U d'/of OTTAWA
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UL.'
LA
Somme du Prédicateur
R AU IT ETERNEL
RENFERM \\ I
QUATRE-VINGTS INSTRUCTIONS
Divisées eu quatre séries
OMPAGNÈES DE NOTES ET DE PLANS
ET SUIVIES DE TRAITS HISTORIQUES
pouvant à volonté servir pour le Carême, pour l'Avent,
pour les Retraites et les Missions
et en générai pour tous les temps et toutes les circonstances
par
P, GRENET. dît D'HAUTERIVE
Chevalier de l'Ordre insigne de Pie IX
Auteur du Grand Catéchisme de la Persévérance chrétienne
de la Somme du Prédicateur pour tout le cours de l'année chrétienne
des Nouvelles Méditations pour les Religieuses hospitalières et enseignantes
Traducteur des Méditations du Vén. P. du Pont, de's Œuvres de Raineri
TOME DEUXIEME
DEUXIÈME SÉRIE
Les G r a n d^^\r ol^s du Salut
BIBLIOTHECA
7EAU
(Haute-Garonne)
IBRAIRIE J. M SOUBIRON, ÉDITEUR
Droits de reproduction et de traduction réservés
ht
, H 375
1101
v. 2
LA
Somme du Prédicateur
SI II
LE SALUT ÉTERNEL
DEUXIÈME SÉRIE
Les Grands Devoirs du Salut
PREMIERE INSTRUCTION
(Pour le soir du Mercredi des Gendres)
C'est un devoir pour nous d'apprendre
ce qu'il nous faut faire pour nous
sauver.
I. Parce que nous L'ignorons. — II. Parce qu'il est indispensablement
nécessaire que nous le sachions.
Vous n'avez certainement pas oublié, chrétiens, que nous
avons consacré le précédent Carême à l'étude et à la consi-
dération des \érilés qui se rapportent à nos quatre lins
dernières, savoir, la mort, le jugement, le paradis et
L'enfer. Vérités lumineuses, qui niellent dans un jour égal,
et la van i lé des choses de ce monde, et la réalité des choses
de L'éternité. Vérités terribles, qui non seulement épouvan-
tent !<•> pécheurs les plus endurcis, mais qui réveillent aussi
de leur Léthargie les indifférents, et secouent même
jusqu'aux ûdèies, Leur inspirant à lous la pensée, soit de se
convertir, soi! de mettre la main à L'ouvrage de leur salut,
soi! d'y travailler avec un redouhleme.nl de zèle.
Que -i La considération de nos iins dernières a ettcclive-
SOMME DU PRÉDICATEUR. T. II. 1^-Tl" '**'' ^-^ I
z*u \SSST IfeWersfig-
2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
ment produit en nous ces effets, selon les dispositions de
chacun, c'est-à-dire, si elle nous a inspiré à tous le sincère
et vif désir d'accomplir notre salut, soit en quittant le
péché, soit en sortant de notre froide indifférence, soit en
ranimant notre ferveur, la première chose dont nous avons
besoin maintenant pour donner suite à notre bon désir,
c'est de savoir ce qu'il faut faire pour nous sauver, ou en
d'autres termes plus précis, c'est de connaître nos devoirs»
les devoirs du salut. Car ce serait en vain que nous aurions
le plus ardent désir de nous sauver, si nous ne savions pas
ce qu'il faut faire pour y parvenir. Supposons un homme
égaré loin de son pays, et qui veut y revenir : n'a-t-il pas
besoin de savoir tout d'abord de quel côté diriger ses pas ?
Ainsi de nous, égarés loin de notre patrie céleste, lorsque
nous sommes résolus à nous y rendre. C'est pourquoi nous
consacrerons ce Carême à nous instruire solidement de ce
qu'il faut faire pour aller au ciel, c'est-à-dire des grands et
essentiels devoirs du salut. Puisse Dieu nous aider dans une
aussi importante entreprise, et puissions-nous y apporter
nous-mêmes l'attention suprêmement sérieuse qu'elle mé-
rite 1
Or, le premier grand devoir du salut qui nous incombe,
c'est précisément d'apprendre ce qu'il faut que nous fassions
pour nous sauver. Et il faut que nous l'apprenions pour ces
deux raisons, d'abord, parce que nous l'ignorons, et ensuite
parce qu'il est indispensablement nécessaire que nous le
sachions.
I, — C'est un devoir d'apprendre ce que nous avons
à faire pour nous sauver, parce que nous l'ignorons.
^— Oui, la chose n'est que trop visible et trop certaine,
l'immense majorité des chrétiens ne connaissent que d'une
manière très superficielle cl très imparfaite les devoirs du
salut, c'est-à-dire ce qu'il faut faire pour se sauver. Ils
savent bien à la vérité, plus ou moins vaguement, qu'il
faut prier Dieu, respecter les droits du prochain, se pré-
server des vices grossiers, faire maigre certains jours, se
confesser et communier à Pâques, mais c'est tout. Quant
aux motifs qui forment la base de ces prescriptions, qui en
DEVOIR D'APPRENDRE CE Ql II. FAI T FAIRE POUR SE SAUVER. .'>
montre ni la convenance, L'utilité, la nécessité, cl qui par
suite inclinent irrésistiblement toute volonté droite à les
observer, ils Les ignorent absolument. Et ce ne sont pas
seulement les ouvriers des villes et des champs, absorbés
par Leurs occupations matérielles, non plus que les indus-
triels cl les commerçants, qui se trouvent dans ce cas ; ce
sont encore ceux-là mêmes qui ont reçu une instruction
plus qu'ordinaire, qui passent pour éclairés et savants, qui
le sont peut être sur beaucoup de points, mais non pas
assurément sur leurs devoirs religieux. Qu'on interroge ces
lettrés et ces journalistes, ces fonctionnaires de toutes nos
grandes administrations, ces instituteurs et ces professeurs,
ces magistrats et ces législateurs, ces hommes et ces dames
du monde dont l'influence et le crédit sont si grands, tous
ceux enfin qui occupent les carrières libérales et forment ce
qu'on appelle les classes dirigeantes, et l'on sera confondu,
le plus souvent, de leur ignorance au sujet des devoirs du
salut. Et quand nous disons qu'on les interroge, cela est
bien inutile ; car toutes les fois qu'ils parlent ou écrivent
sur cette capitale question, ils font assez voir d'eux-mêmes
qu'ils y sont étrangers. D'une manière générale, tous les
chrétiens ignorent donc, plus ou moins, ce qu'il faut
exactement faire pour se sauver. Il n'en faut même pas
excepter la plupart des chrétiens qui s'appliquent à l'accom-
plissement de leurs devoirs ; car parfois il leur arrive à
eux-mêmes de se heurter à des doutes, et de ne pas savoir
au juste ce qu'ils doivent faire dans telle circonstance où ils
se trouvent (i).
i. Ignorantia in très sp^cies distinguitur : est enim primo ignoranlia
debilitatis, secundo ignorantia negligentiae, el tertio ignorantia malitiae.
[gnorantia debilitatis est illa, cujus omnes homines secundum minus
aut magis participes sunt. quamque' miseri tum a primi parentis
praevaricatione, tum a nihili nostri tenebris, ex quo extracti sumus,
haereditate accepimus. Haec ignorantia sine culpa, cl tain bonis, qu a m
malis communis est... Altéra ignorantia est negligentiae, quand o
homini curae non est in rébus illis instrui, quae ad benc credendum,
aut bene \ i vendu m spectant. El ejusmodi ignorantibus plenus est
mundus... Ignorantia denique malitiae est, quae inconsiderantiae, prae-
cîpitantiae, aut praeoccupatae passionis vel mater est, vcl filia, cl scien-
tiain illa m, quam haurire facile possel el deberet. de industrie reji-
cit... (Clai -, Spicil. catech., in fest. I S. Pétri et Pauli, n. 3).
Combien de gens d'esprit dans le monde, habiles, éloquents, polis J
4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
Comment en serait-il autrement, c'est-à-dire, comment
les chrétiens n'ignoreraient-ils pas plus ou moins, en général,
ce qu'ils doivent faire pour se sauver ? N 'est-il pas vrai
qu'on ne sait que ce qu'on a appris, et que l'on n'apprend
combien de femmes mondaines, disertes, spirituelles, qui n'ignorent
aucune bienséance, cl qui ne savent pas leur religion ! On sait le
monde, on sait mille petites bistoriettes, on sait toutes les modes et
tous les jeux. On a grand soin d'apprendre cent petits exercices propres
d'un homme de qualité ; et cet homme de qualité si habile en négo-
ciations, si savant dans toutes les langues, qui sait si bien l'art de la
guerre, et qui passe dans le monde pour un si galant homme ; cette
fille ou cette femme de qualité qui sait par cœur presque tous les
romans et les poésies galantes ; cette fille qui sait jouer en perfection
de tous les instruments, et qui brille dans toutes les compagnies ; ces
personnes si habiles, si savantes, si bien instruites en tout le reste,
meurent peut-être dans une ignorance grossière des plus essentiels
devoirs de leur état... Cependant on vit tranquillement dans cette per-
nicieuse ignorance. Quel désespoir et quel malheur de ne devenir
savant qu'à la mort ! (R. P. Croiset, Réflexions, etc.)
Lorsqu'on parle des plus essentiels devoirs de la religion en leur
présence, vous les voyez étonnés, comme s'ils n'avaient pas été élevés
dans l'Église, et que ce fussent des gens venus de quelque lieu où ils
n'eussent jamais ouï parler de l'Evangile. Si on leur dit, par exemple,
que nous sommes tous condamnés à mener une vie pénitente et labo-
rieuse, qu'on ne peut être sauvé sans suivre Jésus-Christ, et qu'on ne le
peut suivre qu'en portant sa croix tous les jours de sa vie ; si on leur dit
que Dieu n'écoute que les gémissements du cœur, et que tout ce
remuement des lèvres, sans attention, ne peut être regardé de Dieu
qu'avec mépris et avec indignation ; si on leur dit qu'il ne faut former
aucun dessein ambitieux pour s'élever, et toutes les autres vérités de
notre religion, s'aperçoit-on qu'ils comprennent ce langage ? Nulle-
ment (Auteur anonyme).
Connaissez-vous beaucoup de personnes pieuses qui étudient sérieuse-
ment les voies spirituelles, qui s'y appliquent et qui sachent apprécier
l'importance d'une pareille étude ? Mille sources d'instruction leur sont
ouvertes. Elles ont entre leurs mains des livres de spiritualité bien
capables de leur donner de grandes lumières : elles ne les lisent point.
Elles entendent la parole de Dieu : en profitent-elles? Mille pensées
humaines les obsèdent au pied de la chaire de vérité, ou bien leur esprit
ne fonctionne point et ne se donne pas la peine de recueillir ces pré-
cieux enseignements. Elles n'étudient pas, parce qu'elles suivent la voie
trompeuse des sentiments. Ces âmes ne savent pas que le cœur est une
puissance aveugle, et que l'entendement doit tenir le flambeau devant
lui pour le diriger. De là des bizarreries dans la dévotion, des sacre-
ments mal reçus, des vertus mal pratiquées (Autre anonyme).
Faut-il dire qu'au-dessus cl au-dessous (des écrivains, des historiens,
des philosophes, des mathématiciens, etc.) s'agite un peuple immense
de giands industriels qui possèdent à merveille le secret de fonder de
vastes usines, d'immenses exploitations, et qui ne savent pas si, comme
DEVOIR D APPRENDRE CE QU IL FAUT FAIRE I'Oih SF SAUVER. ->
qu'en proportion du temps qu'on > consacre el de L'atten-
tion qu'on y apporte ? Pour apprendre les premiers élé-
ments dos sciences humaines, la lecture, l'écriture, le
calcul, un peu d'histoire el de géographie, on ne pense pas
qu'il faille aux enfants moins de six ou sept ans. Plusieurs
années sont également exigées pour L'apprentissage du
moindre métier. Quanl aux connaissances nécessaires à un
médecin, à un avocat, à un juge, à un officier, à un ingé-
nieur, on consacre à les acquérir non-seulement loulc sa
jeunesse, niais on continue d'étudier avec opiniâtreté dans
ce bul toute sa vie. El bien loin que des Labeurs si prolon-
gés passenl pour inutiles ou superflus, on reconnaît et on
proclame au contraire qu'ils ne sont pas encore suffisants,
puisqu'il reste toujours beaucoup de choses qu'on aurait
intérêt à savoir et qu'on ignore. Ce qu'il faut dire aussi
même des métiers les plus vulgaires dont nous parlions
tout à l'heure, et au sujet desquels il y a également toujours
à apprendre, quelle que soitla longueur du temps qu'onlcs
ait exercés, et quelqu'application qu'on y ait apportée (i).
Eh bien, s'il en est ainsi, si l'on ne sait que ce qu'on a
appris, et en proportion de ce qu'on l'a appris, si l'on ne
connaît les arts et les métiers qu'autant qu'on les a étudiés,
pareillement nous ne pouvons connaître les devoirs du salut
que si nous les avons appris, et qu'autant que nous les avons
étudiés. Or, personne n'entreprendra de contester ceci,
savoir, qu'en général nous n'apprenons pas ce que nous
catholiques, ils ont un seul devoir à remplir à l'égard de leur àme ? Ne
vont-ils pas jusqu'à s'imaginer qu'ils ont, clans une certaine mesure, le
droit de faire ou de remanier la inorale ? Et ne les voit-on pas, vis-à-\is
des ouvriers qu'ils emploient, suivre de tout autres règles de justice ou
d'humanité que celles que la conscience et l'Eglise leur enseignent ?
Mgr Plantier, In^lr. paftor. pour le Car. de i8(b, n. 5).
i. 0 Dieu ! quel renversement de notre raison ! nous étudions avec
tant d'ardeur les mouvements des cieux, les secrets de la nature, les
autres sciences humaines, et nous né voudrions pas avoir donné la
moindre application de notre esprit à la considération de nos devoirs.
Et cependant les autres sciences sonl inutiles à noire salut. Malheureux
est l'homme, ô mon Sauveur, s'écrie saint Augustin, qui connaît
toutes ces choses, si avec tontes ces lumières il ne vous connaît pas :
Jnfelix homo, qui scit illa omnia, te aalem nescit ! (Biroat, Sermons p.fAv.
2. serm.).
O LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
devons faire pour nous sauver, du moins nous n'en acqué-
rons pas une connaissance suffisante. Nous n'y consacrons
ni assez de temps, ni assez d'application. À peine les
enfants assistent-ils au catéchisme une heure par semaine
pendant deux ans avant leur Première Communion. Je dis à
peine, car combien d'entre eux qui n'y viennent que très
irrégulièrement ! Mais y fussent-ils tous très assidus, n'étant
que des enfants, ils ne pourraient quand même acquérir,
des devoirs du salut, qu'une connaissance nécessairement
fort superficielle. L'Église cependant les admet, par con-
descendance, à la participation de ses sacrés mystères, parce
qu'elle espère les voir revenir autour de la chaire de vérité
pour compléter leur instruction religieuse. Mais après avoir
fait leur Première Communion, bien moins encore, pour la
plupart, viennent-ils entendre les prédications de leur pas-
teur, qu'ils n'allaient entendre les explications du catéchisme.
Que l'on considère, en effet, nos auditoires paroissiaux, et
que l'on fasse le compte des jeunes gens et même des jeunes
filles qui viennent y prendre place. Hélas ! qu'ils sont
rares ! La grande majorité de ces pauvres enfants reste donc,
tout le reste de leur vie, avec le petit bagage de leur Pre-
mière Communion. Or,- ce petit bagage, qui ne leur était
alors, nous l'avons dit, que bien faiblement suffisant, ne
leur suffit plus du tout lorsqu'ils grandissent, et que leurs
devoirs deviennent plus nombreux. Que de choses en effet
il eût été inutile de leur dire alors, que de choses même il
eût été mauvais de leur apprendre, et qu'ils ont besoin de
savoir plus tard ! On apprend aux enfants les devoirs des
enfants, et non pas les devoirs des jeunes gens et des jeunes
filles, et non pas les devoirs des hommes et des femmes. Or
si les enfants, lorsqu'ils grandissent, lorsqu'ils deviennent
des jeunes gens et des jeunes filles, des hommes et des fem-
mes, des pères et des mères de familles, ne viennent pas
apprendre leurs nouveaux devoirs, comment les connaî-
traient-ils ? Car il n'y a que l'Église qui puisse les leur ensei-
gner, puisque c'est à ses ministres que Notre Seigneur a dit :
Allez, enseignez toutes les nations..., leur apprenant à observer
toutes les choses que je vous ai prescrites (i). Observer les
i. Matth. xxvm, 19, 20.
DEVOIB D'APPRENDRE CE OU'lL FAUT FAIRE POUR SE SAUVER. 7
choses prescrites par Notre-Seigneur, c'est là justement,
remarquons-le bien, accomplir les devoirs du salut. Or,
encore une lois, la plupart des chrétiens ne connaissent pas
et ne peuvenl pas connaître ecs devoirs, parce qu'ils ne les
ont jamais appris, au moins suffisamment (1).
Mais on n'ignore pas mu» chose seulement parce qu'on ne
Ta pas apprise, on l'ignore pareillement lorsqu'on l'a oubliée.
Qu'on n'ait jamais su une chose, ou qu'on l'ait oubliée,
L'ignorance où l'on se trouve à son égard est tout à fait sem-
blable. Proposez, je suppose, une opération d'arithmétique
à une personne qui n'a jamais su la faire, et à une personne
qui, l'ayant sue, l'a oubliée ; cette dernière ne pourra pas
mieux s'en tirer que la première. Or, tout ce qu'on a appris
s'oublie, si l'on n'a pas soin de s'en rafraîchir de temps en
temps la mémoire. L'histoire s'oublie, la géographie s'oublie,
la géométrie, l'algèbre, la physique, la chimie et toutes les
sciences s'oublient. Qui pourrait, six mois seulement après
avoir passé brillamment un examen, en subir de nouveau
les épreuves avec le même succès ? Eh bien, il en est ainsi
de la connaissance de nos devoirs religieux. Alors même que
nous aurions, à un moment donné, possédé cette connais-
sance d'une manière parfaite, bientôt elle s'effacerait de plus
1. La véritable cause de l'ignorance des hommes à l'égard des choses
de Dieu et de leur salut, c'est que la plupart n'appliquent leur esprit
qu'à ce qui leur importe le moins. Si l'on parle des affaires du monde,
ils écoutent avec beaucoup d'attention, et ils ne s'engagent pas aisément
dans un parti, qu'ils n'aient examiné auparavant, s'ils y trouveront leur
intérêl : mais pour ce qui regarde leur salut, leur àmc, leur conscience,
ils -'■ contentent d'une simple vue, sans s'y arrêter, sans examiner les
choses à fond. Or, peut-on bien juger d'une chose, ou la bien connaître,
sans l'avoir bien considérée ? peut-on comprendre tous les secrets d'un
art ou (l'une science, sans l'avoir étudiée avec soin ? peut-on bien connaî-
tre l'excellence d'une peinture, en la regardant en passant, sans dessein,
et sans examiner si les proportions et les attitudes y sont bien observées '}
peut-on juger d'un bâtiment par la seule apparence extérieure, sans
entrer dedans, et voir si les appartements y sont bien ménagés, et si
dans le dessin, il n'y a rien contre les règles de l'art P Gomment donc
se peut-il l'aire, qu'un homme qui emploie tous ses soins à l'établisse
nient d'une eliélive fortune, à passer le temps en jeux, en festins, et en
d'autres divertissements, conçoive des choses sublimes, Importantes et
surnaturelles, en ne s') appliquant que fort légèrement, et pour ainsi
dire par manière d'acquit ? (R. I». IHm;al, Serin, pour le IV d'un. apr.
Pannes),
O LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
en plus de noire esprit, si nous n'avions pas soin de l'y
entretenir. Les prêtres eux-mêmes, qui pourtant ont fait,
des devoirs du salut, une étude approfondie et prolongée,
ont besoin, pour ne pas les oublier, de continuer à les étu-
dier encore sans cesse. À plus forte raison les simples fidèles,
qui n'ont jamais très bien connu ces devoirs, les oublient-ils
promptement, lorsqu'il leur arrive de ne plus venir assidû-
ment à l'église pour en entendre l'explication ! Et combien
de chrétiens qui sont dans ce cas, c'est-à-dire, qui ne vien-
nent que rarement à l'église pour entretenir les connais-
sances religieuses qu'ils ont acquises ! combien, par consé-
quent, qui ignorent les grands devoirs du salut, non parce
qu'ils ne les ont jamais sus, mais parce qu'après les avoir
sus, ils les ont oubliés î
La plupart des chrétiens ignorent les grands devoirs du
salut enfin et surtout parce qu'ils ne veulent pas les connaî-
tre. C'est ici en effet la principale cause de leur ignorance.
S'il ne s'agissait que de les apprendre, ils les sauraient, car
ils apprennent des choses beaucoup plus difficiles. Et pareil-
lement, s'il ne s'agissait que de ne pas oublier, ils les retien-
draient, car ils retiennent également des choses beaucoup
plus difficiles. Mais encore une fois, la grande raison pour
laquelle la plupart des chrétiens ne connaissent pas les
devoirs du salut, c'est parce qu'ils ne veulent pas les con-
naître. Et pourquoi ces chrétiens ne veulent-ils pas connaî-
tre les grands devoirs du salut? Ils ne veulent pas les con-
naître, parce qu'ils ne veulent pas s'en acquitter. Ils ont
conscience que, s'ils étaient instruits de leurs devoirs, il
leur serait très difficile de ne pas les accomplir. Comment,
en effet, être absolument convaincu d'une chose, et agir
contrairement à cette conviction ? Comment, par exemple,
être irrésistiblement convaincu que c'est un devoir rigou-
reux d'obéir à Dieu, et malgré cela ne pas observer ses
commandements ? La conviction qu'il faut obéir à Dieu
n'est-elle pas, dans ce cas, pénible et gênante ? Cette con-
viction n'est-clle pas, pour les actions défendues qu'on veut
pourtant faire, une entrave toujours subsistante, et pour
les actions faites quand même dans ces conditions, un
reproche et un remords ? Voilà pourquoi les nombreux
DBVOIR D'APPRENDRE CE Ql 'il- FAUT FAIRE POUB SE SAUVER. 9
chrétiens donl nous parlons, no voulant pas être gênés dans
leurs actions, évitenl de4 se convaincre des devoirs du salut-
Voilà pourquoi non seulemenl ils ne Font rien pour s'en
instruire, mais encore détournent leur attention de ce qu'ils
en ont appris, afin de l'oublier, ce a quoi ils ne réussissent
que trop. Et voila surtout pourquoi, encore une lois, ils
ignorent les grands devoirs du salut, savoir, parce qu'ils- ne
veulent pas les connaître (r).
i. Bien des gens vivent dans une crasse ignorance de leur religion
par amour propre et par libertinage ; car on est bien aise d'ignorer
son devoir quand on n'aime pas ce qu'on est obligé de faire. Quel état
pins à craindre, et quel étal moins appréhendé ! Qui maie agit, odit
lucem, Joan. ni, dit le Sauveur du inonde. Quiconque fait le mal, hait
la lumière, el ne vient point à la lumière, de peur qu'il ne découvre
lui-même le mal qu'il fait. Nous vivons dans un siècle où l'ignorance
est plutôt un vice de la volonté, qu'un défaut de l'esprit. On fuit l'instruc-
tion, quand on ne veut pas la réformede ses mœurs. Omissions dedevoirs,
dispenses des plus saintes lois sans aucun droit, sans titre, contrats illé-
gitimes, prêts usuraires, systèmes de conscience faits à plaisir : tout est
justifié, tout passe à la faveur de ces ténèbres volontaires, que la cor-
ruption du cœur fait naître, et que l'amour propre nourrit. Gomme
l'ignorance est un état paisible, et qui ne coûte aucune peine, et qui
d'ailleurs laisse l'amour propre et toutes les passions en paix, elle a tou-
jours un nombreux parti. Mais une ignorance si criminelle sera-t-elle
un titre contre les lois de l'Évangile? Vous ignorez vos devoirs: mais
n'en était-ce pas un pour vous de les apprendre? On ne manque dans
Israël, ni de docteurs, ni de prophètes; mais on manque de bonne
volonté (R. P. Croiset, Réflexions, etc.)
il faut faire voir par une induction sensible: i<> le mal que l'igno-
rance cause à celui qui néglige de s'instruire des devoirs de sa religion
et de son état. 2° Ce qu'elle cause au public. 3° Les désordres qu'elle
met dans les familles (Houdry, loc. cit. n. i).
La religion m'enseigne des choses qui me gêneraient, et j'aime autant
ne pas les savoir. — Ce raisonnement, qu'on ne formule pas toujours
aussi nettement, mais qu'on fait au dedans de son cœur, n'est pas digne
d'un homme raisonnable. Tout n'est pas fini parce qu'on a détourné la
tète, el qu'en s'est bouché les oreilles pour ne pas entendre les ensei-
gnements de Dieu. C'est imiter ces oiseaux du désert qui se cachent la
tète dans 1rs broussailles lorsqu'ils sont serrés de près par les chasseurs,
et qui s'imaginent être en sûreté parce qu'ils ne voient pas le péril.
Pauvre .uni. vous serez pris par le divin chasseur, à la puissance de
qui nul ne peut échapper; -i, en ce monde, vous échappez à la pour-
suite deson amour, dans l'éternité vous tomberez infailliblement sous
le coup de sa justice. Ne vaut-il pas mieux aller à lui de bon cœur, et
mériter par cette fidélité ses éternelles récompenses? — Si le service de
Dieu vous pèse parfois, souvenez-vous du paradis et de l'enfer, que la
foi nous enseigne d'une manière si positive. Souvenez-vous du paradis,
qu'il faut gagnera tout prix, de l'enfer qu'à tout prix il faut éviter.
10 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — I. INSTRUCTION.
Ainsi, que ce soit, pour les uns, parce qu'ils n'ont pas
assez étudié la religion, pour les autres, parce qu'ils l'ont
oubliée, pour d'autres encore, parce qu'ils ne veulent pas
la connaître, toujours est-il que nous ne savons pas bien, que
nous ne savons pas assez, en général, ce que nous devons
faire pour nous sauver. Et telle est, avons-nous dit, la
première raison pour laquelle nous devons l'apprendre (i).
Mais il en est une seconde, conséquence de cette première,
et qui est bien autrement grave et décisive. Cette seconde
raison, nous l'avons également énoncée, en disant que c'est
un devoir pour nous d'étudier ce qu'il faut faire pour nous
Lequel est préférable : se gêner un peu et être heureux pour toujours,
ou bien se laisser aller pour un moment à ses caprices, et être malheu-
reux sans remède et sans fin ? — Et puis, est-il vrai que la religion soit
si pénible ? Si elle impose quelques sacrifices, n'ofïïe-t-elle pas en
échange des consolations, des joies, une paix, une force, un pur bon-
heur mille fois préférables à tout ce que peuvent nous donner nos capri-
ces et nos passions satisfaites ? Il n'est rien de si vraiment heureux qu'un
bon chrétien, ou, pour mieux dire, il n'y a que lui seul qui connaisse
le bonheur véritable (Mgr de Ségur, Instr. fam. i p. en. i).
i. Premier point. Jamais les hommes ne furent plus éclairés qu'ils le
sont dans ce siècle, où les ténèbres du paganisme sont bannies presque
de tout le monde ; où l'on peut profiter des lumières et des connaissances
de tous les siècles ; où jamais il n'y eut plus de prédicateurs et plus zélés et
plus savants, ni de docteurs plus habiles en toutes sortes de sciences;
où l'on a pénétré dans tous les secrets de la morale, et aplani toutes les
difficultés de la théologie : et cependant jamais l'erreur et l'ignorance
des hommes ne fut plus grande dans la pratique des vérités chrétien-
nes. — Deuxième point. Il faut faire voir les conséquences qui suivent
naturellement d'une vérité si reconnue. La première : que les chrétiens
sont plus coupables et plus inexcusables que les païens mêmes, puis-
qu'ils ne se servent point des lumières dont ils sont environnés, pour la
conduite de leur vie ; qu'ils y ferment les yeux, pour demeurer dans
une ignorance volontaire de leurs devoirs. Il s'ensuit en second lieu,
qu'ils seront plus punis en cette vie, par un aveuglement entier, qui est
le plus terrible châtiment de la justice de Dieu ; et en l'autre, par de
plus griefs supplices, après avoir ouvert les yeux, et reconnu l'erreur et
l'ignorance dans laquelle ils ont vécu : Ergo erravimus, et sol inlelligen-
tise non luxit nobis. Sap. v (Houdry, Biblioih. des Prédic. voc. Ignorance,
§. i. n. 6).
Premier point. L'ignorance de nos devoirs en matière de mœurs et de
religion, nous prive de tous les avantages qui ont été promis en la loi
de grâce, des lumières de la foi, des dons du Saint-Esprit et de tous les
biens surnaturels. — Deuxième point. Elle nous attire tous les maux,
quo nous avons le plus sujet d'appréhender : le déshonneur, les cha-
grins, et les déplaisirs de cette vie; et enfin, toutes les peines et tous
les supplices do 1 autre (Id. ibid, n. 7),
DEVOIH 1) APPRENDRE CE (H IL FAUT FAIRE POUR SE SAUVER. II
Sauver, non seulemenl parce (|uc nous l'ignorons, mais
encore,
11. — Parce qu'il est indispensablement nécessaire
que nous le sachions. — Ce n'est pas précisément, en effet,
parce (pie nous ignorons une chose, qu'il y a obligation
pour nous de l'apprendre. Si c'était pour chacun de nous un
devoir d'apprendre et de savoir tout ce que nous ignorons,
personne ne pourrait s'acquitter de ce devoir, parce qu'il
n'y a personne qui puisse apprendre et savoir toutes les
connaissances accessibles à l'esprit humain. Et c'est parce
que personne ne peut posséder à lui tout seul toutes ces
connaissances, qu'il n'y a obligation pour personne de les
savoir. On ne peut pas être tenu à l'impossible, qu'il s'agisse
de choses à savoir ou de choses à faire. D'où il suit qu'il y a
des choses qu'on n'est pas ohligé de savoir. Et il y en a
heaucoup. On n'est pas tenu de savoir, en particulier, les
choses dont l'ignorance n'a pour nous, non plus que pour
les autres, aucun inconvénient. Par exemple, un laboureur
n'est nullement tenu de connaître les formules de l'algèbre
et les théorèmes de la géométrie. De même, il n'y a aucune
obligation pour un astronome de posséder l'art de semer le
blé et de greffer les arbres. D'une manière générale, les
connaissances purement humaines ne sont obligatoires que
quand leur ignorance serait nuisible au prochain. Par
exemple encore, un médecin est tenu de connaître la méde-
cine, et un avocat les lois, parce que, s'ils les ignoraient, ils
nuiraient à ceux qui recourraient à eux, en leur donnant
tics remèdes contraires à leurs maladies, ou des avis contrai-
res à leurs intérêts. En dehors de cette règle, on peut igno-
rer toutes les sciences humaines, il n'y a obligation d'en
connaître aucune, parce qu aucune n'est vraiment indis-
pensable (i). Ainsi, il n'est nullement indispensable que,
i. Premier point. Il y a une ignorance qui n'est ni coupable ni blâ-
mable : c'est celle des choses qu'on n'est nullement obligé de savoir,
comme étant éloignées de notre état et de notre profession. Sur quoi
l'on peut s'étendre sur l'inutilité de plusieurs sciences, qui ne servent
(]<• rien à nous rendre plus gens de bien. — Deuxième point. ï\ y a dos
choses qn*il esi mille fois plus expédienl d'ignorer, qui ne servent qu'a
entretenir notre curiosité et à nous détourner de nos devoirs. — Troisième
12 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — I. INSTRUCTION.
pour moi-même, je connaisse les lois et la médecine. Que si,
Taule de connaître Les lois, je perds un procès et me ruine,
j'en serai quitte pour vivre dans la pauvreté, pendant le peu
de temps qui me reste à passer sur la terre. Et si. faute de
savoir soigner ma santé, je tombe malade, j'en serai quitte
pour endurer quelques souffrances plus ou moins vives et
plus ou moins prolongées. Or, perdre ses biens, perdre sa
santé, et toutes autres pertes semblables, ne sont vraiment
pas pour nous, bien que choses graves, des choses capitales
et essentielles. Car ces pertes, il faut que nous les fassions,
un peu plus tôt, un peu plus tard. Et comparés à l'éternité,
qu'est-ce que dix ans, vingt ans, cinquante ans de richesse,
de santé, ou de satisfactions! de gloriole? Quel est l'homme
vraiment sensé, lorsqu'il descend au fond de lui-même, qui
n'est pas prêt à répéter cette parole du roi Salomon (i), que
toutes ces choses sont vanité et affliction d'esprit ?
Mais la question change radicalement, lorsqu'il s'agit du
salut. Il n'en est pas du salut, en effet, comme des biens et
des avantages de ce monde. Ces biens et ces avantages,
nous venons de le dire, sont essentiellement fragiles et tran-
sitoires, et leur absence n'exclut pas nécessairement le bon-
heur. H y a des pauvres qui sont plus gais que des riches,
et des serviteurs plus heureux que des potentats. Au con-
traire, le salut constitue à lui seul l'unique bien capable de
nous rendre heureux. Notre salut est-il fait? sans aucun au-
tre bien, notre bonheur est complet. Notre salut est-il man-
qué? eussions-nous tous les autres biens, ils ne pourraient
amoindrir en rien notre malheur. Le pauvre Lazare dans le
ciel, et le mauvais riche dans l'enfer, nous en présentent
deux exemples irréfutables. Lazare, tout indigent qu'il est,
nage dans la joie, parce] que son salut est fait; le mauvais
riche, au contraire, malgré ses trésors, est plongé dans l'a-
bîme de toutes ses douleurs, parce que son salut est manqué.
Ce n'est pas tout. Non seulement le salut manqué est un
malheur universel, qui ne laisse aucun bien ; mais c'est de
point. Il y a une ignorance criminelle, qui est celle des choses que nous
sommes obligés de savoir pour remplir les devoirs de notre profession
(Houduy, loc. cit. n. 8).
i. Eccl. ii, ï-26.
DEVOIR D'APPRENDRE CE Ql 'n. l'Ai T r wm: poï K si: s v( \ ER
plus un malheur éternel, à jamais irréparable. Quelqu'un
vient il à perdre les biens temporels qu'il possédait P il né
lui est jamais impossible de les recou\ rer, el tout au moins
il peut l'espérer. Que de gens ruinés ne voit-on pas rccon-
quérir l'aisance ! que de malades ne voit ou pas redevenir
bien portants ! Mais si quelqu'un, manquant sou salut, perd
son âme, elle esl perdue sans retour. Impossible de tra-
vailler de nouveau à la sauver. Jamais, en effet, l'on ne vit
un seul damné reconquérir le ciel. Pénétrons-nous bien de
ces vérités, car il n'\ a rien de plus certain ; et pesons-les
sans chercher à nous faire de vaines illusions, car il n'y a
rien de plus terrible ( i ).
Et maintenant, étant établie l'importance souveraine du
salut, l'importance de l'accomplir, l'importance de ne pas
le manquer, ne devient il pas évident à tous les yeux qu'il est
absolument indispensable d'en connaître les devoirs, et par
conséquent de les étudier? Car qui ne connaît pas les devoirs
du salut, ne peut pas les accomplir; et qui n'accomplit pas les
devoirs du salut, encourt forcément la damnation, qui est
le pins grand de Ions les maux, éternellement irréparable.
Unsi L'accomplissement du salut est absolument lié à la
connaissance de ses devoirs, et rigoureusement dépendant
de cette connaissance. Encore une fois, et en d'autres termes
plus clairs, s'il est possible, on ne peut se sauver qu'autant
que l'on sait, avant tout, ce qu'il faut faire pour y parvenir.
C'esl précisément pour cela que le Sauveur, sachant com-
bien il nous est indispensable de connaître les devoirs du
salut, esl venu du ciel sur la terre pour nous les apprendre,
i. L'Écriture appelle le salul ['affaire, negotium, l'affaire par excellen-
ce, pour montrer que l'homme n'a proprement que cette seule affaire
à Laquelle il doi\e s'appliquer. Nous devons tirer de là deux conclu-
sions importantes : i Non- devons avoir la plus haute estime pour 1 af-
faire de noire salut el la préférer à tout, puisque de là dépend tout au-
tre bonheur ou noire malheur pour le temps et l'éternité. 20 Les choses
\c< plus importantes devant tenir le premier rang d us nos pensées et
nos affections, et l'affaire de notre salut étant la première et la plus éle-
vée de toutes, elle doit l'aire l'objet particulier de notre sollicitude. Il
tant donc : 1 diriger vers ce but toutes nos pensées, tontes nos paroles,
toutes nos actions; •> repousser avec vigueur toul ce qui pourrait y
porter obstacle, de quelque pari que cela vienne (R. P. Saint-Jure, De
n. et de l'uni, de V.-S. J.-C. li\ . 1, en. 1 .
l4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
d'abord par ses exemples, ensuite par ses enseignements.
C'est pour cela aussi qu'au moment de remonter au ciel,
voulant assurer aux générations futures les mêmes lumières
dont avaient joui ceux qui l'avaient entendu personnelle-
ment, il institua des apôtres, et leur donna pour mission
expresse d'aller enseigner toutes les nations, en leur appre-
nant à observer toutes les choses qu'il leur avait prescri-
tes (i). Si la connaissance des devoirs du salut ne nous était
pas indispensable, pense-t-on que Notre-Seigneur aurait
quitté le ciel et serait venu sur la terre pour nous les ensei-
gner? Pense-t-on qu'il aurait créé des apôtres et des minis-
tres tout exprès pour porter ses enseignements à tous les
peuples de la terre et durant tous les siècles ? Cette conduite
du Sauveur, on ne saurait le contester, est une preuve déci-
sive qu'il regarde la connaissance des devoirs du salut com-
me nous étant absolument indispensable. Or, si le Sauveur
en juge ainsi, qui osera en juger différemment ? N'est-il pas
la souveraine vérité et la souveraine sagesse ?
Mais quand même Notre-Seigneur n'aurait pas agi ainsi,
la nécessité qu'il y a pour nous d'étudier et de connaître les
devoirs du salut ne serait pas moins certaine ni moins in-
dispensable. Elle découle naturellement et rigoureusement
de ce fait que Dieu nous a offert la grâce du salut et destinés
au ciel. Tout bienfait implique en effet, à la charge de celui
qui en est l'objet, le devoir d'en témoigner de la reconnais-
sance au bienfaiteur. Celui qui a reçu un bienfait et qui n'en
témoigne pas de reconnaissance, manque donc à un devoir.
Et qu'on ne dise pas ici que l'on n'a rien demandé à Dieu,
et que par conséquent on ne lui doit rien. L'enfant non plus
n'a pas demandé à ses parents de lui donner la vie : peut-il
donc s'en autoriser pour ne leur témoigner aucune recon-
naissance ? Le bienfait accordé spontanément a même plus
de prix que celui qui n'est accordé qu'après avoir été solli-
cité ; il montre plus de bonté et plus de bienveillance en
celui qui l'accorde, et mérite par conséquent une recon-
naissance plus vive, plus profonde et plus parfaite. Telle est
bien la reconnaissance que nous devons à Dieu, pour nous
i. Matth, xxviii, 19, 20.
DEVOIR n IPÇRENDRE CE Q\ IL FAUT FAIRE POUR SE SAUVER. . 10
avoir, do lui même el sans aucun droil ni aucun mérite de
aotre part, destinés à L'éternelle félicité du ciel. Or, quel
meilleur moyen a\ ons nous de la lui témoigner? Le meilleur
moyen, c'est de lui montrer, par notre conduite, que nous
avons, pour son bienfait, lapins complète estime. Car au-
tant il est blessant pour un bienfaiteur, que Ton dédaigne
son bienfait, autan! il lui es! agréable qu'on en fasse tout le
cas qu'il mérite. Mais comment montrerons-nous à Dieu
que nous avons la plus extrême estime pour la grâce qu'il
nous a faite de nous appeler au salut? Précisément en nous
appliquanl à étudier et à connaître ce que nous devons fai-
re pour (pie ses desseins sur nous se réalisent, c'est-à-dire
pour que nous soyons sauvés. En effet, si nous ne nous appli-
quons pas à connaître les devoirs du salut, nous montrons
par là que nous ne tenons pas au salut lui-même, que nous
le dédaignons ; mais nous montrons au contraire qu'à nos
yeux le salut est une chose infiniment précieuse, et que
nous en faisons le plus grand cas, si nous nous appliquons
de notre mieux à en connaître les conditions et les devoirs
afin de les remplir. Eh bien, nous le répétons, c'est à cela
que nous oblige rigoureusement la reconnaissance, c'est-à-
dire à témoigner à Dieu que nous estimons le salut qu'il
nous offre, en en étudiant les devoirs pour les accomplir,
et ainsi arriver au ciel. Agir autrement, c'est agir en ingrat
grossier, qui jette de coté avec mépris les présents d'un
bienfaiteur généreux et dévoué (i).
i. N'est-ce pas un grand sujet de douleur et un grand crime, de ne
tirer point d'avantage, par une ignorance affectée, d'un des plus grands
bienfaits que les hommes aient reçus de la bonté de Dieu, qui a été de
les instruire de ses volontés, tantôt par la lumière naturelle, tantôt
par la Loi écrite, ei enfin par lui-même, en instruisant les peuples, et
en leur annonçanl sanouvelle Loi ? La grandeur de ce bienfait fut admi-
rablement expliquée par son législateur Moïse, lorsque parlant au peu-
ple, il lui dit : (Juelle nation y <t l-ilsi noble dans le monde, qui ait des cé-
rémonies, des lois et des jugements pareils à ceux que je vous proposerai
aujourd'hui? Déni. i\ . Si donc il est vrai que cette grâce soit si grande,
• le quoi nous sert La loi de l'Évangile, si, tout chrétiens que nous som-
mes, nous l'ignorons P De quoi nous sert-elle, sinon d'être un sujet de
condamnation, si nous ne La portons, sinon dans nos mains, comme
faisait le peuple de Dieu, celle qui Leur avait été donnée, du moins dans
notre cœur ; si par elle nous ne dissipons les ténèbres de notre igno-
rance P Que non- servira un remède d'une si grande vertu, si nous ne
l6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
Agir autrement, c'est-à-dire ne pas s'occuper des devoirs
du salut, c'est aussi agir comme ferait un insensé qui aurait
droit à un riche héritage, mais ne voudrait pas accomplir
les conditions requises pour s'en assurer la possession.
N'est-il pas vrai que nous avons à remplir, non seulement
un devoir de reconnaissance à l'égard de nos hienfaiteurs,
mais encore un devoir de conservation et d'utilisation à
l'égard de leurs bienfaits eux-mêmes? On nous a fait don,
je suppose, d'une ferme, avec tout l'attirail nécessaire pour
son exploitation ; aux yeux de tout homme sensé, ce don
ne nous impose-t-il pas le devoir d'en tirer les avantages
qu'il comporte? Et si nous laissions de tout à l'abandon,
sans plus nous en occuper que si l'on ne nous eût rien
donné, tout le monde ne serait-il pas d'accord pour dire
que nous manquons à notre devoir, que nous ne faisons pas
notre devoir ? La santé que Dieu nous a donnée, n'est-ce
pas aussi pour nous un devoir de la ménager, d'en prendre
soin et de la conserver? Les moissons dont il couvre nos
champs, les fruits dont il charge nos arbres, n'est-ce pas
aussi pour nous un devoir de faire le nécessaire pour en
opérer la récolte et empêcher qu'ils ne se perdent? Toute
négligence à cet égard ne serait-elle pas, encore une
fois, blâmée universellement comme un manquement
à notre devoir? Or, si nous avons, à l'égard des choses de
la terre et du temps, le devoir de ne pas les négliger, d'en
prendre soin, et d'en retirer les avantages qu'elles compor-
tent, qui osera dire que le même devoir ne nous incombe
pas à l'égard des choses du ciel et de l'éternité? Quoi, nous
manquerions à notre devoir en nous exposant, faute de
soins, à la perte d'une bête de ferme ; et nous n'y manque-
rions pas en nous exposant, faute de connaître les obliga-
tions du salut, à la perte de notre âme ? Non, qu'on y pense
bien, l'homme ne vaut pas moins que la bête, mais c'est la
bête qui vaut moins que l'homme. Par conséquent, s'il est de
notre devoir d'avoir soin des bêtes et de toutes les choses
sensibles qui nous appartiennent, et tout particulièrement de
savons pas le mettre en usage ? Le bien de l'homme ne consiste pas en
l'excellence des choses qu'il possède ; mais à en savoir faire un bon usa-
ge, et à s'en servir quand il le doit (Grenade, Catéch. a. p. préï.).
DEVOIR D APPRENDRE CE Ql IL FAIT PAIRE POUR SE SAUVER. 17
notre corps et de notre santé : à plus Forte raison devons-nous
avoir soin de notre âme, qui vaut mille et mille fois plus
que tout Le reste. 11 esl naturel, il est juste, en cllet, que
nous proportionnions nos sollicitudes à la valeur des choses;
par suite, dès lors que rien n'égale pour nous la valeur de
noire âme, c'est donc de notre âme que nous devons avoir
le plus de soin, c'est donc d'elle que nous devons nous
occuper avant tout le reste et plus que de tout le reste, afin
d'assurer le ciel à notre corps lui-même après sa résurrec-
tion.
CONCLUSION. — - Tel est donc, eh retiens, le premier
grand devoir du salut, savoir : apprendre ce qu'il faut faire
pour nous sauver. Il nous faut l'apprendre, en effet, d'un côte
parce que nous l'ignorons, et de l'autre parce qu'il est indis-
pensable que nous le sachions. Si nous savions ce qu'il faut
faire pour nous sauver, ou bien s'il n'était pas nécessaire que
nous le sachions, ce ne serait pas un devoir pour nous de
l'apprendre : car ce ne peut être un devoir d'apprendre ce
que l'on sait déjà, ni d'apprendre ce qu'il n'est pas néces-
saire qu'on sache. Mais nous venons de rétablir : nous ne
connaissons pas suffisamment, en général, les devoirs
essentiels du salut, ou bien parce que nous ne les avons pas
assez appris, ou bien parée que nous les avons plus ou moins
oubliés, ou bien surtout parce que nous ne voulons pas les
apprendre, afin de pouvoir les violer sans remords ; et
pourtant il est indispensable que nous les sachions, puis-
que si nous ne les savons pas nous ne pourrons pas les
apeomplir, et que si nous ne les accomplissons pas nous
serons infailliblement damnés. Donc, chrétiens, puisque
nous ne connaissons pas bien les devoirs du salut, et puis-
qu'il esl indispensable que nous les connaissions, la cou
clusion, c'est qu'il faut que nous les apprenions. Enten-
dons le bien : il faut: notre éternité heureuse ou malheu-
reuse en dépend inévitablement. Par conséquent, que tous
soient assidus aux pieds de cette chaire, pendant ce Carême,
pour s'en instruire. Qu'on n'allègue aucune excuse pour s'en
dispenser (i). Qu'on ne prétende pas, en particulier, man-
i. Trois prétextes principaux empêchent La plupart des chrétiens de
SOMME DU PRÉDICATEUR. —T. II. 2
l8 LFS GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
quer de temps pour y venir. Ne savons-nous pas que c'est
précisément et avant tout pour faire notre salut que le temps
nous est donné? Jamais nous ne l'aurons donc employé
avec autant de sagesse, ni d'une manière qui soit plus
avantageuse à nos seuls vrais intérêts, qu'en étudiant ce
que nous devons faire pour nous sauver. Que le fruit de ce
premier entretien soit, en conséquence, la résolution bien
sincère et bien arrêtée de ne manquer aucune des instruc-
tions de cette sainte quarantaine, puisque leur objet sera
justement de nous apprendre les devoirs à accomplir pour
aller au ciel : que je vous souhaite, chrétiens mes frères,
de toute mon âme, au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit.
TRAITS HISTORIQUES
Zèle des Juifs pour s'instruire des devoirs du salut.
Durant leur captivité à Babylone, les Juifs avaient en général
grandement oublié les lois et prescriptions de Dieu leur Seigneur.
Mais à leur retour dans la terre sainte, ils ne furent pas longtemps
s'instruire de leurs devoirs : le premier est celui des gens du monde,
qui disent qu'ils ont trop d'affaires ; le second est celui des orgueilleux,
qui disent qu'ils en savent assez; la troisième est celui des méchants,
qui dirent qu'ils ne veulent pas tant savoir. Aucun de ces prétextes
n'excuse en eux l'ignorance dans laquelle ils sont de leurs devoirs . —
i° On a trop d'affaires. Gomme les devoirs de la vie chrétienne doivent
être préférés à ceux de la vie ordinaire, jamais les affaires ne peuvent
dispenser un homme de s'instruire de ses devoirs. Ainsi, en matière de
religion et de salut, il n'y a point d'ignorance qui nous excuse, et dont
nous ne devons tâcher de sortir, quelque embarras que nous ayons
d'ailleurs. Ces considérations sont tellement importantes que cette
ignorance volontaire toute seule peut devenir la cause de notre répro-
bation, en nous ôtant la première de toutes les grâces, sans laquelle
nous ne pouvons recevoir les autres. — 2° On en sait asse:. En matière
de religion et de salut, on n'en sait jamais assez. Ainsi, c'est un faux
prétexte qu'on allègue pour se dispenser de s'instruire de ses devoirs.
Souvent on prend un vice pour .une vertu, et on espère être récom-
pensé de certaines œuvres qui paraissent bonnes et qui néanmoins
nous rendent dignes de l'enfer. — 3" On nen veut pas tant savoir, ("eux
qui, en matière de salut, n'en veulent pas savoir beaucoup, et appréhen-
dent d'avoir trop de lumière sur leurs obligations, portent leur con-
damnation avec eux-mêmes, parce que celte disposition d'àmc dénote
une grande malice, dont on ne veut pas se corriger (Holduy-Avignok,
La Biblioth. des Prédic. art. Ignorance, chap. [\, n. i).
DEVOIR l> APPRENDRE CE Ql II, FAUT FAIRE POUR SE SAUVER. 19
sans comprendre combien il leur importail de s'en instruire de
nouveau, pour assurer leur salut. Ceux qui se trouvaient à Jérusa-
lem, en particulier, s'étant assemblés dans une place de la ville,
prièrent Esdras, le plus saint et le plus savant des prêtres d'alors,
d'apporter la loi de Moïse (pic le Seigneur avait autrefois donnée à
son peuple. Esdras apporta donc la loi devant l'assemblée. 11 la lut
depuis le matin jusqu'à midi, en présence des hommes, des fem-
mes et de tous ceux qui étaient capables de l'entendre. Esdras était
élevé sur une estrade ou tribune, et avait six des principaux prêtres
à sa droite et six à sa gauche. Tout le peuple debout l'écoutait avec
la plus vive attention et le plus profond recueillement. Le saint
prêtre commença par bénir le Dieu tout-puissant. Tout le peuple,
levant les mains, s'écria: Amen! amen ! Et s'étant prosterné, il
adora Dieu.. Esdras lut la loi clairement et distinctement, afin que
tous les assistants pussent l'entendre. Des lévites interprétaient ce
qui n'était pas suffisamment compris. Les Israélites versaient des
larmes de joie et de reconnaissance ; on entendait des gémisse-
ments et des sanglots qui s'élevaient de toute l'assemblée. Néhémie,
aussi bien qu'Esdras et les lévites, dirent à ce bon peuple : Ne
pleurez point; souvenez-vous que ce jour est consacré au Seigneur.
Retournez dans vos maisons ; réjouissez-vous ensemble par d'hon-
nêtes festins. Ce ne fut qu'après bien du temps que les lévites,
répétant sans cesse : « Ce jour est saint et condamne vos pleurs »,
obtinrent enfin que le peuple se séparât. Tous allèrent prendre
leur repas, où ils eurent grand soin d'intéresser les pauvres par
d'abondantes libéralités, selon l'ordre qui leur avait été donné. —
Le lendemain, les chefs des familles, les prêtres et les lévites se
rassemblèrent et prièrent Esdras de leur expliquer les paroles de
la loi. En parcourant le saint livre, ils remarquèrent que le Sei-
gneur avait ordonné par le ministère de Moïse qu'on célébrerait
une fête solennelle au septième mois, pendant laquelle les enfants
d'Israël demeureraient sous des tentes ; qu'on devait publier cette
loi par la formule suivante dans toutes les villes de la province et
dans Jérusalem : « Allez sur les montagnes, apportez des branches
d'olivier, de myrte, de palmier, des arbres les plus beaux et les
plus touffus , faites-vous des tentes selon ce qui est prescrit dans
la loi. » Les Juifs firent exactement tout ce qui leur était prescrit
par cet article de la loi. Ils demeurèrent sept jours sous des tentes,
et tous les jours Esdras lisait la loi de Dieu. — II, Esdr. vin.
(Miel édifiant exemple ! D'eux-mêmes ces pieux Juifs demandaient
à être instruits des devoirs de leur divine religion, et ils n'hésn
taient pas à suspendre pendant sept jours consécutifs leurs travaux,
20 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
afin de se livrer avec plus de liberté à une étude aussi importante.
Quelle condamnation pour ceux qui trouvent trop dur de venir
entendre chaque dimanche une instruction d'un quart d'heure !
L'exemple de l'Enfant Jésus.
Que les chrétiens qui croient connaître leurs devoirs religieux,
ou qui estiment inutile ou au-dessous d'eux de les apprendre, que
ces chrétiens se transportent en esprit dans le temple de Jérusa-
lem au moment où l'Enfant Jésus, s'étant dérobé à ses parents,
s'y trouvait parmi les docteurs. Cet aimable Enfant ne connais-
sait-il pas toutes choses, puisqu'il était Dieu lui-même? Cepen-
dant le voilà au milieu des docteurs de la loi, les écoutant et les
interrogeant. Pourquoi donc les écoutait-il et les interrogeait-il,
puisqu'il n'avait rien à apprendre d'eux ? Ce qu'il ne faisait pas
pour lui-même, il le faisait pour nous, afin de nous servir de
modèle. Il le faisait pour qu'à son exemple nous allions entendre
et au besoin interroger les docteurs de la loi nouvelle, les prêtres
de la sainte Église, afin de nous instruire de ce que nous devons
faire pour nous sauver. C'est ainsi qu'il s'occupait des choses qui
regardaient son Père céleste, comme il le dit à sa sainte Mère lors-
qu'elle le retrouva. 11 s'occupait de ces choses en apprenant aux
hommes, par son exemple, ce qu'ils devaient faire pour accomplir
les vues de Dieu sur eux, c'est-à-dire, commencer par s'instruire
des devoirs que Dieu leur a imposés, et dont l'accomplissement
doit assurer leur félicité éternelle.
Connaissances vaines.
Puisque la religion est la plus excellente et la plus nécessaire
des sciences, il faut que tout homme s'y applique avant tout, et en
fasse le premier objet de son étude. Cette règle si juste fut négli-
gée d'abord par Pic de la Mirandole, que son grand savoir rendit
si célèbre. Jean Pic, prince de la Mirandole, né en i4G3, et qui
mourut à Florence, âgé seulement de trente-deux ans, fut d'abord
un prodige de mémoire. Il lui suffisait d'entendre trois fois la lec-
ture d'un livre, pour le réciter par cœur, non pas dans l'ordre natu-
rel, mais dans le sens rétrograde. A dix-huit ans, il savait, dit-on,
jusqu'à vingt-deux langues. Insatiable de savoir, après avoir
étudié le droit à Bologne, il parcourut les Universités de France
et d'Italie, visitant tout, étudiant tout ce qu'il rencontrait. Quand
il eut vingt-quatre ans, il publia un catalogue de neuf cents
thèses sur tous les objets des sciences, de omni se scibill, thèses
qu'il voulait soutenir publiquement. C'était une fanfaronnade,
DEVOIR D VPPRENDRE CE OU TL FAUT F VIRE POUR SE SAUVER. 2Ï
elle servil à constater que Le jeune homme possédait des connais-
sances variées, étonnantes, mais toutes superficielles. l'Haut venu
à Rome, il afficha dos thèses de théologie. Le pape Innocent \ll
1rs lit censurer; et l'on \ découvrit plusieurs erreurs contraires à la
foi, Le savanl qui connaissait tant de choses, ignorait celles du
salut. Heureusement Pic de la Mirandole reconnut sa folie, et se
mit à étudier dans la suite plus sérieusement la science qui con-
duit au ciel, celle qui l'emporte sans comparaison sur toutes les
autres, la seule qui soit indispensable.
Ardeur d'un enfant pour acquérir la science du salut.
Saint Pascal Baylon naquit de parents qui gagnaient leur vie
à cultiver la terre, et trop pauvres pour qu'ils pussent l'envoyer
aux écoles. Le pieux enfant y suppléa de la manière suivante : il
portait un livre avec lui lorsqu'il allait garder les troupeaux dans
les champs, et il priait tous ceux qu'il rencontrait d'avoir la cha-
rité de lui apprendre les lettres. Le désir qu'il avait de s'instruire
fut si vif, et son attention si grande, qu'il sut bientôt parfaitement
lire et écrire. Il ne se servit de cet avantage que pour se perfec-
tionner dans la connaissance de la religion. Les livres d'amuse-
ments lui paraissaient insipides ; il n'aimait que ceux qui lui
rappelaient les principales circonstances de la vie de Jésus-Christ.
et les actions de ceux qui avaient imité son exemple, afin de mar-
cher sur leurs traces. Malgré son extrême jeunesse, il ne prenait
de plaisir qu'aux choses sérieuses et solides, c'est-à-dire aux
choses du salut. S'étant ensuite fidèlement acquitté, toute sa vie,
des devoirs qu'il avait appris avec tant de sollicitude pendant sa
jeunesse, il mourut saintement, et l'Église l'a placé sur ses
autels.
Le parfait serviteur sans aucune pratique religieuse.
Vn libre-penseur, voyageant en chemin de fer, déclamait contre
la religion et ses devoirs. Il prétendait que tout ce que commande
L'Église est inutile, et qu'elle est elle-même un hors-d'œuvre dans
une société bien organisée, a Ne suffit-il pas, s'écria-t-il enfin,
d'être honnête homme ') Et ne peut-on pas, sans aller à la messe,
mener une vie irréprochable ? — En effet, Monsieur, répondit une
dame, j'en ai vu plusieurs qui, sans pratique religieuse, avaient
une conduite absolument irréprochable. Je pourrais même citer
un fait récent, qui fait bien ressortir la vérité de ce que je dis. —
Madame, dites, je vous en prie, s'empressa d'ajouter le libre-pen-
seur. La plupart des voyageurs qui écoutaient ces propos étaient
22 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I. INSTRUCTION.
attristés, croyant que cette dame, d'ailleurs fort respectable,
abondait dans le sens du parleur impie. Celui-ci, enchanté de se
voir si bien soutenu, écoutait avec le plus vif intérêt. « Je me trou-
vais dernièrement, poursuivit la dame, dans un château où vivait
un vieux serviteur. Jamais il n'avait assisté à la messe, jamais
prié ; cependant il menait une vie honnête, comme Monsieur vient
de dire. On avait beaucoup d'égards pour lui, car il était fidèle et
dévoué. — Et pas clérical ? insista le commis-voyageur. — Oh !
pas du tout, assura la dame : jamais il n'avait donné le moindre
signe de religion. Un beau matin, on le trouva mort sur sa cou-
che. Ne pouvant l'enterrer selon le rite de la sainte Église, on
décida de lui faire des funérailles solennelles et les honneurs d'un
brillant enterrement civil. Quand il fut déposé dans sa tombe, l'un
des assistants fit son éloge en disant : « Pauvre Azor ! sans doute
il était fort grognon, mais c'était tout de même un bon chien. » —
A ce dénouement auquel on ne s'attendait pas, il y eut une hilarité
générale : tous riaient de bon cœur à l'exception du libre-penseur,
naturellement.
DEUXIEME INSTRUCTION
(pour le Vendredi d'après les Cendres)
C'est un devoir pour nous de connaître
Dieu.
I. Pourquoi nous devons connaître Dieu. — II. Ce que nous devons
savoir de Dieu.
Dans notre première instruction quadragésimale, nous
avons proposé et démontré, comme point de départ du
salut, cette vérité fondamentale, savoir, que c'est pour nous
un devoir d'apprendre ce que nous devons faire pour l'ac-
complir. En effet, ce que nous devons faire pour nous
sauver, d'un coté, nous l'ignorons tant que nous ne l'avons
pas appris ; et de l'autre, il est indispensablcment néces-
saire que nous le sachions, puisque sans cela nous ne
pourrons pas nous sauver : donc c'est pour nous un devoir
de l'apprendre.
Or, venant maintenant au détail des choses que nous
devons faire pour nous sauver, la première qui se présente
dans l'ordre logique, c'est d'acquérir la connaissance de
Dieu. Le devoir de connaître Dieu est en effet pour nous le
premier de tous, car c'est sur cette connaissance que repo-
sent tous les autres devoirs, tellement que si nous ne con-
naissions pas Dieu, aucun devoir ne pourrait s'imposer légi-
timement à nous. Tous les hommes en effet ne sont-ils pas
égaux par leur nature ? Que s'ils sont tous égaux, nul n'a
un droit quelconque sur les autres. Et si nul n'a aucun droit
sur les autres, il n'y ;i également pour personne un devoir
quelconque à L'égard de qui que ce soit.
Ces principe-, on le comprend, sont de tous les temps.
Cependant il > ;i une nécessité trèi particulière «le les pap«
pe|er en celui où noua vivons. N'est-il pas évident, en effet)
que si l'on doit prendre en tout ternp> dei précautions pour
so préserver des maladies, on doit redoubler do vigilance
24 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
lorsque sévissent avec intensité les maladies les plus terribles
et les plus contagieuses ? Eh bien, au temps où nous sommes,
nous le savons tous, la peste de l'impiété, redoublant de
fureur, étend partout ses ravages et fait d'innombrables
victimes, en s'acharnant à chasser de partout, sous le
prétexte mensonger de la neutralité, le souvenir et la
pensée de Dieu (i). De là pour tout chrétien, par conséquent,
l'obligation très particulière de se mettre à l'abri du fléau,
en pensant souvent à Dieu et en s'affermissant dans sa con-
naissance. C'est pour répondre à ce besoin de préservation,
en même temps que pour nous instruire de ce qu'il faut
faire pour nous sauver, que nous allons nous entretenir, ce
soir, du devoir qui nous incombe de connaître Dieu. Nous
expliquerons d'abord pourquoi nous devons connaître Dieu,
c'est-à-dire les motifs qui nous font une obligation de le
connaître ; ensuite nous dirons ce que nous devons savoir
de Dieu. — Seigneur, c'est vous-même que nous osons
prendre ce soir pour objet de nos réflexions. Daignez venir
par votre grâce éclairer et guider nos esprits, afin que nous
puissions résister avec plus de force aux assauts de vos
ennemis et des nôtres, et nous acquitter autant qu'il est
nécessaire de notre grand devoir de vous connaître.
I. — Pourquoi nous devons connaître Dieu. — Si Dieu
ne s'était pas révélé, peut-être pourrait-on admettre que, dans
ce cas, il n'y aurait pas obligation pour nous de le connaître.
i. A en croire les libéraux, la neutralité religieuse ne serait qu'une pa-
cifique sagesse, également éloignée des exagérations du cléricalisme et
de l'anticléricalisme. Mais, en réalité, il n'y a pas trois partis, il n'y en
a que deux : il y a celui qui veut que Jésus-Christ règne sur la société,
il y a celui qui ne veut pas de son règne et qui élimine patiemment la
religion de tous les organismes sociaux, — des écoles, des hôpitaux, de
l'armée, de la marine, des associations professionnelles, scientifiques,
philanthropiques, etc. — Accepterla neutralité religieuse absolue d'une
institution, ce n'est pas soustraire cette institution aux luttes des deux
partis : c'est l'abandonner à celui qui veut chasser Dieu de la société
moderne, et qui travaille à faire sortir la religion de tous, les terrains
dont il peut s'emparer progressivement. Accepter la neutralité reli-
gieuse, ce n'est pas conclure une transaction avec les adversaires do la
religion, c'est réaliser intégralement leur programme, dans la sphère
ainsi neutralisée, c'est-à-dire fermée à l'influence religieuse (La Croix,
gO mai ipoo),
c'fST UN OFYOïn POUB NOUS DF CONNAITRE DIEU. S?5
11 semble bien en effet que L'on ne doive rien à ce que Ton
ignore involontairement : ce que l'on ignore ainsi est pour
nous comme le néant, et Ton ne doil certainement rien au
néant. Mais il son faut bien qu'il en soil ainsi. C'est tout au
contraire un fait absolument certain que Dieu s'est l'ovolé
aux hommes, précisément afin qu'ils le connussent.
Il s'est révélé à eux d'abord par ses œuvres. Ne sont-elles
pas vu effet comme autant de voix qui proclament son
existence cl ses perfections ? Sans lui, qui les aurait, toi (os ?
I ne maison ne peut se faire d'elle-même ; combien moins
un monde, et les innombrables mondes qui existent ! C'est
pourquoi le roi David, contemplant ces mondes et l'ordre
merveilleux qui règne dans toutes leurs parties, s'écriait
avec admiration : Les cieux racontent ta gloire de Dieu, et te
firmament publie les ouvrages de ses mains. Le jour en fait le
récit au jour, et la nuit en donne connaissance à la nuit. Il
n'es! point de discours, ni de langage, dans lequel on n'entende
leur voix. Leur bruit s'est répandu dans toute la terre ; et leurs
paroles jusqu'aux extrémités du monde (i). Mais ces voix des
vastes eieux et des mondes immenses ne sont pas les seules
à proclamer Dieu ; celles des plus petites créatures, de la
fleur desprairies, du brin d'herbe du chemin, de l'insecte qui
vole, bondit ou se traîne, ne sont pas moins éloquentes. Qui
a pu les tirer dunéant, et leur donner une si étonnante et si
parfaite organisation, sinon l'Être souverain, que leur seule
vue suffît par conséquent à révéler invinciblement à qui-
conque s'arrête un instant à les considérer ? Aussi l'apôtre
saint Paul déclare-t-il inexcusables ceux qui, devant le seul
spectacle de l'univers, ne reconnaissent pas Dieu ; car, dit-
il, ce qu'on ne peut voir de lui, se fait concevoir par la con-
naissance (/n'en donnent ses ouvrages, depuis la création du
monde (2).
1. I'>. win, i-4 — Les cieux racontent la aloire de Dieu ; non pas que
les deux fassent entendre une voix sensible, mais parce que celui qui
se sera exercé à méditer l<i- raisons qui oui présidé à La création du
monde, <•! à qui le Langage des cieux aura fait comprendre l'admirable
disposition' et la magnificence des corps célestes, parviendra ainsi à
connaître la gloire du Créateur des cieux (S. Basil, ap. Péronne, Chaîne
d'or sur les Psaumes, Ps. xvm, i).
2, llom. i, 20. — Au jour du jugement, quel homme pourra dire à
26 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
Un autre moyen dont Dieu s'est servi et continue de se
servir pour se révéler aux hommes, ce sont les miracles,
Les miracles ne proclament pas Dieu avec moins de force
que la création. De même, en effet, qu'on ne peut expliquer
la création, sans Dieu ; de même, sans Dieu, on ne peut
expliquer les miracles. Dans la création, Dieu est indispen-
sablement nécessaire comme puissance productrice et direc-
trice ; dans les miracles, Dieu est de même indispensable-
ment nécessaire comme puissance modifiant les lois de la
création. Que Ton considère ces lois dans leur établissement
ou dans leur suspension, elles sont toujours au-dessus des
forces de la nature, et nécessitent par conséquent l'existence
d'un Dieu tout-puissant. Voilà pourquoi, si ce Dieu m'est
révélé par la vue du soleil parcourant avec régularité sa
route de chaque jour, il m'est égalemeut révélé d'une manière
tout aussi irrésistible par ce même soleil s'arrêtant au milieu
de sa course, à la voix de Josué demandant au Seigneur cet
arrêt.
Ainsi Dieu s'est d'abord révélé, disons-nous, par ses
œuvres, c'est-à-dire par la création et les miracles. Cepen-
dant cette révélation n'étant qu'indirecte et tacite, Dieu a
voulu, pour ôter tout prétexte de résistance aux esprits diffi-
ciles et rebelles, se révéler directement et ouvertement. Nous
le voyons en effet, au berceau même du genre humain sous
les ombrages du paradis terrestre, prendre une forme sen-
sible et se montrer au premier homme, converser avec lui,
l'investir de sa domination sur toutes les autres créatures, lui
concéder l'usage de tous les fruits, mais lui interdire ceux
de l'arbre de la science du bien et du mal. Adam ayant
ensuite péché, Dieu ne se déroba pas pour cela à ses regards,
Dieu : Nous ne vous avons pas connu ? Quoi ! vous n'avez pas entendu
le ciel, dont l'aspect seul est une voix éclatante ? Vous n'avez pas entendu
la profonde harmonie de toutes les créatures faisant retentir mon nom
avec plus de force que le clairon guerrier ? Quoi ! vous n'avez pas vu
les lois permanentes que suivent avec tant de régularité le jour et la
nuit, l'ordre invariable des saisons et des temps ; la soumission de la
mer, au milieu même de ses fureurs el de ses tourmentes ? Ksl-ee que
tous les êtres, par leur concert, leur grandeur ei leur beauté, ne pm-
clament pas sans cesse celui qui les a créés P (S, Jean CôRtSOBÎ. tfotn. «3,
w VÊp, aux Romj*
C EST tJN DEVOIR POtJB NOUS DE CONNAITRE DIEU. 27
mais continua de Lui apparaître. 11 se montra aussi à Gain,
bien que souillé du sang de son frère, et plus tard à tous les
anciens patriarches, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob.
Vinrent ensuite des siècles durant lesquels, renonçant à se
manifester désonnais lui même. Dieu se manifesta par l'in-
termédiaire d'hommes qu'on appelait des prophètes, préci-
sément parce que Dieu les animait de son esprit et les armait
cli1 sa puissance, pour faire connaître avec autorité aux autres
hommes ses volontés et ses ordres. Mais quand fut arrivé la
plénitude des temps qu'il avait marquée dans ses décrets,
Dieu envoya sur la terre son propre Mis unique, avec la
mission spéciale de le faire connaître aux hommes mieux
qu'ils ne l'avaient pas encore connu jusqu'alors. Et ce Fils
divin a demeuré parmi les hommes plein de grâce et de
vérité, comme le témoigne l'évangéliste saint Jean, et les
hommes ont vu sa gloire (1), et il leur a appris tout ce que
son Père lui avait commandé de leur apprendre (2).
Telles sont les différentes manières dont Dieu s'est révélé
aux hommes, savoir, par ses œuvres, par ses manifestations
personnelles, par le ministère de ses prophètes, et enfin par
la voix de son propre Fils. Or, en se révélant avec cette per-
sévérance, Dieu, naturellement, s'est proposé un but. On ne
peut pas concevoir en effet que Dieu, la sagesse même, fasse
quoi que ce soit sans un but précis et déterminé. Quel est
donc celui qu'il s'est proposé en se révélant aux hommes ?
A n'en pas douter, il a voulu par là se faire connaître d'eux.
Eh bien, si Dieu s'est révélé aux hommes afin qu'ils le con-
nussent, que résulte-t-ii de là pour les hommes ? Peuvent-
ils, s'il leur plaît, ne tenir aucun compte des révélations
divines. Autant vaudrait demander si un enfant peut ne tenir
aucun compte de ce que lui dit son père. Un enfant qui,
connaissant les formelles volontés de son père, affecterait
de se conduire comme si son père ne lui avait rien dit, se
rendrait coupable à son égard du plus offensant mépris.
Unsi Les hommes se rendent-ils coupables à l'égard de Dieu
1 . .loan. 1, i!\.
a. Joan. \v, i.l. — Mullifaiiain rtlllltlsqUÔ mnrlis olim Dons loquens
patiibus iu propliclis | iimlssiint' Uiebus Islia Incutus rst In Min
{llebr, li 1 et a),
f><S LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
d'un mépris plus offensant encore, lorsqu'ils se conduisent
comme s'il ne se fût jamais révélé à eux. Par conséquent, de
ce fait que Dieu s'est révélé aux-hommes résulte, pour nous
tous, le devoir rigoureux de recevoir avec respect ces révéla-
tions, et d'y adhérer de tout notre cœur.
Et qu'on ne vienne pas dire qu'on n'admet pas ces révéla-
tions, parce qu'elles ne sont pas prouvées. Pour qui donc
ne sont-elles pas prouvées ? pour ceux qui n'ont jamais
voulu y penser, précisément afin de pouvoir les rejeter.
Quant aux esprits droits et sincères, tous les ont trouvées si
parfaitement admissibles qu'ils les ont admises sans réserve.
Et d'ailleurs, s'il s'agit des révélations qui résultent de la
création, quelle preuve peut-on en demander ? L'univers
a-t-il besoin d'être prouvé ? Et le seul fait de son existence
n'est-il pas une éclatante révélation de Dieu(i) ?
Encore une fois donc, en se révélant, Dieu nous a fait par
là môme un devoir de l'étudier et de le connaître, à cause
de l'absolu respect qui est dû à tout ce qui émane de lui.
Ce n'est pas que Dieu ait aucun besoin pour lui-même que
nous le connaissions. Durant cette éternité qui a précédé la
création, et où il n'y avait que lui-même, rien ne manquait
à sa félicité, bien que les hommes ne lui rendissent pas
l'hommage de l'étudier et de le connaître. Non, Dieu n'a nul
besoin d'être connu de nous ; mais c'est nous-mêmes qui
avons besoin de connaître Dieu. Qui peut en douter, pour
peu qu'il y réfléchisse? Quelqu'un oserait-il nier que ce n'est
pas pour nous un devoir de nous élever, de nous perfection-
ner, de nous rendre heureux ? On a fait chez nous un devoir
de l'instruction obligatoire : pourquoi, sinon parce qu'on la
considère comme pouvant procurer ces résultats ? Et certai-
nement l'instruction, même simplement humaine, lors-
qu'elle est bien dirigée, peut élever nos pensées, perfection-
ner nos mœurs et nous donner une certaine somme de
bonheur. Or, si les connaissances humaines peuvent pro-
duire ces heureux fruits, et si à cause de cela c'est un devoir
i. Quid potest esse, tam apertum, tamque perspicuum, cum cœlum
suspeximus, cœlestiaque contemplati sumus, quam esse aliquod numen
prcCslantissiiTisc mentis, quo hœc regantur (Cigeh. lib, i, De mt. ctepr.).
C EST UN DEVOIR POt H \oi s ni: CONNAITRE DIË1 . '.>.[)
pour nous de les acquérir ; combien plus ne sera-ce pas pour
nous un devoir de connaître Dieu, si l'on considère que
relit* connaissance esi infiniment plus efficace que loulc
autre pour contribuer à notre perfectionnement et à notre
bonheur! Gommenl en douter? Ce qui fait que les connais-
sances humaines nous améliorent et nous procurent un cer-
tain bonheur, c'est parce qu'elles nous mettent en rapport
avec quelques parcelles de vérité. Mais la connaissance de
Dieu nous met en rapport avec la vérité tout entière : il est
dès lors absolument naturel que cette connaissance nous
perfectionne beaucoup plus, et nous rende pareillement
beaucoup plus heureux. — Ce que le raisonnement d'ailleurs
nous suggère ici, l'expérience lui donne la confirmation
irrésistible de ses faits. Oui certes, on ne saurait le nier, on
voit des personnes que les connaissances humaines rendent
meilleures et plus heureuses. Mais ce qu'on ne peut pas nier
non plus, c'est que les personnes qui connaissent Dieu sont
encore, en général, bien plus parfaites et bien plus heureu-
ses. Quand nous voulons nous représenter ceux qui ont le
plus de perfection et le plus de bonheur en ce monde, à qui
p< usons-nous ? Aux saints. Et il en est effectivement ainsi,
parce que ce sont les saints qui connaissent pratiquement le
mieux Dieu. En résumé, puis donc que c'est pour nous un
devoir d'élever notre esprit, de perfectionner notre cœur, de
réprimer nos passions, d'où résulte pour nous le bonheur
dont nous pouvons jouir en ce monde ; et puisque ces avan-
tages sont surtout le fruit de la connaissance de Dieu, il s'en
suit donc que L'acquisition de cette connaissance, qui est
déjà pour nous un devoir quand on considère les choses du
côté de Dieu, en est également un quand on les considère
de notre côté, même en se bornant au point de vue tempo-
rel : combien plus si on les considérait au point de vue
éternel !
L'acquisition de la connaissance de Dieu est encore et
enfin pour nous un devoir, si l'on considère les choses du
côté de la société. La société n'est pas pour nous une étran-
gère et une inconnue: nous recevons d'elle de nombreux
bienfaits. G'esl elle <pii. en échange, il est vrai, de nos pro-
pres travaux, nous fournil toutes les choses temporelles
3o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
dont nous avons besoin, et assure notre tranquillité maté-
rielle. Il est donc juste que nous contribuions à sa stabilité
et à sa prospérité. C'est ce que nous faisons en particulier
en payant les impôts, et même, lorsqu'il le faut, en lui
donnant notre vie. C'est ce que nous faisons aussi par notre
esprit d'ordre, de travail, d'économie, et par notre respect
pour les lois et les institutions. Mais le moyen d'y contri-
buer le plus efficacement, c'est de s'appliquer à acquérir et
à répandre la connaissance de Dieu. En entendant ce lan-
gage, l'impiété et l'ignorance, compagnes inséparables, ne
manqueraient pas de sourire ; et cependant il n'y a rien de
plus véritable, ni rien déplus facile à démontrer. De quoi est
composée la société? D'individus, n'est-il pas vrai? Et n'est-il
pas vrai également que la société sera d'autant plus forte
et plus prospère, que les individus qui la composent seront
plus honnêtes et plus parfaits? Eh bien, ne venons-nous pas
de démontrer que, mieux les individus connaissent Dieu,
plus leurs pensées sont élevées, plus leurs actions sont
droites, plus leur conduite est irréprochable et parfaite?
Par conséquent, mieux les individus qui forment la société
connaissent Dieu, plus la société qui résulte de leur réunion
est honnête, généreuse, polie, brillante et puissante. Au
contraire, moins les individus qui forment une société con-
naissent Dieu, plus cette société doit être corrompue,
égoïste, faible et abaissée.
Ici encore l'expérience confirme la doctrine. L'histoire à
la main, on voit que les sociétés ne sont devenues grandes et
illustres que par les idées religieuses, dont la première est la
connaissance de Dieu. Aucune société ne s'est élevée sans
cette base; et celles qui, après s'être élevées sur cette base,
ont commis le crime de la rejeter, n'ont pas tardé de s'é-
crouler au milieu de leurs ruines (i). — Regardons plus près
i. Parmi les libertés réclamées, reconnues, instituées, passées, dit-on,
à l'état de nécessité dans les faits, en même temps qu'à l'état de princi-
pes et d'axiomes fclans l'ordre des idées et des lois, nous avons eu au
premier rang la liberté du blasphème. On l'a nommée diversement.
Comme Satan, qui est son père, le monde est naturellement et forcé-
ment menteur. S'il était obligé de parler clairement et d'appeler les
choses par leur vrai nom, il serait frappé d'impuissance et de mort : la
vérité le tue, et la lumière lui est mortelle. Il lui faut vivre de menson-
C'EST I N DEVOIR POl R \()l s DE CONNAITRE DIEU. 3l
de nous. Qui son [ ceux qui s'insurgent contre la société,
qui la déchirent, qui lui son! à charge et à honte? Ne sonl ce
pas Ions les criminels, voleurs, faussaires, traîtres, assassins,
contre Lesquels La société esl forcée de se défendre en les
ges, d'obscurités, d*équivoques ; mensonges et équivoques d'action,
mensonges et équivoques de parole. Cette liberté impie s'est donc appe-
lée liberté de conscience, liberté religieuse, liberté de la pensée, liberté de
la pn^sc : mais, en l'ail ei vraiment en droit, c'était la Liberté du blas-
phème. On en a largemenl usé, ei nous ne savons si depuis l'origine du
monde on avail blasphémé davantage. Il y eut le blasphème savant elle
blasphème ignare. Le blasphème railleur et le blasphème sérieux, le
blasphème poli et le blasphème cynique, le blasphème tranquille et le
blasphème emporté : Plenain no minibus blasphemise. Apoc. xvu, 4.
Mais ce qui fléchissait cl s'altérait de jour en jour sous le poids
de ces blasphèmes, c'était la vraie notion de Dieu. On s'est fait
des dieux à sa gui se; il s'en est produit de toute marque. Nous avons
(mi le Dieu qui règne et ne gouverne pas : Dieu sublime et digne de tout
respect, mais sans souci du monde, et que le monde ne peut mieux
honorer qu'en s'estimanl trop petit pour mériter son regard et, à plus
forte raison, son intervention. Nous avons eu le Dieu-idée : idéal
absolu, échappant par sa nature même à toute définition, fuyant d'au-
tant plus qu'on cherche à le saisir, et s'évanouissant tout à fait,
dès qu'on prétend l'avoir saisi. Nous avons eu le Dieu-être : l'être
qui est, mais qui n'existe pas, qui ne vit pas ; le Dieu qui ne pense, ni
ne veut, ni ne juge, ni n'opère, attendu que ces mots signifient une
détermination, et par là même une limite, un amoindrissement, une
contradiction, une négation de l'être absolu. Il y a eu le Dieu-progrès,
le Dieu aspiration ; le Dieu qui est un immense devenir, qui s'essaie sans
à exister, qui cherche à s'épanouir et à se posséder, qui tend par
tout moyen à sa plénitude, à sa perfection, à son bonheur, à sa tin der-
nière, et qui n'\ arrive jamais, parce qu'étant par essence l'aspiration
infinie et le progrès éternel, sa vie est de se mouvoir sans s'arrêter
jamais cl de viser toujours à une tin toujours impossible : ce qui le
réduit exactement à l'étal des damnés, Voisin et parent de celui-là, il y
a eu le Dieu-monde, le Dieu-cosmique : âme du monde, force secrète,
fatale, universelle, vivifiant tout, et si mêlée à tout, qu'elle ne se distin-
gue de rien, et que le monde esl son expression essentielle et unique.
'Mu- dirai je ? il \ a eu le Dieu-néant, le Dieu-mal, le Dieu hostile,
jaloux, tyrannique, oppresseur : je m'arrête. — Cf. Concile d'Agen,
décret : De recentioribus circa naturam divinam erroribus. t. 1, c. 2.
Vous le voyez, Messieurs, c'est le panthéon du blasphème : plenam
nominibus blasphemiœ. Or, chacun de ces noms blaphématoires a été
donné à Dieu par nos contemporains, par nos concitoyens, et cela plus
d'une fois, du haut des chaires de l'enseignemenl public. Chacune de
ces notions absurdes et détestables a pris la place de la notion ration-
nelle él catholique de Dieu, et cela jusque dans des âmes baptisées et
qui croyaient encore n'avoir pas dil formellement adieu à leur Baptême.
Faut-il s'étonner après cela du degré de faiblesse, de misère et de
honte auquel es! descendue cette société ignorante et contemptoire de
32 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
emprisonnant, et parfois en leur ôtant la vie ? Eli bien,
parmi ces malheureux, devenus criminels, combien s'en
trouvc-t-il qui se soient appliqués à connaître Dieu ? A peu
près aucun. Tous ou presque tous sont sans connaissances
religieuses. C'est donc l'ignorance de ces connaissances qui
les a conduits au crime, et qui a fait d'eux les fléaux1 de la
société. Souvent l'aveu en a été fait, du haut de l'échafaud,
par les criminels eux-mêmes.
Combien ne manquent-ils donc pas à leur devoir social,
ceux qui négligent de s'instruire de Dieu et de le connaître !
Ils croient que cette connaissance est une chose qui n'inté-
resse que la religion, alors qu'elle n'intéresse pas moins la
société. Mais que dire de ceux qui, au lieu d'acquérir la
connaissance de Dieu, ont la prétention sacrilège et tyranni-
que d'empêcher les autres de le connaître, et recourent à
Dieu ? Le sage l'avait bien dit : « Or, ils sont vains tous les hommes
chez qui la science de Dieu n'existe pas à la base clc tout le reste. » Vanl
autem sunt omnes hommes in quibas non subest scientia Dei. Sap. xiii, i.
Entendez-vous : Vani omnes : quels qu'ils soient et de quelques avan-
tages qu'ils se glorifient, ce ne sont plus vraiment des hommes, mais
des ombres et des fantômes d'hommes, des hommes qui ne tiennent
plus debout, des hommes inconsistants, fuyants, insaisissables, et qui ne
savent plus eux-mêmes rien saisir ni retenir : génération vouée au
malheur, et qui est réduite à chercher ses sauveurs parmi les morts,
comme si les morts pouvaient offrir une espérance de salut : Infelices
autem sunt, et inter morluos spes illorum est. Sap. xui, 10. Que si ce peu-
ple est emmené captif, s'il est démembré, s'il est livré à la merci de tous
ses ennemis du dehors et du dedans, la cause en est qu'il a perdu la
clef de toute science et de toute sagesse, et le principe de toute force en
perdant la connaissance de Dieu : Propterea captivas ductus est pop ut as
meus, eo quod non habuerit scientiam; voilà pourquoi ses chefs périssent
d'inanition, et ses multitudes altérées d'ordre et de paix se dessèchent
dans le trouble et le désordre : El nobiles ejus interierunt famé, et multi-
iudo ejus siti exaruit. ls. v, i3. A cause de cela, le monstre des révolu-
tions, cet enfer anticipé, a dilaté ses flancs et ouvert sa bouche sans
aucun terme, et les plus forts, les sublimes et les glorieux sont descen-
dus dans ce gouffre avec le commun du peuple : Propterea dilatavit
infernus anima m snain, et aperuit os suum absque ullo termino : et descen-
derunt jortes ejus, et populus ejus, et sublimes gloriosique ejus, ad eum.
Is. v, i/î. Juste châtiment de la divinité outragée. Car ce n'est plus le
Dieu inconnu des païens; Àct. xvn, 23; c'est le Dieu méconnu, et
méconnu de ceux qu'il a instruits lui-même, et qu'il a honorés de sa
divine adoption : Filios enulrivï et exaltavi; ipsi autem spreverunt me.
ls. i, 2 (Le card. Pie, Instr. synod. sur la prem . const. du conc. du Vatic.
n. i4 et i5).
« EST iJNDEVOIR POUR NOUS DE CONNAITRA DIEU. 33
tous les moyens pour \ parvenir ? Ce sonl des criminels de
Lèse société, plus malfaisants mille fois que les assassins eux-
mêmes; car L'assassin n'abat qu'une vie, tandis que ces mi-
sérables abattent une société et les générations tout en-
tières (i).
\insi. connaître Dieu est tout à la fois pour nous un de-
voir divin, un devoir personnel et un devoir social. Qui
donc pourrait encore, drs lois, méconnaître et contester la
nécessité de celle connaissance? Une connaissance sans
Laquelle ou viole forcément ses devoirs envers Dieu, envers
soi-même et envers la société, n'est-elle pas au contraire la
première et la plus nécessaire de toutes les connaissances? —
La nécessité de connaître Dieu étant donc ainsi démon-
trée, il nous reste à expliquer maintenant,
il . — Ce que nous devons savoir de Dieu. — Nous devons
savoir de Dieu principalement ces trois choses : qu'il existe,
ce qu'il est en lui-même, et ce qu'il est par rapport à nous.
Nous devons savoir de Dieu, tout d'abord, qu'il existe.
Nous devons savoir, c'est-à-dire, non seulement croire que
i. Notre premier devoir, au milieu des négations effrénées qui dé-
routent les caractères chancelants, esl une inébranlable confiance . Ce
sérail une aberration grossière de penser que tout est perdu parce qu'un
petil nombre d'esprits oseul beaucoup contre Dieu. Il sulbt de quelques
blasphèmes spécieux et bruyants pour obscurcir l'atmosphère d'une
génération ; mais les nuages passent et le soleil demeure. D'ailleurs nos
ombres elles-mêmes sont sillonnées de vives lumières. ..
La confiance serait présomptueuse, si elle dégénérait en inertie ; c'est
pourquoi nous devons encore pratiquer envers notre temps un de-
voir de prosélitisme . Que sert de se lamenter sur les désastres si l'on
ne travaille point à la réparation ? El cependant combien de catholi-
ques optimistes refusenl «le voir les maux de leur temps pour n'avoir
pas à les secourir, et, assis à des foyers confortables, pendant que le
monde est en combustion, ne regardent pas même l'incendie, parce
que Dieu fait des miracles pour eux et sans eux ! Loin de nous cette
se aussi étroite qu'égoïste, et à la persécution contre Dieu, répon-
dons par la propagation de Dieu...
Il est un troisième réactif que la charité intelligente doit opposer aux
maladies de cette époque: c'est la prédication du boa exemple. On peut
travailler à tout autre apostolat par sa fortune ou ses influences à dé
faut de concours personnel ; dans celui-ci, il îfesl point possible de se
faire suppléer ; le bon exemple est un bien qui ne s'opère jamais par
remplacement; \<>ilà pourquoi il aura toujours plus d'autorité que h;
bon conseil, sûr les nations comme soi- les enfants... (Lccard. Desprez,
Instr. pastor. pour LeGar.de 1867. Sur l'athéisme, a. p.;
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T . II . }
34 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
Dieu existe, mais encore posséder, en quelque sorte, la
science de cette existence, et en d'autres termes, connaître
les preuves qui la démontrent et l'établissent. Nous devons
connaître ces preuves pour nous-mêmes et pour notre pro-
pre avantage. Car, puisque nous croyons toujours d'autant
plus volontiers et d'autant plus fermement une chose, que
nous savons mieux pour quelles raisons nous la croyons ;
par là même notre foi en Dieu sera d'autant plus empressée
et plus ferme, que nous en connaîtrons mieux les motifs et
les fondements. Combien de chrétiens faibles et chancelants
qui seraient des chrétiens fermes et intrépides, si seulement
ils connaissaient bien les preuves de l'existence de Dieu ! —
Nous devons aussi connaître ces preuves pour l'honneur de
notre sainte religion et la confusion de ses ennemis. Les
impies ne vont-ils pas répétant partout que la foi des catho-
liques est dénuée de preuves, et qu'il faut avoir abdiqué la
raison pour y adhérer? Or c'est là une impudente calomnie.
Mais parce qu'on ne peut la réfuter, pour ce qui concerne
l'existence de Dieu en particulier, qu'autant que l'on connaît
les preuves de cette existence, voilà pourquoi il est de notre
devoir de les connaître. Car alors il est aisé de démontrer
que ce n'est pas la foi en l'existence de Dieu qui est contrai-
re à la raison, mais bien sa négation. Et c'est ce que tout
chrétien doit pouvoir faire, puisque saint Paul dit que tout
chrétien doit pouvoir rendre raison de sa foi (i).
î. Rom. xii, ï. — L'ignorance exerce ses ravages môme parmi les per-
sonnes les plus chrétiennes. La piété, de nos jours, est souvent tendre
et affectueuse : elle est rarement éclairée et solide. C'est un dicton trop
commun, dans notre siècle, que la religion, en somme, n'est qu'une
affaire de sentiment. Cela est faux. Il ne suffit pas d'être chrétien par le
cœur, il faut encore l'être par l'esprit, par l'étude, par le savoir ; et s'il
est vrai que la foi chrétienne ouvre et développe l'intelligence, cette vé-
rité ne nuit en rien à la belle thèse de saint Anselme : « L'intelligence
doit chercher la foi. » Intellectus quœrensfidem. Eh bien, voilà ce qu'elle
ne sait plus faire. On lit peu ; on ne réfléchit jamais ; on ouvre à peine
son catéchisme ; on ne sait se rendre compte à soi-même d'aucune de
ses croyances ; et quand le souille de la tempête vient frapper l'édifice
fragile de la foi, on s'aperçoit, trop tard, qu'il n'a été fondé que sur le
sable mouvant. — Mais toutes ces ignorances ensemble : celle de l'hom-
me ennemi qui attaque la religion, celle de l'indifférent qui ne pratique
pas, celle du chrétien qui croit, mais qui n'étudie pas, toutes ces ignoran-
ces réunies étendent, sur notre pays et sur notre siècle, des ténèbres abo-'
C*E8T l \ DEVOIR POUR NOUS DE CONNAITRE DIEU. 35
Bien que ce ne soit \mxs ici le lieu d'exposer les preuves
de L'existence de Dieu, rappelons du moins, tant pour affer-
mir noire foi que pour nous mettre à même de la défendre
contre 1rs méchants, rappelons du moins, dis-jc, celles de
ces preuves qui son! les plus faciles à saisir. La première
est l'existence du monde. Le monde existe, voilà un fait qu'on
ne peut pas contester. Or, si le monde existe, il faut que
quelqu'un L'ait fait, puisque rien ne peut se faire soi-même.
Dira t-on qu'il est éternel, et qu'il existe nécessairement?
Mais nous voyons Le monde se modifier et changer sans
cesse; or ce qui change n'est pas éternel. Et si le monde
n'est pas éternel, il a donc été créé. Or, par qui a-t-il été
créé, si ce n'est par l'Etre éternel qui ne change jamais,
c'est-à-dire par Dieu (i) ?
Une autre preuve de l'existence de Dieu, c'est l'accord una-
nime des peuples à la reconnaître. Tous, en effet, ont cru en
minables. D'abord, on ne se sauve pas ; puis, les plus nobles facultés
humaines s'amoindrissent et s'étiolent ; et le monde social, sans convic-
tions et sans principes, devient le jouet du premier venu (Mgr de la
Bouilleree, Maiidem. pour le Car. 1872. L'inslruct. relig.).
1 . Scilote quoniam Dominas ipse est Deus : ipse fecit nos, et non ipsi nos.
Ps. xcix. Quibus verbis conlinetur ratiocinium hujusmodi : si huma-
num genus non fecit semetipsum, admittendusest ejusdem conditor a
se ipso cxislens, qui Deus est ; atqui humanum genus semetipsum
non fecit ; ergo, etc. — Praemissae hoc modo deelarari possunt. Dum
memetipsum interrogo : Quomodo ad existentiam emersi ? quis mihi
illam tribuit ? respondeam necesse est : Non ego feci me. Et
unusquisque patrum meorum, eidem qusestioni camdem responsionem
reddere debuit. Quod si varia entia quibus circumdor, terrain, aercm,
aquam, stellas, lunam, solem, pariter interrogerai ; singula, ut quidam
ait e\ antiquis patribus, certatim respondebunt mihi : Non ego te feci ;
sicut tu, crealura hesterna sum, quœ non magis tibi quam mihi existen-
tiam impertiri valeo. Dcmum, quotiescumque casdem quaestiones itéra-
verimus : Quomodo hueveni? Quis fecit me id quod sum ? definitivum
respoosum non inveniemus, donec agnoscamus existere ens quoddam
aeternum, necessarium, a se, causam omnium entium contengentium,
quod non est aliud quam Deus. — Etcnim, quandiu contingentium
rcrum explicationem in ipsis quaerimus, scriem seu catenam, cujus
annuli alius ab alio dépendent, quodammodo percurrimus, terminum
non assecuturi, donec ad punctum fixum quod lolam catenam susten-
let, quodquc sit ens a se, tandem perveniamus. Igitur nisi sericm con-
tingentium infînitam, quasi catenam sine punclo fixo pendentem, sine
sustentaculo sustenta ta m, admittere velimus, necesse est ut ens a se,
tanquam priraam rerum omniun causam, existere fatcamur (Schouppe,
Elem. th. dugni. tr. 0, c. 1, n. 44)i
36 LES GRANDS DEVOIRS DtJ SALUT. — II. INSTRUCTION.
Dieu, les plus anciens comme les plus nouveaux, les plus
policés comme les plus sauvages. Ce n'est donc pas une
croyance qui se soit formée peu à peu, ni qui ait été impo-
sée par des prêtres ou des législateurs, puisqu'on la trouve
entière à l'origine des sociétés. Ce n'est pas non plus une
croyance qui soit née de l'ignorance, puisqu'elle est profes-
sée par les peuples les plus civilisés et les hommes les plus
savants. Enfin elle n'est pas non plus le fruit de la science,
qui aurait inventé Dieu pour se distinguer et s'enorgueillir,
puisque les peuplades les plus ignorantes croient aussi en
Dieu. Cet accord des peuples à croire en Dieu est d'autant
plus remarquable que, pour tout le reste, ils sont divisés, et
ne veulent s'emprunter ni leurs langues, ni leurs lois, ni
leurs usages. D'où vient donc leur unanimité sur l'existence
de Dieu, si ce n'est que cette vérité a été gravée dans le fond
de notre conscience par le Créateur lui-même, comme le
sculpteur grave son nom sur le marbre qu'il a enfanté, et
le peintre sur le tableau qu'il a créé ?
Ces deux grands faits, la création du monde et l'accord de
tous les peuples sur la croyance en Dieu, suffisent donc,
alors même qu'il n'y en aurait pas d'autres (i), pour nous
démontrer d'une manière irrésistible la première chose que
nous devons savoir de Dieu, c'est-à-dire qu'il existe. Affer-
missons-nous donc dans cette croyance fondamentale, si
haut placée au-dessus des négations de l'impiété, et si invul-
nérable à ses misérables traits.
Sachant que Dieu existe, ce qu'il est nécessaire que nous
i. Demonstrationes (existentirc Dei)multiplicis distingtiuntur generis,
pro diversis mediis quibus perficiuntur : aliae dicuntur metaphysica?,
aliae physicae, aliec morales. — Demonstrationes metaphysicae dicuntur
illrc, quae a causa? primae necessitate repetuntur. iVd metaphysicarum
demonstrationum genus illse quoque probationes essent revocanda?,
quas nonnulli, immerito tamen, et ideis nostris et prœsertim ex Dei
notione, duci posse existimant. Hœc enim omnia ad metaphysicam
pertinent. — Physicaî sunt, quae depromuntur ex contcmplatione natu-
rae. — Morales demum, quae aut ad mores pertinent, aut iis constant
argumentis qufe hominem prudentem moverc valent ad assensum ;
prudentiae namque régulas suggerit ethica seu moralis. Hae demons-
trationes principiis causalitatis, liect diversimode, innituntur : quod
quidem principium metaphysicum est (Shouppe, loc. cit. n. 43). — A oy.
notre Grand Catéchisme de la Persévérance chrétienne, t. i, p. 116 à ib"r
C FST UN DEVOIR POUR NOUS DE CONNAITRE DÏEU. .>7
en sachions ensuite, c'est ce qu'il est en lui-même. Or, en
lui même, Dieu est un esprit. Mais qu'est-ce qu'un esprit ?
Ces! ce qu'il ne nous es! pas facile de concevoir ni d'expli-
quer, parée que, clans L'état de notre nature, nous ne nous
Taisons une idée nette que de ce qui tombe sous les sens, et
qu'un esprit ne tombe pas sous les sens, parce qu'il n'a pas
de [corps. Cependant, de ce que l'esprit n'a pas de corps,
cela même peut nous aider à Le définir, en disant que c'est
un être incorporel. Ainsi notre âme est un esprit ; car bien
qu'elle soit présentement unie à notre corps, elle est par
elle-même un être incorporel, et subsistera seule après que
la mort l'aura séparée d'avec notre corps, jusqu'à la résur-
rection, où de nouveau elle sera réunie pour toujours à
notre corps. Les anges également sont des esprits, c'est-à-
dire des êtres incorporels, qui par conséquent ne peuvent
tomber sous aucun de nos sens. Eh bien, voilà justement
ce qu'est aussi Dieu en lui-même, c'est-à-dire un esprit, ou
bien un être incorporel. C'est ce que Notre-Seigneur nous a
d'ailleurs expressément enseigné, lorsqu'il a dit : Dieu est
esprit(i). D'où il suit qu'il est déraisonnable de ne pas croire
en Dieu par la raison qu'on ne le voit pas, puisqu'il est natu-
rellement invisible. Aussi toutes les fois qu'il a voulu se
manifester, a-t-il dû emprunter un corps, soit celui d'un
homme, soit celui du feu, soit tout autre ; mais ce n'est
toujours pas lui-même qu'on a vu alors, mais seulement le
corps dont il s'était servi pour se rendre sensible. Pareille-
ment, lorsque les peintres représentent Dieu sous la figure
d'un majestueux vieillard, ils ne prétendent pas nous donner
son portrait ; ils veulent seulement nous faire entendre qu'il
est excellemment auguste et vénérable.
Ajoutons que si Dieu est en lui-même un esprit, comme
nos Ames et les anges, ce n'en est pas moins un esprit d'une
nature essentiellement différente de tous les autres esprits
qui existent. En elï'ct, tandis que tous ces autres esprits ont
été créés, et que leurs qualités sont limitées quant au nom-
bre et à la perfection ; l'esprit qui est Dieu, au contraire, a
éternellement subsisté, il ne tient rien que de lui-même, et
i. Joan. iv, 24.
38 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
ses perfections sont infinies sous tous les rapports. De plus,
non-seulement les autres esprits n'ont pas leur principe en
eux-mêmes, mais ils n'ont pas non plus en eux-mêmes leur
fin, et ne sauraient être heureux par eux-mêmes. Au contraire
également, Dieu, qui est son principe à lui-même, est aussi
sa fin, et il trouve éternellement en lui tout son bonheur,
sans jamais désirer autre chose que lui-même (i). Quel être
sublime que Dieu, et qui peut le considérer sans être con-
fondu d'étonnement et d'admiration (2) !
Mais pour le mieux connaître encore, vovons enfin ce
qu'il est par rapport à nous. On pourrait l'exprimer avec
une entière vérité en un seul mot, en disant que Dieu est
tout pour nous. Mais il est à propos, pour le mieux com-
prendre, d'entrer dans quelques détails.
1 . Sancta catholica apostolica romana Ecclesia crédit et confitetur,
imum esse Deum verum et vivum, creatorem ac Dominum cœli et terra?
omnipotentem, a?ternum, immensum, incomprehensibilem, intellectu
ac volontate omnique perfectione infinitum ; qui cum sit una singularis,
simplex omnino et incommutabilis substantia spiritualis, prœdicandus
est re et essentia a mundo distinctus, in se et ex se beatissimus, et super
omnia, qurc prœtcr ipsum sunt et concipi possunt, ineflabiliter excelsus.
(Goxc. Vatic. Constit. 1, cap. 1).
2. Ingestimabilis, inefîabilis, incomprehensibilis (Deus) : si qua?ras
magnitudinem, major est ; si dulcedinem, dulcior ; si pulchritudinem,
pulchrior, spendidior, justior, fortior, etc. (4. Aug,, serm.de Verb.Apost.).
Si quaeras quid sit Deus ? dicam tibi, Deum esse illum Dominum
cœli terrœque regnatorem, in cujus fimbria vestimenti scriptum legi-
tur : Rex regum et Dominus dominantium. Decam tibi, Deum esse illum
Dominum, cujus sapientia, providentia ac potentia est infinita, adeo ut
unico verbulo Fiat, immensum hoc cœli terrœque artefactum e nihilo
produxerit, et si vellet, momento unico iterum in nihilum redigere
posset. Dicam tibi, Deum esse illum Dominum, in cujus comparatione
regum terrenorum, quotquot hactenus fuerunt, sunt, aut erunt, majes-
tas ac potentia non aliter se habet, quam atomus comparata ad solem.
Dicam tibi, Deum esse illum Dominum cujus nutui serviunt millia
millium, et decies millies centena millia angelorum, quorum unusquis-
que potentior est, quam sint omnes mundi principes simul sumpti.
Dicam tibi, Deum esse illum Dominum, cujus maj estas est ineffabilis,
inœstimabilis, incomprehensibilis : quemadmodum ille, qui fixis oculis
meridianum solem contcmplatur, quo diutius lucidissimum sidus
intuetur, eo magis excaecatu? ; ita qui in divina illa perfectionum om-
nium abysso animi obtutum defigit, nihil cognoscet, nisi hoc, quod
illius inscrutabilis bonitas, sapientia, potentia, justitia, misericordia, ac
pulchritudo a creato intellectu cognosci non possit (Glaus, Spicileg.
çaiech. Dom, Pcntec. n. 3),
c'est un devoir rorn nous nr, connaître dieu. 3g
Par rapport à nous donc, Dieu est premièrement notre
créateur. C'est Dieu </ui nous a faite, et non pas nous mêmes (i),
dit le Psalmiste. Nous cou naissons l'histoire de notre créai ion.
De ses mains toutes puissantes, Dieu prit de l'argile, qu'il
avail d'abord tiré du néant, et il en forma le corps du pre-
mier homme : et sur la face de ce corps inerte, Dieu souilla
un esprit de vie, et l'homme fut fait un être vivant (2). Et
depuis nul homme ne paraît sur la terre qui ne doive la vie à
Dieu. Ce n'est pus moi, disait à ses enfants la mère des sept
frères Maeh abcès, ce n'est pas moi qui vous ai donné votre
unie cl voire vie, et qui ai formé vos membres, mais c'est le
Créateur du monde (3). Ces sages paroles sont la pure expres-
sion de la vérité. Personne en effet ne peut donner l'être au
moindre brin d'herbe et au plus petit grain de poussière ;
quel autre que Dieu pourrait donc nous donner la vie, à
nous qui sommes les êtres les plus parfaits de la création
visible (4) ?
Mais Dieu ne nous a pas seulement créés, c'est lui encore
qui nous conserve. Vainement nous nous imaginerions
qu'après avoir reçu de Dieu le don delà vie, là se bornent ses
bienfaits à notre égard, et qu'au surplus nous pouvons nous
procurer nous-mêmes ce qui nous est nécessaire, et nous
passer de lui. Rien ne serait plus faux que de telles pensées.
La vérité, c'est que nous ne recevons pas moins de Dieu ce
qui conserve notre vie, que nous n'avons reçu de lui la vie
elle-même. Qu'est-ce, en effet, qui conserve notre vie? N'est-
ce pas d'abord l'air, et l'air pur, l'air chimiquement composé
en conformité de nos besoins ? Que cet air manque ou se
corrompe, aussitôt notre vie entre en péril et bientôt nous
1. Ps. xcix, 3.
2. Gon, 11, 7.
3. II. Maeh. vu, 22, 23.
\. Hic soins verus Dons bonitate sua ot omnipotenti virlute non ad
augendam suam beatitudinem, nec ad acquirendam, sed ad manifestan-
dam perfectionem suam per bona, qua? creaturis impertitur, libcrrhno
concilio simul ah initio temporis utramque de nihilo condidit crealu-
cam, spiritualcin et coi pnnilrm, angejfcam. \i<leliccl et iniindanani, ac
deinde liumanani quasi ruuiiiiuiieiii e$ spiiïtu a] cnrpnn; o<>nsti(,utan),
(Conc. Vatic, loc. cit.).
/|0 LES CR/VNDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
abandonne. Eh bien, depuis tant de siècles que cet air est
respiré par les hommes et appauvri de ses éléments néces-
saires, qui est-ce qui le renouvelle et le reconstitue sans cesse?
Les hommes ne prétendront pas sans doute que ce sont eux :
c'est donc Dieu. — Et qu'est-ce encore qui nous conserve la
vie ? Apres l'air, ce sont les aliments. Eh bien, qui fourni*
aux hommes ces aliments ? qui leur fournit le pain, l'eau,
lé vin et tout le reste? Les hommes peuvent bien semer, et
même ils le doivent, en vertu de la loi qui leur en a été
faite. Mais qui fait germer leurs semences, qui fait pousser et
mûrir leurs moissons ? C'est Dieu, et Dieu seul ; personne
ne peut le contester, car la raison le démontre. Le Sauveur
Ta du reste expressément enseigné. Sans doute, l'action
créatrice de Dieu a cessé le septième jour ; mais depuis ce
jour, mon Père, a dit Notre Seigneur, ne laisse pas de conti-
nuer d'agir(i), par une action conservatrice et providentielle
qui soutient l'univers (2).
Une troisième chose que nous devons encore absolument
savoir de Dieu, c'est qu'il nous a rachetés du démon et
sauvés de l'enfer. En vertu de sa nature très parfaite et
nécessairement bonne, c'est pour nous rendre heureux que
Dieu nous avait donné l'existence. Du paradis terrestre,
nous devions aller directement dans le ciel, après une facile
épreuve destinée à prouver notre soumission et notre
attachement à Dieu. Mais avec une ingratitude vraiment
criminelle, nos premiers parents, qui n'avaient reçu de Dieu
que des bienfaits, l'offensèrent en lui désobéissant sur les
instigations du démon. Celui-ci, ayant réussi à leur faire
accomplir ce qu'il voulait, était donc devenu leur maître, et
de ce maître horrible nos premiers parents, ainsi que tous
leurs descendants, devaient partager le sort, qui était de
souffrir éternellement dansj'enfer. Or, Dieu eut pitié de
nos premiers parents et de nous tous. Il envoya sur la terre
1. Joan. v, 17.
2. Universa vero, quœ condidit, Dcus providentia sua tuetur nique
gubernat, attingens a fine usqnc ad finem fortiter, et disponens omnia
suaviter. Sap. vin, 1. Omnia enim nuda et aperta sunt oculis ejus. Heb.
iv, i3, ea etiam, quse libéra ereaturarum actione futura sunt (Coxc.
Yatic, loc. cit.).
c'ESI in DEVOIR POl i; mus DE CONNAITRE DIEU. /| I
son Verbe éternel, qui esl son Fils unique, pour se faire
homme, afin d'expier 1rs fautes des hommes, et ainsi de les
arracher à La domination du démon et dé 1rs soustraire aux
châtiments de L'enfer. Voilà ce qu'a fait Dieu pour nous.
N'est il pas juste que nous Le sachions, afin que nous con-
naissions toute la reconnaissance que nous Lui (levons ?
Quoi ! Dieu aurai I donné son Fils unique pour nous sauver
de L'enfer, cl ce Fils unique aurait lui-même, dans ce but,
donnéson sang et sa vie, et ce ne serait pas un devoir pour
nous de nous instruire d'un tel mystère gratuitement accom-
pli à noire profil? Disons le hautement: celui qui croirait pou-
voir se dispenser de ce devoir montrerait seulement que le
cœur ne L'embarrasse pas, et ne mérite que le titre méprisé
d'ingrat (i).
CONCLUSION — Pourquoi nous devons connaître Dieu,
et ce que nous devons savoir de Dieu, voilà donc, chrétiens, ce
que qous venons d'étudier ce soir. Nous devons connaître Dieu,
parce qu'il s'est révélé par ses manifestations personnelles,
par le ministère de ses prophètes et enfin par la voix de son
i. Àdmirabilitas beneficentiœ divinae erga homincm elucet : i° Ex
majcstale amantis et largientis : quidenim majus Dco, qui inimitiés
transcendit hommes et angelos? 2U Ex vilitatc hominis, cui Deus bene-
facit, quia vermiculus terra', peccator, ingratus, carualis est. 3° Ex lar-
gitate, qua praevenit hominem, et ultro illi offert sua dona, gratiam,
gloriam, angelicam custodiam. 4° Ex fine, quia homini largitur sua
doua, ut illi bene sit, non Deo; Deus enim non indiget homine. 5° Ex
modo quo se eommunicat homini, ut illum haeredem, et coluercdem
Christi faciat, etc. (Corn, a Lai>. Comm. injac. i, 5).
