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Full text of "Las Dames De L Elysee"

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DATE DUE 



FRENCH 944.083 M61d 
Meyer, Bertrand. 

Les dames de 1'Elysee 
celles d'hier, celies 
c!987. 



LES DAMES DE L'ELYSEE 



DU MEME AUTEUR 



NADAR. Editions Encre, 1979. 
GRACE. Librairie Academique Perrin, 1984. 
BUCKINGHAM STORY. Librairie Academique Per- 
rin, 1986. 



BERTRAND MEYER 



LES DAMES 
DE L'ELYSEE 

Celles d'hier, celles de demain 



YVONNE DE GAULLE 

CLAUDE POMPIDOU 

ANNE-AYMONE GISCARD D'ESTAING 

DANIELLE MITTERRAND 



EVE BARRE 

BERNADETTE CHIRAC 

FRANCOISE FABIUS 

MICHfcLE ROCARD 




Librairie Acad6mique Perrin 

8, rue Garanciere 

Paris 



La loi du 1 1 mars 1957 n'autorisant, au terme des alineas 2 et 3 de Particle 41, d'une part, que 
les copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste ct non destinies a 
une utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exem- 
pleet d'illustration, toute representation ou reproduction integrate ou partielle, faite sans le con- 
sentement de I'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinea premier de 1'arti- 
cle 40). 

Cette representation ou reproduction, par quelque precede que ce soil, constituerait done une 
contrefa?on sanctionnee par les articles 425 et suivants du Code penal. 

Librairie Academique Perrin, 1987 
ISBN 2.262-00447-1 



REMERCIEMENTS 



Ce livre n'aurait pu etre ecrit sans la cooperation de 
la plupart des dames evoquees dans ce livre. 
L'auteur tient particulierement a remercier 
Mmes Claude Pompidou, Anne-Aymone Giscard 
d'Estaing et Michele Rocard qui ont eu Tamabilite de 
lui accorder plusieurs entretiens pour ce livre. 

L'auteur exprime sa gratitude a Tambassade de Hon- 
grie a Paris, a llnstitut Charles-de-Gaulle, au musee de 
la Presse, au service de presse de l'lysee, au service 
des relations exterieures du Centre Pompidou et aux 
services de presse des maisons : Alexandre, Cardin, Cha- 
nel, Dior, Feraud et Saint-Laurent. 

L'auteur est egalement redevable a : Jacques Alexan- 
dre, Catherine Baude, Claude Bernheim, Jacques Bou- 
tet, Jean-Charles Brionne, Genevieve Chastenet, Anne 
Davis, Michel Desforges, Daniel Desmarquest, Charles 
Dupechez, Anne-Marie Dupuy, fidouard Esmerian, 
Alain Josse, Micheline Lavergne, Stephanie Lober, 
Adrien Mathien, fivelyne Millet, Jacqueline Muller, Gil- 
bert Paris, Claude Perset, Mme le Picard, Martine et 
Pascale Rocard, Christophe Rosso, Marie-Frangoise 
Vauquelin-Klincksieck et Pierre Wildenstein. 

De nombreuses personnes ont accepte de me confier 
leurs temoignages a condition que leur anonymat soit 
respecte. Qu'elles soient aussi remerciees ! 



8 LS DAMES DE L'GLYSEE 

L'auteur remercie enfin Mmes Neves, Claude Ayela, 
Rosine Delarue et Annette Annenberg pour leurs analy- 
ses graphologiques, orthophoniques et morpho-psycho- 
logiques. 



INTRODUCTION 



Sur les vingt et un presidents de la Republique, deux 
sont entres celibataires a 1'filysee : Louis Napoleon 
Bonaparte et Gaston Doumergue. Le premier ne pou- 
vait decemment pas epouser sa maitresse anglaise et 
le second se rangea en epousant Jeanne Graves devant 
le maire du VIII e arrondissement venu specialement a 
Tfilysee pour les marier. Un troisieme president, Ray- 
mond Poincare, fut contraint de regulariser sa situa- 
tion matrimoniale (il s'etait marie civilement avec une 
femme deja divorcee dont le premier epoux etait mort) 
et obtint meme du Vatican Fautorisation d'une bene- 
diction religieuse pour satisfaire 1'assemblee de nota- 
bles catholiques qui 1'avait elu. Poincare prefera tou- 
tefois celebrer cette ceremonie dans son propre appar- 
tement, rue de Babylone. 

On a done du mal a imaginer une republique sans 
couple presidentiel et TElysee sans premiere dame, 
meme si la dignite de premiere dame ne se fonde sur 
aucun texte off iciel et si, constitutionnellement, elle n'a 
droit a aucune faveur et n'a aucune attribution parti- 
culiere. Notre constitution est muette sur sa situation 
protocolaire : nulle part il n'est dit qu'elle est la pre- 
miere dame de la Republique, que sa presence est 
requise ou souhaitee en telle ou telle circonstance, que 
certaines activites lui sont tolerees ou interdites. Cepen- 



10 LES DAMES DE 

dant 1'opinion a depuis toujours consid6r6 qu'elle avait 
un role de representation important. Appelee a symbo- 
liser la femme f rangaise, la conjointe du chef de 1'fitat 
est une figurante indispensable du cinema quotidien 
a Tfilysee : elle anime le Noel des petits Frangais rneri- 
tants, a ses oeuvres, sait se transformer en super- 
assistante sociale, est 1'ambassadrice gratuite de la 
mode parisienne, joue les maitresses de maison et fait 
visiter a ses consoeurs etrangeres creches, floralies et 
autres merveilles du patrimoine national Bref , la pre- 
sidente ne chome pas ! Receptions, inaugurations et 
voyages officiels tous azimuts... Son role est devenu, 
au fil des republiques, de plus en plus absorbant. 

Or, paradoxalement, le statut de presidente et la 
personnalite de celles qui Tont assume restent en 
France encore bien flous ; c'est tout juste si les Fran- 
gais ne connaissent pas mieux Nancy Reagan que 
Danielle Mitterrand ! En effet, aux tats-Unis, les 
envoyes speciaux des magazines feminins, accredites 
par la Maison-Blanche, observent minutieusement les 
moindres faits et gestes de la first lady, a partir du 
moment ou celle-ci entre a la Maison-Blanche. Us sont 
installes en permanence dans les locaux du palais reser- 
ves a la presse, ecoutent les moindres bruits de robi- 
netterie, surveillent les allees et venues de chacun et 
n'ignorent rien de ce qu'on a mange au petit dejeuner, 
la-haut, a l ; 6tage prive. On ne peut pas deplacer une 
potiche a la Maison-Blanche sans que la nouvelle n'en 
eclate deux heures apres dans les premieres pages de 
certains journaux. A Tfilysee, rien de tel. Tout ce qui 
concerne Tepouse du chef de Tfitat tombe sous le sceau 
du secret ou de la discretion. Alors qu'avant la Revo- 
lution franchise, le peuple etait au courant des moin- 
dres eternuements de la cour, le palais de Pfilysee est 
reste pendant ces trente dernieres ann^es fort avare de 
confidences. 

Les Frangais n'ont done qu'une image bien imprecise 
ou caricaturale de leurs premieres dames. La V c Repu- 



INTRODUCTION 1 1 

blique leur a offert Mme de Gaulle, bien pale sous les 
projecteurs dans 1'ombre de son geant de mari ( il a 
quarante centimetres de plus que moi ), et baptisee 
Tante Yvonne pour souligner ses vertus d'ordre, d'eco- 
nomie, son respect des traditions et des valeurs mora- 
les. Image parfois inexacte. Mme Pompidou fut certes 
plus exposee. Malgre une timidite naturelle accentuee 
par une crainte irraisonnee de la vie publique, elle a 
su, avec son style de championne de tennis, marquer 
les annees 1970. Elle a choque Tassistance lors d'un gala 
a TOpera en exhibant des bermudas de soie lame or, 
elle fit dignement face a un scandaie ne de perfides allu- 
sions relevant d'un montage politique. Elle fut le temoin 
douloureux et discret de 1'agonie de son mari, De 
Mme Giscard d'Estaing, la presidente bon chic-bon 
genre, les Frangais ont su peu de chose ; ses filles-fleurs 
Valerie-Anne et Jacinte eurent davantage les faveurs 
de la presse. Injustice ou reaction logique ? Quant a 
Pactuelle presidente, Mme Mitterrand, a la silhouette 
menue et au visage un peu bute avec ses pommettes 
haut placees, le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne 
fait guere parler d'elle sinon sous forme de rumeurs ! 
N'y aurait-il rien a dire ? 

Aux portraits de ces quatre dames de 1'filysee de la 
V e Republique, qu'on trouvera ici, s'ajoutent les por- 
traits de celles qui etant donne les ambitions de leur 
mari ou, en tout cas, leur position dans les sondages 
ont une chance de leur succeder a la prochaine elec- 
tion ou a la suivante : Mme Barre, Mme Chirac, 
Mme Fabius et Mnie Rocard (notez 1'ordre alphabeti- 
que). Quelle est celle qui conviendrait le mieux a ce 
poste ? Ce livre esquisse peut-etre une reponse. 

En vingt ans, la position de presidente ou de 
future presidente de la Republique franchise a beau- 
coup evolue (imagine-t-on Mme de Gaulle donner des 
details croustillants sur la fagon dont le general prend 
son petit dejeuner ?). Les Frangais votant moins pour 
les idees des hommes politiques que pour Tattrait de 



12 LES DAMES DE L'LYSE 

ceux qui les vehiculent, 1'homme politique presidentia- 
ble a desormais interet selon le modele americain 
a soigner son image et a se montrer tel qu'il est dans 
Pintimite, avec sa femme, ses enfants et son chien. Tout 
juste si une emission de television (Questions a domi- 
cile) ne nous montre pas sa salle de bains et si 1'epouse 
du leader ne nous revele pas le nom de sa creme de 
beaute ! 

Les annees a venir et les elections des prochaines 
annees nous reservent peut-etre dans ce domaine bien 
des surprises... Les dames de TElysee vont-elles deve- 
nir des stars de la Republique ? 



LES DAMES D'ANTAN 



Le terme de premiere dame de France est relative- 
ment recent. C'est en effet au cours du septennat de 
Vincent Auriol qu'on le voit apparaitre pour la premiere 
fois. Nullement un titre protocolaire, simplement une 
trouvaille de la presse de Tepoque et de 1'opinion publi- 
que. Auparavant, aucune epouse de president n'avait 
beneficie de ce qualificatif . Les quatorze presidents de 
la IIP Republique n'eurent-ils done d'autre compagne 
que Marianne ? 

Jetons un rapide regard retrospectif sur celles qui 
furent maitresses de maison au palais de I'filysee avant 
la V e Republique. Devenu officiellement la residence 
des presidents de la Republique franchise le 22 Janvier 
1879, 1'filysee a en effet vu bien des visages feminins 
se refleter dans ses miroirs dores. 

Le premier des miroirs n'est pas sans etre teinte d'iro- 
nie... Le 24 fevrier 1848, la monarchic or!6aniste s'effon- 
dre, la r^publique est proclamee. Le 10 decembre de 
la meme ann^e, c'est le triomphe electoral de Louis 
Napoleon Bonaparte. Le premier president de la Repu- 
blique fait son entree & 1'Elysee le 20 decembre. II s'ins- 
talle au premier etage dans 1'ancien appartement de sa 
tante et grand-mere Josephine et fait du salon de Cleo- 
patre son bureau. Lui qui, pendant sa campagne elec- 
torale, s'est pos6 en protecteur de la religion et de la 



16 LES DAMES DE L'ELYSEE 

famille, prend soin de ne pas recevoir sa maitresse en 
titre miss Howard dans 1'ancienne demeure de 
Mme de Pompadour. Elle se voit installee, a deux pas 
du palais, dans un hotel particulier qu'une seule rue 
etroite separe des jardins de 1' Ely see, A la question 
regulierement posee par miss Howard : Quand 
m'autoriserez-vous a traverser la rue ? , le prince- 
president repond evasivement. Ingratitude masculine 
a Tegard de cette amoureuse devouee, dotee helas d'un 
passe encombrant qui rend difficile tout projet de 
mariage : elle est fille d'un bottier de Brighton et a ete 
enlevee a 1'age de seize ans par le fils d'un marchand 
de chevaux qui la fait debuter au theatre sous le pseu- 
donyme de miss Howard (elle se nomme en realite Eli- 
sabeth Hariet). Actrice sans talent, courtisane plus heu- 
reuse, elle a la bonne idee d'heriter d'un de ses amants 
le major Mountjoie Martyn une fortune conside- 
rable. Pendant Tete 1846, elle devient la maitresse de 
Louis Napoleon qui la rencontre chez lady Blessington. 
La rencontre est profitable puisque miss Howard sub- 
ventionne la campagne electorate de son amant. Mais 
de la a pouvoir jouer les maitresses de maison a 
1'Elysee... 

II en f aut pourtant une pour les receptions du prince- 
president. La princesse Mathilde (nee en 1820), fille du 
plus jeune frere de Napoleon, va remplir a merveille 
cet office. Cette femme superbe, au buste eblouissant, 
va attirer tout le Faubourg-Saint-Germain, flatter la 
societe parisienne et etre de toutes les fetes et bals. Con- 
fidente, amie et conseillere de son cousin, elle regne 
vraiment sur le palais. Mais une maitresse officielle et 
une maitresse de maison n'empechent pas Louis Napo- 
leon d'avoir plusieurs liaisons simultanees. Certai- 
nes femmes en vogue s'installent au palais en toute sim- 
plicite pour quelques jours ou meme quelques seniai- 
nes. Demoiselles d'opera, femmes du monde et merne 
Mile Rachel, Pillustre tragedienne, viennent tour a tour 
etablir leurs quartiers dans la demeure presidentielle. 



LS DAMES D'ANTAN 17 

Mais le palais du faubourg Saint-Honore va de nouveau 
s'endormir apres le coup d'Etat du 2 decembre 1851 : 
Louis Napoleon empereur s'installe aux Tuileries. 
L'Elysee n'accueillera qu'episodiquement Eugenie de 
Montijo. Un grand bal y est donne en son honneur le 
12 Janvier 1853 ; c'est la qu'elle passe sa derniere nuit 
de jeune f ille. Quelques fetes en 1'honneur d'hotes etran- 
gers continuent de se donner dans 1'ancien palais pre- 
sidentiel a la fin du second Empire, mais les crinoli- 
nes de Worth et les heroines de Winterhalter ne hante- 
ront pas le palais, meme s'il est prevu qu'Eugenie, au 
cas ou Tempereur mourrait et ou son fils monterait sur 
le trone, Toccuperait en tant qu'imperatrice mere. Le 
destin en decida autrement et ne fit pas d'Eugenie une 
imperatrice veuve a PElysee. 



Avec la famille d'Adolphe Thiers (president du 
31 aout 1871 au 24 mai 1873), c'est un peu Feydeau qui 
entre en scene. Les echotiers vont s'en donner a coeur 
joie. En effet, la petite taille de 1'avocat marseillais ne 
1'a pas empeche de conquerir non une femme mais toute 
une famille, laquelle va combler ses ambitions de pou- 
voir, d'argent et d'amour. S'etant lie en 1827 avec le 
menage Dosne, il noue une intrigue avec la maitresse 
de maison, Eurydia (qui se fait appeler Sophie). Thiers 
a trente-deux ans, Sophie en a trente-six. En 1833, Adol- 
phe epouse Elise, la fille ainee. Ainsi, malgre son 
mariage, il pourra dit-on continuer a avoir avec 
celle qui est devenue sa belle-mere les relations les plus 
intimes. Mais Felicie, la seconde fille, ne cache pas 
1'admiration qu'elle eprouve pour son beau-frere ; elle 
s'institue vite son intendante. Ces trois dames 1'accom- 
pagnent meme dans ses voyages et les commentaires 
desobligeants et sans doute injustices quant a 
1'intimite de la belle-soeur et du beau-frere vont bon 
train (Felicie est plus jolie qu'filise). Ainsi parle-t-on des 
trois moities de Monsieur Thiers. 



18 LES DAMES DE L'ELYSE 

En 1871, Sophie est morte et le nouveau president 
Thiers n'a plus que deux femmes. (II porte en realite 
le titre de chef du pouvoir executif de la Republique 
frangaise). Et les chansonniers d'ironiser : 

Je n'ai ni Montespan ni Fontange 
La Valliere ni Maintenon 
Mais j'ai Madame Thiers, un ange 
Et Felicie un joli nom... 

Thiers habite Versailles, car Mme Thiers se mef ie de 
1'Elysee, ou plutot de Paris. 

Nous ne serions pas quinze jours a Paris, dit-elle, 
sans que Monsieur Thiers soit assassine. 

Mais cela n'empeche pas le president de se rendre 
a 1'Elysee dans la journee pour y travailler et y donner 
des receptions. 

Mme Elise Thiers et sa sceur Felicie se partagent les 
taches. lise part chaque matin faire le marche, suivie 
par une soubrette en tablier blanc, ne serait-ce que pour 
controler le montant exact des achats ! Elle n'a pas pour 
rien une reputation de ladrerie. On raconte ainsi que, 
lors d'un dejeuner offert a la princesse Troubetskoi, 
les fruits servis se trouverent gates et que le president 
se dirigea vers le dressoir ou figurait une autre 
corbeille : 

Non, mon ami, fit Mme Thiers, ceux-la sont pour 
ce soir. 

Petite, ronde, continuellement coif fee avec des che- 
veux a bandeaux plats, vetue de robes louis- 
philippardes, elle est la terreur de 1'office. Dans les 
salons, son irnpopularite est aussi grande ; la princesse 
Pauline de Metternich voit en elle un objet commode 
pour tenir un salon ; elle la decrit tres froide et tres 
compassee, avec Fair tres comme il faut, tr^s gratin, 
c'est-a-dire vieux jeu . Elle est aussi pincee que ses 
receptions sont chiches. Un temoin ne se prive pas de 
relever a propos du buffet quelques verres de sirop 



LES DAMES D'ANTAN 19 

de groseille, quelques assiettes de sandwiches mal beur- 
res et des gateaux sees, tres sees... . Sa sceur Felicie 
la demoiselle d'Etat prend pourtant fort au 
serieux son role de maitresse de maison en second. Elle 
est certes beaucoup plus grande et fine, meme si cer- 
tains la traitent de grande pimbeche anguleuse . 
L'ete, ces dames se rendent a Trouville ou a Dinard. On 
se promene sur la plage, le president en costume 
d'alpaga avec panama et les deux soeurs dans des robes 
d'une laideur etonnante : Felicie est a la derniere mode 
avec les tournures, petits poufs poses sur les reins... 
La dame de 1'Elysee et la demoiselle d'Etat n'ont 
bientot plus le loisir de se plaindre de leur ruineux train 
de vie : les palmiers en pots et les chaises de location 
de 1'Elysee sont renvoyes a leurs fournisseurs, car, 
apres sa demission le 24 mai 1873, Adolphe Thiers part 
se reposer au bord du lac Leman. II meurt le 
3 septembre 1877 entoure des deux soeurs. Mme Thiers 
s'eteint le 15 decembre 1880, a soixante et onze ans. 
Trois ans plus tot, elle a acquis une concession de 
144m 2 au Pere-Lachaise, pour y construire le plus 
grand mausolee du cimetiere. Felicie continuera pieu- 
sement a entretenir la memoire de son beau-frere en 
creant la fondation Thiers. Elle meurt le 16 Janvier 
1906, a quatre-vingt-deux ans. La vente des bijoux de 
la parcimonieuse Mme Thiers aux encheres publiques, 
en 1924, battra des records (le collier offert par la reine 
d'Espagne atteindra 11 280000 F). Curieux destin... 



Avec la presidence de Patrice de MacMahon (du 
24 mai 1873 au 30 Janvier 1879) le luxe revit a 1'Elysee. 
Le marechal, due de Magenta, ne se sent pas depayse 
dans cette derneure qui retrouve grace a lui des airs 
d'urbanite ancienne. Sa brillante epouse est au diapa- 
son. Elisabeth de La Croix de Castries (nee le 12 fevrier 
1834) est fine et bien nee. Son pere est Armand demi- 
frere du due de Castries et sa mere Marie-Augusta 



20 LES DAMES DE L'ELYSEE 

d'Harcourt. Elisabeth devient Mme de Mac Mahon le 
14 mars 1854. Tres intelligente, elle va exercer une 
grande influence sur son epoux. Elle ne dissimule pas 
ses opinions legitimistes et la sympathie qu'elle porte 
au comte de Chambord. Avec sa presence a 1'Elysee, 
le Faubourg-Saint-Germain se presse a nouveau aux 
receptions. On se retrouve enfin entre personnes bien 
nees. La robe de satin blanc de la princesse de Broglie 
peut rivaliser avec celle, brodee de palmes en diamants, 
de la comtesse de Girgenti, celle garnie de capucines et 
d'heliotropes de la comtesse de Clermont-Tonnerre avec 
celle en soie brochee de la comtesse de Beaumont, soeur 
de la presidente. Bref, toute I'aristocratie, fausse ou 
authentique, vieilles et recentes souches melangees, 
persifle avec grace aux frais de la Republique et aussi 
du president qui ebrecha sa fortune pour redonner du 
prestige a 1'filysee. Lors des receptions qu'elle ordonne 
parfaitement, Elisabeth de Mac Mahon n'est pas tou- 
jours aimable avec certains ministres ou fonctionnai- 
res. Elle incite meme son epoux a se debarrasser du 
president du Conseil Jules Simon en 1877 et joue un 
certain role dans la crise du 16 mai. Elle sait aussi se 
plier a des activites plus traditionnelles en presidant 
le comite central de la Croix-Rouge pendant plusieurs 
annees. Elle va meme jusqu'a creer au palais un ate- 
lier de lingerie ou Ton confectionne des layettes pour 
les enfants pauvres. Elle est, au cote de son mari, de 
toutes les inaugurations. Elle est notamment presente, 
le 5 Janvier 1875, au gala officiel marquant 1'ouverture 
du palais Gamier, 1'Opera de Paris. Si les monarchies 
europeennes ont semble bouder la jeune Republique, 
Pepouse du president salue ce soir-la quelques tetes 
decouronnees, comme le roi de Hanovre ou Isabelle II 
d'Espagne. Mais, le roi d'Espagne, Alphonse XII, est 
egalernent la. Louis II de Baviere et le tsarevitch Nico- 
las de Russie n'eurent droit qu ; au chantier... C'est pour 
eux qu'filisabeth de Mac Mahon fait transformer en 
salle a manger d'honneur la salle de bal de 1'filysee com- 



LES DAMES D' ANT AN 21 

mencee sous le second Empire a I'emplacement de 
1'orangerie de la duchesse de Berry. C'est egalement 
sur son ordre qu ; est execute un grand service en ver- 
meil qui sert encore aujourd'hui. Tout ce train de vie 
royal s'acheve en 1879 lorsque Mac Mahon finit par 
demissionner. Le couple va vivre desormais dans une 
retraite silencieuse. Lui s'eteint le 8 octobre 1893 dans 
son chateau de La Forest, dans le Loiret, et elle le suit 
Ie20fevrier 1900. 



Avec 1'arrivee de Jules et Coralie Grevy, parfaits 
petits-bourgeois, I'filysee retombe vite dans une morne 
grisaille, d'autant que le president Grevy va rester long- 
temps locataire du palais du l er Janvier 1879 au 
2 decembre 1887. De ses origines paysannes, il garde 
un sens aigu de la parcimonie que partage sa femme 
dont on chuchote qu'elle n'est qu'une vieille liaison 
regularisee. Fille d'un negociant narbonnais, Coralie 
Fraisse s'est mariee avec Jules Grevy en 1846. Nerveuse, 
de sante delicate, elle mene une vie assez effacee et 
tente de conserver a 1'filysee une quiete existence, de 
deranger le moins possible ses habitudes. Mme Grevy 
sacrifie pourtant aux corvees du metier, en organisant 
les trois bals annuels et les receptions indispensables. 
Assise au coin de la cheminee, un peu guindee, s'effor- 
?ant a la distinction , la presidente se borne a ne pas 
gaffer (1'une de ses specialites !). Le Faubourg-Saint- 
Germain, qui ne se montre plus guere a 1'filysee, prend 
soin de se tenir au courant de tout ce qui s'y passe pour 
mieux en rire. Ne raconte-t-on pas, par exemple, que, 
recevant le prix Nobel Frederic Mistral, elle I'interroge : 

Vous etes du Midi, je crois, monsieur Mistral ? 
On repete aussi, avec un malin plaisir, la recomman- 

dation de Mme Grevy, a Tissue d'une reception donnee 
en Thonneur du prince de Galles, le futur fidouard VII : 

Jules, reconduis done monsieur... 

Cette simplicite a la Mme Sans-Gene s'accompagne 



22 LES DAMES DE L'ELYSEE 

cependant de peu de qualites humaines. Mme Grevy 
reprend certes 1'atelier de lingerie cree par la marechale 
de Mac Mahon mais veille soigneusement a la depense 
dans le palais, en bonne menagere un peu depassee 
par tant de parquets a cirer, tant de fenetres a laver, 
tant de lustres a allumer, tant de cheminees a entrete- 
nir, et done tant de domes tiques a surveiller... et a 
payer , comme l'a note cruellement un journaliste. A- 
t-elle revendu, comme on l'a dit ; les fruits que lui offrait 
le verger du Luxembourg ? Ses receptions restent, en 
tout cas, celebres pour leurs buffets f rugaux. Les invi- 
tes doues d'un bon appetit savaient qu'il fallait pren- 
dre d'assaut les buffets, sous peine de rester af fame le 
reste de la soiree. Le service etant restreint et 1'eclai- 
rage reduit, on comprend que cette presidente soit peu 
regrettee lorsque son mari demissionne, le 2 decembre 
1887, a la suite du scandale cause par leur gendre 
Daniel Wilson, qui a organise une veritable officine de 
trafic d'influence et, surtout, de decorations a I'Elysee 
meme. Jules et Coralie Grevy auraient dii mieux 
employer leur sagesse paysanne en pretant attention 
a un presage. En effet, au cours de 1'hiver 1886-1887, 
le president a demande aux jardiniers du palais de chas- 
ser les corbeaux qui hantaient les arbres du pare et qui 
importunaient surtout Mme Grevy de leurs criailleries. 
On avait done detruit les nids mais, toute la journee, 
les corbeaux avaient tournoye au-dessus de la demeure 
en poussant des croassements de malediction. Nous 
avons eu tort, ils nous porteront malheur. Coralie 
Grevy ne sut pas si bien dire. Le pays Poublie tres vite... 



Selection, le 3 decembre 1887, de Sadi Carnot 
petit-fils de Torganisateur de la victoire et 1'arri- 
vee de son elegante epouse, femme du monde accom- 
plie, vont permettre a 1'Elysee de retrouver du prestige 
et d'effacer le facheux souvenir de neuf annees maigres. 
Marie-Cecile-Pauline Carnot est la fille de Teconomiste 



LES DAMES D'ANTAN 23 

Charles Brook Dupont-White. C'est a Tage de vingt ans 
(le 2 juin 1863) qu'elle epouse un jeune homme au nom 
celebre et au prenom persan. Trois enfants, Celine, 
Ernest et Francois naissent de cette union. Toute la 
famille quitte la residence du 1 1, rue Roquepine pour 
s'installer rue du Faubourg-Saint-Honore. 

Intelligente, douee d'une memoire etonnante et d'une 
remarquable presence d'esprit, Mme Carnot est egale- 
ment tres decorative : belle avec de longs cheveux bruns 
coiffes en chignon, mince, un port de tete distingue. Elle 
va d'ailleurs etre Tune des rares femmes de president 
evoluant a son aise parmi des hotes royaux. Recevant 
sans ladrerie, prelevant meme sur sa fortune person- 
nelle pour pallier les frais toujours considerables des 
bals annuels (mille invitations sont lancees a chaque 
fois), Mme Carnot donne a ses receptions un ton de 
bonne compagnie et la jeunesse y a sa place. Polkas, 
mazurkas, scottishes, valses et quadrilles alternent sous 
les lambris dores. On va meme jusqu'a danser la faran- 
dole dans les jardins. On y organise aussi des matinees 
musicales, avec kiosque monte sur la pelouse et des 
garden-parties ou Ton joue au lawn-tennis ; car, sous 
une etiquette anglaise qui leur assure aussitot la fer- 
veur des Fran^ais, de vieux jeux traditionnels reappa- 
raissent, tel le tennis qui devient un element important 
de la vie sociale. Mme Carnot, qui considere 1'Elysee 
comme un palais ou Ton se ruine et ou 1'on s'ennuie , 
s'efforce done de lui donner vie. Elle met aussi a la 
mode les chats angoras, ensevelis sous des plis de leur 
fourrure. Les habitues trouvent a juste titre une 
ambiance style la Vie parisienne a l'lysee. Les parfums 
de Pepoque semblent tout droit sortis d'un album 
sepia : la violette imperiale, 1'heliotrope blanc, la peau 
d'Espagne, le datura indien, le patchouli et 1'opopanax. 

La vie s'6coule paisiblement. Apres le repas, M. et 
Mme Carnot vont habituellement rendre visite a M. Car- 
not pere au 122, rue de la Boetie. Deux ou trois fois par 
semaine, on se promene aux Champs-lysees ou dans 



24 LES DAMES DE L'ELYSEE 

les principales arteres de la capitale, suivi a vingt ou 
trente metres par deux inspecteurs. On se promene au 
Bois, en mail-coach tire par quatre chevaux (la mode 
en matiere de monture). On passe 1'ete a Fontainebleau ; 
on y donne concerts champetres et feux d'artifice. 
Mme Carnot n'oublie pas ses devoirs en creant a 1'Ely- 
see 1'arbre de Noel des enfants pauvres, initiative qui 
sera poursuivie par tous les occupants du palais. 

Dans le domaine de 1'elegance, elle innove moins en 
se rnontrant d'un classicisrne de bon aloi. Pour ses 
robes, elle s'adresse a Worth et a Laferriere ; ses cha- 
peaux viennent de chez Mme Reboux, ses chaussures 
de chez Ferry, ses ombrelles de chez Dupuy et ses gants 
de chez Jouvin. Un temoin note que, lors de 1'inaugu- 
ration de la salle des fetes de 1'Elysee, le 25 mai 1889, 
Mme Carnot porte une robe de satin de Lyon gris 
perle brode d'argent avec garniture de plumes du meme 
ton et epaulettes de diamants . En cette meme annee 
1889, une premiere crise vient bouleverser Pharmonie 
tranquille du palais : celle que provoque le general Bou- 
langer. Lors de la journee insurrectionnelle du 
27 Janvier, Mme Carnot, tres pieuse, se refugie dans son 
salon pour prier, entouree de quelques generaux. 
L'alerte passee, on respire. Mais la menace anarchiste 
sera plus serieuse. En juin 1894, Mme Carnot revolt des 
amies a TElysee et leur confie : 

Voila sept ans que nous n'avons plus de vie de 
famille, Heureusement, le mandat se termine en decem- 
bre et nous allons pouvoir vivre comme des gens 
normaux. 

Le destin en decide autrement. Le 24 juin, a Lyon, sau- 
tant sur le marchepied de la caleche presidentielle, un 
anarchiste italien poignarde le president Carnot. Son 
corps est ramene a TElysee dans la nuit et le Parlement 
decide de proceder a des obseques nationales. La reine 
Victoria ecrit alors a Mme Carnot : Mon coeur de 
veuve saigne pour vous... 

Apres le deces de son mari, elle refuse la pension que 



LES DAMES D' ANT AN 25 

le gouvernement desire lui attribuer. Une souscription 
est alors ouverte pour la creation d'une ceuvre philan- 
thropique en souvenir du disparu. Avec la somme 
recueillie est constitute la fondation Carnot. Mme Car- 
not disparait quatre ans plus tard d'une maladie de 
coeur, a l'age de cinquante-cinq ans, au chateau de Pres- 
les, ne laissant que des regrets. 



Le passage a 1'Elysee de Jean Casimir-Perier et de son 
epouse, nee Helene Perier-Vitet, sera moins regrette. 
Cousine de son mari, Mme Casimir-Perier est certes 
intelligente, grande, blonde, elancee mais elle a trop 
d'emprise sur son epoux. Ne dit-on pas que, sollicite 
de poser sa candidature a la magistrature supreme, le 
grand bourgeois, fils d'un ancien president du Conseil 
de Louis-Philippe, a tente d'opposer une resistance qu'a 
vite aneantie 1'acharnement de son ambitieuse epouse ? 
Le couple et ses deux enfants (Claude et Germaine) sent 
habitues au luxe des grandes residences ; leur chateau 
de Vizille que frequente le Faubourg-Saint-Germain en 
est le meilleur exemple. La richissime Mme Perier a peu 
le temps d'imposer son style au palais presidentiel, avec 
ses robes a traine sur lesquelles pendent des doubles 
jupes, les polonaises et les guirlandes posees de biais. 
Apres sept mois de presidence, record de brievete, Jean 
Casimir-Perier donne sa demission sous le pretexte d'un 
changement du poste de president du Conseil. La plus 
indignee est naturellement sa femme. 

Si vous m'aviez consultee, je vous aurais empeche 
de faire une telle sottise ! 

C'est bien pourquoi je ne vous ai rien dit, replique 
le president. Le couple se retira sur ses terres et tenta 
d'oublier ses mois elyseens. 



lu le 17 Janvier 1895, Felix Faure est moins com- 
plexe que son predecesseur et son epouse, nee Marie- 



26 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Mathilde Belluot (elle a cinquante-trois ans lors de 
1'election) bien plus effacee que Mme Casimir-Perier. 
Elle vit dans 1'ombre d'un mari qu'elle adore. Un brin 
naive d'apres tous ses proches, elle se marie en juillet 
1865 sans penser que le passe compromettant de son 
pere va rernonter a la surface des leurs premiers mois 
a I'filysee. fidouard Drumont la fait chanter en mena- 
gant de reveler que son pere n'est qu'un avoue vereux, 
condamne a vingt ans de prison par contumace. Le pre- 
sident trouve la solution la plus sage en prenant les 
devants et en faisant publier lui-meme 1'histoire. Ainsi 
de nombreux parlementaires viennent-ils s'inscrire a 
l'lysee pour rendre hommage a Mme Faure, innocente 
des fautes paternelles. 

Ce president qui aime le protocole, qui le veut minu- 
tieux et vigilant, ne voit guere de difference entre Ver- 
sailles et 1'Elysee. Ainsi exige-t-il que sa suite marche 
derriere lui a une vingtaine de pas et que Mine Faure 
s'assoie non a ses cotes, mais en retrait. A la grande- 
duchesse Wladimir, offusquee lors d'un repas d'avoir 
ete servie apres lui, on replique que c'est 1'usage a la 
cour de France... Comme dans une vieille monarchic 
traditionnelle chaque enfant a son role a jouer. Lucie 
est chargee par son pere de repondre aux demandes de 
secours adressees a Tfilysee. Grandes, avec beaucoup 
d'allure, Lucie et sa mere deviennent arbitres des ele- 
gances. En octobre 1896, lors de la reception des sou- 
verains russes, Mme Felix Faure donne le ton dans 
une toilette bleue d'un gout exquis , avec des bole- 
ros a boutons enormes qui degagent la haute ceinture 
etroitement serree. Gardant toujours son eventail a la 
main et un beau carre de dentelle dans Pautre, portant 
un bouquet au cote gauche, Mine Faure sait braver sa 
timidite pour tenir son rang de femme du chef de 1'fitat 
Elle re^oit tous les samedis, dans son salon du premier 
etage, un cercle restreint d'amis, parmi lesquels la 
femme du professeur Proust, accompagnee du jeune 
Marcel que Ton songe a marier avec la premiere des 



LES DAMES D' ANT AN 27 

filles des Faure, Antoinette... Mme Faure donne chaque 
annee sept grands diners de cent dix couverts et deux 
bals pour lesquels sont lancees pres de huit mille invi- 
tations (un souper debout est send vers 1 h 30 du matin 
dans la salle a manger privee). 

La comedie jusque-la plaisante finit par tourner au 
vaudeville puis au drame. Faure est, apres Louis Napo- 
leon, le second president coureur de jupons aux con- 
quetes multiples et connues. II en venait sans cesse , 
devait dire le vieux maitre d'hotel Clerc. Par la suite, 
notamment sous la V e Republique, les ecarts des pre- 
sidents volages ne seront connus que du micro- 
cosme et jamais evoques publiquement. 

Mme Faure ferme les yeux. Or, le 16 fevrier 1899, il 
se retire a cinq heures de Tapres-midi dans le salon 
d'argent avec Marguerite Steinheil, dite Meg, femme 
d'un peintre. On le retrouve terrasse par une hemor- 
ragie cerebrale. Selon une rumeur, il avait une main 
crispee dans les cheveux de Mme Steinheil, a moitie 
devetue. La rumeur parait peu fondee, car c'est Meg 
Steinheil qui donna 1'alerte avant de disparaitre par la 
porte donnant sur 1'avenue Gabriel. Cette attaque pro- 
vient en partie de Tabus d'un aphrodisiaque. L'agonie 
va durer quatre heures. Apres le depart precipite de 
Mme Steinheil, on se decide a prevenir Mme Faure et 
Lucie, qui, bouleversees, assistent a 1'agonie de celui 
qu'elles adorent. Ce qui va permettre aux journaux 
d'annoncer le lendemain, avec emotion, que le presi- 
dent s'est eteint dans les bras de la presidente... 

C'etait un si bon mari..., repetait Mme Faure en 
reponse aux condoleances. 



Avec Telection, le 17 fevrier 1899, de 1'affable fimile 
Loubet, Tfilysee aborde un chapitre moms cruel et plus 
souriant. 

Mme Loubet occupe en effet une place privilegiee 
dans la galerie des hotesses de 1'filysee, issues Souvent 



28 LES DAMES DE L'ELYSEE 

de milieux modestes et qui n'ont pas eu, comme leurs 
maris, 1'occasion d'apprendre peu a peu les usages du 
monde dans 1'exercice desquels on les guette. Nee le 
23 aout 1849, Marie-Marguerite Picard, fille d'un quin- 
caillier de Montelimar, a epouse Ernest Francois mile 
Loubet, avocat au barreau de Montelimar, le 18 aout 
1869. Vertueuse, replete, attentive au moindre detail 
du train de maison, elle reste le modele de 1 'epouse 
bourgeoise 1900. Un peu regardante cornme 
Mme Thiers et Mme Grevy, elle serre les cordons de 
sa bourse et ceux de son corset , selon un mot cele- 
bre. Empruntee, sans grace, portant souvent des robes 
de soie prune, elle va faire pietre figure dans les recep- 
tions officielles. D'autant que sa veritable nature prend 
toujours le dessus. Inaugurant FExposition universelle 
de 1900, elle, qui est gourmande, tombe en extase 
devant le stand de conf iseries ou sont exposes la porte 
du cours de la Reine entierement en nougat et le 
Rathaus de Vienne en glace royale... 

Le jour ou Paris regoit en grande pompe fidouard VII 
d'Angleterre, on craint que Mme Loubet ne s'empetre 
dans sa reverence. Elle se tire honorablement de 
1'epreuve mais a un mot maladroit lors du diner en 
demandant au roi, a propos de son fils, le futur 
George V : 

Et ce grand gargon, qu'est-ce que vous allez en 
faire ? 

En recevant a 1'filysee Oscar II de Suede et de Nor- 
vege, le chah de Perse, Leopold II des Beiges, Geor- 
ges I er de Grece, Carlos I er de Portugal, Victor- 
Emmanuel III d'ltalie, le bey de Tunis, etc., la pauvre 
femme est soumise a rude epreuve. Chaque reception 
coute en general 3 000 F de Tepoque. On y consomme 
1 200 bouteilles de champagne, 300 de punch, 1 400 de 
bordeaux et 100 de liqueurs. La garden-party donnee 
a Toccasion de la fete nationale est le clou de la sai- 
son. M. Loubet, en jaquette et gilet blanc, regoit nu-tte 
ses invites. Selon un temoin, la presidente est en robe 



LES DAMES D'ANTAN 29 

de mousseline de sole et de guipure creme sur satin vert 
Nil, un peu sanglee a la verite, et, sous les plumes de 
son chapeau, la chere dame arbore un visage pavoise 
a toutes les gammes de 1'ecarlate... . 

Pour se remettre, le menage Loubet passe ensuite la 
belle saison au chateau de Rambouillet, ou Madame fait 
de longues promenades dans le pare. Certes, hormi les 
jours de receptions officielles, les journees a PElysee 
sont plutot paisibles, coupees, apres le dejeuner, par 
une petite sieste que troublent les croassements des cor- 
neilles du pare. Mme Loubet obtient de son mari des 
battues regulieres, ce qui n'empeche pas les oiseaux de 
revenir... L'une de ces battues, ponctuee de coups de 
feu, fut si bruyante que tout le quartier, terrifie, crut 
a une guerre civile. 

Quand son mari arrive au terme de son mandat, 
Mrne Loubet, fatiguee de la prison elyseenne, soulee de 
ceremonies et de representations et lasse de sa situa- 
tion de femme n'ayant, aux yeux de Pepoque, que des 
devoirs, presse son mari d'en finir . Loubet trans- 
met done ses pouvoirs a son successeur Armand Fal- 
lieres le 18 fevrier 1900. Le menage se retire comple- 
tement de la vie publique et f init paisiblement son exis- 
tence dans une propriete de la Begude-des-Mazene, pres 
de Montelimar. 



Avec son predecesseur, Armand Fallieres a un point 
de ressemblance : sa femme. Elle est aussi devouee et 
consciencieuse que Mme Loubet et, comme cette der- 
niere, elle manque de 1'usage des cours. Dans la lign^e 
des presidentes economes illustrees par Mmes Thiers, 
Grevy et Loubet, Mme Fallieres (petite-f ille d'un avoue 
de Nerac) est celebre pour avoir revendu les fruits que 
lui envoyaient les serres du jardin du Luxembourg. On 
raconte ainsi qu'elle donne ses receptions le jeudi soir 
dans 1'espoir, qu'k partir de minuit, les catholiques pra- 



30 LES DAMES DE L'ZLYSEE 

tiquants ne toucheront plus aux petits pains au jam- 
bon. Saints principes d'economie qu'elle sait, par bon- 
heur, oublier en recevant les grands de la Belle fipo 
que. Ainsi invite-t-elle Edouard VII a reprendre des 
plats, avec une insistance toute provinciate, par ces 
paroles d'encouragement : 

Prenez, prenez, Sire, ils ont tout ce qu'il faut a la 
cuisine... 

Avec les visites en aout 1909 de 1'empereur et de 
1'imperatrice de Russie puis des rois de Grece, de Bel- 
gique, de Norvege, de Suede, de Serbie ou la reine des 
Pays-Bas, Mme Fallieres semble quelque peu depassee 
par son nouveau role. 

Corpulente, les yeux vifs, les traits un peu lourds, elle 
n'a rien des femmes qu'habille le nouveau dictateur de 
la mode : Paul Poiret La hardiesse des couleurs et des 
formes de ses creations ne lui sied pas. Meme le sage 
Paquin et ses robes mauves garnies de guipures lui sont 
interdites. Elle va rester une femme de la province, 
jamais aussi heureuse que lorsqu'elle peut, 1'ete, par- 
tir se reposer au Loupillon, sa residence du Sud-Ouest 
(une maison carree a deux etages, entouree d'un vigno- 
ble bien ordonne). II arrive quand meme que 1'filysee 
donne le ton en recevant les freres Vilmorin, le due et 
le comte de Morny, Louis Bleriot, les Michelin, Santos- 
Durnont ou le marquis de Dion. Autre exception : Tau to- 
mobile. Au moment ou la population parisienne assiste 
au premier salon de 1'auto (dans le hall du Grand 
Palais), Fallieres, qui se pique de modernisme, utilise 
Tautomobile, pour se rendre en particulier aux cour- 
ses de Maisons-Laffitte. Heureuse et placide France de 
la Belle fipoque. Sous le septennat de Fallieres, mal- 
gre les apparences de prosperite et d'insouciance, 
1'atmosphere d'orage se prepare. Les parades militai- 
res allemandes resonnent deja. Fallieres a la sagesse 
de ne pas se representer, la place n'est pas mauvaise, 
ecrit-il, mais il n'y a pas d'avancement et, au grand 
soulagement de son epouse, il se retire dSfinitivernent 



LES DAMES D'ANTAN 31 

de la vie publique. Son fils Andre sera par la suite plu- 
sieurs fois ministre (a partir de 1926). 



A ce moment de notre recit, alors que 1'hiver 
1912-1913 est particulierement rigoureux, le temps est 
comme en suspens a 1'filysee. Comme avant chaque 
nouveau chapitre de son histoire. Les valets de cham- 
bre promenent d'un air distrait leur balai de soie sur 
les tapis de la Savonnerie tandis que radicaux- 
socialistes et republicans de la Chambre choisissent 
leurs candidats. Les lingeres n'ont rien de mieux a faire 
que de repriser les tabliers des jardiniers et de decou- 
per leur lot annuel de chiffons dans les vieux torchons 
marques E.P. (filysee Presidence). Quant aux fleuristes, 
c'est sans conviction qu'ils composent leurs nombreux 
bouquets quotidiens. Le theatre de 1'filysee fait rela- 
che la veille de la premiere... 

Le 18 Janvier 1913, dans la cour d'honneur, les gar- 
des republicans, en grande tenue, sont alignes sur une 
double haie : Raymond Poincare, le nouveau president 
de la Republique, fait son entree. 

Pour la premiere fois depuis 1873, le Congres a elu 
Tun des hommes les plus importants de 1'epoque. Ne 
en 1 860, il a ete ministre pour la premiere fois a trente- 
trois ans, il est entre a 1'Academie frangaise a moins 
de cinquante ans et il etait president du Conseil quand 
il s'est presente a la presidence de la Republique. On 
s'est d'ailleurs etonne qu'un tel homme de gouverne- 
ment puisse se contenter desormais d ; un r61e de figu- 
ration. II ne s'en contentera pas , murmurent les 
radicaux qui craignent les hommes forts. 

Tandis que se deroule la transmission des pouvoirs, 
une voiture s'arrete devant une petite porte derobee de 
la rue de 1'filysee. La nouvelle presidente fait ainsi, pres- 
que en catimini, son entree. Cote cour et cote jardin. 
Debut d'une nouvelle vie, ou tous les regards vont se 
braquer sur vous. La nouvelle premiere dame de France 



32 LES DAMES DE L'ELYSEE 

gagne directement le premier etage de 1'aile gauche du 
palais ou se trouvent les appartements prives. Elle a 
deja la tete pleine de projets pour retapisser les cham- 
bres et les salons. Ensuite, par etapes, elle prend pos- 
session de son domicile : une douzaine de pieces de 
reception reparties sur deux etages et surchargees de 
rneubles, de tapisseries et de pendules. Traditionnel- 
lement, dans la semaine qui suit son arrivee, la presi- 
dente se fait presenter le personnel place sous la ferule 
d'un intendant : cuisiniers, maltres d'hotel, lingeres, 
hommes de menage, fleuristes, jardiniers. Par la suite, 
les rapports avec le personnel s'etablissent par 1' inter- 
mediate du chef du secretariat particulier. Tout de 
suite apres la presentation du personnel, on passe en 
revue 1'argenterie et la vaisselle. La nouvelle dame de 
1'Elysee commence alors vraiment le premier chapitre 
de son regne. 

Dans les milieux politiques, on jase beaucoup depuis 
quelques annees sur le couple insolite que M. Poincare 
forme avec sa femme. Maintes anecdotes mettent en 
cause 1'honorabilite de Mme Poincare, elles sont en par- 
ticulier colportees par Joseph Caillaux. Ces rurneurs 
ulcerent Poincare et Ton dit que c'est en partie pour 
y faire piece, pour defier les calomniateurs qu'il a 
decide de poser sa candidature a 1' Ely see. II veut impo- 
ser sa femme, faire taire les ragots et aff irmer a la face 
du pays la dignite de son union. Car ce Lorrain de vieille 
souche a eprouve et eprouve encore un amour pas- 
sionne pour Henriette Adeline Renucci, nee a Passy en 
1838, brune eclatante d'origine italienne, issue d'une 
famille honorable mais peu fortunee. Poincare Ta 
epousee civilement le 17 aout 1904 a la mairie du 
XVIIP arrondissement. Elle etait divorcee d'un premier 
mari (un Irlandais epouse a la sortie du couvent) et 
veuve (depuis le 16mai 1892) d'un riche industriel, 
Arthur Bazire. Une origine etrangere, deux precedents 
maris et un mariage civil, il n ; en fallait pas davantage 
pour qu'on trouve a cette union un parfum sulfureux. 



LES DAMES D'ANTAN 33 

Bravant I'opinion, Raymond Poincare et sa femme, 
accompagnes de leur menagerie (une chienne briarde 
Bobette, un chat siamois Grigri et la chienne Miette) 
s'installent a 1'Elysee. Le couple va rester toute la vie 
tendrement uni et, n'ayant pas d'enfant, reporter son 
affection sur les trois nieces de Mme Poincare. D'ail- 
leurs, le 5 mai 1913, quelques mois a peine apres son 
election, Poincare peut convoler religieusement, la 
preuve du deces du premier mari de sa femme ayant 
ete etablie. On celebre discretement le mariage dans son 
appartement du 10, rue de Babylone. Mgr Baudrillard, 
recteur de 1'Institut catholique, officie. C'est un ancien 
condisciple de Poincare a Louis-le-Grand. Le president 
lui explique qu'il a accepte cette ceremonie par res- 
pect pour la memoire de sa mere qui vient de mourir, 
par egard pour les sentiments de sa famille et aussi 
parce que etant a la tete d'un pays catholique il doit 
donner cet exemple a la Nation . D'une grande distinc- 
tion, la mariee a belle allure. Poincare, dans ses memoi- 
res, decrit ses cheveux noirs boucles, visage ovale, 
bouche large et sensuelle, regard doux, oreilles fines . 

Mais 1'Elysee prend bientot un visage de guerre : fini 
les receptions, les habits, les galas ! L'eclairage est 
reduit, le palais est austere. Mme Poincare prete son 
concours aux diverses oeuvres de secours et d'entraide 
et le couple presidentiel cherche la paix dans le jardin, 
comme le soulignent les Memoires de son mari : 
Depuis quinze jours, la roseraie de 1'Elysee est en 
pleine floraison et repand une delicieuse odeur. Le jar- 
din est rempli d'oiseaux... Le jardin de 1'Elysee est deli- 
cieux. C'est vraiment lui qui me permet de supporter 
la tristesse de ma prison. Henriette Poincare etablit 
au palais des ateliers d'ou partent regulierement des 
colis pour les soldats dans les tranchees. Elle a deja 
plus de douze mille filleuls de guerre , note son mari. 
II est inquiet lorsque, pendant l'ete 1917, on entend des 
cris affreux dans le jardin. Les valets accourent et 
decouvrent avec stupefaction un enorine chimpanze 



34 LES DAMES DE L'ELYSEE 

(echappe de chez son maitre, un diplomate voisin) qui 
tente d'emporter dans ses bras velus Mme Poincare. 
L'animal est reconduit et la censure interdit aux jour- 
naux de relater cet enlevernent manque... 

Le septennat de Raymond Poincare s'acheve le 
17 fevrier 1920. Lasse de la lutte sourde qu'il mene con- 
tre Clemenceau, le president decide de ne pas se repre- 
senter. II ne s'est pas enrichi a 1'Elysee. Pour acheter 
rue Marbeau, a Paris, un hotel particulier qui devient 
leur residence, il faut que Mme Poincare vende une villa 
a Cabourg et quelques terres en Normandie. Poincare 
redeviendra senateur et, surtout, president du Conseil 
en 1922-1924 et 1926-1928. II sera I'homme providen- 
tiel qu'on appelle pour faire respecter le traite de Ver- 
sailles, puis pour sauver notre monnaie mise a mal par 
le cartel des gauches. II meurt d'une embolie cerebrale 
le 11 octobre 1934. Mme Poincare restera veuve pen- 
dant presque dix ans. Elle disparait en mai 1943. 



Elu pour sept ans, Paul Deschanel ne reste president 
de la Republique que pendant sept mois. Dommage 
pour 1'Elysee qui avait pergu une presidente de grande 
classe. Germaine Brice (fille d'un depute de l'Ille-et- 
Vilaine et petite-fille de 1'auteur dramatique Camille 
Doucet) a epouse Paul Deschanel le 13 fevrier 1901 a 
Saint-Germain-en-Laye. Elie fait semblant de ne pas 
savoir que son mari a dej trois enfants d'une compa- 
gne, abandonnee sans tact. Elle ne s'occupera jamais 
de la carriere politique de son 6poux et se contentera, 
a TElysee, d'etre charmante et de conquerir ceux qui 
1'approchent. Belle, d'une elegance raff inee, elle a quel- 
que rnerite a tenir son role aupres d'un mari imprevi- 
sible, dont les nerfs sont malades. Ainsi, le 23 rnai au 
soir, celui-ci quitte 1'fi.lysee pour Montbrison ou il doit 
proceder a une inauguration. On connait la suite : le 
compartiment du chef de l'tat est decouvert vide le 
lendemain matin ; Deschanel, tombe du train en 



LES DAMES D'ANTAN 35 

pyjama, a ete recueilli par des gardes-barriere... Mais 
les symptomes s'aggravent. La pauvre Mme Deschanel, 
pour suppleer aux defaillances de son mari, en est 
reduite a imiter parfois sa signature. La comedie 
s'arrete le 21 septembre quand Deschanel, lucide, 
adresse au parlement ce message : Mon etat de sante 
ne me permet plus d'assumer les hautes fonctions dont 
votre confiance m'avait invest!. Le depart a lieu des 
le lendemain et Mme Deschanel porte elle-rneme les 
valises de la famille. Deschanel, hospitalise, decede le 
28 avril 1922 d'une pleuresie. La courageuse Germaine 
Deschanel eleve de son mieux ses trois enfants, apres 
la mort de son mari. Elle va vivre jusqu'en 1959. 



Rien de bien original a attendre de Mme Millerand ! 
Jeanne Millerand (nee le 7 mai 1864) a attendu quinze 
ans avant d'epouser son mari avec lequel elle forme un 
couple tres uni. Distinguee, elle est pour 1'filysee une 
maitresse de maison parfaite, ordonnant les receptions 
de fagon magistrale. La reine de Roumanie, en sortant 
du palais, lui decerne le plus diplomatique des compli- 
ments en s'adressant au chef du protocole : 

Mais c'est une reine que vous avez la... 

Discrete, mere de quatre enfants, elle n'a rien des 
femmes a la mode qui se pressent aux bals de 1'Elysee, 
oii 1'orchestre a ordre de jouer toutes les danses moder- 
nes, sauf le shimmy et le tango. Mme Millerand ne 
s'habille ni chez Jeanne Lanvin ni chez Mile Chanel ; 
elle reste fidele a 1'ombrelle, au corset et a la robe lon- 
gue. Un peu forte, elle n'a rien de Parchetype de son 
epoque, silhouette d'androgyne immortalisee par Van 
Dongen. Sa preference va au velours pesant et aux soies 
bruissantes alors que Cecile Sorel, Valentine Hugo, Mis- 
tinguett, Nathalie Paley et Ida Rubinstein imposent la 
mode des tricots, des jerseys, des robes chemises aux 
manches breves. Mme Millerand affectionne toujours 
d'immenses chapeaux surcharges de fleurs ou de tur- 



36 LES DAMES DE L'ELYSEE 

bans a aigrettes alors que les petites cloches font 
fureur. Le vent de la mode ne se leve pas rue du 
Faubourg-Saint-Honore. 



Avec le successeur de Millerand, Gaston Doumergue, 
elu le 13 juin 1924, les echotiers sont au regime. Gas- 
tounet est le premier president de la IIP Republique 
celibataire (et qui plus est protestant !). C'est done en 
solitaire qu'il accueille au palais le sultan du Maroc, 
le roi d'Egypte, le roi d'Afghanistan ou le president du 
Bresil. Ses proches connaissent toutefois le secret de 
sa vie privee qui commence le matin vers 6 heures lors- 
que le president sort par la petite porte de FElysee, en 
defendant qu'on le suive. II se rend a son ancien domi- 
cile du 73 bis, avenue de Wagram et prend son petit 
dejeuner avec Jeanne Graves (qu'il retrouve souvent le 
soir). II arrive quand meme a Jeanne Graves, profes- 
seur de frangais au lycee Jules-Ferry (elle a quinze ans 
de moins que lui) de frequenter les residences officiel- 
les. Ainsi, a la belle saison, elle est installee dans 
1'appartement des invites au chateau de Rambouillet. 
Cette idylle discrete trouve son denouement le l er juin 
1931 (douze jours avant la fin du septennat) lorsque 
Doumergue 1'epouse civilement, dans le salon vert des 
appartements prives du premier etage de 1'Elysee. Le 
mariage est celebre par M. Duncker, maire du 
VHP arrondissement. Doucet cree pour la mariee un 
charmant modele meme si la ceremonie est preparee 
dans le plus grand secret. Pourtant, a son issue, quand 
les portes du salon se rouvrent, le couple se retrouve 
face a tout le personnel, les bras garnis de fleurs. 

