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Full text of "La science [musicale] grégorienne; revues diverses, 1898-1908"

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La 


Science  musicale  grégorienne 


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G.   HOUDARD 


Extrait  de  la  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES,  octobre  190). 


LOUVAIN 

IMPRIMERIE    POLLEUNIS    ET    CEUTERICK 
32,    RUE   DES   ORPHELINS,    32. 

Même  maison  à  Bruxelles,  37,  rue  des  Uraulines. 
1901 


La 


Science  musicale  grégorienne 


La 


ficience  musicale  grégorienne 


PAR 


a.   HOUDARD 


Extrait  de  la  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES,  octobre  1901. 


LOUVAIN 

IMBRIMERIE    POLLEUNIS    ET    CEUTERICK 
32,    RUE    DES    ORPHELINS,    32. 

Même  maison  à  Bruxelles,  37,  rue  des  Ursulines. 
1901 


Ml 


LA 


SCIENCE  MUSICALE  GRÉGORIENNE 


UL  non  modo  casus  eventusque  rerum, 
qui  plerumque  fortuiti  sunt,  sed  ratio 
etiam  causaeque  noscantur. 

(Tacite,  Histoires,  I.  4.) 

C'est  peu,  en  effet,  de  connaître  les  faits  et  les  événe- 
ments de  l'histoire  si  l'on  n'en  découvre  pas  la  raison  ou 
les  causes. 

La  cause  première  d'un  fait  peut  échapper.  Elle  n'en 
existe  pas  moins.  Le  rôle  de  la  science  étant  d'aller  au 
fond  des  choses  pour  en  trouver  la  raison,  on  peut  dire 
(][ue  toute  science  n'est  que  la  mise  au  jour,  sous  une 
forme  concise  et  précise,  de  la  théorie  d'un  état  officielle- 
ment constaté. 

La  science  historique  musicale,  encore  bien  incomplète 
de  nos  jours,  n'a  pas  échappé  aux  investigations  patientes 
d'un  certain  nombre  de  musiciens  passés  maîtres  dans  leur 
art.  En  particulier,  peu  de  sujets  scientifiques  ont  été, 
depuis  un  demi-siècle,  aussi  disséqués,  analysés,  soupesés 
même  que  la  partie  dite  grégorienne,  c'est-à-dire  ce  qui 
touche  à  l'art  musical  du  premier  millénaire  de  notre  ère. 

Pourquoi,  dès  lors,  est-on  si  peu  fixé,  dans  le  monde  de 
l'érudition, sur  la  valeur  certaine  des  déductions  présentées 
par  tel  ou  tel  écrivain  de  renom  ? 

Ne  le  nions  pas.  Lorsque  nous  portons  nos  regards 
successivement  vers  chaque  branche  du  savoir  humain, 


e  - 


nous  trouvons,  établi  sur  des  bases  solides,  un  corps  de 
doctrine  complet,  admis.  Certains  détails  peuvent  être 
momentanément  réservés  comme  exigeant  une  discussion 
complémentaire  —  aussi  chacun, dans  sa  sphère  propre,  se 
fait-il  un  point  d'honneur  d'apporter  une  pierre  à  l'édifice 
commun  —  mais  l'ensemble  forme  un  tout  imposant. 

Tournons-nous  maintenant  vers  la  science  historique 
musicale  du  haut  moyen  âge,  —  celle  du  premier  millé- 
naire, avons-nous  dit.  Là,  plus  d'ensemble  scientifique. 
De  remarquables  travaux  sur  des  faits  séparés  ont  été 
produits  sans  relâche  pendant  ces  dernières  années.  De 
lien  entre  eux,  de  fond  commun,  pas  l'ombre.  Chaque 
écrivain  a  travaillé  suivant  ses  aspirations  personnelles. 

Le  résultat  d'un  semblable  état  de  choses  est  inéluc- 
table. Il  se  traduit  par  l'absence  d'unité.  Tous  les  efforts 
individuels  sont  condamnés  à  une  stérilité  relative. 

Pourquoi  encore  en  est-il  ainsi,  et  le  mal  serait-il 
irrémédiable?  Hélas!  oui,  nous  le  craignons.  Bien  plus, 
nous  le  redoutons. 

La  pratique  musicale  est  née  avant  la  théorie  qui 
explique  sa  raison  d'existence. 

A  la  différence  de  la  sculpture  dont  le  but  est  la  copie 
de  plus  en  plus  parfaite  de  la  nature  immuable,  la 
musique,  elle,  n'a  pas  de  modèle  tangible.  Traductrice  de 
sentiments  ou  de  sensations,  elle  suit  pas  à  pas  les 
inflexions  de  la  pensée.  Comme  telle  elle  subit  par  une 
sorte  d'action  réflexe  les  mille  et  une  impressions  fugitives 
qui  assaillent  l'être  humain.  En  tant  que  production 
humaine,  elle  subit  de  plus  la  loi  de  l'évolution.  Jamais 
fixe,  toujours  en  mouvement,  en  transformation  incessante 
ù  travers  les  siècles,  la  théorie  qui  régit  chacune  de  ses 
phases  suit  une  marche  parallèle  en  découvrant  l'un 
après  l'autre,  mais  après  coup,  chacun  des  faits  fondamen- 
taux qui  en  forment  la  base. 

Avant  donc  de  porter  un  jugement  d'ensemble  sur  les 
étapes  de  l'art  musical,  il  est  bon  de  les  connaître  réelle- 


__  7  -> 

ment  et  de  les  apprécier  individuellement  plus  sérieuse- 
ment qu'on  ne  parait  l'avoir  fait  jusqu'à  ce  jour. 

Or,  n'ayant  jamais  été  reconstitué  dans  sa  continuité, 
sur  quoi  se  fonderait-on  pour  affirmer  à  'priori  que,  de 
telle  à  telle  époque,  l'art  musical  dut  être  pratiqué  de 
telle  façon  et  non  de  telle  autre,  alors  surtout  que  cette 
phase  précise  de  son  évolution  proposée  à  notre  examen 
nous  est  présentée  comme  un  produit  unique  dans  la 
chaîne  des  mutations  simplement  possibles  de  cet  art  ? 

Aussi,  pour  peu  que  l'on  y  regarde  d'un  peu  près,  voit- 
on  que  les  historiens  de  la  musique  ont  plutôt  fondé  des 
écoles  adverses,  pour  lesquelles  une  seule  manière  de 
voir  est  acceptable  :  la  leur  !  D'adversaires  nées,  ces 
écoles,  pour  le  malheur  de  la  science,  sont  devenues  et 
resteront  ennemies  irréductibles  pour  n'avoir  pas  voulu  se 
rendre  compte  de  la  part  du  mal  fondé  tout  hypothétique 
de  quelques-uns  de  leurs  principes  respectifs. 

Nous  voyons,  en  efïet,  trois  clans  s'agiter  autour  de 
notre  sujet. 

Le  «  monde  scientifique  ^  pour  qui  la  musique  est  un 
art  d'agrément  frivole  —  sinon  de  désagrément,  ajoute- 
t-il  ironiquement  —  et  purement  extérieur^envers  lequel 
il  se  montre  généralement  indifférent,  quelquefois  sourde- 
ment hostile  ! 

Le  «  monde  des  philologues  »,  aujourd'hui  la  majorité, 
qui  prétend  accaparer  la  science  grégorienne  sous  le  pré- 
texte bien  puéril  que  les  monuments  à  consulter  étant 
des  manuscrits,  l'étude  à  en  faire  et  les  conclusions  que 
celle-ci  suggérera  sont  de  la  compétence  exclusive  des 
paléographes  et  des  philologues  ! 

Enfin,  le  «  monde  des  musiciens  »,  minorité  infinitési- 
male dans  le  champ  de  la  science,  n'en  soutenant  pas 
moins  avec  assez  de  raison,  ce  semble,  que  Yart  musical 
dit  grégorien  étant  de  la  musique,  aux  musiciens,  ayant 
fait  de  l'archéologie  musicale  l'objectif  de  leurs  travaux, 
revient  de  droit  l'étude  des  monuments  du  passé.  Et  ce. 


—  8  -™ 

avec  d'autant  plus  de  logique,  que  les  manuscrits  notés 
neumatiquement  (i)  ont  été  traduits  en  clair  dès  le 
moyen  âge  ;  que,  de  plus,  l'expertise  paléographique  qui 
les  concernait  a  été  faite  avec  toutes  les  garanties  d'une 
érudition  impeccable. 

Les  musiciens,  seraient-ils  même  radicalement  igno- 
rants des  principes  généraux  de  la  science  paléographique, 
sont  donc  fondés  à  avoir  voix  délibérative,  sinon  pré- 
pondérante, dans  la  discussion  en  cours.  N'ont-ils  pas 
en  mains,  d'une  part  les  mélodies  traduites  et  notées 
clairement,  accessibles  à  leur  analyse,  d'autre  part,  les 
théories  mêmes  qui  fondaient  la  science  musicale  de 
l'époque  ? 

Les  philologues  auront  ensuite  à  glaner  certaines  indi- 
cations particulières  de  linguistique  dans  la  reconstitution 
des  rythmes  juxtaposés  aux  textes  anciens  —  encore 
sera-ce  peu  de  chose  —  et  les  hommes  de  science  géné- 
rale ne  devront  pas  dédaigner  les  travaux  spéciaux  de 
leurs  confrères  musicologues,  puisque,  aussi  bien,  la 
musique  est  fondée  sur  une  science  aussi  complexe,  aussi 
réelle  que  le  sont  les  sciences  physiques  de  toute  espèce. 

La  musique  enfin  paraît  même  avoir  sur  toutes  les 
autres  sciences,  cette  supériorité  "  partielle  "  de  s'adres- 
ser à  tous  indistinctement,  et  non  à  une  élite  restreinte 
dont  les  bienfaits  ne  sont  perçus  directement  que  par 
intermittence,  dans  des  cas  spéciaux  souvent  incompré- 
hensibles pour  la  masse. 

Ceci  posé,  nous  pouvons  revenir  à  notre  sujet. 

La  musique  a  parcouru  théoriquement  deux  grandes 
phases  dont  chacune  se  divise  en  deux  périodes  d'inégale 
durée. 

Les  deux  phases  ont  pour  point  de  jonction  le  xif  siècle, 
un  peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard. 

(1)  La  notation  neumalique  ost  un  syslônie  d'écriliire  sui  generis,  composé 
de  traits,  points,  apostrophes  et  de  si;^nes  conventioiinols  formés  à  l'aide  de 
CCS  divers  éléments  combinés  de  dilïérentes  manières. 


Respectivement  la  première  se  divise  en  :  période 
antique  du  vf  siècle  avant  notre  ère  au  iif  siècle  après, 
et  période  grégorienne  du  iv®  au  xi^  siècle.  La  deuxième 
comportera  :  la  période  contrapuntique  scolastique  du 
xii^  au  xvii''  siècle  et  la  période  moderne  du  xviii®  siècle 
à  nos  jours  et  pour  un  temps  à  venir  impossible  à  déter- 
miner, cela  se  conçoit,  bien  que  des  symptômes  non 
équivoques  d'une  transformation  soient  aisément  recon- 
naissables  dans  certaines  oeuvres  nouvellement  écloses. 

Nous  écarterons  ces  deux  dernières  périodes.  Les 
expliquer  sortirait  du  cadre  que  nous  nous  sommes 
imposé  de  remplir.  Nous  n'en  dirons  que  les  liens  qui  les 
rattachent  aux  deux  premières.  A  vrai  dire,  elles  se  com- 
pénètrent  si  intimement  que  les  disjoindre  serait  malaisé. 

Rappelons  quelques  considérations  préliminaires. 

L'art  musical  a  un  passé  glorieux  remontant  aux  ori- 
gines mêmes  de  la  société  humaine  et  descendant  jusqu'à 
nous  sans  solution  de  continuité. 

Chacune  des  transformations  par  lesquelles  l'art  s'est 
peu  à  peu  constitué  tel  que  nous  le  pratiquons  fut  le  fruit 
de  longs  siècles  de  tâtonnements  et  de  progrès  incon- 
scients, préparant  la  voie  à  des  conquêtes  nouvelles, 
contenant  elles-mêmes  le  germe  de  manifestations  futures 
encore  insoupçonnées. 

Une  forme  d'art,  quelle  qu'elle  soit,  ne  naît  pas  à  l'im- 
proviste,  ne  surgit  pas  du  néant  à  un  moment  précis. 
Elle  est  dans  son  essence  le  produit  plus  spontané  que 
raisonné,  mais  par  contre  inconsciemment  obligé  d'une 
évolution  progressive  vers  un  idéal  sans  cesse  renouvelé. 
Elle  peut  et  doit  être  rattachée  étroitement  à  celle  qui 
l'engendra,  comme  à  celle  qu'elle  engendra.  Elle  n'est 
qu'un  anneau  d'une  chaîne  dont  les  extrémités  sont 
invisibles. 

En  conséquence,  «  on  ne  peut  isoler  un  fait  scientifique 


—    lO    — 

quelconque  pour  l'étudier  sans  tenir  compte  de  ses  atta- 
ches »,  disions-nous  dans  une  précédente  publication  (i). 

La  thèse  que  nous  avons  à  démontrer  se  présente  à 
nous  sous  trois  chefs  principaux  : 
^  Proposition  I.  L'art  grégorien  prend  sa  source  dans 

l'art  gréco-romain  du  ii®-iif  siècle  de  notre  ère,  et  s'épan- 
che dans  l'art  du  bas  moyen-âge. 

Proposition  IL  Reconstituer,  dans  ses  grandes  lignes, 
l'art  antique,  c'est  rétablir  la  théorie  fondamentale  qui 
préside  à  l'élaboration  de  l'art  subséquent  dit  grégorien. 

Proposition  IIL  Déduire  de  l'art  grégorien,  reconsti- 
tué scientifiquement,  la  forme  musicale  qui  lui  succéda 
c'est  fournir  la  preuve  que  l'art  dont  nous  nous  occupons 
ici  même,  fut  bien  réellement  tel  que  nos  déductions 
l'auront  démontré. 

Nota.  —  Il  va  sans  dire  que  nous  n'émettons  nullement 
la  prétention  de  traiter  la  question  grégorienne  dans  tous 
ses  détails. 

Nous  lai  avons  consacré  des  ouvrages  spéciaux  et  nous 
en  préparons  d'autres.  Ici  nous  présentons  un  ensemble 
de  faits  et  de  déductions  dérivées  de  ces  faits,  destinés, 
dans  notre  esprit,  à  compléter  les  nombreux  articles  que 
nous  avons  donnés  un  peu  partout. 

Néanmoins,  et  comme  nous  nous  sommes  toujours 
imposé  de  le  faire,  nous  embrassons  d'une  vue  d'ensemble, 
sous  un  jour  particulier,  toute  la  science  musicale  gré- 
gorienne. 


I 


L'histoire  du  chant  liturgique  présente  de  grandes 
difficultés  à  cause  du  manque  fréquent  de  documents  pré- 
cis concernant  des  laps  de  temps  relativement  longs. 

(1)  Mémoire  présenté  au  congrès  d'histoire  de  1900.  Paris. 


—   Il  — 

On  ne  saurait  en  effet  qualifier  du  nom  d'  «  histoire  « 
le  rappel  de  quelques  faits  épars,  toujours  les  mêmes 
d'ailleurs,  répétés  de  revues  en  revues  par  des  écrivains 
superficiels.  Les  renvois  en  note  concernant  ces  faits  ne 
trompent  personne  et  l'abus  de  la  phraséologie  qui  les 
accompagne  masque  mal  les  emprunts  opérés  de  droite  et 
de  gauche,  sans  discernement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  aurions-nous  considéré  ce  que  nous 
connaissons  comme  des  détails  soigneusement  collationnés, 
ou  au  contraire  comme  les  seuls  événements  saillants  qui 
en  jalonnent  le  cours  séculaire,  nous  devrons  avoir 
remarqué  que  la  coordination  des  éléments  connus  et  leurs 
rapports  réciproques  n'ont  pas  été  serrés  d'assez  près  pour 
permettre  de  dire  que  cette  histoire  existe  définitivement. 

Trop  de  données  même  en  ont  été  interprétées  dans  un 
sens  diamétralement  opposé  à  ce  qu'une  saine  logique 
commandait. 

En  un  mot,  l'histoire  nous  a  paru  avoir  été  faussée, 
faute  de  faire  les  rapprochements  qui  s'imposaient  pour 
obtenir  une  vue  d'ensemble  permettant  de  comprendre  la 
raison  d'être  de  chaque  chose. 

Les  écrits  de  Dom  M.  Gerbert,  abbé  de  Saint-Biaise 
(en  Forêt  Noire),  sont  la  mine  d'où  les  musicologues  ont 
tiré  leurs  arguments  contradictoires,  et  le  champ  clos  où 
les  commentateurs  modernes  se  sont  rencontrés  pour 
échanger  leurs  coups. 

L'ouvrage  le  plus  instructif  (i)  du  célèbre  compilateur 
bénédictin  est  le  de  cantu  et  musica  sacra  a  prima 
ecclesiae  aetate  usque  ad  pr^sens  tempus  (2). 

Les  détails  contenus  dans  ce  volumineux  travail  sont 
innombrables  et  précieux  à  proportion.  Nous  avions  tenté 


(1)  Le  plus  instructif  en  ce  sens  qu'on  cherclierait  vainement  ailleurs  le 
proupemenl  de  tout  ce  qui  regarde  l'histoire  du  chant  ecclésiastique  Ce  qui 
lui  manque,  c'est  la  synthèse  des  conclusionc  à  tirer  de  tous  les  faits  particu- 
liers. 

(2)  2  vol.  Saint  Biaise,  1774. 


12 


de  les  résumer,  mais  force  nous  fut  de  renoncer  à  ce 
projet.  On  ne  résume  pas  une  nomenclature  aussi  touffue. 

Contentons-nous  de  remémorer  certains  points  de 
repère  reconnus  de  longue  date  comme  exacts  ;  ceux  qui 
peuvent  nous  éclairer  sur  les  étapes  parcourues  par  la 
pratique  du  chant,  à  la  condition  toutefois  d'en  coordon- 
ner les  résultats. 

Il  est  de  notoriété  historique  que  le  premier  chant 
chrétien  fut  celui  des  psaumes,  suite  naturelle  d'un  usage 
liturgique  antérieur.  De  simple  murmure  à  peine  digne 
du  qualificatif  de  «  musical  »  et  resté  tel  jusqu'au 
III®  siècle  par  suite  de  circonstances  locales  mais  les 
mêmes  partout  :  les  persécutions,  ce  n'est  qu'à  dater  de 
l'an  35o  environ  que  l'on  trouve  trace  à  Antioche  d'un 
nouveau  mode  de  récitation  du  psaume,  dans  l'antiphone 
ou  chant  à  deux  chœurs  alternés. 

On  sait  que  d'Antioche  cet  usage  passa  à  Constanti- 
nople  avec  saint  Jean  Chrysostome  (SyS),  puis  à  Milan 
avec  saint  Ambroise,  enfin  <à  Rome  sous  le  pontificat  de 
saint  Célestin  P''  (422). 

Entretemps,  saint  Damase  (366)  avait  déjà  fait  venir 
de  Syrie  à  Rome  des  chanteurs  habiles  pour  enseigner  à 
ses  artistes  attitrés  la  psalmo'die  à  la  mode  orientale.  Il 
découlerait  de  cette  indication  que  l'antiphonie  fut  proba- 
blement pratiquée  à  Rome  dès  le  pontificat  de  saint  Da- 
mase et  soixante  années  avant  celui  de  saint  Célestin, 

Peut-on  inférer  de  cette  venue  qu'il  y  eut  dès  cette 
époque  un  corpus  de  chants  chrétiens  autres  que  les 
psaumes,  les  litanies  et  quelques  cantiques  précurseurs  des 
hymnes  hilariennes  ou  ambrosiennes? 

Nous  ne  le  pensons  pas.  C'étaient  d'habiles  chanteurs 
sans  doute,  mais  l'apport  certain  d'un  répertoire  nouveau 
n'était  pas  une  condition  sine  qua  non  de  leur  voyage. 
Néanmoins  en  tant  qu'Orientaux,  élevés  dans  un  milieu 
artistique  différent  de  celui  de  la  société  latine,  leur 
séjour    dut   nécessairement    influer    sur   la    constitution 


—  i3  — 

mélodique  des  pièces  musicales  liturgiques  en  préparation 
dans  le  courant  de  ce  siècle.  Et  lorsque  le  chant  anti- 
phoné  selon  la  méthode  orientale,  —  le  canendi  mos  orien- 
ialium  partium  de  saint  Augustin  (i)  —  acquit  droit  de 
cité  à  Rome,  ce  ne  fut  pas  simplement  cette  antiphonie, 
mais  toute  une  culture  musicale  étrangère,  encore  en 
enfance  peut-être,  qui  fit  son  apparition  dans  la  Ville 
éternelle. 

Nous  sommes  encouragé  à  parler  ainsi  en  nous 
appuyant  sur  la  date  approximative  de  l'invention  —  ou, 
si  l'on  préfère,  de  l'introduction  dans  l'office  —  des 
pièces  appelées  chants  propres,  c'est-à-dire  l'Introït,  le 
Graduel,  l'Alleluia,  l'Otfertoire  et  la  Communion,  quelle 
que  soit  la  forme  matérielle  primitive  de  ces  chants. 

L'Introït  dans  sa  forme  actuelle  remonterait  au  temps 
du  pape  saint  Célestin  (423-432)  (2).  Mais,  comme  YAnti- 
phona  ad  Introitum  suivie  de  son  psaume  existait  long- 
temps auparavant,  on  ne  peut  le  disjoindre  de  ses  con- 
génères, les  autres  chants  propres.  Le  Graduel  et 
l'Alleluia  sont  les  chants  les  plus  anciens  de  la  liturgie 
chrétienne.  Le  Graduel,  dit  Dom  Kienle  (3),  "  est  un  des 
chants  les  plus  anciens  et  les  plus  vénérables  de  l'office 
divin  y>  et,  dit  l'abbé  Duchesne  (4),  ces  deux  chants 
«  sont  la  plus  ancienne  et  la  plus  solennelle  représenta- 
tion du  psautier  davidique,  ils  nous  viennent  en  droite 
ligne  du  service  religieux  des  synagogues  juives  ». 
L'origine  de  l'Offertoire  semble  remonter  au  temps  de 
saint  Augustin  (5)  ». 

De  même  pour  la  Communion  qui  remonterait  à  la  fin 

(1)  Confessions,  IX-VII,  15,  Ed.  Gaume,  t.  I,  col.  278. 

(2)  Cf.  Dom  Kienle,  Théorie  et  pratique  du  chant  grégorien,  p.  174. 
besclée,  1895  ;  et  M.  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétien,  p.  155. 
Pontemoing,  1898. 

(3)  Op.  cit.,  p.  175. 

(4)  Op.  cit.,  p.  161. 

(5)  Cf.  Dom  Kienle,  op.  cit.,  p.  184  ;  et  M.  Duchesne,  op.  cit.,  p.  165. 


—   14  — 

du   IV®  siècle,   au  temps   de  saint  Augustin   et   de  saint 
Ambroise,  tout  comme  les  autres  par  conséquent. 

Voici  donc  un  ensemble  de  faits  avérés  révélant 
l'existence  dès  le  iv^  siècle, d'une  liturgie  chantée  naissante 
accompagnant  l'introduction  à  Rome  du  chant  antiphoné. 

Avant  d'entrer  plus  avant,  nous  devons  remarquer  que 
le  chant  de  l'Église  ne  peut  être  ni  oriental  pur,  ni  grec 
pur,  ni  latin  pur.  Il  y  a  double  apport  certain,  donc 
double  influence  originelle,  mais  par  surcroît  mise  en 
oeuvre  latine. 

Il  paraîtra  raisonnable  de  penser  que  le  tour  d'esprit 
spécial  à  chacun  de  ces  arts  d'importation  a  été  comme 
noyé  dans  la  masse.  Dans  la  suite  le  sentiment  artistique 
latin  a  revêtu  cette  masse  d'un  vernis  propre  à  la  race 
latine.  Ce  fut  la  réforme  dite  de  saint  Grégoire  "(590-604). 

De  la  fusion  intime  de  ces  éléments,  simplement  juxta- 
posés au  début,  devait  naître  l'une  des  plus  merveilleuses 
créations  dont  l'humanité  pourrait  s'enorgueillir  si  la 
modestie  ne  nous  portait  plutôt  à  nous  humilier.  En  effet, 
c'est  de  l'organisation  de  la  liturgie  chantée  que  naquit 
obligatoirement,  et  pour  parer  les  prières  d'un  vêtement 
musical  approprié  à  leur  but,  la  cantilène  romaine  fleurie , 
en  d'autres  termes  le  «  chant  dit  grégorien  «  produit 
hybride  du  génie  harmonique  grec  ou  gréco-romain  et 
du  génie  mélodique  oriental  pur,  fusionnés  en  un  tout 
indélébile. 

UOrdo  de  la  messe  romaine  a  subi  tant  de  modifica- 
tions qu'il  est  bien  difficile  de  fixer  avec  une  apparence 
de  certitude  la  date  approximative  de  cette  mise  sur  pied 
de  la  liturgie  chantée. 

Cette  forme  musicale  nouvelle  devait  engendrer  un  jour 
'art  essentiellement  vocalisie,  dit  palestrinien,  d'où  sortit 
à  son  tour  l'art  italien  du  siècle  dernier. 

Supprimez  cette  infusion  du  sang  oriental  dans  la 
cantilène  romaine  du  v''  siècle  ;  vous  supprimez  la  raison 


-  i5  — 

d'être  de  l'art  palestrinien  et  de  son  dérivé,  l'art  italien 
des  virtuoses  du  chant. 

Rien  dans  le  passé  musical  gréco-romain  ne  saurait 
permettre  l'hypothèse  d'une  future  musique  à  vocalises 
superflues.  Bien  plus,  nous  retrouvons  corrélativement  la 
preuve  de  la  superposition  et  de  la  compénétration  des 
deux  générateurs  du  chant  palestrinien  dans  cette  autre 
manifestation  artistique  qui  a  nom  "  les  hymnes  mesurées 
à  l'antique  »,  dont  le  goût  fut  si  vif  qu'il  nous  conserva  le 
type  classique  de  la  coupe  antique.  Donc  double  apport, 
disions-nous  avec  assez  de  raison,  fusion  des  deux  génies 
et  néanmoins  constitution  de  deux  formes  musicales, 
distinctes  bien  que  sœurs,  ayant  mêmes  éléments  con- 
stitutifs. D'un  côté,  la  cantilène  romaine  avec  son  rythme 
vocalisé  oriental  très  développé  et  ses  tonalités  classiques 
sévères  resserrées  dans  un  hexacorde  ou  à  peu  près  ;  de 
l'autre,  les  hymnes  avec  leur  carrure  rythmique  austère 
atténuée  par  le  tour  mélodique  oriental. 

Les  deux  types  se  perpétuèrent  :  la  cantilène  romaine 
dans  l'art  palestrinien,  les  hymnes  dans  les  chants  popu- 
laires à  formes  rythmiques  carrées. 

Pendant  la  période  d'organisation,  c'est-à-dire  pendant 
les  IV®  et  v^  siècles,  nous  pouvons  induire  que  par  le  fait 
du  rejet  volontaire  et  systématique  de  tous  les  éléments 
profanes  de  l'art  musical  gréco-romain  il  y  eut  réellement 
un  plan  bien  arrêté  de  constituer  un  art  nouveau  dans  sa 
forme,  nouveau  dans  ses  tendances,  réactif  même,  et 
forçant  une  évolution  dans  un  sens  clairement  entrevu 
par  ses  inventeurs. 

Comme  tel,  on  peut  dire  en  toute  sécurité  que  ce  fut 
l'art  de  l'Eglise,  «  art  spécial,  créé  en  vue  d'un  but 
défini  «. 

Si  ce  n'était  une  grande  témérité  de  notre  part,  nous 
dirions  volontiers  que  la  nécessité  de  composer  de  la 
musique  sur  des  textes  exclusivement  écrits  en  prose  fut 
une   des   marques  distinctives   de  l'art  nouveau,  en  obK- 


—   lo- 
geant la  mélodie  à  se  faire  jour,  mélodiquement  et   rjth- 
miquement  modelée,  pour  exister  par  ses  propres  moyens. 

Dans  la  composition  des  liymnes,  le  rythme  métrique, 
ou  à  son  défaut  le  cadencement  phraséologique  informait 
le  rythme  musical  de  la  mélodie  non  encore  éclose  (i), 
tandis  que  dans  la  composition  des  antiennes,  c'est  la 
musique  qui  vit  par  elle-même  et  le  texte  n'est  que  l'occa- 
sion de  son  éclosion. 

Outre  que  par  respect  pour  la  perpétuité  de  la  trans- 
mission des  textes  sacrés  primitifs,  l'idée  devait  naître  de 
les  traiter  musicalement,  le  fait  de  ne  traiter  musicale- 
ment que  de  la  prose  devait  amener  à  l'élaboration  d'une 
théorie  rythmique  nouvelle. 

Ce  n'était  pas  néanmoins  une  forme  à  i^art  créée  d'au- 
torité et  n'ayant  rien  de  commun  avec  l'art  antérieur. 

Bien  loin  de  là,  la  base  du  système  était  solidement 
scellée  dans  la  théorie  de  cet  art  antérieur.  Les  règles 
fondamentales  du  rythme  étaient  l'igoureusement  respec- 
tées. Seule,  la  forme  extérieure  se  façonna  dans  un  moule 
imaginé  ad  hoc  !  On  le  verra  quand  nous  aborderons  la 
théorie  pure. 

Nous  ne  saurions  mieux  comparer  cette  évolution  vou- 
lue et  menée  à  bien  qu'à  l'évolution  wagnérionne  actuelle. 

La  même  théorie  fondamentale  harmonique  régit  l'art 
italien  et  l'art  wagnérien.  Néanmoins,  combien  différent 
du  premier  est  celui-ci  dans  sa  forme  extérieure  ! 

L'attache  avec  le  passé  est  irréfragable.  Elle  ne  peut 
pas  ne  pas  l'être.  L'homme  est  un  employeur,  un  trans- 
formateur, de  génie  quelquefois,  jamais  un  créateur. 

Si  donc  nous  considérons  sous  ce  jour  notre  art  grégo- 
rien (et  la  preuve  du  contraire  ne  sera  pas  facilement 
administrée,  c'est  notre  conviction),  nous  voyons  le  passé 
se  rattacher  au  présent  sans  aucune  solution  de  continuité. 


(1)  Là  même,  la  mélodie  s'attranchissaii  souveni  ties  entraves  de  la  pro- 
sodie. 


—  17  — 

L'art  grec  obéit  à  des  règles  draconiennes  de  propor- 
tions rythmiques  que  nous  retrouvons  intégralement 
enseignées  dans  la  rythmopée  du  moyen-âge  et  dans  la 
nôtre,  au  moins  en  ce  qui  concerne  les  principes  fonda- 
mentaux. 

L'art  grégorien  adopta  ces  règles  dans  leurs  grandes 
lignes,  mais  en  rejeta,  dès  le  début,  tous  les  raffinements 
inspirés  par  le  paganisme  tout  puissant.  Il  écarta  de  plus, 
comme  un  joug  inutile,  les  lois  de  la  carrure  rythmique 
que  les  textes  en  prose  devaient  briser.  Enfin,  sur  le 
déclin  de  cet  art  grégorien  si  éblouissant  dans  ses  siècles 
d'efflorescence,  au  dire  de  ses  admirateurs  contemporains, 
on  vit  éclore  les  premiers  essais  timides  de  la  polyphonie, 
à  l'aide  d'instruments  dont  l'imperfection  mécanique  était 
le  vice  capital. 

La  mélodie,  pour  permettre  à  cet  accompagnement 
polyphonique  rudimentaire  de  se  faire  entendre,  dut  s'al- 
térer dans  son  rythme  et  s'altéra  réellement,  l'histoire 
est  là  qui  nous  le  certifie  (i).  D'altérations  en  altérations 
elle  devint  le  thème  lourd  et  froid  qui  permit  au  virtuose 
de  faire  étalage  de  sa  science  coatrapuntique.  Le  contre- 
point peu  à  peu  dégagé  des  inexpériences  de  son  enfance 
s'affirma  dans  toute  sa  richesse  avec  l'école  palestrinienne. 
Puis ,  l'école  des  Bach ,  des  Beethoven ,  sortit  enfin , 
radieux  aboutissement  de  longs  siècles  de  tâtonnements 
de  plus  en  plus  heureux,  disons  avec  moins  de  sévérité, 
de  quinze  siècles  de  progrès  incessants. 

Concluons  cette  première  partie  de  notre  exposé  histo- 
rique synthétique.  ,    y 

Le  chant  grégorien  est  bien  véritablement  le  lien  qui 
rattache  l'antiquité  au  moyen-âge. 

Issu  rythmiquement  de  l'antiquité  grecque,  il  se  con- 
stitue par  amplification  une  forme  rythmique  plus  libre 
dans  sa  marche. 

(I)  V.  ()lus  loin  :  Proposition  III. 


Issu  mélodiquement  de  l'art  oriental  progressivement 
épuré  dans  ses  tonalités  usuelles,  il  rompit  le  cadre  de  la 
musique  guindée  de  l'antiquité  grecque. 

De  ces  deux  influences  sortit  une  forme  d'art  nouvelle 
dans  ses  apparences  extérieures,  «  le  chant  romain  ^, 
mais  dont  la  paternité  n'est  pas  douteuse. 


II 


Nous  avons  vu  les  causes  particulières  de  la  formation 
mélodique  de  la  cantilène  romaine.  Celles  qui  ont  trait  à 
la  constitution  rythmique  sont  tout  aussi  caractérisées. 

Lorsqu'on  envisage  une  forme  artistique  vraiment  belle 
et  pure,  digne  du  nom  d'art,  il  est  clair  que  Ton  spécifie 
celle  qui,  par  comparaison  avec  d'autres,  apparaît  comme 
la  plus  sage  et  répond  le  mieux  à  un  idéal  d'où  la  fantai- 
sie personnelle  est  exclue. 

Dans  l'antiquité  ou  classait  les  rythmes  sous  trois  chefs 
principaux  :  les  réguliers,  les  simili-rythmiques  et  les 
désordonnés. 

Le  rythme  était  constitué  par  la  succession  des  pieds 
ou  unités  rythmiques  assemblés  en  un  certain  nombre 
fixé  par  des  lois  de  proportions  numériques  pour  former 
des  périodes  musicales.  Lois  non  arbitraires,  mais  sciem- 
ment établies  après  constatation  de  ce  qui, par  expérience, 
plaisait  ou  était  réprouvé  par  l'entendement  humain  ;  le 
tout  corroboré  par  le  raisonnement  et  certifié  viable  par 
les  rapports  des  nombres. 

La  même  loi  fondamentale  régissait  aussi  bien  la  con- 
stitution du  membre  de  phrase  mélodique  que  celle  de 
chacun  des  éléments  particuliers  concourant  à  sa  forma- 
tion, c'est-à-dire  celle  du  pied  rythmique. 

A  vrai  dire,  il  n'y  a  qu'une  seule  et  unique  loi  :  celle 
des  proportions  numériques.  Elle  régit  la  constitution 
fondamentale  du  rythme  dont  l'unité  de  mesure  est  le  pied. 


—  19  — 

Du  moins  est-ce  la  conclusion  que  nous  devions  tirer 
de  l'adoption  du  même  mot  générique  v.ov^  usité  avec 
le  qualificatif  ^iyiGToc,,  ci  :  ttoù;  ijiyiuroç,  pied  maxime  dési- 
gnant le  membre  de  phrase,  et  ttoù;  èXâ/tcy-o-  ou  dnloùi, 
pied  minime  ou  pied  simple  pour  l'unité  fondamentale  de 
la  période. 

La  constitution  du  pied  simple  (et  sa  subdivision  en  un 
frappé  et  un  levé)  fonde  le  genre  du  rythme,  le  yivoç. 

Le  dactyle  et  ses  dérivés  fondent  le  genre  égal  ou  yivoc; 
ïo-ov  ^  1  :  1  ;  le  trochée  et  ses  dérivés  fondent  le  genre 
double  ou  yivoc  dinlâoiov  =  2  :  1  ;  le  péon  fonde  le  genre 
sesquialtère  ou  yhoç,  r\it.i61iov  =  3:2. 

Tel  nous  voyons  le  pied  simple  formé  de  3,  4  ou  5 
temps  brefs,  tel  nous  voyons  le  membre  de  phrase  formé 
de  3,  4,  5  pieds  simples,  ou  plus  même  selon  le  genre 
égal,  double  ou  sesquialtère  adopté  pour  le  rythme  géné- 
ral de  l'œuvre  à  composer. 

La  période  se  calque  donc  sur  le  pied  simple,  en  adop- 
tant le  genre  que  celui-ci  crée,  par  le  remplacement  de 
chaque  unité-temps  bref  par  un  pied  simple  soit  iambique 
soit  dactylique,  soit  péonique,  en  conservant  de  plus  le 
frappé  et  le  levé  mélodiques  sur  les  mêmes  unités-pieds 
qu'elles  se  trouvent  sur  les  unités-temps  du  pied  simple 
fondamental  ;  et  ce,  sous  la  réserve  expresse  : 

1°  Que  la  période  du  genre  égal,  dactylique,  dont  les 
composantes  :  frappé  et  levé  sont  comme  1  est  à  1 ,  ne 
dépasse  pas  l'étendue  {y.éyîQoz)  de  16  temps  premiers,  c'est- 
à-dire  au  maximum  4  pieds  dactyliques  de  4  temps  brefs 
(4X4  =  16). 

2°  Que  la  période  du  genre  double,  iambique,  dont  les 
composantes  :  frappé  et  levé  sont  comme  2  est  à  1 ,  ne 
dépasse  pas  l'étendue  de  18  temps  premiers,  c'est-à-dire  au 
maximum  6  pieds  iambiques  de  3  temps  brefs  (6  X  3=  18). 

3°  Que  la  période  du  genre  sesquialtère,  péonique,  dont 
les  composantes  sont  comme  3  est  à  2,  ne  dépasse  pas 
l'étendue  de  25  temps  brefs  (5x5  =  25). 


20 


Chacune  de  ces  périodes  devient  alors  et  théoriquement 
un  rythme  dactylique,  iambique  ou  péonique,  spécifié  : 
à  tant  de  temps  premiers.  Les  qualificatifs  :  dactylique, 
iambique,  péonique,  n'ont  pas  pour  but  de  spécifier  la 
sorte  de  pieds  qui  entrent  dans  la  composition  de  la 
période,  mais  le  genre  du  rythme  auquel  ressortit  cette 
période. 

Ainsi  une  période  de  4  pieds  ti  ochaïques  égale  1 2  temps 
premiers  ;  c'est  un  dimètre  trochaïque,  on  le  sait.  Mais 
si,  mélodiquement  —  c'est-à-dire  par  les  inflexions  natu- 
relles du  frappé  et  du  levé  —  il  se  divise  en  deux  parties 
égales  de  6  temps  premiers  (6  -j-  6),  cette  période  ressortit, 
bien  que  composée  de  trochées,  au  rythme  égal  dit  dacty- 
lique de   12  temps.  C'est  un  puQf^.ô;  ^ay-vlv/M  ^(ù^ZY.âc:rii).oz. 

Par  le  raisonnement  mental  le  qualificatif  tJav.ruXix.ô; 
éveille  immédiatement  en  nous  l'idée  de  division  égale 
entre  le  frappé  et  le  levé,  et  la  nature  du  pied  employé 
nous  apparaît  au  second  plan  comme  étant  le  trochée,  par 
la  division  mentale  que  nous  faisons  du  nombre  6  en 
deux  autres  parties  égales  =  3  -j-  3- 

Constituons  une  autre  période  également  de  12  temps 
mais  répartis  entre  trois  pieds  dactyles  de  4  temps 
chacun.  Elle  sera  divisée  théoriquement  en  deux  parties 
inégales  comme  un  est  à  deux.  Nous  la  spécifierons,  à  l'aide 
de  la  même  suite  de  raisonnements  que  précédemment  : 
rythme  iambique  de  douze  temps. 

Le  qualificatif  «  iambique  r>  sous-entend  pour  nous  : 
division  inégale  du  simple  au  double  'donc  i  :  2)  et,  en 
second  lieu,  cette  répartition  de  12  temps  en  3  unités 
fait  ressortir  4  temps  à  chacune.  Le  pied  dactyle  nous 
apparaît  bien  dès  lors  comme  la  base  de  cette  période  du 
genre  iambique. 

Tout  ceci  est  fort  simple  sous  une  apparence  compli- 
quée. 

Pour  ne  pas  fatiguer  le  lecteur  nous  ne  nous  étendrons 
pas  plus  longuement  sur  cette  définition.  Retenons  seule- 


l 


—    21     — 

ment  en  outre  que  chacun  des  pieds-types  pouvait  com- 
porter le  mélange  de  toutes  ses  subdivisions  possibles  : 
l'iambe  être  remplacé  par  le  trochée  ou  le  tribraque  ;  le 
dactyle  par  le  spondée,  l'anapeste  ou  le  proscéleumatique. 
Que  ce  soit  au  iv®  siècle  ou  au  x^  siècle,  il  en  était  toujours 
de  même. 

Lisons  saint  Augustin  [de  Musica.  III~VI,  14)  :  «  Ubi 
pro  longis  singulis  geminantur  brèves,  pseê-  qui  rhythmuiyi 
obtinet,  aliiim  locamus  ;  velut  pro  iambo  vel  trochaeo 
tribrachum,  aut  pro  spondeo  dactylum  aut  anapaestum 
aut  prosceleuinaticiun.  r>  Il  avait  déjà  demandé  à  son 
disciple  (Lib.  III,  cap.  IV,  par.  8)  :  Die  mihi  utrum  spon- 
deus  pes  pyrrhicliio  rhijthino  possit  adjungi  ?  «  et  le  disciple 
de  répondre  :  "  Nullo  modo  ;  non  enim  continuabitar  plausus 
aequalis  :  cum  levatio  et  positio  in  pyrrhichio  singula,  in 
spondeo  vero  bina  tempora  teneant  :  et  plus  loin  encore 
(par.  10)  :  «  Dactylo  anapaestus  (misceri) potest,  nain...  et 
tempore  ac  plausu  currit  aequaliter  ;  utrique  autem  pros- 
celeumaticus  eadem  ratione  copulatur.  « 

Du  sens  de  tout  ce  qui  précède,  il  ressort  nettement 
que  dans  chaque  période  tous  les  pieds  sont  de  valeur 
rythmique  égale  entre  eux  :  nisi  aequalitate  pes  pedi 
amicus  est,  ajoute  saint  Augustin  (Lib.  VI-X,  27). 

Mais  il  ressort  aussi  clairement  que  de  telles  périodes 
devaient,  en  répétant  des  unités  toujours  semblables 
rythmiquement,  être  singulièrement  monotones  quel  que 
pût  être  le  dessin  mélodique  qui  en  variât  l'intérêt.  On 
sait,  du  reste,  que  la  mélodie  pure,  telle  que  nous  la  pra- 
tiquons, n'existait  pas  dans  l'antiquité  et  que  le  chant  se 
mouvait  dans  un  cadre  limité  à  quelques  sons.  Aussi  les 
•mciens  musiciens  avaient-ils  imaginé  d'obtenir  cette  va- 
riété, que  le  mélos  lui-même  ne  possédait  pas,  en  autorisant 
l'introduction  dans  une  période  d'un  type  podique  quel- 
conque, de  pieds  d'un  type  différent  sous  la  réserve  d'une 
déformation  accidentelle  de  ce  type  ;  déformation  ayant 
pour   but   de    rendre    ce    pied    étranger    équivalent    à 


—    22    — 

chacun  des  autres  pieds  de  la  période  dans  laquelle  on 
l'introduisait.  C'est,  on  le  sait  encore,  grâce  à  l'irrationalité 
de  certaines  longues  et  de  certaines  brèves  que  l'on  obte- 
nait ce  résultat  sous  forme  de  spondées  abrégés,  dactyles 
cycliques,  iambes  ou  trochées  allongés,  crétiques  mélan- 
gés ou  complexes,  etc. 

L'irrationalité  créait  également  des  longues  allongées 
valant  2jën72Gèmps^ brefs  ;  des  longues  abrégées,  de 
3/4  de  temps  ;  des  brèves  abrégées  de  1/4  de  temps  pre- 
mier, véritables  demi-brèves. 

A  l'aide  de  cet  artifice  —  qui  nous  prouve  incidem- 
ment que  les  combinaisons  rythmiques  simples  de  toute 
nature  ont  été  pressenties  et  pratiquées  même  dès  l'anti- 
quité classique  —  la  plus  grande  liberté  d'allures  était 
permise  au  musicien  ;  à  tel  point  que  le  rythme  proso- 
dique lui-même  se  pliait  à  l'occasion  au  rythme  musical  : 
Musica  non  subjacet  regulis  Donati,  dit  le  grammairien 
Priscien.  Sans  quoi  l'égalité  du  rythme,  axiome  fondamen- 
tal, eût  été  anéantie.  On  l'a  vu  certifié  par  saint  Augustin, 
et  Hucbald  de  Saint-Amand  théoricien  du  ix^  siècle  le  dit 
à  son  tour  sans  équivoque  :  «  Unde  ilhid  :  Rex  aeterne 

Domine mdlam  iamen  hahet  pedion  rationem,  sed  tan- 

tum  concenius  est  ryihmica  wodulatione .  y>  L'enseigne- 
ment classique  s'était  donc  perpétué  intact  pendant  tout 
le  premier  millénaire.  Bernon  d'Auge  citait  (1)  à  ce  propos 
les  deux  mots  legite  et  doceic  rythmés  musicalement  sans 
souci  de  la  quantité  prosodique  qui  leur  était  dévolue. 

Nous  trouvons  une  troisième  preuve  de  cette  égalité 
obligatoire  de  chacun  des  pieds  successifs,  dans  la  créa- 
tion des  «  silences  «  employés  çà  et  là  dans  le  mélos  pour 
complète?-  les  unités  lythmiques  incomplètes  mélodique- 
ment  comme  elles  le  sont  quelquefois  dans  les  chutes  de 
phrase. 

Enfin  nous  pouvons  ajouter  une  considération  qui,  à 

(1)  Prologus  in  Tonarium,  14.  Ed.  Migne,  t.  CXLII,  co!.  1115. 


--    23    — 

elle  seule,  vaut  pour  toutes  les  aâSrmations  :  puisque  le 
pied  maxime  est  la  représentation  amplifiée  d'un  pied 
minime,  et  que  celui-ci  est  composé  d'un  nombre  de  temps 
premiers  tous  égaux  entre  eux,  il  est  évident  que  le  pied 
maxime  remplaçant  chacun  des  temps  premiers  du  pied 
minime  par  un  pied  rythmique  complet,  chacun  de  ces 
pieds  rythmiques  est  égal  à  chacun  des  autres! 

Au  regard  de  la  mise  en  oeuvre  de  cette  théorie  véné- 
rable si  luxueusement  établie,  nous  éprouvons  le  regret 
cuisant  de  ne  pouvoir  juger  que  très  rarement  de  visu  et 
plus  rarement  encore  de  auditii  du  mérite  des  oeuvres 
d'après  lesquelles  elle  était  établie. 

Les  pièces  musicales  antiques  se  sont  retrouvées  en  trop 
petit  nombre  sous  la  main  des  chercheurs  érudits  dont  les 
missions  scientifiques  sont  peuplées,  et  le  peu  qui  nous  a 
été  révélé  par  leurs  soins  n'est  pas  pour  forcer  notre 
enthousiasme.  Néanmoins  nous  avons  la  certitude  que  les 
œuvres  disparues  ne  pouvaient  être  écrites  théoriquement 
que  d'après  les  principes  rythmiques  rappelés  plus  haut. 

Chose  curieuse  en  vérité.  Pour  l'antiquité  classique 
nous  avons  les  théories  rythmiques  pures  et  pour  ainsi  dire 
pas  d'œuvres  musicales  ;  pour  l'art  musical  du  moyen  âge, 
au  contraire,  nous  avons  des  œuvres  en  quantité  innom- 
brable et  pour  ainsi  dire  pas  de  théorie  rythmique  com- 
plète dans  tous  ses  détails.  Il  nous  faut  compléter  les 
auteurs  les  uns  par  les  autres.  Néanmoins  ce  que  nous 
possédons  de  ces  derniers  est  là  pour  certifier  que  la 
rythmopée  antique  a  continué  d'être  celle  de  l'humanité 
pendant  ces  siècles  troublés.  La  rythmique  du  moyen  âge 
certifiée,  à  son  tour,  par  l'analyse  des  œuvres  musicales 
de  la  même  période  s'étant  perpétuée  jusqu'à  nous  dans  le 
dédale  des  inventions  rythmiques  des  générations  qui  nous 
ont  précédés,  nous  pouvons  dire  avec  certitude  que  la 
filière  est  ininterrompue,  le  lien  intact  et  sans  solution  de 
continuité.  L'égalité  des  pieds  rythmiques  musicaux  est 
"toujours  la  base  de  la  composition  du  mélos. 


—    24   — 

Pour  qui  saura  comprendre  toute  l'importance  de  ces 
données  scientifiques  révélées  par  les  écrits  des  anciens 
théoriciens,  il  paraîtra  superflu  de  dresser  ici  le  parallèle 
des  rythmes  antiques  et  des  rythmes  modernes. 

Certes  nous  avons  inventé  plus  de  formules  rythmiques 
que  nos  aïeux  n'en  connaissaient,  mais  toutes  celles  que 
ceux-ci  avaient  découvertes  sont  encore  du  patrimoine  de 
nos  écoles  modernes. 

La  différence  entre  le  rythme  musical  et  le  mètre  poé- 
tique apparaît  dès  ce  moment. 

Le  rythme  musical  a  précédé  le  rythme  métrique.  Cela 
est  certain.  Tout  peuple  a  chanté  alors  même  que  sa  langue 
parlée  était  encore  informe;  à  fortiori  il  chantera  en 
l'absence  d'une  poésie  même  rudimentaire. 

Le  rythme  musical  a  créé  le  rythme  prosodique,  mais  la 
poésie  en  s'affinant  se  constitua  un  ensemble  de  lois  ryth- 
miques propres,  moins  rigoureusement  mécaniques  que 
celles  qui  régissent  le  rythme  musical. 

Nous  verrions  volontiers  dans  cette  évolution  primor- 
diale comme  la  résultante  de  la  constatation  matérielle 
d'une  monotonie  insupportable  d'un  texte  déclamé  rythmi- 
quement  sur  un  mouvement  uniforme.  La  langue  poétique 
avec  son  tour  d'esprit  quelque  peu  vagabond,  ses  péri- 
phrases redondantes,  ses  métaphores  soigneusement  caden- 
cées, avait  besoin  pour  se  libérer  d'un  cadre  rythmique 
étouffant  son  essor,  d'une  latitude  plus  grande  dans  la 
succession  des  composantes  rythmiques,  que  la  musique 
n'en  requérait  grâce  à  la  variété  de  ses  intonations  mélo- 
diques. 

La  poésie  déclamée,  en  outre,  avait  à  se  servir  d'un 
vocabulaire  qu'elle  n'était  pas  à  même  de  transformer.  Ce 
n'étaient  pas  des  sons,  sans  valeur  fixe  de  durée,  qu'elle 
employait.  D'un  mot  de  quatre  ou  cinq  syllabes  dont  l'une 
était  obligatoirement  accentuée,  elle  ne  pouvait  faire  à  sa 
guise,  un  mot  de  deux  ou  trois  syllabes,  tandis  que  la 
mélodie  resserre  ou  distend  à  volonté  ses  unités  rylhmi- 


—    25    — 

ques.  Elle  peut  faire  d'une  unité  composée  de  6,  8,  lo 
subdivisions,  autant  d'unités  nouvelles  et  inversement. 

Aussi  le  cadencement  rythmique  de  la  poésie  se  déga- 
gea-t-il  dès  le  début  du  rythme  musical  qui  l'avait  précédé  ; 
mais,  par  contre,  le  rythme  n'étant  autre  chose  qu'une 
question  de  proportions  dont  le  respect  est  à  priori  exigé 
par  l'être  humain,  poésie  et  musique  y  furent  astreintes, 
l'une  par  le  besoin  de  sensation  d'un  cadencement  harmo- 
nieux de  la  parole  —  rythme  oratoire  poétique  —  l'autre 
par  celui  de  la  mélodie  —  rythme  purement  musical  mélo- 
dique —  chacune  conservant  le  respect  des  lois  générales 
avec  une  part  de  liberté  qui  lui  est  propre. 

Nous  dégageant  maintenant  de  toutes  considérations 
étrangères  à  notre  sujet,  nous  pouvons  envisager  unique- 
ment la  période  musicale  en  elle-même,  telle  qu'elle  prit 
corps  sous  l'influence  de  textes  en  prose  à  revêtir  d'une 
trame  musicale. 

La  période  musicale,  avons-nous  dit,  est  constituée  par 
une  suite  de  pieds  minimes  tous  égaux  entre  eux,  con- 
trairement au  rythme  prosodique  qui,  lui,  admet  l'inéga- 
lité des  pieds,  pour  les  causes  sus-rappelées. 

Les  textes  anciens  sur  lesquels  est  fondée  cette  affir- 
mation sont  des  plus  probants.  De  siècle  en  siècle  nous 
les  retrouvons  proposés  comme  une  base  incontestée.  Il 
nous  suffira  de  citer  quelques-uns  des  auteurs  les  plus 
réputés  de  ces  temps  lointains. 

M.  Fab.  Quintilien,  au  ii^  siècle  s'exprime  ainsi  (i)  : 
«  Sunt  et  illa  discrimina  (entre  le  rythme  et  le  mètre)  quod 
rythmis  libéra  spaiia ,  metris  finita  sunt  ;  et  his  certae 
clausidae  ;  illi,  quomodo  coopérant ,  currunt  usque  ad 
metabolem,  id  est  transifum  in  aliud  genus  rythmi  ,-  et 
quod  mctrum  in  verhis  modo,  ryihmus  etiam  in  corpoiHs 
motu  est.  r> 

L'allusion   au   rythme   des   mouvements    du   corps   (la 

(1)  De  Instit.  orat.,  Lib.  IX,  4. 


—    26    — 

danse),  bien  qu'étrangère  à  notre  étude,  n'en  certifie  pas 
moins  la  différence  que  M.  F.  Quintilien  veut  faire  res- 
sortir. 

Saint  Augustin,  deux  siècles  plus  tard,  revient  deux 
fois  sur  cette  question  : 

«  Inter  rxjtlimmn  et  metrmn  hoc  interesse  dixisti  (i) 
(c'est  son  élève  qui  lui  répond)  quod  in  rythmo  conteœtio 
pedum  nullum  ce^-tum  habet  finem,  in  métro  vero  habet  : 
ita  ista  pedum  conteœtio  et  rijthmi  et  metri  esse  inielligi- 
tur  ;  sed  ibi  in/lnita,  hic  aiitem  finita  constat,  r, 

«  In  conjunctis  pedibus  (2)  sive  libéra  perpetuitate  por- 
rigatur  ista  conjunctio,  sicid  in  rythmis  ;  sive  ab  aliquo 
certo  fine  revocetur,  sicid  in  metris  ;  sive  etiam  in  duo 
onembra  quadam  lege  sibimet  congruentia  tribiiatur,  sicut 
in  versibus  ;  qua  tandem  alia  re,  nisi  aequalitate  pes  pedi 
amicus  est  ?  » 

Avançons  encore  de  trois  siècles.  C'est  saint  Isidore  de 
Séville  (au  vii^  siècle),  qui  dans  son  livre  I,  cap.  89  des 
Étymologies  paraît  copier  ses  devanciers  :  «  Huic  adhaeret 
rhythmus,  qui  non  est  certo  fme  moderatus,  sed  tamen 
rationabiliter  ordinatis  pedibus  currit  ;  qui  latine  nihil 
aliud  quam  numerus  dicitur.  r, 

Nous  verrons  dans  un  instant  Guido  Aretinus  confir- 
mer ces  errements  pédagogiques  quatre  siècles  plus  tard 
encore. 

Qu'entendent  donc  Quintilien,  saint  Augustin  et  saint 
Isidore  par  ces  mots  :  libéra  spatia...  nullwn  certum 
finem...  infinita...  libéra  perpetuitate...  concernant  le 
rythme,  opposés  à  :  finita...  certae  clasuluae...  certum 
finem...  certo  fine...  regardant  le  mètre?  Simplement  que 
le  rythme  est  le  mouvement  réglé  dès  le  début  d'une 
œuvre  musicale,  et  non  un  ensemble  de  rythmes  juxta- 
posés d'après  certaines  lois.  Pour  nous  servir  d'une  com- 


(n  Cfr.  de  Miisica,  Lib.  IH,  Vil,  15. 
(±)  Op.  cit.  Lib.  VI,  X,  -27. 


~    27   — 

paraison  à  la  portée  des  praticiens  modernes,  nous  leur 
proposerions  volontiers  l'identiâcation  du  rythme  libre 
de  l'antiquité  avec  la  mélodie  pure  de  nos  classiques  du 
genre  «  Sonate  »  et  l'identification  du  vers  antique  à  la 
coupe  rigide  avec  nos  rythmes  de  danse  dont  la  coupe  est 
également  rigide. 

Guido  représente  à  son  tour  la  tradition  pure,  preuve 
évidente  de  la  perpétuité  des  usages  antérieurs. 

A  la  base  de  sa  théorie  nous  retrouvons  le  pied  dans 
ses  diverses  formes  rythmiques  :  unus,  duo,  très  sont 
aptantur  in  syllahas,  ipsaeque  solae  vel  duplicatae  neu- 
tnam  id  estpartem  cantilenae  constituunt . , .  cum  et  neumae 
loco  sint  pedwn  et  distinctiones  loco  versuum,  utpote  ista 
neuma  dactylico,  illa  vero  spondaico,  illa  iumhico  métro 
decurreret,  et  distinctionem  nunc  tetrametrain  nunc  penta- 
nietram  alias  quasi  hexametram  cernes .. .  (Guido  Aretinus, 
Microl.  cap.  XV]. 

Au  sommet,  nous  retrouvons  également  la  constitution 
de  la  période  musicale  et  des  proportions  numériques  qui 
la  régissent  :  «  Semper  tamen  aut  in  numéro  vocum  aut 
in  ratione  tenorum  neumae  alteridrum  conferantur  atque 
respondeanf,  nunc  aequae  acquis  (i  :  i),  nunc  duplae  vel 
triplae  simplicibus  (2  :  1,3:  1  )  atque  alias  collatione  ses- 
quialtera  (3:2)  vel  sesquitertia  (4  :  3)  "  (1), 

Pieds  égaux,  périodes  d'inégales  grandeurs,  propor- 
tions numériques,  rien  n'y  manque.  On  chercherait  vaine- 
ment une  plus  parfaite  concordance  de  textes  démontrant 
la  continuité  d'un  enseignement  réellement  classique  et 
dix  fois  séculaire.  N'est-ce  pas  assez  prouver,  par  consé- 
quence absolue,  qu'aucune  solution  de  continuité,  aucune 
rupture  d'aucune  sorte  n'a  jamais  été  introduite  dans  la 
filière  des  transformations  de  notre  art  musical  ? 


(I)  Les  proporlions  5  :  1  et  4  :  .ï  étaient  rojelées  par  les  anciens.  Guido  les 
^\iév,WiC possibles  ;  inclinons-nous  devant  sa  grande  autorité. 


Enfin,  ne  sommes-nous  pas  autorisé  à  conclure  cette 
seconde  étude  comme  nous  le  faisions  de  la  première  ? 

Disons  donc  :  Rythmiquement,  le  chant  grégorien  est 
la  forme  musicale  directement  dérivée  de  l'art  antique  ; 
il  n'y  a  pas  rupture,  la  chaîne  est  intacte. 


m 


Si,  au  XI®  siècle,  les  théoriciens  de  la  musique,  et  en 
particulier  Guido  et  son  commentateur  superficiel  Aribon, 
se  faisaient  un  devoir  de  conserver  par  écrit  les  lois  de  la 
Musique,  par  contre  il  serait  excessif  de  croire  que  de 
leur  temps  les  traditions  pures  de  l'exécution  s'étaient 
fidèlement  conservées. 

Nous  avons  même  la  certitude  du  contraire.  Elles  étaient 
mises  de  côté  soit  par  inadvertance,  soit  par  impéritie 
professionnelle,  soit  par  ignorance  de  la  véritable  forme 
des  mélodies,  et  bien  plus  par  une  opposition  latente, 
faite  par  les  maitres  de  chant  de  nos  régions,  à  l'intro- 
duction d'un  art  nouveau  dont  leur  routine  les  empêchait 
de  discerner  le  vrai  caractère. 

Là  même  où  des  maîtres  romains  avaient  été  appelés  à 
fonder  des  écoles,  l'opposition  et  l'incapacité  battaient  en 
brèche  la  réforme  qu'ils  prêchaient.  Aussi  voyons-nous 
des  monarques  tels  que  Pépin  et  Charlemagne  lutter  et 
rendre  des  décrets  contre  les  coalitions  intéressées  de  leurs 
chantres  ofiiciels  pour  les  obliger  à  s'instruire  auprès  des 
réformateurs  venus  de  Rome  et  porteuis  de  livres  de 
chant  conformes  à  l'usage  romain. 

Le  résultat  fut  bien  mince  au  point  de  vue  de  la  pra- 
tique, puisque  en  dépit  des  corrections  imposées  officielle- 
ment, nous  lisons  dans  tous  les  auteurs  des  siècles  suivants 
que  des  fautes  subsistaient  dans  toutes  les  copies  préten- 
dument authentiques,  et  qu'en  ce  qui  regarde  l'application 
de  la  théorie  même,  chacun  l'enseignait  à  sa  guise. 


—    29    — 

Toutes  proportions  gardées,  la  question  du  chant  offi- 
ciel était  au  ix*"  siècle  ce  qu'elle  est  actuellement.  Rome 
désire  l'adoption  d'une  liturgie  chantée  uniforme,  et  se 
heurte  à  des  usages  locaux  séculaires  dont  les  gardiens 
par  routine,  amour-propre  ou  ignorance  ne  veulent  pas 
se  dessaisir. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'unité  n'a  jamais  existé.  La  diffusion, 
quoique  rapide  officiellement,  n'a  pas  porté  les  fruits  que 
ses  apôtres  en  espéraient. 

Aribon  le  dit  sans  précautions  oratoires  :  «  Qiiae  consi- 
deratio  (celle  du  rythme  authentique)  jamdudum  ohiit, 
imo  sepuUa  est.  » 

Saint  Bernard  le  constate  non  sans  ironie  quelques 
siècles  plus  tard  (i)  :  «  Licei  enim  in  vitiis  omnia  fere 
conveniant  ;  in  quibus  tamen  ratio nabiliter  convenire  pas- 
sent, adeo  disconveniunt ,  ut  idem  Antiphonarium  nec 
duae  canant  provinciae. 

»  Mirwn  proinde  videri  potest  quare  major is  faerunt 
auctoritatis  atque  communio^is  notitiae  falsa  quam  vera, 
vitiosa  quam  sana. 

»  Ut  enim  de  comprovincialibus  loquar  ecclesiis,  sume 
Remense  antiphonarium  et  confer  illud  Belvacensi  vel 
Ambianensi  seu  Suessionensi  antiphonariil  quod  quasi  ad 
januam  habes.  Si  identitatem  inveneris,  âge  Deo  gratias.  » 

Notons  en  passant  que  Reims,  Beauvais,  Amiens,  Sois- 
sons  (et  Metz  dont  S.  Bernard  ne  parle  pas  ici)  étaient 
les  centres  de  culture  intensive  de  la  musique  liturgique. 
Les  écoles  de  cette  contrée  avaient  toutes  été  ouvertes  ou 
réformées  dès  l'époque  de  Charlemagne  et  par  ses  ordres. 
Qu'était-ce  autre  part  l  On  le  devine  aisément.  L'éloigne- 
ment  de  toute  direction  autorisée  a  toujours  produit  les 
mêmes  effets. 

Aussi  n'est-il  pas  surprenant  de  voir  Guy  d'Arezzo  s'ef- 
forcer d'étendre  l'usage  du  système  d'écriture  sur  lignes, 

(1)  De  Musica,  par.  11.  Kd.  Gaume,  i  1,  col.  154:2. 


3o 


pour  enrayer,  si  faire  se  pouvait  et  avant  qu'il  fût  trop 
tard,  la  perte  de  la  mélodie  elle-même,  insuffisamment 
fixée  par  la  notation  neumatique  pour  ceux  qui  ne  la  con- 
naissaient qu'imparfaitement  et  par  simple  tradition  orale. 

Ainsi  nous  avons,  dès  le  xf  siècle,  deux  faits  contem- 
porains, certains,  témoignant  de  la  ruine  du  chant  dès 
une  époque  antérieure,  et  nous  montrant  le  chant  gré- 
gorien sur  le  bord  de  l'abîme  où  il  sombra  dans  le  siècle 
suivant. 

A  quelle  cause  première  peut-on  logiquement  imputer 
les  premières  atteintes  portées  au  rythme  matériel  de 
l'art  qui  nous  occupe  ? 

D'abord,  et  en  tout  premier  lieu,  à  la  difficulté  d'exé- 
cution, au  manque  de  moniteurs  stylés,  enfin  à  l'incapa- 
cité des  vulgarisateurs  satisfaits  de  leur  situation  acquise. 
Nous  l'avons  fait  pressentir  précédemment.  Mais  un  autre 
élément  de  trouble  avait  surgi  du  néant,  élément  de 
trouble  et  de  progrès  tout  à  la  fois.  Nous  voulons  parler 
de  Vorganum.  Essai  timide  d'une  polyphonie  dont  nul  ne 
soupçonnait  les  lois  physiques,  mais  dont  chacun  pres- 
sentait la  possibilité  d'emploi. 

Uorganum  était,  à  proprement  parler,  l'accompagne- 
ment de  chaque  note  du  chant  par  une  autre  note  en 
harmonie  avec  celle-là.  Les  premiers  essais  donnèrent  des 
résultats  étranges.  Les  organistes  n'ayant  pas  découvert 
le  principe  initial  du  rapport  des  sons  entre  eux  dans  une 
tonalité  donnée,  et  aveuglés  par  un  autre  principe,  faux 
celui-là,  établi  sur  la  loi  des  nombres,  décrétèrent  que 
tel  intervalle,  quarte  ou  quinte,  étant  la  consonnance 
vraie,  naturelle,  ou  pouvait  accompagner  chaque  note 
de  la  voix  chantante  par  une  autre  note  à  distance  de 
quarte  ou  de  quinte. 

Méthode  empirique,  s'il   en   fut,  comme  toute  science 
positive  en  a  connu  à  son  origine. 

Ce  n'est  pas  tout  d'ailleurs  et  l'erreur  matérielle  eût 
été  vite  reconnue,  mais  dans  cette  malheureuse  question 


—  3i  — 

un  facteur  redoutable  était  entré  enjeu  sous  forme  d'in- 
struments de  musique  grossiers  dont  le  maniement,  diffi- 
cile à  cause  de  son  imperfection  mécanique,  exigea  pour 
rendre  son  intervention  effective  une  atténuation  générale 
du  mouvement  rythmique  de  l'œuvre  musicale  à  accom- 
pagner. La  déformation  du  rythme  s'ensuivit  fatalement 
et  toutes  les  notes  de  la  mélodie  furent  et  durent  être 
exécutées  lentement,  presque  égales  les  unes  aux  autres, 
d'où  l'appellation  de  planus  cantus  ou  plain-chant,  chant 
plan,  s'imposa  pour  distinguer  celui-ci  du  chant  popu- 
laire rythmé  allègrement. 

Tel  fut  dès  lors  le  chant  liturgique  du  xii®  siècle  ;  il  est 
resté  tel  jusqu'à  nos  jours. 

Néanmoins  cet  état  misérable  devait  être  le  point  de 
départ  d'une  manifestation  artistique  réellement  surpre- 
nante. 

On  se  souvient  que  l'unité  du  rythme  musical  était  le 
pied  composé  de  3,  4,  5  temps  premiers  et  formant  par 
leur  réunion  une  formule  rythmique  pleine  de  mouve- 
ment. Chacune  des  notes  de  ces  formules  en  perdant  son 
rythme  propre  originel  et  devenant  une  note  lourdement 
émise  et  soutenue  aussi  longuomont  que  la  note  d'ac- 
compagnement l'exigeait  pour  se  faire  entendre  elle-même, 
chacune  de  ces  notes,  disons-nous,  devint  la  base  d'une 
formule  rythmique  d'accompagnement  vocal  au  fur  et  à 
mesure  de  la  découverte  des  lois  harmoniques  qui  régis- 
sent physiquement  les  rapports  des  sons. 

Nous  pouvons  représenter  à  l'oeil,  et  sous  une  forme 
saisissable  pour  tous,  cette  suite  de  transformations: 

unité  du  rythme 
pied  rythmique 


subdivisible  en 
4  fractions  dites  «  temps  r 

'  ■*  M  I*  U 

de  la  durée  totale  de 
r  unité-type 


—    32    — 

Dans  la  suite,  chacune  de  ces  quatre  (quarts)  fraciions 
devint  une  unité  nouvelle 


donc  : 


unités-bases 


4  unités  vocales 

servant  de  base  à 
des  formules  rythmiques 
d'accompagnement 
ci  : 

I     I        I 


notes  d'accompagnement  --ou ou ou 

Pour  peu  que  l'on  soit  familiarisé  avec  les  choses  de  la 
musique  on  remarquera,  sans  entrer  plus  à  fond  dans 
cette  exposition  spéciale  :  i"  que  le  système  rythmique 
antique  réapparaissait  dans  toute  sa  pureté  ;  2°  que  notre 
système  rythmique  moderne  dérive  de  cette  aptitude  à 
être  subdivisée  à  l'infini  que  la  formule  rythmique,  quelle 
qu'elle  soit,  possède  intrinsèquement. 

Il  y  a  donc  :  rythme  antique,  déformation  et  annihile- 
ment  du  dit  rythme,  puis  reconstitution  du  même  rythme 
sur  les  ruines  du  précédent  ;  donc  preuve  évidente  que 
l'humanité  compte  au  nombre  de  ses  besoins  essentiels 
non  pas  une  rythmique  quelconque,  mais  la  rythmique 
que  le  Créateur  lui  a  imposée  dès  sa  naissance,  puisque 
malgré  tout,  elle  y  revient  sans  cesse  comme  poussée  par 
une  force  suprahumaine. 

Que  l'on  retienne  bien  ce  fait,  il  est  d'une  importance 
capitale,  en  ce  qu'il  montre  la  «  perpétuité  «  des  exigences 
rythmiques  humaines  et  principalement  de  l'absence  des 
moyens  d'expression  en  dehors  d'un  certain  cercle  de  pro- 
cédés matériels. 

El)  etFet,  la  mélodie  était  arrivée  à  son  apogée  dès  la 
tin  du  VIII*  siècle  environ.  Les  livres  de  chant  l'avaient 
propagée  aux  confins  de  l'univers  chrétien,  mais  en  s'éloi- 


33 


gnant  du  centre  de  culture  elle  avait  perdu  une  somme 
plus  ou  moins  grande  de  certitude  au  regard  de  son 
exécution,  comme  la  lumière  devient  moins  intense  à 
mesure  que  l'on  s'éloigne  du  foyer  qui  lui  donne  naissance. 

Le  monde  n'était  pas  alors  en  possession  de  moyens  de 
prompte  information,  à  fortiori  de  prompte  vérification 
d'une  parfaite  conformité  avec  l'école-mère  de  la  science 
musicale.  Pour  un  manuscrit  prototype,  dix,  vingt  copies 
manuscrites  surgissaient  avec  toute  la  légion  inévitable 
d'erreurs  matérielles  qu'un  semblable  travail  a  toujours 
entraînées.  Comment  l'art  authentique  romain  eût-il  pu 
résister  à  une  pareille  coalition  d'éléments  destructeurs  ? 

Avant  même  qu'une  saine  doctrine  ait  eu  le  temps  de 
s'implanter  dans  les  pays  de  mission,  Yorganum  exer- 
çait ses  ravages  rythmiques  au  berceau  de  l'Art  lui-même  ! 

Que  conclure  de  ces  données  éparses,  mais  certaines 
dans  leurs  détails,  sinon  que  dans  le  chant  liturgique, 
comme  dans  les  usages  liturgiques  de  chaque  contrée, 
l'infiltration  de  la  doctrine  romaine  ne  fut  jamais  assez 
puissante  pour  submerger  et  anéantir  l'état  de  choses 
préexistant?  Si,  de  nos  jours,  la  liturgie  romaine  a  sup- 
planté les  liturgies  diocésaines  —  après  des  siècles  de 
tentatives  infructueuses  —  la  liturgie  chantée  est  encore 
réfractaire  à  l'unification,  en  France  du  moins. 

Mais,  ne  nous  éloignons  pas  de  notre  étude  et  formulons 
un  résumé  générai  de  tout  ce  qui  précède. 


CONCLUSION 

Les  historiens  de  la  musique  ont  creusé  un  fossé 
profond  entre  l'art  grec  antique  et  l'art  du  moyen 
âge.  Comment  n'ont-ils  pas  cherché,  ne  fût-ce  que  par 
curiosité,  à  savoir  ce  qui  gisait  au  fond  de  ce  fossé  ? 
Indifférence  ou  manque  de  courage,  c'est  tout  un.  Il  est 
plus  à  la  portée  de  chacun  de  se  contenter  d'idées  reçues 


-   Î4  - 

sur  les  sujets  les  plus  graves,  même  si  elles  sont  erro- 
nées. 

Nous  avons  eu  cette  curiosité,  et,  certes,  nous  pouvons 
dire  en  toute  sincérité  que  si,  au  début  de  notre  entre- 
prise, le  fond  de  l'abîme  nous  apparut  d'une  noirceur 
à  dérober  à  notre  vue  la  place  où  poser  le  pied  pour 
tenter  d'y  atteindre,  nos  yeux  s'habituèrent  bien  vite  à 
cette  quasi-obscurité. 

Ayant  toujours  présent  à  la  pensée  cet  axiome  :  «  Rien 
ne  se  crée,  rien  ne  se  perd  «,  et  croyant  fermement  que 
l'homme  n'est  qu'un  metteur  en  œuvre,  nous  avons  con- 
sidéré en  musicien  l'art  grec  antique  et  l'art  du  moyen 
âge,  comme  un  ingénieur  considérerait  deux  falaises 
abruptes  séparées  par  un  gouffre  au-dessus  duquel  il  lui 
est  imposé  de  jeter  un  pont.  Commençant  les  travaux 
d'approche  sur  les  deux  rives,  il  poussera  chaque  tronçon 
dans  le  vide  jusqu'à  leur  rencontre. 

Il  nous  a  paru  que  le  même  procédé  pouvait  être 
employé  pour  relier  l'art  antique  à  l'art  anté-palestrinien, 
séparés  par  un  abîme  de  dix  siècles. 

Après  avoir  étudié  les  théories  musicales  de  ce  millé- 
naire, et  cherché  leur  application  sans  violence  dans  les 
manuscrits  de  la  même  période,  nous  avons  été  frappé  de 
l'étroite  parenté  qu'elles  conservaient  aussi  bien  avec  l'un 
qu'avec  l'autre.  L'abîme  s'est  trouvé  comblé  entre  ces 
deux  manifestations.  Le  pont  n'avait  plus  de  raison  d'être. 
Le  niveau  était  rétabli  et  la  route  aplanie. 

A  quelque  époque  que  nous  nous  arrêtions  dans  l'inves- 
tigation du  passé  musical  des  générations  disparues  et  soit 
que  nous  portions  nos  regards  en  avant  ou  en  arrière, 
nous  voyons  que  la  chaîne  des  transformations  de  l'art 
musical  n'offrait  aucune  solution  de  continuité,  aucune 
trace  de  rupture. 

L'art  moderne  ne  s'explique  que  par  l'art  palestrinien 
et  celui-ci  ne  peut  s'expliquer  que  par  la  ruine  momen- 
tanée du  chant  grégorien.  Le  chani  grégorien  à  son  tour 


—  35  - 

ne  peut  s'expliquer  que  par  la  théorie  qui  l'a  précédé  dans 
l'antiquité.  Inversement,  chaque  étape  de  l'art  prépare 
l'étape  suivante. La  fusion  est  parfaite  et  l'alliage  indécom- 
posable. 

Le  chant  grégorien  était  donc  de  la  musique  véritable 
et  le  plain-chant  n'en  fut  qu'un  état  misérable  et  passager, 
une  sorte  de  chrysalide  qui,  une  fois  les  temps  révolus, 
devait  se  révéler  sous  une  forme  nouvelle. 

Mai  igoi. 


Imprimerie  Polleunis  &  Ceuterick,  32,  rue  des  Orphelins,  Louvain 
Même  maison  à  Bruxelles,  37,  rue  des  Ursulines 


LA  NOTATION  NEUMATIQUE 


DU  MEME  AUTEUR 


A  la  Librairie  FISCHBACHER 

33,  RUE   DE  SEINE,   PARIS 

L'Art  dit  Grégorien,  d'après  la  nolalion  neumalique.  Étude  préliminaire. 

1  vol.  gr.  in-S"  jésus,  40  pages  (1897) 2  fr.  50 

Le  Rythme  da  Chant  dit  Grégorien,  d'après  la  nolalion  neumalique. 

1  vol.  gr.  in-8°  jésus  Je  264  pages  (1898) 25  fr.     » 

Le  Rythme  du  Chant  dit  Grégorien,  d'après  la  notation  neumatique. 
Appendice  paginé  à  la  suite  de  l'ouvrage  précédent,  de  265  à  363.  1  vol. 
gr.  in  8»  (1899) 5  fr.     » 

Deux  Mémoires  sur  la  Notation  neumatique,  lus  au  Congrès  de  juillet 
1900.  Gr.  in-8o  jésus,  20  pages  (1901).  (Epuisé). 

L'évolution  de  l'Art  musical  et  l'Art  Grégorien.  Petit  in-12, 54  pages 
(1902) • 1  fr.     » 


A  la  Librairie  Alphonse   PICARD  et  Fils 

82,   Ul'E    liONAl'AKTE,    TARIS 

La  Richesse  rythmique   musicale  de    l'Antiquité,   in-8",  84  pages 
(1903) 3  fr.  50 


A  la  Librairie  MIRVAULT 

69-71,    RLE    AU  PAIN,    .SAINT-(iEKMAIN-EN-LAYE    (s.-ET-O.) 

La  Question  grégorienne  en  1904,  in-8",  58  pages  i,l90i)  .      2  fr.    » 
La  Science  musicale  traditionnelle,  in-8  oblong    ....      1  fr.     » 


U  NOTATION  MUSICALE 

DITE  NEUMATIQUE 


L'histoire  de  la  musique  n'a  pas  échappé  au  sort  commun  à 
toute  histoire.  Qu'il  s'agisse  de  littérature,  de  politique,  de  reli- 
gion ou  d'art  plastique,  certains  faits  restent  inexpliqués  :  un 
mystère  impénétrable  semble  les  envelopper,  un  voile  les 
dérober  à  la  perspicacité  humaine. 

Dans  le  champ  de  l'histoire  de  la  musique  du  haut  moyen 
âge,  labouré  en  tous  sens  depuis  soixante  ans,  une  portion  a 
résisté  aux  efforts  les  plus  patients,  celle  du  sens  mélodique  et 
rythmique  de  la  notation  neumatique. 


Fig.  1.  —  Spécimen  de  l'écriture  neumatique  du  type  de  Saint-Gall,  x«  siècle. 
(Oq  remarquera  les  lellres,  qui,  de  place  en  place,  surmontent  certains  signes.) 

Est-il  donc  si  impénétrable,  ce  secret,  que  toute  méthode 
doive  s'avouer  impuissante  à  le  percer  jamais? 

Bien  loin  est  le  temps  où  Th.  Nisard  publiait,  dans  la  Reçue 
archéologique^  des  articles-réclames  où,  à  côté  d'énormités  sug- 
gérées par  l'orgueil,  beaucoup  d'aperçus  très  justes  se  faisaient 
jour  par  places.  De  Goussemaker,  Danjou,  de  la  Page,  l'abbé  Rail- 
lard  —  le  premier  d'entre  eux  surtout  —  et  d'autres  moins 

1.  Revue,  1849-1850. 


46  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

notoires  avaient  également  apporté  leur  pierre  à  l'édifice  entre- 
vu, dont  chacun  présentait  un  plan  de  sa  façon.  Oserai-je  le 
dire?  c'est  à  peine  si,  depuis  cette  époque,  la  question  neu- 
matique  a  fait  un  pas  vers  sa  solution,  à  ne  considérer  que  la 
marche  des  choses  en  ces  soixante  dernières  années,  et  nul 
n'ignore  aujourd'hui  que  la  réforme  du  chant  liturgique  catho- 
lique, dans  le  sens  d'une  restauration  scientifique  du  chant 
primitif,  à  fait  l'objet  de  discussions  passionnées. 

Quels  qu'aient  pu  être  les  arguments  échangés  pour  ou  contre 
telle  ou  telle  interprétation  des  manuscrits  neumés,  l'ordre 
bénédictin  a  conquis,  en  fait  et  de  haute  lutte,  le  privilège  de 
retenir  l'attention  du  public  spécial  s'intéressant  à  cette  réforme. 
Le  fait  de  la  réussite  est  patent;  mais  le  droit  scientifique  rend- 
il  ce  succès  inattaquable?  C'est  ce  que  l'on  verra  (§  III). 

Aux  yeux  du  public,  la  réforme,  dite  bénédictine,  de  Solesmes 
est  Y  alpha  et  V  oméga  de  toute  science  liturgico-musicale.  Or, 
il  est  bien  certain,  tout  d'abord,  que  l'ordre  bénédictin  est  divisé 
contre  lui-même  en  deux  ou  trois  clans  irréductibles  sur  cette 
grave  question,  et  que  si  une  paix  apparente  s'est  faite  sur  un 
terrain  neutre,  cela  tient  seulement  à  des  raisons  de  sentiment. 

Il  est  non  moins  certain  que  l'ordre  bénédictin,  dans  toutes 
ses  publications  sur  la  matière,  a  considéré  comme  inexis- 
tantes les  objections  les  plus  pressantes  ;  en  fait  d'autorité  ou 
de  références  scientifiques  ',  il  se  cite  de  préférence  lui-même 
dans  la  personne  de  ses  adeptes.  Enfin  le  mode  de  formation 
do  la  fameuse  Commission  N'aticanc,  instituée  par  le  Souverain 
Pontife  pour  rechercher  les  moyens  les  plus  sûrs  d'arriver  à 
une  solution  définitive,  et  sur  le  texte  musical  et  sur  son  inter- 
prétation éventuelle,  laisse  planer  quelques  soupçons  sur  la 
nature  du  but  poursuivi  par  les  organisateurs.  Cette  commis- 
sion s'est  d'ailleurs  égrenée  dès  les  premières  séances;  les 
quelques  membres  impartiaux  s'étant  retirés  aussitôt  que    le 

1.  Voir,  entre  autres  publications  :  Dom  Cabrol,  Bict.  d'archéol.  chrél.  et  de 
liturgie,  art.  Accent,  t.  f,  col.  220-240  (Letouzey  et  Ané,  éditeurs,  Paris,  1903.i 


I 


LA    NOTATION    MUSICALE    DITE    NEUMATIQUE  47 

plan  du  président,  le  R.  P.  Dom  Pothier,  fut  transparent  :  lui 
seul,  ses  idées,  ses  principes.  L'édition  dite  Vaticane  n'en  a 
pas  moins  vu  le  jour,  et  je  dis,  en  toute  sincérité,  que  le  monu- 
ment est  aussi  parfait  qu'une  œuvre  humaine  peut  l'être, 
puisque  cette  édition,  dite  nouvelle,  n'est  autre  que  la  réim- 
pression, à  quelques  variantes  près,  de  celle  publiée  en  1895  par 
les  mêmes  bénédictins,  œuvre  déjà  de  premier  ordre. 

Telle  fut  la  réalisation  de  la  première  partie  du  programme  : 
la  restitution,  scientifiquement  établie,  des  notes  de  la  mélodie 
traditionnelle  du  viii^  au  xiv"  siècle.  La  seconde  partie,  restée 
en  suspens,  concerne  le  rythyne  qui  donne  à  l'œuvre  son  mou 
vement,  sa  vie. 

Comme,  aussi  bien,  il  faudra  sortir  un  jour  ou  l'autre  de 
cette  impasse*,  et  ce,  nécessairement,  pour  le  plus  grand  profit 
de  l'art  musical  sacré  —  et  même  pour  celui  de  l'art  profane  — 
j'aborderai  succinctement  : 

l*'  La  notation  neumatique  prise  à  son  apogée  d'usage  au 
ix7x®  siècle,  et  se  transformant  peu  à  peu  pour  devenir  la  no- 
tation musicale  actuelle;  2°  les  origines  de  la  notation  neuma- 
tique (en  réponse  à  un  ouvrage  récent  sur  le  même  sujet); 
3°  le  sens  rythmique  des  signes  neumatiques  de  la  belle  époque 
du  chant,  ix®/x®  siècle,  d'après  les  théoriciens  contemporains, 
et  contre  l'école  bénédictine  de  Solesmes. 


I 

On  appelle  notation  neumatique  un  système  de  notation 
musicale  usité  en  Occident  depuis  la  fin  du  viii''  siècle  jusqu'au 
xiii"  siècle,  plus  ou  moins  tard  selon  les  contrées.  Il  remonte- 
rait même  beaucoup  plus  haut  dans  le  passé,  si  l'on  parvenait 
à  établir  avec  certitude  que  le  pape  Grégoire  I,  dit  le  Grand,  ait 

1.  En  1857  (?)  on  émettait  déjà  ce  vœu.  (P.  Dufour,  Mémoire  sur  les  chant$ 
liturgiques...  i(  Nous  avons  tous  grand  besoin  de  quitter  le  vague  poétique  pour 
entrer  un  peu  dans  le  réel  !  »).  On  verra  dans  notre  §  III  qu'il  n'y  a  rien  de 
changé  du  côté  bénédictin  en  1910. 


48  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE 

((  neiimé  »  son  antiphonaire '.  Son  nom  était  alors  révélateur 
d'une  origine  latine;  on  l'appelait  la  no^tz  rumana  —  note  ou 
notation  romaine.  Nous  reviendrons  plus  loin  (§  II)  sur 
cette  question  des  origines». 

Habitués  dès  l'enfance  à  la  lecture  des  notes  écrites  sur  des 
portées  musicales  de  cinq  lignes,  nous  serions  tentés  de  consi- 
dérer à  première  vue  la  notation  neumatique  comme  une 
sorte  d'écriture  sténographique.  Ce  serait  une  erreur  de  nous 
rendre  trop  facilement  à  1  axiome  formulé  par  Gui  d'Arezzo^  : 

«  Causa  vero  breviandi  neiimae  soient  fieri.  » 

Les  neumes  marquaient  le  rythme,  les  notes  et  les  nuances  '  ; 
cela  ne  constitue  pas  une  sténographie  à  proprement  parler, 
mais  une  notation  complète  suivant  un  mode  de  graphie  réduite 
à  sa  plus  simple  expression.  Le  terme  «  hiéroglyphes  »  est  plus 
conforme  à  la  réalité,  en  ce  qui  concerne  du  moins  notre  inap- 
titude à  les  lire  couramment. 

Le  procédé  de  lecture  de  ces  signes  est,  en  vérité,  à  la  portée 
de  tout  le  monde,  aujourd'hui  comme  il  y  a  cinquante  ans. 

Pour  les  érudits,  le  signe  générateur  de  cette  notation  est 
l'accent  grammatical  grave,  et  son  contraire,  l'accent  aigu.  Cette 
thèse  fort  acceptable,  qu'aucun  texte  n'établit  d'ailleurs,  est 
ingénieuse  et  mérite  toute  créance  :  son  auteur  est  le  célèbre 
Do  Coussemaker''.  Nous  dirons  plus  loin  ce  qu'il  faut  penser  des 
commentaires  ajoutés  par  l'éminent  musicographe  (v.  §  II). 

«  Les  neumes,  suivant  nous  (De  Coussemaker),  ont  leur  ori- 
«  gine  dans  les  accents  ;  l'accent  aigu  ou  arsis,  l'accent  grave 
«  ou  thesis,  et  l'accent  circonflexe,  formé  de  la  combinaison  de 


1.  Sur  ce  sujet  je  renvoie  le  lecteur  à  mon  étude  sur  la  Cantilènc  romaine, 
p.  53  à  60  (Fischbacher,  Paris,  1905)., 

2.  On  lira  avec  le  plus  grand  intérêt  le  cbap.  III  (pp.  149  et  suiv.)  de  l'ou- 
vrage célèbre  de  De  Coussemaker  :  Histoire  de  i harmonie  au  moyen  âge.  Paris, 
1852. 

.  Regulae  musicae  r%<micac,  dans  P.  I.,  Migne,  CXLI,  col.  409  C. 

4.  Regulae  de  ignoto  cantu  {ibid.,  col.  416)  alinéa  :  Quomodo  aulem  tiques- 
cant  voces,  etc.. 

5.  Hist.  de  l'harmonie  au  Moyen  âge,  p.  158,  Paris,  1852- 


LA    NOTATION    MUSICALE    DITE   NEUMATIQUE  49 

«  l'arsis  et  de   la  thesis  sont  les  signes  fondamentaux  de  tous 
«  les  neumes.  » 

Pour  les  profanes,  pressés  de  savoir  et  se  souciant  peu  de 
dissertations  savantes,  la  notation  neumatique  est  un  composé 
de  groupes  de  points  et  de  traits  obliques  superposés,  alternant 
avec  des  signes  aux  lignes  sinueuses,  des  groupes  de  deux  ou 
trois  apostrophes  successives,  et  encore  d'autres  groupements 
offrant  un  mélange  de  tous  ces  éléments  réunis  (v.  ex.  1  et  2). 


AlW 


lut  .^_.: 


vf 


J 


Fig.  2.  —  Autre  genre  de  notation  dérivée  du  type  de  Saiut-Gall  :  les  lettres- 
nuances  ont  disparu,  les  signes  sont  souvent  simplifiés.  Type  dit  Accents 
français. 


Les  créateurs  anonymes  de  ce  genre  de  graphie  n'ont  pro- 
bablement pas  cherché  bien  longtemps  la  mise  au  point  d'un 
tel  système,  fondé  ou  non  sur  le  rôle  des  accents.  Étant  données 
deux  notes  à  chanter  dont  Tune  était  plus  élevée  que  l'autre, 
représenter  lapins  basse  par  un  point  ou  un  trait  horizontal  et  la 
plus  élevée  par  un  trait  vertical  ou  oblique,  dut  être  le  premier 
mobile  de  cette  invention;  le  trait  oblique  indiquant  le  geste 
même  du  maître  simulant  l'ascension  de  la  voix  vers  le  degré 
supérieur,  par  exemple  -  /  —  la,  si. 

Les  deux  sons  pouvant  être  émis  d'un  seul  souffle  {'K'nX)\i.x) , 
l'idée  de  lier  cursivement  ces  deux  éléments  dut  se  présenter  à 
l'esprit  en  moins  de  temps  qu'on  ne  met  à  l'écrire  (v.  ex.  3,  les 
trois  premiers  signes). 

La  substitution  de  points  superposés  lorsque  plusieurs  notes 


50 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE 


se  suivent,  ascendantes  ou  descendantes,  ne  déroge  pas  au  prin- 
cipe fondamental  : 

.  /  z  */     */    ^        /  /  / 


Hg.  3.' 

Dès  lors,  la  notation  neumatique  avait  vu  le  jour.  Que  l'on 
imagine  les  mouvements  inverses  des  notes,  c'est-à-dire  une 
note  supérieure  suivie  dune  inférieure,  on  écrira  un  trait  obli- 
que ascendant  soudé  à  un  trait  descendant  (signe  en  V  retourné) 
et  les  deux  sons  se  trouveront  représentés  diastématiquement  : 

A      A      A      A  /..         /.  /.. 


i 


t 

Fig.  4. 


Combinant  les  mouvements  ascendants  suivis  de  descendants, 
l'application  toute  simple  du  principe  fondamental  engendre 
les  signes  suivants  : 


-fr^^^^ï^ 


rtcln* 


groupe  total  iiîgullor 
Fis.  5. 


UL^^=M^ 


Fi".  0. 


Il  est  clair  que,  sur  cette  base,  il  suffira  d'ajouter  ou  de 
retrancher  un  ou  plusieurs  éléments,  avant  ou  ajirès  la  formule- 
racine,  pour  créer  toute  une  série  de  graphies  nouvelles  suivant 


LA    NOTATION    MUSICALE    DITE    NEUMATIQUE  51 

exactement  les  conloiws  mélodiques  d'un  chant  à  noter  ;  chaque 
groupement  étant  fait  conformément  à  la  loi  supérieure  dite 
de  l'inflexion  rijthmique  vocale  (zvîîj[ji,x,  pneuma,soVii^Q),  qui  est 
tout  le  système,  dont  le  nom  générique  «  système  ou  notation 
neumatique  '  »  est  tiré  de  l'objet  à  représenter  graphiquement. 


Fig.  7. 

Chaque  groupe  de  sons  est  représenté  par  un  neume  et  forme 
une  inflexion  vocale  définie  comme  l'est  une  syllabe  du  langage 
ordinaire  :  no-la-iion  =z  trois  syllabes,  parties  d'un  tout  qui 
est  le  mot  entier  ^  comme  les  groupes  de  sons,  notés  figure  7, 
forment,  chacun  en  soi,  une  syllabe  muskalp,  partie  d'un  tout^ 
(mot  musical)  (v.  §  111). 

Par  contre,  on  a  été  plus  loin  en  imaginant  quelques  signes 
particuliers,  tous  rigoureusement  constitués  d'après  le  principe 
fondamental,  représentant  des  ornements  du  chant,  tels  que 
trilles,  appogiatures,  échappées,  grupetti. 

L'ensemble  a  formé,  en  fin  d'analyse,  un  système  remarqua- 
blement homogène,  et  répondant  à  tous  les  besoins  ou  deside- 
rata de  l'antique  école  au  sein  de  laquelle  s'élaborèrent  les 
mélodies  primitives  *. 

Le  véritable  premier  secret,  pour  nous,  résidait  dans  l'indi- 
cation des  notes  à  o^ecowmr  sous  ces  formules  hiéroglyphiques. 
On  n'a  pas  réussi  à  le  percer  à  jour.  Moi-même  j'ai  perdu  plus 
de  dix  années  à  vouloir  le  résoudre.  L'échec  de  toute  tentative 

1.  Le  p  de  pneuma  est  tombé  de  bonne  heure  en  déjuélude  dans  nos  con- 
trées occidentales. 

2.  V.  §  III,  les  textes  fondant  cette  théorie. 

3.  V.  Gui  d'Arezzo,  Micrologus,  ch.  XV,  tout  le  début.  V.  notre  ouvrage  La 
Canlilène  romaine,  dans  lequel  (p.  81  à  113)  l'analyse  du  chapitre  XV  de  Gui 
d'Arezzo  est  faite  phrase  à  phrase  avec  exemples. 

4.  Il  ne  serait  pas  applicable  à  la  transcription  des  mélodies  modernes  con- 
çues dans  un  tout  autre  ordre  de  faits  rythmi'^ues. 


52  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE 

lient  à  un  fait  de  déformation  de  la  mélodie,  certainement  diffé- 
rente aujourd'hui  de  ce  qu'elle  était  à  l'origine. 

Ce  problème,  insoluble  en  apparence  au  premier  abord,  a 
été  résolu  d'une  façon  très  simple  en  confrontant  les  manus- 
crits neumés  avec  les  manuscrits  notés  du  xiv"*  s.  La  juxtaposi- 
tion des  diverses  notations  d'une  même  pièce  et  la  concordance 
des  transcriptions  ont  rétabli  la  tradition  écrite.  Toutefois  il 
n'est  pas  admissible  que,  au  moment  où  cette  notation  fut  ima- 
ginée, un  ensemble  de  règles  d'écriture  et  de  lecture  n'ait  pas 
été  formulé  clairement  pour  permettre  de  réaliser  de  premier 
jet,  et  à  première  vue,  la  notation  et  le  déchiffrement  des  mélo- 
dies usuelles.  S'il  n'en  avait  pas  été  ainsi  au  début,  on  eût  sans 
doute  utilisé  la  vieille  notation  alphabétique  que  nous  verrons 
renaître  de  ses  cendres,  passagèrement,  dans  une  école  vers  le 
xVxi°  siècle'. 

Néanmoins,  aucun  des  anciens  auteurs  n'aborde  cette  question 
ténébreuse.  La  supposent-ils  connue  ou  insoluble?  Ne  l'igno- 
rent-ils  pas  plutôt  eux-mêmes?  Ce  dernier  cas  est  le  plus  pro- 
bable :  il  expliquerait  leur  silence,  et,  mieux  encore,  le  besoin 
qu'ils  éprouvaient  de  compléter,  par  l'addition  d'indications 
moins  vagues,  la  notation  des  manuscrits  en  usage. 

Ce  furent  d'abord  les  /étires  dites  romaniennes,  lettres  ini- 
tiales de  termes  dont  on  n'avait  que  faire  la  plupart  du  temps. 
De  nos  jours,  on  a  accordé  à  ce  système  une  puissance  magique 
qu'il  ne  possède  pas,  pris  en  lui-même.  A  part  cinq  ou  six 
lettres,,  tout  le  reste  n'est  que  folio  imagination.  On  fit  mieux. 
On  traça  sur  le  vélin  une  ligne,  à  la  pointe  sèche  ou  à  l'encre, 
cette  ligne  étant  réputée  représenter  le  niveau  sonore  de  la  note 
fa.  Toutes  les  autres  notes,  au-dessus  ou  au-dessous  de  ce  fa, 
s'étageaicnt  ensuite  naturellement  autour  de  cette  ligne  point  de 
repère,  à  laquelle  on  superposa  bientôt  une  seconde  ligne  sup- 
portant la  note  ///,  les  notes  intermédiaires  s'espaçant  entre 
elles  deux.  On  peut  dire  que,  de  ce  jour,  la  portée  fut  créée  en 

1.  V.  ex.  10.  Ms.  de  Montpellier. 


LA    NOTATION    MUSICALE    DITE    NEUMATIQUE  53 

principe,  dès  que  les  neumes  furent  transportés  tels  quels  sur 
ce  cadre  fixe. 

Une  troisième  ligne,  médiane  entre  les  deux  premières,  ne 
tarda  pas  à  s'imposer  (fig-.  8), 


lié  In'  ja 


A 


1  *!       ^ 


tuf  '   «/Î-"  r-nfhrf 


Fig.  8.  —  Notution  ueuraalique  sur  3  lignes. 


De  l'écriture  à  trois  lignes,  on  devait  inévitablement  passer 

à  celle  sur  quatre  (fig-.  9),  et  même  cinq  lignes,  celle-ci  plus  rare. 

11  suffisait  d'ajouter  au  dessus  de  la  ligne  à'ut,  ou  au-des- 


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l"'ig.  9.  —  Notation  neumalique  sur  4  lignes. 

sous  de  celle  de  fa,  les  lignes  supplémentaires  nécessitées  par 
l'amplitude  de  la  mélodie,  et  l'on  supprimait,  en  bas  ou  en 
liaut  de  la  portée  ainsi  créée,  les  lignes  devenues  inutiles. 


54 


REVUE    ARCHEOLOGIQUE 


C'est  ainsi  que  nos  clefs  usuelles  —  que  d'aucuns  croient  être 
une  superfluité  —  ont  vu  le  jour  et  passèrent  de  la  musique 
neumée  dans  le  système  figuratif  mesuré  du  xiv°  s.,  puis  dans 
le  nôtre,  parce  qu'elles  répondaient  à  une  nécessité  d'écriture 
selon  le  diapason  et  l'amplitude  de  la  partie  vocale  ou  instru- 
mentale à  écrire. 

Entre  temps,  un  autre  mode  d'éclaircissement  avait  été  ima- 
giné, —  simple  guide-âne,  disons-le  fort  irrespectueusement, 
mais  c'est  le   seul   mot  qui  convienne.   Au-dessous  de  chaque 


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Fig.  10.  —  Fragment  du  manuscrit  à  double  notation,  neumatique  et 
alphabétique  de  Montpellier. 

ligne  neumatique  on  écrivit  la  lettre-son,  emprunt  fait  à  îa 
pratique  gréco-romaine  antérieure. 

La  nature  même  du  manuscrit  qui  porte  cette  addition 
montre  qu'il  n'était  qu'un  codex-répertoire,  annoté  comme 
un  instrument  de  contrôle.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  lui  attribuer 
une  place  en  vue  dans  l'histoire  de  la  notation  :  une  mention 
suffit.  L'existence  de  ce  manuscrit  n'en  est  pas  moins  à  signaler 
pour  une  autre  constatation  qu'il  permet  de  mettre  en  relief  : 
il  s'agit  de  la  perte  certaine  de  la  tradition  d'écriture  à  l'époque 
où  il  fut  rédigé,  xi®  s.  (fig.  10). 

La  portée  musicale  étant  passée  dans  l'usage,  les  neumes  se 
transformèrent,  peu  à  peu,  ipso  facto,  par  le  besoin  que  l'on 
éprouva  de  les  dépouiller  de  tous  les  jambages  superflus,  fort 


LA    NOTATION   MUSICALE    DITE    NEUMATIQUE  55 

pittoresques  sans  doute,  mais  nuisant,  et  cela  sans  profit  com- 
pensateur, à  la  netteté  de  la  lecture.  C'est  ainsi  que  la  notation 
carrée  se  substitua  au  système  neumatique.  Toute  fantaisie 
d'interprétation  de  la  note  et  des  groupes  de  notes  était  écartée 
désormais. 

On  conçoit  combien  aisée  fut  la  reconstitution  de  la  ligne 
mélodique  du  chant  ancien.  Il  suffisait  d'avoir  sous  la  main, 
et  à  sa  disposition  entière,  le  plus  grand  nombre  possible  de 
manuscrits  notés  en  clair,  de  les  confronter,  de  les  transcrire 
—  en  rectifiant,  d'après  les  meilleurs  manuscrits,  les  altérations 


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Fig.  11.  —  Extrait  d'un  livre  de  chœur  du  xuie  siècle.  Notation  carrée  sur 

4  ligues. 

passagères  des  copistes  —  pour  présenter  de  nouveau  le  chant 
dans  son  intégrité  originelle.  Telle  fut  l'œuvre  des  Bénédictins 
de  Solesmes,  œuvre  de  patience  que  seuls  ils  pouvaient  entre- 
prendre, parce  que  toutes  les  bibliothèques  abbatiales  leur 
étaient  ouvertes.  Un  individu  isolé,  réduit  à  ses  propres  forces, 
n'eût  pu  réussir  faute  de  temps  :  une  vie  humaine  n'eût 
pas  suffi  à  parfaire  le  contrôle  sévère  de  toutes  ces  versions 
manuscrites,  au  cas  fort  improbable  où  les  bibliothèques 
abbatiales  se  seraient  ouvertes  à  ses  désirs.  Les  Bénédictins 
étaient  donc  les  seuls  qualifiés  pour  cette  grande  œuvre.  Sans 
elle,  aucun  travail  sérieux  n'était  possible  ;  sans  elle,  la  Vaticare 

n'aurait  jamais  vu  le  jour. 

* 

Le  résultat  le  plus  intéressant  de  l'invention  de  la  portée 
musicale  fut  de  préparer  la  voie  à  un  nouveau  type  d'écriture 
qui,  dans  la  suite  des  siècles,  et  progressivement,  devint  cet 
admirable  instrument  qu'est  la  notation  moderne, 


56  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE 

D'autre  part,  la  création  de  la  portée,  au  x-  siècle  environ,  a 
eu  cet  autre  résultat  de  rendre  moins  regrettable  pour  nous  la 
perte  des  traités  primitifs  enseignant  la  méthode  d'écriture  et 
de  lecture  du  système  neumatique.  Cette  perte,  enfin,  n'est  à 
déplorer  qu'au  seul  point  de  vue  de  la  curiosité  bien  légitime 
du  chercheur  mis  en  présence  d'un  texte  neumatique  dont 
aucune  transcription  notée  ne  nous  serait  pirvenue;  il  on 
existe  quelques-uns  qui,  de  ce  chef,  resteront  toujours  lettre 
close. 

II 

Les  origines  de  la  notation  neumatique. 

Nous  ne  saurions  ici,  sans  dépasser  notre  but,  rappeler  les 
diverses  et  nombreuses  opinions  émises,  il  y  a  un  demi-siècle, 
touchant  les  origines  de  la  notation  neumatique.  Une  seule 
d'entre  elles  méritait  de  retenir  l'attention  et  l'a  retenue,  celle 
de  l'accent  grammatical,  grave  ou  aigu,  émise  par  De  Cousse- 
maker;  l'auteur  inclinait  en  faveur  d'une  origine  romaine. 
Moi-même  au  Congres  d'histoire  comparée  de  la  musique, 
tenu  à  Paris  en  1900,  je  concluais  très  affirmativement  en 
faveur  de  la  môme  origine,  bien  que  pour  des  raisons  dilTé 
rentes  de  celles  auxquelles  De  Coussemaker  se  référait. 

Cette  thèse  «  romaine  »  ayant  été  critiquée  dans  un  ouvrage 
paru  récemment',  on  ne  peut  éviter  d'envisager  la  question 
dans  son  ensemble. 

L'auteur,  .1.  Thibaut,  de  Constantinople,  admet  la  théorie 
de  l'accent  générateur  et  signe  fondamental  de  la  notation 
neumatique  ;  par  contre,  il  tend  à  en  faire  non  une  création 
originale  romaine,  mais  un  sim|)le  emprunt  de  l'Occident  à  une 
notation  orientale  antérieure,  fondée  sur  le  même  principe.  On 
va  voir  par  quelle  suite  de  déductions. 

1.  Joh.  Thibaut,  Origine  byzantine  de  la  notation  neumatique  de  l'Eglise 
latine,  Paris,  1907. 


I 


LA  NOTATION  MUSICALE  DITE  NEUMATIQUE  57 

J.  Thibaut  fait  dériver  la  notation  neumatique  de  la  nota- 
l  .._  TomIl.T.P7u.n.J.p.s7. 

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9  ecmmroeHâ  ^uuj  w^uX^^^^ 


Fig.  12.  —  Tableau  des  sigues  de  ia  uotatiou  byzautiue  (extrait  d'un  manuscrit 
de  saint  Biaise  par  Dom  M.  Gerbert,  abbé;  De  canlu  et  musica  sacra,  t.  II, 
pi.  Vni,  p.  56-57). 

tion  hagiopolite  ou  de  S.  Jean  de  Damas,  sœur  d'une  notation 


58  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

dite  constantinopolitaine ,  loutes  deux  composées  d'environ 
24  signes  purement  conventionnels  dans  leurs  formes  gra- 
phiques et  n'ayant,  de  ce  fait,  aucun  rapport  avec  le  mouve- 
ment mélodique'  qu'ils  représentent  :  ce  sont  de  pures  notations 
sténographiques. 

Voilà  une  première  objection  ;  elle  montre  déjà  la  diiïérence 
d'objectif  entre  nota  leurs  latins  et  notateurs  orientaux,  puisque 
la  notation  lat|ine  est  essentiellement  une  notation  de  mouve- 
ments mélodiques,  dans  lequels  chaque  son  est  représenté  par  un 
signe  distinct  dans  la  formule  appelée  «  neume  »,  fondée  sur 
l'inflexion  vocale  :  chaque  inflexion  étant  représentée  par  un 
neume. 

La  notation  constantinopolitaine  avait  emprunté,  dit  J.  Thi- 
baut, quinze  de  c'es  signes  à  une  notation  antérieure  dite  ekpho- 
nétique,  usitée  pour  les  lectures  des  Livres  Sacrés,  mais  dont 
on  ignore,  de  nos  jours,  la  signification  pratique,  lacune  plu- 
tôt grave  pour  permettre  d'étayer  une  thèse  de  dérivation  de 
sens.  La  forme  des  signes  reste  alors  le  seul  lien  visible  entre 
ces  deux  systèmes  :  est-ce  un  lien  suffisant  ? 

Enfin,  la  notation  ekphonétique  paraît  avoir  adopté,  à  son 
tour,  la  série  entière  des  signes  prosodiques  de  l'antiquité  : 
accents  (aigu,  grave  et  circonflexe)  et  signes  conventionnels 
(long,  bref,  etc...)-. 

Conclusion  de  J.  Thibaut  :  la  notation  neumatique  latine  est 
issue  des  signes  d'accentuation  ancienne,  en  passant  par  la 
filière  des  trois  notations  sus  rappelées  :  ekphonétique,  constan- 
tinopolitaine ethagiopolite. 

Comparons  d'abord  les  17  signes  fondamentaux  latins,  neu- 
matiques,  (fig,  13)  avec  les  signes  byzantins  (fig.  12). 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  chaque  signe  en  particulier  en  le  rap- 
prochant du  signe  byzantin  auquel  le  P.  Thibaut  le  compare; 
une  vue  d'ensemble  permet  de  saisir  la  différence  matérielle 

1.  On  appelle  itMuvtmenl  mélodique  la  succession  ou  l'enchainenaent  des 
noies. 

2.  V.  J.  Thibaut,  ouv.  cité,  pp.  24,  34,  71  et  81,  les  tableaux  de  signes. 


LA    NOTATION  MUSICALE  DITE  NEUMATIQUE  59 

des  deux  graphies,  et,  pour  ne  citer  qu'un  seul  cas  d'interpré- 
tation de  sens,  je  proposerai  celui  du  premier  signe  latin  du 
tableau,  Vépiphonus,  que  J.  Thibaut  identifie  avec  le  pethasii 
constantinopolitain  dérivé  du  synemba  ekphonétique  :  le  pethasti 
byzantin  signifie  exactement  le  contraire  de  l'épiphonus  latin. 
Il  en  est  de  même  de  quelques  autres;  certains  signes  d'une 
notation  n'ont,  dans  l'autre,  aucun  équivalent. 

Je  demanderai  plutôt  :  Qu'est-il  besoin  de  conduire  la  nota- 
tion neumatique  à  travers  le  dédale  de  ces  systèmes  orientaux 


F/o'iphonus     S/rop/)iC(Li     .^cm^diÇ  Forrec.tai    On'scust 


7  /3  A  J  i) 

/  iJ  A  J7  s 


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Fig.  13.  —  Tableau    des  H   sigoes  aeuiuatiques  latiQS   doQoés  par  le  inaauscrit 
de  Miirbach,  cité  par  le  P.  J.  Thibault, 

qui  n'ont  aucun  rapport  avec  elle,  sauf  dans  le  signe  fondamen- 
tal (accent)  que  les  Latins  connaissaient  depuis  sa  création 
sans  le  secours  d'aucune  école  intermédiaire,  surtout  asiatique? 
Est-ce  de  ma  part  une  nouvelle  objection  sans  valeur  ?  et, 
par  ailleurs,  ne  faut-il  pas  envisager  les  faits  sans  biaiser? 
Or  donc,  qu'ont  fait  les  Byzantins?  Ces  accents  ekphonétiques, 
ils  les  ont  gardés,  intacts,  en  partie,  en  leur  assignant  une 
signification  quelconque,  —  fixe  évidemment  —  mais  que  leur 
dessin  ne  fait  nullement  pressentir  ;  puis  ils  ont  créé  de  nou- 
veaux signes  bizarres  ayant  une  signification  également  quel- 
conque et  dont  le  dessin  ne  permet  pas  de  deviner  davantage  le 


60  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE 

sens.  Bref,  ils  n'ont  abouti  qu'à  constituer  un  tableau  de  signes 
conventionnels. 

Et  nous,  Latins,  qu'avons-nous  extrait  du  système  ekphoné- 
tique  que  l'on  veut  nous  imposer  comme  source  de  notre  écri- 
ture musicale?  A  supposer  que  nous  y  ayons  puisé  réellement, 
nous  avons  écarté  tout  le  système  conventionnel  à  l'exception 
des  deux  accents  fondamentaux  Voxeia  ou  accent  aigu  et  la 
bareia  ou  accent  grave,  et,  do  leur  combinaison,  nous  avons 
créé  un  système  entièrement  nouveau,  d'une  logique  impec- 
cable (v.  §  I). 

De  ces  faits,  que  conclure?  sinon  que  deux  courants  sont 
issus  d'une  même  source  et  se  sont  séparés  dès  l'origine  pour 
jouir  d'une  existence  indépendante  :  l'un,  l'oriental,  se  traînant 
péniblement;  l'autre,  le  latin,  animé  d'une  course  qu'aucun 
obstacle  n'arrête,  s'adaptant  à  toutes  les  circonstances  et  pour- 
suivant son  cours  en  fertilisant  tout  sur  son  passage  :  notation 
neumatique  libre,  notation  neumatique  sur  lignes,  notation 
figurée,  notation  moderne,  toutes  suivant  l'évolution  de  l'art, 
se  perfectionnant  avec  lui,  faisant  corps  avec  lui. 

Considérez  maintenant  la  stagnation  orientale.  Tel  était  le 
système  au  viiVviii'^  siècle  avec  S.  Jean  de  Damas,  tel  il  est 
au  xx*'.  Pas  un  progrès;  rien  que  la  décadence  de  l'art,  corré- 
lative d'une  notation  figée  et  pétrifiée  dans  l'absurde  d'une 
classification  imperfectible.  Les  Latins  du  xx*'  siècle  ont,  ce 
semble,  les  coudées  franches  pour  prétendre  ne  rien  devoir  à 
l'Orient.  L'esprit  latin  est  assez  puissant,  clair  et  clairvoyant, 
l)ournerien  emprunter  en  dehors  d'un  principe,  dont  le  génie 
de  la  race  saura  tirer  tout  le  parti  possible.  C'est  ainsi  que,  sans 
outrepasser  les  limites  de  la  vraisemblance  historique,  on  peut 
admettre  que  S.  Grégoire  le  Grand  (5'.)0-G04)  connut  la  nota- 
tion neumatique,  la  nota  romana,  dont  la  légende  lui  a  attribué 
l'usage  pour  noter  son  antiphonaire  :  à  supposer  qu'il  ait 
jamais  mis  la  main  à  cette  entreprise. 

D'un  autre  côté  l'intervention  légendaire  du  grand  pontife 
pèse  trop  lourdement  sur  l'histoire  de  la  notation  et  du  chant 


LA    NOTATION    MUSICALE    DITE  NEUMATIQUE  61 

liii-mômc.  11  ne  faut  pas  oublier  que  ni  Boccc  (vV'vi''  siècle),  ni 
Isidore  de  Séville  (viVvii*'  siècle)  ni  Hède  (viiVvm"  siècle)  n'ont 
parlé  des  neumes.  C'est  un  triple  témoig-nage  négatif  à  ne  pas 
écarter.  Un  fait,  légendaire  également,  reste  du  moins  en 
vedette  concernant  l'antiphonaire  de  S.  Grégoire  :  c'est  la  copie 
dudit  antiphonaire  faite  par  ordre  d'Adrien,  pape,  et  l'envoi 
de  ce  manuscrit  à  Charlemagne  vers  790.  Tout  milite  en  faveur 
de  la  possibilité  de  ces  choses  et  il  reste,  en  fin  de  compte,  que 
la  notation  remonte  à  coup  sûr  au  viii<^  siècle  pour  l'usage  quo- 


T  f 


hc^^àimi'^fàxii^  clitnamTToreuL  anc* 
___VjJimL\.ccfTiliC'  cnmrqfutlilmàpoôdTii^- 

Fig.  14.  —  Fragment    d'uQ   tableau    ueuuiatique    doûcé   par  Gerbert,  de  canlu 
(11,  lab.).  Ce  tableau  est  beaucoup  plus  complet  que  celui  de  Miiibach  (ex.  IS). 

tidien,  et  probablement  au  vi'=  pour  son  invention.  Pour  que  la 
thèse  du  P.  J.  Thibaut  fût,  sinon  complète,  du  moins  ébauchée, 
il  aurait  fallu  que  «  considérant  chaque  signe  de  la  notation 
constantinopolitaine  traduisible  selon  la  signification  du  neume 
latin  correspondant,  il  nous  montrât  la  formule  mélodique  latine 
sous  le  signe  constantinopolitain,  et  réciproquement.  »  Or,  les 
transcriptions  sont  totalement  divergentes,  et,  par  là,  prouvent 
la  fragilité  de  la  thèse  d'identification  proposée  ' .  Les  signes  n'ont 
que  peu  de  rapports  graphiques;  les  dénominations  des  signes 
n'ont  pas  d'équivalence  rigoureuse;  la  transcription  est  diver- 
gente; le  principe  de  formation  des  signes  dans  l'un  et  dans 
l'autre  système  accuse  un  objectif  différent. 
L'origine  de  la  notation  neumatique  ne  semble  pas  pouvoir 

1.  L'ouvrage  du  P.  J.  Thibaut  n'en  est  pas  moins  une  œuvre  de    valeur  et 
dont  la  lecture  ne  peut  qu'être  profitable. 


62  REVUE   ARCHEOLOGIQUE 

être  autre  que  romaine,  on  en  conviendra  sans  peine.  Que  la 
base  du  système  soit  l'accent  grammatical,  ou  le  point  et  ses 
combinaisons  en  groupes  ascendants  ou  descendants,  la  ques- 
tion est  subsidiaire.  Prenons  la  notation  à  son  apogée  d'usage 
au  ix^  siècle;  c'est  un  monument  du  génie  latin. 


III 

Signification  rythmique  de  la  notation  neimatique  latine. 

On  a  attiré,  tout  d'abord  (§  I),  l'attention  sur  le  qualificatif 
Neume,  Neumatique.  Au  moyen  âge,  le  système  musical  qu'il 
désignait  s'appelait  d'un  seul  mot  :  Neiimae  ou  Neumata  ^z  les 
Neumes.  Le  chanteur,  professionnel  de  cet  art  particulier,  est 
dénommé  le  «  neumaticus  canlor  »'. 

S'il  n'y  a  pas,  dans  ces  termes  techniques,  la  spécification 
précise  d'un  système  particulier,  c'est  que  les  mots  n'ont  plus  de 
sens.  On  n'a  jamais  remarqué  d'assez  près  combien  les  dénomi- 
nations appliquées  à  chacun  des  systèmes  antiques  de  notation 
sont  tirées  de  V objet,  ei  non  du  procédé  graphique  qui  nous  les 
a  fait  connaître.  «  Notation  prosodique,  ou  ekphonétique  » 
est  un  terme  étroitement  lié  à  l'objet  qu'il  spécifie  :  le  discours 
déclamé.  «  Notation  neumatique  »  désigne  un  art  dont  le  mode 
d'expression  est  une  mélodie  constituée  par  des  groupes  de 
sons  réunis  en  des  émissions  vocales  distinctes,  constitutives 
d'un  rythme  sid  (jeneris  :  le  rythme  musical  antique  pur, 
opposé  au  rythme  métrique  de  la  poésie  chantée.  Plus  près  de 
nous,  on  spécifiera  «  musique  ou  notation  figurée  »  pour  dési- 
gner un  art  nouveau,  caractérisé  par  des  valeurs  rythmiques 
dont  les  proportions  de  durée  seront  entre  elles  dans  des  rap- 
ports numériques  ayant  des  affinités  avec  les  proportions 
numériques  des  arts  du  dessin,  figurées  par  des  lignes  harmo- 
nieusement rythmées. 

1.  Cf.  Gerbert,  de  cantu,  II,  60. 


LA  NOTATION  MUSICALE  DITE  NEUMATIQUE  63 

Neuma  —  déformation  orthographique  du  grec  pneinna  = 
souffle  ou  inflexion  —  est  vomm  (voix  ==  notes)  seu  notularum 
(petites  notes  de  l'écriture)  unica  respiratione  congrue  pronun- 
ciandanim  aggregalio  »  dit  Gafori.  «  Neuma  graece,  latine 
fiumerus  solet  interpretari  ».  «  Le  neume  est  la  réunion  des  sons 
ou  notes  à  émettre  convenablement  d'un  seul  souffle  :  le  mot 
grec  neuma  se  traduit  en  latin  par  le  mot  nombre  ». 

Le  mot  latin  numerus  étant,  d  autre  part,  la  traduction 
serrée  du  mot  grec  a  rhythmos  »  =  rythme',  il  s'ensuit  que, 
dans  l'esprit  des  maîtres  rythmiciens  du  moyen  âge,  rythnip, 
nombre  et  neume  sont  une  seule  et  même  chose.  Le  neume, 
signe,  est  donc,  sans  contestation,  la  représentation  graphique 
du  rythme  numérique  procédant  par  inflexions  vocales. 

Le  neume-inflexion  étant  un  élément  du  rythme,  l'unité 
rythmique  gréco-romaine  étant  le  pied  rythmique,  et,  d'autre 
part,  le  neume  étant  lui-même  l'équivalent  du  pied  rythmique 
latins  il  est  évident  que  le  signe  neumatique  est  l'incarna- 
tion graphique  de  l'unité  rythmique  musicale  ou  pied;  qu'il  est 
l'élément  rythmique  par  excellence,  et  le  seul  procédé  employé 
au  moyen  âge  pour  représenter,  une  à  une,  les  inflexions, 
c'est-à-dire  les  unités  ou  pieds  rythmiques,  dont  la  phrase 
musicale  est  composée.  Telle  est,  en  peu  de  mots,  la  pure 
théorie  régissant  la  lecture  rythmique  du  chant  neumé,  celle, 
en  somme,  dont  je  suis  le  champion  irréductible  depuis  plus 
de  quinze  années  et  que  j  ai  caractérisée  par  une  dénomina- 
tion ne  prêtant  à  aucune  amphibologie  :  la  théorie  du  Neume- 
Temps,  parce  que  le  temps  rythmique  est  l'équivalent  moderne 
de  pied  rythmique  ancien,  d'où  :  pied  =  neume  =  temps  = 
Neume-Temps. 
Aucun  auteur,  ni  ancien  ni  médiéval,  ne  s'est  écarté  de  ces 

1.  Cicéron,  Orator,  §  41  :  «  Numerus,  graece  pjOfjLÔ;  inesse  dioitur  ».  — 
Quinlilien,  Inst.  oral.,  lib.  IX  :  «  Numéros,  puô[j.oùç  accipi  volo  »  et  «  Nam 
rylhmi,  idest  numeri  ».  —  S.  Augustin,  De  Musica,  lib.  III,  cap.  1-2  :  «  Rythmus 
id  est  numerus».  —Hucbald,  Musica  enchiriadis,  II  :  «  Ratio,  quae  in  rylhmis 
qui  latine  dicunlur  numeri..  »,  etc..  Il  y  a  unanimité  d'enseignement. 

2.  Gui  d'Arezzo,  Microl.  XV,  «  Cam  et  neumae  loco  sint  pedum...  » 


64  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

principes  fondamentaux,  quel  que  soit  le  système  musical 
particulier  à  l'époque  qui  le  vit  naître.  De  nos  jours  encore, 
le  rythme  musical  est  une  succession  (l'indexions  isochronique- 
ment  répétées  ou  temps,  que  l'évolution  progressive  de  la 
structure  des  mélodies  a  fait  réunir  par  deux,  trois,  quatre  ou 
cinq,  formant  des  divisions  numériques  appelées  «  ?nesiires  »  : 
plusieurs  mesures  constituent  une  incise  ou  phrase  musicale. 
La  mesure  moderne  est  plus  qu'un  artifice  conventionnel; 
c'est  une  nécessité  d'écriture  correspondant  à  la  sensation  inté- 
rieure de  tout  auditeur  doué  d'un  sens  musical,  même  élémen- 
taire, lui  permettant  de  saisir  les  rapports  réciproques  des  par- 
ties constituant  par  leur  réunion  le  melos  entier.  Le  rythme  pur 
ne  connaît  pas  la  mesure  moderne. 

La  musique  est,  avant  toute  considération  d'esthétique  senti- 
mentale, une  science  mathématique,  la  science  rythmique  par 
excellence,  et  enseignée  conime  telle  au  moyen  Age. 

Voici  les  textes  qui  étahlisscnt  sur  un  fondement  solide  le 
résumé  technique  que  l'on  vient  de  lire  : 

1"  Définition  du  rythme  considéré  en  lui-même.  Quintilien 
écrit  {Inst.  oral.  IX)  :  «  Oninis  struclura  ac  dimensio  et  copii- 
«  latio  vocum  [i.  e.  sons]  constat  aut  mimeris  {numéros  puOy.iù; 
«  accipi  vo/o)  aut  i).izpz'.:,  id  est  dhnensione  quadam  »  =  Tout 
arrangement  mesuré  et  assemblage  de  sons  repose  sur  les  nom- 
bres (pris  dans  le  sens  de  rythmes)  ou  sur  les  mètres,  c'est-à- 
dire  sur  une  mesure  particulière. 

«  Nam  rythmi,  id  est  numeri,  spatio  temporum  constant...  » 
car  les  rythmes,  i.  e.  les  nombres,  dépendent  de  la  durée  des 
temps  (temps  premiers,  étalon  rytlimi(|ue  ancien  correspondant 
à  une  fractio?i  brève  d'un  temps  de  la  mesure  moderne). 

((  Hoc  interest  quod  rijthmiis  indifferens  est  dacti/liisne  ille 
((  jirtores  haheat  brèves  an  sequentes...  ».  Il  importe  de  savoir 
que,  en  rythmique,  il  est  indilîérent  d(^  placer  les  brèves  du 
dactyle  avant  ou  après  [la  longue]. 

«  Sunt  et  illa  discrimina,  quid  rythmis  libéra  spaiia,  metris 
«  /mita  sunt;  et  his  cerlae  clausulae ;  ilU  quomodo  coeperant 


LA  NOTATION  MUSICALE  DITE  NEUMATIQUE  65 

a  currunt  usqiie  ad  [;,£Ta6o).Yiv,  id  est  transitum  m  aliud  genits 
«  rythmi.  ))  Il  y  a  cette  divergence  entre  les  rythmes  et  les 
mètres,  que  les  rythmes  n'ont  pas  de  limite  fixée,  tandis  que  les 
mètres  sont  limités  dans  leur  étendue  et  doivent  s'y  tenir.  Les 
rythmes,  au  contraire,  s'enchaînent  suivant  le  type  adopté  au 
début  de  la  phrase,  et  se  poursuivent  jusqu'à  la  métabole  qui 
est  le  passage  en  un  autre  genre  rythmique. 

Musicalement,  il  y  a  cette  même  différence  entre  le  rythme  et 
le  mètre  compris  selon  les  anciens,  que  nous  constatons  au 
xix*"  siècle,  d'une  part,  entre  la  musique  facile  des  opéras-comi- 
ques' (genre  Auber,  Rossini,  Donizetti  etc.),  représentant  la 
musique  métrique  antique,  et,  d'autre  part,  \d,musique  rythmi- 
que continue  du  type  wagnérien  (et  de  nos  maîtres  modernes) 
représentant  la  rythmique  pure  de  l'antiquité^  (...  rythmis  libéra 
spatia  sunt...)  telle,  probablement,  que  Pindare  l'a  employée 
dans  ses  odes  triomphales.  Wagner  est  d'ailleurs,  à  mes  yeux, 
une  sorte  de  réincarnation  du  célèbre  poète  thébain. 

* 

Liberté  d'étendue  du  rythme  ne  signifie  pas  rythme  sans 
règles  constitutives  des  unités  qui,  sous  le  nom  de  pieds  rythmi- 
ques, en  sont  la  matière  même.  Ceux-ci,  selon  leur  constitu- 
tion en  nombre  d'éléments  fondamentaux  appelés  temps  pre- 
miers, ressortissent  à  l'un  des  trois  genres  rythmiques  fondamen- 
taux :  le  genre  binaire,  comportant  les  rythmes  à  nombre 
binaire  de  temps  premiers  (2  ou  4  ou  G)  ;  le  genre  ternaire,  ceux 
à  3  temps  premiers  ;  le  genre  sesquialtère  ou  hémiole,  ceux  à 
5  temps  premiers. 

Le  membre  de  phrase,  commencé  dans  un  genre,  continue  à 
se  développer  en  unités  du  même  genre  «  usquead  metabolen  », 


1.  Metris  spatia  finita  sunt  =  phrases  musicales  de  4  mesures,  sans  cesse 
répercutées,  sortes  de  télramètres  musicaux. 

2,  Malgré  la  divisioa  mesurée,  souvent  fautive  d'ailleurs;  car  nos  maîtres 
ignorent  tout  de  la  théorie  de  l'écriture  du  rythme  musical,  à  la  diffusion  de 
laquelle  j'ai  consacré  cinq  années  de  mes  cours  libres  à  la  Faculté  des  Lettres 
de  Paris. 


Gfi  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

c'est-à-dire  jusqu'au  changement  de  genre,  s'il  y  a  lieu  d'en 
adopter  un  nouveau.  Tous  les  pieds  rythmiques  constituant  un 
membre  de  phrase  sont  donc  égaux  enire  eux,  et  cela  est  de 
l'essence  du  rythme  même. 

Introduirait-on  dans  un  membre  un  pied  rythmique  étranger 
au  genre,  que  le  musicien,  par  un  artifice  autorisé,  l'égaliserait 
en  durée  avec  les  pieds  du  genre.  Ceci  se  rencontre  dans  la 
poésie  lyrique  chantée  où  le  mélange  de  pieds  de  genres  dilTé- 
rents  est  une  des  prérogatives  de  cette  culture  :  in  verùbus  res 
est  aperlioï",  qiiamquam  etiam,  a  modis  quibusdmn  cantu  remolo, 
soluta esse  videaiur  oratio  ;  maximeque  id  inoptimo  quoque  eorum 
poelarum,  qui  Aup'.xoi  a  graecis  nominantur,  quos  cum  cantu  spo- 
liaveris  nuda  poene  remanct  oratio.  (Cic.  Orat.,  §  LW). 

La  musique  égalise  donc  les  unités  rythmiques. 

Pieds  égaux,  en  musique  ancienne,  et  étendue  rythmique 
libre  pour  le  membre  de  phrase.  Temps  égaux  en  musique 
moderne,  et  libre  étendue  du  membre  de  phrase,  engendré 
par  le  sens  mélodique.  Mômes  lois  à  vingt  siècles  de  distance. 

* 
*•  * 

La  musique  neumatique  étant  la  forme  musicale  intermc- 
diaire  entre  la  culture  antique  et  la  culture  moderne,  dérive- 
t-elle  directement  de  la  culture  antique  en  préparant  du  même 
coup  la  culture  moderne  classique?  Est-elle  une  forme  dart 
spéciale  à  un  peuple,  à  une  race  ou  à  une  époque,  qu'il  faille 
exhumer  des  ténèbres  d'un  passé  mal  délimité? 

Les  textes  des  théoriciens  de  cette  forme  musicale  intermé- 
diaire nous  répondront  '. 

1"  Sur  l'égalité  du  rythme  et  son  processus  :  Hucbald  de 
Saint-Amand,  Commemoralio  brevis  {Pair.  Lat.  de  Migne, 
t.  CXXXII,  col.  1041-42)  :  Quae  canlandi  aequitas  ri/tfimus 
graece  latine  dicitur  numerus,  quod  certe  onine  inelo^  more 
metri  diligent er  mensuranduni  si'.',  Musica  Enchiriadis  {ibid., 

1.  Tous  les  textes  donnés  ici  sont  commentés  dans  notre  opuscule  La  Canli- 
Une  romaine -fWQyis  ne  saurions  reprendre  ici  ce  commentaire. 


LA  NOTATION    MUSICALE    DITE    NEUMATIQUE  67 

col.  994)  :  Sic  itaqiie  niimcrose  at  cancre  longis  brembu^que 
sonis  râlas  /?2or?</«5  (durées  proportionnelles)  metiri  nec  per  loca 
protrahere  vel  conlrahcre  magis  qiiam  oportet,  sed  infra  scan- 
dendi  leqem  vocem  continere  lU  possit  ?neliim  ea  finiri  mora  qua 
cepit.  Col.  %^2  :  Quid  esl  numerose  cancre'}  Rép.  :  Ut  atten- 
datiir  iibi  prodalioribus  iibi  brevioribiis  morulis  iitenduni  sit  et 
veluti  metricis  pedibus  cantilena  plaudalur...  Age,  canarmis, 
...plaudam  ego  pedes  in  praecinendo,  tu  seqitendo   imitabere, 

Guid'Arezzo,  Micrologus,  cap.  XV  :  Sicque  opits  est  ut  quasi 

metricis  pedibus  cantilena   plaudalur Non  autem    parva 

slmilitudo  estmetriset  cantibus,  cum  et  neumae  loco  sint  pedum, 

2°  Sur  la  composition  rythmique  du  pied-neume ,  Gui 
d'Arezzo,  Micrologus  cap.  XV  :  lyitur  quemadmoduni  m  metris 
sunt  litterae  et  syllabae,  portes  et  pedes  ac  versus  :  ita  et  in  har- 
monia  (musique)  sunt  phthongi^  id  est,  soni,  quorum  unus^  duo 
vel  très.,,  aptantur  in  syllabas,  ipsaeque  solae  vel  duplicalae 
NEUMAM  id  est  partem  constituunt  canlilenae  ;  et  pars  una  vel 
plures  distinctionem  faciunt  ». 

Odon  de  Cluny,  Op.  de  Musica  {P.  L.  Migne,  CXXXIII,  col. 
784)  porte  à  quatuor  voces  (sons)  la  constitution  du  neume-syl- 
labe-pied.  L'exemple  pratique  qu'il  en  donne  est,  à  lui  seul, 
dirimant  de  toute  controverse  :  a-7no  tem-plum  font  quatre 
syllabes,  respectivement  composée  de  1,  2,  3,  4  lettres  et  simu- 
lent quatre  neumes  de  1,  2,  3,  4  sons. 

3*^  Ces  neumes-pieds  ont  une  valeur  rythmique  égale  en 

DURÉE,  CHACUN  A  CHACUN  : 

Gui  d'Arezzo,  Micrologus  XV  :  Semper  tamen  aut  in  numéro 
vocum  (nombre  de  sons)  aut  in  ratione  tenorum  (rapport  de 
durée)  neumae  allerutrum  conferantur...  Aribon  {P.  L.M.., 
CL.,  col.  1342)  ajoute  :  Ténor  dicitur  mora  (durée)  vocis  qui 
in  aequis  est  si  quatuor  vocibus  duae  comparantur  et  quantum 
sit  duarum  minor,  tantum  earum  mora  sit  major. 

C'est  bien  là  notre  système  moderne  :  deux  croches  —  quatre 
doubles  croches  ;  la  durée  de  chacune  des  croches  est  d'autant 
plus  longue  {tantum  major)  qu'elles  sont  deux  seulement  à  être 


68  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE 

émises  dans  un  même  espace  de  temps  que  le  groupe  suivant 
de  quatre  doubles  croches^  dont  la  durée  de  chacune  est  d'autant 
plus  courte  {lantum  minnr)  qu'elles  sont  en  plus  grand  nombre 
dans  la  formule  neumée. 

L'égalité  rythmique  des  neumes  est  encore  certifiée  par  cette 
phrase,  extraite  d'un  manuscrit  du  xi®  siècle,  du  Mont  Cassin  '  : 
Vos  cantores  qui  vuUis  scirc  vias  neumarum...  Vtdeatis  quomodo 
dividantur  neumarum  chorda  et  quomodo  pergunt  per  aequalita- 
tem:  quoniam  omnes  neumae  aequaliter '■  pergunt .  Les  neumes 
étant  pieds  rythmiques  sont  donc  égaux  entre  eux,  et  les  notes 
entrant  en  collation  neumatique  prennent  leur  valeur-durée 
plus  longue  ou  plus  brève  selon  leur  nombre. 

Ce  qui  prouve  que  le  neume  est  réellement  pied  rythmique, 
c'est  que  :  Motus  vocum  fit  arsi  et  thesi,  id  est  eievaiione  et  posi- 
tione  ;  quorum  gemino  motu,  id  est  m'sis  et  thesis  omnis  neuma 
formatur,  [^jraeter  repercussas  et  simp lices]  '  ». 

L'identité  du  neume  et  du  pied  s'affirme  partout  dans  nos 
théoriciens. 

4°  Le  mélange  de  pieds  de  toute  nature  s'opère  sous  la  loi  de 
l'équivalence,  comme  on  le  constate  dans  les  Lyriques  anciens. 

Gui  d'Arezzo,  Micrologus  X  V  :  Sicut  enim  Lyrici  poetae 
nu)ic  hos  nwic  alios  junxere  pedes,  ita  et  qui  cantum  faciunt 
rationabiliter  discretas  ac  diversas  neumas  componant...  C'est 
ici  que  vient  se  placer  le  membre  de  phrase  cité  plus  haut  (V,  1°)  : 
Cum.  et  neumae  loco  sint  pedum,  etc...  (Microl.  XV). 

5°  Du  mélange  de  pieds  rythmiques,  et  non  métriques,  ne 
l'oublions  pas,  naît  une  grande  variété  d'allure  comme  dans 
nos  œuvres  modernes,  dont  les  temps,  composés  sur  la  base  de 
la  «  noire  »,  se  fractionnent  jusqu'à  l'émiettement  en  doubles 
ou  triples  croches.  La  musique  neumée  dépasse  rarement  le 
groupe  de  cinq  notes  par  formule  :  quelques  formules  s'éten- 


1.  Cité  par  De  Coussemaker,  Hiat.  de  l'harmonie,  p.  178. 

2.  Huchalii  disait  :  0"^^  canendi  aequilas,  etc.,  v.  ci-avant. 

3.  Gui  d'Arezzo,  Microl.,  XVI.  Ces  quatre  derniers  mpts  demarideraient  qnç 
dissertation  particulière. 


LA   NOTATION  MUSICALE   DITE  NEUMATIQUE  69 

dent  jusqu'à  huit  notes,  mais  les  manuscrits  d'une  même  époque 
sont  rarement  d'accord  sur  ce  groupement.  Néanmoins,  comme 
il  n'y  aurait  pas  de  méthode  archéologique  soutenable  si  l'on 
se  permettait  d'attenter  à  l'intégrité  d'un  document  original, 
nous  devons  respecter  cette  notation. 

Le  texte  suivant  certifie  la  différence  du  caractère  rythmique., 
esthétique,  indiquée  par  les  neumes  : 

Hucbald,  Musica  Enchiriadts  [P.L.  Migne.  CXXXII,  col.  994)  : 
Videndion  etiam  quae  mora  (mouvement  en  durée)  Uli  aut  illi 
melo  conveniat.  Nam  hoc  quidem  melum  celeriu^  cantari  conve- 
ii't,  illud  vero  morosius  pronuntiattim,  fit  siiavius.  Qaod  iiiox 
dmosci  valet  ex  ipse  factura  meli  utrum  sit  levions  gravibusne 
neumis  compositas. 


* 

*  * 


Comment  ces  théories  si  claires  ont-elles  pu  tomber  en  oubli 
dès  le  XI®  siècle',  sinon  un  peu  avant?  11  serait  trop  long  de 
traiter  en  ce  moment  cette  nouvelle  face  de  la  question.  Plu- 
sieurs causes  ont  influé  sur  la  ruine  de  cette  forme  musicale 
dite  grégorienne  :  la  principale  réside  dans  l'évolution  inéluc- 
table des  choses,  caractérisée  au  xi®  siècle  par  les  premiers  essais 
d'une  harmonisation  rudimentaire,  et  plus  tard  par  le  retour 
vers  les  procédés  de  la  rythmique  prosodique  antique  pris 
comme  base  d'un  nouveau  système,  dit  de  «  la  musique  figurée  », 
d'oii  devait  sortir  enfin  l'école  franco-flamande  aboutissant  à 
l'efflorescence  palestrinienne. 

Aribon  (xi®  s),  qui  nous  a  fait  savoir  que  la  perte  de  la  tra- 
dition était  consommée,  ajoute  à  sa  constatation  première 
quelques  mots  bien  typiques  :  Nunc  lantum  suffcif,  écrit-il,  ut 
aliquid  dulcisomim  comminiscamur  non  attendeiites  dulcio- 
rem  collationis  jiihilationem.  «  Maintenant  il  suffît  que  nous 
«  inventions  quelque  chose  de  doucereux,  sans  prendre  garde 
«  que  notre  jouissance  serait  plus  douce  en  respectant  les  pro- 
«  portions  [rythmiques  vraies].  » 

1.  Aribon  :  Qaac  consideratio  (celle  du  rythme  neamê)  jamdudum  obiit,  imo 
sepuUa  est  (P.  L.  Migne,  CL,  col.  13i2j. 


70  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE 

Cette  phrase,  vieille  de  neuf  siècles,  n'est-elle  pas  la  seule  à 
opposer  sans  trêve  aux  PP.  BB.  de  Solesmes  contre  leur  res- 
tauration dite  traditionnelle  du  chant  neumatique,  alors  que,  à 
l'exemple  des  musiciens  du  xi«  siècle,  ils  pourraient  écrire  en 
tête  de  leurs  méthodes  de  vulgarisation  :  Nunc  tanlum  suf/îcit 
ut  aliquid  dulcisonuin  comminiscamur ,  non  attendentes  didcio- 
reni  coUationis  jubilationem  !  ». 

En  effet,  ne  mettent-ils  pas  volontairement  de  côté  tout  l'en- 
seignement théorique  que  j'ai  rappelé  brièvement,  lorsqu'ils  ne 
craignent  pas  d'énoncer  les  audacieuses  affirmations  que  l'on 
va  lire  : 

((  Qui  dit  un  art,  dit  un  ensemble  de  convenances,  de  propor- 
«  tions,  d'harmonies.  Ces  proportions  dans  le  chant  peuvent 
((  être,  sans  aucun  doute,  et  souvent  avec  fruit,  soumises  aux 
«  calculs  du  mathématicien,  du  rythmicien.  Sous  tous  ces  rap- 
«  ports  l'art  relève  de  la  science.  Pour  les  théoriciens  du  moyen 
((  âge,  la  musique  ?i'est  guère  que  cela;  c'est  une  science...  ia 
«  science  des  nombres...  Au  fond,  cet  aspect  n'est  pas  le  vrai,  et 
«  ne  doit  pas  être  le  nôtre  en  ce  moment.  »...  a  les  propor- 
«  tions  ne  sont  pas^  des  proportions  de  longues  et  de  brèves 
«  régulièrement  combinées,  mais  des  successions  bien  pondé- 
«  rées  d'accents  et  de  divisions  pour  le  phrasé^  »...  «  La  prière 
«  réclame  cette  liberté  bien  ordonnée  !  »  (Discours  de  dom 
Pothier,  abbé  de  Saint-Wandrille,  au  congrès  de  Rome,  9  avril 
1904)  —  «  On  peut  retrouver  les  subdivisions  par  l'appli- 
«  cation  des  principes  que  nous  exposons.  »  (Dom  Mocque- 
reau.  Le  nombre  musical,  p.  11).  —  «  La  notation  neuma- 
tique ne  suffit  pas.  »  {ibid.,  p.  12).  «  —  La  notation  par 
neumes-points  était  imparfaite.  »  {ibid.,  p.  13.)  -  «  Sans 
doute  les  musicistes  du  moyen  Age  exposent  les  principes  à  leur 
manière;  à  cela  rien  d'étonnant,  ils  étaient  de  leur  temps.  » 


1.  ReToir  les  textes  latins  donnés  plus  haut. 

2.  N'est-ce  pas  là  cette  liberté  du  «  dulcisonuin  comminiscamur  ?  »  La  res- 
tauration bénédictine  n'est  d'ailleurs  pas  autre  chose  que  la  remise  en  honneur 
du  plain-chanl  de  la  décadence  (xu*-xvi'  s.)  chanté  sur  un  mode  doucereux. 


LA    NOTATION   MUSICALE    DITE   NEUMATIQUE  71 

{iôid.,  p.  10.)  —  «  Il  n'y  a  donc  qu'à  accepter  leur  enseigne- 
ment, tout  leur  enseignement  rythmique  dès  qu'il  est  d'accord 
avec  les  lois  naturelles  propres  au  système  et  conforme  à  la 
tradition  grégorienne  qui  nous  est  transmise  par  les  manuscrits 
de  chant.  »  {ibid.,  p.  11.) 

Dom  Pothier  nous  ayant  prévenus  que  c'est  bien  cela  qui  existe 
à  ses  yeux  et  doit  exister  aux  nôtres,  il  n'est  pas  surprenant 
que,  sous  la  plume  de  son  élève  et  confrère  Dom  Mocque- 
reau,  nous  trouvions  ce  qui  suit  :  «  La  mélodie  grégorienne, 
elle  aussi,  a  ses  percussions,  ses  pieds  ou  plutôt  ses  rythmes 
bien  qu'ils  soient  d'une  nature  délicate.  »...  «  Ces  pieds  ils  les 
comparent  entre  eux,  ils  en  calculent  les  rapports  et  les  organi- 
sent en  membres  et  en  phrases  '  sans  autre  régulateur  que  le 
plaisir  de  l'oreille^  comme  dans  la  prose  cicéronienne ^  » 
{ibid.,  pp.  9-10).  —  Et  pour  que  l'affirmation  ne  fasse  pas  de 
doute,  l'auteur  là  renouvelle  :  «  Le  chant  liturgique,  il  est 
vrai  (?)  appartient  au  genre  rythmique  libre,  mais  ce  genre 
lui-même  dont  le  type  classique  est  la  prose  cicéronienne 
est  soumis  à  cette  loi.  »  {ibid.,  p.  8-9.) 

On  a  vu,  dans  les  pages  précédentes,  ce  que  dit  Quintilien  du 
rythme  musical,  du  mètre  poétique  et  du  discours  {oratio).  Et 
l'on  sait  que  Cicéron  s'élevait  contre  ceux  qui,  dans  la  prose, 
cherchaient  à  décalquer  un  simple  cadre  poétique  ;  il  s'écriait 
assez  haut  pour  qu'on  l'entende  encore  :  Nec  sunt  haec  (le 
perfectionnement  du  style  de  l'orateur  par  l'écriture  et  l'usage 
de  la  parole)  rythmiconcm  ac  musicorum  acerrima  norma 
dirigenda! 

Dom  Mocquereau,  sentant  le  terrain  faiblir,  ne  s'écrie-t-il  pas 
à  son  tour,  en  face  de  l'abîme  où  il  se  voit  précipité  :  «  Quand 
même  les  auteurs  nen  auraient  pas  parlé  (du  rythme  cicéro- 


1.  Jusqu'à  ces  mois  on  croirait  lire  nos  anciens  auteurs  ;  mais  lisons  attenti- 
vement la  suite  de  l'énoncé. 

2.  Que  fait-il  de  ces  mois  de  Hucbald  :  plaudam  ego  pedes. 

3.  Voilà  la  pétilion  de  principe  sur   laquelle  repose  aujourd'hui  toute  la 
méthode  bénédictine. 


72  HEVUE   ARCHÉOLÔGIQIJË 

nien  dans  le  chant  de  l'Église  catholique  du  xi"  siècle  ?)  il  res- 
terait à  p?'oiwer  que  dans  la  pratique  ils  nen  ont  pas  fait  usage, 
et  qu'alors  ils  se  sont  affranchis  diine  loi  de  rythmique  natu- 
relle essentielle,  commune  à  toutes  les  langues,  à  toutes  les 
poésies,  Cl  toutes  les  musiques,  ce  qu'il  est  impossible  de  prou- 
ver (?)...  »  {ibid.,  p.  11.) 

Un  tel  procédé  d'argumentation  juge  l'école  qui  s'en  sert 
comme  d'une  armure  invulnérable.  Je  n'irai  pas  plus  loin 
dans  cet  examen  des  théories  actuellement  en  faveur.  De  telles 
affirmations  désarment  :  émanées  de  tels  auteurs,  elles  étonnent 
profondément  le  chercheur  impartial  que  je  suis  et  que  je  res- 
terai. 


Angers.  —  Imp.  A.  Bunlin  et  C'^,  4,  rue  Garuier. 


LE 


i 


Réponse  aux  articles  de  M.  l'Abbé  Vigourel 


GRENOBLE 

IMPRIMERIE   F.  BROTEL   &   C" 
•         4,  rue  Lafayette,  4 

1898 


S*»^âÈS*«St»^-5«SS^5*f^î»S<S5sa?<ï#S3ÇîfSJS,5#^3cî*?^ 


LE  RYTHME  DU  CHANT  GRÉGORIEN 


Réponse  aux  articles  de  M.  l'Abbé  Vigourel 


Les  lecteurs  de  cette  Revue  n'auront  pas  manqué  de  lire  avec 
intérêt  les  quatre  articles  (i)  que  M.  l'abbé  Vigourel  a  bien  voulu 
consacrer  à  l'étude  de  mon  ouvrage,  et  je  le  remercie,  en  toute 
sincérité  de  sa  courtoisie. 

Un  certain  nombre  de  ces  lecteurs  s'est  réjoui  de  voir  mettre  à 
néant!!  mon  œuvre,  je  le  sais,  mais  peu  m'importe  en  ce  mo- 
ment, l'avenir  se  charge  de  mettre  au  point  toutes  choses  en  leur 
temps. 

S'il  est  vrai  que,  selon  mon  honorable  et  vénéré  critique,  mon 
œuvre  doive  être  considérée  comme  non  avenue  ou  peu  s'en  faut, 
et  qu'il  convienne  de  continuer  à  chanter  «  avec  cœut^  »,  —  ce 

3ui  ne  signifie  rien  théoriquement ,  selon  la  méthode  béné- 
ictine,  il  est  également  vrai  de  dire  que  le  plan,  le  but  et  la 
portée  de  cet  ouvrage  ont  pu  lui  échapper. 

Ils  lui  ont  réellement  échappé ,  à  lui  comme  à  beaucoup 
d'autres  de  mes  critiques  trop  pressés  de  prémunir  leurs  coopéra- 
teurs  contre  les  tendances  de  mon  œuvre,  et,  ce  jugement,  sans 
appel  aux  yeux  d'un  grand  nombre  de  dilettantes,  appartenant 
spécialement  au  monde  ecclésiastique,  peut  être  entaché  d'erreur. 

M.  l'abbé  Vigourel  me  permettra  donc  de  défendre  mes  con- 
clusions, et  de  même  qu'il  a  formulé  son  opinion  en  toute  fran- 
chise, il  voudra  bien  ne^pas  se  formaliser  de  la  précision  de  mes 
expressions. 

Je  fais  deux  parts  dans  son  étude  :  dans  l'une,  je  retiens  tout  ce 
oui  est  du  ressort  de  la  science  musicale  purement  grégorienne  ; 
dans  l'autre,  je  rassemble  tout  ce  qui  n'est,  à  proprement  parler, 
cjuedu  sentimentalisme,  sorte  d'appel  au  jugement  —  j'allais  dire 
à  la  jugeote  —  des  amateurs,  des  maîtres  de  chant  de  nos  sémi- 
naires. 

A  ces  derniers,  l'instruction  musicale  par  trop  aléatoire  qu'ils 
ont    acquise    de    leurs    condisciples   devenus    momentanément 


(t)  Voyez  nf"  de  février,  mars,  avril  et  mai,  de  la  Revue  du  Chant   Grégorien. 


[    4  J 

leurs  maîtres,  commande  de  se  perfectionner  dans  la  science  gré- 
gorienne, par  un  travail  personnel,  avant  de  se  faire  les  cham- 
pions d'une  cause  —  que  ce  soit  celle  de  Solesmes,  celle  du 
R.  P.  Dechevreus,  ou  la  mienne  —  dont  ils  sont  incapables  à 
l'heure  actuelle  de  juger  le  fort  et  le  faible,  et  qui  pour  eux  est 
bonne  ou  mauvaise  uniquement  parce  que  M.  l'abbé  X*"  ou  le 
R.  P.  Y  (leur  professeur;  a  dit  ceci  ou  cela. 

Tout  ceci  est  très  dur,  mais  doit  être  dit,  et  on  me  rendra  cette 
justice  que  ma  critique,  à  mots  couverts,  est  bien  anodine  à  côté 

de  celles  adressées  par   MM.  Lhoumeau,  Dabin,  etc ,  à  tous 

ceux  qui,  dans  le  monde  ecclésiastique,  forment  la  portion  dite  : 
«  ynusïcientie  enseignante  ou  exécutante.  » 

Critiques  que  le  lecteur  est  à  même  de  lire  dans  chaque  nu- 
méro de  cette  Revue  (i). 

Mais,  d'abord,  pourquoi  M.  l'Abbé  me  place-t-il  si  haut  dans 
l'esprit  de  nos  communs  lecteurs,  en  écrivant,  «  v.  p.  1 13,  (6<=  ali- 
néa) :  Que  cette  tentative  hardie  et  d'aspect  scien'ifique  vienne 
à  avorter,  qU'.l  appoint  en  faveur  de  la   méthode  bénédictine, 

QL'I  NE  PARAIT  PAS  AVOIR,  JUSQU'lCI,  RENCONTRÉ  SUR  SA  ROUTE  d'aD- 
VERSAIRE  MIEUX  ARME  !!    » 

Oui,  certes,  quel  appoint!  et  je  remercie  publiquement  mon 
docte  contradicteur  de  sa  courtoise  et  flatteuse  appréciation,  mais 
aussi  «  quelle  lamentable  chute  »  si  cette  tentative  résiste  à 
l'assaut  qu'il  pense  m'avoir  livré. 

Or,  je  vais  montrer  que  si  «  ma  tentative  vient  à  avorter  »  ce 
ne  sera  certes  pas  sous  la  poussée  à  peine  sensible  que  sa  critique 
superficielle  lui  a  imprimée. 

Arrivons  aux  faits,  aussi  succinctement  que  possible  pour  ne 
pas  fatiguer  le  lecteur. 

Je  relève  en  premier  lieu  (même  page  1 13)  deux  inexactitudes, 
grosses  de  conséquences,  que,  comme  homme  du  métier,  je  ne 
puis  laisser  passer,  car  elle  donnerait  à  penser  que  j'ignore  totale- 
ment l'histoire  de  rnon  art. 

La  première  : 

«  Accord  par/ait  (entre  le  R.  P.  dom  Pothier  et  moi)  pour 
exclure  la  méthode  mensuraliste ,  fantaisie  moderne  ,  sans 
racines  dans  l'antiquité  ''p.  ii3,  3o).  » 

• 

Erreur,  je  n'ai  rien  dit  de  semblable,  du  moins  sous  cette 
forme. 

Toute  la  musique  antique  était  mesurée  à  la  moderne,  et  ce, 
d'une  fai;on  draconienne.  Pour  les  anciens,  le  rythme  musical 
était  une  question  de  proportions  numériques,  et,  notre  «fan- 
taisie moderne  »  n'est  que  le  retour  inconscient,  mais  naturel 
au  rythme  antique. 

J'ai  posé  en  principe  que  la  mélodie  grégorienne  n'était  pas 
mesurée  à  la  moderne,  ne  pouvait  lètre  par  son  sens   musical 


(1)  Voyez  l'article  X'-,  pige  138,  nf>  de  m  .rs  1898. 


[     5     ] 

intrinsèque,  et  qu'enfin  rien  dans  les  théoriciens  des  ix^  x",  xi<^ 
siècles  ne  nous  permettait  de  supposer  que  la  mélodie  grégorienne 
ait  été  mesurée  à  la  moderne.  Je  n'ai  rien  dit  de  plus,  c'eut  été 
contre  les  faits.  Notre  «  fantaisie  moderne  »  a  donc  de  profondes 
racines  dans  l'antiquité,  et  j'ai  expliqué,  autre  part,  l'évolution 
du  rythme  antique  au  rythme  grégorien  et  de  celui-ci  au  rythme 
palestrinien  et  au  rythme  moderne  (i). 

La  seconde  inexactitude  est  ainsi  formulée  ; 

«  Le  rythme  du  chant  grégorieii  est  le  rythme  de  la  prose 
latine,  » 

Ou  ai-je  écrit  cela...  une  chose  pareille?  et  qu'a  de  commun  le 
rythme  musical  de  la  mélodie  grégorienne,  —  affirmé  partons 
nos  auteurs  grégoriens,  —  avec  le  rythme  de  la  prose  latine. 

Il  est  évident  que  M.  l'abbé  V.  ne  m'a  pas  compris. 

J'ai  dit  que  la  mélodie  grégorienne  était  de  la  prose  musicale  ce 
qui  signifie  qualque  chose,  tandis  que  le  rapprochement  que  l'on 
me  prête  est  une  phrase  sonore,  vide  de  sens. 

J'ai  employé  ce  terme  ytrose  musicale  par  opposition  à  mélodie 
mesurée  qui  est,  elle,  une  véritable  versification  musicale. 

Mais  dire  que  le  rythme  de  la  proîe  latine  crée  le  rythme  de  la 
mélodie  grégorienne  est  une  hardiesse  dont  je  cherche  en  vain 
la  signification  pratique,  et  j'attends  que  les  PP.  de  Solesmes 
nous  l'expliquent  clairement.  Je  montrerai  plus  loin,  en  répon- 
dant au  R.  P.  dom  Pothier  l'inanité  de  ce  rapprochement. 

Enfin,  pour  répondre  à  de  fréquentes  allusions  de  mon  vénéré 
critique,  je  dirai,  une  fois  pour  toutes,  que  je  n'ai  rien  emprunté 
à  personne,  rien  avancé  dont  je  n'aie  acquis  la  certitude  par 
un  travail  personnel,  —  ce  que  fort  peu  de  ceux  qui  me  criti- 
quent peuvent  dire  à  l'appui  de  leurs  convictions  —  et  si  je  me 
suis  rencontré  sur  certains  points  avec  plusieurs  de  mes  devan- 
ciers, je  m'en  réjouis  tout  simplement. 

Il  est  inutile  de  nous  appesantir  plus  longuement  sur  ces 
inexactitudes  car  aussi  bien,  il  faudrait  passer  au  crible  chaque 
alinéa,  et  le  lecteur  ne  me  suivrait  plus 

Toute  la  controverse  se  ramène  à  deux  points  principaux  : 

1°  Que  doit-on  entendre  par  chant  grégorien?  c'est  le  côté 
théorique. 

20  Qui  avait  mission  de  le  chanter?  c'est  le  côté  pratique; 
celui  qui  fait  intervenir  le  sentimentalisme  dont  je  parlais  au 
début. 

I 

Que  doit-on  entendre  par  Chant  grégorien? 

Il  importe  de  ne  pas  prendre  le  change  sur  ce  terme  «  Chant 
grégorien  ». 

(I)  V.  Revue  Internationale  de  Musique  ,  3,  r.  Vignon,  Paris,  n»  d'aoùl  1898. 


[    6   ,] 

De  même  que  l'on  a  appelé,  avec  raison,  «  plain-chant»  tout 
le  chant,  noté  sur  4  lignes,  qui  figure  dans  nos  missels  pléniers, 
de  même,  on  pense  être  dans  la  vérité  en  substituant  à  ce  terme 
«  plain  chant  »  celui  plus  archaïque  de  «  chant  grégorien  ». 

On  confond  ainsi  sous  une  même  dénomination  deux  formes 
de  chant  absolument  distiyictes  au  début,  et,  il  importe,  si  l'on 
veut  faire  œuvre  de  restauration  honnête,  de  les  séparer  nette- 
ment dans  l'enseignement  renouvelé  de  l'antiquité. 

Dans  la  suite  des  siècles,  ces  deux  formes  se  sont  confondues 
t^^éoriquement  et  pratiquement;  aujourd'hui,  soit  sans  y  prendre 
garde,  soit  très  volontairement,  on  les  réunit  sous  une  même 
étiquette,  en  invoquant  la  tradition. 

Quelle  tradition??  celle  de  l'époque  de  la  décadence,  celle  de 
l'unification,  oui  certes;  mais,  c'est  une  erreur  manifeste  qui  ne 
sert  qu'à  nous  maintenir  dans  l'ornière  du  plain-chant  à  notes 
sensiblement  égales.  La  seule  différence  entre  les  deux  modes 
d'exécution  réside  uniquement  en  ce  qu'on  nous  engage  à  quitter 
cette  grosse  voix  indécente,  caractéristique  de  l'exécution  actuelle, 
pour  prendre  un  ton  plus  respectueux  du  sanctuaire,  indépen- 
damment de  quelques  principes  de  phrasé  proposés  spéciale- 
ment en  vue  de  la  notation  nouvelle  —  renouvelée  du  moyen 
âge  — préparée  pour  les  appliquer. 

Je  mets  même  en  fait  que  cette  méthode  fbénédictine)  est 
inenseignable  sur  les  neumes  purs,  campo  aperto  ;  or,  on  ensei- 
gnait et  on  chantait  sur  les  neumes  purs,  et  non  sur  la  notation 
du  moyen  âge  qui  les  a  fort  peu  respectés. 

Par  chant  grégorien,  on  doit  entendre  les  cinq  chants  propres 
de  l'office,  et  les  antiennes  fleuries  à  Magnif.  et  à  Bénéd.,  etc., 
à  l'exclusion  de  tous  autres  chants  purement  syllabiques,  simple- 
ment récités. 

En  un  mot  c'est  toute  la  musique  fleurie  sous  laquelle  le  texte 
juxtaposé  perd  en  principe  toute  espèce  de  personnalité,  et  s'an- 
nihile complètement  au  point  de  n'être  plus  que  la  suite  des 
intonations  vocales  qu'il  exprime  (i). 

Que  nous  parle-t-on  de  rythme  oratoire  dans  une  semblable 
mélodie. 

Quel  lien  existe-t-il  entre  le  rythme  oratoire  d'un  texte  déclamé 
et  le  rythme  tnusical  d'une  mélodie  essentiellement  vivante 
par  elle-même,  abstraction  faite  du  texte  qui  la  fait  valoir...  et 
encore  !  ? 

Ou  trouvc-t-on   la  théorie  rythmique    oratoire  de  la  mélodie 

GRÉGORIENNE? 

Ce  n'est  certes  pas  dans  les  auteurs  de  l'antiquité  depuis  saint 


{\)  On  comprend,  dès  lors,  qu'il  ne  jieut  ôlre  question  en  principe,  je  le  lépèie, 
d'acccniuulion  tonique  ou  secondaire  révélée  parla  poésie  lilurgico-niusicule  du  moyen 
ô?e. 

(>eoi  est  pour  répondre  à  un  article  récent  paru  dans  la  Tribune  de  SI  Gervais. 
Il  est  question  de  prose  Juxtaposée  sous  une  mélodie,  el  non  de  poésie  impiimant  son 
lyilime  à  la  musique  surajoutée. 


[     7     ] 

Augustin,  jusques  et  y  compris  Guy  d'Arezzo,  le  dernier  né  de  la 
lignée  des  théoriciens  grégoriens,  à  peu  près  purs. 

Leurs  textes  sont  reproduits  dans  les  «  Scriptores  »  de  dom  M. 
Gerbert,  et  ne  sont  pas  inventés  par  nous,  que  l'on  représente  à 
tort  comme  les  adversaires  systématiques  de  la  méthode  bénédic- 
tine. 

Or,  si  ces  textes  prêtent  en  réalité  à  diverses  interprétations 
de  détail,  ils  ne  prêtent  par  contre  à  aucune  équivoque  dans  leur 
signification  générale  contraire  de  A  à  Z  à  l'enseignement  béné- 
dictin. 

Le  rythme  oratoire  appliqué  à  la  mélodie  grégorienne  JIeu?'ie, 
est  donc  une  invention  bénédictine,  disons  mieux  une  imposition 
arbitraire  du  rythme  oratoire  —  propre  aux  pièces  syllabiques  et 
que  nul  ne  conteste  sérieusement  dans  ce  cas—  aux  pièces  fleuries 
dont  le  rythme  neumé  est  encore  discutable  à  l'heure  actuelle, 
et  dont  je  réclame  la  discussion  courtoise  et  sans  amertume. 

L'unification  du  rythme  qui  s'est  faite  d'elle-même  à  l'époque 
de  la  décadence  complète  du  chant  au  moyen  âge,  —  unification 
qui  a  produit  le  plain-chant  est  créée  de  ce  chef,  autoritairement 
par  les  RR.  PP.  de  Solesmes.  Les  conférences  de  M.  Charles 
Bordes  et  du  R.P.  dom  Mo:quereau  à  l'Institut  catholique  de  Paris 
sont  des  témoignages  irrécusables  de  ce  que  je  viens  de  rapporter 
en  même  temps  que  du  parti  pris  bien  évident  de  ne  citer  que  les 
auteurs  qui,  de  loin,  semblent  confirmer  la  méthode  en  question. 

Cette  thèse  est  confirmée  de  nouveau  dans  le  numéro  de  juin 
de  cette  Revue  même ,  sous  la  signature  du  R.  P.  dom 
Pothier  i\),  mais  combien  faiblement,  hélas! 

Le  Révérend  Père  trouve  une  raison  péremptoire  à  l'application 
du  rythme  oratoire,  aux  pièces  fleuries  cinq  chants  propres)  dans 
le  fait  que  Notker  écrivit  un  texte  à  chanter  syllabiquemcnt  — 
une  syllabe  par  note  —  sous  les  vocalises  alléluiatiques. . 

Mais  le  Révérend  Père  oublie-t-il,  ou  ignore-t-il.  ou  veut-il 
ignorer  que  Notker  écrivit  ces  séquences  parce  que  le  rythme 
précis  de  ces  vocalises  étant  tombé  dans  l'oubli  —  à  supposer 
même  qu'il  ait  jamais  été  parfaitement  connu  dans  notre  Occi- 
dent —  elles  n'étaient  plus  qu'une  suite  de  notes  sans  sens  mélo- 
dique défini,  et  que,  pour  les  fixer  dans  la  mémoire.  Notker  eut 
l'idée  de  leur  adjoindre  un  texte  syllabique,  véritable  guide-âne 
—  abstraction  faite  de  la  pensée  religieuse  qui  le  dicta  -  et,  par 
ce  moyen,  la  mélodie  était  conservée  en  tant  que  notes. 

C'est  bien  là  que  commence  l'équivoque  sur  laquelle  est  basée, 
de  bonne  foi,  je  veux  le  croire,  toute  la  méthode  bénédictine. 
N'étant  pas  parvenus  à  découvrir  le  sens  rythmique  des  neumes, 
textes  théoriques  en  mains('2),  les  Révérends  Pèress'arrèièreniàce 
moyen  terme,  et  firent  à  leur  tour  ce  que  Notker  avait  fait  autre- 


(1)  El  si  je  le  fais  intprvcn'r  dans  celle  r(5ponse,  c'est  qu'H  mi^  met  en  CMii-e.  pir- 
sonnellemettt,  dans  une  phrase  bien  étrange.  (V.  n°  juin,  p.   179,  '."  alinéii  ) 

(2)  Peut-être  m'abuse  je  moi-même,  mais  j'attends  encore  (|uV>n  nw  le  d<*m'iiiiio. 


[     8    ] 

fois  :  ils  donnèrent  à  la  mélodie  un  rythme  de  leur  crû,  à  défaut 
du  rythme  vrai,  impossible  à  reconstituer. 

Et  si  ((  le  fait  de  l'adaptation  à  une  mélodie  d'un  texte  »  à 
déclamer  syllabiquement,  est  caractéristique  comme  plaidant  en 
faveur  du  rythme  oratoire,  dit  en  substance  le  R.  P.  dom  Pothier 
(p.  i8oj,  nous  ne  sommes  pas  seul  à  penser  qu'il  est  caractéris- 
tique, au  contraire  d'une  absence  complète  de  tradition  rythmi- 
que à  cette  époque  lointaine  (x^  siècle),  de  même  qu'à  notre 
époque  la  méthode  bénédictine,  mise  en  regard  des  textes  théori- 

3ues  du  haut   moyen   âge  (vu®,  xi<=    siècles),  est  caractéristique 
e  l'incompréhension  de  ces  textes,  ou  de  leur  mise  à  l'écart  sys- 
tématique. 

Il  est  un  point  sur  lequel  tout  le  monde  sera  toujours  d'accord, 
savoir  :  qu'une  mélodie  franchement  rvthmée  devient  populaire 
et  passe  inaltérée  de  génération  en  génération,  alors  même  que  le 
texte  en  est  tombé  dans  l'oubli 

En  conséquence  inéluctable,  si  Notlcer  a  pensé  à  fixer  dans  la 
mémoire  des  chanteurs,  par  un  procédé  mécanique,  les  notes  (et 
non  le  rythme)  de  ces  vocalises,  c'est  que  le  rythme  desdites  voca- 
lises était  ignoré.  Respectons  donc,  mais  sans  y  attacher  plus 
d'importance  qu'il  ne  convient,  le  pieux  subterfuge  du  vénéré 
moine  d'avoir  voulu  conserver  la  mélodie,  bien  qu'incomprise, 
aussi  intacte  que  possible,  par  respect  évidemment  pour  le  Saint- 
Siège,  qui,  dès  cette  époque,  en  désirait  h  diffusion  en  vue  de 

l'unité  du  chant que  nous  cherchons  encore  à  obtenir  après 

douze  cents  ans  ! 

Comment,  de  plus,  invoquer  le  procédé  notkérien,  sans  qu'il 
vienne  à  l'esprit,  cette  réflexion  —  digne  d'être  méditée  — 
que  /es  vocalises  alléluiatiques  étant  antérieu?'es  aux  séquences 
de  Notket\  ces  vocalises  ont  un  rythme  propre,  essentiellement 
musical  puisqu'elles  sont  de  la  musique  pure,  et  qu'en  consé- 
quence/ei^r  ;-r//r;?2e  Jie  peut  être  le  rythme  oratoire  d'un  texte 
qu'on  leur  a  surajouté  quelques  SIÈCLES  PLUS  TARD!! 
Notons  bien  que  ce  texte  eût  pu  être  tout  autre,  puisque  ce  n'est 
pas  le  rythme  de  chacune  des  notes  des  vocalises  qui  a  fait 
rechercher  les  syllabes  de  même  poids  à  leur  juxtaposer. 