In hac philanthropia, seu singulari Dci amore in nos multa sunt
admiranda : i" Quod ab aeterno nos ainarit, ille qui est Deus, summa
majestas et félicitas, qui in se omne bonum habet, ita ut nobis, aut alia
re non indigeat. 2° Quod non necessario nos amet, sicut amat Filium
et Spiritum Sanctum, sed prorsus libère. 3° Quod nos amet sine suo
commodo aut utilitate. V Quod hominem amet, in quo nulla praecessit
ratio, nullum meritum, sed potius multa démérita. 5° Quod dilexerit
eos quoa praescivit fore ingratos, imo hostes suos. 6° Quod ainor hic
Dci non ex ignorantia, aut passione procédât, sed cum summa
sapientia conjunctus sit. Haec autem sapientia Dei diligentis hominem
peccatorem, et miserum non in eoconsistit, quod homo sit objecluiu
diligibile per se, sed ornnis ratio amandi est ab ipso Deo, qui diligit
nos propter se, quia summe bonus est, ita, ut bonilatem et liberalita-
tem suam in nos omni dilectione indignos effunderc velit (Corn. \
].w. Comm. inEp. ad TU. m, 4).
42 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
propre Fils, et qu'en se révélant ainsi il nous a fait un
devoir de l'étudier et de le connaître, non pour son avan-
tage, mais pour le nôtre, et pour celui de la société. Nous
devons savoir de Dieu trois choses principalement : qu'il
existe, qu'il est en lui-même un esprit infiniment parfait, et
que par rapport à nous, c'est lui qui nous a créés, qui nous
conserve, et qui nous a rachetés des peines éternelles de l'en-
fer, auxquelles tous les hommes avaient été condamnés
après la faute de nos premiers parents. Voilà, encore une
fois, les motifs de l'obligation qui nous incombe de con-
naître Dieu, et l'étendue de cette obligation. Si donc nous
sommes des hommes ayant conscience de ce que c'est
qu'un devoir, et si nous nous faisons une loi de nous
acquitter de tous nos devoirs, ayons à cœur par dessus
tout d'étudier Dieu et de le connaître, car de tous nos
devoirs c'est le premier et le plus important. 11 est, en
effet, la base de tous les autres, sans exception. Car, quel
devoir peut-il y avoir pour quiconque ne connaît pas Dieu,
ne sait pas qu'il existe, et qu'étant infiniment juste, il châ-
tiera nécessairement le mal et récompensera le bien ? Au
contraire et pour les mêmes raisons, à quel devoir sera infi-
dèle celui qui connaît Dieu, et qui, le connaissant, par là
même craint de lui désobéir et ne désire en tout que lui
plaire? Hélas ! nous l'avons déjà dit, il est de mode aujour-
d'hui, pour beaucoup, d'affecter d'ignorer Dieu et de n'en
tenir nul compte. Mode criminelle entre toutes ! Mode qui,
en ôtant tout frein aux passions, enfante tous les vices et
tous les crimes, conduit inévitablement la société à la
désorganisation, et les individus à l'enfer! Gardons-nous de
suivre cette mode horrible, amenée et propagée par les sup-
pôts du démon. Tout au contraire, marchant résolument
dans le sens opposé, appliquons-nous à connaître Dieu de
mieux en mieux, par nos lectures particulières et notre
fidèle assistance aux instructions de l'Église, et ainsi nous
assurerons l'honneur de notre vie et le bonheur de notre
éternité, que je vous souhaite de tout mon cœur, au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
C'EST l\ DEVOIR POUR NOUS DE CONNAITRE DIEU. /|3
TRAITS HISTORIQUES
La création proclame l'existence de Dieu.
t. — Si je rencontrais, dit Fénelon, un homme qui ne croie
pas on Dieu, je ne disputerais pas avec lui ; je le prierais seule-
menl de supposer qu'il se trouve jeté par un naufrage dans une
île déserte. Là il rencontre une maison d'excellente architecture,
et dans cette maison il trouve de beaux meubles, des instru-
ments de musique, des statues, des tableaux, des livres rangés avec
ordre dans une bibliothèque ; il n'y découvre néanmoins aucun
homme. Pourra-t-il croire que tout cela, maison, meubles, livres,
sontdûs au hasard sans le secours d'aucune industrie humaine ?
Et l'univers, dont l'ordre et l'harmonie sont mille fois plus admi-
rables, serait l'œuvre du hasard ?
2. — Saint Pascal Baylon était né de parents pauvres, mais ver-
tueux, à Torre Ilermosa, dans le royaume d'Aragon, vers le milieu
du xvie siècle. 11 était berger et passait ses journées sur les monta-
gnes et dans les bois solitaires. La vie tranquille et innocente qu'il
menait en cet état lui offrait toutes sortes de charmes. Chaque
objet qui se présentait à ses yeux servait à exciter sa foi et sa dévo-
tion. Sans cesse il lisait dans le grand livre de la nature, et par là
s'élevait jusqu'à Dieu, qu'il contemplait et bénissait en toutes ses
œuvres.
3. — Un saint anachorète voyait Dieu si vivement dans le monde
matériel, qu'il ne pouvait faire un pas hors de sa cellule sans être
touché jusqu'au fond de l'àme. Toutes les créatures lui parlaient
de Dieu, de sa grandeur, de son amour. « Je vous entends, petites
fleurs, disait-il en touchant de son bâton les fleurs qu'il rencontrait
sur son chemin, je vous entends : Oui, il est digne de mon amour,
et je ne l'aimerai jamais assez. »
La méconnaissance de Dieu engendre tous les vices et
tous les crimes.
i. — Les saintes Écritures nous apprennent, et l'histoire même
profane le prouve, que les entrailles des impies sont souillées et
cruelles, et que leurs aruvres sont redoutables et malfaisantes.
Celui qui ne connaît pas Dieu a-t-il été revêtu de la puissance sou-
veraine, bientôt il a paru le fléau et l'oppresseur de la terre, ne
connaissant d'autre privilège d'un pouvoir souvent usurpé, que la
facilité de répandis |e sang impunément. Deux historiens païens,
[\\ LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
Hérodote et Diodore de Sicile, remarquent que les deux premiers
impies couronnés que l'on rencontre dans les annales du genre
humain, Ghéops et Chéphrem, se montrèrent bientôt d'une inhu-
manité atroce, et la nation fut écrasée par le plus affreux despo-
tisme. Alors les temples furent fermés, et cette cessation du culte
rendit ces noms si odieux à leurs sujets, qu'ils évitaient de les pro-
noncer. Les abominables restes de ces deux athées furent déposés
dans un lieu obscur et ignoré ; et s'ils ne furent pas mis en pièces,
c'est qu'on regardait dès lors comme un crime de troubler le repos
des morts, de ceux mêmes qui avaient si peu respecté celui des
vivants. Les impies ont donc pour chefs deux tigres, dont on ne
peut prononcer les noms sans horreur. Heureusement pour l'hu-
manité, il faut traverser un intervalle de plus de quatre mille ans
pour arriver à une seconde époque d'un athéisme vainqueur
momentané des autels, d'un athéisme dominateur, hautement pro-
tégé par l'autorité ; et cette époque est bien moins honorable
encore pour l'impiété que celle du double règne des rois d'Egypte ;
elle est bien plus sanglante. Elle nous montre des monstres nou-
veaux dans l'espèce des monstres ; des ennemis de l'espèce humaine,
contre lesquels il n'y a que ces deux mots : opprobre et exécration.
— Dans ces jours d'épouvantable mémoire, la nature fut cons-
tamment outragée par ceux qui cessèrent de respecter la religion.
On entendit un frère dire à la Convention : « Si mon frère n'est
pas dans le sens de la révolution, qu'il soit mis à mort ! » Un
nommé Philippe, qui pourrait le croire ! porta en triomphe, aux
Jacobins, la tête de son père et de sa mère /... (Mérault, Conjura-
tion de l'impiété).
2. — Voltaire s'écriait un jour : « C'est certainement l'intérêt de
tous les hommes qu'il y ait une Divinité qui punisse ce que la jus-
tice humaine ne peut réprimer... Je ne voudrais pas avoir affaire à
un prince athée qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un
mortier ; je suis bien sûr que je serais pilé. Je ne voudrais pas, si
j'étais souverain, avoir affaire à des courtisans athées, dont l'intérêt
serait de m'empoisonner ; il me faudrait prendre au hasard du
contrepoison tous les jours. 11 est donc absolument nécessaire pour
les princes et pour les peuples, que l'idée d'un Être Suprême,
créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément
gravée dans les esprits. »
3. — Un autre jour que d'Alembert et Condorcet dînaient chez
Voltaire, ils voulurent parler athéisme ; mais Voltaire les arrêta
tout court. « Attendez, leur dit-il, que j'aie fait retirer mes domes-
tiques ; car je ne veux pas être égorgé cette nuit. >)
c'est r\ DEVOIR P01 r NOUS m CONNAÎTRE DIEU. J5
Conduite de ceux qui connaissent Dieu.
I. — Écoutez une douce histoire digne d'être racontée par toute
la terre. Des religieuses de saint Vincent do Paul tiennent ici (nous
supprimons le nom de la ville) L'hospice du département. Notre
préfet, honnête homme, mais chrétien médiocre, visite souvent
ce! hospice, questionne les malades et s'acquitte à merveille de
cette bonne œuvre. Un jour qu'il se trouvait dans le parloir avec
la supérieure, voici que frappe et entre une jeune religieuse, tenant
une lettre qu'elle venait soumettre au visa de la Révérende Mère.
Mais en voyant le préfet, elle se retire. «Entrez, ma sœur, dit
celui-ci ; quel est votre nom ? — Sœur Marie, répond la bqnne
religieuse. — Et à quel département êtes-vous ? — A la salle des
teigneux, a V ces mots le préfet est pris de compassion : « Ah ! ma
pauvre sieur, vous prenez au moins des précautions pour soigner
ces têtes dégoûtantes? \ ous avez des gants ? Mais non, M. le pré-
fet, je me sers de mes mains, comme vous les voyez là, et quand
le pansage est achevé, je les lave dans l'eau fraîche. — Mais sœur
Marie, vous allez avoir la teigne !... » Puis, revenant à sa compas-
sion, le préfet ajouta : « Ma sœur, êtes-vous heureuse ? Dites un
mot, demandez ce que vous voulez, et je vous l'accorderai. — Eh
bien, non, M. le préfet, je ne suis pas heureuse, et vous pouvez
faire quelque chose pour moi. Dans la salle qui m'est réservée, je
n'ai (pic vingt-cinq teigneux, et je me sens assez forte pour en soi-
gner cinquante. Vous pouvez adresser une circulaire aux maires
des villages, et ils m'enverraient des teigneux. » Le préfet se leva
stupéfait : « Vous l'aurez, ma sœur, vous l'aurez cette circulaire.»
Et en s'en allant, il disait : « J'ai offert a une religieuse de lui don-
ner tout ce qu'elle aurait voulu, et elle m'a demandé des teigneux! »
— Et la bonne sœur Marie ne manqua pas de remercier saint.
Joseph en l'honneur duquel elle avait fait une fervente neuvainc,
pour obtenir la faveur qui venait de lui être accordée! (Correspon-
dance de Rom
II. — Marguerite Fairet, veuve Maycr, née sans fortune, devint
cependant la Providence des malheureux. Dans la ville de Belfort,
une épidémie infectait les hôpitaux, où afiluait un grand nombre
de militaires malades et blessés, amenés d'Allemagne. La veuve
Meyer se dévoue pour les secourir, tous les lits de douleur
sont visités par elle; tous les secours leur sont prodigués;
rien ne la rebute, ni Le dégoût des plaies, ni le danger du séjour.
Elle apparaît comme un auge à tous ces êtres souffrants, les con-
sole, les encourage, les . • --iste et contribue à les guérir. Elle ne
46 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. II. INSTRUCTION.
borne pas là ses efforts secourables. Pendant les sièges que subit
la ville de Belfort, elle suit courageusement les sorties de la gar-
nison ; on la voit sur les champs de bataille, pourvue de linge et
de charpie, de remèdes et de rafraîchissements ; elle accourt par-
tout où les blessures réclament sa présence. Elle ne distingue pas
les amis des ennemis ; tout ce qui souffre a part à ses bienfaits.
On la voit sans cesse étancher le sang, panser les blessures, et
s'empresser de transporter hors du péril tous ceux que la mort
peut atteindre. L'état le plus désespéré ne rebute point son infa-
tigable pitié ; et quand elle réussit, sa joie éclate au milieu des bé-
nédictions de toutes les victimes qui sont sauvées par elle.
C'est peu des scènes de carnage pour éprouver cette belle âme.
La disette de 1816 et de 18 17 lui fournit une nouvelle occasion de
déployer sa bienfaisance. Voyant se multiplier le nombre des pau-
vres qui affluent des campagnes ruinées par la guerre, elle se mul-
tiplie comme eux, elle visite les asiles de la misère, frappe à toutes
les portes, sollicite la pitié et forme une assemblée de dames cha-
ritables qui donne aux malheureux des secours permanents. Elle
voit tout, préside à tout, distribue tout. Aucun indigent n'est ou-
blié, tous sont nourris et soulagés par elle.
Le fléau cesse, mais non l'activité de son zèle, qui a besoin d'un
éternel aliment. Belfort, ville de garnison, regorge d'enfants nés
dans la misère, livrés à tous les vices et n'ayant d'autre profession
que la mendicité. En vain cette ville leur ouvre ses écoles, ils re-
poussent toute instruction. Eh bien, c'est à les sauver de l'indi-
gence et du vice que l'ange de consolation va consacrer tous ses
soins. Que de moyens ne lui suggère pas son ardente charité! Elle
les contraint par la force de ses bienfaits à se rassembler autour
d'elle, et prend elle-même le soin d'écarter toutes les souillures de
la malpropreté qui les flétrit. Une vie nouvelle commence pour
eux, et ce n'est plus ce ramas impur d'enfants abandonnés; c'est
une jeunesse décemment vêtue, à qui la bienfaisante Meyer apprend
la religion, la morale, la lecture, l'écriture. Elle-même leur ensei-
gne les préceptes de l'Evangile, elle-même les conduit à la sainte
Table. Et qu'on ne pense pas qu'elle borne là tous les secours dont
elle est prodigue envers eux. Elle surveille au-dehors ses enfants
adoptifs, leur fournit des aliments, des vêtements, fait les frais
de leur apprentissage, les place chez les cultivateurs et leur pro-
cure du travail. Combien d'entre eux qui lui ont dû d'être devenus
honnêtes, laborieux et à leur aise ! Eh bien, quelle était la source
de l'inépuisable bienfaisance de cette admirable femme ? C'était sa
foi en Dieu (Fleurs de la Morale),
TROISIEME INSTRUCTION
(Premier Dimanche du Carême)
C'est un devoir pour nous d'honorer
Dieu.
I. Pourquoi nousdevons l'honorer. — Gomment nous devons l'honorer.
III. Quand nous devons l'honorer.
Notre premier devoir envers Dieu, avons-nous expliqué
dans notre précédent entretien, c'est de nous appliquer à le
connaître. Et la raison pour laquelle nous devons nous
appliquer à connaître Dieu, c'est parce que lui-même a pris
soin de se révéler à nous, et cela à différentes reprises et de
plusieurs manières, Pourquoi, en effet, se serait-il ainsi
révélé à nous, si ce n'est pour se faire connaître de nous?
Or, si Dieu a voulu que nous le connussions, et si, dans ce
but, il s'est révélé à nous, n'est-ce pas pour nous un devoir
de nous appliquer à le connaître, c'est-à-dire à savoir, tout
au moins, qu'il existe, ce qu'il est en lui-même, et ce qu'il
est pour nous ? Quoi ! Dieu se serait donné le souci et
aurait pris la peine de se révéler à nous, et l'on admettrait
que nous pouvons ne pas plus prêter attention à ses révéla-
tions, que s'il n'eût jamais rien dit ? Non, cette supposition
n'est pas admissible ; et c'est pourquoi, de ce fait que Dieu
s'est révélé à nous, nous avons conclu tout au contraire,
que c'est pour nous un devoir de nous appliquer à le con-
naître, c'est-à-dire, encore une fois, à savoir tout au moins
qu'il existe, et ce qu'il est en lui-même et pour nous.
Mais ce n'est là, avons-nous dit, que notre premier devoir
envers Dieu. Savoir, en effet, que Dieu existe, qu'il est un
être infiniment parfait, et que nous n'avons rien que nous
ne tenions de lui, ce n'est pas tout. Au contraire, de là
découlent pour nous, à l'égard de Dieu, plusieurs autres
devoirs très importants, et avant tous antres, celui de
L'honorer Nous allons en conséquence nous occuper ce soir
/J8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
de ce devoir, en expliquant : premièrement, pourquoi nous
devons honorer Dieu ; deuxièmement, comment nous devons
l'honorer ; et troisièmement enfin, quand nous devons
l'honorer (i).
I. — Pourquoi nous devons honorer Dieu. — Honorer
Dieu, nous le savons tous, c'est avoir pour Dieu des sentiments
de respect, d'admiration, de reconnaissance, des sentiments
qui soient à son honneur, et les lui exprimer par nos paroles
et par nos actions. Or, que ce soit pour nous un devoir
d'honorer Dieu, c'est ce que reconnaît sans peine tout
homme doué de bon sens. Cependant, que de chrétiens
parmi nous qui ne tiennent pas compte de ce devoir, ou
même qui le nient ouvertement ! Manquent-ils donc de bon
sens ? Non, sans doute ; mais ils ne se donnent pas la peine
de réfléchir, ou bien ne voient les choses qu'à travers leurs
ignorances, leurs préjugés et leurs passions. Et non seule-
ment, par suite, ces chrétiens ne s'acquittent pas de leur
devoir d'honorer Dieu ; mais ils sont de plus un scandale
pour les autres chrétiens, soit par le mauvais exemple qu'ils
donnent, soit par les pernicieux propos qu'ils répandent.
Voilà pourquoi nous allons exposer les raisons qui nous
i. Le devoir d'honorer Dieu implique celui de le respecter et de ne
pas le déshonorer par des blasphèmes, des actes impies et une conduite
coupable.
Sanctus Hieronymus ait : « Omne peccatum comparatum blasphemiae,
levius est. » In Is. xvni. Blasphcmia ergo est gravissimum. i° Ex
objecfo ; quia immédiate est derogatio honoris divini, et quidem talis,
quae non ex fragilitate, sed ex pura malitia oritur. 2° Ex persona blas-
phemantis ; homo enim non tantum putredo est, sed meruin Dei
beneficium, pra?sertim christianus in ipsa Dei regia, videlicet Ecclesia
natus, populum christianum elegit Deus, ut sit in orbe, qui iIJum
benediceret, et ab hoc ipso populo blasphcmatur, quantum ma-
lum ! etc. 3° Ex efiectis ; quia detestabile hoc vitium malo exemplo
doectur, et sic fit hœreditas, quod instar pestis deberet damnari. Dein,
sicut pictorcs ventos pingunt, nimirum capita, qu;e plcnis buccis
conatu maximo spiritum exsufllant ; ita buccal blasphemantium terri-
biles turbines, ac calamilatcs excitant (Glaus, Spicileg. univ. lib. 7,
n. n4).
i° Définition et diverses sortes de blasphèmes. 20 Enormité de ce
péché. 3° Châtiments temporels et éternels. — Autre plan : i° Carac-
tère du blasphème : audace impie, crime de lèse-majeslé, malice diabo-
lique, noire ingratitude, scandale et folie. 20 Vaines excuses du blas-
phème (Lelandais, Choix de la Prédic. contemp. 2e partie).
I EST UN DEVOIR POUR NOUS D* HONORER DIKU. f\()
font un devoir d'honorer Dieu, \insi les fidèles seront
affermis dans L'accomplissement de leur devoir, el ceux qui
n'honorenl pas Dieu seronl désormais sans excuse à leurs
propres yeux.
Or, la première raison pour laquelle nous devons honorer
Dieu, c'esl que, par ses perfections, il est digne de tout
honneur Yhonorons nous pas les savants et les artistes,
les philosophes et les poètes, et tous ceux qui se sont illus-
trés par leur génie cl Leurs travaux ? Ne célébrons-nous pas
Leurs Louanges, ne proclamons-nous pas leurs mérites, ne
Leur élevons-nous pas des statues ? Et pourquoi ? Parce que
celui-ci a découvert une loi de la nature, celui-là un élément
encore inconnu de quelque corps, et que cet autre a repré-
senté avec quelque vérité une des mille et mille scènes que
le monde met sous nos yeux. Et si nous ne les honorions
pas, n'est-il pas vrai que nous croirions manquer à un
devoir ? Eh bien, qui oserait dire que Dieu n'est pas incom-
parablement plus grand que tous ces hommes par la puis-
sance et l'immensité de son génie, ainsi que par toutes ses
autres perfections ? Car ce monde, dont ils ne parviennent
à connaître que quelques faibles parties, au prix de longs et
pénibles efforts, c'est Dieu qui l'a fait de rien, d'une seule
parole, et comme en se jouant ; c'est lui qui en a dispose
toutes les parties avec cet ordre qui dépassera toujours
L'admiration de tous les siècles ; c'est lui enfin qui a tiré
du néant ces hommes eux-mêmes que nous nous faisons
un devoir d'honorer, et qui les a doués de tout ce que nous
admirons en eux. Que si doue nous jugeons ces hommes
dignes d'être honorés, à plus forte raison devons-nous
honorer Dieu lui même, dont ils sont l'ouvrage.
Mais nous n'honorons pas seulement les hommes les plus
illustres par leur génie, par Leurs travaux et leurs décou-
vertes : nous honorons encore et davantage ceux qui se sont
fait le plus remarquer par leur dévouement et leur bien
faisance ; tels, par exemple, que saint Jean de Matha. fon-
dateur de L'ordre des Trinitaires voué au rachat des captifs,
el sainl \ incent de Paul, qui dota La France et Le inonde des
admirables Sœurs de la Charité. Quelle obligation pour nous
en effet d'honorer ces hommes, dont toute la vie s'est con-
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T . II . i
5o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
sumée à soulager les maux de leurs semblables, et à leur
procurer tout le bien qu'ils ont pu ! Celui qui leur refuse-
rait l'hommage de son admiration et de son respect serait-il
autre chose qu'un ca?ur endurci et dénaturé ? — Eh bien, à
ce nouveau titre de bienfaiteur, Dieu mérite également plus
que tous les hommes bienfaisants que nous l'honorions.
Car tout ce qu'ont pu faire pour leurs semblables ces hom-
mes vénérables, n'est rien en comparaison de ce que Dieu
a fait pour nous. C'est lui en effet qui nous a donné
l'existence elle-même, lui qui nous la conserve, lui qui nous
accorde tous les biens dont nous jouissons, lui qui nous
préserve des maux auxquels nous échappons, lui qui nous
délivre de ceux qui nous frappent, lui qui, en un mot,
pourvoit à tous nos besoins, par son universelle providence
et au moyen des autres créatures qu'il a tirées du néant à
cet effet. Vous ouvrez votre main, lui disait David au spec-
tacle de ses bontés, et vous remplissez tous les êtres de vos
bénédictions (i). Et même lorsqu'il nous ôte ce que nous
regardons comme des biens, ou lorsqu'il semble nous
blesser, alors encore il agit pour notre avantage, comme
fait le père qui arrache un poison ou une arme dangereuse
des mains de son enfant, ou le médecin qui opère un
malade.
Ainsi Dieu n'est pas seulement digne d'être honoré, à cau-
se de son excellence infinie et de ses infinies perfections ;
il mérite en outre de l'être, par les bienfaits sans nombre
qu'il nous prodigue à tout moment. Mais ce n'est pas tout
encore. Ces hommages dont il est digne, et qu'il mérite, il
nous a formés, en nous créant, de manière que nous pus-
sions les lui rendre. Les autres créatures, les créatures pure-
ment corporelles, voulons-nous dire, n'honorent et ne glori-
fient Dieu que parle fait de leur existence ; ce ne sont pas des
hommages libres et spontanés qu'elles lui rendent. Nous au
contraire, par la raison que Dieu nous a donnée» nous com-
prenons ce que Dieu est pour nous et ce que nous sommes
pour lui ; nous comprenons qu'il est au-dessus de nous et
que nous sommes au-dessous de lui ; qu'il est notre bienfai-
i. Ps. CXLIV, 16.
c'est in devoir pox R nous d'honorer dieu. 5l
leur, cl que nous sommes ses obligés. Par conséquent, nous
comprenons que des hommages Lui sont dus, et qu'il est
conforme aux Lumières de la raison de L'honorer. C'est ainsi
que nous avons été doués de raison par Dieu, précisément
afin que nous lui rendions des hommages libres et sponta-
nés. Or, si c'est pour honorer Dieu que nous avons été créés
êtres raisonnables, il y a donc nécessairement pour nous
obligation de l'honorer, puisque c'est là le but de notre créa-
tion. Cette obligation est même tellement rigoureuse, que
Dieu lui-même ne peut pas nous en délier. Dieu, en effet,
ne peut pas se contredire. Or, il se contredirait manifeste-
ment si, après nous avoir créés êtres raisonnables précisé-
ment pour que nous l'honorions, il nous dispensait de l'ho-
norer. Il est une chose encore que Dieu ne peut pas faire,
savoir, agir contre l'ordre. Or, qu'exige ici l'ordre? L'ordre,
ici, exige impérieusement que l'inférieur s'incline devant
son supérieur, et que l'obligé témoigne sa reconnaissance à
son bienfaiteur. Eh bien, puisque Dieu ne peut agir contre
l'ordre, il ne peut donc pas nous dispenser de nous incliner
devant lui et de lui témoigner notre reconnaissance, c'est-à-
dire de l'honorer (i).
Au reste, Dieu est si éloigné de nous dispenser de l'hono-
rer, qu'il nous en fait au contraire un commandement for-
mel, et le premier de ses commandements. Oui, pour nous
bien marquer l'importance du devoir qui nous incombe de
l'honorer, Dieu met ce devoir en tête de toute sa loi, disant
à chacun de nous: Tu adoreras le Seigneur Ion Dieu (2). Et
comme, au temps de Notre-Seigneur, il y avait des juifs qui
affectaient d'avoir des doutes à ce sujet, le Sauveur leur ré-
pondit : Voas aimerez le Seigneur de tout votre cœur, de toute
votre âme, de tout votre esprit : cest là le plus grand com-
mandement et le premier (3). Notre-Seigneur ne se borna pas
1. Dcum lingua, mente et moribus incessanter laudaredebemus, Iota
vita nostra débet esse continua laus Dci : i° Quia est iminensact infinita
majestas. a0 Quia innumera bénéficia nobis contulit. 3° Quia omnea
creaturae ejus gloriam testantur. 4" Quia hoc est opus nobilissimum
omnium piorum. 5° Quia est proprium angelorum et sanctorum (Claus.
Spicileg. univers, lib. 1, n. 1a).
2. Deut. vi, i3 ;' Mattli. iv, 10.
3. Malin, xxn, 37, 33.
Ù2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
d'ailleurs à affirmer le devoir d'honorer Dieu, il en donna
toute sa vie l'exemple. C'est le témoignage qu'un jour, mal-
gré sa réserve ordinaire, il se rendit à lui-même devant ses
ennemis: J'honore mon Père (i), s'écria-t-il hautement.
L'Evangile rapporte qu'en effet il fréquentait assiduement
le temple les jours de sabbat et les jours de fête, et qu'il
avait coutume de passer une partie des nuits en prière. Il
ne s'attrihuait d'ailleurs rien dans toutes les œuvres admi-
rables qu'il accomplissait, mais en renvoyait toute la gloire
à Dieu. Ainsi a vécu le divin Maître, venu en ce monde pour
nous instruire et nous donner l'exemple ; ainsi par ses ensei-
gnements et par sa conduite a-t-il placé, en tête de tous les
devoirs qui nous incombent, celui d'honorer Dieu (2) !
Or, puisque ce devoir d'honorer Dieu est conforme à la
raison, Dieu étant digne, par ses perfections, qu'on l'ho-
nore, et le méritant par ses bienfaits ; puisque ce devoir,
nous avons été créés êtres intelligents et expressément pour le
remplir; puisque ce devoir enfin, Dieu nous l'a formelle-
ment imposé comme le premier et le plus grand de tous nos
devoirs ; n'est-il pas cent fois évident qu'il y a pour nous
obligation de nous en acquitter (3) ? Que. si dans le passé,
1 . Joan. vin, 49.
2. f honore mon Père. Joan.vm, 4g* — Jésus est venu sur la terre fonder
le royaume de la vérité et de la sainteté. Or, la vérité de toute créature
et la sainteté de toute intelligence, c'est d'honorer Dieu. Des profon-
deurs de l'abîme au sommet des montagnes éternelles, telle est la véri-
table fonction des êtres : la créature est sortie du néant pour honorer
Dieu : l'Incarnation est sortie du sein de Marie pour honorer Dieu :
la rédemption est sortie du sang de Jésus pour honorer Dieu. Nous
montons ainsi, de degrés en degrés, dans la hiérarchie de la confession
et de la louange, pour aboutir au terme final de la gloire de Dieu, qui
est l'Agneau divin, se tenant comme immolé sur l'autel des cieux de-
vant le trône éternel. Ainsi Jésus, après avoir consacre sa vie et sa mort
à honorer son Père, y consacre dans l'Eucharistie toute sa gloire et tout
son bonheur (Sagette, L'Eucharistie, sem. delà Passion, vi, 1).
3. Nous avons des devoirs à remplir envers la divinité ; nous devons
lui rendre des hommages, un culte en un mot ; et pour en sentir l'obli-
gation, nous n'avons qu'à consulter, soit les premières notions de Dieu
et de l'homme, soit les intérêts les plus chers et les plus sacrés de l'hu-
manité.
Écoulons la raison. Un Dieu créateur, qui, possédant la plénitude de
l'être et la source de la vie, a communiqué l'existence à tout ce qu
« EST IN DEVOIR POUR NOUS D'HONORER DIE1 53
faute d'être suffisamment instruits suree devoir, nous avons
pu n'\ attacher que peu ou point d'importance ; désormais
nous saurons qu'il n'\ en a pas de mieux démontré ni qui
compose cet univers; un Dieu conservateur, qui gouverne tout par sa
sagesse, après avoir toul fait par sa puissance, embrassant tous les êtres
dans les soins de sa providence paternelle, depuis 1rs mondes étoiles
jusqu'à la fleur dos champs, sans être ni plus grand dans 1rs moindres
choses, ni plus priil dans les plus grandes ; un Dieu législateur suprême,
qui. commandant tout ce qui esl bien, el défendant toul ce qui est, mal,
manifeste aux hommes ses volontés saintes par le ministère de la con-
science ; un Dieu enfin, Juge souverain de tous les hommes, qui, dans
la vie future, doit rendre à chacun selon ses œuvres, en décernant des
châtiments au vice et des prix à la vertu : voilà, messieurs, une doctrine
avouée par la raison la plus pure, dont la connaissance, quoique en des
degrés bien différents sans doute, est aussi universelle que le genre
humain ; que l'on trouve dans sa pureté chez les Hébreux, plus déve-
loppée encore chez les chrétiens, qui a bien pu être obscurcie par les
superstions païennes, jamais anéantie chez aucun peuple de la terre.
Voilà des points de croyance qui sont indépendants des vaincs opinions
des hommes et des arguments des sophistes.
Or, comment ne pas voir que de ces notions de la divinité, découlent
des devoirs religieux envers elle ? Qui ne sentira que la raison, en nous
découvrant ce que Dieu est par rapport à nous, nous montre par là
même ce que nous devons être par rapport à lui ? S'il est notre Créa-
teur, ne faut-il pas que nous lui fassions hommage de l'être que nous
avons reçu de sa bonté toute-puissante ? S'il nous conserve une vie dont
il est l'arbitre, et qu'à tout moment il pourrait nous ravir, chaque ins-
tant où je continue de vivre est un nouveau bienfait qui demande un
nouveau sentiment de reconnaissance. S'il est notre Législateur, nous
devons obéir à ses lois, les prendre pour règle de nos affections et de
notre conduite. Enfin, s'il doit être un jour notre Juge, ne faut-il pas
que nous travaillions à paraître sans reproche devant son tribunal, et à
ne pas tomber coupable dans les mains de sa justice ?
Je suppose, pour un moment, que nous fussions les enfants du
hasard, le résultat des combinaisons fortuites de la matière ; que nous
eussions été jetés sur la terre sans but et sans dessein ; alors, sans doute,
nous serions dans cette indépendance absolue de la Divinité que prêche
l'athéisme ; tout lien religieux ne serait qu'une chaîne honteuse, avilis-
sante, qu'il faudrait se hâter de briser; alors, Dieu n'étant rien pour nous,
je conçois comment nous devrions n'être rien par rapport à lui. Mais,
dans la doctrine contraire d'un Dieu notre Créateur et notre conserva-
teur, l'homme doit tenir une conduite bien différente. Dans cçs deux
croyances opposées, nos devoirs ne sauraient être les mêmes ; quand les
principes sont en contradiction, les conséquences doivent y être égale-
ment ; et par cela même que, dans l'absurde, la chimérique supposi-
tion de l'athéisme, l'homme devrait être sans religion, il faut que,
dans la doctrine de la croyance d'un Dieu, l'homme soit religieux.
Dieu est infiniment grand (dit-on) : mais n'allons pas croire pour
cela qu'il ne daigne pas abaisser ses regards jusqu'à nous, ou bien que
nos vœux, nos supplications et nos hommages ne sauraient arriver jus-
54 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
passe avant lui. — Mais il ne suffît pas que nous sachions
pourquoi nous devons honorer Dieu ; il nous faut appren-
dre, à présent,
II. — Comment nous devons l'honorer. — Cette nou-
qu'à lui, à travers l'intervalle immense qui nous sépare du trône de
son éternité. Ce seraient là des idées grossières, qui viendraient des bor-
nes de notre esprit, des illusions des sens, du penchant que nous avons
à transporter à l'Être infini, au Roi immortel des siècles, des pensées
qui ne peuvent regarder que des hommes et les puissances de la terre.
Et pourquoi Dieu serait-il indifférent à nos hommages ? Si, malgré sa
grandeur infinie, il n'a pas dédaigné de nous créer, d'où vient qu'il
dédaignerait de s'occuper de nous ? Ce second bienfait est la suite natu-
relle du premier. En nous communiquant quelque chose de sa vie, de
son intelligence, de sa liberté, il nous a faits à son image ; nous lui
sommes chers, comme l'ouvrage est cher à l'ouvrier, qui se plaît à y
voir l'expression sensible de sa pensée. Oui, le Créateur aime en nous
les dons mêmes qu'ils nous a faits ; s'il nous a donné un esprit capable
de le connaître, un cœur capable de l'aimer, il est impossible qu'il
n'agrée pas l'hommage de ces facultés que nous tenons de sa divine
bonté.
Ne croyons pas non plus que la Divinité soit comme accablée, impor-
tunée de la multitude, de la prodigieuse variété de nos vœux et de nos
offrandes. Ces idées sont bien applicables, môme à ce qu'il peut y avoir
sur la terre de plus grand par le génie, comme par la puissance, parce
que là aussi se trouve la faiblesse humaine ; mais tout cela est étranger
à Dieu, qui, d'une seule vue, d'une pensée unique, embrasse l'univers
avec l'immensité de ses détails. Dieu, dit-on, est infiniment grand; et
c'est par cela même que rien ne fatigue sa puissance sans bornes ; sa
force est dans sa volonté : il a dit, et tout a été fait. Les plus grands mo-
narques du monde seront toujours bornés dans leurs actions comme
dans leurs lumières ; ils ne sauraient connaître les demandes et les
besoins de tous les individus d'un empire immense, mais, devant Dieu,
le genre humain est tout entier comme un seul homme ; à ses yeux,
l'univers est comme s'il n'était pas.
Je sais bien que, comparé à son Dieu, l'homme est moins qu'un
atome ; mais pour ne rien exagérer, n'oublions pas que nous sommes
créés à la ressemblance même du Créateur, qu'il a gravé en nous l'em-
preinte de ses perfections, et qu'ainsi, par ses communications ineffa-
bles, il a rapproché de lui ce qui en était aussi éloigné que le néant.
Loin de nous cette puérile idée, que Dieu estime les objets par leurs
masses et leurs dimensions. Que sont tous les soleils, tous les astres,
avec leur éclat et leur magnificence? Que sont-ils devant un seul être
intelligent qui les connaît, qui mesure leurs orbites et leurs distances,
qui se connaît lui-même et peut connaître l'auteur de tant de merveil-
les ? Hé quoi ! si Dieu lui-même m'a doué du pouvoir sublime de m'é-
lever jusqu'à lui, de me présenter devant le trône de sa majesté, d'être
auprès d'elle comme l'ambassadeur et l'interprète des créatures inani-
mées ; si c'est par l'instinct de ma nature que je porte à ses pieds le
C FST UN DEVOIR POUR NOUS D HONORER DIEU. [)b
velle question n'esl pas moins importante que la précédente ;
car à quoi nous servirait-il de savoir que c'est pour nous un
devoir d'honorer Dieu, si nous ne savions pas également ce
que nous devons faire pour nous acquitter de ce devoir p
Aussi se trouve-t-il en efl'el beaucoup de chrétiens qui, per-
suadés qu'il faut honorer Dieu, cependant ne l'honorent
pas ou l'honorent mal, parce qu'ils ne savent pas ce qu'il
faul faire pour le bien honorer. Or, pour bien honorer
Dieu, c'est à dire pour l'honorer comme il veut l'être, il
faut l'honorer par un culte qui soit à la fois, comme il nous
l'a fait connaître, intérieur, extérieur et public. Il est évi-
dent, en effet, que si Dieu nous a prescrit de qu'elle manière
nous devons l'honorer, c'est de cette manière que nous
devons l'honorer, et non pas d'une autre.
Eh bien, Dieu nous a expressément commandé de l'hono-
rer par un culte qui soit d'abord, avons-nous dit, intérieur.
Honorer Dieu par un culte intérieur, qu'est-ce à dire? Cela
veut dire par un culte de l'âme, ou bien encore par les sen-
timents et les hommages de l'esprit. Écoutons Notre-
Seigneur : Dieu est esprit, nous dit-il, et il faut que ceux qui
l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (i). Ainsi, compre-
nons bien cette parole : c'est parce que Dieu est esprit, qu'il
tribut de ma dépendance, et celui du reste de la création, pourrait-il le
rejeter, et n'y voir qu'une folle audace digne de ses mépris et de son
courroux? Non, non, ce n'est pas ici l'insulte d'un téméraire ; c'est
L'hommage d'un lils reconnaissant, et d'un sujet fidèle, envers le plus
tendre des pères et le souverain monarque qui a pour trône la justice
et la bonté. C'est ainsi qu'en consultant la raison, je découvre des rap-
ports essentiels entre la créature et le Créateur, rapports qui nous im-
posent des devoirs ; si bien que l'homme ne peut être raisonnable sans
être religieux.
Mais pour sentir encore davantage combien le culte religieux lient au
fond même de la nature raisonnable, consultons un moment l'intérêt
le plus cher et le plus sacré de humanité. Ce qui doit nous frapper
vivement, c'est que la croyance de Dieu, d'une Providence qui préside
au gouvernement de cet l'univers, qui embrasse le monde moral,
comme le monde visible, qui n'est pas étrangère aux choses humaines,
a été regardée, dans tous les temps et chez tous les peuples, comme la
plus salutaire, comme intimement liée à la civilisation, à la conserva-
tion, au bonbeurdes sociétés (Mgr Fraïssinous, Confér. sur II rel'uj. Du
culte en général).
i . Joan., iv, 2!\.
56 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
veut que nous l'honorions d'abord et avant tout par les ado-
rations de noire esprit. Nous le savons, l'homme n'est pas
seulement formé d'un corps, mais aussi d'une âme. qui est un
esprit ; et c'est même cette âme qui est de beaucoup la par-
tie la plus parfaite de nous-mêmes. Eh bien, nous le répé-
tons, ce sont les respects, les louanges, les adorations de
cette plus parfaite partie de nous-mêmes que Dieu nous
demande d'abord, comme étant ce que nous pouvons lui
offrir qui lui soit le plus agréable. D'où il suit que si nous
adressons à Dieu des prières et des hommages qui ne sor-
tent pas de notre cœur, mais qui soient prononcés et offerts
seulement par nos lèvres, nous n'honorons pas Dieu comme
il veut l'être. Bien plus, sachons-le, il rejette avec mépris et
colère ces prières et ces hommages, comme indignes de lui.
C'est en effet de tous ceux qui lui offrent ces simulacres de
prières et d'hommages, qu'il a dit : Ce peuple m'honore des
lèvres, mais leur cœur esl loin de moi. Ils me rendent un vain
culte (i). Par conséquent, pour honorer Dieu comme il veut
l'être, pour l'honorer d'un culte qui soit cligne de lui, il
faut l'honorer par un culte qui soit d'abord intérieur, c'est-
à-dire par des hommages qui ne soient pas seulement mur-
murés par les lèvres, mais qui partent du fond du cœur.
Que de chrétiens donc qui croient honorer Dieu par leurs lon-
gues, prières et qui ne font que l'irriter parce qu'ils n'ont pas
soin de rentrer d'abord en eux-mêmes, et que leur cœur
n'est pour rien dans tout ce qu'ils lui disent ! Appliquons-
nous, pour notre compte, à n'être pas de ce nombre.
Mais s'il est essentiel que le culte que nous rendons à
Dieu soit avant tout intérieur, c'est-à-dire s'il est essentiel qu'il
vienne de l'âme, il est nécessaire aussi qu'il soit extérieur,
c'est-à-dire que le corps y prenne part. Notre corps, en effet,
tient son être de Dieu aussi bien que notre âme. Etant donc
l'ouvrage de Dieu, notre corps doit le glorifier dans la me-
sure qu'il en est capable. Or cette mesure est d'exprimer les
sentiments de l'âme pour Dieu, puisque c'est justement
comme un instrument pour manifester au dehors les senti-
ments qu'elle éprouve, que le corps a été donné à l'âme. Le
;. Matth. xn/_8 et 9.
c'flST UN DEVOIR POl R NOUS D'HONORER DIEU. 67
corps exprime les sentiments de l'âme pour Dieu Lorsque,
par exemple, sous L'impulsion de l'Ame, il s'incline pour
marquer son respect, ou se prosterne pour marquer son ado
ration, ou joint les mains, pour marquer l'ardeur de sa
prière, et ainsi du reste, \ussi voit-on invariablement, chez
tous les peuples, les sentiments religieux de L'âme se tra-
duire par les attitudes et les mouvements du corps.
Ces attitudes el ces mouvements du corps ne sont d'ail-
leurs pas nécessaires seulement pour qu'il fournisse sa pari,
dans L'honneur et le culte que nous devons rendre à Dieu;
ils sont nécessaires aussi pour aider L'âme elle-même dans
la pari spéciale qui lui incombe. On ne saurait contester
en effet que, comme l'âme agit sur le corps, ainsi le corps
agit pareillement sur l'âme. C'est pourquoi chacun peut
constater, du moins pour l'ordinaire, qu'on prie mieux lors-
qu'on prononce à haute voix les formules des prières, que
lorsqu'on se borne à en suivre d'esprit les paroles. La pronon-
ciation convenable des prières réveille l'attention de l'esprit,
et y fait entrer plus avant les sentiments qu'elles expriment.
Pareillement, l'a me adorera mieux Dieu, lui exprimera
mieux sa reconnaissance ou son repentir, si le corps est
agenouillé respectueusement, que s'il est debout ou assis.
Telle est au reste l'une des raisons pour lesquelles l'Eglise
a institué son eulte extérieur, comme avait fait avant elle
la religion hébraïque, et même les religions païennes.
En effet, les cérémonies, les ornements, les lumières,
l'encens, les saints cantiques émeuvent manifestement les
âmes, et non moins manifestement les élèvent vers Dieu.
Que s'il se trouve malgré cela des hommes pour blâmer le
culte extérieur de l'Église, et prétendre que le seul culte
intérieur est digne de Dieu, sachons qu'ils ne parlent
ainsi que pour pouvoir plus aisément n'offrir à Dieu aucun
culte (1).
1. En vain do faux sages nous disaient qu'ils no veulent d'autre culte
que celui de la pensée, d'autre concert religieux que celui d'une vie
consacrée à faire du bien aux hommes, d'autre temple que la nature.
Ce n'est là qu'une vaine enflure de paroles, qu'une orgueuilleuse exagé-
ration démentie par l'expérience, parla raison, parle sentiment.
Bt d'abord, que nous apprend L'expérience? C'est que tous les peu-
ples anciens et modernes ont été plus ou moins religieux, et qu'ils ont
58 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
Pour nous, que le culte dont nous honorons Dieu soit
non seulement intérieur et extérieur, mais qu'il soit encore
public. C'est-à-dire, ne nous bornons pas à adorer Dieu
dans notre cœur, à nous mettre à genoux devant lui et à
été entraînes par la force des choses à rendre un culte extérieur quel-
conque à la Divinité. Des temples érigés en son honneur, des victimes
immolées au pied de ses autels, des hymnes pour célébrer ses louanges,
des prières pour solliciter ses bienfaits, des fêtes solennelles en actions
de grâces, enfin des sacrifices expiatoires, voilà ce qu'on trouve en
général chez toutes les nations dans le monde ancien et dans le nou-
veau. Or, cela ne supposc-t-il pas la croyance d'un Dieu dont il faut
adorer la grandeur, bénir la bonté, implorer la clémence, désar-
mer la justice ? Et tout cela, pris dans son ensemble et dans son dehors,
ne compose-t-il pas précisément ce culte extérieur et public dont nous
prétendons établir la nécessité ? Où est le peuple civilisé qui se soit
borné au seul culte de la pensée, à ces hommages invisibles de l'esprit
et du cœur ?
Que nous dit la raison ? C'est que l'homme doit faire à Dieu l'hom-
mage de son être tout entier, de son corps comme de son esprit. Nous
ne sommes pas de pures intelligences, indépendantes des choses sensi-
bles, ne vivant que de sentiments et de pensées ; nous avons un corps et
des organes dont nous nous servons pour l'exercice même de nos facul-
tés intellectuelles. N'est-ce donc que lorsqu'il s'agit de la Divinité et des
hommages qui lui sont dûs, que notre corps nous serait comme étran-
ger ? Ou plutôt, n'est-il pas juste de le faire servir au culte de son Créa-
teur, par ces actes extérieurs et sensibles, les seuls dont il soit capable?
Il ne faut pas s'y tromper; il ne s'agit pas, pour relever la dignité de
l'homme, de lui supposer une perfection chimérique, de le croire telle-
ment dégagé des sens et de l'imagination, qu'il puisse aisément se pas-
ser de leur influence. Si vous bornez le culte de la Divinité à des hom-
mages purement intérieurs, qu'arrivera-t-il ? C'est que bientôt les senti-
ments de la piété s'affaibliront jusqu'à ce qu'ils finissent par s'éteindre
entièrement. Oui, s'ils ne sont éveillés, nourris, fortifiés par des prati-
ques extérieures, ils n'auront plus qu'un je ne sais quoi de froid, de
vague, de superficiel. En vain, la fausse délicatesse et le bel esprit
dédaigneux affectent de voir des pratiques puériles et ridicules dans les
rites sacrés, dans la pompe des cérémonies, dans les postures sup-
pliantes, le chant religieux et les décorations des autels, l'expérience
apprendra toujours que, si tout cela n'est pas la religion même, tout
cela du moins en est l'aliment et le soutien ; que sans le dehors de la
religion et ses pratiques saintes, bientôt les peuples en perdraient le
goût et l'esprit ; que la piété sincère habite, il est vrai, dans le cœur,
comme dans un sanctuaire impénétrable et connu de Dieu seul, mais
qu'elle finirait néanmoins par n'être qu'un vain fantôme, si elle n'était
fixée, rappelée, inculquée, et comme réalisée dans le culte extérieur.
Tout ce prétendu culte de la pensée se réduirait à quelques idées méta-
physiques sur la Divinité, qui ne régleraient ni les affections ni la
conduite. Ces philosophes religieux, qui voudraient une religion sans
culte, ressemblent à ces philanthropes qui prêcheraient l'amour des
C EST IN DEVOIR POUR NOi s 1) HONORER DIEU. .><)
l'invoquer par nos paroles; mais quand l'Église nous le
prescrit, honorons-le encore publiquement en assistant aux
offices et en prenant part aux processions. Nous le devons
comme chrétiens et comme citoyens. Gomme chrétiens.
nous devons rendre à Dieu un culte public, parce que notre
exemple encourage nos frères à nous imiter, et par consé-
quent à s'attirer les grâces que Dieu accorde à ses adora-
teurs. Souvenons-nous, en outre, (pie le Sauveur a dit
expressément : Ou il y a deux ou trois personnes assemblées
en mort nom, je m'y trouve an milieu d'elles (i). Mais nous
hommes sans faire aucun acte d'humanité, ou à ces politiques qui
voudraient bien un corps social, mais sans aucuns liens extérieurs qui
doivent rapprocher et unir entre eux les membres divers. Il faut pren-
dre L'homme tel qu'il est ; son esprit est si faible, son imagination si
volage, son cœur si facile à s'égarer, qu'on ne doit négliger aucun des
moyens qui peuvent fixer son inconstance, éveiller son attention et
nourrir dans son àme de pieux sentiments.
Et pourquoi le déiste blâmerait-il dans la religion ce qu'il
approuve dans toutes les choses humaines? Je m'explique. Dans la
société civile, s'est-on contenté de porter des lois, d'en faire sentir les
avantages, d'en recommander la fidèle observance ? Non, sans doute;
on a senti que, pour leur donner plus de force et d'empire, il fallait
entourer ceux qui en sont les dépositaires et les organes, de ce qui
peut attirer les regards et fixer les hommages de la multitude. Si l'on
dépouillait les lois et l'autorité publique de ces dehors imposants qui
frappent l'imagination des peuples, semblent ajouter quelque chose à
la réalité des objets, et par là même impriment plus de respect dans les
âmes, qu'en résulterait-il? C'est qu'on verrait bientôt les liens de l'in-
dépendance et de la subordination se r. 'lâcher, les lois tomber dans la
mépris, l'esprit d'audace et de révolte éclater de toutes parts. Ainsi en
serait-il de la religion, si elle était dépouillée de tout culte extérieur, et
abandonnée à la pensée de chaque particulier : on la verrait s'affaiblir
par degrés, perdre son ascendance sur les esprits, devenir étrangère
aux habitudes, à la conduite des hommes, et s'effacer presque de leur
souvenir. Voyez encore ce qui arrive dans les sciences, les lettres et les
arts. Que d'efforts n'a-t-on pas faits de nos jours pour faciliter les
moyens d'instruction, et rendre comme palpables les recherches et les
connaissances de l'esprit humain] Xon seulement le burin a gravé la
figure des plantes et des animaux dans un détail et une perfection qui
étonnent, mais que n'a-ton pas imaginé pour donner une forme visi-
ble aux connaissances historiques, géographiques, grammaticales!
Que de tableaux pour peindre aux veux ce qui semblait ne devoir être
saisi que par l'esprit! Eli quand il s'agit de la religion, on voudrait la
dépouiller de tout ce qui parle aux sens et à l'imagination, pour la
faire pénétrer plus aisément, plus profondément dans les cœurs?
Quelle inconséquence ! (Mgr Frayssinoi s, loc. ciit.).
Matth. xviii, 20.
60 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
devons aussi rendre à Dieu un culte public comme citoyens,
ou comme membres de la société, et voici pourquoi. C'est
que, comme chacun de nous vient de Dieu, ainsi la société
vient aussi de lui, et c'est lui en outre qui la conserve,
comme il nous conserve nous-mêmes. Si donc nous devons
rendre à Dieu un culte personnel, parce qu'il a créé et qu'il
conserve chacun de nous ; ainsi la société, pour la même
raison, c'est-à-dire parce que Dieu l'a créée et la conserve,
doit lui rendre des honneurs et un culte public, par les
membres qui la composent. Si nous étions vraiment chré-
tiens, nous devrions, en conséquence, nous tourner tous
publiquement vers Dieu, toutes les fois que sont en jeu de
grands intérêts de la société, comme par exemple: à l'appro-
che des élections, pour lui demander d'éclairer les électeurs
et de faire échouer les machinations des méchants ; ou bien
dans les calamités publiques, pour en obtenir la cessation;
ou bien dans les succès nationaux, pour lui en rendre
grâces. C'est ce que faisaient nos pères. C'est ce que font
encore divers peuples contemporains, non des moins pros-
pères. Cependant ici encore s'élève la voix de la contradic-
tion, et pour que l'impiété des incrédules n'en soit pas
choquée, on prétend que les croyants doivent être contraints
de renoncer aux actes dont leur foi leur fait un devoir. C'est
ainsi que les processions catholiques, en particulier, sont
interdites en tant d'endroits, comme blessantes pour les
prétendus libres-penseurs ; tandis que les rues sont livrées
aux manifestations parfois les plus hostiles contre la religion
catholique, au nom de la liberté ! Il suffît d'énoncer ces
pratiques pour en faire voir toute l'hypocrisie et tout le
despotisme. Chrétiens, nous savons que nous devons à
Dieu un culte public, comme membres de la société : or ce
ne sont pas les abus de la force contre le droit qui peuvent
nous dispenser de notre devoir. Si nous ne pouvons pas nous
en acquitter d'une manière, acquittons-nous-en d'une autre.
Acquittons-nous-en surtout en nous montrant toujours hau-
tement et ouvertement chrétiens, et en prenant part à toutes
les cérémonies publiques auxquelles notre sainte mère
l'Église nous convie, suivant les circonstances. En agissant
ainsi, nous serons toujours assurés de nous acquitter de
c'iST l \ DEVOIB POUR NOUS d'hONOUEK DIEU. Gl
notre devoir d'honorer Dieu, el de nous en acquitter comme
il faut (i). — Il nous reste à expliquer,
i. Nous voyons tous les peuples civilisés reconnaître la nécessité d'un
culte extérieur el public. Partout l'histoire nous présente la religion
présidant an mariage, consacrant les serments, célébrant les obsèques
des morts : partout elle nous montre des vœux publics, des cérémonies
el des sacrifices. Nous marchons sur les débris des temples et des
autels que nos pères avaient élevés à leurs fausses divinités. Les légis-
lateurs des peuples, au milieu de leurs erreurs, avaient senti, ce qu'au
sein de la lumière ne voient pas les incrédules de nos jours, que le
culte public est pour la société, tout à la fois un devoir envers le Dieu
qui la protège, et un besoin pour opérer et maintenir la réunion de ses
membres. Dans combien de pays les cérémonies religieuses ont ras-
semblé les boulines encore sauvages et errants dans les forêts ! (loin-
bien de fois un temple, un autel a-t-il été pour les nations, comme
pour les tribus d'Israël, un témoignage de leur réunion, un garant de
leurs droits ! Et pour ne vous citer que l'exemple le plus célèbre de
cette influence de la religion publique sur l'union des sociétés, cette
confédération fameuse, qui de tous les peuples de la Grèce ne faisait
qu'une seule nation, ne dut-elle pas sa naissance et sa conservation au
tribunal établi pour le maintien de la religion générale, et à ces jeux
dont l'origine rappelait les divinités, et dont la célébration faisait une
partie du culte ?
Il faut à l'humanité un culte public : une loi supérieure qui règle
ce culte, qui en détermine les termes, qui en fixe les cérémonies, est par
conséquent nécessaire. Les rites extérieurs cesseraient de former un
hommage commun, si chaque particulier pouvait les régler à sa volonté,
s'il y avait autant de cultes que d'hommes ; et de même que dans la
société politique, des lois impérieuses prescrivent les règles des actes
civils et en dictent les formules, afin d'en écarter les fraudes et d'en
prévenir les surprises ; de même, dans la société religieuse, il faut que
les pratiques du culte soient ordonnées, soit pour les rendre communes
et uniformes, soit pour en éloigner les erreurs. Telle est en effet notre mal-
heureuse situation : placés entre l'irréligion et la superstition, noustom-
bons infailliblement dansl'une si nous négligeonsles pratiques duculle,
dans l'autre si nous les exagérons. Le défaut et l'excès sont également
criminels ; (harpie esprit trouve ici son écueil ; et si le culte de la Divi-
nité n'est. pas réglé par une autorité commune, on verra d'un côté le
peuple charnel et grossier, donnant tout à un vain appareil, aller de
pratiques en pratiques, tomber dans le plus honteux excès de la super-
stition ; et de l'autre, les hommes éclairés, orgueilleux de leur raison,
cl mesurant tout sur leurs lumières, dédaigner des rites dont ils ne
sentiront pas la nécessité, el anéantir par degrés les cérémonies, le
culte, la foi, la religion entière. Et voyez où étaient parvenues ces
nations dont les lumières sont d'ailleurs encore l'objet de notre étonne-
nient el de mil rc admiration : il a fallu toute Ja sagesse, toute la sain
leté. toute la force de la loi chrétienne, pour anéantir du même coup.la
superstition des peuples el l'irréligion de leurs philosophes; il a fallu
la prédication des apôtres, pour faire connaître le vrai Dieu ; les saintes
assemblées des chrétiens, pour détruire les mystères impurs, l'accom-
62 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IÎI. INSTRUCTION.
III. — Quand nous devons honorer Dieu. — Deux ques-
tions se présentent ici à résoudre. Voici la première: Quand
devons-nous honorer Dieu, c'est-à-dire, à partir de quel âge
devons-nous honorer Dieu? Nous devons honorer Dieu dès que
nous sommes capables de le faire, c'est-à-dire dès que nous
pouvons avoir l'idée d'un Etre supérieur, créateur et maître
de toutes choses, de qui nous avons nous-mêmes tout reçu,
et à qui nous devons par conséquent témoigner notre res-
pect et notre reconnaissance. L'âge auquel l'enfant com-
mence de pouvoir comprendre ces vérités s'appelle l'âge de
raison, et arrive vers la septième année, assez souvent même
plus tôt. Les parents peuvent ordinairement hâter dans une
certaine mesure cet âge, par le soin qu'ils prennent d'éveil-
ler et de développer la raison de leurs enfants. Quoi qu'il en
soit, dès que les enfants sont capables de comprendre qu'il
y a un Dieu et qu'il est leur bienfaiteur, c'est alors, nous le
répétons, qu'ils sont tenus de commencer à l'honorer. Il en
est à cet égard des enfants comme du feu, nous dit saint
Thomas. En effet, dès que le feu commence de brûler, il
s'élève vers le ciel. De même, dès que les enfants commen-
cent de comprendre, la flamme de leur raison et de leur
cœur doit s'élever vers Dieu. Nous l'avons déjà dit, c'est
uniquement pour honorer Dieu que la raison et le cœur ont
été donnés aux hommes ; et c'est justement pour ce motif
que les enfants doivent les employer à honorer Dieu dès
qu'ils en ont l'usage, sans aucun délai ni retard. Mais si les
enfants ont dès lors le devoir d'honorer Dieu, les parents ont
celui d'apprendre à leurs enfants à le connaître et à s'en
acquitter. Oui, que les parents le sachent bien : le plus
rigoureux de leurs devoirs à l'égard de leurs enfants, ce n'est
pas même de les élever, mais bien de leur apprendre à
honorer Dieu, puisque c'est la fin unique de ces jeunes êtres
aussi bien que la leur. C'est parce que les enfants sont tenus,
plissement des prophéties, pour faire cesser l'imposture des oracles, le
sang de JÉsus-Cmusr coulant sur nos autels, pour abolir les sacrifices
humains.
Que l'incrédulité cesse donc enfin de calomnier ce culte sacre, dont
l'humanité a relire de si grands avantages. Qu'elle cesse de le présenter
comme un amas de minuties, indignes de la raison humaine et de la
grandeur divine (Le card. de La Lezeu.ne, Le culle de ÏÉgL calh.).
G*EST l \ DEVOIR POUR NOUS D'HONORER I>ŒU. 63
sous peine de faute grave, d'honorer Dieu dos qu'ils ont
atteint l'âge de raison: que les parents sont aussi tenus, sous
peine de faute -rave, d'instruire leurs enfants de leur devoir,
à moins que l'ignorance n'excuse les uns ou les autres.
Mais lorsqu'on a atteint l'âge de raison, le devoir d'hono-
rer Dieu oblige-t-il continuellement et à tous les instants ?
Non : on ne voit pas que Dieu, qui nous a fait un comman-
dement de l'honorer, l'ait rendu obligatoire d'une manière
continuelle. Dans le ciel, il est vrai, les bienheureux hono-
rent Dieu sans interruption ; mais autres sont les conditions
de la vie présente, qui est une vie d'épreuve, et ne saurait
ressembler à la vie céleste, qui est une vie de récompense (i).
Ici-bas, les Israélites avaient autrefois pour règle d'adorer
Dieu quatre fois le jour (2). Chez les chrétiens, la coutume
s'est établie de le prier et de lui offrir ses hommages le
matin et le soir. Nous rendons nos devoirs à Dieu le matin
dès que nous sommes éveillés et avant de nous livrer
à nos occupations temporelles, afin de le remercier de nous
avoir conservé la vie pendant notre sommeil et de nous
donner une nouvelle journée, et afin de nous attirer sa pro-
tection sur notre personne et ses bénédictions sur nos tra-
vaux. Le soir, nous nous mettons encore à genoux devant
lui, pour le remercier de ses nouveaux bienfaits, lui deman-
1. 11 est certain que de droit divin nous sommes obligés de prier de
temps en temps, soit mentalement, soit vocalement, dès que nous avons
atteint l'usage de la raison ; mais quand ce précepte obligc-t-il ? c'est ce
qu'il n'est pas facile de déterminer. (En note, ici, ce qui suit : « Pcr se
obligat triplici tempore, scilicet in instanti usu ralionis, in articulo
mortis, et semel saltem in anno. » Salmanticenses. Per accidens, obligat
sa?pius.) -- Les théologiens conviennent cependant assez que l'on est
tenu, sous peine de péché mortel, de prier dans les cas suivants :
i° Lorsqu'on a à combattre une tentation forte qui ne peut se surmon-
ter sans la prière ; r quand on est dans un imminent péril de mort,
ou (pic le salut est exposé à un danger grave ; 3° dans les calamités
publiques; lorsque la communauté ou la société se trouve dans un grand
danger : ', d'après Sylvius, Suarez ei Navarre, lorsque le prochain se
trouve dans no danger ou une nécessité extrême spirituelle, et qu'on
ne peut te secourir que par la prière ; 5° quand on est obligé d'accom-
plir quelque commandement qui requiert un secours spécial, ou de
s'exciter au repentir de ses péchés pour obtenir la justification (Examen
raisonné sur les commandements de Dieu et de l'Église, i.p. ch. 1. a. 4. S 1.)
2. 11. Esdr. îx, 23.
64 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
dcr pardon des fautes que nous avons pu commettre, et le
prier de nous continuer sa protection durant la nuit.
Cette coutume d'adorer, de remercier et de prier Dieu
matin et soir, nous devons donc nous faire une obligation
de n'y jamais manquer, à l'exemple de nos pères. On ne
saurait, sans cela, être bon chrétien. Quel chrétien serait-ce
en effet celui qui laisserait passer les jours, les semaines, les
mois, sans adorer Dieu, sans le remercier, sans le prier? (i).
Pour être de véritables bons chrétiens, nous ne devons pas
même nous borner à bénir et à prier Dieu matin et soir ;
nous devons le faire plus souvent. Le Sauveur nous déclare
en effet que, d'une certaine manière, il faut toujours prier, et
ne pas cesser (2). D'une certaine manière, disons-nous, car,
nous l'avons expliqué, nous ne pouvons pas toujours prier
et adorer comme font les saints dans le ciel. De quelle
manière donc nous est-il commandé de toujours prier et de
1. On ne peut déterminer l'espace de temps suffisant pour pécher
mortellement dans l'omission de la prière. Plusieurs théologiens croient
qu'il faut l'espace d'un mois entier. Filliucius et S. Liguori regardent
ce sentiment comme probable. — Bauny, dans sa Somme, soutient que
l'omission de la prière du matin ou du soir est un péché véniel: l'usage,
en effet, semblerait en faire une loi qui oblige sub levi {Examen raisonné,
loc. cit.).
Celui qui ferait des actes de foi, d'espérance, dc'charité, de contrition,
lorsque le précepte l'exige, qui assisterait à la sainte Messe les jours de
dimanches et de fêtes, et qui passerait un mois sans faire aucune autre
prière, pècherait-il mortellement ? nous n'osons le dire...
« Les fidèles, dit Mgr Gousset, sont dans l'usage de faire tous les jours
quelques prières qu'on appelle les prières du malin et du soir. Celte
pratique est aussi ancienne que le Christianisme, aussi générale dans
l'Eglise qu'elle est ancienne. 11 nous paraît difficile d'excuser de tout
péché véniel celui qui y manquerait sans cause, sans aucune raison, et
qui passerait la journée tout entière sans faire aucune autre prière, sans
invoquer ni Dieu, ni la sainte Vierge, ni les saints. Manquer souvent,
plusieurs jours de suite, aux prières du matin et du soir, sans les rem-
placer, dans le courant de la journée, par aucune autre prière, ce serait
s'exposer au danger de perdre tout sentiment de piété et de tomber
bientôt dans quelque faute plus ou moins grave. — C'est un devoir
pour un curé d'exhorter souvent ses paroissiens à faire chaque joui les
prières d'usage. 11 n'est personne, quelle que soit sa position et dans
quelque cire >nee qu'il se trouve, généralement parlant, qui ne
puisse réciter tement, tous les malins et tous les soirs, au moins le
Credo, le Pal t Y Ave, avec un acte de contrition. » (Pierrot, Dict. de
théol. mor. Pn . eneyel. théol. Mignc. Art. Prière, n. 8 et 9).
2. Luc, xvn , 1.
C EST i \ DEVOIR PÔ1 K NOt s d HONORER DIEU. ().)
ne pas cesser ? Nous prions toujours el sans cesser quand,
ayanl fa il (\c notre mieux notre prière à Dion, nous désirons
de continuer, et nous livrons, dans cette disposition, au tra-
vail qui nous incombe, après L'avoir préalablemënl offert à
Dieu, en vue de lui plaire et de l'honorer. Tel est le senti-
ment unanime des saints Pères. « Celui-là prie sans inter-
ruption, nous dil saint Ambroiso. qui offre à Dieu ses hom-
mages, d'esprit ef de bouche, dans les moments convena-
bles, et ensuite se livre aux bonnes (ouvres (i). » Saint
Augustin n'est pas moins clair : « Votre désir, dit-il, est une
prière : si donc votre désir est continuel, continuelle est
votre prière ; et si vous voulez ne pas cesser de prier, ne ces-
sez pas de désirer (2). » Ecoutons encore saint Bonaventure,
qui s'exprime en ces termes : « Celui-là ne cesse pas de
prier, dit-il, qui ne eesse pas de faire le bien ; et il vaut
moine mieux prier de cœur et d'action, que de bouche :
celui-là donc ne cesse pas de prier, qui ne cesse pas d'ac-
complir de bonnes œuvres (3). »
Voilà donc comment nous pouvons prier toujours, savoir:
après que sont terminées nos prières ordinaires, en désirant
de prier encore, et en faisant toutes nos actions pour obéir
à Dieu, lui plaire et le glorifier. Et non seulement en faisant
toutes nos actions dans ces vues, mais encore en souffrant
et en endurant, dans ces mêmes vues, toutes les douleurs,
toutes les privations, toutes les contrariétés, toutes les injus-
tices, toutes les injures, toutes les amertumes, toutes les
croix de tout genre qui peuvent nous venir par la volonté
ou la permission de Dieu. Car, puisque c'est ainsi, c'est-à-
dire par ses prières, et bien plus encore par ses discours,
par ses miracles, par son zèle, par sa charité, par ses souf-
frances ou par sa mort (pie Notre Seigneur a continuelle-
ment honoré son divin Pore ; c'est donc ainsi que nous
devons nous-mêmes honorer continuellement Dieu, nous à
qui il a été expressément commandé de le suivre et de l'imi-
ter en tout (4).
1. InApoc. c. 4-
2. Sup. Ps. xxxvii, 9.
3. Serin. 5. de uno confesi.
'4. Mat th. xvi, 24- Et al. pa
SOMME DU PREDICATEUR. — T. II.
66 LES GRANDS DEVOtRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
CONCLUSION. — Nous connaissons maintenant, chré-
tiens, ce qu'il nous est le plus essentiel de savoir touchant
le grand devoir qui nous incombe d'honorer Dieu. Nous
savons que les bases inébranlables de ce devoir, c'est que
Dieu, par son excellence et ses infinies perfections, est
digne de tout honneur, incomparablement plus que qui
que ce soit ; nous savons que, par ses bienfaits sans nom-
bre, il le mérite par dessus tout autre ; nous savons qu'il
nous a créés raisonnables tout exprès pour lui rendre hon-
neur ; nous savons enfin que le premier et le plus grand
des commandements qu'il nous a imposés, c'est que nous
l'honorions. Nous savons, d'autre part, que la manière dont
nous devons honorer Dieu, c'est de l'honorer par un culte
qui soit tout à la fois intérieur, extérieur et public. Nous
savons enfin quand nous devons honorer Dieu, c'est-à-dire,
dès que nous avons atteint Fâge de raison ; et, à partir de
cet âge, matin et soir, et en outre toujours et sans interrup-
tion autant que nous le pouvons, principalement en lui
offrant tout ce que nous faisons et tout ce que nous souf-
frons. Oui, encore une fois, et retenons-le bien, voilà ce
que nous venons d'apprendre dans l'entretien de ce soir,
savoir: pourquoi nous devons honorer Dieu, comment nous
devons l'honorer, et quand nous devons l'honorer. Si donc
maintenant nous n'honorons pas Dieu de la manière et dans
le temps que nous devons l'honorer, nous serons sans excuse.
Ne nous mettons pas dans ce cas. Soyons logiques, comme il
convient à des êtres doués de raison et de volonté. Ne
serions-nous pas dignes de mépris, si convaincus d'une chose,
nous agissions comme si nous l'ignorions ? Guidés par leur
seul instinct, les animaux n'en suivent-ils pas toujours
l'impulsion, bien qu'aveugle ? Et nous, éclairés par le flam-
beau de la raison, qui nous permet de nous rendre un
compte assuré de ce que nous faisons, nous tournerions le
dos à ce flambeau, quand sa brillante lumière précisément
nous découvre la voie que nous devons suivre? Non, non,
qu'il n'en soit pas ainsi ; et puisque la raison nous démon-
tre que c'est pour nous un devoir d'honorer Dieu, rendons-
lui le culte que nous lui devons, c'est le seul moyen de nous
sentir des hommes et de conserver notre propre estime.
C EST l \ m:\oni poiu NOl S n HONORER DIEU
TRAITS HISTORIQUES
Le devoir d'honorer Dieu interdit le blasphème.
Ce (jiii doit inspirer une extrême horreur pour le blasphème,
c'esl que, Indépendamment de l'horrible outrage qu'il fait à la
dix ine majesté, ce péché imprime à celui qui le commet une mar-
que de réprobation. I n pieux missionnaire, prêchant en un village
où le saint nom de Dieu était blasphémé, et voulant faire compren-
dre par des comparaisons familières le châtiment qui attend les
blasphémateurs, s'exprima en ces termes : « Dans cette paroisse,
mes amis, on parle français ; et si vous y rencontriez, par hasard,
un homme qui parlât allemand, vous diriez que l'Allemagne est sa
patrie, s'il parlait espagnol, vous diriez qu'il vient d'Espagne, et
s'il parlait anglais, vous diriez qu'il vient d'Angleterre, et vous le
regarderiez comme un étranger qui tôt ou tard doit retourner dans
sa patrie. Eh bien, malheureux blasphémateurs, me comprenez-
vous ? Vous êtes dans un pays chrétien et catholique, et vous n'en
parlez pas la langue ; vous parlez celle de l'enfer, la langue du
blasphème. Je dirai donc que vous êtes des étrangers, que l'enfer
est votre patrie, et qu'un jour vous irez rejoindre ceux qui parlent
comme vous. — Si vous voulez échapper à ce malheur, hâtez-vous
de déposer votre déplorable habitude. »
Châtiment du blasphème.
Pour montrer l'énormité du péché de blasphème, Dieu ordonna
dans l'ancienne loi que le blasphémateur fût puni de mort et lapidé
par le peuple. Voici, entre divers faits de ce genre, celui qui est
rapporté au ch. xxiv du Lévitique :
<( Or le fils d'une femme israélitc, qu'elle avait eu d'un Égyptien,
parmi les enfants d'Israël, sortit et se prit de querelle dans le camp
avec un Israélitc. Ayant blasphémé le nom de Dieu, et l'ayant
maudit, il fut amené à Moïse. Sa mère s'appelait Salumith, fille de
Dabri, de la tribu de Dan. Cet homme fut mis en prison, jusqu'à
ce qu'on connût ce que le Seigneur en ordonnerait. Alors le Seigneur
parla à Moïse, et lui dit : Faites sortir du camp ce blasphémateur,
que tous ceux qui l'ont entendu lui mettent les mains sur la tête,
el qu'il soit lapidé par tout le peuple. Vous direz aussi aux enfants
d'Israël : Quiconque aura maudit ><>\i Dieu, portera la peine de son
péché. Celui qui aura blasphémé le nom du Seigneur, sera puni
de mort : tout le peuple le lapidera, qu'il soit citoyen ou étranger.
68 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. lll. INSTRUCTION.
Celui qui aura blasphémé le nom du Seigneur sera puni de mort.
Moïse ayant ainsi parlé aux enfants d'Israël, ceux-ci emmenèrent
le blasphémateur hors du camp, et le lapidèrent. »
Remède contre le blasphème.
Ceux qui disent qu'ils blasphèment sans le savoir, et qu'il leur
est impossible de s'en abstenir, sont dans l'erreur ; ils peuvent se
corriger, s'ils le veulent sincèrement. Un vieux soldat d'Ostende
mêlait, dit le chanoine Schmitt, des blasphèmes à toutes ses paro-
les ; et quand on l'engageait à se défaire de cette détestable habi-
tude, il répondait que la chose lui était absolument impossible. Un
gentilhomme riche et vertueux, le rencontrant un jour au matin,
lui offrit un louis d'or, s'il voulait passer le jour sans blasphémer.
Ébloui par le brillant métal, le vétéran accepta la condition et
consentit, pour prouver sa fidélité, à rester toute la journée en
compagnie du gentilhomme. Celui-ci le conduisit dans les casernes,
dans les auberges, dans des sociétés de jeux et en d'autres lieux,
où d'anciens camarades, ses amis, des importuns lui donnèrent
mainte occasion de s'oublier. 11 tint bon cependant, et sut si bien
garder le silence et surveiller ses paroles, qu'il atteignit le soir
sans avoir proféré aucun blasphème. Le sage gentilhomme le
félicita et lui donna son louis d'or en ajoutant : « Avouez mainte-
nant que, quand vous le voulez sérieusement, vous abstenir du
blasphème n'est pas chose impossible. »
Nous devons honorer Dieu d'un culte intérieur et extérieur.
i. — Saint Louis IX, roi de France, brille dans l'histoire au pre-
mier rang des plus grands monarques. Sa religion fut le principe
de sa grandeur. Docile aux saintes leçons de son illustre mère,
Blanche de Castille, il regarda ses devoirs envers Dieu comme les
premiers de ses devoirs. Il avait des pratiques de piété réglées, et
il fut constamment fidèle, malgré mille obstacles, qui semblaient
devoir l'en empêcher. Plein de la dévotion que sa pieuse mère lui
avait inspirée pour Notre-Dame, il s'agenouillait tous les jours
devant l'image de la Reine des cieux pour lui recommander sa per-
sonne et son royaume. S'étant fait de bonne heure un devoir de
réciter chaque jour l'office de la sainte Yierge, il continua cette
sainte pratique après qu'il fut monté sur le trône. Quoique accablé
par les affaires du gouvernement, il trouvait le temps de réciter
l'office de la Mère de Dieu. Sur le point de partir pour la guerre
sainte, lorsque déjà l'oriflamme flottait sur son armée, il alla
c'est in devoir pour nous d'honorer dieu. 6g
nu-pieds à Notre-Dame pour dire à Marie : « Mario, bénissez nos
armes, bénissez la croisade. »
Quand il eut débarqué en Palestine, il se rendit à Nazareth, pour
visiter la sainte maison qu'avait habitée la Vierge Marie, la même
qui, peu d'années après, en im'i, fut miraculeusement transportée
en Italie, à Lorette, où on la voit aujourd'hui. Celait la veille de
l'Annonciation, quand le prince arriva en vue de la bourgade
sacrée. 11 descendit de cheval et mettant les genoux en terre, il
salua ce saint lieu, patrie de la plus pure des Vierges. Étant entré
dans le sanctuaire, il y voulut recevoir la sainte Communion et
arrosa de ses larmes ce sanctuaire béni, consacré par le séjour de
Ji:si s, de Marie et de Joseph.
C'est dans ces profonds sentiments de religion que le saint roi
puisa la force et le courage dont il eut besoin dans la suite. Dieu
permit qu'il essuyât des revers ; mais ses malheurs ne servirent
qu'à faire éclater sa grandeur d'àme et cette inébranlable con-
stance qui jeta dans l'admiration les farouches sectateurs de Maho-
met.
Sa piété l'accompagna jusqu'à sa mort. Lorsque, frappé à Tunis
d'une maladie mortelle, l'an 1270, il sentit sa fin approcher, il
voulut qu'on l'étendit sur la cendre, pour mourir dans l'humilité
et la pénitence. Quand le prêtre lui apporta le saint Viatique:
« Prince, lui dit-il, en tenant la sainte Hostie en main, croyez-vous
que c'est ici le corps de Xotre-Seigneur Jésus-Christ ? — Je le
crois, répondit le roi, et si je le voyais de mes yeux, comme le
voyaient les disciples à son Ascension, je ne le croirais pas davan-
tage. » 11 venait d'expirer lorsque Charles d'Anjou, son frère, arri-
va à la tête des troupes de Sicile. Conduit à la tente royale, ce prin-
ce vit le corps de son saint frère encore étendu sur la cendre, où
il s'était fait mettre pour mourir. En présence d'un si bel exem-
ple, qui peut ne pas se sentir animé du désir d'honorer Dieu de
touf son cœur, et ne pas réaliser ce si juste désir ?
II. — De Baden-Baden, on écrivait à La Croix, le 3 juillet 1900 :
« Le jour de la Fête-Dieu, qui se célèbre ici le jeudi même où
elle arrive, j'ai été absolument surpris et émerveillé de la ma-
nière dont cette grande fête a été solennisée. Dès le matin, à 8 heu-
res, en me rendant à la procession qui, partant de l'église parois-
siale, doit parcourir toute la ville, j'ai été étonné du peu de per-
sonnes.qui paraissaient se disposer à regarder passer le cortège.
Mais bientôt je me suis rendu compte que s'il y avait peu de spec-
tateurs, c'est que toute la population faisait partie de la procession
et formaità Notre-Seigneur Jésus-Christ un cortège aussi nombreux
7*0 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. III. INSTRUCTION.
que pieusement recueilli. Les hommes, en nombre considérable, se
faisaient surtout remarquer par leur tenue respectueuse et pleine
de foi. La musique, et des meilleures, était de la fête et, par son
concours empressé, témoignait des sentiments de toute la popu-
lation qui chantait les hymnes sacrées...
« Ici, dans les écoles, on ne cherche pas à cacher Dieu ; au con-
traire, on le montre et on l'enseigne ; on ne cherche pas à cacher
la religion, au contraire, on la pratique au grand soleil, en pleine
liberté. J'ai vu ici, dans la maison où je suis, des jeunes gens ve-
nus pour quinze jours, à l'occasion d'examens à subir. Tous ces
jeunes gens priaient, allaient presque tous les matins à la Messe.
Et tous les jours, quand Y Angélus sonne, où que nous soyons réu-
nis, tout le monde prie ; les messieurs se découvrent, et commen-
cent et finissent la prière par le signe de la croix. Même si l'on est
à table, tout le monde s'arrête et fait silence, et l'on prie tant que
la cloche tinte. »
Utilité du culte extérieur.
En 1793, les impies prévalurent en France. Inspirés par Satan,
voulant détruire la religion, et tuer la foi, l'espérance et la charité
dans les âmes, savez-vous ce qu'ils imaginèrent ? Ils voulurent
supprimer le dimanche, les fêtes, les cérémonies religieuses et tout
le culte extérieur. Gomme c'était triste ! nos aïeux nous l'ont ra-
conté, et ils pleuraient en nous le racontant. Plus de processions,
plus de messes, plus de catéchismes, plus de premières commu-
nions. Les prêtres étaient proscrits ; les cloches demeuraient silen-
cieuses et muettes au sein de nos clochers ; les églises étaient fer-
mées ; nul ne pouvait pénétrer sous leurs voûtes solitaires et dé-
peuplées ; l'écho des chants sacrés ne faisait plus retentir nos
sanctuaires profanés ; la lampe était éteinte, le tabernacle vide,
Jésus n'y était plus... Ces jours d'angoisse et d'impiété durèrent
peu ; encore furent-ils trop longs, mais si Dieu ne les eût abrégés,
c'en était fait de la religion dans notre France... Tant il est vrai
que le culte extérieur est utile et même indispensable pour la con-
servation des sentiments de respect et de vénération intérieurs, que
nous devons avoir pour Dieu notre Créateur et notre souverain
Maître.
Nous devons honorer Dieu d'un culte social.
Chaque année, le président des États-Unis adresse à tous les
citoyens de la grande République l'invitation d'avoir à se réunir
dans leurs églises ou leurs temples, pour remercier Dieu des bien-
faits reçus pendant l'année. Voici le texte de l'invitation lancée le
C EST UN DEVOIR POUR NOUS D HONORER DIEU. 71
1 1 octobre 1872, el reproduite à celte date par la Semaine du Clergé :
u Si un peuple a. plus qu'un autre, de jusles raisons pour rem-
plir cet acte de reconnaissance, c'est bien la République améri-
caine; ci> sont les citoyens des États-Unis, qui ont un gouverne-
ment qui est leur œuvre personnelle, qui est soumis à leurs or-
dres. Ils ont conservé pour eux une large liberté civile et reli-
gieuse, et l'égalité devant la loi. Durant les douze derniers mois,
ils ont été exemptes de toute calamité grave ou générale, L'agri-
culture, l'industrie manufacturière et le commerce ont joui d'une
grande prospérité.
• En conséquence et pour ces raisons, je recommande que le
jeudi ><S novembre prochain, les citoyens se rassemblent dans les
lieux respectifs de leur culte, pour témoigner à Dieu leur recon-
naissance pour ses bienfaits et sa générosité. »
QUATRIÈME INSTRUCTION
(Mercredi de la Première Semaine)
C'est un devoir pour nous de servir
Dieu.
I. En quoi consiste le devoir de servir Dieu. — II. Motifs qui nous
obligent à servir Dieu. — III. De quelle manière nous devons servir
Dieu.
Nous avons déjà expliqué nos deux premiers grands devoirs
envers Dieu, qui sont, de nous appliquer à le connaître de
notre mieux, parce qu'il a daigné se révéler lui-même à nous ;
et de l'honorer en esprit et en vérité, intérieurement et exté-
rieurement, comme chrétiens et citoyens, à cause de ses infi-
nies perfections et de ses incomparahles bienfaits, dès que
nous atteignons l'âge de raison et jusqu'à la fin de notr3 vie.
Mais nous ne sommes pas tenus seulement de connaître et
d'honorer Dieu. Un troisième devoir à son égard nous
incombe, celui de le servir. Ce devoir de servir Dieu, il
semble que rien ne devrait nous être plus facile et plus doux
que de nous en acquitter, car qu'y a-t-il de plus facile et
de plus doux que de servir un Maître infiniment bon, tel
qu'est Dieu? Cependant c'est un devoir qui devient la pierre
d'achoppement pour une foule de chrétiens. S'il ne s'agis-
sait en effet que de connaître et d'honorer Dieu, nous nous
y appliquerions tous très volontiers, car il n'y a en cela rien
qui contrarie notre nature même corrompue. C'est pour
cela que le paganisme, qui ne commandait que d'honorer
les dieux, fut longtemps si prospère. Mais il n'en est pas
ainsi du devoir de servir Dieu. Ce devoir, nous le savons,
implique inévitablement l'obligation de lutter contre les
passions et de les dompter : Vous ne pouvez pas servir Dieu
et les richesses (i), non plus que les honneurs et les plaisirs,
i, Luc, xvi, 13,
c'est un devoir poik nous de servir dieu. 73
nous a dit expressément Notre-Seigneur. Or, telle est la
cause pour laquelle le devoir de servir Dieu est trop souvent
si peu et si mal observé. C'est même aussi pour cette rai-
son, par voie de conséquence, que les devoirs de connaître
et d'honorer Dieu ne sont pas non plus observés ; car,
comme on ne veut pas servir Dieu, on ne veut pas non plus
L'honorer ni même le connaître. On fait comme ces disci-
ples du Sauveur dont il est dit dans l'Évangile, qu'ils se
retirèrent et ne le suivaient plus (1) ; on s'éloigne tout à fait
de Dieu, et on ne s'occupe plus de lui. Cependant il est hors
de doute, d'un autre côté, que ceux qui agissent ainsi n'ont
en général qu'une très faible et très imparfaite connaissance
du devoir de servir Dieu ; tandis que ceux qui connaissent
très bien ce devoir, l'observent pour la plupart avec fidélité.
D'où l'on doit conclure qu'une sérieuse connaissance du
devoir de servir Dieu, concourt pour une large part à le
faire observer. Voilà pourquoi nous allons l'étudier ce soir
dans ses plus essentielles parties, afin de nous animer tous
à nous en acquitter avec le plus de fidélité et le plus de per-
fection possible. Nous exposerons d'abord en quoi consiste
le devoir de servir Dieu ; nous dirons ensuite les motifs qui
nous obligent à servir Dieu ; et enfin nous ferons connaître
de quelle manière nous devons servir Dieu (2). Puisse le Sei-
1. Joan., vi, G7.
2. Deux sortes de personnes s'opposent à l'observation de la loi de
Dieu : les uns la violent impunément, ce sont les libertins ; et les autres
la négligent, ce sont les chrétiens lâches, amateurs d'eux-mêmes et peu
fervents ; les uns l'accusent d'injustice, de gêner leur liberté, et de
leur en défendre l'usage ; et les seconds l'accusent de trop de sévéïité,
de leur faire un devoir d'une vie rude, fâcheuse et incommode. Contre
ces deux sortes de personnes, j'avance ces deux propositions qui feront
le partage de ce discours : La première, que la loi de Dieu est juste, et
l'équité même ; la seconde, qu'elle est facile et aisée à observer, et ainsi
que nous y sommes obligés, et par justice, et par notre propre intérêt.
Pour la première, la loi de Dieu est juste; en voici quelques raisons.
i° Du côté de Dieu, il est juste qu'il fasse des lois, afin qu'il fasse con-
naître son indépendance et son souverain domaine. Un roi ne fait
jamais mieux voir sa souveraine grandeur qu'en faisant observer ses
volontés et en intimant ses lois : car alors il montre qu'il a le pouvoir
de se faire obéir. Ainsi Dieu ne lit jamais mieux connaître, et n'impri-
ma jamais une plus haute idée de sa majesté à son peuple, que quand
il lui donna l'ancienne loi. .Ycst-il pas juste qu'étant souverain, il soR
~f\ LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION
gncur nous inspirer lui même les réflexions les plus capa-
bles d'éclairer et de convaincre nos cœurs, afin que nous le
obéi, et que les hommes le reconnaissent en cette qualité : Constitue
legislalorem super eos, ut sciant génies quoniam homines sunt. 2" Ses lois
mêmes sont justes, et il n'y a rien de pins équitable ; et par ses lois,
entendons ses dix commandements. Car autant que ce principe est vrai,
qu'il y a un Dieu, un premier être, souverain, indépendant, maître
absolu de l'univers, autant ces conséquences sont-elles justes. Donc il le
faut honorer et le servir, respecter son nom, avoir des temps et des
jours réglés pour lui rendre son culte. Et dans la seconde Table, ce
principe est la première règle de l'équité, qu'il ne faut pas faire à
autrui, ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît à nous-mêmes.
D'où il s'ensuit qu'il ne faut point ravir le bien d'autrui, lui ôter sa
réputation, souiller sa couche. Toutes ces lois sont fondées sur l'équité
naturelle ; les nations les plus barbares les connaissent ; les philoso-
phes avec tous leurs raisonnements n'ont rien inventé de plus parfait.
Les conséquences que nous devons en tirer sont : i° que nous sommes
obligés de les conserver ; 20 qu'il punit éternellement ceux qui les
violent, parce qu'ils offensent un Dieu qu'ils connaissent ; 3° que nous
ne pouvons autrement témoigner que nous sommes soumis à Dieu, que
par l'observation de ses lois.
La seconde proposition, que la loi de Dieu est facile. Cette proposition
n'est point du nombre de ces paradoxes dont l'esprit n'est jamais con-
tent, quelque raison qu'on lui en apporte ; c'est une vérité fondée sur la
parole de Dieu : Et mandata ejus grauia non sunt. I. Joan, v. En voici
les raisons : i° L'infraction en est plus fâcheuse que l'observation. Pen-
sez aux craintes, et aux remords de conscience quand on les viole ; aux
inquiétudes d'esprit quand il s'agit de commettre un crime ; combien un
misérable plaisir cause de chagrins. 20 Les lois de Dieu ne sont pas plus
difficiles que celles du monde. Considérez ce que font souffrir les lois
de la bienséance, les lois de l'avarice : que de servîtes complaisances
auxquelles il faut s'assujettir pour complaire aux hommes ! Les impies
mêmes le reconnaissent : Ambulavimus vias difficiles, lassati sumus in via
iniquilatis. Sap. v. 3° Dieu adoucit la peine par l'onction qu'il verse sur le
joug qu'il nous oblige de porter : Jugum meum suave est, et onus me uni
levé. Matth. vi, 11. 'La conséquence qu'il en faut tirer, est qu'il faut
observer ces lois sans adoucissement, parce que cela nous expose à les
violer, et qu'on les viole effectivement en les interprétant, en les modi-
fiant ; comme on peut faire voir par l'induction de chaque commande-
ment. Il faut finir par les malédictions que Moïse donne à ceux qui
violeront la loi de Dieu (Houdry, Biblioth. des Prédicat, voc. Comman-
dements de Dieu, § 1, n. 1).
Servir Dieu est : i° Luc source de bonheur pour le temps ; 20 une
semence de gloire pour l'éternité (Noël, Noliv. explic. du Catéch. de
Rodez J.
Servir Dieu : i° Est un devoir que nous ne pouvons omettre sans pré-
varication sacrilège. 2" C'est un besoin si absolu, que sans lui nous
manquerons le but de notre vocation. 3° C'est la source des plus pures
jouissances pour notre cœur (Lhbedel, ap. Leiandus, La Chaire
contemp. 3. sect. ch. 1),
I EST UN DEVOIR POUR NOUS DE SERVIR DIEU. ;.>
servions comme il veut l'être, pour le salut éternel de notre
âme !
1. — En quoi consiste le devoir de servir Dieu. — On
peu! se faire de ce devoir une idée fausseen deux manières :
en l'exagérant el en le restreignant. En L'exagérant, c'est-à-dire
en croyant que Dieu exigé de nous plus qu'il n'exige réelle-
ment ; par exemple, en considérant comme obligatoires
certaines pratiques et certaines oeuvres que Dieu parfois
conseille, mais ne commande pas. On se fait aussi une idée
fausse du devoir de servir Dieu en le restreignant, avons-
nous dit, c'est à-dire en ne considérant pas comme obliga-
toires certaines pratiques et certaines œuvres qui le sont
réellement, par exemple, la sanctification du dimanche, ou
le pardon des injures. Or, ces deux manières fausses d'en-
tendre notre devoir de servir Dieu sont également funestes.
Si on L'exagère, on en prend prétexte de le déclarer d'une
observation impossible, et on l'abandonne tout à fait ; et si
on le restreint, on viole les prescriptions que l'on ne regarde
pas comme nécessaires, ce qui équivaut à les. violer toutes,
suivant cette formelle parole de l'apôtre saint Jacques : Qui-
conque aura observe la loi tout entière, s'il la viole en un seul
point, il se rend coupable sur tout le reste (1). C'est-à-dire
qu'en désobéissant à Dieu sur un point, il méprise sa sou-
veraine autorité et lui désobéit virtuellement sur tous les
autres, ce qu'il ferait en réalité, s'il y était porté d'une
manière ou d'une autre. Puis donc que les fausses idées
qu'on peut se faire touchant le devoir de servir Dieu qui
nous incombe, sont nécessairement funestes, soyons atten-
tifs à savoir en quoi consiste au juste ce devoir.
Or, le devoir de servir Dieu consiste d'abord, d'une
manière générale qui n'admet aucune exception, à faire
tout ce qu'il nous commande, et à ne rien faire de ce qu'il
nous défend. N'est ce pas là ce que font les serviteurs des
hommes? N'exécutent ils pas tous les ordres qui leur sont
donnés, et ne respectent-ils pas toutes les défenses qui leur
sont faites ? El le serviteur qui n'agirait pas ainsi pourrait-il
avoir conscience d'être fidèle à son maître:1 ne sentirait-il
i. Jac. ii, 10.
76 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
pas au contraire qu'il trahirait son devoir envers lui ? Eh
bien, si c'est là ce que doit faire un serviteur pour s'acquitter
du devoir qu'il a de servir son maître, à plus forte raison
est-ce là aussi ce que doit faire le chrétien pour s'acquitter
de son devoir de servir Dieu. On ne pourrait pas admettre,
en effet, qu'il eh faille moins pour servir Dieu que pour
servir les hommes. On ne pourrait pas admettre que, pour
servir les hommes, on dût accomplir leurs ordres et respec-
ter leurs défenses, et que pour servir Dieu on n'y fût pas
tenu.
On est même tenu à davantage pour servir Dieu que pour
servir les hommes, et voici en quoi. Il peut arriver que les
hommes, par erreur, ignorance ou malice, commandent
des choses mauvaises ou défendent des choses bonnes ; et
dans ce cas, ceux dont le devoir est de les servir, non seule-
ment ne sont pas obligés de leur obéir, mais ils doivent for-
mellement ne pas tenir compte de leurs ordres ou de leurs
défenses. Au contraire, comme nous l'avons déjà dit, le
devoir de servir Dieu consiste à faire tout ce qu'il commande,
et à ne pas faire ce qu'il défend, sans aucune exception ;
parce que tous les ordres et toutes les défenses de Dieu sont
également justes, et qu'il ne peut pas plus commander quel-
que chose de mal, que défendre quelque chose de bien.
Voilà donc le principe auquel il faut s'attacher pour servir
Dieu : faire tout ce qu'il commande, et ne rien faire de ce
qu'il défend. Mais où connaîtrons-nous ce que Dieu com-
mande et ce qu'il défend ? Nous en trouvons l'abrégé complet
et authentique dans les préceptes du Décalogue et dans ceux
de l'Église. Gomme tous les bons chrétiens, sachons par
cœur ces préceptes, ainsi que l'explication qui en est donnée
par le catéchisme. Car comment pourrons-nous obéir à Dieu
en observant ses commandements et ses défenses, si nous
ne les connaissons pas très bien (1) ? Ce n'est pas tout. Il ne
1. Il est bon, en cette matière, de ne pas oublier la différence qu'il y
a entre les préceptes affirmatifs, qui ordonnent de faire une chose, et
ceux qu'on appelle négatifs, qui défendent de la faire ; savoir, que ceux-
ci obligent toujours, en tout temps, en toutes les rencontres ; par exem-
ple, le précepte qui défend de prendre le bien d'autrui, ou de médire de
son prochain, est pour toujours. Au lieu que les préceptes afïïrmatifs,
( EST UN DEVOIR roi R NÔ1 s bE SERVIR DIEU. 77
suffit pas de savoir les commandements de Dieu pour les
observer, il faut encore les avoir présents à L'esprit. C'est
pourquoi l'on doit prendre la pieuse et prudente habitude
de les réciter chaque matin, à la suite de ses prières, avec
une grande attention, en examinant à l'avance, autant que
possible, les occasions où nous pourrions nous trouver
exposes à les enfreindre, afin de prendre nos précautions à
l'avance et de nous tenir sur nos gardes. Autrement, même
en connaissant très bien les commandements, on se trouvera
pris à ['improviste, et on les violera.
Mais notre devoir de servir Dieu se borne-t-il, comme
nous venons de l'expliquer, à faire ce que Dieu commande,
et à ne pas faire ce qu'il défend ? Autant demander si le ser-
viteur vraiment bon et dévoué se borne à accomplir stricte-
ment les volontés de son maître ? Non, il ne borne pas à
cela son service ; mais examinant en outre ce qui peut être
utile ou agréable à son maître, de lui-même il le fait, sans
en être requis. C'est alors seulement qu'il croit s'être
acquitté complètement de son devoir de servir son maître;
et s'il n'allait pas jusque-là, il ne croirait pas avoir accompli
tout son devoir. Eh bien, nous l'avons déjà dit, il ne se
par exemple, de faire l'aumône, ou d'exercer quelque œuvre de charité,
n'obligent qu'en certaines circonstances et en certaines rencontres.
Mais il arrive assez souvent que le négatif est renfermé dans l'afTirmatif ;
par exemple, le commandement que nous avons d'aimer notre prochain,
nous oblige en même temps de ne le haïr jamais.
En parlant des commandements de Dieu, il est tout à fait nécessaire
de ne les pas confondre avec les conseils afin de ne pas outrer les vérités
qu'on avance. La différence s'en peut aisément remarquer, par la seule
signification des termes, puisqu'il n'y a personne qui ne conçoive assez
que commander et conseiller sont deux choses tout à fait différentes :
car celui qui commande, veut absolument que la chose se fasse; au lieu
que celui qui la conseille seulement, laisse la liberté de la faire ou de
l'omettre : outre que ce que Dieu commande, et dont il fait un précepte
absolu, est moins parfait, et plus facile à exécuter, que ce qu'il conseille
simplement : que le conseil est de tout un autre mérite, et sera tout
autrement récompensé. Jfais voici trois ebosesqui nous feront connaître
si une chose est de précepte, ou seulement de conseil. La première, lors-
que l'Écriture use du mot de commander ; parce que cette expression
d'autorité marque une précise nécessité d'obéir. La seconde, quand elle
menace de l'enfer : parce qUe cette condamnation marque une infraction
toi nielle de la loi. La troisième, quand l'exécution est ordonnée à tous
absolument et indifféremment ; parce que c'est une marque d'une obli-
gation constante et indispensable (Hou dry, loc. cit. S 5).
7 8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
peut pas que nous nous considérions comme moins obligés
à l'égard de Dieu, qu'un serviteur ne se croit obligé à l'égard
de son maître. Par conséquent, notre devoir de servir Dieu
ne consiste pas seulement dans la stricte observation de ses
préceptes ; il consiste encore à prendre partout et toujours
ses intérêts, et à les faire prévaloir autant que nous le pou-
vons. C'est ainsi, par exemple, que tel jeune homme, qui
n'est tenu strictement, comme tous les autres chrétiens, qu'à
l'observation des commandements de Dieu et de l'Eglise,
cependant s'élance à l'évangélisation des peuples infidèles,
afin d'étendre le royaume de Dieu, et qu'un plus grand
nombre d'âmes le connaissent, le bénissent et l'adorent.
C'est ainsi que tel chrétien, à la vue des ravages de l'impiété,
se dévoue à la création ou à l'entretien d'œuvres capables
de sauvegarder les droits de Dieu, de son Eglise et de ses
enfants dans la société. C'est ainsi que nous-mêmes, par
conséquent, nous devons prendre les intérêts de Dieu et de
sa gloire, autant que nous le pouvons, dans la situation où
nous nous trouvons placés, soit en pratiquant des bonnes
œuvres auxquelles nous ne sommes tenus par aucun com-
mandement formel, soit en travaillant à ramener à Dieu les
pécheurs, ou bien à assurer la persévérance et le perfection-
nement des âmes, déjà fidèles, soit en accomplissant tout
autre acte de zèle. Eh bien, est-ce ainsi que nous prenons
les intérêts de Dieu et que nous y travaillons? Cette per-
sonne que sa situation rend libre de son temps, en profite-
t-elle pour assister au moins chaque jour à la sainte messe,
plutôt que de l'employer à de vaines lectures, à des conver-
sations pas toujours innocentes, ou à des visites inutiles,
sinon dangereures et coupables ? Cette autre qui a reçu la
fortune en partage, en consacre-t-eile une partie convenable
à orner la maison de Dieu, à soulager en son nom les mal-
heureux, et à faire évangéliser de toutes manières les pau-
vres et les ignorants ? Et ce mendiant qui demande son pain
de porte en porte, a-t-il soin, même dans son misérable état,
d'offrir à Dieu l'hommage de sa soumission, et d'édifier
ceux qui l'assistent par sa modestie et son humble résigna-
tion ? Que chacun fasse son examen sur un point aussi
important. Ah ! qu'il en est peu qui s'acquittent de leur
c'est in devoir pour nous de servir DIE1 . 70
devoir de servir Dieu, en accomplissant ses commandements
el en prenant en toul et toujours ses intérêts, comme font
à L'égard <le leurs maîtres les vraiment bons serviteurs !
Cependant ce n'est pas pour nous une chose facultative de
servir Dieu, une chose que nous pouvons à noire gré faire
ou ne pas faire : c'est au contraire une chose à laquelle nous
sommes rigoureusement tenus, ainsi que va nous le l'aire
voir la considération des
II. — Motifs qui nous obligent à servir Dieu. — Quels
sont ces mol ifs? Il y en a deux principaux, dont le premier
esl l'absolue souveraineté de Dieu sur nous.
Dans un état, tous les citoyens, n'est-il pas vrai, sont
obligés d'obéir aux lois du prince et de le servir; et dans
une famille, tous les enfants sont pareillement obligés d'o-
béir aux ordres du père et de faire ce qu'il commande. S'en
étonne-t-on ? Nullement. Critique-t-on, blâme ton cette
obligation qui incombe aux citoyens d'obéir aux lois de leurs
princes, et aux enfants de se soumettre aux ordres de leurs
parents? Pas du tout. On trouve au contraire cette obliga-
tion légitime et nécessaire à cause de l'autorité du prince
sur ses sujets et de celle du père sur ses enfants, et il n'y
a que les mauvais citoyens et les enfants dénaturés qui
cherchent à s'y soustraire.
Eh bien, si les citoyens sont obligés à servir fidèlement
leurs princes, et les enfants à se soumettre docilement à leurs
parents, à cause de l'autorité qu'ils ont sur eux, bien plus
sommes-nous tous obligés à servir Dieu, puisque son auto-
rité sur nous est infiniment plus grande que la leur (i).
i. Mais pourquoi, direz-vous peut-être, pourquoi ce dédale obscur de
vérités inintelligibles qu'il faut admettre sans examen ; pourquoi ce
joug accablant de préceptes arbitraires qu'il faut pratiquer ponctuelle-
ment ? Dieu n'a-t-il pas outrepassé ses droits en exigeant de chacun de
nous cette soumission aveugle et absolue ; ou du moins, ne devait-il
pas ménager davantage notre faiblesse, se contentant des hommages
de notre intelligence sans exiger le sacrifice de noire raison ') Ne pou-
vait-il pas se bornera nous imposer Les devoirs d'une religion purement
naturelle, sans > ajouter le fardeau écrasant de la révélation, tes entra-
ves tyranniques et humiliantes de la foi '}... (nielle prétention de vou*
Loir que les enseignements <•! Les secrets de l'éternelle sagesse n'aient
pour nous ni obscurités ni mystères] Oui, quelle prétention, quel
80 LESfcGRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
En effet, l'autorité dont sont investis les rois et les pères,
ils ne la possèdent pas par eux-mêmes, mais c'est Dieu
qui la leur a communiquée. Sans Dieu, ils ne seraient rien,
et n'auraient aucune préséance sur les autres hommes. Dieu
au contraire possède l'autorité qu'il a sur nous en vertu de sa
orgueil ! Avez-vous pris vos mesures, ayez-vous appliqué la règle,
Téquerre et le compas pour vous rendre compte de la disproportion
infinie qui existe entre votre intelligence et celle de Dieu ? Votre vue
myope et incertaine, même lorsqu'il s'agit de soumettre à une observa-
tion scientifique le grain de sable que vous foulez aux pieds ou l'astre
qui roule sur votre tète, comment donc serait-elle assez puissante et
pour sonder les abîmes et pour embrasser les horizons de l'infini sans
se perdre au sein de ces incommensurables immensités, sans faiblir
devant ces éblouissantes et éternelles splendeurs ? Eh quoi ! Dieu nous
enseignerait lui-même, et ses enseignements, avant d'être admis sur
l'autorité pure et simple de sa parole, auraient besoin de passer par le
contrôle de notre raison ! Et cette raison si sujette à Terreur serait
appelée à juger en dernier ressort, l'infaillible vérité, l'infinie sagesse
elle-même I Et cette sagesse infinie et cette infaillible vérité, lorsqu'elle
s'incline jusqu'à nous pour nous initier à quelqu'un des secrets de sa
science et de son amour, n'aurait pas le droit de nous dire, en récla-
mant l'hommage de notre confiance : Tu t'en rapporteras à mes lumiè-
res, tu t'inclineras devant mon autorité, tu recevras mes paroles, lors
même que tu ne les comprendrais pas intégralement !...
Non, Dieu n'outrepasse pas ses droits lorsqu'il vient nous imposer ou
des vérités à croire, ou des devoirs à remplir. C'est nous, au contraire,
lorsque nous prétendons réformer jusqu'aux décrets de l'éternelle
Sagesse, c'est nous qui méconnaissons non seulement les droits inviola-
bles, les droits inamissibles de Dieu, mais encore nos plus graves inté-
rêts à nous-mêmes. Que Dieu, en effet, au lieu de nous venir en aide
par la transmission de sa parole et de sa volonté sainte, au lieu de
nous instruire par l'organede ses patriarches, de ses législateurs et de ses
prophètes, à la mission desquels succède l'apostolat de son Fils unique,
venu pour être la voie, la vérité, la vie ; que Dieu, dis-je, après la créa-
tion, soit rentré dans le silence et le repos de son éternité, que
serions-nous aujourd'hui ? Ah ! vous parlez des lumières de la raison,
vous invoquez les principes de la loi naturelle gravés au fond du cœur
humain, et vous prétendez que ces lumières, que ces principes seuls
suffiraient pour affermir nos pas dans le sentier de nos devoirs
présents comme de nos destinées à venir ! Mais, à quoi donc
ont servi, pendant quarante siècles, ces lumières de la raison,
ces lois de la nature, sinon à conduire l'homme vers ces profonds
abîmes où il se débattit, désespéré et impuissant, couvert d'incu-
rables plaies et de hideuses souillures, au milieu des extravagances
et des abominations du polythéisme ? A quoi servent encore aujour-
d'hui, et ces lois de la conscience, et ces enseignements de la raison à
ces milliers de peuplades sauvages si dégradées, si abruties, si féroces
qu'elles ont à peine conservé quelques traits de la physionomie
humaine ? Les articles de leur symbole, si toutefois elles ont un sym-
G EST UN m:\oik PôUfl vus ni: SERVIR dieu. 8l
propre nature : c'esl de lui seul qu'il la tient, et il ne l'a reçue de
personne. L'autorité déléguée des princes et des parents est
d'ailleurs essentiellemenl éphémère : hier, ils ne l'avaient pas
encore; el demain ils ne L'auront plus. Vu contraire, L'au-
torité de Dieu sur nous est immuable el éternelle comme
Lui même, et il l'exercera dans les siècles des siècles. — De
pins, l'autorité des princes el des parents est très restreinte,
et ils ne peuvent rien exiger au-delà de ce qu'ils ont le
droit de commander, rien, notamment, de contraire aux
lois de Dieu. Vu contraire encore, L'autorité de Dieu est sans
bornes, il a le droit souverain de nous commander tout ec
qu'il veut, et nous n'avons absolument aucune raison de lui
refuser La moindre parcelle de notre soumission. Puis donc
que L'autorité de Dieu sur nous est infiniment plus grande
et plus parfaite à tous égards qne celle de nos supérieurs et
de nos parents, l'obligation que nous avons de lui obéir est
par conséquent infiniment pins impérieuse, comme nous
L'avons dit, que celle que nous avons de leur obéir à
eux-mêmes. En un mot, la souveraineté de Dieu sur nous
étant absolue, absolue également est l'obligation qui nous
incombe de le servir. Et si nous ne saurions souffrir que
nos enfants ne nous soient pas soumis, et que nos servi-
teurs n'en fassent qu'à leur tétc et n'accomplissent pas nos
ordres ; comprenons une bonne fois que Dieu, de qui nous
bole, le code de leurs lois les empêchent-ils d'outrager la nature par
les plus énormes monstruosités: là, déchirant avec voracité les chahs
palpitantes de l'étranger tombé entre leurs mains ; ici, buvant joyeuse-
ment à la ronde le sang de l'ennemi vaincu ; ailleurs et ailleurs encore,
n'éprouvant plus rien de ce sentiment qui fait que l'on rougit d'une
action honteuse, que l'on frémit à la seule idée d'un parricide, ou
d'autres semblables forfaits? Ah : vantez tant que vous voudrez les irra-
diations de l'intelligence et les forces de la volonté humaine; regrette/,
si cela vous agrée encore, de n'avoir pas été appelé à vivre sous la sim-
ple loi de nature, sans relever d'aucun autre tribunal que celui de
votre conscience ; pour moi, je ne vois rien jusqu'à présent qui puisse
me déterminer à embrasser votre opinion nia partager vos regrets:
car rien ne me dit, rien ne me prouve que, sans l'influence de la révé-
lation divine, abandonnés aux Lumières el aux aspirations de la raison,
ou plutôt aux ténèbres et aux instincts mauvais d'une nature coi rom-
pue, non- ne sciions pas, à l'heure qu'il est, une de ces tribus de can-
nibales comme il s'en rencontre encore là où n'a point été entendue la
parole du Seigneui . où n'a point rayonné le soleil de la justice et de la
vérité (Grison, V ipôtre missionnaire. 5. p. instr. f\).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 6
82 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
dépendons infiniment plus que nos enfants et nos servi-
teurs ne dépendent de nous, comprenons, disons-nous, que
Dieu non plus, à plus forte raison, ne peut pas supporter
de nous voir nous soustraire à son autorité souveraine,
dédaigner ses commandements et les violer comme s'il ne
nous les eût pas imposés (i).
i. Ouvrez les livres saints : vous y verrez que, lorsque Moïse vint
annoncer aux Israélites la loi du Seigneur, il ne leur proposa point
d'autre motif pour les engager à l'observer, que ces courtes paroles
qui précèdent ou qui suivent immédiatement chaque article de la loi :
Eyo suni Dominas Deas taas. Exod. xx, 2. Voilà ce que dit le Seigneur
votre Dieu ; c'est lui qui commande, c'est à vous d'obéir. Dieu pouvait
sans doute découvrir aux hommes les vues et les desseins de sa provi-
dence dans l'établissement de ses lois ; il pouvait leur en montrer la
sagesse et la sainteté, la nécessité et la justice ; leur expliquer les rai-
sons particulières des préceptes et des défenses : mais il ne jugea pas à
propos d'entrer avec eux dans des discussions qui auraient sans doute
surpassé leurs faibles intelligences. Il ne chercha pas à justifier ses
commandements, ni à faire l'apologie de ses préceptes ; il se contenta
de les appuyer de son autorité divine : Ego sum Dominas Deas tuas.
