu  nous  a  donnée.  Notre  divin  Sauveur 
nous  a  recommandé  de  demander  à  notre  Père  céleste  le  pain  de 
chaque  jour  :  lorsqu'il  habite  en  nous,  ne  convient-il  pas  que 
nous  nous  contentions,  ne  fût-ce  qu'à  cause  de  sa  présence, 
d'une  nourriture  simple  et  frugale,  telle  qu'il  faut  l'entendre  par 
ce  mot  de  pain?  et  si  les  circonstances  mettent  à  notre  disposition 
des  aliments  plus  recherchés,  ne  devons-nous  pas  en  user  avec 
une  sage  retenue,  lorsque  Jésus,  qui  nous  dit  de  demander  uni- 
quement du  pain,  est  à  table  avec  nous?  Il  en  est  de  même  pour 
ce  qui  concerne  nos  autres  besoins  :  il  nous  faut  user  de  la  même 
mesure,  éviter  avec  soin  tout  excès  et  toute  recherche.  Les  plai- 

4.  Esurivi  enim,  et  non  dedistis  mihi  manducare;  sitivi,  et  non  dedistis 
milii  potum....  et  in  carcere,  et  non  visitastis  me.  (Matth.,  xxv,  41,  42.  ) 


PRÉPARATION   A  LA  COMMUNION  ET  CONDUITE  APRES  l'aVOIR  FAITE.  773 

sirs  même  légitimes  des  sens  deviennent  facilement  de  graves 
dangers  si  l'on  s'y  abandonne.  Et  comment  goûter  ces  plaisirs 
lorsqu'on  vit  de  la  vie  de  Jésus?  Si  nous  considérons  ce  divin 
Agneau  que  nous  avons  mangé  comme  victime,  sa  passion,  son 
immolation  cruelle,  le  fiel  et  le  vinaigre  dont  il  fut  abreuvé, 
doivent  nous  rendre  amères  toutes  les  jouissances  que  procure 
le  monde.  Si  nous  le  considérons  régnant  au  ciel  dans  le  sein  de 
la  gloire  et  de  l'éternelle  béatitude,  que  seront  pour  nous  les  dé- 
lectations les  plus  délicates  ?  pourrons-nous  nous  y  arrêter  en  sa 
divine  présence  ? 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  tenir  peu  de  compte  des  jouissances 
même  permises  qui  sont  à  notre  portée,  ce  n'est  pas  assez  de  la 
tempérance,  après  la  communion,  il  faut  y  ajouter  la  mortifica- 
tion, et  refuser  à  nos  sens  au  moins  quelque  chose  des  satisfac- 
tions que  nous  pourrions  leur  accorder  sans  la  moindre  faute.  Ce 
sacrifice  sera  agréable  à  notre  Hôte  divin;  il  le  portera  à  multi- 
plier ses  grâces  et  ses  douceurs  spirituelles,  pour  nous  rendre 
avec  usure  les  douceurs  naturelles  dont  nous  nous  serons  privés 
par  attention  pour  lui.  D'autre  part,  la  mortification  des  sens,  même 
dans  les  choses  permises,  est  une  barrière  élevée  entre  nous  et 
celles  qui  ne  le  sont  pas. 

VI.  Extirper  ses  passions.  — Jésus-Christ  est  le  Dieu  de  paix 
et  il  ne  se  plaît  pas  au  milieu  du  trouble  :  Non  in  commotione 
Dominus  ^  ;  comment  aimerait-il  voir  l'âme  qu'il  a  choisie  pour  sa 
demeure  en  proie  au  trouble  des  passions?  Il  veut  que  la  paix 
règne  en  ceux  qui  lui  donnent  asile.  C'était  la  paix  qu'il  souhai- 
tait, ou  plutôt  qu'il  conférait  à  ses  apôtres,  dans  les  visites  qu'il 
leur  fit  après  sa  résurrection;  c'est  aussi  la  paix  qu'il  nous  apporte 
lorsque  nous  le  recevons  dans  la  sainte  communion.  Mais  il  ne 
nous  la  donnera  qu'autant  que  nous  voudrons  y  contribuer  nous- 
mêmes.  Il  ne  calmera  la  violence  de  nos  passions  que  si  nous  tra- 
vaillons sérieusement  de  notre  côté  à  les  réprimer.  Nous  ne  pou- 
vons rien  sans  lui,  et  lui-même  ne  fait  ordinairement  que  peu  de 
chose  en  nous,  si  nous  négligeons  de  l'aider.  Il  veut  donner  la 
paix,  mais  à  la  condition  qu'on  s'emploie  sérieusement  à  obtenir 
ce  bien  auquel  l'homme  ne  saurait  atteindre  par  ses  propres  lorces, 
mais  qui  sera  la  récompense  de  sa  bonne  volonté. 

\,  III.  Reg.,  XIX,  \\. 


774        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  H®  PARTIE.   —  LIVRE  II.    —  CHAP.   XVI. 

VII.  S'elf'orcer  de  retirer  les  autres  du  péché  et  de  les  gagner 
à  Dieu.  —  Jésus-Christ  est  venu  apporter  le  feu  sur  la  terre,  et 
tout  son  désir  est  que  ce  feu,  qui  est  celui  de  son  amour,  embrase 
tous  les  cœurs  '.  Celui  qui  vient  de  communier  porte  des  charbons 
ardents  dans  son  cœur.  Il  doit  tout  le  premier  être  embrasé  de  ce 
feu  divin  ;  mais  Jésus  ne  veut  pas  qu'il  en  réserve  toutes  les  ar- 
deurs uniquement  pour  lui.  Ce  feu  doit  être  communiqué  et  s'é- 
tendre comme  un  incendie  tout  aux  alentours.  Celui  qui  a  commu- 
nié s'efforcera  donc  d'allumer  dans  les  cœurs  des  autres  ce  feu 
sacré  de  l'amour  divin,  et  les  ardeurs  de  cet  amour  seront  d'autant 
plus  vives  en  son  propre  cœur  i[u'il  les  aura  plus  largement  com- 
muniquées. 

On  manquerait  donc  à  Jésus-Christ  et  on  prouverait  que  l'on 
comprend  peu  son  amour,  si  l'on  ne  s'efforçait  pas,  par  tous  les 
moyens  possibles,  de  retirer  les  pécheurs  de  leur  mauvaise  voie 
et^de  les  ramener  à  Dieu.  Cette  œuvre,  l'œuvre  par  excellence,  car 
c'est  pour  l'accomplir  que  le  Fils  de  Dieu  est  venu  sur  la  terre  et 
qu'il  est  mort  sur  la  croix,  est  à  la  portée  de  tous.  Tous  ne  sont 
pas  appelés  au  ministère  évangélique,  mais  tous  peuvent  dire,  au 
moins  de  temps  en  temps,  quelqu'une  de  ces  paroles  qui  font  du 
bien  à  ceux  qui  les  entendent  ;  tous  peuvent  édifier  par  une  con- 
duite véritablement  chrétienne  ;  tous  peuvent  prier,  offrir  à  Dieu 
des  mortifications,  accomplir  des  actes  de  vertu  en  vue  de  la  con- 
version des  pécheurs.  Ne  semble-t-il  pas  que  ce  soit  pour  nous  un 
devoir  de  le  faire,  surtout  lorsque  nous  avons  communié,  puisque 
notre  divin  Jésus  l'attend  de  nous;  puisqu'il  souhaite  ardemment 
le  retour  des  pauvres  âmes  égarées  ;  puisque  ce  que  nous  ferons 
pour  les  ramener  à  lui  aidera  puissamment  à  lui  donner  cette  sa- 
tisfaction? D'ailleurs,  parmi  ces  âmes,  il  en  est  plusieurs  peut- 
être  qui  nous  sont  attachées  par  des  liens  étroits,  plusieurs  dont, 
à  un  titre  ou  à  un  autre,  nous  devrons  rendre  un  jour  compte  à 
Dieu.  Donner  des  âmes  à  Jésus-Christ  qui  s'est  donné  lui-même  à 
nous,  n'est-ce  pas  le  plus  puissant  moyen  de  lui  témoigner  notre 
reconnaissance? 

VIII.  S'appliquer  avec  une  ardeur  nouvelle  à  la  pratique  de 
la  vertu.  —  Jésus-Christ  est  notre  docteur,  notre  modèle  et  notre 
force.  Il  est  venu  sur  la  terre,  et  s'est  fait  semblable  à  nous  pour  que 

1.  Ignem  veni  mittere  in  terram,  et  quid  volo,  nisi  ut  accendatur?  {Luc.f 
XII,  49.) 


PREPARATION  A  LA  COMMDNION  ET  CONDUITE  APRES  L  AVOIR  FAITE.  I  If) 

nous  devenions,  à  notre  tour,  semblables  à  lui.  Il  nous  a  enseigné 
par  sa  parole  quelle  conduite  nous  devons  tenir,  pour  être  par- 
faits comme  notre  Père  céleste  est  parfait,  et,  par  sa  propre  con- 
duite extérieure,  il  nous  a  tracé  la  voie  qui  peut  et  doit  nous 
mener  à  ce  but.  Il  nous  a  dil  :  «r  Je  vous  ai  donné  Texemple 
«  afin  que  vous  aussi  vous  fassiez  comme  j'ai  fait  ^  »  Le  devoir 
d'imiter  Jésus-Christ  nous  oblige  toujours,  mais  jamais  plus  que 
dans  les  jours  bénis  où  nous  l'avons  reçu  et  le  possédons  en  nous- 
mêmes,  par  la  sainte  communion.  C'est  pour  nous  rendre  parfai- 
tement semblables  à  lui,  nous  transformer  en  lui,  qu'il  est  venu 
en  nous  :  il  faut  que  cette  mystérieuse  transformation  s'opère.  Or, 
nous  ne  ressemblerons  véritablement  à  Jésus  que  si  notre  àme 
brille  des  mêmes  vertus  que  nous  admirons  dans  cet  adorable 
modèle. 

Mais  arriver  à  cette  ressemblance  désirable  n'est  pas  l'affaire 
d'un  moment  ni  d'un  jour.  Une  communion  faite  avec  une  piété 
sincère  fortifie  les  vertus  que  nous  possédons  déjà  et  dépose  en 
nous  les  germes  de  celles  qui  nous  manquent;  mais  ces  germes 
ne  se  développeront,  et  les  vertus  qui  déjà  ornent  notre  âme  ne 
se  conserveront  et  ne  grandiront  encore  que  par  l'exercice.  Imi- 
tons donc  l'exemple  de  notre  divin  Sauveur.  Pendant  les  trente 
premières  années  de  sa  vie,qu'a-t-il  fait?  lia  consacré  tout  ce  long 
temps  à  la  pratique  des  vertus  qu'il  venait  nous  recommander; 
ce  n'est  qu'après  ces  trente  années  de  pratique  qu'il  nous  a  ensei- 
gné par  la  parole  ce  qu'il  avait  accompli  par  ses  actes.  Et  les  trois 
années  consacrées  à  l'enseignement  de  sa  doctrine  n'ont-elles  pas 
été,  comme  les  premières,  consacrées  en  même  temps  à  ces  mômes 
actes  de  vertu,  dont  le  saint  Évangile  nous  a  conservé  quelques 
traits,  pour  nous  servir  d'exemple  ? 

Si  donc  nous  voulons  être  agréables  à  notre  très  bon  Maître, 
si  nous  voulons  lui  ressembler,  comme  il  nous  le  demande,  que 
chaque  communion  soit  pour  nous  le  motif  d'apporter  une  ardeur 
nouvelle  à  conquérir  les  vertus  qui  nous  manquent  et  à  multiplier 
les  actes  de  celles  que  nous  avons  déjà. 

Ces  quelques  indications  suffiront  pour  montrer  ce  que  le  Sei- 
gneur attend  de  ceux  qui  ont  le  bonheur  de  faire  la  sainte  commu- 
nion. Il  ne  faut  pas  qu'un  bienfait  si  grand  demeure  stérile  ;  il  ne 

1.  Exemplum  enim  dodi  vobis,  ul  quemadiuoduni  ego  feci  vohis,  iia  et  vos 
faciatis.  {Jounn.,  xiii,  lîi.) 


776       LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XVII. 

faut  pas  que  ceux  qui  le  reçoivent  s'exposent  à  la  colère  de  Dieu, 
comme  la  terre  dont  il  est  dit  :  «  Une  terre  qui  boit  la  pluie  venant 
«1  souvent  sur  elle  et  qui  produit  des  épines  et  des  ronces  est  aban- 
M  donnée,  bien  près  d'être  maudite  et  l'on  finit  par  y  mettre  le 
«  feu  '.  » 


CHAPITRE   XVII 

DES  EFFETS  DE  LA  SAINTE  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT 

AVEC  PIÉTÉ 

I.  Fruits  de  la  sainte  coinnmnion  bien  faite,  d'après  l'Ecriture  et  les  auteurs  ascé- 
tiques. —  II.  Autres  fruits  de  la  sainte  communion.  —  III.  Derniers  fruits  de  la 
sainte  communion.  —  Un  mot  sur  les  funestes  résultats  de  la  communion  sacrilège. 


I. 

FRUITS    DE    LA    SAINTE    COMMUNION    d'aPRÈS    l'ÉCRITURE 
ET   LES    AUTEURS    ASCÉTIQUES 

Les  fruits  que  la  très  sainte  et  très  adorable  Eucharistie  produit 
dans  une  âme,  qui  la  reçoit  avec  une  véritable  dévotion,  sont  in- 
nombrables. On  ne  saurait  prétendre  à  les  énumérer  tous  ici,  ni 
surtout  à  faire  ressortir  pleinement  leur  excellence;  mais  au  moins 
faut-il  donner  une  indication  sommaire  de  ceux  que  les  auteurs 
ascétiques  ont  signalés.  Elle  suffira  pour  montrer  combien  il  im- 
porte de  faire  la  sainte  communion,  de  la  faire  souvent  et  de  la 
très  bien  laire  -. 

I.  La  sainte  communion  demande  et  obtient  la  grâce  pour 
nous. 

Le  saint  patriarche  Jacob  prophétisait  que  son  fils  Juda  laverait 
sa  robe  dans  le  vin  •".  Quel  peut  être  ce  vin,  sinon  le  vin  de  l'Eucha- 
ristie, c'est-à-dire  le  sang  de  Notre-Seigneur?  C'est  dans  ce  vin 
précieux  que  les  membres  de  la  tribu  royale  du  peuple  de  Dieu, 

1.  Terra  enim  saepe  venienlem  super  se  bibens  imbrem,....  proferens  au- 
lem  spinasac  tribulos,  reproba  est  et  maledictio  proxima,  cujus  consummatio 
in  combustioneni.  [Ilehr.,  vi,  7,  8.) 

2.  Nous  suivons  ici  principalement  les  indications  d'un  ancien  ouvrage  : 
Aquila  maf/nrinim  alortim,  H.  P.  .JuLii  Francisci  Conti,  Ordin.  Minor.  stric- 
tior.  observant. 

3.  Lavabit  in  vino  stolann  suam.  [Gènes.,  XLix,  M.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      777 

les  enfants  de  la  sainte  Église,  purifient  leur  robe  d'innocence 
des  souillures  qu'elle  contracte  presque  nécessairement  en  ce 
monde. 

Le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  reçu  dans  la  sainte  com- 
munion est  pour  nous,  mais  dans  un  sens  plus  élevé,  ce  que  fut  le 
sang  de  l'agneau  pascal  dont  les  Hébreux  teignirent  les  portes  de 
leurs  maisons,  en  la  nuit  où  l'ange  du  Seigneur,  pour  les  délivrer, 
frappa  tous  les  premiers-nés  d'Egypte.  «  Ce  sang  vous  sera  un 
«  signe,  et  je  verrai  ce  sang,  et  je  passerai  ',  »  disait  le  Seigneur. 
Si  le  sang  de  l'agneau  immolé  eut  une  telle  vertu,  s'il  obtint  aux 
Hébreux  pitié  et  miséricorde,  que  n'obtiendra  pas  pour  nous  le 
sang  de  Jésus-Christ  dont  il  n'était  que  la  figure?  Quand  nos  lèvres 
sont  marquées  de  ce  sang  précieux,  quand  nous  avons  mangé  di- 
gnement la  chair  de  l'Agneau  divin,  pouvons-nous  craindre  en- 
core que  Dieu  nous  refuse  le  pardon  de  nos  fautes?  Le  sang 
d'Abel  criait  vengeance,  mais  le  sang  qui  coule  sur  l'autel  du  Sei- 
gneur dont  nous  approchons  demande  pardon  pour  nous  et  obtient 
notre  grâce  '-. 

IL  La  sainte  communion  nous  aide  à  surmonter  nos  défauts 
et  guérit  les  blessures  de  notre  âme. 

Elle  est  ce  vin  que  le  bon  Samaritain  versa  avec  de  l'huile  sur 
les  blessures  du  voyageur  que  le  prêtre  et  le  lévite  de  l'ancienne 
loi  n'avaient  pas  secouru.  Le  bon  Samaritain  est  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ;  le  vin  qu'il  verse  avec  l'huile  de  sa  grâce  sur  les 
blessures  que  les  passions,  que  les  démons  et  leurs  complices  ont 
faites  à  notre  àme,  est  le  sang  versé  sur  la  croix,  sang  précieux 
devenu  pour  nous  un  breuvage  salutaire  et  un  médicament  efli- 
cace  contre  tous  nos  maux  dans  la  Sainte  Eucharistie.  C'est  dans 
la  Sainte  Eucharistie  que  le  divin  Rédempteur  est  pour  nous  le 
Samaritain,  le  gardien  par  excellence.  C'est  là  qu'il  charge  en 
quelque  sorte  sur  ses  épaules  le  pauvre  voyageur,  que  les  brigands 
ont  laissé  à  demi  mort  sur  le  chemin,  pour  le  transporter  dans 
l'hôtellerie  et  lui  sauver  la  vie;  c'est  dans  l'Eucharistie,  c'est  dans 
la  sainte  communion  que  nous  devons  recourir  à  lui,  si  nous  vou- 

I.  Krit  vobis  sanguis  in  signum  et  videbo  sanguinem,  et  transibo  vos. 
{ExoiL,  XXV,  :iU.) 

^.  Acccssislis  <i<l  montem  Doi,  et  sfiuf/uiuis  f/aperxiuueni  mclius  loquenlem 
quam  Abcl  {/leur.,  mi,  '2'2),  quia  scilicet  sanguis  Aliel  clamât  ad  Deum  vindic- 
tam;  sanguis  Christi  postulat  et  impetrat  gratiam.  (S.  Thom.,  opusc.  LVll  de 
Vervr.  Sdcrmn.  iillav.) 


778        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.    —   II"  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

Ions  guérir  de  nos  blessures  et  de  nos  foiblesses,  avoir  la  vie  et 
l'avoir  avec  plus  d'abondance  '. 

III.  La  sainte  communion  expie  particulièrement  le  péché  de 
la  chair. 

La  chair  de  l'homme  est  la  cause  des  péchés  les  plus  graves  et 
les  plus  nombreux  qui  se  commettent  dans  le  monde.  II  appartient 
à  la  chair  toute  sainte  et  tout  immaculée  de  Jésus  de  porter  re- 
mède à  un  si  grand  mal,  et  de  faire  disparaître  les  traces  de  ces 
horribles  souillures.  David  avait  commis  un  adultère  et  par  suite 
un  liomicide.  Reconnaissant  son  double  crime,  il  le  pleurait  amè- 
i-ement  et  disait  au  Seigneur  :  «  Lavez-moi  davantage  de  mon  ini- 
«  quité,  et  purifiez-moi  de  mon  péché  :  »  Amplius  lava  me  ah  ini- 
quitate  mea,  et  a  peccato  meo  munda  me.  Pour  le  péché  d'homi- 
cide, il  demandait  simplement  d'en  être  purifié  :  A  peccato  meo 
mundame;Q,'es\,(\\i"\\  existaitdéjà  un  remède  pour  ce  crime,  la  mort 
du  coupable;  les  eaux  du  déluge  avaient  purifié  la  terre  souillée 
par  le  sang  d'Abel  que  Caïn  avait  répandu.  Mais  pour  l'adultère,  le 
remède  particulier  n'avait  pas  été  donné  encore  :  il  fallait  le  sang  de 
.Tésus-Christ,  et  c'est  de  ce  sang  précieux  que  le  prophète  pénitent 
implore  la  vertu  purificatrice;  c'est  en  lui  qu'il  veut  être  lavé  2. 

IV.  La  sainte  communion  bien  faite  répare  le  péché  commis 
en  communiant  mal. 

C'est  ce  que  paraissent  indiquer  ces  paroles  du  Psaliniste  :  «  Ils 
«  ont  été  enrichis  par  le  fruit  du  froment,  du  vin  et  de  leur  huile  3.  » 
Le  froment  et  le  vin  sont  les  figures  de  la  Sainte  Eucharistie  qui 
enrichit  les  âmes  qui  la  reçoivent;  mais  pourquoi  le  prophète  y 
ajoute-t-il  l'huile,  comme  si  elle  ne  faisait,  avec  le  froment  et  le 
vin,  qu'une  seule  figure  de  cette  source  de  richesses  que  Jésus 
nous  a  préparée  ?  C'est  que  l'huile  adoucitetguérit  les  blessures.  Il 
peut  se  faire  que  le  pain  et  le  vin  du  Seigneur  nuisent  à  notre  âme, 
si  elle  est  mal  préparée,  et  la  blessent  profondément  :  il  faut  verser 
de  l'hujle  sur  la  blessure,  et  quelle  sera  cette  huile,  sinon  la  Sainte 

1.  Rétine  carnem  Cliristi,  in  qua  leveris  œgrotus,  et  a  vulneribii-s  latronum 
.semivivus  relictus,  ut  ad  stabulurn  perducaris,  et  il)i  saneris.  Ergo  curramus 
ad  dornum  Domini.  (S.  Augi;st.,  in  Luc,  x,  31.) 

i.  Profecto  homicidio  tune  proprium  aderat  medicamen  :  aquadiluvii  ineral 
divagante  mortis  calamitate.  Vcrum  quia  adulterii  propria  ablutio  nondum  a 
Dominico  corpore  diffluxerat,  amplius  petit  lavari.  (Escohar.,  in  Evang., 
lib.  VIII.) 

■i.  A  fruclu  frumenti,  vitii  el  olei  sui  multiplicati  sunl.  {Pu.  iv,  ^.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.     779 

Eucharistie  mieux  reçue?  Par  elle  le  dommage  sera  réparé;  par 
elle  les  richesses  de  la  grâce  recevront  un  nouvel  accroissement. 
Les  Juifs  avaient  mal  mangé  la  manne  dans  le  désert  ;  ils  l'avaient 
considérée  non  pas  comme  la  figure  et  le  gage  du  pain  spirituel 
et  divin  que  Dieu  se  préparait  à  nous  donner  un  jour,  mais  comme 
un  aliment  purement  corporel  :  «  Ils  sont  morts,  »  dit  Notre-Sei- 
gneur,  et  il  ajoute:  «  Celui  qui  mange  ce  pain  vivra  élernelle- 
«  ment.  »  Quel  enseignement  pouvons-nous  tirer  de  ces  paroles, 
sinon  que  celui  qui  aurait  encouru  la  mort  de  l'âme  en  commu- 
niant sans  apporter  à  cette  action  sacrée  toutes  les  dispositions  né- 
cessaires retrouvera  la  vie  véritable,  la  vie  éternelle  s'il  commu- 
nie de  nouveau,  mais  saintement,  comme  un  tel  sacrement  le 
réclame. 

V.  La  sainte  communion  calme  et  éteint  les  ardeurs  de  la 
concupiscence. 

Moïse  avait  promis,  de  la  part  de  Dieu,  au  peuple  d'Israël,  dans 
le  désert,  que  le  lendemain  matin  ils  auraient  du  pain  en  abon- 
dance et  a  le  matin,  dit  le  texte  sacré,  la  rosée  se  trouva  répan- 
«  due  autour  du  camp.  Et  lorsqu'elle  eut  couvert  la  surface  de  la 
«  terre,  il  apparut  quelque  chose  de  menu  et  comme  pilé  au  mor- 
«  tier,  ressemblant  à  la  gelée  blanche  sur  la  terre  ^  »  C'était  la 
manne,  le  pain  que  le  Seigneur  avait  promis  et  qu'il  donnait  à  son 
peuple.  Pourquoi  cet  aliment,  l'une  des  figures  les  plus  frappantes 
de  la  Sainte  Eucharistie,  se  présentait-il  sous  la  forme  de  rosée  et 
de  gelée  blanche?  S.  Thomas  répond  :  «  Le  pain  céleste  apparais- 
«  sait  sous  la  forme  de  rosée  et  de  gelée  blanche,  parce  que  le  corps 
«  du  Seigneur  délivre  des  ardeurs  de  la  concupiscence  mauvaise  -.  » 
David  disait  au  Seigneur  :  a  Vous  avez  préparé  devant  moi  une 
«  table  contre  ceux  qui  me  troublent  -^  »  Les  Pères  reconnaissent 
dans  cette  table  la  table  eucharistique,  la  sainte  communion. 
Mais  qui  faut-il  entendre  par  ceux  qui  nous  troublent?  Assuré- 
ment il  faut  entendre  tout  d'abord  nos  ennemis  intérieurs,  la  con- 
cupiscence et  tous  les  mauvais  désirs,  tous  les  attachements  cou- 

1.  Mane  ros  jacuit  per  circuituin  castrorum.  Cumque  operuissetsuperficiem 
terrae,  apparuil  in  solitudine  minutuin,  et  quasi  pilo  tusum,  in  siniilitudinem 
pruina^  super  lerr.mi.  (h'.roil.,  \vi,  1:5,  14.) 

'2.  Panis  ifritur  cœleslis  in  similitudinom  pruinae,  rorisque  apparohat,  quia 
corpus  Doniini  a  fervorepravae  concupiscentiïe  libérât.  (S.  TiioM.,  opusc.  LVll,) 

3.  Parasti  in  conspectu  meo  mensam  advcrsus  eos  qui  trihulant  me. 
[Ps.  \xii,  ti.) 


780        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

pables  qu'elle  enfante.  C'est  principalement  contre  de  tels  ennemis 
que  Dieu  nous  a  préparé  un  secours  tout-puissant  dans  la  sainte 
communion.  Avec  la  communion  bien  faite,  la  victoire  est  assurée, 
mais  sans  elle  que  pourrait-on  contre  tant  d'ennemis  intérieurs 
qui  se  joignent  à  ceux  du  dehors,  pour  pousser  une  àme  à  sa  perte  ? 

La  Sainte  Eucharistie,  c'est  encore  l'eau  qui  a  jailli  de  la  pierre 
frappée  par  Moïse,  dans  le  désert.  L'eau  éteint  le  feu  ;  la  Sainte  Eu- 
charistie, eau  vivante  et  vivifiante,  sortie  du  côté  de  Jésus  frappé 
par  la  lance  du  soldat,  éteint  aussi  le  feu  des  passions  ou  de  la 
concupiscence. 

VL  La  sainte  communion  guérit  de  tous  les  maux. 

Le  Prophète  royal  le  savait  et  c'est  pourquoi  il  disait  au  Seigneur  : 
«  Je  prendrai  le  calice  du  salut.  »  Ce  calice  du  salut,  quel  peut-il 
être,  sinon  celui  qui  contient  le  sang  adorable  de  notre  Sauveur? 
Le  nom  de  calice  du  salut  ne  saurait  convenir  aussi  bien  à  aucun 
autre  et  il  n'en  est  pas  qui  puisse  nous  être  autant  utile,  exposés 
comme  nous  le  sommes  à  toutes  sortes  de  maux.  Sa  vertu  est  infinie, 
puisqu'il  contient  le  sang  d'un  Dieu.  La  Sagesse  incréée,  ou  plutôt 
Jésus-Christ  lui-même,  nous  invite  à  boire  ce  calice.  Nous  lisons 
en  effet  au  livre  des  Proverbes  :  «  Buvez  le  vin  que  je  vous  ai 
«  mêlé.  »  Évidemment  la  sagesse  divine  ne  nous  excite  pas  à 
boire  le  vin  matériel  qui  engendre  l'ivresse  et  fait  commettre  tant 
de  crimes.  Le  vin  qu'elle  nous  oflre  est  bien  le  même  dont  parle 
le  Psalmiste,  la  Sainte  Eucharistie,  le  calice  qui  sauve. 

Pendant  la  vie  mortelle  de  Notre-Seigneur,  tous  ceux  qui  tou- 
chaient avec  foi,  non  seulement  son  corps  adorable,  mais  les  vête- 
ments qui  le  recouvraient,  trouvaient  la  guérison  de  leurs  maux  et 
le  salut  de  leur  âme  dans  cet  attouchement  :  comment  ne  trouve- 
rions-nous pas  dans  la  sainte  communion  les  guérisons  spiri- 
tuelles dont  celles  que  rapporte  l'Évangile  étaient  la  figure  et  le 
gage?  Comment  n'y  trouverions-nous  pas  même  un  soulagement 
pour  nos  peines  temporelles,  lorsqu'une  telle  faveur  est  utile  à 
notre  salut?  —  Mais  celui  que  la  Sainte  Eucharistie  ne  guérit  pas 
est  en  bien  grand  danger  de  se  perdre.  C'est  après  avoir  reçu  de 
Jésus-Christ  le  pain  qui  était  au  moins  l'image  de  l'Eucharistie,  si 
ce  n'élait  l'Eucharistie  elle-même,  que  Juda  se  livra  tout  entier  au 
démon,  qu'il  livra  Jésus,  qu'il  tomba  dans  le  désespoir  et  se  donna 
là  mort. 

VII.  Jm  SaiÉite  Eucharistie  transforme  les  loups  en  agneaux. 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      781 

ramène  les  égarés  dans  la  bonne  voie  et  les  fait  renaître  à  une 
vie  nouvelle. 

L'Ecclésiastique  dit,  en  parlant  de  celui  qui  craint  Dieu  :  «  La 
sagesse  le  nourrira  du  pain  de  vie  et  d'intelligence,  et  elle  l'abreu- 
vera de  l'eau  de  la  sagesse  qui  donne  le  salut  i.  »  Ce  pain  de  vie 
et  d'intelligence,  cette  eau  de  la  sagesse,  n'est  autre  que  l'adorable 
Eucharistie.  Les  instincts  mauvais  que  le  péché  originel  a  déchaî- 
nés en  l'homme,  et  que  les  péchés  volontairement  commis  rendent 
plus  impérieux  encore,  tendent  à  le  rapprocher  des  animaux  sans 
raison.  Celui  que  dominent  des  passions  violentes  est  moins  un 
homme  qu'une  bête  fauve  ou  un  animal  immonde.  Mais  s'il  s'ef- 
force de  revenir  à  Dieu,  s'il  communie,  le  pain  de  vie  et  d'intelli- 
gence lui  rendra  la  vie  raisonnable,  la  vie  de  la  grâce,  l'intelli- 
gence des  choses  de  Dieu.  C'est  ce  qu'annonçait  le  prophète  Isaïe 
lorsqu'il  disait  :  «  Le  loup  habitera  avec  l'agneau,  et  le  léopard  se 
tt  couchera  près  du  chevreau  2  ;  »  et  un  peu  plus  loin  il  ajoutait  : 
<s  Le  veau  et  l'ours  iront  aux  mêmes  pâturages.  »  Le  Prophète,  par 
ces  dernières  paroles,  révélait  le  secret  d'un  changement  si  in- 
croyable dans  des  bêtes  de  rapine  et  de  sang,  vivant  en  paix  avec 
les  animaux  paisibles  qu'on  offrait  en  sacrifice  au  Seigneur:  c'est 
qu'ils  devaient  prendre  la  même  nourriture  et  se  rendre  aux  mêmes 
pâturages. 

A  l'aliment  divin  que  Dieu  nous  a  préparé  revient  donc  tout 
l'honneur  de  la  transformation  des  pécheurs  les  plus  endurcis  en 
véritables  serviteurs  de  Dieu,  en  chrétiens  doux  et  humbles  de 
cœur. 

C'est  la  sainte  communion  qui  fait  rentrer  dans  la  bonne  voie 
ceux  qui  s'en  éloignent.  Lorsque  le  divin  Maître,  après  sa  résur- 
rection, eut  rompu  le  pain  aux  disciples  qui  s'en  étaient  allés  à 
Emmaus,  au  lieu  de  demeurer  à  Jérusalem]|avec  les  ap(3tres,  leurs 
yeux  s'ouvrirent,  ils  reconnurent  Jésus,  et  se  hâtèrent  de  retourner 
à  Jérusalem.  S'ils  n'avaient  pas  mangé  la  chair  du  Fils  de  l'homme 
et  bu  son  sang,  ils  n'auraient  pas  eu  la  vie  en  eux,  car  ils  prenaient 
un  chemin  qui  les  éloignait  de  lui.  Mais  la  sainte  communion  remet 
dans  la  bonne  voie  ;  elle  change  et  purifie  les  dispositions  inté- 

1.  Cibabit  illum  pane  viUe  el  intellectus,  cl  aqua  sapientiae  saUUaris  potabit 
illutn.  (Eccli.,  xv,  W.) 

"2.  Habitabit  lupus  cum  agno  et  pardus  cuin  hœdo  accubabit....  Vitulus  et 
ursus  pascentur.  {Isa.,  xv,  13,  It.) 


782        LA  SAINTE   EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.    XVII. 

Heures  ;  par  elle  ceux  qui  étaient  pauvres  en  vertus  se  trouvent 
bientôt  enrichis  et  transformés,  selon  la  parole  du  Psalmiste  :  «  Les 
u  pauvres  mangeront  et  seront  rassasiés;  et  ils  loueront  le  Sei- 
«  gneur,  ceux  qui  le  cherchent  ;  leurs  cœurs  vivront  dans  les 
«  siècles  des  siècles  '.  »  Et  comment  s'accomplira  un  tel  change- 
ment? «  Ils  se  souviendront  du  Seigneur  et  se  convertiront  à 
«  lui  -.  »  Tel  sera  pour  eux  le  bienheureux  effet  d'une  commu- 
nion faite  avec  piété. 

Lorsque  le  charbon  mystérieux  dont  parle  Isaïe  eut  touché  ses 
lèvres,  le  prophète  fut  purifié  de  toutes  ses  taclies  et  vécut  d'une 
vie  nouvelle.  Que  ne  fera  pas  en  nous  la  Sainte  Eucharistie  qui  ne 
s'arrête  pas  à  nos  lèvres,  mais  qui  s'unit  à  nous  comme  l'aliment 
de  tout  notre  être  ?  Si  nous  sommes  morts,  elle  nous  rendra  la  vie; 
si  nous  sommes  malades,  elle  nous  guérira;  si  nous  sommes  déchus 
de  notre  grâce  première,  elle  nous  la  rendra  en  y  ajoutant  une 
perfection  nouvelle.  Ce  fut  pour  montrer  l'efficacité  de  son  corps 
adorable  dans  l'ordre  de  notre  salut,  que  le  divin  Sauveur  voulut 
toucher  le  cercueil  du  fils  de  la  veuve  deNaïm,  introduire  le  doigt 
dans  l'oreille  du  sourd,  toucher  aussi  le  lépreux  et  les  yeux  de 
l'aveugle,  afin  de  leur  rendre  la  vie  et  la  santé  du  corps,  en  même 
temps  que  celle  de  l'àme.  Et  lorsque,  prenant  la  main  de  la  fille  de 
Jaire,  il  l'eut  ressuscitée,  il  ordonna  de  lui  donner  à  manger,  pour 
marquer  encore  plus  expressément  que  c'est  par  la  Sainte  Eucha- 
ristie qu'il  nous  donne  la  vie  de  la  grâce  et  qu'il  nous  la  conserve. 

VIIL  La  sainte  communion  empêche  que  nous  ne  tombions 
dans  le  péché. 

On  lit  dans  la  Genèse  que  Melchisédech,  roi  de  Salem,  offrit 
un  sacrifice  de  pain  et  de  vin  3.  Ce  pain  et  ce  vin  étaient  la  figure 
de  la  Sainte  Eucharistie.  Mais  pourquoi  le  prêtre  du  Très-Haut 
qui  offre  ce  sacrifice  est-il  appelé  roi  de  Salem,  c'est-à-dire,  roi  de 
la  cité  de  paix  ?  C'est  que  la  Sainte  Eucharistie  établit  en  nous  la 
paix  intérieure  lorsque  nous  communions.  Elle  réprime  et  apaise 
tous  les  mouvements  de  la  concupiscence  et  des  passions,  et  fait 
que  nous  ne  tombons  pas. 

1.  Edenl  pauperes  et  saturabuntur  et  laudabunt  Dominiim  qui  requirunt 
eum  :  vivent  corda  eorum  in  saeculum  saeculi.  [Ps.  xxi,  27.) 

2.  Reminiscentur  et  convertentur  ad  Dominum.  {Id.,  28.) 

3.  Melchisédech,  rex  Salem,  proferens  panem  et  vinum;  erat  enim  sacer- 
dos  Dei  Altissimi.  {fienes.,  xiv,  18.) 


à 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      783 

La  bouchée  de  pain  qu'Abraham  offre  aux  anges  qui  le  viennent 
visiter  a  la  même  signification  :  «  Je  vous  servirai  une  bouchée 
«  de  pain:  affermissez  votre  cœur,  »  en  la  mangeant,  dit-il  *. 
C'est  que,  selon  la  parole  de  S.  Bernardin  de  Sienne,  «  ce  très 
a  saint  sacrement  fortifie  non  seulement  l'àme,  mais  aussi  la  chair 
«  en  quelques  manière  :  l'àme  pour  qu'elle  persévère  dans  le  bien, 
«  la  chair  pour  qu'elle  ne  se  précipite  pas  dans  le  mal  -.  » 

Le  saint  roi  David  disait  au  Seigneur  :  «  Quand  je  marcherais 
«  au  milieu  de  l'ombre  de  la  mort,  je  ne  craindrais  point  les 
«  maux,  parce  que  vous  êtes  avec  moi  'K  »  Et  d'où  vient  au  saint 
roi  une  telle  assurance?  C'est  qu'il  peut  ajouter  :  «  Vous  avez  pré- 
<i  paré  en  ma  présence  une  table,  contre  ceux  qui  me  tour- 
«  mentent  ^.  »  Le  Seigneur  est  avec  lui,  que  pourrait-il  craindre? 
Et  comment  le  Seigneur  est-il  avec  lui,  ou  plutôt  avec  nous  ?  Par 
la  Sainte  Eucharistie,  cette  table,  ce  banquet  divin  que  Dieu  nous 
a  préparé.  David  ne  possédait  ce  bien  qu"en  figure  et  en  espérance: 
cependant  c'était  assez  déjà  pour  le  mettre  au-dessus  de  toute 
crainte.  Mais  sans  la  sainte  communion  au  moins  de  désir,  telle 
que  David  la  pouvait  faire,  il  n'y'a  pas  pour  nous  de  vie  ni  de  salut 
possible  :  nous  tomberons  nécessairement  dans  le  péché  et  la  mort 
éternelle,  selon  cette  parole  du  Seigneur  :  «  Si  vous  ne  mangez 
«  pas  la  chair  du  Fils  de  l'homme  et  si  vous  ne  buvez  pas  son 
«  sang,  vous  n'aurez  pas  la  vie  en  vous  ■=>.  » 

IX.  La  sainte  communion  protège  contre  la  colère  de  Dieu,  et 
préserve  l'âme  de  toute  corruption. 

Lorsque  Dieu,  au  moment  de  délivrer  les  Hébreux  de  la  ser- 
vitude d'Egypte,  leur  ordonna  d'immoler  l'agneau  pascal,  figure 
du  divin  Agneau  dont  le  sacrifice  devait  un  jour  racheter  le 
monde,  il  voulut  qu'ils  marquassent  du  sang  de  leur  victime  les 
deux  montants  des  portes  de  leurs  demeures;  il  leur  dit:  «  Le 
«  sang  sera  un  signe  en  votre  faveur  dans  les  maisons  où  vous 

1.  Poiiam  buccellam  panis,  et  confortate  cor  vestrum.  {Gcnes.,  xviii,  M.) 
'•î.  Roborat  menteiu  et  quodammodo  carnem  hoc  sanctissimum  Sacramcn- 

tuin  :  mentem  ut  persistât  in  bono,  carnem  ne  ruât  in  maliim.  (S.  Bernard. 