Doumergue, qui sait les difficultes qu'il a eues pour 
se maintenir sur la crete pendant sept ans, ne sollicite 
pas le renouvellement de son mandat. Les jeunes 
maries partent alors pour leur maison de Tournefeuille 
(entre Toulouse et Auch). Doumergue n' imagine pas 
qu'il fera un bref retour politique en 1934. II sera en 



LS DAMES D'ANTAN 37 

effet le president du Conseil, charge de retablir le calme 
et la confiance apres le 6 fevrier. Mme Doumergue va 
se contenter d'une modeste carriere litteraire sous le 
pseudonyme de Gilles. Son mari meurt en 1937, elle lui 
survit jusqu'en 1963. 



Treizieme president de la Republique, elu le 13 juin 
1931, Paul Doumer et son epouse semblent marques par 
le destin. L'Elysee va connaitre avec eux une presidence 
austere qui ne dure que onze mois. Blanche Richel, fille 
d'un inspecteur de 1'enseignement primaire, a epouse 
Paul Doumer en 1878. Huit enfants sont nes, dont cinq 
fils. Quatre sont tues a la guerre de 14-18. Mme Dou- 
mer ne va plus jamais quitter le deuil de ses fils et res- 
ter discrete et effacee. Elle forme avec son epoux un 
menage des plus unis d'autant que le nouveau presi- 
dent est un modele d'ascetisme, ne buvant que de 1'eau, 
ne fumant pas, mangeant de n'importe quel plat et tra- 
vaillant de maniere acharnee. Certes le couple se pro- 
mene parfois au bois de Boulogne ou dans le pare de 
Saint-Cloud. Avec leurs trois filles, Helene, Lucile et 
Germaine et leurs onze petits-enfants, il ravive 1'image 
edifiante de Philemon et de Baucis, cornme on le souli- 
gne souvent. 

Le vendredi 6 mai 1932, le president de la Republi- 
que se rend a I'h6tel de Rothschild, a la vente des ecri- 
vains combattants. Devant un etalage de livres, il est 
sauvagement abattu par un Russe exalte. En mourant, 
il balbutie le nom de sa femme qui gemit : 

Non, ce n'est pas possible, ce n ; est pas possible ! 
On rarnene a TElysee le corps du president mais 

Mme Doumer refuse Tinhumation au Pantheon : 

Non, je vous 1'ai donne toute sa vie. Laissez-le-moi 
maintenant. 

II repose, pres de ses fils, au cimetiere de Vaugirard. 
Apres la mort de son mari, Mme Doumer connait une 
situation financiere difficile. Et le destin frappe une 



38 LES DAMES DE L'ELYSEE 

nouvelle fois, deux ans plus tard : Blanche Dqumer est 
renversee par une voiture et s'eteint apres une agonie 
atroce. 



Le lOmai 1934, le Congres elit Albert Lebrun. Cet 
homme simple qui n'hesite pas, par exemple, a serrer 
les mains des serveurs a un banquet official, est 
depourvu de tout prestige. Ce Lorrain, ne en 1871 a 
Mercy-le-Haut (Meurthe-et-Moselle), sorti major de 
Polytechnique, a ete plusieurs fois ministre, mais il est 
peu connu du public. Excessivement scrupuleux, il est 
hesitant et timore. II sera un president trop neutre. Son 
epouse sera au diapason : peu elegante, eff acee, un peu 
mievre. Cest la f ille d'un inspecteur general des mines 
(son nom de jeune fille est Marguerite Nivoit) qui ne 
considere pas Pascension de son mari comrne un bien- 
fait du ciel. Lors de la visite en 1938 des souverains bri- 
tanniques, la presse ne se prive pas de commenter la 
tenue fagotee de Mme Lebrun et ses essais de reverence 
indiscutablement marques par un manque d'entraine- 
ment. Elle n'entend pas utiliser couturier, chapelier, 
gantier, bottier et coiffeur dignes de son rang. Les 
receptions traditionnelles du palais se deroulent pareil- 
lement dans une certaine mediocrite. Un temoin severe 
pretend que peu raffinees, petites-bourgeoises, a la 
limite de la vulgarite, elles etaient a Pimage de la majo- 
rite de la classe politique de Tepoque . Lebrun n'hesite 
pas a solliciter le talent du prestidigitateur que cultive 
un des inspecteurs du service de securite pour amu- 
ser les invites... Ce couple sympathique et incolore est 
presque trop simple : pour le mariage de son f ils Jean, 
celebre a Rambouillet, Mme Lebrun se contente d'ache- 
ter les souliers du marie dans une modeste boutique. 
Un modele bon marche, cela va de soi ! La presse et les 
chansonniers en font des gorges chaudes... On se con- 
sole comme on peut d'un septennat particulierement 
intense en drames et emotions : 1'affaire Stavisky, 



LES DAMES D'ANTAN 39 

Temeute du 6 fevrier 1934, les elections de 1936 qui ame- 
nent au pouvoir le Front populaire, Munich et, en toile 
de fond, Hitler... En mai 1939 s'acheve le septennat 
d' Albert Lebrun. Va-t-il se representer ? Oui. Les gens 
prudents, a commencer par sa femme, lui conseillent 
de ne pas tenter la chance, de se retirer. II s'obstine et, 
comme il ne gene personne, il est reelu sans opposition 
serieuse. Et c'est ce president respectable, mais trop 
respectueux des usages parlementaires pour interve- 
nir dans une tourmente, qui va affronter la debacle de 
1940 et s'ef facer en meme temps que la IIP Republi- 
que. Le 10 juin 1940, le couple presidentiel quitte 1'fily- 
see pour la Touraine, puis pour Bordeaux. Cest la que 
le president Lebrun, le 16 juin, fait appel au marechal 
Petain pour former le gouvernement a la place de Paul 
Reynaud demissionnaire, Le 10 juillet 1940 1'Assemblee 
nationale donne tous pouvoirs au marechal Petain pour 
promulguer une nouvelle constitution. La III 6 Republi- 
que disparait pour faire place a l'tat fran^ais. Des le 
lendemain, d'un trait de plume, la presidence de la 
Republique est supprimee. Mme Lebrun meurt le 
25 octobre 1947 et son epoux s'eteint a Paris le 6 mars 
1950. En 1944, apres la Liberation de Paris, il avait ecrit 
au general de Gaulle pour souligner que son mandat 
n'expirait qu'en 1946. Sa iettre etait restee sans reponse. 
Les grilles de 1'Elysee s'etaient fermees le 10 juin 
1940. Elles le resteront six ans et demi. Nul ne viendra 
troubler sous 1'Occupation la somnolence de Tancien 
hotel de Mme de Pompadour. 



Marianne-au-palais-dormant se reveille le 16 Janvier 
1947 lorsque le socialiste Vincent Auriol est elu par le 
Congres quinzieme president de la Republique fran- 
?aise et premier de la IV e Republique. Mme Vincent 
Auriol veut rendre vie a ce palais inhabite depuis plu- 
sieurs annees, d'ou s'echappent des odeurs de renferme. 
Son dynamisme et sa personnalite attachante font des 



40 LES DAMES DE L'ELYSEE 

prouesses. Claude Pasteur a ecrit que cette fille de 
militant socialiste possede un sens inne de 1'apparat . 
La plupart de ses initiatives sont heureuses et il n'est 
que justice que le terme de premiere dame de France 
soit invente a son intention. 

Fille d'un ouvrier verrier, Michel Aucouturier, cele- 
bre militant syndicaliste (ami de Jean Jaures et fonda- 
teur avec ses compagnons de travail de la verrerie 
d'Albi), Michele epouse Vincent Auriol le l er juin 1912 
et donne naissance a un f ils, Paul, six ans plus tard. Elle 
soutient activement son mari dans sa carriere d'avo- 
cat au barreau de Toulouse et dans sa carriere de 
depute socialiste qui le conduit a etre ministre des 
Finances du Front populaire. Pendant 1'Occupation, en 
octobre 1942, tout comrne son mari, elle disparait dans 
la clandestinite. Engagee dans un reseau de resistance, 
elle se cache a Lyon, participant au decodage des mes- 
sages chiffres de 1'etat-major allie. 

La resistance du personnel de l'lysee a ses initiati- 
ves semble, en comparaison, peu de chose... Comme le 
raconte Merry Bromberger, Mme Auriol souhaite 
remettre des salons en etat. Mais certains d'entre eux 
sont encombres par un trop grand nombre d'objets dis- 
parates. Mme la Presidente appelle done un jour le chef 
des huissiers du palais : 

Je voudrais que vous rne donniez deux ou trois 
employes pour faire des rangements. 

Ah ! Madame, repliqua le fonctionnaire, il est deja 
1 1 heures, ils ne vont pas tarder a aller manger. 

Eh bien alors, cet apres-midi ? 

Ah ! Cet apres-midi, ils font greve. 

C'est bien, laisse tomber agacee Mme Auriol, dans 
ce cas je m'en occuperai moi-meme. 

Apres avoir travaille toute une journee a 1'epuration 
de TElysee, le soir, les Auriol vont se coucher epuises 
mais ravis. Quand ils redescendent, le lendemain matin, 
ils restent eberlues : les consoles sont revenues, les fau- 
teuils ont repris le meme alignement, les potiches sont 



LES DAMES D'ANTAN 41 

remontees sur les cheminees... Mme Auriol doit user 
de toute sa diplomatic pour faire cornprendre au per- 
sonnel qu'elle commande desormais au palais. D'autant 
que la nouvelle maitresse de maison veut imposer rapi- 
dement son style pour les trois receptions annuelles qui 
ponctuent le deroulement du cycle elyseen : corps diplo- 
matique, parlementaires, hauts fonctionnaires, Elle 
commande ainsi a la Belle Jardiniere des livrees a la 
franchise pour habiller le personnel et veille a ce que 
vaisselle et argenterie soient renouvelees. Elle remonte 
la lingerie de 1'Elysee en commandant les premieres 
nappes precieuses chez Porthault ou chez Noel et fait 
sortir des coffres ou elles sommeillent les sept mille 
cinq cents pieces d'argent massif et do re et la vaisselle 
d'or, d'argent et de vermeil (les placards de Toffice con- 
servent quelque cinq mille assiettes de Sevres et deux 
mille cinq cents verres de cristal de Baccarat taille). 
Mince, grande, avec un physique a la Gaby Morlay, 
Michele Auriol est elegante et porte des robes de grands 
couturiers : Lanvin, Mme Gres et Balmain sont ses pre- 
feres. Lors des grandes receptions, les privilegies sont 
convies a un diner de 200 a 250 couverts servi dans la 
salle des fetes ; le repas a peine termine, tout le per- 
sonnel se precipite pour oter les treteaux. La place doit 
etre nette et les buffets mis en place en un temps record, 
car 1 500 a 2 000 personnes, invitees a la reception qui 
fait suite, font deja la queue dehors. 

Lorsqu'elle evoquera ensuite avec un proche ses 
annees elyseennes, Mme Auriol trouvera des mots tres 
durs, parlant de journees harassantes, debutant a 
8 h 30 pour regler les menus, avant de plonger dans les 
innombrables obligations qui s'etageaient tout au long 
de la journee... Elle soulignera ces soirees de recep- 
tion auxquelles il n'etait pas question de se soustraire 
meme si, malade d'un zona, Ton devait figurer malgre 
39,5 de fievre, pour s'enfuir, vaincue, vers 22 h 30, sou- 
tenue par deux familiers... 

Pourtant, avec cette maitresse de maison hors pair, 



42 LES DAMES DE L'ZLYSEE 

i'lysee redevient une maison fastueuse, tenant son 
rang de premiere demeure de France. Femrne de gout, 
la presidente a su rendre sa noblesse & 1'filysee en fai- 
sant abattre cote cour la f ameuse verriere (due a Sadi 
Carnot) qui deparait la fa?ade et en supprimant, cote 
jardin, la marquise metallique construite par Napo- 
leon III. Mme Auriol fait installer des appartements 
royaux au premier etage du palais pour les invites de 
marque de passage a Paris qu'on logeait jusqu'ici au 
Quai d'Orsay . En fait, lors de leur visite off icielle & Lon- 
dres, le president et son epouse, installes au palais de 
Buckingham, tout pres des appartements royaux, ont 
ete seduits par I'intimite de 1'accueil des souverains bri- 
tanniques et ont decide d'imiter ces usages. La venue 
de la reine Juliana a Paris leur en donne P occasion. 
Comme Pa raconte le directeur du Mobilier national 
de Pepoque, Mme Auriol prend les choses en main et 
realise Pinstallation en un temps record. Avec un oubli 
toutefois que Ton peut comprendre de la part d'une 
femme de president de la Republique : Assez fiers de 
nous, raconte ce haut fonctionnaire, de Mme la Presi- 
dente au plus humble des tapissiers, nous attendions 
avec curiosite Pappreciation evidemment laudative que 
Sa Majeste ne manquerait pas d'emettre a la vue de tant 
de splendeurs... Peu apres Tarrivee de la reine et du 
prince, a qui les Auriol font naturellement les honneurs 
de leur residence, je fus bizarrement convoque 
d'extreme urgence aux appartements priv^s... Les visa- 
ges ne refletaient pas Teuphorie qu'emporte generale- 
ment la consecration d'une eclatante reussite et Ton 
m'apprit qu'apres un rapide coup d'oeil circulaire sur 
i'amenagement de sa chambre, la reine avait simple- 
rnent demande : Ou est le coffre ? Ni les hdtes ni 
les multiples services interesses par la preparation du 
voyage n'avaient pense a ce detail, devenant soudain 
affaire d'tat, car les joyaux de la couronne de Hollande 
Bgurent parmi les plus prestigieux. 
En revanche, aucune fausse note n'est relevee, quel- 



LES DAMES D'ANTAN 43 

ques mois plus tard, en mai 1948, lors de la visite de 
la princesse Elisabeth d'Angleterre. Le coffre est la. Le 
diner de gala est une reussite et les photographes 
immortalisent sur le perron le president encadre de 
Madame, en satin noir de Lanvin, et de sa belle-fille la 
blonde Jacqueline Auriol, pilote d'avion, la femme la 
plus vite du monde , en pekine beige a rayures mar- 
ron tandis qu'filisabeth porte une robe de Norman 
Hartnell en satin blanc paillete de bleu. Mme Auriol a 
aussi 1'idee delicate de faire venir du Louvre des 
tableaux evoquant le pays des souverains qu'elle revolt 
pour en orner leurs appartements. Pour Juliana des 
Pays-Bas, ce sont plusieurs Jongkind, pour Elisabeth 
d'Angleterre un Gainsborough et un Turner, pour le roi 
et la reine du Danemark quelques pay sages scandina- 
ves. Le president de la Republique italienne a droit a 
un Canaletto et un paysage romain de Corot. 
Mme Auriol est indiscutablement une femnie de grande 
classe et de gout tres sur. 

Pour faire plaisir a son Toulousain de mari, elle 
introduit dans les menus de 1'Elysee la garbure et le 
cassoulet cuisines par le remarquable chef Michel Tou- 
levent. Elle a Pintelligence de faire conserver les noms 
des invites avec les menus correspondants, de maniere 
que les memes plats ne leur soient jamais resservis. 
Mme Auriol retablit Parbre de Noel de 1'Elysee auquel 
sont convies les enfants du personnel et un ganjon et 
une fille de chaque arrondissement parisien. Sur la sug- 
gestion de son mari, elle cree egalement un service 
d'assistance sociale. Presente a toutes les receptions, 
accompagnant son mari aux grandes manifestations 
hippiques (du Grand Steeple-Chase au prix de 1'Arc de 
triomphe), elle profite aussi des demeures presidentiel- 
les eloignees de Paris, comme Vizille et Marly, mais 
Rambouillet a sa preference pour les courtes vacances 
ou les fins de semaine. Ainsi, a chaque printemps, une 
brigade de tapissiers et ebenistes y est envoyee avant 
les sejours presidentiels. Comme Pa raconte Henri Glei- 



44 LES DAMES DE L'ELYSEE 

zes, cette presence est la cause indirecte d'une f rayeur 
memorable pour Mme Auriol. Ces ouvriers sont en 
effet heberges au chateau meme. Et que faire 
au chateau de Rambouillet apres une journee de 
travail ? Pecher 1'anguille qui foisonne dans les 
canaux du pare. Afin de ramener chez soi vivante 
la peche de toute la semaine, le personnel trouve 
une solution... Et c'est ainsi que Mme Auriol, desireuse 
de verifier Tavancement des travaux, se fait conduire 
incognito a Rambouillet et pousse un grand cri 
devant sa baignoire occupee par un noeud de 
viperes ! 

A la fin de son septennat, Vincent Auriol laisse enten- 
dre a plusieurs reprises qu'il ne serait pas candidat. 
Certes il confie parfois que si on insistait beau- 
coup... . Mais son entourage et surtout sa femme 
n'insistent pas. Les attaques menees sous le manteau 
et dans une certaine presse contre son fils et sa belle- 
fille, dont on met en cause 1'honnetete ou les moeurs, 
1'ecceurent. Autre exemple de medisance : a Tissue 
d'une visite aux Gobelins, toute une partie de la presse 
diffuse rinformation selon laquelle la presidente a regu 
une somptueuse tapisserie... Ce qui est totalement faux. 
Lorsque 1'election de Rene Coty est connue, fin decem- 
bre 1953, Mme Auriol fait ses bagages avec plaisir. Con- 
trairement a ce qui a ete dit ou ecrit a cette epoque, 
aucun objet appartenant a 1'Etat ne quitte 1'filysee a 
ce moment. Mme Auriol est pourtant excedee comme 
Pa souligne un temoin : L'atmosphere etait pesante ; 
Mme Vincent Auriol, tres grande dame dans 1'elegant 
drape de sa robe d'interieur mauve, allait et venait, en 
proie a un enervement qui appelait le soulagement de 
la confidence : Ah ! Cher ami, comme nous sommes 
heureux de partir ! Nous en avons assez, notamment 
parce que journalistes et photographes ont ete parti- 
culierement odieux envers les notres et nous-memes. 
S'il faut en croire Mme Auriol, plus jamais ni lui ni 
elle, ne prononcerent le nom de Tfilysee . Lui s'etei- 



LS DAMES D'ANTAN 45 

gnit le l er Janvier 1966 et elle est morte a Paris le 
29 Janvier 1979, a quatre-vingt-trois ans. Elle est enter- 
ree a Muret, en Haute-Garonne, aupres de son epoux. 



Le 23 decembre 1953, M. Rene Coty est elu presi- 
dent de la Republique au treizieme tour de scrutin. Aus- 
sitot, les journalistes se precipitent a la porte de 1'appar- 
tement de quatre pieces que les Coty habitent depuis 
dix ans au n 5 du quai aux Fleurs. Une forte personne, 
presque obese, leur ouvre en multipliant les excuses : 
interrompue dans la confection d'une tarte, elle a les 
mains pleines de farine. Ainsi lapresse decouvre-t-elle, 
dans toute sa simplicite, Mme Rene Coty. Germaine 
Alice Corblet, nee au Havre en 1886, fille d'un arma- 
teur, est, on s'en serait doute, le contraire de Telegante 
et fine Michele Auriol. Les photographes s'en donnent 
a coeur joie pour immortaliser la nouvelle premiere 
dame de France dans les poses les plus desavantageu- 
ses d'autant que les couturiers ont toujours du mal a 
lui trouver des modeles qui dissimulent sa silhouette 
massive. Ainsi les chansonniers et les journalistes sati- 
riques ne se privent-ils pas de se moquer plus ou moins 
gentiment de Madame sans gaine , la buche de 
Noel , potiche et godiche , Madame des tas . 

Par malchance, il est vrai qu'elle est parfois mala- 
droite : lorsqu'elle regoit le directeur du Mobilier natio- 
nal pour le reamenagernent de ses appartements ely- 
seens, elle lui precise que le president n'apprecie ni le 
style Empire (largement predominant au palais), ni le 
conternporain. 

Henri Gleizes raconte une anecdote significative : 
Convoque par Mine la Presidente... je me rendais aux 
appartements prives. Mme Coty s'excusa d'etre en 
retard, mais, me confia-t-elle, nous avons eu attjourd'hui 
un si bon dejeuner I Au merne moment retentit la son- 
nette de la porte d'acces a la longue galerie desservant 
1'appartement. Une silhouette se detacha, lointaine, 



46 LES DAMES DE L'ELYSEE 

dans la penombre ; elle fut helee avec vigueur et satis- 
faction : "Ah ! C'est vous le plombier !" Une voix pin- 
cee, dont la neutralite deguisee ne parvenait pas a 
cacher la sourde vexation, repliqua : "Non, je suis 
Pierre Balmain." 

En realite, s'etant jusqu'alors peu melee a la vie poli- 
tique de son epoux, elle est timide et gauche, ce qu'elle 
compense par son amenite et son autorite bienveillante. 
La conscience avec laquelle elle se donne a la tache et 
sa rayonnante bonte finissent par decourager les rail- 
leurs. En fin de compte, c'est en partie grace a elle que 
Rene Coty sera si populaire. L'hebdomadaire le Pete- 
rim est le premier a donner le la : Nous sommes un 
peuple qui recommande a ses femmes de rester au 
foyer, de s'occuper de leur mari, de leurs enfants, et 
voila qu'au moment ou Tune d'elles est appelee a la 
situation supreme par le jeu de la democratic, la presse 
la ridiculise parce qu'elle ne ressemble pas a un man- 
nequin, parce que son horizon est familial... Avec leurs 
deux filles, Genevieve et Anne-Marie et leurs dix petits- 
enfants, la brave Mme Coty, sempiternellement vetue 
de Tetole de vison que son mari lui a offerte pour faire 
presidente , donne en effet avec son epoux le specta- 
cle d'une famille tendrement unie. 

On cessera peu a peu de faire de bons mots sur le 
cote maimaine de Mme Coty. D'ailleurs, comme 
Tecrit Maurice Tassart dans le numero special d'His- 
toria consacre a 1'Elysee (1718-1970), on decouvrira 
qu'elle a un beau visage regulier de matrone romaine 
et que son embonpoint ne manque pas de majeste . 

A 1'filysee, les Coty n'apportent aucune modification 
a la decoration ni a 1'ordonnance du palais en dehors 
de la reouverture de la chapelle. Par contre le pare 
devient 1'objet de tous leurs soins. 

Peu mondaine, Mme Coty se plie cependant de bonne 
grace aux receptions necessaires. Haile Selassie, li- 
sabeth d'Angleterre, Frederic IX de Danemark, Rainier 
de Monaco, Tito, Eisenhower sont ses hotes au palais. 



LS DAMES D' ANT AN 47 

La reine de I'ecran Martine Carol et la princesse 
de la danse Ludmilla Tcherina sont ainsi conviees a 
certaines receptions. 

Mais ces mondanites, ces inaugurations, ces voyages, 
cette tension perpetuelle ont raison d'une femme plus 
fragile qu'il n'y paraissait. Le 11 novembre 1955, la 
France apprend avec stupefaction le deces subit de la 
presidente. C'est la premiere fois que 1'epouse d'un pre- 
sident meurt pendant le mandat de son mari. Une mala- 
die cardiaque, aggravee par le surmenage, 1'a empor- 
tee pendant son sommeil au chateau de Rambouillet. 
A 1'emotion considerable que suscite sa mort, on 
mesure a quel point elle avait su, en deux ans et demi, 
gagner le coeur des Frangais. A la seance de 1'Assem- 
blee nationale, le president fait 1'eloge de cette grande 
Frangaise ayant de hautes qualites de coeur et 
d'esprit . Ses obseques doivent avoir lieu dans Tinti- 
mite mais a la demande du gouvernement et en raison 
des temoignages de sympathie qui affluent a 1'filysee, 
Rene Coty accepte une ceremonie solennelle a Teglise 
de la Madeleine. Mme Coty est enterree au Havre. 

Tres affecte par son deuil, Rene Coty envisage un 
moment de ne pas achever son rnandat. Mais il se 
retracte. Le pays est suff isamment malade pour se pas- 
ser d'une crise presidentielle. Jusqu'au l er juin 1958, 
ou le general de Gaulle, repondant a 1'appel pressant 
de M. Coty, devient president du Conseil. Pendant sept 
niois, le General regne tandis que le president Coty 
continue a representer officiellement la France a 1'fily- 
see. Apres le referendum de septembre 1958 apprpu- 
vant la constitution qui fonde la V e Republique, 1'fily- 
see est pret a accueillir, en Janvier 1959, un nouveau 
president et une nouvelle premiere dame de France. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 



Yvonne de Gaulle 



Les gens qui ont une legende sont aussi cette 
legende , aimait a dire Coco Chanel. Pour la presse 
etrangere, Yvonne de Gaulle fut comme une reine Vic- 
toria frangaise . On la representa en pleine moitie du 
XX e siecle comrne la gardienne de la morale Rationale. 
Le tres serieux Time ecrivait meme : Chez de Gaulle, 
dans Test de la France, ou Yvonne de Gaulle regne, il 
n'y a ni machine a laver, ni aspirateur, ni fourneau a 
gaz. La cuisiniere fait la cuisine sur un poele a char- 
bon, la bonne fait le menage avec un balai et Yvonne 
tient les comptes tres meticuleux dans des livres que 
personne n'a le droit de consulter... Certes, la corn- 
paraison avec Jackie Kennedy, alors first lady de la 
Maison-Blanche, prend des allures surrealistes... 

Done, elle a sa legende. Avec toujours les memes mots 
pour la celebrer : modestie, discretion, souci d'efface- 
ment, devouement, abnegation. Des vertus d'un autre 
siecle, reflets en eff et de Tere victorienne. Pour Claude 
Pompidou elle est une f emme d'une autre generation. 
Elle est le modele parfait d'un certain type de femme, 
dans un certain type de famille, inscrite dans une cer- 
taine France. Le seul conseil qu'elle m'ait jamais donne, 
c'est : portez des chapeaux. . A-t-on d'ailleurs jamais vu 
en ville Mme de Gaulle sans chapeau ? 

Mais laissons momentanement la legende et 



52 LES DAMES DE L'ELYSEE 

penchons-nous sur des aspects plus secrets de cette 
femme sans histoire qui a vecu trente ans a 1'ombre de 
1'histoire. J'ai soumis un fac-simile de son ecriture a 
un graphologue sans naturellement lui dire 1'identite 
du scripteur. II en a fait une analyse etonnante. Son 
ecriture traduit un caractere qui n'est pas des plus sou- 
pies. Une intelligence pratique, capable d'eprouver une 
affection sincere et desinteressee, mais d'une fa$on 
reservee. L'ensemble du dessin exprime en effet une 
emotivite assez discrete (qui laisse un esprit clair et logi- 
que), beaucoup d'intuition et un remarquable sens 
moral (a la limite du puritanisme agressif). Excellente 
vitalite, dynamisme et volonte forte. Reflet d'une per- 
sonnalite sachant se proteger psychiquement et physi- 
quement et arrivant parfaitement a se creer un equili- 
bre de vie. On peut dire que cette personne a 1'amitie 
rare, d'abord parce qu'elle ne tient pas a ce qu'on con- 
naisse sa vie intime, ensuite du fait qu'a ses yeux, tres 
peu d'etres valent la peine qu'on leur donne le nom 
d'ami ; son foyer n'accueille done qu'une elite de f ami- 
liers. Elle a un esprit observateur et un caractere sen- 
sible mais obstine. Quant a son sens moral, tout en etant 
parfaitement orthodoxe en rnatiere de comportement, 
elle peut se servir de sa vigueur inflexible comme d'une 
arme redoutable ! 

Tous ceux qui connurent 1'Elysee de Charles de 
Gaulle peuvent temoigner de ce dernier point. Quand, 
sur une liste d'invites, la presidente relevait le nom 
d'une personne dont la situation matrimoniale n'etait 
pas claire ou le libertinage notoire, sa reprobation pou- 
vait aller jusqu'au veto. Ou jusqu'aux limites de 1'impo- 
litesse. A ses yeux, il etait inconvenant qu'en sa pre- 
sence on ne soit pas tout a fait irreprochable. Cette rigi- 
dite victorienne la condamnait a tout savoir de la situa- 
tion de famille, des penchants et des petits secrets 
des membres des services de la presidence. 

C'est avec justesse que Jean Mauriac (dans un texte 
de 1'AFP de novembre 1979) a ecrit : 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 53 

Mme de Gaulle etait tres bien renseignee sur la vie 
privee des membres de 1'entourage du General, des 
ministres, des hauls fonctionnaires, des prefets, des 
ambassadeurs. Elle connaissait les divorces, les sepa- 
rations et le reste. Elle etait dans 1'intimite, tres libre, 
tres a l'aise avec le General. Toujours tres entiere dans 
ses jugements elle aimait les gens ou ne les aimait 
pas elle ne cachait jamais sa pensee a son mari. Elle 
avait ses tetes et elle etait tenace dans ses aversions. 
Le General ecoutait avec attention ce qu'elle disait des 
uns et des autres, 1'interrogeait souvent. Bref, on sait 
aujourd'hui que le General tenait compte des avis de 
Mme de Gaulle, et que celle-ci a pu avoir quelque 
influence sur le choix des membres de son entourage. 
Certains, sans aucun doute, auraient eu une carriere 
plus rapide, n'auraient pas attendu si longtemps avant 
d'entrer au gouvernement si Mme de Gaulle n'avait 
exprime au General sa condarnnation quant a leur vie 
privee. "Le General, a dit un membre de sa famille, s'est 
ecarte peu a peu de certains qu'il aimait bien, parce 
que Mrne de Gaulle ne les aimait pas." Dans 1'entou- 
rage de Pancien president de la Republique, on repro- 
cha quelquefois a Mme de Gaulle sa severite dans ses 
jugements sur les uns et les autres, un esprit critique, 
caustique, bref, peut-etre un manque d'indulgence. 

Elle etait egalement en vigueur a la maison. Pas ques- 
tion de dejeuner a Colombey en bras de chemise ou de 
diner en pantoufles (et personne n'a jamais vu le Gene- 
ral sans cravate !). Ce qu' Yvonne exige d'abord de son 
entourage, c'est la ponctualite. Une ponctualite pres- 
que rnilitaire. Le plus infime retard provoque un regard 
reprobateur. Mais plus grave encore que 1'inexactitude 
est la grivoiserie. A la moindre allusion un peu leste, 
les traits se figent et de ses levres tombe un blame. Car 
cette femme severe a Pegard des catholiques qui ne pra- 
tiquent pas et qui traita Petain de mecreant est eton- 
namment rigoriste. Condamnant les mauvaises lectu- 
res (Frangoise Sagan, c'etait le diable et Guy des Cars, 



54 LES DAMES DE L'ELYStiE 

1'impur), evitant de se rendre Tete dans le Var, chez son 
fils (afin d'etre sure de ne jamais apercevoir un sein 
nu sur la plage), elle prend presque un malin plaisir a 
outrer ses principes, a faire fremir d'un regard ceux 
qui manquent de vertus sous les lambris de 1'Elysee. 
Ce que son f rere, Jacques Vendroux, explicite presque 
avec philosophic : 

Elle reprouvait les libertes que certains hommes 
du jour apprenaient avec les bons principes. 

A 1'age des extravagances, des exces et de la revo- 
lution des moeurs, car, paradoxalement, c'est 
sous la presidence de son epoux que la permissivite se 
dechaina , tante Yvonne incarne la tradition, le res- 
pect des valeurs morales et le sens du devoir. 

On s'en doute, la stricte observance de la religion 
catholique entre pour beaucoup dans son comporte- 
ment. Profondement croyante et conservant de son 
enfance le culte d'une religion quelque peu inflexible 
dans ses commandements, Yvonne de Gaulle formule, 
des son deuxieme jour a 1'Elysee, un souhait previsi- 
ble, comme 1'ecrit 1'ancien directeur du Mobilier natio- 
nal : Des le lendemain de son installation a 1'Elysee, 
Mme de Gaulle m'appela au telephone, exprimant avec 
une extreme courtoisie, teintee meme de quelque gene, 
le desir d'obtenir une pieta pour ses appartements pri- 
ves. Le Louvre comble sa demande... On peut imagi- 
ner avec quelle reprobation elle regardait les deviations 
d'une partie du clerge. 

Intraitable sur le chapitre des bonnes moeurs, elle 
devient evidemment la cible des persifleurs du Canard 
enchatne. Dans Tune de ses chroniques de la Cour, 
Andre Ribaud ne la manque pas : Mme de Maintenant 
etait la femme du Roi : c'etait une personne sans nais- 
sance, d'un visage guinde, severe sous des traits encore 
lisses, meme frais, ou s'imprimait infiniment de vertu 
mais assez peu de bonte, servant toujours sa haire avec 
sa discipline. Elle etait fort experte dans Palchimie des 
marmelades, plus habile encore dans la reduction des 



LES DAMES DE NOTRE GPOQUE 55 

pecheurs. Elle passait sa vie dans les exercices de piete 
les plus edifiants et les plus continuels. Elle avail Tame 
austere et penitente, et elle eut envoye toute la Cour 
a complies. Elle regnait sur le palais avec un empire 
craint de tous et redoute de toutes. Elle n'y voulait ni 
jeunes gens de traverse ni dames de moyenne vertu. La 
boue inf ecte de 1'adultere lui faisait horreur et il ne fal- 
lait pas qu'on s'avisat d'extravaguer loin des lisieres 
du sixieme commandement de Dieu. 

Charles de Gaulle, lui-meme respectueux d'une cer- 
taine rigueur morale, a trop connu cela chez sa mere 
(qui, comme on 1'a parfois souligne, aurait pu en remon- 
trer dans ce domaine a Yvonne) pour ne pas conside- 
rer que dans nos milieux , cela va de soi... 

Mais les vertus de Mme de Gaulle ne Tempechent pas 
d'etre gaie, enjouee, joyeuse, quelquefois primesautiere. 
Elle aime la plaisanterie, rit volontiers ; elle est capa- 
ble de dire, des qu'elle se sent en confiance, ce qu'elle 
pense des choses avec beaucoup d'humour. Un humour 
parfois un peu pince, assez britannique : c'est un aspect 
bien meconnu de sa personnalite. Ainsi, le jour ou un 
proche s'amuse de la maniere dont le sculpteur a cou- 
vert les appats des muses dans la salle des fetes de l'ly- 
see, replique-t-elle : 

Et pourtant, ce n'est pas moi qui les ai fait 
mettre. 

Elle se permet parfois de juger son mari avec esprit ; 
elle en dit un jour : 

II est vraiment trop grand pour un homme normal. 
On connait son mot au moment de son installation 

a 1'Elysee : 

Nous voila done en rneuble ! 

On connait moins sa bonne humeur lors de ses voya- 
ges officiels a Tetranger : 

J'aime voyager... Au passage, je me demande com- 
bien de presidentes battront mes records : vingt-six et 
vingt-huit jours de voyages officiels ininterrompus avec 
des climats varies et sur le rythme des voyages du Gene- 



56 LS DAMES DE L'ELYSEE 

ral. Et cela entre cinquante-huit et cinquante-neuf ans ! 
Ce n'est pas mal pour une vieille dame ! 

C'est d'ailleurs avec un sourire malicieux qu'elle 
replique, lors d'un de ses voyages, a une journaliste 
venezuelienne qui 1'assaille de questions : 

Moi, je ne parle pas. C'est mon mari qui est le mai- 
tre a la maison. C'est lui qui parle. 

Ce qui ne 1'empeche pas de tenir parfois des propos 
que n'aurait pas renies Boris Vian. Andre Malraux, dans 
les Chenes qu'on abat, rapporte quTvonne de Gaulle 
parle de 1'Elysee comme d'un camp de concentration... 
De I'humour noir, elle en fait encore preuve lorsqu'elle 
raconte ce souvenir de la guerre de 14-18 : 

Je me souviens de manian disant au medecin-chef 
de 1'hopital qui fumait une cigarette sur le perron de 
la cour interieure : Rentrez done... Vous n'etes pas rai- 
sonnable de rester la. Resultat : quelques minutes 
apres, une torpille jurnelee n'a laisse ni medecin- 
chef ni cigarette... 

On ne sut d'ailleurs jamais si elle etait vraiment 
serieuse lorsqu'elle dernanda 1'introduction d'un potage 
au menu des diners officiels. Audacieuse, elle va jusqu'a 
se laisser soupgonner d'avoir vote non au referendum 
d'avril 1969 pour rejoindre plus rapidement sa retraite 
de Colombey. Andre Malraux a raconte comment, lors 
d'un dejeuner, il evoqua ainsi Mme Kennedy : 

Vous vous souvenez des pancartes a Cuba : Ken- 
nedy, non, Jackie, oui ? 

Et Mme de Gaulle de le couper : 

Charles, si nous y etions alles, est-ce qu'il y aurait 
eu des pancartes : De Gaulle, non, Yvonne, oui ? 

Elle riait d'ailleurs beaucoup de la fable qui voulait 
qu'au Niger tous les hommes de haute taille s'appelas- 
sent Gaul et que leurs fiancees fussent baptisees tanti- 
vonn... 

Cet humour s'accompagne parfois d'anticonfor- 
misme. Jean Farran, journaliste a Paris-Match dans les 
annees 50, se souvient s'etre deplace en helicoptere 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 57 

jusqu'a La Boisserie pour interviewer le General. 
Mmede Gaulle, avec un regard presque enfantin, 
admire alors Tappareil qui vient de se poser. On lui pro- 
pose de 1'essayer. Elle bat presque des mains et monte 
dans 1'helicoptere pour decouvrir les paysages qui envi- 
ronnent Colombey. Quoi de plus normal que d'avoir la 
tentation d'un tour en helicoptere pour une dame pro- 
che de la soixantaine ? Au moment ou 1'appareil se pose, 
elle decrete qu'elle n'aimera plus d'autre moyen de 
transport ! Bref, des aspects que sa legende a laisses 
dans 1'ombre. Mais quelle est-elle, cette legende ? 

Tout commence a Calais le 22 mai 1900 (Yvonne Ven- 
droux est nee la meme annee que la reine mere d'Angle- 
terre notons que toutes deux auront des enfants et 
petits-enfants portant les memes prenorns : Elisabeth, 
Philippe, Charles, Anne). Elle est comme Mme Coty 
d'une famille d'armateurs calaisiens d'origine hol- 
landaise. Ce sont en effet a 1'origine des Van Droog, 
riches producteurs de tabac de la region de Delft, refou- 
les en Bourgogne par 1'inondation des basses terres 
qu'imposa Guillaume d'Orange devant 1'invasion des 
troupes de Louis XIV. Devenus Vandroux a Dunkerque, 
ils s'installent finalement a Calais en 1703 et devien- 
nent Vendroux. On est armateur de pere en fils, 
conseiller municipal, membre de la chambre de com- 
merce et consul de divers pays. On cite un aieul qui fut 
a la fois consul d'Espagne, du Portugal, du Bresil, 
d'Autriche-Hongrie, des Pays-Bas et du Danemark. Les 
Vendroux sont des notables. Ils vivent encore, au debut 
du siecle, dans la belle demeure de leurs ancetres, un 
de ces hotels particuliers entre cour et jardin, comme 
en faisaient batir les riches marchands d'autrefois. 

Le pere d'Yvonne preside le conseil d'administration 
d'une biscuiterie industrielle. Ce qui fera dire plus tard 
a de Gaulle ce joli mot : 

Je me marie avec une demoiselle Vendroux, des 
biscuits. 

Marguerite, la blonde epouse, une Ardennaise (vingt- 



58 LES DAMES DE L'LYSEE 

cinq ans au moment de la naissance cT Yvonne) a ete la 
sixieme femme de France a obtenir un permis de con- 
duire automobile. Vive et active, ne se poudrant jamais 
et ne se parfumant qu'avec de la violette de Houbigant, 
elle transmet a sa fille ainee le gout de la perseverance. 
Pour Jacques Vendroux, ils formaient un menage vrai- 
ment heureux, respectueux d'une saine morale et des 
bons principes, allant parfois jusqu'a 1'application un 
peu excessive de certaines idees precomjues . 

Yvonne est elevee, avec ses deux freres (Jacques ne 
en 1897 et Jean ne en 1902) et sa soeur Suzanne (nee 
en 1905), comme le sont les demoiselles de la grande 
bourgeoisie en province. On pratique une economic 
severe, mais on a plusieurs domestiques, ce qui n'ernpe- 
che pas les filles d'etre initiees tres jeunes aux travaux 
traditionnels de la maison : broderie, tricot et fabrica- 
tion de confitures. Une trilogie essentielle de 1'existence 
dTvonne. Les enfants ne tutoient pas leurs parents. A 
table, ils ne parlent que si on leur adresse la parole. 
Mais au cours des sejours au chateau de Sept-Fontaines, 
le protocole se relache. Quelques gouters reunissent 
famille et amis. Les ganjons portent des costumes 
marins et Yvonne et sa sceur des robes de mousseline 
blanche ceinturees de satin bleu ciel, des chapeaux de 
paille et des souliers vernis. Une enfance qui a garde 
le parfum de la comtesse de Segur. Petite fille modele, 
Yvonne montre toutefois du caractere : 

Elle ne sourit que lorsque les gens lui plaisent, 
temoigne son frere, qui precise : L'ainee de mes soeurs, 
des 1'age de raison, affirme sa personnalite. Elle n'aime 
ni les jeux violents ni les sports ; elle est calme et reser- 
vee, se laisse difficilement convaincre du contraire de 
ce qu'elle pense. Fort soigneuse de sa personne et de 
ses vetements, plus coquette que negligee, elle accom- 
plit consciencieusement son travail scolaire, devore la 
bibliotheque rose, n'est pas sensible a la musique, aime 
la nature, les fleurs, les animaux. 

Yvonne apprend a lire a la maison puis devient eleve 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 59 

a Pinstitution Notre-Dame. Sur les photographies 
d'alors, elle apparait dans un strict unif orme noir, avec 
un visage tres calme, clair sous une masse de cheveux 
bruns, avec le regard brillant. En vacances, elle s'habille 
en demoiselle avec un tailleur bleu marine sur un 
chemisier blanc a col ouvert et un chapeau plat de feu- 
tre bleu ou de paille blanche. Une vie parfumee de tou- 
tes les vertus familiales, stable, irnmuable. De celles 
dont on garde a jamais la nostalgic. 

Au debut de la guerre de 14, le clan se met a 1'abri 
en Angleterre. Le 15 aout 1914, les enfants Vendroux 
et une gouvernante s'embarquent pour Folkestone et 
s'installent au coeur de la vieille Angleterre : Canter- 
bury. Puis, rassure sur le sort de Calais, on regagne le 
continent juste avant Noel. Yvonne de Gaulle a evoque 
elle-meme cette periode de sa vie : 

En 14, au debut, Maman faisait des visiles aux 
vieilles dames un peu genees au moment des loyers... 
dont Mme Damour, charmante, mais qui m'off rait helas 
un bonbon au cassis, horreur supreme !... Et au-dessus 
de la grande charcuterie, Mile Petain qui refusait de 
recevoir son frere, le futur marechal, a cause de sa 
situation irreguliere et qui, du coup, ne beneficiait 
d'aucune aide de sa part. 

De cette epoque de la guerre lui sont restees beau- 
coup d'images : 

II passait beaucoup de troupes la nuit venant 
d'Angleterre. Longeant notre rue, ils chantaient en sour- 
dine Keep your smile, c'etait triste... L'ete 15, ils nous 
avaient installes a Wissant. Quant au travail de classe, 
il ne s'est trouve pour le diriger qu'une institutrice 
en realite bonne d'enfants bien inoffensive que 
j'ai retrouvee en Irlande par la suite. Nous la trainions 
a toute allure, a pied un peu avant la basse maree, 
jusqu'au Gris-Nez, pour recolter des moules et revenir 
dare-dare ; la cuisiniere les faisait cuire illico... 

Les religieuses du couvent des visitandines de Peri- 
gueux, ou elle est envoyee en 1918, vont remarquer son 



60 LES DAMES DE L'ELYSEE 

caractere. Ne disposant pas de baignoires, elles emme- 
nent leurs pensionnaires une fois par semaine aux bains 
municipaux. Bien qu'elles soient installees dans des 
cabines individuelles, les religieuses exigent qu'elies 
gardent leurs chemises pour se baigner. Les condisci- 
ples d'Yvonne se contentent de tremper leurs chemi- 
ses dans 1'eau. Elle, au risque de choquer, laisse sa che- 
mise a cote de la baignoire, declarant : 

Je prends mon bain sans chemise de nuit. 

Un bulletin de classe resume : Pleine d'ideal et de 
droiture, de caractere regulier et consciencieux. 

Apres la guerre, la vie paisible reprend. Comme l'a 
note Jacques Vendroux, les regards masculins commen- 
cent a s'attarder volontiers sur la jeune femme deve- 
nue fort jolie. Le visage est regulier, assez pale, le front 
haut et les yeux gris pleins d'esprit. 

Un apres-midi d'octobre 1920, ces yeux gris se posent 
pour la premiere fois sur un jeune officier il a trente 
ans , tres grand, mince, un peu degingande, que ses 
parents viennent de lui presenter : le capitaine de 
Gaulle. Il acheve une mission aupres de 1'arrnee polo- 
naise et va, comme Yvonne, tomber dans une embus- 
cade familiale. Le permissionnaire est en effet convie 
a une reception que donne une amie de ses parents : 
Mme Denquin-Ferrand. S'y trouvent aussi les Vendroux 
accompagnes de leur fille. On ne revele rien a Yvonne 
de la premeditation de la rencontre pour ne pas lui don- 
ner Fimpression qu'on veut 1'influencer. Le premier 
contact est un peu solennel, guinde meme. Une certaine 
reserve mondaine s'impose. La conversation tombe sur 
un tableau qui, au Salon d'automne, fait grand bruit : 
la Femme en bleu de Kees Van Dongen. Fine mouche, 
la maitresse de maison fait une innocente suggestion : 
Allons done voir ce tableau tous ensemble jeudi pro- 
chain... Nous pourrions nous retrouver a 3 heures au 
Grand Palais... II y a sur place un buffet ou nous pren- 
drons ensuite le the... Ainsi fut fait. Accompagnes de 
Mme Denquin-Ferrand, parfaite Arsinoe de la bonne 



LES DAMES DE NOTRE &POQUE 61 

societe, et sous le regard attendri des Vendroux, 
Yvonne et son long capitaine deambulent sous la ver- 
riere du Grand Palais et echangent leurs impressions 
devant les tableaux exposes. Comme le note Tun des 
tenioins, deux ou trois fois, les jeunes gens ont eu 
Toccasion de s'entretenir hors du groupe astucieuse- 
ment retarde devant quelque toile... . Puis vers 
5 heures, on prend le the. La petite cuillere de Charles 
de Gaulle glisse de sa soucoupe. Ernbarrasse de ses 
gants et de son kepi, il la rattrape toutefois au vol, lais- 
sant echapper quelques gouttes de the aux pieds 
d'Yvonne. La legende veut qu'il ait renverse sa tasse 
sur la robe d'Yvonne, se soit confondu en excuses et 
que Mile Vendroux ait pris la chose avec tant d'indul- 
gence et de sourire que... 

Lorsque, quarante-huit heures plus tard, arrive chez 
les Vendroux une invitation pour le bal de Saint-Cyr, 
les conspirateurs sont aux anges. Pour les Vendroux, 
ce De Gaulle est un gendre tout a fait acceptable. Un 
peu grand certes. Mais il est d'une bonne famille, il a 
des racines dans le nord de la France, rhomme parait 
intelligent, solide, sur de lui. On se retrouve done pour 
la reception organisee par Saint-Cyr a 1 'hotel des Reser- 
voirs a Versailles. De Gaulle ne court pas les bals, mais, 
ce soir, il est naturellement la. Jacques joue les chape- 
rons aupres de sa soeur ; il se souvient : 

Danserent-ils parfois ensemble ? Je ne suis le 
temoin d'aucun one-stop ni d'aucun tango ; ma sceur 
danse pourtant fort bien : mais c'est la une activite qui 
me parait peu compatible avec le style rigoureux d'un 
officier voue a d'autres ambitions qu'a celle de danseur 
mondain. 

Adieu done la legende qui imagine 1'officier en uni- 
forme de gala s'inclinant devant Yvonne, toute rose, 
pour valser. A la sixieme valse la valse du destin 
il sait qu'il a trouve la lumiere de sa vie... 

En tout cas, deux jours apres le bal, Yvonne af f irme 
peremptoirement a ses parents : 



62 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Ce sera lui ou personne. 

Comme la permission se termine fin novembre, on 
accelere les choses. La marieuse prend 1'affaire en 
main, obtient de Charles 1'assurance d'un sentiment 
favorable, reunit les parents des deux tourtereaux. Les 
fiangailles of f icielles ont lieu le 1 1 novembre, suivies 
du processus habituel de 1'epoque : diners dans les deux 
families, etc. Mariage civil le 6 avril 1921 et le lende- 
main tous les bourgeois de Calais s'ecrasent sous les 
voutes de Notre-Dame de Calais ou le mariage est cele- 
bre. La mariee est touchante dans sa robe de satin 
blanc, a traine, avec un voile couronne de fleurs d'oran- 
ger. A 19 heures, M. et Mme de Gaulle prennent le train : 
rituel voyage de noces sur les lacs italiens. Yvonne a 
juste eu le temps de boucler ses valises. 

Des valises qu'elle bouclera souvent sur la route du 
devoir, de 1'exil, de 1'aventure et de Pepopee, avant de 
les defaire, un soir, au palais de 1'Elysee. Certes il y aura 
tou jours une ordonnance pour Taider surtout lorsque 
les cantines deviendront plus lourdes par la naissance 
de trois enfants, Mais a chaque fois que le General lui 
dira : Eh bien, ma chere, nous repartons ! , elle lui 
repondra : Nous repartons ! D'une certaine maniere, 
Yvonne prend sans presque s'en rendre compte le pli 
des vertus silencieuses de celles qui doivent endurer, 
toujours dans Tombre de leurs maris, les servitudes 
militaires. Elle a Tame parfaite d'une femme d'officier 
mais apres avoir vecu la secrete amertume d'une 
epouse qui trouve son avancement trop lent, elle devra 
apprendre a endurer les servitudes de la renommee. 

Comme 1'a note Claude Yelnick, elle a vecu, partage, 
voulu avec lui son combat tout entier a travers la Pre- 
miere Guerre mondiale, la bataille de Varsovie dans les 
annees 20, les controverses la plume a la main entre 
Vers Varmee de metier et la Discorde chez I'ennemi, les 
problemes d'avant le cataclysme, et puis 1'exil, avant 
ie retour. 

La femme suivra son mari, disent encore les comman- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 63 

dements de 1'Eglise, a 1'epoque ou elle se marie ; cet 
engagement va mener Yvonne de Gaulle plus loin 
qu'elle n'aurait pu le penser... Elle assiste, discrete et 
solidaire, a toutes les chevauchees heroi'ques ou rocam- 
bolesques de son epoux. Elle a gagne dans ses Memoi- 
res une phrase d'hommage, courte et intense : ... Ma 
femme, sans qui rien de ce qui a ete fait n'aurait pu 
1'etre... 

Elle se retrouve done une journee de decembre 1958 
sur le perron de 1'Elysee, en compagnie de Rene Coty. 
Le caboteur qui l'a embarquee de Bretagne en Angle- 
terre, le bombardier qui l'a transportee de Londres a 
Brazzaville sont loin... Ici, elle est simplement arrivee 
en traction avant 15 CV. 

Cette maison sera bientot la votre. 

C'est par ces mots que Rene Coty Paccueille. Un 
dejeuner en tete a tete avec le General a ete prevu ini- 
tialement mais, pensant que la future premiere dame 
de France desirerait visiter ses appartements prives, 
le president Coty l'a finalement conviee. 8 Janvier 1959 : 
c'est 1'entree en fonctions. 

Des qu'Yvonne de Gaulle entre en fonctions, a 1'Ely- 
see, on sait que le genre bon enfant des Coty a vecu. 
Vous n'avez pas vu Rene ? demandait Mme Coty en 
croisant serviteurs et dignitaires dans les couloirs. Avec 
Mme-de Gaulle le ton change. Elle s'inquiete en premier 
lieu de la longueur du lit pour son epoux, un lit qu'on 
avait fait faire pour Philip d'Edimbourg, et que le garde- 
meuble n'a pas livre. Ensuite, le chef du service inte- 
rieur de la presidence, M. Chebroux, lui presente les 
tresors du lieu, enumerant ies services de Sevres, de 
Baccarat, les nappes de batiste brodees de feuilles 
d'or, les 2 000 meubles, les 7 500 pieces d'argenterie et 
les 137 pendules... 

La premiere sortie officielle du nouveau president 
de la Republique a lieu en fevrier, 6 hasard ! au bal de 
la Saint-Cyrienne. Puis premier voyage officiel de qua- 
tre jours dans le Sud-Ouest. L'usine de la Caravelle, les 



64 LES DAMES DE L'ELYSEE 

installations de Lacq ou le canal du Midi sont reserves 
au rnari. Bien que Mme de Gaulle soit du voyage, on 
lui permet de faire bande a part. Pendant que Charles 
superstar se mele a la foule, sa voiture double le cor- 
tege avant chaque etape. Yvonne visite tranquillement 
musees, chateaux et eglises. Elle va deux fois a Lour- 
des pour prier, cloturant ainsi devant la grotte 1'annee 
du centenaire. Elle reste un modele de discretion. 
N'apprend-on pas qu'avant de s'installer a 1'Elysee (pen- 
dant son sejour a Matignon) et afin d'eviter que sa pho- 
tographic paraisse dans les magazines (ce qu'elle 
redoute par-dessus tout) la generate a pris 1'habitude 
de traverser le pare de Matignon a pied et de quitter 
sa residence par une petite porte qui donne sur la rue 
de Babylone ? C'est la que son chauffeur a ordre de 
Tattendre. Greta Garbo ne saurait mieux faire. Pour- 
tant, en ce debut du mois de mai 1959, la discretion a 
ses limites. Les de Gaulle re^oivent. Mille invites sont 
attendus pour une premiere reception annuelle en 
Phonneur des parlementaires (seuls les communistes 
boudent). Innovation de la V e Republique : un cinq a 
huit remplace la soiree traditionnelle. Dans les jardins, 
deux orchestres font alterner fanfares et airs second 
Empire. Aux deux buffets, pas de whisky mais cham- 
pagne et cognac-soda (Potel et Chabot en est le four- 
nisseur). Une longue file d'attente serpente dans les 
salons jusqu'au vestibule d'honneur. Dix metres encore 
a parcourir vers le couple presidentiel. Yvonne, qui a 
toujours eprouve des difficultes a se montrer affable, 
est a 1'epreuve. Deja jeune mariee, elle confiait a une 
amie : 

Je ne sais pas comment faire pour etre aimable. 

Pourtant, dans la salle des fetes, bruissante de con- 
versations, le president et son epouse vont venir tout 
a Theure parler aux uns et aux autres, allant ensemble 
de groupe eri groupe. Au fil des annees, le style des 
receptions elyseennes va s'affirmer, le protocole 
s'alourdir et le chef du protocole devenir un veritable 




Yvonne 




Claude Pompidou 




Anne-Aymone Giscard d'Estaing 




Danielle Mitterrand 




Eve Bane 




Bemadette Chirac 




Frangoise Fabius 




Michele Rocard 



Photos SYGMA 



LES DAMES DE MOTRE &POQUE 65 

maitre de ceremonies : une cour en republique ! Yvonne 
sera contrainte de demander davantage conseil a son 
mari, confiant tout heureuse a des proches apres Tune 
de ces epreuves : 

On m'a trouvee bien... 