Voilà ce que dit le Seigneur votre Dieu. C'en est assez ; à ce mot il faut
que tout cède, que tout plie, que tout fléchisse. Ne suffît-il pas que cet
auguste nom se trouve à la tète d'une loi pour que tout l'univers soit
obligé de s'y soumettre? Il est vrai que ce ton d'autorité fut accompa-
gné, dans les premiers temps, du bruit du tonnerre, de la lumière
subite de mille éclairs redoublés, et enfin du spectacle le plus effrayant
et le plus propre à rendre sensible la présence redoutable du Dieu des
armées ; mais j'ose dire que ce terrible appareil n'ajoutait rien à la force
de ces paroles : Voilà ce que dit le Seigneur votre Dieu. Oui, que les
éclairs disparaissent, que la foudre s'évanouisse ; si ces paroles restent,
elles suffiront seules pour captiver notre obéissance. 0 hommes ! qui
ètes-vous en effet pour vous soulever contre la volonté du Très-Haut,
et pour vous soustraire à son empire ? La créature osera-t-elle se croire
indépendante de son Créateur? le vase d'argile osera-t-il demander à
l'ouvrier qui l'a formé pourquoi il l'applique à tel usage ? Le Maître a
parlé; il le veut, il l'ordonne . C'est une semblable parole qui, comme
un ressort efficace et tout-puissant, fait mouvoir toutes les parties d'un
vaste empire ; elle est comme le lien de toutes les sociétés, l'âme et Je
principe de tout sage gouvernement. Hélas ! on la respecte, on s'y sou-
met avec zèle, quand elle est dite au nom de ceux qui sont les images
de Dieu sur la terre; on ne daigne pas y faire attention quand elle
vient de Dieu même (II. P. Griffet, Serm. sar Vobéiss. à la loi de
Dieu, 1. p.).
Jésus-Christ lui-même, cet Homme-Dieu, que les anges servent avec
tant d'empressement, et dont le pins grand des mortels, saint Jean
Baptiste, ne se croyait pas digne de dénouer les cordons de* souliers ;
en quoi a-t-il mis sa gloire ? à faire la volonté de Dieu, à observer jus-
qu'aux plus petites ordonnances de sa loi, jusqu'aux moindres prali-
i i M l \ DEVOIR POl R MH s DÉ 8ÉÎIV1R DIIM . 8d
Mais ce qui nous oblige à servir Dieu, ce n'est pas seule-
menl son absolue souveraineté sur nous, c'esi encore Venge
gement que nous en avons pris au Baptême. Sans don le. alors
même que nous u'aurions rien promis à Dieu, nous ne lais-
serions pas d'être tenus aie servir. Un citoyen qui n'a pas
fait serinent de fidélité à son prince n'est nullement dispensé
pour eela d'observer ses lois ; niais s'il lui en a fait serment,
il esl tenu doublement à lui être fidèle: il y est tenu cii vertu
de L'autorité du prince sur lui, et en vertu de rengagement
qu'il a pris do le servir. Ainsi de nous par rapport à Dieu.
Pour nous amener plus fortement et plus sûrement à le ser-
vi i\ comme c'est notre suprême intérêt de le faire, Dieu,
inspiré par sa paternelle tendresse pour nous, a pensé que
nous devions lui en faire librement la solennelle promesse,
au moment de recevoir le saint Baptême. Cette promesse a
pour nous en effet les conséquences les plus décisives.
D'abord elle nous crée une nouvelle obligation rigoureuse
de servir Dieu, puisque l'homme loyal doit tenir ce qu'il a
promis, et que celui qui ne le tient pas manque à son devoir
et se déshonore. Cette obligation est telle que, si nous
n'étions pas tenus à servir Dieu en vertu de sa souveraineté
sur nous, nous y serions tenus en vertu de notre promesse.
Mais de cette promesse découle une autre conséquence,
savoir, que nous sommes mal venus, comme on le fait
cependant si souvent, à prétendre, ou bien que nous ne
savons pas ce qu'il faut faire pour servir Dieu, ou bien que
nous ne le pouvons pas, ses commandements étant au-des-
sus de nos forces. Car le fait de prendre un engagement
suppose nécessairement, et que l'on connaît à quoi l'on
s'engage, et que l'on sait pouvoir l'accomplir.
\ ainement dirait-on que l'on ignore ces choses lorsqu'on
reçoit le saint Baptême dès le premier âge. INous le récon-
cilies de la religion : Je fais toujours, disait-il, la volonté de mon Père.
Jamais il n'a cherché sa propre gloire, mais toujours celle de Dieu :
c'était pour lui un besoin plus grand que celui (te se nourrir, meus
cibus est... Kl encore est-ce en choses faciles, agréables à la nature,
propres à Lui attirer l'estime du monde? Vu. certes, mais dans les
choses les plus humiliantes, les plus douloureuses; il s'est fail obéis-
sant, jusqu'à mourir de la mort la plus cruelle el la plus infâme, celle
de la croix (R. P. Jean, Serm, sur le serviee de Dieu, 2 p.).
84 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — IV. INSTRUCTION.
naissons sans peine. Mais ceux qui feraient cette objection
doivent savoir aussi que les promesses baptismales, faites
avant l'âge de raison par l'organe des parrains et des mar-
raines, sont plus tard renouvelées personnellement, par les
intéressés eux-mêmes, le jour de leur première communion.
Or, à l'époque où nous faisons ce renouvellement des pro-
messes baptismales, nous sommes en pleine possession de
notre raison, nous connaissons ce à quoi nous nous obli-
geons, pour l'avoir étudié, et enfin nous savons déjà par
expérience que nous pouvons nous en acquitter. C'est donc
en complète connaissance de cause que nous agissons alors,
et que nous ratifions, librement et volontairement, les pro-
messes faites à notre Baptême en notre nom. Par consé-
quent, cet engagement est aussi éclairé et aussi sérieux qu'il
le puisse être ; et c'est justement pour cela qu'il nous est un
motif de servir Dieu aussi impérieux et aussi décisif que sa
souveraineté sur nous.
Ah î que de choses nous faisons, et que d'autres nous ne
faisons pas, sans avoir d'aussi graves motifs, et souvent
même par pur caprice ! S'agit-il, par exemple, de nos inté-
rêts matériels ? il n'est pas de travaux et de sollicitudes que
nous ne nous imposions pour en assurer le succès; et cepen-
dant nous n'y sommes obligés par aucun commandement
de Dieu ni par aucun engagement de notre part. Il en est
de même, par exemple encore, des usages mondains, aux-
quels nous ne voudrions manquer en rien, bien qu'aucun
motif sérieux ne nous oblige à nous y conformer. Appré-
cions plus sainement les choses, chrétiens ; et puisqu'il n'y
a rien à quoi nous soyons plus rigoureusement tenus qu'à
servir Dieu, ayons à cœur de faire passer son service avant
et par dessus tout le reste. — Mais pour nous acquitter de
cette obligation si grave avec la perfection nécessaire, il
faut encore que nous sachions,
III. — De quelle manière nous devons servir Dieu. —
Toute manière de servir Dieu n'est pas, en effet, également
bonne ; et il est hors de doute que, mal servir Dieu, équivaut
à ne pas le servir du tout. Puis donc que nous sommes tenus à
servir Dieu, parla même nous sommes tenus aie bien servir.
C EST IN DEVOIR POUll NOl S HE SERVIB DIEU. 85
Or, la première chose essentielle pour bien servir Dieu,
c'esl d'accomplir tous ses ordres, sans aucune exception.
Peut on dire, du serviteur qui n'accomplit (pie ceux des
ordres de son mai lie qui lui plaisent, qu'il le sert bien ?
Non. on ne peut pas le dire. Il le sert sans doute, puisqu'il
accomplit quelques-uns de ses ordres ; mais il le sert mal,
puisqu'il ne les accomplit pas tous, comme c'est son devoir.
Eh bien, il en est de même des chrétiens à l'égard de Dieu.
Ceux qui n'accomplissent que certains commandements, et
non pas les autres, ne servent pas Dieu comme ils le doi-
vent. C'est le cas de ceux, par exemple, qui font leur prière
matin et soir, mais qui ne sanctifient pas le dimanche en
s'abstenant des œuvres serviles et en assistant aux offices ;
ou bien de ceux qui sanctifient le dimanche, mais qui ne
font pas leurs pâques. Que personne donc ne se fasse illu-
sion, et ne se trompe soi-même. Que personne ne se croie en
sûreté de conscience, parce qu'il accomplit tels et tels com-
mandements. Encore une fois, il faut les accomplir tous, car
ne pas les accomplir tous, équivaut à n'en accomplir aucun.
Il faut les accomplir tous et toujours, autre condition pour
bien servir Dieu. Toujours, toute sa vie et en tout temps,
entendons-le bien. Toute sa vie, non pas seulement dans la
jeunesse et jusqu'à la Première Communion, comme le font,
hélas ! tant d'enfants. Toute sa vie, et non pas seulement
dans la vieillesse et aux approches de la mort, comme se
proposent de le faire tant de chrétiens aveugles. En tous
temps, et non pas seulement en hiver, quand les travaux
des champs sont moins pressants, selon la coutume bien
trop générale des gens de la campagne. En tous temps, et
non pas seulement lorsque vient l'époque de faire les pâ-
ques, ainsi qu'on le pratique aussi trop souvent, non moins
à la ville qu'aux champs. Il en est de ceux qui ne servent
pas Dieu atout âge et en tout temps, comme de ceux qui
n'observent pas tous les commandements : ils font subir à
la loi divine des exceptions que Dieu n'a pas autorisées et
qu'il ne ratifiera jamais. Nous savons tous au contraire que
Dieu maudit ceux qui cherchent à le frauder dans son
service (i), et que ceux-là seuls seront sauvés, qui l'auront
i. Maledictus qui facit opus DomirU fraudulentcr (Jçrem, xlyiiï, jo),
86 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
servi jusqu'à la fin (i). Par conséquent, servons-le en tout
temps et toute notre vie. En le servant ainsi, nous acquer-
rons la facilité que donne L'habitude, et nous goûterons les
consolations du devoir bien rempli. Au contraire, en ne
servant Dieu que par intermittence, nous y trouverons plus
de peine, comme un ouvrage qu'on recommence toujours
sans le poursuivre jamais ; et par dessus tout, même ce que
nous aurons fait, nous l'aurons fait en vain, puisque l'ayant
mal fait, nous n'aurons droit à aucune récompense.
Une troisième condition pour bien servir Dieu, c'est de
le servir de bon cœur, avec empressement et joie. L'apôtre
saint Paul nous apprend que Dieu aune celui qui donne gaie-
ment (2), qui donne gaiement son obéissance autant que ses
libéralités. Que si Dieu aime celui qui obéit gaiement et le
sert gaiement, l'on doit en déduire qu'il n'aime pas celui
qui n'obéit qu'à regret, de mauvaise grâce et avec lenteur ;
celui et ceux qui, par exemple, ne sont jamais prêts à faire
leurs prières, qui arrivent toujours en retard aux offices,
qui ne font leurs paques qu'au dernier jour de la quinzaine
pascale et ainsi du reste. Un serviteur qui servirait ainsi
son maître, qui se mettrait toujours en retard pour accom-
plir ses ordres, ou ne les accomplirait qu'en se plaignant et
en maugréant, ne se ferait-il pas reprendre d'abord avec
sévérité, et bientôt congédier? Semblablement, le chrétien
qui sert Dieu d'une manière aussi défectueuse, ne saurait
que l'irriter, bien loin de lui plaire. Qu'un serviteur serve
parfois son maître sans empressement et comme à contre-
cœur, cela peut s'expliquer car il est des maîtres qu'il n'est
ni agréable ni avantageux de servir. Mais Dieu est-il aussi
un mauvais maître ? Est-il un maître dur. grossier, capri-
cieux, injuste ? S'il n'est rien de tout cela, et s'il est au con-
traire le meilleur, le plus affable, le plus compatissant et le
plus généreux de tous les maîtres, nous devons donc le
servir de la manière la plus empressée, la plus respectueuse
et la plus dévouée qu'il nous est possible (3).
1. Qui pcrscvcravcritus que in finem, hic salvuscrit (Matth. xxiv, i3).
2. II. Cor. ix, 7.
3. C'est un principe général: dans tout ce que Dieu ordonne, ce qu'il
C'EST UN DEVOIR POUR NOUS DE SERVIR DIEU. 87
Pour bien servir Dieu, nous devons enfin Le servir avec
fierté. Il > a des chrétiens qui servent Dieu avec assez de
adélité, mais en tremblant, en se cachant, en essayant que
personne ne les voie, comme si c'était une chose digne de
pitié ou de mépris, que de saluer une croix, d'aller à la
messe, et de faire ses pâques. Vrrière une pusillanimité
aussi déplacée ! arrière d'aussi indignes sentiments ! Avoir
honte de l'aire une chose malhonnête, ne pas se laisser voir
quand on commel quelque délit ou crime, cela se conçoit,
car cela esl naturel. Mais avoir honte de servir Dieu, mais
M- cacher pour accomplir ses commandements, cela se peut-
il ? cela n'est -il pas contre nature? Servir Dieu, est-ce donc
une chose vile? accomplir ses commandements, est-ce
donc une chose défendue et criminelle? De son côté, Dieu
peut-il être satisfait d'un chrétien qui ne le sert qu'en rou-
gissant et en se cachant ? Si un serviteur montrait une telle
peur pour servir son maître, pensons-nous que le maître
consentirait à le garder à son service ? La honte du serviteur
ne tournerait-elle pas au déshonneur du maître? Ah ! quand
un serviteur est engagé au service d'un prince, hien loin de
s'en cacher aux yeux du public, il s'en vante, il s'en fait
gloire, el se tient, de ce chef, pour bien au-dessus de ceux
qui ne servent que des maîtres vulgaires. Or, tels doivent
être, mais avec infiniment plus de raison, les sentiments
du chrétien que Dieu a daigné appeler à le servir. Car mê-
me le serviteur du plus puissant roi de la terre n'est tou-
demande en premier lieu, c'est le cœur. Dieu vous demande-t-il de
faire l'aumône ? il vont que nous la fassiez de cœur, et il vous déclare
qu'il aimç celui qui donne avec joie. Dieu vous demande-t-il des œu-
vres, des hommages extérieurs, des témoignages de votre dépendance?
il vous fail entendre que si ces œuvres ne partent du cœur, il vous rc-
jettera avec ce peuple hypocrite, qui l'honore des lèvres, pendant que
leur cœur est très éloigné de lui. Ceux-ci donc déplaisent à Dieu qui
désavouent de cœur les actions qu'ils sont obligés de faire par des rai-
sons de bienséance, ou d'autres considérations humaines. Ceux-là n'o-
béissenl pas comme ils doivent à ses Lois qui obéissent en murmurant,
avecchagrin el avec défiance. C'était ledéfautdu peuple juif, qui a tant
de fois irrité Dieu par ses défia nées et par ses murmures. J'entends le
Seigneur qui s'en plaint d'une manière si louchante: Jusqu'à nuand ce
Ijeufùe impie et ingrat murmurera-t-il contre moi'.' \um. \. Et vous savez
comment ce peuple en a élé châtié, et quelle rigueur le peuple a exer-
cée contre lui (Lambert, Disc. ccclèsiasL. 18. dise).
88 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
jours que le serviteur d'un homme, dont il est par consé-
quent l'égal par sa nature, qui est né comme lui pour souf-
frir et qui mourra comme lui. Au contraire, ce n'est pas
un prince ni un roi que sert le chrétien : c'est Dieu ; c'est
le prince des princes et le roi des rois : incréé, éternel, créa-
teur de la terre et des cieux, qui gouverne tout par sa toute-
puissance comme en se jouant, qui juge tous les hommes
à l'heure de la mort sur leurs bonnes et leurs mauvaises
actions, qui récompense éternellement ceux qui lui ont tou-
jours été fidèles, et éternellement châtie ceux qui l'ont dé-
daigné et offensé. Voilà celui que sert le vrai chrétien ; voilà
celui que nous avons tous à servir. Et nous ne serions pas
fiers de lui appartenir ? Et nous ne nous glorifierions pas de
l'avoir pour maître? Si dans le passé nous avons eu la fai-
blesse de ne le servir que d'une manière plus ou moins dé-
tournée et secrète, comprenons désormais l'honneur qu'il
y a de lui appartenir, et qu'il n'y ait plus à nos yeux rien
d'aussi beau et d'aussi grand que de se montrer fidèle en
tout à ses ordres (i).
i. Si Dieu vous avait laissé la faculté de vous choisir un maître, en
cussiez-vous choisi un autre que Dieu, en cussiez-vous trouvé un autre
plus digne de vos mérites, un autre plus puissant, plus éclairé, plus
riche, plus grand ? lui eussiez-vous préféré une créature? Dieu étant
le premier, le plus grand,le plus parfait des êtres, les premiers, les plus
grands, les plus parfaits après Dieu, sont ceux qui s'approchent le plus
de lui, comme plus on s'approche du sommet d'une montagne, plus on
est élevé ; plus on s'approche du feu, plus on sent la chaleur ; or, c'est
par son service, par la vertu, par son amour, par la sainteté des œuvres
qu'on s'approche de Dieu ; plus donc Ton sert Dieu avec zèle, l'on pra-
tique la vertu, l'on avance dans la perfection, plus aussi l'on est grand.
C'est pourquoi les hommes les plus honorables et les plus honorés du
monde sont les saints, les plus grands saints, ceux qui servent le plus
parfaitement Dieu ; n'importe qu'ils soient pauvres, ignorants, infirmes.
Les grands, les rois de la terre se prosternent devant les statues des
apôtres, jusque devant celle de Benoît Labre, qui n'était qu'un pauvre
mendiant, devant celle de saint Isidore le laboureur, de la bienheureuse
Germaine, simple bergère. Servir Dieu, c'est être vrai, bon, juste, chaste,
sobre, fidèle, exact à ses devoirs ; or, qu'y a-t-il de plus beau, de plus
honorable ? Par ces vertus, on ressemble à la divinité, qui les possède
toutes au suprême degré ; or, qu'y a-t-il de plus grand que de ressem-
bler à Dieu ? Lucifer, dans son ambition, ne voulait rien de plus qu'ê-
tre semblable au Très-Haut, similis ero Altissimo. Nos premiers parents
de même, dans leur orgueil no connurent rien do plus grand que d'être
comme des dieux, 4e Ipïtf MYPty te kten et le mal* de faire en tout leur
C'EST l \ DEVOIR PO! H NOUS DE SERVIR DIEU. 8g
CONCLUSION. — En quoi consiste le devoir de servir
Dieu : motifs qui nous obligent à servir Dieu ; de quelle
manière nous devons servir Dieu; tels sont donc, chrétiens,
les trois points que nous venons d'étudier et d'élucider. Le
devoir de servir Dieu eonsistc à faire ce qu'il nous com-
mande, à ne pas faire ce qu'il nous défend, et à prendre en
tout ses intérêts. Les motifs qui nous obligent à servir Dieu,
c'est, d'un côté, son absolue souveraineté sur nous, et de
l'autre, l'engagement qu'on en a pris pour nous au Baptême,
et que nous avons librement et solennellement renouvelé au
jour de notre Première Communion. Enfin, la manière dont
nous devons servir Dieu, c'est d'accomplir tous ses comman-
dements sans exception, dans tous les temps et dans toutes
les circonstances de notre vie jusqu'à notre mort, de bon
cour et avec fierté. Ainsi nous connaissons maintenant,
dans ses trois parties essentielles, le devoir de servir Dieu,
qui nous incombe si impérieusement pour aller au ciel.
Nous savons en effet, répétons-le encore une fois : pourquoi
nous devons servir Dieu, ce qu'il faut faire pour le servir,
et de quelle manière il faut le faire. Notre esprit étant éclairé,
c'est donc maintenant à notre volonté à se décider et à agir.
Si nous continuions à ne pas servir Dieu, ou à le servir mal,
nous serions désormais plus coupables qu'auparavant, car
nous agirions en connaissance de cause, et serions inexcu-
sables. Il nous faut donc, chrétiens, envisager tous sérieu-
sement ce beau et grand devoir de servir Dieu, et tous nous
en acquitter de notre mieux (i). Ne nous imaginons pas
volonté ; ils tentèrent d'y parvenir par une autrp voie que celle de la
vertu, de la parfaite obéissance à Dieu, et ils se perdirent. Pour nous,
efforçons-nous d'atteindre à cette gloire qui n'a rien au-dessus d'elle
que Dieu, niais par la véritable voie, qui est celle du plus parfait atta-
chement, du plus entier dévouement à Dieu (tt. P. Jean, Serm. sur le
service de Dieu; .
i. Certes, on sert volontiers lorsque le service est bien récompensé :
or, quel service est mieux récompensé que celui de Dieu, puisque la paix
du cœur, l'assistance et la protection de Dieu en ce monde et la félicité
divine en l'autre en sont la récompense ? On travaille volontiers lorsque
le travail est très honorable : or, quel travail est plus honorable que
celui de servir Dieu, puisque servir Dieu est le comble delà gloire, que
t'est imiter Dieu, mai cher sur les traces d'un Dieu, agir en Dieu, que
c'est faire ce qu'a fait le Fils de Dieu ? On travaille volontiers, lorsque If
()() LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
qu'il soit pénible et rebutant, puisque Notre-Seigneur nous
a expressément déclaré que son joug est doux et son fardeau
léger (i), ce que tous les chrétiens fervents sont unanimes
à reconnaître (2). Que si parfois pourtant nous y trouvons
quelques difficultés à cause de notre extrême faiblesse, sur-
montons-les courageusement avec la grâce de Dieu qui
jamais ne nous manque, puisqu'il n'y a pas d'autre moyen
de nous sauver (3).
travail est juste et bien dû : or, quel travail est plus juste et mieux dû
que celui du service de Dieu, puisqu'il est tellement juste, qu'il est la
justice même, et si bien dû, que c'est tout le devoir de Fbomme, que
l'homme n'est fait que pour cela, qu'il est fait pour cela, encore plus
que le soleil n'est fait pour éclairer, le feu pour chauffer, l'œil pour
voir? Le grand génie de Cicéron, tout païen qu'il était, reconnaît que
la piété, ou l'entier dévouement à Dieu, est la justice qu'on doit à Dieu,
pielas estjustitia adversus Deum (R. P. Jean, loc. cit.).
1. Matth. xi, 3o.
2. La loi de Dieu nous paraît-elle difficile ? c'est que nous avons peu
d'amour. La loi de Dieu est douce en tout ce qu'elle contient à celui
dont Je cœur est plein de charité. L'amour, dit saint Jean, consiste a gar-
der ses commandements, et ses commandements ne sont point pénibles. Joan.
xiv ; I. Joan. 5. Ils ne sont point pénibles, quand l'amour les fait gar-
der ; s'ils vous paraissent pénibles, c'est que votre cœur est plein de
l'amour du monde et de vous-même, et vide de l'amour de Dieu. Saint
Augustin fait parler le Seigneur, et lui met dans la bouche ces paroles
et ces plaintes qui sont si raisonnables : L'avarice commande les choses
les plus dures, voyez ce que j'ordonne, et faites-en comparaison : l'avarice
commande de passer les mers, d'aller dans les pays les plus inconnus,
de s'exposer à mille périls ; l'avarice est obéie, toutes mes lois sont reje-
tées. ]\'cst-il pas honteux que le monde ait plus d'autorité que Dieu ?
qu'on oppose de continuelles difficultés quand c'est Dieu qui parle ;
qu'on en surmonte tous les jours de plus considérables, quand il est
question de plaire au monde ? (Lambert, Disc, ecclésiast. 18, dise).
3. Mais,, direz-vous, il y a tant de peine à servir Dieu, il faut se faire
tant de violence, faire tant de choses difficiles qui répugnent à notre
nature ! ... — Eh bien, sachez que ces peines, ces violences, ces difficul-
tés n'ont aucune proportion avec la récompense, et qu'on doit dire que
le ciel nous est donné pour rien, pro nihilo habuerunt terrain desiderabi-,
lem. Toutes les souffrances de ce monde, dit saint Paul, ne sont pas
dignes de la gloire céleste ; toutes les tribulations, tous les maux de
cette vie, ajoute-t-il, comparés a la félicité du ciel, ne sont qu'un moment
de légère tiibulation, moine ntaneiim et levé Iribulationis: tandis (pie la gloire
qu'elles procurent est immense dans sa grandeur, infinie dans son
excellence, éternelle dans sa durée, œternum et supra modum gloriœ pon-
dus operatur in nobis. Si l'on ne vous demandait qu'un jour de jeune
pour avoir un million de francs, qu'un an de bonne conduite pour avoir
C EST l N DEVOIR POUR NOUS DE SERVIR DIE1 . <J 1
TRAITS IIISTORIQl IJÉS
Pourquoi l'on ne sert pas Dieu.
Le IL P. Marie, missionnaire du diocèse d'Osaha (Japon), dans
une lettre publiée par 1rs Missions catholiques du a août 1900,
raconte ce qui suil ;
« Combien (de païens) sont retenus par les considérations
humaines (loin de Dieu) ! I n soir, après une première conférence,
un bonze prit la parole : — Nous avez raison, dit-il, votre religion
esi La seule vraie, mais si je fais ce que vous dites, je perdrai mon
gagne-pain. Bonsoir !
u Je me consolai en me disant (pic c'était une exception. Une
autre fois je m'époumonnai trois soirs, presque trois nuits de
suite, devant le même auditoire de huit ou dix païens. Ils témoi-
gnaient d'une \ raie satisfaction, ils étaient suspendus aux lèvres
de l'orateur. Je crus cette fois la partie gagnée, Le troisième soir,
vers minuit, la voix bien fatiguée, et d'un air suppliant :
u Kl» bien, mes amis, je pense que vous avez bien compris.
Voyons, voulez-vous vous faire chrétiens?
uLe plus intelligent prit la parole: — Père! dit-il... Ace
moment, je tressaillis ; rares sont les païens qui nous donnent
ce nom.
u — Père, nous vous remercions beaucoup ; votre religion est
superbe, elle est vraie, la seule vraie...
« Nouveau tressaillement.
a — ... Mais elle est trop droite : nous ne pourrons plus faire
le commerce si nous voulons observer votre Décalogue. Donc...
« Les neuf autres firent un signe d'assentiment.
u Pauvre orateur ! Pauvre missionnaire ! »
Pauvres païens surtout, faut-il ajouter. Or, c'est exactement
pour le môme motif que les chrétiens eux-mêmes se tiennent loin
de Dieu : pour le servir, il leur faudrait renoncer à leurs passions :
et ils aiment mieux renoncer à Dieu. Pauvres, pauvres chrétiens !
Le devoir de servir Dieu consiste ;
i° A observer les commandements. — Un commerçant,
mille nus de vie parfaitement heureux, avec l'empire du monde, la
connaissance la plus entière de toutes les sciences et tous les autres
avantages désirables : trouveriez-vous ce jour de jeune trop pénible?
cet an de bonne conduite trop coûteux ? non, certainement (II. P,
Ji w. loc. cit.).
Ç)2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IV. INSTRUCTION.
homme d'esprit et de caractère, se trouvait en une société, lorsque,
tirant son mouchoir, il lui arriva de tirer en même temps son cha-
pelet, qui tomba avec bruit sur le plancher. Un jeune avocat se
permit de lui demander, avec un sourire moqueur, ce que
c'était que cela ? « C'est un chapelet, dit le commerçant en le
montrant à toute l'assemblée. — Comment ? vous, monsieur, en
plein xixe siècle ! — Oui, monsieur, moi, je porte sur moi cet
objet de piété chrétienne. De plus, monsieur, puisque vous vous
y intéressez, je vous dirai que je récite ce chapelet, que je vais à
la messe, que je me confesse ; et la raison en est simple : je suis
chrétien, et j'en remplis les devoirs. » On écouta ces paroles avec
un silence qui fit pressentir au jeune avocat un dénouement
fâcheux. En effet, le commerçant, l'apostrophant à son tour, lui
dit : « Et vous, monsieur, n'êtes-vous pas aussi chrétien ? — Si,
monsieur. — Allez-vous aussi à la messe et à confesse ? — Pour
cela, je n'aurais garde ! — Voyez : nous sommes chrétiens tous
les deux, mais il y a cette différence entre nous, que moi je rem-
plis mes devoirs, et que vous y manquez ; même, d'après vos
paroles, monsieur, vous vous glorifiez d'y manquer. Or, je crois,
et cette honorable société sera d'accord avec moi, que lorsqu'on
manque à ses devoirs, on a tort de s'en vanter. » On applaudit à
ces paroles, et le jeune impie se trouva confondu.
2° A pratiquer les maximes de l'Évangile. — Le 21 mars
1670, mourut à Porto un père de famille, appelé Henri Nugnez de
Gouvea, que l'on peut appeler le modèle des chrétiens dans le siè-
cle. Maître d'une brillante fortune à l'âge de dix-huit ans, Henri
Nugnez ne s'était pas livré au désordre, mais il avait donné en
plein dans l'amour du monde et de ses vanités. Nul gentilhomme
ne se piquait d'étaler plus de magnificence, nul n'avait de plus
beaux chevaux, ni un plus nombreux cortège d'esclaves ; et jus-
qu'à l'âge d'environ trente ans, il fut comme l'âme de toutes les
fêtes, entraînant à sa suite tous ceux qui aimaient le faste et la
joie. Mais la parole apostolique du P. François Strada, de la Com-
pagnie de Jésus, si justement appelé en Espagne la Trompette du
Saint-Esprit, suffît pour faire en peu de jours de ce jeune mondain
un chrétien exemplaire. Après les premiers sermons de Strada,
Nugnez alla le chercher à l'hôpital, le priant d'accepter un asile dans
sa maison, et de lui apprendre à en faire une véritable maison
chrétienne. A partir de ce moment, sa fortune n'appartint plus au
monde, mais aux pauvres, et à toutes les œuvres de zèle et de
charité. Le fréquent usage des sacrements, l'oraison, la pénitence,
toutes les saintes industries, pour mieux foire connaître et aijner
C'EST UN DEVOlll POUR NOUS DE SERVIR DIEU. (),">
Notre-Seigneur, par sa femme, ses enfants, ses serviteurs, ses
parents et ses amis, devinrent son unique préoccupation.
Chaque soir. Nugnez Taisait Lui-même le catéchisme à ses servi-
teurs, ou s'entretenait avec sa pieuse femme Béatrix de Madeira.
et avec tonte sa famille, de quelque sujet pieux et intéressant, qui
pût doucement inspirer l'amour de la vertu.
Son délassement le pins ordinaire était d'aller soigner les pau-
vres de l'hôpital, faire leur lil et panser leurs plaies, ou de visiter
les prisonniers ; et il prenait alors pour compagnon l'un ou l'autre
de ses enfants, que son exemple animait ainsi sans violence
à se vaincre eux-mêmes. Aussi vit-il les trois aînés entrer avant
sa mort dans la Compagnie de Jésus ; tandis que ses deux jeunes
filles embrassèrent la règle de sainte Glaire, et le dernier de ses
fds la règle de saint François.
Lorsqu'il vit la mort approcher, il demanda lui-même les
sacrements, qu'il reçut avec sa j$|été ordinaire. Après son
action de grâces, il fit avec un calme et une joie incomparable ses
derniers adieux à sa famille et à ses amis. Ensuite il annonça
secrètement à Béatrix de Madeira que dix ans plus tard, jour pour
jour, elle viendrait le rejoindre au ciel. Quelques instants après,
il rendit doucement son âme à Dieu, en baisant une dernière fois
son crucifix. Dix ans après, le même jour, 21 mars, voyait s'ac-
complir à la lettre la prophétie du serviteur de Dieu. Et \otre-
Seigneur voulut en outre que sa dépouille, retrouvée intacte et
exhalant un parfum délicieux, fût comme un nouveau témoignage
de sa sainteté et de sa gloire dans le paradis.
Pourquoi c'est pour nous un devoir de servir Dieu.
i° Parce qu'il est notre souverain Maître. — Saint Augus-
tin, in Ps. lxx, demande pourquoi Dieu, après avoir créé Adam,
lui défendit de manger d'un certain fruit, qui néanmoins était bon,
et le menaça d'un si grand supplice s'il en mangeait. Ce saint
docteur, afin de rendre plus agréable et plus sensible l'éclaircisse-
ment qu'il donne à cette question, introduit Dieu qui parle à
Adam, et Adam qui lui répond :
« Je suis votre créateur et votre maître, dit Dieu au premier
homme. Je vous ai rendu comme un ange sur la terre. Je vous
ai établi dans ce jardin de délices plein de beaux arbres et d'ex-
cellents fruits, dont vous userez comme il vous plaira ; mais pour
cet arbre que je vous marque, je vous défends d'y toucher, et vous
mourrez très certainement si vous le faites. — Quel est donc cet
arbre, répond Adam, auquel il n'est pas permis de toucher ? Sril est
()/i LES U.llAftDS DEVOIRS DU SALUT. tV. INSTRUCTION.
mauvais, pourquoi se trouve-t-il dans ce jardin, où il n'y a rien
que d'excellent ? et s'il est bon, pourquoi est-il défendu d'en
manger ? »
Voici la réponse que Dieu fait : « Cet arbre est bon : je ne l'au-
rais pas mis dans le paradis s'il n'était bon. Cependant je ne veux
pas que vous y touchiez. Si vous demandez pourquoi je ne le veux
pas, c'est pour vous apprendre que je suis votre Seigneur, et que
vous êtes mon esclave, que c'est à moi de vous commander, et à
vous de m'obéir. C'est là la raison du commandement que je vous
fais. Si vous ne la recevez pas, vous refusez donc de vous recon-
naître pour mon serviteur, et moi pour votre souverain. Et cepen-
dant cette soumission que je vous demande vous est aussi néces-
saire et aussi avantageuse qu'elle m'est inutile. Carie Créateur
n'a besoin ni de sa créature, ni de l'obéissance qu'elle lui peut
rendre ; mais la créature a un besoin infini de son Créateur. Je
vous ai rendu le maître de tous- les arbres de ce jardin délicieux.
Je n'en excepte qu'un seul, dont je vous commande de vous abs-
tenir, pour me donner cette marque de l'hommage volontaire que
vous me devez. Considérez que si cet arbre est bon, l'obéissance
est infiniment meilleure ; et que, quelque excellent qu'il soit, si
vous en mangez contre mon ordre, il deviendra pour vous un
poison mortel. Si je ne vous avais point fait ce commandement,
vous devriez souhaiter queje vous en fisse quelqu'un, et être ravi
que, vous ayant comblé de tant de biens, vous puissiez m'en témoi-
gner votre reconnaissance par la joie avec laquelle vous vous feriez
gloire de m'obéir. En un mot : Je suis votre maître et vous
êtes mon serviteur.
2°Parce que nous nous y sommes engagés. — Les soldats de
la légion ïhébaine, qui tous étaient chrétiens, ayant refusé de prendre
part à une cérémonie païenne, avaient déjà été deux fois décimés
pour ce fait. Mais le courage des survivants, n'en fut point ébranlé,
et tous se déclarèrent prêts à souffrir la mort comme leurs cama-
rades, plutôt que de manquer à la fidélité qu'ils devaient à Dieu.
« Nous sommes vos soldats, écrivirent-ils à l'empereur, mais nous
sommes aussi les vrais serviteurs de Dieu. Nous le confessons
librement : nous vous devons le service de la guerre, et à lui
l'innocence de notre conduite ; nous recevons de \ous la paie,
mais c'est lui qui nous a donné la vie; nous ne pouvons vous
obéir en renonçant à Dieu, notre Créateur, notre maître et le
votre. Nous lui avons fait serment avant de vous le faire] et vous
ne devriez plus vous lier au second serment, si nous violions le
premier. Mais plutôt que de commettre cette bassesse, nous mour-
« 'EST UN DEVOIR coi R noi s DE SERVIR DIEU. <).>
rons tous. » El l'empereur ayanl l'ail avancer contre eux ses trou-
pes, tous se laissèrent massacrer sans opposer aucune résistance.
Comment il faut servir Dieu.
\°En accomplissant tous ces commandements. — Un en-
fant venaitde Faire sa Première Communion. Le dimanche suivant.
comme il quittait sa maison pour se rendre à l'Église, son père
l'interpella en lui disant : « Ou vas-tu donc ? — Je vais à la messe,
c'esl aujourd'hui dimanche, répondit le jeune garçon. — A la
Messe '.' Ali ! il ne faut plus parler de cela maintenant. — Mais,
mon père, c'esl yn des commandements de Dieu qui nous l'or-
donne. — Les commandements de Dieu ? c'était bon jusqu'à la
Première Communion ; niais à présent, tu feras bien de mettre
cela de coté. — Mais, mon père, il y a aussi un commandement
de Dieu qui ordonne aux enfants d'honorer leurs pères et mères:
dois-je mettre également celui-là de côté ? Fn effet, si je n'obéis
pas à Dieu lorsqu'il m'ordonne de sanctifier le dimanche, pourquoi
lui obéirai-je l'orsqu'il m'ordonne de vous respecter? » Le père,
frappé de ce simple raisonnement, non seulement laissa son fils
aller à la messe, mais dès ce jour il commença à devenir un bon
chrétien.
a0 Avec courage, et quoi qu'il puisse nous en coûter. —
i. Du temps de la révolte du parlement d'Angleterre contre le roi
Charles Ier, Fairfax, général de l'armée parlementaire, ayant mis le
siège devant Glocester, place qui tenait pour le roi, se servit d'un
cruelstratagèmepourobligerlebaron Capel, quien était gouverneur,
à se rendre à discrétion. Capel avait un fils unique, âgé de dix-
sept ans, bien fait et plein d'esprit, qui étudiait à Londres. Fairfax
le fit amener dans son camp. 11 proposa ensuite une entrevue au
gouverneur. Capel l'accepta, et se rendit au lieu dont il était con-
venu. Mais il fut bien étonné de voir son fils nu jusqu'à la cein-
ture, les mains liées derrière le dos, au milieu de quatre soldats,
deux qui avaient le poignard tiré contre lui, et deux qui lui
tenaient le pistolet appuyé sur la poitrine. Pendant qu'il regardait
ce triste spectacle, il entendit un des officiers de Fairfax qui lui
dit : a Préparez-vous avons rendre, ou à voir couler le sang de
votre fils, » Capel, pour toute réponse, cria à son fils avec fermeté :
o Mou Bis, scmvenez-vous de ce (pic vous devez à Dieu et au roi ; »
paroles qu'il répéta trois fois. Ensuite il rentra dans la place, et
exhorta les officiers à périr plutôt que de capituler. Fairfaxne
poussa pas plus loin la tragédie. Dès que Capel se lui retiré, il (il
habiller son lils cl le renvoya à Londres. — Ce trait ne condamne-
q6 les grands devoirs du salut. IV. INSTRUCTION.
t-il pas tant d'indignes chrétiens, qui n'ont pas le courage de
sacrifier à la fidélité qu'ils doivent à Dieu, je ne dis pas un enfant
chéri, mais une vaine satisfaction, une inclination criminelle ?
2. En l'année 1900, la Chine a encore vu de nombreux chrétiens
donner leur vie plutôt que de renoncer à servir Dieu. Voici les
actes d'un de ces martyrs, tels que les rapporte La Croix, du
27 février 1901, d'après les Missions catholiques :
« Ou Yenn Yinn était tifang (maire) pour la partie chrétienne de
) son village, et quand les païens se présentèrent pour démolir
l'église, il s'y opposa. Dénoncé au mandarin, il fut cité au tribu-
nal. Prévoyant qu'il n'en sortirait pas vivant, il se mit à genoux
devant sa vieille mère pour lui faire ses derniers adieux, et cette
héroïque femme lui dit :
— Si tu meurs pour la foi, le bon Dieu aura soin de nous ; ne
te préoccupe ni de moi, ni des enfants. Si tu apostasies, je ne te
reconnais plus pour mon fils.
— Mère, répondit-il, soyez tranquille. Avec la grâce de Dieu, je
n'apostasierai pas.
— Tu es chrétien ? lui demanda le sous-préfet. Aujourd'hui,
cela n'est plus permis, il faut changer de religion.
— Je ne le puis.
— Ta ! (frappez !).
Les bourreaux infligèrent au confesseur le supplice de la bas-
tonnade, jusqu'à ce qu'il eût perdu connaissance. Quand il fut
revenu à lui, le mandarin l'invita de nouveau à apostasier, et, sur
son refus, le fit battre une seconde fois et sans plus de résultat.
Alors il le fit suspendre dans la cage en bois. Le martyr lui dit :
— Lorsqu'à force de souffrir, je ne pourrai plus parler et que
vous me verrez remuer les lèvres, ce ne sont pas des paroles
d'apostasie que je prononcerai, ce seront des prières.
Au bout de quelques instants de supplice de la cage, les satel-
lites, jugeant à l'altération de ses traits qu'il allait mourir, se
hâtèrent de le dépendre. Il était trop tard, Ou Venn Yinn avait
cueilli la palme des triomphateurs célestes. »
3° Ouvertement et avec fierté. — Deux voyageurs, Etienne
et son ami, raconte Louis Veuillot, descendirent à une auberge pour
dîner. C'était un vendredi, La table d'hote était exclusivement
servie en gras. Les deux voyageurs demandèrent du maigre. En les
entendant, plusieurs des convives les regardèrent avec étonnement,
puis se mirent à chuchoter entre eux. L'aubergiste arriva : « Ces
messieurs désirent?... dit-il aux nouveaux venus. — Du maigre, ré-
pondirent hautement ceux-ci.— Je suis désolé, dit l'aubergiste avec
c'est un devoir pour nous de servir dieu. 97
un sourire contraint, il u'\ a pas de maigre. — Faites-en, Monsieur.
— Ce sera long, cl la diligence n'attend pas. — Alors, Monsieur,
donnez-nous du pain, du vin et du fromage. Arrangez-nous cela
pour une vingtaine de sous. — Je crois, reprit l'aubergiste, qu'on
peut manger ce qu'on trouve, et qu'on n'est pas damne pour ça.
— Pendant que vous raisonne/, observa Etienne, vous auriez déjà
fait une omelette, et pendant que nous vous répondrions, nous ne
dînerions pas.»
L'aubergiste paraissait hésiter, lorsqu'une voix de basse, partie
du fond de la salle, lit frémir les vitres comme le son du tambour.
u Donnez-nous du maigre ! »
Tout le monde regarda. On vit entrer un grand militaire, vrai
colosse, de la plus fière et de la plus martiale figure : moustache
grise, rosette d'officier, col d'ordonnance, balafre terrible sur le
front : un colonel pour le moins. On su depuis que c'était un brave
général. Une dame d'un aspect plus doux et non moins respecta-
ble, l'accompagnait. Derrière eux se tenait, tout à la fois fière et
timide, une fille de seize ans, véritable lien de fleurs entre ces
deux forces grandioses.
Voyant ces trois personnages, l'aubergiste perdit toute sa philo-
sophie et toute sa mauvaise humeur. En un tour de main, les
cinq voyageurs qui avaient demandé du maigre étaient servis en
maigre, et les chuchoteurs de la table d'hôte ne disaient plus rien.
SOMME DU PREDICATEUR. — T. II.
CINQUIÈME INSTRUCTION
(Vendredi de la Première Semaine)
C'est un devoir pour nous d'aimer Dieu.
1. Pourquoi nous devons aimer Dieu. — IL Comment nous devons
aimer Dieu. — III. A quels signes nous pouvons reconnaître si nous
aimons Dieu.
Connaître Dieu, honorer Dieu, servir Dieu, tels sont,
nous l'avons vu dans nos précédents entretiens, les trois
premiers devoirs dont nous avons à nous acquitter envers
notre Créateur et souverain Seigneur. Mais il en est encore
un qui nous incombe à son égard, c'est celui de l'aimer.
Le devoir d'aimer Dieu ne vient logiquement qu'après les
autres, parce que, pour aimer Dieu, il faut commencer par
le connaître, par l'honorer et le servir. Le devoir d'aimer
Dieu est donc comme le couronnement de nos autres
devoirs envers lui. Et tout en étant inséparable de ces autres
devoirs, comme le fronton d'un édifice est inséparable des
murs qui le soutiennent, cependant il ne laisse pas d'être
véritablement le plus essentierd'eux tous. C'est ce que nous
apprend l'apôtre sa^nt Paul, lorsqu'il nous dit, de lui-
même, ce que chacun de nous peut dire également de soi :
Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges
mêmes, si je n'ai pas la charité, si je n'aime pas Dieu, je suis
comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand
j'aurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystè-
res et toutes les sciences, et quand f aurais toute la foi possible
jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, si
je n'aime pas Dieu, je ne suis rien. Et quand je distribuerais
toutes mes richesses pour nourrir les pauvres, et que je livre-
rais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, si je
n'aime pas Dieu, tout cela ne me sert de rien (i). Telle es
i. I. Cor. xiii, i-3.
H)l II NOUS D AIMER DIEU. <)Q
L'excellence de I;i charité envers Dieu, telle est la nécessité
supérieure de l'aimer. Ce sciait en vain, par conséquent,
que nous connaîtrions Dieu, en vain que nous l'honore-
rions, en \aiu même que nous le servirions, si en outre
nous ne L'aimions pas. Combien, en effet, qui connaissent
Dieu, comme L'ont connu les mauvais anges; qui honorent
el servent Dieu, comme l'ont honoré les scribes et les pha-
risiens et qui. non plus que les mauvais anges, les scribes et
les pharisiens, ne seront pas sauvés! Qu'a-t-il manqué aux
mauvais anges, si éclairés des choses divines, ainsi qu'aux
serihes et aux pharisiens, si scrupuleusement observateurs
de la loi, pour n'être pas sauvés? Il leur a manqué d'aimer
Dieu. Et c'est également ce qui manque à beaucoup de
chrétiens qui, tout en connaissant Dieu, tout en l'honorant
et en le servant d'une certaine manière, cependant se dam-
nent. Pour éviter un si irréparable malheur, nous allons
étudier, dans ses parties essentielles, le devoir qui nous
incombe d'aimer Dieu, afin de pouvoir nous en acquitter
aussi parfaitement que l'exige le salut de notre âme. Nous
dirons d'abord pourquoi nous devons aimer Dieu, ensuite,
comment nous devons aimer Dieu, et enfin à quels signes
nous pouvons reconnaître si nous aimons Dieu (i). —
i. Dnplicem ob causam diligendus est Deus : quia nihil justius, et quia
nihil diligi fructuosius potest ; suo scilicet merito, et nostro commodo.
S. Bcrn. — Premier point. Il n'y rien de plus juste. i° Parce que c'est
une action de justice de donner notre affection à tout ce qui la mérite,
à tout ce qui est bon et parfait. Or, c'est un grand champ qu'on a
pour s'étendre sur les perfections de Dieu, qui sont l'objet le plus digne
de nos affections : d'où l'on peut conclure que c'est la dernière et la
plus criante de toutes les injustices de lui refuser notre amour. 2° Parce
que Dieu a droit sur les affections de notre cœur en qualité de Créateur
qui nous a donné l'être, qui nous le conserve, et sans lequel nous ne
pourrions subsister un seul moment : sur quoi on peut rapporter les
principaux bienfaits que nous avons reçus de sa bonté infinie, et dont
il n'y en a aucun qui ne mérite tout noire amour. 3° Parce qu'il nous
a aimés le premier : car il n'y a rien de plus juste que d'aimer ceux qui
QOUS liment ; el c'est même le meilleur moyen de se faire aimer, que
de prévenir un autre. < >r, quel a été l'amour de Dieu envers les hommes,
<l envers nous en particulier ? — Second point. On peut considérer les
avantages que nous recevons de notre amour envers Dieu. Quoique ce
motif nous semble intéressé, cela même fait qu'il est l'un des plus
puissants pour nous porter à l'aimer. Le premier avantage donc que
nous en recevons, est que la charité fait tout notre mérite, et notre
100 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
Seigneur, puisque c'est finalement pour que nous vous
aimions que vous nous avez créés, et que tous nos autres
devoirs aboutissent à ce devoir et s'y résument, nous vous
en prions, que désormais notre esprit connaisse irrésisti-
blement la nécessité et la manière de vous bien aimer,
et que notre volonté se conforme en tout aux lumières de
notre esprit.
I. — Pourquoi nous devons aimer Dieu. — Commen-
çons par dire ce que c'est qu'aimer. Sans entrer dans des
détails qui nous écarteraient de notre sujet, bornons-nous à
dire qu'aimer, c'est, d'une manière générale, s'attacher à un
objet, qu'il s'agisse d'une personne ou d'une chose. Par
conséquent, aimer Dieu, ce n'est donc pas nécessairement
éprouver pour lui une tendresse sensible, comme celle
qu'on éprouve, par exemple, pour un ami. Assurément, on
peut désirer d'aimer Dieu ainsi, à cause de la douceur qu'on
y goûte ; mais cela n'est nullement exigé, parce que cela
ne dépend pas de nous ; mais ce qui dépend et qui est
rigoureusement exigé de nous, c'est d'aimer Dieu de cet
grandeur devant Dieu ; c'est par là encore la preuve de l'estime qu'il
fait de nous, de Famour qu'il a pour nous ; et ensuite, c'est la source de
tout notre bonheur sur la terre et dans le ciel : ce qui a fait dire à saint
Bernard que la charité est la quantité de l'àme, qui devient plus ou
moins grande à proportion de cette charité. 20 C'est en cela que consiste
notre perfection, et notre sainteté ; de sorte que, quelque talent et quel-
que avantage que nous ayons d'ailleurs, si nous n'avons plus de cha-
rité, nous n'en sommes pas plus saints. 3° La mesure de notre charité,
sur la terre, fera la mesure de notre gloire dans le ciel. Les ^preuves de
toutes ces vérités sont aisées à trouver et à étendre ; et la morale natu-
relle qu'on en doit tirer, doit être affectueuse et pressante. La conclu-
sion sera que l'amour de Dieu doit faire notre première et principale
occupation en cette vie, pour continuer cet heureux exercice durant
toute l'éternité (Houdiiy, Biblioth. des Prédic. verb. Amour de Dieu,
S i, n. i).
Deux raisons pourquoi nous n'aimons pas Dieu, quoique la nature et la
grâce nous y portent. La première est notre aveuglement : nous ne con-
naissons pas combien Dieu est aimable, ni la nature de l'amour que
nous lui devons. Or, il faut porter la lumière à ces yeux aveugles, en
leur faisant voir combien Dieu est aimable, et comment nous devons
l'aimer... La seconde est la dureté et l'ingratitude de notre cœur, qui
préfère les choses de ce monde à Dieu. Il faut tacher d'amollir la dureté
de ces cœurs, par la pensée des bienfaits de Dieu, et de l'amour qu'il
nous a porté le premier (ld. loc. cit. n. 7).
C EST UN DEVOIR POUR NOUS D AIMER DIEU. 10 1
amour qui consiste à s'attacher à lui eu se donnant tout à
lui, et à no se jamais détacher de lui en se reprenant d'une
manière ou (rime autre.
Or, nous devons aimer ainsi Dieu, d'abord parce que cela
osl juste e! conforme à la raison. Faisons bien attention à
eeei. N'est-il pas juste et eonformc à la raison qu'un enfant
aime ses parents, c'est-à-dire qu'il leur soit tout au moins
inviolable ment attaché de cœur? Sans nul doute. Mais pour-
quoi ? > 'est-ce pas parce qu'il tient d'eux la vie, avec toutes
les faeultés dont il jouit, notamment celle d'aimer, et qu'il
serait injuste, contraire à la raison et à la nature, qu'il ne se
servît pas de cette faculté pour aimer d'abord ses parents,
avant et plus que toutes les autres créatures ? Et l'enfant
qui n'agirait pas ainsi, n'est-il pas vrai qu'il serait traité
d'ingrat, et de cœur dénaturé? Eh bien, ce qui "est juste
et conforme à la raison, ici, de la part de l'enfant à
l'égard de ses parents, est plus juste et plus conforme
encore à la raison de la part de tout homme à l'égard
de Dieu. Car dans le don de la vie et de la faculté d'ai-
mer, qui est fait à l'enfant, les parents ne sont que des
instruments et des intermédiaires ; tandis que c'est Dieu
lui-même qui nous fait à tous ce don, qui le tire du néant
par sa toute-puissance pour nous l'accorder. Or, n'est-il
pas de toute évidence qu'on est plus redevable à la personne
qui nous fait un don, qu'à celle qui seulement nous le
remet? Si donc il est juste et conforme à la raison, répéte-
rons-nous, d'aimer nos parents, qui nous ont transmis la
faculté d'aimer ; incontestablement il est mille fois plus
juste encore et plus conforme à la raison d'aimer Dieu, lui
qui nous a cloués de cette faculté en nous donnant la vie.
C'est d'autant plus pour nous un devoir d'aimer Dieu,
qu'il est souverainement aimable par ses infinies perfec-
tions. Même en tenant de Dieu notre faculté d'aimer, nous
serions excusables dans une certaine mesure de ne pas
user de cette faculté pour nous attacher à lui, s'il n'était
pas aimable, ou pour nous attacher à lui moins qu'à
certaines autres choses, s'il en existait qui fussent plus
aimables que lui, qui fussent plus capables de s'attirer notre
attachement par leurs perfections. Mais nous venons
102 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — V. INSTRUCTION.
de le dire : par ses perfections, il est souverainement
aimable ; c'est-à-dire , non seulement aimable en lui-
même d'une manière absolue, mais encore plus aimable
que tout ce qui existe, et même^que tout ce qu'on peut
imaginer. — Souverainement aimable en lui-même il l'est,
puisque tout ce qui est capable de provoquer l'attachement
et l'amour, il le possède. Qu'est-ce, en effet, qui nous
charme et nous subjugue? N'est-ce pas la grandeur et la
puissance, la richesse et la splendeur, l'esprit et la science,
la justice, la noblesse, la beauté, la générosité, la douceur,
en un mot, toutes les prérogatives et toutes les perfections
qui brillent ça et là dans certaines créatures plus ou moins
privilégiées et favorisées? Eh bien, toutes ces prérogatives et
toutes ces perfections, avec une infinité d'autres dont nous
n'avons même pas l'idée, se trouvent réunies en Dieu. C'est
ainsi qu'étant souverainement parfait, il est souverainement
aimable, puisqu'il possède absolument tout ce qui est capa-
ble d'attirer l'amour. — D'où il suit, naturellement, qu'il est
infiniment plus aimable qu'aucune créature, et que toutes
les créatures ensembles. Car aucune créature ne possède
toutes les perfections, ni même aucune perfection au degré
infini où Dieu les possède toutes. Aucune créature, en effet,
n'est belle comme Dieu, sainte comme Dieu, puissante
comme Dieu, et le reste. A côté de Dieu, toute beauté n'est
que laideur, toute sainteté n'est que souillure, toute puis-
sance n'est que faiblesse. Les perfections que nous voyons
dans les créatures, leur viennent de Dieu, qui ne leur en a
donné que quelques minimes parcelles, tandis qu'il en est
la source infinie. D'ailleurs, les créatures, aux perfections
qui attirent se mêlent des défauts qui repoussent ; souvent
à la beauté est jointe la perfidie, à la puissance la dureté,
à la générosité la violence. Mais il n'en est pas ainsi en
Dieu, où ne se trouve aucune imperfection, si légère qu'on
veuille la supposer (i). — Comment donc, dès lors, pour-
i. Quand, dans les créatures, nous supposerions toutes les perfec-
tions réunies, sans aucun mélange d'imperfections, par là même
qu'elles doivent bientôt finir, ne sont-elles pas très défectueuses et très
imparfaites P De tout ce qui est créé, il n'est que notre âme qui soit
Immortelle. Ainsi, à la mort, la majesté de cette taille disparaît et s'é-
C'EST l N DEVOIR POUR NOl S D* AIMER DIEU. Iû3
rions -nous n'être pas tenus à aimer Dieu? Il faudrait dire,
dans iv cas, qu'il n'y a pas pour nous obligation morale de
nous conduire selon les Lumières de la raison, et qu^il nous
est licite de n'en tenir aucun compte. La raison nous dit
ici, en effet, que notre faculté d'aimer, nous devons nous
en servir pour nous attacher, avant tout, à ce qui en est le
plus digne; comme la raison nous dit pareillement d'em-
ployer d'abord notre argent à nous procurer ce qui nous est
le plus utile. Or, puisqu'il n'\ a rien qui soit plus digne de
noire amour et de notre attachement que Dieu, à cause de
ses perfections infinies el lies pures, c'est donc pour nous
un devoir de l'aimer, et en même temps de l'aimer avant et
plus <pie toutes les créatures. Ah ! pensons donc souvent,
chrétiens, aux admirables perfections de Dieu, qui le ren-
dent si souverainement aimable, et cette pensée assidue
contribuera certainement, dans une large mesure, à nous
le faire aimer de tout notre cœur.
Mais il y a encore un autre motif qui nous fait un devoir
d'aimer Dieu, et qui nous touchera peut-être davantage,
savoir, ses bienfaits. Il n'a pas suffi à Dieu, en effet, d'avoir
le droit d'être aimé de nous, en conséquence de la faculté
d'aimer dont il nous a doués, ni de se savoir digne d'être
aimé par ses perfections infinies ; il a voulu en outre provo-
quer et acheter en quelque sorte notre amour, par les bien-
faits sans nombre dont il nous a spontanément comblés.
vanouit, la vivacité de ces yeux s'obscurcit, cette bouche éloquente se
ferme, cet esprit sublime s'envole et ne laisse qu'un cadavre hideux,
qui lait horreur à toute la nature. Ainsi les plaisirs les plus exquis,
comme les flots les plus Impétueux de la mer, vont se briser contre un
peu de poussière. Ainsi tombent ces grands, ces puissants du siècle dont
l'éclat nous éblouit, et sur leurs ruines s'élèvent d'autres grands, d'au-
tres puissants, qui tombent euv-mèmes à leur tour. Ah! chrétiens,
faut-il donc qu'un cœur qui doit toujours durer s'attache à des objets
si périssables ! et un bonheur qui doii finir n'cst-il pas une vraie source
de chagrins et d'amertune ? Il est doux de posséder un bien après lequel
on soupirait depuis longtemps; mais est-il doux de s'en voir dépouil-
ler? El n'a-l-on pas souvent plus de peine à en sou (Trir la perte
qu'on na eu de plaisir à en jouir? Ta autem idem ipse es, et anni tui non
déficient. Ps. ci. Ah ! qu'une âmequi ne s'attache qu'à Dieu place bien
mieux ses affections : Bile possède tout en lui, et elle est sure de le pos-
séder toujours avec l<s mêmes agréments et les mêmes attraits (Dur w,
S. J. Sermon sur l 'amour de pieu, i. p.).
104 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
N'est-il pas vrai que celui qui reçoit un bienfait, contracte
par là même l'obligation d'avoir pour son bienfaiteur des
sentiments de reconnaissance, d'attachement et d'affection?
et que s'il n'a pas ces sentiments, il manque à son devoir?
Eh bien, si c'est un devoir de payer par de l'attachement et
de l'affection le moindre bienfait reçu, quelle obligation
n'açvons-nous pas d'aimer Dieu et de lui être attachés, pour
les bienfaits si grands et si nombreux qu'il nous a déjà
accordés et qu'il continue de nous accorder sans cesse ! Il
n'est rien en effet, de tout ce que nous avons, qui ne nous
vienne de Dieu. Est-il besoin de le dire ? C'est lui qui nous a
donné la vie et qui nous la conserve ; c'est lui qui nous a
donné nos parents, et qui a mis dans leur cœur le dévoue-
ment qu'ils ont eu pour nous ; c'est lui qui entretient notre
santé, qui fait germer et mûrir les moissons dont nous
nous nourrissons, et qui alimente ces sources dont les
eaux nous sont si nécessaires. Voilà pour notre corps. Quant
à notre âme, c'est lui aussi qui nous l'a donnée ; c'est lui
qui, lorsqu'elle était perdue, l'a rachetée au prix du sang
de son Fils unique fait homme (i) ; c'est lui qui la purifie
des taches qu'elle contracte, et la sanctifie par sa grâce ;
c'est lui enfin qui lui offre le ciel en récompense, si elle lui
est fidèlement attachée pendant la vie présente. Et pour tous
ces bienfaits, nous ne serions pas tenus d'aimer Dieu !
Tant que la reconnaissance fera ici-bas, à tout obligé, un
devoir d'aimer son bienfaiteur, l'amour de Dieu sera tou-
jours pour nous, chrétiens, un devoir inéluctable.
Une dernière raison enfin qui nous fait un devoir d'aimer
Dieu, c'est le commandement qu'il nous en a imposé. Oui,
chrétiens, malgré tous les motifs que nous avons de l'aimer,
Dieu a voulu nous le commander formellement. Il savait qu'il
se trouverait des âmes que la raison ne convaincrait pas, que
i. Père éternel! en me donnant votre Fils, vous m'avez donné ce que
vous aimiez autant que vous-même ; et il semble que vous m'ayez aime
plus que lui, en l'immolant pour l'amour de moi. 0 amour ! qui êtes
si bon envers un si misérable pécheur, comment avez-vous pu être
si sévère à l'égard du Saint des saints ? O mon àme ! si tu dois aimer
ceux qui te haïssent, combien es-tu obligée d'aimer celui qui t'a tant
aimée ! Mais situ ne peux lui rendre sang pour sang, qui t'empêche de
lui rendre amour pour amour (Anonyme) ?
I 'EST I N DEVOIR POUR NOUS n'AIMER DIEU. 105
la reconnaissance ne toucherail pas, et auxquelles il fau-
drait un commandemenl formel. Voilà pourquoi Dieu a fait
ce commandement, qui ligure non moins dans la loi
ancienne que dans la Loi nouvelle. La première parole qui
se lil entendre du Sinaï, d'où Dieu parlait «à son peuple, fut
en effet celle ci : Écoute, Israël, ce que ton Dieu te com
mande : '/'// aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de tout ton esprit, de toutes les forces. Tu conserveras précieu
sèment ces poroles dans ton cœur, lu les enseigneras à tes
enfants . tu les méditeras assis à ton foyer, le long de ton che-
min, le matin et le soir; tu les attacheras à ta main; lu les
'placeras entre tes yeux, afin de ne jamais les perdre de vue, tu
les inscriras sur le seuil et sur la porte de ta maison (i). Tel
fut le premier et principal précepte de l'ancienne alliance.
C'est ce que déclara solennellement le Sauveur, lorsqu'un
docteur de la loi lui ayant demandé quel était le plus grand
commandement, il repondit, proclamant de nouveau ce
divin précepte : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout
votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces. C'est là
le premier et le plus grand de tous les commandements (2). —
Après ce commandement si clair et si positif, notre devoir
d'aimer Dieu est donc absolument indiscutable. Ce n'est plus
seulement la raison qui, partant de principes très certains
et très évidents, nous le démontre ; c'est la voix même
de Dieu qui le formule et nous l'impose. Ah ! chrétiens,
faut-il que Dieu ait été obligé d'en venir jusque-là, de nous
faire un commandement de l'aimer! Aimer Dieu, aimer
un être si parfait et si bon, n'est-ce pas une chose que nous
aurions dû demander comme le plus insigne des honneurs
et la plus douce des joies ? Si un homme avait le millième
des perfections de Dieu, et s'il avait fait le millième de ce
que Dieu a fait pour nous, aurait-il besoin de nous com-
mander de L'aimer ? Nous en ferions notre idole, et nous le
fatiguerions de nos empressements. Puisque Dieu, infini-
ment plus parfait et meilleur que ne serait cet homme,
nous fait en outre un commandement de l'aimer, ah! ne
1. Deut. vi et sq. Cf. Deut. x, 12 ; iv, 3o.
2. Matth. xxii, 37 et 38.
IOÔ LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
lui disputons plus un amour que nous lui devons à tant
de titres, mais aimons-le enfin, et comme nous devons
l'aimer (i).
i. Prétextes de l'indifférence. — Le cœur de l'homme, dit-on, est
incliné vers les choses sensibles, et Dieu ne tombe pas sous les sens;
est-il étonnant que Ton se laisse prendre à la créature que l'on voit, de
préférence à Dieu qu'on ne voit pas? Première excuse de ceux qui n'ai-
ment pas Dieu. J'ai déjà remarqué que nous aimions naturellement et
comme par instinct tout ce qui est beau, tout ce qui est bon, tout ce
qui est grand, sans avoir besoin du témoignage de nos yeux. Que de
grands personnages nous admirons, nous aimons, non pour avoir vu
leurs traits, mais pour avoir ouï parler de leurs belles actions ? Que de
héros fabuleux dont vous suivez avec intérêt les aventures, et dont vous
pleurez les feintes infortunes ! Leur générosité, leur dévouement, leur
héroïsme ne sont pas, il est vrai, un spectacle pour vos yeux ; mais ils
sont un spectacle pour votre âme ; et saint Augustin a raison de dire
que nos affections s'adressent moins à l'homme extérieur qui frappe
nos sens qu'à l'homme intérieur qui est saisi par la pensée : Constat
plus amari hominem interiorem quam exleriorem.
Mais est-il bien vrai que nous ne voyions point Dieu ? Essayons ici
une supposition, et ne craignons pas d'employer le langage des para-
boles dont l'usage a été consacré par l'Évangile. Il n'est pas impossible
qu'un enfant n'ait jamais vu son père, ayant été transporté, dès le ber-
ceau, dans une région lointaine par un de ces évènemenis singuliers
qui traversent quelquefois la vie de l'homme sur la terre. Le père
cependant lui adresse les lettres les plus tendres, et trompe les ennuis
de cette cruelle séparation par une fidèle correspondance, doux supplé-
ment du plaisir de se voir et de se parler, heureuse consolation de
l'absence ; chaque vaisseau qui touche au port lui apporte des nouvelles
de ce fils bien-aimé ; chaque vaisseau qui met à la voile transmet à ce
même fils les vœux et les sentiments de la piété paternelle, accompagnés
des dons les plus généreux et des prévoyances les plus délicates sur ses
besoins. Je vous le demande, cet enfant, que je suppose bien né, pour-
rait-il se défendre d'un attendrissement profond chaque fois qu'il pen-
serait aux bontés de son père ? Que si quelqu'un, surprenant des larmes
dans ses yeux, dans un de ces moments de sensibilité, s'avisait de lui
dire : Comment donc pouvez-vous aimer si fort un père que vous n'avez
jamais vu ? — Ah ! répondrait ce jeune homme reconnaissant, puis-je ne
pas le voir danstout ce qu'il fait pour moi? Ne vois-jc pas son cœur dans sa
plume et dans sa main ? Oui, je le vois dans ces caractères qu'il a tracés,
je le vois dans ces bienfaits qu'il me prodigue ; lisez donc ce qu'il m'é-
crit, considérez les dons qu'il m'envoie, et jugez si je puis avoir une
image plus vive, un portrait plus fidèle du meilleur des pères ? Chré-
tiens, Dieu n'est-il pas votre père ?Et sur cette terre étrangère où nous
voyageons un moment, Seigneur, loin de la maison paternelle, n'au-
rons-nous donc des yeux (pie pour n'apercevoir aucune trace de vos
bontés ? Vestigia tua non cognoscentar .? Ps. lxxvi, 20. Citez donc, mes
frères, un seul jour, une seule heure où il ne vous prévienne de ses
grâces, où il ne vous console par ses écritures, lettres divines envoyées
du. ciel pour charmer les ennuis de notre exil ? Dites donc cjui vous a
, ^ST l N DEVOIB POl Et NOl s d' AIMER DIE1
II. —Comment nous devons aimer Dieu.— Il ne suffît
pas en effetde savoir que c'estpour nous un devoir d'aimer
Dieu, il esl nécessaire que nous sachions, en outre, de quelle
manière nous devons nous acquitter de cedëvoir. Car il y a
donné la vie, qui voua la conserve, qui pourvoit à vos besoins, que
dis-je " à votre abondance, à vos superfluités, à ceux de votre famille, de
vos enfants! El en présence de tant de bienfaits, vous ne reconnaissez
pas un souverain bienfaiteur? Vous ne voyez pas son cœur cl sa main
dans les soins paternels qu'il prend de nous ? Mais quoi ? Vous le voyez
bien dans les fléaux de sa colère, dans les morts soudaines, dans les
tempêtes, dans les naufrages, el lorsque fange exterminateur déploie
sur nos provinces ses ailes funèbres et change nos cites en tombeaux ;
vous dites alors avec les sages de l'Egypte : Le doigt de Dieu est ici. Vous
êtes sensibles à la main qui vous frappe, pourquoi ne le seriez-vous pas
à celle qui vous bénit? Oui, dit le Seigneur, c'est moi qui fais toutes
choses, el les hommes et les éléments ne sont que les instruments de
ma providence : Ego Dominus faciens omnia. C'est moi qui ai tourné
vers vous la pensée de ce ministre, qui ai intéresse en votre faveur la
bonté du prince : je vous ai ouvert cette entrée ; j'ai inspiré cette bien-
faisance dont vous recueillez les fruits; j'étais dans ce vent favorable
qui enflait les voiles de votre navire et le poussait heureusement vers
Le port : j'étais dans ces nuées, dans cette rosée du matin et dans la
pluie du soir qui fertilisaient vos héritages, dans ces rayons du soleil
qui mûrissaienl \<>s moissons et vos raisins : Ego Dominus faciens omnia.
\h '. n'excusons plus notre froideur, sur le. prétexte que nous ne
voyons pas Dieu ! Il se manifeste au dehors, vous le sentez au dedans :
vous ne voyez, vous ne sentez que par lui. Après une manifestation si
éclatante de ses attributs divins, el surtout de sa bonté, si nous ne le
voyons pas, ce n'est point qu'il soit invisible, mais c'est que nous
sommes aveugles.
\ussi, mes frères, n'aurions-nous pas besoin d'exciter les hommes a
l'amour de Dieu, ils y seraient assez portés eux-mêmes, si cet amour se
bornail à des sentiments. Mais il commande des sacrifices ; or, il est
trop dur, dit-on. de renoncer à un bien présent pour des biens qu'on
espère. Second prétexte.
J'avoue qu'en effet, l'amour que nous devons à Dieu exige souvent
1,. sacrifice d'un bien présenl el sensible, pour les biens à venir que nous
promel la foi; mais, si renoncer à la possession pour une espérance
vous parait un effort héroïque, et presque au-dessus des forces delà
nature, pourquoi donc en usez-vous de la sorte en mille circonstances
de ia ^e? Pourquoi le laboureur jette-t-il tant de grains dans le sein de
la terre, sur l'espoir de les recueillir avec usure après une longue suite
de mois? Pourquoi le navigateur parcourt-il tant.de mers? Pourquoi le
guerrier s'expose-t-il à tanl de hasards, celui-ci pour obtenir un avance-
ment honorable, celui-là pour jouir »un jour des fruits de son indus-
trie et desprofitsde son commerce? Pourquoi cette mère si tendre
consent-elle à se priver de la douce présence d'un fils adoré, dans l'es-
pérance de le revoir, après bien des années, au sortir des écoles, heu-
reusement perfectionné paj le bienfait de l'éducation publique? Il
IOS LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
différentes manières d'aimer, mais il n'y en qu'une qui soit
bonne et digne de Dieu. Or, cette unique manière de bien
aimer Dieu, lui-même, pour nous tirer de toute incertitude
et assurer le parfait accomplissement de son commande-
remarquez qu'ici le sacrifice est certain et les chances de succès incer-
taines; remarquez encore qu'en supposant le succès le plus heu-
reux, ce succès se réduit à quelques avantages, à quelques intérêts, à
quelques vanités humaines, aussi fragiles, aussi fugitives que les biens
que l'on aura sacrifiés pour les obtenir. Si donc vous vous sentez le
courage de risquer un bien présent, la santé, le repos, la consolation
de vos jours, la vie même pour des espérances lointaines, douteuses
et d'ailleurs assez vaines, comment ne renonceriez-vous pas à un plai-
sir insensé, à un gain méprisable, non plus sur l'espoir, mais sur la
certitude d'une récompense infinie et éternelle ? C'est bien alors que
cette semence, jetée dans le temps, vous promet pour l'éternité une
immense moisson de gloire. C'est bien alors, soldats de Jésus-Christ,
que le témoin et le rémunérateur de vos combats assure à votre fidélité
des palmes et des couronnes incorruptibles. Le voilà bien, ce commerce
heureux, où de légères avances nous garantissent des profits inesti-
mables.
Il est dur, dites-vous, de renoncer à un bien présent pour un bien à
venir. Et que parlez-vous de biens à sacrifier ? De quoi s'agit-il, je vous
en prie ? D'un plaisir grossier, d'un intérêt vif, d'une gloire trompeuse.
Je vous parle, moi, de biens sans nombre, de plaisirs sans mesure,
d'une gloire immortelle, d'un bonheur sans mélange et sans fin. Ces
biens qui vous semblent indignes d'être achetés par de légères priva-
tions, les connaissez-vous ? Voulez-vous qu'après tous ces motifs d'ai-
mer Dieu qui vous ont été présentés, je vous porte au ciel sur les ailes
de l'espérance ? Savez-vous ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment ?
Faut-il dire que tous ces biens que sa main généreuse a répandus sur
cette terre de passage, ne sont rien en comparaison de ceux qu'il vous
réserve dans la patrie ? Qu'ici-bas, il verse ses bienfaits goutte à goutte,
et que là-haut, il les verse par torrents ? Et quand on vous propose un
Dieu pour prix de vos efforts, pourrez-vous ne pas l'aimer, sous le pré-
texte que la récompense ne vaut pas le sacrifice ? Mais ces biens sont
éloignés. Et qu'importe, s'ils sont certains, infaillibles. Eloignés ? Que
voulez-vous dire ? Est-ce que la vie est longue ? est-ce que le torrent
qui passe, le sable qui fuit sous nos pieds, la feuille que le vent emporte
a de 'la consistance ? Or, voilà la vie. Est-ce que ce moment est quelque
chose? La récompense, je le vois, vous y touchez, elle est dans vos
mains, dans un instant vous allez en jouir, vous en jouissez déjà par
l'espérance; cette espérance est un bien que vous goûtez dès aujour-
d'hui ; et combien elle ravit le cœur, la promesse de posséder Dieu, et
de le posséder à jamais ! Ces biens sont éioignés ? Il en est un du moins
qui ne l'est pas: c'est cette volupté secrète delà vertu qui porte avec
elle son fruit aussi bien que le crime ; c'est ce plaisir qui suit une
action honnête, généreuse, et qui est tout à la fois un avant-goùt et une
garantie des plaisirs de l'éternité. Non, Dieu ne demande pas que vous
attendipz la récompense ; il vous la donne aussitôt dans le témoignage
C EST l N DEVOIR l'Ol R Mil s n AIMER DIEU. KH)
ment, a aussi voulu nous la marquer. Unsi que nous l'avons
déjà rapporté toul à L'heure, Dieu, après avoir dit : Ta
aimeras te Seigneur ton Dieu, a en effet tout de suite ajouté :
A' tout ton cœur, de (oui Ion esprit, de foules tes forces (i).
Voilà doue, par conséquent, de quelle manière nous devons
aimer Dieu, savoir: de tout notre cœur, de tout notre esprit
et de toutes nos forces (2).
D'abord, de toul notre cœur. Qu'est-ce à dire, aimer Dieu
d'une conscience vertueuse ; il ne vous interdit d'ailleurs que les biens
dont vous ne pourriez user sans crime. Quand donc vous y renoncez
pour lui plaire, c'est moins un sacrifice que vous faites à son amour,
que L'échange d'un remords pour les joies divines de l'innocence
(Le card. Giraud, Serin, sur l'amour de Dion, 2 p.).
1. Non pnecipitur hic totus vcl summus amor Dei extensive aut
intensive, sed tantum comparative finaliter et appretiative. Diligcs
ergo Deu m ex toto corde, sive ex tota anima et mente idem est ac si
dicat : Diligcs Deum ex tota voluntate tua, scilicet : primo, comparative,
ut nullain partein amoris tui des idolo, aut rei cuipiam Deo contraria* ;
secundo, finaliter, ut gcneralim velis Deum esse finem totum et ulti-
mum omnium tu arum cogitationum, actionum et amorum, ipsum-
que ut summum bonum finemque ultimum rébus omnibus proféras
et anteponas ; ac consequentur : tertio, appréciative, ut nihil ita aesti-
mes tantoque loco et pretio habeas, quanto habes Deum, ac proindc ut
totum cor. id est voluntatem applices, ut tota et omnia ejus praecepta
impleas, eique per omnia obedias, etiamsi propterea opes, honores,
famam, amicitiam vitamque ipsam perdere debeas. Unde quod hic
dicitur : ex toto corde, alibi dicitur ; ex corde integro et perfecto. Hinc
illud toties iteratum ; Cor ejus perfectum erat cum Deo ; incessit in omni-
bus mandatis Domini; secutus est Dominum in toto corde suo, faciens quod
placitum esset in conspectu ejus, etc. III. Reg. xiv, 8... Hoc est quod ait
S. Bernardus, tr. De diligendo Deo : « Modus diligendi Deum, est dili-
gere sino modo. » Immensa enim Dei bonitas immensum merctur
amorem, ut sine fine, modo et mensura quasi immense diligalur.
Quocirca Victor Antiocbcnus in Marc, xvi, '62 l. « Homo, inquit, tanto
Dei amore flagrare débet, ut nihil prorsus in ullam animai faculla-
tem irrepere sinat, quod suam erga Deum dilectionem excludat aut
diminuât, aut alio tranferat; sed in omnibus illi soli magis mngisque
assidue placere satagat, nec alteri personœ aut rei creata) nisi propter
Deum. » (Con\. \ Lap. Comm. in Mallh. xxn, 37).
2. Ut autem Deus hoc perfecto modo diligatur, débet diligi : i" intè-
gre sine divisionc ; 2" continue sine cessatione; 3° perfeetc sine tepidi-
tate (Vivien, Terlull. praed'. : Verb. Amor hom. in D. conc. 5).
Deus ab hominibus est diligendus : 1" amore innalo; 2" amore tenero;
■") amore intenso ; 4° amore sapido ; 5° amore integro; 6 * amore fer-
▼ido (Viviez, loc. cit., Schol.).
Nous devons aimer Dieu : i° d'un amour de plénitude; 2" d'un
amour unique ; 3° d'un amour de préférence (Bourdalolt).
IIO LES GRANDS DEVOIRS DU S^LUT. V. INSTRUCTION.
de tout son cœur? Aimer Dieu de tout son cœur, c'est l'ai-
mer vraiment, et non pas seulement en paroles, car l'aimer
seulement en paroles, c'est ne pas l'aimer du tout. Les paro-
les expriment l'amour, il est vrai, mais ne sont pas l'amour
lui-même : elles n'en sont que l'étiquette. Or, l'étiquette
non plus n'est pas la liqueur, et souvent est bien trom-
peuse ; souvent elle décore une liqueur frelatée, ou même
un flacon vide de toute liqueur. Ainsi des paroles qui expri-
ment l'amour : que de chrétiens qui, en paroles, prétendent
aimer Dieu, et l'aimer de tout leur cœur, et qui en réalité
ne l'aiment que fort peu, ou même pas du tout 1 Ne
nous y trompons pas : ceux-là seuls aiment Dieu de tout
leur cœur, qui éprouvent pour lui, dans leur cœur, une
affection véritable, sincère et réelle. — Encore faut-il que
cette affection véritable occupe tout le cœur. Car si l'on a
dans le cœur d'autres affections qui ne se rapportent pas à
Dieu, il est bien évident qu'alors encore on n'aime pas Dieu
de tout son cœur, puisqu'il y a une partie du cœur occupée
à aimer autre chose que Dieu (i). Remarquons bien toute-
fois que nous parlons d'affections qui ne se rapportent pas à
Dieu. Car si, en aimant d'autres choses que Dieu, c'est pour
Dieu et en vue de Dieu qu'on les aime, alors, tout en les
aimant, on ne laisse pas d'aimer Dieu de tout son cœur,
puisque les autres amours qu'on éprouve aboutissent finale-
i. Voyons un peu, dit saint Augustin, sur le Ps. lxxxv, voyons un
peu si vous êtes disposés comme il faut à aimer Dieu de tout votre
cœur, c'est-à-dire, à aimer Dieu d'un amour de préférence à toutes
choses. C'est votre cœur, dit-il, que j'interroge, et non votre bouche :
Respondeat cor vestram, fratres : Dites-moi, si Dieu vous laissait sur la
terre dans la possession de tous les biens, dans la jouissance de tous
les honneurs et de tous les plaisirs, dans une santé parfaite, et qu'il
vous dit : Je te donne tout cela ; tu le posséderas toujours, et tu ne
seras jamais sujet à la mort ; mais aussi je te déclare que tu n'entreras
jamais dans ma gloire, et que tu ne me verras jamais. Répondez-moi :
votre cœur se réjouirait-il ? et la possession éternelle de tous les biens
créés l'emporterait-cllc dans votre esprit ? An gauderes ? Si cela est, je
Vous déclare, dit saint Augustin, que vous n'avez pas encore commencé à
aimer Dieu, et que votre cœur n'est pas dans la disposition qu'il faut
pour garder sa loi, puisqu'il y a quelque chose qu'il est prêt de préfé-
rer à Dieu : Si gauderes, nondum cœpisti esse amator Dei. Cette joie
montre que l'amour temporel prédomine sur l'amour de Dieu, et il
n'en faut pas davantage pour violer l'ordre de la charité (Texieu,
Serm. pour le 12e dim. apr. la Pentecôte).
C EST l N M:\oiR POUR NOUS l> UMKIt DIE1 . Il
ment à Dieu. Parexemple, je ne laisse pas d'aimer Dieu dé tout
mon cœur, si j'aime les hauts emplois et Les richesses, mais
pour les faire servir à la gloire de Dieu. Et Ton peut aimer
ainsi tout ce qu'il > a en ce monde, puique Dieu L'a en cflet
créé pour servira sa gloire. Mais n'aimons rien en dehors
de Dieu, soi l pour nous-mêmes, soit pour les autres, car
alors notre affection n'irait plus totalement à Dieu, et nous
ne l'aimerions plus de tout notre cœur, comme nous le
devons; car puisque c'esi Dieu qui nous a donné notre
cœur, il est juste que nous l'employions tout entier à
l'aimer (i).
i. Est-ce donc qu'il faut briser tous les liens de la nature et du
sang, anéantir tous les devoirs de la tendresse et de la reconnaissance ?
Laissons celle espèce de blasphème aux détracteurs de la morale évan-
gélique et plaisons-nous à le proclamer : le Dieu qui nous impose
L'obligation d'aimer ceux qui nous haïssent ne saurait nous deman-
der de haïr ceux qui nous aiment, et moins encore ceux qui méritent
que nous les aimions. Ici, comme dans tout le reste, la loi de Jésis-
Uhrist, loin de blesser les droits de la nature, ne les rend que pins
inviolables. Oui, ces noms chéris qui expriment les rapports les plus
précieux et les plus tendres, ces doux noms d'époux, de père, de bien-
faiteur et d'ami, n'en sont que plus sacrés pour nous. Aimer Dieu de
tout son cœur et sans partage, ce n'est pas ne rien aimer avec Dieu,
c'esl ne rien aimer que par rapport à Dieu, selon Dieu. C'est subordon-
ner tout amour légitime à l'amour supérieur que Dieu exige pour
lui-même ; c'est confondre tellement ces deux amours l'un avec l'autre,
que ces deux amours n'en fassent plus qu'un. — Ce que la religion
défend, ce sont les affections du cœur qui ne peuvent se concilier avec
l'amour de Dieu, qui combattent, qui détruisent cet amour, ces affec-
tions mauvaises en elles-mêmes, dagereuscs dans leurs suites, ces affec-
tions que repoussent la saine raison, le monde lui-même, l'homme
aussi bien que noire sainte religion. — Mais bêlas ! le cœur humain est
habile à se faire illusion ; on fréquente des sociétés dangereuses, on
contracte des rapports trop intimes, on croit pouvoir aimer en gardant
quelque réserve, en conservant toujours à Dieu la première, place dans
son cœur; mais bientôt on s'aperçoii que le cœur faiblit, qu'il se fane,
qu'il est entraîné, que l'amour bu nain l'emporte sur l'amour divin ;
lès faits viennent souvent confirmer une vérité éclatante pour tons,
excepté pour l'âme qui est victime de ses illusions. Oui, c'est une illu-
sion bien vaine de penser qu'on peut soi-même gouverner son cœur à
^"| gré, comme le bras qu'on remue ou qu'on laisse immobile, quand
on l'a jeté, ce cœur, dan- le péril, quand on y a laissé pénétrer impru-
demmenl ces affections dangereuses. Kl ne savez-Vous pas (pie la s nsi-
bilité esl souvent -i vive, si envahissante, dans l<- cœur, qu'elle le domine
cl l'absorbe, m, pendant quelques instants, nous la laissons libremenl
Écoutez sain 1 Augustin qui parle d'après sa propre expérience :
que je voulais d'abord, dit-il, c'était d'aimer cl d'être aimé; mais
112 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
La seconde condition pour aimer Dieu comme il veut
être aimé, c'est de l'aimer de tout notre esprit. 11 est bien
vrai sans doute qu'on n'aime qu'avec le cœur ; mais le
cœur, de son côté, n'aime bien qu'autant qu'il connaît bien
l'objet de son amour, et en proportion de ce qu'il le con-
naît. On n'aime pas, en effet, ce que l'on ne connaît pas.
Et l'on n'aime que peu une chose digne d'un grand amour, si
on ne la connaît que peu. Voici, je suppose, un tableau de
quelque grand maître : si nous n'en connaissons pas la
valeur, nous n'aurons pour ce tableau que peu ou point
d'estime ; tandis qu'un véritable connaisseur l'aimera avec
passion. Ainsi de Dieu : si nous ne le connaissons pas, ou
si nous ne le connaissons que peu, nous ne l'aimerons pas,
ou nous ne l'aimerons que peu ; au contraire, plus nous le
connaîtrons, plus nous saurons qu'il est digne d'amour, et
par conséquent plus nous l'aimerons. Puis donc que nous
n'ai morts Dieu qu'autaut que nous le connaissons, et
en proportion de ce que nous le connaissons, voilà pour-
quoi Dieu nous commande de l'aimer de tout notre esprit,
c'est à-dire d'appliquer tout notre esprit à le connaître de
notre mieux. Tout notre esprit, disons-nous, c'est-à-dire
toutes les facultés de notre esprit, et en particulier notre in-
telligence, pour comprendre dans la mesure du possible les
perfections de Dieu, et notre mémoire, pour nous rappeler
sans cesse de ses bienfaits. N'en doutons pas, chrétfens, la
principale raison pour laquelle nous n'aimons pas Dieu,
c'est parce que nous ne le connaissons pas. Voulons-nous
donc sincèrement l'aimer? Pensons souvent à lui, considé-
rons combien il est sage, puissant, juste, parfait de toutes
manières,, rappelons-nous tous les bienfaits dont il ne cesse
de nous combler, et bientôt nous nous attacherons à lui
par toutes les fibres de notre âme ; car on ne peut pas ne
bientôt à l'affection pure se joignait je ne sais quoi de ténébreux, de
mauvais ; et bientôt j'eus peine à distinguer les affections honnêtes des
affections impures et déshonnêtes. » — Ne nous faisons donc pas illu-
sion, profitons de l'expérience et des enseignements des saints; veillons
sur l'inclination trop naturelle de nos cœurs vers les créatures; donnons
ce cœur tout entier à notre Dieu et disons avec un saint : « Dieu seul
dans mon cœur pour le posséder, le conserver et le sanctifier. » (La
Chaire contemporaine, tome 3, page 335).
c'est un devoir pour nous d'aimer dieu» î I 3
pas aimer ce qu'on sait être infiniment parfait et infi-
niment bon. C'est en pensant sans cesse à Dieu que les
saints L'ont aimé de tout leur esprit et de tout leur cœur;
nous ne nous sanctifierons nous-mêmes qu'en les imitant (î).
Enfin, pour accomplir parfaitement le commandement
qu'il nous a fait de l'aimer, Dieu veut que nous l'aimions
de toutes nos forces. Que devons-nous faire pour aimer Dieu
de toutes nos forces. Voyons ce que font les hommes lors-
qu'ils aiment fortement une chose*, la richesse par exemple.
Toutes les lumières de leur intelligence, toute l'énergie de
leur volonté, toutes les forces de leur corps, ils les emploient
pour atteindre le but qu'ils se proposent. Ils commencent
par étudier les meilleurs moyens de l'atteindre, et ensuite
ils le poursuivent avec une invincible ténacité, comptant
pour rien les fatigues, et surmontant toutes les difficultés.
Ainsi devons-nous faire, et avec infiniment plus de raison,
pour aimer Dieu de toutes nos forces, puisque Dieu est infi-
niment plus digne d'être aimé que toutes les choses de ce
monde. Par conséquent donc, quand il s'agit de l'amour de
Dieu, tout ce que nous pouvons, nous devons le faire. Mais
ne nous aveuglons pas nous-mêmes, comme il arrive à tant
de chrétiens, qui prétendent faire tout ce qu'ils peuvent,
alors qu'ils ne font rien, ou presque rien. Font-ils tout ce
qu'ils peuvent, en effet, ces chrétiens qui passent des jour-
i. Une âme qui médite, qui pénètre les perfections divines, se sent
tellement ravie de leur beauté, qu'elle conçoit du mépris pour tout ce
qui n'est pas Dieu : connaissant que toutes les créatures ne sont dé leur
fond qu'un pur néant, qu'elles ont reçu de Dieu tout ce qu'elles possè-
dent, et que ce qu'elles ont reçu de plus glorieux, n'est qu'un faible
rayon émané de son éclat, dont toutes les perfections divines sont cou-
ronnées. Elle regarde comme une folie de quitter Dieu pour s'attaclier
à ces créatures ; persuadée de la grandeur de Dieu, cet Être souverain,
charmée de ses perfections adorables, elle s*cn forme les plus excel-
lentes idées; elle n'en parle qu'avec éloge, avec respect, avec admira-
tion, avec transport; elle se soumet avec plaisir à ses ordres ; elle lui
sacrifie tout ce qu'elle a de plus précieux; elle révère généralement
tout ce qui le regarde. Et comme toutes les plus brillantes étoiles dis-
paraissent au premier rayon du soleil, ainsi tout ce qu'il y a au monde
de plus beau, déplus grand, de plus magnifique, de plus pompeux,
comparé à l'idée qu'elle s'est formée de Dieu, lui parait si petit, si fai-
ble, si vil, si misérable, qu'elle ne peut assez s'étonner que les hommes
en fassent tant d*estime (Houdby, liibliolh. des Préd. S 3;.
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II.
t l4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
nées sans penser à Dieu et sans lui offrir leurs adorations;
qui n'assistent pas à la messe les dimanches et les fctes, ou
qui n'y assistent qu'en partie, ou en s'abandonnant à toutes
sortes de distractions ; qui ne se retiennent pas de déchirer,
en toute occasion et à tout propos, la réputation du pro-
chain ; qui ne fuient pas les occasions dangereuses où ils
ont déjà succombé ; qui se livrent à toutes sortes de dépen-
ses, plutôt que de payer leurs dettes et d'empêcher qu'on ne
blasphème Dieu à leur occasion ; qui n'observent pas les lois
du jeûne et de l'abstinence, à cause de je ne sais quels pré-
textes plus ou moins imaginaires ? Non, disons-le très haut,
tous ceux qui agissent de la sorte ne font pas tout ce qu'ils
peuvent, et par conséquent n'aiment pas Dieu de toutes
leurs forces (i). Gardons-nous donc bien de nous laisser
i. Ce qui caractérise le plus éminemment l'amour de Dieu de toutes
nos forces, c'est la résignation dans les peines de la vie. « Aimer la
volonté de Dieu dans les consolations qu'il nous accorde, c'est, dit saint
François de Sales, un premier degré d'amour louable, mais sans répu-
gnance, sans effort, et par conséquent sans grand mérite devant Dieu.
Aimer la volonté de Dieu dans ses préceptes, dans ses conseils, dans ses
inspirations, c'est un second degré d'amour beaucoup plus parfait,
puisqu'il nous porte à nous dépouiller de notre volonté propre et à
nous abstenir de quelques jouissances. Aimer la volonté de Dieu dans
les souffrances et les afflictions, c'est le plus haut point, c'est lhéroïsme
de la charité, puisqu'on n'y trouve rien d'aimable que la seule volonté
de Dieu et que la nature se refuse à souffrir. » Telle est cependant
l'étendue du précepte de l'amour de Dieu de toutes nos forces, quil doit
aller jusque-là, et que chacun de nous doit être prêt non seulement à
quitter tous les plaisirs et à mortifier ses sens, mais encore à supporter
toutes les croix, tous les tourments, tous les travaux (Labourderie, ap.
Choix de la Prédicat., tome 2, page 2i4-)
Que penser de nos manières d'aimer Dieu ? Ah ! quelle contradiction
dans notre conduite ! quel bizarre assemblage de faiblesses et de prati-
ques pieuses ! Ces chrétiens, dit saint Paul, ils ont l'apparence de l'amour
de Dieu, de la vraie piété, mais ils n'en ont pas la vertu : Speciem qui-
dem pietatis habentes, virtulem ejus abnegantes. Et, en effet, quel est
l'amour de ces chrétiens ? — Amour spéculatif, qui reconnaît combien
Dieu est aimable, qui s'étonne même qu'il ne soit pas aimé davantage,
mais qui s'en tient à ce sentiment du cœur, à ce témoignage de l'esprit,
qui se contente d'adorer Dieu sans l'imiter, de s'attendrir sur ses souf-
frances sans les partager, d'honorer sa croix sans la porter. — Amour
versatile, qui du monde passe à Dieu et de Dieu revient au monde, qui,
après avoir gémi dans le sanctuaire, va se livrer aux fausses joies du
siècle, qui vient au pied des autels pour y faire l'aveu de son néant et
retourne dans le monde pour y autoriser par le luxe l'orgueil et la
vanité qui y régnent. — Amour pusillanime, qui veut tout et ne fait rien,
c/est un devoir pour nous iVaimer DÎEU. Il5
entraîner par Leurs discours spécieux et leurs délétères
exemples. Fixons plutôt nos regards sur la conduite des
sainis el sur celle (les bons chrétiens. Ici nous verrons qu'ils
ne si» paient pas de paroles, mais qu'ils font réellement tout
ce qu'ils peuvent ; qu'ils ne se laissent arrêter par aucune
difficulté, mais les surmontent toutes ; et par conséquent,
qu'ils aiment véritablement Dieu de toutes leurs forces. Ah !
qu'il es! bon d'aimer ainsi Dieu ! Et quelle douceur pour
ceux qui peuvent s'en rendre un peu témoignage avec sin-
cérité, tout en en rapportant le mérite à Dieu seul ! Mais
III. — A quels signes pouvons-nous en effet reconnaî-
tre si nous aimons Dieu ? — Si l'on désire des signes cer-
tains et infaillibles, je dois répondre nettement qu'il n'y en a
pas. Nul homme, dit le Saint-Esprit, ne sait s'il est digne d'amour
ou de haine (i). Il a plu à Dieu de nous laisser dans cette
incertitude, pour nous préserver tout à la fois de l'orgueil
et du relâchement. Celui qui se saurait sûrement en grâce
avec Dieu, ne manquerait pas en effet d'être tenté, d'un côté,
de s'estimer plus que les autres hommes, et de l'autre, de ne
plus travailler à acquérir de nouvelles vertus et de nouveaux
mérites. Dieu a donc sagement agi en se réservant à lui seul
le secret de notre véritable état. Mais s'il n'y a aucun signe
qui puisse nous donner la certitude d'aimer Dieu comme
nous le devons, il y en a plusieurs qui peuvent, à cet égard,
éclairer ceux qui se font des illusions, et consoler ceux qui
s'efforcent sincèrement d'aimer Dieu comme il nous est
commandé de l'aimer.
Le premier de ces signes est le désir d'aimer Dieu. Si l'on
qui commence et n'achève jamais, qui prend des résolutions, fait des
promesses et les rétracte, ou, du moins, les oublie presque aussitôt ;
résolutions trop semblables, dit saint Augustin, à celles d'un homme
plongé dans un demi-sommeil. — Amour, enfin, bizarre et mal réglé,
ennemi de l'obéissance, qui corrompt ses voies, dit le prophète, suivant
ses fantaisies plutôt que la loi de Dieu qu'on refait à son goût, mettant
plus de prix aux pratiques qu'on s'impose qu'aux préceptes et aux con-
seils de Jésus-Christ Lui-même, lui vérité, n'est-ce pas aux chrétiens de
ce genre que s'appliquent les paroles déjà citées : Speciem quidem pietatis
habentes, virlutem ejus abneganles (Lelandais, Chaire contemp. tome 3,
page 34o).
i. Eccle. ix, i.
tl6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
n'a pas ce désir, on peut être assuré qu'on n'aime pas Dieu.
Car, qui est-ce qui, ne désirant pas une chose, s'occupe de
l'acquérir ? — Si l'on n'éprouve que faiblement, et suivant
les circonstances, le désir d'aimer Dieu, il n'est plus certain
qu'on ne l'aime pas, mais cela est encore très probable.
Avons-nous au contraire un vif et sincère désir d'aimer
Dieu, ce désir est-il le premier et le plus grand de nos désirs,
et n'y a-t-il rien que nous désirions autant que d'aimer
Dieu ? Dans ce cas, ayons confiance, nous avons sujet de
croire que nous aimons Dieu ; car on ne peut pas désirer à
ce point de l'aimer, sans l'aimer réellement.
C'est encore un signe que nous aimons Dieu, si nous pen-
sons souvent à lui, si nous en parlons volontiers, si nous
sommes heureux d'en entendre parler, si nous rencontrons
et saluons avec joie ce qui nous en rappelle le souvenir,
comme les églises et les croix. N'est-il pas vrai que les
saints, qui ont certainement aimé Dieu, avaient toujours son
nom à la bouche et son souvenir dans le cœur ? Quelle pré-
somption, au contraire, que l'on n'aime pas Dieu, si l'on
n'y pense que rarement ou jamais (i) !
Quelle présomption encore que l'on n'aime pas Dieu, si
l'on ne craint pas le péché, si on ne le considère pas comme
le plus grand des maux, si on le commet avec facilité 1 Car
qui pèche offense Dieu, et qui offense Dieu ne peut guère
croire qu'il l'aime ! Par contre, c'est encore un signe très
probable qu'on aime Dieu, quand on a horreur du péché,
quand on prend toutes les précautions pour ne pas le com-
mettre, et quand, si l'on a le malheur d'y tomber, on en
éprouve un grand repentir et l'on se hâte d'en sortir par
une bonne confession. Cette conduite fait voir qu'on ne veut
i. u Animorum imagines rêvera per sermones exprimuntur. » S. BasiL
Nam « ex abundantia cordis os loquitur, et sapor mentis in sermone
gustatur. » S. Paulin, ep. i5. Placet linguœ, quod placet aflectui, liben-^
terque vcrsalur in ore, quod libenter est in animo. Qui dignitates
amant, de dignitatibus loquuntur; qui venationem, de venatione ; qui
ludum, de ludo; qui bellum, de bello; qui lites,de litibus ; et qui Deum
diligunt, et plnrimum Deum in ore versant. Ad instar sponsee qua3
tota circa dilectum occupata dicebat omnibus : Nain quem diligit anima
mea vidistis ? ( Vivien, Tertull. prœd. verb. Amor hom. in D. c. 6. p. 2).
G EST UN DEVOIR POUR NOUS O AIMER DIEU. I I 7
pas déplaire à Dieu ; or, si l'on ne veut pas déplaire à Dieu,
c'est précisément parce qu'on l'aime.
Un dernier signe enfin que l'on aime Dieu, plus facile
même à contrôler que les précédents, c'est si l'on observe
les préceptes divins. Il n'est pas toujours bien facile de se
rendre exactement compte si l'on désire sérieusement aimer
Dieu, si l'on pense assez à lui, si l'on a une suffisante hor-
reur du péché. Mais quoi de plus facile que de constater si
l'on observe ou non les commandements de Dieu? Eh bien,
le Sauveur l'a dit expressément : Celui qui garde mes comman-
dements, c'est celui-là qui m'aime (i). Pour achever de nous
éclairer sur nos dispositions et sur notre état, nous n'avons
donc qu'à examiner quelle est notre conduite à l'égard des
commandements de Dieu. Les observons-nous parfaitement,
ne les violons-nous jamais délibérément ? nous pouvons
croire que nous aimons Dieu, c'est le Sauveur lui-même qui
nous le dit : Celui qui garde mes commandements , c'est celui-
là qui m'aime. Mais si nous ne tenons pas compte des com-
mandements divins, ou même si, tout en désirant les garder,
cependant nous les transgressons toutes les fois qu'ils se
trouvent en opposition avec nos intérêts ou nos passions,
alors, ne cherchons pas à nous tromper, il est très certain
que nous n'aimons pas Dieu, que nous ne l'aimons- pas de
la manière qu'il nous a commandé de l'aimer, c'est-à-dire
de tout notre cœur, de tout notre esprit et de toutes nos for-
ces (2).
1. Joan. xiv, 21.
2. Primi parentes « si Dominum Deum suum dilexissent, contra
pneceptum ejus non fecissent. »Tert. adv. .Tud. 2. Obsequium ab amore
procedit, et a contemptu inobedientia nascitur : Qui non deligit me, ser-
mones meos non servat. .Toan.xiv. Si quairam a quovis christiano, utrum
Deo diligat, respondebit affirmative. Verum quomodo Deum diligis, cujus
mandata contemnis ? Opère destruis quod voce confiteris ; nam boni ope-
ris exercitatio, est certum divins dilectionis indicium. Lingua, et ma-
nus, fidèles cordis interprètes sunt ; lingua ejus intentionem manifes-
tât, manus ejus exequitur décréta ; lingua est illius interpres, manus
est illius minister. Et sic cor nihil potest amare.quin lingua per verba,
et manus per opéra notum faciat. « Nunquam est Dei amor otiosus :
operatur enim magna si est ; si vero operari renuit, amor non est. »
S. Greg. hom. 3o. in Ev. Ubi non sunt opéra, ibi non est amor ; amor
enim et opéra pari ambulant gressu. « Ipsa dilectio vacare non potest:
quid enim de quodam homine etiam malo operatur, nisi amor ? da
I 16 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
Tels sont les signes les plus ordinaires auxquels nous
pouvons reconnaître si nous aimons Dieu, savoir: si nous
désirons de l'aimer, si nous pensons souvent à lui, si nous
avons horreur du péché, et enfin si nous observons fidèle-
ment ses commandements. Un seul de ces signes pourrait
ne pas suffire pour nous éclairer pleinement, même le der-
nier, parce que les commandements ne sont parfois observés
que par des vues humaines. Mais si nous les trouvons tous
réunis en nous, remercions-en Dieu, car nous avons d'au-
tant plus sujet de croire que nous l'aimons vraiment. Au
contraire, si de ces quatre signes nous n'en remarquons
aucun en nous, tremblons, et changeons de conduite sans
retard, car il est absolument évident que nous n'avons au-
cun amour pour Dieu.
CONCLUSION. — Nous connaissons donc maintenant,
chrétiens, ces trois points essentiels entre tous, savoir: pour-
quoi nous devons aimer Dieu, comment nous devons l'aimer,
et à quels signes nous pouvons reconnaître si nous l'aimons!
Nous savons que nous devons aimer Dieu, parce qu'il est
juste et conforme à la raison que la faculté qu'il a mise en
nous, nous nous en servions pour l'aimer lui-même tout
d'abord ; parce que ses perfections infinies le rendent digne
de notre amour; et enfin parce qu'il mérite notre amour par
ses bienfaits sans nombre. Nous savons que la manière de
l'aimer, c'est de l'aimer de tout notre cœur, de tout notre
esprit et de toutes nos forces. Enfin nous savons que les si-
gnes auxquels on peut reconnaître si l'on aime Dieu, c'est :
si l'on désire sincèrement l'aimer, si l'on pense à lui sou-
vent, si l'on craint par-dessus tout de l'offenser, et enfin si
l'on observe avec exactitude ses commandements. Nous ne
saurions trop nous appliquer, chrétiens, à bien retenir ces
notions dans notre mémoire, et à y recourir souvent, pour
nous exciter à aimer Dieu, pour l'aimer comme il veut l'être,
et pour nous rendre compte si réellement nous l'aimons.
mihi vacantem amorem, et nihil operantem. Nonesset amor, nisi opera-
retur ; etiam malus opcratur, sed mala, flagitia, adulteria, homicidia,
luxurias omnes : nonne amor opera,tur ? » S. Aug. in Ps. xxxi (Vivien,
loc. cit,),
G EST UN DEVOIR POUR NOUS D AIMER DIEU. JIQ
m
Avec quelle sollicitude, chrétiens, ne devons-nous pas nous
acquitter de ce devoir d'aimer Dieu, non seulement le plus
grand, mais encore le plus essentiel de tous les devoirs, puis-
que, sans celui-ci, tous les autres ne sont rien, et que lui seul
au contraire comprend tous les autres, selon ce que dit ou-
vertement l'apôtre saint Paul, que la plénitude de la loi con-
siste dans l'amour (i) ! Nous sommes d'autant plus tenus de
nous acquitter de ce devoir, que rien ne peut nous excuser
de ne pas l'accomplir, à cause de son extrême facilité. Si
Dieu nous faisait un devoir de jeûner toute notre vie au pain
et à l'eau, nous pourrions nous excuser sur la faiblesse de
notre tempérament ; et s'il faisait un devoir, à un père de
famille, de distribuer aux pauvres tout ce qu'il possède, ce
père de famille, pour justifier sa résistance, pourrait invo-
quer la nécessité qui lui incombe de pourvoir aux besoins
de ses enfants. Mais aimer Dieu, qui est-ce qui dira qu'il ne
le peut pas ? Aimer, n'est-ce pas le fond de notre nature ?
N'aimons-nous pas une foule de choses autour de nous, et
même des choses qui ne le méritent pas, et même des cho-
ses qui nous sont nuisibles? Et Dieu serait le seul que nous
n'aimerions pas, alors que c'est lui qui en est le plus digne
et qui le mérite le plus ! Adi ! chrétiens, si dans le passé nous
avons méconnu et négligé notre devoir d'aimer Dieu, con-
duisons-nous désormais d'une manière plus conforme aux
lumières de notre raison ; et, encore une fois, puisque
c'est lui qui nous a donné notre faculté d'aimer, puisque
c'est lui qui est l'être le plus parfait, puisque c'est lui qui
nous accorde tous les biens et toutes les vraies joies
dont nous jouissons, aimons-le avant tout et par dessus
tout, et aimons-le vraiment, c'est-à-dire de tout notre cœur,
de tout notre esprit et de toutes nos forces. C'est seulement
ainsi, ne le perdons jamais de vue, que nous éviterons l'en-
fer et que nous parviendrons au ciej.
x . Rom. xin, 10,
120 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
TRAITS HISTORIQUES
On ne devrait pas avoir besoin de démontrer le devoir
d'aimer Dieu.
i. — Un ancien anachorète, après avoir blanchi dans les grottes
et les solitudes, eut enfin envie, sur ses vieux jours, de devenir
savant. Il se transporta, à cet effet, dans une célèbre académie où
les arts et les sciences étaient en vogue plus qu'en aucun autre
lieu du monde ; et là, de maître qu'il était dans la haute et vérita-
ble science du ciel, il se fit écolier pour apprendre celle des hom-
mes. A peine était-il assis sur les bancs pour écouter, qu'un
dcc^eur monta en chaire, la tête chargée de spéculations et de dif-
ficultés, pour les débiter à ses auditeurs, et commença par cette
question : Si Dieu doit être aimé. Le saint solitaire, bien surpris de
voir mettre en avant cette proposition pour en faire le sujet d'une
contestation indécise, se leva brusquement, quitta la place qu'il
avait prise, et retourna s'enfoncer dans sa grotte, tout scandalisé
de. voir qu'on faisait un sujet de controverse d'un premier prin-
cipe qui, à son avis, était si évident, qu'il ne fallait pas être homme
pour en douter ; mais ensuite, donnant sa liberté à ses larmes
pour déplorer l'aveuglement des hommes et sa vaine curiosité :
« Ah ! je vois bien, s'écria-t-il, que je suis plus savant que je ne le
pensais, puisqu'il y a plus de trente ans que je tiens pour infailli-
ble ce qui est encore en question parmi les plus grands docteurs
de ce siècle. »
2. — Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, voulant exprimer
l'ingratitude des hommes à l'égard de Dieu : « Miracle ! s'écrie-t-
il, mais miracle diabolique! l'homme est environné, l'homme est
accablé des bienfaits de Dieu, Dieu allume tous les jours de nou-
veaux charbons autour de nos cœurs pour les échauffer, et
ces cœurs demeurent froids au milieu d'un si grand feu ! »
Homo, tôt congestis carbonibus, miraculo diabolico, friget ad
Deum !
Pourquoi nous devons aimer Dieu.
i. — On raconte des Japonais que, lorsqu'on leur annonçait
l'Évangile, qu'on les instruisait des grandeurs, des beautés, des
amabilités infinies de Dieu ; quand surtout on leur apprenait les
grands mystères de la religion, tout ce que Dieu a fait pour les
hommes : un Dieu naissant, un Dieu souffrant, un Dieu mourant
pour l'amour et pour leur salut ; « Oh! qu'il est grand, s'écriaient-
C EST UN DEVOIR POL II NOUS D AIMER DIEU. 121
ils dans leurs doux transports, qu'il est bon et aimable, ce Dieu
des chrétiens ! » Mais quand ensuite on ajoutait qu'il y a une loi
expresse d'aimer Dieu, et des menaces si on ne l'aime pas, ils
étaient surpris et ne pouvaient revenir de leur étonnement : a Hé
quoi ! disaient-ils, quoi ! à des hommes raisonnables, un précepte
d'aimer Dieu qui nous o tant aimés ! Et n'est-ce pas le plus grand
des bonheurs </c l'aimer, et le plus grand des malheurs de ne l'ai-
mer pas ') Quoi ! les chrétiens ne sont-ils pas toujours au pied des
autels de leur Dieu, tout pénétrés de ses bontés, tout enflammés
de son saint amour ? » — Mais lorsqu'ils venaient à apprendre
qu'il v a des chrétiens qui, non seulement n'aiment pas Dieu, mais
qui l'offensent et l'outragent, ils s'écriaient avec indignation : « O
peuple injuste! o cœurs ingrats, barbares! Est-il donc possible
que des chrétiens soient capables de ces horreurs ! Dans quelle
terre maudite demeurent donc ces hommes sans cœur et sans sen-
timent ?» — Chrétiens, nous ne méritons que trop ces reproches
fondés, et un jour ces peuples éloignés de nous, ces nations étran-
gères appelées en témoignage contre nous, nous accuseront, nous
condamneront devant Dieu.