La  raison  du  Révérend  Père  —  et  c'est  évidemment  la  plus  pé- 
remptoireen  faveur  de  sa  méthode,  sans  quoi  il  ne  sortirait  pas 
de  sa  réserve  habituelle  —  la  raison,  dis-je.  ne  semble-t-ellc  pas 
quelque  peu  fragile?  et  en  quoi  démontre-t-clle  la  «  légitimité 
et  l'existence  traditionnelle  du  rythme  oratoire  »  que  tous  les 
textes  théoriques,  depuis  saint  Augustin  jusqu'à  G.  d'Arezzo, 
contredisent,  je  l'ai  déjà  dit? 

Que  pense  M.  l'abbé  Vigourel  de  cette  conclusion  opposée  à 
ma  thèse,  qu'il  qualifie  dédaigneusement  de  théorie  à  allure 
scientifique,  et  quelle  est  I'allure  de  la  méthode  dont  il  est  un 
des  plus  marquants  protagonistes?? 


1 


[    9    ] 


II 

Sur  le  second  point,  je  serai  plus  bref. 

Qui  avait  mission  de  chanter  le  chant  grégorien  ? 

Qui  le  chante  actuellement?  Quand  on  le  chante,  s'entend... 
car  sur  cinq  chants  on  en  passe  régulièrement  deux  ou  trois  pour 
permettre  à  l'organiste  de  jouer  du  Parsifal. 

N'est-ce  pas  le  chantre  officiel,  c'est-à-dire  V homme  du  chœur? 
Autrefois,  il  en  était  de  même,  et  jamais  les  fidèles  n'ont  eu  mis- 
sion ni  permission  de  remplacer  le  chœur  dans  l'exécution  de  ces 
cantilènes. 

Que  nous  parle-t-on  de  chant  populaire,  de  chant  facile  ? 

Actuellement  n'est-ce  pas  une  Schola  cantorum  qui  exécute  le 
chant  restauré  ? 

C'est  et  ce  ne  peut  être  qu'une  5c/!o/a  exercée,  même  passagère- 
ment, en  vue  d'une  exécution  prochaine,  fut-elle  unique  dans  la 
contrée.  Autrefois,  c'était,  de  même,  la  Schola  cantorum  officielle. 

Qu'objecte-t-on  donc,  à  notre  traduction,  une  difficulté  pour  le 
peuple,  (et  même  pour  des  lauréats  de  Conservatoire  ??  pauvres 
lauréats  !!)  de  mêler  sa  voix  à  celle  du  chœur  ? 

Que  nous  parle-t-on  encore  du  peuple  chantant  les  cantilènes 
en  question,  preuve  ajoute-t-on  qu'elles  étaient  simples  de  facture, 
alors,  qu'historiquement,  nous  les  savons  encombrées  d'orne- 
ments mélodiques  nécessitant  une  longueétude  préparatoire  (g  ans 
à  Rome,  dit  un  auteur).  Est-ce  le  chant  des  psaumes  et  des  litanies 
qui  exigeait  une  pareille  application  ? 

La  vérité  que  tout  le  monde  cherche  et  dont  chacun  en  parti- 
culier a  peur, la  voici,  et  cette  Revue  qui  a  pris  pour  devise_/a/re 
connaître  et  aimer  le  vrai  chant  de  F  Eglise,  devise  magnifique, 
se  doit  à  elle-même  et  doit  à  l'Eglise  d'abord,  à  ses  lecteurs  en- 
suite, de  la  proclamer  ;  car  jusqu'ici  sa  véritable  devise  semble 
avoir  été  faire  connaître  et  aimer  le  chant  de  Solesmes. 

D'une  part  :  les  fidèles  ont  mêlé  leur  voix  à  celle  des  chanteurs 
officiels,  dans  les  psaumes,  les  litanies,  les  hymnes,  les  proses, 
les  cantiques. 

D'autre  part:  les  antiennes  de  toute  nature,  fleuries  ou  non, 
c'est-à  dire  les  antiennes  de  l'office  ou  les  antiennes  psalmiques 
ont  toujours  été  l'apanage  du  chœur. 

Et  concluons  que  si  certaines  mélodies  devinrent  populaires 
elles  le  devinrent  non  pratiquement  pour  avoir  été  chantées  offi- 
ciellement par  le  peuple,  mais  esthétiquement  parce  qu'il  plaisait 
au  peuple  de  les  entendre. 

Finalement,  le  R.  P.  dom  Pothier  a  tort  de  dire  et  de  penser  — 
que  la  méthode  de  Solesmes  est  le  delenda  Carthago  des  revues 
qui  n'ont  pas  été  fondées  pour  défendre,  per  fas  et  nef  as,  ladite 
méthode. 

On  ne  demande  —  et  moi-même  tout  le  premier  -    qu'à  cou- 


[     'o     ] 

ronner  de  fleurs  ses  confrères  vénérés  et  lui-même  ;  mais,  textes 
théoriques  du  premier  millénaire  en  mains,  on  ne  peut  pas 
admettre  la  théorie  bénédictine.  Là  est  tout  le  secret  de  l'opposi- 
tion qui  lui  est  faite  par  ces  revues  qui  prônent  ton?-  à  tour  les 
systèmes  les  plus  opposés,  attitude  digne  d'égards,  parce  qu'elles 
prouvent  ainsi  :  chercher  la  vérité  de  tous  côtés. 

Je  termine  par  quelques  considérations  générales. 

i"  Que  la  restauration  bénédictine  résiste  à  la  poussée  qui,  de 
toutes  parts,  lui  est  imprimée,  qu'elle  sombre  ou  qu'elle  triomphe; 
je  n'en  ai  cure. 

Sa  chute  ou  son  succès  ne  prouveront  rien  pour  ou  contre  sa 
validité  théorique,  pour  ou  contre  ses  adversaires,  car  il  est  ques- 
tion de  réussite  ou  d'insuccès  dans  une  propagande  bien  ou  mal 
dirigée. 

2°  Aurait-elle  pour  ou  contre  elle  les  décisions  de  nosseigneurs 
les  Evèques,  aussi  bien  que  l'approbation  des  maîtres  musiciens 
du  comité  de  patronage  de  St-Gervais,  ou  la  désapprobation  de 
nos  maîtres  les  plus  en  vue,  que  tout  cela  ne  signifierait  rien  au 
point  de  vue  Vérité  traditionnelle,  attendu  que,  de  leur  part  à 
tous,  c'est  simple  question  de  goût  sinon  de  confraternité  indul- 
gente, et  non  une  conviction  basée  ou  appuyée  sur  des  travaux 
personnels  que  ni  les  uns  ni  les  autres  n'ont  le  temps  maté- 
riel d'entreprendre. 

Défait,  on  ne  peut  citer  aucun  ouvrage  signé  de  leur  nom  ;  le 
fait  est  significatif. 

3''  Que  m'importe  enfin  que  le  rythme  grégorien  soit  le  rythme 
oratoire,  ou  le  rythme  mesuré  des  mensuralistes,  ou  le  }nien  qui 
tient  le  milieu  entre  les  deux  premiers?  Ce  qui  importe  à  tous  et 
à  l'Eglise  et  à  l'art  en  particulier,  c'est  de  connaître  le  rythme 
vrai. 

Quel  est-il  ?  La  question  n'est  pas  résolue  et  elle  est  capitale 
pour  l'histoire  de  science  musicale. 

Comme  catholique  je  veux  le  connaître.  Comme  catholique 
j'ai  le  droitd'exiger  qu'on  ne  m'impose  pas  la  foi  en  une  manifes- 
tation artistique  que  tout  me  démontre  erronnée  selon  les  erre- 
ments bénédictins. 

En  résumé  il  faudra  d'autres  critiques,  plus  sûres,  que  toutes 
celles  parues  jusqu'à  ce  jour,  pour  affaiblir  mes  convictions  dans 
la  vraisemblance  du  principe  que  j'ai  ïixé,  réserve  faite  pour 
certains  cas  litigieux  à  trancner  d'un  commun  accord. 

G.   HOLDARD. 


Imp.    hrutel  cl  Cie,i,  rue  l..ifayeUo,  Oifiioble, 


REVUE 


DE 


CHANT   GRÉGORIEN 

ET  DE  MUSIQUE  RELIGIEUSE 

A   NOS  LECTEURS 


Au  moment  où  la  Revue  va  entre?-  dans  sa  quatrième 
année  ^  nous  manquerions  a  notre  devoir  si  nous  nous 
abstenions  d'offrir  à  nos  nombreux  abonnés  et  lecteurs 
de  France  et  de  l étranger ,  avec  nos  vœux  de  nouvel 
an  ,  l'expression  de  notre  gratitude  pour  la  bienveillance 
qu'ils  n'ont  cessé  de  nous  lémoigner.  Nous  remercions 
aussi  cordialement  les  Revues  et  Semaines  religieuses 
qui  ont  bien  voulu  signaler  nos  études  et  nous  ont 
fait  r honneur  de  reproduire  quelques-  uns  de  nos 
articles.  Les  encouragements  et  les  félicitations  qui 
nous  sont  venus  de  tous  côtés  nous  engagent  à  poursuivre 
hardiment  la  voie  que  nous  nous  sommes  tracée j  sans 
tenir  compte  des  criailleries  de  certain  roquet  hargneux 
qu'enrage  le  succès  de  notre  œuvre. 

Des  évéques  et  des  supérieurs  de  grand  séminaire  , 
des  religieux  et  des  curés  ,  des  maîtres  de  chapelle  et 
des  savants  ,  dont  le  nom  fait  autorité ,  nous  ont  écrit 
pour  nous  louer  de  notre  indépendance  à  défendre  la 
bonne  cause  et  les  droits  de  la  vérité  ,  à  rencontre 
de  certains  systèmes  trop  facilement  acceptés  par  ceux 
qui  ne  veulent  pas  se  donner  la  peine  d  approfondir  les 
questions  controversées. 

Nos  lecteurs  seront  heureux  d'apprendre  que  M.  G. 
Houdard ,  dont  le  beau  livre  sur  Le  rythme  du  chant 
dit  grégorien  ,  d'après  la  notation  neumatique  attire 
en  ce  moment  l  attention  du  monde  savant ,  nous  a  promis 
sa  collaboration  régulière  et  se  propose  d'exposer  sa 
N*26.  Janvier  1898. 


REVUE 

DE 

CHANT   GRÉGORIEN 

ET  DE  MUSIQUE  RELIGIEUSE 

A   NOS  LECTEURS 


Au  moment  où  la  Revue  va  entre?'  dans  sa  quatrième 
année  j  nous  manquerions  a  notre  devoir  si  vous  nous 
abstenions  d'offrir  à  nos  nombreux  abonnés  et  lecteurs 
de  France  et  de  l étranger ,  avec  nos  vœux  de  nouvel 
an  ,  l'expression  de  notre  gratitude  pour  la  bienveillance 
qu'ils  n'ont  cessé  de  nous  témoigner.  Nous  remercions 
aussi  cordialement  les  Revues  et  Semaines  religieuses 
qui  ont  bien  voulu  signaler  nos  études  et  nous  ont 
fait  l'honneur  de  reproduire  quelques-  uns  de  nos 
articles.  Les  encouragements  et  les  félicitations  qui 
nous  sont  venus  de  tous  cotés  nous  engagent  à  poursuivre 
hardiment  la  voie  que  nous  nous  sommes  tracée ,  sans 
tenir  compte  des  criailleries  de  certain  roquet  hargneux 
qu'enrage  le  succès  de  notre  œuvre. 

Des  évêques  et  des  supérieurs  de  grand  séminaire  , 
des  religieux  et  des  curés  ,  des  maîtres  de  chapelle  et 
des  savants  ,  dont  le  nom  fait  autorité ,  nous  ont  écrit 
pour  nous  louer  de  notre  indépendance  à  défendre  la 
bonne  cause  et  les  droits  de  la  vérité  ,  à  V encontre 
de  certains  systèmes  trop  facilement  acceptés  par  ceux 
qui  ne  veulent  pas  se  donner  la  peine  d'approfondir  les 
questions  controversées. 

Nos  lecteurs  seront  heureux  d'apprendre  que  M.  G. 
Houdard,  dont  le  beau  livre  sur  Le  rythme  du  chant 
dit  grégorien ,  d'après  la  notation  neumatique  attire 
en  ce  moment  l'attention  du  monde  savant,  nous  a  promis 
sa  collaboration  régulière  et  se  propose  d'exposer  sa 
N^aô.  Janvier  1898. 


2  RKVUE   DE   CHANT   GRliGORIEN 

théorie  sur  l'interprétation  des  neuines  ^  accojiipagnée 
de  nombreuses  transcriptions  ^  dans  une  série  d'articles , 
dont  le  présent  numéro  donne  le  commenceînent. 

Nous  ne  sommes  pas ,  qu'on  le  sache  bien  ,  les  adver- 
saires systématiques  de  Solesmes.  Nous  adjnirons\  autant 
que  personne  ^  les  beaux  travaux  de  Dom  Pothier  et  de 
ses  confrères  et  nous  savons  les  apprécier  à  leur  juste 
valeur;  mais  notre  admiration  ne  va  pas  jusqu'à  en  faire 
des  fétiches  ^  devant  lesquels  il  n'est  pas  permis  d'élever 
la  voix  et  dont  toutes  les  paroles  doivent  être  acceptées 
comme  des  oracles.  Ce  serait  assurément  faire  injure  à 
leur  modestie  que  de  les  considérer  comme  infaillibles 
et  à  labri  des  erreurs  que  les  savants  les  plus  illustres 
ne  savent  pas  toujours  éviter. 

Un  écrivassier  de  bas  étage  nous  fait  un  reproche  de 
notre  «  éclectisme  »  et  de  la  «  liberté  de  penser  et 
d'écrire  »  accordée  aux  rédacteurs  de  la  Revue.  // 
appelle  cela  un  «  pur  chaos  ». 

Autant  nous  aimons  à  discuter  loyalement  avec  des 
hommes,  dont  nous  pouvons  ne  pas  partager  toutes  les 
opinions  ,  mais  dont  nous  apprécions  hautement  le 
caractère  et  le  mérite  ,  autant  nous  n'avons  que  du 
mépris  pour  les  charlatans  et  les  vils  insulteurs  qui , 
comme  M.  Dabin  ,  ne  savent  que  baver  l'injure  et  le 
mensonge. 

Nous  continuerons  donc,  comme  par  le  passé,  à  laisser 
à  nos  collaborateurs  toute  facilité  pour  défendre  leurs 
opinions  en  pleine  liberté.  Il  nous  plait  que  la  Revue 
soit  une  tribune  ouverte  à  tous  ceux  qui  désirent  y  exposer 
leurs  idées  et  leurs  études  sur  la  musique  religieuse  et 
le  chant  grégorien,  car  nous  n'appartenons  à  aucune 
coterie  et  nous  n'allons  pas  chercher  notre  mot  d'ordre 
dans  un  conciliabule  fermé  aux  profanes.  Nous  ne 
voulons  pas  que  nos  lecteurs  soient  tenus  systématique- 
ment dans  l'ignorance  de  tout  ce  qui  se  fait  en  dehors 
de  nous  et  à  l'écart  du  mouvement  scientifique  et  des 
découvertes  nouvelles  qui  peuvent  se  produire. 


REVUE   DE   GHAKT   GRÉGORIEN  3 

Novs  cherchons  avant  tout  la  vérité,  sincèrement  et 
sans  arrière  pensée  ,  et  nous  serons  toujours  prêts  à 
r  accueillir ,  de  quelque  part  quelle  vienne ,  de  Solesmes 
ou  d'ailleurs  ;  tout  en  demeurant  respectueusement 
soumis  aux  décisions  de  la  Sainte  Eglise ,  qui  seule  a  lé 
droit  de  trancher  en  dernier  ressort  toutes  les  questions 
qui  se  rattachent  au  culte  divin. 

Le  Directeur  de  la  Revue. 


S.  GRÉGOIRE   ET   LE  CHANT   LITURGIQUE 

II.  —  Le  Sacramentaire  Grégorien 

Nous  avons  vu  dans  un  article  précédent' ,  que  la  compilation 
de  chant  liturgique  connue  sous  le  nom  à.'Antiphvnaii'e,  ne 
peut  être  attribuée  exclusivement  à  S.  Grégoire  ;  elle  fut 
l'œuvre  collective  de  plusieurs  pontifes  romains  antérieurs  à  ce 
saint  pape,  fut  revue  et  coordonnée  de  nouveau  soit  par  ses 
successeurs,  soit  par  les  préchantres  de  la  basilique  vaticane  ,  et 
complétée  encore  plus  tard,  à  la  fin  du  VHP  siècle  et  dans  la 
seconde  moitié  du  IX"  ,  par  Adrien  I  et  Adrien  II  ,  comme 
nous  l'apprend  la  notice  de  ce  même  pape  tirée  d'un  manuscrit 
provenant  de  Saint-Martial  de  Limoges-. 

De  plus ,  rien  dans  les  œuvres  de  S.  Grégoire ,  ou  dans  les 
monuments  de  son  époque  et  des  siècles  immédiats  ,  ne  laisse 
supposer  qu'il  ait  pris  une  part  directe  et  active  à  la  composition 
des  mélodies  liturgiques.  Ce  n'est  que  deux  siècles  et  demi  après 
sa  mort,  qu'on  commence  à  faire  de  lui  un  musicien  et  un 
compositeur.  Quelle  est  donc  l'origine  de  cette  tradition  éclose 
au  IX*  siècle,  qui  attachera  désormais  son  nom  à  l'Antiphonaire 
romain  ? 

Saint  Grégoire  fut,  on  ne  peut  le  nier,  le  grand  restaurateur 
de  la  liturgie  romaine.  Lui-même  nous  atteste,  dans  sa  lettre 
à  révêque  de  Syracuse ,  qu'il  rétablit  les  anciennes  coutumes  et 
en  introduisit  de  nouvelles  et  d'utiles  \  Il  ordonna  avec  soin  les 
Stations  dans  les  basiliques  ou  dans  les  cimetières  des  saints 
Martyrs,  fixa  les  prières  et  les  cérémonies  du  saint  sacrifice  de 
la  Messe  et  composa  le  livre  qui  est  appelé  des  Sacrements  '.  De 
sorte  que,  comme  le  dit  un  auteur  récent  :  «  ia  réforme  grégo- 
«  rienne  peut  être  considérée  comme  le  fondement  de  la  liturgie 
«  romaine  actuelle,  et,  de  fait,  après  S.  Grégoire  on  n'a  plus 

1.  Voir  Revue  de  musique  religieuse  ,  n"  15 ,  Février  1897  ,  pp.  257  et  suiv. 

2.  Hic  Antiphonarium  romanum  ,  sicut  anterior  Adrianus,  diversa  per  loca  corrobora- 
vit.  (Lebœuf,  Traité  théorique  et  pratique  sur  le  chant  ecclésiastique,    1741  ,  p,  103.) 

3.  In  quo  ergo  Graecorum  consueludines  secuti  sumus,  qui  aut  veteres  nostras  restau- 
ravimus ,  aut  novas  et  utiles  conàtituimus,  in  quibus  tamen  alios  comprobamur  imitari  ? 
(Epist.  ad  Joannem  Syracus.  lib.  IX,  ep.   12). 

4.  Walatrid  Strabo  -  de  rébus  ecclesiasticis  ,  cap.  22.  —  Joan.  Diac  Vita  S.  Gregorii, 
lib.  II ,  cap.  18  et  19. 


4  REVUE   DÉ  CHANT   GRÉGORIEN 

«  fait  aucune  innovation  substantielle  au  Sacramentaire  qui  porte 
«  son  nom'.» 

Certains  savants  modernes,  comme  M.  l'abbé  Duchesne  , 
dans  les  Origines  du  culte  chrétien,  et  M.  Gevaért ,  dans  la 
Mélopée  antique ,  ont  soulevé  des  doutes  au  sujet  de  l'auteur  de 
ce  livre ,  dont  ils  refusent  la  paternité  à  S.  Grégoire  ;  mais 
l'opinion  traditionnelle  a  été  solidement  défendue  par  Dom 
wSuitbert  Baûer,  Bénédictin  de  la  Congrégation  de  Beuron'^  et 
par  le  D''  Ferdinand  Probst ,  chanoine  de  Breslau  •*. 

Plus  récemment  encore  ,  Mgr  Magani ,  évêque  de  Parme  ,  dans 
l'ouvrage  que  nous  venons  de  citer  ,  a  de  nouveau  établi  que , 
si  le  .Sacramentaire ,  dans  la  forme  où  il  nous  est  parvenu ,  est 
contemporain  du  pape  Adrien  I  et  contient  des  additions  posté- 
rieures à  S.  Grégoire ,  il  n'a  cependant  subi  aucun  remaniement 
essentiel  depuis  son  époque  et  que  l'œuvre  du  saint  Docteur  s'y 
retrouve  à  peu  près  intacte'''. 

S.  Grégoire  étant  donc  considéré  comme  l'auteur  du  Sacra- 
mentaire et  le  grand  rénovateur  de  la  liturgie ,  dont  le  chant  a 
toujours  été  partie  intégrante ,  on  en  vint  naturellement  à  lui 
attribuer  la  composition  ou  au  moins  la  refonte  des  chants  de  la 
Messe. 

Voyons  si  cette  conclusion  est  fondée.  Il  nous  faut  examiner 
pour  cela:  d'abord  ce  que  contient  le  Sacramentaire,  puis  quels 
sont  les  changements  que  S.  Grégoire  v  a  introduits,  et  enfin 
si  le  remaniement  de  ce  livre  suppose  un  travail  analogue  opéré 
sur  l'Antiphonaire. 

«  Le  Sacramentaire  grégorien,  dit  M.  l'abbé  Duchesne,  com- 
prenait: 1°  l'Ordinaire  de  la  Messe;  2°  les  oraisons,  préfaces  et 
autres  parties  variables  de  la  Messe  ,  récitées  ou  chantées  par 
l'évêque  officiant ,  pour  tous  les  jours  de  fête  et  de  station  ; 
cette  série  embrasse  tout  le  cours  de  l'année  ecclésiastique  :  elle 
commence  à  la  veille  de  Noël  ;  3"  les  prières  de  l'ordination  des 
diacres,  prêtres  et  évêques'*.  »  On  n'y  trouve  pas  les  lectures 
faites  par  les  diacres  ou  les  clercs  inférieurs,  leçons  de  l'Ancien 
Testament,  épîtres  et  évangiles,  ni  la  partie  chantée  par  le  peu- 
ple ou  la  Schola  qui  était  contenue  dans  V Antiphonaritim  ,  ou 
recueil  des  antiennes  de  l'Introït ,  de  l'Offertoire  et  de  la  Com- 
munion, tandis  que  le  Cantuarium  renfermait  les  chants  exécutés 
à  l'ambon  ,  comme  Je  graduel ,  Y  alléluia  ou  le  trait  ;  car  avant  le 
X"  siècle  on  ne  rencontre  pas  de  missels  pléniers^ ,  c'est-à-dire  , 
contenant  toutes  les  parties  lues  ou  chantées  de  la  messe. 
S.  Grégoire  pouvait  donc  refondre  les  prières  de  la  messe  ^  orai- 
sons et  préfaces ,  sans  avoir  à  toucher  au  chant  des  Antiennes 
qui  se  trouvaient  dans  un  recueil  tout-à-fait  distinct. 

1.  L'antica  liturgia  romana  ,  par  Mons.  Francesco  Magani ,  cvêque  de  Parme  ,  vol.  I, 
p.  137.  Milano,  tip.  pont.  S.  Giuscppc ,  1897. 

2.  Ucber  das  sogennante  Sacranientarium  Gclasianuni.  —  Historisches  Jalirbuch  des 
Gôrrcs  Gcsclschaft  ,  vol.  XIV,  pp.  241-301  ,  1895. 

3.  Die  altesien  rôniischen  Sacranientaiien  und  Ordines  erklàrt  von  D""  Ferd.  Probst. 
pp.  297  et  suiv.  Miinstcr,   1892. 

4.  \1ons.  Magani  .  op.  cit.  vol.  1,  pp.  116  et  suiv. 

Cf.  QucUen  und  lorschungcn  Zur  geschicluc  des  Missalc  Romannm  von  D""  Adalbert 
Ebner.  Itci  llaliciim  ,  p.  381.  Fribourg,  Herder  ,  1896. 

5.  Ûiigincs  du  culte  chrétien  ,  p.  116.—  6.  tbner ,  op.  cil.  p.  360. 


REVUE   DE   CHANT  GREGORIEN  O 

Quand  S.  Grégoire  arriva  au  trône  pontifical ,  l'église  Romaine 
était  déjà  en  possession  d'un  recueil  de  formules  liturgiques  , 
connu  sous  le  nom  de  Sacramentaire  Gélasien.  C'est  ce  recueil 
qui  servit  de  base  à  son  travail  de  révision  ,  et  Jean  le  Diacre 
nous  signale  en  ces  termes  les  modifications  qu'il  y  apporta  : 

«  Il  réunit^  dit-il,  en  un  seul  volume  le  livre  du  pape  Gélase 
qui  contenait  la  solennité  des  Messes,  retranchant  beaucoup  de 
choses ,  en  retouchant  quelques-unes  et  en  ajoutant  plusieurs 
autres  pour  l'exposition  des  leçons  évangéliquesV  »  La  compa- 
raison des  deux  Sacramentaires  va  nous  expliquer  le  sens  des 
paroles  de  l'historien  de  S.  Grégoire. 

Multa  subtrahens.  Le  nombre  des  messes  est  moins  consi- 
dérable dans  le  Grégorien  que  dans  le  Gélasien.  Pour  certains 
jours  celui-ci  en  contient  deux:  Ascension,  Vigile  de  la  Pente- 
côte, Dédicace  de  l'Eglise  ,  Consécration  de  l'évêque  ,  etc.  ;  il  y 
en  a  même  trois  pour  le  Jeudi  saint  et  le  recueil  dit  Léonien  en 
offre  un  plus  grand  nombre  ;  tandis  que  le  Grégorien  n'a  qu'une 
messe  pour  chaque  jour  de  fête  ou  de  station.  La  collecte  de  la 
messe  dans  le  Gélasien  a  deux  ou  trois  oraisons,  le  Grégorien 
n'en  contient  qu'une  seule  ;  la  postcommunion,  aux  messes  de 
ietr.pore  a  toujours  deux  oraisons  dans  le  Gélasien  ,  dans  le 
Grégorien  la  seconde  oraison  ne  se  trouve  qu'aux  messes  du 
Carême  et  à  quelques  autres.  Le  Gélasien  contient  44  préfaces 
propres,  le  Grégorien  n'en  a  plus  que  13.  De  plus,  S.  Grégoire 
a  retranché  certaines  messes  qui  n'avaient  plus  de  raison  d'être 
à  son  époque,  comme:  prohibendum  ab  idolis ,  de  pascha 
annotina ,  etc. 

Pauca  convertens.  L'ordre  des  fêtes  est  modifié  ;  on  en  trouve 
quelques  unes  dans  le  Gélasien  qui  manquent  dans  le  Grégorien 
et  réciproquement.  Il  en  est  de  même  de  certaines  bénédictions. 
Les  titres  des  fêtes  et  des  jours  de  synaxe  sont  souvent  diffé- 
rents; il  y  a  aussi  quelque  variété  dans  les  formules  et  les  rites  du 
baptême  et  des  ordinations,  et  dans  les  cérémonies  des  trois 
derniers  jours  de  la  semaine  sainte.  Mais  il  est  bon  de  remarquer 
que  la  plupart  de  ces  divergences  tiennent  à  ce  que  le  sacramen- 
taire gélasien  ne  nous  est  parvenu  qu'après  avoir  subi  de 
nombreuses  retouches  et  interpolations  gallicanes ,  et  que  dans 
bien  des  cas  le  sacramentaire  grégorien  a  pour  lui  le  suffrage  du 
recueil  léonien,  ce  qui  est  en  faveur  de  l'antiquité  de  ses  formules. 
«  Jamais  ,  dit  M.  l'abbé  Duchesne  ,  le  sacramentaire  léonien 
ne  mentionne  une  fête  propre  au  Gélasien  ;  au  contraire ,  il 
contient  six  ou  sept  fêtes  propres  au  Grégorien  ^.  » 

Les  deux  sacramentaires  différent  encore  en  ce  que  les 
messes  des  Saints  sont  placés  à  part  dans  le  Gélasien  , 
tandis  que  dans  le  Grégorien  elles  sont  confondues  avec  les 
messes  du  temps.  De  plus  ,  bon  nombre  d'oraisons  ne  sont 
plus  les  mêmes.  Le  Docteur  Probst  a  calculé  que  sur  492  oraisons 
que  contient  le  Grégorien,   147  seulement,  c'est-à-dire  à   peu 

1 .  Sed  et  Gelasianum  codicem  de  missarum  solemniis  ,  multa  subtrahens ,  pauca 
convertens  ,  nonnuUa  vero  superadjiciens  pro  exponendis  evangelicis  lectionibus  ,  in 
unius  libri  volumine  coarctavit.  (Joan.  Diac.  Vita  S.  Gregor.,  lib.  Il,  cap.  17.) 

2.  Origines  du  culte  chrétien,  p.  126. 


6  REVUE  DE  CHANT   GRÉGORIEN 

près  un  tiers,  sont  identiques  au  Gélasien'.  Nous  savons  en 
outre ,  par  le  témoignage  même  de  S.  Grégoire  qu'il  fit  réciter 
le  Pater  de  suite  après  le  Canon  ^ ,  suivant  en  cela  les  liturgies 
de  S.  Basile  et  de  S.  Jean  Chrysostome ,  en  usage  à  Constanti- 
nople  ,  tandis  qu'auparavant  on  ne  le  récitait  qu'après  la  fraction 
du  pain  ,  comme  cela  se  retrouve  dans  l'Ambrosien^  le  Gallican, 
le  Mozarabe  et  dans  la  plupart  des  anciennes  liturgies  orientales. 

Nonnulla  super adjiclens.  Quelles  sont  les  additions  faites 
par  S.  Grégoire  ?  D'abord  ,  le  Kyrie  eleison  ,  alternant  avec  le 
Christe  eleison  et  formant  neuf  invocations  aux  trois  personnes 
divines  ,  puis  les  mots  :  Diesque  nostros  in  tiiapace  disponas 
jusqu'à  ^r^^^  numerari  ajoutés  au  Canon  de  la  Messe.  Mais  la 
phrase  de  Jean  Diacre  a  un  sens  plus  étendu  et  se  rapporte  à 
un  autre  genre  d'additions ,  car  il  dit  :  nonnulla  superadjiciens 
pro  exponendis  evangelicis  lectionibus.  M.  l'abbé  Duchesne 
avoue  ne  pas  savoir  ce  que  signifie  ces  mots  ■'.  Quelques  uns  ont 
voulu  voir  dans  ces  paroles  une  allusion  aux  homélies  que  le 
saint  Docteur  avait  l'habitude  de  faire  après  la  lecture  de  l'Evan- 
gile' ;  d'autres  pensent  qu'il  s'agit  ici  des  pièces  chantées  qui 
auraient  été  comme  un  développement  du  texte  évangélique^  ; 
or ,  dans  ce  passage  de  Jean  Diacre  il  n'est  pas  question  de 
l'Antiphonaire ,  mais  seulement  du  Sacramentaire  qui  ne  contient 
que  les  prières  récitées  par  le  Célébrant.  On  trouve  ,  il  est  vrai , 
â  la  marge  de  certains  manuscrits,  l'indication  des  Introïts  , 
Répons,  Offertoires;  mais,  comme  le  fait  remarquer  Muratori, 
ces  notes  ont  été  ajoutées  recentiori  matin.  Monseigneur 
Magani ,  de  son  côté,  pense  que  ces  mots  se  rapportent  non 
pas  à  l'homélie  ,  mais  à  la  leçon  évangélique  elle-même  ,  dont 
S.  Grégoire  aurait  fixé  les  proportions*^.  Puisque  le  travail 
de  révision  du  saint  Docteur  a  porté  surtout  sur  les  oraisons,  ne 
pourrait-on  pas  croire  plutôt  que  Jean  Diacre  a  voulu  dire ,  que 
celles-ci  furent  mises  en  rapport  avec  le  texte  de  l'évangile 
qu'on  lisait  à  la  Messe  ? 

Quoiqu'il  en  soit ,  l'illustre  pontife  a  pu  fort  bien  remanier  le 
Sacramentaire  sans  modifier  les  parties  chantées  par  le  chœur 
qui  se  trouvaient  dans  un  livre  distinct.  Il  a  pu  aussi ,  ce  que 
nous  admettons  du  reste,  faire  une  nouvelle  compilation  des 
Antiennes  de  la  Messe  ,  pour  compléter  celle  faite  par  ses 
prédécesseurs ,  soit  en  supprimant  les  Messes  hors  d'usage , 
soit  en  en  ajoutant  quelques  nouvelles  pour  les  Fêtes  intro- 
duites de  son  temps ,  sans  pour  cela  remanier  les  chants  déjà 
existants.  On  ne  voit  pas  que  S.  Grégoire  ait  fait  aucune 
addition  aux  grandes  solennités  de  l'année  ecclésiastique. 
Son  Sacramentaire  ne  renferme  pas  de  messes  pour  les 
Dimanches  ordinaires  entre  l'Epiphanie  et  le  Carême  et  depuis 
l'Octave  de  Pâques  jusqu'à  l'Avent ,  qui  se  trouvent  au  moins 
en  partie  déjà  dans  le  Gélasien  ;  ce  qui  semble  indiquer  qu'il  ne 
toucha  pas  à  cette  partie  du  cycle  liturgique. 

I.  Op.  cit ,  p.  321.  —  2.  Orationem  vero  Dominicani  idcirco  mox  post  precem 
dicimus.  (Epist.  ad  Joan.  Syracus.) 

5.  Origines  du  culte  chrétien,  p.  121  ,  note  2.  —  4.  Grisar,  Zeitschrift  fur  kathol. 
Théologie.  IX  lahrg.  p.  592.  —  5.  Probst,  op.  cit.  pp.  319-520.  —  6.  Op.  cit.,  p.  131. 


REVUE   DE   GHANT   GREGORIEN  7 

Quant  aux  fériés  du  Carême,  dont  les  Messes  se  trouvent 
déjà  dans  le  Gélasien,  quelques  auteurs  en  attribuent  l'institution 
à  S.  Grégoire,  mais  certaines  particularités  qu'on  y  remarque 
nous  font  croire  qu'il  faut  en  faire  remonter  la  composition 
beaucoup  plus  haut. 

On  a  observé  que  les  antiennes  de  Communion  pour  les 
fériés  du  Carême  sont  tirées  des  psaumes  i  à  26,  se  succédant 
dans  leur  ordre  numérique,  et  forment  ainsi  une  série  suivie 
qui  commence  au  mercredi  des  Cendres  et  se  termine  au  ven- 
dredi avant  le  Dimanche  des  Ramaux  '.  Au  mercredi  des  Cendres 
correspond  le  psaume  1  ,  au  vendredi  suivant  le  psaume  2  ,  et 
ainsi  de  suite  -. 

-  Les  Dimanches  n'appartenant  pas  à  l'office  férial  sont  en 
dehors  de  la  série;  mais  les  jeudis  n'y  sont  pas  compris  non 
plus  ,  ce  qui  prouve  que  les  jeudis  ne  figuraient  pas  encore  dans 
la  liturgie  du  Carême,  à  l'époque  où  les  26  psaumes  qui  nous 
occupent  furent  ainsi  répartis  sur  les  autres  jours  delà  semaine. 
Or,  les  jeudis  n'ayant  été  pourvus  de  Messes  que  par  S.  Gré- 
goire II  (715-731',  l'arrangement  des  autres  messes  fériales  est 
donc  antérieure  à  ce  pontife. 

Le  samedi  après  les  Cendres  que  la  plupart  des  manuscrits 
désignent  sous  le  nom  de  Sabbato  vacat ,  et  qui  aujourd'hui 
encore  n'a  pas  d'antiennes  propres  ,  ne  figure  pas  non  plus  dans 
la  série -^  Cependant  le  Sacramentaire  Gélasien  ,  qui  ne  contient 
pas  encore  les  messes  des  jeudis  du  Carême  ,  est  déjà  pourvu 
d'une  messe  et  d'une  station  pour  la  feria  Y II  in  quinquage- 
sima ,  c'est-à-dire  le  samedi  qui  nous  occupe.  Il  faudrait  donc 
remonter  au-delà  du  dit  Sacramentaire  pour  trouver  le  premier 
auteur  du  système. 

Mais ,  objectera-t-on  avec  M.  Gevaert ,  cet  arrangement  ne 
peut  avoir  pris  place  dans  le  graduel  romain  ,  qu'«à  une  époque 
où  le  Caput  jejunii  était  déjà,  comme  aujourd'hui,  le  mercredi 
des  Cendres,  et  non  plus,  comme  pendant  les  premiers  siècles, 
le  Dimanche  suivant.  Or,  comme  ce  primitif  usage  quadragést- 
mal  n'avait  pas  cessé  d'être  en  vigueur  à  Rome ,  sous  Grégoire 
le  Grand  (voir  son  homélie  XVI  in  Evangelid),  nous  devons  en 
conclure  ,  que  la  susdite  série  de  textes  antiphoniques  n'a  pu 
être  introduite  dans  la  messe ,  qu'au  cours  du  VII*  siècle*.  » 

C'était  ,  il  est  vrai ,  l'opinion  la  plus  répandue  jadis  parmi  les 
liturgistes ,  que  S.  Grégoire  n'a  connu  que  les  36  jours  de  jeûne 
effectif ,  entre  le  premier  Dimanche  du  Carême  et  celui  de 
Pâques  ;,  mais ,  Dom  Morin  la  considère  aujourd'hui  comme 
surannée,  et  s'étonne  à  bon  droit,  de  la  voir  figurer  dans  les 
Origines  du  culte  chrétien  de  M.  l'abbé  Duchesne^.  Tomasi, 
Azevedo  et  Vezzosi  avaient  déjà  adopté  le  sentiment  contraire  et 

i.Un  mot  sur  VAtiHphonale  Missaruni.  pp.  i  5  et  suiv.  Solesmes  1890. 

2.  Les  stations  quadragésimales  suivent  une  marche  parallèle  La  station  du  mercredi 
des  Cendres  est  dans  la  première  région  de  Rome,  celle  du  vendiedi  dans  la  deuxième 
région  et  celle  du  lundi  suivant  dans  la  troisième.  (Ibid.  pp.  34-35.) 

3.  Il  en  est  de  même  pour  le  samedi  avant  le  Dimanche  des  Rameaux  ,  Sabbato  vacat , 
Dominus  Papa  eIeemo:!jnatn  dat  ,  qui  était  dépourvu  de   messe  ,  ce  qui  explique  que  la 

érie  des  Communions  s'arrête  à  la  férié  précédente. 

4.  L<i  Mélopée  antique  ,  p.  XXIL 

•   '5-. -Les- vérita4)Ies  origines  du  chant- grégorien  ,  p.  73  j  note  i. 


8  REVUE   DE  CHANT  GRÉGORIEN 

l'auteur  de  Un  mot  sur  VAntiphonale  Missarum  conclut  «  qu'il 
est  impossible  d'affirmer  avec  certitude  que  les  jours  addition- 
nels du  Carême  n'entraient  pas  déjà  à  titre  préparatoire ,  dans 
l'ordonnance  liturgique  grégorienne'.  » 

Le  texte  de  l'homélie  XVI,  sur  lequel  s'appuient  M.  Gevaert 
et  les  partisans  de  l'ancienne  opinion  ,  ne  parle  pas  seulement 
du  jeûne  de  36  jours,  mais  mentionne  aussi  le  jeûne  de  40  jours  : 
Discutiendum  nobis  est ,  cur  hœc  ipsa  abstinentia  per  quadra- 
ginta  dieriim  numerum  ciistoditur.  Il  y  est  question  de  deux 
périodes  distinctes  :  une  de  40  jours  et  l'autre  de  36.  Le  temps  du 
Carême  ne  commençait  en  réalité  que  le  Dimanche  après  le 
mercredi  des  Cendres  et  ne  contenait  par  conséquent  que  36 
jours  de  jeûne  effectif^  mais  il  était  précédé  d'une  période  prépa- 
ratoire de  4  jours,  ce  qui  faisait  un  total  de  40  jours  de  jeûne. 

S.  Léon  le  Grand  (440-461),  près  d'un  siècle  et  demi  avant 
S.  Grégoire ,  dans  plusieurs  de  ses  homélies ,  parle  aussi  des 
40  jours  de  jeûne  :  Cognoscimus  ad  celebrandum  paschœ  diem , 
merito  nos  quadraginta  dieriim  jejunio  prœparari-. 

Même,  longtemps  après  que  l'observance  des  40  jours  de  jeûne 
fut  devenue  d'usage  général ,  les  écrivains  ecclésiastiques  conti- 
nuent l'enseignement  symbolique  traditionnel  au  sujet  des  36 
jours  de  jeûne  dans  lesquels,  comme  S.  Grégoire,  ils  voient  la 
dîme  de  l'année.  Et  les  manuscrits  des  Sacramentaires  ,  aussi 
bien  que  de  l'Antiphonaire ,  désignent  toujours  le  premier  Diman- 
che du  Carême  par  le  titre  :  Dominica  in  Qiiadragesima 
inchoantis  initium.  —  Initium  Quadragesimœ  ;  tandis  que  le 
mercredi  des  Cendres  est  dans  le  Sacramentaire  gélasien  :  In 
jejunio  prima  station,  feria  IV.  Plus  tard,  on  ajouta  à  cette 
dénomination  :  Caput  jejunii.  Mais  le  Concile  de  Soissons  ,  en 
853 ,  le  place  encore  en  dehors  du  Carême  et  l'appelle  :  Feria 
qiiarta  ante  initium  Quadragesimœ. 

C'est  donc  seulement  le  Dimanche  que  commençait  le  temps 
quadragésimal.  Le  bréviaire  romain  a  maintenu  un  reste  de  cet 
ancien  usage  ;  jasqu'aux  Vêpres  du  samedi  après  les  Cendres  , 
l'Office  divin  s'accomplit  comme  dans  le  reste  de  l'année. 

Mais,  pourquoi  dans  notre  liste  de  Communions  fériales,  cette 
semaine  supplémentaire  n'a-t-elle  pas  de  messe  pour  le  samedi  ? 
Le  D""  Probst  pense  avec  raison  que  ces  jours  de  jeûne  prépa- 
ratoires au  Carême  ,  étaient  dans  l'origine  ceux  des  quatre-temps 
du  premier  mois\  Or,  l'on  sait  que  le  samedi  des  quatre-temps  , 
il  n'y  avait  pas  le  matin  de  synaxe  eucharistique  ;  le  soir  seule- 
ment, commençait  à  Saint-Pierre  la  vigile  solennelle,  pendant 
laquelle  avait  lieu  l'ordination  ;  elle  était  suivie  de  la  messe  aux 
premières  heures  du  Dimanche.  Au  temps  de  S.  Grégoire ,  nous 
apprend  Egbert  d'York ,  le  jeûne  du  premier  mois  qui  autrefois 
se  célébrait  en  dehors  du  Carême ,  fut  assigne  à  la  première 
semaine  de  la  période  quadragésimale*.  Et  le  Liber  pontificalis 

1.  Ob.  cit.  p.  3S.  —  Cf.  Kosma  de  Papi ,  Liturgia  sacra  catijolica,  p.  324  et  note  4. 

2.  V.  Probst  op.  cil.  pp.  195-196  ,  où  sont  cités  tous  les  textes  de  S.  Léon,  relatifs 
aux  40  jours  de  jeune. 

3.  Op.  cit.  pp.  19  et  suiv. 

4.  Quod  jejunium  sancti  patres  in  prima  hebdomada  mensis  primi  statuerunt ,  IV  et  VI 
feria  et  sabbato  ,  exceptis  ditbus  quadragesimalibus .  Nos  autem  in  ecclesia  Angelorum  idem 


REVUE   DE   CHANT   GREGORIEN  y 

qui,  en  parlant  du  pape  Symmaque  (498-514),  dit  :  Hic  fecit 
ordinationes  IV  in  urbe  Roma  per  mens,  decembr.  et  febr., 
et  du  pape  Félix  III  (526-530):  Hic  fecit  ordinationes  II  per 
mens,  februario  et  martio ,  dit  au  sujet  de  S.  Grégoire:  Hic 
fecit  ordinationes  II  una  in  Quadragesima  et  alia  in  mense 
septima  ' . 

La  composition  des  Communions  fériales  du  Carême  est  donc 
certainement  antérieure  à  S.  Grégoire  ;  puisque  à  son  époque  le 
samedi  des  quatre-temps  et  de  l'ordination  était  celui  qui  pré- 
cédait le  deuxième  Dimanche  ;  elle  est  peut-être  même  plus 
ancienne  que  S.  Gélase ,  puisque  dans  son  Sacramentaire  on 
trouve  déjà  une  messe  pro  feria  VIL 

La  série  des  26  communions  présente  des  lacunes  qu'il  nous 
reste  à  examiner.  Les  psaumes  12 ,  16,  17,  20  et  21 ,  ont  été  rem- 
placés par  cinq  antiennes  évangéliques  qui  toules,  sauf  la  der- 
nière ,  se  retrouvent  dans  le  Responsale  gregorianum.  ou  recueil 
des  chants  de  l'Office.  Le  chant  presque  syllabique  de  ces 
antiennes  contraste  d'une  manière  frappante  avec  les  cantilènes 
mélismatiques  des  autres  Communions  ^. 

«  Il  est  clair ,  dit  Dom  Cagin ,  qu'un  rétormateur  a  passé  par 
là  :  il  a  voulu  mettre  ces  jours-là  ,  le  chant  de  la  communion  en 
rapport  avec  le  chant  de  l'évangile  ■\  »  Dom  Morin  va  plus  loin 
et  veut  y  voir  la  main  de  S.  Grégoire  corrigeant  l'œuvre  d'un 
de  ses  prédécesseurs  ^ 

Ne  pourrait-on  pas  aussi  supposer  que  l'ordonnateur  de  l'office 
férial,  quel  qu'il  soit,  a  simplement  conservé  les  antiennes  qui 
se  chantaient  déjà  avant  lui,  aux  messes  de  ces  fériés  ,  désignées 
peut-être  comme  jours  de  scrutin  pour  les  catéchumènes-',  tout 
en  assignant  à  ces  mêmes  fériés  les  psaumes  qui  leur  corres- 
pondaient dans  la  série  des  vingt-six  psaumes,  car,  jusqu'au 
IX"  siècle,  la  Communion  fut  accompagnée  d'une  psalmodie 
antiphonique.  Et  de  fait,  dans  plusieurs  manuscrits,  après 
l'antienne  Videns  Dominus  fientes  sorores  La\ari  ,  (fer.  VI 
post  Dom.  IV  Quadrag.),  la  rubrique  renvoie  au  psaume  21. 
C'est  justement  celui  qui  devait  appartenir  à  cette  férié  en 
suivant  l'ordre  numérique. 

Une  des  additions  que    l'on   peut   avec  certitude  attribuer  à 

primi  mensis  jejunium ,  ut  noster  didascalus  beatus  Gregorius ,  in  suo  antiphonario  et 
missali  libro  ,  per  pedagogum  nostrum  beatum  Augustinum  transmisit  ordinatum  et 
rescriptum  ,  indifferenter  de  prima  hebdomada  quadragesimœ  servamus  ,  (Egbert  Ebora- 
censis  archiepiscopi  de  institutione  catholica  dialogus.  Interrogatio  i6  no  i.) 

1.  Lib.  Pontif.  pp.  263,  279  et  312. 

2.  Ces  Communions  sont  celles  du  Samedi  après  le  11^  Dimanche  du  Carême  ,  du  Ven- 
dredi et  du  Samedi  après  le  III«  Dimanche  ,  du  Mercredi  et  du  Vendredi  après  le  IVe  Di- 
manche. L'antienne  de  communion  Voce  inea  du  premier  Lundi  de  Carême  ,  qui  est 
aujourd'hui  remplacée  dans  le  Missel  romain^  par  TAnt.  Amen  dicovohis  ,  se  trouve  encore 
dans  le  graduel  Dominicain.  (Tournai,  1890.)  . 

3.  Un  mot  sur  VAntiphonah,  p.  21.  —  4.  Les  véritables  origines ,  p.  74. 

5.  «  Il  est  intéressant  de  constater  que  les  péricopes  auxquelles  sont  empruntées  ces 
antiennes  correspondent  à  quelques  uns  des  jours  les  plus  solennels  du  Carême  dans 
les  liturgies  milanaise  et  espagnole,  par  exemple  ,  les  Dimanches  de  la  Samaritaine, 
de  l'Aveugle-né  ,  de  Suzanne  et  de  Lazare.  Ces  scènes  évangéliques  auraient-elles  été  à 
l'origine  commémorées  aussi  à  Rome  le  Dimanche  ,  puis  postérieurement  transposées 
à  quelques  jours  de  scrutin  particulièrement  importants  pour  les  aspirants  au  baptême  ?  » 
(Dom  Morin ,  op.  cit.  p.  75 ,  note  2). 


10  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

S.  Grégoire  est  le  chant  de  V Alléluia  à  toutes  les  messes  des 
Dimanches  et  fêtes,  en  dehors  du  Carême  et  du  temps  de  la 
Septuagésime  '  ;  mais  il  semble  que  le  plus  souvent  le  choix  de 
ï Alléluia  et  du  verset  fut  abandonné  au  chantre.  Dans  plusieurs 
endroits  de  l'Antiphonaire  la  rubrique  porte  :  Alléluia  quale 
volueris ,  et  les  alléluia  manquent  dans  beaucoup  de  messes 
pro  Sanctis. 

Le  savant  éditeur  du  Graduale  Salisburiense  fait  observer, 
dans  son  étude  sur  la  formation  de  VAntiphonale  Missariim 
qui  sert  de  préface  à  cette  publication,  que  :  «  Les  versets  de  V Al- 
léluia ,  entant  que  distincts  de  V Alléluia  lui-même,  varient 
tellement  et  si  universellement  qu'on  se  demande  tout  d'abord 
s'ils  faisaient  partie  du  plan  original. 

«  h' Alléluia  lui-même ,  ajoute-t-il,  était  sans  doute  en  usage  à 
Rome ,  dès  les  temps  anciens  ,  au  moins  tout  d'abord  le  jour  de 
Pâques,  puis  ensuite  plus  fréquemment  ,  jusqu'à  ce  que  S,  Gré- 
goire en  eut  étendu  l'usage  à  tous  les  Dimanches  et  fêtes.  Mais 
il  est  possible  que  les  versets  soient  une  addition  postérieure, 
due  à  la  même  tendance  de  pourvoir  de  paroles  le  jubilus ,  qui 
plus  tard  produisit  les  Séquences.  Cela  en  expliquerait  la  diversité. 

«  On  peut  en  donner  une  autre  raison.  Dans  le  principe,  les 
Allelluia  et  leurs  versets  n'étaient  pas  assignés  à  des  messes 
séparées,  mais  se  trouvaient  groupés  ensemble  suivant  les 
différentes  saisons,  Pâques,  le  temps  de  la  Pentecôte  et  de  la 
Trinité.  On  pouvait  faire  un  choix  dans  ces  différentes  collections 
pour  chaque  circonstance  particulière  ;  d'où  s'en  suivait  natu- 
rellement une  grande  diversité.  Mais  cela  ne  suffit  pas  à  rendre 
compte  de  toutes  les  variantes  qu'on  rencontre.  On  y  trouverait 
bien  la  raison  d'une  différence  dans  l'emploi  des  matériaux 
tirés  d'une  provision  commune  ,  mais  cela  n'explique  pas 
pourquoi  les  collections  d'Alleluta  varient  d'un  manuscrit  à 
l'autre,  et  ce  genre  de  différence  est  tout  aussi  remarquable  que 
le  premier. 

«  De  plus  ,  on  a  adapté  de  nouveaux  versets  à  d'anciens  Al- 
lelluia et  même  l'on  n'a  pas  cessé  de  composer  de  nouveaux 
Alléluia  jusqu'à  la  fin  du  XV"  siècle,  avec  une  liberté  dont  il 
n'y  a  pas  d'exemple  dans  le  reste  de  l'office.  Graduel,  Offertoire 
ou  Communion.  En  général,  cette  formule  de  chant  semble 
n'avoir  point  participé  à  cette  stabilité  qui  est  si  caractéristique 
des  autres  parties  de  la  Messe  '^   » 

Une  nouvelle  preuve  que  la  refonte  du  Sacramentaire  n'a  pas 
toujours  coïncidé  avec  une  pareille  retouche  de  l'Antiphonaire 
se  trouve  dans  les  divergences  qui  existent  entre  ces  deux  livres. 

Le  Sacramentaire  commence  par  la  vigile  de  Noël,  l'Antipho- 
naire par  le  premier  Dimanche  de  l'Avent.  Dans  l'Antiphonaire 
on  ne  trouve  pas  trace  de  sainte  Anastasie  à  la  deuxième  messe 
de  Noël,  tandis  que  le  Sacramentaire  contient  une  préface  propre 
à  la  Sainte,  ce  qui  semble  indiquer  une  messe  spéciale.  Au  jour 
de  la  Circoncision,  l'Antiphonaire  a  seulement  une  messe  en 

1.  Epist.  ad  Joan  Syracus. 

2.  The  Sarum  Graduai  and  the  gregorian  Antiphotiale  Missarutn  ,  by  Walter  Howard 
Frère,  M.  A.  pp.  X-XI.  London,  Bernard  Quaritch,  1895.  


REVUE   DE     CHANT   GRÉGORIEN  M 

l'honneur  de  la  B.  Vierge  Marie,  il  a  aussi  une  ;  messe  pour  le 
Dimanche  après  Noël  et  une  pour  la  vigile  de  l'Epiphanie  qui 
manquent  dans  le  Sacramentaire.  La  messe  du  IIP  Dimanche  y 
fait  également  défaut.  Le  Sacramentaire  contient  une  messe  pour 
le  samedi  avant  le  Dimanche  des  Rameaux,  tandis  que  l'Anti- 
phonaire  au  même  jour  porte  l'ancien  titre  :  Sabbatum  vacat.  Le 
'  Sacramentaire  n'a  pas  la  messe  de  l'Invention  de  la  Sainte  Croix 
qui  se  trouve  dans  l'Antiphonaire  ;  celui-ci  a  de  plus  les  Roga- 
tions ,  la  messe  de  la  vigile  de  l'Ascension  et  du  Dimanche 
suivant  qui  manquent  dans  le  Sacramentaire.  L'Antiphonaire  a 
les  23  Dimanches  après  la  Pentecôte,  terminés  par  le  24*  Diman- 
che ,  consacré  à  la  Sainte  Trinité  ;  or ,  aucun  de  ces  Dimanches  ne 
se  trouve  dans  le  Sacramentaire.  On  rencontre  également  de 
nombreuses  différences  dans  les  fêtes  des  Saints'. 

Mgr  Magani  attribue  ce  manque  d'uniformité  à  ces  mauvaises 
têtes  de  musiciens,  qui  ne  peuvent  rester  en  repos  et  qui,  au 
nom  de  l'harmonie  ,  du  bon  goût  et  de  je  ne  sais  quoi  encore, 
sont  toujours  à  varier,  à  modifier,  à  changer-. 

Pour  nous,  cela  prouve  simplement,  non  pas  que  vS.  Grégoire 
n'ait  pas  mis  la  main  à  une  compilation  de  l'Antiphonaire  ,  mais 
que  ce  livre  était  en  quelque  sorte  indépendant  du  Sacramentaire 
et  ne  jouissait  pas,  au  moins  dans  le  principe,  de  la  même 
autorité  ni  de  la  même  stabilité.  Il  est  clair  que  l'un  des  deux 
livres  a  subi  bien  des  retouches  et  des  interpolations  qui  ne 
figurent  pas  dans  l'autre  ,  et  qu'on  ne  se  croyait  pas  astreint  à 
garder  dans  les  pièces  de  chant,  la  même  uniformité,  la  même 
fixité  que  dans  les  formules  de  prières. 

Aussi  bien,  l'histoire  ne  signale  que  deux  papes  qui  se  soient 
occupés  de  la  collection  d'oraisons  et  de  préfaces,  connue  sous  le 
nom  de  Sacramentaire  ,  S.  Gélase  et  vS.  Grégoire ,  et  après  celui- 
ci,  il  n'est  plus  question  de  refonte  totale  ,  mais  seulement 
d'additions  partielles  ,  tandis  que  l'anonyme  de  Gerbet  men- 
tionne les  nombreux  pontifes  et  préchantres  qui,  avant  oa  après 
S.  Grégoire,  ont  travaillé  à  coordonner  et  à  revoir  l'Antiphonaire 

Le  fait  d'avoir  réorganisé  la  liturgie  et  publié  le  Sacramentaire 
suffit  donc  à  expliquer  pourquoi ,  à  partir  du  IX^  siècle  ,  le  seul 
nom  de  S.  Grégoire  est  resté  attaché  au  recueil  des  chants  de  la 
Messe,  bien  que  la  plus  grande  partie  des  pièces  qu'il  renferme 
n'aient  pas  été  composées  ou  remaniées  par  lui. 

A  suivre.  J.  Dupoux. 

1.  Magani.  L'Antica  Liturgia  romaiia ,  I,  pp.  125-127. 

2.  Certo  é  una  disgracia  questa  dell'  Antifonario  Gregoriano  ,  ch'io  sarei  inclinato  ad 
attribuire  a  quelle  testoline  svegliate  ,  coite  ma  irrequietissime  dci  musicomani ,  i  quali 
in  nome  dell' armonia  ,  del  buon  gusto  e  di  tant'  altre  cose  ,  ch'essi  solo  conoscono 
sono  sempre  in  sul  variare  ,  modificare ,  cambiare  ,  di  non  presentare  ne'  suoi  codici 
quella  uniformità  che  si  riscontra  nei  Sacramentarii  e  nei  lezionarii.  {Ihià.  p.  127. 


Nous  avons  reçu  du  R.  P.  Soulier  une  réponse  à  l'article  de 
M.  l'abbé  Artigarum ,  que  V abondance  des  matières  et  l'envoi 
tardif  nous  obligent  à  renvoyer  à  un  prochain  numéro. 


42  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

L'ART  DIT   GRÉGORIEN 
D'APRÈS   LA   NOTATION   NEUMATIQUE 

(Premier  Article) 

Dans  une  série  d'articles,  je  me  propose  d'aborder  l'étude  des 
points  les  plus  importants  de  la  théorie  musicale  grégorienne, 
telle  qu'elle  se  dégage  pour  moi  de  l'analyse  des  manuscrits 
neumés. 

La  mesure,  les  pieds  rythmiques,  la  déclamation,  la  consti- 
tution de  la  phrase  mélodique,  l'accentuation,  le  sens  rythmique 
et  le  sens  expressif  des  neumes,  sont  tous  des  sujets  intéressants 
que  nous  devrons  définir  en  nous  appuyant  sur  la  notation  seule. 
Nous  rapprocherons  ensuite  de  nos  conclusions  les  textes  anciens 
qui  ont  traité  des  mêmes  matières,  et  nous  jugerons  en  dernière 
analyse  de  la  fragilité  ou  de  la  solidité  de  notre  théorie. 

Dans  ce  premier  article  nous  traiterons  : 

De  la  Constitution  de  la  Mesure  dans  le  Chant  dit  Grégorien  , 

AU   POINT   DE    VUE   THÉORIQUE    ET   PRATIQUE. 

La  mesure  du  chant  dit  Grégorien  est  la  mesure  isochrone  des 
rythmes  successifs  composant  le  mélos,  ou,  en  d'autres  termes, 
le  mélos  Grégorien  est  composé  d'une  suite  de  rythmes  isochrones 
successifs. 

Qu'est-ce  qu'un  rythme  ?  c'est  la  réunion  des  notes  constituant 
un  groupe  musical  d'une  durée  fixée  «  ab  initio  »  pour  chaque 
œuvre  en  particulier. 

Des  rythmes  isochrones  successifs  sont  donc  des  groupes 
musicaux,  qui,  pris  un  à  un,  ont  une  durée  d'émission  égale  à 
chacun  des  autres  groupes. 

Si ,  par  égard  pour  des  usages  reçus  de  longue  date ,  nous 
adoptons  la  valeur-durée  moderne  que  nous  appelons  «  la  noire  », 
comme  type  graphique  représentant  la  durée  totale  d'un  de  ces 
rythmes,  nous  dirons,  —  pour  employer  le  langage  pédagogique 
de  nos  contemporains  —que  la  mélodie  grégorienne  est  composée 
d'une  suite  de  temps  successifs  représentés  graphiquement  par  la 
noire,  ou  par  les  subdivisions  2,  3,  4,  5,  6,  8,  croches,  doubles 
et  triples  croches,  selon  le  nombre  des  notes  constituant  chacun 
des  rvthmes  neumés  à  transcrire  en  notation  moderne 


u 


'fc^'U 


8 

A  la  vue  d'une  semblable  notation  temps  par  temps  (simple 
trompe-l'œil  accusé  par  la  noire  type  de  durée  totale)  ne  serons- 
nous  pas  tentés  de  conclure  en  faveur  d'une  de  nos  mesures 
modernes,  peu  usuelles  à  la  vérité;  -~  synonyme  de  -^^  ou  ;^? 

Gardons-nous  bien  de  l'identification,  là  est  l'écueil! 

Une  mesure  ainsi  notée  aurait  un  triple  inconvénient. 

Le  premier:  de  laisser  croire  à  l'exécutant,  —  tant  est  grave 
l'influence  de  la  forme  extérieure  des  objets  sur  notre  intellect  — 
que  chaque  fraction  de  la  mesure  doit  être  battue  selon  l'usage 
par  frappé  et  par  levé,  faisant  ainsi:  d'un  seul  temps  rythmi- 
que embrassant  la  division  graphique  entière  ^  deux  temps 
secondaires. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  13 

Le  second:  de  créer,  par  ces  frappés  et  ces  levés,  des  sensa- 
tions de  temps  forts  et  de  temps  faibles  (dans  chaque  mesure 
ainsi  constituée),  sensation  dont  l'effet  serait  désastreux  par  la 
mélodie. 

Le  troisième  :  de  rendre  toujours  douteuse  l'attribution  du 
nombre  exact  de  notes  qui  revient  à  chacune  des  fractions  du 
temps  entier  ,  dans  les  groupes  de  trois  ou  de  cinq  sons  ,  et 
surtout  dans  les  groupes  agrémentés  de  notes  d'ornement  dont 
le  mélos  est  émaillé. 

En  effet,  si,  en  battant  cette  sorte  de  mesure,  nous  accusons 
les  deux  temps  (le  fort  et  le  faible) ,  comment  répartirons-nous 
entre  eux  deux  les  notes  constituant  les  groupes  de  3  et  de 
5  sons?  En  appliquerons-nous  deux  ou  un  au  frappé  et  le  reste 
au  levé,  dans  les  groupes  de  trois  sons?  et,  dans  les  groupes  de 
cinq  sons ,  sera-ce  trois  ou  deux  notes  au  frappé  et  le  reste  au 
levé? 

Comme,  d'autre  part,  d'après  les  neumes  ,  ces  trois  ou  cinq 
notes  sont  généralement  égales  en  durée  ,  et  en  ce  moment  nous 
les  envisageons  comme  telles,  il  sera  nécessaire,  pour  sauvegarder 
l'égalité  du  rythme  et  obtenir  le  legato  fondu  de  la  mélodie ,  de 
battre  seulement  \e  frappé  de  la  mesure  sans  accuser  le  levé, 
afin  d'éviter  de  faire  sentir  la  division  mathématique  de  l'un  ou 
de  l'autre  au  milieu  d'un  groupe  indivisible  en  deux  fractions 
égales.  C'est  ,  d'ailleurs  ,  ce  que  nous  faisons  actuellement 
lorsque  nous  rencontrons  dans  le  cours  de  la  mélodie  un  groupe 
de  trois  noires ,  par  exemple  ,  n'embrassant  que  deux  temps 
d'une  mesure  à  4  temps. 


Exemple:    fez=^^ZlÉ=^d^— t=£^=l£r= 


Nous  battons  régulièrement  le  i-"",  le  2^  et  le  3"  temps ,  puis 
nous  glissons  sur  le  4%  en  faisant  un  geste  souple  qui  détruit 
l'arrête  vive  de  ce  4®  temps,  et  ce  procédé  revient  à  peu  près  au 
même  que  si  la  mesure  était  battue  à  2  temps  dans  la  mesure  à  -f . 

Dans  le  cas  qui  nous  occupe  nous  devrons  écrire  et  battre  en 
un  seul  temps  : 

1 et  non  1 —     2- ou     1 2 — 

La  différence  qui  existe  entre  ces  trois  versions  étant  fort  peu 
de  chose  à  l'audition,  pourquoi,  dira-t-on,  ne  pas  battre  franche- 
ment à  deux  temps  la  mesure  de  cette  mélodie;  et,  mieux  encore, 
pourquoi  ne  pas  réunir  deux  à  deux  les  temps  successifs  ,  de 
manière  à  former  une  dipodie  dans  le  genre  antique.?  Au  moins, 
c'est  une  mesure  cela,  et  son  adoption  tournerait  la  difficulté  une 
fois  pour  toutes!..  Erreur  profonde.  D'abord,  je  ferai  remarquer 
que  dans  ce  cas  nous  créerions  de  nous-mêmes  une  division  qui 
n'existe  pas  ,  et ,  dans  le  premier  cas ,  nous  recouperions  ,  de 
notre  propre  autorité,  un  groupe  neumatique  ,  ce  qui  ne  se  peut 
ni  ne  se  doit ,  si  l'on  prétend  restaurer  le  chant  dans  sa  pureté 
originelle. 


14  REVUE   DE   CHANT   GRÉGORIEN 

Ensuite/si,  pour  me  servir  de  -l'expression  de  mon  interlocu- 
teur supposé  :  «  C'est  une  mesure  cela ,  »  je  maintiens  qu'elle  est 
inapplicable  à  la  mélodie  grégorienne  et  je  pose  en  fait ,  que: 
1°  Si  l'on  respecte  la  notation  neumatique  et  la  théorie  du 
X*  siècle  on  ne  pourra  pas  créer  la  dipodie  rêvée;  2°  si,  proprio 
motU;  ou  crée  cette  dipodie,  on  fera  œuvre  mauvaise;  3°  si 
l'on  traduit  les  neumes  selon  le  sens  que  l'enseignement  leur 
2iS>s\gne,  grosso  modo,  on  trouvera  toujours,  au  contraire,  une 
mélodie  simple,  parfaitement  naturelle,  (bien  que  d'un  tour' 
diffèrent  de  celle  que  nous  pratiquons),  et  corroborant  toujours 
l'enseignement  en  question. 

Tout  cela,  je  le  prouve. 

Rien ,  dans  les  anciens  auteurs,  ne  nous  laisse  supposer  que  la 
mélodie  fût  battue  par  dipodies  ,  lacune  très  grave  dans  leurs 
écrits,  puisque  cette  question  touche  un  point  fondamental  de  la 
structure  rythmique  de  la  mélodie.  La  dipodie  n'était  donc  pas 
d'usage  dans  cette  sorte  de  chant,  et  il  ne  nous  appartient  pas 
plus  de  la  créer  que  de  la  supprimer ,  si  elle  avait  existé. 

De  plus ,  enserrer  une  mélodie  grégorienne  dans  le  cadre  de  la 
dipodie  est  une  impossibilité  matérielle,  parce  que  la  sensation 
forte,  ou  faible,  que  nous  ressentons  des  frappés  et  des  levés  de 
nos  mesures  modernes,  est  constamment  froissée  par  la  sensa- 
tion mélodique  éveillée  en  nous  à  l'audition  d'une  mélodie 
grégorienne  rythmée  dipodiquement ,  telle  que  la  suivante: 


Ex.k 


Pu-er    na  -  tus  est  no     -      bis     et      fi  -     li  -    us  da  -    tus  est 

^"^-»-7?-»~-^^j^— ^  dont  le  sens  mélodique  moderne  requiert  sans 
— W-U-— F-^3^— 3  contredit   la   division    mesurée   moderne    ci- 


no  -    bis,  etc.    dessous 


da     -       tus  est  no     -       -      bis  :     cujus  imperium ,  etc. 

La  dipodie  suivant  l'ex.  A  est  donc  contredite  par  le  sens 
mélodique  de  la  phrase  musicale  ,  et  la  conclusion  suivante 
s'impose:  Théoriquement,  la  mélodie  grégorienne  est  mesurée 
par  pieds  rythmiques,  ou  temps,  successifs,  tous  égaux  en  durée, 
mais  pratiquement,  pour  nous  modernes  et  dans  l'intérêt  d'une 
exécution  artistique ,  cette  mélodie  peut  être  battue  ,  à  la 
moderne,  par  mesures  inégales,  quant  au  nombre  de  temps  les 
composant,  comme  je  viens  de  le  montrer  dans  l'ex.  B,  en 
divisant  la  phrase  selon  son  sens  musical. 

L'objection:  «  Que  les  Anciens  ne  se  souciaient  pas  du  sens 
musical  tel  que  nous  le  comprenons  d'après  les  temps  forts  et  les 
temps  faibles  de  la  phrase  »,  n'est  d'aucune  valeur,  attendu  que, 
quand  bien  même  la  mélodie  grégorienne  eût  pu  être  rythmée  par 
dipodies,  sans  choquer  les  auditeurs  de  l'époque,  nous  savons 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  15 

qu'elle  n'était  pas  rythmée  de  cette  façon,  aucun  texte  ne  nous 
permettant  même  de  penser  qu'elle  puisse  l'avoir  été. 

Mais,  à  supposer  que  le  texte  à  invoquer,  pour  prouver  qu'elle 
ait  pu  être  rythmée  dipodiquement ,  ait  disparu  ,  comme  par  une  ■ 
fatalité  étrange  ,  de   tous  les  traités   qui  nous  sont  parvenus  , 
essaiera-t-on  de  ramener  cette  mélodie  au  cadre  de  la  dipodie 
d'après  un  arrangement  arbitraire,  assez  aisé  en  définitive  ? 

La  scansion  de  la  mélodie  se  présentera  comme  il  suit  : 


'.0-ft-0-l-- y 0  .^-0-L0- 


0-P-0- 


Pli   -    er  na^   -    tus  est   no     -    bis     et     fi  -     11  -     us  da- 

r— N- 


tus  est  no     -      bis  :  eu- jus    imperium  ,  etc. 

Je  pourrais  prétendre,  comme  artiste,  que  ce  pas  de  polka 
est  indécent  à  l'Eglise,  mais,  outre  que  c'est  une  question  de' 
sentiment  personnel,  il  y  a,  ce  semble,  deux  raisons  qui  s'opposent 
à  une  semblable  traduction;  l'une,  capitale  :  la  notation  neuma- 
tique  est  écartée  et  n'est  plus  qu'une  invention  incohérente,  si 
réellement  la  mélodie  qu'elle  représente  est  rythmée  de  cette 
façon;  l'autre,  incidente  :  la  traduction  ainsi  faite  n'est  pas  consé- 
quente avec  elle-même,  si  l'on  veut  tenir  compte  de  la  notation 
neumatique,  même  interprétée  d'après  un  système  arbitraire. 

En  effet ,»  voyez  les  syllabes  «  tus  est  »  des  mots  «  natus 
est,  datus  est,  »  elles  sont  traduites  ici  par  des  croches;  or, 
représentées  neumatiquement  par  des  virga  et  des  punctum  , 
c'est  fixer  en  principe  que  virga  et  punctum  isolés  représentent 
une  note  brève,  croche  par  exemple  !  Admettons-le,  bien 
qu'arbitraire;  mais  alors  les  syllabes  «  er  »  de  puer,  «  bis  »  de 
nobïs,  «  us  »  de  filius ,  représentées  également  par  des  virga  ou 
des  punctum,  ne  devant  pas,  si  l'on  veut  être  logique,  être 
traduites  par  des  noires,  mais  bien  par  des  croches,  comme  les 
syllabes  précédemment  visées,  nous  aurons  donc  trois  temps 
incomplets ,  et  à  compléter  par  des  soupirs  ?  La  chose  est  possible^ 
pour  nobis  fin  de  membre  de  phrase,  mais  non  pour  puer  et 
datus. 

{A  suivre).  G.  Houdard. 


CORRESPONDANCE 

Nous  recevons  du  diocèse  d'Evreux  la  lettre  suivante  que  nous 
publions  à  titre  d'information. 

«  Monsieur  LE  Directeur,  '      • 

«Le  compte-rendu  de  la  brochure  de  M,  Dabin  ,  que  vous  avez 
donné  dans  votre  dernier  numéro,  a  été  lu  et  commenté  avec  la 
plus  vive  satisfaction  par  la  plupart  de  mes  confrères  ,  qui  ont 
éprouvé  un  vrai  soulagement  en  voyant  juger  comme  il  le 
mérite  ce  personnage  funambulesque.  V^ous  serez  peut-être 
curieux  de  connaître  l'origine  de  ce  pamphlet. 


î6  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

«  Voici  les  faits  : 

«  Il  s'agissait  de  faire  choix  d'une  édition  de  chant  pour  notre 
diocèse.  Quelques  naïfs,  trompés  par  les  réclames  assourdissantes 
de  certaines  revues,  penchaient,  sans  trop  savoir  pourquoi,  pour 
l'édition  de  Solesmes.  Mais  le  plus  grand  nombre  ne  se  sentait 
aucun  attrait  pour  cette  notation  moyenâgeuse,  pour  ces  voca- 
lises à  perte  de  vue  et  ces  répétitions  de  notes  sans  fin.  » 

«  Une  commission  était  nommée  et  la  question  était  en  sus- 
pens, quand  M.  Dabin  se  posa  en  champion  du  chant  Bénédictin. 
Il  allait,  disait-il,  frapper  un  grand  coup  qui  mettrait  fin  à  toutes 
les  indécisions,  réconforterait  les  partisans  de  Solesmes  et  impo- 
serait silence  à  tous  les  opposants.  Tout  le  monde  était  dans 
l'attente. 

«  Mais,  à  peine  la  diatribe  si  bruyamment  annoncée  eut-elle 
paru,  qu'on  s'aperçut  bien  vite  que  le  foudre  de  guerre  n'était 
qu'un  fantoche  risible  et  que  son  grand  sabre,  dont  il  menaçait 
de  pourfendre  tous  les  récalcitrants  ,  avait  plutôt  la  tournure 
d'une  latte  d'arlequin. 

«  Si  c'est  par  de  telles  pantalonnades  ,  bonnes  tout  au  plus  à 
amuser  les  badauds  ,  que  les  Bénédictins  croient  nous  convain- 
cre ,  ils  en  seront  pour  leurs  frais.  Il  suffirait  d'une  ou  deux 
brochures  comme  celle  de  M.  Dabin,  pour  ruiner  à  tout  jamais 
leur  crédit  déjà  fortement  ébranlé.  L'officine  où  s'élaborent  de 
pareils  produits  a  trop  l'air  d'une  baraque  de  foire  ! 

«  Et  M.  Dabin  ose  bien  reprocher  à  Rome  d'avoir  cédé  à  un 
éditeur  la  propriété  de  son  chant.  Sans  doute,  il  aurait  préféré 
voir  le  Chef  de  l'Eglise  vendre  lui-même  ses  livres  liturgiques, 
comme  un  épicier  débite  sa  moutarde.  C'eut  été  un  encourage- 
ment pour  le  petit  commerce  de  ses  associés. 

«  La  cause  est  désormais  jugée  :  nous  garderons  notre  ancienne 
édition.  La  Commission  s'est  dissoute,  et  la  Semaine  religieuse 
du  diocèse  a  donné  elle-même  le  signal  de  la  déroute  ,  en  repro- 
duisant,  comme  réponse  à  M.  Dabin,  le  jugement  sévère  que 
Monseigneur  l'évêque  de  Chalons  vient  de  prononcer  contre  le 
chant  et  la  méthode  de  Solesmes  dans  une  lettre  pastorale 
récente. 

«  Merci  aux  hommes  de  cœur  qui  ne  craignent  pas  de  prendre 
en  main  la  cause  du  chant  liturgique  paroissial,  menacé  par  ces 
nouveautés  soi-disant  archéologiques,  et  aux  feuilles  indépen- 
dantes qui  défendent  bravement  le  terrain  pied  à  pied  contre 
les  envahissements  du  chant  monacal ,  telles  que  la  savante 
Revue  de  Marseille  et  le  vaillant  Néochorisme  de  M.  l'abbé  Teppe, 
que  M.  Dabin  appelle ,  dans  son  jargon  faubourien  ,  le  Chat  noir 
de  la  musique  liturgique,  sans  doute  parce  qu'il  donne  la  chasse 
à  tous  les  rongeurs  de  son  espèce. 

«  Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Directeur,  l'expression  de  ma 


cordiale  sympathie. 


«  C ,  Curé.  » 


Le  Gérant  :  J.  MINGARDON. 


Marseille.  —  Imprimerie  J.  Mingardon  el  Gie  ,  place  Sébuslopol ,  11. 


REVUE 

DE 

CHANT   GRÉGORIEN 

ET  DE  MUSIQUE  RELIGIEUSE 

S.  GRÉGOIRE   ET   LE   CHANT   LITURGIQUE^ 


III.  —  L'Antiphonaire  Centon  (Suite) 

Le  texte  des  Répons  de  l'Office,  avons-nous  dit,  n'est  pas 
toujours  tiré  de  la  Sainte  Ecriture.  D'autres  chants  très  anciens 
offrent  la  même  particularité:  c'est  ce  qu'on  appelait  autrefois 
psaumes  ^n^és  psalmi  idiotici  ,  pour  les  distinguer  des  psaumes 
de  David  ,  qui  formaient  la  base  du  chant  liturgique.  «  Ces 
sortes  de  psaumes ,  dit  M.  l'abbé  Batiffol  ,  avaient  été  au  IP  et 
au  IIP  siècle  en  grande  faveur  tant  chez  les  catholiques  que  chez 
les  hérétiques  -.  »  L'historien  Eusèbe  mentionne  «  les  psaumes 
et  les  chants  chrétiens,  composés  depuis  l'origine  par  des  fidèles, 
et  qui  célèbrent  le  Christ  Verbe  de  Dieu,  en  le  proclamant 
Dieu  lui-même  ^.  » 

Mais  l'abus  que  faisaient  les  hérétiques  de  ce  genre  de  cantiques 
les  fit  éliminer  de  la  liturgie  cathoHque.  Cependant  ils  ne  dis- 
parurent pas  complètement.  L'Eglise  grecque  redit  encore 
aujourd'hui  le  psaume  du  soir  ,  Phôs  ilaron  Lumière  joyeuse  ^ 
et  nous  chantons  à  la  Messe  l'ancien  psaume  matutinal  des 
Landes  ,  Gloria  in  exceisis  Deo  ,  dont  le  texte  se  trouve  déjà 
dans  les  Constitutions  apostoliques  \  Le  Te  Deum  ,  quoique  de 
composition  plus  récente,  est  aussi  mw  psalmus  idioticus'K 

A  la  fin  du  IV  siècle ,  ces  sortes  de  chants  redeviennent  en 
honneur.  S.  Ambroise  fait  chanter  des  hymnes  de  sa  composition 
et  S.  Augustin  lui-même,  pour  inculquer  au  peuple  la  doctrine 
catholique,  corrompue  par  les  Donatistes,  compose  un  psaume 
abécédaire  dont  toutes  les  strophes  commencent  par  une  lettre 
de  l'alphabet.  Après  chaque  strophe  formée  de  douze  versets 
s"intercalait  un  hypopsalma  ou  réponse  chantée  par  tous  les 
fidèles  ^  Ce  refrain  n'est  autre  chose  que  l'antienne  qui  accom- 
pagnait le  psaume.  S.  Jean  Chrysostome  nous  donne  la  raison 
de  cet  usage.  Parlant  du  psaume  Confitemini  Domino  auquel 
l'assistance  répondait  par  le  verset //^r^<://>5ç//,3;77  fecii  Domiiius, 
il  ajoute  :  «  Le  peuple  ignore  le  psaume  en   entier;  on   a  donc 

1.  V.  Kevue  de  Musique  religieuse  ,  Février  1897  ,  Janv.  et  Mars  1898. 

2.  Histoire  du  Bréviaire  roinain  ,  p    9 

3.  Euseb.  Hist.  EccL,  V.  28.  5.  —  4.  Cousiil.  Jposl.,  VII  ,  47. 

5 .  Le  Te  Deum  est  mentionné  pour  la   première  fois  dans  la  Règle  de   S.  Benoît    et 
parait  avoir  été  composé  dans  la  première  moitié  du  V^  siècle.  (V.  BatiiTo'l  ,   op.  cit 
pp.  98-99  )—  6.  Relract.  lib.  I,  cap,  20.  '  '' 

N°  29.  Avril  1898. 


50  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

réglé  qu'il  chanterait  un  verset' mélodieux,  exprimant  quelque 
dogme  sublime  '.  » 

L'Antienne  était  donc  primitivement  le  chant  de  l'assemblée 
qui  répondait  au  psaume,  d'où  le  nom  à'hypopsalma,  et  s'associait 
aussi  bien  au  psaume  antiphonique,  chanté  à  deux  chœurs,  qu'au 
psaume  solo  dont  elle  rompait  la  monotonie.  La  forme  la  plus 
ancienne  de  l'antienne  parait  avoir  été  V Alléluia  hébraïque  qui 
s'intercalait  entre  les  psaumes-,  comme  aujourd'hui  V Alléluia 
de  la  messe  se  mêle  au  psaume  du  Graduel.  La  mélodie  devait 
en  être  très  simple ,  afin  de  pouvoir  être  retenue  facilement 
par  le  peuple ,  tandis  que  la  reprise  des  répons  de  l'Office  et  des 
versets  de  l'Offertoire  ,  les  vocalises  actuelles  de  l'Alleluia  ,  les 
antiennes  de  l'Introït  et  la  plupart  des  antiennes  de  Communion 
ne  peuvent  avoir  été  composées  qu'à  une  époque  où  leur 
exécution  était  réservée  au  chœur  des  moines  ou  des  clercs. 

Mais  à  quelle  époque  les  chants  de  la  Messe  et  de  l'Office 
commencèrent-ils  à  être  réunis  en  recueil?  D'après  l'anonyme 
de  Gerbert ,  si  S.  Damase  organisa  la  liturgie  de  Rome  d'après 
le  modèle  de  celle  de  Jérusalem  ,  ce  fut  S.  Léon  le  Grand  (440- 
461)  qui  régla  le  chant  pour  tout  le  cours  de  l'année  ecclésiastique. 
Beatissimus  Léo  papa  annalem  cantum  omnem  instituit  ^ 
D'autres  documents  nous  attestent  que  ce  pontife  s'occupa  de 
perfectionner  la  Liturgie.  Le  liber  Pontificalis  nous  apprend 
qu'il  ajouta  à  la  sixième  oraison  du  Canon  ces  mots.*  Sanctum 
sacriftcium ,  immaciilatam  hostiam  ;  Honorius  d'Autun  affirme 
qu'il  avait  composé  des  Préfaces  et  Tommasi  a  reconnu  que  le 
style  de  S.  Léon  se  rencontre  souvent  dans  les  oraisons  et 
Préfaces  du  sacramentaire  gélasien'*. 

De  plus ,  le  Liber  Pontificalis  lui  attribue  la  formation  d'un 
monastère  d  hommes  auprès  de  la  basilique  de  Saint  Pierre.  Ce 
ne  pouvait  être  que  pour  le  service  du  culte  et  spécialement  pour 
le  chant  de  l'Office  divin  ;  car  ,  plus  tard  nous  voyons  les  abbés 
de  ces  monastères  basilicaux  porter  le  titre  d'archichantre  de 
l'église  de  Saint  Pierre  et  composer  à  leur  tour  des  recueils  du 
chant  annueP. 

Nous  pouvons  donc  ajouter  foi  au  témoignage  du  liturgiste 
anonyme  dont  Gerbert  a  publié  le  curieux  opuscule.  «  Ce 
document  est ,  d'après  Dom  Morin  ,  l'œuvre  de  quelque  moine 
frank  du  VHP  siècle,  qui  est  allé  examiner  de  près  l'usage  et 
la  tradition  des  monastères  romains  ,  parmi  lesquels  surtout ,  on 
le  sait ,  se  recrutaient  les  membres  de  la  Schola.  Il  semble  tout 
particulièrement  au  fait  des  traditions  qui  avaient  cours  dans  les 
monastères  situés  près  de  Saint  Pierre.  C'est  là  apparemment  qu'il 
a  dû  puiser  ces  détails,  trop  peu  remarqués  jusqu'ici,  sur  les 
divers  personnages  qui  ont  élaboré  le  chant  liturgique  de 
Rome*'.  » 

1.  Versuni,  ut  qui  esset  sonotus  et  sublime  aliquod  dogma  continerct  ,  populum 
succinere  sanxcrnnt  ,  quando  quidem  totum  psalmumignorabat.  (Exposit.iii  f>saJvi.  uy). 

2.  V.  Batilïol,  op.  cit.  pp.  7-8    —  Cf.  Gevaert  ,  La  Mélopée  antique,  pp.  160-161. 

3.  De  prandio  injiiacborutn  (apud  Batiffol.  Histoire  du  Brév.  roin.  p.  349). 

4.  V.  Dom  Guérangcr.  Institut,  liturg.,  t.  I  ,  pp    137-138. 

5.  V.  Batiflbl  ,  op.  cit.,  pp.  58-59-67-69. 

6.  Dom  Morin,  Les  vciitahlcs  origiues...  ,  pp.  67-68. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  51 

M.  l'abbé  Batiffol  pense  qu'il  est  plus  ancien  peut-être 
qu'Egbert  d'York  (732-766)  '  ;  mais  une  particularité  de  sa  relation 
nous  fait  croire  qu'il  lui  est  postérieur.  Il  nous  apprend  que 
dans  les  monastères  basilicaux,  aux  Matines  des  saints  apôtres 
et  des  autres  saints ,  on  lisait  les  actes  de  leur  martyre.  Psalmi 
cum  eorum  passionibusvel gestis ciim  responsoriis  et  antiphonis 
de  ipsis  pertinentes  canuntur  ^.  Or  ,  d'après  Y  Or  do  de  la 
Vallicellane ,  publié  par  Tommasi,  les  passions  et  les  gestes  des 
saints  ne  commencèrent  à  être  lus  dans  l'église  de  Saint  Pierre, 
qu'au  temps  d'Adrien  T''  (772-795)  ;  jusque  là ,  ils  ne  se  lisaient 
que  dans  l'église  du  titre  ^  L'écrit  anonyme  ne  peut  donc 
remonter  au  delà  d'Adrien. 

Le  manuscrit  qui  le  contient  est  conservé  à  Saint-Gall '' .  Le 
commencement  est  en  écriture  du  VHP  siècle  ,  mais  la  partie 
où  se  trouve  le  récit  en  question  est  du  IX*"  siècle ,  d'après 
Dom  Baûmer  qui  en  a  fait  une  description  détaillée^.  Il  a  donc 
pu  être  écrit  pendant  le  séjour  de  Romanus  à  Saint-Gall  (790-830) 
et  d'après  les  renseignements  fournis  par  lui.  Ce  serait  ainsi  un 
témoin  authentique  de  la  tradition  romaine  à  cette  époque. 

Cette  compilation  des  chants  liturgiques  ,  commencée  par 
S.  Léon ,  fut  ensuite  amplifiée  et  complétée  par  ses  successeurs 
ou  par  leur  ordre  ;  mais  jusqu'au  temps  de  S.  Grégoire  ,  elle  ne 
parait  avoir  été  destinée  qu'à  l'usage  des  basiliques  de  Rome  et 
n'avoir  pas  été  connue  en  dehors  de  ses  limites.  A  partir  de 
cette  époque  ,  elle  commence  à  se  répandre  au  loin. 

C'est  d'abord  S.  Augustin  et  ses  compagnons  qui ,  envoyés 
par  S.  Grégoire  en  Angleterre ,  y  introduisent  la  liturgie  et  la 
cantilène  romaines.  (597).  Le  vénérable  Bédé  ,  en  divers  endroits 
de  son  Histoire,  mentionne  plusieurs  personnages  qui  étaient 
maîtres  dans  le  chant  ecclésiastique  ,  suivant  la  coutume  de 
Rome  ,  qu'ils  avaient  apprise  des  disciples  du  bienheureux 
Grégoire  ou  de  leurs  successeurs  ^. 

M.  Gevaert  qui  cite  ces  textes  ,  en  conclut  qu'on  n'y  découvre 
pas  la  moindre  allusion  à  un  livre  de  chant  portant  le  nom  de 
S.  Grégoire  et  qu'il  n'y  est  pas  fait  mention  des  cinq  chants 
variables  de  la  Messe  ".  Mais  n'est-ce  donc  rien  que  le  témoignage 
d'Egbert  d  York  qui,  en  747,  mentionne  l'Antiphonaire  et  le 
Missel  de  S.  Grégoire  transmis  par  S.  Augustin  ^P  ce  que  semble 

\.0p.  cil,  p.  55. 

2.  De  prandio  monachor . ,  ap.  Batiffol.  op.  cit  ,  p.  340. 

3.  Passiones  sanctorum  vel  gesta  ipsorum  usque  Adriani  tempora  tantum  modo  ibi 
legebantur  ubi  ecclesia  ipsius  sancii  vel  titulus  erat.  (Tommasi ,  t.  IV  ,  p.  325.) 

4.  Stiftsbibliotek,  N°  349.  —  5.  V.  Batiffol,  op.  cit.,  p.  338. 

6'  Il  dit  du  diacre  Jacques  (633):  Otioniam  cantandi  iu  ecclesia  eral  peritissimus  ,  etiam 
magisler  ecchsiaslica  cantionis  ,  juxla  morem  Romaiwnuii  ,  (Bedx'  Hist.  eccl.  gentis 
Anglorum ,  L.  II.  c.  20);  de  l'évêtjue  Putta  (vers  670):  Virinn,  maxime  moiulandi  in 
ecclesia,  more  Rontanoniin  ,  qnem  a  discipulis  beali  papa  Gregoiii  didicerat  ,  perilurn  ,  (Jbid. 
1  IV.  c.  2  ;  du  chantre  Maban  (vers  709)  :  caniaiorem  egi eginm  qui  a  siiccessoribus  beati 
papa  Gregorii  in  Cantia  fueral  cantandi  sonos  edoclus ,  (Ibid.  1.  V.  cap.  20). 

7.  Les  Origines  du  chant  Ulurgique  ,  p.  66. 

8.  De  Inslit.  cathol.  Interrog.  16  ,  N°  i .  —  Quant  au  prétendu  Missel  de  S  Grégoire  , 
récemment  publié  par  M.  Rule  ,  (The  Missal  of  S.  Angustiuc's  Abbey  ,  Caulirbury  ,  Edited 
by  Martin  Rule,  M.  A.  Cambridge  1896)  ,  il  est  aujourd'hui  démontré  que  l'original, 
sur  lequel  aurait  été  copié  le  manuscrit  du  Xle  siècle  reproduit  par  M.  Rule  ,  ne  peut 


52  RKVUK    DE   GH.VXI'    C.  UÉG  0  I!  I  EX 

confirmer  un  passage  du  vénérable  Bèdc  où  cet  historien  relate 
que  le  saint  pape  envoya  à  la  demande  d'Augustin,  avec  de 
nouveaux  ouvriers  apostoliques,  un  certain  nombre  de  livres, 
necnon  et  codicesplurimos  '.  Et  pour  ce  qui  est  des  chants  de  la 
Messe,  ^ddi  raconte  qu'au  synode  d'Onestrefelda  ,  tenu  vers 
700,  S.  Wilfrid  déclara  avoir  été  le  premier  après  la  mort  des 
disciples  de  S.  Grégoire  ,  qui  ait  enseigné  à  chanter  à  deux 
chœurs,  suivant  le  rite  de  la  primitive  église  ,  les  répons  et  les 
antiennes  ,  binis  adstantibus  choris  persultare  ,  responsoriis  , 
antiphonisque  reciprocis'-.  Or,  nous  avons  vu  que  les  chants 
variables  de  la  Messe  ne  sont  pas  autre  chose  que  des  Antiennes 
et  des  Répons.  Ce  qui  ressort  de  ces  différents  textes ,  c'est  que 
nulle  part  la  composition  des  cantilènes  n'y  est  attribuée  à 
S.  Grégoire  ;  on  y  parle  seulement  de  chants  apportés  par 
S.  Augustin  et  conformes  à  l'usage  de  Rome  ,  juxta  morem 
Romanorum. 

Plus  d'un  demi-siècle  après  S.  Grégoire,  eut  lieu  une  seconde 
mission  musicale  dans  la  Grande  Bretagne.  S.  Benoit  Biscop, 
abbé  de  Wearmouth  et  maître  du  vénérable  Bède  ,  étant  allé  en 
pèlerinage  au  tombeaa  des  saints  apôtres  (vers  676),  obtint  du 
pape  Agathon  d'emmener  avec  lui  «  le  vénérable  Jean  ,  archi- 
chantre  de  l'Eglise  de  Saint  Pierre  et  abbé  du  monastère  de 
Saint  Martin  (près  la  basilique  Vaticane),  pour  enseigner  à  ses 
moines  la  manière  de  chanter,  pendant  tout  le  cours  de  l'année 
ciirsum  canendi  annunm  ^  qu'on  observait  à  Saint  Pierre  de 
Rome.  Jean,  se  conformant  aux  prescriptions  du  pape,  apprit  de 
vive  voix  aux  chantres  anglais,  l'ordre  et  le  rite  du  chant  et  de 
la  lecture,  et  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  la  célébration  des 
fêtes  du  cycle  ecclésiastique;  il  laissa  même  tout  cela  par  écrit 
et  on  le  conserve  encore  dans  ce  même  monastère  (de  Wear- 
mouth) ,  où  beaucoup  sont  venus  le  transcrire  de  tous  les  lieux 
environnants  ''.  » 

Après  avoir  pris  possession  de  l'Angleterre  ,  la  cantilène 
romaine  dut  pénétrer  en  Germanie  à  la  suite  de  son  grand  apôtre, 
S.  Boniface  (715-755),  qui  ,  d'origine  anglo-saxonne  et  sacré  à 
Rome  par  le  pape  Grégoire  II  ,  ne  pouvait  propager  d'autre 
psalmodie  que  celle  de  Rome  ,  car  le  pape  S.  Zacharie  lui 
écrivait  au  sujet  des  bénédictions  en  usage  chez  les  Franks , 
«  qu'elles  étaient  contraires  à  la  tradition  apostolique  et  qu'il 
devait  enseigner  à  tous ,  ce  qu'il  avait  reçu  de  la  sainte  église 
Romaine  ''.  »  Déjà ,  vers  720,  S.  Grégoire  II ,  dans  un  capitulaire 
adressé  à  l'évêque  Martinien ,  qu'il  envoyait  en  qualité  de  légat 
visiter  les  nouvelles  chrétientés  de  la  Bavière  ,  lui  recommandait 
de  donner  aux  prêtres  «  le  pouvoir  de  psalmodier,  suivant  la 
forme  et  la  tradition  de  la  sainte  Eglise  romaine  et  du  siège 
apostolique  ,  psallendi  ex  figura  ,  et  traditione  sanctœ  aposto- 
licœ  et  Romanœ  sedis  ecclesice  ordine  tradetis  potestatem  ^. 

remonter  au  delà  du  IX^  ou  même  du  X^  siècle.  (V.  The  Mass  Booh  of  S.  Grcgory  the 
Gréai  bv  Rev.  Herbert  Thurston  Te  Monlh.  ,  Sept.  1896  ,  p.  63). 

I.  Bùhe  Hisl.  Ecdes.  L  I.  c.  29.  —  2.  Vita  S    Wiljridi ,  cap.  4^. 

3.  Buice  Hisl  Ecdcs.  L.  1\',  c.  18  —  4.  Zachan'a  paj-a  Episl  12.  Libb.  Cor.cil.  t.  VI , 
p.   1526.  —  5.  Cnpiluhirc  Cregorii  IL  IbUl.,  p.  1452. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  53 

Vers  le  milieu  du  VHP  siècle,  le  chant  et  la  liturgie  de  Rome, 
répandus  déjà  dans  les  pays  du  Nord,  commencèrent  à  s'intro- 
duire aussi  dans  le  royaume  des  Franks.  Les  Gaules  étaient  en 
possession  d'une  liturgie  ancienne  qui  offre  de  nombreux  points 
de  ressemblance  avec  celle  des  églises  d'Orient.  Saint  Germain, 
évêque  de  Paris  (555-576),  nous  a  laissé,  dans  une  de  ses  lettres, 
une  description  assez  précise  de  la  messe  solennelle ,  célébrée 
suivant  le  rit  gallican  '.  Les  chants  y  étaient  nombreux. 

C'était  d'abord,  à  l'entrée  du  célébrant,  VAntiphona  ad  prce- 
legendum ,  qui  était  accompagnée  d'un  verset  de  psaume  et  du 
Gloria  PatrP  et  correspondait  à  notre  Introït.  Après  le  Dominus 
vobiscum  et  avant  la  Collecte,  le  célébrant  entonnait  le  Tfisa- 
gion,  Agios  o  theos  et  le  chœur  le  continuait  en  grec  et  en  latin  , 
comme  cela  se  fait  encore  le  Vendredi-Saint,  à  l'Adoration  de 
la  Croix.  Il  était  suivi  du  Kyrie  eleison  chanté  par  trois  enfants ^ 
et  du  cantique  de  Zacharie  Benedictiis  Dominus  Deus  Israël , 
psalmodié  à  deux  chœurs.  Pendant  le  Carême,  ce  dernier  chant 
était  remplacé  par  une  antienne  spéciale  commençant  par  ces 
mots  :  Sanctus  Deus  archangelorum .  Après  la  lecture  de  la 
leçon  prophétique  et  de  l'épître ,  on  chantait  l'hymne  des  trois 
enfants  dans  la  fournaise,  également  supprimée  durant  le  carême, 
et  un  répons  exécuté  par  des  enfants.  Puis  avait  lieu  la  procession 
solennelle  du  saint  Evangile,  pendant  laquelle,  à  l'aller  et  au 
retour,  le  clergé  reprenait  le  chant  du  Trisagion.  A  la  suite  de 
l'homélie  qui  accompagnait  l'évangile,  les  lévites  psalmodiaient 
une  prière  pour  le  peuple,  en  forme  de  litanie. 

A  l'offertoire,  pendant  que  les  diacres  portaient  processionnel- 
lement  à  l'autel,  le  pain  et  le  vin  du  sacrifice,  le  chœur  exécutait 
un  chant  mélodieux-*,  analogue  au  Cheroubicon  bysantin.  Les 
éléments  sacrés  étant  déposés  sur  l'autel  et  recouverts  d'un  voile 
précieux,  on  entonnait  un  cantique  appelé  Laudes  où  V alléluia 
se  trouvait  trois  fois  répété;  cela  se  faisait  seulement  en  dehors 
du  Carême.  La  préface  était  suivie  du  Sanctus ,  ce  qui  se  retrouve 
d'ailleurs  dans  toutes  les  liturgies,  et  la  fraction  du  pain  accompa- 
gnée d'une  antienne ',  que  le  rit  Milanais  a  conservé  sous  le  nom 
de  Confractorium.  Enfin,  pendant  la  communion  des  fidèles,  on 
psalmodiait  le  Trecanum ,  comme  symbole  de  la  foi  au  mystère 
de  la  sainte  Trinité.  C'était  une  hymne  composée  de  trois  strophes 
qui  se  pénétraient  les  unes  les  autres ,  de  manière  à  figurer  l'union 
des  trois  personnes  divines". 

1.  V.  Lebrun.  Explication  de  la  Messe,  t.  II.  Dissert.  IV.  Art.  II.  —  Cf.  Duchesne. 
Origines  du  culte  chrétien  ,  pp.  i8o  et  suiv. 

2.  Antiphona  autem  dicta  quia  prius  ipsa  anteponitur,  et  sic  ponetur  psalmi  versiculum 
cum  gloria  Trinitatis  adnectetur.  {S.Gennani  Episl.  I.) 

3.  Très  autem  parvuli  qui  ore  uno  sequenies  Kyrie  eleison  (5.  Gcrin.Ep.  I.j  Dans  les 
Constitutions  apostoliques ,  ce  sont  aussi  les  enfants  qui  répondent  les  premiers  A}'r;e  eleison 
à  la  litanie  diaconale  {Const.  Apo-t.  lib.  VIII);  et  la  Peregi  inalio  Sylvia  nous  dit  qu'à  la 
comémoraison  des  vivants  et  des  morts  ,  après  chaque  nom  proclamé  par  le  diacre  , 
c'étaient  toujours  les  enfants  qui  répondaient  AynV  eleison:  «  Scmlier  pisiuni  plurinii stant , 
respondentes  scinpcr  :  Kyrie  eleison.  «  (V.  Duchesne,  op.  cil..,  p.  472.) 

4.  Nunc  autem  procedentem  ad  altarium  corpus  Christi,  non  jam  tubis  itreprehensi- 
bilibus,  sed  spiritualibus  vocibus  prœclara  Christi  magnalia  dulci  modilia  psallit  Ecclesia. 
(S.Gerni.  Ep.  I).  —  5.  S.icerdoie  autem  frangcnte,  supplex  clerus  psallit  antiphonam.(7^.) 

6.  Trecaium  vero  quo.i  psallitur  signum  est  catholica;  fidci  de  Trinitatis  credulitate 


54  REVUE   DE   GHÂ^^T    GHÉGORIEN 

Ces  chants  si  variés  paraissent  avoir  diverses  provenances.  La 
psalmodie  après  les  lectures  et  après  la  communion,  la  litanie 
diaconale  à  la  suite  de  l'homélie  et  le  Saiictus  de  la  Préface  se 
trouvent  déjà  dans  les  Constitutions  apostoliques;  L Alléluia 
de  l'Offertoire  est  d'origine  bysantine,  ainsi  que  le  Kyrie  eleison 
et  le  chant  du  Trisagion\  dont  l'usage  fut  prescrit  dans  les 
Gaules  par  ]e  deuxième  concile  de  Vaison,  tenu  en  529,  sous  la 
présidence  de  S.  Césaire.  L'Introït  suivi  de  la  doxologie  se 
retrouve  à  Rome  aussi  bien  qu'en  Orient^,  quant  à  l'antienne  du 
Confractorinm ,  elle  a  pu  venir  de  Milan  où  elle  est  encore  usitée. 

La  première  introduction  du  chant  Romain  dans  les  Gaules, 
semble  due  à  vS.  Chrodegang,  évêque  de  Metz.  Ce  pieux  prélat, 
au  retour  d'un  pèlerinage  à  Rome  (754),  institua  dans  sa  cathé- 
drale une  communauté  de  clercs,  à  l'instar  de  celles  qui  desser- 
vaient les  basiliques  pontificales  et  leur  imposa  le  chant  et  l'ordre 
des  offices  de  l'église  Romaine  :  Ipsumque  clerum  romana 
imbiitum  cantilena  ,  morem  atque  ordinem  Romanœ  ecclesiœ 
scrvare  prœcepit'-\ 

Quelques  années  après^  l'évêque  de  Rouen,  Remédius,  fils  de 
Charles  Martel,  étant  venu  en  abassade  à  Rome  (700),  obtint  du 
pape  Paul  P'"  la  permission  d'emmener  avec  lui  Siméon,  prieur 
de  la  Schola  cantorum ,  pour  initier  ses  moines  aux  modulations 
de  la  psalmodie:  ad  intruendum  eos  inpsalinodiœ  modulationc. 
Siméon  ayant  été  rappelé  à  Rome,  par  suite  de  la  mort  du  préfet 
de  la  Schola,  l'évêque  envoya  ses  moines  terminer  leur  éduca- 
tion musicale  à  Rome  même,  où  le  pape  donna  l'ordre  de  les 
instruire  dans  la  science  du  chant  ecclésiastique  ,  jusqu'à  ce 
qu'ils  l'aient  acquise  à  la  perfection''.  Vers  la  même  époque,  le 
même  pontife  écrivait  à  Pépin:  «  Nous  vous  envoyons  tous  les 
livres  que  nous  avons  pu  trouver,  savoir  :  l'Antiphonaire ,  le 
ResponsaV^...  » 

Six  ans  auparavant  (734),  le  pape  Etienne  II,  opprimé  par 
Astolphe ,  roi  des  Lombards,  était  venu  chercher  un  asile  en 

proccdere.  Sic  enim  prima  in  secunda  ,  secunda  in  tertia  et  rursum  tcrtia  m 
sccunda  et  secunda  rotatur  in  prima.  Ita  Pater  in  Filio  mysterium  Trinitatis  complectit  : 
Pater  in  Filio,  Filius  in  Spiritu  sancto  ,  Spiritus  sanctus  in  Filio  et  Filius  rursum  in 
Pâtre.  {Ihid.  —  Cf.  Gerbert,  De,  catilu.  t.  JI.  p.  126.) 

1.  Le  Trisagion  a  commencé  a  être  chanté  à  constantinople ,  sous  le  règne  de 
Théodose  II ,  vers  446.  (V    Lebrun,  op.  cit.  t   II.  Dissert.  VI ,  art.  I.) 

2.  Le  même  concile  de  Vaison,  ordonna  d'ajouter  Siatt  enil  après  le  Gloria  Palii, 
comme  cela  se  pratiquait  déjà  partout  ailleurs.  (II.  Coiic.  l'ascns,  can.  5-5.) 

Nous  avons  dit  précédemment,  d'après  Dom  Morin,  que  le  Mouogeuès  bysantin  était 
une  simple  antienne  sans  verset  de  psaume  ni  Gloria  Palri.  Or,  le  tropaire  O  viouogcncs 
tiios ,  dont  la  composition  est  attribuée  à  l'empereur  Justinicn  ('527-565),  n'est  qu'une 
partie  de  l'Introït.  Il  se  chante  après  la  deuxième  des  trois  Antiphones  qui  se  psalmodient 
au  commencement  de  la  Messe  célébrée  selon  le  rit  grec.  Chacune  de  ces  Antiphones 
est  elle-même  composée  d'un  certain  nombre  de  versets  de  psaumes  suivis  de  la  doxologie. 
(V.  (.a  Lituroie  grecque  de  S.  Jean  Chrysoslovie ,  p.  25  et  suiv.  Paris,  Rctaux.  1896.  — 
Cf.  W.  Christ.  Anlhologia  grccca  caniiimmi  Christiaiioruni  pp.  xxxii-LViii  et  51-53.). 

3.  Paiihis  diaconus.  Patr.  lat.  t.  89,  p.  1057. 

4.  Eosque  optime  collocantes  solerti  industria  camdeni  psalmodiœ  modulationcm 
instrui  pnrcepimus,  et  crcbro  in  eadem ,  donec  perfecte  cruditi  efficiantur,  ecclesiasticx 
doctrina  cantilena:  disposuimus  efficaci  cura  perrnanerc.  (Lettre  du  pape  Paul  Jcrà  Pépin 
roi  des  Francs.  Patr.  lat.,  t.  (S9,  p.  1187.) 

5.  Pauli  I.  Epi  st.  25, 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  55 

France  ;  ce  fut  à  cette  occasion  que  Pépin  le  Bref  fit  un  décret, 
renouvelé  par  Charleniagne ,  en  789,  qui  mettait  fin  à  l'usage 
gallican  et  enjoignait  à  tous  les  clercs:  «  d'apprendre  le  chant 
Romain  et  de  célébrer  désormais  l'office  nocturne  et  la  Messe  en 
conformité  avec  le  Saint  Siège  apostolique'.  » 

On  connaît  le  zèle  de  Charlemagne  pour  faire  adopter  dans 
tout  son  empire  la  psalmodie  Romaine  ,  comme  en  font  foi  les 
livres  Carolins  ,  dans  lesquels  il  déclare  :  «  que  toutes  les 
provinces  des  Gaules,  la  Germanie  et  l'Italie  ,  même  les  Saxons 
et  autres  nations  des  plages  de  l'Aquilon,  ont  adhéré,  dans  la 
manière  de  psalmodier,  à  la  tradition  du  Siège  apostolique-.  » 

Les  chroniqueurs  mentionnent  l'envoi  en  France  de  plusieurs 
chantres  Romains,  fait  par  le  pape  Adrien  V' ,  à  la  demande  de 
Charlemagne.  Bien  que  parfois  ils  diffèrent  sur  quelques  détails 
et  que  toutes  les  circonstances  de  leurs  récits  ne  méritent  pas 
toujours  pleine  créance,  comme  la  légende  de  ces  douze  clercs 
envoyés  par  Etienne  III  à  Charlemagne,  qui  se  seraient  entendus 
pour  varier  tellement  leur  chant  qu'il  ne  put  y  avoir,  sur  ce 
point,  ni  unité,  ni  accord  dans  l'empire  des  Franks,  le  fond  de 
l'histoire  ne  saurait  être  douteuse^ 

Le  moine  d'Angoulême  raconte  qu'Adrien  donna  à  l'empereur 
deux  chantres  très  savants,  Théodore  et  Benoît,  qui  se  fixèrent 
l'un  à  Metz,  l'autre  à  Soissons ,  et  que  tous  les  Antiphonaires  de 
France  furent  corrigés  sur  ceux  qu'ils  avaient  apportés  ''.  Mais  le 
récit  qui  offre  le  plus  de  caractères  d'authenticité  est  celui 
d'Ekkeart  le  jeune,  moine  de  Saint-Gall,  dans  la  deuxième  moitié 
du  X"  siècle.  D'après  lui,  Petrus  et  Romanus  se  rendaient  tous 
deux  à  Metz,  mais  ce  dernier,  étant  tombé  malade  en  route, 
s'arrêta  à  l'abbaye  de  Saint-Gall  où ,  avec  la  permission  de 
Charlemagne,  il  demeura  jusqu'à  sa  mort  pour  y  instruire  les 
moines.  11  y  laissa  l'Antiphonaire  authentique  dont  il  était 
porteur,  et  ce  manuscrit  était  tenu  en  telle  vénération  dans  la 
célèbre  abbaye  qu'on  le  conservait  près  de  l'autel  des  saints 
Apôtres  et  que,  dans  les  cas  douteux,  on  y  avait  recours  pour 
corriger  l'erreur  ^ 

Plus  tard,  Wala,  célèbre  abbé  de  Corbie'"',  et  cousin  germain 
de  Charlemagne,  envoyé  en  embassade  à  Rome,  y  obtint  du 
pape  Grégoire  IV  (827-844)  de  nouveaux  Antiphonaires,  dont  trois 
volumes  étaient  consacrés  à  l'office  nocturne  et  le  quatrième  ne 
contenait  que  l'office  du  jour,  sans  doute  les  chants  de  la  Messe, 
Tria  volumina  de  nocturnali  officio  et  quartum  quod  soliun- 

1.  Omni  clero.  —  Ut  cantum  Romanum  pleniter  discant  et  ordanibiliter  per  noctur- 
nale  vel  gradale  peragatur,  secundum  quod  beatœ  memorias  genitor  noster  Pippinus  rex 
decertavit  ut  fieret,  quando  Gallicanum  lulit,  ob  unanimitatem  apostolicae  Sedis  et  sanctje 
DeiEcclesiai  pacificam  concordiam.  (^Balii\.  Capilul.  Aqiiigrancn,  cap.  90.  —  V.  Duchesne, 
op.  cit.,  p.  97-) 

2.  Contra  Synodum  Cvceconim  de  iniagin  ,  lib.  I.  (V.  Dom  Guéranger,  Iiislit.  liliirg. 
t.  I,  p.  264.)  \ 

3.  V.  Th.  Nisard.  U Archéologie  musicale,  pp.  363  et  suiv.  —  Cf.  Dom  Guéranger, 
Inslittil.  lilurg.  t.  I.  p.  241  ,  note  3. 

4.  Caroli  Magni  Fila  per  monachutn  Engolisimmevi .  V.  Th.  Nisard  ,  op.  cit.,  p.  361. 

5.  Ekheardi  junioris  liber  de  casibus  monasterii  SancH-Galli ;  cap.  IV. —  V.  Th.  Nisard, 
op.  cil.,  p.  366. 

6.  Mort  en  836. 


56  RKVUE   DE    GHÂIiy'T   GRÉGORIEN 

7nodo  continebat  diurnale.  On  lisait  dans  un  de  ces  volumes 
qu'il  avait  été  mis  en  ordre  anciennement  par  le  pape  Adrien: 
Esse  illud  ordinatiim  prisco  tempore  ab  Hadriano  Apostolico. 
Amalaire ,  qui  les  examina  et  les  compara  avec  les  Antiphonaires 
de  Metz,  reconnut  que  ceux-ci  étaient  un  peu  plus  anciens  et  qu'ils 
en  différaient,  non  seulement  par  la  disposition,  mais  aussi  par 
le  texte  et  par  la  multitude  de  répons  et  dantiennes  contenus 
dans  les  nouveaux  Antiphonaires  et  inconnus  à  Metz'. 

Il  ressort  de  ce  texte  que  l'Antipbonaire  avait  subi  des  change- 
ments assez  importants  sous  Adrien  I",  qui  l'avait  remanié  et 
augmenté  en  y  ajoutant  nombre  d'antiennes  et  de  répons  , 
comme  le  confirme  l'inscription  citée  par  Amalaire  -  et  la  notice 
de  ce  pape  dans  le  manuscrit  de  Saint  Martial  de  Limoges'*. 

Ces  modifications  portaient  surtout  sur  l'Office  des  Heures  , 
car  «  jusqu'au  neuvième  siècle,  il  n'y  eut  guère  d'uniformité 
dans  ce  domaine'.  »  Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  le 
recueil  des  chants  de  la  Messe  soit  resté  immuable  depuis 
l'époque  de  Saint  Grégoire.  Nous  avons  constaté  dans  un  article 
précédent  les  divergences  qui  existent  entre  le  Sacramentaire 
Grégorien  et  l'Antiphonaire,  contemporain  d'Adrien.  Les  messes 
des  Dimanches  ordinaires  surtout  ne  paraissent  avoir  été  fixées 
que  dans  le  courant  du  VIII' siècle  et  les  manuscrits  offrent  sur  se 
point  de  nombreuses  variantes.  Le  Sacramentaire  grégorien  n'a 
pas  de  messes  déterminées  pour  les  Dimanches  après  l'Epiphanie, 
pour  les  Dimanches  après  Pâques  ni  pour  ceux  après  la  Pente- 
côte ;  il  contient  seulement  des  messes  pour  les  fériés  des  Quatre- 
temps  de  Septembre  et  pour  le  Dimanche  précédent. 

On  trouve ,  il  est  vrai ,  dans  le  Gélasien  8  messes  pour  le  temps 
de  Pâques  à  la  Pentecôte  et  dans  le  troisième  livre  i6  messes^ 
sous  le  titre  de:  Ovation,  et  prec.  pro  Dominicis  diebus;  mais 
rien  n'indique  que  ces  messes  fussent  assignées  à  tel  ou  tel 
Dimanche  en  particulier.  Ce  sont  des  messes  ad  libitum  ,  parmi 
lesquelles  le  prêtre  pouvait  choisir  à  sa  convenance  pour  les 
Dimanches  qui  n'avaient  pas  de  messes  propres.  S.Grégoire  ne 
changea  rien  à  cet  ordre  de  choses  et  n'inséra  pas  ces  messes 
dans  son  Sacramentaire  par  ce  que,  comme  le  dit  l'auteur  du 
Prologue  au  Sacramentaire,  elles  étaient  déjà  éditées  par  d'autres^ 
et  qu'il  ne  crut  pas  devoir  les  corriger. 

Au  VIIL"  siècle  ,  on  voulut  assigner  une  messe  à  chaque 
Dimanche  et  cela  se  fit  de  différentes  manières.  Certains  manus- 
crits comptent  25  Dimanches  après  la  Pentecôte  ,  d'autres  les 
divisent  en  plusieurs  séries  qui  vont:  de  la  Pentecôte  à  la  fête  de 

1.  Qiia;  memorata  volumina  contuli  cum  nostris  Antiphonaiiis,  invenique  ca,  discre- 
pare  a  nostris  non  soluni  in  ordinc ,  vero  ctiani  in  verbis  et  multitudine  rcsponsoriorum 
et  antiphonarum  qu.is  nos  non  cantanius.  Cognovi  nostia  volumina  antiquiora  esse 
aliquanto  tempore  volumine  illo  Romanas  urbis.  (Amalarii  ,  De  oïdive  Aiiliphoiiarii , 
Prohcrus.  Patr    lat.,  t.  105,  p.  1245.) 

2.  Hoc  opus  summus  réparât  pontifex  Dominus  Adrianus  sibi  memoriale  per  s;i>cla. 
Ibid  ,  p.  1246  ) 

3.  Parisiinis  2400  (V.  Doni  Morln  ,  les  véri!al>lcs  oii^'iiies,  p.  24.) 

4.  Duciicsnc.  Onl'iiies  du  aille  cbrélitii,  p.  457.  —  Cf.  Doni  Morin  ,  op.  cit.,  p.  19. 
■  5.  Quia  sunt  et  alia  quxdam  quibus  neccssario  sancta  utitur  Ecclesia ,  quiv  idem  paier 
ab  aliis  jani  édita  esse  inspiciens  pr.vterniittit.  (Prologns  ad  Saciaiiieiil.  Giegor.) 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  57 

S.  Pierre ,  de  S.  Pierre  à  S.  Laurent ,  à  S.  Michel  ou  à  S.  Cyprien, 
et  de  ces  fêtes  à  l'Avent'.  On  ne  composa  pas  de  nouvelles 
messes  pour  les  Dimanches  qui  en  étaient  dépourvus ,  mais  on 
se  contenta  d'utiliser  les  matériaux  contenus  dans  les  Sacramen- 
taires  existants.  Ces  messes  se  trouvent  déjà  dans  le  Supplément 
au  Sacramentaire  Grégorien  ,  compilé  au  VHP  siècle  par  un 
abbé  Grimoldus,  suivant  l'opinion  de  Paméhus,  confirmée  d'ail- 
leurs par  plusieurs  manuscrits-.  Le  Missel  romain  est  en  général 
conforme  au  Supplément  du  Sacramentaire  ;  seulement  il  ne 
compte  que  24  messes  après  la  Pentecôte  et  l'ordre  des  messes 
n'est  pas  toujours  le  même. 

Les  Messes  des  Dimanches  après  l'Epiphanie  fuient  prises  soit 
dans  les  Messes  de  l'Octave  et  du  temps  de  Noël ,  soit  dans 
d'autres  endroits  du  Gélasien  et  du  Grégorien.  Les  Dimanches 
du  temps  pascal  sont  empruntés  au  Gélasien  ainsi  que  les 
Dimanches  après  la  Pentecôte^  où  l'on  a  reproduit  les  seize 
messes  pro  Dominicis  diebus  qui  se  trouvent  dans  le  troisième 
livre  de  ce  Sacramentaire^  L'Antiphonaire  ne  compte  que  trois 
Dimanches  après  l'Epiphanie  et  23  après  la  Pentecôte.  Les 
antiennes  du  XVIIP  Dimanche  appartiennent  à  une  messe  de 
dédicace;  c'était  celle  de  l'église  de  Saint  Michel  Archange ,  au 
sixième  mille  de  la  voix  vSalaria  ,  qui  se  célébrait  à  Rome  le 
29  Septembre'';  car,  le  Dimanche  en  question  tombait  aux  envi- 
rons de  cette  date. 

Une  autre  addition  postérieure  à  S.  Grégoire  est  la  Messe  des 
Dimanches  qui  suivent  les  Quatre-Temps  ,  désignés  dans  les 
Sacramentaires  sous  le  titre  de  Die  Dominico  vacat.  Le  Samedi 
précédent ,  appelé  Sabbato  in  XII  lectionibus ,  parce  qu'on  y 
lisait  douze  leçons,  comme  aujourd'hui  au  Samedi-Saint,  n'avait 
pas  de  messe  ;  on  se  réunissait  le  soir  à  Saint-Pierre  pour  la 
Vigile  qui  se  terminait  aux  premières  heures  du  Dimanche  par  la 
messe  solennelle''.  Les  Sacramentaires  donnent  les  oraisons  de 
cette  messe  ,  mais  ils  assignent  au  samedi  les  oraisons  qui  se 
récitaient  entre  les  leçons.  11  en  était  encore  ainsi  au  temps  de 
vS.  Grégoire.  Plus  tard  on  avança  au  samedi  matin  la  cérémonie 
de  l'ordination  qui  s'accompplissait  autrefois  pendant  cette 
Vigile,  et  la  messe  qui  la  terminait  fut  aussi  rapportée  au  samedi. 
Il  fallut  donc  pourvoir  d'une  messe  le  Dimanche  suivant,  mais  on 
y  récitait  le  même  évangile  qu'à  la  messe  de  la  Vigile;  cela  se 
fait  encore  au  IV°  Dimanche  de  l'Avent  et  au  IP  Dimanche  du 
Carême.  Quant  aux  pièces  chantées,  on  les  emprunta  à  une  des 
fériés  précédentes  ou  à  un  autre  Dimanche.  Le  IV"  Dimanche 

1.  V,Dr  Probst.  Die  aeJleslen  roemischen  Sacrameutarien  iind  Ordines,  p.  376.  — Cf.  The 
Sartini  Graduai  and  Ihe  Gregorian  Antiphonale  Missarum  ,  by  A.  H.  Frère,  Préface, 
pp.  XI  et  suiv. 

2.  Probst.  op.  cil.  p.  302 ,  note  3 ,  où  l'on  cite  un  abbé  Grimoldus,  mort  l'an  800,  qui 
aurait  fondé  ou  gouverné  l'Abbaye  bénédictine  d'EUwangen  dans  le  Wurtemberg. 

3.  Dans  le  Missel  romain,  ces  messes  sont  celles  des  Dimanches  V  à  XXII  après  la 
Pentecôte;  tandis  que  la  messe  du  XXIIIe  Dimanche  est  celle  du  Dimanche  avant  les 
Quatre-temps  de  Septembre ,  dans  le  Sacramentaire  grégorien.  Mais  l'Antiphonaire  ne 
parait  pas  toujours  d'accord  avec  cet  ordre.  (V.  Probst,  op.  cil.,  p.  379.) 

4.  V.  Duchesne.  Origines  du  ctille  chrèlien,  p.  265. 

5.  Sabbato  apud  beatissimum  Petrumapostolum  vigiliascelebremus.  (S.  I^okî'j  5e'rw/o«.) 


58  REVUE  DE  CHAN'T  GRÉGORIEN 

de  l'Avent  a  pris  son  Introït ,  son  Graduel  et  sa  Communion  au 
mercredi  de  la  troisième  semaine,  le  II' Dimanche  du  Carême 
a  tiré  toutes  ses  antiennes  du  mercredi  de  la  première  semaine. 
Pour  le  P'  Dimanche  après  la  Pentecôte  ,  on  a  pris  une  des 
messes  du  Temps  Pascal  dans  le  Gélasien  et  pour  le  Dimanche 
après  les  Quatre-Temps  de  Septembre  la  messe  de  dédicace  de 
S.  Michel ,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut. 

Il  est  a  remarquer,  que,  pendant  cette  période,  si  l'on  ajouta 
nombre  d'antiennes  et  de  répons  à  l'office  divin,  on  composa 
fort  peu  de  chants  pour  la  messe.  Grégoire  II  (715-731)  donna 
des  messes  aux  jeudis  du  Carême  qui  jusque-là  n'en  avaient  pas 
eues,  mais  les  antiennes  furent  empruntées  à  des  messes  plus 
anciennes. 

A  suivre.  J.  Dupoux. 


LE    LIVRE    DE    M.    HOUDARD 

ET  LA  CRITIQUE  DE  M.  AUBRY 

Nous  recevons  de  M.  G.  Houdard  la  lettre  suivante.  Nous  l'insérons 
d'autant  plus  volontiers  que  nous  avons  été  choqué  ,  aussi  bien  que  lui  , 
des  attaques  peu  conrtoises  dont  il  a  été  l'objet,  de  la  part  d'un  écrivain 
qui  se  figure  que  la  présomption  et  le  persiftiage  peuvent  tenir  lieu  de 
science  et  de  saine  critique. 

Monsieur  le  Directeur, 

Quelques-uns  de  vos  lecteurs  auront  sans  doute  lu  la  critique 
de  mon  ouvrage  ,  parue  dans  la  Tribune  de  S.  Gervais ,  (Février 
1898).  Permettez-moi  d'user  de  votre  hospitalité  pour  répondre 
en  quelques  mots  à  ce  factum  peu  digne  d'un  polémiste  sérieux. 

Je  ne  me  plains  pas  de  voir  discuter  mes  théories  ,  c'est  le 
droit  de  chacun,  et  je  n'ai  que  des  remerciements  à  adresser  au 
R.  P.  Souiller  et  à  M.  L'Abbé  Vigourel  pour  la  modération  et  la 
courtoisie  avec  laquelle  ils  ont  critiqué  mon  livre,  l'un  dans  la 
Musica  Sacra  de  Toulouse,  l'autre  dans  la  Revue  de  Grenoble. 
Qu'on  m'oppose  des  raisons  solides,  je  suis  prêt  à  les  accepter; 
mais,  ce  que  je  ne  puis  admettre,  c'est  que  le  premier  venu, 
trouvant  plus  commode  sans  doute  d'insulter  que  de  réfuter,  se 
permette  ,  par  des  insinuations  perfides  et  des  railleries  de 
mauvais  goût,  de  jeter  le  discrédit  sur  une  œuvre  qui  a  au  moins 
le  mérite  de  la  franchise  et  de  la  loyauté. 

Et  d'abord ,  je  dois  reconnaître  que  la  rédaction  de  Saint- 
Gervais  est  tout-à-fait  hors  de  cause,  car  elle  se  déclare  incom- 
pétente pour  apprécier  scientifiquement  mes  assertions.  Elle 
s'est  donc  adressée  à  M.  P.  Aubry,  licencié  es  lettres ,  licencié  en 
droit,  archiviste  paléographe,  etc.  etc.,  pour  savoir  «  quel  juge- 
ment l'érudition  contemporaine  peut  porter  sur  ce  travail.  » 

Or,  après  un  examen  approfondi  de  mon  ouvrage,  celui-ci 
ne  trouve  à  y  incriminer  que  quelques  points,  pour  la  plupart 
étrangers  à  l'objet  du  livre. 

C'est  ainsi  qu'il  me  décerne  un  brevet  d'ignorance ,  parce  que 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  59 

j'ai  écrit  prœcinxit  au  lieu  de  precinxit  avec  un  e  cédille , 
fdiœ  au  lieu  de  filie  avec  un  e  simple  et  que  je  me  suis  servi  du 
mot  page  au  lieu  de  folio  ,  en  citant  les  manuscrits.  N'étant  pas, 
comme  M.  Aubry,  archiviste-paléographe ,  je  n'ai  pas  cherché 
à  faire  du  pédantisme  ,  ce  qui  est  à  la  portée  de  tous ,  mais  je  me 
suis  contenté  d'interpréter  les  neumes ,  ce  que  bien  peu  ont  eu 
le  courage  d'essayer  jusqu'à  ce  jour. 

Je  ne  relèverai  pas  l'accusation  de  plagiat  ,  dont  je  me  serais 
rendu  coupable,  au  dire  de  M.  Aubry,  en  empruntant  à  la 
Paléographie  musicale  de  1894  ma  théorie  des  nuances  ryth- 
miques ,  marquées  par  les  neumes.  Il  est  possible  que,  sur 
certains  détails  d'interprétation,  je  me  sois  rencontré  avec  les 
savants  écrivains  de  Solesmes  ;  mais  ,  si  tel  était  depuis  cette 
époque  l'enseignement  admis  par  les  Bénédictins  ,  comment  se 
fait-il  que,  dans  sa  Conférence  de  1896,  à  l'Institut  Catholique, 
Dom  Mocquereau  affirmait  encore  que  la  musique  grégorienne 
«  est  basée  sur  l'égalité  des  notes  et  des  syllabes  '.  » 

D'ailleurs,  s'il  est  question  de  priorité,  dès  1876,  M.  l'abbé 
Hermersdorff ,  de  Trêves,  reconnaissait  dans  son  Micrologus 
Guidonis  ,  que  «  la  durée  temporaire  des  longues  est  souvent 
indiquée  par  un  petit  trait  horizontal  couché  au  dessus  de  la 
syllabe.  »  Et  le  R.  P.  Germer-Durand  ,  dans  la  Musica  Sacra 
de  Toulouse,  de  Novembre  1879  »  disait  aussi  en  parlant  de  la 
tenue  :  «  Quelquefois  ,  elle  est  marquée  longue  par  un  trait 
horizontal  placé  sous  la  lettre.  » 

J'arrive  aux  points  spécialement  visés  dans  la  critique  de 
M.  Aubry. 

i"  «  Si ,  au  dixième  siècle ,  dit-il  ,  les  groupes  neumatiques 
étaient  interprêtés  conformément  à  la  théorie  du  temps  rythmi- 
que ,  il  devait  en  être  de  même  au  onzième  et  au  douzième 
siècle,  lorsque  naquit  la  notation  proportionnelle.  Si  donc  les 
groupes  neumatiques,  ou,  pour  mieux  dire  ,  les  éléments  de 
chaque  groupe  ,  avaient  eu  déjà  une  valeur  réelle  dans 
l'exécution  ,  pourquoi  les  mensuralistes  auraient-ils  cherché 
autre  chose  ?  » 

Mais,  M.  Aubry  ignorerait-il  donc  la  révolution  radicale  qui 
s'opéra  dans  le  rythme  du  chant  grégorien  ,  au  cours  du 
XP  siècle  ?  N'a-t-il  pas  lu  le  passage  d'Aribon  se  plaignant  «  que 
la  science  des  proportions  était  depuis  longtemps  morte  et 
enterrée?»  {Gerbert  Script.  IL  p.  237}.  Ne  sait-il  pas  que  les 
mensuralistes  du  XIP  siècle  donnaient  aux  notes  du  déchant 
une  valeur  tout  à  fait  arbitraire ,  afin  de  faire  concorder  ensemble 
plusieurs  mélodies  différentes  chantées  simultanément  ? 

Il  est  vrai  que  ces  questions  d'histoire  musicale  ne  figurent 
pas  au  programme  de  la  licence  es  lettres  ou  même  de  la  licence 
en  droit,  et  M.  Aubry  est  jusqu'à  un  certain  point  excusable  de 
ne  pas  les  connaître.  Aussi  bien  ,  ne  devrait-il  pas  se  mêler 
d'écrire  sur  ce  qu'il  ignore  et  le  prendre  de  si  haut  avec  ceux 
qui,  sans  se  prévaloir  de  diplômes,  ont  fait  une  étude  appro- 
fondie des  vicissitudes  du  rythme  grégorien. 

1.  V.  Tribune  de  Saint  Gervais  ,  Décembre  1896  ,  p.  180. 


60  REVUE  DE  CHANJ  GRÉGORIEN 

2°  M.  Aubry  veut  bien  mettre  à  mon  actif  «  un  certain  nombre 
d'idées  personnelles  ,  »  sur  lesquelles  il  passe  «  d'une  plume 
légère  ,  car,  ajoute-t-il,  elles  sont  toutes  plus  ou  moins 
erronnées.  » 

«  Un  exemple  amusant,  dit-il  à  ce  sujet:  Voici  la  graphie  de 
l'intensité  de  la  prononciation  sur  le  mot 

Do-mi-nus 

«  Or,  M.  G.  Houdard  doit  avoir  sur  cette  question  des  lumières 
qui  nous  échappent,  car  nous  avions  jusqu'ici  la  candeur  de 
croire  que  la  phonétique  romane  ,  d'accori  avec  les  règles  de 
la  versification  rythmique,  mettait  sur  la  dernière  syllabe  nus 
un  accent  secondaire  qui  relevait  la  voix  et  faisait  persister  en 
roman  la  syllabe  posttonique  accentuée.  » 

Ce  qui  est  fort  amusant,  c'est  de  voir  qu'un  savant  de  la  force 
de  M.  Aubry  ignore  qu'en  roman  ,  c'est-à-dire  dans  toutes  les 
langues  dérivées  du  latin:  français,  italien,  espagnol,  portugais, 
provençal  et  catalan  ,  la  syllabe  finale  des  mots  dactyliques  en 
latin  est  faible  et  ne  porte  qu'un  son  muet  ou  semi-muet  ,  qui 
s'efface  presque  complètement  dans  la  prononciation.  Quelque- 
fois même,  la  dernière  syllabe  disparaît  tout  à  fait;  mais,  le 
plus  souvent  ,  la  pénultième  se  contracte  avec  la  syllabe 
accentuée  ,  de  sorte  que  les  trois  syllabes  se  réduisent  à  deux. 

Il  en  était  de  même,  du  reste  ,  dans  le  latin  vulgaire  où  l'on 
disait:  Domnus  pour  Domimis  ^  sœclum  pour  sœculum ,  ora- 
cliim  pour  oraculum.  Or  ,  à  moins  d'admettre  ,  dans  le  même 
mot  ,  deux  syllabes  consécutives  accentuées  ,  il  faut  bien 
reconnaître  que  la  dernière  syllabe  ne  peut  porter  aucun  accent, 
même  secondaire. 

C'est  ainsi  qu'angelus  est  en  français  ange  ,  en  espagnol 
angel ,  en  portugais  anj'o  ;  apostoîus  devient  apôtre  ,  apostol  , 
apostolo  ;  episcopiis  ,  évêque  ,  obispo  ,  bispo  ;  populus ,  peuple  , 
puéblo  ^  povo  ;  inonachus  ,  moine,  monje,  monge  ,  etc. 

Si  donc,  dans  les  langues  romanes  ,  la  dernière  syllabe  des 
mots  dactyliques  latins  est  sourde  et  presque  annihilée  ,  n  est- 
ce  pas  la  preuve  que  dans  la  prononciation  latine,  ces  mêmes 
syllabes  ,  loin  d'être  marquées  par  une  élévation  de  la  voix  , 
n'avaient  aucune  force  et  ne  portaient  pas  d'accent? 

C'est  d'ailleurs  ce  que  dit  Dom  Pothier,  à  la  suite  de  tous  les 
philologues  ;  «  Dans  une  accentuation  régulière  ,  chaque  mot 
est  produit  par  une  impulsion  unique  ,  qui  commence  avec  la 
première  syllabe  du  mot,  atteint  le  point  dominant  de  sa  force 
sur  la  syllabe  principale  ,  appelée  pour  cela  syllabe  accentuée  , 
et  vient  expirer  pour  ainsi  dire  ,  sur  la  fin  du  mot  '.  » 

Voilà  donc  à  quoi  aboutit  l'examen  scientifique  de  M.  P.  Aubry: 
à  prononcer  un  jugement  contraire  à  toutes  les  données  de 
l'histoire  et  de  la  philologie. 

La  seule  chose  que  je  trouve  admissible  dans  le  réquisitoire 
où  M.  Aubry  cherche  à  m'écraser  de  tout  le  poids  de  sa  science 
autoritaire  et  inexorable  ,  c'est  la  phrase  finale.  Je  crois  ,  comme 

I .  Les  Mélodies  grégoriennes  ,  p.  loi. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  61 

lui ,  qu'une  œuvre  de  science  ou  de  vulgarisation  n'a  de  charme 
que  «  si  l'auteur  adopte  le  ton  de  la  discussion  courtoise  ,  parce 
que ,  la  polémique  engendrant  la  polémique  ,  on  aurait  tort  de 
compromettre  par  des  querelles  stériles  les  destinées  de  la 
musicologie.  » 

M.  Aubry  fera  bien  désormais,  avant  de  prendre  la  plume, 
de  méditer  cette  pensée  et  de  se  laisser  guider  par  elle. 

Agréez  ,  Monsieur  le  Directeur  etc. 

G.  HOUDARD. 


NOUVELLES  ÉTUDES  sur  le  CHANT  GRÉGORIEN 

{Suite  ,  voir  N°^  27  et  28) 

«  Il  est  à  remarquer  que  la  mélodie  des  Lamentations  que 
M.  Fleischer  nous  présente,  d'après  le  manuscrit  florentin  men- 
tionné plus  haut  et  un  autre  manuscrit  napolitain  ,  est  tout  à  fait 
différente  du  chant  romain  traditionnel  ,  et  que  les  neumes 
franks  donnés  par  Gerbert  (De  Cantu  I,  p.  530).  s'en  rappro- 
chent davantage.  Mais,  si  les  manuscrits  de  Saint-Gall  reprodui- 
sent cette  mélodie  plus  fidèlement  que  tous  les  autres,  cela  ne 
prouve-t-il  pas  en  leur  faveur?^  En  tous  cas^  le  rythme  y  est  très 
exactement  déterminé,  si  la  mélodie  r,e  parait  pas  y  avoir  été 
marquée  avec  le  même  soin.  Le  P.  Dechevrens  a  donc  tout  à 
fait  raison,  d'avoir  pris  pour  base,  dans  le  but  qu'il  se  propose  , 
les  manuscrits  si  nombreux  et  en  partie  si  anciens  de  l'école  de 
Saint-Gall.  L'avenir  montrera  si  M.  Fleischer  a  obtenu  de 
meilleurs  résultats  pour  ce  qui  concerne  la  fixation  de  la  mélodie. 
Déjà  Guy  d'Arezzo  disait,  peut-être  avec  quelque  exagération, 
en  parlant  des  neumes  italiens,  que  la  plupart  des  chantres  et  de 
leurs  élèves  ,  même  en  chantant  tous  les  jours  pendant  cent  ans, 
ne  pourraient  pas  parvenir  à  apprendre  sans  maître,  ne  serait-ce 
qu'une  courte  antienne.  {De  ignoto  cantu,  init.) 

«  La  différence  entre  les  neumes  franks  et  les  neumes  italiens 
ou  lombards  est  si  fondamentale ,  qu'elle  donne  à  supposer,  que 
le  système  autrefois  en  usage  à  Rome,  et  transplanté  ensuite  à 
Saint-Gall,  était  tout  autre  que  dans  le  reste  de  l'Italie.  Si  donc 
les  neumes  ont  une  origine  italienne,  les  neumes  franks  viennent 
directement  de  la  source. 

«  M.  Fleischer  laisse  trop  négligemment  de  côté  la  difficulté 
qui  provient  du  caractère  distinctif  des  neumes  franks.  Il  a  l'air 
de  dire  que  Romanus  aurait  préparé,  pour  son  voyage  à  travers 
l'Allemagne,  un  exemplaire  portatif  de  l'Antiphonaire  avec  une 
notation  très  abrégée,  se  fiant  pour  le  reste  à  sa  mémoire.  Les 
neumes  de  Saint-Gall  témoigneraient  de  cette  abréviation,  soit 
par  la  néghgence  du  dessin  mélodique ,  soit  par  la  petitesse  des 
signes  neumatiques.  Mais  en  admettant  qu'on  ait  apporté  de 
Rome  au  pays  frank  un  exemplaire  ainsi  abrégé  ,  qui  aurait 
ensuite  servi  de  copie  à  tous  les  Antiphonaires  au  Nord  des 
Alpes  ,  peut-on  croire  que  ni  Romanus,  ni  Petrus ,  ni  aucun 
autre  chantre  venu  de  Rome ,  ne  l'ait  transcrit  de  nouveau , 


62  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

puisque  le  besoin  d'un  texte  plus  parfait  et  plus  facile  à  lire  devait 
se  faire  sentir  chez  les  étudiants  de  ces  contrées.  Mais,  si  Romanus 
a  apporté  à  Saint-Gall  la  notation  romaine  ou  l'y  a  rétabli,  les 
soi-disant  neumes  franks  ne  sont  autres  que  les  neumes  romains 
authentiques. 

«  Du  reste,  M.  Fleischer  s'imagine  trop  facilement  qu'une 
notation  ait  pu  se  transformer  ainsi  en  une  autre  si  différente  et 
si  parfaite  au  point  de  vue  rythmique.  On  admettrait  plutôt 
l'hypothèse  que  la  notation  de  Saint-Gall  s'est  formée  là  même 
par  des  perfectionnements  sucessifs.  Cependant  le  P.  Schubi- 
ger,  dans  son  Histoire  de  l'école  de  chant  de  Saint-Gall,  ne  nous 
donne  aucune  information  à  ce  sujet;  bien  au  contraire,  il  nous 
apprend  que  le  texte  original  des  mélodies  n'a  subi  aucune 
modification  ,  sous  le  rapport  de  l'écriture.  C'est  Romanus  lui- 
même  qui,  pour  déterminer  plus  exactement  l'exécution  des 
neumes,  y  ajouta  les  lettres  dites  roinaniennes ,  caractéristiques 
des  manuscrits  de  son  école.  Ekkehard  IV,  mort  en  1036,  assure 
que  l'Antiphonaire  authentique  ,  transcrit  par  Romanus  ,  était 
encore  conservé  à  Saint-Gall  et  qu'on  le  consultait  dans  les 
cas  douteux.  Cette  dernière  remarque  est  de  la  plus  grande 
importance. 

«  Le  P.  Dechevrens  fait  les  observations  suivantes  au  sujet  des 
manuscrits  neumes.  Il  a  reconnu  que  la  notation  des  livres  de  la 
première  époque,  spécialement  de  ceux  du  IX"  et  du  XP  siècle, 
est  la  plus  parfaite  au  point  de  vue  du  rythme.  A  partir  de  ce 
moment,  on  néglige  de  plus  en  plus  toute  indication  rythmique, 
jusqu'à  ce  que,  vers  la  fin  du  XV'  siècle^  on  se  contente  de 
marquer  exactement  la  mélodie  par  le  moyen  de  la  portée,  sans 
tenir  compte  du  rythme.  Saint-Gall  cependant  était  toujours  tenu 
en  très  haute  estime  ,  à  Rome  même  et  jusqu'en  Angleterre.  On  y 
conservait  jalousement  la  notation  ancienne,  et,  non  seulement 
on  y  repoussait  le  nouveau  système  d'écriture  sur  lignes ,  quoi- 
que plus  commode  ,  mais  on  n'y  admettait  pas  non  plus  le  chant 
polyphone.  On  ne  trouve  à  Saint-Gall  aucun  manuscrit  gui- 
donnien  antérieur  au  XVP  siècle  ,  qui  ne  soit  évidemment 
originaire  d'ailleurs  ;  jusqu'à  la  fm  du  XVIII"  siècle  ,  on  s'y 
servait  encore  de  signes  neumatiques  ,  qui  depuis  longtemps 
avaient  disparu  des  livres  imprimés.  On  y  voit  même  un 
Psalterium  novissimum  monasticuin  noté  en  neumes  ,  qui 
fut  en  usage  jusqu'à  la  suppression  de  l'Abbaye.  Malgré  cela , 
non  seulement  Bernon,  abbé  de  Reichenau,  se  plaignait  déjà  au 
XP  siècle  qu'on  négligeait  le  rythme  indiqué  par  les  anciens 
livres,  mais,  même  à  Saint-Gall,  les  manuscrits  témoignent  d'une 
décadence,  plus  lente  sans  doute,  mais  qui  devenait  de  jour  en 
jour  plus  étendue  et  plus  saisissante.  Au  IX"  et  au  X^  siècle,  au 
XPmême,  l'intégrité  et  l'accord  des  manuscrits  sont  merveilleux. 
Ils  sont  tous  écrits  dans  la  forme  romanienne,  quoique  quelques 
uns  ne  portent  pas  les  lettres  significatives ,  mais  les  signes 
rythmiques  s'y  trouvent  entrés  grand  nombre.  Le  P.  Dechevrens 
cite  plus  d'uiie  douzaine  d'anciens  manuscrits  parmi  les  meil- 
leurs ,  et ,  par  des  reproductions  phototypiques  ,  montre  aux 


REVUE  DE  CHANT  GUKGORIEN  63 

yeux  de  tous  les  modifications  successives  qui  se  produisirent 
dans  la  notation.  L'état  des  manuscrits  confirme  de  tout  point 
les  témoignages  des  théoriciens  du  Moyen-Age  relatifs  au  rythme 
et  à  sa  décadence,  et  indiquent  à  l'observateur  le  chemin  à  suivre 
pour  pénétrer  le  secret  des  anciennes  notations. 

«  Le  P.  Dechevrens  laisse  donc  complètement  de  côté  les 
manuscrits  italiens  ou  lombards,  espagnols  et  provençaux,  et  se 
limite  aux  seuls  manuscrits  franks.  L'avenir  prouvera  si  c'était  la 
meilleure  voie  à  suivre.  Les  matériaux  cependant  ne  lui  font  pas 
défaut  pour  reconstituer  la  physionomie  artistique  du  rythme  du 
plain-chant  au  IX''  et  au  X"  siècle.  Mais,  avant  d'aller  plus  loin, 
on  ne  doit  pas  oublier  que  l'objet  de  ses  recherches  est  avant  tout 
une  question  historique  qui  n'a  pas,  au  moins  pour  le  moment, 
d'application  pratique,  et,  qu'en  aucun  cas,  il  ne  prétend  aller 
contre  les  décisions  de  l'Eglise. 

«  Le  P.  Dechevrens  nous  présente  huit  messes  transcrites  de 
deux  manières  :  c'est  d'abord  une  traduction  exacte  des  neumes 
placés  au-dessus  du  texte  liturgique,  puis  un  arrangement  plus 
facile  dans  le  goût  moderne ,  où  le  rythme  latent  dans  les 
neumes  est  exprimé  par  les  signes  de  notation  usuelle  et  la 
mélodie  divisée  en  phrases  et  en  incises.  Quel  but  s'est  proposé 
le  R.  P.  en  nous  donnant  cette  transcription?  Depuis  longtemps 
il  avait  fait  connaître  que^  pour  fournir  un  moyen  de  contrôle 
à  sa  théorie  ,  il  avait  arrangé  de  la  sorte  30  messes  complètes, 
dont  les  8  messes  qui  figurent  dans  le  Mémoire  présenté  au 
Congrès  de  Fribourg  ne  sont  qu'un  extrait.  Ces  messes  seront 
reproduites  en  phototypie  dans  l'ouvrage  imprimé. 

«  Le  R.  P.  espère  qu'on  y  trouvera  des  matériaux  suffisants 
pour  se  rendre  compte  de  l'application  de  sa  méthode.  On  peut 
apprécier  par  là  le  soin  et  l'exactitude  qu'il  a  apportés  dans  ses 
recherches.  Il  avait  déjà,  en  1895,  donné  la  clef  de  son  inter- 
prétation et  publié  de  longs  tableaux,  011  les  neumes  élémen- 
taires, simples  et  composés,  ainsi  que  les  neumes  d'ornement, 
sont  traduits  en  notation  moderne.  » 

(A  suivre).  G.  GIETMANN  ,  S.  J. 


CORRESPONDANCE 

Plusieurs  de  nos  lecteurs  nous  ont  écrit  pour  protester  contre  la 
partialité  dont  M.  Aubry  a  fait  preuve  dans  sa  critique  du  livre  de 
M.  Houdard.  Nous  extrayons  de  notre  correspondance  les  passages 
suivants  : 

«  M.  P.  Aubry  en  voulant  frapper  trop  fort  n'aurait-il  pas  frappé  dans 
le  vide?  Sa  critique,  heureusement,  vient  un  peu  tard.  Beaucoup  de 
personnes  déjà  ont  eu  le  temps  de  prendre  connaissance  de  l'ouvrage  de 
M.  Houdard  et  de  se  pénétrer  de  ses  traductions.  Elles  ne  peuvent  que 
ressentir  une  certaine  tristesse  en  voyant  le  critique  de  Saint-Gervais 
s'efforcer  de  réduire  à  néant  un  travail  considérable,  qui  ne  donne  pas 


64  REVUE    DE   CHA^'T   GRÉGORIEN 

seulement  des  promesses  mais  des  résultats  positifs.  Le  côté  pratique 
existe  et  nous  l'avons  déjà  expérimenté  ;  il  ne  peut  faire  autrement  que 
de  se  propager. 

«r  Dès  le  début  de  l'article  ,  certaines  expressions  vous  impressionnent 
péniblement  et  en  font  prévoir  la  conclusion.  Eh  I  bien  ,  malgré  le 
jugement  porté  par  M.  Aubry ,  je  garde  ma  conviction ,  que  d'autres  ont 
partagée  ,  sur  les  conséquences  immédiates  à  tirer  de  la  théorie  de 
M.  Houdard.  Sa  théorie  du  temps  rythmique  est  applicable  même  à  nos 
éditions  actuelles  ,  quoique  l'auteur  s'en  défende  et  ne  veuille  l'admettre 
que  sur  un  texte  non  altéré.  Le  temps  rythmique  donne  de  la  cohésion 
aux  groupes  ,  établit  une  sorte  de  proportion  dans  les  valeurs  de  notes  ; 
toute  raideur  est  enlevée  par  l'observation  des  nuances  ,  des  retards  et 
une  certaine  liberté  basée  sur  les  lois  de  la  déclamation. 

«  Les  exemples  donnés  par  M.  Houdard  sont  nuancés  avec  le  plus  grand 
soin  et  donnent  l'impression  d'un  art  vocal  arrivé  au  dernier  degré  de 
perfection.  Est-il  juste  et  à  propos  d'insinuer  qu'il  va  transformer 
r  Antiphonaire  en  une  Sonate  de  violon  ? 

«  Le  coup  est  perfide  ,  car ,  après  cela  ,  les  amateurs  de  notes  carrées  , 
négatives  du  rythme  et  de  la  nuance ,  ne  voudront  pas  admettre  les 
croches  et  les  doubles-croches  des  notations  de  M.  Houdard.  On  craindra 
un  chant  trop  rapide  ,  sans  réfléchir  que  les  mêmes  valeurs  dans  un 
Adagio  ou  un  Largo  ont  une  allure  très  calme. 

«  M.  Aubry  veut-il  nous  faire  croire  que  M.  Houdard  fait  fausse  route 
en  reconstituant  de  la  sorte  les  mélodies,  avec  les  groupements  de  notes 
et  les  nuances  indiquées  par  les  signes  neumatiques  eux  mêmes?  Il  n'est 
que  traducteur  et  lors  même  que  ces  traductions  exigeraient  une  exé- 
cution artistique,  comme  celle  à\\r\e  sonate  de  violon  ^  qui  songerait  à 
s'en  plaindre  ?  La  Schola  de  Saint-Gervais  donne  tous  ses  soins  à 
l'exécution  de  la  musique  Palestrinienne  ;  négligera-t-elle  les  mélodies 
grégoriennes,  parce  qu'elles  font  partie  de  l' Antiphonaire? 

«  Il  est  de  toute  évidence  que  l'inspiration  qui  a  dicté  ces  mélodies, 
a  sa  source  dans  l'âme  et  le  cœur  du  compositeur  ;  c'est  ce  même 
sentiment  délicat  et  expressif  qui  se  continue  et  se  développe  plus  tard 
dans  \ç:sAria  de  Bach  et  les  Adagio  de  Mozart. 

«  Le  traducteur  peut  nous  dire  qu'il  a  la  conviction  d'avoir  révélé  la 
forme  inconnue  de  l'art  musical ,  cultivé  du  1V°  au  X®  siècle  ;  je  ne  fais 
aucune  résistance  pour  le  croire  ,  tant  je  suis  charmé  par  la  beauté  pure 
et  idéale  de  ces  chants.  Examinez  V Alléluia,  Justus  germinabit ,  p.  216 
du  livre  de  M.  Houdard,  et  dites-moi  si  la  théorie  qui  a  produit  une 
reconstitution  aussi  admirable  ,  doit  être  condamnée  ou  approuvée. 

Tel  arbre  ,  tels  fruits  I 

Laurent  Rolandez , 
Organiste  à  l'Institution  des  Chartreux  de  Lyon. 


Le  Gérant  :  J.  MINGARDON. 


Marseille.  —  Imprimerie  J.  Mingordon  et  Cie  ,  place  Sébastopol ,  11. 


REVUE 


DE 


CHANT   GRÉGORIEN 


SYSTÈME  BÉNÉDICTIN  DU  RYTHME  ORATOIRE 


La  Revue  de  Grenoble  publie  ,  dans  son  numéro  d'Octobre 
dernier,  la  fin  d'une  Etude  sur  «  la  notation  grégorienne  ». 

Cette  étude  ,  signée  du  nom  du  R.  P.  Dom  Bourigaud  ,  se 
termine  par  cette  phrase  : 

«  En  se  conformant  ainsi  au  rythme  oratoire^  même  dans 
les  développements  purement  mélodiques ,  cette  théorie  de  Vexé- 
cation  du  Chant  Grégorien  a  pour  elle  l'appui  inébranlable 
des  origines  liturgiques ,  de  la  forme  même  des  neumes  et  des 
théoriciens  du  moyen-âge.  Elle  est  ainsi  vraiment  scientifique , 
car  elle  est  d'accord  avec  les  seules  sources  traditionnelles  dont 
nous  puissions  faire  usage.  » 

11  est  curieux  de  remarquer  l'insistance  et  l'inconscience  avec 
lesquelles  les  Maitres  les  plus  en  vue  de  la  restauration  bénédic- 
tine, viennent  tour  à  tour  défendre  l'œuvre  commune.  Lorsque 
je  dis  défendre,  c'est  un  euphémisme  que  j'emploie,  car,  pour 
parler  franc,  c'est  démolir  qui  serait  le  vrai  mot. 

En  quelques  pages  et  à  l'aide  de  quelques  exemples ,  permettez- 
moi  de  faire  la  preuve,  que  le  système  bénédictin  est  faux  et  que, 
inconsciemment  ou  très  volontairement,  ses  propagateurs  ne 
tiennent  aucun  compte  de  la  science  et  des  seules  sources  tradi- 
tionnelles dont  nous  puissions  faire  usage,  qu'ils  annoncent 
toujours  être  leur  appui  inébranlable.  » 

Tâche  aisée,  en  vérité,  le  R.  P.  nous  ayant  préparé  nos  armes. 

Je  cite  :  {p.  ^7,  n°  d'octobre). 

«  Rappelons  -  nous  ,  écrit  le  R.  P.,  ce  que  dit  à  ce  sujet, 
«  S.  Odon  :  «  De  même  que  deux,  trois  ou  quatre  lettres  forment 
«  une  syllabe,  et  que  parfois  la  syllabe  n'en  renferme  qu'une, 

12         3  4 

«  par  exemple:  a-mo,  tem-plum...  il  nous  plait  comme  étant  le 
«  mieux  que  tous  les  mouvements  du  chant  soient  partagés  en 
«  syllabes  dont  chacune  ne  renferme  qu'une,  deux,  ou  trois 
«  notes.  » 

Première  stupéfaction  de  ma  part.  A  partir  de  «  il  nous  plaît...  » 
ce  n'est  pas  du  S.  Odon,  mais  du  Dom  Bourigaud,  trop  coutumier 
du  fait  de  maquillage'  des  textes  qui  lui  déplaisent.  A  cette  tra- 
duction fantaisiste  et  pro  domo  en  tous  cas  ,  substituons  le 
texte  même  de  S.  Odon'  : 

«  Sicut  duai  plerumqiie  litterœ  aut  très  aut  quatuor  unam 

1.  Voir  Revue  du  Chant  Grégorien  de  Marseille,  no  21,  août  1897,  P-  553  ^^  s^iv, 

2.  On  sait  qu'il  y  a  doute  sur  le  véritable  auteur  de  ce  texte, 

N"  33.  Janvier  1899. 


12^         rëVue  de  chaN't  grégorien 

faciunt  syllabam,  sive  sola  littera  pro  syllaba  accipittir;  ita 

QUOQUE  ET  IN  MUSICA  PLERUMQUE  SOLA  VOX  PER  SE  PRONUNTIATUR  , 
PLERUMQUE  DU^  AIT  TRES  VEL  QUATUOR  COHERENTES  UNAM  CONSO- 
NANTIAM  REDDUNT,  QUOD  JUXTA  ALIQUEM  MODUM ,  MUSICAM  SYLLABAM 
NOMINARE  POSSUMUS.    >> 

On  voit  si  le  R.  P.  suit  le  texte  de  près,  et  ce  texte  est  une 
source  !  !  une  des  seules  doiit  il  nous  soit  permis  de  faire  usage  ! 

Que  serait-ce,  si  le  texte  n'avait  qu'un  intérêt  secondaire  ? 
Suivons  notre  chemin. 

Remarquons  l'opposition  complète  et  parfaite  des  deux  pro- 
positions: 'y^-  *y'-         jy^-  'y'- 

*^  IN  LiTTERis  :  a        -        mo  ,  tem      -      plum 

1  2  3  4 

syl.  ^y^-  *y^'  ^yl- 

C'est  clair.  Chaque  syllabe  est  égale  à  sa  voisine  : 
Dans  le  texte  :      a      -      ™0'      tem     -     pium,     font  4  syllabes 
Dans  la  mélodie  :    T  T  T  T  d°  d° 

2  3  4 

,.>j-  •  0   0  0   0   0  0   0   0   0  , 

c  est-a-dire  :    1  |_j         1  1  1       .^  '  m  qui  en  sont 

les  équivalents  rythmiques  précis. 

L'accent  tonique  étant  un  simple  renforcement  et  non  un 
allongement  de  la  syllabe  affectée  d'accent,  ne  change  pas  la 
rature  rythmique  de  la  syllabe  musicale  qui  lui  correspond. 

Comment  le  R.  P.  applique-t-ii  ce  principe  de  S.  Odon  ? 
Laissons-lui  la  parole  : 

«  (P.  37):  En  conséquence,  commente  le  R.  P.,  unissant  les 
«  deux  accents,  grave  et  aigu,  dont  il  a  été  question,  pour  les 
«  proférer  sous  une  même  impulsion,  f  obtiens  un  mot  mélo^ 
«  dique  de  deux  syllabes,  etc...!!'y> 

Deuxième  stupéfaction  !  C'est  là  le  commentaire  suggéré  au 
R.  P.  par  le  texte  qu'il  invoque  ?  Il  est  vrai  qu'il  a  tronqué  le 
texte,  et  dénaturé  la  partie  tronquée.  Et  c'est  ainsi  qu'il  prétend 
établir  le  bien  fondé  de  la  théorie  de  Solesmes  .?  C'est  tout  sim- 
plement pitoyable,  sinon  profondément  triste,  et  j'en  souffre 
plus  en  catholique  qu'en  théoricien.  Je  le  dis  hautement,  car  la 
condescendance  respectueuse  doit  faire  place  à  la  discussion 
purement  scientifique.  Tant  que  les  R.  P.  n'ont  eu  qu'à  aligner 
de  belles  périodes  littéraires,  cela  a  marché  tout  seul  ou  à  peu 
près;  mais,  depuis  un  an  que  la  discussion  tend  à  se  placer  sur 
son  vrai  terrain  :  les  textes,  alors  nous  assistons  à  V effondrement. 
On  va  le  voir  sans  que  je  force  la  note  des  récriminations. 

Ainsi  donc^  dans  un  alinéa,  nous  apprenons  par  un  texte 
authentique  regardé  et  présenté  comme  une  source  traditionnelle. 
«  Que  tout  groupe  de  i ,  2,  ^  ,  4  sons  est  une  syllabe  musicale  » 
et  dans  l'alinéa  suivant,  le  R.  P.  nous  enseigne,  de  sa  propre 
autorité,  que  ce  groupe  est  un  mot  composé  d'autant  de  syllabes 
qu'il  y  a  de  sons  exprimés  par  le  signe  neumatique  ! 

Donc  contradiction  formelle  entre  ces  deux  enseignements. 
«  Donc  le  système  bénédictin  est  faux  dès  la  base\  » 

I.  Il  faudra  bien  que  l'on  se  rende  compte  que  je  n'ai  rien  avancé  contre  lui,  que  je 
ne  sois  prct  à  démontrer,  et  que  le  ton  quelque  peu  agressif  de  mon  ouvrage  n'est  qutj 


REVUE  DE  CHANT  GUÉGORIEN  l'i3 

Est-ce  à  dire  que  cette  interprétation  du  texte  de  S.  Odon,  soit 
absolument  personnelle  au  R.  P.  ?  Nullement.  Dom  Pothier  la 
met  en  avant  dans  son  ouvrage  «  les  Mélodies  Grégoriennes;  i> 
et,  tout  récemment,  au  cours  des  quatre  articles  dirigés  contre 
ma  théorie,  M.  l'Abbé  V.  la  proposait  dans  des  termes  presque 
identiques;  les  voici  : 

«  Dans  les  vocalises le  rythme  gardera  sa  nature  de  rythme 

oratoire,  mais  le  groupe  que  sera-t-il  ?  une  syllabe,  ou  un  mot  ? 
S'il  est  un  mot  (sic)  chacun  des  sons  équivaut  à  une  syllabe...  » 
«   et ,   ajoute    quasi   triomphalement    M.   l'Abbé  V.  ,    voila  le 

«    SYSTÈME  BÉNÉDICTIN  !  ^  » 

On  comprend  bien  le  :  S'il  est  un  mot  ?  Il  faut  donc  qu'il  soit 
un  mot  pour  donner  raison  à  la  méthode  bénédictine.  Or ,  le 
groupe  n'est  pas  un  mot  mais  une  syllabe. 

Le  voilà  donc  affirmé,  une  fois  de  plus,  dans  toute  son  équi- 
voque volontaire. 

On  ne  peut  pas  mettre  de  côté,  un  texte  contraire  à  sa  thèse, 
avec  plus  de  désinvolture  que  ne  le  font  au  profit  de  la  leur, 
les  maîtres  dont  je  cite  les  écrits.  Bien  mieux,  tout  aussitôt, 
M.  l'Abbé  Vigourel,  me  décerne  un  brevet  de  parfait  interpré- 
tateur  du  texte  en  question  :  «  Pour  M.  H.  ,  dit -il  la  formule 
«  est  une  syllabe  et  non  un  mot...  »  Mon  Dieu,  oui,  pour  moi 
c'est  cela ,  parce  que  Guy  d'Arezzo  le  dit  formellement  avec 
S.  Odon;  je  suis  donc  dans  la  vraie  tradition,  de  l'aveu  de  mon 
vénéré  contradicteur,  et  je  conclus  encore  une  fois  :  Donc  le 
système  bénédictin  est  faux  dès  la  base,  puisqu'il  est  contraire 
au  texte  ancien  qu'il  proclame  être  «  son  appui  inébranlable.  » 

Aussi,  n'est-ce  pas  sans  quelque  surprise  que,  plus  loin,  je  lis 
cette  phrase  du  même  critique  :  M.  H.,  on  le  voit  !...  pour  adap- 
ter la  doctrine  de  Guy  d'Arezzo  à  son  système  est  obligé  de  la 
travestir  !  » 

Ceci,  on  me  permettra  de  le  dire  sans  fiel  aucun,  ceci  dépasse 
la  mesure  ! 

Qui  donc  travestit  la  doctrine  de  Guy  d'Arezzo  ? 

Est-ce  moi  ?  M,  l'Abbé  V.  a  répondu  :  non. 

N'est-ce  pas  le  R.  P.  Dom  Bourigaud  qui  imagine  un  texte 
pour  le  substituer  au  texte  authentique,  deux  fois  contraire  à  son 
enseignement  quotidien  ? 

N'est-ce  pas  M.  l'Abbé  Vigourel,  qui  dans  son  ardeur,  quelque 
peu  aveugle,  n'a  pas  même  remarqué  ses  contradictions  à  mon 
égard  et  se  hâte  d'affirmer,  sans  doute  de  peur  que  le  lecteur  ne 
regarde  le  texte  de  trop  près,  que  :  «  voilà  le  système  bénédictin.  » 

Querelle  de  mots,  dira-t-on  ?  Que  ce  groupe  soit  un  mot  ou 
une  syllabe,  à  quoi  bon  disputer  ? 

11  importe  beaucoup  au  contraire,  puisque,  d'après  le  principe 
bénédictin  du  groupe-mot  «  toutes  les  notes-syllabes  de  la  mé- 
lodie sont  égales,  sauf  la  dernière  de  chaque  mot,  tandis  que 
d'après  le  principe  guidonnien  du  groupe-syllabe  «  toutes  les 
KOTes-lettres  sont  égales  dans  le  groupe  et  que  de  groupe  à 

la  résultante  d'une  fébrilité  immaîtrisable,  à  mesure  que  j'avançais  dans  la  découverte  du 
néant  théorique  de  la  théorie  bénédictine. 

I.  Voir  page  133 ,  n^  8 ,  mars  1898,  Revue  de  Grenoble. 


124  kEVÙE   DE  CHA,NT   GRÉGORIEN 

groupe  il  y  a  une  grande  variété  de  combinaisons  rythmiques 
purement  musicales,  selon  la  constitution  du  groupe  par  i,  2,  3, 
4  notes. 

he groupe-syllabe  produit  donc  un  rythme  franc,  musical  avant 
tout,  —  comme  toute  musique  l'exige,  — tandis  que  le  groupe- 
mot  ne  produit  que  déséquilibrement  constant.  On  va  le  voir 
immédiatement. 

Prenons  le  mot  «  Alléluia  ^  » 

Je  traduis  en  premier  lieu  les  neumes  de  Saint-Gall-,  d'après  le 
principe  de  Guy  d'Arezzo  ou  d'Odon.  Savoir  :  une  syllabe  musi- 
cale est  formée  d'un,  deux,  trois  ou  quatre  sons,  et  représentée 
par  un  neume.  J'obtiens  ceci  : 

Neumes:       Epiph.  Porr.flexus 

prxpunctis  Scand.  Clicis  Pod .  tiquesc.  Trait. 


Al      -        le        - 

C'est  une  vraie  perle  musicale,  comme  on  en  découvre  à  cha- 
que pas  en  suivant  ma  théorie,  c'est-à-dire  celle  de  Guy  d'Arezzo. 

Or  ,  1°  Si  je  consulte  la  notation  bénédictine  transcrite  en 
notation  moderne,  (Voir  plaquette  musicale-'  des  conférences  de 
Dom  Mocquereau  à  l'Inst.  Cath.  10  Dec.  1897),  je  lis  : 

Neumes  sous-entendus  !  !  !     Pressus  Torculus  resup. 

Mouv.   jN;^  160.   Pod.       Scand.     major.      Trait       snbbi  punciis.       Trait. 

Al     -     le         -         -         lu        -  -  ia. 

On  voit  déjà  clairement  si  les  inots  arbitraires  du  système 
bénédictin  correspondent  aux  syllabes  musicales  de  l'enseigne- 
ment guidonnien,  c'est-à-dire  aux  neumes  authentiques! 

Je  ne  crains  pas  de  mettre  au  défi  mille  chanteurs,  chantant 
sur  les  neumes,  de  découvrir  dans  les  groupes-syllabes  authen- 
tiques notés  neumatiquement,  ex.  A,  la  mélodie  qui,  pour  eux 
tous,  devra  être  représentée  par  les  neumes  sous-entendus  dont 
je  donne  le  nom  ,  au-dessus  de  l'exemple  B. 

Et  2"  si  je  lis  tout  simplement  la  notation  carrée  sur  4  lignes  du 
Liber-Gradualis  bénédictin  ,  en  admettant  a  priori  que  chaque 
formule  de  cette  notation  carrée  corresponde  rigoureusement 
à  la  notation  neumatique  primitive ,  hors  de  ma  vue,  j'obtiens 
une  TROISIÈME  version  que  je  chanterai  : 

Neumes   sous-entendus  : 

l'oil .  Pod.  Potl.        Cliiis        Trait        Torculus 


Ex.  C 

•     le 

Tous  les  groupes  sont  dénaturés  ?  Pourquoi  ? 
Comment,  de  plus,   à  la  lecture   de  ces  groupes  nouveaux, 
imaginer  que  l'on  doive  les  dénaturer  comme  ils  le  sont  selon  la 

1.  (De  l'Ali.  ^.  Te  martyrum).  Voir  Gradualis  de  Soiesmes,  p.nge  29, 

2.  Man.  339,  p.  132,  du  fac  simiie  T.  I.  Paléograpiiie. 
j.  On  ne  m'accusera  pas  de  fantaisie,  cette  fois, 


ftEVUE   DE  CHANT  GRÉGORIEN  125 

version  B,  (puisque  cette  version  est  la  transcription  rythmique 
de  la  notation  carrée  ex  C),  et,  comment  peut-on  prétendre  que 
ce  mode  de  chanter  la  mélodie  notée  au  Gradualis,  ex.  C,  soit 
conforme  à  la  tradition,  alors  que  les  neumes  de  St-Gall  traduits, 
ex.  A,  selon  l'enseignement  de  Guy  d'Arezzo,  nous  donnent  la 
version  si  musicale  par  laquelle  j'ai  commencé  ma  démonstration. 

Et  c'est  en  s'appuyant  sur  les  «  sources  »  (on  a  vu  le  respect 
qu'on  leur  témoigne)  que  l'on  nous  propose  une  semblable  restau- 
ration ?  Qui  dit  restauration  dit  remise  en  état;  ov ,  n'est-ce  pas 
une  «  démolition  »  en  règle,  pierre  à  pierre,  de  l'édifice  musical 
élevé  par  nos  aïeux,  que  cette  étrange  façon  de  procéder  ? 

Et  encore,  qu'est-ce  donc  que  cette  phrase  qui  termine  la  3* 
ligne  de  la  page  41  :  «  /^  chanteur  doit  se  laisser  guider  par  un 
principe  supérieur  à  celui  de  la  concordance  des  paroles  et  de 
la  musique,  celui  de  la  prééminence  du  rythme  musical  »,  (ce 
qui,  entre  parenthèses,  est  absolument  conforme  à  ma  théorie 
tant  attaquée  comme  étant  l'œuvre  d'un  musicien  !) 

Mais,  où  trouver  le  rythme  musical  qui,  d'après  le  R.  P.,  doit 
primer  toute  considération,  sinon  dans  la  notation  neumatique 
inventée  pour  remplir  cet  office  précis  ?  Or,  comment  respecter 
le  rythme  musical  autrement  qu'en  respectant  les  neumes  et 
l'enseignement  qui  les  explique?  Or,  encore,  que  fait-on,  en 
suivant  le  système  bénédictin,  et  des  textes?  et  des  neumes  ?  11 
suffit  de  relire  tout  ce  qui  précède  pour  être  édifié  à  ce  sujet. 