L'a-t-on trouvee bien au printemps 1961, lors de la visite 
de John et Jackie Kennedy ? A 1'Elysee, deux mille invi- 
tes se bousculent pour apercevoir, dans le salon de Cl6o- 
patre, la reine de la fete : Jackie et non Yvonne. II faut 
dire que la petite Bouvier , en fourreau de guipure 
blanc et rose semble sortie d'Hollywood. C'est 
Marilyn en brune reconnait Chaban-Delmas, qui fait 
encore tres jeune premier. En son honneur, la Garde 
republicaine joue pour la premiere fois de la musique 
americaine : Gershwin et Barber. II faut attendre plus 
d'une heure pour pouvoir approcher quelques secon- 
des Jackie et Yvonne. Yvonne, dans une robe sombre 
de Jacques Heim, tente de sourire ; elle n'aime guere 
ces grands diners et ces soirees de gala extenuantes. 
Cinq cents, six cents mains a serrer, 1'obligation de faire 
la conversation a I'epouse de I'hote d'honneur de l'ly- 
see. Avec Jackie, elle tente d'eviter les banalites et elle 
1'emmene le lendemain visiter 1'ecole de puericulture 
du boulevard Brune. Plus tard, elle 1'invitera person- 
nellement a venir se reposer en France apres 1'assassi- 
nat de son mari. 

La reception donnee pour les artistes lui donne 
davantage de soucis, telle celle de fevrier 1965, si Ton 
en croit le quotidien France-Soir : 

Qa doit etre formidable de rencontrer de Gaulle , 
avait dit Brigitte Bardot le mois dernier. On a failli voir 
?a. Charme sans doute par cette flamme, le General 
avait souhaite recevoir Brigitte Bardot a la reception 
des artistes a 1'filysee. Mais la generale de Gaulle ne 
nourrit pas pour B.B. les memes sentiments que son 
auguste epoux. D'abord, elle ne veut pas recevoir les 
divorcees. 

Pour cette reception, pourtant, Tante Yvonne avait 



66 LES DAMES DE L'ELYSEE 

du mettre son veto au vestiaire. Si Ton avait ecarte les 
comedians divorces, il n'y aurait plus eu personne a 
1'Elysee. Adieu Michel Simon, Maurice Chevalier, 
Daniel Gelin, Renee Faure, etc. ! Pensez que Josephine 
Baker est venue a bout de trois maris legitimes et Fran- 
Sois Perier de trois epouses successives... 

C'est ce qui explique peut-tre 1'air maussade 
qu'arbora Mme de Gaulle pendant toute la reception. 

Xante Yvonne ne se degela guere que pour f aire une 
confidence a Charles Aznavour : 

J'aime vos chansons, mais celle que je prefere, 
c'est : // te suffisait que je t'aime. 

Pour chaque reception, le moindre detail est prevu 
et meme consigne par ecrit. Les archives conservent 
ainsi les remarques suivantes a 1'occasion de la visite 
de Grace et Rainier de Monaco : Une reverence, mais 
legere est recommandee (il ne s'agit que d'Altesses Sere- 
nissimes) ; les messieurs sont pries de ne pas baiser la 
main de la princesse (puisqu'elle est quand meme sou- 
veraine) ; on est tenu de lui donner du Madame, du Mon- 
seigneur au prince, en glissant de temps en temps dans 
la conversation une phrase a la troisieme personne, 
avec le traitement de Votre Altesse. Yvonne appreciera 
beaucoup Grace, dont le cote catholique irlandais la ras- 
sure. Charles, lui, sera surtout sensible au charme de 
1'ex-Grace Kelly. Mais Yvonne de Gaulle, embarrassee 
devant das personnes inconnues, n'est guere prolixe 
avec ses consoeurs sauf lorsqu'elles parlent f ran?ais 
comme c'est le cas de Farah Diba qui, aux yeux 
d' Yvonne, est belle, charmante, douce et bien elevee . 

Bien entendu, fidele a Jacques Heim ou Jacques Path, 
elle s'efforce de ne pas demeriter du label elegance 
fran?aise . Ses modeles ultra-classiques, dans des tons 
mauves et gris qu'elle affectionne, ornes parfois de den- 
telle de Calais, n'ont rien pour eblouir Harper's Bazaar. 

L'Aurore d'avril 1962 nous renseigne precisement sur 
les choix d'Yvonne de Gaulle en la matiere : 

Xante Yvonne se met aux gros pois. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 67 

On peut etre la premiere dame de France et n'en 
pas moins eprouver comme n'importe quelle midinette, 
1'imperieux besoin d'une robe neuve pour accompagner 
le muguet du l er mai (c'est une robe noire a pois blancs). 
Tante Yvonne a le gout plutot strict. Sur ce plan, elle 
se rapproche davantage de la regrettee Mme Coty que 
de Mme Vincent Auriol. 

C'est chez Jacques Heim que la generale s'habille. 
D'abord, il est le president de la Chambre syndicale de 
la haute couture. Ensuite, elle trouve que son style lui 
va bien. Chez Jacques Heirn, les mannequins ne con- 
naissent pas Mme de Gaulle. Elle ne va jamais voir les 
collections et il ne lui viendrait pas a 1'idee de convo- 
quer un defile de mannequins a 1'Elysee. Elle se con- 
tente de choisir ses robes sur des croquis. Tante Yvonne 
discute... Elle fait rectifier un detail, propose une sug- 
gestion, se laisse convaincre. Pour la robe a pois qu'elle 
a commandee, elle a fait attenuer un effet de cape. Un 
detail important, qui est aussi un secret d'fitat : c'est 
toujours sous Poeil vigilant du General qu'elle choisit 
et discute ses modeles... 

Quant a ses immuables bibis desuets (le tambourin 
de Mme de Gaulle fait 1'admiration de Mmes Brejnev 
et Kossyguine lors du voyage a Moscou en 1966), ils don- 
nent de la France une image traditionnelle et rassu- 
rante, Ne prefere-t-elle pas sa coiffeuse, Mile Maupoux, 
coiff euse de quartier, plutot qu'Alexandre ? Coco Cha- 
nel souff rira d'etre ignoree par Yvonne de Gaulle. Ah ! 
si elle avait demande a voir ses tailleurs... Elle s'y serait 
rendue a 1'filysee, le coeur battant comme une petite 
fille. Mme de Gaulle en Chanel, cela aurait ete la 
supreme consecration. Vexee d'etre delaissee, la grande 
Mademoiselle trouve la generale impossible avec sa 
silhouette potelee, ses horribles petits chapeaux, et son 
refus du moindre decollete. Et mieux ne vaut pas f aire 
allusion devant elle a 1'eternel manteau en astrakan et 
a sa toque assortie ! 

Quant aux galas officiels a 1'Opera, elle les apprecie 



68 LES DAMES DE L'ELYSEE 

peu, elle qui n'est pas melomane. Mais ils font partie 
des obligations fastueuses de la Republique, avec un 
protocole immuable : accueil du directeur de 1'Opera 
au bas du grand escalier (petits rats en tutu rose of f rant 
un bouquet a Yvonne), montee solennelle entre les gar- 
des republicans sabre au clair, entree dans la salle etin- 
celante au son des hymnes nationaux, les premieres 
notes de 1'ouverture ne freinant nullement le va-et-vient 
des innombrables retardataires... On note sur 1'agenda 
de la presidente: le 25 mars 1960, Carmen avec 
Khrouchtchev, le 13 octobre, gala de danse pour le roi 
et la reine de Thailande et nouveau gala choregraphi- 
que le 28 octobre pour le president de la Republique 
malgache. 25 mai 1961 : gala pour Baudoin et Fabiola 
de Belgique, le 21 juin soiree en 1'honneur du president 
de la Republique federate d'Allemagne, le 13 octobre 
soiree pour le chah d'Iran. Yvonne de Gaulle assiste au 
fil des ans a pres d'une trentaine de soirees de gala avec 
Fimmorale Carmen, Interminable Lac des Cygnes et 
Tincontournable presentation du corps de ballet sur 
une musique de Berlioz ou de Wagner. Pourtant, la soi- 
ree de gala du 21 octobre 1963 lui laisse un souvenir 
precis avec la presentation d'une Traviata originale. Le 
general de Gaulle a en effet accede au souhait de Son 
Excellence 1'ambassadeur de Turquie en France en fai- 
sant inviter pour le role titre une cantatrice turque qui 
lui est chere : Suna Korad. Le chef d'orchestre charge 
de diriger 1'ouvrage re?oit la cantatrice imposee et com- 
prend qu'il faut s'attendre au pire : 

Vous chantez bien entendu en langue originale ? 

Non, maitre. J'interprete le role en turc. 

En turc ? 

En turc... 

Soiree d'une folle originalite done, plus surrealiste 
que les turqueries du Bourgeois gentilhomme. Car, 
comme le souligne la critique musicale, le turc est une 
langue dont les seuls mots identif iables ressemblent a 
des borborygmes de tuyauterie . Suna Korad, plus 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 69 

faite pour chanter Salome que Violetta, hurla : Ce 
n'etait plus du bel canto, c'etait de la mitraille... Dans 
la loge presidentielle, Charles et Yvonne assistent d'un 
ceil impassible au spectacle. Ni Tun ni 1'autre ne sont 
melomanes. Us se disent ravis car, selon leur habitude, 
ils n'ont pas omis d'emporter leurs boules Quies. 

Question musique, Yvonne de Gaulle est gatee cette 
annee-la. L'accordeoniste Rene Sazat a la delicate atten- 
tion de composer un langoureux tango qui s'intitule le 
Tango de Tante Yvonne. 

Bucolique, le premier couplet commence ainsi : 

Tante Yvonne n'aime plus Paris 

Elle ne reve plus 

Que de f leurs et d'air pur 

De petit es eglises 

Et de vertes prairies 

De moutons tout blancs [...] 

Et 1'auteur de preciser que si apres cela la foule des 
vacanciers ne renonce pas a Saint-Tropez pour se ruer 
a Colombey-les-Deux-figlises, c'est a desesperer de tout. 
En tout cas, les musiciens du cru ne pourront faire 
moins que d'ouvrir le bal du 14 juillet sur ce tango. 

Car, comment meme retenir une larme d'emotion 
a 1'idee de Tante Yvonne glissant sur la piste dans les 
bras de qui vous savez, fredonnant tendrement le 
refrain : 

C'est le tango 

Le tango des jours heureux 

Le tango des Amoureux 

C'est le tango de Tante Yvonne. 

En trois jours, le disque du Tango de Tante Yvonne 
se vend a dix mille exemplaires. Un record ! 

Heureusement, Mme de Gaulle a droit a quelques 
entractes a Colombey. Elle y retrouve un genre de vie 



70 LES DAMES DE L'ELYSBE 

qu'elle aime et ses activites familieres. Dans ce village 
de la Haute-Marne, dans cette Champagne pouilleuse, 
La Boisserie est avant tout son domaine. Cette vieille 
maison est de celle ou des chaudrons de confiture 
fument regulierement. On y penetre par un portail sur- 
monte de deux tetes de cheval de bronze. Une allee 
sinue & travers un assez grand jardin piante de pois de 
senteur et conduit a une maison grise dotee d'une tour 
d'angle. Salle a manger en lourds meubles de chene, 
salon tendu de toile verte, style mi-rustique, mi-ancien. 
Les meubles heteroclites proviennent du hasard des 
heritages et des necessites de la vie de garnison. C'est 
par excellence la maison de famille ou se retrouvent 
enfants et petit s-enf ants. Avec sa cuisiniere alsacienne 
Louise, sa f emme de menage Charlotte et Andre le jar- 
dinier, aucun protocole. Yvonne de Gaulle aide meme 
parfois a eplucher les legumes, surveille la cuisson des 
petits plats qu'affectionne le General : tripes a la mode 
de Caen, lapin au vin blanc, boeuf bourguignon, des 
plats que Georges Pompidou appelait en plaisantant 
des plats canailles bien de chez nous . Autour d'elle 
flotte en permanence une odeur d'encaustique et de 
confitures. Lorsqu'elle est a Colombey, elle fait elle- 
meme ses courses au volant de sa 2 CV a Chaumont ou 
a Bar-sur-Aube et ne laisse a personne le soin de pas- 
ser chez Thorticulteur. Car elle est imbattable en hor- 
ticulture. Cultiver les fleurs est sa passion et collection- 
ner les catalogues f loraux son hobby. L'arrivee du nou- 
veau catalogue Vilmorin est pour elle un evenement. 
Ses rosiers sont 1'objet de tous ses soins, Sa rose pre- 
feree est Souvenir de la Malmaison et son jardin con- 
tient une rose miniature grimpante baptisee Pompon 
de Paris. Les massifs de fleurs, les tulipes et les plan- 
tes grimpantes qui encerclent la maison constituent son 
domaine reserve. Les pucerons qui envahissent ses 
rosiers, le remplacement de vieux arbres fruitiers du 
verger, Tetat de son jardin potager Pinteressent plus 
que la situation du franc, les tendances de la mode ou 



LES DAMES DE NOTRE POQUE 71 

la nouvelle mise en scene de Pelleas et Melisande. Avec 
le jardinage, le tricot est 1'autre passion. 

Elle parait perpetuellement ref rener une ardente 
envie de tricoter, dira Tun de ses proches. 

Les epouses des collaborateurs du General decou- 
vrent qu'elles ne peuvent mieux f aire leur cour a Tante 
Yvonne qu'en venant lui reclamer des pelotes de laine. 
Brassieres et barboteuses font son bonheur. La cam- 
pagnarde qu'elle est profondement (elle a appris a 
aimer la nature dans le vaste domaine des Sept- 
Fontaines de ses parents) recherche la paix, loin des 
rumeurs de la ville, au milieu des meubles qui craquent 
lorsqu'on allume un feu de bois dans les cheminees. Elle 
aime le beau linge, une table bien mise et ne dedaigne 
pas les produits de la ferme (il y eut un poulailler a 
Colombey jusqu'a la mort du General, mais pour les 
oeufs seulement car de Gaulle n'a jamais voulu man- 
ger une seule de ses poules). 

II n'est done pas surprenant que Mme de Gaulle se 
soit si bien entendue Tfilysee avec M. Harry, 1'homme 
charge de la decoration florale. Lors de la premiere 
reception officielle qu'elle donne a 1'filysee, quelques 
jours apres son arrivee, Yvonne decide d'imposer son 
style. Les convives viennent de s'asseoir et le ballet des 
grands valets en habit bleu commence autour de la 
table dans le salon Murat transforme en salle a man- 
ger. La moitie du gouvernement est presente ; chaque 
ministre est accompagne de sa f emme. Le General pre- 
side, ayant a sa droite Mme Debre. La generate lui fait 
face, dans une robe noire, sans un bijou. 

Mais qu'y a-t-il done de change dans cette maison ? 
demande Tun des ministres a sa voisine. 

Du regard, elle lui designe les coupes de roses the 
qui transf orment la longue table aux quarante couverts 
en un superbe parterre fleuri... 

Fleurir 1'filysee est Tun des rares plaisirs de la pre- 
sidente de Gaulle. La fille de M. Khrouchtchev declare 
en quittant la France que la plus jolie chose qu'elle avait 



72 LES DAMES DE L'ELYSEE 

vue dans notre pays, ce sont les bouquets de 1'filysee ! 
Yvonne descend souvent dans les sous-sols voutes du 
palais, a deux pas des cuisines, ou on les prepare. Sur 
les etageres s'alignent les vases groupes par genre : 
vases de cristal, vases Medicis, compotiers de la manu- 
facture de Sevres... Pour composer ses bouquets, les 
fleuristes interpreted des variations sur quelques the- 
mes connus. L'important, ils le savent, c'est la rose. Elle 
cherit les roses the (pour les rosieristes 1'aristocratie 
de 1'espece) si parfumees pour les bouquets, comme la 
jaune Ophelia ou 1'ecarlate Piccadilly. Sa seule inno- 
vation a 1'Elysee est la destruction d'une cloison qui 
coupe Tun des salons donnant sur la roseraie. La piece 
plus claire peut ouvrir ensuite directement sur ses 
fleurs preferees. 

De beaux bouquets ornent sa piece-bureau. Elle y 
donne ses ordres au chef-cuisinier, decide des menus 
ou plutot se les fait montrer, met en vigueur ses prin- 
cipes d'economie et veille personnellement a ce que les 
siens ne beneficient d'aucun privilege. Elle fait meme 
passer une note pourqu'aucun membre de sa famille 
ne soit invite lors d'une reception sans qu'on lui en 
parle. Elle adore toutefois faire elle-meme ses achats. 
Elle parvient a circuler dans ses magasins pref eres (le 
Bon Marche et Fauchon, 1'epicerie fine de la place de 
la Madeleine) sans etre reconnue ni abordee par le per- 
sonnel. Car des qu'elle echappe a la vie officielle, elle 
fait tout pour ne pas etre reconnue. Pierre Lef ranc 1'a 
note a juste titre : 

A force de discretion, elle reussit cette extraordi- 
naire performance de passer inaper?ue. 

Toutefois, elle n'a jamais eu Tair d'une figurante. 
Effacee volontairement devant les autres, intimidante 
parce qu'elle-meme est timide, comment est-elle en face 
de son mari ? Est-elle une interlocutrice prioritaire et 
privilegiee de ses confidences ? Sans doute pas, parce 
que le General ne veut pas meler le public et le prive, 
mais elle en re<joit tout de meme. Elle a une volonte 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 73 

et un esprit de decision remarquables, et elle a du bon 
sens. Andre Malraux a le premier souligne son influence 
sur de Gaulle : 

L' importance de Mme de Gaulle fut considerable 
non pas par ce qu'elle disait ou faisait mais par ce 
qu'elle ne faisait ni ne disait, par sa presence 
silencieuse... 

Lui rigide, volontaire, ambitieux, altier, imprevisible 

elle, pudique, stoi'que, pleine de bon sens, refusant 
Tapparat et ne se departissant jamais d'une rectitude 
et d'une honnetete scrupuleuses. II aurait du Tecraser 
de sa personnalite imposante, elle reussit a tenir sa 
place. 

Ce n'est un secret pour personne que Mme de Gaulle 
n'aime pas la vie officielle et que 1'Elysee n'est pour 
elle qu'un mal necessaire. Elle n'y sera jamais heureuse 

comme la plupart des presidentes et n'y appor- 
tera jamais le moindre objet ou meuble personnel. Pour- 
tant leur vie y prend aisement un aspect routinier et 
rassurant. Mme de Gaulle reveille a 7 heures son epoux. 
Petit dejeuner en tete a tete, lecture des journaux 
(Yvonne ne lit que le Figaro) puis le General s'installe 
a son bureau. Elle retrouve son mari pour le dejeuner 
dans la salle a manger du premier etage. Repas expe- 
die car le General a horreur des repas qui s'eternisent 
(Yvonne finit par eviter de servir des fromages et des 
fruits). Le couple ne se retrouve en toute intimite qu'en 
fin de journee quand le diner est servi, apres les infor- 
mations televisees. La- soiree s'acheve dans le salon 
jaune ou chacun prend une tisane en regardant la tele- 
vision. On se couche vers 23 heures. 

Les dimanches passes a Paris sont mornes dans ce 
grand palais desert, meme si on celebre la messe a midi 
dans la chapelle. Elle tricote, accornpagne ses petits- 
enfants dans le pare tandis que le General se consacre 
a son courrier personnel. II n'osera jamais satisfaire 
a Tune de ses envies secretes : aller voir Toperette Rose- 
Marie a Mogador. Le cinema off re toutefois des com- 



74 LES DAMES DE L' 

pensations mais, dans la salle de projection privee, on 
ne voit que des films tres comme il faut , avec uii 
certain relachement vers 1966, sur intervention des 
petits-enfants qui obtiennent un James Bond (Bons bai- 
ters de Russie) un Henri Verneuil (Symphonie en sous- 
sot) et meme le film reunissant Brigitte Bardot et 
Jeanne Moreau : Viva Maria. 

En semaine, les activites de bienfaisance de Mme de 
Gaulle a FElysee sont innombrables et discretes. La fon- 
dation Anne-de-Gaulle en faveur des enfants handica- 
pes, creee peu apres la mort d'Anne, en 1948, celle 
qui ne fut jamais une petite fiile comme les autres , 
retient toute son attention et le General y fait verser 
ses droits d'auteur. Georges Pompidou s ; en occupe avec 
competence. Pour cette raison, Georges et Claude Pom- 
pidou garderont toujours I'estime de Mme de Gaulle. 
Cette fondation Anne-de-Gaulle occupe une propriete 
de quinze hectares dans la valle de Chevreuse. Au sein 
d'une grande maison construite sur une colline au 
milieu des arbres, six religieuses et leur mere supe- 
rieure y ont la charge d'une quarantaine de jeunes fil- 
les handicapees, admises par Mme de Gaulle elle-meme 
qui etudie leurs dossiers. Les demandes de secours et 
d'intervention aupres de 1'adnrinistration sont aussi son 
lot quotidien : organisations charitables, orphelinats, 
oeuvres diverses. Yvonne de Gaulle, perplexe, tatillonne, 
soucieuse d'equit6, joue aux assistantes sociales, aidee 
de deux secretaires qui trient, selectionnent, repartis- 
sent equitablement les soutiens financiers pour faire 
face aux 6preuves. 

Courageuse sans ostentation, Yvonne de Gaulle par- 
tage aux cotes du General toutes les epreuves. Elle est 
avec lui lorsque, le 22 aout 1962, des tireurs convain- 
cus, obstines, manquent de liquider le president de 
la Republique au Petit-Clarnart. Ce jour-la, il se tourne 
vers elle, assise sur la banquette de la voiture & cote 
de lui et lui dit simplement : Vous etes brave, 
Yvonne. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 75 

Elle est a ses cotes en mai 1968 quand il disparait 
pour se rendre a Baden-Baden. Elle aurait dit, montrant 
qu'elle ne negligeait pas de donner son opinion sur les 
evenements : 

Que les communistes usent de la rue pour arriver 
a leurs fins, je m'y oppose. 

Elle est encore pres de lui lorsque arrivent, le 27 avril 
1969, les resultats negatifs du referendum. Certes, elle 
ne souhaitait pas que se prolongeat le sejour elyseen. 
Deja en 1965, un an apres que le General eut subi Tope- 
ration de la prostate, elle aurait aime qu'il ne se repre- 
sente pas. Ce qui ne 1'empeche pas de souffrir avec lui 
des conditions de ce depart, ressentant douloureuse- 
ment 1' ingratitude du peuple frangais envers son mari. 

Us vont vivre encore un peu plus de dix-huit mois 
ensemble, faisant quelques voyages apres un 16gendaire 
sejour en Irlande. Ils passent leurs dernieres vacances 
en Espagne. Le General meurt le 9 novembre 1970. Ses 
obseques ont lieu a Colombey, sans la moindre cere- 
monie publique. Apres sa mort, Yvonne reste a La Bois- 
serie jusqu'a 1'automne 1978, date a laquelle elle se 
retire chez les soeurs de 1'Immaculee-Conception, ave- 
nue de Breteuil, a Paris. Hospitalisee une premiere fois 
en juillet 1979 a 1'hopital militaire du Val-de-Grace, elle 
y meurt le 8 novembre 1979, a 1 h 30 du matin. 

Celle qui occupa pendant pres de cinquante ans le 
ministere du sens commun dans le gouvernement de 
Gaulle incarnait une France de devoir et de rectitude 
morale qui n'a pas totalement disparu, mais qui n'a pas 
souvent le micro et 1'image. 

L'histoire des presidentes retiendra qu'elle n'aimait 
ni les fastes ni les pompes de la Republique, mais 
qu'elle sut se conformer aux usages de sa f onction avec 
une tranquille serenite. Meme si elle fut Tune de cel- 
les qui sur le plan de la representation en fit peut-etre 
le moins possible. 

Sur un plan plus personnel, il lui a manque une plus 
grande ouverture aux faiblesses, aux passions, aux 



76 LES DAMES DE L'LYSE 

defaites humaines. Comme Fa souligne Claude Pasteur, 
sa bonte reelle y eut gagne la chaleur de la comprehen- 
sion. Mais cette premiere dame de France fut une 
grande dame . 



Claude Pompidou 



Ce qui f rappe lorsqu'on rencontre Claude Pompidou 
pour la premiere fois, outre une poignee de main tres 
tranche, c'est sa taille. Elle parait d'autant plus grande 
qu'elle est mince. Elle semble pleine d'assurance, avec 
un visage energique et un regard direct. Mais quelques 
details dans sa voix et dans ses gestes trahissent aus- 
sitot une grande vulnerability comme si cette desin- 
volture apparente etait destinee a masquer sa pudeur 
et sa timidite. Decidement, la timidite est une caracte- 
ristique de nos presidentes. Elle est peut-etre mise en 
relief par la cornparaison avec Tentai'sme et 1'entre- 
gent dont leur epoux a du faire preuve pour atteindre 
les sommets. 

Je suis tres timide, avoue-t-elle simplement. 
Car la premiere qualite qu'on doit lui reconnaitre, 

c'est son naturel. 

L'interroger sur son caractere entraine une reponse 
qui sonne juste : 

Je suis tres independante tout en etant capable 
d'etre tres dependante. Je crois etre quelqu'un 
d'authentique. En fait, j'ai absolument besoin d'etre 
naturelle. Je parle ainsi toujours trop vite et je ne peux 
pas m'empecher de dire ce que je pense. J'ai le defaut 
de ne pas tourner ma langue plusieurs fois dans ma 
bouche... Je ne fais pas partie de ceux qui ont frequem- 



78 LES DAMES DE L'ELYSEE 

ment des etats d'ame, qui s'interrogent sur eux-memes. 
Je ne crois pas etre mondaine, ni snob comme on a 
voulu le faire croire. 

En disant cela, elle vous fixe de ses yeux bleus inten- 
ses. Peu maquillee, rajustant parfois ses cheveux blond 
naturel parfaitement laques, Claude Pompidou donne 
en effet une impression de franchise. Apres plusieurs 
rencontres, on constate qu'il n'y a pas chez elle la moin- 
dre trace de dissimulation ou de fausse dignite. 
Lorsqu'elle parle de la mort de son mari, du divorce 
de son fils, de sa situation financiere ou des pseudo- 
amis qu'elle ne veut plus voir, elle est remarquablement 
naturelle. Les mechantes langues ont parfois voulu faire 
croire que Matignon puis 1'Elysee lui avaient tourne la 
tete. Des hauteurs vertigineuses du pouvoir, elle n'est 
nullement sortie grisee, mais plutot lucide. Elle est res- 
tee elle-meme, disant a propos de la politique : 

J'en ai toujours eu horreur. Avec mon mari, je met- 
tais de temps en temps mon grain de sel dans une dis- 
cussion et je disais des choses si nai'ves que Georges 
se mettait a rire. 

Quant aux honneurs : 

Je refuserai la Legion d'honneur, replique-t-elle, 
presque horrifiee... 

Franc-parler et spontaneite. 

La famille de son pere (les Cahour) est d'origine bre- 
tonne, celle de sa mere d'origine normande. 

Je suis semi-bretonne, semi-normande, avec des 
origines anglaises lointaines, precise-t-elle, 

Rien de surprenant si enfant, des 1'abord, elle evo- 
quait ces bonbons anglais baptises travel sweets, ren- 
dus pastel par une poudre de sucre glace mais qui reve- 
lent apres quelques secondes un piquant acidule. Avec 
une legerete feutree, elle ajoute : 

Je suis castrogonterienne, c'est un peu barbare... 
Elle est nee en effet a Chateau-Gonthier, chef-lieu 

d'arrondissement de la Mayenne. Elle est la fille d'un 
medecin-chef de 1'hopital et de 1'hospice Saint-Joseph 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 

de Chateau-Gonthier. Elle est de bonne bourgeoisie bre- 
tonne (industriels a Brest, universitaires et medecins 
a Nantes et Angers). Un de ses oncles a ete directeur 
de la Transat. Orpheline de mere, Claude a une soeur 
cadette, Jackie. 

J'ai eu une enfance banale, moyennement heu- 
reuse, se souvient-elle. 

Un pere original, anarchiste intellectuel, au caractere 
indomptable. On souligne meme qu'il exenjait un 
empire absolu sur ses filles et sa clientele a laquelle 
il inspirait une sainte terreur. On 1'a aussi decrit comme 
un ours ne recevant personne a sa table, sinon des amis 
de ses filles qui avaient le droit de tout casser dans la 
maison. Elle-meme assure qu'a douze ans, elle etait une 
sorte de gar?on manque, Claude s'entend parfaitement 
avec sa soeur, blonde comme elle : 

Quoique differentes, nous etions tres complices. 
Comme toutes les jeunes filles, elle fait du piano mais 

cessera de suivre des cours, passe son quatorzieme 
anniversaire, au desespoir de la vieille bonne de la 
famille qui les a elevees, elle et Jackie, comme ses 
enfants. Chateau-Gonthier avec sa grande rue, ses pares 
au bord de la Mayenne et son eglise Saint- Jean consti- 
tuent un decor jusqu'a 1'age adulte : 

J'y suis restee jusqu'au bachot que j'ai passe a Ren- 
nes. J'allais chez les sceurs, des ursulines. 

Decor suivant : Paris, le quartier Latin. Claude 
Cahour est etudiante en premiere annee de droit. Dans 
un groupe d'amis qui ont 1'habitude de se retrouver 
boulevard Saint-Michel ( et non a travers les allees du 
jardin du Luxembourg ) la jeune fernme rencontre 
Georges Pompidou, qui f init alors son service rnilitaire. 

J'ai eu un coup de foudre, dans ma vie. Un seul. 
Le jour ou j'ai rencontre ma femme, dira-t-il. 

Quelques mois plus tard, les deux jeunes gens se fian- 
cent a Clermont-Ferrand, chez Tun des meilleurs amis 
du couple. Leur mariage a lieu le 29 octobre 1935, a 
Chateau-Gonthier, dans la chapelle de 1'hospice Saint- 



80 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Joseph. Pour le nouveau menage, Marseille (ou il vient 
d'etre nomine), c'est a la fois la lune de miel et la vie 
de boheme. Us vont y rester trois annees. La lune de 
miel, c'est beaucoup de promenades en Provence et sur 
la Cote ; le jeune couple decouvre la presqu'ile de Saint- 
Tropez encore peu connue du Paris ien. Claude Pompi- 
dou, qui a passe tres tot son permis de conduire, a mis 
une voiture dans la corbeille de mariage. Cote boheme, 
Georges Pompidou corrige les copies de ses eleves, ren- 
verse dans un fauteuil, les pieds sur la cheminee. On 
ecoute des disques, on va au restaurant, on court les 
brocanteurs et il est si amoureux qu'il offre a sa jeune 
femme un ensemble (chapeau, sac et chaussures) qui 
lui coute presque la totalite de son traitement. Quand 
on dernande plus tard a Claude Pompidou : quelle par- 
tie de votre vie conjugate preferez-vous ? Celle de 
femme de professeur, de haut fonctionnaire, de finan- 
cier, de Premier ministre ou de president de la Repu- 
blique ?, elle repondra invariablement : 

Celle de professeur. 

Elle a de bons souvenirs de Marseille. Chaque diman- 
che leur Renault s'essouffle sur les routes menant a Aix, 
Manosque, Aries ou Gordes. C'est ivres de soleil et les 
yeux remplis des paysages chers a Cezanne qu'ils rega- 
gnent le dimanche soir la Canebiere. 

C'est lui qui m'a initiee a Tart. II avail 1'oeiL Je 1'ai 
moins que lui, assure-t-elle. De meme, c'est lui qui m'a 
initiee a la poesie. 

Pour un gargon qui aime parler de Saint- John Perse, 
d'Aragon, de Michaux, de Breton ou de Cocteau, la 
curiosite amusee qu'une femme porte aux etres et aux 
choses peut etre une source d'enthousiasme. Plus que 
de simples gouts pour Tart et la culture, il va y avoir 
une passion. 

Claude et Georges Pompidou ne vont pas cesser de 
vivre cote a cote, en pleine communion, formant ce qui 
a ete Tun des plus unis des menages presidentiels. 

Car lorsque Claude Pompidou entre a 1'Elysee (en 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 81 

petit Chanel), le 20 juin 1969, leur couple est soude 
comme aux premiers temps de leur manage. Pourtant, 
dans la jungle du monde politique les epreuves n'ont 
pas manque a Pompon et a son epouse baptisee par le 
Canard enchaine sous le regne gaullien Mme de 
Pompidour. 

En Janvier 1972, 1'hebdomadaire Minute ecrira : 

Vive Bibiche ! 

La premiere dame de France n'avait jusqu'a pre- 
sent obtenu que deux surnoms : la Pompidour et la 
reine Claude. C'etait peu. En voici un troisieme qui a 
Tavantage d'avoir 1'estampille officielle. 

Priere de ne plus parler que de Bibiche Pompidou. 

Le gouvernement f ran?ais a gracieusernent adresse 
a toutes les chaines de television americaines un petit 
film publicitaire. Or I'hebdomadaire Newsweek a pu 
voir ce court metrage officiel et y entendre Georges 
Pompidou appeler Bibiche sa blonde epouse. 

Au cours de la campagne presidentielle, lors d'une 
prestation televisee, Georges ne parle-t-il pas de ceux 
qui sont tombes si bas au point d'attaquer la personne 
qui m'est la plus chere . On y reviendra. Claude Pom- 
pidou elle-meme garde un mauvais souvenir de la cam- 
pagne electorate de son mari (oppose principalement 
a Alain Poher) : 

J'ai deteste cela. J'en garde un souvenir presque 
horrif ie. Ce fut tres desagreable. II y eut des orages dans 
lesquels nous fumes pris en helicoptere, en Auvergne. 
Une chose epouvantable. Lui non plus n'aimait pas cette 
campagne... 

Mais la victoire est au bout ! Une victoire tres large. 
On a beaucoup evoque alors les apprehensions de 
1'epouse du nouveau president elu. 

Bien sur, ?a ne me f aisait guere plaisir d'aller a 
TElysee, sauf dans la mesure ou c'etait le destin de mon 
mari. Je ne pouvais rien faire, ni aller contre son des- 
tin personnel... Mais on a raconte des choses sans queue 
ni tete... Que j'allais divorcer. Absurde ! 



82 LES DAMES DE L'ELYSEE 

On s'installe done a 1'filysee. Pour Claude, c'est la 
mort dans Tame : 

Cela a ete un sujet de dispute avec mon mari. 
J'aurais prefere que nous continuions a habiter notre 
appartement de File Saint-Louis. Mais il m'avait dit : 

Ce n'est pas possible. Les Frangais veulent que le 
president de la Republique habite 1'filysee. Les Fran- 
gais ne comprendraient pas. Apres le general de Gaulle, 
on ne peut pas ne pas habiter 1'filysee... 

Pourtant lorsque son mari avait ete nomme Premier 
ministre, Claude Pompidou avait refuse d'habiter le 
grandiose hotel Matignon. Les Pompidou avaient brise 
la tradition en continuant a vivre dans leur charmant 
appartement de cinq pieces au coeur de la Cite. Cet 
appartement est Tun des grands amours de sa vie. 
Ancienne propriete d'Helena Rubinstein, c ; est un 
200 metres carres au second etage, avec un balcon 
d'angle face a la Seine. 

C'est comme a Venise au bord du grand canal, dira 
un invite, 1'eau brille au soleil. 

En fait, precise aujourd'hui Claude Pompidou, je 
n'en suis que locataire. En 1955, mon mari n'a pas voulu 
1'acheter alors qu'on nous faisait des conditions tres 
interessantes. II occupait des fonctions officielles. C'est 
finalement notre compagnie d'assurances qui s'est por- 
tee acquereur. Je dois etre la seule locataire de 
rimmeuble. 

Elle Ta decore elle-meme. C'est elle qui a pose le tapis 
violet dans le couloir, les deux La Fresnaye roses, tendu 
le tissu. 

La decoration est Tune de mes passions, 
reconnait-elle. 

Dans son appartement du quai de Bethune, sobre et 
raffine, les tableaux sont modernes mais les meubles 
d'epoque. Le blanc, couleur favorite de Claude, domine, 
faisant d'autant mieux eclater les couleurs des toiles 
de Robert et Sonia Delaunay, Esteve ou Klee. 

Mon tableau prefere est un petit Nicolas de Stael ; 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 83 

c'est le premier beau cadeau que j'ai fait a mon mari. 
C'est un cadeau affectif, Mon mari aimait beaucoup 
Miro et Chagall. Moi, j'aime beaucoup Kandinsky, 
Cezanne, Mondrian, Malevitch. Mais pour lui comme 
pour moi, Klee etait le plus grand. 

Dans le salon, un canape et des sieges XVIII e siecle 
tendus de damas, Dans le couloir, une collection de 
papillons offerts a Georges Pompidou par un chef 
d'fetat africain, le mur du couloir etant recouvert de 
tissu bleu imprime de grandes feuilles de palmier ver- 
tes. Un tapis signe Vasarely, des chandeliers de la mai- 
son du Danemark et, sur une table, un objet curieux : 
un pain de sucre. Dans la salle de bains, il y a des 
volants blancs partout. Un appartement finalement plus 
traditionnel qu'on ne le supposerait venant d'une per- 
sonne aimant 1'avant-garde. 

Les Pompidou s'installent done completement au 
palais de l'lysee, meme s'ils font de frequentes incur- 
sions quai de Bethune pour continuer de recevoir les 
amis. Us vont meme tenter de transporter Patmosphere 
decorative de leur appartement a PElysee en reamena- 
geant 1'appartement presidentiel. On le remet a neuf, 
en jouant sur les couleurs : vieil or, marron, jaune, 
rouge cramoisi. On melange des meubles Louis XV et 
des toiles de Max Ernst, une console Regence et deux 
toiles de Poliakoff . La chambre du president est meu- 
blee en Louis XVI avec une toile d'Odilon Redon. Dans 
celle de Mme Pompidou, un tapis blanc dessine par 
Hajdu, une armoire, une commode et une table Empire, 
des chaises Restauration et un bureau a cylindre estam- 
pille Molitor voisinant avec une table moderne en Altu- 
glas d'Armal. 

Chacun vit dans le cadre qu'il veut, justifie Claude 
Pompidou. Mais 1'appartement du haut n'etait pas pra- 
tique a habiter. II y avait un couloir a traverser entre 
la chambre et la salle de bains. 

Dans les appartements prives de 1'Elysee, le couple 
presidentiel impose une politique de remeublement et 



84 LES DAMES DE L'ELYSEE 

de decoration fondee sur la recherche de 1'authenticite 
et de Tharmonie avec le decor. 

Je m'en suis entierement occupee, precise-t-elle. 
Refaire les salons anciens est ce qui ni'a donne le plus 
de mal. J'ai voulu refaire le decor, reconstituer les 
ensembles, retrouver les meubles disperses, refaire les 
soieries d ; origine a Lyon, reussir les eclairages. J'adore 
la decoration. C'est une manie chez moi : il faut que je 
sois chez moi, j'ai vraiment besoin de vivre dans un 
decor cree par moi. 

Claude et Georges Pompidou prennent au printemps 
1970 la decision d'amenager quelques pieces du rez-de- 
chauss6e dans un style resolument moderne. La pre- 
miere piece, 1'antichambre, con9ue par le peintre cine- 
tique Agam, avec ses murs peints de petits carres de 
sept cents couleurs differentes, prete a 1'illusion d'opti- 
que et au depaysement. La seconde piece est un salon 
tres doux (piano Wane) avec ses sieges design dessines 
par Paulin, sa bibliotheque en fume transparent, ses 
toiles de Marquet, Delaunay, Vasarely. Seul inconve- 
nient: les sieges, garnis de veau retourne, ont la 
facheuse habitude de consteller de particules grises les 
costumes sombres des invites. Le fumoir comprend un 
canape circulaire garni de coussins integre a une deco- 
ration capitonnee avec une cheminee en lave de Vol- 
vic tandis que la salle a manger, aux murs recouverts 
de panneaux de polyester blanc et aux consoles- 
autruches de Lalanne, a pour attraction un gigantes- 
que lustre compose de vingt-deux caissons lumineux 
occupant tout le plafond. Un decor tres conteste par 
la presse en son temps. 

Amenager les salons contemporains m'a donne 
beaucoup moins de mal que reconstituer la partie 
ancienne. On a certes passe beaucoup d'heures, surtout 
avec Agam qui n'est pas simple... 

Ces appartements prives occupent le premier etage 
de Paile est de 1'fily see. Georges Pompidou, pour gagner 
son bureau, devait traverser la fameuse salle de bains 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 85 

de 1'imperatrice Eugenie, tout en glaces, qui servait 
d'antichambre au bureau de M. Edouard Balladur, 
secretaire general adjoint de la presidence. De la, il 
empruntait un couloir etroit et sombre qui accedait a 
son bureau, du cote oppose a la porte officielle. 

Claude Pompidou ne neglige pas de rajeunir ses 
autres residences, notamment le fort de Bregangon. 

A Bregangon, j'ai tout refait. C'etait trop somp- 
tueux. Le general de Gaulle avait voulu recevoir la des 
personnalites etrangeres. Done, il y avait des lustres, 
des tapis, des meubles luxueux, etc. La premiere fois 
que nous y sommes venus, j'ai dit a mon mari : On 
ne peut pas passer des vacances dans ce decor, c'est 
comme si on avait remis 1'Elysee au bord de la mer... 
D'ailleurs, il y avait la de tres beaux meubles qui s'abi- 
maient. Mieux valait les renvoyer a Paris. On a enleve 
tout $a et arrange une decoration plus simple. Un cadre 
plus vacances. Et les amis et la famille, lorsqu'ils sont 
venus, ont beaucoup aime le resultat. 

En revanche, la transformation des jardins de l'ly- 
see ne fut pas son centre d'interet. 

C'est mon mari qui avait la passion des fleurs. Il 
aimait beaucoup jardiner. Ainsi, a Orvilliers, il aimait 
beaucoup s'occuper de notre jardin et avait horreur 
qu'on s'en occupe a sa place. Moi je me contentais de 
faire les bouquets... 

Claude Pompidou se preoccupe de la decoration de 
Thotel Marigny, rachete aux Rothschild (situe de Fautre 
cote de 1'avenue Marigny). 

J'ai tout supervise mais 1'achevement general des 
travaux n'a eu lieu qu'apres la rnort de mon mari. 
Valery Giscard d'Estaing a eu la delicatesse de me con- 
vier a une visite d'inauguration. 

Cette residence destinee a heberger les hotes de la 
France, avec des salons de reception et deux apparte- 
ments prives, n'aura done pas accueilli tous les invi- 
tes prestigieux qui defilerent dans les salons de 1'Ely- 
see durant les cinq ans de la presidence Pompidou. 



86 LES DAMES DE L'ELYSEE 

A commencer par la reine Elisabeth d'Angleterre, 
venue en rnai 1972, qu'on loge a Versailles. On hisse 
d'ailleurs au Trianon 1'Union Jack aux lieu et place du 
pavilion aux armes de la reine qu'exigeait le protocole. 
Autre entorse protocolaire rnonumentale : Georges 
Pompidou prend le bras de Sa Majeste pour la guider 
a travers le dedale des presentations. Or, sauf a la 
rigueur pour la soustraire a un danger immediat, on 
ne prend pas le bras de la reine. Pourtant personne ne 
decele la moindre crispation dans le sourire d' Elisa- 
beth. Elle apprecie les Pompidou d'autant que Claude 
est bonne cavaliere. 

J'ai rencontre la reine d'Angleterre pour la pre- 
miere fois en 1948 alors qu'elle n'etait encore que prin- 
cesse. Elle inaugurait au palais Galliera 1'exposition 
dont son mari avait ete le commissaire general. Elle 
parlait deja parfaitement ie fran?ais. Ce qui n'est pas 
le cas du prince Charles. En fait, elle m'intimidait beau- 
coup. On s'est donne beaucoup de mal pour la recevoir, 
nous souhaitions tant que tout soit parf ait. On se disait : 
On arrivera jamais a ce que ce soit aussi bien que ce 
qu'elle attend. Et finalement, elle a ete absolument 
charmante. Beaucoup plus simple que tout ce qu'on 
peut imaginer... Nous avons heberg6 le prince Charles 
a 1' Ely see, lors des obseques du general de Gaulle. II 
est reste quarante-huit heures. Un modele de courtoi- 
sie et de simplicite. C'est quelqu'un de tr&s attachant. 
J'ai revu le prince de Galles tout recemment, lors d'un 
concert. Nous etions dans la meme loge au Royal Fes- 
tival Hall a Londres. J'etais trs contente de le retrou- 
ver et j'ai meme eu 1'impression qu'il etait content de 
me revoir. Au diner qui a suivi ce concert, j'etais h la 
table de Charles et de Diana. II y avait egalement 
M. Heath et Seiji Ozawa. Leur conversation etait tres 
aniusante. J'ai beaucoup admire la princesse de Gal- 
les que je trouve tres belle, tout a fait princesse char- 
mante. Elle m'a donne 1'impression d'une personne tres 
gaie, pleine de joie de vivre, d'insouciance, de bonheur. 



LES DAMES DE NOTRE SPOQUE 87 

Je les ai invites a venir faire un court sejour prive a 
Paris, pour visiter le Centre Pompidou et diner chez 
moi. Us ont accepte. 

Les Pompidou ont eu plaisir a recevoir une autre prin- 
cesse, Grace de Monaco. 

Le prince et la princesse etaient des amis de lon- 
gue date. Nous les avons refus souvent a 1'filysee et je 
les voyais f requemment hors des receptions officielles. 
Us venaient diner chez moi et j'ai eu Toccasion de pas- 
ser plusieurs week-ends a Monaco. J'ai d'ailleurs achete 
Tun des tableaux de fleurs de Grace. J'aimais beaucoup 
cette femme. C'6tait une personne tellement bien . 
Irreprochable, fitre a la fois si belle et si parfaite, c'etait 
extraordinaire. Un modele. Je me souviens que le gene- 
ral de Gaulle avait d'ailleurs une admiration sans bor- 
nes pour elle. 

Selon Claude Pompidou, les personnalites que pre- 
fera son mari furent le roi Hussein, M. Heath, Willy 
Brandt et Richard Nixon. Aujourd'hui encore, chaque 
fois qu'elle est aux Etats-Unis, Claude Pompidou dine 
avec 1'ancien president americain. Le voyage des Pom- 
pidou aux Etats-Unis, en mars 1970, a laisse un souve- 
nir marquant a la premiere dame de France. Les robes 
et les chapeaux de la presidente eurent dans les jour- 
naux americains autant de retentissement que les con- 
versations politiques. Le Washington Post consacra 
meme deux pages aux tenues portees par la presidente. 
En fait, Claude Pompidou, pour son periple americain, 
avait emporte trente-deux toilettes signees Cardin, 
Laroche, Dior, Saint-Laurent et Chanel, et huit cha- 
peaux de chez Paulette sans oublier quelques odorants 
fromages. 

C'est peut-etre un peu chauvin, revele alors 
Mme Pompidou a Look, mais, dans nos voyages, 
j 'emporte toujours avec moi un lot de bons fromages 
de Cajarc. 

Autre precision de 1'interessee aux journalistes du 
voyage : 



gg LES DAMES DE L'ZLYSEE 

Dites bien, surtout, que toutes ces robes et ces 
manteaux, je les emprunte aux couturiers pour le 
voyage et que je dois les rendre a mon retour. Que les 
Frangais ne croient pas que je depense leur argent en 
toilettes ! 

L'apparition des robes maxi (alors a la mode) pro- 
voqua un debut de panique chez les elegantes ameri- 
caines qui, avant les receptions, ne savaient plus a 
quelle longueur de robe se vouer. Les photos des robes 
et manteaux de Mme Pompidou envahissaient les pre- 
mieres pages des journaux feminins, tres nombreux aux 
USA, qui analysaient methodiquement les details ves- 
timentaires et les griffes. Au fur et a mesure du voyage, 
la cohorte des photographes s'epaississait autour de la 
presidente devenue mannequin au service de la mode 
fran?aise. On le voit bien lorsqu'elle visite la National 
Gallery de Washington. A peine a-t-elle ote son manteau 
de vison de Guy Laroche, decouvrant un tailleur jaune 
avec un fond violet de Chanel que les photographes cre- 
vent le barrage de police. Les flashes explosent conti- 
nuellement d'un bout a 1'autre du periple au point que 
Claude Pompidou ne peut plus voir les tableaux. 
Aucune autre presidente ne declencha un tel pheno- 
mene. Pourtant le voyage prit une tournure plus dra- 
matique a Chicago, ou la police parut manquer de vigi- 
lance. Le couple presidentiel se heurta dans le hall de 
1'hotel Palmer House a des protestataires juifs hosti- 
les a la politique f rangaise au Proche-Orient jugee trop 
pro-arabe. Le couple fut presque moleste, on cracha sur 
Claude Pompidou, et les cris de murderer resonnerent 
a leurs oreilles. 

Le journaliste N.E. Gun, alors a Chicago, en fait une 
description evocatrice : 

Pompidou avance, un sourire fige aux levres, que 
dement la fixite du regard. Son epouse, elle, est visi- 
blement terrorisee. Des femmes font mine de cracher 
sur elle. Elle a un mouvement de recul. Pompidou lui 
entoure la taille de son bras gauche et la pousse fer- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 89 

mement en avant. Us passent enfin la porte de 1'hotel 
tandis que ia foule rugit sa colere... 

Quand les policiers ouvrent enfin la porte, ils se 
trouvent face a face avec les manifestants. 

Subtil changement. Ce n'est plus la cohue hysteri- 
que de la rue, rnais une petite foule d'autant plus 
impressionnante qu'elle semble plus calme. Mena?ants 
ou meprisants, les slogans sont hurles en cadence sous 
le nez du couple presidentiel. Mme Pompidou semble 
au bord de la crise de nerfs (on le serait a moms). Elle 
se rejette en arriere, vacille, balbutie deux ou trois mots 
affoles qu'on distingue mal. Elle semble paralysee par 
la terreur. 

Son mari, une seconde fois, Tenlace et la soutient. 
La police degage enfin le hall et leur permet d'attein- 
dre la rue sous un deferlement de huees. 

A peine la voiture a-t-elle demarre que Pompidou 
laisse eclater une terrifiante colere. 

Tous les intimes de 1'Elysee connaissent le farou- 
che attachement de Pompidou pour sa femme. On 
1'avait compare a un tigre blesse lorsqu'elle fut en butte 
aux calomnies qu'on sait. Ce dimanche, a White Plains, 
il est dans le meme etat d'esprit. 

Plus de peur que de mal, mais Claude Pompidou fut 
tres choquee. Son mari decida qu'on devait interrom- 
pre la suite du voyage et rentrer sur Paris, Richard 
Nixon prit alors la decision de quitter Washington et 
participa a New York a un diner donne pour le couple 
frangais. Ce fait sans precedent, tout a fait en dehors 
du protocole, devait etre interprete comme un geste 
d'excuse pour les incidents de Chicago. Aujourd'hui, 
Claude Pompidou minimise 1'incident : 

Je n'ai pas un si mauvais souvenir que ga du voyage 
aux Etats-Unis. Je me suis fachee a Chicago. Cetait si 
desagreable. Nous avions ete mal conseilles. Nixon a ete 
tres chic car il aurait pu trouver que je f aisais un caprice. 
Mais il ne i'a pas pris comme cela et a donne un diner 
au Waldorf Astoria pour arranger les choses. 



90 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Autre pays visite : 1'URSS. 

Curieusement, j'ai beaucoup aime les voyages en 
URSS. Je sais que cela fait toujours sourire, mais je me 
suis tres bien entendue avec M. Brejnev. Nous avions 
des conversations tres sympathiques. 

Le Kremlin a accueilli le couple presidentiel du 6 au 
13 octobre 1970 (avant qu'il n'aille jusqu'au coeur de 
TAsie centrale, a Samarcande) puis en mars 1974 quel- 
ques jours avant la inort de Georges Pompidou, 

M. Brejnev etait un convive tres gai. Cornme il 
avait une passion pour le pain franc; ais, je lui avais 
offert une baguette enveloppee dans du papier d'argent 

Ce qui impressionna le plus la presidente pendant son 
sejour moscovite : les quelques instants passes dans les 
appartements de Lenine au Kremlin. 

On avait tout a fait 1'impression qu'il venait a peine 
de quitter ces pieces. 

Un diner leur fut offert dans le palais a facettes ou 
Ivan le Terrible et Pierre le Grand celebrerent leurs 
victoires. 

Les deux voyages qui, sur le plan touristique, Font 
le plus frappee sont le voyage en Afghanistan, vraiment 
fabuleux et celui en Iran. 

L'imperatrice Farah est quelqu'un de d^licieux, 
nous dinons toujours ensemble quand elle est a Paris. 
J'ai fait recemment un merveilleux sejour en Jordanie, 
a Tinvitation du roi Hussein. De meme Mme Gandhi rn'a 
offert un extraordinaire voyage de trois semaines en 
Inde. C'etak peu avant son horrible assassinat. J'avais 
passe chez elle le dernier jour. Elle etait la, sereine, avec 
son fils. Elle m'a beaucoup frappee par son intelligence 
et son intuition. Une femme fascinante. 

Comme on peut le constater, Claude Pompidou a 
garde des liens avec les personnalites qu'elle a rencon- 
trees grace aux fonctions de son mari pres de sept 
annees a Matignon, et cinq annees a TElys^e, Cela fait 
beaucoup de monde. 

Je vois souvent M. Heath. Le roi Baudouin et la 



LES DAMES DE NOTRE POQUE 91 

reine Fabiola sont venus diner chez moi, tout comrne 
les dues de Luxembourg. Je revois parfois Jacqueline 
Kennedy-Onassis. Nous allons chez le meme coiffeur 
a Paris, et $a amuse beaucoup tout le monde de nous 
voir nous saluer, pleines de bigoudis... 

Ne precise-t-elle pas, avec naturel, que les rapports 
sont presque plus simples, plus detendus des 1'instant 
ou s'efface Paspect officiel ? 

Dans tous ses voyages et dans chacun de ses engage- 
ments officiels, Claude Pompidou, on 1'a vu, fait assaut 
d'elegance. Son beau-frere M. Cartex , delegue de 
la haute joaillerie et directeur des parfums Caron, ne 
peut que Tencourager. 

Avant Matignon, je m'habillais deja chez les grands 
couturiers. Mon mari etait a la banque, done nous 
avions les moyens. Ensuite a Matignon, je ne pouvais 
plus. Le traitement d'un Premier ministre etant tres 
inferieur. A ce nioment-la, la plupart des couturiers 
m ; ont propose de m'habiller gratuitement. 

Des que son mari etait devenu directeur de la ban- 
que Rothschild, les invitations avaient commence a 
pleuvoir, mais quand il etait devenu Premier ministre, 
g'avait ete un deluge. Generates de theatre, premieres 
de films, vernissages d'expositions, collections de cou- 
turiers, inaugurations, concerts et cocktails litteraires. 

On s'habitue tres vite a la celebrite et on a tout 
de suite beaucoup d'amis, ironise-t-elle. 

Bernard et Annabel Buffet, Frangoise Sagan, Juliette 
Greco, Jacques Chazot et les autres font vite partie de 
la legende. 

Je ne suis pas f achee avec eux, mais je ne les revois 
plus, dit-elle aujourd'hui. 

Bref , pour les grands couturiers, elle devient un must. 
Mme Pompidou apprecie Courreges pour ses ensem- 
bles pantalons, Chanel pour la ville et Cardin, Laroche 
et Dior pour les robes du soir. On critique alors sa 
garde-robe, on dit qu'elle s'habille trop ye-ye . Deve- 
nue dame de 1'filysee, elle se justifie : 



92 LES DAMES DE L'ELYSEE 

II est important de representer et d'aider la cou- 
ture f rangaise qui fait vivre des milliers d'ouvriers mais 
vous pensez bien que je n'achete pas toutes les robes 
que je porte dans les manifestations officielles. Les cou- 
turiers me les pretent et je paie, bien entendu, celles 
que je garde. Mais je suis la plupart du temps vetue d'un 
chemisier ou d'un pull-over avec une jupe plissee ou, 
a la campagne, avec un pantalon. 

Pendant des annees, avec son style de championne 
de tennis ( Je joue au tennis comme un pied , precise- 
t-elle), Claude Pompidou est le mannequin superstar de 
la Republique. 

Pierre Cardin, Andre Olivier et Marc Bohan devien- 
nent des amis. Ils m'ont habillee gratuitement pendant 
des annees et ils continuent. Aujourd'hui, je suis loin 
d'avoir les moyens d'aller chez eux, n'ayant que la pen- 
sion de mon mari pour vivre. Ils ont la delicatesse de 
continuer. 