2. — Saint Augustin s'animait à aimer Dieu en parlant ainsi à
son âme : « Qu'y a-t-il en ce monde qui puisse te plaire, qui
puisse avoir droit à ton amour? De quelque côté que tu regardes,
tu ne vois autre chose que le ciel et la terre ; mais si, soit dans le
ciel, soit sur la terre, tu trouves des choses dignes de ton amour,
de quel amour n'est pas digne celui qui a fait ces choses que tu
aimes ? Demande à ces choses qui te plaisent quel est leur auteur,
et en admirant l'ouvrage, aime l'ouvrier. Ne t'affectionne pas à ce
qui a été créé, jusqu'à oublier Dieu qui en est le Créateur. O mon
Dieu ! vous êtes digne d'être aimé infiniment plus que ce qu'il y a
dans le ciel et sur la terre ; je renonce à tout ce qui est périssable,
de peur de perdre votre amour. »
3. — Un jour se présenta, sur la grande place d'Alexandrie, une
femme qui tenait, d'une main, un vase d'eau, et de l'autre, une
torche enflammée. Et comme on lui demandait ce qu'elle voulait,
elle répondit : « Avec cette torche, je voudrais incendier le ciel ; et
avec cette eau, éteindre le feu de l'enfer : afin que dorénavant on
n'aimât plus Dieu par espoir d'une récompense, ou par crainte
d'un châtiment, mais uniquement pour lui-même et pour ses
admirables perfections. »
4. — Il est parlé dans les Vies des Pères du désert de deux
anachorètes, l'un encore jeune, l'autre déjà avancé en âge, qui
avaient passé ensemble plusieurs années dans le service de Dieu.
122 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. V. INSTRUCTION.
Le démon, jaloux de la verlu du plus jeune, et voulant troubler la
paix de l'un et de l'autre, se transfigura en ange de lumière, et dit
au vieillard qu'il était envoyé de Dieu pour lui annoncer une triste
nouvelle: la future réprobation de son frère... puis il disparut.
Cette révélation plongea le serviteur de Dieu dans la plus profonde
tristesse ; il versa des torrents de larmes, qu'il s'efforça vainement
de cacher: sa douleur se renouvelait sans cesse, elle l'accablait avec
une force irrésistible, à la vue de son jeune compagnon. Celui-ci
le pressa de lui dire le sujet de sa tristesse et de tant de larmes :
« Quelle que soit la faute que j'aie commise, lui dit-il, je suis prêt,
mon Père, à me corriger et à faire réparation. » Après bien des
résistances, le vénérable solitaire lui avoua la douloureuse commu-
nication qu'il avait reçue à son sujet. Alors le jeune religieux, sans
se troubler, lui dit: « Ne vous attristez plus, mon Père; car je
suis très content, pourvu que la volonté de Dieu s'accomplisse.
S'il veut que je sois précipité en enfer, que sa sainte volonté soit
faite. Cela ne m'empêchera pas de le servir dans cette solitude
avec la même ferveur qu'auparavant. J'aime Dieu, et je le sers,
non pour obtenir une récompense, ni afin d'éviter les peines éter-
nelles ; mais uniquement parce qu'il le mérite à cause de son im-
mense bonté. Ce seul motif me suffit pour persévérer constam-
ment dans le même genre de vie. »
Cet amour si pur et si désintéressé plut tellement à Dieu, qu'il
envoya un ange au vieillard pour lui découvrir l'œuvre du démon,
et lui annoncer que le jeune solitaire, loin d'être réprouvé, était au
contraire du nombre des prédestinés ; et que, par cet acte héroï-
que de charité, il s'était acquis plus de mérites que par toutes les
bonnes œuvres de sa vie.
5. — M. Vianney, le saint curé d'Ars, entendant un jour les
oiseaux chanter dans sa cour, se prit à dire en soupirant : « Chers
petits oiseaux ! vous avez été créés pour chanter, et vous chan-
tez... L'homme a été créé pour aimer Dieu, et il ne l'aime pas... »
Signes qu'on aime Dieu
i. — Saint Ignace de Loyola avait coutume de dire : « Mon plus
grand tourment, dans l'enfer, serait d'entendre blasphémer mon
aimable Créateur. »
2. — Saint Louis de Gonzague était tellement embrasé d'amour de
Dieu que, chaque fois qu'il en entendait prononcer le nom, ses
joues rayonnaient de joie et d'amour.
3. — Au commencement du douzième siècle naquit h Palerme
G EST UN DEVOIR POUR NOUS D AIMER DIEU. 120
sainte Rosalie, de parents illustres, qui eux-mêmes se rattachaient
à la famille royale par des liens de parenté assez, étroits. Elle fut
élevée à la cour par sa mère, qui jouissait d'une grande considé-
ration auprès du roi. Toutefois, dans la Heur de sa jeunesse,
Rosalie abandonna la cour, et avec elle l'éclat et les plaisirs de ce
monde, sans que personne sût où elle était allée fixer son séjour.
Ce ne fut que /170 ans plus tard que l'on trouva dans une grotte
affreuse, pratiquée dans des rochers, cette inscription gravée sur
une pierre ; « Moi, Rosalie, fille de Sinibald, seigneur de Mont-
réal et de Roses, j'ai par amour pour Jésus, mon Sauveur, habité
eette grotte. » Dans une caverne d'un aspect encore plus horrible,
on trouva les ossements de cette sainte dans la position d'une
personne endormie. — Quel signe d'amour de Dieu, qu'une telle
retraite et une telle vie !
— Fort semblables furent la retraite et la vie de saint Alexis.
Tous les hommes peuvent également aimer Dieu.
Frère Gille dit un jour à saint Bonaventure, qui alors était mi-
nistre général de l'ordre de saint 'François : « Oh ! que vous
êtes favorisés de Dieu, vous autres gens instruits, grands savants,
vous savez si bien le servir et le louer ! Nous autres, pauvres igno-
rants, misérables idiots, que pouvons-nous faire qui lui soit agréa-
ble ? — Frère Gille, lui répondit le saint Docteur, sachez qu'il est
une grâce avec laquelle seule, mieux qu'avec toutes les autres
réunies, l'homme peut servir le bon Dieu. Cette grâce, c'est celle
de son amour. — C'est bien, répliqua le saint frère, mais pensez-
vous qu'un ignorant puisse aimer Notre-Seigneur autant qu'une
personne savante? — Oui, oui, assurément, lui dit le saint, une
pauvre et simple vieille femme peut aimer Notre-Seigneur autant
qu'un docteur en théologie. » — En entendant cette réponse, frère
Gille ne peut contenir sa joie, et, dans l'ivresse de son bonheur, il
s'en alla dans l'allée du jardin qui aboutissait à la ville, criant à
pleine tête : « Aimez donc Notre-Seigneur, petits enfants, pauvres
femmes, gens ignorants comme moi..., et vous pourrez être aussi
grands devant Dieu que frère Bonaventure! »
Manière d'aimer Dieu.
La manière la plus facile d'aimer Dieu pratiquement, c'est de le
regarder comme un bon père, et de recevoir toutes choses avec
une égale reconnaissance de sa main paternelle. C'est ainsi qu'en
agissait cet Euchariste d'Alexandrie, qu'un pieux auteur propose
comme exemple.
124 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. «— V. INSTRUCTION.
Deux solitaires d'Egypte, dit-il, ayant prié Dieu de leur faire
connaître la manière la plus parfaite de le servir, entendirent une
voix qui leur dit d'aller à Alexandrie, et d'y interroger un homme,
nommé Euchariste, qui vivait très saintement avec Marie, sa
femme : ils apprendraient de lui le vrai chemin de la perfection.
Les solitaires se rendirent aussitôt à Alexandrie, et s'étant infor-
més partout d'Euchariste, sans rencontrer personne qui le connût,
ils se crurent le jouet d'une illusion et résolurent de retournera
leur désert, lorsqu'au sortir de la ville, ils virent une femme qui
travaillait à la porte d'une modeste maison. Ils lui demandèrent
si elle ne connaissait pas un homme du nom d'Euchariste ? C'est
mon mari, leur répondit-elle. — Vous vous appelez donc Marie ?
dirent les solitaires. — Mes pères, reprit la femme, qui vous a fait
connaître mon nom ? — C'est Dieu, et nous venons de sa part pour
parlera votre mari. »
Euchariste était absent ; il revint vers le soir en conduisant un
petit troupeau de brebis. Les solitaires l'embrassèrent et le prièrent
de leur faire connaître le genre de vie qu'il menait lui et sa
femme. « Mes pères, leur dit-il, que pourrai-je vous dire de mon
genre de vie ? Je suis un pauvre berger. — Dites-nous, répondi-
rent-ils, de quelle manière vous servez Dieu. — Ah! dit Eucha-
riste en se jetant à leurs pieds, c'est à vous de me l'apprendre :
je ne suis qu'un homme ignorant, qui ne sait ni aimer Dieu ni le
servir. — Ne résistez pas à notre demande, ce serait résister à
Dieu, qui nous envoie pour vous interroger. — Puisque vous me
l'ordonnez, dit alors Euchariste, je vous dirai que ma mère m'ap-
prit, dès mon enfance, à tout faire et à tout souffrir pour l'amour
de Dieu. J'ai continué toute ma vie dans cette pratique, tâchant de
tout rapporter à Dieu et de l'aimer en toutes choses. Je me lève le
matin pour l'amour de Dieu, je fais ma prière et mon travail, je
prends mon repos, mon repas, et parfois même un peu de récréa-
tion pour l'amour de Dieu, et pour le mieux servir. J'accepte éga-
lement les peines de chaque jour pour l'amour de Dieu : je souffre
le froid et la chaleur, la faim et la pauvreté, les maladies et les
mauvaises années pour l'amour de Dieu, et je regarde toutes cho-
ses comme bienfaits de sa main divine. Voilà comme je vis, et ma
femme fait comme moi. »
« — Avez— vous des biens ? demandèrent les étrangers. — Je n'ai
guère que ce troupeau, répondit Euchariste ; mais le peu que je
possède suffit à mes besoins. Je fais de mon petit revenu trois
parts : la première pour l'Église, la seconde pour les pauvres, et
nous vivons du reste, ma femme et moi. Nous sommes nourris
C*EST UN DEVOIR POUR. NOUS d'aïMER DIEU.
très pauvrement, mais nous ne nous en plaignons pas; nous accep-
tons notre nourriture telle qu'elle est pour l'amour de Dieu. »
« — Ave/.-vous des ennemis? demandèrent-ils encore. — Eh !
qui est-ce qui nen a pas ? dit Euchariste. Je tâche de ne faire de
mal à personne, jamais je ne parle mal de qui que ce soit; néan-
moins je ne laisse pas d'avoir des ennemis et des envieux. Mais,
loin de leur souhaiter du mal, je les aime, je cherche à leur ren-
dre service, je vais les voir de bon cœur pour l'amour de Dieu. Si
on parle mal de moi ou de ma femme, et si on me fait du tort, je
souffre tout en paix pour l'amour de Dieu. Voilà, mes pères, toute
ma conduite et celle de Marie ma femme. »
Les solitaires s'en retournèrent pleins d'admiration, et heureux
d'avoir appris un moyen si facile de s'acquitter du devoir d'aimer
Dieu et de parvenir à la perfection de la vertu.
SIXIEME INSTRUCTION
(Dimanche de la Deuxième Semaine)
C'est un devoir pour les Parents de
pourvoir aux besoins de leurs Enfants.
I. Etendue de ce devoir. — II. Son importance.
Jusqu'ici, nous nous sommes entretenus, chrétiens, de nos
principaux devoirs envers Dieu, qui sont, de le connaître,
de l'honorer, de le servir et de l'aimer. C'est à bon droit
que nous avons fait passer, avant tous autres, cette classe
de grands devoirs, puisque le premier rang est toujours
nécessairement dû à Dieu. Nous n'avons fait d'ailleurs que
suivre l'ordre observé par Dieu lui-même, car c'est sur la
première table de sa loi qu'il a gravé les commandements
se rapportant à lui. De plus, quand le Sauveur est venu sur
la terre, il a également déclaré que le premier et le plus
grand de tous les commandements, c'est celui qui regarde
le service et l'amour de Dieu (i).
Quels sont maintenant, après nos devoirs envers Dieu,
nos plus importants devoirs? Notre Seigneur nous apprend
encore que ce sont nos devoirs à l'égard de notre prochain :
Il y a, nous dit-il, un second commandement semblable aa
premier : Vous aimerez votre prochain comme vous-même (2).
Notre prochain, nous le savons, ce sont tous les hommes,
parce que tous les hommes nous sont proches par la nature,
qui est la même en tous. Cependant, si tous les hommes
nous sont proches par la nature, il y en a qui nous sont
plus proches que d'autres. Or, nos plus proches sont incon-
testablement, pour les parents, leurs enfants, et pour les
enfants, leurs parents. Voilà pourquoi le Décalogue, après
avoir formulé nos devoirs envers Dieu, formule aussitôt les
i. Matth. xxii, 38.
2. Matth. xxn, 39.
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. 1 27
devoirs des enfants envers leurs parents, devoirs qui impli-
quent ceux des parents à l'égard de leurs enfants. En effet,
par là même que les enfants ont des devoirs à remplir
envers leurs parents, parce que leurs parents sont à leur
égard les représentants de Dieu ; par là même les parents
ont le devoir d'agir, envers leurs enfants, conformément à
la dignité et à l'autorité qui leur ont été conférées. Et parce
que les parents ont à s'acquitter de leurs devoirs envers
leurs enfants, avant que les enfants aient à s'acquitter
de leurs devoirs envers leurs parents, nous allons en con-
séquence nous entretenir d'abord des devoirs des parents
envers leurs enfants.
Grande question, chrétiens, que celle des devoirs des
païen Is envers leurs enfants ! Question très vaste, à cause
du nombre et delà variété de ces devoirs. Question d'une
importance immense, à cause des suites, soit excellentes,
soit désastreuses, qu'entraîne l'acomplissement de ces
devoirs ou leur inobservation. Cependant, que de parents
qui ne connaissent que très imparfaitement cette question,
pour eux si capitale ! Combien qui s'en font de fausses
idées ! Combien qui n'ont jamais réfléchi aux conséquen-
ces terribles résultant de leur ignorance ou de leur négli-
gence sur ce point î II est donc de la plus extrême
nécessité d'apprendre ces choses à ceux qui les ignorent, et
même de les rappeler à ceux qui les savent, afin qu'ils ne
les oublient pas. Ce sujet n'intéresse d'ailleurs pas seule-
ment ceux qui ont présentement des enfants à élever,
à instruire et à gouverner ; il intéressera aussi ceux qui
n'en ont plus, en leur faisant voir les fautes qu'ils ont pu
commettre, et surtout les jeunes gens qui, appelés bientôt
à fonder de nouvelles familles, auront avantage à connaître
à l'avance les obligations de leur futur état. Nous renferme-
rons tout ce que nous avons à en dire dans les deux
réflexions suivantes : Premièrement, étendue du devoir
qu'ont les parents de pourvoir aux besoins de leurs enfants ;
secondement, importance de ce devoir (î). — Seigneur,
1. i° L'obligation de bien élever leurs enfants doit être la plus douce
aux pères et mères, parce qu'elle est plus conforme aux inclinations de
la nature. C'est assez d'être père, d'être mère pour aimer ses enfants ; et
128 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
qui êtes le premier des pères, daignez éclairer vous-même
sur leurs devoirs ceux que vous associez à votre universelle
paternité, afin qu'ils concourent à la perfection de votre
ouvrage en ce monde, en accomplissant vos vues sur eux.
I. — Etendue du devoir qu'ont les parents de pour-
voir aux besoins de leurs enfants. — Toutes les fois que
Dieu crée un être, il s'obligea pourvoir à ses besoins dans la
mesure nécessaire , autrement cet être , abandonné à lui-même ,
retomberait dans le néant. Il en est de même de quiconque
met au monde un enfant : celui-là, en participant à l'acte
créateur, contracte également, en toute rigueur, le devoir de
pourvoir aux: besoins de l'être auquel il a donné naissance.
Or, l'étendue de ce devoir égale nécessairement, on le con-
çoit, celle des besoins de l'enfant. Et parce que l'enfant,
formé d'un corps et d'une âme, a naturellement des besoins
corporels et des besoins spirituels, le devoir des parents est
donc de pourvoir à ces deux classes de besoins, dont nous
allons parler séparément (i).
peut-on les aimer, et négliger leur éducation ? — 20 Cette obligation est
la plus essentielle : c'est par là qu'un père est véritablement père, et
c'est pour cela qu'il Test ; et quand il s'acquitterait de tous les autres
devoirs, s'il manque à celui-là, qui doit tenir le premier rang, Faccom-
plissemcnt de tous les autres lui servira de peu. — 3° Cette obligation
est la plus terrible pour les parents ; s'ils ne s'en acquittent pas, ils sont
responsables de tous les péchés que commettent leurs enfants : et quel
compte n'auront-ils point à rendre à Dieu ! (Houdry, Biblioth. des Prédic.
Éducat. des enf. § 1, n. 9).
1. Dieu, en donnant l'être aux hommes, leur donne en même temps
ou du moins leur destine trois sortes de vies, qui nous font connaître
trois sortes de soins et de providences à leur égard. Il leur donne la vie
naturelle, d'où ensuite il pourvoit à ce qui est nécessaire pour leur con-
servation. Il les destine à une vie immortelle, qui est la fin pour laquelle
il les a créés ; c'est pourquoi il a à leur égard une seconde providence
surnaturelle qui veille à leur préparer les grâces et les moyens néces-
saires pour leur salut. Enfin, il les fait naître parmi les autres hommes,
pour faire une partie de la république, et y mener une vie civile ; ce
qui fait que par une troisième providence, que nous appelons vocation,
et qui est en partie naturelle, et en partie surnaturelle, il les appelle à
un tel état, ou à un tel genre de vie. C'est en ces trois choses que les
pères et les mères doivent imiter Dieu, dont ils tiennent la place à l'égard
de leurs enfants : i° Comme ce sont eux, dont Dieu se sert pour leur
donner la vie naturelle, ils sont obligés au soin de leur entretien et de
leur conservation, par un amour qui doit imiter celui de Dieu. — 20 Us
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS; I ><)
Et d'abord, quels sont les besoins corporels des enfants,
ou autrement, quels sont leurs besoins par rapport à la vie
présente? lui général, les parents s'occupent bien plus de
ces besoins, que de ceux qui se rapportent à l'âme et à la
vie éternelle. Cependant ils ne laissent pas de tomber aussi,
à cet égard, dans plusieurs fautes qu'il est nécessaire de
signaler, afin qu'ils puissent les éviter.
Or, le premier besoin corporel des enfants, c'est d'être
traités, non moins avant qu'après leur naissance, avec de
convenables précautions et de justes ménagements (i). La
vie est alors en eux très fragile, et la moindre imprudence
de la part des parents peut la leur ôter, ou la leur rendre
plus ou moins désagréable et pénible. Combien de malheu-
reux petits êtres qui, bien qu'appelés déjà à l'existence,
cependant ne voient jamais le jour, par le fait de leurs
doivent contribuer à leur salut, par la bonne éducation, qui est une
seconde vie morale, infiniment plus noble que la première, en les éle-
vant dans la vertu, pour leur faciliter le chemin du ciel. — 3° Ils doi-
vent les aider à s'établir dans la vie civile, en secondant leur naturel et
leur vocation (Houdry, Biblioth. des Prédic. Éduc. des Enf. § i, n. 3).
Les devoirs des parents sont : i° de préférer à tout le salut de leurs
enfants, sans cependant négliger leur bien-être temporel ; et pour cela,
2° de les offrir à Dieu avec leurs prières et leurs bonnes œuvres, pour
obtenir de sa miséricorde qu'ils soient ses serviteurs en esprit et en
vérité ; 3° de les élever saintement ; 4° de leur donner, par conséquent,
1 instruction et l'exemple de tous les devoirs du chrétien ; 5° de leur
faire contracter de bonne heure d'heurcusesmabitudes, les corrigeant à
propos et suivant les règles de la sagesse ; 6° de ne donner à leurs
enfants que des maîtres édifiants; 7° de ne contrarier ni leur piété ni
leur vocation, mais de s'attacher à les diriger selon l'esprit de Dieu sur
ces deux points ; 8° enfin, de les préserver du mal et de les en retirer,
quand ils ont eu le malheur de s'y engager (R. P. Warnet, Trésor des
Prédic. Paren I s, ait. 2).
t. « Malheur aux unions dont le vomi est d'être stériles, s'écrie» quel-
que pari Bossuet, elles ne seront bénies ni de Dieu ni des hommes ! »
.Malheur aux hommes qui, comme l'arbre des forêts, jettent çà et là aux
ailes des vents, c'est-à-dire au souille des passions, la mystérieuse force
dont le germe divin est en eux ! Malheur aux pères, malheur aux mères
qui, cédant à la crainte lâche des saintes fatigues de là dignité pater-
nelle et maternelle, se défient de la Providence et de l'avenir, trompent
le vœu delà nature, troublent l'ordre de Dieu lui-même, méconnaissent
l'immense responsabilité de leur puissance et repoussent loin d'eux, vers
le néant, ces nobles créatures, ces âmes charmantes, qu'ils devaient offrir
au ciel comme le fruit de sa bénédiction ! (Mgr Dupanloup, UÉdacation.
Autorité du père).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. n
IûO LES GRANDS DEVOIRS DU SÂLUT. VI. INSTRUCTION.
parents ! Combien qui, arrivés déjà au grand jour de la vie,
bientôt la quittent faute des soins dont ils devaient être
entourés ! Que d'autres encore ne voit-on pas qui, tout en
restant en ce monde grâce à la force de leur constitution,
cependant n'y mènent qu'une vie plus ou moins malheu-
reuse, par suite de la négligence ou des mauvais traite-
ments de leurs parents, négligence et mauvais traitements
qui les ont rendus malingres, difformes, estropiés ! Que les
parents chrétiens le sachent donc bien : ils sont responsa-
bles des existences qui leur sont confiées. Sous la loi du
démon, les païens pouvaient autrefois et peuvent encore
traiter à leur gré leurs enfants, les abandonner sur la voie
publique parmi les ordures, les broyer contre une pierre,
les jeter à l'eau, les donner en pâture aux animaux. Sous la loi
de Dieu, les parents n'ont pas la propriété de leurs enfants,
mais seulement la garde. Qu'ils évitent donc avant tout,
par conséquent, et cela avec le plus grand soin, tout ce qui
pourrait être funeste, soit à la vie, soit à la bonne constitu-
tion, soit à la santé de leurs enfants, s'interdisant, ne fût-ce
que pour ce motif, toute colère, tout emportement, toute
violence (i).
i . La vie naturelle des enfants dans le sein de leur mère oblige les
parents à de très grands soins. La mère doit ménager soigneusement
sa santé, pour conserver celle de son fruit et lui former de bonne
heure une forte constitution. Combien sont coupables les mères qui,
pendant leur grossesse, font toutes sortes d'imprudences, comme de
courir, sauter, travailler de force, porter des fardeaux trop lourds,
faire de trop longs voyages, se livrer à la colère, à l'emportement,
manger des choses nuisibles, au grand risque de perdre leur fruit pour
le temps et pour l'éternité ! Combien coupable aussi est le père qui,
par une cruauté également funeste à la mère et à l'enfant qu'elle porte,
chagrine celle-là, la tourmente, la frappe, etc. ! Tous les docteurs
s'accordent à dire que tout ce qui, de la part des parents, peut nuire
gravement à la vie, est péché grave...
Tout avortement volontaire est un grand crime : les saints Pères
l'appellent homicide. 11 est un cas réservé dans presque tous les diocèses,
même pour ceux qui le conseillent et en fournissent les moyens. Il y a
déplus excommunication pour ceux qui le procurent directement ou
indirectement, si le fœtus est animé (Nunc videtur esse opinio commu-
nior inter medicos fœtum esse animatum a conceptionc. Theol. pract.)...
Les parents pèchent gravement pour l'ordinaire, lorsque, par leur
faute, ils laissent seuls leurs enfants quand ils sont encore trop faibles,
au péril de se jeter dans le feu, ou dans l'eau, ou de faire d'autres
chutes dangereuses, ou lorsque, par colère, par antipathie, il les mal-
DEVOIRS DÉS PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. 10 I
Mais Les enfants n'ont pas seulement besoin d'être traités
avec ménagement, ils ont aussi besoin d'être nourris. Et
par nourriture nous entendons ici, comme par le pain que
nous demandons dans l'Oraison Dominicale, tout ce qui est
nécessaire à la vie corporelle, c'est-à-dire, non seulement les
aliments, mais encore au moins les vêtements et le couvert.
Les enfants ont besoin de ces différentes choses, parce que
sans ces choses on ne peut pas vivre. Sans aliments, on
meurt de faim; sans vêtements et sans habitation, on meurt
des intempéries des saisons. Or, les enfants, au moins
dans leur bas-àge, ne peuvent pas se procurer ces choses,
cela est bien évident. Il y a donc par conséquent obligation
pour les parents de les leur procurer. Et pour les leur pro-
curer, ils doivent, non seulement travailler autant qu'ils le
peuvent, mais encore leur consacrer une partie suffisante
de ce qu'ils gagnent. Sans doute, c'est ce que font la plupart
des parents. Il y en a même qui, pour leurs enfants, tra-
vaillent jusque pendant les jours consacrés au Seigneur, en
quoi ils sont gravement répréhensibles. Cependant il y en a
aussi qui certainement ne pourvoient pas autant qu'ils le
traitent rudement, leur donnent de mauvais coups, et portent par là
à leur tempérament, quelquefois pour le reste de leurs jours, de
cruelles atteintes.. .
Dans plusieurs diocèses de France, il est spécialement prohibé de
faire coucher avec de grandes personnes les enfants qui n'ont pas
un an acecompli ; cl dans presque tous les diocèses, la suffocation de
l'enfant, lorsqu'elle est l'effet d'une grande négligence, est un cas
réservé. Le Pape Etienne Y regarde comme coupables d'homicide les
parents dont l'enfant aura été trouvé mort dans leur lit. . .
\bandonner un enfant, ou l'exposer dans un lieu public, est un
péché très grave contre toutes les lois.
Exposer un enfant, sans raison urgente, aux portes des hôpitaux,
afin d'en être débarrassé, est un péché mortel, si l'enfant est légitime :
c'est lui imprimer la tache d'illégitimité. Si l'enfant est illégitime,
Layman, saint Liguori el Henriquez croient que probablement il est
permis de l'exposer, et que son illégitimité est une cause suffisante
pour excuser de péché ; mais alors, d'après plusieurs théologiens
(contra aliosj, les parents sont obligés de dédommager l'hôpital qui a
reçu l'enfant, au moins selon la taxe, s'ils le peuvent, et surtout si
l'hôpital n'est pas riche. Ils sont aussi obligés de désigner L'enfant par
quelque signe, afin de pouvoir le reconnaître, de pourvoir au reste de
son éducation, si l'hôpital la laissait incomplète, et de veiller à son
salut (Examen raisonné sur les commandements de Dieu et de l'Église, etc.
par un anc. profess. de théol. chap. 4, a. 2, s 0.
102 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
doivent et le peuvent aux besoins matériels de leurs enfants.
Ce sont, d'un côté, ceux qui, par paresse ou indifférence, ne
se donnent pas la peine de travailler d'une manière assez
sérieuse et assez assidue ; et de l'autre côté, ceux qui, tout en
travaillant autant qu'ils le doivent, ou bien dépensent pour
eux-mêmes tout ce qu'ils gagnent, ou bien l'économisent
par une avarice sordide, sans en rien dépenser ni pour eux
ni pour leurs enfants. Or, tous ces désordres sont grave-
ment préjudiciables aux enfants, ainsi réduits, soit à men-
dier, soit à voler, soit à dépérir ; et les parents qui s'en ren-
dent coupables ne sauraient être trop énergiquement blâ-
més et honnis. Il sont au-dessous des animaux, même les
plus sauvages, qui n'abandonnent jamais leurs petits tant
que ceux-ci ont besoin d'eux (i).
i. Il n'est point de bête farouche qui n'ait soin de nourrir ses petits,
les dragons mêmes et les chiens sauvages le font, et il y a plusieurs
personnes parmi mon peuple qui sont cruelles comme l'autruche.
L'autruche, comme vous le savez, est un animal goulu tout ce qui se
peut ; jcttez-lui du fer, de Fétain ou de l'argent, elle avale tout, elle
digère tout ; mais, au reste, elle est cruelle envers ses petits au dernier
point ; car, comme le dit le saint homme Job, xxxix, i3, elle se con-
tente de pondre des œufs et, les ayant pondus, elle n'a point le soin de
les couver, elle les laisse sur la terre, sans prévoir que quelque passant
les foulera aux pieds, ou que quelque bête les écrasera ; et si quel-
qu'un de ces petits, échauffé par les rayons du soleil, vient à s'éclore
et réclame sa mère pour avoir un peu de nourriture, elle est sourde à
cette voix plaintive, elle l'abandonne comme si elle n'était pas sa mère.
Ce père de famille en fait de même : il est goulu et cruel comme cet
oiseau, il consume l'argent, le fer, l'étain et le linge qu'il faut vendre
pour fournir aux frais de ses débauches ; il se contente de peupler le
monde, d'avoir des enfants, et n'a point le soin de les élever. Pendant
qu'il fait bonne chère au cabaret, ces pauvres innocents crient à la
faim, pleurent et gémissent. Vous faites contre cette parole du Sau-
veur : 11 n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le donner
aux chiens. Vous dépensez votre bien dans un cabaret ; ce qui devrait
nourrir vos enfants pendant toute la semaine, vous le mangez en un
jour de dimanche avec des flatteurs, avec des escorniffleurs, avec des
fripons aussi impudents que des chiens : Calelli edunt de micis quœ
cadunt de mensa. Les chiens de la taverne sont plus heureux que vos
enfants : vous leur jettez quelque morceau de pain, ils recueillent les
miettes qui tombent de votre table ! Si vous vous contentiez de faire
bonne chère en vos maisons, vos pauvres femmes et vos enfants s'en
sentiraient, car ils tâcheraient de vivoter de vos restes. . . — Ce mauvais
riche est si fort attaché aux biens de ce monde, qu'il est impossible de
lui faire rien débourser pour l'entretien nécessaire et l'honnête éduca-
tion de ses enfants : Obliviscitur quod pes conculset ea, mit bestia agri
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. l33
Enfin, les enfants, même au seul point de vue temporel,
ont encore besoin d'être dirigés. Etant sans aucune expé-
rience, et ne connaissant rien des choses de la vie, ils sont
par là même exposes à se tromper et à se laisser tromper,
conierat, Job. loc. cit. II no considère pas que la pauvreté engendre
quelquefois le malheur , que la nécessite est une rude maîtresse, que le
mépris qu'il faii de ses enfants et le besoin où il les laisse sera cause
qu'ils se perdront et temporellemcnt et spirituellement, que quelque
homme ou bête farouche les écrasera. Que cette fille, se voyant négligée
de son père, se mettra en service pour tâcher de faire fortune, qu'elle
tombera en la puissance d'un homme de mauvaise vie qui la débau-
chera et la perdra. Que ce garçon quittera le pays pour trouver en une
province étrangère la nourriture qui lui est refusée en sa maison pater-
nelle, qu'il se trouvera en mauvaise compagnie, qu'il fera mal avec les
méchants, qu'il sera pris de justice: Durai ur ad filios suos, quasi non sint
suit dit Job (Le P. Lejelne, Le Missionn. de V Oratoire., serm. 49, 1 p.)«
Mères chrétiennes, quand le sage et bienfaisant Auteur de la nature
place dans votre sein, au moment de la naissance de vos enfants, la
nourriture la plus salutaire, la plus particulièrement adaptée à leur
tempéramment, est-ce pour que vous les en frustriez ? Les bêtes farou-
ches, dit le prophète, ont découvert leurs mamelles, et allaité leurs
petits : la fille de mon peuple est cruelle comme l'autruche du désert.
Thren. iv, 3. Par quels moyens plus puissants la Providence aurait-elle
donc pu exciter les mères à donner leur propre lait au fruit de leurs
entrailles ? Un amour plus précoce et plus tendre de la part de leurs
enfants ; pour elles-mêmes, une santé plus soutenue et plus robuste, ne
sont-cc pas là des motifs assez forts pour les déterminer ? La mère de
saint Louis, la vertueuse Blanche, sur le trône, ne croyait pas pouvoir
se dispenser de ce devoir, et nous voyons continuellement des mères
prétendre s'en affranchir sous le prétexte de leur condition. Oui, sous
le prétexte, car ce n'est pas Là la véritable raison. Le devoir d'allaiter ses
enfants en entraîne d'autres : l'assiduité à la maison, un régime tem-
pérant, la privation des plaisirs turbulents, la séquestration des fêtes,
des assemblées prolongées dans la nuit. Voilà dans la réalité, voilà les
motifs qui, presque toujours, dérobent aux enfants le lait maternel :
c'est l'amour du plaisir, qui, plus fort que la tendresse, bannit ces
malheureux enfants de leur maison, au moment où ils y entrent ; les
rejette dans des bras étrangers, les abandonne à des soins mercenaires.
On croit avoir satisfait à la nature, obéi à la religion, en les faisant
venir près de soi, de temps en temps, ou en allant de loin en loin
les \isiter. On se persuade qu'on les aime, parce que, au milieu des
dissipations, des divertissements, on ne les délaisse pas entièrement.
Il esl cependant nécessaire d'observer qu'il se trouve des mères à qui le
moyen de remplir cette obligation est refusé, et qui ne portent pas dans
leur sein la nourriture qu'y cherchent leurs enfants. Que ce soit
une faiblesse de tempérament, que ce soit l'effet de la vie qu'elles
mènent, il est évident que celles-là doivent se faire remplacer. Mais
d'abord elles doivent apporter à ce choix: la plus grande attention. Les
erreurs dans ce genre sont si communes et si funestes, qu'on ne peut
prendre trop de précautions pour n'être pas trompé. Elles doivent ensuite
l34 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
non sans de très fâcheuses conséquences pour eux. C'est
pourquoi les parents, qui sont tenus à pourvoir aux besoins
matériels de leurs enfants, sont tenus par là même à les
rendre capables d'y pourvoir par leur propre travail, dès
qu'ils le peuvent. Ils doivent en conséquence leur faire
apprendre, soit un métier, soit une profession, en rapport
avec les conditions dans lesquelles ils se trouvent, et où leurs
enfants puissent gagner honorablement leur vie. Les parents
doivent encore diriger leurs enfants, au moment de leur
mariage, pour les mettre autant que possible à l'abri d'un
choix défectueux, qui serait pour eux la source d'une foule
de déboires et de chagrins. Sans doute, les conseils des
parents, soit au sujet d'un état, soit au sujet du mariage,
même bien suivis, n'empêchent pas toujours les maux de
Favenir. Cependant on ne peut contester qu'ils ont, le plus
souvent, d'heureuses^ conséquences. Les parents ne sau-
raient donc, sans manquer gravement à leur devoir,
se dispenser de donner à leurs enfants ces conseils, qui
peuvent contribuer si efficacement à leur procurer une
honnête existence ici-bas (i).
tenir leurs enfants le plus près d'elles qu'il est possible, et, par une
attention soutenue, surveiller constamment et l'enfant et celle qui lui
donne son lait (Gard. De La Luzerrne, Considérât, sur les devoirs des
pères et mères, n. 28).
A l'égard de l'entretien des enfants, deux abus sont à éviter, le
défaut et l'excès. Il est des parents avares, qui ne veulent rien accor-
der, qui font consister l'éducation à refuser, et qui laissent leurs
enfants dans la privation des choses convenables, quelquefois même
dans le dénuement des nécessaires. 11 en est d'autres, et ils sont plus
communs, qui, au contraire, font de l'éducation un objet de luxe ; qui
croient se faire honneur de la magnificence avec laquelle ils parent
leurs enfants, de l'état fastueux qu'ils leur donnent, des dépenses
superflues et de pure ostentation qu'ils leur font faire. Les premiers, par
leur dureté, aliènent d'eux leurs enfants et les induisent à des emprunts
ruineux, quelquefois à des bassesses flétrissantes. Les seconds insinuent
dans ces jeunes cœurs le poison de la vanité, et, en leur fournissant les
moyens de satisfaire tous leurs goûts, font naître, développent, excitent
en eux les passions. Tenez-vous sur ce point dans un juste milieu. Que
vos enfants ne manquent de rien, qu'ils aient même une honnête abon-
dance, proportionnée à leur état et à vos facultés. Mais, pour leur pro-
pre bonheur, sachez leur refuser des superfluités qui leur deviennent
nuisibles. Accoutumez-les de bonne heure à une économie sans parci-
monie, à une générosité sans faste (ld. Ibid. n. i3).
j . Les parents doivent à leurs enfants le soip de leur établissement ;
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. l35
Tels sont, à L'égard du corps et de la vie présente, les
besoins des enfants et les devoirs correspondants des
parents. Combien plus graves encore sont les besoins et les
devoirs des uns et des autres, à l'égard de L'âme et de la vie
éternelle !
Ce donl les enfants ont tout d'abord besoin ici, sans par-
ler du Baptême qu'on ne doit jamais leur différer (i), c'est
d'être instruits ; instruits, voulons-nous dire, principa-
lement des vérités et des préceptes de la religion. Les con-
naissances humaines sont assurément très utiles, mais
aucune n'est indispensable. Il n'en est pas ainsi de la
connaissance de la religion. Sans cette connaissance,
nous ne savons, ni ce qu'il faut croire, ni ce qu'il faut
ils sont obligés d'y penser sérieusement et de bonne heure ; d'y pourvoir
effieacement, selon leur étal et leur condition ; mais plus encore suivant
la vocation de Dieu. Et afin d'agir en cela conformément aux règles de
la prudence chrétienne, ils doivent consulter le Seigneur, examiner
L'inclination et les talents de leurs enfants, prendre conseil de ceux qui
les conduisent et les connaissent. Le malheur est que la plupart des
parents ne consultent sur cela que l'ambition, ou l'intérêt, ou môme
laissent aller les choses au hasard, et ne suivent que le caprice de leurs
enfants. Il y a deux choses à observer sur ce chapitre : i° De prendre
garde de les porter à embrasser l'état religieux ou ecclésiastique, si leurs
enfants n'ont ni la vocation, ni les talents propres pour en remplir les
devoirs. 20 De ne pas aussi les empêcher de suivre là-dessus la vocation
de Dieu quand il les y appelle. Les parents doivent se souvenir qu'ils
tiennent de Dieu l'autorité qu'ils ont sur leurs enfants, et qu'ainsi ils ne
peuvent, sans une horrible prévarication, s'en servir pour les empêcher
de suivre l'ordre de Dieu, qui leur est marqué par la vocation, et ils doi-
vent se persuader que leurs enfants ne sont pas obligés à leur obéir
quand ils veulent les engager à désobéir à Dieu (Houdry, Biblioth. des
Prédic. Kducat. des Enf. S i* n. i5).
1. Primo quidem solliciti sint (parentes) per Baptismum vitam spiri-
tualem proli procurare. Nain christiani non solum carnis, sed et spiri-
tus et anima- esse debent parentes, ut obsequantur œterno Patri spiri-
tuum. Provideant ergo filiis de regeneratione in vitam aeternam ex aqua
et Spiritu Sancto. Nec per rnultos dies différant, ne proli periculum
ingeneretur ; fragilis enim admodum vita infantis, et minimo incom-
modo perimi potest. Matrcs cum génèrent infantes per peccatum mor-
tuos, matrcs sunt mortuorum ; proies statim offerendo per Baptismum
fiant matrcs viventhim. Non paliantur ut nomen Eva ipsis eonveniat
solum per antiphrasim, aut ironice ; fiât quaelibet mater Eva, hoc est,
Mater vivenlium, ycr verilalcm procurando infanti vitam gratis in Salva-
tore promissam. Debent quoque simul cum Baptismo eligere laies
patronos, sive patres spirituales puerorum ; ut si contingat parentes
intermori, possint ipsi in fide et probitate vitee illos instruere. (Mmigh,
Hort. past. Gandel. myst, tr. 8. pr. 3).
l36 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — VI. INSTRUCTION.
faire pour atteindre le but de notre destinée, qui est
notre salut. Or, cette connaissance, l'enseignement seul
peut la faire acquérir. De là, pour les parents, l'obligation
d'en apprendre au moins les éléments essentiels à leurs
enfants, dès que la raison de ceux-ci commence à s'éveiller.
Qu'il est beau, le spectacle d'un père, d'une mère, nom-
mant Dieu à son enfant en lui montrant le ciel, et gravant
pour jamais ce nom sacré dans son âme encore neuve (i) !
Si les parents s'acquittent fidèlement de ce devoir, toute sa
vie leur enfant gardera imprimées au fond de son cœur les
vérités qu'ils y auront déposées, et elles serviront à le pré-
server ou à le ramener. Ils peuvent et doivent d'ailleurs,
quand l'enfant grandit, faire compléter par les prêtres l'en-
seignement qu'ils ont d'abord ébauché (1).
i . Dès les premiers moments où vous apercevez dans votre enfant
quelques lueurs de raison, vous devez commencer son éducation chré-
tienne. Je dirais volontiers que cette éducation doit même prévenir sa
raison. Que ses premiers regards soient frappés d'actes de piété; que les
premières paroles discernées par les oreilles, soient des discours d'édifi-
cation, afin que ses premières pensées soient tournées vers Celui qui,
dans tout le cours de sa vie, doit être l'objet principal de ses pensées.
En attendant que vous puissiez lui donner des leçons de religion, mon-
trez-lui en des exemples. Qu'il voie qu'il y a un Dieu, avant même que
vous le lui disiez. Mettez de bonne heure, dans sa bouche, les doux noms
de Jésus et de Marie. Quand il vous appellera son père, apprenez-lui
qu'il y a dans les cieux un autre Père bien plus puissant et bien meil-
leur. Quand il vous nommera sa mère, dites-lui d'après Jésus-Christ, en
lui montrant l'image de Marie : Mon fils, voilà votre mère. Aussitôt que
sa mémoire sera en état de la retenir, apprenez-lui la prière sacrée qui
nous vient du divin Sauveur. Accoutumez-le de bonne heure à adresser
à Dieu son hommage du matin et du soir. Dieu aime à être loué par la
bouche des enfants. Ps. vin, 3. Souvent, les rassemblant tous autour de
vous, dites-leur avec David : Venez, mes enfants, écoutez-moi : je vous
enseignerai la crainte du Seigneur. Es. xxxin, 12. Mais proportionnez
toujours vos instructions et leurs exercices de piété, à leur âge et à la
portée de leur raison. Trop longs, ils les ennuieraient ; trop multipliés,
ils les rebuteraient. En leur donnant la connaissance de la religion,
inspirez-leur en le goût. A leurs jeux enfantins mêlez, sans affectation,
quelquefois des maximes salutaires ; plus souvent des traits d'histoire,
qui, sans avoir l'air de la morale, en donnent l'idée ; sans la montrer,
la font recevoir ; en l'enveloppant, la font goûter ; qui joignent l'intérêt
à l'instruction, le modèle au précepte, l'encouragement à l'exhortation.
Dirigez vers Dieu les premiers pas de leur raison. Que celai qui est enfant
vienne à moi, dit l'Esprit-Saint. Sap. ix, 7. (Gard, de la Luzerne, loc.
cit. n. 29).
ï. Et qu'on ne dise pas, qu'à défaut de religion, on inculque aux
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. J07
En même temps qu'il a besoin d'être instruit dos ensei-
gnements do la religion, l'enfant a aussi besoin d'être sur-
veillé. Nous savons que, conçus dans l'iniquité, par suite
de la révolte de noire premier père, nous sommes tous por-
tés au mal. Ce n'est donc pas assez d'éclairer l'esprit de
l'enfant, et de lui faire connaître ses devoirs ; il faut encore
soutenir cl fortifier sa volonté, pour les lui faire accompli]'.
C'est à cela surtout que doit servir la surveillance. Sachant
qu'il est observé, et que ses manquements seront connus,
l'enfant s'observe lui-même, et se rend ainsi plus fort pour
résister à ses propres mauvais penchants, ou aux sollicita-
tions perverses dont il peut être l'objet. Qu'ils sont donc
coupables, les parents qui ne surveillent pas leurs enfants,
enfants dos préceptes de morale, qu'on leur suggère des sentiments
d'honneur. Ah ! croyez-moi, vous n'avancez rien avec vos phrases. Eh !
quelle morale, je vous prie, sans responsabilité ? Quelle morale qui ne
soit liée au dogme et qui n'en tire toute sa force et toute sa vertu ? De
quelle morale voulez-vous donc parler P Y en a-t-il de plusieurs sortes
pour un chrétien ? De la morale de l'Évangile, sans doute. El, en effet,
elle est assez belle et assez pure. Mais pouvez-vous la séparer de la foi
qui lui donne sa sanction ? Ne voyez-vous pas qu'elle perd sa grâce, sa
persuasion, son efficacité, dès que vous la dépouillez de son caractère
divin, qu'elle n'est plus alors que la parole de l'homme, et que la parole
de l'homme n'est point une autorité pour 1 homme ? Quoi ! une morale
sans Dieu, sans le ciel, sans l'enfer, sans l'éternité du châtiment ou de
la récompense? De bonne foi, le pensez-vous, le dites-vous sérieusement ?
Et vos principes d'honneur seront-ils plus efficaces ? L'honneur! ce mot
est beau, il sonne admirablement dans le discours, il fait effet sur un
théâtre. Mais, en présence d'une tentation délicate, d'une passion vio-
lente, à quoi vous servira-t-il, si les saintes terreurs de la conscience ne
reprennent le cœur où n'enchaînent le bras ? Aussi, voyez les fruits de
ces grands principes ! Jamais on n'a tant parlé de morale et d'honneur
que de nos jours. Les petits enfants en raisonnent dans les écoles et sur
les places publiques. Jamais on n'a écrit sur l'éducation plus de pages
philosophiques, mais aussi doit-on convenir qu'on n'a jamais fait un
usage plus sobre de la religion dans la composition de ces systèmes. Eh
bien ! philosophes, moralistes, économistes, encyclopédistes, éclectiques,
rationalistes, venez, considérez la génération nouvelle : qu'en dites-vous ?
\ous ne vouliez pas qu'on parlât de Dieu à un jeune homme avant sa
dix-huitième année, et à quinze ans il outrage, il brave son père : le
monstre ! il va plus loin, il ose porter une main parricide sur le sein
qui l'a nourri. Cela n'est-il pas dans l'ordre ? Vous vouliez qu'il se
choisît lui-même sa religion, et il a choisi le culte des plaisirs, il s'est
fait une idole de la liberté et de l'indépendance. De quoi vous plaignez-
vous ? Cela n'est-il pas dans l'ordre ? (Card. Giraud, Instr. past. Carême
|85o).
l38 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
qui n'ont souci de savoir ni ce qu'ils font, ni quelles sont
leurs lectures, ni quelles sont leurs fréquentations ! Car
alors ces malheureux, n'étant pas soutenus, se laissent aller
à tous les instincts pervers, à toutes les tentations, à toutes
les séductions. De combien de misères et de maux les
parents ne sont-ils pas ainsi la cause, faute de s'être acquit-
tés de leur devoir de surveillance (i)!
Toutefois, ceux qui s'en acquittent avec diligence ne par-
viendront pourtant pas toujours à préserver leurs enfants
de toute faute. Et voilà ce qui nous apprend que les enfants
n'ont pas seulement besoin d'être instruits, et surveillés,
mais qu'ils ont encore besoin d'être corrigés. Corrigés, c'est-
à-dire relevés, et replacés d'une manière plus ferme dans la
i. Une vigilance attentive, une inspection continue, une observation
exacte jusqu'à être minutieuse, est nécessaire et prescrite ; elle doit
commencer dès l'enfance, pour se continuer constamment et sans
interruption. Dès les premières années, les inclinations se manifestent,
et elles se manifestent d'autant plus que cet âge ignore l'art perfide de
les cacher. Vous examinez avec soin la matière de votre terre, l'espèce
de plantes auxquelles elle est propre, ses propriétés bonnes et défec-
tueuses, afin de profiter des unes et de réformer les autres. Gomment
gouvernez-vous votre enfant, si ses dispositions ne vous sont pas con-
nues; si vous ignorez quels sont les désirs qu'il faut satisfaire, quels
sont ceux qu'il faut réprimer ; quelles affections il est bon d'exciter,
quelles autres il est nécessaire d'arrêter ; quand c'est le frein, quand
c'est l'aiguillon qu'il faut employer? Depuis les premiers moments
de sa raison naissante, son caractère se développant graduellement,
vous connaîtrez les bonnes qualités auxquelles il est porté, les défauts
dont il est menacé. Prov. xx, n. Le soin avec lequel vous l'étudierez
vous fera discerner la meilleure manière de gagner son attache-
ment, de vous insinuer dans sa confiance, d'acquérir son respect,
de captiver sa soumission ; vous découvrira les moyens les plus
efficaces, les plus adaptés à sa nature, de le diriger ; vous fera choisir
les moments les plus favorables, soit pour l'exciter, soit pour le
reprendre. Le but principal de cette surveillance, l'objet vers lequel
vous devez la diriger, est d'écarter de lui tout ce qui peut traverser
son éducation ; de prévenir ses fautes, en éloignant les occasions
qui l'y entraîneraient ; d'empêcher le feu des passions de s'allumer
en lui... Le troupeau le plus gras dépérit, s'il n'est entretenu par les
soins vigilants du pasteur. Pensez aux maux affreux qu'attira, et sur
lui-même et sur sa maison, le saint roi David, pour n'avoir pas soigneu-
sement observé la criminelle passion de son fils Ammon, et le carac-
tère violent et ambitieux de son autre fils Absalon. Rappelez-vous le
malheur de Dina : considérez ce que causa de douleurs, à ses parents,
leur funeste complaisance, et à elle sa dangereuse curiosité (Gard, De
La Luzerne, loc. cit. n. s3),
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. Idg
voie du devoir, dont ils s'étaient écartés. Or, quels moyens
les parents doivent-ils employer pour atteindre ce résultat?
11 est à propos, tout d'abord, non pas de crier et de tempê-
ter, ce qui ne vaut jamais rien, mais de bien faire com-
prendre à L'enfant sa faute, et de lui expliquer comment il
pourra l'éviter à l'avenir. Avec une nature droite et docile,
de simples observations de ce genre suffisent le plus sou-
\rnt. Mais si l'enfant est d'un caractère difficile et opiniâ-
tre, il ne faut pas hésiter, dès qu'on a bien constaté l'inuti-
lité des remontrances, à recourir aux châtiments, tout en les
mesurant à la gravité des fautes et à l'obstination du coupa-
ble. Pas de faiblesse, pas de sensibilité déplacée : ce serait
de la cruauté (1). Qu'on s'en souvienne bien, la correction
de l'enfant, c'est sa soumission et son amendement, et c'est
ce qu'il est du devoir des parents d'obtenir. Malheur aux
parents qui ne corrigent pas leurs enfants autant qu'il
dépend d'eux ! Dieu leur imputera les fautes de leurs
enfants qu'ils auraient pu les empêcher de commettre.
Enfin, et c'est ce dernier point qui a la plus capitale im-
portance : les enfants ont besoin, par dessus tout, des bons
exemples de leurs parents. N'est-il pas vrai, en général, que
les personnes, même arrivées à la plénitude de l'âge, ont
bien plus égard, clans ce qu'elles pensent et dans ce qu'elles
font, à ce que pensent et font les autres, qu'à ce que la rai-
son et la foi commandent de penser et de faire ? A plus
forte raison en est-il ainsi des enfants, qui n'ont pas même
encore le jugement et l'expérience des grandes personnes.
Aussi sont-ils essentiellement imitatifs. Voilà pourquoi les
i. Nimia clementia parentum causât in filiis turpissima scelerum
por tenta. Ohc ! non possum semper instar tyranni domestici furere !
Quis istas a te exigit furiaa ? Modoratione ac discretione opus est. Eheu !
filii sont mea caro et sanguis ! non possum illis tam maie velle ! Eliam
putiïdum membrum est tua caro, et sanguis, et tamen illud abscindi
sinis, ut non totiiin corpus pereat. Dein per prudentem ac discretam
correctionem tan tu m abest filiis injuriam ficri, ut potius illis grande
beneficium praestetur ; quia tali modo apeccatis, et consequenter a sup-
pliciis tam temporalibus, quam aeternis prœservantur. Filii, si adannos
maturitalis pervenerint, pro quovis verbo aut verbere immensas grates
rependent. Econtra illi, qui per nimiam, indulgentiam depravati in
quaevis scuelera, et, nescio, quantam corporis et anima* infelicitatem
proruerunt, ipsi parentibus diras dicent, illisque sui interitus culpani
imputabunt (Cuus, Spicil, catech. p. i, conc, 5ï, n. 7),
I/lo LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
parenls auront beau les instruire, les surveiller et les corri-
ger, ils n'arriveront que bien faiblement et bien imparfaite-
ment par ces seuls moyens à leur faire croire et pratiquer la
religion. Au coutraire, si les parents donnent à leurs
enfants le bon exemple de croire et de pratiquer eux-mêmes
la religion, ils les verront presque toujours les imiter sans
la moindre difficulté. Dès lors, comment ne serait-ce pas
un devoir, pour les parents, d'employer le meilleur moyen
qu'ils aient à leur disposition pour mettre leurs enfants dans
le chemin du ciel ? Lorsqu'il s'agit d'enrichir leurs enfants,
n'emploient-ils pas les plus sûrs moyens qu'ils connais-
sent? Qu'ils en fassent donc autant pour sauver leur âme
immortelle, et leur assurer l'inestimable trésor de l'éternité
bienheureuse. Qu'ils donnent, en conséquence, l'exemple
du respect pour la religion, l'exemple de la sanctification
du dimanche, en un mot, l'exemple de l'observation de tous
les commandements divins. Encore une fois, c'est de ces
bons exemples que les enfants ont le plus besoin, et par
conséquent c'est à les leur donner que les parents sont le
plus rigoureusement tenus (i).
i. Luscinia, ait sanctus Ambrosius, nunquam dulcius canit, quam
cum partus suos pascit. Pari modo et vos oportet filiis, quos enutritis,
purissimos cantus prrecinere ; si enim cantilena, quam infans audit in
domo, sint blasphemia?, et juramenta, execrationes, et verba scurrilia,
quid aliud repetet filiolus ? Dicite, nunquam vidistis in nostra patria
infantulum, qui loquitur linguam turcicam, aut sclavonicam ? Nun-
quam ? quare ? Quia linguam turcicam aut sclavonicam nunquam
audiunt. Unde ergo est, quod hic vel ille infantulus in tenerrima hac
setate jam incipiat loqui linguam infernalem ? Eheu ! unde ? (Claus,
loc. cit. n. 9).
De quel droit les chargerez-vous de fardeaux que vous ne toucheriez
pas même du bout du doigt ? Je sais bien qu'ils doivent toujours vous
écouter, alors même que vos œuvres contrediraient vos paroles. Nous ne
prétendons pas les excuser ; mais gardez-vous aussi de vous flatter, et
ne présumez pas de la puissance des mots au point de croire que vous
leur ferez goûter des leçons qui n'auraient pas la sanction de vos
exemples. La crainte leur imposera silence ; mais ils se riront en secret
des leçons et des maîtres... Quels sont ces livres que je vois étalés sur
ces tablettes, qui flattent l'œil par la richesse et l'élégance de leur forme,
qui se placent d'eux-mêmes sous votre main, pour vous inviter à par-
courir leurs pages ? Ce sont des romans, des poésies passionnées, des
recueils de feuilletons immondes, que l'art a illustrés, pour dorer la
coupe qui vous verse les poisons. — Mais les enfants ne les liront pas.
— Oh ! non ; Eve n'est plus curieuse, elle né voudra pas goûter 4e ce
devoirs i>i:s parents envers leurs enfants. 141
Voilà quelle est. chrétiens, L'étendue du devoir qui
incombe aux parents de pourvoir aux besoins corporels et
spirituels de leurs enfants ; étendue très vaste, et dont nous
avons essayé de Leur donner, bien que d'une manière
succincte, une connaissance exacte et complète. Mais ce
qu'il ne leur est pas moins nécessaire de bien connaître,
c'est ce qu'il nous reste à exposer maintenant, savoir,
II. — L'importance de ce devoir. — Il y a des devoirs qui
ne regardent que ceux à qui ils sont imposés, et dont l'obser-
vation ou la violation n'ont de conséquences que pour eux
seuls. Tel est, par exemple, le devoir de repousser les mau-
vaises pensées. Si important que soit ce devoir, puisque
son inobservation peut emporter notre damnation, cepen-
dant il se restreint à chacun de nous, et on peut le violer
sans que personne ait à en souffrir, et soit en droit de se
plaindre et de réclamer. Mais il n'en est pas ainsi du devoir
qu'ont les parents de pourvoir aux besoins de leurs enfants.
Les parents qui ne s'acquittent pas de ce devoir, dans
toute son étendue, non seulement, en effet, se nuisent à
eux-mêmes, mais encore ils méconnaissent et foulent aux
pieds tout à la fois, les droits de la société, les droits de
leurs enfants et les droits de Dieu.
Ils se nuisent d'abord à eux-mêmes, disons-nous, et rien
n'est plus évident. Quant les parents pourvoient avec soin
à tous les besoins de leurs enfants, à leurs besoins corpo-
rels et à leurs besoins spirituels, ces enfants ne donnent à
leurs parents que des satisfactions. Au point de vue maté-
riel, ils sont forts et bien portants, n'ayant jamais manqué
de rien, et leurs affaires prospèrent, parce qu'ils ont été
sagement dirigés, au moins dans les grandes circonstances
de leur vie. Au point de vue spirituel, ayant été sérieuse-
ment instruits de leurs devoirs religieux, surveillés, corri-
gés et édifiés, ils vivent en bons chrétiens et ne s'écartent
jamais du droit chemin. En un mot, ils sont la consolation
et l'honneur de leurs parents, en attendant qu'ils en soient
la couronne dans le ciel. — Au contraire, les parents qui
fruit défendu qu'elle vous voit savourer avec tant de volupté durant de
longues heures (Gard. Giraud, loc. cit.).
l/i2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
n'ont pas un réel souci de pourvoir aux besoins de leurs
enfants, tant pour la vie présente que pour la vie future,
n'éprouvent ordinairement à leur sujet que déboires, cha-
grins et hontes. Privés des soins matériels qui leur eussent
été nécessaires, ils sont toute leur vie malingres et souffre-
teux. Manquant de conseils et de bonne direction, ils ne
réussissent dans aucune de leurs entreprises, et ne parvien-
nent jamais à se créer- une situation honorable et solide.
Dépourvus d'instruction religieuse, n'étant ni surveillés, ni
corrigés, ni édifiés par les bons exemples de leurs parents,
les vices de toutes sortes germent et se développent dans le
cœur de ces malheureux, comme les mauvaises herbes dans
un champ abandonné. Aussi, non seulement ils n'ont ni
respect ni affection pour leurs pères et mères, mais encore
ils les traitent avec dédain et mépris, et vont même parfois
jusqu'à les injurier, les menacer et les frapper. Et quand
vient la vieillesse, malheur aux parents 1 Malheur à eux s'ils
possèdent des biens ! car leurs enfants désirent les voir
mourir le plus tôt possible, afin d'avoir leur part d'héritage.
Et malheur à eux aussi s'ils n'ont rien, car leurs enfants ne
viennent à leur aide, même s'ils y viennent, qu'en leur faisant
bien sentir qu'ils leur sont à charge, et que plus tôt ils
mourront, plus contents ils seront (i). — N'est-il pas
i. Ce n'est pas encore là, à beaucoup près, le comble du malheur :
ce n'est que le commencement de vos douleurs. Marc, xiii, 8. Trans-
portez-vous, en esprit, à ce redoutable jour, vers lequel vous vous
avancez à chaque moment, où se fermera, pour vous, la scène passa-
gère du temps, et où s'ouvrira à vos regards l'espace infini de l'éternité.
Voyez celui devant qui vous comparaîtrez, mettant devant vos yeux la
robe d'innocence dont vous avez revêtu votre enfant à son Baptême,
avec laquelle il vous l'avait confié, en vous disant : Est-ce là le vêtement
de ton fils? Gen. xxxvii, 3a. Vous répondrez, à ce terrible tribunal, non
seulement des fautes commises par vos enfants dans leur jeunesse, que
vous deviez corriger, mais des péchés de toute leur vie, que vous deviez
prévenir. Si l'enfer est peuplé d'enfants, quela faute de leurs pères y a pré-
cipités, que de pères y déplorent, dans des larmes de sang, les fautes de leurs
enfants ! Lorsque je vois (hélas ! ce n'est que trop commun), lorsque
je vois un jeune homme sans frein et sans mœurs, passer son temps
dans la dissipation, dans les plaisirs, dans la débauche, se répandre
dans les sociétés les plus suspectes, fréquenter les assemblées les plus
libres, les bals, les spectacles, les salles de jeu, peut-être des lieux plus
criminels encore, et que j'apprends que ses parents existent, qu'ils n'i-
gnorent pas ses désordres, qu'ils ne les arrêtent pas, qu'au contraire ils
m \ (MHS DEâ PARENTÉ! KWKKS LEURS ENFANTS. 1^3
vrai qu'il en est ainsi ? N'est-il pas vrai que les choses
vont même quelquefois plus loin encore? Qui ne voit dès
lors combien il est important, pour les parents eux-mêmes
tout Les premiers, de s'acquitter pleinement de leurs devoirs
envers leurs enfants ?
Mais les enfants ne sont pas donnés par Dieu aux parents
pour eux seuls, ils leur sont aussi donnés pour la société.
Croisse: et multiplie: (2), leur a-t-il été dit dès l'origine,
savoir, pour former des sociétés. Il est donc important,
pour les sociétés aussi, que les enfants soient élevés de ma-
nière à devenir des hommes forts et des citoyens utiles,
dont l'activité féconde et la bonne conduite concourent à la
prospérité générale. C'est avec des enfants bien élevés que
les sociétés deviennent puissantes et policées, et qu'elles
accomplissent leur vocation dans le monde. Voilà pour-
quoi les sociétés bien constituées, et en particulier la société
de l'Eglise, aident les parents, par des institutions d'assis-
tance et d'enseignement, à leur préparer des membres capa-
bles de les soutenir et de les développer encore. Mais que
les parents, manquant à leur devoir," élèvent mal leurs
enfants, alors la société ne reçoit plus d'eux que des mem-
bres affaiblis et dégénérés, sans jugement et sans discipline,
sans principes religieux et sans moralité, c'est-à-dire des
membres qui, non seulement lui seront sans utilité, mais
qui lui seront à charge, et contre lesquels il lui faudra se
défendre. De même, en effet, que ce sont les enfants bien
élevés qui font les citoyens utiles ; de même ce sont princi-
palement les enfants négligés par leurs parents qui font les
individus nuisibles et malfaisants, les perturbateurs de
l'ordre privé et public, et qui deviennent la terrible clien-
tèle des prisons et des bagnes. En présence de ces faits indé-
les tolèrent, les approuvent, y applaudissent; je me sens le cœur péné-
tré d'une vive douleur de voir, du même coup, trois âmes perdues : le
père, la mère, le fils, liés à un même faisceau, et tombant ensemble
dans les flammes éternelles. Et qu'elle sera terrible la damnation d'un
père, lorsque, du milieu de ces feux vengeurs, ses propres enfants
s'élèveront contre lui, lui imputant leur perte, l'accablant de leurs
reproches, de leurs malédictions, appelant, avec des cris affreux, la
vengeance sur sa tète, et faisant contre lui l'horrible office des démons 1
(Card. De Lv Luzerne, loc. cit. n. 9).
1. Gen. 1, a8.
l44 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
niables, qui n'est encore forcé de reconnaître combien il
est important, pour les sociétés, que les parents s'acquittent
avec soin de. leurs devoirs envers leurs enfants (i) ?
Toutefois, ce qui doit toucher les parents plus que les
intérêts de la société, et même plus que leurs propres inté-
rêts, ce sont ceux de leurs enfants eux-mêmes. Or, ces inté-
rêts, quels sont-ils? Nous les avons déjà fait connaître. Il
n'y a rien de plus important, pour les enfants, que de pos-
séder une bonne santé, de pouvoir gagner honorablement
leur vie ici-bas, et surtout de mériter le ciel pour l'éternité.
Eh bien, le devoir des parents dont l'accomplissement a
pour effet de procurer aux enfants de tels avantages, ne
doit-il pas être considéré par les parents comme leur plus
essentiel devoir, après ceux qui regardent Dieu ? Ne doi-
vent-ils pas le considérer comme tel, surtout lorsqu'ils
viennent à penser que son inobservation entraîne presque
fatalement le malheur de leurs enfants en ce monde et leur
damnation en l'autre? Aussi faut-il, pour ne pas mieux s'en
acquitter que ne le font un si grand nombre de parents,
i. La première source de tous les maux est la négligence des parents
à élever leurs enfants. Ils laissent croître les mauvaises inclinations
qu'ils ont apportées dans le monde, ils permettent à leurs passions de
se fortifier, ils souffrent que leurs défauts passent en habitude, et se
changent pour ainsi dire en nature. Devenus grands, ils leur procurent
des emplois qu'ils déshonorent par leurs injustices, où ils n'usent de
leur autorité que pour s'engraisser aux dépens du public, et où leur
moindre crime est de donner de funestes exemples à tous ceux qui les
environnent. En sorte qu'on pourrait dire aujourd'hui de ces enfants
ainsi négligés ce que saint Basile prédit autrefois de Julien l'Apostat,
quand il le vit étudier à Athènes, et qu'il aperçut dans la dépravation
de son esprit les semences de son impiété : « Quel dangereux serpent
la terre des Romains élève ! » Qu'est-ce qui attira autrefois cette
plaie terrible sur tout Israël, lorsque les Philistins passèrent au fil de
l'épée trente-quatre niiljc hommes, et que Farche d'alliance fut prise,
sinon les crimes des enfants d'IIéli, et la négligence de leur malheu-
reux père à les corriger ? Que ces deux enfants périssent dans le com-
bat, et que Dieu punisse de mort leur prévarication et celle de leur
père, c'est un châtiment qu'ils n'avaient que trop mérité ; mais que
tout Israël fut enveloppé dans la vengeance, qu'il fût taillé en pièces en
deux différents combats, qu'il fut humilié jusqu'à perdre cette arche
sainte qui faisait toute sa ressource et sa gloire: pères et mères, cet
exemple ne prouve-t-il pas plus que tous les raisonnements du monde
quel tort vous faites, je ne dis pas à vos enfants, mais à tout le public,
en négligeant leur éducation ? (Tekuasson, Sertn. sur l'éducation des
enfants, i. p.).
DEVOIRS DES PUIKNTS ENVERS LEURS ENFANTS. l/|5
qu'ils ne se mettent jamais devant les yeux les conséquen-
ces terribles de leur négligence à ce sujet. Comment eu
effet pourraient-ils ne pas leur donner les soins matériels
convenables, s'ils pensaient sérieusement que leurs enfants,
iaulc de ces soins, dont ils uc privent pas leurs animaux,
auront à souffrir toute leur vie de faiblesses et d'infirmités
dont ils auraient dû être exempts? Gomment pourraient-ils
ne pas s'efforcer de les mettre en état de gagner honorable-
ment leur vie, s'ils se disaient vraiment qne, sans cela, ces
malheureux seront nécessairement réduits, ou bien à subir
toutes sortes de privations, ou bien à se faire voleurs ?
Gomment, par dessus tout, pourraient-ils ne pas s'occuper
de leur faire connaître et pratiquer la religion, s'ils réflé-
chissaient gravement, qu'en les laissant vivre loin de Dieu,
ils contribuent directement à leur damnation éternelle?
Que les parents s'exposent aux conséquences très doulou-
reuses qui découlent pour eux-mêmes de, l'inobservation de
leurs devoirs envers leurs enfants, c'est leur affaire, et l'on
ne peut que déplorer leur aveuglement. Mais qu'ils expo-
sent leurs enfants aux maux dont leur devoir est précisé-
ment de les préserver, c'est la plus criminelle des forfaitu-
res, et il n'y a pas de reproches que leurs infortunés enfants
ne soient endroit de leur adresser. Oui, peuvent-ils leur dire
souvent, si je suis misérable, c'est votre faute ; si je suis
voleur, si je suis assassin, c'est votre faute ; oui, pourront-
ils leur dire un jour, si je suis damné, c'est votre faute.
Soyez maudits !
Enfin, le devoir qu'ont les parents de pourvoir aux
besoins de leurs enfants atteint son plus haut degré d'im-
portance, lorsqu'on le considère par rapport à Dieu. Aous
l'avons déjà rappelé, les enfants ne sont pas la pro-
priété de leurs parents. Dieu ne les leur a pas don-
nés, il les leur a seulement confiés, pour le temps de
la vie. Ainsi un père ne donne pas son enfant à une
nourrice, ou à un maître, mais il le leur confie seulement
pour un temps, afin qu'ils en prennent soin, et pourvoient
ii ses besoins. Et quand la nourrice, et quand le maître ne
s'acquittent pas de leurs devoirs envers l'enfant qui leur a
été confié, ce n'est pas seulement envers cet enfant qu'ils se
SOMME DU ÇRKDICATEUR. — T. II. 10
l46 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
rendent coupables, c'est bien plus encore envers son père.
Quelle n'est donc pas, à l'égard de Dieu, la culpabilité des
parents qui ne s'accpiiltent pas de leurs devoirs envers leurs
enfants! Car ces enfants, encore une fois, n'est-ce pas à
Dieu qu'ils appartiennent? N'est-ce pas lui qui les a tirés du
néant et leur a donné la vie dont ils jouissent ? Et n'est-ce
pas pour lui-même qu'il les a créés, c'est-à-dire pour qu'ils
lui rendent un culte d'adoration, de louange et d'amour
dans le temps et dans l'éternité ? Et n'est-ce pas encore pour
les préparer à remplir cette juste destinée qu'il leur a donné
des parents ? Dès lors, n'est-il pas évident que c'est surtout à
Dieu que les parents doivent de pourvoir aux besoins des
enfants dont il leur a confié le saint dépôt? Et par suite,
n'est-il pas évident encore qu'en ne s'acquittant pas de leurs
devoirs envers leurs enfants, c'est encore plus les droits de
Dieu que ceux de leurs enfants qu'ils violent ? Qu'ils compren-
nent donc enfin par là l'extrême importance de ces devoirs.
Car si nous nous faisons un point d'honneur d'accomplir le
vulgaire mandat qu'un homme confie à notre délicatesse,
combien les parents ne doivent-ils pas avoir plus à cœur de
s'acquitter, avec toute la perfection possible, de la plus
sublime charge qu'il y ait sur la terre et qui consiste à
préparer à Dieu des serviteurs en ce monde et des adora-
teurs dans l'éternité. Que les parents le comprennent, en se
demandant comment ils jugeraient le maître à qui ils
auraient confié leurs enfants, si ces enfants, lorsqu'ils
reviennent au foyer paternel, au lieu d'être dociles, attentifs,
empressés, respectueux, étaient désobéissants, grossiers,
égoïstes, insolents. C'est ainsi en effet que Dieu jugera ces
parents qui, des enfants qu'il leur aura confiés pour en faire
des chrétiens fidèles et fervents, n'auront à lui rendre que
des êtres avilis et souillés de vices (i).
i. Quel motif plus pressant pourrions-nous alléguer pour engager
les parents chrétiens à veiller soigneusement sur les mœurs de leurs
enfants, que le sang que Jésus-Giiiiist a versé pour les racheter ? Ah I
l'on dit ordinairement dans le monde, et l'expérience le confirme, que les
enfants les plus chers à leurs mères sont ceux qu'elles ont mis au mon-
de avec plus de douleur. Mais ne devrait-ce pas être aux parents chré-
tiens un motif bien plus puissant pour les élever avec un extrême soin,
que le souvenir des douleurs mortelles que Jésus-Christ a souffertes en
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. \fa
CONCLUSION. — Du devoir qu'ont les parents de pour-
voir aux besoins de leurs enfants, voilà donc quelle est,
tout à la fois, et l'étendue, et l'importance. L'étendue de ce
devoir égide les besoins du corps et de l'âme des enfants. Il
a 'est aucun de ces besoins auquel les parents ne soient
tenus de pourvoir autant qu'ils le peuvent véritablement,
soit par eux-mêmes, soit par des personnes dont ils restent
responsables. Et ils doivent y pourvoir, non seulement à
cause de leurs propres intérêts, mais encore à cause des
intérêts de la société, de leurs enfants et de ceux de Dieu.
Assurément, ce devoir est immense, et son importance est
véritablement effrayante. Que les parents pourtant ne déses-
pèrent pas, en considérant ces choses, de pouvoir s'acquit-
ter de leurs obligations. Qu'ils y puisent au contraire d'in-
vincibles motifs d'y travailler. Car quoi de plus encoura-
geant pour eux que de penser, que c'est précisément en
Rappliquant à pourvoir aux besoins de leurs enfants, qu'ils
édifient leur propre bonheur en ce monde et en l'autre !
Qu'est-ce encore qui peut mieux contribuer à soutenir leur
énergie, sinon de se dire que la société aussi a besoin de
leurs efforts, et qu'elle a le droit d'y compter ! Quelle force
et quelle constance ne donnera pas à leur cœur cette consi-
dération surtout, qu'il dépend principalement d'eux de ren-
ies enfantant sur la croix ? Oui, pères et mères, je veux que vos enfants
soient nés avec des défauts de corps ou d esprit qui vous les rendent
méprisables ; je veux que vous ne remarquiez en eux que des actions
basses et indignes de leur naissance ; je veux même qu'ils n'aient pavé
jusqu ici vos soins et votre amour que d'ingratitude : ne suflît-il pas
pour vous les rendre chers, que Jésus-Christ ait versé tout son san*
pour eux ? L amour que vous devez avoir pour lui ne doit-il pas sup-
pléer aux raisons que vous avez de ne les point aimer, et le prix du
sang dont leur âme a été lavée n'efîace-t-il pas abondamment tous les
défauts extérieurs qui peuvent vous les rendre odieux ? Mais ne vous y
trompez pas, ce sang que vous méprisez en négligeant leur éducation
vous accusera un jour et vengera ses sacrés droits avec une sévérité
égale au crime de les avoir foulés aux pieds. Non, pères infidèles, ce ne
sera plus le sang d'Abcl cruellement répandu, mais le sang de Jésus-
Christ même inutilement versé qui criera de la terre, et dont la voix
s élèvera jusqu au trône de Dieu, pour demander vengeance de votre
indifférence et de vos mépris. Oserez-vous lui répliquer alors, comme
a Uio : «Sommes-nous donc les gardiens de vos enfants ? Les lois la
religion, la raison, la nature, seront autant de témoins qui vous con-
vaincront de perfidie, et vous accableront (Terhasson, loc. cit.).
l/|8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
dre leurs enfants, ou toujours malheureux, ou toujours
heureux ! Enfin, la pensée de travailler à la gloire de
Dieu lui-même, en lui formant des serviteurs et des adora-
teurs, la pensée de concourir à remplir le ciel d'élus, ne
doit-elle pas achever de donner aux parents une inébranla-
ble persévérance dans l'accomplissement de leur devoir, si
pénible et si rebutant qu'il puisse être parfois ? Parents
chrétiens, embrassez donc désormais avec générosité votre
devoir envers vos enfants, et tout en assurant ainsi de la
manière la plus efficace, encore une fois, votre bonheur,
vous mériterez tout à la fois, les louanges des hommes, les
remerciements attendris de vos enfants, et les bénédictions
temporelles et éternelles de Dieu. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES
Sollicitude due aux enfants.
Une mère, dont l'enfant était encore au berceau, avait été invitée
à aller passer la soirée chez des voisins. Son mari était absent. Elle
avait bien hésité à accepter l'invitation, mais elle s'y était enfin
décidée, en se promettant bien de ne faire qu'une apparition et de
revenir aussitôt. Ayant disposé toutes choses pour prévenir le
moindre accident, lui semblait-il, elle partit, laissant son enfant
paisiblement endormi. Mais au lieu de revenir promptement,
comme elle se Tétait promis, elle s'oublia dans la société de ses
voisins, et ne rentra qu'après plusieurs heures d'absence. Elle se
rassurait d'ailleurs en pensant aux précautions qu'elle avait prises.
Mais étant entrée près de l'enfant, elle aperçut, couché sur sa poi-
trine, un chat qu'elle avait oublié de mettre dehors. Elle approche,
se penche vers son enfant. Plus de respiration ! 11 était mort
étouffé. — Des faits plus ou moins semblables sont malheureuse-
ment très fréquents.
Devoir de guider les enfants.
Saint Pierre de Sébaste, frère de saint Grégoire de Nysse et de
saint Basile-le-Grand, perdit son père dès le berceau ; mais il eut
le bonheur de tomber entre les mains de sainte Macrine, sa sœur,
qui lui prodigua tous les soins de la plus dévouée des mères. Elle
sut si bien entremêler ses différents exercices, qu'il n'y avait aucun
moment pour les bagatelles. Par cette variété d'occupations, le
DEVOIRS Ï^ES PARENES ENVERS LEURS ENFANTS. i/jg
jeune Pierre ne ressentait, pas les dégoûts de l'ennui, et s'accoutu-
mait insensiblement à une vie sérieuse et appliquée. Docile aux
Leçons de sa respectable sœur, il faisait chaque jour de nouveaux
progrès dans toutes les connaissances divines et humaines, et
devint un homme illustre et un grand saint.
Devoir d'élever chrétiennement les enfants.
Sainte Marie de l'Incarnation, religieuse carmélite, avait été
mariée à M. Acarie, maître des comptes à Paris, homme plein de
foi et de charité, qui employa une grande partie de sa fortuue en
bonnes œuvres. Elle en eut six enfants, trois filles et trois garçons,
qu'elle éleva avec un soin extrême dans la crainte de Dieu et la
pratique d'une solide piété. Ils se levaient de bonne heure, et réci-
taient ensemble la prière du matin, faisaient une méditation, et
allaient entendre ensuite la sainte Messe. C'était l'exercice ordi-
naire de tous les jours. Puis venait le travail, et ensuite les récréa-
tions. M'16 Acarie présidait à tout et les avait tellement accoutumés
à être toujours avec elle, qu'ils ne pouvaient se passer de sa pré-
sence, même dans les divertissements, auxquels elle ne manquait
jamais de prendre part. Elle leur inspirait une vive horreur pour le
mensonge ; elle ne voulait pas qu'ils se plaignissent ni de leur
nourriture, qui était extrêmement simple et frugale ; ni de leur
habillement, dans lequel il n'y avait jamais rien de recherché ; ni
des domestiques de sa maison, auxquels elle leur ordonnait au
contraire de parler avec égard et douceur. Enfin, lorsqu'elle était
plus satisfaite de leur conduite et de leurs progrès, elle leur don-
nait de l'argent pour le distribuer en aumônes aux pauvres qu'ils
rencontraient, et les habituait ainsi à se faire un plaisir du soula-
gement des misérables. Dieu, touché d'une conduite si chrétienne,
la récompensa, dès cette vie, par une ample bénédiction spirituelle.
Ses trois filles se firent carmélites, et ses trois fils, engagés dans
les différentes carrières de la magistrature, du sacerdoce et du ser-
vice militaire, conservèrent toujours dans leur cœur les sentiments
que leur sainte mère s'était efforcée de leur inspirer.
Devoir de corriger les enfants.
La Semaine Religieuse de Saint-Dié, en annonçant la mort de
M. l'abbé Idoux, prêtre de ce diocèse, rapporte diverses anecdotes
racontées par le défunt lui-même, et qui montrent comment
certains parents savent se faire respecter de leurs enfants et leur
donner pour la vie une trempe virile :
« Ma mère, dit M. Idoux, était restée veuve avec quatre jeunes
l5o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
enfants. Un jour, nous avions été désobéissants, deux de mes
frères et moi. Elle attrape une verge et la brandit. Nous courbons
l'échiné, mais l'orage ne tombe pas. Nous la voyons jeter la verge
en murmurant : « Non, pas aujourd'hui, je suis en colère. » — Le
lendemain se passe sans encombre, nous nous frottions les mains,
croyant tout oublié. Erreur profonde ! Le troisième jour, nous
étions encore au lit qu'elle entre armée de la terrible verge, en
disant : « Hier, j'étais fâchée ; mais aujourd'hui je ne le suis plus,
aujourd'hui je puis corriger avec fruit. Allons, en place !» Et
nous eûmes notre fessée.
« Elle garda sur les hommes, ajoutait M. Idoux, l'autorité
qu'elle avait prise sur les enfants. Un dimanche soir, mon frère
aîné avait demandé la permission de sortir une heure avec des amis
irréprochables. La mère refusa. « C'est comme cela ? dit-il avec
humeur ; je m'en irai. » Mais il n'insista point et gagna son lit. Le
lendemain à son réveil, il trouva, rangées sur la chaise, deux che-
mises et ses hardes. « Tiens, qu'est-ce que cela ? — Cela, c'est ton
paquet. Va-t'en ailleurs, puisque tu n'es plus bien ici. — Mais...
— Pas de mais... » C'était catégorique, il fit son paquet, tristement,
et vint nous dire adieu. Nous allions lui faire la conduite. « Restez
ici, dit la mère ; défense de l'accompagner même jusqu'à la porte. »
Personne ne bougea, mais tout le monde avait le cœur gros. Le
soir, vers neuf heures, au moment de la prière, il rentra ; mais on
ne lui adressa point la parole. Le lendemain matin également, on
ne sembla point prendre garde à sa présence. Nous voilà tous partis
aux champs, le laissant seul près du foyer la tête dans ses mains.
Le second jour, il se hasarda à dire, au moment où la mère distri-
buait à chacun sa tâche pour la journée : « Et moi, vous ne me
commandez rien ? — Quand tu sauras obéir, on te commandera.
— Mère, je vous jure d'obéir. — Toujours ? — Toujours. — Sans
discuter ? — Sans discuter. — Alors, va reprendre ta place. » Et il
avait 32 ans alors. A 3o ans, il en eût été de même.
Devoir de donner de bons exemples aux enfants.
Les parents de sainte Thérèse eurent à cœur de donner à leurs
enfants, qui étaient au nombre de douze, l'exemple d'une vie par-
faitement chrétienne.
« Mon père, raconte la sainte elle-même, aimait beaucoup la
lecture des bons livres ; il en avait plusieurs en langue vulgaire,
afin que ses enfants pussent les lire ; et ma mère secondait ses
desseins en prenant soin de nous faire prier Dieu, en nous inspi-
rant la dévotion à la sainte Vierge et aux saints ; ce qui commença,
DEVOIRS DES PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. l5l
à m'y exciter dès l'âge de six ou sept ans. .l'avais encore un grand
avantage, celui de ne voir mes parents estimer ou favoriser autre
chose que la vertu ; ils en avaient l'un et l'autre beaucoup. Mon
père était fort charitable envers les pauvres, et plein de compas-
sion pour les malades ; il traitait ses domestiques avec une bonté
singulière. Jamais il ne voulut d'esclaves dans sa maison ; il était
d'une grande sincérité dans ses paroles ; jamais personne ne l'en-
tendit jurer ni médire ; et, pour l'honnêteté, il y était exact au
dernier point. Ma mère était aussi très vertueuse ; quoiqu'elle fût
extrêmement belle, elle faisait si peu de cas de sa beauté, qu'encore
qu'elle n'eut que trente-trois ans quand elle mourut, une personne
;ïgée n'aurait pu vivre d'une manière plus édifiante. Son humeur
était extrêmement douce. Elle avait beaucoup d'esprit, mais si peu
de santé, qu'elle eut de fréquentes maladies. Sa vie fut traversée
de grandes peines, qu'elle supporta avec une résignation parfaite,
et elle mourut chrétiennement.
Mauvais exemples des parents.
Une mère disait un jour en pleurant : « Hélas ! mon fils ne
m'écoute plus ; il n'a plus que du mépris pour son père et pour
moi : sa conduite nous effraie, que va-t-il devenir ? » Il allait
devenir, par ses désordres toujours croissants, le bourreau de son
père et de sa mère. Bien qu'il n'eût encore que quatorze ans, il
était déjà leur chagrin et leur tourment, sans laisser d'espoir pour
un meilleur avenir. Pauvres parents ! Mais si leur fils les jetait
dans le désespoir, ils ne devaient s'en prendre qu'à eux-mêmes. Us
avaient négligé de former de bonne heure son cœur à la piété, soit
par ces premières leçons que l'enfant doit recevoir sur les genoux
de sa mère, soit par l'exemple que ses parents doivent lui donner
de la prière, et de toutes les pratiques chrétiennes. Ils voulurent,
il est vrai, qu'il fut élevé chrétiennement, et ils le confièrent aux
soins de personnes vertueuses ; mais les remontrances qu'on essaya
de lui faire demeurèrent stériles, parce qu'elles n'étaient ni soute-
nues ni autorisées par les exemples domestiques. Le trait suivant,
rapporté par la servante, en est une preuve. Un jour la pieuse fille
disait à cet enfant, alors Agé de dix ans : « Mon ami, nous allons
faire la prière. — Mais, reprit l'enfant, pourquoi voulez-vous que
je prie ? Papa et maman ne prient pas. »
Funestes conséquences des mauvaises éducations.
i. — L'éducation sans Dieu, sans pratique religieuse, sera
immanquablement mauvaise et entraînera les plus tristes consé-
l52 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — VI. INSTRUCTION.
qucnces. M. de Mairan, de l'Académie des sciences, raconte qu'il
avait connu à Béziers un prétendu esprit fort ou libre-pensenr,
père de trois enfants, deux garçons et une fdle, auxquels il donna
une éducation étrangère à tout sentiment religieux. Il les portait
à se conduire par les lumières d'une raison pure, et libre de ce
qu'il appelait préjugés, c'est-à-dire affranchie des divins enseigne-
ments de Jésus-Christ et de son Eglise. — Quelles en feront- les
conséquences ? Ces enfants perdirent tout respect pour les auteurs
de leurs jours, se livrèrent au libertinage, au jeu, aux .excès de
tout genre. Leur mère, abreuvée d'amertume, mourut bientôt ; et
aussitôt ces êtres impies et dénaturés réclamèrent l'héritage de
leur mère défunte, laissant leur vieux père languir dans la misère
et l'abandon. — Dieu prolongea la vie de ce coupable vieillard
pour voir les malheurs de ses enfants. Le fils aîné périt sur l'écha-
faud pour ses crimes, la fille finit ses jours à Bicêtre, dans un
hospice de mendicité ; enfin le second des fils, abandonné d'une
épouse infidèle, tomba dans la honte et la misère. — Au milieu
de ces ruines d'une famille déshonorée, que devint le père ? Accablé
de misère, de honte, de remords, il tomba en démence. Dans son
délire, il semblait vouloir se punir lui-même : il se meurtrissait le
sein et le visage. Parfois il avait des moments lucides, et alors on
l'entendait s'écrier : « Où sont mes fils ?... Où est ma fille ?... Où
sont mes enfants ?... Où sont-ils ? où sont-ils ?... Dans l'abîme!
C'est moi qui le leur ai creusé !... Malheur à moi ! malheur à moi !
Tout est perdu... mes enfants, où sont-ils ?... »
2. — Un récit publié récemment dans une grande Revue pari-
sienne, dont l'esprit est loin d'être favorable aux idées religieuses,
nous montre une jeune fille, élevée par un père libre-penseur en
dehors de tout principe religieux et descendue, par là-même, au
dernier échelon de la dégradation sociale. Voici avec quels accents
indignés elle parle à son père dans ce récit, et se retourne vers le
véritable auteur de sa chute : « Vous n'avez rien à me reprocher,
vous, mon père, dit-elle d'une voix éclatante. Dites : comment
m'avez-vous élevée ? Qu'est-ce que vous m'avez mis dans l'âme,
dans l'intelligence et dans le cœur ? Dans la vie de toute femme,
il y a une heure où la tentation arrive, une heure où elle se sent
entraînée vers le mal comme vers un gouffre. Les autres ont du
moins une force pour les soutenir ; moi je n'ai pas trouvé une
seule branche où me raccrocher ! J'ai appelé à mon secours...
Personne n'est venu ; j'ai regardé le ciel, vous m'avez enseigné
qu'il était vide ! Je sais d'avance tout ce que vous pourriez me
dire ! Mon déshonneur est public ; le monde m'a chassée, et je
DEVOIRS DBS PARENTS ENVERS LEURS ENFANTS. 1 53
connais toutes les injures qu'il jettera sur mou nom ! Je suis
tombée si bas que, si je n'avais pour sœur la sainte fille qui est là,
je n'aurais pas trouvé une seule main tondue vers mon abjection.
Eh bien! cette abjection est votre ouvrage, mon père, et vgus
pouvez en rire fier! « Dieu, lame, l'éternité, le crucifix, la Vierge,
des mômeries ! » disiez-vous... Farouche, elle fit un pas pour sortir.
« Ma fille, où vas-tu ? s'écria le malheureux père, frappé en plein
orgueil. — Où je ,\ais ? Où \<>nt les désespérées dont, l'honneur est
perdu, dont le nom est flétri, et qui ne croient à rien, ni au bien,
ni à la vertu, ni à la justice... Je vais où vont les filles comme moi,
élevées pur des hommes comme vous, — dans la boue... »
Comment ramener les enfants égarés.
Il est bien peu de pères qui n'aient à déplorer les égarements de
leurs fils ; il en est beaucoup qui ont à se les reprocher. 0 vous qui
éprouvez ce malheur, le plus douloureux pour une âme paternelle,
en vous lamentant, ne désespérez pas. Courez au-devant de ces
malheureux qui se précipitent dans l'enfer, et qui peut-être vous
y entraînent. Conjurez-les, par votre tendresse pour eux, parleur
respect pour vous, d'avoir pitié de l'affliction qu'ils vous causent.
Touchez-les par le spectacle de votre douleur, et employez à les
retirer de leurs désordres les larmes qu'ils vous font répandre.
Joignez les précautions de la prudence à l'ardeur du zèle, les cares-
ses aux reproches, la douce insinuation aux vives exhortations ; et
surtout, à vos démarches soutenues pour leur conversion, des
prières ferventes vers Celui de qui elle dépend. L'histoire ecclésias-
tique vous présente un exemple mémorable d'un grand succès de
ce genre, et des moyens propres à l'obtenir. Égaré parles exemples
d'un père peu religieux, emporté par la fougue de ses passions,
Augustin s'est abandonné sans réserve aux excès de tous les genres.
L'erreur a perverti son esprit, le libertinage a corrompu son cœur.
Témoin de ses écarts honteux, sa mère, la pieuse Monique, a mis
inutilement en usage, pour l'arrêter, toutes les instances de l'amour
maternel, toutes les représentations du zèle, tous les efforts de
l'autorité. Il n'y a pas de frein assez puissant pour retenir un si
violent coursier. Elle gémit, mais sans s'abattre ; elle se désole,
mais sans se rebuter. Sa tendresse semble s'accroître des torts de
son fils. Les épreuves auxquelles il met sa complaisance ne la
diminuent point. Toujours douce, toujours tendre, prudente en
même temps que zélée, elle emploie, pour le ramener, les exhor-
tations plus que les reproches, les exemples plus que les exhorta-
tions, et plus que tout encore ses ferventes prières. Elle parle
l54 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VI. INSTRUCTION.
quelquefois à Augustin de Dieu, mais bien plus souvent à Dieu
d'Augustin. En même temps qu'elle excite dans son cœur le
remords, elle en sollicite vivement la grâce. En vain, pour se
soustraire à ses propres représentations, et à celles de sa propre
conscience, il fuit dans différents pays. Cette mère infatigable se
précipite sur ses pas. Il retrouve partout à ses côtés, cette inaltéra-
ble bonté, toujours occupée de lui plaire et de le ramener. Elle le
conduit avec une sainte adresse aux éloquentes instructions d'Am-
broise. Non, lui disait un saint évêque touché de ses pieux efforts,
non, il n'est pas possible que le fils de tant de larmes périsse. Il
s'accomplit enfin, cet oracle. Il arriva ce jour, désiré par tant de
vœux, sollicité par tant de prières, préparé par tant de travaux.
Jour heureux, qui vit Augustin tomber aux pieds de sa mère,
abjurant ses erreurs, détestant ses vices, reconnaissant que c'est à
elle qu'il doit son retour à la foi et à la vertu ! Tendre et pieuse
Monique, quels furent, à la suite de votre affliction, les transports
de votre joie, en serrant dans vos bras le fils si cher, devenu enfin
digne de vous ! Vous avez été deux fois sa mère. Vous l'aviez donné
à la terre : vous venez de l'engendrer à Dieu. Vous voyez votre
Augustin prêt à devenir le soutien de l'Église, le défenseur de sa
doctrine, la terreur de ses ennemis, le prédicateur de sa morale, le
plus savant de ses docteurs, le modèle de ses évêques. La terre n'a
désormais plus rien qui vous retienne. Il ne vous reste plus qu'à
recevoir le dernier prix de vos grands et si utiles travaux, et qu'à
aller précéder dans le ciel celui à qui vous en avez ouvert les portes.
(Gard, de la Luz. loc. cit. n. 37).
SEPTIEME INSTRUCTION
(Mercredi delà Deuxième Semaine)
C'est un devoir pour les enfants
d'honorer leurs parents.
I. En quoi consiste ce devoir. — II. Motifs de l'accomplir.
Si les parents, ayant mis au monde des enfants, sont
tenus de pourvoir à tous leurs besoins de l'âme et du corps ;
il ne se peut pas que les enfants, qui ont reçu de leurs
parents l'existence, et qui en reçoivent à chaque instant de
nouveaux bienfaits, soient exempts de toute obligation à
leur égard. En principe, l'obligation de celui qui reçoit, à
l'égard de celui qui donne, est même beaucoup plus rigou-
reuse que l'obligation de celui qui donne à l'égard de celui
qui reçoit. Ainsi Dieu, parce qu'il nous a créés, est tenu
dans une certaine mesure, il est vrai, de pourvoir à nos
besoins ; mais combien ne sommes-nous pas nous-mêmes
plus étroitement liés à l'égard de Dieu, à cause de la vie que
nous avons reçue de lui, et des bienfaits sans nombre que
nous continuons d'en recevoir à tout moment ! Voilà
pourquoi Dieu, qui n'a rien dit, dans le Décalogue de sa
Loi, du devoir des parents à l'égard de leurs enfants, a
voulu formuler solennellement le devoir des enfants à
l'égard de leurs parents, en y gravant ces paroles : Honorez
votre père et votre mère (i). Et pour nous faire bien enten-
dre la majesté de ce précepte, et l'importance que nous
devons y attacher, il l'a inscrit en tête de la seconde table
de sa Loi, la première étant tout entière occupée par les trois
préceptes qui le regardent lui-même. Ainsi, avant et au-
dessus de notre devoir envers nos parents, il n'y a que nos
seuls devoirs envers Dieu. Par conséquent, après nos
devoirs envers Dieu, c'est notre devoir envers nos parents
i. Exod. xx, la.
ï56 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
qui est le premier, et c'est de lui que nous devons nous
acquitter avant tous les autres et de préférence à tous les
autres (i). Comprenons par là combien il nous est néces-
saire d'en avoir une connaissance exacte et complète.
Remarquons en outre que, contrairement au devoir des
parents envers leurs enfants, qui ne regarde proprement
que les personnes mariées, le devoir des enfants envers
leurs parents regarde tout le monde, car nous avons tous
des parents. Apprenons donc tous, ou rappelons-nous tous,
premièrement, en quoi consiste notre devoir d'honorer
nos parents, et secondement, quels sont les motifs très spé-
ciaux que nous avons de nous acquitter de ce devoir
sacré ('2). — 0 Dieu ! qui nous avez vous-même fait la grâce
de nous donner nos pères et nos mères, et nous avez com-
mandé de les honorer, daignez nous aider à bien compren-
pre ce précepte, et à l'accomplir de tout notre cœur dans
toute son étendue.
1. — En quoi consiste notre devoir d'honorer nos
parents. — Les théologiens qui ont traité cette question,
s'appuyant tout à la fois sur la nature, sur la raison et sur la
révélation (3), nous enseignent que notre devoir d'honorer
i. Philon observe que Moïse inscrivit les devoirs des enfants à l'égard
de leurs parents dans la table de la loi qui contient nos devoirs à
l'égard de Dieu, et dans celle qui renferme nos devoirs à l'égard des
hommes ; le souverain législateur voulait faire comprendre aux enfants
que leurs parents doivent tenir dans leur esprit la place de Dieu et
celle de l'homme. Le devoir de l'enfant à l'égard de son père doit donc
tenir le premier rang dans son esprit et dans son coeur. Plusieurs
auteurs assurent que le devoir de fils doit précéder celui de père et
d'époux, et que dans l'impuissance de sauver son père et son fils, un
homme devrait de préférence sauver son père (L'abbé Pierrot,
Dictionn. de théol. mor. Migne, voc. Enfants, n. 2).
2. Quid debeant filii parentibus : i° Honorem et reverentiam : 1. Pone
incedendo. 2. De eorum tenuitate non erubescendo. 3. Eorum vitia
occultando. — 20 Obedicntiam : 1. Parendo. 2. Gredendo eorum sen-
sui. 3. In rébus gravibus eos consulendo. — 3° Obscquium et servi-
tium : 1. Suppeditando victum indigentibus. 2. Non cogendo ad bono-
rum traditionem. 3. Eorum defectus aequo animo ferendo (Faber, Op.
conc. in f. S. Nicolai, conc. 5).
3. Natura docet non homines tantum, sed et pecudes, ut honorem
exhibeant genitoribus suis, a quibus vitam accepere. In hoc enim
parentes représentant personam Dei, qui alioquin nequit viderioculis
DEVOIR POUR LKS ENFANTS d'hONORËR LEURS PAKENTS. 167
nos parents consiste en ces quatre choses, savoir : à les
aimer, à les respecter, à leur obéir et à les assister (i). Exa-
minons doue eela en détail.
El d'abord, disons-nous, notre devoir d'honorer nos
parents consiste à les aimer. Mais qu'est-ce qu'aimer ses
parents? \imer ses parents, est-il besoin de le dire, c'est
avoir pour eux des sentiments d'affection, d'attachement,
de reconnaissance ; c'est se plaire dans leur société, et être
heureux de les voir et de les entendre ; c'est se réjouir avec
eux dans leurs joies, et pleurer avec eux dans leurs cha-
grins ; c'est surtout éviter de leur causer aucune peine, et
s'efforcer au contraire de leur être agréable dans tout ce
que l'on fait. Voilà ce que c'est qu'aimer ses parents ; voilà
ce que c'est que les aimer, non en apparence, mais en réalité;
non du bout des lèvres, mais du fond du cœur. — Or, qu'il
y ait pour nous obligation d'aimer nos parents, c'est ce
corporeis, ut cos vclut prsefectos Dei et secundarios quasi creatores fîlii
venerentur, nam et hi suo modo tribuunt illis esse et vitam... Ob
quam causam etiam Aristotcles, lib, 8. moral, tradit. Deo et parentibus
pro meritis reddi par non posse. Undc ait Ecclesiasticus, c. ni ; Qui
timet Dominum, honorât parentes, et quasi dominis serviet his qui genue-
runt, q. d si quia Deum timet, timebit etiam parentes tanquam cjus
vicarios. Lex duodecim tabularum Romanis potestatem dabat patri ter
filium venumdandi/imo jus in eum vitae ac necis, apud auctorem
antiq. Rom. lib. 8, c. 6, quod tamen postca emendatum est Gaeterum
in animantibus etiam rationc carentibus cernitur hoc debilum. Nam
impriniis ciconiae parentes senio confectos non modo pascunt, sed
etiam pennarum defhivio laborantes confovent, et inter volandum alis
utrinque lcniter alleVant ac succollant, ul testatur sanctus Ambrosius,
in llcxain. v, i(i, et sanctus Basilius, in Ilcxam. hom. 8. Plutarchus
item de solertia animalium refert Icônes juniorcs praedam suam divi-
derecurn senioribus. Quin et glires, ut scribit Plin. vin, 67, genitorcs
suos fessos senecta, alunt insigni pietate. Haec animalia praeceptorem
non habent, praeeuntem non vident, mercedem non expectant, minis
non adiguntùr, et tamen Lllud faciunt. Nos praeterea legem scriptam
habemus : Honora patrem tuum et matrem, exemplum habemus, et
promissionem habemus, el comminationem, nisi id faciamus (Faber,
Op. conc. (loin. 1. post. Kpipli. conc. 3, n. 1).
1. Honorare, quid sit : est de aliquo honorifîec sentire, et quœ ilius
sunt, maximi putare omnia. Unie autem honori haec omnia conjuncta
sunt,amor, observantia, obedientia'cl cultus. Scite a'utem înlege posita
«•-I honoris \<>\, non amoris, aut metus, etiamsi yalde amandi, ac
metuendi parentes sint ; etenim qui amat, non semper observât, et
veneratur ; qui metuit, non semper diligit ; quem vero aliquis ex
an'uno honorât, item amat, el veretur (Calecli. concil. Trident, p. '•>,
priée. 4, n. A)-
l58 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. Vil. INSTRUCTION.
que crie la nature. Les petits oiseaux ne reconnaissent-ils
pas leur mère, et n'accueilleut-ils pas son retour par des
cris joyeux? L'agneau ne sait-il pas distinguer la sienne
entre des milliers d'autres, sa vue ne le fait-il pas bondir
d'allégresse, et ne lui donne-t-il pas les marques les plus
expressives de son attachement? Tous les animaux n'ont-ils
pas des tendresses particulières pour leurs parents ? Com-
ment donc l'enfant pourrait-il ne pas aimer sa mère ?
Gomment ne pourrait-il pas l'aimer, quand il pense aux
fatigues qu'elle a endurées lorsqu'elle le portait dans son
sein, aux douleurs qu'elle a souffertes en le mettant au
monde, aux privations et aux sollicitudes auquelles elle se
soumet depuis sa naissance, afin que rien ne lui nuise
et que rien ne lui manque ? Et son père, comment
l'enfant pourrait-il ne pas l'aimer, son père qui pour lui
travaille sans relâche, qui pour lui affronte toutes les fati-
gues, use ses forces, se consume et abrège sa propre vie?
L'enfant qui n'aimerait pas son père et sa mère, qui n'au-
rait pour eux ni affection ni reconnaissance, ne serait pas
seulement un ingrat, ce serait un monstre, c'est-à-dire un
être contre nature. — Aussi l'histoire nous apprend-t-elle
des païens eux-mêmes, qui précisément n'avaient pour se
guider que les lois et les impulsions de la nature, qu'ils
témoignaient à leurs parents les sentiments de la plus vive
tendresse et de la plus entière déférence. Elle nous montre
en particulier l'un des plus illustres héros de l'antiquité,
Coriolan, déposant toutes ses couronnes aux pieds de sa
mère, et préférant à toutes les autres jouissances, le plaisir
de la rendre heureuse (i). — Mais ce qui doit avoir pour
nous, chrétiens, plus de poids que l'exemple des païens, ce
sont les maximes de l'Évangile. Eh bien, ces maximes
ne prescrivent-elles pas, à tout disciple de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, d'aimer son prochain comme lui-même (2) ?
Or, si nous sommes obligés d'aimer notre prochain comme
nous-mêmes, à plus forte raison sommes-nous obligés
d'aimer nos parents, qui sont notre prochain le plus proche.
1. Plutarch. In Goriol.
2. Matth. xxii, 39; Joan. xv, u,
QEV01B pOt K LES i.m ams i)'iio\oi!i:n il i as PARENTS. i .">«)
— Quelle faute énorme ne commettent donc pas, et contre
la loi naturelle, el contre les préceptes du Sauveur, ces
cœurs plus durs que le rocher, qui n'ont pour leurs parents
aucune affection ni aucune tendresse, et qui, par une
monstrueuse dégradation, vont même parfois jusqu'à les
baïr(i) :
Notre devoir d'honorer nos parents consiste en second
i. Les enfants qui haïssent leurs pères ou leurs mères commettent un
très grand péché. On ne peut en excuser ceux qui leur donnent des
marques extérieures d'aversion, comme ceux qui ne les regardent
pas de bon œil, quoique dans leur cœur ils ne les haïssent pas ;
encore moins ceux qui souhaitent la mort à leurs pères ou à leurs
mères, ou parce qu'ils en reçoivent de mauvais traitements, ou
parce qu'ils sont ennuyés de les nourrir, ou pour pouvoir jouir plus tôt
de leurs biens. Par quelque motif qu'on souhaite du mal à ses pères et
mères, on irrite Dieu ;• et bien loin de pouvoir en attendre les biens
qu'on désire acquérir, on s'attire sa malédiction. Cf. Prov. xx... —
Ce serait s'abuser, si on voulait se dispenser d'aimer ses pères et mères,
sous prétexte que Jésus-Christ dit dans le ch. xiv. de l'Évangile selon
saint Luc : Si quelqu'un vient à moi, et ne haït pas son père et sa mère,
et mrme sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Ce médiateur entre
Dieu et les hommes voudrait-il renverser ce que Dieu a établi ? Quand
Dieu nous a commandé d'aimer nos pères et nos mères, en nous disant
de les honorer, il n'a pas prétendu nous faire un commandement à son
propre préjudice ; et quand Jésus-Christ nous a ordonné de haïr nos
pères et nos mères, il ne nous a pas obligés à avoir de l'aversion pour
leur personne, et à leur vouloir du mal ; mais il a voulu, comme
saint Augustin a remarqué dans la lettre 38, que nous renonçassions
à toute afTection criminelle et charnelle pour nos pères et nos mères,
que nous méprisassions tous les commandements qu'ils nous feraient,
quand ils nous empêcheraient de servir Dieu, et que nous consenti-
rions de perdre plutôt nos pères et nos mères, que de perdre le souverain
bien ; de sorte que si nos parents voulaient tellement posséder l'amour
de notre cœur, qu'ils voulussent nous empêcher d'aimer Dieu, et s'op-
poser au dessein que nous aurions de le servir, nous devons les aban-
donner pour suivre Jésus-Christ; de môme il nous est ordonne d'être
dans la disposition de renoncer plutôt à la vie et à ce que nous avons
de plus cher, que d'abandonner Dieu que nous devons préférer à toutes
choses ; car l'ordre qu'on doit garder dans l'amour demande que nous
aimions Dieu au-dessus de toutes choses, plus que nos pères et nos
mères, plus que nous-mêmes ; par conséquent, si l'amour de nos
parents se trouve en concurrence avec l'amour de Dieu, et que nous
ne puissions conserver l'un et l'autre, il faut que l'amour de nos
parents cède à l'amour de notre Dieu : celui-ci doit indispensablemcnt
être l'amour concluant de notre cœur, autrement nous ne sommes pas
dignes de Jésus-Christ, comme il l'a déclaré par ces paroles : Celui (jui
aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Math. x. 37.
fConfér. d'Anaers, Command. de Dieu, conf. i5).
lGo LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
lieu, avons nous dit, à les respecter. Il y a le respect exté-
rieur et le respect intérieur. Celui-là respecte extérieurement
ses parents, qui se lève à leur approche, qui les salue lors-
qu'il prend congé d'eux, qui leur parle avec modération et
réserve, qui les consulte lorsqu'il entreprend quelque chose,
qui se conforme autant qu'il peut à leurs avis et à leur ma-
nière de voir, qui les imite dans tout ce qu'ils font de bien,
et fait tous autres actes semblables. Mais ce respect exté-
rieur ne serait rien, sans le respect intérieur, c'est-à-dire si
les actes qu'on fait et qui se voient n'étaient pas inspirés
par de véritables sentiments de déférence et d'estime. En
l'absence de ces sentiments, toutes nos démonstrations ne
seraient en effet que de la dissimulation et de la fausseté.
— Or, pourquoi devons-nous respecter ainsi intérieurement
et extérieurement nos parents ? C'est parce qu'ils sont nos
supérieurs, en ce qu'ils tiennent à notre égard la place de
Dieu. Ainsi, en tant que nos parents nous ont donné la vie,
nous leur devons l'amour ; et en tant qu'ils ont été établis par
Dieu nos supérieurs, nous leur devons le respect, parce que
le respect est proprement le sentiment qui est dû aux supé-
rieurs. — Nos parents étant donc toujours nos supérieurs,
et ne pouvant cesser de l'être quoi que nous fassions et
quoi qu'ils fassent, nous devons donc toujours les respecter,
et ne pouvons en être dispensés par quoi que ce soit. Ne
croyons donc pas que nous ne sommes tenus de les respec-
ter que tant que nous sommes jeunes et à leur charge ;
nous y sommes tenus toute notre vie, et quelque indépen-
dants que nous soyons d'eux. Alors même que les enfants,
au lieu de dépendre de leurs parents, auraient leurs parents
sous leur dépendance, ils ne seraient nullement dispensés
pour cela de les respecter. C'est ainsi que Salomon, voyant
un jour sa mère, dont il était le roi, et qui n'était pas de
race illustre, entrer dans la salle où il se trouvait, se leva
avec empressement, alla au-devant d'elle, se prosterna en
sa présence, et ayant fait placer un trône à côté du sien, la
pria de s'y asseoir (i). Nous ne devons même pas nous
croire dispensés de respecter nos parents lorsqu'ils sont
i. III. Reg. ii, 19.
DEVOIR ihh H LES ENEANtS l> lIONOHElt LË1 lis PARENTS, l (> I
injustes et mauvais pour nous, ou bien Lorsqu'ils s'avilis
sent par uni1 indigne conduite (i). Que si. lorsqu'il s'agit du
prochain, nous pouvons bien haïr leurs fautes, mais non
leurs personnes : à plus forte raison les enfants, tout en
biâmanl 1rs fautes de leurs parents, ne cessent-ils d'être
tenus de les respecter eux-mêmes (2).
1. Dicis Portasse: Parentes esse ignavos, ex œtate mirabiles, deliros, et
ideo in negotiis, quibus idonei non amplius sunt, insupportabilcs.
Die, mi bone, an Deus, cum praeceptum quartum condidit, distinctio.-
nem inseruit, dicendo : Honora patrem tuuni, et mairem tuam, si sint
prudentes, divites, cl rébus gerendis capaces, alias non? Profecto hanc
difîerentiam nescil Decaïogus : honorandi igitur absque limitatione
snnl etiam (une, cum ad puerilem simpK'eitatem, cl balbutierai redic-
runt. Est impossibile, tôt molestias lepidi capitis patienter sustinere.
Mémento, obsecro, quantas ineptias in infantia nostra parentes pertu-
lerunt? Quantam planctuura puerilium importunitatem ? Quantos
clamores el ejulatus? « Nunquam tvios vagifus horruerunt », ait Hie-
ronymus. ëp. n. Praestim mater tua, ô quoi, incommoda, ac dolores
amore lui pertulit !... Quid sequitur ') Id sequitur, quod Tobias
filiolo suo inculcatum voluit : Honorem Habebis matri tu.se omnibus die-
bus vitœ ejus ; memorenim esse debes, quœ et quanta pericala passa sit
propter te. Idcirco etiam conveniens est, ut et tu molestiarum aJiquid
tolères, si mater tua aut morbi miseriis, aut ex senio fastidiosa évadât.
Est nimis litigiosa et inquiéta! Quid tuuni? « Si talis est, subinfert
iterum Hieronymus, ep. 47, majus praemium habebis, si talcm non
descras ». etc. (Claus, Spicileg. catech. p. i,eonc. 55. n. 10).
a. Ceux-là pèchent contre l'honneur dû aux pères et aux mères :
i° Qui méprisent dans leur cœur leurs pères ou leurs mères, quoiqu'ils
ne le leur témoignent pas ; quileur parlent avec mépris ou trop rude-
ment ; qui leur disent des injures et les outragent. Dieu ordonne que
celui qui aura outragé son père ou sa mère, soit puni de mort.