Senens.,  serm.  XII  de  Euchar.,  art.  i,  cap.  iv.) 

3.  Si  ambulavero  in  medio  umbrae  mortis,  non  limebo  mala,  quoniam  tu 
mecum  es.  [Ps.  xxii,  i.) 

4.  Parasti  in  conspectu  meo   mensam,    adversus   eos   qui    Iribulant  me. 

[Ps.  XXII,  JJ.) 

U.  Nisi  manducaveritis  carnem  Filii  hoininis,  et  biberilis  ejus  sanguinem, 
non  babebitis  vitam  in  vobis.  {Joanu.,  vi,  11.) 


784       LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  11°  l'ARTIE.  —  LIVRE   II.    —  CHAI-.  XVII. 

«  serez  ;  car  je  verrai  le  sang,  et  je  passerai  au  delà  de  vous  ;  et  la 
«  plaie  de  la  destruction  ne  vous  atteindra  pas  K  »  Comment  Dieu 
ne  détournerait-il  pas  les  coups  de  sa  juste  colère,  de  ceux  dont  les 
lèvres  sont  teintes  du  sang  de  son  divin  Fils  et  qui  ont  le  bonheur 
d'être  comme  un  tabernacle  sacré  où  il  se  plaît  à  demeurer?  Aussi 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  nous  recommande-t-il  d'avoir  en  vue, 
dans  tous  nos  actes,  la  possession  de  l'aliment  sacré  qu'il  nous  a 
préparé.  Il  nous  dit  :  «  Travaillez,  non  pas  en  vue  de  la  nourriture 
a  qui  périt,  mais  de  celle  qui  demeure  pour  la  vie  éternelle  et  que 
«  le  Fils  de  l'homme  vous  donnera  ;  car  Dieu  le  Père  Ta  scellé  de 
«  son  sceau  ^.  »  D'après  Bossuet  et  la  plupart  des  interprètes, 
c'est  le  Fils  de  l'homme  qui  est  marqué  du  sceau  de  son  Père  : 
mais  la  Sainte  Eucharistie,  le  pain  qui  ne  périt  pas,  n'est-ce  pas  ce 
même  Fils  de  l'homme  ?  Manger  ce  pain,  c'est  donc  s'incorporer 
le  sceau  de  Dieu,  c'est  être  marqué  par  lui  pour  la  persévérance 
dans  le  bien  ici-bas,  et  pour  la  félicité  qui  n'aura  pas  de  fm  dans 
le  ciel. 

La  Sainte  Eucharistie  est  le  testament  de  notre  divin  Sauveur  en 
mômetempsque  le  mémorial  de  sa  mort  :par  elle  il  nous  met  en  pos- 
.session  de  tous  ses  biens,  car  sa  mort  est  venue  valider  ce  testament 
aussitôt  qu'il  l'eut  fait.  Parmi  les  biens  que  nous  tenons  de  lui,  en 
vertu  de  ce  testament,  il  faut  compter  l'incorruptibilité  de  l'âme, 
car  il  a  dit  :  a  Voici  le  pain  qui  descend  du  ciel,  afin  que  si  quel- 
a  qu'un  en  mange,  il  ne  meure  point  3.  »  Ce  pain  est  l'aliment  par 
ex'cellence,  celui  qui  conserve  la  vie,  non  pour  un  temps,  mais 
pour  Téternité.  Lui  seul  mérite  ce  norii  d'aliment  ou  de  nourriture 
dans  toute  sa  plénitude,  car  il  réalise  le  désir  de  vivre  toujours, 
et  toujours  d'une  vie  heureuse,  que  portent  en  eux  les  hommes;  il 
les  rend  immortels  et  incorruptibles. 

X.  La  sainte  communion  met  en  fuite  le  démon. 

L'ange  que  Dieu  avait  chargé  de  frapper  de  mort  tous  les  pre- 
miers-nés de  l'Egypte  n'osa  pas  franchir  le  seuil  des  maisons 
marquées  du  sang  de  l'agneau  pascal  :  le  démon  redoute  mille 

1.  Erit  autem  sanguis  vobis  in  signum,  in  aedibus  in  quibus  eritls;  et  videbo 
.sanguinem  et  transibo  vos;  nec  erit  in  vobis  plaga  disperdens.  [Exod.,  xii,  13.) 

!2.  Operamini  non  cibum  qui  périt,  sed  qui  permanet  in  vitam  œternam, 
quem  Filius  hominis  dabit  vobis.  Hune  enim  Pater  signavit  Deus.  {Joann., 
VI,  ^n.) 

;i.  Hic  est  panis  de  coelo  descendens  :  ut  si  quis  ex  ipso  manducaverit,  non 
moriatur.  [Ihid.,  50.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIETÉ.      785 

fois  plus  encore  l'approche  de  ceux  qu'il  voit  marqués  du  sang  de 
Jésus-Christ.  La  vue  de  la  colonne  de  feu  et  de  nuée  qui  protégeait 
les  Israélites  épouvanta  les  Égyptiens  qui  les  poursuivaient  à  travers 
la  mer  Rouge  dont  les  eaux  s'étaient  retirées;  un  désordre  épouvan- 
table se  mit  dans  leur  armée,  et  Pharaon  s'écria  :  «  Fuyons  Israël, 
«  car  le  Seigneur  combat  pour  eux  contre  nous  *.  »  Ainsi  le  Pha- 
raon infernal  est  épouvanté  et  toute  son  armée  fuit  en  désordre  à 
la  vue  de  la  Sainte  Eucharistie  dans  laquelle  Dieu  se  donne  voilé 
sous  les  saintes  Espèces  que  représentait  la  nuée,  protection  et 
lumière  du  peuple  Israélite.  Pourquoi,  demande  un  commentateur 
de  l'Écriture  sainte,  Pharaon  qui  avait  été  tant  de  fois  vaincu  par 
le  Seigneur,  sans  rien  perdre  de  son  obstination,  renonce  t-il  dé- 
finitivement à  la  lutte  lorsqu'il  voit  la  nuée  mystérieuse?  C'est, 
répond-il,  que  cette  nuée  est  l'image  de  la  Sainte  Eucharistie  -. 
Cependant  le  démon  mis  en  fuite  par  la  Sainte  Eucharistie  re- 
vient bientôt  à  la  charge.  Mais  celui  qui  a  communié  se  sent  fort 
pour  lui  résister  et  remporte  aisément  la  victoire  sur  cet  ennemi, 
rusé,  implacable  et  obstiné.  Le  peuple  de  Dieu  mourait  de  soif  dans 
le  désert.  Moïse  frappa  de  sa  verge  le  rocher,  figure  de  Jésus- 
Christ,  et  il  en  jaillit  une  eau  abondante.  Cette  eau  représentait 
le  sang  adorable  versé  pour  notre  salut,  et  devenu  notre  aliment 
dans  l'adorable  Eucharistie.  Lorsque  les  Israélites  eurent  bu  de 
cette  eau,  il  leur  fallut  combattre  les  Amalécites,  sur  l'ordre 
même  du  Seigneur,  et  ils  remportèrent  une  éclatante  victoire. 
«  Le  peuple  but  de  l'eau  sortie  de  la  pierre,  dit  S.  Augustin,  et 
a  aussitôt  il  entreprit  la  guerre  contre  Amalech.  Vous  voyez,  mes 
«  frères,  qu'après  avoir  bu  de  l'eau  de  la  pierre,  c'est-à-dire  par- 
«  ticipé  au  sacrement  du  Christ,  il  faut  partir  en  guerre  contre 
«  le  démon  '^.  »  Se  tenir  sur  la  défensive  ne  suffit  pas;  il  faut  re- 
prendre à  l'ennemi  ce  dont  il  s'est  emparé;  il  faut  réparer  le  mal 
qu'il  a  fait,  en  y  substituant  le  bien  ;  il  faut  énerver  ses  forces  et 

1.  Fugiamus  Israelem  :  Doininus  pugnat  enim  pro  eis  contra  nos.  {Exod., 
XIV,  2y.) 

2.  Cur  ergo  modo  animo  consternatus  (Pharao)  vincere  desperat  qui  loties 
detriumphatus  pertinaci  ol)stinatione  pugnaral?  Quia  nubes  Kucharistiam 
adumbrabat.  (Naxera  in  Joseph,  cap.  vi,  n.  iJ.) 

3.  Bibil  ergo  de  petra  populus,  etslatim  bcllum  init  contra  Ainalecli.  Videte 
Iratres  quia  postea  quam  (juisquc  de  pelra  l)il)erit,  id  est  Clirisli  sacramenta 
.susceperit,  necesse  est  ilium  ad  pugnam  prodire.  (S.  August.,  serm.  XCIII  de 

Tcmporc.) 

LA     SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV,  50 


786        LA   SAINTE   EUCHARISTIE.   —  II"  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   XVII. 

amoindrir  son  empire.  On  le  doit  et  on  le  peut,  lorsqu'on  fait  la 
sainte  communion  avec  la  dévotion  que  réclame  un  tel  acte. 

XI.  La  sainte  communion  nous  fortifie  confiée  nos  ennemis  et 
nous  en  rend  victorieux. 

Lorsque  le  Seigneur  voulut  enfin  que  son  peuple  choisi  sortît 
de  l'Egypte,  où  Pharaon  le  retenait  esclave,  il  dit  :  «  Que  chacun 
<  prenne  un  agneau  par  chacune  des  familles  et  des  maisons  i.  » 
Pourquoi  cette  recommandation  et  les  rites  si  minutieux  prescrits 
pour  la  manducation  de  cet  agneau?  C'est  qu'il  était  la  figure  de 
la  Très  Sainte  Eucharistie.  Les  enfants  de  Jacob  allaient  entre- 
prendre un  voyage  plein  de  fatigues  et  de  périls,  et  Dieu  voulait 
leur  donner  un  secours  efficace  contre  les  unes  et  contrôles  autres. 
La  Sainte  Eucharistie  n'existait  pas  encore,  mais  l'agneau  pascal 
en  fut  la  ligure,  et  il  suflit  de  cette  figure  pour  faire  triompher 
de  tous  les  obstacles  le  peuple  choisi. 

Ici  reviennent  à  la  pensée  les  paroles  de  David.  :  «  Vous  avez 
a  préparé  devant  moi  une  table  contre  ceux  qui  me  persécutent  2.  » 
Ainsi,  c'est  une  table  que  Dieu  nous  donne  comme  rempart  inex- 
pugnable, et  un  aliment  sera  notre  bouclier!  Mais  cette  table  est 
la  table  eucharistique,  cet  aliment  n'est  autre  que  la  chair  et  le 
sang  de  celui  qui  a  vaincu  le  monde,  enchaîné  le  démon,  de  celui 
au  seul  nom  de  qui  tout  genou  doit  fléchir  au  ciel,  sur  la  terre  et 
jusque  dans  les  enfers.  S'il  suffit  de  son  nom  pour  mettre  tous  les 
démons  en  fuite  et  les  obliger  à  chercher  un  refuge  au  plus  pro- 
fond des  enfers,  que  ne  fera  pas  la  table  du  banquet  auquel  il  nous 
invite?  Que  ne  feront  pas  son  corps,  son  sang,  son  âme  et  sa  divi- 
nité qu'il  nous  y  sert  lui-même  comme  aliments  ? 

Nous  sommes  donc  forts  contre  nos  ennemis  par  la  sainte  com- 
munion, nous  n'avons  rien  à  redouter  de  leurs  attaques  et  nous 
serons  victorieux.  Isaac,  bénissant  Jacob,  lui  disait  :  «  Que  Dieu 
a  te  donne  de  la  rosée  du  ciel  et  de  la  graisse  de  la  terre,  l'abon- 
«  dance  du  froment  et  du  vin.  »  Puis  il  ajoutait  :  «  Les  peuples 
«f  te  seront  asservis  '^.  »  Qu'a  de  commun,  pour  qu'Isaac  les  unisse, 
l'abondance  du  froment  et  du  vin  avec  l'asservissement  des  peuples? 

1.  ToUet  unusquisque  agnum  per  familias  et  domos  suas.  [Exod.,  xii,  3.) 

2.  Parasti   in    conspeclu   meo  mensam  adversus   eos    qui    tribulant  me. 

{Ps.  XVII,  y.) 

3.  Det  libi  Dcus  de  rorc  cœli  et  de  pinguedine  terrse  abundantiam  frumenti 
et  vini.  Serviant  tibi  populi.  {Gènes.,  xxvii,  28.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.  787 

Ce  froment  et  ce  vin  représentent  l'adorable  Eucharistie  :  or  qui- 
conque est  fortifié  par  elle  remportera  la  victoire  sur  ses  ennemis 
qui,  même  en  croyant  lui  nuire,  travailleront  efficacement  à  son 
triomphe  final  et  à  sa  gloire  éternelle,  ^e  fut-ce  pas,  nourris  par 
la  manne  figure  de  l'Eucharistie,  que  les  Israélites  vainquirent 
leurs  ennemis  et  s'emparèrent  des  contrées  fertiles  que  Dieu  leur 
avait  promises  ? 

Le  pain  cuit  sous  la  cendre,  dont  il  est  parlé  au  livre  des  Juges, 
qui  renversa  les  tentes  des  Madianites  et  amena  la  destruction  de 
leur  armée,  nous  montre  encore  toute  la  puissance  du  pain  eucha- 
ristique contre  nos  ennemis;  et  le  calice  que  David  appelle  le 
calice  du  salut,  parce  qu'en  le  prenant  il  sortira  victorieux  de 
toutes  ses  épreuves,  n'est-ce  pas  encore  le  calice  du  sang  de 
Notre-Seigneur?  S.  Paul  disait  :  «  Qui  donc  nous  séparera  de 
«  l'amour  du  Christ?  Est-ce  la  tribulation?  est-ce  l'angoisse  ?  est- 
«  ce  la  faim  ?  est-ce  la  nudité  ?  est-ce  le  péril  ?  est-ce  la  persécu- 
«  tion  ?  est-ce  le  glaive?  »  Et  il  répondait  :  «  Je  suis  certain  que 
«  ni  mort  ni  vie,  ni  anges  ni  principautés,  ni  puissances,  ni  choses 
«  présentes  ni  choses  futures,  ni  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé,  ni  ce 
«  qu'il  y  a  de  plus  profond,  ni  aucune  autre  créature  ne  pourra 
«  nous  séparer  de  l'amour  de  Dieu  qui  est  dans  le  Christ  Jésus 
«  Notre-Seigneur  •.  »  Où  donc  l'Apôtre  puisait-il  cette  confiance 
et  cette  force?  Dans  la  Sainte  Eucharistie,  répond  S.  Césaire 
d'Arles  -.  Et  si  vous  avez  quelque  doute  de  la  force  qu'elle  donne 
au  milieu  des  tribulations,  considérez  les  martyrs  qu'elle  rendit 
invincibles,  considérez  les  confesseurs  et  les  vierges  qu'elle  a  sou- 
tenus au  milieu  de  luttes  souvent  plus  pénibles  et  surtout  plus 
longues  que  le  martyre  lui-même.  Ou  plutôt,  faites-en  personnel- 
lement l'essai,  communiez  souvent,  avec  une  dévotion  sincère,  et 
vous  expérimenterez  quelle  force  la  sainte  communion  vous  don- 
nera contre  vos  ennemis. 

1.  Quis  ergo  nos  separabit  a  charitale  Christi?  Tribulatio?  an  angustia?  an 
famés?  an  nuditas?  an  periculurn?  an  perseculio?  an  trladius  ?....  Ccrlus 
sum  cniin  quia  ncque  mors,  neque  vita,  neque  angeli,  neque  principaUis,  ne- 
(jue  virtutes,  neque  instantia,  ncque  futura,  neque  fortitudo,  neque  altiludo, 
neque  profundum,  neciue  crealura  alia  polerit  nos  separare  a  charitale  Dei 
quœ  est  in  Christo  Jesu  Domino  nostro.  {liom  ,  viu,  3;i,  '^H,  nO.) 

2.  Dum  in  Sacramentis  vino  aqua  miscetur,  Christo  fidelis  popuhis  incorpo- 
ratur  et  junpitur,  et  quadam  ci  copula  perfcctcG  charitatis  unitur,  ut  possit 
dicere  cum  Apostoln  :  Quis  nos  separahit  a  charitale  Christi?  Tribulatio?  an 
famés,  etc.  (S.  C.esar.  Arelat.,  hom.  VII.) 


788        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE  —  LIVRE   II.  —  CIIAP.   XVII. 

XII.  La  Sainte  Eucharistie  nourrit  celui  qui  la  reçoit,  et  le 
rend  fort  en  cette  vie. 

Le  Psalmiste  disait  :  «  Les  pauvres  mangeront  et  seront  rassa- 
«  siés.  »  C'est  de  l'Euciiaristie  que  l'Esprit  de  Dieu  parlait  ainsi 
par  la  bouche  de  David.  La  Sainte  Eucharistie  nourrit  donc  ceux 
qui  la  mangent,  car  l'Esprit  de  Dieu  pourrait-il  promettre  un  ali- 
ment trompeur,  qui  rassasierait  sans  nourrir  véritablement  ceux 
qui  le  prendraient?  Notre  divin  Sauveur  nous  a,  du  reste,  expli- 
qué clairement  ce  que  le  roi-prophète  n'avait  fait  que  donner  à 
entendre.  Il  a  dit  :  «  Ma  chair  est  véritablement  une  nourriture 
c  et  mon  sang  véritablement  un  breuvage.  »  Or  il  n'y  a  de  véri- 
table nourriture  et  de  véritable  breuvage  que  ce  qui  nourrit  ou 
apaise  réellement  la  soif.  Mais  la  Sainte  Eucharistie  n'est  pas  faite 
pour  entretenir  la  santé  et  la  vie  du  corps,  qui  est  ce  qu'il  y  a  de 
plus  infime  dans  l'homme.  Sans  doute  elle  réagit  sur  le  corps  en 
quelque  manière,  mais  c'est  de  l'àme  qu'elle  est  l'aliment;  c'est 
l'àme  qu'elle  nourrit  ;  c'est  à  l'àme  qu'elle  donne  des  forces. 

Un  fleuve  mystérieux  sortait  du  paradis  terrestre,  pour  arroser 
et  fertiliser  toute  la  terre.  Ce  fleuve  est  la  Sainte  Eucharistie, 
comme  le  paradis  est  la  sainte  Église.  Si  nous  avons  soif,  si  notre 
cœur  est  une  terre  desséchée  et  stérile,  allons  à  ce  fleuve  et  rafraî- 
chissons-nous à  longs  traits.  Quelles  plantes,  quelles  fleurs  et 
quels  fruits  merveilleux  produisait  ce  jardin  que  le  Seigneur  avait 
planté,  et  qu'arrosait  le  fleuve  figure  de  l'Eucharistie!  Adam,  s'il 
n'eût  pas  péché,  aurait  été  immortel,  tant  il  aurait  trouvé  de  vi- 
gueur dans  les  aliments  que  lui  ofl'rait  ce  paradis. 

Lorsque  le  prophète  Élie  eut  mangé  par  deux  fois  du  pain  cuit 
sous  la  cendre  que  lui  apportait  l'ange,  il  accomplit,  sans  un  ins- 
tant de  repos,  un  voyage  de  quarante  jours  et  quarante  nuits, 
tant  il  puisa  de  force  dans  cet  aliment.  Cependant  le  pain  offert 
par  l'ange  n'était  qu'une  figure  de  l'adorable  Eucharistie;  elle 
aussi  nous  donne  la  force  nécessaire  pour  arriver  à  la  montagne 
de  Dieu  qui,  pour  nous,  n'est  pas  Horeb,  mais  le  ciel  même  avec 
tout  son  bonheur  et  toute  sa  gloire  ^. 

1.  Edent  pauperes  et  saturabuntur,  {Ps.  xxi,  27) 

-2.  Caro  mea  vere  est  cibus  et  sanguis  meus  vere  est  potus.  {Joann.,  vi,  Jifi. 

;5.  Horeb  interpretatur  Memn  ;  mons  ergo  iste  est  mensa  Dei  et  significat 
satietalem  cœlestis  gloriae.  Panis  itaque  corporis  Christi  confortât  nos  et  robo- 
rat  quadraginta  diebus,  id  est  tolo  tempore  prœsentis  pœnilentiae  usque  ad 
montcm  et  mensam  Dei,  id  est  quoadusque  veniamus  ad  altitudinem  securi- 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      789 

Le  pain  fortifie  le  cœur  de  l'homme,  dit  le  psalmiste;  le  vin  le 
réjouit,  et  l'iiuile  illumine  sa  face  d'un  rayon  de  gaieté  K  Ce  pain, 
ce  vin,  cette  huile,  ne  sont  autres  que  Jésus-Christ  dans  la  Très 
Sainte  Eucharistie  :  c'est  lui  qui  produit  ces  différents  effets  en 
ceux  qui  le  reçoivent.  Nous  avons  donc  bien  raison  de  demander 
au  Père  ce  pain  céleste  comme  notre  pain  quotidien.  Si  nous  ne 
mangions  pas  ce  pain,  si  nous  ne  buvions  pas  ce  vin,  si  nous  ne 
recevions  pas  Fonction  de  cette  huile,  nous  n'aurions  ni  force,  ni 
joie,  ni  consolation  ;  nous  n'aurions  pas  la  vie  en  nous. 

XIII.  La  sainte  communion  est  notre  soutien. 

Par  la  Sainte  Eucharistie,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  avec 
nous  ;  par  la  sainte  communion,  il  est  non  seulement  avec  nous 
mais  en  nous.  Or  laSagesse  éternelle,  qui  n'est  autre  que  lui,  nous 
déclare  que  ses  délices  sont  d'être  avec  les  enfants  des  hommes  ; 
et  en  quoi  consistent  ces  délices?  Dans  les  secours  qu'il  nous  ap- 
porte, l'appui  qu'il  nous  prête,  le  bien  qu'il  nous  fait.  Il  est  heu- 
reux, comme  Dieu  et  comme  homme,  de  venir  ainsi  en  aide  à  notre 
misère,  à  notre  faiblesse,  et  d'exercer  sa  douceur,  sa  mansuétude, 
sa  libéralité  envers  nous  ;  il  trouve  ses  délices  à  se  faire  le  compa- 
gnon de  notre  pèlerinage,  la  lumière  de  notre  ignorance,  le  remède 
de  notre  infirmité  2. 

Il  est  dit  au  livre  de  l'Ecclésiastique  que  la  Sagesse  viendra  au- 
devant  de  celui  qui  pratique  la  justice,  et  «elle  le  nourrira  du  pain 
«  de  vie  et  d'intelligence....  elle  le  maintiendra,  et  il  ne  sera  pas 
«  confondu  3.  »  Ce  pain  de  vie  et  d'intelligence  que  la  Sagesse, 
c'est-à-dire  le  Verbe  de  Dieu  fait  homme,  Jésus-Christ,  donne  au 
juste,  c'est  encore  la  Sainte  Eucharistie.  C'est  par  la  communion 
qu'il  nous  soutient  dans  la  voie  de  la  justice;  c'est  par  elle  qu'il 
éloigne  de  nous  les  chutes  honteuses  et  la  contusion  qui  les  suit. 

XIV.  La  sainte  communion  donne  la  vie. 

Il  y  avait  dans  le  paradis  terrestre  un  arbre  de  vie,  et  cet  arbre 

tatis,  et  satietatem  dulcedinis  aeternae  gloriae.  (S.  Tiiom.,  opusc.  LVII  de  Admi- 
rah.  Sacram.  altar.,  cap.  xxi.) 

1.  Et  vinum  lœlificet  cor  hominis,  ut  exhilaret  faciem  in  olco,  et  panis  cor 
hominis  confirmet.  (Ps.  cm,  lo.) 

2.  Exhibait  se  ut  luae  sit  percgrinationis  comes,  ignorantiœ  tute  lux,  infir- 
mitatis  tuae  remedium,  tccuni  habitet.  (S.  Laurent.  Justin.,  serm.  de  Eu- 
char.) 

3.  Qui  continens  est  justiliaî  apprehendet  illam,  et  obviabit  illi....  Cibabit 
illum  pane  vitae  et  intellectus....  et  continebil  ilhiin,  cl  non  confundetur. 
(Eccli.,  XV,  1-i.) 


790        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

devait  communiquer  une  vie  immortelle  à  l'homme  qui  aurait 
mangé  de  ses  fruits.  Cet  arbre  était  l'image  de  la  Très  Sainte 
Eucharistie,  le  véritable  arbre  de  vie  planté  au  milieu  de 
l'Église.  Goûter  au  fruit  de  cet  arbre  par  la  sainte  communion, 
c'est  s'incorporer  la  vie  immortelle,  la  vie  divine.  Tout  vit  en 
nous  par  la  sainte  communion:  nos  pensées,  nos  affections,  nos 
désirs,  nos  volontés.  Toutes  nos  paroles,  tous  nos  actes,  toutes 
nos  souffrances,  tous  nos  sacrifices  sont  vivifiés  et  sanctifiés  par 
une  communion  bien  faite.  Nos  fleurs  et  nos  fruits  sont  spiritua- 
lisés,  divinisés  par  elle  i. 

Mais  nous  avons  plus  qu'une  figure  pour  nous  apprendre  que  la 
Sainte  Eucharistie  est  pour  nous  la  vie.  Notre-Seigneur  nous  a  dit 
lui-même  :  «  Je  suis  le  pain  de  vie.  Celui  qui  mangera  de  ce  pain 
«  vivra  éternellement  '.  »  Il  nous  a  dit  encore  :  «  Ma  chair  est  véri- 
«  tablement  une  nourriture  et  mon  sang  véritablement  un  breu- 
«  vage.  »  Ce  corps  et  ce  sang  adorables  ont  nécessairement  la  pro- 
priété essentielle  de  tout  aliment,  qui  est  de  faire  vivre,  et  celui 
qui  mange  ce  pain  et  boit  ce  vin  qui  sont  le  corps  et  le  sang  du 
Seigneur  a  véritablement  la  vie  en  lui. 

XV.  La  sainte  communion  éclaire  et  illumine. 

On  lit  dans  l'Exode  :  «  Lorsque  Moïse  descendait  de  la  montagne 
«  de  Sinaï,  il  tenait  les  deux  tables  du  témoignage,  et  il  ignorait 
«  que  sa  face  était  rayonnante  de  lumière,  depuis  l'entretien  du 
«  Seigneur  avec  lui  3.  »  Tertullien  dit  que  Moïse,  en  cette  circons- 
tance, représente  ceux  qui  approchent  de  Dieu  par  la  sainte  com- 
munion '*.  Si  Dieu  ne  leur  voilait  pas  lui-même  la  face,  personne 
n'en  pourrait  supporter  l'éclat. 

Nous  lisons  au  livre  des  Proverbes  ces  paroles  de  l'éternelle 
Sagesse  :  «  Venez,  mangez  mon  pain,  et  buvez  le  vin  que  je  vous 
«  ai  mêlé.  Quittez  l'enfance  et  vivez,  et  marchez  dans  les  voies  de 

1.  A  vitali  profecto  ligno,  nempe  ab  Eucharistia,  quod  in  medio  Paradisi 
consitum  est,  omnes  Ilores,  ac  fructus  .spiritual!  vita  donantur.  (Escobar., 
t.  Il,  lib.  VIII  in  Evang.) 

2.  Ego  sum  panis  virus....  Qui  manducat  ex  hoc  pane,  vivet  in  seternum. 
{Joann.,  vi,  îiC).) 

3.  Cumque  descendisset  Moyses  de  monte  Sinaï,  tenebat  duas  tabellas  tes- 
timonii,  et  ignorabat  quod  cornuta  esset  faciès  sua  ex  consortio  sermonis  Do- 
mini.  {Exoit.,  xxxiv,  29.) 

4.  Cum  quidem  neque  ipsum  Moysen  Deo  pastum  inediamque  ejus  nomine 
saginalfim  constanter  contemplari  valeret  propinquior  populus.  (Tertull.,  de 
Jejtmio,  cap.  vi.) 


J 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  OUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      791 

«  la  prudence  i.  »  Le  pain  et  le  vin  que  l'éternelle  Sagesse  nous  in- 
vite à  manger,  c'est  elle-même,  avec  le  corps,  le  sang  et  lame  aux- 
quelselles'estunieafmdenoussauver.  Etqu'arrivera-t-ilsinousnous 
nourrissons  de  la  Sagesse  divine  incarnée?  Nous  quitterons  l'enfance 
avec  ses  ignorances  et  ses  ténèbres,  la  prudence  nous  éclairera  de 
sa  lumière  et  nous  marcherons  dans  ses  voies.  Le  vin  naturel  fait 
oublier  la  prudence  et  obscurcit  la  raison,  mais  le  vin  surnaturel, 
le  sang  de  Jésus-Christ  inséparable  de  son  divin  corps,  reçu  par  la 
communion,  illumine  l'intelligence  et  donne  la  sagesse.  C'est  la 
sainte  communion  qui  ouvre  les  yeux  de  ceux  qui  la  reçoivent,  et 
leur  permet  de  contempler  les  choses  divines.  «  Où  sera  le  corps, 
«  là  se  rassembleront  les  aigles  2,  »  dit  Notre-Seigneur.  Tous  ceux 
que  le  corps  de  Jésus  attire,  tous  ceux  qui  communient  sont  des 
aigles,  et  leur  regard  peut  se  fixer  sur  le  divin  Soleil  de  justice. 

XVL  La  Sainte  Eucharistie  attire  les  hommes  à  Dieu. 

Le  divin  Maître,  lorsqu'il  appela  Pierre  et  André  son  frère  à 
l'apostolat,  leur  dit  :  «  Suivez-moi,  et  je  vous  ferai  devenir  pécheurs 
«  d'hommes  ^.  »  Que  dites-vous.  Seigneur?  Vous  avez  dessein  d'en- 
voyer vos  apôtres  à  la  conquête  de  tous  les  peuples  de  la  terre,  et 
vous  les  comparez  à  d'humbles  pêcheurs?  C'est  que,  selon  la 
remarque  d'un  commentateur,  de  môme  que  le  premier  soin  des 
pêcheurs  est  d'offrir  quelque  nourriture  aux  poissons  pour  les 
attirer,  les  apôtres  et  tous  les  prédicateurs  de  l'Évangile  doivent 
d'abord  parler  de  l'Eucharistie  à  leurs  auditeurs,  et  les  excitera 
la  communion  ^.  Grâce  à  ce  pain  divin  qu'ils  ont  offert  au  monde, 
«  ils  se  sont  fait  entendre  par  toute  la  terre,  et  leurs  paroles  ont 
«  retenti  jusqu'aux  confins  de  l'univers.  »  Ils  avaient  avec  eux  ce 
Dieu  tout-puissant,  créateur  de  toutes  choses,  qui  a  placé  sa  tente 
dans  le  soleil  •^  c'est-à-dire,  qui  s'est  rendu  visible  aux  hommes, 
en  prenant  ce  corps  adorable  dans  lequel  il  s'est  montré  à  nous, 

\.  Venite,  comedite  panem  meum  et  bibite  vinuni  quod  miscui  vobis.  Re- 
linquite  infantiam  et  vivite  et  ambulate  per  vias  prudenlicP.  (Prov.,  viii,  y,  6.) 

2.  Ubicumque  fuerit  corpus,  illic  confrre.cabuntur  et  aquila\  {Matth., 
xxiv,  28.) 

3.  Venite  post  me  :  faciam  vos  fieri  piscatores  boniiinun.  {Id.,  iv,  \\).) 

4.  Nam  sicut  piscatores  in  primis  escam  conquirunt  quam  piscibus  obji- 
ciant,  non  aliter  apostoli  et  concionatores  in  ])riniis  auditoribus  suis  debeni 
Kucharistiam  objicere,  et  eos  ad  Cœnamdominicam  (rabore  (Pinnv,  in  Kcc/es., 
t.  II,  n.  im.) 

ti.  In  omnem  terrain  exivit  sonus  eorum  et  in  linos  orbis  terra*  verba 
eorum.  In  sole  posuit  taliernarulum  suuni.  {Ps.  \vm,  !».) 


792        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CIIAP.  XVII. 

Comment,  ayant  avec  eux  le  soleil,  n'aurait-ils  pas  attiré  l'atten- 
tion des  hommes?  Comment  ne  les  auraient-ils  pas  gagnés  en  leur 
offrant  le  pain  et  le  vin  qui  donnent  l'immortalité? 

XVII.  La  sainte  communion  excite  à  aimer  Dieu. 

Lorque  le  saint  patriarche  Abraham  offrit  l'hospitalité  aux 
anges  du  Seigneur,  il  leur  dit  :  «  Je  vous  servirai  aussi  une  bou- 
«  chée  de  pain,  et  vous  raffermirez  votre  cœur  ^.  »  Abraham  se 
proposait,  comme  il  le  fit,  de  servir  encore  plusieurs  autres  mets 
à  ses  hôtes,  mais  il  ne  parle  que  d'un  peu  de  pain,  et  c'est  à 
cette  bouchée  de  pain  qu'il  attribue  la  vertu  de  raffermir  leur  cœur. 
C'est  que  ce  pain  représentait  la  divine  Eucharistie  qui  peut  tout, 
pour  donner  à  nos  ca^urs  des  forces  toujours  nouvelles,  pour 
avancer  dans  la  voie  de  l'amour  de  Dieu  et  nous  embraser  des 
feux  de  ce  saint  amour.  Sans  elle  le  cœur  défaille  et  l'amour  s'éteint. 
C'est  ce  que  S.  Cyprien  écrivait  au  pape  S.  Corneille  :  «  Les  forces 
«  manquent  à  l'àme  qui  ne  reçoit  pas  l'Eucharistie  2.  »  C'est  de  la 
Sainte  Eucharistie  que  l'Ecclésiastique  disait  :  «  Ceux  qui  me 
€  mangent  auront  encore  faim,  et  ceux  qui  me  boivent  auront  en- 
te core  soif  3.  »  Plus  on  se  nourrit  de  cet  aliment,  plus  on  désire 
le  manger  encore,  et  plus  on  mange  ce  pain  qui  est  Jésus,  plus  on 
l'aime.  Notre  divin  Sauveur  est  venu  apporter  le  teu  sur  la  terre: 
où  le  déposera-t-il,  ce  feu  qu'il  désire  tant  voir  tout  embraser,  sinon 
dans  les  cœurs  qui  le  reçoivent  par  la  sainte  communion,  dans  les 
cœurs  qui  habitent  en  lui,  parce  que  lui-môme  habite  en  eux?  Les 
commentateurs  s'accordent  à  reconnaître  une  figure  de  la  Sainte 
Eucharistie  dans  le  charbon  ardent  qu'un  Séraphin  prit  sur  l'autel 
pour  en  toucher  les  lèvres  du  prophète  Isaïe  et  les  purifier.  Pour- 
quoi un  charbon  ardent  représenterait-il  la  Sainte  Eucharistie, 
sinon  parce  que  toutes  les  ardeurs  de  famour  divin  sont  rassem- 
blées dans  cet  auguste  sacrement  qu'il  nous  est  donné  de  recevoir? 
Marie-Madeleine  pleurait,  se  tenant  debout  hors  du  tombeau  de 
Jésus  '*,  dit  l'Évangile.  Et  pourquoi  pleurait-elle?  Elle  ne  redoutait 
pas  qu'il  arrivât  rien  de  mal  à  ce  corps  sacré;  elle  savait  que  le 
Seigneur  lui-môme  veillait  sur  son  corps.  Que  craignait-elle  donc, 

\.  Ponam  buccellam  panis,  et  confortate  cor  vestrum.  (Gen.,  xviii,  ÎJ.) 

2.  Mens  déficit,  quam  non  accepta  Eucharistia  accendit.  (S.  Cvprian., 
Epist.  LIV  ad  Cornel.  pap.) 

3.  Qui  edunt  me  adhuc  esurient,  et  qui  bibent  me  adhuc  sitient.  [Eccli., 
XXIV,  29.) 

i.  Maria  autem  stabat  ad  nionumentum  foris  plorans.  (Joann.,  xx,  il.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIETÉ.      793 

et  pourquoi  pleurait-elle  ?  Ce  n'était  pas  pour  Jésus-Christ,  dit  Ori- 
gène,  qu'elle  était  en  peine,  mais  pour  elle-même.  Elle  craignait 
que  l'absence  du  corps  du  Seigneur  n'affaiblît  dans  son  propre 
cœur  l'amour  qu'elle  lui  portait,  tandis  que  sa  vue  aurait  suffi 
pour  entretenir  toute  l'ardeur  de  son  amour  '.  Dans  la  sainte  com- 
munion, nous  ne  voyons  pas  ce  corps  adorable,  mais  nous  faisons 
plus,  nous  le  mangeons.  Or,  dit  S.  Anselme,  celui  qui  aime  davan- 
tage se  nourrit  aussi  plus  souvent  de  cet  aliment,  et  l'aimant  ainsi 
davantage  encore,  il  y  recourt  encore  plus  souvent;  et  plus  il  le 
mange,  plus  il  l'aime  ~. 

XVIII.  La  sainte  communion  excite  en  nous  le  désir  de  com- 
munier encore. 

Pourquoi  dites-vous,  ô  divine  Sagesse,  que  ceux  qui  vous  mangent 
auront  encore  faim  et  que  ceux  qui  vous  boivent  auront  encore  soif? 
Est-ce  que  l'aliment  que  vous  donnez  est  incapable  de  satisfaire  à 
nos  besoins?  L'aliment  de  la  divine  Sagesse,  qui  est  l'Eucharistie, 
rassasie  pleinement  ceux  qui  le  mangent  ;  mais  ils  ont  encore  faim 
néanmoins.  L'amour  de  Dieu  toujours  croissant  que  cette  nourri- 
ture céleste  allume  dans  leurs  cœurs  excite  des  désirs  de  plus  en 
plus  ardents  d'union  avec  lui  :  et  quelle  union  peut-on  désirer  sur 
la  terre  plus  parfaite  que  celle  qui  s'opère  par  la  sainte  commu- 
nion, en  attendant  l'union  du  ciel? 

XIX.  La  sainte  comtnunion  nous  facilite  V obéissance  à  la 
volonté  divine. 

On  lit  dans  la  Genèse  qu'après  la  création  de  l'homme.  Dieu  dit: 
//  nest  pas  bon  que  Vhomme  soit  seul;  faisons-lui  une  aide 
semblable  à  lui  3.  Cette  aide  que  Dieu  donna  au  premier  homme 
lui  fut  fatale,  ainsi  qu'à  tous  ses  descendants.  Mais  la  miséricorde 
divine  a  réparé  le  mal  originel.  Elle  a  donné  aux  hommes  un  autre 
aide,  qui  répare  largement  tout  le  mal  causé  par  la  première 
femme,  et  nous  rend  beaucoup  plus  que  nous  n'avions  perdu.  Cet 
aide  n'est  autre  que  lui-même.  II  ne  veut  pas  que  nous  soyons  seuls, 
et  pour  que  le  compagnon  qu'il  nous  donne  soit  semblable  à  nous, 
il  prend  notre  nature.  Homme  et  Dieu  tout  ensemble,  il  se  voile 

1.  Metuebat  ne  amor  Magistri  sui  in  corpore  suo  frigesceret,  nisi  corpus 
ejus  inveniret;  quo  vise  recalesceret.  (Orioen.,  hom.  I  ex  variis.) 