Et il est vrai qu'aujourd'hui encore Claude Pompi- 
dou conserve une supreme elegance. Norbert (de 
Patrick Ales), qui 1'accompagna dans tous ses deplace- 
ments a 1'etranger, continue a la coiffer. Mais un nom, 
synonyme d'elegance, reste plus particulierement atta- 
che a celui de Mme Pompidou : Chanel. 

Claude Pompidou est devenue une amie pour elle et 
une cliente assidue. Lors de 1'entree a Pfilysee, elle 
porte un tailleur Chanel de style jeune fille avec un petit 
mouchoir noue autour du cou. Elle porte egalenient un 
Chanel lors du service religieux a Notre-Dame pour les 
funerailles du general de Gaulle. 

Je me sens rassure lorsque ma femme s'habille 
chez vous, confie le president a Mile Chanel. 

Coco est tout naturellement invitee a Matignon et a 
TElysee. A 1'Elysee, le president Pompidou lui demande 
si elle reviendra ( II est tres aimable, disait-elle, tres 
intelligent et il sait ce qu'il veut ). 

Non, je ne reviendrai pas, je suis tres contente 
d'avoir vu votre maison, mais je ne Palme pas. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 93 

Claude Pompidou, qu'elle qualifie de tres vivante , 
est Tune de ses clientes preferees. La couturiere pro- 
cede elle-meme aux essayages. Claude Pompidou me 
parle de la celebre couturiere : 

J'ai vraiment fort bien connu Mile Chanel. J'ai 
passe des heures avec elle. Chaque fois qu'elle faisait 
une nouvelle collection, elle insistait pour que je vienne. 
Je souffrais un peu du fait qu'elle pouvait se montrer 
vraiment dure avec ses premieres d'atelier. Elle cou- 
pait, recoupait. A certains moments, j'aurais voulu dis- 
paraitre plutot que d'assister aux seances de larmes de 
ses premieres qui n'arrivaient pas a faire ce qu'elle vou- 
lait. Mile Chanel voulait d'ailleurs toujours assister a 
1'essayage de mes robes. En fait, elle redefaisait tout, 
elle recoupait. II y a ainsi des robes que je n'ai jamais 
pu avoir parce qu'elle ne trouvait jamais que ga allait. 
Perfectionniste. Et quelle creativite ! Elle avait un gout 
exquis et quelle autorite ! Elle me racontait 1'epoque 
des Ballets russes, ses souvenirs sur Picasso ou Coc- 
teau. Elle avait connu Proust. Elle paraissait immor- 
telle, Je la revois travailler dans le grand salon, a piquer 
ses niodeles sur les mannequins, Elle etait gaie, volu- 
bile, infatigable, despotique, Vraiment extraordinaire. 

Claude Pompidou fut bien sur presente a la presen- 
tation de la collection posthume de Coco Chanel. 

Autre personnage marquant proche des Pompidou : 
Andre Malraux. 

Nous avons bien sur ete tres proches tout le temps 
ou il etait ministre de la Culture et meme avant. Je le 
connaissais depuis 1947. Nous etions devenus amis. On 
dinait ensemble une fois par mois, tous les quatre (avec 
sa femme Madeleine Malraux). C'etait un personnage 
extravagant, presque ahurissant. II avait le genie du 
verbe. II allait tellement vite, emporte par le verbe, 
qu'on avait du mal a le suivre. Malraux s'interessait 
davantage aux objets qu'a Tart en general. II a disserte 
une fois, de fa?on etonnante, sur une statue que j'ai a 
la maison. Et, vrais ou faux, ses commentaires etaient 



94 LES DAMES DE L' ELY SEE 

plus que brillants. Mais il n'aimait pas la musique (alors 
que sa femme est tres musicienne) et je doute de son 
interet pour 1 'architecture. II etait tres axe sur certai- 
nes choses et ne s'interessait qu'a une certaine periode 
ou a un peintre precis comme Dubuffet. C'etait un per- 
sonnage hors du commun, mais un peu gonf le par 
soi-meme et par la presse. Meme son oeuvre d'ecrivain. 
Je connais son oeuvre par coeur car mon mari avait rea- 
lise une edition scolaire pour Hachette sur Malraux. 
C'est moi qui ai fait tous les resumes de chacun de ses 
livres. C'est alors que je me suis rendu compte que ga 
ne tenait pas toujours... 

Parmi les intimes celebres : Guy et Marie-Helene de 
Rothschild, bien sur : 

Nous sommes toujours proches. Us nous ont fait 
connaitre le monde entier. Et ils ont toujours ete remar- 
quables avec nous. Ils n'ont jamais considere mon mari 
comme leur employe et la meilleure preuve en est qu'en 
1962, juste avant que Georges n'accepte d'etre Premier 
ministre, Guy a propose a mon mari 1'association a la 
banque. Preuve d'une grande confiance et d'amitie. On 
a beaucoup voyage ensemble, passe de si nombreux 
week-ends a Ferrieres. Nous les avons frequemment 
invites aux receptions officielles ou aux festivites don- 
nees en 1'honneur des chefs d'fitat a Tfilysee, a TOpera, 
a Versailles. Ce sont vraiment de grands amis... Geor- 
ges etait tres heureux a la banque, et moi aussi. 

Les Pompidou ont 1'occasion de compter leurs vrais 
amis au lendemain de Mai 68, lorsque le Premier minis- 
tre se retrouve sur le sable , Claude Pompidou a 
rneme evoque le mot de disgrace . D'autant qu'a quel- 
que temps de la a eclate 1'affaire Markovitch. 

Tous ceux qui ne nous avaient pas abandonnes 
pendant notre disgrace ont ete nos hdtes Tfelysee, a 
avoue Claude Pompidou a Richard Grenier ! . 



1. Interview parue dans Cosmopolitan, fevrier 1970. Edition 
americaine. 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 95 

Le l er octobre 1968 est en effet decouvert sur la 
decharge publique d'Elancourt, dans les Yvelines, le 
cadavre de Stephan Markovitch, ancien garde du corps 
et ami d'Alain Delon et de son epouse Nathalie. Le 
Figaro annonce bientot que Markovitch se livrait au 
chantage, a 1'aide de photos de personnalites, prises au 
cours de parties legeres organisees par Alain et Natha- 
lie Delon. Serait mele a 1'affaire un ancien mernbre 
du gouvernement ou quelqu'un de ses proches . Quel- 
ques jours apres, dans un cocktail, raconte Michel 
Jobert, ancien secretaire general de 1'filysee, deux pro- 
fessionnels des nouvelles chuchotaient : Ce sont les 
Pompidou qui vont trinquer ! La rumeur va en effet 
bon train. Deja des photos truquees circulent. Francois 
Marcantoni bientot arrete declare que les Pompidou ont 
dine chez les Delon, la veille du jour de la disparition 
de Markovitch. L'avocat de Marcantoni va meme 
jusqu'a demander au juge destruction de convoquer 
les Pompidou pour interrogatoire. Le secretariat de 
1'ancien Premier ministre publie alors un communique, 
dementant toute relation du couple avec les.personna- 
ges incrimines. Finalement 1'affaire est classee... On 
arretera les personnages-agents episodiques du SDECE 
qui avaient fait les montages photographiques. La 
rumeur voudra que les instigateurs etaient des gens 
ultra-gaullistes desireux de detruire Pompidou qui, des 
1968, apparaissait comme une bonne solution de 
rechange, ce qui dedramatisait un eventuel depart du 
General. Georges Pompidou a raconte lui-meme com- 
ment 1'Elysee, Matignon, les ministeres de la Justice 
et de I'lnterieur Pavaient laisse dans 1'ignorance des 
informations dont disposait le gouvernement. Le coup 
atteint Pompidou dans ce qu'il a de plus sensible : son 
honneur d'homme et de mari (car il pouvait devenir 
veritablement furieux si quelqu'un osait dire un mot 
sur son epouse ou sur son fils). II faut presque lire entre 
les lignes, entre les silences dans une interview qu'il 
accorde au Point pour imaginer le choc qu'il ressent : 



Une histoire banale... un bon gros complot, lance 
par des personnages secondaires, a coups de ragots, 
repercutes par la presse... Tout le monde s ; en mele... 
Quand la bete s'approche des etangs, tous les chiens 
se precipitent... C'est la vie... Que des hommes qui 
avaient ete mes ministres... aient laisse dire, c'est desa- 
greable, mais c'est humain... Mais que le general de 
Gaulle ait pu croire, ne fut-ce qu'une minute, a ces 
calomnies, cela, je ne 1'ai pas supporte* J'en ai ete stu- 
pefie, desoriente... 

De 1'affaire, Guy de Rothschild a ecrit : Georges, 
longtemps apres 1'affaire Markovitch, continuait a vivre 
ce traumatisme. II ne parvenait pas a pardonner a ceux 
qui 1'avaient trahi. II y avait desormais pour lui les vrais 
amis, ceux qui avaient ete courageux, qui avaient parle 
au General, ceux qui auraient pu lui parler, les medio- 
cres qui 1'avaient ignominieusement lache. On raconte 
meme que Georges conservait sur lui un petit carnet 
noir ou etaient inscrits les noms de ceux qu'il avait def i- 
nitivement rayes de ses frequentations... Un an durant, 
il ne fut plus le meme homme, visiblement ronge l . 

Claude Pompidou me confirme : 

Tout ce que Guy a ecrit dans son livre est exact. 
Plutot que des hommes politiques, on prefere invi- 

ter al'Elyseedes artistes. Niki de Saint-Phalle, Hartung, 
Sonia Delaunay, Chagall, Nina Kandinsky et tous les 
artistes defendus par le couple presidentiel viennent 
souvent diner. On fait du feu dans les cheminees, on 
abandonne les grandes compositions f lorales pour des 
bouquets plus simples de fleurs coupees. On choisit des 
nappes aux dessins plus modernes et Ton change sou- 
vent les fauteuils de place pour que Tainbiance soit plus 
chaleureuse. Pour les modifications d'eclairage, Claude 
Pompidou a quelques frayeurs : 

J'avais fait remplacer les lustres et les appliques 



1. Guy de Rothschild, Contre bonne fortune, Belfond, Paris, 1983. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 97 

par des bougies-flammes a lumiere clignotante qui rap- 
pelle exactement la lumiere des bougies. Malheureu- 
sement lorsque tout a ete termine, nous nous sommes 
rendu compte qu'on n'y voyait presque rien et j'ai vrai- 
ment eu peur d'avoir fait une betise. Puis nous avons 
trouve une solution, un systeme de rampe lumineuse 
dans 1' embrasure des fenetres qui donne une lumiere 
indirecte, tres douce. 

Lorsqu'en 1970 on lui demande : Qu'est-ce qui man- 
que le plus a Mme Pompidou devenue Mine la Presi- 
dente ? , elle repond un peu tristement : Etre libre, 
pouvoir me promener dans les rues lorsque j'en ai 
envie. Faire des courses comme autrefois, entrer au 
hasard dans un cinema... Certes, personne ne m'empe- 
che de sortir dans la rue et de flaner, Mais sans que 
Ton sache pourquoi, peut-etre simplement a cause de 
la surprise que cela provoque, un jour vous vient la 
conscience que ce n'est pas convenable, comme dit le 
protocole, que cela risque de choquer. Et elle le redit 
aujourd'hui : 

A 1'Elysee, on ne peut pas etre libre. Moi, je suis 
trop reconnaissable ; ma grande taille me trahit tout 
de suite. Ainsi je voulais continuer a conduire parce que 
j 'adore conduire. Un jour, sur la route d'Orvilliers, je 
suis tombee en panne d'essence. J'ai ete obligee de faire 
du stop. Je me suis fait gronder par mon mari et j'ai 
du faire comme tout le monde : prendre un chauffeur 
et un inspecteur avec moi... 

Mme Pompidou regoit encore aujourd'hui des lettres 
d'illumines (six lettres hebdomadaires) qui lui donnent 
regulierement rendez-vous dans Paris. Les plus graves 
menaces sont venues au temps de Matignon, apres 
1'abandon de 1'Algerie : coups de telephone anonymes, 
un attentat a Orvilliers et de charmants tueurs qui 
attendaient le couple a la sortie de la messe ( Heureu- 
sement, nous n'y sommes pas alles ! ). 

Claude Pompidou, qui deteste les chats, avait des 
chiens pour la rassurer. Plusieurs labradors noirs a 



98 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Orvilliers et un colley d'Ecosse a Cajarc, plus destine 
a mordre un troupeau de moutons que de dangereux 
individus... 

L'Elysee n'est pas la maison ideale pour mener une 
vie de famille. 

Nous etions la tous les soirs lorsque nous n'avions 
pas de soiree officielle. Nous invitions parfois des amis. 
Et si je dejeunais la plupart du temps seule, rapide- 
ment, nous dinions souvent tous les deux. Mais mon 
mari n'arrivait guere qu'a 9 heures et avec tous ses dos- 
siers. Des la fin du diner, il se remettait au travail, sou- 
vent meme apres des diners officiels. II etait tres 
absorbe et il n'entendait qu'a moitie ce que je lui disais. 
Moi, je faisais mon courrier. C'etait une vie de famille 
transformee en vie de bureau. 

Heureusement, restent les week-ends et les vacances. 
Avec la trilogie Orvilliers, Bregangon et Cajarc. Orvil- 
liers est la maison parfaite pour les week-ends. La Mai- 
son blanche est une typique auberge de village des Yve- 
lines offerte a Claude par son oncle, M. Houssaye. Geor- 
ges peut y cultiver les roses de 1'Ile-de-France. 

Orvilliers est une maison tout a fait banale. Pas 
d'architecture. On y a presque fait trop de travaux. 

Us ecoutent de la musique, jouent aux cartes, pro- 
menent les chiens, jouent avec les petits-enfants. 

Bregangon, c'est Pete. Pour la chaleur d'aout. Trois 
millions de francs de travaux en ont fait une residence 
estivale ideale. Sur cet ilot, rattache a la terre ferme 
par une digue situee sur la route d'Hyeres a Saint- 
Tropez, le calme est total. Le president Pompidou, qui 
va y passer trois semaines chaque ete, adopte un emploi 
du temps decontracte : travail jusqu'a midi. Puis de 
midi a 13 h 30 : bains et plage. Sieste. De 15 h 30 a 
18 heures, promenades en mer. Puis petanque ou ping- 
pong. Le soir, on ecoute des disques ou Ton joue aux 
echecs. Le reste du temps est consacre a la lecture. 
Durant 1'ete 1973, Georges Pompidou lit le Solitaire de 
lonesco tandis que sa femme relit Proust. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 99 

Enfin et surtout Cajarc. 

Cajarc est un peu complique d'acces. Nous allions 
avec un avion du GLAM jusqu'a Cahors. Le domaine 
de Prajoux, notre maison de Cajarc, est une grosse mai- 
son. On n'y passait Tete que cinq a six jours, apres Bre- 
gangon et on regagnait Paris vers le 25 aout. 

Ce sont les vacances de Paques qu'ils passent a Cajarc 
en Quercy, chef-lieu de canton entre Cahors et Figeac 
a la limite du Rouergue. Ni la renommee de 1'enfant 
du pays, Franchise Sagan, ni le charme provincial de 
cette perle de la vallee du Lot ont reussi a projeter 
Cajarc hors des brochures touristiques. Mais bientot 
les touristes s'y pressent pour lorgner de loin la 
demeure de leur president. Ancienne ferme delabree 
en bonne pierre du pays achetee 20 000 francs, le 
domaine de Prajoux est en fait devenu une robuste 
batisse arrangee au milieu de chenes et de chatai- 
gniers. C'est Claude Pompidou elle-rneme qui la decore 
en 1963. 

A Cajarc, c'est la detente complete. Les Pompidou y 
consacrent leurs journees a de longues promenades 
dans les Gausses, a Tequitation et a la detente en 
famille. Tout de suite apres le petit dejeuner, Claude 
Pompidou va se baigner dans le reservoir d ; eau qu'elle 
a transforme en piscine. Pendant ce temps-la, le presi- 
dent travaille dans un ancien pigeonnier amenage en 
bureau ; de sa fenetre, il peut admirer le Lot. Meme le 
dimanche, la journee commence pour le president apres 
le petit dejeuner de 9 heures, par une matinee de tra- 
vail. Mme Pompidou, excellente cavaliere, fait une ran- 
donnee a chevaL 

Nous avons eu quatre chevaux a un moment a 
Cajarc. Deux furent offerts par le roi Hassan II du 
Maroc. Deux chevaux arabes presque trop superbes, 
trop delicats pour cet endroit rustique, le terrain etant 
tres dur. On fait quand meme de grandes randonnees 
equestres de plusieurs jours... 

1 1 heures precises : la grand-messe. Les Pompidou 



100 LES DAMES DE L'ELYSEE 

arrivent dans leur 504 gris metallise que conduit le pre- 
sident en personne. Pas de chauffeur, pas d'escorte et 
pas de bane prive. Quand il fait f roid, les fideles se pous- 
sent discretement pour laisser libres deux places pres 
du pilier ou sont installes des reflecteurs a infrarou- 
ges. A la sortie de la messe, la foule se presse autour 
du couple presidentiel. On serre les mains, on accepte 
quelques fleurs, et il arrive meme qu'on se rende a pied, 
jusqu'au cafe-restaurant pour boire 1'aperitif avec les 
conseillers municipaux. On dejeune vers 13h30. 
L'apres-midi est consacre a la promenade ou au sport. 
On fait d'un pas vif le tour du proprietaire ou bien la 
tournee des antiquaires de la region. Claude, en pan- 
talon de velours et polo, s'initie a la culture du tabac 
et s'exerce meme a la tonte des moutons. Aucun impor- 
tun a craindre. Le peloton des touristes dominicaux qui 
arrive au Prajoux, guide a travers la campagne par les 
fils telephoniques, se heurte aux gendarmes en faction. 
Le soir, on va diner au Pichet d'etain sur les bords du 
Lot ou dans un autre restaurant de la region et Claude 
Pompidou a quelque rnerite de rester mince en goutant 
les specialites du coin : les oeuf s brouilles aux truffes, 
les truites aux amandes, les confits d'oie et autres lege- 
retes regionales. 

On profite egalement d'un toit a Saint-Tropez, d ; une 
maison dans le Finistere. 

J'y retourne souvent aujourd'hui. Mon fils a en 
effet achete une petite maison a Sainte-Marine, en face 
de Benodet. II y a un joli jardin et quand je suis fati- 
guee, j'y vais et je m'y repose vraiment. 

L'on fait meme du ski a Aurons, Megeve. 

Mon mari n'en faisait plus. II s'etait dechire le 
talon d'Achille. II etait interdit de ski. 

Rares sont les homines politiques convies dans Tinti- 
mite des Pompidou. Jacques Chirac, qui est aujourd'hui 
tresorier de la fondation Claude-Pompidou, est evidem- 
ment a part. Lorsqu'elle parle de lui, Claude Pompidou 
ne peut cacher un sourire eloquent. 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 101 

Nous sommes tres lies. II me telephone tres regu- 
lierement pour savoir simplement si je n'ai besoin de 
rien, si tout va bien. II est toujours tres preoccupe de 
savoir si j'ai besoin de quelque chose. II m'a d'ailleurs 
prouve toute son amitie recemment en m'aidant a trou- 
ver une solution a des problemes financiers. 

Autre personnalite politique venue diner a plusieurs 
reprises chez les Pompidou au temps ou Georges etait 
Premier ministre : le general de Gaulle. 

II m'intimidait beaucoup au debut, se souvient-elle. 
Un tel personnage ! Mais cela n'a pas dure car il pou- 
vait etre tres gentil, presque charmeur. II est done venu 
diner plusieurs fois a la maison. Je crois que Ton devait 
etre les seules personnes chez qui il allait diner. J ; ai 
ainsi un livre d'or a la maison avec son autographe. 
C'est le dernier. Je n'ai pas voulu que quiconque signe 
apres lui. II voulait alors qu'on invite la famille. Nous 
conviions done mon fils, mes neveux et nieces. Il deman- 
dait a chacun ce qu'il faisait, ce qu'il etudiait. Ce n'etait 
pas de la politesse mais un reel interet. II aimait avoir 
une vision intimiste. Culinairement, il n'etait pas dif- 
ficile. II etait tres agreable a recevoir. 

II est toutefois un diner avec le General dont elle 
garde un souvenir mitige. Cetait a 1'filysee le 4 juillet 
1968, au lendemain des triomphales elections legisla- 
tives qui avaient suivi la crise de mai. A tort ou a rai- 
son, Pompidou avait fini par apparaitre, pendant ce 
mois d'emeutes, comme Thomme rassurant, solide au 
poste, en premiere ligne. L/opinion publique en avait 
fait le vrai vainqueur des elections. Or, ce soir-la, rap- 
porte Raymond Tournoux, les Pompidou comprirent 
leur "disgrace 1 '... Soiree quasi familiale. Defense de par- 
ler politique. Le General se contenta de glisser en aparte 
a Claude Pompidou : 

_ Alors, chere madame, il parait que c'est votre 
rnari et moi qui avons gagne les elections. 

Elle ne sut qu'acquiescer ingenument. 

Mais dans la voiture qui les ramenait quai de 



102 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Bethune, elle rapporta a son mari la phrase du Gene- 
ral et Tair narquois qu'il avait pris... . 

Six jours apres, le General demandait sa demission 
a Georges Pompidou. 

Si Alain Pompidou, le fils du couple, eut Poccasion 
a maintes reprises de croiser les figures celebres qui 
furent proches de ses parents, ces derniers, a la diffe- 
rence de MM. Giscard d'Estaing et Mitterrand avec 
leurs enfants, ne 1'ont pas mis en avant. II est reste fort 
peu connu de la presse et du public. 

Quand on veut vraiment proteger quelqu'un des 
medias, on le peut, affirme Claude Pompidou. 

Aucune interview, aucune photo. Tout juste si, au 
temps de PElysee, on le sait professeur agrege de mede- 
cine, biologiste des hopitaux et professant a la faculte 
de medecine Cochin-Port-Royal a Paris. Son mariage 
et ses trois enfants, Thomas, Romain et Yannick, n'ont 
jamais fait la couverture des magazines. Lorsqu'elle en 
parle aujourd'hui, Claude Pompidou est presque 
attendrie : 

II a toujours eu la vocation de la medecine. A trois 
ans, il a dit : je veux etre medecin. Et comme son grand- 
pere, mon pere, lui niontrait ce qu'il fallait faire, il y 
a pris tout de suite gout. Il se consacre aujourd'hui a 
la recherche et travaille sur Timmunologie, en parti- 
culier sur le SIDA. Son laboratoire de biologie est a 
Saint-Vincent-de-Paul. Mon fils et mes petits-enfants 
n'ont pas souffert de notre celebrite ; nous avons tou- 
jours veille a ce qu'ils ne soient pas importunes par la 
presse et les photographes. 

Alain Pompidou, dont ses amis assurent qu'il possede 
la rigueur intellectuelle de son normalien de pere, son 
souci d'efficacite et de son bon sens, est entre en mai 
1986 au cabinet d 1 Alain Devaquet, secretaire d'Etat a 
Tenseignement et a la recherche l . Cedera-t-il un jour 

1. Jusqu'a sa demission en decembre 1986. En Janvier 1987, il a 
ete Monsieur Sida aupres de Michele Barzach au ministere de 
la Sante. 



LES DAMES DE NOTRE &POQUE 103 

au chant des sirenes de la politique ? Divorce (il a la 
garde de son fils aine tandis que sa femme a la garde 
des deux autres), il s'est recemment remarie avec une 
jeune femme, mere elle-meme de trois enfants. Blond, 
le visage ovale, solide et discret, Alain Pompidou a, de 
par son metier, assiste au drame de ses parents : la 
maladie et la mort de son pere. 

Le 22 mars 1971, Mme Pompidou preside au theatre 
des Champs-filysSes le gala donne au profit de la recher- 
che contre le cancer. Au programme, la premiere euro- 
peenne du film Love Story. Elle aimait Bach, Mozart, 
les Beatles et moi... , dit le heros ; AH Mac Graw, leu- 
cemique, va mourir, au desespoir de Ryan O'Neal. Dans 
sa loge, Claude Pompidou ne peut pas ne pas etre emue. 
On comprend mieux aujourd'hui son emotion, car c'est 
a ce moment-la que la maladie, mal definie pour 1'ins- 
tant, dont souffre Georges Pompidou entre dans une 
nouvelle phase. 

Quelques signes, comrne des grippes a repetition, 
demontrent son mauvais etat de sante. Lors de la revue 
du 14 juillet, plusieurs temoins remarquent son pas 
lourd un peu saccade. Des 1972, les rumeurs sur la 
sante du president commencent a circuler. Dans les sal- 
les de redaction, dans les diners en ville, de pretendues 
indiscretions medicales galopent. On parle de maladie 
de Waldenstrom, de traitement a base de cortisone. La 
classe politique vit 1'ceil fixe sur le visage du president. 
Certes il est impossible de ne pas voir au fil des mois 
les joues qui enflent, le menton qui s'affaisse... Le spec- 
tacle est presque inhumain. On le regarde, on Tobserve, 
on 1'epie. Il s'esclaffle sur le cancer hebdomadaire 
qu'on lui attribue et ironise meme : 

Chaque fois qu'on me serre la main, j'ai Timpres- 
sion qu'on me prend mon pouls... 

Pathetique ! 

Un vrai martyre au long duquel sa femme le soutient 
avec un amour total. Entoure de son fils Alain, du vieux 
medecin de famille, Jean Vignalou, chef de service a 



104 LES DAMES DE L'ELYSEE 

1'hopital dlvry (qui passe matin et soir a 1'Elysee ou 
quai de Bethune) et d'une infirmiere, Georges Pompi- 
dou va mourir, mais il est certain de pouvoir finir son 
septennat. Toutes les sommites fran?aises consultees, 
du professeur Jean Bernard au professeur Aboulker, 
du patron d'Alain Pompidou aux plus eminents neuro- 
logues, s'avouent impuissantes. 

On a toujours pretendu, et tous les historiens Pont 
ecrit, que les praticiens consultes ou, du moins, Tun 
d'entre eux, avait depuis longtemps revele a leur illus- 
tre patient la maladie exacte dont il etait atteint, sa gra- 
vite et son caractere irremediable. Us ont pour la plu- 
part souligne que le president Pompidou avait demande 
a ses medecins de ne pas le reveler a sa f emme et a son 
fils. L'homme face a son terrible destin est digne d'un 
courage qui force 1'admiration. 

Claude Pompidou repond : 

Je n'aurais pas ete mise au courant ? Bien sur que 
non parce que personne n'en savait rien. Nous n'avons 
jamais su precisement de quel mal souff rait mon mari. 
L'ultime infection, oui ! II pourrait etre encore la s'il 
n'avait pas eu cette infection au dernier moment qui 
I 'a emporte... 

Le 31 mars 1974, Georges Pompidou est en effet ter- 
rasse par une septicemie foudroyante. Le l er avril, un 
lundi, une ambulance le ramene a son domicile du 24, 
quai de Bethune. En debut de soiree, tout est fini et, 
a 21 h 55, Tfilysee publie un court communique : Le 
president de la Republique est decede le 2 avril 1974 
a 2 1 heures. 

Les obseques se deroulent a Orvilliers. L'inhumation 
a lieu dans la plus stricte intimite f amiliale, conf orme- 
ment aux volontes du defunt exprimees dans son tes- 
tament date d'aout 1972. 

Raymond Tournoux ecrit alors un tres juste billet : 

Le drame de Georges Pompidou, c'est aussi le 
drame d'une famille tres unie, et d'abord le drame de 
sa femme, Claude. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 105 

Ces deux etres formaient un couple exceptionnel. 
Nous ne batissons pas une legende sur une tombe. Les 
sentiments ne s'habillent pas de fausses verites. Les 
faits restent les faits. Un dejeuner en compagnie de 
Georges Pompidou demeure pour moi memorable. 
C'etait le 22 novembre 1968. Si reserve, si attentif a la 
pudeur pour tout ce qui touchait a sa vie privee, 1'ancien 
Premier ministre du general de Gaulle, ce jour-la, se 
livra a des confidences personnelles. II me dit. "Voyez- 
vous, j ; ai fait, il y a trente ans, un mariage d'arnour avec 
ma femme." Cet attachement, cette affection, cette ten- 
dresse, Claude les rendait a son mari. 

Ma vie a ete un tel nauf rage apres la mort de mon 
mari, murmure Claude Pompidou dans un souffle. 
Toute ma vie etait totalement liee a lui. 

Longue silhouette noire et solitaire, elle restera dis- 
crete et digne. A Orvilliers, c'est a 1'aube, loin des 
curieux qu'elle vient se recueillir sur la tombe de son 
mari (on lui a remis une clef du cimetiere). 

Dans un sens, heureusement que j'ai eu ma fon- 
dation. Cette fondation a ete un sauvetage... 

Creee comme une entreprise personnelle indepen- 
dante de ses obligations officielles et des oeuvres socia- 
les de 1'Elysee dont elle avait la charge ( Dans mon 
courrier, les gens croient que je suis le pere Noel ), 
la fondation Claude-Pompidou a ete reconnue d'utilite 
publique par decret du 16 septembre 1970. 

C'est d'une lettre regue qu'est partie Tidee, se sou- 
vient Claude Pompidou. C'etait la lettre tres emouvante 
d'une mere qui m'exposait les problemes tragiques que 
lui posaient ses deux enfants handicapes. 

La fondation Claude-Pompidou pour les personnes 
agees et handicapees et le developpernent de Taide 
volontaire a oeuvre dans trois domaines : 

la construction d'etablissements d'hebergement, 
de soins et de reeducation ; 

la realisation et gestion de clubs pour personnes 
agees ; 



106 LES DAMES DE L'SLYSEE 

1'aide volontaire. 

En plus de quinze ans, la fondation a en effet cree 
et mis en fonctionnement neuf etablissements pour per- 
sonnes agees et adultes handicapes. Elle a su accom- 
plir un travail de pionnier dans le domaine des clubs 
de rencontres et de loisirs pour personnes agees retrai- 
tees. Elle s'est egalement attachee a une forme origi- 
nale d'action sociale : le volontariat. Dans les trois sec- 
teurs de son action, le fonctionnement de la fondation 
est en grande partie financ6 par le produit de dons pri- 
ves. Force est de reconnaitre 1'eclatant succes de cette 
fondation, la plus importante jamais lancee par une 
femme de president de la Republique. Claude Pompi- 
dou passe quotidiennement plusieurs heures aux 
bureaux du 42, rue du Louvre, ou, grace au devouement 
de son personnel, des volontaires et de Paide de tous 
ses amis, elle sait qu'elle est utile. 

Elle veille desormais d'un oeil maternel sur le Cen- 
tre Pompidou, preside plusieurs associations et fonda- 
tions artistiques, voit toujours de nombreux artistes 
dont Pierre Boulez. 

Mes gouts artistiques contemporains correspon- 
dent a quelque chose de profond, ga n'est pas pour 
frimer comme disent mes petits-enfants. 

Elle pratique avec bonheur Tart d'etre grand-mere. 
Sur 1'Elysee, elle a pour conclure quelques paroles 
dures : 

J'ai deteste Tfilysee. L'lysee a quelque chose qui 
fait que c'est une maison mal-aimee. Depuis la mort de 
mon mari, je ne suis pas retournee a Tfilysee et je n'y 
retoumerai jamais, quel qu'en soit le president. Pour 
moi, c'est la maison du malheur. 



Anne-Aymone Giscard d'Estaing 



Avec 1'election de Valery Giscard d'Estaing a la pre- 
sidence de la Republique, le 19 mai 1974, la France 
s'offre une nouvelle presidente vite baptisee prin- 
temps oblige de son prenom fleuri : Anne-Aymone. 
Mince, elegante, de taille moyenne, un long cou, le 
regard pudique, des cheveux d'ebene. 

Pourtant, pendant la campagne electorate, Valery a 
prefere s'afficher avec la seconde de ses filles-fleurs, 
Jacinte : une photo eff icace, veloutee et tendre, un brin 
retro, destinee a rendre plus chaleureux le candidat, 
a demontrer qu'il n'est pas qu'un technocrate et qu'il 
a le culte de la f amille et des jeunes. Le bon pere a prime 
sur le bon epoux. D'autant qu'il court quelques 
rumeurs : Giscard aurait ete sur le point de divorcer 
peu avant la campagne presidentielle et un dossier se 
trouverait meme dans les archives de la Justice. 

Mais si la fille etait a 1'affiche, Anne-Aymone Giscard 
d'Estaing a ete, elle aussi, mise a contribution. Elle a 
joue parfaitement son role pendant les semaines de la 
campagne electorale, allant meme jusqu'aux Antilles 
precher la bonne parole pour son mari. Son acte 
d'heroi'sme le plus remarque : avaler sans sourciller un 
morceau de boudin a Tantillaise, farci aux pinients. A 
la Guadeloupe, Anne-Aymone a pris des bains de foule, 
visite les ecoles, les hopitaux et les plantations de canne 
a sucre. Car, non contents de pouponner devant les pho- 



108 LES DAMES DE L'SLYSZE 

tographes, les candidats aux elections presidentielles 
de 1974 ont abattu leurs dames. Micheline Chaban- 
Delmas, au physique d'Ali Mac Graw, a pose sportive- 
ment sur les terrains de golf pour suggerer son elegance 
et son dynamisme ; mais elle a montre qu'elle pouvait 
etre egalement decorative sur le pont d'un voilier ou 
a un diner constelle de souverains et de chefs d'Etat. 
II fallait faire oublier son talon d'Achille : sa situation 
de divorcee ( Le mari d'une divorcee n'entrera jamais 
a 1'Elysee , font dire certains, en visant bassement Jac- 
ques Chaban-Delmas). Danielle Mitterrand a joue une 
carte plus modeste et plus tactique : celle de 1'epouse 
qui a assiste son mari dans toutes ses luttes, a prepare 
ses chemises et ses dossiers. Bref, celle qui a ete a la 
peine et dont il serait juste qu'elle fut a 1'honneur. Le 
service de presse du parti socialiste souligne que 
Danielle fut toujours une militante disciplinee, prenant 
place dans les congres parmi les delegues de la Nievre, 
et precedant meme son mari de quelques minutes dans 
ce genre de manifestations. 

Anne-Aymone jouera une corde plus sensible ; 
1'epouse du grand argentier de France se fait photogra- 
phier aux fourneaux. On devine, soigneusement ranges 
dans le placard, les pots de confitures, les bocaux de 
cornichons et les recettes du tripoux et de la potee. Tou- 
tes les vertus de 1'Auvergne, coeur de la France : 
sagesse, prevoyance et modestie. Un journal ira meme 
jusqu'a ecrire : Une maison bien tenue qui merite de 
devenir le premier foyer de France , sans savoir que 
la signification d' Anne-Aymone (du germain Haimori) 
est justement maison, foyer. 

Foyer ou pas, certains chroniqueurs de la presse 
n'ont pas manque de noter perfidement qu'avec 1'elec- 
tion de Valery Giscard d'Estaing a la presidence de la 
Republique, son epouse a reconquis la demeure de ses 
ancetres. Mme Giscard d'Estaing est en effet la fille de 
la comtesse de Brantes nee Faucigny-Lucinge dont le 
grand-pere epousa la comtesse d'Issoudun, fille natu- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 109 

relle legitimee du due de Berry, lui-meme fils de Char- 
les X. Or le due et la duchesse de Berry habiterent pen- 
dant plusieurs annees 1'filysee apres 1'abdication de 
Napoleon I er ... Descendante de Louis XV (par le due de 
Berry) Anne-Aymone est aussi Tamere-petite-fille 
d' Eugene Schneider, maitre des fonderies et acieries 
du Creusot. La noblesse et 1'industrie lourde alliees. 
C'etait un bien joli parti. 

Lorsqu'elle rencontre Valery Giscard d'Estaing, 
Anne-Aymone a dix-huit ans. C'est dans la propriete de 
Seine-et-Marne des cousins Fabre-Luce. Elle est plu- 
tot jolie, elle a une sensibilite exquise et des mains tres 
fines. Cultivee, elle frequente 1'Ecole du Louvre. La 
jeune femrne trouve Valery tres brillant mais d'un intel- 
lectualisnie effrene. Le flirt dure plusieurs mois sans 
que 1'entourage ne s'en doute. Valery se montre un che- 
valier servant ideal : 

II me faisait beaucoup de petits cadeaux et 
m'off rait souvent des f leurs. Un soir, je m'en souviens, 
je donnais une soiree pour mes dix-huit ans ; j'ai regu 
une immense gerbe d'anemones. Pendant toute la 
periode de nos f iangailles qu'il a passee en Afrique du 
Nord, il ni'ecrivait souvent il m'envoyait mme des 
poemes. Quand il revenait a Paris, il m ; emmenait au 
cinema et au theatre... Pour notre mariage, il s'est 
decide tres vite. May Giscard d'Estaing, la mere du pre- 
sident, a evoque sur un ton tres f leur bleue leur love 
story, tout en rendant a sa belle-fille un hommage 
appuye : 

C'est en octobre 1950 que Valery a rencontre pour 
la premiere fois Anne-Aymone. Je m'en souviens car, 
un soir, en rentrant d'un cocktail, il m'a dit : 

Tenez, marnan, j'ai rencontre ce soir une tres jolie 
jeune fille qui ressemble a Simone (Simone etait ma 
meilleure amie, qui etait tres musicienne, qui avait servi 
dans la Croix-Rouge pendant la guerre et qui avait ete 
deportee a Ravensbriick), elle a des mains aussi fines 
qu'elle. 



110 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Pendant des mois, il n'en a plus dit un mot. Moi, je 
savais qu'il la voyait car ses f reres et soeurs et ses cou- 
sins les croisaient au theatre, aux concerts et au cinema. 

En juin 1952, mon mari, avec qui nous en avions dis- 
cute, s'est decide a lui en parler : 

Valy, il faut que je vous parle. 

Qa tombe tres bien, papa, moi aussi je veux vous 
parler. Je vais demander la main d'Anne-Aymone a 
Mme de Brantes. 

Us se sont fiances en septembre 1952 et se sont 
maries en Touraine en decembre. C'etait une petite fille 
timide, tres jeune elle avait dix-huit ans et qui avait 
vraiment 1'air "petite fille". Elle avait sept ans de moins 
que Valy. Elle avait une sensibilite exquise et beaucoup 
de discretion (...) Pour Valery, elle a ete "son point fixe". 
II n'etait pas facile tous les jours. Elle n'en a jamais 
rien dit. Elle a toujours su le decharger de tous ses sou- 
cis materiels (heureusement, il n'a aucun sens materiel) 
et elle salt etre discrete. En plus, elle est passionnee 
d'histoire. Elle est la seule a pouvoir contrer mon mari 
sur les dates. 

Le mariage civil a done lieu le 17 decembre 1952 et 
le mariage religieux le 23. La mariee, dans une robe Car- 
ven, a pour temoins deux de ses oncles dont Louis de 
Brantes, avec lequel elle est tres liee. La lune de miel ? 
Aux confins des iles grecques puis Delphes et Athenes 
sous le pale soleil de Janvier. Au retour, le couple s'ins- 
talle dans un appartement a Neuilly, propriete de la 
Caisse des depots et consignations, avant d'habiter f ina- 
lement le 11, rue de Benouville. 

J'ai tout decore moi-rneme et je n'ai jamais fait 
appel a un decorateur. 

Elle suivra desormais de f agon un peu passive la car- 
riere de son rnari et son ascension politique : 

C'est un fait que sa carriere politique commen^a 
peu apres notre mariage, se souvient Mme Giscard 
d'Estaing. Je trouvais tres dur de devoir la supporter. 
Cela prenait trop de temps, un temps que mon mari pre- 



LES DAMES DE NOTRE POQUE 1 1 1 

nait sur sa vie personnelle. Plus tard, je me suis habi- 
tuee... En politique, je ne crois pas lui avoir apporte 
beaucoup. Peut etre simplement l'ai-je aide en voulant 
etre pour lui une epouse et assurer la stabilite d ; un 
foyer et une atmosphere familiale qui lui sont absolu- 
ment necessaires. 

Anne-Aymone n'a jamais ete une tete politique meme 
s'il lui est arrive de dormer un avis ou un conseil comme 
en 1969 quand VGE refusa le ministere de 1'fiducation 
nationale. Tout au long de la carriere de son brillant 
Auvergnat de mari, Anne-Aymone va souvent se conten- 
ter (avant 1'Elysee) d'un role de figuration, timidite 
oblige : 

Ainsi le general de Gaulle m'intimidait enorme- 
ment. Je me souviens avoir ete un soir sa voisine lors 
d'un diner officiel J'etais tellement petrifiee que je n'ai 
pratiquement pas entendu un mot de ce qu'il me disait 

Anne-Aymone, longtemps habituee au statut tran- 
quille et discret de femme d'un ministre des Finances, 
a du done forcer sa nature en devenant la premiere 
dame de France. Passage difficile ? 

Cest un changement complet, reconnait-elle. Parce 
que f inalement, comme epouse de ministre, vous n'etes 
en aucun cas un personnage public. Vous menez une 
vie normale. Or, en tant que femme de president de la 
Republique, votre existence est bouleversee. On peut 
arriver a conserver des moments d'intimite, mais c'est 
beaucoup plus difficile... Au debut, je dois avouer que 
j'ai ete effrayee, car devenir un personnage public 
transf orme votre comportement Simplement parce que 
Ton vous observe. Vous devez avoir une plus grande 
maitrise de vous-meme, porter davantage d'attention 
aux autres, avoir de la rigueur dans vos horaires, etc. 

Soudain sous les projecteurs de Tactualite, on decou- 
vre que la f rele et secrete Anne-Aymone est relativement 
meconnue. On sait simplement qu'elle a perdu son pere 
resistant pendant la guerre : arrete le 21 Janvier 1944, 
il est mort au camp de concentration autrichien de Mau- 



112 LES DAMES DE L'ELYSEE 

thausen le 8 mai 1944. Si Ton connait sa date de nais- 
sance (Anne-Aymone est nee a Paris le 10 avril 1933), 
on ignore par contre son enfance cosmopolite : 

Mon pere a ete attache militaire a Londres et a Lis- 
bonne. Londres, c'etait avant la guerre. J'etais toute 
petite. Nous habitions le quartier de Belgravia, pas tres 
loin de 1'ambassade de France. Le Portugal, c'etait pen- 
dant la guerre. La France etait done occupee et le Por- 
tugal etait un pays libre. Mon pere en profitait pour 
aider la resistance frangaise. J'allais dans une ecole 
tenue par des religieuses beiges. Drole d'epoque. Quand 
nous sommes rentres, nous avons retrouve la guerre, 
les restrictions. Une atmosphere si differente. 

De ces deux sejours, 1'enfant aura su tirer profit 
puisqu'elle parle aujourd'hui couramment 1'anglais et 
le portugais, sans oublier 1'espagnol. 

Etre une presidente polyglotte f acilite beaucoup 
votre tache. Dans les voyages et receptions, lorsque 
vous pouvez vous exprimer directement, sans passer 
par un interprete, les rapports sont beaucoup plus 

humains. 

L'adjectif qui definit le mieux sa personnalite pen- 
dant sa jeunesse ? Timide. Une de plus ! Citer devant 
elle 1'anecdote selon laquelle elle etait d'une timidite 
excessive jusqu'a redouter de repondre au telephone, 
vous vaut une reponse desarmante : 

C'est vrai, je detestais le telephone. Oui, j'etais 
assez timide etant adolescente. Mais aujourd'hui timi- 
dite n'est plus le mot juste, c'est plutot reserve. Je ne 
suis pas du tout quelqu'un d'extraverti, je ne vais done 
pas me lancer dans des discours, parler de moi de f a?on 
generale. De plus, une fois mon mari elu president, la 
timidite n'est plus de mise en ce sens que tout le monde 
vous connait. L'embarras est chez les autres qui sont 
petrifies. 

Et 1'ex-timide de raconter, non sans deplaisir, 1'anec- 
dote suivante : 

Peu de temps apres 1'election presidentielle de 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 113 

1974, je telephone en Auvergne a une amie que je n'avais 
pas vue depuis un an. Quand je me suis presentee au 
telephone, j'ai cru qu'elle allait lacher 1'appareil. Elle 
etait tellement stupefaite... 

Reserve et timidite sont en tout cas les termes qui 
ont toujours inspire les commentaires sur Anne- 
Ay mone. 

En fait, selon ses proches, Anne-Aymone a ete vigou- 
reusement habituee a ne jamais s'exterioriser. 

Elle est comme $a avec sa famille, ses enfants, au 
bord de la piscine comrne dans le salon, assure une de 
ses amies. 

Les bonnes manieres sont a la base de son education. 
De la une certaine retenue aussi, presque de la crispa- 
tion, ce qui passe parfois pour de la hauteur et du 
mepris. Une analyse graphologique confirme une per- 
sonnalite intuitive dont le temperament est introverti. 
Ne se lie pas avec n'importe qui. Peu combative et peu 
interessee, plutot passive. Sentiments sans complica- 
tions. Elle revele encore une grande vulnerability un 
caractere sensible et un esprit prudent. 

Anne-Aymone est toujours reste liee a sa famille, par- 
ticulierement a sa mere, nee princesse Aymone, Marie, 
Sylvie, Renee de Faucigny-Lucinge et Coligny. Une 
f emme energique et active, quoique tres f rele, discrete 
et fort vieille France, passionnee de jardins et de voya- 
ges. Elle est la troisieme de ses enfants. Avant elle sont 
nes une fille Rosarnee (le 7 Janvier 1931), qui a epouse 
en avril 1955 Marc Henrion, et un frere Paul (ne a Paris 
le 5 Janvier 1932) qui a epouse en juillet 1956 Dagmar 
Marie Poliakov ; il est devenu eleveur de moutons . 
Apres la naissance d'Anne-Ayrnone, en 1933, la comtesse 
de Br antes a donne le jour a une fille, Marguerite, le 
24 mars 1935. Son destin est plus connu car elle est 
devenue religieuse benedictine sous le nom de soeur 
Frangoise a Sainte-Cecile de Solesmes le 2 fevrier 1957. 
Elle est actuellement benedictine au Senegal. Le petit 
dernier est Guy, ne le 25 juillet 1937, et actuellement 



114 LES DAMES DE L'ELYSEE 

dans les affaires (longtemps directeur financier d'une 
societe de pret-a-porter). Son epouse Marina (nee 
Marina Boissevain, le 19 septembre 1929) a souvent fait 
parler d'elle, en dirigeant par exemple a New York un 
restaurant f requente par la Jet-Society (le Coup de fusil) 
ou en organisant depuis plusieurs annees les soirees 
mondaines de 1'Opera de Paris (avec 1'association pour 
le rayonnement de POpera de Paris, dont elle assure 
les relations publiques). Avec tous, Anne-Aymone reste 
tres liee. 
La nature profonde de sa personnalite ? 

Je suis une rurale plutot qu'une citadine. J'ai passe 
la plus grande partie de mon adolescence a Authon, 
dans le Loir-et-Cher. J'aime la nature, la campagne. Ce 
que j'apprecie par-dessus tout, c ; est vivre a la campa- 
gne et m'occuper du jardin. 

Un amour de la nature qui conduit a s'exprimer sur 
la chasse. 

Je n'aime pas la chasse pour tuer les animaux, 
mais j'en aime Tambiance : marcher dans les bois, voir 
les animaux, etre avec des amis. Mais je ne chasse pas, 
je ne tire pas. Pendant les chasses presidentielles, 
j'allais me mettre avec les rabatteurs, conclut-elle avec 
un sourire. 

De ses gouts culturels, elle dit peu de chose mais sait 
etre sincere : 

Je suis extremement peu musicienne. J'apprecie, 
mais pas en melomane avertie. 

Son epoux, beaucoup plus melomane, prise surtout 
Mozart, Mahler et Strauss. 

En peinture, les gouts d'Anne-Aymone sont evidem- 
ment plus classiques que ceux des Pompidou : 

Je n'ai pas une culture d'art conternporain tres 
developpee. La peinture des XVIII e et XIX e siecles a 
davantage ma preference. 

Sur ce point, elle partage totalement les gouts de son 
mari qui n'a jamais aime les peintres d'avant-garde, pre- 
ferant toujours le XVIIP siecle et son classicisme de 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 115 

bon aloi. Ce que la decoration de leur residence pari- 
sienne, rue de Benouville, met en evidence tant dans 
le choix des tableaux que dans celui des meubles. Cet 
hotel particulier calme et raffine du XVP arrondisse- 
ment, dont 1'entree s'orne de trophees de chasse pres- 
que insolites sur le fond vert de leur jardin a 1'anglaise, 
est reste leur residence principale pendant le septen- 
nat de son mari. Le president et, surtout, Anne-Aymone 
et les enfants, ont decide de ne pas s'installer a PEly- 
see pretextant qu'il est tres difficile d'en faire une 
veritable residence. Les lieux ne s'y pretent pas, les 
appartements prives sont trop pet its. II n'y a pas assez 
de chambres pour les enfants* L' Ely see n'a pas ete cons- 
truit pour une f amille nombreuse. Ce n'est pas une mai- 
son commode et elle ne le sera jamais. Elle donne en 
fait I'impression de n'avoir pas ete construite pour etre 
habitee . II est vrai que jamais 1'Elysee n'avait connu 
un president aussi jeune et par voie de consequence 
un menage presidentiel ayant encore tant d'enfants 
a charge. Le 1 1 rue de Benouville demeure done le home 
tandis que PElysee devient mon bureau. Surtout le 
lieu de reception. Notre lieu de travail . 

Nouveaux locataires du palais pour au moins un sep- 
tennat, le couple s'attaque d'emblee a un reamenage- 
ment de la demeure, avec une idee rnaitresse : un accord 
absolu entre cadre et arneublement. Ce que la premiere 
dame de France explicite : 

Le president et Mme Pompidou etaient des fer- 
vents de Tart rnoderne et avaient introduit a 1'Elysee 
une collection de tableaux qui leur appartenait et, 
comme c'est logique, Claude Pompidou les emporta. Je 
ne suis pas sure que Tart moderne soit d'ailleurs en har- 
monie avec le style de cette maison qui est ancienne 
et tres caracterisee. 

A travers tout le palais (hormis les appartements new 
look du rez-de-chaussee) les objets, tableaux et meubles 
ultra-modernes ont du laisser place a des tapisseries 
du XVIIP siecle ou a des toiles impressionnistes (les 



116 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Gobelins livrerent en 1974 une grande tapisserie du 
peintre Agam qu'avait commandee Georges Pompidou. 
Anne-Aymone la trouva aff reuse . Elle partit done 
pour Beaubourg). Un Picasso de la periode rose, une 
aquarelle de Klimt et un celebre Caillebotte sont tou- 
tefois retenus par le couple presidentiel pour orner les 
appartements du rez-de-chaussee de 1'aile basse. Dans 
les divers salons, on installe un mobilier et un decor 
faits pour accentuer un caractere d'intimite. Dans le 
salon de Cleopatre sont accroches deux portraits de 
femmes (dont Tun de Mme Vigee-Lebrun) et une nature 
morte d'Oudry. Des meubles signes Jacob decorent le 
salon des Aides, un portrait de Louis XV d'apres Van 
Loo, le salon des Ambassadeurs et un autre de Mme de 
Pompadour par Boucher, 1'ancien salon de FHemi- 
cycle. Des sculptures du xvm e siecle, des meubles 
Louis XV, sans oublier de beaux tapis de Savon- 
nerie parachevent le reamenagement general des salons 
du rez-de-chaussee. Ulterieurement, on procedera a la res- 
tauration de la salle a manger Napoleon III et au rem- 
placement de la verriere du jardin d'hiver. Une touche 
plus personnelle s'impose pour les chambres : 

Elles ont ete decorees dans un style classique en 
rapport avec Tarchitecture. 

Meme effort pour le bureau personnel de Mme Gis- 
card d'Estaing : 

C'etait Tancienne salle de bains de Napoleon III. 
J'ai choisi moi-meme la decoration : les tissus abricot 
qui recouvrent les murs et les meubles qui viennent du 
Mobilier national. 

C'est dans cette piece du rez-de-chaussee (donnant sur 
la rue de FElysee) qui jouxte la salle a manger que va 
travailler Anne-Aymone Giscard d'Estaing, sagement 
installee devant une cheminee de marbre. Une simple 
table d'acajou ancienne recouverte d'un necessaire a 
correspondance et d'une lampe Empire. Une moquette 
gris-bleu qui contraste avec un tapis bordeaux, une 
composition florale sur la cheminee. 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 117 

Cote jardin, Tinfluence de Fepouse du president est 
plus sensible : 

Pour le pare, je choisissais les fleurs. II me suffi- 
sait de dire ce que je desirais que Ton plante. J'ai sim- 
plement fait changer le dessin de la roseraie du jardin 
qui datait du president Coty. 

Un parterre de broderies a dessin de palmes est done 
plante a 1'emplacement de la roseraie. Autre innovation, 
la commande d'orangers pour orner tous les etes la 
cour et les jardins. L'idee etait excellente pour rompre 
la monotonie et la tristesse de la cour d'honneur. Mais 
des octobre, les quatorze orangers se mettent a frisson- 
ner et Ton doit se resigner a mettre les arbres en hiver- 
nage. II faut alors faire appel a Tarmee (une unite du 
genie) pour les transporter dans les serres de Versail- 
les oii les attendent les soins d'horticulteurs speciali- 
ses. Un veritable convoi a fait chaque annee la navette. 
Une innovation bien onereuse... Mme Giscard d'Estaing 
s'est toujours plu a superviser le travail des deux jar- 
diniers et des deux fleuristes de 1'filysee. C'est a deux 
pas des cuisines, dans les sous-sols voutes, que se 
cachent MM. Duvivier et Berard, fleuristes detaches des 
jardins de la ville de Paris, pour veiller sur les bouquets 
de la presidence. Dans son bureau, Valery Giscard 
d'Estaing desire particulierement des roses, Anne- 
Aymone ne veut ni tulipes au print emps ni chrysan the- 
mes a 1'automne. Ses directives pour les bouquets : pre- 
server Thomogeneite, A savoir des manages de tons 
jarnais audacieux, deux ou trois couleurs seulement 
avec une predilection pour les alliances de jaune et de 
bleu. 

Mais le palais du Faubourg-Saint-Honore n'est pas 
1'unique residence du couple presidentiel. Rambouil- 
let, Marly et Bregangon sont a leur disposition. 

Rambouillet est une tres agreable demeure, se sou- 
vient Mme Giscard d'Estaing. Le pare est superbe et 
c'est une residence a 1'atmosphere vraiment attachante. 

On y organisait les chasses presidentielles et la foret 



118 LES DAMES DE L'ELYSEE 

qui vient mourir aux abords du chateau, grignotant 
presque le pare, n'a pas ete Tun de ses moindres 
attraits. 

Marly, c'est autre chose. Ce n ; est qu'un simple 
pavilion de chasse, C'est en fait minuscule. Nous ne pou- 
vions pas y habiter. Mais c'est un havre de calme et mon 
man 1'aimait beaucoup pour la chasse. II y allait aussi 
pour ecrire. 

La simplicite raffinee de Marly sernble avoir davan- 
tage seduit le president que son epouse. 

Bregangon, ce fut seulement pour l'ete. 

Le couple et ses quatre enfants n'y firent que de 
courts sejours, entrecoupes de promenades le long de 
la cote entre le cap Ferrat et le cap d'Ail. Le fort pro- 
tecteur n'etait alors surveille que par trois gardes du 
corps. Les Giscard d'Estaing s'echappaient seulement 
pour la rnesse dominicale a Bornes-les-Mimosas. 

Mais Anne-Aymone a toujours prefere ses maisons 
familiales aux residences officielles. Le domaine fami- 
lial d'Authon par exemple. Au fond d'un vallon du Loir- 
et-Cher, ce manoir (une maison bourgeoise, pas un cha- 
teau precisent les gens du pays) etait le parfait antidote 
au protocole elyseen : 

Nous y etions parfaitement tranquilles, ce qui etait 
une vraie benediction. J'ignore pourquoi, la presse ne 
nous poursuivait pas a Authon alors que si nous allions 
dans le Puy-de-D6me, la vie etait impossible. Je n'ai pas 
d'explication mais cela mettait la presse en transe. Je 
ne pouvais pas sortir du jardin sans rencontrer un type 
cache derriere un arbre qui voulait prendre une photo. 
A Authon par contre, o$ nous f ichait la paix. Nous avons 
d'ailleurs fini par renoncer a aller dans le Puy-de-D6me 
tant il etait impossible d'y etre tranquille. 