Levit. xx, 9: — a0 Ceux qui se moquent de leurs pères ou de leurs
mères, le Sage souhaite que les corbeaux leur arrachent les yeux.
Prov. xxx, 17. — 3° Ceux qui parlent mal de leurs pères ou de leurs
mères en leur absence, ou qui découvrent leurs fautes ou leurs
défauts ; ceux-là doivent craindre la malédiction que Noë prononça con-
tre son iil> Chanaan. — 4° Ceux qui reprennent leurs pères ou leurs
mères avec orgueil, ou avec des paroles offensantes el pleines de repro-
ches. L'Ecclésiaste, nr, 12, i5, 16, nous avertit que le tils ne doit point
se glorifier de ce qui déshonore son père, ni le mépriser à cause de
l'avantage qu'il a sur lui, et que Dieu récompensera celui qui aura sup-
porté le--; défauts de sa mère. — 5° Ceux qui accusent leurs pères ou
leurs mères de crimes, à moins que ce ne soit de celui d'hérésie ou
de lèse-majesté, el qu'ils ne puissent y apporter d'autre remède —
6° Ceux qui attristent leurs pères ou leurs mères, qui les aigrissent, les
contredisent sanfl \ être obligés par la loi de Dieu, ou qui les provo-
quent à la colère par des paroles piquantes, ou par des regards dédai-
gneux. Le Saint-Espril avertit les enfants de s'en bien donner garde,
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II, H
l62 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
La troisième chose en quoi consiste notre devoir d'hono-
rer nos parents, c'est à leur obéir. Peut-on dire, en effet,
d'un enfant qui n'obéit pas à ses parents, qu'il les honore ?
Non, assurément. Pour s'acquitter de son devoir de les hono-
rer, il faut donc qu'il leur obéisse. Il faut qu'il leur obéisse, car
ils sont ses maîtres. N'est-il pas vrai que Dieu fait un devoir
aux parents d'éclairer, de guider et de gouverner leurs
enfants? Par là même il fait un devoir aux enfants d'obéir
à leurs parents ; car, comment les parents pourraient-ils gou-
verner leurs enfants, si ceux-ci n'étaient pas tenus de leur
obéir? Aussi voyons-nous le Saint-Esprit exhorter souvent
les enfants à l'obéissance envers leurs parents : Celui qui
craint le Seigneur, leur dit-il, honore ses parents et se
soumettra à ceux qui Vont mis au monde, comme à ses
maîtres (i). L'apôtre saint Paul leur dit également: Enfants,
car Dieu maudit ceux qui le font. Eccli. ibid. — 70 Ceux qui menacent
leurs pères ou leurs mères, qui lèvent la main sur eux, ou les frappent
même légèrement : c'est un crime des plus exécrables de frapper son
père ou sa mère ; c'est une ingratitude extrême, puisqu'on leur est
redevable de tout ce que l'on est ; c'est une espèce d'impiété et de sacri-
lège, puisque le respect qu'on doit aux pères et aux mères est une
chose sainte et sacrée ; c'est un renversement monstrueux dans l'ordre
de la nature et de la grâce, puisque ce sont des maîtres et des souve-
rains, à qui un enfant doit une déférence et une soumission entière.
Les peines dont Dieu, l'Église et les lois civiles ordonnent qu'on punisse
ce crime, en marquent Ténormité. Dieu, danslechap. xxi, de l'Exode, veut
qu'on fasse mourir celui qui aura frappé son père ou sa mère. Dans la
primitive Église, il était soumis à sept années de pénitence, au pain et
à l'eau. Le droit canonique le regarde comme un infâme, Can. Inf.
c. 6, p. 1. L'empereur Justinien, Nov, n5, permet au père et à la mère
de le déshériter. C'est un cas réservé dans la plupart des diocèses, que
de frapper son père ou sa mère, son aïeul ou son aïeule, avec excès ou
scandale (à moins que l'enfant ne sache pas que c'est son père ou sa
mère qu'il frappe, ou bien qu'il ne le fait que pour défendre sa vie ou
se préserver d'une mutilation). — 8° Ceux qui dédaignent leurs pères
ou leurs mères, ne voulant pas les reconnaître, parce qu'ils sont pau-
vres ou faibles d'esprit, ou qui refusent de les saluer à la rencontre, ou
de leur parler, lorsque le respect le demande, ou qui manquent à les
visiter en certaines occasions. — 90 Ceux qui ne consultent pas leurs
pères ou leurs mères dans les affaires importantes où l'autorité pater-
nelle s'étend, par exemple, dans leur mariage ; et ceux qui, au lieu de
suivre les avis qu3 leurs pères ou leurs mères leur donnent, qui ne
sont point opposés à leur salut éternel, ni à la perfection évangélique,
les méprisent ou font tout le contraire sans aucune bonne raison (Con-
Jér. d'Angers, loc. cit.).
1 . Eccli. m, 8.
DEVOIR POUR LES ENFANTS D'HONORER LEURS PARENTS. 1 63
obéissez à vos parents selon le. Seigneur (')• Et une autre
lois, il leur dit encore : Enfants^ obéissez à vos parents en
foules choses , car cela est agréable au Seigneur (2). En effet,
Dieu tient tant à L'obéissance des enfants envers leurs
parents, qu'il a voulu leur en fournir un exemple plus élo-
quenl que toutes les paroles. Ayant envoyé son Fils en ce
monde, ce Fils divin non seulement a obéi à son Père
céleste en tout ce qu'il lui a commandé, jusqu'à mourir sur
une croix ; mais il a obéi même à la sainte Vierge et à saint
Joseph, qui pourtant n'étaient que ses créatures, mais qu'il
avait voulu avoir pour parents ici-bas. Et son obéissance
envers eux fut si parfaite que l'Évangile, sauf son voyage à
Jérusalem lorsqu'il était enfant, ne nous apprend rien de
lui jusqu'à l'âge de trente ans, sinon qu'il leur était sou~
mis (3). En présence d'un tel exemple, quel est donc l'en-
fant, quel est donc le chrétien qui voudrait se soustraire à
l'obéissance qu'il doit à ses parents ? Gomme notre divin
Maître et avec lui, soyons soumis à nos parents, et accom
plissons toutes leurs justes volontés. Quand nous pouvons
faire ce qu'ils nous commandent, n'alléguons pas, pour nous
en dispenser, une impuissance fictive, ni aucun autre prétexte
quelconque, car Dieu nous voit et nous juge. Et au lieu de
Paire entendre des plaintes et de laisser voir de la mauvaise
volonté, ce qui du reste nous fait perdre le mérite de notre
obéissance, montrons plutôt un juste empressement, et
acquittons-nous de ce qui nous est commandé avec un
véritable sentiment de satisfaction, alors même que la
nature y trouverait plus ou moins de répugnance. C'est
ainsi que notre obéissance sera parfaite, et elle doit l'être
pour honorer vraiment nos parents. — Mais nous avons dit,
et remarquons bien ceci, que nous devons accomplir les
justes volontés de nos parents, c'est-à-dire celles-là seule-
ment qui ne sont pas en opposition avec les lois de Dieu et
les maximes de l'Evangile ; car si nos parents nous don-
nent des ordres qui soient contraires à ces lois et à ces maxi-
1 . Ephes. vi, 1.
•1. Coloss. m, 20.
3. Luc. 11, 5i.
iC/J LÉS GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
mes, ces ordres ne sont pas justes, el dès lors ils cessent de
nous obliger. C'est ainsi que quand un père, par exemple,
commande à son enfant quelque travail le dimanche, ou lui
défend d'aller à la Messe, cet enfant a le droit et le devoir de
désobéir, tout en le faisant avec respect. Hors de là, hors des
commandements de Dieu et de l'Église, les enfants doivent
obéir en tout le reste à leurs parents (i). — Oh ! qu'il est
i. Toutefois, après le mariage ou l'émancipation, ils cessent d'être
soumis à leurs parents dans ce qui concerne l'économie domestique et
le gouvernement de la maison (Examen raisonné, loc. cit.).
Les péchés que les enfants commettent en. ne se conformant pas à la
volonté de leurs parents, peuvent être mortels ou véniels. Ils ne sont
que véniels : i° Quand les parents ne font que des avertissements, et
n'ont pas intention de faire des commandements ; ce qui se connaît
par la manière de parler des parents ; 20 lorsque la chose dont il s'agit
n'est pas de conséquence ; 3° quand le défaut d'âge est cause que les
enfants ne connaissent pas l'importance du commandement ou de la
défense que leur font leurs parents ; mais si la chose est de consé-
quence, et que les enfants en connaissent l'importance, le péché est mor-
tel. — Gomme souvent les jeunes enfants ne peuvent juger par eux-
mêmes de la conséquence des choses, et si leur désobéissance a été
légère, il faut, dans le tribunal de la confession, leur demander en
quoi ils ont désobéi à leurs parents, et si les désobéissances ont été fré-
quentes et presque continuelles ; car, quoique chacune en particulier
ne soit qu'un péché véniel, néanmoins l'habitude de ces désobéissances
fréquemment multipliées en matière légère peut devenir mortelle en
ceux qui auraient assez de discernement pour apercevoir le trouble
qu'elles causent dans la famille, par les mécontentements, les chagrins,
les emportements de colère qu'elles occasionnent si souvent à leurs
parents, et qui les contristent bien plus que ne ferait une désobéissance
considérable arrivée seulement une fois ; outre que cette habitude
entretient les jeunes gens dans un esprit de révolte qui peut avoir
des suites pernicieuses. — La désobéissance des enfants dans une chose
de peu de conséquence peut aussi devenir un péché mortel, si elle est
accompagnée d'opiniâtreté et de mépris pour les parents ; car alors on
méprise Dieu et le commandement qu'il a fait d'honorer ses pères et
mères, parce que, comme dit le Catéchisme du Concile de Trente,
Huic honori hœc omnia conjuncta sunt, amor, observantia, obedientia et
cultus. — Si un enfant obéit au commandement de ses parents, mais en
murmurant, il n'est pas exempt de faute ; elle est vénielle ou mortelle,
selon la qualité du murmure ; car il y a obligation d'obéir prompte-
ment, gaiement et amoureusement fConfér. d'Angers, loc. cit.).
Les dernières volontés sont une chose sacrée ; on les a toujours res-
pectées chez toutes les nations de la terre ; les païens même se faisaient
un devoir de les accomplir exactement : toutes les lois divines et humai-
nes se réunissent pour en exiger l'accomplissement, à plus forte raison
de la part des enfants envers leurs pères et mères. Par exemple, les
dons, les legs pieux et charitables qu'ils font en faveur des pauvres et
DEVOIR POUR LES ENFANTS D'HONORER LEURS PARENTS. lG5
beau le spectacle d'une famille dont les enfants sont soumis
à toutes 1rs justes volontés de Leurs parents ! On y trouve
comme une image de L'union el de La paix qui régnent dans
Le ciel. Vu contraire, les ramilles où les enfants sont en
révolte contre L'autorité des parents, où rien ne se fait que
parla violence, où L'on n'entend par suite qu'imprécations et
malédictions, ne sont elles pas une véritable image de
L'enfer? Oh! que l'obéissance aux parents est donc néces-
saire el précieuse !
La quatrième et dernière chose comprise dans l'iionncur
du aux parents, c'est L'assistance des parents. On ne peut
pas, en effet, se rendre le témoignage qu'on honore ses
parents, si on ne les assiste pas, dans tous leurs besoins,
aidant qu'on le peut. Quiconque, laissant volontairement
ses parents dans le besoin, prétendrait néanmoins ne pas
manquer à l'honneur qu'il leur doit, s'attirerait inévitable-
ment le mépris publie. — Or, les parents pouvant avoir
besoin de secours soit spirituels, soit temporels, les enfants
leur doivent donc une assistance ou spirituelle, ou tempo-
relle, suivant les circonstances. — Les enfants doivent
assister spirituellement leurs parents d'une manière géné-
rale, en demandant à Dieu, ou bien leur persévérance, s'ils
sont dans le bon chemin, ou bien leur conversion, s'ils ont
le malheur de vivre dans le péché. Rien ne saurait dispenser
les enfants de cette assistance, quelles que soient les situa-
tions et les circonstances où se trouvent les parents et les
des églises. Vous ne savez pas toujours quelles sont leurs intentions ;
c'est peut-être pour l'acquit de leur conscience envers Dieu ou le pro-
chain ; ce sont peut-être des restitutions, et cela pour des acquisi-
tions illégitimes que vous possédez et dont vous recueillez les fruits
injustes. Si vous n'accomplissez pas leurs dispositions, vous frustrez les
droits de la religion et de l'équité, vous dérobez aux pauvres, au pro-
chain, a l'Église ce <|iii lui appartient ; vous laissez leur conscience
chargée, ou plutôt c'est la vôtre qui l'est maintenant ; ils ont fait ce
qu'ils ont pu pour réparer l'injustice, vous en resterez responsables
devant Dieu et devant les hommes. Le ciel et la terre ont une hypothè-
que redoutable sur vos possessions. Les formalités et les arrêts surpris à
la justice humaine ne vous mettront pas à l'abri de la justice de Dieu ;
vous mourrez redevables de la dette contractée par vos pères et mères,
et vous la laisserez à vos enfants. Prévenez ce malheur en exécutant les
dernières volontés de vos parents (Couturier, Caléch. dogmat. et moral,
4. comm.).
lG6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
enfants. Il n'en est pas ainsi de l'assistance en paroles que
les enfants doivent aussi à leurs parents, pour les ramener
à la pratique de leurs devoirs lorsqu'ils s'en écartent. Dans ce
cas, ils doivent user d'une grande prudence, et savoir atten-
dre les moments favorables , attentifs d'ailleurs à faire toujours
tout ce qu'ils peuvent. Mais c'est surtout aux approches
de la mort que les enfants doivent aider spirituellement
leurs parents avec un redoublement de zèle, afin de les dis-
poser à paraître devant Dieu. Il ne s'agit plus alors d'atten-
dre et de remettre à plus tard. Avec des ménagements con-
venables, on doit leur faire connaître leur état, et user de
tous les moyens dont on dispose pour les amener à se
réconcilier sincèrement avec Dieu. Les enfants ayant la foi,
et se disant qu'à tout instant le sort d'un père ou d'une
mère va être fixé pour jamais, pourraient-ils ne pas faire les
plus suprêmes efforts pour assurer leur salut éternel? Enfin,
après leur mort, les enfants doivent encore assister spiri-
tuellement leurs parents, en priant et en faisant prier pour
adoucir et abréger leurs souffrances dans le purgatoire,
souffrances que peut-être ils ont méritées, soit pour avoir
été trop faibles pour leurs enfants, soit pour s'être rendus
coupables d'injustices à leur profit. Ah ! comment leurs
enfants ne feraient-ils pas tout leur possible pour les sou-
lager ? — Outre cette assistance spirituelle, les enfants doi-
vent encore à leurs parents, avons-nous dit, une assistance
corporelle. Tant que les enfants n'ont pas la force de pour-
voir par eux-mêmes à leurs besoins, n'est-ce pas leurs parents
qui leur fournissent tout ce qui leur est nécessaire, la nour-
riture, les vêtements, le logement, les remèdes, et même
quelques douceurs superflues? Dès lors, n'est-il pas juste
que les enfants, à leur tour, viennent en aide à leurs parents
lorsque ceux-ci n'ont plus la force de se suffire ? En agissant
ainsi, les enfants font-ils autre chose que payer une dette
sacrée? Et encore, quoi qu'ils fassent, ils ne paieront jamais
qu'imparfaitement cette dette, car jamais ils ne feront pour
leurs parents ce que leurs parents ont fait pour eux. Que dire
donc de ceux qui, bien que jouissant d'une honnête aisance,
laissent leurs parents, vieux et infirmes, dans l'abandon et
J'indigence ? C'est une ingratitude que le monde lui-même
DEVOlll POUR LES ENFANTS I)' HONORER LEURS PARENTS. 1G7
ii en horreur, en attendant que Dieu la châtie. Loin de nous
une conduite si indigne el si criminelle ! Imitons plutôt le
jeune Tobie, don! La sainte Écriture nous rapporte qu'il mit
son bonheur à rendre la vue à son père aveugle, à adoucir
el consoler la vieillesse de sa mère, de son beau-père et de
sa belle-mère, el à recueillir avec une affectueuse piété leurs
derniers adieux. Nous aussi, dès que nos parents ont besoin
de nous, allons avec empressement à leur aide, rendons-
leur les services qui sont en notre pouvoir, partageons notre
pain avec eux, soignons-les dans leurs maladies et dans
leurs infirmités avec une infatiguable patience et une tendre
affection, compatissons à leurs souffrances, encourageons-
les, consolons-les. Jetons encore et surtout les yeux sur
Notre-Seigneur. Même lorsqu'il fut attaché à la croix, les
affreuses souffrances qu'il endurait ne l'empêchèrent pas
de penser à l'assistance qu'il devait à sa mère, et il la confia
à son disciple Jean, en lui recommandant de la prendre
avec lui et d'en avoir soin comme de sa propre mère. Sem-
blablement, ne nous laissons empêcher par aucune diffi-
culté d'assister nos parents, et tant que nous vivons, occu-
pons-nous de leur venir en aide selon notre pouvoir (i). En-
fin, après que leur mort aura été bien constatée, et non
trop hâtivement, ensevelissons leurs chères dépouilles ter-
restres, et rendons-leur de convenables honneurs funèbres,
selon leur rang et le nôtre, sans parcimonie déplacée ni
ostentation vainc.
i. >otre Code civil est très exprès sur ce point. En voici les disposi-
tions. Selon l'article 2o5, les enfants doivent les aliments à leurs père
et mère, et aux autres ascendants qui sont dans le besoin. Les gendres
ot les belles filles doivent également, et dans les mêmes circonstances,
des aliments à leurs beau-père et belle-mère : mais cette obligation
cesse : i° Lorsque la belle-mère a convolé en secondes noces ; 20 Lorsque
celui des époux qui produisait l'affinité, et les enfants issus de son
union avec l'autre époux soûl décédés (article 206). Les aliments ne sont
accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame et
de la fortune de celui qui 1rs doit (art. 208). On entend par aliments la
nourriture et les autres choses nécessaires à la vie, comme l'habille-
ment et le logement : Cibaria, et vestitus, et habilatio debentar, quia
sine lus ail corpus non potes t. (Leg. 6, S de alim.). .Nous observons que
l'obligation de fournir des aliments aux parents est solidaire entre les
enfants. Chaque enfant serait condamné à les fournir en entier, sauf le
droit de recours sur les frères et sœurs, chacun pour leur quote-part.
(Pierrot, loct. cit.)-
lG8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — VII. INSTRUCTION.
Voilà donc, chrétiens, en quoi consiste notre devoir d'ho-
norer nos parents, savoir, à les aimer, à les respecter, à
leur obéir et à les assister dans leurs besoins spirituels et
corporels. Pour nous animer davantage encore à nous
acquitter de ce devoir, examinons à présent quels sont les
II. — Motifs que nous avons de l'accomplir. — Au
cours de nos explications précédentes, nous avons déjà
proposé plusieurs de ces motifs. Nous avons dit que les
enfants sont tenus d'aimer leurs parents, parce qu'ils leur
doivent la vie et qu'ils en ont été aimés eux-mêmes ; qu'ils
doivent les respecter, parce que Dieu les a établis à sa place
à leur égard; qu'ils doivent leur obéir, parce qu'ils sont
leurs supérieurs et leurs maîtres ; enfin, qu'ils doivent les
assister dans tous leurs besoins, parce qu'ils ont eux-mêmes
commencé par recevoir de leurs parents toutes sortes de
soins. Mais outre ces motifs particuliers à chaque obliga-
tion, la sainte Ecriture nous en propose deux généraux,
savoir, les récompenses promises aux enfants qui honnore-
ront leurs parents, et les châtiments dont sont menacés les
enfants qui ne s'acquitteront pas de ce devoir (i). Notre
intérêt est donc de bien connaître ces deux motifs et de les
méditer sérieusement.
i. Trois motifs pris de l'Écriture sainte nous obligent d'honorer, d'ai-
mer, de servir nos pères et nos mères. — Le premier est pris de saint
Paul, ch. 6, de l'épitre aux Ephésiens : Filli, obedite parentibus vestris in
Domino, hoc enim justum est. Enfants, obéissez à vos parents, parce que
cela est juste. Il faut faire voir que cela est juste, et même que tous les
devoirs de la justice nous y obligent. — Le second, parce que Dieu le
veut, et en a fait un commandement exprès : Filii, obedite parentibus
per omnia, hoc enim placilum est in Domino, dit le même apôtre aux
Golossiens, ch 3. 11 faut faire voir combien ce commandement que
Dieu en a fait est conforme à la raison et combien il l'a à cœur, puis-
qu'il promet une si grande récompense dès cette vie à ceux qui l'obser-
veront, et qu'il fait de si terribles menaces à ceux qui le violeront. — Le
troisième, parce que la gratitude et la reconnaissance nous y obligent ;
et c'est ce qu'on doit conclure des paroles de l'Ecclésiastique, ch. 7 :
Honora patrem tuum, et gemitas matris tuse ne obliviscaris : mémento quo-
niam nisi per illos natus non fuisses ; et rétribue illis, quomodo et illi libi.
Et il faut faire voir que comme après Dieu, il n'y a personne de qui
nous avons reçu de plus grands bienfaits, il n'y a aussi personne à qui
nous soyons obligés de marquer plus de reconnaissance, par les devoirs
que nous devons leur rendre (Houdry, Biblioth. des Prédicat, voç. En-
fants, § 1. n. 4).
DEVOIR POUR LES ENFANTS D HONORER LEURS PARENTS. IDQ
Il es( à propos de remarquer d'abord que I»1 commande-
ment d'honorer ses parents est Le seul auquel Dieu ail atta
ché la promesse d'une récompense particulière. Cette cir-
constance doil nous Faire comprendre à elle seule combien
Dieu attache d'importance à L'accomplissement de ce pré
cep te. Kl si Dieu en juge ainsi, lui qui connaît les misons
des choses, n'en est-ce pas assez pour que nous en jugions
de même, e'esl à dire pour que nous considérions le devoir
d'honorer nos parents comme étant d'une importance tout
à fait majeure ?
Or, quelle es! la récompense promise à ceux qui accom-
pliront dans toute son étendue le commandement d'hono-
rer ses parents ? Cette récompense promise est celle d'une
longue vie sur la terre : Honorez voire père et votre mère,
afin que vous ririez longtemps sur la terre (1), dit Dieu dans
sa loi du Décalogue. Et l'apôtre saint Paul, dans ses instruc-
tions aux fidèles de la primitive Eglise, rappelant aux
enfants leur devoir d'honorer leurs parents, n'a eu garde
d'omettre la promesse divine : Honorez votre père et votre
mère, leur dit-il, afin que bien vous arrive et que vous
viviez longtemps sur la terre (2). D'où nous apprenons que
cette promesse ne regardait pas seulement la loi ancienne,
mais qu'elle regarde aussi la loi nouvelle ou évangélique.
Saint Jean Ghrysostome admire et nous exhorte àadmircr
avec lui la sage économie de cette promesse. Dieu, dit-il,
considère qu'il s'adresse surtout à des jeunes gens qui ne
peuvent encore comprendre les choses du ciel et de l'éter-
nité ; il leur promet donc ce que tout homme désire natu-
rellement, aussitôt qu'il a l'âge de la raison, c'est-à-dire une
vie longue et heureuse. — On doit d'ailleurs reconnaître
que la promesse d'une longue vie a une grande raison de
convenance et d'analogie avec^le précepte dont elle est la
sanction ; car il est juste que des enfants qui honorent ceux
dont ils tiennent la vie temporelle, obtiennent, comme
récompense, la prolongation de cette vie.
Telle est donc la récompense promise par Dieu à ceux qui
1. Exod. xx, 12.
2. Ephes. vi, 3.
170 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
honorent leurs parents, c'est-à-dire, encore une fois, qu'ils
vivront longtemps sur la terre. Sans doute, faite par Dieu,
cette promesse, n'en doutons pas, s'accomplit toujours,
Dieu ne pouvant pas trahir sa parole. Sans doute, il semble
bien parfois que des enfants respectueux et obéissants meu-
rent encore jeunes. Mais qui peut assurer que ces enfants
honoraient leurs parents aussi parfaitement que Dieu
l'exige? Et d'un autre côté surtout, qui peut dire que Dieu,
voyant qu'un enfant, respectueux envers ses parents, se
perdra en restant longtemps sur la terre, ne permet pas
qu'il tombe en, quelques manquements, afin de pouvoir
tout à la fois, et ne pas lui donner la récompense terrestre,
et lui assurer la récompense céleste et éternelle? Toujours
est-il qu'on voit, d'une manière générale, les enfants qui
honorent leurs parents, jouir d'une existence longue et
prospère. Leur docilité et leur obéissance leur font éviter
une foule d'accidents qui ne manqueraient pas de nuire à
leur santé et d'user leurs forces, ainsi qu'on le remarque
chez les enfants qui n'ont pas de soumission à l'égard de
leurs parents. Ceux qui les respectent prennent, en outre,
des habitudes d'ordre, de calme, de régularité, de modéra-
tion, qui ne contribuent pas peu à fortifier leur tempé-
rament et à les rendre capables de supporter sans fai-
blir les fatigues et les maux de la vie. En mourant, leurs
parents, dont ils ont toujours été la consolation, leur don-
nent avec amour leur bénédiction, et cette bénédiction est
pour eux un nouveau gage de la protection céleste (1).
1. Honorez votre père, en œuvres et en paroles, et en toute patience, afin
que sa bénédiction vienne sur vous, et que sa bénédiction demeure sur vous
jusqu'à la dernière extrémité. La bénédiction du père affermit les maisons
des enfants; mais la malédiction de la mère en détruit les fondements. Eccli.
m, 9-1 1. — Quoi de plus naturel, que des parents fassent les vœux les
plus ardents pour des enfants bien nés ? De semblables bénédictions,
précisément parce qu'elles sont prononcées par ceux à qui Dieu a fait
part de son autorité, ne peuvent pas être stériles ; elles auront donc
naturellement pour effet d'obtenir aux enfants ce que les parents leur
souhaitent le plus ardemment, à savoir une vie longue et prospère.
C'est ce genre de bénédiction que Scm et Japhct ont reçu de leur père
Noë, à cause de leur conduite respectueuse à son égard, et dont ils ont
éprouvé les heureux effets : Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem ; que
Chanaan soit son serviteur ! Que Dieu étende Japhet, et le fasse habiter
dans les tentes de Sem; et que Qhanaan soit son serviteur! Gen. ix, 26, 27.
DEVOIR POl R LES ENFANTS D HONORER LEURS PARENTS. I ' l
Enfin Leurs enfants, qui onl grandi dans une atmosphère
de respeci el de soumission, non seulement ne leur dôn-
nenl ni inquiétudes, ni chagrins, mais les environnent à Leur
tour d'attentions el de soins, autant de garanties pour une
vie Longue el heureuse, comme l'atteste encore le Saint-
Esprit, en disant : Un enfant qui honore sa mère est comme
un homme qui ((/nasse des trésors : il sera lui-même comblé
de consolations et de joies de la part de ses enfants (i).
Noyons maintenant, au contraire, les châtiments dont
sont menacés ceux: qui n'honorent pas leurs parents. Ce
n'est rien moins que les malédictions de Dieu qu'ils attirent
sur leurs tètes. Malheur, s'écrie la sainte Ecriture, malheur
à celui qui afflige son père et sa mère : il sera accablé d' igno-
minies et de maux (2) / .N'en doutons pas, ces menaces ne
s'accompliront pas moins certainement que les promesses
faites aux enfants respectueux. Frappés de la malédiction
de Dieu, les enfants violateurs de leurs devoirs envers leurs
parents seront comme ces cadavres en putréfaction, qui
attirent sur eux de tontes parts les voraces oiseaux de proie.
Les châtiments dont ils sont menacés leur viendront aussi
en effet de tous cotés. Ils leur viendront d'eux-mêmes. Indo-
ciles aux avis et aux exhortations de leurs parents, ils tombe-"
ront dans toutes sortes d'imprudences, d'excès et d'injustices,
qui seront pour eux d'intarissables sources d'humiliations,
de cuisants soucis et de souffrances. — Ces châtiments leur
viendront de la part de tous ceux avec qui ils auront des
rapports, et qui connaîtront leurs mauvais procédés à
De la race de Sem sortit le Sauveur, et celle de Japhet eût la plus large
pari dans la réalisation des promesses divines, par la conversion de
l'Europe au Christianisme. La descendance de Sein et de Japhet fut
constamment plus favorisée de Dieu et plus heureuse que celle de
Cham, dispersée en Afrique. L'Ecriture sainte nous offre encore une
foule d'exemples de l'efficacité de la bénédiction paternelle. Ainsi Jacob
fut béni par Isaac et obtint une nombreuse postérité, dont Dieu forma
son peuple. Le jeune Tobie fut conduit par un ange et miraculeuse-
ment protégé par Dieu pendant son voyage : c'est qu'il n'avait entre-
pris ce voyage que sur l'avis de ses parents et avec leur bénédiction
(Grosse, (lours de Religion, 2. p. 2. d. chap. 5, n. 1).
1. Eccl. m, 5 et 6.
2. Eccl. in, 18: Prov. xix, 2C1.
I72 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION
l'égard de leurs parents. Car on les méprisera, on les fuira,
on évitera de former aucune amitié avec eux, et Ton ne se
gênera pas, à l'occasion, pour leur exprimer ouvertement
les sentiments de répulsion qu'on aura pour eux. Fils
révolté contre son père, Àbsalon ne put éviter les effets de
la malédiction divine : malgré les ordres formels de David, il
périt, à la fleur de l'âge, percé de flèches. — Mais c'est de
leurs enfants surtout que Dieu se servira pour leur infliger
les plus terribles châtiments. Leur faisant application de
cette sentence : Oit usera avec vous de la mesure dont vous
aurez usé avec les autres (1), il permettra que leurs enfants
les traitent comme ils auront eux-mêmes traité leurs
parents. De même donc que ces malheureux auront insulté
leurs parents, de même qu'ils auront refusé de les assister;
de même ils s'entendront injurier à leur tour par leurs
enfants, de même ils se verront abandonnés par eux dans
leurs besoins. 0 justice de Dieu! les méchants, au milieu
de leurs égarements, se rient de vous et tournent en déri-
sion ceux qui vous craignent; mais si vous ne venez sou-
vent que lentement, vous n'en venez pas moins implacable-
ment.
CONCLUSION. — Chrétiens, répétons-le, voilà donc en
quoi consiste le devoir que nous avons d'honorer nos
parents, savoir : à les aimer, à les honorer, à leur obéir et à
les assister dans tous leurs besoins spirituels et temporels.
Et voilà également les deux motifs très particuliers que nous
avons de nous acquitter de ce devoir, c'est-à-dire : les béné-
dictions promises par Dieu à ceux qui l'accomplissent,
et les châtiments dont sont menacés ceux qui le violent,
Sans doute, ce devoir et ses conséquences bonnes ou mau-
vaises, selon qu'on l'observe ou qu'on le foule aux pieds,
tous les chrétiens devraient les connaître, puisqu'ils les ont
tous appris au catéchisme. Cependant, combien qui les
ont plus ou moins oubliés ! car combien qui n'honorent pas
leurs parents comme ils le devraient, principalement parce
qu'ils n'ont pas ces vérités présentes à l'esprit ! Il était donc
nécessaire de les rappeler du haut de cette chaire, afin qu-e
1. Luc, vi. 38.
DÉVOIR POl H LÉS ENFANTS D^HONORÉB LEURS PARENTS. 17.S
tous ceux qui ont le bonheur de posséder encore leurs
parents puissent en faire leur profil, an grand avantage cl à
la grande consolation des parents eux-mêmes. Il faut bien
se garder de croire, en effet, que l'on n'est tenu d'honorer
ses parents que tant que Ton est jeune et sous leur dépen-
dance. Ou y est tenu, au contraire, tant qu'ils vivent, et
tant qu'on vit soi-même, car on doit honorer encore leur
mémoire après leur mort. Que l'on soit jeune ou âgé, sous
leur dépendance ou indépendant d'eux, toujours on est tenu
d'aimer ses parents, de les respecter, d'obéir à leurs justes
volontés, et de les assister dans leurs besoins autant qu'on
le peut. Voilà notre devoir, et quiconque, sous un prétexte
ou sous un autre, en restreint l'étendue, se trompe et ren-
dra compte à Dieu des fautes qu'il aura commises. Chré-
tiens, ne l'oublions pas: la voix de la nature, la voix de
nos propres intérêts, la voix de Dieu notre souverain maî-
tre s'unissent pour nous crier d'honorer nos parents. Ecou-
tons donc toutes ces voix, et les hommes nous loueront, et
notre conscience se réjouira, et nos parents nous béniront,
et Dieu nous récompensera. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
Amour des parents.
1. — Ferdinand II, roi d'Espagne, qui vivait au milieu du
douzième siècle, aimait si tendrement son fils Alphonse, qu'il
lui abandonna même, de son vivant, la couronne et le scep-
tre royal. Il est vrai qu'Alphonse était, en tous points, digne de
l'affection de son père, car on peut dire qu'il ne vivait que pour lui.
Chaque foi s ([ne ses occupations le forçaient de quitter le palais, il
ne sortait jamais sans s'être mis à genoux pour demander la béné-
diction de son père, et, quand il était de retour, son premier soin
était de se rendre près de lui. — Souvent même il se relevait pen-
dant la nuit, afin de s'assurer si son père dormait, ou s'il ne lui
était pas survenu quelque indisposition. Jamais, en sa présence,
il ne s'asseyait sans en avoir reçu l'invitation expresse. — Le pieux
et noble Alphonse ayant remporté une brillante victoire sur les
Maures, ces ennemis du nom chrétien, son vieux père voulut aller
à sa rencontre, porté dans une litière, afin de pouvoir, le premier,
17a LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
saluer son fils du nom de vainqueur. Malgré toutes les représenta-
tions des médecins, ce vieillard ne voulut point se désister de
cette idée, et il leur disait: « L'amour que j'ai pour mon cher
Alphonse et la joie que me cause sa victoire me rajeunissent et me
fortifient. C'est pourquoi je veux aller à sa rencontre. » — A peine
Alphonse eut-il aperçu son père, qu'il sauta de dessus son cheval,
et ivre de joie, alla se précipiter dans ses bras. Ils restèrent long-
temps dans cette position saus proférer une seule parole ; le plaisir
de se voir, de s'embrasser, les absorbait tout entiers. » Ah ! s'écria
enfin le jeune héros, si ma victoire me procure quelque contente-
ment, c'est surtout parce qu'elle m'a fourni l'occasion de mériter
les caresses de mon père. » Pendant le reste de son retour, il alla
toujours à pieds à côté de la litière de son père, qui s'efforça vai-
nement de lui persuader de remonter à cheval, disant qu'il ne
convenait pas qu'il allât à pied, pendant que toute son escorte était
à cheval. « Mais, mon père, répondit Alphonse, ces gens-là ne
sont pas vos fils : ils peuvent agir comme il leur plaît. » Lorsqu'on
fut arrivé au fond du palais royal, Alphonse enleva dans ses bras
son père de la litière, et le porta lui-même dans ses appartements.
« Mon père, lui dit-il alors, lorsqu'ils furent seuls, vous savez jus-
qu'où s'étend votre amour pour moi, mais vous ignorez combien est
grand celui que je ressens pour vous. Mon amour, non content de
vous accompagner à pied, enviait encore le sort des domestiques
qui portaient la litière, et plus d'une fois la pensée m'est venue
de les faire arrêter et de vous porter, mon père, sur mes épaules. »
Le vieillard tremblait de joie en entendant ces paroles, et il ne put
répondre que par ses larmes.
2. — Saint François de Borgia avait dix ans quand sa mère tomba
malade. Le mal allait tous les jours prenant des proportions plus
graves, et bientôt on craignit pour sa vie. Dans cette circonstance,
le pieux enfant ne trouvait rien de mieux à faire que de s'enfer-
mer dans sa chambre et de prier, en pleurant, pour la guérison
de sa mère ; mais Dieu n'exauça pas sa prière et sa mère mourut.
Cet événement fut un coup de foudre pour l'enfant, il en fut pro-
fondément affligé ; mais la pensée que telle était la volonté de
Dieu, et que sa mère était plus heureuse au ciel qu'elle ne l'avait
jamais été sur la terre, le consola et sécha ses larmes. Cependant
il ne perdit jamais de vue les sages leçons qu'il en avait reçues,
mais il s'efforça constamment d'y conformer sa conduite, afin de
pouvoir un jour aller se réunir à sa mère, et de ne plus en être
jamais séparé. Saint François fut fidèle à sa résolution, il vécut en
saint et mourut de la mort des prédestinés, l'année 1572. Que ce
DEVOIR PÔ1 R LES r.M'VMS D HONORER LEURS BARENTS. I 75
rendez-vous dut avoir de charmes pour lui, alors qu'il n'eut plus à
craindre de voir finir son bonheur !
3. — Le vénérable ^.ugustia Gruber, prince-archevêque de
Salzbourg, morl en i835, faisant un jour une visite d'école dans
un village du Tyrol appartenant à son diocèse, demanda à une
petite fille si elle pourrait calculer combien elle avait déjà coûté à
ses parents? L'enfant, très versée d'ailleurs dans le calcul mental,
ne demeura pas moins embarrassée de cette question, f Mon
enfant, reprit l'archevêque d'un ton affectueux, voilà un problème
dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler, et cependant
c'est l'un des plus importants; car il est rare que les enfants
réfléchissent sérieusement aux dépenses qu'ils ont causées à leurs
parents ; et, conséquemment, ils ignorent quelle est l'étendue
de leur dette. Prenez courage, mon enfant, nous allons faire
ensemble ce calcul. Trouvez-vous que c'est trop, si je suppose que
les frais de nourriture, d'habillement, de blanchissage et autres
dépenses accessoires peuvent être évaluées à 25 centimes par
jour ? — Oh ! non, répondit l'enfant, revenue un peu de sa pre-
mière frayeur. Cette somme serait plutôt trop faible. — Eh bien,
combien un mois a-t-il de jours ? — On compte ordinairement
trente jours dans un mois. — Ainsi, combien un enfant coCite-t-il
de pièces de 25 centimes par mois ? — Trente, ce qui fait en tout
7 fr. 5o par mois. — Et maintenant, combien y a-t-il de mois dans
l'année ') — Douze. — Et combien font 12 fois 7 fr. 5o ? — 90 fr.
juste. — Allons, continuons, ma chère enfant! Quel est votre âge ?
— Divans. — Que devez-vous donc, jusqu'ici, à vos parents, si
vous leur avez coûté 90 fr. par an ? — 900 fr. — \ merveille ! Mais
il faudrait encore y ajouter les frais de médecin et de médecine, et
autres dépenses de cette nature. Et puis, mon enfant, calculez
encore les peines nombreuses que vous avez occasionnées à votre
bonne mère ; les nuits qu'elle a passées auprès de votre couche
lorsque vous étiez malade ; les travaux et les soins de votre père
pour l'entretien de votre famille. Sera-ce aussi avec de l'argent que
des enfants aimants et dévoués récompenseront les peines et les
soucis qu'ils ont occasionnés à leurs parents ? Oh ! non, voyez-
vous, car ces sortes de services que les enfants ont reçus de leurs
parents, tels que l'éducation, une instruction vertueuse et chré-
tienne, ne sauraient s'estimer à prix d'argent. Gomment donc
devez- vous, mes enfants, compenser toutes les dettes, tout le bien,
en un mot, que vous avez reçu de vos parents ? En menant une
vie sage et vertueuse, en vous efforçant de prévenir leurs désirs,
et en ne leur causant jamais aucun chagrin. Oui, mon enfant, c'est
"() LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
parune sage conduite que vous serez toujours le plus agréable à
Dion ; ce sera la meilleure monnaie avec laquelle vous pourrez
vous acquitter envers vos parents !» — Ce calcul, outre quelques
autres salutaires instructions du vénérable pontife, fit une heu-
reuse et durable impression sur les enfants, qui dès ce jour aimè-
rent leurs parents d'une manière beaucoup plus réelle et plus
effective, ainsi qu'on en fit la remarque dans toutes les familles.
Respect des parents.
i . — Benoît XI, de l'ordre des Frères Prêcheurs, fils de parents
pauvres, ayant été élevé, en i3o3, sur le trône pontifical, sa
mère, qui vivait encore, vint un soir à Pérouse pour lui rendre
visite. Ses amis lui firent prendre des vêtements comme il conve-
nait à la mère d'un si grand prince. Mais, avant de la recevoir, le
Pape demanda comment elle était vêtue. On lui répondit qu'elle était
vêtue de soie, pour l'honneur du Siège Apostolique. Oh ! alors, répli-
qua-t-il, ce n'est point ma mère, car ma mère est une pauvre femme
qui ignore ce que c'est que la soie. A cette réponse, la pieuse mère
reprit ses humbles vêtements. Sur quoi le Pape dit : « Pour le coup,
c'est ma mère, qu'elle vienne ! » Et il l'embrassa tendrement. — Ce
touchant exemple nous fait voir que les enfants ne doivent jamais
rougir de leurs parents, quand bien même ils sont parvenus à
d'éminentes dignités.
2. — Thomas Morus, ce célèbre chancelier d'Angleterre, qui
mourut victime de son inviolable attachement à la foi catholique,
était animé d'un si grand respect envers ses parents, que, même
après qu'il eut été revêtu de ces hautes fonctions, et alors qu'il
était déjà marié et très avancé en âge, il ne sortait jamais de la mai-
son sans avoir demandé, à genoux, la bénédiction paternelle à son
vieux père. — La conduite respectueuse de Thomas Morus envers
ses parents fit une profonde impression sur le cœur de ses enfants,
car, lorsqu'il eut été condamné par Henri VIII, à mourir sur
l'échafaud, personne ne s'étant trouvé qui eut le courage de lui
donner une sépulture honorable, sa fille Marguerite n'hésita pas à
rendre ce dernier devoir à un père qu'elle avait si tendrement
chéri, et le fit enterrer avec toute la magnificence possible. Ce
dévouement filial étonna si vivement le tyran lui-même, qu'il
n'osa pas l'en empêcher.
3. — Wolfgang Tiefstadt, fils d'un armurier, avait appris l'état
de son père. Plus tard, il devint un guerrier distingué, et pour le
récompenser de ses actions d'éclat et de ses loyaux services, l'élec-
teur de Saxe le nomma chevalier et lui fit don de magnifiques
DEVOIR POUR LES ENFANTS D'HONORER LEURS PARENTS. Î77
domaines. Un jour il invita à dîner l'électeur lui-même, qui
accepta l'invitation. Comme \\ olfgang se tenait debout à table pour
faire les honneurs à son illustre convive, celui-ci lui ordonna de
venir se mettre à côté de lui. Mais \\ olfgang répondit : « Je prie
Votre Vitesse de m'excuser et de m'accorder une grâce: j'ai ici
dans ma demeure mon vieux prie, auquel, après Dieu, je dois la
vie, mon étal et tout mon bonheur : c'est à lui que revient l'hon-
neur de s'asseoir à table à côté de Votre Altesse. — Allez le cher-
cher », dit l'électeur. Le vieil armurier dut se mettre à côté de lui
et ne partit pas sans avoir été comblé de bienfaits. L'électeur n'en
cutquc plus d'estime pour le fils, qui remplissait si fidèlement son
devoir envers son père.
Obéissance aux parents.
1. — Le bienheureux Bernard d'Offîda, ainsi nommé de la ville
de ce nom, près de laquelle il naquit, et qui mourut en 1694, était
fils d'honnêtes paysans qui prirent un grand soin de son enfance,
et lui inspirèrent de bonne heure l'amour de la vertu. Sa dou-
ceur, son obéissance, étaient admirables, et lorsqu'il voyait quel-
qu'un de ses frères ne pas se soumettre assez promptement aux
volontés de ses parents, il s'écriait aussitôt : « Je ferai ce que mon
frère refuse de faire lui-même ; s'il mérite d'être puni, punissez-
moi à sa place. »
2. Vers la fin de l'automne de l'an 1776, pendant que la neige
tourbillonnait dans les airs, une nombreuse société était réunie
un soir dans un hôtel de Londres, et on y attendait depuis plu-
sieurs heures un homme célèbre, le savant Samuel Johnson.
Enfin il arriva ; mais il était tellement taciturne, il avait l'air telle-
ment pâle, troublé et fatigué, qu'on l'observa en silence et non
sans un certain embarras, jusqu'à ce que lui-même, s'adressant à
la maîtresse de la maison, mit fin à cette étrange situation. « Lors-
que je vous ai promis de venir, dit-il, j'avais oublié que nous
étions aujourd'hui le 21 novembre. Il y a ajourd'hui quarante ans
que mon père, un libraire, me dit : « Samuel, prenez la voiture;
allez au marché de Ligtfield, et faites-y la vente à ma place. » Fier
de ma science, que je n'avais acquise que grâce aux sacrifices de
mon père, je m'y refusai ; il me semblait que c'était au-dessous
de ma dignité de me placer dans une échoppe au marché et d'y
vendre des bouquins. Alors mon père reprit avec douceur :
Samuel,, soyez b m fils ; ce sérail dommage de négliger la foire ;
aujourd'hui les demandes ne manquent pas. » Je m'obstinai dans
mon refus, quoique connaissant l'état maladif de mon père ; je
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 12
I78 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
croyais que son indisposition le retiendrait à la maison. Mais con-
tre mon attente, il entreprit la route par un temps détestable,
pareil à celui que nous avons en ce moment ; cette témérité le
conduisit au tombeau. » A ces mots, la voix de Johnson trembla,
ses larmes coulèrent en abondance, et il ne put qu'avec peine ter-
miner ce récit qui donna l'explication de son absence. » Depuis ce
temps, continua- t-il, je vais chaque année, le 21 novembre, à pied
jusqu'à Ligthfield, sans prendre aucune nourriture, et je reste
quatre heures au marché, à la place même où mon père
avait son échoppe. Il y a quarante ans que je fais cela; je suis
devenu plus vieux que ne l'était mon père lorsqu'il quitta ce
monde, et hélas ! je ne puis mourir. » — La compagnie avait
écouté cette confession dans un religieux silence, sans rien répli-
quer ; chacun partagea sa profonde douleur, mais personne ne se
sentit porté à le consoler, car celui qui désobéit à son père est sans
excuse.
Assistance des parents.
1. Une pauvre veuve, privée de l'usage de ses membres, éprou-
vait depuis longtemps un vif regret de ne pouvoir assister à l'office
divin, devoir dont elle s'acquittait ponctuellement autrefois, et qui,
plus que jamais, était un besoin pour son âme pieuse. Chaque
dimanche, elle répétait justement à ses deux fils : « Que je serais
heureuse d'entendre la sainte Messe ! Mais je ne peux me rendre
au village, à cause de mes infirmités et delà longueur du chemin. »
Et en disant ces paroles, l'infortunée versait des larmes et soupi-
rait profondément ; puis elle portait à sa bouche la croix de son
chapelet, qu'elle récitait avec recueillement et avec la plus grande
résignation. — Ses deux fils, qui partageaient sa piété, trouvèrent
le moyen de satisfaire -son pieux désir. En effet,, ayant ajusté deux
forts bâtons au fauteuil de leur mère, ils la transportèrent à
l'église, au milieu de la foule attendrie, et qui semait des Heurs
sur leur passage. — Le vénérable pasteur, instruit de ce beau
dévouement, monta en chaire et prit pour texte ces paroles du
Deutéronome: Honorez votre père et votre mère, selon que le Sei-
gneur notre Dieu nous l'a ordonné. Son discours fut plein d'onction
et produisit un touchant effet sur l'auditoire, surtout quand il
compara les fleurs jetées sur le passage de cette intéressante
famille, aux bénédictions que Dieu ne manquerait pas de répan-
dre sur elle, ce dont elles étaient le symbole et le présage.
2. — Une jeune fille, en Allemagne, avait? un père déjà fort
avancé en âge et presque toujours malade, qu'elle soignait et
qu'elle nourrissait du travail de ses mains. Mais comme le gain
DEVOIR POUR LES ENFANTS D'HONORER LEURS PARENTS. I 79
journalier ne suffisait plus, et qu'elle se voyait clans l'impossibilité
de paver le trimestre échu du loyer, elle alla trouver un coiffeur
auquel elle offrît en vente les longues tresses de sa blonde cheve-
lure : « Quel prix en voulez-vous ? demanda le coiffeur en regar-
dant la jeune lillc troublée. — Ah! monsieur, j'en veux beaucoup
d'argent : je désire en avoir quatre thalers. — Quatre thalers !
c'est en effet beaucoup d'argent, et j'aurai de la peine à en retirer
moi-même cette somme. — Ce n'est pas pour moi, c'est pour mon
pauvre vieux père malade. — Si c'est pour lui, dit le brave
homme, c'est différent, et voici les quatre thalers. » — Joyeuse et
émue, la jeune fille prit l'argent et vit sans sourciller ses belles
tresses tomber sous le tranchant des ciseaux.
3. — « J'ai connu des enfants courageux : je ne croyais pas
que, comme François Le Berder, de Saint-Brieuc, à qui l'Acadé-
mie décerne un prix de 5oo francs, un enfant de onze ans fût
capable, à lui tout seul, avec son modeste salaire d'ouvrier rha-
billeur de meules, d'aider sa mère à en élever six autres, et à en
faire d'honnêtes filles et de laborieux ouvriers. — Je savais, d'une
manière théorique et abstraite, qu'une des vertus de notre race est,
non seulement de vivre et de se contenter à moins de frais que
d'autres, mais encore d'exceller à faire beaucoup de choses avec
peu d'argent ; je ne savais pas que, comme Elisabeth Faugas,
de Bayonne, à qui l'Académie décerne un prix de 5oo francs, une
ouvrière giletière, avec un salaire de 24 à 32 francs par mois, pût
soutenir la vieillesse d'un père plus que septuagénaire, entourer
de soins coûteux une mère et une tante malades, élever, entrete-
nir, instruire, placer et marier un frère et une sœur. — Fille d'un
pauvre cultivateur infirme et d'une mère continuellement malade,
Marie-Léonie Balthazard, des Roches de Condrieu (Isère), après
les avoir aidés de toutes ses forces à cultiver les maigres terres
qu'ils possédaient, voyant qu'elle ne pourrait jamais les soulager
par ce moyen, résolut de se faire institutrice. Elle y parvint toute
seule, entre deux binages, à force de persévérance ; et depuis lors
son traitement n'est employé qu'au soulagement de ses parents et
à l'éducation d'un jeune frère et de deux sœurs. » (Brunetière,
Rapport sur les Prix de Vertu, en 1899).
Bons enfants récompensés.
1* — Le roi de Suède Gustave III, traversant un village à cheval,
aperçut une jeune paysanne qui puisait de l'eau à la fontaine.
Gustave s'approcha d'elle et lui demanda à boire : elle lui en pré-
senta avec les grâces touchantes et naïves qu'elle tenait de la seule
l8o LES GRANDS DEVOIRS DtJ SÀLÙT. — VII. INSTRUCTION.
nature. « Belle enfant, lui dit le prince, si vous vouliez me suivre
à Stockholm, je pourrais vous y procurer un sort agréable. —
Monsieur, lui répondit la paysanne, quand bien même j'aurais
autant de désir de faire fortune que de confiance en vos promes-
ses, il ne me serait pas possible d'accepter votre proposition. Ma
mère, qui est pauvre et malade, n'a que moi pour la soulager, et
rien au monde ne pourrait m'empêcher de remplir ce devoir. —
Où est votre mère ? — Là-bas, dans cette chétive cabane. » Le roi
y entre avec elle et voit sur un grabat, que couvrait un peu de
paille, une femme accablée d'infirmités. Ému de ce spectacle, le
prince lui dit : « Ah ! pauvre mère, je vous plains ! — Hélas !
Monsieur, répond la mère, je serais bien plus à plaindre sans cette
fille tendre et généreuse, qui par son travail et par ses soins cher-
che à prolonger mes jours. Que Dieu la bénisse et la récompense ! »
ajouta-t-elle en répandant des larmes. Gustave ne fut peut-être
jamais plus sensible au bonheur d'être élevé au rang suprême,
que dans ce moment où son cœur attendri passait successivement
de l'admiration à la pitié. « Continuez, dit-il, en remettant une
bourse à la jeune villageoise, d'avoir soin de votre mère ; je vous
procurerai bientôt de quoi le faire encore mieux. Adieu, aimable
fille, je suis votre roi. » — De retour à Stockholm, ce monarque
assura à la mère une pension viagère, réversible à sa fille dévouée.
2. — Une veuve pauvre et infirme, lisons-nous, dans l'histoire
du Japon, avait trois fils qui travaillaient jour et nuit pour sub-
venir à sa subsistance ; mais tous leurs efforts étaient insuffisants,
et ils avaient la douleur de ne pouvoir procurer à leur mère les
secours que réclamait son état. Dans cette triste situation, leur
amour filial leur inspira une résolution étrange. Un édit impérial
venait d'être publié contre une bande de voleurs qui infestait le
pays, et une grosse somme d'argent était promise à celui qui
pourrait saisir quelqu'un de ces bandits, et le remettre entre les
mains de la justice. Les trois frères y virent une ressource : ils
convinrent ensemble de livrer comme voleur l'un d'entre eux que
le sort désignerait, pour obtenir la somme promise. Le sort étant
tombé sur le plus jeune, les deux autres le livrèrent, le menèrent
au juge et touchèrent la somme fixée comme récompense. — Le
prétendu voleur fut mis en prison. Ceuxrqui l'avaient livré, avant
de partir, trouvèrent moyen de le voir et l'embrassèrent tendre-
ment en versant beaucoup de larmes. Le juge, informé de cet
incident, et ne pouvant s'expliquer ces témoignages d'amitié de la
part de gens qui devaient se haïr, entrevit un mystère qu'il
résolut d'éclaicir. Ayant appelé un officier fidèle, il lui ordonna de
DEVOIR POUR LES ENFANTS D'lIONORER LEURS PARENTS. l8l
suivre secrètement ces deux jeunes gens, pour connaître où ils
iraient et ce qu'ils feraient de leur argent. — Ils retournèrent
donc auprès de leur mère et lui dirent, en lui remettant la somme,
que désormais il ne lui manquerait plus rien. La bonne femme,
('tonnée, leur demande d'où vient cet argent ? d'où ils viennent
eux-mêmes? ce qu'ils ont fait ? où est resté leur jeune frère ?... Il
fallait bien révéler le secret, et apprendre à la pauvre mère
que son enfant était prisonnier. Aussitôt elle se mit à pleu-
rer, à pousser des cris lamentables, disant qu'elle mourrait de
faim plutôt que de vivre aux dépens de la liberté, peut-être de la
vie de son fils. « Allez, leur dit-elle, reporter l'argent que vous
avez reçu, et ramenez votre frère s'il es^ encore en vie... » L'offi-
cier qui les avait suivis, et qui avait écouté à la porte, se hâta de
tout rapporter à son maître. Celui-ci fait venir le jeune homme,
l'interroge, le menace et l'oblige de lui dire ce qui s'était passé ; et
quand il eut constaté la vérité du fait, il crut devoir en faire
rapport à l'empereur. Le prince fut si touché de cette action héroï-
que, qu'il voulut voir les trois frères. Lorsqu'ils furent en sa pré-
sence, il les loua de leur piété filiale, et assigna au plus jeune, qui
s'était offert à la mort, quinze cents écus de rente, et cinq cents à
chacun des deux autres frères.
Mauvais enfants châtiés.
i . — Le père le plus criminel et le plus malheureux peut-être
qu'il y eût sur la terre avait un fds aussi méchant que lui. Plongés
l'un et l'autre dans tous les crimes, ils se précipitaient dans tous
les malheurs qui en sont la suite ordinaire. Le fils, désobéissant,
indocile, était colère, violent, emporté jusqu'à devenir furieux
lorsqu'il rencontrait la moindre contradiction. Un jour que son
père, déjà avancé en âge, voulut le reprendre et lui reprocher sa
conduite, ce fils malheureux, dans un accès de fureur, se jette sur
l'auteur de ses jours, le renverse par terre, et, le prenant par les
cheveux, le traîne le long des degrés pour le mettre hors de la
maison. Quand il fut arrivé à un certain point, le père, élevant la
voix : a Arrête, malheureux, lui dit-il, arrête, je n'ai pas traîné
mon père plus loin, quand j'étais à ton âge. » — Ce père coupable
reconnut à ce moment la justice et la vengeance de Dieu, qui per-
mettait que son fils lui fît le même traitement que lui-même avait
fait autrefois à son père. Quelle leçon pour les jeunes gens !
2. — On raconte encore qu'un homme, vivant dans l'aisance et
n'ayant qu'un fils unique, eut la barbarie d'envoyer son vieux père
à l'hôpital. Quelques jours après, avant appris que le vieillard
l82 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VII. INSTRUCTION.
souffrait beaucoup du froid, il lui envoya, par un reste de pitié,
deux mauvaises couvertures, et chargea son jeune fils de la com-
mission. L'enfant n'en porta qu'une et garda l'autre. Le père s'en
étant aperçu, lui demanda pourquoi il n'avait pas remis les deux
couvertures : « Papa, j'en ai réservé une pour vous, quand vous
serez vieux, et que je vous enverrai aussi à l'hôpital. »
HUITIEME INSTRUCTION
(Vendredi de la Deuxième Semaine).
C'est un devoir pour les Supérieurs
d'avoir soin de leurs Inférieurs.
I. Certitude de ce devoir. — II. Manière de s'en acquitter. — III. Cul-
pabilité de ceux qui le violent.
Après nos devoirs envers Dieu, qui sont nos premiers
devoirs et les plus sacrés de tous, et après les devoirs res-
pectifs des parents envers leurs enfants et des enfants envers
leurs parents, viennent les devoirs également respectifs des
supérieurs envers leurs inférieurs et des inférieurs envers
leurs supérieurs. Dans les relations humaines, ceux qui
nous sont le plus proches, après nos enfants et nos parents,
sont en effet, soit nos inférieurs, soit nos supérieurs.
Certains esprits peu attentifs, et d'ailleurs aveuglés par
la passion, prétendent que, tous les hommes étant égaux
par leur nature, il ne devrait y avoir ni supérieurs ni infé-
rieurs. Ce raisonnement n'est concluant qu'en apparence.
Certes oui, tous les hommes sont égaux, non seulement par
leur nature, en ce qu'ils sont formés d'un corps et d'une
âme, mais encore par leur origine, en ce qu'ils ont tous
Dieu pour père, et par leur destinée, en ce qu'ils ont tous
été laits pour le ciel. Mais là s'arrête leur égalité entre eux.
En effet, autant ils sont égaux, répétons-le, par leur nature,
par leur origine et leur destinée, autant ils sont inégaux et
dissemhlables par la force et la santé de leur corps, ainsi
que par la lucidité et la pénétration de leur esprit, et par la
droiture et l'énergie de leur volonté. La certitude de leur
inégalitéest encore bien plus frappante (pie la certitude de
leur égalité, \ussi ne trouvera-t-on personne pour soutenir
que tous les hommes sont aussi forts les uns que les autres,
"i-i intelligents les uns cjue les autres, aussi courageux les
l84 LES GRAINDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
uns que les autres. Or, c'est surtout de cette inégalité des
aptitudes des hommes, que sont nées et que s'entretiennent
leurs inégalités sociales. Car tout homme qui est plus fort,
ou plus intelligent, ou plus courageux qu'un autre homme,
exerce inévitablement sur cet autre homme une influence
qui lui donne de la supériorité sur lui ; tandis que non
moins inévitablement elle établit ce dernier dans un état
d'infériorité à l'égard de celui qui est mieux doué. C'est là
un fait qu'on ne peut pas contester.
Eh bien, cette inégalité des aptitudes dont les hommes
sont doués, et qui est la cause de leurs inégalités sociales,
cette inégalité, disons-le, n'est pas l'ouvrage du hasard, qui
n'est rien, mais bien de Dieu lui-même (i), dont la conduite
d'ailleurs est identique dans toutes les parties de la créa-
tion. Partout en effet nous voyons resplendir la variété et
i . Les philosophes, les moralistes anciens, et même quelques savants
en économie politique de notre temps se demandent si le pouvoir de
commander et l'obligation d'obéir sont des choses naturelles aux hom-
mes, en sorte que les uns soient supérieurs et les autres sujets, sans que
ceux qui commandent aient d'autres titres que les avantages qu'ils ont
de la nature ; et ils répondent tous que non, et soutiennent que cette
distinction est une différence de la fortune et non de la nature ; celle-ci
peut bien les rendre capables de commander, mais non leur en confé-
rer le droit, parce que ce droit doit être fondé sur quelque autre titre,
comme serait par exemple le consentement et la libre élection des peu-
ples, ou bien encore la possession légitime des ancêtres. Saint Thomas
enseigne que la servitude, qui est du droit des peuples, n'est point na-
turelle dans un sens absolu, et que si les hommes eussent persévéré dans
Pétat d'innocence; ils n'eussent point eu d'autre domaine parmi eux
que le domaine des pères sur leurs enfants. Ce saint docteur ajoute que
la servitude introduite par les peuples peut être appelée naturelle, à
cause du profit et de l'utilité qu'elle apporte, et du bon ordre qu'elle
établit parmi les hommes. C'est la divine Providence qui s'est chargée
de la conduite du genre humain et qui gouverne si sagement le monde,
qui a introduit cette différence parmi les hommes ; et comme c'est
Dieu qui fait le pauvre et le riche, c'est aussi lui qui fait le maître et le
serviteur. — Pour savoir d'où vient le pouvoir du maître sur son servi-
teur, et du père de famille sur ses domestiques, nous n'avons pas be-
soin d'autres lumières que celles des paroles de l'apôtre saint Paul, qui
dit formellement que toute puissance, toute autorité, tout pouvoir légi-
time de commander vient de Dieu, et que c'est la divine sagesse qui a
fait cette différence et mis cette distinction entre celui qui commande
et celui qui obéit, la jugeant nécessaire pour le bon ordre du monde.
Cf. S. Thom. Sam. th. 2. 2. q. 57. a. 3 (Houdry, Biblioth. des Prédlc, art.
Maîtres et serviteurs, S 5).
DEVOIR DES SUPÉRIEURS ENVERS LEURS INFERIEURS. 1 85
ta subordination dans l'unité. Los anges, par exemple, ne
sont ils pas Ions semblables par leur nature spirituelle ? Ce-
pendant la sainte Ecriture nous apprend qu'ils forment
trois hiérarchies, que chaque hiérarchie forme à son tour
trois chœurs, el que toutes ces créatures célestes sont subor-
données les unes aux autres, celles des ordres supérieurs
agissant sur celles des ordres inférieurs pour Faccômplisse-
nienl des divers ministères dont elles sont chargées. Le mê-
me spectacle nous est offert par la création visible. Tous
les corps qui s'y trouvent ne sont-ils pas également égaux
par leur nature, qui est matérielle ? Et pourtant nous sa-
vons par nous-mêmes et mieux encore par les observations
et les découvertes des savants, que tous ces corps, petits ou
grands, sont pareillement subordonnés entre eux, c'est-à-dire
que les uns exercent sur les autres une action, et que ces
autres la subissent. La terre, dans sa course autour du soleil,
entraine la lune qui la suit, et la feuille tremble sous le
souffle de la brise qui passe.
Pourquoi donc Dieu aurait-il dérogé, pour les hommes, à
cette loi générale de subordination, qui met dans toute la
création tant d'harmonie et de charme ? Pourquoi les aurait-
il établis dans un état d'indépendance réciproque, où il n'y
aurait eu ni supérieurs ni inférieurs, où personne, par con-
séquent, n'aurait eu le droit de commander, et personne le
devoir d'obéir ? Dieu a d'autant moins dû agir de la sorte
que, s'il l'eût fait, toute société devenait impossible. Toute
société ne repose-t-elle pas, en effet, sur une organisation ?
Et qu'est-ce autre chose qu'une organisation, sinon l'attri-
bution, à chacun, de fonctions différentes destinées à pro-
curer le bien commun de tous ? A l'un donc de comman-
der et de diriger, et à l'autre d'obéir et d'exécuter ;
comme, dans le corps humain, aux yeux de voir et de
conduire, aux mains de travailler, à la bouche de man-
ger, à l'estomac de digérer, aux pieds de transporter
tout le corps où il a besoin daller. Encore une fois, c'est
donc Dieu lui-même qui, en douant les hommes de quali-
tés et d'aptitudes diverses, est l'auteur des diverses situa-
tions qu'ils occupent, pour le plus grand bien de chacun et
de tous, Mais ce bien ne sera complètement atteint, hâtons-
l86 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
nous de le dire, que si chacun s'acquitte parfaitement des
devoirs également attachés par Dieu à chaque situation,
c'est-à-dire, d'une manière générale, à la situation de ceux
qu'on est convenu d'appeler les supérieurs, et à la situation
de ceux qu'on est aussi convenu d'appeler les inférieurs.
Quels sont ces devoirs ? Leur importance est telle que pour
les faire connaître d'une manière suffisante, il est à propos
d'en parler séparément. C'est pourquoi nous allons nous
entretenir seulement, ce soir, du devoir des supérieurs,
c'est-à-dire des maîtres, des patrons, des instituteurs, des
chefs d'industrie et d'administration, de tous ceux en un
mot qui jouissent de quelque autorité sur les autres. Or le
devoir des supérieurs, envisagé d'une manière générale,
consiste à avoir soin de leurs inférieurs. Nous allons d'abord
démontrer la certitude de ce devoir ; nous expliquerons en-
suite la manière de s'en acquitter ; et enfin ferons compren-
dre la culpabilité de ceux qui le violent (i). — ■ Seigneur,
i . Les maîtres doivent s'acquitter de trois offices, ou de trois devoirs
envers leurs serviteurs : i° De l'office de pères, c'est le titre que l'Écri-
ture semble leur donner, en confondant le nom de serviteur avec celui
de fils ; car c'est ainsi que parle le centurion de l'Évangile : Puer meus
jacet in lecto. D'où il s'ensuit qu'ils doivent les aimer, pourvoir à leur
nourriture et à leur établissement, etc. — 2° Ils sont leurs maîtres,
c'est-à-dire leurs précepteurs, et en cette qualité ils doivent prendre
soin de les instruire, ou donner ordre qu'ils soient instruits des choses
nécessaires à leur salut ; leur donner l'exemple, les reprendre et les
corriger, etc. De là vient que les saints Pères, et entre autres saint Am-
broise, les appellent les pasteurs de leurs domestiques, et comme les
évêques dans leur maison. — 3° Ils sont leurs tuteurs, ils doivent les
défendre, embrasser et ménager leurs intérêts, leur payer exactement
leurs gages, faire profiter leur bien, etc. (Faber, ap. Houdry, Bibl. des
Préd. art. Maistres et serviteurs, $ i, n. 5).
On peut faire voir que les différents devoirs dont les maîtres sont
chargés envers leurs serviteurs, ont du rapport à ceux qu'ils exigent
d'eux. i° Ils demandent, et doivent souhaiter qu'ils soient gens de bien,
afin qu'ils soient plus fidèles à leur service; ils doivent donc leur don-
ner l'exemple de vertu et de religion. — 2° Us demandent des serviteurs
doux et dociles, et n'en peuvent souffrir qui soient colères et emportés .
Les maîtres doivent donc eux-mêmes être affables, les traiter humaine-
ment, et non point avec fierté, et d'une manière trop impérieuse. —
3° Ils demandent qu'ils soient fidèles ; mais pour les rendre tels, leurs
maîtres leur doivent témoigner de la confiance et de l'affection, et leur
faire entendre qu'ils ont à cœur leurs intérêts (Anon. ibid. n. 6).
Quelque avantage de naissance ou de fortune qu'aient les maîtres sur
leurs serviteurs» Ua doivent être persuadés qu'ils no peuvent être bons
DEVOIR DES SUPERIEURS ENVERS LEURS INFERIEURS. 187
qui rtcs vous-mêmes le premier et le plus parfait de tous les
supérieurs, daignez éclairer sur leur devoir tous ceux qui
sont revêtus de quelque parcelle de votre autorité, afin qu'ils
n'en usent que pour votre plus grande gloire, pour le salut
des âmes et le bien de la société.
1 . — Certitude du devoir qui incombe aux supérieurs
d'avoir soin de leurs inférieurs. — Dans les sociétés païen-
nes, où le démon régnait en maître, et où il avait arraché, du
cœur des hommes, les meilleurs sentiments qu'y met la nature
toute seule, les maîtres ne se croyaient absolument tenus à
rien envers leurs inférieurs : ils s'en servaient comme d'une
chose quelconque, tant qu'ils y trouvaient leur intérêt ou
leur plaisir, et s'en défaisaient ensuite d'une manière ou
d'une autre, comme on fait d'un outil qu'on jette ou d'un
animal qu'on vend. En brillant sur le monde, l'Évangile
avait ensuite changé de fond en comble cette manière d'agir.
Mais au fur et à mesure qu'on se conduit moins d'après ses
maximes et son esprit, les idées et les mœurs païennes re-
paraissent de plus en plus parmi nous. Dès maintenant, que
de maîtres qui, après avoir toutefois payé leurs serviteurs ou
maîtres, s'ils ne sont auparavant de bons serviteurs de Dieu, et par con-
séquent : i° 11 faut qu'ils agissent avec Dieu, comme ils veulent que
leurs serviteurs agissent à 1 eur égard ; qu'ils soient prompts et fidèles à
exécuter ses ordres, soumis à ses volontés, qu'ils le craignent, qu'ils
l'honorent, qu'ils soient entièrement dévoués à son service. — 20 II faut
qu'ils fassent pour leurs serviteurs ce qu'ils souhaitent que Dieu fasse
pour eux-mêmes : qu'il ait soin de leurs affaires, qu'il les protège, etc.
(Anon. ibid. n. 7).
Comme les maîtres et les pères de famille sont, dans leur maison,
comme les dieux de leurs serviteurs (ils en sont les représentants et les
ministres), ils doivent aussi imiter Dieu, dans le gouvernement que ce
souverain Maître exerce sur les hommes : i° Ils doivent avoir la
prévoyance pour veiller sur tous les besoins, tant spirituels que tempo-
rels, de leurs serviteurs, comme la providence de Dieu s'étend sur tous
les hommes. — 20 Ils doivent avoir de la justice, pour récompenser le
bien et punir le mal, pour reprendre et corriger les défauts de ceux que
Dieu a soumis à leur conduite. — 3° Ils doivent avoir de la sainteté et
de la vertu pour les animer, et les instruire par leurs exemples (Id.
ibid. n. 9).
Heri tenentur servis pncluccrc bono cxemplo ; eos corrigerc ; illorum
salutis curam habere ; congruenter eos nutrire ; impedire ne sint otiosi;
in morbis illis succurrere ; promissam mercedem iideliter persolvere;
eosçjemquc cUligere sicut seipsos (Tihan. Missionar, conc. ty),
l88 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
leurs employés, se croient absolument quittes de toute obli-
gation envers eux ? Et s'il en est qui s'occupent davantage
de leurs inférieurs ou de leurs subordonnés, la plupart se
persuadent que rien ne les y oblige, et qu'en agissant ainsi
ils font plus que leur devoir ; que par conséquent ils peu-
vent, s'il leur plaît, se borner aussi au simple paiement du
salaire.
Rien de plus faux que ces sentiments, rien de plus con-
traire à la solidarité humaine et à la vraie justice, et surtout
aux enseignements de la religion. Non, il n'est pas vrai, il
n'est pasjuste, que le maître ne doive à son serviteur que le
seul salaire convenu. Le salaire convenu paie, si l'on veut,
le travail convenu. Mais le maître ne croit-il pas avoir le
droit de compter, non seulement sur le travail, mais encore
sur le dévouement de son serviteur ? Or, si le mitre prétend
n'être tenu qu'à payer le travail, le dévouement du serviteur
devra-t-il donc être gratuit? Sera-ce là de l'équité ? Remar-
quons en outre que le dévouement est toujours plus méri-
toire que le travail rétribué. Ainsi le maître paiera ce qui
vaut moins, et il ne sera tenu à rien pour ce qui vaut plus ?
Il paiera la journée de son ouvrier, et il ne sera tenu à rien
envers cet ouvrier, qui aura doublé son activité et sa peine,
afin de mettre son maître à même, ou d'éviter une perte, ou
de réaliser un plus fort bénéfice? Il ne sera tenu à rien envers
ce serviteur qui sacrifiera son repos et ses nuits pour le
veiller dans ses maladies ? ou bien qui se sera jeté à l'eau,
exposant sa vie, pour lui sauver la sienne ? Non, encore une
fois, elle n'est ni humaine ni juste, cette théorie étroite et
égoïste, qui délie le maître, le supérieur, de toute obligation
envers l'inférieur, sauf celle de payer le salaire convenu.
Non, il n'est ni humain ni juste qu'un maître dise à son
serviteur : Je vous paie vos gages, je ne vous dois que cela.
Nous ne nous bornons pas à abriter et à nourrir l'animal
qui nous rend service ; nous veillons sur sa santé et sur son
bien-être, et nous allons même jusqu'à le caresser de la
main et de la voix pour lui donner une marque de notre
satisfaction et de notre attachement ; enfin nous avons en-
core soin de lui lorsqu'il est devenu vieux et ne peut plus
guère nous être utile. Et le maître pourra traiter son servi-
DEVOIR DES SUPERIEURS ENVERS LEURS INFERIEURS. 189
leur, son serviteur fidèle et dévoué, avec moins de consi-
dération que son cheval ou son chien P. Est-il besoin de le
dire ? Le sentiment naturel et la raison protestent égale-
ment, et font au contraire un devoir à tout supérieur de
traiter son inférieur et son subordonné avec les égards et
les soins qu'il voudrait qu'on eût pour lui-même, si au lieu
d'être au-dessus des autres il était au-dessous d'eux (i).
Même à ne considérer que leur intérêt, les supérieurs ont
le devoir de prendre soin de leurs inférieurs. N'est-il pas
vrai que les supérieurs sont tenus, comme tout le monde,
de prendre les meilleurs moyens possibles pour faire face
aux obligations qui leur incombent ? Par exemple, n'est-il
pas vrai qu'un père est tenu de pourvoir, du mieux qu'il
peut, à la prospérité de ses affaires, pour procurer à ses
enfants un établissement en rapport avec sa position ? Eh
bien, quel meilleur moyen, pour faire prospérer ses affaires,
que d'avoir soin de ses serviteurs et de ses employés ? En
effet, quelqu'un qui possède un peu d'expérience sait que,
moins un supérieur prend soin de ses inférieurs, moins
ceux-ci mettent de dévouement à le servir ; tandis que,
plus un supérieur s'occupe de bien traiter ses inférieurs,
plus ceux-ci ont à cœur de prendre en tout et partout ses
1. Principcm magis oportet timere, ne quid mali faciat, quam ne
quid mali patiatur, nain hoc nascitur ex illo, atque hic est principis
metus humanus, et generosus, ut his quibus imperat metuat, ne quid
in suo laedantur, non aliter at que generosi gregis canes nocturnam et
laboriosam agentes ovium custodiam, simul atque trucem senserint fe-
ram, timentnon sibi, sed his qmc custodiunt ; ita qui vere sunt régen-
tes timent hos, in quos habent imperkim (Plutarcii. lib. de doctrina
principum).
Praeclare ait Plato, hominem non sibi soli, sed aliis natum esse ; par-
tent enim sui débet patrite, partem parentibus, partem amicis et subdi-
tis. Emolumentum publicum pneferre débet privato, suaque cura ac
laborc utilitatem communern promovere. De hoc etîato Platonis ait Ci-
cero, lib. 1. de Offic: « Praeclare dictum. » Sicut divitise absconditae,
ita potestas non usurpata inutilis est(GLAus, Spicileg. univ. lib. 5, n. 399).
Saint Paul fait entendre que la puissance est accordée par Dieu pour
s'occuper du bien général et pour sauvegarder les droits de chacun,
quand il dit, Rom. xiu, 8 : Par rapport à vous, elle est le ministre de
Dieu pour le bien. Dieu se sert des supérieurs pour procurer aux hom-
mes les biens qu'il leur destine (Grosse, Cours de Reliy. 2. p. 2. d. ch.
5. S 6). — De là, devoirs des supérieurs à l'égard des inférieurs, puisque
c'est pour le bien des inférieurs que Dieu les a faits supérieurs.
I90 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
intérêts. Par conséquent, il est donc de l'avantage des maî-
tres et des supérieurs d'avoir de justes soins pour leurs ser-
viteurs et leurs subordonnés (1).
Mais c'est la foi surtout qui fait aux maîtres et aux supé-
rieurs un devoir de prendre soin de ceux qui les servent ou
qui sont sous leurs ordres. Nous sommes chrétiens : que
nous dit à ce sujet notre foi ? Elle nous apprend que tous
les hommes viennent d'un même père, et que par consé-
quent ils sont tous frères. Or, si tous les hommes sont frè-
res entre eux, les supérieurs sont donc les frères de leurs
inférieurs, ceux-ci les frères de leurs supérieurs. Mais s'il en
est ainsi, n'y a-t-il pas obligation, pour les supérieurs, de
1. Le danger le plus commun et l'effet le plus pernicieux de la con-
dition des maîtres est de les enorgueillir, de les enfler et de leur faire
prendre ce sentiment et cet ascendant impérieux qui rendent quelque-
fois la grandeur humaine si odieuse aux hommes et si criminelle devant
Dieu. Or, un des remèdes les plus efficaces et un contre-poids bien
puissant pour réprimer cet orgueil et pour rabaisser cette enflure du
cœur, c'est cette loi que Dieu a faite pour les maîtres à l'égard de ceux
qu'ils ont sous leur dépendance. Et en effet, supposé cet ordre, quel
sentiment peut avoir un maître, que des sentiments de modestie
et d'humilité? Car, pourquoi me glorificrais-je, peut-il se dire lui-même,
d'avoir sur cet homme quelque pouvoir, puisque c'est ce pouvoir même
qui m'assujettit à de bien pénibles obligations ? Ce domestique m'est
redevable de son travail, mais je lui suis redevable de mon zèle ; il me
doit une espèce de service, et moi je lui en dois une autre ; il est chargé
de certains emplois dans ma maison, et moi je suis responsable de ses
actions ; il est mon serviteur pour ce qui regarde le corps, et je suis le
sien pour ce qui concerne Fàme. Ainsi la servitude est mutuelle, et la
dépendance réciproque entre lui et moi ; et bien loin que j'aie droit de
m'élcvcr au-dessus de lui et de le mépriser, j'ai tout lieu de me confon-
dre et de trembler en considérant que ma dépendance est incompara-
blement plus onéreuse que la sienne, et qu'en qualité de maître je lui
dois beaucoup plus qu'il ne me doit en qualité de serviteur. — C'est la
belle remarque de saint Augustin, lorsqu'il fait consister le secret de la
Providence et le bonheur d'une famille réglée selon les lois de la sagesse
de Dieu, en ce que ceux qui commandent sont obligés de pourvoir à ceux
qui exécutent leurs ordres : Imperant qui consulunt, et obediunt iis quibus
consulitur. Tellement, dit ce saint docteur, que dans la maison d'un
juste qui vit dans l'esprit de la foi, commander, c'est obéir ; et que ceux
qui tiennent le rang de maîtres servent par nécessité et par devoir
ceux-là même qui les servent mercenairement et par intérêt ; car
ils ne commandent pas, ajoute ce Père, par un désir de dominer,
mais dans une vue sincère de faire du bien ; et le nom de maîtres qu'ils
portent ne produit pas en eux l'orgueil d'une autorité fastueuse, mais
le zèle d'une charité chrétienne et affectueuse (Bourdaloue, Serin, pour
le 2. dim. apr. Pâq.).
DEVOIR DÉS SI PERIEUR3 ENVERS LEURS INFERIEURS. I Q l
traiter leurs inférieurs en livres, c'est-à-dire avec affection
el sollicitude? Que nous apprend encore notre foi? Elle
nous apprend encore que nous avons tous dans le ciel un
Maître commun, devant qui nous ne sommes pas plus les
uns que les autres ; que c'est lui qui a fait, de ceux-ci, des
supérieurs, et, de ceux-là, des inférieurs, avec l'obligation,
pour Ions, de s'entr'aimer et de s'entr'aider, et pour les supé-
rieurs en particulier, d'avoir soin de ceux qui sont sous leur
dépendance, faute de quoi, dit l'apôtre saint Paul, ils sont
des renégats de leur foi, et pires que des infidèles (i). Pesons
attentivement toutes ces maximes. Si les inférieurs sont
aussi bien l'ouvrage des mains de Dieu que les supérieurs,
ceux-ci doivent donc avoir pour leurs inférieurs les mêmes
soins et les mêmes sollicitudes qu'ils ont pour eux-mêmes ;
car si les hommes méritent des soins, c'est assurément sur-
tout parce qu'ils sont les créatures de Dieu. De même, si
c'est Dieu qui a donné, aux supérieurs, des inférieurs pour
les servir, quel soin les supérieurs ne doivent-ils pas pren-
dre des inférieurs, par égard pour Celui qui les leur adon-
nés ! Y est-il pas vrai que nous aurons un soin spécial du
serviteur qui nous aura été procuré par un ami ? Quel soin
les supérieurs ne doivent-ils donc pas avoir de leurs infé-
rieurs, en considération de Celui qui les leur a tous donnés
et qui est, nous le répétons, Dieu lui-même ! Quelle obliga-
tion n'ont-ils pas d'en prendre soin, s'ils considèrent que
leurs inférieurs et subordonnés valent comme eux-mêmes le
sang d'un Dieu, que >otre-Seigneur n'a pas hésité à mourir
aussi pour eux, qu'il a même voulu, durant sa vie mor-
telle, servir comme eux, que peut-être ils sont plus agréa-
bles à Dieu que leurs maîtres, et entreront avant eux dans
le ciel, où ils occuperont à leur tour une place plus éle-
vée ! (2). Que de motifs, et quels motifs! pour des supérieurs,
1. Sap. vi, 4 : Gai. vi, 2 ; Ephes. vi, 9 ; I. Tim. y, 8 ; Ilcbr. xm, 17.
2. Formam servi accipiens. Philipp. 11, eamdcm eu in illis (servis) ratio-
nei.i Vivendi tenuit, et erat subditus illis, Luc. n, palajm professus est se
descendisse e cœlo ut esset omnium, non Dominus, sed servus. Ego,
inquit, Luc. 11, in medio vestrum sum, sicut qui minUtrat. Et, Malth. xx,
Filius hominis non venit ministrari, sed ministrare, et se esse servum etiam
aune in cœlo sibi non indecorum, sed prœclarum cl honorificum ducit,
JQ2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
de prendre soin de leurs inférieurs ! Que tous ceux à qui
Dieu a donné quelque autorité, grande ou petite, sur leurs
semblables, demeurent donc bien pénétrés de cette vérité,
que cette autorité avant tout leur impose, tout à la fois au
nom de l'humanité, de la raison et de la religion, le devoir
d'avoir soin de leurs subordonnés(i). — Disons maintenant
quelle est la
IL — Manière de s'acquitter de ce devoir. — Pour
s'acquitter de ce devoir, les maîtres et les supérieurs doi-
vent avoir égard à deux choses : aux intérêts matériels de
leurs inférieurs et subordonnés, et à leurs intérêts spirituels.
et transiens ministrabit Mis, Luc. xn, et intcrea vos pro superbia servos
et ancillas non solum contemptui, sed etiam ut plurimum odio babetis,
quosut fratres et amicos Christi amare debetis, et ea etiam ratione, quod
plura habeant sua? praedcstinationis signa ad gloriam acternam, quam
vos, et hoc ex Evangelio eviden-s est, Matth. v : Beati pauperes. « Pre-
tium cœlestis regni, ait D. August., est paupertas. » Beaii qui lugent.
Beati mites. Et juxta scntentiam Dei in omnes hominés latam, in sudore
vultus sui vescuntur pane suo, et multi beati sunt, quia ab heris inhuma-
nis assiduam persecutionem paliuntur . Et idco, si taies sint, quales eos
esse decet, illac ancillae, et illi famuli, quos nunc contemptui habetis, et
quos pessime tractatis, in cœlo ad multo ampliorem gloriam evehen-
tur, quam vos, lucebuntque in perpétuas a3ternitates sicut stelhe primas
magnitudinis, et fortasse domini et herse, non aliter in cœlo lucebunt
et apparebunt, quam stellae illae minimge, quae sine conspicillio nec
detegi, nec videri possunt (Tiran. loc. cit.).
i. Saint Augustin, De liv. Dei, xix. i5, a très bien remarqué qu'en la
Genèse, avant le péché, Dieu donne seulement à l'homme l'empire sur
les poissons de la mer, sur les oiseaux de l'air et sur les bêtes de la terre,
mais non sur d'autres hommes : Hominem rationalem factam ad imagi-
nem suam, notait nisi irrationalibus dominai- i, non hominem homini, sed
hominem pecori. Et de là vient, comme le même saint ajoute, qu'au com-
mencement du monde les premiers justes étaient pasteurs des bêtes
brutes, non princes et souverains des hommes : Primi justi pastores
pecorum, magis quam reges hominum constituti sunt ; et qu'on ne trouve
en l'Écriture, ce mot d'esclave ni de serviteur, qu'après le péché de
Cham, lorsque le juste Noë, Gen. ix, 25, condamna sa postérité à la ser-
vitude, en la punition de ce qu'il s'était moqué de son père. Vu donc
que Jésus est venu ruiner les effets du péché et nous rétablir dans les
prérogatives et les droits de l'état d'innocence, son intention est que les
chrétiens, à proprement parler, n'aient point de serviteurs ; ou s'ils en
ont, qu'ils ne les traitent point fièrement, impérieusement et en escla-
ves ; mais civilement, courtoisement et en frères ; qu'il y ait entre eux
une mutuelle servitude, ou, pour mieux dire, service, assistance et office
réciproque de charité (P. Le Jeuise, Le Missionn., serm. 54).
DEVOIR DES si PARIEURS ENVERS LEURS INFÉRÎEI HS. [g3
Vu\ intérêts matériels, disons nous d'abord. Cette partie
du devoir des maîtres ei supérieurs est celle <|uc l'on croit
communémenl Le mieux accomplir. Et cependant, que de
Taules n'\ commet on pas ! \insi, ne lèsent ils pas les inté-
rêts matériels de Leurs inférieurs, ces maîtres qui, profitant
de ce qu'il > a beaucoup de inonde sans travail, ou sous
d'autres prétextes, abaissent les justes prix, et n'accordent
pas un salaire convenable à leurs domestiques ou employés ?
En ne payant pas à leur valeur les services qu'ils reçoi-
vent, n'est-ce pas une sorte de larcin dont ils se rendent
coupables envers ceux qui sont réduits à accepter leurs con-
ditions ? (i). Et ceux qui ne sont jamais prêts à payer leurs
ouvriers, qui les font attendre au-delà des termes convenus,
ont-ils souci de leurs intérêts, en les privant de ce qui leur
est dû. en ne leur permettant pas d'acheter ce qui leur est
nécessaire, ou bien en les réduisant à l'acheter à crédit, ce
qui est toujours onéreux ? (2). Il en est de même de ceux
qui ne donnent pas à leurs serviteurs une alimentation con-
venable par la quantité ou la qualité, ou bien qui exigent
d'eux des travaux excessifs, ou bien qui ne leur accordent
i. Profiter de la malheureuse situation d'un domestique qui n'avait
point de maître, pour le gager au plus bas prix possible, au-dessous
même du prix infime : péché mortel contre la justice, si le prix qu'on
donne est tellement inférieur au prix bas, qu'on fasse un tort grave au
domestique. Obligation de restituer. 11 faut raisonner ainsi par rapport
à un maître qui prendrait chez lui un domestique sans faire aucune
condition (celui-ci laissant à la volonté de son maître de fixer le gage),
cl qui ne lui donnerait ensuite qu'un salaire beaucoup inférieur au prix
infinie. Trois prix peuvent avoir lieu dans les gages des domestiques
comme dans les ventes : le prix haut, le prix moyeu et le prix bas ou
infime. Un domestique ne peut aller au-dessus du prix haut, el un
maître ne peui gager au-dessous du prix bas. Cependant, si un maître,
par charité, prenait un domestique dont il n'aurait pas besoin, et que
le domestique, s'offrant de lui-même, ne lui demandât (pie la nourri-
ture et l'entretien, le maître ne serait tenu arien autre (Examen rai-
sonné sur les commandements de D'un et de V Eglise, 2. p. c. £,' a. 6).
a. Retenir une partie notable du gage, qui forme une matière grave,
péché mortel : si la partie n'est que légère, péché véniel, obligation de
restituer. Différer de payer le salaire au temps convenu, contre le gré
des domestiques el sans cause juste, péché plus ou moins grave contre
la justice, selon que le délai est plus ou moins long el qu'il est plus ou
moins nuisible aux domestiques. Obligation de réparer le dommage
qu'ils éprouveraient (Exapi. raisonné, loc. cit.).
SOMME DU PREDICATEUR. — T. II. 13
lo/l LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
pas le repos nécessaire. Est-ce là avoir souci de leurs inté-
rêts matériels ? En les traitant ainsi, n'est-ce pas ruiner leur
santé, épuiser leurs forces, hâter leurs infirmités, abréger
leur vie ? (i). Les maîtres et supérieurs chrétiens doivent
donc, non seulement éviter ces abus, au fond criminels et
homicides, mais encore agir d'une manière absolument
opposée à l'égard de leurs subordonnés, c'est-à-dire qu'ils
doivent être, envers eux, justes, humains, charitables. Jus-
tes, en leur payant leur travail ce qu'il vaut, et en leur ver-
sant le prix dans le temps convenu. Humains, en les trai-
tant, non comme des animaux ou des machines, mais
comme des hommes, c'est-à dire avec cle justes ménage-
ments. Charitables enfin, en leur donnant, s'il est possible,
en plus de ce qui leur est strictement dû, ce dont ils ont
besoin et dont ils manquent ; en allant à leur aide dans
leurs embarras ; en les visitant et en les assistant dans leurs
maladies. C'est là ce que prescrit le Saint-Esprit : Ne soyez
pas, dit-il, comme un lion dans votre maison, dur pour vos
domestiques, et tyranpour ceux qui sont au-dessous de vous (2).
Mais rendez à vos serviteurs, maîtres, ce que la justice et
l' équité demandent de vous (3). C'est à cela que les plus grands
1. Refuser, par un esprit d'avarice, de donner aux domestiques des
aliments ou une nourrilure convenable à leur état et à leurs besoins :
péché mortel contre la justice, si les domestiques en souffrent notable-
ment ; péché véniel, s'ils n'en souffrent que légèrement. Les domesti-
ques ont un droit strict d'être nourris convenablement à leur condition,
quand ils servent fidèlement. S. Liguori. — Leur imposer des travaux
extraordinaires et immodérés, non convenus : Péché contre la justice,
plus ou moins grave, selon que les domestiques qui y sont raisonnable-
ment opposés, en souffrent plus ou moins. Obligation de les dédomma-
ger. — Négliger de les soigner dans leurs maladies et les renvoyer dès
qu'ils sont malades. Les maîtres pèchent plus ou moins contre la cha-
rité, s'ils n'ont pas soin de leurs domestiques malades, ou s'ils les ren-
voient de suite que la maladie est déclarée. Quelques théologiens croient
même qu'ils pécheraient contre la justice en les renvoyant, si la mala-
die ne devait durer que quelques jours, et que ce serait cruauté que de
diminuer leurs gages à raison de cette indisposition. Cependant, si la
maladie est longue et contagieuse, les maîtres ne sont point obligés de
les garder chez eux ; ou, s'ils les gardent, ils peuvent retenir sur leurs
gages les dépenses qu'ils font, soit pour leur nourriture, soit pour les
remèdes, à moins que les domestiques ne fussent vraiment pauvres.
Sic Molina, Àzor et Lcssius (Examen raisonné, loc. cit.).
2. Eccli. iv, 35.
3. Coloss. iv, 1.
DEVOIR DÈS SUPERIEURS ENVERS LEURS INFÉRIEURS. I <)5
docteurs de L'Église ont exhorté les fidèles : « Les maîtres,
dit en particulier saint Basile, doivent traiter leurs servi-
teurs avec douceur et dans la crainte de Dieu, imitant en
cela L'exemple de Jésus-Christ (i). » Enfin, c'est ainsi que,
de tout temps, les vrais bons maîtres ont agi avec leurs
inférieurs. L'Évangile nous en oflïe un mémorable exem-
ple dans la personne de ce centurion qui avait son valet
malade, et n'hésita pas à aller lui-même trouver Notre-Sei-
gneur pour lui demander sa guérison, qu'il obtint par la
grandeur de sa foi (2), et sans doute aussi de sa charité.
Que si les maîtres et les supérieurs, pour s'acquitter de
leurs devoirs envers leurs inférieurs et subordonnés, sont
tenus d'avoir souci de leurs intérêts matériels ; à plus forte
raison doivent-ils avoir souci de leurs intérêts spirituels,
dont l'importance est infiniment plus grande. En effet,
autant l'àme et l'éternité l'emportent sur le corps et sur le
temps, autant les intérêts spirituels l'emportent sur les inté-
rêts matériels. Que doivent donc faire les maîtres et les
supérieurs en faveur des intérêts spirituels de leurs servi-
teurs et de leurs subordonnés? — Ils doivent avant tout leur
donner constammentlebon exemple, dans l'accomplissement
de tous les devoirs. Ce seul bon exemple est un grand en-
couragement au bien pour les inférieurs et les subordonnés ;
1 . Régal. 75. — CumDominus apostolo Petro praelaturara committeret,
Joan. xxi, dilectionis in Christum pracmisit examen, dicens : Simon
Joannis, diligis me plus his ? ut pnelaturam sciliect in charitate et amorc
fundatam cognoscerct, et non tam cum imperio despotico, quam cum
amore fraterno pnelationis raunus ab eo exercendum esse censcret. Ideo
etiam sub nomme pastoris eum principem fecit, ut sicut pastor man-
suetudine et amore oves régit, sic et ipse subditos gubernarct ; denique
Simoncm filium Joannis, et non Petrum nominavit, ut in regimine pon-
tificatus, humilitatem generis sui recordatus, non superbe saperet, sed
humiliter et amanter se pontifice[ exhiberet (Labat. Loc. comm. art.
Super ior, prop. i5).
Au lieu de les aimer cl de les affectionner, les haïr, les injurier et les
maltraiter injustement : si la haine, le mauvais traitement ou Pinjurc
est grave et pleinement volontaire, péché mortel ; autrement, pèche
véniel... — Dans la colère, leur donner des surnoms odieux, ou leur
dire des choses injurieuses, capables de les offenser : si ces choses sont
capables de les offenser gravement, qu'on puisse le prévoir et qu'il y ait
pleine advertance, péché mortel ; autrement, péché véniel. Bonacina
(Examen raisonné, loc. cit.;.
2. Matth. vin, 5-i3.
I96 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VlII. INSTRUCTION.
car la considération qu'ils ont naturellement pour leurs
maîtres et leurs supérieurs, les dispose à les imiter et à
marcher sur leurs traces. De quelque part qu'il vienne, le
bon exemple exerce une salutaire influence sur ceux qui en
sont témoins ; mais cette influence est bien plus grande,
quand le bon exemple est donné par des maîtres et des su-
périeurs (1). Mais hélas ! au lieu de bons exemples, que de
maîtres qui n'en donnent que de mauvais, et qui ne font,
par conséquent, que scandaliser leurs inférieurs au lieu de
les édifier ! Ce sont de véritables séides du démon (2).
Les maîtres et les supérieurs doivent encore, à leurs ser-
viteurs et à leurs subordonnés, de bonnes leçons et de bons
conseils, en vue du bien de leur âme et de leur salut. Sou-
vent les personnes de condition inférieure n'ont reçu qu'une
instruction plus ou moins élémentaire et imparfaite ; elles
ignorent par conséquent beaucoup de choses qu'il pourrait
leur être très utile de connaître. Les maîtres et les supérieurs
qui le peuvent doivent donc, suivant les circonstances, les
éclairer et les conseiller, afin de les mettre à même d'éviter
le mal et de faire le bien. Ils doivent en outre et surtout
leur laisser le temps, soit de fréquenter le catéchisme, soit
d'aller entendre les instructions paroissiales, et même les y
envoyer. L'instruction religieuse étant nécessaire au salut,
i.'IIacc est enim conditio superiorum, ut quidquid faciant praecipere
videantur, eorum vitiis tota familia inficitur, et eorum virtutibus et
continentia emendatur, si sint pii eorum pietatem servi imitabuntur, si
sint casti et tempérantes, eorum subditi, illorum castitatem et tempe-
rantiam profitebuntur ; sic contra sint impii, vitiis dediti, erunt isti
impii et vitiosi ; nam mores, virtutes et vitia dominorum imitari, genus
obsequii existimatur ; despiciunt servi et subditi pietatem, ne expro-
brasse scelus dominis et superioribus videantur, si pie viverent, si vir-
tutem cotèrent et vitiis expertes essent. Unde qua obligatione domini et
herae tenentur servos et ancillas corrigere et curam eorum salutis ha-
bere, quatenus sunt Dei vicarii, ut dicemus, eadem tenentur illis
esse bono exemplo, eis enim, ut ad pie sancteque vivendum incitentur,
non tam imperio et verbis opus est, quam exemplo (Tiran. Missionar.
conc. /i<j).
2. Solliciter les domestiques au mal : péché de scandale plus ou moins
grave, selon que le mal auquel sont sollicités les domestiques l'est plus
ou moins. Les domestiques étant placés comme sous la tutelle de leurs
maîtres, le péché que commettent ceux-ci en les portant au mal est
plus grave que s'ils y sollicitaient des étrangers. Cette circonstance doit
être déclarée en confession. Thcol. pract. (Exam. rais. loc. cit.).
DEVOIR DES SUPERIEURS ENVERS LEURS INFÉRIEURS. 1()7
Les maîtres sont rigoureusement tonus d'en favoriser l'ac-
quisition à ceux qui sont sous Leur autorité (i). — La répri
mande est aussi souvent très utile. Beaucoup de personnes
en effet, après avoir appris ce qu'il faut faire, cependant ne
Le fout pas, quelquefois par négligence, d'autres fois par
une perversité plus ou moins formelle et délibérée. Ceux
qui ont sous leur dépendance de telles personnes ne doivent
pas hésiter à les reprendre, avec douceur d'abord, avec
fermeté ensuite, si les premiers avis n'ont pas suffi. Lors-
qu'on ne reprend pas ces sortes de personnes, on les autorise
à croire que leur manière d'agir n'est pas gravement cou-
pable, et ainsi elles se perdent en partie par la faute de ceux
qui manquent à leur devoir de les reprendre (2). — Enfin
les supérieurs doivent protéger leurs subordonnés contre
les dangers auxquels ils peuvent se trouver exposés. Si c'est
dans la solitude que se rencontrent ces dangers, les supé-
rieurs doivent prendre toutes mesures pour que leurs subor-
donnés ne demeurent pas seuls, on le moins longtemps et
le plus rarement possible. Si les dangers viennent au con-,
traire de la part d'autres personnes, subordonnées ou non,
il faut expulser impitoyablement ces dernières, comme on
1 . Si, par une grave négligence de la part des maîtres, les domesti-
ques ignorent quelque mystère du salut, ou quelque devoir important,
ils pèchent mortellement. Bonacina, Navarrus et alii. (Exam. rais.
loc. cit.).
2. Les maîtres sont encore tenus de veiller à ce que leurs domestiques
remplissent exactement leurs devoirs de chrétiens. Si, par une négli-
gence grave ou coupable de leur part, les domestiques manquent à quel-
qu'un de ces devoirs en matière grave, les maîtres pèchent mortelle-
ment. Leur péché serait plus grave, si, sans raison légitime, ils refu-
saient à leurs domestiques le temps nécessaire pour satisfaire à ces de-
voirs, ou si, par leurs mauvais exemples, ils les portaient aies transgres-
ser en matière grave... — S'il esta propos de faire la correction, et que,
par une négligence grave, on l'omette, péché mortel. S. Liguori, et
alii communiter. — Les maîtres qui aimentehrétiennement leurs domes-
tiques ont soin de les corriger de leurs fautes et de leurs défauts par des
remontrances charitables et sans emportement ; et quand la douceur
ne les corrige pas, il les châtient en leur faisant porter une peine pro-
portionnée à leurs fautes. Mais ce serait excéder les bornes d'une juste
correction, que de maltraiter de paroles ou de coups un domestique
pour une légère faute. Les fautes que les maîtres doivent principalement
reprendre et corriger dans leurs domestiques, sont celles qui offensent
Pieu (Examen rqi^onné, loc. cit.),
198 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
expulserait un loup d'une bergerie, ou un serpent d'un
berceau (1).
1 . Négliger d'éloigner les domestiques des occasions périlleuses aux-
quelles on sait qu'ils sont exposés, en fréquentant, par exemple, telle
personne ou tel lieu dangereux, etc. Péché mortel, si la négligence est
grave, et si l'on sait que l'occasion est pour tel domestique une occa-
sion prochaine de péché mortel. Combien sont coupables les maîtres
qui ne veillent pas au salut de leurs domestiques, les laissent exposés
à toutes sortes d'occasions dangereuses ! Bonacina et S. Liguori... Les
maîtres qui gardent sciemment dans leur maison des domestiques qui
sont une occasion de péchés graves pour les autres domestiques ou
pour les enfants, pèchent mortellement. Navarrus et Azor. Cependant
il peut y avoir quelquefois des causes légitimes qui autorisent les maî-
tres à différer l'expulsion de ces domestiques, comme serait, par exem-
ple, s'ils ne pouvaient les renvoyer en tel temps sans éprouver une
grave perte (Examen raisonné, loc. cit.).
Quelqu'un ne manquera pas de dire qu'il est bien difficile de trouver
de bons sujets ; qu'on se voit souvent réduit à prendre les premiers qui
se présentent ; et que, quand même ils se trouveraient vicieux, on est
obligé de les garder, parce qu'on ne peut en avoir d'autres. Je conviens
que les bons sujets ne sont pas communs. Cependant je puis vous dire,
que si vous êtes de bons maîtres, si vous payez bien, si vous nourrissez
bien vos domestiques, si vous êtes en réputation d'en prendre un grand
soin dans leurs maladies ; si vous êtes doux, patients et raisonnables,
et surtout si vous vous adressez au Seigneur pour lui demander de bons
serviteurs, il vous les accordera. Mais pour les mauvais domestiques,
si vous avez le malheur d'en avoir, j'entends ceux qui sont incorrigibles
et qui continuent dans des désordres considérables, aucune excuse ne
peut vous dispenser de vous en défaire, et je n'ai, pour vous en convain-
cre sans réplique, qu'à vous rapporter ce que Jésus-Christ a dit au
sujet du scandale, Matt. v : Si votre œil vous scandalise, ce sont les pro-
pres paroles de notre divin Maître, si votre œil vous scandalise, arrachez-
le ; si votre main ou votre pied vous sont une occasion de péché, coupez-les,
retranchez-les et jetez-les loin de vous, parce qu'il vaut mieux pour vous,
être privés des membres les plus nécessaires de votre corps et aller au ciel,
que de les avoir entiers et être précipités dans V enfer. Quand un domesti-
que vous serait aussi nécessaire que votre œil, votre pied ou Votre
main, s'il est pour vous ou pour votre famille, une occasion de chute
ou de damnation, éloignez-le ; débarrassez-vous-en incessamment,
parce que votre salut vous doit être plus cher que tout le reste. Etde
quoi vous serviraient tous les biens du monde, suivant la parole sainte,
si vous veniez à perdre votre âme ? Matth. xv. (Girard, Prônes, ai.
Dim. apr. la Pentec. 1. p.).
Pour vous donner, chrétiens, une juste idée du péché que commet-
tent les maîtres qui ne remplissent pas leurs obligations envers leurs
domestiques, et vous en montrer les fruits funestes pour leur salut, il
suffit de vous rappeler les oracles du Saint-Esprit : que le royaume de
Dieu et sa justice président à toutes vos actions ; malheur à ceux qui
sont un sujet de chute à leurs frères, et qui les scandalisent ; malheur à
celui qui s'élève, parce qu'il sera abaissé ; malédiction, feux éternels pour
DEVOIB DES si ri i ; 1 il RS ENVERS LE1 RS [NFÉRIE1 RS M)f)
Voilà comment, chrétiens. Les maîtres et 1rs supérieurs
doivent prendre soin de leurs serviteurs et de leurs subor-
donnés, savoir, en s'appliquanl autant qu'ils le peuventà
ceux i j 11 î amoni méconnu el abandonné Jésus-Christ dans les pauvres
et les infirmes. — Or, mes frères, il ne faut que méditer ces quatre
vérités pour connaître toute L'étendue du crime des maîtres qui ne rem-
plissent pas leurs obligations envers leurs domestiques, et combien ils
sont coupables selon les principes du Christianisme. Le ciel tient-il le
premier rang, la religion préside-t-elie à Leur choix, quand ils prennent
à leur service des domestiques sans piété, sans mœurs, parce qu'ils ont
des dehors qui leur foui plaisir, et qu'ils ont tout ce qu'il faut pour
satisfaire leur vanité ou leur cupidité .J — \e scandaliscnl-ils point
leurs domestiques, quand leur conduite est un désaveu solennel de la
morale évangélique, el que leurs principaux exemples les font gémir où
les enhardissent à les imiter? — Prouvent-ils à Leurs domestiques qu'ils
sont disciples du Sauveur humilié, qu'ils respectent ses Leçons et ses
exemples, quand ils sont hauts, tiers, qu'ils leur font sentir une dis-
tance infinie cuire leur obscurité et leur élévation, el qu'ils veulent en
être les idoles ? — Sont-ils persuadés que leurs domestiques sont
aimes de Jési s-Christ dans Leur servitude, et que refuser de les conso-
ler, de les assister dans la maladie, c'est refuser Jésus-Christ même,
quand ils les abandonnent ? Ce sont pourtant là, mes frères, des vérités
Incontestables ; il faut désavouer l'Évangile, ou convenir que les maî-
tres qui ne remplissent pas leurs obligations envers leurs domestiques
sont bien coupables. — Mais que de péchés, que de chutes, que de
malheurs irréparables coulent encore de cette infraction des maîtres
chrétiens comme de leur source ! — Ces enfants pervertis, instruits
dans la malice par ces domestiques corrompus qu'on a gardés chez soi,
à cause que leur service était agréable; cette jeune personne déshonorée,
après avoir été séduite par ce serviteur qu'on aime à cause de son tra-
vail ou de ses talents. — Ces domestiques sages, vertueux, qui, enhar-
dis peu à peu par les coupables exemples de leurs maîtres, sont devenus
indévots, Licencieux, impudiques, et des infracteurs intrépides des pré-
ceptes du Seigneur et de son Église. — Ces domestiques continuelle-
ment humiliés, abaissés, aiment-ils leur état ? La religion les soutient-
elle toujours? N'échappc-t-il de leur bouche aucune plainte, aucun
murmure, aucune malédiction ? Leur rend-on aimable l'autorité sous
laquelle la Providence les a placés pour quelque temps '} Sont-ils portés
à la respecter, quand elle esl si dure el si impérieuse? — Enfin des
domestiques abandonnés dans la maladie ou dans la vieillesse, portés
dans un hôpital, ont-ils une grande idée de la charité de leurs maîtres ?
Reconnaissent-ils, dans une conduite si dure, ces traits auxquels seuls
Jési s-Chrisi a voulu qu'on reconnût ses vrais disciples ? — Des péchés
de toute espèce, des âmes perdues éternellement, des châtiments redou-
tables : voilà donc, scion les principes du Christianisme, toul ce qui est
imputé aux maîtres qui ne remplissent pas leurs obligations envers
leurs domestiques, tout ce qui est préparé pour les punir. Jugeons
après cela combien ils sont coupables : (Ballet, .se/7/1, sur les dey, des
maîtres eiu <lomett, a, pj
200 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
sauvegarder tout à la fois leurs intérêts matériels et leurs
intérêts spirituels. — Il nous reste à faire connaître la
III. — Culpabilité de ceux qui violent ce devoir. —
Ceux qui ne prient pas et ceux qui ne remplissent pas les
autres devoirs religieux, ne se rendent coupables qu'envers
Dieu. Ceux qui dérobent le bien qui ne leur appartient pas,
ne se rendent coupables qu'envers leur prochain. Ceux qui
s'abandonnent à de mauvaises pensées et à de mauvais
désirs, ne se rendent coupables qu'envers eux-mêmes. Mais
les maîtres et les supérieurs qui ne s'appliquent pas à sau-
vegarder les intérêts matériels et spirituels de leurs servi-
teurs et subordonnés, se rendent coupables tout à la fois, et
envers ces serviteurs et subordonnés, et envers la société
humaine, et envers Dieu lui-même.
Qu'ils soient coupables envers leurs serviteurs et subor-
donnés, c'est l'évidence même. Quiconque, étant tenu à un
devoir envers quelqu'un, n'accomplit pas ce devoir, se rend
coupable à l'égard de la personne dont il s'agit. Or, nous
l'avons démontré, les maîtres et supérieurs sont tenus de
s'occuper sérieusement de leurs serviteurs et subordonnés,
au double point de vue de leurs intérêts matériels et de
leurs intérêts spirituels ; si donc ils ne s'en occupent pas, ou
s'ils ne s'en occupent pas autant qu'ils le doivent, ils man-
quent à leur devoir envers eux, et par conséquent se ren-
dent coupables à leur égard. Est-ce que le débiteur qui vo-
lontairement ne paie pas sa dette, ne se rend pas coupable à
l'égard de son créancier ? Il en est de même des maîtres et
des supérieurs: étant de véritables débiteurs vis-à-vis de
leurs serviteurs et subordonnés, ils se rendent coupables
envers eux, s'ils ne leur paient pas la dette de soins, d'édi-
fication, de vigilence, de protection qu'ils leur doivent.
Pareillement, le père qui ne s'acquitte pas de ses devoirs à
l'égard de ses enfants, ne se rend-il pas coupable envers
eux ? Eh bien, en vertu des lois naturelles et divines, les
maîtres et les supérieurs sont, à l'égard de leurs serviteurs
et de leurs subordonnés, de véritables pères de famille. Si
donc ils ne s'acquittent pas des devoirs attachés à leur fonc-
tion, ils se rendent coupables, envers ceux qui ont droit à
DEVOIK DES SUPÉRIEURS ENVERS LEURS INFERIEURS. 201
leurs soins, comme les parents négligents envers leurs en-
fants. Et encore une fois, qu'on le remarque bien, c'est l'en
seignement formel de saint Paul : Siquelqu'un, dit ect apôtre,
ne prend pas soin des siens, et principalement de ceux de sa
maison, il a renoncé à la foi et est pire i/iùin infidèle (i).