La  Paléographie  porte  sur  sa  page  de  titre  ces  trois  mots  :  res 
non  verha  :  «  J'ai  exposé  les  faits,  sont-ils  en  faveur  de  l'œuvre 
de  Solesmes,  qui  se  contente  de  se  défendre  par  des  mots  sonores  ? 
Avais-je  tort  de  dire  dans  mon  ouvrage,  que  la  notation  bénédic- 
tine (ex  C)  sous-entend  souvent  une  autre  notation  neumatique 
que  la  notation  originale  (ex.  A),  et  qu'ensuite  les  principes  du 
phrasé  bénédictin  (ex.  B)  ne  respectent  jamais  pour  ainsi  dire  les 
neumes  primitifs  ?  Tout  cela  est  irréfutable;  je  répète  ce  mot 
qui  a  soulevé  des  tempêtes  contre  moi,  et  je  le  maintiens,  puisque 
nul  n'a  pu  jusqu'à  ce  jour,  saper  à  la  base  aucune  de  mes 
affirmations. 

Il  y  a  plus  grave  encore  contre  Solesmes  et,  si  un  critique  m'a 
adressé  le  «  ne  sutor  ultra  crepidam  »,  je  suis  tenté  d'adresser 
aux  maîtres  actuels  le  non  moins  antique  «  Quos  vult  perdere 
Jupiter ,  etc  !  »  En  effet,  le  R.  P.  Dom  Bourigaud  ,  citant  le  texte  : 
«  ut  veluti  metricis  pedïbus  cantilena  plaudatur  »  n'ajoute-t-il 
pas  en  guise  de  traduction  :  «  afin  que  l'allure  du  chant  soit 
analogue  à  celle  de  la  poésie ,  et  par  le  fait  équivalente  à  celle 
de  la  prose.  »  Que  penser  de  cette  déduction  cavalière  d'une 
traduction  fantaisiste  ? 

On  se  sent  envahir  par  un  malaise  indéfinissable  en  lisant  de 
telles  choses  ,  manifestement  contraires  à  la  vérité ,  sous  la  signa- 
ture d'un  religieux  qui  ne  peut  arguer  de  son  ignorance  du  latin  ! 
Comment  ne  voit-on  pas  que ,  puisque  la  mélodie  doit  être  battue 
(plaudatur)  comme  le  sont  les  pieds  métriques;  2°  puisque 
chaque  pied  est  représenté  par  un  neume  ,  cum.  et  neumœ  loco 
sint  pedum ;  3°  puisque  chaque  syllabe  est  assimilable  à  un  pied, 
il  faut  de  toute  nécessité  que  la  mélodie  soit  rythmée  pied  par 


126  HEVUË  DE  CHA.NT  GRÉGORIEN 

pied,  c'est-à-dire  syllabe  par  syllabe  (de  i,  2,  3, 4  sons  adjoints)  et 
qu'en  conséquence:  i"  notre  traduction  A  est  seule  vraie:  2°  la  no- 
tation C,  qui  recoupe  tous  les  neumes  primitifs  et  lui  en  substitue 
d'autres,  est  fausse:  et  3°  la  ruine  est  consommée  par  la  méthode 
d'exécution  B,  qui  ne  respecte  plus  rien  ,  ni  neumes  ,  ni  syllabes , 
ni  notation,  tout  étant  livré  à  l'arbitraire  du  groupement,  nécessité 
par  l'application  des  principes  du  phrasé  bénédictin  sus-rappelé. 

Alors  que  dire  d'un  système  qui  forge  les  textes  lui  manquant, 
tronque  ceux  qui  lui  sont  contraires,  déduit  d'un  principe  formel, 
volontairement  traduit  à  faux,  une  théorie  qui,  en  contradiction 
avec  ce  principe,  ne  repose  sur  rien,  dénature  les  groupements 
rythmiques  authentiques,  et  finalement,  applique  une  théorie 
d'exécution  ne  tenant  plus  compte  de  rien  autre  que  d'une 
notation  préparée  pour  la  mettre  en  œuvre  ? 

On  voit  ce  qu'il  reste  de  l'affirmation  finale  du  R.  P.  :  cette 
théorie  de  V exécution  du  Chant  Grégorien  a  pour  elle  l'appui 

INÉBRANLABLE  DES  ORIGINES  LITURGIQUES ,  DE  LA  FORME  MÊME  DES  NEUMES 

(on  l'a  vu,  hélas  !)  et  des  théoriciens  du  moyen-age  (on  a  lu  les 
interprétations  qu'ils  suggèrent!).  Et  non  content  de  toutes  ces 
belles  choses,  le  R.  P.  termine  :  Elle  est  d'accord  avec  les  seules 
sources  traditionnelles  dont  nous  puissions  faire  usage.  » 

On  se  sent  désarmé  par  tant  de  candeur  et  je  m'en  voudrais 
d'ajouter  quoi  que  ce  soit. 

Concluons. 

Il  y  a  des  œuvres  défendables  dans  leurs  grandes  lignes  et 
sujettes  à  critiques  dans  quelques  petits  détails  :  d'autres ,  et 
l'œuvre  de  Solesmes  est  du  nombre,  admissibles  dans  de  minces 
détails  extra  théoriques,  mais  indéfendables  dans  leurs  grandes 
lignes. 

Nous  nous  trouvons  donc  en  présence  d'une  restauration  inad- 
missible, si  on  nous  la  donne  comme  conforme  à  la  tradition; 
mais  digne  d'être  étudiée,  si  on  nous  la  propose  comme  un  moyen 
de  réagir,  sans  nous  brusquer  outre  mesure  ,  contre  les  errements 
aussi  pitoyables  qu'invétérés  du  plain-chant  actuel.  Je  prie  le 
lecteur  de  graver  cette  dernière  phrase  dans  sa  n.émoire,  afin 
qu'il  se  souvienne  à  l'occasion  que  je  ne  veux  aucun  mal  a 
l'œuvre  actuelle.  Vérité  archéologique  mise  à  part. 

G.  Houdard. 


ÉTUDES   DE   SCIENCE  MUSICALE 

Par  le  R.  P.  DEGHEVRENS,  S    J. 

/.  et  II.  Etudes  {suite,  voir  n"^  31  et  32). 

Les  chapitres  V  et  VI,  sont  consacrés  à  l'étude  des  tons  et  des 
modulations.  Bien  que  certains  auteurs  de  l'antiquité  et  du  moyen- 
âge  aient  confondu  les  tons  et  les  modes,  il  y  a  entre  eux  une 
différence  essentielle. 

Le  mode  est  une  forme  particulière  de  la  mélodie  et  se  distingue 
par  les  tétracordes  qui  le  composent,  tandis  que  le  ton  est  le  lieu 
de  la  mélodie;  son  échelle  est  formée  des  mêmes  intervalles  que 
celle  des  autres  tons,  mais  elle  est  placée  sur  un  degré  différent, 


1 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  1S7 

plus  grave  ou  pltis  aigu.  Ainsi,  dans  la  musique  moderne  nous 
n'avons  que  deux  modes,  le  majeur  et  le  mineur;  mais  ces  deux 
modes  peuvent  se  transposer  sur  chacun  des  degrés  de  la  gamme 
chromatique  et  former  ainsi  en  tout ,  vingt-quatre  échelles 
mélodiques. 

Prenant  pour  base  la  génération  harmonique,  le  R.  P.  trouve 
quinze  échelles  musicales  que  l'on  peut  construire  sur  chacun  des 
quinze  premiers  termes  de  la  série,  et  d'où  l'on  tire  ensuite  un 
certain  nombre  de  gammes  ou  échelles  particulières,  distribuées 
en  genres  et  en  modes. 

Chaque  ton  donne  naissance  à  trois  gammes  du  genre  diato- 
nique^ anémitonique  et  chromatique,  qui,  à  leur  tour,  forment 
onze  modes,  et  l'on  arrive  ainsi  à  un  total  de  cent  soixante-cinq 
gammes,  dont  aucune  n'est  absolument  semblable  aux  autres. 
Le  R.  P.  en  donne  le  tableau  complet,  ,p.  266). 

Bien  qu'au  point  de  vue  matériel,  un  ton  ne  se  distingue  d'un 
autre  que  par  la  place  qu'il  occupe  dans  l'échelle  générale  des 
sons,  cette  position  n'est  pas  aussi  indifférente  qu'on  pourrait  le 
croire  de  prime  abord. 

«  Tout  autre,  en  effet,  est  le  caractère  d'une  mélodie,  lorsqu'elle 
est  chantée  sur  les  cordes  aiguës  de  la  voix  ou  sur  ses  cordes 
graves.  Les  sons  aigus  sont  plus  éclatants,  les  sons  graves  plus 
sourds ,  ils  exigent  plus  de  lenteur  et  vibrent  avec  moins  de  force  ; 
ceux  du  médium  sont  les  plus  doux  et  les  plus  purs.  Il  en  résulte 
que  chacun  de  ces  trois  groupes  de  sons,  dans  les  instruments 
comme  dans  la  voix  humaine,  produit  des  mélodies  d'un  caractère 
spécial.  »  (p.  267). 

Les  Anciens  avaient  remarqué  la  différence  de  caractère  qui 
existe  entre  ces  trois  genres  de  voix.  Ils  attribuaient  aux  voix 
hypatoïdes  ou  graves  «  un  caractère  mâle,  énergique,  propre  à 
exciter  le  courage  et  à  dilater  l'âme,  en  la  portant  aux  grandes 
choses;  »  aux  voix  nétoïdes  ou  aiguës,  un  caractère  féminin, 
propre  seulement  à  exprimer  les  sentiments  humbles,  doux  et 
tristes;  aux  voix  mésoïdes  ou  moyennes  enfin,  une  expression 
douce  et  tranquille  qui  convient  à  l'âme,  quand  elle  «  s'élève  au- 
dessus  des  agitations  de  ce  monde,  pour  converser  avec  le  ciel.  » 

Une  mélodie  composée  dans  un  des  quinze  tons,  peut  être 
transcrite  dans  tous  les  autres  tons.  Elle  conservera  bien  les 
mêmes  intervalles,  le  même  mouvement  et  les  mêmes  repos; 
mais  son  caractère  se  modifiera  à  mesure  qu'elle  s'éloignera  du 
ton  primitif. 

«  Une  autre  raison  qui  contribue  encore  à  différencier  les  quinze 
tons ,  c'est  l'impossibilité  pour  les  voix  humaines  de  les  parcourir 
tous  de  la  même  manière.  »  ^p.  270).  La  moyenne  générale  des 
voix  ne  peut  ni  s'élever  trop  haut,  ni  descendre  trop  bas,  et  ne 
dépasse  guère  l'étendue  d'une  octave  et  demie.  Il  n'y  aura  par 
conséquent  que  les  mélodies  écrites  dans  les  tons  moyens  qui 
pourront  faire  usage  des  deux  tétracordes  de  la  gamme,  le 
supérieur  et  l'inférieur.  Les  autres  emprunteront  de  préférence 
celui  des  deux  tétracordes  qui  se  trouve  dans  les  limites  des  voix 
moyennes;  pour  les  tons  aigus,  ce  sera  le  tétracorde  inférieur, 
pour  les  tons  graves,  le  tétracorde  supérieur,  ce  qui  donne  nais- 


128  ÉEVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

sance  à  deux  genres  de  mélodies ,  les  plagales  et  les  authentiques. 

Les  grecs  connaissaient  cette  différence  dans  l'emploi  des 
quinze  tons.  «  L'hypodorien  se  chante  tout  entier,  dit  Aristide 
Quintilien;  mais  chacun  des  tons  suivants,  plus  aigus  que  l'hy- 
podorien ,  ne  peut  être  chanté  que  jusqu'à  la  corde  qui  correspond 
à  lanète  des  supérieures  du  mode  hypodorien^  et  non  pas  au  delà, 
la  voix  faisant  défaut  pour  y  atteindre.  »  (p.  271). 

De  même  que  de  la  différence  des  tétracordes  naît,  en  grande 
partie,  le  caractère  propre  de  chaque  mode,  ainsi  l'emploi  plus 
fréquent  de  tel  ou  de  tel  tétracorde  donne  à  chaque  ton ,  une 
expression  particulière. 

«  Dans  la  musique  grégorienne,  nous  dit  le  R,  P.,  il  n'est  fait 
aucun  usage  des  tons,  les  modes  y  sont  distribués  sur  une  échelle 
unique  laquelle  embrasse  plus  de  deux  octaves,  depuis  le  sol  de 
basse  jusqu'au  la  aigu  du  ténor...  Nulle  part  les  auteurs  qui  ont 
écrit  sur  ces  matières,  ne  laissent  entendre  qu'il  faille  jamais 
déplacer  ces  modes  et  transposer  les  mélodies  sur  d'autres  degrés 
de  l'échelle  modale.  »  (p.  272]. 

Cette  affirmation  manque  d'exactitude,  car  Guy  d'Arezzo  et 
Hucbald,  font  mention  de  la  transposition  des  modes,  qui 
s'opérait  par  la  substitution  du  si^  au  si)^  ou  réciproquement.  Nous 
trouvons  en  effet  dans  les  manuscrits  le  mode  de  la  transposé  en 
ré,  le  mode  de  r^' transposé  en  sol,  le  mode  de  mien  la,  le  mode 
de  si  en  mi  et  le  mode  de  do  en  fa. 

«  Au  point  de  vue  pratique,  continue  le  R.  P.,  toutes  les 
gammes  étaient  ramenées  à  peu  près  aux  cordes  moyennes,  ce 
qui  veut  dire  qu'en  réalité  on  ne  faisait  usage  que  d'un  très 
petit  nombre  de  tons,  les  plus  favorables  aux  voix,  et  qu'on 
transposait  tous  les  chants  trop  graves  ou  trop  aigus,  pour  être 
bien  exécutés  sur  leur  échelle  propre.  »  (p.  272). 

C'est  ce  qui  se  pratique  encore  aujourd'hui  en  adoptant  une 
dominante  uniforme  à  laquelle  viennent  s'adapter  les  échelles 
des  différents  modes.  Nous  convenons  avec  le  R.  P.  «  que  ce 
procédé  affaiblit  singulièrement  la  force  des  mélodies,  et  leur 
enlève  beaucoup  de  leur  caractère  propre.  »  Il  serait  préférable 
de  donner  à  chaque  chant  le  degré  d'élévation  qui  lui  convient, 
suivant  le  caractère  de  la  mélodie,  les  sentiments  qu  elle  cherche  à 
exprimer  et  les  circonstances  dans  lesquelles  elle  se  fait  entendre. 
C'est  ce  que  recommandait  Hucbald  :  «  Suivant  les  fêtes ,  le  temps 
et  le  nombre  des  chanteurs,  on  devra  chanter  les  psaumes  et 
toute  autre  mélodie  sur  un  ton  plus  ou  moins  élevé,  car  il  n'est 
pas  indifférent  de  varier  le  ton  suivant  les  circonstances.  Par 
exemple,  la  joie  matutinale  éclate  sur  un  ton  plus  élevé  qu'aux 
assemblées  nocturnes,  où  il  convient  déchanter  plus  doucement 
sans  somnolence.  C'est  à  la  raison  et  au  bon  goût  de  déterminer 
quand,  et  jusqu'à  quel  point  il  convient  de  hausser  le  ton  des 
mélodies,  comme  aussi  de  les  chanter  ou  plus  vite  ou  plus  lente- 
ment. »  Commemor.  brevis  de  tonis  et  psalmis  modulandis. 

Ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  modulation  était  connue 
par  les  Anciens,  sous  le  nom  de  mètabole  ou  mutation.  La  mo- 
dulation peut  consister  en  un  changement  de  genre ,  de  mode, 
ou  de  ton. 


HËVUË   DE   CttANT  GRËGORIKN  l->9 

On  change  de  genre,  quand  on  passe  de  la  gamme  diatonique 
à  la  gamme  anémitonique  ou  chromatique  Si  la  tonique  et  la 
dominante  ne  changent  pas,  la  modulation  est  simple,  mais  elle 
serait  complexe,  si  elles  étaient  transportées  sur  d'autres  degrés 
de  l'échelle. 

On  change  de  mode  ,  quand  la  mélodie  passe  d'une  échelle 
modale  à  une  autre  échelle  modale,  par  exemple,  quand  après 
avoir  parcouru  les  tétracordes  du  mode  de  re,  elle  se  meut  sur 
les  tétracordes  du  mode  de  fa.  Tant  que  l'on  ne  sort  pas  du  ton 
primitif,  la  modulation  reste  simple,  mais  elle  devient  complexe 
s'il  y  a  en  même  temps  changement  de  ton ,  par  exemple  :  si  l'on 
passe  de  la  gamme  avec  bécarre  à  la  gamme  avec  bémol. 

Il  y  a  enfin  mutation  de  ton,  quand,  la  mélodie  se  trans- 
porte d'une  échelle  à  i'aut'^e  et  fait  usage  de  sons  nouveaux  qui , 
n'existaient  pas  dans  l'échelle  précédente.  Cette  espèce  de 
modulation  peut  s'employer  seule  ou  se  combiner  avec  les 
précédentes.  Suivant  la  remarque  d'Euclide  :  «  Plus  il  y  a  de 
cordes  communes  entre  deux  tons  ,  plus  aussi  le  passage  de  l'un 
à  l'autre  est  facile  et  doux  ;  au  contraire,  il  devient  dur  et  difficile 
à  mesure  que  les  cordes  communes  disparaissent.  »(p.  283.)  Ainsi 
la  modulation  du  ton  de  do  au  ton  à.Q  fa  ou  de  sol  est  des  plus 
faciles,  puisque  la  gamme  de  do  ne  diffère  que  par  une  seule 
note  des  deux  tons  voisins. 

Le  R.  P.  donne  d'excellentes  règles  pour  l'emploi  des  modula- 
tions soit  simples,  soit  complexes.  Bien  que  toutes  ces  modula- 
tions ne  puissent  s'appliquer  au  chant  grégorien  et  que,  d'autre 
part,  le  R.  P.  ne  les  envisage  qu'au  point  de  vue  purement 
mélodique  ,  ces  règles  ne  laissent  pas  d'avoir  une  utilité  incon- 
testable pour  les  musiciens  et  les  organistes  ,  et  nous  allons  les 
résumer  brièvement: 

Modulations  simples.  1°  La  modulation  immédiate  et  sans 
intermédiaire  est  toujours  permise  entre  tous  les  modes,  faisant 
partie  de  la  même  famille  tonale.  Ainsi  de  même  qu'en  musique 
on  peut  toujours  passer  du  mode  de  la  mineur  à  celui  de  do 
majeur,  ainsi  dans  le  plain-chant  la  mélodie  passe  aisément  du 
premier  au  troisième  ou  au  sixième  mode  grégorien,  etc.  : 

2°  On  peut  toujours  moduler  directement  et  sans  intermédiaire 
entre  deux  gammes  semblables ,  parentes  au  premier  degré.  Par 
exemple  ,  entre y^a;  et  do ,  do  et  sol ,  sol  et  re. 

3"  Entre  deux  gammes  semblables,  qui  ne  sont  pas  parentes  au 
premier  degré,  il  faut,  en  règle  générale,  autant  d'intermédiaires 
qu'il  y  a  de  générations  entre  les  deux  gammes.  Ainsi  de  fa  à  sol 
il  faut  un  intermédiaire  qui  est  do.  De  do  à  mi,  trois  intermé- 
diaires sol ,  re  et  la. 

Modulations  complexes .  4'  La  modulation  peut  être  directe  et 
immédiate  entre  deux  tons,  parents  au  premier  degré,  dans  tous 
les  genres  et  tous  les  modes  de  ces  deux  tons  ;  par  exemple:  de 
fa  majeur  en  la  mineur,  de  do  majeur  en  re  ou  en  ;///  mineur. 

5"  On  peut  toujours  moduler  directement  et  sans  intermé- 
diaire d'un  mode  quelconque  dans  tous  les  autres  modes  qui  ont 
avec  lui  une  même  ossature  modale. 

L'ossature  modale  d'un  mode .  c'est  la  tonique,  la  quinte,  et  la 


130  REVUE  DE  CHANT  GRÉGOniËN 

quarte;  ce  sont  là  les  éléments  essentiels ,  qui  forment  comme  sa 
charpente.  Ainsi  en  musique  moderne  ,  on  peut  passer  de  do 
majeur  en  do  mineur,  parce  que  les  degrés  principaux  sont  les 
mêmes:  do  fa  sol  do.  De  même  dans  le  plain-chant,  passe-t-on 
du  protus  en  la  au  deuterus  en  la  :  la  si  do  re  mi  —  la  si-^  do  re 
mi ,  parce  que  les  notes  essentielles  la  re  mi  ne  varient  pas. 

6"  D'un  ton  quelconque  on  peut  moduler  directement  dans 
tous  les  tons,  qui  possèdent  en  commun  avec  lui  un  mode  à 
ossature  modale  semblable.  Cette  règle,  qui  n'a  pas  d'application 
dans  le  chant  grégorien  et  n'en  a  probablement  jamais  eu  dans 
la  musique  ancienne,  peut  trouver  son  emploi  dans  la  musique 
moderne,  où,  parle  moyen  des  altérations,  on  peut  arriver  à 
reproduire  toutes  les  échelles  diatoniques  et  chromatiques  des 
Anciens  et  des  Orientaux.  Ainsi  le  mode  de  do  a  une  ossature 
commune  avec  les  modes  de  re ,  de  m/',  de  50/,  et  de  la  trans- 
posés un,  deux,  quatre  ou  cinq  degrés  au-dessous  de  leur  échelle 
naturelle,  on  peut  donc  du  ton  de  do  passer  au  ton  de  sih y  la^, 
fa  et  îfiib. 

Le  mode  de  mi,  dans  le  ton  de  do ,  a  une  ossature  commune 
avec  les  modes  de  re  et  de  do  haussés  d'un  et  de  deux  degrés,  et 
les  modes  de  sol  et  de  la  abaissés  de  deux  et  de  trois  degrés.  On 
peut  par  conséquent  passer  de  la  gamme  de  do  à  celle  de  mi 
majeur,  re  majeur,  la  majeur  et  sol. 

7°  Tout  mode  en  relation  directe  avec  un  autre  mode  de  ton 
différent,  d'après  la  règle  précédente,  peut  lui  servir  d'intermé- 
diaire dans  les  tons  de  relation  trop  éloignée,  pourvu  que  cet 
i  ntermédiaire  soit  en  rapport  immédiat  avec  chacun  des  termes 
de  la  modulation. 

Ainsi  le  ton  de  do  n'est  point  en  relation  immédiate  avec  le 
ton  de  fat,  mais  il  peut  y  arriver  par  l'intermédiaire  des  tons  de 
re  de  la  ou  de  mi ,  qui  sont  en  rapport  immédiat  soit  avec  do 
soit  avec  fait-  «  D'où  il  suit  qu'il  n'y  a  guère  de  tonalités  si 
distantes  qu'entre  elles  la  modulation  ne  puisse  s'établir,  mélo- 
diquement  ou  harmoniqueraent  ,  au  moyen  d'un  ou  de  deux 
intermédiaires  bien  choisis  »  (p.  302.1 

La  musique  grégorienne  connaît  les  deux  espèces  de  modula- 
tions modales  et  tonales.  La  mélodie  y  charge  assez  souvent  de 
mode  dans  le  cours  du  même  morceau,  mais  par  suite  de  l'insuf- 
fisance de  sa  notation,  le  plain-chant  ne  possède  que  deux 
échelles  tonales,  l'échelle  avec  sit  ou  ton  de  do  et  l'échelle  avec 
siV  ou  ton  de  fa ,  et  ne  peut  par  conséquent  moduler  que  dans  les 
tons  les  plus  voisins  de  la  tonique  ,  celui  de  la  dominante  et 
celui  delà  sous-dominante.  Cependant  certains  morceaux  du  7*  et 
du  8'  mode,  qui  semblent  exiger  le  fajt  dans  quelques  passages, 
laissent  supposer  l'existence  d'une  troisième  échelle  tonale  qui 
serait  celle  de  sol. 

En  terminant  l'analyse  de  cette  deuxième  étude,  nous  nous 
permettons  de  recommander  au  lecteur  désireux  d'approfondir 
ces  questions  si  pleines  d'intérêt,  que  nous  n'avons  pu  qu'effleu- 
rer ici  ,  de  vouloir  bien  les  étudier  dans  l'ouvrage  même  du 
R.  P.  Dechevrens.  Les  développements  fournis  par  l'auteur  et 
les  nombreux  exemples  cités  à  l'appui,  éclairciront  ce  qui  aurait 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  131 

pu  paraître  obscur  dans  le  compte-rendu  fort  imparfait  que  nous 
en  avons  donné.  On  n'aura  pas  à  regretter  le  temps  consacré  à 
cette  lecture. 

(A  suivre).  J.  Dupoux. 

Nous  avons  reçu  ,  il  y  a  quelques  jours ,  l'Appendice  IV  à  la  11°  Etude , 
que  le  P .  P.  Dechevrens  vient  de  faire  paraître.  Il  contient  en  premier 
lieu  une  Etude  sur  la  musique  arabe ,  et  en  second  lieu  une  Réponse  aux 
difficultés  soulevées  par  un  article  de  la  Musica  sacra  de  Toulouse.  Cet 
Appendice  est  en  vente,  comme  le  reste  de  l'ouvrage .,  chez  l'Auteur, 
26 ,  rue  Lhomond,  à  Paris. 


LE   CHANT   DES    MANUSCRITS 

Il  ne  suffit  pas  d'avoir  le  texte  des  manuscrits,  il  faut  encore 
l'interpréter  ,  et  cette  lecture  des  neumes  constitue  le  grand 
problême  qui  s'impose  à  tous  ceux  qui  cherchent  à  reproduire 
les  chants  de  l'antiquité.  Sans  doute,  le  travail  est  délicat:  tous 
accordent  que  l'on  peut  rejeter  certains  accessoires,  difficiles  et 
surannés,  qui  reflètent  le  goût  du  moyen-âge,  bien  plus  que  les 
pensées  de  S.  Grégoire.  Mais  on  ne  s'entend  pas  toujours  pour 
déterminer  les  détails  mélodiques  qui  pourraient  être  éliminés  à 
ce  titre.  Bien  plus  ,  dans  le  reste  du  chant  ,  l'accord  sur  les 
principes  d'exécution  est  loin  d'être  unanime. 

Néanmoins  ,  les  études  poursuivies  depuis  nombre  d'années 
n'ont  pas  été  sans  apporter  quelque  lumière  :  personne  ne 
défendrait  plus  maintenant  les  théories  de  l'abbé  Raiilard  ,  si 
utiles  poutant,  lorsque  l'on  commençait  à  déchiffrer  les  neumes. 

Je  voudrait  dans  cet  article,  examiner  l'exécution  de  Dom 
Pothier.  Je  la  prendrai  dans  son  ouvrage  Les  Mélodies  grégo- 
riennes,  âgé  dJ-jà  de  plus  de  seize  ans.  Lui  aussi,  il  était  en 
avance  lorsqu'il  écrivait  son  livre.  Depuis  lors,  on  a  élucidé 
bien  des  points  encore  mal  définis  ;  mais  ses  partisans  se  sont  à 
peu  près  immobilisés  dans  son  système,  au  lieu  de  profiter  des 
études  subséquentes. 

Les  principales  modifications  à  apporter  à  sa  méthode  roule- 
raient sur  les  points  suivants  : 

1°  11  faudrait  mettre  plus  de  liaison  qu'il  ne  fait,  dans  le  chant. 
Dom  Pothier  estime  que  dans  un  groupe  de  cinq  notes  «  ce  ne 
sera  pas  interrompre  la  continuité  que  de  renouveler  légèrement, 
au  troisième  son,  par  exemple,  le  mouvement  d'impulsion 
donné  à  la  voix.  »  {Mélodies  grégoriennes,  p.  çç.J  Dans  la 
pratique  bénédictine  ,  on  exagère  encore  cette  impulsion  qui , 
pour  le  commencement  du  neume  ,  devrait  correspondre  seule- 
ment à  l'impulsion  de  notre  temps  fort.  De  ce  chef,  on  a  souvent 
reproché  au  chant  bénédictin  ,  d'être  saccadé. 

2"  Faire  des  longues  et  des  brèves.  Dom  Pothier  en  admet, 
sans  doute  :  il  y  est  bien  forcé  par  les  théoriciens  de  l'antiquité, 
mais  il  retire  en  détail  tout  ce  que  sa  règle  générale  paraît 
accorder.  Ses  longues  ne  sont  pas  des  longues,  au  vrai  sens  du 
mot.^  11  admet  d'abord  (p.  18$)  «  la  longue  d'accent,  qui  est 
plutôt  forte  que  longue.  »  Ce  n'est  donc  pas  de  la  vraie  longueur. 


13â  RKVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

Puis  il  a  la  longue  àe  pressus,  celle-là  à  un  caractère  également 
spécial.  Le  pressus  réunit  entre  elles  deux  notes  semblables 
qui  formeraient  une  espèce  de  syncope.  Dom  Pothier  a  -le  tort 
de  multiplier  outre  mesure  ce  pressus  ,  au  sujet  duquel  les 
manuscrits  sont  plus  sobres,  et  qu'ils  marquent  d'un  signe  parti- 
culier. Enfin,  dit-il,  «il  y  a  principalement  la  longue  de  pause 
qui,  évidemment,  ne  ressemble  point  aux  deux  autres.  »  En 
effet,  c'est  une  note  rallentie^  ce  qui,  au  point  de  vue  du  rythme, 
diffère  beaucoup  d'une  note  allongée.  Et  ce  serait  tout.  De  ces 
trois  sortes  de  notes,  aucune  n'est  franchement  longue,  comme 
les  théoriciens  le  voudraient,  et  comme  le  plain-chant  doit  en 
avoir. 

3°  Quand  les  notes  se  répètent  deux,  trois,  quatre  et  jusqu'à 
cinq  fois  de  suite  ,  Dom  Pothier  (page  loj)  pense  qu'il  suffit  «  de 
prolonger  le  son  ,  en  proportion  du  nombre  des  notes  qui  se 
rencontrent  unies  sur  le  même  degré.  »  Il  traite  ,  en  un  mot ,  les 
strophici  ,  d'ornement  que  l'on  peut  retrancher  sans  aucun 
inconvénient.  C'est  quelquefois  vrai  ;  mais  plus  souvent  ,  les 
différentes  notes  du  strophicus  répétées  comme  l'indique  le 
compositeur,  font  partie  intégrante  de  la  pensée  mélodique,  et 
leur  suppression  défigure  tout  le  passage  musical. 

Aussi,  nous  croyons  qu'il  faut  essayer  de  reproduire  ce  neume 
qui  ne  nous  surprend  que  parce  que,  depuis  une  centaine  d'années, 
son  exécution  est  réservée  aux  seuls  instruments  de  musique. 

4°  Il  y  a  dans  le  morceau  des  moments  où  il  faut  reprendre  la 
respiration  ,  ce  que  Dom  Pothier  semble  oublier  en  nous  parlant 
de  ce  qu'il  appelle  les  longues  de  pause.  Je  crois  qu'il  faut  diviser 
sa  longue  de  pause  en  deux  parties:  la  première,  occupée  par 
une  note  ordinaire  ;  la  seconde,  par  un  silence  qui  prolonge  en 
quelque  sorte  la  note  précédente. 

Dom  Pothier  semble  s'opposer  à  ce  silence  sans  lequel  notre 
haleine  ne  pourra  pas  suffire  à  chanter  tout  le  passage,  serions- 
nous  arrivés  à  l'avoir  «  aussi  longue  que  possible.  »  (page  i6b). 
Et  si  l'on  respire  en  cachette  «  sans  arrêter  le  mouvement  de 
récitation,  et  comme  à  la  dérobée  »  (page  16'))  le  chant  aurait 
encore  le  défaut  de  ne  pas  présenter  à  l'oreille  des  fragments 
faciles  à  saisir:  la  mesure  de  l'oreille  étant  réglée  sur  la  mesure 
de  notre  respiration. 

Ces  préliminaires  posés,  voici  ce  que  deviendrait  la  commu- 
nion ye/5/«5  Dominus  du  Mercredi  après  le  second  Dimanche  de 
Carême,  donnée  et  commentée  par  Dom  Pothier  à  la  page  185 
de  ses  Mélodies  grégoriennes.  Je  la  note  en  caractères  modernes, 
plus  aptes  à  rendre  complètement  l'interprétation  mélodique'. 

Je  surmonte  ma  traduction  des  mêmes  signes  et  chiffres  que 
celle  de  Dom  Pothier,  pour  pouvoir  ensuite  discuter  son  analyse. 

t 

I.  Je  mets  une  barie  de  mesure  avant  la  note  la  plus  accentuée  de  chaque  irai 
musical.  J'attirerai  l'attention  sur  cette  manière  d'écrire  ,  qui  permet  à  un  chef  de 
choeur  de  diriger  véritablement  une  exécution  de  plain-chant.  Il  peut  en  eflct  frapper 
cette  note  ,  ainsi  que  les  autres  fortes  qui  pourraient  se  trouver  avant  le  silence  , 
marqué  par  un  soupir  ou  demi-soupir.  La  reprise  mélodique,  jusqu'à  la  barre  suivante 
s'indiquerait  en  levant  la  main  de  bas  en  haut.  Le  silence  se  commanderait  par  un 
mouvement  horizontal. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEÎ^  133 

4^    ^        5  8        5  5      2  *   Z 5^_  _fi ^  t^_ 

Domi-  nus  et      justi  -     ti  -  am  dile  -    xit 

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-H— I — ; — 1-^-\ — r 


vul       -         -         tus  e      -         -       jus. 

*  Demi-pause  avec  ou  sans  respiration  ,  dit  Dom  Pothier , 
dont  nos  phrases  en  italiques  repioduiront  l'analyse,  je  dirais: 
toujours  avec  respiration;  et  je  mettrais  encore  au  défi  n'importe 
quel  chanteur  d'exécuter  ce  morceau  avec  les  cinq  respirations 
indiquées  par  l'astérisque. 

Un  manuscrit  de  la  chartreuse  de  Villeneuve,  du  XIIP  siècle 
(Bibliothèque  d'Avignon),  qui  marque  soigneusement  les  coupes, 
nous  donne  sept  repos  dans  ce  même  morceau.  Et  pourtant  ses 
membres  de  phrase  nous  paraissent  encore  bien  longs,  notam- 
ment celui  qui  ne  coupe  pas  le  mot  vuHiLs. 

J'ai  mis  onze  repos,  mais  je  conviens  que  ceux  qui  suivent 
immédiatement  les  mots /W5/W5,  et,  dilexit,  sont  moins  impor- 
tants et  qu'à  la  rigueur  on  pourrait  s'en  dispenser. 

**  Pause  complète,  avec  respiration.  C'est  le  repos  plus  grand, 
qui  distingue  les  deux  parties  de  ce  morceau.  Aussi  le  marquons- 
nous  par  un  soupir. 

***  Repos  final. 

1.  Syllabe  accentuée.  On  peut  la  prolonger,  et  c'est  mieux  de 
le  faire  toutes  les  fois  que  le  sens  musical  n'y  met  pas  opposi- 
tion. Autrement  elle  sera  brève  et  faible  ,  comme  dans  le  mot 
œquitatem. 

2.  Syllabe  faible  avec  temps  vide  ou  retard:  mora  ultimœ 
vucis.  Pourquoi  ne  pas  avouer  franchement  un  repos,  au  lieu 
d'indiquer  un  temps  vide ,  terme  dont  on  ne  donne  nulle  part  la 
vraie  signification  qui,  chez  les  grecs,  était  celle  d'un  silence. 

3.  Syllabe  commune ,  n'ayant  de  valeur  que  ce  qu'il  lui  en 
faut  pour  être  nettement  articulée.  J'accorderais  cette  observa- 
tion à  Dom  Pothier ,  mais  avec  réserve  :  tout  en  articulant 
nettement ,  on  peut  aller  plus  ou  moins  vite.  Il  faudrait,  je  crois, 
faire  entrer  en  ligne  de  compte  le  mouvement  du  morceau,  dont 
nous  avons  ici  la  note  ordinaire. 

4.  Groupe  proféré  d'une  seule  impulsion  de  voix,  avec  pause 
finale  en  manière  de  point  d'orgue\  Les  neumes  portent,  au 
sujet  de  ce  passage ,  un  petit  trait  qui  prolonge  ïut  du  torciilus. 
Le  manuscrit  d'Einsiedeln  a,  de  plus,  un  petit  trait  à  la  tête  de 
la  virga  qui  représente  le  second  ut  du  passage.  A  cause  du 
repos  nous  ne  mettons  qu'une  croche  pour  cette  dernière  note. 

5.  Groupe  de  sons  liés,  sans  arrêt ,  ni  au  milieu  ^  ni  à  la  fin 

I .  Dans  cette  analyse  ,  je  me  rapporte  aux  deux  manuscrits  neumatiques  publiés 
par  la  Paléographie:  le  codex  339  de  Saint-Gall,  et  le  manuscrit  121  de  la  bibliothèque 
d'Einsiedeln. 


1'^^  REVUE   DE  CHANT  GRÉGORIEN' 

du  groupe.  Je  fais  deux  exceptions  à  cette  direction.  La  première 
pour  mettre  un  court  repos  après  le  mot  et.  La  seconde  au  mot 
vidit  dans  lequel  je  prolonge  la  note  ///  comme  culminante  d'un 
climacus,  je  crois  que  cette  exécution  ne  serait  pas  contraire  à 
la  règle  donnée  par  Dom  Pothier  lui-même  aux  pages  182  et  183 
de  ses  Mélodies  grégoriennes. 

6.  Groupe  de  sons  liés  avec  temps  vide  ou  retard  de  la  voix 
sans  silence.  Le  temps  vide  n'aurait  donc  pas  la  signification  que 
lui  donnaient  les  anciens.  Et  pourtant  s'il  ne  devait  pas  y  avoir 
un  silence,  comme  je  le  marque  dans  ma  traduction,  je  ne  vois 
pas  pourquoi  dans  son  exemple  noté  (page  18^),  Dom  Pothier 
répéterait  l'i  de  dilexit ,  ou  bien  Vu  de  vultus ,  pour  marquer 
qu'il  y  a  «  reprise  du  mouvement  d'impulsion  sur  la  même 
voyelle.  » 

Vers  la  fin  des  vocalises  de  dilexit,  et  au  mot  œquitatem,  je 
ne  vois  pas  ,  au  contraire  ,  l'opportunité  d'un  retard  qui  n'est 
nullement  indiqué  dans  les  neumes. 

7.  Deux  groupes  de  sons  liés  avec  pressus  à  la  jonction  des 
groupes.  Il  n'y  a  aucun  signe  àe  pressus  dans  l'écriture  neuma- 
tique  ;  les  manuscrits  inscrivent  même  après  le  torculus,  le 
Pptit  trait,  signe  de  prolongation  ou  de  silence.  L'exemplaire 
d'Einsiedeln  ajoute  un  x  après  la  clivis;  ce  signe  qui  indique  un 
silence,  et  qui  ne  se  met  que  par  exception ,  me  paraît  marquer 
une  intention  spéciale  du  copiste,  qui  veut  phraser  autrement 
qu'à  Saint-Gall;  il  annulerait  par  \h,  le  petit  trait  du  groupe  qui 
précède  et  le  repos  qu'il  représente.  Dom  Pothier  a  suivi  la 
même  leçon  qu'Einsiedeln  et  je  l'accepte  d'autant  plus  volontiers 
qu'elle  me  paraît  plus  conforme  au  sentiment  de  l'oreille. 

8.  Groupe  commençant  par  deux  sons  unis  a  la  manière  des 
syncopes  et  finissant  par  un  retard  de  la  voix  très  peu  sensible. 
Les  neumes  font  si  peu  de  syncope  entre  les  deux  ut,  qu'ils 
rattachent  le  premier  au  torculus  qui  précède.  Par  contre,  ils  les 
prolongent  tous  les  deux  par  un  petit  trait,  et  accentuent  le 
second  comme  note  culminante  d'un  climacus. 

9.  Groupe  s  unissant  au  précédent  et  se  proférant  pour  cela 
en  manière  de  torculus,  c  est-à-dire  légèrement.  Ce  groupe, 
dans  les  manuscrits,  est  une  clivis  barrée ,  marquant  le  prolon- 
gement et  l'appui  sur  la  première  note,  ce  qui  est  bien  le  rythme 
d'une  finale.  L'exécution  doit  donc  être  opposée  à  la  légèreté 
du  torculus. 

10.  Groupe  de  sons  liés  et  prolongés  à  cciuse  du  repos.  Le 
repos  sera  pris  sur  la  dernière  note  qui  ne  sera  pas  prolongée  à 
cause  de  cela. 

11.  Groupe  de  sons  liés  avec  un  léger  accent  sur  la  note 
culminante,  le  suis  d'accord,  pourvu  que  l'accent  amène  aussi 
un  léger  prolongement. 

12.  Son  appuyé  pour  préparer  le  quilisma.  Le  premier  son 
d'un  neume  est  analogue  à  notre  temps  fort  ;  en  ce  sens  , 
j'accepte  bien  l'appui. 

Je  serais  porté  à  croire  que  dans  le  principe,  on  faisait  un  repos 
immédiatement  avant  cette  syllabe  tus.  Cela  met  plus  d'équihbrc 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  135 

entre  les  deux  membres  de  phrases  ,  et  le  second  membre  se 
trouve,  je  crois,  isolé  dans  d'autres  morceaux.  Mais  la  règle  d'or, 
à  laquelle  on  a  bientôt  sacrifié  ,  est  venue  mettre  obstacle.  De  là, 
une  diversité  d'interprétation:  les  uns  suppriment  le  repos,  au 
risque  de  s'essouffler;  d'autres  le  transportent  un  neume  plus  tôt, 
c'est  ce  que  fait  le  manuscrit  de  Saint-Gall,  dont  nous  suivons  la 
transcription. 

13.  Groupe  de  trois  sons  (il  faudrait  dire  quatre)  dont  le 
premier  est  un  trille,  et  si  on  le  simplifie,  il  faut  qiiil  soit 
coulé  très  légèrement  sans  secousse  ;  le  dernier  reçoit  du 
mordant  pour  préparer  le  second  quilisma.  Je  ne  vois  pas  pour- 
quoi Dom  Pothier  détache  ce  groupe  de  la  note  qui  précède.  Les 
deux  manuscrits  neumatiques  omettent  la  note  du  quilisma,  et 
dans  celui  d'Einsiedeln  ,  le  la  qui  commence  forme  un  podatus 
avec  \ut  qui  suit.  Cette  variante  nous  laissera  peut-être  quelque 
indication  pour  exécuter  ce  quilisma  ajouté  au  manuscrit  :  le 
si  devra  presque  disparaître  ,  il  sera  coulé  «  légèrement  et  sans 
secousse  »,  comme  le  dit  Dom  Pothier. 

14.  Groupe  commençant  par  un  trille  et  finissant  par  un 
léger  retard  de  la  voix.  Je  supprimerais  le  trille  et  j'exécuterais 
le  quilisma,  comme  précédemment.  Quand  au  léger  retard,  je 
le  remplacerai  par  un  léger  repos  ,  ce  qui  me  permettra  de 
prendre  haleine  pour  élargir  un  peu  le  mouvement  des  notes  qui 
terminent  le  morceau. 

On  voit  quelle  différence  sépare  notre  exécution  musicale  de 
celle  de  Dom  Pothier.  La  cause  en  est  dans  le  principe  même 
qui  préside  à  notre  chant.  Dom  Pothier  veut  trouver  dans  les 
paroles ,  dans  leur  sens  et  leur  prononciation ,  la  clef  de  la 
musique.  «  Ces  manières  différentes,  dit-il,  d'exécuter  soit  la 
note  simple,  soit  les  formules  elles-mêmes,  sont  presque  tou- 
jours, on  le  voit,  motivées  par  le  texte.  C'est  le  texte  en  effet 
qu'il  s'agit  d'exprimer  et  de  faire  valoir.  » 

Nous  pensons  qu'il  vaut  mieux  suivre  une  marche  opposée:  de 
même  qu'on  peut  appliquer  des  mélodies  bien  diverses  à  un 
même  texte,  de  même,  sans  faire  tort  au  texte  ,  on  peut  chanter 
de  bien  des  manières  un  morceau.  Aussi  nous  dirons  au  chan- 
teur :  pour  bien  exécuter  une  pièce  de  plain-chant  ,  cherchez 
d'abord  à  comprendre  la  musiqvjie,  abstraction  faite  des  paroles. 
Comme  elle  a  été  ordonnée  par  le  compositeur  pour  s'appliquer 
au  texte  latin  ,  vous  verrez  que  tout  s'accordera  facilement. 

Si  parfois,  après  s'y  être  pris  de  la  sorte,  on  rencontrait  une 
difficulté,  c'est  alors  qu'il  faudrait  examiner  si  l'on  ne  se  serait 
pas  embarqué  dans  une  exécution  défectueuse  ,  ou  bien  au 
contraire  ,  si  l'on  se  trouverait  en  face  de  quelqu'un  de  ces 
passages,  signalés  déjà  par  les  anciens  maîtres,  où  les  paroles 
doivent  être  sacrifiées  à  la  musique.  E.  Soullier,  S.  J. 


BOÈCE   ET  LES  MODES   ECCLÉSIASTIQUES 

M.  Gevaert,  dans  son  ouvrage  de  La  Mélopée  antique ,  prend 
vivement  à  partie  Boèce  et  ses  théories  musicales.  A  sa  suite, 


136  ftËVUË  13E  CHANT  GRÉGORIEN 

nombre  d'écrivains  se  sont  mis  à  décrier  le  grand  musicibte  du 
sixième  siècle  , 

Ce  pelé,  ce  gtileux  ,  d'où  venait  tout  le  mal. 

Quel  était  don-:  son  crime  ?  Boèce,  dit  M.  Gevaert,  <^  mathé- 
maticien savant,  mais  assez  médiocre  musicien,  ayant  trouvé 
dans  quelque  manuel  harmonique  mis  sous  le  nom  de  Ptolémée, 
les  huit  échelles  tonales  en  notes  grecques,  les  transcrivit,  sans 
y  comprendre  grand  chose,  dans  son  trop  célèbre  ouvrage  De 
Mitsica.  » 

Vovez-vous  ce  médiocre  musicien,  qui  a  le  tort  d'être  trop 
célèbre,  et  d'imposer  pendant  plus  de  cinq  cents  ans,  une  doc- 
trine musicale  contraire  à  celle  de  M.  Gevaert. 

Le  cas  est  grave.  Mais  avant  de  l'examiner,  il  convient  de  dire 
un  mot  sur  le  fond  de  la  question,  et  d'exposer  la  doctrine  des 
gammes  et  des  échelles,  telle  que  l'antiquité  nous  l'a  transmise. 

Quand  nous  disons  Vantiquité,  il  ne  faudrait  pas  remonter 
trop  haut  avant  notre  ère,  car  le  système  musical,  remanié  de 
fond  en  comble  vers  l'époque  de  Périclès,  a  mis  quelque  temps 
encore  pour  atteindre  son  plein  développement. 

On  eut  alors  la  grande  échelle  musicale  (ou  grand  système), 
composé  de  deux  octaves  que  nous  transcrivons  avec  les  lettres 
du  moyen-âge,  assez  connues  de  nos  lecteurs  : 
ABCDEFGabcdefgâ:^. 

Dans  cette  échelle,  nous  pouvons  découper  huit  gammes  (ou 
octaves)  différentes,  entre  les  notes  Aa,  Bb,  Ce,  etc  ;  chaque 
octave  s'élevant  d'un  degré  au-dessus  de  celle  qui  la  précède. 

Si,  pour  ramener  ces  différentes  octaves  à  la  portée  ordinaire 
de  la  voix  humaine,  nous  leur  faisons  subir  une  transposition 
telle  que  leur  note  inférieure  se  trouve  toujours  au  même  dia- 
pason ,  nous  serons  obligés,  avec  chaque  octave,  de  baisser 
l'échelle  tout  entière. 

En  supposant  donc  que  la  note  inférieure  de  l'échelle  soit  un  la  , 
l'intonation  de  cette  note  que  l'on  appelait  \2. proslambanomène 
baissera  d'après  le  tableau  suivant  : 

ÉCHELLES  GAMMES  MODES 

la  ABCDEFGa  Hypennixolydien. 

sol  B  C  D  E   F  G  a    b  Mixolydien. 

fa  CDEFGabc  Lydien. 

mi  DEFGabcd  Phrygien, 

ré  EFGabcde  Do  rien. 

ut  FGabndef  Hypolydien. 

si  G  a   b   c   d   e    f  g  Hypophrygien. 

la  a   b   c   d   e    f   g  «a  Hypodorien. 

Ainsi  donc,  à  mesure  que  là  gamme  paraît  monter,  Yéchelle 
descend.  Mais  les  anciens  donnaient  le  même  nom  cà  la  gamme  et 
à  l'échelle  qui  la  portait;  si  bien  que  la  gamme  hypodorienne,  la 
plus  haute,  correspondait  k  l'échelle  hypodorienne,  la  plus  basse 
de  toutes.  La  gamme  de  sol  qui  vient  après,  est  appelée  hypo- 
phrygienne,  comme  l'échelle  construite  sur  le  5/;  et  ainsi  de  suite  , 
jusqu'à  la  gamme  et  l'échelle  hypermixolydiennes  qui  commen- 
cent sur  la  même  note. 

Nous  parlons  de  gammes  et  d'échelles,  on  pourrait  parler  de 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  137 

modes  et  de  tons  :  le  mode  coïnciderait  avec  la  gamme  et  réchelle 
avec  la  tonalité.  Du  moins  les  modernes  n'ont  pas  manqué  de  faire 
ce  rapprochement,  et  voilà  pourquoi,  donnant  plus  d'importance 
à  la  tonalité,  ils  s'emportent  contre  les  anciens  qui  ont  confondu 
les  deux  choses  et  fini  par  attribuer  à  la  tonalité  ce  que  nous 
voudrions  réserver  pour  les  seuls  modes. 

Quelle  a  été  la  doctrine  de  Boece  dans  cette  question  ?  Absolu- 
ment la  même  que  celle  des  autres  auteurs  :  nous  voyons  dans 
son  ouvrage  les  huit  échelles  qui  vont  en  descendant  suivant 
l'ordre  que  nous  venons  d'expliquer  (livre  III,  ch.  14,  15,  16).  Et 
les  octaves  ?  Nous  les  avons  aussi,  succinctement  indiquées,  il 
est  vrai ,  dans  le  chapitre  17;  mais  pourtant ,  Boèce  ne  leur  donne 
pas  leurs  dénominations  modales  :  Primam  igitiir  dicimus  esse 
speciem  diapason  ea  qiiœ  est  A  H^ .  Pourquoi  donc  ne  fait-il  pas 
usage,  en  cet  endroit,  des  dénominations  de  Ptolémée,  auquel, 
entre  parenthèses,  il  n'attribue,  en  fait  d'espèces  d'octaves,  que 
la  huitième,  ajoutée  aux  sept  autres  déjà  connues  avant  lui  ? 
Serait-ce  bien  parce  qu'il  était  «  assez  médiocre  musicien  »  ? 
L'accusation  est  au  moins  singulière,  s'adressant  à  un  ouvrage 
qui  discute  justement  les  points  controversés  entre  les  grands 
musiciens  de  l'antiquité:  Pythagore,  Ptolémée,  Architas ,  Aris- 
toxène.  Ne  serait-ce  pas  plutôt  parce  que  la  théorie  qui  eut  son 
complet  épanouissement  au  moyen-âge,  commençant  déjà  à  se 
faire  jour,  Boèce  aurait  jugé  à  propos  de  ne  pas  répéter,  au  sujet 
des  octaves ,  les  dénominations  qui ,  en  fait,  ne  leur  appartenaient 
déjà  plus. 

11  serait  bon,  pensons-nous,  d'y  regarder  de  plus  près,  avant 
de  condamner  Boèce.  Et  que  dire  alors  du  jugement  porté  par 
M.  Gevaert  sur  le  moyen-âge  ?  «  Les  moines  érudits  du  neuvième 
et  dixième  siècles,  dit-il,  s'en  fiant  à  leur  oracle  musical ,  eurent  la 
malencontreuse  idée  d'appliquer  les  huit  dénominations  tonales 
aux  quatre  octaves  authentes  et  aux  quatre  octaves  plagales  de  la 
théorie  ecclésiastique.  Or,  comme  la  série  des  tons  (échelles)  et 
celle  des  modes  (gammes),  suivent  chez  les  grecs  une  marche 
inverse ,  le  système  modal  se  trouva  entièrement  pris  à  rebrousse- 
poil.  » 

M.  Gevaert  est  bien  sévère  pour  ces  pauvres  moines ,  qui 
pourtant  étaient  des  «  érudits  »  comme  lui.  Avant  de  déclarer 
malencontreuse  leur  idée ,  ne  serait-il  pas  convenable  de  chercher 
s'ils  n'auraient  pas  eu  de  sérieux  motifs  d'agir  ainsi  ?  Hélas  ! 
M.  Gevaert  n'est  pas  libre  de  le  faire,  car  s'il  donnait  raison  aux 
moines  du  moyen-âge,  il  lui  faudrait  abandonner  la  plupart  des 
thèses  proposées  dans  cet  ouvrage  de  La  mélopée  antique. 

Pour  nous,  qui  n'avons  pas  les  mêmes  scrupules,  qui,  même, 
avons  déjà  combattu  les  principales  thèses  de  M.  Gevaert,  nous 
voudrions  essayer  de  justifier  les  dénominations  des  modes 
ecclésiastiques.  Selon  nous,    du  reste,  ce  n'est  pas  le  système 

I.  H  veut  dire  le  \a  d'en  haut,  l'a  de  l'échelle  que  nous  avons  donnée  ci -dessus.  Boèce, 
ï  cet  endroit,  emploie  la  notation  dont  fit  usage  le  manuscrit  de  Montpellier.  C'est  en 
somme  une  simplification  de  la  notation  grecque.  II  a  l'air  de  l'inventer  pour  la  circons- 
tance :  SU  bis  diapason  coronantia  hœc  :  ABCDEFGHIJKLMNOP. 
ancien  qu'on  aurait  «  pris  à  rebrousse-poil,  »  mais  un  système 
nouveau,  auquel  on  aurait  appliqué  des  noms  anciens. 


138  REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN 

Les  espèces  d'octaves  pouvaient  avoir  leur  importance  à  une 
époque  où  la  facture  des  instruments,  confinait  la  mélodie  dans 
des  limites  assez  restreintes.  Mais  lors  de  la  composition  des 
chants  d'église,  il  n'en  était  plus  de  même.  Au  quatrième  siècle, 
époque  où,  quoi  qu'en  dise  M.  Gevaert,  apparurent  les  Graduels, 
on  dépassait  assez  les  limites  de  l'octave  pour  avoir  ces  morceaux 
mixtes  qui  vont  du  plagal  à  l'authentique,  et  vice-versa.  Cette 
extension  de  l'échelle  s'appliquera  de  même  à  tous  les  morceaux 
de  quelque  ampleur  :  offertoires ,  répons ,  etc.  Etait-il  donc 
possible  de  s'occuper,  au  moins  pour  ces  morceaux,  des  espèces 
d'octaves  ? 

M.  Gevaert  n'a  étudié  que  les  antiennes.  Quand  bien  même 
elles  seraient  plus  anciennes  que  les  graduels,  ce  dont  nous 
doutons,  leur  peu  de  développement  suffirait  à  lui  seul  pour  les 
empêcher  de  prendre  une  échelle  trop  étendue  :  mais  justement 
à  cause  de  cela,  que  prouvent  les  antiennes  ? 

Au  contraire,  prenons  un  morceau  mixte  des  cinquième  et 
sixième  modes  :  si  l'on  mélange  les  deux  octaves  anciennes  dans 
un  même  morceau,  elles  resteront  chacune  à  leur  diapason  et 
nous  aurons  la  plus  haute  Ff  (de  fa)  qui  serait  l'hypolydienne  et  la 
plus  basse  Ce  d'ut)  qui  serait  la  lydienne.  Ainsi,  leur  dénomination 
serait  absolument  contraire  à  la  réalité.  Dans  l'ordre  des  échelles , 
au  contraire,  c'est-à-dire,  en  renversant  l'ordre  des  gammes,  les 
dénominations  deviennent  rationnelles.  Quoi  d'étonnant,  dès 
lors,  à  ce  que  l'on  ait  suivi  cet  ordre. 

En  outre,  un  nouvel  élément  s'introduisait  qui ,  même  dans  les 
morceaux  de  peu  d'étendue,  causait  une  divergence  avec  les 
modes  anciens;  je  veux  parler  de  \a finale.  A  quel  moment  eut- 
elle  toute  son  importance  ?  Il  serait  difficile  de  le  dire,  mais  il 
faudrait,  en  tout  cas,  la  faire  dater  d'avant  S.  Grégoire.  Si  l'on 
trouve  des  morceaux  de  plain-chant  qui  ne  paraissent  pas  appeler 
une  finale  déterminée,  on  trouve  à  tous  les  morceaux  de  même 
finale  un  air  de  parenté  qui  permet  de  les  classer  d'après  cette 
particularité. 

Or  il  y  avait  sept  finales  possibles  :  les  quatre  terminaisons 
mentionnées  dans  nos  traités  de  plain-chant;  celle  de  /a,  qui 
subsiste  encore  pour  bon  nombre  de  morceaux  ;  et,  plus  rarement 
celles  de  si  et  d'ttt.  De  plus,  une  même  finale  correspondait  à 
deux  classes  de  morceaux  qui  différaient  entre  eux  comme  les 
variétés  d'un  même  genre.  Aussi  a-t-on  créé  deux  modes  par 
finale,  ce  qui  en  porterait  le  nombre  à  dix  et  même  à  quatorze. 
On  a  réduit  ce  nombre  à  huit,  ou  plutôt,  on  a  réussi  à  déguiser 
les  six  derniers,  mais  si  le  nombre  ancien  subsiste,  les  modes  du 
plain-chant  n'ont  rien  de  commun  avec  ceux  que  définit  la 
doctrine  des  temps  antérieurs. 

Pour  le  prouver,  il  nous  suffirait  de  remarquer  deux  modes 
bien  différents,  le  i""  et  le  8%  qui  emploient  la  gamme  de  ré. 
M.  Gevaert  ,  pour  éviter  cette  objection  ,  donne  au  huitième 
mode  la  gamme  de  la  avec  un  fa  dièse  qui,  d'après  lui,  serait 
venu  postérieurement  s'intercaler  dans  ce  mode  qu'il  appelle 
éolien  ;  et  cela,  dit-il,  selon  toute  apparence.  Comme  si  une 
apparence  suffisait  pour  étayer  une  hypothèse  !  Et  ce  n'est  même 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  139 

pas  une  apparence,  car  la  gamme  de  la,  Q.vecfa  dièse  et  fa 
naturel  n'est  qu'une  transposition  arbitraire  et  inutile  de  la 
gamme  de  ré  avec  si  bémol  et  si  naturel ,  absolument  régulière 
en  plain-chant. 

On  trouve  de  même  deux  modes  sur  la  gamme  de  mi ,  pour  ne 
pas  parler  de  celles  de  fa  et  de  sol.  Rien  que  cela  nous  forcerait 
à  dn-e  que  la  gamme  n'était  pas  le  seul  élément  qui  distinguait  les 
modes;  elle  n'eut  même  bientôt  qu'une  importance  secondaire, 
tandis  que  la  finale  alla  toujours  en  accentuant  ses  exigences. 

Cette  question  des  finales  a  embarrassé  M.  Gevaert  :  il 
voudrait  les  faire  remonter  aux  temps  antiques  ,  et  ,  s'il  leur 
donnait  seulement  un  sens  de  repos  ,  il  est  clair  que  jamais  il  n'y 
a  eu  un  morceau  sans  finale.  Mais  s'il  s'agit  d'un  repos  pressenti 
et  désiré,  sur  une  note  fixée  d'avance  comme  terme  à  la  mélodie, 
nous  ne  croyons  pas  que  les  anciens  aient  eu,  à  vraiment  parler, 
des  finales.  Notre  grande  preuve,  c'est  qu'aucun  de  leurs  théori- 
ciens n'en  parle.  L'échelle  musicale  avait  ,  dans  les  temps 
anciens,  assez  d'importance  et  de  variété  pour  constituer  à  elle 
seule  la  grande  différence  entre  les  morceaux.  La  finale,  qui 
parait  être  une  note  quelconque  de  cette  échelle,  aurait  peut- 
être  pu  créer  des  sous-divisions  dans  le  mode,  mais  on  ne  les 
avait  pas  classifiées  ;  nous  concluons  de  là  à  leur  peu  d'impor- 
tance dans  les  temps  anciens. 

On  demandera  maintenant  comment  il  se  fait  que  le  plain- 
chant,  si  ses  modes  diffèrent  des  modes  anciens  ,  en  a  gardé  les 
dénominations.  Quand  même  nous  ne  pourrions  pas  répondre  à 
cette  question  ,  qu'importe  ?  Les  règles  du  langage  sont  assez 
capricieuses  pour  défier  une  explication  a  priori.  Pourtant  nous 
croyons  pouvoir  donner  une  raison  de  cette  anomalie  dans  les 
termes.  Quand  on  invente  une  doctrine,  on  ne  manque  pas  de 
trouver  des  mots  nouveaux,  ils  évitent  de  la  confusion  et  en 
même  temps,  ils  flattent  l'amour  propre  du  savant.  Mais  quand 
une  théorie  s'établit  petit  à  petit,  par  des  accessions  insensibles  ; 
quand,  parti  d'un  faible  écart  initial,  on  arrive,  après  une  longue 
période  ,  à  une  forme  nouvelle  pour  l'art,  il  est  presque  impos- 
sible d'avoir  des  dénominations  en  rapport  avec  le  changement 
accompli.  Au  commencement  ,  elles  paraîtraient  sans  objet  ; 
personne  ne  pensant  que  la  petite  dérogation  faite  aux  règles 
anciennes  finira  par  aboutir  à  un  art  nouveau.  A  la  fin ,  on  n'ose 
plus  changer  les  mots  anciens,  car  on  s'est  habitué  au  boulever- 
sement apporté  dans  leur  sens.  C'est  ainsi  que  l'on  trouve  dans 
chaque  langue  des  termes  qui  n'ont  plus  leur  signification  primi- 
tive. Ce  qui  est  arrivé  à  tant  de  vocables  est  arrivé  de  même  pour 
les  anciens  noms  grecs  des  différents  modes.  Au  lieu  de  chercher 
des  détours  sans  fin  pour  expliquer  comment  ils  signifieraient 
toujours  la  même  chose,  étudions  séparément,  et  les  modes 
grecs,  et  les  modes  ecclésiastiques,  et  osons  proclamer  la  diffé- 
rence bien  réelle  qui ,  tout  en  séparant  les  deux  arts  ,  ne  fait 
injure  à  aucun. 

E.  SOULUER.  S.  J. 


^^^  REVUE  DE  CHAXT  GRÉGORIEN 

LE  PLAIN-CHANT  DE  LA  SYNAGOGUE 

Par  le  Rev.  Francis  L,   COHEN 

Il  existe  en  Angleterre  ,  depuis  une  dizaine  d'années  ,  une 
société  qui,  sous  le  titre  de  The plainsong  and  mediœval  music 
Society  ,  s' occw^Q  de  propager'  la  connaissance  et  l'étude  du 
chant  grégorien  parmi  les  membres  de  l'église  anglicane.  Cette 
société  ,  qui  a  à  sa  tête  des  prélats  anglicans  et  des  musiciens  de 
haute  valeur,  a  déjà  publié  plusieurs  ouvrages  remarquables, 
entre  autres,  le  Gradiiale  Salisbiiriense ,  fac-similé  d'un  graduel 
manuscrit  du  XIIP"  siècle.  Elle  organise  des  lectures,  où  des 
conférenciers  de  mérite  traitent  les  questions  relatives  à  l'art 
grégorien  et  à  la  musique  du  moyen-âge.  Dans  une  de  ces 
conférences  ,  le  Rev.  Francis  L.  Cohen ,  de  la  Synagogue  de 
Walv/orth,  a  lu  un  rapport  très  apprécié  sur  le  Plain-chant  de  la 
Synagogue ,  qui  a  été  ensuite  reproduit,  avec  des  spécimens  de 
musique  Israélite,  dans  les  colonnes  de  VOrganist  and  Choir- 
master ,  (Juin  1897  à  Janvier  1898). 

Nous  avons  pensé  qu'une  traduction  de  ce  travail  serait  lue 
avec  intérêt  par  tous  ceux  qui  s'occupent  d'études  grégoriennes. 
En  faisant  ressortir  les  nombreuses  analogies  qui  existent  entre 
le  chant  de  l'Eglise  et  celui  de  la  Synagogue,  il  semble  donner 
raison  aux  savants  qui  leur  attribuent  une  commune  origine. 

J.  D. 

«  La  race  Juive  paraît  s'être  distinguée  de  tout  temps  par  une 
facilité  singulière  dans  l'art  de  la  vocalisation,  même  depuis  ces 
jours  bibliques  où  son  Temple  se  faisait  remarquer  par  l'organi- 
sation savante  de  sa  musique,  quand  les  chants  de  Sion  étaient 
renommés  jusque  sur  la  terre  étrangère.  Il  serait  facile  de 
montrer  qu'à  toutes  les  époques  ,  le  Juif  s'est  plu  à  associer  à  son 
culte  journalier,  et  même  à  l'étude  de  la  Loi,  certaines  formes 
d'intonation  mélodieuse.  La  littérature  hébraïque  nous  fournit  la 
preuve  que,  depuis  les  temps  les  plus  anciens,  l'officiant  devait 
réciter  en  chantant  toutes  les  paroles  du  texte  qu'il  prononçait  à 
haute  voix.  Ce  dut  être  même  à  une  époque  très  reculée,  que  la 
récitation  syllabique  sur  une  seule  note  commença  à  se  dévelop- 
per en  cantillation  et  devenir  une  espèce  de  plain-chant.  Non 
pas  cependant  que  cette  saveur  antique  se  révèle  invariablement 
à  celui  qui  visite  par  hasard  une  synagogue;  car  les  intonations 
Juives,  de  même  que  la  Liturgie  Juive,  sont  «  le  résultat  d'un 
travail  de  milliers  d'années.  »  11  est  donc  nécessaire  de  se 
rappeler  l'histoire  de  la  Liturgie,  quand  on  examine  l'origine  de 
telle  ou  telle  tradition  musicale  de  la  Synagogue.  Ces  considéra- 
tions littéraires  sont  du  plus  haut  intérêt  en  èlle-mêmes,  mais  il 
suffira  de  les  résumer  ici  brièvement. 

«  Celui  qui  étudie  la  littérature  Hébraïque  ,  en  comparant 
les  témoignages  contemporains  de  l'antiquité  avec  la  pratique 
moderne,  apprend  que  la  tradition  a  été,  et  est  encore ,  une  force 
de  vitalité  intense  dans  la  vie  et  dans  les  coutumes  Juives.  11  y 
trouve  la  preuve  incontestable  que  la  musique  de  la  Synagogue, 


ÎIEVUË   DK   CHANT  GRÉGOtllEN  l4i 

en  prenant  ce  mot  dans  le  sens  le  plus  large ,  embrasse  depuis 
les  trompettes  qui  donnaient  le  signal  dans  le  désert  après 
l'Exode,  ou  même  du  chant  de  Miriam  après  le  passage  de  la  mer 
Rouge,  jusqu'aux  compositions  de  notre  époque.  Il  est  clair  que 
dès  le  temps  d'Esdras,  sinon  dès  celui  de  David,  le  Juif,  dans 
chaque  génération  successive,  a  été  exhorté  à  élever  sa  voix 
dans  le  Sanctuaire,  et  que,  depuis  une  date  très  reculée,  on  a  jugé 
plus  convenable  de  déléguer  à  un  Préchantre  professionnel  , 
appelé  Magré  (Lecteur) ,  dans  le  Temple ,  Cheliah  Sibbour  , 
(Messager  de  la  Congrégation; ,  ou  Hawan  (Surveillant),  dans  la 
Synagogue ,  ce  qui  à  l'origine  avait  été  le  devoir  et  le  privilège 
des  personnes  privées.  Ainsi  il  y  a  eu ,  et  il  y  a  encore,  une  suite 
non  interrompue  d'hommes  qui  font  leur  spécialité  du  plain - 
chant  de  la  Synagogue,  par  le  moyen  desquels  la  tradition  s'est 
perpétuée  jusqu'à  nous.  Ces  spécialistes  ont  aussi  dans  chaque 
génération  succesive  augmenté  leur  répertoire  ,  suivant  le  goût 
spécial  de  leur  époque. 

«  Bien  qu'une  portion  considérable  de  la  musique  qu'on  entend 
dans  une  synagogue  doive  être  éliminée  comme  moderne,  il  en 
reste  cependant  une  quantité  qui  a  bien  son  importance  ;  entre 
autre,  la  plupart  des  intonations  de  l'officiant,  connues  sous  le 
nom  technique  de  Hawamouth  (chant  du  préchantre),  qui  sont 
essentiellement  du  plain-chant. 

«  Les  plus  anciennes  traditions  vocales  des  Juifs  sont  fixées 
dans  les  Neginoth  (cordes,  notes  musicales),  ou  dans  les  Taamin 
(ornements ,  tropes).  Ce  sont  les  accents  qui  marquent  la  cantil- 
lation  du  texte  de  la  Sainte  Ecriture.  La  rapidité  modérée  avec 
laquelle  on  les  chante,  rendent  ces  récitatifs  juifs  plus  brillants 
et  plus  expressifs  que  ne  le  feraient  soupçonner  tout  d'abord  le 
terme  de  «  cantillation.  »  La  lecture  du  texte  sacré  n'est  pas  du 
tout  abandonnée  à  l'initiative  arbitraire  du  lecteur.  Il  est  vrai 
que  dans  les  rouleaux  de  parchemin  dont  on  s'est  toujours  servi, 
et  dont  on  se  sert  encore,  le  texte  est  écrit  avec  les  seules 
consonnes,  sans  aucun  autre  signe.  Mais,  dans  les  Bibles  hébraï- 
ques imprimées,  de  même  que  l'on  trouve  les  points-voyelles 
ajoutés  au  texte  pour  en  marquer  la  prononciation,  ainsi  trouve- 
t-on  les  accents  toniques  ajoutés  pour  indiquer  la  cantillation. 
«  Prenant  ces  accents  comme  signes  de  notation,  l'officiant  doit 
consacrer  un  temps  considérable  à  apprendre  par  cœur  le  chant 
mélodique  de  la  leçon,  qui  compte  en  moyenne  une  centaine  de 
versets  pour  le  service  du  Sabbat.  On  distinguait  anciennement 
dans  les  accents  eux-mêmes,  (points,  traits  ou  crochets,)  deux 
formes,  la  forme  Palestinienne  et  la  forme  Babylonienne;  mais 
celle  dont  se  servent  aujourd'hui  tous  les  Juifs ,  a  été  fixée  par  l'E- 
cole des  Massorètes  de  Tibériade  ,  antérieurement  au  VIL"  siècle. 
Ils  eurent  pour  origine  les  signes  que  les  lecteurs  avaient  coutume 
de  marquer  sur  leurs  rouleaux  privés.  La  table  entière  de  ces 
signes,  —  on  en  compte  une  trentaine,  —  se  trouve  dans  toutes 
les  grammaires  Hébraïques  et  spécialement  dans  les  admirables 
volumes  du  D'  Wickes  ,  sur  les  Accents.  Vous  remarquerez  qu'ils 
ont  quelque  ressemblance  avec  les  neumes  du  chant  grégorien. 
CQKime  eux,  ils  répondent  à  tous  les  besoins  du  lecteur  qui  ^ 


142  REVUE   DE  CHANT   GRÉGORIEN* 

appris  tout  d'abord,  par  la  tradition  orale,  la  cantillation  elle- 
même.  Mais,  si  ce  n'est  dans  leur  origine,  au  moms  dans  leur 
fonction  ,  ils  sont  tout  à  fait  différents  des  neumes  Chrétiens  : 
Grégoriens,  Bysantins  ou  Arméniens.  Car  leur  fonction  princi- 
pale est  de  marquer  avec  la  plus  scrupuleuse  fidélité  ,  la  relation 
et  la  dépendance  mutuelle  des  mots  de  chaque  phrase.  C'est  en 
pratique  une  notation  grammaticale,  qui  marque  la  dichotomie, 
ou  division  et  subdivision  en  deux  moitiés  ;  car  la  phrase 
Hébraïque,  soit  en  prose,  soit  en  poésie,  est  construite  rythmi- 
quement  sur  le  modèle  de  la  période  dans  la  musique  mesurée, 
avec  ses  demi-cadences  et  ses  cadences  parfaites.  Il  s'en  suit 
que  plus  la  phrase  est  longue  et  développée  ,  plus  son  accen- 
tuation est  compliquée  :  la  cantillation  n'ayant  pris  la  place 
du  récitatif  recto  tono ,  que  pour  faciliter  l'intelligence  du  texte. 
L'accentuation  Hébraïque  est  par  là  même  une  ponctuation 
grammaticale  nuancée  de  la  manière  la  plus  délicate  et,  de  plus, 
elle  possède  une  importance  herméneutique  d'une  haute  valeur. 
Ces  neumes ,  par  leur  position ,  marquent  aussi  la  syllabe 
accentuée  de  chaque  mot,  qui,  en  Hébreu,  doit  être  soit  la 
dernière,  soit  plus  rarement,  la  pénultième.  Je  crois  que  l'on  peut 
conclure  des  allusions  accidentelles  faites  par  quelques  écrivains 
qu'ils  sont,  à  proprement  parler,  une  chirographie ,  ou  un  dessin 
grossier  des  mouvements  de  la  main  du  maître.  Cela  nous  amène 
à  examiner  leur  valeur  musicale  ,  qui  doit  naturellement  avoir 
existé  sous  une  forme  bien  développée,  longtemps  avant  qu'on 
ait  inventé  pour  la  représenter  aucune  sorte  de  notation, 

{à  suivre). 


MUSIQUE  RELIGIEUSE 

Nous  nous  empressons  de  signaler  aux  maîtres  de  chapelle  les  compo- 
sitions suivantes  .  pour  voix  et  pour  orgue ,  récemment  parues  chez 
Marcello  Capra,  l'éditeur  bien  connu  de  Turin,  9,  via  lîerthollet.  telles  se 
recommandent  par  leur  caractère  sérieux  ,  leur  correction  élégante  et  le 
souflle  d'inspiration  religieuse  qui  les  anime.  Si  qur  Iques-unes  réclament 
des  voix  bien  exercées  ,  d'autres  sont  à  la  portée  des  chœurs  les  plus 
modestes.  Une  maîtrise  d'ailleurs  qui  se  bornerait  à  ne  vouloir  chanter 
chanter  que  de  la  musique  facile  ,  tomberait  bientôt  dans  la  vulgarité. 
On  doit  tendre  à  un  idéal  plus  élevé,  et,  par  une  application  constante, 
se  rendre  apte  à  exécuter  et  à  faire  goûter  du  public  les  chefs-d'œuvre 
de  l'art  polyphonique. 

OresTE  Ravanello.  Messe  VI  ,  en  l'honneur  de  S.  Joseph  ,  à  4  voix 
mixtes  (Sopr.  cont.  ten.  et  basse),  avec  accompagnement  d'orgue.  La 
partition  net  :  2  fr.;  chaque  partie  séparée:  o  fr.  30. 

Du  MÊME.  Messe  brève  et  facile  en  l'honneur  de  S.  Pierre-Orseolo , 
pour  3  voix  d'hommes,  avec  accompagnement  d'orgue.  La  partition  net  : 
I  fr.  80  ;  chaque  partie  séparée  :  o  fr.  30.  Ces  deux  messes  sont  chantantes 
et  n'oftrent  pas  de  difficultés.  Le  thème  initial  ,  diversement  développé  , 
s'y  fait  entendre  fréquemment  dans  les  différentes  parties  et  donne  de 
l'unité  à  toute  l'œuvre. 

Antonio  Cicognani.  Ave  Maria  à  8  voix  mixtes  pour  2  chœurs  .  sans 
accompagnement.  Partition  :  i  fr.  25  ;  chaque  partie:  0  fr.  10.  Excellente 
composition  dans  le  style  palestrinien. 


REVUE  DE  CHANT  GRÉGORIEN  143 

Du  MÊME.  Corarn  Tabernaculo.  Cinq  motets  à  4  et  8  voix,  i  O  Saluta- 
ris  ,  2  Pange  lingua  et  2  Vantum  ergo.  Partition  :  i  fr.  60  ;  chaque  partie  : 
o  fr.  30.  Les  3  preniiers  morceaux  sont  à  4  voix  inégales  sans  accompa- 
gnement ,  le  quatrième  à  4  voix  inégales  avec  accompagnement  et  le 
cinquième  à  8  voix  inégales  et  2  chœurs  ,  sans  accompagnement.  Ces 
cinq  motets  sont  également  remarquables  et  bien  appropriés  au  culte  de 
l'adorable  sacrement. 

Carlo  BortolAN.  Caro  mea ,  Motet  à  4  voix  mixtes  (contr.  ten.  barit. 
basse)  ,  avec  accompagnement  d'orgue.  Partition  :  i  fr.  25  ;  chaque 
partie  :  o  fr.  15. 

Du  MÊME.  Deux  Pange  lingua,  à  3  voix  mixtes  (contr.  ten.  basse). 
Le  chant  est  fait  par  le  ténor.  Partition  :  i  fr.  ;  chaque  partie  :  o  fr.  i5. 

Du  MÊME.  Ego  sum  panis  ,  Motet  pour  2  voix  de  femmes  ou  d'enfants, 
avec  accompagnement  d'orgue.  Partition  :  ofr.  70;  chaque  partie  :  o  fr.  10. 
Ces  divers  motets  sont  à  la  fois  faciles  et  très  pieux. 

Gaetano  FosCHINI.  Ego  sum  resurrech'o ,  Antienne  à  5  voix  inégales 
(2  sopr.  ait.  ten  basse),  sans  accompagnement.  Cette  antienne  ,  inspirée 
du  motif  liturgique  ,  à  sa  place  marquée  dans  les  obsèques  solennelles. 

Carlo  S.  Calegarl  Sonate  pour  sortie  ,  pouvant  être  exécutée  sur 
l'orgue  ou  l'harmonium,  avec  partie  de  pédale  non  obligée  :  Prix  :  0  fr.  80. 

LuDGi  BOTTAZZO,  Prélude  pour  grand  orgue  (2  claviers  et  pédale 
obligée).  Prix  i  fr.  25. 

ArnALDO  Galliera.  Cinq  pièces  pour  orgue  (pédale  obligée).  Prix  : 
2  fr.  50.  Ce  recueil  contient  :  Prélude,  adagio,  morceau  de  procession  , 
Noël  et  Marche  nuptiale. 

M.  Enrico  BOSSI.  Cinq  pièces  pour  harmonium.  La  série  complète  : 
4  fr.  Offertoire,  Graduel  ,  Canzoïicina  à  la  Vierge  Marie  ,  In  memoriam 
(Interlude)  ,  Laudate  Dominum  (finale). 

L'auteur  a  écrit  une  partie  de  pédale  ad  libitum  ,  pour  ceux  qui  veulent 
exécuter  ces  morceaux  sur  l'orgue.  Moyenne  difficulté. 


BIBLIOGRAPHIE 

Le  chant  des  Fidèles  à  l'église,  par  L'abbé  J.  Sabouret  ,  aumônier  des 
Norbertines,  au  Mesnil-Saint-Denis  [Seine  et  Oise).  —  Prix:  2^  cent., 
franco  :  jo  cent.,  chez  V Auteur. 

L'auteur  de  cette  brochure  est  d'avis,  que  tous  les  fidèles  devraient 
prendre  part  au  chant  des  offices  ,  et  il  cite  à  l'appui  de  sa  thèse  de 
nombreuses  décisions  qui  montrent  que  tel  est  en  effet  l'esprit  de  PEglise. 
II  recommande  ,  comme  moyen  pratique  d'arriver  à  ce  but ,  de  former 
tout  d'abord  au  chant  liturgique  ,  les  enfants  qui  fréquentent  les  caté- 
chismes ,  puis  d'organiser  des  chorales  parmi  les  jeunes  gens  de  la 
paroisse.  Assurément,  tout  cela  est  fort  désirable  ;  mais  tant  que,  sous 
prétexte  d'archéologie  ,  on  continuera  à  dénigrer  et  à  repousser  le  chant 
traditionnel  y  le  seul  que  l'Eglise  approuve,  tant  qu'on  s'obstinera  à 
enseigner  aux  Séminaristes  un  chant  différent  de  celui  que  nos  pères  ont 
pratiqué  et  que  le  peuple  est  accoutumé  à  entendre  ,  il  sera  difficile 
d'arriver  à  aucun  résultat  sérieux. 


144  REVUE   DE  CttANT  GRÉGORIEN 

CORRESPONDANCE 

Les  diatribes  de  M.  Dabin  nous  ont  valu  de  nouveaux  abonnés. 

Voici  quelques  extraits  de  leur  correspondance,  qui  prouvent 
que  tout  le  monde  ne  pense  pas  comme  lui  au  sujet  de  notre 
Revue  et  du  système  bénédictin. 

27  Octobre  1898. 

Monsieur, 

Je  vois  qu'il  est  question,  dans  la  Revue  de  chant  grégorien  de 
Grenoble,  d'une  Revue  que  vous  publiez  à  Marseille  ,  également 
sur  le  plain-chant,  je  suppose.  Je  vous  serais  très  reconnaissant 
de  m'en  envoyer  quelques  numéros  à  titre  de  spécimen. 

Depuis  1868,  j'étudie  le  plain-chant  grégorien  et,  malgré  toute 
ma  bonne  volonté  ,  je  ne  puis  admettre  le  rythme  des  Pères 
Bénédictins.  Il  est  contraire  au  texte  très  clair  de  Guy  d'Arezzo, 
qui  devait  bien  savoir,  lui,  comment  on  chantait  le  chant  de 
saint  Grégoire. 

5  Novembre  i8çS.  —  Je  vous  prie  de  m 'envoyer  les  trois  années 
parues  de  votre  Revue  du  chant  grégorien,  ainsi  que  ce  qui  est 
paru  de  la  quatrième  année... 

Remerciez  donc  M.  l'Abbé  Dabin.  Ce  sont  ses  Jocularia  que 
j'ai  lus  dans  la  Revue  de  Grenoble,  qui  m'ont  fait  désirer  de 
connaître  votre  Revue. 

75  Novembre  iSçS.  —  J'ai  bien  reçu  tout  ce  qui  a  paru  de  votre 
Revue  de  chant  grégorien  et  c'est  avec  infiniment  de  plaisir  que 
j'ai  lu  et  relu  cette  Revue.  Avec  elle  on  voit  toutes  les  différentes 
opinions  et  chacun  y  discute  d'une  façon  courtoise. 

J'ai  l'honneur,  etc.  Th.  B. 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

ÉTUDES  DE  SCIENCE  MUSICALE 

Par    A.    DEGHEVRENS,  S.  J. 

3  vol.  grand  in-8°,  avec  planches  et  de  nombreux  spécimens  de  musique. 
PRIX  NET  :    12  fr.  50  le  vol. 

Farts,  chez  l'auteur.  26,  rue  Lhoviond.  —  En  dépôt  chez  M^'-"  Blanc. 

Typographie  musicale,  4  ,  rue  Malebranche. 
Le  vol.  I  contient  :  Première  Etude  :  Origine  et  formation  de  l'cchelle  musicale. 
Deuxième  Etude  :  Développement  du  principe  musical. 
Appendice  I.     —  Système  modal  de  Pythagore  et  des  Grecs  postérieurs. 
„  II.    —  La  musique  ecclésiastique  des  Grecs  modernes. 

»  III.  —  La  musique  gréco-romaine  et  VOcloccbos. 

Le  \iol.  II  contierit  :  Troisième  Etude.  De  la  musique  grégorienne.  —  Première 
partie  ;  Le  -rythme  grégorien  d'après  Thistoire.  —  Deuxième  partie  :  Reconstitu- 
tion du  rythme  grégorien. 
Le  vol.  III  contient  tout  un  ensemble  de  documents,  entre  autres  :  Des  chants  litur- 
giques Juifs,  Grecs  et  Arméniens  —  Le  tableau  des  neumes  usités  à  Saint-Gall  aux 
IXe  et  X>-' siècles.  —  Trente  Messes  grégoriennes,  reproduites  d'après  les  manuscrits 
de  Saint-Gall ,  d'abord  en  traduction  littérale,  avec  les  neumes  au-dessus  de  la 
portée;  puis  en  traduction  rythmique,  en  les  adaptant  à  la  mesure  moderne. 

Le  Gérant  :  J.  MINGARDON. 


Aluiseille.  —  linpiimerie  J.  Mingardon  et  Cie  ,  place  Sébastopol ,  11. 


DEUXIEME  ANNEE  N"  3  15  MARS  1899 


L'AVENIR 


DE    LA 


MUSIQUE  SAGRÉK 


Sommaire. 

Le   Hythmc   du  ('hant    dit  Grégorien    d'après    la  nolation    des 

manuscrits  :  AppouUcc,  par  Georges  Houdard 33 

Le  Rythme  et  l'Accent 37' 

La  Résurrection  du  Christ  de  Don  Lorenzo  Perosi 42 

Etude  pratique  sur  la  choralisation  des  petits  séminaires  (Suite)  : 

Laquvslion  des  solos 46 


LE  RYTHME   DU  CHANT  DIT  GREGORIEN 
D'APRÈS  LA  NOTATION  NEUMATIQUE 

APPENDICE 

Pau  Glokges  Houdaru. 

Quand  parurent  les  premiers  numéros  de  notre  Revue,  on 
disait  dans  certains  groupes  :  «  Encore  une  revue  pour 
Solesmes  ;  elle  cache  son  jeu,  mais  on  le  devine.  »  Quand  vint 
notre  article  touchant  l'ouvrage  de  M.  Georges  Houdard, 
d'aucuns  ajoutaient  avec  étonnement  :  «  La  Revue  évolue.  » 
Quand  on  nous  vit  ensuite  consacrer  trois  articles  aux  Etudes 
de  Science  ?nusica/e  du  R.  P.  Dechovrens,  l'étonnenient  fit 
place  à  la  stupéfaction:  «  Quoi  donc!  voilà  maintenant  que 
vous  donnez  dans  le  panneau  de  la  mensuration  !   » 

Qu'aura-t-on  dit  enfin  en  lisant  dans  le  numéro  de  février 
notre  profession  de  loi  relativement  aux  directions  romaines? 
Nous  ne  le  savons  encore  qu'à  moitié.  C^tte  fois,  du  moins, 
nul  ne  saurait  essayer  d'un  blàine  sérieux  ni  définitif.  Dus- 
sions-nous d'ailleurs,   en  ce  charmant  pays   de  résistances 


34  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

pieusement  scientifiques  que  certains  esprits  oui  semble  vou- 
loir faire  de  notre  France,  rester  dans  un  isolement  relatif  à 
cause  de  notre  culte  raisonné  pour  des  décisions  officielles 
qui  vraisemblablement  n'ont  pas  su  plaire  à  tout  le  monde, 
que  cela  ne  serait  point  de  nature  à  nous  trop  intimider. 

En  réponse  aux  appréciations  ci- dessus  mentionnées  ainsi 
qu'à  vingt  autres  passées  sous  silence,  qu'il  nous  soit  permis 
d'observer  qu'à  l'égard  des  divers  systèmes  que  nous  avons 
signalés  ou  analysés,  quelques  lecteurs  paraissent  nous  avoir 
prêté  des  préférences  (nous  allions  dire  des  versatilités)  dont 
notre  rédaction,  non  moins  que  notre  intention,  restait  fort 
innocente.  —  Il  est  curieux  de  constater  qu'en  notre  siècle 
d'indépendance  à  outrance,  l'indépendance  est  la  chose  du 
monde  à  laquelle  on  croit  le  moins...  chez  les  autres. 

Que  l'aire?  Le  parti  le  plus  sage  est  de  suivre  tranquille- 
ment son  chemin,  sans  trop  se  préoccuper  des  jugements  sou- 
vent superficiels  qui  vous  côtoient  :  c'est  ce  que  nous  avons 
fait,  c'est  ce  que  nous  ferons  encore.  11  faut,  comme  de  coura- 
geux explorateurs,  marcher  quand  même  et  toujours,  jusqu'à 
concurrence...  des  rhumatismes  ou  de  la  paralysie,  dont 
veuille  le  ciel  nous  préserver  longtemps! 

Tout  cela  soit  dit  pour  nous  amener  simplement  à  l'ordre 
du  jour  :  nous  avons,  en  effet,  à  dire  quelques  mots  du  nou- 
vel ouvrage  de  M.  Georges  Houdard.  La  lâche  est  facile  :  il 
suffit  de  laisser  parler  l'auteur.  S-d  Tahle  des  Malirres  et  sa 
Conclusion  vont  nous  donner  nne  idée  aussi  précise  que  com- 
plète de  son  très  intéressant  travail. 

Voici  donc  :  r  sa  TABLK  DES  MAT1ÈUI-]S. 

Au  Lkctkuk. 
S  1.  Le  Temps  rythmique. 

Texte:  Igitur  queinu'linoduin  (Microl.,  XV,  1). 

—  Ad  cantandi  scicntiam  (Pseudo-Odon). 

—  Non  autem  parva  similitiido  {Mïriol.,  \V,  10). 

—  Sempcr  tamcn  aut  in  numéro  vncuin...  (Microl,,  XV,  1  . 
Commentaires  d'Aribon  et  d'Aristide  Quiiili!iGn. 

j;  I..  Syllabes  simples  (so/.t). 
l'rcmier  argument  : 
Texte  :  Sicque  opus  esl  ut  qua:>i  luetricis  pcdibun...  (MicrOl  ,  XV). 

—  Quomodo  aulem  Uquescant  roc<'.s...((iuy  d'Arezzo,Iust.  Palr.1. 
Deuxième  artiument  : 

Texte  :  Sioquc  opus  <**<,  etc. 
Nuances  :  lettres  romanienncs. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  35 

§  III.  Syllabes  doubles  (duplicata!). 

Texte  :  Non  autem  parva  similUudo. 

—  Item aliquando  una  sy llaba  {\ïicro\.,  XV,  8). 

—  Melricos  autem  cantus  dico  {yLicro\.,  XV,  10). 
§  IV.  Rythme  thétique. 

Note  complémentaire. 
§  V.  Conclusion. 

Cela  seul  suffirait  à  piquer  bien  des  curieux;  mais  pour- 
suivons. 

Et  voici  :  2°  la  CONCLUSION. 

Nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  conclure  : 

1"  En  favew:  d?  TégalltS   théDriqas   de  toutes  l33   syllabas- 
neumas-pieds  ronslituant  une  pièce  grégorienne. 

2^  En  fa'^cur  :  da  l'égalité  théorique  de  tous  les  sons  composant 
une  même  syllabe  ;  les  sons  doublement  ou  triplement  plus  longs, 
dans  celte  syliab?,  élant  représentes  dans  la  notation  neumatique  par 
la  répétition  du  son  à  augmenter  de  durée. 

3"  En  faveur  :  du  mot  musical  juxta,posé  au  mot  du  texte  qu'il 
fait  souvent  valoir  musicalement  ;  et,  du  mot  musical  pur  dans  les 
pièces  fleuries,  alors  que  le  texte  s'annihile  complètement  en  tant  que 
déclamation  oratoire. 

4"  En  faveur:  des  nuances  indiquées  par  les  nouines  et  par  les 
lettres  romanicnnes  inventées  dans  ce  but. 

5°  Conli-ele  système  bénédictin,  qui  crée:  1"  des  groupements, 
nouveaux  différents  de  ceux  indiqués  par  les  neumes  ;  2°  des  arrêts 
arbitraires  fractionnant  les  membres  de  phrase  ;  .3"  des  longues  et  des 
brèves  arbitraires  (noires  et  croches  dans  la  transcription  bénédictine 
on  notation  moderne)  contraires  au  sens  mélodique  cl  harmonique  des 
groupes  ncumés,  etc. 

6°  Contre  le  système  mensuraliste  qui  crée,  de  force,  la  mesure 
moderne,  et  non  le  rylliuic  mesuré  par  pieds-syllabes  équivalents  en 
durée  (temps  modernes)  enseigné  par  les  théoriciens  médiévaux. 

7°  Contre  la  scission  arbitraire  des  groupes  neumatiques  ;  scis- 
sion créant  des  appuis  arbitraires  et  déplaçant  les  ictus  fondamentaux 
représentés  par  les  groupements  neumatiques  et  affiirmatifs  de  la  régu- 
larité du  rythme  musical. 

8°  Enfin  contre  l'interprétation  par  longues  et  par  brèves  propor- 
lionnelles  de  chaque  élément  neumatique  selon  qu'il  est  alîi'cté  ou  non 
de  «  Virgnlaj^lana  apposUa», Tpavcc  que:  1°  les  divergences  de  manuscrit 
à  manuscrit  d'une  même  école,  touchant  ces  signes,  s'y  opposent  ;  2"  les 
syllabes,  ainsi  composées,  détruisent  la  constitution  théorique  de 
chacune  d'elles  correspondant  à  un  pied  rythnii  jup,  et  créent  des  în*'*- 
galités  arbitraires  entre  les  rythmes  successifs,  coniraircment  aux  prin- 
cipes guidoniens. 

Citons  encore  les  lignes  suivantes,  qui  couronnent  la  Con- 
clusion, et  qui  nous  semblent  particulièrement  intéressantes. 

p]n  ce  (jui  concerne  ma  théorie,  on  devra  me   rendre  celte  justice 
que  : 
1"  Seul  de  tous  les  théoriciens,  peut-être,  je  respecte  scrupuleusement 


36  l'aveniu  de  la  musique  sacrée 

le  i,'roupc  neumatique  en  le  Irailuisanl  par  un  uioupc  noté  à  la  mo- 
derne, et  que,  tel  on  voit  le  groupe  transcrit  dans  mes  exemples,  tel  on 
retrouve  le  signe  neumatique  qui  lui  correspond. 

2"  Seule  ma  théorie  est  un  bloc  compact  correspondant  au  bloc 
médiéval,  et  nullement  un  assemblage  de  principes  contradictoires 
sans  liens  entre  eux  et  s'appuyant  comme  faire  se  peut  sur  des 
phrases  tronquées  des  textes  médiévaux. 

Qu'il  me  soit  permis  en  terminant  :  1"  de  remercier,  sans  distinction, 
tous  ceux  qui  m'ont  fait  l'honneur  de  critiquer  mon  travail,  et  2°  d'af- 
(irmer,  une  fois  de  plus,  que  je  ne  suis  l'adversaire  systématique  de 
p(!rsonne  ;  bien  plus,  je  respecte  profondément  tous  mes  adversaires, 
et,  si  je  me  permets  d'attaquer  leur  théorie  comme  chacun  est  libie 
d'attaquer  la  mienne,  c'est  tju'au-Jessus  de  nous  tous  il  y  a  lu  Write 
dont  personnelletncnt  je  suis  altéré. 

Ces  derniers  mois,  nous  les  attendions.  —  Un  jour  que 
nous  complimentions  M.  lloudard  sur  la  beauté  artistique  de 
certaines  de  ses  traductions  rythmiques,  il  nous  répondit  : 
«  La  beauté,  je  ne  m'en  soucie  que  très  secondairement.  Que 
telle  pièce  paraisse  ravissante  selon  le  rythme  bénédictin, toile 
autre  selon  le  rythme  du  R.  P.  Dcchevrens,  telle  autre  selon 
mon  rythme  à  moi,  cela  m'est  égal.  Ce  qui  me  préoccupe  es- 
sentiellement, c'est  que  la  traduction  soit  vraie,  c'est  que 
l'interprétation  figurée  par  la  notation  moderne  soit  la  photo - 
j^rnphie  des  nenmes.  Cherchons  la  vérité,  toujours  la  vérité, 
ri  on  que  la  vérité.  » 

Il  est  prudent  de  ne  point  juger  à  première  lecture  les  ou- 
vrages de  M.  lloudard,  et  particulièrement  l'Appendice  :  à  la 
moindre  distraction,  en  eiïct,  la  densité  et  hi  profusion  des 
arguments  expose  le  lecteur  à  penh-e  hi  grande  ligne  et  à  se 
laisser  absorber  par  de  très  captivants  détails  au  détriment  de 
l'ensemble.  A  seconde  et  à  troisième  lecture,  au  contraire, 
l'accessoire  vient  se  grouper  magiquement  autour  du  prin- 
cipal, vX  l'on  éprouve  une  satisfaction  intcllecluelle  très 
intense  à  voir  combien  dans  un  tel  système  tout  est  compact 
et  bien  déduit. 

Nous  savons  des  gens  que  sans  le  vouloir  M.Houdard  a  mis 
réellement  à  la  torture.  Après  une  élude  consciencieuse  de 
son  système,  ils  se  disaient  :  «  N'en  doutons  plus  ;  voilà  la 
vérité.  »  Puis,  une  fois  émoussé  le  vif  des  pioniières  impres- 
sions, retombés  dans  le  domaine  pratique  et  sous  rinllncnce 
des  habitudes  ou  des  clichés  qu'on  décore  du  nom  do  tradi- 
tions, ils  se  ravisaient  :  «  Non,  ce  n'est  point  possible  :  le 
système  du  groupe-temps  ne  se  rattache  à  rien  do  ce  qu'on 


l'avenir  dk  la  musique  sacrée  37 

nous  a  communément  enseigné.  »  Ensuite,  par  le  l'ail  d'une 
nouvelle  étude  du  système,  ils  étaient  empoignés  de  nouveau  : 
«  Malgi'é  loul,  c'est  celui-là  qui  doit  être  le  vrai.  »  Tel  Gali- 
lée, invaincu,  s'écriant  après  son  amende  honorable  : 
«  E  pw  si  muove!  »  Cliers  indécis,  avec  V Appendice,  vos 
épreuves  vont  renaître,  d'autant  plus  vivaces  qu'il  éclaire  et 
corrobore  étrangement  lo  système,  et  que  pourtant  les  clichés 
et  les  habitudes  sauront  ne  rien  perdre  de  leurs  enchante- 
ments. 

M.  Houdard  ajoute  en  note  au  bas  de  sa  conclusion  : 

C'est  parce  que  je  ctierctie  la  Vérité  pour  elle-même  que  je  ne  veux 
publier  ofliciellement  aucun  recueil  avant  d'avoir  derrière  moi  un 
nombre  respectable  d'adhésions  formelles;  et  je  puis  dire,  sans  fausse 
modestie,  que  de  tous  côtés  (France  et  Etranger)  on  me  poursuit  sans 
relâche  pour  la  publication  d'une  traduction  complète  du  manuscrit 
n"  339  de  Saint-Gall. 

Nous  ne  craig^nons  point  d'ajouter  notre  adhésion  à  celles 
qui  déjà  sont  acquises.  Le  R.P.  Dcîhevrens  a  su  nous  donner 
tout  un  volume  de  documents.  F]t,  des  traductions  de  M.  Hou- 
dard, nous  ne  possédons  encore  que  quelques  tronçons,  ceux 
qui  étaient  rigoureusement  indispensables  pour  mettre  en 
lumière  ses  théories  :  or,  c'est  vraiment  trop  peu.  Les  théo- 
ries nous  ont  vivement  intéressés;  mais  elles  ne  suffiront  plus 
désormais,  et  dès  à  présent  nous  réclamons  ce  qu'elles  nous 
ont  fait  espérer  et  ce  qui  doit  les  suivre  nécessairement,  le 
recueil  de  mélodies  auxquelles  elles  servent  de  base.  Que 
M.  lloudard  n'en  doute  pas  :  bien  des  artistes  sont  à  l'affût  et 
sauront  de  bien  dos  façons  utiliser  ces  mélodies  quand  il 
voudra  bien  en  faire  part  au  public. 

Nous  les  attendons. 

A.  Gabert. 


LE  RYTHME  ET  L'ACCENT 

Dans  le  rythme  oratoire,  tel  que  l'entend  l'école  bénédic- 
tine, «  la  note  simple  n'a  point  de  valeur  par  elle-même, 
mais  elle  emprunte  toute  celle  qu'elle  peut  avoir  à  la  syllabe 
à  laquelle  elle  correspond.  Le  texte, dans  le  chant  syllabique, 
doit  régler  en  souverain  le  mouvement  du  rythme. 

«  Si  la  note  (h\  chant  correspond  à  une  syllabe  accentuée, 


38  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

elle  ser<a  accentuée;  si  elle  se  rapporte  au  contraire  à  une  syl- 
labe obscure,  elle  sera  faible  et  obscure.  —  Ainsi  la  syllabe 
qui  dans  chaque  mot  est  destinée  à  recevoir  l'accent  doit  le 
conserver  et  le  conserver  seule;  en  ce  sens  du  moins  que  cette 
syllabe  sera  toujours  plus  fortement  marquée.  »  {Les  Mélodies 
ffrrgoriennes,  pp.  83,  121,  122.) 

Toutes  les  notes  ont  donc,  d'après  Dom  Pothior.une  durée 
approximativemeTit  égale,  mais  «  on  doit  marquer  avec  plus 
de  force  la  syllabe  qui  porte  l'accent.  »  {fùid.,  p.   12i.) 

Tel  est  aussi  l'enseignement  de  Doni  liourigaud  qui,  avec 
les  éditeurs  de  la  Paléographie  musicale,  aflirme  «  que  dans 
l'exécution  du  chant  grégorien  la  règle  des  règles  estl'accen- 
tuation  »,  et  encore  que  «  c'est  le  texte  qui  donne  sa  forme 
au  chant  ».  (Revue  du  chant  grégorien,  Mai  1897,  p.  108.  — 
Août  1895,  p.  15.) 

La  consé(juence  de  cette  doctrine  serait  que  le  texte  est  le 
maître  absolu  et  que  le  chant  n'est  que  son  esclave.  Mais 
alors,  que  devient  la  prééminence  de  la  musique  et  du 
rythme  musical  si  souvent  proclamée  par  les  auteurs  anciens 
et  par  les  théoriciens  du  moyen  Pige  ?  «  Dans  la  musique,  dit 
Denys  d'Ilalicarnasse,  ce  sont  les  mots  que  l'on  subordonne 
au  chant  et  non  le  chant  que  l'on  soumet  aux  paroles.  Il  en 
est  de  même  pour  le  rylbme.  La  diction  rythmique  et  musi- 
cale transforme  les  syllabes,  les  allonge  et  les  raccourcit,  de 
manière  bien  souvent  à  intervertir  leurs  qualités;  car  ce  ne 
sontpoint  les  temps  que  l'on  règle  sur  les  syllabes,  mais  bien 
les  syllabes  sur  les  temps.  »  {De  romposit.  ver  h.,  XI.)  Au  dire 
de  Quintilien  :  «  Architas  et  Aristoxène  croyaient  que  la 
grammaire  doit  être  soumise  à  la  musique.  »  {Instit.  orat.^ 
1,11.) 

L'auteur  des  hishtuta  patrxnn,  fixant  les  règles  de  la  psal- 
modie, enseigne  également  la  supériorité  de  la  musique  sur  le 
texte  :  «  Les  cadences  tonales  sur  les  dernières  notes  des  mé- 
diations et  des  linales  doivent  se  faire,  non  pas  suivant  l'ac- 
cent grammatical,  mais  suivant  la  mélodie  musicale  du  mode. 
Comme  le  dit  Priscien  :  Pas  plus  que  la  divine  Ecriture,  la 
musique  iiest  soumise  aux  règles  de  Donul .  »  ((îerbert, 
Scriptor.,  I,  p.  G.) 

On  voit  par  ces  citations  à  quel  point  le  système  bénédictin, 
(|ui  fait  dépendre  le  rythme  musical  de  l'accentuation  gram- 
maticale, s'écaite  de   l'enseignement  traditionnel.   El  puis, 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  39 

quand  le  texte  fait  défaut,  par  exemple  dans  les  vocalises  de 
30  notes  et  plus  sur  une  seule  syllabe,  qu'est-ce  qui  détermi- 
nera les  notes  fortes  et  les  notes  faibles? 

Dom  Mocquei"eau,qui  trouve  dans  le  chant  grégorien  «  des 
mesures  simples  ou  composées  de  toutes  espèces  à  1,2,  3,  etc., 
jusqu'à  42  temps  »,  veut  que  «  tous  les  temps  forts  de  la 
musique  et  du  rythme,  toutes  les  notes  expressives,  comme 
les  pressas,  les  strophicus,  quoique  semés  irrégulièrement 
dans  le  tissu  mélodique,  soient  toujours  à  leur  place  régulière 
au  commencement  de  la  mesure.  »  {Tribune de  Saint- Gervais, 
Janvier  1897,  p.  3.) 

Mais  à  quel  signe  distinguera-t-on  les  mesures  de  1  à 
12  temps?  Et  peut-on  reconnaître  dans  cette  succession  irré- 
giilière  de  temps,  dans  cet  assemblage  confus  de  notes,  le 
caractère  essentiel  du  rythme  qui  a  toujours  été  considéré 
comme  «  Tordre  dans  le  mouvement, moye^  ordinale  »? 

Bien  plus  artistique  et  plus  rationnel  est  le  système  du 
1{.  P.  Lhoumeau  qui  donne  la  prépondérance  à  l'accent  mélo- 
dique —  appelé  par  lui  rythmique  —  sur  l'accent  verbal,  et 
distingue  dans  chaque  neume  une  thésis  et  une  arsis.  Seule- 
ment, il  prend  ces  dénominations  non  pas  dans  le  sens  des 
rythmiciens,  qui  entendent  par  là  uniquement  le  mouvement 
de  la  main  ou  du  pied  s'abaissant  ou  se  levant  pour  marquer 
la  mesure,  mais  dans  le  sens  des  grammairiens  qui  désignent 
par  ces  mots  l'accent  grave  et  l'accent  aigu, 

«  On  voit  donc  dans  le  rythme,  dit-il,  deux  accents  :  l'un 
métrique,  et  au  frappé,  c'est  le  temps  fort  de  la  mesure; 
l'autre,  rythmique,  et  au  levé,  c'est  \arsis.  Le  premier  est  un 
coup,  un  ictus\  le  second  est  un  élan.  Ainsi,  c'est  de  2  en 
2  notes,  ou  au  plus  de  3  en  3  notes,  que  reparaît  le  temps  fort 
ou  la  partie  forte  du  temps  (quand  le  temps  se  divise).  Tout 
rythme,  en  effet,  se  ramène  en  dernière  analyse  à  une  pro- 
portion binaire  ou  ternaire.  »  {Trihune  de  Sainf -Gervais, 
Août  1895,  pp.  7,  8.) 

Il  y  a  sans  doute  un  élément  àHordre  dans  cette  division  de 
la  phrase  mélodique  en  petits  groupes  de  2  ou  de  3  notes  ; 
mais  on  pourrait  objecter  que  la  mélodie  elle-même  ne  s'y 
prête  pas  toujours.  Oîi  placera-t-on  l'arsis  et  la  thésis  quand 
le  chant  se  maintient  sur  une  série  de  sons  d'égale  hauteur, 
par  exemple  dans  les  strophiciis  qui  comptent  parfois  jusqu'à 
cinq,  ou  même  sept  notes  répétées? 

«  Il  est  donc  inutile  et  même  impossible,  dit  avec  raison 


4-0  l'avf.nir  de  la  :\rT'STorE  sacrer 

Dom  Pothier,  d'identifier,  au  point  de  vue  du  lomps  fort, l'ac- 
cent aigu  du  discours  ou  l'accent  tonique  qui  vient  relever  de 
distance  en  distance  certaines  syllabes,  et  l'accent  aigu  de  la 
musique  qui  n'a  ni  la  même  régularité,  ni  la  même  alter- 
nance. Souvent,  par  exemple,  celui-ci  soutient  la  voix  sur 
plusieurs  syllabes  de  suite  à  une  égale  hauteur;  ce  qui  obli- 
gerait à  donner  plusieurs  temps  forts  successifs,  sans  mélange 
de  temps  faibles,  et  serait  destructif  de  tout  rythme  et  de  tout 
accent.  »  {Lfs  Mélodies  (/régorifnnes,  p.  73.) 

Tous  les  systèmes  qui  font  dépendre  le  rythme  soit  de  l'ac- 
cent verbal,  soit  même  de  l'accent  mélodique,  confondent 
deux  parties  de  la  musique  tout  à  fait  distinctes  :  le  rythme 
et  le  mnlos.  Les  écrivains  de  l'Antiquité,  en  effet,  définissent 
le  rythme  comme  la  mesure  des  temps,  tandis  que  l'élévation 
ou  l'abaissement  de  la  voix  est  le  propre  de  la  mélodie. 

«  L'acuité  ou  la  gravité  du  son,  enseignait  Martianus 
Capella  au  v"  siècle,  forme  la  mélodie;  l'art  du  rythme,  au 
contraire  est  tout  entier  dans  les  nombres.  Le  rythme  est 
donc  une  composition  formée  de  temps  perçus  par  les  sens 
et  disposés  suivant  un  certain  rapport,  un  certain  ordre.  {De 
nuptiis  'phUolocjUP ,  IX.) 

Et  saint  Augustin  au  iv^  siècle  :  «  La  raison  s'aperçut  que 
les  sons  ne  lui  offraient  qu'une  matière  sans  valeur,  à  moins 
qu'ils  ne  fussent  informés  par  la  mesure  certaine  des  temps  et 
une  sage  alternative  d'acuité  et  de  gravité  :  Nist  certa  dimen- 
sione  tcmporum  et  acuminis  (jramtatisqm'.  modorata  varielate 
sont  figurarenlur .  Elle  reconnut  que  cela  se  trouvaiten  germe 
dans  la  grammaire,  où,  en  examiuant  les  syllabes  avec  une 
soigneuse  attention,  elle  avait  appelé  p'u'dn  et  accents  ces  mo- 
difications du  son.  Quand  les  pieds  n'allaient  pas  au  delà 
d'une  limite  fixe  après  laquelle  ils  reveuaient,  c'étaient  des 
vers.  Quand  ils  n'avaient  pas  de  limite  déterminée  et  qu  ils  se 
suivaient  cependant  dans  un  ordre  ration uel,  elle  nomma  cet 
arrangement  rijthme.ca  qui  n'est  autre  chose  que  ce  que  nous 
appelons  nombre  en  latin.  »  {De  ordine^  W,  14.) 

Voilà  les  deux  parties  constitutives  de  la  musique  qu'il  faut 
bien  se  garder  de  confondre  :  le  rt/f/tme^  formé  de  pieds  qui 
se  succèdent  dans  un  certain  ordre,  et  la  mélodie^  qui  n'est 
qu'un  assemblage  variéd'arrY'///.s-  graves  ou  aigus. 

Tel  est  l'enseignement  de  t(ms  les  Anciens.  M.  Bonloow, 
dans  les  lignes  suivantes,  explique  avec  beaucoup  de  clarté 
cette  similitude  des  accents  et  des  sous  musicaux  :  «  Les  ac- 


l'avenir   de   la    MIISIQTTE   SAnRIÎ;E  41 

cents  grecs  et  latins  étaient  une  modulation,  une  cantilène 
••fui  accompagnait  le  discours,  et  nullement  des  coups  de 
voix,  ce  qu'ils  sont  dans  nos  idiomes  ternis  et  dépourvus  de 
sonorité.  Pour  se  faire  une  idée  juste  du  langaoc  des  Anciens, 
il  faut  se  mettre  au  piano;  là  les  longues  et  les  brèves  indi- 
(jucront  la  mesure,  la  durée  des  sons  ;  les  acconls  indiqueront 
les  hauts  et  les  bas  de  la  voix.  La  quantité  des  syllabes,  ajoutc- 
t-il,  avec  Aristophane  de  Byzance,  répond  au.x  mesures;  les 
accenis  répondent  aux  sons  de  la  musique.  »  (Prrcis  d'une 
théorie  des  rythme ><,  première  partie,  p.  36.) 

C'est  donc  aller  contre  la  docîrine  de  toute  l'Antiquité  que 
de  vouloir  faire  de  l'accent  l'élément  constitutif  du  rylliine  et 
de  confondre  la  syllabe  accentuée  avec  l'arsis  ou  la  lliésis  de 
la  mesure.  Dans  les  hymnes  de  Delphes,  les  plus  anciens 
morceaux  de  musique  grecque  qui  nous  soient  parvenus,  la 
syllabe  accentuée  se  place  tantôt  à  la  thésis,  tantôt  à  l'arsis,  et 
indifféremment  sur  lei"',  le  2%  le  3%  le  4°  ou  le  5"  temps  de  la 
mesure,  —  ces  hymnes  étant  en  rythme  péoniqu(3  ou  mesure 
à  cinq  temps;  —  seulement,  cette  syllabe  y  porte  toujours 
une  note  au  moins  aussi  élevée,  mais  jamais  plus  basse  que 
les  autres  syllabes  du  môme  mot. 

Cette  dernière  particularité  se  retrouve  dans  certaines 
pièces  du  répertoire  grégorien,  mais  elle  est  loin  d'y  consti- 
tuer une  règle  générale.  Chez  les  Grecs  même,  on  ne  l'obser- 
vait pas  toujoui's,  et  dans  les  chants  qui  ne  remontent  qu'aux 
premiers  siècles  de  notre  ère,  elle    est  le  plus  souvent  violée. 

A  partir  du  iv%ou  même  du  m*  siècle,  l'accent  subit  une 
transformation,  au  moins  dans  le  langage  parlé.  Il  n'est  plus 
caractérisé  par  une  élévation  de  la  voix,  mais  par  un  allonge- 
ment de  la  syllabe  accentuée  qui  augmente  de  durée  au  détri- 
ment des  autres  syllabes.  De  tonique,  l'arccnt  est  devenu 
fjuanlilatif;  il  peut  alors  constituer  un  nouvel  élément  rylh- 
mique  et  c'est  ce  qui  explique  que  la  poésie  rythmique  du 
moyen  âge  soit  basée  sur  l'accent.  Mais,  ne  l'oublions  pa?, 
l'accent  n'était  plus  ce  qu'il  était  autrefois;  il  avait  changé  de 
nature  et  s'était  substitué  à  la  prosodie  pour  déterminer  la 
la  longueur  des  syllabes. 

Cependant  l'accent  quantitatif  ne  paraît  pas  avoir  indue 
sur  le  rythme  des  mélodies  grégoriennes,  car  les  syllabes 
accentuées  y  sont  bien  souvent  moins  chargées  de  notes  que 
les  syllabes  faibles, et  môme  les  pénultièmes  brèves,  qui,  dans 
la   prononciation  vulgaire,  disparaissaient  complètement,  y 


42  [/avi:nih  de  la  musique  sacuée 

sont  ornées  de  longues  vocalises;  ce  qui  prouve  bien  qu'au 
point  de  vue  musical,  l'accent  n'avait  alors  aucune  valeur 
rythmique.  On  n'en  tenait  pas  compte  non  plus  à  Idpoque 
de  Guy  d'Arezzo,  comme  lui-même  en  fuit  la  remarque. 

Déjà  môme,  au  temps  de  saint  Augustin,  celte  indifférence 
pour  la  valeur  dos  syllabes  était  passée  dans  la  pratique  mu- 
sicale, comme  en  témoigne  ce  passage  du  saint  Docteur: 
«  La  musique,  à  qui  il  appartient  en  propre  de  déterminer  la 
mesure  proportionnelle  et  le  rythme  des  sons,  demande  uni- 
quement que  les  syllabes soientabrégées  ouallongées  suivant 
les  lois  du  rythme  musical,  »  (De  musica.  II,  1 .) 

D'ailleurs,  l'école  bénédictine,  contrairement  à  l'opinion 
de  tous  les  philologues,  rejette  l'accent  quantitatif,  pour  ne 
s'occuper  que  de  larcent  tonique.  Or,  les  témoignages  que 
nous  avons  apportes  liémontrent  surabondamment  que  cet 
accent,  marqué  par  le  ton  de  la  voix,  correspond  à  celte  par- 
tie de  la  musique  que  les  anciens  appelaient  harmonique  ou 
mélos,  et  qui  s'occupe  uniquement  des  sons  et  de  leurs  inter- 
valles, tandis  que  la  rythmique  réglait  les  mouvements  et 
mesurait  ta  durée  des  temps;  distinction  nettement  définie 
dans  ce  texte  bien  conim  (rAulu-Gelle  :  Lonfjior  mensura 
rof?.s' uYruMUS  dicitur,  allior  m\lia)S.  {Noctea  atlicie,  W\,  IH.) 

J.  Dipoix. 


LA  RESURRECTION  DU  CHRIST 

Oratorio  de  Don  LOHKNZO  iM<:i{OSI 

Exécuté  au  Cirque  d'/ité.nous  la  direction  de  l'auteur. 

1/ Avenir  de  la  Musique  Sacrée  devait  à  ses  lecteurs  de  ne 
pas  passer  sous  silence  l'exécution  de  cette  œuvre. 

La  jeunesse  de  l'auteur  (26  ans),  le  renom  que  ses  compa- 
triotes s'appliquent  à  lui  conquérir,  le  sujet  traité  et  la  place 
que  celui-ci  occupe  dans  le  projet  d'un  cycle  complet  embras- 
sant la  vie  du  Rédempteur,  méritent  une  mention  spéciale. 

Les  réflexions  que,  par  sa  nature  et  sa  facture,  cette  œuvre 
suggère,  sont  de  deux  ordres,  les  unes  directes,  les  autres 
indirectes. 

Résumons-les  aussi  brièvement  que  possible. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  43 

I 

L'oraf.orio  se  divise  en  deux -parties  : 

4"  De  la  Mort  au  Sépulcre; 

2"  La  Résurrection. 

Musicalement  parlant,  et  faite  de  contraste?,  la  deuxième 
partie  a  semblé  supérieure  à  la  première  dont  la  teinte  est 
uniformément  triste. 

Aussi  lepublic,  malgré  les  chauds  ap[)laudissements  dont  il 
a  salué  par  exemple  le  chœur  Crux  fidclh  et  le  duo  des  deux 
Marie,  a-t-il  semblé  mieux  goûter  la  Ri'simection.  Et  néan- 
moins c'est  la  première  partie  qui  nous  a  retenu  davantage. 
Sa  monotonie,  artistiquement  et  dûment  voulue,  est  une  do 
SOS  plus  grandes  qualités. 

Un  compositeur  ayant  du  métier  pouvait,  môme  en  étant 
dépourvu  de  sentiment  religieux,  écrire  la  deuxième  partie 
de  l'oratorio,  attendu  que  la  grandeur  du  sujet  est  telle  que, 
les  conlrastes  dramatiques  aidant,  il  eût  été  profondément 
touché  par  la  «  scène  a  faire  », 

Pour  ce  qui  est  de  la  première  partie,  il  n'en  allait  pas  de 
même  :  un  chrétien  sincère,  et  à  plus  forte  raison  un  prêtre, 
était  seul  capable  de  traiter  le  sujet  avec  la  modération  récla- 
mée parle  texte. 

C'cfet  pourquoi  je  ne  cache  pas  mon  sentimenl  ;  mes  préfé- 
rences vont  à  la  première  partie  ;  tandis  que  celles  du  public 
semblent  avoir  été  à  la  deuxième,  mieux  adaptée  à  sa  com- 
préhension ou  plutôt  à  ses  usages. 

Don  Perosi  a  demandé  qu'on  veuille  bien  le  comprendre 
avant  de  le  juger  :  je  m'y  suis  appliqué  de  tout  mon  être, 
autant  qu'une  seule  audition  d'une  œuvre  hier  encore  incon- 
nue, et  dont  la  partition  n'était  pas  encore  dans  nos  mains, 
pouvait  le  permettre. 

Le  compositeur  a  senti  son  sujet  très  vivement.  Et  il  l'a  tra- 
duit musicalement  avec  toute  l'exactitude  qu'il  est  permis 
d'attendre  d'un  âo^eoù  la  simple  intuition  doit  souvent  sup- 
pléer à  l'inévitable  insuffisance  de  racipiis  artistique,  à  un 
âge  enhn  où,  faute  d'avoir  assez  soulTerl, l'homme  n'est  encore 
en  possession  que  d'une  partie  de  ses  moyens. 

L'exécution  a  été  telle  qu'on  peut  se  l'imaginer  de  la  part 
d'artistes  consommés;  mais,  si  matériellement  elle  fut  à  peu 
près  impeccable,  plus  d'un  auditeur  éprouvait  comme   un 


4i  l'avknip.  dk  la  musique  sacréf: 

vague  besoin  d  y  sentir  plus  profondément  encore  linlluence 
de  ce  souflle  chrétien  qu'appelait  DonPerosi  par  son  attitude 
aussi  expressive  que  digne  ot  modeste,  de  ce  souflle  chrétien 
qui  eûtvivilic  les  passages  où  un  certain  manque  de  métier 
semblait  percer  pour  les  oreilles  habituées  à  analyser  ex 
abrupto  une  œuvre  musicale  nouvelle. 

Laissonstelcriti(|ue  plaider  telles  inégalités  dans  l'ensemble 
do  l'Oratorio,  et  disons  plutôt  que  la  sincérité  de  ia  mise  en 
œuvre  doit  intervenir  pour  contrebalancer  l'imperfection  pas- 
sagère de  la  forme  technique.  D'ailleurs,  ([uand  nous  faisons 
un  retour  sur  nous-meme  et  analysons  nos  impressions, 
nous  avons  la  sensation  bien  netle  d'avoir  à  réserver  notre 
jugement  délinitif  :  une  seule  audition  est  insuflisanle  pour 
permettre  de  le  formuler  sans  appel. 

Ce  qu'il  ett  bien  pei-mis  de  dire  dès  maintenant,  c'est  qu'il 
y  a  dans  cette  œuvre  une  personnalité  qui  s'aflirmera  lût  ou 
tard. 

On  a  prononcé  les  grands  mots  de  gâiie  et  de  c/in/-cfœiivir. 
Nous  serions  heureux  d'y  souscrire;  ruais  il  semble  prudent 
de  laisser  à  la  postérité  le  soin  de  ces  sortes  de  consécrations. 
L'auteur  est  doué,  certes,  d'un  tempérament  artistique  très 
délicat,  peul-ctre  délicat  à  l'extrême  pour  le  moment,  vu  qu'<\ 
son  âge  il  n'a  pas  eu  le  temps  d'acquérir  toute  rhabileté  tech- 
nique professionnelle,  indispensable  pour  être  à  même  de 
traduire  y  ^/.sVe  ce  qu'il  ressent  au  dedans  de  lui-même.  Mais 
tout  lui  viendra  comme  par  enchantement  si  sa  force  de  tra- 
vail reste  égale  aux  spontanéités  de  sa  natuj'e. 

Le  passé  de  Don  Perosi  nous  est  xm  sûr  garant  de  son 
avenir. 

Il 

La  tentative  Perosi  est  intéressante  à  plus  d'un  point  de 
vue.  Elle  nous  montre  notamment  que  le  méfier  de  composi- 
teur et  les  aptitudes  requises  pour  l'exercer  ne  peuvent  être 
revendiquées  par  les  laïques  comme  une  propriété  exclusive, 
une  propriété  de  nature. Perosi  nous  prouve  qu'un  prêtre  peut 
être  artiste  et  manier  la  plume  sans  être  banal  lorsqu'une 
saine  éducation  musicale  lui  a  été  donnée  à  temps.  Il  nous 
prouve  de  plus  que  pour  être  artiste  on  n'a  pas  besoin  d'aller 
puiser  ses  sensations  à  je  ne  sais  quelle  source  d'émotions 
mystico-païennes,  et  que  l'homme  sain  d'esprit  peut  pro- 
duire «  attachant  »  en  étant  tout  bonnenuMit  «  soi-même  ». 


l'avenir    de    la    MUSIQUIO    SACRÉK  45 

Aux  yeux  de  certains  laïques,  les  membres  du  clergé  sont 
inaptes  à  la  culture  de  la  musique.  —  Cette  opinion,  il  faut 
l'avouer,  ne  peut  être  que  fortifiée  par  la  lecture  de  la  plu- 
part des  œuvres  musicales  des  ecclésiastiques.  —  Le  sens 
critique  musical  leur  fait  défaut,  conséquence  inéluctable 
d'une  éducation  artistique  nulle,  d'une  instruction  musicale 
à  peine  ébauchée.  Double  insui'lisance  dont  le  résultat  le  plus 
clair  est  l'éclosion,  neuf  fois  sur  dix,  d'œuvres  indignes  de 
voir  le  jour,  mal  écrites,  peu  pensées,  à  contre-style  quand 
elles  en  ont  un;  ce  qui  ne  les  empêche  pas  d'être  admirées  et 
portées  aux  nues  par  des  confrères  complaisants,  maladroits 
par  ignorance.  C'est  ainsi  que  s'établissent  ces  réputations 
régionales,  sui  faites,  appelées  à  tomber  à  plat  aussitôt  qu'elles 
sont  soumises  au  jugement  non  prévenu  d'un  public  instruit. 

Le  clergé  doit  donc  apprendre  d'abord.  L'exemple  Perosi 
montre  qu'avec  du  travail  on  arrive  à  un  résultat  quand  on 
n'a  pas  craint  d'entendre  plusieurs  cloches!  On  me  com- 
prendra... 

L'art  musical  n'est  pas  un  art  d'agrément  :  c'est  un  Art,  le 
plus  immatériel  de  tous,  et  partant  le  plus  pur  (I).  11  est 
digne  d'être  cultivé  par  un  ecclésiastique.  Mais  comme  sou 
étude  technique  exige  des  années  d'un  travail  acharné,  il  faut 
que  le  prètic  qui  se  destine  par  vocation  à  la  culture  de  la 
musique  prenne  de  toutes  mains  la  nourriture  substantielle 
de  la  science  qu'il  devra  acquérir,  et  surtout  qu'il  s'isole  de 
confrères  trop  enclins  à  voir  le  doigt  de  Dieu  dans  la  produc- 
tion d'(nuvres  oii  le  travail  [jurement  humain  laisse  souvent  à 
désirer,  alleudu  que  dans  jioUe  science  musicale  û  n'y  a  pas 
de  (j races  d'état! 

G.  IIOUDARD. 

1.  Nous  sommes  heureux  de  voir  l'autorité  de  M.  Iloudard  conlirmcr 
plus  d'une  thèse  chère  à  notre  Revue,  et  confirmer  aussi  plusieurs 
données  que  nous  avions  déjà  ébauchées  dans  notre  brochure,  La  Mu- 
aiquc  et  le  CIcryé,  par  exemple  les  suivantes  : 

«  Bien  des  gens  ne  voient  dans  l'art  qu'une  question  d'amusementou 
de  futile  plaisir.  C'est  au  point  que  le  langage  usuel,  reflet  des  impres- 
sions de  la  foule,  a  consacré  la  locution  d'arts  d'agrément,  applicable, 
entre  autres,  à  l'art  musical. 

«  Mais  la  logiquene  saurait  ratifier  une  telle  expression.  L'agrémciit 
elle  plaisir  ne  sont  pour  l'arl  que  des  moyens.  Son  but  est  essentiel- 
leuient  d'élever  l'ànie  humaine  et  de  la  rai)procher  de  Dieu.  Ainsi 
compris,  l'art  est  chose  sérieuse. 

«  Ue  plus,  par  le  fait  quil  se  sert  de  l'élément  sensible  pour  atteindre 


'î-fi  l'avenik  de  la  musique  sacuée 

ÉTUDE    PRATIQUE    SUR    LA   CHORALISATION 
DES  PETITS  SÉMINAIRES  [Sai/r.) 


La  question  des  solos. 

Ce  serait  peu  d'avoir,  par  un  exposé  de  choses  vécues, 
donné  corps  à  cette  idée  féconde  et  pleine  d'avenir  (déjà  rôa- 
iisée  d'ailleurs  en  certains  milieux  aussi  rares  que  privilégiés) 
de  la  choralisation  des  petits  séminaires,  si  nous  ne  complé- 
tions notre  modeste  étude  en  signalant  les  écucils  auxquels 
les  meilleures  volontés  pourraient  se  briser  irrémédiablement. 

On  dit,  il  est  vrai,  que  jamais  l'expérience  dos  autres  n'a 
servi  à  personne;  et  parmi  les  «  on  dit  »  rellets  de  la  vul- 
gaire sagesse,  il  en  est  peu  d'aussi  vrais  que  celui-là.  Qu'im- 
porte? Le  devoir  d'un  écrivain  sincère  est  de  poursuivre  sin- 
cJîremcnt  son  sujet  jusqu'en  ses  dépendances  et  accessoires 
essentiels,  pour  le  simple  acquit  de  sa  conscience,  sans  s'im- 
poser la  condition  de  savoir  si  ce  qu'il  écrit  sera  ou  non  mis 
à  profit. 

Parlons  donc  des  écueils. 

Le  premier,  nous  allions  dire  le  seul  qui  nous  vienne  à 
l'esprit,  c'est  celui  des  solos.  Les  solos  sont  la  pierre  d'achop- 
pement des  œuvres  de  choialisation,  piincipalement  quand 
elles  ont  pour  facteur  la  seule  bonne  volonté  et  que  par  con- 
séquent l'appât  d'un  gain  matériel  et  le  besoin  de  le  sauve- 
garder ne  viennent  point  mettre  un  frein  aux  petites  passions 
de  société. 

Entendons-nous  bien  :  nous  sommes  à  cent  lieues  de  con- 

l'àme,  il  nous  devient  un  moyen  de  communicalion, un  moyen  d'aclion 
sur  nos  semblables.  Son  rôle  s'ennoblit  daulant. 

«  Enfin,  par  le  fait  qu'il  peut  monter  jusqu'aux  régions  surnaturelle-, 
ot  i[u'il  a  reçu  de  l'Eglise  la  mission  de  nous  en  (raduire  les  mystères, 
il  devient  un  moyen  de  sanctification. Là,  il  est  sublime.  »  (S""  édition, 
pp.  î)  cl  6.) 

«  .....Les  maîtres  nous  ont  servi  à  profusion  la  beauli-  des  formes, 
mais  il  leur  manque  l'onction  pieuse;  leurs  œuvres  sont  rarement  de 
vraies  prières.  Par  contre,  «luand  par  hasard  des  religieux  ou  des 
prêtres  ont  essayé  de  dire  les  choses  du  ciel  dans  la  langue  des  sons, 
s'ils  l'ont  fait  d'une  manière  touchante,  c'étaient  alors  les  formes  qui 
!iian(|uaient.  souvent  même  la  correction  la  plus  élémenlairo. 

«  Il  fauilraii,  pour  faire  bi  m,  des  'Itues  de  saints  initiées  à  la  rhéto- 
rique musicale.  »  (P.  10.) 

«  Quand  donc  serons-nous  Iibre.-<".'  Quand  le  clergé  aura    pris  à 

tâche  de  conquérir,  au  point  de  vue  musical,  la  supériorité  intellec- 
tuelle et  pratique  qu'il  possède  incontestablement  à  tant  d'autres 
égards.  »  (P.  20.) 


l'av^;nik  de  la  mus[quk  saciiée  47; 

damner  le  solo  pour  lui-même.  Tout  le  monde  sait  le  charme 
que  l'interprétation  individuelle  donne  à  une  composition 
mélodique, le  charme  aussi  qui  résulte  d'une  alternative hien 
ménagée  de  solos  et  de  chœurs,  etc.  Le  solo  est  l'une  des 
j)uissances  de  notre  musique  moderne;  il  est  l'une  des  com- 
posantes principales  du  relief;  sans  lui  la  musique  drama- 
tique serait  infiniment  réduite  dans  ses  moyens.  En  principe 
donc  laissons  au  solo  sa  royauté.  Mais,  pratiquement,  tâchons 
de  l'analyser  au  point  de  vue  de  son  application  à  l'étude 
spéciale  que  nous  avons  entreprise  de  la  choral isation  dans 
les  petits  séminaires  et  dans  les  maisons  d'éducation  on 
général. 

11  est  à  propos  d'observer  tout  d'abord  que  dans  les  mal- 
sons en  question  on  ne  trouvera  que  fort  rarement  (pour  ne 
pas  dire  jamais)  des  sujets  assez  bien  doués  et  forméi  d'assez 
longue  main  pour  prétendre  dûment  au  rôle  de  solistes.  Par 
conséquent,  ce  que  nous  avons  appelé  le  charme  de  l'inter- 
prétation individuelle  y  devient  presque  un  mythe.  Cette 
seule  raison  suffirait  pour  en  faire  exclure  a  priori  le  genre 
solo. 

Notons  aussi  que  dans  notre  étude  il  s'agit  avant  tout  de 
l'organisation  de  la  musique  religieuse.  Or,  à  l'église,  il 
semlile  qu'il  ne  doit  y  avoir  qu'un  seul  soliste,  le  prêtre,  ou, 
pour  être  plus  précis,  le  célébrant:  encore  celui-ci  n'est-il 
soliste  que  pour  prier  au  nom  de  la  collectivité  et  parce  qu'il 
a  reçu  dans  ce  but  une  mission  officielle  et  spéciale.  Hors  de 
lui,  il  n'y  a  que  la  masse  des  fidèles,  dont  la  prière  musicale, 
homoplione  ou  polyphone,  est  infiniment  plus  belle,  plus  tou- 
chante et  plus  digne  du  lieu  saint,  à  l'état  collectif  qu'à  l'étal 
individuel.  A  ce  point  de  vue  aussi,  le  genre  solo  devrait 
être  au  moins  très  réduit,  sinon  rejeté  tout  à  fait. 

Entrons  plus  avant  dans  notre  sujet.  —  Nous  découvri- 
rons, en  y  regardant  de  près,  que  le  genre  solo  crée  en  l'es- 
pèce un  double  danger:  danger  de  vanité  pour  le  jeune 
soliste,  danger  de  jalousie  pour  la  communauté. 

a)  Danger  de  vanité  pour  le  jeune  soliste.  —  Tout  maître 
de  chapelle  qui  n'est  que  cela  va  sourire  et  traiter  de  puéri- 
lité le  point  de  vue  que  nous  signalons.  Mais  un  éducateur 
expérimenté  ne  s'y  trompera  pas  :  il  sait  que  le  danger  existe 
Irt's  réellement,  et  il  ne  redoute  rien  tant  pour  ses  élèves  que 
do  les  voir  mis  en  relief  sans  nécessité  ou  du  moins  sans 
motif  plausible.  Il  est  convaincu  que  ses  jeunes  sujets,  par  le 
fait  môme  de  leur  situation  d'éduqués,  n'ont  point  encore 
assez  de  maturité  ni  de  sagesse  pour  être  impunément  dis- 
tingués :  il  les  veut  dans  le  rang,  et  pas  ailleurs.  Il  deviendra 
donc  l'adver.saiie  du  inaitre  de  chapelle   quand  celui-ci    fera 


48  l'avenik  de  la  wusiqui':  sacrée 

passer  Tari  avant  la  prudence  :  d'où  nouvel  écueil  par  à  côté, 
1  ccucil  d'une  opposition  plus  ou  moins  ouverte  et  d'ailleurs 
très  légitime.  Nouvelle  raison  aussi  pour  le  maître  de  cha- 
pelle de  se  tenir  en  garde  contre  les  solos. 

h)  Danger  de  jalousie  de  la  part  de  la  communauté.  —  Ce^ 
danger-là  existe  universellement  et  incontestablement  :  il 
faudrait  n'avoir  jamais  vu  de  près  une  communauté  pour 
oser  le  nier.  —  Sans  doute  son  extériorisation  pourra  n'être 
(jue  minime,  insensible  même,  suivant  les  milieux  ;  si,  par 
exemple,  l'usage  des  solos  était  traditionnel  en  telle  maison 
antérieurement  à  la  mise  en  œuvre  d'une  choralisation  d'en- 
semble et  que  l'us^age  se  soit  simplement  maintenu,  parallc- 
ment  à  la  création  nouvelle,  il  est  possible  que  la  gène  de 
tous  reste  à  l'état  latentet  ne  se  traduise  jamais  d'une  façon 
ostensiblement  compromettante. 

Mais,  remarquons-le  bien,  il  s'agit  ici  de  tout  autre  chose 
que  de  prévenir  dos  crises  aiguës  ou  des  manifestations  de 
mécontentement.  En  efr«t,  le  succès  de  votre  œuvre  de  cho- 
ralisation dépend  tout  entier  de  la  bonne  volonté  effective  de 
votre  communauté,  de  son  enthousiasme  actuel  et  perma- 
nent, de  son  élan  généreux  et  spontané  vers  la  réalisatiou 
d'un  idéal  entrevu  et  vigoureusement  poursuivi  par  tous.  Or, 
cette  bonne  volonté,  cet  enthousiasme,  cet  éhm,  vous  n'y 
pourrez  compter  définitivement  c\uh  partir  du  jour  où  tous 
vos  choristes  seront  égaux  devant  l'idéal  et  devant  vous,  où 
chacun  d'eux,  même  le  moins  capable,  pourra  se  dire  saus 
crainte  d'être  jamais  démenti:  «  Je  suis  autant  que  n'importe 
qui  ;  dans  le  succès  total  j'ai  ma  part  égale  à  celle  de  tous;  je 
dois  faire  autant  (|ue  les  autres,  pas  plus,  mais  pas  moins.  » 
Quand  par  les  faits  vous  aurez  créé  une  telle  conviction  en 
chaque  soldat  de  votre  armée  de  chanteurs,  vous  serez  un 
chef  heureux  ;  l'intérêt  commun  vous  défendra  contre  toute 
surprise:  quiconque  essayerait  d'enrayer  le  progrès  d'en- 
semble serait  considéré  par  tous  comme  un  ennemi  du  bien 
public, 

hjiicore  une  fois,  pour  réussir,  il  lant  que  vous  ayez  indéfec- 
(iblement  tous  vos  jeunes  sujets  dans  la  main  :  or,  cela  n'est 
possible  qu'à  la  condition  que  vous  inspiriez  à  tous  et  à  cha- 
cun le  sentiment  de  sa  responsabilité  et  de  sa  dignité  person- 
nelle; et  vous  n'obtiendrez  cela  <]ue  par  la  suppression  de 
tout  privilège  et  de  toute  privante,  c'est-à-dire  par  l'élimina- 
tion des  solos  qui  sont  l'élément  le  plus  criard  de  la  privante 
cl  (In  jirivilège.  {A   '■ttirrr.)  A.   (Iabkkt. 

J.e  Gérant  :  A.  (îAlJKKT. 

;.'>'ir.  NJIZETTE  ET  C'e,  8,  RUli  CAMPAXiNK-l",  PARIS. 


DEUXIEME  ANNÉE  N»5  15' MAI  1899 


L'AVENIR 


DE     LA 


MUSIQUE  SAGRKE 


b-OMMAinK. 


A  propos  d'Uiiité 65 

Les  Temps  et  les   Pieds  rythmiques 69 

Réponses    à  deux   Questions 74 

Chronique  musicale  religieuse 79 


A  PROPOS  D  UNITÉ 


Un  chanoine  de  l'Ouest  nous  a  écrit,  à  la  date  du  12  avril  : 
Monsieur  le  Chanoine, 

Je  ne  sais  qui  a  eu  l'obligeance  de  m'envoyer  le  numéro  de  mars  Je 
votre  revue  V  Avenir  de  la  Musique  Sacré-:.  Je  l'ai  lu,  et  jai  le  reg  et  de 
devoir  vous  le  retourner.  Je  ne  puis  souscrire  aux  doctrines  qui  y  sont 
enseignées;  et,  selon  ma  pensée,  vous  faites  œuvre  de  division  dans 
cette  grande  entreprise  de  la  restauration  du  chant  liturf^ique  :  mieux 
vaudrait  viser  à  l'unité  et  marcher  la  main  dans  la  main  par  la  même 
voie. 

M.  Iloudard  est  un  homme  de  grand  esprit  peut-être,  et  ses  travaux 
sont  d'un  érudit  et  d'un  chercheur.  Mais,  pour  moi,  ils  entrent  à  peine 
en  lij.'ne  de  comparaison  avec  ceux  des  Bénédictins.  M.  Iloudard  me 
fait  l'efTet  d'un  homme  seul  suivi  d'une  poignée  d'adhérents;  tandis 
que  les  Bénédictins  sont  légion,  et  la  légion  s'accroît  de  jour  en  jour. 
Ce  qui  attire  irrésistiblement  après  eux,  ce  sont  les  résultats  obtenus. 
Avec  leur  édition,  leur  interprétation  des  textes  et  leur  méthode 
d'exécution,  on  chante  comme  on  prie,  et  on  prie  selon  la  foi  et 
l'amour  dont  l'âme  est  pénétrée.  Je  défie  toute  autre  manière  de  chan- 


()f  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

ter  les  mélodies  grégoriennes,  de  mieux   traduire  la  prière    ou    la 
louan;,'e. 

Pardonnez-moi,  monsieur  le  Chanoine,  si  mon  jugement  personnel, 
auquel,  certes,  je  n'atlriljue  aucune  infaillibilité,  n'a  pas  l'avantage  de 
vous  agréer;  je  n'en  suis  pas  moins  votre  très  humble  et  très  respec- 
tueux serviteur. 

Z,  chanoine,  etc. 

Voilà  un  «  jugement  personnel  »  qui  tend  à  devenir  senti- 
ment collectif  en  bien  des  pays  de  France  :  il  est  à  propos  de 
le  soumettre  à  la  discussion  sous  certains  aspects.  Faisons 
quelques  réflexions  accessoires  avant  d'entrer  dans  le  vif  du 
sujet. 

a)  Le  renvoi  d'un  numéro  de  revue  est  chose  trop  facile, 
trop  à  la  portée  de  n'importe  qui,  pour  avoir  force  d'argument. 
Quanta  nous,  les  revues  que  nousrecevons  le  plus  volontiers 
sont  celles  qui  pensent  autrement  que  nous  :  car  ce  sont 
celles-là  qui  nous  font  envisager  tous  les  côtés  des  questions, 
celles-là  aussi  qui  nous  apprennent  la  circonspection  et  la 
défiance  de  nos  propres  lumières. 

è)  Pourquoi  nous  objecter  M.  Boudard  avec  tant  d'insis- 
tance? A-t-on  lu  quelque  part  que  nous  ayons  réellement 
pris  parti  pour  son  système?  Avons-nous  fait  jusqu'à  ce  jour 
autre  chose  que  de  signaler  de  temps  en  temps  et  très  impar- 
tialement ses  remar(|uables  études  et  sa  recherche  sincère  de 
la  vérité?  Pour  juger  notre  lîevue,  il  faudrait  en  lire  plus  d'un 
numéro.  Elle  va  partout,  cher  Confrère  :  vous  en  trouverez 
facilement  des  collections  dans  votre  entourage. 

c)  De  même  que  le  fait  d'être  «  légion  »  n'a  par  lui-même 
qu'une  signification  très  relative,  étant  donné  surtout  lo  degré 
de  culture  musicale  de  notre  clergé,  de  même  le  fait  d'être 
«  seul  »  ou  d'être  dit  tel  n'a  pas  en  soi  la  portée  que  semble 
lui  donner  notre  correspondant.  Galilée  fut  seul;  Denis  Papin 
fut  seul;  Parmentier  fut  seul;  Pasteur  fui  seul  :  tous  cessè- 
rent de  l'être.  Dom  l'olbier  fut  seul  :  il  est  «  légion  ». 

cl)  Que  penser  de  la  phrase  ;  «  Je  délie  toute  autre  ma- 
nière, etc.,  de  mieux  traduire,  etc.  »?  Pure  afl'airc  de  goût 
personnel.  Or  si  notre  correspondant  avait  lu  notre  numéro 
d'avril,  il  y  aurait  vu,  pageGi,  que  des  goûts  et  des  couleurs 
nous  ne  disputons  pas. 

Ceci  dit.  abordons  enfin  notre  sujet  et  enfourchons  le  grand 
cheval  de  bataille  :  V uniir. 

Ah!  cher  monsieur  le  Chanoine,  quelle  belle  occasion, vous 


l'avemr  de  la  musique  sacrée  67 

avez  perdue  de  garder  le  silence  !  Au  lieu  d'invoquer  l'unité, 
que  ne  parlez-vous  plutôt  de  liberté  ?  Votre  cause,  assurément, 
s'en  porterait  mieux. 

Nous  avons,  pour  la  plupart,  vous  le  savez,  nos  éditions 
diocésaines  que  Rome  tolère,  que  nos  administrations  locales 
maintiennent,  qui  nous  donnent  notre  pain  quotidien  de  chant 
liturgique.  A  côté  de  cela  nous  avons  l'usage,  également 
toléré,  de  remplacer  notre  plain-chant  par  de  la  musique 
quand  il  y  a  quelque  raison  de  le  faire.  Nous  nous  permettons 
même  plus  ou  moins  souvent  de  substituer  plain-chant  à 
plain-chant,  versions  de  manuscrits  à  versions  modernes 
écourtées,  pièces  dites  archéologiques  à  pièces  de  valeur  pra- 
tique. Sur  toutes  ces  libertés  Rome  semble  fermer  maternel- 
lement les  yeux:  vous  en  usez,  nous  en  usons  (1),  chacun 
selon  ses  besoins,  ses  ressources  et  ses  préférences. 

Mais,  apparemment,  ces  libertés  vous  déplaisent,  ou  du 
moins  vous  semblez  ne  goûter  que  votre  propre  manière  de 
les  pratiquer.  Et  pour  tenter  de  convertir  ceux  qui  peut-être 
sentent  autrement  que  vous,  vous  criez  :  Vive  l'unité  ! 

Eh  bien  !  soit  :  ^nve  Viinité^  monsieur  le  Chanoine  ! 

Mais  vive  l'unité  vraie,  l'unité  légitime,  l'unité  qui  émane 
des  directions  de  V autorité.  C'est  la  seule  qu'il  soit  vraiment 
permis  de  réclamer,  la  seule  qu'on  ait  le  droit  d'imposer  à 
nos  consciences. 

Or  cette  unité  n'est  point  un  mythe  :  l'Eglise  y  tend  avec 
prudence  et  sagesse,  mais  avec  force  et  constance.  Essayons 
d'en  dire  encore  quelques  mots  comme  au  hasard  de  la  plume, 
en  rappelant  des  principes  et  des  faits  que  font  trop  facile- 
ment oublier  et  certaines  tendances  semi-gallicanes  encore 
mal  éteintes,  et  certaines  discussions  artistiques  souvent 
étroites  autant  que  partiales,  et  certaines  préoccupations  mer- 
cantiles toujours  mauvaises  conseillères.  Nous  avouons  d'ail- 
leurs que  nous  ne  dirons  aucunes  choses  nouvelles,  mais  seu- 
lement des  choses  qu'on  n'a  peut-être  pas  assez  dites,  qu'où 
semble  même  ne  plus  guère  oser  dire... 

Et  d'abord  remarquons  bien  que  l'Eglise  aie  droit  absolu 
et  total  de  régler  les    conditions  du  chant  liturgique,  parce 


1.  On  en  use  inôine  à  Rome  :  La  Tribune  de  Saint-Geroais  {n°  d'avril 
1899,  p.  93)  et  la  Renucdu  Chant  Grégorien  de  Grenoble  (n"  d'avril  1899, 
pp.  175  et  176)  prennent  soin  de  nous  renseigner  là-dessus. 


68  l'a^'Enir  de  la  musique  sacrée 

que  l'Eglise  est  maîtresse  chez  elle.  Il  faut  poser  cela  en  prin- 
cipe fondamental.  Et  ce  principe-là  est  de  toute  évidence  :  il 
n'a  besoin  ni  de  preuves  ni  de  démonstrations. 

Or,  son  droit,  l'Eglise  l'a  toujours  revendiqué,  toujours 
exercé  : ///?/s  ou  moins,  selon  les  besoins  des  temps;  mais, 
encore  une  fois,  toujours.  Sa  sollicitude  vis-à-vis  du  chant 
liturgique  a  même  semblé,  depuis  le  Concile  de  Trente,  se 
manifester  d'une  façon  plus  précise,  plus  spécialement  adap- 
tée aux  exigences  modernes.  Enfin,  au  cours  de  ces  trente 
dernières  années,  les  intentions  et  les  volontés  de  l'Eglise  se 
sont  traduites  de  la  manière  la  plus  claire,  la  plus  détaillée,  la 
plus  circonstanciée. 

Nous  trouvons  ces  intentions  et  ces  volontés  exprimées 
principalement  dans  quatre  actes  officiels,  soit  deux  brefs 
et  deux  décrets  :  a)  le  Bref  de  Pie  IX  Qui  choricis  du 
30  mai  1873  ;  b)  le  liref  de  Léon  XIII  Sacrorum  conccnlimm 
du  45  novembre  4878;  c)  le  Décret  Romanoi'um  Pontificum 
promulgué  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites  le 
26  avril  4883;  fi^)  le  Décret  Q;<or/ 6\  Augitstinus  promulgué 
par  la  même  Congrégation  le  7  juillet  4894. 

Il  est  impossible  de  méconnaître  la  portée  de  ces  quatre  actes 
ofTicicls  si  l'on  observe  attentivement  les  idées  générales  qui 
se  dégagent  de  leurs  textes,  les  circonstances  qui  les  ont 
motivés,  et  aussi  d'autres  actes  plus  ou  moins  officiels  qui  en 
ont  été  le  commentaire  pratique. 

I.  Idées  générales  qui  se  dégagent  des  Brefs  cl  des  Décrels. 

L'idée  qui  prime  toutes  les  autres  es-t  précisément  celle  de 
Vunitéh  réaliser  autour  de  l'Edition  reconnue  et  recommandée 
par  Rome. 

Dans  le  Bref  Qui  choricis  nous  lisons  :  Atque  adeo  hanc 
ipsam  dicti  Gradualis  Romani  edilioiicin...  Reverendissimis 
locorum  Ordinariis  iisque  omnibu<,  quibiis  tnusices  sacrœ 
cura  est,  magno  opère  comnieadamus;  co  vel  magis,  quod 
stt  Nobis  tnaxime  in  volts,  ut  cum  in  cseteris  quœ  ad  sacram 
Liturgiam  pertinent,  tmn  etiam  in  cantu,  una,  c  midis  in 
locis  ac  Diœcesibus,  eademquc  ratio  servetitr,  qua  Ro?nana 
utitur  Ecclesia. 

Dans  le  Bref  Sacrorum  coîiccntuum  nous  lisons  :  Itaque 
viemoraiam  editionem...  probamiis,  atque  aulhcnticam  devla- 
ramiis.  Rêver endissimisque  locorum  Ordijwriis,  cœlerisque 
quibu^  Musices  sacrœ  cura  est,  vehementer  commendamus\ 
id  potissimum  spec tantes,    ut  sic  cunctis  in  lacis  ac  Diœce- 


l'avenir  de  la  musiquk  sacrée  69 

sibus,  cum  in  cœteris  qupe  ad  sacram  Liturgiam  pertinent, 
tum  etiam  in  cantu,  una  eademque  raùo  servetur,  qua 
Bomana  utitur  Ecclesia. 

Le  premier  texte  est  de  Pic  IX,  le  second  de  Léon  XIIL 
Les  Papes  se  succèdent,  les  idées  leur  survivent.  Dans  les 
deux  textes  nous  trouvons  les  mêmes  mots  :  Ctinctis  in  locis 
ac  Diœcesibus...  Una... Eademque  ratio SERVETURjÇ^î^a  Romana 
utitur  Ecclesia.  C'est  là  le  vœu  qui  domine  tous  les  vœux  : 
Maxime  in  votis...  Id  potissimiim  spectanfes.  Et  ces  vœux  ne 
sontpoint  abstraits,  et  V unité  ambitionnée  n'est  point  limitée 
à  la  théorie:  le  tout  vise  une  édition  bien  spécifiée  :  Hanc 
ipsam  editionem.. .  Memorafam  editionem. 

Et  les  textes  ci-dessus  sont  très  particulièrement  remis  en 
lumière  dans  les  deux  Décrets  Romanorum  Pontificum  et 
Qiiod  S.  Augustinus. 

On  le  voit  :  il  existe  une  Edition  de  chant  liturgique  appar- 
tenant en  propre  à  l'Eglise  romaine,  approïivée  et  reconnue 
authentique  par  Elle,  par  Elle  aussi  vivement  recommandée 
aux  Révéreîidissimes  Evêques  et  à  tous  ceux  qui  doivent  pren- 
dre soin  de  la  musique  sacrée;  et  c'est  vers  cette  Edition,  que 
les  exhortations  les  plus  pressantes  de  l'Eglise  orientent  la 
question  si  vitale  de  l'unité,  afin  que  dans  le  chant,  comme 
dans  le  reste  de  la  liturgie  sacrée,  on  suive  dans  tous  les  lieux 
et  dans  tous  les  diocèses  une  seule  et  même  pratique,  celle  de 
l'Eglise  romaine. 

{A  suivre.)  A.  Gaberï. 


LES  TEMPS  ET  LES  PIEDS  RYTHMIQUES 

D'après  les  diverses  définitions  que  nous  ont  laissées  les 
Anciens,  l'objet  du  rythme  musical  est  la  division  du  temps 
en  parties  distinctes  et  coordonnées  entre  elles.  Ces  fractions 
du  temps,  pendant  lequel  se  produisent  les  sons  de  la 
mélodie,  portent  elles-mêmes  le  nom  de  temps,  xp^vo-.,  et  en 
se  combinant  forment  les  pieds. 

«  Le  rythme  est  donc  un  assemblage  rapide  de  temps  et 
de  pieds,  que  divise  l'arsis  et  la  Ihésis.  Rythmus  est  pediim 
temporumque  junctura  velox,  divisa  in  arsitn  et  thesim.  » 
(iVIar,   Victor  :  Art.  gram.,  I,  éd.  Teubuer,  p.  41.) 

L'expression  rapide  employée  ici  par  Marius  Victorinus 
indique  que  celte  succession  des  temps  doit  être  assez  rap- 


70  l'avhmr  de  la  musique  sacrée 

prochée  :  car,  comme  l'explique  saint  Augustin,  si  Tinter- 
valle  qui  les  sépare  était  trop  considérable,  la  proportion 
rythmique  ne  serait  plus  perceptible  à  nos  sens.  (De  ?7iicsica, 
I,  13.) 

I.  Les  Temps. 

Le  mot  temps,  xp<>"^°=^.  prend  chez  les  Anciens  différentes 
dénominations  suivant  qu'il  s'applique  à  tel  ou  tel  genre  de 
durée. 

Nous  avons  déjà  parlé  du  temps  premier  ou  tc^ixiw.  C'est 
le  temps  le  plus  petit,  pris  comme  unité  rythmique  dans  un 
mouvement  donné.  Par  lui-même  il  n'admet  pas  de  divi- 
sions, et  sa  durée  une  fois  fixée  sert  de  mesure  à  tous  les 
temps  qui  suivent. 

En  multipliant  le  temps  premier,  on  obtient  des  temps 
doubles,  triples  ou  quadruples,  qui  prennent  alors  le  nom  de 
disimes,  trisimes,  ti-trasimes.  D'après  Aristide  Quintilien,  le 
temps  rythmique  n'allait  pas  au  delà  de  cette  grandeur,  afin 
de  correspondre  à  la  division  mélodique  du  ton  qui  ne  peut 
se  résoudre  en  plus  de  quatre  diésis  ou  quarts  de  ton.  {De 
tnusica,  1;  Meibom.,  p.  33.)  Saint  Augustin  dit  aussi  que  le 
nombre  quaternaire  doit  être  le  terme  de  la  progression 
rythmique.  {De  musica,  I,  12.) 

On  trouve  cependant  dans  l'Anonyme  de  Hellermann 
(Vincent,  Notices,  p.  49)  un  signe  de  durée  correspondant  à 
une  longue  de  cinq  temps;  mais  cette  longue  ne  pouvait 
être  employée  que  dans  le  genre  péonique,  moins  répandu 
que  les  autres,  et  nous  n'en  trouvons  aucun  exemple  dans 
les  pieds  rythmiques  énumérés  par  Aristide  Quintilien, 
Marius  Victorinus  et  autres  théoriciens,  où  le  temps  le  plus 
long  ne  renferme  que  quatre  temps  premiers.  «  Le  temps 
long  monoch/one,  dit  également  Martianus  Capella,  peut 
valoir  deux,  trois  ou  quatre  temps  brefs.  »  {Ap.  Methom., 
p.  194.) 

Il  s  agit  ici  du  temps  qu'Aristoxène  nomme  incomposé  et 
qui  ne  correspond  qu'à  un  seul  son,  une  seule  syllabe  ou  un 
seul  gesle,  quelle  qu'en  soit  la  durée;  tandis  qu'il  appelle 
composé  tout  intervalle  de  temps  occupé  par  plusieurs  sons, 
syllabes  ou  gestes.  {Elément,  rijthmic,  ap.  Westpholl.p.  31.) 
Le  môme  espace  de  temps  était  donc  composé  ou  incomposé, 
suivant  qu'il  était  continu  ou  divisé.  Il  en  était  ainsi  des 
intervalles  mélodiques,  de  la  quarto  par  exemple,  qui  était 
incontposée,  si  l'on   faisait  entendre  en  succession  les  deu.\ 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  71 

sons  extrêmes,  et  composée,  quand  on  y  intercalait  un  ou 
plusieurs  sons  intermédiaires.  (Aristox.,  Elément,  har mon., 
ap.  Moibom.,  p.  60.) 

Il  y  avait  par  conséquent  des  temps  de  différente  valeur  ; 
mais  tous  n'étaient  pas  reçus  par  la  rythmopée,  qui  n'admet- 
tait que  les  temps  rythmiques  et  les  temps  ryfhmoïdes. 

Les  temps  rythmiques,  ou  conformes  au  rythme,  étaient 
ceux  qui  gardaient  un  ordre  rationnel,  tel  que  leurs  durées 
fussent  entre  elles  dans  le  rapport  égal,  double,  sesquialtèie 
ou  autre  semblable,  comme  1:1,  1 :  2  ou 2  :  3.  (Arist. Quint.), 
Meib.,p.  33.)  On  leur  donnait  aussi  le  nom  de  temps  joodiç^î^ei-, 
parce  que  leur  grandeur  équivalait  à  celle  d'une  des  parties 
du  pied,  —  c'est-à-dire  à  une  arsis  ou  à  une  thésis,  —  soit 
même  à  l'étenduo  d'un  pied  simple,  comme  dans  la  dipodie 
et  dans  les  pieds  composés,  où  l'on  plaçait  un  pied  au  levé  et 
l'autre  au  frappé.  {Psellus,  8,  Westph.,  p.  38.)  Mais  toujours 
ils  devaient  correspondre  à  un  multiple  entier  du  tenij)s  pre- 
mier, tel  que  2,  3,  4. 

Les  temps  arythmiques,  ou  contraires  au  rythme,  étaient 
ceux  qui  se  succédaient  sans  ordre  ni  proportion. 

Enfin,  les  temps  rythmoïdcs,  ou  ayant  l'apparence  du 
rythme,  tenaient  le  milieu  entre  les  deux  précédents.  Tout 
on  gardant  une  certaine  proportion,  ils  avaient  quelque  chose 
d'irrégulier  et  de  désordonné.  (Arist.  Quint.,  loc.  cit.) 

Tous  les  temps  plus  grands  ou  plus  petits  que  les  tcm[)s 
rythmiques,  c'est-à-dire  dont  la  durée  équivalait  à  un  nom- 
bre fractionnaire,  rentraient  dans  cette  catégorie.  (P.sellus, 
loc.  cit.) 

Leur  effet  était  d'accélérer  ou  de  ralentir  le  rythme.  Aussi 
les  appelait-on  (TTpoyyijXot  (arrondis),  quand,  par  leur  brièveté, 
ils  précipitaient  le  mouvement,  et  TrepîTrXew  (surabondants), 
quand  ils  le  retardaient  par  leur  pesanteur.  (Arist.  Quint., 
loc.  cit.) 

(iCS  sortes  de  temps  étaient  désignés  sous  le  nom  géné- 
rique à' irrationnels.  «  Le  temps  irrationnel,  dit  Bacchius, 
tient  le  milieu  entre  le  temps  long  et  le  temps  bref  (c'est-à- 
dire  vaut  un  temps  et  demi).  Gomme  la  quantité  dont  il  est 
plus  petit  ou  plus  grand  que  ceux-ci  ne  peut  être  évaluée 
d'une  manière  exacte,  on  l'appelle  irrationnel.  »  {Inlrod.  art. 
mime,  ap.  Meibom.,  p.  23.) 

C'était  le  cas  toutes  les  fois  que  des  ïambes  ou  des  tro- 
chées se  trouvaient  associés  à  une  série  dactylique;  la  brève 


72  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

de  l'ïambe  ou  du  trochée  était  allongée  d'un  demi-temps 
pour  s'adapter  au  mouvement  rythmique.  «  Car  lo  rythme 
donne  au  temps  l'extension  qu'il  lui  plaît,  jusqu'à  faire  bien 
souvent  d'un  temps  bref  un  temps  long.  »  {Lonr/in.  ad 
Hephœst.^  ap.  Westph.,  p.  43.) 

«  Le  rythme,  dit  encore  Marins  Victorinus,  prolonge  les 
temps  à  son  gré  :  non  seulement  il  augmente  la  durée  du 
temps  bref,  mais  il  diminue  celle  du  temps  long.  »  {Art. 
gram.,  p.  42.)  Cette  abréviation  des  longues avaitlieu  chaque 
fois  qu'un  spondée  se  trouvait  intercalé  dansuti  rythme  ïam- 
bique;  la  longue  du  spondée  ne  valait  plus  alors  qu'un  temps 
et  demi.  De  même  la  longue  du  dactyle  et  de  l'anapeste  per- 
dait de  sa  valeur,  quand  ces  pieds  étaient  mélangés  à  des  tro- 
chées ou  à  des  ïambes  dont  ils  ne  différaient  presque  plus  en 
durée.  Ils  prenaient  alors  le  nom  de  cycliques  ou  roulants 
(Dionys,  Compos.  vcrb.,  47,  20.) 

{\c.  mélange  de  temps  rythmiques  et  de  temps  irrationnels 
était  admis  par  la  rythmopée,  comme  l'affirme  Aristoxène  : 
«  Chacun  des  pieds,  dit-il,  est  déterminé  soit  par  un  rapport 
rationnel,  soit  par  une  irrationnalitê  qui  est  intermédiaire 
entre  deux  rapports  rationnels.  »  [Westph.,  p.  H4.)  Cette 
association  ne  changeait  pas  le  caractère  du  rythme,  mais 
produisait  seulement  l'effet  d'un  ritenuto  ou  d'un  stringendo 
dans  nos  mesures  modernes. 

Les  rythmiciens  employaient  donc  des  brèves  prolongées 
et  des  longues  soit  abrégées,  soit  augmentées  d'un  demi- 
temps.  «  La  syllabe  rythmique,  dit  Priscien,  peut  valoir  un 
temps,  deux  temps  et  même  un  temps  et  demi,  deux  temps  et 
demi  ou  trois  temps.  »  (Vincent,  Notices,  p.  461.)  Mais  n'ad- 
mettaient-ils pas  aussi  des  brèves  plus  petites  que  la  brève 
ordinaire,  c'est-à-dire  valant  un  demi-fomps? 

IJien  qu'au  premier  abord  l'indivisibilité  du  temps  premier 
semble  s'y  opposer,  dès  lors  que  l'on  ixç.cQ\i\&\iV irrationnalitê 
des  longues  qui  ne  représentaient  plus  nn  multiple  exact  du 
temps  premier, mais  seulement  une  expression  fractionnaire, 
on  devait  forcément  en  arriver  à  admettre  cette  division  de  la 
brève  en  intervalles  plus  petits.  Elle  correspondait  d'ailleurs 
au  fractionnement  du  demi -ton  en  deux  diésis  dans  V enhar- 
monique. Et  aussi  voyons-nous  plusieurs  auteurs  mentionner 
ces  sortes  de  semi-brèves. 

Marius  Victorinus  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  «  Les  musi- 
ciens qui,  dans  les  modulations  rythmiques  et  dans  les  chants 


l'avenir  de  la  musiqub  sacrék  73 

lyriques,  soumettent  les  syllabes  à  l'arbitre  des  temps,  pro- 
duisent, en  proloneceant  la  durée  de  l'émission,  des  syllabes 
plus  longues  que  les  longues  ordinaires  et, en  la  restreignant, 
d'autres  plus  brèves  que  les  brèves.  Musici  tam  longis  lon- 
gioî'e.'i  quambreviores  brevibus  proferunt.  »  [Art.gram.,^.  39.) 
Denys  d'Ilalicariiasse  parle  également  de  ces  brèves  de  plus 
petite  ànvéQ  Comp.  verb.,  15),  et  l'on  croit  en  avoir  retrouvé 
l'emploi  dans  l'inscription  musicale  Ae 'ïvqWq^.  [Bulletin  de 
Correspondance  hellénique,  1895,  p.  367,  note.)  Aristoxène 
dit  d'ailleurs  que  la  rylhmopée  introduit  dans  les  rythmes 
une  grande  variété  de  divisions  accidentelles,  autres  que  les 
divisions  fixes  et  permanentes  produites  parl'arsisetla  thésis 
{Westph.,^.U). 

Aux  temps  que  nous  avons  énumérés,  il  faut  ajouter  celui 
que  les  Anciens  appelaient  temps  î^zc^e  ou  silence.  «Le  rythme, 
dit  l'Anonyme  de  lîollermann,  se  compose  de  l'arsis  et  de  la 
1hcsis,et  du  temps  que  quelques-uns  appellent  temps  vide.  » 
(Vincent,  Notices,  p.  49.)  «  Le  temps  vide,  suivant  Aristide 
Quintilien,  est  celui  qui  n'est  occupé  par  aucun  son;  il  sert  à 
compléter  le  rythme.  »  {Meibom.,  p.  40.) 

Comme  l'enseigne  saint  Augustin,  quand  par  l'assemblage 
des  pieds  on  n'obtenait  pas  un  rythme  régulier,  on  intercalait 
des  silences  plus  ou  moins  longs,  suivant  que  l'exigeait  la 
nature  du  rythme  et  des  pieds  employés.  {De  musica,  lïl,  8, 
et  IV,  13,   14,  15.) 

Aristide  Quintilien  ne  mentionne  que  les  silences  de  un  et 
de  deux  temps;  mais  saint  Augustin  en  admet  de  trois  et  de 
quatre  temps,  et  l'Anonyme  de  Bellermann  donne  autant  de 
signes  de  silence  que  de  signes  de  durée  pour  les  notes.  (Vin- 
cent, Notices,  p.  49.) 

On  voit  par  ce  qui  précède  que  le  mot  temps  avait  chez  les 
musiciens  de  l'Antiquité  une  signification  beaucoup  plus 
étendue  que  chez  les  modernes,  puisqu'il  s'appliquait  à  plu- 
sieurs espèces  de  durées  fort  différentes,  tandis  qu'aujour- 
d'hui il  indique  seulement  les  divisions  fixes  de  la  mesure  et 
correspond  à  ce  que  quelques  auteurs  appelaient  temps /)0f//- 
ques. 

{A  suivre.)  J.  Du  poux. 


74  l'avenir  de  la  musique  sacrée 


RÉPONSES  A  DEUX  QUESTIONS 

Ld  publication  de  V Appendice  que  je  viens  de  faire  paraître 
m'a  valu  une  quantité  de  lettres  émanées  de  personnalités 
bien  différentes  mais  qui  toutes  s'intéressent  d'une  façon  quel- 
conque à  la  cause  de  la  restauration  de  la  musique  dite  gré- 
gorienne. 

Bien  qu'ayant  répondu  à  chacune  d'elles  en  particulier, 
j'ai  dû,  pour  m'éviter  des  redites  fastidieuses,  réserver  un 
certain  nombre  de  questions  d'intérêt  général  en  priant  mes 
honorés  correspondants  de  suivre  dans  les  revues  spéciales 
la  discussion  complémentaire. 

l 

Dans  91  pour  400  des  lettres  reçues  se  trouve  cette  question: 
«  Quand  puhlierezvoiis  votre  traduclion  du  manuscrit  de 
Saint- Gall?  » 

J'ai  d'abord  renvoyé  mes  correspondants  à  la  note  1, 
page  330  de  mon  Appendice  \  mais  les  mots  adhésions  for- 
melles ayant  été  compris  dans  le  sens  de  souscriptions,  je 
m'c^mpressc  de  prévenir  mes  nouveaux  lecteurs  que  ce  côté 
mercantile  n'a  jamais  été  mon  objectif  et  (jue  ipa,r  adhésions 
j'entendais  :  conversions  à  ma  religion  scientitique,  ou  pour 
employer  un  langage  moins  prétentieux  :  reconnaissance  for- 
melle  du  hien  fondé  de  ma  théorie  par  ceux  dont  f  ambitionne 
le  suffrage  éclairé. 

Je  ne  publierai  donc  rien,  quant  à  présent,  et  je  demande 
la  permission  de  rester  juge  du  moment  opportun  où  je  pour- 
rai livrer  ces  traductions  au  public. 

Aurais-je  même  en  mains  ces  adhésions  désirées  que  j'hé- 
siterais encore  à  faire  la  publication  que  l'on  réclame,  et  ce, 
pour  une  simple  raison  de  convenance  vis-à-vis  du  Saint- 
Siège. 

Le  Saint-Siège,  en  eiïet,  tolère,  dans  tout  diocèse,  la  con- 
servation de  l'Edition  en  usage  antérieurement  au  Décret  du 
26  avril  1883.  Mais,  par  contre,  dans  le  môme  Décret  et  dans 
celui  du  7  juillet  1804,1a  Sacrée  Congrégation  des  Rites  exhorte 
très  vivement  les  diocèses  à  adopter  l'Edition  dite  officielle 
(en  l'espèce  l'Edition  publiée  à  lïatisbonne  sous  les  auspices 
du  Saint-Siège  et  par  les  soins  de  ladite  Congrégation),  dans 


l'avenir  dk  la  musique  sacrék  78 

le  casd'une  mise  à  l'écart  de  leur  édition  usuelle. Elle  va  môme 
jusqu'à  qualifier  de  «  souverainement  indigne  et  blâmable  »  le 
choix  et  Tadoption  de  toute  autre  que  l'Edition  déclarée  au- 
thentique par  le  Saint-Siège. 