A Authon, la presidente pouvait enfiler un jean, tail- 
ler ses rosiers, jouer avec ses chiens et meme mettre 
un pudique deux-pieces pour plonger Tete dans la pis- 
cine, sans craindre les paparazzi de service. 

La plus grande partie de la terre d'Authon est bail- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 119 

lee a des fermiers. Seule, la Bercilliere, un hameau 
champetre de quelque soixante-dix hectares, est geree 
directement par Mme Giscard d'Estaing. 

Autre lieu de villegiature regulier : Courchevel, la sta- 
tion alpine chic pour les vacances d'hiver et quelques 
week-ends de neige. Un grand chalet au confort rusti- 
que le Blanchot (qui appartient a la mere de Valery) 
accueillait le couple presidentiel surveille par trois gen- 
darmes du secours en montagne. La famille n'hesitait 
pas a dejeuner a la terrasse des restaurants d'altitude 
et a signer des autographes sur les menus. L'altiport 
et ses avions directs sur Paris facilitaient la vie du 
president. 

Parmi toutes ces maisons, le palais du Faubourg- 
Saint-Honore n'a done ete qu ; un bureau ou Ton se 
rend le matin de bonne heure et que Ton quitte le soir, 
une fois la tache accomplie . En 1976, pour un maga- 
zine espagnol, Anne-Aymone Giscard d'Estaing donne 
sa journee type de presidente : Chaque matin, j 'arrive 
a mon bureau entre 10 heures et 10 h 30. Je prends con- 
naissance de mon emploi du temps de la journee, eta- 
bli par ma collaboratrice Odette de Noyelle. Nous dis- 
cutons ensemble des decisions a prendre. Puis, je par- 
cours les quotidiens. Ensuite, je m'occupe de mon cour- 
rier : c'est mon plus gros travail. Apres cela, je re$ois 
des visiteurs : responsables dissociations ou d'orga- 
nismes varies de caractere social ou culturel, person- 
nalites diverses. Ces entretiens durent en moyenne une 
demi-heure. Pour le dejeuner, je rentre toujours chez 
moi, sauf s'il il y a un repas officieL Je prends toujours 
les repas a la maison avec mes enfants. Leur pere ne 
peut malheureusement pas nous rejoindre car il est tres 
souvent retenu a Tfilysee, L'apres-midi je reviens a mon 
bureau pour y travailler ou recevoir d'autres visiteurs. 
Parfois, c'est moi qui effectue des visites. Je vois des 
maisons de retraite, des creches, des ecoles, des cen- 
tres de formation, des foyers de jeunes, bref toutes sor- 
tes d'etablissements. Quand j'ai le temps, je vais faire 



120 LES DAMES DE L'ELYSEE 

des courses pour les enfants, pour la maison et aussi 
pour moi-meme. Le soir, si je n'ai pas d'obligations off i- 
cielles, je dine a la maison. Le president nous rejoint 
presque toujours. Quand nous soupons a 1'filysee, 
j'invite naturellement a tour de role mes beaux-parents, 
mes beaux-freres et belles-soeurs et aussi ma mere ou 
rnes freres et soeur. Je passe rarement la nuit a 1'Ely- 
see... Dans cet emploi du temps, il ne faut pas oublier 
les voyages en province et a Tet ranger. 

Un temoignage qui fait apparaitre un style de vie plu- 
tot plaisant. Impression qu'elle tient a corriger 
aujourd'hui : 

C'est lourd, c'est eprouvant, tres fatigant et sur- 
tout tres ingrat parce que Ton se rend compte que fina- 
lement il n'en reste rien. Certes, il est parfois tres pas- 
sionnant, car on realise nombre de choses que Ton ne 
ferait jamais autrement mais il y a des activites qui ne 
sont pas droles a faire tous les jours... 

Parmi celles-ci, le courrier, pouls de la France. Car 
on n'ecrit pas seulement au president de la Republique. 

J'ai re?u pendant tout le septennat un courrier 
enorme. Une moyenne d'une centaine de lettres par 
jour. Mais il y avait des courbes. Par exemple, au 
moment du Nouvel An ou pour un autre evenement La 
les sacs postaux pouvaient contenir pres d'un millier 
de lettres... 

Ses correspondants sont des plus divers : deman- 
deurs, quemandeurs, fous, prisonniers, poetes, cas 
sociaux, etc. 

J'etais le dernier recours. Il y avait ceux qui me 
demandaient de resoudre tel ou tel probleme social, 
familial ou autre. Pour les cas sociaux, ils etaient exa- 
mines par deux assistantes sociales qui travaillaient 
avec moi et ensuite, selon la procedure habituelle, a une 
commission sociale qui se reunissait tous les quinze 
jours a TElysee. Et puis 1'autre grande partie du cour- 
rier concernait les individus en proie a des difficultes 
administratives. On faisait une demarche administra- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 121 

tive aupres du ministere concerne et on parvenait par- 
fois a faire mettre le dossier sur le dessus de la pile. 

Certaines lettres n'hesitaient pas a faire des propo- 
sitions de mariage pour les chiennes de 1'Elysee. Con- 
trairement au courrier adresse a son mari, qui recevait 
tres rarement une reponse portant la signature du pre- 
sident, celui de Mme Giscard d'Estaing beneficiait le 
plus souvent d'une reponse de sa main. 

En 1977, la presidente crea la fondation Anne- 
Aymone-Giscard d'Estaing, consacree a 1'enfance mal- 
heureuse. Elle fut financee au depart par les droits 
d'auteur du livre Democratic frangaise. Avec cet orga- 
nisme, Anne-Aymone a souhaite ouvrir des haltes- 
garderies et creer un veritable reseau de sympathisants 
capables d'accueillir provisoirement des enfants qu'une 
situation familiale precaire pourrait, sans cela, con- 
duire a 1'Aide sociale a 1'enfance. A noter que les autres 
oeuvres sociales furent partiellement financees par la 
vente du gibier tue dans les chasses officielles (les pie- 
ces, en effet, ne sont pas emportees par les invites). 

Autre tache plus agreable pour le fin gourmet (jaloux 
de sa ligne de mannequin) qu'est Anne-Aymone : la table 
de la premiere maison de France. 

Le chef de PElysee, Marcel Le Served, est Tun des 
meilleurs cuisiniers de France. II inventait toutes sor- 
tes de recettes et je n'ai jamais eu aucun rnal a faire 
les menus avec lui. Mais pour les repas officiels, c'est 
le president qui choisissait. 

La soupe aux truffes, la mousse de Saint-Jacques- 
Trianon, le navarin de homard et la brioche d'ceufs 
brouilles aux langoustines ont ainsi souvent honore la 
table presidentielle. Pour sa visite a Paris, le 20 juin 
1977, Leonid Brejnev eut droit a un canard au paprika, 
d'inspiration slave. La meme annee, mais le 10 octobre, 
Tito gouta des perdreaux rotis sur canape. Lors du som- 
met des neuf du Marche commun, tenu a Paris le 
12 mars 1979, le diner donne a TElysee fut d'inspira- 
tion europeenne : oxtail soup (Anglais), colcannon (Irian- 



1 22 LES DAMES DE L 'EL YSEE 

dais), bar sauce hollandaise, oie farcie a I'allemande, 
salade a la danoise, biscuit Tortoni, etc. 

Depuis les cuisines de 1'filysee, qui sont aussi belles 
que celles que Ton voit dans les gravures du XVIII 6 sie- 
cle, avec leurs batteries de casseroles en cuivre et leurs 
plafonds voutes, Marcel Le Served proposait deux ou 
trois menus a VGE qui choisissait et modifiait : Pas 
de foie gras pour les Chinois, ils n'aiment pas ?a ou 
Pas de sanglier pour un emir... 

Le cuisinier de 1'Elysee n'a ete convie qu'une seule 
fois a la table du president. Ce fut a 1'occasion d'un col- 
loque de chefs, avec ses confreres, Paul Bocuse, Roger 
Verge, Pierre et Jean Troisgros, Michel Guerard, Char- 
les Barrier et quelques autres celebrites de la gastro- 
nomic fran^aise. Assise ce jour-la entre Pierre Trois- 
gros et Paul Bocuse, Anne-Aymone degusta une soupe 
aux truffes selon la recette de Bocuse, des escalopes 
de saumon de la Loire a 1'oseille (specialite des Trois- 
gros), un canard signe Michel Guerard, des petites sala- 
des proven^ales (confectionnees par Roger Verge) et 
enfin un gateau au chocolat realise par Jean-Jacques 
Bernadet. 

Mme Giscard d'Estaing, se souvient Paul Bocuse, 
fit des reflexions gastronomiques tres pertinentes. Elle 
nous a parle des petits pois de son jardin, de champi- 
gnons et aussi de ses chiens. 

Anne-Aymone ne manqua pas de faire sourire 1'assem- 
blee en suggerant qu'il faudrait inviter une autre fois 
un inspecteur du guide Michelin pour controler la 
qualite. 

Sous les ordres du chef et de ses douze cuisiniers, 
une armee de serveurs (moins de vingt couverts pour 
les jours calmes et plus de trois cents pour les gran- 
des occasions) fut soumise pendant le septennat a un 
protocole fort strict, rnonarchique, ont meme dit les 
adversaires de VGE, en lui reprochant de se prendre 
pour Louis XV. C'est-a-dire qu'a sa table, contrairement 
au general de Gaulle et a Georges Pompidou, Valery 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 123 

Giscard d'Estaing se faisait servir le premier, meme en 
presence de sa fenime. Les Anglais se montrerent assez 
cheques qu'a un dejeuner a 1'Elysee, Mme Thatcher fiat 
servie en second (meme si protocolairement elle n'est 
que Premier ministre). 

Anne-Aymone a fort peu organise de repas prives au 
palais. Elle convia Felicien Marceau au lendemain de 
son election a 1'Academie frangaise : 

Felicien Marceau est un ami personnel. C'est 
quelqu'un que j'aime beaucoup. Je le connais depuis 
au moins vingt-cinq ans. 

D'autres dejeuners reunirent des epouses de minis- 
tres ou meme certaines femmes ministres du gouver- 
nernent comme Alice Saunier-Seite, Monique Pelletier, 
Christiane Scrivener, Frangoise Giroud ou Simone Veil, 
mais evidemment je n'etais pas sur le meme plan 
qu'elles. Elles avaient des responsabilites politiques et 
moi pas . La premiere dame de France s'est tres bien 
entendue avec le ministre de la Sante, n'a pas hesite 
a intervenir pour plusieurs mesures : 

J'ai pu influencer certaines dispositions sociales. 
Si je voyais des difficultes particulieres dans un 
domaine precis, je les signalais a Mme Veil. II faut dire 
que tout le courrier que je recevais me rendait sensi- 
ble a cela. 

Avec Frangoise Giroud, les rapports furent courtois, 
mais teintes de mefiance. Anne-Aymone la sollicita 
notamment pour donner une conference aux Femmes 
de valeurs (un club boursier auquel elle appartenait 
lorsque son mari etait ministre des Finances). 

Frangoise Giroud, avec son esprit habituel, declara 
d'emblee aux membres de ce club boursier : 

Je n'entends rien a la Bourse, je suis une femme 
d'action avec des obligations. 

Le secretaire d'fitat a la Condition feminine (nominee 
en juillet 1974) eut davantage 1'occasion de rencontrer 
la presidente lorsqu'elle fut promue rue de Valois, 
notamment aux premieres de la Comedie-Frangaise, de 



124 LES DAMES DE L'ELYSEE 

POpera et du Theatre des Champs-Elysees. II y eut 
meme une reception donnee pour le Lorenzaccio monte 
par Zefirelli ou Ton vit rassemblees Frangoise Giroud, 
Mme Giscard d'Estaing, Grace de Monaco et Alexandra 
de Kent. On ose toutefois esperer que ce n'est pas par 
allusion a Anne-Aymone que Frangoise Giroud dans son 
roman le Bon Plaisir fait raconter de la premiere dame 
de France qu'a additionner toutes les creches qu'elle 
avait inaugurees et tous les bebes qu'elle avait embras- 
ses, la presidente s'etonnait que Ton pretendit en man- 
quer en France, qu'a multiplier tous les thes de dames 
auxquels elle avait assiste par les diners d'ambassade 
qu'elle avait endures et les rubans qu'elle avait coupes, 
elle etait certainement championne olympique, 
rnedaille d'or de la corvee . 

Corvee ou pas, la presidente Giscard d'Estaing par- 
ticipa a plusieurs manifestations publiques ou a des 
missions semi-officielles ou elle prit la parole (un 
voyage en Andorre au debut du septennat ou un voyage 
en figypte en decembre 1980). Elle fut aussi la premiere 
presidente a presenter ses voeux aux Frangais a la tele- 
vision et a la radio, en decembre 1975, et cela malgre 
sa voix peu radiophonique. Certaines initiatives furent 
souvent contestees, meme si aujourd'hui Anne-Aymone 
plaide la part d'improvisation : 

II se trouve que j'ai ete une fois au cote de mon- 
mari dans Tun des premiers jours de Janvier alors qu'il 
recevait les corps constitues simplement parce qu'il 
se trouvait que j'etais a 1'filysee ce jour-la et qu'il m'a 
dit : Je regois les corps constitues. Allons-y ensem- 
ble. $a n'a pas ete plus premedite que cela. II y eut 
un article dans le Monde pour dire qu'on changeait la 
constitution parce que j'assistais a la reception des 
corps constitues. Tout cela est vraiment tres subjectif . 

Dans la serie des critiques, que n'a-t-on pas ecrit lors- 
que Mme Giscard d'Estaing a invite son couple de 
domestiques espagnols a la reception donnee a 1'Ely- 
see en 1'honneur de Juan Carlos et Sophie d'Espagne ! 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 125 

Alors que le geste etait plutot sympathique. De meme 
toute la presse, lors d'un voyage officiel en Espagne, 
s'etonne que la premiere dame se singularise a la tri- 
bune officielle en traduisant elle-meme le discours que 
vient de prononcer son mari. Comme les souverains 
autochtones s'emerveillaient de la maitrise dont elle 
avail fait preuve, elle leur fit savoir que son merite etait 
infime du fait qu'elle cotoyait en permanence ses 
domestiques espagnols. Et les journalistes de glousser 
devant pareille franchise ! On a encore souvent criti- 
que le fait que Valery Giscard d'Estaing n'ait guere uti- 
lise pour les longs deplacements officiels le Concorde 
(juge trop exigu) mais un Boeing complement reame- 
nage afin que lui, sa femme et ses enfants puissent se 
reposer dans des cabines speciales. Ces periples offi- 
ciels donnaient d'ailleurs des jaunisses aux diploma- 
tes du Quai d'Orsay, le president, sa femme et Tun de 
ses enfants prenant souvent place en tete de la liste pro- 
tocolaire. Ainsi, lors d'un voyage en Chine, Jacinte pre- 
ceda dans 1'ordre protocolaire le ministre des Affaires 
etrangeres, Jean Fran?ois-Poncet. En Inde, lors d'un 
diner offert par la France, Henri (le fils aine) fut servi 
avant le Premier ministre Indira Gandhi. 

Lorsqu'on interroge aujourd'hui Mme Giscard 
d'Estaing a ce propos, sa reponse ne manque pas de 
piquant : 

On nous a beaucoup reproche d'avoir emmene nos 
enfants dans des voyages officiels. Pas tres souvent en 
fait. Mais Dieu sait si maintenant, avec les Mitterrand, 
ce genre de reproche a de quoi etre plus fonde ! 

II est vrai que les records d'invitations personnelles 
ont ete battus par M. Mitterrand, beaucoup plus tribal 
que ses predecesseurs. 

Les Giscard surent d'ailleurs se montrer parfois 
grands seigneurs. 

Empruntant ainsi, en decembre 1980, un vol regulier 
de Air France sur Fort-de-France, ils durent subir les 
memes deboires que les trois cents autres passagers 



126 LES DAMES DE L'ELYSEE 

du Boeing 747. A peine avait-on decolle que 1'avion dut 
rebrousser chemin, en raison d'un ennui technique. 
C'est alors que Ton se rendit compte que les sieges de 
premiere classe avaient ete demontes af in d'amenager 
un salon pour le president et sa famille. Ces derniers 
furent delicats et Ton fit servir une coupe de cham- 
pagne a tous les passagers moins princierement 
installes. 

Mme Giscard d'Estaing a souvent accompagne 
son mari dans ses deplacements officiels a 1'etran- 
ger, meme si elle a affecte de ne pas trop aimer ces 
voyages : 

Cetait toujours une epreuve mais cela faisait par- 
tie du devoir de presence de la France. Notre pays entre- 
tient des relations diplomatiques avec cent cinquante- 
trois Etats dans le monde. Si Ton considere qu'il est 
souhaitable de les visiter chacun une fois tous les dix 
ans, on ne peut faire moins de quinze voyages par an. 
Sans compter qu'un president f rangais doit visiter tous 
les pays africains une fois durant son septennat. 

Les voyages les plus marquants sont situes vers la 
fin du septennat : le Bresil en octobre 1978, le Mexique 
en fevrier, Bucarest en mars et 1'URSS en avril 1979. 

Anne-Aymone se rendit plusieurs fois en Egypte ou 
elle sympathisait particulierement avec Mme Sadate. 
Juan Carlos et Sophie d'Espagne la regurent a plusieurs 
reprises. 

Nous continuons aujourd'hui encore a avoir des 
rapports amicaux avec le roi et la reine d'Espagne. Us 
nous invitent toujours quand nous allons en Espagne. 
On le sait, le president Giscard d'Estaing avait mise tres 
tot sur Juan Carlos. II se rendit en personne aux cere- 
monies marquant 1'avenement du successeur de 
Franco. De ce geste, Juan Carlos devait toujours lui gar- 
der une pudique mais vive reconnaissance. D'ou, a pres- 
que chaque visite un somptueux diner de gala sous les 
lustres du palais d'Orient a Madrid, un week-end de 
chasse, un dejeuner a Saint- Jacques-de-Compostelle et 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 127 

un diner intime a la Zarzuela, la grande maison de bri- 
que rose des souverains espagnols. Autres princes par- 
ticulierement apprecies du couple presidentiel : le roi 
Hussein et la reine Nour de Jordanie. 

La premiere dame de France fit seule un voyage a 
Rome qui 1'impressionna fortement : ce fut pour 1'ave- 
nement du nouveau pape Jean-Paul I er . Quatre-vingt- 
dix-huit nations et dix organisations internationales 
avaient delegue leurs representants. Outre Mme Gis- 
card d'Estaing, la delegation fran^aise comprenait Ray- 
mond Barre et son epouse, Alain Peyrefitte, Jean Guit- 
ton et 1'ambassadeur de France aupres du Saint-Siege. 

C'etait un spectacle fascinant, inoubliable, se 
souvient-elle. 

Anne-Aymone y salua Grace et Rainier de Monaco, 
Juan Carlos et Sophie d'Espagne, Baudouin et Fabiola 
de Belgique, etc. 

Malheureusement, j'etais au Zaire au moment 
de la ceremonie organisee pour 1'avenement de 
Jean-Paul II. 

L'interet fut moins grand dans d'autres voyages. Lors 
du sommet f ranco-ainericain aux Antilles, ni Betty Ford 
souff rante, ni Nancy Kissinger n'avaient accompagne 
leurs maris. Anne-Aymone meubla son temps en visi- 
tant ecoles, maternites et hopitaux, expliquant aux 
journalistes : 

J'accompagne mon mari aux Antilles, mais nous 
n'avons pas de programme commun. 

L'une des rares fois ou les Giscard d'Estaing se trou- 
verent cote a cote, ce fut pour faire a Timproviste un 
pelerinage au domaine de La Pagerie, ou naquit Timpe- 
ratrice Josephine. 

Certains voyages dans les pays arabes prolongerent 
la separation du couple presidentiel : 

Le protocole dans ces pays impose certaines situa- 
tions curieuses. Dans les emirats de Qatar et Dubai', 
nous sommes restees entre femmes. Les diners officiels 
se passaient avec les hommes d'un cote et les femmes 



128 LES DAMES DE L'ELYSEE 

de 1'autre. Dans I'emirat de Bahrein, j'ai pu assister au 
diner officiel, mais j'etais la seule femme. 

La premiere grande reception of f icielle du septennat 
fut donnee en 1'honneur de 1'empereur et de 1'impera- 
trice dlran. On ne put faire moins que de requisition- 
ner le chateau de Versailles. Premiere fete du septen- 
nat, elle frappa 1'imagination des teinoins. Le defile des 
invites fran?ais et iraniens devant les deux couples 
imperial et presidentiel, dans 1'antichambre de la reine, 
eut inspire Lulli. Anne-Aymone, royalissime, portait le 
cordon de grand-croix de 1'ordre de Haft-Peykar sur une 
robe longue congue par Jean-Louis Scherrer, entiere- 
rnent brodee de perles et de pierres blanches, avec de 
longs gants blancs. En fait, la robe avait du etre lege- 
rement modifiee au dernier essayage : il avait fallu sup- 
primer une ceinture nouee autour des hanches qui 
n'allait pas avec le ruban de la decoration iranienne 
qu'elle devait recevoir. Trois des quatre enfants Gis- 
card d'Estaing etaient presents : Henri en habit, 
Valerie-Anne en robe Chanel (avec une coiffure roman- 
tique ornee de deux camelias, signee Alexandre) et 
Jacinte. Leur mere, lors de la presentation des invites, 
se refusa au faux-semblant protocolaire de leur serrer 
la main comme a toutes les personnalites et pref era leur 
faire signe de passer avec un sourire complice, accom- 
pagne d'un geste de la main. Soiree de ballets dans le 
theatre-ecrin de Gabriel suivi d'un diner dans la gale- 
rie des Glaces : cent soixante couverts en vermeil que 
des candelabres geants faisaient etinceler. A chaque 
changement d'assiette, Anne-Aymone et les invites 
s'amusaient a les retourner par curiosite, pour y dece- 
ler la date et Porigine. Menu : plateaux de foie gras des 
Landes, ris de veau aux morilles, caneton Montmo- 
rency, pommes dauphine, coeurs de laitues et fraises 
des bois glacees Trianon (le president n'aimait pas que 
Ton serve du fromage dans les diners officiels !). Un 
extraordinaire feu d'artifice clotura la soiree. 

Mme Giscard d'Estaing sut toujours se mettre au dia- 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 129 

pason pour recevoir les hotes de la France. Recevant 
le cheikh Issa Ben Salmane Al Khalifa, elle s'habilla a 
1'orientale : un bolero brode par Dior et un pantalon 
de houri en mousseline bleue qui la faisait ressembler 
a une odalisque. 

Pour la venue de la reine d'Angleterre en 1978, le pro- 
tocole fut allege. Samba, le labrador offert par la sou- 
veraine a VGE, fut meme autorise a venir saluer Sa 
Majeste. Cinquante invites (dont Simone Veil, Alain Pey- 
refitte, Jean Rochefort, Xenakis et Marc Bohan) parti- 
ciperent au diner elyseen. La reine parla evidemment 
course avec Karim Aga Khan et regut simplement sur 
un canape, aupres d'un feu de bois, les invites que le 
president et madame lui presentaient. Avec la reine 
Elisabeth, Anne-Aymone parla mode, chevaux et 
chiens : 

La reine m'enchanta par son naturel et par son 
sens de 1'humour. 

La presidente escorta Sa Majeste dans un periple pro- 
vincial : Chambord, Chenonceaux, Sully, Beaune, Epois- 
ses et Vezelay. Pour une f ois, Elisabeth fit une entorse 
a son habituel regime et avala foie gras et magret de 
canard accompagnes de Chateau-Yquem 1970, Volnay 
1969 et de champagne. 

Pendant le sommet international de Rambouillet, a 
Pautomne 1974 (premiere reunion du genre) Anne- 
Aymone joua egalement les hotesses, surveillant la 
decoration florale du chateau (bouquets de roses de tou- 
tes les couleurs, d'oeillets, d'anthuriums et de fouge- 
res de la foret), approuvant le choix d'un service de 
Sevres bleu de France borde d'or, veillant a ce que cha- 
que cheminee ait sa provision de fagots et de buches, 
encourageant de ses conseils Marcel Le Servod et ses 
quatre marmitons. Le dimanche 16 novembre, lors de 
la messe en Teglise du XII e siecle de Poigny-la-Foret, 
elle se decouvrit la seule femme dans Tassistance. Aldo 
Moro, Harold Wilson, Helmut Schmidt, Gerald Ford, 
Ta Keo Miki et le president 1'entouraient. Seuls du 



130 LES DAMES DE L'ELYSEE 

groupe, Aldo Moro et Anne-Aymone communierent. 
Apres 1'eucharistie, le pretre invita son auditoire au 
rituel : Dans la charite du Christ, nous pouvons nous 
donner un geste de paix. Le president de la Republi- 
que se pencha alors vers sa femme et 1'embrassa. Le 
president Gerald Ford (non catholique) fut quelque peu 
surpris, ne comprenant pas le sens de cette effusion, 
d'autant qu'apres, Mme Giscard d'Estaing lui tendit la 
main qu'il prit en souriant... Anne-Aymone fut egale- 
ment la seule femme presente aux repas durant ce 
week-end de dur labeur politique. 

Mais elle ne fut pas toujours le seul membre de la 
famille au service des hotes de la France. Lorsque le 
tres jeune fils du roi Hassan II du Maroc, Sidi Moha- 
med, passa des vacances a Paris en compagnie de ses 
trois petites soeurs, ce fut Jacinte, sa fille cadette, qui 
le regut en personne et lui fit visiter les salons et les 
jardins de l'lysee avant d'offrir un gouter. 

Dans toutes ses activites, la presidente a joue la carte 
de 1'elegance. Dior, Chanel, Gres et Courreges Tont 
habillee mais Jean-Louis Scherrer est celui dont le nom 
reste associe aux annees Giscard d'Estaing. 

Jean-Louis Scherrer est marie a Tune de mes amies 
d'enfance, ce qui fait que j'ai suivi sa carriere depuis 
le debut. J'aime beaucoup ce qu'il fait. D'une certaine 
maniere, son style a pu etre influence par le fait qu'il 
m'habille. II a done fait certaines creations en fonction 
de ma personnalite. Nous nous entendons toujours tres 
bien. Les essayages ont toujours eu lieu chez les cou- 
turiers, jamais a Tfilysee. 

Yves Saint-Laurent fut par contre boude ce qu'expli- 
que Anne-Aymone en disant : 

Je n'aime pas ce que fait Saint-Laurent. Cela ne 
me va pas, done je ne m'habille pas chez lui. 

Si sa taille de mannequin f acilita le travail de ses cou- 
turiers, ses cheveux tres fins et delicats furent toujours 
confies a la meme personne : 

C'est une jeune fernme qui a travaille successive- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 131 

ment chez Carita, Claude Maxime et Lucia Saint-Clair. 
Je 1'ai suivie dans ses differents avatars. 

Mme Giscard d'Estaing se rendit longtemps dans le 
celebre salon des sceurs Carita, installe dans les locaux 
qu'occupa jadis le perruquier de la reine Marie- 
Antoinette, Faubourg-Saint-Honore. Tout comme son 
mari, Anne-Aymone eut longtemps recours aux soins 
capillaires de Marchino, 8 bis, avenue Percier, sous 1'oeil 
attentif de Madame Yvonne (qui veilla a ne jamais faire 
payer a la femme du ministre des Finances le tarif 
exact !). La coiffeuse fut de tous les deplacements offi- 
ciels a partir de 1975. 

C'est dans ses modeles haute couture les plus sim- 
ples que Mme Giscard d'Estaing alia diner chez quel- 
ques Frangais meritants. Parmi les initiatives du pre- 
sident, 1'idee d'aller diner en ville chez des Francjais 
moyens fut de celles qui ont le plus surpris. Anne- 
Aymone semble en garder un bon souvenir : 

C'etait tres sympathique. Au depart, les gens 
etaient toujours un peu petrifies, puis la famille se dege- 
lait. Nous sommes d'ailleurs restes en relation avec un 
certain nombre de personnes. 

De ses deplacements en province, elle dresse un 
tableau idyllique : 

J'ai toujours eu 1'impression que les gens avaient 
de 1'affection pour moi. Beaucoup m'appelaient par 
mon prenom. En province, j'ai ete re^ue avec beaucoup 
de gentillesse partout. De temps en temps, la CGT 
essayait d'organiser une manifestation. II y avait trois 
malheureux qui s'egosillaient. 

Mme Giscard d'Estaing, contrairement a Mme Pom- 
pidou, n'eut pas a subir de contraintes pour sa secu- 
rite. Rue de Benouville, deux agents stationnaient 
devant la porte et un a Tinterieur pour filtrer les visi- 
teurs. La presidente parvint a vivre son septennat avec 
un minimum de surveillance. 

Quand je sortais avec mon chauffeur dans Paris, 
precise-t-elle, je n'ai jamais eu de garde du corps. Je 



132 LES DAMES DE L'ELYSEE 

pouvais d'ailleurs prendre ma voiture et partir a la cam- 
pagne sans surveillance particuliere. Lorsque je sortais 
dans mon quartier, que j'habite depuis trente ans, les 
gens me reconnaissaient mais ne disaient rien, ils me 
respectaient. Evidemment faire des courses Faubourg- 
Saint-Honore provoquait plus de reactions, 1'Elysee 
etant proche. Mais j'allais aussi regulierement dans les 
grands magasins, Lorsque je faisais mon shopping au 
BHV, personne ne me reconnaissait, personne ne pou- 
vait imaginer que j'aille faire des achats au BHV ; seu- 
les les vendeuses faisaient semblant de ne pas me recon- 
naitre, comme si j'etais une cliente normale puis, lors- 
que je payais, signalaient qu'elles me reconnaissaient. 
Sinon, c'etait 1'anonymat total. 

Nul besoin d'avoir une horde de chiens pour se pro- 
teger. Ils ont pourtant ete bien presents sur tous les 
cliches du septennat. Les labradors Samba, Real et 
Jerry ont ete les plus photogeniques. Les chiens de 
chasse Justine et Candy ont bien tenu leurs roles mais 
les chiens de la presidente n'ont pas demerite : ne regut- 
elle pas une medaille d'or pour sa chienne braque, lau- 
reate de concours canin d'Authon ? Cependant la 
chienne preferee eut moins les honneurs du vedetta- 
riat : un cocker baptise Bambou. 

Les journalistes n'ont jamais reussi a reconnaitre 
exactement nos chiens ni a donner leurs noms exacts. 
II en a ete de merne pour nos enfants : nous n'avons que 
quatre enfants, ce qui n'est tout de meme pas surhu- 
main. Ils n'ont jamais reussi a savoir correctement nom 
et age de chacun... 

En 1974, Valerie-Anne a vingt et un ans, Henri (celui 
qui ressemble le plus son pere) va bientot devenir 
majeur, Louis Joachim a seize ans, et Jacinte (qui res- 
semble le plus a sa mere) tout juste quatorze ans. Les 
enfants d'un president de la Republique n'ont evidem- 
ment aucun role off iciel mais Valery Giscard d'Estaing, 
a la fois fascine par Paspect seducteur d'un clan fami- 
lial a la Kennedy et decide a depoussierer 1'institution 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 133 

presidentielle joua de la presence de ses enf ants comme 
un atout electoral. Ce que tente d'expliquer son epouse : 

II faut a mon mari la stabilite d'un foyer et une 
atmosphere familiale. C'est quelqu'un qui a grand 
besoin de chaleur, d'affection et c'est ce qu'il trouve 
a la maison avec ses enfants. II les aime enorrnement. 

Anne-Aymone pourtant sembla parfois repugner a 
exposer ses enfants sous les projecteurs : 

Pour les enfants, cela a parfois ete une situation 
difficile que d'avoir un pere president de la Republi- 
que. Notre derniere fille avait quatorze ans au moment 
de l'election, c'est dur pour une fille de cet age-la : on 
a plutot 1'envie d'etre comme tout le monde. 

Valerie- Anne (nee le l er novembre 1953) est celle qui 
gouta le plus au vedettariat, allant rneme jusqu'a ani- 
rner une emission culinaire sur TF1 sous le pseudonyme 
de Valerianne Letoile et a cosigner plusieurs ouvrages 
de cuisine (avec Pierre Bonte aux editions N 1). En troi- 
sieme annee de Sciences Po au moment de l'election 
de son pere, elle participe activement a la campagne 
electorate et se retrouve bientot parmi les elues du 
Tout-Paris. Coiffee chez Carita entre Catherine Deneuve 
et Sylvie Vartan, elle orne de son beau sourire bien des 
soirees officielles et, telle une altesse royale, ne man- 
que aucune des receptions de 1'filysee ou elle vole par- 
fois la vedette a sa mere. Valerie-Anne epouse a Palerme 
Gerard Montassier, divorce, secretaire general de 
1'audiovisuel et membre du Comite economique et 
social du Poitou-Charentes (un grand-pere marechal- 
ferrant et une grand-mere epiciere), un mariage qui 
n'enthousiasme sans doute pas les parents et qui n'est 
pas dans la ligne des alliances habituelles des Giscard. 
Valerie-Anne se resigne a vivre en Charentes une par- 
tie de la semaine : a Touzac, village de six cents habi- 
tants, Gerard Montassier briguant le siege de conseil- 
ler general a Segonzac. Promu plus tard au ministere 
de la Culture, 1'epoux disparaitra des medias (si ce n'est 
en coecrivant un livre de politique-f iction avec Florence 



134 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Mothe) car le couple se separe. Apres un passage dans 
une maison d'edition du groupe Hachette, la f ille ainee 
de VGE s'eprend d'un brillant editeur parisien dont elle 
partage discretement la vie. Elle fonde a 1'automne 1986 
sa propre maison d'edition. 

Avec Henri (ne en 1956), la politique est devenue une 
affaire de famille, Mme Giscard d'Estaing reconnais- 
sant que Henri, depuis son jeune age, s'interesse a la 
politique. C'est veritablement en lui une passion qu'il 
manifestait deja a dix ans . De quoi donner des com- 
plexes aux enfants Kennedy ou au prince Charles ! 
Henri a d'abord anime avec Hugues Dewavrin le mou- 
vement des jeunes giscardiens, Autrement, cree en 1977. 
En fevrier 1979, il est elu conseiller general a Marche- 
noir (Loir-et-Cher), proche du manoir familial d'Authon. 
Le journal Loir-et-Cher Hebdo qu'il lan?a a fini en gouf- 
f re financier. (Un detail a toujours surpris : ses cheques 
sont libelles Henri d'Estaing). Un moment fiance par 
une certaine presse a Caroline de Monaco (il assista a 
son manage), il s'est finalement marie a une jeune femme 
blonde, hollandaise, prenommee Ina, responsable des 
relations publiques d'un important groupe de presse, 
dont il a eu un fils Frederic au cours de Pete 1986. 

Louis Joachim (ne le 20 octobre 1958) est, de tous les 
enfants, celui dont on a le moins parle. Sans doute est- 
ce le plus timide, le plus efface. Au moment de 1'elec- 
tion, il est encore en premiere (section B economic) et 
tout comme son frere aine, terminera une licence de 
sciences economiques. Il est passionne par les courses 
et les chevaux. 

Jacinte (nee en septembre 1960 a Paris comme ses 
freres et soeur) est, quant a elle, eleve en troisieme 
quand son pere est elu. Avec sa photo en compagnie de 
son pere sur 1'aff iche electorale placardee sur tous les 
murs de France et de Navarre, elle perd son anonymat 
tranquille. De Jacinte, on connait le penchant pour les 
chevaux et les animaux en general. C'est a sa mere 
qu'elle le doit : 



LES DAMES DE NOTRE POQUE 135 

J'ai beaucoup monte a cheval, avoue 
Anne-Aymone. 

Jacinte participera meme en 1979 a Fontainebleau 
aux championnats de France de concours hippique sur 
Cabarras. Malgre les encouragements de Pierre Jonque- 
res d'Oriola ( Elle en veut drolement la petite Jacinte, 
elle est energique et sait prendre des risques ), elle ne 
sera pas classee en finale. N'est pas princesse Anne qui 
veut ! Jacinte se consolera avec son diplome de veteri- 
naire et son mariage avec Philippe Guibout, un archi- 
tecte de vingt-neuf ans. La ceremonie est celebree le 
7 avril 1979 a Authon. Jacinte porte une robe de mariee 
signee Jean-Louis Scherrer. A la mairie, Anne-Ayrnone, 
a qui 1'ernploye d'etat civil demandait quelle profession 
il convenait d'attribuer au pere de la mariee, se singu- 
larisa en repondant : Inspecteur des Finances. Presi- 
dent de la Republique n'est pas une profession. 
Jacinte anime aujourd'hui une societe d'accessoires de 
luxe pour animaux. 

Interrogee en 1980 par la revue Gaceta Ilustrada 
(interview qui fit quelque bruit), Anne-Aymone avoua 
trouver lourdes les contraintes de la fonction presiden- 
tielle et se declara peu enthousiasmee a Tidee d'un 
deuxieme septennat de son mari. 

Ainsi declara-t-elle a un journal espagnol : Personnel- 
lement, le president et moi-meme eprouvons souvent 
Tenvie de nous reposer et d'abandonner cette charge 
si lourde pour lui... Le lendemain la presse mondiale 
se demandait si Giscard n'allait pas tout lacher. 

Ses voeux furent, d'une certaine maniere, exauces en 
1981. On serait tente alors de reproduire les propos 
d'un billettiste du debut du siecle adresses a la femme 
d'un ministre apres la defaite de son mari : Vous vous 
complaisiez en ce gentil role d'Altesse republicaine ou 
vous avait installee le hasard d'un scrutin. Vous en aviez 
deja Thabitude et le pli. Et voila qu'il faut s'en aller. 
Que de contretemps ! Diners a decommander, toilettes 
devenues inutiles, jolis projets evanouis de voyages 



136 LES DAMES DE L'ELYSEE 

qu'on ne fera point, de fetes qu'on ne presidera pas ; 
visions de corteges ou Ton ne figurera plus ; et puis le 
menage en desarroi, et, parmi tant de tracas, certains 
sourires entrevus, sourires d'amies qui guettaient cette 
journee-ci et dont il faudra subir, en ayant 1'air d'y 
croire, les condoleances affectueuses... La politique est 
une affreuse chose, decidement. 

En fait, passe le coup de la defaite electorate de son 
mari, Anne-Aymone a abandonne les responsabilites de 
premiere dame de France, non sans soulagement : 

II est vrai qu'egoistement, j'ai ressenti un soula- 
gement relatif. L'impression de retrouver une plus 
grande liberte, une vie plus normale. Le sentiment ega- 
lement d'etre dechargee de 1'obligation morale de tout. 

Et Anne-Aymone d'expliquer : 

Quand vous etes a 1'Elysee, tout ce qui va mal, on 
vous Pattribue. Avec les resultats des elections de 1981, 
nous etions decharges de ce poids moral ! 

Le sourire un peu coupable, Tex-presidente conclut 
avec franchise : 

Le poids des obligations officielles, c'est vraiment 
quelque chose de lourd. Certaines activites ne sont pas 
tres droles tous les jours. L'idee de refaire la meme 
chose pendant encore sept ans, c'est eprouvant. Quand 
je pense aux malheureuses souveraines, en Angleterre, 
aux Pays-Bas ou au Danemark qui ont cela a vie, je ne 
les envie pas... 



Danielle Mitterrand 



Le moins que Ton puisse dire d'elle est qu'on la con- 
nait peu, sinon mal. II y a d'ailleurs quelque chose 
d'enigmatique en elle, comrne si elle portait un mas- 
que de sphinx. La legende raconte que le sphinx devo- 
rait ceux qui ne parvenaient pas a resoudre son enigme. 
Danielle Mitterrand a bien preserve ses secrets. Et si 
elle devore ceux qui ont vainement cherche a les per- 
cer, sans doute le fait-elle dans le petit cercle des 
familiers. 

On se dit qu'un expert en morphologie doit pouvoir 
aisement interpreter la signification de son anguleux 
visage un peu bute, a pommettes hautes, vaguement 
asiatique, de son regard ou passe quelque chose 
d'inquiet et de defensif . Consulte, ledit expert semble 
avoir pris plaisir a dissequer orbites, bosses, lignes, 
rides, espace labio-nasal, levres et tutti quanti... Voici 
done 1' analyse morpho-psychologique de Danielle Mit- 
terrand, etonnamment juste, aux dires d'un proche : Un 
visage qui d'emblee off re la caracteristique d'une per- 
sonnalite contrastee et d'une forte individualite. II y a 
chez cette femme un contraste permanent de forces 
contraires, antagonistes, qui se bousculent. Elle jouit 
ainsi d'un dynamisme propre assez saisissant par son 
intensite qui la pousse a agir et a realiser ce qu'elle 
entreprend, mais dans le meme temps un tres fort 



138 LES DAMES DE L'ELYSEE 

retrait en elle-meme, une forte interiorisation, une sorte 
de mefiance meme vis-a-vis des elements exterieurs lui 
font analyser ses impulsions et les lui font controler. 
Ce qui fait que finalement toute action chez elle est 
reflechie. 

Elle sait etre aimable, ouverte aux autres mais 
attention, elle Test quand elle le veut bien. Car si elle 
decide que tel ou tel milieu ne lui convient pas, elle ne 
se laissera pas influencer et agira en consequence. Elle 
se tiendra sur ses gardes et sur sa reserve. II en est de 
meme de ses relations sentimentales et amicales. On 
ne s'impose pas a elle, c'est elle qui choisit, qui accepte 
ou refuse. Par contre, lorsqu'elle aime, c'est d'un amour 
genereux, ardent. 

Son visage traduit une personnalite plus orientee 
vers des echanges ou des acquisitions de type sentimen- 
tal, vers une vie intellectuelle active, plutot que mate- 
rialiste. Pas d'aprete au gain, bien qu'elle ne dedaigne 
pas cet aspect. Un grand besoin affectif, un besoin de 
plaire, une certaine coquetterie. 

En resume, c'est une nature passionnee toute en 
impulsions severement controlees, mais d'un dyna- 
misme intellectuel tres prononce et qui est dote d'un 
elan interieur intense. 

Cette analyse correspond-elle ? On peut repondre par 
Faffirmative apres qu'on a entendu Danielle Mitterrand 
(d'une voix neutre, qui manque de feu , pour une spe- 
cialiste de la voix) dire : 

Je suis tres obstinee, je vais toujours au bout d'une 
idee [...] Je n'accepte jamais de me trouver devant des 
situations que je ne comprends pas [...] Savoir donner 
une telle force ! Encore faut-il toujours douter... le 
savoir sans le doute n'est pas le savoir [...] J'aime les 
gens volontaires qui savent ce qu'ils veulent et qui le 
disent. La volonte, il en faut enormement. Tous les 
jours ! 

Nee le 29 octobre 1924, Danielle Mitterrand est, 
comme son mari, Scorpion, mais ascendant Vierge (le 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 139 

signe de la Vierge peut expliquer son attitude reservee 
et tranquille). Lors de sa naissance, le Soleil et la Lime 
etaient en Scorpion. D'ou son caractere passionne, inde- 
pendant, cherchant a sauvegarder son autonomie et a 
proteger son mystere. D'ou sa tendance a affirmer et 
imposer sa volonte. Scorpion 1'occulte, le mystere et 
la psychologic 1'attirent. Elle s'implique reellement 
dans tout ce qu'elle entreprend et engage ses forces 
dans 1'action. Dans son theme astral, la position de Mer- 
cure revelerait une grande activite mentale et une intel- 
ligence pratique developpee. Le carre entre Venus et 
Jupiter indiquerait qu'elle ne fait pas volontiers de con- 
cessions. La conjunction entre le Soleil et Saturne signi- 
fierait que chaque experience est pour elle riche d'ensei- 
gnements et que sa maturite a ete precoce. Le sextile 
entre le Soleil et son ascendant serait le propre d'une 
personne qui a de Phumour. En aura-t-elle en lisant ce 
bref portrait astrologique ? 
Elle s'est toujours vantee d'en avoir : 

L'humour, c'est magique ! II faut savoir se voir 
avec humour. D'ailleurs, c'est la garantie de pouvoir 
rester soi-meme. C'est un comportement, un art de 
vivre... 

La fantaisie est-eile proche de son caractere ? 

J'ai toujours eu 1'envie de vivre gaiement. Je ne 
m'ennuie jamais. Ou que j'aille, je trouve de 1'interet. 
Je suis passionnee par 1'inattendu. Meme dans les cir- 
constances les plus convenues, je vois souvent un detail 
imprevu qui donne a une situation toute sa saveur. 

Toutefois, si, jusqu'a ses vingt ans, sa vie n'a pas man- 
que d'imprevus, la fantaisie en fut quelque peu 
absente... 

Elle nait done le 29 octobre 1924 a Verdun dans une 
f amille bourguignonne, d'une mere enseignante et pere 
directeur d'ecole, militant laic et venerable dans la 
maeonnerie. Cote maternel, on est greffe sur les Fla- 
chot. Lignee de transporteurs : les diligences et malles- 
poste sont devenues wagons de fret. Cote paternel : on 



140 LES DAMES DE L'ELYSEE 

fait du commerce. En fait, les grands-parents ont une 
boutique de parapluies a Cluny. Antoine Gouze, jeune 
instituteur, epouse Renee, institutrice debutante. Et le 
couple part enseigner dans le Jura. Comme ecrira le 
premier enfant du couple, Roger : tre la'ic et athee 
etait chez eux un principe. L'ecole devait etre publique, 
laique et obligatoire... Nous pensions qu'aussi long- 
temps qu'il y aurait deux ecoles, done deux cultures, 
il y aurait deux classes dont Tune opprimerait 1'autre. 
Selon nous, les ecoles privees s'adressaient a des 
enf ants anormaux, soit par la pretendue superiorite de 
leur caste, soit par Tevidente inferiorite de leurs 
moyens intellectuels. 

U oppression va done inarquer la petite Danielle. Car 
si on 1'en croit, elle a presque ete martyrisee par les 
catholiques (elle a d'ailleurs ete baptisee, mais aucune 
education religieuse n'a suivi). Si les premieres annees 
s'ecoulent paisiblement, avec, pour unique terrain de 
jeux, la cour de 1'ecole de son pere (et sa soeur ainee 
Christine pour la surveiller), la nomination d'Antoine 
Gouze comme principal du college de gargons de Dinan 
va modifier la vie de la fillette. Car I'etablissement pour 
filles de la ville, officiellement laic, est dirige par une 
madame Mac-Miche, verrouillee dans sa foi , qui va 
faire payer cher a la petite fille modele les sentiments 
mecreants de son pere. Les malheurs de Danielle sont 
simples : puisqu'elle ne sait pas reciter son benedicite, 
on la prive de dejeuner au rfectoire ! On 1'accuse bien- 
tot de tous les mefaits de la classe. Alors qu'elle est une 
excellente eleve, on lui refuse le tableau d'honneur (et 
les bonbons a la framboise qui vont avec). Furieuse et 
desireuse de reparer une si grande injustice, elle va elle- 
meme se servir dans le bocal a confiseries. Mini- 
scandale ! Mais certaines brimades plus vicieuses per- 
turbent vite Penfant. Elle en perd la sante. Les parents 
Gouze la r6cuperent et en font la seule fille du college 
de gar^ons. L'annee 1936 est celle du demenagement 
a Villefranche. Danielle se retrouve pensionnaire a 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 141 

Lyon. La lyceenne de douze ans est degoutee de 1'inter- 
nat. De plus, les brimades continuent. Son professeur 
de latin, evidernment antilai'c, prend un malin plaisir 
a lui mettre systematiquement des mauvaises notes. 
Comme 1'ecrivent les biographes officiels de Danielle 
Mitterrand : la vie s'acharne... L'adolescente fait 
alors une veritable depression nerveuse. Le clan fami- 
lial s'emeut. A la rentree, papa Gouze integre sa fille 
dans son etablissement scolaire. Elle voit enfin la vie 
en rose... 

Un peu plus tard, les annees vont devenir sombres. 
La guerre est la, avec ses epreuves. Les autorites de 
Vichy exigent des proviseurs qu'ils dressent la liste des 
enseignants et eleves juifs. M. Gouze refuse d'accom- 
plir cette vilaine besogne . II est revoque. On quitte 
done Villefranche et Ton s'installe dans la maison de 
vacances de Cluny ou il donne des cours particuliers. 
Demeure typique du Maconnais, meubles 1930, allure 
kitsch, petit jardin... de cure. Danielle, apres une annee 
scolaire a Annecy (ou vit son parrain) echoue a son bac. 
A la rentree d'octobre 1941, alors qu'elle va feter ses 
dix-sept ans, elle decide de rester dans sa famille et de 
profiter des legons a domicile de son pere. Grace a cela, 
elle va reussir la premiere partie du bac et entreprend 
sa philo. C'est a ce moment-la qu'Antoine Gouze se lie 
avec la Resistance. II accueille des agents de liaison que 
la famille heberge au premier etage de la maison. 
Danielle va y croiser Berty Albrecht, dont la figure 
compte tant pour elle. Son action avant la guerre pour 
1'emancipation feminine tout autant que son role au 
sein du reseau Combat la touchent. Arretee par la Ges- 
tapo, elle est decapitee le 28 mai 1943. Elle est la seule 
femme a reposer dans la crypte du mont Valerien. 
Danielle Mitterrand reunit dans une meme admiration 
la figure de Berty Albrecht et celle de Winnie Mandela, 
la femme du leader communiste de FANC en Afrique 
du Sud (dont elle a preface Pedition fran^aise des 
Memoires). Cela a irrite un jour au plus haut point le 



142 LES DAMES DE L'ELYSEE 

propre fils de Berty Albrecht qui lui a ecrit : Le res- 
pect que vous avez toujours temoigne a la memoire de 
ma mere est sincere, j'en suis star. Mais il est inadmis- 
sible que vos elans politiques vous aveuglent au point 
de joindre dans une meme admiration ma mere qui a 
donne sa vie en se battant contre des soldats, centre 
une armee, contre des envahisseurs et la revolution- 
naire Winnie Mandela qui, sous pretexte de lutter con- 
tre 1'apartheid, preconise les procedes les plus barba- 
res pour ouvrir la voie a une dictature sovieto- 
communiste,.. Autrement dit, Berty Albrecht se bat- 
tait en temps de guerre pour la liberte. Winnie Man- 
dela se bat en temps de paix pour le totalitarisme. 

L'arrestation de Berty Albrecht provoque une des- 
cente de la Gestapo dans la maison des Gouze. Heureu- 
sement la famille a un alibi tout pret et credible : ils 
n'hebergent que des locataires car le chef de famille, 
revoque par Vichy, n'a plus de salaire. Leur ange gar- 
dien sembie etre encore avec eux lorsqu'ils echappent 
miraculeusement a une rafle, en fevrier 1944. 

En ce printemps 1944 se place une scene plus sou- 
riante. Elle a pour cadre, dans la rue Campagne- 
Prerniere a Paris, un modeste appartement du 
XIV e arrondissement qu'habite la soeur de Danielle, 
Christine {elle est montee a Paris pour etudier le chant 
et la comedie). En fait celle-ci, fonctionnaire de TOffice 
du cinema, brule de se rendre utile a la Resistance. Elle 
sert bientot de bolte a lettres au nouveau MNPDG (Mou- 
vement national des prisonniers de guerre). Done, en 
cette journee de mars 1944, plusieurs personnes du 
mouvement conversent avec elle, dont Frangois Mitter- 
rand age de vingt-sept ans. 

II est tombe amoureux d'une photo, raconte Chris- 
tine Gouze-RenaL Je 1'avais posee sur le piano de mon 
appartement parisien. 

Francois Mitterrand, bel homnie, la bouche large et 
lippue, les yeux de velours animes d'une lueur, 
s'enquiert : 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 143 

Qui est-ce ? 

Ma soeur. 

La replique de Mitterrand est du Giraudoux : 

Elle est ravissante. Je Pepouse. 
Boutade ? Pretention donjuanesque ? 
Et Christine de conclure : 

Au debut de Pete, je suis allee chercher Danielle 
pour qu'elle vienne passer quelques jours a Paris. Je 
lui ai presente Francois. Mais lorsqu'elle Pa apergu avec 
ses fausses moustaches et son chapeau mou, elle Pa 
trouve laid. Cela n'a pas dure longtemps. Comme il etait 
menace, nous Pavons cache pres de la maison de nos 
parents a Cluny. C'est ma soeur qui venait le ravitail- 
ler... Un mois apres la Liberation, en octobre 1944, le 
jour des vingt ans de Danielle, ils se sont maries. 

La rencontre historique a lieu dans un restaurant 
du boulevard Saint-Germain, chez Beulemans. Danielle 
porte son eternelle jupe plissee. Les deux soeurs arri- 
vent un peu en avance, comme deux collegiennes 
anxieuses. Enfin, il entre. La demarche feline, le men- 
ton haut, le buste trop long pour des jainbes trop cour- 
tes. La premiere impression est de syinpathie... et de 
deception. 

Francois faisait Americain du Sud, dira-t-elle un 
jour en evoquant son grand chapeau, sa moustache. 

Un compagnon de Resistance parlera meme de son 
physique de danseur de tango . Pourtant la valse- 
hesitation de Danielle est courte. Elle 1'explique de 
fa?on tres feminine : 

J'ai senti que c'etait un etre exceptionnel, instinc- 
tivement, sans trop savoir pourquoi. II s'est employe 
a me plaire... et il y est arrive. Tout ensuite est alle tres 
vite. J'ai arrete mes etudes le jour du bac. J'ai du aban- 
donner les epreuves en plein examen, les choses pour 
notre famille se gataient. Nous devions nous cacher... 

Le 10 juin 1944, Danielle entre dans la clandestinite. 
Engagement total avec les maquisards de la region de 
Cluny. Embuscades, convois a f aire sauter, fusillades, 



144 LES DAMES DE L'ELYSEE 

ennemis a harceler... C'est bientot la liberation de Paris, 
puis celle de Dijon. Le temps des retrouvailles entre 
Danielle et Francois qui a raye de ses pensees une cer- 
taine Catherine Langeais, ravissante jeune fille que, 
jusqu'alors, il songeait a epouser. 

Et le samedi 28 octobre 1944, c'est le mariage sous 
la voute flamboyante de Teglise Saint-Severin a Paris. 

Tous nos amis etaient presents. Enfin, ceux qui 
restaient. 

La mariee est en robe blanche et le marie en habit. 

Pour Francois et rnoi, ce mariage etait le debut 
d'une nouvelle vie : la Liberation. Nous eprouvions un 
grand enthousiasme. 

De nombreux proches ne font pas mystere des dis- 
sensions du couple Francois-Danielle Mitterrand. Leurs 
relations ont-elles etc a 1'image des toits, du chevet et 
des facades laterales de Saint-Severin : en dents de 
scie ? Certes, partager la vie d'un homme politique de 
premier plan n'a rien de rejouissant. Florence Mothe 
fait joliment remarquer que de tous les electeurs a qui 
un homme politique fait prendre des vessies pour des 
lanternes, le plus trompe, incontestablement et a tous 
les sens du mot, est encore sa femme. Avec un mari 
astreint aux visites dans sa circonscription, aux ban- 
quets, aux voyages officiels, on epouse une ombre. 
Christine Clerc l'a remarque : 

Ce que je reproche aux hommes politiques, c'est 
un manque total de courtoisie envers leur femme... 

Faut-il preciser que le pouvoir attire les femmes, 
qu'un homme politique est par consequent tres expose ? 

Danielle a-t-elle bien supporte cette vie ? Roger 
Gouze, son f rere, n'a pas craint d'ecrire dans son livre 
les Miroirs paralleles : J'ignore pourquoi la vie publi- 
que fait rarement bon menage avec la vie privee. Je me 
suis assez vite demande comment ma plus jeune soeur, 
dont je devinais le caractere un peu farouche, fille de 
la nature plus que de la ville, s'accommodait d'une exis- 
tence aussi decousue. L'amour unit des etres dissem- 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 145 

blables. C'est la source de beaucoup d'orages et 
d'immenses joies. Seule la difficulte enrichit : "Ce qui 
se fait facilement se fait avec nous", dit Valery. J'eus 
Timpression que, dans leur cas, rien ne se ferait sans 
eux... Ou reside la perfection d'un couple ? Dans la sere- 
nite partagee et prolongee ou dans les orages d'une pas- 
sion qui ne sait ni unir ni separer ? 
Danielle Mitterrand en a elle-meme convenu : 

Nous avons eu notre lot de problemes... Mais notre 
entente nous a permis de les assumer et de les depasser. 