2.  Hune  cibum  plus  inanducal  qui  ampUus  amnl,  et  phis  ainando,  rursum 
qui  plus  et  plus  manducat  phis  et  plus  amat.  (S.  .\NSELM.,f/e  Sarrom.  altcnW 

3.  Non  est  bonum  bomineni  esse  .soluni  :  faciamus  ei  adjutorium  simile 
sibi.  (Gcnrs.,  ii,  11).) 


794        LA   SAINTE    EUCHARISTIE.  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CIIAP.  XVII. 

SOUS  les  espèces  Eucharistiques  et  se  fait  ainsi  le  compagnon,  l'ali- 
ment, le  soutien  de  notre  vie.  Il  nous  communique  sa  force  par 
la  grâce  et  nous  aide  ainsi  à  pratiquer  le  bien.  Si  une  société  mau- 
vaise, dit  un  commentateur,  poussa  Adam  et  Eve  à  transgresser  la 
loi  et  à  manger  du  fruit  défendu,  la  société  salutaire  du  Clirist, 
qui  demeure  en  celui  qui  a  bien  communié,  l'excite  au  contraire  à 
observer  cette  même  loi  ^ 

Dans  la  prière  qu'il  a  daigné  nous  enseigner,  le  divin  Maître 
nous  dit  de  demander  à  notre  Père  du  ciel  que  sa  volonté  soit 
faite  :  Fiat  voiuntas  tua  ;  et  il  veut  que  nous  ajoutions  aussitôt  : 
«  Donnez-nous  aujourd'hui  notre  pain,  »  qui  est  l'Eucharistie,  car 
S.  Matthieu  le  nomme  le  pain  suprasubstantiel,  c'est-à-dire  au- 
dessus  de  toute  substance.  Pourquoi  cette  demande  immédiate- 
ment après  la  première,  sinon  parce  que,  pour  accomplir  la  vo- 
lonté de  Dieu  sur  la  terre  comme  les  anges  et  les  saints  au  ciel, 
nous  avons  besoin  de  nous  unir  souvent  et,  s'il  est  possible,  chaque 
jour  à  celui  qui  est  le  pain  vivant.  Par  ce  moyen  il  vivra  en  nous, 
nous  vivrons  en  lui,  sa  volonté  sera  la  nôtre,  et  nous  ne  voudrons 
plus  rien  que  ce  que  veut  notre  Père  qui  est  dans  les  cieux. 

XIX.  La  sainte  communion  fait  que  Von  s'applique  à  la  pra- 
tique des  bonnes  œuvres. 

Gomment  pourrait-il  en  être  autrement  puisque  c'est  surtout 
par  elle  que  l'on  vit  d'une  même  vie  avec  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ?  Nous  lisons  au  psaume  cm*  :  «  Le  soleil  s'est  levé  et 
c  l'homme  ira  à  son  travail  '.  »  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  le 
soleil  de  justice  qui  s'est  levé  sur  la  terre,  et  qui  y  demeure  par 
la  Sainle  Eucharistie.  Lorsque  le  soleil  matériel  se  lève,  les 
hommes  en  profitent  pour  se  livrer  à  leurs  travaux  de  toutes 
sortes,  et  ceux  sur  qui  le  soleil  de  justice  s'est  levé  se  livrent  aux 
œuvres  de  justice.  Que  ce  divin  soleil  se  lève  dans  une  âme;  qu'il 
y  descende  et  y  habite  par  la  sainte  communion  :  que  d'œuvres 
de  justice,  que  d'œuvres  saintes  n'accomplira  pas  cette  âme? 
On  ne  peut  faire  que  des  œuvres  de  lumière  lorsqu'on  est  illu- 
miné par  le  soleil  qui  est  le  Fils  de  Dieu  lui-même. 

1.  Si  prava  societas  Evam,  Adamumque  ad  transgressionem  legis  impulit, 
ad  ligni  prohibiti  excitans  esum,  bona  Christi  societas,  manentis  scilicet  in 
hoxnine  digne  communicante,  cum  allicit  ad  ejusdem  legis  observantiam. 
(EscoBAR..  t.  II  in  Evang.,  lib.  VIII.) 

2.  Ortus  est  sol.  Exibit  homo  ad  opus  suum.  {Pu.  cm,  23.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      795 

XX.  La  sainte  communion  enseigne  à  parler  des  choses  di- 
vines. 

La  Sainte  Eucharistie  devient,  en  ceux  qui  la  reçoivent,  ce  que 
la  sève  est  pour  un  arbre  qui,  vivifié  par  elle,  produit  des  feuilles, 
des  tïeurs  et  des  fruits.  Les  fruits  sont  les  œuvres  méritoires  que 
l'on  accomplit  comme  naturellement  lorsqu'on  a  mangé  le  pain 
du  Seigneur  et  qu'on  s'est  enivré  du  vin  qu'il  donne  à  ses  bien- 
aimés  ;  les  feuilles  et  les  fleurs  sont  les  saintes  paroles  que  fait 
naître  avec  abondance  une  sève  si  généreuse  '.  Le  saint  roi  David 
disait  :  «  Je  recevrai  le  calice  du  salut,  et  j'invoquerai  le  nom  du 
ft  Seigneur  ~.  »  Ce  calice  du  salut,  il  ne  le  prenait  qu'en  esprit 
et  par  l'ardeur  de  ses  désirs;  c'était  assez  cependant  pour  qu'il 
pût  ajouter  :  «  J'invoquerai  le  nom  du  Seigneur  ;  »  je  parlerai  de 
lui,  je  le  ferai  connaître,  aimer  et  servir,  je  le  prierai  et  je  ferai 
en  sorte  que  les  autres  célèbrent  ses  louanges  et  le  prient  avec 
moi.  Que  les  lèvres  du  prêtre  qui  chaque  jour  s'approchent  de  ce 
calice  du  salut,  non  plus  seulement  en  désir  et  en  figure  mais  dans 
la  réalité,  doivent  donc  être  éloquentes  î  qu'elles  doivent  célébrer 
dignement  les  grandeurs  et  les  miséricordes  infinies  du  Seigneur! 
qu'elles  doivent  être  puissantes  pour  attirer  les  hommes  à  lui  !  Et 
même  dans  les  conversations  ordinaires  entre  chrétiens,  est-ce 
que  ceux  qui  ont  souvent  le  bonheur  de  communier  ne  devraient 
pas  parler  de  celui  qui  vit  en  eux?  est-ce  qu'ils  ne  devraient  pas 
pouvoir  dire  encore  avec  le  Psalmiste  :  <r  Mon  cœur  a  produit  une 
«  bonne  parole  :  »  Eructavit  cor  meum  verbum  bonum  3?  Re- 
marquez que  ce  mot,  eructavit,  signifie  rejeter  au  dehors,  avec 
une  sorte  de  violence.  La  bonne  parole,  ou  plutôt  le  Verbe  qui  est 
la  bonté  même  de  Dieu,  doit  jaillir  avec  impétuosité  de  ce  cœur, 
qui  en  est  devenu  le  réceptacle  et  en  même  temps  la  source.  C'est 
à  tous  ceux  qui  ont  goûté  au  pain  et  au  vin  du  Seigneur  que  la 
divine  Sagesse  adresse  ces  paroles  :  «  Fructifiez  comme  une  rose 
«  plantée  près  du  courant  des  eaux.  Gomme  le  Liban,  ayez  une 
«  odeur  de  suavité.  Portez  des  fleurs  comme  le  lis,  donnez  de 
«  l'odeur  et  couvrez-vous  d'un  feuillage  gracieux  ;  louez  de  con- 

1.  Ex  spiritual!  perfusione,  sive  potu  sanguinis  Christi,  oriuntur  in  anima 
quasi  in  paradiso  Dci  frondes  verborum,  et  utiliuni  alloquioruin.  (S.  TiiOM., 
opusc  LVII  de  Vtmerah.  Snrram.  altar.) 

"2.  Galicem  salutaris  accipiam,  et  nomcn  Doniini  invocabo.  {Ps.  cxxv.  V,\.) 

3.   Ps.  XLIV,  1. 


796        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II»  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

«  cert  en  chantant  un  cantique,  et  bénissez  le  Seigneur  dans  vos 
«  œuvres.  Rendez  gloire  à  son  nom,  et  glorifiez-le  par  la  voix  de 
«  vos  lèvres,  par  les  cantiques  de  vos  lèvres  et  par  vos  cithares  K  » 

II. 

AUTRES    FRUITS    DE   LA    SAINTE   COMMUNION 

XXI.  La  sainte  communion  fait  avancer  les  âmes  dans  le 
chetnin  de  la  perfection. 

Dieu,  en  prescrivant  à  Moïse  les  rites  selon  lesquels  la  mandu- 
cation  de  l'agneau  pascal  devait  être  faite,  lui  dit  :  «  Vous  le  man- 
«  gérez  à  la  iiàte  ;  car  c'est  la  Pàque,  c'est-à-dire  le  passage  du 
«  Seigneur  -.  »  Pourquoi  ce  nom  depassage  donné  à  l'agneau  pas- 
cal, figure  de  l'Eucharistie?  S.  Ambroise  en  donne  pour  raison 
que  la  Sainte  Eucharistie  nous  fait  passer  de  vertu  en  vertu,  qu'elle 
ne  nous  permet  pas  de  nous  arrêter  dans  la  voie  de  la  perfection, 
et  qu'elle  nous  élève  toujours  à  un  degré  plus  haut  de  sainteté.  La 
«  Pàque  du  Seigneur,  c'est  le  passage  de  l'abandon  aux  passions, 
«  à  l'exercice  de  la  vertu  ^,  »  dit-il.  Et  c'est  après  avoir  mangé 
cette  pàque  que  les  Israélites  partirent  pour  ce  long  voyage  à  travers 
le  désert,  qui  devait  les  conduire  a  la  terre  promise,  comme  après 
avoir  mangé  notre  Agneau  pascal,  après  avoir  communié,  nous 
nous  mettons  en  route  avec  une  nouvelle  vigueur,  pour  notre  terre 
promise  qui  est  le  ciel.  S.  Jérôme  disait  :  «  Rien  ne  donne  des 
«  forces  à  ceux  qui  avancent  dans  la  vertu,  comme  le  pain  de  vie 
«  dont  il  est  écrit  :  Et  le  pain  affermira  le  cœur  de  Vhomm,e  *.  » 

On  lit  dans  le  prophète  Isaïe  :  «  Dieu  viendra  lui-même  et  il  nous 
«  fortifiera.  Alors  le  boiteux  bondira  comme  un  cerf  ^.  »  Nous  sa- 

1.  Quasi  rosa  plantata  super  rivos  aquarum  fructificate;  quasi  Libanus 
odorem  suavitatis  habete.  Florete  flores  quasi  lilium,  et  date  odorem,  et  fron- 
dete  in  gratiam,  et  collaudate  canticum,  et  benedicite  Dominum  in  operibus 
suis.  Date  nomini  ejus  nnagnificentiain,  et  confiteinini  illi,  in  voce  labiorum 
vestrorum,  et  in  canticis  labiorum,  et  citharis.  [Ecdi  ,  xxxix,  17,  20.) 

!2.  Comedetis  festinanter;  est  enim  Phase,  id  est  transitus  Domini.  (Exod., 
XII,  i\.) 

3.  Pasclia  enim  Domini  transitus  est  a  passionibus  ad  exercitium  virtutis. 
(S.  Amuros.,  lib.  I  de  Cain  et  Abel,  cap.  viii.) 

i.  Nihil  ita  crescentis  animum  roborat  quomodo  facit  panis  vitae  de  que 
scriptum  est  :  Et  panis  cor  hominis  confirmet.  (S.  Hieronym.,  t.  V,  p.  69ii.) 

5.  Deus  ipse  veniet  et  salvabit  nos....  Tune  saliet  sicul  cervus  claudus.  [Isa., 
XXX,  4.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN   CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIETÉ.     797 

vons  que  le  Fils  de  Dieu  guérit  toutes  les  infirmités  pendant  sa 
vie  mortelle,  et  qu'il  rendit  aux  boiteux  et  aux  paralytiques  toute 
leur  agilité  première.  Mais  le  prophète  nous  invite  à  contempler 
une  autre  merveille,  et  c'est  par  la  Sainte  Eucharistie  qu'elle  s'ac- 
complit. Les  boiteux,  les  paralytiques  sont  les  pécheurs  et  ceux 
qui  se  laissent  aller  à  une  dangereuse  indifférence.  Mais  que  Dieu 
vienne  en  eux,  ou  plutôt  qu'ils  aillent  à  lui  par  la  sainte  commu- 
nion :  alors  ils  ne  s'arrêteront  plus;  ils  ne  se  traîneront  plus  misé- 
rablement dans  la  voie  de  la  perfection,  ils  s'y  élanceront  par 
bonds  impétueux.  Car  la  Sainte  Eucharistie  ne  se  contente  pas  de 
retirer  les  pécheurs  de  la  voie  mauvaise  où  ils  sont  engagés,  elle 
les  fait  s'élever,  s'ils  savent  en  profiter,  jusqu'aux  vertus  les  plus 
sublimes  ;  elle  les  jette  hors  d'eux-mêmes;  elle  les  enivre  du  vin 
de  l'amour  de  Dieu  et  du  zèle  pour  sa  gloire.  C'est  à  eux  que  la 
divine  Sagesse  adresse  cette  invitation  :  «  Mangez,  mes  amis,  et 
«  buvez,  et  enivrez-vous,  vous  qui  m'êtes  très  chers  i.  » 

XXII.  La  Sainte  Eucharistie  donne  à  ceux  qui  s'en  nour- 
rissent une  merveilleuse  beauté. 

C'est  de  la  beauté  de  l'âme  qu'il  s'agit  ici,  quoique  quelques 
rayons  de  cette  beauté  se  manifestent  ordinairement  sur  les  traits 
du  visage  et  que  le  corps  lui-même  doive  briller  d'un  merveilleux 
éclat  après  la  résurrection. 

Les  vertus  font  la  beauté  d'une  âme,  et  lorsque  Dieu  a  résolu  de 
demeurer  dans  une  âme,  lorsqu'il  veut  s'en  faire  un  palais  digne 
de  lui,  il  a  soin  de  l'orner  de  toutes  les  vertus.  Nous  lisons,  en 
efl'ct.  au  livre  des  Proverbes  :  «  La  Sagesse  s'est  bâti  une  maison  ; 
«  elle  a  taillé  sept  colonnes  2.  »  Ces  colonnes  qui  soutiennent  la 
maison  que  Dieu  daigne  habiter  sont  les  vertus;  elles  sont  au 
nombre  de  sept,  nombre  mystérieux  qui  comprend  leur  universa- 
lité. C'est  la  Sagesse  elle-même,  c'est  le  Verbe  divin  fait  homme 
pour  habiter  parmi  nous,  le  Dieu  caché  dans  TEucharistie  pour 
demeurer  en  nous,  qui  taille  lui-même  ces  colonnes.  Il  est  venu 
dans  sa  maison;  il  y  a  mis  la  première  main,  et  il  continue  d'y 
travailler  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  achevée,  qu'il  ne  manque  plus 
rien  ni  à  sa  solidité  ni  à  ses  ornementations,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit 
vraiment  digne  de  lui  et  qu'il  puisse  faire  ses  délices  d'y  demeu- 

1.  Comedite  amici  et  bibite,  et  inobriamini,  charissiini.  {Cnnl.,  v,  1.) 
'2.  Sapientia   ciîdificavit    sibi    domum,  excidit  cohimnas   septein.    {Prov. 
IX,  1.) 


798        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

rer.  Et  dans  cette  demeure  il  a  préparé  un  festin;  il  a  immolé  ses 
victimes,  mêlé  le  vin  et  dressé  sa  table.  Il  a  dit  à  ses  invités  : 
«  Venez,  mangez  mon  pain  et  buvez  le  vin  que  je  vous  ai  mêlé  ^.  » 
C'est  bien  la  Sainte  Eucharistie,  c'est  bien  son  corps  et  son  sang 
adorables  qu'il  donne  comme  aliments.  L'àme  qui  communie  est 
sa  demeure.  Dans  cette  àme  qu'il  orne  comme  un  riche  palais, 
comme  une  salle  préparée  pour  un  banquet  magnifique,  il  dresse 
lui-même  la  table,  et  il  se  donne  lui-même  en  nourriture.  Doit- 
elle  être  belle,  cette  àme,  ou  plutôt  cette  demeure,  cette  salle  du 
banquet  où  Dieu  veut  être  l'hôte,  et  donner  comme  mets  son  corps, 
son  sang,  son  àme  et  sa  divinité? 

Aussi  le  Psalmiste  dit-il  à  l'àme  fidèle  :  «  Le  roi  sera  épris  de 
«  votre  beauté,  parce  qu'il  est  le  Seigneur  votre  Dieu  -.  »  Et  l'É- 
poux des  Cantiques  :  «  Comme  le  lis  entre  les  épines,  ainsi  est 
«  mon  amie  entre  les  filles  ^....  Ma  colombe  cachée  dans  les  trous 
«  de  la  pierre,  dans  les  creux  du  mur  d'enclos,  montre-moi  ta 
«  face,  que  ta  voix  retentisse  à  mes  oreilles;  car  ta  voix  est  douce, 
«  et  ta  face  gracieuse  *.  »  L'Esprit-Saint  ne  trouve  pas  d'expres- 
sions trop  vives  ni  de  comparaisons  trop  délicates,  pour  exprimer 
combien  est  belle  aux  yeux  de  Dieu  l'àme  qui  est  unie  au  divin 
Époux  par  une  pieuse  et  sainte  communion. 

XXIII.  La  sainte  communion  procure  la  paix  intérieure  et 
la  paix  entre  les  fidèles. 

Lorsque  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  naquit  dans  Tétable  de 
Bethléem,  les  anges  descendirent  du  ciel  et  chantèrent  :  «  Paix 
«  sur  la  terre  aux  hommes  de  bonne  volonté.  »  Qui  donc  jouira 
davantage  de  cette  paix  que  ceux  qui  voient  Jésus-Christ  des- 
cendre, non  seulement  sur  la  terre  pour  la  leur  apporter,  mais 
jusque  dans  leurs  cœurs?  La  seule  condition  requise  pour  qu'ils 
jouissent  pleinement  de  cet  inappréciable  bienfait,  c'est  la  bonne 
volonté;  cette  condition  n'est  nullement  difficile  à  remplir,  avec  la 

\.  Immolavit  victimas  suas;  miscuit  vinum  et  posuit  mensam....  Ve- 
nite,  comedite  panem  meum  et  bibite  vinum  quod  miscui  vobis.  {Prov.,  iX, 
2,  y.) 

2.  Et  concupiscet  rex  decorem  luum,  quia  ipse  est  Dominus  Deus  tuus. 
[Ps.  XLIV,  12.) 

3.  Sicutlilium  inter  spinas,  sic  arnica  mea  inter  filias.  (Cant.,  ii,  2.) 

4.  Columba  mea  in  foraminibus  pctrae  et  caverna  maceriœ,  ostende  mihi 
faciem  tuam,  sonet  vox  tua  in  auribus  meis;  vox  enim  tua  dulcis  et  faciès 
décora.  [Cant.,  ii,  14.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION   EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.     799 

grâce  de  Dieu  qui  ne  saurait  leur  manquer.  L'Apôtre  dit  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Glirist  :  «  C'est  lui  qui  est  notre  paix  K  »  Aussi  le 
voyons-nous,  surtout  dans  la  dernière  Cène  et  après  sa  résurrec- 
tion, dire  à  ses  disciples  qu'il  leur  laisse  la  paix,  qu'il  leur  donne 
la  paix.  Lorsqu'il  daigne  leur  apparaître,  c'est  par  ce  mot  de 
«  paix  »  qu'il  les  salue  d'abord.  Comment  ceux  qui  ont  le  bon- 
heur de  participer  à  son  auguste  sacrement,  et  de  manger  le  pain 
qui  est  lui-même,  ne  posséderaient-ils  pas  cette  paix  qu'il  sou- 
haite, qu'il  donne  et  qu'il  laisse? 

S.  Jean  nous  apprend  que  les  Juifs,  en  entendant  le  Seigneur 
annoncer  qu'il  donnerait  sa  chair  comme  aliment  aux  hommes, 
disputaient  entre  eux  et  disaient  :  «  Comment  celui-ci  peut-il  nous 
«  donner  sa  chair  à  manger  ~  ?  »  Ils  savaient  bien  que  rien  n'est 
impossible  à  la  puissance  de  Dieu,  mais  ils  disputaient  parce 
qu'ils  ne  voulaient  pas  du  présent  que  le  divin  Maître  promettait 
de  leur  faire.  Ils  ne  Taimaient  pas,  ils  ne  voulaient  pas  contracter 
avec  lui  la  merveilleuse  union  qui  s'opère  dans  la  sainte  commu- 
nion. Et  voilà  pourquoi  la  paix  ne  régnait  pas  entre  eux.  «  Ils 
«  disputaient  entre  eux,  dit  S.  Augustin,  parce  qu'ils  ne  compre- 
«  naient  rien  au  pain  qui  fait  régner  la  paix,  et  qu'ils  ne  voulaient 
«  pas  le  prendre.  Car  ceux  qui  mangent  un  tel  pain  ne  disputent 
«  pas  entre  eux  par  la  raison  que,  quoiqu'en  grand  nombre, 
«  nous  sommes  un  seul  pain,  un  seul  corps  "\  ^  L'Apôtre  ajoute  : 
«  Nous  tous  qui  participons  à  un  seul  pain  *.  »  Aussi  est-il  écrit 
des  premiers  disciples,  au  livre  des  Actes  des  Apôtres  :  «  Tous  les 
«  jours,  persévérant  unanimement  dans  le  temple,  et  rompant  le 
«  pain  de  maison  en  maison,  ils  prenaient  leur  nourriture  avec 
<i  allégresse  et  simplicité  de  cœur  -K  »  Cette  union  touchante,  quelle 
en  était  la  source,  sinon  ce  pain  mystérieux  qu'ils  rompaient  en- 
semble, comme  S.  Luc  le  fait  remarquer  aussitôt  qu'il  a  parlé  de 

1.  Ipse  enim  est  pax  nostra.  {Ephes.,  ii,  li.) 

2.  Litigabant  ergo  Juda^i  ad  invicem  dicentes  :  Quomodo  potest  hic  nobis 
carnem  suain  dare  ad  manducaiidum?  [Joann.,  vi,  tiîi.) 

3.  Litigabant  uticiue  ad  invicem,  quoniam  panem  concordiai  non  inteHigo- 
bant,  nec  suniere  vuicbant  :  namqui  manducant  talem  pancni,  non  liliganlad 
invicem,  quoniam  unus  panis,  unum  corpus  mulli  sumus.  (S.  August.,  in 
Joann.,  vi,  Îi3.) 

i.  Omncs  qui  de  uno  pane  participamus.  (/.  Cov.,  x,  17.) 

y.  Quolidie  quoque  perdurantes  unanimiler  in  tcmplo,  el  frangenles  circa 

domos  panem,  sumebanl  cilium  cum  cxultatione  et  simplicitate  cordis.  {Act. 

Apost.,  Il,  Ul.) 


800        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  XVII. 

lunanimilé  de  leur  persévérance  :  Frangeâtes  panem,  a  rompant 
a  le  pain  ?  » 

XXIV.  La  Sainte  Eucharistie  fait  oublier  ou  mépriser  les 
choses  de  ce  monde. 

Lorsque  Jacob  quitta  la  maison  de  son  père  pour  fuir  la  colère 
d'Esaii,  le  Seigneur  lui  apparut  en  songe  et  lui  fit  les  plus  magni- 
fiques promesses,  pour  lui  et  pour  sa  postérité.  A  son  réveil,  Jacob 
fit  un  vœu  au  Seigneur,  et  dit  :  «  Si  le  Seigneur  Dieu  est  avec  moi, 
«  s'il  me  garde  dans  le  chemin  par  lequel  je  marche,  et  me  donne 
«  du  pain  pour  me  nourrir,  et  des  vêtements  pour  me  couvrir,  le 
«  Seigneur  sera  mon  Dieu  '.  »  Le  pain  qu'il  demandait  lui  faisait 
oublier  tous  les  autres  biens  qui  lui  étaient  promis  ;  c'était  assez 
pour  lui  de  recevoir  ce  pain  de  la  main  de  Dieu,  parce  qu'il  était 
la  figure  de  la  Très  Sainte  Eucharistie.  Sans  doute  le  patriarche 
n'avait  pas  la  claire  vue  de  ce  mystère  futur;  sa  pensée  ne  portait 
pas  si  loin  :  mais  l'Esprit  saint  y  pensait  lorsqu'il  voulut  que  le  sou- 
venir de  cette  parole  fût  religieusement  gardé  par  les  descendants 
de  Jacob,  et  que  Moïse  la  consignât  dans  nos  Livres  saints. 

Le  roi  David  s'écriait  :  «  Dieu,  mon  Dieu,  je  veille  et  j'aspire 
«  vers  vous  dès  la  lumière.  Mon  âme  a  eu  soif!  En  combien  de 
«  manières  ma  chair  même  se  sent  pressée  de  cette  ardeur  -  !  » 
L'ardeur  qui  consumait  l'âme  du  prophète  se  communiquait  à  son 
corps.  Il  languissait,  il  mourait  épuisé  de  chaleur  et  brûlant  de 
soif.  Et  quel  breuvage  pouvait  calmer  cette  soif  ardente  ?  Il  n'y  en 
avait  point  parmi  les  choses  créées.  II  avait  soif  de  Dieu  :  tout  le 
reste  n'était  rien  pour  lui.  Dieu  a  daigné  se  donner  lui-même  en 
breuvage  dans  la  Très  Sainte  Eucharistie,  aux  âmes  que  la  même 
soif,  que  les  mêmes  désirs  ardents  consument;  et  ce  breuvage 
divin,  lorsqu'on  le  prend,  foit  qu'on  désire  le  prendre  encore  et 
qu'on  ne  désire  que  lui  seul.  Plaisirs,  dignités,  richesses  de  ce 
monde  ne  sont  plus  rien  pour  celui  qui  a  goûté  combien  le  Sei- 
gneur est  doux.  Son  calice  est  rempli  d'un  vin  qui  produit  une 
ivresse  qui  fait  oublier  ou  regarder  comme  rien  tout  ce  qui  n'est 
pas  Dieu.  La  chair  elle-même  se  détache  de  ce  qui  fait  naturelle- 

1.  Si  fucrit  Deus  mecum,  et  custodierit  me  in  via  per  quam  ambulo,  et  dc- 
dcrit  inihi  panem  ad  vescendum  et  vestimentum  ad  inducnduin....  erit  mihi 
Dominus  in  Deuin.  (Gènes.,  xxviii,  20,  21.) 

2.  Deus,  Deus  meus,  ad  te  de  luce  vigilo.  Sitivit  in  te  anima  mea,  quam 
mullipliciter  libi  caro  mea!  {Ps.  lxii,  1.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIETE.      801 

ment  ses  délices  :  elle  aussi  s'élance  vers  Dieu  et  jouit  de  Dieu. 
Aussi  la  divine  Sagesse  dit-elle  à  ceux  qu'elle  invite  à  son  festin 
sacré  :  «  Mangez,  mes  amis,  et  buvez,  et  enivrez-vous,  mes  bien- 
ce  aimés  ^  »  Et  le  Sage,  parlant  de  la  manne  figure  du  même  mys- 
tère, dit  au  Seigneur  :  ^  Vous  avez  nourri  votre  peuple  de  la  nour- 
«  riture  des  anges  ;  vous  leur  avez  donné  un  pain  venant  du  ciel, 
€  préparé  sans  travail,  renfermant  en  soi  tout  ce  qui  plaît  et  ce  qui 
a  est  agréable  à  tous  les  goûts  2.  »  Comment  pourrait-on  trouver 
encore  du  charme  aux  choses  de  la  terre,  lorsqu'on  boit  au  calice 
du  Seigneur,  lorsqu'on  mange  le  pain  dont  les  esprits  bienheureux 
se  nourrissent  au  ciel,  ce  pain  qui  possède  en  soi  toutes  les  saveurs 
les  plus  suaves  et  qui  satisfait  à  tous  les  goûts?  C'est  ce  qui  faisait 
dire  à  S.  Cyprien  :  a  Celui  qui  boit  au  calice  sacré  a  encore  plus 
«  soif,  et  ses  désirs  s'élèvent  vers  le  Dieu  vivant,  avec  tant  d'im- 
«  pétuosité,  qu'il  n'a  plus  faim  et  soif  que  de  lui.  Les  coupes  em- 
«  poisonnées  dont  les  pécheurs  se  délectent  lui  font  horreur, 
«  toutes  les  jouissances  qui  procèdent  de  la  chair  lui  soulèvent  le 
«  cœur  et  sont  pour  lui  comme  un  vinaigre  mordant  qui  lui  brûle- 
«  rait  le  palais  3.  » 

XXV.  La  sainte  communion  fait  oublier  les  injures. 

Isaac  avait  été  gravement  offensé  par  Abimélech,  roi  des  Philis- 
tins, qui  même  l'avait  chassé  des  terres  qui  dépendaient  de  lui. 
Cependant  ce  roi,  voyant  combien  le  patriarche  que  bénissait  le  Sei- 
gneur était  devenu  puissant,  vint  le  trouver  où  il  était,  pour  faire 
la  paix.  Isaac  fit  un  festin  à  Abimélech  et  à  ses  compagnons. 
«  Après  qu'ils  eurent  mangé  et  bu,  dit  la  Sainte  Écriture,  se 
«  levant  le  matin,  ils  firent  serment  de  part  et  d'autre.  Ensuite 
a  Isaac  les  renvoya  paisiblement  chez  eux  4.  »  Ce  festin  de  paix  offert 
à  des  ennemis  par  le  patriarche  était  la  figure  de  la  paix,  du  par- 
don que  nous  devons  accorder  à  ceux  qui  nous  ont  oftensés,  surtout 

1.  Comedite,  amici,  et  bibite,  et  inebriamini,  charissimi.  {Cant.,  v,  1.) 

2.  Angelorum  esca  nutrivisti  populum  tuurn,  et  paratum  panem  de  cœlo 
prœstitisti  illis  sine  labore,  omne  delectaraentum  in  se  habentem,  et  omnis 
saporis  suavitatem.  {Sop.,  xvi,  20.) 

3.  Qui  de  sacro  Calice  bibit  amplius  sitit  et  ad  Deum  vivum  erigens  deside- 
rium.itasingularifame  unoappetitu  tenetur.utdeinceps  fellea  peccatorum  hor- 
reat  pocula.et  omnis  sapor  delectamentorum  carnalium  sit  ei  quasi  rancidum, 
radensque  palatum  acutcc  mordacitatis  acelum.  (S.  Cyprian.,  ch  Cœna  Domini.) 

A.  Ad  quem  locum,  etc.  Fecit  ergo  eis  convivium,  et  post  cibum  et  potum, 
surgentes  mane,  juraverunt  sibi  mutuo  :  dimisitque  eos  Isaac  pacifice  in  lo- 
cum suum.  [Gènes.,  xxvi,  20-31.) 

LA    SAINTE   EUCHARISTIE.    —  T.    IV.  51 


802        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  11*^  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

lorsqu'ils  prennent  place  avec  nous  au  banquet  eucharistique.  Par 
ce  repas  qu'il  leur  offrait  et  prenait  avec  eux,  Isaac  montrait  à  ceux 
qui  l'avaient  ofl'ensé  qu'il  oubliait  tous  leurs  torts.  Et  nous, 
pourrions-nous  garder  un  souvenir  irrité  des  injures  et  des  injus- 
tices dont  nous  avons  été  l'objet,  de  la  part  de  ceux  que  Jésus- 
Christ  appelle  avec  nous  à  son  divin  banquet  ? 

XXVI.  La  sainte  communion  donne  la  chasteté. 

Le  Psalmiste  dit,  en  rapportant  les  merveilles  que  Dieu  opéra 
en  faveur  des  Hébreux,  lorsqu'il  les  dirigeait  vers  la  terre  promise  : 
a  L'homme  a  mangé  le  pain  des  anges.  »  Pourquoi  ce  nom  de  pain 
des  anges  donné  à  la  manne,  ou  plutôt  à  la  Sainte  Eucharistie 
dont  la  manne  était  seulement  l'image?  On  pourrait  en  apporter 
plusieurs  raisons,  mais  nous  ne  voulons  nous  arrêter  qu'à  une  qui 
se  rapporte  directement  à  notre  sujet.  La  Sainte  Eucharistie  est  le 
pain  des  anges,  parce  que  ceux  qui  s'en  nourrissent  deviennent 
purs  et  chastes  comme  les  anges,  dont  la  pureté  et  la  chasteté  sont 
parfaites,  en  vertu  même  de  leur  nature.  Salomon  dit,  au  livre  de 
la  Sagesse  :  «  Et  comme  j'ai  su  que  je  ne  pouvais  être  continent  si 
«  Dieu  ne  me  donnait  de  l'être,  je  recourus  au  Seigneur  et  je  le 
«  suppliai  1.  »  Si  Salomon  avait  toujours  agi  avec  cette  piété  et  cette 
prudence,  sa  vieillesse  n'aurait  pas  été  souillée  par  des  désordres 
qui  font  craindre  pour  son  salut.  Mais  tant  qu'il  pria  il  conserva  la 
chasteté.  Combien  la  sainte  communion  aura-t-elle  plus  de  vertu 
qu'une  simple  prière?  C'est  le  Dieu  de  toute  pureté,  c'est  la  chair 
virginale  formée  par  le  Saint-Esprit  lui-même,  du  sang  le  plus  pur 
de  la  plus  chaste  des  vierges,  que  nous  recevons.  Un  tel  aliment 
ne  doit-il  pas  communiquer  sa  vertu  à  ceux  qui  s'en  nourrissent? 

S.  Augustin,  avant  sa  conversion,  ne  comprenait  pas  comment 
S.  Ambroise  pouvait  se  résigner  à  une  vie  pure  et  étrangère  à  toutes 
les  jouissances  charnelles.  Il  dit  au  livre  de  ses  Confessions.  «  Je 
«  considérais  Ambroise  comme  un  homme  heureux  selon  le  siècle, 
«  à  la  vue  des  honneurs  que  lui  rendaient  les  grands  ;  cependant  je 
«  croyais  qu'il  devait  souffrir  de  garder  le  célibat.  »  Ainsi  pensait 
Augustin,  avant  d'avoir  éprouvé  parlui-même  la  vertu  de  la  Sainte 
Eucharistie;  mais  après  sa  conversion  il  comprit  la  conduite  et  le 
véritable  bonheur  d'Ambroise.  Il  ajoute  en  effet:  «  La  bouche 
«  cachée  qui  était  dans  son  cœur,  avec  laquelle  il  savourait  à  loisir 

\.  Et  ut  scivi  quoniam  aliter  non  possem  esse  continens  nisi  Deus  det.... 
adii  Doniinum  et  deprecatus  suin  illum.  {Sap.,  viii,  21.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      803 

«  les  joies  délicieuses  que  procure  votre  pain,  je  ne  pouvais  pas  la 
«  deviner  ;  l'expérience  me  manquait  ' .  »  Aussi  le  prophète  Zacharie 
dit-il  que  la  Sainte  Eucharistie  est  ce  que  Dieu  peut  donner  de  plus 
précieux  et  de  plus  beau  à  son  Église  :  «  Qu'est-ce  que  le  Seigneur 
«  a  de  bon  et  de  beau,  sinon  le  froment  des  élus  et  le  vin  qui  fait 
«  germer  les  vierges  2?  »  Multiplier  le  nombre  de  ceux  qui  gardent 
la  sainte  chasteté  dans  son  degré  le  plus  parfait,  tel  est,  avec 
celui  de  nourrir  les  élus,  l'effet  de  la  Sainte  Eucharistie,  qui  la 
fait  élever  par  le  prophète  au-dessus  de  tous  les  autres  trésors  du 
Seigneur. 

S.  Paul  disait  aux  Éphésiens  :  «  Ne  vous  enivrez  pas  du  vin  qui 
«  engendre  la  luxure  3.  »  C'est  le  vin  qui  fait  germer  les  vierges 
qu'il  faut  boire,  c'est  le  froment  des  élus  qu'il  faut  manger  si  nous 
voulons  être  chastes  et  avoir  accès  dans  le  royaume  du  ciel  où 
rien  de  souillé  n'entrera  jamais. 

XXVII.  La  sainte  communion  fortifie  dans  les  épreuves. 

Pourquoi  Dieu  voulut-il  que  les  Hébreux  mangeassent  l'agneau 
pascal  avant  de  sortir  de  l'Egypte,  sinon  parce  que  cet  agneau 
était  la  figure  de  la  Sainte  Eucharistie,  et  que  l'Eucharistie  est  notre 
soutien  au  milieu  des  souffrances  et  des  tribulations?  Les  enfants 
de  Jacob  devaient  craindre,  comme  il  arriva  en  effet,  d'être  pour- 
suivis par  les  Égyptiens,  qu'ils  dépouillaient  d'une  foule  d'objets 
précieux.  De  plus,  des  épreuves,  des  fatigues,  des  souffrances  sans 
nombre,  qu'ils  ne  soupçonnaient  pas,  les  attendaient  sur  le  chemin 
de  la  terre  promise.  Mais  l'agneau  mystique  leur  donnait  des  forces, 
parce  qu'il  représentait  l'Agneau,  qui  devait  être  immolé  pour 
nous  et  se  faire  notre  nourriture.  C'est  ce  divin  Agneau  qui  sou- 
tient les  forts  et  les  faibles  au  milieu  de  leurs  luttes.  S.  Cyprien 
voulait  que  nul  ne  fût  privé  de  la  sainte  communion  lorsque  la 
persécution  devenait  menaçante.  Il  écrivait  :  «  A  l'heure  qu'il  est, 
«  il  faut  admettre  à  la  communion  ceux  qui  sont  forts  et  vivants, 
«  afin  de  ne  pas  laisser  nus  et  sans  armes  ceux  que  nous  excitons 

1.  Ainbrosium  feliccm  quemdam  hominem  secundum  sieculum  opinabar, 
quem  sic  tantae  pote.states  honorarent.  Cœlibatus  tamen  ejus  mihi  laboriosus 
videbatur.  —  Occulluiu  os  ejus  quod  crat  in  corde  cjus,  quam  sapida  gaudia 
de  pane  tuo  ruminabat,  nec  conjicere  poleram,  nec  experlus  eram.  (S.  Au- 
GUST.,  lib.  VI  Confess.,  cap.  m.) 

2.  Quid  enim  bonum  ejus  est,  et  quid  pulchruui  ejus,  nisi  frumenUnn 
electorum  et  vinum  germinans  virgines?  [Zach.,  l\,  17.) 

3.  Nolite  inebriari  vino  in  quo  est  luxuria.  {£'/;/teA'.,  v,  18.) 


804        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''   PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

€  et  que  nous  exhortons  au  martyre.  Munissons-les  delà  protection 
«  du  corps  et  du  sang  du  Christ  i.  »  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
a  voulu  nous  montrer,  par  son  propre  exemple  et  par  celui  de  ses 
apôtres,  qu'il  faut  recourir  à  la  sainte  communion  dans  le  temps 
des  épreuves,  des  souffrances,  des  persécutions.  Ce  ne  fut  qu'après 
avoir  pris  lui-même  et  donné  aux  apôtres  la  Sainte  Eucharistie, 
qu'il  s'en  alla  avec  eux  sur  la  montagne  des  Oliviers,  pour  être 
livré  à  ses  ennemis.  C'est  que  la  Sainte  Eucharistie  est  la  table  que 
Dieu  nous  a  préparée,  contre  ceux  qui  nous  persécutent  :  Parasti 
in  conspectu  meo  inensam  adversus  eos  qui  tribulant  me.  Grâce 
à  elle,  nous  pouvons  tout  supporter  sans  faiblesse,  même  les  tour- 
ments du  martyre  ;  elle  nous  donnerait,  au  besoin,  le  courage  de 
les  affronter.  S.  Cyprien  disait  encore  dans  la  lettre  déjà  citée  : 
<f  Comment  enseignerons-nous  aux  fidèles  qu'il  faut  verser  leur 
«  sang  pour  la  confession  du  nom  de  Jésus-Christ,  si  nous  refusons 
«  son  sang  à  ceux  qui  doivent  combattre  pour  lui  2?  » 

XXVIII.  La  sainte  communion  nous  nourrit  de  Dieu  et  nous 
fait  entrer  en  communication  intime  avec  lui. 

Le  Seigneur  dit  à  Moïse  :  «  Voici  que  moi,  je  ferai  pleuvoir  pour 
«  vous  du  pain  du  ciel  3.  »  Dieu,  qui  voulait  donner  la  manne 
en  nourriture  à  son  peuple,  ne  pouvait-il  pas  se  dispenser  de  la 
faire  tomber  du  ciel  comme  une  pluie  ?  Il  ne  lui  était  pas  plus  dif- 
ficile de  changer  en  pains  les  pierres  du  désert,  que  de  faire  jaillir 
l'eau  d'un  rocher  aride,  sous  la  verge  de  Moïse.  Mais  la  manne 
était  la  figure  de  la  Sainte  Eucharistie.  Il  fallait  montrer  qu'un 
tel  aliment  ne  peut  venir  que  du  ciel  et  que  c'est  directement  Dieu 
qui  le  donne  :  «  Voici  que  moi,  dit-il,  ecceego,']e  ferai  pleuvoir 
or  pour  vous  du  pain  du  ciel.  »  Mais  la  manne  ne  venait  pas  du 
ciel  des  cieux  ;  elle  n'avait  pas  été  créée  dans  le  séjour  des  anges, 
avant  que  Dieu  la  fît  tomber  autour  du  camp  des  Israélites.  Le 
véritable  pain  venu  du  ciel  était  réservé  pour  nous.  Un  jour  notre 

1.  Nunc  vero  fortibus  et  viventibus,  communicatio  a  nobis  danda  est,  ut, 
quos  excitamus,  et  hortamur  ad  praelium,  non  inermes  et  nudos  relinquamus, 
sed  protectione  corporis  et  sanguinis  Christi  muniamus.  (S.  Cyprian., 
Epist.  LIV.) 