Les maîtres el les supérieurs qui ne s'acquittent pas de
leurs devoirs envers leurs serviteurs et leurs subordonnés, se
pendent coupables aussi à l'égard de la société. N'est-ce pas
en effet se rendre coupable envers la société, que de contri-
buer à la troubler, à la déchirer, à la renverser ? Eh bien,
c'est là justement ce que font les maîtres et les supérieurs
dont nous parlons. Car en ne prenant pas soin, autant qu'ils
le doivent, des intérêts matériels et spirituels de leurs servi-
teurs et subordonnés, ils autorisent ceux-ci à concevoir des
pensées d'abord peu favorables à l'union qui doit exister
entre tous les membres de la société ; pensées que les infé-
rieurs n'auraient certainement pas, s'ils voyaient leurs supé-
rieurs s'occuper de leur être utile et de leur faire du bien.
Mais ils ne s'en tiennent pas longtemps à ces pensées de
défiance. Bientôt, aigris par les procédés soit injustes, soit
dédaigneux et méprisants, soit simplement indifférents et
égoïstes de leurs maîtres et patrons, ils ne tardent pas à se
considérer comme exploités par eux, et à s'abandonner à
des sentiments de haine et de représailles. C'est ainsi que le
plus souvent se creusent, entre les différentes classes de la
société, ces séparations et ces abîmes qu'il est ensuite si diffi-
cile, pour ne pas dire impossible, de combler. C'est ainsi le
plus souvent que germent, se développent et éclatent ces
révolutions qui occasionnent peu à peu tant de tiraillements,
de gênes et de difficultés, et finalement tant de ruines et de
désastres. Quelle n'est donc pas la culpabilité des maîtres et
des supérieurs à l'égard de la société, lorsqu'en ne s'acquit-
tant pas de leurs devoirs envers leurs inférieurs et leurs
subordonnés, ils se rendent responsables de tels malheurs !
Mais c'est envers Dieu qu'ils sont encore le plus coupables.
C'est Dieu en effet qui les a mis au-dessus des autres, qui les
a investis de son autorité à leur égard, et qui a ainsi organisé
i. I. Tim. v, 8.
202 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
la société comme elle est pour le bien de tous ; mais à la
condition, bien entendu, qu'ils s'acquittent des devoirs inhé-
rents à l'état où il les a placés, ce qui est on ne peut plus
naturel ni plus juste. Or, eu ne s'acquittant pas de ces
devoirs, les maîtres et supérieurs se font ingrats envers Dieu
et perturbateurs de son œuvre. Ils se font ingrats envers
Dieu, puisqu'ayant été traités par lui d'une manière spéciale-
ment privilégiée, ils ne lui en témoignent aucune reconnais-
sance. Et ils se font perturbateurs de son œuvre, c'est-à-dire
de la société, puisque cette œuvre, qui devait subsister pai-
siblement pour la gloire de Dieu, par leur fait est disloquée,
et ne fait guère monter vers lui que des blasphèmes. Que
penserait-on d'un favori, que son roi aurait mis à la tête
d'une province, pour la gouverner paternellement en son
nom et faire bénir son autorité ; mais qui, tout au contraire,
n'usant de son pouvoir que pour son seul avantage, et sans
s'occuper du bien-être de ses administrés, ne ferait que les
irriter et provoquer leurs révoltes contre le roi lui-même,
coupable à leurs yeux de leur avoir donné un si mauvais
gouverneur ? Ce gouverneur, outre sa culpabilité envers ses
administrés, ne serait-il pas plus coupable encore envers son
roi lui-même, dont il aurait trahi la confiance et mis en péril
la souveraineté ? Eh bien, telle et mille fois plus grande
encore est la culpabilité des maîtres et des supérieurs envers
Dieu, lorsqu'au lieu de faire louer et bénir son nom par leurs
serviteurs et subordonnés, ils ne font que le faire blasphémer
et maudire, à cause de leurs injustices, de leurs duretés, de
leurs tyrannies, de leurs scandales, de leur égoïsme ; lors-
qu'au lieu d'user de leur situation pour travailler au salut
des âmes, si chères à Dieu qui les a créées et rachetées, ils ne
s'en servent que pour les abaisser, les tromper etles perdre!
CONCLUSION. — Ainsi que nous nous l'étions proposé
en commençant, nous venons donc, chrétiens, d'établir la
certitude du devoir qui incombe aux supérieurs d'avoir
soin de leurs inférieurs, d'exposer la manière de s'acquitter
de ce devoir, et de démontrer la culpabilité de ceux qui le
violent. Le devoir, pour les supérieurs, d'avoir soin de leurs
inférieurs, est proclamé par l'humanité et la justice, par la
DEVOIR nFS si ri': m F, i us ENVERS LEURS INFERIEURS, 203
raison et par la religion. Pour s'acquitter parfaitement et
complètemenl de ce devoir, les supérieurs sont tenus de
s'occuper, autant qu'ils le peuvent, des intérêts matériels et
spirituels de leurs inférieurs. Et quant à ceux qui ne le font
pas, ils se rendent coupables tout à la fois, envers leurs
inférieurs, envers la société, et envers Dieu lui-même. Ces
notions sur les devoirs des supérieurs, tous les chrétiens, ne
nous \ trompons pas, ont intérêt à les connaître. Vux infé-
rieurs eux-mêmes, elles peuvent faire comprendre que si
parfois les supérieurs prennent telles dispositions ou exercent
telles sévérités, qui paraissent rigoureuses, c'est parce que
leur devoir les y oblige. D'ailleurs, tel qui est aujourd'hui
inférieur, pourra devenir supérieur demain ; il lui est donc
nécessaire de connaître les devoirs de la supériorité, afin de
pouvoir s'en acquitter convenablement, lorsque le moment
sera venu. Cette connaissance est nécessaire également à
ceux qui, après avoir été supérieurs, ne le sont plus, afin de
savoir quelles fautes ils ont pu commettre, et de les réparer
dans la mesure du possible. Quant à ceux qui sont actuelle-
ment maîtres et supérieurs, en quelque ordre que ce soit, il
est évident que la connaissance des notions que nous venons
d'exposer leur est indispensable, soit pour le bien de ceux
qui dépendent d'eux, soit pour leur propre avantage, soit
pour la prospérité de la société, soit pour l'honneur et la
gloire de Dieu. Mais comme nous l'avons souvent répété, que
celle connaissance ne demeure pas spéculative et stérile en
nous. Servons-nous-en pour la conduite de nos actions, et
que chacun en tire le fruit que comporte la situation où il
se trouve. Que les maîtres et les supérieurs en particulier y
pensent sérieusement ; d'eux aussi l'on peut dire qu'ils ont
été établis pour la ruine ou le salut d'un grand nombre (i),
selon qu'ils s'acquitteront de leurs devoirs ou qu'ils les
violeront (2). Or, si en violant leurs devoirs ils damnent un
1 . Luc. 11, 34.
2. Exhibite itaque vos justos et lmmanos erga servos, illorum curam,
quam christianos decet, habetc ; ut in die judicii, non vos accusent,
litemque vobis intendant ; quod ipsos imrnanilcr habueritis, nain tune
audiretis a supremo omnium judice Christo : lie maledicti in iynem <%ier-
num\ quia quod Uis minimis incis fecisti3,tnihi fecîsiii. Si vero illos tau*
20/| LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
grand nombre d'âmes, comment pourront-ils espérer sauver
la leur ? Que plutôt donc, en sauvant, par l'accomplissement
de leurs devoirs, leurs inférieurs et subordonnés, ils s'assu-
rent à eux-mêmes leur propre salut éternel ! Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES
Nécessité des inégalités sociales.
Dans les premiers temps de la République Romaine, les plébéiens
s'insurgèrent contre le sénat et excitèrent une révolte. Il n'était
pas juste, disaient-ils, qu'ils se donnassent tant de peine pour voir
passer leur argent, si durement gagné, entre les mains du sénat qui
en usait à son gré. Ils sortirent alors de la ville et se retirèrent sur
une montagne, résolus à ne plus rien donner au sénat et à ne plus
travailler. Dans cette extrémité, un homme, plein d'esprit et de
malice, nommé Ménénius Agrippa, étant allé les trouver, leur
raconta la fable suivante :
« Les membres du corps humain, leur dit-il, se révoltèrent un
jour contre l'estomac ; ils se plaignaient de ce qu'ils étaient toujours
occupés ; les pieds devaient marcher, les yeux voir, les mains tra-
vailler, les dents mâcher, etc., et tout cela pour le plus grand
plaisir de l'estomac, qui ne faisait autre chose que recevoir et con-
sommer ce qu'ils lui préparaient. C'est pourquoi les membres
s'entendirent pour qu'aucun d'eux ne fit plus la moindre chose
pour l'estomac : les pieds ne marcheraient plus, les yeux ne regar-
deraient plus, les mains ne travailleraient plus, les dents ne mâche-
raient plus, pour que l'estomac pût se convaincre que tout ne
dépendait pas de lui seul. Lorsque pendant quelques jours ils
eurent mis leur résolution en pratique, les pieds devinrent faibles,
les yeux troubles, les mains inertes et le corps entier tomba dans
une langueur dangereuse, parce que l'estomac, ne recevant plus de
nourriture, ne pouvait plus rien communiquer aux membres.
Alors ils durent reconnaître leur folie, et avouer que chaque mem-
quam fratres vestros et Dei filios humaniter, ut justitia et pietas exigunt
tractetis, erunt illi advocati vestri apud communem omnium Judicem,
a quo audietis, quod Uni ex minimis meis, qui vobis serviebant, fecistis,
mihi fecistis, venite benedicti Patris mei, possidete paratwn vobis regnwn,
Matth. xxv, et ibunt illi, scilicet heri iniqui, atque inhumani, in sappli-
cium œternum ; justi autem, hoc est, heri pietatc et misericordia insignes,
in vitam œternam (Tir an. Joc. cit.).
DEVOIR DES SUPERIEURS ENVERS LEURS INFÉRIEURS. 20i)
bre est obligé de remplir son devoir pour son propre avantage et
pour celui de L'estomac, s'ils ne voulaienl pas se ruiner en peu de
temps ; car les membres ne sont pas seulement au service de l'es-
tomac, mais l'estomac est aussi au service des membres. »
Au moyen de cette comparaison, Agrippa ramena les plébéiens à
la raison, de sorte qu'ils retournèrent à Rome et remplirent leurs
devoirs. — Cet ingénieux apologue est toujours aussi expressif, et
rend saisissante la nécessité de la diversité des classes dans la
société. — On pourrait en tirer un semblable de la diversité des
couleurs qui forment un tableau, et dont les unes sont brillantes
tandis que les autres sont obscures ; ou bien des sons qui forment
ensemble un chant, et dont les uns sont éclatants tandis que les
Avec quel respect les supérieurs doivent traiter leurs
inférieurs.
i. — Il est rapporté que quand Périclès, prince athénien, mettait
son manteau de pourpre pour présider au sénat, il se disait, en le
considérant : « Prends garde à toi, Périclès, tu ne commandes pas
à des esclaves ni à des barbares, mais à un peuple intelligent et
libre, mais à des Grecs, à des Athéniens. » — Maîtres et maîtresses,
dit saint Ambroise, faites les mêmes réflexions sur vous-mêmes, et
dites-vous : Mes serviteurs, mes ouvriers sont tous des chrétiens
affranchis par le sang de Jésus-Christ. Ils sont nourris du même
pain sacré que moi, à une table eucharistique comme moi ; ils
aspirent au même ciel ; et peut-être devant Dieu sont-ils plus
grands que moi.
2. — « Comment veux-tu que je te traite ? disait Alexandre le
Grand à Porus, tombé en son pouvoir. — En roi », répondit l'illus-
tre captif. — Cette noble réponse, ô maîtres et maîtresses, l'Église
vous la fait au nom des modestes serviteurs qui vous obéissent :
vous devez les traiter avec respect, en hommes libres, en frères de
Jési s-Christ, en chrétiens.
Les supérieurs doivent s'occuper des intérêts matériels
de leurs inférieurs.
i. — Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine, connaissait par
leurs noms tous les officiers de sa maison, et tous avaient le droit
de s'adresser à lui directement, de lui exposer leurs besoins ou
ceux de leur famille. Si quelqu'un se présentait à contre-temps, il
commençait par lui faire remarquer son indiscrétion, et finissait
toujours par l'écouter avec bonté. Un palefrenier avait pénétré
306 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIII. INSTRUCTION.
jusque dans le cabinet du roi. Le prince, occupé alors à minuter
une dépêche pour la cour de France, ne l'aperçut pas. Celui-ci
tousse longtemps, fait du bruit avec ses gros souliers. Le roi croit
que c'est un valet de chambre, et continue son travail. Mais le
palefrenier, croyant avoir assez attendu, lui adresse la parole :
« Sire, lui dit-il, je suis Jacques. — Et que fait Jacques ici, dit le
roi. Pourquoi Jacques si matin ? Allons, dis-moi donc ce que tu
veux ? » Jacques expose au roi que sa femme est accouchée,
qu'étant comme lui au service de Sa Majesté, elle ne peut pas
nourrir son enfant, et qu'il n'a pas le moyen de payer les mois de
nourrice. « Eh bien, lui dit Stanislas, va-t-en trouver Alliot (c'était
l'intendant de ses finances) de ma part ; dis-lui de te porter sur
son état pour cinquante écus de gratification que je te fais pendant
trois ans, pourvu que tu t'acquittes bien de ton service. » — Jacques
se retira plus pénétré de reconnaissance envers son bon maître,
que ne le furent jamais les grands seigneurs pour des millions
que leur prodiguent les grands rois, au préjudice des peuples.
2. — Les journaux ont souvent parlé, dans ces dernières années,
d'un grand industriel des environs de Reims, nommé M. Léon
Harmel. Cet homme de bien, conformant sa conduite à sa foi, ne
cesse de s'occuper, non seulement des intérêts religieux de ses
nombreux ouvriers et employés, mais encore de leurs intérêts
temporels. Crèche pour les nouveaux-nés, écoles pour les enfants,
dispensaires pour les malades, caisses de secours, d'assurance, de
retraite, tout ce qui pouvait contribuer au bien-être et à l'aisance
de ceux qu'il emploie a été créé et organisé par ce véritable maître
chrétien. Aussi tout son personnel lui est-il aussi attaché que
dévoué, et ne parle-t-il de lui qu'en l'appelant le « bon père ».
Les supérieurs doivent s'occuper des intérêts spirituels
de leurs inférieurs.
i. — Saint Elzéar, comte d'Avrian, au royaume de Naples, s'étant
retiré au château de Pui-Michel, avec sainte Delphine, son épouse,
dressa pour sa maison un règlement qu'il fit observer exactement,
et que nous allons proposer pour modèle à tous les maîtres qui ont
à cœur de se sauver en travaillant au salut des leurs :
« i° Que tous ceux qui composent une famille entendent la
Messe chaque jour, quelque affaire qu'ils puissent avoir. Si Dieu
est bien servi dans une maison, rien n'y manquera.
« 2° Si quelqu'un de mes domestiques jure ou blasphème, il
sera puni avec sévérité, puis chassé ignominieusement» Puis-je
espérer que Dieu répandra sa bénédiction sur ma maison, s'il s'y
DfiVOÎB DES si PÉRIEURS ENVERS LET lis INFÉRIEURS. 207
trouve des hommes qui se dévouenl eux-mêmes au démon ')
Pourrais-je souffrir chez moi des bouches infectes qui portent le
poison dans les âmes ?
u 3° Que tous respectent la pudeur; la moindre impureté en pa-
role ou en action ne restera point impunie dans La maison d'Elzéar.
« y Les hommes elles femmes doivent se confesser tontes les
semaines. Que personne ne soit assez malheureux pour se priver
de la Communion aux principales fêtes de l'année.
u 5° Je veux que l'on évite l'oisiveté dans ma maison. Le malin,
chacun élèvera son cœur vers Dieu par une prière fervente, et lui
fera l'offrande de lui-même, ainsi que de toutes les actions de la
journée. Les hommes et les femmes iront ensuite à leur ouvrage,
on leur Laissera, le matin, quelque temps pour la méditation ; mais
je ne veux point de ceux qui sont perpétuellement à l'église ; ils
agissent de la sorte, non par amour de In contemplation, mais par
aversion pour le travail. La vie d'une femme pieuse, telle qu'elle
esl décrite par le Saint-Esprit, consiste, non seulement à bien prier,
mais à être modeste, docile, assidue au travail, et à prendre soin
de la maison. Les femmes prieront et lieront le matin ; mais elles
emploieront le resle du jour à travailler.
* « 6° Je ne veux point que l'on joue à des jeux de hasard ; on peut
se récréer innocemment, et le temps passe assez vite, sans le per-
dre dans l'oisiveté. Mon intention n'est pas, cependant, que mon
château soit comme un cloître, et que ceux qui me sont attachés
vivent comme des ermites : je ne les empêche point de se réjouir,
pourvu qu'ils ne fassent rien que leur conscience désavoue, et
qu'ils ne s'exposent point au danger d'offenser Dieu.
u 70 Que la paix ne soit jamais troublée dans ma famille, Dieu
habite là on règne la paix. L'envie, la jalousie, les soupçons et les
rapports divisent une famille, commeen deux armées qui cherchent
continuellement à se surprendre l'une l'autre, et qui, après avoir
assiégé le maître, le blessent et le dévorent. Je chérirai tous ceux
qui serviront Dieu avec fidélité ; mais je ne souffrirai point ceux
qui se déclareront ses ennemis. Les domestiques désunis, médi-
tants ou calomniateurs se déchirent mutuellement. Tous ceux qui
n'ont point la crainte de Dieu ne peuvent mériter la confiance de
leurs maîtres, et ils dissiperont facilement ses biens. Le maître,
environné do pareil- domestiques, esl dans sa maison comme dans
une tranchée que les ennemis assiègent de toutes parts.
« 8° Lorsqu'il s'élèvera quelque dispute, je veux qu'on observe
inviolablement !«■ précepte de L'Apôtre et que la réconciliation se
avant le coucher du soleil; qu'on oublie la taule dans Tins-
208 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. VIIl. INSTRUCTION.
tant où elle a été commise, et que l'on étouffe toute espèce d'aigreur.
Je sais qu'il est impossible de vivre avec les hommes et de n'avoir
pas quelque chose à souffrir. Rarement un homme est d'accord
avec lui-même pendant un jour. Qu'il ait un accès d'humeur, il ne
fait plus ce qu'il veut. Ne pas vouloir pardonner aux autres, est
une conduite diabolique ; mais aimer ses ennemis, et leur rendre
le bien pour le mal,estlamarquedistinctive des enfants de Dieu. Si
je connais de pareils domestiques, je leur ouvrirai toujours ma mai-
son, ma bourse et mon cœur. Je les regarderai comme mes maîtres.
a 9° Tous les soirs, ma famille s'assemblera pour assister à une
conférence où l'on parlera de Dieu, du salut et des moyens de
gagner le ciel. Il est bien honteux pour nous, qu'ayant été placés
sur la terre pour mériter le paradis, nous y pensions si peu, et que
nous n'en parlions jamais que d'une manière superficielle. 0 vie
de l'homme, comme tu es employée! 0 travaux, que votre objet
est peu digne d'une âme immortelle ! Que de fatigues, que de
sueurs pour des folies ! Les discours sur le ciel nous excitent à la
vertu, et nous inspirent du mépris pour les plaisirs dangereux du
monde. Gomment apprendrons-nous à aimer Dieu, si nous ne
parlons jamais de lui ? Que personne ne manque à la conférence,
sous prétexte de vaquera ses affaires. Il n'y a point d'affaire qui
me touche d'aussi près que le salut de ceux qui me servent. Ils se
sont donnés à moi, et je remets tout à Dieu ; maître, domestiques,
et généralement tout ce qui est en mon pouvoir.
« io° Je défends à tous mes officiers, sous les peines les plus
sévères, de faire le moindre tort à qui que ce soit dans ses biens et
son honneur, d'opprimer les pauvres et de ruiner le prochain, sous
prétexte de maintenir mes droits. Je ne veux point m'engraisser
de la substance de l'indigent, ni m 'enrichir aux dépens de ce qu'il
possède. Des officiers cruellement zélés pour les intérêts de leurs
maîtres, se damnent et les damnent avec eux ; comment s'imaginer
que quelques légères aumônes effaceront le crime des officiers qui
déchirent les entrailles des pauvres, dont les cris montent au ciel
pour demander vengeance ? J'aime mieux aller nu en paradis, que
d'être précipité avec le mauvais riche en enfer, étant couvert d'or
et de pourpre. On est assez riche quand on a la crainte de Dieu.
Des richesses acquises par l'injustice ou par l'oppression, sont
comme un feu caché sous la terre, dont les éruptions renverseront
et consumeront tout. S'il se trouve qu'on ait enlevé quelque chose
au prochain, je veux qu'on lui rende quatre fois autant. Je prétends
que l'on répare tous les torts qui ont été faits à mon occasion. Un
homme dont les trésors sont dans le ciel, pourrait-il être passionné
DEVOIR DES si PÉRIE1 RS ENVERS LEURS INFËRIE1 us. ÊOQ
pour ceux de la terre ? Je suis sorti nu du sein de ma mère, bientôt
je rentrerai nu dans le sein do la terre, notre mère commune.
Serait-il possible que pour un moment de vie que je passe entre
ces deux tombeaux, je voulusse hasarder mon salut éternel ') Pour
agir de la sorte, il faudrait que j'eusse perdu l'usage de ma raison,
que je ne connusse pas ce que c'est que la vertu, et que j'eusse
renoncé à la foi, »
L'exemple d'Elzéar donnait beaucoup de force au règlement dont
nous venons de parler. 11 avait particulièrement soin de maintenir
la paix el la charité dans sa maison. Delphine, son épouse, entrait
dans toutes les vues de son mari, et avait pour lui l'obéissance la
plus parlai le : rien n'altéra jamais l'union qui était entre eux. La
pieuse comtesse savait que les pratiques de la religion propres à
une femme mariée diffèrent de celles d'une personne religieuse, et
que la première ne doit point séparer la vie active de la vie con-
templative. Tous ceux qui étaient attachés à son service l'hono-
raient comme une mère, et elle les aimait comme ses enfants. Sa
conduite prouvait la vérité de cette maxime, que les maîtres ver-
tueux font souvent les bons domestiques, et que les familles des
saints sont des familles de Dieu.
?.. — Le Dauphin ayant un jour appris qu'un vieux domestique
de sa maison était en danger de mort, sans vouloir entendre parler
de mettre ordre aux affaires de sa conscience : « L'âme de ce mal-
heureux, dit-il, est pourtant aussi précieuse devant Dieu que la
notre, il faut que je lui envoie mon confesseur. » Mais, pensant
qu'il pouvait faire quelque chose de plus encore en faveur d'un
homme qui avait passé sa vie à son service, il se transporta dans
sa maison. « Je viens ici, mon ami, lui dit-il, pour te dire combien
je suis touché de ton état. Je ne puis oublier que tu m'as toujours
servi avec affection ; songe, de ton côté, que tu me donnerais pour
la première fois de ta vie le plus grand de tous les déplaisirs, si tu
ne mettais pas à profit, pour ton salut, les moments qui te restent
encore. » Ce pauvre homme, pénétré jusqu'aux larmes de la démar-
che de son bon maître, se réveille de son assoupissement, il se
reproche de n'avoir point assez profité des grands exemples de
vertu qu'il avait sous les yeux. La foi vive d'un grand prince
ranime la sienne, il donne des marques éclatantes de repentir; il
se dispose à la iiràce des sacrements, et les reçoit avec édification.
Quelques heures avant sa mort, il fit dire au Dauphin qu'il mour-
rait en paix, s'il osait espérer d'avoir part à ses prières, et le prince
lui fit dire qu'il pouvait compter sur les siennes et sur d'autres
encore qui seraient plus efficaces.
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. j»
NEUVIEME INSTRUCTION
(Dimanche de la Troisième Semaine).
C'est un devoir pour les Inférieurs de
s'acquitter de leurs obligations en-
vers leurs Supérieurs.
I. Quelles sont ces obligations. — II. Dans quel esprit il faut les
accomplir. — 111. Combien les inférieurs doivent estimer leur condition.
Une erreur très répandue et très funeste, c'est de croire
que les supérieurs et les maîtres peuvent faire ce qu'ils veu-
lent à l'égard de leurs inférieurs et subordonnés, et qu'ils ne
sont tenus à rien envers eux. Cette erreur, nous avons
démontré sa fausseté, dans notre dernier entretien, en éta-
blissant la certitude des devoirs des supérieurs et des maî-
tres envers leurs inférieurs et leurs subordonnés et en
expliquant en outre, d'un côté, comment ces devoirs doi-
vent être accomplis, et de l'autre, quelle est la culpabilité
de ceux qui les violent. Mais si Dieu, en faisant les supé-
rieurs et les maîtres, leur a imposé des devoirs en rapport
avec la situation dans laquelle il les établissait, afin qu'ils
s'y sanctifient et s'y sauvent ; en faisant les inférieurs et les
subordonnés, il leur a semblablement imposé des devoirs
en rapport aussi avec leur situation, afin qu'en les accom-
plissant, eux de même se sanctifient et se sauvent. Car dans
tout ce qu'il fait et dispose à notre égard, Dieu n'a jamais
en vue qu'une seule chose, notre salut à tous. — Or, puis-
que nous avons déjà dit, au sujet des devoirs des supérieurs
et des maîtres, tout ce qu'il est nécessaire d'en savoir, nous
devons donc parler aujourd'hui de ceux des inférieurs et
des subordonnés. Nous commencerons par exposer quels
sont ces devoirs, car beaucoup de ceux qui ont à les accom-
plir n'en ont qu'une idée plus ou moins imparfaite et A*ague.
Et parce que la plupart d'entre eux ignorent encore clavan-
DEVOIR DES INFERIEURS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 311
tage comment il faut les accomplir pour le faire fructueu-
sement, nous expliquerons ensuite dans quel esprit il faut
s'en acquitter. Enfin, pour achever de nous éclairer tous,
mais spécialement, bien entendu, les inférieurs et subor-
donnés, et en même temps pour les encourager dans l'ac-
complissement de leurs devoirs, nous démontrerons, par des
raisons absolument irréfutables, que la situation des infé-
rieurs et des serviteurs, bien loin d'être, comme le
croit l'aveugle opinion du monde, méprisable et malheu-
reuse, est tout au contraire plus estimable et plus avanta-
geuse que celle des supérieurs et des maîtres (i). — 0 Dieu,
qui tout en étant supérieur et maître par nature, avez voulu,
par un dessein de miséricorde, vous faire inférieur et subor-
donné, afin de servir de modèle aux hommes dans toutes
les situations où vous les placez, daignez accorder, à vos
fidèles ici présents, une grâce qui tout à la fois leur fasse
clairement connaître les devoirs dont nous allons nous
entretenir, et les aide à les accomplir fidèlement.
I. — Quelles sont les obligations des inférieurs
envers leurs supérieurs. — Au premier rang de ces obli-
gations se place l'obéissance. I/obéissance est en effet la rai-
son d'être des supérieurs et des inférieurs. C'est pour être
i. Servorum officia : i° Servi libère et sponte suum offîcium pera-
gant. 2° Sint patientes laborum et injuriarum. 3° Sint fidèles dominis
suis. 4° Sint expediti ad imperia exequenda. 5° Sint laboriosi (Faber,
Op. conc. Dom. 3. post Epiph. conc. i. Auct.).
Servi quid debcant dominis : i° Sint quasi eorum (îlii. 2° Sint quasi
discipuli. 3° Sint vere servi seu seduli (Id. ibid. Domin. 3. conc. i).
Les devoirs des serviteurs envers leurs maîtres peuvent se réduire à
deux, savoir : à la fidélité et à l'obéissance. — La fidélité consiste :
i° non seulement à ne rien prendre ou usurper du bien de leurs maî-
tres ; mais encore à le ménager avec tout le zèle, l'affection et l'exacti-
tude possible. 2° A fuir avec prudence tout ce qui peut faire tort au
maître et à la famille à laquelle ils sont attachés ; à conserver et à défen-
dre l'honneur et la réputation de leurs maîtres ; à ne point découvrir
leurs défauts; à ne point parler de ce qui se passe dans la maison ; et
enfin, à employer tout le temps au travail qui leur est assigné. — Pour
ce qui est de l'obéissance que les serviteurs sont obligés de rendre, elle
doil être respectueuse, prompte, entière, sans contestation, sans cha-
grin ; mais avec joie, se souvenant qu'ils obéissent à Dieu en la per-
sonne de leurs maîtres : Domino servientes, comme parle saint Paul
(HoLDUY,, Bibliolh. des Prédic. art. Maîtres et Serviteurs, S i. n. i).
212 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
obéis qu'il y a des supérieurs, et c'est pour obéir qu'il y a
des inférieurs. Dès lors que la fonction essentielle du supé-
rieur est de diriger et de commander, la fonction essen-
tielle de l'inférieur est d'obéir et d'exécuter. C'est en
vain que Dieu aurait confié au supérieur le droit de com-
mander, s'il n'avait pas en même temps fait à l'inférieur
un devoir d'obéir : rien n'aurait pu s'accomplir, rien de ce
qui nécessite le concours de plusieurs. Dès lors, aucune
société n'eût été possible, pas même la société naturelle de
la famille, ni la société surnaturelle de l'Église. Le devoir
d'obéir, pour l'inférieur, est donc essentiellement un devoir
d'ordre, un devoir dont la violation constitue un désordre
flagrant.
C'est aussi un devoir de justice. Quand vous allez acheter
quelque marchandise dans un magasin, n'est-il pas de toute
justice que le marchand, en échange de l'argent que vous lui
donnez, vous remette la marchandise convenue? Et s'il ne
vous remettait pas cette marchandise, ou s'il vous en
remettait une autre, de moindre valeur, n'est-il pas évi-
dent qu'il commettrait une injustice à votre égard ? Eh bien,
il en est de même de l'obéissance que le serviteur doit à
son maître, en échange de la rétribution qu'il en reçoit. Le
travail qu'il accomplit pour son maître est la marchandise
qu'il est convenu de lui vendre tel prix. Si donc, lui déso-
béissant, il ne fait pas le travail qui lui est commandé, et si
malgré cela il touche son gage, il se rend coupable d'une
injustice, et est obligé de restituer, proportionnellement à
l'ouvrage que, par désobéissance, il n'a pas fait. Combien
de serviteurs qui pèchent plus ou moins gravement en ce
point, soit en ne faisant qu'en partie ce qui leur est com-
mandé, soit en le faisant mal, soit en ne le faisant pas dans
le temps ou clans les conditions prescrites par leurs maî-
tres (i) !
i. L'obéissance d'un domestique envers son maître doit avoir plusieurs
qualités, qui sont très mal observées. Elle doit être prompte, c'est-à-
dire, qu'il faut, obéir sans retardement, et ne pas se faire commander
plusieurs fois la même chose. Elle doit être exacte : il ne faut rien
omettre de ce qui a été commandé ; il faut le faire dans toutes les cir-
constances du temps, et de la manière qui est ordonnée, autant qu'il se
peut. Elle doit être sans réplique : il ne faut pas chercher ni alléguer
DEVOIR DES INFÉRIEURS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 9l3
Peu importe d'ailleurs que le maître soit bon ou mau-
vais, poli ou grossier, humain ou brutal : tant que vous
demeurez sous ses ordres, vous devez faire tout ce qu'il
vous commande, selon les conditions qui ont été arrêtées
entre vous et lui. Vous pouvez le quitter, mais vous n'avez
pas Le droit de vous venger de ses mauvais procédés en lui
désobéissant, en n'exécutant pas complètement et parfaite-
ment les ordres qu'il vous donne. Serviteurs, dit expressé-
ment l'apôtre saint Pierre, soyez soumis à vos maîtres, non
seulement à ceux qui sont bons et modérés, mais aussi à ceux
qui sont d'un humeur difficile (i).
Toutefois, qu'on le sache bien, l'obéissance de l'inférieur
à l'égard du supérieur a une limite certaine : c'est la loi de
Dieu. C'est-à-dire que si un supérieur commande quelque
chose qui soit contraire aux commandements divins,
comme le vol, la calomnie, l'impureté, l'inférieur doit net-
tement refuser son obéissance. Si l'inférieur doute que ce qui
lui est commandé soit mal, et qu'il y ait nécessité d'agir
tout de suite, il peut le faire ; autrement il doit consulter
auparavant son confesseur. — Mais si je ne fais pas ce qui
m'est commandé, dira-t-on, je perdrai mon emploi. —
Hélas ! ce sera fort regrettable, surtout si l'emploi est avan-
tageux. Mais je le demande à tout chrétien éclairé, ne vau-
drait-il pas mieux perdre tous les plus beaux emplois du
monde, que de perdre son âme ? Or, en faisant une chose
commandée par un supérieur, mais défendue par Dieu, on
commet un péché mortel, et on perd son âme. C'est ce que
ne voulut pas faire le sage patriarche Joseph. Sollicité au
mal par sa maîtresse, la femme de Putiphar, Joseph, plutôt
que d'offenser Dieu, aima mieux, non pas seulement per-
dre son emploi, qui était excellent, mais encore être
des raisons pour se dispenser d'obéir. Elle doit être cordiale : il faut
obéir par amour, avec joie et empressement. Elle doit être juste et
réglée : un domestique doit ne rien faire pour son maître au préjudice
de la loi du souverain Seigneur Les saints Pères disent que l'obéis-
sance d'un serviteur envers son maître, doit être comme celle de la
créature à l'égard de son Créateur, comme celle d'un soldat à l'égard
de son capitaine, comme celle d'un enfant bien né à l'égard de son
père... (Gérard. Prônes, 21. dim. apr. la Pentec. 2. p.).
1. I. Petr. 11, 18.
2l4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
traité comme un misérable et condamné à la prison.
La deuxième obligation des serviteurs envers leurs maî-
tres, c'est la. fidélité, ou l'honnêteté. Recommandez aux servi-
teurs, écrit saint Paul à son disciple Tite, de ne point faire de
tort à leurs maîtres, mais de donner en toute occasion des preu-
ves d'une fidélité parfaite (i). Tous les chrétiens sont tenus
sans doute d'être fidèles, ou honnêtes, les uns à l'égard des
autres ; cependant les inférieurs et serviteurs y sont plus
spécialement tenus, parce qu'ils ont d'une certaine manière
la garde des intérêts et des biens de leurs supérieurs. Ils
doivent donc leur être tout particulièrement fidèles, d'abord
de langue. Connaissant directement ou indirectement les
affaires, les secrets, les faiblesses, les fautes, les travers, les
défauts de leurs maîtres, ils doivent faire comme s'ils ne
les connaissaient pas, et n'en jamais parler à personne,
même en réclamant le secret. Car le fait de révéler ces cho-
ses, même à une seule personne, est une faute, qui peut
même être grave, s'il s'agit d'une chose grave. Et de plus,
si le serviteur lui-même n'est pas fidèle, qui lui garantit que
son confident sera discret, et que ce qu'il lui dit dans
l'oreille ne sera pas bientôt sur toutes les langues ? Que de
troubles et de maux l'infidélité de langue des inférieurs
n'occasionne-t-elle pas souvent, et par suite, quelle respon-
sabilité pour eux! Car qu'ils le sachent bien, ils sont obli-
gés de réparer ces troubles et ces maux dans toute la me-
sure de leur pouvoir. — Les serviteurs doivent encore être
fidèles de bouche à leurs maîtres, c'est-à-dire qu'ils doivent
se contenter d'une nourriture convenable, et ne pas se livrer
à la gourmandise et au gaspillage, en abusant de la facilité
qu'ils ont de boire et de manger, soit ce qui ne leur est pas
destiné, soit au-delà du nécessaire. — D'ailleurs ils doivent
être encore fidèles à leurs maîtres de leurs mains, ce qui
veut dire qu'ils doivent : d'un côté, travailler avec autant
de soin et de courage que s'ils le faisaient pour eux-mêmes,
sans perdre de temps à s'amuser, à se reposer hors de pro-
pos ; et de l'autre, ne rien prendre de ce qui appartient à
leurs maîtres. Ne rien prendre, disons-nous, ni pour eux-
i. Tit, h, 9 et 10,
DEVOIR DBS INFÉBJE1 lis ENVERS LEURS si PÉRI El lis. •> i ;>
mêmes, ni pour d'autres, même si c'était pour faire L'au-
mône (i); et ne rien laisser prendre non plus, par qui que
ce soit, même par les enfants de leurs maîtres. Que s'ils
ne peuvent empêcher Les Larcins et les déprédations com-
mis au préjudice de Leurs maîtres, ils doivent les en aveu-
lir, sous peine de se rendre compilées et de s'obliger à
restituer.
En troisième Lieu, les serviteurs doivent à leurs maîtres le
respect. C'est encore l'apôtre saint Paul qui le déclare : Que
les serviteurs, dit-il, sache/il qu'ils sont tenus de rendre tout
honneur à leurs madrés (i). La raison du respect que les scr-
i. Les domestiques se rendent coupables d'injustice envers leurs
maîtres, et sont tenus à la restitution : i" Lorsque, dans l'achat des
denrées ou autres effets, ils retiennent, sans le consentement exprès ou
tacite du maître, quelque argent ou autre chose, sous prétexte de pei-
ne- auxquelles ils prétendent n'être pas tenus, quoique ordinaires. —
2" Lorsque, regardant comme modique le salaire qu'ils reçoivent, ils
soustraient en secret quelque chose pour se compenser ; dès qu'ils sont
librement comenus de ce gage, toute retenue est un vol. La compensa-
tion, avec toutes les conditions qu'elle exige (nempe, ut non sit alius
modus impetrandi, nec accipiatur plus quam debeter, neque scandalum
aut aliud grave incommodum timeatur. Bonacina.J, pourrait tout au
plus avoir lieu dans le cas où le domestique, sans s'offrir de lui-même,
aurait été forcé de se gager à un prix notablement au-dessous du prix
juste, et où le maître, voulant profiter de cette nécessité, ne voulût rien
donner de plus, et si d'ailleurs il n'eût pu justement convenir avec un
autre pour le même prix. Sic Molina et Navarrus. Je crois qu'il pour-
rait encore avoir lien dans le cas où le maître occuperait le domestique
à des travaux plus pénibles que ceux pour lesquels il l'aurait engagé.—
3° Lorsqu'ils se font suppléer par d'autres à l'insu des maîtres et à leurs
dé] eus, ou lorsqu'ils prennent secrètement des choses pour payer des
services que les autres domestiques ou des étrangers leur ont faits. —
4° Lorsque les maîtres étant convenus avec les domestiques qu'ils n'au-
raient chaque jour que telle mesure de vin, ceux-ci en prennent davan-
tage, ou qu'ils vendent celui (pic les maîtres leur donnent; car, ne
boxant point de vin, ils consumeront plus d'aliments. — 5" Lorsque,
contre le consentement des maîtres, ils font l'aumône de leur bien, ou
qu'ils font boire et manger des étrangers: lorsqu'ils donnent furtive-
ment aux autres domestiques des denrées qui leur étaient spécialement
confiées, ou qu'ils s'approprient pour eux ou pour d'autres les restes de
certains aliments, de \ins, liqueurs, café, fruits, etc. — Confessarii
sequenda adnotent : ut judicetur de voluntate dominorum, inquit
Theol. pract., ac proinde an gravia vel levia sinl haec famulorum furta,
ad restitutionemque obligent neené, attendendum est an domini tena-
ces sint et regidi, an vero generosi et libérales (Examen raisonné sur
les Command. i. p. ch. 4. a. 5),
1. 1. Tim, vi, i.
21 6 LES GRANDS DEVOIRS^DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
vi leurs doivent avoir pour leurs maîtres, c'est parce que
Dieu les a placés à leur tête, et les a revêtus de son autorite
à leur égard. N'est-il pas vrai que nous devons respecter les
magistrats, les officiers et les ministres, parce qu'ils repré-
sentent l'autorité souveraine d'un état, le prince d'un
royaume? De même et à plus forte raison les inférieurs doi-
vent-ils respecter leurs supérieurs, qui sont pour eux les
représentants et les agents de Dieu. Que ces supérieurs
soient par eux-mêmes dignes d'estime ou non, il n'importe.
Par cela seul qu'ils sont supérieurs, ils ont droit au respect
de leurs inférieurs, et ceux-ci sont obligés de le leur rendre.
Ils doivent le leur rendre extérieurement, d'abord en s'abste-
nant de toute moquerie, de toute parole injurieuse et de tout
acte de mépris (i) ; et de plus en leur donnant des marques
positives de déférence et de considération, par leur docilité
à recevoir leurs ordres et leur empressement à les exécuter.
Les inférieurs doivent même respecter leurs supérieurs
intérieurement, en pensant volontiers du bien d'eux, en ne
s'arrêtant pas à leurs défauts, et en excusant leurs fautes
dans la mesure possible.
Enfin la quatrième et dernière obligation des serviteurs
à l'égard de leurs maîtres, c'est de les aimer. Déjà ils y sont
tenus par cette considération que leurs maîtres sont leur
prochain, comme tous les autres hommes. Notre-Seigneur
a dit en effet à tous ses disciples : Vous aimerez votre pro-
chain comme vous-même (2). — Mais il y a un ordre à obser-
ver dans cet amour que nous devons avoir pour notre pro-
chain, et d'après cet ordre, les serviteurs sont encore plus
étroitement tenus à aimer leurs supérieurs. Cet ordre, c'est
d'aimer d'abord et davantage ceux qui nous tiennent de
plus près, comme nos pères et mères, nos frères, nos oncles,
et ainsi en suivant. Or, d'après cet ordre, les maîtres tenant
de plus près à leurs serviteurs que les étrangers, les servi-
teurs doivent donc aimer leurs maîtres avant et plus que les
autres hommes qui leur sont moins étroitement attachés.
1. S'il s'agit de mépris ou d'injures graves, avec pleine adverlance,
péché grave ; autrement, péché véniel {Examen raisonné loc. cit.).
2. Matth. xxii, 39.
dEVOIR DES IM'l'lUKl lis ENVERS LEURS SUPERIEURS. 217
Enfin Les serviteurs doivent aimer leurs maîtres à cause
dos bienfaits qu'ils en reçoivent. Sans doute, si les serviteurs
reçoivent des gages, ils donnent leur temps, leur savoir et
leurs fatigues. Toutefois, de même que les supérieurs sont
tenus d'aimer leurs serviteurs, bien qu'ils les paient, parce
qu'ils en reçoiventdes services qui ne se paient pas à prix
d'argent; de même les serviteurs sont tenus d'aimer leurs
supérieurs, soit pour répondre à l'amour de ceux-ci, soit en
reconnaissance1 des attentions et des bons soins dont ils sont
l'objet quant à leur âme et quant à leur corps. Les chiens,
et tous les animaux domestiques en général, qui ne sont trai-
tés par leurs maîtres que comme des animaux, ne laissent
pourtant pas de les aimer, et de leur témoigner leur affec-
tion par leur empressement, par leurs regards et par leurs
caresses. Les serviteurs que leurs maîtres traitent en hom-
mes et en chrétiens, et qui malgré cela ne les aiment pas,
se mettent donc eux-mêmes au-de ssous des animaux, en ce
qu'ils n'ont pas leur gratitude. Qu'ils comprennent par là
que, quand même la raison et la foi ne leur commande-
raient pas d'aimer leurs maîtres, la seule nature, même clans
ses degrés inférieurs, leur en ferait un devoir (i).
1. Vous me direz peut-être, serviteurs qui m'entendez, qu'il est des
maîtres si mauvais, si fâcheux et si durs, qu'il est impossible de ne les
pas haïr, ou du moins, d'avoir de l'affection pour eux ; des maîtres qui
n'ont jamais dans la bouche que des paroles d'aigreur, des reproches,
des jurements, des menaces. D'un autre côté, les maîtres m'objecteront
qu'il est des domestiques si rebelles, si insolents et de si mauvaise
humeur, qu'on ne saurait les aimer. Je conviens que tout cela n'est
que trop véritable ; mais il faut que chacun se rende justice et se mette
à son devoir. C'est le commandement du Seigneur : il y va de vos inté-
rêts ; il s'agit de votre repos, de votre tranquillité, de votre bonheur en
cette vie, et de votre salut pour l'éternité (Girard, loc. cit.).
Ce sera un grand mérite pour vous, si vous vous tenez toujours
dans les bornes du respect, en souffrant pour Dieu et par principe de
conscience, les mauvais traitements qu'ils (vos maîtres) vous feraient
endurer injustement. Détournez vos regards de ce maître vicieux,
jetez-les sur ce Maître infiniment parfait qui est le sien comme le vôtre,
et qui vous a placés sous cette domination pour vous faire pratiquer
L'humilité el la patience. Dirigez noblement vers lui vos respects ; alors
tout deviendra grand et honorable dans votre dépendance, puisque
c'est sous hi main du Maître suprême que vous courbez la tète. Non,
vous ne rampez point, vous ne vous avilissez point, puisque vous avez
l 'âme assez grande pour vous ('lever jusqu'à Dieu, au-dessus de ce mor-
tel qui vous domine (Couturier, Catéch. dogmal. el moral).
2l8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
Obéir à leurs maîtres, les respecter, leur être fidèles et les
aimer, telles sont donc les quatre obligations des inférieurs et
serviteurs envers leurs supérieurs et leurs maîtres. Mais il ne
suffit pas de connaître ces obligations, il est encore indis-
pensable de savoir, au point de vue du salut,
IL — Dans quel esprit il faut les accomplir. — Nous
disons, remarquez-le bien : « au point de vue du salut. »
S'il ne s'agissait, pour les serviteurs, que de mériter leur
salaire, et de s'assurer les bonnes grâces de leurs maîtres, il
leur suffirait de s'acquitter de leurs obligations d'une
manière purement naturelle. Mais souvenez-vous de ce que
nous avons dit en commençant, que Dieu a imposé aux
serviteurs les obligations de leur état, afin que l'accomplis-
sement de ces obligations fût leur moyen propre de sancti-
fication et de salut, comme l'accomplissement des obliga-
tions attachées par Dieu à l'état des supérieurs et des maî-
tres est le moyen propre de sanctification et de salut pour
ces derniers. Or, l'accomplissement purement naturel de ces
obligations ne pouvant opérer la sanctification et le salut,
qui sont de l'ordre surnaturel, voilà pourquoi il est néces-
saire d'expliquer de quelle manière et dans quel esprit les
inférieurs et les serviteurs doivent les accomplir pour se
sanctifier et se sauver.
Gela étant, nous dirons que la première disposition des
inférieurs et des serviteurs, pour accomplir leurs obliga-
tions avantageusement au point de vue de leur salut, c'est
de les accomplir avec l'intention de faire la volonté de Dieu
et de lui plaire. Notre-Seigneur nous a révélé ce grand prin-
cipe, que celui qui fait ses actions pour les hommes seule-
ment, et qui reçoit d'eux sa récompense, ne doit rien atten-
dre de Dieu (i). Principe d'une justice parfaite : vous tra-
vaillez pour les hommes, les hommes vous payent, tout est
dit, vous n'avez plus rien à prétendre. Mais en agissant
ainsi, votre salut est complètement négligé, puisque ne faisant
rien pour Dieu, il ne vous doit conséquemment rien. Voilà
pourquoi l'apôtre saint Paul donne cet enseignement impor-
tant : Serviteurs, dit-il, ce que vous faites, faites-le de bon
i, Matth. vi, a, 5, i6.
DEVOIR DES INFERIEURS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 2 1Q
coeur, comme pour le Seigneur cl non pour les hommes, per-
suades </ue pour récompense cous recevrez l'héritage. Que
Jésus-Christ soit le maître une vous serviez (i). En effet,
puisque, en toute justice, c'est celui pour qui l'on travaille
qui doit le salaire, si nous travaillons, non pour les hom-
mes, mais pour Dieu, c'est donc Dieu qui nous paiera notre
salaire, c'est-à-dire le ciel. L'exhortation de saint Paul aux:
serviteurs, de faire tout ce qu'ils font comme pour le Sei-
gneur, est donc on ne peut plus prudente ni plus sage,
puisque c'est seulement en agissant ainsi qu'ils s'assureront
pour récompense l'héritage céleste. Qu'ils ont donc tort et
qu'ils sont à plaindre, ceux qui n'écoutent pas cette exhor-
tation; car tout en ayant heaucoup de peine en ce monde, ils
n'en retireront aucun avantage pour la vie future ! Au con-
traire, que ceux-là comprennent bien mieux leurs intérêts,
qui se proposent principalement et avant tout, dans tout ce
qu'ils font, d'accomplir la volonté de Dieu et de lui plaire ;
car sans se donner plus de peine que les autres, non seule-
ment ils recevront, comme eux, leur salaire temporel, mais
ce qui vaut infiniment mieux, ils s'assureront le salut éter-
nel de leur âme (2).
1. Goloss. m, 22-24; Cf. Ephes. vi, 5-8.
2. Audi, quisquis temporaliter servus es : esto servus, esto et liber.
Servus humiliter obediendo, liber fideliter serviendo ; esto servus
domini tui, et noli esse servus peccati. Cum servieris homini, Dcum
fideliter cogita, Dei pnecepta conserva, Dei voluntati semper obtem-
péra. A. Deo mercedem bonne servitutis expecta, custodi finem, fuge
fraudem. Gognosce te Deo redditurum rationem de omni opère tuo.
Non te facial pigrilia contemptorein, non segnitia negligentem. Ita fiet,
ut dum bonam exhibes servitutem,a Deo recipies perpetuam libertatem
(S. Aug. serm. 3, de Dedicat. Ecclesiœ).
Si vous travaillez en une mine de fer ou de plomb, et qu'un homme
sage vous dit : Mon ami, vous peinez beaucoup et vous gagnez peu ; il
y a là auprès une mine d'or, creusez-y : vous n'aurez pas plus de
peine, et vous gagnerez beaucoup plus ; ne seriez-vous pas privé de
jugement si vous ne suiviez cet avis ? Saint Paul vous dit : Quand vous
ne servez votre maître que par manière d'acquit et pour un salaire
temporel, votre métier est, si on le peut dire, un métier de gagne-
petit ; faites mieux, changez de motif et de disposition, et vous gagne-
rez des trésors, des couronnes et des récompenses éternelles (Le Jeune,
Sermons, serm. 55, 3. p.).
Obéissez dans le Seigneur ; par là vous cessez d'être serviteurs, tant
vous ennoblissez vos services. IS'on, ce ne sont plus les hommes que
2£0 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
Une autre pensée qui doit encore animer les inférieurs
dans l'accomplissement de leurs devoirs, c'est celle de glo-
rifier Dieu. Tous les hommes sont tenus de glorifier Dieu.
Notre-Seigneur a voulu que nous nous rappelions cha-
que jour cette obligation, en nous faisant dire à Dieu,
dans l'oraison qu'il nous a enseignée, ces paroles : Que
votre nom soit sanctifié, ce qui veut dire ici, soit glorifié. Or,
en adressant à Dieu cette prière, nous ne lui demandons
pas seulement que son nom soit glorifié par les autres hom-
mes, mais d'abord et surtout qu'il nous accorde la grâce de
le glorifier nous-mêmes. Les inférieurs sont donc tenus de
glorifier Dieu comme tout le monde, malgré l'humilité et la
bassesse de. leur condition. Bien mieux, il semble que leurs
louanges doivent être plus agréables à Dieu que celles des
supérieurs eux-mêmes. Car que les riches et les grands
louent Dieu, ils ne peuvent moins faire, à cause des privi-
lèges dont ils ont été l'objet. Mais les humbles et les petits
ayant moins reçu, il semble, encore une fois, que leurs
louanges doivent être plus agréables et plus chères à Dieu,
comme étant moins motivées, et par conséquent plus
désintéressées et plus spontanées. Que cette pensée encou-
rage donc tous ceux qui sont dans nne position inférieure
et dépendante, à glorifier Dieu par leurs pensées, par leurs
paroles et par leurs actions. Qu'ils le glorifient par leurs
pensées, en le remerciant et en le bénissant de ce qu'il leur
a donné, dans sa bonté infinie, et à quoi ils n'avaient aucun
droit. Qu'ils le glorifient par leurs paroles, en exprimant
vous servez, c'est le Roi des rois, c'est votre Dieu, et vous régnez en
servant Dieu ; Servire Deo regnare est. Gomme rien n'est petit au ser-
vice de Dieu, vos actions les plus viles sont aussi grandes à ses yeux
que les actions les plus importantes de vos maîtres et des plus grands
personnages du monde. Garder les troupeaux, balayer la maison, faire
ce qu'on vous ordonne par rapport à Dieu, c'est à ses yeux faire autant
et plus que les souverains qui gouvernent les empires, que les conqué-
rants qui remportent des victoires, parce qu'ils agissent ordinairement
par orgueil ; Dieu dédaigne les œuvres superbes, tandis qu'il regarde
avec complaisance ce que vous faites pour lui dans une humble obscu-
rité. Tout est égal à ses yeux, les esclaves comme les rois, rien n'est
grand que ce qui est fait pour lui. Vous voilà donc autant et plus que
vos maîtres, puisque c'est le souverain Maître que vous servez. Pauvres
serviteurs, voilà les idées que la religion vous donne de votre état ;
vous croyiez-yous si grands ? (Couturier, loc. cit.).
DEVOIR UES INFERIEURS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 22Ï
l
dans leurs conversations, lorsque les circonstances le leur
permettent, les sentiments de reconnaissance qui sont dans
leur cœur. Qu'ils Le glorifient surtout par leurs actions, en
accomplissant si bien tout ce qu'ils ont à faire, qu'on soit
forcé, en les voyant, de rendre témoignage à la vertu de la
religion qu'ils professent et à la puissance du Dieu qu'ils
adorent.
Pour s'acquitter fructueusement de leurs devoirs au
point de vue de leur salut, les inférieurs et les serviteurs
doivent encore les accomplir avec l'intention d'expier par
là leurs fautes, et d'acquérir des mérites pour le ciel. Hélas !
combien d'entre eux qui ne les accomplissent qu'avec
dégoût, et en maudissant l'état qui leur a été assigné par la
Providence divine ! Afin d'entrer dans des dispositions plus
conformes aux vues de Dieu, l'on doit se souvenir que c'est
pour expier leurs fautes que les travaux pénibles et les souf-
frances, avec la mort, ont été imposés par Dieu aux hom-
mes : Parce que tu m'as désobéi, dit le Seigneur au pre-
mier homme après qu'il eût mangé du fruit défendu, la
terre ne produira pour toi que des épines et des chardons, et
c'est à la sueur de ton visage que tu te nourriras de pain (i).
Que les ouvriers et les serviteurs ne s'étonnent donc pas de
porter leur part de ces anathèmes. Qu'ils se soumettent au
contraire, avec résignation, aux peines et aux fatigues de leur
état, comme les ayant méritées ; qu'ils les embrassent et les
supportent en esprit de foi, comme des moyens d'expiation
que Dieu leur fait la grâce de mettre à leur portée; enfin
qu'ils les lui offrent, en le priant de leur en tenir compte
sur ce qu'ils doivent à sa justice pour leurs fautes. Que ces
peines et ces fatigues leur deviendront alors salutaires ! Et
dès lors, au lieu de ne les considérer qu'avec répulsion,
combien ne leur seront-elles pas chères !
Enfin, les serviteurs et les subordonnés doivent encore
accomplir les devoirs de leur état dans un esprit d'édifica-
tion. Comme tous les hommes sont tenus d'honorer Dieu,
tous sont tenus également d'édifier leurs frères. C'est à
tous, en effet, que le divin Maître a dit : Que votre lumière
i . Gcn. ni. 18, i
222 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres
et quils glorifient votre Père qui est dans le ciel (i). Qu'on
remarque bien d'abord les termes de ce précepte. Notre-
Seigneur ne nous dit pas de faire des bonnes œuvres pour
nous attirer l'estime et les louanges des hommes, ce qui
serait de l'orgueil ; mais bien pour que les hommes, voyant
nos bonnes œuvres, glorifient Dieu qui nous les fait accom-
plir. Cela entendu, nous disons que les serviteurs et les
subordonnés, pour s'acquitter chrétiennemeut de leurs
devoirs, doivent aussi les accomplir en vue d'édifier le pro-
chain, par charité pour lui. En se proposant encore ce but,
ce sera une raison de plus pour s'acquitter parfaitement de
leurs devoirs, car on est d'autant plus édifiant qu'on est
plus parfait. Et qu'on ne dise pas que les bons exemples
des petits ne sont pas remarqués et ne produisent pas d'effet.
Très souvent, au contraire, ils sont plus éloquents que ceux
des personnes même les plus en vue. Tel, par exemple,
restera indifférent devant la vie d'un saint prêtre, parce
que, dit-il, c'est son métier de vivre ainsi ; tandis qu'il sera
touché d'abord, et ensuite converti par la conduite parfaite-
ment régulière et pieuse d'un simple domestique, parce
qu'il comprendra qu'une telle conduite ne peut être que le
résultat d'une foi vraiment sincère. Sachons bien d'ailleurs
qu'il n'est pas nécessaire que nos bons exemples produisent
réellement des fruits ; il nous est seulement commandé de
faire briller, devant les hommes, la lumière d'une vie véri-
tablement chrétienne, dans l'état où Dieu nous a mis.
Tels sont donc les motifs que les inférieurs et les servi-
teurs doivent se proposer dans l'accomplissement de leurs
devoirs, savoir : la volonté et le bon plaisir de Dieu, ainsi
que sa gloire ; l'expiation de leurs fautes et l'acquisition de
mérites pour la vie éternelle; enfin, l'édification du pro-
chain. — Il nous reste à démontrer,
III. — Combien les inférieurs doivent estimer leur
condition. — A première vue, il semble bien que ce soit
un paradoxe, et même une fort mauvaise plaisanterie,
i. Matth. v, 16.
DEVOIR DES INFÉRIE1 as ENVERS LEt us si PËRIE1 us. 220
d'avancer que la situation des petits et des serviteurs soit
digne de toute estime. Cependant, rien n'est plus vrai, et il
suffit d"\ réfléchir un peu pour en demeurer convaincu.
Étant chrétiens, nous parlons surtout, bien entendu, au
point de \ ne de la foi.
Eh bien, n'est-il pas vrai que nous devons considérer
comme spécialement digne d'estime, ce que Dieu lui-même
honore dune estime particulière? Or, de tous les états qui
se partagent les hommes, aucun n'est honoré dans l'Evan-
gile autant (pie celui des petits et des serviteurs. Le Fils
unique de Dieu veut-il se faire homme? il se choisit pour
mère une femme de la condition la plus humble, et pour
père nourricier un ouvrier. Il aurait pu naître sur un trône,
dans un palais ; c'est une crèche, dans une étable, qui a sa
préférence. Sans doute, il appelle des rois, par le moyen
dune étoile, à l'honneur de l'adorer; mais ce n'est qu'après
y avoir d'abord appelé, parle ministère d'un ange, de pau-
vres bergers, dont il était plus impatient de recevoir les
hommages. C'est ainsi que, dans tout le cours de sa vie, il
témoigna une prédilection marquée pour les humbles et les
petits, parmi lesquels il voulut choisir ses apôtres. Mais voi-
ci qui est plus significatif encore. Lui qui aurait pu être un
roi plus puissant que David et plus magnifique que Salo-
mon, quel état cmbrassa-t-il ? Il voulut n'être aussi qu'un
obscur ouvrier, et toute sa vie ne fut employée qu'à obéir à
son Père et à faire sa volonté, comme il le déclare lui-mê-
me en disant : Je ne suis pas venu pour faire ma volonté,
mais pour faire la volonté de celui qui nia envoyé, et consom-
mer son ouvrage (i). Parlant de lui, l'apôtre saint Paul nous
dit aussi, comme étant à sa louange, que bien qu'il fût l'égal
de Dieu, cependant il a voulu prendre la forme d'un serviteur,
et s'est fait obéissant jusqu'à mourir (2). Après cela, qui pour-
rait encore considérer comme méprisable un état pour le-
quel Dieu, bon juge sans doute, devons-nous croire, a mon-
tra (ant de prédilection ? Qui pourrait au contraire ne pas
avoir la plus souveraine estime pour une condition dans
1 . Jrnm. îv, 34 ; VI, 38.
2. Philip, ii, 6-8.
224 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
laquelle a voulu vivre sa vie humaine le Fils de Dieu lui-
même ? (i)
L'état d'inférieur, d'ouvrier, de serviteur est d'ailleurs, en
outre, le plus favorable pour le salut. Deux choses, en effet,
nous aident surtout à accomplir notre salut, savoir : être à
l'abri du péché, et à même de faire beaucoup d'actes méri-
toires. Eh bien, ces deux choses se trouvent précisément
réunies dans l'état dont nous parlons.
Qu'est-ce qui nous fait commettre le plus de péchés ? C'est,
sans le moindre doute, la possession des richesses. Celui qui
est riche peut satisfaire en effet toutes ses passions. Il peut
satisfaire son orgueil, en faisant d'inutiles dépenses de luxe,
pour éblouir les pauvres et surpasser ses rivaux, au lieu
i. Il est si digne et si excellent (l'état de serviteur), que le Fils de
Dieu, désirant être serviteur et ne le pouvant être en sa nature divine
et incréée, a daigné se faire homme et s'incarner au sein de la très
sainte Vierge, afin qu'éposant notre nature, il épousât quand et quand
la qualité de serviteur, qui lui est essentiellement et inséparablement
attachée ; c'est son apôtre qui nous l'enseigne : Le Sauveur, dit-il, qui
était Dieu, égal et consubstantiel à son Père, a daigné s'anéantir soi-
même et prendre la forme de serviteur : Hoc enim sentite in vobis, quod
et in Ciiristo Jesu, quid cum informa Dei esset, non rapinam arbitratus
est esse se œqualem Deo, sed semetipsum exinanivit formant servi acci-
piens (Philipp. h, C) ; la forme, ce n'est pas à dire seulement l'appa-
rence, mais l'état, la qualité et la condition de serviteur, comme disant :
Cum in j or ma Dei esset, c'est-à-dire l'essence et la nature, et il l'a mon-
tré par l'effet ; car c'est le propre d'un serviteur de ne pas faire sa
volonté, mais celle d'autrui ; de rendre service à ceux de la maison, de
ne pas répondre quand on le réprimande. Et Jésus dit en l'Ecriture :
Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais celle de mon
Père; non pour être servi, mais pour servir ; fai été comme un homme
qui n'a rien à répliquer à ceux qui le calomnient. Joan, vi, 36 ; Matth.
xx, 28 ; Ps. xxxvii, i5. C'est l'office d'un serviteur de se ceindre d'un
tablier, de laver les pieds à ceux de la famille ; et Jésus-Christ l'a fait en
la dernière cène ; c est le devoir d'un serviteur de balayer la maison et
de porter sur soi les ordures ; et Jésus a balayé l'Église, qui est la mai-
son de Dieu ; il a porté sur soi les ordures de nos péchés : Posuit in eo
iniquitates omnium nostrum. lia donc honoré votre état, puisqu'il l'a
daigné exercer ; comme si le roi exerçait la médecine, la musique ou la
peinture, on tiendrait à honnenr d'être de même profession que lui ; et
comme le poète chrétien a dit que Jésus a sanctifié en soi nos souffran-
ces et nos peines, ayant daigné s'y assujettir : Pœnam vestivit honore,
lpsaque sanctificans in se tormenta beavit ; ainsi nous pouvons et nous
devons dire, qu'il a agrandi, ennobli, sanctifié et déifié en soi la condi-
tion servile, il en est l'honneur et la gloire, il en est l'idée et le patron
(Le Jeune, loc. cit.).
DEVOIB DES INFÉRIEURS ENVERS LEURS SUPÉRIEURS, 220
d'employer ses capitaux en des entreprises <le bienfaisance.
Il peul satisfaire sou avarice, en entassant l'or el L'argent qui
lui a été donné pour le distribuer aux nécessiteux. Il peul
satisfaire sa gourmandise en des Festins somptueux, laissant
La/arc mourir de faim à sa porte. Il peul satisfaire sa Luxu
iv. en tendanl toutes sortes de pièges à l'innocence dont il
devrait rire la protection, \ussi Notre Seigneur disait-il à ses
disciples : Je vous le dis en vérité, difficilement un homme
fiche en ( l'en i (huis le royaume des eleu.r. Et j'a joule même : //
est plus aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille,-
qu'il ne l'est qu'un homme riche entre dans le royaume des
deux ( i ). Malheur donc à vous, riches (2) ! Mais il n'en est pas
ainsi des serviteurs et des ouvriers, qui sont serviteurs et
ouvriers précisément parce qu'ils ne sont pas riches, parce
qu'ils sont plus ou moins pauvres. N'ayant ni le temps ni
les moyens de satisfaire leurs passions, ils se trouvent ainsi,
grâce à leur état, à L'abri d'une foule de péchés. Et voilà
aussi pourquoi Noire-Seigneur a tout au contraire félicité et
glorifié tous ceux qui sont dans une condition humble et
petite, en leur disant : Pauvres, vous êtes heureux, car le royau-
me des deux vous appartient (3), parce que vous êtes dans
l'heureuse impossibilité de commettre les fautes qui vous
le feraienl perdre (4).
1. \lallli. xix, 23, 2'|.
2 . LllC. VI, l\.
3. Luc, vi, 20.
'1. Quand un jeune homme ou une jeune fille se veulent donner à Dieu
el prendre un genre de vie pour le servir, oh fait tant de prières, tant
de consultes et d'informations pour connaître à quel étal Dieu les
appelle; vous n'avez pas besoin de tant d'enquêtes, si vous ries serviteur
ou servante, voue êtes certain que Dieu nous a mis en ce genre d * Nie et
que sa volonté esl que nous \ demeuriez. Car saint Paul (I. Cor. vu, 20),
exhortant les chrétiens à n'être pas toujours à changer, mais à être
constants en leur vocation, un le recommande à personne en particulier,
qu'à ceux qui sont en service ; ayant dit que chacun demeure en la
vocation à laquelle il a été appelé, il n'ajoute pas : Ètes-vous roi, êtes-
vous président, ou bien, ètes-vous conseiller ? demeurez en cel office ;
mais il ajoute : Ètes-vous appelé ;'i la servitude? demeurez-y. Parcequ'il
arrive souvent que ce n'es! pas Dieu qui nous a appelé à La royauté, aux
grandeurs, ni aux richesses el aux dignités ecclésiastiques ou séculières,
mais que c'esl votre présomption, votre avarice, ou l'ambition de nos
parents ou de vos ancêtres, ou i|ue si Dieu nous y a appelé, c'est possi-
SOHMB DU PRÉDICATEUR. — T. II. 1}
'22& LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT, -r- IX. INSTRUCTION.
Les serviteurs, les ouvriers, les subordonnés trouvent en
outre, dans leur état, une grande facilité pour pratiquer
toutes les vertus recommandées par Notre-Seigneur à ses
disciples, et acquérir ainsi de nombreux mérites. S'agit-il
de l'humilité, qui est la base de toutes les vertus ? Combien
blc par réprobation, par jugement et par punition de vos péchés ou des
péchés de vos aïeux ; mais à la servitude, à la bassesse et à l'humiliation,
c'est ordinairement Dieu qui vous y appelle, et cela par providence, par
prédestination, par désir et intention de vous sauver. Aussi trouvons-
nous bien en l'Ecriture, que Dieu s'est repenti d'avoir élevé quelqu'un
à la royauté ; d'où vient qu'il disait à Samuel : Je me repens d'avoir fait
choisir Saùl pour le roi de mon peuple, la grandeur l'a corrompu, il
était innocent comme un enfant d'un an, et depuis qu'il est sur le trô-
ne, il est devenu malicieux comme un renard. I. Reg. vv, n. Mais nous
ne lisons point dans les saintes lettres que Dieu se soit jamais repenti
d'avoir mis quelqu'un en service ; au contraire, saint Paul ajoute : Si
vous pouvez sortir de servitude, n'en sortez pas, I. Cor. vu, 20 ; il n'y a
point d'état dans le monde où vous puissiez vous rendre plus agréable à
Dieu, c'est la voie la plus assurée, la plus droite et la plus aisée que vous
puissiez tenir pour vous acheminer au ciel. — C'est ce que Job enseigne
en peu de paroles par trois belles comparaisons: Homo natus ad laborem,
sicut avis at volatum ; c'est un chemin plus assuré et plus exempt de
danger ; l'oiseau qui vole et qui se promène en l'air, ne tombe pas si ai-
sément dans les pièges ou dans les fdets des chasseurs, que celui qui
s'arrête amorcé par quelque grain ou acharné à une voirie ; les servi-
teurs et les gens de basse condition qui sont toujours occupés à quelque
exercice pour gagner leur vie, ne sont pas si exposés aux tentations du
monde, du diable et de la chair, que ces gens qui mènent une vie fai-
néante, toute pourrie de paresse et d'oisiveté. D'où vient que saint Jérô-
me, écrivant à son ami, dit : Faites que le diable vous trouve toujours
occupé quand il viendra vous tenter en votre condition servile, étant
obligé de travailler quasi continuellement, vous n'avez pas le loisir d'é-
couter les tentations de Satan, votre chair matée et mortifiée par le tra-
vail ne regimbe pas aisément^ et vous allez plus droit au ciel. — Au lieu
de ces paroles : Sicut avis, une autre version porte : Sicut aquila, ou :
Sicut pulli aquilœ ad volandum. Elien dit qu'il y a cette différence entre
l'aigle et les autres oiseaux, que les autres, volant vers le ciel, y vont de
biais en tournoyant, mais que l'aigle y monte tout droit et comme
aplomb. Les grands et les riches du monde vont en paradis s'ils sont
gens de bien : mais pour l'ordinaire, avec un peu de détour, la plupart
passent par le purgatoire, pour les péchés qu'ils ont commis, ou en
acquérant, ou en conservant, ou en possédant avec trop d'affection les
biens delà terre ; mais les bons serviteurs font leurs pénitences en ce
monde... — Au lieu de ces paroles : Sicut avis, quelques-uns traduisent
de rechef : Sicut fdii ignis, c'est-à-dire que comme les bluettes de feu
montent en haut, les serviteurs qui travaillent avec les dispositions que
saint Paul leur enseigne, ont plus de commodité d'être fervents en l'a-
mour de Dieu, et de faire toutes choses par ce salutaire motif. Car un
père de famille, s'il n'est extrêmement détaché, regarde et prétend en
DEVOIR mis INFERIEURS ENVERS Lia lis SUPERIEURS. 227
oe leur est-il pas facile de la pratiquer, puisqu'ils sont dans
un état Daturellement humble, et que pour eu accomplir
les actes, ils n'ont pas autre chose à faire qu'à s'acquitter
de leurs devoirs d'état, dans un esprit d'humilité ! S'agit-il
de l'obéissance et du renoncement à la volonté propre,
qui forment la base de la vie religieuse elle-même (1)? Les
serviteurs et les subordonnés sont on ne peut mieux pla-
cés pour les pratiquer, puisque l'essence même de leur con-
dition est de faire tout ce qui leur est commandé, que ce soit
conforme ou contraire à leur goût. S'agit-il de la patience
et de la résignation ? Que d'occasions de les pratiquer, et de
les pratiquer dans un haut degré, surtout, ce qui n'est que
trop fréquent, lorsqu'on a affaire à des maîtres et à des su-
périeurs impérieux, violents, fantasques, capricieux, durs et
égoïstes, qui veulent être obéis avant d'avoir parlé, qui don-
nent à la fois plusieurs ordres contraires, qui exigent plus
qu'il n'est possible de faire, traitant en tout leurs inférieurs
avec moins d'égards et de ménagements qu'ils ne feraient
avec leurs animaux !
Sans doute, au point de vue naturel et humain, la condi-
tion de serviteur et d'inférieur est souvent fort pénible.
Mais au point de vue surnaturel et chrétien, qui est le point
de vue auquel nous devons toujours nous placer, puisque
c'est aussi le point de vue de l'éternité, l'on ne peut s'empê-
cher de reconnaître que, comme cette condition est la plus
toutes ses actions l'avancement de sa fortune et l'intérêt de sa maison,
et si c'est là son unique attention, il n'a point d'amour de Dieu ni de
mérite en ses actions ; mais un pauvre serviteur, qui ne gagne rien en
ce monde que l'entretien de sa vie, bien simple et bien chétive, peut ai-
sément faire ses actions pour la seule gloire de Dieu, et par esprit d'o-
béissance à la volonté divine (Le Jeune, loc. cit.).
1. Si velint (inferiores et famuli), sine ullis rixis cum omnibus paci-
fiée vivunt, et si suis domesticis exercitiis etassiduis laboribus pictatem
et unioncm cum Deo addiderint, non est dubium, quin conferri pos-
Bint cum sanctioribus solitudincm incolis, nec video quid faciant reli-
giosi inStituti alicujus sectatores, quod ipsi non pnestent. Illi uni supe-
riori obediunt, isti vero multis, nain ejusdem familiae fîlii omnes et fi-
liœ, jus sibi assumunt, cis imperandi ; illi jejunia instituta observant,
et isti severiorem vitamin assiduis laboribus et severiori aliquando ine-
dia exigunt; illi duriter cubant, isti cliam ; illi somnuin inlcrminpunl,
et i>lis sa?pius de noetc surgendum est, si a dominis vocentur, cl saepe
noctes insomnes ducunt (Tiran. Missionar. conc. 5o, 2. p.).
2*28 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
digne d'estime, elle est aussi la plus avantageuse. Que les
riches et les supérieurs cessent donc de considérer avec dé-
dain et mépris les pauvres et les serviteurs, puisque ce sont
ces serviteurs et ces pauvres qui sont les préférés de Dieu.
Et que les pauvres et les serviteurs, de leur côté, ne se plai-
gnent pas de leur condition, mais plutôt qu'ils la chérissent,
puisque c'est tout à la fois celle que Dieu a le plus honorée,
et celle où il est le plus facile de se sanctifier et de se sauver (i).
i. La condition de serviteur, qui est la dernière selon le monde, est
la plus avantageuse pour le salut: i° Parce que Dieu, parmi les hom-
mes en ayant destiné quelques-uns à cet état, pour maintenir l'ordre
qu'il a établi dans le gouvernement du monde, il ne faut point douter
que sa providence ne l'ait jugé le plus propre pour les desseins qu'elle
a eus sur eux ; c'est là une place que Dieu leur a choisie lui-même, c'est
là qu'il doit les combler de ses bénédictions. Quand on a lu l'Évangile
avec quelque attention, quand on a vu tous les anathèmes qui ont été
fulminés contre les grands et les riches, on ne peut douter que la pau-
vreté dont la servitude n'est que la conséquence ne soit une gi\àcc d'en
haut. Non pas que la richesse et la grandeur soient par elles-mêmes ré-
prouvées de Dieu ; on peut se sauver dans tous les états, sous la pourpre
comme sous les haillons de la misère ; mais il est incontestable que
l'on se sauve avec infiniment plus de facilité dans la pauvreté qu'au sein
de l'abondance. Ce n'est pas pour rien que Jésus-Christ a proclamé la
pauvreté bienheureuse : Beati paaperes. Avez-vous jamais réfléchi à
cette vérité que Dieu a marqué à chacun ici-bas la place qu'il doit occu-
per, et que c'est à cette place fidèlement gardée, religieusement occupée,
qu'il a promis ses grâces et ses bénédictions ? Vous murmurez peut-
être quelquefois, et vous attribuez votre sort à une nécessité fatale, à un
accident, à quelque caprice du hasard. Ce que vous appelez hasard, ca-
price du sort, accident, c'est ce que nous appelons, dans notre langage
chrétien, Providence de Dieu. Sa main vous a conduit là. Résignez-vous
et bénissez-la, car le salut vous est plus facile malgré votre esclavage,
votre dépendance, vos privations et votre assujettissement, qu'il ne l'est
à vos maîtres avec leurs richesses, leur luxe, leur indépendance et tous
les plaisirs qu'ils peuvent seiprocurer. — 20 Parce que cet état est plus
conforme à celui que le Fils de Dieu a choisi pour lui-même, et par
conséquent, si pour être sauvé il faut être conforme au Sauveur du
monde, comme dit l'Apôtre, n'est-ce pas un moyen et un avantage, que
de passer sa vie dans le même emploi qu'il a exercé durant presque
toute la sienne? Filius hominis non venit ministrari, sed minislrare. —
3° Parce que cet état conduit plus droit au ciel, par l'humiliation, la
pauvreté, le travail, qui sont attachés à la condition où Dieu les a mis,
et qu'ils sont exempts des dangers et des occasions de péché, à quoi les
autres sont exposés (Houdry-Avignon, Biblioth. des Prédic. art. Maîtres
et Serviteurs, S 1 )•
Servi imitentur oportet tôt viros sanctos, qui hominibus, tanquam
Deo, et propter Deum laudabiliter servierunt. In Veteri Tcstamento sibi
prœ caHeris imitandos proponant patriarchas Jacob et Joseph, ille diu-
DEVOIR DBS INFÉRIE1 us ENVERS LEl RS si PERIEI US. 22Q
CONCLUSION. — Chrétiens, nous venons cloue d'étu-
dier, dans Le présent entretien, ers trois questions aussi
importantes que pratiques, savoir : quelles sont les obliga-
tions des inférieurs envers leurs supérieurs: clans quel esprit
et avec quelles dispositions les inférieurs doivent s'acquitter
de ees obligations, au point de vue de leur salut ; enfin,
combien les inférieurs doivent estimer leur condition. Par
conséquent, nous savons maintenant : d'abord, que les infé-
rieurs doivent obéir à leurs supérieurs, leur être fidèles, les
respecter et les aimer ; en second lieu, que pour s'acquitter
de ees obligations dune manière utile à leur salut, les ser-
viteurs doivent se proposer, en les accomplissant, de faire
la volonté de Dieu et de lui plaire, de le glorifier, d'expier
Leurs fautes et d'acquérir des mérites, enfin d'édifier leur
prochain : en troisième lieu enfin, nous savons que la con-
dition des petits et des inférieurs est celle pour laquelle
Dieu a toujours montré le plus de prédilection, et celle où
il est le plus facile de se sanctifier et de se sauver, parce
qu'on y peut mieux que dans les autres éviter le péché et
pratiquer les vertus chrétiennes. Encore une fois, serviteurs
et subordonnés, ouvriers et employés de tout genre et de
tout rang, voilà quelles sont les obligations de votre état,
ainsi que la manière de vous en acquitter pour le bien de
votre âme, et voilà quels en sont aussi les avantages. De ce
double exposé il résulte, comme nous en avons déjà fait la
remarque, que si Dieu, dans l'organisation de la société
tissime et fidelissime servivit, ut constat ex cap. 3o Gen. Joseph vero,
quam pudice, prudenter et fidelitcr in domo Putiphans servivit, ut di-
citur cap. 3q Gen., et de eo testatur Moyses, quod illi creditis omnibus,
nihilin suafamilia noveral dominus ejus ; nisi panem quo vescebalur.
In Novoautem Testamento innumeri sunt, qui aliis serviendo ea ratione,
auam exposuimus, meruerunt in sanctorum numerum adscribi et inter
alios: s. Vitalis, servus s. Agricole, 4 novembris; s. Frumen ms, 27
octobris : s. Onesimus, de quo loquitur d. Paulus scribens ad Philemo-
nem, fuit martyr, 26 februarii : s. Paulinus, Nolae episcopus, qui pro
filioviduœ redimendo semetipsumin servitutem tradidit Vandahs, sua-
mie fidelitate, diligentia, mansuetudine, pradentia et sanctimonia, tam
Bibi auam suis civibus omnibus libertatem impetravit. -Anculae sibi
imitandasproponanl : s. Felicitarfi, mart. 7 martii ; s Blandinam mar-
tyrem Lugduni ; s. Ghristinam, virg. et mari. -M juin ; s. Merenciam,
a3 januarii; s. Potanienam, dequa Palladiusin historia; s. Zitam, virg.
27 aprilis. Et alias. ÇTiran, loc. cit.).
2.3o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
humaine, qui est son ouvrage, vous a imposé un fardeau
parfois pénible et rebutant ; il a su, par contre, vous ména-
ger de telles compensations, que votre état est en somme,
pour un chrétien, le plus avantageux. C'est pourquoi l'apô-
tre saint Paul conseillait aux esclaves chrétiens de rester
esclaves, alors même qu'ils auraient pu devenir libres (i).
Combien plus ne conseillerait-il pas aux serviteurs d'au-
jourd'hui de rester dans leur état, même pouvant en sortir !
Et il en donne la raison, c'est que l'esclave chrétien ou le
serviteur chrétien est l'égal de son maître devant Dieu, l'un
et l'autre n'étant, devant Dieu, que ses créatures- et ses ser-
viteurs (2). Le serviteur est même plus grand devant Dieu
que son maître, s'il le sert mieux; car, dit toujours le même
apôtre, il ne sert à rien, devant Dieu, d'être ceci ou cela,
maître ou serviteur, le tout est d'observer ses commande-
ments (3). Serviteurs, ouvriers et employés chrétiens, obser-
vez donc les commandements de Dieu, en accomplissant les
obligations qu'il vous a imposées, et en vous proposant de
le servir lui-même en la personne de vos supérieurs, qu'il a
établis pour être ses représentants à votre égard ; et bien que
votre état vous paraisse bas et vos occupations petites, ayez
confiance, c'est à vous spécialement que le seul vrai Maître
de tous les hommes, lorsqu'à la mort voifs paraîtrez devant
lui, dira : Allons, bon et fidèle serviteur, parce que vous avez
été fidèles en de petites choses, je vais vous établir sur de gran-
des, entrez dans la joie de votre Seigneur (4). Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
Serviteurs modèles.
1. — Saint Isidore, garçon laboureur, s'était, dès sa jeunesse,
mis au service d'un gentilhomme de Madrid, pour labourer sa
1. I. Cor. vu, 21, suivant l'interprétation de s. Jean Chrysostome,
des. Thomas, d'Estius, etc.
2. I. Cor. vu, 22.
3. I. Cor. vu, 19.
4. Matth. xxv, 2i.
DEVOIR DES IM llUl.l lis ENVERS LE1 US SUPÉRIE1 RS. 201
terre et faire valoir une de ses fermes. Il resta toujours attaché au
service du même maître, dont il prit les intérêts comme s'il eus-
sent été les siens, n'épargnant ni peine ni fatigue pour les soute-
nir, en sorte qu'il pouvait lui dire comme Jacob à Laban : J'ai
travaillé durant les nuits, j'ai supporte' le froid et le chaud pour
conserver et augmenter votre bien. Vous aviez peu de chose
avant que je fusse avec nous, et maintenant vousvoilà riche. Gen.
\w. 3o. — Mais cette application aux devoirs de son état ne
porta jamais préjudice à ceux de sa religion. Isidore savait conci-
lier les nus avec les antres. Son maître lui accorda la liberté
d'aller tous tes jours à l'office de l'Église. Le saint n'en abusa
jamais. Il puisait, au contraire, dans le sein de la religion, avec le
respect et l'amour de son maître, un zèle infatigable pour le tra-
vail. 11 se levait tous les jours de grand matin pour satisfaire tout
à la foisjCt à sa piété, et à ses obligations.il commençait la jour-
née par visiter les églises, où il entendait la sainte Messe et faisait
ses prières ; puis il allait à son travail, qu'il avait soin d'offrir à
Dieu, et il s'en acquittait si bien, que son maître reconnut qu'il
n'\ avait pas, dans tout le territoire, un champ mieux cultivé
que le sien. — On voit qu'Isidore, par cette conduite, confond ces
domestiques tièdes, et beaucoup d'autres chrétiens négligents, qui
prétendent que les occupations extérieures ne leur laissent point
de temps pour vaquer aux exercices de piété. Il faisait de son tra-
vail même un acte de religion, en s'y portant avec un esprit de
pénitence, et en se proposant l'accomplissement de la volonté
divine. Plus il était pénible, plus il lui devenait cher ; c'est qu'alors
il lui paraissait plus propre à dompter la chair, et devenait la
matière d'une pénitence plus parfaite. En labourant la terre, il
était pénétré de l'esprit des anachorètes. Tandis que sa main con-
duisait la charrue, son cœur conversait avec Dieu et avec les esprits
bienheureux. Tantôt il déplorait ses misères et celles des autres
hommes, tantôt il soupirait après les délices de la Jérusalem
céleste. Ce fut par un amour de la prière, joint à la pratique con-
tinuelle de l'humilité et de la mortification, qu'il acquit, dans son
humble condition, cette sainteté éminentequi le rendit l'objet de
l'admiration de toute l'Espagne. Il avait épousé Marie Torribia,
fort recommandable aussi par sa vertu. Il mourut en 1170.
2. — Saint Jean de Dieu, allant au secours des chrétiens escla-
ves en Afrique, rencontra à Gibraltar un gentilhomme portugais,
que le roi Jean III avait dépouillé de tous ses biens et condamné à
l'exil. Les ofliciers du prince étaient chargés de le conduire avec sa
femme et ses enfants à Ceuta, en Barbarie. Jean, par charité, se
232 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
mit gratuitement à son service. Mais à peine fut-on arrivé à Ceuta,
que le chagrin et l'intempérie de l'air causèrent au gentilhomme
une maladie fâcheuse. Il fut bientôt réduit à une extrême nécessité,
et obligé de vendre, pour sa subsistance et pour celle de sa famille,
le peu qu'il avait apporté. Cette ressource ayant manqué, notre
saint y suppléa en vendant tout ce qu'il possédait. Il ne s'en tint
pas là ; il alla encore travailler aux ouvrages publics, et employa
le salaire de ses journées au soulagement de ses malheureux maî-
tres. Cette conduite si charitable lui attira des grâces si abondan-
tes, qu'il devint fondateur de l'ordre de la charité, pour le soula-
gement des pauvres et des malades dans les hôpitaux. Sa mort
arriva en i55o.
3. — Un ancien chevalier de Saint-Louis, réduit à la misère la
plus extrême, choisit Paris pour sa retraite, comme un séjour plus
propre à cacher à tous les yeux son nom, son indigence et ses
malheurs. Il se loga dans un grenier, n'ayant pour tout mobilier
qu'une botte de paille ; pour habits que quelques tristes lambeaux
de son ancien uniforme ; pour société, pour compagnie, que dirai-
je enfin, pour ami, qu'un vieux domestique qui lui était attaché
depuis longtemps. Un jour, ce militaire dit, les larmes aux yeux,
au seul témoin de sa douleur, au seul confident de ses peines :
« Mon ami, tu vois ma misère ; tu la partages depuis longtemps ;
éloigne-toi pour jamais du plus infortuné des hommes ; va cher-
cher une condition plus heureuse ; il me restera encore les regrets
de ne pouvoir récompenser tes services. Va, fuis ton malheureux
maître... — Ah ! mon cher maître, s'écria ce fidèle serviteur, fon-
danten larmes et se jetant à ses pieds, me croyez-vous assez lâche
pour vous abandonner dans l'adversité, lorsque j'ai éprouvé vos
bienfaits dans votre ancienne prospérité? Non, je ne vous quitterai
point ; mon industrie, mon zèle et mon inviolable attachement me
fourniront des ressources pour soulager notre commune indi-
gence. » Qui pourrait peindre l'admiration et l'attendrissement de
ce maître affligé ! 11 embrasse tendrement ce serviteur généreux, et
lui dit : « Le ciel n'a pas encore épuisé sur moi tous les traits de
son indignation ; puisse-t-il te récompenser de si nobles senti-
ments ! » Ce domestique, plein de joie et de confiance, eutrecours
aux moyens que son zèle et son affection lui suggérèrent. Il appor-
tait tous les jours ce qu'il avait reçu des charités publiques ; et il
n'était jamais plus satisfait que quand il pouvait apporter un peu
de vin pour son cher maître : « Bénissons la Providence, disait-il
en rentrant, elle nous a favorisés aujourd'hui. » Il tâchait d'adou-
cir, par le récit de ce qu'il avait appris de plus curieux, la situation
DEVOIR DES IM 'l'un l RS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 2,33
pénible et douloureuse do son maître. Mais un jour... jour fatal!...
ce vertueux domestique fut arrêté par la police. Sa figure, sa bonne
constitution, le liront regardercomme un de ces gens oisifs, livrés
à toutes sortes de vices, à charge à l'État et à la société. On le
présenta au lieutenant général de police ; ce magistrat l'interrogea-
Le domestique, sans se déconcerter, lui repondit avec cette noble
et mâle assurance qu'inspire une conscience irréprochable, 11 lui
demanda la faveur de vouloir bien l'entendre en particulier, ayant
un secret important à lui communiquer. Le magistrat y consentit.
« Je ne doute point, lui dit alors ce brave jeune homme, que vous
ne m'accordiez votre protection, lorsque je vous aurai fait part de
ma conduite. » 11 l'instruit alors de tout ce qui se passait entre
son maître et lui. Le magistrat fut attendri, et envoya aussitôt un
exempt chez le vieux chevalier de Saint-Louis, pour s'assurer si
on lui avait dit la vérité. L'exempt trouva en effet le malheureux
guerrier étendu sur une botte de paille. 11 rendit compte au lieu-
tenant de police de ce qu'il avait vu. Celui-ci en parla au roi, qui
accorda une pension à l'officier, et une au dévoué domestique.
Servantes modèles.
i. — Genséric, roi des Vandales, s'étant emparé de Carthage en
439, fit vendre comme esclaves les femmes et les filles de qualité
qu'il put prendre. Parmi ces illustres captives, se trouvait une
jeune vierge chrétienne nommée Julie, d'une des meilleures famil-
les de la ville. Elle fut vendue à un païen nommé Eusèbe, qui la
mena en Syrie. 11 est aisé de comprendre combien Julie fut sensible
à cet affreux changement de condition. Une jeune fille de qualité,
nourrie dans l'abondance et la délicatesse, accoutumée dès l'en-
fance à être servie avec tous les soins et toutes les attentions mi-
nutieuses que l'on prodigue ordinairement aux jeunes personnes
de son rang, se voir réduite à la condition d'une pauvre esclave,
obligée de servir elle-même un maître inconnu et païen, de sup-
porter les travaux accablants d'une femme de charge, et pardessus
tout, de se voir arrachée du sein d'une famille honnête, chrétienne
et chérie, pour être transférée dans un pays inconnu, au milieu
d'une nation idolâtre et corrompue, quelle désolante position
pour une jeune fille de haute naissance ! — Mais Julie trouva dans
sa piété solide, dans sa foi vive et dans sa ferme confiance en Dieu,
un moyen sur de sanctifier toutes les peines attachées à celte dure
servitude. Toujours elle adora les desseins de la Providence dans
ses malheurs; elle les regarda comme des épreuves et des moyens
de sanctification que Dieu lui envoyait, et elle sut toujours s'en
234 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
servir pour se perfectionner dans la vertu. Le souvenir de Jésus
persécuté tempéra l'amertume de son cœur, arrêta le cours de ses
larmes, etlui apprit atout souffrir avec la patience et la douceur
que son divin Maître pratiqua dans le cours de sa Passion. La vue
du crucifix, qu'elle portait sur son cœur, ranimait de jour en jour
sa ferveur, et lui donnait, chaque fois qu'elle le contemplait, un
nouveau goût pour les souffrances, jusque-là que, loin de s'en
plaindre jamais, elle en vint jusqu'à chérir son état, et à le préfé-
rer à tout pour l'amour de Jésus-Christ. Elle comprit qu'elle
n'avait pas cessé d'être sa servante, pour être réduite à servir un
païen. Aussi s'étudia-t-elle à se sanctifier dans l'humiliante et
pénible condition d'esclave et de servante, en remplissant parfai-
tement les devoirs de son état, et en les conciliant avec ceux de sa
religion. Jamais elle ne manqua à rien de ce qu'elle devait à Dieu
et aux hommes. Elle était toujours appliquée, et sa dévotion ne
fut jamais oisive. Le temps qui lui restait, après qu'elle avait fait
dans la maison de son maître ce que son devoir exigeait, elle le
consacrait à la prière et à la lecture des livres de piété. Elle ajou-
tait même des jeûnes et des austérités rigoureuses à la fatigue de
son travail. Aussi Notre-Seigneur récompensa-t-il abondamment,
dès cette vie, les généreux sacrifices de sa fidèle servante. Car il
répandit dans son âme des consolations si douces, qu'au milieu
des humiliations, des fatigues et des peines de son état, elle avait
toujours le visage gai et riant. — Enfin, son application au travail,
sa modestie, sa douceur, et toutes ses vertus la firent bientôt
admirer des païens mêmes au milieu desquels elle vivait, et ils ne
pouvaient s'empêcher de louer la religion chrétienne qui inspire
une si sainte conduite. Son maître surtout en conçut une si haute
estime, qu'il la regardait avec vénération, et disait souvent qu'il
aimerait mieux perdre tous ses biens que de perdre son esclave.
Une circonstance prouva clairement qu'il disait vrai. Il emmena
Julie avec lui dans un voyage qu'il fit en Corse. Le gouverneur de
cette île la lui ayant demandée, lui offrit en échange quatre de ses
meilleures esclaves à son choix, ou tout l'argent qu'il voudrait.
« Tout votre bien, répondit Eusèbe, ne suffirait pas pour payer ce
qu'elle vaut ; je me déferais de ce que j'ai de plus cher et de plus
précieux pour la conserver. » Julie ne profitait des bonnes grâces
de son maître que pour pratiquer avec plus de liberté et de ferveur
les exercices de sa religion. — 11 est sans doute bien consolant
pour une servante affligée de mériter à ce point l'estime de ses
maîtres. Mais qu'il est doux de posséder l'amour du divin Maître!
Pour une âme qui en est pénétrée, rien n'est dur et pénible en ce
DEVOIR DES INFÉRIEURS ENVERS LEURS SUPERIEURS. 235
i
monde. Les tribulal ions lui deviennent consolantes, et son exil
n'est prolongé ici-bas que pour la rendre plus digne de la
félicité éternelle. C'est le bonheur que mérita sainte Julie, le mo-
dèledes servantes. Au milieu de ses souffrances, elle n'avait cessé
de demander à Dieu, par l'intercession de la très sainte Vierge, en
qui elle avait une tendre dévotion, la grâce unique de se sanctifier
dans les peines, et de l'aimer toujours. Elle fut exaucée; le ciel,
par une chaîne admirable d'événements, la conduisit à la sainteté,
et l'éleva à la dignité de vierge et de martyre. — Si donc une
jeune personne de haute naissance a été si bonne servante et si
bonne chrétienne en même temps, pourquoi n'aurait-elle point
d'imitateurs parmi ceux de basse condition, qui ont toujours servi,
et n'ont point été accoutumés d'être servis ? Ce genre d'emploi
leur est, pour cette raison, plus facile qu'à ceux qui ont été élevés
délicatement.
2> _ Sainte Zite était fdle d'un pauvre paysan d'Italie. A peine
âgée de douze ans, elle fut mise au service d'un bourgeois de la
ville de Lucques, et dès lors elle comprit fort bien que la véritable
dévotion consiste à remplir parfaitement les devoirs de son état,
sans négliger ceux de sa religion. Elle avait même coutume de
dire, dans un âge plus avancé: « Les principales qualités d'une
servante chrétienne sont la crainte de Dieu, la fidélité, l'humilité,
la douceur, l'obéissance et l'amour du travail ; nulle servante
dévote, si elle n'est laborieuse. Une dévotion fainéante surtout,
ajoutait-elle, dans les gens de notre condition, est une fausse
dévotion. » Aussi se montra-t-elle extrêmement fidèle à suivre ces
maximes. Durant près de soixante ans qu'elle fut au service du
même maître, on ne la vit jamais sans quelque ouvrage. Elle était
tellement appliquée aux emplois de son état, qu'il n'était besoin
de lui rien commander. Elle prévenait tout, et on eût dit qu'elle ne
pensait à rien autre chose. Cependant son occupation au travail ne
l'empêchait pas de vaquer aux exercices de dévotion. Elle savait
tout concilier pour servir son Dieu et ses maîtres. Toujours levée
dès la pointe du jour, elle donnait à la prière un temps que les
autres accordaient au repos ; et avant que le service demandât sa
présence, elle avait toujours assisté à la Messe. Elle était sans
cesse unie à Dieu pendant ses occupations ; en sorte qu'elle tra-
vaillait tout le jour, et tout le jour elle était en prière, et son tra-
vail n'interrompait jamais son oraison. Il était lui-même une
oraison continuelle par l'esprit intérieur avec lequel elle le faisait.
Embrasée continuellement du feu de l'amour divin, on l'entendait
s'écrier souvent : « Oui, mon divin Époux, je vous aime, » Elle
236 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. I\. INSTRUCTION.
s'était fait une petite cellule dans le coin le plus retiré de la mai-
son ; elle y allait de temps en temps passer la nuit dans une haute
contemplation ; et les autres domestiques ont attesté avoir vu
souvent, pendant la nuit, cette cellule éclairée d'une lumière
éblouissante. Dieu fît souvent de pareils miracles pour manifester
la sainteté de sa servante. S'étant, un matin, un peu trop aban-
donnée à sa dévotion, elle se souvint un peu tard qu'elle devait
pétrir. Elle condamna sa dévotion. Courant pour réparer sa faute,
elle trouva que Dieu y avait pourvu : tout se trouva prêt à mettre
le pain dans le four. — Son humilité, son obéissance et sa douceur
répondaient parfaitement à ses autres vertus. Elle était pénétrée
de si bas sentiments d'elle-même, qu'elle s'étonnait que tout le
monde ne la méprisât pas; et on était persuadé que le seul plaisir
qu'on pût lui faire, c'était de la mépriser. Elle respectait les autres
domestiques comme ses maîtres. On n'avait qu'à parler, on était
obéi : jamais difficulté, jamais réplique. Plusieurs personnes
prenaient quelquefois plaisir à éprouver sa parfaite soumis-
sion, en l'envoyant à une demi-lieue de la ville dans un temps de
pluie et d'orage. Zite partait avec joie, faisait la commission avec
ponctualité, et revenait toute en eau s'en se plaindre. — Sa dou-
ceur désarmait les plus emportés ; un seul mot de sa part suffisait
pour adoucir son maître, lorsqu'il était en colère. — Dieu permit
que son humilité et sa douceur fussent bien exercées pendant plu-
sieurs années. On traitait de bêtise et de simplicité sa retenue et sa
modestie ; et l'on voulait que le motif de sa diligence à prévenir
ses devoirs, fut une jalousie et un orgueil secret. Sa maîtresse
n'agréait plus rien de ce qu'elle faisait. Les manquements et les
défauts des autres domestiques du logis étaient toujours un nou-
veau sujet de gronderie contre notre sainte. On blâmait son
silence et sa dévotion ; on raillait sa délicatesse de conscience et sa
ponctualité ; sa vie pénitente était à charge. Mais au milieu de ces
mauvais traitements, Zite ne se démentit jamais en rien. Toujours
même douceur, même calme, même application à ses devoirs ; et
il ne sortit jamais de sa bouche un seul mot de plainte. Une vertu
si éprouvée et si persévérante se fit jour à travers l'antipathie et
la malignité. Ses maîtres découvrirent enfin ce trésor, et prirent
en elle une si grande confiance, qu'ils s'en remirent à elle seule
du soin de toute la dépense de la maison et du domestique ; et ce
fut dans ce genre de fonction qu'ils virent surtout éclater la fidé-
lité de leur sainte servante. On ne peut dire quelles furent son
exactitude, sa vigilance et son application à ne rien perdre du
bien dont le maniement lui était confié. Elje le regardait comme
DEVOIR DES [NFERIEl KS ENVERS LEURS Si PERIEURS.
un dépôt dont clic devait rendre compte à Dieu, et elle en pre-
nait tant de soin, que son économie allait jusqu'au scrupule.
3. _ Agathe servait un vieillard, que les infirmités de l'âge et
de sos longs travaux avaient rendu capricieux et exigeant. Cette
bonne tille donnait tous ses soins à son maître avec la plus ten-
dre sollicitude, et avec un dévouement à toute épreuve. Toujours
calme, douce et patiente, elle portait son cœur entre ses mains, et
la sérénité la plus parfaite rayonnait toujours sur son visage. Très
exacte à remplir ses devoirs religieux, elle s'appliquait à imiter,
autant qu'il était en elle, la vie humble et cachée de la Très
Sainte Vierge. Elle s'efforçait de faire, à son exemple, toutes les
plus petites actions de sa journée avec perfection et en union avec
Dieu. Souvent elle était elle-même malade, mais elle ne s'écoutait
pas. L'esprit de mortification lui faisait porter ses douleurs avec
joie, et même plusieurs des personnes qui allaient la visiter dans
sa maladie en revenaient surprises et édifiées, en la voyant d'une
humeur si gaie au milieu de ses souffrances. — Elle était devenue
la conseillère des servantes plus jeunes qu'elle, et, dans leurs
peines, celles-ci venaient lui demander ses avis. Sa haute vertu
lui avait mérité le bonheur de communier plusieurs fois par
semaine, et de faire partie d'une pieuse association en faveur des
pauvres filles de service. Mais lorsque son devoir l'appelait auprès
de son maître, elle laissait tout pour ses désirs, même les plus
capricieux et les plus contrariants pour elle. Souvent, sur le point
de sortir pour aller s'asseoir à la Table sainte, ou pour assister
aux réunions de la société dont elle faisait partie, son maître l'ap-
pelait : elle renvoyait alors tranquillement sa communion à un
autre jour, et se privait des consolations qu'elle éprouvait dans
ces saintes assemblées, n'hésitant pas un instant entre le devoir et
le conseil. « Dieu le veut ainsi », disait-elle, et cette pensée suffi-
sait pour la dédommager des jouissances si pures qu'elle s'était
promises. — Elle mourut saintement comme elle avait vécu, et
fut accompagnée à sa dernière demeure par un grand nombre de
domestiques qui l'avaient connue, ou qui avaient entendu parler
de ses vertus. Son enterrement fut un véritable triomphe.
Pour les serviteurs et les maîtres.
Carloman, fils aîné de Charles Martel et frère de Pépin, roi de
France, va inconnu au Mont-Gassin, avec un de ses plus fidèles
serviteur». H demande à parler à l'abbé; il se prosterne devant
lui. disant : « Mon Père, voici un pauvre homicide, tout chargé
d'iniquités, qui vous demande miséricorde. — D'où êtes-vous ?
238 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTION.
lui dit l'abbé. — Je suis un misérable Français, qui suis sorti de
mon pays pour venir faire pénitence, et expier mes crimes en ce
monastère, s'il vous plaît de m'y recevoir. » Il faut remarquer
que ces homicides dont il parlait, c'est qu'il avait tué des barbares
en des guerres très justes. Et ainsi il est reçu au monastère avec son
second. Après le noviciat et la profession, on le met à la cuisine
pour servir le cuisinier ; mais, comme il n'avait jamais fait
ce métier, il y commettait plusieurs fautes ; si bien que le cui-
sinier, qui n'était pas des plus patients, lui disait : « Qui m'a
ici amené ce lourdeau ? Quelle pécore m'a-t-on ici donnée ! » Et il
lui donnait de grands soufflets. Le saint prince, tout doucement,
lui répondait : « Mon frère, Dieu vous le pardonne ! » D'autres
fois, il lui donnait de grands coups de poing sur le dos, et ce
saint de rechef lui disait : « Mon frère, Dieu vous pardonne ! »
Mais comme il recommençait toujours à le frapper, le serviteur
du saint, perdant patience, lui dit : « Savez-vous bien qui est celui
que vous maltraitez ? C'est Garloman, frère du roi de France. »
Serviteurs et subordonnés, apprenez de ce bon prince à souffrir
patiemment les torts, les mépris, les injures qui vous sont faits, à
les recevoir et endurer pour pénitence de vos péchés. Mais que les
maîtres et les supérieurs se souviennent aussi que, quand ils
seront au jugement de Dieu, et qu'ils verront tel serviteur parmi les
hienheureux, on leur dira : « Savez-vous bien à qui vous vous êtes
joué, qui est celui que vous avez méprisé ? c'est un prince, non de
France, mais du ciel ; c'est un enfant de Dieu, c'est un frère de
Jésus-Christ ! i Et Dieu sait comme ils en seront punis.
DIXIEME INSTRUCTION
(Mercredi de la Troisième Semaine)
C'est un devoir pour tout chrétien
de remplir ses obligations civiques.
I. OLligations civiques de ceux qui gouvernent. — IL Obligations
civiques de ceux qui sont gouvernés.
Outre nos devoirs envers Dieu, qui sont les premiers et
les plus sacrés de nos devoirs, nous avons déjà vu que nous
avons à nous acquitter de ceux qui nous sont imposés pour
le bien de la société familiale, c'est-à-dire des devoirs res-
pectifs des parents et des enfants, et de ceux qui nous sont
également imposés pour le bien de la société domestique,
c'est-à-dire des devoirs respectifs des supérieurs et des infé-
rieurs. Mais au-delà de la société familiale et de la société
domestique, apparaît une troisième société, dont nous fai-
sons encore nécessairement partie, et qui est la société
civile. À proprement parler, la société civile n'est que l'ex-
tension de la société domestique, comme celle-ci n'est déjà
que l'extension de la société familiale. En effet, la société
familiale s'étend en s'adj oignant des serviteurs, et forme
ainsi la société domestique. Et la société domestique, en
s'unissant à d'autres sociétés semblables, s'étend et forme à
son tour la société civile, laquelle comprend par consé-
quent tous les individus ayant la même origine, les mêmes
goûts, les mêmes mœurs, les mêmes intérêts.
Or, de même que la société familiale et la société domes-
tique sont formées de deux éléments, la première, des
parents et des enfants, la seconde, des maîtres et des servi-
teurs, qui ont tous des devoirs à remplir les uns à l'égard
des autres ; de même la société civile est pareillement for-
•mée de deux éléments, des citoyens qui gouvernent et des
<il<>\(ii> qui sont gouvernés, lesquels, scmblablement, ont
aussi à accomplir les devoirs des uns envers les autres*
240 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. IX. INSTRUCTOX.
C'est de ces devoirs que nous allons nous occuper aujour-
d'hui. Saint Paul, qui se réclamait de son titre de citoyen
romain (i), pour bénéficier des privilèges qui s'y trou-
vaient attachés, n'avait garde sans doute d'en omettre les
devoirs. Le Maître lui en avait donné l'exemple, lorsqu'il
n'hésita pas à faire même un miracle pour payer le tribut
légal (2). Les chrétiens doivent donc se montrer scrupu-
leux observateurs de cette nouvelle classe de devoirs, aussi
bien que tous les autres. Mais pour les bien observer, il
faut les bien connaître. C'est pourquoi, nous le répétons,
nous allons en faire le sujet de notre entretien de ce soir.
Et parce que l'Église ne cache pas aux enfants les devoirs de
leurs parents, ni aux serviteurs les. devoirs de leurs maî-
tres ; elle ne cache pas non plus aux citoyens qui sont gou-
vernés, les devoirs qu'ont à remplir à leur égard les
citoyens qui les gouvernent. C'est un motif, pour ces der-
niers, de rester dans la limite de leurs droits; et pour les
autres, un moyen de connaître les abus dont ils pourraient
être victimes, de les signaler et de s'y soustraire. En consé-
quence, nous allons exposer, d'ailleurs brièvement, d'abord
les devoirs, des citoyens qui gouvernent la société, c'est-à-
dire des chefs d'Etats et de leurs agents ou magistrats, et
ensuite ceux des citoyens qui sont gouvernés, c'est-à-dire
de la masse du peuple. Un tel sujet doit d'autant plus
piquer votre curiosité et fixer votre attention, que tout en étant
de la plus extrême importance, il est en général peu connu,
n'étant que très rarement traité. — 0 Dieu, qui n'êtes pas
moins l'auteur de la société civile, que de la société fami-
liale et de la société domestique, et qui en avez réglé tous
les devoirs, favorisez-nous de vos lumières, afin que l'exact
accomplissement de nos obligations civiques nous facilite,
selon vos vues, l'accomplissement de nos autres obligations,
et par suite la sanctification et le salut de notre âme.
I. — Obligations civiques de ceux qui gouvernent
la société. — Ceux qui gouvernent la société, quel que soit
1. Act. xvi, 37.
2. Matth. xvii, 2G.
OBLIGATION D* ACCOMPLIR LÉS DEVOIRS CIVIQUES. 2 \ l
Le degré de la hiérarchie qu'ils occupent, depuis le trône
royal, ou Le siège présidentiel, jusqu'à la dernière Fonc-
tion, doivenl être considérés comme les pères de ceux sur
lesquels ils onl autorité. C'est ce que pensaient les païens
cu\ mêmes, puisqu'à Rome les sénateurs portaient précisé-
menl le nom de o pères » (i). Eu France également, l'un
de nos rois qui se sont le mieux, acquittés de leurs devoirs,
Louis Ml. recul des états généraux'de la nation le surnom
de « Père de la patrie. » Rien de mieux fondé d'ailleurs
que cette conception, qui assimile, dans une certaine me-
sure. Les chefs ei les dépositaires de l'autorité civile aux
pères de famille. De même, en effet, que c'est de Dieu que
les pères tiennent leur autorité, et qu'ils sont ses représen-
tants devant leurs enfants ; de même c'est aussi de Dieu que
Les chefs civils tiennent en principe leur pouvoir, et qu'ils
sont les représentants vis-à-vis de leurs administrés. Car
les hommes, par eux-mêmes, n'ont aucun pouvoir sur leurs
semblables. // n'y a point de puissance, dit l'apôtre saint
Paul, qui ne soit établie de Dieu, et à regard de celles qui le
sont, c'est Dieu qui y a mis U ordre (2).
1. Patres conscripti .
:>. . Rom. xiii, 1. — // n'est pas de puissance qui ne vienne de Dieu.
Que dites-vous ? Tout prince est-il donc établi de Dieu ? Je ne dis pas
cela, car il n'est pas question dans mes paroles de tel ou tel prince, mais
de la chose elle-même, c'est-à-dire du pouvoir en général. Or, qu'il
y ait des gouvernements, qoc les uns commandent et que les
autres obéissent, que tout ne soit pas abandonné au hasard et sans
règle, ni les peuples ballotés comme les Ilots de la mer, je dis que
c'esl l'œuvre de la sagesse divine. Aussi saint Paul n'a pas dit : Il n'y a
point de prince qui ne vienne de Dieu ; mais, parlant de la chose même,
il dit : // n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu (S. Jean Ghrysost.
hom. 18. sur l'Ép. aux Rom. n. 11).
Dieu esl le principe cl l'auteur de toute hiérarchie, ei par là même le
pouvoir, comme tel, est toujours divin. Ce n'est pas quelque chose qui
procède orig'maircinenl d'en bas, par exemple, d'une volonté humaine
quelconque, ni d'un fait, ni d'un pacte, ni d'un prétendu droit popu-
laire el du suffrage des foules. Même quand ces sortes de causes con-
tribuent extérieurement à la naissance historique et à la constitution
du pouvoir, elles en fournissent loul au plus la matière, en en déter-
minant le sujet ; mais elles n'\ donnent jamais et ne sauraient y don-
ner la forme, c'est-à-dire ce qui fonde dans l'homme le droit moral de
commander aux autres. // n'y a de puissance que de Dieu, el celles qui
existent ont été ordonnées pav lui. Le pouvoii donc n'est pas quelque
chose qui ait sa racine en bas. Non, comme la lumière, comme l'intel-
SOMME DU PREDICATEUR. — T. II. !<j
ll\2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
Ceux qui gouvernent, ainsi que leurs agents, étant donc
d'une certaine manière, disons-nous, comme les pères de
la société, leurs obligations ont aussi par là même une cer-
taine ressemblance avec celles des pères de famille.