II est de notoriete publique que les necessites politi- 
ques ont favorise le depassernent des problemes . 
Leurs enfants contribuent evidemment a les rappro- 
cher. La premiere naissance est traumatisante : 

Notre premier chagrin, la naissance de notre fils 
Pascal. Nous 1'avons perdu a 1'age de trois mois, notre 
premier bebe. 

Cette mort etait due au lait f relate de la maternite. 
On imagine la douleur des parents. Heureusement la 
naissance de Jean-Christophe en 1947 et celle de Gil- 
bert en 1949 vont combler le couple. 

Entoure de sa tribu (la famille et ses amis) II a 
toujours aime etre entoure de sa tribu Frangois 
Mitterrand va escalader les allees du pouvoir, A gran- 
des enjambees d'abord puisqu'il est ministre a trente 
et un ans. Si Ton excepte quelques injustes ennuis en 
1953, la IV e Republique lui sera douce. C'est a partir 
de 1958, de son opposition resolue au general de Gaulle, 
que le combat pour conquerir la gauche, puis le pou- 
voir sera parseme d'obstacles. II lui f audra vingt-trois 
ans pour les franchir et acceder au firmament. 

Mais a relire les interviews de Danielle Mitterrand 
pendant les campagnes electorales, un constat 
s'impose : la foi est la... Vie familiale et vie politique 
deviennent inextricablement melees. Les appartements 
sont aussi les bureaux et les conseillers politiques, des 
amis. Ces derniers n'ont pas trop de mal a convaincre 
Frangois Mitterrand de sacrifier, lui aussi, a la tradi- 



146 LES DAMES DE L'ELYSEE 

tion americaine et d'exhiber femme et enfants dans la 
panoplie des armes electorates. Et Danielle de se faire 
un devoir de 1'accompagner, de jouer les compagnes 
parfaites, simple, ravie d'etre venue, toujours d'humeur 
egale, se pretant, a la demande, a chanter les louanges 
d'un homme auquel elle est censee ne trouver que des 
qualites... Et d'evoquer sa vie avec Frangois : 

A Paris, nous nous sommes d'abord installes dans 
un deux-pieces a Auteuil puis nous avons demenage rue 
Guynemer. Un appartement plus grand mais qui ne 
nous ressernblait pas. Trop conventionnel. Mais, tres 
vite, c'est devenu autre chose qu'un appartement. Le 
bureau d'avocat de Francois, son foyer et le lieu ou se 
tenaient les reunions politiques. Sans se meler aux dis- 
cussions je ne suis pas une militante j'etais au cou- 
rant de tout... 

Je ne suis pas une militante , dit-elle. Voire. 

Pendant la campagne presidentielle de 1974, les con- 
fidences de Danielle a la journaliste Annie Bessieres 
rendent la meme tonalite modeste : 

Souvent, Francois me demande mon avis. II a tou- 
jours ete tres attentif a mon jugement. Si je ne 1'accom- 
pagne jamais dans les studios de la television ou a la 
radio, je le regarde et 1'ecoute a la maison et je suis stare 
qu'a la fin de 1'emission le telephone va sonner. C'est 
lui qui s'est eclipse quelques instants pour venir me 
demander ce que je pense de remission. C'est ma f a?on 
a moi de militer : etre disponible et le soutenir. Ce n'est 
pas lui qui me cantonne dans ce role. II correspond a 
mon temperament et a mon desir... 

Danielle, Vepouse effacee qui fait les confitures et orga- 
nise les tournois de scrabble pour la maisonnee, titre 
en 1974 pendant la campagne presidentielle un 
grand magazine feminin. II s'agit de presenter, de 
1'epouse du candidat Mitterrand, une image paisible, 
rassurante, voire popote dans laquelle puisse se retrou- 
ver le bon peuple des electrices. On cherche a 1'oppo- 
ser a la grande bourgeoise sophistiquee Anne-Aymone 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 147 

Giscard d'Estaing. Paris-Match la photographic a Lat- 
che avec un gentil commentaire : Jamais maquillee, 
en blue-jeans et en sabots, Danielle Mitterrand veille 
sur sa menagerie domestique : deux chiens, un chat, une 
anesse. Ses deux domaines reserves : son atelier de 
reliure et sa cuisine ou elle met en pots les produits 
du terroir landais. 

Latche, immerge au coeur des forets de pins des Lan- 
des, est un decor serein, tres force tranquille . L'ane 
en fait une anesse qui s'appelle Noisette y donne 
un parfum a la Charles Trenet. 

Pourquoi un ane ? Francois a ete touche par le 
recit d'un de nos amis qui lui expliquait que les anes, 
en France, etaient en voie de disparition. II a accepte 
de faire partie d'une association de defense des anes, 
TADA. Nous avons decouvert cet animal merveilleux, 
affectueux, et, contrairement a la legende, tres 
intelligent. 

C'est done a Latche que les Mitterrand passent tou- 
tes leurs vacances. A 1'origine (elle a ete construite en 
1780) c'etaient de simples maisons basses, en bois et 
brique, qu'habitaient des collecteurs de resine de la 
region. On achete 1'ensemble (avec 1 000 m 2 de terrain) 
a la fin des annees 60. On fait de gros travaux pour 
remettre en etat cette succession de fermettes. C'est 
dans la principale que sont les chambres, la salle a man- 
ger et le salon. Peu de meubles mais deux grandes che- 
minees. Dans une niche : une vierge en bois polychrome. 
La cuisine carrelee d'ocre se trouve dans un autre bati- 
ment avec un four a pain. Tables bistrot. La bibliothe- 
que est dans une ancienne bergerie a dix metres de la 
maison. Une piscine, un tennis. A 1'entree du batiment 
principal, de plain-pied : des camelias ( roses sans epi- 
nes , ironise le maitre des lieux). On s'occupe du jar- 
din, on joue avec les chiens, on se baigne et on fait de 
longues promenades. 

D'une fa?on generale, depuis Pompidou, les reporta- 
ges sur les candidats evoluant en toute simplicite, dans 



148 LES DAMES DE L'ELYSEE 

un cadre rustico-idyllique et sur leur femme dans sa 
cuisine, font partie des sequences obligees. 

Le decor citadin ne manque pas non plus de charme. 
C'est le 22 rue de Bievre, dans le V e arrondissement. 

Nous nous etions decides a quitter notre apparte- 
ment de la rue Guynemer, le loyer etant devenu trop 
important, Mais nous souhaitions tous les deux rester 
dans ce quartier, le quartier Latin, ou il existe encore 
de petites boutiques, ou Ton peut se promener a pied. 
J'ai cherche pendant des mois et puis j'ai trouve, rue 
de Bievre, cet ancien hotel en ruine dont il ne restait 
pratiquement qu'un cafe au rez-de-chaussee. Francois 
a donne son accord. Des amis se sont joints a nous pour 
1'acheter et le renover. Aussi occupe qu'il soit, Fran- 
gois s'est toujours reserve un moment pour visiter le 
chantier ou pour aller choisir un meuble ou une lampe 
dans un magasin... Nous avons essaye de recreer a Paris 
une maison ou nous nous sentirions aussi bien que dans 
notre bergerie des Landes. 

L'ensemble, qui a eu les honneurs de la revue Deco- 
ration Internationale, est une vraie maison, avec cou- 
rette ornee d'un magnolia. Au rez-de-chaussee, la salle 
a manger aux meubles Knoll et la cuisine laquee de 
rouge. Le salon ressemble un peu a celui de Latche : 
memes poutres au plafond, meme sobriete, murs blan- 
chis a la chaux. Dans la bibliotheque, les livres relies 
par Danielle. Moquette orange et tapis tisse en gro.sse 
laine de pays. Murs laques bleu pour le coin ou elle a 
fait son nid ; dessus-de-lit, tentures et coussins sont 
roses avec de petites fleurs blanches, tres Primrose Bor- 
dier. Dans un cadre ancien, 1'ensemble donne un sub- 
til melange de design, d'artisanat et de souvenirs, car 
s'y cotoient portraits de famille, une toile de Lorjou (qui 
realisa si longtemps les aff iches invitant au devoir civi- 
que) ou des tableaux nai'fs mexicains. Plantes vertes a 
profusion, charmant escalier en colima^on, profusion 
de collections. C'est une oasis en plein Paris, ce dont 
elle est consciente : 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 149 

La maison de la rue de Bievre, avec sa petite cour 
privee, c'est aussi une chance pour nos chiens. 

Le soir, on dine simplement en farnille ou avec des 
amis : 

Si je n'ai pas envie de faire la cuisine, Francois 
nous emmene au restaurant, mais si nous n'avons pas 
envie de sortir, le patron du restaurant algerien qui est 
a deux pas nous apporte un couscous, en voisin. 

Ses passe-temps ? D'abord, la reliure. Elle s'y adonne 
depuis 1946, Le premier livre auquel elle s'est attaquee : 
les Amities particulieres de Roger Peyrefitte. Devant ses 
biographes officiels, Danielle se fait lyrique : 

Si j'entrais aujourd'hui dans un atelier et que j'y 
respirais a nouveau la colle de poisson que Pon chauffe 
pour qu'elle ne se solidif ie pas, les feuilles que Ton ven- 
tile pour assembler les cahiers, cette somme d'odeurs 
indefinissables qui evoquent les livres en chantier, bref, 
ce parfum de relieur, je serais envoutee. 

Le scrabble fait aussi partie de ses passions. Elle en 
est fanatique. 

Le W, c'est la difficulte. Tous les joueurs de scrab- 
ble vous le diront : sorti des watts, des wagons, des 
wharfs et des whists, cherchez done d'autres mots avec 
cette lettre. Ce n'est pas si simple. 

Autre passion : les chiens. Elle accepte meme que son 
labrador voyage en voiture sur ses genoux, ce qui 
1' oblige a revetir un tablier. II y a eu le teckel Lipou 
Titus, le labrador Nil ou la chienne Julie. Actuellement, 
le bouvier bernois Upsilon est bien en cour. 

Autre plaisir : la lecture. 

C'est une chose rare, un tresor cache, de savoir 
qu'on a dans un livre la pensee de quelqu'un, a-t-elle 
explique un jour a Yehudi Menuhin. Les livres, c'est 
important, quels qu'ils soient. On ne connait pas la soli- 
tude avec les livres. Je lis ce qui se presente, sans spe- 
cialisation, instinctivement. J'aime beaucoup la photo 
coloree, comme les livres des Latino-Americains : Gar- 
cia Marquez, Jorge Amado... Mais je me laisse comple- 



150 LES DAMES DE L'ELYSEE 

tement porter aussi par 1'amour des chats qui baigne 
les livres d'Yves Navarre, par exemple. Et, bien sur, je 
suis touchee par ce qui se rapporte a ce que j'ai vecu 
moi-meme. Ainsi les livres de Regine Desforges. Ce n'est 
pas imperissable, mais je me plais bien dans ce genre 
de livres. 

Renoncer a tout cela si Francois est elu ? La passion 
du pouvoir ne souffre pas d'etre contrecarree. Danielle 
accepte le jeu. Mais apres tout, on peut aller a 1'Elysee 
comme on va au bureau. C'est en tout cas ce qu'elle a 
en tete, ce 10 mai 1981. Vivre autrement n'a-t-il pas 
ete Tun des credos socialistes de la campagne ? 

La voila done premiere dame de France. Des termes 
qu'elle n'apprecie guere : Trop kitsch, trop cheap, trop 
anachronique... Elle commence par visiter le palais 
en cornpagnie de la reine Christine. Danielle a en effet 
Phabitude de donner a sa soeur ce surnom de reine. En 
nouvelle locataire critique, elle n'hesite pas a emettre 
des propos severes sur la fagon dont les Giscard ont, 
selon elle, agence la decoration de certaines pieces : 
dysharmonie des couleurs et disposition abracada- 
brante du mobilier. Elle prend egalement possession 
de son bureau. L'alternance commence bien : trois col- 
laboratrices engagees par Mme Giscard d'Estaing com- 
prennent qu'il vaut mieux faire vite leurs valises. Les 
nouvelles venues, comme Helene Vinet ou Anne- 
Victoire Lambry n'en sont que plus libres pour reor- 
ganiser les services de lapresidente. On s'emploie ainsi 
a repartir les lettres re?ues par categories : emploi, jus- 
tice, logement, solidarite. Et pour etre plus efficace, on 
informatise meme tout le service de Danielle Mitter- 
rand : imprimantes, machines a traitement de texte, 
derniers modeles Honeywell-Bull. Dans la griserie du 
changement, et puisque apres tout on est la pour (au 
moins) sept ans, Danielle decide de transformer tota- 
lement le decor de I'ancienne salle de bains d'Eugenie. 
Isabelle Hebey, 1'architecte d'interieur choisie, va 
ecarter les murs . Les moulures d'epoque sont mas- 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 151 

quees par des doublages. Le bureau directoire de la pre- 
sidente disparait, remplace par trois tables de travail 
identiques (en frene decolore) : Ici, pas de hierarchic. 

Murs gris clair, stores blanc bleute, moquette bleu 
acier. On pousse meme le souci du detail jusqu'aux poi- 
gnees de porte qu'un plasticien a la mode con^oit spe- 
cialement en acier patine gris et noir. Comme 1'ecrit 
un critique d'art : De 1'ensemble se degage une 
impression d'apaisement, d'ample respiration, et tout 
a la fois de modernite rationnelle, sans concession ni 
f aux-semblant. Du coup, Pierre Beregovoy commande 
a 1'architecte la conception entiere de deux etages des 
futurs bureaux ministeriels de Bercy. 

Danielle Mitterrand tutoie son equipe et ses assistan- 
tes comme Anne Lamouche ou Dominique Hernu. Elle 
les retrouve chaque matin entre 9 h 30 et 10 heures. Le 
secretariat prepare et trie tout le courrier arrive (une 
centaine de lettres par jour) et la presidente en lit 
1'essentiel. C'est dans ce bureau ou dans le pare 
qu'elle a muri Tidee des differentes associations qu'elle 
a creees et regroupees dans la fondation Danielle- 
Mitterrand. Chaque presidente de la V e cree decidement 
une fondation, 

Souvent Francois me dit : je te vois si occupee et 
tellement passionnee par tes activites depuis que tu es 
a 1'Elysee, qu'est-ce que tu vas faire quand nous serons 
partis ? Je reponds : je trouverai une idee* 

L'idee, ce fut la fondation, seule capable par son sta- 
tut de perpetuer les realisations. L'association du 
21 Juin, en faveur des droits de Thomme, est chargee 
des campagnes hurnanitaires ( Cette association m'a 
permis de m'investir a fond, dira-t-elle, notamment dans 
Talphabetisation de toute une jeunesse vivant dans les 
pays en guerre et empechee de suivre des etudes nor- 
males ). L'association la France avec vous a pour point 
de depart la lutte contre le gaspillage ; Tidee est d'off rir 
aux pays demunis le materiel a peine demode et pour- 
tant mis au rebut par les Frangais. Des jeunes sans 



152 LES DAMES DE L'ELYSEE 

emploi et des preretraites reparent ces objets et les 
emballent avant de les expedier vers les pays deman- 
deurs. La troisieme association, Cause commune, a 
pour objet d'ecouter ceux qui ont un projet et ont du 
mal a se faire entendre : 

Parce qu'il s'agit d'une association, Faction entre- 
prise est souvent plus efficace qu'une subvention. 

Elle gere done a son idee les dossiers qui lui tiennent 
a coeur. 

Je vis tres proche du pouvoir, et sans aucun pou- 
voir. J'ai done la liberte de rever et d'agir, aime-t-elle 
souligner. 

Sa liberte de rever et d'agir s'est-elle accomplie dans 
la nouvelle decoration de son appartement prive de 
1'Elysee ? Elle a tenu en tout cas a se justifier : 

Ces appartements n'avaient pas ete refaits depuis 
longtemps, il fallait de toute maniere proceder a des 
travaux d'infrastructure. Nous avons voulu utiliser 
cette opportunite pour en faire une vitrine du savoir- 
faire frangais. 

Pas moins de cinq designers participent a 1'amena- 
gement : Tribel, Starck, Held, Wilmotte et Cecil Spor- 
tes. Ce qui explique que, pour beaucoup, le resultat est 
tout a fait incoherent : 

Pas la moindre unite de composition, ni de sensi- 
bilite, ni d'intelligence, note un invite. 

En fait, agissant pour quelqu'un qui n'habiterait pas 
les lieux et qui ne les guidait pas, ils en ont fait a leur 
tete: 

Nous n'habitons pas ici, fait remarquer la presi- 
dente. Les architectes etaient done liberes des impera- 
tifs des maitresses de maison qui ont besoin d'un pla- 
card par-ci, d'une etagere par-la... Seule leur expres- 
sion devait etre demontree. 

Jean-Michel Wilmotte est 1'auteur de la chambre du 
president, de la galerie et du petit bureau de Danielle. 
Sobriete des inateriaux utilises : bois blanchi, pierre 
grattee, granit blanc. Un esprit tres monacal pour le 



LES DAMES DE MOTRE EPOQUE 153 

grand pretre du socialisme. La piece de son epouse est 
traitee dans le meme esprit, en boiseries repensees de 
f agon contemporaine. Wilmotte a egalement dessine les 
prises de courant, poignees de portes, spots basse ten- 
sion ainsi que le bureau cylindrique de la presidente. 
Une toile de Matisse et un tableau contemporain de Le 
Gac relevent le cote austere. 

Le tres Anglo-Saxon Ronald Cecil Sportes a travaille 
sur ordinateur pour concevoir le petit salon ou est ins- 
talle le tabernacle de Pinformation (une mini-regie tele- 
vision permettant d'obtenir par satellite les emissions 
du monde entier). La piece se veut aussi raffinee que 
celle d'un palais venitien : au sol, un tatami est borde 
de gaines de cuir. Tous les meubles sont a geometric 
variable et les lampes telescopiques. Canape en cuir et 
larnelles de frene, tables basses en verre partiellement 
depoli pose sur des blocs de pierre. 

C'est surtout une piece du soir, tres agreable pour 
regarder la television. 

Annie Tribel dessine la chambre d'amis. Elle a voulu 
lui donner le confort d'une chambre d'hotel sans son 
caractere anonyme. D'ou Tutilisation de boiseries (en 
frene naturel, avec des incrustations de filets d'ebene). 
Miroirs, riches consoles, eclairages, tableaux sont inte- 
gres. Une table ecritoire-maquillage, avec miroirs et 
lumieres, fait irresistiblement penser a une loge 
d'artiste. Cette chambre a-t-elle ete con^ue pour Roger 
Hanin ? 

A Marc Held revient la decoration du grand salon. 
Ce designer des annees 60 a su intelligemment ne rien 
demolir, utiliser moulures, chapiteaux et colonnes (en 
les laquant de blanc) et reconstituer cheminee et par- 
quet. II est le seul a avoir essaye de comprendre ce 
dont avait envie le couple presidentiel. II a ainsi 
explique : 

Ils aiment les choses faciles a vivre, issues de la 
nature, le bois, le cuir. Ils vivent avec des chiens, des 
enfants, des petit s-enf ants. Ils allument le feu dans la 



154 LES DAMES DE L'ELYSgE 

cheminee. Us avaient envie d'un lieu decontracte, en 
aucun cas solennel. 

II cree pour la piece un secretaire a quarante tiroirs 
dont le cout s'eleve a 80 000 francs. 

Philippe Starck, 1'enfant terrible du design, obtient 
la responsabilite de deux pieces dont la chambre de 
Danielle Mitterrand. De son travail, le decorateur fait 
un commentaire tres freudien : 

C'est une piece a la fois d'evasion tournee vers le 
reve et 1'inconscient par le biais d'un plafond et d'une 
frise peinte par Garouste, dans la partie haute, et evo- 
quant la fermete du conscient dans la partie basse, qui 
est extremement simple, avec des murs epais. 

On comprend mieux pourquoi Mme Mitterrand pre- 
fere n'y dormir qu'a de rares occasions. Elle n'a d'ail- 
leurs pas cache sa deception au peintre, figure de proue 
de la jeune generation. Elisabeth Huppert rapporte 
ainsi la reaction de 1'artiste. 

II dit : La bonne vient de m'annoncer que $a ne 
plait pas a Mme Mitterrand. Meme Jules II, quand 
Michel-Ange peignait la chapeile Sixtine, n'a pas du 
envoyer son valet de chambre... 

Enfin ! Get appartement presidentiel, plus un musee 
contemporain qu'un lieu habite bien eloigne du gout 
xvm e siecle des Giscard d'Estaing permet aux ser- 
vices de presse de Pfilysee d'annoncer que Francois et 
Danielle Mitterrand ont choisi la voie de Tinnovation 
et de la creativite. Us se montrent en revanche muets 
sur le cout de sa realisation ! 

Cote jardin, Danielle Mitterrand est la grande mai- 
tresse du pare. Elle 1'inspecte quotidiennement, choi- 
sit des begonias melanges dans les bordures au bleu 
Mer du Nord des ageratums (pour le parterre des appar- 
tements prives) et fait planter par Tequipe des jardi- 
niers (Roger Jan, aide de trois personnes) bleuets, sou- 
cis, dahlias, petunias, myosotis, ceillets de poete et roses 
tremieres sur les pelouses. La garden-party tradition- 
nelle qui s'y deroule le 14 juillet laisse evidemment 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 155 

quelques degats. Le pare, tout en longueur, tres incurve 
en son milieu, revet alors son plus beau gazon. On 
dresse les buffets sur les rebords (on pratique 1'alter- 
nance des traiteurs : une annee le tres chiraquien Leno- 
tre, une autre Teternel Potel et Chabot) que des tentes 
(soleil ou pluie) abritent. Le buffet classique est a 
droite : charlottes a 1'ananas, aux amandes, chous a la 
creme, Paris-Brest, strudels a la rhubarbe, tartelettes 
aux fruits, gantois aux f ramboises, tranches aux ceri- 
ses Marianne, brioches fourrees et canapes divers. Le 
buffet campagnard se situe a gauche : sandwiches a plu- 
sieurs etages,bouquet de salades a sauces diverses, ter- 
rines, brochettes, etc. Au fond du pare, un peu au f rais, 
sont presentes les fromages ; patrimoine frangais 
oblige, aucun fromage d'importation n'y est presente. 
Cote spiritueux, on compte une demi-bouteille de vin 
par personne et legerement moins pour le champagne 
(qu'on sert dans des coupes et non dans des flutes). Des 
tonnelets de beaujolais aux mille cinq cents bouteilles 
de champagne, des caisses entieres de bouteilles de 
whisky aux anis, des vins blancs d'Anjou aux roses du 
Beam sans oublier bordeaux, cotes du Rhone et autres 
regions viticoles, le 14 juillet est bien arrose. II s'agglu- 
tine autour de la presidente une nuee de gardes du 
corps, photographes, curieux et courtisans. Roger 
Hanin et la reine Christine ne sont jamais loin, gene- 
ralement accompagnes du couple Lang. Pour Danielle 
Mitterrand, il faut en un minimum de temps parcou- 
rir une distance importante en adressant la parole au 
maximum de personnes. II y a six mille invites. Appren- 
tissage indispensable : rester debout sans se fatiguer. 
La reine Elisabeth d'Angleterre, en octobre 1984, lui 
aurait confie son true : 

Ecartez legerement les pieds, comme ceci. Gardez 
bien les pieds paralleles. Assurez-vous de repartir votre 
poids de fa^on egale sur chaque pied. Cest tout ce qu'il 
faut faire. 

Ainsi, lorsque Mme Mitterrand arpente la pelouse a 



156 LES DAMES DE L'SLYSEE 

partir de la grille du coq, des centaines de gens ferment 
presque une haie qu'elle doit longer. Elle sourit, parait 
attentive et re?oit quelques bouquets de fleurs. Elle 
bavarde un instant avec Daniele Delorme, embrasse 
Juliette Greco, copine avec Dalida. Regine Desforges 
n'est pas loin, fidith Cresson en tailleur noir et rose joue 
les divas, Stephane Audran s'ennuie et Bulle Ogier signe 
guelques autographes. 

Danielle Mitterrand va toujours chez son coiffeur la 
veille des receptions. Mile Claude Maxime la coiffe 
depuis presque vingt ans. Celle qui inventa la chou- 
croute de Brigitte Bardot est responsable de la coupe 
( naturelle et moderne ) de Tinteressee. Les relations 
sont toujours au beau fixe entre la presidente et son 
figaro, aujourd'hui a la tete de vingt-cinq salons de coif- 
fure a Paris et de soixante en province et a 1'etranger. 
On se tutoie et longtemps Claude Maxime a refuse que 
Danielle Mitterrand regie quoi que ce soit. Dans son 
salon, la presidente croise Jane Birkin, Karen Cheryl, 
et Jane Manson. L'espieglerie du hasard veut 
qu'aujourd'hui Mme Giscard d'Estaing frequente le 
meme salon. Elles n'ont pas, Dieu merci, la meme 
coiffeuse. 

Cote mode, les fournisseurs sont multiples. Christine 
Gouze-Renal a longtemps guide sa soeur dans le choix 
de ses robes et de ses rnanteaux. Comme si le sujet ne 
passionnait pas Danielle. La presidente s'en est 
expliquee : 

Quand j'etais petite fille, je mettais des jupes plis- 
sees avec des pull-overs. Ensuite mes vetements sont 
devenus un peu plus elabores mais toujours dans le 
meme style. Puis j'ai eu Poccasion d'entrer dans ce 
milieu de la mode et j'ai tout de suite 6te subjuguee par 
la qualite de ce que les couturiers apportent a cette 
Industrie, a cet art. 

En 1981, Colombe Pringle a joliment croque dans Elle 
la complicite des deux sceurs : 

L'ceil clair, tres clair, et pas maquille, le cheveu 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 157 

dense, Pongle court laque beige, elle porte a son poi- 
gnet une rnontre a quartz, banale, ni jolie ni laide, doree 
un peu, du style achetee au tabac du coin. Detail futile ? 
Peut-etre, inais assise deux places plus loin, Christine 
Gouze-Renal porte la meme. Ainsi, malgre leur diffe- 
rence 1'une est brune et mince, 1'autre est blonde et 
ronde, Tune est demaquillee, 1'autre est poudree les 
deux alliees inseparables qui ne peuvent renoncer a la 
tendresse des apartes f raternels meme dans les visites 
les plus officielles ("Excusez-nous, nous sommes insup- 
portables, ma soeur et moi... mais nous avons tellement 
1'habitude de...") lisent 14 h 48 a la meme seconde et 
sur le meme cadran. Preuve imagee, s'il en fallait une, 
de leur complicite... 

Contrairement a Anne-Ay mone Giscard d'Estaing, 
1'actuelle presidente privilegie Yves Saint-Laurent : 

Je porte souvent du Saint-Laurent : il a tout de 
suite compris ma personnalite et je me sens bien dans 
ses robes. 

Torrente et Louis Feraud sont aussi tres sollicites. 
Est-ce vraiment par gout et non par f acilite (ses bureaux 
sont installes a proximite du palais de PElysee) que la 
premiere dame de France a choisi Louis Feraud ? Celui- 
ci, qui congoit la majeure partie de la garde-robe des 
heroines du feuilleton Dallas, estime que Tepouse du 
president de la Republique f ran?aise est generalement 
une tres bonne ambassadrice pour un grand coutu- 
rier . Lorsqu'elle est accueillie par la reine filisabeth 
a la gare de Victoria, en octobre 1984, Mme Mitterrand 
porte un manteau noir en mohair et incrustations ver- 
nies sur une jupe plissee, un blouson et un chemisier 
rouge a pois, tout cela cree par Louis Feraud. Seule 
faute de gout que n'aurait pas commise Anne-Aymone : 
bien que le temps ne soit pas ce jour-la humide a Lon- 
dres, elle a curieusement chausse des bottes. 

Rosette Mett-Torrente peut aussi s'enorgueillir d'etre 
le principal fournisseur de la presidente : 

Ici, ce n'est un secret pour personne, conf ie-t-on 



158 LES DAMES DE L'ZLYSEE 

dans les couloirs, elle a deja depense plus d'un million 
de francs lourds. 

Le train de vie quotidien de 1'filysee est-il tres 
luxueux, tres lourd ? Certes, prestige oblige, 1'inten- 
dance est en permanence sur le pied de guerre. Six lin- 
geres s'occupent des nappes et des serviettes, douze 
argentiers et maitres d'hotel sont responsables du 
deroulement impeccable du service tandis que, sous les 
voutes des cuisines, quatorze chefs composent les mets 
d'une des meilleures tables du monde. Danielle Mitter- 
rand, en semaine, dejeune toujours a I 1 Ely see. Le chef 
du protocole veille a la disposition des couverts. La 
norme a ne pas bafouer : soixante centimetres entre 
chaque convive. II arrive que Francois et Danielle Mit- 
terrand president chacun un dejeuner, le premier en 
bas, la seconde en haut Aucune dif f iculte a cela : la vais- 
selle et 1'argenterie comptent certainement parmi ce 
que 1'Elysee possede de plus spectaculaire : 35 coffres 
de bois et une multitude de tiroirs qui renferment 7 500 
couverts, 2 700 plats et saucieres en argent massif et 
en vermeil, 5 000 assiettes en porcelaine de Sevres et 
plusieurs milliers de verres en cristal. 

Tous les apres-midi, la presidente regoit de nombreux 
visiteurs. Le soir, elle regagne la rue de Bievre ou reste 
a Tfilysee s'il y a une reception ou un diner off iciel aux- 
quels elle est obligee d'assister. Une f ois par mois, une 
projection privee est organisee dans la salle de projec- 
tion de 1'filysee. Christine Gouze-Renal, en productrice 
avisee, joue les programmatrices. On d^couvre en 
avant-premiere le dernier Wajda, le dernier Woody 
Allen, la palme d'or de Cannes ou, moins surprenant, 
le dernier film de Roger Hanin. 

Mme Mitterrand accompagne souvent le president 
dans ses voyages a Petranger ou en province. Frangois 
Mitterrand a presque la frenesie du voyage. Dans ses 
seuls six premiers mois, il parcourt plus de kilometres 
que Valery Giscard d'Estaing en sept ans. Aucun pre- 
sident ne s'est jamais deplace avec de tels corteges, avec 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 159 

autant d'invites. Treize voyages en 1982, dix-huit en 
1983, vingt-sept en 1984, seize en 1985... chaque voyage 
deplagant cent vingt personnes environ. Us necessitent 
une preparation technique qui incombe a une escouade 
d'une quinzaine de personnes qui doivent s'occuper des 
rnoindres details : s'assurer par exemple qu'un adap- 
tateur n'est pas necessaire pour le seche-cheveux de 
Danielle Mitterrand, que la chainbre de la cameriste 
sera proche... 

L'une des taches de Danielle est de choisir les cadeaux 
offerts aux personnalites rencontrees. Si, pour le 
manage de Charles et Diana, elle achete pour 
320 000 francs (a la galerie Louise-Carre) un tableau de 
Dufy intitule Regales a Deauville, les presents offerts 
a la famille royale, lors de la traditionnelle ceremonie 
des cadeaux, sont un peu moins royaux, lors de la visite 
en Grande-Bretagne a 1'automne 1984. La reine regoit 
une peinture signee d'un artiste frangais representant 
une jument et un chien lui appartenant. Le prince Phi- 
lippe a droit a un tableau le representant dans son sport 
f avori : les courses d'attelage. A la reine mere, on remet 
une figurine en biscuit de Sevres (elle aurait nettement 
prefere quelques caisses de champagne). Au prince de 
Galles echoue une edition d'un ouvrage botanique du 
XVIIP siecle. Et enfin Diana regoit des verres a vin du 
Rhin, en cristal taille, signes d'une grande manufacture 
frangaise. 

En echange, Danielle re<joit un superbe chapeau. 

Les chapeaux portes pendant son voyage au Japon 
en avril 1982 ont rendu Yvan Audouard lyrique : 
Aucun commentateur sur aucune chaine ne vous a 
revele le nom de cette (forte) brise de printemps qui 
accueillit le couple presidentiel (et sa suite) lors de son 
arrivee a Tokyo. Comme le cortege etait essentiellement 
masculin, les rares daines n'eurent pas a prendre garde 
a leurs jupons. En revanche, Danielle Mitterrand fail- 
lit y perdre son galurin. 

O le merveilleux bibi que le bibi de Danielle ! II 



160 LES DAMES DE L'ELYSEE 

tenait a la fois du chapeau de cow-boy, de rabbin, de 
jardinier provencjal, de gardian camarguais, de girl- 
scout et de barde breton. C'est beaucoup, direz-vous, 
pour un seul chapeau, mais la haute mode parisienne 
sail produire d'aussi gracieux hybrides. Us sont tout 
de meme plus agreables a Foeil que les paniers fleuris 
qui servent de couvre-chef a Sa Majeste la reine mere 
d'Angleterre... 

Dans ses deplacements, quatre hommes assurent la 
protection de Danielle Mitterrand. Un jour, un paquet 
douteux envoye a la presidente a fait grand bruit au 
palais. II semblait qu'il y eut un mecanisme a 1'interieur. 
Experts et artificiers furent contactes. On 1'ouvrit avec 
mille prudences. Quelques notes de musique s'eleve- 
rent. C'etait une carte musicale... 

Sa reputation de pasionaria lui attire-t-elle des reac- 
tions hostiles ? 

Je ne suis pas une petroleuse, a humoristiquement 
repondu un jour Danielle Mitterrand. 

Certes, elle n'a jamais ete une amazone des gueril- 
las sud-americaines, mais, avec la benediction de Regis 
Debray, elle s'occupe du Salvador, du Chili et de 
tous les problemes latino-americains. Foncierement de 
gauche, ses attentions vont plus vers les revolutionnai- 
res rouges, ou vers les victimes de dictatures de droite, 
que vers les guerilleros anticommunistes, ou vers les 
victimes des dictateurs de gauche. Elle a rencontre 
Fidel Castro lors d'un voyage a Cuba en 1974. On ne 
Timagine -pas rencontrant le general Pinochet a 
Santiago. 

On lui a reproche, dans son action humanitaire, de 
gener le president de la Republique. Ce qu'elle nie. 
Pourtant ses actions en faveur des Polonais, de Maro- 
cains emprisonnes ou disparus en Argentine ont sem- 
ble parfois inopportunes... N'a-t-elle pas dit dans une 
interview au Nouvel Observateur : Quand il m'arrive 
le matin d'aller voir Francois en lui montrant une let- 
tre que j'adresse a Gorbatchev, il s'ecrie : "hou la la ! 



LS DAMES DE NOTRE EPOQUE 161 

qu'est-ce qu ; il va encore nous arriver ?", puis il la lit 
et il laisse faire ? 

Le president de Solidarites Internationales reconnait 
d'ailleurs ses qualites de militante : 

Je la trouve a la fois audacieuse et prudente. Ainsi 
prend-elle parfois des risques diplomatiques par ses 
interventions ou en recevant a Ffilysee certaines 
personnalites... 

II n'est un secret pour personne que Danielle Mitter- 
rand est encore plus a gauche que son epoux. Ce der- 
nier a conf ie a une journaliste de RMC : 

Elle me trouve beaucoup trop modere dans ma vie 
politique. 

Ses amis de gauche soulignent d'ailleurs son action, 
tel Phistorien militant Claude Manceron, qui ecrit dans 
Elle en juin 1981 : Au siege du parti socialiste, parmi 
les autres militants affaires, elle est venue chaque jour 
a son bureau pour diriger Peffort de Solidarite- 
Salvador, une organisation fondee en marge de Plnter- 
nationale socialiste pour venir'en aide humanitaire au 
peuple martyr du Salvador. II y aura toujours un 
maquis a rejoindre quelque part pour Danielle 
Mitterrand. 

Quant au Canard enchaine, peu suspect d'hostilite a 
Tegard des Mitterrand, il evoque Tinfluence probable 
de Danielle. Il affirme en decembre 1981 : Pour ceux 
qui s'inquietent de 1'influence de Danielle Mitterrand 
sur son president de mari, le voyage en Inde leur four- 
nit quelques nouveaux arguments. 

Ainsi on a vu Danielle assister aux briefings quoti- 
diens de 1'etat-major presidentiel et meme y aller de 
son grain de sel. Arrachee a un moment de detente pour 
participer a Tun de ces entretiens, Danielle s'y est ren- 
due, negligemment vetue d'une robe de chambre. 

Pour couper court a toute remarque sur ce role de 
presidente oublie par notre constitution, Danielle a eu 
ce mot : "Mme Gandhi est une femme, nous devons done 
envisager ses demarches avec des yeux de femme. 1 ' 



162 LS DAMES DE L'ELYSEE 

Son intense engagement de militante ne I'ernpeche 
pas de jouer les grands-meres gateau. Ses petites-filles, 
Justine (la plus jeune) et Pascale (huit ans) la surnom- 
ment Madame Lolo. Assez possessive avec ses fils, 
Danielle a fini par bien s'entendre avec ses belles-filles 
Elisabeth, dite Minouche (la femme de Jean-Christophe) 
et Franchise (celle de Gilbert). Jean-Christophe, Taine, 
longtemps journaliste a 1'AFP, fut nomme en juin 1982 
a un poste important de PElysee : adjoint puis succes- 
seur de Guy Penne a la direction des Affaires af ricai- 
nes. Le cadet a profite de 1'etat de grace de 1981 pour 
se faire elire depute de Libourne et a retrouve, de jus- 
tesse, son siege au printemps 1986. Toutefois Tepouse 
du president est restee par la suite assez discrete. On 
l'a vue davantage apres le 16 mars 1986 sur le front des 
medias. Son bapteme du feu televise (a remission 7 sur 
7) fut peu enthousiasmant : une image d'elegance rete- 
nue, sobre, trop discrete. Hormis 1'annonce de la crea- 
tion de sa fondation, aucune surprise, comme si elle vou- 
lait gommer certains aspects de sa personnalite : Je 
ne veux pas polemiquer, je ne veux faire de proces 
d'intention a personne. Elle ne s'est pourtant pas pri- 
vee de le faire quelques semaines apres. 

Dans une interview au Journal du dimanche, le 
28 decembre, Danielle, questionnee par Patrick Poivre 
d'Arvor, s'emporte et accuse le gouvernement Chirac 
de faire tout et n'importe quoi . La premiere dame 
de France semble ne pas avoir de mots assez durs pour 
qualifier la politique suivie par la nouvelle majorite. 

Les commentateurs du moins ceux de la presse de 
droite ont beau jeu de souligner que la reserve, la 
courtoisie, voire la simple correction n'ont manifeste- 
ment plus droit de cite dans les palais de la Republi- 
que. Que n'aurait-on dit de Claude Pompidou ou d'Anne- 
Aymone Giscard d'Estaing si elles s'etaient permis 
d'attaquer publiquement Topposition ? 

Dans un premier temps (dans une declaration a plu- 
sieurs journalistes lors de la ceremonie des voeux a 



LES DAMES DE NOTRE EPOQUE 163 

T Ely see), le president de la Republique se montre 
severe, remarquant a propos des declarations de son 
epouse : Chacun son metier. Ce sont des choses qu'il 
ne faut pas renouveler. 

Puis, quelques jours plus tard, au micro d' Europe I, 
M. Mitterrand indique qu'avec ses propos il n'avait 
absolument pas entendu se livrer a un desaveu de sa 
femme. 

J'approuve et j 'admire Faction qu'elle mene, je 
vous 1'assure, car je respecte sa liberte de pensee et de 
parole. Je suis solidaire de son combat pour la defense 
des droits de Thomme. 

Et le chef de 1'Etat d'ajouter : 

Ma femme ne se comporte pas comme une femme 
politique. Ce n'est ni son desir ni son role. Mais elle a 
de profondes convictions et une entiere sincerite. Je ne 
peux que souhaiter qu'elle reste fidele a elle-meme. Je 
dirais que c'est plutot un exemple a suivre. 

De cet echange entre M. et Mme Mitterrand, juge soit 
avec severite soit avec humour par la presse, Claude 
Sarraute tire dans son billet du Monde une humoristi- 
que conclusion : Qa a du barder chez les Mitterrand, 
dites done ! Elle lui a mis une de ces jappees apres la 
ceremonie des voeux a l'lysee, mardi dernier : <ja va 
pas la tete ! Non, mais qu'est-ce que tu crois ? Je te fais 
une pub enorme, gratuite dans le Journal du dimanche, 
je dis que t'es genial et que les autres font n'importe 
quoi. Et t'as le culot de me rembarrer devant le monde, 
de me desavouer : Chacun son metier, ce sont des cho- 
ses qu'il ne faut pas renouveler. T'inquiete, ga risque 
pas. Madagascar, les Seychelles, tout ?a, t'iras sans moi. 
II a fallu qu'il demande pardon, mon Mimi. II s'est 
entortille dans le micro que lui tendait un journaliste 
et il s'est roule aux pieds de sa femme... 

Danielle Mitterrand n'a pas mis son drapeau dans sa 
poche le 10 mai 1981, ni le 16 mars 1986. Elle a son 
caractere, ses idees et n'a renonce a rien. Elle est de 
loin la plus politique , la plus engagee des quatre 



164 LES DAMES DE L'ELYSEE 

femmes qui ont occupe Tfilysee depuis cent ans. Parmi 
les successeurs possibles, seule Mme Fabius ferait 
mieux. 



LES DAMES DE DEMAIN 



A une epoque ou, dans Tart de gouverner, la seduc- 
tion compte autant que le discours, les candidats sus- 
ceptibles d'etre elus aux prochaines elections presiden- 
tielles ont interet a soigner leur image... et celui de leurs 
epouses. 

Car, d'une certaine maniere, la France elit aussi une 
presidente. Les statisticiens ne manquent jamais de sou- 
ligner le role du vote feminin (numeriquement prepon- 
derant). Or beaucoup de femmes, qu'elles 1'avouent ou 
non, jugent en leur for interieur les candidats a la qua- 
lite de leurs epouses. 

On predit generalement que le prochain president de 
la Republique sera sans doute celui qui saura le mieux 
utiliser les techniques nouvelles de communication. Et 
quoi de plus eff icace qu'une epouse pour instaurer une 
communication affective avec les electeurs... 

Un sondage Ffg^ro-Sofres recent determinait comme 
presidentiables les quatre personnalites politiques 
suivantes : 

Raymond Barre, Jacques Chirac, Laurent Fabius et 
Michel Rocard Interessons-nous done k leurs epouses ! 



Eve Bar re 



Alors que son mari pratique avec maestria un laco- 
nisme savant, five Barre ferait carrement dans le 
mutisme. Ne lui demandez pas de vous raconter sa vie 
passee, elle ne repondra pas. Inutile d'insister ! De plus, 
Raymond Barre est particulierement sourcilleux des 
qu'il s'agit de sa chere Eve. Ainsi lors d ; un voyage en 
figypte (en Janvier 1977), alors qu'il est Premier minis- 
tre, le voit-on demander courtoisement mais ferrnement 
a un journaliste qui a photographic sa femme sur un 
chameau devant le Sphinx de detruire la pellicule. 
L'homme d'fitat frangais se ferait-il une telle idee de 
sa fonction qu'elle en deviendrait presque sacree ? Non. 
Son grand drame c'est d'ailleurs celui de tous les 
hommes politiques des pays democratiques est qu'il 
a besoin de la presse, mais qu'il craint en permanence 
la maniere dont elle va restituer un propos ou une 
image. A vrai dire, cette crainte n'est pas sans 
fondement. 

Cela explique sans doute la mef iance dont elle a fait 
preuve a 1'egard de la demande d'interview deposee par 
Tauteur de ces lignes. Jacques Alexandre, le charge de 
presse de Raymond Barre, a voulu connaitre a Tavance 
la liste des questions, et s'est enquis de mille details 
avant de donner, apres un long delai, le refus ultime 
de Tinteressee. Eva la Hongroise est-elle done si crain- 
tive ? Ou si timide comme tant de ses consoeurs ? 



LES DAMES DE DEMAIN 169 

Peuple chevaleresque , genereux , romanti- 
que et courageux , tels sont pourtant les qualifi- 
catifs appliques habituellement au peuple magyar. 
Toute la jeunesse et Tadolescence d'Eva Hegedus a en 
eff et pour cadre la Hongrie. Hegedus est un patronyme 
courant dans ce pays. Hegedii, c'est le violon en magyar. 
Hegedus veut dire ce qui a un violon ou ce qui joue au 
violon, m'a precise 1'attache culturel de Hongrie a Paris. 

Eva connait une enf ance heureuse dans le Budapest 
des annees 30 ou son pere est un membre connu du bar- 
reau. La famille vit dans Paisance. Eve et ses deux 
soeurs menent 1'existence des gens comme il faut : 
lemons de musique, cours particuliers de fran^ais, 
sejours a Vienne, Paris et Rome. Beaucoup de sports 
egalement : on pratique la voile sur le lac Balaton, on 
peche dans le Danube et Ton chasse les canards sauva- 
ges dans le Hortobagy. La famille a une cuisiniere qui 
prepare avec talent le steak de pore pane, le goulasch, 
les concombres au sel, la carpe de Koltar et autres mets 
epices de la cuisine hongroise. Raymond Barre ayant 
avoue a Paris-Match au cours de Pete 1986 que la grande 
specialite de sa femme est la blanquette de veau a la 
hongroise, plusieurs centaines de correspondants lui 
ont ecrit pour en demander la recette ! Les autres spe- 
cialites qu'apprecie five Barre sont le gateau de Linz 
et les reteches, patisseries nationales hongroises. Elle 
a aussi un faible pour le Barack, un alcool d'abricot 
tres parfume. 

Dans cette Hongrie des annees 30 ou les paysans por- 
tent encore leurs costumes traditionnels, ou Pelectri- 
cite n'est pas partout repandue, ou les medecins sont 
rares et ou les enfants ne peuvent tous se rendre a 
1'ecole, la vie d'Eva Hegedus semble privilegiee. 

Budapest, siege du gouvernement, residence d'hiver 
de Taristocratie fonciere, centre de commerce et d'affai- 
res, est une ville tres fermee. L'un des caracteres les 
plus originaux de cette cite est la segregation residen- 
tielle. Les Hegedus vivent dans la partie bourgeoise : 



170 LES DAMES DE 

la ville basse de Pest qui horde le Danube de ses quais 
monurnentaux. Un Hongrois, qui rencontre souvent 
Mme Barre, ne craint pas de confier : 

Elle est un peu pretentieuse comme si elle avait 
souffert dans son passe d'humiliations sociales. 

Eva est alors une jeune fille blonde aux traits pou- 
pins et au regard ironique, qui respire a la fois la dou- 
ceur et Penergie. Outre le hongrois, elle parle 1'anglais, 
1'allemand, le polonais, le tcheque et un peu de fran- 
gais. Dommage qu'elle parle si peu ! 

Lors de 1'invasion de la Pologne par les Allemands, 
le gouvernement hongrois refuse categoriquement de 
s'associer a la folie hitlerienne. Tout en renforgant son 
dispositif militaire, le pays se declare neutre. On 
accueille meme un grand nombre de refugies polonais, 
puis yougoslaves, et frangais. La famille Hegedus est 
conduite a heberger quelques prisonniers frangais eva- 
des d'Allemagne. Parrni eux, un certain Michel Tutot. 

Du premier mariage d've existent deux versions. La 
version off icielle veut que la jeune fille rencontre plu- 
sieurs fois ce seduisant Frangais et que, sur les instan- 
ces de son pere qui n'a plus que quelques mois a vivre 
et qui voudrait que sa fille puisse quitter la Hongrie, 
elle I'epouse civilement en 1943. L'autre version est d'un 
temoin credible, le general Andre Adolphe Hallier, pere 
du meilleur ecrivain de France . Dans ses Memoires, 
il note que, se trouvant en Hongrie pendant la derniere 
guerre, il couvre de son aile protectrice la jeune Eve 
et lui permet finalement de fuir 1'occupation russe en 
lui organisant un mariage f ictif avec un Frangais le 
denomnie Tutot evade des camps allemands, en 1945. 
Comme plusieurs Hongroises dans le meme cas, Eve 
aurait ben6ficie d'un mari officiel au moment du 
siege de Budapest par les troupes russes. 

En effet, en juin 1941, la Hongrie a fini par rejoin- 
dre TAllemagne et la Roumanie dans la guerre contre 
la Russie. Mais la degradation de la situation militaire 
en Russie, a partir de l'hiver v 1942- 1943, 1'installation 



LES DAMES DE DEMAIM 171 

des troupes allemandes en Hongrie au printemps 1944, 
1 'intensification de la guerre apres 1'arrestation de 
Tamiral Horthy en octobre 1944, et enf in la menace que 
representent 1'arrivee des Russes et la sovietisation du 
pays justif ient 1'ardente volonte de la jeune femme de 
sauver sa peau par tous les moyens, comrne Tecrit 
le general Hallier. Les Russes approchent Des milliers 
de refugies refluent vers Fouest du pays. Le 
25 decembre 1944 commence le siege de Budapest qui 
se poursuit jusqu'au 13 fevrier 1945. Le 4 avril, la tota- 
lite de la Hongrie est occupee par PArmee rouge. Sur 
les horreurs du siege de la capitale hongroise, sur 
I'inconfort d ; un sordide camp de refugies improvise ou 
elle echoue apres plusieurs jours de marche, Eve Barre 
n'a jamais rien dit. Le general Hallier se souvient. II 
f aisait avec elle la queue aux puits turcs ou on allait 
chercher, cruches en main, de quoi se ravitailler en eau 
potable . Eve semble, comme certains personnages de 
Tolstoi', animee dans ces circonstances d'une volonte 
de vivre et d'une faculte d'adaptation que Ton trouve 
souvent chez les Slaves. Ce meme ternoin la decrit alors 
comme tres sympathique et vivante. Un teint eclatant 
et une voix de basse chantante typique chez ces Hon- 
grois qui parlent notre langue . Et le pere de Jean- 
Edern Hallier de se preter, au moment des faits, cette 
reflexion narquoisement prophetique : Je suis sure 
qu'elle s'adaptera bien en France. Voire ! Elle peut 
meme y avoir une destinee importante... 

Grace a son mariage avec un Frangais, Eva a pu 
gagner la Crimee et quitter Odessa en Janvier 1946, a 
bord d'un navire de guerre britannique emportant des 
prisonniers liberes et des refugies trop heureux de fuir 
un pays ravage et livre a une nouvelle occupation. 

Elle revient en Hongrie trente et un ans plus tard, 
en octobre 1977, re$ue telle une tsarine, lors du voyage 
off iciel de M. Raymond Barre, alors Premier ministre. 
Le couple passe une journee dans Test du pays, au coeur 
de la Puszta (region dont sont originates les Hegediis), 



172 LES DAMES DE L'ELYSEE 

a Hortobagy. Dans une ferme d'Etat, les gardiens 
offrent a Raymond Barre un fouet avec lequel on pousse 
les chevaux sauvages. Une caleche Pemporte avec son 
epouse a travers la plaine hongroise balayee par le 
vent ; Eve Barre, tres emue, confie : 

Cette promenade m f a rappele mon enfance joyeuse 
lorsque je venais passer ici des vacances avant les tra- 
gedies de la guerre. 

Voyage du souvenir aussi puisqu'elle se rend sur la 
tombe de son pere. L'une de ses soeurs habite encore 
aujourd'hui Budapest. 

Depuis son arrivee a Paris, en 1946, la jeune femme 
a perfectionne son frangais, s'est acclimatee a la vie 
parisienne et s'est efforcee d'avoir une vie de couple 
avec son mari choisi . Mais le menage ne brille pas 
par Pharmonie. Leurs incompatibilites pesent de plus 
en plus lourd et leurs routes vont diverger. Eva suit 
pourtant docilement son mari en Tunisie au debut des 
annees 50. Elle travaille a Phopital de Tunis, employee 
au service de radiologie. Mais le mariage agonise. C'est 
alors qu'elle rencontre Raymond Barre. Invitee a un 
concert a Tunis, au printemps 1953, on lui presente cet 
agrege de droit de vingt-neuf ans, professeur d'econo- 
mie politique a la faculte de droit de Caen, qui donne 
des cours a Tunis. C'est done la musique qui les reu- 
nit. II est vrai que le nom de jeune f ille d'Eva a une signi- 
fication instrumentale (et qu'elle deviendra en 1978 la 
marraine de la fanfare du l er regiment des hussards de 
Tarbes..,). Raymond Barre attaque : 

Je sais que vous etes hongroise. Aimez-vous Bela 
Bartok ? 

Pas autant que je devrais, lui repond-elle modes- 
tement avec son accent qu'elle n'a pas perdu. 

Ainsi naquit Pidylle. Pour Pinstant, Eva et M. Tutot 
ont decide de divorcer et entame la procedure. Eva 
regagne bientot Paris, retrouve enfin sa liberte... et celui 
qui a semble lui temoigner a Tunis beaucoup de sympa- 
thie. Tres vite, il manifeste Pintention de Pepouser. Elle 



LES DAMES DE DEM AIM 173 

ne se fait guere prier. Novembre 1954 : marche nup- 
tiale de Mendelssohn et grandes orgues pour la cere- 
monie religieuse a Paris puis valses de Strauss pour 
le voyage de noces a Vienne. Pour Eva, c'est le bonheur 
et c'est la fin de 1'insecurite, aux cotes d'un homrne dont 
la reputation de competence economique et f inanciere 
va bientot deborder les cercles universitaires et lui 
valoir de hautes fonctions au sein du Commissariat au 
plan, puis de la Communaute europeenne. Mais c'est 
le 12 Janvier 1976 que Raymond Barre fait sa verita- 
ble entree dans la vie publique en devenant le minis- 
tre du Commerce exterieur du gouvernement remanie 
de Jacques Chirac. 

La vie d've Barre connait un tournant brutal quand, 
le 27 aout de la meme annee, M. Giscard d'Estaing 
appelle M. Barre a Matignon, parce qu'il sait que ce der- 
nier est un economiste rigoureux qui aura le courage 
de dire aux Frangais que la periode des vaches grasses 
est terminee. 

Le couple a deux enfants, deux ganjons : Olivier et 
Nicolas. L'aine est plus proche de son pere et le second 
ressemble davantage a sa mere (Olivier a vingt ans et 
termine Sciences Po, lorsque son pere arrive a Mati- 
gnon. Nicolas a quinze ans alors et n'est qu'en troi- 
sieme). Jusqu'alors, le menage Barre menait une vie 
familiale paisible. Les postes universitaires de Ray- 
mond Barre, ses responsabilites au sein du cabinet de 
Jean-Marcel Jeanneney puis sa carriere europeenne, ne 
perturbaient guere la vie de son epouse. Elle ne Tavait 
pas suivi dans son exil beige. Le vice-president de 
la Commission europeenne de Bruxelles avait laisse sa 
famille a Neuilly-sur-Seine. II rejoignait les siens cha- 
que vendredi. Soirees familiales, etudes des enfants. 
Dans leur confortable appartement de 130 m 2 au 6 rue 
de Bagatelle a Neuilly, litterature, television et musi- 
que occupaient les week-ends. Le matin, Raymond 
Barre se rendait tot a la boulangerie voisine pour y 
acheter la baguette du petit dejeuner (invariablement, 



174 LES DAMES DE L'ELYSEE 

il precisait : Et surtout bien cuite ) et le samedi, le 
couple se rendait ponctuellement chez Hediard (dont 
une succursale etait installee a proximite de leur domi- 
cile) pour y faire provision de whisky (pour lui), de 
vodka et de champagne (pour elle). (Une amie lui a 
meme offert un petit agitateur de bulles de champa- 
gne en or qu've Barre aime porter discretement en 
sautoir.) 

On prof itait aussi du week-end pour faire les antiquai- 
res et se rendre aux expositions au Grand Palais. L'ete, 
on frequentait en vrais melomanes les festivals de musi- 
que : rarement Orange mais souvent Aix-en-Provence, 
Salzbourg (Mozart est le compositeur prefere de Ray- 
mond Barre) et quelquefois Bayreuth. Mais on se reser- 
vait toujours fin aout, debut septembre une semaine 
a Venise. La ville de cceur d've et Raymond Barre. On 
descendait a Photel de la Fenice (pres du theatre), a cinq 
minutes a pied de la place Saint-Marc. Un agreable eta- 
blissement (suranne et aussi charmant qu'un chande- 
lier en cristal) ou le directeur, Dante Apollonio, leur 
reservait la meme chambre. ve ne ratait jamais la 
regate du premier dimanche de septembre ou les gon- 
doliers exhibent les embarcations de parade des gran- 
des occasions. Palais deserts ou niarche grouillant du 
Rialto, quartiers aristocratiques ou ghetto juif , cafe Flo- 
rian ou simple trattoria, chefs-d'oeuvre a 1'Accademia 
ou simples calli delabres, les Barre adorent Venise. Get 
attachement profond du couple pour cette ville est peut- 
etre 1'echo de ces lignes de George Sand : Quand tout 
est blanc, 1'eau, le ciel et le marbre, les trois elements 
de Venise... je commence a ne plus vivre que par les 
pores et malheur a qui viendrait faire appel a mon ame ! 
Je vegete, je me repose, j'oublie. 