En  droit  strict,  mon  Edition  n'a  pas  à  voir  le  jour,  sinon  au 
point  de  vue  archrulogiqne;  et  la  did'usion  de  V Edition  Béné- 
dictine ne  produit  rien  moins  qu'une  sorte  de  schisme,  puisque 
strictement  aucun  diocèse  n'a  le  droit  de  l'adopter.  Un  bref 
célèbre,  émané  de  Rome,  et  que  l'on  paraît  cacher  soigneuse- 
ment, a  exposé  une  fois  de  plus  ce  fait  d'une  façon  catégo- 
rique. 

(-haque  diocèse  a  le  droit  d'amender  son  Edition  usuelle,  et 
c'est  là  qu'est  la  vraie  voie  à  suivre  en  vue  d'une  restauration 
pratique,  sans  viser  à  l'unité,  difficile  à  obtenir;  mais  aucun 
n'a  le  droit  de  mettre  à  l'écart  son  édition  usuelle  pour  adopter 
l'h^dition  Bénédictine,  ou  la  mienne,  ou  toute  autre  qu'il  est 
superflu  de  dénommer  plus  clairement. 

Lorsque  quelques  correspondants  m'écrivent,  sur  un  ton 
passablement  aigre,  que  je  fais  une  œuvre  de  division,  que  je 
suis  coupable  de  n'être  pas  de  l'avis  des  Révérends  Pères  de 
Solesmes,que  je  devrais {[)  m'unir  à  eux  pour  achever  leur  œu- 
vre en  la  prônant  comme  belle  puisque  sa  diffusion  prouve  sa 
validité,  etc.,  je  réponds  que  je  ne  m'occupe  pas  do  savoir  si 
celte  œuvre  est  belle,  mais  simplement  si  elle  est  vraie, 
PUISQUE  on  nous  l'a  toujours  présentée  comme  le  chant  tradi- 
tionnel de  saint  Grégoire.  Or,  cette  œuvre  est  fausse  et  j'ai 
le  droit,  en  musicien  et  en  archéologue,  de  rechercher  celle 
qui  doit  lui  être  substituée  archéologiquement. 

S'il  y  a  division,  elle  est  le  fait  de  Solesmes.  On  peut  le 
regretter. 

Mais  s'il  faut  dire  toute  ma  ponsée,  j'ajouterai  qu  à  part 
moi  je  l'absous  en  considération  du  pas  immense  que  ses 
efforts  ont  fait  faire  aux  études  plain-chantales. 

On  sait  aujourd'hui,  grâce  à  celte  école,  que  la  mélodie 
grégorienne  est  autre  chose' qu'une  œuvre  de  barbares.  C'est 
beaucoup,  mais  ce  n'est  pas  tout,  hélas!  Tant  s'en  faut. 

il 

La  seconde  question,  la  plus  souvent  renouvelée,  peut  se 
formuler  : 

I.  «  Division  »,  «  coui»iibln  »,  «  devrais»,  etc.,  clc.  Diîcidéiiicnt  c'est 
la  lacli(]uo  :  on  cciità  M.  llou(lin<l   connue  à   nous,  comme  à   ccitains 


76  l'avknir  de  la  musique  sacrée 

«  En  quoi  votre  rythme  libre  difï^re-t-il  tant  de  celui  du 
R.  P.  Dom  Pothier,  et  en  quoi  le  rythme  libre  dit  oratoire 
est-il  donc  si  inadmissible  théoriquement?  » 

\°  Mon  rythme  libre  diffère  de  celui  de  Dom  Pothier  comme 
le  jour  diffère  de  la  nuit.  Jl  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  une 
pièce  musicale  traduite  dans  chaque  système  d'interprétation 
de  la  notation  neumatique.  \oir  par  exemple  l'Alleluia  «Jas- 
tus  germinabit  ^.^age  21 6 de  mon  ouvrage  le  Rijthmedu  chant 
dit  grégorien,  et  rapprocher  la  version  bénédictine  traduite 
en  notation  moderne  publiée  dans  la  Revue  encyclopédique 
Larousse,  n°  du  17  avril  1897. 

2°  Pour  démontrer  que  le  Rythme  oratoire  du  Révérend 
Père  est  inadmissible  théoriquement,  il  n'est  besoin  que  do 
citer  son  ouvrage  les  Mélodies  grégoriennes  et  de  lui  opposer 
quelques  textes. 

Nous  lisons  p.  184  (Ed.  1881  petit  in-8"},  4"  alinéa  :  «  Nom 
voxjons...  Sans  doute  il  y  a  dans  le  plain-chant,  toi  qu'il  doit 
être  exécuté,  des  notes  plus  longues  et  d'autres  plus  brèves,  des 
notes  plus  fortes  et  d'autres  plus  faibles;  mais  ce  qu'il  y  a  sur- 
tout, ce  sont  des  notes  liées  et  d'autres  détachées.  » 

Voilà  donc,  bien  établis,  affirmativement,  l'élasticité  de  la 
durée  des  notes,  le  vague  fondamental  de  leur  durée  respec- 
tive d'après  certaines  règles  de  position  sorties  tout  entières, 
ou  peu  s'en  faut,  du  cerveau  des  Révérends  Pères;  règles  qui 
les  ont  entraînés  à  arranger  la  notation  en  groupant  les  for- 
mules rythmiques  selon  la  nécessité  de  la  règle  à  leur  appli- 
quer, c'est  à-dire  en  les  entrecoupant  de  blancs  et  de  barres  de 
respiration  nécessaires  pour  établir  le  bien  fondé  de  la  règle 
fixée  a  priori.  Or,  rien  de  tout  cela  n'existe  dans  les  neumes, 
et  on  chantait  sur  les  neumes  purs!  De  plus,  les  blancs  indi- 
cateurs de  repos  plus  ou  moins  lon^s  rompent  la  mélodie  en 
en  faisant  quelque  chose  d'informe  musicalement,  et  les 
barres  de  respiration  sont  souvent  très  mal  placées  en  cou- 
pant à  faux  la  mélodie.  Enfin,  au  vague  fondamental  de  la 
durée  des  notes,  on  peut  opposer  ce  texte  de  Guy  d'Are//:o  : 
Alix  voces  ab  aliis  mondam  duplo  longiorem  vel  duplo 
breviorf7n  aut  trcinulain  habeant  (1). 

Donc  les  notes  se  différencient  entre  elles  par  une  durée 


amis  que  nous  pourrions  citer,   on  un  motconinio  à  tous  ceux    qui  so 
tiennent  en  dehors  dos  sectes  et  des  coteries.  {Nott^  de  la  liOdactiou). 
1.  Microl..  XV,  2. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  7T 

proportionnelle  certaine  de  longue  à  brève  comme  2  est  à  1 
dans  le  rapport  prosodique  connu. 

C'est  donc  d'après  l'enseignement  de  Solesmes  «  quil  y  a 
dans  le  chant  tel  qu'il  doit  ètke  exécuté  (1)  des  notes  plus 
longues,  d'autres  plus  brèves,  etc.  »  et  non  d'après  l'ensei- 
gnement ancien.  Complétons  par  d'autres  citations,  tirées  des 
Mélodies  grégoriennes^  qui  nous  montreront  le  parti  pris  bien 
évident  de  ne  pas  vouloir  tenir  compte  des  enseignements 
contraires  au  rythme  oratoire  :  «U  faudra  donc  observer  {2)la 
coupe  régulière  des  chants  —  telle  que  nous  l'avons  opérée, 
auraient  dû  ajouter  les  éditeurs  —  sans  pour  cela  donner  aux 
mélodies  grégoriennes  une  mesure  fondée  sur  une  durée  pro- 
portionnelle des  notes...  » 

C'est  Beriion  d'Auge  (-j-  1045)  qui  réfute  Dom  Polhier,  en 
disant  :  «  Pervigili  observandum  est  cura,  ut  attendas  in  neu- 
mis,  ubi  ratae  sonorum  morulse  breviores,  ubi  vero  sint 
metiendse productiores. ..  ;  »  et  plus  loin  :  «  Idcirco  ut  inmelro 
cerla  pedum  dimensione  contexitur  versus,  ita  apta  et  concor- 
dabili  brevium  et  longorum  sonorum  copulatione  componititr 
cantus...  » 

Si  j'ajoute  qu'au  début  du  même  chapitre  (le  XIIP)  nous 
lisons  (3)  :  «  Il  ij  a  deux  sortes  de  proportions ,  par  conséquent 
deux  sortes  de  rythme.  Si  la  proportion  est  établie  sur  des 
bases  rigoureuses  et  immuables,  comme  dans  les  vers,  le 
rythme  est  mesuré;  si  la  proportion  nest  déterminée  que  par 
l'instinct  naturel  de  l'oreille,  comme  dans  le  discours,  le  rythme 
est  libre.  » 

On  vient  de  voir  par  Bernon  d'Auge  qu'il  n'est  pas  question 
«  d'instinct  naturel  de  foreille  »,  bien  au  contraire;  et  pour 
montrer  qu'il  n'est  pas  un  isolé  en  s'exprimant  comme  il  le 
fait,  citons  ses  confrères.  C'est  Guy  d'Arezzo  (4)  qui  écrit: 
«  Sicque  opus  est  ut  quasi  mctincis  pcdibus  cantilena  plau- 
datur  ...  »;  et  plus  loin  :  «  Non  autem  parva  similitudo  est 
metris  et  cantibus,  cum  et  neumœ  loco  sint  pedum  et  distinc- 
tiones  loco  versuum,  utpote  ista  neuma  dactylico.  illa  vero 
spondaico,  illa  iambico  métro  decurreret...  » 

1.  Certain  défenseur  de  la  méthode  bénédictine  fera  bien  de  méditer 
toutes  ses  affirmations  répétées  avant  d'opposer  aux  adversaires  de 
ladite  méthode  que  leur  système  ne  repose  que  sur  leur  affirmalion. 

2.  V.  Mél.  grég.,  p.  213,  même  édition. 

3.  P.  167. 

4.  Que  le  Révérend  Père  couvre  de  fleurs,  p.  200. 


78  l'avenir  de  la  musique  sacrél 

Prendrons-nous  le  pseudo-Hucbald  :  «  Item  brcvia  quxque 
impcditiosiora  non  sint,  quam  conveniat  brevibus.  Veriim 
omnia  longa  œqualiter  longa,  hrevhim  par  sit  brccitas... 
Omnia  qux  diu  ad  ea  qiue  non  din,  legitimis  inter  se  inorulis 
numerose  concurrant .  »  —  «  Sic  ilaque  numerose  canere  est 
longis  brevibusque  so/iis  ratas  mondas  metiri  ...» 

Le  rythme  dn  chant  grégorien  est  astreint,  ce  semble,  à 
une  mesure  certaine,,  et  les  quinze  pages  des  Mélodies  grégo- 
?'ienn es  tenùimt  à  démontrer  que  le  rythme  oratoire  essen- 
tiellement libre  est  celui  qui  lui  est  applicable,  sont  maniles- 
tement  contraires  à  l'enseignement  ancien,  malgré  la  haute 
autorité  du  promoteur  du  fameux  rythme. 

11  reste  donc  acquis:  1°  que  chaque  neume  est  une  formule 
rytiimique  constituée  par  des  notes  qui  sont  longues  ou 
brèves  dans  un  rapport  mathématique,  comme  l'est,  dans  un 
autre  ordre  de  faits,  un  pied  métrique  pris  comme  terme  de 
comparaison  pédagogique  ;  2°  que  ce  neume-pied  est  l'unité 
de  mesure  du  rythme  ;  3"  que  le  rythme  général  de  la  mélodie 
n'est  libre  qu'entant  que  les  membres  do  phrase  ne  sont  pas 
soumis  à  une  longueur  fixe  déterminée,  comme  l'est  un  vers 
par  exemple,  attendu  que  Guy  d'Arezzo  le  sj)écifie  formelle- 
ment :  «  Proponatquc  sibi  miisicus  qtiibus  ex  his  divisionibus 
incedenlem  faciat  cantum^  siciU  metricus  quibtts  pedibus 
faciat  versnm,  nisi  qijod  mlsicls  ^0N  se  tanta  lkgks  necessitate 

CONSTRLNfilT,  QTIA  IN  OMMIîUS  SE  W.VS.  ARS  IN  VOCUM  DLSPOSITIONE 
RATI0NAB1LI    VARIETATE    WISCKRI    PERiMlTTIT. . .     Simt      VerO     QUasi 

prosaici  cantus  in  quibus  non  est  citr<v  si  ali,v  majores 
ait,'/'  minores  partes  et  distinc/io  ies  p<  r  loca  sine  discretione 
invenianiur  more  prosarum.  » 

Mais  rien  ne  prévaut  toutefois  contre  ce  fait  que  chaque 
neume  est  une  formule  rythmique  qui  joue  dans  la  musique 
le  rôle  du  pied  ilans  le  verset  que  ce  neume  est  lunité  de 
mesure  du  rythme  grégorien  comme  nos  temps  rylhmi- 
([ucs  sont  les  unités  de  mesure  dans  notre  musique  moderne. 

Va  si  l'on  veut  une  confirmation  éclatante  do  mon  prin- 
cipe    UN      NEUME    1=    UN    TEMPS    RYTIIMlQlli;    MODERNE,      principe 

que  j'ai  tiré  de  déductions  en  déductions  de  l'analyse  de 
tous  les  textes  théoriques  connus  actuollement,  je  citerai 
cette  simple  phrase  d'un  compilateur  peu  cofnnu  du  xi'siècle  (1  ): 

1.  Joiinncs,  presbyter.  Mail.  bib.  diiMonl-Cassin,  anii.  318,  anc.  371, 
dans  Ad.  de  la  Fage  :  Essais  de  diphtf^rographio  musicalo,  p.  392  et 
suiv. 


l'avenik  de  la  musique  sacrée  79 

«  Voscantoresqui  vultisscire  vias  neumarum  et  vultis  inqui- 
rere  ars  musicorum,  videatiir  q uomodo  dividantiir  neumarum 
chordium  et  quoiviodo  piiRGUNï  per  .equalitatkm  quoniam  o.mnes 
NECM^  iEQUALiTER  PERGUNT,  sed  tamcn  mclodia  cantorum  ponunt 
qualiter  brevis  qualiter  lunga  qualiter  una  chorda^  qualiter 
duo',  qualiter  très...  quatuor...  quinque...  sex,  etenim  in  una 
neuma nomine .  »  (Sic.) 

Ainsi  donc,  voilà,  dans  un  latin  assez  peu  châtié,  ma  théorie 
pleinement  confirmée.  Les  neumes  peuvent  avoir  jusqu'à  six 
notes  groupées  en  une  seule  figure  rythmique  et  tous  les 
neumes  sont  égaux.  Confirmation  absolue  du  principe  du 
micrologue  de  Guy  d'Arezzo  :  Unus,  duo  vel  très  (soni) 
aptantur  in  syllabas,  ipsreque  salée  (I,  2,  3)  vel  duplicatœ 
(2,  4,  6  sons)  neumam  constituunt   » 

J'ai  étendu  jusqu'à  huit  sons  la  possibilité  de  groupement 
parce  que  je  trouve  dans  les  manuscrits  des  groupes  de  huit 
sons;  mais  j'ai  fait  néanmoins  une  réserve  à  ce  sujet  dans 
mon  grand  ouvrage.  (V.  Nota  de  la  page  160.) 

Je  pense  que  désormais  on  peut  considérer  la  discussion 
comme  close,  et  close  en  ma  faveur. 

Nous  avons  donc  une  base  scientifique  solide  pour  parler 
«  restauration  », 

Nous  étudierons  alors  un  jour  ce  qu'il  conviendrait  de 
faire  pour  la  pratique  maintenant  que  le  côté  théorique  est 
élucidé.  G.  Houdard. 

CHRONIQUE  MUSICALE  RELIGIEUSE 

M.  Guilmant,  l'organiste  compositeur  dont  on  connaît  le  talent,  a 
coinnieuc('!  la  série  de  ses  concerts  d'orgue  et  orchestre  avec  otiœurs. 

La  soixante  dix-huitièiue  cantate  de  Bach  a  été  exécutée  avec  une 
fort  bonne  interprétation  due,  pour  les  soli!-tes,^i  M°'<'  Lovano,  dont  la 
voix  est  fort  juste,  M"''  Passama,  M.  Engel,  qui  répare,  grâce  à 
beaucoup  d'art,  les  irréparables  outrages  faits  à  sa  voix  par  une 
longue  et  brillante  canière,  et  l'immuable  M.  Auguez. 

Dans  des  airs  de  Ha-ndel,  M"«  Passama  s'est  montrée  très  bonne 
musicienne  ;  mais  sa  voix  sonnait  assez  mal  dans  ce  grand  vaisseau  du 
Trocadéro.  Oe  même,  le  violon  de  M.  Herwegh  était  insuffisant  dans 
celte  salle,  faite  pour  des  orphéons  plus  que  pour  des  instrumentistes 
ou  des  chanteurs  interprétant  des  soli. 

Los  chœurs  étaient  ceux  de  Saint-Gcrvais.  Dans  la  cantate  de  Bach, 
ils  ont  été  excellents  et  à  la  hauteur  de  leur  réputation,  ainsi  que 
dans  un  choral  de  la  Passion,  de  Bach  :  mais,  chargés  de  chanter  aussi 
un  Ave  Maria  de  Palestrina  et  un  motet  de  Schùlz,  ils  ont  été  (et  ici 
nous  donnons  l'opinion  de  notre  confrère,  le  Monde  Musical)  «  faibles» 
dans  l'un,  et  dans  l'autre  «  détestables  ». 

M.  Ciuilmant  joua  dans  ce  concert  une  sonate  et  un  concerto  en 
véritable  maître. 


80  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Le  second  concert  (3  mai)  fut  consacré  en  grande  partie  à  C.  Franck 

Dans  la  2"  Bcat/itiifle,  les  chœurs  et  l'orchestre  ont  été  dignes  d'éloges. 
De  même  dans  plusieurs  chœurs  de  Kranck  :  Domine  non  secundinn, 
Dcxlcra  Domini,  peu  connus  et  d'une  admirable  beauté. 

M°"  Jeanne  Raunay  a  chanlé  avec  un  grand  style,  mais  d'une  voix 
qui  manquait  un  peu  de  justesse,  la  Prière  d'Elisabeth,  du  Tannhœuser, 
et  le  superbe  air  de  la  Prise  de  Troie. 

Le  violon  de  M.  Viardot  ne  s'ent^.ndait  guère  dans  l'immense  salle. 
L'œuvre  qu'a  interprétée  cet  artiste  était  une  Suite  curieuse  de  Sinding. 

i\J.  Guilniant,  dans  des  pièces  d'orgue  de  Franck,  a  été,  comme 
toujours,  irréprochable. 

Ces  deux  concerts  étaient  dirigés  par  M.  Gabriel  Marie,  un  de  nos 
chefs  d'orchestre  les  plus  remarquables  et  les  plus  sympathiques. 

Le  28  avril,  l'Association  des  artistes  musiciens  a  donné  un  très  beau 
concert  dirigé  par  M.  J.  Danbé,  ce  maître  que  TOpéra-Comique  a  eu 
l'inconcevable  imprudence  de  laisser  partir,  et  qui  s'est  affirmé  une 
fois  de  plus  en  conduisant  les  œuvres  de  Gluck  et  de  Moreau,  comme 
un  des  plus  grands  kappehneisters  de  notre  époque. 

Au  programme,  des  chœurs  de  Moreau,  compositeur  du  temps  de 
Louis  XIV,  qui  avait  mis  en  musique  Esther,  la  tragédie  de  Racine, 
pour  les  demoiselles  de  SaintCyr. 

Dans  les  soli,  M"'  Jane  Ediat,  de  la  Société  des  Concerts  du  Conser- 
vatoire, nous  a  fait  particulièrement  plaisir  par  la  pureté  et  la  jus- 
tesse de  sa  voix.  Mais  M""  Lovano  n  a  pas  du  tout  le  registre  qui  con- 
venait à  la  partie  qui  lui  avait  été  attribuée  dans  cette  œuvre.  C'est 
une  Falcon  qu'il  aurait  fallu,  et  M'"^  Eléonore  Hlanc  était  tout  indiquée 
à  M.  Hordes,  qui  ne  l'a  pas  compris. 

L'ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal  et  celle  d'Iphigénie  ont  été  jouées 
en  perfection  par  le  petit,  mais  délicieux  orchestre  que  J.  Danbé  a  su 
grouper  autour  de  sa  magique  baguette. 

M.J.Thibaut  joue  d'une  façoa  charmante  la  romance  de  Beethoven 
et  la  sixième  sonate  de  Bach  pour  violon  seul. 

Dans  deux  mot'ts  a  capella,  les  chanteurs  de  Saint-Gorvais  furent 
applaudis  unanimement,  comme  ils  le  méritaient. 

Le  concert  se  terminait  par  le  dernier  acte  à'Arinide,  qui  est  de 
toute  beauté.  M'""  Lov  tno  était  là  dans  son  rôle  de  soprano;  mais 
M.  Lubet  chanta  trop  bas  et  M.  Daraux  trop  haut.  Comment  M.  IJordes, 
qui  avait  choisi  ce-s  interprètes,  ne  s'est-il  pas  aperçu  décela? 

Pour  terminer  cette  courte  chronique,  nous  féliciterons  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire  de  la  superbe  exécution  de  la  géniale 
Messe  de  Bach  avec  laquelle  elle  a  clos  la  saison. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  l'analyse  d'un  des  monuments  les  plus 
grandioses  de  l'art  musical  religieux  et  regretterons  seulement  des  cou- 
pures faites  dans  la  partition  de  deux  chœurs  et  d'un  air  de  basse. 
M'"'  Landi  a  été  tout  à  fait  remarciuable  comme  contralto  solo.  .M.  Taf- 
fanel  a  magistralement  dirigé  les  chœurs  qui,  éduqués  par  M.  Samuel 
Rousseau,  un  autre  maître,  se  sont  montrés  excellents,  et  l'orchestre, 
qui  est  toujours  digne  de  sa  réputation. 

MM.  Nadaud,  Henncbains  et  Gillet  comme  solistes  méritent  une 
mention  spéciale.  De  même  M.  Guilmant,  qui  a  accompli  la  tâche 
niod(-stG  et  anonyme  de  la  réalisation  pour  l'orgue  de  la  basse  cliilTrée 
de  Bar-h.  Il  l'a  fait  en  artiste  érudit  et  respectueux  du  document  laissé 
par  «  le  père  »  de  la  musique  religieuse. 

Henuy  Eymieu. 

Le  Gérant  :  A.  GABERT. 

:Mr.  NJIZETTE  ET  C».  8,  BUE  CAMPAONE-1",  PARIS. 


DEUXIÈME  ANNÉE  N"   6  15  JUIN  1899 


L'AVENIR 


DE     LA 


MUSIQUE  SAGRËE 


SOMMAIHK. 

A  propos  d'Unité  (suite.) 81 

La  Culture  musicale  grégorienne 87- 

Les  Temps  et  les   Pieds  rytlimiquos  (sv/t/c.)     91- 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

(Suile.) 

Une  seconde  idée  générale  qui  se  dégnge  des  susdits  Brefs 
et  Décrets  relatifs  au  plain-chant  liturgique  est  Cflie  do  la 
simpli fication  des  mélodies  :  celte  simplification  esc  posée  en 
principe  par  l'Eglise  et  recherchée  de  parti  pris,  expressé- 
ment, systématiijuement. 

De  nos  jours,  on  le  sait,  il  y  a  conflit  entre  le  point  de  vue 
scientifique  ou  archéologique  et  le  point  de  vue  pratique. 

Les  savants  font  des  efforts  désespérés  «  pour  ramener  le 
chant  grégorien  à  ce  qui,  d'après  eux,  était  sa  forme  primi- 
tive »  —  lit  ad  eam,  quam  ipsi pulant ,  prim.vvam  coacjnituum 
formam  Gregorianiis  cantu%  rcducatur  (1)  — .Il  est  vrai  qu'ils 
sont  à  cent  lieues  de  s'entendre  et  qu'avec  une  égale  convic- 
tion ils  disent  tour  à  tour  blanc  et  noir  sur  les  mêmes  ques- 
tions. Mais  cela  ne  les  arrête  point.  Et  ils  sont  bien  persuadés 
qu'au  jour  où  la  science  aura  dit  son  dernier  mot  sur  les 
neumes  et  sur  leur  interprétation,  le  monde  subira  la  magie 
d'une  forme  d'art  supérieure  à  toute  autre,  accessible  à  tous, 
adéquate  aux  besoins  et  aux  tendances  esthétiques  de  tous  les 
temps. 

1.  Décret  Romanorum  Pontificum. 


82  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Hélas!  chers  maîtres,  il  est  à  craindre  aa  contraire  ({ue  le 
dernier  mot  ne  soit  jamais  dit,  que  la  magie  dont  vous  rêvez 
ne  s'impose  jamais,  que  vos  mélodies  enguirlandées  demeu- 
rent à  jamais  incomprises  de  la  majeure  partie  des  fidèles,  et 
que  les  Interminables  vocalises  qui  faisaient  «  les  délices  de 
nos  pères  »  restent  à  l'état  de  Ibi'mes  démodées,  vieillies, 
décrépites.  Ici  revient  à  propos  le  mol  déjà  cité  (1)  d'un  de 
nos  correspondanls  :  «  Qui  saura  jamais  comment  on  chan- 
tait autrefois?  f^t,  le  saurail-on,  sommes-nous  bien  sûrs  que 
ce  qui  plaisait  à  nos  pères  peut  satisfaire  le  goût  et  les  aspi- 
rations de  nos  contemporains?  » 

C'est  })Ourquoi  l'Eglise,  toujours  sage  et  prudente,  sachant 
bien  d'une  part  qu'en  la  matière  peu  de  choses  sont  absolu- 
ment [ondées  dans  les  affirmations  des  savants,  sentant  bien 
d'autre  part  qu'à  des  temps  nouveaux  correspondent  de  nou- 
veaux besoins,  a  voulu  faire  avant  tout  œuvre  pvaliqup.. 
«  Ainsi  lorsque,  selon  les  vœux  du  Concile  de  Trente,  le  pape 
Pie  IV  chargea  quelques  cardinaux  de  la  sainte  Eglise  romaine 
de  la  réforme  du  chant  liturgique,  ces  derniers  firent  tout  ce 
qui  était  en  leur  pouvoir  pour  le  ramener  à  une  i'ovme plus 
appropriée  et  plus  simple  —  ad  aptiorem  siiuplicioremque 
formam  —  de  telle  sorte  qu'il  pût  ôtre  facilement  ai)pris  et 
ado[)té  par  tous  ceux  qui  s'adonnent  au  chant  religieux,  » 
C'est  là  le  texte  môme  du  Décret  Romanorum  Ponti/icum. 
Nous  y  lisons  encore  :  «  Le  pape  Paul  V  fit  ensuite  imprimer 
àRome  le  Graduel  Tonvdinum'àxrevisé et râ formé — emcndatum 
atque  reductum  —  et  l'approuva  par  une  lettre  apostolique 
en  forme  de  Bref.  »  Il  y  est  aussi  question  des  règles  très  sar/es 
—  juxta  recensitas  prudentissimas  normas  —  qui  avaient  été 
tracées  à  Palestrina  pour  la  revision  du  Graduel,  et  plus  loin, 
touchant  l'Antiphonaire,  de  l'observation  des  règles  déjà 
établies  —  juxlapr;e dictas  normas.  —  Et  ces  règles  sont  tou- 
jours celles  de  la  simplification. 

En  outre,  le  même  Décret  désapprouve  la  conduite  de  ceux 
qui  «  ont  paru  ne  pas  tenir  un  compte  suffisant  des  ordon- 
nances du  Siège  Apostolique  et  de  ses  désirs  maintes  fois 
manifestés  que  le  chant  grégorien  prît  partout  la  forme  que 
l'usage  plein  do  prudence  de  l'Eglise  romaine  a  sanctionnée  », 
et  qui  ont  «  dédaigne  la  voie  déjà  sagement  tracée  »  —  post- 
liabito  hocjam  sapi enter  constituto  tramite  —  pour  en  suivre 

1.  Numéro  de  février  1899,  p.  20. 


1 


l'avenir  de  la  musique  sackée  83 

une  autre.  Et  enfin  il  proclame  Cfue  «  la  seule  forme  de  chant 
grégorien  qui  doive  aujourd'hui  être  terme  pour  authenliijue 
et  légitime  est  celle  qui  a  été  approuvée  et  confirmée  par 
Paul  V,  conformément  aux  prescriptions  du  Concile  de 
Trente,  par  Pie  IX,  par  N.  T.  S.  P.  le  pape  Léon  Xlll  et  par 
la  Sacrée  Congrégation  des  Rites.  »  Ei  il  s'agit  toujours  de 
l'Edition  appropriée  et  aimplifiée. 

Dans  le  décret  Qiiod  S.  Augustini/s  nous  lisons  aussi  des 
locutions  semblables.  Ainsi  il  y  est  dit  du  Graduel  qu'il  fat 
«  soigneusement  revisé  et  réduit  à  des  modes  p/ics  simples  » 
—  accura/e  recogniliirn  et  ad simpliciores  modos  rcduclimi  — ; 
et,  quelques  lignes  plus  bas,  il  est  question  de  la  réforme  du 
chant  liturgique  accomplie  «  suivant  les  règles  les  plus  pru- 
dentes »  — juxta  prude ntissimas  normas. 

On  le  voit,  sans  cesse  revient  l'idée  de  simplification  (1). 

Et  voilà  pourquoi  la  lettre  du  chanoine  Z  que  nous  avons 
insérée  en  tête  de  notre  précédent  numéro  nous  a  paru  sin- 
gulièrement intempestive.  Ce  qu'en  ell'et  elle  recommande 
d'une  façon  générale  et  absolue,  ce  qu'elle  semble  vouloir 
imposer  à  nos  consciences,  c'est  une  édition  qui  rejette  le 
principe  de  la  simplification  posé  par  l'Eglise  et  se  base  essen- 
tiellement sur  la  simple  recherche  plus  ou  moins  heureuse  de 
la  versiondes  anciens  manuscrits.  Et  nous  avonsdû  protester. 

1.  Or  donc,  la  chose  est  établie  de  toute  évidence  :  le  Sainl-Sicgc,  à 
la  suite  du  Concile  de  Trente,  a  cru  devoir  adopter  des  mélodies  sim- 
plifiées et  écourlccs  :  il  en  avait  le  droit;  de  notre  temps  le  Saint-Siège 
a  cru  devoir  maintenir  ces  mêmes  mélodies  simjjliflées  et  écoiirtées  :  il 
en  avait  le  droit;  —  à  l'archéologie  incombe  maintenant  le  devoir  de 
respecter  semblable  décision  et  d'obéir,  sans  s'arroger  des  droits  dont 
elle  n'est  pas  investie. 

Que  disje,  supposé  —  c'est  absurde,  vrai  ment!  mais  enfin  supposé  — 
que  l'un  ou  l'autre  .Souverain  Pontife,  rompant  avec  toutes  les  tradi- 
tions du  chant  ecclésiastique,  s'avisât  d'adopter  un  syslèine  tonal 
entièrement  nouveau  et  un  livre  de  mélodies  liturgiques  entièrement 
nouvelles  composées  là-dossus,  pourrait  on  soutenir  sérieusement  que 
ce  Souverain  Poiitii'e  outrepasserait  ses  droits?  et  ses  sujets  seraient- 
ils  moins  tenus  d'obéir  en  cela  à  ses  ordres  ou  de  l'aider  de  leur  con- 
cours à  réaliser  son  piojet  s'il  en  exprimait  le  désir?  Si  le  pape  saint 
Grégoire  a  donné  à  l'Eglise  un  chant  voulu  par  lui,  avec  changement, 
suppression,  etc.,  de  choses  qui  s'y  trouvaient  antérieurement, 
sera-t-il  moins  permis  à  un  de  ses  successeurs,  Paul,  Pie,  Léon,  n'im- 
porte, de  procurer  à  l'Eglise  un  chant  tel  que  lui  le  désire,  y  compris 
tels  changements,  suppressions,  etc  ,  qui  lui  semblent  utiles? 

(Abbé  Lans,  Di.i:  ans  après  le  Décret  «  Homanoruin  Pontificum  »,  pp.  36 
et  37.) 


84  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

En  résumé,  il  existe  une  Edition  officielle  de  chant  liturgi- 
que que  l'Eglise,  en  vertu  de  son  droit  total  et  absolu,  a  fait 
éclore  du  fonds  ancien  de  son  chant  traditionnel  par  voie  de 
simplification  et  d'écourtage  systématique,  délibéré  etmolivé. 
Le  motif  a  été  de  mettre  le  chant  religieux  à  la  portée  du  plus 
grand  nombre,  de  l'adapter  aux  besoins  les  plus  généraux,  de 
le  mieux  conformer  aux  goûts  et  aux  exigences  modernes  : 
tout  cela  dans  le  but  de  tendre  plus  eflicacomcnt  à  l'unité 
désirée  par  l'Eglise. 

Cette  Edition,  ainsi  mise  au  point,  a  été  et  reste  oflicielle- 
ment  approuvée,  reconnue  authentique  et  vivement  recom- 
mandée. 

Or,  donc,  cher  monsieur  le  chanoine  Z,  et  vous  tous,  chers 
amis  du  chant  sacré,  si  vous  rêvez  de  limiter  nos  libertés 
pour  diriger  nos  pas  vers  une  unité  que  nous  souhaitons 
autant  que  vous,  c'est  de  l'Edition  officielle  qu'il  faut  vous 
recommander,  parce  qu'elle  a  pour  elle  l'autorité,  et  partant 
parce  qu'elle  est  l'ordre,  parce  qu'elle  est  le  salul. 

Une  troisième  idée  qui  se  dégage  des  Décrets,  c'est  celle 
de  Vobligation  relative  qui  incombe  à  tous  de  se  rallier  à 
l'Edition  officielle. 

Entendons-nous  bien.  L'Eglise  romaine,  connaissant  les 
dillicultés  matérielles  qui  peuvent  paralyser  pour  un  temps 
les  meilleures  volontés,  n'a  point  donné  un  ordre  formel  à 
chaque  Eglise  particulière  d'adopter  son  Edition  à  un  moment 
déterminé.  Ce  qu'Elle  pratique  à  l'heure  présente,  c'est  un 
mode  constant  de  vives  exhortations,  sans  obligation  absolue. 
Mais  elle  nous  laisse  néanmoins  bien  deviner  sa  pensée 
intime;  et  celte  pensée  est  claire  comme  le  jour  pour  qui  lit 
les  Décrets  sans  parti  pris. 

De  bonne  foi  qu'on  médite  le  passage  suivant  du  Décret 
Romanoriim  Pontificum  : 

Pendant  ce  temps  plusieurs  de  ceux  qui  s'occup-mt  de  la  musique 
ecclésiastique  se  livrèrent  à  des  recherches  plus  approlonilies  sur  la 
forme  primitive  du  chant  grégorien  et  sur  ses  phases  diverses  durant 
les  âges  suivants.  Mais,  déjjassant  les  justes  bornes  de  cette  investi- 
gation et  se  laissant  peut-êlre  emporter  par  un  trop  grand  amour 
pour  l'antiquité,  ils  parurent  ne  pas  assez  tenir  compte  des  ordon- 
nances récentes  du  Siège  .Apostoli(iue  et  de  ses  désirs  maintes  fois 
manifestés  que  le  chant  grégorien  prit  partout  la  forme  que  l'usage 
plein  de  prudence  de  l'Eglise  romaine  a  sanctionnée.  En  ell'et,  dédai- 
fineu.Y  de  cette  voie  déjà  sagement  tracée,  ils  crurent  qu'ils  étaient 
encore  pleinement  libres  de  chercher  à  ramener  le  chant  grégorien  ù 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  85 

ce  qui,  d'après  eux,  était  sa  forme  primitive,  sous  ce  prétexte  même 
que  le  Siège  Apostolique  avait  sans  doute  déclaré  authentique  le 
chant  contenu  dans  l'Edition  récemment  approuvée  par  lui  et  l'avait 
hautement  recommandé,  mais  qu'il  ne  l'avait  imposé  en  aucune 
façon  aux  diverses  Eglises.  Ils  auraient  dû  ne  point  oublier  que  c'est 
une  pratique  constante  des  Souverains  Pontifes  d'user  de  la  persuasion 
pour  la  réforme  de  certains  abus,  plutôt  que  de  donner  des  ordres;  d'autant 
mieux  que  les  lillmes  Ordinaires  des  lieux  et  leur  clergé  ont  coutume  d'inter- 
préter pieusement  et  religieusement  comme  des  ordres  les  exhortations  du 
Souverain  Pontife. 

Qu'on  réfléchisse  encore  sur  les  lignes  suivantes  du  même 
Décret,  lesquelles  ont  été  de  nouveau  formulées  dans  le  Décret 

Qiiod  S.  Augustbms  : 

Sans  doute  ceux  qui  s'occupent  du  chant  ecclésiastique  ont  tou- 
jours eu  dans  le  passé  et  conservent  pour  l'avenir  pleine  et  entière 
liberté  de  rechercher,  au  point  de  vue  de  lérudition,  quelle  fut  ancien- 
nement la  forme  de  ce  chant  ecclésiastique  et  par  quelles  phases  il  a 
passé,  comme  les  érudiîs  ont  la  louable  coutume  de  faire  des  recherches 
et  de  discuter  sur  les  anciens  rites  de  l'Eglise  et  les  autres  parties  de 
la  sainte  liturgie.  Mais  néanmoins  la  seule  fornie  du  chant  grégorien 
qui  doive  aujourd'hui  être  tenue  pour  authentique  et  légitime  est  celle 
qui  a  été  approuvée  et  confirmée  par  Pciul  V,  conformément  aux 
prescriptions  du  concile  de  Trente,  par  Pie  IX  de  sainte  mémoire,  par 
N.  T.  S.  P.  le  pape  Léon  Xili  et  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites, 
et  qui  est  contenue  dans  l'édition  donnée  <à  Ratisbonne,  celle  forme 
étant,  à  la  différence  de  tout  autre,  celle  du  chant  qui  est  en  usage 
dans  1  Eglise  romaine.  En  conséquence  il  ne  doit  plus  y  avoir  de 
doutes  ni  de  discussions  sur  l'aulhenlicité  et  la  légitimité  de  cette 
forme  de  chant  parmi  ceux  qui  sont  sincèrement  soumis  à  l'autorité 
du  Siège  Apostolique, 

Enfin  qu'on  remarque  bien  l'extrait  suivant  du  Décret  de 
1894  Quod  S.  Augustinus,  extrait  dont  la  portée  s'accentue 
en  raison  des  circonstances  particulièrement  critiques  qui  ont 
précédé  la  promulgation  de  l'acte  officiel,  ainsi  que  nous 
tâcherons  de  le  faire  ressortir  dans  un  prochain  article  : 

En  ce  qui  concerne  la  liberté,  pour  les  Eglises  particulières,  de  con- 
server un  chant  légitimement  introduit  et  encore  employé,  la  mémo 
Sacrée  Congrégation  décida  de  renouveler  et  d'inculquer  le  Décret 
rendu  dans  la  séance  du  10  avril  1883  par  lequel  elle  exhortait  vive- 
ment tous  les  Ordinaires  des  lieux  et  tous  qui  pratiquent  le  chant 
ecclésiastique  à  adopter  dans  la  sainte  Liturgie  l'Edition  susindiquée, 
afin  d'avoir  l'uniformité  du  chant,  bien  que,  suivant  la  très  prudente 
manière  d'agir  du  Siège  Apostolique,  elle  n'impose  pas  cette  Edition  à 
chacune  des  Eglises. 

Tout  commentaire  semble  inutile. 

Et  dire  qu'il  y  a  des  gens  qui  s'imaginent  qu'après  avoir 


8(5  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

poursuivi  la  réalisation  de  son  idée  pendant  plus  de  trois  siè- 
cles et  après  s'être  engagée  comme  elle  l'a  fait  en  ces  derniers 
temps,  l'Eglise  catholique  va  désormais  se  taire  devant  les 
savants  comme  fit  la  terre  devant  Alexandre  le  Grand,  ren- 
gainer ses  Brefs  et  ses  Décrets,  laisser  à  chacun  liberté  totale 
et  absolue  d'agir  à  sa  guise,  jusqu'au  jour  où  des  commis 
voyageurs  de  tout  poil  auront  fait  assez  la  p'acc  pour  impo- 
ser en  tous  lieux  telle  autre  édition  dont  l'Eglise  tout  d'abord 
semblait  ne  point  vouloir...  Bons  amis,  vous  ave/ de  l'a- 
plomb! Il  est  vrai  que  tout  est  possible  :  avec  le  concours 
d'une  certaine  presse  catholique,  par  la  grâce  de  la  crédu- 
lité cléricale,  sous  la  pression  du  zèle  plus  ou  moins  irré- 
lléchi  de  certaines  Congrégations  religieuses,  à  l'aide  enfin 
de  barnumesques  expéditions  en  tous  pays  pour  cause  d'exhi- 
bition de  produits  dils  artistiques,  votre  campagne  peut  mo- 
mentanément réussir,  en  France  surtout.  Mais  la  France 
n'est  qu'une  petite  fraction  de  l'univers  catholique.  Mais, 
dans  cette  France,  il  semble  que  vous  nous  meniez  plutôt  à  la 
ruine  du  plain-chant  qu'à  son  triomphe  :  car,  d'une  part,  vous 
faites  œuvre  non  pratique;  et,  d'autre  part,  si  le  Français 
s'emballe  vite,  non  moins  vite  il  se  lasse  et  va  chercher  un 
refuge  en  d'extrêmes  réactions. 

Et  quand  en  efforts  stériles  vous  aurez  gaspille  de  belles  et 
précieuses  énergies,  ce  sera  l'Eglise  encore  qui  viendra  peut- 
être  vous  tirer  d'embarras  en  vous  disant  :  «  Mes  bons 
entants,  si  nous  reprenions  les  choses  au  point  oii  nous  les 
avons  laissées  tantôt?  » 

Voilà  ce  qui  nous  attend. 

Pour  conclure,  disons  avec  M.  le  chanoine  Z  :  «  Mieux  vau 
drait  viser  à  runitc  et  marcher  la  main  dans  la  main  par  la 
même  voie  (l).  » 

Oui,  visons  à  i^inité  ;  mais  à  l'unité  vraie,  à  l'unité  li'gi- 
lime,  à  l'unité  qui  émane  des  directions  de  i Autorité.  Soyons 

I.  Chose  remarquable  :  en  terminant  notre  étude  concoriiaut 
V Autorité  en  rapi)oit  asec  nos  chants  liturf;iques,  nous  avons  donné  le 
spectacle  d'une  unité  calme,  d'une  coopération  fralernelle,  d'un  progrès 
salutaire  du  chaut  d'égii?e;  et  on  terminant  notre  étude  sur  VArcfu^oloyie 
(dans  les  mêmes  rapports),  nous  cons  .itons  des  discussions  agitées, 
des  opinions  conLrailirloires,  des  démolitions  mutuelles  de  raisoune- 
ment,  une  situation  désespérée. 

D'oîi  nous  viendra  alois  celte  unité  dans  le  chant,  si  désirée  par 
Rome? 


l'avenir  de  la  musique  sacrék  87 

des  prêtres  et  des  fidèles  obéissants  à  la  voix  de  l'Eglise, 
obéissants  en  toute  simplicité,  obéissants  sans  arrière-pensée. 
Dom  Guéranger  avait  raison  :  «  Romeest  mère  ot maîtresse, 
tout  ce  qiielle  fait  c^t  bien .  » 

A.  Gabert, 

LA  CULTURE  MUSICALE  GRÉGORIENNE 

Il  semble  que  l'on  puisse,  à  bon  droit,  s'étonner  de  l'état 
misérable  dans  lequel  la  cantilène  romaine,  vulgo  le  chant 
grégorien,  était  tombée  au  xii''  siècle,  après  avoir  été  si 
florissante  —  dit-on  —  dans  les  siècles  précédents. 

Néanmoins,  celte  eftlorescense  n'a-l-elle  pas  été  exagérée 
par  les  écrivains  du  moyen  âge  et  par  ceux  du  siècle  dernier 
ré  éditant  servi  le  ment  les  dithyrambes  de    leurs  devanciers? 

A  toutes  les  époques,  on  rencontre,  en  effjt,  des  enthou- 
siastes sans  savoir  pourquoi  d'une  cause  qu'ils  n'ont  eu  ni  le 
temps  ni  souvent  les  moyens  d'étudier,  leurs  convictions 
scientifiques  ou  artistiques  n'étant  nssises  que  sur  l'opinion 
des  autres. 

Loin  de  nous  la  pensée  ou  la  prétention  de  mieux  juger 
qu'eux-mêmes  de  l'etTetque  les  mélodies  sacrées  produisaient 
sur  leurs  contemporains;  mais,  enfin,  pour  porter  un  juge- 
ment ayant  une  apparence  de  raison,  ne  devons-nous  pas 
tenir  compte  de  l'élat  de  lenr  culture  musicale  ? 

11  le  paraîtra  à  quiconque  n'est  pas  aveuglé  par  un  opti- 
misme exagéré. 

Quel  était  donc  cet  état  ? 

Au  bas  de  l'échelle  sociale,  c'est  le  peuple.  Son  ignorance 
absolue  de  tout  le  mettait  dans  l'impossibilité  de  juger  autre- 
ment que  superficiellement,  et  cette  ignorance  n'a  pas  sensi- 
blement changé. 

Plus  haut,  c'étaient  les  clercs,  à  qui  était  dévolue  l'exécu- 
tion des  cantilènes.  Mais  pour  nous  rendre  compte  du  savoir 
de  ceux  ci,  il  nous  faut  monter  plus  haut  encore  dans  la 
hiérarchie  sociale  afin  de  connaître  quelle  instruction  pure- 
ment musicale  leur  était  donnée. 

Voici  le  remède  utiijuc  :  qu'on  renonce  à  se  mettre  des  échasses 
arcli(''ologiqucs  (selon  l'expression  pittoresque  qui  nous  toinlja  un  jour 
sous  les  yeux)  pour  s'élever  au-dessus  du  llux  progressif  de  TAutorité  ; 
ou  bien,  pour  parler  plus  gravement,  il  n'y  a  qu'un  remède  :  celui  de 
rolmsKance  filiale  à  VAuloritc  lituvijiqne  souveraine, 

(Abbé  Lans,  op.  cit.,  p.  "il.) 


88  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Actuellement  nous  sommes  obligés  de  faire  lo  même  rai- 
sonnement touchant  le  clergé  de  nos  paroisses  pour  être  en 
élatde  juger  si  l'instruction  musicale  qu'il  a  reçue  lui  per- 
met de  parler  reataiirationdu chant  grégoripu  en  connaissance 
de  cause. 

RecoiHiaissons-le  de  bonne  foi,  ces  maîtres  anciens  si 
renommés,  au  m' lieu  de  l'ignorance  générale,  enseignaient 
d'une  façon  rudimentaire  et  toutempiri  jue  la  pratique  de  l'Art 
musical  telle  qu'ils  l'avaient  apprise  eux-mêmes.  Et  ou  n'a 
pas  manqué  de  remarquer  déjà  les  contradictions  fréquentes 
qui  se  trouvent  dans  leurs  ouvrages  théoriques,  contradic- 
tions que  l'on  a  cherché  à  atténuer  à  l'aide  de  commentaires 
subtils,  mais  que,  pour  ma  part,  je  ne  puis  expliquer  autre- 
ment que  comme  il  suit  : 

D'une  part,  ces  auteurs  se  croyaient  tenus  de  rééditer  toute 
la  théorie  fondamentale  antique;  mais,  d'autre  part,  l'Art  lui- 
môme  s'étant  Iraiislormé  dans  le  cours  des  siècles,  ils  étaient 
sous  l'empire  de  la  pratique  journalière  de  l'Art  tel  qu'on 
le  cultivait  à  leur  époque,  et,  sous  forme  de  commentaires 
personnels,  ils  introduiraient  dans  leurs  traités  des  aperçus 
nouveaux  quelque  peu  en  contradiction  avec  les  régies 
anciennnes  qu'ils  avaient  rappelés  précédemment. 

C'est  ainsi  qu'en  les  lisant  nous  voyons,  à  côté  des  théories 
de  Boëce,  Mart,  CapcUa,  etc.,  inapplicables  en  totalité  sur  les 
mélodies  existantes  au  ix^  siècle,  des  conseils  d'exécution 
visant  directement  les  mélodies  que  nous  avons  sous  les 
yeux  dans  les  manuscrits  neumés. 

N'ayant  pas  assez  remarqué  cet  amalgame  de  principes 
contradictoires,  nous  nous  laissons  inllucncer  par  ceux  qui 
nous  apparaissent  «  plus  clairs»  et  nous  voulons  (ou  plutôt 
certains  d'entre  nous  veulent)  à  toute  force  trouver  l'applica- 
tion intégrale  de  toute  la  théorie  qui  nous  les  pn'sente 
enchevêtrés  les  uns  dans  les  autres.  C'est  là  qu'est  l'écueil. 

De  nos  jours  1«  môme  fait  se  reproduit  exactement  de  la 
môme  façon. 

Nos  ouvrages  théoriques  contiennent  des  principes  enfan- 
tins, surannés,  que  tout  auteur  se  croit  obligé  de  placer  dans 
son  ouvrage  par  crainte  d'être  incomplet  ;  mais,  notre  art 
moderne  ayant  progressé  dans  des  conditions  toutes  nou- 
velles, il  se  trouve  que  {a pratique  est  en  avance  d'un  demi- 
siôcle  sur  la  théorie  qui  devrait  la  fonder. 
Aussi  que  se  passe -t-il  ? 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  89 

De  nos  jours  il  faut  rousoigiiement  oral  d'un  maître  possé- 
dant à  fond  son  métier  moderne  on  praticien  d'expérience. 

Autrefois  il  en  fut  de  mi^me.  Il  fallait  l'enseignement  oral 
du  maître  en  renom.  C'est  d'ailleurs  la  porte  de  sortie  des 
auteurs  de  cette  épo'ïue  embarrassés  d'expli'|uer  les  anomalies 
entre  la  théorie  antique  et  la  pratique  actuelle  qu'ils  ensei- 
gnaient d'autorité  :  «  Sed  Jieec  et  hujiismodi  meliiis  collo- 
quendo  quam  conscribeîido  ynonstrantiir  »,  ne  craint  pas 
d'écrire  le  grand  Guido  d'Arezzo  (Microl.,  XV,  4)  dans  des 
cas  embarrassants. 

Supposons  un  théoricien  moderne  s'abaissant  à  de  tels 
procédés  d'exposition  !  Quel  déluge  de  sarcasmes  ne  déchaî- 
nerait-il pas  de  la  part  de  nos  jeunes  aristarques  modernes  ? 

Reprenons  notre  raisonnement  et  poussons-le  à  ses  limites 
naturelles. 

Nous  sommes  autorisé  à  penserque  tous  les  commentateurs 
modernes  de  la  théorie  médiévale  font  assaut  d'érudition... 
à  côté,  lorsqu'ils  entassent  commentaires  sur  commentaires 
pour  concilier  les  principes  musicaux  du  moyen  âge,  inconci- 
liables entre  eux  parce  qu'ils  ne  sont  qu'un  amalgame  de 
règles  d'époques  différentes  ;  et  finalement  nous  sommes 
autorisé  à  dire  que  la  théorie  médiévale  confuse,  obscure, 
encombrée  de  dissertations  oiseuses  sur  une  foule  de  sujets 
souvent  étrangers  à  l'art  musical,  retarde  sur  son  époque, 
dénote  dans  ses  promoteurs  un  manque  de  compréhension 
nette  du  sujet  qu'ils  traitaient,  et  nous  concluons  que  ce 
n'est  pas  dans  ces  théories  mal  digérées  que  l'on  découvrira 
le  sens  des  notations  antiques  (1),  mais  bien  et  seulement  dans 
les  manuscrits,  témoins  et  conservateurs  de  la  pratique  Jour- 
nalière, qui,  eux,  ne  trompent  pas  (2). 

Prenez  l'Ecole  moderne  et  expliquez  ses  hardiesses  d'écri- 
ture, avec  le  mot  à  mot  de  tel  ou  tel  traité  d'harmonie  en 
faveur.  Neuf  fois  sur  dix,  la  chose  sera  impossible.  Et  cepen- 
dant elloexiste,  celte  Écolemodernelnous  lapratiquons,  donc 
elle  est.  Mais  il  faut  le  commentaire  oral  du  maître  actuel 
pour  l'expliquer. 

1.  Remarquons-le  bien  :  aucun  de  ces  théoriciens  ne  se  hasarde  à 
exposer  catéuoiiquemeut  le  sens  précis,  rylliraiquo,  de  chaque  signe 
neumatique  !  Le  lail  est,  pour  le  moins,  assez  étrange. 

2.  Et  par  manuscrits,  j'entends  tous  manuscrits  neumés,  orientaux 
et  autres,  de  quelque  école  qu'ils  soient,  attemlu  que  les  neumes  ont 
une  origine  commune,  orientale  à  coup  sûr.  Peut  être  cette  épreuve 
sera-t-elle  contre  moi  ;  mais  il  faut  sortir  coûte  que  coûte  de  cet  état 
de  polémique  énervante. 


90  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Faisons  un  retour  en  arrière  et  tentons  d'expliquer  le  chant 
grégorien,  noté  neumatiquement,  à  l'aide  desthéories  médié- 
vales ! 

Depuis  cinquante  ans  nous  connaissons  une  multitude  de 
systèmes  explicatifs  des  textes^  mais  pas  un  explicatif  à  coup 
?i\xT  àii?,  manuscrits  neumé s.  Or,  ce^  manuscrits  nous  reprc'- 
senlent  la  pratique,  puisque  l'on  chantait  la  notation  qu'ils 
contiennent.  11  nous  faut  donc,  par  un  travail  patient, 
reconstituer  nous-mcmes  l'eEsoigncment  oral  du  maître 
ancien  commentant  la  notation  à  ses  élèves. 

Et  c'est  bien  ainsi  que  j'ai  compris  la  chose  dès  le  début  de 
mes  recherches. 

Lorsque,  après'avoirlu  avec  la  phisgrande  attention  tous  les 
traites  explicatifs  des  neiimes  (1),  je  m'ellorçai  de  résumer 
mes  impressions  d'ensemble,  elles  se  présentèrent  à  mon 
esprit  à  peu  près  sous  cette  forme  :  Tous  les  commentateurs 
interprètent  les  mêmes  textes  chacun  dans  un  sens  différent; 
mais  lorsqu'il  s'agit-  de  faire  l'application  de  leur  interpréta- 
tion, NOTATION  EN  MAIN,  cctts  application  que  nous  avons  sous 
les  yeux,  sous  forme  de  traductions  înodemes,  paraît  être 
celle  d'une  théorie  a  côté  non  exposée  dans  l'ouvrage  que  je 
venais  d'étudier. 

Comme  je  pense  qu'il  est  temps  de  faire  trêve  de  polé- 
miques, j<'  ne  m'étendrai  pas  plus  longtemps  sur  ce  sujet 
épineux,  et  je  conclus. 

Aucun  des  systèmes  proposés  depuis  cinquante  ans  n'est 
défendable,  notation  nenmatiquect  théories  en  main. 

Seul  mon  système  concilie  tout.  Qu'on  l'éludie  encore. 

Mais  un  atome  de  poussière  su flisant  à  enrayer  le  mou- 
vement (lu  mécanisme  le  plus  parfait,  il  esi  possible  que  cet 
atome  de  poussière  existe  dans  ma  théorie  sans  que  j'en  aie 
conscience.  Qu'on  le  montre,  qu'on  1  enlève  au  vu  et  au  su 
de  tous  ceux  qui  ont  à  cœur  l'œuvre  de  la  restauration  vraie. 

1.  Qu'il  me  soit  permis  de  répoiidro  à  une  critique,  Itien  méritt'-e 
d'ailleurs,  qui  m'a  été  faite  à  oc  sujet.  On  m'a  reproché  sur  le  vu  de 
l'ex.  212,  p.  Ht)  de  mon  grand  ouvrage,  do  ne  pas  connaître  la  mt'tliode 
bénédictine!  L'aveu  de  ma  petite  superclierie,  indigne^  de  figurer  dans 
un  ouvrage  sérieux,  je  le  reconnais,  ne  nie  coûte  nullement.  La  Aoici. 
On  sait  que  l'application  de  la  mélhoJe  bénédictine  varie  beaucoup  de 
maîtrts  à  maîtres!  J'ai  donc  demandé  à  un  fanatique  de  ladite  école 
la  traduction  en  question  et  je  l'ai  insérée  avec  la  certitude  que  les  cri- 
tiques à  court  d'arguments  ne  mantiueraient  pas  de  la  relever  à  ma 
grande  confusion  !  Us  n'y  ont  pas  manqué. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  91 

On  rendra  service  à  la  cause  de  la  vérité  en  écartant  un  nou- 
veau système  faux. 

Alors  que  restera- 1 -il  devant  nous  ?  h'inconnu  à  explorer 
de  nouveau. 

On  peut  être  assuré  que  je  ne  serai  pas  le  dernier  levé  de 
la  phalange  des  futurs  pionniers  attirés  par  celte  nouvelle 
exploration.  Mais...  je  suis  bien  Iranquille,  quant  à  présent  ; 
mon  principe  fera  son  chemin  s'il  est  vrai  ;  et,  ser;nt-il  faux, 
jamais  je  n'aurai  l'amour  propre  assez  mal  placé  pour  me 
cramponner  en  désespéré  à  mon  radeau  contre  vents  et 
marées,  puisque  je  n'ai  aucun  intérêt  matériel  à  défendre. 
Agir  autrement  serait  le  comble  du  ridicule,  tandis  qu'ac- 
tuellement mon  assurance  —  impertinente,  dit-on  —  ne 
mérite  que  le  respect  dii  à  tout  inventeur  convaincu  et 
...  désintéressé. 

G.   HOUDARD. 

LES  TEMPS  ET  LES  PIEDS  RYTHMIQUES 

(Suite.) 

IJ.  Les  pieds. 

L'assemblage  des  temps  formait  anciennement  les  pieds  ou 
rythmes,  de  même  que  dans  la  musique  moderne  la  réunion 
des  temps  compose  la  mesure.  Les  pieds  anciens  étaient  donc 
l'équivalent  de  nos  mesures  et  comme  celles-ci  se  marquaient 
par  l'arsis  et  la  thésis  —  le  levé  et  le  frappé  —  dont  les  pro- 
portions diverses  donnaient  son  caractère  au  rythme.  La  me- 
sure chez  nous  n'est  pas  uniforme  et  offre  bi(3u  des  variétés, 
suivant  le  nombre,  la  grandeur  et  la  division  des  temps  qui  la 
composent.  Ainsi  en  était-il  chez  les  Anciens. 

«  Les  différences  des  pieds,  dit  Aristoxène,  sont  au  nom- 
bre de  sept.  Ils  se  distinguent  par  la  grandeur,  par  le  genre, 
par  le  rapport  rationnel  ou  irrationnel,  suivant  qu'ils  sont 
simples  ou  composés,  d'après  la  manière  dont  ils  sont  divisés, 
la  figure  et  l'antithèse.  »  (£'/<"m^n^ryMw.,  Westphall,  p. 33.) 

1"  Les  genres  rythmiques  généralement  admis  étaient  au 
nombre  de  trois  ;  le  daclylique,  Xiambique  et  ie  péonique. 

Dans  le  premier,  1  "ursis  a  la  mônie  durée  que  la  thésis; 
c'est  le  rapport  égal,  comme  \  :  1,  2  :  2  ou  3  :  3. 

Dans  le  second,  l'arsis  a  deux  fois  la  valeur  de  la  thésis  ou 
réciproquement;  c'est  la  proportion  double,  telle  que  2  :  l  ou 
4  :2. 


92  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Dans  le  troisième,  l'arsis  et  la  thésis  sont  dans  le  rapport 
hémrolc  ou  î^csquialtèrf,  2  :  3  ou  3  :  2.  (Anstox.,  p.  30.) 

Quel  {ues-uns  a^l mettaient  en  outre  le  genre  rpUrite  ou 
sesquiterce,  3  :  i,  et  le  rapport  Iriple  de  l  :  3  ou  3  :  1.  (\Iar. 
Victor.,  Art.  gram.,  pp.  46,  48.) 

2°  Les  pieds  sont  simples  ou  composés  :  simples,  s'ils  ne 
peuvent  se  résoudre  qu'en  temps,  comme  liambe  ou  le  spon- 
dée; composés,  s'ils  peuvent  aussi  se  diviser  en  d'autres  pieds 
simples,  comme  le  choriambe  et  les  deux  ioniques.  {Aristox., 
p.  35.)  Mais  les  auteurs  sont  loin  d'ôtre  d'accord  sur  cette 
classification.  Hacchius  regarde  comme  composé  le  péon  qui 
ne  renferme  que  S  temps  brefs  {Meib.,  I,  24);  tandis  que 
Denys  d'IIalicarnasse  {Coinp.  verh..,  47)  et  Marins  Victorinus 
(p.  44)  admettent  comme  simples  les  pieds  de  6  temps  brefs 
et  Aristide  Quintilien  jusqu'à  ceux  de  12  temps.  {De  musica, 
Meib.,  p.  37.) 

3"  Dans  le  même  genre,  les  pieds  peuvent  différer  par  la 
grande?ir.  «  Un  pied  composé  d'un  seul  temps,  dit  Aristo- 
xèiie,  ne  saurait  se  rendre  évident,  puisque  une  seule  per- 
cussion ne  peut  produire  la  division  du  temps,  sans  laquelle 
le  pied  n'est  pas  perceptible.  »  {Op.  cit.,  p.  33.) 

Le  plus  petit  pied  doit  donc  avoir  au  moins  deux  temps, 
l'un  au  levé,  l'autre  au  frappé.  Les  Grecs  l'appelaient  hégf'mon 
(qui  marche  en  tête),  [»arce  qu'il  est  comme  le  père  et  l'auteur 
de  tous  les  autres  pieds.  {Mar.  Vict.,  p.  44.)  Aristoxôîie,  il 
est  vrai,  le  rejette  de  la  rytlimopéc,  comme  exigeant  une  per- 
cussion trop  rapide  (p.  313)  ;  mais  les  autres  auteurs  l'admot- 
tent.  On  l'employait  rarement  seul,  mais  plutôt  en  composi- 
tion ou  en  connexion  avec  d'autres  pieds  plus  longs,  dont  par 
sa  célérité  il  tempérait  la  lenteur.  (Mart.  Capella,  p.  194.) 

Les  plus  grands  pieds  admis  dans  la  prati((ue  ne  paraissent 
pas  avoir  dépassé  12  temps  brefs.  {Mar.  Vie/.,  p.  49.)  Saint 
Augustin  même  n'en  admet  pas  au  delà  de  8  temps  brefs. 
{De  Musica,  II,  7.)  Aristide  Quintilien  dit  bicMi  que  le  rythme 
égal  peut  aller  de  2  à  lO  temps  brefs,  le  rythme  double  de  3 
à  48  et  le  rythme  sesquialtôre  de  5  à  2o;  mais  il  ne  s'agit  pas 
ici  évidemment  de  pieds  proprement  dits,  mais  de  successions 
rythmiques,  de  xwXaou  membres  composés  de  plusieurs  pieds. 
(V.  (]ioisot,  La  poésie  de  Piiuhre.,  pp.  47-49.) 

4°  Les  piedscontenant  le  môme  nombre  Je  temps  pouvaient 
encore  se  diviser  en  parties  inégales.  Ainsi  \<d^  hexasimes,  ou 
pieds  de   6  temps  brefs,  se  prêtaient  à  deux  genres  de  divi- 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  93 

sion:  soit  en  attribuant  3  temps  à  l'arsis  et  3  à  la  thésis,  ce 
qui  les  assimilait  au  genre  égal,  3  :  3  ;  soit  en  donnant  2  temps 
à  l'arsis  et  4  à  la  thésis,  ou  réciproquement,  ce  qui  les  faisait 
rentrer  dans  le  genre  double,  2  :  4  ou  4  :  2.  {Aristox.,  p.  37.) 
De  plus,  le  nombre  des  parties  constitutives  du  pied  pou- 
vait varier.  «  La  grandeur  du  pied,  dit  Aristoxène,  est  quel- 
quefois cause  que  le  pied  reçoit  plus  de  deux  percussions  {f^ius 
d'une  arsis  et  d'une  thésis.)  Car  les  pieds  les  plus  petits,  dont 
la  grandeur  est  aisément  perceptible,  se  manifestent  suffisam- 
ment par  un  levé  et  un  frappé  ;  mais  les  pieds  les  plus  grandS; 
dont  l'étendue  est  plus  difhcile  à  percevoir,  exigent  un  plus 
grand  nombre  de  divisions;  toutefois  aucun  pied  ne  peut 
recevoir  plus  de  quatre  percussions.  »  {Op.  cit.,  p.  33.)  Ainsi 
Vorthius  et  le  trochée  sémantus,  composés  chacun  de  12  temps 
brefs,,  recevaient  trois  divisions  :  une  arsis  et  deux  thésis  — 

V  .  «  .  A  ;  et  le  péon  épibate,  égal  à  10  temps  bref-,  tic  divi- 
sait en  quatre  parties  :  une  thésis  longue,  une  arsis  longue, 
une  thésis  de  deux  longues  et  une  arsis  longue  —  o  •  2  •  i  ■'5- 

{Arist.  Quint. j  pp.  37,  38,  39.) 

5°  Les  pieds  différaient  par  \^  figure.,  lorscjuc  les  parties  du 
pied  divisées  de  la  même  manière  se  trouvaient  placées  dans 
un  ordre  différent.  Le  dactyle  et  l'anapeste,  par  exemple, 
sont  formés  l'un  et  l'autre  d'une  longue  et  de  deux  brèves; 
mais  dans  le  dactyle,  la  longue  est  au  commencement  du 
pied;  dans  l'anapeste,  elle  est  à  la  fin. 

6°  Ils  diiïéraient  par  Y  antithèse,  quand  un  pied  commençait 
par  le  frappé,  l'autre  par  le  levé  {Aristox.,  p.  36);  ou  encore, 
quand  la  plus  grande  des  parties  du  pied  se  trouvait  ici  au 
commencement,  là  k  la  fin,  comme  dans  l'ïambe  et  le  trochée. 
{Arist.  Quint.,  p.  34.) 

7°  Les  pieds  enfin  étaient  irrationnels,  quand  le  rapport  de 

l'arsis  et  de  la  thésis  n'offrait  pas  une  des  proportions  admises 

parle  rythme;  par  exemple,  le  Irochée  irrationnel,  dont  la 

thésis  valait  deux  temps  premiers  et  l'arsis  un  temps  etdemi: 

1 
2:1^'  {Aristox.,  p.  35.) 

Nous  allons  faire  connaître  les  pieds  rythmiques  les  plus 
usités  chez  les  Anciens,  en  prenant  pour  guide  Aristide 
Quintilien  (pp.  30-40)  et  Marins  Victorinu3(pp.  43-50).  Nous 
indiquerons  les   mesures  modernes  qui  correspondent  aux 


04  l'avenir  de  la  musique  sackée 

pieds  antiques;  mais,  à  proprement  parler,  les  pieds  du 
genre  égal  sont  les  seuls  qui  correspondent  exactement  à  nos 
mesures  à  deux  temps. 

Bien  qu'on  assimile  habituellement  les  pieJs  du  genre  dou- 
ble à  nos  mesures  à  trois  temps  et  ceux  du  genre  péonique  à 
une  mesure  à  cinq  temps,  pour  les  Anciens  ces  deux  sortes 
de  pieds  ne  comptaient  que  deux  temps  rythmiques,  un  à 
Tarsis,  l'autre  à  la  thésis;  tandis  que  chez  les  modernes  la 
mesure  à  trois  temps  compte  trois  divisioas  rythmijues.  Les 
pieds  ïambiques  étaient  donc  une  mesure  à  deux  temps  dont 
l'un  avait  une  durée  double,  et  les  péons  une  mesure  à  deux 
temps  dont  l'un  était  prolongé  de  moitié. 

De  plus,  les  Anciens  considéraient  comme  contraires  au 
rythme  des  pieds  qui  à  notre  point  de  vue  seraient  parfaite- 
ment réguliers.  Ainsi  une  noire  pointée  suivie  d'une  croche 

est  admissible  dans  une  mesure  à  -,  dont  elle  n'altère  pas  le 

4 

rythme;  mais  les  Anciens  auraient  vu  là  une  irrégularité 
dans  le  levé  et  le  i'rappé.  C'est  pour  celle  raison  que  saint 
Augustin  rejette  Vantphihraque,  composé  d'une  longue  entre 
deux  brèves,  ce  qui  aurait  donné  la  proportion  de  1  à  3.  {De 
Musica,  II,  10.) 

Pieds  rythmiques  du  genre  égal. 

X"  Le  disime,  qui  vaut  2  temps  premiers,  procéleusmatique 

simple  on  pijirhique,  ne  peut  avoir  qu'une  forme  :  1  brève  au 

2 
levé  et  \  au  frappé  ;  il  correspond  à  notre  mesure  à  -• 

2"  he  téirasime  qui  vaut  4  temps  premiers,  2  au  levé,  2  au 
frappé,  peut  être  représenté  soit  par  2  longues,  spondée,  soit 
par  4  brèves,  procéleusmatique  double,  soit  par  1  longue  et 

2  brèves,  dactyle  et  anapeste  =7" 

3°  Eu  associant  des  disimes  et  des  tétrasimes^  on  obtient  des 
hexasimes  ou  pieds  de  6  temps  premiers  dont  3  au  levé,  3  au 

frappé  ^^^ 

Aristide  Quintilien  ne  mentionne  à  celle  place  que  les  deux 
ioniques,  majeur  et  mineur,  formés  de  2  longues  et  de 
2  brèves,  qu'il  place  dans  le  genre  égal.  La  longue  du  milieu 
se  partageait  donc  entre  le  levé  et  le  frappé  et  formait  ainsi 
une  note  syncopée.  Saint  Augustin  admet  aussi  cette  divi- 
sion en  deux  parties  égales,  soit  pour  les  ioniques,  soit  pour 


LAVliNIK    DE    LA    MUSIQUE    SACKÉE  95 

tous  les  pieds  de  fi  temps,  même   le  molosse.  {De  musica,  II, 
12,13.) 
4°  h'octasime  de  8  temps  premiers  pouvait  être  formé  de 

2  doubles  longues,  une  au  ievé,  l'autre  au  trappe,   spondée 

2    - 
majeur.  C'était  alors  un  pied  simple  équivalent  à  ^"  Un  pou- 
vait aussi  former  des  pieds  composés  de  même  valeur  en 
associant  deux  télrasimes,  ce  qui  correspondait  à  -• 

Pieds  du  genre  double. 

1°  Les  trisimes  ou  pieds  de  3  temps  premiers,  dont  1  au 
levé  et  2  au  frappé,  ou  réciproquement,  étaient  formés  de 

3  brèves,  tril))'aqi(e,  ou  d'une  longue  et  de  2  brèves,  trochée 

et  ïambe  =  '-' 
o 

En  associant  2  trisimes,  ou  formait  des  dip  o  die  s  himh\C[u.es 

ou  Irocliaïques,  diiambes  et  ditrochées.  Par  le  mélange  des 

ïambes  et  des  ttochées,  on  obtenait  des  c/ioriambes  et  des 

antispasles.  Toutes  ces  combinaisons  égalent  -• 

3  pieds  de  même   valeur  réunis  formaient  des   tripodies 

9  .  .12 

=  jT  ;  et  4  pieds  des  télrapodies  =  -^• 

Les  dipodies  et  les  tétrapodies  rentraient   dans  le  genre 
égal. 
2°  Les  hexasimcs,  ou  pieds  de  6  temps  premiers,  2  au  levé, 

4  au  frappé,  ou  réciproquement,  étaient  formés  de  3  longues, 
molosse,  ou  de  2  longues  et  2  brèves,  ioniques  majeur  et  mi- 
neur =  j'  Nous  avons  vu  plus  haut  que  tous  les  hexasimes 
pouvaient  aussi  se  diviser  en  deux  parties  égales  et  correspon- 
daient alors  à  r?" 

o 

3°  Le  dodécasime,  pied  de  12  temps  premiers,  formé  de 
3  doubles  longues,  ortliius  et  trochée  sémanlus.  Ces  pieds 
avaient  ivoxs  percussions,  une  arsis  et  deux  Ihésis,  dont  cha- 
cune valait  4  temps  brefs  =  ^" 

Pieds  du  genre  péonique. 

1°  Les  pentasimes,  valant  5  temps  premiers,  dont  2  au 
levé,   3  au  frappé  ou  réciproquement.    Ils    pouvaient    être 


96  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

formés  de  2  longues  et  d'une  brève,  crétiqiie,  ou  bien  d'une 
longue  et  de  3  brèves,  comme  les  diverses  espèces  de  péons 

~  S 

2°  Le  décasime,  de  10  temps  premiers,  formé  de  5  longues, 
péon  épibate.  Ce  pied  avait  i  percussions,  2  thésis  et  2  arsis. 
Les  thésis  se  plaçaient  sur  la  T'  et  la  3^  note  unie  à  la  4%  les 

5 
arsis  sur  la  2'  et  la  r?  =  -. 

4 

On  ne  doit  pas  oublier  que  dans  la  plupart  des  pieds  ryth- 
miques, les  longues  pouvaient  se  résoudre  en  brèves  et  les 
brèves  se  contracter  en  longues  (Mar.  Vicl.,  pp.  4rt,  59),  ce 
qui  était  une  nouvelle  manière  de  diversifier  les  pieds,  ajou- 
tée à  l'emploi  des  temps  irrationnels,  des  semi-brèves  et  des 
autres  procédés  que  nous  avons  énumérés. 

Le  rythme  antique  n'avait  donc  rien  à  envier  au  rythme 
moderne,  en  fait  de  souplesse  et  d'ingéniosité,  et,  tout 
autant  que  celui-ci,  oiïrait  au  musicien  les  combinaisons  les 
plus  riches  et  les  plus  variées. 

Il  nous  reste  à  voir  les  modifications  que  le  rythme  a 
subies  depuis  l'époqne  d'Aristoxène,  quatre  siècles  avant 
notre  ère,  jusqu'à  colle  de  Gui  d'Are/zo,  au  commencement 
du  xi"  siècle.  Il  ne  faudrait  pas  croire  qu'à  un  moment  donné 
on  ait  rompu  brusquement  avec  toutes  les  traditions  anciennes 
et  que  le  rythme  ait  changé  de  nature.  Saint  Angustin, 
témoin  des  réformes  opérées  dans  la  liturgie  et  le  chant  ecclé- 
siastique par  saint  Ambroise  et  saint  Damase,  ne  connaît 
d'autre  rythme  que  celui  de  l'Antiquité. 

L'art  musical  s'est  transformé  sans  doute,  mais  progressi- 
vement, et  tout  en  restant  fidèle  à  ses  principes  fondamentaux 
et  à  la  loi  du  nombre,  que  nous  retrouvons  chez  les  théori- 
ciens du  moyen  âge,  pour  lesquels  le  rythme  est  toujours  la 
mesure  des  durées  et  un  assemblage  bien  ordonné  de  temps 
longs  et  de  temps  brefs. 

J.   Dupoux. 


Le  Gérant  :  A.  GABERÏ. 


J^jr.   NOIZKTTE  ET  C"!.8,  RUH  CAMPAGNB-1",  PARIS. 


DEUXIÈME  ANNÉE  N»  7  Ib  JUILLET  1899 


L'AVENIR 


DE     LA 


MUSIQUE  SAGREK 


OMJIAIRK 


A  proposd'Unité  (Suite.) 97 

Une  petite  Réponse 100 

Le  Rylhme  et  le  Mètre 102 

La  Pratique  du  Chant  grégornn 106. 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

[Suite.) 

II.  Circonstances  qui  ont  provoqué  les  Brefs  elles  Décrets 
relatifs  au  plain-chant. 

\ .  Le  Bref  Je  l*io  IX  Qui  choricis,  en  date  du  30  mai  1873, 
fut  adressé  à  IVditeur  Pustet,  de  Ratisbonne,  an  moment  où 
celui-ci  venait  d'achever  la  réôd.ition  du  (iraduel  romain  «  à 
l'instar  de  l'Edition  médicéenneet  conformément  aux  règles 
qui  lui  avaient  été  prescrites  par  la  Sacrée  Congrégation  des 
Hiles.  »  Le  but  du  Href  était  :  1"  «  d'approuver  hautement  » 
cette  nouvelle  Edition;  2°  de  la  «  recommander  vivement  aux 
RRmes  Evèques  et  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  musique  sa- 
crée »  ;  3°  «  d'exhorter  »  l'éditeur  à  poursuivre  son  œuvre  et 
à  «  mettre  au  jour  les  livres  de  chant  grégorien  qui  restaient 
à  éditer,  aiin  de  compléter  l'Edilion  commencée  jadis  par  le 
pape  Paul  V  »;  4°enrmde  «confirmer  et,  au  besoin,  de  renou- 
veler tous  les  droits  et  les  privilèges  que  le  Saint-Siège  avait 
accordés  à  l'éditeur  par  l'organe  de  la  S.  G.  des  Rites». 

Tout  cela  dans  le  but  de  préparer  Vicnité  du  chant  litur- 
gique :  Eo  vel  magis  quod  sit  Nabis  maxime  in  votis,  ut  cum 
inceteris  quce  ad  sacrani  Liturgiam  pertinent,  tiim  etiam  in 


98  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

cantii,  iina,  cunctis  in  locis  ac  diœcesibiis,  eademque  ratio  ser- 
vetur,  qua  Romana  utitur  Ecclesia  (1). 

2.  Le  Bref  de  N.  T.  S.  P.  le  pape  Léon  XIII  Sacrorum  con- 
centuum,  en  date  du  4  5  novembre  1878,  fut  adressé  au  môme 
éditeur  Pustet  au  moment  où,  fidèle  à  l'exhortation  de  Pic  IX 
qui  l'avait  invité  à  poursuivre  son  œuvre  et  à  mettre  au  jour 
tous  les  livres  de  chant  grégorien  qui  resl aient  à  éditer,  ledit 
éditeur  venait  de  «  terminer  la  partie  qui  contient  les  Heures 
diurnes  ».  Le  but  du  Bref  était  :  1°  de  «  louer  l'art  et  le  soin 
avec  lesquels  ce  travail  avait  été  exécuté  »;  2°  d'  «  approuver 
l'Edition,  de  la  déclarer  authentique  et  de  la  recommander 
vivement  aux  RRmes  Evoques  et  à  tous  ceux  qui  s'occupent 
de  musique  sacrée»;  3°  de  «  confirmer  et,  au  besoin,  de 
renouveler  tous  les  droits  et  les  privilèges  accordés  par  la 
S.  Ci,  des  Rites  à  l'occasion  des  livres  jusqu'alors  mis  au  jour 
par  l'éditeur  ». 

Et  dans  ce  Bref  Léon  XIII  n'oublia  point  de  faire  siennes 
les  aspirations  de  Pic  IX  vers  Vunité  en  matière  de  chant 
liturgique  :  Id  potissimum  spectantes  ut  sic  ciinctis  in  locis  ac 
diœcesibus^  cum  in  ccteris  qmc  ad  sacram  Liturr/iam pertinent 
liimetiam  incantu,  itna  eademque  raiio  servetur,  qua  Romana 
utitur  Ecclesia. 

3.  Le  Décrel  Romanorum  Ponti/icum,  du  26  avril  1883, 
est  le  signal  d'une  mésinlelligence  pins  ou  moins  accusée 
entre  l'Autorité  liturj^iquc  et  la  soi-lisant  science  archéolo- 
gique. Celle-ci,  paraît  il,  ne  trouvait  point  assez  son  compte 
dans  les  travaux  commencés  après  le  concile  de  Trenle,  pour- 
suivis plus  tard  snr  l'ordre  et  sous  les  auspices  du  Saint-Siègo 
et  heureusement  achevés  dès  l'aurore  du  pontifijat  do 
Léon  XIIL  Fière  do  si-s  conqnétcs  n'-elles  ou  pr(''t(3ndues, 
après  une  campagne  de  journaux  et  d'écrits  divers  elle  sentit 
enfin  le  besoin  de  s'allirmeret  suscita  le  Congrès  d'Arczzo  en 
septembre  1882.  Voici  quelles  en  fnrent  les  conclnsions  : 


1.  Corlaius  opposants  de  rEJilion  officielle  ont  Icnté  d'allénuer  la 
portée  du  Bref  0»/  choricis  en  faisant  valoir  par  exemple  le  Bref  d'ap- 
probation accordé  à  Mgr  1  Evéque  d'Arras  au  sujet  de  l'Edition  de 
lieims  et  Cambrai.  Il  est  bon  d'observer  que  ce  Bref  d'approbation  (du 
24  novembre  ISiiO)  est  bien  antérieur  au  Bref  Qui  choricis,  et  aussi  que 
Pie  IX,  qui  sans  doute  caressait  déjà  sou  idée  d'unile,  semble  y  avoir 
glissé  un  mot  intentionnellement  restrictif  dans  cette  plirase  :  «  Voilà, 
vénérable  Frère,  ce  que,  jL^o(/r  le  moment,  Nous  avons  cru  devoir  vous 
répondre  sur  ce  sujet.  * 


l'avenir   de    la    WUSrQUE    SACRÉE  99 

Le  Congrès  européen  pour  le  chanl  liturgique  tenu  à  Arczzo...  émet 
les  vœux  suivants  : 

1°  Que  les  livres  de  plain-chant  en  usage  dans  les  églises  soient 
x'cndus  à  l'avenir  aussi  conformes  que  possible  à  l'ancienne  tradition 
du  chant  grégorien  ; 

2°  Que  l'on  accorde  les  plus  larges  encouragements  et  diffusions  aux 
éludes  et  ouvrages  théoriques  déjà  parus  ou  en  voie  de  production 
pour  remettre  en  lumière  et  pour  rétablirl'ancienne  tradition  du  chant 
liturgique; 

3»  Que  le  chant  ecclésiastique  ait  dans  l'éducation  du  clergé  sa  place 
marquée,  afin  de  raviver  et  de  faire  observer  avec  plus  de  soin  les 
ordonnances  liturgiques  sous  ce  rapport; 

4"  Que  l'exécution  du  chant  grégorien  par  notes  égales  ou  «  canto 
raartellato  »  soit  remplacée  par  l'interprétation  rythmique,  confor- 
mément aux  principes  exposées  par  Guy  d'Arezzo  au  chapitre  XV  de 
son  Micrologite; 

b"  Qu'à  ces  fins  tout  manuel  de  chant  liturgique  donne  les  éléments 
de  prononciation  du  latin; 

6"  Que  pour  le  service  du  culte  catholique  la  priorité  du  chant  gré- 
gorien, comme  chant  propre  et  officiel  de  l'Eglise,  soit  reconnue  et 
adoptée  pratiquement  par  le  clergé,  par  les  directeurs  de  jubé  et  par 
les  organistes. 

Les  membres  du  Congrès  adressèrent  humblement  ces 
vœux  à  N.  T.  S.  P.  le  pape  Léon  XIII  et  sollicitèrent  sa  déci- 
sion. Le  texte  même  du  Décret  Romanorum  Pontificum  va 
nous  dire  le  reste  : 

A  cause  de  la  gravité  de  l'affaire,  Sa  Sainteté  en  confia  l'examen  à 
une  Commission  particulière,  choisie  par  Elle  et  composée  de  quel- 
ques-uns des  cardinaux  préposés  à  la  garde  des  saints  rites  et  de  plu- 
sieurs prélats  faisant  partie  de  la  même  Sacrée  Congrégation  des  Rites. 
Cette  Commission  particulière,  réunie  au  Vatican  le  jour  ci-dessous 
indiqué,  après  de  mûres  et  soigneuses  délibérations  et  un  examen 
attentif  de  tout  ce  qui  concernait  l'affaire,  ayant  pris  également  l'avis 
d'hom.mes  profondément  versés  dans  la  question,  a  jugé  devoir  ('mettre 
la  décision  suivante,  sous  la  réserve  tle  rapprobalion  de  Sa  Sainteté: 

Les  vo'ux  ou  les  demandes  forimilrs  Vannée  dernière  par  le  Congres 
dWrezzo  et  adresses  par  lui  an  Siège  Apostolique,  concernant  le  retour  dn 
chanl  liturgiijue  grégorien  à  Vancienne  tradition,  pris  tels  qu  ils  sont  ex- 
primés (accepta  uti  sonani),  ne  pciacnt  être  acceptés  ni  approuvés.  -- 
Sans  doute  ceux  qui  s'occupent  du  chant  ecclésiastique  ont  tou- 
jours eu  dans  le  passé  et  conservent  pour  l'avenir  pleine  et  entière 
liberté  de  rechercher,  au  point  de  vue  de  l'érudition,  quelle  fut  ancien- 
nenient  la  forme  de  ce  chant  ecclésiastique  et  par  quelles  phases  il  a 
passé,  comme  les  érudii.s  ont  la  louable  coutume  de  faire  des  recherches 
et  de  discuter  sur  les  anciens  rites  de  l'Eglise  et  les  autres  parties  do 
la  sainte  Liturgie.  Mais  néanmoins  la  seule  forme  du  chant  grégorien 
qui  doive  aujourd'hui  être  tenue  pour  authentique  et  légitime  est  celle 
qui  a  été  approuvée  et  confirmée  par  Paul  V,  conformément  aux 
preîcriptiows  du  concile  de  Trente,  par  Pie  IX  de  sainte  mémoire,  par 


100  l'avenir  de  la  mdsique  sacrée 

N,  T.  s.  p.  le  pape  Léon  XIII  et  par  la  Sacrée  Congrégation  des  Rites 
et  qui  est  contenue  dans  l'édition  donnée  à  Ratisbonne,  cette  forme 
étant,  à  la  difîrrence  de  toute  autre,  celle  du  chant  qui  est  en  usage 
dans  l'Eglise  romaine.  En  conséquence  il  ne  doit  plus  y  avoir  de 
doutes  ni  de  discussions  sur  l'aulhenticité  et  la  légitimité  de  cette 
forme  de  chant  parmi  ceux  (jui  sont  sincèrement  soumis  à  l'aulorilé 
du  Siège  Apostolique.  —  Afin  que  le  chant  employée  dans  la  sainte 
Liturgie,  prise  au  sens  strict,  soit  partout  le  mémo,  on  aura  soin,  d««s 
les  nouvelles  éditions  des  Missels, desliitucls  et  di's  Vonlificau.v ,  de  mettre  les 
parties  notées  de  ces  livres  en  parfaite  conformité  avec  l'édition  susmen- 
tionnée,qui  est  approuvée  par  leSainl-Siège  comme  contenant  le  chnnt  litnr- 
(ji(juc  propre  de  r Eglise  romaine  {ainsi que  l'in  iique  le  titre  même  de  chaque 
volume).  D'autre  part,  bien  que  le  Siège  Apostolique,  selon  la  règle  de 
conduite  pleine  de  prudence  qu'il  a  suivie  quand  il  s'est  agi  du  réta- 
blissement de  l'unité  de  la  liturgie  ecclésiastique,  n'impose  pas  à  cha- 
que Eglise  ladite  Edition,  toutefois  il  exhorte  de  nouveau  vivement 
tous  les  Hllmes  Ordinaires  des  lieux  et  les  autres  personnes  qui  culti- 
vent le  chant  ecclésiastique,  à  travailler  à  ce  que  cette  édition  soit 
adoptée  dans  la  sainte  Liturgie, afin  de  garder  Vunite  du  r/ici/if, comme 
ont  déjà  fait  plusieurs  Eglises  par  une  détermination  digne  d'éloges. 
—  Ainsi  décrété  par  la  Sacrée  Congrégation,  le  10  avril  1883. 

Un  rapport  fidèle  de  toutes  ces  choses  ayant  été  fait  à  N,  T.  S.  P.  le 
pape  Léon  Xlll  par  le  secrétaire.  Sa  Sainteté  a  approuvé  le  Décret  de 
la  Sacrée  Congrégation,  l'a  confirmé  et  a  ordonné  de  le  promulguer, 
le  26  du  même  mois  et  de  la  même  année. 

{A  suivre).  A.  Gabert. 


JV.-B.  —  L'abondance   des  matières  nous  oblige  à  renvoyer  au  mois 
d'août  le  4"  paragraphe  de  notre  sous-titre. 


UNE  PETITE  REPONSE 

M.  le  chanoine  Chaminadc  nous  écril  : 

La  Revue  du  Chant  Gréqorien  publiée  à  (irenoblo,  sous  l'inspiration 
de  D.  l*olhicr,  a  commis,  dans  son  numéro  du  mois  de  juin,  plusieurs 
inexactitudes  qu'il  importe  de  relever.  (Article  :  Echos,  pp.  214-215.) 

L'autour  de  l'article  {Un  Grégorien) écril  ceci  :  «  Il  est  bon  de  rappe- 
ler que  la  stricte  unité  liturgique  en  matière  de  plain  chant  n'est  pas 
imposée.  » 

—  L'Edition  officielle  n'est  pas  imposée,  cela  est  vrai,  pas  plus  que 
Eglise  n'/mposa  la  Liturgie  romaine.  (Décret  du  26  avril  1883.)  Mais 
un  ami  soucieux  de  l'entière  vérité  et  respectueux  des  décisions  du 
Saint  Siège  se  lut  emprcbsù  d'ajouter  que  l'Edition  oflicicUe  est  *.<  cha- 
leureusement rt commandée  »  aux  RU™''''  Ordinaires  par  13  documents 
pontificaux  «  dans  le  but  d'obtenir  dans  tous  les  diocèses  »  Unité  du 
chant  liturgique.  (Bref  de  Pie  IX,  30  mai  1873.  —  Bref  de  Léon  XIII, 
io  nov.  1878.  —  Décret  du  26  avril  1883.  —  Décret  du  7  juillet  1894.) 
11  eût  ajouté  aussi  que  «  c'est  une  pratique  constante  des  Souverains 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  104 

Pontifes  d'user  de  la  persuasion  pour  la  réforme  de  certains  abus, 
plutôt  que  de  donner  des  ordres  »  et  que  «  les  RR™«'  Ordinaires  des 
Lieux  et  leur  clergé  ont  coutume  d'interpréter  pieusement  et  religieu- 
sement comme  un  ordre  les  exhortations  du  Souverain  Pontife.  »  (Dé- 
cret du  26  avril  1883.) 

—  «  Tout  le  monde  sait  fort  bien,  continue  le  Grégorien,  que  l'Edi- 
tion officielle  est  celle  de  Rafisbonne.  » 

—  Eh  bien!  non  :  l'Edition  ofiicielle  n'est  pas  «  celle  de  Ratis- 
bonne  ».  Tout  le  monde  f^ait  fort  bien  que  M.  Puslet  n'est  qu'un  sim- 
ple imprimeur  obéissant  en  toutes  choses  aux  censeurs  ecclésiastiques 
de  Rome.  L'Edition  officielle,  c'est  l'Édition  romaine,  «  préparée  à 
Rome  et  publiée  par  les  soins  et  l'autorité  de  la  S.  C.  des  Rites  ». 
{Voirie  litre  des  éditions  typiques.)  Bien  plus,  aucun  autre  Graduel, 
aucun  autre  Vespéral  n'a  le  droit  de  s'intituler  Romain  :  car  «  la  seule 
forme  de  chant  grégorien  qui  doive  aujourd'hui  être  tenue  pour 
authentique  et  légitime,  c'est  celle  qui  a  été  approuvée  et  confirmée 
par  Paul  V,  conformément  aux  prescriptions  du  Concile  de  Trente; 
par  Pie  IX,  de  Sainte  .Mémoire;  par  N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  Xllf,  et 
par  la  S.  G.  des  liites  ».  (Décret  du  26  avril  1883.) 

—  «  Au  surplus,  conclut  le  Grégorien,  il  faudrait  vérifier  les  docu- 
ments sur  lesquels  on  s'appuie.  J'ai  sous  les  yeux  la  dernière  collec- 
tion des  Décrets  de  la  Congrégation  des  Rites,  relatifs  au  plain-chant 
et  à  la  musique  religieuse  :  j'y  cherche  en  vain  le  Décret  Romanorum 
Pontificum.  » 

—  Il  y  a  treize  documents  pontificaux  émanés  de  la  S.  C.  des  Rites 
et,  tous,  dûment  approuvés  par  Pie  IX  ou  par  Léon  XIII,  sans  compter 
les  approbations  spéciales  imposant  les  chants  typiques  du  Rituel,  du 
Missel  et  du  Cérémonial  des  Eréques  :  tels  sont  les  documents  parfaite- 
ment authentiques  sur  lesquels,  en  bons  catholiques  romains,  nous 
nous  appuyons.  Si  le  Grégorien,  quoique  ayant  «  sous  les  yeux  la  der- 
nière collection  des  Décrets  de  la  S.  C.  des  Rites,  »  y  a  cherché  en 
vain  le  Décret  Romanorum  Pontificum,  c'est  qu'il  a  mal  cherché  :  car 
ce  Décret  figure  dans  la  GoUection  officielle  de  Gardellini  sous  le 
n"  5869.  {Appendix  V,  du  12  janv.  1878  au  23  nov.  1887.)  Mais  peut- 
être  notre  chercheur  a-!-il  confondu  le  Décret  Romanorum  Pontificum 
avec  le  Décret  Quod  S.  Augustinus  du  7  juillet  1894.  En  effet,  ce  der- 
nier n'est  pas  encore  dans  la  collection  Gardellini,  mais  pour  une  rai- 
son bien  simple  :  c'est  que  les  décrets  généraux  de  la  S.  C.  des  Rites 
n'y  sont  insérés  que  tous  tes  dix  ans.  Déjà,  en  1884,  les  opposants  refu- 
saient au  Décret  Romanorum  Pontificum  toute  autorité,  sous  prétexte 
qu'il  ne  figurait  pas  dans  ladite  collection  :  après  avoir  mené  grand 
tapage  pendant  trois  ou  quatre  années,  ils  curent  enfin  satisfaction. 
Que  les  mécontents  d'aujourd'hui  se  rassurent  donc:  à  leur  tour  ils 
auront  satisfaction  à  l'expiration  de  la  période  décennale  (1). 

1.  D'aucuns  prétendent  pourtant  que  V Appendix  VI  ne  paraîtra  pas, 
parce  que  Rome  publie  actuellement  une  nouvelle  édition  des  Décréta 
Authentica,  dont  deux  volumes  ont  déjà  paru,  et  dans  laquelle  les 
Appendices  feront  corps  avec  le  reste. 

D'autre  part  un  de  nos  correspondants,  personnage  bien  en  situa- 
tion pour  être  renseigné  cl  dont  par  discrétion  nous  tairons  le  nom 


102  l'avemu  de  la  musique  sacrée 

Au  s^urplusjc  me  déclare  disposé  à  adopter  une  édition  quelconque, 
pourvu  que  Rome  on  manifeste  le  désir;  mais  jusqu'à  ce  jour  —  et 
tout  fait  prévoir  qu'il  en  sera  très  longtemps  ainsi  —  Rome  veut  obte- 
nir VUnitéàu  chant  liturgique,  non  pas  au  moyen  de  l'i-dilion  rémo- 
cambraisienne,  pas  même  au  moyen  de  l'édition  bénédictine,  mais 
au  moyen  de  l'Edition  officielle  qui,  seule,  mérite  le  titre  de  Piomnine  ; 
ca r,. <;ci(/e,  elle  est  upprouvée  par  ilonic. 


LE  RYTHME  ET  LE  MÈTRE 

Rien  que,  suivant  les  époques,  ces  deux  expressions  aient 
(Hé  prises  dans  dos  acceptions  quelque  peu  diltérentes,  on  ne 
les  a  jamais  confondues  l'une  avec  l'autre.  Nous  allons  faire 
connaître  les  diverses  significations  qu'elles  ont  eues  succes- 
sivement—  ce  qui  est  indispensable  pour  comprendre  le  sens 
des  définitions,  parfois  peu  concordantes,  qui  en  ont  été  don- 
nées —  et  les  textes  des  auteurs  qui  s'y  rapportent. 

Tout  assemblage  de  temps  ou  de  pieds  qui  se  succèdent 
dans  un  ordre  régulier,  sans  mélange  do  pieds  discordants, 
prend  le  nom  de  rythme,  en  latin  mimerus.  Mais,  dés  que  le 
nombre  de  pieds  qui  le  composent  est  déterminé  et  ne  peut 
pas  dépasser  une  certaine  limite,  on  l'appelle  mètre  ou  me- 
sure, hoc  mcnsiovcl  mcnsitra.  (S.  Aug.,  De  Mnsica,  lll,  1.) 

«  Il  est  évident,  dit  x\ristote,  que  le  métré  n'est  qu'une 
partie  du  rythme.  »  (^Poétique,  IV.) 

«  Le  mètre,  suivant  Aristide  Quintilien,  dilTcre  du  rythme 
comme  la  partie  du  tout.  C'est  une  section  du  rythme.  »  {.{p. 
cihofi/.,  p.  49.)  —  «  Pour  les  rythmes,  dit  encore  Fabius 
Quintilien,  l'espace  est  libre;  pour  les  mètres,  il  est  circons- 
crit et  leurs  cadences  sont  déterminées, e/  his  cert.vclaKml.v.  » 
{Inst.  orat.,  IX,  4.) 

«  Le  mètre  est  donc  une  composition  formée  de  pieds 
ayant  une  certaine  limite.  C'est  un  rythme  mesuré.  Metnim 
est  composilio  prtlnm  ad  cortum  finon  dcducla,  vcl  rythmia 
modis  finilKS,  »(Mar.  Victor. ,/l;7.y/y<//^,  cd.  'J'eubner,p.  50.) 

«  Il  suit  do  là,  comme  le  dit  saint  Augustin,  que  tout 
mètre  estun  rythme;  mais  tout  rythme  n'est  pas  mètre.  Qno- 

fort  connu,  nous  écrit  à  la  date  du  ii  juillet  1899  :  «  Je  puis  vous  assu- 
rer que,  malgré  dos  intrigues  incroyables,  le  Décret  de  1894,  ainsi  que 
le  Rer/oldinentu  pcr  la  musica  sacra,  trouvera  sa  place  définitive  dans  le 
3"  volume  de  la  nouvelle  Collection  des  Décrets  de  la  S.  ('.  dos  Rites, 
et  que  par  conséquent,  après  1900,  l'état  dos  choses  restera  essentiel- 
lement le  mônio  qu'en  1894.  *  {Note  do  la  Rédaction.) 


l'avenir  de  l.\  musique  sacrée  103 

circa  omne  metrum  rythmus,  non  omnis  rythmus  etiam  me- 
trum  est.  »  (Loc.  cit.) 

«  Les  Anciens  semblent  s'être  représenté  le  rythme  comme 
un  long  ruban,  ou  une  chaîne  composée  d'anneaux  égaux, 
c'est-à-dire  de  pieds  rythmiques  égaux,  et  le  mètre  comme 
uno  partie  déterminée  de  celte  chaîne.  »  (Maximilien  Kaw- 
ciynûd,  Essai  comparatif  sur  T  histoire  et  l'origine  des  rythmes 
p.  53.)  ^ 

Tel  est  le  sens  du  mot  mètre  dans  son  acception  la  plus  an- 
cienne. (4'était  une  section  précise  de  la  progression  rythmi- 
mique,  une  limite  au  développement  indéfini  de  la  phrase 
musicale  ou  poétique  marquée  par  une  clausule  ou  cadence 
obligée,  après  laquelle  la  voix  reprenait  de  nouveau  sa  course 
interrompue. 

Tant  que  le  chant  et  la  poésie  demeurèrent  unis,  les  cou- 
pures de  la  mélodie  coïncidaient  avec  celles  des  vers  et  le 
même  rythme  réglait  la  marche  du  chant  et  des  paroles. 
Mais  il  vint  un  moment  où  les  poètes  se  mirent  à  écrire  des 
vers  qui  n'étaient  plus  destinés  à  être  chantés,  et  les  musi- 
ciens, de  leur  côté,  composèrent  des  mélodies  pour  les  flûtes 
et  les  cithares,  sans  accompagnement  de  paroles.  Platon  se 
plaint  qu'il  en  était  déjà  ainsi  de  son  temps  et  trouve  dans  ce 
procédé  une  absence  totale  de  goût.  «  Ce  ne  peut  être,  dit-il, 
que  l'effet  d'une  manie  barbare  et  d'un  vrai  charlatanisme, 
de  jouer  ainsi  de  la  cithare  et  de  la  flûte  autrement  que  pour 
accompagner  la  danse  et  le  chant.  »  {Leges,  II.) 

Mais  dès  lors,  il  y  eut  scission  enfre  la  poésie  et  la  musique. 
Celle-ci,  plus  libre,  s'afTranchit  des  entraves  que  lui  imposait 
le  texte  et,  n'étant  plus  liée  par  la  marche  des  pieds,  augmenta 
ou  diminua  à  son  gré  la  durée  des  notes;  tandis  que  la  poé- 
sie, tout  en  admettant  une  plus  grande  liberté  dans  le  mé- 
lange des  pieds  et  dans  la  coupe  ou  césure  des  vers,  détermina 
avec  plus  de  soin  le  nombre  de  pieds  qui  devaient  entrer  dans 
chaque  espèce  de  vers  et  le  nombre  do  vers  qu'on  pouvait 
grouper  ensemble  pour  en  former  des  strophes  régulières. 

Il  y  eut,  par  suite,  distinction  entre  le  mètre  poétique  et  le 
rythme  musical.  Le  nom  de  mètre  fut  attribué  exclusivement 
à  l'art  de  la  poésie.  On  appela  métrique  l'ensemble  de  ses 
règles  et  mélriciens  ceux  qui  les  formulaient.  Les  expressions 
de  rythme  et  de  rythmique  demeurèrent  plus  spécialement 
réservées  à  la  musique  et  l'on  nomma  rythmiciens  ceux  qui 
s'occupaient  de  cet  art. 


104  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Le  mot  mètre  lui-même,  pris  dans  le  sens  do  poésie,  pou- 
vait s'entendre  de  plusieurs  manières,  nous  dit  Marius  Victo- 
rinus  :  «  D'abord  pour  la  mesure  des  syllubes,  longues  ou 
brèves;  puis  pour  le  nombre  de  syllabes  qui  forment  le  pied; 
pour  la  qualité  des  pieds  qui  entrent  dans  le  vers,  d'où  les 
dénominations  de  mètres  ïambiques,  trocbaïques  et  dactyli- 
ques,  et  enfin,  pour  le  nombre  de  pieds  dont  se  compose  le 
v^rs,  car  chaque  vers,  suivant  sa  longueur,  est  appelé  tri- 
mètre,  létramèlre  ou  hexamètre.  »  {Op.  cil  .  p.  51.) 

«  Le  rythme  (musical),  dit  encore  le  même  auteur,  difl'ère 
du  mètre  (poétique)  en  ce  que  celui-ci  s'occupe  de  la  disposi- 
tion des  mots  et  celui-là  règle  la  modulation  et  les  mouve- 
ments du  corps.  Le  mètre  est  une  association  de  pieds,  le 
rythme  une  succession  do  temps  coordonnée;  le  mètre  est 
limité  par  un  certain  nombre  de  syllabes  et  de  pieds,  le  rythme 
n'ct  jamais  circonscrit  par  un  nombre  déterminé, mais  il  pro- 
longe les  temps  à  son  gré.  »  (p.  41 .) 

La  matière  du  rythme  était  donc  le  son  musical  ou  la  figure 
mimique  dont  on  évaluait  la  durée  au  moyen  des  temps.  Le 
temps  bref  étant  pris  comme  unité  de  durée,  on  pouvait  en  le 
multipliant  produire  des  temps  doubles,  triples,  quadruples. 
Le  mètre,  an  contraire,  avait  pour  objet  la  syllabe  poétique, 
dont  la  longueur  ou  la  brièveté  servait  à  déterminer  les 
pieds.  Mais  il  n'admettait  entre  les  syllabes  longues  et  les 
syllabes  brèves  que  le  rapport  fi.xo  de  1  à  2. 

«  Le  mètre,  dit  Longin,  n'emploie  que  des  temps  fixes,  le 
temps  long  et  le  temps  bref,  ainsi  que  le  temps  commun  qui 
peut  être  ou  long  ou  bref;  tandis  que  le  rythme  donne  aux 
temps  l'extension  qu'il  lui  plaît.  »  [Ad  Ilophœst.,  i4i.  West- 
phall,  p.  43.) 

«  Les  rythmes,  dit  aussi  Diomède,  ne  sont  limités  que  par 
la  mesure  certaine  des  temps  et  peuvent  à  notre  gré  être  res- 
serrés ou  allongés.  Les  pieds  consistent  dans  la  durée  fixe  des 
syllabes  et  ne  s'écart  mt  jamais  de  l'intervalle  légitime.  » 
{Ap.  Weslph.,  p.  43.) 

«  Il  y  avait  donc  désaccord  entre  les  métriciens  cl  les  musi- 
ciens au  sujet  des  intervalles  de  temps  qui  correspondent  aux 
syllabes.  Les  musiciens  n'attribuaient  pas  une  valeur  égale 
à  toutes  les  longues  et  à  toutes  les  brèves,  mais  admettaieni 
des  longues  augmentées  et  des  brèves  diminuées.  Par  contre, 
les  métriciens  réglaient    la   durée  des  temps  suivant  que 


il 


l'avenir  de  la  musique  sacrék  105 

chaque  syllabe  était  longue  ou  brève  de  sa  nature.  »  {Mar. 
Victor.,  p.  39.) 

Une  autre  différence  entre  le  rythme  et  le  mètre  consistait 
dans  la  disposition  des  longues  et  des  brèves  ([ui  formaient 
les  pieds, ainsi  que  dans  l'omploi  des  silences.  «  Il  importe 
peu  pour  le  rythme,  dit  F.  Quintilien,  que  dans  un  dactyle, 
par  exemple,  les  syllabes  brèvessoienl  placées  avant  ou  après, 
pourvu  que  l'intervalle  du  levé  au  frajipc  demeure  égal,  car 
il  ne  mesure  que  le  temps;  tandis  que  dans  un  vers,  on  ne 
pourra  pas  employer  indifféremment  un  anapeste  ou  un 
spondée  pour  un  dactyle,  —  Les  rythmes  admettent  aussi 
plus  facilement  les  temps  vides  ou  silences,  quoiqu'ils  se  ren- 
contrent aussi  dans  les  mètres.   »  (Inst.  orat.,  IX,  4.) 

Il  n'y  avait  donc  plus, à  proprement  parler,  de  pieds  carac- 
térisés dans  les  rythmes,  puisque  la  fantaisie  du  musicien  y 
mélangeait  à  son  gré  les  longues  et  les  brèves. 

«  Son  essence,  dit  Aristide  Quintilien,  consiste  dans  le  levé 
et  le  frappé,  tan<lis  que  le  mèire  a  la  sienne  dans  la  diversité 
des  syllabes.  Le  rythme  subsiste,  bien  qu'on  emploie  des  syl- 
labes semblables  ou  des  pieds  opposés;  mais  le  mètre  ne  va 
pas  sans  l'inégalité  des  syllabes  et  n'admet  que  rarement 
l'antithèse  des  pieds.  »  {Meibom.,  p.  49.) 

C'est  ce  qui  faisait  dire  à  Marins  Victorinus  que  «  le 
rythme  se  passe  de  pieds  et  que  la  mélodie  ne  se  mesure  pas 
par  les  pieds,  mais  par  les  temps  rythmiques  ».  (p.  44.) 

Une  autre  conséquence  de  cette  scission  entre  la  poésie  et 
le  chant  fut  que  le  texte  lui-même,  destiné  à  être  chanté, 
s'affranchit  de  plus  en  plus  des  lois  de  la  métrique  et  de  la 
prosodie  et  se  soumit  entièrement  au  rythme  musical. 

Aussi  Cicéron  nous  dit-il  que  «  certains  vers  ressemblent 
à  de  la  prose  quand  ils  ne  sont  pas  chantés.  On  le  remarque 
surtout  chez  les  meilleurs  poètes  lyriques,  dont  la  versili- 
cation  ne  paraît  qu'une  simple  prose,  quand  elle  n'est  pas 
soutenue  par  le  chant  ».  {Orator,  55.)  Ce  que  confirme  Atti- 
lius  Fortunatus  disant  que  «  le  mètre  conserve  son  carac- 
tère, même  quand  il  n'est  pas  uni  au  chant  ;  tandis  que  la 
composition  rythmique  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'elle  est 
chantée  ».   {Gram.  lat.,  \I,  i,  p.  288.) 

Peu  importait  dès  lors  au  musicien  la  quantité  des  syllabes 
du  texte. 

«  Si  là  où  le  chant  demande  deux  longues,  dit  saint  Au- 
gustin, on  place  un  mot  dont  la  première  syllabe  est  brève, 


106  l'avenir  de  la  musique  SACr.ÉE 

en  lui  donnant  la  durée  d'une  longue,  la  musique  ne  s'en 
offense  nullement  :  car,  tout  ce  qu'elle  réclame,  c'est  que  les 
syllabes  soient  abrégées  ou  allongées  suivant  les  lois  de  son 
propre  rythme.  »  {De  Mnsica,  II,  1.) 

Cetle  doctrine,  qu'on  lo  sache  bien,  n'est  pas  particuli^ro 
à  saint  Augustin.  Nous  la  retrouvons,  énoncée  presque  dans 
les  mômes  termes,  chez  la  plupart  dos  théoriciens  des  pre- 
miers siècles. 

Servius,  grammairien  du  \*  siècle,  dit  :  «  Les  rythmiciens 
ne  mesurent  dans  le  vers  que  les  durées  du  son  et  prennent 
pour  unité  de  mesure  le  temps  bref,  qui  est  toujours  appeb'' 
bref,  quelle  que  soit  la  syllabe  qui  lui  est  associée.  Les  métri- 
ciens,  au  contraire,  mesurent  les  vers  par  les  syllabes  et 
comptent  comme  temps  bref  celui  qui  correspond  à  une  syl- 
labe brève.  C'est  pourquoi,  si  les  métriciens  déterminent  les 
temps  par  les  syllabes, les  rylhmiciens  règlent  les  syllabes 
sur  les  temps. //^?^<<e  rythmici  temporilnis  st/llahas,  mcti'ici 
tcmpora  ayllabis  finiunt.  {De  Accent.^  ap.  Weslph., 
p.  42.)  Priscien  disait  à  la  même  époque;  «  Pas  plus 
que  la  sainte  Ecriture,  la  .Musique  n'est  soumise  aux 
règles  de  Donat.  Mmica  non  suhjacet  regulis  Dona/i,  sicut 
née  divina  Scriptum.  »  (Gerbert,  Scriptor.,  I,  p.  G  ) 

Marius  Victorinus  au  iv*  siècle  :  «  Les  musiciens  soumet- 
tent les  syllabes  à  l'arbitre  dos  temps.  Musici  Icmporuni  arhi- 
trio  syllabasaniimiltunf.  {Op. cit.,^.  39.)  Longin  aulll'siècle : 
«  Le  rythme  donne  au  temps  l'extension  qu'il  lui  plaît,  jus- 
qu'à faire  souvent  d'un  temps  bref  un  temps  long.  »  {Ad 
Hephœsl.,  Westph.,  p.  43.)  Et  D<Miys  (lllalicarnasso,  con- 
temporain d'Auguste  :  «  La  Rythmique  et  la  Musique  trans- 
forment les  syllabes,  les  allongent  ou  les  abrègent,  de  ma- 
nière bien  souvent  à  intervertir  leurs  qualités;  car  ce  ne  sont 
point  les  temps  que  l'on  règle  sur  les  syllabe?,  mais  les  syl- 
labes sur  les  temps.  {Comp.  ver/).,  M.  Wcslph.,  p.  43.) 
{A  suivre.)  J.  Dui'Otx. 


LA  PRATIQUE  DU  CHANT  GRÉGORIEN 

I 

En  avril  dernier,  je  disais  à  cette  place  que,  désormais,  nous 
pourrions  parler  de  la  pratique  du  chant  grégorien  restauré. 
Mettons  les  choses  au  point. 


l'avenih  de  la  MUSiQuii:  SACUÉ1-:  107 

Qui  dit  «  pratique  »  dit  «  exécution  quotidienne  »  de  la  can- 
tilène  sacrée. 

Dès  ici,  on  voit  que  la  question  a  deux  côtés,  comme  une 
médaille,  une  pièce  de  monnaie,  a  une  face  et  un  revers. 

La  face  porte  l'emblème  do  l'état  de  choses  existant  auto- 
ritairement, le  revers  ne  jjorte  que  l'accessoire. 

La  face,  dans  la  question  jj-régoricnne.  ne  peut  comporter 
que  la  pratique  du  chant  ofliciel  de  l'Eglise;  le  revers,  la 
pratique  du  chant  archéologique  restauré  d'après  un  système 
quelconque  de  lecture  des  neumes  anciens. 

{Concluons  donc  en  bonne  et  saine  logique,  d'une  part  que 
si  nous  parlons  «  pratique  journalière  »  cela  ne  peut  s'enten- 
dre que  de  celle  du  chant  officiel  reconnu  tel,  sanctionné  par 
les  décrets  du  Saint-Siège  (I),  et,  d'autre  part,  que  toutes 
VERSIONS  ARCHÉOLOGIQUES  du  chaut  antique  ne  peuvent  don- 
ner lieu  qu'à  un  ensemble  de  conseils  en  vue  d'une  exécution 
passagère. 

Bien  plus,  toute  propagande  faite  dans  le  but  de  les 
répandre  comme  type  officiel  du  chant  de  l'Eglise  doit  être 
qualifiée  de  «  factieuse  »,  ainsi  que  jo  l'ai  dit  dans  un  précédent 
article. 

A  combien  plus  forte  raison  toute  critique  de  fond  ayant 
pour  but  de  déconsidérer  celte  «  Edition  officielle  »,  et  faite 
avec  le  secret  désir  de  lui  substituer  une  quelconque  des  ver- 
sions archéologiques  connues  actuellement,  est-elle  un  cas 
de  rébellion  vis-à-vis  de  la  seule  autorité  à  laquelle  nous 
devions  obéissance  filiale  :  Rome. 

Pour  ce  qui  me  concerne,  mon  attitude  est  bien  nette  et  ne 
variera  pas.  Je  ne  saurais  mieux  faire,  pour  l'affirmer  aujour- 
d'hui, que  citer  ces  quelques  lignes  de  Dom  Kienle  (2). 

«  11  y  eut  un  temps  où  je  donnais  mes  préférences  aux  formes  des 
«  mélodies  grégoriennes  de  l'anticiuité,  et  où  je  nourrissais  l'espoir 
«  qu'elles  auraient  obtenu,  à  côté  des  môlodies  officielles,  quelque 
«  témoignage  flatteur  et  formel,  même  qu'elles  pourraient  être  intro- 
«  duites  et  prises  en  considération.  Il  en  aurait  été  ainsi,  si  seulement 
«  la  question  eût  été  agitée  avec  plus  de  sens  religieux  et  de  modé- 
«  ration  et  avec  moins  d'étourdorio.  Toutefois,  par  les  décrets  récents 
«  de  l'Eglise,  cctlc  question  a  reçu  une  solution  et  elle  chanrje  de  phase. 
«  Lk  temps  auquel  .ie  faisais  allusion  est  donc,  a  mes  yeux,  un  temps  passé 
«  A  TOUT  JAMAIS.  Je  déclare,  en  conséquence,  que  je  suis  partisan  de 
«  l'usage  PRATIQUE  des  livres  officiels  de  chant,  et  je  foume  le  vœu  que 

«   TOUT  VRAI  CATHOLIQUE  SE  DÉGIDE  A  AGIR  DE  MÊME.  » 

Ainsi  s'exprimait  Dom  Kienle,  ainsi  m'expriniai-je  à  mon 
tour. 

1.  Tant  qu'une  autre  édition  n'aura  pas  été  jugée  digne  de  la  rem- 
placer. 

2.  Grey.  Blail,  1887. 


108  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Rome  encourage  les  recherches  archéologiques.  Je  travaille 
donc  par  pur  amour  de  l'art,  pour  la  vérité  archéologique  à 
découvrir,  si  elle  ne  l'est  déjà  par  Tuii  de  mes  confrères  es 
neumes,  pourapportcr  tout  au  moins  quelques  données  nou- 
velles, sinon  toutes,  propres  à  éclairer  d'un  jour  nouveau 
cette  question,  si  importante  dans  ses  résultats,  du  rythme 
grégorien.  Mais  aussitôt  que  la  question  de  pratique  ^'oî<r/ia- 
/zè/'e  est  soulevée,  l'archéologue  enthousiaste  lail  place  en 
moi  à  l'humble  catholique  dont  le  seul  rôle  est  l'ohéissance 
absolue,  obéissance  qui  entraîne  forcément  l'adoption  hic  et 
ruine  do  l'Edition  officielle,  et,  de  plus,  la  non-discussion  de 
la  valeur  théorique  de  ladite  Edition,  la  discussion  étant  in- 
convenante au  premier  chef  (1). 

De  môme  que  Rome  encourage  les  recherches  archéologi- 
ques, de  môme  elle  tolère  l'exécution  à  l'I^glise  de  pièces  de 
musique  modeine  dite  religieuse,  pourvu  qu'elles  soient  res- 
pectueuse du  sanctuaire  et  des  nécessités  liturgiques.  En  con- 
séquence V exécution  passagère  de  toute  version  archéologique 
restaurée  d'après  une  méthode  scientifique  jouit  de  la  même 
tolérance. 

C'est  donc  en  vue  d'une  exécution  passagère  que  nous 
donnerons  les  quelques  conseils  dont  nous  parlions  au  début 
de  ces  lignes. 

II 

On  a  mené  grand  bruit  d'une  réserve  faite  en  toute  sincé- 
rité, concernant  «  V impossibilité  de  la  rernise  in'é^/ralc  au 
répertoire  de  la  cantilène  antique  ». 

On  s'est  même  servi  de  cet  aveu  comme  d'une  arme  de 
combat  contre  ma  théorie;  mais  n'esl-il  pas  regrettable  do 
voir  le  dernier  critique  de  mon  œuvre  en  dénaturer  le  sens, 
bien  clair  cependant,  par  ce  commentaire  :  «  Il  n'y  a  qu'un 
«  mol  à  ajouter  à  cette  appréciation  :  ce  qui  n'est  pas  chan- 
«  table  aujourd'hui  ne  l'était  pas?  davantage  au  moyen  âge,  et 
«  la  doctrine  qui  aboutit  à  une  pratique  impossible  se  con- 
«  damne,  par  le  fait  même,  irrévocablement  (2).  » 

Ainsi  donc,  si,  sans  égards  pour  la  susceptibilité  bien  légi- 
time de  mon  critique,  et  pressenti  par  lui  au  sujet  de  l'exécu- 
tion qu'il  projette  d'une  œuvre  moderne  (de  Brahms,  Rubins- 

i.  Et,  pour  rester  dans  l'obéissance  jusqu'au  bout,  c'est  ;i  NN,  SS.  les 
Evéqucs  que  nous  nous  abandonnons  pour  l'application  pratique  du 
principe  d'adopîion,  vu  que  I\omc,  par  une  condescendance  toute 
maternelle,  leur  loisse  le  choix  du  moment  opportun  en  toloaut  qu'ils 
conservent  les  anciennes  éditions  diocésaines  U^gilimement  introduites. 
(Décret  du  7  juillet  1894.) 

2.  Mus.  Sacra  ,  Toulouse,  mai  1899,  p.  60,  col.  droite. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  109 

tein,  Liszt,  etc.,)  connaissant  de  plus,  son  incapacité  profes- 
sionnelle, je  viens  lui  dire  :  «  Non,  ne  tentez  pas  la  chose, 
«  cette  musique  est  au-dessus  de  vos  forces,  »  il  me  répondra  : 
«  Brahms  n'existe  pas!  »  Mon  Dieu,  non,  pour  lui.  Notons 
qu'ici  je  prends  un  exemple, sans  aucune  intention  malicieuse  : 
c'est  un  a.vgumentad  hominem  que  j'emploie. 

Mais,  toutes  choses  considérées,  le  cas  est  identiquement 
le  même  au  regard  du  chant  restauré. 

Que  sont  nos  milliers  de  chantres,  sinon  des  incapables? 
Le  souvenir  de  leur  infériorité  écrasante  m'a  hanté  lorsque 
j'écrivis  ma  fameuse  phrase:  impossibilité  de  remise  intégrale 
au  répertoire  du  chant  restauré.  Eux  seuls  en  sont  respon- 
sables. 

La  conclusion  précitée  perd  d'ailleurs  toute  sa  valeur 
puisqu'elle  ne  porte  que  sur  une  phrase  tronquée,  et  que,  de 
plus,  cet  écrivain  cache  soigneusement  un  autre  alinéa  du 
même  article  (1)  :  «  Il  n'est  pas  un  musicien  qui  ne  soit 
«  capable  de  chanter  ma  version;  mais  c'est  une  utopie  de  la 
«  vouloir  faire   chanter  universellement  parce  que  l'immense 

«    MAJORITÉ   DES  CHANTRES  n'a  NI  INSTRUCTION  «  SOLFÈGE  »,  cic. . .    » 

En  voilà  assez,  ce  me  semble,  sur  un  sujet  irritant. 

Toute  mélodie  bienétablie  comporte  eti  elle-même,  on  le 
sait,  un  commencement,  un  milieu  et  une  fin.  Chacune  de 
ces  trois  parties  est  formée  d'un  ou  plusieurs  membres  do 
phrase.  Chacun  de  ces  membres  de  phrase  est  composé  d'une 
ou  plusieurs  formules  mélodiques  ayant  un  sens  musical 
défini.  Vivifiant  le  tout  il  y  a  le  rythme  qui  anime  la  mélodie, 
rythme  intimement  lié  au  sens  mélodique  de  chaque  formule. 

Le  rythme  donne  l'unité  de  caractère  et  la  tonalité  aJopléc 
donne  l'unité  de  sentiment. 

Si  l'on  a  bien  compris  ce  qui  précède,  il  n'est  personne  qui 
ne  saisira  à  première  vue  la  constitution  de  la  phrase  grégo- 
rienne et  son  mode  d'exécution. 

Retrouvons-nous  tout  cela  dans  la  cantilène  grégorienne? 

Oui,  tout  sans  exception. 

Remarquons  bien  que  je  n'ai  pas  parlé  de  groupement  des 
formules  en  mesures  régulières  telles  que  nos  œuvres  mo- 
dernes en  comportent. 

Ces  groupements  me  paraissent  inadmissibles,  puisque, 
pour  les  établir,  on  est  obligé  de  ne  pas  suivre,  dans  la  tra- 
duction des  neumes,  un  mode  d'interprétation  uniforme  pour 
chacune  des  formes  neumatiques. 

Le  chant  grégorien  est  libre  dans  son  rythme  (2),   libre 

1.  Mus,  Sacra,  fév.  1899,  page  30,  col.  gauche. 

2.  Liberté  ne  sigaifie  pas  absence  d^.  njthmeoxx  rythme  vague,  indé- 
lerminé  l 


HO  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

dans  son  dé  vélo  i)pe  ment  mélodique  comme  la  prose  liltéraire 
l'est  dans  ses  périodes.  Mais,  taudis  que  la  prose  lilténiire 
déclamée  suit  les  lois  du  rythme  oratoire,  la  prose  grégo- 
rienne suit  les  lois  du  rythme  musical.  Le  chant,  d'ailleurs, 
n'ajaiuais  été  assimilable  au  «  parler  •».  Le  rylhme  du  chant 
est  une  chose,  le  rylhme  de  la  parole  en  esl  une  autre.  Le 
chant  est  de  la  musique  et  en  suit  les  lois  naturelles,  le  parler 
n'est  pas  de  la  musique  et  conséquemment  suit  des  lois  diffé- 
rentes propres  à  sa  nature. 

Dire  que  le  parler  possède  un  rylhme  propre  est  exact  :  nul 
de  nous  qui  ne  l'ait  senti  instinctivement;  mais  prétendre 
que  :  puisque  le  rylhme  oratoire  «  est  un  ryliimc  certain,  on 
peut  l'imposer  à  la  mélodie  »,  est  une  impossibilité.  Le  «  can- 
tabis  siciit promintkweris  »,  grand  argument  bénédictin,  e^t 
un  de  ces  axiomes  absolus,  qui  pèchent  par  leur  absolutisme 
même. 

Chanter  :  «  Pater  nostcr,  qvi es  incœ/is...  •»  comme  on  le 
déclame,  n'est  pas,  à  proprement  parler,  du  «  c/iant  », c'est  de 
la  déclamation  syllabique  oratoire  sur  intonations  musicales. 
Mais  aussitôt  qu'il  y  a  groupe  de  notes  traduisant,  une  à  une, 
les  syllabes  du  terte,  il  y  a  musique  pure  et  rythme  musical, 
antipodes  du  parler  et  du  rylhme  oratoire. 

A  tel  point  que  les  anciens  reconnaissaient  déjà,  et  même 
dans  le  syllabisme  musical,  que  :  ce  n'est  pas  la  musique  qui 
se  plie  au  rythme  des  paroles,  nuiis  bien  la  parole  au  rythme 
de  la  mélodie. 

Toute  l'Ecole  dite  italienne  a  exagéré  celte  singulière  ma- 
nière de  faire  et  c'est  la  grande  supériorité  de  notre  Ecoir 
moderne  de  respecter  la  pureté  de  la  déclamation  oratoire  (I) 
sans  rien  sacrifier  des  exigences  du  rythme  musical. 

Pour  la  dixième  fois,  peut-être,  répétons  que  la  caractéris- 
tique du  rythme  musical  n'est  pas  autre  chose  que  la  régula- 
rité des  pulsations  rylhmiques  que  chacun  sent  (2)  instincti- 
vement à  l'audition,  parce  que  le  rylhme  est  le  pouls  de  la 
musique. 

Le  chant  grégorien  est  ainsi  établi  :  pas  de  mesures  régu- 
lières, uniquement  des  temps  rythmiques  successifs  composés 
chacun  en  soi  de  toutes  les  notes  (1,  2,  jusqu'à  G  ou  8)  qui 

1.  Ce  qui  ne  sig  lifie  aucunement  «  respccloi-  le  rjlhme  oratoire  ». 

2.  C'est  encore  un  fait  qu'à  l'audition  d'une  œuvre  musicale,  lo:^ 
neuf  dixièmes  des  auditeurs  suivent  le  rythme  de  liHc,  et  que  quelques- 
uns  d'entre  eux  le  marquent  de  la  tête  ou  du  pied,  sans  souci  de  la 
Meaurc  moderne  dans  Uuiuelle  l'œuvre  est  écrite.  Qu'est-ce  donc  cela, 
sinon  battre  les  ^cwj. s  ri/lhmiques  successifs,  pouls  du  rythme,  répé- 
tons-le à  satiété  ? 


l'avenir  de  là.  musiqul;  SAcnÉio  111 

neumatiquement  sont  représentées  par  une  seule  figure  neu- 
matique.  C'est  avant  tout  une  question  de  lecture  qu'il  en  soit 
ainsi.  Ces  groupes-temps  expriment  une  seule  ou  plusieurs 
syllabes  du  texte,  mais  on  ne  voit  nulle  part  une  ligure  neu- 
matique  juxtaposée  à  deux  (ou  plus)  syllabes  de  ce  texte  (I). 

Prenons  le  graduel  :  «  Christus  factus  est  »,  tel  que  je  le 
transcris  (2). 

Au  premier  regard  jeté  sur  cette  traduction  on  voit  chaque 
groupe-temps  juxtaposé  à  une  syllabe  du  texte,  et,  par  places, 
deux  ou  trois  de  ces  groupes  (3)  exprimant  unemème  syllabe 
liltéraire  :  —  no  =:  3  temps,  bis;  obe  =  3  temps,  diens;  ad 
=  2  temps;  ciutem  =  3  temps.  Dans  le  verset  qui  suit  les 
groupes  sonl  plus  nombreux  par  places;  ce  sont  alors  de 
courtes  vocalises  du  type  des  jubili  alléluiatiques. 

Quelle  difficulté  d'exécution  oserait-on  soulever  au  sujet  de 
ces  groupes?  Quel  est  celui,  dont  le  savoir  en  solfège  môme 
réduit  à  la  définition  fondamentale  une  noire  =  2  crochos 
==  4  doubles  croches,  e1c.,qui  osera  dire  que  cette  mélodie  est 
impî'alicablf!  Impraticable,  oui  assurément,  pour  nos  chan- 
tres et  pour  beaucoup  do  leurs  supérieurs  hiérarchiques  qui 
en  sont  encore  à  rejeter  la  notation  moderne  sous  le  curieux 
prétexte  que  cette  notation  dénature  leur  plain-cbant,  tandis 
que  la  notation  carrée  l'immatérialise!  Grands  mots  sonores 
que  tout  cela  ! 

Suivons.  Chanter  des  temps  rythmiques  à  la  suite  les  uns 
des  autres  n'est  pas  chanter,  c'est  solfier  brutalement  la  lettre 
du  texte  musical.  L'élève  de  neuvième  qui  ânonne,  mot  par 
mot,  sa  leçon,  lit  brutalement  le  texte,  mais  ne  sait  pas  lire. 
Savoir  lire  la  prose  ou  les  vers,  c'est  donner  à  chaque  mot  sa 
force  d'émission  selon  le  rô!e  qu  il  joue  dans  le  membre  de 
phrase.  Pourquoi  voudrait-on  qu'en  musique,  langue  bien 
autrement  expressive,  il  en  soit  d'autre  façon?  Savoir  lire  la 
musique  ne  consiste  pas  à  exécuter  froidement,  mctronomi- 
quement,  les  groupes  temps  rythmiques  que  l'on  a  sous  les 
yeux,  mais  bien  à  donner  à  chacun  de  ces  groupes-temps  sa 
force    d'émission   selon  le  rôle  que  ce  groupe  joue  dans  le 

1.  J'ai  donné  clans  mon  Appendice,  {").  305, le  sens  du  texte  de  Guy 
d'Arezzo  {MicioL,  XV,  8)  qui  pourrait  m'èlre  oppose  ici. 

2.  Voir  mon  Appendice,  page  321. 

«  il.  lloudnrd  a  bien  voulu  mettre  à  notre  disposllion  un  certain  nombre 
d'exemplaires  de  cette  pièce  (tirage  à  part  sur  papier  fort).  Ceux  de  nos 
lecteurs  ciui  désireraient  la  recevoir  voudront  bien  nous  adresser  leur 
déniante  d  nis  le  plus  bref  délai.  (Note  de  la  Rédaction.) 

3.  Je  pourrais  faire  intervenir  une  raison  d  harmonie  sous-entendue 
pour  confirmer  ces  <emps;  mais  il  faut  savoir  se  borner  pour  ne  pas 
embrouiller  les  idées  dès  le  début. 


112  l'avenir  de  la  musique  sacuél 

membre  de  phrase.  Donc  identité  parfaite  de  moyens  dans  les 
deux  langues,  et,  comme  corollaire  :  même  éducation  à  par- 
faire pour  être  à  môme  de  traduire  le  sentiment  de  l'écrivain, 
littérateur  ou  musicien.  Que  ceux-là,  parmi  nos  détracteurs, 
veuillent  bien  réfléchir  au  ridicule  dont  ils  se  couvrent  lors- 
qu'ils prétendent  que  chanter  temps  par  temps  c'est  marteler 
une  mélodie  insipide. 

Chaque  mot  du  texte  liturgique  l'st  donc  exprimé  par  un 
véritable  mot  musical.  Comme  preuve,  je  prie  le  lecteur  de 
supprimer  mentalement  le  texte  «  Christus/actusest  »,  etc., et 
d'exécuter  la  mélodie  comme  si  elle  était  purement  instru- 
mentale. 11  lui  sera  impossible,  à  moins  de  parti  pris,  de 
mauvaise  foi  ou  d'ignorance,  de  phraser  la  mélodie  susdite 
autrement  que  comme  les  mots  du  texte  momentanément 
supprimés  l'ont  établie  musicalement  dans  l'esprit  du  com- 
positeur. 

Maintenant,  que  le  lecteur  fasse  un  essai  complémentaire  : 
qu'il  joue  de  nouveau,  au  piano  ou  à  l'orgue,  ou  qu'il  veuille 
bien  chanter  cette  fois  la  mélodie,  mais  en  lisant  en  même 
temps  les  indications  neumatiques  des  ncumcs  qui  surmontent 
la  partie  (indications  qui  reviennent  à  ceci  :  ritonito  léger, 
expressivo ,  de  toutes  les  notes  qui  neumatiquement  sont 
représentées  par  des  traits  ou  par  un  signe  surm.onté  d'un 
trait  :  tel  le  5"  mot,  nobi.s).  Son  exécution  sera  le  rendu  exact 
de  la  pensée  du  compositeur,  représentée  d'une  façon  géniale 
dans  les  neumes  eux-mêmes. 

Je  n'en  dirai  pas  plus  long  aujourd'hui.  La  plupart  de  ceux 
qui  m'ont  critiqué,  dans  des  termes  souvent  déplacés, 
regretteront  avant  peu  d'avoir  étalé  au  grand  jour  leur 
incompétence  ou  leur  dépit  de  s'être  inféodés  à  telle  ou  telle 
école,  sans  avoir  suffisamment  pesé  les  raisons  de  leur  adhé- 
sion. Verba  volant,  mais  scripta  mankint,  les  miens  comme  les 
leurs.  Les  recherches  futures  justilieront  lesuns  ou  les  autres. 
Attendons  les  avec  calme. 

G.    llOLUARU. 


Le  Gérant  :  A.  GABERT. 


aaP-  NOIZBTTE  ET  C'e,8,  RUE  CÀMPAONK-1".  PARIS. 


DEUXIÈME  ANNÉE  N"  8  15  AOUT  1890 


L'AVENIR 


DE    LA 


MUSIQUE  SACRÉE 


SOMMAIRK. 

A  [iropos  d'I  nité  (Suite.). 1 1:$ 

Variations  musicales  sur  le  Motif  «  Brefs  et  Décrets  » 120 

l.e  Rythme  et  le  Mètre  (Suite.) 12!) 

I>e  Neume-Temps  rythmique  devant  la  Critique 128> 

Le  Rythme  des  Mélodies  grégoriennes,  par  J.  Artigarum .  132 

l^remièrt  Si/inphonie  d'Orgue,  par  L.  Vierne. 136 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

(Suite,) 

11.  Circonstances  qui  ont  provoqué  les  Brefs  et  les^Décrets 
relatifs  au  plain-chant .  [Suite.) 

4.  Le  Décret  du  26  avril  \  883  avait  été  envoyé  à  tous  les 
Evêques.  Il  était,  dit  Mgr  Lans,  «  ample  en  explications, 
clair  et  [)récis  dans  ses  décisions,  officiel  par  les  formes. 
Aussi  fit-il  une  impression  profonde  ».  Il  semble  même  qu'il 
aurait  dîi  couper  court  à  toute  discussion  ultérieure,  rallier 
tous  les  suffrages  et  toutes  les  aspirations  pratiques  autour 
de  l'Edition  préférée  et  recommandée  par  la  Sainte  Eglise, 
en  un  mol  apporter  à  tous  la  paix  dans  l'unité. 

A  l'étranger,  il  en  fut  assez  généralement  ainsi.' 

Mais  en  France,  non. 

La  France  devint  le  théâtre,  sinon  tout  à  fait  unique,  du 
moins  principal,  d'une  résistance  tantôt  inconsciemment, 
tantôt  expressément,  ton  jours  habilement  organisée.  «  Edi- 
tion scientifique  »  opposée  à  «  Edition  émanant  de  l'Auto- 
rité »:  tel  fut  le  mot  de  la  situation.  «  Telle  est,  dit  Dom 
Guéranger,  la  perpétuelle  distraction  du  gallicanisme,  que 
toujours  et  avec  une  incompréhensibleassurance,  il  se  posera, 


414  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

d'égal  à  égal,  en  face  de  l'Eglise  romaine.  »  Donc  l'attitude 
de  résistance  s'affirma  de  plus  en  plus  ;  et  bientôt  la  science, 
pour  fortifier  ses  positions,  s'adjoignit  des  auxiliaires  dont  il 
eût  été  plus  honoi'able  pour  elle  de  se  passer. 

Bref,  dès  1889,  on  vit  se  développer  progressivement  une 
coalition  étrange  où  marchaient  de  front,  pêle-mêle,  Tarcliéo- 
logie,  le  commerce,  le  chauvinisme,  le  snobisme  et...  la  poli- 
tique. Quelle  fête  pour  la  presse,  même  pour  certaine  presse 
catholique  qui  souvent  ne  fut  guère  plus  édifiante  que  l'autre  ! 
Quels  torrents  de  récriminations,  d'invectives  et  parfois  de 
basses  injures  à  l'adresse  de  l'Edition  dite  «  étrangère  »  et 
de  son  éditeur,  de  la  Cour  romaine,  de  la  Sacrée  Congrégation 
des  Rites  et  du  Souverain-Pontife  lui-même  !  On  fit  tant  et  si 
bien  que  le  gouvernement  français  crut  devoir  se  mettre  de 
la  partie  et  faire  agir  auprès  du  Saint-Siège  son  ambassadeur 
le  comte  Lefebvi-e  de  Béhaine.  Après  de  longs  pourparlers, 
celui-ci  écrivit  donc  à  M.  Develle,  ministre  des  Affaires  étran- 
gères, à  Paris  : 

Home,  le  l'J  octobre  1893. 

...  Vdtre  Excellence  n'ignore  pas  les  polémiques  iudentes...  entre  les 
partisans  de  la  notation  dite  médicéenne  et  l'Ecole  sacrée  du  véritable 
chant  grégorien...  Divers  laits  ténioigni'iit  qu'ici  même,  dans  l'entou- 
rage du  Pape,  notamment  au  séminaire  du  Vatican,  les  détracteurs 
des  livres  do   ilatisbonne  sont  nombreux... 

...  Dès  le  début  des  polémiques...  (déc.  i889),  Léon  .\I1I  a  spon- 
tanément protesté  contre  la  pensée  que  le  privilège  pouvait  être 
exploité  de  façon  à  porter  préjudice  à  notre  librairie.  / 

...  Le  Saint-Siège  n'a  jamais  songé  à  imposer  aux  Evoques,  etc.  A 
cet  égard  le  communiqué  officieux  de  YOsscn  .  Rom.  (4  août)  est  aussi 
explicite  que  possil)le, 

...  Le  Préfet  des  Rites,  le  cardiii.il  Aloysi  Masella,  m'a  .iffirmé  et 
autorisé  à  affirmer...  que  les  Uilcs  ne  faisaient  aux  Evéques  aucune 
obligation  de  conscience  de  préférer  les  livres  édités  par  M.  J'ustel  à 
lots  autres  dont  ils  aimeraient  mieux  faire  usage,  cornme  tel  est  le  cas 
à  Rome  même,  où  les  éditions  médicéennes  ne  sont  à  l'heure  présente 
—  vingt-cinij  ans  a|)rès  le  Décret  de  18()8  et  dix  ans  après  le  Décret 
de  1889  —  employées  que  dans  trois  églises. 

...  Le  Saint-Siège  n'élèvera  aucune  nbjection  si  M.  le  ministre  des 
Cultes  recommande  à  tous  les  Evèques  de  France,  de  nos  colonies  et 
pays  de  protectorat,  ainsi  qu'aux  Supérieurs  de  toutes  les  missions  de 
nationalité  française,  de  ne  pas  faire  usage  des  livres  liluigiqucs  de  la 
maison  Pustet. 

Peu  de  jours  après  il  écrivait  encore  : 

Rome,  le  28  octobre  1893. 
...   Les  déclarations  officielles  et  formelles  que  j'ai  reçues  du  Saint- 


l'avenir  de  la  musique  sacrer  115 

Siège  équivalent  en  fait  comme  en  droit, pour  la  Fiance  et  ses  colonies, 
à  ['annihilation  de  ce  qu'ordonne  implicitement  le  Pape  dans  le  Décret 
d'avril  1883. 

La  décision  prise  par  l'Evêque  de  Nevers  est  assurément  fort  regret- 
table (1);  mais  elle  n'infirme  pas  la  valeur  des  déclarations  du  Saint- 
Siège... 

...  Le  Secrétaire  d'Etat  m'a  répondu  que  la  chancelleine  pontificale 
n'aurait  à  élever  et  n'élèverait  aucune  objection  contre  les  mesures 
que  nous  jugerions  nécessaire  de  prendre  afin  de  sauvegarder  les 
intérêts  du  commerce  français. 

Et  entin  le  ministre  des  Gnllos  envoyait,  trois  mois  après, 
le  communiqué  suivant  {Circulaire  n"  617)  aux  Evêques  de 
France  : 

l'aris,  le  19  janvier  1804. 
Monsieur  l'Evêque, 

...  Le  gouvernement  de  la  République  ne  pouvait  demeurer  inditîé- 
rent  aux  inquiétudes  du  commerce  français.  En  prenant  connaissance 
des  deux  rapports  de  M.  Lefèbvre  de  iJéhaine,  vous  verrez  que  la  chan- 
cellerie ponlificalc  se  défend  avec  autant  de  netteté  que  d'énergie 
d'avoir  jamais  songé  à  imposer  aux  Evêques  l'usage  de  ces  livres. 

...  De  ce  qui  précède,  vous  conclurez,  j'en  ai  la  ferme  confiance,  que 
les  membres  de  notre  épiscopat  ont  tout  intérêt  à  prendre  acte  des 
indications  si  explicites  que  le  Saint-Siège  nous  a  fait  parvenir  par 
.M.  Lefèbvre  de  Bèhainc,  et  qui  donnent  au  clergé  de  Frcince  la  faculté 
de  ne  pas  nuire  au  commerce  de  notre  pays  en  faisant  usage  des  livres 
liturgiques  édités  en  Allemagne. 

E.  Spullek, 
Ministre  des  Cultes. 

C'était  le  triomphe,  n'est-ce  pas?  et  les  adversaires  de 
l'Kdition  oflicielle  pouvaient  sans  doute  entonner  l'hymne 
national  de  leur  victoire;  contre  l'Eglise  romaine?... 

Eh  bien!  non. 

Six  mois  plus  tard,  Romf'  publiait  le  Décret  Ouod  S.  Au- 
gustinus,  qui  venait  remettre  toutes  choses  en  place. 

Nous  avons  donné  intégralement  le  texte  latin  de  cet  acte 
officiel  dans  notre  numéro  de  novembre  et  sa  traduction 
française  dans  celui  de  décembre  189H.  Il  est  néanmoins  à 
propos  de  le  résumer  aujourd'hui  et  d'en  mettre  en  lumière 
les  passages  qui  vont  plus  spécialement  à  notre  sujet. 

Le  Décret  rappelle  d'abord  très  brièvement  ce  qui  a  été 
fait  par  l'autorité  des  Pontifes  romains  au  sujet  du  chant 
ecclésiastique  depuis  saint  Grégoire  le  Grand,  plus  particu- 

1.  Cette  appréciation,  d'ordre  plutôt  politique,  dut  sembler  peu  com- 
promettante, vu  qu'antérieurement  la  décision  prise  par  Mgr  l'Evêque 
de  Nevers  lui  avait  mérité  les  félicitations  de  Rome. 


llf)  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

lièrement  depuis  le  Concile  de  Trente,  et  plus  particu- 
lièrement encore  depuis  le  milieu  de  notre  siècle.  Les  circon 
stances  qui  ont  motivé  les  Brefs  Qui  choricis  el  Sacrorum 
concentuumy  sont  rappelées,  et  les  passages  de  ces  Brefs 
concernant  l'approbation  de  l'Edition  officielle  et  traduisant 
les  aspirations  dos  papes  Pie  IX  et  Léon  XTÏI  vers  V unité  du 
chant  liturgique  y  sont  cités  textuellement.  Vient  ensuite  un 
court  historique  des  circonstances  qui  ont  motivé  le  Décret 
du  26  avril  1883,  avec  citation  de  la  réponse  faite  aux  vœux 
du  Congrès  d'Arezzo,  depuis  «  Vota  seu  postulata»/]Vi^({\i'h. 
«  neque  amplius  diaquirpiidum  ésse.  » 
Donnons  in  extenso  le  reste  du  Décret  : 

Cependant  en  ces  dernières  années,  pour  diverses  causes,  on  a  vu  les 
anciennes  diflicultés  renaître  et  même  de  nouvelles  controverses 
s'élever,  dans  lesquelles  on  a  entrepris  d'infirmer  ou  de  contester 
entièrement  l'authenticité  et  de  l'édition  et  du  chant  qui  y  est  contenu. 

Il  s'est  trouvé  aussi  des  personnes  qui  ont  conclu,  de  ce  que  les 
Papes  Pie  IX  et  Léon  XIII  avaient  très  vivemçnt  recommandé  l'unifor- 
mité du  chant  ecclésiastique,  que  tous  les  autres  chants,  précédem- 
ment en  usage  dans  les  églises  particulières,  étaient  absolument 
interdits. 

Pour  éclaircir  ces  doulrs  et  dissiper  toute  ambiguïté  à  l'avenir, 
Sa  Sainteté  remit  le  jugement  de  cette  aflairc  à  la  Congrégation 
ordinaire  de  tous  les  cardinaux  préposés  aux  saints  Rites,  lesquels, 
réunis  en  séances  les  7  et  12  juin  dernier,  ayant  examiné  derechef 
tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  question  et  mûrement  pesé  ce  qui  s'était 
produit  de  nouveau,  rendirent  à  l'unanimité  la  sentence  suivante  : 
«  Les  disposUions  contenues  dans  le  Bref  de  Pie  IX,  de  sainte  mémoire,  Qui 
choricis,  du  30  mai  1873;  dans  le  Bref  île  N.  T.  S.  P.  le  Pape  LconXUI, 
Sacrorum  concentuum,  du  13  novembre  1878;  et  dans  le  Décret  de  la 
Sacrée  Congrégation  des  liites  du  26  avril  1883,  doivent  être  observées.» 

On  le  voit,  rien  n'est  changé  à  l'état  antérieur.  L'Eglise 
maintient  ses  vœux  et  maintient  ses  tolérances  en  maintenant 
purement  et  simplement  ses  actes  officiels  des  vingt  et  une 
années  précédentes.  Les  difficultés  et  les  obstacles  suscités 
par  le  caprice  humain  peuvent  retarder,  mais  ne  sauraient 
arrêter  l'acheminement  vers  la  réalisation  des  désirs  de 
l'Autorité.  Celle-ci,  tôt  ou  tard,  doit  avoir  le  dernier  mot, 
pour  le  plus  grand  bien  de  tous  et  de  chacun. 

Mais  ce  qui  doit  attirer  notre  attention,  c'est  la  manière 
dont  le  Décret  s'exprime  au  sujet  des  tolérances  que  main- 
tient l'Autorité  : 

En  ce  qui  concerne  la  liberté,  pour  les  Eglises  particulières, 
de    conserver    uil    chant    légitimement    introduit    et    encore 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  117 

employé,  la  même  Sacrée  Congrégation  décida  de  renouveler 
et  d'inculquer  le  Décret  rendu  dans  la  séance  du  10  avril  1883, 
par  lequel  elle  exhortait  vivement  tous  les  Ordinaires  des 
Lieux  et  tous  ceux  qui  emploient  le  chant  ecclésiastique  à 
adopter,  dans  la  sainte  Liturgie,  l'édition  susindiquée.  afin 
d'observer  l'uniformité  du  chant,  bien  que,  suivant  la  très  pru- 
dente manière  d'agir  du  Siège  apostolique,  elle  n'impose  pas 
cette  édition  à  chacune  des  Eglises. 

Remarquons  bien  que  la  restriction  n'est  qu'une  incidence 
dans  la  phrase  principale  et  qu'elle  est  basée  sur  une  pure  rai- 
son de  haute  prudence. 

Et  maintenant,  vous  tous  qui  voudriez  voir  rapporter 
les  Décrets  qui  vous  gênent,  dites-nous,  à  la  lumière 
de  ce  que  nous  avons  cité  dans  nos  articles  A  propos 
d'Unité,  si  vous  croyez  sincèrement  qu'une  édition  pos- 
térieure au  Décret  de  1883,  comme  l'est  par  exemple 
celle  de  Solesmes,  doive  être  rangée  dans  la  catégorie 
des  éditions  qu'on  ait  pu  ou  qu'on  puisse  «  légitime- 
ment »  introduire  ;  et  partant  si  une  telle  édition  est 
admise  à  bénéficier  de  la  tolérance  accordée  par  l'Au- 
torité, c'est  à- dire  à  être  employée,  non  point  exception- 
nellement et  passagèrement,  comme  beaucoup  d'entre 
nous  ont  cru  et  croient  encore  pouvoir  le  faire,  mais 
essentiellement,  quotidiennement,  à  titre  d'édition 
unique  et  totale  (1).  Dites-nous  enfin  si  c'est  en  faveur 
d'une  édition  de  ce  genre  qu'on  est  en  droit  de  rêver 
ïiinité,  si  c'est  vers  cette  édition  qu'on  doit  «  marcher 
la  main  dans  la  main  par  la  même  voie  »  et  orienter  le 
grand  œuvre  de  la  restauration  du  chant  liturgique... 

Revenons  au  Décret:  sa  conclusion, est  celle-ci: 

Un  rapport  fidèle  de  tout  cela  ayant  été  fait  par  le  soussigné,  préfet 
de  la  S.  C.  des  Rites,  à  N.  T.  S.  IV  le  Pape  Léon  XIII,  Sa  Sainteté 
approuva,  confirma  et  ordonna  de  publier  le  Décret  de  la  Sacrée  Con- 
grégation, le  7  juillet  1894. 

On  peut  bien  dire  encore  du  Décret  de  1894,  comme  de 
celui  de  1883,  qu'il  est  «  ;unple  en  explications,  clair  et  pré- 
cis dans  ses  décisions,  or.'iciel  par  ses  formes  »,et  qu'il  aurait 

1.  Le  Décret  (de  1894)  suppose  que  les  éditions  non  of/iciellefi  par  lui 
tolérées  ont  été  «  légitimement  introduites  »  et  sont  «  encore  en 
usage  ».  On  ne  saurait  donc  plus  en  introduire  de  nouvelles,  eussent- 
elles  tous  les  mérites  imaginables,  sauf  celui  d'être  «  la  seule  authen- 
tique et  légitime  ».  (Chanoine  J,  Didiot,  Le  Chant  de  VEglise  latine 
p.  120 


118  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

dû  couper  court  enfin  à  toute   discussion,    rallier  tous  les 
suffrages,  apporter  à  tous  la  paix  dans  Viinitê. 

Hélas  !  nous  devons  constater  au  contraire  que  depuis  1894 
la  voix  de  l'Eglise  n'a  pas  été  chez  nous  mieux  écoutée  qu'au 
paravant.  L'opposition  n'a  point  désarmé.  A  consulter  cer- 
tains échos,  on  se  croit  à  laveilledevoircapitulerl'Autorité... 

Mais,  en  revanche;  la  pauvre  science  humaine  est  on  train 
(le  se  prendre  à  ses  propres  filets.  INous  avons,  aujourd'hui, 
vingt  systèmes  scientifiques,  tous  opposés  les  uns  aux  autres, 
et  chaque  jour  en  voit  éclore  un  nouveau.  Hors  de  «  la  voie 
sagement  tracée  »  par  l'Autorité,  le  |)lain-chant  se  meurt 
vraiment  des  coups  que  lui  portent  tour  à  tour  ses  très  doctes 
restaurateurs.  Et  pour  avoir  voulu  marcher  seule,  la  superbe 
science  nous  mène  tout  droit  à  la  lour  de  Babel. 

Pour  le  philosophe  qui  n'a  point  boutique  sur  la  rue  et 
n'est  pris  à  l'engrenage  d'aucune  aventure  commerciale,  il 
est  profondément  instructif  de  contempler  le  gâchis  où  nous 
pataugeons  à  plaisir  et  de  voir  la  science  en  train  de  se  prou- 
ver à  elle-même  qu'elle  eût  mieux  fait  de  se  soumettre  et 
d'obéir  aveuglément  en  utilisant  ses  énergies  dans  le  sens 
qu'avait  indiqué  l'Autorité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ne  soyons  point  inquiets  pour  l'avenir: 
c'est  à  l'Eglise, encore  une  fois,  que  restera  le  dernier  mot. 
Elle  a  vu  bien  des  résistances  plus  troublantes  encore  que 
celles  de  l'heure  actuelle;  et  ces  résistances-là  scsont  éteintes 
devant  son  inaltérable  patience.  D'ailleurs  la  Providence  sait 
parfois  lui  venir  en  aide  à  point  nommé. 

Pendant  près  de  deux  siècles,  on  a  vu.  paj  exemple,  le  gal- 
licanisme faire  ses  délices  de  la  profession  et  de  l'enseigne- 
ment des  quatre  articles  de  1G82  —  de  môme  qu'aujourd'hui 
(s'il  est  permis  de  comparer  les  petites  choses  aux  grandes) 
bon  nombre  de  séminaires,  sous  le  fallacieux  prétexte  d'ini- 
tiation au  vrai  chant  de  l'Eglise,  font  étudier  et  pratiquer  par 
les  jeunes  clercs  un  chant  tout  autre  que  celui  que  veut 
TEolise,  un  chaot  dont  l'Eglise  a  formellement  répudié  le 
principe  fondamental  par  ses  Décrets  de  1883  et  de  1894.  — 
Le  Concile  du  Vatican  réduisit  à  néant  les  quatre  articles  en 
définissant  l'infaillibilité  pontificale.  Or,  pendant  qu'il  pré- 
parait sa  définition,  certaine  presse  française  tendait  une 
main  coupable  à  certaine  presse  allemande,  et  des  deux  côtés 
du  Rhin  franco-allemand  on  se  préparait  à  mener  une 
campague  monstre  contre  le  dogme  en  question  aussitôt  qu'il 


l'aVENIK    i)E    LA   MUSIQUE    SACRÉE  H9 

serait  proclamé.  Mais  la  Providence  en  avait  disposé  tout 
autrement:  car,  le  jour  même  où  le  Concile  mettait  le  sceau 
H  son  plus  grand  acte,  la  France  déclarait  la  guerre  à  l'Alle- 
magne ;  et  le  lendemain  la  presse  oublia  le  dogme  pour  parler 
batailles;  et  quand  les  jours  de  batailles  furent  passés,  il  était 
trop  tard  pour  baver  contre  le  Concile. 

Hâtons-nous  d'ajouter  qu'il  ne  faudra  point  d'aussi  dures 
leçons  pour  résoudre  pratiquement  la  question  du  chant 
ecclésiastique  et  pour  ramener  à  la  pure  obéissance  ceux  qui 
se  sont  laissé  un  instant  égarer  par  des  rêveries,  des  coteries 
ou  des  fumisteries.  Le  jour  où  seulement  deux  ou  trois 
Evêques  de  France  auront  jugé  que  le  moment  estenfinvenu 
d'obtempérer  aux  désirs  de  l'Eglise,  ils  seront  suivis  avec 
enthousiasme  par  une  phalange  compacte  d'hommes  désin- 
téressés qui  sont  las  des  querelles  présentes  et  soupirent  après 
un  avenir  de  paix  et  d'union.  Et  quand  un  éditeur  français 
intelligent  entreprendra  de  .nous  confectionner  une  bonne 
petite  édition  française  de  ce  Chant  romain  officiel  que  l'en- 
nemi s'obstine  à  appeler  «  le  chant  de  Ratisbonne  »,  les 
récalcitrants,  qui  très  pharisaïquement  avaient  pris  pour  per- 
choir l'intérêt  du  commerce  national,  n'auront  plus  aucune 
apparence  d'objection  à  formuler. 

Allons,  messieurs  les  éditeurs  liturgiques  de  France,  l'heure 
est  propice  de  renier  un  peu  votre  passé.  En  1897,  vous  avez 
encore, d'un  commun  accord  (1),  signé  un  mémoire  rédigé 
sous  l'inspiration  de  qui  vous  savez  dans  le  but  d'obtenir  de 
Rome,  par  l'intermédiaire  du  gouvernement  français,  telles 
ou  telles  choses  impossibles,  entre  autres  l'abrogation  de  cer- 
tains Décrets  réputés  gênants.  Il  y  aurait  mieux  à  faire 
aujourd'hui  :  il  s'agirait  de  vous  rappeler  que  le  privilège  de 
l'éditeur  de  Ratisbonne  doit  finir  sans  retour  le  31  décembre 
1900;  ou,  mieux  encore,  de  profiter  dès  maintenant  du  gé- 
néreux désistement  de  privilège  que  dès  1892  (sinon  plus  tôt) 
M.  Pustet  consentit  de  lui-même  en  faveur  de  la  France  et 
dans  l'intérêt  de  la  cause  catholique.  Sans  doute  le  souvenir 
qufâ  nous  rappelons  est  amer  :  car  l'abnégation  de  l'éditeur 
étranger  donna  à  vos  levées  de  boucliers  uncertaiji  caractère 
sur  lequel  il  serait  discourtois  d'insister.  Mais  les  jours  ont 
passé  là-dessus  :  sans  trop  grand   préjudice  pour  l'amour- 

1.  Il  serait  pourtant  injuste  de  généraliser  :  car,  par  exemple,  nous 
savons  de  source  sûre  que  M.  Mingardon  de  Marseille  refusa  de  signer 
le  mémoire  en  question. 


420  l'avenir  de  la  mdsique  sacrée 

propre  il  est  possible,  aujourd'hui^,  de  se  ranger  au  parti  du 
bon  sens. 

Et  nous  tous,  fils  aveuglément  soumis  à  l'Eglise,  qui,  plus 
encore  que  les  ergoteurs  de  la  science,  sommes  en  Franco 
légion,  réjouissons-nous  de  savoir  qu'en  droit  les  querelles 
plain-chantales  sont  depuis  longtemps  tranchées  par  l'Auto- 
rité, et  appelons  de  nos  vœux  lo  jour  où  elles  le  seront  aussi 
de  fait.  Ce  jour  viendra,  nous  n'en  saurions  douter. 

Bomf  est  mère  et  maîtresse  :  tout  ce  qu'elle  fait  est  bien. 
{A  suivre.)  A.  Gabert. 


VARIATIONS   MUSICALES 
SUR  LE  MOTIF  «  BREFS  ET  DECRETS  ». 

En  juillet  1894,  un  prêtre  néerlandais,  Mgr  Lans,  écrivait 
les  lignes  suivantes  dans  une  brochure  que  nous  avons 
plusieurs  fois  citée  (i)  : 

Nous  n'attachons  pas  la  moindre  importance  aux  prédictions  puisées 
principalement  dans  des  journaux  français  et  reprises  par  leurs  con- 
frères, même  par  des  journaux  néerlandais.  A  los  en  croire,  le  Saint- 
Siège  serait  à  la  veille  de  retirer  son  privilège  h.  l'imprimeur,  de 
révoquer  les  Décrets,  de  rendre  aux  Evêques  une  liberté  sans  limites, 
de  préconiser  l'édition  des  RR.  PP.  Rénédictins  de  Franco,  etc.,  etc. 
Tout  cela,  d'après  les  journaux,  sera  bientôt  un  fait  accomfjli!  Pour 
nous,  nous  ne  le  croyons  pas,  et  nous  préférons  attendre  dans  lo 
calme  les  décisions  de  liome.  Elle  saura  parler  à  son  heure. 

Or,  c'est  à  cette  heure  même  que  Rome  parlait,  et,  peu  de 
jours  après,  le  Décret  Qiiod  S.  Aiigustinus  était  promulgué  et 
envoyé  à  tous  les  Kvêques  de  l'univers  catholique. 

Aujourd'hui  la  situation  est  pareille  et  les  prophètes  de 
18!)9  copient  ceux  de  1894.  Le  7  juillet  dernier  nous  rece- 
vions de  l'un  de  nos  correspondants  étrangers  la  communi- 
cation suivante; 

On  a  mis  en  circulation  le  bruit  que  la  S.  G.  des  Hitos  ne  fait 
([u'attendre  l'expiration  du  privilège  de  Pustet  se  torrainanl  le 
;H  décembre  1900,  pour  abandonner  complètement  la  question  du 
plainchant,  ou  bien,  d'après  une  autre  version,  pour  préparer  avec  le 
temj)s  une  nouvelle  édition  de  plainchant  basée  sur  les  recherches  do 
Doni  Pothier. 

Remarquons  que  cette  communication  n'est  qu'un  écho  de 
ce  qui  vole  de  bouche  en  bouche  dans  certains  milieux  où  la 
résistance  reste  à  l'ordre  du  jour.  Et  il  est  à  supposer  que  les 

1.  Abbé  Lans,  Dix  ans  après  le  Décret  Romanorum  Pontificum,  p.  79. 


l'avemr  de  la  musique  sackée  121 

bruits  de  1899  auront  le  sort  de  ceux  de  1894  :  notre  corres- 
pondant, qui  est  aux  sources,  nous  l'affirme  d'ailleurs  dans  la 
suite  de  sa  lettre  et  conclut  par  ces  mots  :  «  Rome  est  plus 
tenace  que  ses  ennemis.  »  De  fait,  il  est  inouï,  d  après  les 
gens  experts  en  la  matière,  qu'un  décret  romain  d'ordre 
général  ait  jamais  été  rapporté.  Nous  pouvons  donc  vrai- 
semblablement répéter  en  1899  ce  qui  s'écrivait  en  1894  : 
<<  Rome  saura  parler  à  son  heure,  »  si  elle   le  juge  utile. 


Nous  avons  étonné  certains  lecteurs  quand,  dans  notre 
numéro  de  juin  (p.  86),  nous  avons  parlé  «  du  zèle  plus  ou 
moins  irréfléchi  de  cer^-aines  congrégations  religieuses  ^ 
pour  des  formes  de  chant  qui  ne  sont  point  celles  que  veut 
l'Eglise.  Mais  pardon,  chers  amis:  il  nous  semble  que  l'Eglise 
catholique,  les  Congrégations  romaines  et  le  Souverain 
Pontife  sont  au  moins  aussi  sacrés  que  les  Congrégations 
religieuses  que  nous  avons  visées.  Or,  donc,  si  certains  reli- 
gieux se  permettent  de  critiquer  ce  que  fait  Rome,  de  jeter, 
au  nom  d'une  science  qui  est  loin  d'avoir  fait  ses  preuves,  le 
discrédit  sur  les  actes  officiels  des  Congrégations  romaines, 
d'adopter  une  ligue  de  conduite  en  opposition  avec  les  désirs 
formels  du  Souverain  Pontife,  nous  ne  voyons  point  du  tout 
pour  quel  motif  nous  devrions  faire  le  silence  là-dessus, 
pourquoi  il  nous  serait  défendu,  sinon  de  désapprouver,  au 
moins  de  constater  ce  qui  existe.  Car  enfin  il  se  passe  autour 
de  nous  des  choses  étranges  ;  et,  pour  notre  part,  nous  nous 
étonnons  plutôt  qu'on  les  laisse  s'accomplir  tranquillement, 
qu'on  ne  les  relève  pas,  qu'on  ne  les  cite  pas  au  tribunal 
d'une  critique  charitable  si  l'on  veut,  mais  juste  et  impar- 
tiale. 

Ainsi,  nous  avons  en  ce  moment  sous  les  yeux  un  volume 
de  la  Paléographie  musicale  de  Solesmes,  comprenant  l'étude 
intitulée:  Le  Cumus  et  la  Psalmodie.  Or,  c'est  pour  nous  un 
vrai  déplaisir  de  constater  que  le  but  de  cette  étude  semble 
être  de  disqualifier  systématiquement  l'Edition  officielle.  A 
tant  faire  que  de  chercher  querelle,  au  nom  du  Cursus,  à  ce 
qui  n'est  point  selon  la  version  des  manuscrits  (lisez  :  selon  la 
version  de  Solesmes),  on  pouvait  attaquer  ^oz^^es  les  éditions 
modernes  et  les  citer  à  tour  de  rôle  pour  les  mettre  en  con- 
tradiction avec  le  type  préféré.  Mais  non,  c'est  contre  l'Edi- 
tion officielle  seule  qu'on  s'acharne  :  dès  la  page  72  de  l'étude 
précitée,  la  parallélisme  s'établit  entre  la  «  version  des  manu- 
scrits »  et  la  version  dite  «  de  Ratisbonnc  »,  de  façon  à  mettre 
toujours  cette  dernière  en  fausse  posture  ;  et  cela  sepoursuit, 
à  jet  plus  ou  moins  continu,  jusqu'à  la  page  204.  Gageons  que 


122  l'avemu   de  la  MISIOUE  sacuée 

les  abonnés  de  la  Paléographie  musicale,  au  lieu  de  sembla- 
bles parallèles  illustrés  par  de  la  prose  monacale,  auraient 
préféré  recevoir  ce  qui  avait  été  promis  :  des  fac-similés  pho- 
totypiques de  vieux  manuscrits... 

Et  voulez-vous,  chers  lecteurs,  avoir  une  idée  de  la  prose 
en  question?  En  voici  un  spécimen  (p.  152)  : 

«  Et  maintenant,  en  face  de  ces  faits  écrasants  pour  la  version 
médicéenne,  que  deviennent  toutes  ces  raisons  d'art,  de  grammaire, 
d'accentuation,  de  facilité  pratique,  d'autorité  palestriniennc  que  l'on 
invoque  et  que  l'on  fait  miroiter,  devant  les  yeux  de  la  foule  naïve,  en 
faveur  de  ces  tristes  produits  d'une  époque  de  décadence  et  de  ruine 
pour  le  plain-chant?  L'analyse  impartiale  vient  de  nous  révéler  leur 
véritable  valeur  intrinsèque. 

«  La  vérité,  c'est  que  cette  mélodie  psalmodique,  au  point  de  vue  de 
l'art,  est  une  caricature  grotesque  de  la  vraie  psalmodie  romaine  ;  au 
point  de  vue  grammatical,  une  négation  absolue  des  règles  les  plus 
rationnalles  d'adaptation  des  paroles  à  la  musique  ;  au  point  de  vue 
pratique,  un  fouillis  inextricable  de  difficultés,  car  elle  les  multiplie 
manifestement  en  multipliant  les  leçons.  La  vérité,  c'est  que  cette 
mélodie  psalmodique,  et  elle  n'est  pas  la  seule,  n'est  qu'une  pauvre 
martyre  à  laquelle  le  réformateur  fait  endurer  le  supplice  du  chevalet; 
il  la  distend,  la  démembre,  la  brise,  la  torture,  la  broie  sans  pitié 
jusqu'à  ce  que  mort  s'en  suive.  S'obstiner  à  rendre  responsable  l'im- 
mortel Palestrina  de  cette  œuvre  déplorable,  c'est  io  desservir  grave- 
ment, et  non  ajouter  un  nouveau  titre  de  gloire  à  son  nom  :  s'il  est 
vrai  qu'il  en  soit  l'auteur,  il  ne  nous  reste  qu'à  nous  souvenir  qu'Homère 
lui-même  eut  ses  heures  de  sommeil  et  à  jeter  un  voile  discret  sur 
cette  défaillance  d'un  grand  génie.  » 

Ecrite  au  mois  d'avril  1895,  cette  page  venimeuse  attaque 
violemment  et  directement  les  Décrets  pontificaux  de  1883 
et  de  1894.  Elle  fut  jugée  sévèrement  à  l'étranger  (nous 
reviendrons  là  dessus).  En  Fiance,  on  l'accepta  tout  naturel- 
lement et  l'on  cj'ia  :  «  Bravo  !  la  science  !  » 

Mais  il  est  peut-être  à  propos  de  citer  ici  ce  qu'un  ami  nous 
écrivait  tantôt  de  l'Isère  :  «  Curieux  tout  de  même,  que  ce 
même  Ordre  de  Solesmes,  qui,  par  la  jjlume  de  Dom  Gué- 
ranger,  écrasa  les  liturgies  locales  pour  y  substituer  la  litur- 
gie romaine,  travaille  inconsciemment  aujourd'hui  à 
repousser  le  plain-chant  romain,  par  l'oigane  de  Dom  Pothier 
et  de  ses  collaborateurs!  »  et  de  ra|)peler  aussi  cette  conclu- 
sion d'une  note  parue  le  4  mai  1895  dans  la  Semaine  lieli- 
gieufie  de  Périgueux  :  «  En  résumé,  D.  Guérangera  tout  fait 
pour  lamenerla  France  à  Vunilé  de  la  Liturgie,  telle  que  la 
voulait  l'Eglise  romaine,  mère  et  maîtresse  de  toutes  les 
Eglises  ;  et  les  iils  de  D.  Guéraiiger,  sans  le  vouloir  peut-être, 
ont  tout  fait  pour  éloigner  la  France  de  ï unité  du  chant  litur- 


l'avenir  de  la  musique  sacréb  123 

gique,  telle  que  la  veut  l'Eglise  romaine,  mère  et  maîtresse 
de  toutes  les  Eglises.  » 


Puisque  le  chapitre  est  commencé,  parlons  encore  des  Con- 
grégations religieuses.  Le  8  juillet,  un  de  nos  correspondants 
nous  écrivait  : 

A  propos  du  Décret  de  1894,  un  chaud  partisan  de  Solesmes  prétend 
qu'on  a  trompé  Léon  XIII  en  lui  faisant  signer  un  acte  tout  autre  que 
celui  qu'on  lui  avait  lu  (1).  Parbleu  1  ce  décret  est  gênant... 

Les  RR.  PP.  de  Solesmes  font  une  active  propagande,  aidés  par  la 
Congrégation  des  Prêtres  de  la  Mission  ou  Lazaristes. 

Vous  devriez  bien,  en  expliquant  le  Décret  de  1894,  faire  observer 
qu'il  défend  iinplicUement  l'introduction  du  chant  de  Dom  Pothier. 