Ils doivent en conséquence bien savoir, avant tout, que
comme Dieu ne donne pas aux parents leurs enfants pour
eux-mêmes, mais pour qu'ils pourvoient à leurs besoins ;
ainsi n'est-ce pas pour leur avantage propre que Dieu
remet l'autorité entre les mains de ceux qui gouvernent la
société, mais bien pour l'avantage de la société elle-même.
Sans doute, de même que les pères de famille tirent de leurs
enfants certains avantages, comme par exemple un aide
dans leurs travaux, une assistance dans leurs besoins ;
ceux qui gouvernent peuvent également tirer, de leur situa-
tion, divers bénéfices parfaitement légitimes, en particulier
ligence, comme la grâce, comme tout ce que la terre reçoit du ciel, le
pouvoir vient et ne peut venir que d'en haut, d'où il suit que ceux-là,
qu'ils le veuillent ou qu'ils ne le veuillent pas, sont les destructeurs de
toute autorité, et par conséquent de tout ordre, qui bien que se quali-
fiant de conservateurs et d'hommes d'ordre, font profession de rejeter
de l'état de choses moderne toute notion de pouvoir divin. L'autorité
créée n'a droit à l'obéissance, à la soumission, au respect, que parce
qu'elle provient au moins médiatement de Dieu (Le card. Pie, Dis-
cours, etc., tome vin, p. i3i).
Lorsque nous enseignons, d'après la doctrine de l'Apôtre, que tout
pouvoir vient de Dieu, nous ne prétendons point que le pouvoir est de
droit divin, en ce sens que Dieu désigne directement certains hommes,
certaines familles pour porter le sceptre, et renouvelle ainsi une sorte
de théocratie permanente dans les sociétés. « A entendre certains hom-
mes se moquer du droit divin des rois, dit le savant Balniès, on
dirait que nous, catholiques, nous supposons pour des individus
ou pour des familles royales comme une bulle d'institution envoyée du
ciel et que nous ignorons grossièrement l'histoire des vicissitudes des
pouvoirs civils. » Or, rien n'est plus faux que cette explication de la
maxime : le pouvoir est de droit divin. La grande majorité des théolo-
giens et des docteurs catholiques enseignent que le pouvoir en lui-
même, quelle qu'en soit la forme, république ou monarchie, quel
qu'en soit le représentant, président ou roi, que le pouvoir en lui-même
vient de Dieu ; mais les formes du pouvoir, le mode de transmission
tiennent à des intermédiaires humains et aux institutions sociales...
La souveraineté du peuple, entendue dans ce sens, qu'elle réside dans
le peuple comme dans sa source, c'est-à-dire [une souveraineté pure-
ment humaine, est aussi contraire à la saine raison qu'à l'Ecriture
(Mgr Péronkê, Épitres de s. Paul, Ép. aux Rom. xm, i). — Cf. Balmès.
Le protestantisme comparé au Catholicisme, ch. £9 et 5o.
OBLIGATION D ACCOMPLIE LES DEVOIRS" CIVIQUES.
des émoluments on rapport avec leur rang. Saint Paul n'hé-
site pas à rappeler que ceux qui ont quelque emploi dans le
temple, rirent de ce qui appartient au temple, et que ceux qui
serrent à l'autel ont leur part (tes biens de l'autel (i).
Mais au fond et en réalité, répétons-le, ce n'est pas pour
L'avantage et le profit des chefs et de leurs agents que Dieu
a créé l'autorité et formé les sociétés ; tout au contraire,
c'est pour l'avantage des sociétés que Dieu a mis à leur tête
des chefs, afin que ces chefs gouvernassent les sociétés, et
que les membres de ces sociétés trouvassent, dans leur
association organisée, des biens dont ils n'auraient pu jouir
s'ils fussent restés isolés. Aussi voyons-nous dans la sainte
Écriture qu'il fut dit à Salomon : Parce que Dieu aimait son
peuple, il vous a fait régner sur eux (2). Ainsi, ce n'est pas
parce que Dieu aimait Salomon, mais bien parce qu'il
aimait son peuple, qu'il leur donna Salomon, afin que ce
sage renommé leur fît justice et jugement (3), comme il est
dit dans un autre endroit. — Puis donc que les chefs ne
sont établis que pour le service et le bien des peuples, que
ces chefs, ainsi que leurs agents et représentants, jusqu'au
dernier et au moindre, comprennent de quels abus et de
quels crimes ils se rendent coupables, lorsqu'au lieu de se
servir de l'autorité dont ils sont investis pour le bien de
ceux: qu'ils gouvernent et administrent, ils s'en servent pour
les molester, pour les tyranniser, pour les écraser. — Et que
ceux qui sont gouvernés comprennent aussi, après ce que
nous venons de dire, l'insigne mauvaise foi des enne-
mis de l'Église, lorsqu'ils l'accusent de ne parler qu'en
faveur des rois, et d'exagérer leur autorité jusqu'au despo-
tisme, puisque la première chose qu'elle enseigne aux
détenteurs de l'autorité, c'est qu'ils ne sont que les servi-
teurs de ceux qu'ils gouvernent et administrent (4). Aussi le
1. I. Cor. ix, i3.
2. II. Par. 11, 11.
3. III. Reg. x, 9.
!\. Regnum non est propter regem, sed rex propter r<3griunl, quia ad
hoc Deus proviclit de eis ut regnum regant ci gubernent, et unum-
quemque in suo jure conservent: et hic est huis reginrinis, quod si
l!\[\ LES GRANDS DÈVOÎRS DU SÀLÙT. X. INSTRUCTION.
chef de l'Eglise, bien qu'il soit la plus grande autorité qui
existe en ce inonde, ne prend-il lui-même, officiellement,
que le titre de « Pape », qui veut dire père, et celui de
« serviteur des serviteurs de Dieu. »
C'est de cette vérité et de ce principe, que certains hom-
mes ne sont investis de l'autorité que pour le bien des
autres, que découlent les obligations des chefs sociaux, ainsi
que de leurs agents et représentants. i
L'une des premières et des plus graves de ces obligations,
c'est la confection de lois justes. Ce sont en effet de telles
lois qui font la force et la prospérité des nations ; tandis
que les lois injustes les affaiblissent et en préparent la ruine,
aliud faciunt, in seipso commodum retorquendo, non sunt reges, sed
tyranni(S. Th. Aquix. De regim. princip. m, n).
Dans les endroits (de l'Écrilure) où nous lisons que le royaume de
David fut élevé sur le peuple, l'hébreu et le grec portent pour le peuple.
Ce qui montre que la grandeur a pour objet le bien des peuples sou-
mis. En effet, Dieu, qui a formé dans les hommes d'une même terre
pour le corps, et a mis également dans leurs cames son image et sa res-
semblance, n'a pas établi entre eux tant de distinction pour faire d'un
côté des orgueilleux, et de l'autre des esclaves et des misérables. Il n'a
fait les grands que pour protéger les petits ; il n'a donné sa puissance
aux rois que pour procurer le bien public, et pour être le support du
peuple. Le prince n'est pas né pour lui-même, mais pour le public
(Bossuet, Polit, tirée de l'Écrit, liv. 3, a. 3).
Les rois sont pour le bien des peuples ; si cet objet vient à manquer,
le gouvernement est de trop ; et sous ce rapport il n'y a pas la moindre
différence entre la république et la monarchie. Quiconque flatte les rois
par de contraires maximes les perd ; ce n'est pas ainsi que la religion
dans tous les temps leur a parlé , ce ne fut point là le langage des hom-
mes illustres qui, revêtus de l'habit sacerdotal, ont porté aux puissan-
ces delà terre les messages du ciel. « Rois, peuples, magistrats, s'écrie
le vénérable Palafox, Hisl. real. sagr. livr. i, ch. 2, toute juridiction est
ordonnée de Dieu pour la conservation, non pour la destruction
des peuples; pour la défense, non pour l'offense ; pour le droit, non
l'outrage des hommes. Ceux qui écrivent que les rois peuvent tout ce
qu'ils veulent, et qui établissent leur pouvoir sur leur volonté, ouvrent
la porte à la tyrannie. Ceux qui écrivent que les rois peuvent ce qu'ils
doivent, et peuvent ce dont ils ont bosoin pour la conservation de leurs
sujets, pour la conservation de leur couronne, pour l'exaltation de la
foi et de la religion, pour la bonne et droite administration de la jus-
tice, la conservation de la paix et le juste soutien de la guerre, pour
l'éclat légitime et convenable de la dignité royale, l'honnête entretien de
leur maison et des leurs ; ceux-là disent la vérité sans flatterie, ouvrent
la porte à la justice et aux vertus magnanimes et royales. » Balmès, loc.
cit. ch. 53).
OBLIGATION D ACCOMPLIR LES OEVOIltS CIVIQUES. 2^0
puisque elles vont à rencontre des intérêts dos citoyens, et
qu'ainsi elles les mécontentent cl les excitent à la révolte et
à La désunion. Mais que doivent faire les chefs des peuples
pour n'édicter que des lois justes ? Ils doivent prendre pour
règle invariable la loi naturelle elle-même, codifiée par
Dieu dans le Décalogue du S in aï. Car, puisqu'ils sont 1rs
ministres de Dieu (i), comme l'enseigne saint Paul, ils doi-
vent donc se conformer à ses volontés. Voilà pourcpioi toute
loi humaine qui ne procède pas du Décalogue, à plus forte
raison toute loi humaine qui le méconnaît et le viole, est une
loi injuste. Qu'ils sont donc coupables, les chefs des peu-
ples.xpii font de ces sortes de loi ! Car de combien de mal-
heurs particuliers et publics ne sont-ils pas la cause ! Parce
qu'ils ont en main la puissance, ils se croient tout permis.
Cependant, Dieu les voit et les juge, et souvent il n'attend
pas l'autre vie pour les châtier. L'histoire sainte et l'histoire
profane en offrent de nombreux exemples, et nous en avons
nous-mêmes vus de nos yeux qu'il serait facile de citer. Tou-
tefois les châtiments de cette vie ne sont rien en comparai-
son de ceux qui les attendent. Car s'il y a un terrible enfer
pour le simple particulier qui n'a nui qu'à son voisin ou
qui seulement ne l'a pas assisté (2), quel ne sera pas l'enfer
du chef d'État qui, par ses lois injustes, aura précipité tout
un peuple dans d'immenses calamités !
Mais les dépositaires de l'autorité ne sont pas seulement
obligés de faire des lois justes, pour le bien de tous les mem-
bres de la société ; ils sont encore obligés, toujours pour
assurer le bien des citoyens clans la plus large mesure pos-
sible, de faire de ces lois justes une juste application. C'est-
à-dire qu'ils doivent les appliquer à tous également, sans
faveur pour les uns, sans hostilité pour les autres. Telle fut
la recommandation expresse que le roi Josaphat fit aux
juges qu'il avait institués dans toutes les villes de son
royaume : Prenez bien garde à tout ce que vous ferez, leur
dit-il, car ce n'est pas la justice des hommes que vous exercez,
c'est celle du Seigneur. Et tout ce que vous aurez jugé retombera
1. Rom. xiii, 6.
2. Luc. xvi, 19-24.
2^6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X, INSTRUCTION.
sur vous. Que la crainte du Seigneur soit avec vous ; et appor-
tez tous vos soins à vous bien acquitter de vos devoirs ; car il n'y
a point d'injustice dans le Seigneur votre Dieu, ni acception de
personnes, ni aucun désir de présents (i). Mais tous les chefs
d'États ne donnent pas de tels conseils, et tous leurs magis-
trats et agents ne s'y conforment pas. Combien qui laissent
dormir les lois, quand il s'agit de ceux qui les flattent, les
servent ou les paient ! A ceux-ci tout est permis, et l'impu-
nité leur est assurée, quoi qu'ils fassent ou ne fassent pas.
S'agit-il au contraire des indépendants, de ceux qui ne veu-
lent obéir qu'à leur conscience, de ceux qui refusent d'ap-
prouver ce qui est mal, de combattre ce qui est bien, de
ceux qui entendent mettre la volonté de Dieu au-dessus de
celle des hommes : pour ceux-là on interprète et on torture
les lois, afin d'en fausser le sens, et l'on applique aux inno-
cents les rigueurs et les châtiments édictés contre les crimi-
nels. N'est-ce pas là un renversement et une prévarication
vraiment abominables ? Quelle responsabilité pour ceux qui
s'en rendent coupables ! Car ils causent d'immenses dom-
mages, non seulement aux citoyens dont ils violent les inté-
rêts, mais encore à la société tout entière, dont ils rendent
les lois odieuses, par l'application partiale qu'ils en font. Et
que les agents inférieurs qui trempent dans ces crimes
sociaux ne croient pas pouvoir s'excuser, en disant qu'ils
ne font qu'obéir à leurs supérieurs ; car il leur est toujours
possible, ou de renoncer à leur fonction, ou même de parta-
ger le sort des victimes, comme tant d'autres en ont donné
le noble exemple.
Enfin, une troisième obligation capitale pour l'autorité
civile, dont il est encore à propos que nous disions quelques
mots, c'est d'étendre son action et sa sollicitude au règne de
la vraie religion dans la nation. Sans nul doute, le but
essentiel de la société civile, c'est le bien temporel de ses
membres ; tandis que leur bien spirituel est le but essentiel
d'une autre société, qui est celle de FÉglise. Mais de même
que l'Église, tout en s'occupant directement de la sanctifica-
tion et du salut des fidèles, ne laisse pas de s'occuper aussi,
x, H. Par, xix, 6, 7.
OBLIGATION d'aGCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. '\\-]
par une conséquence nécessaire, de leur bien temporel, en
les rendant plus actifs ei plus honnêtes, ce qui a lait dire à
Noire Seigneur, qu'à ceux qui cherchent premièrement le
royaume de Dieu et sa justice, tout le reste sera donné par sur-
croît^); de même l'autorité civile, tout en se proposant
principalement de procurer les avantages matériels aux
membres de la société, ne doit pas laisser de favoriser aussi
Leurs intérêts spirituels. Il ne faut pas croire, en effet, ce
que va répétanl partout et sans cesse l'impiété, que les inté-
rêts matériels et la prospérité des sociétés civiles sont indé-
pendants des enseignements et des pratiques de la religion.
Il en esl si peu ainsi que, sans religion, aucune société
humaine ne pourrait longtemps subsister. Qu'est-ce, en
effet, qui donne aux sociétés leur solidité et leur prospérité ?
N'est-ce pas la moralité et l'honnêteté de leurs membres ?
Car. comment une société, composée de membres vicieux
et voleurs, pourrait-elle subsister et prospérer ? Or, sans
religion, pas de moralité ni d'honnêteté, c'est un fait démon-
tré par la raison et confirmé par l'expérience. Puis donc que
la religion est un élément indispensable de la prospérité
même matérielle des sociétés, c'est par conséquent un
devoir, pour les chefs de ces sociétés, de favoriser à leurs
membres la connaissance et la pratique de la religion. Non
qu'ils aient le droit de s'immiscer dans les questions reli-
gieuses elles-mêmes : elles ne sont pas de leur compétence.
[ls ont seulement le devoir, nous le répétons, de faciliter aux
citoyens la connaissance et la pratique de leur religion,
comme étant le meilleur moyen d'assurer leur prospérité
temporelle (2). Quel ne fut donc pas le crime de ces rois
1. Matth. vi, 33.
3. De même que chaquo homme doil régler ses actions ici-bas do telle
sorte que, loin de former obstacle à sa destinée surnaturelle, elles lui
servent à La mériter et à l'ai teindre ; de même l'autorité temporelle doit
avoir médiatemenl et ultérieurement en vue le bien spirituel ou le salut
de ses Bujet». Elle le doil à Dieu, qui veut que les affaires temporelles et
terrestres soient subordonnées aux intérêts célestes ei éternels. Elle le
doit a si- sujets, qui ont droit de demander qu'elle contribue à oequil
ne soit pas préjudicié à loura biens essentiels, à ceu\ de leur àme, et
qu'elle les protège, selon son pouvoir, dans tout ce qu'Us font et entre-
prennent pour leur salut, Car, s'il nous est permis do recourir à l'aide
2/|8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
d'Israël qui, an lieu de faciliter à leur peuple la connais-
sance et la pratique de leur religion, lui interdirent d'aller
à Jérusalem pour y adorer le vrai Dieu dans son temple et
y entendre les docteurs de la loi, mais lui donnèrent des
faux prophètes et lui dressèrent des statues d'idoles ! Aussi
Dieu marqua-t-il l'indignation qu'il en éprouvait en leur
envoyant les châtiments les plus terribles. Mais sont-ils
moins abominables devant Dieu, et moins criminels envers
ceux qu'ils gouvernent, tous ces chefs qui, aujourd'hui
comme alors, font à la religion, à ses ministres et à ceux qui
la pratiquent, une guerre tantôt hypocrite et détournée,
tantôt ouverte et violente ? Qu'ils le sachent bien, ainsi que
tous ceux qui leur prêtent leur concours : en dépit de leur
orgueil et de leur jactance, Dieu leur ôtera, tôt ou tard, la
puissance dont ils font un si lâche et si monstrueux abus,
sa main vengeresse les frappera implacablement, et les géné-
rations futures auront en horreur leur mémoire, comme
nous avons en horreur la mémoire de tous les anciens
tyrans et persécuteurs.
Qu'ils les observent ou les violent, telles sont, devant
Dieu et devant les hommes, les plus essentielles obligations
de tous ceux qui ont une plus ou moins grande part dans
le gouvernement des sociétés : édicter de justes lois, en faire
une égale et juste application, et favoriser la connaissance
et la pratique de la vraie religion (i). — Et maintenant,
et à la protection de l'autorité pour des affaires de bien moindre impor-
tance, pourquoi ne le pourrions-nous pas quand il s'agit de nos intérêts
les plus graves pour le temps et pour l'éternité} Enfin, les hommes
revêtus d'une autorité doivent servir Dieu d'une manière conforme à
leur position ; or, ils ne remplissent ce devoir qu'à la condition d'exer-
cer leurs fonctions en vue du bien et de donner le bon exemple à leurs
inférieurs (Grosse, Courfde Religion, 2. p. 2. div. s 6).
1. Voici sur les obligations du prince une belle sentence du Sage,
Eccl. xxxn, 1, 2 : Vous ont-ils fait prince ou gouverneur, soye: parmi eux
comme l'un deux ; ayez soin d'eux et prenez courage, et reposez-vous après
avoir pourvu à tout. Cette sentence confient doux préceptes. Premier
précepte : Soyez parmi eux comme V un d'eux. V soyez point orgueil-
leux, rendez-vous accessible et familier, ne vous croyez pas, comme on
dit, d'un autre métal que vos sujets ; mettez-vous à leur place, et soyez-
leur tel que vous voudriez qu'ils vous fussent s'ils étaient à la vôtre.
Second précepte : Ayez soin d'eux et reposez-vous après avoir pourvu à
tout. Le repos alors vous est permis ; le prince est un personnage pu-
OBLIGATION D'ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. >'|<)
redoublons encore d'attention pour étudier une autre classe
d'obligations civiques non moins importantes, je veux
dire les
blic. qui doil croire que quelque chose lui manque à lui-même, quand
quelque chose manque au peuple el à l'État. Dans le peuple, ceux à qui
le prince doil le plus pourvoir sont les faibles, parce qu'ils oui plus
besoin de celui qui est par sa charge le père et le prolecteur de tous.
Le vrai caractère du prince est de pourvoir aux besoins du peuple,
comme celui du tyran esl de ne songer qu'à lui-même, \ristotc l'a dit,
mais le Saint-Esprit l'a prononcé avec plus de force.,. La bonté du
prince ne doil pas être altérée par l'ingratitucle du peuple. Le prince ne
doil rien donner à son ressentiment ni à son humeur. Le gouverne-
ment esl doux de sa nature, cl le prince ne doit être rude qu'y étant
foret" par les crimes. Hors de là il lui convient d'être bon, affable, in-
dulgent. Les princes sont faits pour être aimés... Il y a un charme
pour les peuples dans la vue du prince ; et rien ne lui est plus aisé que
de se faire aimer avec passion... Que lapuissance est aflermie, quand elle
est ainsi chérie par les peuples ! et que Salomon a raison de dire : La
bonté et la justice gardent le roi, et son trône esl affermi par la clémence.
ProY. x\, 28. Voilà une belle garde pour le roi et un digne soutien de
son trône (Bossuet, loc. cit. liv. 3. a, 3).
Les supérieurs civils doivent à leurs sujets l'amour, la bienveillance,
un soin temporel par l'exacte administration de la justice commutalive,
vindicative et distributive, ainsi qu'un soin spirituel par le bon exemple,
et par la protection qu'ils doivent donner à la religion et à l'Eglise. —
Les souverains, ayant reçu de Dieu le pouvoir de gouverner les peuples
qui sont soumis à leur autorité, pèchent mortellement ou véniellcinenl,
selon la gravité de la matière : i° s'ils ne s'instruisent pas des lois de-
Dieu et de l'Église, et s'ils n'y conforment pas leur conduite pour don-
ner le bon exemple à leurs sujets; 2° s'ils ne font pas tout ce qu'ils peu-
vent pour conserver leurs peuples en paix, en les défendant contre tout
ennemi ou toute vexation injuste, et contribuer à les rendre heureux
en leur procurant l'abondance et réprimant le luxe ; 3° s'ils ne rendent
pas exactement la justice, et s'ils n'établissent pas des juges éclairés,
intègres, désintéressés et religieux, pour régler, selon toutes les lois,
le- différends qui s'élèvent entre leurs sujets ; 4° s'ils ne destituent pas
les magistrats ou les juges qui n'ont pas de probité, et qui sont incapa-
ble- de bien gérer leurs emplois; 5° s'ils ne font pas les lois qu'exigent
la punition des crimes et le bien de leurs états; 6° s'ils ne récompensent
pas la vertu el le mérite, en confiant les charges et les emplois à ceux
qui en son! dignes, et en en écartant ceux qui ne les méritent pas ; 70
s'ils établissent des impôts trop forts au-delà de la nécessité et de
l'utilité publique, et s'ils ne veillent point à ce que la répartition de
c n\ qui -ont établis soit faite avec justice ; 8° s'ils ne font pas des lois
pour le soutien de la religion chrétienne el pour la défense de l'Église ;
s'ilsncfonl pas tout ce qu'ils peuvent pour faire honorer le clergé, et
lui conserver ses justes immunités; <)° s'ils ne font pas observer les
saints jours de dimanche et de fête ; io° s'ils ne font pas des ordon-
nances relatives aux cabarets, aux théâtres .et aux lieux dangereux, et
sils ne font pas fermer les lieux de débauche, à moins cependant que
200 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
II. — Obligations civiques de ceux qui sont gou-
vernés. — Les obligations civiques de ceux: qui sont gou-
vernés répondent, et à ce que sont, par rapport à eux, ceux
qui gouvernent, et aux propres obligations de ces derniers.
Ceux qui gouvernent, avons-nous-clit avec l'apôtre saint
Paul, représentent Dieu, dont ils sont les ministres pour le
bien des peuples (i). Il résulte de là que le premier devoir
des peuples à l'égard de ceux qui gouvernent, c'est de les
respecter et de les aimer. Ne doit-on pas respecter le minis-
tre ou l'officier d'un prince, parce qu'il représente le prince?
et le mépris qu'on en ferait ne remonterait-il pas au prince
lui-même ? A plus forte raison doit-on respecter le prince
lui-même, ainsi que tout dépositaire de l'autorité, puisqu'il
la crainte prudente de plus grands maux n'autorise ta les tolérer ; n°
combien ne seraient-ils pas coupables s'ils usurpaient ou s'ils entra-
vaient la juridiction ecclésiastique, et si, au lieu de punir les injures
faites à la religion, ils les favorisaient et laissaient circuler impunément
les livres qui sont contre la foi ou contre les mœurs, etc. ! — La trans-
gression de plusieurs de ces devoirs viole la justice commutative, et
oblige à la restitution. — Quant aux magistrats, étant dépositaires>de
l'autorité du souverain, et par conséquent de l'autorité de Dieu même,
ils pèchent aussi véniellement ou mortellement, selon la gravité de la
matière : i° si, infidèles aux devoirs de leurs charges, ils ne font pas
observer les lois du prince, tant celles qui regardent la police, que
celles qui ont rapport à la religion ; 20 s'ils ne font pas ce qu'ils doivent
pour punir les crimes, empêcher les scandales, et administrer fidèle-
ment la justice, sans avoir égard aux personnes, mais seulement aux
droits qu'elles ont ; 3° si, contre les lois, ils s'arrogent des privilèges
nuisibles à leurs sujets, et s'ils retiennent des revenus communs au-
delà de ce qu'il faut pour les dépenses nécessaires ou utiles (obligation
de réparer à leurs sujets le dommage causé) ; 4° si, par leur insouciance
ou une grave négligence de leur part à réprimer le monopole et les
fraudes des marchands, le peuple est forcé d'acheter ce qui lui est
nécessaire à un plus haut prix (péché contre la justice) ; 5° s'ils ne dé-
noncent ou n'arrêtent pas les injustices de leurs subalternes qui exigent
plus que la loi ne permet (péché contre la justice) ; 6° s'ils ne donnent
pas toute l'attention nécessaire à l'examen des procès ; s'ils en retar-
dent le jugement, quand les causes sont suffisamment instruites, ou
qu'ils taxent les dépenses au-delà de l'ordonnance; s'ils déchargent des
dépenses la partie qui devait y être condamnée selon les règles de la
justice, pour les faire payer à l'autre (dans tous ces cas, péché contre la
justice); 70 s'ils entreprennent de connaître des ail aires qui ne sont pas
de leur compétence, etc. (Examen raisonné sur les command. de pieu et
de l'Église, 1, p. en. t\% a. 9).
j. ïlpm, xuii 4i
OBLIGATION D ACCOMPMH LFS DEVOIRS CIVIQUES, 201
représente Dieu moine, et que lui manquer de respect serait
en manquer à Dieu. On peut en effet parfaitement appli-
quer, aux dépositaires de l'autorité civile, ce que Notre-
Seigneur disait aux dépositaires de son autorité surnatu-
relle : Celui </tii vous méprise me méprise moi-même, et celai
(jui me méprise, méprise celai qui m'a envoyé (i), puisque
toute autorité vient également de Dieu (2), redirons-nous
avec l'apôtre saint Paul. Voilà pourquoi le prince des apô-
tres nous dit expressément : Craignez Dieu, honorez le roi(3),
ou quiconque est investi de l'autorité civile. On ne saurait
donc en douter, quiconque manque de respect aux autorités
constituées ou à leurs représentants, soit en tâchant de les
rendre odieux et méprisables, soit en critiquant à tort et
avec malveillance leur administration, soit en les tournant
en ridicule, ou de toute autre manière ; quiconque fait cela,
disons-nous, pèche certainement, et son péché est plus ou
moins grave, selon l'offense, avec obligation de réparer le
dommage qu'il cause (4). Nous parlons, qu'on le remarque
bien, de réflexions et de critiques procédant de l'hostilité et
de la malveillance ; car si elles sont fondées, et faites dans
un esprit de justice, on ne se rend naturellement coupable
d'aucune faute en les émettant.
Nous avons ajouté que les peuples doivent, non pas seu-
lement respecter leurs chefs, mais encore les aimer. Que
personne n'en soit étonné, puisque nous devons aimer tous
les hommes comme nos frères. Mais le chef d'une nation a
d'autres titres encore à l'affection de ceux qu'il gouverne.
En effet, une nation, nous l'avons déjà dit, est-ce autre
chose qu'une grande famille ? Eh bien, qui est le père de
cette grande famille, si ce n'est son chef? Or, une famille
n'est-elle pas tenue d'aimer son père ? Le chef d'une nation
est de plus son bienfaiteur ; c'est lui qui y maintient l'or-
dre, la paix, la sécurité, et qui veille sur ses intérêts au
1. Luc. x, 16.
2. Rom. mii, 1.
3. I. Pctr. 11,17.
\. Faire contre eux des médisances, des calomnies : en matière grave,
péché mortel, qui a double malice. Bonacina. En matière légère, péché
véniel. Obligation de justice de réparer le tort caysé (JSx. rai*, loc, cit.).
202 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
dedans comme au dehors. Eh bien, puisque la justice fait
un devoir, à celui qui a reçu un bienfait, d'aimer son bien-
faiteur, elle fait donc aux peuples un devoir d'aimer leurs
chefs (i).
Une troisième obligation essentielle de ceux qui sont
gouvernés, c'est d'obéir à ceux qui gouvernent. Cette obli-
gation découle de celle qui incombe aux chefs des nations
de faire de justes lois pour le bien général de la société.
Cette obligation de faire des lois ne serait-elle pas vaine et
illusoire, si ceux qui sont gouvernés n'étaient pas tenus d'y
obéir? Mais le devoir d'obéir aux puissances constituées a
pour base mieux qu'une induction : il est formellement et
expressément prescrit en maints endroits des saintes Ecri-
tures. Qui ne connaît la parole de Notre-Seigneur : Rendez
à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2).
Sans doute, Notre-Seigneur ne faisait que répondre ici à
cette question : Si l'on était tenu de payer l'impôt. Mais
l'impôt ne se payait qu'en vertu d'une loi de l'autorité
civile ; en commandant de payer l'impôt, il commandait
donc d'obéir à toutes les lois justes de l'ordre civil. En effet,
l'apôtre saint Paul, écrivant aux premiers chrétiens, leur
disait d'une manière générale : Que toute âme soit soumise
aux puissances supérieures, car, il ny en a point qui ne vienne
de Dieu, et celles qui existent ont été ordonnées par lui. Celui
donc qui résiste au pouvoir, résiste à V ordre établi de Dieu.
Soyez donc, c'est une nécessité, soumis aux puissances, non pas
seulement par crainte, mais par conscience (3). Le même apô-
tre donnait une autre fois, à l'un de ses disciples qui prê-
1. Nourrir contre les chefs des sentiments de haine et d'aversion : si
la haine et l'aversion sont graves, péché mortel, qui a double malice,
Bonacina. Si elles ne sont que légères, péché véniel (Exam. rais.
loc. cit.)
Le devoir d'aimer les chefs entraîne celui de prier pour eux. C'est
l'apôtre saint Paul qui nous le commande : Je vous conjure, dit-il, I.
Tina. 11, 2, défaire des prières, des demandes, des actions de grâces pour
tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont constitués en di-
gnité, afin que nous menions une vie tranquille dans toute sorte de piété et
d'honnêteté. En priant pour eux, non seulement nous leur rendons un
service auquel ils ont droit, mais nos intérêts y trouvent leur avantage.
2. Matth. xxii, 21.
3. Rom. xiii, 1,2.
OBLIGATION D ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. 200
c liai l l'Évangile sous sa direction, cet ordre : Avertissez les
fidèles, lui disait-il, d'être soumis aux princes et aux puissan-
ces, et de leur obéir (i). Saint Pierre, le chef même des
apôtres, ne tenait pas un autre langage aux premiers chré-
tiens : Obéissez aux créatures, leur disait-il, à cause de Dieu:
au roi comme à celui qui a la puissance suprême, au gouver-
neur comme à celui (juil a envoyé, car cest là la volonté de
Dieu (2). — Ainsi, en résumé, ceux qui sont gouvernés doi-
vent ohéir à ceux qui gouvernent, et cela, qu'on le remar-
que hien, non pas seulement par la crainte des peines
qu'encourent les infracteurs des lois, mais encore et surtout
par conscience, et parce que c'est là la volonté de Dieu, comme
le disent saint Pierre et saint Paul (3).
t. Tit. m, i. — On doit être bien éloigné de mettre sous le terme de
la démocratie chrétienne l'intention de rejeter toute obéissance et de
dédaigner les supérieurs légitimes. Respecter ceux qui, à un degré
quelconque, possèdent l'autorité dans l'état, et se conformer à leurs
ordres justes, c'est là ce que prescrivent également la loi naturelle et la
loi chrétienne. Et pour que cette soumission soit digne d'un homme et
d'un chrétien, on doit la témoigner du fond du cœur, par devoir, par
conscience, comme nous y a exhorté l'Apôtre lorsqu'il a donné ce pré-
cepte, Rom. xiii, i,5: Que toute âme soit soumise aux puissances supérieu-
res (Léon XIII, Encycl. sur la Démocratie chrétienne).
Omnis anima protestatibus sublimioribus subdila sit, Rom. xm, ait s.
Paulus, atque banc obedientiam superioribus débitant octo argumen-
tis probat : i° Quia haec est ordinalio Dei, et pneceptum divinum.
2° Quia superiores sunt ministri Dei, cujus vices gerunt. 3° Quia gla-
dium portant, ut inobedientes plcctant. 4° Quia ad id obstringit con-
scientia, peccati rea si mon obediatur. 5° Quia Dcus iis, qui resistunt,
minatur damnationem. 6" Quia banc subjectioncm probant tributa,
qua> subditi magistratibus pendunt. 70 Quia charitas christiana exigit,
ut quemque pro suo gradu diligamus, pares ut pares, superiores ut
superiores reverendo. 8° Quia lex christiana, lex naturœ, et lexgentium,
ut communcm reipublicae pacem et concordiam observemus (Glaus,
Spicileg. univ. lib. 5, art. 355).
2. I. Pctr. 11, i3-i5.
3. Refuser sciemment d'obéir aux supérieurs civils, en matière grave,
quand ils commandent sérieusement avec l'intention au moins implicite
d'obliger sub gravi, péché mortel ; en matière légère, péché véniel.
Sporer. — Lex sub gravi obligarc cognosci potest ex verbis lcgislatoris,
ut si dicat: Praecipimus, vel prohibemus fîrmiter, stricte, etc. ; cxgravi-
Ute peenae ; ex judicii prudentum et ex consuetidine. — Leges civiles
alise sunt expresse a jure canonico approbatae, aliae expresse correctae,
et aliae neque approbatae ne< reprobatae. Leges approbatae sine dubio in
conscientia obligant. Leges a jure canonico correct» minime obligant in
2^4 I^ES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
Mais ce qu'il faut non moins bien remarquer, c'est que,
autant rigoureuse est l'obligation d'obéir aux lois justes des
puissances constituées, autant rigoureuse est celle de résis-
conscicntia. Leges civiles non reprobata? vidcntur tacite a jure canonico
approbatae. S. Liguori. — Leges justae tyranni etiam obligant in con-
scientia ; item et leges usurpatoris, juxta plures, quando pacifiée possi-
det, saltem in agatur de legibus qua3 ad rectam gubernationem spec-
tant; populi enim sine legibus esse non possunt. ïheol. pract. — Non
desunt apud nos theologi qui ut mère pœnalcs habent certas leges, ut
forte leges contra venationem, piscationem, etc. Theol. pract. — Befu-
ser d'obéir par mépris pour l'autorité du supérieur, ou de faire une
chose précisément parce qu'elle est commandée : péché mortel, même
en matière légère ; parce que le plus petit mépris formel de l'autorité
du supérieur retombe sur Dieu même. Sporer et alii. Cependant si le
mépris ne retombait que sur la personne du supérieur, parce qu'il est
inepte à commander, malicieux, etc., la désobéissance en matière légère,
accompagnée d'un mépris qui ne serait point grave, ne formerait qu'une
faute vénielle (Exam. raison, loc. cit.).
La religion chrétienne ne règle pas seulement les rapports des mem-
bres de la famille entre eux, elle dirige et règle encore les relations
sociales, car la société n'a pas d'autre fin que l'union d'un grand nom-
bre de familles soumises aux mêmes lois et au même gouvernement.
L'Apôtre ne pouvait, au moins directement, donner des préceptes aux
rois et aux chefs d'états, qui étaient idolâtres et ennemis jurés du nom
chrétien ; mais il en donne à leurs sujets, et leur enseigne leurs
devoirs à l'égard de leurs princes et de tous ceux qui tiennent les rênes
du gouvernement. De même que de nos jours nous voyons s'élever des
esprits rebelles et factieux qui cherchent à soulever les peuples contre
les gouvernements, ainsi, dès les premiers jours de l'Église, il y avait
des cerveaux troublés, surtout parmi les Juifs convertis, qui allaient
publiant que Jésus-Christ les avait affranchis de la domination des ido-
lâtres, et qui poussaient les peuples à la rébellion, en détournant de
leur sens ces paroles de Jésus-Christ : Si le Fils vous délivre, vous serez
vraiment libres. Joan. vm ; paroles que le Seigneur appliquait à la
liberté de l'esprit, qui nous affranchit du péché et de la mort éternelle.
A ces injustes et folles prétentions, l'Apôtre oppose un commandement
absolu d'être soumis volontairement à toute puissance. — Par ces puis-
sances supérieures, en grec ifjoufflaiç uTreps/ouaai;, il faut entendre tous
ceux qui sont revêtus d'une puissance civile quelconque, et non seule-
ment ceux qui ont en main la puissance souveraine, car cette épi-
thète, u7r£pe/où(jatç, n'est point ajoutée ici pour distinguer entre les
magistrats du premier ordre et ceux d'un ordre inférieur, mais elle est
employée par opposition avec tous ceux qui ne sont revêtus d'aucune
puissance, et qui n'ont d'autre devoir que la soumission au pouvoir.
Comment supposer, en effet, que saint Paul ait voulu recommander
l'obéissance aux empereurs seulement, et non pas, en même temps, aux
gouverneurs des provinces, aux simples magistrats des villes, etc. ?
(Mgr Péronne, loc. ciL)
L'obligation d'obéir s'étend naturellement aux lois de finance. Ren-
OBLIGATION D ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. 200
ter à leurs lois injustes, c'est-à-dire à toutes celles qui sont
contraires aux lois de Dieu et aux préceptes de l'Evangile.
La raison en esl aussi claire qu'irréfutable. Les puissances
constituées n'onl Le droit de commander aux hommes que
parce qu'elles représentent Dieu; mais en faisant des lois
contraires à celles de Dieu, en cela naturellement elles ne
représentent plus Dieu, et par conséquent n'ont plus droit
à l'obéissance. Voilà pourquoi les apôtres et les premiers
chrétiens, qui étaient les plus fidèles observateurs des justes
lois des puissances séculières, cependant résistèrent jusqu'à
La morl plutôt que d'accomplir celles qui étaient en oppo-
sition avec les préceptes divins. Depuis, leurs héroïques ,et
admirables exemples n'ont jamais cessé d'être imités au
cours des siècles par les véritables chrétiens, toutes les fois
que les puissances séculières, trahissant leurs devoirs, ont
voulu légiférer contre Dieu et sa très sainte Église. Chré-
tiens de ce temps, ne soyons pas indignes de nos pères dans
la foi. et sachons dire comme eux, lorsque le cas se pré-
sente : Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (i).
De là d'ailleurs, pour ceux qui sont gouvernés, un dernier
devoir non moins essentiel que ceux dont nous venons de
parler, savoir, le devoir de contribuer au bien public par
leurs votes. Nombreux sont les chrétiens qui ne se rendent
de: à chacun ce qui lui est du, dit le grand apôtre, le tribut à qui vous
devez le tribut, l'impôt à qui vous devez l'impôt. Rom. xm. Notre-Seigncur
nous en a donné l'exemple, etc.. Nous prétendons que le gouverne-
ment nous défende contre nos ennemis, mais il ne peut le faire s'il n'a
pas une armée à leur opposer ; nous exigeons qu'il nous fasse rendre
justice quand on nous a fait tort, mais pour cela il faut des tribunaux,
des juges qui exercent cette justice ; enfin, pour que l'ordre et la paix
régnent dans l'intérieur, il faut des magistrats, des officiers de police
qui nous protègent contre les criminelles entreprises des méchants. Or,
le souverain peut-il vivre d'une manière conforme à sa dignité, peut-il
entretenir des magistrats, des tribunaux, une armée de terre et de mer
sans argent el par conséquent sans impôts? C'est donc pour nous une
obligation de justice de les payer exactement... — Outre les impôts,
vous avez encore le service militaire, le logement des troupes el les
autres charges publiques. Nous comprenez que tout cela est nécessaire
pour le maintien de l'ordre public et pour la sûreté de l'état, et quelque
pénibles que soient ces obligations, quelques sacrifices qu'elles deman-
dent, vous ne pouvez vous y soustraire sans injustice (Cirier, Cours
complet d'instr.fam. Dcv. env. les super, sécul.)
I. Act. V, 2(J.
256 LES GRVNDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
»
pas compte de l'importance extrême de ce devoir dans nos
sociétés modernes, où le suffrage joue un rôle décisif pour
le bien comme pour le mal. Ennemis des contentions et des
débats, volontiers ils restent étrangers à la marche des affai-
res publicpies, pour ne se consacrer qu'à la gestion de leurs
affaires personnelles. Et en agissant ainsi ils s'estiment
sages, parce qu'ils n'ont pas de temps à perdre, disent-ils.
Sagesse criminelle ! Raisonnement égoïste et aveugle ! Est-
ce donc perdre du temps, que de l'employer à préserver la
société des plus grands maux, de la tyrannie des méchants,
des luttes intestines et de la ruine de tous ? Les maux de la
société ne sont-ils donc pas en même temps les maux des
citoyens ? La société peut-elle donc être dans la déca-
dence et les citoyens dans la prospérité ? — Mon interven-
tion, ajoute-ton, ne changerait d'ailleurs rien au cours des
choses. Qu'est-ce qu'une voix? — Erreur encore ! Ne suffit-
il pas d'une seule voix pour mettre la majorité d'un côté ou
d'un autre, et donner la victoire aux bons ou aux mauvais ?
De plus, en n'allant pas voter, vous donnez un mauvais
exemple, et vous êtes cause que plusieurs autres n'iront pas
voter non plus; au lieu qu'en allant au scrutin, plusieurs
qui hésitent vous suivraient. Calculez le mal que font ainsi
à la société les amis de l'ordre qui s'abstiennent de porter
leurs bulletins dans les urnes. Ah ! ce n'est pas ainsi que
raisonnent les adversaires de la société et de la religion ! Ils
ne disent pas que leur intervention ne servira de rien, ni
que le temps leur manque pour s'occuper d'élections. En
toute circonstance, ils s'entendent et se concertent, et au
jour du scrutin, aucun ne manque aux urnes. Aussi qu'ar-
rive t-il ? Il arrive tout simplement que ce sont leurs candi-
dats qui sont élus. A qui la faute, si ensuite les intérêts
sociaux sont bouleversés, si le trouble est dans toute la
nation, si la religion est proscrite et si les catholiques sont
en butte à toutes les vexations et à toutes les persécutions ?
La faute n'en est elle pas à ces chrétiens coupables qui ont
manqué à leur devoir de voter ? Qu'ils prennent donc au
moins la résolution de s'en acquitter à l'avenir avec fidélité,
afin de réparer, s'ils le peuvent, les maux dans lesquels ils
ont une si lourde responsabilité.
oBl.u. m ion D LCCOAfPllR lis DEVOIRS CIVIQl ES. ^67
Encore est-il nécessaire, non seulement de voler, mais
aussi de bien voter, c'est-à-dire pour le meilleur des candi-
dats qui spllicitenl les suffrages. Ne nous laissons pas trom-
per sur un point d'une aussi grande importance, et ne
donnons pas trop vile notre confiance à ceux qui nous
offrent leurs conseils. Sachons par nous-mêmes, aussi sûre-
ment qu'il est possible, ce que sont les candidats qui se pré-
sentent, ce qu'ils disenl vouloir faire, et ce qu'on peut
attendre d'eux. Quand nous mettons la main à une entre-
prise sérieuse, ne prenons-nous pas toutes les précautions
qui sont à notre portée pour la faire réussir ? Ne soyons pas
moins prudents quand il s'agit d'une élection, qui est tou-
jours une affaire très grave, et ne donnons notre voix qu'au
candidat le plus éclairé et le plus honnête. Que si, par indif-
férence ou imprudence, par faiblesse ou intérêt, ou par
quelque autre cause que ce soit, nous avions le malheur de
donner sciemment notre voix à un indigne, sachons-le
bien, nous aurions une part de responsabilité dans tout le
mal qu'il ferait, et Dieu ne manquerait certainement pas de
nous en demander compte et de nous en châtier (1).
CONCLUSION. — Tels sont, chrétiens, d'un côté, les
obligations de ceux qui gouvernent dans les sociétés humai-
nes, et de l'autre, les obligations de ceux qui sont gou-
vernés. Ceux qui gouvernent, avons-nous dit, doivent
surtout ne faire que de justes lois, en assurer la juste appli-
cation, et prudemment favoriser le règne de la vraie reli-
gion, qui sont les trois choses les plus utiles à la prospérité
et au bonheur des peuples. Et ceux qui sont gouvernés doi-
venl. à leur tour, respecter et aimer ceux qui les gouver-
nent, obéira toutes les lois qui ne sont pas contraires à
l'Evangile, et enfin concourir au bien général en prenant
part aux élections, et en ne volant que pour les candidats
les plus éclairés et les plus honnêtes (2). Qu'il en soit donc
1. \oyrz noire ouvrage : Sujets de circonstances, tome Ier, page 5o3, où
se trouve une Instruction entière, très documentée, sur la question du
vote.
■>. Notre amour à tous pour la pairie sera vraimenl ('-levé, si nous
commençons par lui donner en nous dr- citoyens dont clic n'ait p;is à
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II.
I?
2 58 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
de ces obligations comme des autres, c'est-à-dire, que cha-
cun accomplisse en conscience celles qui lui incombent,
puisque chacun y est tenu en conscience. Ceux qui ne les
accompliront pas, sciemment et en matière grave, seront
en effet aussi certainement damnés que ceux qui n'accom-
plissent pas leurs obligations envers Dieu lui-même, puis-
qu'au fond ces obligations nous sont imposées par lui aussi
bien que celles qui le regardent personnellement, et qu'on
ne l'offense pas moins en violant les unes qu'en violant les
autres. Que cette considération fasse de nous tous des
citoyens parfaits, quelle que soit notre position sociale. Les
méchants et les impies seront ainsi forcés de reconnaître
que notre sainte religion , qui nous propose surtout l'acqui-
sition du ciel, n'est cependant pas indifférente et étran-
gère de la prospérité des sociétés temporelles. Dans les
intentions de Dieu, les patries terrestres n'ont en effet pas
rougir, dont au contraire elle puisse se faire gloire. On ne peut aimer la
patrie et en môme temps tourner en ridicule la religion et les bonnes
mœurs; pas plus qu'on ne pourrait prétendre aimer et estimer une
femme, sans pourtant se croire obligé de lui être fidèle.
Il ne faut pas ajouter foi aux paroles de l'homme qui, après avoir jeté
l'insulte aux autels, à la foi conjugale, à la décence et à la probité, s'é-
crie : Patrie ! patrie ! C'est un hypocrite de patriotisme, c'est un mau-
vais citoyen.
Il n'y a de bon patriote que l'homme vertueux qui comprend et aime
ses devoirs, qui s'applique à les accomplir.
On ne le voit jamais mêler sa voix à celle des flatteurs des puissants,
à celle des contempteurs de toute autorité ; la bassesse et le manque de
respect sont également des excès.
S'il occupe un emploi militaire ou civil, son but ne doit pas être de
s'enrichir, mais il doit agir pour l'honneur et la prospérité du prince et
du peuple.
S'il vit loin des affaires, il doit également faire des vœux pour l'hon-
neur et la , prospérité du prince et du peuple, et loin de s'y opposer,
chercher à y contribuer de tout son pouvoir.
Il sait que dans toutes les sociétés il y a des abus ; il désire les voir dimi-
nuer, mais il déteste la fureur de ceux qui voudraient les corriger par
la spoliation et les vengeances sanguinaires ; car ce sont là les abus les
plus terribles et les plus funestes.
Jamais il n'appelle les discordes civiles, il ne les fomente pas par ses
exemples et ses paroles ; il prêche la modération aux exaltés, il conseille
l'indulgence et la paix. 11 ne cesse d'être un agneau, que lorsque la
patrie en danger l'appelle à sa défense. Alors il devient un lion : il sait
combattre, vaincre ou mou ri r (Silvio Pelllco, Des Devoirs des hommes,
eh. <))•
OBLIGATION D ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. 200,
d'au! iv bul final que de préparer des citoyens à la patrie
céleste. Ces! pourquoi L'Eglise demande si souvent à Dieu
la pai v pour ces patries, précisément afin que nous puis-
sions travailler plus efficacement à notre sanctification et à
notre salut. Par conséquent, aidons nous-mêmes au régne
de l'ordre et de la paix dans notre patrie terrestre, en accom-
plissant nos devoirs sociaux, et nous aurons ainsi plus de
facilité pour arriver dans notre patrie céleste et véritable.
Ainsi soit-ii.
TRAITS HISTORIQUES.
Devoirs de ceux qui gouvernent.
Se proposer en tout le bien public. — Josaphat, roi de
Juda, pénétré de cette vérité que la vraie religion est la seule base
solide de la prospérité des nations, s'appliqua dès son avènement au
trône, à lui donner tout son concours, en envoyant dans toutes les
parties de ses états des prêtres et des lévites soutenus par des sei-
gneurs de confiance et par plusieurs de ses principaux officiers,
pour renouveler dans chaque ville la connaissance de la loi, et
pour enseigner au peuple la pratique régulière des saintes obser-
vances. Ils partirent de Jérusalem portant avec eux le livre de la
loi. Ils parcoururent successivement toutes les villes de Juda,
enseignant partout avec zèle. Ils furent écoutés des fidèles avec
une sainte avidité. — Tandis que Josaphat pourvoyait en prince
religieux à l'instruction de ses sujets, il ne négligeait pas les soins
politiques d'où dépendent le bon ordre et la tranquillité de son
royaume. Il fit bâtir en différents endroits de fortes citadelles et de
bonnes places environnées d'épaisses murailles. Il fit ajouter dans
les anciennes villes, plusieurs ouvrages nécessaires à la commo-
dité et à la sûreté des habitants. Mais il s'appliqua surtout à aug-
menter le nombre de ses troupes et à leur donner une exacte
discipline. C'est ainsi que la gloire de Josaphat s'accrut au
suprême degré. — Dieu, qui se plaisait à voir ce bon prince dans
des occupations si dignes de la majesté du trône où il l'avait élevé,
répandit la terreur sur tous ses voisins ; en sorte qu'ils n'osaient
lui déclarer la guerre; jusque-là que les Philistins même lui
envoyaient régulièrement des présents et de grosses sommes d'ar-
gent pour tribut. Les Arabes faisaient conduire tous les ans, à
Jérusalem, sept mille sept cents moutons et autant de boucs :
tribut convenable à ces peuples dont toutes les richesses consis-
taient en pâturages et en troupeaux.
2Ô0 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
Aimer la patrie plus que les leurs. — Jean II, roi de
Portugal, perdit son fils unique qu'il aimait beaucoup, mais qui
n'avait aucune des qualités nécessaires à un prince : « Ce qui me
console, dit-il alors, c'est qu'il n'était pas propre à régner ; et
Dieu, en me l'ôtant, a montré qu'il veut secourir mon peuple. »
C'est ainsi que l'amour de la patrie, surtout chez les rois, doit être,
le premier sentiment d'un cœur chrétien.
Administrer sans favoritisme. — i. Jacques Fournier, fils
d'un boulanger, embrassa la vie monastique, et fut élu Pape, sous
le nom de Benoît XII, le 20 décembre i334. Il avait une nièce: plu-
sieurs grands seigneurs la recherchèrent en mariage. Il refusa ces
partis, et la maria au fils d'un négociant de Toulouse. Les deux
époux étant allés le voir à Avignon, il les reçut avec beaucoup
d'amitié, les garda une quinzaine de jours auprès de lui, ensuite
les congédia en leur donnant une somme assez modique, en leur
disant : « Votre oncle Jacques Fournier vous fait ce petit présent ;
à l'égard du Pape, il n'a de parents et d'alliés que les pauvres et
les malheureux. »
2. Deux neveux de Pie IX se trouvaient à Rome lors de son
élection. A l'un qui était fds de son frère, il ordonna de retourner
à Sinigaglia et de faire savoir à sa famille qu'il ne voulait pas
qu'elle vînt s'établir dans la capitale. — A l'autre, fils de l'une
de ses sœurs, et jeune officier dans l'armée pontificale, il déclara
qu'il ne lui serait accordé d'avancement que selon son rang et son
mérite.
Protéger les petits contre les puissants. — 1. Un gen-
tilhomme, commensal de Louis XII, roi de France, avait maltraité
un paysan. Louis XII, qui en fut instruit, ordonna qu'on retran-
chât le pain à ce gentilhomme, et qu'on ne lui servît que du vin
et de la viande. L'officier s'en étant plaint au roi, Sa Majesté lui
demanda si le vin et la viande ne lui suffisaient pas. Sur la réponse
qu'il lui fit que le pain était l'essentiel, Louis XII lui dit avec
sévérité : « Eh ! pourquoi donc êtes-vous assez peu raisonnable
pour maltraiter ceux qui vous le mettent à la main ? »
3. — Un riche partisan enlevait les blés dans une année de
disette pour les revendre plus cher. M. de Harlay, président du
parlement de Paris, sous Henri IV, l'envoya chercher. Le fermier
général vint dans un carosse doré et chargé de laquais. Les
coursiers fringants, qui faisaient retentir le pavé en entrant dans la
cour, firent un fracas qui imitait le bruit du tonnerre. Il avait un
habit superbe relevé d'une broderie d'un goût exquis. M. de Har-
OBLIGATION D'ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. :^6l
lay affecta de lelaisser se morfondre dans son antichambre. Il le
lit enfin entrer. « Quand je vous ai fait attendre, lui dit-il, j'ai
consulté ma vanité ; \otrccarosse ornait ma cour, et votre personne
mon antichambre. » Son visage serein devint ensuite sombre tout
à coup, « Monsieur, poursuivit-il d'un ton à glacer le coupable
d'effroi, je unis ai mandé pour vous dire que j'ai appris que, vous
prévalant de la eherlé des blés, vous faisiez de grands amas. Vous
prétendez -vous enrichir parla misère du peuple et vous engraisser
de sa substance. J'arrêterai le cours de vos projets. Si tous les blés
que vous avez amassés ne sont pas vendus dans un mois, je vons
ferai pendre. L'or et la faveur ne vous déroberont point à la jus-
tice. )) Le fermier général interdit se retira. Il osa porter ses
plaintes au roi sur le discours du magistrat. « Je vous conseille,
lui dit le roi, d'exécuter les ordres qu'il vous a prescrits, car, s'il
vous a menacé de vous faire pendre, il le fera comme il le dit. »
Réprimer les fraudes. — Un jour, Pie IX se rendait, à
l'heure de sa promenade, de l'intérieur du palais au jardin du
Quirinal. A son passage, un soldat s'avance et remet à l'officier des
gardes-nobles qui l'accompagnaient un des pains de munition
dont se nourrit la troupe. Des mains de l'officier, le pain passe
aussitôt dans celles du Saint-Père, qui l'examine et en reconnaît
aisément la mauvaise qualité. Il fait appeler aussitôt le soldat,
l'interroge avec bonté, et ordonne qu'on lui apporte un nouveau
pain de la distribution du lendemain. Cette seconde épreuve, con-
firmant la première, il prescrit alors des poursuites, et une
enquête sévère commence alors contre les fournisseurs. En attendant
il fait prendre, à leurs frais, chez les autres boulangers delà ville,
tout le pain nécessaire à la garnison qui s'y trouvait. — Quant au
soldat, dont la confiance en la justice de son prince avait fait
découvrir cette coupable fraude, pour le mettre à l'abri de toute
réprimande et de tout ressentiment, le Saint-Père ordonna à l'offi-
cier des gardes de l'accompagner à son poste, et de le recommander
«le sa part à son chef (Rome, en 18'iS, 49, 5o).
Être inaccessibles à la corruption. — i. Un lord avait un
procès considérable dont il craignait l'issue. Pour se rendre favo-
rable le chancelier Thomas Morus, il lui envoya en présent deux
flacons d'argent d'un très grand prix. Morus les fit remplir d'un
excellent vin et les renvoya au lord, qui gagna sa cause, parce
qu'elle était juste. Ce digne magistrat était persuadé avec raison
que tout juge qui reçoit un présent fait les premiers pas vers l'ini-
quité, et que, quand on écoute celui qui veut acheter la justice, on
e-t bien près de la vendre.
2Ô2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
2. Des boulangers vinrent demander à M. Dugas, prévôt des
marchands, à Lyon, d'enchérir le pain : il leur répondit qu'il exa-
minerait leur demande. En se retirant, ils laissèrent adroitement
sur la table une bourse de deux cents louis. Ils revinrent, ne dou-
tant pas que la bourse n'eût bien plaidé leur cause. M. Dugas leur
dit : « Messieurs, j'ai pesé vos raisons dans la balance delajustice,
et je ne les ai pas trouvées de poids. Je n'ai pas jugé qu'il fallût,
par une cherté mal fondée, faire souffrir le public. Au reste, j'ai
distribué votre argent aux deux hôpitaux de cette ville ; je n'ai pas
cru que vous en voulussiez faire un autre usage. J'ai compris que,
puisque vous étiez en état de faire de telles aumônes, vous ne per-
diez pas, comme vous le dites, dans votre métier. »
Ne voir que la justice. — i. Le chancelier Voisin-d'Ormesson
ayant appris qu'un scélérat avait trouvé assez de protection pour
obtenir des lettres de grâce, se rendit auprès du roi : « Sire, lui
dit-il, Votre Majesté ne peut accorder des lettres de grâce dans un
pareil cas. — Je les ai promises, lui répondit Louis XIV, allez me
chercher les sceaux. » Les lettres scellées, Voisin ne voulut pas
reprendre les sceaux. « Ils sont pollués, dit-il, je ne les reprends
plus. — Quel homme ! » s'écria le roi... et il brûla les lettres de
grâce après avoir réfléchi un moment. Alors le chancelier reprit
les sceaux en disant : « Je reprends les sceaux, le feu purifie tout. »
2. Sous le même règne, Voisin fut nommé juge-rapporteur de
l'affaire de Fouquet, surintendant des finances, accusé de dilapida-
tions. Il résista avec fermeté aux ministres qui voulaient faire périr
leur collègue disgracié. Ni les menaces, ni les promesses de la
place de chancelier ne purent lui faire suivre d'autre avis que celui
que la vérité lui dictait. Louis XIV n'oublia jamais cette belle
action , et quand on lui présenta le petit-fils de Voisin, il lui dit :
« Je vous exhorte à être aussi honnête que le rapporteur de M.
Fouquet. »
Favoriser la religion. — Saint Contran, roi de Bourgogne,
ati vie siècle, n'avait d'autre ambition que de rendre ses sujets heu-
reux ; et c'était pour atteindre ce but si désirable, qu'il puisait
dans la religion les vrais principes du gouvernement. Il était bien
éloigné de penser comme ces hommes profanes qui s'imaginent
que les lois de la politique ne peuvent s'allier avec les maximes de
l'Évangile. Il pensait, au contraire, qu'un état n'est jamais plus
florissant que quand la religion est le mobile de ceux qui le gou-
vernent ; et pour ne s'écarter jamais des saintes règles qu'elle leur
prescrit, il consultait les évêques comme ses maîtres, il les hono-
OBLIGATION D ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES. '>(>.>
raii comme ses pères, \ussi son règne fut-i] accompagné d'une
prospérité constante dans la paix et dans la guerre.
Devoirs de ceux qui sont gouvernés.
Respecter les chefs. — David, persécuté par Saiil, s'était
retiré dans le désert d'Engaddi. Saiil l'y ayant poursuivi entra un
jour seul dans une caverne au fond de laquelle, à son insu, David
était caché avec ses gens, et comme il était fatigué, il s'endormit.
Les gens de David lui dirent alors: « Voici le moment favorable
pour nous défaire de votre ennemi. » Mais David leur répondit :
« Dieu me garde de mettre la main sur mon maître, sur celui qui
est l'oint du Seigneur. » David, par ces paroles, arrêta la violence
de ses gens, et les empêcha de se jeter sur Saiil, comme ils vou-
laient le faire. Il se contenta de couper tout doucement le bord de
son manteau, pour lui prouver que sa vie avait été entre ses mains.
Et même il se repentit de cette action, comme ayant en cela man-
qué au respect qu'il devait à. son roi. I. Reg. xxiv, 1-8. — Oh ! si
tous les sujets étaient aussi respectueux envers leurs souverains et
leurs autres chefs, quelle paix régnerait clans les états, et qu'on
serait à l'abri de tant de révolutions qui bouleversent le monde !
Leur être dévoués. — i. Pendant les désastres de la croisade
de Louis IX, on envoya proposer une trêve aux Sarrasins. Ceux-ci
acceptèrent les conditions qu'on leur présentait, mais ils voulurent
qu'on leur donnât le roi pour otage. Cette proposition souleva
toute l'armée. Geoffroi de Sargines, saisi d'une noble colère,
s'écria : « Ne connait-on pas assez les Français pour croire qu'ils
puissent livrer leur prince à leurs ennemis ? Ils aimeraient mieux
être tués jusqu'au dernier, que de souffrir qu'on pût un jour leur
faire un pareil reproche. » Louis IX, qui préférait le salut du
peuple au sien, voulait se sacrifier pour toute l'armée. Il fallut que
son conseil lui désobéit en cela, et rompît de lui-même les négo-
ciations.
2. Richard, surnommé Cœur-de-Lion, roi d'Angleterre, entre-
prit en T199 une croisade en Palestine, et y fit la guerre contre les
Sarrasins. Un jour qu'il était parti pour la chasse, avec une suite
peu nombreuse, il tomba dans une embuscade. Richard n'était pas
habitué à fuir ; malgré la multitude des ennemis, il frappa coura-
geusement autour de lui ; mais déjà tous ses compagnons étaient
tombés, à l'exception d'un seul. Il n'y avait aucun espoir de se
frayer un chemin de vive force, et il ne restait d'autre parti au roi
que de fondre sur les ennemis, l'épée à la main, ou de se consti-
2 64 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
tuer prisonnier. Alors le seul de ses compagnons qui eut survécu
(il s'appelait Guillaume de Pourcellet) s'écria tout à coup : « C'est
moi qui suis le roi ! » — Aussitôt les Sarrasins, laissant là
Richard, s'emparèrent de lui et l'emmenèrent avec eux. Le roi
réussit, dans la bagarre, à se sauver et à rejoindre les siens. Lors-
que le prisonnier fut conduit devant Saladin, la ruse fut bientôt
découverte. Mais Saladin, prince magnanime, loin de s'irriter con-
tre le chevalier, le loua de son dévouement, le traita avec bonté,
et peu après l'échangea contre dix arabes.
Leur être fidèles. — i. Bénigne de Frémiot, père de sainte
Françoise de Chantai, descendait d'une ancienne famille de Bourgo-
gne, qui avait fourni une longue liste d'hommes illustres au barreau
comme à l'armée. Il était deuxième président du parlement, ren-
dit surtout de grands services à la couronne pendant les guerres
des huguenots, et donna à ses concitoyens des exemples de vertus
et de dévouement. En voici un qui mit sa fidélité au grand jour.
A l'époque où les adversaires du roi de France assiégeaient la ville
de Dijon, il avait réuni ceux des membres du parlement qui étaient
restés fidèles au roi, et s'était enfui avec eux dans la forteresse
de Clarigny, puis à Semur, où il tenait avec eux les séances.
Sa considération et la sagesse de ses dispositions conservèrent cette
forteresse à l'autorité du roi. Les ennemis le menacèrent de tuer
son fds qui était tombé entre leurs mains, « Bénigne Frémiot
peut perdre ses enfants, mais non sa fidélité », répondit le Spar-
tiate chrétien. Et les ennemis n'osèrent exécuter leur menace. —
Lorsqu'on raconta à Henri IV, dont l'avènement au trône mit fin à
cette guerre désastreuse, ce trait de courage et d'autres encore de
Bénigne de Frémiot, il voulut l'élever à la dignité de premier pré-
sident du parlement, m Dieu me garde, sire, répondit Frémiot,
d'évincer un homme vivant de sa charge ! Le premier président
est un bon catholique, il servira Votre Majesté comme il faut.
Quant à moi, je n'ai fait que mon devoir. »
2. — Saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, avait essuyé
toutes sortes de vexations et de mauvais traitements de la part du
roi d'Angleterre, Guillaume-le-Roux, jusqu'à être obligé de se
réfugier en France, pendant un temps, pour échapper à la persé-
cution de ce pririce. Le saint archevêque n'en resta pas moins
fidèle au roi persécuteur, lorsqu'il le vit sur le point de perdre la
couronne. Plusieurs seigneurs du royaume s'étaient joints au duc
de Normandie, qui était venu l'attaquer avec une puissante armée.
Anselme mit tout en usage pour prévenir les suites d'une révolte
naissante. Non content de contribuer aux frais de la guerre, il
OBLIGATION D'ACCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQ1 ES. 2Ô5
représenta aux seigneurs dont les dispositions paraissaient dou-
teuses, toute l'énormité du crime de rébellion. 11 ajouta qu'ayant
reconnu Henri pour roi, ils ne pouvaient plus balancer dans le
parti qu'ils avaient à prendre, et qu'ils devaient faire le sacrifice
de leurs vies, plutôt que de manquer par un parjure à la sainteté
de leurs serments. Il publia en môme temps une sentence d'ex-
communication contre le duc de Normandie, qui était regardé
comme un usurpateur. Les choses prirent alors une nouvelle face.
Robert fit un accommodement avec Henri, et abandonna l'Angle-
terre. Ce fui ainsi que l'archevêque de Gantorbéry ramena la paix
dans le royaume, et assura la couronne chancelante sur la tête de
Henri.
Résister aux lois injustes. — i. L'an 28G, l'empereur
Maximien, qui se disposait à entrer dans les Gaules pour répri-
mer l'insurrection des Bagaudes, avait fait venir d'Orient, pour
renfoncer son armée, la légion thébaine, laquelle était com-
posée de six mille six cents hommes, tous chrétiens, et remar-
quables à la fois par leur courage et leur piété, sachant allier
l'exercice des armes avec la pratique de l'Évangile. Maurice en
était le capitaine ; Exupère et Candide étaient après lui les prin-
cipaux officiers. Maximien, qui avait encore plus à cœur d'ex-
terminer les chrétiens que les ennemis de l'état, commanda la
légion thébaine pour persécuter les fidèles, et voulut en même
temps les obliger à prendre part aux sacrifices qu'il faisait à ses
dieux, en entrant dans les Gaules. Les braves soldats répondirent
qu'ils étaient venus pour combattre les ennemis de l'état, et non
pas pour tremper leurs mains dans le sang de leurs frères,
ou pour les souiller par un culte impie. Maximien fut si irrité
de cette réponse qu'il fit aussitôt décimer la légion. Ceux sur
qui le sort tomba se laissèrent égorger sans la moindre résis-
tance. Lorsque cette boucherie fut terminée, et en présence des
cadavres de leurs compagnons, on demanda à ceux qui survi-
vaient s'ils voulaient maintenant sacrifier aux dieux. Ils s'écrièrent
avec une indignation nouvelle qu'ils détestaient les dieux païens.
Maximien ordonna que la légion fût décimée une seconde fois.
Pressés d'obéir à l'empereur, les autres lui présentèrent la remon-
trance suivante : « Nous sommes vos soldats, seigneur, mais nous
sommes aussi les serviteurs de Dieu ; nous vous devons le service
de la guerre, mais nous devons à Dieu l'innocence de nos mœurs;
nous recevons de vous la paye ; il nous a donné et nous conserve
la vie ; nous ne pouvons vous obéir en renonçant à notre Créateur,
notre maître et le vôtre, nous sommes disposés à exécuter vos
266 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. X. INSTRUCTION.
ordres en tout ce qui n'offense pas le Seigneur, mais s'il faut choi-
sir entre désobéir à Dieu ou à un homme, nous préférons l'obéis-
sance à Dieu: menez-nous à l'ennemi, nos mains sont prêtes à
combattre les rebelles et les impies ; mais elles ne savent point
répandre le sang des citoyens et des innocents, nous avons fait
serment à Dieu avant de vous le faire. Eh ! comment pourriez-
vous compter sur notre fidélité, si nous manquions à celle que
nous lui avons jurée ? Si vous cherchez à faire mourir des chré-
tiens, nous voici; nous confessons un Dieu créateur de toutes cho-
ses, et Jésus-Christ son fils; nous sommes disposés à nous laisser
égorger comme nos compagnons, dont nous envions le sort. Ne
craignez pas de révolte : les chrétiens savent mourir et non se
révolter; nous avons des armes, mais nous ne nous en servirons
pas : nous aimons mieux mourir innocents que de vivre coupa-
bles. » Une remontrance si généreuse et si mesurée ne fît qu'allu-
mer la fureur de Maximien. Désespérant de vaincre leur constance
héroïque, il prit la résolution de faire massacrer la légion entière.
Il fit marcher des troupes pour l'envelopper et la tailler en pièces.
Ces braves guerriers jetèrent bas leurs armes, se dépouillèrent de
leurs cuirasses, et présentèrent le cou à leurs bourreaux. On n'en-
tendit ni plaintes, ni gémissements. Ils ne parlèrent que pour
s'animer les uns les autres à mourir pour Jésus-Christ.
2. — En 1791, l'assemblée nationale, en France, vota une loi
dite de la constitution civile du clergé, à laquelle le malheureux
Louis XVI eut la faiblesse d'apposer son sceau. Cette loi sacrilège
menaçait de jeter la nation dans le schisme. Mais l'immense majo-
rité des évêques et des prêtres refusèrent de s'y soumettre ; et
quant à ceux qui consentirent à la reconnaître, les fidèles les
eurent en horreur, et ne voulurent jamais ni recourir à leur minis-
tère, ni avoir aucun rapport religieux avec eux. Vainement le pou-
voir fit périr par milliers les prêtres et les fidèles qui refusaient
d'adhérer à cette loi : il ne réussit point à triompher de leur foi et
de leur résistance. Admirable exemple, qui rappelle le temps des
grandes persécutions, et que chacun doit se tenir prêt à imiter,
si les circonstances l'exigeaient.
3. — Voici une scène digne des temps les plus malheureux. Elle
se passait dernièrement à Pratulin, paroisse de la Pologne russe,
que le gouvernement voulait entraîner dans le schisme. Le com-
mandant des troupes russes veut haranguer le peuple : on refuse
de l'écouter. « Je ferai faire feu. — Eh! bien, si tels sont vos
ordres, tirez... Tous, nous mourrons, mais nous n'abandonnerons
pas notre foi, » Le commandant crie à ses soldats ; a Mettez en
OBLIGATION d'àCCOMPLIR LES DEVOIRS CIVIQUES.
26'
joue, m \ cette vue, les plus anciens des paysans jettent leur veste
el découvrent leur poitrine en criant: « Tirez! Il est doux de mou-
rir pour sa toi. » l ne salve suivit cette exclamation ; quinze morts
et div blessés tombèrent à terre, et les autres, agenouillés, ne bou-
geaient pas. Les Russes, voyant qu'ils étaient tous décidés à mourir,
se retirèrent, et comme ils passaient, les femmes, sortant de leur
maison avec leurs petits enfants sur les bras, leur crièrent: « Pour-
quoi ne tirez-vous pas aussi sur nous ? Toutes nous préférons plu-
lot mourir que de devenir sebismatiques. » Il est beau pour
l'Église catholique d'avoir de tels enfants ; mais il n'est pas beau
pour l'empereur de Russie de faire revivre en 1874 les jours de
Néron et Dioclétien.
ONZIEME INSTRUCTION
(Vendredi de la Troisième Semaine)
C'est un devoir pour chacun de nous
d'aimer notre prochain.
I. Motifs de ce devoir. — II. Mesure de ce devoir. —
III. Ce qu'il faut faire pour s'en acquitter.
Déjà nous avons étudié nos devoirs envers Dieu ; ensuite
les devoirs des parents envers leurs enfants et les devoirs
des enfants envers leurs parents ; puis les devoirs des maî-
tres et supérieurs et des serviteurs et inférieurs à l'égard les
uns des autres ; en dernier lieu enfin, les devoirs de ceux
qui gouvernent et les devoirs de ceux qui sont gouvernés.
Mais au-delà du cercle de la société familiale, au-delà
du cercle de la société domestique, au-delà du cercle de
la société civile, il y a encore un autre cercle plus étendu,
celui de la société humaine, qui lui aussi nous impose
des devoirs particuliers. Le cercle de la société humaine
comprend en effet tous les hommes, lesquels forment,
pour chacun de nous, ce que la sainte Écriture appelle
notre prochain. Et c'est avec raison que tous les hommes
sont appelés notre prochain, parce qu'ils sont tous proches
de nous. Car, malgré les distances sociales qui les séparent,
tous les hommes n'en sont pas moins proches les uns des
autres par leur nature, c'est-à-dire par leur origine et par
leur destinée. C'est en effet d'un même père que tous vien-
nent, et c'est au même héritage céleste que tous sont appe-
lés, bien que tous ne se rendent pas dignes de le recevoir.
De là vient qu'ils forment véritablement tous ensemble une
immense famille, la famille humaine.
Or, quel est le caractère essentiel de toute famille? N'est-ce
pas l'union ? Et quel est le lien de toute union ? n'est-ce pas
la charité ? Aussi la sainte Écriture nous apprend-elle que
PKUUK roi il CHACÏ N DE \(>i s d'aïMER NOTRE PROCHAIN. 200
1rs premier? chrétiens, qui étaient vraiment unis entre eux
comme les membres d'une véritable famille, s'aimaient
mutuellement d'une manière si parfaite, qu'ils n'étaient qu'un
cœur et qu'une âme ( i ). El les païens, en les voyant, ne pou-
vaient s'empêcher de s'écrier, surpris et charmés : Voyez
comme ils s'aiment ! Eh bien, cet admirable et touchant
spectacle de charité fraternelle que les premiers chrétiens
Offraient aux païens, les chrétiens de ce temps devraient
l'offrir encore au monde ; car nous ne sommes pas moins
obligés d'aimer notre prochain, que ne l'étaient nos pre-
miers ancêtres dans la foi. En effet, les conditions du salut
n'ont pas été changées, et elles ne sont pas autres pour nous
qu'elles n'étaient pour eux. Et de même que, pour se sau-
ver, ils étaient autant tenus à aimer leur prochain qu'à aimer
Dieu lui-même, les deux commandements étant également
obligatoires (2) ; ainsi en est-il encore pour nous, et ainsi
en sera-t-il jusqu'à la fin des siècles. D'où vient donc que
l'amour du prochain, si indispensable au salut, s'est refroidi
dans tant de cœurs ? Cela vient, en partie du moins, de ce
que les chrétiens n'ont plus maintenant le même zèle qu'au-
trefois pour s'instruire et se pénétrer de leurs devoirs. C'est
1. Act. iv, 32. — Les fidèles n'avaient qu'âne âme et qu'un cœur : Ils
croyaient les mûmes choses, ils -n'en aimaient qu'une seule ; ce n'était
pour ainsi dire qu'un entendement et qu'une volonté. Mais comment
pouvaient-ils être unis de la sorte entre eux, sinon parce qu'ils étaient
unis en Dieu ? La charité fraternelle était produite par la charité divine ;
ils croyaient les mêmes choses, parce qu'ils n'avaient qu'une même foi ;
ils n'en aimaient qu'une, parce qu'ils n'étaient touchés que de l'amour
de Dion. Ainsi ils s'attachaient aux mêmes vérités, ils aspiraient aux
mêmes biens : et c'est ce qui les unissait. Dans le monde, vouloir les
mêmes choses, c'est souvent un principe de désunion. Il y a entre les
mondains une mal heureuse conformité de pensées et de désirs ; et parce
qu'Us ne peuvent posséder ensemble les mêmes biens qu'ils souhaitent,
cl auxquels ils aspirent, c'est ce qui les divise. Ils ont les mêmes princi-
pes, ils cherchent la même lin : mais c'est en rivaux ; ils ne peuvent se
satisfaire sans se détruire. Dans la religion, au contraire, l'union des
pensées el des désirs fait l'union des volontés. Comme le même Dieu
suffi! pour tous, ils s'attachent au même objet sans jalousie, et par con-
séquenl sans division. Us travaillent de concert, et avec une parfaite
intelligence, pour acquérir les biens de l'éternité ; ils courent dans la
mèmecarière, et s'encouragent pour arriver au même but (Anonyme,
dans le Recueil des pièces de V Académie française, de l'année 1673).
2. Matth. xxii, 39.
270 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
pourquoi nous allons, en traitant spécialement aujourd'hui
de notre devoir d'aimer notre prochain, d'abord exposer les
motifs de ce devoir, dire ensuite quelle est la mesure de ce
devoir, expliquer enfin ce qu'il faut faire pour s'en acquit-
ter. — Seigneur, qui êtes le Père de la grande famille
humaine, et qui ne désirez rien tant que de voir tous vos
enfants s'aimer véritablement et sincèrement entre eux, dai-
gnez venir éclairer nos esprits et échauffer nos cœurs, afin
que ce que vous nous aurez bien fait comprendre comme
étant notre devoir, nous puissions l'accomplir pleinement
et généreusement.
I. — Motifs d'aimer notre prochain. — Quand on n'a
que peu ou pas de motifs pour faire une chose, il est assez
naturel qu'on ne la fasse pas, sans avoir à se le reprocher et
sans que personne puisse nous blâmer. Mais s'il s'agit au
contraire d'une chose que les plus graves motifs nous pres-
sent de faire, nous ne pouvons pas, clans ce cas, nous en
abstenir, sans nous exposer à de cruels regrets, et sans
encourir le blâme des personnes prudentes et sages. Un
malade qui ne pourrait éviter la mort qu'en prenant tel
remède, fût-il fort amer, et qui, malgré ce très grave motif,
ne le prendrait pas, pourrait-il ne pas se condamner lui-
même, et être regardé par tout le monde autrement que
comme un homme ayant perdu la raison ? Eh bien, il en
est de même de nous par rapport à notre devoir d'aimer
notre prochain. Les motifs que nous avons d'accomplir ce
devoir sont tels et si graves que, lorsqu'on les connaît et
qu'on les considère, . on est forcément amené à l'accomplir,
si l'on ne veut pas mépriser tout bon sens et toute
foi, et se préparer des regrets aussi inutiles que cruels.
Quels sont donc ces motifs ? Le premier motif que nous
avons d'aimer notre prochain, c'est précisément parce qu'il
est notre prochain, c'est-à-dire notre semblable et notre
frère. La sainte Écriture l'a dit : Tout être vivant aime son
semblable (1). Mais en parlant ainsi, la sainte Écriture n'a
fait qu'exprimer le cri de la nature. Supposons que deux
1. Eccl. xin, iû.
hommes son! jetés par une tempête aux deux bouts d'une
Ne déserte. Pendant quelques jours, chacun d'eux se croit
seul. Mais à force de marcher, ils finissent par se rencon-
trer. Quel sera le premier mouvement de leur cœur en
s'apercevant ? \c scia ce pas un sentiment de joie et de
bonheur? El n'est il pas vrai qu'ils s'empresseront de s'abor-
der cl de s'attacher L'un à l'autre par une mutuelle affection?
Pourquoi ? parce qu'il est dans la nature que les êtres sem-
blables se rapprochent et s'unissent, par suite des affinités
secrètes qui les attirent les uns vers les autres. C'est par
l'effet de ces affinités que nous voyons les animaux des
mêmes espèces se réunir ensemble comme les membres d'une
même famille, bien qu'ils n'aient pas eu les mêmes ber-
ceaux. \insi la nature toute seule nous fait un devoir de
nous unir aux autres hommes, nos semblables, par l'affec-
tion (i). Et quiconque résiste à cette voix de la nature et du
sang, en vivant moralement à part des autres hommes, et
en se désintéressant de ce qui les touche, se met par là même
i . Motifs d'aimer le prochain tirés de ses rapports avec nous. i° Tous
les hommes ont une même origine, et par suite, forment une seule
famille dont Dieu est le père et le chef. N'avons-nous pas tous un seul et
même père ? y est-ce pas Dieu seul qui nous a créés ? Pourquoi donc cha-
cun de nous méprise-l-il son frère ? Mal. u, 10. Rien de plus convenable
et de plus juste pour les membres d'une môme famille, que de s'aimer
entre eux et de se soutenir mutuellement. Rien déplus utile et de plus
avantageux, parce que l'amour réciproque réunit les divers membres
en un môme corps, et les soumet naturellement à leur action salutaire
et bienfaisante. Rien de plus agréable et de plus doux, parce que l'amour
dilate le cœur, qui est fait pour aimer. Bien de plus doux et de plus
agréable surtout, qu'une charité universelle, qui forme de tout le
genre humain une grande famille, nous fait prendre part au bonheur
de nos semblables, et nous donne l'assurance de trouver, en toute cir-
constance, une véritable sympathie chez tous nos frères. — 2° Tous les
hommes ont une même nature et, par suite, sont semblables entre eux.
Nous devons supposer que cette ressemblance produit entre eux un
résultat analogue à celui que nous observons dans tout le reste de la
nature. Or, dans la nature, nous remarquons qu'il y a union entre les
êtres semblables. Conséquemment, les hommes, en tant qu'êtres capa-
bles d'aimer, doivent être unis par le cœur. — 3° Tous les boni mes ont
une même fin ou destinée. Tous sont appelés à la félicité éternelle en
Dieu, à jouir ensemble de ce bonheur. Tous forment ensemble comme
une armée qui marche à la conquête d'une terre lointaine. Il est donc
naturel etjusteque l'unité de but provoque l'unité des sentiments ; que
tous tendent ensemble à leur fin dernière, dans l'union des facultés et
des cœurs (Grosse, Cours de religion, 2. p. 1. div. ch. \, art. 2, s 2.^
2 72 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
au-dessous des animaux sans raison. Mais en même temps
il se range, remarquons bien ceci, à la suite deCaïn le fra-
tricide, qui répondit à Dieu lui parlant de son frère : Est-ce
que j'ai à m' occuper de mon frère ? (1) Quel cœur dénaturé
et sauvage ne faut-il pas avoir pour prononcer une telle
parole ! Eh bien, c'est cette parole-là même que répète celui
qui n'aime pas son prochain : Est-ce que j'ai à m'occuper de
mon frère? Or, je le demande, chrétiens: un devoir dont
romission nous met au-dessous des bêtes, et nous place
dans la compagnie de Gain, est-ce un devoir qu'un cœur
droit, qu'un cœur bien né puisse omettre ? Poser la ques-
tion, c'est y répondre. Quand même donc nous n'aurions
pas, pour nous faire aimer notre prochain, d'autre motif
que notre fraternité avec tous les hommes, ce motif devrait
suffire pour nous les faire aimer, puisque c'est une loi de la
nature que les frères doivent s'entr'aimer, et que violer les
lois de la nature est un crime.
Mais ce n'est pas seulement la voix de la nature qui nous
crie d'aimer notre prochain, c'est aussi la voix de notre inté-
rêt. En effet, tels que Dieu nous a créés, nous ne pouvons
pas nous suffire à nous-mêmes, mais nous avons besoin les
uns des autres. Les pauvres ont besoin des riches pour en
recevoir, de quoi pourvoir à leurs besoins, en échange des
travaux qu'ils font pour eux et des services qu'ils leur rendent.
Et les riches, de leur côté, n'ont pas moins besoin des pau-
vres, pour en recevoir à leur tour, en échange de l'argent
qu'ils leur remettent, les produits de leur travail et de leur
industrie. Prenez tel homme si riche que vous voudrez le
supposer, n'a-t-il pas besoin de laboureurs pour cultiver et
ensemencer ses champs, de moissonneurs pour recueillir
ses récoltes, de meuniers pour moudre ses grains, de bou-
langers pour cuire son pain, de palefreniers pour soigner
ses chevaux, et d'une foule d'autres ouvriers et travailleurs ?
Pareillement, l'ignorant n'a-t-il pas besoin du savant pour
s'instruire, et le savant, de son côté, n'a-t-il pas aussi
besoin de l'ignorant pour l'enseigner ? Le malade n'a-t-il
pas besoin du médecin, et le médecin du malade ? Puis
t. Geti. iv, g.
DEVOIR POT B GHAGI lî DE NOUS d'aIMER NOTRE PROCHAIN. ■\~l>
donc que tous les hommes, dans quelque situation qu'ils
soient", on! besoin les uns dos autres, n'est-ce pas là encore
un motif péremptoire pour qu'ils s'aiment entre eux ? Sans
doute, même sans amour, les échanges de services pourront
encore se faire entre les hommes : mais il se feront sans
dévouement et sans Qdélité, et par conséquent sans sécurité
et sans certitude. Qui n'a plus d'avantage, par exemple, à
employer an serviteur qui l'aime, plutôt qu'un serviteur qui
ne travaille que pour ses gages ? Celui-ci pourra faire l'ou-
vrage convenu, mais rien de plus. Le serviteur qui aime
son maître sera au contraire toujours à sa disposition, la
nuit comme le jour, et il accomplira les travaux qui lui sont
confiés avec la même attention et la même sollicitude que
s'il travaillait pour lui-même. Mais à quelle condition le
serviteur aimera-t-il son maître? A la condition que son
maître l'aime lui-même, et qu'il en reçoive les mêmes mar-
ques d'attachement et de dévouement. Or, de même qu'il
est ici avantageux pour le maître d'aimer son serviteur, et
pour le serviteur d'aimer son maître ; de même aussi il est
avantageux pour tous les hommes de s'aimer les uns les
autres, et ce nous est là, nous le répétons, un second motif
d'aimer notre prochain, car il n'est personne qui ne soit
toujours fort sensible à son intérêt (1).
Un troisième motif que nous avons d'aimer les hommes,
nos frères et nos aides, c'est que Dieu lui-même les aime.
Il les a aimés avant même qu'ils ne fussent, et lorsqu'ils
n'étaient encore que dans sa pensée. Dès lors il les voyait ce
i. Oh ! l'intérêt ! triste mol qui devrait être banni de la langue de
l'amour, et que Dieu cependant nous permet d'invoquer quand il s'agit
de l'accomplissement de nos devoirs, l'intérêt, qui se mêle aux plus
tendres sentiments que Dieu lui-même nous inspire, le Créateur a
voulu qu'il formât un lien nouveau qui nous unît à nos semblables.
// n'est pas bon que Vhomme soit seul, disait-il avant de former la pre-
mière femme, donnons-lui un aide, une compagne qui lui ressemble.
Gen. u, 18. Malheur à celui qui est seul ! Sap. iv, 12, s'écrie le Sage; car
s'il tombe, il n'a personne pour le relever, s'il pleure personne qui Je
console, personne, eri un mol, qui vienne à son secours dans le besoin,
et le soutienne a l'heure du danger... \insi nos besoins el nos intérêts
qous font un devoir d'être unis à nos frères; l'instinct de la conserva-
tion, cette loi suprême de tout ee qui respire ici-bas, nous oblige à les
aimer cl ;i les traiter connue nous voulons être aimés el traités nous-
mêmes (Bertrand, Petits Serm. tomem, serai. 26).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II, l8
2 7 4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
qu'ils devaient être, et il les aimait, et c'est pour cela qu'il
les a crées. Car s'il ne les avait pas aimés même avant de les
créer, pourquoi les aurait il appelés à l'existence .;) Aussi
voyons avec quel soin et quelle tendresse il a formé le pre-
mier homme, en qui il voyait tous les autres. Ayant pris
d'abord de la terre, de ses mains divines il a façonné son
corps, lui donnant une organisation beaucoup plus parfaite
que celle qu'il avait donnée à ses autres créatures visibles ;
puis, soufflant sur sa face, il lui donna une âme immor-
telle (i). Ensuite il l'établit sur toutes les créatures, qu'il
n'avait faites que pour lui, et les lui donna pour s'en servir
ou s'en nourrir. Et après que le premier homme se fut ren-
du indigne, par sa désobéissance, de tant de bontés, Dieu
ne l'abandonna pas, non plus que sa postérité. Il leur pro-
mit de faire le nécessaire pour que ceux qui le voudraient
parvinssent quand même au ciel, auquel tous avaient été
destinés. Dans ce but, il leur envoya de nombreux prophè-
tes pour les instruire et les encourager, et enfin son propre
Fils unique, pour les racheter. Ecoutons Notre-Seigneur le
déclarer expressément : Dieu, dit-il, a aimé le monde jusqu'à
donner son Fils unique, afin que le monde soit sauvé par lui (2).
Or, savons-nous quelle conclusion nous devons tirer de ce
fait ? L'apôtre saint Jean nous l'apprend précisément, lors-
qu'il nous dit : Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés de la sorte,
ne devons-nous pas, nous aussi, nous entr'aimer? En effet,
Dieu ne saurait aimer que ce qui mérite de l'être. Si donc
Dieu aime les hommes, c'est que les hommes méritent
d'être aimés de Dieu, encore que ce soit par pure bonté que
Dieu les aime, car il sait mieux que personne, sans cloute,
qui est digne d'amour. Mais si les hommes méritent d'être
aimés de Dieu, à plus forte raison méritent-ils que nous les
aimions. Car pour aimer les hommes, il faut que Dieu s'a-
baisse, puisqu'ils sont au-dessous de lui ; tandis que nous
n'avons pas à nous abaisser pour les aimer, puisqu'ils sont
nos égaux. En voyant Dieu aimer les hommes, nous devons
donc en déduire, avec l'apôtre saint Jean, que nous aussi
1. Gen. 1, 26 ; Job. x, 8 ; Sap. xi. 11 ; et al. pas.
2. Joan. 111, 1 G et 17.
DEVOÏR POUR CHACUN DE Noi s d'aimëB no nu: PROCHAIN. :> 70
nous devons Les aimer, autrement, notre conduite voudrait
dire : ou bien que ce qui est digne de l'amour de Dieu est
indigne du nôtre; ou bien qu'il n'y a pas obligation pour
nous d'imiter notre Père céleste qui est dans les cieux, ce
qui sérail absolument contraire à renseignement formel de
notre divin Maître (1).
Enfin nous devons aimer notre prochain parce que Dieu
nous le commande. Dieu ne s'est pas borné à incliner nos
cœurs vers l'amour de nos frères, ni à solidariser cet amour
avec notre intérêt, non plus qu'à nous en donner l'exemple ;
il tient tellement à nous voir nous entr'aimer qu'il nous en
r fait un commandement formel. Ce commandement, il l'a
promulgué dès l'ancienne loi (2), parce que le devoir d'ai-
mer son prochain est de tous les temps, les hommes ayant
toujours été des frères les uns pour les autres. Mais la loi
nouvelle étant plus spécialement une loi d'amour, Notre-
Seigncur est allé jusqu'à dire du précepte d'aimer le pro-
chain, qu'il est semblable au précepte d'aimer Dieu lui-
même (3). Il a fait en outre, de ce précepte, son précepte
propre : Cest mon précepte, disait-il à ses disciples, que vous
vous aimiez les uns les aulres. Et il répétait encore : Voilà ce
que je vous commande, aimez-vous les uns les autres (4). Il en a
fait la marque distinctive de ses véritables disciples : En ce-
la même, ajoutait-il, on reconnaîtra que vous êtes un de mes
disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les aulres (5).
1. Matth. v, 48. — Faites un portrait de votre prochain, aussi désa-
vantageux qu'il vous plaira, employez à peindre son esprit, toutes les
plus noires couleurs ; dites, si vous voulez, que c'est une âme Lâche,
perfide, ambitieuse, intéressée ; qu'il est violent et brutal ; qu'il n'a ni
esprit, ni conduite, ni honneur, ni religion. Tel qu'il est. Dieu le souf-
fre, il lui fait du bien, il l'aime, et il vous ordonne de l'aimer. Mais il
me persécute, direz-vous, il me maltraite, il me hait à mort ! Nonobs-
tant tout cela, Dieu l'aime : et tout ce que Dieu aime, mérite infiniment
d'être aimé. D'autant plus que cet homme en use avec Dieu, comme il
fait avec vous ; qu'il l'ofTensc, qu'il le déshonore, qu'il le trahit ; et que
pour tout cela, il ne laisse pas d'en être aimé (Le Vén. P. ni; la Colom-
bière, Serm. de la char, chrét.).
a. Lev. xix, 18.
3. Matth. xxii, 36.
4. Joan. xv, 12, 17.
5. Joan. xn [, 35.
276 LES GRANDS DEVOIRS Du SALUT. XI. INSTRUCTION.
Et non seulement c'est à ce signe qu'on les reconnaîtra, mais
c'est à ce signe seul aussi qu'il les reconnaîtra lui-même, au
jour du jugement. Vainement alors lui présentera-ton les
mortifications d'une vie austère, l'éclat des miracles, le don
des prophéties, la pénétration des mystères ; si l'on n'a pas
aimé ses frères, on sera réprouvé. C'est le Sauveur lui-même
qui le dit encore : Plusieurs, s'écrie-t-il, me diront en ce jour-
là : Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre
nom? N'avons-nous pas chassé les démons en votre nom ? N'a-
vons-nous pas jait plusieurs prodiges en votre nom ? Et alors
je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus pour mes
disciples (1). Et non seulement il ne les reconnaîtra pas pour
ses disciples, mais il les chassera de devant sa face, et les
précipitera dans les flammes de l'enfer : Car j'ai eu faim en
la personne de vos frères, leur ajoutera-t-il, et vous ne m'a-
vez pas donné à manger ; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas
donné à boire ; je ne savais ou loger, et vous ne m'avez point
recueilli chez vous ; je manquais d'habit, et vous ne m'en avez
point donné ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez
point visité. Puis donc que vous n'avez pas aimé vos frères,
selon mon commandement, vos frères qui sont les miens,
vos frères dans lesquels je viset qui sontd'autres moi-même,
allez, maudits, loin de moi dans le feu éternel, qui a été préparé
pour le démon et pour ses anges (2). Tel est, chrétiens, le
commandement divin d'aimer notre prochain, telle est la
sanction que Notre-Seigneur y a attachée, tel est le châtiment
réservé à ceux qui ne l'observeront pas (3).
1. Matth. vu, 22, 23.
2. Matth. xxv, 4i-43.
3. Qu'est-ce qui peut engager Dieu à avoir tant à cœur cette union
fraternelle, qu'il nous ordonne si expressément de faire régner parmi
nous sous peine de son indignation la plus terrible ? Nous le compren-
drons facilement si nous faisons attention que c'est là l'unique moyen de
nous rendre heureux pendant celte vicmortelle et dans l'éternité, suivant
l'intention que ce Seigneur de bonté en a eu, en nous donnant 1 être. Et
pour en venir à la preuve, faisons une supposition qui est très naturelle :
je veux dire, supposons d'un côté l'accomplissement fidèle de la loi de
l'amour du prochain, et de l'autre, la transgression de celle loi. Si l'on
observait exactement le commandement de la charité du prochain, qu'en
arriverait-il ? Il en arriverait qu'il n'y aurait plus d'injustices, plus de
DEVOIU POUB GHACUNDE NOUS d'aIMER NOTRE PROCHAIN 277
El voilà, conclurons nous, les quatre principaux motifs
riour lesquels nous devons aimer notre prochain, savoir,
parce que Dion nous a donné un cœur qui nous y porte,
parce qu'il a su y faire concourir* notre intérêt, parce qu'il
a voulu nous en donner lui même l'exemple, cl enfin
parée qu'il nous en a fait 1111 commandement rigoureux (1).
tromperies, plus de mauvaise foi, plus de calomnies, plus de médisan-
ces, plus d'envie ni de jalousie, plus de chicanes ni de procès, plus de
crimes honteux cl abominables, auxquels on ne peut penser sans fré-
mir : vengeances, assassinais, vols, incendies, parricides, empoisonne-
ments. Quelle horreur! tirons le rideau sur des choses si exécrables. Et
comme l'amour sincère et véritable du prochain suppose nécessairement
celui de Dieu, il n'\ aurait plus de péchés surla terre, et par conséquent
il n'y aurait point de damnés. — Au contraire, si l'on n'observe pas le
commandement de l'amour du prochain, voilà tout dans le désordre :
on ne verra plus que discordes dans les familles, infidélités dans le ma-
riage, tromperie el mauvaise foi dans le commerce, envie, médisance,
malice, cruauté, chicanes entre les voisins, désordres et dérèglements
dans les étals et dans toutes les conditions, et la transgression du com-
mandement de l'amour de Dieu étant inséparable dupréceptedcl'amour
du prochain, le monde se trouvera inondé de toutes sortes de crimes et
d'excès, comme s'en plaignait autrefois le Seigneur par son prophète,
Os. iv, et comme il a bien plus lieu de s'en plaindre, ainsi que l'expé-
rience ne nous le montre que trop tous les jours (Girard, Prônes, xvm.
dim. apr. la Peut. 1. p.).
1. Multiplex ratio reperitur, excitans ad hanc proximi dilectionem.
Primo, quod proximus sit imago ipsius Dei ; si ergo Dcum diligis, ejus
quoque vivam imaginera, ab ipso formatam et manibus propriis deli-
neatam, diligere te convenit. Secundo, quia proximus sanguine Filii
Dei emptus est et redemptus, si ergo tantopere eum dilexit Deus, ut
tanto pretio redimere voluerit, cur eum tu quoque non diligeres ?
Tertio, quia est membrum ejusdem corporis mystici. Qua ratione
fréquenter utitur Apostolus, ut in nobis ostendat finnam debere esse
unionem charitatis. Cfr. Rom. xn ; I. Cor. 12... Quarto, diligendus
proximus, quia frater est, eumdem nominans Patrem in cœlis, eamdcm
Matrem m terris, ejusdem Matris Ecclesiœ utero gestatus, eadem cœlesti
alimonia nutritus, eodem sanguine potatus, eodem spiritu repletus,
•Vpostolo dicenlc : Etenim in uno spiritu omnes nos in unum corpus bap-
tizati sumus, sive Jadsei, sive Gentiles, sive servi, sive liberi : el omnes
in uno spiritu potati sumus. Denique haereditatis ejusdem consors est,
ad aeternitatis et vitae perpetuae consortium vocatus, ubi amoris
aeterni vinculo illi es indissolubilité sociandus ^March; lîorl. Past.
tr. 5, lect. .'), pr. 1).
Motiva ad dilectionem erga proximum exercendam : i° Humanitas.
« Conservanda es1 humanitas, ait Lactantius, lib. 8, div. Inst, si homi-
n - f I ici velimus. Id autem conservare huinanitatem, quid est aliud
quam diligere hominem quia honio est, et idem, quod nos sumus. » —
2 Mandatum Christi : Joan. xv, 12, et al. — 3° Fralemitas. Fratres sumus
278 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
Certes, un seul de ces motifs serait assurément très suffi-
sant pour établir le devoir qui nous incombe d'aimer notre
prochain. Mais après les avoir tous considérés, il n'est
personne qui ne soit forcé de reconnaître que l'observation
de ce devoir est aussi indispensable que naturelle. Cj?st
pourquoi, continuant à l'étudier, nous allons faire con-
naître maintenant quelle est la
II. — Mesure de ce devoir. — L'amour en effet a des
non tantum natura, sed gratia. Omnes vos fralres estis... unus est Pater
vester qui in cœlis est. Matth. xxvi, 8, 9. Atqui major est fraternitas
Christi quam sanguinis. Sanguinis enim fraternitas similitudinem cor-
poris refert ; Christi autem fraternitas unanimitatem cordis anima?que
demonstrat sicut scriptum est : Multitiidinis credentium erat cor nnum
et anima una. (S. Aug. serm. 20 de temp.). — 4° Nécessitas, sicut anima
non vivificat membra, nisi sibi invicem copulata ; ita cum nos omnes
corpus sumusin Ghristo, teste Apost. I.Cor. x, 17, Spiritus Sanctus non
vivificabit nos, nisi per charitatem unum simus (Lohner, Biblioth. man.
conc.J. 5° Securitas. Quid cuim foris conturbare aut contristare poterit,
si intus bene est, et fraterna pace gaudetis ? Nempe frater, qui juvatur
a fratre, quasi civitas firma et funiculus triplex difficalter rumpitur,
teste Salomone, Eccl. iv, 12 (S. Bern. serm. 29, in Gant.). — 6° Utilitas,
quia Ghristus, omnia qua? proximo exhibemus obsequia, non aliter
quam sibi facta essent, remuneratur ; quia concordia res parvœ cres-
cunt, discordia autem maxime dilabuntur (S.Greg. hom. 8, in Ezech.).
Media ad eumdem fincm : i° Amor Dëi. Qme sunt eadem uni tertio,
sunt eadem inter se ; unde cum nos per amorem conjuncti cum uno
tertio, scilicet Deo, fuerimus, facile etiam inter nos per charitatem
conjungemur. Ilinc, per amorem Dei, amor proximi gignitur, et per
amorem proximi, amor Dcinutritur (S. Greg. Moral, lib. 10). — 20 In
omnibus hominibus Christum inlueri. Quam ob causam Dominus dixit ;
Quidquid fecistis uni ex his fralribus meis minimis, mihi Jecistis.
Matth. xxv, 4o. Unde S. Cyprianus, tr. de Eleem : « Quid potuit nobis
magis Christum edicere ? Quomodo potuit magis justitiae de miseri-
cordia operam provocare ?» — 3° Considerare jrequenter damna ex
charitatis violatione provenientia. Longe, qua?so,fratres, a vobis facite
semper hoc abominabile malum, vos qui experti estis et quotidie expc-
rimini quam bonum et quam jucundum sit habitare fratres in unum.
Quidquid foris blanditur nulla est perfecta consolatio, si intus, quod
absit, seminarium discordine germinaverit (S . Bern. serm. 29 in Cant.).
Ils sont bien puissants, les motifs qui doivent nous porter à l'accom-
plissement fidèle du grand devoir de la charité fraternelle. C'est l'obli-
gation la plus souvent rappelée dans l'Evangile et dans les écrits inspirés
que les apôtres ont laissés pour l'instruction des fidèles; c'est lamarquc
authentique, infaillible, à laquelle on reconnaît le vrai disciple de
Jksi s-Christ ; c'est enfin le précepte auquel se rattachent le plus puis-
samment les graves intérêts de notre salut éternel (Mgr Lequette,
Jnstr. past. pour le Car, 1875).
DEVOIR POUR CHACUN DE NOUS D'AIMER NOTRE UROCHUN. 9."C)
degrés, c'est-à-dire qu'on n'aime pas tout également, avec
La même plénitude et la même force. Ainsi, par exemple,
la mesure (l'aimer Dieu, c'est de l'aimer sans mesure, c'est-
à dire non pas seulement plus que tout le reste, mais encore
aulanl qu'on est capable d'aimer, et sans aucune réserve ni
limitation quelconque. Or, est-ce dans cette même mesure
que nous devons aimer notre prochain ? Non, puisque dans
ce cas nous devrions aimer notre prochain autant que Dieu,
et alors nous n'aimerions plus Dieu par dessus toutes choses,
ainsi qu'il nous est commanda de l'aimer.
Quelle est donc la mesure d'aimer notre prochain ? (i)
Dans l'ancienne loi, Dieu en avait marqué une, que Notre-
Seigneur a eu soin de renouveler, et cette mesure, c'est
d'aimer notre prochain comme nous-mêmes (2). Toutefois,
si excellente et parfaite que soit en elle-même cette mesure
d'aimer notre prochain, il nous arrive souvent de la fausser.
Trompés par les maximes mensongères du monde, et aveu-
glés par nos passions, nous ne savons pas, clans bien des
circonstances, nous aimer nous-mêmes. C'est-à-dire que
nous recherchons et que nous faisons, comme devant nous
être avantageuses, des choses qui nous sont infiniment
nuisibles; et que d'autres fois nous fuyons et évitons,
comme funestes, des choses qui nous seraient extrêmement
1. Ghristiano pra?scribit Tertullianus modum, quo suo débet diligcre
fratrem : « Inter fratres atque conservos, ubi communis spes, metus,
gaudium, dolor, passio : quia communis Spiritus, de communi Domino
et Pâtre ; quid tu hos aliud quam te opinaris ? » In his verbis très mo-
dos diligendi fratres invenio : scilicet, sicut ceelestis Pater nos dihgit,
sicut Dominus Noster Jésus Giiristus nos diligit, et sicut ipsi nosmet
dilunmus, verumcharitatissymbolum aurum : etenim aurum caetens
metallis antistat, charitas caeteris virtutibus pramotlet ; auro nihil non
tentant et operantur mundani, ebaritate divinam legem adimplent
Christiani : « Charitatem habe, et implesti legem. » S. Aug. tr. /(. in I.
Joan. \uro ebaritatis ca'lestis Jérusalem mensuratur : Vidi angelam, qui
habebat mensuram arundineam aareanu ut metirelur civitalem, et portas
ejus et murùm. Apoc. \w. El quia ex eodem a postolo eadem est men-
sura hominis, quœ est angeli, terrena ctiam Jérusalem arundine aurea
dimetienda est. Trinam autem invenio rogulam auream, per quam
fraterna dilectio mensuranda est : 1. est amor, quo Deus nos diligil ;
2. amor, quoChristus nos diligit ; 3. amor, quo quisque scipsum diligit
(Vivien, Tertull. prsed., verb. Amor Proximi, conc. 3).
2, Lcv. xix, 18; Matth. xxii, 3o.
280 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
salutaires. Dans ces conditions, aimer notre prochain
comme nous-mêmes serait donc le mal aimer (i). Aimons
notre prochain comme nous-mêmes, oui, pourvu que nous
nous aimions nous-mêmes selon les maximes de l'Evangile,
en faisant toujours passer les intérêts de l'âme avant ceux
du corps, les intérêts de l'éternité avant ceux du temps, les
intérêts du ciel avant ceux de la terre (2).
1. Jam ergo qui diligis iniquitatem, quomodo volcbas tibi committi
proximum, ut diligeres eum tanquamte, homo qui te perdis ? Si enim
tu ipse sic te diligis ut perdas te, sic profecto perditurus es eum, quem
diligis sicut te. Nolo ergo quemquam diligas. Vel solus péri aut corripe
dilectionem, aut respue societatem. Dicturus es mihi : Diligo proximum
tanquam meipsum. Audio plane, audio : inebriari vis eum illo, quem
diligis tanquam teipsum ; bene nobis faciamus hodie, quantum possu-
mus bibamus. Vide quia sic te diligis, et illum ad te trahis, et ad quod
amas, vocas. Necesseest, utquem diligis tanquam teipsum, illum trabas,
ad quod et tu te amas (S. Aug. De Doctr. christ, lib. 2),
2. Diliges proximum luum sicut teipsum. Adverl.it D. Aug. « Non est
hic dilectio lui prœtermissa, dicitur enim u«t diligas proximum tuum,
sicut teipsum. » Ly vero, sicut teipsum, non dénotât aequalitatem, sed
similitudinem, ut docet s. Thomas, 2. 2, q. kfA, a. 7. Primo enim loco
diligendus est Deus, 2. propria persona, 3. proximus ad sui similitudi-
nem. Ad hoc autem ut dilectio proximi sit naturœ similis, débet respi-
cere : 1. aequitatem ; 2. sanctitatem ; 3. felicilatem (Vivien, Tertull.
prœd. verb. Amor Proximi, conc. 3, p. 3).
Puisque le Fils de Dieu veut que l'amour que nous devons avoir pour
nous-mêmes soit, par ses conditions générales et par le motif qui fait
son essence, la règle, la mesure et le modèle de celui que nous devons
à nos frères ; il veut bien encore qu'il le soit à proportion, par sa vive
ardeur et par sa constance. Or il est constant en général que l'amour
que nous avons pour nous-mêmes, est de tous les autres amours qui
nous peuvent lier à quelque personne ici-bas, le plus grand, le plus fort,
le plus puissant, le plus agissant, et en quelque manière le plus indisso-
luble. Tel doit être, comme j'ai dit, à proportion, l'amour que Dieu exige
de nous, à l'égard de notre prochain. C'est pourquoi il ne dit pas que
nous l'aimerons comme un ami aime son ami, parce que cette amitié
est sujette à se rompre, ni comme un frère aime son frère, parce que
l'amour fraternel se change assez souvent en une haine mortelle ; ni
enfin comme un père aime son fils, et un fils son père ; on ne voit que
trop d'exemples de la haine et de l'inimitié, qui éteint tous les senti-
ments de l'amour le plus naturel ; mais il veut que nous l'aimions
comme nous nous aimons nous-mêmes, parce que tous les autres amours
naturels cèdent à celui-ci, qui est grand, durable, fort et étendu, pro-
fond et vaste tout à la fois (Houdry, Biblioth. des Prédic. art. Amour
du prochain, § 5).
Une autre règle que Jésus-Christ nous donne, c'est d'aimer notre
prochain comme nous voudrions qu'il nous aimât, de le traiter de la
même manière que nous voudrions qu'il nous traitât. Oh ! la divine
UFA
OUI POUR CHACUN DE \Ol s D'AIMER NOTRE PROCHAIN. 28l
Toutefois, puisque celle règle d'aimer notre prochain,
nous pouvons en faire une mauvaise application, voilà pour-
quoi Noire Seigneur, étanl vehu en ce monde, avoulu nous
en donner une autre, dont il nous fût impossible d'abuser.
Celle nom elle régie et cette nouvelle mesure, c'est d'aimer
notre prochain comme Notre Seigneur nous a lui-même
aimés : Voilà mon commandement, nous a-t-il dit à tous en la
personne de ses apôtres, c'est que vous vous aimiez les utis les
autres, comme je vous ai aimés (i). Cette règle nouvelle,
disons-nous, n'esl pas susceptible d'être faussée comme
L'autre : car. tandis que nous pouvons nous aimer mal,
Noire Seigneur n'a pas pu, lui, nous mal aimer, étant la
sainteté même. En aimant notre prochain comme Notre-
Seigneur nous a lui-même aimés, nous sommes donc assu-
rés de l'aimer bien toujours.
Or, comment Notre-Seigneur nous a-t-il aimés ? Le pre-
mier caractère de sa charité pour nous, c'est qu'elle a été
universelle. Il est bien vrai que Notre-Seigneur a aimé cer-
taines personnes et certaines choses plus que d'autres. Il a
aimé d'un amour tout particulier son ami Lazare et son
disciple Jean, ainsi que sa patrie, dont il a pleuré l'endur-
cissement et les malheurs qu'elle devait s'attirer, Et ainsi
nous pouvons et nous devons nous-mêmes aimer plus spé-
règle ! Elle parut si admirable et si raisonnable à un prince païen, qu'il
la^crut une preuve convaincante de la sainteté et de la vérité de notre
religion, qui l'enseignait. Gardons cette règle et nous serons justes et
saints. >ous n'avons qu'à prendre sur ce point la loi de notre amour
propre ; tout déréglé qu'il parait, nous n'avons qu'à suivre ses mouve-
ments là-dessus pour nous régler ; tout injuste qu'il est, il nous fera
rendre justice aux autres. Consultons donc notre propre cœur et les
mouvements qu'il nous inspire pour nous-mêmes ; demandons-nous
souvent à nous-mêmes quand nous avons à traiter avec le prochain :
Voudrais-je qu'on en usât de cette façon avec moi? qu'on me traitât
avec dureté, qu'on me parlât avec mépris, qu'on médit et qu'on raillât
de moi avec malignité, qu'on me tournât en ridicule, qu'on relevât, ou
qu'on exagérât nies fautes les plus légères, qu'on empoisonnât mali-
cieusement mes intentions les plus droites, qu'on jugeât mal de ma
conduite sur les plus légères apparences, qu'on ne supportai point mes
défauts, qu'on n'eût nulle condescendance pour mes faiblesses, qu'on
ne me ménageât sur rien ? Ne voudrais-je pas qu'on eût avec moi une
conduite toute contraire ? Pourquoi ne la pas avoir avec les autres ?
(R. P. Nepvei , L'Esprit du Christianisme).
l. Joan. xv, 12.