Charme physique, presque organique d'une ville ou 
le couple a ses itineraires, ses habitudes et ses souve- 
nirs amoureux. Et comme, en plus, Raymond Barre 
adore les pates et qu've aime siroter un campari a la 
terrasse du Chioggia... 



LES DAMES DE DEMAIN 175 

Meme en cet ete 1976, le sejour venitien n'est pas 
sacrif ie. Raymond Barre embarque pourtant dans une 
belle mais epineuse galere. Apres les huit cents jours 
de Jacques Chirac a Matignon, le voila maitre a bord. 
Tres rapidement, nait de lui 1'image du professeur qui 
estime avoir toujours raison et devoir naviguer sans 
souci des critiques au milieu d'un ocean 
d'incompetence. 

Je suis, aime-t-il repeter, un homme carre dans un 
corps rond. 

II a avec la presse une maniere inimitable de melan- 
ger la courtoisie et 1'ironie qui agacera la presse avant 
de la seduire a partir de 1981. Son epouse, pour sa part, 
apparait tres peu. 

Simplicite, modestie, discretion. A un hebdomadaire, 
elle confie que, devenue la deuxierne dame de 
France , elle ne va pas rayer de son emploi du temps 
sa grande passion : la couture, five Barre veut conti- 
nuer de faire les soldes, aller fouiner dans les petits 
magasins pour denicher les tissus qui lui inspireront 
les modeles de ses robes. Et les gazettes, unanimes a 
louer sa simplicite, la surprennent faisant ses emplet- 
tes au marche Saint-Pierre a la recherche d'imprimes 
dans lesquels, petite fee, elle va tailler ses elegantes 
robes de soiree. Paris-Match note toutefois que c'est 
avec sa couturiere favorite, la meme depuis vingt ans, 
qu'elle a congu et dessine la robe du soir qu'elle etren- 
nera lors du voyage officiel de son mari en Egypte... . 

Cependant, la situation de son epoux ne lui permet 
plus de se cantonner dans Tartisanat. Elle va vite deve- 
nir assidue aux collections de Chanel et Dior. 

Les medias diffusent cette anecdote, temoignage de 
sa discretion : travaillant febrilement a Tamenagement 
du nouvel appartement que le Premier ministre vient 
de louer dans le VII e arrondissement, five Barre a la 
surprise de s 'entendre demander ses papiers d'identite 
par un commer?ant qu'elle veut payer avec un cheque. 
N'ayant sur elle que sa carte de donneur de sang, elle 



176 LES DAMES DE L'ELYSEE 

se prepare a repartir, les mains vides, lorsque le bou- 
tiquier vient a son aide : Vous ressemblez beaucoup 
a Mme Raymond Barre. L'interessee en convient et 
les choses s'arrangent. Mais pas un instant, elle n'avait 
eu Tidee d'exciper de sa qualite de locataire de 1'hotel 
Matignon I 

Au debut, Raymond Barre, qui a horreur de modi- 
fier ses habitudes, n'habite pas completement Mati- 
gnon, malgre 1'insistance de sa femme. Mais lorsqu'il 
est bien installe dans son personnage officiel, il trans- 
porte finalemerit ses penates rue de Varennes. Tandis 
que Babar travaille douze heures par jour en fumant 
a la chaine des cigarettes anglaises a bout filtre ; Eve 
organise sa nouvelle vie. Reamenagement des salons 
de reception, installation d'un bureau personnel (Fran- 
goise Fabius prendra le rneme). On retire quelques toi- 
les, on commande des travaux de restauration dans les 
salons Regence ; ve dresse les menus des prochaines 
receptions avec 1'intendant, se rend dans les cuisines 
du rez-de-chaussee sous le regard d'un huissier a chaine 
d'argent, discute avec le chef-jardinier des nouvelles 
plantations du pare, monte et descend Pescalier de 
pierre XVIII 6 , traverse plusieurs pieces lambrissees... 
bref joue son nouveau role, meme si elle n'est pas tres 
a Taise. A la fin de 1'annee, elle confie excedee a une 
de ses amies : 

Je n'ai pas pu m'absenter de Matignon pendant les 
fetes. II y a tellernent de choses a faire ici. Je n'ai jamais 
une seconde a moi. 

Elle s'est fait beaucoup de soucis pour le premier 
Noel du personnel. Pas moyen de mettre la main sur 
une vedette libre. On va tout decommander, au tres vif 
rnecontentement de Mme Barre, quand quelqu'un reus- 
sit a decrocher en catastrophe Taccord de 1'illusionniste 
Dominique Webb. 

II n'y a pourtant pas de courant magique entre five 
Barre et le personnel de Matignon qui lui decerne bien- 
tot le surnom de Miss Aquarelle, en raison de son 



LES DAMES DE DEM AIM 111 

maquillage appuye. Mais il est difficile d'etre une par- 
faite maitresse de maison quand le personnel change 
sans cesse au rythme de la duree du service militaire. 
A Thotel Matignon, ce sont en effet des marins qui assu- 
rent 1'intendance : deux brigades de cinq hommes aux 
fourneaux sous les ordres d'un chef deja la du temps 
du president Pompidou, et un nombre egal de maitres 
d'hotel. Ce sont des appeles, ils changent sans arret et 
les nouveaux, bien sur, ne connaissent pas les usages 
de la maison. 

II y a une complicite evidente entre les deux epoux. 
Raymond Barre n'a peut-etre totalement confiance 
qu'en elle, meme si, parfois, elle 1'agace. Lorsque, le 
26 avril 1977, il expose a 1'Assemblee nationale son plan 
d'action pour les douze mois a venir, il sait que 
Mme Barre est la, face a lui, au premier rang des tri- 
bunes du public et cela le rassure. Selon Jours de 
France, elle ne cesse pas de le soutenir de sa presence 
discrete . II aime a la savoir presente quand il doit 
affronter la Chambre ou la television. Lors du debat 
sur la siderurgie, au printemps 1977, des collaborateurs 
de Matignon affirment qu'il ne parlera pas tel apres- 
midi, comme il est convenu. 

Mais enf in, pourquoi ? interrogent ceux qui croient 
le contraire. 

Parce que sa femme ne peut pas etre dans les tri- 
bunes. Or, elle vient ecouter tous les discours de son 
cher epoux. 

De la, le surnom de Cornelie que lui ont donne des 
attaches parlementaires facetieux. 

Entente d'un couple tres complementaire. Lui est une 
force de la nature. Patient, obstine, econome, sur de lui, 
il fait penser au boeuf . Mais depuis peu, il se reclame 
de la tortue. Il est peu influen^able. Antidogmatique, 
il affirme ne respecter que les faits, rien que les faits. 
Elle, avec son sourire melancolique, est une emotive. 
Assez susceptible, ombrageuse meme, plutot introver- 
tie, elle exteriorise rarement ses pensees et ses senti- 



178 LES DAMES DE L'ELYSgE 

ments mais, comme il arrive souvent quand on se 
retient, la reactivite peut etre tres forte, d'autant que 
Mme Barre n'est pas des plus souples. L'analyse gra- 
phologique met en evidence chez elle une intelligence 
analytique. L'affectivite s'avere tres complexe : elle se 
montre a la fois vulnerable, sensible et d'une severite 
qui parfois surprend et merne deconcerte, surtout 
lorsqu'elle s'emporte. Elle serait possessive, dynami- 
que, tres intuitive. Selon la graphologie, elle a les 
pieds sur terre ; elle possede une grande generosite, 
quoique controlee... 

Certaines bouderies et heurts du couple n'ont pas 
manque de temoins. Ainsi a la garden-party du 14 juillet 
1979 a 1'Elysee, Raymond est en train de faire des mes- 
ses basses avec Simone Veil quand il se sent tire par 
le veston. Geste irrite lorsqu'il constate que 1'importun 
n'est autre que... Mme Barre. Breve discussion en 
aparte a Tissue de laquelle M. Barre laisse son epouse 
plantee sur le gazon et s'eloigne sur ces mots : ve, 
on en reparlera a la maison. Laissez-moi respirer... 
Un temoin va meme jusqu'a raconter qu'en mars 1977, 
au soir des resultats des elections municipales a Paris 
(un triomphe pour Jacques Chirac), il y a une scene dans 
le bureau de Matignon. Elle etait completement pan- 
telante ce soir-la. Folle d'enervement devant les chif- 
fres qui arrivaient et qui condamnaient Michel 
d'Ornano, le candidat de M. Giscard d'Estaing. "C'est 
affolant, affolant, affolant", repetait-elle. Si fort et sur 
un ton si aigu que son epoux est entre dans une colere 
noire : "Si vous n'arretez pas, je vous mets dehors." 
Mais, elle a continue de plus belle. Alors Barre a 
explose : "Foutez immediatement le camp de mon 
bureau ou c'est moi qui ni'en vais !" Finalement sa 
femme est sortie, drapee dans sa dignite et je 1'ai sui- 
vie pour la consoler et la rassurer... 

ve Barre sait etre infatigable et stoi'que dans ses 
fonctions de representation. Ainsi, lors du voyage en 
Chine, le Premier ministre et son epouse regagnent leur 



LS DAMES DE DEMAIN 179 

hotel a Pekin, apres une journee de visiles exte- 
nuantes. L'interprete chinoise attachee a Mme Barre 
lui dit : 

Vous n'avez que le temps de vous recoiffer, 
Madame ! Dans dix minutes commence le diner off iciel. 

Mme Barre demande un delai de grace. Elle voudrait 
prendre une douche et changer de robe. 

Faites tres vite, replique 1'interprete et oubliez vos 
manies occidentales. 

five Barre ne bronche pas et decouvre sereinement 
que la politesse chinoise est une legende... 

Mais il iui arrive, comme a tous les personnages 
publics, de gaffer. Car il est impossible, quand on est 
traque par la presse, de faire sans cesse attention, de 
reprimer en permanence sa spontaneite. Ainsi, lorsque 
son mari se porte candidat a un siege de depute du 
Rhone, elle laisse echapper au cours d'un diner un 
Vivre a Lyon, jarnais ! qui ne tombe pas que dans 
des oreilles amies. De toute fa<jon, elle n'aura pas a y 
vivre. Elle n f y passe qu'episodiquement, le temps de 
faire quelques achats chez Bernachon, le f ameux cho- 
colatier, et de se montrer dans quelques receptions obli- 
gatoires. Elle a de la conscience professionnelle et c'est 
sans doute cela qui la pousse, en mai 1979, a avoir 
recours a un lifting pour paraitre au mieux dans ses 
obligations de representation. L' operation va faire 
Pobjet de commentaires presque politiques. En effet, 
la femme du Premier ministre n'hesite pas a franchir 
1'Atlantique pour se rendre a Rio de Janeiro, au debut 
du mois de mai. C'est rillustrissime Bresilien Ivo Pitan- 
guy (Liz Taylor, Barbra Streisand et Marisa Berenson 
le connaissent bien !) qui a le privilege de s'occuper de 
Mme Barre. L'af faire s'ebruite au point que, lors du 
congres des chirurgiens plastiques fran^ais (en ce 
meme mois de mai), Tun d'entre eux ne se gene pas pour 
declarer au micro d'Europe 1 : 

Lorsque nous voyons des personnes qui pourraient 
etre les mieux informees depenser des sommes d'argent 



180 LES DAMES DE L'ELYSEE 

considerables l pour une operation qui etait parfaite- 
ment realisable dans leur pays, nous pensons que c'est 
une injure a notre specialite et a la fagon dont nous 
Texergons. 

No comment du service de presse de Matignon. Apres 
un mois d'absence, Mme Barre fait une reapparition 
rernarquee a 1'occasion de la visite officielle en France 
du president colornbien, au debut du mois de juin. Elle 
a fort bonne mine dans sa robe longue doree de Chanel. 

Peu apres, Eve fait une gaffe en visitant la manufac- 
ture de Sevres avec Mme Diouf, 1'epouse du Premier 
ministre senegalais. Reflexion extasiee de cette 
derniere : 

Que c'est beau ! Ah ! Quel merveilleux pays que 
la France. 

Je trouve aussi, lui repond Mme Barre, avant 
d f ajouter : quand mon mari est fatigue par son combat 
quotidien, il dit que ce serait un beau pays si, helas ! 
il n'y avait pas les Frangais... 

Une oreille de journaliste tramait par la et nota cette 
reflexion a vrai dire tres gaullienne. Temoignages, indis- 
cretions, echos de la presse et surtout, rumeurs de sal- 
les de redaction et de diners en ville n'epargnent pas 
five Barre, aussi discrete soit-elle. Ainsi parle-t-on sou- 
vent de ce gout pour la bonne societe et notamment 
pour Paristocratie qui lui serait venu en meme temps 
que Matignon faisait d'elle un personnage evidemment 
tres sollicite. On note que les Barre passent un 
week-end au chateau d'Ansouis, chez le due et la 
duchesse d'Orleans, qu'ils dinent chez Marie-Helene de 
Rothschild ou chez la richissime Lydie Varsano. On 
ricane quand les Barre donnent un diner ou prennent 
place une bonne partie de nos dues. Mais n'est-ce pas 
simplement un hommage a la France permanente que 
representent les vieux noms de France ? 

II suffit qu've Barre se fasse photographier avec 

1. 80 000 francs, voyage compris. 



LES DAMES DE DEM AIM 181 

Grace de Monaco et partage avec Caroline le premier 
rang des collections de Marc Bohan ou de Karl Lager- 
feld... pour provoquer les railleries de ceux qui la trai- 
tent de snob ou de pushy et qui, generalement, le sont 
eux-memes. 

ve Barre est done persiflee plus qu'aucune autre 
femme de Premier ministre, plus meme que ne le fut 
Mme Messmer (baptisee Messmerralda). Christine Clerc 
aff irme qu've Barre garde un souvenir blessant d'un 
voyage officiel au cours duquel Anne-Aymone Giscard 
d'Estaing ne lui a pratiquement pas adresse la parole. 

On est evidemment injuste avec elle, caricaturant son 
besoin evident de plaire, ne soulignant pas assez ses 
qualites de maitresse de maison. Un de ses amis 
affirme : 

Elle sait recevoir avec beaucoup de simplicite. Elle 
parait tres a 1'aise en societe, mais elle n'a nul besoin 
des autres pour vivre. Elle a un sens prof ond de 1'ami- 
tie mais la volonte aussi de limiter le nombre de ses 
amis et de les trier sur le volet. 

Certaines langues se dechainent a propos de 1'achat 
d'un terrain a Saint Jean-Cap-Ferrat : Les Dauphins. Au 
point que Guy Porte, dans un article du journal le 
Monde (12octobre 1979), ecrit : La France entiere 
n'ignore plus desormais que le Premier ministre y pen- 
dra la cremaillere dans le courant de Pannee pro- 
chaine... Cette construction de style proven^al sur 
deux niveaux, couverte de tuiles romanes, aux murs 
ocre clair et aux volets vert olive est evidemment des 
plus agreables. Quatre chambres, un bureau, un salon, 
une cuisine-salle a manger, un garage, deux terrasses 
et une piscine. La maison a vue sur la baie de Beaulieu 
et les collines d'Eze. 

La celerite etonnante de Tadministration provoque 
a Tautomne 1979 bien des reflexions. Le Monde titre : 
Le Scandale ? Quel scandale ? Oui. Quel scandale ? 
N'est-il pas naturel que le directeur de Purbanisme faci- 
lite les choses au Premier ministre ? Crie-t-on au scan- 



182 LES DAMES DE L'ELYSEE 

dale si M. Mitterrand ou M. Mauroy ou M. Fabius 
obtiennent de I'administration, pour leurs affaires per- 
sonnelles, des facilites que n'aura pas le citoyen 
ordinaire ? 

Mais voila : le site de Saint-Jean-Cap-Ferrat a toujours 
eu les f aveurs d'une clientele opulente (de Gregory Peck 
aux Rothschild) et on s'empresse de souligner les fre- 
quentations des Barre. Us dinent au palais princier de 
Monaco (conversation pref eree entre Grace et ve : les 
fleurs), ils soupent chez la Begum dans sa villa Yaki- 
mour au Cannet. 

En fait, ve ne sort plus beaucoup a Saint-Jean-Cap- 
Ferrat, Elle s'occupe davantage de sa maison, de son 
jardin, de ses fleurs. 

Elle est tres calee, reconnait Raymond Barre. Elle 
m'apprend a ne pas confondre les hibiscus, les datu- 
ras et les begonias. 

Elle nage dans sa piscine, joue au bridge et chaque 
soir vers 19 heures, ceremonie rituelle, prend 1'aperi- 
tif avec son mari sur leur terrasse ombragee. 

Elle partage son temps entre la Cote d'Azur et son 
appartement parisien (ils en sont locataires), situe au 
4-6 de 1'avenue fimile-Acollas, une avenue parallele a 
1'avenue de Suffren (a deux pas du Champ de Mars). 
Le logement (Eve a surveille tous les jours 1'avancement 
du chantier des travaux considerables qui y ont ete 
effectues) occupe au sixieme etage une superficie de 
280 m 2 , y compris un vaste balcon couvrant toute la 
fagade. II comporte douze pieces, plus deux chambres 
de bonne a Tetage superieur. Raymond Barre n'y est 
que le soir puisqu'il se partage desormais entre 1'Assem- 
blee nationale et son QG du boulevard Saint-Germain. 

Aujourd'hui five Barre niene une vie calme, assez 
douillette. Elle se fait conduire par son chauffeur 
jusqu'au magasin des Trois Quartiers ou elle aime faire 
ses courses, suit toujours les collections de quelques 
grands couturiers, sort regulierement a TOpera (gene- 
ralement sans son mari) ou Tadministrateur lui reserve 



LS DAMES DE DEMAIN 183 

toujours deux places au premier rang de corbeille, mais 
evite soigneusement les soirees de gala organisees par 
Marina de Brantes, belle-soeur de Mme Giscard 
d'Estaing... 

En fait, que ce soit pendant ou apres le sejour de son 
mari a Matignon, elle aura ete, pour le grand public, 
la plus discrete avec Mme Debre et Mme Mauroy 
des femmes de Premier ministre. Le public ne la voit 
guere a la television que lors des emissions comme 
I'Heure de virile. On 1'y voit toujours regardant son 
mari avec un sourire admiratif et complice. 

La campagne presidentielle de 1988, dont Raymond 
Barre ne saurait etre absent, va la mettre en pleine 
lumiere. Reputee tres intuitive, elle saura vraisembla- 
blement adapter son look car 1'epouse aura sa part dans 
le poids electoral du candidat. Cela dit, elle limitera ses 
apparitions, car il n'est pas dans la nature de M. Barre 
de faire une campagne a ramericaine. 



Bernadette Chirac 



Lorsque, le 27 mai 1974, le jour meme de son entree 
a 1'Elysee, Valery Giscard d'Estaing designe Jacques 
Chirac comme Premier ministre, il propulse en meme 
temps son epouse Bernadette sous les projecteurs de 
1'actualite. 

Pour le dernier ministre de 1'Interieur de Georges 
Pompidou, cette accession a Matignon recompense le 
soutien peut-etre determinant qu'il lui a apporte pen- 
dant la campagne presidentielle. Pour Bernadette, Mati- 
gnon n'est pas un cadeau, du moins sur le plan pratique. 

Mme Couve de Murville disait : Je deteste Mati- 
gnon , Mme Debre : J'en ai horreur. Gilberte Mess- 
mer, avec son franc-parler, n'etait guere plus 
indulgente : 

En arrivant, j'ai tout de suite compris. La demeure 
du Premier ministre, c'est une maison de fonctions pour 
hornmes seuls. II n'y a meme pas de personnel feminin. 
On y coud ses boutons soi-meme, on refait ses ourlets 
soi-meme. Et ne vous avisez surtout pas d'avoir des 
enfants quand vous etes Premier ministre. Les appar- 
tements personnels sont composes d'une seule cham- 
bre avec deux petits lits jumeaux dans laquelle on entre 
par des marches sur lesquelles on se casse immanqua- 
blement la figure... 

La nouvelle maitresse des lieux joue pourtant le jeu. 



LES DAMES DE DEMAIN 185 

Elle quitte son apparternent du XVI e arrondissement 
(57, rue Boissiere) pour la rue de Varenne, mais elle 
prend soin d'y faire quelques travaux . Grace a elle, 
les pieces de I'appartement de fonctions, qui avaient 
ete transformees en bureaux, retrouvent leur vocation 
premiere. Elle fait remplacer les moquettes, retendre 
des tissus aux murs, redorer les boiseries et les lustres 
des salons. Depuis Michel Debre, de 1959 a 1962, c'est 
la premiere fois qu'un chef de gouvernement vit avec 
des enfants a Matignon. 

L'endroit ne manque pas de charme. Le pare semble 
seduire tous les oiseaux de Paris : mesanges, merles, 
pinsons, grives et meme une chouette qui hulule la nuit. 
II existe aussi au fond du jardin un pavilion de musi- 
que exquis que Talleyrand avait fait construire. 

Bernadette se fait amenager une charmante piece de 
travail. La photo de Jacques trone sur un bureau 
Louis XV (qu'utilisa Mme Pompidou pendant ses 
annees a Matignon). M. Waki, 1'ancien chef de 1'Elysee, 
vient prendre en main les cuisines de Matignon et y pre- 
parer les plats canaille qu'affectionne le Premier 
ministre dont Tappetit est connu : tete de veau, tripes 
et pot-au-feu. 

Ce sont des marins qui assurent Pintendance (deux 
brigades de cinq personnes) avec un nombre egal de 
maitres d'hotel. 

Au contraire des epouses des precedents locataires 
du 47 rue de Varenne, Bernadette Chirac apprecie vite 
cette residence somptueuse, construite en 1721, et qui 
doit son nom a Jacques de Goyon de Matignon. Et c'est 
sans deplaisir qu'elle la retrouvera en mars 1986. Au 
cours de ses deux sejours elle a reussi a rnarquer de 
son empreinte Photel et le pare (de deux hectares et 
demi) qui s'etend jusqu'a la rue de Babylone. Elle n'a 
cesse de les peaufiner pour leur donner un cachet plus 
personnel, plus intiine, tout en ne sacrifiant pas le faste 
des lieux : 

Des notre retour dans cette maison, je me suis 



186 LS DAMES DE L'LYSE 

occupee de faire restaurer les imposants lustres de cris- 
tal des deux grands salons Regence. 

Elle fait planter des roses the et des roses blanches 
dans le pare* Elle veille aux bouquets d'apparat (avec, 
comme Claude Pompidou, le blanc comme couleur 
dorninante) qui ornent la salle a manger du premier 
etage. Vaisselle de Limoges signee Havilland, argente- 
rie gravee RF, nappe Penelope, tapis d'Aubusson et aux 
rnurs des tableaux d'Hubert Robert... Dejeuner a Mati- 
gnon est plein de charme meme si Bernadette Chirac 
affecte de souffrir de Texiguite des lieux. 

La salle a manger est plus petite qu'il n'y parait. 
S'il y a davantage de monde, nous sommes obliges de 
recevoir au Quai d'Orsay. 

Lors de son premier passage a Thotel Matignon, elle 
commande un service de Limoges vert et blanc que 
Mmes Barre, Mauroy et Fabius s'empresseront de ne 
jamais utiliser. II sert de nouveau aujourd'hui. 

Cela fait une etrange impression de se retrouver 
dans ce cadre qui evoque pour moi tant de souvenirs ! 
reconnait-elle. Cela s'explique mal, mais on retrouve 
des odeurs, des emotions, tout ce qui fait une atmo- 
sphere... C'est vrai, je connais bien cet endroit. 

II est d'ailleurs presque naturel que Bernadette Chi- 
rac aime cette demeure au coeur du Faubourg Saint- 
Germain, dont Louise Grimaldi, la duchesse de Galliera, 
ie due de Montpensier, le prince de Talleyrand furent 
les maitres de maison... 

Toutefois, les Chirac ne s'y plaisent pas au point 
d'avoir quitte leur appartement de 1'Hotel de Ville. 
Matignon ne sert que pour le travail et les dejeuners. 

Bernadette Chodron de Courcel est nee a Paris le 
18 rnai 1933. Sa mere est nee Marguerite Marie de Bron- 
deau. Son pere se prenomme Jean. Bernadette a une 
soeur Catherine (Mme Bruno Thierion de Monclin) et 
un frere Jerome. On a souvent souligne qu'avec son 
mariage Jacques Chirac est entre dans un milieu social 



LES DAMES DE DEMAIN 187 

un peu plus huppe que le sien. II en est souvent ainsi 
des jeunes hommes brillants et ambitieux. 

Famille de la grande bourgeoisie, les Chodron de 
Courcel se sont fait connaitre au XVIIP siecle avec 
Joseph Chodron, controleur general des domaines du 
prince de Conde. Louis Chodron entra dans la diplo- 
matic sous les auspices de Talleyrand dont il avait ete 
le secretaire et fut autorise par decret en 1852 a join- 
dre a son nom celui de Courcel qu'il portait deja. Son 
fils aine fut ambassadeur et re?ut de Napoleon III en 
1867 le titre de baron. Aujourd'hui le plus illustre des 
Courcel est Geoffroy, compagnon historique 
du general de Gaulle des 1940, ancien secretaire 
general de PElysee sous de Gaulle, ambassadeur 
de France... et oncle a la mode de Bretagne de 
Mme Chirac. 

Bernadette Chirac est aussi 1'arriere-petite-niece de 
Charles de Lasteyrie, ministre des Finances de Poincare 
en 1922. Et lorsque Ton ajoute que deux des tantes de 
Bernadette ont epouse les deux freres Panhard... on 
mesure que, familialement, elle appartenait deja aux 
cercles dirigeants. Ce n'etait pas le cas de son epoux. 

Le 16 mars 1956, Jacques Chirac, petit-fils d'institu- 
teur correzien, epouse done Bernadette Chodron de 
Courcel. (Lui dans son uniforme du 6 e regiment de chas- 
seurs d'Afrique avec kepi et gants blancs elle dans 
une tres classique robe de mariee avec voile et boucles 
d'oreilles blanches.) 

Tout a commence sur les banes de Sciences Po, rue 
Saint-Guillaume, en octobre 1951. Django Reinhardt et 
Boris Vian font vibrer Saint-Germain-des-Pres et les 
cafes du boulevard Saint-Germain sont encore a la 
mode. Jacques Chirac est grand, un brin desinvolte, tres 
bronze, il a une coupe de cheveux a la Gary Grant. Ber- 
nadette est petite, distinguee, elle a le sourire mesure, 
les cheveux boucles, la demarche hesitante. II a dix-neuf 
ans, et elle dix-huit. Il a deja son allure de f onceur, alors 
qu'elle n'abandonnera jamais cette retenue qui tient a 



188 LES DAMES DE L'ZLYSEE 

la fois a sa nature et a sa bonne education. L'a-t-elle 
remarque lors de la rentree de 1951 ? 

Pas du tout, aff irme pudiquement 1'interessee. Je 
n'y avals meme pas fait attention. Qu'est-ce que vous 
vouliez qu'il represente pour moi ? Un etudiant comme 
un autre, on etait une trentaine... J'etais encore terri- 
blement timide et tellement affolee de ne pas etre a la 
hauteur, parce que c'est dur Sciences Po et je n'avais 
que dix-huit ans... 

Un temoin acerbe ecrit alors : Elle correspondait 
trait pour trait a ces petites filles appliquees qui pas- 
sent des heures en bibliotheque. Aussi la bibliothe- 
que de Sciences Po sombre grand hall Xix e fut- 
elle le theatre de leur rencontre : 

J'etais la, a la bibliotheque, je faisais la queue pour 
demander des ouvrages car je m'etais designee la pre- 
miere pour choisir un expose et pour vaincre mon epou- 
vantable timidite. J'avais done choisi le sujet et il fal- 
lait que je me mette tout de suite au travail. Tout a coup, 
je vois cette espece de grand type qui s'approche de moi 
et qui me dit : Mademoiselle, je vais organiser un 
groupe de travail auquel peuvent participer quatre ou 
cinq etudiants... Etudiants qu'il avait lui-meme deja 
selectionnes et dont il voulait prendre la tete bien 
entendu. II m'a done dit : Je serais heureux que vous 
fassiez partie de mon groupe de travail. Est-ce que vous 
accepteriez ? II m'a agacee sur le moment. Je me suis 
dit : Qu'est-ce que c'est que ce grand type qui vient 
me demander quelque chose alors que je suis deja noyee 
par le travail ? En fait, j'ai fini par accepter... 

II a commence par la vouvoyer ce qui, a 1'epoque, etait 
general on ne se tutoyait pas d'entree comme 
aujourd'hui mais ce vouvoiement est demeure, ce qui 
est plus rare. A Virginie Merlin, Bernadette Chirac a 
raconte revolution bien lente de leur idylle : 

II ne m'a pas fait la cour tout de suite. On a conti- 
nue nos etudes chacun de son cote, lui en seconde 
annee, dans une conference, moi dans une autre et puis 



LES DAMES DE DEMAIN 189 

1'annee du diplome, alors que nous etions dans des con- 
ferences differentes, nous nous sommes fiances. 

Lorsqu'on interroge Bernadette Chirac sur ce qui Fa 
seduite chez son mari, elle fait une reponse etonnam- 
ment modeste : 

Qu ; est-ce qui m'a seduite chez lui ? Peut-etre que 
ce jeune homme si remarquable m'ait remarquee. 

Cependant elle ajoute : 

Son dynamisme et sa generosite sont les qualites 
que j 'admire le plus chez lui. 

Us se fiancent au debut de Fete 1954. Bernadette 
a-t-elle ete vraiment surprise de la demande en 
mariage ? 

a s'est fait comme ?a, un peu brutalement, en fin 
de troisieme annee. Je ne peux pas dire que cela a ete 
le resultat d'une longue lutte. II me poursuivait beau- 
coup au telephone. II m'appelait chez mes parents, quel- 
quefois trois ou quatre fois par jour, pour me deman- 
der n'importe quoi, les choses les plus futiles de la 
terre... 

Bernadette Chirac s'avoue timide, comme une bonne 
partie des epouses des grands caimans de la politique. 
Mais elle sait prendre sur elle. 

Quand j'etais jeune fille, toute la famille se gaus- 
sait de ma timidite. Mais depuis mon enfance, j'ai tou- 
jours ete habituee a faire face. 

Ainsi pendant la guerre, son pere etant en captivite, 
elle habite avec ses grands-parents maternels dans le 
Lot-et-Garonne et va a Tecole en velo : 

J'avais seize kilometres a faire a bicyclette. Et pas 
question de se plaindre... J'etais une enfant que Ton for- 
9ait a faire des choses qu'elle n'avait pas envie de faire. 
On m'obligeait a jouer dans les concours de piano... 

Faut-il se f ier au comportement exterieur de Berna- 
dette Chirac, a son apparence, a sa frele silhouette, a 
ses grands yeux ou la determination se mele a 
Tanxiete ? C'est une acharnee sans violence , dit-on. 

Elle n'est ni une femme mentor style Rosalyn Car- 



190 LES DAMES DE L'ELYSEE 

ter, ni une revoltee style Margaret Trudeau, encore 
moins une femme star style Jackie Kennedy. Elle appar- 
tient a une autre espece : celle des f emmes en apparence 
effacees mais riches d'une forte personnalite. Dans une 
interview restee celebre (Elle, 17 septembre 1979), Ber- 
nadette Chirac n'y va d'ailleurs pas par quatre che- 
mins : Quand je n'ai pas envie d'aller quelque part, 
je n'y vais pas... Si Ton ne discute pas avec moi, je 
prends la porte et ne citons pas (encore) ses propos 
cinglants concernant ses rapports avec Marie-France 
Garaud. 

L' analyse graphologique de son ecriture ! met en 
lumiere une volonte et une perseverance a toute 
epreuve. Cette volonte s'appuie sur une activite devo- 
rante, des reactions percutantes et une emotivite assez 
bien dissimulee. Peu influengable, mais tres subjective. 
Son ecriture traduit une tendance a une forte reacti- 
vite : elle ne doit pas etre facile a manier. Elle doit etre 
sensible aux echecs et aux critiques qui Tirritent beau- 
coup plus qu'ils ne Tabattent. Belle intelligence souple, 
ironique, a tendance analytique c ; est-a-dire qu'elle 
distingue le moindre detail d'une situation donnee ou 
d'un evenement vecu. Mais curiosite moyenne. L'ensem- 
ble du dessin exprime un dynamisme qui apparait dans 
sa plenitude. Affectueuse sans etre demonstrative, avec 
un type de caractere fidele et devoue, mais aussi un sens 
pousse de la maniaquerie . On verra qu'en de nom- 
breux points, Tanalyse est confirmee. 

Pendant tres longtemps, Mme Chirac, qui estimait 
qu'elle n'avait pas a intervenir dans la vie politique de 
son mari, s'est contentee d'elever ses deux filles et de 
tenir sa maison. Mais rester dans les coulisses ne veut 
pas dire rester inactif (d'autant que les fourneaux ne 
Tattirent guere : elle deteste faire la cuisine et recon- 
nait n'avoir vraiment rien d'un cordon bleu). Elle che- 

1. Je rappelle que le graphologue auquel j'ai soumis 1'ecriture 
des personnalites traitees dans ce livre ignorait 1'identite du 
scripteur. 



LES DAMES DE DEMAIN 191 

mine a sa f agon et gagne le surnom de tortue par oppo- 
sition a son lievre de mari toujours presse. L'hommage 
rendu recemment a la tortue par M. Barre n'a pas du 
lui deplaire. 

Elle va toujours demeurer la fan de son mari, avec 
son indispensable soutien moral : 

Je fais toujours le point avec lui, comme le font 
les femmes d'hommes politiques en general. Et quand 
il a en a termine avec ses charges, ses fonctions, ses 
responsabilites, il s'est toujours retrouve dans une 
ambiance familiale de serenite, de calme... C'est 
quelqu'un a qui j'ai toujours epargne les problemes quo- 
tidiens que la vie peut apporter. 

A elle, sans doute, de faire le plus possible bonne 
figure, meme quand elle n'en a pas envie, a elle peut- 
etre de taire souvent ce qu'elle a sur le coeur. 

A elle, surement, les taches pratiques auxquelles le 
Premier ministre, le maire de Paris, n'a guere le temps 
de se consacrer. A commencer par les valises et la 
garde-robe. 

Il ne supporterait pas que quelqu'un d'autre que 
moi touche a ses valises ! Vieille habitude du temps des 
stages de 1'ENA, quand nous etions encore un menage 
d'etudiants, comment e-t-elle. 

Le conseille-t-elle sur le choix de ses vetements ? 

a, je m'en occupe, dit-elle. Qa ne 1'interesse pas 
beaucoup. II me fait totalement confiance. 

On peut penser que sa vie d'epouse de chef de gou- 
vernement ne consiste pas seulement a faciliter la vie 
de son brillant epoux et a subir passivement son rythme 
trepidant, et pourtant... 

II y a beaucoup de choses dont j'ai souffert. Pas 
la peine de s'y arreter... 

De Tart de simplifier au mieux Texistence mouvemen- 
tee de Jacques Chirac qui, ambition et vitalite melees, 
est depuis Tune des stars de la vie politique, Bernadette 
est devenue orfevre. 

Rien de tout cela n'etait previsible quand j'ai 



192 LES DAMES DE L'ELYSEE 

epouse Jacques. II me paraissait plutot destine a mener 
1'existence paisible d'un haul fonctionnaire... 

Bernadette a eu le loisir d'apprendre qu'etre 1'epouse 
d'un homme politique, cela veut dire etre terriblement 
seule. Pour elever ses enfants et pour profiler de la vie. 

Jacques est un bucheur. II travaille enormement. 
C'est d'ailleurs une chose que je lui reproche ; il ne sait 
pas s'extraire de son travail, de ses preoccupations, de 
ses responsabilites. Je crois que quand on arrive a un 
certain niveau de responsabilites, il est indispensable 
de savoir se menager des plages de silence, de sport, 
de promenade ou de spectacle... Or le temps qui lui 
reste, il le consacre a dormir. 

Mais de cette activite politique forcenee, elle 
concede : 

C'est vraiment sa vocation. Je ne 1'imagine pas un 
instant menant une existence differente. C'est ce qui 
lui donne la force de s'investir totalement dans ce qu'il 
fait. 

Alors, Bernadette Chirac s'est mise au diapason. Cor- 
reze oblige, elle se presente aux elections municipales 
de mars 1971 a Sarran (la commune de leur chateau 
de Bity) ou elle est elue au premier tour avec 93 pour 
cent des voix. Un record national ! Elle devient plus tard 
maire adjoint et cumule cette fonction depuis 1'election 
de mars 1979 avec un mandat de conseiller general de 
Correze. Elle y est elue et reelue avec des scores qui 
laissent reveur. La blonde Mme Chirac est une habi- 
tuee des campagnes electorates. 

Depuis des annees, j'ai fait toutes celles de mon 
mari. 

Ainsi, des 1966, quand son jeune loup se parachute 
en Correze et prend chaque week-end le train pour sa 
future circonscription, Bernadette fait de meme. A elle 
de sillonner les petites routes sinueuses, de tenir la per- 
manence du depute, son secretariat, de multiplier les 
visites aux futurs electeurs. A Christine Clerc, elle 
avoue : 



LES DAMES DE DEM AIM 193 

Je me rendais compte qu'il entrait dans un engre- 
nage et qu'il allait etre bouffe. Je n'avais pas le choix : 
il f allait que je prenne le train en marche ou que je m'en 
aille. Si vous tenez a votre marl, il faut prendre le train... 

Depuis, Bernadette s'est transformee. Jacques Chi- 
rac aime le repeter avec une certaine fierte, depuis 
qu'elle a ete elue conseiller general de la Correze : 

Ma femme est devenue un homme politique. 
Lors de la premiere election de sa femme en Correze, 

il lui offre une gourmette incrustee de petits saphirs 
et de diamants, et depuis cette date, chacun de ses suc- 
ces electoraux est recompense par un bracelet identi- 
que, mais de couleur differente. 

Bernadette s'est prise au jeu. Elle se passionne cha- 
que jour davantage pour la politique : elle lit tous les 
journaux, bavarde avec tous les cadres du RPR lors des 
grandes reunions politiques et conseille quand elle le 
peut son mari. 

La politique pour moi n'est pas une affaire de per- 
sonne, precise-t-elle. Il ne s'agit pas seulement d'aider 
mon mari, il s'agit de servir 1'ideal pour lequel il se bat. 

Son entourage pense parfois qu'elle a une influence 
qu'on a trop sous-estimee. 

Ainsi elle a joue un role capital dans le depart en 1979 
alors que Chirac, maire de Paris, menait une sorte 
de guerilla contre le gouvernement Barre des deux 
principaux conseillers politiques de son mari : Pierre 
Juillet et Marie-France Garaud, dont elle trouvait 
1' emprise excessive. Il semble en fait que 1'hostilite ait 
commence a la suite de 1'accident de voiture de Jacques 
Chirac. Elle apprend la nouvelle (alors qu'avec Claude 
Pompidou, elle s'appretait a inaugurer un etablisse- 
ment de la f ondation Claude-Pompidou dans la region) 
et se rend immediatement a Thopital Cochin. A 1'heure 
du dejeuner, les deux femmes gagnent un restaurant 
voisin. Pendant leur absence, arrive Pierre Juillet qui 
trouve Jacques Chirac seul, en mauvais etat. Le soir 
meme, il murmure dans 1'entourage du maire de Paris : 



194 LES DAMES DE L'ELYSEE 

J'ai trouve Jacques abandonne. Comme 1'ecrit 
Thierry Desjardins, jamais Mme Chirac ne lui pardon- 
nera cette phrase injuste. 

En avril 1979, la guerre qui couvait depuis longtemps 
est ouvertement declaree. Bernadette met tout son 
poids dans la balance, en posant un ultimatum. Elle 1'a 
elle-meme raconte. Le soir du 11 juin 1979, elle dit a 

son mari : 

Quel que soit le resultat des elections, ces gens-la 
s'en iront. Ou bien c'est moi qui partirai. 

Le lendemain, Pierre Juillet et Marie-France Garaud 
regagnent leurs domaines respectif s de la Creuse et du 
Poitou. Les confidences de Bernadette Chirac a propos 
de Marie-France Garaud (parues dans Elle 1 ) ne man- 
quent pas de sel : C'est une femme tres intelligente 
et pleine de charme mais elle a beaucoup de mepris 
pour les gens, Elle les utilise puis elle les jette. Moi, 
elle me prenait pour une parfaite imbecile... Son tort 
a ete de ne pas se mefier assez de moi. On ne se mefie 
jamais assez des bonnes femmes. 

Bernadette s'efforce aujourd'hui d'assumer ses res- 
ponsabilites en Correze, meme si elle n'y sejourne 
qu'episodiquement : 

Je suis une travailleuse. Je tiens a remplir ces man- 
dats avec serieux et efficacite. 

Aujourd'hui, les vacances au pays sont f inalement 
accaparees par le travail II y a les inaugurations, les 
manifestations de toute nature (elle a joue un role deci- 
sif dans la resurrection du Bol d'Or des Monedieres, 
course motocycliste reputee). Tout juste si elle a le 
temps de profiter de Bity. 

Bity : un chateau qui a fait couler beaucoup d'encre. 
Mine Chirac prefere parler de gentilhommiere. Car pos- 
seder un chateau n'est pas des plus recommandables 
pour un homme politique, dans une France ou 1'esprit 
republicain n'est pas une chimere. 



1. Interview de Christine Clerc, 17 septembre 1979. 



LES DAMES DE DEMAIN 195 

C'est une gentilhommiere conime il en existe des 
dizaines dans la region, confie-t-elle. Nous Pavons ache- 
tee en 1969. Des que je Pai vue, je suis tombee amou- 
reuse de son escalier de granit rose... 

C'est en mars 1969 que Jacques Chirac s'est porte 
acquereur du chateau de Bity (Haute-Correze), 
Pancienne propriete d'un rnousquetaire du roi, Jean de 
la Selve de Bity. Une demeure du XVII C siecle avec un 
pare de 11 hectares achetee pour la somme de 
210 000 F. Certains ont naturellement ricane, trouvant 
ce prix tres has, et parle de dessous de table. Us affec- 
taient de ne pas savoir qu'on ne se bouscule pas pour 
acheter des chateaux en mauvais etat. Ainsi, vers 1975, 
le prestigieux Valengay et son pare de 17 hectares n'ont 
ete payes que 1 200 000 francs par le Conseil general 
de PIndre. 

Peu apres son achat, Bity est classe monument his- 
torique. En fait, la demande de classement, votee par 
le Conseil general, remontait a plusieurs annees. Mais 
cela permet a Popposition de denoncer le scandale du 
chateau-Chirac . Pour restaurer le chateau, Chirac 
peut ainsi, en 1969, recevoir 20 000 francs de subven- 
tions et, en 1970, 40 000 francs, ce qui n'a rien d'extraor- 
dinaire. II est legalement autorise, en 1971, a defalquer 
de ses impots une partie de ses depenses personnelles 
de restauration. C'est normal et c'est a cette condition 
que Pon peut encore sauver les demeures historiques. 
Mais les haines politiques sont sourdes a des notions 
telles que celle du patrimoine historique. 

La demeure peut se visiter exceptionnellement, apres 
demande ecrite. Deux solides batiments Pencadrent et 
sa fagade de granit rose a quatre niveaux percee de 
vingt-quatre fenetres est d'une harmonie souriante. Le 
charme est en partie du a quatre tourelles rondes, deve- 
nues petits salons de lecture. 

Les gouts de Bernadette en matiere d'ameublement 
sont precis : La Haute fipoque Louis XIII pour son 
austerite et son caractere tres pur qui s'harmonise avec 



196 LES DAMES DE L'ELYSEE 

Tarchitecture et la sculpture de cette periode. Le XVIII 6 
pour son elegance, sa grace, la finesse et la delicatesse 
des lignes et des couleurs. 

Bernadette Chirac, dont la principale qualite (ou le 
principal defaut ?) est d'etre tres perfectionniste ( Jac- 
ques trouve que c'est parfois assommant d'avoir une 
femine qui lui fait remarquer tout ce qui ne va pas ) 
ne confie evidemment a personne le soin de s'occuper 
de la decoration des pieces. Sa couleur preferee etant 
le bleu, elle fait amenager en bleu ciel les salles de bains 
carrelees du premier etage, tout comme la grande piece 
mansardee au second. Elle deniche des toiles damas- 
sees portugaises d'aspect rustique pour tapisser les 
murs des chambres d ; amis. Elle trouve chez un anti- 
quaire (courir les antiquaires est une passion commune 
du couple) un gueridon en marqueterie et porcelaine 
de Sevres pour le salon, choisit les rideaux en chintz 
et impose dans certaines pieces une profusion de tis- 
sus trapes, tendus, matelasses. De la soie, du coton, de 
la laine, des impressions fleuries, des rayures, des 
cachemires... 

Plus encore qu'a Bity, c'est a 1'hotel de ville qu'elle 
impose son sceau decoratif . Les Chirac y vivent depuis 
1977. Les 1 600 metres carres, qui constituent au pre- 
mier etage ses appartements prives, s'y pretent. Trois 
salons, un fumoir, une bibliotheque, un bureau pour 
Madame, une salle a manger, trois chambres a coucher, 
quatre salles de bains, deux cuisines, un office, une lin- 
gerie, plusieurs chambres de service, le tout relie par 
d'imposantes galeries... On ne manque guere d'espace. 

La plupart des fenetres sont munies de doubles vitres 
(a 1'abri des balles ou du bruit ?). Le cadre est superbe. 

J'ai voulu creer un cadre agreable avec des objets 
que nous aimons particulierement : porcelaines chinoi- 
ses, livres anciens, tapisseries. 

Tentures, tissus et tapis rivalisent de bleu et contras- 
tent d'autant mieux avec les canapes blancs de son 
salon. Symetrie dans la disposition des meubles, des 



LES DAMES DE DEMAIN 197 

sieges, des objets et des lampes. Omnipresence de mer- 
veilleux bouquets fleuris et, partout, absolument par- 
tout, des porcelaines chinoises. Mme Chirac possede 
meme une porcelaine de la periode Tsing (fin du XVII e 
siecle), don de Teng Hsiao-Ping, le dirigeant chinois 
(c'est un cadeau exceptionnel, car les autorites chinoi- 
ses interdisent 1'exportation d'objets d'art vieux de plus 
de cent cinquante ans). Les deux chiens, plus que 
remuants (Jasmine, chienne braque d'Auvergne off erte 
par Valery Giscard d'Estaing, et Socrate, qui a remplace 
Uxcal off ert par Pierre Juillet), sont pries de f aire atten- 
tion. Pour les rappeler a 1'ordre, le personnel ne man- 
que pas : un maitre d'hotel espagnol (conime chez les 
Giscard d'Estaing), un chef-cuisinier berrichon, une lin- 
gere, une femme de chambre, deux femmes de menage, 
trois chauffeurs, un jardinier et une fleuriste. 
Ses activites en tant qu'epouse du maire de Paris ? 

Elles sont multiples et bien sur liees au mandat 
du maire de Paris. Elles se situent dans des domaines 
tres divers, en particulier social et culturel. Passant 
d'une creche municipale a la visite d'un bureau d'aide 
sociale de la ville, d'un club du troisieme age a une fete 
organisee dans une mairie, presidant les reunions de 
1'association pour la promotion des arts a 1'Hotel de 
Ville de Paris (association qu'elle a creee en 1977), rece- 
vant a 1'Hotel de Ville Reagan, Gorbatchev ou Rajiv 
Gandhi, Bernadette Chirac joue le jeu. Representation 
et mondanites au programme. 

C'est vrai, je 1'assume. Mon mari n'en a ni le gout, 
ni le temps. Moi, je trouve cela tres interessant de ren- 
contrer sans cesse des gens foncierement differents. 

Inutile de dire que, depuis mars 1986, Mme Chirac, 
epouse d'un homme cumulant le gouvernement de la 
France et celui de Paris, et detenteur de mandats de 
Correze, n'a pas une minute pour s'occuper 
d'elle-meme. 

On la sent desireuse d'imposer une image de super- 
professionnelle, a la hauteur de ce cumul de charges 



198 LES DAMES DE L'GLYSEE 

et d'honneurs. Son parfum n'est-il pas Paris d'Yves 
Saint-Laurent ? 

Guy Laroche et Pierre Cardin Phabillent de fagon 
intelligente (elle leur fait quelquefois des infidelites 
avec Lanvin). Pour son maquillage, elle n'utilise que des 
produits Guerlain et se rend regulierement pour des 
soins a Pinstitut de la rue de Sevres. Par courtoisie, tai- 
sons le nom celebre de son coiffeur : Bernadette Chi- 
rac est souvent trop laquee, sa coiffure est trop gon- 
flee, sans vie, sans mouvement (on dirait une 
perruque !). 

Avec son temperament serieux, son sens du devoir, 
son souci d'efficacite, on finit par se demander si elle 
ne cesse pas d'exister pour elle-meme. Y a-t-il encore 
la place pour un jardin secret ? (II est amusant de noter 
que Georges Delbard a mis au point, aux floralies de 
Paris en 1979, un rosier Bernadette Chirac. C'est un 
hybride de Rugosa et de semis inedits qui, detail 
piquant, le rendent resistant aux pollutions : ideal pour 
la decoration des autoroutes !). 

Certes, elle a commence en 1972 une licence d'archeo- 
logie (Jacques Chirac repondant au questionnaire 
Proust dit que c'est son occupation preferee !) et a 
reussi a aller jusqu'au bout apres avoir effectue des 
fouilles a Vaison-la-Romaine... Mais c'est un exploit dif- 
ficile a reiterer. 

A-t-elle vraiment le temps de voir ses amis ? 
Quelques-uns, mais beaucoup font partie de la classe 
politique et elle peut les voir dans le cadre de ses 
fonctions. 

Hors politique, elle a pour ami le celebre luthier 
Etienne Vatelot : 

C'est un ami de longue date. Nos filles allaient en 
classe ensemble. Je lui rends souvent visite dans son 
atelier. 

II y a bien sur Claude Pompidou. Les Chirac dinent 
souvent quai de Bethune et Bernadette a meme fait, au 
cours de Phiver 1976, une croisiere aux Antilles avec 



LES DAMES DE DEMAIff 199 

Claude Pompidou. Par elle, Bernadette Chirac a ren- 
contre de nombreux artistes contemporains. 

Son jardin secret se resume finalement a ses deux 
enfants. II y a eu Laurence, nee en mars 1958, et Claude, 
nee en decembre 1962. La premiere finit sa medecine 
et la seconde a renonce a Sciences Po et termine des 
etudes d'economie. 

J'aurais aime etre medecin, comme ma fille ainee... 
Elle a ete seule pour elever ses enfants ( Que voulez- 

vous "lui" n'est pas souvent disponible ) et a toujours 
reussi a epargner a son mari les problemes de leur edu- 
cation. Elle a egalement su les protger de toute publi- 
cite, meme s'ils ont dii souffrir quelque peu des fonc- 
tions de leurs parents. Claude Chirac raconte : 

Mes parents ont su me donner le sens des respon- 
sabilites. Nous nous voyions peu et j'ai du me debrouil- 
ler seule tres tot. J'avais cinq ans quand papa s'est lance 
dans la politique. Je ne me souviens pas d'avoir passe 
a Paris un dimanche entier en sa compagnie comme les 
autres enfants... 

Peu de sports dans la vie quotidienne ( Je f ais un peu 
de gymnastique le matin ), tres melomane, timide mais 
battante, rodee a vivre comme son mari a une vitesse 
supersonique, gourmande (preferant le sale au sucre), 
avouant pour auteurs preferes Stendhal et William 
Styron, Bernadette Chirac, qui joue si parfaitement son 
role, qui fait preuve d'une volonte et d'une perseverance 
a toute epreuve, qui est une epouse sure, pleine d'usa- 
ges et de raison, apparait comme une presidentielle 
inattaquable. II lui manque simplement d'abandonner 
une part a I'lmprovisation... d'arrondir son allure, 
d'ouvrir un peu sa garde et de laisser flotter sa 
chevelure. 



Fran$oise Castro-Fabius 



Imagine-t-on Mme Debre, Mme Couve de Murville, ou 
meme Mme Chirac reveler dans une interview a un 
journal feminin quel est le petit nom intime de leur 
mari, confier qu'il va le matin, en pantoufles, chercher 
les croissants du petit dejeuner qu'ils prennent au lit, 
et que celui qui tient en main les destinees de la France 
est distrait au point d'avoir fait f rire du poisson dans 
un produit destine a la vaisselle ? 

Frangoise Fabius, nee Castro, elle, l'a fait. II parait 
que c'est jeune , moderne, que cela temoigne d'une 
angelique transparence. Toute la France sait qu'elle 
appelle son mari Fafa, Ainsi ce genre de revelations, 
apanage jusqu'alors des vedettes du show-biz, ou des 
politiciens americains, entrait dans les moeurs de la 
classe politique. 

Les traits anguleux, les joues creusees, les yeux som- 
bres, un rire tranchant comme un glaive, la dame de 
Fafa ne fait rien pour passer inapergue. Quand Lau- 
rent Fabius a repondu au questionnaire Proust a Vos 
heroines favorites dans la vie ? , il a avoue : Toute 
femnie qui ose. II est servi. 

Laurent Fabius partage la vie de Frangoise Castro 
depuis 1979, Us se sont rencontres en 1977 dans un 
diner, n'ont cesse de se croiser dans les couloirs de 
PAssemblee nationale . II Ta epousee au galop le 



LES DAMES DE DEMAIN 201 

17 avril 1981, un vendredi saint, pour etre surs qu'il 
ait trois jours sans meeting ! precise-t-elle. 

Frangoise est une enfant de 1'exil. Son pere, apatride, 
est natif de la communaute juive d'Andrinople en Tur- 
quie. II a rejoint la France avant la guerre pour fuir les 
persecutions antisemites. Cest la qu'il rencontre sa 
femme, issue quant a elle de la communaute juive de 
Salonique en Grece (1'identite juive est fondamentale 
pour Framboise Castro. Elle est ainsi tres active au sein 
de sa communaute et a cree Socialisme et judai'sme). 
Us tiennent un commerce de confection. Devant les nou- 
velles menaces contre les juif s, ils gagnent le Mexique 
et M. Castro prend la nationalite mexicaine. C'est la que 
nait Frangoise en fevrier 1947, quelques mois avant que 
ses parents ne reviennent en France. 

Je suis nee a Mexico. Mon nom, Castro, est d'ori- 
gine espagnole. Et je suis frangaise, arrivee en France 
a Page de six mois. 

La famille habite le V e arrondissement et Frangoise 
est lyceenne a Fenelon. 

J'ai eu une education tres morale qui m'a conduite 
naturellement a la politique, explique-t-elle. 

Deja, au lycee, elle milite. Elle distribue des tracts 
communistes a la sortie du lycee (notamment pendant 
les derniers mois de la guerre d'Algerie). Elle participe 
bientot aux reunions de 1'UNEF, Forganisation etu- 
diante qui a toujours ete controlee par la gauche, voire 
1'extreme gauche. Mai 68 arrive, Frangoise Castro 
s'engage a fond. Elle a alors vingt et un ans et elle pour- 
suit des etudes de psycho-sociologie a la Sorbonne (elle 
obtiendra un doctorat de psychologic), discipline qui 
a fourni pas mal d'elements aux phalanges dures des 
etudiants revokes. 

Tandis qu'au meme moment, Laurent Fabius est a 
Normale Sup ou il travaille sagement, Frangoise fre- 
quente les milieux trotskistes (dont certains membres, 
comme Henri Weber, ancien dirigeant de la Ligue com- 
muniste, deviendront les collaborateurs du Premier 



202 LES DAMES DE L'ZlYSEE 

ministre a Matignon) tres engages dans la chienlit , 
et transforme meme son appartement du quartier Latin 
en refuge pour les manifestants. C'est done une mili- 
tante active, presente dans tous les bastions de 1'emeute 
(Censier, Sorbonne, Odeon). 