Malgré  les  Décrets,  malgré  les  nombreuses  critiques,  malgré  l'avis 
de  tout  le  monde  qui  trouve  que  le  chant  monacal  n'est  pas  pratique, 
malgré  les  trois  Evêques  qui  l'ont  condamné,  les  Lazaristes  se  sont 
fats  les  apôtres  de  Solesmes  et  ont  introduit  l'édition  bénédictine 
dans  presque  toutes  leurs  maisons  et  séminaires;  à  ma  connaissance, 
il  l'ont  fait  adopter  à  leur  maison  mère  de  la  rue  de  Sèvres  à  Paris,  à 
Dax,  au  berceau  de  Saint- Vincent  de  Paul,  aux  séminaires  d'Angou- 
léme,  d'Evreux,  de  Carcassonne,  de  Montpellier,  de  Marseille,  d'Alger, 
de  Constantine,  etc.,  etc.  A  propos  de  Constantine,  où  Mgr  Laferrière 
avait  adopté  l'Edition  officielle,  aussitôt  ce  prélat  mort  les  Lazaristes  y 
ont  immédiatement  remplacé  le  chant  romain  par  l'édition  de  Solesmes. 

Est-ce  qu'il  ne  se  trouvera  pas  une  revue  ayant  le  courage  de 
signaler  et  de  flétrir  cette  campagne  des  Lazaristes"? 

L'un  d'entre  eux  me  disait  tout  récemment  :  «  Le  Décret  de  1894 
nous  gène,  surtout  à  l'étranger.  >  —  Etc.,  etc. 

Flétrir,  ce  n'est  point  à  nous  de  le  faire.  Signaler,  nous  le 
faisons  d'autant  plus  volontiers  que  cela  jette  un  peu  plus  de 
lumière  sur  la  situation  faite  chez  nous  à  la  question  musique 
sacrée.  Et  que  de  choses  nous  signalerons  encore  avant  qu'il 
soit  longtemps  ! 

Mais  ne  perdons  point  de  vue  les  Lazaristes  :  car  à  leur 
sujet  nous  recevons  souvent  de  piquants  renseignements. 

Il  y  a  deux  mois,  un  ami  nous  apportait  un  numéro  de 
revue  musicale  sur  lequel  un  correspondant  avait  écrit  la 
note  suivante  :  «  Les  Lazaristes  ont  forcé  la  main  à  l'Evèque 
de...  pour  l'adoption  des  livres  de  Solesmes.  »  Peu  de  jours 
après,  un  prêtre  du  diocèse  indiqué,  très  lié  d'ailleurs  avec 
les  Lazaristes  (ce  qui  nous  empêche  de  le  nommer),  nous 
adressait  ces  lignes  : 

1.  Toujours  la  vieille  manie,  hypocrite  et  vingt  fois  condamnée,  d'en 
appeler  du  Pape  mal  informé  au  Pape  mieux  informé.  C'est  trop  vieux 
jeu  pour  réussir  encore. 


124  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Permettez-moi  de  vous  soumettre  une  observation  :  à  mes  yeux, 
//  faut  prendre  corps  à  corps  le  Polhiérisme  (sic)  et  en  montrer  les 
erreurs  certaines  pour  les  combattre;  il  faut  montrer  en  quoi  il  est 
grégorien  et  dilîère  ou  ne  diffère  pas  des  chants  adoptés  et  approuvés 
par  la  S.  C.  des  Rites;  il  faut  établir  combien  il  est  fâcheux  de  voir 
une  Congrégation,  celle  dos  Lazaristes,  abuser  de  sa  situation  dans 
quelques  petits  et  grands  séminaires  pour  y  faire  prévaloir  les  livres 
et  les  enseignements  de  D.  Pothier  et...  lancer  ensuite  dans  les 
paroisses  de  prétendus  réformateurs  qui  apportent  le  trouble  dans  les 
campagnes. 

A  la  date  du  8  juillet,  un  autre  prêtre  nous  écrit  les  passa- 
ges suivants  dont  nous  tempérons  un  peu  la  verdeur  pour 
les  maintenir  dans  la  tonalité.  Il  s'agit  de  méfaits  grégoriens 
commis  dans  une  ville  que  nous  ne  nommerons  pas. 

C'est  l'œuvre  des  Lazaristes  qui  se  sont  faits  partout,  je  ne  sais  pour- 
quoi, les  commis  voyageurs  de  l'édition  bénédictine.  Ils  ont  fait  la 
même  chose  à  N.  (autre  ville)  :  au  grand  séminaire  ils  cherchent  à 
embaucher  les  séminaristes.  Mais  cela  ne  mord  guère  :  la  majeure 
partie  de  la  communauté  reste  indifférente  à  la  question.  Alors  ils  ont 
monté  la  tête  à  un  certain  abbé  X,  soi-disant  maître  de  chapelle  de  la 
cathédrale,  d'ailleurs  aussi  ignorant  en  musique  qu'en  plain-chant,  et 
l'ont  expédié  à...  pour  y  apprendre  le  chant  bénédictin  et,  à  ^on 
retour,  le  faire  exécuter  à  la  cathédrale. 

La  lettre  est  bien  plus  longue  et  contient  une  loulc  de 
détails  très  mordants  sur  divers  sujets  plus  ou  moins  con- 
nexes à  la  question  plain-chant.  Mais  nous  ne  pouvons  tout 
dire  le  même  jour. 

Il  faut  être  juste:  après  avoir  parlé  si  longuement  des 
Lazaristes,  nous  devons  bien  faiie  commémoraison  de  deux 
ou  trois  autres  (Congrégations.  Citons  donc  le  fragment  sui- 
vant d'une  lettre  du  12  juillet  : 

Les  Assomptionnistes  en  général  (cela  fait  tache  sur  leur  belle  œuvre 
delà  Bonne  Presse)  et  quelques  séminaires  dirigés  par  les  Sulpiciensfont 
campagne  avec  Solesmes  :  par  exemple  à  .Vvignon,  à  Orléans,  à  Rodez,  etc. 

A  Rodez,  on  avait  organisé  un  congrès  dans  l'espoir  de  forcer  la 
main  au  cardinal  Bourret.  Or,  le  Cardinal  répondit  :  «  Apprenez  à 
bien  chanter,  mais  gardez  les  livres  que  nous  avons.  >  Le  Cardinal 
étant  mort,  on  est  revenu  à  la  charge  auprès  de  la  nouvelle  administra- 
tion diocésaine  qu'on  a  gagnée,  et  l'on  a  vite  introduit  l'édition  béné- 
dictine dans  les  séminaires. 

Il  y  a  encore  les  religieux  de  la  Congrégation  de  Marie  ou  Marianites 
qui  introduisent  également  la  même  édition  dans  leurs  maisons  et  écoles, 

[A  suiv7'e.)  A.  Gabert. 


l'avenir  de  la  musique  sacréf.  125 

LE  RYTHME  ET  LE  MÈTRE 

[Suite.) 

Cette  indifférence  de  la  musique  pour  la  quantité  proso- 
dique des  syllabes  donna  naissance  à  un  nouveau  genre  de 
versification,  qui  prit  le  nom  de  poésie  rythmique,  ou  simple- 
ment de  ri/thmr,  pour  se  distinguer  de  la  poésie  métrique, ({ui 
restait  soumise  aux  lois  de  la  prosodie.  Le  vers  rythmique, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le  vers  syntonique  du  moyen 
âge,  n'était  pas  comme  celui-ci  basé  sur  l'accent,  pas  plus 
que  sur  la  quantité  ;  mais  il  obéissait  uniquement  à  la  loi  des 
temps. 

«  C'est  la  loi  des  temps  qui  mesure  et  maintient  le  rythme, 
dit  Terentianus  Maurus,  au  commencement  du  11°  siècle. 
Dimensa  rythmum  continet  lex  temporum.  {Gram.  lat.,  VI, 
p.  374.) 

«  Si  dans  les  poètes  lyriques  ou  tragiques,  dit  à  son  tour 
Mallius  Théodorus,  vous  trouvez  des  vers  oui,  négligeant  la 
disposition  des  pieds,  on  n'a  observé  que  la  proportion  des 
temps,  rappelez-vous,  comme  l'enseignent  les  écrivains  les 
plus  érudits,  qu'on  ne  doit  pas  les  appeler  des  mètres,  mais 
des  rythmes.  »  (Loc.  cit.,  p.  583.) 

Diomède  dit  également  :  «  Le  mètre  est  limité  pour  la  qua- 
lité et  le  nombre  des  syllabes  et  des  temps  :  il  est  constitué 
et  terminé  par  certains  pieds;  tandis  que  le  rythme  se  multi- 
plie à  l'infini  et  se  développe  suivant  l'affluence  des  temps, 
des  syllabeh  et  des  pieds.  »  {Gram.  lat.,  I,  p.  474.)  Et  Marins 
Yictorinus  :  «  Le  poème  lyrique,  quoique  composé  de  mètres 
(c'est-à-dire  de  vers),  est  en  dehors  de  la  loi  du  mètre,  puis- 
qu'il se  mesure  parles  rythmes,  au  gré  du  compositeur.  »  {Op. 
cit.,  p.  50.) 

Cependant  le  vers  rythmique,  bien  que  s'affranchissant  des 
lois  de  la  quantité  et  du  mètre,  était  le  plus  souvent  calqué 
sur  le  vers  métrique,  dont  il  imitait  la  coupe,  le  nombre  ty- 
pique de  syllabes  et  la  cadence  finale,  où  la  quantité  était 
généralement  observée. 

«  Le  rythme,  suivant  la  définition  d'un  auteur  ancien  cité 
par  Diomède.  est,  par  l'effet  de  la  modulation,  une  image  du 
vers,  rythmiis  est  versus  imago  modulata,  gardant  le  nombre 
de  syllabes,  et  maintenant  souvent  le  levé  et  le  frappé.  » 
{Loc.  cit.) 

Maximus  Yictorinus  dit  à  son  tour  :  «  Qu'y  a-t-il  de  plus 
ressemblant  au  mètre  que  le  rythme?  Le  rythme,  en  effet,  est 
une  composition  modulée,  oîi  les  mots  ne  sont  pas  soumis  aux 
lois  métriques,  mais  scandés  suivant  le  nombre,  numerosa 
scansione,  au  jugement  de  l'oreille,  comme  le  sont  les  chants 


126 


l'avenir  de  la  musique  sacrée 


des  poètes  vulgaires.  Souvent  toutefois,  on  trouve,  comme 
accidentellement,  la  proportion  métrique  dans  le  rythme, non 
pas  parce  qu'on  y  a  observé  les  règles  de  l'art,  mais  parce 
que  le  chant  et  la  modulation  l'y  introduisent.  »  {Dr  metrica 
InstiL,  (irnm.  lat.,  VI,  I,  p.  206.) 

Quatre  siècles  plus  tard,  le  vénérable  Bède  reproduit  la 
même  définition  en  précisant  ce  qu'il  faut  entendre  par  les 
mots  numerosa  scansione,  qu'il  remplace  par  numéro  sylla- 
barum,  le  nombre  de  syllabes,  d'accord  en  cela  avec  l'auteur 
que  nous  avons  cité  plus  haut,  d'après  Diomède. 

Le  vers  rythmique  n'offrait  donc  par  lui-même  aucune 
forme  de  pieds.  C'était  comme  une  matière  inerte  que  la  mu- 
sique façonnait  à  son  gré  et  à  qui,  par  une  combinaison  ré- 
gulière de  notes  longues  et  de  notes  brèves,  elle  donnait 
l'apparence  d'une  succession  de  pieds.  En  effet,  par  suite  de 
son  ancienne  alliance  avec  la  poésie,  le  chant  avait  conservé 
certaines  marches  rythmiques,  où  les  pieds  se  suivaient  avec 
la  régularité  d'un  vers  métrique. 

Dès  lors  que  le  rythme  n'employait  plus  de  pieds  déter- 
minés et  disposait  les  temps  à  son  gré,  le  rapport  entre  les 
parties  du  pied  —  larsis  et  la  thésis  —  auquel  l'ancienne 
rythmopée  attachait  une  si  grande  importance,  cessa  d'être 
observé  avec  le  même  soin  qu'autrefois,  et  la  distinction 
entre  les  genres  égal,  double  et  sesquialtère,  qui  caractéri- 
sait les  différentes  espèces  de  rythmes,  ne  fut  plus  si  nette- 
ment marquée. 

Le  genre  sesquialtère  ou  péonique, que  les  Latins  n'avaient 
jamais  bien  apprécié,  se  perdit  peu  à  peu,  et  le  genre  double 
lui-même,  par  suite  de  l'habitude  prise  de  battre  par  dipo- 
dics  les  ïambes  et  les  trochées,  finit  par  se  confondre  avec  le 
genre  égal. 

En  outre,  l'arsis  et  la  thésis  ne  se  différenciaient  plus  Tune 
de  l'autre,  puisque,  d'après  Diomède  et  Terentianus  Maurus, 
ils  avaient  (diacun  leur  ictus  (  Westph.,  p.  î)9)  ;  ce  qui  revient 
à  dire  que  (chaque  partie  du  ])ied  était  frappée.  Le  rythme 
n'otïrait  plus  par  coiisécjuent  une  succession  de  pieds,  mais 
de  temps,  marqués  chacun  par  un  frappé,  comme  l'est  le 
chant  des  Dy/antins  et  des  Orientaux. 

Sans  doute,  tout  frappé  suppose  un  levé,  mais  le  levé  n'a 
plus  de  valeur  propre.  «  C'est  le  frappé  qui  détermine  le 
temps,  dans  la  musique  vocale  ou  instrumentale,  ditun  théo- 
ricien byzantin  moderne.  L'arsis  n'est  que  la  hn  de  la  mesure 
du  temps  c'est-à-dire,  le  moment  où  la  main  s'élève  prête  à 
frapper  la  seconde  thésis.  »  (Etienne  le  Lampadaire,  iVoMweaw 
Traité  élémentaire  théorique  et  pratique  de  musique  ecclésias- 
tique, 2"  éd.,  p.  24). 


l'avenir  di-:  la  musique  sacrél;  127 

Ce  n'est  plus  là  le  rythme  délicat  et  savant  d'autrefois,  ca- 
ractérisé par  le  rapport  proportionnel  entre  l'aisis  et  lathésis 
qui  pouvait  être  é^al,  double  ou  hémiole,  mais  c'est  cepen- 
dant un  rythme  régulier,  puisque  Cicéron  fait  consister  le 
rythme  dans  le  retour  de  certaines  impressions  à  intervalles 
égaux  :  Numerosurn  est  in  omnilnis  sortis  atque  vocibus  quod 
habet  quasdam  vnpressiones,  et  quod  metiri  possiimus  inter- 
valiis  œqiialibus.  [De  oratore,  III,  48). 

Le  rythme  s'est  donc  modifié  graduellement  de  l'époque 
d'Aristoxène  aux  premiers  siècles  de  notre  ère.  La  poésie  et 
la  musique,  d'abord  étroitement  unies,  se  séparent  et  suivent 
des  voies  différentes,  indépendamment  l'une  de  l'autre.  Le 
mètre,  qui,  dans  l'origine,  n'était  qu'une  partie,  une  cou- 
pure de  la  période  rythmique,  ne  sert  plus  qu'à  désigner  la 
mesure  des  syllabes  et  des  pieds  dans  la  composition  poétique. 
Le  rythme,  appelé  par  Longin  le  père  du  mè^re,  demeure  plus 
spécialement  appliqué  à  cette  partie  de  la  musique  qui  s'oc- 
cupe de  la  mesure  des  durées.  Rijthmi  enim  nornen  in  musica 
usque  adeo  late  palet  ut  hec  tota  pars  ejus  quse  ad  diu  et  non 
diupertinet,  rythmusnoniinata  est.  [S.Aug.^De  Musica,\\\,  4 .) 

La  musique  s'affranchissantde  plus  en  plus  des  entraves  du 
texte,  et  la  poésie  métrique  n'étant  plus  ordinairement  chan- 
tée, il  se  produit  une  nouvelle  espèce  de  vers,  qu'on  appelle 
aussi  rythme.  Le  vers  rythmique  ne  tient  plus  compte  de  la 
quantité  prosodique,  mais  seulement  du  nombre  des  syllabes 
et  de  la  cadence  finale  des  vers.  Parfois,  grâce  à  la  modula- 
tion, il  présente  l'apparence  d'une  suite  de  pieds  métriques, 
mais  ce  n'est  que  par  accident;  car  les  temps  musicaux  s'al- 
longent ou  se  resserrent  au  gré  du  compositeur,  sans  se  sou- 
cier de  la  valeur  des  syllabes.  Aussi  la  plupart  des  auteurs  de 
la  dernière  époque  ne  parlent -ils  plus  des  temps  irrationnels 
qui  n'avaient  plus  de  raison  d'être,  par  suite  de  l'indifférence 
que  le  musicien  affectait  pour  les  syllabes  du  texte. 

En  outre,  les  différents  genres  rythmiques  se  confondent; 
l'arsis  ne  se  distingue  plus  de  la  thésis,  et  au  lieu  de  pieds 
caractérisés, l'on  n'a  plus  qu'une  succession  de  temps  rythmi- 
ques tous  égaux  —  nous  ne  disons  pas  de  notes  égales,  — 
marqués  chacun  par  un  frappé.  C'est  la  syllabe  musicale  des 
théoriciens  du  moyen  âge  qui,  à  la  suite  de  Martianus  Capella 
et  de  saint  Isidore  de  Séville,  ont  perdu  la  notion  de  Varsis  et 
de  la  thésis,  telle  que  l'entendaient  les  Anciens,  et  ne  parlent 
plus  que  de  frapper  la  cantilène,  cantdena  plaudatur. 

Nous  ne  croyons  pas  cependant  que  l'on  eût  complètement 
perdu  l'usage  des  anciens  genres  rythmiques,  car  la  poésie 
métrique  les  avait  conservés,  et,  comme  on  chantait  encore 
quelquefois  ce  genre  de  vers,  où  les  pieds  étaient  nettement 


428  l'avemr  de  la  musique  sacrée 

déterminés,  il  était  tout  naturel  qu'alors  la  poésie  et  le  chant 
s'unissent,  comme  jadis,  dans  le  même  mouvement  ryth- 
mique. 11  en  était  autrement  dans  les  compositions  en  prose 
et  en  vers  rythmiques,  où  la  musique,  n'étant  plus  guidée 
par  le  texte,  pouvait  se  donner  libre  carrière  et  ne  subissait 
d'autres  lois   que  les  siennes  propres. 

La  môme  distinction  qui  existait  en  •  poésie  entre  les 
rythmes  et  les  mètres  ne  pouvait  donc  manquer  de  se  retrou- 
ver aussi  dans  la  musique,  oii  il  y  eut  toujours  sans  doute  des 
chants  métriques  à  côté  des  chants  purement  rythmiques. 

L'existence  simultanée  de  ces  deux  espèces  de  chants  nous 
est  confirmée  d'ailleurs  par  les  textes  des  auteurs  qui,  tantôt, 
comme  saint  Augustin  et  Martianus  Gapella,  parlent  de  pieds 
rythmiques  aussi  nettement  marqués  que  ceux  d'Aristoxène  : 
Quoniam  illud pedibus  certis  provolvitur,  recte  appcllatus  est 
rythmus{S.  Aug,,  De  Musica,  III,  1);  tantôt,  avec  Diomède  et 
Marins  Victorinus,  ne  voient  dans  le  rythme  musical  qu'une 
succession  de  temps  dépourvue  de  pieds  :  Non  enim  qradiuntur 
inelepedum  7nensio nibiis,  s ed  rt/t/imis  /tnn t.  {Mar.  Vict.,p.  44). 
La  même  distinction  entre  la  métrique  et  la  rythmique  appli- 
quées à  l'art  musical  se  retrouve  dans  Aristide  Quintilien 
{Meibom.,  p.  40)  ;  ce  qui  explique  cette  contradiction  appa- 
rente et  atteste  l'usage  existant  déjà  de  ces  deux  sortes  de 
chants. 

J.   Dupoux. 


LE  NEUME-TEMPS  RYTHMIQUE 
DEVANT  LA  CRITIQUE 

Tout  récemment  un  ecclésiastique  m'écrivait  : 

Je  vois  critiquer,  de  bien  singulière  façon,  votre  principe  de  lecture, 
si  clair  et  si  logique  :  un  neumc  =  un  temps  njthmiquc  moderne.  En  effet, 
aucun  de  ceux  qui  l'attaquent  n'ont  à  proposer  quoi  que  ce  soit  de 
•iensé  à  mettre  en  sa  place.  Quant  àccux  qui,  sans  m("me  vous  critiquer, 
tentent  de  substituer  leurs  traductions  de  neumes  à  la  vôtre,  on  peut 
affirmer  éncrgiquement  que  le  néant  de  lewt;  iirUui/u-i  crève  les  yeux 
des  moins  versés  dans  l'étude  delà  question.  Aussi  ces  simples  faits 
constituent-ils  pour  moi  une  grande  présomption  en  faveur  de  la  solidité 
de  vos  déductions,  non  que  je  ne  sache  par  expérience  que  la  faiblesse 
d'un  adversaire  ne  prouve  pas  en  faveur  de  la  force  de  son  antago- 
niste. Mais  enfin,  à  parler  franc,  ceux  qui  vous  attaquent  n'étant  pas 
les  premiers  venus  dans  la  science,  je  suis  autorisé  à  conclure,  soit 
que  vous  êtes  réellement  très  fort,  soit  que  leur  renommée  est  surfaite, 
usurpée,  puisqu'il  n'est  pas  admissible  que,  si  vous  avez  tort  scientifi- 
quement, ils  n'aient  pas,  pour  vous  réduire  au  silence,  d'armes  mieux 
trempées  que  celles  qu'ils  manient  journellement.  Hocher  la  tête  ou 
dénigrer  n'est  pas  réfuter  et  établir  la  thèse  contraire...  » 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  129 

Depuis  longtemps  j'avais  l'inlention  de  l'aire  ressortir  ces 
inconséquences,  signalées  sans  ambages  par  mon  correspon- 
dant; mais  on  comprendra  qu'il  m'était  difficile  d'aborder  ce 
sujet  sans  paraître  quelque  peu  outrecuidant. 

Je  ne  défendrai  plus  mon  principe  du  neume-temps,  mais 
simplement  le  principe  du  neume-temps,  du  temps  musical, 
du  temps  rythmique,  âme  du  rythme  à  toutes  les  époques. Et, 
pour  ne  pas  être  accusé  de  traduire  les  textes  en  les  torturant 
en  ma  faveur, je  me  bornerai,  dans  cet  article,  à  citer  quelques 
traductions  autorisées  de  textes  théoriques  anciens,  extraites 
des  derniers  écrits  parus  sur  la  matière. 

I 

Le  temps  rythmique  musical  moderne  est  V unité  rythmi- 
que (1)  par  excellence. 

Le  mot  unité  n'a  pas  besoin  d'être  défini  :  il  se  comprend 
par  analogie. 

Le  temps  rythmique,  en  tant  que  seule  et  véritable  unité ^ 
demande-t-il  à  être  prouvé?  Oui  et  non,  c'est  selon  le  degré 
d'instruction  musicale  du  lecteur. 

Prouvons-le  toujours  en  le  constatant,  comme  on  prouve  le 
mouvement  en  marchant. 

Le  temps  musical  moderne  est  l'âme  du  rythme  parce  que 
le  rythme  est  la  régularité  dans  le  mouvement,  et  que  la  régu- 
larité ne  peut  s'obtenir  qu'en  alignant  à  la  suite  les  unes  des 
autres  des  unités  de  même  valeur. 

Le  temps  musical  moderne  étant  une  de  ces  unités  est  donc, 
ipso  facto,  la  pierre  angulaire  du  rythme  musical. 

Nous  pouvons  le  prouver  d'une  autre  manière. 

Nous  assemblons  plusieurs  de  ces  unités-temps  pour  for- 
mer des  mesures  conventionnelles  à  2,3,  4,  5  temps;  mais 
quel  que  soit  le  nombre  des  temps  ainsi  agglomérés  dans  le 
cadre  conventionnel  dit  «  mesure  »,  chacun  de  ces  temps 
constitue  bien  une  des  unités  successives  du  rythme,  puisque 
chacune  est  égale  à  chacune  et  que  le  propre  de  l'Unité  est 
d'être  invariablement  égale  à  elle-même.  Tandis  que,  et  nous 
pouvons  le  prouver  encore  en  le  faisant  constater  par  le  lec- 
teur, nous  écrivons,  lorsque  le  sens  mélodique  le  commande , 
des  mesures  intercalaires  composées  d'un  nombre  de  temps, 

\.  La  mesure  n'est  qu'un  cadre  conventionnel  à  romplir  sous  cer- 
taines conditions  rythmiques  et  mélodiques. 


130  l'aVKMI!    de    la    MLSIOLE    SACKKI-: 

c'est-à-dire  d'un  nombre  d'unités,  différent  de  celui  que  nous 
fixons  au  début  de  noire  œuvre  musicale  (1). 

Telle  pièce  portera  en  tôte  l'indication  de  la  mesure  à 
quatre  temps  par  exemple,  et  dans  le  cours  de  l'œuvre  nous 
serons  obligés  par  le  sens  mélodique  de  rompre  momentané- 
ment la  régularité  du  cadre  de  quatre  tenijjs  adopté  pour 
intercaler,  ici  ou  là,  une  mesure  à  deux  ou  à  trois  temps. 

Donc  encore  une  fois  lu  mesure  est  un  cadre  conventionnel 
sujet  à  déformation,  tandis  que  le  temps  rythmi(jiie  est  bien 
Vunité fondamentale,  réelle,  certaine,  indéformable  dans  sa 
valeur- durée,  quelles  que  soient  les  subdivisions  qu'il  nous 
plaise  d'employer  pour  sa  notation. 

Il  l'est  et  il  le  fut  ù  toutes  les  époques  ;  seulement  depuis  le 
moyen  âge,  nous  avons  radicalement  transformé  l'accep- 
tion  du  mot  «  temps  »  et  la  chose  elle-même.  iNotre  temps, 
on  le  sait,  est  une  unité  rythmique  subdivisible  à  l'infini 
tandis  que  le  temps  ancien  est  l'unité  insubdivisible  (2). 

Nous  avons  pris  le  tout  ancien,  c'est-à-dire  le  pied  ryth- 
mique du  rythme  antique  (3)  pour  la  pviniE  en  en  faisant  un 
temps  moderne  (4),  tout  en  conservant  le  môme  terme  tech- 
nique «  TEMPS  »,  cause  des  discussions  actuelles  (5).  Chacun 
de  nos  temps  modernes  correspond  en  effet  à  un  pied  ryth- 
mique antique  en  tant  qu'unité^  et  chacune  de  nos  mesures, 
cadre  conventionnel,  correspond  à  son  tour  à  la  période  (6) 
rythmique  antique,  sorte  de  cadre  jouant  le  rôle  d'un  vers 
dimètre,  triniètre,  télramètre,  de  la  métrique. 

Le  rapprochement,  aisé  à  établir,  nous  entraînerait  trop 
loin. 

Les  rythmiciens  modernes  ne  peuvent  désormais  élever 
aucune  objection  de  fond  contre  le  neume-temps  et  j'en 
fournirai  des  preuves  tirées  de  leurs  propres  écrits,  ainsi  que 
je  l'ai  dit  précédemment  pour  sauvegarder  ma  responsabilité 
de  traducteur. 

1.  La  mesure  moderne  n'est  donc  pas  l'unilt'  du  rytlimc. 

2.  Voir  notre  Appendice,  pp.  226  et  suiv. 

3.  Formant  une  mesurc-lype  complète. 

4.  Fragment  de  mesure  moderne. 

5.  Néanmoins,  dans  les  deux  cas,  le  pied  r!/th)iiitjuc  et  le  temps  mo- 
derne sont  bien  4'un  comme  l'autre  l'iivHc  de  fait  du  rythme  musical 
(voir  les  deux  citations  qui  suivent  dans  le  corps  du  texte  ci-contre). 

♦i.  Dans  un  mouvement  lapide  (rythmes  de  danse  p.  e.  à  2/4,  3/4),  la 
mesure  moderne  eorrespond  à  un  seul  pied  antique.  C'est  de  cette 
double  nature  do  la  mesure  que  naissent  tous  les  malentendus.  On  velt 
n'en  U-ouver  qu'une  seule. 


l'aven [K    DE    LA    MUSIQUE    SACRÉE  131 

II 

Ecartons  tout  ce  qui  concerne  la  inélriçite  proprement  dite, 
sjience  d'arrangements  conventionnels  ;  elle  n'a  rien  à  voir 
dans  la  question  «  rythmique  »  qui  nous  occupe. 

«  Tout  assemblage  de  temps  ou  de  pieds  qui  se  succèdent 
«  dans  un  ordre  régidier,  sans  mélange  de  pieds  discor- 
«  dants,  prend  le  nom  de  rythme,  en  latin ^  numerus(l).  » 

Telle  est  bien,  en  effet,  la  théorie  de  la  constitution  du 
rythme  antique  :  tous  pieds  égaux  ou  s'égalisant  dans  une 
période  d'un  genre  fixé.  JN'est-ce  pas  le  principe  du  temps 
/nusical  moderne, unité  rythmique  constitutive  de  la  période, 
se  répétant  toujours  semblable  à  lui-même  ? 

Que  vient  donc  faire  celte  aftirmation  gratuite,  ou  cette 
objection  que  rien  n'étaie:  «  que  les  anciens  mélangeaient 
tous  les  pieds  ensemble  pour  donner  de  la  variété  à  leurs 
périodes  >  ?  Oui,  ils  le  faisaient  dans  la  composition  de  leurs 
vers,  mais  non  dans  leurs  œuvres  musicales,  la  théorie  ryth- 
mique s'y  opposant  et,  mieux  encore,  la  nature  humaine  ne 
pouvant  l'accepter. 

Notre  temps  moderne  correspond  donc  à  coup  sûr  au  pied 
rythmique  antique,  en  tant  qu'unités  respectives  et  réserve 
faite  en  ce  qui  concerne  la  manière  de  les  battre  ostensible- 
ment pour  la  direction  du  chœur. 

Les  Anciens  semblent  s'être  représenté  le  rythme  comme 
un  long  ndjan,  ou  une  chaîne  composée  d'anneaux  égaux, 
c  est-à-dire  de  pieds  rythmiques  égaux  (2). 

Confiriiiation  nouvelle  de  la  citation  qui  précède  et,  de 
plus,  confirmation  nouvelle  de  la  citation  de  l'enseignement 
de  Guy  d'Arezzo  : 

Sunt  vero  quasi prosaici  cantus...  in  quibus  non  est  curiv,  si 
alise  majores,  alvi'  minores  partes  et  dislinctiones  per  loea  sine 
discretione  inveniantur  more  prosarum. 

D'un  côté  donc  nous  trouvons  l'obligation  de  Végalité  tem- 
poraire de  tous  les  pieds  rythmiques,  de  l'autre  la  liberté 
dans  le  développement  de  la  phrase  mélodique. 

Est-il  donc  encore  si  téméraire  d'affirmer,  voire  même  avec 
la  ténacité  que  j'ai  apportée  dans  tous  mes  écrits,  1°  que  le 
temps  musical,  unité  rythmique  moderne,  correspond  exac- 
tement au  pied  rythmique   antique;  2"  que   la   phrase   mélo- 

1.  V.  cette  Revue,  n°  du  15  juillet  1899,  p.  102,  2'-  alinéa. 

2.  Même  Kevue,  même  numéro,  page  103,  !«'  alinéa. 


432  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

dique  se  développe  librement  temps  par  temps,  c'est-à-dire 
pieds  par  pieds  égaux,  sans  aucune  astreinte  au  cadre  rigide 
de  la  mesure  moderne,  en  d'autres  termes  «  comme  un  long 
ruban  ou  une  chaîne  composée  d'anneaux  égaux  »,  selon  les 
termes  mômes  du  théoricien  cité;  3°  que  les  neumes  médié- 
vaux correspondent  aux  pieds  rythyniqiies  (1)  anciens,  et 
nullement  aux  pieds  métriques  avec  lesquels  ils  ont  une 
simple  quoique  grande  ressemblance  (2);  4°  que  tous  les  pieds 
d'une  période  devant  être  égaux,  tous  les  neumes  qui  les 
représentent  ne  peuvent  qu'être  égaux. 

Comment  ne  pas  conclure  que  la  mélodie  grégorienne: 
J  "  ne  connaît  pas  la  mesure  moderne  à  plusieurs  temps-pieds 
agglomérés  et  ne  peut  connaître  que  celle  du  pied-temps 
rythmique;  2"  se  déroule  librement  d'après  son  sens  mélo- 
dique, d'après  l'inspiration  du  compositeur,  sans  cadre  fixe 
à  combler  (soit  en  s'allongeant  artificiellement,  soit  en  se 
resserrant) . 

Jetons  les  yeux  sur  toutes  les  traductions  que  j'ai  données 
dans  mes  précédentes  publications,  nous  y  verrons  l'appli- 
cation exacte  et  sans  violeijce  (comme  sans  aucune  licence) 
de  toute  cette  théorie  qui  fut  ma  tbéorie,  oui  certes,  mais  qui 
est  avant  tout  la  théorie  qui  régit  le  rythme  de  la  cantilène 
romaine. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  j'ai  attendu  avec  sérénité  la 
discussion  de  mes  affirmations.  J'ai  vu  clair,  la  chose  me 
suffit  et  je  forme  le  vœu  que  l'on  se  rende  à  l'évidence  du 
neume-temps.  Le  neume-temps  est  une  nécessité  de  lec- 
ture, ai-je  dit.  Il  répond  de  plus  au  simple  bon  sens  de  l'inven- 
tion de  l'écriture  musicale.  Ces  deux  points  de  vue  seraient-ils 
faux,  que  nous  avons  la  certitude  théorique  pour  nous;  c'est 
plus  qu'il  n'en  faut  pour  nous  permettre  de  répéter  une  fois 
de  plus  que  le  fameux  principe,  im  neume  =  un  temps  ryth- 
mique moderne,  est  inattaquable,  irréfutable. 

(yl  suivre.)  G.  Houdard. 

LE   RYTHME    DES    MÉLODIES   GRÉGORIENNES 

Ktiide    musicale,  historique  et  critique,  par  M.  l'abbé  .1.  Artigarum.  — 

I  vol.  gr.  in-S",  à  2  colonnes,  IV-70  p.:  Paris,  Alphonse  Picard  et  fils, 
éditeurs,  89,  rue  Bonaparte.  1889.  Prix:  3  francs,  liordeaux  :  Œuvre 
(Icfi  bons  livres,  H,  rue  Canihac. 

II  est  généralement,  admis,  depuis  quelques  années,  que  le  chant  £.'ré- 
i.  Cum  et  neumœllocojint  pedum. 

2.  Non  autem  parxia  similitudo... 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  133 

gorien,  comme  toute  autre  musique,  ne  saurait  être  dépourvu  de 
rythme.  Mais  quand  il  s'est  agi  de  définir  la  nature  de  ce  rythme,  on 
a  vu  surgir  les  systèmes  les  plus  étranges  et  les  plus  fantaisistes  qui, 
sous  le  nom  de  rythme  litre,  ou  rythme  de  la  parole,  propagent  une 
manière  de  chanter  aussi  contraire  aux  principes  de  l'art  qu'aux  ensei- 
gnements de  la  tradition. 

C'est  pour  montrer  le  néant  de  ces  théories  nouvelles,  tout  à  fait 
inconnues  aux  Anciens,  que  M.  l'abbé  Artigarum  a  publié,  dans  la 
Miisica  sacra  de  Toulouse,  une  série  d'articles  sur  le  rythme,  où  il 
prouve  scientifiquement,  par  un  ensemble  de  témoignages  absolument 
irréfutables,  que  le  chant  de  l'Eglise  latine  a  toujours  été  mesuré.  Ce 
sont  ces  mêmes  articles,  revus,  amplifiés  et  complétés  par  de  nou- 
veaux documents,  qu'il  vient  de  réunir  en  brochure,  sous  le  titre 
énoncé  plus  haut. 

Nous  sortons  ici  du  domaine  de  la  fantaisie  pour  enti^er  dans  celui  de 
la  science,  dont  on  s'est  si  souvent  écarté.  On  n'y  trouve  pas,  comme 
dans  d'autres  écrits  trop  vantés,  des  considérations  à  perte  de  vue  sur 
la  similitude  de  la  parole  et  du  chant,  des  définitions  vagues  et  souvent 
contradictoires,  une  théorie  confuse  que  chacun  peut  interpréter  à  sa 
façon;  mais  une  notion  exacte  et  précise  du  rythme,  tel  qu'on  l'a  tou- 
jours entendu  et  pratiqué,  et  la  preuve  historique  de  son  emploi 
constant  dans  le  chant  grégorien. 

Ce  qui  donne  une  force  irrésistible  à  la  démonstration  de  M.  l'abbé 
Artigarum,  ce  sont  les  textes  sans  nombre  apportés  à  l'appui  de  sa 
thèse,  textes  empruntés,  soit  aux  écrivains  profanes,  soit  surtout  aux 
auteurs  ecclésiastiques,  depuis  la  plus  haute  antiquité  jusqu'en  plein 
moyen  âge. 

Ah!  je  sais  bien  que  d'aucuns  se  montrent  fort  dédaigneux  des 
textes,  quand  ils  ne  cadrent  pas  avec  leurs  idées.  Les  textes,  disent-ils, 
ne  signifient  rien  :  on  les  a  si  souvent  cités  et  interprétés  dans  un  sens 
ou  dans  l'autre  qu'il  est  impossible  d'en  tirer  aucune  conclusion. 
Sans  doute,  on  a  le  droit  de  parler  ainsi,  quand  il  s'agit  de  textes 
mutilés  ou  travestis  suivant  le  besoin  de  la  cause,  comme  en  sont  cou- 
tumiers  les  écrivains  d'une  certaine  école,  prenant  çàetlà  des  tronçons 
de  textes,  qu'ils  traduisent  le  plus  souvent  à  contre  sens,  sans  souci  de 
ce  qui  précède  ou  qui  suit,  sans  tenir  compte;  de  l'objet  que  l'auteur  a 
spécialement  en  vue,  ni  de  ré])oque  à  laquelle  il  écrivait,  ni  des  évolu- 
tions successives  de  l'art  musical,  en  forgeant  même  de  toutes  pièces, 
quand  ils  n'en  trouvent  pas  à  leur  gré.  Mais,  parce  que  quelques-uns 
ont  abusé  des  textes,  est-ce  une  raison  pour  les  rejeter  complètement? 
Et  n'est-ce  pas  seulement  en  interrogeant  les  contemporains  des  vieux 
âges,  que  nous  pouvons  connaître  comment  on  chantait  autrefois  ?  l'n 
ouvrage  d'histoire  et  d'érudition  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'il  s'appuie 
sur  les  documents  du  passé;  c'est  ce  qui  donne  tant  de  prix  aux 
œuvres  des  Martène,  des  Mabillon  et  des  Gerbert. 

Suivant  les  traces  de  ces  savants  moines,  M.  Artigarum  a  donc  recours 
aux  textes.  II  ne  se  contente  pas  d'en  donner  des  fragments,  pris  au 
hasard.  Il  les  cite  intégralement,  en  donne  même  des  pages  entières, 
ayant  soin  de  rétablir  leur  véritable  sens  par  une  discussion  scien- 
tifique des  termes  employés,  et  reproduit  toujours  au  bas  des  pages  le 
texte  original,  pour  qu'on  puisse  juger  de  la  fidélité  de  sa  traduction. 


134  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Dans  la  |>reinière  partie  de  sou  travail,  précédemment  inédite,  l'au- 
teur recherche  d'abord  en  quoi  consiste  le  rythme  qu'il  définit  ainsi  : 
«  La  proportion  entre  des  sons  musicaux  successifs,  considérés  sous  le 
«  triple  rapport  du  noinhrc,  de  la  durée  et  de  la  force  ou  intensité.  » 
Après  avoir  expliqué  chacun  des  termes  de  cette  définition,  il  fait  res- 
sortir la  différence  essentielle  qui  existe  entre  le  rythme  et  le  mélos 
que  les  inventeurs  de  théories  nouvelles  ont  confondus  comme  à  plaisir; 
puis  il  prouve  la  nécessité  du  rythme,  sans  lequel  la  mélodie  n'est 
qu'un  amas  de  sons  confus  et  désordonnés,  et  montre  que  tout  rythme 
musical  suppose  une  mesure;  puisque,  sans  elle,  «  on  ne  saurait  éla- 
«  blir  entre  la  durée  des  sons  ce  rapport  impérieusement  exigé  par 
«  l'oreille  en  matii're  musicale.  »  Viennent  ensuite  quelques  notions 
sur  les  temps  forts  et  les  temjis  faibles,  sur  les  rythmes  masculins  et 
les  rythmes  féminins,  et  enlin  sur  la  concordance  des  rythmes. 

La  deuxième  partie,  qui  avait  déjà  paru,  est  de  beaucou|i  la  plus 
importante  et  lu  plus  documentée. 

M.  l'abbé  Arligaruiu  commence  par  rechercher  et  analyser  les  diffé- 
rentes sources  auxquelles  a  dû  puiser  l'auteur  du  recueil  de  chants 
liturgiques,  connu  sous  le  nom  d'Antiphonairc.  Ce  ne  peut  être  que  la 
tradition  Juive,  la  tradition  chrétienne,  ou  encore  l'art  païen  contem- 
porain. 

C'est  à  la  Synagogue,  en  effet,  que  l'Eglise  chrétienne  a  emprunté 
l'usage  et  la  pratitjue  de  la  psalmodie.  Or,  saint  Augustin  affirme  que 
les  vers  de  David  étaient  formés  de  rythmes  déteiniinés,  «  si  j'en  crois, 
«  dit-il,  ceux  qui  possèdent  à  fond  la  langue  hébraïque.»  De  plus, nous 
savons  i)ar  Philon,  que  les  chants  des  Thérapeutes,  au  i""  sirclc  de 
l'ère  (-hrétienne,  se  compusaient  de  mètres  de  divers  ijonres. 

Dans  une  savante  digression,  M.  l'abbé  Artigarum  prouve  avec  beau- 
coup d'érudition  que  «  le  terme  modiilalio,  qui  revient  si  souvent  sous 
«  la  plume  d(!S  anciens  rausicistcs,  signilie  chant  memré  »,  de  même 
que  le  verbe  modulari  marque  l'action  de  chuiter  en  mesure.  Tel  est  le 
sens  que  donnent  à  ces  mots  F.  Quintilien,  Pline,  Aulu-Cielle,  Horace, 
Suétone,  Tertulli(;n,  Ammien-Marcellin,  auxquels  on  peut  ajouter 
Marins  Victorinus,  contemporain  de  saint  Augustin  qui,  lui-même, 
définit  la  musique  :  la  science  qui  apprend  h  bien  moduler,  et  ajoute  (|ue 
la  modulation  consiste  «  à  observer  avec  nombre  la  mesure  des  temps 
et  des  intervalles.  » 

La  tradition  chrétienne  nous  montre  également  que,  sous  le  rap|iorl 
du  rythme,  les  mélodi»'s  lilurgiques  n'avaient  rien  à  envier  aux  chants 
des  infidèles  ou  (les  juifs.  Saint  Justin,  saint  Basile,  saint  Jean  Chrysos- 
tome,  saint  Augustin  surtout,  {(-moin  des  réformes  musicales  intro- 
duites à  Milan  par  saint  Ambroise,  célèbrent  tous  la  beauté  des 
chants  de  l'Eglise,  dont  le  charme  principal  consistait  dans  la  concor- 
dance des  voix  et  dans  l'observance  du  rythme;  ce  qui  s'applique  non 
seulement  aux  hymnes  métriques,  mais  aussi  aux  antiphones,  sortes 
de  refrains  répétés  au  chœur  par  tout  le  peuple  mon  '^ricntalium;  car 
nous  savons,  d'autre  part,  que  le  tropaire  byzantin,  composé  égale- 
ment sur  un  texte  prosaïque,  avait  une  mélodie  rythmée  dont  on 
marquait  la  mesure,  ce  qui  n'était  pas,  paraît-il,  du  goût  de  certains 
moines. 

Mais,  à  côté  de  la  tradition  ecclésiastique,  il  y  avait  aussi  k   Home 


l'avenki  de  la  musique  sacrée  i35 

un  art  musical  païen,  importé  de  toutes  pièces  en  Italie,  lois  de  la  con- 
quête de  la  (Irèce.  «  Or,  qui  oserait  contester  que  la  musique  des  Grecs 
«  ne  fût  mesurée  ?  »  M.  l'abbé  Artigarum  n'a  pas  de  peine  à  démon- 
trer par  les  témoignages  des  théoriciens  grecs  et  latins  que,  pour  les 
Anciens,  le  rythme  consistait  dans  la  mesure  des  sons  longs  et  des  sons 
brefs  et  se  composait  «  de  temps  déterminés  et  limités,  quant  à  la 
«  grandeur  et  au  nombre,  quanta  la  symétrie  et  à  l'ordre  qui  régnent 
«  entre  eux.  »  Les  auteurs  ecclésiastiques,  saint  Augustin,  Cassiodore, 
saint  Isidore  de  Séville,  contemporain  de  saint  Grégoire,  ne  con- 
naissent d'autre  rythme  que  celui  de  toute  l'Antiquité  profane. 

Une  première  conclusion  qui  ressort  de  cet  exposé,  c'est  que,  jus- 
qu'au \i\°  siècle  pour  le  moins,  le  chant  mesuré  a  été  le  chant  tradi- 
tionnel de  l'Eglise,  et  que,  par  conséquent,  saint  Grégoire,  pour  com- 
poser son  Antiphoiiiiire,  n'a  pu  recueillir  que  des  chants  mesurés. 

Mais  ne  se  pourrait-il  pas  qu'à  partir  de  cette  époque,  une  nouvelle 
espèce  de  i^ythmc  se  soit  introduite  dans  le  chant  ecclésiastique?  Non, 
car  une  modification  aussi  radicale  n'aurait  pu  se  faire  sans  que  les 
auteurs  du  temps  en  fissent  mention.  Or,  pas  un  ne  fait  la  moindre 
allusion  à  cette  soi-disant  réforme.  Bien  plus,  le  vénérable  Bède,  dans 
son  Histoire  ecclésiast'quc.  parle  à  plusieurs  reprises  des  chants  apportés 
en  Angleterre  par  les  disciples  de  saint  Grégoire,  qui  avaient  enseigné 
au.x  chantres  anglais  la  manière  de  moduler,  more  Romanorum  ; 
et  lui-même  a  soin  de  nous  dire,  dans  un  autre  traité,  que  modulatio 
en  latin,  est  synonyme  de  ri/thmos  en  grec,  et  modulor,  synonyme  de 
rytinnizo.  Il  enseigne  encore  que  Idi  modulation  introduit  dans  le  chant 
la  proportion  métrique  qui  ne  se  trouve  pas  dans  le  texte. 

Un  siècle  plus  tard,  Remy  d'Auxerre,  chargé  d'enseigner  les  jeunes 
clercs  de  Reims,  compose  un  manuel  musical,  qui  n'est  qu'un  com- 
mentaire de  la  doctrine  des  Anciens  sur  le  rytlime,  telle  qu'elle  est 
exposée  par  Martianus  Capella  et  Aristide  Quintilien.  Cet  enseigne- 
ment donné  dans  une  école  ecclésiastique  n'aurait  été  d'aucune  uti- 
lité, si  l'Eglise  avait  adopté  un  nouveau  genre  de  rythme  inconnu 
autrefois. 

Pour  la  linduix''  siècleetle  commencement  du  x",  nous  avons  les  écrits 
si  précieux  de  Guy  d'Arezzo  et  du  pseudo  Hucbald.  M.  l'abbé  Artiga- 
rum consacre  un  chapitre  entier  à  l'examen  approfondi  des  doctrines 
de  ces  auteurs,  qui,  eux  aussi,  exigent  une  proportion  exjicte  entre  la 
durée  des  temps  longs  et  des  temps  brefs  et  veulent  que  le  chant  soit 
scandé,  à  la  manière  des  pieds  métriques. 

Il  n'est  donc  pas  douteux  que,  «dans  le  principe,  le  chant  de  l'église  la- 
«  tine  ne  fût  mesuré  par  le  moyen  de  notes  proportionnelles  et  iné- 
«  gales.  Le  moyen  âge  a  vu  disparaître  la  mesure  de  presque  toutes  les 
«  parties  de  ce  chant  et  à  peu  près  en  tous  lieux;  l'âge  moderne  est 
«  appelé  à  le  rétablir.  » 

Réintégrer  la  mesure  dans  le  chant  ecclésiastique,  ce  n'est  pas  inno- 
ver ;  c'est  revenir  purement  et  simplement  à  la  tradition  primitive  qui 
n'a  jamais  connu  le  rythme  oratoire  ou  prosaïque,  tel  que  l'entendent 
certains  modernes. 

Telle  est  la  conclusion  qui  s'impose  après  la  lecture  de  l'ouvrage  de 
M.  l'abbé  .Vrligarum,  que  nous  recommandons  à  tous  ceux  qui  recher- 
chent sincèrement  la  vériti',  en  dehors  de  tout  parti  pris   et  de    toute 


136  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

cabale  d'école.  Notre  brève  analyse  ne  peut  en  donner  qu'une  idée  très 
imparfaite. 

Il  faut  le  lire  en  entier  et  étudier  avec  soin  tous  les  documents  qui 
s'y  trouvent  cités  et  discutés,  pour  apprécier  l'importance  de  ce  beau 
traA'ail  et  la  force  de  son  argumentation.  C'est  une  œuvre  de  science  etde 
bonne  foi. 

J.  D. 


Première  symphonie  d'orgue,  par  Louis  Vierne. 

(A.  Pérégally  et  Parvy  tils,  éditeurs  à  Paris,  HO,  rue  Bonaparte.) 

«  ...Vierne,  qui  vient  de  produire  cette  remarquable  pre- 
mière symphonie,  de  style  si  élevé,  de  si  noble  architecture, 
d'un  si  profond  sentiment  artistique  (1)...  » 

C'est  en  ces  termes  que  M.  (^h.-M.  \V  idor,  dans  un  écrit 
récent,  cite  une  des  œuvres  d'orgue  les  plus  remarquables 
(jui  aient  été  produites  dans  ces  trente  dernières  années.  Le 
litre  de  Symphonie  adopté  par  L.  Vierne  à  l'imitation  de  son 
illustre  Maître,  indique  la  préoccupation  de  traiter  l'orgue 
à  la  manière  d'un  orchestre,  d'utiliser  tous  les  timbres  de 
l'admirable  instrument,  de  mettre  en  jeu  toutes  les  ressources 
de  la  registration  et  toutes  les  combinaisons  des  claviers. 
L'orgue,  M.  Vierne  en  possède  à  fond  la  technique.  Sa  répu- 
tation d'exécutant  est  faite.  Son  mérite  de  compositeur, 
depuis  longtemps  apprécié  dans  des  mélodies,  des  motels, 
des  pièces  pour  piano,  violon,  alto,  s'affirme  aujourd'hui 
dans  une  œuvre  maîtresse.  Six  suites  la  composent  :  un  Pré- 
lude, d'une  [)olyphoiiie  serrée;  une  Fugue,  d'une  iiUure  déli- 
bérée, au  thème  incisif,  dont  les  développements  attestent  la 
connaissance  parfaite  des  règles, dissimulée  sous  le  sentiment 
musical;  une  ravissante  Pastorale,  un  Scherzo  et  un  Anda/ite 
très  développés,  et  enfin  un  Finale  éblouissant  qui  fait  valoir 
admirablement  la  virtuosité  de  l'organiste. 

Telle  est  cette  œuvre,  que  M.  Pérégally  —  je  dois  lui 
rendre  i(;i  cet  hommage  —  a  publiée  avec  rempressement 
d'un  artiste  clairvoyant  et  le  soin  d'un  éditeur  habile.  En 
l'écrivant,  M.  Vierne,  l'élève  de  prédilection  de  W'idor  s'est 
montré  en  tous  points  digne  de  son  Maître. 

Nous  ne  saurions  lui  adresser  un  plus  bel  éloge. 

EUG.  DE  BrICOUEVILLE. 

\.  Préface  de   Ch.-M.   \Vidor  aux   JSotex  historiques   et    critiques  sur 
Vorgue,  d'Eug.  de  Bricqueville.  (Chez  Fischbacher,  éd.,  à  Paris.) 

Le  Gérant  :  A.  GABERT. 

IMP.  NOIZETTE  ET  C'e,  8,  EUE  CAMPAONE-l",  PARIS. 


DEUXIÈME  ANNÉE  N»  11  15  NOVEMBRE  1899 


i/AVENlR 


DE     LA 


MUSIQUE  SACRÉK 


^()MJ1AIU^:. 

A  propos  d'Unité.   {SuHe) 185 

Le  Rythme  du  Chant  liturgique    (Suite) 192 

Le  Neutne-Temps  rythmique  devant  la  Critique  (Suite) 19T' 

Assemblée  générale  de  la  Société  Sainte-Cécile,  à  Mïinster.  .   .  .  202 

Epilogue  des  Fêtes  mus'cales  d'.Avignon 206 

Rectification 208 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

(Suite.) 

III.  Encore  des  documents .  (Suite). 

Nous  avons  signalé  dans  notre  numéro  de  septembre, 
p.  137,  l'existence  de  neuf  documents  officiels  autres  que 
ceux  sur  lesquels  nous  avions  précédemment  basé  notre 
argumentation . 

Nousaurionsdûy  ajouter  encore  lus  approbations  spéciales 
des  livres  choraux,  délivrées  par  les  censeurs  romains,  et 
sans  lesquelles  le  Rituel,  le  Missel,  le  Cérémonial  des  èvêques 
et  le  Pontifical  \\Q  sauraient  bénéficier  de  l'authenticité  cano- 
nique. 

Les  éditeurs  français  et  étrangers  l'ont  vite  compris:  car, 
depuis  assez  longtemps,  ils  ne  publient  aucun  de  ces  livres 
sans  avoir  au  préalable  obteau  l'approbation  de  Rome.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  que  les  Missels  et  les  Rituels  des  maisoDs 
Marne  et  Desclée  renferment  les  chants  authentiques  de  la  S. 
Congrégation  des  Rites. 

Or,  remarquons  bien  que  ces  approbations  portent  toutes 
que  les  diverses  éditions  de  ces  livres  liturgiques  devront 
être  tout  à  /ail  conformes  aux  éditions  typiques,  prœsertim 


18G  l'aveniu  j)i<:  la  musique  sacrée 

oLOAD  CANTUM  ad  novmam  Decreti  2Q  april  iSSS.  En  effet, 
d'après  le  Décret,  ces  chants  du  Rituel,  du  Missel,  du  CeVe- 
monial  des  èvêques  et  du  Ponlifical  sont  absolionent  obliga- 
toires pour  toute  l'Eglise  latine  (1)  :  chose  qu'on  paraît 
ignorer  en  nombre  d'églises  et  de  monastères. 

Voilà  des  faits  qui  mettent  une  fois  de  plus  en  évidence  et 
confirment  pratiquement  les  intentions,  les  désirs,  les  volontés 
de  l'Eglise  au  sujet  du  chant  liturgique.  Peu  importe  d'ail- 
leurs que  tel  éditeur  qu'on  nous  signalait  naguère  en  soit 
encore, pour  éluder  des  ordresformels  et  s'épargner  aussi  long- 
temps que  possible  des  frais  de  remaniement,  à  écouler  son 
édition  de  1850  ou  1852  de  l'un  des  livres  liturgiques  ci-des- 
sus indiqués  ;  dans  le  cas  où  le  renseignement  serait  exact,  il 
ne  prouve  qu'une  chose,  c'est  que  l'éditeur  n'est  pas  en  règle. 
Si  le  tirage  de  son  ancienne  édition  a  été  aussi  considérable 
qu'il  voudrait  le  faire  croire,  il  eût  mieux  fait  d'en  jeter  les 
restes  au  pilon  dès  le  moment  où  Rome  donnait  des  ordres  : 
certes!  trente  années  de  vente  avaient  dû  le  dédommager  déjà 
suffisamment. 

Revenons  à  notre  sujet. 

Le  20  décembre   1878,   c'est-à-dire  peu  de  jours  après  la 

i.  Deux  remarques  importantes  : 

a)  Dans  le  Directoriuin  Chori,  livre  liturgique  officiel,  toutes  les  into- 
nations  des  antiennes,  des  hymnes,  etc.,  sont  conformes  à  l'I'Mition 
typique. 

b)  Lo  chapitre  xxvii,  4''"^  livre,  du  Cxrciiwnialc  Episcoporwn  a  été  entiè- 
rement refondu  dans  le  même  sens. 

Après  avoir  donné  le  chant  festival  etférial  des  oraisons,  lo  chapitre 
xxviiconclut  ainsi:  «  Il  n'est  fait  aucune  mention  dans  ce  livre  des  tons 
pour  les  Evangiles,  les  Epîtres,  les  Capitules,  les  Antiennes,  etc.,  parce 
qu'il  y  a  des  livres  qui  traitent  au  long  de  ces  matières,  tel  que  le  Pon- 
titical  romain,  le  Rituel  romain,  le  hireclorium  chori  et  autres  sembla- 
bles, dans  lesquels  chacun  peut  s'instruire,»  (Lib.  I,  cap.  xxvn,  u°  3.) 

A  noter  encore  : 

Le  Rituel  tupique  contient  in.  extenso  les  chants  de  TOftice  des  Morts, 
du  Ci)n(îteor,  des  processions  de  la  Purilication,  des  Rameaux,  des 
Roga'Jons  et  du  T.  S.  Sacrement. 

Le  Pontifical  typique  contient  les  chants  les  Ordinations,  des  Consé- 
crations d'égliie,  etc. 

En  bonne  rùgle,  toutes  les  églises  du  monde  catholique  sont  tenues, 
par  les  Décrets  de  18H3  et  de  1894,  à  exécuter  ces  chants  uiiii^ueuicnt 
d'après  les  éditions  typiques. 

Et  pourtant  combien  rares  sont  les  églises  où  l'on  observe  ces  pres- 
criptions! 


l'aVENIK    de    I.A    MlISiyUE    SACKÉF.  487 

publication  du  Bref  Sacroriim  concentu]iim^  Mgr  l'Evôcfue  de 
Grenoble  demanda  à  la  S.  C.  des  Rites. si  Védition  de  chant 
qri'gorïpn,  cori'igée  et  publiée  sous  les  auspices  de  Pie  IX 
de  S.  M.,  par  les  soins  de  la  S.  C.  des  Rites,  était  recom- 
mandée de  telle  sorte  qu'il  y  eût  quelque  nécessité  morale  de 
la  choisir  et  de  l'adopter,  au  cas  où  l'on  viendrait  à  rejeter 
l'édition  de  Grenoble,  dont  le  chant  est  altéré  et  s'éloigne 
sensiblement  de  la  tradition.  .'": 

La  S.  C.  des  Rites,  sur  le  rapport  du  secrétaire,  jugea  a 
propos  de  répondre  : 

Consultez  le  Bref  apostoliqae  et  le  Décret  de  la  S.  Ç.  des 
Rites. 

Voici  d'ailleurs  le  texte  officiel  de  la  consultation  : 

Demum  petiit  utrum  editio  Cantus  Gregoriani  sub  aus- 
piciis  sa. me.  Pii  Papœ  IX,  curante  Sacra  Rituum  Congrega- 
tione,  emendati  et  evulgati^  ita  commendetur,  ut  adesset 
aliqua  moralis  nécessitas  eam  eligendi  et  amplectendi,  si 
forte  abjiceretur  cantus  mixtuseta  traditione  devins,  qui 
usque  modo  in  Dicecesi  Gratianopolitana  adhibetur. 

Sacra  vero  Rituum Congregatio,referente  subscripto  Secre- 
tario,  ila  rescrihere  censuit  :  Detur  Brève  Apostolicum  una 
cum  Deireto  Sacrée  Rituum  Congregationis. 

Et  cette  réponse  fut  accompagnée  de  la  copie  des  deux 
Brefs  de  Pie  IX  et  de  Léon  XllI  avec  le  Décret  du  Cardinal 
Bilio.  —  Car,  môme  avant  iceux  de  1883  et  de  1894,  il  y  avait 
déjà  des  documents  officiels  établissant  ce  que  les  autres  ont 
formulé  avec  plus  do  précision  et  d'énergie.  Le  Décret  du 
Cardinal  Bilio,  du  44  avril  4877,  constatait  déjà  l'opposition 
faite  aux  désirs  de  Rome  et  déclarait  à  cet  égard  les  intentions 
du  Saint-Siège. 

La  réponse  faite  à  Mgr  l'Ëvèque  de  Grenoble  «  en  dit  plus 
qu'une  simple  réponse  aflirmative.  Celle-ci  aurait  pu  faire 
croire  que  jusque-là  il  existait  un  doute  réel;  or,  cela  même 
est  prévenu  dans  la  réponse.  Lisez  et  jugez.  Lisez  les  Brefs 
des  Souverains  Pontifes,  écoutez  leur  vœu  et  leur  recomman- 
dation l'aile  eu  termes  si  pressants,  et  jugez  si  une  volonté  si 
haute  et  si  sacrée  ne  doit  pas  avoir  d'autre  force  que  celle 
qu'il  plairait  aux  fidèles  de  lui  reconnaître  gratuitement  (4  j  ». 

On  cite  encore  une  réponse    analogue  faite  par  le   pape 

1.  V.  labrocliure  :  Le  Congres  (VArezzo  ou  les  Droits  monarchiques  du 
Sainl-Sii'ge  enfuit  de  Liturgie  et  de  Chant  d'église. 


488  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Pie  IX  au  cardinal  archevêque  de  Toulouse.  «  Le  vénérable 
archevêque  demandait  humblement  à  Sa  Sainteté  s'il  pouvait 
conserver  dans  son  diocèse  le  chant  toulousain  actuellement 
en  usage.  Le  pape  répondit:  Non  expedit...  non  licct.  Il  ne 
convient  pas...  il  n'est  pas  permis  (1) .  » 

En  1885,  Mgr  l'Evèque  de  Périgueux  soumit  un  doute  à  la 
S.  C.  des  Rites.  Dans  le  po^tulatum  on  objecta  que,  d'après 
les  opposants,  le  Décret  de  1883  semblait  reposer  sur  un  faux 
supposé  historique,  attendu  que  Palestrina,  contrairement  à 
l'énoncé  du  Décret,  n'aurait  pas  collaboré  au  graduel  mcdi- 
céen  (2).  Et  on  demandait  si  dans  ce  cas  il  fallait  néanmoins 
tenir  compte  du  Décret  de  1883.  Les  conclusions  du  postu- 
latum  étaient  celles-ci  : 

4°  Requiriturne,  ut  valeat  aliquod  decreturo  S.  R.  C,  ut 
reperiatur  scriptum  in  authentica  coUectione  (3). 

2°  Si  aliqui  errores  historici  in  praiJictum  decrelum 
26  april  1883  irrepsissent,  auctoritasejusdem  decreti  essetne 
invalida  ? 

3°  Décréta  circa  cantum  gregorianum  remanentne  certa  et 
in  pleno  vigore  conscrvanda  ? 

Et  voici  quelle  fut  la  réponse  de  la  S.  G.  des  Rites: 
Décréta  S.  Rituum  Congregationis  a  Swnmo  Pontificn  con- 

firmata  o7nnino  servanda. 

Notandum.   Cantus    gregoriaaus    juxia  approbatam   edi- 

tionem    Roma^  jamdiu  usu   viget,    ideoque   nulla   opus  est 

prœscriptione  aut  hortatione  ut  introducatur,  pront   in  aliis 

diœcesibus  ubi  nondum  introductus  fuit. 

Plus  tard,  en  1887,  les  manuels  de  chant  de  Périgueux 
(alors  édition  de  Dijon)  étant  épuisés,  l'administration  diocé- 

1.  V.  l'opuscule  :  Le  vrai  Chant  Romain,  par  M.  l'abbé  Chaminadc. 

2.  Le  docteur  Kaberl  a  prouvé  très  clairement,  ce  nous  semble,  la 
collaboration  de  Palestrina  au  Graduel  niédicien.  —  V.  sa  brochure  : 
J.  P.-L.  Palestrina  et  le  Graduel  romain  officiel. 

Il  est  vrai  que  Palestrina  nioui'ut  avant  d'avoii-  achevé  son  (ruvre. 
Elle  fut  continuée  par  ses  disciples  Felice  Anerio  et  Francesco  Soriauo 
qui  achevèrent  le  (îraduel.  Ce  Graduel  fut  imprimé  chez  Médicis,  par 
ordre  de  Paul  V:  Cum  cantu  l'auli  V  Pont.  Max.jitssu  reformato.  C'est  ce 
même  Graduel,  tant  incriminé,  ({ui  fut  approuvé  par  Pie  IX  en  1873  et 
par  la  S.  C.  des  Rites  en  1883  et  en  1894. 

3.  Il  a  été  expliqué,  dans  notre  n"  de  juillet  1899,  pourquoi  en  1885 
le  Décret /iowauo/M/H  Pontificum  ne  fî^urait  pas  encore  dans  la  collection 
Gardellini  :  VAppcndix  V  des  Décréta  authentica  (de  janv.  1878  à 
nov.  1887)  n'avait  pu  paraître  encore. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  189 

saine  con?ulta  la  Nonciature  de  Paris  pour  savoir  ce  qu'il  y 
avait  à  faire  :  la  Nonciature  répondit:  «  Consultez  !a  S.  G. 
des  Rites.  »  Le  cliarg'é  d'affaires  du  diocèse  de  Périgueux 
s'adressa  oClîpiêii sèment  au  Secrétaire  de  la  S.  C.  des  Rites  : 
celui-ci  affirma  que  la  S.  C.,«Goiisultée  ofliciellement.  répon- 
drait qu'il  y  avait  lieu  d'adopter  l'Edition  officielle.  Mgr  l'Evê- 
que,  après  tanl  de  JJrels  et  de  Dét;rots,  ne  crut  pas  qu'il  fût 
nécessaire  de  consulter  officiellement,  et,  suivant  son  droit, 
il  imposa  l'Edition  romaine. 

Plus  tard  encore,  dans  ses  deux  visites  ad  limina,  on  4894 
et  eu  1899,  il  fut  félicité  par  N.  T.  S.  P.  le  Pape  et  par  le 
Cardinal-Préfet  de  la  S.  C.  des  Rites.  Il  dut  môme  l'être  une 
autre  fois  encore,  vu  que  dans  sa  lettre  au  P.  Bogaerts  (v. 
notre  n"  de  septembre  1899,  p.  159)  il  écrivait:  «  Ces  jours-ci, 
le  Souverain  Pontife,  notre  grand  Pape  Léon  XIII,  nous  féli- 
citait pour  la  troisième  fois,  d'avoir  déféré  aux  désirs  du 
Saint-Siège  en  adoptant  dans  notre  diocèse  le  plain- chant 
ol'iiciel  de  la  S.  C   des  Rites.  » 

En  1883,  le  Synode  diocésain  de  Nevers  décida  l'adoption 
de  l'Edition  oflicielle.  Ce  fut  pour  le  Cardinal  Bartolini, 
Préfet  de  la  S.  C.  des  Rites,  l'occasion  d'adresser  à  Mgrl'Evê- 
que  de  Nevers  la  lettre  suivante,  qui  fut  rendue  publique 
dans  le  Synode  de  1884.  (1). 

«  J'y  ai  rencontré  (dans  le  VP  Synode)  le  Décret  de  la 
S.  C.  des  Rites,  et  parcouru  à  ma  grande  satisfaction  le 
Statutum  secundian,  les  mesures  propres  à  faire  adopter  dans 
le  diocèse  l'Edition  parue  d'après  les  ordres  de  la  S.  C,  chez 
son  imprimeur  le  chevalier  Pustet  do  Ratisbonne.  Dans  cette 
édition  l'imprimeur  n'a  pas  inséré  le  moindre  produit  de  ses 
connaissances  personnelles  du  chant  liturgique;  il  n'a  fait 
qu'exécuter  —  admirablement,  il  est  vrai  —  l'œuvre  maté- 
rielle.  Du   reste,  aucun    imprimeur  en  Europe,  y  compri, 

1  11  ne  faudrait  point  croire  pourtant  que,  même  dans  le  diocèse  de 
Nevers,  tout  marche  au  gré  de  l'autorité.  Un  ami  nous  écrit,  en  effet, 
les  renseignements  suivants  que  nous  livrons  sous  toutes  réserves  : 

«  Le  clergé  de  Nevers  a  tellement  été  excité  par  les  pothiéristes  qu'il 
a  fini  par  considérer  plus  ou  moins  comme  lettre  morte  la  décision  du 
Synode  diocésain.  A  riicurc  aclucllc,  le  diocèse  de  Nevers  ne  sui 
guère,  dans  son  ensemble,  l'Kdition  officielle. 

<(  .le  crois  savoir  que,  dans  ses  lettres  à  Mgr  l'Kvèque  de  Périgueux, 
Mgr  l'Evèque  de  Nevers  s'est  plaint  plusieurs  fois  des  menées  pothié- 
ristes. Finalement,  il  a  dû  être  débordé.  » 


190  l'avenir  de  la  musique  sackée 

ceux  de  la  France,  n'avait  répondu  à  l'appel  du  Saint-Père  ni 
voulu  prendre  part  à  rexocution  de  cette  entreprise. 

«  Ils  s'y  prenaieijt  donc  maladroitement  en  France,  ces 
nombreux  imprimeurs,  cette  foule  de  prêtres  séculiers  et 
réguliers,  ces  laïcs,  qui,  par  une  mesquine  rivalité  de  natio- 
naux (1),  se  sont  montrés,  au  Congrès  d'Arezzo  surtout,  les 
adversaires  de  l'édition  authentique  de  la  Congrégation  des 
Rites,  sous  le  prétexte  qu'ils  avaient  retrouve  le  vrai  chant 
de  S.  Grégoire  le  Grand  dans  les  archives  de  l'antiquité.  Au- 
jourd'hui encore  les  plaintes  des  récalcitrants  n'ont  pas  cessé  : 
pendant  le  mois  écoulé,  parut  à  Paris  une  brochure  écrite 
par  M.  A.  Super  et  attaquant  par  l'insulte  et  le  calomnie  la 
S.  G.  des  Rites.  Est-ce  faire  œuvre  de  catholicjue  que  d'agir 
ainsi?  La  rivalité  entre  partis  engendre  de  gi-ands  maux! 
Aussi  Votre  Grandeur  a-t-elle,  dans  son  Synoih;  de  Nevers, 
fourni  un  moyen  fort  ofticace  d'avoir  raison  du  mal,  en  décla- 
ranl  qu'en  témoignage  de  respect  filial  et  de  soumission  au 
Saint-Siège  on  supprimerait,  dans  l'église  cathédrale  de 
Nevers,  dans  les  séminaires  et  à  la  maîtrise,  les  livres  de  chant 
en  usage,  pour  les  remplacer  par  les  livres  imprimes  à  Ratis- 
bonne  sur  l'ordre  et  par  les  soins  de  la  (iongrégation  des 
Rites.  » 

Naturellement,  à  Nevers  (comme  on  l'a  fait  partout  en 
France  depuis  1883  et  comme  on  continue  à  le  faire)  on  mit 
en  circulation  le  bruit  que  Rome  reviendrait  sur  ses  déci- 
sions, se  désisterait,  rapporterait  ses  décrets,  etc.  Or,  en 
1893,  Mgr  l'Evêqucde  Nevers,  accomplissant  son  pèlerinage 
ciinomque  ad  limma  Apostoionwi,  traitait  spécialement,  dans 
son  lia /)po7-t  de  visite  fait  à  Sa  Sainteté,  cette  question  du 
chant  liturgique  ;  de  plus  il  en  entretenait  longuement  Son 
Em.  le  Cardinal  Masella,  préfet  de  la  S.  G.  des  Rites.  Et  le 
Cardinal  Préfet  le  félicitait  vivement  d'avoir  si  tôt  acquiescé 
aux  désirs  formels  du  Saint-Siège  et  l'assurait  que  l'autorité 
liturgique  n'annulerait  point  le  Décret  du  26  avril  1883;  qu'il 
n'y  avait  donc  pas  à  se  préoccuper  des  bruits  contradictoires 
semés  à  dessein  par  des  esprits  malintentionnés. 

Vers  la  même  époque,  Mgr  l'Evoque  de  Tournai  recevaitla 

1.  Au  moment  où  nous  écrivons  ces  lii^nes,  nous  recevons  d'un  reli- 
gieux élianger  une  lettre  dont  nous  croyons  bonde  signaler  le  pas- 
sage suivant  : 

«  J'ai  montré  les  numéros  8  et  9  de  votre  llevue  à  un  GonsuUeur  du 
Saint-Oi'ficc.  Il  s'est  réjoui  de  rencontrer  parmi  les  Français  des  liéfcn- 
seurs  énergiques  et  convaincus  du  principe  d'autorité.  Le  nationalisme , 
ajoutait-il,  c\U  rhércsic  de  la  France. 


1 


l'avenir  de  la  musiqul;  sacbée  191 

même  assurance,  en  réponse  à  des  menées  belges  de  même 
nature.  Mgr  Ponzi,  substitut  de  la  S.  G.  des  Rites,  eut  l'oc- 
casion de  lui  écrire:  «  Nous  ne  pouvons  qu'engager 
Mgr  l'fîvêque  à  maintenir  avec  fermeté  la  réforme  qu'il  a 
introduite  en  adoptant  le  chant  grégorien  d'après  l'édition  de 
Ratisbonne.  Qu'il  n'attache  pas  d'importance  à  ce  qui  a  pu 
se  faire  et  se  dire  à  Rome  à  l'occasion  du  centenaire  de  saint 
Gré^^,oire...  Le  Saint-Siège  demeurera  toujours  d'accord  avec 
ce  quil  a  établi  et  ne  se  démentira  jamais  lui-même.  » 
Pour  finir,   un    dernier  Confirmatur,  venu  de  Rome. 

Les  Solesmiens,  les  archéologues  renforcés,  les  admira- 
teurs passionnés  de  la  musique  palestrinionne  font  sans  cesse 
appel  au  Règlement  pour  la  musique  sacrée  édicté  par  la 
S.  Congrégation  des  Rites,  le6  juillet  189i.  Ils  n'ont  pas  assez 
d'éloges  pour  ce  Règlement,  ils  se  pâment  on  le  commentant, 
ils  ne  jurent  que  par  lui,  en  quoi,  du  reste,  ils  ont  raison, 
puisqu'il  nous  vient  de  Rome,  mèro  et  maîtresse  de  toutes  les 
Kglises. 

Ils  ont  le  tort  pourtant  —  soit  dit  par  parenthèses  —  de 
mépriser  absolument  le  Décret  de  1894.  Car  ce  Décret,  bien 
plus  important  que  le  Règlement,  a  été  publié  le  même  jour 
que  celui-ci  par  la  môme  Eglise  romaine  et  envoyé  en  même 
temps  à  tous  les  Evêques. 

Mais  passons,  et  revenons  à  notre  Règlement.  Comment  se 
fait-il  que  Messieurs  les  récalcitrants  ne  nous  aientjamais  cité 
le  numéro  deux  de  la  deuxième  partie  àx\  Règlement?  {Ins- 
tructions pour  encourager  V étude  de  la  musique  sacrée  et  pour 
en  empêcher  les  abus.)  W  est  pourtant  bien  suggestif  ce  petit 
numéro  deux!  Le  voici  :  «  2"  Les  Evoques  obligeront  leurs 
clercs  à  l'étude  du  plain -chant/*?/  qiion  le  trouve  spécialement 
dans  les  livres  approuvés  par  le  Saint-Siège.  » 

Il  est  clair,  d'après  les  renseignements  de  notre  §  III 
(v.  aussi  n"  de  septembre)  —  et  pour  n'être  point  fastidieux, 
nous  ne  citons  qu'une  faible  portion  de  ceux  que  nous  avons 
sous  la  main,  —  que  le  Saint-Siège,  après  avoir  affirmé  son 
droit  et  déterminé  le  but  à  atteindre,  maintient  son  droit  et 
poursuit  son  but  suivant  un  plan  sagement  tracé;  qu'il  reste 
constant  avec  lui-môme;  qu'il  ne  reviendra  pas  sur  ce  qu'il 
a  établi. 

1/œuvre  d'unification  pressentie  par  le  Concile  de  Trente, 
entreprise    par    Pie    V,  reprise    par  Pie  IX,  continuée  par 


192  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Léoa  XIll,  reste  telle  qu'elle  a  été  formulée  très  expressé- 
ment par  les  Décrets  de  1883  et  de  189i.  Elle  a  rencontré 
des  obstacles,  elle  en  rencontrera  d'autres  encore  :  malgré 
tout  elle  suit  son  chemin.  L'Eglise  prend  patience  et  attend 
que  de  stériles  expériences  suivies  d'amores  déceptions  aient 
instruit  ceux  qui  se  croient  plus  sages  qu'elle.  Mais  elle  aura 
le  dernier  mot. 

Tout  récemment,  un  éditeur  de  Paris  nous  affirmait  qu'en 
tel  diocèse  de  France  (que  nous  ne  désignerons  pas)  il  serait 
question  d'adopter  un  jour  venant  l'Edition  officielle.  Or, 
chers  lecteurs,  vous  serez  surpris  comme  nous  l'avons  été  si 
nous  vous  disons  qu'en  ce  diocèse  on  pratique  un  peu  par- 
tout la  très  archéologique  édition  de  Soles  mes.  Il  est  donc 
des  expériences  qui  instruisent. 

Le  temps  est  un  grand  maître  :  laissons  le  faire  son  œuvre. 
Des  jours  viendront  où  le  spectacle  de  la  pure  et  simple 
obéissance  devenue  plus  générale  nous  consolera  de  celui 
des  contradictions  et  des  luttes  présentes  auxquelles  tant 
d'hommes  de  valeur  usent  malheureusement  et  presque  en 
pure  perte  le  meilleur  de  leurs  forces  vives. 

••"      {A  suivre.)  A.  Gabekt. 


LE  RYTHME  DU  CHANT  LITURGIQUE 

{Suite) . 

II.  Quelle  était  la  nature  de  ce  rythme? 

11  est  incontestable  d'après  le  témoignage  des  Pères  du 
iv' siècle,  qu'au  moins  à  partir  de  cette  époque,  sans  remonter 
plus  haut,  le  rythme  était  pratiqué  dans  le  chant  ecclésias- 
tique et  que  môme  la  psalmodie,  qui  fut  toujours  le  chant 
le  plus  usuel,   n'en  était  pas  dépourvue. 

Mais  en  quoi  consistait  ce  rythme?  Faut-il  croire,  comme 
quehiues-uns  le  prétendent,  qu'il  n'était  autre  que  le  rythme 
de  la  parole,  ou  encore,  que  ce  rythme  était  hase  sur  l'accent 
tonique? 

Et  d'abord,  les  chants  de  la  liturgie  étant  pour  la  plupart 
composés  sur  des  textes  en  prose,  ils  ne  pouvaient  emprunter 
au  texte  un  rythme  que  celui-ci  ne  possédait  pas.  Et  pour  ce 
qui  est  de  l'accent,  les  auteurs  de  l'époque  nous  enseignent 
que  l'accent  consiste  dans  l'acuité  ou  la  gravité  des  sons,  ce 
qui  constitue  le  melos,  tandis  que  l'art  du  rythme   est   tout 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  193 

entier  dans  les  nombres,  înelos  autem  est  actiis  acuti  aut  gra- 
vions soni;  sed  rythmice  est  ars  omnis  in  numeris.  (Martianus 
Capella,  De  nuptiis  Philulogiœ,  1.  III  et  IX,  Ed.  Teubiier, 
pp.  65,  362,  363.) «  Le  rythme, continue  le  même  auteur, est 
donc  une  composition  formée  de  temps  sensibles  et  disposés 
suivant  une  certaine  proportion,  un  certain  ordre.»  (Loccit.) 

Saint  Augustin  dit  également  :  «  On  appelle  rythme  cette 
partie  de  la  musique  qui  s'occupe  de  la  longueur  et  de  la 
brièveté,  de  diu  et  non  diu,  c'est-à-dire,  comme  il  l'explique 
lui-même,  des  temps  longs  et  des  temps  brefs.  »  {De  musica, 
111,1;  I,  8.) 

Nous  ne  saurions  attacher  une  trop  grande  valeur  à  l'au- 
torité de  saint  Augustin  qui,  d'après  les  meilleurs  maîtres  et 
selon  l'avis  de  Bossuet,  est  le  génie  le  plus  universel  et  le 
plus  fécond  qu'aient  vu  les  siècles.  Saint  Augustin  ne  fut  pas 
seulement  un  grand évêque  et  un  profond  théologien;  c'était 
aussi  un  maître  habile  dans  toutes  les  sciences  de  son  temps, 
qu'il  avait  étudiées  dans  les  écoles  les  plus  célèbres  de  Car- 
thage  et  de  Rome,  avant  de  les  enseigner  lui-même  à  Milan, 
Il  avait  de  plus  un  attrait  tout  particulier  pour  la  musique, 
car,  en  dehors  du  traité  spécial  qu'il  y  a  consacré,  il  revient 
constamment  sur  ce  sujet,  dans  sa  correspondance,  dans  ses 
Confessions,  dans  son  Commentaire  sur  les  Psaumes  et  dans 
ses  divers  livres.  (V.  entre  autres :i)e  Trinitate,  de  Ordine, 
de  Origine  animai  humanae,  de  Doctrina  Christiana,  de  Civi- 
taie  Dei.)  11  ne  se  borne  pas  à  en  parler  d'une  manière  vague 
et  générale,  mais  il  entre  dans  des  détails  précis  et  décrit 
exactement  la  matière  et  la  forme  des  instruments  en  usage 
à  son  époque.  (Inps.  32,  42,  56,  80,  150.) 

Mais,  ce  qu'il  regarde  comme  le  plus  essentiel  dans  la  mu- 
sique, c'est  le  rythme,  d'accord  en  cela  avec  les  hommes  les 
plus  illustres  de  l'Antiquité  (V.  Plutarque,  De  musica,  21); 
et  dans  les  six  livres  qu'il  a  écrits  sur  la  musique,  il  ne  s'oc- 
cupe que  du  rythme,  bien  qu'il  eût  l'intention  de  composer 
plus  tard  six  autres  livres  sur  l'harmonique  ou  le  melos. 
(Ep.  101,  Memorio  episcopo.) 

Il  avait  commencé  ce  travail  à  Milan,  pendant  qu'il  se 
préparait  à  recevoir  le  baptême  et  quand  il  venait  à  peine  de 
quitter  sa  chaire  de  rhéteur,  ayant  eu  soin  de  consulter  ceux 
de  ses  amis  qui  s'occupaient  de  semblables  études.  {Retract. ^ 
I,  6.)  Cet  ouvrage  est  donc  le  reflet  de  la  science  musicale  de 
son  siècle;  il  est  d'ailleurs  pleinement  d'accord  avec  la  doc- 


194  l'aveniu  de  la  musique  sacrée 

trine  rythmique  des  autres  auteurs  contemporains  et  de  ses 
devanciers. 

Or,  quelle  idée  saint  Augustin  nous  donaet-il  du  rythme  ? 

«  Supposons,  dil-il  à  son  disciple,  à  la  fin  du  premier  livre, 
que  quelqu'un  frappe  des  mains  en  mesure,  îinmerose 
plaudat,  de  manière  à  ce  que  l'un  des  sons  battus  ait  la  du- 
rée d'un  temps  et  l'autre  celle  de  deux  temps,  ce  que  nous 
appelons  pied  ïambique,  et  que  l'on  continue  à  joindre  ainsi 
une  suite  de  pieds  semblables;  puis,  qu'une  personne  danse 
à  ce  son,  c'est-à-dire,  en  faisant  mouvoir  ses  membres  sui- 
vant les  mêmes  temps,  ne  pourrez-vous  pas  nommer  cette 
mesure  des  temps,  fnodulum  tempormn,  c'est-à-dire  ces  inter- 
valles de  mouvement  qui  alternent  dans  le  rapport  du  simple 
au  double ,  soit  dans  le  battement  des  mains  que  vous  en- 
tendez, soit  dans  cette  danse  que  vous  voyez;  ou  au  moins 
ne  serèz-vous  pas  charmé  par  cette  proportion  rythmique 
que  vous  sentez,  bien  que  vous  ne  puissiez  dire  de  quels 
nombres  est  formée  cette  mesure,  «m/  saltem  delecterU  nume- 
rositale  quam  sentias,  tametsi  non  possis  mnneros  ejusdimcn- 
Honis  edicere  ? 

A  quoi  le  disciple  répond  :  «  Ce  que  vous  dites  est  bien 
vrai:  car  ceux  qui  connaissent  ces  nombres  ou  rythmes 
les  perçoivent  dans  le  battement  des  mains  ou  dans  la  danse 
et  les  nomment  aisément;  ceux  qui  ne  les  connaissent  pas  et 
ne  peuvent  les  désigner  par  leur  nom,  ne  nient  pas  cepen- 
dant qu'ils  ne  leur  occasionnent  un  certain  plaisir. 

«  Eh  bien  !  conclut  le  Maître,  dissertons  avec  l'aide  de  la 
raison  sur  ces  intervalles  de  temps  qui  nous  charment  dans 
le  chant  et  dans  la  danse.  »  {De  Musica,  I,  13.)       'p^4^"" 

Telle  est  la  conclusion  du  premier  livre,  tel  est  le  but  dé- 
claré du  traité  De  Musica,  où  il  n'est  nulle  part  question  de 
rythme  de  la  parole  ou  de  rythme  basé  sur  l'accent.  Car,  dit 
plus  loin  saint  Augustin  :  «  C'est  cette  succession  de  pieds 
ayant  une  égale  durée  que  les  Grecs  appellent  rijt/une  et  les 
Latins  nombre.  Le  rythme,  c'est-à-dire  le  nombre,  est 
appelé  ainsi  parce  qu'il  se  déroule  dans  une  suite  de  pieds 
déterminés  et,  si  l'on  y  entremêle  des  pieds  dissonnants,  — 
ou  de  mesure  différente,  —  il  est  défectueux.  Illud pedibiis 
certis  provolvitur ,  peccatiirque  in  co  si  pedes  dissoni  mis- 
ceantur.  »  {Op.  cit. ,\ll,  1.) 

«  N'approuvez-vous  pas.  dit-il  encore,  que  l'on  mélange  les 
pieds,  tout  en  observant  l'égalité?  Ilhid  nonne  approbas  alias 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  195 

aliis  pcdes,  œqualitate  se.mata,  esse  miscendos?  Qu'y  a-t-il  de 
plus  agréable  à  l'oreille  que  cette  variété  dont  elle  est  char- 
mée, pourvu  que  l'égalité  ne  soit  pas  violée?  —  Je  l'approuve 
assez,  répond  le  disciple.  —  Eh  bien!  les  pieds  de  même 
mesure  ne  sont-ils  pas  ceux  qui  occupent  le  même  espace  de 
temps?  — C'est  très  vrai.  —  Quand  donc  vous  trouverez 
des  pieds  qui  ont  le  même  nombre  de  temps,  vous  pourrez 
les  associer  sans  blesser  l'oreille.  Quos  ergo  inveneris  pedes 
totidem  temporiim,  sine  auriiim  offensionè  contexes  (II,  9.) 
Ainsi,  l'on  peut  mêler  avec  raison  le  dactyle,  l'anapeste  et  le 
spondée  ;  car  non  seulement  ils  sont  égaux  par  le  nombre  de 
temps,  mais  encore  par  la  manière  de  les  battre  ;  puisque, 
dans  tous  ces  pieds,  le  levé  a  la  même  durée  que  le  frappé.  » 
(11,11.) 

Dans  le  sixième  livre,  saint  Augustin  revient  encore  sur  ce 
principe  d'égalité  qui  est  essentiel  au  rythme. 

«  Puisque  la  raison,  dit-il,  trouve  sa  jouissance  à  évaluer 
la  durée  desiGm\)s, temjmrummomenta,et  à  combiner  les  nom- 
bres à  son  gré,  qu'est-ce  qui  nous  délecte  dans  cette  propor- 
tion perçue  par  les  sens?  Est-ce  autre  chose  qu'une  certaine 
similitude  et  l'égalité  de  la  mesure  dans  les  intervalles, cv?^z/a- 
iiter dimensainiervalia?he  pyrrhique,le  spondée,  l'anapeste, 
le  double  spondée  nous  charmeraient-ils,  si  ces  pieds  ne  se 
divisaient  pas  en  deux  sections  égales?  Quelle  beauté  y  aurait- 
il  dans  l'ïambe,  le  trochée,  le  tribraque,  si  la  partie  la  plus 
petite  du  pied  ne  divisait  pas  la  plus  grande  en  deux  parties 
d'égale  dimension?  Et  pourquoi  les  pieds  de  six  temps  ont-ils 
plus  de  grâce  et  de  douceur,  si  ce  n'est  parce  qu'ils  peuvent 
se  diviser  de  deux  façons,  soit  en  deux  parties  égales,  ayant 
chacune  trois  temps,  soit  en  deux  sections  qui  offrent  entre 
elles  le  rapport  de  simple  à  double,  dont  la  plus  grande  con- 
tient deux  fois  la  plus  petite  et  se  trouve  divisée  par  elle  en 
deux  fractions  égales? 

«  Et  dans  l'assemblage  des  pieds,  soit  que  cette  succession 
se  poursuive  librement  à  l'infini,  comme  dans  les  rythmes, 
soit  qu'elle  ait  une  limite  déterminée  comme  dans  les 
mètres,  soiljqu'elle  les  divise  en  deux  membres  qui  concordent 
d'après  une  certaine  règle,  comme  dans  les  vers,  est-ce  au- 
trement que  par  l'égalité  que  le  pied  peut  s'associer  avec  le 
pied,  qua  quadam  alla  rc,  nisi  Mqualiiate,  pes  pedi  amicus 
esl!  »  (VI,  10.) 

«  Si  maintenant  nous  élevons  nos  regards  plus  haut,  n'y 


196  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

trouvons-nous  pas  l'égalité  suprême,  inébranlable, immuable, 
éternelle?  Le  temps  ne  s'y  trouve  pas,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de 
changement;  mais  Dieu  façonne,  ordonne  et  modifie  les 
temps  à  l'image  de  l'éternité.  C'est  sur  ce  modèle  qu'il  règle 
les  mouvements  du  ciel  et  des  corps  célestes,  assujettissant 
les  jours,  les  mois,  les  années,  les  lustres  et  toutes  les  révo- 
lutions des  astres  aux  lois  de  l'égalité,  de  l'unité  et  de 
Tordre.  »(YI,  H.) 

Dans  son  traité  De  l'Ordre,  saint  Augustin  n'enseigne  pas 
une  doctrine  différente.  «  La  raison,  dit-il,  s'aperçut  que  les 
sons  ne  lui  offraient  qu'une  matière  sans  valeur,  à  moins 
qu'ils  ne  fussent  informés  par  la  mesure  certaine  des  temps  et 
une  sage  alternative  d'acuité  et  de  gravité  :  Nisi  certa  dimcn- 
sioîie  temporum,et  acuminis  gravitatisquemodérata  varie tate 
soni  fîgurarentiir.  Elle  reconnut  que  cela  se  trouvait  en 
germe  dans  la  grammaire,  où,  en  examinant  les  syllabes 
avec  une  attention  soigneuse,  elle  avait  appelé  pieds  et 
accents  les  modifications  du  son.  Et  comme  il  était  facile 
d'observer  que  les  syllabes  brèves  et  les  syllabes  longues 
étaient  répandues  dans  le  discours  d'une  manière  à  peu  près 
égale,  elle  essaya  de  réunir  et  d'arranger  ces  pieds  avec 
ordre  ;  et  d'abord,  guidée  par  le  sentiment,  elle  forma  de  pe- 
tites sections  qu'elle  appela  césures  et  membres.  Et  pour  que 
les  pieds  ne  courussent  pas  au  delà  de  ce  qu'elle  pouvait 
juger,  elle  fixa  une  limite  après  laquelle  ils  reviendraient, 
rcverterentur  :  ce  fut  l'origine  du  mot  vers.  Quand  les  pieds 
n'avaientpas  de  limite  déterminée  et  qu'ils  se  suivaient  cepen- 
dant dans  un  ordre  rationnel,  elle  nomma  cet  arrangement 
rythme,  ce  qui  n'est  autre  chose  que  ce  que  nous  appelons 
nombre  en  latin. 

«  La  raison  comprit  que  les  nombres  régnaient  sur  le 
rythme  et  sur  la  modulation  et  leur  donnait  toute  leur  per- 
fection; elle  étudia  leur  nature  avec  le  plus  grand  soin  et 
reconnut  qu'ils  étaient  divins  et  éternels,  principalement 
parce  que  c'est  avec  leur  aide  que  toutes  les  choses  célestes 
avaient  été  disposées,  »  {Deordine,  lib.  Il,  cap.  14.) 

On  remarquera  que  saint  Augustin  se  garde  bien  de  con- 
fondre les  deux  parties  constitutives  de  la  musique.  Il  di.s- 
tingue  d'une  part  les  accents,  qui  consistent  dans  l'acuité  ou 
la  i^ravité  du  son  et  donnent  naissance  au  melos,  de  l'autre 
\es pieds,  ou  mesure  certaine  du  temps,  ([ui  sont  les  éléments 
du  ri/thmc.  Dans  tout  cela,  il  n'est  fait  aucune  allusion  au 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  197 

rythme  libre  ou  rythme  de  la  parole,  que  saint  Augustin 
n'aurait  pas  manqué  de  mentionner,  s'il  avait  été  alors  en 
usage  dans  le  chant  de  l'Eglise,  ce  chant  dont  la  douceur  et 
la  suavité  avaient  fait  tant  de  fois  couler  ses  larmes  et  qu'il  se 
reprochait  plus  tard  d'avoir  écouté  avec  un  plaisir  trop 
sensible. 

Citant  une  hymne  de  saint  Ambroise,  Deus  creator  omnium^ 
dont  les  vers,  dit-il,  sont  formes  de  quatre  ïambes  et  renfer- 
ment douze  temps,  il  ajoute  :  «  Qaand  on  chante  ces  vers, 
l'oreille  en  perçoit  le  rythme,  la  mémoire  le  reconnaît,  la 
voix  en  marque  le  mouvement  et  le  sens  intime  se  délecte.  » 
{De  musica,  VI,  2-9.) 

Et  qu'on  ne  dise  pas  que  cette  doctrine  ne  peut  s'appliquer 
qu'à  la  poésie  ou  au  chant  métrique,  car,  dans  les  passages 
que  nous  avons  cités,  saint  Augustin  a  bien  soin  de  marquer 
la  différence  entre  le  rythme  et  le  mètre  :  «  Toute  succession 
légitime  de  pieds  est  rythmique,  dit-il  ;  mais  autre  chose  est 
d'associer  des  pieds  qui  concordent, sans  fixer  aucun  terme  à 
leur  évolution,  et  c'est  là  le  rythme  ;  autre  chose  est  de 
joindre  à  cette  concordance  des  pieds  une  limite  déterminée 
d'où  ils  ne  peuvent  s'écarter,  ce  qui  ne  convient  qu'au  mètre. 
C'est  pourquoi  tout  mètre  est  en  même  temps  rythme,  mais 
tout  rythme  n'est  pas  mètre.  »  (V,  1  ;  III,  1.) 

Pour  saint  Augustin,  l'objet  du  rythme  est  donc  la  mesure 
certaine  dos  temps  ;  mais  une  succession  de  temps  ne  peut 
être  rythmique  qu'autant  que  les  durées  longues  et  brèves 
offrent  entre  elles  une  proportion  déterminée  et  forment  une 
suite  d'intervalles  égaux.  Cette  doctrine  est,  comme  nous 
l'avons  déjà  vu,  celle  de  tous  lesrythmiciens  de  l'antiquité  et 
nous  verrons  plus  tard  qu'elle  est  aussi  celle  des  théoriciens 
du  moyen  âge. 

{A  suiv?'e.)  J.  Dupoux. 

LE  NEUME-TEMPS  RYTHMIQUE 
DEVANT  LA  CRITIQUE 

{2'  article)  (1), 

Le  principe  ainsi  déduit  et  alTirmé  n'est-il  pas  trop  absolu? 

On  l'a  dit,  on  le  dit  encore,  faute,  ce  semble,  d'avoir  sufli- 
sammeiit  réllcchi  aux  conséquences  de  la  plupart  des  raisons 
énoncées  dans  mes  précédentes  |)ublications. 

1.  Voir  1"'  article,  ii°  8,  p.  128. 


198  l'avkmr  de  la  musique  sacrée 

Résumons-les  encore  sans  nous  lasser.  Lira  qui  voudra. 

On  objecte  que  si,  d'une  part,  le  principe  est  admissible 
pour  les  neumes  représentant  un  mouvement  mélodique  de 
deux  ou  de  trois  sons  (1);  d'autre  part,  il  est  sujet  à  discus- 
sion —  on  dit  môme  :  inadmissible  —  1°  lorsque  le  signe 
neumatique  représente  un  soûl  son  (tel  que  la  virga  ou  le 
piinclum  exprimant  une  seule  syllabe  littéraire)  ;  et  2°  lorsque 
le  signe  neumatique  représente  4  sons  et  plus  (4,  5,  6,  7, 
8  sons,  on  le  sait). 

Nous  laisserons  de  côté  ce  2",  nous  réservant  d'y  revenir 
plus  tard. 

Elucidons  le  premier  point  en  litige  : 

Question  :  Le  signe  neumatique  —  virga  ou  punctum  — 
repré sentant  un  seul  son  doit-il  être  regardé  comme  une  unité 
rythmique  équivalant  à  un  temps  musical  moderne,  au  même 
titre  que  tout  signe  neumatique  représentant  plusieurs  sons 
adjoints  en  une  seule  formule — podatus,  clivis,torculus,etç,? 
En  d'autres  termes  encore  :  Doit-on  toujours  traduircpar  une 
noire  de  notre  notation  moderne  toute  virga  ou  tout  purictum 
isolé  et  placé  sur  une  syllabe  littéraire,  la  noire  étant  prise 
comme  type  graphique  représentant  l'unité  rythmique  de  nos 
traductions  ? 

Nous  avons  un  ensemble  do  raisons  majeures  à  invoquer 
pour  appuyer  notre  réponse  affirmative  :  Oui,  le  signe  neu- 
matique en  question  représente  une  unité  rythmique. 

Ces  raisons  peuvent  s'énoncer  sous  deux  chefs  distincts. 

I 

Les  premières  nous  sont  suggérées  par  les  textes  théori- 
ques de  l'antiquité  et  par  les  commentaires  des  traducteurs 
modernes. 

4°  Au  plus  loin  que  nous  remontions,  nous  trouvons  dans 
le  système  musical  l'emploi  de  la  note  longue  de  2,  de  3,  de 
4  temps  brefs  —  acception  ancienne  —  égalant  à  elle  seule 
la  durée  totale  d'un  pied  rythmique  d'un  genre  donné. 

Donc  le  fait  est  possible.  Je  vais  même  plus  loin,  en  ajou- 
tant qu'il  est  inévitable,  attendu  que  la  variété  dans  la  mu- 
sique naît  S|)écialement  des  imprévus  rythmiques  (2),  et  que 

1.  Pourquoi  c(Mix-là  seuls,  on  sciait  en  ])('inc  de  les  déinonlrcr  ! 

2.  Il  n'e.st  nullement  question  de  déformulion  du  ryliimo  établi, 
laquelle  n'est  lolérablc  (lu'accidentellement.  Tel  est  le  cas  des  mesures 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  199 

l'impression  rythmique  est  impossible  à  produire  si  l'on  n'a 
h  sa  disposition  que  deux  sortes  de  valeurs  :  la  noire  {longue) 
et  la  croche  {brève). 

Notre  temps  musical  moderne  étant  l'équivalent  d'un  pied 
rythmique  ancien  (1)  la  longue  antique  est,  à  son  tour  —  quel 
que  soit  le  nombre  de  temps  brefs  anciens  qu'elle  représente 
momentanément  — ,  l'équivalent  de  notre  unité  rythmique 
moderne  représentée  par  unenozVe,  ai-je  dit  précédemment. 
2°  C'est  Guy  d'Arezzo  qui  spécifie  le  fait  non  plus  comme 
possible  mais  comme  existant  fondamentalement  :  «  Unus, 
duo,  très  sorti  aptantur  in  syllabas...  » 

3°  C'est  S.  Odon  de  Cluny  le  spécifiant  de  son  côté  :  «  Sicut 
duds  aut  très...  voces,  ita  quoque..    sola  vox...  » 

4°  C'est  tout  l'enseignement  du  moyen  âge  qui  nous  rap- 
pelle l'existence  de  ces  notes  longues  de  valeur  différente 
selon  le  genre  rythmique  de  l'œuvre. 

5°  C'est  enfin  notre  système  musical  moderne,  suite  logique 
et  nécessaire  de  tout  l'enseignement  antérieur,  qui  non  seule- 
ment emploie  Vunité-temps,  mais  crée  toute  la  classification 
des  unités  doubles,  triples,  quadruples  ^(blanches,  blanches 
pointées,  rondes)  en  mettant  debout  le  plus  parfait  système 
d'écriture  musicale  qu'aucun  peuple  ait  jamais  imaginé. 

L'existence  de  cette  note  longue,  unité  rythmique  théo- 
rique, est  donc  démontrée  par  son  existence  même  comme 
l'unité-temps  moderne  ou  l'unité-pied  ancienne  le  sont,  cha- 
cune de  son  côté,  parleur  existence  de  toute  antiquité. 

Et,  de  même  que  le  fait  de  l'existence  de  l'unité  rythmique 
représentée  par  une  note  isolée  était  inévitable,  de  [même, 
comme  contre-partie,  j'ajoute  qu'un  système  musical  ne  con- 
naissant pas  l'emploi  de  cette  sorte  d'unité-temps  ne  peut  pas 
exister  humainement  parlant:  point  de  vue  physiologique  qui 
a  bien  sa  valeur  propre  au  moins  égale  à  celle  que  l'on  prétend 
faire  reconnaître  à  tel  ou  tel  texte  obscur  d'un  théoricien  du 
moyen  âge. 

Nier  la  possibilité  d'existence  de  la  note  isolée  égalant 
l'unité  rythmique,  c'est  décréter /^ro/jrîo  motu  que  toutes  les 
notes  sont  brèves  dans  le  chant  grégorien.  Mais  on  le  décrète 
sans  s'apercevoir  qu'on  se  heurte  à  un  écueil  insurmontable, 
musicalement  parlant,  savoir  :  que  des  notes  brèves  succès- 
intercalaires  composées  d'un  nombre  de  temps  différent  de  celui  qui 
sert  de  base  rythmique  à  l'œuvre  envisagée, 
1.  V.  notre  précédent  article,  n»  8,  p.  128,  de  cette  revue. 


200  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

sives  sont,  une  à  une,  des  fragments  d'un  pied  rythmique,  et 
c'est  là  que  nous  attendons  les  critiques  de  nos  systèmes  de 
traduction.  Comment,  ot  d'après  quelles  indications  certaines 
grouperont-ils  ces  fragments  en  des  touls  certains,  i.  e.,  des 
pieds  rythmiques  délinis?  Gomment,  par  conséquent,  osera- 
t-on  soutenir  —  comme  certaine  école  — que  toutes  les  notes 
sont  brèves  sauf  la  dernière  de  chaque  formule  neumatique, 
alors  que,  d'après  l'application  de  cette  théorie,  il  n'y  a  plus 
de  rythme  musical saisissable,  mais  une  guirlande  dénotes 
ânonnées  avec  une  préciosité  prétentieuse  ! 


II 

'*ïja  seconde  raison  majeure  à  invoquer  est  tirée  de  l'étude 
de  la  notation  elle- même  et  du  mode  d'emploi  de  cette  valeur- 
temps  sur  le  texte  qu'elle  exprime. 

Laissant  de  côté  les  théoriciens  de  l'antiquité  dont  le 
témoignage  serait  nul  en  ce  moment,  nous  demanderons  à 
ceux  du  moyen  âge  si,  dans  le  système  musical  qu'ils  ensei- 
gnèrent et  dont  ils  écrivirent  la  théorie,  les  virga  et  piinc- 
^^^m  exprimant  une  syllabe  littéraire,  comme  nous  le  voyons 
dans  le  verset  :  Qici  Régis,  du  Graduel  :  Hodie  Scietis  (1),  sur 
les  mots  :  dediicis  valut  ouem.., et  dans  bien  d'autres  passages, 
si,  dis-je,  ces  virga  ou  punctum  étaient  représentatifs  de 
sons  longs  ou  de  sons  brefs,  d'une  brièveté  ou  d'une  longueur 
certaine  et  déterminée  soit  par  la  quantité  prosodique,  soit 
par  le  poids  des  syllabes  littéraires  ainsi  exprimées  musica- 
lement. 

La  réponse  (en  est-ce  une?)  est  le  silence  absolu. 

Je  ne  connais  aucun  texte  d'aucun  auteur  nous  donnant  la 
règle  à  suivre  à  ce  sujet.  Mon  ignorance  possible  d'un  texte 
peut-être  existant  n'étant  pas  une  preuve  en  faveur  de 
l'inexistence  de  ce  texte  réclamé,  je  demande  à  tous  ceux  qui 
affirment  que  telle  virga  est  longue,  telle  autre  brève  (parce 
qu'il  leur  plaît  le  plus  souvent  de  les  chanter  ainsi),  do  pro- 
duire à  l'appui  de  leur  impression  personnelle  la  preuve 
écrite  que  je  reconnais  ignorer. 

Leur  citation,  leur  preuve  contraire  par  conséquent,  sera 
la  bienvenue,  puisque,  en  élucidant  un  point  capital  encore 
douteux  pour  eux-mêmes,  j'en  ai  la  conviction,  elle  nous  per- 

1.  InVigiliaNativitatis  Domini. 


l'avenir  de  la  mu^'Ioue  sacrée  201 

mettra  d'approcher  plus  pr^s  du  but  chcT'.hé:  le  vrairylhmc 
du  chant  grégorien. 

Jusqu'à  plus  ample  informé,  je  m'en  tiens  à  ma  conclusion 
comme  à  un  fnit  acquis  (1)  :  Toute  virga,  tout  punctum  expri- 
mant une  seule  syllabe  littéraire  (tels  que  les  punctum  sur 
deducis  vehit  ovcm  ci-dessus  rappelé)  représentent  l'un 
comme  l'autre  une  unité  rythmique  moderne  que  nous  tra- 
duisons, à  notre  tour,  par  une  noire  denotre  notation  usuelle. 

Et  ce,  1"  parce  que  les  cinq  faits  théoriques  remémorés 
(paragraphe  I  de  cet  article)  plaident  en  faveur  de  ladite  in- 
terprétation rythmique  ;  2°  parce  que  l'étude  la  plus  superfi- 
cielle du  texte  liturgique  surmonté  de  la  notation  neumatique 
montre  aux  yeux  les  moins  clairvoyants  que  ces  unités  neu- 
mées  sont  placées  sur  toutes  espèces  de  syllabes  accentuées  ou 
non  accentuées ;3°  parce  que, contre  toute  attente, c'est-à-dire 
dans  l'ail  ente  du  texte  que  je  réclame,  respectueusement 
mais  formellement,  de  nos  contradicteurs,  pltsieurs  syllabes 
Li ITÉRA  1RES  SUCCESSIVES  (telles  :  6/er/z<i:zs  velu/  ovcm  ou  toutes 
autres  formant  passage  similaire)  exprimées  une  a  une  par  des 

PUNCTUM  ou  DES   VIRGA,     SE  SOUDERAIENT-ELLES    ENTRE  ELLES    POUR 

FORMER  DES  PIEDS  RYTHMIQUES  DÉFINIS,  qu'il  faudrait  trouvcr  un 
nouveau  texte  nous  donnant  la  règle  à  suivre,  claire  et  pré- 
cise, présidant  à  ces  assemblages. 

Or,  en  présence  de  cette  pénurie  de  textes  probants,  quel 
est  celui  de  nos  modernes  commentateurs  ou  restaurateurs 
(lu  chant  anti({ue  qui  osera  prendre  sur  soi  de  décréter  qu'on 
suivait  telle  règle  plutôt  que  telle  autre  (2)  ? 

Néanmoins  une  hypothèse  assez  digne  d'être  prise  en  con- 
sidération peut  être  proposées  notre  méditation. 

Ces  passages  étant  très  rares  en  somme  dans  le  Liber  Gra- 
diialis,  ne  peut-on  supposer  qu'il  yavait  en  quelque  sorte  un 
arrêt  du  rythme  musical  au  début  du  passage  ainsi  noté,  et 

1.  Sans  exagération  je  crois  pouvoir  dire  que  j'ai  posé  ces  questions- 
là  cà  une  centaine  des  plus  exigeants  parmi  mes  correspondints,  et  je 
dois  dire  que  pas  vne  réponse  documentée  ne  m'est  parvenue.  Tous  pro- 
clament la  liberté  dans  l'intorprétation  rythmique  de  la  notation  neu- 
matique, mais  aui^un  n'a  la  moindre  raison  scientiPKiue  à  en  apporter! 
C'est  une  question  d'iyisdnct,  telle  est  la  réponse  la  plus  fréquente. 

2.  J'ai  sous  les  yeux  une  lettre  d'un  de  ces  commentateurs,  réputé 
qui  plus  est,  dans  laquelle  il  est  dit  que  l'on  suivait  son  instinct  per- 
aonnell!  Toujours  l'instinct.  J'éprouve,  je  dois  l'avouer,  un  certain 
scepticisme  à  cet  égard  et  ne  puis  m'imaginer  deux  ou  dix  choristes 
suivant  chacun  son  instinct  et  chantant  la  mkjie  mélodie! 


202  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

simple  débit  recitativo  des  quelques  syllabes  ou  mots  ainsi 
exprimés  musicalement?  débit  selon  le  rythme  oratoire, 
dirions  nous  pour  employer  le  terme  à  la  mode. 

Le  fait  est  possible  et  même  à  peu  près  certain.  Il  est 
malaisé,  en  effet,  de  ne  pas  se  laisser  aller  au  rythme  oratoire 
de  ces  fragments  lorsqu'on  les  chante  mezza  voce  ;  mais  cela 
infirme-t-il  notre  principe  du  neume-temps?  Nullement  :  ce 
sont  toujours  des  unités  rythmiques  successives  parfaitement 
déUnies  comme  le  sont  nos  temps  modernes  dans  nos  réci- 
tatifs lyriques  ;  le  rythme  est  sur  le  papier,  il  est  également 
dans  les  inllcxions  de  la  voix  du  chanteur,  et  néanmoins  ce 
ryliime  n'est  pas  métronomique,  rigoureux,  comme  dans 
le  reste  de  l'œuvre.  C'est  toute  la  concession  que  l'on  peut 
faire  sur  ce  sujet.  Je  l'avais  déjà  fait  toucher  du  doigt 
maintes  fois  dans  tout  ce  que  j'ai  écrit  jusqu'à  ce  jour.  11  ne 
paraît  pas  qu'on  m'ait  lu  bien  sérieusement  et  encore  moins 
qu'on  ait  réfléchi  mûrement  à  toutes  ces  choses  qui  sont  du 
domaine  de  la  théorie  musicale. 

Cela  viendra  avec  le  temps. 

G.    HOUDARD. 

P. -S.  —  Dans  notre  prochain  article  nous  examinerons  le 
2°  réservé  ainsi  qu'il  est  dit  au  début  de  cette  étude  ;  Tout 
neumo  reprhrntant  plusieurs  sons  {de.  4  à  8)  cst-il  la  représen- 
tation d'une  seule  imité  rythmique? 

(..  II. 


ASSEMBLEE  GENERALE 

de  la  Société  Sainte- Cécile  d'Allemagne. 

A  MUNSTER  (21,  22  et  23  août  1809). 

Monsieur  le  Directeur, 

J(>  suis  heur*  u\  do  voir  avec  quelle  ardeur  vous  déicmle/ 
l'autorité  du  Saint-Siège  eu  matière  de  chant  sacré.  Ce  m'est 
un  encouragement  à  vous  faire  part  de  la  bonne  impression 
qucj'ai  éprouvée  à  l'Assemblée  générale  de  la  Société  Sainte- 
Cécile  d'Allemagne,  qui  a  eu  lieu  cette  année  à  Miinster  en 
AVeslphalic,  les  21 ,  22  et  23  août. 

Toute  question  de  nationalité  mise  de  côté,  nous  n'avons  à 
nous  occuper  ici  qucdes  exemples  de  parfaite  soumission  que 
donnent  dos  catholiques  à  d'autres  catholiques,  en  une 
matière  qui  intéresse  à  un  si  haut  point  le  culte  public. 

Le  programme, des  plus  rem])lis,a  été  suivi  très  fidèlement. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  203 

Il  comprenait  du  plain-chant,  de  la  musique  polyphone  et 
des  chants  populaires,  le  tout  exécuté  très  artistiquement  et 
dans  la  plus  parfaite  conformité  avec  les  règles  liturgiques. 
Munster,  chef-lieu  de  la  Westphalie,  est  une  ancienne  ville 
qui  a  toujours  conservé  ses  traditions  religieuses.  Il  y  a  tou- 
jours eu  à  Miinster  d'excellentes  maîtrises  se  transmettant 
d'âge  en  âge  la  bonne  manière  d'exécuter  le  chant  d'église. 
Ce  n'est  donc  point  ici  que  peut  valoir  le  reproche  d'avoir 
perdu  les  traditions  des  anciens. 

Pendant  les  trois  jours  qu'a  duré  l'Assemblée,  \e?<  quatre- 
vingts  chanteurs  qui  forment  la  maîtrise  de  la  cathédrale  ont 
chanté  le  plain-chant  avec  un  ensemble  admirable,  d'après 
l'Edition  officielle  et  avec  laprononcialion  romaine. 

Combien  j'aurais  voulu  voir  présents  à  cette  assemblée  tous 
ceux  qui  dénigrent  cette  édition,  plus  peut-être  par  ignorance 
que  par  parti  pris!  Sûrement  ils  n'auraient  pu  s'empêcher 
d'admirer  la  netteté,  le  naturel  dans  l'expression,  la  dignité 
aveclaquelle  ce  plain-chant  a  été  exécuté.  Ces  quatre-vingts 
voix  semblaient  n'en  faire  qu'une.  Chaque  syllabe  était  arti- 
culée avec  nerf  et  précision,  de  façon  à  être  comprise  partout 
dans  la  cathédrale.  On  distinguait  chaque  mot  par  le  relief 
que  lui  donnait  la  syllabe  accentuée.  Habitués  que  nous 
sommes  à  entendre  chanter  mollement,  sans  rythme,  le  plain- 
chant,  peut-être  ceux  qui  se  tenaient  auprès  du  chœur  au- 
raient-ils été  tentés  de  trouver  exagérée  la  manière  de  rendre 
les  podatus.  Mais  il  est  nécessaire  d'articulerplus  vigoureuse- 
ment dans  les  grands  vaisseaux,  si  l'on  veut  se  faire  com- 
])rendre  :  les  prédicateurs  en  savent  quelque  chose. 

Le  directeur,  Mgr  Schmidt,  qui  paraissait  avoir  tous  ses 
chanteurs  dans  la  main,  tant  ils  suivaient  bien  ses  moindres 
mouvements,  savait  imprimer  également  à  chaque  membre 
de  phrase,  à  chaque  phrase  elle-même,  l'allure  et  la  nuance 
convenables,  tantôt  ralentir,  tantôt  accélérer,  tantôt  faire 
chanter  moins  fort,  tantôt  plus  fort,  selon  que  le  sens  le  com- 
portait. Combien,  dans  cette  Edition  officielle,  le  chant  faci- 
lita la  déclamation  du  texte,  et  combien  le  tout,  paroles  et 
musique,  est  également  proportionné!  Et  dire  que  c'est  sous 
prétexte  d'art  que  certaines  gens  se  refusent  à  accepter  cette 
édition  qui  compléterait  si  heureusement  l'unité  du  culte  pu- 
blic défendue  naguère  avec  tant  d'ardeur  par  Dom  Guéran- 
ger.  Devant  tout  esprit  non  prévenu,  on  peut  affirmer  qu'elle 
vaut  toutes  les  autres  et  qu'elle  l'emporte  sur  beaucoup  d'au- 
tres. D'ailleurs  Rome  s'est  prononcée,  et  «  tout  ce  que  fait 
Rome  est  bien  »,  disait  Dom  Guéranger. 

Quant  à  la  méthode  générale  d'exécution  pratiquée  pour  le 
plain-chant  à  Munster,  à  Ratisbonne  et  dans  beaucoup  d'au- 


204  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

très  lieux,  je  dirai  en  toute  simplicité  que  je  la  préfère  à  celle 
qu'on  s'elVorce  de  généraliser  en  France  depuis  quinze  ou 
vingt  ans.  La  première  est  plus  positive,  plus  virile,  plus  na- 
turelle. L'autre  paraît  trop  rapide,  artistique  si  l'on  veut, 
mais  au  point  d'en  être  artificieuse,  maniérée. 

11  serait  à  désirer  que  partout  on  adoptât  la  même  pronoiï^ 
ciation  du  latin.  La  prononciation  romaine  donne  une  expres- 
sion plus  douce,  plus  distinguée.  Il  n'y  a  point  là  difficulté  à 
vaincre,  mais  plutôt  habitude  à  prendre  :  il  suffit  de  vouloir 
et  de  persévérer.  Déjà  en  plusieurs  villes  de  France,  voire 
même  en  de  simples  communes  rurales,  celte  prononciation 
est  en  usage. 

L'exécution  de  la  musique  polyphone  a  été  superbe  :  c'est 
à  décourager  d'atteindre  jamais  une  telle  perfection.  L'ex- 
pression, les  attaques  successives,  les  syncopes,  tout  a  été 
rendu  avec  assurance,  sans  hésitations  aucunes.  Ces  cliers 
$()pranil  ils  paraissaient  a^'oir  du  plaisir  à  se  jouer  des  diffi- 
cultés. La  justesse  et  le  maintien  de  la  tonalité  étaient  impec- 
cables, dans  des  chants  la  plupart  a  capclla.  Et  le  troisième 
jour  les  voix  étaient  aussi  iraîches  que  te  premier. 

Je  n'oublierai  jamais  l'impression  produite  sur  l'Assem- 
blée parmi  Salve  Begina  de  Roland  de  Lassus,  surtout  aux 
mots  in  Jiac  lacrymarum  valle  :  cachet  de  tristesse  et  d'alfais- 
scment  successifs.  Toutes  les  poitrines  étaient  comme  hale- 
tantes, oppressées  par  le  spectacle  de  la  misère  et  de  l'an- 
goisse. 

Non,  on  ne  peut  dire  que  ces  chefs-d'œuvre  de  Palestrina. 
Vittoria,  etc.,  composés  il  y  a  trois  cents  ans,  ne  soient  plus 
de  notre  temps.  Ils  participent  pour  ainsi  dire  à  la  calholi- 
cilô  du  plain- chant.  Celui  qui  a  écrit  dans  une  Sema'mp  rdi- 
gieufiP.,  le  9  septembre  dernier, que Palestrina  n'est  pas  l'idéal, 
que  ceux  qui  l'imitent  au  xix'  siècle  ne  sont  pas  intéressants 
du  tout,  n'a  certainement  pas  assisté  à  l'Assemblée  de  Mims- 
ter  ni  à  d'autres  semblables.Ily  aurait  pu  constater  que  Pales- 
trina, Roland  de  Lassus  et  Vittoria  ne  nous  sont  point  aussi 
étrangers,  même  aujourd'hui,  qu'il  lui  a  plu  do  le  dire,  et  que 
les  F.  Witt,  les  Ilaller,  les  Milterer,  qui  en  suivent  les  glo- 
rieuses traces  avec  leur  génie  propre,  se  laissent  encore  très 
bien  entendre  et  admirer  après  leurs  maîtres. 

Mais  n'oublions  pas  une  condition  essentielle  :  il  faut  être 
capable  de  les  exécuter;  sinon,  dit  le  Règlement  de  la  S.  C. 
des  Rites,  il  sera  préférable  de  s'en  tenir  au  plain  chant. 

Sans  expression,  sans  rythme,  sans  fini  d'exécution,  la 
musicpie  polyphone,  môme  de  Palestrina,  est  une  véritable 
cacophonie.  Mais  quand  elle  est  pratiquée  A^v).ç,toutPs  les  con- 
ditions artistiques  voulues,  combien  alors  toutes  les  parties 


l'avenir  de  la  musique  sacréic  205 

se  font  entendre  clairement,  se  détachent  les  unes  des  autres 
et  concourent  au  principe  d'art  :  l'unité  dans  la  variété!  C'est 
alors  seulement  que  cette  musii|ue  devient  très  digne  du 
culte,  selon  l'expression  du  Règlement  précité,  adressé  en 
ces  dernières  années  de  noire  siècle  aux  Evêques  d'Italie,  et 
que  semble  ignorer  l'auteur  de  l'article  delà  susdite  Semaine 
religieuse. 

Qu'on  ne  vienne  pas  dire  qu'il  y  a  là  une  question  de  tem- 
pérament national.  Sans  doute  la  préparation  et  l'éducation 
sont  nécessaires  en  art  comme  en  toute  autre  chose.  Mais 
n'a-t-on  pas  comme  un  résumé  de  tous  les  pays  dans  lesformes 
d'art  cht-rcs  aux  Palestrina,  Roland  de  Lassus,  Viltoria?  Et 
leur  musique  n'est-elle  pas  d'une  homogénéité  adéquate  aux 
exigences  les  plus  universelles  :  formules  rythmiques  simples 
et  naturelles  basées  sur  la  tonalité  catholique  du  plain-chant? 

Je  vous  demande  pardon  de  sortir  un  peu  de  mon  sujet  de 
Mlinster.  Pourtant  ma  réfutation  s'y  rattache  assez.  Il  faut 
bien  protester  en  passant  contre  cette  erreur  que  la  Société 
Sainte-Cécile  d'Allemagne  est  entachée  d'une  «  nuance  de 
protestantisme  ».  Mais  en  quoi  donc,  s'il  vous  plaît?  Dans 
son  origine?  dans  son  but?  dans  ses  moyens?  Elle  a  été  fon- 
dée par  un  prêtre  catholique  avec  l'approbation  de  Pie  IX; 
elle  poursuit  la  réforme  de  la  musique  d'église  catholique  ;  et 
elle  fait  cela  en  se  soumettant  pleinement  aux  règles  de 
l'Eglise  catholique.  Nulle  part  les  règles  liturgiquss  ne  sont 
aussi  rigoureusement  observées  qu'à  la  Société  Sainte-Cécile. 
Elle  apjirend  à  connaître  et  à  bien  exécuter  la  musique 
propre  de  l'Eglise  :1e  plain-chant  d'après  son  Editionofhcielle, 
les  œuvres  des  génies  catholiques  (tels  que  Paleslriiia,  dési- 
gné nommément  dans  le  Règlement  de  la  S.  G.  des  Rites) 
reconnues  très  dignes  du  culte  religieux,  les  œuvres  aussi  de 
ceux  qui  marchent  sur  les  pas  de  ces  génies  en  parfaite  sou- 
mission à  l'Eglise.  Cherchez  dans  tout  cela  une  nuance  de 
protestantisme.  Elle  existe  quelque  part,  oui,  chez  ceux-là 
môme  qui  portent  accusation,  qui  prétendent  s'émanciper  des 
règles  de  l'Eglise  sous  prétexte  de  conllit  entre  l'autorité  et  la 
science,  qui  affectent  d'ignorer  ces  règles  ou  qui  en  dénaturent 
le  sens. 

Ce  n'est  pas  non  plus  dans  le  chanl  populaire  qu'on  trou- 
vera cette  nuance  de  protestantisme.  Le  chant  populaire  alle- 
mand existait  avant  Luther.  C'est  plutôt  Luther  qui  a  copié 
le  catholicisme,  qui  lui  a  emprunté  beaucoup  de  ses  chants 
déjà  existants  auxquels  il  a  adapté  des  textes  hérétiques;  et 
plusieurs  de  ceux  qu'il  a  composés  ont  revêtu  les  mêmes  tour- 
nures mélodiques  que  ceux  qu'il  avait  empruntés.  Encore 
une  fois,  où  est  la  nuance  de  protestantisme? 


206  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Combien  était  puissante  et  belle,  impressionnante  et  pieuse, 
cette  déclamation  correcte  du  texte,  celte  exécution  bien 
rythmée  des  lieder  allemands  donnés  à  la  cathédrale  et  dans 
les  autres  paroisses  de  la  ville!  Assurément  ce  sont  ces 
chants-là,  plus  voisins  du  plain-chant  syllabique,  c'est-à-dire 
populaire,  qui  nous  aideront  le  mieux  à  bien  goûter  et  à  bien 
exécuter  le  chant  de  l'Eglise;  et  non  certains  airs  populaires 
(pie  l'on  entend  trop  souvent  chez  nous  dans  les  cérémonies 
religieuses  et  dont  la  place  serait  mieux  dans  la  rue  ou  aux 
bals  champêtres. 

Voilà,  Monsieur  le  Directeur,  un  aperçu  des  réflexions  que 
m'a  suggérées  l'Assemblée  de  Munster.  Les  nombreux  dra- 
peaux qui  ornaient  les  rues  de  la  ville,  drapeaux  du  Pape, 
drapeaux  nationaux,  la  présence  de  Mgr  le  Coadjuteur  aux 
réunions  du  soir,  l'intérêt  qu'ont  manifesté  le  bourgmestre  et 
le  gouverneur  dans  des  discours  émouvants,  tout  cela  nous 
montre  combien  la  Société  Sainte-Cécile  est  populaire  dans 
les  pays  catholiques  allemands  et  copibien  dans  les  hautes 
sphères  on  apprécie  son  importance  au  point  de  vue  social 
comme  au  point  de  vue  religieux. 

Peut-être  un  jour  trouvera-t-on  le  moyen  de  réunir  en 
faisceau  compact  et  solide  toutes  les  bonues  volontés  éparses 
aux  quatre  coins  de  la  France  et  qui  n'attendent  quel'occasion 
de  faire  une  œuvre  utile  et  durable.  Celle  œuvre  aidera  puis- 
samment à  procurer  la  gloire  de  Dieu  et  la  sanctilication  des 
A.mes  par  l'unité  de  soumission  à  l'Eglise. 
Veuillez  agréer,  etc. 

Paul  Peers. 


EPILOGUE  DES  FÊTES  MUSICALES  D  AVIGNON 
Un  événement  tragique. 
On  nous  écrit  d'Avignon  à  la  date  du  3  novembre  1  SOI)  : 
«  Monsieur  le  Chanoine, 

«  Les  Messieurs  de  Saint-Gervais  veulent  à  tout  prix  s'im- 
planler  à  Avignon  et  y  imposer  le  chant  de  Solesmes,  au 
mépris  des  décisions  de  Rome  tant  de  fois  renouvelées  et 
malgré  la  répugnance  du  clergé  à  abandonner  le  vieux  chanl 
qui,  dc[)uis  des  siècles,  était  en  usage  dans  le  diocèse,  souve- 
nir de  la  domination  pontilicale,  consacré  par  un  décret  spé- 
cial du  concile  provincial  de  t85(). 

«  Les  journaux  de  la  localité  sont  depuis  quelque  temps 
remplis  de  réclames  bruyantes,  où  les  Gervaisions  exposent 
longuement  leur  projet  de  créer  une  école  de  plain-chant  et 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  207 

de  musique  religieuse,  avec  une  maîtrise  qui  dessertirait  les 
quatre  paroisses  de  la  ville  et  donnerait  tous  les  mois  des  exé- 
cutions musicales,  pour  attirer  le  public  artistique,  qui  ne 
s'intéresse  que  médiocrement  au  plain-chant,  quel  qu'il  soit. 
Un  membre  de  la  Schoia  de  Paris  est  déjà  installé  à  x'^^vignon 
et  a  choisi  dans  les  écoles  50  enfants,  qui  doivent  former  le 
noyau  de  la  future  maîtrise. 

«  Mais  pour  arriver  à  leurs  fins,  il  leur  l'allail  tout  d'abord 
être  les  maîtres  à  la  Métropole.  11  y  avait  là  un  modeste  orga- 
niste qui,  depuis  plus  de  douze  ans,  pour  une  rétribution  des 
plus  modiques,  tenait  tous  les  jours  l'orgue  à  l'ofiice  cano- 
nial. 11  s'agissait  de  le  remplacer  par  un  élève  de  la  Schoia 
de  Faris.  Après  maintes  intrigues,  qu'il  serait  trop  long  de 
raconter,  on  déclara  à  M.  Fabrique  (c'était  le  nom  de  l'orga 
niste),  qu'il  devait  céder  la  place.  Le  pauvre  homme  pria, 
supplia,  fit  valoir  les  services  rendus  pendant  tant  d'années, 
exposa  qu'on  le  réduisait  à  mourir  de  faim,  lui  et  sa  famille. 
Rien  n'y  fit.  On  lui  signifia  par  huissier  qu'il  eut  à  laisser  le 
logement  qu'il  occupait  dans  les  dépendances  de  la  Métro- 
pole. M.  Fabrique,  se  voyant  ainsi  brutalement  jeté  sur  le 
pavé,  a  perdu  la  tète.  Après  avoir  mis  de  l'ordre  dans  ses 
affaires  et  porté  aux  Petites  Sœurs  des  Pauvres  quelques 
centaines  de  francs  d'économie  (ju'il  avait  ramassés  à  grand' 
peine,  il  s'est  enfermé,  le  soir  de  la  Toussaint,  dans  son 
appartement,  avec  sa  tcmme  et  son  enfant, et  s'y  est  asphyxié. 
Le  lendemain  on  ne  retrouvait  plus  que  trois  cadavres. Toute 
la  ville  est  en  émoi  et  maudit  les  intrus  qui,  par  leurs  basses 
intrigues,  sont  la  cause  première  de  ce  tragique  événement. 
On  dit  bien  haut  ({u'une  œuvre  qui  débute  sous  de  si  fâcheux 
auspices  ne  peut  être  bénie  du  ciel. 

«  Comme  il  faut  des  fonds  pour  payer  les  frais  do  la  Schoia, 
on  prétend  obliger  chaque  paroisse  de  la  ville  à  verser 
GOO  francs  par  an,  contre  la  banale  promesse  d'envoyer 
chaque  dimanche  une  dizaine  d'enfants  chanter  au  lutrin. 
Cela  ne  va  pas  sans  protestations  ni  résistances  bien  légitimes  ; 
mais  on  veut  à  tout  prix  que  le  chant  avignonnais  disparaisse 
et  cède  la  place  au  chant  de  Solesmes.  Et  voilà  comment  la 
ville  des  i*apes,  qui  s'était  toujours  distinguée  par  sa  fidélité 
aux  traditions  romaines,  se  verra  bientôt,  pour  le  bon  plaisir 
de  quelques  intrigants,  privée  de  son  chant  séculaire  et  en 
opposition  formelle  avec  les  décrets  du  Saint-Siège. 

«  Mais  tout  ce  qui  est  iinp(jsé  par  la  force  et  la  violence  ne 
dure  pas,  et  la  mort  tragique   de  trois  victimes  innocentes  ne 
peut  manquer  de...  »  (Nous  n'osons  pas  insérer  la  fin  de  cette 
lettre). 
'  «  Agréez,  etc.  U.\  phètke  avutNOiNiNais. 


208  l'ave?jir  de  la  musique  sacrée 

RECTIFICATION 

A  propos  de  notre  variation  Au  pay.s  des  truffes  (numéro  d'octobre) 
nous  avons  reçu  la  lettre  suivante  que  nous  nous  faisons  un  devoir 
d'insérer  intégralement  : 

Grand  Séminaire  de  Périgueux,  le  28  octobre  1899. 
Monsieur, 

Un  de  mes  amis  me  communique  le  n°  du  lil  octobre  1899  de  votre 
Revue  V Avenir  de  la  Musique  Sacrée. 

Pcrmettcz-moi  de  vous  dire  qu'au  pays  des  truffes  comme  à  Constan- 
tine,  votre  bonne  foi  a  été  surprise  par  vos  correspondants. 

Il  est  faux  qu'il  existe  ici  une  petite  bande  de  rebelles  qui  soit  opposée 
au  chant  officiel  à  Périgueux. 

Il  est  faux  que  les  professeurs  de  liturgie  et  de  droit  canon  prodi- 
guent en  secret  leurs  encouragements  à  quelques  turbulenls  néophytes  de 
Solesmes. 

Je  n'insiste  pas  sur  le  ton  peu  bienveillant  de  l'article  à  notre  égard. 
Qui  l'a  fait?  qui  l'a  inspiré?  Je  crains  qu'on  n'ait  écouté  plutôt  la  voix 
de  la  passion  que  celle  de  la  vérité.  On,  qui  o)i?  Comme  vous,  je  serais 
tenté  de  dire  :  Isfecit  cui  prodest. 

J'espère,  Monsieur,  que  vous  voudrez  bien  insérer  ma  lettre  dans  le 
prochain  numéro  de  votre  Revue.  i 

Agréez,  Monsieur,  l'expression  de  mes  meilleurs  sentiments. 

H.    BoiviN, 
Sup.  du  gr,  sém.  de  Périgueux. 

Et  pourtant  //  est  vrai  que  plusieurs  curés  du  diocèse  en  question 
voulaient  se  plaindre  à  Monseigneur  —  nous  le  tenons  d'eux-mêmes  — 
parce  que  certains  de  leurs  séminaristes  démolissaient  pendant  les 
vacances  léchant  officiel  que  ces  prêtres  méritants  avaient  entant  de 
peine  à  établir  pendant  l'année.  Ces  séminaristes  répétaient  aux  chan- 
tres et  aux  chanteuses  que  le  chant  bénédictin  —  et  non  point  le 
«chant  l'uslet  »  —  était  le  véritable  chant  de  l'Eglise  romaine;  que  les 
Décrets  de  la  S.  C.  des  Rites  ne  signifiaient  rien,  qu'on  n'avait  pas  à  en 
tenir  compte,  et  (jue  d'ailleurs  la  S.  G.  dos  Rites,  mieux  éclairée, 
reviendrait  sur  ses  décisions,  etc.  7/  est  vrai  encore  (\uq  tout  récemment 
un  tout  jeune  vicaire,  «  qui  avait  été  là-bas  un  pilier  d'opposition  », 
a  tenu  des  propos  scmblnbles  devant  une  quinzaine  de  prêtrf  s,  et  qu'il 
a  même  osé  ajouter  :  «  S'il  est  exact  que  le  Pape  ait  connu  et  signé  les 
Décrets  de  la  S.  C.  des  Rites,  le  Pai)0  est...  »  (ici  une  (jualification 
trop  irrévérencieuse  pour  être  citée).  Il  est  vrai  enfin  que  nous  pour- 
rions signaler  plusieurs  autres  faits  non  moins  fondés  et  non  moins 
regrettables  que  les  précédents.  Mais  en  voilà  bien  assez  pour  démon- 
trer que  si  notre  bonne  foi  a  été  suiprise,  elle  ne  l'a  point  été  tota'e- 
ment.  Au  surplus  nous  aimerions  mieux  nous  laisser  donner  tort  sur 
toute  la  ligne  que  de  poursuivre  le  déi)at  sur  un  sujet  qui  nous  expo- 
serait à  mettre  enjeu  des  porsonnalilés. 

Le  Gérant  :  A.  G  A  B  EUT. 


.MV     NOIZETTB  ET  C'e.S,  RUE  CAMI'A0NK-1""«,  PARIS. 


DEUXIÈME  ANNÉE  N»  12  15  DÉCEMBRE  1890 


L'AVENIR 


DE    LA 

MUSIQUE  SACRÉE 


OMMAIRE. 


Un  Théorème   théologique 209 

Le  Rythme  du  Chant  liturgique    (Suite) 213 

Explications 218 

Le  Neume-Temps  rythmique  devant  la  Critique  {Suite  et  fin)  .  .  .  219- 

Traité  de  composition  musicale,  par  E.  Durand 231 


UN  THÉORÈME  THÉOLOGIQUE  (1) 

L'Église  romaine  a  des  traditions  et  des  lois  fort 
sages  pour  réglementer,  et  le  plain-chant  dont  elle  se 
sert  officiellement,  et  la  musique  dont  elle  admet  l'in- 
tervention officieuse  dans  ses  sanctuaires. 

Forme  très  belle  et  très  solennelle  de  la  prière  liturgique, 
le  chant  de  l'Eglise  romaine  —  car  c'est  à  celle-ci  unique- 
ment qu'il  nou  i  convient  de  penser  —  renferme  des  éléments 
orientaux,  hébraïques  et  grecs  auxquels  se  sont  joints  des  élé- 
ments latins  en  grande  quantité,  depuis  les  premiers  siècles 
jusqu'à  saint  Ambroise  et  à  saint  Grégoire  I"  qui  les  adap- 
tèrent habilement  à  l'expression  artistique  du  culte  divin.  — 
Le  moyen  âge  en  a  développé,  souvent  même  accru  les 
richesses  mélodiques,  dont  l'âge  moderne  semble  avoir 
perdu  le  secret,  sinon  le  goût  et  le  sens.  Il  a  pourtant  com- 
pensé, jusqu'à  un  certain  point,  son  évidente  infériorité  sous 
ce  rapport,  par  la  création  d'une  harmonie  et  d'une  tonalité 
qui  peuvent  servir  à  l'embellissement  des  offices  ecclésias- 
tiques, mais  qui  fréquemment  en  diminuent  la  gravité,  peut- 

1.  Extrait  du  Cours  de  Théologie  catholique,  par  M.  le  Chanoine  Jules 
Didiot.  —  Morale  surnaturelle  spéciale.  Vertu  de  Religion,  chap.  II  , 
section  II,  art.  1,   l"  distinction,  i^  2  :  Chant  liturgique. 

Chez  A.  TalTin-Lefort,  30,  rue  des  Saints-Pères,  Paris. 


2l6'^'^^  ^''^"'■^ 'l'avenir  de  la  musique  sacrée 

être  même  l'accidentelle  efficacité,  —  Que  le  Saint-Siège  ait 
autorité  et  compétence  pour  décider  ce  qu'il  faut  emprunter 
à  l'art  ancien  et  à  l'art  contemporain   dans  le  service  reli- 
gieux,  c'est  chose   entièrement  évidente;    et  ceux-là  seuls 
pourraient  en  douter,  qui  refuseraient  à  l'Eglise  le  droit  de 
se  prononcer  sur  le  texte  de  ses  offices  en  prose  ou  en  poésie. 
c=-Dc  fait,  elle  agit  depuis  le  concile  de  Trente  en  vue  de 
fixer  avec  une  précision  complète  les  mélodica  liturgiques  h 
exécuter  dans  les  oflices,  et  le  programme  (jéncral  des  pièces 
extra-liturgiques  dont  les  voix  ou  les  instruments  sont  auto- 
risés à  tirer  parti,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  l'éducation 
des  fidèles,  soit  dans  lu  célébration  des  offices  obligatoires, 
soit  dans  les  exercices  de  piété  facultatifs. 
•     a).  Quant  aux  mélodies  proprement  liturgiques,  —  psal- 
modie simple  ou  ornée,  et  plain-chant,  —  elles  sont  de  deux 
catégories  inégalement  importantes.  Les  unes  appartiennent 
aux  usages  de  certains  ordres  religieux,  —  par  exemple  des 
Bénédictins,  des  Chartreux,   des   Dominicains,  —  qui  s'en 
servent  dans  l'intérieur  de  leurs  églises  conventuelles,  et  qui 
peuvent  y  apporter  une  habileté,  un  goût,  une  science,  dont 
prêtres  et  fidèles   ordinaires  ne  sont  généralement  pas   si 
capables.  A  ces  doctes  maîtres  du  chant  liturgique  l'Eglise 
accorde  une  ample  liberté  de  recherches  archéologiques  et 
une  grande  autonomie  d'exécution  pratique.  Tels  de   leurs 
morceaux  de  plain-chant  peuvent  même   prendre  place,  à 
titre  de  motets  ou  de  pièces  de  luxe,  dans  les  églises  ordi- 
h'âlï'ëàl  mais  leurs  éditions  savantes,  qui  pourront  le  devenir 
plus  encore,  restent  leur  apanage  nettement  réservé.  —  Pour 
le  peuple  et  pour  son  clergé  séculier,  il  faut  tout  autre  chose. 
Aux  Grecs,  aux  Slaves,  aux  Orientaux  de  race  sémitique,  le 
Saint-Siège  maintient   l'usage  privilégié  d'un  chant  parti- 
culier qui  n'est  certes  guère  notre  grégorien.   Aux  Améri- 
cains, Africains,  Asiiistiques  et  Océaniens, aux  Chinois  et  aux 
Japonais,  —  qui  doivent  latinisrr  avec  les  Allemands  et  les 
Anglais,  avec  les  Espagnols  et  les  Italiens,  avec  les  Septen- 
trionaux et  les  Français  ;  car  leur  universelle  fusion  dogma- 
tique se  traduit  par  leur  unité  liturgique,  —  il  faut  une  mé- 
lopée réolh^ment /}/«/</»,  \\n  plain  chant  dont  la  simplicité,  la 
facilité,  et  par  conséquent  la  dignité  soient  aussi  absolues 
que  possible.   Les  questions  d'archéologie  musicale,  d'art 
raffiné,  ne  sauraient  y  avoir  la  même  importance  que  dans 
les  éditions  monastiques;  et  ce  que  l'Eglise  de  Rome  poursuit 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  211 

lentement  et  patiemment  depuis  le  xvi*'  sièle,  c'est  une  édi- 
tion cantorale  pleinement  adaptée  à  sa  propre  unité,  à  sa 
propre  universalité.  Elle  entend  préparer,  pour  un  avenir 
plus  ou  moins  éloigné,  un  chant  dont  toute  liturgie  latine 
dûment  autorisée  et  non, monastique  se  servira  aussi  piea-: 
sèment  qu'aisément;    -l-f/ifi*^    u'i'n  '^n  »m 

C'était  déjà  le  but  indiqué  par  le  souvisraiii  pontife  Paul  Y 
au  grand  Pale&trina  et  aux  imprimeurs  de  la  Médicéenne. 
Ce  fut  le  dessein  repris  par  Pie  IX  quand  il  recommanda 
surtout  le  chant  grégorien.  C'est  la  volonté  nettement  et  fer- 
mement promulguée  par  Léon  XIIJ,  quand  il   prescrit  aux 
imprimeurs    d'emprunter     désormais     à    l'édition    de    la 
Sacrée    Congrégation    des    Kites   les   cantilènes   du   ihisscl, 
du  Rituel    et   du  Pontifical\    quaiid   il  défend  d'introduire 
d'fiutre    édition    que    celle-là    dans    les    diocèses  qui  n'en 
ont    pas    encore    ou     qui    veulent    en    changer;  quand  il 
remet  à  la  prudence  des  évoques  le  soin  de  fixer  l'époque   où 
ils  ordonneront  chez  eux  cette  forme  accessoire  mais  fort  res- 
pectable de  l'unité  liturgique;  quand  il  prohibe  eniin  toute 
attaque  et  toute  discussion  tendant  à  discréditer  les  livres 
officiels  ou  «  authentiques  ».  —  Si  ces  dispositions  n'étaient 
que  transitoires  comme  beaucoup  de  mesures  canoniques,  je 
ne  les  signalerais  peut-être  pas  aussi  explicitement  dans  ce 
Cours  de  Théologie.  Mais  elles  appartiennent  sûrement  à  une 
pensée  profondément  et  définitivement  ancrée  dans  l'esprit  du 
Saint-Siège;  et  en  tant  qu'elles  représentent  l'unité  du  culte 
religieux  dans  sa  forme  esthétique,  elles  relèvent  directement 
de  la  théologie  proprement  dite. —  Quand  l'autorité  pontifi- 
cale aura  ramené  l'Orient  tout  entier  dans  ses  voies   primi- 
tives, dans  ses  antiques  traditions  nettement  catholiques,  je 
ne  doute  pas   qu'elle  ne  complète   son  œuvre,  comme   dans 
l'Eglise  latine,  par  une  édition  officielle  des  textes  et  des  mélo- 
dies de  Jérusalem,  d'Alexandrie,  de  Gonstantinople,  de  Mos- 
cou et  de  Kiew;  et  alors  rien  n'y  sera  plus  exposé  aux  périls 
de  l'ignorance  et  du  mauvais  goût.  Ces  saintes  sources  d'où  le 
plain-chant  occidental   est  en   partie   dérivé   redeviendront 
pures  et  limpides;  et  la  «  voix  liturgique  »  sera  digne  de 
son  objet  sacré  d'un  boni  du  monde  à   l'autre.  Nulle  part  on 
uc  négligera  plus  les  prescriptions  du  concile  de   Trente  et 
des  conciles  provinciaux  subséquents,  d'après  lesquelles  c'est 
une  obligation  grave  pour  le  clergé  d'apprendre  et  d'exécuter 
religieusement  le  chant  des  saints  offices. 


2\2  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

b)  Si  l'autorité  (lu  Siège  Apostolique  a  bien  voulu  accueillir 
quelques  morceaux  de  style  moderne  dans  ses  livres  choraux 
authentiques  —  des  hymnes  par  exemple,  et  certains 
«  chants  communs  »  pour  la  messe  —  elle  n'a  pas  encore  fait 
de  recueil  officiel  de  musique  religieuse  vocale  ou  instru- 
mentale; peut-être  même  n'en  fera-t-elle  jamais.  —  11  n'en 
faudrait  pas  conclure  qu'elle  se  désintéresse  absolument  du 
genre  et  du  caractère  des  morceaux  dont  elle  tolère  ou  auto- 
rise formellement  l'usage  dans  ses  offices  et  dans  les  réunions 
pieuses  des  fidèles.  La  législation  canonique  n'est  pas  muette 
sur  ce  point;  et  si  pendant  les  deux  derniers  siècles  on  a 
paru  oublier  sinon  mépriser  les  principes  qu'elle  avait  posés 
à  ce  sujet,  Pie  IX  et  Léon  XIII  les  ont  remis  en  vigueur  et 
appliqués  aux  nécessités  d'à  présent.  UOi^donnance  pour  la 
musique  sacrée  adressée  aux  évêques  d'Italie  par  l'autorité 
pontificale,  en  date  du  6  juillet  1894,  renferme  des  indica- 
tions qu'il  ne  saurait  être  permis  à  personne  au  monde  de 
regarder  comme  inexactes  ou  inopportunes.  Résumons-les 
brièvement. 

Défense  d'exécuter  des  pièces  de  musique,  soit  pour  les 
voix,  soit  pour  les  instruments,  qui  rappelleraient  l'art  mon- 
dain et  théâtral.  Rien  donc  qui  sente  la  romance  ou  la  cava- 
tiiie,  les  danses  de  salon  ou  les  marches  de  régiments.  — 
Défense  d'adopter  des  morceaux  oii  le  texte  liturgique  soit 
tronqué,  transposé,  indiscrètement  répété.  Le  chant  est  pour 
les  paroles,  de  même  que  les  paroles  pour  la  pensée;  des 
prières  consacrées  par  l'usage  des  siècles  chrétiens,  par  la 
sanction  pontificale,  ne  peuvent  être  un  simple  prétexte  à  des 
frivolités  ou  virtuosités  d'artiste.  —  Défense  d'admettre, 
comme  exécutants,  des  chantres  ou  des  organistes  incapables 
de  rendre  décemment  la  musique  dont  ils  se  font  les  inter- 
prètes. Si  le  plain-chant  mal  exécuté  peut  trouver  son  excuse 
dans  l'impossibilité  où  on  est  de  le  bannir  cruellement  de 
beaucoup  de  pauvres  églises  de  campagne  ou  de  mission,  qui 
l'excculent  cependant  fort  mal,  rien  au  monde  ne  peut  con- 
seiller d'y  faire  entendre  de  la  mauvaise  musique,  ou  bien 
d'en  y  massacrer  méchamment  de  la  bonne.  —  Défense  de 
chanter  dans  les  offices  proprement  dits,  des  paroles  qui  ne 
seraient  ni  latines,  ni  liturgiques,  ni  bibliques, ni  approuvées 
par  l'Eglise;  et  dans  les  offices  moins  rigoureusement  tels, 
des  textes  en  langue  vulgaire  qui  ne  seraient  ni  pieux  ni 
approuvés  par  l'autorité  épiscopale  ou  pontificale.  La  sain- 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  213 

teté  des  assemblées  religieuses,  de  leur  local,  Je  leur  objet, 
doit  être  absolument  respectée  dans  le  choix  des  paroles  qu'ony 
fait  retentir.  —  Défense  d'improviser  sur  l'orgue,  à  qui  ne  sait 
pas  le  faire  pieusement  et  savamment.  Le  roi  des  instruments 
de  musique  est  en  droit,  surtout  quand  il  est  bénit,  d'être  lui 
aussi  respecté,  et  de  ne  pas  servir  malgré  lui,  à  déshonorer 
Dieu  et  ses  sanctuaires.  —  Défense  à  l'organiste  accompagna- 
teur d'étouffer  le  chant  des  voix;  et  à  l'organiste  concertant, 
d'employer  un  autre  rythme,  un  autre  style,  que  ceux  où 
tout  est  lié,  harmonieux,  grave  et  vraiment  religieux. 
Accompagner  est  un  art  exigeant  du  bon  sens  et  quelque 
humilité,  pour  ne  pas  sortir  ridiculement  et  absurdement  de 
son  rôle;  jouer  des  morceaux  de  piano,  d'orchestre  ou  de 
fanfare  sur  un  orgue  d'église,  est  chose  indigne  de  l'instru- 
ment lui-même  et  du  temple  dont  il  est  véritablement 
r  «  organe  »  harmonieux,  —  Défense  d'ouvrir  les  églises  et 
chapelles  aux  «  exécutions  musicales  »  qui  ne  se  conforme- 
raient pas  aux  règles  précédentes;  et  menace  de  peines 
canoniques  à  prononcer  éventuellement  contre  les  curés  et 
autres  ecclésiastiques,  qui  seraient  de  connivence  avec  les 
auteurs  de  pareilles  inconvenances.  Si  la  maison  de  Dieu  ne 
peut  pas  être  changée  en  caverne  de  voleurs,  peut- elle  l'être 
en  salle  d'opéra  ou  de  café-concert? 

Chanoine  Jules  Didiot, 
Docteur  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Lille. 


LE  RYTHME  DU  CHANT  LITURGIQUE 

//.  Quelle  était  la  nature  de  ce  rythme?  (Suite.) 
Les  écrivains  ecclésiastiques  qui  font  suite  à  saint  Augus- 
tin s'appuient  sur  ses  enseignements  et  font,  comme  lui,  con- 
sister le  rythme  dans  la  mesure  proportionnelle  des  sons 
longs  et  des  sons  brefs. 

Cassiodore  (468-562)  dit:  «  Saint  Augustin  a  écrit  six  livres 
sur  la  musique,  dans  lesquels  il  démontre  que  la  voix 
humaine  possède  naturellement  des  sons  rythmiques  et  un 
chant  modulé  dans  les  syllabes  longues  et  les  syllabes  brèves 
rythmicos  sonos  et  harmuniam  modulabilem  iii  longis  si/llahis 
atque  brevihus  ».  {De  Artibus  et  Disciplinis,  cap,  5.)  Il  définit 
aussi  la  musique  :  l'art  de  bien  moduler,  scie/itia  bene  modu- 
landi,  et    distingue  entre  [«  r  harmonique,  qui   s'occupe  de 


214  l'avenir    de   la    musique    SACRÉtl 

l'acuité  et  du  ia  gravité  des  sons  ',hc  rythmique  qui,  Uaiis  le 
concours  des  mots,  examine  si  les   sons  sont  bien  ou  mril 
ajustés  ;  et  la  métrique,  qui   détermine  la  mesure  des  diffé- 
rentes espèces  de  vers  ».  {Loc.cit.)  i  tiiiu  ')i  <!K(j 
Dans  sa  lettre  à  Boèce,  après  avoir  parlé   des  quinze  toïïs 
ou  tropes,   qu'il    appelle   musique  ariificiellp,  et  du  jeu  des 
instruments,  qu'il  désij:;iie  sous  le  nom  de  musique  manuelle, 
il  arrive  à  la  voix  humaine,  animat.r  voci,  voix  animée,  pour 
ladistinj^uer  des  sons  produits  par   la  pulsation  de  la  main 
sur  les  cordes  de  la  cithare.  «  L'attribut  naturel   de   la  voix 
humaine,   dit-il,   est  le  rythme.  C'est   lui  qui   maintient  la 
beauté  de  la  mélodie,  si  la  voix  sait  se  taire   à  propos  ou  se 
faire  entendre  avec  convenance,  et,  par  le  moyen  des  accents, 
et  des  sons  disposés  avec  ordre,  prépare  la  voie  aux  pieds 
musicaux.  »  {Ep.  40.)  Par  accents^  Gassiodore  entend  ici  les 
divers  mouvements  de  la  voix  qui  monte  ou  qui  descend.  C'est 
dans  ce  sens  que  Martianus  Cappella,  qui    lui    est    presque 
contemporain,  (lisait  déjà  :  «  L'accent  est  le  germe  de  la  musi 
que,  car  tout  chant  modulé  se  compose  de  sons  aigus  et   de 
sons  graves.  »  {De  Nuptiis  Philologiv,  1.  IIL  p.  05. )  «Mais  ce 
n'est  là,  suivant  le  môme  auteur,  que  la  matière  rythmique.  Le 
rythme  est  conmie  l'artisan  qui  donne  sa  forme   à  la  modu- 
lation. C'est  lui  qui  coordonne  les  divers  mouvements,  met 
la  proportion  dans  le  chanl,    en  observant  le  temps  pendant 
lequel  la  voix  doit  s'élever  ou  s'abaisser,  et  restreint  la  liberté 
delà  modulation,  en  la  soumeltant  à  une  discipline  artis- 
tique. »  {Op.  cit,  1.    IX,  p.  363.) 

Saint  Isidore  de  Séville  (.')70-03b)  déiinit  la  musique  : 
«  L'art  qui  possède  une  mesure  certaine  des  nombres  et  des 
sons,  ainsi  que  la  science  de  la  modulation  parfaite.  »  (  De 
Diff'erentiis  Rerum,  cap.  31).)  Il  la  divise,  comme  Cassiodore, 
en  trois  parties  qui  sont  :  \  harmonique,  la  rythmique  et  la 
métrique,  et  en  donne  les  mêmes  définitions  que  cet  auteur. 
{Originuni,\.\i\,c.  17.)  11  emprunte  à  saint  Augustin  les 
termes  dont  il  se  sert  pour  marquer  la  distinction  entre  le 
rythme  et  le  mètre.  «  Celui-ci,  dit-il,  est  ainsi  appelé  parce 
qu'il  est  limité  par  un  nombre  déterminé  de  pieds,  de  dimen- 
sion li.\e,et  qu'il  ne  peut  se  prolonger  au  (Iclà  ;  tandis  que 
le  rythme  n'a  aucune  étendue  ni  limite  déterminée,  bien  qu'il 
se  compose  de  pieds  régulièrement  ordonnés.  »  {Op.  cit.,  1. 1, 

c.  3*).) 

■     Bède  le  Vénérable  ((172-735),   savant   moino   anglais,  né 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  215 

aux  environs  de  Warmouth,  mentionne,  dans  son  Histoire 
de  l'Eglise  d'Angleterre,  plusieurs  chantres  habiles  dans  l'art 
de  la  modulation  ecclésiastique,  suivant  la  coutume  romaine, 
modulandi  in  ecclesia,  more  i?omayior«m,  qu'ils  avaient  appris 
des  disciples  de  saint  Grégoire  lui-même  ou  de  leurs  succes- 
seurs immédiats,  (ilist.  eccl.  gentis  Anglorum,  l.  IV,  c.  1, 
2,  12  ;  i.  V,  c.  20.  )  De  plus,  dans  l'abbaye  de  Warmouth, 
près  de  laquelle  il  se  trouvait,  Jean,  préchantre  de  la  basi- 
lique du  Vatican,  était  venu  naguère  (en  680),  par  ordre  du 
pape  Agathonpour  enseigner  auxmoines  la  manière  de  chan- 
ter en  usage  à  Saint-Pierre  de  Rome.  {Op.  cit.,  1.  IV,  c.  18.) 
Il  était  donc  bien  au  courant  des  usages  romains.  Or,  en  par- 
lant des  vers  rythmiques,  où  les  mots  sont  assemblés^  non 
pas  d'après  les  lois  métriques,  mais  seulement  suivant  le 
nombre  de  syllabes,  au  jugement  de  l'oreille,  il  ajoute  :  «Bien 
souvent,  cependant,  on  y  trouve  la  proportion  métrique,  non 
pas  parce  qu'on  y  a  observé  les  règles  de  l'art,  mais  parce 
que  le  chant  et  la  modulation  l'y  introduisent,  sono  et  ipsa 
modulatione  ducente.  »  {De  Metris,  Gram.  lat.,  vol.  VII, 
fasc.  I,  pp.  2o8,  251).)  C'est  donc  la  musique  et  non  l'accent 
grammatical  ou  la  quantité  qui  déterminent  le  rythme.  Lé 
même  auteur,  dans  son  livre  De  Orthographia,  dit  encore  que 
rythmus  en  grec  se  traduit  en  latin  par  modulatio Qirythmizo 
^djcmodulor.  {Loc.  cit.,  p.  288.)  Dans  un  autre  traité  qui  lui 
est  attribué,  il  enseigne  que  «  la  musique  est  fondée  sur  les 
nombres  et  les  mesures,  et  cela  de  deux  manières  :  premiè- 
rement, elle  calcule  les  degrés,  suivant  le  rapport  des  sons 
et  des  notes  ;  deuxièmement  elle  mesure  les  temps,  suivant  la 
proporlious  des  longues  et  des  brèves.  On  peut  encore  la 
définir  :  la  science  de  la  modulation  et  l'art  de  chanter  avec 
variété  ;  c'est  une  voie  facile  pour  arriver  à  la  perfection  du 
chant,  c'est  lu  science  du  nombre  appliquée  aux  sons.  » 
(In  miisicapractica.)  (1). 

Alcuin,  l'ami  de  Charlemagne  (72'i-804),  dans  une  pièce  de 
vers  qu'il  adresse  au  grand  empereur  sur  les  études  de  l'école 
palatine,  décrit  ainsi  l'office  du  maître  de  chœur:  «  Il  instruit 
les  enfants  dans  le  chant  sacré,   modtilaniine  aacro,  et  pour 

que  leur  voix  sonore  fasse  entendre  de   douces  mélodies^^,  il 

il 

\.  Ce  traité  est  considéré  par  quelques-uns  cotntne  ayant  été  com- 
posé au  X''  ou  au  xi'"  siècle  par  un  certain  Aristote  ;  mais  ce  passage 
n'en  montre  pas  moins  la  [m  rsistance  du  sens  que  l'on  attribuait  au 
mot  iiiotlulalion.  considéré  comme  synonyme  de  nomhre  ou  rytjjme-. 


216  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

leur  enseigne  comment  la  musique  se  compose  de  pieds,  de 
nombres  et  de  rythme.  »  {Carmen  228,adGarolum  Magnum). 
Aurélien  de  Réomé,  qui  vivait  dans  la  première  moitié  du 
ix'  siècle,  a  composé  un  traité  De  musica  dhciplina,  dédié 
à  Bernard,  abbo  de  Réomé  et  petit-fils  de  Charlemagne.  Il  y 
compare  le  rythme  aux  pulsations  des  veines  et  des  artères 
qui,  par  la  régularité  de  leur  gonflement  et  de  leur  dégon- 
flement, battent  les  arsis  et  les  thésis.  {Op.  cit.,  cap.  1.)  Il 
distingue  comme  Cassiodore,  les  trois  parties  de  la  musique  : 
l'harmonique,  la  rythmique  et  la  métrique,  et  dit,  comme  le 
vénérable  Bède,  que  c'est  la  modulation  qui  donne  au  vers 
rythmique  l'apparence  du  mètre.  (Gap.  4.)  Mais  plus  sensible 
à  la  quantité  prosodique  des  syllabes  que  ses  contemporains 
et  devançant  les  réformateurs  classiques  du  xvi''  siècle,  il 
reproche  aux  chantres  de  son  temps  d'accumuler  les  notes 
sur  les  pénultièmes  brèves  et  d'abréger  les  syllabes  longues, 
ce  qu'il  qualifié  d'ineptie  et  condamne  comme  une  pratique 
mauvaise,  provenant  de  l'ignorance  ;  plerique  usu  improbo 
consectantes  correptionea  producunt  et  corripiunt  produc- 
tiones...  inepte  agiint.  Nonnulli  cantores  ignari  ah  orbita 
procul  aberrant  veritatis.  (Cap.  49  et  20.) 

Remy  d'Auxerre  (fin  du  ix"  siècle),  religieux  du  monas- 
tère de  Saint-Germain,  à  Auxerre,  fut  appelé  à  Reims,  vers 
893,  par  l'archevêque  Fulcon,  pour  y  prendre  la  direction  des 
écoles  cléricales  que  celui-ci  venait  d'y  fonder. 

Il  composa  alors,  d'autres  disent  plus  tard  à  Paris,  un 
manuel  musical  qui  n'est  qu'un  commentaire  de  la  doctrine 
des  Anciens  sur  le  rythme,  telle  qu'elle  est  exposée  par 
Aristide  Quintilien  et  Martianus  Gapella,  avec  quelques 
emprunts  faits  à  saint  Augustin,  Boèce,  Cassiodore  et  Bède 
le  Vénérable.  Il  distingue  d'abord  les  trois  parties  de  la 
musique  :  le  melos,  appelé  aussi  harmonique ,  qui  a  rapport 
aux  sons;  \di  rythmique,  (\m  s' occw^q  des  nombres,  c'est-à- 
dire  des  temps,  et  la  métrique  qui  mesure  les  mots.  »  {De 
Musica,  Migne,  t.  431,  col.  936.) 

«  Le  rythme,  dit-il  plus  loin,  est  un  enchaînement  bien 
ordonné  de  diverses  mesures,  de  sons,  de  temps  et  de  pieds  : 
il  soumet  à  la  loi  du  temps  et  aux  règles  de  la  modulation  les 
sons  aigus  et  les  sons  graves  :  c'est  lui  qui  met  un  frein  à  la 
licence  désordonnée  de  la  modulation  et  l'astreint  à  une  dis  - 
cipline  artistique,  afin  que  la  voix  ne  s'égare  pas  et  ne  soit 
pas  libre  dans  sa  course.  Il  faut  distinguer  entre  le  rythme 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  217 

et  le  rijthmizomenon.  On  appelle  ainsi  ce  qui  est  susceptible 
de  nombre  et  peut  être  soumis  aux  règles  de  l'art.  C'est  la 
matière  rythmique,  c'est-à-dire  les  pieds,  qui,  par  leur  suc- 
cession, fournissent  les  éléments  du  rythme. 

«  Le  rythme  se  rend  sensible  de  trois  manières,  à  la  vue, 
à  l'ouïe  et  au  toucher:  à  la  vue,  parles  mouvements  du  corps 
et  par  la  danse;  à  l'ouïe,  quand  nous  percevons  la  modula- 
tion dans  les  sons  de  la  voix  ou  le  jeu  des  instruments;  au 
toucher,  ce  qui  est  1  affaire  des  médecins,  quand  on  tàte  avec 
les  doigts  les  pulsations  des  veines,  c'est-à-dire  les  battements 
du  pouls  dansle  corps  humain,  car  ils  se  font  d'une  manière 
rythmique.  Mais,  pour  nous  musiciens,  c'est  surtout  par  la 
vue  et  par  l'ouïe  que  nous  percevons  le  rythme,  dont  l'art  est 
tout  entier  dans  les  nombres.  11  prend  les  nombres  qui  con- 
viennent à  son  évolution,  c'est-à-dire  les  espaces  que  la  voix 
parcourt  jusqu'à  ce  qu'elle  revienne  à  son  point  de  départ,  et 
partage  ces  intervalles  en  périodes  légitimes  et  proportion- 
nelles. »  {Op.  cit.,  col.  949.) 

Remy  énumère  ensuite  les  différentes  espèces  de  temps  et 
de  pieds,  les  divers  genres  rythmiques,  et  a  soin  d'observer 
que  les  signes  neumatiques  marquent  les  temps  longs  et  les 
temps  brefs.  (Col.  933.) 

«  Le  rythme,  dit-il  en  terminant,  est  le  mâle,  et  la  mélo- 
die, lafemelle.  Le  melos,  c'est-à-dire  le  son,  n'a  par  lui-même 
aucune  forme,  jusqu'à  ce  que  survienne  le  rythme  qui,  au 
moyen  du  levé  et  du  frappé,  lui  donne  sa  forme  et  ses  effets 
divers  Le  meios  n'est  qu'une  matière  dépourvue  de  figure 
propre,  c'est-à-dire  qui  ne  rentre  dans  aucundes  genres  ryth- 
miques. Mais  le  rythme  lui  apporte  la  certitude  du  nombre; 
par  une  sorte  d'opération  virile,  il  donne  sa  forme  au  son  et, 
avec  le  secours  du  levé  et  du  frappé,  lui  fait  produire  des 
effets  variés.  »  (Col.  961.) 

On  voit  par  ces  citations  que  Remy  d'Auxerre  ne  fait  que 
reproduire  les  enseignements  des  théoriciens  de  l'Antiquité 
sur  le  rythme,  ce  qui  prouve  qu'à  la  fin  du  ix^  siècle  le 
rythme  n'avait  pas  changé  de  nature  et  qu'il  était  encore  en 
usage  dans  le  chant  ecclésiastique,  puisqu'il  fait  remarquer, 
en  divers  endroits,  que  les  figures  neumatiques  marquent  les 
pieds,  pedum  signa /td  est  virgulae.  {Co\.  953,  954.)  D'ail- 
leurs, cet  enseignement  n'aurait  été  d'aucune  utilité  pour  les 
clercs  de  Reims  ou  de  Paris,  s'il  n'avait  pu  s'appliquer  au 


218  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

chant  liturgique,  le  seul  qui  fût  pour  eux  d'une  pratique 
usuelle. 

{A  suivre.)  J.  Dupoux. 

EXPLICATIONS 

A  propos  des  observations  que  nous  avons  insérées  dans  notre 
numéro  d'octobre  (pp.  169  et  170)  touchant  le  Petit  Catéchisme  litur- 
gique de  l'abbé  Dutilliet,  nous  avons  reçu  la  lettre  suivante  : 

Saint-Sulpice,  31  octobre,  1R09. 
Monsieur  le  Chanoine, 

Dans  notre  récente  conversation  vous  m'avez  ofîert  d'insérer  mes 
réilexions  au  sujet  de  l'article  de  votre  Uevue  Au  pays  des  truffes.  Je 
me  décide  à  vous  les  envoyer,  en  ce  qui  m'atteint  personnellement. 

1.  Ce  n'est  pas  â  cause  de  son  passé  que  jai  accueilli  l'oflre  de 
rééditer  l'ouvrage  de  l'abbé  Dutilliet  que  me  faisait  un  converti.  Moi 
seul  étant  en  cause  dans  cette  réédition,  il  était  faux  autant  qu'indé- 
licat d'associer  un  mot  injurieux  à  la  mention  de  MM.  les  Sulpiciens. 

2.  Grâce  à  la  Préface,  nous  sommes  arrivés  en  trois  ans  à  la  ving- 
tième édition  du  Catéchisme  liturgique  devenu  introuvable  après  deux 
éditions  parues  du  vivant  de  l'auteur. 

3.  Je  suis  heureux  de  ce  résultat,  non  par  intérêt  {Is  fecit  cui  prodest, 
dites-vous),  mais  à  cause  de  la  difTusion  de  l'œuvre  très  sérieuse  d'un 
digne  curé  de  campagne.  C'était  si  bien  Tunique  but  de  M.  Huysman 
et  le  mien  que  ni  lui  ni  moi  n'avons  voulu  recevoir  un  centime  pour 
notre  travail  de  revision.  Je  dois  ce  détail  à  vos  insinuations. 

4.  Quand  Mgr  l'évêque  de  Périgueux  a  daigné  approuver  cet 
ouvrage,  il  a  judicieusement  apprécié  les  vrais  sentiments  de  l'auteur 
du  Catéchisme  de  chant  ecclésiastique. 

5.  Cet  auteur,  loin  de  faire  fi  des  décrets  pontificaux,  développe  au 
contraire  les  raisons  qui  expliquent  l'édition  ol'licicUe  et  par  suite  les 
décrets  qui  la  recommandent,  et  il  montre  combien  le  principe  de 
l'abréviation  était  approprié  aux  besoins  des  temps. 

0.  Toutefois,  en  proclamant  la  sagesse  de  l'Eglise,  il  n'est  pas  inter- 
dit d'exprimer  l'espoir  que,  si  la  bonne  exécution  du  chant  se  générali- 
sait, l'Eglise  pourrait  préférer  les  mélodies  complètes  des  iVges  de  foi 
à  des  mélodies  tronquées  seulement  parce  qu'on  ne  savait  pas  les 
chanter. 

Rien  n'empôche  d'appliquer  au  chant  la  théorie  du  saint  Concile  de 
Trente  touchant  les  rites  accidentels,  que  l'Eglise  peut  modifier  pro 
rerum,  temporum  et  locorun  rariclaie. 

Ceux  qui  liront  sans  préjugés  le  Catéchisme  du  chant  ne  songeront 
pas  plus  à  mettre  son  auteur  en  opposition  avec  les  doctrines  romaines 
que  n'y  ont  songé  depuis  vingt-huit  ans  ceux  qui  ont  reçu  son  ensei- 
gnement. 

Je  vous  prie  de  faire  part  de  ces  simples  considérations  à  vos 
lecteurs. 