2.  Quomodo  docemus,  aut  provocamus  eos  in  confessione  Nominis,  sangui- 
nem  suum  fundere,  si  eis  militaturis  Christi  sanguinem  denegamus?  (Id., 
ibid.) 

3.  Dixit  autem  Dominus  ad  Moysen  :  Ecce  ego  pluam  vobis  panes  de  cœio. 
{Exod.y  XVI,  4.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEDX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      805 

divin  Jésus  devait  dire  aux  descendants  de  ceux  qui  mangèrent  la 
manne  dans  le  désert  :  «  Voici  le  pain  qui  descend  du  ciel,  afin 
€  que  si  quelqu'un  en  mange,  il  ne  meure  point.  Je  suis  le  pain 
«  vivant,  moi  qui  suis  descendu  du  ciel  K  »  Sans  doute  Dieu  avait 
témoigné  d'une  bonté  bien  grande  à  l'égard  des  Israélites,  en  vou- 
lant se  faire  ainsi,  pendant  quarante  ans,  leur  fournisseur  de 
chaque  jour  :  mais  que  dirons-nous  de  celle  dont  il  use  envers 
nous,  lorsqu'il  se  fait  lui-même  notre  pain  quotidien,  qu'il  des- 
cend lui-même  chaque  jour  sur  nos  autels,  afin  de  se  donner  à 
nous,  et  qu'il  nous  promet  cette  faveur  inconcevable,  non  pas  pour 
un  temps,  mais  pour  tous  les  siècles  qui  s'écouleront  jusqu'à  la 
fin  du  monde?  Il  est  avec  nous  dans  la  tribulation  et  c'est  pour 
nous  consoler  et  nous  communiquer  ses  délices.  L'union  la  plus 
intime  s'établit  entre  lui  et  nous;  il  nous  permet  avec  lui  les  rela- 
tions les  plus  familières;  enfin  il  va,  et  malgré  sa  toute- puissance 
et  son  infinie  bonté,  pourrait-il  aller  plus  loin  ?  il  va  jusqu'à  se 
donner  à  nous  comme  notre  aliment;  il  se  laisse  manger  par  nous, 
comme  nous  ferions  d'une  nourriture  vulgaire  et  corporelle. 

XXIX.  La  sainte  communion  nous  rend  Dieu  propice. 

Nous  devons  beaucoup  à  Dieu  et,  comme  le  Psalmiste,  nous  pou- 
vons demander  :  «  Que  rendrai-je  au  Seigneur  pour  tout  ce  qu'il 
€  m'a  donné?  »  Ne  pas  lui  témoigner  dignement  notre  reconnais- 
sance serait  le  blesser  :  or,  nous  avons  à  chaque  instant  besoin 
qu'il  nous  soit  propice.  David  avait  trouvé  le  moyen  de  satisfaire 
à  ce  que  Dieu  attendait  de  lui  et  il  répondait  à  sa  propre  question; 
«  Je  recevrai  le  calice  du  salut  ^.  »  Ce  calice  est  la  Sainte  Eucharis- 
tie que  David  ne  pouvait  recevoir  qu'en  désir.  Pour  nous,  plus 
heureux,  nous  pouvons  nous  nourrir  réellement  de  cet  aliment 
divin  et  rendre  ainsi  le  Seigneur  propice  à  nos  vœux  et  prêt  à  nous 
combler  de  nouveaux  bienfaits. 

Combien  la  Sainte  Eucharistie  est  efficace  pour  incliner  vers 
nous  la  miséricorde  du  Seigneur,  nous  le  voyons  par  ce  fait  que 
le  sang  de  l'agneau  pascal,  qui  ne  pouvait  rien  par  lui-môme,  suf- 
fit néanmoins  pour  détourner  des  familles  Israélites  les  coups  de 
l'ange  exterminateur  qui  frappa  tous  les  premiers-nés  d'Egypte, 

î.  Hic  est  panis  de  cœlo  descendens  :  ut  si  quis  de  ipso  manducaverit  non 
moriatur.  Ego  sum  panis vivus  qui  de  cœlo  descendi.  {Joann.,  vi,  SO,  51.) 

2.  Quid  retribuam  Domino  pro  omnibus  quœ  relribuil  mihi?  Calicem  salu- 
taris  accipiam.  {Ps.  cxv,  l!2,) 


806        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II«  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.  XVII. 

parce  que  cet  agneau  et  son  sang  représentaient  la  Sainte  Eucha- 
ristie. «  Le  san^i^  mystique  de  l'Eucliaristie  attire  vers  nous  les 
«  anges  et  le  Seigneur  des  anges,  »  dit  S.  Jean  Ghrysostome  : 
Hic  mysticus  sanguis  angelos  et  angelorum  Dominum  ad  nos 
allicit.  Pourquoi  Dieu  avait-il  voulu  qu'il  y  eût  toujours,  devant 
l'arche  d'alliance,  des  pains  de  proposition,  sinon  parce  que  ces 
pains,  figure  du  sacrement  de  nos  autels,  étaient  auprès  de  lui  une 
intercession  en  faveur  de  son  peuple? 

XXX.  La  sainte  communion  fait  que  Dieu  nous  comble  de 
ses  dons. 

Avant  que  les  Israélites  eussent  mangé  l'agneau  pascal,  le  Sei- 
gneur avait  fait  pour  eux  des  miracles  éclatants.  Il  avait  frappé 
l'Egypte  des  coups  les  plus  terribles;  mais  le  peuple  dont  il  pré- 
parait ainsi  la  délivrance  n'en  avait  ressenti  aucun  bien  ;  au  con- 
traire, le  joug  sous  lequel  il  gémissait  n'avait  fait  que  s'appesan- 
tir. Mais  après  la  manducation  de  l'agneau  pascal,  il  n'en  fut  plus 
ainsi;  la  miséricorde  du  Seigneuf  pour  son  peuple  se  manifesta 
par  toutes  sortes  de  bienfaits.  Les  eaux  de  la  mer  Rouge  s'en- 
tr'ouvrirent  pour  leur  livrer  passage,  et  se  refermèrent  sur  l'armée 
ennemie  qui  les  poursuivait;  l'eau  jaillit  du  rocher,  la  manne  tomba 
du  ciel  ;  la  loi  fut  donnée  sur  le  mont  Sinaï,  le  .Jourdain  fut  traversé, 
la  terre  de  promission  fut  conquise,  et  ils  y  trouvèrent  en  grande 
abondance  tous  les  biens  qui  rendent  la  vie  agréable  ici-bas. 

Notre  Agneau  pascal,  la  Sainte  Eucharistie,  fait  plus  encore 
pour  nous.  Elle  nous  procure  tous  les  biens  qui  donnent  la  vie 
éternellement  heureuse  du  ciel,  et  elle  change  en  dqns  inesti- 
mables ce  qu'on  serait  tenté  de  regarder  comme  des  maux,  pen- 
dant cette  vie  mortelle.  Elle  est  pour  nous  la  source  de  tous  les 
biens  et  c'est  auprès  d'elle  que  nous  trouvons  secours  et  protec- 
tion lorsque  le  besoin  s'en  présente.  David  disait  :  «  Le  Seigneur 
et  m'a  caché  dans  son  tabernacle  ;  au  jour  des  malheurs,  il  m'a 
«  protégé  en  me  cachant  dans  son  tabernacle.  Il  m'a  élevé  sur  un 
«  rocher,  et  maintenant  il  a  élevé  ma  tête  au-dessus  de  mes  enne- 
«  mis.  Et  j'ai  immolé  dans  son  tabernacle  une  hostie  au  milieu  des 
«  cris  de  joie  :  je  chanterai  et  je  dirai  un  psaume  au  Seigneur  ^  » 

1.  Abscondit  me  in  tabernaculo  suo;  in  die  malorum  protexitmein  abscon- 
dito  tabernaculi  sui.  In  petra  exaltavit  me  ;  et  nunc  exaltavit  caput  meum 
super  inimicos  meos....  Et  immoiavi  in  tabernaculo  ejus  hostiam  vociferatio- 
nis  :  cantabo  et  psalmum  dicam  Domino.  {Ps.  xxvi,  5,  6.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      807 

Ce  que  le  tabernacle  ancien  était  pour  David,  notre  tabernacle, 
dans  lequel  réside  Jésus-Christ,  ne  doit-il  pas  l'être  mille  fois 
plus  pour  nous?  Ne  devons-nous  pas  y  trouver  un  refuge,  une 
protection,  la  source  de  tous  les  biens? 

XXXI.  La  Sainte  Eucharistie  fait  de  celui  qui  la  reçoit  le 
paradis  de  Dieu. 

Au  milieu  du  paradis  terrestre,  Dieu  avait  planté  l'arbre  de  vie. 
Le  véritable  arbre  de  vie  est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  la 
Sainte  Eucharistie,  que  nous  recevons  par  la  communion,  plante 
cet  arbre  à  jamais  béni  au  milieu  de  notre  âme;  elle  en  fait  ainsi 
le  paradis  de  Dieu,  où  il  aime  à  demeurer,  pour  nous  enrichir  de 
ses  dons,  pour  y  ajouter  sans  cesse  de  nouvelles  beautés,  pour  y 
être  notre  bonheur  et  notre  vie.  Il  ne  veut  pas  que  ni  les  plantes 
rares,  ni  les  fleurs  ravissantes,  ni  les  fruits  au  goût  exquis,  manquent 
dans  ce  paradis  qu'il  cultive  lui-même  avec  nous.  Ces  plantes,  ces 
fleurs  et  ces  fruits  sont  les  vertus,  et  les  actes  de  vertus  qui 
abondent,  à  mesure  que  la  sainte  communion  est  reçue  plus  sou- 
vent et  avec  plus  de  piété. 

XXXII.  La  sainte  communion  élève  Vâme  à  la  dignité  d'é- 
pouse de  Dieu. 

Dieu  dit  au  commencement  :  <r  II  n'est  pas  bon  que  l'homme  soit 
«  seul;  faisons-lui  une  aide  semblable  à  lui.  »  L'aide  que  Dieu 
donna  au  premier  homme  fut  Eve,  et  cette  aide  fut  une  épouse. 
Il  en  est  encore  de  même  aujourd'hui.  Dans  l'ordre  surnaturel,  il 
n'est  pas  bon  que  l'homme  soit  seul  ;  il  lui  faut  une  aide,  une  épouse, 
ou  plutôt  il  faut  un  époux  à  son  âme.  Quel  époux  Dieu  donne-t-il 
à  notre  âme,  sinon  lui-même,  présent  dans  la  Très  Sainte  Eucha- 
ristie? Il  est  la  chair  de  notre  chair,  il  est  l'os  de  nos  os  lorsque 
nous  le  recevons,  puisqu'il  nous  dit  :  <■<  Ma  chair  est  véritablement 
«  une  nourriture  et  mon  sang  véritablement  un  breuvage.  »  Mais 
ce  n'est  pas  tant  avec  notre  chair  qu'avec  notre  âme  que  s'accom- 
plit cette  union  mystérieuse;  c'est  de  notre  âme  qu'il  est  l'époux, 
c'est  à  notre  âme  qu'il  rend  le  baiser  qu'il  semble  recevoir  de  nos 
lèvres,  lorsque  nous  participons  à  son  auguste  sacrement  ;  c'est 
en  elle  qu'il  demeure  et  c'est  elle  qui  demeure  en  lui  ;  car  les  saintes 
P^spèces  sous  lesquelles  il  s'est  communiqué  à  elle,  par  l'intermé- 
diaire de  notre  chair,  s'évanouissent  bientôt,  tandis  que  l'union 
contractée  avec  notre  âme  persiste  ;  il  demeure  en  nous  et  nous 
demeurons  en  lui. 


808        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —   CHAP.   XVII. 

XXXIII.  La  sainte  communion  nous  rend  semblables  à  Dieu, 
Nous  lisons  au  premier  chapitre  de  l'Évangile  de  S.  Jean  : 
«  A  tous  ceux  qui  l'ont  reçu,  il  a  donné  le  pouvoir  d'être  faits  en- 
«  fants  de  Dieu  i.  »  S.  Thomas  donne  cette  explication  :  «  G'est- 
«  à-dire,  d'être  faits  conformes  à  Dieu  et  à  son  image  2.  »  C'est  la 
pensée  que  S.  Paul  exprimait  ainsi  dans  l'Épître  aux  Romains  : 
«  Ceux  que  Dieu  a  connus  par  sa  prescience,  il  les  a  aussi  prédes- 
«  tinés  à  être  conformes  à  l'image  de  son  Fils,  afin  qu'il  fût  lui- 
«  même  le  premier-né  entre  beaucoup  de  frères  3.  »  S.  Thomas 
ajoute  :  «  Or  l'homme,  par  la  vertu  du  corps  du  Christ,  devient 
«  semblable  à  Dieu,  intérieurement,  par  la  bonté  du  cœur,  exté- 
«  rieurenient,  par  l'abondance  des  œuvres,  surnaturellement,  par 
«  la  possession  du  royaume  céleste  *.  » 

Mais  devenir  enfant  de  Dieu  est  quelque  chose  de  plus  que  lui 
être  simplement  semblable.  Or  S.  Jean  nous  dit  que  Dieu  donne  à 
ceux  qui  ont  reçu  Jésus-Christ  de  devenir  les  enfants  de  Dieu; 
l'Apôtre  ajoute  que  Dieu  les  a  choisis  pour  être  conformes  à  l'image 
de  son  Fils,  «  afin  qu'il  fût  lui-môme  le  premier-né  entre  beau- 
«  coup  de  frères.  »  Les  frères  du  Fils  de  Dieu  sont  nécessairement 
enfants  de  Dieu  comme  lui  et  c'est  pour  qu'ils  arrivent  à  cette  di- 
gnité sublime  que  Dieu  les  rend  semblables  à  son  Fils  premier-né. 
Des  enfants  ne  sauraient  être  étrangers  à  la  nature  de  leur  Père  : 
si  nous  sommes  semblables  à  Jésus-Christ,  s'il  vit  en  nous  plus  que 
nous  ne  vivons  en  nous-mêmes,  s'il  est  la  vigne  dont  nous  sommes 
les  branches,  la  tête  dont  nous  sommes  les  membres,  nous  sommes 
avec  lui  et  par  lui  des  dieux,  autant  qu'il  est  possible  à  des  êtres 
créés  de  mériter  ce  nom.  Dieu  disait  aux  juges  de  l'ancienne  loi  : 
«  Moi  j'ai  dit  :  Vous  êtes  des  dieux,  et  tous  fils  du  Très-Haut  '".  » 
A  combien  plus  forte  raison  cette  parole  est-elle  véritable  lors- 
qu'elle s'applique  à  ceux  qui,  par  la  manducation  de  l'adorable 

\.  Quotquot  autem  receperunt  eum,  dédit  eis  potestatem  filios  Dei  fieri. 
(Joann.,  i,  12.) 

2.  Quotquot  autem  receperunt  eum,  etc.,  id  est  conformes  Deo,  et  Deo  se- 
cundum  imaginem  similes.  (S.  Thom,,  opusc.  LVII  de  Venerab.  Sacram. 
altar.) 

3.  Quos  praescivit,  hos  et  praedestinavit  conformes  fieri  imagini  Filii  sui, 
ut  sit  ipse  primogenitus  in  multis  fratribus.  {liom.,  viii,  29.) 

t.  Assimila tur  autem  homo  Deo  virtute  corporis  Christi,  in  interiori  cordis 
bonitate,  in  exteriori  operis  fertilitate,  in  superiori  cœlestis  regni  bonitate. 
(S.  Thom.,  opusc   LVII  de  Venerab.  Sacrum,  allar.) 

a.  Ego  dixi  :  Dii  estis  et  filii  Excelsi  omnes.  {Ps.  Lxxi,  6.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIETÉ.      809 

Eucharistie,  sont  devenus  d'autres  Jésus-Christ,  vivant  de  sa  vie 
comme  il  vit  de  la  leur, 

XXXIV.  La  sainte  communion  fait  que  nous  donnons,  à  notre 
tour,  un  aliment  à  Jésus-Christ. 

L'Épouse  des  Cantiques  disait  :  «  Mon  bien-aimé  est  à  moi  et 
«  je  suis  à  lui,  qui  se  repaît  au  milieu  des  lis  '.  »  S.  Ambroise  en- 
tend ces  paroles  du  sacrement  de  l'autel.  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  se  fait  notre  nourriture  dans  le  sacrement  adorable  de  l'Eu- 
charistie, mais  l'Épouse  mystique  dit  plus.  Son  bien-aimé  est  à 
elle  ;  il  est  sa  nourriture,  elle,  à  son  tour,  est  à  son  bien-aimé  ;  elle 
est  sa  nourriture;  et  pourquoi  :  parce  qu'il  se  repaît  au  milieu  des 
lis  qui  représentent  la  pureté  d'âme  avec  laquelle  ou  doit  s'appro- 
cher de  cet  auguste  sacrement.  Si  l'àme  n'était  pas  pure,  si  elle 
n'était  pas  comme  un  jardin  où  s'épanouissent  les  fleurs  de  toutes 
sortes  de  vertus,  le  bien-aimé  n'y  trouverait  pas  l'aliment  qu'il 
cherche;  il  ne  se  donnerait  pas  ;  l'âme  indigne  de  lui  ne  serait  pas 
non  plus  pour  lui  un  aliment.  C'est  au  milieu  des  lis  de  l'innocence 
qu'il  se  repaît. 

Au  jour  du  dernier  jugement,  Jésus-Christ,  le  souverain  Juge, 
dira  aux  élus  :  «  J'ai  eu  faim  et  vous  m'avez  donné  à  manger  ;  j'ai 
«  eu  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  -.  »  Accomplir  ces  œuvres  de 
charité  envers  les  pauvres  pour  l'amour  de  lui,  c'était  lui  venir 
en  aide  en  leur  personne.  Mais  il  est  une  autre  faim  et  une  autre 
soif  que  celles  dont  souffrent  les  corps.  Jésus-Christ  éprouve  per- 
sonnellement cette  faim  et  cette  soif  dans  nos  âmes  ;  il  a  faim  et  soif 
de  lui-même  ;  il  veut  se  recevoir  en  nous  et  par  nous  dans  la  sainte 
communion  :  il  vit  en  nous  par  sa  grâce,  mais  il  a  faim  de  l'ali- 
ment destiné  à  nourrir  cette  vie  ;  et  si  nous  accédons  à  ses  désirs, 
si  nous  communions  souvent  et  avec  ferveur,  c'est  à  nous  qu'il 
dira,  mieux  encore  qu'à  ceux  qui  ont  simplement  soulagé  ses 
membres  souffrants  :  «  Venez,  les  bénis  de  mon  Père.  J'ai  eu  faim 
«  et  vous  m'avez  donné  à  manger,  j'ai  eu  soif  et  vous  m'avez 
<  donné  à  boire.  »  Jésus-Christ  a  soif  de  lui-même  en  nous,  et  il  a 
soif  de  nous  ;  il  veut  nous  incorporer  de  plus  en  plus  à  lui.  Lors- 
qu'il demandait  à  la  Samaritaine  qu'elle  lui  donnât  à  boire,  était- 
ce  l'eau  matérielle  du  puits  de  Jacob  qu'il  voulait  boire?  Non;  son 

1.  Dilectus  meus  mihi  et  ego  illi  qui  pascitur  inter  lilia.  {Canl.,  ii,  16.) 

2.  Esurivi,  et  dedistis  mihi  manducare  ;  silivi  et  dedistis  mihi  bibere. 
{Malth.,  XXV,  3ij.) 


810       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

breuvage  et  son  aliment  sont  autres;  il  voulait  la  conversion  de 
cette  âme,  et  celle  des  Samaritains  qui,  par  elle,  ouvriraient  les 
yeux  à  la  lumière.  Nos  âmes  sont  la  nourriture  et  le  breuvage  de 
Jésus.  Il  brûle  du  désir  ardent  de  se  les  assimiler,  et  c'est  lorsqu'il 
se  donne  à  nous  et  que  nous  nous  donnons  à  lui  par  la  sainte  com- 
munion, que  nous  satisfaisons  surtout  à  cette  faim  et  à  cette  soit 
de  notre  divin  Sauveur. 

'  XXXV.  La  sainte  communion  nous  élève  à  la  dignité  de 
frères  de  Jésus-Christ. 

L'Époux  des  Cantiques  dit  à  sa  bien-aimée  :  «  Je  suis  venu  dans 
«  mon  jardin,  ma  sœur,  mon  épouse;  j'ai  recueilli  mes  aromates; 
«  j'ai  mangé  le  rayon  avec  le  miel,  j'ai  bu  mon  vin  avec  mon  lait: 
«  mangez,  mes  amis,  buvez  et  enivrez-vous,  mes  bien-aimés  ^.  » 
Tous  les  commentateurs  s'accordent  à  reconnaître  ici  une  allusion 
à  la  Sainte  Eucharistie.  Mais  pourquoi  l'Époux  divin  qui  appelle 
ordinairement  son  Épouse,  ma  toute  belle,  ma  colombe,  lui  donne- 
t-il  ici  le  nom  de  sœur  ?  C'est  que  la  Sainte  Eucharistie,  lorsque 
nous  la  recevons,  nous  donne  un  droit  particulier  au  titre  d'en- 
fants de  Dieu  et  de  frères  de  Jésus-Christ,  tant  est  étroite  l'union 
qui  s'établit  entre  lui  et  nous.  Il  vit  en  nous  et  nous  vivons  en  lui. 
II  est  le  Fils  de  Dieu,  et  nous  aussi  nous  sommes  les  enfants  de  Dieu, 
en  lui  et  par  lui.  Nous  le  sommes  devenus  par  le  baptême;  nous 
le  sommes  par  la  grâce  habituelle;  mais  combien  plus  parfaite- 
ment encore  ne  le  sommes-nous  pas,  lorsque  Jésus  habite  en  nous 
véritablement,  réellement  et  substantiellement  par  la  Très  Sainte 
Eucharistie? 

On  lit  dans  S.  Matthieu  que  Notre-Seigneur,  après  sa  résurrec- 
tion, dit  aux  saintes  femmes  accourues  les  premières  à  son  sé- 
pulcre: a  Ne  craignez  point;  allez,  annoncez  à  mes  frères  qu'ils 
«  aillent  en  Galilée  ;  c'est  là  qu'ils  me  verront  2.  »  Pourquoi  ce  nom 
de  frères  à  ceux  que  le  divin  Maître  avait  appelés  jusque-là  ses 
apôtres,  ses  disciples?  La  vie  glorieuse  dans  laquelle  il  était  entré, 
par  sa  résurrection,  ne  devait-elle  pas  s'opposer  à  ce  qu'il  leur 
donnât  ce  nom  ?  Peut-être  ;  mais  il  y  avait  une  considération  en 

\.  Veni  in  hortum  meum,  soror  mea,  sponsa;  messui  myrrham  meam  cum 
aromatibus  meis;  comedi  favum  cum  melle  meo;  bibi  vinum  meum  cum 
lacté  meo.  Comedite,  amici,  et  bibite  et  inebriamini,  charissimi.  {Cant.,  v,  1.) 

2.  Nolite  timere.  Ite,  nunciate  fratribus  meis,  ut  eant  in  Galilaeam.  Ibi  me 
videbunt.  [Matih.,  xxviii,  iO.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      811 

présence  de  laquelle  toutes  les  autres  s'effaçaient.  Ils  avaient  par- 
ticipé à  la  Sainte  Eucharistie  ;  ils  avaient  reçu  de  sa  propre  main 
son  corps  et  son  sang  adorables  ;  ils  s'en  étaient  nourris  à  la  der- 
nière cène.  Une  union  si  intime  leur  donnait  droit  à  un  nom  nou- 
veau ;  et  voilà  pourquoi  il  les  nomma  ses  frères,  dans  une  circons- 
tance qui  ne  devait  jamais  s'effacer  de  la  mémoire  des  hommes.  Il 
voulait  que  toujours  on  se  souvînt  que  quiconque  fait  la  sainte 
communion  avec  les  dispositions  requises  et  une  véritable  dévotion 
n'est  plus  seulement  un  disciple  du  Verbe  incarné  ;  il  est  réelle- 
ment son  frère. 

XXXVI.  La  sainte  communion  nous  unit  à  Jésus-Christ  au 
point  de  nous  transformer  d'une  certaine  manière  en  lui. 

Au  livre  des  Proverbes,  la  Sagesse  éternelle,  c'est-à-dire  le 
Verbe  divin  qui  s'est  fait  homme  pour  nous  sauver,  dit  ces  paroles: 
«  Mes  délices  sont  d'être  avec  les  enfants  des  hommes  i.  »  Est-ce 
donc  que  la  société  des  hommes  peut  être  agréable  à  Dieu  au  point 
d'y  trouver  des  délices?  Ne  semblerait-il  pas  plus  naturel  qu'il 
dise  :  Les  délices  des  enfants  des  hommes  sont  d'être  avec  moi  ?  — 
Il  n'a  nul  besoin  de  nous  pour  être  heureux,  tandis  que  nous  avons 
absolument  besoin  de  lui.  Mais  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  s'unit 
à  nous  si  intimement,  surtout  par  la  sainte  communion,  qu'il 
regarde  comme  ses  propres  délices  celles  qu'il  nous  procure.  Nos 
joies  sont  ses  joies,  nos  douleurs  sont  ses  douleurs;  il  augmente  et 
sanctifie  les  unes  ;  il  adoucit  et  sanctifie  les  autres  ;  il  vit  en  nous, 
nous  vivons  en  lui,  ou,  selon  la  parole  de  l'Apôtre,  nous  vivons  et 
nous  ne  vivons  plus  ;  c'est  Jésus-Ghrit  qui  vit  en  nous,  tant  son 
union  avec  nous  est  parfaite.  Il  nous  a  dit:  «  Celui  qui  mange  ma 
«  chair  et  boit  mon  sang  demeure  en  moi,  et  moi  en  lui.  Comme 
«  je  vis  par  mon  Père,  ainsi  celui  qui  me  mange  vivra  aussi 
«  par  moi  '^.  »  Pouvait-il  nous  donner  une  plus  haute  idée  de  son 
union  avec  nous  et  de  sa  vie  en  nous  que  par  cette  comparaison 
qu'il  en  fait  avec  les  liens  qui  l'unissent  à  son  Père  céleste,  et  la 
vie  qu'il  tient  de  lui  et  qu'il  partage  sans  division  avec  lui?  Quels 
insondables  mystères  de  grandeur  et  d'amour  dans  cette  union 
que  réalise  en  nous  une  communion  saintement  faite  ! 

\.  Deliciae  meae  esse  cum  filiis  hominum.  {Prov.,  viii,  'M.) 

2.  Qui  nianducat  raeam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem,  in  me  manet  et 

ego  in  illo.  Sicut....  ego  vivo  propter  Patrem  :  et  qui  manducat  me,  et  ipse 

vivetpropter  me.  (Joann.,  vi,  57,  58.) 


812       LA  SAINTE  EDCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

XXXVII.  Lasainte  communion  procure  d'autant  plies  de  grâce 
quon  s'en  appi'oche  avec  un  désir  plus  grand  et  des  dispositions 
plus  parfaites. 

On  sait  avec  quel  empressement  le  saint  patriarche  Abraham 
reçut  les  anges  qui  venaient  lui  faire  part  de  la  destruction  pro- 
chaine de  Sodome  et  des  autres  villes  coupables.  Loth,  neveu 
d'Abraham,  reçut  aussi  ces  envoyés  de  Dieu,  mais  n'y  mit  ni  le 
même  empressement  ni  la  même  générosité.  Il  ne  courut  pas  au- 
devant  d'eux,  mais  les  attendit  ;  il  ne  tua  pas  un  veau  pour  le  repas 
qu'il  leur  offrit,  et  ne  leur  présenta  pas  de  lait,  mais  se  contenta 
de  préparer  des  pains  cuits  sous  la  cendre.  Néanmoins  il  fut  récom- 
pensé de  l'hospitalité  donnée  aux  anges,  et  surtout  de  les  avoir  dé- 
fendus contre  les  violences  d'une  ignoble  population.  Mais  quelle 
différence  entre  le  salut  qui  lui  fut  uniquement  accordé  et  les 
bénédictions  que  reçut  Abraham  !  Il  en  est  de  même  quand  le  Roi 
des  anges,  au  lieu  de  nous  envoyer  ses  messagers,  daigne  venir 
lui-même,  et  que  nous  le  recevons  dans  nos  cœurs.  Les  grâces  qu'il 
nous  donne  sont  en  rapport  avec  notre  empressement  à  le  bien 
recevoir,  et  la  sainteté  des  dispositions  de  nos  cœurs. 

Dans  ce  texte  déjà  plusieurs  fois  cité  :  «  Mangez,  mes  amis,  et 
«  buvez,  et  enivrez-vous,  mes  bien-aimés  ^  »  il  y  a  une  grada- 
tion observée  qui  mérite  qu'on  la  remarque.  A  ses  amis,  la  divine 
Sagesse  dit  de  manger  et  de  boire  ;  mais  ceux  qu'elle  aime  davan- 
tage encore,  elle  les  presse  d'aller  jusqu'à  l'ivresse.  «  Dieu  donne 
à  manger  à  ses  amis,  dit  Richard  de  Saint-Victor,  mais  ceux  qu'il 
aime  tout  particulièrement,  il  leur  sert  ses  mets  avec  plus  de  lar- 
gesse, il  leur  donne  à  boire,  il  va  jusqu'à  les  enivrer  de  l'abondance 
de  sa  grâce  2.  » 

Nous  lisons  au  livre  de  la  Sagesse  :  «  Vous  leur  avez  donné  un 
«  pain  venant  du  ciel,  renfermant  en  soi  tout  ce  qui  plaît  et  ce  qui 
«  est  agréable  à  tous  les  goûts  3.  »  Toutes  les  satisfactions  du  goût 
que  pouvaient  souhaiter  les  Israélites,  ils  les  trouvaient  donc  dans 
la  manne:  elle  en  changeait  au  gré  de  leurs  désirs,  et  ceux  qui 
voulaient  éprouver  le  plus  de  jouissances  les  trouvaient  dans  ce 

1.  Comedite,  amici,  et  bibite,  et  inebriamini,  charissimi.  (Cant.,  v,  i.) 

2.  Amicos  igitur  Deus  cibo  pascit;  charissimos  vero  plenius  reficit,  et  po- 
tat,  imo  abundantiore  gratia  etiam  inebriat.-  (Richard.  Victor.,  in  Cant., 
cap.  xxxni.) 

3.  Panem  de  cœlo  praestitisti  illis....  omne  delectamentum  in  se  habentern, 
et  omnis  saporis  suavitatem.  {Sap,,  xvi,  20.) 


â 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEtIX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.     813 

mystérieux  aliment.  C'était  la  figure  de  l'adorable  Eucharistie.  C'est 
elle  qui  est  véritablement  le  pain  descendu  du  ciel,  renfermant 
tout 'ce  qui  plaît.  Mais  les  Israélites  se  lassèrent  à  la  fin  de  la 
manne  que  Dieu  leur  envoyait;  ils  s'en  nourrirent  sans  y  chercher 
les  délices  qu'elle  renfermait,  et  le  dégoût  survint.  C'est  ce  qui  arrive 
à  ceux  qui  ne  se  mettent  pas  en  peine  de  rechercher  les  délices 
de  la  Très  Sainte  Eucharistie  :  elles  sont  cachées  ;  il  faut  les  désirer, 
il  faut  se  rendre  digne  de  les  goûter;  sinon  l'on  n'y  trouve  aucun 
charme  ;  on  s'en  fatigue,  et  l'on  en  vient  à  désirer  les  grossières  et 
vaines  joies  du  monde.  C'est  ainsi  que  tous  ne  participent  pas 
également  à  la  vertu  du  très  saint  sacrement  de  l'Eucharistie  et 
ne  retirent  pas  les  mêmes  fruits  de  la  communion. 

XXXVIII.  La  Sainte  Eucharistie  tient  lieu  de  tous  les  autres 
biens  à  ceux  qui  la  reçoivent. 

Sous  le  nom  de  pam,  les  anciens  n'entendaient  pas  seulement 
le  pain  proprement  dit,  mais  en  même  temps,  tout  ce  qui  est  né- 
cessaire ou  utile  à  l'entretien  de  la  vie.  Abraham  invitait  les  anges 
à  manger  un  morcean  de  pain,  et  il  leur  servait  un  repas  complet; 
Jacob  disait  :  «  Si  le  Seigneur  me  donne  du  pain  pour  me  nourrir, 
e  le  Seigneur  sera  mon  Dieu,  »  mais  il  attendait  de  la  bonté  divine 
d'autres  aliments  outre  le  pain  qu'il  demandait.  Et  plus  tard  dans 
le  saint  Évangile,  l'expression  manger  du  pain  revient  souvent 
pour  signifier  un  repas  quelconque,  quoique  plusieurs  mets  dussent 
le  composer.  Même  dans  la  prière  où  Notre-Seigneurnous  apprend 
ce  que  nous  devons  demander  à  notre  Père  céleste,  c'est  le  mot 
pain  qui  désigne  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  l'entretien  de  la  vie. 
Pourquoi,  sinon  parce  que  le  pain  matériel  qui  nourrit  la  chair  est 
la  figure  du  pain  au-dessus  de  toute  substance,  que  Dieu  a  préparé 
pour  nourrir  les  âmes  de  ceux  qu'il  a  choisis?  Or  ce  pain  vérita- 
blement descendu  du  ciel,  celte  manne,  dont  la  première  qui  con- 
tenait en  elle  tout  ce  qui  peut  flatter  le  goût  n'était  qu'une  image 
lointaine,  est  l'assemblage  de  tous  les  biens:  tout  ce  que  l'homme 
peut  désirer  en  ce  monde  lui  est  donné  dans  la  Sainte  Eucharistie, 
ou  par  elle  et  avec  elle.  C'est  de  la  Sainte  Eucharistie,  parce  que 
c'est  de  la  Sagesse  divine,  que  Salomon  disait  :  «  Tous  les  biens 
«  me  sont  venus  avec  elle  *.  »  Ce  qui  inspirait  au  cardinal  Hugues 
cette  réflexion  :  «  Il  est  utile  de  recevoir  convenablement  un  tel 

1.  Venerunt  mihi  omnia  bona  pariter  cum  illa.  [Sap.,  vu,  H.) 


814        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  H*  PARTIE,  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

«  hôte,  parce  qu'il  solde  toutes  les  dépenses  de  la  famille  et  comble 
€  chacun  de  présents  '.  » 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  :  «  L'homme  ne  vit  pas  seule- 
«  ment  de  pain,  mais  de  toute  parole  qui  procède  de  la  bouche  de 
«  Dieu  2.  »  Le  pain  matériel  ne  suffit  pas  à  la  vie  de  l'homme  ;  il 
a  besoin  d'un  pain  immatériel,  parce  qu'il  est  esprit  en  même  temps 
que  chair;  or  ce  pain  immatériel  doit  être  Dieu  lui-même,  parce 
que  l'homme  est  destiné  à  vivre  surnaturellement  de  la  vie  même 
de  Dieu.  Dieu  se  communique  donc  à  l'homme  par  son  Verbe,  sa 
parole.  Mais  le  Verbe  divin,  pour  se  donner  à  l'homme  de  la  ma- 
nière la  plus  complète  possible,  pour  se  donner  tout  entier  et  subs- 
tantiellement, se  voile  sous  les  Espèces  eucharistiques.  Il  prend  les 
apparences  du  pain,  et  ce  pain  vivant  descendu  du  ciel,  ce  pain 
qui  est  toute  parole  sortie  de  la  bouche  de  Dieu  parce  qu'il  est  le  Verbe 
incarné,  supplée  à  l'insuffisance  du  pain  matériel  ;  c'est  lui  qui  donne 
vraiment  la  vie  à  l'homme  3,  et  Jésus-Christ  qui  nous  dit:  «L'homme 
*  ne  vit  pas  seulement  de  pain,  »  veut  que  nous  le  demandions  à 
notre  Père  qui  est  dans  le  ciel.  C'est  ce  pain  qui  a  été  préparé  pour 
le  festin  dont  il  est  écrit  dans  l'Évangile:  «  Dites  aux  conviés  de 
«  venir,  parce  que  tout  est  prêt.  »  Avec  ce  pain,  avec  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ  qui  se  donne  à  nous,  rien  ne  saurait  nous 
manquer;  car  selon  la  parole  de  l'Apôtre:  «  Dieu  qui  n'a  pas 
«  épagné  son  propre  Fils,  mais  qui  l'a  livré  pour  nous  tous,  com- 
«  ment  ne  nous  aurait-il  pas  donné  toutes  choses  avec  lui  ^?  » 

XXXIX.  La  sainte  communion  rassasie  notre  âme. 

Le  saint  patriarche  Jacob  demandait  seulement  à  Dieu  du  pain 
comme  nourriture  :  cependant  il  est  d'autres  aliments,  en  grand 
nombre,  qui  peuvent  servir  à  entretenir  la  vie  corporelle.  Mais 
le  pain  qui  suffisait  à  combler  les  désirs  de  Jacob  était  la  figure 
du  pain  eucharistique,  de  ce  pain  descendu  du  ciel,  dans  lequel 
Dieu  a  condensé  tout  ce  qui  peut  flatter  le  goût  de  l'âme  et  satis- 

\.  Utile  est  talem  hospitem  recipere  honeste  in  domum  suam,  quia  solvit 
omnes  expensas  totius  familiae,  et  dat  singulis  mimera.  (Hugo  card.,  in  cap.  vi 
Joann.) 