Nous sommes de la generation des soixante- 
huitards qui vivaient au ras du sol, aime-t-elle preciser. 

Apres quelques experiences ( Quand j'etais etu- 
diante, j'ai fait differents petits boulots, enquetrice, 
prof et je m'occupais aussi d'une enfant handicapee 
mentale ), comme tous les soixante-huitards, Frangoise 
Castro entre dans le rang en 1970. Cest-a-dire qu'elle 
s'insere dans le systeme exploiteur qu'elle con- 
damne. Elle travaille dans la tres capitaliste firme 
Pechiney-Ugine-Kulhmann, a la direction de 1'infonna- 
tion, ou elle reste deux annees. Elle y a laisse le souve- 
nir d'une personnalite double, capable d'avoir de 
magnifiques elans de generosite et de tout reprendre 
quelques minutes plus tard. 

Si elle quitte son poste interessant et creatif, c'est 
qu'elle a eprouve un coup de cceur politique pour Fran- 
gois Mitterrand qu'elle rencontre en 1974 et pour le 
parti socialiste auquel elle adhere la meme annee. Elle 
en devient une permanente a partir de 1976, y assume 
un poste de responsable de la communication et 
s'occupe de la Nouvelle Revue socialiste, la revue ou se 
manifeste la ligne ideologique du parti. 

Frangoise Castro s'en occupait tres bien, me dit 
un militant socialiste. Ce travail aupres d'intellectuels 
lui convenait. Elle a toujours prefere frequenter un 
milieu brillant, tres parisien, plutot que de creuser obs- 
curement un modeste sillon militant. 

Militante done, militante toujours, mais au soleil de 
1'appareil. 

Son manage se deroule en 1981, a la mairie du 
V e arrondissement. Elle epouse un socialiste qui, dit- 
on, aurait pu aussi bien basculer dans le camp oppose 
mais qui, tout compte fait, s'est laisse captiver par le 



LES DAMES DE DEMAIN 203 

socialisme et par celui qui l'a sorti de son trou noir. 
Fran?oise stimule 1'ambition qui Thabite et suralimente 
son socialisme. 

Le style des epouses de nos presidents ou de nos Pre- 
miers mini st res evolue done etonnamment a partir de 
1981, avec 1'arrivee de la gauche au pouvoir. Apres 1'ere 
des epouses discretes et retenues, voici 1'ere des mili- 
tantes. Danielle Mitterrand est plus a gauche que son 
epoux, Gilberte Mauroy a lutte aux cotes de son com- 
pagnon des annees durant. Avec Franchise Fabius, 
I'engagement est encore plus affirme. 

Sous le gouvernement Mauroy, elle occupe un poste 
dans le cabinet de Georges Fillioud, tandis que son mari 
est ministre du Budget et participe ainsi a 1'elabora- 
tion du projet de loi audiovisuel. Elle est done toujours 
dans la communication, le secteur cle pour veiller a la 
bonne diffusion du message socialiste. 

Je ne suis pas une femme de pouvoir ; je ne suis 
pas non plus une femme d'influence, repete-t-elle sou- 
vent. J'ai seulement envie de faire passer des valeurs. 

Le pouvoir lui fait peur, repond en echo Laurent 
Fabius. C'est une metteuse en contact. 

Tres liee avec les intellectuels et les membres 
influents du PS, elle lance en juillet 1983 Espace 89, 
un club pour reconquerir Popinion qui se detache des 
socialistes dont les promesses de 1981 ne se realisent 
pas. Elle voudrait que les clubs soient des lieux ou s'ela- 
borent des idees et des projets susceptibles d'inspirer 
le pouvoir socialiste dans son action, et aussi de mieux 
en faire la propagande. 

Nous ne nous situons pas par rapport au parti 
socialiste. Nous sommes autre chose. Le parti socialiste, 
dont je suis membre, est un mouvement de masse, 
explique-t-elle, avec les contraintes et les problemes que 
pose toute grande collectivite. Nous sommes de peti- 
tes unites souples, avec une extraordinaire marge de 
manoeuvre. Laboratoire d'idees, nous n'avons de comp- 



204 LES DAMES DE L'ELYSEE 

tes a rendre a personne. Nous sommes de gauche. Reso- 
lument a gauche. 

Une maniere de repondre a ceux qui estiment a 
tort que cette structure a ete imaginee pour elargir 
le courant socialiste vers le centre gauche. Elle cree 
ensuite Ici et Maintenant qui englobe des clubs tels que 
Memoire et modernite, Socialisme et judaite, la 
Memoire courte, Gais pour les libertes, etc. 

Ornnipresente, dynamique, elle a pour certains le 
comportement d'une pasionaria. Elle inspire la plupart 
des reflexions des clubs, et acquiert un statut de 
grande pretresse des intellectuels de gauche . C'est 
elle qui est a 1'origine d'une grosse campagne de publi- 
cite sous le signe de la Memoire courte, destinee a met- 
tre en valeur les realisations de la gauche en peril et 
a stigmatiser celles de la majorite anterieure. Slogans 
de plornb et langage de bois. 

Une telle activite, si elle suscite dans un premier 
temps de Fadmiration, n'est pas sans faire naitre des 
sentiments perplexes chez certains socialistes. Rallier 
intellectuels, hauts fonctionnaires et sans parti a 
1' action de la gauche gouvernante, c'est bien, mais ce 
militantisme est-il depourvu d'arriere-pensees ? Ne 
travaille-t-elle pas pour son mari ? Ne ratisse-t-elle 
pas pour son cher Laurent dont nul n'ignore qu'il a les 
dents longues et qu'il est un fils spirituel de Mitterrand ? 
Elle sait qu'au PS on qualifie ces clubs de fabiusiens . 
Elle s'en defend evidemment. 

Pour nous, 1'enjeu n'est pas le pouvoir. II est le suc- 
ces de la gauche. 

L'ambigui'te demeure. Les colloques et les manifes- 
tations qu'elle organise en irritent plus d'un au parti 
socialiste. Le proselytisme de Mme Fabius, et sa per- 
sonnalite extravertie contrastent singulierement avec 
la calinotherapie de son epoux. Une histoire court 
ainsi dans les couloirs de la rue de Solferino : lors d'une 
reception officielle ou est convie le couple, un invite 
se tourne vers un autre et lui demande ironiquement : 



LES DAMES DE DEMA1N 205 

Mais quel est ce jeune homme a cote de Franchise 
Castro ? 

Elle roule pour Laurent qui, contrairement a 
Rocard, Mauroy ou Chevenement, ne dispose pas d'un 
appareil ou d'un courant au sein du PS. Elle est appa- 
remment son antithese : elle est aussi passionnee, 
expansive, militante, sectaire, qu'il parait, lui, reserve, 
distant, calculant le moindre mot et le moindre geste ; 
on a 1'impression que ses professions de foi socialistes 
sont recitees. 

Laurent a besoin d'etre epaule. Je le conseille et 
il m'ecoute, declare-t-elle. 

De sa mere aux amis, tous les proches assurent 
qu'elle 1'a transforme. II a lui-meme confie : 

J'etais porte par temperament vers la gauche, sans 
plus, mais cette position s'est petit a petit confirmee, 
legitimee par mon histoire personnelle. 

Et d'ajouter : 

Elle est plus a gauche et plus militante que moi. 
Laurent Fabius qu'elle qualifie d' austere, rnani- 

cheen, tres moral, tumultueux, extremement passionne, 
mais qui n'arrive pas a exterioriser ses passions l , a 
ete entraine par elle. 

Ainsi, Fran^oise Castro-Fabius, locataire de Matignon 
a partir de juillet 1984, ne correspond pas a Timage que 
Ton avait jusqu'alors d'une femme de Premier minis- 
tre de la V e Republique. 

L'analyse de son ecriture confirme bien des traits que 
laisse apparaitre son comportement : Un type carac- 
terologique passionne et nerveux. L'ensemble du des- 
sin indique une intelligence incisive, precise, rapide. 
Une intelligence analytique, un peu negative et, dans 
certains cas, meme destructrice. Cette personne affecte 
une grande conf iance en elle-meme et aime prouver aux 
autres qu'elle a raison. Possessive. On a, chez elle, du 
mal a faire la difference entre volonte et entetement. 



1. Le Monde, 26 octobre 1985. 



206 LES DAMES DE L'SLYSEE 

Une moralite qui est bonne, meme si c'est un peu une 
moralite de facade, car il faut sauver les apparences. 
Une sensorialite qui est relativement compliquee : f aite 
d'agressivite, de fuite, de neutralisation et d'ebauche 
de realisations qui ne sont pas toujours concluantes. 
Bon dynamisme mais il y a chez cette femme une cer- 
taine secheresse contre laquelle elle doit lutter. Son 
ecriture est celle d'un etre tres intuitif, avec une reac- 
tivite prononcee : capable de sortir de ses gonds dans 
des foucades qui peuvent etre redoutables. Une person- 
nalite, en conclusion, assez acide. 

Longtemps responsable en communication, Fran- 
<?oise Castro-Fabius a su faire preuve de la meilleure 
intuition pour conseiller son mari et organise son look. 
Des juillet 1984, apres la nomination a Matignon, 
1'image jeune et sympathique de leur couple eclate 
opportunement dans tous les magazines. Thierry Saus- 
sez, en connaisseur, s'inclinera devant la qualite du 
travail : 

Laurent Fabius est Thomme politique f rangais qui 
manage le mieux sa strategic de communication. En 
intervenant ni trop ni trop peu ! . En participant a des 
emissions de radio avec sa femme, en se rendant a des 
soirees rock, en mettant ostensiblement en valeur le 
cote : je vis comme tout le monde. 

Car, ne nous trompons pas : derriere les medias qui 
nous racontent a satiete que le Premier ministre des- 
cend, en personne, en pantoufles acheter les croissants, 
prepare le petit dejeuner des enfants, a besoin de huit 
heures de bon sommeil, a perdu un jour plusieurs dents 
au cours d'un match de rugby, pleure au cinema, adore 
Proust et a le coeur en fete quand il fait beau... il y a 
son epouse Frangoise. Laurent Fabius, appareil photo 

1. Sans doute Thierry Saussez n'aurait-il pas dit la meme chose 
quelques mois plus tard. Laurent Fabius a en effet multiplie les 
interventions, s'attribuant meme un quart d'heure pSriodique a 
heure fixe de grande ecoute a la television, ce qui ne s'etait jamais 
fait, ce que M. Chirac n'osera pas faire. 



LES DAMES DE DEMAIN 207 

en bandouliere a 1'arrivee du Tour de France, ou s'extir- 
pant tout sourire du cockpit d'un avion Mirage, con- 
gratulant, vetu d'un blouson de cuir relax , les foot- 
balleurs de 1'equipe de France au lycee climatique de 
Font-Romeu... C'est en grande partie Frangoise qui est 
derriere. 

On n'ira pas jusqu'a ecrire, comme nous 1'avons lu, 
que sans elle, le Premier ministre ne serait pas ce qu'il 
est . On en oublierait le brillant sujet, le surdoue, 
on 1'a d'ailleurs compare a Giscard d'Estaing : Pre- 
mier partout comme ce dernier, grand et mince comme 
lui, front important et crane degarni comme les siens, 
entre au gouvernement a peine plus age que lui. Mais 
Giscard n'avait pas besoin d'Anne-Aymone ni de per- 
sonne pour exploiter son potentiel et stimuler son ambi- 
tion et seduire les medias. Alors que Fran?oise Castro 
est partie prenante dans la fulgurante ascension de 
Fafa. 

Devant tant d'efforts, tant de creativite et tant d'intui- 
tion mediatique, force est de reconnaitre la reussite de 
Franchise. Car le look Fabius a plu et seduit a en croire 
les sondages de popularite au zenith dans les dix pre- 
miers mois a Matignon. Et Claude Sarraute 1'a souli- 
gne avec une affectueuse ironie dans son billet du 
Monde : Fafa et Fabiola, c'est le surnom de sa femme 
Frangoise, Fafa et Fabiola, je vous aime. Je vous trouve 
adorables, jolis a regarder, si lisses et si doux. Vos sou- 
rires petillants de malice, votre faon de caresser les 
mots, de soupeser d'un silence le poids de vos pensees, 
de filer comme des fusees des qu'une question embar- 
rassante pointe le bout de son nez, de vous concentrer 
gravement sur la premiere note de la Marseillaise, vos 
f ievres martiales qui escaladent le thermometre et qui 
degringolent en une heure, vos ronronnements qui nous 
invitent au sommeil d'enfants heureux, je ne sais pas 
si je suis un "nouveau socialiste", en tout cas je suis, 
comme des millions d'autres, un socialiste amoureux 
de son Fafa et de sa Fabiola... 



208 LES DAMES DE L'ELYSEE 

C'est le mercredi ISjuillet 1984, a 13 heures que 
Frangoise Fabius arrive dans sa 2 CV personnalisee 
dans la cour de Matignon ou, a 1'occasion de la passa- 
tion des pouvoirs, elle va prendre le cafe avec son mari 
et avec Pierre et Gilberte Mauroy. 

Quand il y a eu la passation des pouvoirs, on m'a 
demande d'etre la. J'ai d'abord dit non. En fait, je devais 
rencontrer Mme Mauroy pour qu'elle me mette au cou- 
rant et qu'elle me fasse visiter rapidement les appar- 
tements. Les hommes devaient nous rejoindre au cafe. 
J'ai done fonce vers Matignon avec ma 2 CV ! 

Cette 2 CV fera beaucoup parler, parce qu'elle est 
apparue dans les mains de Mme Fabius comme un 
symbole de simplicite calculee. Interrogee par Elle, 
Framboise se montre lyrique sur sa voiture : 

Elle est fabuleuse, on peut mettre les paquets de 
couches sous les sieges. Elle est decapotable, les enfants 
n'ont jamais trop chaud. Elle a 4 portes, elle est inusa- 
ble et on peut se permettre d'oublier 1'eau. J'ai done 
1'intention de la garder et de continuer a venir a Mati- 
gnon avec. 

Pour Biba, elle enchaine : 

Ma deuche est une histoire d'amour. Mon mari me 
1'a offerte a la naissance de mon premier enfant. Un 
tres beau cadeau. Je ne suis pas pres d'en changer. Mais 
quand cela viendra, mes criteres de choix seront : ache- 
ter frangais et pratique... Bref, sa 2 CV Charleston 
rouge et noir eut davantage les honneurs de la presse 
que la voiture de sport de son mari. 

En meme temps que la 2 CV, Thomas et Victor (deux 
ans et demi et quinze mois lors de 1'entree de leurs 
parents a Matignon) deviennent mediatises . On est 
heureux d'apprendre qu'ils passent avant le parti socia- 
liste dans les preoccupations de Frangoise, 

Pour moi, ce qui compte le plus, ce sont mes deux 
enfants. On appelle Thomas Tomate et Victor Biboune. 
On les surnomme aussi Toutounet, Crevette, 
Grenouille... 



LES DAMES DE DEMAIN 209 

Son epoux surencherit tendrement au debut de son 
livre le Coeur du futur l : Thomas et Victor, je vous 
airne. Je vous trouve adorables, intelligents, emouvants, 
attentifs, doux. Vos sourires petillant d'innocence, votre 
fagon de manger les mots, d'inverser les syllabes, de 
filer comme des fusees au milieu d'une phrase, votre 
maniere d'embrasser a pleine bouche, de vous concen- 
trer gravement sur 1'examen d'une petite fleur, vos fie- 
vres qui escaladent le thermometre et qui degringolent 
en une heure, vos boucles qui veloutent sous la main, 
votre tiedeur et votre souffle, votre sommeil d'enfants 
heureux, je ne sais pas si je suis un "nouveau" pere, 
en tout cas je suis comme des millions d'autres, un pere 
amoureux de ses enfants... 

Et Frangoise de repeter inlassablement qu'elle est 
une mere passionnee et que si elle ne s'installe pas a 
Matignon, c'est en raison de ses enfants : 

Je ne veux pas perturber les enfants. II n'est pas 
question qu'un chauffeur les emmene a 1'ecole. II est 
exclu que j'entre dans ce systeme-la. Je veux emmener 
Thomas a 1'ecole a pied, pour qu'il retrouve ses copains 
de quartier dans son ecole de quartier. 

Durant les grandes vacances passees a La Lanterne, 
la residence du Premier ministre dans le pare de Ver- 
sailles, les enfants du personnel sont aussi convies a 
jouer avec les deux enfants du couple, ce qui en fait est 
aussi royal que republican*. 

L'important est d'imposer Timage d'un couple jeune, 
moderne et sympathique, qui vit comme tout le monde. 
Frangoise sera folle de rage quand Minute fera parai- 
tre une photo d ; elle enceinte, les seins nus au bord d'une 
piscine. 

Le Premier ministre aime a dire : Je suis un homme 
comme les autres. Frangoise, lors de sa premiere 
interview, choisit la modestie. 

Premierement, je suis banale, deuxiemement je 



l.Calmann-Levy, 1985. 



210 LES DAMES DE L'ELYSEE 

suis la femme du Premier ministre et non pas le Pre- 
mier ministre. Done, je ne comprends pas pourquoi 
vous m'interviewez. 

II s'agit d'imposer la griffe Fabius, de faire compren- 
dre que le plus jeune Premier ministre de toutes les 
Republiques trente-sept ans en juillet 1984 l a un 
style qui tranche singulierement sur celui de ses 
predecesseurs. 

Fran^oise est tres amoureuse de son mari et le fait 
savoir : 

Tout m'emeut chez mon mari. La maniere dont il 
parle, dont il marche, dont il met ses chaussettes... II 
me plait totalement. Je suis en etat permanent d'emo- 
tion avec lui. 

Les Fabius font partager aux medias leur vie cool , 
si simple, si harmonieuse. Un photographe est la lors- 
que le couple s'accorde un instant de detente dans le 
pare de Matignon, un autre I'immortalise en chaise lon- 
gue pendant un week-end de vacances et un troisieme 
est, par hasard, present lors d'une promenade a travers 
le jardin du Luxembourg. On conf ie qu'on a fait instal- 
ler un ping-pong dans les jardins de Matignon, qu'on 
regarde Dallas, Apostrophes et Droit de reponse a la tele- 
vision, que Ton va souvent au cinema ( Nous y allons 
tous les dimanches a la seance de 14 heures pendant 
que les enfants vont se promener ). Bref que Ton vit 
sans appret, loin des lambris de Thotel Matignon. On 
habite tout de meme un luxueux appartement de 155 m 2 
au sixieme etage du 15 place du Pantheon. L'achat de 
cet appartement a d'ailleurs une histoire. En 1974, le 
pere de Laurent Fabius vendit a un musee de Washing- 
ton un tableau de Georges de La Tour deniche presque 
quarante ans plus tot dans une vente en province. Les 
Americains Pachetent dix millions de francs. Andre 
Fabius donne deux millions a chacun de ses trois 

1. En realite, il y a eu Felix Gaillard sous la IV e Republique. II 
avait lui aussi trente-sept ans, Mais n'etant reste que quelques mois 
au pouvoir, on 1'a oublie. 



LES DAMES DE DEMAIN 211 

enfants. Ainsi Laurent fit-il 1'acquisition de cet appar- 
tement qui appartenait a une comedienne. Coussins, 
plantes vertes et etageres lui donnent un cote Habitat 
en accord avec le jeune couple qui y vit. C'est Framboise 
Fabius elle-meme qui a bricole les etageres en kit. 
On vit done comme tout le monde. Et Franchise de 
donner au Journal du dirnanche son emploi du temps. 

Le matin, les enfants me reveillent vers 
6 h 30-7 heures. Laurent emmene Thomas a 1'ecole et 
je reste a la maison avec des dossiers... Je vais cher- 
cher Thomas a 1'ecole apres le dejeuner et je me rends 
immediatement a Matignon ou je fais la journee conti- 
nue. Je travaille ici avec une pause pour le the ou, quand 
il le peut, Laurent vient me rejoindre... 

Elle sort peu, mais aime organiser des diners d'amis 
a la maison. 

Nos amis ne sont pas des heros ni des vedettes. 
Nos amis sont des amis d'enfance, ou professionals, 
des amis de tous les jours. 

Elle aurait les moyens de s'habiller chez les grands 
couturiers, mais elle pref ere faire du shopping dans les 
boutiques de mode de la rive gauche. 

Je m'habille chez Samantha, rue de Rennes. Chez 
Clementine, rue de Tournon et un peu n'importe ou, 
au hasard de mes rendez-vous... Pour des robes tres 
habillees, je vais chez Chloe. 

Elle ne se veut en rien diva mais aime aller se faire 
coiffer 4, rue de Bourgogne, chez Luige, un des salons 
les plus epouvantablement snobs de Paris. Andre, qui 
coiffe Kiri Te Kanawa ou Placido Domingo, s'occupe 
de sa chevelure brune. Elle aime les parfums epices et 
met le plus souvent Chicane de Giacomo, Elle se 
maquille surtout les yeux, aime les boucles d'oreilles, 
quitte rarement sa chaine d'or et possede un teint mat 
qui donne une impression de constante bonne mine. 

Aga?ante pour les uns, attachante pour les autres, 
vraiment ou faussement spontanee, Frangoise Castro- 
Fabius reste difficile a cerner. Elle est ambitieuse pour 



212 LES DAMES DE L'ELYSEE 

son rnari et pour la gauche, c'est certain. Et elle est 
dotee d'un dynamisme qui parait parfois provocant tant 
elle met d'agressivite dans son activite. Elle a d'ailleurs 
avoue : 

J'ai mauvais caractere. 

En fait, c'est une femme entiere, pleine de vitalite, 
qui sort de ses gonds et montre les dents quand il s'agit 
d'attaquer 1'adversaire pour la defense et 1'illustration 
de son mari et du socialisme. Si d'aventure son mari 
parvenait a TElysee, gageons qu'elle raflerait a Danielle 
Mitterrand le titre de la presidente la plus militante 
de Thistoire de la Republique . 



Michele Rocard 



Avec son visage f ripe de vieux jeune homme, ses airs 
d'etudiant attarde, son sourire en coin, son ceil petil- 
lant et sa silhouette mi Jules Berry, mi-Dalio, son elo- 
cution en rafales parfois obscures, Michel Rocard est 
en tete des sondages depuis environ huit ans pour des 
raisons un peu mysterieuses que seuls les sondes pour- 
raient peut-etre eclaircir. 

Une chose est sure : il n'a jamais autant parle en 
public qu'en 1969 lorsqu'il fut candidat PSU a la pre- 
sidence de la Republique. Or, il ne recueillit que 3 pour 
cent des voix : sa popularite dans les sondages est nee 
tres precis&ment le soir des elections legislatives de 
1978, quand il commenta a la television la defaite et 
la deception de la gauche. Au lieu de la deguiser, comme 
c'est 1'usage, il la reconnut franchement, ce qui parut 
neuf, et declara qu'il fallait que la gauche se moder- 
nise, qu'elle perde son langage de bois et cesse notam- 
ment de condamner Teconomie de marche. 1981 lui 
donna tort puisque le PS gagna avec le meme langage. 
Mais de ce jour de 1978, il etait apparu neanmoins 
comme le leader d'une nouvelle gauche et, surtout, il 
avait donne 1'impression definitive a une partie de la 
droite qu'il etait homme a pouvoir concilier les 
contraires. 

Avec qui peut bien etre marie ce singulier homme 



214 LES DAMES DE L f ELY SEE 

politique, mince et vif, qui, a cinquante-six ans passes 
(il est ne la meme semaine que la princesse Margaret), 
joue les princes charmants du socialisme new-look ? 
II y eut d'abord Marie-Genevieve Poujol (et non Gene- 
vieve Pujol, comme 1'ecrivent tous les journalistes), fille 
d'un pasteur nimois, dont il a deux enfants : Sylvie 
(vingt-neuf ans aujourd'hui), de venue animatrice cul- 
turelle dans les Cevennes et Francis (vingt-huit ans), 
physicien. Chatain, bien en chair, tres sympathique et 
pleine de charme, Marie-Genevieve a peu partage la pas- 
sion politique de son epoux. Selon un proche du cou- 
ple, Michel Rocard ne s'est pas toujours montre tres 
elegant envers elle. Us ont divorce en 1967, en depit de 
certains conseils acerbes, tel celui de Pierre Joxe : 

Divorcer, ga risque d'etre embetant pour ta car- 
riere, non ? 

Ce a quoi la seconde epouse de Michel Rocard 
repond : 

Je pense qu'a 1'epoque, c'etait un risque pour un 
homme politique que de divorcer et de se remarier. 
Michel 1'a pris. Il fallait du courage. Aujourd'hui, je ne 
crois pas que cela soit un handicap d'etre divorce. 

C'est en 1964 que Michel a rencontre dans un local 
du PSU Michele Legendre, une jeune f emme au regard 
bleu intense, une etudiante de vingt-trois ans, venue la 
un peu par hasard. Trois ans plus tard il divorce, et, 
en 1972, apres quatre annees de vie commune, Michele 
Legendre devient Michele Rocard. Elle est vite rebap- 
tisee Micheleu. Son epoux prend soin en effet de 1'appe- 
ler ainsi afin de distinguer son prenom du sien. 

Michele Marie Frangoise Andre Legendre est nee a 
Orleans le 20 octobre 1941 (onze annees la separent 
done de Michel Rocard). Elle est Balance ascendant 
Scorpion. Elle doit done ressentir au fond d'elle-meme 
deux natures qu'elle essaye de faire coexister harmo- 
nieusement. Elle sait doser 1'esprit d'analyse et celui 
de synthese, Tun soutenant Tautre, le Scorpion aidant 
a realiser ce que la Balance a ressenti et detecte. Les 



LES DAMES DE DEM AIM 215 

positions du Soleil, de la Lune et de Venus a sa nais- 
sance promettent un temperament chaleureux, plus 
demonstratif et ardent dans rintimite que dans les rap- 
ports sociaux. Par la position de Mercure dans son ciel 
natal, Michele semble douee pour concevoir des syste- 
mes d'analyse elabores et affirmer une pensee k la fois 
intuitive et methodique. Ce fameux cote intellectuel 
qu'on se plait tant souligner ? 

Periode sombre que celle de la naissance de Michele 
Legendre. En ce lundi 20 octobre 1941, dix cargos 
anglais et deux contre-torpilleurs sont coules dans 
1'Atlantique, les troupes de Hitler aneantissent les huit 
armees sovietiques du marechal Timochenko et les 
troupes italiennes bombardent Malte. A Orleans, oii 
1'enf ant nait, 1'hiver est particulierement precoce. Les 
lumieres devront etre camouflees de!9h21a7h51 
precise le Republicain d'Orleans. Nouveau rationne- 
ment du gaz , annonce la presse. L' effort de la pro- 
duction doit etre amplifie , proclame Vichy. Andr6 
Legendre, clerc de notaire, n'est pourtant pas alle a son 
bureau. Les etudes de M e Fauchon, Sejourne et Mars 
tournent d'ailleurs au ralenti. Andre Legendre prefere 
rester auprfes de sa femme nee Frangoise Brae (elle est 
et restera sans profession). 

Je suis nee a un moment peu propice aux bebes, 
se souvient Michele Rocard. Vraiment au creux demo- 
graphique du stecle. J'ai pris en fait conscience de la 
guerre avec les bombardements de la Liberation. On 
m'a raconte qu ; en octobre 1941, il a gele avant ma nais- 
sance. Les hivers de la guerre ont ete terribles. Je sais 
que ma mere se levait le matin de bonne heure pour 
aller chercher du bois de 1'autre cote de la Loire. Nous 
habitions a Orleans place Sainte-Croix, en face de la 
cathedrale, en plein nord. J'avais des engelures sur les 
joues. 

De sa mere, Michele se vante d'avoir herite outre 
le gout de 1'independance et des etudes, celui de la cui- 
sine, de la couture et des choses bien faites . Enfance 



216 LES DAMES DE L'ELYSSE 

heureuse, normale. Elle est 1'ainee de la famille (un gar- 
on et deux filles sont venus apres). 

J'ai appris a lire des Tage de cinq ans avec ma 
mere, avant meme d'aller en classe, precise-t-elle. Le 
premier livre qu'elle m'ait offert, ce sont les Conies de 
Grirnm. 

Autre apprentissage familial : la peinture. 

Ma mere aimait beaucoup la peinture. J'en faisais 
le jeudi apres-midi. II m'en est reste un vif gout pour 
cet art. Ses peintres preferes sont Manet et Vermeer. 

Au cours de 1'hiver de 1944-1945, les Legendre vien- 
nent habiter Paris. On s'installe d'abord dans un petit 
appartement de la rue du Bac, vers la Seine, puis dans 
un logement plus grand a Suresnes. Ce n'est qu'a par- 
tir de 1947 que toute la famille emmenage au coeur du 
IX e arrondissement de Paris. 

C'est reste longtemps mon quartier puisque je ne 
suis partie de chez mes parents qu'en 1962. Je suis 
d'abord alle chez les bonnes soeurs, de merveilleuses 
bonnes soeurs, des dames trinitaires. Ensuite au lycee 
Lamartine, rue du Faubourg-Poissonniere. C'etait en 
quatrieme. Un merveilleux lycee et j'ai eu beaucoup de 
chance au cours de ma scolarite. Ceci explique pour- 
quoi je suis quelque peu severe, par rapport a ce que 
je vois dans la formation de mes enf ants, constate-t-elle 
avec lucidite. 

Bien qu'ayant passe un baccalaureat scientifique, 
Michele Legendre se sent plutot litteraire. 

J'ai d'abord fait hypokhagne a Janson-de-Sailly et 
ensuite la Sorbonne. Pour commencer une annee 
d'espagnol. Mais mon desir de faire de la philo a change 
cette orientation. J'ai entame deux certificats de 
psychologie. Et j'ai continue... 

Boulevard Raspail (entre Sevres-Babylone et Rennes), 
dans le grand salon clair de rimmeuble 1910 qu'elle 
habite, au sixieme etage, de grandes bibliotheques 
vitrees (oii s'entassent d'innombrables livres) temoi- 
gnent de sa vocation intellectuelle. 



LES DAMES DE DEMAIM 217 

Comme je n'etais pas portee sur la psychologie cli- 
nique (et si on veut en f aire son metier, il faut etre mede- 
cin) j'ai fait un diplome d'etudes superieures de psycho- 
logie sociale. J'ai commence a travailler tout en finis- 
sant ce diplome et depuis je n'ai fait que de la sociologie. 

Meme chose done que Frangoise Fabius, mais les 
deux femmes sont tres differentes, plus que ne le sont 
leurs maris. 

Depuis onze ans, Michele Rocard (sous son nom de 
jeune fille) enseigne la sociologie a Sciences Po. Son eti- 
quette d'intellectuelle ? Elle 1'assume non sans un cer- 
tain bon sens : 

Je suis payee pour etre une intellectuelle. Si je 
n'etais pas une intellectuelle, je ne ferais pas mon 
metier. En realite, je ne suis pas une vraie intellectuelle, 
en ce sens que je n'aime pas les livres ennuyeux. Je lis 
beaucoup. Je passe ma vie a lire et j 'adore ga. Toute 
la famille est comme moi. Michel et les enfants aussi. 
On a toujours des piles de livres avec nous, meme en 
voyage. Mais honnetement, je prefere me plonger dans 
un bon Sherlock Holmes que dans un traite ennuyeux... 

Et de me confier, un peu provocatrice : 

Hier soir, j'ai lu au lit un livre de cuisine... J'aime 
beaucoup la bonne cuisine. Je suis tres gourmande. J'en 
fais surtout le week-end, cela me detend. 

Et son mari de souligner : 

C'est une fameuse cuisiniere. Une daurade au vin 
de Touraine signee d'elle est une grande chose et son 
saint-pierre au vin blanc prepare sur le coin d'un 
rechaud, en bateau, 1'un de mes plus grands souvenirs... 

Avec son beau visage au front haut, degage, un rien 
pugnace, ses cheveux sombres, son buste a la Tosca, 
un regard transparent du style Michele Morgan, ses 
mains larges et une certaine corpulence, Michele 
Rocard rappelle certains modules de Renoir (la blon- 
deur en moins), Appetit de vivre, force animale et 
feminite. 

De Michele Rocard, Christophe Rosso (qui a eu 1'occa- 



218 LES DAMES DE L'ELYSEE 

sion de la coiffer) trace un portrait plutot attachant : 

C'est quelqu'un de tres naturel. tre bien coiffee, 
maquillee, bien habillee, cela n'a pas grande importance 
pour elle. Elle pourrait dtre assez belle si elle le vou- 
lait, si elle s'arrangeait mieux, Mais la politique, son 
mari, ses enfants et la vie 1'interessent davantage. Elle 
aime bien manger, boire un bon vin et ne s'en prive done 
pas. Dommage qu'elle ne fasse pas davantage attention 
a elle, a sa ligne... Mais c'est totalement le genre de per- 
sonnalite qui gagne a etre connue. Froide au debut, puis 
assez chaleureuse, tout a fait agreable finalement ! 

Pour parler de sa femme, Michel Rocard a une for- 
mule que ne renierait pas Eric Segal : 

Elle est jolie, elle est intelligente et elle fait bien 
la cuisine... 

Leur love story balance pourtant entre D.H. Lawrence 
et Barbara Cartland, Michele resumant sa vie passee 
avec lui : 

J'ai vecu en concubinage notoire, j'ai eu deux 
enfants hors mariage avec un homme politique de gau- 
che, divorce et protestant et j'ai pris des risques a une 
epoque ou cela ne se faisait pas. 

Et elle avoue, presque beatement : 

Je vis aujourd'hui dans un reve de bonheur. J'ai 
tout ce que je peux esperer. J'ose a peine le dire : deux 
enfants adorables et un mari dont je ne peux pas rSver 
mieux. 

Elle fait en epouse amoureuse le portrait du doux 
Michel : 

II est tres facile a vivre, peu porte aux etats d'ame, 
jamais insomniaque. II a les nerfs solides et n'est jamais 
en colere (moi, si !). II ne sort jamais de ses gonds, c'est 
quelqu'un de toujours optimiste. Courageux, solide et 
attentionne. 

Un portrait idyllique. 

Fumant gauloise sur gauloise, de sa voix grave, 
Michele Rocard fait un flash-back : 

J'ai rencontre Michel pour la premiere fois en 



LES DAMES DE DEMAIN 219 

1964. C'etait dans les locaux dij PSU, mais cela n'etait 
pas a une reunion politique, cornme on Fa ecrit partout. 
Des copains de la Sorbonne avaient monte un stage de 
formation a 1'entretien non directif. Ces gens connais- 
saient Michel qui avait prete un local au PSU, et a la 
fin de ce stage de trois jours, il est venu dire bonjour. 

Le brillant inspecteur des finances, Intelligence 
toujours en mouvement, chaleureux, un sourire en coin, 
va done divorcer pour elle. Us vivent ensemble a par- 
tir de 1968. Un premier gar?on, Olivier, nait en octo- 
bre 1970, suivi de Loic, baptise Coucou, en juin 1972. 
C'est done une femme bien ronde que Michel Rocard 
prend pour epouse le 26 avril 1972 a la mairie du 
XV e arrondissement (un ami professeur, Robert Cha- 
puis et 1'economiste Christian Blanc sont les temoins). 
Le menage habite alors au 85 boulevard Pasteur un 
immeuble tres habite par des fonctionnaires de la 
V e Republique ou ils vont rester jusqu'en 1976, avant 
de devenir locataires du grand appartement sur le bou- 
levard Raspail. 

Pour nos enfants, la notoriete de leur pere n'est 
pas vraiment un probleme. Ils sont nes avec et Rocard 
est un nom facile a porter. Bien sur, c'est parfois un 
peu genant pour eux, surtout maintenant pour Olivier 
qui ressemble beaucoup a son pere. Olivier a ainsi en 
ce moment un professeur d'histoire qui ne rate pas une 
occasion d'expliquer quel malheur represente la race 
des hommes politiques professionnels. 

Chaque ete, toute la famille passe de paisibles vacan- 
ces dans le Morbihan. Une discrete maison aux volets 
bleus, confortable retraite bretonne loin des rumeurs 
parisiennes. Michel joue aux cartes avec ses fils, aide 
sa femme a faire des puzzles et sort en mer a bord 
d'Epsilon, un beau voilier en bois vernis de dix-neuf 
metres, dont il partage la propriete avec son ami Michel 
Euvrard. Plante sur les rochers d'une anse du golfe 
du Morbihan, a quelques kilometres de Vannes, c'est 
Tendroit parfait pour oublier la politique. 



220 LS DAMES DE L'ELYSEE 

En hiver et a Paques, c ; est a la station alpine des Arcs 
qu'ils se rendent (le createur de la station est un de leurs 
amis). 

On y va tres regulierement depuis la naissance 
d'Olivier. 

Us descendent en general chez leurs amis. 
Car pour les globe-trotters que sont les Rocard, 1'ami- 
tie est parfois utile : 

Cest vrai que Ton profite un peu des occasions et 
des amis pour voyager. Les gens ne se rendent pas 
compte que la politique est un monde certes dur, mais 
ou les amities sont tres fortes. Michel a beaucoup 
d'amis. Nous avons tous deux la maladie des voyages 
et on emmene les enfants. Accueillis chez des proches, 
nous avons ainsi passe Pannee derniere huit jours a 
Rome tous les quatre. Divins ! 

Si Fhomme politique parle tres bien 1'anglais et un 
peu 1'italien, son epouse parle couramment 1'espagnol 
et moins bien la langue de Shakespeare. Cest lors de 
son passage au ministere de 1'Agriculture que les 
Rocard ont surtout voyage. 

De toute la vie politique de Michel, ga a ete le 
moment le plus interessant, precise-t-elle. J'ai fait de 
fascinants voyages avec lui, alors. Les ministres de 
I'Agriculture de 1'Europe ont des rapports tres interes- 
sants entre eux. Beaucoup nous ont invites. J'ai ren- 
contre leurs fenimes, nos enfants les leurs. Autant les 
negociations peuvent etre tres dures, autant dans le 
prive les relations sont merveilleuses. 

La femme de I'ex-ministre socialiste confie, tres 
f ranche : 

Le ministere de I'Agriculture, c'etait passionnant. 
Un vrai ministere. Ministre du Plan, c'etait ridicule. II 
ne pouvait rien faire, le pauvre ! Et, en plus, on lui cas- 
sait ses initiatives... 

Des propos qui sous-entendent bien des humiliations. 
Le clan Mitterrand n'a jamais pardonne a Rocard de 
s'etre pose, en vue des presidentielles de 1981, en rival 



LES DAMES DE DEM AIM 221 

du grand homme . Nomme ministre du Plan et de 
TAmenagement du territoire, il est alle de deconvenue 
en vexation. Les petits coups d'epingle se sont multi- 
plies. Ainsi, au cours de 1'ete 1981, Mitterrand avait 
convie a diner tour a tour les ministres et leurs epou- 
ses. Cela se passait soit a 1'filysee, soit rue de Bievre. 
Or, tandis que des secretaires d'fitat etaient deja pas- 
ses a la table du president, le ministre d'fitat Rocard 
attendait toujours son carton. Le menage fut convie a 
1'un des diners de Versailles (Michele Rocard le quali- 
fie de grand cirque) et Tinvitation a 1'Elysee vint plus 
tard pour un diner collectif . II fallut rajouter deux cou- 
verts au dernier moment parce qu'ils n'avaient pas de 
place... Longtemps maintenu en quarantaine deguisee 
par certains ministres, meme les moins politises, ligote 
dans un ministere sans prestige et sans poids, en perte 
d'influence dans le Tout-fitat socialiste, sa vie dans les 
annees 1981-1984 ne fut pas... rose... Et quand Mitter- 
rand designa Fabius pour succeder a Mauroy, nul ne 
fut dupe. Le president plagait en fleche un f avori jeune 
et moderne susceptible de faire piece a Rocard dans 
la course a la succession. 

Michel rongea son frein... et son epouse avec lui. On 
comprend mieux pourquoi on le dit si antimitter- 
randiste ! 

Toutefois, Rocard est reste en pointe dans les son- 
dages. Son ministere obscur et son silence prudent lui 
ont valu de ne pas patir personnellement du declin 
socialiste. Apres quatre annees d'hesitations, Rocard 
decide de demissionner. Otage de 1'filysee, prive de sa 
liberte de parole par la solidarite gouvernementale, il 
ne claque pas vraiment la porte, il ne franchit pas le 
Rubicon, car s'il veut etre president de la Republique, 
il doit rester arrime au parti socialiste. Mais en par- 
tant, il officialise sa difference. II renouvelle sa preten- 
tion a incarner la nouvelle gauche. 

Son epouse est aux premieres loges dans la nuit du 
3 au 4 avril 1985 ou il annonce sa demission de minis- 



222 LS DAMES DE L'ELYSEE 

tre de 1'Agriculture. C'est elle qui dicte au petit matin 
le communique a 1'AFP. C'est elle encore qui decroche 
le telephone lorsque 1'agence procede a Identification 
de son correspondant. C'est elle toujours qui explique 
aux journalistes que si la nouvelle a ete annoncee aussi 
tardivement, c'est parce que son mari a mis du temps 
a entrer en contact avec Frangois Mitterrand. C'est 
Michele enfin qui donne la premiere indication : 

Ce genre de decision se prend seul. Michel Rocard 
Fa prise apres une longue reflexion. 

Le lendemain, interrogee au micro de RTL, elle 
declare a propos de la demission de son mari : 

Je n'ai eu aucun role. C'est un homme de convic- 
tion, de courage, il a pris sa decision, c'est tout. 

Questionnee sur le fait qu'elle etait seule presente au 
cote de son mari lors de Fannonce de la demission, elle 
replique laconiquement : 

J'etais la parce que le soir, il arrive que les hom- 
mes ne soient pas tres loin de leurs femmes... 

Liberation titrera : Michel Rocard est un grand 
gargon ! 

Aujourd'hui, quand elle evoque devant moi toute 
cette affaire, Michele Rocard me semble agacee. Elle 
allume une cigarette, ponctue de ses mains larges quel- 
ques formules lapidaires et tient a mettre les choses 
au point : 

On a dit que j'etais a Forigine de ce coup d'eclat, 
tout ga parce que les agences de presse n'ont donne 
Finformation que tres tard dans la nuit. Comme je 
tenais a ce que Michel dorme, c'est moi qui ai telephone 
aux agences pour leur dire le communique... Parce que 
je voulais que mon mari ait une bonne nuit de sommeil, 
on en a conclu que c'etait moi qui Favais pousse a 
dernissionner... 

Michele Rocard serait-elle de ces ambitieuses qui 
poussent, voire manipulent leur mari ? A lire dans la 
presse les adjectif s belliqueux, presque machiaveliques 
qu'on lui applique, on serait presque tente de le croire. 



LES DAMES DE DEMAIN 223 

Le Point la juge tatillonne, crainte et consideree , 
/'Express la trouve ambitieuse, avec ce front haut et 
arrogant de catholique de province et le Figaro la 
range dans les f emmes fortes de 1'Histoire et de la Tra- 
gedie qui se passionnent pour la cause politique et le 
destin de leur epoux au point d'en devenir plus ambi- 
tieuse et plus vindicative que lui... . Elle precise que 
de Rosa Luxemburg, elle a le front et d'une mere 
superieure 1'austerite... tandis que Paris-Match la juge 
feroce, combative et intransigeante la comparant 
meme a une tigresse... 

Un peu sadiquement, je ne resiste pas a lui soumet- 
tre ces appreciations. 

'Tatillonne" ? Je suis un peu rigoureuse, c'est vrai. 
Mais dans la pratique professionnelle seulement. J'airne 
bien que les choses soient a leur place. Je passe ainsi 
a preparer mes cours dix fois le temps necessaire. 
Autant ma maison est en desordre, je m'en fiche ! Qa 
m'est egal. 

"Combative" ? Moins maintenant. Je m'indigne 
encore, certes. Je me mets en colere contre quelque 
chose de faux. On ne peut pas laisser passer certaines 
choses. Mais plus je vieillis, plus je traite par le mepris. 

"Crainte" ? C'est juste. Je fais peur. J'ai une grosse 
voix depuis toujours et je suis timide. Alors j'en 
remets... 

"Front arrogant de catholique de province" ? C'est un 
article abject que j'ai trouve raciste. L'article de 
I'Express m'a blessee. Je Tai lu, comme une idiote. J'ai 
ete blessee pendant trois jours. Je suis plus vulnera- 
ble qu'on ne le croit, done je ne veux plus savoir ce 
qu'on dit sur moi. 

Peut-etre sont-ce ces jugements qui Tont incitee a 
ecrire un livre qui sortira en 1987. 

Son analyse graphologique donne en tout cas un type 
caracterologique assez marque : Un caractere solide, 
parfois assez dur. Quelqu'un ne se livrant pas facile- 
ment, capable de juger avec clairvoyance mais sans con- 



224 LES DAMES DE L'SLYSEE 

cession. II y a en elle quelque chose qui n'est pas sans 
inquieter, une force de caractere qui laisse presager une 
obstination redoutable. Forte emotivite tout interieure ; 
tres intelligente et d'une grande rigueur de comporte- 
ment. Un etre manifestant une raideur dans sa con- 
duite, ce qui (a la fois) la rassure et la valorise. Mais 
sous la rugosite apparente se cachent des qualites 
attachantes. 

A la fin de remission I'Heure de verite du 3 decembre 
1986, Michel Rocard faisait la plus amoureuse des 
declarations : 

J'ai la chance d'avoir une femme irremplagable. 
Quant a elle, elle souligne : 

Nous avons une grande complicite, une grande 
conimunaute de pensee. Nous sommes tres 
complementaires. 

C'est un couple tres uni a Tevidence. Pourtant, la vie 
quotidienne d'un leader politique le conduit a s'eloigner 
constamment de son foyer. Ce que dement son epouse. 

Michel est souvent la. a depend des periodes bien 
sur. Mais nous n'avons pas une vie mondaine tres 
importante. Nous dinons beaucoup plus souvent avec 
nos enfants que d'autres. Nous parlons beaucoup a 
table avec eux. Pas de politique. Michel joue aux echecs 
avec eux. Nous les emmenons souvent au theatre. 

Et que fait Pepouse d'un leader politique pour se 
detendre ? A quoi consacre-t-elle ses loisirs ? Ses repon- 
ses sonnent juste et ne ressemblent pas trop aux repon- 
ses convenues pour biographic officielle. 

Je vais tres souvent aux bains de vapeur. J'adore 
?a. Je fais de la gymnastique. Par devoir, non par plai- 
sir. Je Us, je cuisine, je prepare nos voyages. Et j'aime 
la musique. Mozart et aussi Verdi sont mes musiciens 
preferes. Andre Larquie, le president du conseil d'admi- 
nistration (jusqu'en Janvier 1987) de POpera de Paris, 
est Tun de mes plus vieux amis. J'y vais done de temps 
en temps. Et nous allons diner ensemble apres la repre- 
sentation. Michel m'accompagne parfois. Lorsque j'ai 



LES DAMES DE DEMAIN 225 

de gros soucis, j'ecoute de la musique italienne. Callas 
bien sur. Ecouter chanter une soprano divine, c'est 
mieux que n' import e quelle seance de yoga ! a vous 
emporte, qa vous tire, ga vous eleve... J'aime beaucoup 
?a. 

En revanche, la mode est un sujet qui Tinteresse 
moins. 

Michel est tres sensible aux vetements. Aux miens, 
pas aux siens. II ne fait pas toujours attention a la 
maniere dont il s'habille. En revanche, il remarque tout 
de suite si j'ai un nouveau vetement. II aime que je sois 
habillee de telle maniere et pas d'une autre. II trouve 
que je n'en fais pas assez dans ce domaine. 

Et Michele Rocard de preciser que ses couleurs pre- 
ferees sont le bleu, le noir et Jes couleurs un peu ocre. 
Elle refuse de citer les boutiques de pret a porter ou 
elle s'habille. Avec elle, aucun risque de voir se produire 
le scenario incroyable qui s'est deroule chez plusieurs 
couturiers au lendemain de mai 1981 : un motard de 
la gendarmerie, casque, botte, debarque dans la bouti- 
que haute couture d'une maison celebre. Il vient remet- 
tre a la directrice de la maison une etonnante missive. 
Sur papier a en-tete d'un palais officiel, Tepouse d'un 
ministre fait savoir que tel jour a telle heure, ses deux 
filles lui feront 1'honneur de venir chez elle faire quel- 
ques emplettes. Et Mme la ministresse socialiste d'ajou- 
ter tranquillement qu'elle compte bien sur un rabais 
de ... 50 pour cent. 

Entre Nicole Questiaux, qui s'habillait aux Trois Suis- 
ses, et Danielle Mitterrand qui a continue la tradition 
etablie chez les grands couturiers sous les septennats 
precedents, Michele Rocard a choisi un juste milieu... 

En 1988, Michel Rocard aura cinquante-huit ans, 1'age 
de Francois Mitterrand en 1974. Aujourd'hui, avec les 
medias, les visages connus vieillissent plus vite. Mai- 
gre ses allures de vieil etudiant, il sait qu'il ne lui reste 
plus beaucoup de temps pour jouer les jeunes premiers. 
D'autres reclament le role. II faut desormais qu'il fonce, 



226 LES DAMES DE L'ELYSEE 

qu'il prenne plus de risques, qu'il parle, qu'il s'orga- 
nise. Certes, 1'opinion si versatile, sujette a la mode et 
aux courants, n'en demord pas depuis huit ans : Rocard 
conserve le maillot jaune de la cote dans les sondages. 
Seul probleme, mais important : quand il devra s'expo- 
ser davantage, debattre de vraies questions concretes, 
techniques, face a des adversaires de poids ce qui 
lui est rarement arrive ne laissera-t-il pas des 
plumes ? 

En 1988, Michel sera candidat aux presidentielles, 
dit calmement son epouse. 

Pourtant tout dependra encore une fois de 1'attitude 
du parti socialiste et surtout de Francois Mitterrand. 
Qui sait si ce dernier, faute de voir lui succeder un can- 
didat selon son cceur (Fabius), ne se representera pas, 
ne serait-ce que pour barrer la route a Rocard, seul 
socialiste a part lui a pouvoir battre tout le 
monde ? 

Mieux que quiconque, 1'epouse mesure les obstacles 
que son mari a rencontres et risque encore de rencon- 
trer au sein de son propre parti. C'est dire qu'elle porte 
sur le PS un regard feroce. La vie politique lui inspire 
un profond mepris. De certains leaders socialistes, elle 
a du rnal a parler autrement qu'avec une rage conte- 
nue, meme si elle prend grand soin aujourd'hui de ne 
rien dire publiquement qui puisse declencher une pole- 
mique. Car, une fois de plus, Michel Rocard a besoin 
du parti. II ne manque pas une occasion, d'ailleurs, de 
rappeler qu'il est socialiste. 

La voila done f emme de candidat a la presidence de 
la Republique. 

Je ferai tout ce qu'il faudra faire pour aider 
Michel, declare-t-elle d'emblee. Mais Michel n'est pas 
pret k tout pour gagner. Pas k n'importe quel prix, pas 
n'irnporte comment. II n'est pas comme les autres horn- 
mes politiques. 

Redoute-t-elle la campagne electorate de 1988 ? 

Oui, bien sur. J'ai toujours tendance a etre un peu 



LES DAMES DE DEMAIN 227 

pessimiste. Femme de ministre, c'etait moins fatigant 
que femme de candidat. Qa ne va pas etre arnusant... 

Cependant, tout comme son mari, elle a un moral de 
coureur de fond. 

L'Elysee, y a-t-elle souvent pense ? 

S'il faut y aller, j'irai, dit-elle presque resignee. 
Michele Rocard semble d'ailleurs avoir longuement 

reflechi a 1'attitude que doit avoir, seion elle, la pre- 
miere dame de France : 

Mon idee a moi, c'est qu'une femme de president 
de la Republique, ga doit etre une potiche. II faut qu'elle 
soit aussi belle que possible, parfaitement coiffee, cha- 
peautee, habillee. Qu'elle remplisse le mieux possible 
un role qui n'est pas politique. Autant je n'ai jamais 
renonce a penser (et eventuellement a dire ce que je pen- 
sais en prive), mais je pense que la femme du president 
de la Republique, c'est la femme du president de la 
Republique. Elle n'est pas la presidente de la Republi- 
que. Ce n'est meme pas un prince consort . 

C'est dire qu'elle ne serait ni Fran?oise Fabius ni 
Danielle Mitterrand. Quand on interroge Michele 
Rocard sur cette derniere, elle se raidit et adopte une 
position diplomatique : 

C'est un sujet dont je ne parlerai pas. 

C'est le no comment anglo-saxon, souvent riche en 
sous-entendus. 

Pour elle, en qui tout exprime la force, 1'energie, et 
qui n'a rien d'une femme au foyer, soumise et effacee, 
le role de potiche peut sembler difficile a assumer. 

C'est vrai, reconnait-elle, qu'il faut beaucoup 
d'abnegation pour remplir cette fonction : il faut etre 
disponible, porter des chapeaux et faire des voyages 
sans jamais se croire investie d'une autorite politique. 

Alors vraiment prete a etre potiche ? 

Mais il y a une dignite dans le role de potiche, 
trouve-t-elle. Je crois que je peux le faire dans la mesure 
ou cela repond a une exigence democratique. En plus, 
j'ai la chance d'avoir un mari agreable qui fera tout 



228 LES DAMES DE UELYSEE 

pour me f aciliter les choses. Ce n'est pas le reve de ma 
vie mais je crois que c'est un role que je peux remplir... 
D'ailleurs, ce n'est pas toujours desagreable : on vous 
habille merveilleusement, presque gratuitement. a 
m'arrangerait.., 

Mais, elle n'a nulle envie d'etre atteinte du mal 
etrange qui ronge parfois les habitants de Pfilysee : 

On vit dans un decor officiel au milieu des con- 
seillers, des gardes republicans. On finit par perdre 
un peu les pedales. Ce n'est plus la vie normale pour 
les enfants. En 1988, Olivier passera son bac et Loi'c 
aura seize ans. Je ne les imagine pas vivant 1'filysee... 
Vivre 1'filysee risque de vous faire perdre le contact 
avec la vie quotidienne. Ce qui me manquerait le plus, 
c'est le contact avec mes etudiants... La grande diffi- 
culte a l'lysee doit etre de conserver une vie person- 
nelle, de voir des gens qui font autre chose que de balan- 
cer 1'encensoir... 



Des trois femmes de socialistes que nous avons pas- 
sees en revue Danielle Mitterrand, Franchise Fabius, 
Michele Rocard , seule cette derniere ne parait pas 
foncierement militante et ne frequente pas les allees 
du parti. Ainsi se rapprocherait-elle des epouses de 
droite dont on note que le comportement est en gene- 
ral beaucoup plus apolitique que celui des epouses de 
gauche . 

Les femmes des leaders politiques ne seraient-elles 
pas le reflet de 1'etiquette de leur mari ? Nul n'ignore 
en effet que les politiciens de droite, a la difference de 
leurs homologues de gauche, mettent volontiers leur 
drapeau dans leur poche. 



BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE 



Ouvrages generaux : 

BROMBERGER (Merry) : le Roman de VElysee, Fayard, 1953. 
CHASTENET (Jacques): Histoire de la III 6 Republique, 

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PASTEUR (Claude) : VElysee hier et aujourd'hui, France 

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230 LES DAMES DE L'ELYSEE 

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Anne-Aymone Giscard d'Estaing : 

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la Republique des cadets, Presses de la Cite, 1972. 
DESJARDINS (Thierry) : Un inconnu nomme Chirac, La Table 

Ronde, 1983. 
EviN (Kathleen): Michel Rocard ou Van du possible, 

J.-C, Simoen, 1979. 
SZAFRAN (Maurice) : Chirac ou les passions du pouvoir, Gras- 

set, 1986. 



TABLE 



REMERCIEMENTS 7 

INTRODUCTION 9 

LES DAMES D'ANTAN 13 

LS DAMES DE NOTRE EPOQVE 49 

Yvonne de Gaulle 51 

Claude Pompidou 77 

Anne-Aymone Giscard d'Estaing 107 

Danielle Mitterrand 137 

LES DAMES DE DEMAIN 165 

Eve Barre 168 

Bernadette Chirac 184 

Frangoise Castro-Fabius 200 

Michele Rocard 213 

BIBLIOGRAPHIE 229 



Au&i/i Imprimeur 

LIGUGE POITIERS 



Acheve d'imprimer en mars 1987 

N d'edition 776 / N depression L 22803 

Depot legal, mars 1987 

Imprime en Franca 



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