Bien  à  vous  en  Notre  Seigneur 
A.  ViGOURKL,  pr.  de  S. -S. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  219 

En  insérant  la  variation  Aux  pays  des  truffes,  nous  étions  à  cent 
lieues  de  supposer  qu'elle  causerait  un  tel  émoi.  Le  moyen,  s'il  vous 
plaît,  de  ne  pas  laisser  échapper  de  temps  en  temps  un  mot  trop 
incisif,  étant  donné  l'entraînement  auquel  expose  la  quantité  énorme 
de  lettres,  de  brochures  et  de  revues  qu'il  nous  faut  dévorer  chaque 
mois  et  dont  certaines  de  nos  pages  ne  sont  que  la  quintessence... 

Nous  nous  bornerons  donc  à  répondre  que  dans  notre  notice  sur  le 
Catéchisme  Dutilliet  il  n'y  avait  pas  un  mot  de  nous.  Sur  les  demandes 
réitérées  de  nos  corres-pondanls,  nous  avons  simplement  fait  nôtres, 
en  les  atténuant  beaucoup,  des  appréciations  qui  nous  ont  été  envoyées 
par  des  ecclésiastiques  des  régions  les  plus  opposées,  tous  très  expé- 
rimentés, tous  très  versés  dans  les  questions  que  nous  traitons  :  c'était 
leur  sentiment  propre  dont  nous  nous  faisions  l'écho  très  affaibli. 

Quant  à  ceux  de  nos  lecteurs  qui  désireraient  juger  par  eux-mêmes, 
nous  leur  apprenons,  s'ils  ne  le  savent  déjà,  que  le  Petit  Catéchisme 
liturgique  de  l'abbé  H.  Dutilliet  se  trouve  chez  Bricon,  19,  rue  de  Tour- 
non,  Paris. 

Inutile  d'ajouter,  qu'on  ce  qui  nous  concerne,  nous  préférons  nous  en 
tenir  uniquement  et  aveuglément  à  ce  qu'a  décrété  la  S.  C.  des  Rites, 
sans  rien  désirer  au  delà,  vu  que  les  dissensions  des  savants  ne  nous 
laissent  rien  voir,  jusqu'à  nouvel  ordre,  de  vraiment  désirable.  Si 
quelque  jour  la  sainte  Eglise  juge  à  propos  de  nous  donner  une  autre 
direction,  quelle  qu'elle  soit,  d'un  coup  de  rame  nous  nous  orienterons 
aussitôt  dans  le  sens  indiqué,  en  vertu  du  seul  principe  auquel  nous 
reconnaissions  quelque  [valeur,  celui  de  la  pure  et  simple  obéissance 
à  l'autorité  liturgique.  En  attendant,  nous  ne  connaissons  que  les 
Décrets  Romanorum  Pontificium  et  Quod  S.  Augustinus,  et  nous  les 
acceptons  tels  qu'ils  sont,  en  tenant  compte  et  des  tendances  que  nous 
révèlent  leur  texte  et  de  la  part  de  liberté  et  de  tolérance  qu'ils  veulent 
bien  nous  laisser. 

Disons,    pour   terminer,  qu'il    nous  est   particulièrement   agréable 
d'insérer  les  observations   de  M,   l'abbé  Vigourel,  avec  qui  nous  avons 
toujours  eu  les   relations  les  plus  cordiales  et  dont  plus  que  personne 
nous  admirons  le  zèle  et  le  dévouement. 

A.  Gabert. 


LE    NEUME-TEMPS  RYTHMIQUE 
DEVANT  LA  CRITIQUE 

{Suite  et  fin)  (4) 

Au  début  de  la  deuxième  partie  de  cette  étude  (2),  j'ai  dit  : 
«  5?'  d'une  -part  le  principe  est  admissible  pour  les  neumes 
représentant  un  mouvement  mélodique  de  deux  ou  trois 
sons...  etc.,  et  j'ajoutais  en  note  :  «  Pourquoi  ceux-là  seuls, 
on  serait  en  peine  de  le  démontrer . 

Après  réflexion,  je  pense  qu'il  est  mauvais  de  paraître  me 

1.  Voir  n"'  8  et  H. 

2.  V.  n°  11,  i>.  198. 


220  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

contenter  moi-même  de  l'acquiescement  tacite  de  mes  criti- 
ques sur  ce  point,  et  j'espère  démontrer  sans  effort  que  ces 
neumes  simples  sont,  comme  les  neumes  composés,  de  réelles 
unités  rythmiques.  Mon  argumentation  ne  pourra  que  forti- 
fier le  jugement  de  mes  adversaires.  Et  au  lieu  de  nous 
occuper  simplement  des  neumes  composés  de  4  à  8  sons  (1), 
nous  ferons  une  seule  étude  plus  documentée  sur  l'ensemble 
de  la  question. 

On  a  vite  fait  à  notre  époque  de  qualifier  «  affirmations 
personnelles  dénuées  de  fondement,  manquant  d'auto- 
rité, etc.  (2)  »,  toutes  déductions  présentées  avec  une  mâle 
assurance  par  leur  auteur. 

On  verra  tout  à  l'heure  ce  qu'il  en  est,  et  si  mes  affirma- 
tions répétées  manquent  de  fondement,  à  défaut  du  prestige 
que  donnent  des  titres  académiques  ou  autres. 

Néanmoins,  ce  reproche  m'ayant  été  adressé  dans  quelques 
publications,  je  n'esquiverai  pas  ma  justification,  à  supposer 
que  j'en  doive  une,  si  mince  soit-elle,  à  qui  que  ce  soit. 

La  question  posée  par  nous  dès  l'abord  se  compose  de  deux 
propositions,  corollaires  Tune  de  l'autre. 

Tout  signe  neumatique  est-il  une  unité  rythmique,  quel  que 
soit  le  nombre  de  notes  qu'il  représente  ;  et,  les  diverses  sortes 
de  notes  longues  ou  brèves,  proportio)inelles  les  unes  aux 
autres  dans  le  rapport  du  simple  au  double,  trouvent-rdes 
dans  renseignement  ancien  la  Justification  de  leur  existence 
dans  nos  traductions  de  pièces  grégoriennes  ?  m  . 

On  comprend  bien  qu'il  s'agit  ici  des  signes  neumatiques 
figurant  un  tout  compact,  défini,  nettement  séparé  de  ses 
voisins  dans  les  manuscrits.  Ceci  compris,  on  saisira  aisément 
la  portée  de  la  seconde  proposition  concernant  les  diverses 
sortes  de  notes  longues  ou  brèves  que  nous  faisons  figurer 
dans  le  groupe  musical  correspondant  au  groupe  neumé. 

Rappelons  enfin  que  le  genre  égal  est  plus  spécialement 
choisi  par  les  compositeurs  du  répertoire  grégorien  et  que, 
dans  ce  genre  de  rythme,  la  longue  égalant  la  durée  totale  du 
pied  rythmique  est,  dans  nos  traductions,  représentée  par 
une  NOiKE,  laquelle  se  subdivise  en  croches,  en  doubles  et  en 
triples  croches. 

1.  Ainsi  que  le  faisait  prévoir  notre  P.  S.  de  la  page  202,  n"  11. 

2.  C'est  l'arme  favorite  des  critiques  à  court  d'arguments  contraires. 
Mais  ces  autorites  ne  se  trompent-elles  jamais? 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  221 

Et,  entrant  dans  notre  sujet,  nous  répondons  :  Oui  !  Tout 
signe  neumatique  est  réellement  une  unité  r?/thmiçue. 

Je  reste  aussi  affîrmatif  que  par  le  passé  sur  le  fait  théo- 
rique du  NiiUME-TExMPS,  cu  dépit  des  hésitations  formulées  par 
quelques  écrivains  en  renom,  comme  en  dépit  des  exclama- 
tions saugrenues  de  quelques  critiques  dérangés  dans  leur 
farniente  d'hommes  arrivés  ! 

Mes  raisons  de  cette  ténacité  trouvent  leur  poids  dans  les 
textes  théoriques  anciens,  proposés  par  les  commentateurs 
modernes  à  la  méditation  du  public  que  la  connaissance  de  la 
vérité  archéologique  attire  encore  après  tant  de  polémiques 
stériles. 

Pour  faciliter  au  lecteur  le  contrôle  des  citations  nom- 
breuses que  je  me  propose  de  faire,  citations  qui  se  retrouvent 
périodiquement  d'ailleurs  dans  les  revues  dites  de  Miisica 
Sacra,  j'ai  pris  soin  de  les  collationner  uniquement  dans  les 
articles,  remarquables  par  la  lucidité  de  leur  conception, 
qu'un  érudit  incontesté,  M.  l'abbé  J.  Dupoux,  a  bien  voulu 
écrire  pour  l'édification  de  nos  communs  lecteurs. 

Avant  toutes  choses  :  Le  rythme  antique  procède-t-il  par 

ÉGALITÉS  DE  VALEURS  APPELÉES  PIEDS  RYTHMIQUES  ? 

L'Antiquité  répond  parles  écrits  de  ses  théoriciens  les  plus 
en  renom  :  Oui  !  (1)  attendu  que  : 

1°  «  Tout  assemblage  de  temps  on  de  pieds  qui  se  succèdent 
dans  un  ordre  régulier,  sans  mélanges  de  pieds  discoudants, 
prend  le  nom  de  rythme '2),  »  Or,  la  mélodie  grégorienne 
était  rythmée  musicalement;  ce  point  est  hors  de  contestation 
aujourd'hui,  et  le  rythme  fondé  sur  l'accent  oratoire  est  l'in- 
vention la  plus  fausse  que  l'on  puisse  défendre  (3)  :  donc  tous 
les  pieds  employés  dans  cette  mélodie  sont  égaux  entre  eux, 
et  puisque  les  signes  neumatiques  sont  la  représentation,  un 
à  un,  des  pieds  rythmiques  (4),  tous  pieds  égaux  entraînent 
tous  neumes  égaux,  puisque  encore  le  rythme  ne  tolère,  dans 
son  développement,  l'intfoduction  d'aucun  pied  discordant 
de  mesure  différente,  dit  saint  Augustin  (5),  sans  quoi  le 
rythme  est  déjectueux. 

1.  II  nous  resterait  donc  à  prouver  qu'un  neume  est  bien  la  figure 
conventionnelle  représentant  un  pied  antique.  Mais  d'un  mot 
Guy  d'Arezzo  nous  évite  cette  peine  :  voir  plus  loin. 

2.  V.  n"  7,  p.  102,  etn°8,  p.  131. 

3.  V.  Articles  J.  Oupoux  :  n"  2,  p.  21  ;  n°  3,  p.  37. 

4.  Cmfi  et  neuina;  loco  sint  pediim.  G.  d'Arezzo,  iVIicrol.,  XV,  10. 
;;.  V.  n"  11,  p.  19i-. 


222  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

IP  «  Les  Anciens  semblent  s'être  représenté  le  rythme 
comme  un  long  ruban  ou  une  chaîne  composée  d'anneaux 
égaux^  c'est-à-dwe  de  pieds  rythmiques  égaux  »:  Gonfiimation 
absolue  du  P  que  l'on  vient  de  lire  (1). 

IIP  «  Le  rythme  est  une  succession  de  temps  coordonnée.  » 
Or,  cette  coordination  ne  peut  s'obtenir  que  par  régalité  des 
groupes  de  valeurs  composant  \q?,  pieds  de  base.  Nous  le  ver- 
rons plus  loin,  mieux  encore  que  nous  ne  l'avons  vu  précé- 
demment, s'il  est  possible, 

IV"  «  Cest  la  loi  des  temps  qui  mesure  et  maintient  le 
rythme  (2).  »  Or,  la  loi  des  temps  oblige  —  que  le  rythme 
envisagé  soit  binaire  ou  ternaire,  c'est-à-dire  simple  ou 
double,  1  :  1  ou  2  :  1  —  à  les  assembler  do  telle  façon  que 
l'on  forme  des  groupes  successifs,  ou  mieux,  des  successions 
rythmiques  toutes  égales  en  durée  les  unes  aux  autres,  quel 
que  soit  le  nombre  de  sons  différents  qu'il  plaise  au  compo- 
siteur de  faire  entendre  dans  une  même  formule.  En   effet  : 

V°  «  Pour  les  Anciens,  le  rythme  musical  consiste  dans  la 
division  du  temps  en  fractions  distinctes  et  bien  ordonnées,  et 
POUR  ÊTRE  RYTHMIQUES  cllcs  doivcnt  sc  groupcr  en  intervalles 
réguliers  appelés  pieds  dont  le  levé  et  le  fropjié  recenant  pério- 
diquement forment  les  parties  constitutives;  d'où,  résulte  le  sen- 
timent de  l'ordre  produit  par  l'unité  de  mesure  dans  les  temps 
et  l'égalité  de  durée  dans  les  pieds  (3).  » 

Il  n'est  pas  besoin  de  commentaire  à  ce  commeniaire  môme 
de  la  théorie  antique  fait  par  l'érudit  auquel  nous  rendions 
hommage  au  début  de  ces  lignes  ! 

VP  Suivant  F.  Quintilien  «  les  rythmes  n'ont  pas  de  variété 
dans  leur  enchaînement  et  jusqu'à  la  fin  doivent  se  suivre 
avec  le  même  levé  et  le  même  frappé  quils  avuient  en  com- 
mençant »,  jusqu'à  la  métabole,  c'est-à-dire  «  Jusqu'à  ce  qu'on 
passe  à  un  autre  genre  de  rythme  (4).   » 

Est  ce  assez  décisif  en  faveur  de  l'égalité  absolue  et  obli- 
gatoire de  tous  les  pieds  entre  eux;  et  ce  n'est  pas  tout 
encore. 

VJP  D'après  Cicéron  ^  h-  rythme  dans  les  sons  résulte  de 
certaines  impressions  qui  reviennent  à  inlerca'lcs  égaux  »  ; 

1.  .le  renvoie  le  lecteuiù  mon  commeniaire,  n"8,  p.  I^fl.  Voyez.  mèiiK^ 
lievue,  11°  7,  p.  103. 

2.  V.  n"  8,  p.  125. 

3.  V.  n»  4,  p.  (iO. 

4.  V.  n°  4,  p.  00. 


l'avenir    de    la    AIUSIQUE    SACRÉE  223 

car  «  ce  qui  constitue  le  rythme  c'est  la  distinction  et  le  frappé 
d'intervalles  égaux  et  souvent  vaines  (1).  » 

Toujours  l'égalité  des  pieds  posée  en  principe  ab'^olu  ;  mais, 
dans  ce  texte,  apparaît  la  «  variété-»  des  intervalles.  Qu'en- 
tend-on par  variété?  Rien  autre  que  la  diversité  des  combi- 
naisons de  valeurs  rythmiques  des  pieds  successifs  ;  mais 
cette  «  va?'iété  »  était  soumise  à  la  loi  suprême  des  temps  : 
l'égalité  de  tous  les  pieds.  En  effet: 

VIIl°  «  Onpoîtvait  varier  la  composition  des  pieds  rythmi- 
ques sans  sortir  du  genre  que  Von  avait  adopté^  c  est-à-dire  en 
observant  toujours  le  même  rapport  entre  le  levé  et  le  frappé: 
car  sans  cette  continuité  de  proportions  le  rythme  n'aurait  pas 
été  déterminé  ni  smsible  pour  f  auditeur  »  ;  et  «  on  approuve 
le  mélange  des  pieds,  pourvu  que  l'égalité  soit  gardée  (2).   » 

Dira-t-on  maintenant  que  les  Anciens  mélangeaient  tous 
les  pieds  imaginables  pour  produire  de  la  variété?  On  l'a 
écrit  assez  souvent  à  la  légère  pour  que  j'insiste  un  peu  sur 
ce  sujet.  Je  me  suis  élevé  avec  force  contre  cette  erreur,  dans 
tous  mes  écrits.  Avais-je  tort? 

IX"  «  Tout  en  se  prêtant  à  la  plus  grande  variété ,  le 
rythme  n'a  rien  de  vague  ni  d'indéfini  :  car^  dit  Aristoxène, 
notis  ne  réunissons  pas  des  pieds  formés  de  temps  indéterminés, 
mais  bien  des  temps  précis  limités  en  nombre  et  en  grandeur 
et  disposés  l'un  par  rapport  à  l'autre  avec  ordre  et  symé- 
trie (3)  ». 

X"  «  N' approuvez-vous  pas,  demande  saint  Augustin  à  son 
élève,  que  l'on  mélange  les  pieds  tout  en  observant  l'éga- 
lité (4)  ?  Qu'y  a-t-il  de  plus  agréable  à  l'oi^eille  que  cette 
variété  dont  elle  est  charmée,  pourvu  que  l'égalité  ne  soit  pas 
violée  »  ;  et  plus  loin  :  «  C'est  par  l'égalité  que  le  pied  peut 
s'assembler  avec  le  pied  (5).  » 

Enfin  une  dernière  citation  : 

Xl°  Pour  saint  Augustin,  comme  pour  tous  les  rythmi- 
cions  de  l'antiquité  et  pour  tous  ceux  du  moyen  âge,  «  l'objet 
du  rythme  est  la  mesure  certaine  des  temps  ;  mais  une  succes- 
sion de  temps  ne  peut-être  rythmique  qu'autant  que  les  durées 
longues  et  brèves  ocrent  entre  elles  une    proportion  déier- 

1 .  V.  n»  4,  p.  59. 

2.  V.  n»  4,  p.  59. 

3.  V.  n»  4,  p.  60. 

4.  V.  n"  11,  p.  194. 
ii.  V.  n"  11,  p.  195. 


224  l'avenir  de  la  musique  sackée 

minée  ef  forment  une  suite  d'intervalles  égaux  (1).»  Quelle  est 
celte  proportion  déterminée  ?  C'est  ce  que  nous  allons  voir 
ci-après. 

Première  conclusion.  Tous  les  pieds  d'un  genre  rythmique 
donné  sont  égaux  dans  la  période  musicale  oii  ils  figurent, 
et  la  plus  grande  variété  de  combinaisons  est  permise,  pourvu 
que  le  total  des  valeurs  fractionnaires  qui  les  composent  soit 
conforme  à  un  type  fixé  ab  initio,  type  qui  est  l'unité  ryth- 
mique de  l'œuvre  envisagée. 

Mon  «  affirmation  personnelle  »  s'appuie  donc  sur  l'auto- 
rité des  théoriciens  passés,  seuls  à  consulter. 

Autre  aspect  de  la  question  (2'  proposition). 

On  vient  de  voir  que  les  anciens  rylhmiciens  parlent  de 
variété  dans  la  composition  des  pieds,  et  que  cette  variété 
consistait  dans  le  mélange  fait  avec  goût  des  diverses  for- 
mules rythmiques  dont  la  combinaison  est  possible  avec  les 
éléments  fractionnaires  qui  entrent  dans  la  constitution  du 
pied-type.  Mais,  immédiatement,  l'esprit  aura  classé  ces 
diverses  formules  et  sera  étonné  que,  avec  si  peu  de  combi- 
naisons, les  anciens  compositeurs  aient  pu  parvenir  à  pro- 
duire cette  «  prodigieuse  variété  de  ri/thmes  »  dont  leurs 
techniciens  nous  vantent  l'emploi  habituel. 

Prenons  un  type  courant,  le  pied  dactylique  par  exemple. 
Il  est  composé  de  4  temps  brefs  répartis  en  une  longue  de 
deux  temps  brefs  suivie  de  deux  brèves  d'un  temps  chacune. 
Evidemment,  les  seules  combinaisons  rythmiques  possibles 
avec  de  tels  éléments  sont  restreintes  à  i°  Une  valeur  longue 
égalant  en  entier  les  quatre  temps  brefs;  2°  un  pied:  spondée: 
2  longues;  3°  un  pied  :  dactyle,  déjà  vu;  4°  un  pied  :  ana- 
peste: 2  brèves,  1  longue  ;  5°  un  procéleusmatique  :  4  brèves. 

Est-ce  donc  cela  seul  que  nous  laissent  penser  les  Anciens? 
Evidemment  non, et  c'est  la  grande  erreur  d'autres  commen- 
tateurs modernes  de  s'acharner  à  retrouver  ^^er  /as  et  nefas, 
dans  les  neumes  médiévaux,  les  pieds  métriques  antiques 
qui  n'ont  que  faire  ici. 

Je  l'ai  répété  vingt  fois  au  moins  dans  mes  publications  : 
les  pieds  métriques  se  retrouvent,  certes,  dans  la  mélodie, 
mais  c'est  une  utopie  de  vouloir  les  retrouver  tous  et  rien 
qu'eux,  attendu  que  :  autre  chose  est  le  rythme  musical  ! 


1.  V.  n»  11,  p.  197. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  225 

Le  prouverai-je  par  une  affirmation  banale,  personnelle  ? 
Oh  !  que  non  pas  ! 

Prenons  encore  nos  références  dans  le  passé  : 

P  La  musique  n'étant  pas  liée  par  la  marche  des  pieds  — 
comme  la  poésie  —  elle  augmente  ou  diminue  à  son  gré  la 
durée  des  notes  (1). 

Est-ce  assez  dire  que  la  musique  ne  se  contente  pas  de  la 
longue  et  de  la  brève  de  la  prosodie,  mais  augmente  à  son  gré 
la  longue  et  abrège  la  brève  lorsqu'il  lui  plaît  qu'il  en  soit 
ainsi  ?  Et  en  langage  clair  cela  ne  signifie-t-il  pas  que  la  mu- 
sique crée  à  son  gré  toute  la  classification  des  valeurs  inter- 
médiaires complétant  la  série  des  longues  et  des  brèves  ? 

Est-ce  encore  une  affirmation  personnelle,  une  conclusion 
hardie  tirée  d'une  hypothèse  ?  Lisons  ce  qui  suit  : 

11°  «  Le  temps  bref  étant  pris  comme  unité  de  durée,  on 
pouvait, en  le  multipliant  ^produire  des  temps  doubles,  triples, 
quadruples  (2),  et,  de  plus,  les  musiciens  n'attribuaient  pas 
une  valeur  égale  à  toutes  les  longues  et  à  toutes  les  brèves, 
mais  admettaient  des  longues  augmentées  et  des  brèces  dimi- 
nuées (3).  » 

En  langage  clair  encore,  nous  trouvons  ici  la  confirmation 
de  la  classification  complète  de  nos  valeurs  modernes,  telle 
que  je  la  donnais  en  commençant  cette  démonstration  :  lon- 
gues de  quatre,  de  trois,  de  deux  temps;  brèves  d'un  temps; 
brèves  d'un  demi-temps.  En  d'autres  termes  :  création  de  la 
ronde,  de  la  blanche  pointée,  de  la  blanche,  de  la  noire,  de 
la  croche;  et,  si  nous  abaissons  à  la  noire  moderne  l'étalon 
de  valeur  représentant  un  pied  total,  comme  je  le  propose 
pour  la  lecture  des  formules  neumatiques,  nous  trouvons  la 
noire,  la  croche,  la  double  croche,  la  triple  croche  et  toutes 
les  combinaisons  de  ces  valeurs  avec  point  d'augmentation 
produisant  par  leur  assemblage  des  pieds  rythmiques  dont  les 
combinaisons  sont  réellement  prodigieuses  de  variété.  C'est 
donc  une  mise  au  point  du  sens  du  texte  qui  était  à  faire,  et 
je  crois  l'avoir  faite  ici. 

Ai-je  outrepassé,  dans  cette  nomenclature,  les  bornes  de  la 
raison  en  poussant  à  sa  limite  naturelle  la  série  des  valeurs 
possibles?  J'en  appelle  à  ceci  : 

111°  «   //  n'y  avait  plus^  à  proprement  parler,  de  pieds 

\.  V.  n°'7,p.  I0:j. 

2.  V.  n^T.p.  104. 

3.  V.  n°  7  p.  104. 


L  AVEMR    DE    LA    MUSIQUE    SACRÉE 

caraclérués  dans  les  rythmes, puisque  la  fantaisie  dumusicien 
y  mélangeail  à  son  gré  les  longues  et  les  brèves  {!).  » 

Remémorons  que  ce  mélange  —  et  la  variété  ainsi  obtenue 
—  ne  pouvait  se  faire  qu'autant  que  r égalité  des  pieds  suc- 
cessifs   €   ^E  FÛT  PAS  VIOLÉE   ». 

Posons  ilonc  notre  deuxième  conclusion  : 

Tous  les  pieds  étant  égaux  —  fait  acquis,  —  les  diverses 
valeurs  concourant  à  la  formation  desdils  pieds  sont  toutes 
des  sous-midtiples  d'une  valeur  plus  grande  prise  comme 
unité-type;  et,  dans  chaque  groupe  de  notes  formant  un  rythme 
d'un  iy^Q  fué on  tant  que  durée,  les  notes  peuvent  avoir  une 
durée  particulière  autre  que  celle  qu'elles  auraient  obligatoi- 
rement si  le  pied  rythmique  était  toujours  et  n'était  que  le 
décalque  d'un  pied  métrique  usuel. 

En  d'autres  termes,  le  pied  métrique  est  une  chose,  le  pied 
rythmique  une  autre. 

Le  pied  métrique  est  à  la  base  de  l'art  du  rythme,  le  pied 
rythmique  est  au  sommet  et  ne  cesse  de  s'élever  de  plus  en 
plus  haut  depuis  deux  mille  ans.  Le  pied  métrique  est  une 
pauvreté  musicale,  le  pied  rythmique  une  richesse,  sinon  la 
richesse  par  excellence,  puisque  une  œuvre  musicale  n'existe 
que  par  le  rythme  qui  la  vivifie. 

Autant  dire  que,  s'ils  ont  une  commune  origine,  chacun 
d'eux  a  évolué  dans  un  sens  différent,  à  tel  point  que  ce  n'est 
que  par  le  nom  qui  sert  ù  spécifier  par  analogie  de  consti- 
tuer tel  ou  tel  pied  rythmique  comparé  à  tel  pied  métrique, 
dont  le  rythme  est  identique,  que  l'on  retrouve  le  lien  qui 
les  unit, 

x\vais-je  donc  tort,  demandé-je  encore  une  fois  en  termi- 
nant, de  dire  que  le  système  bénédictin  est  faux,  archifaux  ? 
On  conviendra  que  non. 

Ai-j(>  eu  tort  de  déclarer  à  maintes  reprises  que  ma  théorie 
est  irréfutable,  inattaquable?  On  conviendra  que  non. 

Je  m'arrête  sur  ces  deux  constatations,  et,  en  présence  de 
certaines  polémiques,  déshonorantes  pour  leurs  auteurs, 
dirigées  contre   moi,  je  regrette  d'en  faire  une  troisième  : 

NOUS  CATHOLIQUES...  NOl  S  GÊNONS  DES  CATHOLIQUES'. 

Pour  la  pratique  du  chant,  que  résulte- l-il  de  tout  ce  qui 
précède?  Quoique  chose  de  bien  simple,  en  réalité. 

1.  V.  n"  7,  p.tOîi. 


L  AVENIR    DE    LA    MUSIQtE    SACREE 


22H 


-  '  i^vii^QiE.  tous  les pif'f/s  rythmiques  qui  composent  une  'rH''lodie 
SONT  ÉGAUX  (1),  dans  le  uYTHME-TVPEjyr?.s/>»of<;'  A«se,  jusqu'au 
eéiJAWGEMeNï'iDË  RYïH.ÂrE  af/;?«?/e  «  lïiétabole  »,  et  que,  à  partie  de 
ce  chanqement  de  rythme  (non    «  de  simple  moavoment  ») 

LES  PIEDS  SONT  DE  NOUVEAT  ,  ENCOHE  ET  TOUJOURS  ÉGAUX  EN  1  RE  EUX, 

bien  que  constitués  cPaptès  une  has^  nouvelle  (2),  il  ressort 
que,  avant  de  tradmre  une  pièce  grégorienne,  il  faut,  par 
l'inspection  de  la  ligne  iiouméc,  découvrir  1°  le  caractère  de 
cette  pi('ce;  2"  le  genre  de  rythme  dans  lequel  elle  fut  pensée  et 
écrite  au  début. 

Et  la  chose  est  aisée,  irès  aisée  même,  puisque  :  1°  le 
répertoire  grégorien  se  compose  princi|»;ilement  de  deux 
genres,  bien  caractérisés,  de  pièces  musicales:  les  pièces 
simples  (introïts,  communions...  en  général),  les  pièces  dites 
/?ewne.s  (3)  (graduels,  alléluia),  et  occasionnellement  de 
pièces  que  je  dénommerai  pièces  mixtes  dont  une  partie 
ressort  du  genre  simple,  l'autre  du  genre  fleuri, 

C'est  par  la  nature  des  groupes  simples  ou  compliqués  que 
l'on  s'en  rendra  compte.  2"  pour  le  genre  du  rythme  des  (lits 
groupes,  nous  avons  un  guide  précieux  dans  la  notation  neu- 
matique  par  le  moyen  des  «  strophici  »  (4)  (distropha  et  tris- 
troplia,  bivirga  et  trivirga)  dont  les  pièces  sont  é maillées,  et 
qui  à  première  vue  indiquent,  dans  la  plupart  des  cas,  le  genre 
du  rythme  de  la  pièce  à  traduire. 

Maintenant,  reprenant  le  principe  fondamental  du  pied 
rythmique,  unité -type,  nous  dirons:  Los  Anciens  considé- 
raient comme  unité-type  le  pied  simple  (o),  pour  les  pièces 
simples    de  lear  répertoire,  et  le  pied  composé  {&) ,  pour  les 

1.  V.  Groiset.  La  Poésie  de  Pindare,  p.  33,  et  le  témojiinage  do  Quinti- 
lien,  même  pa^e,  note  2. 

2.  C'est-à-dire  en  langage  moderne  :  toutes  les  mesures  d'une 
œuvre  à  2"i-,par  ex.,  sont  égales  entre  elles  jusqu'à  un  changement  de 
rythme  {mctabole)  eu  6/8,  par  ex.,  dont  les  mesures  sont  à  leur  toiu' 
égales  entre  elles. 

3.  V.  mou  ouvrage,  |i.  191.  et  suiv.,  sur  toute  classification  qui  ne 
peut  avoir  rien  d'al)Solu  on  le  conçoit. 

4.  V.  mon  ouvrage,  p.  20  et  p.  16(). 

î».  Du  type  «  dactyle  »  dans  le  genre  égal  (binaire  moderne)  ;  du 
type  «  iamlii'  »  dans  le  genre  double  (ternaire  moderne),  ré^^erve  faite 
pour  la  manière  do  battre  la  dipodie  antique  ;  du  type  «  péon  »  dans  le 
genre  hémiole  (."i  temps  moderne). 

G.  Sur  ce  terme  «  pied  composé  »,  qui  est  celui  de  Benloew,  il  y  a  une 
double  acception  dont  il  importe  de  se  défier.  Pour  Aristox^ne  le 
«  pied  compose  »    est  le   membre  de  phrase  des   théoriciens  j)Ost(^rieurs 


228  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

pièces  au  rythme  large  et  couipliqué  [fleuri^  en  langage  tech- 
nique grégorien). 

Nous  ferons  de  même  en  chant  grégorien,  mais  avec  cette 
différence  que  nous  adoptons  un  seul  type  graphique,  la 
noire  (1),  pour  la  traduction  en  notation  moderne  de  l'unité 
rythmique  représentée  par  le  neiime. 

Cette  noire  représentera  par  conséquent  le  pied  simple 
aussi  bien  que  le  pied  composé. 

Dès  ici,  en  faisant  un  retour  sur  nous-mêmes,  nous  trou- 
verons l'analogie  certaine  existant  entre  le  mode  de  classifi- 
cation des  rythmes  antique  et  médiéval. 

Au  pied  simple  antique  répond  le  neume  simple  tnédiéval; 
au  pied  composé  antique  répond  le  neume  composé  médiéval. 

S'il  est  nécessaire  de  présenter  ceci  en  langage  courant, 
nous  dirons  :  le  neume  simple  égalant  la  syllabe  simple 
{solo),  le  neume  composé  égalant  la  syllabe  redoublée  {dupli- 
cata) de  l'enseignement  du  moyen  âge,  donc  dans  les  pièces 
simples  l'unité  rythmique  est  la  syllabe  simple  (représentée 
par  un  neume  simple,  figure  graphique  du  pied  simple),  et 
dans  les  pièces  compliquées  (fleuries)  1  unité  rythmique  est 
lu  syllabe  double  (i)  (représentée  par  un  neume  composé, 
figure  graphique  du  pied  composé  antique^. 

Objection  possible.  Y  aurait-il  doute  pour  quelques  pièces, 
au  regard  du  caractère  simple  ou  fleuri  à  leur  attribuer, 
qu'aucune  difficulté  ne  saurait  être  élevée  à  ce  sujet. 

En  effet,  tous  les  pieds  étant  égaux  et  une  unité  de  base 
étant  adoptée  a  priori;  la  traduction  étant  laite,  d'autre  part, 
d'après  un  seul  type  graphique  (la  /loire  on  s'en  souvient),  il 
est  clair  que  la  notation  sera  toujours  régulière,  dans  tous  les 
cas,  et  que  ce  n'est  plus  qu'une  question  de  mouvement  à 
prendre  à  l'exécution. 

Ce  qu'en  langage  moderne,  plus  compréhensible  pour  la 
masse  des  lecteurs,  nous  expliquerons  :  Que  nous  importe 
qu'un  adagio  par  ex.,  soit  noté  en  mesure  2/16,  ou  2/8,  ou  2/4, 
ou  2/2,  ou  en  mesure  3/16,  ou  3/8,  ou  3/4,  ou  3/2,  ou  encore 

Nous  l'entendons  iji  de  pieds  se  décomposant  en  deux  pieds  simples, 
mais  ne  formant  néanmoins  qu'une  seule  unité  rythmique.  Ce  sont  les 
ioniques,  choriaral)CS,  doctimiaque,  et  non  des  pieds  doublés  comme  le 
spondée  double  par  ex. 

1,  Mon  Appendice,  p.  296.  Je  ne  crois  pas  pouvoir  expliquer  mieux 
ici  que  je  n'ai  fuit  là  le  mécanisme  de  ces  unités-lypos.  J'y  renvoie  le 
lecteur. 


L* AVENIR    DE    LA    MUSIQUE    SACRÉE  229 

en  mesure  6/16,  ou  6/8,  ou  6/2,  ou  en  toute  autres  selon,  bien 
entendu,  que  le  rythme  de  l'œuvre  est  binaire  ou  ternaire? 
Les  musiciens  de  métier  ne  s'y  tromperont  pas.  La  lecture 
est  aussi  aisée,  en  effet,  dans  un  type  de  mesure  que  dans 
l'autre,  et,  pourvu  que  le  mouvement  métronomique  soit 
inscrit  en  tête  de  la  pièce,  nul  n'hésitera  sur  le  mouvement  k 
prendre. 

Grande  complication,  m'a-t-on  objecté  sans  réflexion, 
autrefois  pour  les  Anciens,  aujourd'hui  pour  nous,  modernes  ! 

Erreur  absolue.  D'abord,  les  Anciens  savaient  tout  et  chan- 
taient tout  de  mémoire  ;  la  notation  neumatique  était  pour 
eux  un  simple  aide-mémoire  (1)  comme  l'est,  pour  nous,  la 
nôtre  dans  un  cas  semblable.  Ensuite,  nous  moderjies,  nous 
ne  lirons  pas  les  neumes,mais  bien  une  transcription  faite  en 
notre  notation  usuelle.  Dès  lors,  le  travail,  pénible  ou  facile 
—  ce  dont  le  lecteur  n'a  pas  à  se  soucier — ,  incombera  au  tra- 
ducteur. Nous  devons  presque  nous  excuser  d'entrer  dans  de 
si  minces  détails;  mais  on  comprendra  qu'il  faut  parer  dès 
maintenant  à  toute  espèce  de  velléité  de  contradictions  sur 
les  infiniment  petits  côtés  de  la  question  en  suspens. 

Au  point  de  vue  pratique,  en  adoptant  la  noire  comme 
type  graphique,  nous  remarquons  : 

1°  Que  les  pièces  simples  n'offriront  à  l'œil  qu'une  suite 
de  groupes  musicaux  simples,  composés  de  2  ou  3  ou  4  notes 
au  plus,  dans  lesquels  Xa^noire  représentera  la  syllabe  longue 
égalant  à  elle  seule  le  pied  rythmique  total  (2)  ;  la  croche 
représentera  la  longue  ordinaire  de  la  prosodie,  du  spondée 
par  ex.  ;  la  double  croche  représentera  la  brève  usuelle  du 
dactyle,  de  l'anapeste,  du  procéleusmatique  ;  la  croche 
pointée  représentera  la  longue  allongée  du  trochée  (3),  par  ex. 
lorsque  ce  pied  est  introduit  dans  un  rythme  binaire  (genre 
égal  des  Anciens);  la  double  croche  pointée  représentera  la 
longue  irrationnelle  du  dactyle  cyclique,  par  ex.  ;  et  la  triple 
croche,  si  la  notation  en  requiert  l'emploi,  représentera  la 
semi-brève^  ou  Bracheias,  Brachutera,  des  rythmiciens 
grecs. 

Nota.  On  voit  que  toutes  les  combinaisons  usuelles  antiques  trouvent 
place  dans  notre  genre  de  notation  en  respectant  toujours  le  rapport 
de  1  :  2  fondamental  dans  la  rythmopée. 

\.  V.  mon  Appendice,  p.  283. 

2.  V.  Benlœw.  Précis  des  rythmes,  p.  32. 

3.  V.  Croiset,  ouv.  cité,  page  63. 


230  l'avenih  de  la.  musique  ^sacrée 

2°  Que  les  pièces  fleuries,  au  contraire,  oITriront  à  l'œil 
une  suite  de  groupes  musicaux  plus  compliqués,  et  c'est  fort 
naturel,  puisque  ie  pied  composé  qui  est  l'unité  rythmique 
des  dites  pièces  est  constitué  fondamentalement  par  un  plus 
arand  nombre  de  valeurs,  premiers  sous- multiples  directs 
de  Tunité-type.  Eu  conséquence  le  fractionnement  sera  toi^r, 
iours  plus  fréquent  que  dans  le  premier  cas  (pièces  sioiples  à 
rythmes  simples  de  2,  3  ou  4  notes). 

j«^'y-i^   Résultat  :   prenunt  une  pièce    simple,    le»   jiieds  simplos 

abondent;  prenant  une  pièce  lleurie,  ce  sont  1ns  pieds,  composés.  Les 
uns  coinme  les  autres  sont  runitc  respective  de  chacun  des  deux 
«^enres  de  rythme  et  la  spécification  caractéristique  du  mouvement  de 
chaque  pièce. 

Conséquence  palpable  à  la  première  vue  de  nos  transcrip- 
tions, nous  distinguons  la  pièce  simple  de  la  pièce  fleurie,  et 
nous  en  distingimns  également  par  contre  coup  le  mouvement 
rythmique  général  par  rapport  à  la  pièce  qui  ravçisine  (1)  : 
avantage  à  considérer  si  ron  songe  que  peu  d'apiafeurs  (et 
nos  chantres  sont  des  sous-àmateurs,  sinon  moins  encore), 
sont  capables  de  dire,  même  à  seconde  vue,  le  mouvement 
qui  convient  à  une œiivre  musicale. 

Finalement,  s'il  est  nécessaire  de  |)résenter  une  réc,aj,)itijdi^- 
tion  très  succincte  ctpositive  de  cel  exposé,  disons  :''',' "    /  • 

prenons  une  pièce  neumée  et  posons-nous  les  deux  q^e^j^ 
lions  suivantes  : 

i"  EsL-<'llc  riiMPLEOw  KM:riui:? 

Les  groupes  neumafiques  en  7najoi'itr  si.mples  (podatus, 
clivis,  torculus,  porrectus.di  et  tri  stropha,  bi  et  tri-virga, 
scandicus,  climacus)  ou  coMin.iouÉs  (tous  groupes  dits  «  rcsii- 
pini  »  simples,  doubles,  triples)  (2)  nous  dicteront  la  réponse. 
■   Abondance  de  groupes  simples  =^  pièce  simple. 

Abondance  de  groupes  compliqués  =  pièce  fleurie. 

11°  Est-elle  écrite  neumaliquement  en  rythme  b|is'aj]^e()^^^^;^ 

UYTUME  TEIINAIRE?      '  ,        ,      ,  ,    ;  ,\, 

Les  groupes  <<  strophici  »  ef  les  groupes  a  répercussion  J^a^ç 
redoublement  d'éléments  fondamentaux  (3)  nous  l'indi- 
queront. 

1.  C'est  ^itsoluméïlt  ce  qui  se  passe  lorsque  nous  ouvrons 'uii>oîuÀ|e 
de  Hmàtes  cfassiijiicl  Au  premier  regard  nous  disrtJiiniohs'  ï Adagio  de 
VAUeuro  ou  du  Minuallo  et  nous  en  connaissons  immédiateméni  le 
Mouvement  à  prendre.  Il  en  sera  de  mème^^vec  nqs  |-radui',tious. 

2,  V.  mon  ouvrage,  p.  20  à  110.  ,i)/  ,  -   ! 
:\.  V.  mon  ouvraire,  p.  20  el  suiv.     ^^  ^^ 


l'avenir    de   la   musique    SACRÉt:  231 

Si  les  groupes  neumatiques  de  2  ou  4  notes  abondent,  sont 
en  majorité,  le  rj^thme  est  bixaiki:;  il  est  ternaire  si  les 
groupes  de  trois  sons  et  leurs  dérivés  sont  en  majorité.  (Pour 
ce  genre  de  rythme  il  y  a  d'autres  considérations  à  faire 
entrer  en  ligne  d'analyse.  Ce  n'est  pas  le  moment  d'entamer 
cette  nouvelle  discussion).  .'  . 

Enfin,  les  deux  mêmes  considérations  peuvent  entrer  en 
jeu  dans  l'analyse  de  certaines  pièces  qui  paraissent  avoir  été 
composées  dans  plusieurs  rythmes  dilTérents  successifs.  C'est 
ici  que  nous  retrouverons  la  «  métabole  »  des  Anciens.  L'ex- 
ception conlirme  d'ailleurs  notre  thèse. 

Ces  deux  points  fixés,  la  traduction  est  aisée,  la  lecture 
ne  laisse  place  à  aucun  doute,  et  l'exccation  ne  souffre  aucune 
autre  difficulté  que  celle  qui  naît  de  l'incapacité  profession- 
nelle de  ceux  qui  l'aborderont  sans  préparation.  En  tout 
n'en  est-il  pas  ainsi  ? 

Restons-en  là,  et  que  les  sourds  volontaires^  les  aveugles 
volontaires  veuillent  bien  entendre  et  voir;  la  polémique  aura 
bientôt  cessé  pour  le  plus  grand  profit  de  la  cause  qui  nous 
tient  au  cœur:  la  restauration  vraie  an  chant  antique  autant 
qu'elle  agréera  au  Saint-Siège,  notre  maître  absolu  en  ces 
matières. 

G.   UOUDARD. 


BIBLIOGRAPHIE 


Traité  de  Composition  musicale 

par  Emile  Durand. 

Prix  net:  20  francs.  Chez  Alphonse  Le  lue,  é  liteur,  3,  rue  de  (irani- 
mont,  Paris. 

M.  Emile  Durand,  ancien  professeur  au  Conservatoire  de  musique, 
auteur  d'un  Traite  d'Harmonie  justement  réputé,  vient  de  faire  paraître 
chez  l'éditeur  Alphonse  Leduc,  3,  rue  de  Cramniont,  un  second  ouvrage 
qui,  complf'tant  le  premier,  leprésente,  sous  une  forme  ausài  condensée 
({ue  possible,  l'ensemble  des  connaissances  utiles  à  tous  les  musiciens» 
Ce  Traité  de  Composition  (le  premier  de  ce  genre  qui  ait  été  publié 
en  France),  passe  successivement  en  revue  toutes  les  formes  de  la 
composition  musicale. 


232  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

La  première  partie  comprend  des  notions  générales  :  éléments  de  la 
mélodie,  structure  des  phrases,  cadences,  applications  à  la  compo- 
sition de  certaines  règles  de  l'harmonie,  et  se  termine  par  des  aperçus 
assez  nouveaux  sur  la  fugue  elle  canon. 

La  deuxième  partie  est  spécialement  consacrée  à  la  musique  instru- 
mentale :  sonate,  quatuor,  fantaisie,  musique  de  danse,  musique  mili- 
taire . 

Dans  la  troisième  partie,  l'auteur  s'occupe  de  tout  ce  qui  concerne 
la  musique  de  chant:  voix,  prosodie,  vers  lyriques,  ponctuation,  opéra, 
opéra-comique,  ouverture,  chœurs,  musique  religieuse. 

Cet  ouvrage  s'adresse,  on  le  voit,  aussi  bien  aux  apprentis  composi- 
teurs qu'aux  artistes  exercés.  Les  uns  y  trouveront  un  guide  qui  les 
dirigera  dans  leurs  premiers  essais  ;  les  autres  y  verront  la  confir- 
mation écrite  et  méthodiquement  raisonnée  de  beaucoup  de  notions 
connues  parfois  un  peu  confusément,  et  que  l'auteur  a  fixées  en  pré- 
ceptes clairs  et  précis.  Ou  y  lira,  de  plus,  avec  intérêt  une  énorme 
quantité  d'exemples  (plus  de  600)  tirés  des  œuvres  des  maîtres  et  plu- 
sieurs excellentes  analyses  de  morceaux  classiques. 


Pour   paraître    prochainement 

Chez  A.  Pérégally  et  Parvy,  éditeurs,  80,  rue  Bonaparte,  Paris. 

a)  Th.  Dubois  :  Messe  brève  dans  le  style  palestrinien 

à  quatre  voix  inégales  (S.  A.  T.  B.), 

avec  réduction   des   voix    pour  l'orgue. 

b)  Ch.-M.  WiDOR  :  Surrcxit  a  morluis, 
chœur  à  quatre  voix  inégales  et  à  deux  orgues. 

c)  L.  Vjerne  :  Messe  solennelle  en  ul  dièse  mineur, 
chœur  à  quatre    voix   inégales    et  à    deux    orgues. 


Viennent   de  paraître 
Vingt  Motets  français  et  étrangers 

à  deux  voix  égales,  pour  les  Saluts, 

publiés  sitr  Viniliative  de  M.  le  chanoine  Chaminade  de  Vérbjucux 

dans  le  Répertoire  moderne 

de  la  Schola  Cantorum,  15,  rue  Stanislas,  Paris. 

Le  Gérant  :  A.  GABERT. 

JMr.   NOIZETTE  ET  C'e.8,   RUK  CAMP AONK-1",  PARIS. 


TROISIÈME  ANNÉE  N°  2  15  FÉVRIER  1900 


L'AVENIR 


DE     LA 


MUSIQUE  SACRÉE 


lUJli  J! 


bOMMAIHK. 


A  propos   d'Unité  [Suite). 21 

Le  Rythme  du  Chant  liturgique  (Suite) 25>«-— ' 

Le  Chant  traditionnel  et  le  Chant  des  Manuscrits  [Suite) 32  •— > 

Bibliographie  :  iUéSse  so/enne//e,  par  le  F.  A. -d. -A 3;) 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

{Suite.) 

Encore  une  page  oubliée. 

On  songe  vraiment  trop  peu,  dans  le  monde  des  résistances  inspirées 
par  l'esprit  d'archéologie,  de  nationalisme  ou...  de  commerce,  à  se 
demander  quelle  serait  l'attitude  et  de  l'autorité  et  de  ceux  qui  sans 
arrière-pensée  ont  fait  de  ses  désirs  leur  règle  de  conduite,  au  cas  où 
par  impossible  Rome  reviendrait  sur  ses  décisions  pour  laisser  à  tous 
liberté  pleine  et  entière  au  sujet  du  chant  liturgique.  Depuis  long- 
temps nous  voulions  faire  queb^ues  réflexions  là-dossus.  Mais  le  sujet 
étant  particulièrement  délicat,  nous  préférons  laisser  la  parole  à 
autrui.  Nous  allons  donc,  chers  lecteurs,  si  vous  le  voulez  bien,  rap- 
peler une  page  qu'écrivait  Mgr  Lans  en  1894,  peu  de  jours  avant  la 
promulgation  du  Décret  Quod  S.  Augustinus.  C'est  encore  une  page 
oubliée,  mais  une  page  bonne' à  relire;  Ecoutons  donc  Mgr  Lans. 

«  A  notre  avis,  quoi  que  les  adversaires  s'imaginent  et 
attendent,  quoi  qu'ils  fassent  ou  mettent  en  mouvement,  la 
victoire  restera  à  l'Autorité.  Nous  ne  nous  poserons  nullement 
en  prophète  ;  mais,  tenant  compte  froidement  et  impartiale- 
ment de  la  ligne  de  conduite  suivie  depuis  vingt-cinq  ans  par 
le  Saint-Siège,  et  qui  fut  celle  d'il  y  a  trois  siècles  déjà,  comme 
l'attestent  les  documents  historiques,  nous  n'allons  pas  croire 
à  la  légère  que  l'Autorité  se  départira  de  sa  sagesse  et  de  sa 
prudence,  en  présence  de  certaines  attaques  futiles  basées  sur 


22  L  AYIONIK    DE    LA    MUSIQUE    SACHÉK 

(les  préférences  d'archéologues  ou  sur  l'amour-propre  de 
nationalité.  Elle  ne  fera  pas  le  sacrifice  de  ses  chers  et  salu- 
taires désirs,  en  face  de  la  pression  malséante  qu'on  a  voulu 
faire  peser  sur  elle. 

«  On  dira  peut-être  qu'il  est  assez  arrogant  de  répondre 
ainsi.  Nous  allons  justifier  notre  réponse  et  nous  laisserons 
aux  événements  de  prouver  qui  u  eu  tort,  nos  adversaires  ou 
nous.  i  LJ  V/i 

«  D'abord,  le  désir  exprès  de  Rome,  d'unilier  le  chant  litur- 
gique, a  été  écouté  d'une  façon  surprenante.  Pendant  le  der- 
nier quart  de  siècle,  quantité  de  diocèses  du  monde  entier  ont 
adopté  les  livres  officiels.  Logiquement,  il  nous  semble 
impossible  que  le  Saint-Siège  change  iDopinément  de  voie,  à 
la  grande  confusion  de  ces  évoques,  prôtres  et  laïcs  sans 
nombre,  qui  se  sont  fait  un  devoir  d'obéir  filialement. 

«  Nous  n'exagérons  rien.  Yoici  une  liste  de  paroisses  et  de 
diocèses  qui  ont  adopté  les  livres  officiels  de  chant.  Les  noms 
de  villes  supposent^  en  général,  plusieurs  églises,  et  les  noms 
de  diocèses  une  foule  de  paroisses  et  d'églises. 

En  Europe.  —  Allemagne  :  Bambeig,  Broslau,  Cologne,  Culm, 
EichsUclt,  Enueiand,  Fribourg  en  Lîade,  Fulda,  Gnesen-Posen,  Hildes- 
heim,  Limbourg,  Munich -Freising,  Munster,  Osnabriick,  Padeiborne, 
Passau,  Ratisbonne,  llottenbourg.  Spire,  Trêves,  Wiirzbourg. 

Angleterre  :  Birmingham,  Clifcon,  Hexham,  Leeds,  Liverpool,  Middles- 
brough,  Ne\vporL,  Noidliamplon,  Noltingham,  Plymouth,  Portsmoulh, 
iSalfordjShrewsbury,  Soulhwarit,  Westminster. 

Autriche,  Hongrie,  etc.  :  Drixen,  Briinn,  Budweis,  Budapest,  Fiinfkir- 
chen,  Klageufurt,  Kœniggrœlz,  Kral<au,  Laibach,  Lavant,  I.eilmeriti, 
Lemberg,  Lésina,  Linz,  Olmiitz,  St.  Pœlten,  Prague,  Salzbourg, 
Seckau,  Trente,  Trieste,  Vienne. 

Belgique  et  Luxembourg    :    Liège,    Luxembourg,  Tournai. 

Bulgarie  :  Ruslschuck. 

Danemark  :  Copenhague. 

Ecosse  ;  Aberdeen,  Argyll,  Dunkeld,  Edinburgh,  GalloWay,  Glasgow, 
St.  Andrews. 

Espagne  :  Baroeiona,  Madrid,  Pamplona,  Urgel,  Valladolid,  Viltoria, 
Zaragossa. 

France  :  N^vers,  Périgueux. 

Grèce  :  Athènes. 

Hollande  :    Bois  le-Duc,    Broda,   Harlem,    Ruremonde,  Utrecht. 

Irlande  :  Achonry,  Ardagli,  Ardfort,  Armagh,  Canea,  Cashel,  Clo- 
glier,  Clonfort,  Cloyne,  Corcyra,  Cork,  Derry,  Down,  Dromore,  Dublin, 
Klphin,  Ferns,  (ialway,  Kilduie,  Killala,  Killaloe,  Kilmore,  Limerik, 
Meath,  Ossory,  Raphoe,  Ross,  Tuam,  Wateiford. 

Italie  :  Acireale,  Alatri,  Alcamo,  Alcssandria,  Ancooa,  Aosta, 
Aquil»,    Areiut.   .\sti,   Bari,    l^enpv«nlo,    Bergamo,    BiMccia,   Bitonto. 


L  AVENIK    DE    LA    .MUSIQUE    SACRÉI-;  23 

Bologna,  Rrescia,  Brienza,  Caltanissetta,  Caravaggio,  Cabale,  Cervia, 
Cesena,  T.hieti,  Chioggia,  Collspartlo,  Como,  Cremona,  Cuneo,  Faenza, 
Ferrara,  Fironze,  Forli,  Frascati,  Cenova,  Girgenti,  Ouastalla,  Imola , 
Ivrea,  Livorno,  Lodi,  F.oreto,  Lucca,  Macerata,  Mantova,  Massa-Car- 
rara,  Massa-Maritiuia,  Milaiio,Modena,  Mondovi,  Monza,  NaiJoli,  Novara, 
Osimo,  l'adova,  Palcrmo,  Palestrina,Parma,Pavia,  Piacenza,  Pisa,  Pon- 
tremoli,  Raveuna,  Reggio-Eniilia,  Roma,  San  Miniato,  Siena,  Sorrento, 
Subiaco,  Tarante,  Toriao.Trapani,  Treviso,Udine,  Ventimiglia,  Venezia, 
Verona,  Vicenza.  —  Ile  de  Malte  :  Gozo,  Malta. 

Portugal  :  Coimbra,  Funchal,  Lamego,  Lisbonne,  Oporto. 

Roumanie  :  Bucbarest,  Jassy. 

Russie  :  Lublin,  Odessa,  Saint-Pélersbourg,  Saratow.   Varsovie. 

Suède  et  Norvège  :  Christiania,  Stockholm. 

Suisse  :  Bâle,  Coire,  Fiibourg,  Saint-Gall,  Sien. 

Turquie:  Constantinople,  Salonique,  Scutari. 

Ea  Afrique.  —  Bissam,  Capetown,  Mozambique,  Port-Elizabeth, 
Port-Louis. 

Dans    l'Amérique    du   Nord.    —   Canada  :  Rimouslii. 

Costa-Rica  :  San  José. 

Etats-Unis  :  D'après  les  4  Conciles  Provinciaux  de  Baltimore,  de  Cin- 
clnnali  et  de  Milwaukee,  les  livres  do  plain-chant  de  Rome  ont  été 
adoptés  pour  tous  les  diocèses. 

Guatemala  :  Guatemala. 

Mexique  :  Guanajuato,  Jalapa,  Léon,  Mérida,  Mexico,  Puebla  de 
los  Angeles,  Querétaro. 

Dans  l'Amérique  du  Sud.  —  Argentine  :  Buenos-Ayres, 
Bolivie  :  La  Paz. 

Brésil  :  Bahia,Marianna,  Pernambuco,  Porto-Alegre,  Rio  de  Janeiro, 
San  Paolo,  Santa-Gruz. 
Chili  :  .Ancud,  Puerfa-Mont,  Santiago. 
Colombie  :  Rogola,  Medellin,  Nueva-Pamplona. 
Equateur  :  Cuenca,  Loja,  Portoviejo,  Quito,  Rioliamija. 
Pérou  :  Lima. 
Uruguay  :  Montevideo. 

En  Asie.  —  Bandora,  Bombay,  Calcutta,  Mangalore,  Verapoly. 

Iles  de  Fidji  :  Leonca-Ovalan. 

Iles  de  Flores  :  Larantuca. 

Iles  de  Java  :  Samarang,  Socrabaya. 

Iles  Phiiippiaes  :  Manilia  of  Manille. 

En  Australie.  —  Maitland,  Melbourne,  Sydney,  Victoria. 
Nouvelle-Zélande  :  Auckland,  Maketn. 

«  Cette  liste  suffit  à  démontrer,  flans  une  certaine  mesure, 
combien  les  livres  officiels  sont  répandus.  C'est  la  consé- 
quence rationnelle  des  nombreux  décrets  de  l'Autorité  su- 
prême et  en  particulier  du  décret  Roinanorum  Pontificum 
sur  la  matière.  Peut-on  supposer  raisonnablement  que  l'Àu- 


24  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

toritt^  anëahtira  d'un  trait  de  plume  son  œuvre  propre  et 
mûrement  élaborée  ?  Ne  porterait-elle  pas  une  atteinte  vio- 
lente à  son  prestif^o,  et  cela  pour  le  bon  plaisir  des...  mais 
nous  avons  suffisamment  indiqué  quels  sont  les  adversaires. 
Encore  une  fois,  nous  ne  saurions  pas  l'admettre.  Par  consé- 
quent nous  n'altactions  pas  la  moindre  valeur  aux  prédictions 
puisées  principalement  dans  des  journaux  français  et  reprises 
par  leurs  confrères,  même  par  des  journaux  néerlandais.  A 
les  en  croire,  le  Saint-Siège  serait  à  la  veille  de  retirer  son 
privilège  à  l'imprimeur,  de  révoquer  les  décrets,  de  rendre 
aux  évêques  une  liberté  sans  limites,  de  préconiser  l'édition 
des  RR.  PP.  Bénédictins  de  France,  etc.,  etc.  Tout  cela, 
d'après  les  journaux,  sera  bientôt  un  fait  accompli  !  Pour 
nous,  nous  ne  le  croyons  pas,  et  nous  préférons  attendre 
dans  le  calme  les  décisions  de  Rome.  Elle  saura  parler  à  son 
heure. 

«  Le  Saint-Siège  imposera-t-il  les  livres  officiels  de  chant 
à  chaque  église  en  particulier?  —  Nous  ne  le  pensons  guère. 
Rome,  en  effet,  n'a  pas  coutume  d'user  sans  raison  et  tyran- 
niquement  d'une  mesure  violente.  Certains  diocèses  peuvent 
avoir  des  motifs  tout  particuliers  de  ne  pas  adopter  immédia- 
tement le  chant  officiel.  Nous  l'avons  dit  au  début,  il  appar- 
tient aux  Evêques  de  prendre  une  décision  en  cette  matière. 
C'est  pour  cela  qu'avec  sa  sagesse  et  sa  prudence  habituelle, 
l'Autorité  suprême  de  l'Eglise  s'est  bornée  jusqu'ici  à  réi- 
térer fréquemment  son  dêsii-  ardent  et  formel,  sans  donner 
^' ordre  exprh.  Un  tel  ordre  ne  viendra  pas  de  sitôt,  ce  nous 
semble,  et  peut-être  il  ne  viendra  jamais.  Néanmoins  l'usage 
des  livres  officiels  se  généralisera  assez  facilement.  Quand 
les  esprits  se  seront  calmés,  quand  le  privilège  de  l'impri- 
meur actuel  sera  expiré,  de  sorte  qu'aussi  en  d'autres  pays 
on  pourra  imprimer  les  livres  avec  la  déclaration  épiscopale  : 
concordat  cum  orïginali^  on  verra  de  plus  en  plus  que  ré 
pandre  le  chant  grégorien  est  une  chose  aussi  utile  que  salu- 
taire pour  la  gloire  de  l'Eglise  et  l'édification  des  fidèles,  en 
ces  temps  surtout  oîi  la  musique  mondaine  profane  les  choses 
les  plus  sacrées  ;  on  concédera  qu'à  cette  fin  il  nous  faut  avant 
tout  des  livres  de  chant  vraiment  pratiquer  ;  et  alors  d'in- 
nombrables églises  feront  successivement  accueil  aux  livres 
officiels  sans  y  avoir  été  rigoureusement  obligées  par  Rome. 
Rome,  disions-nous,  a  coutume  de  procéder  avec  sagesse  et 
prudence;    elle  ne   procède   pas  avec  un  moindre  fonds  de 


1 


l'avenik  de  la  musique  sacrée  25 

patience.  L'adoption,  en  France,  de  la  Liturgie  Romaine 
demanda  deux  siècles  et  demi  de  patience  de  la  part  des  Sou- 
verains Pontifes!  Il  ne  faudra  pas  le  dixième  de  ce  temps, 
d'après  nous,  pour  réaliser  l'adoption  presque  universelle  des 
livres  du  chant  officiel.  Ce  qui  nous  en  est  garant,  c'est  l'ac- 
cord actuel  de  l'épiscopat  universel  avec  le  Siège  Aposto- 
lique. Nous  nous  rallions  sans  la  moindre  réserve,  à  la  remar- 
quable pensée  du  D""  Falise,  publiée,  il  y  a  longtemps,  dans  la 
Revue  théologique  de  Tournai  (T.  X,  p.  583)  : 

«  Il  en  sera  de  ceci  comme  du  Misse',  du  Bréviaire  et.  du  Rituel 
romains.  On  a  résisté  iVahord,  on  a  trouvé  des  excuses,  mais  cependant, 
toits  les  jours,  la  phalange  romaine  grandissait,  faisait  de  nouvelles  recrues. 
Dieu  conduisait  visiblement  l'Episcopat  et  faisait  l'Unité  des  Rites 
comme  l'Unité  de  croyance.  —  Aujourd'hui  le  Rite  romain  est  vérita- 
blement universel.  Nous  ne  craignons  pas  de  prédire  le  même  résultat 
pour  léchant^  et  bénis  seront  ceux  qui  les  premiers  seront  entrés  réso- 
lument dans  cette  voie.  » 

«  En  vérité,  de  quel  éclat  brillera  l'unité  catholique  pour  le 
voyageur  en  pays  lointain,  si  non  seulement  il  trouve  là-bas 
et  partout  le  rite  et  le  texte  liturgiques,  mais  encore  le  chant 
liturgique  de  son  église  paroissiale  dans  la  mère  patrie  !  Oui, 
cet  usage  universel  des  livres  pratiques  du  plain- chant  con- 
vaincra alors  leurs  adversaires  de  notre  époque  qu'en  les 
introduisant  le  Saint-Siège  a  fait  œuvre  éminemment  digne, 
utile  et  salutaire.  On  reconnaîtra  alors  que  l'illustre  bénédic- 
tin Dom  Guéranger  pouvait  dire  en  droit  et  en  vérité  :  Rome 
est  mère  et  maitj'esse,  tout  ce  qu'elle  fait  est  bien  ! 

(Extrait  de  la  brochure  de  Mgr  Lans  :  Dix  ans  après  le  Décret  Uoiaa- 
nonim  Pontificum,  1894.) 

LE  RYTHME  DU  CHANT  LITURGIQUE 

{^uite.) 

III.  Les  théoriciens  du  X'  et  du  Xt  siècle  (Suite). 

Le  dixième  siècle  nous  oll're  plusieurs  ouvrages  qui  tous 
portent  le  nom  d'Odon,  mais  ne  paraissent  pas  appartenir  au 
môme  auteur. 

Le  premier  est  un  Tonaiî'e  attribué  avec  assez  de  vraisem- 
blance à  saint  Odou,  abbé  de  Gluny  (879-942),  qui,  suivant 
le  témoignage  de  Trithème,  avait  été,  avant  son  entrée  en 
religion,  un  maître  habile  dans  l'art  musical  et  archichantre 
de  l'église  de  Tours.  (Migiie,  Pat.  lat.,  t.  133,  col.  753.) 


26  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Le  second  ouvrage  est  intitulé  Dialogus  de  Musica  et  est 
suivi  d'un  autre  traité  qui  lui  sert  de  complément.  C'est 
l'œuvre  d'un  moine,  appelé  également  Odon,  mais  dill'érent 
de  l'auteur  du  Tonaire  ;  car  dans  ce  même  Diiiloj^ue  il  ost  fait 
allusion  à  un  passage  du  Tonaire  oxx  l'antienne  de  saint 
Martin  0  beatum  pontificem,  que  quelques-uns  considéraient 
comme  du  second  mode,  est  assignée  par  saint  Odon  au  pre- 
mier mode,  in  primo  tono  a  domno  Odone  ctiriosissimfi  est 
emendata.  {Op.  cit.,  col.  764.)  Or,  la  manière  dont  l'écrivain 
parle  de  cet  Odon  montre  bien  qu'il  s'agit  d'une  personne  dis- 
tincte (le  l'auteur  du  Dialogue. 

Le  prologue  de  ce  dernier  livre  nous  apprend  que  l'auteur 
était  moine  dans  le  monastère  de  Sainte-Marie  et  certains 
manuscrits  lui  donnent  le  titre  de  Dommis,  ce  qui  semble 
indiquer  qu'il  était  revêtu  de  la  dignité  abbatiale.  Liber  qui  et 
Dialogus  dicitur  a  Domno  Odone  compositus.  {Op.  cit.,  col. 
753.) 

Dom  Mabillon,  dans  son  éloge  historique  de  saint  Odon, 
mentionne  deux  autres  abbés  du  même  nom  qui  ont  vécu  à 
la  même  époque,  et  à  qui  l'on  pourrait  peut-être  faire  remon- 
ter la  paternité  de  cet  ouvrage  :  l'un,  abbé  de  Massai,  en 
Aquitaine  (935),  et  l'autre,  abbé  de  saint  Maxence,  au  diocèse 
de  Poitiers  (^63).  {Op.  cit.,  col.  10.) 

Il  faut  dire  aussi  que  quelques-ujis,  et  non  sans  quelque 
probabilité,  attribuent  ce  Dialoc/iœli  Ctuy  d'Arezzo,  soit  parce 
qu'il  porte  son  nom  dans  plusieurs  manuscrits,  soit  à  cause 
de  la  parfaite  similitude  de  doctrine  et  d'expressions  qui 
existe  entre  ce  traité  et  le  Micrologue,  spécialement  pour  ce 
qui  a  trait  aux  syllabes  musicales  et  aux  distinctions.  (V.  Th. 
Nisard,  Archéologie  musicale,  pp.  188  et  suiv.) 

L'auteur  «lu  Dialogue  enseigne  une  nouvelle  manière  do 
noter  les  antiennes  au  moyen  des  sept  premières  lettres  de 
l'alphabet,  auxquelles  il  ajoute  le  I'  grec  pour  le  5a/ inférieur. 
Cette  notation  est  identique  à  celle  donnée  par  le  Micrologue. 
«  Des  enfants  et  des  jeunes  gens  instruits  suivant  cette  mé- 
thode, dit  Odon,  après  trois  ou  ([uatre  jours  d'exercice,  d'au- 
tres après  une  semaine,  se  trouvaient  on  état  d'apprendre  par 
eux-mêmes,  sans  les  avoir  entendues  et  avec  le  seul  secours 
d'une  notation  régulière,  un  très  grand  nombre  d'aiiliennes, 
qu'ils  pouvaient,  après  très  peu  de  temps,  chanter  sans  la 
moindre  hésitation.  Quelques  jours  plus  tard,  ils  lisaient  à 
première  vue,  sans  préparation  et  sans  faute,  tout  ce  qui  était 


l'avenir  de  la  musique  sacrék  27 

écrit  en  musique;  ce  que  les  chantres  ordinaires  n'avaient 
jamais  pu  faire  jusqu'ici,  après  avoir  passé  quelquefois  cin- 
quante ans  dans  l'étude  et  la  pratique  du  chant.  »  {Pat.  lut,, 
t.  133,  col.  757.)  t    ,..j<, 

Aii'L'auteur  traite  d'abord  de  la  division  du  monochordej  puis 
des  consonances  ou  de  la  manière  dont  les  sons  peuvent 
s'associer  dans  le  chant  ;  il  étudie  ensuite  les  différents 
modes  ou  tons,  détermine  Vambitus  et  la  finale  de  chaque 
mode,  et  indique  les  notes  par  lesquelles  on  peut  commencer 
un  morceau  dans  un  mode  déterminé.  Il  s'occupe  aussi  des 
distinctions,  «  c'est-à-dire,  dit-il,  des  endroits  où  nous  faisons 
des  repos  dans  le  chant  et  où  nous  le  divisons,  qui  doivent 
finir  dans  chaque  mode  par  les  mômes  sons  qui  peuvent  servir 
à  le  commencer.  Les  maîtres  enseignent  qu'on  doit  terminer 
plusieurs  distinctions  par  la  note  qui  sert  de  finale  au  mode, 
de  peur  que,  si  l'on  faisait  plusieurs  repos  sur  quelque  note 
différente  de  la  finale,  on  ne  fût  entraîné  à  finir  tout  le  mor- 
ceau sur  cette  note  et  forcé  de  changer  le  mode  dans  lequel 
on  était  d'abord  :  car  un  chant  appartient  surtout  au  mode 
quje  ses  distinctions  semblent  rechercher.  »  [Op.  cit.,  col. 
765.) 

Le  traité  qui  fait  suite  au  Dialogue  et  peut  en  être  considéré 
comme  le  développement  débute  par  ces  mots  :  «  La  science 
de  l'art  musical  doit  être  cultivée  avec  beaucoup  do  soin,  sur- 
tout par  ceux  ([ui.dans  la  vie  commune, se  consacrent  au  ser- 
vice de  Dieu.  Le  psalmiste  dit  que  le  painfortifie  et  que  le  vin 
réjouit  lecœur  de  l homme;  ainsi  la  lecture  fréquente  affermit 
notre  âme  dans  la  pratiquedes  vertus  et  le  chant  faitque  nous 
servons  Dieu  avec  un  esprit  joyeux.  De  plus,  charmes  et 
réjouis  par  la  suavité  de  la  mélodie  qui  se  fait  entendre  ici- 
bas,  nous  aspirons  avec  plus  d'ardeur  à  celte  harmonie  do  la 
patrie  céleste,  qui  est  d'autant  plus  suave  que  le  ciel  est  plus 
élevé  au-dessus  de  la  terre.  »  {Op.  cit.,  col.  773.) 

L'auteur  étudie  ensuite  les  divers  intervalles  au  moyen 
desquels  les  sons  se  combinent  pour  former  une  mélodie 
agréable  ;  il  montre  comment,  à  l'aide  de  ces  éléments,  on 
forme  des  syllabes,  des  mots  et  des  phrases  musicale.*,  qui 
elles-mêmes  se  groupent  pour  com|)oscr  un  morceau  de 
chant. 

Nous  voyons  poindre  ici  la  première  idée  du  p/irusr  musi- 
cal, dont  nous  trouverons  le  développement  complet  dans  le 
Micrologue  de   (luido     '<  Pour  acquérir  la  science  du  chant, 


28  l'avemr  de  la  musiqle  sagkée 

ditOdon,  il  est  souverainement  utile  de  connaître  de  quelle 
manière  les  sons  peuvent  s'unir  ensemble.  Demême  que  deux, 
trois  ou  quatre  lettres  forment  une  syllabe  (grammaticale) 
et  que  quelquefois  une  seule  lettre  est  admise  pour  une  sylt 
labe,  comme  amo,  templum;  ainsi,  dans  la  musique,  tantôt  un 
seul  son  se  prononce  séparément,  tantôt  deux,  trois  ou  quatre 
sons  étroitement  liés  produisent  une  consonance,  que  nous 
pouvons  appeler  d'une  certaine  façon  syllabe  musicale.  Une 
syllabe  seule,  ou  encore  deux,  trois  ou  un  plus  grand  nombre 
de  syllabes  (du  texte)  forment  une  partie  de  la  diction  qui  a 
un  sens,  comme  mors  est  vita,  gloria,  benignitas^  heatitudo  : 
aiusi  une,  deux  ou  plusieurs  syllabes  musicales,  où  se  combi- 
nent les  intervalles  de  seconde,  de  quarte  ou  de  quinte, nous 
rendent  leur  mélodie  sensible,  nous  font  ailmirer  et  appré- 
cier leur  mesure  et,  comme  elles  ont  une  certaine  signitica- 
tion,  c'est  ajuste  titre  que  nous  les  appelons  des  parties  du 
chant.  On  appelle  distinctions  en  musique  une  portion  do  la 
cantilène  chantée  d'une  manière  continue,  après  laquelle  on 
fait  une  pause.  Une,  deux  ou  plusieurs  parties  du  discours 
ont  un  sens  complet  et  forment  une  période  entière;  par 
exemple,  quand  je  dis:  Qiiid facis?  Vous  répondez  :  Lego  ou 
lectionem  firmo  ou  encore  aliquam  sententiam  qii;vro;  de 
même,  une,  deux  ou  plusieurs  phrases  musicales  composent 
un  verset,  une  antienne  ou  un  répons,  sans  que  chaque  mem- 
bre perde  la  proportion  qui  lui  est  propre.  Et  ainsi  que  plu- 
sieurs périodes  diiîérentes  se  réunissent  pour  former  un  vo 
lume,  de  même  l'assemblage  d'un  grand  nombre  de 
cantilènes  diverses  composent  un  antipbonaire.  »  {Op.  cit., 
col.  784,  7o5.) 

Ce  passage  est  très  important  parce  qu'il  nous  montre 
l'analogie  et  aussi  la  dillérence  qui  existe  entre  la  métrique 
ancienne  et  le  rythme  du  chant  grégorien.  «  Le  mètre,  dit 
Marins  Victorinus,  est  un  assemblage  de  pieds  ayant  une 
limite  certaine;  la  quantité  et  la  qualité  des  mots  y  est  déter- 
minée par  les  pieds.  Les  premiers  éléments  du  mètre  sont 
les  syllabes  longues  et  les  syllabes  brèves  qui  servent  à 
mesurer  les  pieds;  les  pieds  à  leur  tour  forment  les  mètres,  et 
ceux-ci,  par  leur  réunion,  composent  un  poème.  »  {Qram, 
lat.,  vol.  b,  fasc.  I,  p.  50.) 

Ainsi,  dans  le  chaut  grégorien,  une  antienne  ou  un  répons 
est  formé  d'un  certain  nombre  de  distinctions  ou  phrase.s 
musicales,  (jui  oUes-mônies  se  divisent   en  diverses  parties 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  29 

que  Guy  d'Arezzo  appelle  îieumes,  et  les  neumesà  leur  tourse 
composent  d'une  ou  de  plusieurs  syllabes  musicales.  Mais 
tandis  que  la  métrique  ancienne  déterminait  le  nombre  et  la 
qualité  des  pieds  qui  devaient  former  le  vers  et  par  consé- 
quent obligeait  le  musicien  à  adapter  sa  mélodie  au  mètre 
choisi  par  le  poète,  dans  le  plain-chant  au  contraire,  la 
phrase  musicale  se  développe  au  gré  du  compositeur  et,  sur- 
tout dans  les  chants  mélismatiques,  se  rend  le  plus  souvent 
indépendante  du  texte  qui  lui  est  soumis. 

De  plus,  les  pieds  qui  composaient  le  mètre  devaient  être 
tous  égaux;  metra  graece^  latine  numeri  vocantur:  nwncrus  est 
requalium  pedum  légitima  ordinatio.  (Gensorinus,  De  die 
natali,  fragment,  c.  13.)  Leurs  divisions  rythmiques  étaient 
immuables  et  devaient  garder  entre  elles  le  même  rappor;t 
égal,  double  ou  hémiole,  suivant  la  nature  du  rythme  adopté 
pour  le  poème. 

Mais  les  neumes  ou  parties  de  la  distinction  peuvent 
avoir  un  nombre  indéterminé  de  syllabes  musicales.  Celles- 
ci  correspondent  aux  temps  rythmiques  ou  divisions  du  pied 
qui  se  composaient  de  un,  deux,  trois  ou  quatre  oYifxsïa  ou 
temps  brefs,  car  le  temps  rythmique  n'allait  pas  au  delà.  De 
même,  la  syllabe  musicale  peut  être  formée  de  un,  deux, 
trois  ou  quatre  sons  au  plus;  et  encore  Odon  préiôre-t-il 
qu'elle  n'ait  pas  plus  de  trois  sons,  «  ce  qui,  dit-il,  est  plus 
conforme  à  la  raison  et  plus  utile  aux  étudiants.  Si  le  mou- 
vement mélodique  se  continue,  il  y  a  alors  multiplication  de 
syllabes  :  car  il  arrive  souvent  que  la  même  syllabe  est 
doublée  et  triplée,  et  l'on  peut,  avec  deux  notes  seulement, 
multiplier  les  syllabes  de  diverses  manières  ».  (Pair,  lat., 
t.  133,  col.  786.) 

Le  temps  rythmique  conservait  sa  valeur  proportionnelle 
pendant  toute  la  durée  du  morceau,  tant  qu'il  n'y  avait  pas 
métabole;  nous  croyons  qu'il  devait  en  être  ainsi  de  la  syl- 
labe musicale,  quel  que  fût  le  nombre  do  sons  qu'elle  contînt. 
Odon,  il  est  vrai,  ne  le  dit  pas  expressément;  mais  cela  nous 
paraît  ressortir  des  textes  de  Guy  d'Arezzo  et  de  ses  commen- 
mentateurs,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  ainsi  que  des 
citations  que  nous  avons  laites  de  ÏEnc/iiriadis  où  l'auteur 
fait  consister  le  rythme  dans  la  parfaite  égalité  du  mouve- 
ment et  dans  la  proportion  exacte  des  longues  et  des  brèves. 
11  est  certain,  d'après  le  témoignage  des  écrivains  du  x"  et 
du  xi*^  siècle,  que  jusqu'à  cette  époque  on  admettait  dans  le 


3b  l'aVHNII!    DK    la     MUSlOrE    SACRÉE 

chàbt  des  notes  d'inégale  valeur;  or,  comment  aurait-on  pu 
garder  l'égalité  du  mouvement  et  la  proportion  rythmique 
entre  les  sons  longs  et  les  sons  brefs,  à  moins  que  les  notes 
ne  se  groupassent  pour  former  des  intervalles  égaux  ? 

De  plus,  Odon  lui-même  parle  des  syllabes  musicales 
comme  d'un  clément  distinct  de  la  mélodie,  et  cependant, 
d'après  lui,  le  chant  doit  se  poursuivre  sans  interruption 
jusqu'à  la  fin  de  la  distinction  ou  phrase  musicale,  après 
laquelle  on  fait  une  pause.  En  quoi  une  syllabe  musicale 
pouvait-elle  se  différencier  de  la  suivante,  à  moins  qu'elles 
ne  formassent  une  suite  d'intervalles  distincts  mais  égaux? 
ce  qui,  d'après  Cicoron,  est  essentiel  au  rythme. 

«  Nîimerosiim  est  id  in  omnibus  sonis  atque  voctbus,  qiiod 
habet  qvasdam  impressiones  et  guod  metiri  possiirjtus  itiièr- 
vallis  œqualibus. 

«  11  n'y  a  pas  de  rythme  dans  la  continuité^  ajoute  Cicéron  : 
c'est  la  distinction  et  le  frappé  d'intervalles  égaux,  dont  le 
retour  fréquent  produit  la  variété,  qui  constitue  le  rythme. 
On  peut  le  remarquer  dans  les  gouttes  qui  tombent  à  inter- 
valles distincts,  mais  noa  pas  dans  le  ilcuive  qui  coule  préci- 
pitamment. »  {De  Oratore,  111,  18.) 

Nous  trouvons  tout  cela  dans  Odon.  Los  syllabes  musi- 
cales coupent  la  continuité  du  chant,  en  lo  fractionnant  en 
intervalles  égaux  (|ui  reviennent  fréquemment,  et  la  diversité 
des  notes  qui  composent  les  groupes  sont  une  nouvelle  source 
de  variété. 

«  Une  même  note  répercutée  deux  ou  trois  fois,  dit  encore 
Odon,  peut  produire  une  seule  syllabe  ;  on  trouve  môme  quel- 
quefois deux,  trois  ou  quatre  syllabes  de  suite,  toutes  formées 
ainsi  du  même  son.  »  {Op.  cit.  col.  785.)  Comment  cette 
longue  suite  do  notes  sur  le  même  degré  pouvait-elle  se 
diviser  en  syllabes  distinctes,  si  ce  n'est  on  marquant  cette 
division  par  un  frappé  périodique,  comme  lo  demande  l'au- 
teur de  VEnchiriadis,  qui  veut  que  toute  mélodie  soit  me- 
surée et  battue  à  la  façon  des  pieds  métriques.  Car,  suivant 
les  auteurs  que  nous  avons  cités,  entre  autres  Aurélien  de 
Réomé,  qui  traite  spécialement  du  chant  des  antiennes  et  des 
répons,  les  battements  rythmiques  correspondent  aux  pulsa- 
tions régulières  des  artères.    {Dr  ntiisira  disciplina,  cap.  \ .) 

Plus  loin,  expliquant  la  manière  dont  les  sons  peuvent 
se    combiner    pour    former    des  syllabes,     Odon    continue 


l'avenir  dk  la  musiquk  sacrée  31 

ainsi  :  «  Tantôt  le  premier  son  sera  pris  pour  une  syllabe 
et  les  trois  suivants  pour  une  autre  syllabe  ;  tantôt 
on  placera  deux  sons  dans  la  première  syllabe  et  deux 
dans  la  seconde;  ou  bien  encore,  les  trois  premiers  sons 
seront  attribués  à  une  syllabe  et  le  dernier  à  la  syllabe  sui- 
vante. On  agira  de  même  pour  les  autres  parties,  en  évitant 
une  trop  gTan  le  dissemblance,  co  qui  altérerait  la  physio- 
nomie du  chant  et  le  rendrait  difficile  et  moins  agréable  ; 
landis  que  si  les  syllabes,  les  parties  et  les  distinctions  sont 
semblables,  il  offre  moins  de  difficulté  et  a  plus  de  douceur, 
ce  qui  convient  surtout  aux  enfants.  »  {Op.  cit.,  col.  787.) 

Le  passage  que  nous  venons  de  citer  n'a  vraiment  aucun 
sens,  si^  quel  que  soit  le  nombre  de  notes  que  contient  la 
syllabe,  elles  ont  toutes  la  même  valeur  et  que  par  consé- 
quent la  durée  de  la  syllabe  varie  suivant  la  quantité  de  notes 
qui  la  composent.  Car  pourquoi  Odon  demande-t  il  qu'on  ne 
donne  pas  plus  de  trois  notes  à  chaque  syllabe,  et  quelle  diffi- 
culté peut-il  y  avoir  à  émettre  quatre,  cinq  ou  même  six  notes 
de  suite,  si  l'on  ne  doit  pas  accélérer  le  mouvement  en  pro- 
portion ?  Tandis  qu'on  comprend  fort  bien  que, s'il  faut  chanter 
cinq  ou  six  notes  dans  le  môme  espace  de  temps  qu'on  met- 
trait à  en  proférer  une  seule,  la  difficulté  augmente  en  raison 
de  la  plus  grande  rapidité  du  mouvement.  De  plus,  quelle 
différence  offriraient  les  divers  arrangements  proposés  par 
Odon?  Que  l'on  place  deux  notes  dans  chaque  groupe  ou 
bien  une  dans  le  premier  groupe  et  trois  dans  le  second 
ou  réciproquement,  si  ces  quatre  notes  ont  la  même 
durée,  nous  ne  voyons  pas  quelle  variété  rythmique  peuvent 
présenter  ces  diverses  combinaisons,  ni  ce  qui  peut  indiquer 
que  telle  note  appartient  plutôt  à  la  première  qu'à  la  seconde 
syllabe  ;  tandis  qu'en  donnant  à  la  syllabe  une  valeur  fixe, 
on  a  trois  façons  de  grouper  les  notes  parfaitement  carac- 
térisées et  l'on  obtient  les  ligures  rythmiques  suivantes  :  1 :  3 
—  2:2 — 3:  1.  Un  passage  de  Jean  de  Mûris  semble  con- 
firmer la  valeur  rythmique  que  nous  attribuons  à  la  syllabe 
musicale;  voici  ce  texte:  «  Les  sons  forment  les  éléments  du 
chant  ;  en  les  associant,  on  produit  des  sons  mixtes  qui,  s'ils 
peuvent  se  réduire  à  une  certaine  proportion  rythmique, 
prennent  le  ijpm  de  consoncince  ».  {Spéculum  ninsicœ, 
1.  VI,  c.  31.)  Or,  ce  mot  de  consonance  est  le  même  dont  se 
sert  Odon  pour  désigner  la  syllabe  musicale. 

Nous  trouverons  de  plus  amples  développements  sur  ce 


32  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

sujet  et  une  nouvelle  confirmation  de  cette  doctrine  dans 
l'étude  du  Microloguc  de  Guy  d'Arezzo. 

{A  suivre.)  J.  Dupoux. 

LE  CHANT  TRADITIONNEL 
ET  LE  CHANT  DES  MANUSCRITS 

Extrait  de  la  Reimc  de  Chant  grégorien  et  de  la  Mimqite  religieuse  ;  Mar- 
seille, i\,  place  Sébastopol;  n^S?,  novembre  et  décembre  1899. 

'  '  «  Une  chose  curieuse  qui  frappe  et  qui  étonne,  dit  à  son- 
tour  Dom  Kornmiiller,  c'est  que  l'on  ne  tient  aucun  compte 
du  corps  des  mélodies,  des  tons,  intervalles  et  modes,  qu'on 
les  ignore  presque  complètement,  qu'on  proclame  a  priori 
l'identité  des  mélodies  contenues  dans  les  manuscrits  notés 
avec  celles  des  manuscrits  neumés,  et  que  l'on  ne  s'occupe 
que  du  squelette,  de  la  structure.  Un  squelette  ou  un  schéma 
rythmique  est  bon  et  nécessaire  ;  mais  il  ne  me  donne  pas  de 
certitude  sur  l'auteur  de  la  mélodie,  parce  que  l'on  peut 
écrire  plusieurs  mélodies  toutes  dilTérentes  sur  un  seul  et 
même  schéma  (1).  » 

Et  quand  même  on  parviendrait  à  interpréter  d'une 
manière  sûre  les  manuscrits  neumés  de  Saint-Gall,  nous 
aurions  le  chant  d'une  époque  et  d'une  certaine  école,  mais 
serions-nous  certains  qu'il  représente  le  chant  primitif  de 
l'Eglise?  Si  l'on  compare,  en  effet,  l'Antiphonaire  anibro- 
sien  avec  le  grégorien,  on  trouve  dans  un  grand  nombre  de 
pièces  une  parenté  évidente.  Non  seulement  les  textes  se 
ressemblent  ou  sont  tout  à  fait  identiques,  mais  on  y  retrouve 
les  mêmes  modes,  les  mêmes  cadences,  les  mêmes  formules, 
souvent  le  même  dessin  mélodique,  et  cependant  les  deux 
chants  diffèrent  par  la  façon  dont  on  a  élaboré  ces  matériaux 
communs.  Il  est  clair  que  tous  deux  sont  dérivés  d'un  original 
primitif,  sur  lequel  sont  venus  se  greffer  ces  mélismcs  com- 
pliqués, ces  ornements  multiples,  que  les  chantres  de  Rome 
ou  de  Milan  ont  arrangés  chacun  à  leur  manière  ;  mais  ni 
l'un  ni  l'autre  ne  représente  ce  chant  original  dans  son  inté- 
grité. 

Il  y  a  là  un  fonds  de  formules  traditionnelles,  qui  se  sont 
d'abord  transmises  de  vive  voix,  puis  qui,  moditiéos  dans  le 
cours  des  âges,  ont  été  plus  tard  fixées  par  écrit.  Dans  le  [trin. 

I.  Courrier  de  saint  Grégoire,  août  1895. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  33 

cipe,  sans  doute,  une  grande  latitude  était  laissée  au  chantre 
qui,  suivant  son  goût  personnel  ou  la  souplesse  de  sa  voix, 
semait  de  broderies  et  de  fioritures  le  thème  original.  C'est 
ce  qui  se  pratique  encore  aujourd'hui  dans  tout  l'Orient  et 
dans  les  synagogues  juives,  où  le  motif  mélodique  disparaît 
sous  les  ornements  multiples  qui  le  recouvrent.  On  peut 
même  découvrir  l'emploi  de  ce  procédé  dans  l'Antiphonaire 
grégorien,  où  la  plus  grande  partie  des  antiennes  ne  sont  que 
le  développement  plus  ou  moins  orné  d'un  petit  nombre  de 
thèmes  mélodiques  (1),  Ces  mélopées  traditionnelles  n'ont  dû 
être  fixées  qu'à  une  époque  assez  tardive,  puisque  les  plus 
anciens  manuscits  neumés  remontent  tout  au  plus  à  la  fin  du 
vni*  siècle. 

11  serait  absurde,  par  conséquent,  de  prétendre  qu'une  édi- 
tion actuelle,  quelle  qu'elle  soit,  reproduit  le  chant  primitif  de 
l'Eglise,  ou  même  léchant  en  usage  à  l'époque  de  saint  Gré- 
goire. Une  telle  assertion  est  démentie  par  tous  les  docu- 
ments qui  témoignent  des  transformations  successives  que  le 
chant  liturgique  a  subies  dans  le  cours  des  âges,  et  spéciale- 
ment du  vi*=  au  vin**  siècle.  La  théorie  des  huit  modes,  sur 
laquelle  repose  tout  le  système  grégorien,  ne  remonte  guère 
au  delà  de  Charlemagne,  et  il  n'est  pas  douteux  que  bien  des 
mélodies  ont  dû  être  modifiées  pour  pouvoir  s'adapter  à 
cette  doctrine  nouvelle. 

A  quoi  bon  d'ailleurs  ces  prétentions  archéologiques,  et 
qu'importe  que  nous  ayons  conservé  ou  non  le  chant  des 
premiers  siècles  ?  Croit-on  que  ce  chant,  si  on  le  possédait, 
correspondrait  à  notre  sens  musical  actuel  ?  Les  péans,  qui 
excitaient  tant  d'enthousiasme  chez  les  Grecs  du  it'  ou  du 
iii«  siècle  avant  notre  ère  nous  paraissent  aujourd'hui  bien 
ternes  et  monotones  et  n'ont  plus  d'intérêt  que  pour  les 
archéologues,  et  les  chants  actuels  des  Orientaux  semblent 
barbares  à  l'Européen  qui  les  entend  pour  la  première  fois  et 
dont  l'oreille  n'est  pas  accoutumée  à  leurs  intonations 
étranges. 

«  On  ne  peut  prêcher  aujourd'hui  comme  on  prêchait  au 
dixième  siècle,  dit,  avec  beaucoup  de  raison,  Mgr  l'évêque  de 
Châlons  ;  pourquoi  donc  des  chants  du  dixième  siècle,  s'il  en 
existait  encore,  conviendraient  ils  à  nos  oreilles  et  à  nos 
goûts  religieux?  Nos  dogmes,  nos  espérances,  nos  prières  de- 
meurent à  travers  les  âges  ;  mais  leur  interprétation,  à  l'orgue 

1.  V.  Gevaert,  op.  cit.,  chap.  V:  I-a  facture  musica'e  des  antiennes. 


^4'  LAVJ'.NIK    DE    LA    WUSIQLK    SACKÉE 

comme  en  chaire,  doit  nécessairement  varier  avec  les  états 
différents  des  peuples  et  des  esprits  (d).  »  ^^ 

Mais  dans  ces  livres  de  chant  tant  vantés  que  l'on  prétena 
ne  r(!nfermer  que  du  pur  grégorien,  il  s'en  faut  et  de  beau- 
coup que  tout  soit  ancien.  L'Ordinaire  de  la  Messe,  Kyrie, 
Gloria  et  Credo,  est  piécisément  la  partie  qui  se  chante  le 
plus  et  qui  revient  le  plus  fréquemment;  or,  toutes  ces 
mélodies  sont,  pour  la  plupart,  des  compositions  relativement 
modernes  et  ne  remontent  pas  au  delà  du  xi'^  ou  du  xii"  siècles. 
Elles  se  sont  conservées  d'ailleurs  presque  identiques  dans 
les  éditions  à  l'usage  des  divers  diocèses. 

De  plus,  on  sait  que  le  Propre  des  Saints  et  les  Fêtes  nou- 
velles se  sont  considérablement  accrus  depuis  le  moyen  âge  et 
se  sont  développés  au  détriment  du  Temporal,  auxquel  ils 
tendent  do  plus  en  plus  à  se  substituer.  L'addition  de  nom- 
breux répons  et  antiennes,  versets  alléluiatiques,  hymnes  et 
séquences  composés  au  moyen  âge,  l'introduction  d'offices 
nouveaux,  les  modifications  nombreuses  opérées  dans  les 
textes  mêmes,  les  réformes  liturgiques  de  saint  Grégoire  Vil 
et  de  S.  Pie  Y  ont  transformé  en  grande  partie  l'œuvre  pri- 
mitive, de  sorte  que  dans  les  éditions  archéologiques,  qui  se 
prétendent  faites  d'après  les  manuscrits,  il  y  a  une  part  con- 
sidérable qui  ne  représente  pas  l'œuvre  ancienne  el  n'est 
qu'une  adaptation,  plus  ou  moins  habile,  de  textes  nouveaux 
aux  formules  d'autrefois. 

Si  maintenant  nous  examinons,  au  point  de  vue  purement 
musical,  ce  chant  qu'on  dit  être  celui  des  manuscrits,  y 
trouverons-nous  une  expression  particulière,  des  accents  qui 
réveillent  dans  notre  âme  un  sentiment  nouveau,  quelque 
chose,  en  un  mot,  que  ne  puissent  nous  donner  nos  livres 
actuels? 

Beaucoup  se  l'imaginent  naïvement  et  on  le  croirait  vrai- 
ment, à  lire  les  dithyrambes  étourdissants,  les  réclames 
bruyantes  de  certaines  Revues.  Eh  bien  !  non,  il  n'en  est  rien; 
ce  sont  de  part  et  d'autre  les  mêmes  modes,  les  mêmes  for- 
mules, plus  ou  moins  développées,  mais  qui  ne  produisent 
piis  une  impression  ditîérente. 

j,.,  D'abord,  la  plus  grande  partie  des  chants  de  l'office, 
antiennes,  hymnes,  répons  et,  en  général,  tous  les  chants 
quasi-syllabiques,  diffèrent  fort  peu  de  ceux  que  contiennent 

■  'il.  Lettre  circulaire  et  ordonnance  de  Mgr  l.atty,  évêque  de  Châlons, 
sur  la  Messe  de  la  Paroisse^  14  décembre  189". 


l'avenik  de  la  musk^ujë  sacrée  35 

nos  livres  modernes.  Soit  à  cause  de  leur  usage  plus  fréquent, 
soit  plutôt  par  suite  de  l'union  plus  étroite  qui  existe  entre  le 
texte  et  la  mélodie,  ces  chants  se  sont  mieux  conservés  que 
les  chants  mélismatiques  et  l'on  n'y  trouve  que  des  variantes 
insignifiantes,  telles  qu'elles  se  rencontrent  d'ailleurs  d'un 
manuscrit  à  l'autre,  11  en  est  de  même  des  chants  ordinaires 
delà  Messe  et  des  Séquences.  C'est  dans  les  chants  propres 
de  la  Messe,  c'est-à-dire,  dans  ce  qui  se  chante  le  moins  et 
qui  est  le  plus  souvent  suppléé  par  l'orgue,  que  les  diver- 
gences s'accentuent  davantage.  Les  grandes  lignes  de  la 
mélodie  y  concordent  encore  de  part  et  d'autre,  mais  les  notes 
accumulées  sur  la  même  syllabe  y  sont  plus  multipliées.  Aux 
versets  du  graduel  surtout,  nous  trouvons  des  séries  de  plus 
de  cinquante  notes  sur  une  seule  syllabe,  et  c'estlà,  disons-le, 
ce  qui  fait  l'admiration  des  partisans  de  l'édition  bénédictine 
et  qui,  selon  eux,  la  rend  bien  supérieure  à  toutes  les  autres. 
Pour  nous,  nous  nous  refusons  à  y  voir  le  nec  plus  ultra  de 
l'art  et  surtout  de  l'art  sacré. 

Une  des  qualités  fondamentales  de  l'art,  c'est  la  brièveté  et 
la  concision.  Celui  dont  la  pensée  se  noie  dans  un  flot  de 
paroles,  ne  fait  pas  de  l'art  oratoire,  mais  du  verbiage.  De 
môme,  en  musique,  les  roucoulements  et  les  fioritures  sans 
fin,  dans  lesquels  les  chanteurs  italiens  du  commencement 
de  ce  siècle  déployaient  leur  maestria^  caractérisent  un  état 
de  décadence,  oii  la  vérité  de  l'expression  est  sacrifiée  au 
mauvais  goût  des  auditeurs  et  aux  exigences  des  exécutants. 
Ce  n'est  pas  là  de  la  musique  artistique,  mais  une  pure  gym- 
nastique vocale.  Quel  en  est  le  résultat?  Les  paroles  sont 
hachées,  les  syllabes  séparées  l'une  de  l'autre  par  plusieurs 
groupes  de  notes  et  par  des  pauses  répétées,  et  le  texte  devient 
inintelligible. 

BIBLIOGRAPHIE 


Messe  solennelle 

COMPOSÉE  POUU  LES  FÊTES  DE  LA  CANONISATION 
Du  bienheureux  J.-6.  de  la  SaUe. 

A    4   voix   mixtes,  avec    accompagnement    d'orgue    ou    d'orchestre, 

Par  F'"  Alberl-des- Anges,  à-W.  Pensionnat  des  Frères  de  Passy. 

Hknki  lliîUGEL  et  C'",  éditeurs,  2  bis,  rue  Vivicnne,  Paris. 

Cette  messe  présente  les  mêmes  qualités  de  facture  que  celle  de  la 

Nativité,   du   même    auteur.   La  mélodie    en  est   toujours     agréable, 

quoique  sérieuse,  et  l'harmonie  distinguée.  Le  style  en  est  à  la   fois 


3()  i;1\ VENIR    DE    LA    MUSIQUE    S4CRÉK 

simple  et  élevé,  l'écriture  vocale  excellente,  la  prosodie  toujours 
soignée.  L'idée  d'en  relier  les  différents  morceaux  par  un  tlième 
unique,  ingénieusement  diversifié,  est  très  heureuse.  En  outre,  cette 
composition  est  d'exécution  facile  ;  diverses  indications  pratiques 
ajoutent  encore  à  cette  facilité  :  les  respirations  sont  marquées  à 
propoé  ;  des  lettres  capitales  servent  de  point  de  repère  pour  la  reprise 
des  principaux  ])assaiïes.  —  Une  feuille  détachée,  jointe  à  la  partition, 
donne  des  indications  très  utiles  pour  la  bonne  exécution  de  cette 
mcs.sc.  .,,,,.,;  ,, 

Bien  que  cette  messe  soit  écnte  pour  4  voix  mixtes,  la  réduction 
à  2  voix  cgalesla.  met  également  à  la  portée  de  toutes  les  "Ecoles,  Pen- 
sionnats et  Patronages 

1.  Partition  Chant  et  Orgue Net.  8     » 

2.  Chaque  partie  séparée  de  clianl »  60 

3.  Orchestre  complet  (14  parties). 24     » 

4.  Chaque  partie  supplémentaire  d'orchestre.    .  2     >■> 
!î.  Réduction  à  2  voix  égalée  :  1  exemplaire.             v>  80 

Renseignements  utiles  pour  là  précision   des  commandes. 
i.  La  partition  Chant    et  Orgue  sert  également  pour   la    Réduction  à 
2  voix  égales,  laquelle  n'a  pas  d'accompntrnement  spécial. 

2.  Les  4  parties  séparées   de  chant  sont  :  Soprano  ou  1"  dessus,  Alto 
ou  2'  dessus.  Ténor,  Basse. 

3.  11  n'y  a  point  de  partition  d'orchestre;   mais  la  partition  Chant  et 
Orgue  renferme  toutes  les  indications  nécessaires  pour  la   direction 

de  l'orchestre. 

4.  Les  14  parties    séparées  de  l'orchestre  sont  : 

^''  ^'''Corr/es  (5)  :  i"  Violon,—  2°  Violon,  —Alto,  —  Violoncelle,— 
iaJà  n  •■  Contrebasse. 

•   Bois  (4)  :  1"=  et  2"  Flûte,  —  l"'  et  2"  Hautbois,  —  i'*^  et   2"^  Cla- 
rinette, —  1*'  et  2''  Basson. 
Cuivres  (5)  :  1"'  cl  2«  Cor,  —  l"'  et  2e  Piston,  —  l'"'"  et  2'  Trom- 
bone,—  3' Trombone,   — Timbales.  ' 

5.  La  Réduction  n'existe  pas  en  parties  séparées  :  la  V"  et  la   2"  voix 
'1  sont  réuni(!S  sur  la  même  feuille. 


A   vendre  d'occasion  : 

1"  Ihi  harmonium -de  2  jeux  1/2,  li  regisli'cs. 

2°  Un  liarmonium  de  4  jeux  1/2,  (17  registres,  genouillère  de  grand 
jeu,  meuble  vieux  chêne. 

3°  Un  grand  orgue-harmonium  presque  neuf,  deux  claviers  manuels 
et  clavier  de  pédales  de  30  notes  ;  18  jeux,  43  registres,  soufflerie  indé- 
pendante, genouillère  de  grand  jeu,  deux  genouillères  de  /"oric,  double 
expression,  etc. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  l'administrateur  de  la 
Revue. 

. .1,1, ,,,!„,      ^iiiuiLioi  ^^  Gérant  :  A.  GABERT. 


trr^ 


îMT.  NOIZETTE  ET  C'e,8,  RtlB  CAMPAONB-Im,  PARIS. 


TPOISIÈME  ANNÉE  N°  3  15  MARS  1900 


L'AVENIR 


DE     LA 


MUSIQUE  SACREE 


Sommaire. 

A  propos   d'Unité  [Suile.) 37 

A  nos  lecteurs 41 

A  propos  de  la  brochure  do  Mgr  C.  Hespighi 41 

La  Musique   à  Avignon.  . 44 

Les  grands  Oratorios  de  l'église  Saint-Euâtache 46 

Le  Chant  traditionnel  et  le  Chant  des  Manuscrits  {Suite  et  fin.).  49 


A  PROPOS  D'UNITÉ 

{Suite.) 


Voix  de  Rome 

Au  moment  où  Mgr  Lans  (en  juillet  1894)  mettait  la  der- 
nière main  à  sa  brochure  Dix  ans  après  le  Décret  «  Roma- 
norum  Pontifician  n>,  au  moment  oïj  il  venait  d'affirmer  que 
toujours  la  victoire  resterait  à  l'autorité  et  que  Rome  saurait 
parler  à  son  heure,  Rome  parlait,  Rome  promulguait  le 
Décret  Qiiod  S.  Auf/usti/ws,  du  7  juillet  1894.  Et  Mgr  Lans 
avait  la  consolation  d'en  faire  la  conclusion  d'un  ouvrage 
dont  la  préface  et  le  fil  conducteur  n'étaient  autres  que  le 
Décret  Romanorum  Pontificiim. 

Pareillement,  à  l'heure  précise  où  venait  de  s'imprimer 
notre  numéro  de  février  1900,  à  l'heure  où  nous  rappelions 
la  Page  oubliée  qui ,  sous  le  titre  :  «  A  qui  le  triomphe  ?  »,  avait 
servi  de  péroraison  à  l'admirable  discussion  de  Mgr  Lans, 
nous  recevions  d'un  ami  de  notre  œuvre  la  lettre  suivante 
datée  du  12  février  : 

«  Le  3"  volume  de  la  nouvelle  édition  des  Décrets  de  la 
S.  C.  des  Rites  vient  de  paraîti'e.  Il  renferme,  sous  le  n"  3.830, 


38  l'avenir  de  la  musique  sacuée 

toute  une  collection  de  docinnenls  intitulée  De  Musiou  Sacra 
Acta  ex  Collectione  autlicntica  Sacronim  Rituum  Con^re- 
gationis,  q^ii  remplit  les  pages  204-272  du  volume  et  dont 
voici  la  liste  : 

I.  Décret  Qiiod  S.  Augustiaus,  du  'juillet  181)  i. 

II.  Bref  apostolique  Qui  clioricis,  du  30  mai  1873. 
m.  Décret  Quod  Apostolica'  Sedi,  du  li  avril  1877. 

IV.  Bref  apostoliqii'i  Sacrorum  concenluum,  du  lo  no- 
vembre  1878. 

V.  Bref  apostolique  Quod  pertiuere,  du  6  avril  1885. 

VI.  Regolamento  perla  musica  sacra,  dii  7  juillet  1894, 
avec  version  latine  en  regard. 

«  Rome  na  donc  pas  trompé  les  espérances  de  ceux  rjui  se 
sont  laissé  guider  par  son  autorité. 

«  Que  fera-t-on  en  France  ?  Passera-t-on  sous  silence  la 
publication  de  ce  3*"  volume  qui  a  uni  ces  documents  divers  et 
réveillé  de  nouveau  le  Décret  du  7  juillet  1894?  »  (1) 

Avant  de  faire  aucune  réflexion  sur  le  fait  qui  vient  d'être 
posé  par  Rome,  revenons  un  peu  sur  nos  pas.  Dans  notre 
numéro  de  juillet  1899,  p.  iOl,  M.  le  chanoine  Chaminadc 
écrivait  ceci  : 

...  Ce  dernier  décret  (Quod  S.  Aiif/iistimifi)  n'est  pas  encore  dans  la 
collection  Ciardcllini,  mais  pour  nue  raison  bien  simple  :  c'est  que  les 
décrets  généraux  de  la  S.  C.  des  Rites  n'y  sont  insérés  que  tous  /cn 
dix  ans.  Déjà,  en  1884,  les  opposants  refusaient  au  décret  Uornanonon 
Pontificiuii  toute  autorité,  sous  prélo.xlo  qu'il  ne  ligurait  pas  dans  ladite 
collection:  après  avoir  mené   grand  tapage  peiidani  trois  ou  quatre 

'',',:     r' 

i.  Toutlemonde  peut  vérifier  Voici  !c  titre  com|)lct  du  volume  et 
les  indications  y  adjacentes  : 

Décréta  authctitica  CoH(/regalionis  Sacrurinn  Rituum  c.r  aclis  cjusdem 
collecta  cjusque  aiicloritate  pronntlgala  sut  auspiciis  SS.  Domiui  uostii 
Leonis  Papœ  XlII. —  Vol.  III,  ab  anno  1871  mim.  32M3  uscjue  ad  annuni 
1899  num.  40ol. 

Romn-.  Ex  typograpliia  polygldtta  S.  C.  de  Propaganda  lide. 

Ratisbonœ  (Havaria).  Fr.  Puslct,  S.  Sedisapost.  et  S.  Hituum  Congr. 

îyp- 

Tornaci  Nerviorum     (Belgiuni).    Societas    S.    Joannis   Evangelistœ, 
Desclée,  Lefebvre    et  soc,  S.  Sedis   apost.  et   S.  Hituum  Congr.  Typ. 
MDCCCC. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  39 

annt'-es,  ils  eurent  enfin  satisfaction.  Que  les  mécontents  d "aujourd-'hui 
se  rassurent  donc:  à  leur  tour  ils  auront  saiisfaction  à  roxpiration  de 
la  période  décennale. 

Et  nous  ajoutions  en  note  : 

D'aucuns  prétendent  pourtant  que  VAppendix  VI  ne  paraîtra  pas, 
parce  que  Rome  publie  actuellement  une  nouvelle  édition  des  Dccrrta 
Authcntka,  dont  deux  volumes  ont  déjà  paru,  et  dans  laquelle  les 
Appendices  feront  corps  avec  le  reste. 

D'autre  part  un  de  nos  correspondants,  personnage  bien  en  situa- 
tion pour  être  renseigné  et  dont,  par  discrétion,  nous  tairons  le  nom 
fort  connu,  nous  écrit  à  la  date  du  5  juillet  1899  :  «  Je  puis  vous 
assurer  que,  malgré  des  intrigues  incroyables,  le  Dccict  de  1894,  ainsi 
({Violé Regolamcntn  per  la  mimca  >•■«(•/'«, trouvera  sa  place  définitive  dans 
le  troisièmevolume  de  la  nouvelle  collection  des  Décrets  de  laS.C.des 
Rites,  et  que,  par  conséquent,  après  1900,  l'état  des  choses  restera 
essentiellement  le  même  qu'en  1894.  » 

L'événement  a  justifié  la  prédiction. 

Voilà  donc  le  Décret  du  7  juillet  181) i  ins('ré  dans  la  Col- 
lection authentique  au  même  titre  que  le  fut  à  son  tour  le 
Décret  du  26  avril  1883. 

Mais  ce  qui  doit  attirer  notre  attention,  c'est  la  nature 
môme  des  documents  précités  ot  l'intention  qui  les  a  fait 
réunir  sous  le  même  titre  :  Acta  de  Miisica  sacra.  Nous 
n'avons  d'ailleurs  que  peu  de  mots  à  dire  là-dessus,  nos  lec- 
teurs connaissant  déjà  la  majeure  partie  des  documents  que 
Rome  rappelle  à  la  méditation  de  tous. 

1.  Le  Décret  Qiiod  S.  Aur/ustimis  a  été  inséré  dans  notre 
numéro  du  15  novembre  1898,  et  nous  avons  donné  sa  tra- 
duction française  dans  le  numéro  du  15  décembre  de  la 
même  année.  Inutile  d'y  revenir. 

2.  Le  Bref  apostolique  de  Pic  LX  Qui  choricis  a  été  men- 
tionné dans  notre  numéro  du  15  mai  1899,  p.  08,  avec  cita- 
tion du  passage  le  plus  caractéristique,  et  nous  en  avons 
encore  donné  une  courte  analyse  dans  le  numéro  du  15  juil- 
let 1899,  pp.  97  et  98. 

3.  Le  Décret  Quod  Apostolicœ  Scdi  est  ainsi  résumé  par 
son  titre  :  Quo  nova  Gradnalis  Romani  cditio  Ratishoncn. 
sumptihus  ac  ti/pis  impressa  Eq.  Finderici  Piistet,  Tjyporjrap/ii 
S.  Scdisct  S.  C.  R.,  authentica  riirsus  dcclaratur . 

4.  Le  lîrefapostolique  de  Léon  XIII  Sacrorum  conccnluum 
a  été  mentionné  par  nous  aux  mêmes  dates  et  de  la  même 
façon  que  le  lîrcf  Qui  choricis. 


40  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

5.  Le  Bref  apostolique  Quod  pertinere  est  lui-même  ainsi 
résumé  par  son  titre  :  Quo  peculiaris  Commissionis  viroi'um 
occlesiastici  cantiis  peritomim  opéra  prohatur  cl  laudatur 
quoadnovam,  libroriim  liturgicorum  Ratisboncn.  cditioncm, 

6.  Quant  au  Rcgolamento  per  la  musica  sacra,  nous  en 
avons  donné  la  traduction  française  dans  notre  numéro  du 
15  janvier  1899.  Il  est  à  remarquer  que  primitivement  ce 
règlement  avait  paru  en  texte  italien  et  par  conséquent  sem- 
blait s'adresser  plus  spécialement  aux  églises  d'Italie.  Or  la 
S.  C.  des  Rites  vient  d'y  adjoindre  en  regard  une  traduction 
latine:  ce  qui  paraît  lui  donner  une  portée  nouvelle  et  lui 
communiquer,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  un  caractère 
universel,  catholique. 

Chacun  de  nos  lecteurs  saura  reconnaître  la  pensée  et  les 
intentions  de  Home  au  simple  examen  d'un  tel  faisceau  de 
documents.  Nous  n'ajouterons  aucun  commentaire,  dans  la 
crainte  d'affaiblir  plutôt  que  de  mettre  en  lumière  l'acte  que 
vient  d'accomplir  la  suprême  autorité  liturgique. 

Que  fera-l-on  en  France?  demandait  notre  correspondant 
Selon  l'usage,  on  fera...  le  silence.  Ceux-là  même  qui 
mènent  en  ce  moment  grand  tapage  autour  de  la  brochure  de 
Mgr  C.  Respighi  oublieront  de  mentionner  la  réponse  pra- 
tique que  vient  d'y  faire  la  S.  C.  des  Rites.  Et  le  bloc  con- 
tinuera ses  résistances. 

Quant  ànous,  nous  disons  une  fois  de  plus  ce  qui  est.  Nous 
le  devons  d'ailleurs  à  notre  œuvre:  la  publication  du  3''  vo- 
lume des  Décréta  aulhentica  est  la  justification  la  plus  écla- 
tante de  la  campagne  que  nous  avons  menée. 

Et  nous  chantons  victoire. 

Et  la  victoire,  nous  la  devons  au  fait  de  n'avoir  jamais 
oublié  la  parole  si  souvent  citée  :/?ome  eU  mère  et  maîtresse, 
tout  ce  qii  elle  fait  est  bien. 

{A  suivre.)  A.  Gaiœrt 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  41 

A  NOS  LECTEURS 

Et  maintenant,  chers  lecteurs,  qu'il  nous  soit  permis 
de  vous  faire  les  communications  suivantes  : 

\°  L'Avenir  de  la  Musique  sacrée  va  cesser  désormais 
de  paraître  régulièrement. 

2°  11  reste  néanmoins  sur  la  brèche  avec  son  titre  et 
se  réserve  de  paraître  acridenteiiemenl  dans  le  cas  où  sur- 
girait quelque  fait  nouveau  ou  simplement  quelque 
nécessité  urgente  de  défendre,  soit  des  idées,  soit  même 
des  personnes. 

3°  Une  nouvelle  Revue,  avec  un  programme  plusvaste, 
va  lui  succéder.  Elle  fait  en  ce  moment  ses  derniers  pré- 
paratifs de  départ.  Vous  serez  les  premiers  à  la  recevoir. 


A  PROPOS  DE   LA  BROCHURE 
DE  Mgr  RESPIGHI 

Nous  lisons  dans  le  Supplément  de  la  Croie  (11  janvier 
1900)  :  «  Mgr  Carlo  Respighi,  cérémoniaire  pontifical,  vient 
de  détruire,  par  une  toute  petite  brochure,  l'argumentation 
du  D'"  Haberl  et  ruine  la  base  sur  laquelle  s'était  par  erroAir 
appuyée  la  S.  G.  des  Rites  en  déclarant  type  l'Edition  dite 
Médicéenne.  D'après  les  documents  qu'il  reproduit,  cette 
édition  ne  peut  être  attribuée  à  Palestrina.  »  Qui  n'entend 
qu'une  cloche  n'entend  qu'un  son.  Donnons  à  M.  Haberl  le 
temps  de  contrôler  les  assertions  de  Mgr  Respighi. 

Mais,  dès  maintenant,  au  point  de  vue  canonique,  nous 
pouvons  répondre  d'une  manière  victorieuse  à  Mgr  Respighi, 
à  la  Croix  et  à  tous  les  Pothiéristes.  S'il  plaît  à  la  S.  C.  des 
Rites  de  rapporter  les  Décrets  (mais  nous  n'en  croyons  rien), 
nous  nous  inclinerons  très  volontiers.  Jusqu'aujourd'hui 
les  décrets  subsistent,  et  nous  nous  en  tenons  là. 

Voici  ce  qu'au  point  de  vue  canonique  la  S.  G.  des  Rites 
a  répondu,  dès  1885,  aux  adversaires  de  l'Edition  officiûUe. 
(Nous  prions  nos  lecteurs  de  remarquer  que  cette  réponse 
fut  imprimée  en  abrégé  au  mois  de  juin  1885  dans  toutes  les 
Revîtes  de  musique  sacrée  et  dans  l'Univers  de  Paris.) 


42 


L  AVENIR    DE    LA    MUSIQL'E    SAf.KÉE 


A  la  date  du  20  juin  188.'),  nous  lisons  donc  ce  qui  suit 
dans  la  Semaine  rcligieme  de  Pèrigucux  : 

Comme  plusieurs  bruits  avaient  été  répandus  sur  la  valeur  des 
Décrets,  Mgr  l'Evêque  de  Périgueux  a  adressé  tout  récemment  une 
lettre  à  la  S.  C.  dos  Rites,  où  sont  résumées  les  principales  difticultés 
soulevées  contre  ces  Décrets. 

Demande  adressée  par  Mgr  l'Evêque  de  Périgueux 
à  la  S.  C.  des  Rites. 


Nunnulla  dnbia  cicca  Deciotuui 
S.  U.  C.,  2G  aprilis  1883,  «  Uoma- 
norniu  Pontificum  soUicitudo  »,  plu- 
ribus  in  Galli;i>  Provinciis  in  mé- 
dium prolata  luere  et  in  foliis  pu- 
blicis  pervulgata,  qua;  causa  sunt 
cur  vis  illius  Decreti  intcr  plurcs 
musicn'  peritos  vol  ?acra>  LiturgiiP 
profcssores  disputata  fuerit.  Ideo 
Episcopus  !*elrocorensis  et  Sarla- 
tensis  humiliter  rogat  S.  Congre- 
gationem  ut  propositis  qua'stioni- 
bus  respoudere  digncttir. 

Juxta  quosdam  auctores,  Décré- 
ta S.  H.  C.  viin  suam  non  obtinent 
nisi  in  collectione  Gardelliana 
inserantur  :  porro  cum  plura 
décréta  circacantum  grcgorianum 
in  liac  colh^ctiono  nonsint  posila, 
iisdem  auctoribus  videntur  luec 
décréta  in  oblivione  rclinquenda, 
<[uia  f'orsan  in  postcrum  corri- 
genda  erunt.  Decrctum  26  aprilis 
declaratur  ab  iisdem  ut  nunquam 
in  supradicta  collectione  colligen- 
dum  et  proiude  nullius  esse  obli- 
gationis  (1). 


En  divers  points  de  la  l'rance, 
des  doutes  ont  été  soulevés  et  ré- 
pandus dans  les  journaux  au  su- 
jet du  Décret  :  llomanorum  Pontijx- 
cum  sollicUudo,  pul)lié  par  la  S.C. 
dos  Rites  en  date  du  20 avril  1883  : 
de  là,  dispute  entre  les  musiciens 
et  les  lilurgistes  surla  force  déco 
Décret.  C'est  pourquoi  l'Evêque  de 
Périgueux  et  de  Sarlat  supplie 
liuniblcment  la  S.  Congrégation 
de  daigner  répondre  aux  questions 
qu'il  lui  pose. 

D'après  certains  auteurs,  les 
Décrets  de  la  S.  C.  des  Rites  n'oni 
force  de  loi  qu'autant  qu'ils  sont 
inscrits  dans  la  collection  de  Gar- 
dollini.  Or,  i)lusicurs  Décrets  pu- 
bliés sur  le  chant  grégorien  n'ont 
pas  été  insérés  dans  celte  collec- 
tion :  ils  doivent  donc,  au  senti- 
ment de  ces  auteurs,  rester  dans 
l'oubli  parce  qu'un  jour  peut-être 
ils  seront  soumis  à  correction,  l.o 
Décret  du  26  avril,  déclaront-il-^, 
ne  sera  jamais  admis  dans  la  col- 
lection, et, par  conséquent,  il  n'est 
pas  obligatoire  (1). 

11  y  en  a  mémo  qui  prétendent 
découvrir  dans  le  Décret  du 
26  avril  1883  quelques  erreurs 
liistori(|ues,  au  sujet  de  la  réforme 
opérée  dans  le  chant  grégorien  par 
J.  P.-L.Paloslrina  et  ses  disciples  : 

1  On  n'insère  les  Décrets  généraux  dans  la  collection  de  Gardellini 
que  tous  les  dix  ans.  Le  ^Décret  du  26  avril  1883  y  figure  sous  le 
n"  ;j869.  {\oycz  AppendJx  V,  du  12  janvier  1878  au  23  novembre  1887.) 


Pr.'etcrea,  non  desunt  qui  in  De- 
creto  26  aprilis  1883  errorcs  ati- 
quos  historicos  detcgerc  présu- 
mant circa  emendationem  a  J.-P. 
Aloysio  PriiMiestino  ejusque  dis- 
cipulis  in  cantu  gregoriano  pera- 


l'avenir  de  la  .musique  sacrék 


43 


clam,  et  idcirco  inlirmum  dicunt 
esse  tenorem  illius  Decreti  ulpole 
iii  falso  supposito  innixum. 

Dcnique  rumor  aliquis  Imc 
usquo  pci^venit  aliquos  viros  Ro- 
mara  pctiisse  cum  intentione  a 
S.  Sede  impetrandi  ut  prœdictas 
dccisiones  circa  cantum  legiti- 
mum,  nuper  recognitum,  apud  cl. 
equitem  Pustet  editiun,  rclaxaro 
velit,  et  circa  pra^cedentia  pres- 
cripta     silentiuni    altum     tcncat. 

Quo  circa  suppliciter  logo  ut 
hoîc  diibia  S.  R.  C.  solvat. 

1°  Requiriturne,  ul  valeat  ali- 
quod  Decretum  S.  R.  G.,  ut  repe- 
riatur  scriptum  in  authcntica  col- 
lectionc  ? 

2°  Si  aliqui  erroies  historici  in 
praidictum  Decretum  26  aprilis 
4883  irrepsissent,  auctoritas  ejus- 
dem    Decreti     essetne    invalida? 

3°  Décréta  circa  cantum  grego- 
rianum  rémanent  ne  certa  et  in 
pleno  vigore  conservanda  ? 

-{•  N.  JOSEPHUS, 

Ep.  Petroc.  et  Sai'l. 


en  conséquence,  ils  nient  son  au- 
torité, en  tant  que  se  fondant  sur 
un  faux  supposé. 

Enfin  le  bruit  nous  est  arrivé 
que  des  hommes  se  sont  rendus  à 
Rome  pour  obtenir  du  S.  Siège 
qu'il  abandonne  ses  décisions  sur 
le  chant  légitime  et  revu  naguère 
qu'édite  le  chev.  Pustet,  et  qu'il 
garde  un  silence  profond  sur  ses 
précédentes  Ordonnances. 

Je  prie  donc  instamment  la 
S.  Congrégation  des  Rites  de  dissi- 
per ces  doutes. 

1°  Pour  qu'un  Décret  ait  force  de 
loi,  son  insertion  dans  la  collec- 
tion authentique  est-elle  requise? 

2°  Des  erreurs  historiques  qui 
se  seraient  glissées  dans  le  Décret 
du  26  avril  1883  annuleraient- 
elles  son  autorité? 

3"  Les  décrets  sur  le  chant  gré- 
gorien l'estent-ils  incontestables 
et  en  pleine  vigueur? 

-|-  N.  Joseph, 
Êvêque  de  Péngueux  et  de  Sari. 


Réponse. 
Petrocoricen. 


Die  Tia  Junii  1885.  IJecreta  S. 
Rituum  Congregatiouis  a  Summo 
Pontilice  confirmata  omnino  ser- 
vanda. 

Laurcntius  Salvati,  S.  R.  C.  Se- 
cretarius. 


l'i  juin  1885.  Les  Décrets  de  la 
S.  G.  des  Rites,  confirmés  par  le 
Souverain  Pontife,  doivent  être  en- 
tièrement maintenus. 

Laurent  Salvati,  secrétaire  de  la 
S.  C.  des  Rites. 


«  Ainsi,  que  les  Décrets  ne  soient  pas  insérés  dans  la  collection  de 
Gardellini;  que  quelques  erreurs  historiques  s'y  soient  glissées,  il 
n'importe  :  les  Décrets  de  la  S.  Congrégation  des  Rites,  confirmés  par 
le  Souverain  Pontife,  doivent  être  entièrement  maintenus. 


Périgueux,  20  juin  1883. 


J.  Lavialle, 
professeur  de  Liturgie  au  Grand  Séminaire. 


44  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

LA  MUSIQUE  A  AVIGNON 

On  nous  écrit  d'Avignon  : 

«  Les  chanteurs  de  Saint- Gervais,  de  passage  à  Avignon, 
ont  donné,  le  24  janvier  dernier,  un  concert  de  musique 
classique,  dans  la  salle  de  rancien  cercle  catholique  de  celte 
iville. 

«  Parmi  les  morceaux  qui  ont  été  le  plus  goûtés,  je  signa- 
lerai l'O  ç-^^awi  gloriosum  de  Vittoria;  deux  chansons  fran- 
çaises du  xvi' siècle,  de  G.  Gostelez;  une  cantate  de  Garis- 
siini,  La  plainte  des  damnrs;  le  très  curieux  Chœur  des 
oiseaux  de  Jannequin,  et  le  beau  Cantique  de  i'Avent  de 
Robert  Schumann. 

«  Je  ne  m'étendrai  pas  sur  la  perfection  avec  laquelle  ces 
dilfcrentes  pièces  ont  été  exécutées:  tous  ceux  qui  ont  entendu 
la  célèbre  Schola  savent  à  quoi  s'en  tenir  là-dessus;  mais  je 
me  permettrai  d'attirer  votre  attention  sur  une  très  intéres- 
sante Causerie  musicale  de  M.  A,  Gastoué,  (|ui  a  fait  l'histo- 
rique de  la  Musique  à  Avignon. 

«  Je  ne  suivrai  pas  l'érudit  conférencier  dans  tous  ses  dé- 
veloppements. Qu'il  me  suffise  de  dire  qu'au  début  du 
xiv*'  siècle,  c'est-à-dire  au  moment  où  le  style  polyphonique 
commençait  à  peine  à  se  dégager  des  puérilités  du  dédiant. 
Clément  V,  le  premier  des  papes  qui  siégèrent  à  Avignon,  y 
établit  une  Chapellenie'de  musique^  pour  le  service  des  oflices 
pontificaux.  Son  successeur,  Jean  XXÏI,  publia  une  bulle 
fameuse,  Docta  Sanciorum,  pour  condamner  les  abus  de  la 
nouvelle  école  musicale.  Le  pape  Grégoire  XI,  à  son  retour 
à  Rome,  ramena  avec  lui  une  partie  des  chanteurs  de  sa  cha- 
pelle, parmi  lesquels  figurait  Guillaume  Dufay,  qui  fut  le 
créateur  d'un  nouveau  genre  de  musique  et  le  véritable 
ancêtre  de  Palestrina.  C'est  ainsi  que  la  chapelle  d'Avignon 
«  introduisit  à  Saint-Pierre  de  Rome,  qui  ne  connaissait 
encore  que  le  plain-chant,  ce  genre  de  musique  qui  devait 
trouver  son  efflorescence  chez  les  maîtres  du  xvi°  siècle  ». 

«  Julien  de  laRovère,qui  devint  plus  tard  pape  sous  le  nom 
do  Jules  II,  ayant  été  nommé  archevêque  d'Avignon  en  \  174, 
sécularisa  le  chapitre  de  son  église  métropolitaine  et,  eu  plus 
de  vingt  canonicats,  y  institua  dix  chapellenics  chorales  et 
fonda  six  bourses  pour  les  enfants  de  c\iœ\iT,pueri  chorales. 


l'avenir    de    la    MUSrOUE    SACRÉE  45 

«  M.  Gastoué  a  énuméré  ensuite  les  musiciens  de  renom 
qui  sont  sortis  d'Avignon  ou  ont  séjourné  dans  cette  ville: 
Elzéar  Genêt,  dit  il  Carpentrasso^  maître  de  chapelle  du  pape 
Léon  Xct  mort  doyen  du  chapitre  de  Saint-Agricol;  In- 
termet,  qui  fut  quelque  temps  maître  de  chapelle  à  la  Métro- 
pole et  dont  le  roi  Louis  XIII  goûtait  fort  les  motets;  Saboly, 
organiste  de  Saint-Pierre,  mort  en  1673,  dont  les  Noëls  sont 
demeurés  si  populaires  dans  tout  le  Midi  de  la  France;  le  cé- 
lèbre Rameau  qui,  avant  de  partir  pour  l'Italie,  remplit, par 
intérim,  les  fonctions  de  maître  de  chapelle  à  l'église  métro- 
politaine. 

«  II  est  à  regretter  que  M.  Gastoué  ait  passé  sous  silence 
tout  ce  qui  s'est  fait  à  Avignon,  pour  le  développement  de 
l'art  musical,  pendant  le  siècle  qui  vient  de  s'écouler,  et  que 
même  il  ait  avancé,  un  peu  à  la  légère,  que  «  la  Révolution 
avait  pour  longtemps  tari  la  source  de  ces  manifestations 
artistiques.  »  S'il  avait  consulté  les  souvenirs  des  anciens 
Avignonnais,  il  aurait  appris  que,  sous  l'épiscopat  de 
Mgr  Débelay  (1849-1863),  la  bonne  musique  était  en  grand 
honneur  dans  notre  ville. 

«  C'est  à  cette  époque  que  les  chœurs  du  petit  séminaire 
exécutaient  la  messe  del  papa  Marcello  et  donnaient  des 
séances  musicales  très  appréciées  des  amateurs  ;  que  les 
élèves  du  Conservatoire  municipal,  sous  l'habile  direction  de 
M.  Brun,  se  faisaient  applaudir  dans  toutes  les  capitales;  que 
l'orgue  de  Saint-Pierre  avait  pour  titulaire  le  maestro 
G.  F.  Imbert,  auteur  de  nombreuses  cantates,  oratorios, 
messes  et  autres  compositions  religieuses;  que  les  sociétés 
chorales  rivalisaient  de  zèle  et  d'entrain. 

«  Et  maintenant  encore  la  race  des  artistes  avignonnais 
n'est  pas  éteinte.  Je  pourrais  citer  plus  d'un  nom  de  musi- 
ciens, de  compositeurs,  d'organistes,  de  maîtres  de  chapelle, 
à  qui  la  renommée  n'a  pas  encore  fait  une  auréole,  unique- 
ment parce  qu'ils  ne  viennent  pas  en  ligne  droite  de  Paris. 
Avignon  s'est  toujours  montrée  hospitalière  aux  étrangers 
qui  venaient  lui  apporter  le  concours  de  leur  science  et  de 
leur  talent,  mais  elle  n'oublie  pas  ses  propres  enfants  et  leur 
garde  la  première  place  dans  son  souvenir.  » 

Memor. 


46  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

LES  GRANDS  ORATORIOS 
DE  L'EGLISE   SAINT- EUSTACHE 

L'infatigable  M.  d'MarcourI  a  eu  l'excellente  idée  de  faire 
entendre  dans  une  des  plus  admirables  églises  de  Paris  les 
plus  grandes  œuvres  de  musique  religieuse  des  maîtres.  Le 
Messie  d'IIaîndel  et  le  Requiem  de  Berlioz  ont  commencé  la 
série  et  ont  été  exécutés  avec  un  très  grand  succès  malgré 
les  critiques  des  confrères  qui  ne  méditent  pas  assez  l'adage 
qui  devrait  être  la  devise  de  tous  les  critiques:  «  La  critique 
est  aisée,  mais  l'art  est  difficile.  »  Sans  vouloir  tout  louer,  il 
est  absurde  de  critiquer  de  parti  pris. 

On  peut  s'étonner  de  l'introduction  dans  le  Messie  du 
fameux  Largo;  mais  nous  ne  blâmerons  pas  M.d'Harcourt  de 
nous  avoir  donné  l'arrangement  de  la  partition  avec  les  ins- 
truments à  vent  qu'a  fait  Mozart. 

Dans  le  Messie  la  voix  incomparable  de  M""  Eléonore 
Blanc  a  fait  merveille.  M.  Lafarge  a  commis  quelques  erreurs, 
mais  l'orchestre  a  été  excellent.  himmo 

L'exécution  du  Requiem  de  Berlioz  présentait  de  bien 
autres  difficultés. 

Cette  œuvre  n'ayant  pas  été  jouée  depuis  4876,  époque  où 
M.  Colonne  la  donna  au  Châtelet,  nous  en  ferons  ici  une 
courte  analyse. 

Le  Kyrie  commence  par  une  plainte  des  violons  à  décou- 
vert, comme  la  première  phrase  de  la  Damnation,  et  se  con- 
tinue par  une  gamme  chromatique  descendante  sur  les  mois 
Requiem  œternam  et  dont  chaque  note  tombe  comme  une 
larme.  L'orchestre  expose  un  contre-chant  d'une  expression 
intense,  sur  lequel  est  construit  tout  le  morceau,  et  qui 
alterne,  avec  le  thème  large  du  Te  decet  hf/mnus  accompagné 
avec  tant  de  persistance  par  le  dessin  opiniâtre  des  violon- 
celles. La  fin  du  morceau  est  un  appel,  Kf/rie  eleison,  presque 
parlé  sans  accompagnement,  comme  une  supplication  qui 
oserait  à  peine  se  faire  entendre. 

Berlioz  a  fait  d'abord  dire  le  Dies  irœ  par  les  soprani  seuls, 
et  ce  chant, que  l'Eglise  nous  a  fait  connaître  dans  le  grave,  a 
peut-cli-e  encore  plus  d'expression  dans  le  registre  élevé,  sur 
le  thème  si  navrant  trouvé  par  le  Maître.  La  phrase  est 
ensuite  fuguée   par  toutes  les  parties.    Nous    arrivons    au 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  47 

fameux  andante  maestoso  du  Tuba  mirum  que  Berlioz  dans 
ses  mémoires  appelle  «  un  cataclysme  musical  ». 

Voici  d'ailleurs  ce  qu'il  dit  de  l'exécution  du  Titha  mirum 
aux  Invalides,  en  1837: 

«  Mes  exécutants  étaient  divisés  en  plusieurs  groupes 
assez  distants  les  uns  des  autres,  et  il  faut  qu  il  en  soit  ainsi 
pour  les  quatre  orchestres  d'instruments  de  cuivre  que  j'ai 
employés  dans  le  Tuba  mirum,  et  qui  doivent  occuper  chacun 
un  angle  de  la  grande  masse  vocale  et  instrumentale.  Au 
moment  de  leur  entrée,  au  début  du  Tuba  mirum  qui  s'en- 
chaîae  sans  interruption  avec  le  Dies  irœ,  le  mouvement 
s'élargit  du  double  ;  tous  les  instruments  de  cuivre  éclatent 
d'abord  à  la  fois  dans  le  nouveau  mouvement,  puis  s'inter- 
pellent et  se  répondent  à  distance  par  des  entrées  succes- 
sives, échafaudées  à  la  tierce  supérieure  les  unes  des  autres. 
Il  est  de  la  plus  haute  importance  de  clairement  indiquer  les 
quatre  temps  de  la  grande  mesure,  à  l'instant  oii  elle  inter- 
vient, sans  quoi  ce  terrible  cataclysme  musical  préparé  de  si 
longue  main,  où  des  moyens  exceptionnels  et  formidables 
sont  employés  dans  des  proportions  et  des  combinaisons  que 
nul  n'avait  tentées  alors  et  n'a  essayées  depuis,  ce  tableau 
musical  du  jugement  dernier  qui  restera,  je  l'espère,  comme 
quelque  chose  de  grand  dans  notre  art,  peut  ne  produire 
qu'une  immense  et  effroyable  cacophonie.  » 

Berlioz  aurait  été  satisfait  s'il  avait  pu  entendre  son  Tuba 
mirum  à  Saint-Euslache.  Cette  page  si  difficile  à  mettre 
d'aplomb  a  été  exécutée  avec  un  ensemble  parfait.  L'effet 
produit  est  d'une  puissance  extraordinaire  de  sonorité. 

Après  le  prodigieux  Tuba,  le  Quid  sum  miser  sur  le  thème 
Dies  irœ  transposé  en  soi  dièse  mineur,  est  d'une  expression 
humble  et  craintive.  Avec  le  Rex  trcmendni  nous  retrouvons 
la  majesté  et  la  puissance  du  Dieu  redoutable.  Là  encoi'C  le 
Salva  me  syncopé  vient  mettre  son  sanglot. 

Le  Quœrens  me  est  un  chœur  sans  accompagnement  qui 
exprime  la  honte  du  pécheur. 

Le  Lacrymosa  est  pour  nous  la  page  la  plus  inspirée  de 
l'œuvre.  Encore  que  le  thème  soit  d'une  allure  un  peu  ita- 
lienne, il  est  développé  dans  une  forme  bien  moderne  et  le 
grand  crescendo  final  est  de  toute  beauté.  Ce  morceau  nous 
étonne  moins  mais  nous  émeut  plus  que  le  Tuba  nilnnu. 


48  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

L'ofTertoire  fugué  est  encore  une  belle  page  ;  mais  dans  le 
chant  Hostias  et  preces  Berlioz  a  mis  un  sentiment  mystique 
exquis.  Il  y  a  là  certains  coups  de  cymbales  qui  évoquent  la 
pensée  de  tintements  d'encensoirs  et  accompagnent  la  prière, 
A  la  fin,  le  dialogue  entre  les  trombones,  dans  le  grave,  et 
les  flûtes  à  l'aigu  est  aussi  fort  suggestif. 

Avec  le  Sam  tus  nous  trouvons  encore  une  de  ces  inspi- 
rations émues  dans  lesquelles  charme  la  poésie  de  Berlioz 
plus  que  toutes  les  combinaisons  fantastiques  qu'il  affec- 
tionne. Il  y  a  plus  de  vraie  musique  dans  le  Kyrie,  le  Lacry- 
mosa  et  le  Sanctus  que  dans  le  Tuba.  La  phrase  du  Sanctus 
est  aussi  touchante  que  certaines  de  ['Ënfimcp  du  Christ  et  la 
finale  en  est  délicieuse.  M.  d'Harcourt  a  fait  chanter  le 
solo  du  Sanctus  par  tous  les  ténors.  L'effet  n'est  plus  le 
môme,  d'autant  que  les  choristes  n'ont  guère  nuancé  celte 
admirable  phrase. 

On  pourrait  discuter  l'alternance  du  Sanctus  avec  la  fugue 
de  VIJosanna  et  le  retour  de  chacun  de  ces  motifs;  mais 
devant  une  œuvre  qui  nous  émeut  autant  que  le  Requiem 
toute  discussion  technique  devient  misérable. 

Dans  ÏAf//ius,  rien  de  plus  Imaginatif  que  la  phrase  :  lu.r 
perpétua  luceat  eis.  11  semble  que  Berlioz  ait  voulu  indiquer 
par  des  suspensions  le  tremblement  de  la  lueur. 

VAmen  est  une  sorte  d'extase. 

Voilà  quelques  mots  sur  l'ouvrage  si  impressionnant  dont 
Berlioz  a  dit  : 

«  Si  j'étais  menacé  de  voir  brûler  mon  œuvre  entière 
moins  une  partition,  c'est  pour  la  Messe  des  Morts  que  je 
demanderais  grâce.  » 

On  pourrait  reprochera  M.  d'Harcourt  d'avoir  ajouté  une 
partie  d'orgue  que  Berlioz  aurait  pu  écrire  s'il  avait  voulu  in- 
troduire dans  son  orchestration  cet  instrument.  C'est  en  effet 
dans  la  chapelle  dos  Invalides  que  fut  joué  le  Reguiem  pour 
la  première  fois,  du  vivant  de  l'auteur,  et  il  devait  déjà  y  avoir 
dans  cette  église  l'orgue  qui  s'y  trouve  encore.  Il  ne  saurait 
donc  y  avoir  de   raison  pour  justifier  cette  adjonction. 

A  Saint  Eustache,  pour  le  Tuha  mirujn,  les  groupes  d'ins- 
truments de  cui\  re  n'ont  pu  être  placés  comme  le  demandait 
Berlioz  aux  quatre  coins  de  l'orchestre,  et  M.  d'Ilarcourl  les  a 
disposés  dans  les  deux  dernières  chapcîlles  dos  deux  nefs  et  do 
chaque  côté  du  grand  orgue.  C'est  seulement  de  cette  manière 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  49 

que  les  instrumentistes  pouvaient  voir  la  baguette  du  chef. 
Mais  n'avons-nous  pas  dit  que  l'ensemble  avait  été  parfait. 
On  ne  saurait  trop  féliciter  M.  d'Harcourt  du  tour  de  force 
qu'il  a  accompli  dans  des  proportions  que  personne  n'avait 
osé  tenter  depuis  Berlioz. 

Henry  Eymieu. 


LE  CHANT  TRADITIONNEL 
ET  LE  CHANT  DES  MANUSCRITS 

{Suite  et  fin) 

Ex  tirait  de  la  Revue  de  Chant  grégorien  et  de  la  Musique  religieuse;  Mar- 
seille, U,  place  Sébastopol;  n°  37,  novembre  et  décembre  1899. 

Bien  plus,  ce  sont  souvent  les  syllabes  faibles,  ou  même  les 
pénultièmes  brèves,  qui  s'y  trouvent  chargées  de  longues 
vocalises.  Déjà  Guy  d'Arezzo  trouvait  choquant  de  prolonger 
ainsi  les  syllabes  brèves  (1),  et  Aurélien  de  Réomé,  au 
viu* siècle,  condamnait  cet  usage  comme  une  pratique  mau- 
vaise, provenant  de  l'ignorance  des  chantres,  et  la  qualifiait 
d'ineptie  (3).  Et  ce  sont  des  gens  qui  assurent  que  Y  accent  aa 
tion  est  la  règle  des  règles^  qu'il  faut  chanter  comme  on  pro- 
nonce, que  la  note  n'a  d'autre  valeur  que  celle  de  la  syllabe 
du  texte,  etc.,  etc.,  ce  sont  ces  gens-là,  dis-je,  qui  voudraient 
nous  imposer  le  retour  à  cette  pratique  si  contraire  à  nos 
habitudes  prosodiques  actuelles  et  si  opposée  à  la  manière  de 
faire  de  tous  les  compositeurs  modernes.  Aussi  voyons-nous 
que  les  éditeurs  de  Reims  et  Cambrai,  tout  en  reproduisant 
le  chant  du  manuscrit  de  Montpellier,  n'ont  pas  jugé  bon  de 
conserver  cette  accentuation  défectueuse.  Et  l'on  ose  accuser 
de  barbarie  les  réformateurs  du  chant  qui  ont  corrigé  ces 
fautes  de  quantité  ! 

Ces  versets  alléluiatiques,  dont  quelques-uns  admirent  les 
longues  enfilades  de  notes  et  les  formules  interminables  qui 
se  répètent  sans  cesse,  sont  précisément  la  partie  du  Graduel 
où  les  manuscrits  offrent  le  plus  de  divergences  et  paraissent 
être  une  addition  postérieure.  Le  savant  éditeur  du  Graduale 

1.  Nec  tcnor  lon}j;us  in  quibusdaia  bievihus  syllabis,  aut  brevis  in 
longis  sit,  quia  obscœnilatnn  parit.  {Guidon. Miciologus^  cap.  lo.) 

2.  Plerique  usa  improbo  conseotante?  correptiones  producuut  et 
corripiiint  producliones...  inepte  ai^uiit.  NonnuUi  cantores  iguari  ab 
oibita  piociil  aberrant  verilatis.  iAurelian.  Rcom.  Miisica,ciip.  19  et 20. 


50  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

Sarisburiense  fait  observer,  dans  son  étude  sur  la  formation 
de  V AnfÀphonale  Missarum,  qui  sert  de  préface  à  cette  publi- 
cation, que  :  «  Les  versets  de  V Alléluia,  an  tant  que  distincts 
de  VAllcluia  lui-même,  varient  tellement  et  si  universellement 
qu'on  se  demande  tout  d'abord  s'ils  faisaient  partie  du  plan 
original. 

«  De  plus,  ajoute-t-il,  on  a  adapté  de  nouveaux  versets  à 
d'anciens  Alléluia  et  même  l'on  n'a  pas  cessé  do  composer  de 
nouveaux  Alléluia  jusqu'à  la  fin  du  xv'  siècle,  avec  une 
liberté  dont  il  n'y  a  pas  d'exemple  dans  le  reste  de  l'otlice, 
graduel,  offertoire  ou  communion.  En  général,  celte  formule 
de  chant  semble  n'avoir  point  participé  à  cette  stabilité  qui 
est  si  caractéristique  des  autres  parties  de  la  Messe  (1).  » 

Cette  diversité  s'applique  dans  une  certaine  mesure  aux 
versets  du  graduel,  dont  le  texte  varie,  suivant  les  manuscrits, 
comme  le  même  auteur  en  fait  la  remarque  (2). 

Et  ce  sont  ces  chants  d'origine  douteuse,  inventés  à  une 
époque  de  décadence  artistique,  qu'on  voudrait  nous  forcer 
d'admirer  et  de  chanter  :  «  Ces  Messieurs,  ce  me  semble,  dit 
avec  raison  le  R.  i*.  Dom  Kornmiiller,  pourraient  se  contenter 
de  ce  qu'il  ne  leur  est  pas  interdit  de  chanter  les  mélodies  des 
manuscrits.  Mais  qu'est-ce  qui  les  pousse  à  vouloir  imposer 
leurs  mélodies  à  d'autres  qui  n'en  veulent  pas  parce  que, 
pour  eux, elles  sont  impraticables?  Le  Saint-Siège  sait  mieux 
ce  qui  convient  pour  l'Eglise  entière  :  sa  sollicitude 
n'embrasse  pas  seulement  quelques  monastères  et  instituts 
qui,  grâce  à  leur  organisation  si)é«iale,  peuvent  venir  à  bout 
de  ces  mélodies  richement  ornées  —  et  encore  ce  n'est  que 
la  minorité  des  membres  qui  on  est  capable;  —  mais  elle 
s'étend  à  des  milliers  de  chœurs  d'églises  et  de  couvents, 
pour  lesquels,  vu  les  conditions  oii  ils  se  trouvent,  il  est 
impossible  d'exécuter  ces  chants  si  longs  et  si  pleins  d'arti- 
fices. Et  ce  besoin  de  chants  plus  simples  et  plus  courts  ne 
date  pas  d'hier  (8).  » 

Une  autre  particularité  du  chant  des  manuscrits,  ce  sont 
les  suites  de  plusieurs  notes  à  l'unisson  sur  la  même  syllabe. 
On  trouve,  il  est  vrai,  quelquefois,  dans  nos  livres,  des  notes 

1.  Ttio  Sacrum  Graduai  and  the  grogorian  Anliphonak  Miitsarum,  hy 
Wiilter  Howard  Frère,  M.  A.  pp.  x-xi,  l>ondon,  Homard  Quaridli,  iso.i. 
■    2,  Op.  cit.,  pp.   xvii -xviir, 

3.  Loc,   cit. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  51 

doubles,  principalement  sur  la  pénultième  avant  les  pauses; 
c'est  ce  que  les  Anciens  appelaient  pressus.  Mais,  dans  les 
manuscrits,  ce  ne  sont  plus  seulement  deux  notes,  mais  trois, 
cinq  ou  même  sept,  qui  se  trouvent  sur  le  même  degré  et 
qui,  selon  la  pratique  ancienne,  devaient  être  répercutées, 
vibrées  ou  détachées.  Y  a-t-il  là  quelque  chose  de  vraiment 
beau  et  d'artistique  qui  mérite  d  être  admiré  (1)?  Cependant, 
tandis  que  les  éditeurs  de  Reims  et  Cambrai  avaient  eu  le  bon 
goût  de  renoncer  à  ces  notes  répétées,  aujourd'hui  on  ne  nous 
fait  grâce  d'aucune  répercussion.  C'est  comme  si  un  archi- 
tecte, ayant  à  construire  une  église  gothique,  s'amusait  à 
reproduire  tous  les  ornements  grotesques  qui  abondent  dans 
les  édifices  du  moyen  âge,  ou  si  un  sculpteur  copiait  lalour- 
deur  de  pose,  les  défauts  de  modelé  qui  sont  caractéristiques 
des  statues  de  cette  époque.  Ce  serait  peut-être  de  l'archéo- 
logie, mais  à  coup  sûr  ce  ne  serait  pas  de  l'art. 

Ah!  certes,  les  correcteurs  du  xv!""  siècle  ont  eu  cent  fois 
raison  d'abréger  ces  vocalises  sans  fin  et  de  supprimer  ces 
chevrotements  puérils,  et  en  cela  ils  ont  fait  preuve  de  bon 
sens  et  de  goût.  Le  chant  qu'il  nous  ont  donné  n'est  pas  par- 
fait, sans  doute,  pas  plus  que  le  chant  des  manuscrits  ;  mais, 
qu'on  l'examine  en  dehors  de  tout  parti  pris,  et  l'on  sera 
forcé  de  reconnaître  qu'il  n'est  pas  si  pitoyable  que  d'aucuns 
veulent  bien  le  dire. 

Qu'il  y  ait  dans  les  nouveaux  offices,  surtout  dans  ceux 
qui  ont  été  composés  depuis  le  commencement  du  siècle,  des 
pièces  qui  dénotent  de  la  part  de  ceux  qui  les  ont  adaptées 
une  ignorance  complète  des  formules  et  de  la  tonalité  grégo- 
rienne, nous  n'avons  pas  de  peine  à  l'admettre  ;  mais  que 
l'on  étudie  la  partie  ancienne,  œuvre  des  premiers  correc- 
teurs, le  Propre  du  Temps,  le  Commun  des  Saints  et  la  partie 
primitive  du  Propre  des  Saints,  et  Tony  trouvera  quantité  de 
pièces  fort  belles,  arrangées  avec  une  connaissance  remar- 

1.  M.  le  chanoine  S.  Morelot,  parlant  de  la  pratique  des  notes  vibrées 
ou  répercutées,  dit  :  «  Loin  de  lui  donner  place  à  l'église,  on  devrait 
la  proscrire,  môme  au  théâtre,  tant  elle  csl  barbare  et  prétentieuse. 
Faire  goûter  de  pareilles  choses  aux  musiciens  de  notre  génération  me 
parait  une  entreprise  non  moins  chimérique  que  le  serait  celle  de  pro- 
poser à  l'admiration  d'un  auditoire  occidental  les  chants  orientaux  qui 
ont  pourtant  leurs  dilettantl  là  où  ils  sont  en  usage,  comme  ceux  dont 
nous  parlons  avaient  sans  doute  les  leurs  au  x^  siècle  auquel  on  vou- 
drait nous  ramener.  »  (L'Arciiéologie  grégorienne  et  les  reformes  du 
plain-chant.  Musica  sacra  de  Toulouse,  novembre  1899,  page  133.) 


52  L  AVENIR    DE    LA    MUSIQUE    SACRÉE 

quable  des  formes  propres  à  l'art  grégorien,  où  la  mélodie 
rend  avec  beaucoup  d'expression  les  sentiments  exprimés  par 
le  texte  ;  et  l'on  ne  dira  plus  que  c'est  un  chant  barbare, 
comme  si  les  évêques  et  les  synodes  qui  en  ont  prescrit 
l'usage  n'avaient  pas  le  sentiment  des  convenances  et 
auraient  adopté  pour  le  service  de  leurs  églises  un  chant 
indigne  de  servir  au  culte  divin. 

Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  apporter  encore  à 
l'appui  de  notre  sentiment  le  témoignage  du  R.  P.  Dom  Korn- 
mliller  qui,  à  la  science  de  l'archéologue,  joint  un  talent 
remarquable  comme  compositeur  de  musique  religieuse. 
«  On  loue,  il  est  vrai,  dit-il,  la  valeur  et  la  facilité  des  mélo- 
dies anciennes  comparées  aux  cliants  abrégés  modernes.  Mais 
les  notions  de  perfection  et  de  beauté  sont  des  idées  très 
relatives,  et  le  jugement,  là-dessus,  n'est  que  trop  souvent 
influencé  par  l'habitude  ;  en  outre,  on  ne  saurait  contester 
que  l'on  estime  facilement  ses  propres  ouvrages  plus  haut 
que  ceux  d'autrui.  Pour  nous,  le  défaut  de  perfection  con- 
siste en  ce  que  les  mélodies  anciennes  ne  sont  |irati(|uoment 
exécutables  que  pour  un  nombre  inhme  de  chœurs.  Quant  à 
la  valeur,  les  chants  les  plus  modernes  ne  le  cèdent  point  aux 
anciens  ;  celte  valeur  s'est  toujours  affirmée,  même  au  con- 
grès liturgico-musical  d'Arezzo  ;  et  en  quoi  pourrait-on 
prouver  qu'ils  ne  répondent  pas  à  la  dignité  du  culte?  Pour 
ce  qui  est  encore  de  la  facilité  des  chants  anciens,  tout 
enfant  sait  que  cinq  à  six  notes  sont  plus  faciles  à  chanter 
que  vingt,  trente,  quarante,  et  le  grand  nombre  de  petits 
groupes  et  de  figures  qui  se  suivent  dans  les  neumes  et  les 
jubilations  de  l'édition  de  Dom  Pothier  trouble  plutôt  l'œil, 
au  lieu  d'en  faciliter  la  lecture. 

«  La  prévention  et  la  passion  ont  à  ce  point  obscurci  la 
vue  des  hommes  de  l'opposition,  qu'ils  ne  voient  que  du  bon 
dans  leurs  livres,  que  du  mauvais  et  du  vil  dans  l'édition 
officielle  (1)». 

M.  le  chanoine  Stéphen  Morelot,  dont  nous  déplorons  la 
perte  récente,  écrivait  dernièrement,  dans  un  article  qui 
restera  comme  son  testament  artistique  :  «Malgré  tout  ce  que 
peuvent  gagner  ces  antiques  cantilènes  à  une  exécution  intel- 
ligente et  soignée,  je  suis  convaincu  que,  à  quelques  excep- 
tions près,  leur  procédé  est  trop  dilférent  de  ce  que  compor- 

\ .  Loc,  cit. 


l'avenir  d?]  la  musique  sacrée  S3 

tent  nos  exigences  actuelles  en  fait  de  mélodie,  pour  qu'on 
puisse  nous  les  l'aire  goûter.  Si  les  anciens  pouvaient  trouver 
du  charme  à  ces  tautophonies  où.  la  voix  évolue  sans  cesse 
sur  le  même  degré,  elles  ne  peuvent  que  nous  paraître 
insipides  (1).  » 

D'ailleurs,  il  ne  faut  pas  se  lasser  de  le  répéter,  à  ren- 
contre des  partisans  exclusifs  du  chant  des  manuscrits, 
qu'ils  voudraient  nous  imposer  comme  le  seul  conforme  à 
l'esprit  de  l'Eglise:  la  revision  et  l'abréviation  des  mélodies 
dites  grégoriennes,  opérée  au  xvi^  siècle,  a  été  faite  par  l'ordre 
formel  du  Saint-Siège,  dans  le  but  déclaré  de  les  ramener  à 
une  forme  plus  appropriée  et  plus  simple^  de  telle  sorte 
qu'elles  puissent  être  facilement  apprises  et  adoptées  par  tous 
ceux  qui  s'adonnent  au  chant  religieux  (2). 

C'est  ce  chant  abrégé  qui  seul  est  déclaré  authentique  et 
légitime,  le  seul  dont  se  sert  l'Eglise  romaine  (3),  Et  l'on  a 
l'audace  de  parler  de  falsifications  éhontées  Ct),  ce  qui  s'ap- 
plique évidemment  au  Saint-Concile  de  Trente  qui  a  recom- 
mandé la  réforme  du  chant  liturgique,  au  Pape  Pie  IV  qui  a 
donné  l'ordre  de  l'entreprendre,  aux  Souverains  Pontifes 
Paul  V,  Pie  IX  et  Léon  XITI  qui  l'ont  approuvée!  Sont-ce 
bien  des  catholiques  qui  ont  l'elfronterie  d'écrire  de  pareilles 
choses?  Ah  !  s'il  y  a  falsification,  c'est  bien  plutôt  de  la  part 
de  ceux  qui  ont  la  prétention  de  nous  doimer,  comme  le  pur 
chant  de  saint  Grégoire,  des  mélodies  qui  n'en  reproduisent 
ni  la  note  ni  le  rythme. 

Sous  sa  forme  abrégée,  le  chant  actuel  se  rapproche  sans 
doute  plus  sensiblement  du    chant  primitif  que  non  pas  le 

i.  Musica  Sacra  dd  Toulouse,  loc.  cit. 

2  Cum  juxta  vota  Sanctœ  Tridentinye  Synodi,  Plus  IV  Ponlifex 
Maximus  aliquol  S.  R.E.  Cardinales  reformationi  lilurgici  cantus  pra>- 
fecisset,  omnem  hi  curarn  adhibuere,  ut  cantus  ejusmodi  ad  nptiorem 
simplkioreinquc  formam  reduceretur,  et  ita  ab  omnibus  divina;  psal- 
raodiœ  operam  dantibus  rccipi  adoptarique  facile  po<set. (Décret  Roma- 
norum  Pontificum,  du  10  avril  1883,  coafirraé  par  S.  S.  Léon  XIII  le 
26  avril.) 

3.  Eam  tantum  uti  authenticam  Gregoriani  cantus  formam  atque 
leyitimam  bodie  liabendam  efse,  quîc,  juxta  ïridenlinas  sanctiones,  a 
Paulo  V,  Pio  IX  sa.  me.  et  Sanctissimo  Domino  Nostro  Leone  XIII, atque 
a  Sacra  Rituum  Congregatione,  juxta  Editionem  nuper  adornalami^ata 
liabita  est  et  confirmata,  utpote  qiue  unice  cam  cantus  rationem  con- 
tinoat,  qua  Ilomana  ulitur  Ecclesia.  (Décret  Quod.  S.  Augnslinus,  con- 
firmé par  S.  S.  Léon  XIII  le  7  juillet  1894.) 

4.  Tribune  de  Sainl-Gcrvais,  août  1899,  p.  194. 


34  L"Avr:NiK  di:  la  musique  sacrée 

chant  des  manuscrits,  sur  lequel,  dans  le  cours  des  âges,  sont 
venus  s'amonceler  des  ornements  multiples.  Et  puis,lo  chant 
de  l'Eglise  ne  doit  pas  être  l'apanago  de  quelques  maîtrises 
privilégiées  ou  de  rares  monastères.  C'est  le  chant  de  tous, 
qui  doit  être  à  la  portée  dos  plus  humbles  lutrins  de  village, 
aussi  bien  que  des  chœurs  exercés  des  Cathédrales. 

Or,  comment  veut-on  que  nos  chantres  puissent  arriver  h 
rendre  d'une  manière  supportable  ces  interminables  voca- 
lises, ces  ornements  recherchés^  dont  l'exécution  était  jadis 
confiée  aux  voix  jeunes  et  fraîches  des  diacres  ou  des  lecteurs, 
élevés  à  l'ombre  des  basiliques  et  exercés  dès  leur  plus 
tendre!  enfance  à  la  pratique  des  chants  sacrés,  comme  nous 
l'apprend  le  Liôer  Pontificalis  ? 

Si  l'exécution  n'est  pas  parfaite,  ces  passages  n'ont  plus  de 
sens  musical  et  deviennent  fatigants  et  insipides  à 
entendre  (1).  Puis  aujourd'hui,  dans  la  plupart  de  nos  églises, 
on  trouve  le  chant  trop  long  et  l'on  a])rège  autant  que  l'on 
peut.  Aussi,  là  oii  l'on  suit  le  chant  des  manuscrits,  pour  ne 
pas  prolonger  les  offices  «  on  s'est  a|)pliqué  à  chanter  les 
«  notes  avec  une  rapidité  indécente,  qui  ne  permet  plus  ni 
«  de  bien  entendre  chaque  syllabe,  ni  de  saisir  et  de  goûter 
«  la  mélodie  (2).  » 

«  Quelles  étrangetés  d'allures  et  d'etrets,  dit  à  son  tour 
Mgr  l'Evêquo  de  Châlons  !  C'est  comme  une  course  éche- 
velée  de  sons  qui  se  j)ressent,  s  appellent  peut-être,  mais 
n'ont  guère  le  temps  de  se  répondre.  On  dirait,  à  chaque  ins- 
tant, qu'ils  vont  perdre  haleine,  et  la  phrase  ne  finit  qu'en 
tombant  d'inanition.  Il  s'agit  bien  pour  les  adeptes  de  celte 
méthode,  de  distinguer  le  degré  des  solennités,  le  caractère 
des  tons,  le  genre  et  le  sens  des  cantiques  :  ils  disent  tout  de 
môme,  avec  une  désespérante  monotoiiie;  et  vous  ne  savez  plus 
bien  à  les  entendre,  si  le  psaume  tressaille,  pleure  ou  prie  (saint 

1.  Les  Pothiéristes,  eux-mêmes,  ont  reconnu  la  nécessité  d'abréger  le 
chant.  «  Le  principal  obstacle  à  la  restauration  complète  du  plain- 
chant,  écrivait  Dom  I^aurent  Jansaens  on  1891,  me  semble  ôtre  sa 
richesse  même,  à  caui>tj  (ksdifficiillcs  cnoriites  que  i)rcsente  luie  cxéculioti 
dclicate.  »  Aussi,  leurs  journaux,  en  France  et  en  lielgique,  ont-ils, 
à  plusieurs  reprises,  réclamé  une  édition  simplifiée  du  Liber  gradualis. 
Pourquoi  une  édition  abrégée,  puisqu'il  on  existe  iléjà  plusieurs,  et 
d'excellentes,  approuvées  par  les  conciles  et  les  évèques,  et  autorisées 
par  Rome  ? 

2.  Décret  synodal  de  Mgr  l'Evèque  de  Metz.  Revue  ecclésiastique  de 
Metz,  mai  1898,  page  245. 


LAVENIU    Di;    LA    MUSlglK    SACHÉE  55 

Augustin).  On  nous  dit,  il  est  vrai,  que  très  peu  de  gens  peu- 
vent comprendre  la  méthode  et  en  user  justement,  et  qu'il 
faut,  pour  cela,  une  étude  et  un  art  consomme.  Mais  qu'est- 
ce  qu'une  manière  de  chanter  qui  est  réservée  à  une  élite, 
lorsque  les  chants  doivent  être  à  la  portée  et  à  l'usage  de 
tous?  Aôral  !...  aurait  ditBossuct  (1).  » 

Mais  la  question  d'exécution  ne  doit  pas  nous  arrêter;  nous 
n'examinons  pas  en  ce  moment  comment  il  faut  chanter, 
mais  bien  ce  qu'il  faut  chanter.  Beaucoup  de  gens  ont  le  tort 
de  confondre  le  chant  et  l'exécution.  Parce  qu'ils  ont  entendu 
certains  chantres,  dépourvus  de  toute  éducation  artistique, 
marteler  notre  plaint-chant  en  donnant  un  coup  de  gosier  à 
chaque  note,  ils  en  concluent  que  le  chant  de  nos  éditions 
est  détestable  ;  tandis  que,  ayant  entendu  exécuter  le  chant 
de  Dom  Pothier  par  des  voix  fraîches  et  bien  exercées,  ils 
décident  a  priori  que  ce  chant  est  de  beaucoup  supérieur  aux 
autres.  C'est  confondre  deux  choses  tout  à  fait  distinctes.  La 
mélodie  la  plus  simple  et  la  plus  ordinaire,  chantée  par  un 
artiste,  fera  beaucoup  plus  d'effet  qu'un  chant  mieux  com- 
posé, plus  beau  peut-être,  mais  exécuté  sans  goût  et  sans 
expression.  Qui  de  nous  ne  l'a  pas  expérimenté  bien  des 
fois? 

Au  Congrès  d'Arezzo,  l'exécution  des  chanteurs  de  Ratis- 
bonne,  «  exécution  que  l'on  peut  sans  exagération  appeler 
parfaite,  fut  unanimement  approuvée  »  ;  le  chœur  de  Dom 
Pothier,  au  contraire,  «  n'atteignit  pas  à  cette  prononciation 

1.  Lettre  circulaire  et  ordonnance  de  Mgr  [,atty,  évèque  de  Chùlons. 
(14  décembre  1897).—  Un  savant  religieux,  qui  est  en  même  temps 
excellent  musicien,  voulant  sft  rendre  compte  par  lui-même  de  l'effet 
produit  par  le  chant  bénédictin,  esrt  allé,  le  jour  de  la  Toussaint,  assis- 
ter aux  offices  de  l'église  Saint-Joseph,  de  Marseille,  dont  la  maîtrise, 
dit-on,  exécute  ce  chant  suivant  la  vraie  méthode  de  Solesmes.  Voici 
ce  qu'il  nous  écrivait  à  la  date  du  4  novembre:  «  Quant  à  leur  plain- 
chant,  on  l'a  bien  caractérisé.  Oui,  ce  sont  des  gens  qui  marchent  avec 
des  souliers  trop  étroits;  chaque  caillou  leur  fait  pousser  un  coup  de 
voix.  Aussi,  sont-ils  pressés  d'arriver  ;  c'est  pourquoi  ils  ne  font  pas 
de  pauses.  Leur  exécution  est  anliartistique  au  suprême  degré.  Dans 
la  neumo  de  Vallcluia  qu'ils  ont  chanté,  il  y  a,  en  commençant,  un  groupe 
de  six  notes  qui  se  répète  deux  fois  de  suite.  Mais,  comme  Dom  Polluer 
n'a  pas  mis  de  barre,  ils  ne  distingueront  pas,  même  par  un  léger 
repos,  ces  deux  répétitions  qui  se  suivront  à  notes  égales,  absolument 
comme  un  épicier  qui  déviderait  deux  mesures  de  corde,  ou  un  char- 
cutier ([ui  vendrait  deux  aunes  de  boudin.  Et  l'on  dit:  «  Que  c'est  beau, 
le  chant  bénédictin  !  Et  partout  on  intrigue  en  leur  faveur  !  » 


56  l'avenir  de  la  musique  sacrée 

et  à  cette  articulation  parfaites,  que  Ion  avait  justement 
admirées  dans  la  schola  de  M.  Ilaberl  (1).  »  Celui  qui  parle 
ainsi  est,  remarquez-le  bien,  un  pothiériste  convaincu. 

De  môme,  à  la  dernière  assemblée  de  la  Caecilia-Vcrein 
qui  vient  d'avoir  lieu  à  Mïmster  et  oii  l'on  a  exécuté  le  plain- 
chant  de  l'édition  officielle,  «  un  prêtre  de  Montpellier,  qui 
avait  entendu  la  Société  de  Saint-Gervais  de  Paris,  tout  en 
faisant  l'éloge  de  cette  société,  disait  qu'il  n'y  avait  rien  de 
comparable  à  ce  que  l'on  avait  entendu  exécuter  à 
Munster  (2).  » 

On  a  tellement  faussé  l'opinion  publique  par  les  réclames 
les  plus  extravagantes  que  bien  des  personnes  se  figurent 
qu'il  ne  peut  y  avoir  absolument  rien  de  bon  en  dehors  des 
livres  de  Solesmes.  C'est  ainsi  qu'un  écrivain  de  renom, 
ayant  entendu  chanter  les  Kyrie,  Gloria  et  Credo  par  les 
Bénédictines  de  la  rue  Monsieur,  s'extasie  sur  la  beauté  des 
chants  de  saint  Grégoire,  reconstitués  par  Dom  Pothier. 
sans  se  douter  que  ces  mélodies  sont  de  plusieurs  siècles  pos- 
térieures à  ce  grand  Pape  et  qu'elles  se  retrouvent,  presque 
note  pour  note,  dans  nos  éditions  modernes  (3).    » 

Ceci  nous  rappelle  l'histoire  d'un  certain  chanoine 
d'Orléans,  qu'on  entendit  s'exclamer  un  jour  à  Saint  Gervais  : 
«  Comme  c'est  beau  cette  musique  de  Palestrina  !  »  Or,  savez- 
vous  de  quel  morceau  il  disait  cela?  de  VAve  veriim  do 
Mozart!.., 

Mais  admettons,  —  ce  qui  n'est  pas  —  que  le  chant  des 
manuscrits  soit  vraiment  celui  de  saint  Grégoire,  et,  qu'au 
point  de  vue  artistique,  il  soit  préférable  à  celui  des  éditions 
modernes,  sera-t-il  licite  d'y  revenir?  Assurément,  non! 

Le  Congrès  d'Arezzo,  en  1882,  avait  formulé  les  vœux  sui- 
vants :  1"  Que  les  livres  de  plaint-chant  en  usage  dans  les 
églises  soient  rendus,  à  l'avenir,  aussi  conformes  que  posible 
à  l'ancienne  tradition  du  chantgrégorien  ;  2°  que  l'on  accorde 
les  plus  larges  encouragements  et  la  plus  grande  diffusion  aux 
études  et  aux  ouvrages  théoriques,  déjà  parus  ou  à  paraître, 
pour  remettre  en  lumière  et  pour  rétablir  l'ancienne  tradition 
du  chant  liturgique. 

Or,  sait-on  ce  que   Rome  a   répondu?   «   Les   vœux  ou 

1.  Miisîca  Sacra  de  fiaud,   1883,  pp.  50  et  G3. 

2.  Courrier   de   saint  Grégoire,  oct.   1890. 

3.  Iluysmaus,  En  roule. 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  57 

«  demandes  formulés  l'année  dernière  par  le  Congrès 
«  d'Arezzo  et  adressées  par  lui  au  Siège  Apostolique,  con- 
«  cernant  le  retour  du  chant  liturgique  grégorien  à 
«  l'ancienne  tradition,  pris  dans  leur  teneur,  ne  peuvent  être 
«  acceptés  ni  approuvés  (1).  » 

Et  Rome  a  d'excellentes  raisons  d'agir  ainsi.  Toutes  les 
fois  qu'il  prendra  fantaisie  à  un  archéologue  d'exhiber  un 
manuscrit  quelconque  en  nous  disant  :  Voilà  le  vrai  chant 
de  saint  Grégoire,  faudra-t-il  que  l'Eglise  laisse  de  côté  ses 
livres  de  chant  traditionnel  pour  adopter  ce  chant  nouveau, 
surtout  quand  la  science  ne  s'est  pas  encore  prononcée  en  sa 
faveur  et  que  des  érudits  de  tous  pays,  voire  même  des  Béné- 
dictins, n'en  admettent  pas  l'authenticité? 

On  se  met  donc  en  opposition  directe  avec  les  décisions 
formelles  de  l'Eglise  quand  on  abandonne  le  chant  en  usage 
pour  prendre  celui  des  manuscrits. 