2.  Non  in  solo  pane  vivit  homo  sed  in  omni  verbo  quod  procedit  de  ore 
Dei.  {Malth.,  iv,  4.) 

3.  Non  in  solo  pane,  etc.  :  Putasne  Verbum  Dei  non  sit  panis?  Si  non  esset 
panis,  non  diceret  Verbum  Dei  per  quod  omnia  facta  sunt  :  Ego  sum  panis 
vivus  qui  de  cœlo  descendi.  (S.  August.,  in  Ps.  xxxvi.) 

i.  Qui  etiam  proprio  Filio  suo  non  pepercit,  sed  pro  nobis  omnibus  tradi- 
dit  illum  :  quomodo  non  etiam  cum  illo  omnia  nobis  donavit?  [Rom.,  viii,  32.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEDX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.     815 

faire  entièrement  à  ses  désirs  légitimes.  Les  Hébreux,  tant  qu'ils 
furent  dignes  de  manger  la  manne,  dans  le  désert,  trouvèrent  dé- 
licieux ce  pain  que  Dieu  leur  envoyait,  ou  plutôt  ces  pains,  car  le 
Seigneur  leur  dit:  «  Je  ferai  pleuvoir  pour  vous  des  pains  du 
«  ciel  1.  »  Pourquoi  des  pains,  sinon  parce  que,  dans  la  seule 
manne  qui  leur  en  tenait  lieu,  ils  trouvaient  les  saveurs  différentes 
d'une  foule  d'autres  aliments,  et  parce  que  la  quantité  de  cette 
nourriture  était  telle  qu'elle  suffisait  amplement  à  les  rassasier? 
Ce  n'était  pas  un  pain  mais  une  multitude  inépuisable  de  pains 
que  Dieu  leur  promettait  de  faire  descendre  du  ciel,  comme  les 
gouttes  d'une  pluie  abondante.  Aussi  le  Psalmiste,  parlant  de  la 
manne  et,  en  figure,  delà  Sainte  Eucharistie,  dit-il  :  <r  Les  pauvres 
«  mangeront  et  seront  rassasiés  ~.  »  Ailleurs  il  dit  encore:  «  Dila- 
«  tez  votre  bouche  et  je  la  remplirai  3.  »  C'est  le  Seigneur  qui 
parle  par  la  voix  de  Moïse,  et  il  parle  de  la  bouche  du  cœur,  de  la 
bouche  de  l'àme  qui  a  faim  et  soif  de  Dieu.  Quelle  que  soit  voire 
faim,  nous  dit-il,  quelle  que  soit  votre  soif,  j'ai  un  aliment  et  un 
breuvage  tout  prêts,  pour  y  satisfaire  pleinement.  —  Ouvrez  votre 
cœur  ;  donnez  carrière  à  vos  désirs  et  tous  seront  comblés;  car 
c'est  bien  de  l'Eucharistie  qu'il  est  écrit  au  livre  de  la  Sagesse  : 
*  Cette  nourriture  venant  de  vous  montrait  votre  douceur  que  vous 
«  avez  pour  vos  enfants  ;  et  s'accommodant  à  la  volonté  de  chacun, 
«  elle  se  changeait  en  ce  que  chacun  voulait  ^.  »  La  manne  du 
désert  à  laquelle  Dieu  donnait  cette  vertu  n'était  qu'une  pâle  image 
du  pain  vivant  véritablement  descendu  du  ciel,  et  devenu  le  par- 
tage des  enfants  de  Dieu.  Le  texte  même  du  livre  de  la  Sagesse  ne 
laisse  pas  lieu  d'en  douter,  car  il  donne  à  la  manne  le  nom  de 
substance  du  Seigneur,  substantia  tua.  Or  la  véritable  substance 
du  Seigneur,  ne  la  recevons-nous  pas  comme  notre  nourriture, 
dans  la  très  sainte  et  adorable  Eucharistie?  C'est  elle  qui  rassa- 
sie notre  âme  et  satisfait  à  tous  nos  désirs.  Que  penser  de  l'avidité 
de  celui  à  qui  Dieu  ne  suffirait  pas? 

1.  Ecce  ego  pluam  vobis  panes  de  ccelo.  {ExoiL,  xvi,  4.) 
:2.  Edent  pauperes  et  saturabuntur.  {Ps.  xxi,  "27.) 

3.  Dilata  os  tuum  et  implebo  illud.  {Ps.  Lxxx,  11.) 

4.  Substantia  enim  tua  dulcedineni  tuam,  quani  in  filios  liabes,  ostendebat; 
et  deserviens  uniuscujusque  voluntati  ad  quod  quisque  volebat  convertebatur. 
(Sap.,  XVI,  21.) 


816        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   II*^  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

m. 

DERNIERS    FRUITS    DE    LA.    SAINTE   COMMUNION.    —   UN    MOT   SUR    LES 
FUNESTES    RÉSULTATS    DE    LA   COMMUNION    SACRILÈGE 

XL.  La  sainte  communion  nous  donne  la  sagesse. 

Gomment,  en  effet,  ne  deviendrions-nous  pas  sages,  lorsque 
nous  faisons  notre  nourriture  de  la  Sagesse  divine  elle-même,  du 
Verbe  incarné,  voilé  pour  nous  sous  les  Espèces  eucharistiques? 
La  Sainte  Eucharistie  est  le  pain  des  anges,  et  c'est  d'elle  que 
parle  le  Psalmiste  lorsqu'il  dit  :  «  L'homme  a  mangé  le  pain  des 
a  anges  ' .  »  Qu'y  a-t-il,  en  effet,  dans  l'Eucharistie?  Le  Verbe  divin 
avec  l'humanité  à  laquelle  il  s'est  uni  pour  se  donner  à  nous.  Le 
Verbe  divin  est  la  vérité  infinie;  c'est  de  la  vérité  que  vivent  les 
intelligences;  elle  est  leur  aliment  nécessaire,  et  la  vérité  de  Dieu, 
le  Verbe,  estau  ciel  l'éternel  aliment  des  intelligences  bienheureuses. 
Il  est  donc  leur  lumière,  il  est  leur  science  et  leur  sagesse.  Malgré 
la  chair  à  laquelle  elle  est  unie,  notre  âme  aussi  est  une  intelli- 
gence; elle  a  besoin  d'un  aliment.  La  vérité  créée  lui  suffirait  si 
elle  ne  devait  vivre  que  d'une  vie  purement  naturelle.  Mais  Dieu 
l'a  faite  pour  un  état  plus  sublime,  pour  une  vie  surnaturelle  et 
divine;  elle  a  donc  besoin  d'un  aliment  surnaturel  et  divin;  elle  a 
besoin  pour  vivre  que  le  Verbe  de  Dieu  devienne  sa  nourriture 
comme  il  est  celle  des  anges.  Dieu  nous  communique  son  Verbe 
de  différentes  manières,  et  par  conséquent  sa  Sagesse.  Mais  c'est 
surtout  dans  la  Sainte  Eucharistie,  c'est  surtout  par  la  communion 
que  nous  devenons  participants  de  cette  Sagesse  divine.  C'est  là 
qu'elle  nous  engraisse  de  sa  propre  substance.  Gomment  n'avance- 
rions-nous pas  dans  la  sagesse,  lorsque  nous  mangeons,  lorsque 
nous  buvons  la  Sagesse  même  de  Dieu  ? 

Mais  qui  donc  pourra  prétendre  à  la  faveur  incomparable  et 
incompréhensible  de  prendre  place  à  la  table  que  la  divine  Sa- 
gesse a  dressée,  de  manger  son  pain  et  de  boire  le  vin  pré- 
paré par  elle  ?  Qui  appelle-t-elle  à  cet  honneur  ?  «  Si  quelqu'un 
«  est  petit,  qu'il  vienne  à  moi.  —  Et  à  des  insensés,  elle  dit  :  Ve- 
€  nez,  mangez  mon  pain  et  buvez  le  vin  que  je  vous  ai  mêlé. 
«  Quittez  l'enfance  et  vivez,  et  marchez  par  les  voies  de  la  pru- 

r_l.  Panem  angelorum  manducavit  homo.  {Ps.  Lxxvii,  25.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  RE(^:01V£NT  AVEC  PIÉTÉ.      817 

€  dence  ^  »  Elle  ne  rebute  donc  personne.  Les  petits,  les  humbles, 
les  enfants  avec  leur  simplicité,  les  insensés  eux-mêmes  sont 
admis  à  sa  table.  Mais  en  mangeant  son  pain  et  en  buvant  son  vin, 
ils  cesseront  d'être  des  enfants  et  des  insensés;  ils  vivront  de  la 
véritable  vie,  et  marcheront  dans  les  voies  de  la  prudence.  Les 
aliments  qu'ils  prendront  à  sa  table  leur  donneront  la  sagesse. 

On  lit  dans  l'Ecclésiastique  :  a  Celui  qui  craint  Dieu  fera  le 
«  bien,  et  celui  qui  garde  la  justice  possédera  la  sagesse.  Et  elle 
€  viendra  au-devant  de  lui,  comme  une  mère  honorée,  et  comme 
♦  une  épouse  vierge,  elle  le  recevra.  Elle  le  nourrira  du  pain  de 
«  vie  et  d'intelligence,  et  l'abreuvera  de  l'eau  de  la  sagesse  qui 
<i  donne  le  salut,  et  elle  s'affermira  en  lui  ~.  »  Ce  pain  de  vie  et 
d'intelligence  que  donne  la  divine  Sagesse,  c'est  bien  la  Sainte 
Eucharistie.  Cette  eau  de  la  sagesse  qui  donne  le  salut,  c'est  bien 
encore  le  sang  divin  et  l'eau  sortie  du  côté  de  Notre-Seigneur  en- 
tr'ouvert  par  la  lance  du  soldat,  sang  et  eau  que  contient  le  calice 
de  l'autel.  C'est  ce  pain,  ce  sang,  cette  eau,  l'Eucharistie  enfin, 
que  la  divine  Sagesse  donne  à  ceux  qui  craignent  Dieu,  pour  s'en- 
raciner et  s'affermir  en  eux,  de  sorte  qu'ils  ne  fléchissent  pas,  et 
qu'ils  ne  soient  pas  confondus. 

XLI.  La  sainte  communion  donne  la  véritable  joie. 

Le  saint  roi  David  avait  un  avant-goût  des  joies  que  donne 
l'Eucharistie,  lorsqu'il  s'écriait  :  «  Goûtez  et  voyez  combien  le 
«  Seigneur  est  doux  ^  ;  »  et  c'est  pourquoi  il  disait  encore  :  «  Je 
a  m'approcherai  de  l'autel  de  Dieu,  du  Dieu  qui  est  la  joie  de  ma 
«  jeunesse  ^.  »  C'est  sur  l'autel  que  s'accomplit  le  grand  sacrifice 
de  la  loi  nouvelle  ;  c'est  de  l'autel  que  l'adorable  Victime  qui  s'im- 
mole chaque  jour  pour  nous,  d'une  manière  mystérieuse,  descend 
pour  se  donner  en  nourriture  à  ceux  qui  la  désirent.  David  sou- 
pirait après  cet  autel  ;  il  voulait  approcher  de  ce  Dieu  qu'il  ne 
pouvait  recevoir  qu'en  esprit,  car  le  Fils  de  Dieu  ne  s'était  pas  en- 

4.  Si  quis  est  parvulus  veniat  ad  me.  Kt  insipientibus  locula  est:  Venite, 
comedite  panem  nieuin  et  bibite  vinum  quod  iniscui  vobis.  Reliiuiuite  infan- 
tiain,  et  vivite  et  auiljulate  per  vias  prudentia;.  {Prov.,  ix,  4-0.) 

2.  Qui  timet  Deum  faciet  bona  ;  et  qui  conlinens  est  justilite,  appreliendet 
iliam.  Et  obvial)it  illi  (|uasi  mater  honorificala,  et  quasi  n)ulier  a  vir!.çinitate 
.suscipiet  illam.  Cibabil  illum  pane  vita;  et  intellectus,  et  aqua  sapientije  salu- 
taris  potabit  illum;  et  firmabitur  in  illo,  et  non  fleclelur.  {lùr/i.,  xv,  1,  3.) 

3.  Gustate  etvidele  quoniam  suavis  est  Doininus.  (/'.s\  xxx,  D.) 

4.  Introibo  ad  altare  Dei,  ad  Deum  qui  iietitical  juvcntutem  meam. 
{Ps.  XLU,  A.) 

L\    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    T.    IV,  52 


818        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  II'  PARTIE.   —  LIVRE   II.  —  CHAP.  XVII. 

core  incarné  et  n'avait  pas  institué  son  adorable  sacrement.  Mais 
cette  communion  de  désir  suffisait  pour  réjouir  le  cœur  du  pro- 
phète, et  il  s'écriait  :  «  J'approcherai  de  l'autel  de  Dieu,  j'appro- 
«  cherai  du  Dieu  qui  réjouit  ma  jeunesse.  »  Il  voulait  que  chacun 
goùtàt  avec  lui  les  douceurs  ineffables  que  l'on  trouve  en  Dieu,  et 
il  disait  :  Goûtez  donc,  et  reconnaissez  par  votre  propre  expé- 
rience combien  le  Seigneur  est  doux. 

Ailleurs  le  Psalmiste  nous  montre  ceux  qui  ont  semé  dans  les 
larmes,  moissonnant  dans  l'allégresse  :  «  Ils  allaient  et  pleuraient, 
«  jetant  leurs  semences,  mais  venant,  ils  venaient  avec  exulta- 
«  tion,  portant  leurs  gerbes  K  »  Les  semences  de  la  Sainte  Eu- 
charistie sont  les  travaux  et  les  larmes  de  la  pénitence;  mais 
quelle  joie  lorsque  ces  travaux  et  ces  larmes  ont  produit  leur 
fruit,  lorsqu'on  est  en  possession  de  la  gerbe  mystique,  et  que 
l'on  porte  enfin  le  Dieu  de  l'Eucharistie  dans  son  cœur  !  C'est 
de  celte  joie  que  parlait  l'Apôtre  aux  premiers  fidèles  qui  com- 
muniaient si  souvent,  lorsqu'il  leur  disait:  «  Réjouissez-vous  tou- 
tt  jours  dans  le  Seigneur  ;  je  le  dis  encore,  réjouissez-vous,  j»  Et  il 
ajoutait  :  «  Que  votre  modestie  soit  connue  de  tous  les  hommes  -  ; 
«  le  Seigneur  est  proche.  »  Si  prociie  que  chacun  d'eux  le  portait 
dans  son  cœur;  et  c'est  pourquoi  leur  joie  devait  être  accompagnée 
d'une  modestie  parfaite,  qui  la  distinguât  des  joies  bruyantes  et 
dissolues  du  monde. 

XLII.  La  sainte  communion  tranquillise  et  repose. 

David  disait  au  Seigneur  :  «  Si  même  je  marchais  au  milieu  de 
«  l'ombre  de  la  mort,  je  ne  craindrais  point  les  maux,  parce  (juo 
«  vous  êtes  avec  moi  3,  »  La  présence  du  Seigneur  le  mettait  à 
l'abri  de  toute  crainte,  mais  pourquoi?  C'est  que,  lui  disait-il  en- 
core, «  vous  avez  préparé  en  ma  présence  une  table  contre  ceux 
«  qui  me  tourmentent  ^,  »  Ce  n'est  pas  une  table  commune  qui 
meta  l'abri  de  tout  danger  ceux  pour  qui  elle  est  préparée.  Mais 
la  table  du  Seigneur  a  cette  vertu,  à  cause  des  mets  divins  qu'elle 
offre  aux  conviés.  Ceux  qui  mangent  la  chair  et  boivent  le  sang 

\.  Eunles  ibant  et  flebant,  miUentes  semina  sua;  venientes  autem  venient 
cum  exultatione,  portantes  manipulos  suos.  {Ps.  cxxv,  0.; 

2.  Gaudete  in  Domino  semper,  iterum  dico  gaudete  ;  modestia  vestra  nota 
sit  omnibus  hominibus  :  Dominus  enim  prope  est.  {Phili])p.,  iv,  4,  5.) 

B.  Si  ambulavero  in  medio  umbrae  mortis  non  timebo  mala;quoniam  lu 
mecum  es.  {Ps.  xxii,  4.) 

4.  Parasti  in  conspeclu  meo  mensam  adversus  eos  qui  tribulant  me.  {Id.,  U.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  RCCOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      819 

du  Verbe  incarné,  ceux  dont  Jésus-Christ  lui-même  est  la  vie, 
tant  il  s'unit  intimement  à  eux,  peuvent  denieurer  en  paix  ;  ils 
savent  que  tous  les  efforts  de  leurs  ennemis  seront  vains,  et  que 
fortifiés  par  la  sainte  communion,  ils  sont  assurés  de  la  victoire 
définitive. 

Nous  voyons  au  livre  des  Proverbes  que  la  divine  Sagesse  fait 
appeler  ses  conviés  au  festin,  figure  de  l'Eucharistie,  qu'elle  leur 
a  préparé  :  mais  en  quel  lieu  les  convoque-t-elle  pour  y  prendre 
part  ?  «  Elle  a  envoyé  ses  servantes  pour  appeler  ses  conviés  à  la 
«  forteresse  et  aux  murs  de  la  cité  *.  »  Le  lieu  dans  lequel  sa 
table  est  dressée  est  une  forteresse,  ou  bien  c'est  une  ville  protégée 
par  des  murs  contre  les  attaques  imprévues;  mais  plutôt,  le  pain 
et  le  vin  qu'elle  offre  sont  eux-mêmes  cette  forteresse  et  ces  murs 
de  la  cité,  grâce  auxquels  il  n'y  a  rien  à  craindre.  La  Sainte  Eucha- 
ristie combat  pour  ceux  qui  la  reçoivent;  ils  peuvent  jouir  de  leur 
bonheur  dans  la  paix  et  la  tranquillité,  même  lorsque  les  assauts 
des  ennemis  se  multiplient. 

XLIIL  La  sainte  communion  est  remplie  de  douceur  pour  ceux 
qui  la  reçoivent. 

Samson  proposait  cette  énigme  aux  jeunes  gens  de  Gaza  :  «  De 
«  celui  qui  est  fort  est  sortie  la  douceur  ^.  »  Il  entendait  parler  du 
lionceau  qu'il  avait  mis  à  mort,  et  dans  la  gueule  duquel  il  avait 
trouvé  un  rayon  de  miel.  Mais  l'Esprit  saint,  qui  a  voulu  que  ces 
paroles  nous  fussent  transmises,  avait  une  autre  vue.  Le  fort, 
c'est  Jésus-Christ,  c'est  le  lion  de  Juda,  et  ce  fort,  en  mourant 
pour  nous  sur  la  croix,  nous  a  laissé  la  douceur  même  de  Dieu, 
l'adorable  Eucharistie,  dans  laquelle  lui-même  se  donne  à  nous 
sous  forme  de  nourriture  3. 

Le  Psalmiste  dit,  en  parlant  des  Israélites  qui  ont  mangé  la 
manne  dans  le  désert  :  «  Le  Seigneur  les  a  nourris  de  la  moelle 
«  du  froment  et  il  les  a  rassasiés  du  miel  sorti  de  la  pierre  *.  » 

1.  Misit  ancillas  suas,  ut  vocarent  ad  arcem  et  ad  mœnia  civitatis.  (Saj)., 
IX,  3.) 

2.  De  forti  egressa  est  dulcedo.  'Jndic,  xiv,  14.) 

3.  Hic  leonis  catulus  qui  Filius  Dei,  et  idem  leo,  quia  t-equalis  Patri.  Quare, 
ut  mihi  videtur,  huic  aptum  est  Iconi  :  De  comeilentc  cxiril  exra,  et  de  iiotcute 
dulce.  A  quo  nisi  a  Salvatore  nostro,  qui  hanc  nol)is  escam  simul  et  runiina- 
vit  docens,  etprompsit  iiiipcrticns.  (S.  Paulin.,  Kpist.  IV.) 

■4.  Cibaviteos  ex  adipc  frumenti  et  de  petra  inclle  saturavit  eos.  {Ps.  lxxx, 
16.) 


820        LA  SAINTE  EUCHARISTIE,  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.   XVII. 

S.  Paul  nous  apprend  que  «  la  pierre  était  le  Christ  ^  »  La  moelle 
du  froment,  figure  de  l'adorable  Eucharistie,  représentait  aussi 
le  Christ  sous  une  autre  image.  Pourquoi  cette  double  figure  du 
Sacrement  de  nos  autels,  dans  le  même  verset  ?  C'est  que  si  le  fro- 
ment nourrit  l'homme,  le  miel  le  délecte  par  sa  douceur.  La 
Sainte  Eucharistie  n'est  pas  seulement  le  froment  des  élus,  le  pain 
des  âmes  saintes,  elle  est  un  aliment  d'une  incomparable  douceur, 
et  le  Prophète  ne  pouvait  mieux  faire  pour  en  donner  une  idée  que 
de  comparer  cette  douceur  à  celle  du  miel. 

On  lit  dans  l'Apocalypse  ces  paroles  du  Seigneur  :  «  Me  voici  à 
«  la  porte  et  je  frappe.  Si  quelqu'un  entend  ma  voix  et  m'ouvre 
a  la  porte,  j'entrerai  chez  lui,  et  je  souperaiavec  lui,  et  lui  avec 
«  moi  ^.  »  Ce  souper,  c'est  la  continuation  ou  le  renouvellement  de 
la  dernière  Cène  pendant  laquelle  notre  divin  Sauveur  institua  son 
sacrement  d'amour.  Il  allait  se  livrer  pour  être  crucifié  ;  les  an- 
goisses de  l'agonie  torturaient  déjà  son  âme;  cependant  quelle 
ineffable  douceur  dans  son  dernier  entretien  avec  ses  disciples 
bien-aimés  !  Cette  douceur  sera-t-elle  moindre,  si  nous  prenons 
place  à  sa  table  avec  lui,  maintenant  qu'il  ne  ressent  pluslesaffres 
de  la  mort,  mais  qu'il  vient  du  ciel  tout  exprès  pour  se  donner  à 
nous  et  nous  prodiguer  les  marques  de  son  amour? 

XLIV.  La  sainte  communion  nous  élève  à  un  état  sublime. 

On  connaît  ces  paroles  du  prophète  Isaïe  :  «  Son  sépulcre  sera 
«  glorieux  3.  »  H  parlait  du  tombeau  dans  lequel  Joseph  d'Arima- 
thie  et  Nicodème  déposèrent  le  corps  adorable  de  Jésus,  après  l'a- 
voir descendu  de  la  croix.  Mais  il  est  un  autre  tombeau  dans  le- 
quel Jésus-Christ  veut  être  déposé.  Après  que  son  immolation 
mystique  sur  l'autel  l'a  mis  dans  un  état  qui  rappelle  sa  mort  sur 
la  croix,  l'àme  de  celui  qui  communie  devient,  pour  son  corps  ado- 
rable, un  sépulcre  vivant,  plus  glorieux  que  le  premier,  car  il 
renferme  le  Seigneur  ressuscité,  dans  tout  l'éclat  de  sa  gloire  du 
ciel.  Et  ce  sépulcre  n'est  pas  un  rocher  inerte;  c'est  une  âme  im- 
mortelle qui  connaît,  qui  goûte  celui  qu'elle  renferme  et  qui  espère 
jouir  éternellement  de  lui  dans  la  cité  bienheureuse. 

\.  Petra  autem  erat  Christus.  (/.  Cor.,  x,  A.) 

-1.  Ecce  sto  ad  ostium  et  piilso  :  si  quis  audierit  vocem  ineam  et  aperuerit 
niilii  januam,  intrabo  ad  illum,  et  cœnabo  cum  illo,  et  ipse  mecum.  {Apoc, 
III,  -J).) 

:'..  Kt  erit  sepulchrum  ejus  gloriosum.  {Isa.,  xi,  10.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMDNION  EN  CEDX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      321 

Mais  nous  sommes  plus  encore  que  le  sépulcre  glorieux  du  Sei- 
gneur, par  la  sainte  communion.  Il  nous  a  dit  :  «  Gomme  mon 
«  Père  qui  est  vivant  m'a  envoyé,  et  que  moi  je  vis  par  mon  Père, 
€  ainsi  celui  qui  me  mange  vivra  aussi  par  moi  i.  »  La  sainte 
communion  nous  élève  si  haut,  elle  établit  entre  nous  et  Jésus- 
Christ  une  relation  telle  qu'il  ne  craint  pas  de  la  comparer  à  la  re- 
lation par  laquelle  il  tient  sa  vie  de  son  Père  céleste.  Ailleurs  il 
s'adresse  à  son  Père  et  lui  dit,  en  parlant  de  ses  disciples  :  «  Pour 
«  moi  je  leur  ai  donné  la  gloire  que  vous  m'avez  donnée,  afin  qu'ils 
«  soient  une  seule  chose,  comme  nous  sommes  une  seule  chose  *.  > 
Et  quand  prononçait-il  ces  paroles  ?  quand  disait-il  qu'il  avait 
donné  à  ses  disciples  la  gloire  même  reçue  par  lui  de  son  Père? 
quand  allait-il  jusqu'à  comparer  l'union  qu'il  opérait  entre  eux 
avec  l'unité,  en  un  seul  Dieu,  des  trois  personnes  divines?  quand 
ajoutait-il  enfin  :  «  Je  suis  en  eux  et  vous  en  moi,  afin  qu'ils  soient 
«  consommés  dans  l'unité^?  »  C'était  quelques  instants  après 
s'être  donné  à  eux  par  la  sainte  communion.  Il  exprimait  ainsi  les 
effets  de  la  divine  Eucharistie  et  donnait  à  comprendre  la  sublime 
hauteur  à  laquelle  elle  élève  ceux  qui  la  reçoivent  dignement. 

XLV.  La  sainte  communion  nous  procure  y  en  un  certain  sens, 
la  béatitude  dès  ici-bas. 

Lorsque  Moïse  fut  sur  le  point  de  rendre  son  àme  au  Seigneur, 
il  bénit  toutes  les  tribus  d'Israël,  et  il  conclut  ainsi  cette  bénédic- 
tion prophétique:  «  Israël  habitera  avec  assurance  et  seul.  L'œil 
«  de  Jacob  sera  fixé  sur  une  terre  de  vin  et  de  froment,  et  les  cieux 
€  seront  obscurcis  par  la  rosée.  Tu  es  heureux,  Israël.  Qui  est 
«  semblable  à  toi  peuple  qui  es  sauve  par  le  Seigneur  ^?  »  Pour- 
quoi Moïse  parle-t-il  du  bonheur  futur  d'Israël,  comme  si  ce  peuple 
le  possédait  déjà?  C'est  qu'il  voit  dans  le  vin  et  le  froment  l'image 
et  la  promesse  de  la  Très  Sainte  Eucharistie,  qu'accompagnera  la 
rosée  abondante  de  toutes  sortes  de  grâces.  L'Eucharistie  est  ici-bas 
la  béatitude  commencée,  à  cause  des  joies  et  des  grâces  qui  l'ac-- 

1.  Sicut  misit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter  Patrem,  et  qui  mandu- 
cat  me  et  ipse  vivet  propter  me.  (Joann.,  vi,  {i8.) 

2.  Et  ego  claritatein  quam  dedisti  inihi,  dedi  eis  :  ut  sint  ununi  sicut  et  nos 
nnum  sumus.  (Joann.,  xvii,  2i2.) 

3.  Ego  in  eis,  et  tu  in  me  :  ut  sint  consummati  in  unum.  {Id.,  !23.) 

4.  Habitabit  Israël  confidcnler  et  solus.  Oculus  Jacob  in  terra  frumenti  et 
vini,  cœlique  caligabunt  rorc.  Boalus  es  tu  Israël  :  (juisiiuis  similis  tui  po- 
pule,  qui  salvaris  in  Domino.  [Deulcr.,  xxxiii,  ii8,  !2d.) 


822        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  H®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

conipagnent,  à  cause  surtout  de  l'espérance  fondée,  on  pourrait 
presque  dire  de  l'assurance  qu'elle  donne  de  la  félicité  céleste.  Pos- 
séder dans  son  cœur  le  Dieu  du  ciel,  avec  toute  sa  gloire  et  son 
bonheur,  est-ce  autre  chose  que  posséder  le  ciel  lui-même? 

Le  saint  roi  David  s'irritait  contre  la  foule  de  ceux  qui  disent: 
«  Qui  nous  montrera  les  biens  '  ?  »  qui  nous  enseignera  où  nous 
trouverons  le  vrai  bonheur?  Il  est  naturel  à  l'homme  de  vouloir 
être  heureux;  mais  David  s'irritait,  parce  que  ceux  qui  parlent 
ainsi  ne  veulent  pas  voir  que  le  bonheur  est  à  leur  portée,  et  qu'ils 
n'ont  qu'à  étendre  la  main  pour  le  posséder.  Ils  ont  eu  en  abon- 
dance le  fruit  de  leur  froment,  de  leur  vin  et  de  leur  huile  -,  mais 
ils  n'ont  pas  voulu  comprendre  que  le  froment  des  élus,  le  vin  qui 
fait  germer  les  vierges,  l'huile  de  la  grâce  du  Seigneur,  sont  la 
source  de  toute  béatitude.  Le  prophète,  lui,  l'a  compris,  et  c'est 
pourquoi  il  dit:  «  Dans  la  paix  je  m'endormirai  et  me  reposerai, 
«  en  paix  3.  »  Aussi  nous  donne-t-il  en  un  autre  psaume  ce  pré- 
cieux conseil  :  «  Goûtez  et  voyez  combien  le  Seigneur  est  bon. 
«  Bienheureux  l'homme  qui  espère  en  lui  ^.  »  Les  délices  de  notre 
divin  Sauveur  sont  d'être  avec  les  enfants  des  hommes  :  comment 
ne  leur  ferait-il  pas  partager,  autant  qu'il  est  utile  pour  leur  salut, 
ces  délices  qu'il  goûte  dans  leurs  cœurs  bien  préparés,  lorsqu'il 
vient  y  habiter  parla  communion? 

XLVI.  La  sainte  communion  délivre  de  la  mort. 

Elle  est  le  véritable  arbre  de  vie.  Dieu  l'a  planté  dans  son  Église, 
comme  dans  un  paradis  nouveau,  pour  donner  la  vie  aux  hommes. 
Le  divin  pasteur  dit  de  ses  brebis  :  «  Moi  je  suis  venu  pour  qu'elles 
«  aient  la  vie  et  pour  qu'elles  l'aient  plus  abondamment  ^.  »  Mais 
où  donc  nous  donnera-t-il  cette  vie  plus  abondante  qu'il  est  venu 
nous  apporter,  sinon  à  la  table  où  il  se  sert  lui-même  comme  ali- 
ment? «  Comme  mon  Père  qui  est  vivant,  dit-il,  m'a  envoyé  et  que 
«  moi  je  vis  par  mon  Père,  ainsi  celui  qui  me  mange  vivra  aussi 
«  par  moi.  Voici  le  pain  qui  est  descendu  du  ciel.  Ce  n'est  pas 
«  comme  vos  pères,  qui  ont  mangé  la  manne  et  sont  morts.  Celui 
«  qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement  ".  »  N'est-ce  pas  ici  que 

4.  Quis  o.stendet  nobis  bona? 

2.  A  fructu  frumenti,  vini  et  olei  sui  multiplicati  sunt. 

3.  In  pace  in  idipsum,  dormiam  et  requiescam.  [Ps.  iv,  6,8,  9.) 

4.  Gustate  et  videte,  quoniam  suavi.s  est  Dominus.  {Ps.  xxxiii,  9.) 

ti.  Ego  veni  ut  vitam  habeant,  et  abundantius  habeant.  Joann  ,  x,  iO.) 
6.  Sicut  misit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter  Patrem  :  et  qui  mandu- 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      823 

l'on  peut  s'écrier  avec  S.  Paul  :  «  0  mort,  où  est  ta  victoire?  ô  mort, 
«r  où  est  ton  aig"uillon?  »  Sans  doute,  l'adorable  sacrement  de  nos 
autels  n'a  pas  été  institué  pour  nous  délivrer  de  la  mort  corporelle 
quoiqu'il  le  fasse  quelquefois,  lorsque  l'intérêt  de  notre  salut 
le  demande;  mais  il  nous  fait  triompher  de  la  mort  du  péché,  de 
la  mort  éternelle,  et  nous  prépare  efficacement  à  la  résurrection 
glorieuse.  Notre  chair  si  souvent  unie  à  la  chair  du  divin  Sauveur, 
et  pour  ainsi  dire  fondue  avec  elle,  pourrait-elle  ne  pas  ne  jamais 
en  partager  la  gloire  ?  Le  vin  et  l'huile  versés  sur  les  blessures  du 
voyageur  par  le  bon  Samaritain  lui  sauvèrent  la  vie  :  la  Sainte 
Eucharistie,  que  représentaient  ce  vin  et  cette  huile,  n'aura  pas 
moins  de  vertu  pour  nous  arracher  à  la  mort,  surtout  à  la  mort 
éternelle. 

.  XLVII.  La  sainte  communion  nous  procure  même  les  secours 
temporels  dont  nous  avons  besoin. 

Esaù  privé,  par  le  stratagème  dont  usa  Jacob,  de  la  bénédiction 
paternelle  sur  laquelle  il  comptait,  quoiqu'il  eût  renoncé  à  son  droit 
d'aînesse,  demandait  à  Isaacde  le  bénir  aussi  et  de  lui  accorder  quel- 
ques biens.  Le  saint  vieillard  lui  répondit  :  «  J'ai  enrichi  Jacob  de  blé 
a  et  de  vin;  après  cela  que  puis-je  faire  pour  toi  i?  »  Le  blé  et  le 
vin  entraînaient  après  eux  toutes  les  autres  richesses  temporelles  : 
la  Sainte  Eucharistie  est  aussi  l'essentiel  auquel  se  rattachent  et 
que  suivent  tous  les  biens  spirituels,  et  même  les  biens  temporels, 
s'ils  favorisent  les  premiers,  ou  du  moins  n'y  font  pas  obstacle. 
C'est  ainsi  que  le  sang  de  l'agneau  immolé  par  les  Hébreux,  la 
nuit  qui  précéda  leur  délivrance  de  la  servitude  d'Egypte,  sauva 
la  vie  à  leurs  enfants  premiers-nés,  leur  fit  obtenir  des  Égyptiens 
une  multitude  d'objets  précieux,  et  les  arracha  au  danger  d'être 
engloutis  dans  la  mer  Rouge,  ou  massacrés  par  les  soldats  de 
Pharaon. 

Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  lorsqu'il  daigne  s'unir  à  nous  par 
la  sainte  communion,  s'engage  par  un  pacte  tacite,  mais  très  réel, 
y  prendre  un  soin  particulier  de  notre  âme  qui  devient  son  àme,  de 
notre  chair  qui  devient  sa  chair.  Sans  doute,  c'est  à  tous  ceux  qui 

c.il  me  ot  ipse  vivet  ])ropler  me.  Hic  esl  panis  qui  de  cœlo  descendit.  Non 
sicul  manducaverunt  j)atres  vestri  manna,  elmortui  snnt.  Qui  manducat  hune 
panem  vivet  in  feternum.  i.Ionnn.^w,  !i8,  îjO.) 

1.  KruiiuMilo  et  vino  .stal)ilivi  eum,  et  tibi,  tili  mi,  ultra  quid  faciam? 
(Genea.,  wvii,  28.) 


82 1        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —   ]f  PARTIE.  —  LIVRE  II.   —  CHAP.   XVII. 

croient  en  lui  qu'il  s'adresse,  mais  c'est  surtout  à  ceux  qui  reçoivent 
pieusement  la  sainte  communion,  lorsqu'il  dit:  »  Ne  vous  inquiétez 
«  point  pour  votre  vie  de  ce  que  vous  mangerez,  ni  pour  votre 
«  corps  de  quoi  vous  vous  vêtirez.  La  vie  n'est-elle  pas  plus  que 
t  la  nourriture,  et  le  corps  plus  que  le  vêtement?  Regardez  les 
«  oiseaux  du  ciel;  ils  ne  sèment  ni  ne  moissonnent,  ni  n'amassent 
«  dans  des  greniers,  et  votre  Père  céleste  les  nourrit;  n'êtes-vous 
«  pas  beaucoup  plus  qu'eux  '?»  Si  Dieu  est  si  bon  pour  tous,  même 
pour  de  pauvres  petits  oiseaux,  même  pour  l'herbe  des  champs, 
comme  il  le  dit  encore,  quelle  confiance  ne  doivent  pas  avoir  en 
lui,  pour  tous  leurs  besoins,  ceux  qui  le  servent,  ceux  qu'il  regarde 
comme  ses  enfants  adoptifs,  ceux  qui  sont  à  ses  yeux  comme 
d'autres  Jésus-Christ,  parce  qu'ils  se  nourrissent  de  l'humanité  et 
de  la  divinité  de  ce  Fils  bien-aimé?  Et  Jésus-Christ  lui-même, 
pourrait-il  délaisser,  au  milieu  de  ses  besoins,  celui  qui  le  reçoit 
et  lui  donne  l'hospitalité  dans  son  cœur? 

XLVIII.  La  Sainte  Eucharistie  arme  et  protège  celui  qui  la 
reçoit. 

Le  sang  de  l'agneau  pascal  fut  une  protection  efficace  pour  les 
demeures  des  Israélites,  contre  les  coups  de  l'ange  exterminateur, 
et  la  manne  tombant,  non  pas  dans  leur  camp  mais  autour  de  leur 
camp,  leur  fut  comme  un  rempart.  L'agneau  pascal  et  la  manne 
figuraient  la  protection  dont  la  Sainte  Eucharistie  entoure  ceux 
qui  la  reçoivent.  Si  Jésus-Christ  n'était  pas  dans  nos  tabernacles, 
qui  protégerait  les  nations  chrétiennes,  les  villes  et  jusqu'aux 
moindres  hameaux  contre  la  colère  du  Seigneur?  Si  nos  lèvres 
n'étaient  pas  teintes  du  sang  du  divin  Agneau,  est-il  quelqu'un 
parmi  nous  qui  n'aurait  rien  à  craindre  de  l'ange  extermina- 
teur? Est-il  quelqu'un  qui  ne  succomberait  pas  sous  les  coups 
du  démon  ? 

Mais  nous  sommes  forts,  parce  que  nous  pouvons  dire,  mieux 
que  le  Psalmiste  :  «  Vous  avez  préparé  en  ma  présence  une  table 
«  contre  ceux  qui  me  persécutent  2.  »  Et  encore  :  «  Quand  je  mar- 

1.  Ne  solliciti  silis  animae  vestrse  quid  manducetis,  neque  corpori  vestro 
quid  indu.imini.  Nonne  anima  plus  est  quam  esca  :  et  corpus  plus  quam  ves- 
timenlum?  Respicite  volatilia  cœli,  quoniam  neque  metunt,  neque  congre- 
gant  in  horrea  :  et  Pater  vester  cœlestis  pascit  ilJa.  Nonne  vos  magis  pluris 
estis  illis?  {Malfh.,  vi,  2»,  26.) 

2.  Parasti  in  conspectu  meo  mensara  adversus  eos  qui  tribulant  me. 
{Ps.  XXII,  5.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.      825 

«  cherais  au  milieu  des  ombres  de  la  mort,  je  ne  craindrais  pas  les 
«r  maux,  parce  que  vous  êtes  avec  moi  K  »  Que  craindre  en  effet 
lorsqu'on  se  sent  protégé  par  la  présence  d'un  Dieu  tout-puissant, 
qui  vous  aime  jusqu'à  demeurer  avec  vous  et  en  vous,  jusqu'à  se 
faire  votre  nourriture? 

XLIX.  La  sainte  communion  produit  les  plus  heureux  effets 
sur  nous-mêmes  au  point  de  vue  corporel. 

Ces  paroles  de  Notre-SejgneurJésus-Christ  :  «  Le  pain  que  je  don- 
«  nerai  est  ma  chair,  pour  la  vie  du  monde  -,  »  nous  font  claire- 
ment entendre  que  les  effets  de  la  Très  Sainte  Eucharistie  ne  se 
bornent  pas  exclusivement  à  procurer  la  vie  des  âmes  ;  ils  s'é- 
tendent jusqu'à  la  vie  corporelle,  car  la  vie  du  monde  embrasse 
ces  deux  vies,  et  l'on  pourrait  même  dire  que  la  vie  corporelle  y 
tient  une  très  large  place.  Ne  nous  étonnons  donc  pas  si,  dans  la 
vie  des  saints,  nous  voyons  quelquefois  cet  adorable  Sacrement 
produire  les  effets  les  plus  extraordinaires  et  suffire  pour  leur 
conserver  la  vie  et  la  santé,  sans  le  secours  d'aucun  autre  aliment. 
Le  pain  cuit  sous  la  cendre,  que  mangea  Élie  dans  le  désert,  n'é- 
tait qu'une  ombre  de  l'Eucharistie  :  il  le  soutint  cependant  pen- 
dant tout  un  long  et  pénible  voyage,  qui  ne  dura  pas  moins  de 
quarante  jours.  Les  aliments  simples  et  communs  que  prenaient 
Daniel  et  les  trois  autres  jeunes  gens,  qui  refusaient  de  partager 
les  délices  de  la  table  de  Nabuchodonosor,  étaient  aussi  une  figure 
de  la  Sainte  Eucharistie,  et  ils  leur  donnèrent  une  santé  et  une 
beauté  resplendissantes.  On  peut  ajouter  que  la  Sainte  Eucharis- 
tie communique  à  nos  corps  le  germe  de  la  résurrection  future. 
Notre-Seigneur  ne  dit-il  pas  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et  boit 
«  mon  sang  a  la  vie  éternelle,  et  je  le  ressusciterai  au  dernier 
«  jour  3?  »  Sans  doute,  même  ceux  qui  n'ont  pas  eu  le  bonheur 
de  faire  la  sainte  communion  réellement,  pendant  leur  vie  mor- 
telle, pourront  avoir  la  vie  éternelle  et  ressusciter  au  dernier  jour, 
puisque  tous  ressusciteront.  Ce  n'est  pas  néanmoins  sans  motif 
que  notre  divin  Sauveur  promet  particulièrement  la  grâce  de  la 
résurrection  à  ceux  qui  mangent  sa  chair  et  qui  boivent  son  sang. 

1.  Si  amljulavero  in  medio  umbrae  mortis,  non  limeho  mala,  quoniam  lu 
mecum  es.  (As.  xx,  i.) 

2.  Panis  quem  ef^o  dabo,  caro  mea  est  prn  muiidi  vila.  {Joann.,  vi.fil.) 

3.  Qui   manducal  moam  carnem  cl  hibit   meuin    .sanguinem  habel  vilam 
œternam,  et  ego  resuscitabo  eum.in  novissimo  die.  {Joann.,  vi,  lili.) 


8:26        LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CHAP.  XVII. 

Par  ces  paroles  il  donne  à  entendre  que  ceux  qui  communient 
acquièrent  à  la  glorieuse  résurrection  un  droit  nouveau  que  n'ont 
pas  les  autres,  qui  ressusciteront  aussi,  mais  dont  la  gloire  corpo- 
relle sera  moindre  à  mérite  égal.  Sinon,  pourquoi  une  telle  pro- 
messe en  ce  passage  '  ? 

Lorsque  Adam  eut  péché,  Dieu  le  chassa  du  paradis  terrestre, 
afin  qu'il  ne  lui  fût  plus  possible  de  manger  du  fruit  destiné  à 
donner  aux  hommes  l'immortalité.  Nous  qui  vivons  dans  îe  sein 
de  l'Église  et  qui  sommes  ses  enfants,  nous  devons  nous  considé- 
rer comme  réintégrés  dans  ce  paradis,  ou  plutôt  dans  un  autre  où 
est  planté  un  nouvel  arbre  de  vie,  dont  le  fruit,  plus  précieux  mille 
fois  et  plus  efficace  que  le  premier,  n'est  autre  que  le  Fils  de  Dieu 
lui-même.  Ce  fruit  ne  nous  conserve  pas  indéfiniment,  il  est  vrai, 
notre  vie  mortelle,  mais  il  est  un  gage,  une  cause  efficace  de  notre 
résurrection  pour  la  vie  éternellement  bienheureuse.  Puisque 
notre  divin  Sauveur  nous  a  dit  encore  :  «  Celui  qui  me  mnnge  vi- 
«  vraà  cause  de  moi  :  »  El  qui  manducat  me,  et  ipse  vivet  propter^ 
me;  à  cause  de  lui  nous  vivrons,  nous  qui  le  mangeons  dans  l'Eu- 
charistie, et  nous  vivrons  tout  entiers,  corps  et  àme,  de  sa  vie 
qu'il  nous  communiquera,  vie  éternelle,  vie  glorieuse,  vie  dont 
le  bonheur  dépasse  tout  désir  et  toute  imagination. 

L.  Jésus-Christ  dans  V Eucharistie  est  notre  guide  qui  nous 
conduit  au  bonheur  et  à  la  gloire  du  ciel. 

Lorsque  le  Seigneur  délivra  son  peuple  de  la  servitude  d'Egypte, 
il  daigna  se  faire  lui-même  son  guide,  jusqu'au  jour  où  il  l'eut  in- 
troduit dans  la  terre  de  promission.  Mais  dans  quel  appareil  mar- 
cha-t-il  ainsi  à  la  tête  de  son  peuple?  Était-il  revêtu  de  l'éclat 
majestueux  et  terrible  qui  l'entourait,  lorsqu'il  se  manifesta  sur 
le  mont  Sinaï  pour  dicter  sa  loi  sainte,  ou  lorsqu'il  apparut  en  vi- 
sion au  prophète  Ézéchiel?  Non.  Pendant  le  jour,  une  colonne  de 
nuée  révélait  seule  sa  présence  ;  et  pendant  la  nuit,  cette  colonne 
de  nuée  semblait  être  de  feu,  pour  que  les  Israélites  ne  la  per- 
dissent pas  de  vue,  et  connussent  que  leur  divin  guide  ne  cessait 
pas  de  veiller  à  leur  sécurité.  Cette  colonne,  feu  et  nuée,  mais  feu 
presque  toujours  invisible  et  voilé  par  l'épaisseur  du  nuage,  était 
la  figure  de  la   très  sainte  et  très  adorable  Eucharistie,  où  Jésus 

1.  El  ego  rnsuscitoho  eum  in  novisximo  die.  —  Ego,  dixit,  id  est  corpus  meum 
quod  comeditur,  resuscitabo  eum....  Ego  qui  homo  factus  sum,  per  meam 
carnem,  in  novissimo  die,  comedentes  resuscitabo.  (S.  Cyrill.  in  Joann.) 


DES  EFFETS  DE  LA  COMMUNION  EN  CEUX  QUI  LA  REÇOIVENT  AVEC  PIÉTÉ.  827 

se  cache  sous  les  nuages  des  espèces  du  pain  et  du  vin,  et  où  la  foi 
ne  nous  révèle  tout  l'éclat  de  son  feu  divin  que  lorsque  nous  fer- 
mons entièrement  les  yeux  de  notre  cœur  aux  choses  de  la  terre. 
C'est  dans  l'Eucharistie  qu'il  a  établi  sa  résidence  ;  c'est  de  là, 
c'est  par  elle  qu'il  nous  sert  de  guide  et  nous  introduit  à  la  fm 
dans  notre  terre  promise,  son  divin  royaume  où  nous  le  verrons 
face  à  face,  tel  qu'il  est  et  sans  crainte  de  le  perdre  jamais. 

Lorsque  Dieu  voulut  pourvoir  à  la  nourriture  du  peuple  choisi 
qu'il  conduisait  à  «travers  un  désert  aride,  que  fit-il?  Le  Psalmiste 
nous  l'apprend  :  «  Il  ouvrit  les  portes  du  ciel,  et  il  leur  fit  pleuvoir 
«  de  la  manne  pour  manger,  et  il  leur  donna  un  pain  du  ciel  ^.  » 
Tout  se  passait  alors  en  figure.  Pourquoi  ouvrir  les  portes  du  ciel 
avant  que  la  manne  tombât,  c'est-à-dire  avant  l'institution  de  la 
Sainte  Eucharistie  dont  elle  était  la  prophétie  et  l'image?  G'estque 
Dieu  prévoyait  que  cette  institution  allaitdonner  au  ciel  une  si  grande 
multitude  de  nouveaux  bienheureux,  qu'il  était  temps  d'en  ouvrir 
les  portes  pour  leur  faciliter  l'entrée  de  leur  nouvelle  patrie.  Dé- 
sormais les  portes  du  ciel  ne  seraient  plus  fermées  pour  les  habi- 
tants de  la  terre.  Nourris  de  la  chair  du  Fils  de  Dieu,  devenus 
avec  lui  une  même  chair  et  un  même  sang,  ils  auraient  libre  en- 
trée dans  le  royaume  de  Celui  qui  les  aura  aimés  jusqu'à  se  donner 
à  eux  en  nourriture  ~.  Aussi  notre  divin  Jésus  nous  dit-il  lui- 
même  :  a.  Je  suis  le  pain  vivant,  moi  qui  suis  descendu  du  ciel. 
«  Si  quelqu'un  mange  de  ce  pain,  il  vivra  éternellement  3.  » 

Il  est  le  pain  vivant  ;  il  donne  la  vie  à  ceux  qui  le  mangent,  et 
la  vie  qu'il  leur  donne  est  éternelle.  Il  est  le  pain  de  vie,  comme 
il  le  dit  encore,  et,  selon  la  remarque  de  S.  Jean  Chrysostome,  il 
renferme  pour  nous  la  vie  présente  et  la  vie  future  ^. 

Mais  pour  manger  de  ce  pain,  non  seulement  sur  la  terre  mais 
éternellement  dans  le  ciel,  il  faut  être  victorieux  ;  il  faut  vaincre 
le  démon,  il  faut  vaincre  le  monde,  il  faut,  aidé  par  ce  pain  sacré, 

i.  Digna  ergo  prophetae  exclaraatio  quia  januas  cœli  aperuit,  panem  luan- 
ducavit  homo.  Unde  hoc?....  Clau.sas  ]mns  liominibus  janua.s  cœli  aperuit,  so- 
lutis  in  carne  sua  veteribus  inimicitiis,  sicquo  terrenis  cœlestia  conjunxit. 
(RUPERT.  abb.,  iib.  ill  in  Exod.) 

2.  Ego  sum  pani.s  vivus  qui  (le  cœlo  de.scendi.  Si  quis  manducaveril  ex  hoc 
pane  vivet  in  aeternum.  [Jonnn.,  vi,  Til,  .'i-2.) 

3.  Ego  sum  panis  vitai.  [Id.,  48.) 

4.  Panem  vita>  se  dicit  qui  nostram  continet  prsesentein  cl  futuram. 
(S.  Chrysost.,  apud  Ugonem  card.,  ihid.) 


828        LA   SAINTE   EUCHARISTIE.  —  II®  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVII. 

se  vaincre  généreusement  soi-même.  A  ce  prix  on  jouira  du  bon- 
heur dont  parlait  un  des  auditeurs  de  Jésus  :  «  Heureux  celui  qui 
«  mangera  du  pain  dans  le  royaume  de  Dieu  K  » 


UN    MOT    SUR    LES    EFFETS    DE   LA    COMMUNION    SACRILEGE 

Peut-être  devrions-nous  parler  ici  des  malheureux  effets,  que 
produit  une  communion  faite  volontairement  en  état  de  péché 
mortel.  Mais  il  nous  répugne  de  nous  attarder  à  traiter  ce  sujet. 
Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  ceux  qui  ont  le  malheur  de  commu- 
nier sacrilègement  se  rendent  très  gravement  coupables.  Ils  attirent 
sur  eux  la  colère  de  Dieu  et  les  châtiments  les  plus  terribles.  On 
peut  comparer  leur  crime  à  celui  de  Judas  et,  sous  certains  rapports, 
ils  sont  plus  inexcusables  et  plus  criminels  que  lui.  Ils  se  donnent 
au  démon  dont  ils  imitent  la  malice,  et  lui  livrent  Jésus-Christ, 
comme  Judas  le  livra  aux  Juifs.  —  Ils  profanent  et  souillent  en 
quelque  sorte  la  Sainte  Eucharistie  elle-même.  —  Ils  nuisent  à 
l'Église  tout  entière.  —  Ils  ne  retirent  aucun  avantage  de  leur 
communion  et  n'y  goûtent  aucune  douceur.  Ils  y  trouvent  au  con- 
traire la  source  des  plus  grands  maux  et  un  germe  de  mort,. 

Tout  n'est  pas  néanmoins  perdu  pour  ceux  qui  ont  mal  commu- 
nié, tant  qu'ils  vivent  encore  sur  la  terre.  S'ils  font  sérieusement 
pénitence,  ce  crime,  tout  grave  qu'il  est,  leur  sera  pardonné.  Jésus- 
Christ  ne  les  abandonne  pas  complètement.  Dans  son  sacrement 
adorable,  il  prend  encore  leur  défense;  il  s'immole  pour  eux  comme 
pour  les  autres  pécheurs,  et  leur  donne  quelque  part  aux  bénédic- 
tions que  les  communions  des  âmes  pieuses  attirent  sur  l'Église. 
Souvent  il  les  punit  dès  ce  monde  ;  mais  si  les  coups  de  sa  justice 
sont  inutiles  aussi  bien  que  les  sollicitations  de  sa  grâce,  ils  ver- 
ront s'élever  contre  eux  la  Sainte  Trinité  tout  entière  ;  ils  seront 
condamnés  au  jour  du  jugement  et  ils  mourront  de  la  mort  éter- 
nelle. 

Que  Dieu  éloigne  un  si  grand  malheur  de  tous  ceux  qui  liront  ces 
lignes  ;  qu'il  leur  accorde  au  contraire  de  recueillir,  avec  une 
abondance  toujours  croissante,  les  innombrables  fruits  que  produit, 
la  sainte  communion  dans  une  âme  qui  s'y  est  dignement  pré- 
parée. 

\.  Beatus  qui  manducabit  panem  in  regno  Dei.  {Luc,  xiv,  15.) 


â 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  829 


CHAPITRE  XVIII 

DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT,  ET  DE  QUELQUES  AUTRES  ACTES 
DE  DÉVOTION  ENVERS  L'EUCHARISTIE 

I.  Visites  au  Très  Saint  Sacrement.  —  II.  Quelques  aspirations  affectueuses  de  saint 
Alphonse  de  Liguori,  pouvant  servir  d'exercice  pour  la  sainte  Messe,  de  prépara- 
tion à  la  Communion  et  d'entretien  devant  le  Saint  Sacrement.  —  III.  Autres  pra- 
tiques de  dévotion,  individuelles  ou  collectives,  envers  le  Très  Saint  Sacrement. 


VISITES    AU    TRES    SAINT    SACREMENT 

S.  Alphonse  de  Liguori  dit  dans  sa  Pratique  pour  les  visites 
au  Saint  Sacrement  :  «  Jésus-Christ  est  jour  et  nuit  au  milieu  de 
«  nous,  dans  le  sacrement  adorable  de  l'autel,  pour  y  être  notre 
a  consolation  dans  nos  peines,  notre  soutien  dans  nos  tentations, 
«  notre  force  dans  nos  combats.  Ce  Dieu  d'amour  nous  invite  et 
«  nous  presse  d'aller  à  lui.  C'est  en  sa  présence  et  dans  son 
«  cœur  sacré  que  les  saints  ont  puisé  ces  grâces  spéciales,  ces  grâces 
«  de  choix  qui  les  ont  fait  triompher  de  tous  les  ennemis  de  leur 
«  salut,  et  surmonter  tous  les  obstacles  â  leur  sanctification. 
<f  Allez  donc  puiser  à  la  même  source  les  eaux  qui  jaillissent  jus- 
«  qu'à  la  vie  éternelle. 

«  Mais  pensez  que  les  différentes  visites  que  vous  pourrez  rendre 
<f  à  Jésus-Christ  chaque  jour  ne  lui  seront  agréables  qu'autant 
V  qu'elles  seront  faites  avec  un  esprit  de  foi  et  d'amour.  La  foi,  en 
*  vous  rappelant  la  sainteté  du  lieu  où  vous  êtes,  et  la  majesté  du 
«  souverain  Maître  qui  y  réside,  vous  pénétrera  d'un  saint  respect, 
<r  et  l'amour  vous  y  unissant  intimement  à  ce  Dieu  de  bonté,  vous 
«  inspirera  envers  lui  la  confiance  que  doit  avoir  un  fils  envers  le 
«  plus  tendre  de  tous  les  pores.  » 

Notre  pensée  ne  devrait  jamais  s'éloigner  un  instant  de  ce  saint 
tabernacle  dans  lequel  notre  bien-aimé  Jésus  daigne  habiter  par 
amour  pour  nous.  Si  nous  nous  éveillons  la  nuit,  surtout  lorsque 
nous  nous  préparons  à  communier,  notre  première  pensée  doit 
être  pour  lui,  et  ces  paroles  de  l'Évangile  jailliront  de  nos  cœurs: 
Ecce  Sponsus  venit  :  exite  obviant  ilti  :  «  Voici  venir  l'Époux  : 


830       LA   SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.   —  LIVRE  II.  —  CIIAP.   XVIII. 

«  allez  au-devant  de  lui  L  »  Le  matin,  au  moment  du  lever,  pour- 
quoi ne  pas  faire  comme  tant  de  saints  et  de  pieux  fidèles,  dont  le 
premier  acte  est  d'adorer  le  Saint  Sacrement,  en  se  prosternant 
dans  la  direction  de  l'église  la  plus  rapprochée?  Et  lorsqu'on  sort 
de  chez  soi,  si  l'on  ne  peut  assister  à  la  messe,  il  convient  au  moins 
d'entrer  dans  la  première  église  que  l'on  rencontre,  pour  y  offrir  au 
divin  Maître  les  prémices  de  sa  journée.  Si  même  on  ne  pouvait 
.entrer,  au  moins  faudrait-il,  en  passant,  saluer  la  maison  du  Sei- 
gneur, et  adorer  de  cœur  l'Hôte  caché  du  tabernacle. 

Pourrions-nous  refuser  à  notre  adorable  Jésus  ces  marques  de 
déférence  et  d'amour  ? 

Il  accomplit,  en  demeurant  dans  nos  saints  tabernacles,  la  pro- 
messe qu'il  nous  a  faite  :  «  Voici  que  je  suis  avec  vous  tous  les 
«  jours,  jusqu'à  la  consommation  du  siècle  ''.  »  Et  pourquoi  veut-îl 
être  ainsi  au  milieu  de  nous,  à  tous  les  instants? 

Pour  ne  jamais  abandonner  ceux  qui  l'aiment,  mais  leur  être 
sur  la  terre  aussi  réellement  présent  qu'il  l'est  aux  anges  dans  le 
ciel. 

Pour  se  trouver  toujours  à  portée  soit  d'être  reçu  de  nous 
quand  nous  le  voulons,  soit  de  recevoir  nos  hommages  et  nos 
vœux  comme  lorsqu'il  vivait  parmi  les  Juifs,  de  sa  vie  mortelle. 

Pour  nous  communiquer  par  lui-même  les  richesses  de  sa 
grâce. 

Pour  exciter  notre  piété  par  sa  douce  présence,  et  nous  servir 
de  modèle. 

Pour  être  auprès  de  son  Père  notre  perpétuel  intercesseur,  et 
pour  détourner  de  nous  les  maux  qui  nous  menacent. 

Enfin  il  reste  avec  nous  dans  notre  exil  comme  le  doux  consola- 
teur de  nos  peines,  comme  le  cher  compagnon  de  notre  pèleri- 
nage, comme  le  plus  parfait  des  amis  auprès  de  ses  amis. 

Nous  ne  pouvons  refuser  nos  visites  à  Dieu  qui  daigne  les 
attendre  et  les  réclame  à  tant  de  titres.  —  Visites  d'honneur, 
de  piété,  de  devoir,  que  des  enfants  ne  sauraient  refuser  à  leur 
père,  ni  des  courtisans  à  leur  souverain.  Ibo  ad  Paireniy  dit  l'en- 
fant prodigue  dès  qu'il  se  reconnaît  :  «  J'irai  trouver  mon  père  ^.  » 

i.  Mnllh.,  XXIII,  6. 

2.  Ecr.e  ego  vobiscum  sum  omnibus  diebus,  usque  ad  consummationem 
saeculi.  (Matth.,  xxviii,  20.) 

3.  rMC.,\v,  18. 


DES   VISITES  AU  SAINT   SACREMENT   ET  AUTRES  ACTES  DE   DÉVOTION.  831 

Obsecro,  ut  videam  faciem  régis,  dit  Absalon,  cet  autre  fils 
rebelle,  dès  qu'il  sent  les  rigueurs  de  son  exil  :  «  Je  vous  en  prie, 
«  que  je  puisse  voir  mon  roi  '.  »  Et  David  s'écriait  :  Adoyxibo  ad 
templum  sanctum  tmcm  :  v  J'irai,  Seigneur,  vous  adorer  dans 
«  votre  saint  temple  ~.  » 

Visites  d'intérêt  et  de  nécessité,  conformément  au  dessein  du 
Sauveur  pourtant  de  maux  qui  nous  pressent,  pour  tant  de  biens 
qui  nous  manquent;  pour  obtenir  ceux-ci  et  détourner  ceux-là. 
Venite  ad  me  omnes  qui  laboratis,  nous  dit  le  Sauveur  lui-même: 
«  Venez  à  moi,  vous  tous  qui  prenez  de  la  peine,  »  qui  êtes  travaillés 
par  l'épreuve  et  par  la  souffrance,  «  et  je  vous  soulagerai  ^.  »  Et 
n'est-ce  pas  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  qu'il  est  vrai  de  dire:  «  0 
«  lumière  de  nos  yeux  et  consolation  de  notre  vie,  ayant  tout  en 
«  vous  seul,  nous  ne  devions  pas  nous  éloigner  de  vous  ^.  » 

Visites  de  charité  pour  l'intérêt  du  prochain,  pour  les  personnes 
dont  les  dangers  et  les  besoins,  soit  spirituels,  soit  temporels,  nous 
doivent  toucher.  Car  notre  divin  Sauveur  étant  si  près  de  nous,  ne 
semble-t-il  pas  que  nos  frères  dans  la  peine  ou  le  danger  nous 
disent,  comme  autrefois  à  Jonas,  le  pilote  du  vaisseau  qui  le  por- 
tait :  «  Lève-toi,  invoque  ton  Dieu,  et  peut-être  que  ce  Dieu  songera 
«  à  nous  et  que  nous  ne  périrons  pas  '^.  » 

Visites  de  confiance  et  d'amitié.  Car  qui  voit-on,  si  l'on  ne  voit 
pas  ses  amis?  Où  se  console-t-on,  si  ce  n'est  auprès  de  ses  amis? 
Quelle  marque  plus  ordinaire,  entre  personnes  qui  doivent  être 
unies,  ou  que  l'on  ne  s'aime  point,  ou  que  l'on  est  très  indifférent, 
ou  que  l'on  est  ennemi,  que  de  ne  jamais  se  voir,  jamais  se  parler? 
Et  si  parfois  il  en  est  ainsi  entre  les  hommes,  une  telle  conduite 
envers  Jésus  dans  son  divin  sacrement  est-elle  possible  ? 

L'auteur  inspiré  du  livre  de  l'Ecclésiastique  assure  que  rien  n'est 
comparable  à  un  ami  fidèle  ^',  et  proclame  heureux  celui  qui  a 
trouvé  un  ami  véritable  '.  Où  est  cet  ami  incomparable,  ce  véritable 
ami,  si  ce  n'est  dans  le  saint  tabernacle,  où  Jésus  demeure  pour  ne 
pas  cesser  d'être  au  milieu  de  nous?  Il  est  pour  nous  cet  ami  an- 

i.  //.  Heg.,  xiv,  îî-i.  —  2.  Ps.  v,  8.  —  3.  Mallh.,  xi,  28. 

4.  Lumen  oculorum  nostrorum,  solatium  vita'  nos(ra>,  omnia  siniul  in  le 
uno  hal)entes,  te  non  debuimus  dirniltere.  {Toù.,  x,  4,  li.) 

y.  Suriîe,  invoca  Doum  luuin,  si  forte  recogitct  Deus  de  nohis,  et  non  pc- 
reamus.  (Jon.,  i,  (5.) 

6.  Ainico  fidcii  nuUa  est  comparatio.  [Eccli.,  vi,  1!J.) 

7.  Bealus  qui  Invenil  ainicum  vcrum.  (/</.,  xxiii,  \-2.)     . 


S^Û       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II"'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  ClIAP.   XVIIl. 

cien  que  le  Sage  recommande  de  ne  pas  négliger  *  ;  cet  ami  de 
qui  dépend  notre  salut  et  que  nous  devons  nous  garder  de  blesser 
en  lui  manquant  d'égards  -.  Car  s'il  se  fait  petit  dans  son  adorable 
sacrement,  il  y  conserve  néanmoins  toute  sa  grandeur  qu'il  con- 
sent à  voiler  uniquement  dans  notre  intérêt  et  par  amour  pour  nous. 

L'Ecclésiastique  dit  encore  :  a  Quand  même  il  m'arriverait 
«  quelque  mal  par  un  ami,  je  le  soufirirais  patiemment  3.  »  L'au- 
teur sacré  parle  d'un  ami  changeant,  en  qui  cependant  il  respec- 
terait encore  jusqu'à  l'ombre  de  l'amitié.  L'amitié  de  Jésus  n'a 
rien  de  ces  inconstances.  S'il  arrive  donc  qu'il  semble,  en  certaines 
rencontres,  s'être  retiré  de  nous;  si,  lorsque  la  barque  qui  nous 
porte  est  secouée  par  la  lenipêle,  il  semble  dormir;  si,  lorsque  les 
maux  nous  pressent,  il  semble  moins  les  guérir  que  les  causer, 
souvenons-nous  du  mot  de  l'Ecclésiastique,  et  ne  négligeons  pas 
celui  qui  aime  encore,  celui  qui  aime  surtout  ceux  qu'il  éprouve. 
Lorsqu'il  veut  ou  permet  que  nous  soyons  en  proie  à  la  douleur, 
c'est  un  bon  père  qui  corrige  ;  c'est  un  maître  expérimenté  qui 
redresse;  c'est  un  ami  qui  réveille  l'indolence;  c'est  un  médecin 
qui  incise  la  chair  pour  expulser  un  sang  gâté  ou  des  humeurs 
pernicieuses  ;  c'est  un  sage  dispensateur  du  mal  comme  du  bien, 
qui  sait  faire  tourner  à  notre  avantage  ce  qui  semble  nous  être  le 
plus  contraire. 

N'interrompons  donc  pas,  dans  ces  occasions,  les  relations  de  l'a- 
mitié. Si  la  nature  réclame,  si  la  chair  murmure,  si  les  sens  ré- 
sistent, imposons  leur  silence,  et  que  le  mal  nous  fasse  recourir 
au  remède.  Ne  laissons  pas  .Jésus  isolé  dans  son  saint  tabernacle, 
et  loin  de  négliger  les  visites  que  nous  avons  coutume  de  lui  faire, 
multiplions-les  au  contraire,  et  efforçons-nous  de  les  rendre  plus 
ferventes.  Quoi  que  notre  divin  Jésus  veuille,  quoi  qu'il  fasse,  quoi 
qu'il  permette,  souffrons-le  de  bon  cœur;  si  parfois  nous  sentons 
nos  forces  défaillir,  c'est  à  lui  qu'il  faut  nous  plaindre  ;  prosternés 
au  moins  par  l'esprit  au  pied  de  ses  autels,  implorons  son  aide 
pour  moins  souffrir,  ou,  mieux  encore,  pour  souffrir  avec  plus  de 
résignation  en  union  avec  lui  ^*. 

\.  Ne  derelinquas  amicum  antiquum.  {M.,  ix,  14.) 

2.  Amicum  salutarc  non  confundar.  {Ici.,  xxii,  31.) 

3.  El  si  mala  mihi  evenirent  pcr  illum,  sustinebo.  {Id.,  ibid.) 

4.  Voir  Hugues  Morot,  S.  J.,  Pratique  de  la  dévotion  au  Très  Saint  Sacre- 
ment, W-  p.,  art.  1. 


i 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DEVOTION.  833 

S.  Alphonse  de  Liguori  déclare  que  parmi  toutes  les  dévotions, 
après  la  sainte  communion,  il  n'en  est  point  de  plus  agréable  à 
Dieu,  et  de  plus  avantageuse  pour  nous,  que  les  fréquentes  visites 
rendues  à  Jésus-Christ  présent  sur  nos  autels.  «  Soyez  donc  em- 
«  pressées,  dit-il,  âmes  chrétiennes,  à  suivre  cette  sainte  pratique. 
«  Détachez- vous  de  la  compagnie  des  hommes,  pour  aller  goù- 
€  ter  les  douceurs  ineffables  de  la  compagnie  de  votre  adorable  Sau- 
«  veur:  Gustate  et  videte  quoniam  suavis  est  Dominus.  Soyez 
<r  assurées  que  le  temps  que  vous  consacrerez  à  demeurer  en  pré- 
«  sence  de  ce  divin  sacrement  vous  procurera  les  plus  grands 
«  avantages  durant  votre  vie  et  la  plus  douce  consolation  à  la 
«  mort.  Dieu  exauce  les  prières  partout  ;  mais  c'est  surtout  au  pied 
«  de  ses  autels  qu'il  les  récompense  le  plus  abondamment.  » 

«  Mais  pour  faire  ces  visites  avec  plus  de  fruit,  dit  encore  le 
€  même  saint  docteur,  et  pour  exciter  de  plus  en  plus  votre  ferveur, 
«  il  convient  d'avoir  dans  chaque  visite  une  intention  spéciale  qui 
«  fixe  votre  esprit  et  anime  votre  cœur.  Dans  cette  vue,  considérez 
«  Jésus-Christ  tantôt  comme  votre  Dieu,  tantôt  comme  votre  Sau- 
«  veur,  tantôt  comme  votre  tendre  Père  i.  » 

Le  P.  Vaubert,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  pose  cette  question  : 
Avec  quelles  dispositions  faut-il  venir  visiter  Notre-Seigneur  et 
s'entretenir  avec  lui?  Voici  sa  réponse  -. 

«  La  première  est  une  foi  vive  en  sa  présence  dans  l'Eucharistie. 
Si  vous  êtes  bien  persuadé  que  Notre-Seigneur  est  effectivement 
sur  l'autel  devant  lequel  vous  paraissez,  vous  ne  manquerez  jamais 
de  respect  et  de  dévotion  dans  les  églises.  Vous  y  entrerez  saisi 
d'une  sainte  frayeur;  vous  y  demeurerez  dans  ces  postures  respec- 
tueuses dans  lesquelles  les  anges  paraissent  devant  le  trône  du 
Tout-Puissant. 

«  Mais  après  tout,  ce  respect  ne  doit  point  diminuer  notre  con- 
fiance. S'il  n'y  a  rien  de  plus  terrible  que  la  majesté  de  Dieu,  il 
n'y  a  rien  de  plus  engageant  que  sa  bonté.  Si  Jésus-Christ  avait 
prétendu  nous  faire  trembler,  il  n'aurait  pas  caché  aussi  absolu- 

1.  Pratique  pour  les  visites  au  Saint  Sacrement. 

S.  Alphonse  de  Liguori  a  laissé  plusieurs  opuscules  pour  faciliter  aux  fidèles 
raccomplissement  de  ce  pieux  devoir  envers  Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  Ils 
sont  très  répandus.  Nous  croyons  donc  peu  utile  de  les  reproduire  ici  et  nous 
y  renvoyons  le  lecteur. 

2.  La  dévotion  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie,  111=  part., 
chap.  II. 

L\   SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  53 


834       LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II'  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

ment  qu'il  a  fait  dans  ce  mystère  tout  l'éclat  dont  il  brille.  Venez 
donc  lui  ouvrir  confidemment  votre  cœur  ;  c'est  la  seconde  chose 
qu'il  demande  de  vous.  Songez  qu'il  est  votre  Père,  qu'il  est  le 
meilleur  de  vos  amis  et  que  vous  ne  sauriez  lui  faire  plus  de  plaisir 
que  de  traiter  librement  avec  lui.  Fussiez-vous  un  pécheur,  un 
pauvre  méprisé  de  tout  le  monde  ;  ne  fussiez-vous  qu'un  enfant,  un 
homme  simple  et  grossier,  il  vous  recevra  avec  la  tendresse  de  la 
plus  passionnée  de  toutes  les  mères.  Il  invite  à  le  venir  voir  tout 
le  monde  sans  distinction:  Venite  ad  me,  omnes  '.  Il  déclare 
qu'il  est  venu  chercher  les  pécheurs  et  instruire  les  pauvres.  Il 
trouva  mauvais  que  les  apôtres  écartassent  de  lui  les  enfants  ^,  et 
Salomon  nous  apprend  qu'il  s'entretient  volontiers  avec  les  âmes 
simples  :  Et  cum  simplicibus  sermocinatio  ejus  3. 

a  Mais  afin  que  vos  entretiens  avec  Notre-Seigneur  soient  de 
part  et  d'autre  plus  agréables,  à  cette  foi  vive,  à  celte  parfaite  con- 
fiance, ajoutez-y  l'amour. 

«  On  ne  peut  dire  combien  cet  amour  perfectionne  la  foi  et  la 
confiance.  L'amour  divin  est  infiniment  éclairé;  il  découvre  in- 
failliblement son  objet,  quelque  caché  qu'il  soit,  et  jamais  per- 
sonne n'a  manqué  de  confiance  en  parlant  à  un  ami  sûr  et  déclaré. 
Ainsi,  plus  vous  aimerez,  plus  il  vous  sera  aisé  de  reconnaître 
Jésus-Christ  présent  dans  l'Eucharistie;  plus  vous  aimerez,  moins 
vous  serez  embarrassé  quand  il  sera  question  de  l'entretenir. 
Votre  amour  pour  Jésus-Christ  empêchera  les  distractions,  rem- 
plira votre  esprit  de  lumières,  inspirera  de  la  hardiesse  à  votre 
cœur,  et  fournira  abondamment  à  la  conversation.  » 

Sur  quoi  faut-il  entretenir  Notre-Seigneur?  demande  encore  le 
P.  Vaubert. 

«  Il  y  a  des  gens  qui  viennent  devant  le  Saint  Sacrement  réciter 
des  prières  ou  faire  quelque  lecture  :  cela  est  louablo;  mais  il  est 
beaucoup  plus  avantageux,  au  moins  durant  quelqu'une  de  vos 
visites,  de  l'entretenir  cœur  à  cœur,  et  de  lui  parler  comme  si  vous 
le  voyiez  de  vos  yeux.  No  vous  imaginez  pas  que  pour  cela  il  faille 
avoir,  ou  bien  de  l'esprit,  ou  une  grande  capacité.  Ce  ne  sont  pas 
de  beaux  discours  ni  des  pensées  sublimes  que  le  Sauveur  attend 
de  vous.  Parlez- lui  de  vos  affaires,  soit  temporelles,  soit  spiri- 
tuelles ;  parlez-lui  des  affaires  de  votre  prochain,  tant  publiques 

1.  Mriith.,  M,  28,  —  2.  Luc,  wiii,  16.  —  .'5.  Prov.,  m,  82. 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES   DE  DÉVOTION.  835 

que  particulières;  mais  parlez-lui  aussi  de  ce  qui  le  regarde. 
Voilà ,  comme  vous  voyez ,  une  ample  matière  pour  l'entre- 
tenir. 

«  Tout  grand  que  soit  Jésus-Christ,  il  sait  s'accommoder  à  notre 
petitesse;  par  un  excès  de  bonté  qu'on  ne  peut  assez  admirer,  il 
se  plaît  à  nous  entendre  faire  le  détail  de  nos  misères.  La  plupart 
des  hommes  s'ennuient  bientôt,  quand  nous  ne  les  entretenons  que 
de  nos  affaires  et  de  nos  calamités;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de 
Jésus-Glirist.  Quoiqu'il  n'ignore  rien,  il  veut  que  nous  lui  expo- 
sions nos  besoins,  sans  jamais  se  lasser  de  nous  écouter.  Quelque- 
fois, mettez-lui  devant  les  yeux  tout  ce  qui  se  passe  dans  votre  do- 
mestique :  les  chagrins  que  vous  recevez  d'un  mari,  d'une  femme, 
d'un  procès  qu'on  vous  suscite,  d'une  maladie  qui  vous  tour- 
mente, de  la  pauvreté  et  de  l'abandon  où  vous  gémissez.  D'autres 
fois,  entretenez-le  de  votre  intérieur,  des  péchés  où  vous  retom- 
bez, malgré  toutes  vos  bonnes  résolutions;  découvrez-lui  cette 
méchante  habitude,  ce  violent  penchant  qui  est  la  source  de  tant  de 
maux.  Dites-lui,  avec  ce  lépreux  de  l'Évangile  :  «  Seigneur,  si 
«  vous  voulez,  vous  pouvez  me  guérir  K  »  Dites-lui  avec  les  sœurs 
de  Lazare  :  <r  Celui  que  vous  aimez.  Seigneur,  est  grièvement  ma- 
«  lade  ~.  »  Priez-le  encore,  à  l'imitation  de  cet  aveugle  qui  sou- 
haitait de  recouvrer  la  vue  du  corps,  qu'il  vous  ouvre  les  yeux  de 
l'âme  :  Domine,  lit  videam  ^.  Mais  ne  soyez  pas  tellement  occupé 
de  vos  [intérêts  que  vous  ne  pensiez  à  ceux  du  prochain.  Comme 
le  Sacré  Cœur  de  Jésus-Christ  brûle,  dans  l'Eucharistie,  d'un 
amour  inexplicable  pour  tous  les  hommes,  rien  n'est  plus  de  son 
goût  que  les  requêtes  qu'on  lui  présente  en  faveur  de  tous  les  mi- 
sérables. Priez-le  pour  les  pécheurs  que  le  démon  opprime  sous 
une  cruelle  tyrannie;  priez-le  pour  les  infidèles  qui  sont  encore 
ensevelis  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie;  priez-le  pour  les  âmes 
du  purgatoire,  surtout  pour  celles  qui  sont  les  plus  abandonnées. 
Je  ne  parle  point  ici  de  vos  parents  ni  de  vos  amis,  car  je  ne  crois 
pas  qu'il  soit  nécessaire  de  vous  en  faire  ressouvenir.  Au  reste,  ne 
craignez  pas  de  rien  perdre  en  sollicitant  pour  les  autres.  Je  ne 
sais  pas  s'il  y  a  un  moyen  plus  efficace  pour  participer  aux  libé- 
ralités de  Jésus-Christ,  que  de  le  presser  de  les  répandre  sur  le 

1.  Domine,  si  vis,  potes  me  mundare.  {Malth.,  vin,  !2.) 

2.  Uomine,  ecce  quem  amas  intirniatur.  [Joon.,  xi,  3.) 
■).  Lu»-.,  xviii,  îl. 


S36        LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

prochain.  Un  procédé  si  charitable  lui  ouvre  le  cœur  et  la  main, 
pour  nous  combler  de  grâces  et  de  bénédictions. 

«  Enfin  ne  l'oubliez  pas  lui-même;  parlez-lui  de  ses  affaires; 
réjouissez-vous  avec  lui  des  conquêtes  que  fait  tous  les  jours  la 
foi  dans  les  pa3^s  idolâtres;  compatissez  aux  offenses  que  l'on  com- 
met contre  lui,  priez-le  de  prendre  en  main  sa  propre  cause  pour 
dissiper  les  ennemis  de  sa  gloire  :  Exurgat  Deus  et  dissipen- 
tur  inimici  ejus,  et  fugiant  qui  oderunt  eum  a  facie  ejus  '.  » 
S.  Augustin  disait  :  Ama  et  fac  quod  vis  :  «  Aimez  et  faites 
€  ce  que  vous  voulez.  »  On  peut  adopter  cette  maxime  pour  règle, 
lorsqu'il  s'agit  de  déterminer  le  nombre  des  visites  que  l'on  doit 
faire  au  Très  Saint  Sacrement  et  le  tenips  qu'il  faut  y  accorder. 
Les  âmes  embrasées  d'amour  pour  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
sont  des  aigles  au  vol  rapide,  qui  s'ébncent  avec  impétuosité  vers 
son  corps  adorable,  et  l'on  ne  doit  pas  s'étonner  que  les  saints 
aient  passé  au  pied  de  l'autel  tous  les  instants  du  jour  et  de  la 
nuit,  dont  des  occupations  indispensables  et  la  sainte  obéissance 
leur  laissaient  la  libre  disposition.  C'est  un  fait  d'expérience  que 
les  personnes  fidèles  à  visiter  souvent  le  Très  Saint  Sacrement 
doivent  à  cette  pieuse  pratique  des  grâces  abondantes  et  un  avan- 
cement rapide  dans  la  voie  de  la  perfection.  Un  des  grands  avan- 
tages de  la  vie  de  communauté  religieuse  est  la  facilité  qu'elle 
donne  de  rendre  ainsi  de  fréquentes  visites  à  Notre-Seigneur  pré- 
sent   dans  le  tabernacle.  Ceux  qui  vivent  au  milieu  du   siècle 
doivent  faire  au  moins  ce  qu'ils  peuvent,   et  s'unir  d'intention 
avec  les  saintes  âmes  dont  un  si  grand  nombre  sont,  à  chaque  ins- 
tant du  jour  et  de  la  nviit,  prosternés  en  présence  du  Seigneur. 