En  résumé,  les  raisons  alléguées  par  les  partisans  de  ce 
chant  n'ont  aucune  valeur;  car  :  1"  Le  chant  des  manuscrits, 
n'est  nullement  authentique,  en  ce  sons  qu'il  ne  représente  m 
le  chant  primitif  de  l'Eglise,  ni  même  celui  en  usage  à 
l'époque  de  saint  Grégoire.  Chaque  manuscrit  ou  groupe  de 
manuscrits  ne  nous  donne  que  le  chant  d'une  école  particu- 
lière, puisqu'ils  varient  d'un  pays  à  l'autre. 

2°  Ce  chant,  de  l'aveu  même  de  ses  partisans,  est  imprati- 
cable pour  le  plus  grand  nombre,  à  cause  de  sa  longueur  et 
de  ses  ornements  compliqués. 

3"  Il  n'est  en  aucune  façon  supérieur  à  celui  des  éditions 
modernes  qui,  au  contraire,  par  sa  simplicité,  se  rapproche 
beaucoup  plus  du  chant  de  l'église  primitive  ;  tandis  que  cet 
amoncellement  de  notes  et  de  formules  qu'on  trouve  dans  les 
manuscrits,  grégoriens  ou  ambrosiens,  semble  être  l'œuvre 
d'un  âge  de  décadence  artistique. 

4"  En  adoptant  la  notation  d'une  époque  où  le  rythme  du 
chant  liturgique  était  totalement  oublié,  les  Bénédictins  ont 
rendu  impossible  l'éxecution  de  ce  chant  suivant  la  tradition 
ancienne  et  l'ont  réduit  à  l'étal  d'un  corps  sans  âme. 

1.  Vota  seu  postulata  ab  Aretino  Conventu  superiore  anno  emissa,ac 
Scdi  Apostolica;  ab  eodem  oblata  pro  liturgico  cantu  Gregoriano  ad 
vetustam  tradftionem  redigendo,  accepta  uti  sonant,  recipi  probarique 
non  possc.  (Décret  Romanorum  Ponlificum.) 


.^8  l'aVEN'IR    de    la    musique    SAC.nÉE 

5°  Une  partie  considérable  do  leurs  livres  est  d'origine 
relativement  moderne  et  les  chants  les  plus  usuels  diffèrent  à 
peine  de  ceux  de  nos  éditions. 

6"  Enfin,  ce  chant  n'est  pas  autorisé  par  l'Eglise  pour 
l'usage  liturgique  (1). 

Il  faut  donc  s'en  tenir  au  chant  que  l'Eglise  approuve  ou 
autorise  et  s'efforcer  de  le  bien  exécuter  :  car  le  plus  grand 
nombre  ne  jug(3  de  la  beauté  et  de  la  valeur  d'un  chant  (juc 
par  la  manière  dont  il  est  rendu. 

L'Eglise  n'interdit  nullement  aux  savants  et  aux  archéo- 
logues de  poursuivre  leurs  études  et  de  publier  le  résultat  de 
leurs  recherches,  elle  les  y  encourage  même  (2);  mais  elle  se 
réserve  le  droit  de  déterminer  exclusivement  le  chaut  qui 
doit  servir  aux  fonctions  liturgiques.  Ce  droit  est  incontes- 
table :  elle  l'a  toujours  exercé,  au  moins  depuis  le  viu"  siècle. 
Si  plus  tard  une  nouvelle  réforme  est  nécessaire,  Rome,  pre- 
nant en  considération  les  découvertes  certaines  de  l'archéo- 
logic  et  les  aspirations  des  fidèles,  saura  bien,  quand  le  besoin 
s'en  fera  sentir,  perfectionner  l'oeuvre  du  pape  Paul  V  ;  mais 
ce  n'est  pas  à  de  simples  particuliers,  ni  même  aux  ordres 
religieux,  encore  moins  à  des  sociétés  laïques,  qu'il  appartient 
de  tracer  à  1  Eglise  la  voie  qu'elle  doit  suivre;  tout  au  plus, 
peut-on  à  l'exemple  du  R.  P.  Dechevrens,  dont  le  savoir  et 
la  modestie  sont  au-dessus  de  tout  éloge,  «  préparer  les  maté- 
riaux, si  jamais  il  plaît  à  la  Sacrée  Cougrégaliou  des  Rites  de 
reviser  l'édition  actuelle  d'après  les  meilleures  données  de 
l'histoire  et  de  la  science  musicale  (3).  » 

On  eût  obtenu  de  meilleurs  résultats  si,  suivant  la  parole 
du  R.  P.  Bénédictin  Dom  Kienle,  «  la  question  eût  été  agitée 
avec  jihis  de  sens  religieux  et  de  modéralion  et  avec  moins 

i.  Nec  consilium  Nostrum  fuisse  opus  Oadualis  Nobis  oblati  ful 
IJlurgi;t>  Sacra!  usum  approbare.  (Bref  de  S.  S.  I-ôoii  XIII  à  Dom 
Pothier,3mai  1884). 

2.  Quamvis  cnim  ecclesiastici  canins  cultoribusintegnini  libcvumquc 
scinper  fucrit  ac  deinccps  fufuriim  sit,  eruditionis  gratia,  disquirere 
quii'iiam  vêtus  fueril  ipsius  ecclesiastici  cantus  forma,  varia-que  ojus- 
dem  pliases,  quemadmodum  de  antiquis  Ecclesia^  ritibus  ac  reliquis 
Sacifc  l.iturgia'  paitibus  eruditissimi  viri  cum  plurimacommendatione 
disputare  et  inquirere  consuevcrunt.  (Décret  Quod  Sanctus  Aiigitstinus, 
7  juillet  1894.)  .  i  ,   ,  ,      ;  , 

3.  Lettre  du  lîi  juillet  \8^0.  {Avenir '^èl(f  afitHijué  .<t(fcr(*c,  sept'^mbir 
18'.!!),  p.  i:i9).  '      '  ' 


l'avenir  de  la  musique  sacrée  59 

d' étourderie  (1)  ».  Mais,  avec  une  intolérance  qui  ne  devrait 
se  rencontrer  que  chez  les  sectaires,  on  a  cherché  à  imposer  à 
tous  un  chant  que  l'Eglise  rejette  et  condamne;  on  a  déversé 
l'outrage  et  l'injure  sur  ceux  qui  demeuraient  soumis  à  ses 
prescriptions;  on  n'a  pas  même  épargné  les  chefs  de  la  hié- 
rarchie ecclésiastique  qui  les  ont  formulées;  on  a  fait  appel  à 
toutes  les  voix  de  la  presse,  même  la  moins  orthodoxe,  pour 
prêcher  la  révolte  contre  les  décisions  de  Rome  ;  on  a  eu 
recours  à  l'intervention  du  pouvoir  civil  pour  les  faire  annuler  ; 
on  a  usé  de  tous  les  moyens  pour  propager  et  colporter  à  Ira- 
vers  nos  diocèses  ces  livres  dont  le  clergé  ne  voulait  pas,  et 
l'on  a  transformé  une  question  de  science  et  d'art  religieux, 
qui  touche  de  si  près  à  la  liturgie,  en  une  querelle  de  bouti- 
quiers et  de  marchands. 

Qu'a-t-on  gagné  par  l'emploi  de  pareils  procélés?Lc  chant 
qui,  selon  saint  Basile,  doit  «  ranimer  la  charité  des  hommes 
de  bien  et,  comme  un  lien  de  concorde,  unir  toutes  les  voix 
dans  une  même  "^symphonie  »,  est  devenu,  au  contraire, 
grâce  à  ces  intrigues  chontées,  un  ferment  de  haine  et  de 
dissensions  sans  fin. 

Il  est  temps  de  mettre  un  terme  à  ces  agissements  scanda- 
leux et  de  laisser  désormais  à  l'autorité  suprême  le  soin  de 
régler  tout  ce  qui  touche  au  service  divin.  Que  chacun  se 
soumette,  sans  arrière-pensée,  à  ses  décisions  souveraines, 
et  nous  verrons  bientôt  se  réaliser  ce  que  dit  si  magnifique- 
ment saint  Ambroise  :  «  le  chant  sacré  ramener  la  tranquil- 
lité dans  les  âmes,  être  l'arbitre  de  la  paix,  calmer  les  pensées 
de  tumulte  et  de  violence,  réprimer  l'effervescence  et  l'exci- 
tation des  esprits,  mettre  un  frein  à  la  licence,  faire  naître 
l'amitié,  réconcilier  les  dissidents  et  rétablir  la  concorde 
entre  les  ennemis.  » 


J.   Duporx. 


1.  (a-cgor.  Blad,  :837,  p.  23. 


Le  Gérant  :  A.  GABERT. 


:mp.  noizette  et  «'«.S,  rue  cami>aone-1«,  paris. 


LA 


:RYf^n|igue  Iniuiiive 


-£è«8e- 


Messieurs  , 

Nous  nous  retrouvons  aujourd'hui  pour  la  cinquième 
fois  au  début  d'une  année  scolaire  qui,  dans  ma  pensée  , 
doit  être  féconde  en  résultats. 

Le  sujet  que  je  me  propose  d'aborder  ayant  un  double 
objectif  historique  et  théorique,  il  va  de  soi  que  les 
conclusions  à  formuler  pourront  à  l'occasion  faire  aiguil- 
ler la  pratique  de  l'art  musical  sur  une  voie  où  elle  n'a 
pu  s'engager  quant  k  présent. 

Je  rappellerai  tout  d'abord  un  quelques  mots  les 
lignes  principales  des  sujets  que  nous  avons  passés  en 
revue  au  cours  des  quatre  dernières  années. 

I.  En  fin  d'année  1G02,  la  question  grégorienne 
battait  son  plein.  Les  discussions  les  plus  vives  étaient 
soutenues  de  tous  côtés  par  des  adversaires  mieux  in- 
tentionnés que  connaisseurs  des  faits  de  la  cause.  Sur 
le  terrain  de  la  science  archéologique,  on  attendait  une 
solution  du  débat,  on  l'attend  encore. 

Aucune  direction  n'était  apportée  dans  les  sphères 
ecclésiastiques  en  vue  d'élucider  le  côté  scientifique  de 
la  restauration  projetée.  On  s'y  déclarait  satisfait  d'un 
mieux  proposé  par  une  école  qu'il  est  inutile  de  dé- 
signer plus  clairement.  En  réalité,  malgré  les  assuran- 


—  2  — 

ces  formulées  par  la  presse   catholique ,  cette  restau 
ration,  prétendument    attendue  et  désirée  par  tous  les 
musiciens   d'église ,    était  complètement  iudiftérente   à 
la  masse  des  fidèles. 

Sans  m'occuper  de  cet  état  d'esprit,  je  concluais  au 
rejet  sans  plus  d'examen  de  tous  les  systèmes  mis  en 
avant  depuis  cinquante  ans;  cet  examen,  fait  et  bien 
fait,  ayant  démontré  l'inadmissibilité  de  tous  ces  systè- 
mes, soit  historiquement,  soit  pratiquement.  Et  j'ai  établi 
que  ce  fameux  plain  chant  dit  grégorien  actuel  n'était 
que  le  résidu  d'un  art  très  vivant,  non  latin,  mais  orien- 
tal, vocalisé  avec  excès,  en  opposition  manifeste  avec 
toutes  nos  aspirations  occidentales  considérées  comnie 
aspirations  de  race. 

N'entamons  pas  de  nouveau  cette  discussion  rétros- 
pective (1). 

IL  Dans  notre  seconde  année,  nous  avons  étudié  l'é- 
volution historique  du  chant  oriental  importé  en  occident. 
Et  j'ai  fait  remarquer  que  la  question  grégorienne 
aidait  une  portée  beaucoup  plus  haute  que  celle  d'une 
restauration  pratique  d'un  genre  de  musique  confiné 
dans  les  églises. 

En  etfet,  c'est  dans  cette  importation  que  nous  trou- 
vons la  cause  majeure  de  l'évolution  de  la  musique  occi- 
dentale — jusque-là  en  enfance  et  de  caractère  populaire 


(1)  Voir  notre  opuscule  «  La  Science  musicale  traditionnelle  r>  (Wir- 
vault,  éditeur,  G9-71  R.  au  pain,  Sainl-Germain-eii-Layc,  S  c*»;  0). 


—  3  — 

—  vers  une  forme  plus  réellement  et  plus  librement 
musicale,  celle  dont  l'école  dite  palestrinienne  a  repré- 
senté le  sommet  momentané.  Et  les  conséquences  de  cette 
évolution  sont  immenses ,  puisqu'elles  aident  à  relier 
le  passé  au  présent;  ce  que  l'hypothèse  d'un  plain  chant, 
«  admis  comme  forme  d'art  originale  »  ,  ne  saurait 
permettre. 

III.  Dans  une  troisième  année  (03-04) ,  nous  avons 
parcouru  point  par  point  le  domaine  de  la  rythmique 
grecque.  C'était  remonter  plus  haut  le  cours  d'un 
affilient  du  grand  fleuve  musical.  Et  j'ai  fait  ressortir 
que  l'apport  rythmique  grec  ne  s'est  jamais  mélangea 
l'apport  mélodique  oriental.  Les  deux  apports  ont  formé 
ce  fleuve  musical  dont  nous  parlons  allégoriquement. 

Après  un  long  cours  opéré  comme  de  conserve  et 
bord  à  bord  pendant  des  siècles ,  une  sorte  de  Sahara 
inculte  —  le  XP  siècle  ,  siècle  de  luines  —  s'est  opposé 
à  la  marche  collective  de  nos  affluents.  Un  delta  s'est 
formé  ,  dans  l'une  des  branches  duquel  s'est  écoulé  l'af- 
fluent rythmique  grec  aussitôt  canalisé  dans  l'art  musical 
mesui'é,  tandis  que,  dans  une  autre  branche,  s'épanchait 
l'affluent  mélodique  oj'iental ,  dès  lors  abandonné  à  lui- 
môme  et  voué  à  se  perdre  dans  les  marécages  ...  du 
plain  chant  informe  du  XIP  siècle.  Au  XV*  siècle,  l'é- 
cole franco-flamande  devait  tenter  de  tirer  une  dériva- 
tion de  cet  art  en  stagnation ,  et  l'école  y  a  réussi 
pleinement ,  puisqu'elle  a  produit  l'art  dit  palestrinien. 

Revenons  à  la  rythmique  grecque.  Nous  avons  fait 
observer  à  son  sujet  que,  faute  par  les  anciens  d'avoir 


^  4  — 


SU  discerner   la  base  véritable  sur  laquelle  le  rythme 
pouvait  s'appuyer,  la  musique  de  l'antiquité  était  con- 
damnée par  les  légistes  et  par  les  savants,  à  tourner 
dans  un  cercle    infranchissable  de  formules   clichées  , 
rivées  à  des  formules  poétiques  que  l'on  n'a  pu  varier 
autant  qu'on  l'aurait  désiré  ;   et  ce  ,   parce  que   d'une 
part,   la   musique  ne  pouvait  se   développer  librement 
elle-même,  (éiant  condamnée  à  ànonner  des  mètres  poé- 
tiques),   paixe   que  d'autre  part ,  la  poésie  ne  pouvait 
s'élever  à  l'aide  de  ses  propres  moyens,  étant  condamnée 
elle-même  à  tourner  en  cercle  dans  un  certain^iombre 
de  formules  de  membres  rythmiques. 

En  vous  donnant  ces  différentes  démonstrations, 
c'était ,  de  ma  part  ,  vous  inciter  à  conclure  qu'il  y 
avait,  dans  l'histoire  de  la  musique,  autre  chose  que  ce 
fatras  pédantesque  et  fastidieux  des  légendes  plus  ou 
moins  déformées  par  l'imagination  vagabonde  des  cri- 
tiques d'art  de  l'époque. 

IV.  L'an  dernier  enfin  ,  (1904-1905)  quittant  ces 
brumes  de  l'antiquité  ,  j'ai  fait  un  saut  de  22  siècles, 
en  vous  transportant  dans  l'art  classique  et  lyrique  mo- 
derne du  XIX"'"  siècle.  Là,  nous  avons  analyse  des 
œuvres  modernes  en  utilisant  les  notions  scientifiques  de 
l'antiquité  tel  que  l'ombre  d'Aristoxène ,  évoquée  par 
nous  les  eut  analysées  dans  une  séance  de  spiritisme  si 
fort  à  la  mode,  il  y  a  quelque  temps. 

11  est  donc  clair  pour  tous  ,  Messieurs,  que,  au  cours 
de  ces  quatre  années,  l'idée  dominante  qui  m'a  guidé, 
a  été,  bien  que  j'y  aie  mis  tous  mes  soins  ,  non  pas  tant 


-  5  — 

d'élucider  les  principaux  points  scientifiques  que  j'abor- 
dais par  grands  ensembles ,  que  de  faire  naître  dans 
votre  esprit,  cette  simple  remarque:  Il  y  a  dans  la 
science  musicale  comme  dans  l'histoire  de  l'art  musi- 
cal, bien  autre  chose  et  tout  autre  chose  que  ce  qui 
traine  de  lieux  communs  délayés  de  dictionnaires 
en  dictionnaires,  et  de  revue>i  en  revues.  Et  ceci  m'a- 
mène à  notre  sujet  de  cette  année  :  La  rythmique  in- 
tuitive. 

*  * 

J'ai  toujours  employé  une  autre  locution  :  la  rythmi- 
que humaine.  Toute  réflexion  faite,  celle  àe  rythmique 
intuitive,  me  paraît  préférable.  Quel  que  soit  l'adjectif, 
la  chose  envisagée  ne  change  pas  et  la  définition  que 
je  vous  en  ai  donnée  subsiste;  c'est  la  perception  intime 
et  très  nette  du  cadencement  rythmique  fondamental  Aq 
toute  composition  musicale,  considérée  dans  son  gros 
œuvre  et  non  dans  les  détails  de  son  ornementation. 

Ce  rythme  est  ressenti  par  l'homme  primitif  comme 
par  l'homme  cultivé,  et  traduit,  par  l'un  comme  par 
l'autre ,  soit  en  gestes  mesurés  et  coordonnés  entre  eux , 
soit  en  sons  articulés,  groupés  suivant  le  sens  intuitif 
par  l'homme  primitif,  et,  par  l'homme  cultivé,  suivant 
les  lois  d'un  codex  théorique  rédigé  après  analyse 
de  l'ensemble  des  faits  rythmiques  intuitifs  dûment  cons- 
tatés, savoir:  le  groupement  des  sons  d'abord  en  unités 
de  mesure,  et  de  celles-ci  en  membres  de  phrases  dans 
ragencement  desquels  l'intuition  d'un  équilibre,  néces- 
saire entre  toutes  les  parties ,  a  joué,  tant  au  début  que 
plus  tard,  le  plus  grand  rôle. 


—  6  — 

Cette  intuition  a  produit  le  rythme  musical,  celui  des 
arts  plastiques ,  celui  de  la  poésie  et  enfin  le  rythme 
oratoire  de  la  déclamation . 

« 

Mais  tous  les  hommes  possèdent-ils  donc  le  même 
sens  intuitif  fondamental  du  rythme? 

Pour  répondre  à  cette  question — qui,  selon  l'in- 
tention qui  l'aurait  dictée,  pourrait  devenir  très  cap- 
tieuse —  il  est  bon  d'en  pénétrer  les  sous-entendus  sous 
peine   de  s'égarer  sur  une  voie  sans  issue. 

Exemple  :  chercher  à  pénétrer  la  nature  du  sens 
rythmique  de  Debussy  comparé  à  celui  de  Wagner,  de 
Wagner  à  Mozart,  de  Mozart  à  Bach,  de  Bach  k  Pa- 
lestrina,  de  Palestrina  à  Pindare  et  à  Homère,  ce  serait 
commencer  l'analyse  par  le  sommet,  en  considérant  des 
oeuvres  finies,  révélatrices,  par  leurs  formes  extérieures^ 
du  goût  personnel  à  leur  auteur,  mais  surtout  d'un  goût 
développé  par  une  éducation  musicale,  soignée  plus  ou 
moins. 

Il  y  a  lieu,  en  conséquence  ,  de  séparer  l'intuition 
première,  latente,  de  l'éducation  professionnelle  ,  qui 
toutes  deux  réunies,  fondues  en  une  seule  technique, 
constituent  la  personnalité  musicale  «  achevée  »  de 
l'auteur. 

C'est  donc  au-dessous  des  ornements  de  toute  natui-e, 
qui,  rythmiquement  et  mélodiquement,  concourent  à  la 
richesse  do  l'œuvre  étudiée ,  qu'il  faut  descendre  très 
profondément  pour  découvrir  l'ossature  rigide  suppor- 
tant  le  monument  dans  toutes  ses  parties. 


—  7  — 

Or,  MM.  je  ne  crains  pas  de  mettre  en  fait  que , 
dans  l'état  actuel  de  l'enseignement  musical,  et,  plus 
encore,  de  la  pratique  de  la  composition  musicale ,  il 
est  radicalement  impossible  d'analyser  une  œuvre  mu- 
sicale quelconque  si  l'on  ne  s'est  initié  ,  au  préalable  , 
aux  procédés  techniques  de  dissection  tels  que  je  les  ai 
lentement  déduits  par  une  étude,  que  je  crois  impartiale, 
des  théories  rythmiques  de  l'antiquité  appliquées  à  la 
composition  moderne. 

C'est  ainsi  que,  considérant  : 

1®  que  nos  œuvres  les  plus  travaillées  sont  écloses 
sans  autre  règle  technique  que  celle  de  l'expérience  pro- 
fessionnelle acquise  par  leurs  auteurs  —  peu  importe 
par  quelle  voie  ;  2'  que  ces  œuvres  sont  solidement 
charpentées  et  par  cela  même  favorablement  impres- 
sionnantes à  l'audition  ;  on  trouve  dans  ces  deux  faits 
la  preuve  la  plus  évidente  du  rôle  capital  joué  par  l'in- 
tuition rythmique  dans  l'élaboration  et  la  mise  sur  pied 
du  monument  musical,  à  l'insu  de  son  auteur.  Et  ceci, 
aussi  bien  pour  une  œuvre  telle  que  Parsifal  ou  Pelléas 
et  Mélisande  que  pour  les  œuvres  qui  végètent  dans  les 
bas-fonds  de  la  pratique  musicale. 

Le  compositeur  de  notre  époque  est  une  synthèse 
vivante  de  vingt-cinq  siècles  de  tâtonnements  doulou- 
reux, intellectuellement  parlant  :  ceux  qui  parmi  vous 
ont  l'habitude  de  tenir  la  plume  de  l'écrivain  me  com- 
prendront. Actuellement  c'est  l'enthousiasme  éveillé 
par  ?^n  sujet  qui  parait  le  plus  puissant  levier  de 
l'inspiration.  Dans  l'antiquité,  autant  que  j'en  ju^e  du 


—  8  — 

moins,  c'est  plus  l'enthousiasme  suscité  par  l'art,  consi- 
déré dans  son  universalité,  qui  parait  avoir  été  le  le- 
vier similaire.  Aujourd'hui  on  vante  les  mérites  d'une 
œuvre,  autrefois  c'étaient  les  bienfaits  de  la  culture 
musicale  en  général.  Aujourd'hui  l'art  musical  n'est 
estimé  qu'à  proportion  des  jouissances  esthétiques  qu'il 
procure,  autrefois  il  était  regardé  comme  une  sorte 
de  sacerdoce  à  exercer. 

Toutefois  à  quelque  époque  que  l'on  cherche  à  péné- 
trer la  personnalité  d'un  compositeur,  deux  facteurs  de 
production  se  révèlent  en  elle  ;  Vintuition  et  Véduca- 
tion ,  distinctes  analjtiquement ,  mais  indissolublement 
unies  dans  la  production  d'une  oeuvre  quelconque. 

Vintuition  donne  les  limites  du  cadre  à  remplir  ; 
V éducation  met  au  point  la  réalisation  du  rêve. 

Ici  encore  l'intuition  de  l'eurythmie  et  de  l'équilibi'e 
sera  l'architecte  souverain. 

* 

Reportons-nous  au  premier  type  connu  d'une  litté- 
rature travaillée  rjthmiqueraent  :  C'est  l'épopée  homé- 
rique. 

Le  rythme  est  une  succession  de  mesures  modernes  à 
deux  temps.  Peu  importe  le  mode  d(î  notation  que 
l'on  adoptera   2/8,  2/4,  2/2. 

Le  vers  hexamètre  épique  contient  six  mesures 
(tnétra)  fixes  dont  les  composants  sont  des  dactyles 
(1  longue  4-  2  brèves)  ou  des  spondées  (2  longues). 

Rythmes  enfantins  s'il  en  fut  et  que  nous  retrouvons 
au  début  chez  tous  les  peuples  de  l'univers,  même  et 


—  9  — 

surtout  chez   les   moins  avancés   en  culture   intellec- 
tuelle ,  —  conséquemment  en  culture  littéraire. 

Si  Ton  réfléchit  qu'Homère  a  composé  V Iliade  et 
V Odyssée  —  c'est-à-dire  des  milliers  de  vers  —  en  ne 
se  servant  que  de  ces  deux  rythmes  enfantins,  limités 
à  une  vingtaine  de  combinaisons  ;  si  l'on  veut  bien  se 
rendre  compte  que  les  antithèses  sont  innombrables 
entre  les  situations  pathétiques,  lyriques  ou  dramatiques, 
peintes  par  Homère,  on  sera  bien  obligé  —  si  l'on  s'en 
tient  uniquement  aux  apparences  —  de  conclure  qu'il 
se  cache  derrière  cette  pénurie  de  moyens  rythmi- 
ques  une  raison  de   fait  qui  prime  toute  autre. 

Je  la  définirais  :  la  pratique  en  apparence  enfantine 
et  piimesautière  d'un  type  musical  l'évélateur  d'un  état 
rudimentaire  de  culture  musicale  intuitive,  sans  plus. 

En  effet,  jugeons-la  d'après  ses  procédés.  Rythmi- 
quement,  comment  le  trouble  pathétique  de  ces  situa- 
tions heurtées  se  traduit-il  dans  le  vers  épique  ? 

Par  une  simple  combinaison  d'un  plus  fréquent 
emploi  de  mètres  dactyliques  dans  les  moments  d'exul- 
tation, et  de  mètres  spondaïques  dans  les  circonstances 
plus  graves. 

lo  Exultation:  [Rythme  vif  en  dactyles). 

Chante,  o  déesse,  la  colère  d'Achille  fils  de  Pelée , 
etc.  {Iliade  ch.  I,  v.  I.) 

1 2 3 i 5 6  métra 

I  Ménin  a  |  eidé,  thé  |  a,   Pé  |  lèïa  |  dcô  Aki  |  lèos  | 
2  3  4  5  6mesuits 


—  10  — 
2°  Mj'Stère    :    (Rythme  contetiu,  spondées). 

Les  lieures  délièrent  (du  joug)  les  chevaux  à  la  belle 
crinière  {Iliade,  ch.  III,  v.  432). 

1 2 3 4 5 6    métra 

1_J,       J l       |_ I        ,[ I       ^l_;_:      ,1^ l 

I  Thèsin  1  d'ôrai  |  men  lu  |  çan  cal  |  litrikas  |  ippous  j 

1  2  3  4  5  6  mesures 

Virgile,   un    millier  d'années  plus  tard  écrivait  son 
Enéide  suivant  les  mêmes  procédés. 
Exultation  : 

1 2 3 4 5 6  met. 

I  Arma  vi  |  rumque  ca  |  no  Tro  |  jae  qui  |  primus   ab  |  oris  ] 
12  3-4  5  6  mes" 

Mais  voici  deux  vers  consécutifs  qui  représentent  exac- 
tement les  mêmes  agencements  rythmiques  que  ceux 
des  deux  vers  homériques  cités  plus  haut.  La  peinture 
de  la  situation  dramatique  y  apparaît  plus  frappante 
encore  : 

r  Cataclysme.  {Enéide  L.  Il,  v.  250)  rythme  im- 
pétueux : 

1 2 3 4 5 ,  G  mèlres 

I   Vertilur   |  intere  |   a  cœ  |  luni  et  ru  it   |  ocea    |  no  nox  | 
\  2  3  4  5  0  mesures 

2"  Calme  etfrayant,  mystérieux  (Zs'w.  L.  II,  v.  251) 
rythme  élargi,  majestueux  : 

4 2 3 4 ô 6  mèlres 

J  Invol  I  vens  um  |  bra  ma  |  gna  ter  |  ramque  po  |  lumque  | 
12  3  4  5  6  mesures 


11 


Ouvrons  une  parenthèse  nécessaire.  Le  vers  hexamè- 
tre ayant  été  adopté,  quelles  raisons  techniques  mili- 
taient en  faveur   de  cette  adoption  ? 

Puisque  la  langue  grecque  possédait  une  accentua- 
tion tonique  qui ,  par  elle-même,  était  une  embryon  de 
musique  et  de  rythme  ,  il  faut  bien  admettre  que , 
pour  n'avoir  pas  tenu  compte  de  cette  accentuation  mé- 
lodique, le  cerveau  du  poète  compositeur  a  dii  être  plus 
influencé  par  un  cadre  musical  préexistant  que  par  la 
rythmopée  embryonnaire  du  langage  courant. 

Or,  si  nous  ne  tenons  compte  ici  que  de  la  loi  des 
nombres  ,  appliquée  de  la  partie  «  unité  »  au  tout 
«membre  »  ,  l'unité  étant  du  genre  binaire  dit  égal^ 
l'extension  au  membre  du  principe  des  rapports  propor- 
tionnels fera  naître  un  membre  de  quatre  mètra  dactyli- 
ques,  répartis  en  2  et  2  et  ressortissant  au  même  genre 
égal,  et  non  un  membre  de  six  mètra. 

Notre  hexamètre  sort  donc  du  cadre  naturel  intuitif, 
de  l'observation  duquel  est  issue  la  loi  de  l'étendue 
des  membres.  Mais  notons  au  passage  combien  ce  rythme 
de  quatre  metra  (notre  phr-ase  carrée  moderne)  est  alerte 
et  peu  en  rapport  avec  l'ampleur  du  sujet  traité  par 
le  poète. 

Admissible  dans  certains  choeurs  de  la  tragédie  —  où 
il  est  nécessaire  de  créer  un  mouvement  scénique  simple 


—  12  — 

—  en  est-il  de  ^même  dans  une  œuvre  épique  de  longue 
haleine  où  la  déclamation  pompeuse  doit  avoir  tout  le 
temps  voulu  de  mettre  en  relief  des  épisodes  brillants? 
Evidemment  non.  Il  faut  à  cette  déclamation  pompeuse 
une  période  rompant  les  liens  trop  serrés  d'une  symétrie 
dont  les  points  de  repère  rythmiques  seraient  trop  rap- 
prochés —  comme  de  quatre  en  quatre  métra. 

Mais,  de  nouveau,  ces  points  de  repère  reculés  de  six 
en  six  mètres  dans  l'hexamètre  épique  finiraient  par 
apparaître  comme  trop  rapprochés  encore,  si,  pour  en 
atténuer  l'effet  monotone,  les  césures  usneWespenthémi- 
mère  et  au  trochée  troisième) ^  n'intervenaient  à  temps 
pour  scinder  le  vers  en  deux  membres  à  peu  près  égaux 
(premier  élément  de  variété) . 

Mais  au  point  de  vue  du  rythmique  pur,  caractérisé 
par  la  suite  des  frappés  des  mètra,  ces  deux  membres  sont 
rythmiquement  égaux,  puisque  l'une  et  l'autre  des  deux 
césures  usuelles  ne  se  placent  qu'après  le  troisième 
frappé  des  vers.  C'est  dire  i'.npli  itemont  que  le  vers  épi- 
que est  divisé  en  deux  membres  de  trois  frappés  chacun 
réalisant  l'eurythmie  d'égalité  posée  en  principe  dans  le 
mètre  dactyhque  choisi,  et,  dès  ce  moment,  il  appa- 
raît qu'une  intuition  rythinique  ternaire  ,  préalable, 
a  fait  naître  chacun  des  membres  du  vers  épique.  Un 
membre  de  trois  unités  mètres  ressortissant  obligatoire- 
ment au  genre  de  rythme  dit  double  de  2  :  1 .  Tout 
s'éclaire  alors. 

Dès  Homère,  et  sans  doute  bien  des  siècles  avant 
lui,  l'intuition  rythmique  se  révélait  pratiquement  sous 
les  deux  formes  (bndamentales  :  binaire  et  ternaire. 


—  <3  — 

La  forme  binaire  du  rythme  musical  possède  en  elle- 
même  les  éléments  du  calme  pathétique  serein,  mais 
non  ceux  du  mouvement  fébrile  du  pathétique  lyrique 
vibrant  qui  est  l'apanage  de  la  forme  ternaire. 

Deux  voies  s'ouvraient  donc  devant  Homère,  pour 
réaliser  son  rêve  : 

lo.  Constituer  des  membres  rythmiques  ressortis- 
sant AU  GENRE  BINAIRE  dit  ÉGAL  ,  composés  de  7netra 

du  GENRE  TERNAIRE. 

C'eût  été  de  sa  part,  employer  des  metra  à  allures 
rythmiques  trop  peu  graves,  et  créer  des  membres  ryth- 
miques trop  courts,  pour  la  majesté  relative  du  sujet 
tel  qu'il  en  concevait  la  peinture. 

2°.  Inversement  constituer  des  membres  rythmi- 
ques ressortissant  au  GENRE  ternaire  dit  double,  com- 
posés de  metra  du  genre  binaire. 

Et  c'est  en  effet  ainsi  qu'il  a  opéré,  réalisant  le  sum- 
mum de  puissance  pathétique  :  dans  le  membre  par  la 
division  ternaire  (2:1)  de  chacun  d'eux  ;  dans  le  mètre 
par  l'adoption  du  genre  binaire  essentiellement  calme  et 
majestueux  (dactyle  ou  spondée)  ;  dans  le  vers  en  jus- 
taposant  deux  membres  légèrement  inégaux  dans  leurs 
composants  et  rompant  ainsi  avec  tous  les  cadres  rigides, 
monotones,  des  procédés  rythmiques  populaires  dont 
la  rigoureuse  symétrie  se  retrouve  partout,  à  toute  épo- 
que, chez  tous  les  peuples  de  la  terre. 

Ainsi  conçu  l'hexamètre  était  digne  de  figurer  en 
première  place  dans  la  classification  des  genres  nobles 
de  la  poésie  antique.  Aucun  ne  peut  même  lui  être  com- 
paré pour  l'ampleur  du  rythme. 


—  u  — 

L'intuition  s'y  révèle  dans  la  coupe,  l'éducation  dans 
les  composants  choisis. 

Nos  érudits  se  sont  livrés  à  une  recherche  des  diver- 
gences présentées  par  les  deux  épopées,  VIliade  et 
Y  Enéide^  sous  ce  rapport  des  combinaisons  métriques, 
et  l'un  d'entre  eux,  M.  Masqueray,  ayant  analysé  les 
cent  premiers  vers  de  chacun  de  ces  poèmes,  ce  qu'il  en 
dit  mérite  d'être  pris  en  considération,  en  faveur  même 
de  notre  thèse  : 

«  Chez  Homère ,  sur  cent  vers  on  compte  jusqu'à 
«  dix-neuf  types  différents,  Virgile  n'en  a  plus  que  qua- 
«  torze.  —  Hexamètre  à  cinq  dactyles  :  très  fréquent 
«  chez  Homère,  très  rare  dans  Virgile.  Hexamètre  à 
«  cinq  spondées,  rare  chez  Homère,  plus  fréquent 
«  dans  Virgile.  —  //  suit  de  là  que  les  formes  les 
«  plus  communes  chez  l'un,  sont  justement  celles 
«  qui  le  sont  moins  chez  Cauh^e.  C'est  que  Vart  des 
«  deux  poètes  est  tout  différent  ;  l'un  est  spontané, 
«  rautre  est  réfléchi. . .  Huit  à  dix  siècles  les  sépa- 
«  rent. .  .  »  (1) 

On  ne  saurait  mieux  dire. 

Retenez  bien  ceci  :  l'art  des  deux  poètes  est  diffé- 
rent; l'un  (celui  d'Homère)  est  spontané ,  l'autre  (celui 
de  Virgile  est  réfléchi! 

L'art  d'Homère  est  spontané,  c'est  bien  de  la  rythmi- 
que intuitive,  et  le  système  ayant  fait  ses  preuves,  Vir- 
gile l'appHque  avec  réflexion,  c'est  de  l'éducation. 


(1)  Masqueray.  Métrique  grecque,  p.  12.  (Klincksieck,  lid.  Paris,  11, 
R.  de  Lille). 


-  -15  — 

A  égale  distance  entre  Homère  et  Virgile  —  à  peu 
près,  car  on  ne  sait  au  juste  la  date  des  épopées  homé- 
riques, —  Pindare  a  été  le  chantre  inépuisable  de  situa- 
tions lyriques  tout  aussi  variées  et  grandioses  que  celles 
chantées  par  Homère.  A-t-il  jamais  préféré  le  vers  de 
l'épopée?  Non. 

Est-ce  donc  que  rythmiquement  son  sens  intuitif 
était  différent  de  celui  d'Homère?  Non  encore.  Mais 
d'Homère  à  lui  une  évolution  s'était  faite  dans  l'art  mu- 
sical, qui  avaitfait  séparer,  théoriquement,  deux  formes 
fondamentales  intuitives,  la  forme  binaire  et  la  forme 
ternaire  desquelles  une  troisième  forme  était  issue. 
Contentons-nous  de  le  dire  et  n'entrons  pas  aujourd'hui 
dans  la  définition  technique.  Pindare  fit  choix  de  la 
forme  qui  lui  parut  la  mieux  appropriée  à  son  dessein. 
L'hexamètre  épique  avait  une  allure  trop  calme,  trop 
égale  ;  il  lui  fallait  autre  chose  :  Question   d'intuition. 

Mais  c'est  surtout  dans  l'ornementation  rythmique 
de  son  œuvre  qu'il  se  révèle  supérieur  à  ses  devanciers. 
De  plus,  comme  héritier  des  écoles  précédentes  (  éolienne 
et  dorienne)  ,  il  avait  à  sa  portée  un  arsenal  ryth- 
mique infiniment  plus  riche  de  procédés  aptes  à  soute- 
nir les  envolées  désordonnées  —  en  apparence  —  de 
son  imagination  surchauffée  :  Question  W éducation . 

De  même  ,  Virgile,  cinq  cents  ans  plus  tard,  appar- 
tenant à  un  monde  intellectuel  particulier,  reste  libre 
de  faire  un  choix  raisonné  dans  les  matériaux  rythmi- 
ques légués  par  l'antiquité. 

S'il  s'arrête  au  vers  de  l'épopée,  c'est,  chez  lui, 
question  d'intuition.  Mais  sa  langue  maternelle  n'a  pas 


—  16  — 

cette  fluidité  syllabique  que  l'on  remarque  dans  la  lan- 
gue giecque ,  et  naturellement  les  rythmes  des  vers 
virgiliens  se  ressentent  du  changement  d'idiome.  Ques- 
tion d'éducation,  et  de  milieu. 

Un  jour  prochain  nous  retrouverons  dans  la  poésie 
française  toute  entière,  sous  le  couvert  du  nombre  légal 
dos  syllabes  composant  chaque  espèce  de  vers,  des  pro- 
cédés intuitifs,  mis  au  point  par  l'éducation,  ayant  pour 
but  d'apporter  dans  le  cadre  fixe  des  vers  une  variété 
pathétique  de  même  nature  que  celle  que  nous  venons 
de  signaler  dans  l'hexamètre  rigide  d'Homère  ou  de 
Virgile. 

Toutefois  pour  ne  pas  tenir  trop  longtemps  votre  curio- 
sité en  éveil,  je  vais  dès  maintenant  faire  passer  devant 
vos  yeux  un  exemple  de  ces  faits  rythmiques  qui  font  le 
charme  de  notre  poésie  nationale. 

Nous  prendrons  les  quatre  premiers  vers  de  V  Athalie 
de  J.  Racine  :  Oui,  je  viens  dans  son  temple,  etc.. . . 

Mais  auparavant,  rappelons-nous  : 

l»  Que  le  vers  épique,  grec  ou  latin,  est  un  composé 
de  douze  accents  rythmiques  alternativement  forts  et 
faibles  (frappés  et  levés)  répartis  deux  à  deux  entre  six 
mètra (mesures)  eux-mêmes  répartis,  par  le  fait  de  l'une 
ou  de  l'autre  des  deux  césures  usuelles  (penlhémimôre 
ou  au  trochée  troisième)  en  deux  membres  :  Inégaux, 
quant  aux  composants  syllabiques,  mais  égaux,  quant  à 
la  sensation  rythmique  éveillée  par  le  nombre  des  frap- 
pés d'un  membre  opposé  à  l'autre. 


—  17  — 


Exemple  ; 

Milieu  numérique 

1"  Membre  ^^^'^^  1 1  2°"  Membre 

1"  frappé     2- fr.     1  3"  fr.  1"  fr,  2'  fr.         3' fr. 


Jnégrauac  quant  aux  eomposants 
Egaux  quant  au  nombre  (8)  des  frappés 


1"  fr. 


1"  Membre 


2*  fr.       3*  fr. 


2'  Membre 


1"  fr. 


2-  fr. 


3-fr. 


Ces. 

au 

trochée 

3' 
Milieu  numérique 


2°  Qae  le  vers  alexandrin  est  un  composé  de  douze 
syllabes  réparties  en  deux  membres  de  six  syllabes 
chacun.  Le  point  de  disjonction  forme  césure  à  place 
fixe.  Les  deux  hémistiches  sont  numét  iqiœmeyit  égaux. 


césure  fixe 


Six  syllabes  fixes 
1"  Membre 


Six  syllabes  fixes 
2-  Membre 


Égaux  entre  eux 

Mais,  et  nous  avons  besoin  d'apporter  ici  toute  notre 
attention^  nous  devons  rappeler  par  surcroît  que  les 
deux  césures  usuelles  du  vers  épique  ne  sont  pas  les 
seules  reconnues  viables,  bien  qu'elles  soient  les  princi- 
pales et  les  plus  fréquentes.  On  en  connaît  trois  autres, 
secondaires,  moins  fréquentes,  mais  n'en  créant  pas  moins 
un  nouvel  élément  de  variété  nécessaire.  Ce  sont  les  césu- 
res tnhémimère  ,  hephthémimère  et  bucolique  : 


—  18  — 


Ces, 

bucolique 


1"  met. 

2e  m. 

3»  m. 

4«  m.    1 

5«m. 

6«  m. 

Ces. 
trih. 

Ces. 
hephlh. 

Bien  qu'on  ne  puisse  fixer  aucune  règle  à  l'inter- 
vention de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  césures,  et  que 
l'on  doive  se  borner  à  les  constater,  on  peut  admettre 
qu'elles  apparaissent  par  deux  à  la  fois  dans  le  vers  qui 
les  contient.  En  ce  cas  les  deux  césures  médianes  dispa- 
raissent généralement  et  le  vers,  au  lieu  de  présenter 
les  deux  membres-types  que  nous  avons  vus  plus  haut, 
se  trouve  divisé  en  trois  parlies  égales,  quant  au  nombre 
des  frappés  2  -j-  2  +  2.  L'intuition  d'un  équilibre  tou- 
jours recherché ,  se  fait  jour  ici  encore,  bien  qu'il  soit, 
en  fait,  moins  accusé  que  dans  le  premier  cas,  représenté 
par  la  division  normale  satisfaisante  en  3  frappés  -f-  3 
frappés. 

Allant  au  fond  des  choses  et  embrassant  d'un  seul 
regard  tous  ces  faits,  nous  dirons  :  que  le  cadre  rigide 
du  vers  épique  se  divise  en  six  cases  dont  les  lignes  de 
démarcation  sont  caractérisées  par  les  six  accents  ryth- 
miques forts  (frappés)  ;  que  les  éléments  de  variété 
rythmique  interne  du  vers  sont  créés  par  les  césures 
plus  ou  moins  nombreuses  de  chaque  vers,  et  variables 
d'un  vers  à  l'autre;  que  ces  césures  ne  sont  autre  chose 
que  la  sé[)aration  des  mots  entre  eux  à  certaines  places, 
non  fixées  d'avance  et  arbitrairement,  mais  succédant 


—  49  — 

instinctivement  à  un  frappé ,  parce  qu'un  frappé  est  un 
repos  momentané  (1). 

Si  l'on  a  bien  compris  ces  faits,  difficiles  à  saisir  au 
premier  abord  je  le  reconnais,  on  saisira  aisément,  à 
coup  sûr,  ce  qui  va  suivre. 

Le  vers  épique  n'apparaîtra  plus  à  nos  yeux  sous  le 
jour  d'une  combinaison  numérique ,  mais  sous  celui 
d'une  eurythmie  enveloppante,  si,  faisant  abstraction  du 
rythme  numérique  prosodique  (par  longues  et  par  brè- 
ves) on  ne  considère  plus  le  rythme  que  par  les 
accents  rythmiques  de  chaque  mètre,  sortes  d'aimants 
attirant  à  eux  les  syllabes  non  accentuées  du  mot  dont 
ils  sont  le  centre  attractif  rythmique. 

Ex.  :  Tityre^  tu  patulae  recubanSy  etc. 

Tityre  :  Ti  porte  l'inflexion  ,  tyre  est  la  chute  de 
l'inflexion  ;  ces  syllabes  lui  appartiennent. 

Patulae  :  lae  porte-  l'inflexion,  'patu  appartiennent 
à  cette  inflexion  postérieure,  etc. 

Appliquons  le  procédé  au  vers  entier,  nous  obtien- 
drons le  schéma   de  déclamation   qui  suit  : 

Ces.  Ces. 

penlh.  hephth. 

Tityre      Ui     palulae    ||  recubans  ||  sub     legmine     fagi 

I  I  I I    .  I  I 

Six  frappés    rythmiques 

Le  cadre  rigide  intuitif  est  toujours  intact  et  la 
déclamation  reste  pure. 


(1)  La  césure  bucolique  (  après  le  h,^^\c.yk)  est  une  anomalie,  la 
césnre  au  trochée  troisième  (après  la  première  partie  du  troisième 
levé),  n'est  que  la  terminaison  féminine  bien  connue  de  nos  musiciens 
modernes. 


20  — 


Appliquons  maintenant  le  même  procédé  d'analyse  à 
nos  quatre  premiers  vers   de  VAthalie. 

Nous  trouverons  toujours  : 

r  Le  cadre  rigide  de  deux  hémistiches  de  six  syllabes. 
Césure  entre  eux. 

2°  Les  accents  rythmiques,  toniques  ceiieAoïs ,  dépla- 
cés dans  chaque  hémistiche  et  jouant  un  rôle  de 
même  nature  que  celui  que  nous  avons  attribué  aux 
cinq  césures  interchangeables  du  vers  épique  antique. 

Ex.  : 


l»'  Membre                    Césure  fixe                    2»  Membre 

12        3        4        5        6 

12        3        4        5        6 

Oui' je  viens'dans  son  leraple 
1               2                           3 

adorer  '  l'Eternel 
3                 3 

Je    viens  '  selon  l'usage 

<9.                               i 

antique'  et    solennel 

Célébrer  '    avec      vous 

3                              3 

la    fameuse'  journée 

3                     3 

Où'  sur    le    Mont    Sina 

\ 

la    loi  '  nous  fut  donnée 

2                                    k 

Les  appuis  toniques  simulent  bien  les  accents  rythmi- 
miques  forts  de  nos  six  métra  du  vers  épique. 

Je  me  borne  à  signaler  le  fait  aujourd'hui  me  réser- 
vant de  l'étudier  plus  à  fond  en  temps  opportun. 

Revenons  à  l'antiquité  pour  reprendre  pied  dans 
notre  sujet,  dès  son  point  de  départ,  et,  uotons  pour 
n'y  plus  revenir  l'ordre  d'apparition  des  genres  rythmi- 
ques intuitifs  sur  la  scène  littéraire  musicale. 


—  21   — 

En  parlant  de  Tordre  d'apparition  des  genres,  il 
n'entre  pas  un  instant  dans  ma  pensée  de  vous  proposer 
cet  ordre  comme  caractérisant  la  découverte  de  proche 
en  proche  d'un  rythme  donnant  naissance  à  un  autre 
rythme. 

La  première  forme  rythmique  littéraire  connue  est 
le  vers  épique.  J'ai  dit  que  si  l'on  s'en  tenait  aux 
apparences  on  serait  amené  à  conclure  —  trop  vite  — 
que  la  pénurie  des  moyens  rythmiques  du  vers  révélait 
un  art  encore  dans  l'enfance^  mais,  par  une  analyse  plus 
serrée,  j'ai  fait  toucher  du  doigt  la  rare  perfection  du 
vers  en  question.  J'ajoute  maintenant  que  je  tiens  le 
vers  épique  pour  le  témoin  vivant  d'un  long  passé  de 
culture  parvenant  à  son  complet  achèvement. 

L'épopée  homérique  peut  être  la  première  en  date 
connue,  mais  les  rythmes  intuitifs  qu'elle  a  coordonnés 
ont  été  connus  eux-mêmes  de  toute  antiquité.  Néan- 
moins cette  épopée  est  une  base,  mais  ce  sei-ait  une 
grave  erreur^  à  mon  avis,  —  et  je  vous  le  démon- 
trerai très  prochainement  —  de  croire  que  la  prati 
que  subséquente  de  la  poésie,  en  pays  grecs , 
fut  un  recommencement  d'une  culture  inconnue  en  ces 
contrées  s'éveillant  à  la  vie  intellectuelle.  S'il  était 
nécessaire,  je  m'appuierais,  pour  soutenir  cette  thèse, 
sur  les  lieux  d'origine  des  poètes-compositeurs  qui 
ont  servi  de  lien  entre  l'orient  et  l'occident  :  Terpan- 
dre  d'Antissa  (Lesbos)  compositeur  de  nomes  et  d'hymnes 
religieux;  Callinos,  d'Ephèse,  le  créateur  de  l'élégie  ; 
Archiloque,  de  Parcs,  l'inventeur  de  l'ïambe;  c'est-à- 


—  22  — 

dire  les  néo-promoteurs  du  rythme  dactylique  (à  deux 
temps)  et  du  rythme  ternaire  double  (6/8  moderne  , 
toutes  réserves  faites  sur  ce  rapprochement  consacré). 

Plus  tard  apparaît  le  rythme  6/8  mélangé  de  3/4 
(mêmes  réserves  à  faire)  ;  puis  ce  sera  le  rythme  péoni- 
que,  5/8  de  la  poésie  dithyrambique,  et  enfin  le  sommet 
tie  la  complication  rythmique  est  atteint  dans  la  poésie 
lyrique  eifervescente  de  Pindare. 

Quelle  que  soit  la  forme  envisagée  la  rythmique 
intuitive  perce  partout  dans  les  œuvres  de  cette  période  ; 
partout  en  effet  les  schémas  rythmiques  sont  établis  sur 
la  base  binaire  ou  sur  la  base  ternaire. 

Nos  humanistes  les  plus  distingués  n'ont  vu  dans  cette 
évolution  des  rythmes  poétiques  —  qu'ils  jugaient  au 
seul  point  de  vue  littéraire  —  qu'un  reflet  de  l'évolu- 
tion de  la  pensée,  simpliste  par  essence  au  début, 
s'affinant  ensuite  et  s'affirmant  par  des  tournures  de 
style    et    de  rythme,  nouvelles,   voulues. 

Cela  existe,  certes.  Mais,  croit-on  vraiment  que  la 
poésie  livrée  à  elle-même  n'aurait  pas  suivi  une  autre 
voie  rythmique  que  celle  de  la  métrique  musicale?  Quoi 
de  plus  anormal,  en  effet,  qu'une  langue,  éminemment 
propre  à  faire  naître  une  rytlimopée  aux  innombrables 
combinaisons,  se  pliant  à  une  déformation  arbitraire  et 
conventionnelle  de  toutes  ses  flexions  rythmiques  natu- 
relles pour  entrer  dans  le  cadre  d'une  série  de  formules 
imposées  par  la  pratique  d'un  art  parallèle  :  la  musique  ? 

La  langue  grecque  avait  son  accent,  —  ses  accents 
devrais-je  dire  —  et  elle  n'en  a  pas  tenu  compte  en 
s'asservissant  à  la  rythmique  musicale. 


-•  23  — 

N'est-ce  pas  là  une  indication  certaine  de  l'influence 
préalable  sur  le  langage  poétique  d'une  rythmique 
musicale  préexistante.  Et  la  cause,  majeure  peut-être, 
ne  réside -t- elle  pas  dans  le  rôle  que  la  musique  avait 
rempli  de  toute  antiquité  dans  les  cérémonies  religieu- 
ses des  peuples  primitifs  ?  Ces  peuples  considéraient  la 
musique  comme  un  langage  supérieur  par  son  immaté- 
rialité au  langage  courant.  Peut-être  ceci  nous  explique- 
t-il,  à  un  certain  degré,  que  la  musique  par  ses  rythmes 
sacro-saints  ait  entraîné  dans  son  orbite  la  produc- 
tion poétique,  et  non  le  contraire.  Permettez -moi  de 
vous  rappeler  que  j'ai  déjà  traité  cette  question  il  y  a 
quelques  années  (1). 

Je  crois  en  avoir  assez  dit,  en  ce  jour,  pour  plaider  en 
faveur  de  mon  projet,  et  fort  des  déductions  que  je  vous 
ai  soumises  précédemment,  il  me  semble,  que  je  puisse 
tenter  la  reconstitution  de  l'histoire  de  l'art  musical  au 
moyen   de  l'analyse  du  rythme  des  œuvres  poétiques. 


^^îHe^fii^ 


il)  Voir  mon  opuscule  «  Ln  richesse,  rythmique  musienle  de  l'antiqui- 
té »  Picard  et  fils.  Paris.  1903. 


—  24  — 

DU  MÊME  AUTEUR  • 
A   la  Librairie    Fisehbaeher 

33,  rue  de  Seine,  Paris 

L'Art  dit  Grégorien,  d'après  la  notation  neumatique. 
Etude  préliminaire.  1  vol.  gr.  in-S»  Jésus,  40  pages  (1897)      2  fr.  50 

Le  Rythme  du  Chant  dit  Grégorien,  d'après  la  notation 
neumatique.  1  vol.  gr.  in-S^  jésus  de  264  pages  (1898)    25  fr. 

Le  Rythme  du  Chant  dit  Grégorien,  d'après  la  notation 
neumatique.  —  Appendice  paginé  à  la  suite  de  l'ouvrage 
précédent,  de  265  à  363.  1  vol.  gr.  in-8o  (1899) 5  fr. 

Deux  Mémoires  sur  la  Notation  neumatique,  lus  au 
Congrès  de  juillet  1900.  Gr.  in-8o  jésus,  20  pages  (1901)      2  fr,  50 

L'évolution  de  l'Art  musical  et  l'Art  Grégorien.  Petit 
in-12,  54  pages  (1902) 1  fr. 


A  la  Librairie  Alphonse  Picard  et  Fils 

82,  rue  Bonaparte,  Paris 

La  Richesse  rythmique  musicale  de  l'Antiquité,  in-8« 
84  pages  (1903) 3  fr.  50 


A  la  Librairie  Mirvault 
69-71,  rue  au  Pain,  Saint  -Germain-en-Laije  (S.-et-O.) 

La  Question  grégorienne  en  1904,  in-8o,  58  pages  (1904)      2  fr. 

La  Science  musicale  traditionnelle,  in-S»  oblong  (1904)      1  fr. 


l'occident  musicien.  5y 


L'OCCJDENT  MUSICIEN 


DÉPOUILLONS  le  vjel  homme  qui  est  en  nous  et  sachons 
nous  souvenir  que  c'est  une  erreur  et  non  des  moins 
graves,  de  juger  la  musique  avec  notre  «  Moi  ».  C'en 
est  une  seconde  d'envisager  l'histoire  de  la  musique  comme 
l'énoncé  simple  des  oeuvres  produites,  classées  par  siècles, 
par  écoles,  par  genres.  C'en  serait  une  troisième  de  consi- 
dérer l'histoire  de  la  musique  de  chaque  peuple  comme  un 
«  tout  »  ayant  un  commencement,  un  milieu  et  une  fin  mo- 
mentanée. 

L'art  musical  est  universel  ;  mais,  avant  tout,  il  est  infini, 
comme  Dieu  est  infini  :  Jn  principio  erat  verbum  ;  il  n'a  pas  eu 
de  commencement,  il  n'aura  jamais  de  fin.  L'art  musical 
était  en  Dieu  et,  dès  le  début.  Dieu  était  en  lui.  C'est  la 
langue  expressive  de  l'immatériel  s'adressant  à  l'immatériel, 
l'âme. 

L'Occident  musicien?  Qu'est-ce  à  dire? 

Que  vient  faire  sur  notre  route  cet  appel  à  notre  attention? 
Nous  nous  élancions  vers  l'Infini  avec  le  sentiment  profond 
d'être  délivrés,  pour  un  temps,  des  horizons  bornés,  et, 
comme  un  glas,  retentit  à  nos  oreilles  ce  rappel  en  arrière  : 
l'Occident  !  et  la  même  voix  impitoyable  continue  :  A  quelle 
source  l'Occident  a-t-il  puisé  à  pleine  coupe  les  mille  et  une 
gouttes  de  cet  enivrant  excitant  qu'est  la  musique  euro- 
péenne occidentale?... 

Si  l'art  est  immatériel,  l'artisan  l'est  beaucoup  moins,  et 
c'est  de  lui,  auteur  de  nos  jouissances  éphémères  qu'il  faut 
nous  occuper. 

Cette  source  !  Sourd-elle  dans  un  pays  enchanté  du  Nord 
ou  du  Midi  de  notre  Vieux  monde?  A  KEst  ou  à  l'Ouest? 

L'homme  du  Septentrion  a-t-il  fait  un  pèlerinage  vers  une 

L'Occident.  5 


58  l'occident. 

«  Terre  promise  »,  vaguement  entrevue  par  des  explorateurs 
en  quête  de  sensations  neuves?  ou,  le  Midi  a-t-i)  été  con- 
duit vers  les  régions  boréales,  séjour  attitré  des  jouissances 
pures,  idéales,  but  originel  de  toute  musique?  Qui  le  dira 
un  jour?  Qui  même  le  saura  jamais? 

Cette  recherche  m'a  occupé,  depuis  vingt  ans,  au  delà  de 
tout  ce  que  l'on  peut  imaginer.  On  me  pardonnera  de  m'es- 
sayer  ici  à  fixer  par  la  plume,  après  l'avoir  tenté  oralement 
en  des  conférences  publiques,  non  pas  à  résoudre  un  pro- 
blème en  partie  insoluble,  du  moins  à  en  présenter  les 
données  dans  un  ordre  moins  troublant  que  sous  la  forme 
d'interrogations  sollicitant  d'hypothétiques  réponses. 

Notre  enquête  doit  porter  sur  deux  points: 

—  Le  caractère  distinctif  de  l'homme  du  Nord,  en  tant 
qu'artiste  opposé  à  son  frère  méridional. 

—  Les  courants  constatés,  ou  présumés,  de  l'infiltration 
des  procédés  musicaux  d'un  contrée  dans  une  autre  contrée. 

Le  caractère  distinctif  de  l'homme  du  Nord,  musicien 
compositeur  ou  auditeur  dilettante,  est  la  recherche  de  l'ex- 
pression juste  d'une  idée,  d'une  sensation,  d'un  sentiment, 
d'un  fait,  dont  le  souvenir  ou  la  pensée  l'obsède.  Cet  état 
tient  essentiellement  à  la  race,  qu'une  Nature,  trop  souvent 
marâtre  et  avare  de  ses  dons  les  plus  nécessaires,  a  trempée 
pour  la  lutte  et  la  conquête  de  l'objet  rêvé,  utile  ou  vain.  A 
travers  les  siècles,  cet  état  psychologique  peut  se  démontrer 
par  l'analyse  des  œuvres  sorties  des  mains  de  nos  plus  grands 
maîtres,  comme  de  celles  des  derniers  de  leurs  disciples.  Le 
maître  a  pu  réaliser  son  rêve  parce  qu'il  avait  la  maîtrise  de 
son  métier  jointe  au  génie  créateur  :  le  disciple  s'est  enlisé  en 
chemin.  L'effort  de  création  fut  en  partie  le  même,  mais  il  a 
été  soutenu  inégalement. 

L'homme  du  Midi  n'est  guidé,  en  général,  que  par  la  re- 
cherche de  l'effet  extérieur.  Il  veut  pouvoir  s'admirer  soi- 
même  et  jouir  de  son  oeuvre  en  savourant  à  l'avance  le  suc- 
cès qu'elle  rencontrera.  Il  se  congratulera  in  petto  au  nom 
de  ses  futurs   admirateurs  :    il    a  l'enthousiasme   personnel. 


l'occident  musicien.  59 

1]  veut  que  ses  sensations  d'art  deviennent  sensations  dans 
l'esprit  de  ses  auditeurs,  non  pas  pour  vibrer  à  l'unisson  et 
entrer  en  communion  intime  et  muette  avec  eux,  mais  pour 
se  donner  le  plaisir  de  contempler  le  spectacle  d'un  être  qu'il 
a  su  intéresser  en  dehors  de  lui-même  :  il  a  la  jouissance  de 
l'orgueil. 

L'homme  du  Midi  n'est  pas  un  éducateur,  c'est  un  pour- 
voyeur de  plaisirs,  sans  cesse  aux  aguets  de  ce  qui  peut 
mieux  plaire. 

L'homme  du  Nord  est,  au  contraire,  cet  éducateur  inlas- 
sable, ennemi  du  succès  banal,  ami  fanatique  de  la  vérité  à 
découvrir  :  il  veut  faire  pénétrer  cette  vérité,  non  par  un  vain 
désir  de  renommée,  mais  par  esprit  d'apostolat  artistique. 

Au  Nord,  oh  veut  construire  sur  le  roc  un  monument  du- 
rable, asile  des  faibles  :  au  midi,  on  édifie  sur  l'aile  des  zé- 
phyrs caressants  dont  le  souffle  passe  sans  laisser  de  traces. 

f 

D'où  peuvent  alors  provenir  ces  exceptions  que  nous  no- 
tons à  certains  moments  de  l'histoire  de  l'art  musical,  dans 
des  œuvres  méridionales  imprégnées  de  style  septentrional, 
et  inversement,  dans  des  oeuvres  du  Nord,  dont  les  procédés 
mitigés  révèlent  une  influence  scolastique  ou  stylistique  mé- 
ridionale. 

Hommes  du  Nord  et  hommes  du  Midi  se  confondraient 
désormais  en  une  grande  famille  musicienne,  que  l'on  pourrait 
dénommer  «  occidentale  »  par  opposition  aux  innombrables 
agglomérations  humaines  qui  couvrent  le  vieux  continent,  et 
dont  le  Magma  chinois  serait  l'extrême  oriental. 

C'est  un  problème  vaste  comme  le  monde  lui-même  dont 
j'esquisse  la  donnée,  heureux  si  je  puis  susciter  le  désir  de 
l'élucider. 

Yeni,  vidi:  je  ne  dirai  que  ce  que  j'ai  vu,  ou  cru  voir, 
après  m'être  approché  de  ce  miroir  aux  illusions  qui  s'appelle  : 
l'Archéologie  musicale! 

Si  je  remonte  aux  origines  connues  de  notre  monde  euro- 
péen, c'est-à-dire  à  l'antiquité  grecque,  je  rencontre,  littérai- 
rement, deux  grandes  oeuvres:  Vlliade  etVOdyssée.  Je  ne  re- 
tiens que  la  première. 


6o  l'occident. 

Quel  atavisme  rythmique,  religieux,  philosophique,  repré- 
sente-t-elle?  C'est  la  plus  ancienne  et,  comme  telle,  elle  se 
trouve  à  la  limite  où  aboutit  toute  une  culture  antérieure,  où 
prend  naissance,  et  s'élève  comme  un  modèle  pour  les  géné- 
rations suivantes,  l'œuvre  elle-même. 

Quelles  générations  antérieures  ont  vécu  cette  oeuvre,  car 
toute  oeuvre  fut  vécue,  soit  par  son  auteur,  soit  par  la  collec- 
tivité qu'il  synthétisa?  Quelles  générations  postérieures  ont 
profité  des  enseignements  contenus  en  ce  poème? 

Quel  homme  était-ce  donc  que  cet  Homère  ou  ses  sosies? 
A  quelle  caste  ou  classe  d'hommes  vivant  en  société  apparte- 
naient-ils. Quel  courant  artistique  représentaient-ils  à  leur 
époque?  Je  répondrai  en  une  seule  fois  à  tous  ces  points. 

Le  monde  grec,  a  été  nourri  du  suc  littéraire  et  philoso- 
phico-théologique  des  épopées,  et  le  monde  latin,  jusqu'à 
nous,  doit  à  cette  source  hellénique  une  partie  de  son  patri- 
moine littéraire  et  intellectuel.  Mais  ce  n'est  qu'un  effet. 
Quelle  est  la  cause  d'Homère  ou  des  homérides? 

Je  vois  en  eux,  bien  qu'ils  aient  écrit  en  grec,  des  descen- 
dants d'une  caste  sacerdotale  Nord-occidentale,  ayant  chanté 
les  hauts  faits  légendaires  de  la  Race  dont  leurs  aïeux  étaient 
issus.  Je  ne  m'embarrasserai  pas  d'élucider  le  point  géogra- 
phique concernant  les  localités  témoins  de  ces  hauts  faits  : 
toutes  les  guerres  anciennes  se  ressemblent,  comme  toutes 
guerres  modernes,  mais  il  me  paraît  toutefois  impossible 
qu'un  poète  chante,  en  les  plaçant  au  sein  d'une  nature  qu'il 
n'a  pas  sous  les  yeux,  les  exploits  de  héros  qu'il  n'a  pas  con- 
nus vivants,  si  traditionnellement  des  notions  sacro-saintes 
de  ces  faits  ne  lui  ont  pas  été  transmises  comme  un  dépôt  na- 
tional à  léguer  lui-même,  intact,  aux  générations  futures  (i  ). 

Bien  qu'écrivant  en  grec,  intellectuellement  les  homérides 
étaient  étrangers  aux  pays  grecs. 

Que  le  sillon  qu'ils  ont  creusé,  soit  resté  profondément 
gravé  dans  le  sol  littéraire  de  ces  contrées,  on  l'accorde  ; 
mais,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  tous  les  goûts  artis- 
tiques de  la  Grèce  allaient  de  préférence  chercher  dans  la 
poétique  asiatique  des  écoles  lesbiennes  leur  excitant  artis- 
tique, tandis  que  la  jouissance  intellectuelle  était  puisée  par 
l'élite  pensante,  à  une  source  plus  pure  :  celle  du  drame  re- 

())  Je  garderai  par  devers  moi  l'éclaircissement  de  ces  demi-obscurités 
voulues  de  ma  thèse,  au  moins  pendant  quelque  temps  encore  et  je  passe. 


l'occident  musicien.  6i 

ligicux  exaltant  les  sentiments  nobles.  Antithèse  de  tous  les 
temps  que  nous  ne  pouvons  apercevoir  sous  le  vernis  uni- 
forme dont  l'érudition  officielle  a  recouvert  autrefois  les  an- 
ciennes littératures. 

11  reste  donc,  à  mon  point  de  vue,  que  le  Nord,  j'entends 
l'influence,  le  souffle  du  Nord,  reste  toujours  actif  en  pays 
grec  à  la  suite  de  l'œuvre  homérique,  mais  que,  d'autre  part, 
le  Midi  s'agite  autour  de  l'œuvre,  la  respecte,  et  s'en 
éloigne  parce  que  l'esprit  méridional  fuit  d'instinct  la  gran- 
deur sombre  et  préfère  le  clair  soleil  d'une  impression  super- 
cielle. 

Lorsque  je  vois  les  Romains  de  l'époque  impériale  en- 
voyer leurs  enfants  aux  écoles  de  Marseille  pour  y  apprendre 
les  secrets  du  beau  langage  grec  ;  lorsque  je  vois  les  petits- 
fils  de  Rollon  envoyés  au  xu-xiii'^  siècle,  aux  écoles  de  Bayeux 
pour  se  perfectionner  dans  la  langue  danoise  pure!  !  il  ne  me 
semble  pas  autrement  inadmissible  qu'un  homéride  Nord- 
occidental,  transplanté  à  l'autre  extrémité  de  l'habitat  des 
peuples  de  même  race  ethnique,  ait  pu  en  se  servant  d'une 
autre  langue  que  celle  de  ses  aïeux  (i  ),  exposer,  dans  un  but 
d'éducation  patriotique,  les  phases  de  l'une  des  plus  grandes 
luttes  de  l'antiquité. 

Si  la  thèse  est  vraie,  soutenable,  l'Jliade  est  le  premier 
poème  de  sens  et  de  rythme  celtiques  connu.  11  est  le  type 
initial,  châtié  de  la  rythmique  occidentale,  et  la  comparaison 
des  grands  rythmes  nationaux  lentement  dégagés  par  les  gé- 
nérations successives  des  poètes  de  nos  pays,  prouve  que  la 
supposition  n'est  pas  hasardée. 

Jamais  les  Grecs  ni  les  Latins  n'ont  pu  expliquer  la  raison, 
le  pourquoi  de  la  coupe  du  vers  hexamètre  épique  dont  la 
régularité  et  la  longueur  les  étonnaient,  sans  les  satisfaire  au- 
trement que  comme  un  fait  traditionnellement  accepté  et  con- 
venant à  tel  genre  littéraire. 

Les  rythmes  flottants  et  fluides  les  enchantaient  davan- 
tage :  école  saphique  chez  les  Grecs,  école  horatienne  chez 
les  Latins.  Au-dessus,  planaient  auréolées  les  œuvres  virgi- 

(i)  Réserve  faite  pour  l'hypothèse  très  vraisemblable  que  VJliade  grecque 
connue  par  morceaux  pzut  n'être  qu'une  traduction  d'un  poème  primitif  écrit 
dans  une  autre  langue. 


62  l'occident. 

liennes  ou  homériques.  Lutte  déjà  vive,  à  cette  époque,  entre 
les  infiltrations  du  Nord  sur  le  Midi. 

Entrons  maintenant  dans  la  lice  où  s'agitent  les  différentes 
écoles  musicales. 

Les  trois  facteurs  de  la  discussion  s'énoncent  : 

((  Le  compositeur  du  Nord,  arrière-descendant  des  Homé- 
rides,  cherche  encore  de  nos  jours  la  vérité  de  l'expression 
dans  la  simplicité  des  procédés,  dans  la  clarté  de  la  phrase, 
dans  la  pureté  de  la  ligne  architecturale. 

«  Le  compositeur  du  Midi  cherche  l'enjolivement  du  détail 
et  la  surcharge  de  l'ornementation. 

«  L'école,  dite  palestrinienne,  issue  des  écoles  flamandes  du 
ix*"  au  XV''  siècles  est  la  fusion  très  caractérisée  des  deux  ten- 
dances opposées,  le  Nord  et  le  Midi  :  ligne  pure,  clarté  du 
dessin,  ornementation  sobre.  » 

11  apparaît  dès  l'abord  que  le  Midi  fut  le  semeur  d'idées 
musicales  neuves  et  le  Nord  le  metteur  en  oeuvre  des  élé- 
ments nouveaux. 

Si  l'on  veut  se  souvenir  que  les  Latins  du  début  de  l'ère 
chrétienne  n'étaient  rien  moins  que  des  musiciens,  bien  que 
la  musique  fut  cultivée  chez  eux  avec  fureur  par  des  étran- 
gers venus  des  pays  d'Orient,  on  est  amené  à  admettre  que 
le  Midi,  futur  semeur  d'idées  musicales  riches  d'ornements 
vocalises,  a  emprunté  à  l'Orient  ce  mode  d'expression  nou- 
veau en  Occident.  Et  l'impulsion  n'a  pu  être  donnée  qu'à  la 
suite  d'une  invasion  irrésistible  du  genre:  des  essais  indivi- 
duels n'auraient  pas  créé  un  courant  mondial  commencé  par 
trois  voies  à  la  fois  :  Milan,  Rome  et  Constantinople.  Assailli 
par  ces  trois  côtés  l'Europe  primitive  devait  succomber.  Une 
nouvelle  forme  musicale,  la  musique  religieuse  christiano- 
syrienne  des  quatre  premiers  siècles  de  l'ère,  future  musique 
dite  grégorienne  après  sa  latinisation  au  cours  des  v%  vi"  et 
vu''  siècles,  devait  submerger  pendant  les  siècles  suivants 
toute  musique  autochtone  de  nos  pays  franks.  La  musique 
populaire  de  nos  pays  dut  rester  vivace,  quoique  reléguée  dans 
l'ombre,  car  on  ne  supprime  pas  les  chants  nationaux:  à  dé- 
faut de  livres  notés  la  mémoire  est  le  grand  livre  des  humbles. 


l'occident  musicien.  63 

Supprimons  cette  immixtion  musicale  de  l'Orient  en  Occi- 
dent, le  sillon  musical  tracé  par  l'homme  du  Nord,  l'eût  été 
dans  une  autre  direction,  car  jamais  l'homme  du  Nord  n'eût 
créé  cette  ornementation  excessive  d'une  mélodie  quelconque 
au  détriment  de  la  vraie  expression  des  textes  mis  alors  en 
musique. 

Les  écoles  contrapontiques  franco-flamandes  du  ix'^  au 
xiii'=  siècle  n'ont  pu  naître,  de  ce  fait,  préalablement  aux 
écoles  harmoniques  du  xviii^  siècle,  que  sous  la  poussée  de 
cette  invasion  de  la  musique  fleurie  orientale. 

La  découverte  des  lois  harmoniques  en  a  été  retardée  de 
cinq  siècles  au  moins;  par  le  fait  que  les  échelles  primitives 
sont  inharmonisables  notes  à  notes  dans  le  sens  vertical  à 
cause  du  manque  des  points  d'attache  fixes  de  cette  trame 
harmonique  sur  la  chaîne  mélodique.  Seule  la  chaîne  mélo- 
dique offrait  un  soutien  à  une  chaîne  parallèle  et  le  rapport 
des  sons  pris  un  à  un,  de  chaîne  à  chaîne,  était  seul  à  envi- 
sager. De  là,  naissance  obligée  de  l'écriture  point  contre 
point,  chaîne  contre  chaîne,  travail  merveilleux  de  tapisserie 
musicale  où  la  main  de  l'ouvrier  maniant  le  fil  de  la  broderie 
s'est  révélée  d'une  habileté  consommée  et  en  ascension  cons- 
tante vers  la  perfection  :  école  dite  palestrinienne,  où  les  dis- 
ciples de  génie  sont  légion. 

Ce  style  oriental,  vocalisé  à  plaisir  et  sans  but  apparent 
autre  que  celui  de  se  prodiguer  dans  des  futilités,  est  si  peu 
dans  nos  goûts  occidentaux  que  d'instinct,  c'est-à-dire  d'ata- 
visme artistique,  nous  sommes  revenus  avec  l'école  moderne 
au  sens  artistique  de  l'expression  première  entrevue;  la  clarté 
dans  la  simplicilé,  opposée  au  clair  obscur  mélodique  noyé 
dans  une  ornementation  outrancière. 

t 

Telle  est  ma  thèse.  Je  la  livre  à  la  discussion  publique 
parce  que  je  la  crois  de  premier  ordre  pour  élucider  le  pro- 
blème de  nos  origines  scolastiques  et  stylistiques  musicales. 

Georges  Houdard. 


64  l'occident. 


PALAIS    DU   TÉ 


MAISON    DE   DELICE   DE  LA   COUR   ROYALE-DUCALE 


f 


AU  printemps  dernier  nous  fumes  présentés  à  un  peintre,  ami 
de  cette  Revue,  M.  J.-M.  Sert.  11  revenait  d'un  voyage 
dans  l'Italie  du  Nord;  sachant  que  nous  y  faisions  demeure, 
ce  voyage  fut  le  sujet  de  l'entretien.  11  nous  dit  son  admiration 
pour  les  ensembles  décoratifs  qu'on  voit  à  Venise  et  dans  la 
Vénétie,  à  Maser,  à  Fanzolo,  à  Thiene,  à  Nervesa,  pour  le 
Véronèse,  Tintoret,  Tiepolo  et  surtout  pour  la  Reggia  et  le  Té 
de  Mantoue  où  Jules  Romain  l'avait  conquis.  Cette  admiration,  il 
ne  l'exprimait  pas,  à  la  façon  des  enthousiastes  et  des  frénétiques, 
manière  commune  en  ce  temps-ci,  par  des  adjectifs  vagues  comme 
prodigieux,  ou  sublime,  ou  dynamique,  mais  analysant  avec  lucidité 
les  sensations  qu'il  avait  reçues  d'eux  nous  faisait  mieux  juger  de  la 
valeur  des  nôtres.  C'étaient  là  ses  maîtres  et  ses  exemples  !  La 
richesse,  le  naturel,  l'emphase,  contenue,  sinon  par  le  bon  goût, 
par  le  grand  goût,  la  fécondité  d'un  art,  coulant  avec  les  fruits  et 
dons  de  la  terre  de  cette  «  Cornucopia  »  de  la  vallée  du  Pô,  lui 
paraissaient  les  qualités  plus  propres  au  peintre.  Courant  à  la  con- 
clusion :  «  on  voit  bien,  observait-il,  par  ceci,  que  le  but  de  la  pein- 
ture est  le  trompe  l'œil  ».  Paradoxe,  mais  si  l'on  demeure  dans  les 
limites  de  notre  sujet,  plein  d'exactitude  ;  bon  mot  de  peintre  et 
d'excellent  critique  ! 

Autour  de  nous  cependant  s'agitaient  les  décorations  imaginées 
par  M.  Sert  pour  la  Cathédrale  de  Vich,  en  Catalogne.  De  furieux 
Anges  se  précipitaient  du  ciel;  les  Saints,  les  Prophètes  s'y  ren- 
daient, représentés  dans  les  attitudes  et  sous  les  traits  que  l'His- 
toire Ecclésiastique  leur  assigne.  De  pieux  cornacs,  avec  des  élé- 
phants, des  nègres  avec   lions  et  tigres,  des  Bédouins  menant   des 


""    -^^^^--^,^   ^ 


REVUE  DES  LIVRES  «fô 

bonne  table  générale.  11  ne  voulut  laisser  à  personne  le  soin  de  la 
dresser,  et  il  lui  a  été  donné  d'en  terminer  le  manuscrit.  »  Re^ 
mercions  M.  l'abbé  Lelièvre  et  M.  l'abbé  Tougard,  deux  amis  du 
regretté  éditeur,  d'avoir  achevé  de  disposer  ce  précieux  manus- 
crit pour  l'impression,  et  d'avoir  corrigé  les  épreuves. 

On  pourrait,  il  est  vi*ai,  souhaiter  encore  une  table  des  textes 
de  l'Ecriture  cités  par  Bossuet;  et  même,  ajouterait  M.  l'abbé 
Delmont,  une  table  des  emprunts  patristiques.  M.  Lebarq  n'a 
pu  les  faire,  mais  du  moins  la  table  analytique  qu'il  a  dressée  et 
qu'on  nous  donne  aujourd'hui  est  excellente.  On  y  trouve,  par 
ordre  alphabétique,  tous  les  noms  propres  mentionnés  dans. les 
sermons,  panégyriques  ou  oraisons  funèbres,  et  toutes  les  ma- 
tières traitées  par  Bossuet.  En  parcourant  des  articles  comme  : 
Dieu  (10  colonnes),  Jèsus-Ckrist  (9  colonnes)  Marie,  Eglise, 
Justice,  loi,  on  peut  aisément  retrouver  toute  la  doctrine  du  grand 
orateur  sur  les  points  les  plus  importants  de  la  théologie  et  de  la 
philosophie  chrétienne.  Cette  table  est  donc  le  couronnement  de 
l'œuvre  que  M.  Lebarq,  dans  sa  «  calme  opiniâtreté  au  travail  », 
a  pu  achever  avant  de  mourir. 

11.  —  Les  Études  ont  déjà  signalé  cette  bibliographie  de  Bossuet 
(5  octobre  1897)  ;  mais  l'auteur  mérite  bien  qu'on  y  revienne, 
puisqu'il  a  mis  ses  soins  à  perfectionner  cette  nouvelle  édition. 

Parmi  les  parties  remaniées  est  celle  qui  a  pour  titre  :  Ecrits 
de  Bossuet,  étudiant  à  Navarre.  L?s  règlements  de  l'Université 
de  Paris  sont  d'une  interprétation  difficile,  et  Ton  pourrait  faci- 
lement s'égarer  dans  le  dédale  d'épreuves,  de  thèses  et  d'exa- 
mens qui  aboutissent  au  doctorat  en  théologie.  M.  l'abbé  Bour- 
seaud  a  eu  le  louable  courage  d'étudier  à  nouveau  ces  délicates 
questions,  afin  de  nous  en  parler  ici  le  plus  exactement  pos- 
sible. 

Arrivé  au  terme  de  sa  formation  théologique,  Bossuet  prêta,  à 
l'archevêché  de  Paris,  le  serment  exigé  des  nouveaux  docteurs. 
11  improvisa  alors  la  phrase  fameuse  :  0  summa  paierno  in  sinu 
concepta  Veritas,  par  laquelle  il  dévouait  sa  vie  à  la  Vérité,  au 
Verbe  de  Dieu  manifesté  à  la  terre  dans  l'Ecriture  inspirée.  La 
scène  se  passa-t-elle  le  9  avril,  ou  le  16  mai  1652?  Dans  l'édition 
précédente,  M.  Bourseaud  disait  le  9  avril,  d'après  Floquet  ; 
dans  celle-ci,  il  opte  pour  le  16  mai,  d'après  Ledieu.  Le  diction- 


424  ÉTUDES 

naire  de  Moréri  (art.  Bossuet)  est  aussi  pour  le  16  mai,  et 
Bausset,  qui  met  le  18,  a  voulu  évidemment  dire  le  16.  Néan- 
moins, la  date  donnée  par  Floquet  conserve  une  grande  proba- 
bilité ;  car  elle  est  prise  du  Catalogue  des  docteurs  en  théologie, 
imprimé  en  1702,  document  officiel  et  contemporain  de  Bossuet. 
Faudrait-il  distinguer  entre  deux  actes  intégrant  la  promotion 
au  doctorat,  dont  l'un  aurait  eu  lieu  le  9  avril,  l'autre  le  16  mai? 
En  attendant  une  solution  définitive,  la  position  prise  par 
M.  Bourseaud  est  sage  :  donner  dans  le  texte  l'une  des  dates,  et 
indiquer  l'autre  en  note,  afin  de  marquer  que  le  doute  subsiste 
encore. 

Cette  édition  ajoute  à  la  précédente  des  indications  nou- 
velles sur  les  collections  où  sont  conservés  des  manuscrits  de 
Bossuet  ;  sur  les  ouvrages  approuvés  par  lui,  comme  docteur  de 
Sorbonne;  sur  les  écrits  publiés  contre  son  Apocalypse;  sur 
quelques-uns  de  ses  fragments  ou  des  apocryphes  publiés  sous 
son  nom;  enfin,  sur  de  récentes  publications  relatives  au  grand 
écrivain. 

De  bonnes  informations  nous  permettent  d'espérer  d'autres 
recherches  bibliographiques,  dans  lesquelles  M.  Bourseaud  s'oc- 
cuperait plus  spécialement  de  la  chronologie  des  écrits  de 
Bossuet,  et  des  collections  de  ses  œuvres  complètes.  Pour  le 
passé  et  pour  l'avenir,  ses  patients  et  utiles  travaux  méritent  de 
la  reconnaissance  et  des  encouragements. 

^René-Marie  de  la  Broise,   S.  J. 

.  L'art  dit  Grégorien,  d'après  la  notation  neumatique.  Etude 
préliminaire,  par  Georges  Houdard.  Paris,   Fischbacher, 

1897.  In-8,  pp.  40. 

II.  Le  Rythme  du  chant  dit  Grégorien,  d'après  la   notation 
neumatique,    par  Georges    Houdard.  Paris,   Fischbacher, 

1898.  ln-4,  pp.  263.  Prix  :  25  francs. 

I.  —  M.  Houdard  a  fait  une  longue  étude  des  manuscrits  neu- 
matiques  ;  il  a  analysé,  comparé,  classé  ces  signes  anciens;  il  croit 
avoir  découvert  tous  les  secrets  qu'ils  renferment  et  retrouvé  en 
eux  toutes  les  indications  que  doit  donner  une  bonne  notation 
musicale. 

Cette  écriture,  oubliée  depuis  si  longtemps,  serait  très  simple 


REVUE  DES  LIVRES  425 

et  très  complète.  L'auteur  y  retrouve  les  nuances^  indiquées  par 
Y  apostropha,  qui  marquerait  les  piano,  et  la  virga  à  tête,  qui  si- 
gnifierait les  forte.  La  combinaison  de  ces  deux  signes  servirait  à 
noter  les  crescendo  et  decrescendo.  Le  rythme  serait  indiqué  dans 
les  neumes  et  constitué  d'après  ce  principe  :  «  Chaque  groupe 
neumatique  égale  un  temps  rythmique.  »  Ces  temps  rythmiques, 
tous  de  même  durée  dans  un  même  morceau,  ne  sont  pas  réunis 
en  nombre  fixe  pour  former  des  mesures  semblables  à  nos  me- 
sures modernes.  Une  règle  esthétique  a  présidé  pourtant  à  leur 
combinaison.  Les  neumes  indiqueraient  même  la  note  chantée  ; 
mais  l'auteur,  qui  donne  quelques  remarques  sur  ce  point,  con- 
vient qu'il  n'a  pas  encore  réussi  à  élucider  toute  cette  partie  du 
problème. 

Nous  n'avons  pas  à  discuter  ces  doctrines,  que  M.  Houdard  se 
propose  d'exposer  plus  amplement  dans  des  ouvrages  subsé- 
quents. La  publication  présente,  comme  il  le  dit  lui-même,  n'est 
qu'un  préliminaire  destiné  à  piquer  la  curiosité  et  à  montrer  que 
la  question  a  été  étudiée  sérieusement.  M.  Houdard  a  obtenu  ce 
double  résultat,  et,  si  l'exposé  intégral  de  sa  thèse  n'arrivait  pas 
à  nous  convaincre  entièrement,  son  travail  aurait  toujours  aidé 
à  une  connaissance  plus  approfondie  de  la  notation  neumatique. 

IL  — M.  Houdard,  dans  ce  second  ouvrage,  veut  nous  «  révéler 
la  constitution  technique  matérielle  de  la  mélodie  grégorienne  ». 
Pour  cela,  il  étudie  les  livres  neumatiques  de  saint  Gall,  édités 
par  la  paléographie.  Relevant  tous  les  différents  signes  employés 
par  les  copistes,  il  les  classe  dans  un  tableau  synoptique,  les  ran- 
geant 'par  familles,  qui  dérivent  toutes  de  deux  signes-types,  et 
par  modifications  du  signe  primitif,  qui  indiqueraient  les  varia- 
tions de  nuance  et  de  rythme  dont  le  neume  est  susceptible.  Re- 
prenant un  à  un  tous  ces  signes,  il  essaye  de  nous  les  traduire  à 
sa  manière,  ce  qui  ne  va  pas  sans  contredire  en  plusieurs  points 
l'interprétation  commune.  Nous  citerons  entre  autres  les  explica- 
tions du  trigon,  de  Vaneus,  de  Voriscus. 

Dans  une  seconde  partie,  il  propose  sa  théorie  des  temps 
rythmiques,  d'après  laquelle  chaque  neume  aurait  la  même  durée, 
qu'il  diviserait  en  autant  de  parties  égales  qu'il  y  a  de  notes  à 
chanter.  Après  avoir  ainsi  donné  son  système,  il  réfute  les  men- 
suralistes  qui  ne  veulent  pas  se  contenter  comme  lui  du  temps 


426  ETUDES 

rythmique,  mais  qui  réunissent  leurs  temps  par  groupes  réguliers 
de  deux  ou  trois. 

Enfin,  dans  une  quatrième  partie,  bien  qu'il  ait  annoncé 
(p.  5)  qu'il  faisait  abstraction  «  de  toute  considération  esthé- 
tique »,  M.  Houdard  examine  les  formes  différentes  des  mélodies 
primitives  au  point  de  vue  composition,  et  il  pense  montrer 
clairement  la  constitution  de  la  phrase  grégorienne,  «  en  ce  qui 
concerne  l'art  idéal  en  lui-même,  pris  dans  son  ensemble  et  non 
plus  dans  ses  détails  ». 

Si  nous  relevons  cette  contradiction  entre  le  programme  de 
l'auteur  et  la  manière  dont  il  le  remplit,  ce  n'est  point  pour  lui 
en  faire  un  reproche  :  loin  de  là.  M.  Houdard  est  artiste  ;  l'artiste 
se  montre  dans  tout  le  cours  du  livre,  et  ce  sont  les  remarques  de 
l'artiste  qui  lui  donnent  son  cachet  et  sa  valeur. 

Nous  serions  plus  sévère  pour  le  savant  :  il  a  tort  de  rejeter 
l'aide  de  l'histoire  et  de  la  tradition,  son  tableau  des  neumes  n'a 
qu'un  ordre  factice  et  son  temps  rythmique  est  appuyé  par  des 
preuves  plus  nombreuses  que  convaincantes, 

Eugène  Soulher,   S.  J. 


ZEITSCHRIFT 

DER 

INTERNATIONALEN  MUSIKGESELLSCHAFT. 


Heft  1  u.  2,  Erster  Jahrgang.  1899. 

Erscheint  monatlich.     Fiir  Mitglieder  der  Interuationalen  Musikgesellschaft  kostenfrei, 
fiir  Nichtmitg-lieder  10  J^.   Anzeigen  25  ^  fiir  die  2  gesj)altene  Petitzeile.   Beilagen  15  JL 


Zum  Geleit. 


Niemals  ist  die  musikalische  Produktion  so  massenhaft  gewesen  als 
jetzt,  iind  es  scheint,  als  ob  sobald  noch  keine  Ebbe  eintreten  wolle. 
Ganze  Regimenter  von  Musikern  haben  sich  in  den  groBen  Stildten  an- 
gesanunelt.  Orchester  von  mebr  als  liundert  Mann  sind  keine  Seltenheit 
melir.  Massenauf f iibrungen ,  an  denen  sich  hunderte  von  Menschen  be- 
teiligen,  erregen  heutzutage  kaum  noch  Aufsehen.  Die  Konservatorien 
imd  Musikschulen  werfen  jâhrlich  Tausende  von  Berufsmusikern  auf  den 
Konkurrenzmarkt  und  haben  bereits  ein  kaum  noch  iibersehbares  Musiker- 
proletariat  erzeugt. 

Mit  der  Massenhaftigkeit  der  Musiker  ist  natUrlich  auch  die  Produktion 
von  Musik  auRerordentlich  gestiegen.  Wer  will  sich  anheischig  machen, 
die  Legionen  von  Liedern,  Tânzen,  Gassenliauem ,  Orchesterstiicken, 
Opernpartituren,  Salonstiicken,  Arrangements  u.  s.  w.,  die  jâhrlich  in  aller 
Herren  Lândern  veroffentlicht  werden  —  von  der  ungedruckt  bleibenden 
Musik  ganz  abgesehen  —  auch  nur  zu  nennen?  Der  Musikalien-Verlag 
und  -Handel  beschâftigt  taglich  vielo  Tausende  von  Menschen,  und  so 
reiht  sich  an  die  Berufsiiiusiker  ein  Heer  von  Gewcrbetreibenden,  die  da 
die  geistigen  Werte  der  Kunst  in  klingendes  Gold  ummiinzen:  Instru- 
mentenbauer  und  -stimmer,  Handler  und  Agenten  u.  s.  av.  Zu  ihnen 
gesellen  sich  Musikschriftsteller  und  Kritiker  und  deren  Verleger,  —  kurz, 
man  kann  wirklicli  nicht  sagen,  daB  die  Musik  mit  ihrem  Gefolge  irgend 
etwas  in  Bezug  auf  Massenhaftigkeit  zu  wiinschen  ubrig  lieBe. 

Aber  ein  lateinisches  Sprichwort  fordert  mulhiDi  non  multa,  und  das 
laRt  sich  recht  gut  auf  unsre  Musikverhiiltnisse  anwenden.  Denn  mit 
der  wachsenden   Quantitiit   luit  die  Qualitât  —  wie  gcwohnlich  —  nicht 

Z.  d.  i.  M.     I.  1 


2  Oskar  Fleischer'  Zum  Geleit. 

Schritt  gehalten.  Niclit  jeder,  der  von  der  Musik  sein  Brot  Ijezieht,  ist 
ein  »Musiker«;  es  giebt  stets  melir  Handwcrker  als  Kiinstler.  Dem 
Musikfreunde  wird  es  scliwer,  un  ter  ail  der  iingeheuren  Mcnge  neiier 
niusikalisclier  Produkte  die  Spreu  vom  Hafer  zu  sondern,  und  ebenso 
scliwer  ist  es  fiir  den  Musiker,  in  dem  massigen  Wettbewerbe  die  Auf- 
merksamkeit  einer  groReren  Menge  auf  sich  zu  lenken.  Daher  das  Streben, 
sich  zu  grofieren  Gemeinscliaften  zusammenzuscblieBen ,  um  mit  ver- 
einten  Kraften  ein  gemeinsames  Ziel  zu  erstreben:  namlicli  das  der 
groRten  Marktfiihigkeit. 

DaB  es  dabei  auf  die  Kombination  solclier  Gemeinscliaften  ankommt, 
ob  sie  zum  Ziele  fiïhren  oder  niclit,  ist  selbstverstândlich.  Eine  Schlaclit- 
reihe  kampft  gegen  die  anderen,  und  die  stârkste  von  ihnen  driickt  die 
schwacheren  Gegner  vom  Markte  ab  oder  lâHt  sie  dort  gar  nicht  erst 
aufkommen. 

Die  musikalischen  Leistungen  allein  tliun  es  leider  meist  niclit  mehr; 
sie  reichen  iiur  in  seltenen  Fallen  liin,  in  der  unabsehbaren  Menge  der 
Konkurreiiten  den  Einzelnen  zur  Geltung  zu  bringen.  Wort  und  Sclirift 
miissen  vielmelir  mit  belfen,  und  wer  sie  reclit  zu  niitzen  wciR,  kann 
dadurcli  sehr  wohl  erreiclien,  daB  sein  Naine  sclinell  bekannt  und  er 
selbst  der  Gegenstand  der  Aufmerksamkeit  einer  breiten  Menge  wird. 
Es  verstelit  sich,  daB  die  hierbei  gewalilten  Mittel,  zum  Ziele  zu  kommen, 
nicbt  immer  und  uberall  ganz  reinlich  sind.  Ebcnso  konnen  aber  aucb 
ganze  groBe  Koterien  durcli  unsaubere  oder  gewaltsame  Mittel  schâdigend 
und  vergiftend  in  die  Entwickelung  der  Musik  eingreifen.  Hiei'gegen  sicli 
aufzulelmen  ist  Aufgabe  eines  Jedcn,  der  es  mit  der  Musik  ernst  meint, 
und  fiir  den  Berufsmusiker  ist  es  sogar  Selbsterhaltungspflicht. 

Die  natiirlichste  und  daher  am  meisten  berechtigte  Gruppenbildung 
im  kiinstlerischen  Leben  ist  ohne  Zweifel  die  nationale.  Aber  sie  ist 
keineswegs  die  beste  und  wirksamste,  am  wenigsten  die  forderlichste  fUr 
die  Kiinstler  selber.  Wir  sehen  das  an  vielen  Thatsaclien,  wo  gerade 
das  Betonen  der  Nationalitat  der  Anerkennung  des  Kiinstlers  zu  seinem 
eignen  und  selbst  seines  Volkes  Schaden  arg  im  "Wege  gestanden  hat. 
Wer  spricht  in  der  groBen  Musikwelt  wohl  viel  von  dem  Polen  IMoniuszko? 
Der  Bolinie  S^metana  wurde  erst  viele  Jahre  nacli  seinem  Tode  zufâllig 
»entdeckt«.  Wer  kiimmert  sich  auBerhalb  lluBlands  um  Glinka?  Und 
doch  waren  aile  drei  bedeutende,  fruchtbare  und  anregende  Komponisten, 
die  der  Beachtung  der  ganzen  Welt  Avohl  wiirdig  warcn.  Aber  sie  waren 
Slaven,  und  als  solche  gehorten  sie  keiner  gliickliclien  genossenschaftlichen 
Kombination  an.  Hiitten  sie,  wie^friiher  Chopin,  spiiter  Rubinstein  und 
ïschaikowsky,  sich  einer  der  einfluBreicheren  franzosischen  oder  deutschen 
Grni)pen  angeschlossen,  sie  wiiren  luirbarer  zu  Worte  gekommen.  Aber 
sie  wollten  nur  Slaven  sein  und  bheben  somit  auf  kleine  nationale  Gruppen 


Oskar  Fleischer,  Zum  Geleit.  3 

beschrânkt,  die  ilmen  wedei-  den  Riihm  noch  das  Einkommen  gewâhren 
konnten,  dessen  sie  wiïrdig  waren. 

Jedes  Volk  setzt  jetzt  seinen  Stolz  darein,  môgliclist  »iiational«  zii 
sein.  Namentlich  sucht  eine  jede  iiberall  ihre  eigene  Spraclie  zur  Geltung 
zu  bringen.  Heiitzutage  reiclien  fiir  einen  Gebildeten  Deutsch,  Engliscli, 
Franzosisch  iind  Italieniscli  neben  Latein  und  Griechiscli  scbon  nicht 
mehr  aus,  er  muB  oft  noch  die  eine  oder  andre  Siirache  hinzunehmen. 
Das  macht  sich  besonders  in  der  Musik  auBerordentlich  empfindbar.  Wer 
sich  beispielsweise  uber  die  Volkslieder  der  verschiedenen  Liinder  unter- 
ricbten  will,  bat  es  gar  nicht  so  leicht.  Die  VolksHeder  fast  aller  Na- 
tionen  liegen  in  groBen  und  kleinen  Sammiungen  vor.  Aber  die  Heraiis- 
geber  bedienen  sich  fast  aile  nur  ihrer  eigenen  Nationalsprache,  nicht 
■nur  bei  den  Texten  der  Lieder  selber,  sondern  auch  in  den  Vorreden, 
die  meist  hochst  schâtzenswerte  Winke  und  Bemerkungen  bieten.  Wer 
aber  beherrscht  denn  aile  dièse  Sprachen  und  Idiome,  Bretonisch  und 
Gadhelisch  neben  Russisch,  Polnisch,  Wendisch  und  Kroatisch,  Neu- 
griechisch  und  Portugiesisch  neben  Finnisch  und  Ungarisch?  Aile  Ge- 
sangsmusik  mit  nationalem  Texte  teilt  dièses  Los:  versteht  man  den 
Text  nicht,  so  lâBt  man  die  Musik  einfach  unbeachtet.  Man  geht  wortlos 
iiber  sie  hinweg  und  zur  sonstigen  massenhaft  aufgehauften  Produktion 
iiber;  bei  der  Uberfiille  des  sonstigen  StofEes  vermiBt  man  das  unbequeme 
Fremde  nicht  im  geringsten  und  keinen  Augenblick. 

So  sehen  Avir  groBe  nationale  Musikergruppen  ganzlich  abseits  und 
auBerhalb  ihrer  engen  Landesgrenzen  unbeachtet  stelien,  obgleich  sie 
Tiichtiges  geleistet  haben.  Die  kiinstlerische  Wirkung  ihrer  Schopfungen 
geht  zum  Schaden  der  gesamten  Tonkunst  unbenlltzt  verloren.  Es  ist 
gar  nicht  abzusehen,  wohin  das  endlich  noch  fiihren  soll,  wenn  nicht  bei 
Zeiten  den  Gefahren  voUiger  Zersplitterung  und  chinesischer  AbschlieBung 
der  Volker  gegeneinander  im  musikahschen  Leben  durcli  zeitgemaBere 
Einrichtungen  begegnet  wird. 

Auf  allen  Gebieten  der  Kultur  und  des  Handels  macht  sich  jetzt 
immer  mehr  und  mehr  ein  unaufhaltsames  Drângen  nacli  internationalem 
ZusammenschluB  bemerkbar.  Das  ist  keine  Mode,  kiinstlich  gemacht 
oder  durch  Zufall  gcworden,  sondern  eine  kulturgeschichtliche  Notwendig- 
keit.  Tiefbegriindet  ist  dièse  Erscheinung  in  der  Avachsenden  Produktion 
aller  Volker,  fiir  welche  die  eng  umschriebenen  nationalen  Absatzgebiete 
nicht  mehr  ausreichen  und  die  mit  zwingender  Folgerichtigkeit  allem 
nationalen  Stolze  zum  Trotze  den  Weltmarkt,  den  internationalcn  Kampf- 
platz  im  Frieden,  anstreben  muB.  Auch  die  Musik  Avird  sich  wohl  oder 
iibel  diesem  Zuge  der  Zeit  anschlieBen  miissen.  Je  cher  sie  es  thut, 
desto  bessor.  Nennt  man  doch  gerado  die  Musik  aui  haufigsten  eine 
internationale  Kunst. 


4  Oskar  Fleischer'  Zum  Geleit. 

In  praxi  liaben  Einzelne  immer  schon  clen  groRen  "Weltmarkt  beniitzt, 
um  sicli  Reichtumer  und  Ehren  zu  erwerben.  Die  groBen  Virtuosen  sind 
allzeit  von  Land  zu  Land  gewandert,  meist  gern  gesehen  und  gut  bezahlt, 
Der  Verkehr  mit  fremdsprachigen  Kunstlern  und  Kritikern,  das  Leben 
und  Streben  in  fremden  Lândern,  die  Kenntnis  der  verscliiedenen  Be- 
dingungen,  unter  denen  die  Musik  zu  wirken  bat,  —  ailes  das  giebt  dem 
weltreisenden  Yirtuosen  einen  internationalen  Anstricli  und  einen  kiinst- 
lerischen  Weitblick,  der  ibn  iiber  den  kurzsicbtigen  und  kleinlichen 
National-  und  Lokalmusiker  hocli  emportragt. 

Wer  sicli  von  der  musikgeschichtliclien  Wichtigkeit  eines  solcben  inter- 
nationalen Musikergeistes  unterricbten  will,  der  gehe  nacli  Weimar  und 
studiere  den  Briefwechsel,  den  Liszt,  die  bedeutendste  modern-internatio- 
nale  Erscheinung,  mit  der  ganzen  geistigen  Elite  seiner  Zeit  gefiihrt  liât. 
Hunderte  von  Mannern,  die  auBerhalb  des  musikaliscben  Bodens  Ruhm 
und  EinfluB  hatten,  fanden  an  seinem  weitsiclitigen  Urteile  Belehrung 
und  Direktive,  und  man  weiB,  wie  Liszt  seine  "Weltstellung  zum  Nutzen 
der  Musik  und  der  Musiker  verwendet  bat. 

Sollten  sich  derartige  Einzelerscbeinungen  niclit  verallgemeinern  lassen? 
Sollte  niclit  dadurcb,  daB  die  Bildung  der  Musiker  sicb  erweitert  und 
vertieft,  aucb  das  Niveau  der  ganzen  Musik  sich  beben,  die  Machtstellung 
und  der  EinfiuB  der  Musik  und  der  Musiker  sicb  mebren,  und  dadurcb 
sicb  die  pekimiàre  Lage  bessern? 

Geben  wir  es  auf,  nutzlos  Nation  gegen  Nation  zu  kampfen.  Die  Musik 
und  ibre  Jlinger  konnen  dadurcb  nur  gewinnen,  niemand  aber  wird  ver- 
lieren.  Anstatt  der  nationalen  Genossenscbaften  wollen  wir  lieber  eine 
wirksamere  Kombination  zu  l)ilden  sucben.  Die  tiicbtigen  und  intelligenten 
Geister  der  Nationen  mogen  sicb  die  Hand  reicben  zu  einem  Bunde  gegen 
die  Einseitigkeit,  die  Kurzsicbtigkeit  und  den  Mangel  an  Bildung  im 
Reicbe  der  Musik,  dann  wird  jeder  Gewinn  des  Einen  nicbt  durcb  einen 
gleicbgroBen  Verlust  des  Anderen  wieder  aufgeboben  Averden.  Wenn  die 
nationalen  Scbrankcn  nicbt  inelir  gleicli  einer  cbinesiscben  Mauer  zwiscben 
den  Volkern  steben,  wenn  aile  Kenner  und  Freunde  der  Musik  Hand  in 
Hand  geben,  ibre  Meinungen  gegenseitig  bericbtigen  und  ausgleicben  und 
ibre  Interessen,  so  individucll  sie  soust  auch  sein  mogen,  docb  soweit  sie 
gemcinsam  sind,  einbeitlicb  und  mit  vereinten  Ki'ilften  verfolgen,  dann 
muB  die  Tonkunst  einen  ungeabnten  Aufscliwung  nelimen,  von  dem  aile 
Angeborige  der  Musik  ibrcni  Vorteil  und  an  dem  aile  Freunde  der  Ton- 
kunst ibre  Freude  babcn  werden.  Dann  erst  erweitert  sicb  der  Wirkungs- 
kreis  der  Musik  zu  ungeabnter  Breite  und  erscblioBt  sicb  in  WirkUcb- 
kcit  der  AVeltinarkt  einem  jeden,  aucb  dem  kleinen  Musiker. 

Das  berbcizufiilu-en  ist  der  Zwcck  der  internationalen  Musikgesell- 
scbaft.    Sie  sielit  es  keineswegs  ab  auf  ein  Aufgeben  der  nationalen  und 


Oskar  Fleischer,  Ziim  Geleit.  5 

personlichen  Besonderheiten  und  Unterschiede  in  der  Musik.  Nichts  wâre 
verfehlter!  Demi  gerade  durcli  solclie  Yerschiedenlieiten  wird  dasjeiiige 
erzeugt,  was  der  Tonkunst  Mannigfaltigkeit  und  Formenfiille  giebt.  Wohl 
aber  soll  der  unniitze  und  schâdliche  Kampf  eines  Jeden  gegen  aile,  der 
nichts  als  Verbitterung  und  Gehassigkeit  in  das  Reicli  der  Harmonien 
trâgt,  gemildcrt  und  soweit  als  moglicli  beseitigt  werden. 

Zweifelnd  wird  wohl  mancher  fragen:  wie  mag  das  geschehen?  Nicht 
wenige  werden  diesem  idealistischen  Gedanken  Unglâubigkeit  und  wohl 
gar  MiBtrauen  entgegensetzen. 

Freilich  durch  Aufrufe  und  Manifeste  wird  hier  gar  nichts  erreicht. 
Aber  es  giebt  zwei  krâftige  Mittel,  die  uns  langsam  dem  ersehnten  Ziele 
zufiihren  konnen:  personlicher  Verkehr  der  bisher  sich  gleichgiltigen  oder 
entgegengesetzten  Kreise  und  grlindliche  Aufklarung  derjenigen  Gebiete, 
auf  denen  eine  gemeinsame  Aktion  flir  aile  moglich  ist. 

Unserm  Zeitalter  des  Verkehrs  kann  es  nicht  schwer  fallen,  solbst 
raumlich  weit  entfernte  Kreise  einander  anzuniihern.  Wenn  sogar  die 
»Proletarier  aller  Lânder«  jetzt  personlich  sich  naher  treten,  —  sollte 
dies  begiiterteren  Kreisen  mit  edleren  und  schoneren  Absichten  weniger 
moglich  sein?  SchlieBen  sich  die  Musiker  und  Musikfreunde  einer  und  der- 
selben  Stadt  mit  ihrer  Umgebung  zu  einer  Ortsgruppe  zusammen,  so  wird 
schon  dadurch  ein  Verein  geschaffen,  der  auf  die  Musikverhiiltnisse  dieser 
Stadt  einen  nachhaltigen  und  heilsamen  EinfluB  ausiiben  muB,  weil  das 
Band,  das  die  Mitglieder  jener  lokalen  Gruppe,  seien  es  Berufsmusiker 
oder  Musikfreunde,  umspannt  hait,  das  denkbar  festeste  im  praktischen 
Leben  ist:  die  gemeinsame  Arbeit  und  die  gemeinsame  Macht.  Noch 
mehr  wird  dièses  Band  befestigt  durch  eine  Vereinigung  sâmtlicher 
Ortsgruppen  zu  einer  Landessektion.  Wie  in  der  Ortsgruppe  die  gemein- 
samen  lokalen  Interessen,  so  kommen  in  der  »Sektion«  die  gemeinsamen 
Landesinteressen  zur  Besprechung  und  Geltung.  Die  nationalen  Landcs- 
sektionen  wiederum  treten  zur  internationalen  Vereinigung  zusammen,  um 
die  verschiedenartigen,  nationalen  Interessen  zu  vergleichen  und  aus  ihnen 
das  allen  Gemeinsame  als  Grundlage  der  einheitlichen  Aktion  herauszu- 
heben.  Nationale  und  internationale  Zusammenkiïnfte  erleichtern  und 
fordern  den  Verkehr  der  einzelnen  Gruppen  untereinander  und  die  Central- 
geschâf tsstelle ,  als  das  amthche  ausfiihrende  Organ,  sorgt  flir  die  Ver- 
wirkhchung  der  gefaBten  Beschliisse  und  giebt  dem  schriftlichen  wie 
mundlichen  personlichen  Verkehre  immer  neue  Anregung. 

Doch  mit  dem  Austausche  personlicher  Meinungen  durch  miindlichc 
oder  schriftHche  Diskussion  allein  ist  zur  Erreiclmng  der  gesteckten  Ziele 
nur  erst  der  Anfang  gegeben.  Nicht  bloB  auf  ihre  eigenen  Kreise, 
sondern  auch  nach  auBen  hin  muB  die  »  Internationale  Musikgesellschaft« 
machtig  wirken,  will  sie   anders   die  allgemeine  Anerkennung  ihrer  Be- 


6  Oskar  Floischei-,  Zum  Geloit. 

strebungen  in  der  "Welt  errino:en.  Durcli  nichts  kann  dies  so  wirksam 
gescliehen,  als  durch  eine  bedeutsame  litterarische  Thatigkeit,  die  auf  aile 
gebildeten  Kreise  Eiïcksicht  nimmt  und  sie  diu'cli  sachlieh  wertvolle  Gast- 
gesclienke  an  sich  bindet.  Denn  was  wâre  die  Musik,  imd  wo  blieben 
die  Musiker,  wenn  sie  sich  nur  an  ihre  Beruf sgenossen  wenden  konnten  ? 
Soll  etwa  ein  Musiker  dem  anderen  zum  Publikum  dienen?  Das  ge- 
bildetste  Publikum  aber  ist  von  jeher  das  beste  gewesen,  und  darum  wird 
sich  die  »  Internationale  Musikgesellschaft*  an  dièses  zuerst  wenden  niiissen, 
will  sie  am  schnellsten  zum  Ziele  kommen. 

Von  jeher  liât  ja  die  Musik  im  Mittelpunkte  des  Interesses  der  gebil- 
deten Welt  gestanden,  wie  keine  andere  Kunst.  Sie  war  durch  das  ganze 
Mittelalter  hindurch  mehr  noch  als  die  Théologie  der  Centralpunkt  der 
Bildung,  die  doch  ausschlieBlich  in  den  Handen  der  Geistlichen  ruhte; 
sie  war  ein  unerlaBliclier  Teil  der  akademischen  Bildung  liberhaupt. 
Selbst  in  der  modernen  Zeit  hat  immer  die  Tonkunst  als  die  gesellschaft- 
lichste  der  Kiinste  und  als  die  eigentlich  hofische  Kunst  gegolten,  und 
Kaiser  und  Konige  verschmahten  es  nicht,  an  musikalischer  Fertigkeit 
mit  Berufsmusikern  konkurrieren  zu  wollen.  Hand  ans  Herz:  spielt  die 
Musik  heutzutage  noch  die  nâmliche  Rolle  ?  Hat  sie  nicht  vielmehr  derart 
von  iln-er  friiheren  Machtstellung  verloren,  daB  jetzt  z,  B.  die  adlige 
Jugend  sich  immer  mehr  und  mehr  von  der  Musilc  ab  und  den  bildenden 
Kiinsten  oder  dem  Sport  zuwendet?  Wo  sind  die  fiirsthchcn  Vcrchrer 
der  Musik  geblieben,  die  sich  friiher  eigene  Kapellen  hielten,  uni  mit 
ihnon  zu  musizieren?  Jene  Zeiten  sind  voriiber,  wo  Beruf smusiker,  wie 
Farinelli  oder  Steffani,  Minister  und  Gesandte  werden  konnten.  Das 
Vcrtrauen  der  maBgebenden  und  gebildeten  Kreise  zu  der  Intelligenz  der 
Musiker  ist  gesunken  und  —  gebcn  wir  uns  keiner  Tauschung  hin  !  —  nur  zu 
oft  mit  Recht.  Die  Anerkennung  der  Besten  unter  den  Gebildeten  der 
Tonkunst  wieder  zu   erringen,    das  muB  unser  unablassiges  Streben  sein! 

Dies  zu  erreichen,  ist  scliwer,  aber  nicht  unmoglich.  Denn  ein  Erb- 
teil  ist  der  Musik  von  glanzenderen  Zeiten  iiberkommen:  eine  Fiille  von 
Bezichungen  zu  den  Wissenschaften,  Avie  sie  auBer  der  ilir  verschwisterten 
Dichtkunst  keiner  der  Kiinste  zur  Vertugung  stelit.  Kaum  eine  der  Wis- 
senschaften steht  auBer  Fiihlung  mit  der  Tonkunst.  So  bildet  eine  der 
wichtigsten  Fragen  in  der  Théologie  die  liturgische  und  geistliche 
]\[usik  in  den  verschiedenen  Religionen;  denn  fast  aile  Formen  der  Gottes- 
verehrung,  selbst  die  primitivsten ,  bedienen  sich  des  Gesanges.  Ganze 
Gebiete  der  Natur wissenschaften  haben  Tonentstehung  und  Ton- 
verhiiltnisse  zum  Gegenstande  ihrer  Betrachtung,  wie  die  Akustik  und 
friiher  die  Astronomie  und  Mathematik.  Die  Medizin  ist  durch  die 
Untersuchung  des  Stimmapparates  und  des  Gehores  eng  mit  der  Musik 
verkniipft;  sie  war  es  friiher  noch  mehr,  als  man  don  Tcinen  einen  auBor- 


Oskar  Fleisehor,  Zum  Geleit.  7 

ordentlichen  EinfluB  auf  Korper  iind  Geist  zuschrieb  imcl  selbst  Greistes- 
krankheiten  durch  Musik  zu  lieilen  hoffte.  Die  Anatomie  der  Hânde  und 
die  Mechanik  des  Atmens  sind  fiir  deii  Arzt  ebenso  wichtig  als  fllr  den 
Musiker.  Die  Litteratiirgeschichte  aller  Volker  ist  ohne  eine  Beriick- 
sichtigung  der  Musik  als  vollkommene  Wissenschaft  gar  nicht  denkbar, 
und  die  Pliilologie  kann  olme  die  musikalischen  Begriffe  von  Metrik 
und  Rliythmik  niclit  wissenscliaftlicli  erschopfend  sein.  Auch  die  pliilo- 
logische  Hilfswissenschaft  der  Palâographie  wird  sicli  auf  die  Dauer  der 
Beachtung  der  besonderen  Eigentiimlichkeiten  musikalischer  Handschriften 
nicht  entzielien  konnen.  Wo  blieben  ferner  die  allgemeine  Kulturge- 
schichte  und  die  Asthetik  ohne  eine  stete  Beachtung  der  Tonkunst  und 
ihrer  eigenartigen  Daseinserscheinungen  und  Lebensbedingungen  ?  Die 
Philosophie  hat  ebenfalls  begonnen,  ihre  Aufmerksamkeit  auf  die  Musik 
zu  lenken  und  hat  in  der  Tonpsychologie  einen  eigenen  Wissenszweig  er- 
richtet.  Die  Pâdagogik  kann  sich  der  Erorterung  der  Beziehungen  der 
Schule  zum  Gesange  und  zur  Tonkunst  nicht  ohne  eigenen  Schaden  ent- 
schlagen.  SchlieBlich  sei  noch  auf  die  Ethnographie  und  Folklore 
hingewiesen,  denen  sich  in  den  musikalischen  Instrumenten,  in  den  Volks- 
liedern  und  Tânzen  eine  reiche  Fundgrube  ihrer  Forschungen  darbietet. 

So  fehlt  es  gewiB  nicht  an  Beziehungen  unserer  Kunst  zu  den  ûbrigen 
Zweigen  des  Geisteslebens.  Tausend  Faden  verkniipfen  die  Musik  mit 
dem  Werdegang  der  Kultur;  sie  bloBzulegen  wird  nicht  nur  unsere 
Pfiicht,  sondern  auch  unser  Vorteil  sein.  Ein  weites,  unendliches  Feld 
offnet  sich  unserer  Thatigkeit,  und  trotzdem  ist  die  Gefahr  gering,  daB 
wir  uns  zersplittern  oder  das  Ziel  unserer  eigentlichen  Aufgabe  aus  den 
Augen  verlieren  konnten,  namlich  die  Hebung  der  Macht  und  des  An- 
sehens  der  Musik  selber.  Denn  ail  jene  Grenzgebiete,  die  die  enge  Ver- 
knlipfung  der  Tonkunst  mit  dem  Geistesleben  vermitteln,  reihen  sich  von 
Natur  rings  um  die  Tonkunst  wie  um  ihre  Konigin  und  umgeben  sie  wie 
bewaffnete  Trabanten  schlitzend  und  wegbahnend. 

Dièse  Trabanten  scheiden  sich  —  um  im  Bilde  zu  bleiben  —  in  schwer 
und  leicht  Bewaffnete.  Unsere  Monatszeitschrift  sammelt  die  leichten 
Volker  der  kleinen  Aufsatze,  der  Referate  und  Kritiken,  der  Notizen  und 
Berichte.  Dièse  sollen  in  erster  Linie  dem  praktischen  Musikleben  ge- 
widmet  sein.  Die  neuen  Erscheinungen  auf  dem  Gebiete  des  Konzert- 
lebens,  der  Oper,  der  Komposition  und  des  Schriftstellertums  werden 
hier  angezeigt,  besprochen,  und  iibersichtlich  registriert.  Auch  das  inter- 
nere  Leben  der  »Internationalen  Musikgesellschaft«  findet  hier  den  Platz 
fiir  sachliche  oder  personliche  Aussprache.  Betritt  die  Wissenschaft  das 
Gebiet  unserer  Zeitschrift,  so  glâttet  sie  ihre  strengen  Falten  und  hidlt 
sich  in  das  freiere  Gewand  anregender  Plauderei  oder  begeisternder  Bered- 
samkeit  ;  was  sie  sonst  in  niuhseligen  und  arbeitsvollen  Studien  und  Untcr- 


8  Oskar  Fleischer.  Zum  Gelcit. 

sucliiingen  gewoiincn  liât,  das  teilt  sie  aiischaiilich  und  in  gaiigbarer  Mlinzc 
dem  praktisclien  Tonkiinstler  mit.  Solche  kurzen  und  in  sicli  abgeschlos- 
senen  Aufsâtze  werden  siclier  ihre  Friichte  bringen,  wenn  sie  z.  B.  wichtigc 
Eragen  von  aktueller  Bedeutung,  wie  die  liber  den  Musikunterridit  an 
Konservatorien ,  Hocbschuien,  Gymnasien  und  in  der  Volksschule  er- 
ortern,  oder  Nacbricht  gel)en  von  Reformbestrebungen  in  der  liturgischen 
Musik  der  verschiedenen  Kulte.  sei  es  in  der  protestantisclien,  der  romi- 
schen  und  griechischen  Kircbe  oder  in  der  Synagoge;  oder  wenn  sie  von 
gliicklichen  Erfindungen  und  Verbesserungen  im  Instrumentenbau  Kundc 
bringen,  oder  sich  liber  Neuerungen  in  der  Notenscbrift  verbreiten  und 
uns  liber  wichtige  wissenschaftliche  Entdeckungen  unterrichten. 

In  den  Sammelbânden  hingegen  tritt  das  schwere  Geschiitz  der  stren- 
gen  Wissenschaft  in  sein  Redit.  Die  Erkenntnis  der  Musik  zu  vertiefen,  un- 
bekannte  Gebiete  der  Musikgesdiichte  aufzuhellen,  weitergreifenden  Unter- 
suchungen  liber  wichtige  Eragen  der  Musiktheorie  oder  des  praktisdien 
Musiklebens  Raum  zu  geben,  und  nidit  zuletzt  ail  jene,  soeben  genannten 
Beziehungen  der  Tonkunst  zu  dem  gesamten  Geistesleben  aufzudecken, 
das  ist  die  Aufgabe  der  Samraelbânde.  Moge  der  praktische  Musiker  und 
der  Musikfreund  nidit  glauben,  daB  dièse  Sammelbânde  ilim  nichts  bieten 
konnten,  weil  er  nicht  selbst  Eorscher  von  Beruf  sei.  Wenn  er  aucli  nicbt 
jede  einzelne  dieser  Abhandlungen  durdistudieren  wird,  so  wird  ihm  doch 
mandie  Anregung  zu  eigenem  Naclidenken  entgegentreten.  In  das  AVerden 
der  Musik  wird  er  hier  manchen  Einblick  gewinnen,  der  seine  Hochaditung 
vor  der  eigenen  Kunst  und  die  Liebe  zum  eigenen  Berufe  vermehrt.  Macht 
er  aber  den  Versudi,  etwas  zu  lesen,  was  ihm  zuerst  schwer  verstandlich 
erscheinen  will,  so  wird  er  bald  an  sidi  merkcn,  daB  es  ihm  geht,  wie 
dem  Musiklaien  mit  ernster  Musik  :  wie  diesem  im  Horen,  so  werden  iluu 
im  Lesen  die  Krafte  des  Verstandnisses  wachsen. 

Ereilidi  wollen  wir  nicht  zu  viel  versprechen.  Thoricht  ist,  wcr  da 
meint,  daB  man  lieute  einen  Baum  pflanzen  und  morgen  schon  Friichte 
von  ihm  pfliïcken  konne.  Jahrelanger  Arbeit  wird  es  bediirfen,  ehe  wir 
auch  nur  einen  Bruditeil  unseres  Strebcns  erfiillt  sehen  Averden.  Wir 
tuhlen  es  schon  jetzt,  mit  welch  schwercr  Mlihe  und  Verantwortung  wir 
unsere  Schultern  freiwillig  belastet  haben  ohne  einen  anderen  Lohn  als 
den,  welchen  eine  gethane  Arbeit  im  Dienste  einer  Gesamtheit  gewjihrt. 

Aber  gewiB  ist  es  auch,  daB,  um  Friichte  zu  ernten,  der  Baum  ge- 
pflanzt,  gehegt  und  gepflegt  Averden  muB  ;  denn  der  Wildlinge  liât  gerade 
das  Musikleben  der  Gegenwart  nur  zu  vide.  Doch  eben  dies  iJiBt  uns 
hoffen,  daB  es  unserem  Streben  nicht  an  freundlichen  Helfern  fchlen 
wird,  die  durch  Mitarbeit  oder  wohlwollende  Nachsicht  mit  unseren 
Sclnviichen  das  Werk  der  »Internationalen  Musikgesellschaft<^  zu  einem 
Allgemeingut  unseres  Standes  ausgestalten.  Oskar  Fleischer. 


Charles  Maclean,  Music  in  England. 


Music  in  England. 


An  account  of  the  expired  London  musical  seasoii,  with  a  gênerai 
survey  of  the  présent  state  of  music  in  England?  To  do  that  in  one 
report  would  indeed  he  a  Muse-rivalling  feat  for  whicli  one  must  expect 
tlie  fate  of  Thamyris  or  of  the  nine  daughters  of  the  Macedonian  Pierus. 
The  writer  will  confess  his  inability,  and  merely  offering  a  prayer  to 
Cleio,  will  i^roceed  in  the  hopes  that  in  the  course  of  a  narration,  means 
may  be  found  for  making  it  something  just  beyond  a  bare  inventory  or 
»terrier«.     And  most  certainly  as  much  will  be  found  left  out  as  said. 

London  Season. 
The  London  Season  of  the  fashionable  and  rich  is  only  some  10  weeks 
in  the  early  summer  months  of  May,  June,  July.  The  Grand  Opéra 
season  at  Covent  Garden  agrées.  The  season  of  gênerai  concerts  is 
from  about  1^*  Sep  tomber  to  about  HOti»  June,  deducting  in  the  middlc 
one  month  after  Christmas  Day.  The  académie  teachers,  who  are  at 
least  a  nether  grindstone,  work  in  three  terms  of  about  12  weeks  each, 
witli  16  weeks  altogether  of  holiday  interspersed.  The  music  of  London 
therefore  goes  on  nearly  ail  the  year  round.  However  no  doubt  tliere 
is  a  particular  pressure  of  it  from  Mardi  to  June  inclusive,  Avitli  a  few 
derelicts  in  July.  And  this  spring  season  is  when  most  of  the  foreign 
artists  come  over;  whereas  they  would  receive  mucli  more  attention  from 
Public  and  Press,  if  they  came  at  any  other  time. 

Covent  Garden. 

At  Covent  Garden  (in  common  town  jjarlance  »the  Garden*  and  once 
the  garden  of  tlie  Abbot  of  Westminster)  is  tlie  only  lirst-class  opera- 
house  in  London;  though  old  Drury  Lane  théâtre  and  several  of  tlio 
newer  buildings  can  take  minor  companies.  The  ownersliip  of  Covent 
Garden  opéra  has  till  this  year  been  a  quadrilatéral.  First  the  ground 
landlord,  the  Duke  ofBedford,  who  20  years  hence  will  absorb  the 
whole  property  ;  secondly  the  lessee  of  the  ground  and  the  théâtre  and  its 
contents  and  properties,  Mr.  Faber;  thirdly  a  syndicate,  whether  so-callcd 
or  not,  who  from  year  to  year  hâve  j)rovided  the  subscription  amount 
or  capital  necessary  for  hiring  the  bouse  for  the  opéra  season  and  for 
giving  the  entertainments  ;  fourthly  this  syndicate's  manager,  who  engages 
the  singers  and  is  subject  to  their  control,  responsible  for  the  entertain- 
ments, the  powerful  Sir  Augustus  Harris  for  12  years  from  1884  and 
since  his  death  in  1896  Mr.  Maurice  Grau.    Covent  Garden  opéra  could 


10  Charles  Maolean,  Music  in  England. 

not  exist  witliout  tlie  subscription-list,  otherwise  seasonal  contract  to  take 
up  the  best  seats  in  the  house  at  higli  priées  entered  iiito  by  the  wealtliy 
to  follow  fashion.  Under  this  organization  three  results  ensue;  the  best 
singers  in  the  world  are  procured  and  from  ail  nationalities,  tlie  cboice 
of  optu'a  is  in  tlie  main  that  of  the  upper  classes,  the  opéra  is  nearly 
always  sung  in  a  foreign  language.  Looking  to  i)roperties  and  traditions, 
the  permanent  répertoire  is  about  the  following:  —  Africaine,  Aïda,  Ballo 
in  Maschera,  Barbiere,  Carmen,  Cavalleria,  Don  Giovanni,  Ernani,  Falstaft, 
Faust,  Favorita,  Figaro,  Flying  Dutchman,  Hamlet,  Huguenots,  Lohen- 
grin,  Lucia,  Manon,  Marta,  Mefistofele,  Meistersinger,  Mignon,  Navarraise, 
Orfeo,  Otello,  Pagiiacci,  Philémon,  Prophète,  Rigolctto,  Romeo,  Semira- 
mide,  Siegfried,  Tannhâuser,  Traviata,  Trovatoré,  Walklire.  A  secondary 
list  of  less-used  opéras  would  be:  —  Amico  Fritz,  Cid,  Dinorah,  Fidelio, 
Freischiitz,  Gioconda,  Linda,  Mirella,  Norma,  Oberon,  Pêcheur  de  perles, 
B/ienzi,  Tell,  Werther.  After  this  everything  may  be  regarded  as  specially 
raounted.  Tlie  théâtre  bas  been  built  40  years,  and  the  arrangements 
l)ebind  the  curtain  bave  liitherto  been  much  out  of  date,  conse(j[uent  on 
the  short  leasing;  with  inadéquate  space  for  the  storage  of  scenery, 
conse(|uent  on  the  abandonment  of  the  Floral  Hall  side-building.  Such 
bave  been  the  gênerai  conditions.  At  the  beginning  of  this  year  after 
hésitations  a  formally  and  permanently  constituted  »  Grand  Opéra  Syndi- 
cate«  raised  capital  and  purchased  for  £  110000  Mr.  Faber's  complète 
rights  for  the  remaining  20  years  of  bis  lease,  and  began  opérations  as 
l)ublic  entertainers  with  a  working  capital  of  £  85000,  still  relying  of 
course  on  the  society  subscription-list.  Mr.  Grau,  the  gênerai  manager, 
having  simultaneously  obtained  a  4-year  lease  of  the  New  York  Metro- 
politan opéra,  the  same  singers  could  be  employed  there  and  hère,  wliich 
perhaps  offered  some  conveniences.  A  first  step  at  Covent  Garden  was 
to  appoint  Mr.  E.  0.  Sachs,  author  of  the  large  i)late-book  >Moderu 
Opéra  Houses  and  Théâtres  «,  to  be  engineer  and  manager  of  the;  stage 
mechanism;  an  appointment  never  yet  made  in  a  London  théâtre.  The 
opéra  season  ran  from  May  8"'  to  July  24"^''.  Conductors,  Mottl,  Muck 
(new),  Mancinelli,  Flon.  Muck  won  golden  opinions.  But  the  (ierman 
conductors  bave  slowcr  tempi  than  the  English  are  accustomed  to.  Need- 
less  to  give  an  exhaustive  list  of  singers.  It  contained  :  —  IMelba,  Brema, 
Nordica,  Schumann-Heink,  Gadski  (new),  Bavogli,  liilli  Ijehmann  (reap- 
pearance),  Héglon  (new),  Litvinne  (new),  Susan  Strong,  Suzanne  Adams, 
Jean  de  lleszke,  Alvarez,  Van  Dyck,  Bispham,  Scheidemantel  (new), 
Edouard  de  lleszke,  Plangon,  Van  E-ooy.  Négociations  failed  with  Calv^, 
Eames,  and  Ternina.  Jean  de  Reszke  played  till  21^*^  June  only,  and 
was  replaced  by  Alvarez  from  Paris  (not  to  be  confounded  as  by  some 
with  Max  Alvary  who  died   distressingly  last  November).     Melba  sang 


Cliar^es  IVIaclean,  Music  in  Eiiglaiid.  11 

seldom  and  did  not  keep  ail  lier  engagements.  The  3  above-mentioned 
new  lady-singers  were  eacli  liighly  commendable,  especially  Frau  Gadski 
in  Wagnerian  parts.  The  opéra  given  were:  —  Aïda  4  times,  Bohème  4, 
Carmen  5,  Gavalleria  3,  Chalet  1,  Don  Giovanni  3,  Ero  e  Leandro  1, 
Faust  7,  Fidelio  1,  Flicgender  Hollânder  2,  Huguenots  2,  Lohengrin  6, 
Lucia  2,  Meistersinger  2,  Messaline  3,  Norma  2,  Pagliacci  4,  E,igoletto  1, 
Romeo  et  Juliette  5,  Tannhauser  5,  Tristan  4,  Walkure  3.  Singers 
exercise  some  choice,  but  the  above  is  a  fair  index  to  prevailing  London 
opéra  taste.  The  three  years  old  »Bohème«  for  the  first  time  in  London 
in  Italian,  Melba  as  Mimi;  its  tender  and  homogeneous  beauty  won 
immédiate  acceptance.  Adam's  brisk  »Le  Chalet«  was  produced  at  the 
indirect  instance  of  the  Queen;  would  that  there  were  more  such  autho- 
ritative  revivais!  »Norma«,  last  heard  hère  in  1887  and  1890,  was  pro- 
duced for  Frau  Lehmann.  The  music  was  vehemently  attacked  in  part 
of  the  press;  not  a  worthy  attitude  to  take  toM^ards  that  great  master, 
or  to  the  Neapolitan  school  without  which  modem  opéra,  Wagner  in- 
cluded,  would  never  hâve  existed.  »  Tannhauser  «  and  »  Meistersinger* 
were  transferred  to  the  German.  Isidore  de  Lara's  »Messaline«  was  the 
novelty,  and  was  considered  a  poor  art-production  gorgeously  trapped  ;  the 
music  is  a  mixture  of  Massenet  and  Verdi  at  his  penvdtimate  stage,  with 
the  différence  that  Verdi  would  hâve  used  up  ail  the  material  in  6  of 
his  pages  ;  the  4'^  Act  lias  some  vigour  ;  this  Spanisli-born  composer  long 
lived  in  England,  but  the  work  lias  no  connection  of  any  sort  with  British 
art.  The  staging  was  among  the  finest  ever  seen  at  Covent  Garden,  and 
the  composer  niust  be  well  supported.  The  features  of  the  Covent  Garden 
season  were  a  great  improvement  in  scenery  and  lighting,  an  average  choice^ 
of  opéras,  fair  punctuality  by  the  management,  and  the  maintenance  of 
pure  vocalism  by  Melba  and  Jean  de  Reszke. 

National  Opéra. 

This  year  illustrâtes  at  once  the  jeapardous  position  and  the  aspirations 
of  English  national  opéra.  That  means  finally  opéra  composed  to  English 
words  by  Englishmen,  but  as  a  step  towards  that  end  foreign  opéra  siing 
in  English.  Opéra  in  either  of  thèse  classes  has  liad  the  slightest  possible 
attraction  for  Covent  Garden  subscribers.  Drury  Lane  and  Lyceuni 
audiences  hâve  been  more  amenalile.  Deducting,  however,  Sullivan's 
enormously  successful  séries  of  farcical  operettas  at  the  Savoy  etc.  (1807 
to  date),  Sullivan's  serions  opéra  »Ivanhoe«  at  the  late  small  Royal 
English  Opéra  House  (1891),  and  Stanford's  L-ish  Operetta  »Sliamus 
g'  Brien*  at  the  Opéra  Comique  (1896),  it  is  believed  that  no  English- 
sung  opéra  has  drawn  money  at  a  real  profit  in  central  London  for  the 
last  50  years.      Cheap   companies   touring  in    the   suburbs   or  provinces 


J2  Charles  Maclean,  IMusic  in  Eiiofland. 

have  been  the  alternative;  wlience  the  Pyne-Harrison  Company  (1856 — 
1862),  Cari  Rosa  (1875  to  date),  Moody-Manners  (1890  to  date),  etc. 
But  increasing  demands  by  even  provincial  audiences  have  forced  down 
the  profits.  This  year  has  probably  seen  the  extinction  of  the  excellent 
Cari  Rosa.  A  provincial  »  National  Grand  Opéra  Company*  began  well 
last  January,  but  failed  soon  after.  The  Moody-Manners  alone  by 
prudence  still  holds  the  field.  Justly  stung  by  thèse  results,  and  justly 
l)elieving  that  to  présent  people  witli  opéra  in  tlieir  own  language  is  the 
most  rational  of  proceedings,  while  there  exists  abundance  of  clever 
English-speaking  singers,  and  even  some  native  composing  talent;  certain 
influential  persons  representing  medicine,  law,  science,  literature,  painting, 
sculpture,  the  drama,  and  music,  have  lately  tried  to  rouse  the  metropolis 
to  a  new  and  concentrated  effort.  Application  has  been  made  to  the 
County  Council,  otherwise  Metropolitan  sub-Parliament,  to  give  from 
public  funds  (a)  a  newly  built  opera-house  exactly  suited  to  English  opéra 
conditions,  (b)  an  annual  subsidy  towards  the  same  for  working  expenses. 
That  body  have  replied  not  discouragingly  but  in  terms  lacking  définition. 
The  above  means  at  the  very  least  a  quarter  of  a  miUion  of  money.  It 
will  be  a  pity  if  we  corne  to  this,  for  it  is  contrary  to  our  spirit.  The 
British  democracy  does  occasionally,  without  knowing  what  it  is  about, 
swing  round  and  ask  for  Government  support  and  control  ;  but  -with  small 
exceptions  we  obtain  ail  our  results  by  ruhng  ourselves,  thinking  for 
ourselves,  providing  for  ourselves.  And  the  distinction  made  between 
»state«  and  »municipal«  is  little  more  than  a  juggle  of  words;  the  pro- 
ceeds  of  taxation  are  equally  such  whatever  the  area  of  collection  and 
whether  the  control  is  centralized  or  decentraHzed,  aud  the  real  issue 
lies  of  course  between  public  taxation  and  private  investment.  The  proper 
course  undoubtedly  is  to  promote  a  limited  company;  in  the  usual  English 
fashion,  but  with  such  internai  safe-guards  as  would  prevent  its  capital 
either  being  the  subject  of  spéculation  or  being  administered  by  cliques. 
Thèse  checks  are  feasible.  Such  a  company  would  have  two  alternatives  ; 
with  a  large  capital  to  lease  a  site  wliich  the  County  Council  says  that 
they  will  reserve  for  them  and  build  tliereon,  with  a  smaller  capital  to 
utilize  Covent  Garden  whicli  is  now  in  the  hands  of  a  body  with  a  20-year 
lease.  A  comparatively  minor  event  has  occurrcd  this  year,  which  may 
yet  have  some  bearings  on  the  above  question;  chiefly  owing  to  the  well- 
earned  influence  which  the  Principal  Mr.  W.  H.  Cummings  has  acquired, 
the  Cori)orati()n  of  London  has  granted  £  22000  for  building  a  théâtre 
annexe  to  its  «Guildhall  School  of  Music  «.  Whatever  else  happens,  this 
will  make  more  hungry  mouths  outside  the  stage-door. 


Charles  Maclean,  Music  in  England.  13 

Philharmonie. 
The  London  Pliilliarmonic  Society  succeeded  after  a  gap  Salomon's 
concerts  (last  décade  of  18'-'^  century),  and  its  history  is  really,  leaving 
aside  tlie  more  modéra  Crystal  Palace,  a  90-year  history  of  the  orchestra 
in  London.  As  to  conductors  from  abroad;  "Weber  conducted  1  concert 
hère  in  1826,  Mendelssohn  1  concert  in  1833  half  a  season  in  1844  and 
1  concert  in  1847,  Spohr  2  concerts  in  1843,  Wagner  1  season  in  1855, 
Dvorak  1  concert  in  1884,  Svendsen  2  concerts  in  1888.  Otherwise  the 
conductor  has  always  been  a  résident  musician;  and  with  the  exception 
of  Costa,  always  an  Englishman.  For  the  first  24  years  of  avowed  con- 
ductorshi]),  1820  to  1843,  the  office  was  assigned  from  concert  to  concert; 
and  Cramer,  Gr.  Smart,  Attwood,  Bishop,  Cipriani  Potter,  Clementi, 
Moscheles,  Lucas  etc.  divided  it  between  them.  Mendelssohn  broke  tins 
tradition  by  his  half-season  in  1844.  Prom  1846  the  conductorship 
(excepting  in  1884  after  Cusins's  résignation)  has  been  held  continuously, 
thus  in  chronological  order:  —  Costa  9  years,  Sterndale  Bennett  11, 
Cusins  17,  Sulhvan  3,  Cowen  5,  Mackenzie  7.  Mendelssohn  brought  the 
first  breath  of  living  inspiration  to  the  conductorship,  and  with  liis  personal 
charm  in  the  orchestra  and  command  of  the  public  saved  the  society  at 
a  drooping  crisis.  Wagner,  alas,  nearly  wrecked  it,  being  rough  and 
intemperate  ;  it  is  pitiable  to  think  what  might  not  hâve  been  the  différence 
to  music  in  England  but  for  this  small  matter  of  tempérament  ;  supposing 
lie  had  made  this  his  exile  instead  of  Zurich!  Sir  Alexander  Mackenzie 
has  this  year  resigned  the  conductorship  in  order  to  find  more  time  for 
composition,  and  his  successor  will  jirobably  be  appointed  about  the  time 
that  thèse  lines  appear  ;  an  immense  responsibility  lies  with  the  directors. 
The  organization  is  this:  —  (a)  100  non- prof essional  Pellows,  who  re- 
present  only  a  money  contribution,  (b)  a  number  of  Associates,  professional, 
unlimited  by  rule,  who  obtain  that  position  individually  by  nomination 
and  élection  at  gênerai  meeting,  (c)  a  central  body  of  Members,  limited 
to  60,  who  recruit  their  numbers  as  vacancies  arise  by  similar  élection 
from  among  the  Associates,  (d)  7  Directors  elected  annually  by  Members, 
(e)  a  Conductor  appointed  by  Directors.  The  administration  from  base 
to  apex  is  thus  in  the  hands  of  professional  musicians.  Rival  concert- 
schemes  are  mostly  in  the  hands  of  impresarii.  A  large  principle  lies 
hère  involved.  Past  landmarks  of  interest  in  performance  etc.  are  thèse  :  — 
1814,  symphony  overture  and  vocal  pièce  bought  from  Cherubini  for 
£  200;  1815,  Cherubini  appeared  with  Anacreon  and  other  works,  3  over- 
tures  bought  from  Beethoven  for  £  75,  and  £  200  voted  for  trial  a  new 
Works;  1817,  offered  £  300  to  Beethoven  to  appear  with  2  new  symphonies, 
but  he  did  not  come;  1820,  Spohr  came  over  and  introduced  the  bâton; 


14  Charles  Muclean,  Music  in  England. 

1 825,  Beethoven's  9*^''  Symiiliony  performed,  for  whicli  X.  50  paid,  and  not 
played  again  for  12  years;  1826,  Weber's  visit  and  death;  1827,  sent 
£  100  to  Beethoven  in  liis  last  illness,  and  first  appearance  of  Liszt; 
1829,  Mendelssohn  came  witli  C  minor  synipliony;  1831,  Spohr's  Last 
Judgment;  1833,  Bennett's  début  witli  concerto  in  E  tiat;  1841,  Berlioz' 
niusic  first  donc  in  England,  Benvenuto  Cellini  overture,  and  disKked, 
though  now  it  seems  very  clear;  1844,  Mendelssolin's  conductorsliip, 
and  first  appearance  of  Joacliim  aged  13;  1847,  Beetlioven's  Mass 
in  C;  1852,  Hiller's  first  appearance,  Avith  Ln  Freien  symphony;  1853, 
Berlioz  invited  and  brought  Harold,  Carnaval  Romain,  and  an  air  from 
Holy  Family,  which  applauded  by  public,  but  critics  differed;  1854, 
Schumann's  B  flat  symphony,  not  appreciated;  1855,  Wagner's  music 
first  donc  by  society,  Lohengrin  sélection  and  Tannhâuser  overture,  the 
public  divided;  1855,  Schumann's  Paradise  and  Péri  introduced  to 
England,  sung  by  Jenny  Lind;  1857,  Rubinstein  first  played;  1867, 
Sullivan's  Marmion  overture;  1871,  Wagner's  Rienzi  overture;  1872, 
Brahms  Sérénade  in  D;  1873,  Brahms  Requiem;  1877,  Brahms 
0  minor  symphony;  1879,  Rubinstein  Océan  symphony;  1880,  from  tins 
year  Avorks  of  less-known  English  composers  are  gradually  introduced; 
1881,  Berlioz  Romeo  et  Juliette,  twicc;  1882,  Rubinstein  Paradise 
Lost,  not  approved,  but  the  Philharmonie  is  not  an  oratorio  audience; 
1883,  on  Wagner's  death  are  performed  Flying  Dutchman,  Meister- 
singer  and  Tristan  overtures,  Valkyrie  ride,  and  Good  Friday  music, 
much  the  same  sélections  that  now  prevail;  1885,  Moszkowsky's 
Johanna  d'Arc,  first  appearance  hère  of  a  symphonie -poem  so-called; 
1888,  Tschaikowsky  String  Sérénade  etc.,  the  Wagner  Siegfried  Idyll, 
S  y  ends  en  symphony  in  D.  The  Philharmonie  more  fairly  represents 
the  average  English  taste  than  any  other  institution.  Its  two  mottoes 
may  be  fesUitatio  tftrda,  and  sat  cito  .si  sat  hcue  (it  is  sufficiently  quick 
if  it  is  sufficiently  well);  if  it  bas  never  forced  the  pace,  so  it  has  never 
acted  as  boot  on  the  wheel.  The  nu)st  noticeable  exécutants  tins  last 
season  were  Dohnânyi  (Liszt  E  fiât  concerto),  Leonora  .lackson 
(Mendelssohn  violin  con(;erto),  Joachim.  The  first-named  young  Hungarian 
brought  over  by  Richter  without  encomium  had  already  achieved  an 
immédiate  success,  especially  in  Brïdnns  playing.  Leonora  Jackson, 
an  American  violinist  trained  in  Berlin,  lias  a  firm  withal  dashing  style, 
.luachim  came  over  to  take  the  place  of  Paderewski,  who  at  the  last 
hour  disappointed  directors,  proceeding  to  Poland  to  be  married;  the 
latter  was  to  hâve  played  a  new  concerto  by  Cowen.  The  composer 
Rachmaninof  f  appeared  with  his  orchestral  Fantasia  in  E,  a  very  extrême 
cas(»  of  colour  Avithout  music;  but  he  conducted  in  magisterial  and  most 
effective  manner.    Richard  Strauss  brought  his  »Tod  und  Verkliirung*, 


Charles  Maclean.  Music  in  England.  15 

wliich  satislied  unly  a,  siuall  section  uf  tlic  audience.  Martucci  brouglit 
his  D  ininor  Symphony;  it  bas  something  the  manner  of  Brahms,  witli  a 
little  of  Tschaikowsky,  and  an  évident  tliougli  sliglit  veneer  of  Italian; 
if  not  absolutely  original,  it  is  mucli  more  so  than  most,  and  is  a  re- 
freshing  novelty,  intellectual  and  sympatlietic.  Coleridge  Taylor,  a 
élever  yoimg  West  Indian  African  liere  naturalized,  produced  his  Or- 
chestral Ballad.  He  seems  by  his  successive  works  to  reflect  several 
styles  and  still  to  be  in  search  of  one.  His  most  individual  Avork  hitherto 
bas  been  »Hiawatha's  Feast«,  from  Longfellow.  He  will  apparently  now 
push  this  American -Indian  vein.  This  young  African  bas  a  pleasing 
almost  Beethovenish  face,  and  the  case  is  remarkable.  Edward  Grer- 
man's  »Much  Ado  about  Nothing«  overture,  music  of  the  théâtre- entracte 
class,  would  probably  bave  been  heard  to  better  advantage  in  another 
class  of  programme;  he  is  a  comparatively  new  writer;  his  forte  is  a 
very  musicianly  development  of  quaint  English  measures,  and  he  bas 
given  a  solidarity  to  English  light  music  which,  Sullivan  always  apart, 
it  never  had  before. 

Other  Concerts. 

The  Crystal  Palace  music  being  next  in  anti(piity  and  importance 
should  next  be  mentioned,  but  as  its  autumn  season  of  Saturday  concerts 
is  just  at  hand  this  may  be  adjourned.  An  organization  pressing  hard 
its  elders,  and  for  the  moment  eclipsing  ail  others  in  popularity,  is  the 
Queen's  Hall  music  under  the  entrepreneur  Robert  Newman.  This  takes 
the  form  at  différent  parts  of  the  year  of  daily  evening  Promenade  Con- 
certs, so  called  because  in  the  area  there  are  no  seats,  but  in  fact  the 
audience  is  too  dense  to  promenade  ; .  Saturday  af  ternoon  Symphony  con- 
certs; Sunday  afternoon  gênerai  concerts;  a  yearly  »London  Festival <- 
of  concerts  twice  daily  for  a  week  or  two;  extra  concerts.  Queen's  Hall 
opened  25*^  November  1893.  In  the^arge  and  small  rooms  there  were 
about  250  concerts  the  first  season,  about  500  concerts  each  season  since. 
The  Queen's  Hall  orchestra  started  in  the  second  season  with  9  concerts, 
and  bas  had  about  100  concerts  each  season  since.  Sunday  music  begun 
tins  last  season.  Robert  Newman  bas  shown  great  resource  and  instinct 
in  attracting  the  public,  and  in  5  years  bas  fairly  ereated  a  passion  for 
orchestral  music  among  the  middle  classes  of  London.  The  popular  tastc 
in  England  bas  hitherto  gone  to  oratorio,  because  a  large  section  of  the 
population  bave  good  voices  and  like  to  hear  themselves  sing.  This  newcr 
taste  is  tbat  of  people  who  bave  no  part  or  interest  in  the  music  except 
that  it  intrinsically  rouses  their  enthusiasm,  and  who  at  the  Promenades 
will  even  stand  for  hours  with  utmost  patience  to  listen  to  it.  No  one 
can  foresee  the  end  of  this  or  its  effect  on  the  national  art.     The  pro- 


16  Charles  Maclean,  Music  in  England. 

grammes  are  in  merit  going  iip  and  not  down.  Tlie  modem  Russian 
scliool  has  been  largely  indented  on.  In  an  eqiial  degree  Wagner.  An 
orchestra  of  about  100  playing  thus  nearly  daily  for  the  best  part  of  a 
twelvemonth  has  given  the  conductor  Henry  Wood  an  opportunity  which 
lie  has  very  splendidly  used,  and  it  Avould  be  hard  to  find  superlatives 
too  strong  to  attach  to  the  excellence  of  the  performances.  This  orchestra 
often  yields  that  phenomenon  observable  only  when  a  great  number  of 
instruments  are  in  accord  physically  and  spiritually,  the  illusion  as  if  a 
large  human  voice  was  singing  in  the  inner  parts;  it  is  not  the  horns, 
but  the  totality  of  the  singing  parts  sustained  by  perfectly  balanced 
harmonie  work.  Robert  Newman  brought  out  Perosi  this  year  in  three 
of  his  oratorios,  the  composer  however  not  coming  to  London.  There 
was  a  sensé  of  disappointment,  and  probably  the  introduction  was  made 
in  the  wrong  place.  The  Queen's  Hall  audiences  are  accustomed  to  the 
extrêmes  of  platform  effect.  But  for  ail  that  the  music  is  founded  on 
the  bed-rock  of  the  magniiicent  incontestable  church  style,  and  those  who 
scoffed  did  wrong.  The  merit  may  be  not  the  composer's  but  that  of 
the  style;  still  the  merit  was  there.  Perosi  is  not  a  musical  genius,  and 
it  is  improbable  that  lie  will  develop  or  change  his  style;  it  may  be  said 
then  that  liis  music,  greatly  though  it  has  advantaged  his  own  country 
in  being  purer  than  the  ordinary  current  taste,  will  be  very  little  heard 
again  in  Protestant  England.  The  Viennese  said  it  was  refectory  music. 
Richter's  London  concerts,  hrst  initiated  by  the  viohnist  Hermann  Frunke 
hâve  been  running  21  years.  The  leading  violin  is  now  Ernst  Schiever, 
chorus-master  Theodor  Frantzen,  programme-commentator  C.  A.  Barry. 
This  season  was  pro-Russian.  Rimsky-Korsakoff's  >Scheherazade«,  Gla- 
zounoff's  6^^  Symphony,  Tschaikowsky's  »Hamlet«  overture.  Berlioz' 
»Harold«  was  added.  Edward  Elgar's  14  Variations  on  an  original  thème 
were  played.  For  the  thème,  it  is  scarcely  lyric,  and  the  cardinal  feature 
or  alternation  between  tonic  minor  and  major  is  of  doubtful  beauty.  For 
the  variations;  the  masters  hâve  secured  unity  in  such  by  resemblances 
of  melody  or  of  tonal  working  or  of  lengtli  of  period,  or  sometimes  by 
their  combination;  but  thèse  variations  are  so  wholly  free  that  they  can 
barely  be  said  to  keep  those  principles  in  view  at  ail;  to  take  only  period, 
not  2  out  of  the  15  movements  in  the  least  resemble  one  another.  Still 
Elgar  deserves  honour  for  working  out  lus  own  style,  and  if  he  can 
persuade  the  public  to  assimilate  a  virtually  new  form  so  much  the  better. 
He  is  a  masterly  wiclder  of  the  orchestra  for  his  own  purposes.  Sieg- 
fried Wagner's  »Barenhauter«  overture  was  considercd  an  unpretending 
génial  work.  Brahms'  4''*  Symphony  was  given  (also  at  the  Philharmonie 
and  Crystal  Palace);  the  order  of  their  ])opularity  in  England  luis  hitherto 
been  2"'^,  l*'*,  S-""^,  4"',  with  a  strong  leaning  to  the  2'"i;  everything  shows  that 


Charles  Maclean,  Music  in  England.  17 

there  soon  will  be  a  strong  awakening  hère  to  Brahms.  W.  H.  Thorley, 
an  Englishman  of  micldle  âge,  gave  an  orchestral  concert  of  his  own 
Works;  Schumannesque  music,  but  clecidedly  powerful;  »Der  Tod«,  a 
scena  for  bass  voice,  was  a  fine  production.  Fritz  Delius  gave  such 
another  concert  conducted  by  Alfred  Hertz  of  Breslau,  the  music  being 
quite  post-Wagnerian  and  exciting  controversy.  Chief  works,  Fantasia 
»Over  the  hills  and  far  away«.  Légende  for  violin  and  orchestra,  Suite 
»Folkeraadet«  (part),  Symphonic-poem  »Tlie  dance  goes  on«,  Scena  »Also 
spracli  Zarathustra«,  opéra  »Koanga«  (excerpt).  This  young  composer 
])orn  and  brought  up  in  England,  but  a  German  or  Norwegian  educated 
at  Leipzig  and  Paris,  lives  now  in  France.  He  is  an  ambitions  and 
strong  exponent  of  the  newest  German  dramatic  and  orchestral  style. 
Wagner's  »Liebesmahl«  done  under  Costa  at  Birmingham  Festival  of 
1876,  Avas  revived  this  year  by  the  Royal  Choral  Society,  the  largest 
regular  choral  society  in  this  country,  conductor  Sir  Frederick  Bridge, 
at  the  Albert  Hall;  and  the  effect  on  the  audience  was  immense.  It  was 
well  to  show  that  Wagner  could  grasp  ail  styles  that  he  undertook  Avith 
equal  power  and  beauty.  The  same  society  gave  this  year  Handel's 
»Messiah«  without  any  additional  accompaniments  ;  and  the  simpler  effects 
were  quite  adéquate,  if  indeed  they  were  not  préférable.  Hère  as  every- 
where  there  is  a  party  of  purists  who  wish  to  take  old  scores  in  their 
exactitude,  and  an  opposite  party  who  wish  to  give  the  music  its  utmost 
in-lying  effect  however  that  is  done.  As  it  happens,  in  this  case  both 
parties  should  bave  been  satisfied.  But  then  the  reason  was  that  there 
was  an  enormous  hall,  an  enormous  choir,  and  a  fine  organ  to  do  the 
filling-in.  No  gênerai  argument  can  be  drawn.  Mozart's  accompaniments 
were  written  for  smaller  halls,  and  places  where  there  was  no  organ. 
Probably  this  matter  of  accompaniments  for  Handel  turns  on  the  organ 
question.  As  to  the  further  matter  of  dynamic  balance,  Prof  essor  Prout 
and  others  hâve  not  ceased  to  point  out  that  in  Handel's  own  perform- 
ances (or  some  of  them)  the  instrumentalists  were  to  the  chorus  as  3  to  2  ; 
a  realistic  revival  therefore  would  absolutely  invert  modem  circumstances, 
where  the  corresponding  figures  are  something  like  1  to  7.  Truly  if  one 
tries  to  escape  from  the  living  19'^  and  almost  20'^  century,  one  is  beset 
with  difficulties  ;  and  is  not  the  happy  valley  of  Amhara  the  day  in  which 
we  actually  exist?  The  opinion  of  the  writer,  for  what  it  is  worth,  is 
that  we  should  realise  our  own  modernity,  that  it  is  better  to  level  up 
music  (in  externals)  than  to  level  down  our  own  sensibilities,  that  we 
should  not  hesitate  to  make  those  modifications  (in  externals)  to  which 
composers  would  infallibly  hâve  assented,  and  which  they  would  even  hâve 
craved  themselves.  The  Worcester  Festival,  just  taken  place,  performed  a 
sacred  cantata  »Hora  Novissima<'  by  H.  W.  Parker  of  Boston,  America, 
z.  d.  I.  M.    L  2 


18  Charles  Maclean.  Music  in  England. 

A  suave  com2)Osition,  not  a  note  out  of  place,  not  a  difficulty  introduced 
wliicli  could  clieck  sound,  not  a  vocal  effect  lost  tliat  could  be  made, 
the  fugued  clioruses  admirably  constructed,  ail  tlie  part-writing  good, 
some  of  the  solo  "work  coiitaining  real  2)lacid  beauty.  On  tlie  other  side, 
ail  the  individualities  tliose  of  Dvorak,  and  the  work  as  a  whole  not  strong. 
To  sum  up,  a  meritorious  work,  which  the  Festival  did  itself  honour  by 
making  cross  the  Atlantic.  Next  after  »Messiali«  and  »Elijah«  it  secured 
the  largest  attendance.  A  Beethoven  symphony  in  cathedral  aisles  showed 
tliat  this  is  the  true  gold  of  miisic.  Spohr's  »Last  Judgment«  in  the 
same  showed  that  he  had  gone  further  to  reach  and  touch  the  depths 
of  religions  feeling  than  even  the  beautifnl  and  polished  ^[endelssohn, 
whose  >Lobgesang«  came  soon  after. 

Conductors. 
The  prominent  résident  conductors  now  in  England  are  seven.  August 
Manns  at  the  Crystal  Palace  is  in  position  the  lineal  descendant  of 
Costa,  whom  he  scarcely  overlai^ped  but  succeeded;  at  his  great  âge  of 
74  he  is  simply  a  phenomenon,  walking  more  erect  than  many  men  of 
40,  and  conducting  music  still  with  boundless  buoyancy;  when  a  youth 
in  Prussia  he  arranged  Beethoven's  symphonies  for  military  band,  and 
he  lias  had  his  reward  in  becoming  the  leading  conductor  of  the  richest 
and  most  effectively  music-supporting  country  in  the  world;  it  is  calcul- 
ated  that  he  lias  conducted  13000  concerts  at  the  Crystal  Palace.  Henry 
Wood  is  a  phenonienon  in  the  other  direction  of  quick  aliiiost  sudden 
rise;  7  years  ago  he  was  only  known  as  the  conductor  of  the  short  1892 
Lago  opéra  season  (Eugène  Onegin);  5  years  ago  liaving  been  selected 
by  the  entrepreneur  Robert  Newnian  he  at  once  stepped  permanently 
before  one  of  the  most  influential  audiences  in  the  metroijolis  at  the 
Queen's  Hall;  no  one  can  grudge  liim  the  immense  success  which  he  bas 
since  increasingly  had,  for  it  is  not  only  that  lie  is  young  and  lias  ail 
his  wits  about  him,  but  he  lias  also  a  most  sensitive  musical  organization. 
Stanford  is  not  a  jirofessional  conductor,  but  lias  wliat  was  once  con- 
sidered  the  highest  claim  of  ail  or  sole  claim  for  conducting,  that  lie  is 
a  créative  composer  and  can  tlius  see  into  the  very  lieart  of  music,  — 
the  rest  being  regardcd  as  encroachment  of  the  laity;  he  conducts  at  the 
Bach  Choir  and  the  Boyal  Collège.  Cowen  lias  the  same  claim,  and 
has  perhaps  given  more  attention  to  conducting  as  a  career;  he  once 
conducted  the  Philharmonie  as  above  seen  for  5  years  and  has  for  the 
last  2  years  conducted  the  Manchester  so-called  »  Halle  «  concerts,  and 
by  a  turn  of  the  wheel  lias  made  room  there  for  Bichter.  The  secret 
of  Frederick  Bridge 's  success  as  a  choral  conductor  at  the  Albert 
Hall  is  that  he  is  bcloved,    but  he  is   also   an    extraordiiiarily  (piick   and 


Charles  Maclean,  Music  in  England.  19 

able  man.  Georges  Jacobi,  the  hero  of  literary  100  ballets  composée! 
and  performed  at  the  Alhambra  etc.  does  not  go  beyond  bis  province, 
but  knows  what  he  is  about  therein.  George  Risely,  lately  of  Bristol 
in  the  provinces,  liad  a  réputation  as  a  choral  conductor  and  came  to 
London  very  recently;  he  was  employed  by  Robert  Newman  for  choral 
and  other  concerts  at  the  Queen's  Hall,  but  3  weeks  before  thèse  remarks 
are  written  undertook  the  Covent  Garden  Promenade  concerts.  Regarding 
foreign  orchestral  conductors  there  bas  been  a  cycle  of  public  favour  in 
last  few  years;  Richter,  Mottl,  Lamoureux,  and  back  to  Richter. 
The  latter  bas  worked  his  way  up  from  the  ladder's  foot,  and  will  pro- 
bably  retain  the  premier  position  as  long  as  lie  desires  it.  The  Covent 
Garden  opéra  conductors  are  nearly  always  imported. 

Seientifle. 
Perhaps  this  is  enough  about  executive  nuisic.  The  Royal  Institu- 
tion in  Albemarle  Street,  co-eval  witli  the  century,  employ  lecturers  on 
many  subjects,  but  do  not  print  results  in  Proceedings.  Last  January 
Sir  Alexander  Mackenzie  gave  3  lectures  on  Liszt,  Tschaikowsky, 
Brahms  ;  an  eminent  composer  on  composers  in  open  lectm'e  is  very  note- 
worthy,  and  as  the  Principal  of  the  Royal  Academy  takes  an  intellectual 
grasp  of  everything  he  handles  it  is  a  pity  that  he  is  only  to  be  read 
through  newspaper  reports;  his  »prose-works«  are  not.  Last  May  Mr. 
E.  A.  Jacques  gave  3  lectures  on  the  influence  of  Eastern  on  European 
music;  six  différent  scale-tunings  were  exhibited  on  three  Broadwood 
pianos,  and  the  melody  types  of  many  nations  were  examined,  coming 
from  east  to  west  longitude.  The  Musical  Association  is  the  only 
Learned  Society  in  Great  Britain  spécial  to  music.  It  has  8  lectures  a 
year,  with  discussions;  and  the  lectures  and  discussions  entire  are  printed 
in  yearly  Proceedings.  This  season  Dr.  F.  G.  Shinn  lectured  on  learn- 
ing  by  heart;  he  divided  the  memory  there  used  into  (a)  musical  or  that 
of  the  ear  concatenating  sounds,  (b)  muscular  or  where  the  fingers  con- 
catenate  motions  unconsciously,  (c)  visual  or  where  the  player  remembers 
the  printed  page  or  the  order  of  the  notes  on  key-board,  (d)  intellectual 
or  where  the  player  mentally  reconstructs  passages,  forms  etc.;  those 
surely  who  think  they  use  »c«  must  be  self-mistaken,  and  the  other  three 
may  divide  the  responsibility,  but  the  last  must  be  the  dominant  factor. 
Mr.  H.  Davey  on  Palestrina  was  full  and  historié  in  a  most  valuable 
degree  but  seemed  to  think  he  would  be  singular  in  asserting  Pale- 
strina's  place  among  greatest  masters,  which  few  will  deny;  he  was  for 
putting  in  accidentais  hère  and  there,  but  some  regard  »musica  flcta«  as 
décadence  destructive  of  the  pristine  solemn  charm ,  and  at  least  it  is  a 
thorny  ill-understood  subject.     Mr.  Piper  lectured  in  favour  of  modem- 

2* 


20  Charles  Maclean,  Musio  in  Eiiglaiul. 

made  violins.  Dr.  E.  Walker  gave  a  cultured  tribute  to  Bralims  who 
was  »the  fusion  in  the  terms  of  the  musical  material  of  the  latter  of 
the  19th  century  of  the  désire  for  emotional  expression  witli  the  désire 
for  structural  proportion*  ;  he  pointed  out  the  intensely  melodious 
nature  of  his  work',  and  how  he  had  produced  »ahsolutely  flawless  art 
in  every  département  of  music  from  the  largest  to  the  smallest,  witli 
the  solitary  exception  of  opéra,  which  after  ail  is  only  music  in  a 
partial  sensé «.  Mr.  W.  Wall  ace  lectured  on  Programme  Music,  but  held 
the  scales  very  evenly  between  praise  and  dispraise.  This  year  Messrs, 
Broadwoods,  through  Mr.  A.  J.  Hipkins  the  vétéran  of  that  firm,  hâve 
moved  for  uniform  tuning  of  pianofortes  to  the  comparatively  low  French, 
called  hère  Vocal,  pitch.  The  only  extant  history  of  Enghsh  pitch  is  in 
the  truly  extraordinary  form  of  a  catalogue  of  known  pitches  in  order 
of  vibration-number,  so  the  following  sketch  may  be  of  use.  Down  to 
about  Blow,  or  during  the  golden  âge  of  English  music,  the  Protestant 
church  i)itch  was  in  gênerai  inordinately  high,  as  we  now  regard  it,  and 
in  détail  variable  with  the  organs;  the  chamber  and  unaccompanied  pitch 
Avas  in  gênerai  very  low  and  had  no  standard  to  speak  of.  Thus  Byrd's 
anthems  require  now  transi)osing  up  (though  it  is  never  doue),  and  his 
masses  require  now  transposing  down.  Furthermore  the  Protestant  church 
pitch  was  on  a  steep  downward  slope  during  that  period,  due  to  the 
development  of  cham])er  music.  The  chm-ch  pitch  of  Tallis,  Gibbons, 
Morley  etc.  (16^^  century)  was  probably  the  same  as  that  of  N.  Germany, 
A  567,  almost  a  major  3'"^  above  our  récent  high  pitch;  but  organs  of 
Purcell's  time  (latter  part  of  17th.  century)  had  corne  down  to  A  474, 
a  semitone  only  above  and  there  were  within  the  ijeriod  even  some  organs 
at  442,  428  etc.  Thèse  matters  found  bottom  decisively  in  Handel's  time. 
His  own  fork,  now  in  a  private  collection  at  Vermont,  Massachusetts, 
shows  that  by  1751  the  concert-oratorio  pitch  had  settled  to  A  422.5; 
and  as  there  was  a  low  chamber  pitch  much  below  that  at  the  same 
time,  this  fork  of  Handel's  has  been  in  England  called  »mean  pitch*. 
For  three-quarters  of  a  century,  and  ail  through  the  time  of  Haydn, 
Mozart,  Beethoven,  Schubert,  Weber,  etc.  there  was  a  stable  orchestra 
at  this  pitch,  in  England  as  in  Europe,  the  London  Philharmonie  fork 
being  still  A  423.7  down  to  1828.  The  rapid  rise  whicli  took  place  in 
Vienna  just  at  the  close  of  that  period,  owing  to  the  military  band,  was 
little  noticed  hère;  though  Smart  in  1828  sanctioned  a  shght  rise  to  A 
433.2,  which  (called  Smart's  pitch)  remained  in  force  through  Mendels- 
sohn's  1844  conductorship,  and  was  in  fact  French  ])itch.  Quite  other- 
wise  the  Italian  opéra,  which  in  sympathy  with  the  continental  movement 
and  under  Costa  ran  unrestrainedly  up,  so  that  in  1846  it  was  at  A  452.5; 
and   this  highly   divergent   pitch  Costa   rather  forcibly  introduced  into 


Charles  Macleaii,  Music  in  England.  21 

the  Philharmonie  also  when  he  took  charge  there  in  1846.  From  1850 
onwards  Broadwoocls  had  3  pitehes,  Vocal  433  (being  Smart's  piteh)  Mé- 
dium 446  (empirieal  for  domestic  pianos),  and  Philharmonie  452  (whence 
»coneert-piteh«);  after  that  the  Crystal  Palace  went  up  to  454,  and  the 
Albert  Hall  to  455,  through  their  organs;  Erards  had  pianos  up  to 
456  ;  independent  brass  bands  in  the  north  hâve  gone  still  higher.  France 
however  has  always  favoured  a  low  pitch,  and  in  1859  Napoléon  III 
took  up  the  A  435  pitch  previously  adopted  by  the  French  opéra  24 
years  before,  and  legalized  it  for  France  as  A  435.4  at  59°  Fahrenheit; 
that  is  to  say  ail  instruments  exposed  to  that  heat  should  be  at  that 
pitch.  Then  began  varions  efforts  hère  for  slipping  out  of  the  high  pitch 
yoke.  A  »  Society  of  Arts«  committee  under  Hullali  proposed  A  440 
(J.  H.  Scheibler's  proposai  at  Stuttgart  Physical  Science  congress  of 
1834).  Sir  John  Herschel  desired  a  philosophical  A  430.5,  derived 
from  C  512,  because  1  vibration  per  second  raised  by  9  octaves  gave  the 
latter  figure.  And  so  on.  In  1869  Novello  and  Co.  under  Mr.  H.  Litt- 
leton  actually  made  some  oratorio  concerts  at  French  pitch,  Barnby  con- 
ductor,  and  new  instruments  being  bought;  Cusins  similarly  with  the 
Queen's  State  Band;  but  neither  of  thèse  changes  was  permanent.  In 
1879  Covent  Garden  adopted  French  pitch  and  hâve  since  kept  it.  In 
1885  the  military  authorities  were  asked  to  lower  their  452  pitch,  but  as 
they  had  only  followed  Costa  and  the  Philharmonie  in  1846  they  de- 
clined  to  change  back.  In  1886  another  Society  of  Arts  committee  in 
vain  advocated  French  pitch.  At  last  the  Philharmonie  itself  finally 
broke  with  its  own  pitch,  and  in  broad  terms  adopted  French  pitch, 
A  435,  on  IP^  July,  1895.  In  the  autumn  of  1895  Queen's  Hall 
adopted  French  pitch;  since  then  the  Queen's  State  Band,  Manchester 
Halle  orchestra,  Liverpool  Philharmonie,  Leeds  Philharmonie,  Moody- 
Manners  opéra  company,  Hoyal  Academy,  Royal  Collège,  and  many 
others,  hâve  followed.  On  November  6*^  1896  on  the  advice  of  Mr. 
Hipkins  the  Philharmonie  proceeded  to  be  more  spécifie  and  introduced 
the  température  question.  He  pointed  out  in  effect  that  59°,  however  it 
miglit  suit  out-door  military  bands,  was  long  below  the  heat  of  an  occupied 
lighted  concert-room,  (as  realized  by  the  Yiennese  in  1885);  and  he  put 
the  latter  at  an  average  of  68°,  or  9"  higher.  But  varions  instruments 
sharpen  differently  with  heat  according  to  the  différences  either  in  their 
own  elastic  and  other  qualifies  or  in  the  size  of  the  contained  column 
of  air.  A  Flûte  or  a  Hautboy  will  sharpen  1.50  vibrations  per  second 
for  10°  rise  in  heat,  while  a  low  widebore  brass  instrument  will  sharpen 
3.50  vibrations.  Shrewdly  and  patiently  taking  a  mean  for  the  Avhole 
orchestra  including  organ,  he  considered  that  if  that  mean  is  435  for 
59°,    it  will  bave   sharpened  to  439  Avhen  the   room   is  at  68?;   and  he 


22  Charles  IMaclean.  Music  in  England. 

verifiecl  this  by  multiplied  expériences  which  must  Lave  cost  liim  much 
labour.  He  consiclered  then  that  tlie  actually  performing  concert  tem- 
pérature should  be  the  ruling  factor,  and  that  each  individual  instrument 
should  be  constructed  in  such  a  way  as  to  give  A  439  at  68°.  The 
Philharmonie  followed  liim  in  this,  and  on  November  6th  1896  announced 
their  corrected  pitch  as  A  439  at  ôS"^,  and  issued  an  A  fork  at  439; 
adding  also  deduced  thence  by  equal  température  a  B  flat  465  for  gui- 
dance  of  brass-instrument  makers,  and  a  C  522  for  pianoforte  makers  and 
organ  builders.  This  year  Messrs.  Broadwood  nioved  to  extend  the 
standard  to  the  pianoforte  trade,  and  putting  the  ligures  at  439  for  68", 
hâve  gained  the  concurrence  of  Bechstein,  Bliithner,  Brinsmead,  Challen, 
Erard,  Ibach,  Pleyel,  and  Schiedmayer,  fwitîi  many  other  makers),  to  send 
out  pianos  thus  tuned  unless  the  contrary  are  called  for.  It  will  be 
seen  from  the  above  history  sketch  that  England,  like  France,  lias  always 
been  conservative  of  a  low  orchestral  pitch,  (and  indeed  there  are  many 
who  would  hâve  preferred  even  now  to  go  straight  back  to  Handel's 
>mean  pitch «,  the  pitch  of  the  period  of  ail  the  classical  composers;) 
and  that  l)ut  for  a  temporary  aberration  caused  by  the  Italian  opéra 
under  a  determined  foreign  conductor  she  would  never  bave  left  it.  The 
culminating  concurrence  of  action  in  the  last  4  years  bas  practically 
dethroned  the  high  pitch  for  English  opéra  houses  and  orchestras,  lea- 
ving  it  only  with  the  Begimental  bands;  and  it  is  doubtful  whether  the 
Government  will  not  eventually  make  a  grant  to  pay  for  change  in  the 
latter.  As  regards  the  pianofortes  it  is  to  be  presumed  that  manufac- 
turers  will  issue  forks  to  tuners  passim,  for  the  tuner  régulâtes  the  situa- 
tion not  the  maker.  As  to  the  refinement  about  température  two  thouglits 
occur  :  —  (a)  A  conséquence  of  taking  a  concert-room  beat  standard  and 
working  up  to  that,  is  that  the  manufacturers  of  orchestral  instruments, 
(whose  factories  are  certainly  not  lieated  to  68",)  Avill  bave  to  make  cal- 
culations  and  take  trouble  to  attain  the  end.  (b)  As  pianofortes  change 
very  littlc  with  beat  and  where  they  change  Hatten,  they  will  practically 
be  manufactured  under  the  new  convention  at  A  439  itself;  so  that 
the  prevailing  domestic  pitch,  which  entirely  dépends  on  pianofortes 
will  be  shghtly  ovcr  the  French  legalized  pitch  of  A  435  at  59"  Fahren- 
heit. However  undoubtedly  the  gênerai  principle  is  correct,  that  the 
température  to  choose  and  work  up  to  is  the  température  where  the 
concerted  troubles  mostly  or  exclusively  arise,  in  other  words  the  tem- 
pérature of  the  heated  concert-room;  and  the  procédure  of  the  Philhar- 
monie in  acting  on  this  j)rinciple  is  of  international  interest.  Mr.  Hip- 
kins,  who  at  the  opening  of  bis  life  was  a  pioneer  of  equal  tempérament 
tuning,  bas  hère  towards  its  close  rendered  great  services  to  the  question 
of  absolute  jntch. 