Mais  s'il  convient  que  chaque  jour,  autant  que  possible,  et 
même  plusieurs  fois  par  jour,  un  chrétien  qui  aime  Jésus-Christ 
et  désire  sincèrement  l'honorer  et  lui  témoigner  son  amour,  le 
visite  dans  quelqu'une  des  églises  où  il  réside  par  amour  pour 
nous,  certaines  circonstances  font  de  cet  acte  de  dévotion  une 
obligation  plus  étroite.  Lorsque,  pour  quelque  raison  grave,  le 
Très  Saint  Sacrement  est  solennellement  exposé  aux  adorations 
des  fidèles,  par  exemple  aux  prières  de  quarante  heures,  et  dans 
d'autres  circonstances  analogues,  on  serait  inexcusable  si,  sans 
motif  sérieux,  on  négligeait  ces  visites,  auxquelles  l'Église  nous 

1.    Ps.  LXVIT,   1. 


â 


DES   VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  ADTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.         837 

invite  de  la  manière  la  plus  pressante,  par  le  fait  même  de  la  per- 
mission qu'elle  a  donnée  d'exposer  ainsi  la  Sainte  Eucharistie  aux  re- 
gards de  tous,  pendant  des  journées  et  des  nuits  entières.  Il  est  vrai 
qu'il  n'y  a  pas  d'obligation  proprement  dite,  mais  pour  quiconque  ne 
compte  pas  de  trop  près  avec  Dieu,  pour  tout  cœur  qui  n'est  pas 
étranger  à  tout  sentimentde  dévotion,  il  n'est  pas  nécessaire  d'un 
commandement  exprès,  et  c'est  assez  que  .Jésus-Christ  fasse  con- 
naître, par  l'intermédiaire  de  sa  sainte  Église,  le  désir  qu'il  a  de 
donner  une  audience  plus  solennelle  à  ses  enfants.  Lorsqu'il  vient 
ainsi,  les  mains  pleines  de  grâces,  et  prêt  à  les  répandre  sur  ceux 
qui  se  présenteront  devant  lui ,  ne  serait-ce  pas  lui  manquer  d'égard 
et,  en  quelque  manière,  l'outrager  que  de  n'aller  pas  à  lui  ?  On 
imiterait  le  condamnable  exemple  de  ces  invités  dont  parle  l'Évan- 
gile, qui,  retenus  par  leurs  intérêts  ou  leurs  plaisirs,  refusèrent 
de  participer  au  festin  que  leur  roi  leur  avait  préparé. 

Ajoutons  que  des  indulgences  précieuses  autant  qu'abondantes 
sont  attachées  aux  visites  faites  au  Très  Saint  Sacrement  et  à  une 
multitude  de  formules  de  prières  que  l'on  trouve  dans  les  ma- 
nuels de  piété,  et  que  l'on  peut  dire  en  cette  circonstance. 

C'est  assez  pour  montrer  combien  il  importe  aux  personnes 
véritablement  désireuses  d'avancer  dans  la  perfection  et  d'assu- 
rer le  salut  de  leur  àme,  de  ne  pas  négliger  la  sainte  pratique  de 
visiter  Notre-Seigneur  présent  au  Très  Saint  Sacrement.  Allons 
souvent  le  voir  dans  les  demeures  qu'il  daigne  habiter  parmi 
nous,  et  tenons  pour  certain  que  nous  le  verrons  éternellment 
dans  sa  demeure  du  ciel.  Familiers  de  sa  maison  ici-bas,  nous 
n'aurons  pas  à  craindre  que  la  porte  de  son  palaisglorieux  demeure 
fermée  pour  nous. 

II. 

QUELQUES  ASPIRATIONS  AFFECTUEUSES  DE  S.  ALPHONSE  DE  LIGUORI 
QUI  PEUVENT  SERVIR  DE  PRÉPARATION  POUR  LA  SAINTE  COMMUNION, 
d'exercice  pour  la  sainte  MESSE  ET  d'eNTRETIEN  DEVANT  LE  TRÈS 
SAINT    SACREMENT. 

1.  —  Première  aspiration. 

Egredimini,  et  videte,  filiœ  Sion,  regem  Salomonem  in  diademate  quo  coro- 
Bavit  illum  mater  sua  in  die  desponsationis  illius.  [Cant.,  m,  II.) 

0  /nies  de  la  grâce,  âmes  qui  aimez  le  Seigneur!  sortez  des  ténèbres  de  la 


838       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

terre,  et  considérez  votre  roi  Jésus  avec  la  couronne  d'épines  sur  la  tête;  cou- 
ronne de  mépris  et  de  dotileur,  dont  le  couronna  l'impie  Synagogue,  qui  devait 
être  sa  mère  au  jour  de  ses  noces  sacrées,  c'est-à-dire  au  jour  de  sa  mort,  par 
le  moyen  de  laquelle  il  daigne  épouser  et  s'unir  à  nos  âmes  sur  la  croix  ;  sortez 
de  nouveau  pour  le  voir  encore  tout  rempli  d'amour  et  de  honte,  maintenant 
qu'il  vient  pour  s'unir  à  vous  dans  ce  sacrement  d'amour. 

0  mon  bien-aimé  Jésus  !  il  devait  donc  tant  vous  en  coûter 
pour  former  une  si  douce  union  avec  nos  âmes  dans  votre  aimable 
Sacrement!  Il  vous  a  fallu  d'abord  souffrir  une  mort  si  doulou- 
reuse et  si  ignominieuse  !  Gomment  pourrais-je  être  insensible  à 
tant  d'empressement  de  votre  part  ?  Ah  !  venez,  venez  vous  unir 
encore  à  mon  âme  par  votre  présence  réelle,  ou,  si  j'en  suis  très 
indigne,  faites-le  du  moins  par  les  précieux  effets  de  votre  bonté. 
Il  est  vrai  que  j'ai  été  trop  longtemps  votre  ennemi  par  mes  péchés: 
mais  maintenant  vous  voulez  rendre  mon  ûme  votre  épouse  par 
votre  grâce.  Venez  donc,  ô  Jésus,  divin  époux  de  nos  âmes!  non, 
je  ne  veux  plus  vous  trahir,  je  veux  vous  être  toujours  de  plus  en 
plus  fidèle.  Telle  qu'une  chaste  épouse,  je  ne  veux  penser  qu'à 
vous  plaire,  je  veux  vous  aimer  sans  réserve,  je  veux  être  tout  à 
vous,  ô  mon  Jésus  !  oui,  tout  à  vous. 

II.  —  Deuxième  aspiration. 

Sentite  de  Domino  in  bonitate.  (Sap.,  i,  1.) 

Prenez  des  sentiments  dignes  du  Seigneur,  au  sujet  de  sa  bonté. 

0  mon  âme  !  pourquoi  es-tu  si  timide  et  si  pusillanime  à  la  vue 
de  la  bonté  et  de  l'amour  infini  de  ton  Seigneur?  Pourquoi 
manques-tu  de  confiance,  maintenant  que  Jésus-Christ  veut  bien 
te  rendre  digne  de  le  recevoir?  Conçois  donc  des  sentiments  de 
confiance  qui  répondent  à  cette  immense  bonté  d'un  Dieu  qui  se 
donne  tout  entier  à  toi.  Il  est  vrai  que  ses  jugements  sont  terribles: 
mais  c'est  pour  les  orgueilleux  et  pour  les  obstinés  qu'ils  sont  ter- 
ribles :  quant  aux  pécheurs  humbles  et  pénitents,  qui  désirent  de 
l'aimer  et  de  lui  plaire,  ses  jugements  ne  sont  que  miséricorde  et 
qu'amour,  sortant  d'un  cœur  plein  de  compassion  et  de  tendresse. 
Ils  sont  tels  que  David,  considérant  ces  jugements  de  Dieu,  sura- 
bondait de  confiance  :  Injudiciis  tuis  supersperavi  (Psal.  cxviii, 
43),  et  qu'il  sentait  la  joie  et  la  consolation  se  répandre  dans  son 
cœur.  Memor  fui  judiciorum  tuorum  et  consolatus  sum.  (Ibid., 
52.) 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET   AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  839 

Ah  !  oui,  il  est  plein  d'amour  et  de  bonté,  ce  grand  Dieu,  en- 
vers rame  qui  le  cherche  avec  amour.  «  Bonus  est  Dominus 
animœ  quœrenti  illum.  »  iThren.,  m,  25.)  Qu'il  est  bon,  s'écrie 
encore  David,  le  Dieu  d'Israël,  à  ceux  qui  ont  le  cœur  droit  et  qui 
s'efforcent  de  conformer  leur  volonté  à  la  sienne  !  Quam  bonus 
Israël  Deus  his  qui  recto  sunt  corde.  {Psal.  lxxii,  1.)  Mon  Dieu, 
mon  espérance,  mon  tout,  je  ne  veux  que  vous  :  je  ne  veux  que 
vous  aimer,  que  vous  plaire,  et  faire  en  tout  votre  sainte  volonté. 
Faites  que  je  vous  trouve  partout  ;  faites  que  je  suive  toujours  votre 
bon  plaisir  et  que  je  ne  vous  quitte  jamais  plus.  Fiat,  fiât! 

Ainsi  soit-il. 

m.  —  Troisième  aspiration. 

Ad  ubera  portabimini.  (Isaï.,  lxvi,  ^2.) 

Vous  serez  comme  des  enfants  qu'on  porte  à  la  mamelle. 

C'est  particulièrement  dans  le  divin  sacrement  de  l'autel  que 
Jésus  fait  cette  touchante  promesse  et  cette  douce  invitation  à  nos 
âmes.  Venez,  leur  dit-il,  sucer  le  lait  divin  que  je  vous  donne  en 
ce  sacrement,  en  vous  donnant  mon  sang  précieux  à  boire  et  mon 
corps  à  manger.  Quel  pasteur,  demande  S.  Jean  Ghrysostome,  nourrit 
jamais  ses  brebis  de  son  sang?  Les  mères,  même  les  plus  tendres, 
donnent  souvent  leurs  enfants  à  des  nourrices  étrangères;  mais 
vous,  divin  Pasteur,  plein  d'amour  pour  les  âmes,  vous  voulez  les 
nourrir  de  votre  sang  même. 

0  mon  bien-aimé  Jésus  !  puisque  vous  êtes  disposé  à  me  nourrir 
aujourd'hui,  si  j'y  suis  disposé  moi-même,  de  votre  sang  précieux 
que  vous  me  présentez  avec  votre  cœur  dans  la  sainte  commu- 
nion, il  est  bien  juste  que  je  renonce  de  bon  cœur  à  toutes  les  dé- 
lices et  à  toutes  les  satisfactions  que  le  monde  peut  me  donner. 
Oui,  Seigneur,  j'y  renonce,  et  je  vous  les  sacrifie  toutes.  Je  pro- 
teste que  j'aime  mieux  souffrir  tous  les  maux,  uni  à  vous,  que  de 
jouir  (le  tous  les  biens,  séparé  de  vous.  Je  ne  veux  plus  chercher 
d'autre  contentement  que  le  vôtre,  que  votre  bon  plaisir,  puisque 
vous  seul  méritez  que  toutes  les  créatures  vous  contentent  ;i  quelque 
prix  que  ce  soit.  Donnez-moi  la  seule  chose  que  je  vous  demande, 
votre  amour  et  votre  grâce,  cela  me  suffit  et  je  suis  content: 
Amon'ui  lui  solum  eu  m  (jratia  tua  m  Un  doues,  et  dives  suni 
salis. 


840       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVHI. 

IV.  —  Quatrième  aspiration. 

Apparuit  benignitas  et  humanités  Salvatoris  nostri  Dei.  [Tit.,  m,  4.) 
La  douceur  et  la  bonté  du  Sauveur  notre  Dieu  s'est  montrée. 

S.  Paul  dit  que  Dieu,  en  se  faisant  homme,  a  fait  paraître  dans 
le  monde  jusqu'à  quel  point  allait  sa  bonté  pour  nous;  mais  en  se 
mettant  dans  le  sacrement  de  nos  autels,  il  fait  voir  jusqu'où  va 
la  tendresse  de  son  amour  pour  les  âmes.  Ne  semble-t-il  pas, 
s'écrie  S.  Augustin,  que  ce  soit  la  pousser  jusqu'à  l'excès,  que  de 
nous  dire  :  Mangez  ma  chair  et  buvez  mon  sang  :  Nonne  insania 
videtur  dicere:  Manducate  meam  carnem,  bibite  meum  san- 
guinem  ?  C'est  cependant  ce  qu'a  fait  notre  divin  Sauveur  en  cette 
nuit  si  douloureuse  pour  lui,  et  si  heureuse  pour  nous,  quand  il 
dit  :  Accipite  etcomedite,  hoc  est  corpusmeum.  (I  Cor.,  xi,  24.) 
«  Prenez  et  mangez  ;  ceci  est  mon  corps.  »  0  hommes  !  semble-t-il 
nous  dire,  pour  faire  comprendre  combien  je  vous  aime,  je  veux 
que  vous  vous  nourrissiez  de  ma  propre  chair.  0  sainte  foi  !  hé  ! 
qui  jamais  aurait  pu  porter  ses  désirs  jusqu'à  cette  incompréhen- 
sible faveur?  Qui  même  aurait  pu  en  concevoir  l'idée,  si  Jésus- 
Christ  n'eût  inventé  et  exécuté  ce  dessein  de  son  amour?  Quelques- 
uns  d'entre  les  disciples  du  Sauveur  l'ayant  appris  de  sa  bouche, 
c'est-à-dire  ayant  entendu  dire  qu'il  voulait  leur  donner  son 
corps  à  manger,  s'écrièrent  que  c'était  une  chose  trop  difficile  à 
concevoir;  et  qu'ils  ne  pouvaient  l'entendre,  tellement  qu'ils  se 
séparèrent  de  lui  :  Durus  est  hic  sermo,  et  quispotest  eum  audire? 
[Joan.,  VI,  Gl.)  0  prodige  d'amour  vraiment  inconcevable!  non,  ce 
n'est  pas  le  miracle  de  sa  puissance  qui  m'étonne,  c'est  celui  de  sa 
bonté  ;  et  cependant  il  est  de  foi  ;  c'est  la  vérité  même  que  la  chose 
est  ainsi. 

Et,  pour  tout  ce  que  l'amour  de  Jésus  a  fait  pour  nous,  que  nous 
demande-t-il  autre  chose,  sinon  que  nous  l'aimions,  comme  le  Sei- 
gneur le  fit  entendre  autrefois  à  son  peuple  :  Et  nunc,  Israël,  quid 
Dominus  tuus  petit  a  te....  nisi  ut  diligas  eum  ?  (Deut.,  x,  12.) 

0  mon  Jésus  si  rempli  d'amour!  quels  dons,  quelles  magnifiques 
promesses  ne  faites-vous  pas  à  ceux  qui  vous  aiment  !  Vous  leur 
promettez  votre  amour.  J'aime  ceux  qui  m'aiment,  dites-vous  :  Ego 
diligentes  me  diligo.  {Prov.,  viii,  17.)  Vous  leur  promettez  le 
retour  de  toute  votre  tendresse,  quoiqu'ils  vous  aient  autrefois  in- 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  841 

dignement  abandonné:  Convertimini  ad  me....  et  convertar  ad 
vos.  'Zach..  I,  3.)  Vous  leur  promettez  de  venir,  avec  votre  Père 
céleste  et  l'Esprit  saint,  faire  votre  demeure  dans  leur  àme.  Ad 
eum  veniemus,  et  apud  eum  mansionem  faciemus.  [Joan.,  xiv, 
23.)  Hé!  que  pouvez- vous  donc,  Seigneur,  promettre  et  donner 
de  plus,  pour  engager  les  hommes  à  vous  aimer?  0  mon  aimable 
Sauveur  !  je  vous  entends,  vous  voulez  particulièremi^nt  être  aimé 
de  moi.  C'en  est  fait,  oui,  Seigneur,  je  vous  aime  de  tout  mon 
cœur  ;  et  si  je  ne  vous  aime  pas  encore  bien,  enseigne/-moi  à  vous 
aimer  avec  toute  l'ardeur  possible  :  Da  quod  jubés,  et  jubé  quod 
vis.  Donnez-moi  l'amour  que  vous  me  commandez,  ensuite  com- 
mandez-moi ce  que  vous  voudrez. 

V.  —  Cinquième  aspiration. 

Trahe  me  post  te  :  curremus  in  odorem  unguentorum  tuoriim   (Cant.,  i,  3.) 
Attirez-moi  après  vous  ;  nous  courrotis  à  l'odeur  de  vos  parfums. 

Vous  savez,  ô  divin  Jésus  !  que  je  ne  puis  de  moi-m  niem'élever 
à  vous,  tant  que  je  suis  dans  cette  vie,  et  vous  av(  --^  voulu  des- 
cendre à  moi  pour  m'unir  à  vous  dans  ce  sacremi  nt  d'amour. 
Attirez-moi  donc,  Seigneur,  tout  à  vous,  afin  que  vos  d  ss.-'ins  soient 
remplis.  Je  ne  veux  pas  vous  attirer  à  moi,  pour  qu  •  vous  m'ac- 
cordiez vos  satisfactions;  mais  je  souhaite  ardemm  it  que  vous 
m'attiriez  à  vous  par  les  doux  attraits  de  votre  gràc  .  nfin  que  je 
ne  désire  ni  ne  fasse  autre  chose  que  votre  très  sain  •  volonté.  II 
est  bien  juste  que  toutes  mes  inclinations  cèdent  à  v«-  .siintes  dis- 
positions. Unissez-moi  donc  tout  à  vous,  et  par  c('ie  heureuse 
union,  étant  dégagé  de  toutes  les  affections  terrestr-  -,  je  courrai 
dans  la  voie  des  saintes  vertus,  pour  parvenir  à  me  eposer  dans 
cette  vie  et  dans  l'autre,  uniquement  en  votre  sa  île  volonté, 
source  de  la  vraie  paix.  In  pace  in  idipsum  dormia'in  et  requies- 
cam.  ÇPsai.  iv,  9.) 

VI.  —  Sixième  aspiration. 

Dilectus  meus...  totu.s  desiderabilis.  {Cnnl.,  v,  H^.) 
Mon  bien-dimê  est  tout  désirable. 

Jésus,  pour  les  âmes  qui  l'aiment  en  véritables  époi  ses,  se  rend 
toujours  tout  désirable*,  soit  qu'il  leur  fasse  éprouver  ses  rigueurs 


842       LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

OU  ses  consolations,  soit  qu'il  leur  fasse  sentir  sa  présence,  ou 
qu'il  paraisse  s'éloigner,  parce  qu'il  fait  tout  par  amour,  et  pour 
être  aimé.  Traitez-moi  donc,  ô  mon  Jésus  î  comme  il  vous  plaira  ; 
je  vous  aimerai  toujours,  soit  que  vous  employiez  la  douceur  ou 
les  tribulations;  je  sais  que  tout  me  viendra  de  votre  cœur  plein 
d'amour,  et  sera  pour  mon  plus  grand  bien  :  Paratum  cornieum, 
Deus,  paratum  cor  meum.  «  Mon  cœur  est  prêt  à  tout  :  oui, 
Seigneur,  il  est  prêt.  »  (Psal.  lvi,  8.)  Voilà  ma  volonté  prête  à 
embrasser  toutes  les  dispositions  de  votre  providence.  Benedictum 
Dominum  in  omni  tempore.  {Psal.  xxxiii,  2.)  En  tout  temps, 
heureux  ou  fâcheux,  je  veux  également  vous  bénir  et  vous  aimer, 
ô  mon  Créateur.  Je  ne  demande  ni  ne  mérite  aucune  consolation 
de  votre  part,  moi  qui  vous  ai  si  souvent  contristé  par  mes  péchés. 
Je  ne  demande  que  votre  contentement  et  votre  bon  plaisir.  Pourvu 
que  vous  soyez  content,  ô  mon  Jésus  !  je  serai  content  moi-même, 
en  quelque  peine  que  vous  me  laissiez.  Oui,  mon  aimable  Jésus, 
soit  que  vous  soyez  près,  soit  que  vous  soyez  loin,  vous  me  serez 
toujours  désirable,  toujours  cher;  soit  que  vous  me  consoliez,  soit 
que  vous  m'affligiez,  je  veux  toujours  vous  aimer  et  vous  rendre 
grâces  de  tout. 

VII.  —  Septième  aspiration. 

(^uae  est  ista  quae  ascendit  de  deserto,  deliciis  affluens,  innixa  super  dilec- 
tum  suum?  (Cant.,  viii,  U.) 

Quelle  est  celle  qui  s'élève  du  désert,  comhlée  de  délices,  appuyée  sur  son 
bien-aimé  f 

Qui  sont-elles  ces  âmes  qui,  demeurant  sur  la  terre,  la  regardent 
comme  un  désert  ;  qui,  détachées  des  choses  visibles,  ne  vivent 
que  pour  Dieu,  n'aiment  que  lui,  ne  cherchent  à  plaire  qu'à  lui, 
comme  si  elles  ne  voyaient  rien  autre  chose  que  Dieu  ;  et  qui  par 
là  sortent,  pour  ainsi  dire,  de  la  terre,  et  s'élèvent  au-dessus,  jouis- 
sant des  délices  que  goûte  quiconque  ne  veut  que  Dieu,  et  ne  met 
ses  espérances  qu'en  Dieu?  Qui  sont-elles  ces  âmes  heureuses, 
sinon  celles  qui  s'unissent  souvent  et  avec  un  amour  pur  à  Jésus, 
au  saint  sacrement?  Ah  !  Seigneur,  je  désire  être  aussi  moi-môme 
de  ce  nombre,  étant  par  le  secours  de  votre  grâce  entièrement 
détaché  de  tout  le  reste,  et  totalement  à  vous.  Le  monde  désormais 
ne  sera  plus  pour  moi  qu'un  désert,  dans  lequel  j'éviterai  de  m'at- 
tacher  à  aucune  créature,  pour  ne  penser  qu'à  vous  uniquement. 


DES   VISITES  AD  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  843 

comme  s'il  n'y  avait  plus  au  monde  que  vous  et  moi.  C'est  en  vous 
seul  que  je  veux  mettre  toute  ma  confiance,  tout  mon  amour,  ô 
Dieu  !  ô  mon  Dieu,  mon  bien-nimé,  mon  espérance,  mon  amour, 
mon  tout  ! 

VIIL  —  Huitième  aspiration. 

Panis  cor  hominis  confirmet.  [Psal.  cm,  15.) 
Le  pain  fortifie  le  cœur  de  Vhomme. 

Jésus  nous  fait  connaître  que  comme  le  pain  terrestre  conserve 
la  vie  du  corps,  de  même  le  pain  céleste  de  la  sainte  communion 
conserve  la  vie  de  1  ame.  Celui  qui  se  nourrit  de  moi  vivra  pour 
moi  {Joan.,  vi,  58),  nous  dit-il;  et  ailleurs  encore  :  Celui  qui 
mange  ma  chair  et  qui  boit  mofi  sang  demeure  en  moi,  et  moi 
en  lui.  {Ibid.,  55.)  Voilà  les  magnifiques  promesses  que  fait  Jésus 
à  qui  le  reçoit  dans  son  sacrement. 

Ah!  mon  Jésus,  qui  est  plus  fragile  et  plus  infidèle  que  moi? 
Vous  le  savez,  combien  de  fois  je  me  suis  rendu  à  mes  ennemis  ; 
combien  de  fois  ils  se  sont  emparés  des  portes  de  mon  âme,  c'est- 
à-dire  de  ma  volonté,  par  laquelle  ils  sont  entrés  pour  me  perdre 
et  pour  m'enlever  le  précieux  trésor  de  votre  amitié.  Ah!  fortifiez- 
moi,  Seigneur,  par  votre  lumière  et  par  votre  force,  afin  que  je  ne 
sois  plus  assez  malheureux  pour  vous  perdre  et  pour  vous  bannir 
de  mon  cœur.  Si  je  devais  jamais  recommencer  à  vous  off"enser,  ô 
mon  Seigneur  et  Rédempteur,  faites-moi  plutôt  mourir  en  ce  mo- 
ment, où  j'espère  être  dans  votre  sainte  grâce,  et  uni  à  vous  par 
votre  saint  amour.  Je  ne  veux  plus  vivre  sans  vous,  ô  mon  bien- 
aimé  !  mais  je  ne  puis  compter  sur  moi  :  hélas  !  tant  que  je  vivrai, 
je  puis  encore  changer  de  volonté,  et  retourner  à  vous  trahir, 
comme  j'ai  fait  autrefois.  Seigneur,  qui  ne  changez  point,  aidez- 
moi  donc  à  ne  point  changer  moi-même.  Ayez  pitié  de  moi,  très 
sainte  Marie,  vous  qui  êtes  la  Mère  de  la  persévérance  ;  obtenez- 
moi  ce  don  précieux  de  votre  Fils  Jésus.  C'est  par  vous  que  je  le 
demande,  c'est  par  votre  intercession  que  je  l'espère  et  que  je 
l'attends. 

IX.  —  Neuvième  aspiration. 

Inveni  quem  diligit  anima  mea;  tenui  eum,  nec  dimiUani.  (Canl.,  m,  4.) 
J'ai  trouvé  celuique  mon  cœur  aime;  je  lepossède  et  je  ne  le  laisserai  point  aller. 

Ainsi  doit  parler  toute  âme  qui  a  le  bonheur  d'être  unie  à  Jésus 


844       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —  II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

dans  son  sacrement.  Créatures,  éloignez- vous  de  moi,  sortez  toutes 
de  mon  cœur.  Je  vous  ai  aimées  trop  longtemps,  parce  que  j'étais 
aveugle  ;  maintenant  je  ne  vous  aime  ni  ne  puis  plus  vous  aimer, 
J'ai  trouvé  un  autre  bien  infiniment  plus  aimable  que  vous;  j'ai 
trouvé  en  moi  mon  Jésus,  qui  m'a  gagnée  par  ses  charmes  ;  et  éprise 
de  son  amour,  je  me  suis  donnée  tout  à  lui  ;  il  m'a  acceptée  :  ainsi 
je  ne  suis  plus  à  moi.  Créatures,  je  vous  dis  un  éternel  adieu,  je 
ne  suis  plus  et  ne  serai  plus  à  vous;  je  suis  et  serai  toujours  à 
mon  Jésus  :  il  est  aussi  et  sera  toujours  à  moi.  Je  l'ai  uni  à  mon 
cœur  par  la  sainte  communion,  et,  par  la  suite,  je  le  fixerai  par 
mon  amour,  et  je  ne  le  laisserai  jamais  s'éloigner  de  moi. 

Permettez-moi,  ô  mon  très  aimable  Sauveur!  de  m'attacher 
étroitement  à  vous,  afin  que  je  ne  puisse  plus  jamais  m'en  séparer. 
Souffrez  que  j'ose  embrasser  vos  pieds  sacrés  ;  je  m'y  tiens  lié  par 
toutes  mes  affections,  ô  mon  .Jésus!  je  vous  aime;  oui,  je  vous 
aime,  et  je  voudrais  vous  aimer  autant  que  vous  le  méritez.  Je 
veux  que  tout  mon  repos  et  tout  mon  bonheur  soient  de  vous  aimer 
et  de  vous  plaire.  Commandez  aux  créatures  de  me  laisser  et  de 
ne  pas  troubler  mon  repos  ;  dites-leur  de  ne  point  éveiller  votre 
bien-aimée  :  Neque  evigilare  faciatis  dileclam.  (Cant.,  m,  5.) 
Ah  !  si  je  ne  le  veux  pas,  les  créatures  ne  pourront  jamais  me 
retirer  de  mon  repos  en  vous  ni  m'en  séparer.  Fortifiez  donc  ma 
volonté,  pour  qu'elle  ne  change  point  ;  unissez  mon  misérable  cœur 
à  votre  cœur  divin,  afin  qu'il  veuille  toujours  ce  que  vous  voulez 
vous-même:  faites-le.  Seigneur,  par  vos  mérites,  ainsi  que  je  l'es- 
père. Ainsi  soit-il. 

X.  —  Dixième  aspiration. 

Dominus  régit  me,  et  nihil  mihi  deerit  :  in  loco  pascuee  ibi  me  coUocavit 
(Psal.  xxn,  i.) 

Le  Seigneur  me  conduit  ;  il  m'a  placé  dans  un  milieu  d'abondance,  où  rien 
ne  me  manquera. 

0  mon  aimable  Jésus  !  puisque  vous  m'invitez  à  cette  table  d'a- 
mour pour  me  nourrir  de  votre  chair  divine,  hé  !  qu'est-ce  donc 
qui  pourrait  me  manquer?  Qu'est-ce  que  j'aurai  à  craindre,  puisque 
vous  voulez  bien  être  ma  lumière  et  mon  salut  ?  Dominus  illumi- 
natio  mea  et  satus  mea,  quetn  timebo  ?  (Psal.  xxvi,  1.)  Je  m'a- 
bandonne donc  entièrement  entre  vos  mains,  daignez  me  recevoir, 
et  traitez-moi  ensuite  comme  vous  voudrez;  châtiez-moi,  frappez- 


DES  VISITES  AU  SAINT   SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES   DE  DÉVOTION.  845 

moi,  ôtez-moi  la  vie,  détruisez-moi  ;  je  veux  toujours,  comme  votre 
fidèle  serviteur  Job,  espérer  en  vous  :  Etiara  si  occiderit  me,  m 
ipso  spet^abo.  (Job,  xiii,  15.)  Oui,  quand  vous  me  donneriez  le  coup 
de  la  mort,  j'espérerais  encore  en  vous.  Pourvu  que  je  sois  à  vous, 
et  que  je  vous  aime,  je  suis  content  que  vous  me  traitiez  avec 
toute  la  rigueur  que  vous  voudrez,  je  consens  à  être  détruit,  si 
c'est  votre  bon  plaisir,  pour  votre  gloire. 

XL  —  Onzième  aspiration. 

In  manibus  meis  descripsi  te;  et  mûri  tui  coram  oculis  meis  semper  (/sa., 
XLIX,  16.) 
Je  t'ai  écrit  dana  mes  moins,  et  tes  murs  sont  toujours  devant  mes  yeux. 

Voilà  les  tendres  soins  que  Dieu  prend  d'une  âme  qui  veut  être 
toute  à  lui  ;  il  la  porte  écrite  dans  ses  mains  pour  ne  l'oublier 
jamais  ;  il  assure  qu'une  mère  oubliera  plutôt  son  propre  fils  qu'il 
n'oubliera  l'âme  qui  est  dans  sa  grâce.  Et  si  illa  oblita  fuerit,  ego 
tanien  tion  obliviscar  tui.  «  Et  quand  une  mère  pourrait  oublier 
son  enfant, lui  dit-il, pour  moi  jamais  je  ne  t'oublierai.  n'Ibid.,  15.) 

Il  tient  sans  cesse  ses  yeux  attentifs  à  la  garde  de  cette  âme,  afin 
que  ses  ennemis  ne  puissent  y  entrer  pour  lui  causer  du  dommage. 
La  bonne  volonté  qu'il  a  pour  elle  est  comme  un  bouclier  dont  il 
l'environne  pour  la  mettre  à  couvert  de  tout  danger:  Scuto  bonœ 
voluntatis  tuœ  coronasti  nos.  (Psal.  v,  13.)  Ah  !  mon  Dieu,  bonté 
infinie,  qui  plus  que  personne,  m'aimez  et  désirez  mon  bien,  je 
m'abandonne  tout  à  vous  ;  que  tout  le  reste  me  manque,  j'y  con- 
sens, pourvu  que  vous  ne  m'abandonniez  jamais. 

Je  sais  que  je  dois  coopérer  de  mon  côté  â  suivre  votre  sainte 
volonté  ;  eh  bien  !  Seigneur,  que  voulez-vous  que  je  lasse?  Parlez, 
je  ne  puis  vous  dire  autre  ciiose  :  me  voici  prêt  et  résolu,  ô  mon 
aimable  Sauveur!  à  faire  tout  ce  qu'il  vous  plaira.  Fiat  voluntas 
tua.  Je  n'ai  d'autre  désir  que  d'exécuter  ce  que  vous  voulez.  Mais 
aidez-moi  puissamment,  sans  vous  je  ne  ferai  aucun  bien.  Appre- 
nez-moi non  seulement  à  connaître,  mais  encore  à  faire  en  même 
temps  votre  sainte  volonté.  Faites,  ô  Père  éternel  !  que  je  puisse 
dire  avec  vérité  ce  que  disait  votre  Fils  Jésus  dans  sa  vie  mortelle 
sur  la  terre  :  Je  fais  toujours  tout  ce  qui  platt  à  mon  Père.  0 
mon  Dieu  !  c'est  l'objet  de  mes  désirs,  de  mes  prières,  de  ma  con- 
fiance, par  les  mérites  de  votre  Fils  et  de  sa  sainte  Mère. 


846       LA  SAINTE  EDCHABISTIE.  —  11°  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —   CKAP.  XVIII. 

XII.  —  Douzième  aspiration. 

Prsebe,  fili  mi,  cor  tuum  mihi.  {Prov.,  xxiii,  26.) 
Moti  fils,  donne-moi  ton  cœur. 

Voilà,  ô  mon  àme  !  tout  ce  que  demande  de  toi  le  Seigneur, 
quand  il  vient  te  visiter  :  il  veut  ton  cœur,  ta  volonté.  Il  se  donne 
à  toi  sans  réserve:  il  est  juste  que  tu  te  donnes  aussi  à  lui  sans 
réserve,  uniquement  attentive  à  exécuter  en  toi  toutes  ses  saintes 
volontés.  Fais  en  sorte  que  quand  ton  Jésus  viendra  de  nouveau 
te  visiter,  il  ail  sujet  de  se  complaire  en  voyant  ta  fidélité  à  te  con- 
former à  toutes  ses  dispositions.  Revertetm\...  Dominus,  ut  gau- 
deat  super  te  in  omnibus  bonis.  {Deut.,  xxx,  9.)  Qu'il  ait  à  se 
réjouir,  à  son  retour,  de  tout  le  bien  que  tu  auras  fait.  0  mon  Jésus! 
je  ne  veux  que  vous  plaire,  secondez  et  soutenez  mon  désir  par 
votre  grâce  :  donnez-moi  les  forces,  et  faites  de  moi  selon  votre 
bon  plaisir. 

XIII.  —  Treizième  aspiration. 

Quid  debui  facere  vinese  meœ,  et  non  feci  ?  {Isa.,  v,  i.) 
Quai-je  dû  faire  à  ma  vigne  que  je  n'aie  pas  fait  ? 

Entends,  ô  mon  àme,  les  paroles  que  t'adresse  ton  Dieu  :  Que 
devais-je  faire  de  plus  pour  toi,  que  je  n'aie  fait?  Pour  toi,  je  me 
suis  fait  homme;  pour  toi,  de  Seigneur  je  me  suis  fait  esclave  : 
Formam  servi  accipiens  {Philip.,  ii,  7);  pour  toi,  j'en  suis 
venu  jusqu'à  naître  dans  une  établc  comme  un  vermisseau  :  Ver- 
mis  sum,  et  non  homo  (Psal.  xxi,  7),  jusqu'à  mourir  et  à  mourir 
sur  un  bois  infâme  :  Factus  obediens  usque  ad  mortem,  mortem 
autem  crucis.  (Philip.,  ii,  8.)  Que  pouvais-je  donc  faire  de  plus 
que  de  mourir  pour  toi  ?  Mais  mon  amour  a  imaginé  et  fait  quelque 
chose  de  plus  pour  toi  :  j'ai  voulu,  après  ma  mort,  rester  dans  mon 
sacrement,  pour  me  donner  tout  à  toi  en  forme  de  nourriture.  Dis- 
moi  ce  que  j'ai  pu  faire  de  plus  pour  gagner  ton  amour. 

0  mon  Rédempteur  et  Seigneur  !  ce  que  vous  me  dites  est  trop 
vrai  :  que  vous  répondrai-je?  Ah  !  je  ne  puis  que  me  taire:  oui, 
vous  avez  été  trop  bon  à  mon  égard,  et  j'ai  été  trop  ingrat  envers 
vous.  J'admire  votre  immense  bonté,  je  considère  mon  ingratitude 
et  je  me  jette  à  vos  pieds,  en  disant:  0  mon  Jésus!  ayez  pitié  de 
moi,  qui  ai  payé  votre  amour  de  tant  d'ingratitude.  Vengez-vous, 


1 


DES  VISITES  AU   SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DEVOTION.  o47 

il  est  juste,  vengez-vous  de  moi,  et  chàtiez-moi,  non  pas  en  m'a- 
bandonnant,  mais  en  me  changeant  ;  ne  permettez  pas  que  je  vive 
plus  longtemps  ingrat  envers  vous.  Faites  qu'au  moins,  par  recon- 
naissance, je  vous  aime,  et,  qu'avant  de  mourir,  je  paie  votre 
amour  de  quelque  retour. 

XIV.  —  Quatorzième  aspiration. 

Pone  me  ut  signacuhim  super  cor  tuum.  (Cant.,  viii,  6.) 
Mettez-moi  comme  un  cachet  sur  votre  cœur. 

Oui,  divin  Jésus,  unique  objet  de  mon  amour,  puisque  je  vous 
ai  consacré  mon  cœur,  il  est  juste  que  je  vous  mette  sur  lui  comme 
le  sceau  de  l'amour,  pour  en  fermer  l'entrée  à  toute  autre  affection, 
et  que  par  là  je  fasse  connaître  à  tous  que  mon  cœur  est  à  vous, 
et  que  vous  seul  en  avez  le  domaine.  Mais,  mon  Seigneur,  qu'y 
a-t-il  à  espérer  de  moi,  si  vous  ne  le  faites  avec  moi?  Je  ne  puis 
que  vous  donner  mon  cœur,  afin  que  vous  en  disposiez  à  votre  gré. 
Je  vous  le  donne  donc,  je  vous  le  consacre,  je  vous  le  sacrifie. 
Prenez-en  possession  pour  toujours,  je  ne  veux  plus  rien  en  re- 
prendre ni  retenir.  Si  vous  l'aimez,  sachez  vous  le  conserver.  Oh  !  ne 
le  laissez  plus  à  ma  disposition,  parce  que  je  vous  le  ravirais  de 
nouveau.  0  Dieu  infiniment  aimable  !  ô  amour  infini  !  puisque 
vous  m'avez  obligé  par  tant  d'endroits  à  vous  aimer,  je  vous 
en  conjure,  faites-vous  aimer,  oui,  faites-vous  aimer  de  moi.  Je  ne 
veux  vivre  que  pour  vous  aimer,  et  je  ne  veux  vous  aimer  que 
pour  vous-même  et  pour  votre  bon  plaisir.  Vous  qui  faites  tant  de 
miracles  pour  pouvoir  entrer  dans  mon  cœur  par  ce  sacrement, 
faites  encore  celui-ci  :  faites  que  mon  cœur  soit  tout  à  vous  ;  mais 
sans  partage,  sans  réserve,  sans  changement.  En  sorte  que  je 
puisse  dire  en  cette  vie  et  en  l'autre  que  vous  êtes  l'unique  Sei- 
gneur de  mon  cœur,  et  mon  unique  richesse  :  Deus  cordis  mei, 
et  pars  mea,  Deus  in  œternum  ^ 

Très  sainte  Vierge  Marie,  ma  Mère  et  mon  espérance,  aidez-moi, 
et  je  serai  certainement  exaucé.  Ainsi  je  l'espère. 

Ainsi  soit-il. 

\.  Ps.  i.xxii,  20. 


848       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II''  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

III. 

AUTRES    PRATK^UES    DE    DÉVOTION    INDIVIDUELLES    OU    COLLECTIVES 
ENVERS    LE   TRES    SAINT    SACREMENT  ^ 

I.  —  Actes  individuels  de  dévotion  au  Très  Saint  Sacrement. 

L'amour  véritable  est  ingénieux  et  le  cœur  qui  s'est  entièrement 
donné  à  Notre-Seio-neur  Jésus-Christ,  présent  au  Très  Saint  Sacre- 
ment, trouvera  mille  moyens  de  lui  témoigner  toute  sa  dévotion. 
Il  n'est  pa'^  inutile  néanmoins  d'indiquer  ici  quelques  pratiques 
de  piété  pour  honorer  la  Sainte  Eucharistie.  Donner  les  motifs 
particuliers  de  chacune  d'elles  nous  entraînerait  trop  loin,  et  se- 
rait à  peu  près  superflu,  car  ils  ressortent  d'eux-mêmes.  Une 
simple  mention  suffira  donc.  Il  est  évident  qu'il  serait  imprudent 
et  même  impossible  de  prétendre  les  adopter  toutes,  mais  chacun 
pourra  choisir  celles  qui  lui  reviennent  le  mieux,  pour  lui-même  et 
pour  les  personnes  auxquelles  il  croirait  utile  de  les  conseiller. 

I.  Adorer  le  Saint  Sacrement  à  son  lever,  en  se  mettant  à  ge- 
noux, comme  il  a  été  dit  déjà,  et  se  tournant  du  côté  de  l'église  la 
plus  rapprochée,  à  l'exemple  de  Daniel,  de  S.  Louis  deGonzague 
et  d'une  foule  d'autres  saints. 

II.  Au  sortir  de  son  logis,  entrer  dans  un  église,  pour  offrir  à 
Jésus-Christ  les  actions  de  la  journée.  La  loi  ancienne  ordonnait 
aux  Juifs  d'offrir  à  Dieu  les  prémices  de  tous  leurs  biens,  et  de  les 
apporter  dans  le  temple  de  Jérusalem.  Jésus-Christ,  dans  son  ta- 
bernacle, a  droit  aux  prémices  de  notre  journée. 

III.  Entendre  tous  les  jours  la  messe  si  on  le  peut;  les  avantages 
les  plus  précieux  sont  attachés  à  cette  pratique. 

IV.  Lorsqu'on  passe  devant  une  église,  la  saluer  et,  en  même 
temps,  adorer  dans  son  cœur  le  Saint  Sacrement. 

V.  Lorsque,  dans  les  rues,  on  rencontre  un  prêtre  portant  la 
sainte  communion  à  quelque  malade,  donner  au  Très  Saint  Sacre- 
ment toutes  les  marques  de  vénération  que  les  circonstances  per- 
mettent. 

VI.  N'entreprendre  aucune  affaire  importante  sans  venir  au 
pied  des  autels  demander  à  Jésus-Christ  les  lumières  nécessaires 

\ .  Voir  :  Pratique  de  piété  pour  honorer  le  Saint  Sacrement,  tirées  de  la  doc- 
trine des  Conciles  et  des  saints  Pères,  par  X. 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  849 

pour  se  bien  conduire  dans  cette  circonstance,  et  implorer  sa  bé- 
nédiction ;  avoir  un  soin  particulier  de  venir  encore  à  l'église  pour 
le  remercier  ensuite  de  sa  protection.  S.  Ambroise  porta  à  l'autel 
et  y  déposa  les  lettres  de  Théodose,  qui  le  priait  de  remercier  Dieu 
de  la  victoire  qu'il  lui  avait  fait  remporter. 

VII.  Même  pendant  les  voyages,  ne  pas  négliger  de  visiter  le 
Saint  Sacrement  le  matin,  à  midi  et  le  soir,  lorsqu'il  n'y  a  pas 
d'empêchement  sérieux. 

VIII.  Garder  toujoui's  dans  les  églises  un  grand  silence  et  un 
respect  profond. 

IX.  Mettre  tout  son  bonheur  à  se  rendre  digne  d'approcher  sou- 
vent de  la  sainte  communion,  et  s'estimer  très  malheureux  si  l'on 
s'en  voit  indigne  à  cause  de  ses  péchés.  La  joie  des  premiers  chré- 
tiens était  si  grande  dans  leurs  jours  de  communion,  que  plu- 
sieurs n'hésitaient  pas  à  se  présenter  aux  tyrans,  afin  de  mourir 
pour  Jésus-Christ. 

X.  Demander  souvent  à  Notre-Seigneur  que  notre  mort  soit 
honorée  de  la  réception  de  son  corps  adorable. 

XI.  Faire  l'aumône  plus  abondamment  les  jours  où  l'on  a  com- 
munié. 

XII.  Se  souvenir,  en  présence  de  Jésus-Christ  au  Très  Saint  Sa- 
crement, qu'il  est  notre  père,  notre  roi,  l'époux  de  nos  âmes, 
notre  pasteur,  notre  rédempteur,  notre  médecin,  notre  juge,  notre 
prêtre  et  notre  victime,  et  s'efforcer  de  l'aimer  toujours  davantage 
à  ces  différents  titres. 

XIII.  Considérer  que  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  est  le 
maître  qui  nous  enseigne,  et  recueillir  attentivement  ses  le- 
çons. 

XIV.  Considérer  qu'il  nous  enseigne,  par  ses  exemples,  l'amour 
du  Père  éternel,  l'adoration  de  sa  grandeur  infinie,  l'obéissance  à 
ses  commandements,  l'immolation  pour  son  service,  l'humilité  en 
présence  d'un  Dieu  si  grand,  la  patience  dans  les  maux  qui  nous 
arrivent,  la  retraite  pour  éviter  la  corruption  du  monde,  le  si- 
lence pour  ne  penser  qu'à  lui,  la  libéralité  pour  venir  en  aide  au 
prochain  dans  ses  besoins. 

XV.  Procurer  au  Saint  Sacrement,  en  toutes  les  manières,  tout 
l'honneur  que  l'on  peut. 

XVI.  S'efforcer  de  réparer  les  outrages  et  les  profanations  que 
Notre-Seigneur  subit  dans  son  adorable  sacrement. 

LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —   T.    IV.  54 


8o0       LA   SAINTE  EUCHARISTIE.  —  II"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —     CHAP.  XVIII. 

XVII.  Mettre  sa  dévotion  à  changer  de  vie,  plutôt  qu'à  commu- 
nier souvent  sans  travailler  à  ce  changement. 

XVIII.  Demander  la  sainte  communion  lorsqu'on  se  voit  dange- 
reusement malade,  mais  ne  la  demander  pas  lorsqu'on  n'est 
malade  que  légèrement  et  qu'on  a  tout  lieu  d'espérer  pouvoir,  sous 
peu  de  jours,  aller  le  recevoir  à  l'église;  car  il  faut  toujours  trai- 
ter Notre-Seigneur  avec  le  plus  profond  respect  et  ne  pas  le  faire 
venir  dans  sa  maison  sans  nécessité. 

XIX.  Rester  paisiblement,  humblement  et  avec  amour  dans  l'é- 
tat de  vie  où  la  divine  Providence  nous  a  engagés,  à  l'exemple 
de  Jésus  humblement  caché  dans  nos  tabernacles,  sous  les  espèces 
eucharistiques. 

XX.  Aimer  la  beauté,  la  richesse,  ou  au  moins  la  propreté  de 
la  maison  de  Dieu,  et  concourir,  autant  que  l'on  peut,  à  la  pro- 
curer. 

XXI.  Éviter,  les  jours  où  l'on  a  communié,  les  réunions  fri- 
voles et  les  plaisirs  mondains. 

XXII.  Multiplier  les  actes  de  dévotion  envers  le  Très  Saint  Sacre- 
ment, pendant  les  jours  où  le  monde  s'abandonne  le  plus  aux  plai- 
sirs et  à  la  débauche. 

XXIII.  Aller  se  prosterner  devant  le  Saint  Sacrement  toutes 
les  fois  qu'on  se  trouve  sous  le  coup  de  quelque  grande  affliction 
ou  maladie  de  l'àme,  et  y  attendre  la  consolation  que  donne  .Jé- 
sus-Christ. 

XXIV.  A  l'exemple  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  repasser 
dans  son  cœur,  après  la  communion,  les  mystères  que  contient  le 
Très  Saint  Sacrement. 

XXV.  S'appliquer,  après  la  communion,  à  vivre  dans  une  sainte 
union  dépensées,  d'affections  et  de  volonté  avec  Jésus-Christ,  pour 
demeurer  en  lui. 

XXVI.  Réveiller  sa  foi  lorsqu'on  assiste  à  la  sainte  messe,  pour 
se  pénétrer  de  l'esprit  de  sacrifice.  Nous  oublions  facilement  ce 
que  nous  devons  à  Dieu  :  la  messe  doit  nous  en  faire  ressouvenir 
et  nous  apprendre  à  tout  sacrifier  à  l'amour  de  Jésus-Christ  et  par 
amour  de  Jésus-Christ. 

XXVII.  La  coutume  était,  du  temps  de  S.  Jean  Chrysostome,  de 
faire  prosterner  les  enfants  au  pied  de  l'autel  pendant  le  saint 
sacrifice,  afin  d'obtenir,  par  la  prière  de  ces  âmes  innocentes,  la 
miséricorde  de  Jésus-Christ  alors  présent,  pour  la  conversion  des 


DES   VISITES  AU   SAINT   SACREMENT   ET  AUTRES   ACTES   DE   DÉVOTION.  851 

pécheurs    et  les    besoins  de  l'Église  :  remettre  en  usage  cette 
pieuse  pratique,  autant  que  les  circonstances  le  permettent. 

XXVIII.  Mourir  à  toute  aflection  pour  les  choses  de  ce  monde, 
si  l'on  veut  célébrer  la  messe  chaque  jour  ou  faire  souvent  la 
sainte  communion. 

XXIX.  Vivre  uni  de  cœur  et  d'afiection  avec  tous  les  membres 
de  l'Église,  comme  Notre-Seigneur  l'a  demandé  jusqu'à  cinq  fois 
à  son  Père  céleste,  après  avoir  institué  le  Saint  Sacrement,  pour 
tous  ceux  qui  croiraient  en  lui. 

XXX.  En  assistant  à  la  messe,  qui  est  la  plus  excellente  et  la 
plus  efficace  de  toutes  les  prières,  s'unir  d'esprit  et  de  cœur  avec 
le  prêtre,  et  le  suivre  dans  tout  ce  qu'il  fait  et  dans  tout  ce  qu'il 
dit  au  saint  autel. 

XXXI.  Éviter  avec  soin  de  s'approcher  négligemment  et  par  ma- 
nière d'acquit  de  la  sainte  communion,  pour  ne  pas  s'exposer  à  la 
malédiction  du  Seigneur  :  «  Maudit  est  celui  qui  fait  l'œuvre  de 
•  Dieu  avec  négligence  :  »  Maledictas  qui  facit  opus  Dei  negli- 
genter  ^ 

XXXII.  Pardonner  de  bon  cœur  à  ses  ennemis  et,  s'il  est  pos- 
sible, se  réconcilier  avec  eux  avant  la  communion. 

XXXIII.  Se  mortifier  en  quelque  chose  ou  faire  quelques  actes 
de  vertu  qui  coûtent  à  la  nature,  comme  préparation  à  la  sainte 
communion  ou  comme  action  de  grâces. 

XXXIV.  Se  souvenir  que  pour  prendre  dignement  place  à  la 
table  du  festin  eucharistique,  il  faut  être,  selon  l'Évangile,  pauvre, 
débile,  aveugle  et  boiteux,  c'est-à-dire  être  humble  et  détaché  des 
biens  de  la  terre,  ne  pas  mettre  sa  force  et  sa  confiance  en  de 
tels  biens  mais  uniquement  en  Dieu;  ne  pas  donner  son  attention 
aux  choses  d'ici-bas  mais  à  celles  du  ciel  ;  marcher,  quoi  qu'il  en 
coûte,  dans  le  chemin  étroit  et  difficile  du  salut,  pour  arriver  au 
but,  qui  est  le  ciel. 

II.  —  Actes  collectifs  de  dévotion  au  Très  Saint  Sacrement. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  à  ses  disciples  :  «  Si  deux 
«  d'entre  vous  s'accordent  sur  la  terre,  quelque  chose  qu'ils  de- 
«  mandent,  il  le  leur  sera  fait  par  mon  Père  qui  est  dans  les 
«  cieux.  Car  là  où  deux  ou  trois  sont  réunis  en  mon  nom,  jesuis  au 

1.  Jerem  ,  xLviii,  10. 


852       LA  SAINTE  EUCHARISTlJt:.  —  II*"  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

«  milieu  d'eux  ^  »  L'association  pour  la  prière  lui  donne  donc  une 
efficacité  très  grande  auprès  de  Dieu  et,  de  tout  temps,  les  fidèles 
ont  senti  l'utilité  et  le  besoin  d'y  recourir.  En  même  temps,  l'hom- 
mage rendu  ainsi  par  plusieurs,  animés  au  même  esprit  et  de  la 
même  dévotion,  est  plus  agréable  au  Seigneur  et  lui  procure  plus 
de  gloire. 

Il  était  donc  dans  l'ordre  des  choses  que  de  pieuses  associations 
se  formassent  pour  honorer  la  très  sainte  et  très  adorable  Eucha- 
ristie et  pour  obtenir  d'elle  d'abonc'  ntes  bénédictions. 

Les  premières  confréries  instituées  en  l'honneur  du  Très  Saint 
Sacrement  ne  paraissent  pas  remonter  plus  haut  que  le  xv®  siècle. 
Elles  furent  un  moyen  eflicace  que  Dieu  mit  entre  les  mains  de 
son  Église  pour  contre-balancer  les  efforts  des  démons  et  des  hé- 
rétiques déchaînés  contre  l'adorable  sacrement  de  nos  autels. 
Aussi  prirent-elles  un  développement  très  considérable,  pendant 
le  cours  du  xvi"  siècle,  et  les  évoques,  sollicités  par  le  clergé  et  les 
pieux  fidèles,  en  érigèrent-ils  dans  une  multitude  de  paroisses. 

Ce  fut  en  1539,  que  le  Souverain  Pontife  Paul  III  approuva  so- 
lennellement, par  une  Bulle,  la  confrérie  instituée  à  Rome  en 
l'honneur  du  Très  Saint  Corps  de  Notre-Seigneur  et  publia  les  in- 
dulgences accordées  à  ceux  qui  en  faisaient  i)artie. 

Un  des  principaux  buts  des  confréries  du  Très  Saint  Sacrement 
est  d'assurer  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  des  adorateurs  qui  se 
relèvent  à  tour  de  rôle,  et  lui  rendent  ainsi,  au  nom  de  tous,  un 
hommage  perpétuel. 

Les  confréries,  surtout  en  France,  ont  sombré  à  peu  près  toutes, 
dans  l'effrayant  cataclysme  qui  a  désolé  la  fm  du  xviii"  siècle.  Plu- 
sieurs se  sont  relevées  depuis,  mais  li  leur  est  difficile,  dans  les 
temps  où  nous  sommes,  de  retrouver  la  vie  et  le  développement 
qu'elles  avaient  autrefois.  Cependant,  quoique  peu  de  chrétiens 
puissent  ou  veuillent  s'astreindre  à  d  js  pratiques  régulières  d'ado- 
ration, et  aux  autres  devoirs  qu'une  confrérie  impose  à  ceux  qui 
en  font  partie,  l'adoration  publique  et  solennelle  uu  Très  Saint  Sa- 
crement n'en  est  pas  moins  pratiquée.  Peut-être  même  l'est-elle,  en 
beaucoup  de  villes  et  de  diocèses,  avec  autant  de  piété  qu'elle  le  fut 
autrefois.  Les  curés  des  paroisses  populeuses  assignent  aux  per- 

1.  Si  duo  ex  vobis  consenserint  super  terram,  de  omni  re  quamcumque 
petierint  fiet  illis  a  Pâtre  meo  qui  in  cœlis  est.  Lbi  eniiri  sunt  duo  vel  très 
congregati  in  nomine  meo,  ibi  sum  in  medio  eorum.  [Matth.,  xvin,  20,  21.) 


DES  VISITES  AU  SAINT  SACREMENT  KT  AUTRES  ACTES  DE  DÉVOTION.  853 

sonnes  de  bonne  volonté  des  heures  d'adoration  pour  chaque  se- 
maine ou  chaque  mois  ;  l'es  évêques  instituent  l'adoration  perpétuelle 
dans  leurs  diocèses.  Chaque  paroisse  a  son  jour  ou  ses  jours  d'a- 
doration, et  souvent  cette  adoration,  faite  avec  pompe  et  solennité, 
sert  de  clôture  à  une  retraite  ou  une  mission  d'où  résultent  les 
plus  précieux  avantages  pour  les  âmes. 

La  fête  et  l'octave  du  Très  Saint  Sacrement,  les  prières  deQua- 
rante-Heures,  le  reposoir  ou  le  tombeau  du  jeudi  saint,  sont  au- 
tant de  circonstances  que  les  âmes  pieuses  saisissent  avec  empres- 
sement, de  rendre  au  Dieu  de  l'Eucharistie  les  hommages  et  le 
culte  qui  lui  sont  dus.  Il  faut  y  ajouter  encore  les  premiers  ven- 
dredis du  mois  consacrés  au  culte  du  Sacré  Cœur,  et  les  jours  de 
fêtes  solennelles,  pendant  lesquelles,  surtout  dans  les  communau- 
tés, le  Saint  Sacrement  est  exposé,  avec  une  autorisation  particu- 
lière de  l'évêque  du  diocèse. 

Mais  les  adorations  les  plus  touchantes,  celles  qui  dénotent  la 
dévotion  la  plus  fervente  et  la  plus  généreuse,  sont  peut-être  les 
adorations  nocturnes,  et  principalement  celles  pratiquées  à  Mont- 
martre, dans  cette  admirable  basilique  élevée  par  la  France  péni- 
tente au  Sacré  Cœur  de  Jésus. 

Un  autre  acte  de  dévotion  collective  que  la  fin  du  xix^  siècle  a 
vue  éclore,  c'est  la  réunion  en  congrès  d'une  foule  de  chrétiens 
éminents,  prêtres  et  laïques,  non  seulement  pour  prier,  mais 
pour  se  concerter  sur  les  moyens  les  plus  opportuns  et  les  plus 
efficaces  de  développer  la  dévotion  à  la  Très  Sainte  Eucharistie.  De 
tous  ces  congrès  nous  n'en  citerons  qu'un  seul,  le  plus  étonnant  de 
tous  et  certainement  le  plus  fertile  en  résultats  :  le  congrès  eucha- 
ristique tenu  dans  la  ville  même  de  Jérusalem,  en  1893,  par  l'ini- 
tiative des  Pères  Assomptionistes,  sous  la  présidence  du  cardinal 
Langénieux,  archevêque  de  Reims,  désigné  à  cet  effet  par  l'im- 
mortel pape  Léon  XIII. 

La  dévotion  au  Très  Saint  Sacrement  ne  s'est  pas  arrêtée  à  ces 
pieuses  associations,  à  ces  réunions  si  utiles  et  si  édifiantes. 

Des  congrégations  religieuses  se  sont  formées  sous  le  vocable 
du  Saint  Sacrement.  Des  âmes  d'élite  se  sont  consacrées  à  Dieu 
pour  que  leur  vie  tout  entière  fût  un  hommage  perpétuel  au  Dieu 
caché  sous  les  Espèces  eucharistiques. 

C'est  ainsi  qu'on  vit  naître  à  Avignon,  en  1636,  une  Comiréga- 
tion  du   Saint-Sacrenirnf  due  à   l'initiative  du  P.  Antoine  Le 


854      LA  SAINTE  EUCHARISTIE.  —  11^  PARTIE.  —   LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

Quien.  Cette  congrégation,  qui  se  rattachait  à  l'ordre  des  Frères 
Prêcheurs,  n'existe  plus. 

Vers  la  même  époque  et  dans  la  même  ville,  Autiiier  de  Sisgau, 
préchantre  de  l'abbaye  de  Saint-Victor  à  Marseille,  fonda  la  Congré- 
gation des  Prêtres  missionnaires  du  Saint  Sacrement,  appelés 
dans  l'origine  Missionnaires  du  clergé.  Le  pape  Innocent  X,  en 
1647,  approuva  cette  congrégation  sous  le  nom  de  Congrégation 
du  Saint- Sacrement  pour  la  direction  des  unissions  et  des 
séminaires,  d'où  leur  nom  de  Prêtres  missionnaires  du  Saint- 
Sacrement.  —  Cette  congrégation  a  aussi  cessé  d'exister. 

Mais  il  en  a  été  fondé  une  autre  de  nos  jours,  la  congrégation  des 
Prêtres  du  Très-Saint-Sacrement,  qui  brille  d'un  vif  éclat  par  la 
sainteté  de  ses  membres,  leurs  travaux  et  les  talents  de  plusieurs. 

La  congrégation  des  Prêtres  du  Très-Saint-Sacrement  a  été 
fondée  à  Paris,  le  13  mai  1856,  par  le  P.  Eymard,  prêtre  du  dio- 
cèse de  Grenoble.  Elle  se  dévoue  entièrement,  par  les  trois  vœux, 
au  service  et  au  culte  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  dans 
l'Eucharistie  et  solennellement  exposé  sur  l'autel.  Son  but  est 
l'exercice  perpétuel  de  l'adoration,  de  l'action  de  grâces,  de  la  ré- 
paration et  de  la  supplication  pour  la  conversion  du  monde,  et 
pour  le  règne  eucharistique  de  Jésus-Christ. 

Les  œuvres  de  la  vie  active,  qui  se  joignent  à  cette  vie  de  con- 
templation si  parfaite,  se  rapportent  toutes  directement  aussi  à  la 
Très  Sainte  Eucharistie.  L'apostolat  de  la  Société  se  borne  à  nour- 
rir la  foi,  la  dévotion  et  l'amour  des  fidèles  envers  le  Très  Saint 
Sacrement.  Ses  œuvres  sont  :  les  retraites  intérieures  en  faveur 
des  prêtres  surtout;  les  retraites  de  première  communion;  des 
associations  d'adoration  établies  dans  des  paroisses  ;  les  retraites 
ecclésiastiques  et  religieuses;  l'œuvre  des  premières  communions 
des  adultes;  la  prédication  des  quarante  heures;  l'œuvre  des  ta- 
bernacles. 

La  devise  de  cette  congrégation  est  :  Tout  pour  l'amour  et  la 
gloire  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  au  Très  Saint  Sacrement 
de  Vautel. 

La  Société  admet  dans  son  sein  des  prêtres  et  des  laïques  vivant 
sous  la  même  règle  et  avec  les  exercices  communs.  Ses  membres 
sont  divisés  en  trois  classes  :  les  religieux  contemplatifs;  les  reli- 
gieux contemplatifs  et  actifs  ;  les  agrégés  qui  forment  le  tiers- 
ordre  du  Très  Saint  Sacrement. 


DES  VISITES  AD  SAINT  SACREMENT  ET  AUTRES   ACTES   DE  DÉVOTION.         855 

La  mîiisop.  mère  est  à  Paris,  où  réside  le  vicaire  général  avec 
un  procureur  général. 

Plusieurs  congrégations  de  religieuses  sont  aussi  consacrées  à 
Dieu  sous  le  vocable  du  Très  Saint  Sacrement.  Nous  nommerons  : 

Les  religieuses  du  Saint-Sacrement ,  dont  la  maison  mère  est 
'  à  Romans  (Drôme).  Cette  congrégation  fut  fondée  en  1715,  à 
Boussieux-le-Roi,  petit  village  du  Vivarais,  par  un  saint  mis- 
sionnaire, l'abbé  Vigne,  pour  s'occuper  de  l'insti-uction  et  de 
l'éducation  des  jeunes  filles  de  Boussieux  et  des  villages  voi- 
sins. Plus  tard  les  sœurs  ajoutèrent  le  service  des  pauvres  ma- 
lades dans  les  hôpitaux. 

Après  la  Révolution,  un  respectable  magistrat,  Marie  Des- 
croches, préfet  de  la  Drôme,  résolut  de  rétablir  la  congrégation 
fondée  par  l'abbé  Vigne.  L'ancienne  abbaye  des  religieuses  de 
Saint-Just,  à  Romans,  lui  parut  propre  à  cette  destination.  Un 
décret  du  il  thermidor  an  XII  l'affecta  aux  religieuses  du  Saint- 
Sacrement.  Le  but  de  cette  institution  fut  dès  lors  la  formation  de 
sujets  pour  le  service  des  hôpitaux,  l'administration  de  secours  à 
domicile  et  la  tenue  des  petites  écoles. 

Les  Sœurs  du  Saint- Sacrement,  appelées  dans  le  Midi  Sœuj^s 
de  Mâcon,  fondées  par  un  saint  prêtre,  M.  Agut,  secrétaire  du 
chapitre  noble  de  la  collégiale  de  Saint-Pierre  à  Màcon.. 

En  1733,  M.  Agut,  qui  s'adonnait  avec  ardeur  à  la  prédication 
et  à  toutes  les  bonnes  œuvres,  loua  une  petite  maison  dans  la- 
quelle il  recul  trois  ou  quatre  incurables.  Ce  fut  l'origine  de  l'hos- 
pice des  Incurables  ou  de  l'hospice  de  la  Providence  de  Màcon. 
Pour  desservir  son  hospice,  M.  Agut  résolut  de  former  une  société 
de  pieuses  filles  sous  le  nom  de  Sœurs  du  Saint-Sacrement .  La 
maison  mère  fut  transportée  à  Autun  en  1836,  sous  l'épiscopat  de 
Mgr  d'Héricourt. 

Les  Sœurs  du  Saint-Sacrement  se  dévouent  au  soin  des  malades, 
des  pauvres  et  des  enfants.  Hospitalières,  elles  dirigent  des  pro- 
vidences, des  hospices,  des  maisons  de  charité;  elles  ambitionnent 
avant  tout  le  soin  des  incurables.  Institutrices,  elles  ont  des  exter- 
nats gnituits  et  payants;  elles  dirigent  des  salles  d'asile  et  des 
pensionnats. 

Noiniiions  enfin  les  religieuses  du  Saint-Sacrement,  dont  la  mai- 
son mèri'  est  à  Saint-Bonnet-le-Ghàteau  (Loire),  où  elles  dirigent 
un  hôpital  et  un  orphelinat. 


856       LA  SAINTE  EUCHARISTIE.   —   II*  PARTIE.  —  LIVRE  II.  —  CHAP.  XVIII. 

Que  ne  pourrions-nous  pas  ajouter  encore  à  ce  que  nous  avons 
dit  touchant  le  culte  et  la  dévotion  qui  sont  dus  à  la  très  sainte  et 
très  adorable  Eucharistie  !  Le  sujet  est  immense  et  les  points  sont 
nombreux  que  nous  avons  effleurés  à  peine.  Mais  l'occasion  d'y 
revenir  se  présentera  dans  les  volumes  qui  doivent  suivre.  Plu- 
sieurs des  développements  que  nous  n'avons  pu  donner  ici,  car  il 
faut  se  borner,  on  les  trouvera  dans  la  troisième  partie  de  cet  ou- 
vrage, magnifiquement  présentés  par  les  grands  orateurs  catho- 
liques. D'autres,  en  abondance,  seront  contenus  dans  le  prochain 
volume  qui  traitera  du  culte  et  de  la  dévotion  au  Sacré  Cœur  de 
Jésus  présent  dans  la  Sainte  Eucharistie. 

Que  Dieu  daigne  seulement  bénir  notre  travail  et  faire  qu'il  ne 
soit  pas  inutile  à  la  gloire  du  très  saint  et  très  adorable  Sacrement 
de  nos  autels  et  au  salut  des  âmes. 


FIN    DU    SECOND    LIVRE    DE    LA    DEUXIEME    PARTIE 


TABLE  DU  TOME  QUATRIÈME 


DE 


LA    SAINTE    EUCHARISTIE 


SECONDE  PARTIE 

CULTE      ET      DÉVOTION 


LIVRE  SECOND 

DÉVOTION    ENVERS    LA    SAINTE    EUCHARISTIE.     — 
OBJET    ET   PRATIQUE 


Chapitre  I".  —  De  l'essence  ou  de  la  nature  divine  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  objet  de  notre  dévotion  dans  la 
Très  Sainte  Eucharistie 1 

I.  En  quoi  consiste  la  dévotion  en  général  et  la  dévotion  au 

Saint  Sacrement  en  particulier 1 

II.  Ce  qu'il  faut  entendre  par  la  nature  ou  l'essence  divine  du 

Dieu  que  nous  adorons  sous  les  espèces  eucharistiques.  9 

III.  La  nature  de  l'Être  divin  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 

est  esprit  et  vie 18 

IV.  Vérité  et  bonté  de  l'Être  divin  ou  de  Notre-Seigneur  Jésus- 

Christ  considéré  comme  Dieu  dans  l'Eucharistie   ...        27 

V.  Simplicité  absolue,  réelle,  métaphysique  et  logique  de  la 

nature   divine  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent 
dans  l'Eucharistie 37 

Chapitre  II.  —  Des  attributs  [de  la  nature  tlivine  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  présent  au  Très  Saint  Sa- 
crement    50 

I.  Quelques  mots  sur  les  attributs  divins  ou  les  perfections  de 

Dieu  en  général 50 


858  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    SECONDE    PARTIE.    —    LIVRE    II. 

II.  Infinité  du  Dieu  de  l'Eucharistie 58 

III.  Immensité  du  Dieu  de  l'Eucharistie 68 

IV.  Immutabilité  du  Dieu  de  l'Eucharistie 82 

Chapitre  III.  —  Autres  attributs  :  Jésus-Christ  dans  l'Eu- 
charistie est  le  Dieu  éternel,  incompréhensible, 
invisible 95 

I.  Éternité  du  Dieu  de  l'Eucharistie 95 

II.  Incompréhensibilité  du  Dieu  de  l'Eucharistie.  —  Comment 

et  jusqu'à  quel  point  nous  pouvons  le  connaître    .     .     .      110 

III.  Invisibilité  du  Dieu  de  l'Eucharistie 123 

Chapitre  IV.  —  Science,  volonté,  amour  et  toute-puissance 

de  Jésus-Christ,  Dieu  présent  dans  l'Eucharistie.     137 

I.  Science  et  sagesse  divines  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  pré- 

sent dans  l'Eucharistie 137 

II.  Volonté  et  amour  de  l'être  divin  de  Jésus  dans  l'Eucharis- 

tie. —  Son  double  objet 153 

III.  Toute-puissance   de   Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent 

dans  l'Eucharistie 167 

Chapitre  V.  —  Jésus-Christ  présent  sous  les  Espèces  eucha- 
ristiques, dans  ses  rapports  comme  Dieu  avec  les 
deux  autres  Personnes  divines 180 

I.  Trinité  des  Personnes  en  Dieu 180 

II.  Mystère  de  la  Génération  éternelle  du  Fils  de  Dieu  qui 

s'accomplit  dans  la  Très  Sainte  Euchai'istie 195 

III.  Pourquoi  le  Fils  de  Dieu  que  nous  adorons  dans  l'Eucha- 

ristie est  aussi    appelé    Verbe,    Image    et   Sagesse   du 
Père  ...,.., 210 

IV.  Autre  mystère   de  la  vie  intime  de  Dieu,  qui  s'accomplit 

dans  l'Eucharistie  :  La  Procession  du  Saint-Esprit.     .     .      226 

V.  Le  Verbe,  Fils  unique  de  Dieu,  présent  dans  l'Eucharistie, 

consubstantiel  au  Père  et  au  Saint-Esprit 237 

Chapitre  VI.  —  De  l'humanité  sainte  de  Notre-Seigneur  pré- 
sent dans  l'Eucharistie,  et  particulièrement  de 
son  Corps  adorable 254 

I.  Jésus-Christ,  fils  d'Adam  comme  nous,  a  un  corps  humain 

semblable  aux  nôtres,  dans  l'Eucharistie 254 

II.  Le  corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  est  vivifié  par  une 

âme  semblable  aux  nôtres 267 

III.  En  quel  ordre  de  priorité  s'est  accomplie  l'union  du  Verbe 

de  Dieu  avec  son  âme  et  son  corps  lorsqu'il  s'est  in- 
carné  274 


TABLE   DU    TOME    QUATRIEME.  859 

IV.  Union  de  toutes  les  parties  intégrantes  du  corps  de  Notre- 

Seigneur,  et  particulièrement  de  son  sang  avec  sa  divi- 
nité     285 

V,  Perfection  souveraine  du  corps  adorable  de  Notre-Seigneur 

présent  dans  l'Eucharistie 298 

Chapitre  VII.  —  Perfection  souveraine  et  surnaturelle  de 
l'âme  de  Notre-Seigneur  unie  au  Verbe  divin 
dans  l'Eucharistie 312 

I.  Perfections  de  l'ordre  naturel  propres  à  l'âme  de  Notre-Sei- 

gneur Jésus-Christ 312 

II.  L'àme  de  Notre-Seigneur,  formellement  sanctifiée  par  son 

union  hypostatique  avec  le  Verbe,  et  enrichie  de  la  grâce 
habituelle  et  de  la  grâce  actuelle  dont  il  est  la  source 
pour  nous 326 

III.  Dons  du  Saint-Esprit  et  autres  dons  spirituels  conférés 

à  l'humanité  de  Notre-Seigneur 339 

IV.  Grâce  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  possède,  en  qualité 

de  chef  des  anges  et  des  hommes 348 

V.  Grandeur  et  perfection  des  diverses  grâces  que  reçut  l'hu- 

manité sainte  du  Fils  de  Dieu  incarné  pour  nous  .     .     .      359 

VI.  Quelques  mots  sur  les   vertus  de  Notre-Seigneur  Jésus- 

Christ  en  général 365 

Chapitre  VIII.  —  Unité  de  la  personne  et  distinction  des 
deux  natures  en  Jésus-Giirist  eucharistique,  Fils 
de  Dieu  véritable  et  non  par  adoption    ....     372 

I.  Unité  de  la  personne  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  de 

Dieu  et  fils  de  la  très  sainte  Vierge 372 

II.  Distinction   des    deux   natures  en  la  personne  unique  de 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  présent  au  Saint  Sacre- 
ment  385 

III.  Jésus  eucharistique,  Dieu  et  homme,  est  Fils  de  Dieu  uni- 

quement par  nature  et  non  par  adoption,  même  consi- 
déré dans  son  humanité 39S 

IV.  Deux  volontés  et  deux  opérations  distinctes  de  Notre-Sei- 

gneur Jésus-Christ.  —  Communication  des  idiomes    .    .      407 

Chapitre  IX.  —  Quelques  motifs  particuliers  de  dévotion 
envers  Jésus-Christ,  l'Hoinme-Dieu  présent  pour 
nous  au  Très  Saint  Sacrement 419 

I.  Jésus-Christ,  notre  Dieu  et  notre  modèle  dans  l'Eucharistie, 

est  en  môme  temps  notre  Rédempteur 419 

II.  Jésus-Christ  dans  rEucliaristie  est  notre  Sauveur  ....       431 

III.  Jésus-Christ   dans   l'Eucharistie    est  notre  médiateur   et 

notre  avocat 440 


860  LA    SAINTE    EUCHARISTIE.    —    SECONDE    PARTIE.    —    LIVRE   H. 

IV.    Jésus  Christ   dans  l'Eucharistie   est  notre  roi   et   notre 

chef 451 

"V.  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  est  notre  juge 462 

Chapitre  X.  —  Autres  titres  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
Homme-Dieu  présent  dans  l'Eucharistie,  à  notre 
dévotion 471 

I.  Jésus-Christ,  présent  dans  l'Eucharistie,  est  notre  pontife  et 

la  victime  de  notre  sacrifice 471 

II.  Jésus-Christ,   présent  dans  l'Eucharistie,  est  notre  maître 

et  notre  docteur 482 

III.  Jésus-Christ,  présent  dans  l'Eucharistie,  est  notre  législa- 

teur   495 

IV.  Jésus-Christ,    présent  dans  l'Eucharistie,  est  l'Époux  de 

l'Église  et  des  fîmes  justes 505 

V.  Jésus-Christ, présent  dans  l'Eucharistie,  est  notre  vie  et  l'ali- 

ment surnaturel  de  nos  ùmes 518 

Chapitre  XI.  —  Jésus-Christ,  par  sa  présence  dans  l'Eucha- 
ristie, nous  montre  son  amour,  sa  sagesse,  sa 
puissance,  sa  magnificence,  et  nous  invite  à  les 

imiter 532 

I.  La  présence  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  nous  révèle  son 

amour  divin  et  demande  le  nôtre 532 

II.  La  présence  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  nous  révèle  sa  sa- 

gesse divine 544 

III.  La  présence   de  Jésus  dans  l'Eucharistie  nour  révèle  sa 

puissance  divine 55r 

IV.  La  présence  de  Jésus  dans  l'Eucharistie  nous  révèle  sa 

munificence  et  sa  libéralité  divine 5( 

Chapitre  XIL  —  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  est  la  source 
et  le  modèle  des  vertus  nécessaires  à  la  perfec- 
tion chrétienne 

I.  La  Sainte  l*]ucharistie  est  un  sacrement  de  foi,  d'espérance 

et  de  charité 

II.  La  Sainte  Eucharistie  nous  communique  les  vertus  de  pru- 

dence, de  justice,  de  force  et  de  tempérance , 

III.  La  Sainte  Eucharistie  nous  donne  l'esprit  d'humilité,  de 

pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéissance 

4 
Chapitre  XIII.  —  Pourquoi  le  sacrifice  de  la  messe  doit  être 

pour  nous  l'objet  d'une  grande  dévotion     ...        7 

I.  Le   sacrifice  de   l'Eucharistie,   colonne  qui  soutient  notre 

sainte  religion  et  rend  l'Église  inébranlable  .... 

II.  Dignité  suprême  du  sacrifice  de  la  messe [ 


TABLE    DU    TOME    QUATRIÈME.  861 

III.  La  messe,  sacrifice  propitiatoire  et  satisfactoire  offert  pour 

la  rémission  de  nos  péchés  et  pour  le  paiement  de  nos 
dettes  envers  la  justice  de  Dieu 637 

IV.  La  messe,  sacrifice  impétratoire  qui  nous  obtient  de  Dieu 

toutes  sortes  de  grâces,   et  par  lequel  nous  lui  témoi- 
gnons notre  reconnaissance, 649 

Chapitre  XIV.  —  Ce  qu'une  véritable  et  sincère  dévotion  ré- 
clame des  prêtres  qui  célèbrent  la  messe,  et  des 
fidèles  qui  y  assistent 660 

I.  Application  de  l'esprit  et  dévotion  intérieure  et  extérieure 

requises  pour  l'oblation  du  saint  sacrifice 660 

II.  Pureté  de  conscience  avec  laquelle  il  faut  célébrer  la  sainte 

messe  ou  y  assister 671 

III.  Modestie,    respect  et  empressement  pieux  que  demande 

l'assistance  au  saint  sacrifice  de  la  messe 682 

IV.  Piété  que  demandent  les  fonctions  de  servant  de  messe. 

—  Honneur  et  avantages  qui  y  sont  attachés    .     .     .     .      694 

Chapitre  XV.  —  De  la  sainte  communion  couronnement  des 

bienfaits  de  Dieu  ici-bas 699 

I.  La  sainte  communion,  soutien,  lumière  et  vie  de  l'Église  et 

de  ses  enfants 699 

II.  La  sainte  communion,  couronnement  des  bienfaits  de  Dieu 
ici-bas,  nous  fait  aimer  les  choses  du  ciel,  mépriser 
celles  de  la  terre  et  goûter  la  suavité  des  biens  spiri- 
tuels  711 


V 


Chapitre  XVI.  —  De  la  préparation  à  la  sainte  communion 

et  de  la  conduite  à  tenir  après  l'avoir  faite.     .     .     722 

I.  Dispositions  essentielles  pour  bien  faire  la  sainte  commu- 
nion   722 

;       II.  Dispositions  désirables   pour    faire   la  sainte  communion 

avec  une  réelle  piété 745 

III.  Action  de  grâces  et  conduite  à  tenir  après  que  nous  avons 

communié 762 

C       PITRE   XVII.   —  Des  eflets  de  la  sainte  communion  en 

ceux  qui  la  reçoivent  avec  piété 776 

I.  Fruits  de  la  sainte  communion  bien  faite,  d'après  l'Écriture 

et  les  auteurs  ascétiques 77() 

II.  Autres  fruits  de  la  sainte  communion 71U» 

III.  Derniers  fruits  de  la  sainte  communion.  —  Un  mot  sur 
les  funestes  résultats  de  la  communion  sacrilège    .     .     .      816 

(TRE  XVIII.  —  Des  visites  au  Saint  Sacrement,  et  de  quel- 


862  LA   SAINTE  EDCHARISTIE.    —   SECONDE   PARTIE.    —   LIVRE    II. 

ques  autres  actes  de  dévotion  envers  l'Eucha- 
ristie  829 

I.  Visites  au  Très  Saint  Sacrement 829 

II.  Quelques  aspirations   affectueuses  de  S.  Alphonse  de  Li- 

guori  qui  peuvent  servir  de  préparation  à  la  sainte  com- 
munion, d'exercice  pour  la  sainte  messe  et  d'entretien 
devant  le  Très  Saint  Sacrement 837 

III.  Autres  pratiques  de  dévotion  individuelles  ou  collectives, 

envers  le  Très  Saint  Sacrement 8'  - 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES    DU   TOME    QUATRIEME. 


BESANCON.   —   IMPRIMERIE   ET   STEREOTYPIE    DE   PAUL   JACyUIN. 


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BQT  1318  .J8 
V.4  IMS 
Jourdain,  Z.C. 

La  Sainte  Eucharistie 
somme  de  th/ologie  et 
ALE-5813  (awab)