Charles  Maclean,  Music  in  England.  28 

Journalism. 

Musical  journalism  in  London  is  in  a  very  progressive  state.  Not 
long  back  ail  the  newspapers  required  musical  and  dramatic  criticism  from 
tlie  same  person  ;  now  not  only  do  they  separate  those  functions,  but  tlie 
leading  papers  bave  at  least  two  musical  critics  in  direct  pay.  The  mul- 
tiplication of  musical  events  is  so  enormous  that  even  the  latter  hâve  to 
systematically  enlarge  the  staff  by  private  arrangement.  The  work  falls 
into  two  classes;  that  for  specially  musical  papers,  where  the  principal 
matter  is  usually  signed;  that  for  gênerai  newspapers  Avhere  the  matter 
is  anonymous,  or  in  a  few  cases  initialled.  Musical  criticism  is  now  a 
self-supporting  profession,  though  small.  The  monthly  »  Musical  Times  « 
(editor  F.  G.  Edwards)  deserves  the  front  rank  among  English  musical 
newspapers;  it  is  in  the  direct  interests  of  Novello  and  Co.,  which 
diminishes  its  opportunities  as  a  gênerai  newspaper  ;  still  sucli  is  the  grasp 
which  that  firm  bas  on  English  musical  life  that  the  paper  very  fairly 
reflects  the  whole  country;  it  is  conducted  witli  mucli  dignity,  contains 
tightly  packed  matter,  and  is  a  journal  in  which  things  in  gênerai  find 
their  level;  price  fourpence.  The  weekly  »Musical  Standard  «  (editor 
E.  A.  Baughan)  is  the  property  of  Mr.  Eeeves,  a  publisher  and  seller 
of  musical  books,  but  that  fact  is  very  little  obtruded;  it  bas  a  consi- 
dérable news  agency;  some  of  its  columns  are  rather  disfigured  by  an 
extravagance  of  the  new-style  first-person  journalism,  but  it  is  the  most 
independent  and  perhaps  the  most  vigorous  of  English  musical  news- 
papers; price  1  penny.  The  weekly  »  Musical  News«  (editor  J.  E.  Bor- 
land) is  the  property  of  a  syndicate  and  the  organ  of  the  Royal  Collège 
of  Organists  and  the  English  organists  generally;  at  the  instance  of  an 
ex-editor  Mr.  T.  L.  Southgate  it  has  led  some  excellent  crusades  against 
charlatanries  in  the  teaching  world;  it  is  a  fighting  paper  when  there  is 
something  to  combat;  price  1  penny.  The  weekly  »Musical  Courier  « 
(editor  F.  V.  Atwater)  is  the  property  of  a  syndicate,  and  is  more  or 
less  the  organ  of  executive  artists;  it  is  conducted  smartly  and  genially, 
and  perhaps  on  American  principles;  it  freijuently  contains  important 
enterprising  matter;  price  threepence.  The  monthly  »Musical  Record <' 
(editor  J.  S.  Shedlock)  is  the  organ  of  Augener  and  Co.  ;  it  has  for  the 
most  part  a  very  self-restrained  style,  and  is  worthily  produced;  it 
represents  school  interests  as  connected  witli  imported  music:  jirice  two- 
pence.  Each  of  the  above  papers  contains  about  the  same  amount  of 
letter-press,  excepting  the  Musical  Times  which  contains  double.  In 
1897  there  appeared,  but  only  for  6  months,  the  most  admirable  venturc 
yet  made  in  English  musical  journalism,  namely  the  weekly  »Musician« 
(proprietor  and  editor  B.  Gray).  This  was  a  sixpenny  paper  slightly 
analogous  to  the  Saturday  Review,  yet  differentiated  for  the  subject.     It 


24  Charles  Macleau,  3Iusic  ùi  England. 

combinée!   in   about   equal   parts,    Avritten-up   news-items,    criticism,    and 
essayism,  and  Avas  ail  original  matter  by  tlie  best  writers  of  the  class  in 
London.     The   pressnre  was  kept  up   to  the  last,  but  there  was  no  de- 
mand  for  such  an  expensive  journal  once  a  week  and  it  fell.     Following 
on  that  hâve  this  year  appeared  two  numbers  of  a  small  quarterly  shil- 
ling  magazine,   »The  Chord«    (editor  J.  R.  Runciman);   mainly   aesthetic 
essayism,    with    some    review    matter.     The    ingrédients    for  a  recipe   of 
musical  sesthetics  proper  would  seeni  to  be,  enthusiasm,  analogy  of  other 
subjects  and  especially  of  other  arts,  translation  of  the  art  into  language 
of  the  émotions,  invective,  epigram,  water  to   dilute;   the  proportions  of 
the  first  5  varying  with  the  idiosyncracy  of  the  writer,  and  the  quantity 
of  the  latter  varying  with  his  ability.    Whether  there  is  enough  market  for 
tins  class  of  writing  in  England,  unless  floated  by  a  considérable  amount 
of  news,  remains  to  be  seen.     The  »Chord«  articles  are  nearly  ail  clever. 
No.  I  contains  an  article  in  French  by  Alfred  Brune  au  protesting  that 
Wagner  taken  in  lump   just  now  by  Parisians  is  sticking  in  the  throat 
and   preventing  a  due  circulation  of   aliment,  and  assuring  his  brother- 
composers  of  France  that  nevertheless  their  time  is  at  hand  for  having 
their  own  say  in  their  own  manner.     The  leading  musical  critics  of  Lon- 
don may  be   found   in  the  following  epitome.     J.  A.  Fuller-Maitland 
of  the  Times  occupies  the  first  place,  representing  the  application  of  the 
highest  culture  to  music,  which  culture  he  seasons  with  an  incisive  humour; 
F.  Gilbert  Webb  of  the  Standard,  Morning  Post,  Observer,  and  Référée, 
may  claim  the  second  place,  combining  sound  and  instructive  journalism 
with   a  well-balanced  critical  judgment;   Joseph  Bennett   of    the  Daily 
Telegraph  and  Musical  Times  brings  a  very  long  expérience  to  bear  on 
the   subject,   and  one  would   with   risk   controvert  his  judgment;  Edgar 
F.  Jacques   of  the  Observer  lias  two  attractive  qualities,  common-sense 
and  terseness;   E.  A.  Baughan   of  the  Musical   Standard   and  Musical 
Record  is  a  very  clever  littérateur,  and  sound  in  a  comprehensive  grasp 
of  affairs;  W.  Barclay  Squire  holds  an  imjiortant  position  in  the  music 
section   of   the   British  Muséum,  and   while  a  learned  anticpiarian    writes 
modem   criticism   for  the  Globe;   Hermann  Klein  of  the  Sunday  Times 
f urnishes  fluent  and  intoresting  feuilleton  matter  on  current  (nonts :  J.  R. 
Runciman  of  the  Saturday  Review  bas  extraordinary  abilities,  but  thinks 
and  writes  in  reckless  extrêmes;  Arthur  Harvey  of  the  Morning  Post  has 
an  casy  picturcsque  pen  agrceable  to  a  polite  audience;  Alfred  Kali s ch, 
of  the  ]\ranch(>ster  Courier,  Morning,  Star,  and  World,  is  an  ex-Oxonian 
and  a  skilled  sound  journalist;  Robin  H.  Legge  of  the  Times,  also  an 
Oxonian,  writes  shrewdly  on  the  passing  hour;  Vernon  Blackburn  of  the 
Pall  Mail  Gazette  is  a  really  brilliant  exhibitor  of  the  style  of  the  new 
criticism;  Franklin  Peterson  of  the  INIusical  Record  is  an  essayist  whose 


Charles  Macleau,  Music  in  England.  25 

conciseness  and  laregnancy  of  thought  make  his  work  always  engaging; 
Mrs.  Newmarch,  translater  for  the  papers  of  Russian  musical  writings, 
yet  adding  original  commentary,  lias  been  very  opportunely  iiseful  during 
the  late  influx  of  Russian  music.  English  critical  journalism  is  as  a 
rule  very  temperate;  wlien  otlierwise,  divergence  generally  accompanies 
heated  opinion,  and  among  sucli  a  multiplicity  of  journals  it  is  easy  to 
strike  an  average. 

Organization. 

Not  including  governesses,  there  are  about  10000  professional  prac- 
titioners  of  music  in  this  country;  and  nearly  ail  thèse  either  combine 
teaching  with  performance,  or  teach  exclusively.  Half  of  the  whole  are 
in  London.  Of  the  5000  in  London,  1000  are  vocalists,  2000  play  in- 
struments other  than  the  pianoforte  and  organ,  and  1000  are  either  pianists 
or  organists  or  miscellaneous.  The  Incorporated  Society  of  Musicians 
represents  about  2000  gênerai  professional  teachers  throughout  the  coun- 
try, in  24  local  sections;  it  is  the  resuit  of  self-help  and  co-operation, 
and  is  admirably  organized;  its  aims,  to  give  a  status  to  members,  hold 
conférences,  and  federate  for  miscellaneous  purposes.  It  has  some  hopes 
of  pressing  on  Parliament  a  measure  for  compulsory  registration  of  ail 
who  teach,  like  the  registration  in  Law  and  Medicine;  but  the  public 
aspects  of  those  three  professions  are  différent.  In  1897  was  formed  a 
Musical  Directors'  Association,  Président  Georges  Jacobi;  this  is  mainly 
for  theatrical  conductors.  The  Orchestral  Association  represents  over 
1000  of  the  orchestral  players  of  London,  and  contains  most  of  the  best 
players  in  the  kingdom;  it  safe-guards  in  varions  ways  the  interests  of 
this  talented  branch  of  the  profession,  which  has  ail  the  burdens  of  pro- 
fessional status  with  an  extremely  scanty  share  of  the  émoluments.  The 
Royal  Society  of  Musicians  of  Great  Britain  (a  benevolent  society)  is  a 
very  typical  institution.  150  years  ago  a  German  oboist  of  high  repute 
fell  into  want  and  was  found  dead  in  tlie  London  streets.  The  Secre- 
tary  Mr.  Stanley  Lucas  tells  with  the  dramatic  force  of  simplicity  how 
the  orphan  sons  were  seen  driving  milch  asses,  and  how  a  fcAv  pounds 
were  subscribed  for  them.  Tliat  began  the  society.  The  capital  value  of 
its  property  is  now  £  1(X)000.  Another  animating  incident;  in  the  now- 
cxpiring  half-century  a  bassoon-player  invented  a  pianoforte  check-action, 
rose  to  unexpected  affiuenee,  and  subscril)ed  £  3(X)0  to  the  society.  The 
institution  is  typical  by  reason  of  its  sturdy  cameraderie  and  excellent 
business  aspects.  Charles  Maclean. 


26  AVilhclm  Klcctckl.  Die  Bayreuther  Festspiele  1899. 

Die  Bayreuther  Festspiele  1899. 


Als  Richard  Wagner  im  Jahre  1876  in  Bayreuth  zum  erstenmal  den 
»Ring  des  Nibelungen«  auffiihrte,  brauste  ein  Sturm  der  Entrûstung  und  des 
Abscheus  durch  die  papierne  Welt  des  Zeitgeistes.  Die  Kritik  war  einig  in 
der  Verurteilung.  Erst  nach  6  Jabren  wagte  der  Meister  einen  zweiten  Ver- 
sucb,  mit  dem  Biilinenweihfestspiel  »Parsifal«.  Inzwischen  batte  Angelo  Neu- 
mann  im  Frûhling  1881  die  Tétralogie  in  Berlin  eingefûhrt.  Eine  Wagner- 
gemeinde  war  hier,  wie  an  anderen  Centren  des  Geistes,  aus  den  eifrigen 
Bestrebungen  hochgestellter  Persônlichkeiten  herausgewacbsen;  doeh  war  ihre 
Anerkennung  eine  vereinzelte.  Die  erdrûckende  Majoritât  blieb  im  gegnerischen 
Lager;  sie  erklârte,  die  Schôpfung  werde  in  aile  Ewigkeit  nichts  Anderes 
sein  imd  bleiben,  als  die  grandiose  Verirrung  eines  ungemein  willensstarken 
Geistes. 

Lange  Zeit  batte  man  in  den  Wagner'schen  Opem  nichts  als  das  Blech 
hcrauszuhôren  vermocht,  und  billige  Witzworte,  wie  »der  blechgepanzerte 
Lohengrin«  und  das  »Rheingold,  das  richtiger  Rheinblech  heiBen  sollte«, 
rechneten  kurz  und  unwillig  mit  den  Werken  ab.  Dann  kam  eine  Zeit  des 
Wagner-Fanatismus,  eine  Zeit,  da  man  sich  in  Lobestiraden  ersehopfte  und 
jede  Kritik  als  Verrat  an  den  heiligsten  Geboten  der  musikalischen  Kunst 
ansah  und  verurteilte,  bis  sich  endlich  die  ruhige,  sachgemaCe  Anschauung 
durchrang,  die  die  einzelnen  Phasen  lobend  und  tadelnd  begleitete,  ohne  dabei 
zu  leugnen,  daC  in  dieser  grandiosen  Vereinigung  von  tônender,  dichtender 
und  bildender  Kunst  eine  ganz  neue,  mit  friiheren  MaBen  unerreichbare  GroB- 
that  geschafFen  sei.  Ober  die  GrôBe  des  Génies,  das  nun  immer  klarer  aus 
den  Nebeln  der  Zeiturteile  hervortrat,  vcrgafi  man  leicht  und  gcrn  die  Nebel 
selber,  die  zuerst  seinen  Glanz  verdunkelt.  dann  zu  Weihrauchdunst  verdichtet 
ihn  wie  ein  unantastbares  Mysterium  verborgen  hatten.  Wie  war  man  er- 
staunt,  als  die  Wolken  sich  teilten,  ein  urgewaltiges,  groBzûgiges,  aber  dabei 
doch  immer  rein  mcnschliches,  mit  Menschenwissen  geschafFenes,  mit  Menschen- 
konnen  zu  begreifendes  Kunstwerk  vor  sich  zu  sehen! 

Man  erkannte,  daB  die  Unbegreiflichkeit  der  Musik  weniger  in  den  Werken 
selbst,  als  in  deren  mangclhafter  Ausfûhrung  zu  suchen  war.  Und  man  war 
mit  dem  Schôpfer  einig,  daB  in  der  Beschaffung  der  Darstellungsmittcl,  der 
technischen  wie  der  kiinstlerischen,  der  erste  Schritt  zum  Verstiindnis  und 
zur  Beurteilung  seiner  Schopfungen  zu  finden  sei.  So  wuchs  mit  der  Ver- 
besscrung  der  Interprétation  auch  die  Empfiinglichkeit  und  die  Kritikfahigkeit 
f'iir  die  Errungenschaften  der  Wagner'schen  Muse,  deren  Wirken  und  SchafFen 
wir  heute  objektiv  gegenûberstehen. 

Die  Thatsache  der  jetzt  ungeheuren  Popularitat  Wagner's  kônnte  eigent- 
lich  Bayreuth  ûberfliissig  erseheinen  lassen.  Und  doch  fûllt  dièse  Stiltte  noch 
eine  Lûcke  in  unserem  modernen  Kunsttreiben  aus,  da  man  einzig  in  Bayreuth 
ohne  aile  Ncbeninteressen,  ohne  gesellschaftliche  und  matérielle  BeeinHussimg 
einmal  in  der  reinen  Luft  der  Idealitiit  geistig  Atem  schopfen  kann.  Freilich 
muB  die  Leitung  der  Festspiele  ihre  Aufgabe  zu  losen  verstehen;  sie  muB 
den  Intentionen  des  Meisters  gerecht  werden,  ohne  in  dem  starren  Ténor  seiner 
idealen  Forderungen   selbst  zu  erstarren. 

»Geben  Sie  nur  auf  die  kleinen  Noten  acht,  die  groBen  kommen  schon 
von  selber  «,  rief  Wagner  seinen  Sangern  zu.     Das  hat  sich  auch  die  Festspiel- 


Wilhelm  Klcefeld,  Die  Bayreuther  Fcstspiele  1899.  27 

leitung  zu  Herzen  genommen;  und  gerade  in  dieser  Beachtung  ailes  Beglei- 
tenden,  ailes  Beigeordneten,  mit  dem  Hauptgedanken  parallel  Laufenden  beruht 
ein  gut  Teil  des  Bayreuther  Erfolges.  Die  scheinbar  nebensâchliehen  Epi- 
soden,  die  an  anderen  Bûhnen  verkûrzt  oder  ganz  gestrichen  werden,  wachsen 
hier  in  einen  gigantischen  Rahmen  hinein,  so  die  Zwiesprache  zwischen 
Waltraute  und  Brûnnhilde  und  die  Nornenszene  in  der  »Gôtterdâmmerung«, 
so  die  Erdaszenen  im  »Rheingold«  und  »  Siegfried  «  und  die  Wotansgesprache 
in  der  »'Walkûre«.  Ganz  besonders  wirkungsvoll  durch  den  berûckenden 
Klang  der  trefFlich  ausgewâhlten  Stimmen  waren  die  Ensemblesâtze ,  der 
Mannerchor  in  der  »Gôtterdâmmerung«,  das  Rheintôchterterzett,  die  Walkûren- 
szenen,  die  weihevollen  Grals-  und  die  machtigen  Meistersingerchore.  Eine 
Ausnahme  bildete  das  Meistersinger-Quintett,  dessen  Weihestimmung  durch 
schlechte  Intonation  der  beiden  alternierenden  Eva-Vertreterinnen,  Fr.  Kernic 
und  Fr.   Gadsky,   zerstôrt  wurde. 

In  diesen  Rahmen  der  ûberwâltigenden  Totalwirkungen  fiigten  sich  die 
Einzelleistungen  fest  und  sieher  ein.  Frisch  aus  der  untheatralischen  Naivetat 
heraus  hat  man  Manner  wie  Burgstaller,  Breuer,  Heidkamp  direkt  fur 
Bayreuth  herangebildet  und  gemeistert.  Freilich  leiden  die  Darstellungen 
solcher  Meisterschûler  lange  Zeit  unter  dem  Drucke  der  Schule,  die  ja,  wie 
Wagner  in  seiner  einzigen  komischen  Oper  selbst  darlegt,  allzu  leicht  zu 
Ûbertreibungen  und  Verzerrungen  verleitet.  Das  BewuCtsein  der  Absicht 
lugt  aus  jeder  Linie  des  Vortrags  wie  der  Bewegung  stôrend  und  illusions- 
raubend  hervor. 

Eine  eigene  Kunst  Bayreuths  ist,  aus  Konzertsângern  Bûhnendarsteller  zu 
schnitzen.  Man  war  ermutigt  durch  die  auCerordentlichen  Erfolge  eines 
van  Rooy,  einer  Gulbranson,  die  ohne  zu  straucheln  von  dem  Parkett  des 
Konzertsaals  sich  auf  die  abschûssige  Bahn  der  Bûhne  hinûberwagten.  Wir 
kônnen  uns  jetzt  kaum  einen  besseren  Wotan  denken  als  van  Kooy,  kaum 
eine  bessere  Brûnnhilde  als  Ellen  Gulbranson.  Der  Versuch  war  so  glânzend 
gelungen,  daB  er  zur  Wiederholung  ansporute.  Bei  Sistermans  und  Frl. 
Dietz  blieb  der  Erfolg  aus;  sie  stachen  unangenehm  gegen  das  Ensemble  ab. 
Bei  Dr.  F.  Kraus  kam  man  stimmlich  schon  jetzt  zum  GenuC,  sein  Gurnemanz 
war  ganz  Ausdruck  und  Empfindung.  Die  Darstellung  lâCt  natûrlich  noch 
die  Sicherheit,  die  Routine  vermissen.  Von  den  neu  hinzugezogenen  Kiinst- 
lern  seien  Ernst  Kraus  als  Siegfried  und  Walther  Stolzing,  Frl.  Ternina 
als  Kimdry  und  Dr.  Briesemeister  als  Loge  ganz  besonders  riihmend 
erwâhnt. 

Die  Frage,  ob  Siegfried  Wagner  durch  die  Leitung  der  Tétralogie  der 
Bayreuther  Kunst  genûtzt  habe,  ist  kurzweg  zu  verneinen.  Freilich  irren  auch 
die,  die  ihm  aile  Bayreuther  Sûnden  zur  Last  legen;  er  hat  nicht  genûgend 
Eigenart,  noch  geniigend  Unart  gezeigt,  um  fur  den  Ruhm  oder  den  Tadol 
der  einzelnen  Episoden  verantwortlich  gemacht  zu  werden.  Manche  Un- 
/.ufriedene  wollen  in  dem  Umstand,  daB  die  erste  »Meistersinger«-Auffûhrung 
unter  Hans  Richter  durch  mancherlei  Zwischenfiille  beeintrilchtigt  wurde,  noch 
die  schadliche  Nachwirkung  der  Siegfried  Wagner'schen  Orchesterleitung  er- 
blicken.  Das  geht  zu  weit;  Hans  Richter  ist  ein  so  gewiegter  Kapellmeister, 
daB  er  derartige  Einfltisse  mit  starker  Faust  in  Grund  und  Boden  dirigieren 
miiCte.  Nein,  Richter  war  ofFenbar  bei  der  ersten  Auffûhrung  selbst  nicht 
in  der  geeigneten  Stimmung;  die  erste  Wiederholung  stand  dagegen  wieder 
ganz    auf   der    Sonnenhôhe    seiner    traditionellen    Glanzleistungen.      Dazu    trug 


28  Max  Seiffert,  Das  Album  Morsianum. 

auch  vor  allem  der  Umstand  bei ,  daB  van  Rooy  den  Hans  Sachs  iibemahm, 
wâhrend  bei  der  Première  Demuth.  die  Figur  verkôrpert  hatte.  Van  Rooy 
gab  dem  Portrât  des  Nûrnberger  Schusterpoeten  einige  derbere  Pinselstriche 
in  Haltung  und  Gesang;  dièse  Kraft  des  Ausdrucks,  dièse  Ûberzeugung  des 
Herzens  muBten  ihren  EinfluB  auf  das  ganze  Werk  geltend  machen.  Auch 
die  zweite  »Parsif'al«-Vorstellung  stand  ûber  der  ersten,  we'û  Burgstaller  un- 
mittelbarer  zu  wirken  verstand  als  sein  Kollege  Gerhâuser.  Fischer  diri- 
gierte  den  »Parsifal«  treu  den  Intentionen  des  Meisters,  der  ihn  noch  selbst 
in  seine  Mysterien  eingefûhrt.  Wilhelm  Kleefeld. 


Das  Album  Morsianum. 


Joachim  Morsius,  eines  Hamburger  Patriciers  Sohn,  ging  1610  Studien 
halber  auf  Reisen;  er  besuchte  viele  deutsche  GroBstadte,  kam  nach  Holland, 
England,  Danemark.  Seine  gesellschaftliche  Stellung  verschaffte  ihm  den  Ver- 
kehr  mit  bedeutenden  Mannern  der  damaligen  Gelehrtenwelt  und  auch  den 
Zutritt  an  mehrere  fûrstliche  Hôfe.  Von  Beginn  seiner  Reisen  an  lieB  es 
sich  Morsius  angelegen  sein,  aile  wenn  auch  nur  fiûchtigen  Begegnungen,  die 
■wichtigsten  Erlebnisse  \md  Ereignisse  litterarischer  wie  politischer  Natur  durch 
irgend  welche  Merkmale  fur  seine  Erinnerimg  lebendig  zu  erhalten.  So  ent- 
stand  eine  uberaus  umfangreiche  Sammlimg  von  Autographen,  Kupferstichen, 
Holzschnitten,  Gelegenheitsdrucken  und  ahnlichen  Raritaten  aus  der  Zeit  bis 
zum  Jahre  1642.  Spâtere  MuBestunden,  die  Morsius  als  Universitats-Biblio- 
thekar  in  Rostock  fand,  benutzte  er,  um  im  einzelnen  mannigfache  Zusatze, 
kleine  biographische  Notizen,  Kopieen  von  Lobgedichten  und  anderes  mehr 
nachzutragen.  Die  Sammlung,  die  ursprùnglich  einen  unfôrmlich  dicken  Band 
ausmachte,  teilte  ein  spaterer  Besitzer,  Jacobus  a  Melle,  in  vier  Bande;  und 
diesen  fûgte  er  seinerseits  in  einem  fûnften  Bande  ein  dreifaches,  sehr  brauch- 
bares  Register  bei  (Ms.  61  a — e,    4^,   der  Lûbeckcr  Stadtbibliothek). 

In  diesem  Album  befinden  sich  nun  auch  einige  musikgeschichtlich  be- 
achtenswerte  Eintragungen. 

1)  Bd.  III  S.  496.  —  »Joh.  Adolff  Hoyer,  F.  D.  H.  et  Cap:  M.  Lûbeck. 
12.  Febr.   1618. «      Ober  diesen  Musiker  ist  sonst  nichts  bekannt. 

2)  Bd.  II  S.  247.  —  »  Canon  in  unisono,  quatuor  vocum.  [Noten.]  In 
Amsterdam  3.  Decemb.  1618.  Jan  P.  Sweelinck.  Org:«  Ein  Facsimilc 
dièses  Blattes  hat  Ch.  M.  Dozy  (Oud  Holland  III,  S.  277 ff.),  eine  Ûbcrtragung 
des  Kanons  .1.  C.  M.  van  Riemsdijk  Tijdschrift  der  Vereenig.  v.  N.-Ned.  Muz. 
II,   S.  202 tr.)  verôffentlicht. 

[  3)  Bd.  III  S.  566.   —  Brief  aus  Augsburg  vom  13.  Aug.  1620.     Schreiber 
ist  Philipp   Hainhoffer,    der  diplomatische   Agent    consiliarius)   des  Hcrzogs 
l'hilipp  II.   von  Pommern  in  Augsburg.   musikgeschichtlich  als  eifriger  Lauten- 
musik-Sammler    bekannt.       In    dem    Briefc    dankt    H.   Morsius    fur    die    Ûber- 
sendung  des    «Thésaurus  Harmonicus«    von  Bcsardus  (1603). 
4)  Bd.  IV   S.  77.').   —   Ein  Autograph  von  H.   Schûtz: 
»B.    Hyeronimus. 
Credenti  totus  mimdus  divitiarum   est: 

«A 


.Tohannes  AVolf,  Ein  alter  Lautondrnck.  29 

infidelis  autem  etiam  obolo  indiget. 

Cantabo  Domino  in  vita  mea,   psallam 
Deo  meo   quam  diu  fupvo.      [Ps.    104,  33.] 
Clarissimo  ac  praestantissimo  viro  Dno  Joaehimo  Morsio,  observantiae  et  Amoris 
ergo    lubens    apponebat,    HafFniae    die   21   Januarii  Ao.    163(4).      Henricus  Sa- 
gittarius  pro  tempore  Ser""  Daniae  et  Norwegiae  Régis,   alias   Ser""  El''^  Sax'-' 
Capellae  Magister.« 

5)  Bd.  II  S.  225.  —  Originaldruck  von  Gabriel  Voigtlânder's  »Liedt 
An  die  Kônigliche  Vestung  Glûckstadt.  Gedvuckt  Im  Jahr  1639 «  (6  Stropben 
ohne  Musik).  K.  Goedecke  (Grundrili  z.  Gescb.  d.  deutsch.  Dicbtg.  III.  2.  Aufl. 
S.  95)  konnte   dies   Stûck  nur  nach  MoUer's    »Cimbria  literata*    citieren. 

Max  Seiflfert. 


Ein  alter  Lautendrack. 


In  der  Bibliothek  des  E.  Istituto  musicale  zu  Florenz  befindet  sich  ein 
bisher  unbekannter  Lautendruck  ia  qu.-4'^  mit  dem  Titel:  »Frottole  de  Misser 
Bortolomio  Tromboncino  et  de  Misser  Marcheto  Carra  con  Tenori  et 
Bassi  tabulât!  et  con  soprani  in  canto  figurato  per  cantar  et  sonar  col  lauto*. 
Jahr  und  Druckort  sowie  Name  des  Druckers  fehlen.  Doch  wird  eine 
ungefahre  Zeitbestimmung  ermôglicht  durcb  das  Privileg:  » Sanctissimus  domi- 
nus  dominus  noster  Papa  Léo  X.  vetat,  ne  quis  alius  bos  cantus  imprimat 
toto  decennio  sub  excommunicationis  pena«,  da  Léo  X.  nur  wenige  Jahre 
(1513 — 21)  den  papstlichen   Stuhl  inné  batte. 

Das  Werk  entbâlt  37  Gesânge,  die  je  nacb  dem  Verfasser  bald  B.  T., 
bald  M.  C.  gezeichnet  sind.  Ibnen  voran  gebt  eine  régula  per  quelli  che  non 
sano  cantare,  worin  wesentlicb  die  italienische  Lautentabulatur  erklârt  wird. 
Leider  vermag  icb  auf  Grund  meiner  1896  angefertigten  Notizen  nur  einen 
Teil  der  Stûcke  nambaft  zu  macben;   so  von  Tromboncino: 

Chi  se  postegar  d'amore  preso. 

Se  la  luma  cba  cbe  s'abrusa. 

Ognimal  d'amor  procède. 

Facto   son  per  affanni  ombra  si  oscura. 

G  lie  pur  concente  il  fier  désir. 

Forsi  e  ver  forsi  che  no. 

Ben  ces'  son  d'amor. 

Queste  non  son  piu  lacrime. 

Congida  il  mio  bel  sol. 
und  von  Car a: 

Per  fugir  la  mie  morte. 

Se  alcun  tempo   da   voi  son  stato   absente. 

Se  amor  non  è  che  adunque  quel  chio  sento. 
Von  den  angegebenen  Gesângen  laCt  sich  Qlie  pur  coiicente  il  fier  désir 
sowohl  in  der  Sammlung  von  1519  Fioretti  di  Frottole  etc.  (vgl.  Vogel, 
Vokalmusik  Italiens  II,  375)  als  auch  zusammen  mit  Queste  non  son  piu  lacrime 
und  Se  amor  non  è  che  adunque  in  der  Sammlung  von  1520  Frottole  libro 
quarto.     Venetiis  etc.   (vgl.  Vogel  II,  376)  nachweisen.        Johannes  Wolf. 


30  Notizen. 

Notizen. 


Aus  Frankreicli  wii-d  das  Bevorstehen  einer  wichtigen  musikwissenschaftlichen 
Publikation  gemeldet,  die  sich  »  M  é  1  a  n  g  e  s  d  e  M  u  s  i  c  o  1  o  g  i  e  «  betitelt  und  vom  Archivar 
Pierre  Aubry  geleitet  wird.  Es  sind  vier  Quartbânde  in  Aussicht  genommen  folgenden 
Inhalts:  I.  Adam  de  S  t. -Victor,  œuvres  poétiques  et  musicales,  palaGgraphische 
Ausgabe  mit  Nachbildungen,  ediei't  von  E.  Misset  imd  P.  Aubry.  II.  Les  plus 
anciens  Monuments  de  la  musique  française,  Sammlung  von  24  Naclibildungen  in 
Phototypie  mit  Ubcrtragungen,  Noten,  Kommentaren  und  Einleitung  von  P.  Aubry. 
III.  La  Musicologie  médiévale.  Gescbichte  uud  Entwickelung  der  Musikwissen- 
schaft  im  Mittelalter  von  P.  Aubry,  die  besonders  behandelt  Jumilhac,  Lebeuf. 
M.  Gerbert,  Fétis,  Coussemaker,  les  éditions  des  livres  de  chant  liturgiques.  l'œuvTC 
Bénédictine,  die  philologische  und  historische  Méthode  in  der  Musikwissenschaft ,  die 
wissenschaftliche  Hypothèse.  IV.  Lais  et  Descortez  du  moyen-âge.  Texte  und 
Weisen  kritisch  herausgegeben  von  A.  Jeanroy,  L.  Brandin  imd  P.  Aubry.  —  Bis 
zum  Dezember  1900  sollen  aile  4  Bande  erschienen  sein,  auf  die  man  zum  Preise 
von  72  Mk.  bei  Brcitkopf  &  Hârtel  subskribieren  kann. 

Die  Zahl  der  Sammluugen  alter  Masikinstrumente  ist  in  erfreulichem  Wachsen 
begriffen.  Zu  den  bekannten  staatlichen  Sammlimgen  in  Berlin,  Briissel,  London, 
Paris  und  den  privaten  von  P.  de  Wit-Leipzig,  Ei'zherzog  Franz  Ferdinand  von 
Ôsterreich-Este ,  Baron  Nath.  Hothschild  in  Wien ,  G.  Donaldson  in  Great  Stanmore, 
Scheurleer  in  Haag,  Morris  Steincrt  in  Newhaven  (Amerika)  u.  A.  sind  in  jiingst  ver- 
ilossener  Zeit  mehrere  hinzugekommen. 

Im  Kunstgewerbemuseum  zu  Hamburg  hat  sich  die  von  friiher  vorhandene 
imbedeutende  Kollektion  durch  die  Bemiihungen  von  Dr.  Fr.  Chrysander  und 
Prof.  Brinkmann  zu  einer  bcsonderen  Abteilung  entwickelt,  die  sich  u.  a.  durch 
den  Besitz  mehrerer  vortreflflicher  Instrumente  von  Joach.  Tielke,  dem  bedeutcndsten 
Hamburger  Geigenbauer,  auszeichnet. 

Im  Nationalmuseum  zu  Kopenhagen  hat  Prof.  A.  Hammerich  die  Einrichtung 
einer  Instrumentenabteilung  durchgefiilirt.  Zur  Feier  der  Eroffnung  fand  nach  einem 
oinleitenden  Vortrag  des  Pruf  Hammerich  ein  historisches  Konzert  statt. 

Die  Kollektion  des  Rijksmuseum  in  Amsterdam  ist  vor  kurzem  durch  die 
.T.  C.  Boers'sche  Privatsammlung  (130  Nummern)  vermehrt  worden.  Als  Haupt- 
instrumente  sind  zu  nennen:  Viola  von  Hcndrik  Jacobs,  Amsterdam  1692;  1  kupfeme 
Viola  mit  getriebenen  Ornamenten  aus  dem  17.  Jahrh.;  Altviola  von  Daniel  Raetzen, 
Hamburg  1732;  Altviola  von  Seb.  Naye,  Miinchen  1778;  Viola  d'amore  von  J.  Andr. 
DiJrffel,  Klingenthal  1754;  zweiklavieriges  Spinett  von  Pet.  Joh.  Couchet,  Antwerpen 
1640;  eine  Série  von  13  Oboen;  endlich  ein  sog.  Kortholt  oder  Courtaut  [Praetonus, 
Synt.  Mus.,  fiihrt  ein  »Kortholt«  an  »als  Basset  oder  Ténor  zum  Chorist-Fagott*. 
Laborde,  Essai  sur  la  Mus.,  bezeichnet  »Courtant«  nâher  als  a  basson  qui  servait  de 
Basse  aux  musettes*].     28  Stiicke  sind  nichteuropilischen  Ursprungs. 

Eine  betrâchtliche  Sammlung  (940  Nummern)  ist  der  Michigan-Universitàt  in 
Ann  Arbor  durch  die  Munificenz  von  Mr.  Fred.  Stearns  in  Détroit  zugefallen. 
Bisherigen  kurzen  Mittcilungen  zufolge  ist  die  Sammlung  relativ  gut  konserviert  und 
besteht  aus  europâischen,  afrikanischen,  amcrikanischcn  und  asiatischen  Instrumenten  ; 
besonders  reieh  sind  China  und  Japan  vertreten.  Man  darf  auf  eingehendere  Nach- 
richten  liber  dièse  Sammlung,  die  der  Leitung  Prof.  Stanley 's  untcrstellt  ist,  ge- 
spannt  sein. 

In  Stockholm  hat  in  diesem  Jahre  die  Verwaltung  ein  »Musikhistorisches  Mn- 
seum«  eingerichtet ,  worin  Instrumente  auch  von  Privatleuten,  wie  dem  bekannten 
Sammler  Claudius,  mit  eingeflossen  sind. 

Eine  der  groCartigstcn  Instrumentensammlungen  ist  durch  den  Tod  ihres  Schopfers 
und  Besitzers  filr  dcu  Verkauf  frci  gcworden,   die  Sanimlung   von  C.  César  Snoeck 


Notizen.  31 

in  Gent.  Snoeck  war  ein  wissenschaftlich  gebildeter  Mann,  Advokat  von  Haus  ans, 
der  es  zu  bedeutendem  Vermogen  gebracht  hatte  und  dessen  Lieblingsbeschâftigung 
die  mit  Instrumenten  war.  Sein  Beruf  zwang  ihn  viel  auf  Reisen  zu  sein,  sein  Blick 
war  durch  lange  Ûbung  und  sein  Urteil  durch  wissenschaftliche  Studien  auf  deni 
Gebiete  der  Instrumentenkunde  geschàrft  worden.  Nur  wenigen  ist  es  vergonnt 
gewesen,  seine  Sammlungen  zu  besichtigen,  deshalb  wird  ein  nâheres  Eingehen  darauf 
manchem  von  Wiclitigkeit  sein.  Unter  den  Klavieren  ragen  besonders  die  Clavi- 
cymbel  und  Spinette  ans  der  Schule  der  Ruckers  in  Antwerpen  hervor.  Andréas  und 
Joannes  sen.  und  jun.  sind  durch  Meisterwerke  ersten  Ranges  vertreten ,  ihre  Cla\'i- 
cymbel,  reich  mit  den  lierrliclisten  Malereien  von  Klinstlerhaud  geschmiickt,  gehoren 
zu  dem  Schonsten,  was  der  Klavierbau  iiberhaûpt  aufzuweisen  hat.  Besonders  ragt 
ein  Kielfliigel  von  Joh.  Ruckers  von  1627  durch  seine  kiinstlerische  Ausstattung  her- 
vor; Van  der  Straeten  giebt  davon  in  seinem  Werke  La  iimsviue  aux  Pays-Bas  Be- 
schreibung  und  Bild.  Andere  Nicderlandische  Meister  wie  François  van  Huffel, 
J.  N.  Couchet,  Dirk  van  der  Lugt,  Albert  De  lin,  sind  ebenfalls  durch  hervor- 
l'agende  Klaviere  vertreten.  Reich  ist  die  Sammlung  Snoeck  an  Geigen,  besonders 
giebt  es  eine  ruile  von  allei'liebsteji  Pochetten ,  wie  nirgends  sonst  wieder,  gegen  70 
an  der  Zahl.  Nanientlich  hervorragen  unter  den  Streichinstrumenten  :  ein  BaB  von 
Nicolaus  Amati  1650,  und  enie  Violine  von  Morglato  Morella  in  Mantua  1515, 
bcide  Meisterwerke  ersten  Ranges  und  letztere  als  eine  der  ersten  Violinen  vor  allem 
bemerkenswert.'  Unter  den  Geigenbauern  ist  besonders  die  Faniilie  Klotz  iiber- 
raschend  reich  vertreten  (Mathias,  Sébastian,  Georg,  Egidius,  und  Joh.  Cari),  sonst 
herrscht  die  fi'anzosisch-belgische  Schule  vor.  Kaum  eine  der  iibrigen  Instrumenten- 
arten  fehlt,  und  fast  jede  Art  weist  ihre  pièces  de  résistance  auf.  Bewundernd  wird 
der  Kenner  eine  alte  italienische  Zither  aus  Brescia  betrachten,  die,  soviel  bekannt,  das 
schonste  Instrument  dieser  Gattung  darstellt.  Ein  altes  Clavichord  aus  dem  16.  Jahr- 
himdert,  dessen  Kasten  ganz  aus  Einlcgarbeit  verfertigt  ist,  wundervoll  gesclmitzte 
und  gravierte  alte  Schalmeien  und  Harfen,  ein  Paar  Minnesângerharfen ,  herrlich  be- 
rnalte  und  gesclmitzte  kleine  Orgeln,  Geigen  von  Fayence,  allerliebste  Miniaturin- 
strumente  und  andere  kunstgewerbliche  Herrlichkeiten  entziicken  das  Auge,  wie  die 
reichen  Sammlungen  von  Metronomen,  Stimmgabeln  und  Stimmflôten,  Einzelteilen 
von  Instrumenten,  Geigenbogen  von  der  iiltesten  Faktur  bis  zum  modernen  Tourte- 
Bogen  etc.  das  Interesse  des  Fachmannes  gefangen  nehmen.  Gliicklich  die  In- 
strumentensammlung,  welche  dièse  schonste  aller  Privat-KoUektionen  sich  einverleiben 
konnte,  —  sie  marschierte  fiir  lange  Zeit  an  der  Spitze  aller  Instrumentensammlungen- 

Karl  von  Jan  i-  am  4.  September  1899,  geboren  1836  in  Schweinfurt,  seit  1883 
Professer  am  Lyceum  in  StraCburg.  —  In  K.  v.  Jan  ist  ein  bedeutender  Forscher 
auf  dem  Gebiete  der  alten  Musikgeschichte  dahingeschieden.  Nach  einer  grossen 
Reihe  kleinerer  Schriften  musikwissenschaftlichen  Inhaltes  —  es  seien  u.  a.  genannt 
seine  Dissertation  De  (idihus  Cxraecoruni,  von  Abhandlungen  :  die  griechische  Musik 
(Harmonik  des  Aristoxenos  und  Excerpte  aus  Aristoxenos)  ;  die  Tonarten  der  alten 
Griechen;  die  griechischen  Floten;  die  griechischcn  Saiteninstrumente  ;  Musikinstru- 
mente  der  Alten;  der  pythische  Nomos  und  die  Syrinx;  auletischer  und  aulodischer 
Nomos;  die  Handschriften  der  Hymnen  des  Mescmedes;  die  Metrik  des  Bacchius;  die 
Harmonie  der  Spharen  ;  der  Musikschriftstellcr  Albinus  —  veroffentlichte  er  als  Sechzig- 
jahriger  1895  sein  Lebcnswerk  Musici  seriptorcs  (jracci,  dazu  1899  ein  Supplément. 
Die  kritische  Untersuchung  des  seit  Meibom  (1652)  nur  wenig  durchforschten,  sehr 
umfangreichen  Handschriften -Materials,  die  sorgfaltige  Bearbeitung  der  Texte  selber, 
sowie  die  wertvolle  Beigabe  der  vorhandeneu  Reste  altgriechischer  Melodien  sichern 
K.  V.  Jan  einen  chrenvollen  Platz  in  den  Annalen  der  Musikgeschichte.  Auch  der 
praktischen  Musik  hat  er  manchen  Dienst  geleistet.  Jan  war  an  den  verschiedenen 
Orten  seiner  padagogischen  AVirksamkeit  als  Dirigent  von  Chorvereinigungen  tliatig, 
besorgte  eine  Sammlung  lateinischer  Chorgesange,  denen  er  zum  Gebrauch  beim  pro- 
testantischen  Gottesdienst  deutsche  Texte  unterlegte,  und  gab  einige  Werke  von 
H.  Schiitz  heraus,  so_dcn  122.  Psalra  und  die  Exequien. 


32 


Kritisclier  Aiizeisfcr. 


Kritischer  Anzeiger 


der  im  Jahre  1899  erschienenen  Bilcher  und  Scliriften  liber 

Musik,  sowie  der  Neuausgaben  altérer  Musik*) 

(mit  EinscliluB  der  bemerkenswertesten  Erscheinungeii  vom  Jahre  1898}. 

Referenten: 
O.  Fleischer,  M.  SeiflFert,  A.  Sturmhoefel,  J.  Wolf. 


Adler,   Guido.     1.    Heinr.    Fr.   Biber. 

Acht  Violinsonaten  mit  ausgefûhrter 
Klavierbegleitung  (Denkmâler  der 
Tonkunst  in  Ôsterreich).  Wien,  Ar- 
taria  &  Co.    1898.   Zweite  Hiilfte. 

—  2.  J.  J.  Froberger.  IL  Teil.  Suiten 
fur  Klavier  (Denkmâler  der  Tonkunst 
in  Ôsterreich).  Wien,  Artaria  &  Co., 
1899.   Zweite  Halfte. 

Arnold,  Yourij  von.  Théorie  der  Stel- 
lung  der  Stimme  nach  der  altitalieni- 
schen  Schule  (russisch).  St.  Peters- 
burg,  Seliwerstorff,  1S98. 

Bachmann,  Fr.  Grundlagen  und  Grund- 
fragen  zur  evangelischen  Kirchen- 
musik.  Giitersloh,  C.  Bertelsmann, 
1899  —  186  S.  80.  Jl  3,—. 
In  drei  einleitenden  Kapitehi  (die  kir- 
(îhenmusikalischen  Fragen  und  die  realen 
Verhaltnisse  der  Gegenwart;  das  Religiose 
und  das  MusikaUsche;  das  Musikalische  und 
das  Kircliliche)  legt  Vf.  zunâchst  seinen 
neuen  religionsphilosophischen  Standpunkt 
dar,  von  dom  aus  er  dann  in  weiteren  drei 
Kapp.  Stellung  und  Bedeutung  der  einzel- 
nen  kirclienmusikalischen  Faktoren  (Geist- 
licher,  Chor,  Orgel,  Gemeinde,  Komponist), 
eingehend  behandelt.  Den  evangelischen 
Kultus  allein  von  der  liturgischen  oder 
musikalischen  Seite  her  ausbauen  zu  wollen, 
ist  lângere  Zeit  schon  als  Gefahr  erkannt 
worden.  »Von  einer  holieren  AVarte  aus 
ist  das  kirchliche  und  musikalische  Gebiet 
zu  Uberblicken,  um  die  Fiiden  zu  erkennen, 
welche  eine  organischc  Verkniipfung  des 
Kultischen  mit  dem  Musikalischen  ermog- 
lichen.*     Der  bedeutendste  Versuch.   dièse 


Aufgabe  zu  erfiillen,  lag  bisher  in  Fr.  Spit- 
ta's  Werke  »Zur  Reform  des  evangel. 
Kultus«  (1891)  vor.  Eine  philosophische 
Vertiefung  des  Begriffs  »Kirchenmusik« 
und  die  Verwertung  der  neueren  For- 
schungen  Rietschel's  und  Liliencron's  fûli- 
ren  nun  den  Yf.  zu  einer  breiteren,  systema- 
tisch  ausgebauten  Théorie  des  evangelischen 
Kults.  Mag  der  Liturgiker  wie  der  Musik- 
historiker  auch  nicht  allen  Auffassungeu 
unbedingt  beipflichten,  so  ist  doch  das  Werk 
berufen,  eine  allseitige  Verstândigung  iiber 
AVeg  und  Ziel  kiinftiger  Reformbestrebungen 
anzubahuen,  namentlieh  aber  dazu,  den  Mu- 
sikern  das  Verstandnis  fiir  lange  vernacli- 
lâssigte  Pflichten  zu  erschlieCen.  Moge, 
was  gut  ist,  hiiben  und  driiben  auf  frucht- 
baren  Boden  fallen  und  hundertfaltige 
Frucht  tragen.  M.  S. 

Békirt,  Hans.  Taschenbuch  der  Wag- 
nerkûnstlerin.  (R.  Wagner's  Frauen- 
gestalten  in  gesangsdramatischer  Be- 
ziehung.)  AbriB  eines  Kompendiums 
der  gesangsdramatischen  Wagner- 
kunst  in  Bezug  auf  Kûnstler.  Aus- 
gestaltung  der  Frauengestalten  in 
R.  W's.  Tonwerken,  und  die  filr  die 
Kûnstlerin  wagner.  Notwendigkeiten. 
Leipzig,  C.  Wild,  1899  —  XVI  u. 
91  S.     8».    Jl  4,—. 

Bellerinann,H.  AugustEduardGrell. 
Berlin,  Weidmann,  1899  —  222  S. 
8».     Jl  4,—. 

Der  Ausgabe  von  Grell's  »Aufsatzen 
und  Gutachten  iiber  INIusik*  (1887)  liisst 
B.  nunmehr  eine  voUstândige  Lebensbe- 
schreibung  GrelFs  folgeu.  Gestiitzt  auf  ein 
reiches  Material  von  Briefen  und  sonsti^en 


*)  Die  ÛberfùUe  der  nachtrâglicli  anzuzeigenden  Bûcher  und  Schrifteii  macbt  es  der  liedaktion  leiJer 
tininôglich,  aile  bisher  erfolgten  Einseiuiungen  in  der  ersten  Nommer  zu  berackaichtigen.  Nach  Ablauf  der 
Hochflut  wird  das  Princip,  jedos  rechtzeitig  eingegaiigone  Buch  in  der  nachstfiilligen  Nummer  anzuzeigeo, 
streng  innegchalten  wcrden. 


Kritischer  Anzeitrer. 


33 


Aufzeichnungen ,  stellt  sie  nicht  nur-  die 
allmâliliche  Herausbildung  seiner  indivi- 
duellen  Bestrebungen  und  seinen  persôn- 
lichen  Charakter  in  ein  klares  Licht,  son- 
dern  bietet  auch  wertyoUe  Beitrage  fur  die 
Cieschichte  des  Domchors.  des  Gesangun- 
terrichts  am  Graiien  Kloster.  der  Singaka- 
demie.  Sie  spiegelt  ein  gutes  Stiick  Ber- 
liner  Musikgeschichte  des  19.  Jahrli.  wieder. 

M.  S. 

Beresowskj,  W.  W.  Russische  Musik. 

Kritiscli-historisclie  Skizze  (russisch). 

St.  Petersburg,  Selbstverlag,  1898  — 

524  S.     8". 
BernouUi,  E.     Die  Choralnotenscbrift 

bel  Hymnen  und  Sequenzen,  (Sammlg. 

musikAvissensch.    Arbeiten    y.    dtsch. 

Hochschulen,  Bd.  I).    Leipzig,  Breit- 

kopf  &  Hârtel,    1898  —  244  S.   8" 

m.  Noten  u.   Tafeln.     Jl  9, — . 

Der  Titel  entspriclit  nicht  voUig  dem 
Inhalt.  Vf.  sucM  die  Frage  zu  losen,  wie 
die  in  Choralschrift  notierten  Hymnen  und 
Sequenzen  zu  iibertragen  seien,  und  stiitzt 
sich  dabei  im  wesentlichen  auf  die  For- 
schungen  yon  Runge  und  Riemann.  Die 
beiden  ersten  Teile  des  "Werkes  bestehen  aus 
den  Exzerpten,  die  sicli  Vf.  zum  Zwecke 
seiner  Untersucliung  aus  den  mittelalter- 
lichen,  neueren  und  neuesten  Theoretikern 
gesammelt  bat,  und  deren  Kritik.  Wenn 
auch  die  Vorteile  einer  solchen  IJber- 
sicht  liber  die  ganze  das  Gebiet  berûhrende 
Litteratur  nicht  yerkannt  werden  sollen, 
so  befremdet  doch  ihr  Abdruck,  ^yeii 
Schlussfolgerungen  daraus  gar  nicht  gezo- 
gen  werden.  Von  wirklichem  "Wei-te  ist 
der  3.  Teil,  in  dem  Vf.  Ubertragungen 
giebt.  Dank  yerdient  ferner  die  Sorgfalt, 
die  auf  Druck  und  Ausstattung  yerwendet 
wurde,  so\yie  die  Beigabe  der  wertyollen 
Facsimilia.  J.  AV. 

Bezecny,  Emil,  u.  Mantuani,  Jos. 
Jacob  Handl  '^Gallus).  Opus  Musi- 
cum  I.  Teil  (Denkmiiler  der  Tonkunst 
in  Ôsterreich).  Wien,  Artaria  &  Co., 
1899.  Erste  Hâlfte. 

Bie,  Osk.  1.  Das  Klayier  und  seine 
Meister.  Mit  zahlr.  Portrâts,  Illustra- 
tionen  und  Facsimiles,  sowie  musi- 
kal.  Originalbeitrâgen  von  E.  d'Al- 
bert, W.  Kienzl,  M.  Moszkows- 
ki,  Ph.  Scharwenka,  R.  Strauss. 
Muncheu,  Verlagsanstalt  F.  Bruck- 
mann,    1898  —  307  S.     8". 

Z.  d.  I.  M.  I, 


Bie,  Osk.  2.  A  History  of  the  Piano- 
forte  and  Pianoforte  Players.  Trans- 
lated  from  the  German  by  E.  E.  Kel- 
lett  and  E.  W.  Naylor.  London, 
J.   M.   Dent  &  Co.,    1899  — 

Bourgault-Dueoudray ,  L.  A.  Rap- 
port sur  l'organisation  de  l'enseigne- 
ment du  chant  dans  les  écoles.  Van- 
nes,  Lafolye,    1898  —  48  S.     8". 

Brescius,  H.  von.  Die  Konigl.  Sachs, 
musikalische  Kapelle  von  Reissiger 
bis  Schuch  (1826  —  1898).  Fest- 
schrift  zur  Feier  des  350jahrigen 
Kapelljubilâums  (22.  Sept.  1898). 
Dresden,    C.   C.  Meinhold  &  Sôhne, 

1898  —  120  S.     gr.  8».    Jl  2,50. 
Vf.  giebt  iiber  die  Zeit,   die  von  Fiir- 

stenau  bereits  qviellenmâssig  _bearbeitet  ist, 
nur  einen  orientierenden  Ûberblick  und 
fiihrt  dann  in  breiter  Darstellung  die 
Geschichte  bis  in  die  neueste  Zeit  fort. 
Reissiger,  Wagner,  Rietz,  Krebs, 
Schuch  sind  ihre  Hauptreprasentanten. 
Dankenswert  ist  das  yollstândige  Verzeich- 
nis  der  in  den  Konzerten  zum  Besten  des 
Unterstiitzungsfonds  bis  1898  aufgefiihrten 
Musikwerke.  Als  Historiker  bedauere  ich 
das  Fehlen  eines  Namensverzeichnisses  ; 
Fiirstenau's  schlechtes  Beispiel  durfte  nicht 
nachgeahmt  ^verden.  M.  S. 

Bricquevilles,  E.  de.  Notes  Histori- 
ques et  Critiques  sur  l'Orgue.  Pré- 
face de  C.  M.  Widor.  (Extr.  du 
Ménestrel).     Paris,  libr.  Fischbacher, 

1899  —  37  S.     8".     Jl  2,—. 

Der  Orgelbau  im  18.  Jh.,  Handel  als 
Orgelmeister,  die  Orgel  im  Schloss  zu  Ver- 
sailles, die  Orgel  in  der  Versailler  Grotte, 
die  Orgelvirtuositât  —  das  sind  die  The- 
mata  der  nicht  sehr  tiefgehenden,  aber 
nicht  uninteressanten  Feuilletons.  Es  ist 
merkwurdig,  wie  neuerdings  die  franzosische 
und  deutsche  Orgelkunst  nach  jahrhunderte- 
langer  getrennter  Entwickelung  zu  konver- 
gieren  beginnen,  wie  in  Deutschland  die 
franzos.  Litteratur  immer  mehr  bekannt 
wird  und  die  Franzosen  Bach  bewundern 
lernen.  Vf.  ist  ein  sympathischer  Vertreter 
dièses  modernen  Standpunkts.  Wenn  Wi- 
dor im  Begleitwort  sagt:  »Ce  n'est  pas  sans 
un  petit  frisson  d'ironique  contentement 
que  nous  voyons  des  Américains,  des  An- 
glais, des  Allemands  même,  venir  étudier 
cliez  nous  l'art  du  maître  d'Eisenach«,  wah- 
rend  man  fruher  Stuttgart  oder  Miinchen 
aufsuchte,  so  soll  dièse  Verschiebung  nichi 


34 


Kritischer  Anzeiger. 


geleugiiet  werden.  Ob  uns  Deutschen  aber 
zugleich  damit  das  Yerstândnis  fiir  die  hohe 
Bedeutung  unserer  alteu  Orgehneister  ver- 
loren  gegangen  ist,  mochte  ich  nach  B's. 
Ausfiihrungen  ûber  Bach  und  Handel  doch 
etwas  bezweifeln.  M.  S. 

Bruinier,  J.  W.  Das  deutsche  Volks- 
lied.  Ûber  Werden  und  Wesen  des 
deutschen Volksgesanges.  (Aus  Natur 
u.  Geisteswelt,  Sammlg.  wissensch. 
gemeinverstândl.  Darstellungen  aus 
ail.  Gebieten  d.  Wissens,  7.  Band- 
cben).  Leipzig,  Teubner,  1899  — 
15G  S.     8".     Jl  0,90. 

Behandelt:  Pflege  des  Yolksliedes  in  der 
Gegenwart  ;  "Wesen  und  Ursprung  des  deut- 
schen Volksgesanges  ;  der  Priestersanger; 
Skop  und  Spielmann;  Heldengesang;  Ge- 
schichte  und  Mare;  Leben  und  Liebe  (im 
Volksliede).  Vf.  sieht  in  dem  Eindringen 
des  Kunstliedes  in  das  Volk  keinen  Nach- 
teil  fiir  das  Volkslied.  Wohl  aber  birgt 
das  Eindringen  stadtischer  Gassenhauer  ins 
Volk  wegen  ihrer  Frivolitât  eino  grosse 
Gefahr  der  Zersetzung,  weil  vor  allem  in 
dem  Ernste  der  Enipfindung  das  Wesen 
des  Volksliedes  beruht.  Die  einzelnen  Lied- 
gattungen  werden  in  ihrer  geschichthclien 
Entwickelung  von  der  heidnisch-deutschen 
Zeit  an  eingehend  und  meist  zuverliissig 
dargestellt  und  durch  zahlreiche  Textproben 
und  besonders  auch  durch  vergleichende 
Seitenblicke  auf  die  Neuzeit  veranschaulicht. 
Erorterungen  iiber  die  Musik  sind  dabei 
nicht  ausgcschlossen.  Das  Werk  ist  fur  den 
Musikforscher  sehr  brauchbar.         G.  F. 

Bûcher,  Karl.  Arbeit  und  Rhythmus. 
2.  starkverm.  Aufi.  Leipzig,  Teubner, 
1899  —Xu.  412  S.    8".    Ji  ^—. 

Vf.  weist  nach,  dass  sich  bei  den  meisten 
primitiven  Volkerschaften  mit  der  Arbeit 
bestimmte  Gesânge  verbinden,  sei  es  bei 
der  Einzelarbeit  (Mattenflechten,Schnitzen), 
sei  es  besonders  bei  der  gemeinsamen  Ar- 
beit Mehrerer  im  Wechseltakt  (Dreschen, 
Schmieden)  oder  Gleichtakt  (Rudern,]Mâhen, 
Rammen,  Marschiercn).  Letztere  erfordert 
und  erzcugt  stets  einen  bestimmten  Rhyth- 
mus; und  \\o  die  Arbeit  nicht  sclbst  die 
rhythmische  Schallfolge  ergiebt,  wird  der 
Rhythmus  durch  Zurufe  oder  rbythmische 
SchalHnstrumente  erzeugt.  Besonders  Ge- 
sang  unterstiitzt  die  Arbeiter,  Rudernden, 
-Marschicrendenin  ilirer  taktmiiBigcn  Arbeit, 
und  zwar  l'hythmischer,  nicht  melodischer 
Gesang;  denn  die  Mckjdie  ist  dabei  ganz 
Nebcnsache  und  biklet  sich  erst  sekundiir. 
Hieraus  Icitet  Vf.,  von  groCem  Belegmate- 


rial  unterstiitzt,  den  Ursprung  der  Musik 
und  Poésie  her.  Wenn  auch  bei  den  wilden 
Volkern  der  Tanz  eine  ganz  hervorragende 
Rolle  spielt,  so  ist  doch  die  Arbeit  eher  da. 
als  das  Vergniigen.  weil  sie  notwendiger  ist. 
Hier  geht  Vf.  wohl  zu  weit.  Die  Arbeit  ist 
gar  nicht  das  Friiliere  ;  denn  —  -wie  Vf.  selbst 
sorgsam  ausfiihrt  —  verabscheuen  gerade 
die  unkultivierten  Volker  die  Arbeit,  ent- 
ziehen  sich  ilir  nach  Moglichkeit  und  geben 
sich  ihr  nur  hin,  soweit  sie  ihnen  Vergniigen 
macht.  Also  eher  wâre  das  Vergniigen  das 
prius.  Soviel  aber  ist  durch  B.s  Arbeit  ge- 
sicliert,  dass  es  die  energische  rhythmische 
Koi'perbewegung  ist,  die  zur  Entstehung  des 
Rhythmus  in  Poésie  und  Musik  fiihrt  und 
mit  ihr  innig  verbunden  ist.  —  Aus  den 
Schlagwerkzeugen  der  Arbeit  entwickelten 
sich  nach  B.  ferner  die  primitivsten  Ton- 
werkzeuge,  die  Schlaginstrumente,  die  noch 
heute  bei  den  Naturvolkem  am  verbreitet- 
sten  und  beliebtesten  sind,  z.  B.  Trommel. 
Pauke,  Gong,  Tamtam,  Schallholzer,  Schall- 
stocke,  Klappern  und  Rasseln  der  verschie- 
densten  Art.  Trommel  oder  Pauke  sind  fur 
manche  Volker  die  einzigen  Musikinstru- 
mente  geblieben;  sie  haben  sich  aus  dem  mit 
Fell  iibersi:)annten  holzernen  Getreidemorser 
entwickelt,  der  fast  bei  allen  Volkern  der 
Erde  verbreitet  war.  Die  melodischen  In- 
strumente liingegen  treten  bei  den  Natur- 
volkem sehr  zuriick.  Am  haufigsten  erschei- 
nen  Flote  und  Rohrpfeife,  weil  dièse  vor- 
zugsweise  rhythmiscli  wirken.  —  Das  Werk 
ist  zugleich  als  verràssliche  Quelle  von  »eth- 
nographischen*  Melodien  verdienstlich. 

0.  F. 
Bulthaupt,  Heinr.  Cari  Loewe.     (Be- 
rûhmte  Musiker,  IV).     Berlin,   Har- 
monie, 1898   —  378  S.  8". 
Buss,  Ernst.    Was  lilsst  sich  thun   zur 
liturgischen     Bereicherung     unseres 
evangelischen  Gottesdienstes?     Vor- 
trag  (Monatsschrift  f.  Gottesd.  u.  kirchl. 
Kunst).  Glarus,  in  Comm.  v.Baschlin, 
1898  —  12  S.  80.    .//  0,40. 
Ein  Vortrag,  urspriinglich   fiir  die  ein- 
faclieren  Vcrhaltnisse  in  der  Schweiz  berech- 
nct,  aber  gleichwohl  geeignet  auch  in  aude- 
ren  Kreisen  Interesse  fiir  die  liturgischen 
Bestrebungen  der  Gegenwart  zu  erwecken. 

M.  S. 
Cecilia  6  coleccion  de  oraciones  y  cân- 
ticos  sagrados  populares.  Dedicada  a 
los  fidèles  de  les  paises  de  la  lengua 
espanola.  Freiburg  i.  Br.,  Herder, 
1899— XXX  u.  556  8.  IB».  Jl  1,80. 
Dauriac,  C.L.  Les  Orgues  de  Fribourg. 
Paris,  Vanier,  1 898  —  106  S.  16". 


Kritischer  Anzei^er. 


35 


Décréta  authentica  Coiigregationis 
Sacr.  Rit.  Vol.  I.  IL  ab  anno  1588 
No.  1  usque  ad  annum  1870  No.  3233. 
Kegensburg,  Pustet,  1898  —  8». 

Dietrieli,  Alb.  Erinnerungen  an  J. 
Brahms  in  Briefen  besonders  ans 
-  seiner  Jugendzeit.  Leipzig,  O.  Wie- 
gand,  1898  —  76  S.  8».    Ji  1,50. 

Vf.  behandelt  das  Freundschaftsverliâlt- 
nis  von  Br.  zu  Dietricb  und  dem  Schumann- 
kreise(E.ob.u.  Cl.  Schumann,  J.  Joachim, 
Th.  Kirchner  u.  A.)  und  bringt  mancherlei 
Nachrichten  iiber  die  Jugend  von  Br.,  sein 
Elternhaus  und  die  Todeskranldieit  R.  Schu- 
mann's.  Das  Werk  ist  ein  »Baustein  fiir  eine 
erschopfende  Charakteristik  des  grossen  un- 
vergesslichen  Meisters,  die  von  berufener 
Feder  hoffenthch  bald  gegeben  werden  wird.  « 

0.  F. 

Dreseher,  C.  Nurnberger  Meistersin- 
ger-Protokollevonl575— 16S9.  Tû- 
bingen,  Verlag  des  litterarischen  Ver- 
eins  in  Stuttgart,   1898.     8».    Bd.  L 

'  1575  bis  1634.  |327  S.  Bd.  IL  1635 
bis  1698.    334  S. 

Ebeling,  Aug.  Die  Gedichte  von  Pau- 
lus  Gerhardt.  Hannover-Leipzig, 
Hahnsche  Buchhandlg.,  1898  —XIX 
u.  411  S.    Jl  3,—. 

liber  die  bisherigen  besten  kritischen 
Ausgaben  der  Gerhardtschen  Gedichte, 
Bachmann  1866  und  Goedeke  1877,  kommt 
Vf.  betrâchtlich  hinaus.  Durch  die  Benutzung 
der  5.  Ausg.  von  Joh.  Criiger's  Praxis  pie- 
tatis  meUca,  1653  (Ex.  in  Munchen)  gewann 
er  eine  w^esentHch  zuverlâssigere  Grundlage 
fiir  die  kritisclie  Behandlung  der  Texte.  Ein 
historisch-kritischer  Anhang  giebt  iiber  sie 
im  Einzelnen  Rechenschaft,  eine  biographi- 
sche  Einleitung  orientiert  den  Laien,  ein 
doppeltes  Register  dient  zum  Aufsuchen  der 
Lieder.  Die  Xeuausgabe  ist  eine  wertvolle 
Bereicherung  der  germanistischen  und  liym- 
nologischen  Litteratur.  M.  S. 

Ebhardt,  K.  Zwei  Beitrâge  zur  Psy- 
chologie des  Rhythmus  und  des 
Tempo.  Berliner  Dissertation,  1898 
—  56  S.    8». 

Eiehhorn,  A.  Der  akustische  MaBstab 
fur  die  Projektbearbeitung  grosser 
Innenrilume  in  seiner  l^eziehung  zu 
den  musikalischen  Harmonien  erlau- 
tert  und  nach  seinen  harmonischen 
Verhaltnissen    theoretisch    berechnet 


imd  zeichnerisch  dargestellt.    Berlin. 

Schuster&Bufleb,  1899  — 40.  Jl\,—. 

Vf  liait  fiir  die  Akustik  der  grossen  In- 
nenrâume  deren  Resonanz  fiir  allein  mass- 
gebend.  Die  Erkenntnis  der  Resonanz  ist 
uralt.  Sie  war  Griechen  und  Romem  Vitruv) 
bekannt;  ebenso  in  neuerer  Zeit  den  franzo- 
sischen  und  deutschen  Baumeistern  iSturm- 
hoefel  in  allen  seinen  Schriften;.  "Wenn  Vf. 
aber  dabei  den  rohen,  unbeholfenen  Reso- 
nanzkorper  der  tromba  marina  zu  Grande 
legt,  so  fragt  man  iiberrascht,  warum  denn 
niclit  das  vollkommenste  hierin  Geschaffene  : 
den  Violinkorper,  um  aus  dessen  Abmessun- 
gen  irgend  etwas  Brauchbares  lierzuleiten? 
Und  dann  :  die  Blinde  der  tromba  mar.  be- 
dingen  nicht  das  Mitklingen  des  Korpers, 
sondern  dieser  ordnet  sich  mit  seinen  Schwin- 
gungen  den  Schwingungen  der  Saite  genau 
so  unter,  wie  der  Hohlraum  einer  Orgelpfeife 
der  anblasenden  Zunge,  wie  jedes  beliebig 
geformte  diinne  Brett  den  Schwingungen 
der  Stimmgabel.  —  Vor  allem  aber  ist  fiir 
die  Akustik  grosser  Innenrâume  deren  Reso- 
nanz gar  nicht  allein  ausschlaggebend,  son- 
dern die  Entwickelung  des  Tones  selbst  in 
diesen  Râumen  und  seine  Reflexionen  von 
Wânden,  Decke  etc.  sind  ganz  bedeutend 
wichtiger.  Und  was  wird  mit  den  eigentlichen 
Trâgern  der  Verstândlichkeit  fiir  das  gespro- 
chene  oder  gesungene  AVort,  was  wird  mit 
den  Konsonanten,  deren  Gerâusche  doch  et- 
was anderes  sind,  als  die  regelmâssigen  Ton- 
schwingungen  ?  Dariiber  schweigt  sich  die 
Schrift  vôUig  aus  !  —  Wenn  man  die  viele 
Miihe  und  den  redlichen  Fleiss  des  Vf  er- 
wâgt.  der  ailes  Môgliche  und  Unmogliche 
zusammentragt  zur  Unterstiitzung  seiner 
Idée,  wird  man  unwillkiirlich  an  den  Danen- 
prinzen  erinnert,  von  dessen  Eingebungen 

Polonius  anerkennt: .  yet  there  is  me- 

thod  in't!  A.  St. 

Ende,  H.  vom.  E.  T.  A.  Hoffmann's 
musikalische  Schriften.  Mit  Ein- 
schluss  der  nicht  in  die  ges.  "Werke 
aufgenommenen  Aufsâtze  ùber  Beet- 
hoven, Kirchenmusik  etc. ,  nebst  einer 
Biographie  (Universalbibliothek  fur 
Musik-Litteratur,  No.  15 — 17).  Kôln, 
H.  vom  Ende,  1899  —  287  S.  8^ 
Jl  1,50. 

Bildet  eine  notwendige  Erganzung  zum 
Bildc  von  der  viclseitigen  Thatigkeit  dièses 
merkwiirdigen  Mannes,  da  seine  musiklitte- 
rarischen  Leistungen  zwar  nicht  unbekannt 
geblieben  sind,  aber  bisher  doch  nicht  leicht 
voUstandig  iiberschaut  werden  konnten. 
Enthillt  die  Aufsâtze  iiber  Musik,  die  novcl- 
listischen  Essais,  Rezensioncn  und  Analysen 
von  Tonwerken  etc.,  die  H.  meist  fiir  die 

3* 


36 


Kritischer  Anzeiger. 


Allg.  Mus.  Ztg.  1809 -1814  schrieb.  Der 
Beethoven-Freund  iindet  hier  feinstilisierte 
Analysen  von  warmem  Ton.  Der  Musik- 
kritiker  heutiger  Tage  kann  von  H.  formell 
und  inhaltlich  manches  lernen.  0.  F. 

Entwurf  eines  Gesetzes,  betr.    das 

Urheberrecht    an     Werken     der 

Literatur     und     der     Tonkunst. 

Amtliche  Ausgabe.     Berlin,  J.   Gut- 

tentag,  1899  —  45  S.    8».    J^  0,50. 

Der  Entwurf  ist  von  der  Reichsverwal- 

tung  auf  Grund  langwieriger  und  vielgestal- 

tiger  Beratungen  zwischen  Juristen,  Verle- 

gern,  Musikern  etc.  ausgearbeitet.    Die  Be- 

kanntmachung  bezweckt,  auch  die  offentliche 

Kritik  fiir  die  wichtige  gesetzgeberische  Auf- 

gabe  zu  verwerten.1  Wir  hoffeii,  auch  unser 

Scherflein  dazu  beitragen   zu  konnen,    und 

bitten  die  MitgUeder  der  IMG.,  sich  durch 

Einsendung  von  diesbezuglichen  Wiinschen 

und  Kritiken  zu  bethâtigen.  O.  F. 

Expert,  Henry.  Les  maîtres  Musiciens 
de  la  renaissance  française.  Paris, 
Alphonse  Leduc  —  jed.  Liefg.  12  fr. 
Vile  livr.    Chansons  de  maistre  Clément 

Janequin. 
Ville  livr.  Liber  quindecim  missarum 
electarum  quae  per  excellentis- 
simos  musicos  compositae  fu- 
erunt.  Roma,  Andr.  Antiquus 
de  Montona,  1516.  [Josquin 
des  Prez,  Ant.  B  r  u  m  e  1 ,  Ant. 
Fevin,  Pierre  de  la  Rue, 
Jean  Mouton,  Math.  P  i  p  e  - 
lare,  P.  Ilousseau(Roselli!]. 

Pindeisen,   Nie.     Katalog  der  Noten- 
handschriften,  Briefe  und  Portrâts  M. 
J.  Glinka's  in  der  Handschriften-Ab- 
teilung  der  kaiserlichen  offentl.  Bib- 
liothek   in  St.  Petersburg  (russisch). 
St.    Petersburg,    Verlag    der    Nowoe 
Wremja,  1898  —  145  S.    S».     10  fr. 
Fink,  G.    Etude  biographique  sur  J.  S. 
Bach.    Angoulème,  imp.  de  la  Chro- 
nique charentaise,  1899  —  50  S.  16". 
Fleischer,    Oskar.     Mozart.     Berlin, 
Ernst  Hofmann  &  Co.,  1899  —  XI  u. 
215S.80.    J/  2,40  (3,20  u.  3,80). 
Ich  habe  hier  das  Problem  zu  losen  mich 
bemiiht,  niichtern,   iiberzeugend,   allgemein 
verstandlich  und  wissenschai'tlich  fijrdersam 
die  allmâhliche  Entwickelung  eines  musika- 
lischen  Génies   und   die   Bedingungen   und 
Folgen    seines    AVirkens    darzulegen.     Ich 
glaube  Mozart' s  vielgeschildertes  Leben  viel- 


fach  unter  neuen  Gesichtspunkten  beleuchtet 
undnichts  gesagt  zu  haben,  was  wissenschaft- 
lich  nicht  beweisbar  ware.  Eine  Mozart- 
Bibliographie  als  Anhang  zeigt,  wie  leben- 
dig  Mozart  noch  heute  auf  die  Welt  einwirkt. 

0.  F. 

Freisen,  Joseph.  Manuale  Curatorum 
secundum  usum  ecclesiae  Rosckil- 
densis.  Katholisches  Ritualbuch  der 
dânischen  Diôzese  Roeskilde  im  Mit- 
telalter.  Paderborn,  Junfermann,  1898 

—  XXXV  u.  68  S.    8".   J/  3,—. 
Das  Manuale  Curatorum,  der  Erstlings- 

druck  des  Pavel  Raeff  in  Kopenhagen  1513, 
bestimmt  mehrere  Riten.  Wichtig  sind  ihre 
mannigfachen  Abweichungen  vom  Rituale 
romanum,  die  gewiss  noch  ins  tiefere  Mittel- 
alter  zuriickreichen.  Den  Wert  des  Neu- 
druckes  erhôhen  einleitende  Bemerkungen 
iiber  die  Einfiihrung  des  Christentums  und 
der  Reformation  in  Danemark,  sowie  iiber 
die  Entwickelung  der  katholischen  Kirche 
Danemarks  seit  der  Reformation  bis  zur 
Neuzeit.  M.  S. 

Frommel,  Otto.  Kinder-Reime,  -Lie- 
der  u.  -Spiele.   1.  Heft.   Berlin,  1899 

—  48  S.  S". 
Fuller-Maitland,  l.  A.   The  Musicians 

Pilgrimagc  :   a  study  in  artistic  deve- 

lopment.  London,  Smith,  Elder& Ce, 

1899  —  XIV  u.   152  S.  8". 

Der  Vf  versucht,  die  Wandlun^en  dar- 
zulegen, die  ein  jeder  ausiibender  Kiinstler, 
mager  auch  noch  so  reich  begabt  sein,  durch- 
zumachen  hat,  bis  er  zur  VoUendung  heran- 
reift.  Mit  seinem  Bûche  verbindet  er  einer- 
seits  den  Zweck,  der  oft  gehegteu  Meinung, 
die  Kiinstlei'schaft  sei  eine  Gabe  Gottes  und 
nicht  das  Ergebnis  ernstesten  Strebens,  ent- 
gegenzutreten,  andererseits  denen,  die  auf 
dem  "Wege  zur  KUnstlerschaft  sind,  aber 
zweifelnd  mitten  auf  dem  AVege  stehen  blei- 
ben,  zu  zeigen,  in  welcher  Richtung  sie  sich 
weiter  entwickeln  miissen.  Wie  weit  dièse 
Absicht  an  Hand  des  Bûches  erreicht  wer- 
den  kann.  mag  dahingestellt  bleiben.  Jeden- 
falls  birgt  es  eine  Fiille  scharfer  Beobach- 
tungen  und  vortrefflicher  und  beherzigens- 
werter  Ratschlage.  Aus  der  durch  die  Ent- 
wickelung sich  ergebcnden  Kette  von  Ver- 
anderungen  innerhalb  der  Kiinstlernatur 
greift  der  Vf  als  oharaktcristisch  7  Typen 
heraus:  das  Wunderkind,  den  Studierenden, 
den  eingebildeten  Kiinstler,  den  INIusiklieb- 
haber  und  Enthusiasten,  den  V'irtuosen,  den 
vollendeten  Kiinstler  und  den  Kunstvetera- 
ncn.  Einen  jeden  Typus  zeichnet  er  scharf 
seinen  Vorziigen  und  etwaigen  Sohwachen 
nacli.  J-  "  • 


Kritischer  Anzeiger. 


37 


FuUer-Maitland,    I.  A.    and  Squire, 

W.  B.,  The  Fitzwilliam  Virginal 
Book,  Leipzig,  Breitkopf  &  Hârtel, 
1898.  Heft  36—39. 
Gauchat,  L.  Etude  sut  le  ranz  des 
vaches  fribourgeois.  (Progr.)  Zurich, 
Fâsi  &  Béer,  1899  —  47  S.  4». 
.//  1,30. 
Gavina,  P.  Jl  Ballo.  Storia  délia 
Danza.  Balli  girati.  Contraddanze. 
Cotillon.  Danze  locali.  Feste  da 
ballo.  Igiene  del  Ballo.  Con  99  fi- 
gure intercalate  nel  testo.  Milano, 
Hoepli,  1898  —  VII  u.  239  S.  80. 
L.  2,50. 

EinesderGOO  bisher  erschienenen  Hoepli- 

schen   Taschenbiicher,   das  in  erster  Linie 

dem  Unterricht  in  den  heute  gebrâuchlichen 

Tânzen  dient,  aber  auch  auf  die  Geschichte 

des  Tanzes  im  Altertum  und  Mittelalter  ein- 

geht.    Wichtiger  ist  die  Beschreibung  von 

Volkstânzen  in  Europa,  Asien,  Afrika,  Ame- 

rika,  Océanien;   doch  scheint  das  Material 

nicht  immer  zuverlassig.  0.  F. 

Gehrmann,  H.   Cari  Maria  von  Weber 

(Beriihmte  Musiker  Bd  V.).     Berlin, 

Harmonie,    1899  —II  u.  117  S.   80. 

Ji  4,00. 

Der  Vf.  giebt,  gestiitzt  auf  die  Werke 
von  M.  M.  V.  Weber  und  Jâhns  und  auf 
die  bedeutenden  Urteile  eines  Spitta,  Riehl, 
Hanslick,  E,.  Wagner  etc.  ein  anschauliches 
Bild  von  dem  Leben  und  Wirken  Weber's. 
Einer  Anregung  Spitta's  folgend  weiC  er 
dem  Stoff  dadurch  neue  Seiten  abzugewin- 
nen,  daB  er  zeigt,  wie  Weber  als  Avisgangs- 
punkt  einer  neuen  Entwicklung  zu  betrach- 
ten  ist  und  wie  von  ihm  aus  sich  die  Fâden 
bis  in  unsere  Zeit  ziehen  lassen.  Er  ist 
Begriinder  der  romantischen  und  Schopfer 
der  ersten  deutschen  Oper.  Das  Ziel, 
nach  dem  er  in  der  Oper  strebt,  ist  ein- 
heitliches  Zusammenwirken  der  Musik  mit 
ihren  Schwesterkunsten,  ein  Gedanke,  der 
von  R.  Wagner,  seinem  Amtsnachfolger  in 
Dresden  aufgegriffen  und  seiner  Vollendung 
entgegengefiihrt  worden  ist.  Mit  groCerem 
Nachdruck  wie  die  friiheren  Meister  ver- 
langt  er  den  poetischen  Stimmungsgehalt 
in  der  absoluten  Musik.  In  der  Liedmusik 
bringt  er  das  volkstiimliche  und  naïve  Lied 
zur  Anerkennung  und  wirkt  in  der  Klavier- 
musik  bahnbrecïiend  fiir  Chopin,  Mendels- 
sohn,  Schumann  und  Liszt.  —  Eine  reiche 
und  geschmackvolle  Auswahl  von  Abbil- 
dungen  und  Facsimilien  verleiht  dem  Bûche 
besonderen  Reiz.  Zu  tadeln  ist  die  schlechte 
Verteilung  des  Textes  bei  Einschiebung  von 


ISTotenbeispielen.    Auf  S.  63  und  91  werden 

dadurch   dem  Léser  geradezu  Râtsel  auf- 

gegeben.  J.  W. 

Goblot,  Edm.    De  musicae  apud  vete- 

res     cum    philosophia    conjunctione. 

Pariser  Dissertation,  1898  —  65  S.  80. 

Grabowsky,  Norb.    Wider  die  Musik! 

Die    gegenwârtige    Musiksucht    und 

ihre    unheilvollen    Wirkungen.     Zu- 

gleich  ein  Nachweis  der  geringwerti- 

gen  oder  ganz  mangelnden  Bedeutung, 

welche  die  Musik  als  Kunst  wie  als 

bildendes  Elément  in  Anspruch  neh- 

men  kann.    Leipzig,  M.  Spohr,   1899 

—  66  S.    8^    Jl  0,50. 

Grossmann,   M.     Wie  bestimmt    man 

das    Stârkeverhâltnis    der    Resonanz- 

platten  bei  der  Geige  ?     (Sep.-Abdr. 

aus  der  Musik -Instrumenten-Zeitg.) 

Berlin,    M.    "Warschauer,     1899     — 

25  S.    80. 

Vf  meint,  dass  Boden  und  Decke  der 
Geige  mit  den  erklingenden  Saiten  nicht 
gleich  schnell,  sondern  nur  in  ihrem  Eigen- 
tone  schwingen.  Das  Geheimnis  der  italie- 
nischen  Geigenbauer  bestehe  darin,  dass  sie 
den  Eigenton  des  Bodens  in  das  Verhaltnis 
der  hoheren  reinen  Quarte  oder  Quinte  zum 
Eigenton  der  Decke  setzten  und  als  letzteren 
g  oder  fis  wâhlten.  Ein  Instrument  klinge 
um  so  weniger  hell,  je  tiefer  der  Eigenton 
der  Decke  sei.  J.  W. 

Grupp,  G.  Oettingen-Wallersteinsche 
Sammlungen  in  Maihingen.  Hand- 
schriftenverzeichnis.  l.Hâlfte.  Nôrd- 
lingen,  Th.  Reischle,  1897  —  36  S. 
80.    Jl  1,—. 

Enthalt  unter  !>XI.  Musikgeschichtec 
Anzeige  von  12  Handschriften  (11. — 16.  Jh.) 
meist  liturgischer  Musik,  darunter  2  î^eu- 
menhdschr.  des  11.  Jh.  Ein  Trinklied  aus 
einem  Briefe  des  Aeneas  Sylvius  ist  in 
Noten  wiedergegeben.  0.  F. 

Haberl,  F.  X.  1.  Kirchenmusikalisches 
Jahrbuch  fiir  das  Jahr  1898.  Regens- 
burg,  Fr.  Pustet,  1898.  —  136  S. 
und  160S.Notenbeilagen,80.  .//2,60. 

—  2.  Kirchenmusikalisches  Jahrbuch 
fur  das  Jahr  1899.  Ibid.  1899.  — 
145    S.    und    24    S.    Notenbeilagen, 

Jl  2,60. 

Die  Titel  der  in  beiden  Jahrbiichern  ent- 
haltenen  zahlreichen  Aufsatze  findet  man  in 


38 


Kritischer  Anzeijrer. 


der  Zeitschriftenschau  uuter  H.  Bellemiann, 
H.  Davey,  F.  X.  Haberl.  E.  Langer,  R. 
31olitor,  K.  Walter;  J.  AVolf. 
Haberl,  F.  H.,  3.  Orlando  di  Lasso. 
Samtliche  Werke.  Leipzig,  Breitkopf 
&  HârteL  Magnum  opus  musicum, 
1S98,  TeilV. 
Habert,  J.  E.  Beitrâge  zur  Lehre  von 
der  musikalisclienKomposition.  Leip- 
zig, Breitkopf  &  Hartel,  1809  —  S». 
L  Harmonielehre.  XVIII  u.  382  S. 
Jl  6, — .  II.  Lehre  von  dem  einfachen 
Kontrapunkte.  XIVu.  190S.  JH,—. 
III.  Lehre  von  der  Nachahmung.  VIII 
u.  215  S.  Jl  3,—. 
Vf.  bestimmt  dièse  Beitrâge  in  erster 
Linie  fiir  seiche,  die  sich  der  katholischen 
K.irchenmusik  widmen  wollen.  Keinerlei 
theoretische  Kenntnisse  voraussetzend,  geht 
er  von  den  Elementen  Schritt  tiir  Schritt 
vorwârts  und  beriihrt  im  Vorbeigehen,  was 
ihm  von  der  Akustik  und  besonders  der  Mu- 
sikgeschichte  wissenswert  erscheint.  Vf. 
vertritt  den  richtigen  Standpunkt  :  wer  den 
jetzigen  Zustand  der  Musik  erkennen  will, 
muss  wissen,  was  vorher  gewesen  ist.  Frei- 
lich  steht  Vf  mit  seinen  historischen  Bemer- 
kungen  nicht  iramer  auf  der  Hohe.  —  In  der 
Harmonielehre  behandelt  Vf.  nach  dem 
Beispiel  Sechter's  die  Dur-  und  Molltonlei- 
ter  getrennt.  Er  erôrtcrt  aile  nur  denkbaren 
Falle  von  Akkordverbindungen,  verdichtet 
aber  diesc  Reihe  von  Fiillen  nicht  zu  einem 
genûgend  klaren  Système.  Ist  das  Fehlen 
von  Aufgabenmaterial  fiir  den  Schiller  zu 
bemângeln,  so  muss  man  den  engen  Konnex 
mit  der  praktischen  Kunst  und  den  steten 
Hinweis  auf  ihre  Meistei-werke  anerkennen. 
—  Im  einfachen  Kontrapunkt  lehnt 
sich  Vf.  eng  an  Fux  an,  entnimmt  jedoch 
dabei  seine  cantus  firmi  dem  gregorianischen 
Choral.  Seine  Darstellung  gewinnt  unge- 
mein  dadurch,  dass  er  stets  auf  Beispiele  aus 
der  Blutezeit  der  Kontrapunktik  zuriick- 
greift  und  sie  in  streitigen  Fallen  als  Richter 
anruft.  Zu  jedem  C.  f.  stellt  er  jedoch  nur 
einen  Kontrapunkt  auf;  Bellermann's  Ver- 
fahren  ist  fur  den  Schiller  jedenfalls  instruk- 
tiver.  —  Vorziiglich  ist  die  Nachahmung 
abgehandelt.  Durch  Analysen  von  Meister- 
werken  zeigt  Vf  dem  Schiller  die  Anwen- 
dung  der  willkiirlichen  periodischen  Nach- 
ahmung, sowie  der  Nachahmung  in  den 
kontrapunktierenden  Stimmen.  Eine  Ein- 
leitung  in  die  Lehre  von  der  Fuge  beschliesst 
das  Werk.  J.  W. 

Harris,  ï.  F.  Handbook  of  acoustics 
for  the  use  of  musical  Students.  New 
York,  Scribner,  1S98  —  286  S.  120. 


Heckel,  Karl.  1.  Briefe  R.  Wagner's 
an  Emil  Heckel.  Zur  Entstehungsge- 
schichte  der  Bûhnenfestspiele  in  Bay- 
reuth.  Berlin,  S.  Fischer,  1899  — 
170  S.  80.    Jl  3,50. 

—  2.  Letters  of  Rich.  Wagner  to 
Emil  Heckel.  Translated  by  W.  Asb- 


tonEllis. 
1899. 


London,  Grant  Richarts. 


E.  Heckel  war  dereinzige,  der  sich  1871 
auf  einen  Aufruf  Wagner's  als  >Freund« 
der  "Wagnersache  meldete.  Dadurch  mit  W. 
in  personliche  Beziehung  gelangt,  ward  er 
einer  der  thatkrâftigsten  Forderer  der  Bay- 
reuther  Festspiele,  Begriinder  der  "Wagner- 
vereine  und  Geschâftsberater  W.s.  Reiches 
briefliches  Material  erhellt  die  einzelnen 
Phasen  der  langsamen  Entwickelung  des 
Bayreuther  Festspielhauses.  Das  Werk  ist 
fiir  den  W.-Biographen  unumganglich. 

0.  F. 

Heintz,  Alb.  1.  Briefe  R.  Wagner's 
an  Otto  Wesendonck.  Charlottenburg, 
Allgem.  Mus.-Ztg.,  1898  —  8". 

—  2.  Rich,  Wagner:  Letters  to 
Wesendonck.  Translated  and  indexed 
by  W.  Astiion  Ellis.  London,  Grant 
Richards,    1899. 

Horneffer,  Aug.   Johann  Ro  s  en  mill- 
ier (ca.  1619— 1G84).  Berliner  Dis- 
sertation,   1898  —  124  S.    80. 
Neue,   auf  Quellenforschung  beruhende 
Darstellung    von    Rosenmiiller's  Leben 
imd  Wiirdigung  seiner  Werke.  Fleissige  und 
sorgfàltige  Arbeit.   Als  Nachtrag  hierzu  ist 
ein  bibliographisches  Verzeichnis  der  Werke 
erschienen  in  Eitner's  M.  f.  M.,  1899,  No.  3 
bis  ô.    Vergl.  No.  6.  M.  S. 

Houdard,  Georges.  1.  Le  Rhythme  du 
Chant  dit  Grégorien  d'après  la  notation 
neumatique.  Paris,  Fischbacher,  1898 
—  X  u.  264  S.    8».    25  fr. 

—  2.  Appendice.  Paris,  Fischbacher, 
1S99  —  VII  u.  70  S.    80. 

Dem  \î.  sind  die  Neumen  ein  gctreues 
Spiogelbild  der  Mclodien  und  somit  auch 
Zeichen  des  Ausdrueks  und  des  Rliythmus. 
Das  Studienmatcrial  bietet  ihm  die  paléo- 
graphie musicale  der  Bcnediktiner  von  So- 
lesmes,  deren  Forschung  hinsiclitlich  der 
Tonhohen  fiir  ihn  massgcbend  ist.  Aus  Ver- 
anderungen  der  urspriinglichen  Neumen- 
formen  zieht  er  Schliisse  auf  den  Vorti'ag. 


.i^^;<     /v^  ^î»2>,^.^     ,,^^^-e^ii>^^'*^^-^^^^  yi^'T^ 


Kritischer  Anzeiger. 


39 


Die  Umwanclluug  eines  Punktes  in  einen 
Strich  bedeutet  nacli  seiner  Meinung  eine 
Dehnung  des  Tones,  ein  ritenuto  oder 
marcato  allargando,  die  Verânderung  einer 
virga  oder  eines  Punktes  in  einen  Apostroph 
den  liquescenten  Vortrag  dieser  Note,  die 
Distrophe  und  Tristrophc  em  Tremolieren 
der  Stimme  eto.  Er  liest  ans  den  Neumen 
heraus ,  ob  eine  Melodiephrase  piano  oder 
forte  anfàngt,  ob  sie  an  Tonstârke  zu-  oder 
abnimmt  und  ob  und  wie  ein  Ton  verziert 
werden  soU.  Besondere  Beachtung  ver- 
dienen  seine  Ausfuhrungen  liber  die  rhyth- 
misclie  Bedeutung  der  Neumen.  Gestiitzt 
neben  andern  Griinden  auf  Guido  Micro- 
logus  cap.  15  stellt  er  den  Satz  auf,  dass 
j  e  d  e  Neume,  niag  sie  ans  einem  oder  meli- 
reren  Tonen  bestehen,  gleich  einer  rhyth- 
mischen  Zeit  zu  setzen  sei.  Die  Yerteilung 
des  Wertes  unter  die  Tone  einer  Neume 
geschieht  nach  Massgabe  der  Porm  ent- 
weder  zu  gleichen  oder  ungleichen  Teilen. 
An  Hand  von  Beispielen  zeigt  er.  wie 
neumierte  Melodien  unter  diesen  Gesichts- 
punkten  iibertragen  ihre  voile  Sclionheit 
entfalten.  Erwâhnt  werden  mag  zum  Schluss 
noch  eine  Einteilung  und  Chronologie  der 
liturgisclien  Pormen,  je  nachdem  in  ilmen 
ein-  oder  mehrtonige  Neumen  Anwendung 
finden.  Veranlassung  zu  dem  Anliange  ga- 
ben  Missverstândnisse  seines  Hauptsatzes: 
eine  jede  Neume  gleich  einer  rhythmischen 
Zeit,  den  er  hierin  noch  einmal  klarlegt. 

J.  W. 

Hupp,  Otto.  Ein  Missale  spéciale  als 
Vorlâufer  des  Psalteriums  von  1457. 
Beitrag  zur  Geschichte  der  illtesten 
Druckwerke.  Miinchen-Regensburg, 
Nationale  Verlagsanstalt,  1898  — 
30  S.  4". 
Hutor,  W.  Cari  Davidoff  und  seine 
Art,  das  Violoncell  zu  behandeln. 
Moskau,  Selbstverlag,  1899  —  64  S. 
80. 

Erschien  zuerst  i-ussisch  in  der  Moskauer 
Ztschr.  »Artist«  1891,  liegt  aber  hier  in 
deutscher  Sprache  erheblich  erweitert  vor. 
Vf.  war  ein  Schiller  Davidoff 's,  dessen 
kiinstlerische  Eigenart  er  vortrefflich  durch 
eine  Fiille  von  Bemerkungen  liber  seine 
Lehrmethode ,  Bogenfiihrung ,  Plageolett- 
Technik,  seinen  Lehrstoff,  Vorti'agctc.kenn- 
zeichnet.  Ein  Anhang  liber  die  Geschichte 
des  Violoncells  giebt  manche  wichtige  Er- 
ganzung  zu  Wasielewski's  kompilatorischem 
AVerke  liber  das  Violoncell  ;  ein  zweiter  An- 
hang verbreitet  sich  liber  die  Elemente  der 


Violoncelltechnik.  Das  "Werkchen  bietet 
dem  Virtuosen  auf  diesem  Instrument  viele 
Anregiingen.  0.  F. 

Jadassohn,  S.  Ratschlage  und  Hin- 
weise  fur  die  Instrumentationsstudien 
der  Anfânger.  Leipzig,  Breitkopf  & 
Hartel,  1899  —  54  S.    8».    Jl  1,50. 

Hat  Vf.  in  seinem  ïLelirbucli  der  Instru- 
mentation* den  Tonumfang  und  die  Behand- 
lung  aller  jetzt  gebrâuchlichen  Instrumente 
besprochen  und  aile  Moglichkeiten  der 
Klangkombinationen  theoretisch  eingehend 
erortert,  so  beabsichtigt  er  jetzt.  den  An- 
fânger mit  dem  ganzen  Apparat  des  moder- 
nen  Orchesters  praktisch  vertraut  zu  machen. 
Vf  beginnt  mit  dem  Chorsatz,  rat,  zu  An- 
fang  nur  flir  solche  Instrumente  zu  schreiben, 
deren  Tonumfang  den  der  Singstimme  nicht 
zu  viel  iiberschritte  (Messinginstr.),  dann  zu 
den  Eohrblasiustrumenten,  schliesslich  zum 
Streichquartett  liberzugelien.  Trefflich  cha- 
rakterisiert  Vf  sodann  die  Verwendbarkeit 
der  einzelnen  Instrumente  an  der  Hand  von 
Beispielen  der  besten  Meister.  Die  vielfach 
erteilten  praktischen  Winke  werden  An- 
fângern  manche  nutzlose  Mûhe  ersparen. 

J.  W. 
Mantuani,  Jos.  s.  Bezecny. 

Squire,   W.  B.   s.   Fuller-Maitland. 

Vogel ,  E.    1 .  Jahibuch  der  Musikbiblio- 

thek  Peters  fiir  1897.   Leipzig,  Peters, 

1898  —  105  S.  gr.  8«.   Jl  3,—. 

—  2.   Jahrbuch.     der     Musikbibliothek 

Peters  fur  das  Jahr  1898.     Leipzig, 

Peters,  1899  —  103  S.    S^.  Jf  3.— . 

Ausser  den  stehenden  Rubriken  des  Be- 

richts  liber  die  bemerkenswertesten  Blicher 

und  Schriften  v.  H.  Kretzchmar;  und  der 

Bibliographie  (v.  E.  V o g el)  enthâlt  an  selb- 

stândigen  Aufsâtzen 

1.  E.  Vogel,  Gluck -Portrâts;  H. 
K  r  e  t  z  s  c  h  m  a  r ,  Das  deutsche  Lied  seit  dem 
Tode  R.Wagncr's  ;  Mitteilungen  v.M.  Fr  i  e  d  - 
laeuder  liber  Balladen  -  Fragmente  R. 
Schumann's,  AV.  Kleefeld  liber  Bach  und 
Graupner  als  Bewerber  um  das  Thomaskan- 
torat,  R.  Schwartz  liber  Friedr.  Grimmei*, 
E.  Vogel  liber  die  âlteste  Singweise  zu 
Arndt's  »Was ist desDeutschen Vaterland?« 

2.  E.  Vogel,  Joseph  Haydn-Portrats  : 
G.  Ad  1er,  Musik  und  Musikwissenschaft ; 
R.  S  c  h  w  a  r  t  z ,  das  erste  deutsche  Oratorium  ; 
E.  Vogel,  Zur  Geschichte  des  Taktschla- 
«rens. 


40 


Zeitschriftenschau. 


Zeitschrifteuschau 

(vom   1.  Januar  1899  beginnend) 

zusammengestellt  von 


'I 


Abkùrzungen:  A.  M.  Z.  Allgem.  Musik  -  Zeitung,  Charlottenbnrg,  Lelisten.  B.  S.  Berliner  Sig- 
nale, Friedenau,  Steinbach.  Bayr.  Bl.  Bayreiither  Blatter,  Bayreulh,  L.  EUvvanger.  Ch.  G.  Chorgesang, 
Stuttgart,  Liickhardt.  Corr.  d.  ev.  K.  Correspondenzblatt  d.  evang.  Kirchengesang^'ereins  fiir  Deutschland, 
Leipzig,  Breitkopf  &  Hartel.  Gaz  Z.  mus.  Gazetta  musicale  di  Milano ,  Milano,  Ricordi.  G.  mus.  Le 
Guide  musical,  Bruxelles,  Office  central.  K.  G.  Kunstgesang,  Leipzig,  K.  Fritzsche.  E.  Li.  Klavier- 
lehrer,  Berlin,  W.  Peiser.  M.  S.  Musica  sacra,  Regensburg,  Pustet.  M.  "W.  Bl.  Musikalisclies  Wochen- 
blatt,  Leipzig,  E.  W.  Kritzsch.  M.  f.  M.  Monatshefte  fiir  Musikgeschichte ,  Leipzij; ,  Breitkopf  &  Hartel. 
M.  Schir.  £.  G.  Monatsschrift  fiir  Gottesdienst  u.  kirchliche  Kunst,  Gottingen,  Vandenhoeck  &  Ruprecht. 
Mus.  Tim.  Musical  Times  ,  London,  Novello.  Mén.  Le  Ménestrel,  Paris,  Heu^el.  M.  M.  R.  Monthly 
Musical  Record,  London,  Augener.  N.  Z.  f.  M.  Neue  Zeitschrift  f.  Mus.,  Leipzig,  C.  F.  Kahnt.  Nuov. 
Mus.  Nuova  musica,  Firenze,  E.  del  Valle.  Biv.  raus.  Rivista  musicale  italiana,  Torino,  Fratelli  Bocca. 
S.  H.  Sangerhalle,  Leipzig,  0.  F.  W.  Siegel.  Sch'W.  M.  Z.  Schweizerische  Musikzeitung ,  Ziirich,  Gebr. 
Hug  &  Co.  Siona,  Giitersloh,  Bertelsmann.  Tijdschr.  Tijdschrift  der  Vereeniging  voor  N.-is'ederl. 
Muziekgesch.,  Amsterdam,  Fr.  Bluller  &  Co.  Ur.  Urania,  Erfurt,  Conrad.  Ztschr.  f.  X.  Zeitschrift  fiir 
Instrumentenbau,  Leipzig,  P.  de  Wit. 


Achelis,  E.  Chr.  Kyrie  eleison.  Eine  li- 
turgische  Abhandlung  —  M.  Schr.  f.  G. 
Nr.  6— 7._ 

Adler,  Guido.  Musik  und  Musikwissen- 
schaft.  Akademische  Antrittsrede  — 
s.  krit.  Anzeig.,  Vogel  2. 

Albinati,  G.  Prospetto  délie  Opère  nuove 
italiane  rappresentate  nell'  anno  1898  — 
Gazz.  mus.  Nr.  1. 

Appunn ,  A.  Schwingungszahlbestim- 
mungen  bei  sehr  hohen  Tônen  —  Annal, 
d.  Physik  u.  Chemie  (Leipzig,  J.  A.  Barth) 
1898,  ..S.  409  fï". 

.     liber  die  Bestimmung  der  Schwin- 

gungszahlen  meiner  hohen  Pfeifen  auf 
optischem  Wege  —  Warum  konnen  Diffe- 
renztone  nicht  mit  Sicherheit  zur  Be- 
stimmung hoher  Schwingungszahlen  an- 
gewandt  werden?  —  ibid.  1899,  S.  217  ff. 

Arienzo,  N.  d'.  Origini  dell'  opéra  comica 
—  Riv.  mus.  fasc.  3. 

Arndt,  G.  Das  Fastenlied  >Jesus  Chri- 
stus  unser  Seligkeit*  in  niederdeutscher 
Sprache  —  M.  Schr.-  f.  G.  Nr.  2  [vgl. 
Wackernagel,  V,  83]. 

Barnett,  S.  A.  The  mission  of  the  Music 
—1  Internat.  Journal  of  Ethics  (London, 
Swan  Sonnenschein  &  Co.),  Heft  4. 

Bauer,  Ij.  Einiges  Uber  Gesten  der  sy- 
rischen  Araber  —  Ztschr.  d.  deutsch. 
Palâstina-Vereins  (Leipzig,  K.  Baedekei') 
1898,  Heft  1.     [Cheironomie.] 

Bélart,  Hans.  E,.  Wagner 's  Abreise  aus 
Zurich  im  August  1858  —  K.  G.  Nr.  14/15. 


Bellermann ,  H.  Geschichtliche  Bemer- 
kungen  iiber  die  Notation  —  s.  krit.  Anz.. 
Haberl  1. 

Benndorf,  Kurt.  Georg  Dietrich  — 
Mitteil.  d.  Vereins  f.  Gesch.  d.  Stadt  Mei- 
Cen  (MeiCen,  L.  Mosche),  1898,  Heft  1. 

Beutter.  Kirchliches  Orgelspiel  —  Siona 
Nr.  6—7. 

Blass,  P.  Neuestes  aus  Oxyi-hynchos  — 
Neue  Jahrbiicher  f.  d.  klass.  Alt.  (Leipzig. 
Teubner)  Heft  1,  Abt.  1.  S.  32  ff.  [betont 
den  Wert  der  neuen  Aristoxenosfunde 
von  Oxyrhynchos  in  Egypten  gegeniiber 
"VVilamowitz] . 

Boite,  Joh.  Die  Altweibermiihle.  Ein 
Tiroler  Volksschauspiel  —  Archiv  f.  d. 
Stud.  d.  neuer.  Sprach.  u.  Litteratur  Braun- 
schweig,  G.  Westermann,,  Heft  3  4. 

.      Ein    Munchener    Vakanzlied    des 

18.  Jahrli.  —  Forschungen  z.  Geschichte 
Bayerns  (Regensburg,  "\V.  Wunderling, 
1898.  Heft  4. 

.   Historische  Lieder  aus  dem  Elsass  — 

Jahrbuch  f.  d.  Gesch.  Elsass-Lothringens 
(StraGburg)  1898  S.  131. 

.      Die    Volksdichtung  -  Litteratur    — 

Jahresber.  liber  d.  Erscheinungeu  auf  d. 
Geb.  d.  germ.  Philolog  (Leipzig)  1899, 
S.  243  ff.  Inhalt  umfasst  die  Gruppen: 
A.  Yolkslied:  1.  deutsch,  AUgemeines, 
Balladen  u.  Licbeslieder.  Standos-  u.  Fest- 
lieder.  Kinderlieder ,  liistorische ,  volks- 
tUmliche  Lieder;  2.  niederliindisch ;  3.  eng- 
lisch;  4.  skandinavisch.  —  B.  Yolksschau- 


*)  Mit  dieser  Rubrik  macbt  die  Redaktion  ihres  Wissons  don  ersten  Versucli.  der  Musikwissenscbaft  ein 
Hilfsraittel  zu  beschafFen,  wie  es  fibnlich  anderoWissenschaften  lângst  besitzen:  eine  stândige  Ûbersicht  tiber 
aile  fiir  die  Musikforschung  und  ilire  Naehbargebieto  bomerkenswerten  Abhandhingen  und  Âufsiitze.  die  in  Musik- 
und  anderen  Zeitschriften  verôiïentlicht  werden.  Die  Redaktion  ist  sicb  wolil  bewuBt,  dafi  sie  aus  eigener 
Kraft  VoUstândigkeit  darin  nicht  wird  erreichen  kônnen.  Sie  wendet  sicb  deshalb  an  die  Mitglieder  der 
I.  M.-G.  mit  der  ergebenen  Bitte,  durch  Ûbersendung  von  SeparatabzQgen  und  Einzelnuraraern ,  namentlich 
von  scbwerer  zogânglichen  Zeitschriften,  oder  durch  Hinweise  freundlichst  helfen  zu  wollen. 


Zeitschriftenschau. 


41 


spiel.  —   C.  Spruch  und  Sprichwort.  — 

D.  Râtsel  u.  Volkswitz.] 
Bourne,  T.  W.    Bach  Thème  Sources  — 

Mus.  Tim.  Nr.  2  [parallèle  Themen  von 

Frescobaldi,     G.    P.    Colonna,     Al. 

Marcello'. 
Brenet,  Mich.   Notes  et  croquis  sur  J.  Ph. 

Rameau  (Forts.  —  G.  mus.  Nr.  13 — 14. 
.     Les    concerts    en   France    avant   le 

XVnie  siècle  —  ibid.  Nr.  29  £f. 
.     Notices   sur    l'histoire    du    luth    en 

France  —  Riv.  mus.  fasc.  1.  [betr.  17.  Jh.] 
.   Additions  inédites  au  traité  de  Dom 

Jumilhac  —  La  Tribune  de  St.  Gervais 

(Paris,  Chevalier-Marescq  &  Co.)  Nr.  4  ff. 
.     La  musique  sacrée  sous  Louis  XIV 

—  ibid.  Nr.  4. 

Bressan,  G.     Il   momento  Perosiano  — 

Riv.  mus.  fasc.  2. 
Bricaueville,  E.  de.     L'orgue  en  France 

en  XVIIIe  siècle  —  Mén.  Nr.  6—7. 
Le  prix  des  instruments   de  musique 

au  XVIIIe  siècle  —  Mén.  Nr.  27. 
Bruneval,  J.  L.  de.   Neumatisme  et  plain- 

chant    —    Journal  musical   (Paris,   libr. 

Fischbacher   1.  Juli. 
Brunk,  A.     Plattdeutsche  Volkslieder  ans 

Pommern  —  Festschrift  zum  25jâhr.  Ju- 

bilâum  des  Vorsitz.  d.  Gesellsch.  f.  Pomm. 

Gesch.u.Altertumskunde  fStettin,  Herrcke 

und  Lebeling)  1898. 
Buch,  Einar.   Uber  die  Verschmelzung  von 

Empfindungen,  besonders  bei  Klangein- 

driicken  —  Philosoph.  Studien   (Leipzig, 

W.  Engelmann)  Heft  1—2. 
Buchler,  Adolf.    Zur  Geschichte  der  Tem- 

pelmusik    und    der    Tempelpsalmen    — 

Ztschr.  f.  d.  alttestamentliche  Wissenschaft 

(GieCen,  J.  Ricker)  Heft  1  ff. 
Cametti,   A.      Il   >Guglielmo   Tell«   e  le 

sue  prime  rappresentazioni   in  Italia  — 

Riv.  mus.  fasc.  3. 
Cohen,  Francis  L.  Song  in  the  Synagogue 

—  Mus.  Tim.  Nr.  678  ô". 

Cohrs,  F.  Der  humanistische  Schulmeister 
Petrus  Tritonius  Athesinus  —  Mitteil. 
d.  Gesellsch.  f.  dtsch.  Erziehungs-  u.  Schul- 
Gesch.  (Berlin.  A.  Hoffmann  &  Co.)  1898 
Heft  4. 

Curzon,  H.  de.  Les  Lieder  de  Fr.  Schu- 
bert à  propos  de  leur  édition  critique 
définitive  —  G.  mus.  Nr.  9 — 12. 

Daleu,  J.  L.  van.  Rederijkers  en  Come- 
dianten  in  de  2e  helft  der  17e  eeuw  te 
Dordrecht  —  Oud  Holland  (Amsterdam, 
Gebr.  Bingeri  Heft  1. 

Daux,  Camille.  L'hymnaire  de  l'abbaye 
de  Moissac  aux  Xe — Xle  siècles  —  Bulle- 
tin archéologique  ...  de  Tarn  &  Garonne 
i'Montauban,  Forestié)  Heft  1  [erweitert 
D  rêves,  Das  Hymnar  der  Abtei  Moissac, 
Leipzig,  Reisland.  1888]. 


Davey,  H.  Die  katholischen  Komponisten 
des  16.  u.  17.  Jh.  in  England  —  s.  krit. 
Anz.  Haberl  2  [betr.  W.  Byrd,  P.  Phi- 
lips, J.Bull,  J.  Dowland,  R.  Dee- 
ring,  Fr.  Tregian]. 

Drechsler,  P.  »0  lass  mich  doch  hinein, 
Schatz.»  Vergleichung  eines  schottischen 
und  eines  schlesischen  Volksliedes  — 
Ztschr.  d.  Vereins  f.  Volkskunde  (Berlin. 
A.  Asher  &  Co.)  Heft  1. 

Dubor,  Georges  de.  Chansons  sur  les  fa- 
vorites de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV  — 
La  nouvelle  revue  (Paris,  28  rue  de  Riche- 
lieu) Heft  4. 

Dupoux,  J.  Les  temps  et  les  pieds  rhyth- 
miques  —  L'avenir  de  la  mus.  sacrée 
(Paris,  X.  Rondelet  &  Co.)  Nr.  5  ff. 

Ehmann,  P.  Die  Lieder  der  hundert 
Dichter  (Hyakunin  Isshu)  —  Mitt.  d. 
deutsch.  Gesellsch.  f.  Natur-  und  Vôlker- 
kunde  Ostasiens  in  Tokio  (Berlin,  Asher 
&  Co.)     2.  Teil. 

Eitner,  R.  Drei  Briefe  des  Alessandro 
Orologio  —  M.  f.  M.  Nr.  3. 

Ellis,  "W.  Ashton.  Wagner  and  Schopen- 
hauer  —  The  Fortnightly  Review  (Lon- 
don,  Chapman  &  Hall)  Mârz  [betr.  >Ring 
des  Nibelungen«]. 

Enschedé,  J.  W.  Marchen  en  Marsch- 
muziek  in  het  nederlandsche  Léger  der 
achttiende  eeuvp  —  Tijdschr.  VI,  S.  16  ff. 

Is  Frederik   de  Groote    de  compo- 

nist  van  de  marche  du  roi  de  Prusse?  — 
ibid.  S.  159  ff. 

Erdélyi,  P.  Die  ungarischen  Hymnarien 
im  16.  u.  17.  Jh.  —  Magyar  Konyvszemle. 
Mârz. 

(Eremita.)  Grenzen  der  Kiinste  —  Kirchl. 
Monatsschrift  (Gr.  Lichterfelde  -  Berlin. 
E.  Runge)  Heft  3. 

Ernault,  E.  Chansons  populaires  de  la 
Basse-Bretagne  jFortsetz.)  —  Mélusine 
(Paris,  E.  Roland)  1898,  Nr.  2,  4. 

Ferrari,  G.  C.  Primi  esperimenti  suU' 
immaginazione  musicale  —  Riv.  mus. 
fasc.  1.  [1.  Kann  die  Musik  durch  sich 
selbst  im  Horer  bestimmte  Vorstellungen 
erwecken?  2.  Hângt  das  Vorhandensein 
solcher  Vorstellungen  von  besonderen 
Eigenschaften  der  Zuhôrer  oder  der  Mu- 
sik ab?) 

Flatau,  Theod.  S.  Intonationsstorungen 
und  Stimmverlust,  Beitrâge  zur  Lehre 
von  den  Stimmstorungen  der  Sanger  — 
Wiener  klinische  Rundschau  (VVien,  A. 
Holder)  Nr.  29. 

Foss.  Die  Metrik  unserer  Kii'chenlieder  — 
Kirchl.  INIonatsschrift  fGr.  Lichterfelde- 
Berlin.  E.  Runge)  Heft  1—2. 

Friedlànder,  M.  Balladen-Fragmente  von 
R.  Schumann  —  s.  krit.  Anz.,  Vogel  1. 


42 


Zeitschriftenschau. 


Gastoué,  Amédée.  La  grande  doxologie. 
Etude  critique  —  Revue  de  l'Orient  chré- 
tien (Paris,  A.  Picard  et  fils    Heft  2. 

.   La  tradition  ancienne  dans  le  chant 

byzantin  —  La  Tribune  de  St.-Gervais 
'Paris,  Chevalier-Marescq  &  Co.)  Xr.  5  ff. 

Geisser,  H.  Le  système  musical  de  l'église 
(jrecque  Forts.)  —  Revue  Bénédictine 
fAbbaye  de  Maredsous    S.  81  ff. 

Gellert,  R.  Mozart 's  Reise  nach  Pots- 
dam  und  Berlin  (1789)  —  A.  M.  Z.  Nr. 
28/29  ff. 

Gerstenberg.  Alte  Disposition  der  Hof- 
kirchen-Orgel  in  Breslau,  erbaut  1752  — 
Flieg.  Blatter  d.  ev.  Kirchenmusikvereins 
Breslau,  Zimmer    Nr.  2. 

Goldschmidt,  Hugo.  Die  ausgleicliende 
Regelung  der  deutschenBiihnenaussprache 
—  A.  M.  Z.  Nr.  15. 

Grand-Carteret ,  J.  Les  titres  illustrés 
et  l'image  au  service  de  la  musique  — 
Riv.  mus.  1898,  fasc.  2. 

Grimme,  Hub.  Zur  syrischen  Betonungs- 
und  Verslehre  —  Ztschr.  d.  deutsch.  mor- 
genland.  Gesellsch.  Leipzig,  Brockhaus) 
Heft  1. 

Griveau,  M.  Les  instruments  à  vent  et 
l'orgue  —  Riv.  mus.  fasc.  2. 

Grunsky ,  K.  Klassische  Litteratur  und 
musikalisches  Drama.  Nach  neun  1897/98 
in  Stuttgart  gehaltenen  offentlichen  Vor- 
tragen  iiber  Lessing  und  Herder  —  Bayr. 
Bl.'Stuck  6/7—8/9. 

Gûnther,  Rud.  Der  sonntagliche  Haupt- 
gottesdienst  der  wiirttembergischen  Lan- 
deskirche  —  M.  Schr.  f.  G  Nr.  4—5. 

Haberl,  F.  X.  AVie  bringt  man  Vokal- 
kompositionen  des  16.  Jh.  in  Partitur?  — 
s.  krit.  Anz.,  Haberl  1. 

.  Marcantonio  Ingegneri.   Eine  bio- 

bibliographische  Studie  —  ibid. 

.     Die    Griïndung   des    Cacilienvereins 

vor  30  Jahren  —  s.  krit.  Anz.,  Haberl  2. 

.    Ein  unbekanntes  Werk  des  Johannes 

Tinctoris.  Eine  Studie  z.  Musikgesch. 
d.  15.  Jh.  —  ibid.  S  De  inventione  et 
usu  musicae.<] 

.     25jâhrige  Chronik  der    kath.)  Kir- 

chenmusikschule   in  Regensburg  —  ibid. 

.     Ergânzungen  z.  bibliograph.   Skizze 

iiber  Gio.  Croce  —  ibid. 

Hamma,  F.  Das  iMarseillaise-Credo  —  Ch. 
G.  Nr.  12  [ist  Erwiderung  auf  A.  Kockert; 
s.  krit.  Anz.|.     Vergl.  Nr.  13. 

Hartmann,  Aug.  Historische  Gedichte  aus 
der  Zeit  der  bayerisclien  Landcserhebung 
1705  und  der  Riickkehr  ]Max  Emanuels 
nach  Bayern  —  Altbayerische  )Monatsschr. 
ÎNIiinclien ,  L.  Werner ;  Heft  2  |^mit  Ab- 
bildungenL 

Harzen-MiUler,  A.  N.  Fritz  Reuter  und 
die  :\Iusik  —  Ch.  G.  Nr.  15—21. 


Hase,  0.  v.  Abschluss  des  Handschriften- 
Zeitalters  —  Musikhandel  u.  Musikpflege 
Leipzig,  Breitkopf  &  Hih-tel    Nr.  21. 

Heintz,  Alb.  "Walthers  Preislied  in  dem 
ersten  Entwurfe  der  Meistersinger-Dich- 
tung  von  R.  Wagner  —  A.  M.  Z.  Nr. 
28,29. 

Herold,  M.  Aus  dem  Gottesdienst  der 
S.  Sebaldus-Kirche  in  NUrnberg  1599  — 
Siona  Nr.  4.  [Collecti  a  Johanne  Schir- 
mero,  Scholae  Sebaldinae  Cantore.] 

Hesselgren,  F.  La  science  musicale  — 
Riv.  mus.  Heft  2.  |Beitrag  zur  Stimmung]. 

Hoesicka,  Fei'd.  Chopin  i  Fontana  — 
Biblioteka  Warszawska  (AVarschau,  ulica 
Warecka  14    Heft  1. 

Hohenemser,  Rich.  Der  reproduzierende 
Musiker  und  die  Musikgescliichte  —  B. 
S.  Nr.  14. 

Houck,  M.  E.  Jan  Pieterz  Sweelinck 
en  Claude  Bernhardt —  Tijdschr.  VI, 
S.  144  ff. 

.     Jean  Adams  Reincken   —  ibid. 

S.  loi  ff. 

Houdard,  G.  La  »cantilena  romana»  — 
Riv.  mus.  Heft  2. 

Jan,  K.  von.  Hukbald  und  das  Orga- 
num  —  A.  M.  Z.  Nr.  11—13. 

.     Neue  Siitze   aus  der  Rhythmik  des 

Aristoxenos  —  B.  phil.  "NV.  Schr.  Nr.  15 — 16 
iiber  die  Oxyrhynchos-Funde.) 

.      Die  musikalischen  Exsequien  von 

H.  S  c  h  ii  t  z  —  Corr.  Bl.  Nr.  4. 

Jonquière,  A.  Was  heisst:  »Reine  Stim- 
mung» und  »Reine  Litonation  ?  <»  —  Schw. 
M.  Z.  Nr.  14—16. 

Isambert.  G.  Histoire  du  »Ça  ira«  —  La 
Révolution  Française  Paris,  rue  de  Fur- 
stenberg  3)  Heft  12. 

Kable,  A.  Einheit  des  kiinstlerischen 
Schaffens  —  K.  G.  Nr.  8.  [Parallèle  zw. 
Mozart  und  Goethe,  Beethoven  mid 
Schiller.] 

.   ITber  Kirchenmusik  des  katholischen 

Kultus  —  ibid.  Nr.  11—13. 

Karsten,  Paula.  Tambura  der  Krieger 
des  ]Mahdi  Sudanneger  —  Ch.  G.  Nr.  24. 

Kleefeld,  W.  Bach  und  Graupner  als 
Bewerbcr  um  d.  Leipziger  Thonias-Kan- 
torat  1722  —  s.  krit.  Anz..  Vogel  1. 

Kling,  H.  Jjes  compositeurs  de  la  musi- 
que du  Psautier  Huguenot  Genevois.  Guill. 
Franc.  Louis  Bourgeois,  Pieire  Da- 
gue s ,  Claude  Goudimel  —  Riv.  mus. 
tasc.  3. 

Kohixt,  A.  Erinncrungen  anClaraSchu- 
mann.  Mit  ungcdruckten  Briefen  der 
Kiinstlerin  —  Kl.  L.  Nr.  6—8.  Vergl. 
Nr.  13. 

.     R.  Wagner  und  Lilly  Lehmann. 

Mit  ungedruckten  Briefen W.'s  —  Pesther 
Lloyd.  2.  April. 


Zeitschriftenschau. 


43 


Kopp,  Arthur.  Eine  handschriftliche  Lie- 
dersammlung  der  Kgl.  Bibliothek  zu 
Berlin  —  M.  f.  M.  Nr.  5—7  [stamrat  v. 
18.  Jli.  u.  erganzt  Sperontes]. 

Krause,  E.  Zur  Lebensgeschichte  Heinr. 
Helds  —  M.  Schr.  f.  G.  Nr.  2. 

.  Intéressante  Autographen  (Haydn  u. 

Mozart)  —  S.  H.  Nr.  21. 

.      Chrysander's   Hândel-Reform  — 

Corr.  Bl.  Nr.  7. 

Krehbiel,  H.  E.  Zwei  bislier  unveroffent- 
lichte  Briefe  E.  Wagner 's  —  A.  M.  Z. 
Nr.  26  [gerichtet  an  L.  Schindelmeister], 

Kretzschmar,  H.  Das  deutsche  Lied  seit 
dem  Tode  R.  Wagner's  —  s.  krit.  Anz., 
Vogel  1. 

Kummer,  W.  Zur  Gescliichte  der  Zither 
und  des  Zitherspieles  —  Schw.  M.  Z. 
Nr.  3—4  [mit  Abbildungen]. 

L.  0.  Ein  bisher  unverôffentlichter  Brief 
Otto  Nicolai's  an  seinen  Vater  —  A. 
M.  Z.  Nr.  24  ;  vergl.  Nr.  27. 

Laloy,  Louis.  Anciennes  gammes  enhar- 
moniques —  Rev.  de  Philologie  (Paris, 
C.  Klincksieck)  Heft  3. 

Landi,  B.  Gr.  Genesi  délia  musica  —  Riv. 
mus.  fasc.  1,  3.  [Vokalmusik  âlter  als 
Instrumentalmusik  u.  mit  d.  Sprache  zu- 
gleich  entstanden.] 

Lang,  V.  V.  Uber  transversale  Tone  von 
Kautschukfàden  —  Annal,  d.  Physik  u. 
Chemie  (Leipzig,  J.  A.  Barth)  S.  335. 

Langer,  Edm.  Wie  steht  der  Cacilien- 
verein  zur  Instrumentalkirchenmusik  ?  — 
s.  krit.  Anz.,  Haberl  1. 

Liliencron,  R.  von.  Uber  die  Beziehung 
zwischen  dem  Introitus  und  den  Peri- 
kopen  —  Siona  Nr.  4. 

Mancuso-Piazza,  Gius.  La  scrittura  mu- 
sicale —  Nuov.  mus.  Nr.  37 — 38.  [Ver- 
einfachung  d.  rhythm.  u.  dynam.  Bezeich- 
nungen.] 

Mari,  G-.  Ritmo  latino  e  terminologia 
ritmica  médiévale  —  Studî  di  filologia 
romanza  (Torino,  E.  Loescher)  fasc.  21. 

Marnold.  La  dernière  fugue  de  J.  S. 
Bach,  un  problème  musical  —  La  Tri- 
bune de  St.  Gervais  (Paris,  Chevalier  — 
Marescq  &  Co.)  Nr.  5. 

Marschner,  Franz.  Die  Grundfragen  der 
Asthetik  im  Lichte  der  immanenten  Phi- 
losophie —  Ztschr.  f.  immanente  Philos. 
(Berlin,  Dr.  R.  Salinger)  Heft  1. 

Mauke,  "W.  Materialien  zur  Erkenntnis 
der  modemen  musikalischen  Lyrik  — 
K.  G.  1898  Nr.  24,  1899  Nr.  1.  2.  5.  7. 

Melde,  F.  Ûber  Stimmplatten  als  Ersatz 
fiir  Stimmgabeln  bei  sehr  hohen  Tonen  — 
Kl.  L;.Nr.  1. 

.     Ûber    einen   neuesten   A.   Appunn- 

schen  Horpriifungsapparat  —  Archiv  f. 
d.  ges.  Physiol.  1898  S.  441  ff. 


Melde,  F.  Erwiderung  gegen  A.  Appunn's 
Abhandlung  stlber  Schwingungszahlen- 
bestirnnung*  —  Annal,  d.  Physik  u.  Che- 
mie (Leipzig,  J.  A.  Barth)  1898  S.  645  ff. 

Metz,  Karl.  Uber  den  Vortrag  des  Chor- 
gesanges.  Ein  âsthetischer  Beitrag  — 
S.  H.  Nr.  1—4. 

.     Das    deutsche    Kunstlied.      Musik- 

âsthetische  Betrachtungen  —  ibid.  Nr.  30  ff. 

Meyer,  M.  Die  Tonpsychologie.  ihre  bis- 
herige  Entwickelung  und  ihre  Bedeutung 
fiir  die  musikalische  Padagogik  —  Ztschr. 
f.  Pâdagogische  Psychologie  (Berlin,  H. 
Walter)  Heft  2,  4. 

.     s.  C.  Stumpf. 

Mille,  P.  Frédéric  Chopin  d'après  quel- 
ques lettres  inédites  —  Revue  polit,  et 
litt.  (Paris,  au  bureau  des  deux  Revues) 
Heft  1. 

Miller,  F.  E.  s.  Théo. 

Molar,  J.  Bariton  oder  Ténor?  Ein 
Tonbildungsproblem  —  K.  G.  Nr.  14/15 
—16. 

Molitor,  Raph.  Die  Provinzialkonzilien 
iiber  die  Kirchenmusik  (kath.)  —  s.  krit. 
Anz.,  Haberl  1. 

Molmenti,  Pompeo.  U  Buranello  —  Gazz. 
mus.  Nr.6— 8,  10  Zusammenstellg.  dessen, 
was  Burney,  Fétis,  Caffi,  Wiel  iiber  Bald. 
Galuppi's  Leben  und  Werke  sagen]. 

Millier,  D.  H.  Strophenbau  und  Respon- 
sion  —  5.  Jahresber.  d.  israelit.  theol. 
Lehranstalt  in  Wien  fur  1897/98.  Wien 
1898. 

Millier,  H.  Ein  schones  Liedt.  Aus 
einem  SenatsprotokoU  des  Repser  Stuh- 
les  V.  J.  1639  —  Korrespondenzbl.  d.  Ver. 
f.  siebenbiirg.  Volkskunde  (Hermannstadt, 
W.  Krafft)  Heft  5.  [>Ein  Mutter  hatt 
ein  filium,  dem  liebett  sehr  das  Ocium«, 
27  Str.] 

Muaiol,  Rob.  Ein  polnisches  Weihnachts- 
lied  (Wzloble  lezy)  —  N.  Z.  f.  M.  Nr. 
30/31. 

Nef,  K.  Die  ersten  Gesangsfeste  in  der 
Schweiz  —  Schw.  M.  Z.  Nr.  1—2. 

.     Das     schweizerische    Volkslied    >'s 

Vreneli  ab-em  Guggisberg*.     Eine  Stu- 
die  —  ibid.  Nr.  21. 

Nef,  W.  Inwiefern  stellt  die  Musik  Ge- 
fiihle  dar?  —  Schw.  U.  Z.  Nr.  13. 

Nelle.  Martin  Rinckart  und  das  Lied 
»Halleluja,  Lob,  Preis  und  Ehr«  —  M. 
Schr.  f.  G.  Nr.  2. 
na:iaâÔ7tov2.oq-KeQafisvç,  A.  Bu^av- 
xiv^;  é-/.y.X-f)aiaattx-rj;  [j.o'j;f/.fj;  è-^yeipioia.  — 
Byzantin.  Ztschr.  (Leipzig,  Teubner) 
Heft  1. 

Paris,  G.  Les  vieux  chants  populaires 
Scandinaves  —  Journal  des  Savants  (Pa- 
ris, Imprimerie  nationale)  1898,  Juli. 


44 


Zeitschriftenscliau. 


Parisot,  J.  La  concélébration  liturgique 
en  Orient  et  en  Occident  —  La  Terre 
Sainte  (Paris,  rue  du  Regard  20  Xr.  4—5. 

Paukstadt,  R.  Das  R.  AVagner-Denkmal 
in  Berlin  -  A.  M.  Z.  Nr.  7. 

Pavan,  Gr.  Prospetto  délie  Opère  nuove 
e  straniere  rappresentate  nell'  anno  1898 

—  Gazz.  mus.  Nr.  11,  14 — 16. 

Peet,  St.  D.  Agriculture  among  tlie  Pueblos 
and  Cliff-Dwellers  —  The  American  An- 
tiquarian  and  Oriental  Journ.  (Amer. 
Antiqu.  Chicago)  Heft  4.  [S.  226  ff.  iiber 
the  Snake  Dance  m.  Abbildungen.] 

Peter,  Joh.    Volksgesang  im  Bohmerwald 

—  S.  H.  Nr.  28—30  [mit  Melodien]. 
Picot,  E.     Chants  historiques  français   du 

XVIe  siècle  (Forts.)  —  Revue  d'histoire 
littéraire  (Paris,  A.  Colin  &  Co.)  Heft  2. 

Pierre,  Constant.  L'hymne  à  l'Etre  su- 
prême enseigné  au  peuple  par  l'Institut 
national  de  musique  —  La  Révolution 
Française  (Paris,  3  rue  de  Furstenberg) 
14.  Juli. 

Pillet,  A.  Die  altprovenzalische  Lieder- 
handschrift  N-'  (cod.  PhilHpps  1910  der 
Kgl.  Bibl.  Berlin)  —  Archiv  f.  d.  Stud. 
d.  neuer.  Sprachen  u.  Litterat.  (Braun- 
schweig,  G.  Westermann)  1898.  Heft  1/2 

—  1899,  Heft  1/2. 

Prahl,  Karl.  sDrei  Lilien,  drei  Lilien*  — 
Ztschr.  f.  d.  deutsch.  Unterricht  (Leipzig, 
Teubner)  Heft  1. 

.     »In  Leipsig  war  en  Mand<  —  ibid. 

Heft  3. 

Prout,  Ebenezer.  J.  L.  D  u  s  s  e  k.  A  Lec- 
ture delivered  to  the  London  Section  of 
the  incorporated  Society  of  Musicians, 
on  May  13tii,  1899  —  M.  M.  R.  Nr.  342. 

Prufer,  Arth.  Der  Leipziger  Thomas- 
kantor  J.  H.  Schein  und  seine  Bedeu- 
tung  fur  die  kirchliche  Tonkunst  des 
17.  .Ih.  —  M.  Schr.  f.  G.  Nr.  1. 

Quittard.  Les  anciennes  orgues  françaises 

—  La  Tribune  de  St.  Gervais  (Pai'is  Che- 
valier —  Marescq  &  Co.)  Nr.  4. 

Baabe,  P.  Ûber  die  Verwendung  von 
Gerâuschen  in  der  Oper  —  A.  M.  Z. 
Nr.  16-21. 

Heach,  F.  Zur  Geschichte  des  Stadtpfei- 
ferdienstes  in  Waldenburg  —  Schon- 
burgische  Geschichtsblâtter  (Waldenburg, 
E.  Kâstner)  Heft  1. 

Biemann,  Hugo.  Die  franzosische  Ouver- 
ture (Orchestersuite)  in  der  ersten  Hâlfte 
des  18.  Jahrh.  —  M.  W.  Bl.  Nr.  1—9,  11 
[bespricht  J.  F.  Fasch,  Chr.  Forster, 
J.  Schneider,  J.  A.  H  a  s  s  e ,  J.  C. 
Wiedner,  J.  N.  Tischer,  J.  J.  Fux, 
Lully,  Hândel,  Seb.  Bach,  Muffat, 
T  e  1  e  m  a  n  n ,  J.  D.  H  e  i  n  i  c  h  e  n] . 

Roberti,  Gius.  La  musica  in  Italia  intorno 
al  1720  —  Gazz.  mus.  Nr.  25. 


Rudnick.W.  Die  geistlichenKompositionen 
von  A.  Lortzing  —  Ch.  G.  Nr.  10. 

Rupp,  .T.  F.  E.  Franzosischer  und  deut- 
scher  Orgelbau  der  Gegenwart  vom  all- 
gemein  musikalischen  Standpunkt  aus 
betrachtet  —  Ur.  Nr.  1—2. 

Sandberger,  Ad.  INIitteilungen  iiber  eine 
Handschrift  und  ein  neues  Bildnis  Or- 
lando  di  Lasso 's  —  A.  M.  Z.  Nr.  27. 

Roland  Lassus'  Beziehungen  zur  ita- 

lienischen  Literatur  —  Altbayerische 
Monatsschrift  (MUnchen,  J.  Lindauer 
Heft  3  [mit  Abbildungen]. 

Scalvanti,  0.  Divagazioni  suU'  arte  mu- 
sicale italiana  —  Nuov.  mus.  Nr.  39—40. 

Schell,  0.  Dreikonigslieder  vom  Nie- 
derrhein  —  Einige  Fastnachtlieder  vom 
Niederrhein  —  Ztschr.d.  Vereins  f.  Volks- 
kunde  (Berlin,  A.  Asher  &  Co.;  Heft  1. 

Scheurleer,  D.  F.  Het  dertigjarig  bestaan 
der  Vereeniging  voor  Noord-Nederlands 
Muziekgeschiedenis  —  Tijdschr.  VI. 
S.  129  iï. 

.    Een  Catalogus  van  den  Amsterdam- 

schen  Boekhandelaar  Hendrik  Lauren- 
tius  van  1647  —  ibid.  S.  140 ff. 

.     Twee  bijdragen  tôt  de  geschiedenis 

van  Nicolas  Va  11  et  —  ibid.  S.  176  ft'. 
[m.  Facsimile  eines  Bruyloft-Gesang.j. 

Schoultz-Adaievsky,  E.  de.  Chansons 
populaires  portugaises  —  Mélusine  (Paris. 

E.  Roland)  1898  Nr.  1. 

Schulze,  F.  A.     Bestimmung  der  Schwin- 

gungszahlen    Appunn'scher   Pfeifen    fiir 

hochste  Tone  auf  optischem  und  akusti- 

schem  AVege    —    Annal,    d.    Physik    u. 

Chemie  (Leipzig,  J.  A.  Barth)  S.  99. 
.    Zur  Bestimmung  der  Schwingungs- 

zahlen  sehr  hpher  Tone  —  ibid.  S.  869. 
Schulze,  R.     Ûber  Klanganalyse  —  Phi- 

losoph.  Studien  (Leipzig,  "\V.  Engelmann) 

1898,  Heft  3. 
Schwartz,  R.    Friedrich  Grimmer  —  s. 

krit.  Anz.,  Vogel  1. 
.    Das  erste  deutsche  Oratorium  —  s. 

krit.  Anz.,  Vogel  2  [Andr.  Fromme,  de 

divite  et  Lazaro,  1649]. 
Seler,     E.      Mittelamerikanische    Musik- 

instrumente    —    Globus    (Braunschweig, 

F.  Vieweg  &  Sohn)  Nr.  7  [mit  Abbil- 
dungen]. 

Servieres,  G.  Les  autres  opéras  de  »Lé- 
onore<  —  G.  mus.  Nr.  10—11  [namlich 
von  Pierre  Ga veaux  und  Paër]. 

.      Le    Maitre    de    Chabrier    Aristide 

Hignard  —  ibid.  Nr.  25  —  26. 

Smend,  J.  Unsere  Chore  und  die  Pro- 
gramme ihrer  kirchlichen  Veranstaltungen 
—  M.  Schr.  f.  G.  Nr.  4. 

.    Die  Matthâuspassion  von  Bach  und 

ihre  mancherlei  AuffUhrungen  —  ibid. 
Nr.  5. 


Zeitschriftenschau. 


45 


Sôhns,  Franz.  Humor  im  Kinderliede  ^ 
Ztschr.  f.  d.  deutsch.  Unterricht  (Leipzig, 
Teubner)  Heft  5. 

Soubies,  Alb.  La  musique  en  Suisse  — 
Mén.  Nr.  26  ff. 

Spinelli,  A.  G.  Nicolô  Riibini  contra- 
puntista  modenese  del  sec.  XVLE  —  Nuov. 
mus.  Nr.  39. 

Spitta,  JFr.  Ein  fiir  die  Kirchenchore  noch 
ungehobener  Schatz  —  Corr.  Bl.  Nr.  1. 
iH.  Schiitz,  Psalmen  Davids]. 

Squire,  "W.  B.  Tre  giorni  son  che  Nina 
—  Mus.  Tim.  Nr.  4  [Ergânzung  f. 
Spitta,  Rin.  di  Capua,  Slusikgesch. 
Aufsâtze  S.  159 ff.]. 

Staiger,  Chr.  "Was  verstehen  wir  unter 
kirchlichem  Orgelspiel  ?  —  Siona  Nr.  5 — 6. 

Stainer,  J.  F.  R.  An  old  book  on  dan- 
cing —  Mus.  Tim.  Nr.  677  [betrifft  ein 
Ms.  Bodl.  Oxford,  Kopie  eines  alten 
Druckes  von  1521]. 

.     Lûtes   and  Guitars  —  ibid.  Nr.  678 

rHinweis  auf  »  Discours  non  plus  mélan- 
coliques que  divers  de  choses  mesme- 
ment  qui  ajDpartiennent  à  notre  France 
et  à  la  fin  La  manière  de  bien  et  jus- 
tement entoucher  les  Lues  et  Guiternes. 
Poitiers  1557.  <  Ex.  i.  Middle  Temple 
Library] . 

Starke,  Reinh.  Hieronj-mus  Gregorius 
Langius  Havelbergensis  —  M.  f.  M. 
Nr.  7—8. 

Storck,  A.  Zwei  enharmonische  Ton- 
systeme  —  Ztschr.  f.  J.  Nr.  16  [m.  ge- 
nauen  Bereclinungen]. 

Stumpf,  C.  Ûber  den  Begriff  der  Gemiits- 
bewegung  —  Ztschr.  f.  Psychologie  (Leip- 
zig, J.  A.  Barth)  Heft  1/2. 

.    Beobachtungen  iiber  subjective  Tone 

und  .iiber  das  Doppelt-Horen.  ibid. 

.  Ûber  die  Bestimmung  hoher  Schwin- 

gungszahlen  durch  Differenztône  — 
Annal,  d.  Physik  u.  Chemie  (Leipzig, 
J.  A.  Barth)  S.  105. 

u.    Meyer,    M.      Schwingungszahl- 

bestimmungen  bei  sehr  hohen  Tonen  — 
ibid.  1897,  S.  760;  1898,  S.  641  ff. 

Tappert,  "Wilh.  Das  wohltemperierte  Kla- 
vier—  M.  ï.  M.  Nr.  8—9.  (Nâheres  iiber 
Bernh.  Christ.  Weber,  Bach's  angeb- 
lichen  Vorgânger;  J.  Ph.  Treiber. 
J.  K.  F.  Fischer,  G.  Kirchhof,  Fr! 
Suppig.] 

A.  Théo ,  E.  Wangemann ,  F.  E.  Miller. 
Neue  Beobachtungen  iiber  die  mensch- 
lichen  Stimmorgane  —  N.  Z.  f.  M.  Nr.  7. 

Thibaut,  Joa.  Etude  de  musique  byzan- 
tine. Le  chant  ekphonétique  —  Byzan- 
tin. Ztschr.  (Leipzig,  Teubner)  Heft  1. 

.   Les  traités  de  musique  Byzantine  — 

ibid.  Heft  2. 

Tobler,  Alfr.  Altlandsfàhnrich  J.  H.  To- 
bler  von    Wolflialdcn,   der  Komponist 


des  Appenzellischen  Landsgemeinde- 
liedes  —  Schw.  M.  Z.  Nr.  10  [mit  Musik- 
beilage]. 

J.  H.  Tobler's  Selbstbiographie  —  Schvf. 
M.  Z.  Nr.  11—12. 

Tomkins,  J.  G.  Musical  instruments 
mentioned  by  Shakespeare  —  Music,  a 
monthly  magazine  (Chicago.  Music  maga- 
zine publishing  Co.)  Juni-Heft. 

Torchi,  L.  La  musica  instrumentale  in 
Italia  nei  secoli  XVI,  XVII  e  XVIII  — 
Riv.  mus.  fasc.  2  (Forts.). 

.    Iris  di  P.  Mascagni  —  ibid.  fasc.  1 

[krit.  Analyse]. 

Torén,  C.  A.  Die  Adoration  als  beson- 
deresMoment  des  evangelisch-lutherischen 
Kultus  betrachtet  —  Siona  Nr.  1—2. 

Trost,  A.  Franz  Schubert  's  Bildnisse  — 
Berichte  u.  Mitteil.  d.  Altertums-Vereins 
z.  Wien  (AVien,  Gerold  &  Sohn)  1898 
Heft  2. 

Valentin,  Caroline.  Mozartbriefe  der 
Donaueschinger  Bibliothek  —  M.  f.  M. 
Nr.  2— 3. 

.  Zwei  Beethoven-Briefe  der  Do- 
naueschinger Bibliothek  —  ibid.  Nr.  9. 

Vetter,  Paul.  Narses  Schnorhali's  Kir- 
chenlieder  —  Theol.  Quartalschrift  (Ra- 
vensburg.  H.  Kitz)  S.  89  ff.  [Katholikos 
Narses  IV  Schnorhali  war  der  gefeiertste 
armenische  Dichter.] 

Vivarelli,  L.  Del  Trémolo  délia  voce  — 
Gazz.  mus.  Nr.  28. 

Vogel,  E.  G 1  u  c  k  -  Portraits  —  s.  krit. 
Anz.,  Vogel  1. 

.     Die   âlteste    Singweise    zu  Arndt's 

»Was  ist  des  deutschen  Vaterland?*  — 
ibid. 

.   Joseph  Haydn-Portraits  —  s.  krit. 

Anz.,  Vogel  2. 

.   Zur  Geschichte  des  Taktschlagens  — 

ibid. 

Voigt,  A.  Das  deutsche  Lied  in  der  deut- 
schen Geschichte.  Eine  geschichtliche 
Erinnerung  —  S.  H.  Nr.  4-5.  [Betrifft: 
Schleswig-Holstein,  meerumschlungen  — 
Sie  sollen  ihn  nicht  haben  —  Die  Wacht 
am  Rhein.] 

■Wackernell,  J.  E.  Altère  Volkslieder 
und  volkstiimliche  Lieder  aus  Tirol  — 
Archiv  f.  d.  Stud.  d.  neueren  Sprachenu. 
Litteraturen  fBraunschweig,  G.  Wester- 
mann)  1898...Heft  3/4,  1899,  Heft  12. 

Wagner,  R.  Uber  Mendelssohn's  Pau- 
lus  —  An  den  Freiherrn  von  LUttichau 

—  Entwurf  u.Dichtungdes  »Liebesmahls« 

—  Bayr.  Bl.  1.  Stiick  ;  vgl.  Stiick  2/3. 
Walter,  Karl.     Bausteine  zur  Gescliichte 

des  Kirchengesanges  in  der  Diozese  Lim- 
burg  (kath.)  —  s.  krit.  Anz.,  Habcrl  1 — 2. 

.   Beitrage  zur  Geschichte  der  Choral- 

begleitung  —  M.  s.  1898  Nr.  13—14  u. 
1899  Nr.  14—16. 


46  Zeitschriftenschau.  —  Mitteilungen. 

Wangemann,  E.     s.  Théo.  Anschluss   an  R.   Wapfner's  Briefe  an 

Wegener,  .Toh.     Das   erste  "Wittenberger       E.  Heckel  —  N.  Z.  f.  M.  Nr.  4. 

Gremeindegesangbuch  (1526)  —  M.  Schr.    Wolf,  Joh.     Beitriige  zur  Geschichte   der 

f.  G.  Nr.  1.  ^  '  Musik  d.  14.  Jh.  —  s.  krit.  Anz.,  Haberl  2. 

Weinhold,  K.    Das  englische  Kinderspiel       [1.    Ein    Ms.    der   Prager   Universitàts- 

Sally    Water    —    Ztschr.   d.   Vereins   f .  '      bibliothek,    H.    de    Zeelandia,    2.   Z. 

Volkskunde  (Berlin,  A.  Aslier&Co.lHeftl.        Gesch.  d.  Orgelmusik  i.  14.  Jh.] 
Werner,   A.     Mission  Hymnology   in  the    Wonner,  A.   Tanzlieder  ans  Zied  —  Kor- 

Bantu    languages    —    Asiatic     Quaterly        resspondenzbl.  d.  Ver.  f.  siebenb.  Landes- 

Review   (Wokin^,  Orient.  University  In-        kunde  Jïermannstadt,  W.  Kraft't    Xr.  1. 

stitute)  Juli-Heft.  "Wotquenne,    A.      Baldassare    Galuppi 

Wernicke,  A.     Der  hohe  Wert  der  Kir-        (1706 — 1785).    Etude  bibliographique  sur 

chenmusik  fiir  die  Volksbildung  —  Corr.  i      ses    œuvres    dramatiques    —    Riv.   mus. 

d.  ev.  K.  Nr.  1—3.  fasc.  3. 

Winter ,  A.  C.     "Waisenlieder  der  Letten  ;  Zahn ,   Th.     ISTatur  und  Kunst  im  Neuen 

und    Esthen  —    Globus    (Braunschweig,  '      Testament  ■ —  Xeue  Kirchl.  Ztschr.  (Er- 

F.  Vieweg  &  Sohn)  Nr.  2.  langen-Leipzig,  A.  Deichert'scher  Verlag; 
.   Die  Birke  im  Volksliede  der  Letten  |      Heft  4. 

—  Archivf.  Religionswissensch.  iTreiburg    Zernin,  Gebh.   Jos.  Tichatschek  in  Darm- 

i.  Br.,  J.  C.  B.  Mohr)  Heft  1/2.  I      stadt  und  seine  Beziehungen  zu  R.  Wag- 

Wirth,   R.     Der  Kunstkulturkampf.     Im  |      ner  —  Darmsfàdter  Ztg.  Nr  149. 


Mitteilungen  der   „Interaationalen  Musik-Gesellschaft". 


1.  Berlin. 

Zum  18.  Fcbruar  d.  J.  hatte  Prof.  Fleischer  eine  Anzahl  von  Herren  zur  Zu- 
sammenkunft  gebeten ,  um  ihnen  in  langerer  Ausfiihrung  iiber  die  Ziele  und  Unter- 
nehmungen  der  von  ihm  begriindeten  I.  M.- G.  vertrauliche  Mitteilung  zu  machen. 
Eine  ausgedehnte  und  Icbhafte  Diskussion  der  erschienenen  18  Herren  iiber  die  Ten- 
denz  und  Organisation  der  I.  M. -G.  im  Einzelnen  ergab  eine  allseitige  Zustimmung. 
DemgemâB  fasste  die  Vcrsammlung  einstimmig  den  BeschluB.  sich  zu  einem  Verein 
zu  konstituieren  und  der  I.  M.-G.  als  Ortsgruppe  beizutreten.  Nachdem  die  Vorstands- 
walil  vollzogen  war  (Vorsitzender :  Prof.  0.  Fleischer,  stellvertretender  Vorsitzen- 
der:  Prof.  Fr.  Zelle,  Schriftfuhrer  :  Dr.  M.  Seiffert,  Kassierer:  Dr.  H.  Gold- 
schmidt,  Bibliothekar:  Dr.  J.  Wolf),  wurde  ein  vorlâufiger  Statuten-Entwurf  fiir 
die  Ortsgruppe  gutgeheiBen.  Die  endgiltigc  Fassung  gelangte  auf  der  nachsten  Sitzung 
am  1.  Marz  zur  Annahme.     Bereits  im  August  betrug  die  Mitgliedszahl  40. 

Beschriinkten  sich  fernere  Sitzungen  vom  12.  April,  12.  Juli,  9.  August,  13.  Septem- 
ber  der  Ferien  wegen  auf  eine  gesellige  Zusammenkunft  der  Mitglieder,  so  gewannen 
die  vom  10.  Mai  und  14.  Juni  besondere  Bedeutung  dadurch,  dass  HeiT  Archimandrit 
Komitas  Kevi^orkian  aus  Etschmiadzin  so  liebcnswiirdig  -svar,  vor  den  Mitgliedern 
der  Ortsgruppe  und  dazu  geladenen  Gâsten  Geschichte  und  Wesen  der  armenischen 
Musik  eingehend  zu  behandcln  und   durch  zahlreiche  Beispiele  zu  veranschaulichen. 

Die  armenische  Kir ch en  musik  —  so  etwa  l'iihrte  er  aus  —  ist  sich  von  Anbeginn 
des  Christeutums  l)is  heute  gleich  geblieben.  Ihren  Ursprung  hat  sie  im  àlteren,  heidnischen 
Tempelgesang  gehabt,  der  seinerseits  wieder  aus  der  Yolksmusik  liervorgegangen  ist.  Die 
Gemeinsamkeit  von  Kirchen-  und  Volksmusik  laCt  sioh  nocli  violfach  durch  Analyse  der 
Melodien  feststellen.  Nur  hat  die  Kirche  durch  Ornaniente  reicher  ausgestaltet,  was  im 
Volko  einfach  geblieben  ist.  Ein  EinfluC  der  Perser  und  Araber  hat  auf  dièse  Ent- 
wickelung  nicht  stattgefumlcn ,  eben  so  wenig  von  Seiten  der  Griechen.  Dièse  Integritiit 
der  Praxis  ist  fiir  die  Erforschung  der  âltesten  christliohen  Musik  ein  iiberaus  beachtens- 
■wertes  Moment.  Das  ïonsystem  der  Armenier  fuCt  auf  dem  Tetrachord,  dossen  Endtône 
feststehen,  wiihrend  die  Mitteltono  sechsfach  vsei^hseln  konnen.  Die  Tetrachorde  werden  stets 
mit  einander  verbunden.  Tonarten  giebt  es  8,  4  llaupt-  und  4  Seitentoue.  Jeder  von 
ihnen   hat   eine  Quarte,    in   der  er  sich  mit  Yorliebe  bewcgt,    also  eine  Art  Reperkussion. 


Mitteilungen.  47 

Von  den  Formen  des  Kircliengesanges  ist  (namentlich  mit  Riicksicht  auf  die  Ergebnisse 
der  neuesteTi  Neumenforschungl  besonders  merkwiirdig  die  Psalmodie*).  Die  Armenier  haben 
7  Interpunktionen  mit  ganz  bestimmten  ïonbedeutungen,  deren  Vergleicli  mit  den  sonst 
bekannten  Interpunktionen  lehrreicli  ist.  Beim  Vortng  freierer  Melodien  verwenden  die 
Armenier  den  Wechsel  zwischen  Chor  iind  Solo ,  sowie  eine  organumartige  Polyphonie  in 
gehaltenen  Tônen. 

Die  Volksniusik  ist  iiberall  da  noch  heute  lebendig,  wo  sich  nicht  fremde  Kultur- 
elemente  in  den  Vordergrund  gedrangt  haben.  Wie  anderwarts,  so  geben  auch  in  Arménien 
geschichtliche  Ereignisse,  die  Erscheinungen  der  Natnr,  das  personliche  Leid  und  die  Freuden 
des  einzelnen  Menschen  die  Motive  fiir  das  Volkslied  ab.  Die  Dichtung  ist  entweder 
strophisch  oder  sie  besteht  ans  Sâtzen  mit  Wortspielen.  Besonders  beliebt  sind  kurze,  aber 
starke  Vergleiche.  Die  Wortaccente  und  die  Hohepunkte  der  Wortsâtze  finden  in  der  Musik 
dazu  keine  Parallèle,  sie  stehen  nicht  in  Zusammenhang  mit  einander.  Wohl  aber  deckt 
sich  der  musikalisohe  Inhalt  mit  der  Grundstimmung  und  dem  Empfindungsgehalt  der  Dich- 
tung. Das  typisch  Nationale  des  armenischen  Volksliedes  lâuft  im  Wesentlichen  auf  gewisse 
Eigenheiten  in  Gesangsstil  und  -Technik  hinaus.  Sie  werden  namentlich  durch  Vergleich 
armenischer  Melodien  mit  arabischen,  tiirkischen,  kiirdischen  deutlich.  Volkssânger  sind 
schon  aus  dem  6.  Jahrh.  y.  Chr.  nachweisbar.  Ist  auch  ihre  Musik  nicht  erhalten,  so 
kennt  man  doch  den  Inhalt  ihrer  Texte.  Die  Musik  der  gegenwârtigen  Volkssânger  bewegt 
sich  in  2  Formen  :  im  Recitativ  fiir  Erzâhlungen ,  in  Melodien  fiir  Dichtungen.  Die  in- 
strumentale Begleitung  wird  auf  der  Geige  ausgefiihrt. 

In  der  Sitzung  vom  11.  Oktober  war  Herr  Kâmpff  aus  Berlin  so  freundlich,  den 
Mitgliedern  nacli  einem  kurzen  historischen  Uberblick  iiber  die  Entsteliung  und  Ent- 
wickelung  des  Harmoniums  die  besonderen  Vorziige  des  Mason  &  Hamlin- 
Harmoniums,  sowie  die  eigenartige  Riclitung  der  dafiir  entstandenen  Speziallitteratur 
durch  AVort  und  Ton  zu  veranschaulichen.  M.  Seiffert. 

2.  Leipzig.  ^ 

Auf  die  Einladung  der  Herren  Prof.  Dr.  H.  Kretzschmar  und  Dr.  0.  v.  Hase 
fand  am  28.  Juni  unter  dem  Vorsitze  des  erstgenannten  Herrn  im  Saale  der  ehemaligen 
Buchhândlerbôrse  eine  Versammlung  namhafter  Vertreter  der  Leipziger  Musikwdssen- 
schaft  statt  zur  Bildung  einer  Ortsgruppe  Leipzig,  die  die  Forderung  der  Zwecke  der 
kiirzlicli  ins  Leben  gerufenen  I.  M.-G-.  erstrebt.  Der  Vorsitzende  begriiCte  die  Versamm- 
lung unter  Hervorhebung  der  liocherfreulichen  Thatsache  einer  internationalen  For- 
derung der  Aufgaben  und  Ziele  der  Musikwissenscliaft,  die  durch  die  Griindung  dieser 
Oesellschaft  ermoglicht  worden  sei.  Da  eine  geniigende  Anzahl  Mitglieder  (12)  vor- 
handen  war,  konnte  zur  Bildung  einer  Ortsgruppe  Leipzig  geschritten  werden,  deren 
Satzungen  nach  dem  Vorgange  Berlins  durchberaten  und  mit  einigen  die  hiesigen 
Verhâltnisse  beriicksichtigenden  Abanderungen  angenommen  wurden.  SchlieClich  wur- 
den  als  Vorsitzender  der  Ortsgruppe  Leipzig  Prof  Dr.  Kretzschmar,  als  Stellver- 
treter  Dr.  H.  Riemann,  als  Schriftfiihrer  Dr.  A.  Priifer  und  Dr.  M.  Seidel  aïs 
Bibliothekar  gewâhlt.  A.  Priifer.      ^ 

3.  Kopenhagen. 

Am  27.  September  fand  die  konstituierende  Versammlung  zweeks  Emrichtung  der 
Ortsgruppe  Kopenhagen  statt;  es  traten  ihr  10  Mitglieder  bei.  Nach  Festsetzung 
der  Statuten  wurde  der  Vorstand  oewâhlt;  ihm  gehoi'en  an  die  Herren  Professer 
Dr.  A.  Hammerich,  Vorsitzender.  Vize-Polizeidirektor  V.  C.  Ravn,  stellvertretender 
Vorsitzender,  Dr.  "Will.  B  e  h  r  e  n  d ,  Schriftfiihrer,  Lehrer  am  Konservatorimn  J.  D.  B  0  n- 
desen,  Kassierer.  W.  Behrend. 

4.  Frankfurt  a.  M. 

Unter  dem  Vorsitz  des  Herrn  Musikdirektor  Dr.  Frank  L.  Limbert  fand  am 
23.  September  eine  Versammlung  statt,  die  die  Konstituiei'ung  der  Ortsgruppe  Frank- 
furt a.  M.  beschloC.  Es  erklârten  15  Herren  und  Damen  ihre  Mitgliedschaft.  Die  Walil 
des  Vorstandes  wurde  in  der  nâchsten  Sitzung  vorgenommen;  es  wurden  gewâhlt  die 
Hen-en  Dr.  Limbert  als  Vorsitzender,  Proiessor  A.  Griiters  als  stellvertretender 
Vorsitzender,  A.  Pochh  animer  als  Schriftfiihrer,  Bankdirektor  A.  F  es  ter  als  Kassen- 
wart  und  Fr.  Nicol.  Manskopf  als  Bil)liothckar. 


*)  Nâhert'S  darûber  in  cteii  «Sammelbânden*  der  I.  M.-G.,  Heft  1. 


48  Mitteiliingen. 

5.   St.  Petersburg. 

Zu  einer  vorberatenden  Besprecliung  iiber  die  Bildung  der  Ortsgruppe  batte 
Se.  Excellenz  Herr  Baron  von  Stackelberg  auf  den  15.  Juni  einige  der  ange- 
sehensten  miisikalischen  Persônlicbkeiten  eingeladen,  n.  A.  die  Herren  Prof.  Saccetti, 
Redakteur  N.  Findeisen,  die  Professoren  Puserewsky.  Xicoleky.  Bulitscb 
vom  Konservatorium ,  Direktor  des  Konservatoriums  Bernhard,  Excellenz  "Wakel 
vom  Ministerium  des  AuGeren.  Komponist  I^vano■\v,  Priester  Mettallof.  Der  An- 
schluB  an  die  IMG.  wurde  im  Prinzip  gutgebeiCen,  die  BescbluBfassung  iiber  die 
weiteren  Schritte  aber  bis  nach  der  Reisezeit  vertagt.  Auf  der  nachsten  Sitzung.  An- 
fang  Oktober,  wurde  Se.  Excellenz  Herr  Baron  von  Stackelberg  ersucbt.  die  Organi- 
sation der  Petersburger  Ortsgruppe  zu  iibernehmen ,  und  es  stebt  zu  boffen,  daG  die 
offizielle  Griindung  nunmehr  im  Laufe  des  November  erfolgen  wird. 

6.  Wien. 

Zufolge  einer  Einladung  von  Professer  Dr.  G.  Adler  fand  am  17.  Juni  ini  neu 
gegrlindeten  Musikhistorischen  Institut  der  AViener  Universitât  beliufs  Konstituierung 
einer  Ortsgruppe  Wien  eine  Yorberatung  statt,  an  der  iiber  dreiCig  Personen  teil- 
nahmen.  Nach  einem  Vortrag  von  Prof.  Adler  iiber  die  Ziele  der  IMG.  beschloC  die 
Versammlung  zunâchst  die  Ausarbeitung  des  ihr  vorgelegten  Statutenentwurfes  unter 
Beriicksichtigung  ihrer  Wiinsche  und  Ansichten  und  betraute  damit  eine  Kommission, 
bestehend  ans  den  Herren:  Prof.  Adler,  Prof.  Graedener.  Prof.  Koller, 
Dr.  Mandyczewski  und  Dr.  Navratil.  Da  nach  dem  osten-eichischen  Yereins- 
gesetz  der  Beitritt  zu  einer  internationalen  Vereinigung  unstatthaft  ist.  bedurfte  es 
erst  langwieriger  Verhandlungen ,  um  trotzdem  in  diesem  Falle  die  Genelimigung  der 
k.  k.  Statthalterei  zu  erwirken.  Dank  der  besonders  thàtigen  Bemiihungen  von  Prof. 
Adler  wurde  sie  am  12.  September  erteilt.  Die  endgiltig  konstituierende  Sitzung 
wird  nunmehr  Ende  Oktober  erfolgen.  Inzwischen  haben  schon  hervon-agende  musi- 
kalische  Persônlicbkeiten  Wiens  ihren  Beitritt  zur  IMG.  erklart.  U.  a.  seien  genannt, 
die  Herren  Angelo  Eisner  von  Eisenhof,  Prof  Epstcin,  Karl  Goldmark.  Rich. 
Heuberger,  Dr.  R.  Hirschfeld,  Max  Kalbeck,  Direktor  Gust.  Mahler, 
Dr.  Heinr.  Rietsch,  Musikdirektor  Rud.  Weinwurm. 


An  die  Herren  Scliriftfiihrer  der  Ortsgruppeu. 

Um  Verzôgerungen  und  UnregelmâBigkeiten  in  der  Zusendung  der  Druck- 
schriften  der  I.  M. -G.  zu  vermeiden,  werden  die  Herren  Schriftfiihrer  hôflichst 
gebeten,  die  genauen  Mitgliederlisten  ihrer  Ortsgruppen  (Xamen,  Titel, 
Wohnung),  sowie  etwa  eintretende  Vera.nderimgen  môglichst  umgehend 
der  Zentralstelle    (Berlin  W.,  Lutherstr.  12)    freundlichst    mitteilen    zu   wollen. 

Dieselbe  Beschleunigung  ist  bei  den  Ortsgruppen-Sitzungsberichten 
erwûnscht.  Nur  diejenigen  kônnen  in  der  nachstfillligen  Xummer  der  Zeit- 
schrift  Aufnahme  finden,  die  spatestens  am  2  0.  jedes  Menât  s  der  Zentral- 
stelle  zugehen. 

Inhalt  des  gleichzeitig  erscheinenden  ersten  Heftes  der  »Saininel- 
biinde  der  I.  M.«()f.«: 

0.  Fleischer:  Ein  Kapitel  vergleichender  Musikwissenschaft.  —  K.  Keworkian: 
Die  armenische  Kirchenmusik.  —  J.  Wolf,  Die  Musiklehre  des  Johannes  de  Grocheo.  — 
M.  Seiffert:  Zu  Handel's  Klavierwerken.  —  M.  Seiffert:  Die  musikalische  Gilde 
in  Friedland.  —  J.  AVolf:  Dufay  und  seine  Zeit. 

Aasgegeben  am  1.  November  1890. 


Fiir  die  Redaktion  verantwortlich  :  Professor  Dr.  0.  Fleischer,  Berlin  W.,  Lvitherstr.  12. 

Dr.  M.  Seiffert,  Berlin  AV.,  Gobeiistr.  18. 

Druck  und  A'erlag  voa  Breitkopf  &  Hartel  iu  Leipzig. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


PUBMEE   PAR 


LA    SOCIÉTÉ    SCIENTIFIQUE    DE    BRUXELLES 


DEUXIEME  SERIE 

Cette  revue  de  haute  valgarisation,  fondée  en  1877  par  la  Société 
scientifique  de  Bruxelles,  se  compose  actuellement  de  deux  séries  : 
la  première  série  comprend  30  volumes  (1877-1891);  la  deu- 
xième a  été  inaugurée  en  1892. 

Elle  paraît  en  livraisons  trimestrielles  de  352  pages,  à  la  tin  de 
janvier,  d'avril,  de  juillet  et  d'octobre.  Chaque  livraison  renferme 
trois  parties  principales. 

La  première  partie  se  compose  d'Articles  originaux,  où  sont 
traités  les  sujets  les  plus  variés  se  rapportant  à  l'ensemble  des 
sciences  mathématiques,  physiques,  naturelles,  sociales,  etc. 

La  deuxième  partie  consiste  en  une  Bibliographie  scienti- 
fique, où  l'on  trouve  un  compte  rendu  détaillé  et  l'analyse  critique 
des  principaux  ouvrages  scientifiques  récemment  parus. 

La  troisième  partie  consiste  en  une  Revue  des  Revues  et 
des  publications  périodiques,  où  des  écrivains  spéciaux  résument 
ce  qui  paraît  de  plus  intéressant  dans  les  archives  scientifiques 
et  littéraires  de  notre  temps. 

Outre  ces  trois  parties,  chaque  livraison  contient  ordinairement 
un  ou  plusieurs  articles  de  Variétés. 

CONDITIONS  D'ABONNEMENT 

Le  prix  d'abonnement  à  la  Revue  des  Questions  scientifiques  est 
de  20  francs  par  an.  Les  membres  de  la  Société  scientifique  de 
Bruxelles  ont  droit  à  une  réduction  de  25  "/o  ;  le  prix  de  leur 
abonnement  est  donc  de  15  francs  par  an. 

La  collection  complète  et  les  volumes  isolés  seront  fournis  aux 
nouveaux  abonnés  à  des  conditions  très  avantageuses. 

S'adresser  pour  tout  ce  qui  concerne  la  Rédaction  et  /'Admi- 
nistration au  secrétariat  de  la  Société  scientifique^  il,  rue  des 
Hécollets,  Louvain. 


Louvaiû.  —  Imp.  Pollkonis  &  Cboterick. 


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Houdard,  Georges  Louis 
La  science 


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