282 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
cialcmcnt nos parents, nos amis, tous ceux qui nous tou-
chent de plus près, ainsi que notre patrie. Mais les affections
particulières du Sauveur ne nuisaient en rien à l'affection
qu'il portait à tous les hommes. Il les aimait tous et leur
était dévoué à tous, qu'ils fassent riches ou pauvres, savants
ou ignorants. Ses discours étaient adressés au peuple aussi
bien qu'aux docteurs de la loi, car tous avaient besoin de
ses enseignements. Il avait pitié du prince de Gapharnaûm
et guérissait son fils, comme du chef de la synagogue Jaïre
dont il ressuscitait la fille, comme de tous les misérables
infirmes auxquels il rendait soit l'ouïe, soit la vue, soit
l'usage de leurs membres, soit la santé, sans traiter moins
bien les uns que les autres. Il appelait d'ailleurs à lui tous
ceux qui étaient dans la peine pour les soulager, quels qu'ils
fussent, et nous faisons profession de croire que ce fut pour
tous les hommes et pour leur salut qu'il est descendu du
ciel, qu'il a été crucifié et qu'il est mort. — Tel doit donc
être aussi le premier caractère de notre amour pour notre
prochain, c'est-à-dire que nous devons aimer tout le monde,
sans faire acception des personnes (1), à l'exemple de Dieu.
Autrefois le peuplé juif, dénaturant le précepte divin, refu-
sait la qualité de prochain aux ennemis et aux étrangers.
Mais Notre-Seigneur a condamné cet abus, en nous ensei-
gnant expressément que tout homme est notre prochain, et
que par conséquent nous devons aimer tous les hommes (2).
C'est ce que l'apôtre saint Paul a aussi proclamé en disant :
77 n'y a point de distinction entre le Juif et le Gentil, car il ny a
qu'un même Seigneur de tous (3). Voyons donc si nous aimons
ainsi tous les hommes, comme Notre-Seigneur les a tous
aimés, et parce qu'ils sont tous les enfants du même Père
qui est dans les cieux. Car s'il y en a que nous haïssons,
ou pour lesquels nous sommes indifférents, nous n'aimons
pas les hommes, déjà sous ce premier aspect, comme Notre-
Seigneur les a aimés, et par conséquent comme il nous est
commandé de les aimer (4).
1. I. Petr. 1, 17.
2. Luc. x, 37.
3. Rom. x, 12.
4. Si criim djligitis eos qui vos diligunt, quam mercedem. Jiabebitis ?
DEVOIR POUR CHACUN DE NOUS d'aIMER NOTRE PROCHAIN. 283
Un second caractère de la charité de Notre Seigneur pour
Les hommes, c'est qu'elle Put effective el agissante. Notre-
Seigneur ne s'esl pas borné à aimer 1rs hommes au fond de
son cœur, ni à dire qu'il les aimait. S'il ne les eût aimés
qu'ainsi, ou bien il sérail resté dans le ciel, ou bien il n'au-
rail pas quille l'atelier de Nazareth. \ <pioi un tel amour
eùl il servi aux hommes ? Mais le bien que son cœur sou-
haitai! et voulait aux hommes, il le leur a fait. L'apôtre
sainl Pierre, qui l'a partout suivi durant sa vie publique, en
a rendu témoignage, en disant de lui : Il a passé en faisant le
bien (i). Maintenant encore d'ailleurs son amour ne reste
pas oisif, car soit sur nos autels, soit au ciel, il continue de
s'offrir e1 de prier pour nous. — C'est donc encore ainsi
que nous devons aimer notre prochain, c'est-à-dire en nous
efforçant de lui faire le bien dont il a besoin. Que de chré-
tiens qui parlent volontiers de charité, qui admirent même
les actions charitables des autres, mais qui n'en font jamais
eux-mêmes ! Or, l'amour qui n'agit pas, peut-on dire en
modifiant un peu les paroles du poète, est-ce un amour sin-
cère? Tout au plus c'est un amour bien froid et bien vain.
Tel celui que l'apôtre saint Jacques a peint quand il a dit :
Si un de nos frères ou une de nos sœurs n'ont pas de quoi se
vêtir, et qui manquent de ce qui est nécessaire pour vivre, et
que quelqu'un d'entre vous leur dise: Allez en paix, je vous sou-
haite de quoi vous couvrir et de quoi manger, sans leur donner
Nonne rt publicani hoc faciunt ? Et si salutaveritis fratres vestros tan-
tum, quid amplius facitis ') Nonne et ethnici hoc faciunt? (Matth.-v,
4<i. I7. — Cf. Luc. vi, 32-35.
Le motif de la charité chrétienne que nous dc^ns au prochain, est
universel ; c'est-à-dire qu'il s'étend sur tous les hommes, connue le
motif de la foi 9'étend également à tous les articles de notre créance ; et
comme pour perdre la foi. il suffît de douter d'un seul point de la reli-
gion, aussi, pour perdre la charité, il sutïit qu'un homme soit banni de
notre cœur. Si vous aimiez toute la terre, à la réserve d'une seule per-
sonne, il faut que vous ayez une raison d'aimer les autres, que vous ne
trouvez pas en celui-ci. Cette raison est une raison naturelle; car si elle
était surnaturellle el divine, elle s'étendrait encore à celui que vous
n'aimez pas el par conséquent, Dieu n'étant pas le motif qui nous fait
aimer, ce n'esl rien moins qu'une charité chrétienne (Le vén. P. delà
COLOMBIÈRE, loc. cit . .
1. Act. x, 38.
284 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XI. INSTRUCTION.
néanmoins de quoi satisfaire aux nécessités du corps, à quoi
serviront ces paroles (i) ? Un tel amour ne ressemble assuré-
ment en rien à celui de Notre-Seigneur. C'est pourquoi
écoutons et mettons en pratique L'exhortation de l'apôtre
saint Jean, disant: Mes chers enfants, que notre amour ne
soit point en paroles, ni sur la langue, mais qu'il soit effectif et
véritable (2), et passe dans nos actions ; car c'est encore
ainsi, nous le répétons, et non autrement, que nous nous
aimerons les uns les autres comme Notre-Seigneur nous a
aimés (3).
Enfin Notre-Seigneur nous a aimés avec générosité.
C'est-à-dire qu'il n'a pas fait, par amour pour nous, seu-
lement ce qui ne lui coûtait ni efforts ni peines ; il est
1. Jac. 11, i5, 16.
2. I. Joan. ni, 18.
3. Charitas paticns est, benigna est, charitas non a?mulatur, non agit
perperam, non inflatur, non est ambitiosa, non quaerit quœ sua sunt,
non irritatur, non cogitât malum, non gaudet super iniquitate, cau-
gaudet autein veritati ; omnia suffert, omnia crédit, omnia sperat,
omnia sustinet (I. Cor. xiii, 4-7).
Ceux qui sont inutiles au prochain, ou qui ne s'appliquent point à
le secourir, sont semblables au prêtre et au lévite dont il est parlé dans
l'Évangile : ils passèrent sans se mettre en peine de secourir cet homme,
lequel étant tombé entre les mains des voleurs, avait été dépouillé, cou-
vert de plaies, et laissé à demi-mort. Mais les hommes charitables, qui
toujours émus d'une sainte compassion pour leurs frères, se font une joie
d'être utiles au prochain, sont semblables au Samaritain. Jésus-Christ
nous propose lui-même cet excellent modèle, en disant, que si nous
voulons témoigner que nous aimons nos frères, nous devons faire
comme ce Samaritain: Vade, et tu fac similiter. Luc. x. C'est-à-dire, si,
quand votre frère est dans la misère, vous passez sans le soulager,
comme le prêtre et le lévite, vous n'accomplissez point le précepte de
l'amour du prochain. Pour satisfaire à cette loi, il faut secourir notre
prochain dans ses besoins... Il en est de l'amour du prochain, comme
de l'amour que nous devons à Dieu. Tout homme qui dit : Seigneur, Sei-
gneur, c'est-à-dire, tout homme qui dit qu'il aime Dieu, n'entrera pas
dans le royaume des cieux ; il faut des preuves et des œuvres de cet
amour : celui-là entrera seulement dans le royaume du ciel, qui a fait
la volonté de mon Père. J'en dis de même de la charité du prochain. Il
ne suffit pas de dire qu'on aime son prochain ; il faut des œuvres, et
des preuves de cet amour. Et comme en qualité de chrétiens, vous êtes
indispcnsablement obligés d'aimer votre prochain, il est constant que
vous ne l'aimez, que quand vous êtes dans une sincère disposition de
lui rendre tous les services dont vous êtes capables (Lambert, Disc, sur
la vie ecclés. 6. dise).
DEVOIR nui; CHACUN DE NOUS d'aIMER NÔTRE PROCHAIN. 286
allé jusqu'à nous sacrifier ses plus graves intérêts. Il nous
a sacrifié ses biens, puisqu'éïant riche, dit L'apôtre saint
Paul, il s'est rendu pauvre pour l'amour d< nous, afin que nou&
devinssions riches par sa pauvreté (i). Il nous a sacrifie sa
gloire, puisqu'étant égal à Dieu par sa nature, dit encore
L'apôtre sain I Paul, if s'est anéanti en prenant la forme d'es-
clave et en se faisant le dernier des hommes (2) . Il nous a sacri-
fié sa Liberté, puisque pour nous remettre en possession de
la nôtre e( nous délivrer de L'esclavage du démon, il s'est
fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (3). Il
nous a sacrifié jusqu'à son honneur, puisqu'il a consenti à
être regardé connue un criminel et à subir le châtiment
des scélérats. Et maintenant encore, ne se résigne-t-il pas,
clans son adorable Eucharistie, à subir toutes sortes de
dédains cl d'outrages, afin d'être toujours à la disposition
de ceux qui veulent venir à lui pour recevoir son assistance
cl <es consolations ? Oh ! l'admirable charité de notre Dieu !
— Eh bien, chrétiens, c'est encore de cette charité que nous
devons aimer notre prochain. L'apôtre saint Jean nous le
déclare expressément : Nous avons reconnu, dit-il, l'amour
de Dieu, en ce qu'il a donne sa vie pour nous; nous devons
doia- donner aussi notre vie pour nos frères (4). Oui, nous
devons aimer notre prochain avec générosité, nous gêner
pour lui, nous priver pour lui. et môme donner notre vie
pour lui si c'était nécessaire, par exemple, si c'était l'unique
moyen d'assurer son salut, la vie éternelle étant un bien
sans comparaison plus précieux que la vie temporelle (5).
I.
11.
Cor.
VIII,
9-
a.
PI
lilip.
11, 6-
S.
3.
PI
lilip.
11, 8.
'..
I.
Joan
. m,
16.
5. Quand il s'agil d'intérèl temporel, la loi qui commande d'aimef
mon prochain, ne me commande pas de lui céder absolument mes
droits ; je puis raisonnablement les poursuivre, et quelquefois même,
1 iil un péché de ne 1" pas faire. M;us si par mes poursuites, qui ne
me serviraient qu'à le ruiner, je connais qu'il sera réduil à la mendicité,
'■n ce cas, il esl de la charité chrétienne que je sois dur en quelque ma-
nière à moi-même, afin de» pouvoir lui rire utile; H lajustice veut
qu'en de si fâcheuses extrémités, je sacrifie mon droit ;i l'amour que
j'1 dois avoir pour lui. Ce n'es! pas assez : je dis qu'il est de l'ordre
286 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
Telle est encore, chrétiens, la mesure d'aimer notre pro-
chain, laquelle consiste à l'aimer comme Notre- Seigneur
nous a aimés, savoir, à aimer tous les hommes sans excep-
tion, à les aimer non pas seulement en paroles mais aussi
en action, et enfin à les aimer avec générosité, allant jus-
qu'à nous gêner et nous priver pour eux, et jusqu'à faire
pour eux tous les sacrifices compatihles avec l'état où nous
a mis la divine Providence (i). — Or, notre devoir d'ai-
de la charité chrétienne de préférer en de certains cas, les inté-
rêts spirituels de notre prochain à nos intérêts temporels... Gomme
notre intérêt spirituel, et l'affaire de notre salut, doivent être préférés à
tout autre intérêt et à toute autre affaire, sans quoi, bien loin de nous
aimer, nous nous haïrions; ce grand et ce juste amour de nous-mêmes
doit être le modèle de celui que nous devons à notre prochain, puis-
que nous sommes obligés de l'aimer comme nous-mêmes ; et par con-
séquent, s'il arrive que nous ne puissions ménager ses intérêts spiri-
tuels, qu'en abandonnant nos intérêts temporels, comme ce qui est
temporel est d'un ordre inférieur à ce qui est spirituel, la charité veut
que nous cédions l'un pour l'autre. Tel est, adorable Sauveur, l'exem-
ple que vous nous avez donné, et telle la conséquence que votre disci-
ple bien-aimé veut que nous tirions de cet exemple (Anon. Dictionn.
mor. 2. dise, sur l'amour *du proch.).
i. Ghristus Dominus prœcipit : Hoc est prxceptum meum ut diligalis
invicem, sicut dilexi vos. Per particulam sicut, non exigit quidem œqua-
litatem, sed similitudinem. Quomodo ergo dilexit nos Ghristus ? Dilexit
rectissime. Rectitudo amoris requirit tria : i° Lt sciamus in proximo
distinguere inter substantiam, et substantiam, hoc est inter corpus et
animam, itautanimam amemuspropter Deum, et corpus propter ani-
mam : Ordinavit in me charitatem. Gant. n. Ita Ghristus dilexit apos-
tolos, voluit, ut corpus exponerent morti, et animas eorum vocavit, ut
sanctas faceret, etc. — 20 Rectitudo amoris exigit, ut sciamus distinguere
inter substantiam et accidens, ita ut quidem odio habeamuspeccatum,
et tamen amemus peccatorem : ita Ghristus fecit in Juda. — 3° Recti-
tudo amoris exigit, ut sciamus distinguere inter accidens et accidens;
quia non omnia sunt ejusdem gencris ; quaïdam sunt bona, uti virtu-
tes ; qmedam mala, uti scelera ; qu;edam indifferentia, uti nobili-
tas, divitise : ha?c accidentia facile confundunt amorem incautum, sa>pe
aliquis putat se amare Susannam, quia est timens Deum, et rêvera
amat, quia est pulchra nimis. Ghristus reipsa amavit omnçs, propter
id, quod amore dignum est ; et ideo nunc increpavit Petrum, nunc
laudavit, etc. (Segaeiu, Manna an. i3. aug. n. 1 et 2).
Ghristus Dominus amavit nos amore habente lias quinque qualitatcs,
nimirum quod fucrit rectus, efficax, verax, gratuitus, et immobilis
amor ; dum ergo dicit, ut amemus invicem, sicut ipse dilexit nos, exi-
git lias qualitates amoris, etc. (Id. ibid.).
Sicut dilexi vos. Joan. xv. Modum autem, quo nos dilexit Ghristus,
sic explicat S. Bern. serm. 20. in Gant. : « Dilexit nos Dominus dulci-
DEVOIR roi K CHACUN DE NOl s D* AIMER NOTRE PROCHAIN. '2$']
ttier noire prochain étanl ainsi compris, il nous rcslc à
expliquer
III. — Ce qu'il faut que nous fassions pour nous en
acquitter. — A cet égard, le devoir d'aimer le prochain est
tout à la fois négatif et positif. C'est-à-dire que pour nous
acquitter de ce devoir, il y a, d'un côté, des choses que nous
devons éviter, et, de L'autre, des choses que nous devons
faire (2).
Les choses que nous devons éviter sont toutes celles qui
sont capables de nuire à notre prochain. Il est évident en
effet que la première chose exigée par notre devoir de l'ai-
mer, c'est de ne lui causer volontairement aucun tort. Ne
pas rendre au prochain les services dont il a besoin, n'est
pas une preuve qu'on ne l'aime pas ; car on peut souvent se
trouver dans l'impossibilité de l'assister. Mais celui qui,
volontairement, fait du mal auprochain, est forcé de recon-
naître qu'il ne l'aime pas, et que par conséquent il manque
à son devoir. Pour remplir ce devoir, commençons donc
par ne rien faire qui puisse nuire au prochain, soit dans ses
légitimes intérêts temporels, soit surtout dans ses intérêts
éternels. Nous disons, dans ses légitimes intérêts temporels;
car s'il s'agit d'intérêts illégitimes, que le prochain ne peut
réaliser qu'en faisant le mal, comme il arrive dans les vols,
dans les commerces immoraux, et autres intérêts sembla-
bles, la charité veut même qu'on s'efforce, autant qu'on le
ter, sapienter, el fortiter. Dulciter, quia carnem induit ; sapienter, quia
culparn ravit ; fortiter, quia mortem substinuit. » Scu, ut aliis utar ter-
minis : dilexil nos: 1. veraciter; 2. sapienter; 3. perseveranter ; ideo-
que, ut dilectio nostra liuic regulae commensuretur, débet esse : 1. vera,
2. sapiens, 3. perseverans (Vivien, Terlull. prxd. vèrb. Amor Proximî,
conc. 3, p. 2).
2. Debeo alii pnestare, quod ab alio mihi velim pneslitum : amorcm,
obsequium, solatium, praesidium et ejusmodi bona ; proinde nec alii
farcie quod ab alio mihi fieri noliin : viin, injuriam, coiitumcliain,
fraudem e1 ejusmodi mala (Tertull. adv. Marc, iv, 16).
Non opus est uiulLis sermonibus neque prolixis legibus, nec varia
doctrirta. Voluntas tua si( lex. \ is bénéficia capere? couler beneficium
alteri. Vis misericordiam consequi ? miserere proximi. Vislaudari?
lauda alium. Vis amariP ama. Vis partibus primis potiri ? cede illas
prius alteri. Tu sisjudex, tu sis vitae tuae legislator (S. Jo.vn. Chrysost,
in Ps. \ .
288 LES GRANDS DEVOIRS DU SAlUT. Xl. INSTRUCTION.
peut, de les rendre impossibles au prochain. Mais s'il s'agit
d'intérêts légitimes, on ne doit rien faire, nous le répétons,
qui puisse y porter atteinte. C'est ainsi qu'on doit très
rigoureusement s'abstenir, par exemple, de lui rien dérober
ni rien détériorer, comme aussi de nuire à sa réputation
par des mensonges, par des médisances, des calomnies, des
faux témoignages (i). — Il en est de même et surtout,
avons-nous ajouté, de ses intérêts spirituels. Quel tort ne
fait pas à son prochain, à cet égard, celui qui lui donne de
mauvais exemples ou de mauvais conseils, qui lui procure
de mauvaises lectures, et qui, d'une manière ou d'une
autre, le porte lui-même au mal, ou bien ceux de sa famille
et de sa maison ! Combien la charité fraternelle ne nous
fait-elle donc pas à tous un devoir de respecter des intérêts
aussi sacrés que sont ceux de l'âme et de l'éternité !
'Mais pour nous acquitter de notre devoir d'aimer notre
prochain, il ne suffît pas que nous nous abstenions de lui
faire aucun mal ; il faut de plus que nous lui fassions tout
le bien qui est en notre pouvoir. Pourrions-nous dire, en
effet, que nous aimons notre prochain comme Notre-Sei-
gneur nous a aimés, si pouvant lui faire quelque bien, nous
ne le lui faisions pas ? Si donc nous pouvons lui venir en
aide, ou lui donner l'aumône, nous devons le faire dans la
mesure de notre pouvoir. Et si nous pouvons l'instruire et
lui donner de bons conseils, nous devons le faire également,
et de la manière la plus opportune. Et s'il a besoin d'encou-
ragements et de consolations, nous devons lui en donner
autant que nous le pouvons et avec tout le zèle et toute la
i. Tremblez, vous qui, dans le cours d'une vie en apparence conforme
à l'Évangile, nourrissez des antipathies, des animosités, des aversions
que l'Évangile condamne et met au rang des crimes, qui protestez à
Dieu que vous l'aimez de tout votre cœur, et qui ne pouvez lui sacri-
fier un ressentiment ; qui passez des heures au pied des autels, et qui
n'en sortez que pour déchirer le prochain, pour faire souffrir tous ceux
qui vous approchent, par votre humeur, vos duretés, vos censures, vos
impatiences et vos éclats. Oh ! qu'il est à craindre que le défaut de cha-
rité ne rende inutiles, abominables aux yeux de Dieu, les prières cl
les jeûnes de tant de personnes qui marchent sous l'étendard de la dé-
votion, et qui se croient riches en mérites et en vertus, tandis qu'elles
n'ont pas la vertu la plus nécessaire, celle que rien ne peut remplacer,
pas même la couronne du martyr : Si charitalem non habuero, nihil surit.
]. Cor. xiu, 3. (Richard, serin, sur l'amour du prochain, i. p.).
DEVOIR PO! K I .il m i \ DE NOUS d'aIMEB NOTRE PROCHAIN. 7.Si)
discrétion (in*1 nous pouvons Nous devons même le repren
dre et le corriger lorsqu'il nous est possible <le le faire, et
que nous avons quelque sujel d'espérer qu'il en profitera.
Pardessus tout, nous devons tous à notre prochain, dans
quelque situation que nous nous trouvions, de prier pour
lui et de lui donner de bons exemples : car c'est, d'un côte,
ce qui esi le plus à notre portée à tous, ei de L'autre, ce qui
sera toujours le plus avantageux à notre prochain (i).
CONCLUSION. — Quels sont les motifs qui nous foui un
devoir d'aimer notre prochain ; quelle est la nature de ce
devoir; que devons nous faire pour nous en acquitter: telles
i. (ici empressement à servir les autres doit évidemmenl se préoccu-
per d'abord du bien éternel des âmes, mais il ne doit pas négliger ce
qui sert a la vie et la favorise. V ce sujel, il faut se rappeler ce que le
Chris! répondit à la question des disciples du Baptiste : Es-tu Celui qui
doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ') Matlh. xi, 5. Pour mon-
trer ce qu'il apportait aux nommes, il invoqua ses bienfaits, et rappela
une parole d'Isaïe : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux
sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nou-
velle est annoncée aux pauvres. Mallb. xi, 'i, 5... A. ces preuves d'amour,
visant à la fois le bien de l'âme et du corps, le Christ, on le sait, a ajouté
de- exemples personnels extraordinaires. C'est ici qu'il est doux de se
rappeler cette parole tombée de son cœur paternel: Je suis ému de
compassion pour cette fouit' . Marc, vin, 2, et sa volonté d'être secou table
égale à son pouvoir merveilleux. De cette pitié, il nous reste un témoi-
gnage : // allait de lieu en lieu, Jaisant du bien cl guérissant tous ceux qui
étaient sous Vempire du diable. Vcf. \, 3<S. Les apôtres, les premiers, cul-
tivèrent religieusement et avec ardeur cette science de la charité qu'ils
axaient reçue du Christ. Vprès eux, ceux qui embrassèrent la foi
chrétienne créèrent celle multitude variée d'institutions dont le but est
de soulager les misères humaines, quelles qu'elles soient. Ces institu-
tions, sans cesse enrichies par de nouveaux développements, sont la
gloire et l'ornement propre du nom chrétien... On ne doit pas excepter
de ce genre de bienfaits les distributions d'aumônes ; et c'est à elles
qu'ont traitées paroles du Christ : Ce qui reste, donnez-le en aumône.
Luc, \i. |i. C'est cette aumône que les socialistes \eulenl enlever de la
société comme injurieuse à La dignité naturelle de l'homme. Cependant,
si elle est faite conformément à la prescription evangélique et à l'esprit
chrétien, elle n'a rien qui puisse ou exciter l'orgueil de ceux qui don-
aent, ou faire rougir ceux qui reçoivent. Loin d'être inconvenante pour
l'homme, elle favorise l'établissement de rapports sociaux et des devoirs
nécessaires entre semblables II n'est pas d'homme si riche qu'il n'ait
besoin d'un autre *; il n'est pas d'homme si pauvre qui ne puisse être
utile a -«m voisin. C'est une chose innée que les hommes se demandent
ei se portent mutuellement leur assistance (Léon xiii, Uncycli<pie sur la
Démocratie chrétienne).
SOMME DU PREDICATEUR. — T. II.
*9
•2()0 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. ■ — XI. INSTRUCTION.
■
sont, chrétiens, les trois questions très importantes que nous
venons d'expliquer. Les motifs qui nous font un devoir
d'aimer notre prochain, nous l'avons vu, c'est que la nature
nous y porte, c'est que notre intérêt s'y trouve engagé, c'est
que Dieu nous en a donné l'exemple, et quïl nous en a fait
un commandement ahsolu. Nous avons vu également que
la mesure d'aimer notre prochain, c'est de l'aimer comme
Notre-Seigneur nous a lui-même aimés, c'est-à-dire tout le
monde sans exception, en actions et non pas seulement en
paroles, et sans craindre de nous priver et de nous gêner.
Et quant à ce que nous devons faire pour nous acquitter de
ce devoir, nous avons expliqué que c'est d'éviter tout ce qui
peut nuire au prochain, en son corps et en son ame, et de
faire tout ce qui peut lui être utile également, pour son bien
temporel et surtout pour son bien spirituel. Nous connais-
sons donc maintenant tout ce qu'il est essentiel de savoir
touchant le commandement d'aimer le prochain, comman-
dement dont Notre-Seigneur a dit qu'il est semblable à celui
d'aimer Dieu lui même (i). Or, personne ne peut douter
que, sans aimer Dieu, il est impossible qu'on se sauve. Il
est donc également impossible qu'on se sauve sans aimer le
prochain. Par conséquent, aimons-le comme nous devons
l'aimer, et par suite, entr'aidons-nous tous comme nous
devons nous entr'aider, afin de nous sanctifier tous en ce
monde, et de nous retrouver tous dans le ciel, comme des
frères que nous sommes, autour de Dieu, notre Père à tous.
Ainsi soit il.
TRAITS HISTORIQUES.
La charité s'étend à tous les hommes et à tous leurs
besoins.
i. — Saint Jean de Dieu, natif du diocèse d'Evora, en Portugal,
Vers la fin du xva siècle, était âgé d'environ quarante ans, lorsqu'il
résolut de se dévouer au service des pauvres malades, pour accom-
plir un vœu qu'il avait fait pendant une maladie dans un hôpital,
où il avait été traité comme atteint de folie. 11 commença cette
t. Malth. xxn, 39.
DEVOIR POUR CHACUN DE NOUS D UMËR NOtRE PROCHAIN, 20, 1
œuvre charitable à Grenade, en nourrissaul quelques pauvres du
travail de ses mains, \\ani ensuite loué une maison pour les lo-
ger, il les assista avec une économie, une charité, une prévoyance
et un succès dont toute la ville fui étonnée. De tous cotes on le
voyait aller chercher des malades pour les conduire ou les l'aire
transporter à son hôpital. Plusieurs personnes riches, touchées
d'un zèle si charitable, lui donnèrent de l'argent et des meubles.
Tels furent les commencements du célèbre hôpital de Grenade, et
de la congrégation des Frères de la Charité. Jean s'occupait pen-
dant le jour à senir m^ pauvres, et le soir il partait pour aller
faire la quête. Il ne se bornait pas à leur fournir les secours qu'exi-
geaient leurs infirmités et leurs besoins corporels : il travaillait
principalement au salut de leur âme. En cela, son zèle fut parfai-
tement secondé par plusieurs ecclésiastiques qui, en même temps,
lui apportaient de l'argent ou d'autres objets nécessaires à son
hôpital. Les pauvres honteux n'étaient pas oubliés : il les visitait
et leur procurait du travail, autant comme moyen d'éviter l'oisiveté
que comme celui de pourvoir à leur subsistance. Si des fdles se
trouvaient sans appui, et exposées à perdre leur innocence, il
veillait, avec un soin particulier, à ce qu'elles ne fussent pas ten-
par le besoin, de s'abandonner au vice. La congrégation libre,
qu'il formait avec ses confrères, fut confirmée, douze ans après
sa mort, parle pape Pic V, et se répandit en beaucoup de pays, où
elle continue l'œuvre de son fondateur.
■>. — Dans les premières années du siècle qui vient de finir, Mar-
guerite Fairet, veuve Meyer, née sans fortune, devint cependant
la providence des malheureux. Dans la ville de Helfort, une épidé-
mie infectait les hôpitaux, où affinaient un grand nombre de mi-
litaires malades et blessés, amenés d'Allemagne. La veuve Meyer
se dévoue pour les secourir ; tous les lits de douleur sont visités
par elle ; tous les secours leur sont prodigués ; rien ne la rebute :
ni le dégoût des plaies, ni le danger du séjour. Elle apparaît com-
me un ange à tous ces êtres souffrants, les console, les encourage,
les assiste et contribue à les guérir. Elle ne borne pas là ses efforts
secourantes. Pendant les sièges (pic subit la ville de Bclfort, elle
suit courageusement les sorties de la garnison ; on la voit sur les
champs de bataille, pourvue de linge et de charpie, de remèdes et
de rafraîchissements ; elle accourt partout où des blessures récla-
ment sa présence Elle ne distingue pas les amis des ennemis ;
tout ce qui esl homme, tout ce qui souffre a pari à ses bienfaits.
On la voit sans cesse étancher le sang, panser les blessures, et
l'empresser de transporter hors du péril tous ceux que la mort
2(J'2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
peut atteindre. L'état le plus désespéré ne rebute point son infati-
gable pitié ; et quand elle réussit, sa joie éclate au milieu des
bénédictions de toutes les victimes qui sont sauvées par elle. —
C'est peu des scènes du carnage pour éprouver cette belle âme.
La disette de 1816 et de 18 17 lui fournit une nouvelle occasion de
déployer sa bienfaisance. Voyant se multiplier le nombre des pau-
vres qui affluent des campagnes ruinées par la guerre, elle se mul-
tiplie comme eux, elle visite les asiles de la misère, frappe à toutes
les portes, sollicite la. pitié et forme une assemblée de dames cha-
ritables qui donne aux malheureux des secours permanents. Elle
voit tout, préside à tout, distribue tout. Aucun indigent n'est
oublié, tous sont nourris et soulagés par elle. — Le fléau cesse,
mais non l'activité de son zèle, qui a besoin d'un continuel ali-
ment. Belfort, ville de garnison, regorge d'enfants nés dans la
misère, livrés à tous les vices et n'ayant d'autre profession que la
mendicité. En vain cette ville leur ouvre des écoles, ils repoussent
toute instruction. Eh bien ! c'est à les sauver de l'indigence et du
vice que l'ange de consolation va consacrer tous ses soins. Que de
moyens' ne lui suggère pas son ardente charité ! Elle les contraint
par la force de ses bienfaits à se rassembler autour d'elle, et prend
elle-même le soin d'écarter toutes les souillures de la malpropreté
qui les flétrit. Une vie nouvelle commence pour eux, et ce n'est
plus ce ramas impur d'enfants abandonnés ; c'est une jeunesse
décemment vêtue, à qui la bienfaisante Meyer apprend la religion,
la morale, la lecture, l'écriture. Elle-même leur enseigne les pré-
ceptes de l'Évangile, elle-même les conduit à la Sainte-Table. Et
qu'on ne pense pas qu'elle borne là tous les secours dont elle est
prodigue envers eux. Elle surveille au dehors ses enfants adoptifs,
leur fournit des aliments, des vêtements, fak les frais de leur
apprentissage, les place chez les cultivateurs et leur procure du
travail. Combien d'entre eux qui lui doivent d'être aujourd'hui
honnêtes, laborieux et dans l'aisance (Fleurs de la morale) !
La charité est ingénieuse.
Il y a quelques années, la ville de Bayeux possédait une pauvre
femme âgée de quatre-vingt-quinze ans, la veuve Palobre, dite la
mère le Diable. Laide, envieuse, haineuse, gourmande, paresseuse,
impie surtout, depuis bientôt un siècle, elle avait fait le désespoir
de ses parents, de son mari, de ses curés, de vingt Ames charita-
bles qui, tout en soulageant son extrême misère matérielle, avaient
essayé de porter quelque remède à sa misère morale, plus pro-
fonde encore. Elle haïssait particulièrement ses bienfaiteurs. La
DEVOIR POUR CHACUN DE NOUS d' AIMER NOTRE PROCHAIN. 2Q3
1 * ■
charité est infatigable ei indulgente. Une conférence de Saint-
Vincenl de Paul s'étant forméeà Bayèux, adopta lanière le Diabl i
parmi ses pauvres. En la confiant à l'un des plus zélés confrères ,
le Président lui dit: «M. Germain, vous tâcherez delà convertir. »
— M. Germain, bourrelier de son état, avait une piété d'ange, une
humilité de saint, une charité à réaliser des prodiges. Rentré
chez lui au sortir de la conférence, il se mit à genoux devant son
Crucifix : « Mon Dieu, dit-il, aidez-moi à convertir celte âme. Je ne
puis absolument rien, mais daignez me prendre pour votre instru-
ment. Inspirez-moi ce que je dois dire et faire. » — Il visita une
première fois sa protégée, par une belle matinée du mois de mai.
Le soleil était radieux, l'air tiède et embaumé. Quel contraste
entre la nature commençant à se revêtir de ses grâces printa-
nières, et la mansarde habitée par la mère le Diable ! Rien n'y
venait égayer ou reposer le regard ; l'âme du visiteur s'y trouvait
navrée, ses sens blessés et révoltés. Partout une malpropreté
repoussante ; dans un coin, de vieux os et des restes de viande
dont l'odeur et l'aspect soulevaient le cœur. Jamais demeure
n'avait été plus misérable et plus répugnante. — M. Germain,
entrant dans ce réduit, se garda bien de manifester aucun dégoût.
Il s'assied, et tandis qu'il s'efforce de témoigner à sa cliente un
intérêt qui loin de l'attendrir semble l'irriter, un bruit se fait
entendre du côté des vieux os : « Oh ! c'est ce cher Amour qui se
réveille, dit la pauvresse, d'un accent tendre et doux. » Ces mots
furent un trait de lumière pour M. Germain. Elle aime son chien,
se dit-il à lui-même, je l'aimerai aussi, je le. caresserai, et par là
peut-être gagnerai-je la confiance de la mère le Diable. — Cepen-
dant Amour était un des plus vilains spécimens de l'espèce canine
que l'on put rencontrer. M. Germain ne laissa pas de le flatter et
de lui donner un morceau de sucre. La mère le Diable en parut
touchée. A chaque visite il redoublait d'attention envers Amour.
Les choses se passaient ainsi depuis trois mois, lorsque la maî-
tresse et son chien tombent malades. La mère le Diable se déso-
lait et blasphémait : « Que votre bon Dieu est donc cruel, disait-
elle à M. Germain. Gomme si je ne souffrais pas déjà asssz ! Ne
faut-il pas qu'il m'enlève la seule jouissance que j'avais en ce
monde, celle de soigner mon chien... Pauvre Amour, qu'est-ce
qu'il va devenir ? » M. Germain eut l'air de ne pas entendre les
blasphèmes. « Pour vous, dit-il à la vieille, je vais quérir le Doc-
teur, et il fera l'impossible pour vous soulager. Quant à votre
chien, ne vous tourmentez pas, j'en fais mon affaire. » — Il
commença, le soir même, son métier d'infirmier auprès du cher
294 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION,
Amour. Il était dévoué, ingénieux, trouvait des mots gentils La
mère le Diable, au bout de quelques jours, n'y tint plus. Déposant
son orgueil farouebe : « Vous êtes bien bon pour moi et pour ma
bête, dit-elle à M. Germain : je vous en remercie. — En vous
aimant, mère Palobre, répondit le charitable visiteur, je n'ai fait
que mon devoir de chrétien, et ce devoir m'est bien doux... Jésus-
Christ, qui m'ordonne de vous aimer, sera ma récompense ; et
si vous y ajoutez, comme aujourd'hui, de bonnes paroles, vrai-
ment je serai trop payé. » — La vieille n'en resta pas aux paroles ;
elle donna à M. Germain la joie qu'il recherchait, celle de son
retour à Dieu.
La charité est patiente et supporte tout.
1. — Cassien rapporte d'une dame d'Alexandrie que, pour
pratiquer la charité, elle résolut de loger et de nourrir une pauvre
femme dans sa maison. L'Église d'Alexandrie nourrissait alors
plusieurs pauvres veuves, et la charitable dame alla prier l'arche-
vêque saint Athanase de lui en donner une, pour la nourrir chez
elle et pour soulager l'Église d'autant. Athanase loua fort son
dessein et ordonna qu'on lui choisît une personne d'un esprit doux
et d'une grande piété. La dame l'amena chez elle et la garda quel-
que temps, la servant et la traitant avec toutes sortes d'attentions.
Mais parce que cette pauvre femme ne cessait de la louer et de la
remercier à tout moment de ses bontés, elle alla trouver le saint
évêque, et se plaignit à lui de ce que, lui ayant demandé une
femme qui lui donnât lieu de mériter en la servant, il n'en avait
rien fait. Saint Athanase ne comprit pas d'abord ce qu'elle voulait
dire, et s'imagina qu'on avait manqué à ses ordres. Mais s'étant
bien informé, et sachant qu'on avait choisi une femme pleine de
piété, il devina ce que la dame voulait dire par ses plaintes, et lui
répondit qu'il y mettrait ordre. — Il commanda donc qu'on en
prît une d'un esprit aigre, d'une humeur difficile et intraitable ; et
celle-ci, dit Cassien, fut plus facile à trouver que l'autre. En effet,
on choisit une femme chagrine, colère, acariâtre, querelleuse, qu'il
était impossible de contenter ; et on la mit entre les mains de la
pieuse dame, qui la conduisit chez elle aussitôt, et s'attacha à la
servir avec encore plus d'humilité et de soin que l'autre. — Le
caractère de la nouvelle veuve, objet de cette charité, se manifesta
bientôt. La bonne dame n'en recevait que de l'ingratitude, des
plaintes, et même de mauvais traitements. Cette méchante pau-
vresse la contrariait continuellement en tout, et portait même
quelquefois la colère jnsqu'à mettre les mains sur elle, — La sainte
DEVOIB POUR GHAC1 N DE NOUS D'AIMER NOTRE PROCHAIN. 2o5
dame trouva presque au-delà de ce qu'elle avait demandé ; et
retournant auprès de saint Uhanase, elle le remercia de lui avoir
donné une femme qui lui fournissait tous les jours tant d'occa-
sions de mérite. Dans bien des moments, elle sentait tout le poids
du fardeau : cependant elle continua toujours ses offices de cha-
rité. Et, après avoir persévéré dans cet exercice de patience et de
mortification, elle mourut saintement, et alla recevoir du Dieu de
la charité la plus magnifique récompense.
3. — In solitaire, Euloge d'Alexandrie, dont il est parlé dans
la vie de saint Antoine, trouva sur son chemin un pauvre estro-
pié, abandonné de tous, et près d'expirer de misère. Touché de
compassion, il le prit dans ses jbras et le porta dans sa cellule, où,
à force de soins charitables, il le ranima et lui rendit une certaine
vigueur. Le malheureux ne sut comment témoigner sa reconnais-
sance à son bienfaiteur, « Si vous voulez, lui dit l'anachorète,
vous pouvez demeurer ici avec moi: nous servirons Dieu ensem-
ble. )) Le pauvre homme accepta cette offre avec joie, et le soli-
taire redoubla son travail pour fournir à son entretien. — Après
quelque temps, au lieu de respect et de reconnaissance, le pauvre
commença à murmurer contre son bienfaiteur : il se plaignit d'être
mal nourri. Le bon solitaire lui promit avec amour de lui procu-
rer quelque chose de meilleur, et obtint en effet, d'un honnête
bourgeois du voisinage, des aliments moins grossiers : Venez tous
les jours, lui dit cet homme, je vous donnerai de quoi nourrir votre
pauvre. » Celui-ci se montra content d'abord ; mais bientôt il
recommença ses plaintes: «Tu prends pour toi ce qu'il y a de
meilleur, disait-il au serviteur de Dieu, et tu ne me donnes que tes
restes. — Mon frère, lui répondit ce dernier, je vous donne tout
ce que je puis obtenir, et je suis triste de ne pouvoir vous traiter
mieux. En attendant que je puisse mieux vous satisfaire, veuillez
prendre patience pour l'amour de Jésus-Christ. » A ces douces
paroles, le malheureux répliquait par des injures, traitant le saint
homme de menteur et d'hypocrite. Son aversion pour lui devint
de la haine, et un jour, transporté de colère, il lui asséna un coup
qui le fit tomber. « Ah ! mon frère, dit alors le charitable solitaire,
je te pardonne ! — Tu me pardonnes du bout des lèvres. — C'est
de tout mon cœur, mon cher ami, comme Jésus-Christ nous l'ap-
prend. » En disantees mots, il voulut l'embrasser. Mais cethomme
dénaturé le saisit par la gorge, lui déchira le visage avec ses ongles
et voulut l'étrangler. Et, quand la victime fut parvenue à se dé-
barrasser de ses étreintes : « Va, lui cria-t-il, tu ne mourras que
de mes mains. » — Ce charitable solitaire eut patience pendant
2f)G LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
trois ou quatre années. On ne peut dire les indignités qu'il eut à
souffrir pendant ce temps. Son protégé le pressait de le reporter là
où il l'avait trouvé, parce que, disait-il, il aimait mieux mourir de
faim que de vivre avec lui. — Le serviteur de Dieu ne savait à quoi
se déterminer : l'abandonner, c'était l'exposer à périr de misère ;
le garder plus longtemps, c'était s'exposer lui-même à perdre la
patience avec lui. Dans sa perplexité, ri alla consulter saint An-
toine. Le saint lui parla en homme inspiré : « Mon fils, lui dit-il,
gardez-vous d'abandonner ce pauvre. La pensée de le quitter est
une tentation du démon, qui veut vous ôter votre couronne. —
Mais il m'est bien pénible de le supporter, je n'en reçois que du
mal. — Eh! ne savez-vous pas que c'est envers ceux qui nous font
plus de mal, que nous devons exercer la charité la plus géné-
reuse ? N'est-ce pas là l'exemple que Jésus-Christ nous adonné?
— Mais je crains de perdre la patience. — La charité triomphe de
tout, et Jésus-Christ sera votre force. Persévérez avec courage et
confiance, regardez ce pauvre comme l'instrument dont Dieu se
sert pour préparer votre couronne. » — Encouragé par ces saintes
paroles, Euloge continua à servir son pauvre avec une invincible
charité. Grâce à sa patience et à ses prières, le malheureux* se con-
vertit enfin et vécut le reste de ses jours dans la pratique des
vertus chrétiennes. »
La charité pardonne tout.
Un prêtre breton, poursuivi par un Bleu, soldat de la première
république française, arriva au bord d'une rivière, et la passa sur
un barrage en pierres mobiles qu'il connaissait bien. 11 gagna la
colline voisine, tandis que le Bleu, moins habile, tâtonnait sur le
barrage. Le bon prêtre se trouvait en sûreté ; mais n'entendant
plus son ennemi crier derrière lui, il tourna la tête et le vit en
train de se noyer. Sans hésiter, il revint sur ses pas, se jeta dans
l'eau, et tira le républicain sur le bord, plus mort que vif. L'ayant
fait asseoir sur une pierre, il lui dit en souriant : « Ah ça ! mon
ami, je crois que je suis pressé, je vous quitte. Si vous voulez cou-
rir encore, je ne m'y oppose pas ; mais la justice exige que vous
me laissiez reprendre le terrain que j'avais gagné sur vous. »
La charité veut toujours se dévouer davantage.
Écoutez une douce histoire digne d'être racontée par toute la
terre. Des religieuses de Saint-Vincent de Paul tiennent ici (nous
supprimons le nom de la ville) l'hospice du département. Notre
préfet, honnête homme mais chrétien médiocre, visite souvent cet
DEVOIR P01 R CHAG1 N DE NOI s D UMKH NOTRE PROCHAIN. 'M)-]
hospice, questionne les malades et s'acquitte à merveille de celle
bonne oeuvre. I n jour qu'il se trouvail dans le parloir avec la supé-
rieure, voici que frappe el entre une jeune religieuse, tenant une
lettre qu'elle venait soumettre au visa de la Révérende Mère. Mais
en voyanl le préfel elle se retire. « Entrez, ma sœur, dit celui-ci ;
quel est votre nom ? — Sœur Marie, répond la bonne religieuse.
— Et à quel département êtes-vous ') — A la salle des teigneux. »
A res mots, le préfet est pris de compassion : « Ah ! ma pauvre
sœur, vous prenez au moins des précautions pour soigner ces lêtes
dégoûtantes ? Vous avez des gants ?... — Mais non, Monsieur le
Préfet, je me sers de mes mains comme vous les voyez là, et quand
le pansage est achevé, je me lave dans l'eau fraîche. — Mais, sœur
Marie, vous allez avoir la teigne !... » Puis, revenant de sa com-
passion, le préfet ajoute : « Ma sœur, êtes-vous heureuse ? Dites
un mot, demandez ce que vous voulez, et je vous l'accorderai. —
Eh bien, non, Monsieur le Préfet, je ne suis pas heureuse, et vous
pouvez faire quelque chose pour moi. Dans la salle qui m'est
réservée, je n'ai que vingt-cinq teigneux, et je me sens assez forte
pour en soigner cinquante. Vous pouvez adresser une circulaire
aux maires des villages, et ils m'enverraient des teigneux. » Le
préfet se leva, stupéfait : « Vous l'aurez, ma sœur, vous l'aurez
cette circulaire. » En s'en allant, il disait : « J'ai offert à une reli-
gieuse de lui donner ce qu'elle aurait voulu, et elle m'a demandé
des teigneux ! » Et la bonne sœur Marie ne manqua pas de remer-
cier saint Joseph en l'honneur duquel elle avait fait une fervente
neuvaine pour obtenir la faveur qui venait de lui être accordée !
(Correspondance de Rome).
La charité sacrifie ses biens et sa vie.
i. — Le trait de saint Martin donnant la moitié de son manteau
à un pauvre est bien connu. Voici un autre trait de charité non
moins admirable, accompli par un paysan de Fionie. Le feu avait
pris au village qu'il habitait ; il courut porter du secours aux lieux
où il était nécessaire. Tous ses soins furent vains, l'incendie fit des
progrès rapides, et l'on vint l'avertir qu'il avait gagné sa maison.
Il demanda si celle de son voisin était endommagée; on lui répon-
dit qu'elle brûlait, mais qu'il n'avait pas un moment à perdre s'il
voulait conserver ses meubles. « J'ai des choses plus précieuses à
sauver, répliqua-t-il sur-le-champ ; mon malheureux voisin est
malade et hors d'état de s'aider lui-même ; sa perte est inévitable
s'il n'est pas secouru, et je suis sûr qu'il compte sur moi. » Aussi-
tôt il vole à la maison de cet infortuné, et, sans songer à la sienne
20,8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
qui faisait toute sa fortune, il se précipite à travers les flammes qui
gagnaient déjà le lit du malade. 11 voit une poutre embrasée près
de s'écrouler sur lui ;/ il tente d'aller jusque-là ; il espère que sa
promptitude lui fera éviter ce danger, qui sans doute eût arrêté
tout autre ; il s'élance auprès de son voisin, le charge sur ses
épaules et le conduit heureusement en lieu de sûreté. — La Cham-
bre économique de Copenhague, touchée de cet acte d'humanité
peu commun, envoya à ce paysan un gobelet d'argent rempli
d'écus d'or. La pomme du couvercle était surmontée d'une cou-
ronne civique, aux cotés de laquelle pendaient deux médailles, sur
lesquelles cette action était gravée en peu de mots (Fleurs de
morale).
2. — Saint Grégoire raconte, dans ses Dialogues, que saint Pau-
lin, évoque de Noie, après avoir employé tout ce qu'il possédait à
payer la rançon de plusieurs prisonniers, se vendit lui-même aux
Vandales, pour racheter le fils d'une pauvre veuve. Il travailla
comme esclave dans un jardin, jusqu'à ce que son maître, ayant
découvert son mérite et voyant qu'il était favorisé du don de pro-
phétie, le mit en liberté et le renvoya.
3. — Saint Raymond Nonnat, religieux de la Merci, ayant été
envoyé par ses supérieurs en Barbarie, pour racheter des captifs,
obtint des Algériens la liberté d'un grand nombre. Lorsque ses
fonds furent épuisés, il se donna lui-même en otage, pour la ran-
çon de ceux des chrétiens dont la situation était la plus rude et
dont la foi courait le plus de risques. Les mahométans le traitèrent
avec tant d'inhumanité qu'il serait mort entre leurs mains, si la
somme stipulée n'eût engagé le cadi, ou magistrat de la ville, à
donner des ordres pour qu'on l'épargnât.
l\. — Saint Sérapion le Sindonite, après avoir donné tout aux
pauvres, jusqu'à ses habits, se vendit lui-même, et à diverses
reprises, trafiquant ainsi en quelque sorte de sa personne, afin de
procurer au prochain des secours spirituels ou temporels. La lec-
ture de sa vie fit sur saint Jean l'Aumônier une si vive impression
qu'il fit appeler son intendant et lui dit : « Ah ! que nous aurions
bien mauvaise grâce de nous glorifier de ce que nous distribuons
nos biens aux pauvres ! Voilà un homme qui trouve le moyen de
se donner lui-même à eux, et cela plusieurs fois. »
5. — On lit également dans la vie de saint Vincent de Paul,
qu'ayant vu un jour un malheureux forçat inconsolable d'avoir
laissé sa femme et ses enfants dans la plus extrême misère, le saint
offrit de se mettre à sa place, ce qui fut accepté, En conséquence,
DEVOIR POl R CHAC1 N DK NOI s i> UMER son PROCHAIN. '()<)
ce vénérable prêtre fui enfermé dans la chiourme des galériens, et
ses pieds restèrent enflés, pendant le reste de sa vie, du poids des
fers honorables qu'il avait portés.
(i. __ Le 26 juin 1899, le colonel Quévillon, commandant le i446
régiment d'infanterie, en garnison à Bordeaux, perlait à l'ordre du
régiment le l'ait suivant :
« Hier dimanche. a5 juin, à 7I1. 1/2 du soir, se produisait, dans
le débil de tabac de la rue du Mirail, n° 6, une violente explosion
suivie de tourbillons de flammes et de fumée.
« Le soldat Saint-Léger Henri-Edmond, numéro matricule 8^56
(dispensé élève ecclésiastique), de la 5e compagnie, se trouvant en
famille dans le voisinage, sort aussitôt, aperçoit le magasin en
flammes. s'\ précipite au secours des personnes en péril. Malgré
le feu et la fumée, il parvient auprès de la locataire du rez-de-
chaussée et aide à la sauver.
« Entendant des gémissements au premier étage, déjà embrasé,
il y monte, y trouve une femme évanouie, deux personnes prêtes à
se jeter par la fenêtre et les conduit hors du danger.
« N'écoutant que son dévouement, il revient pour explorer les
étages supérieurs, gagne au moyen d'une échelle une toiture voi-
sine, s'accroche à une fenêtre de la maison incendiée, s'y élève à la
force des poignets, brise un carreau, pénètre dans l'intérieur,
empêche une nouvelle explosion en arrêtant une fuite de gaz et,
fermant le compteur, explore toutes les chambres de tous les éta-
ges jusqu'au toit où s'étaient réfugiées quelques personnes affolées
qui, encouragées par son intrépidité et son sang-froid, se laissent
conduire et guider en lieu sûr.
u Le colonel est heureux et fier de citer à l'ordre du régiment le
soldat Saint-Léger et de le proposer en exemple à tous ses cama-
rades. Méprisant le danger, sans aucun souci des explosions qui
pouvaient se renouveler, de la flamme et de la fumée qui l'as-
phyxiaient, il n'a songé qu'à se dévouer pour son prochain, au
péril de sa vie.
« l n cœur si haut placé, pour qui le dévouement est déjà une
vocation et qui pousse l'accomplissement du devoir jusqu'à la
sublimité du sacrifice, trouve sa vraie récompense dans le témoi-
gnage de sa conscience et l'estime de ses semblables.
« Cet acte d'intrépidité, si spontanément et si simplement
accompli, honore hautement non seulement celui qui en est l'au-
teur, mais le régiment qui est sa famille militaire et l'uniforme
SOO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XI. INSTRUCTION.
dont sont solidaires tous ceux qui le portent. Le meilleur moyen
de l'honorer, c'est de l'imiter.
« Le soldat Saint-Léger est nommé soldat de première classe, et
proposé pour l'obtention d'une médaille d'honneur. »
Certes, ces éloges sont mérités ; et cependant, en se dévouant à
son prochain, le séminariste-soldat n'a fait qu'accomplir le pré-
cepte de la charité qui nous est imposé à tous.
DOUZIEME INSTRUCTION
(Dimanche de la Quatrième Semaine)
C/est un devoir pour tout chrétien
d'éviter toute impureté.
I. Pour quelles raisons ou doit éviter l'impureté. — II. Par quels
moyens on peut sûrement y parvenir.
De même que tous nos devoirs envers notre prochain se
réduisent à celui de l'aimer, car si nous aimons notre pro-
chain, nous nous abstiendrons à son égard de toute injus-
tice, de tout outrage, de toute médisance, de toute calom-
nie, en un mot de tout ce qui peut lui causer quelque tort,
et nous lui procurerons selon notre pouvoir tout ce qui lui
est utile, soit en l'assistant, soit en lui faisant l'aumône,
soit en lui donnant de bons conseils et de bons exemples,
soit en priant pour lui; de même, peut-on dire que tous
nos devoirs envers nous-mêmes se concentrent dans celui
d'éviter toute impureté, car si nous évitons ce vice, nous
éviterons aussi par là même tous les autres, puisqu'on ne
peut pas éviter l'impureté sans éviter en même temps l'or-
gueil, la présomption, la vanité, l'ostentation, l'intempérance
et la paresse. Voilà pourquoi, après nous être entretenus,
dans notre dernière réunion, de notre devoir d'aimer notre
prochain, comme renfermant virtuellement tous nos autres
devoirs à son égard ; nous allons parler aujourd'hui de
notre devoir d'éviter toute impureté, comme renfermant
aussi virtuellement tous nos autres devoirs envers nous-
mêmes. C'est d'ailleurs ainsi que Dieu semble avoir voulu
qous le faire entendre, puisque le seul devoir envers nous-
mêmes qu'il nous marque dans son décalogue, c'est celui
d'éviter toute impureté, soit en actions, soit en désirs et en
pensées (i).
i. Non mœchaberis... nec desiderabis uxorem (nroximi). (Exod. xx.
302 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
Il est vrai que l'apôtre saint Paul voudrait que ce vice ne
fût même pas nommé parmi les chrétiens, parce que rien
n'est plus opposé à la sainteté à laquelle ils sont appelés et
qu'ils doivent pratiquer (i), et que le seul souffle des paro-
les peut la ternir ou même la compromettre. Mais tout en
exprimant ce vœu, le vigilant Apôtre ne laisse pas d'élever
hautement la voix contre un tel vice et contre tous ceux qui
s'y laissent aller, comme nous aurons plusieurs fois occasion
de le faire voir dans la suite, en citant ses propres paroles.
il\, 17). — Toutes les définitions que les docteurs nous donnent de ces
vices et de cette passion, vont à nous en donner la même idée, et ne sont
différentes que dans les termes. C'est, disent quelques-uns, un désir
déréglé des voluptés charnelles : Libidinosœ voluplatis appetilns. Ce qui
semble être fondé sur les paroles de l'Apôtre, qui en rapporte les princi-
pales espèces, et qui les appelle toutes les œuvres de la chair : Manifesta
sunù opéra carnis. Ainsi le vice et la passion', qui nous y portent, ne peu-
vent être mieux exprimés, que parle désir d'un plaisir déréglé et défen-
du par la loi de Dieu, hors de l'état du mariage. — Il n'est pas néces-
saire d'en marquer ici les différentes espèces ; il sufiit de savoir que ce
péché, en quelque espèce que ce soit, se commet en trois manières :
i° Par la pensée que l'on entretient, et à laquelle on s'arrête volontaire-
ment ; car si on la repousse aussitôt que la raison y fait réflexion, bien
loin d'être un péché, c'est un acte de vertu, qui mérite sa récompense
devant Dieu, pourvu qu'on n'y ait point donné occasion ; que si l'on s'y
arrête de propos délibéré, et avec réflexion, c'est ce qu'on appelle pensée
morose dans un objet déshonnête, et qui est péché mortel, parce qu'elle
enveloppe un consentement tacite. 20 Le désir est un péché de même
nature que l'action que l'on voudrait commettre, et quoi qu'il ne soit
pas si grief que l'action, il est pourtant criminel et défendu dans sa pro-
pre différence, par ces paroles de la loi divine : Non concupisces. 3° A
plus forte raison l'action, par laquelle le péché est consommé, est-elle
contre le précepte et la loi de Dieu. Ce qui a fait dire à saint Paul, que
ceux qui en seront coupables, et qui ne l'auront pas expié par la péni-
tence, ne posséderont jamais le royaume des deux, dont nul n'est exclu
que par un péché mortel. — C'est une règle assez constante et assez
générale pour servir de règle à notre conduite, que comme en matière
d'impureté, rien n'est péché, s'il n'est volontaire en quelque manière, ou
dans sa cause, ou dans l'effet ; et s'il n'est commis avec une suffisante
advertance de la raison. Tout au contraire, tout est péché mortel, dès
lors qu'il se fait de propos délibéré, et avec une suffisante réflexion ;
c'est-à-dire qu'il n'y a point de péché véniel par rapport à la légèreté de
la matière ; mais que la seule inadvertance, ou le défaut d'un plein con-
sentement l'excuse de péché mortel. Ce qui fait qu'on ne peut assez user
de précaution et de vigilance contre le penchant naturel que nous avons
à ce péché (Houdry, Blbllotk. des Prédic. art. Impureté, % 5).
1. Fornicatio, et omnis immunditia... nec nominctur in vobis, sicut
decet sanctis (Epiies. v, 3).
DEVOIR POUR lot T CHRETIEN 1) EVITER TOUTE IMPURETE. C$00
Si délicate que soil cette matière, le prédicateur de l'Evan-
gile est donc tenu, lui aussi, de rappeler aux chrétiens leur
devoir d'éviter toute Impureté. Il y est tenu d'autant plus en
ce temps que les mœurs sonl plus relâchées (i). Personne
en effet ne peul nier que L'affaiblissement général de la foi,
n'ait pour conséquence l'accroissement non moins général
de l'immoralité. Moins il y a de chrétiens qui s'élèvent vers
1rs choses de l'âme et du ciel, plus il y en a qui s'abaissent
vers les choses du corps et des sens. La conséquence est
forcée. Mais non seulement le plus grand nombre des chré-
tiens n'ohservent pas le devoir d'éviter toute impureté ; ils
répètent et cherchent à se persuader, en outre, qu'il n'y a
pas grand mal en cela, afin de pouvoir violer ce devoir avec
encore moins de scrupule (2). Enfin ils prétendent qu'éviter
i . Plût nu ciel qu'il en fût de ce vice comme des monstres qui sont
d'autant plus rares qu'ils sont pins difformes ! Mais il en est tout autre-
ment de l'impureté. C'est un incendie répandu sur toute la surrace de
la terre. Tous les états, tous les rangs sont consumés de ses flammes.
Elles dévorent spécialement les grands, mais elles n'épargnent pas les
petits. Elles embrasent les cours, les villes, les campagnes, les palais et les
chaumières ; et, nous l'avouons avec une amère douleur, elles pénètrent
jusque dans les sanctuaires et dans les cloîtres. Pour satisfaire son appé-
tit brutal, llmpudicité emprunte toutes les formes. Violente ou modé-
rée, brusque ou insinuante, grossière ou polie, discrète ou pétulante,
timide ou hardie, gaie ou sérieuse, modeste ou effrontée, elle change de
manière en changeant de lieu ; elle varie selon les personnes, et tend
constamment au même but par des moyens toujours divers. L'homme
agréable s'insinue par des flatteries ; l'homme riche corrompt avec l'or.
Cette passion est le sujet des conversations, le terme des projets, le but
des intrigues, l'objet des démarches, le lien des sociétés. Elle est parve-
nue à rompre les barrières qui s'opposaient à ses progrès, à affaiblir les
principes qui la réprimaient, à supprimer les devoirs qui la contenaient,
à bannir les bienséances qui la gênaient (Le card. De La Luzerne,
Considérations sur V impureté, n. 2).
2. Je ne fais pas de mal. Si cela est, pourquoi donc cherchez-vous les
ombres, les ténèbres, la solitude? Pourquoi fuyez-vous tout regard
bu main et vous mettez-vous sous clef? Pourquoi craignez-vous que \<>s
intrigues Deviennent à être connues? Pourquoi tremblez-vous lorsque
vous rtes pris en flagrant délit ? Pourquoi niez-vous lorsque vous êtes
bon vaincu ? Si vous faisiez les œuvres de la lumière, VOUS n'auriez pas
peur de la lumière : vous cherchez les ténèbres, c'est une preuve (pic
mi» œuvres --"ni ténébreuses et de nature, d'après votre jugement même,
a souiller la lumière. — « Je ne fais pas de mal. n II \ a an plus pro-
fond de l'âme humaine, an pins intime de La conscience, un sentiment
qui dit hautement le contraire et qui par là même vous condamne, mu
3o/J LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
l'impureté est d'ailleurs au-dessus des forces de la nature,
et que par conséquent il leur est impossible d'observer le
commandement qui en fait un devoir. En cet état, et devant
ces allégations, il est donc indispensable, nous le répétons,
de proclamer plus haut que jamais le devoir pour tout chré-
tien d'éviter toute impureté, et cela, pour sauvegarder autant
que possible les âmes encore ignorantes du mal, pour for-
tifier les chrétiens qui veulent s'acquitter de ce devoir non
moins que de tous les autres, et pour confondre ceux qu1
sont assez lâches pour s'y soustraire, en les forçant de
reconnaître la fausseté et le néant de leurs prétextes. Nous
allons à cet effet expliquer : premièrement, pour quelles
raisons l'on doit éviter l'impureté ; et secondement, par
quels moyens on peut sûrement y parvenir. — Seigneur,
qui êtes le maître et le modèle de toute pureté, daignez des-
cendre dans nos cœurs, et nous faire vous-même bien com-
prendre la nécessité et la manière de vous obéir et de vous
imiter, pour mener une vie pure et en mériter la récom-
pense.
I. — Pour quelles raisons l'on doit éviter l'impureté.
sentiment qui ne doit son existence ni aux préjugés, ni à l'erreur, puis-
qu'on le retrouve partout et toujours ; ce sentiment, c-'est celui de la
pudeur, sentiment sacré qui fait rougir le front, qui jette le trouble
dans la conscience de tout homme qui se livre à des actes impurs. Et
remarquez tout ce que l'impiété a l'ait pour détruire ce sentiment et
accréditer les plaisirs des sens. Contes obscènes, fables ordurières,
romans, feuilletons, théâtres, systèmes qui avaient pour but de réha-
biliter la chair, rien qui n'ait été tenté. Or, l'impudicité n'en est pas
moins restée un vice sans honneur, la pudeur n'en est pas moins restée
une vertu. Vous avez beau vouloir vous excuser, les saintes lois de la
nature vous condamnent. Que vous le pensiez ou que vous ne le pen-
siez pas, ce qui est honteux est honteux. — « Je ne fais pas de mal. »
N'est-ce rien que de vous avilir en vous prosternant corps et came aux
pieds d'une idole de chair et de sang ? N'est-ce rien que d'enlever à une
femme ce qu'elle a de plus précieux, son honneur, et de la vouer pour
jamais à la honte et à l'ignominie ? N'est-ce rien que de faire briller aux
yeux, pour corrompre et pour séduire, cet or que vous devriez employer
en soulagement de l'infortune ? N'est-ce rien que d'oublier les serments
solennels que vous avez faits en présence de Dieu, de ses anges et du
peuple chrétien, au jour sacré de vos noces ? N'est-ce rien que de plon-
ger dans le deuil des familles tout entières ? N'est-ce rien, en un mot,
que d'exercer le ministère de la dépravation ? (Al>bé Berseaux, La vie
chrétienne, ch. 25).
DEVOIR POl R TOUT CHRETIEN D EVITER TOUTE IMPURETÉ. 3o5
— Ces raisons abondenl : car sous quelque l'ace que l'on cori
sidère ce vice, on reconnaît aussitôt qu'il est essentiellement
malfaisant cl haïssable. Nous allons nous borner à constater
qu'il csi loul à la fois, celui qui cause le plus <lc mal à ceux
qui s\ abandonnent, celui qui est le plus funeste aux socié-
tés, et enfin celui que Dieu a Le plus en horreur.
i" L'impureté est de tous les vices celui qui fait le plus
déniai à ceux qui s*\ abandonnent. Et d'abord, elle ruine
les forces et La santé de leur corps. C'est la science médicale
elle même qui le proclame, en démontrant que la vie et la
santé n'onl pas d'ennemi plus redoutable que l'impureté.
L'étude et l'observation ont fait voir que ce vice s'attaque
directement aux sources de la vitalité, qu'il les épuise rapi-
dement, engendre d'horribles maladies, accélère la décrépi-
tude et précipite la mort. Écoutons un grand orateur en
appelant à l'expérience même de ses auditeurs : « N'avcz-
vous pas rencontré, leur dit-il, de ces hommes qui, à la
fleur de l'âge, à peine honorés des signes de la virilité, por-
tenl déjà les flétrissures du temps; qui, dégénérés avant
davoir atteint la naissance totale de l'être, le front chargé
de rides précoces, les yeux vagues et caves, les lèvres im-
puissantes à peindre taboulé, traînent sous un soleil tout
jeune une existence caduque? Qui a fait ces cadavres? Qui
a touché cet enfant? Qui lui a ôté la fraîcheur de ses
années ? Qui a mis sur sa face des signes honteux? N'est-ce
pas ce sens ennemi de la vie des hommes ? Victime de sa
dépravation, le malheureux a vécu solitaire, il n'a aspiré
qu'à des secousses égoïstes, qu'à ces effroyables pulsations
que l'homme et le ciel se détournent pour ne pas voir : et
le voilà ! il s'en va, pris du vice de la mort, et, d'un pied
méprisé, porter son corps au tombeau où ses vices dormi-
ront avec lui el déshonoreront sa cendre jusqu'au dernier
des jours (i).»
Plus funeste encore à l'âme est L'impureté. Le premier
coup qu'elje lui porte esl de l'aveugler. Tarit que l'âme
demeure pure, elle voit, d'un regard clairet assuré, et les
vérités qu'elle doit croire, et les devoirs dont elle doit s'ac-
i. I i< ordaire, Confér. de Notre-Dame de Paris, conf. 22.
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II, j0
3o6 LES GHANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
quitter. Elle n'a, à cet égard, aucun doute, aucune hésita-
tion, aucune inquiétude ni perplexité. Elle est sure de sa
foi, et tranquille dans la pratique de la loi divine. Elle fait
dès ce monde l'heureuse expérience de cette parole du divin
Maître : Bienheureux ceux dont le cœur est pur, car Us verront
Dieu (i). Mais l'âme se laisse-t-ellc aller à l'impureté ? aussi-
tôt tout s'ohscurcit pour elle, et rien ne se présente plus à
ses regards que comme à travers un brouillard, qui va tou-
jours en s'épaississant. Les vérités les plus certaines de la
religion n'ont plus pour elle la même évidence et la même
certitude, et les maximes les plus rigoureuses de l'Evangile
lui paraissent ne s'adresser qu'aux âmes dévotes. Ainsi se
réalise cette parole de l'apôtre saint Paul, que l'homme
animal, non seulement ne goûte plus et ne chérit plus les
choses de Dieu, mais ne les conçoit même plus (2). C'est
pourquoi l'on voit ordinairement les personnes qui se trou-
vent en cet état, bientôt ne plus fréquenter ni l'église ni les
sacrements. Ah ! le triste et lamentable changement !
Quelles larmes ne doivent pas verser les anges gardiens de
ces âmes coupables et infortunées ! — En même temps que
l'impureté aveugle l'âme, elle la dégrade et l'avilit. En
quittant Dieu qu'elle ne sait plus ni voir ni goûter, vers
qui se tourne l'âme ? vers les créatures. Et en cessant de
gouverner ses passions, comme un roi gouverne ses sujets,
en cessant par conséquent d'être reine, que devient l'âme
livrée à l'impureté ? elle devient la vile esclave de ses
passions elles-mêmes, qui lui font commettre tous les
péchés et tous les crimes, comme un esclave est réduit à
accomplir toutes les ignominies qu'exige de lui un tyran
sans entrailles. 0 âme faite pour Dieu, quelle chute de te
rabattre aux créatures ! 0 âme créée à l'image de Dieu,
quel avilissement de te modeler sur les animaux les plus
immondes, puisque comme eux tu ne connais plus que la
loi de la chair. Tu es même bien au-dessous d'eux ; car ils
ne font qu'obéir à la nature que Dieu leur a donnée, tandis
que tu te prostitues honteusement à l'insatiable appétit des
1. Mat th. v, 8,
2. 1. Cor. 11, tk*
DfiVûlR l'Ol K KM f CHRÉTIEN D EVITER TOUTE IMPURETE. OO7
passions que Le démon allume en toi. \me infortunée,
considère l'enfant prodigue : après avoir quitté son pore
si bon, il est réduit à suivre des pourceaux, dont il envie
même la dégoûtante nourriture: \<>ilà ton image, quand
lu quilles Dieu pour te livrera l'impureté,. Alt ! n'en est-ce
pas assez pour éviter un lel vice ? —^ Cependant l'impureté
fait plus encore que d'aveugler et d'avilir l'unie, il l'en
durcit et la jette dans le désespoir, ec qui est un mal infini-
ment plus grave. Car quand l'âme n'est encore qu'aveuglée,
il est possible de l'éclairer ; et quand elle u'est qu'avilie, on
peut la relever, tel l'enfant prodigue, qui du fond de son
abjection ne laissa pas de revenir à son père, et telle Marie
Magdeleine, qui de si bas qu'elle était fut élevée si haut par
le Sauveur. Mais comment toucher une âme qui s'est raidie
mille fois contre les appels de la grâce et les menaces des
jugements de Dieu, et quelle confiance de se convertir est-
il possible de lui inspirer, quand sa passion lui persuade
qu'elle ne pourra jamais renoncer aux criminelles douceurs
qu'elle lui procure ? (i).
1. De désespoir Us se sont livrés à l'iinpudicité. Voilà l'effet ordinaire de
ce vice ; il détruil la grâce dans le cœur de l'ho'mmeetle livre au déses-
poir. Mais, reprend saint Jérôme, de quoi le voluptueux désespère-t-il?
Il désespère de sa conversion, de sa persévérance, de son pardon, de sa
propre volonté ; il désespère de Dieu, il désespère de soi-même. Il nie
semble entendre le voluptueux s'écrier : Hélas ! comment pourrai-jc
rompre ces chaînes ? Comment pourrai-jc sortir de ce labyrinthe où la
passion m'a engagé ? Couinent me dégager de ces liens? N'ai-je pas pro-
testé mille fois à Dieu de vouloir en finir, et mille fois, je lui ai manqué
de parole, cl je me suis trouvé enfoncé dans le bourbier pins avant
qu'auparavanl ? Non, il n'est pas possible que Dieu me pardonne tant
de (rimes... El une fois que le libertin a perdu l'espérance, il se met à
pécher sans retenue : DespcranLes semelipsos tradiderunt impudicitiœ.
C'est de là que viennent ces morts de désespérés qui font frémir d'horreur
quiconque a encore quelque sentiment de foi et de piété dans le cœur.
\<niv ne scie/ plus (''Ion nés maintenant de ce qui arriva à ce pécheur,
Lequel supplié, à L'article de la mort, de congédier une femme qu'il cn-
tretenail chez lui, et qui en ce moment suprême était encore à ses :ôtés,
répondit avec une sorte de fureur à tout ce qu'on put lui dire: Je ne puis
pii^ '. et iuouiiii en prononçant ces paroles de désespoir (Le B. Léonard
de Port-Maurice, Œuvres, serm. pour le merc. apr. le 1. (\\\t\. de Car.).
Pourquoi voyons-nous tant de libertins raisonner, disputer sur les
vérités de la religion, les combattre ? Parce que leur cœur est gâté. Us
voudraient qu'iJ n'\ eût point de religion, de Dieu vengeur... Qu'est-ce
qui serait capable de ramener l'impudique à son devoir ? La prière ?
3o8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
Essentiellement et profondement malfaisant pour le corps
et pour l'âme de celui qui s'y abandonne, le vice de l'im-
pureté empoisonne tous les moments de son existence^ Il
les empoisonne par la honte, car il n'y a aucun péché qui
fasse autant rougir que celui-là, et qui donne autant de con-
fusion, à cause de sa difformité naturelle. Alors même que
personne ne connaîtrait ses fautes, l'impudique a honte de
lui-même. Et si elles viennent à être connues, il fuit la vue
des hommes pour échapper au mépris qu'inspire sa turpi-
tude. La honte que l'impudique éprouve de ses fautes est si
grande, que souvent il n'ose pas les déclarer même en con-
fession pour en obtenir le pardon, et craint moins de pro-
faner les sacrements que de faire un tel aveu. Mais que de
douleurs et d'amertumes plus déchirantes encore dans, cette
voie de sacrilèges, dont l'aboutissement ordinaire est l'im-
pénitence finale et la damnation ! Le vice de l'impureté em-
poisonne encore la vie de l'impudique par une foule de sou-
cis et d'embarras: soucis pour préparer et ménager les occa-
sions de satisfaire sa passion jamais assouvie et toujours
renaissante ; embarras pour dissimuler les conséquences
de ses fautes ou s'y soustraire. Il l'empoisonne par des ja-
lousies, des soupçons, des rivalités, qui à leur tour engen-
drent des colères, des vengeances et jusqu'à des assassinats,
lesquels conduisent à la prison, aux travaux forcés, à l'écha-
faud. Enfin, et pour nous borner, le vice de l'impureté em-
poisonne la vie de l'impudique par les dépenses excessives,
les dilapidations, les gaspillages que ce vice l'entraîne à
faire, et qui sont ensuite pour lui une cause de gêne, de
privations, de déchéance, d'humiliation et de ruine, ainsi
qu'il paraît clans l'histoire de l'enfant prodigue, dont il est
dit qu'il dissipa tout son bien en vivant dans la luxure (i), et
qu'ensuite il tomba dans la plus profonde misère.
mais il ne prie pas, ou il ne prie pas comme il faut. . . Les sacrements ?
mais il s'en éloigne, ou s'il s'en approche, ce n'est que pour les profa-
ner ; en effet, ou il ne déclare pas son péché au tribunal de la Pénitence,
ou il n'a pas un ferme propos de se corriger. Ses fréquentes rechutes en
sont la preuve... Ces rechutes le conduisent à l'endurcissement, l'endur-
cissement à l'impénitence, et l'impénitence à la réprobation (Billot,
loc. cil ).
i. Luc, xv, i3.— Damna luxuriiu suntsex: i° Hominem ducitad maxi*
DEVOIR POT R Toi T CHRÉTIEN I) EVITER TOI TE IMI'I RETE. ooq
Voilà commenl il esl certain et véritable que l'impureté,
en détruisant* les forces ci La santé de ceux qiïi s\ aban
donnent, en ravageanl leur Ame. en empoisonnant leur vie,
est de tous les vices celui qui leur fait Le plus de mal.
a0 (.'est aussi, avons-nous ajouté, celui qui est le plus fu-
neste aux sociétés. V La société domestique d'abord. Quelle
esl la première base de La famille? N'est-ce pas l'estime el
la confiance réciproques entre le mari et la femme ? Sans
celle estime el sans cette confiance, quelle union pourrait-il
> avoir entreles époux? Gomment pourraient ils, non seule-
ment vivre ensemble et se supporter, mais surtout s'entr'-
aider ej s'entr'aimer ? Or, cette estime et cette confiance
pourront ri les subsister entre des époux dont l'un ou l'autre,
ou dont tous les deux s'abandonneront au vice de l'impu-
reté? Cela est absolument impossible, et par conséquent
impossible est l'union conjugale dans ces conditions. Aussi
l'Église, sans rompre le lien du mariage, autorise-t-elle
néanmoins la séparation des époux en cas d'adultère de
l'un deux. — Ce qui n'est pas moins nécessaire, à la société
familiale, que l'union des époux, c'est la procréation des
enfants, puisque sans enfants il n'y a pas de famille. Or le vice
de l'impureté est encore funeste à la société domestique
sous ce point de vue. Car souvent, en altérant les forces et
l;i santé des parents, il rend impossible la naissance des en-
fants. Et quand sa néfaste influence ne s'étend pas jusqu'à
ces excès, il a tout au moins pour effet de ne donner aux
mam paupertatem, aufert gratiamet gloriam, etpropriam substantiam.
2° Dejicit in pessimam servitutem, facit, quod vilior et turpior pars,
([u;r est in homine, dominetur ci. 3° Projicil hominem in maximam \i-
litatem, quia hominem qui similis est Dco et angelis, facit esse parem
brutis. V Privât hominem omni ratione, sicut animalia bruta turpiter
infatuat. 5e A.criter mortificat, occidit morte culpas, infamiae, gehennae.
6 Fortiter illaqueat. Jacob Ruben filio suo dixit : Ejjusus es sicut
aqua, non crescas, <[nia ascendisti cubile palris lui ; at vero quaenam est
inter effusionem insipidi hujus elementi, et commissum a Ruben in-
cestum proportio '} Ihec nimirum, quia sicut aqua dum e vase maxime
vitreo effunditur, nihil in eo relinquit odoris, saporis, aut substantif ;
ita quoque hoc carnis vitium omnia bona ab homine toi lit, judicium
videlicet, rationem, prudentiam, spiritum, famam, facilitâtes, sanita-
tem, conscientiam, imo etiam persaepe vitam. Dicit enim Sapiens : Qui
nutrit scortum, perdet substantiam. VA Ldeo Terentius lascivam feminam
fundi calamitatumappcllat (S. Bonav. in Diœt. sal.). /
3lO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
familles, au lieu d'enfants forts el vigoureux, que des êtfes
débiles el rachitiques, ou voués à une existence souffreteuse et
à une mort prématurée, ou incapables de perpétuer dignement
la lignée de leurs ancêtres. Ces enfants subissent d'ailleurs
encore, du vice de l'impureté, un coup d'un autre genre
mais également destructif de la société familiale, en ce qu'il
leur donne sujet de douter de la légitimité de leur naissance,
et par suite de se soustraire aux devoirs des enfants à l'égard
de leurs parents. Est-il donc possible de rien concevoir de
plus funeste à la société domestique que le vice impur, par
tous les éléments de division et de destruction qu'il y in-
troduit ?
Il en est de même des sociétés humaines elles-mêmes.
Ces sociétés sont naturellement formées des membres que
leur fournissent les familles. Or, nous venons de voir que
l'impunité diminue tout à la fois, et le nombre, et la vi-
gueur, et la moralité des enfants ; par là même ce vice
diminue donc aussi, et le nombre, et la vigueur, et la mora-
lité des citoyens. Jamais en effet des familles désunies,
affaiblies, ruinées, ne pourront faire des patries puissantes
et prospères. La logique le démontre, l'expérience le con-
firme. Quels sont les pays dont la population s'accroît le
plus vite, et qui fournissent les hommes les plus robustes ?
Les statistiques l'ont cent fois établi, ce sont les pays dans
lesquels la religion est le mieux pratiquée, et où le vice
impur, par conséquent, étant plus rare, fait moins de rava-
ges (i).
i. Ouvrez l'histoire; étudiez les destinées des empires, et la suite des
faits vous convaincra qu'avec la décadence des mœurs, commence la
décrépitude des peuples, que la luxure comme le luxe son père les pré-
cipite dans la mort. En tête de la marche triomphale des nations à tra-
vers les siècles, apparaissent d'abord les Babyloniens. Or, l'empire de
Babylone finit dans une orgie, en la personne de Balthazar, son dernier
roi. Après les Babyloniens viennent les Perses, ils triomphent tant qu'ils
restent chastes ; à peine se laissent-ils corrompre, qu'incapables de résis-
ter à l'ennemi, ils tombent sous l'épée d'Alexandre. Alexandre se livre
à la débauche ; son empire est bientôt démembré ; lcs%recs tombent
sous le joug des Romains. Tant que les Romains ont des mœurs pures,
la victoire reste fidèle à leurs aigles, et de triomphe en triomphe, ils
marchent rapidement à la conquête du monde. Quand l'antique sévé-
rité des mœurs disparaît, les barbares accourent, ils dépècent en mille
morceaux le cadavre de l'empire. Rome, qui était la capitale du monde,
DEVOIR POUF TOUT CHRÉTIEN D^VITER TOUTE MPURETE\ 3ll
Ainsi l'impureté, qui est de lous Les vices celui qui fait Le
plus de mal à ceux qui s'y abandonnent, est aussi Le plus
Funeste, soit à la société domestique, soit aux sociétés hu-
maines.
3o Ce vice esl enfin, nous l'avons encore dit, celui que
Dieu a le plus m horreur, il l'a eu horreur comme créateur,
parce qu'ayant donné à l'homme un esprit pour gouverner
son corps, le vice impur renverse son ouvrage, en faisant
de Tàme L'esclave du corps. Dieu a encore le vice impur le
plus en horreur, comme rédempteur, parce que nos corps
étant devenus les membres du Christ, qui est Dieu, l'impu-
reté s'en sert pour en faire des membres de prostituée (1).
Enfin Dieu a le vice impur le plus en horreur, comme sanc-
tificateur, parce que ce vice souille ceux dont Dieu s'était
fait Tin temple et en qui il avait établi sa demeure (2), —
devint le tombeau do ses propres habitants, et la luxure se charge de
vencrer l'univers contre ses oppresseurs. S. Jérôme, épître 97. Depuis
l'ignoble Sardanapale jusqu'au fangeux Louis XV, ce roi d'écurie, tou-
tes les époques de corruption ont été des époques d'abaissement et de
bouleversement. Luther et Henri VIII furent des monstres de lubricité.
Les commotions sociales qui («branlèrent l'Europeà la fin du dernier siè-
cle se préparèrent dans les boucs de la régence. De tout temps, comme
du'temps de Paris, le mépris des mœurs a attiré sur le monde une
Iliade de maux, selon l'expression de Plutarque, et Scipion disait avec
raison (prune république ne peut fleurir si ses mœurs disparaissent,
quand bien même ses murs resteraient debout. S. Aug. de Civ. Dei, 1,
33 (Berseaux, loc. cit.).
1. I. Cor. vi, i5.
2. T. Cor. m, 16 — Ex occasione thematis : Fugite fomicationem. I.
Cor. vi, 18, ex'plicari potest causa primaria cur luxuria sit vitanda, sci-
licet quia est grandis et specialis injuria Dei, tum in génère, tum in
specîe omnium trium Personarum. Et i° Respecte Dei in génère, quia
pollnit el fœdat turpissime imaginera ipsius, ut praeclare sanctus Augus-
Unus indicavit, dura dixil : <• Facis injuriam Deo, dura teipsum cor-
rompis Et unde, inquis ? Unde tibi facit injuriam. qui voluerit forte
lapidare tnain tabulam pictam, in qua imago tua esl ? Quam vero ima-
ginera Dei, quodes tu, corrompis per fornicationes et per diffluentias
libidinis non attendis, cujus imaginera violasti, cui contumeliam
fecisti? S. Aug. lib. 1, de 10. chord. — -y Respecta Dei Patris, qui
creavit corpus nostrum erectum, ni esset domus munda digna anima-,
quam tamen nos per Luxuriam fœdamus.et baram porcorum facimus.
( t I Thess. iv, 3. — 3" Respecta Filii, qui redemit, et corpore suo sacro-
sancto pascit nos... — 4° Respecta Spiritus Sancti, qui sa_nctifica\it nos,
OI2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
Aussi voyons-nous, dans la sainte Ecriture, que Dieu a tou-
jours châtié ce vice d'une manière exceptionnellement terri-
ble. Caïn avait criminellement assassiné son frère, et le
premier arrosé la terre de sang- humain. C'était là un forfait
épouvantable ; cependant Dieu se borna à imprimer sur le
fr#nt du coupable une marque de sa faute. Mais l'impureté
ayant fait invasion parmi les premiers hommes, Dieu en fut
tellement irrité qu'il envoya sur la terre un déluge pour faire
périr tous ceux qui vivaient alors, à l'exception de Noë et de
sa famille, les seuls qui se fussent préservés de la corruption
générale. La terre s'étant repeuplée, et deux villes, Sodome
et Gomorrhe, oubliant les châtiments divins, s'étant de nou-
veau livrées à l'impureté, Dieu ne put supporter ce spectacle
et fit tomber sur elles une pluie de feu et de souffre qui les
dévora toutes vivantes ; et aujourd'hui encore, la terre
même où étaient bâties ces villes maudites porte les traces
de l'anathème divin, et comme au temps deTertullien, « elle
exhale un goût d'incendie, et les fruits qu'elle produit se
réduisent en' poussière sous la main du voyageur dès qu'il
et templum suum constituit, quod per luxuriam fœde polluitur...
(Loiiner, Biblioth. conc. verb. Luxuria, conc. praedic. n. i).
On traite assez ordinairement le péché d'impureté, de péché pardon-
nable et de fragilité; mais outre qu'il est le plus funeste dans ses suites,
et le plus pernicieux dans ses effets, il est encore très grief, considéré en
lui-môme ; parce que, comme enseignent les théologiens, le péché est
d'autant plus énorme, que l'injure qu'il fait à Dieu est plus outrageuse.
Or le péché de luxure est d'autant plus injuste et plus grand, que la
chose qu'on préfère à Dieu est plus vile, plus abjecte et plus méprisable ;
puisque le péché n'est autre chose, qu'une injuste et indigne préférence
de la créature au Créateur. Que fait donc Fimpudique et le voluptueux ?
Il préfère à Dieu le plaisir de son corps, qui n'est qu'ordure et que
corruption ; il préfère ce qu'il y a de plus vil au monde, à ce qu'il y a
de plus grand, qui est Dieu même ; et le plaisir d'un moment à l'éter-
nité bienheureuse. — Depuis l'Incarnation du Fils de Dieu, ce péché est
devenu plus énorme, et offense Dieu d'une manière particulière, parce
qu'il contracte une nouvelle difformité. C'était un péché dans un païen ;
mais c'est maintenant une espèce de sacrilège dans un chrétien. Ji si s-
Christ, en se faisant homme, devient notre chef, et nous devenons ses
membres ; et c'est de là que saint Paul conclut l'énormité particu-
lière du péché d'impureté, dans un chrétien : Tollens ergo membra
Chrisli, faciam membra merelricis ? Ne savez-vous pas, dit-il, que vos
membres sont les membres de Jésus-Christ? Àrrachcrai-je donc à Jksus-
Christ ses propres membres, pour en faire les membres d'une prosti-
tuée ? (Houdry, loc. cit.).
DEVOIR POUR TOUT CHRETIEN D^VITER TOUTE [IMPURETÉ*. 3l3
veut 1rs cueillir (i). » Pendant que Les Israélites traversaient
le déseri pour se rendre dans la terre promise, vingt quatre
mille d'entre eux furenl mis à mort en un seuljtfur, par
ordre de Dieu, en châtimenl de leurs impuretés. Le roi David
ayant eu te malheur de se laisser aller, Lui aussi, à L'impu-
reté, vil aussitôt fondre sur sa tête, bien qu'il fût cher à
Dieu, les plus épouvantables châtiments : son fils leva contre
lui l'étendard de La révolte, son royaume se divisa, el il
s'ouw-it pour son peuple une ère de calamités qui ne se
ferma plus.— Dieu a démontré son horreur pour le vice
impur dune autre manière encore. Quand il vint sur la
terre pour opérer la rédemption du monde, il se laissa bien
tenter de gourmandise, de vairie gloire et d'avarice par le
démon, mais il ne lui permit jamais de le tenter d'impureté.
IV même il consentit bien à laisser les Juifs porter contre
lui toutes sortes d'accusations, mais non pas d'élever le
moindre soupçon au sujet du vice impur. Enfin, il n'éprouva
pas de dégoût à se choisir des apôtres plus ou moins impar-
faits ; il admit même parmi eux Judas, qui devait le trahir
par avarice ; mais d'impudique il n'en voulut pas, nous fai-
sant comprendre une fois de plus par là, que ce vice lui est
plus en abomination que tous les autres.
Voilà donc pourquoi nous devons éviter l'impureté : c'est
parce quelle est de tous les vices, nous venons de le démon-
trer, celui qui cause le plus de mal à quiconque s'y aban-
donne, celui qui est le plus funeste à la famille et à toute
société, et enfin celui que Dieu à le plus en horreur. Que si
c'est un devoir pour nous d'éviter toute faute et toute imper-
fection, même celles dont les conséquences sont les moins
graves, quelle obligation plus impérieuse pour nous d'éviter
un vice si exécrable aux yeux de Dieu et source de tant de
calamités, sans même parler de la perte du ciel, où il est
certain, déclare l'apôtre saint Paul, que les impudiques
n'entreront jamais(2) ! — Hâtons-nous donc d'étudier, main-
tenant,
II . — Par quels moyens on peut sûrement parvenir
i. Apol. \o.
2. I. Cor. vi, 9 ; xv, 5o,
3l4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
à éviter l'impureté. — Quand nous disons que l'on peut
sûrement parvenir à éviter l'impureté, nous n'ignorons pas
qu'il y a de pauvres chrétiens qui, pour s'excuser de leur
lâcheté, prétendent que cela est impossible. Mais il est trop
évident qu'ils se trompent. La preuve qu'il est possible
d'éviter l'impureté, c'est que Dieu nous en fait un comman-
dement formel. Car Dieu connaît ce dont nous sommes
capables, puisque c'est lui qui nous a créés, et qui a mis en
nous les forces qui s'y trouvent. Puis donc qu'il nous com-
mande d'éviter l'impureté, c'est donc qu'il sait parfaitement
que nous le pouvons. Si Dieu commandait l'impossible, il
faudrait dire qu'il est le plus injuste et le plus abominable
des tyrans, ce qui répugne manifestement. Il est tellement
vrai d'ailleurs qu'il n'est pas impossible d'observer le com-
mandement d'éviter l'impureté, que de fait ce commande-
ment a été observé, non pas seulement en quelques contrées,
ou en certains siècles, ou par quelques âmes d'élite, mais
bien dans tous les pays du monde, à toutes les époques,
depuis sa promulgation, et par des personnes de tout âge,
de tout sexe et de toute condition. La judicature compte ses
Moïse et ses Samuel ; l'épée ses Maurice et ses Martin ; la
cour ses Joseph et ses Arsène ; le trône ses Louis et ses
Edouard ; le mariage enfin ses Tobie et ses Clotilde ; et le
veuvage ses Monique et ses Radegonde. Ainsi, encore une
fois, on ne saurait être admis à prétendre qu'il est impossible
d'éviter l'impureté. Au contraire, il est absolument certain,
disons-nous, qu'on peut l'éviter, bien que parfois, non sans
peine, si l'on en prend sincèrement et sérieusement les
moyens. Quels sont-ils ? Les maîtres de la vie spirituelle
préconisent principalement les six suivants, savoir : la fuite
des occasions dangereuses ; la vigilance sur soi-même; une
vie continuellement occupée ; la pratique de la mortification ;
la pensée de la présence de Dieu et de l'ange gardien ; le
recours à Dieu dans la prière, et la fréquentation des sacre-
ments.
Pour éviter l'impureté, avant tout il faut donc, disons-
nous, fuir les occasions capables de nous y porter. Il en est en
effet de tous les vices en général, mais plus spécialement de
l'impureté en particulier, comme des maladies contagieu-
DEVOIR POUR TOIT CHRÉTIEN D'ÉVITER TOI TE [MPI RETÉ\ 3l5
ses. Veut-on éviter ces maladies? le premier et le plus sur
moyen es! de fuir tout ce qui peul nous Les communi-
quer, c'est à dire, les lieux où elles sévissent, les personnes
qui en son! atteintes, et même les objets cl jusqu'à L'air qui
viennent de ees Lieux, ou qui ont été en contact avec ces
personnes. De même pour l'impureté, disons-nous : il faut
fuir loul ee qui peut nous communiquer sa contagion, ou
développer en nous les mauvais germes qui s'y trouvent.
Par conséquent, il faut fuir les mauvais lieux où règne en
permanence la peste de la luxure, tels que les bals, les spec-
tacles, les salons mondains, les maisons plus ou moins
mal famées, et d'une manière générale tous les endroits où
peinent se rencontrer des gens peu religieux et peu mo-
raux. Tous ces lieux, encore une fois, sont de vrais centres
de pestilence, qu'il faut fuir comme on fuit les endroits où
règne la peste (i). Il faut fuir aussi, avec non moins d'ef-
i. Los festins somptueux, surtout s'ils sont fréquents, exagèrent la
vitalité du corps, excitent, par des raffinements, les appétits et les dérè-
glent, allument son sang et jettent les sens dans de violentes tenta-
tions. Et c'est après ces repas, que s'ouvrent les soirées mondaines ; c'est
quand l'homme a été échauffé par la table qu'on se livre à la danse et
que des femmes, honnêtes et chrétiennes, osent se montrer à la clarté
des lustres, et sous le regard d'une foule, dans un costume qu'elles
rougiraient de laisser voir, le matin, à leurs propres enfants ! Ou bien,
on se rend au spectacle, et qu'y voit-on?... Des drames sans morale,
qui font rougir la pudeur. Le vice règne là, Messieurs, à peine cache ;
il est sur la scène, il est dans la salle. — Ici se rencontre une objection
que j'aborde en terminant : « Nous vivons au milieu du monde, me
dit-on, pouvons-nous ne pas nous conformer à ses usages ? Il ne per-
met à personne de les enfreindre, et il réprouve quiconque ose lui déso-
béir. Il nous est impossible d'éviter ces festins, ces soirées, ces specta-
cles, et encore plus impossible d'y rien changer, ce serait nous singula-
riser... » Voilà le grand mot qui excuse les faiblesses et les complici-
tés : Mais que veut-on dire? Qu'est-ce que se singulariser dans un tel
monde, sinon protester contre une coutume mauvaise, en refusant de
s'\ conformer ? contre un désordre, en refusant de s'y associer? contre
le mal, en s'abstenant de le commettre:» Devez-vous, Messieurs, fuir
cette singularité? Non. Devez-vous donc vous singulariser ? Oui, Mes-
sieurs, mille fois. Je vais plus loin, il est indispensable que les hommes
de cœur se singularisent, afin d'arrêter le courant fatal qui nous
entraine à la ruine des mœurs ; car ce n'est pas en vous livrant a Inique
vous deviendrez maître d« son cours, c'est en lui résistant. Tous les
grands hommes on! pratiqué de sublimes singularités; les martyrs se
soûl singularisés, les saints se soûl singularisés. Jésus-Christ est mort
ri nousa sauvés après avoir combattu la tyrannie des idées pharisaï-
3l6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. AU. INSTRUCTION.
froi, comme des pestiférés dangereux, tous ceux qui fré-
quentent ces lieux, et qui en emportent avec eux comme
les miasmes délétères, nous voulons dire les mauvaises im-
pressions et les mauvaises maximes, dont ils contaminent
forcément ceux qui sont assez imprudents pour les fréquen-
ter. Mais il ne faut pas moins fuir non plus les rendez-vous
particuliers et les entretiens secrets avec les personnes d'un
autre sexe, pour quelque raison que ce soit, car dans ce cas,
nous disent les maîtres de la vie spirituelle, c'est mettre le
feu en présence de la paille, et préparer un inévitable in-
cendie (i). Enfin il faut s'interdire les mauvaises lectures, et
ne point garder chez soi de statues ou d'images indécentes,
car toutes ces choses sont comme de véritables mauvaises
compagnies, qui ne peuvent que jeter en nous des germes
ques et des mœurs déchues (R. P. Dubroca, Inst. prêchée à Paris, en
l'église Saint-Eustachc, 1873).
Les danses et les bals doivent être évités : i° à cause des péchés que
l'on commet, avant que d'y entrer, non seulement en s'y disposant par
des parures peu modestes et peu chrétiennes, mais encore en perdant
la paix de l'âme, par les agitations et les désirs inquiets que l'on éprouve
de s'y montrer, d'y paraître, de s'y faire remarquer, etc. — 20 A cause
des libertés, familiarités, regards, etc., que l'on s'y permet. — 3° Parce
que, après ces assemblées, on n'est souvent occupé que de mauvaises
pensées, de désirs coupables ; on n'en rapporte qu'un esprit mondain,
dissipé ; on en revient l'imagination frappée par la vue d'objets sédui-
sants, et quelquefois avec des attachements criminels (Anonyme).
Différents conciles ont interdit les danses. Celui de Laodicée, en 364 ;
celui de Constantinople, en 691 ; huit conciles de France. Le concile
d'Aix-la-Chapelle appelle les danses des actions infâmes, indignes d'un
chrétien.
1. Occasions du péché impur, ce sont, ces entrevues même qui parais-
sent innocentes entre des personnes qui se recherchent en mariage,
entrevues souvent criminelles, où sous prétexte de se connaître, on fran-
chit les bornes de l'honnêteté et de la pudeur. Sans doute, on peut se
voir, mais rarement, honnêtement, en présence des parents. Quand on
fuit leur compagnie, quand on se voit à des heures indues, on ne se
quitte pas ordinairement sans crime. Mais, hélas ! cette morale n'est
pas du goût de bien des gens ; et souvent, le dirai-je ? les pères et les
mères ne favorisent que trop le libertinage de leurs enfants. Sous pré-
texte de leur faire trouver un établissement, ils leur donnent la liberté
d'aller où il leur plaît, la nuit comme le jour. Faut-il s'étonner s'il y a
tant de désordres dans la jeunesse ! (Billot, Prônes).
Même entre personnes pieuses de différents sexes, les entrevues et
entretiens solitaires sont rigoureusement interdits par les moralistes,
hors le cas de nécessité.
DEVOIR POUB TOUT CIIKKTIKN d'eVITER TOUTE IMPURETE. .n 7
de corruption et de mort. Que la conduite de Joseph,
fuyant la femme de Putiphar, soit doue le modèle de la
nôtre ; c'esl à-dirè, commençons par fuir, nous aussi, tout
ce qui pourrait nous entraîner au mal, quelles que doi-
vent être les conséquences temporelles de notre fuite,
fut ce la perte d'un emploi, fût-ce la prison, fût-ce la
mort.
Mais il ne suffirait pas d'éviter les occasions qui peuvent
nous porter au mal, il faut de plus user d'une constante
vigilance sur nous mêmes. Car l'impureté n'est pas un vice
qui nous vient seulement du dehors ; nous en portons en
nous-mêmes le germe, comme de tous les autres vices. De
là vient que, même loin de tout mauvais exemple, de toute
suggestion et de toute sollicitation extérieures, nous som-
mes exposés à commettre des impuretés, si nous ne nous
tenons pas en garde contre notre propre fonds de corrup-
tion. Et voilà précisément pourquoi nous devons sans cesse
veiller sur nous-mêmes. Sur notre cœur d'abord, car c'est
du cœur que viennent les mauvaises pensées (1), nous dit
Notre-Seigneur. Il faut donc veiller sur notre cœur, afin
qu'aussitôt que nous y remarquons quelque mauvaise pen-
sée, nous Tétouffions sans délai. Car si nous n'étouffons pas
toute mauvaise pensée aussitôt que le co)ur la forme, bien-
tôt elle engendrera à son tour de mauvais désirs, qui fina-
lement nous entraîneront à de mauvaises actions. Veillons
donc d'abord sur notre cœur, mais veillons aussi sur tous
nos sens, et en particulier sur nos yeux. Car les sens, en
particulier les yeux, sont comme les portes du cœur; et
c'est par ces portes qu'entrent les mauvaises impressions
qui font produire au cœur les mauvaises pensées. Le roi
David, sur la terrasse de son palais, ne pensait pas à mal ;
mais ayant négligé de veiller sur ses regards, il s'arrêta à
considérer la femme d'Urie, l'un de ses généraux; et ce
regard non réprimé lit naître dans le cœur de David de
mauvais désirs, qui le conduisirent à l'adultère, puis à l'ho-
micide. Quiconque ne se surveille pas d'une manière atten-
tive et prudente, tombera infailliblement dans le mal. Par
1 . Malt li . xv, 19.
3l8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
conséquent, veillons pour ne pas être lentes (i), c'est la
recommandation expresse de Notrc-Seigneur.
Le troisième moyen pour éviter l'impureté, c'est d'être
continuellement occupé. L'homme oisif est doublement
exposé au mal. D'un côté, son imagination, en folâtrant à
l'aventure, çà et là, n'est pas longtemps sans rencontrer des
objets dangereux. De l'autre, le démon, qui sans cesse rôde
autour de nous comme un lion furieux pour nous dévorer (2),
n'est pas longtemps non plus sans remarquer la proie facile
qui lui est offerte. Ainsi, d'une manière ou d'une autre,
l'homme oisif tombe forcément dans le mal en peu de
temps. Le roi David, dont nous venons de rappeler l'ef-
frayante chute, nous est encore une preuve du danger où
se trouve l'homme oisif. S'il eût été à la tête de ses armées,
ou dans son conseil royal, ses occupations l'eussent mis à
l'abri du danger; mais parce qu'il se tenait désœuvré, aus-
sitôt le mal entra en lui et le terrassa. Aussi* voyons -nous que
les ermites du désert, quand ils n'avaient pas d'autres occu-
pations, tressaient des nattes qu'ils défaisaient ensuite pour
les recommencer, clans l'unique but de ne pas rester oisifs.
1. Matth. xxvi, ki. — Averte oculos mcos, ne videant vanitatem
(Ps. cxvni, 37). — Pcpigi fœdus cum oculis nieis, ut ne cogitarem qui-
dem de virgine (Job. xxxi, i).
Le Saint-Esprit nous avertit que le sage craint et évite le péril.
Prov. xiv, iG. Celui qui aura à porter une liqueur précieuse dans une
fiole de verre, ne prendra guère de précautions pour la porter sûre-
ment, s'il ne connaît la fragilité du verre; ainsi il arrivera qu'à la pre-
mière occasion, le verre se cassera, et la liqueur se perdra ; mais celui qui
saura combien le verre est aisé à se casser, ne manquera pas de prendre
toutes les précautions possibles ; et, par conséquent, cette liqueur sera
bien plus en sûreté entre ses mains qu'entre celles de l'autre. La même
chose arrive à tous les hommes à l'égard de la grâce. Nous portons les
trésors de la grâce dans des vases de terre, II. Cor. îv, 7, qui peuvent
aisément se briser; et, de plus, la foule et les bourrasques du monde
nous heurtent et nous agitent à tout moment. Ceux qui ne connaissent
point assez la fragilité et la faiblesse de la nature, ne prennent point
garde à eux, et se perdent par leur négligence et par la sécurité que leur
ignorance leur donne ; mais ceux qui se connaissent bien eux-mêmes,
et qui marchent avec crainte, se tiennent sur leurs gardes, et sont, par
conséquent, plus en sûreté ; de sorte que s'il y en a quelqu'une en cette
vie, elle est infailliblement pour eux (Rodreguez, Traité de la Perfect.
chrét., p. 3, tr. k, ch. 9).
2. I. Petr. v, 8.
DE\OUi l'Oi R roi I CHRETIEN 1) EVITEE TOUTE 1M1M tlETE. .>l()
Voilà pourquoi leur devise était : « Que Le diable te trouve
toujours occupé. » Mais parce que l'oisiveté au lit est de
toutes la plus dangereuse, il faut doue l'éviter là encore plus
qu'ailleurs, el se lever aussitôt qu'on ne dort plus. Que Les
parents comprennent bien en outre, ici, le devoir pressant
que ce danger leur impose à l'égard de leurs enfants, sur-
tout lorsqu'ils deviennent grands.
Pour éviter L'impureté, le quatrième moyen est la prati-
que de la mortification. Bien que, par une faveur unique,
l'apôtre saint Paul eût été ravi jusque dans le troisième ciel,
cependant Lorsqu'il se retrouva sur la terre, il n'en était pas
moins encore sujet aux humiliantes tentations d'impureté :
L'aiguillon de ma chair, écrivait-il lui-même, m'a été donné
comme un ange de Satan pour me souffleter (i). Or, que faisait
le grand apôtre pour demeurer victorieux dans cette lutte ?
IL nous l'apprend encore lui-même : Je châtie mon corps,
dit-il, et je le réduis en servitude (2). Cette conduite est sage
et logique. Il est d'expérience qu'un corps traité délicatement
et nourri avec abondance, influe sur l'âme et la porte à la
luxure. Souvent c'est à la suite de festins et d'orgies* qu'ont
lieu les plus graves désordres. La sainte Ecriture confirme
d'ailleurs l'expérience : Levin est une source de lux wre, dit-elle,
et /ivrognerie est pleine de désordres (3). Voulons-nous donc
sincèremenj/ éviter l'impureté? ne prenons de vin qu'autant
qu'il est nécessaire à notre santé, renonçons à faire bonne
chère, et pratiquons au contraire la mortification. Notre
corps, affaibli, ne livrera plus d'assauts à l'âme, ou du moins
d'assauts violents et insurmontables (l\).
1. II. Cor. xn, 7.
2. I. Cor. ix, 27.
3. Ppov. xx. 1 .
\. Il est rapporté, dans les chroniques de saint François, qu'un homme
fin monde demandanl un jour à un saint religieux, pourquoi saint
Jean-Baptiste, ayant été sanctifié dès le sein de sa mère, se retira au
déseii cl \ fit une si austère pénitence, le serviteur de Dieu lui répondit :
Mais vous, dites-moi pourquoi on jette du sel sur la viande qui est
encore toute fraîche ? C'est afin, répartit cet homme, qu'elle se conserve
mieux, et qu'elle ne se corrompe pas. Et moi, reprit le saint religieux,
je nom- di- de même que sainl Jean-Baptiste s'est servi du seldc la péni
tence, afin que la sainteté se conversât en lui sans aucune corruption
320 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
Le cinquième moyen auquel il faut recourir pour résister
victorieusement au vice impur, c'est la pensée de la présence
de Dieu et de l'ange gardien. L'impureté est certainement le
vice qui inspire le plus de honte. Aussi ne s'y laisserait-on
jamais aller, si l'on se trouvait toujours en présence d'une
personne qui ne fût pas complice, surtout si cette personne
était respectable par son âge, par son autorité, par sa vertu.
Or, s'il est certain que la présence d'une telle personne nous
serait un sûr préservatif contre le vice impur, nul doute que
la pensée de la présence de Dieu et de notre ange gardien
peut nous préserver encore plus efficacement, puisqu'il n'y
a personne qui puisse inspirer autant de respect et de crainte
que notre ange gardien, et surtout Dieu. Mais il faut que
cette pensée soit, non pas seulement spéculative, mais
sérieuse et pratique. Il faut que nous nous représentions
Dieu comme nous regardant, ainsi qu'il nous regarde réelle-
ment ; et notre ange gardien comme se tenant à nos côtés,
ainsi qu'il s'y tient véritablement. C'était le conseil que Dieu
lui-même avait donné à son serviteur Abraham : Marche
toujours en ma présence, lui avait-il dit, et tu seras parfait (i).
Par cette pratique, Abraham demeura en effet toujours fidèle
à Dieu, malgré la dépravation générale qui l'entourait, puis-
que c'était au temps de Sodôme et deGomorrhe, et il mérita
ainsi d'être choisi pour être le père et la souche du peuple de
qui devait naître le Messie. Quiconque donc se tiendra tou-
jours, comme Abraham, en la présence de Dieu et de son
ange gardien, se préservera certainement, comme lui, de
toute atteinte impure (2).
Le dernier moyen enfin de mettre le sceau à cette préser-
de péché. Que si, dans un temps de paix, et lorsqu'on n'est combattu
d'aucune tentation, il ne laisse pas d'être k propos d'exercer son corps
par la pénitence et par la mortification, à combien plus forte raison
doit-on en user de môme dans un temps de guerre, et lorsqu'on est
exposé aux attaques des tentations ? Saint Thomas dit, d'après Arislote,
que le mot de chasteté vient du mot châtier, parce que c'est par le châ-
timent du corps qu'il faut réprimer le vice contraire à la chasteté : il
ajoute que les vices de la chair sont comme tes enfants qu'il faui réduire
par le châtiment, parce qu'ils ne peuvent pas être conduits par la raison.
(Rodiuguez, Pratique de la perfect.clirét.n. 3, tr. 4, en. 6).
i. G en. xvii, 1.
2. Quolies te sentis turpibus cogilationibus puis are, et ad illicitam
DEVOIR POl R TOUT CHRÉTIEN D ÉVITER TOUTE IMPURETE. 021
vation, c'est la prière el la Fréquentation (1rs sacrements de
Pénitence et d'Eucharistie. Si efficaces que soient par eux
mêmes tous les précédents moyens, ils n'en seraient pas
moins insuffisants s;ms ce dernier, car saint Paul nous L'a
dil expressément, Le démon joue un grand rôle dans les
suggestions de ce vice. Or, quoi que nous fassions, dès que
nous axons affaire au démon, nous serons vaincus par lui si
nous en sommes réduits à nos seules forces. Voilà donc
pourquoi, tout en faisant ce qui dépend de nous, nous
devons encore recourir à Dieu par La prière, parce qu'avec
son secours nous serons infailliblement victorieux. Ainsi,
retenons bien ceci : nous devons faire tout ce que nous pou-
vons pour nous préserver de l'impureté, parce que Dieu
n'aide que ceux qui déjà ont bonne volonté ; mais nous ne
devons pas moins demander le secours de Dieu, parce que
ce secours nous est indispensable, nos seules forces n'étant
pas suffisantes pour lutter victorieusement contre le démon.
Implorons donc cet indispensable secours par de ferventes
prières, surtout au moment des tentations. Et pour nous
rendre dignes de l'obtenir, purifions souvent notre cœur par
la réception du sacrement de Pénitence, et entrons de plus
en plus dans l'amitié de Dieu par de fréquentes communions
lai les avec toute la dévotion dont nous sommes capables.
Alors Dieu ne pourra demeurer sourd à nos appels, et sou-
tenus par lui, notre victoire sur l'impureté sera certaine.
CONCLUSION. — Telles sont donc, chrétiens, d'un
côté, les raisons pour lesquelles nous devons éviter l'impu-
reté : el tels, de l'autre, les moyens grâce auxquels nous y
pouvons sûrement parvenir. Nous devons éviter l'impureté,
e qu'elle est, ;i\ons-nous dit, de tous les vices, celui
dclcctationem affici, tolics pone ante mentis oculos, quomodo Christus
in cruce crucifixus est pro te.Intuere quomodo a Jùda Judaùs traditur,
et quam viliter pertractetur, blasphème tu r, H çolaphizetur, judiçetur,
• •I condemnetur, expolictur, cl Qagelletur, ad ultimum \ito contumeliis
affectus, inter duos latrones suspenditur, clavis cruci affixus, sputis deri-
lus, spinis coronatus, lancea perforatus, ex omnibus partibus sanguis
émanât, el inclinato capite emittit spiritum. lia Iledemptor tuus mori-
tur pro te, et tu nescis cujusmodi sordida cogitationc sordidaris in
mente ? Ih g. S i< r. de Anim. m, 28).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 21
022 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. Xtt. INSTRUCTION.
qui cause le plus de mal à ceux qui s'y abandonnent, celui
qui est le plus funeste aux sociétés, et enfin celui que Dieu
a le plus en horreur. Et nous pouvons éviter sûrement ce
vice, avons-nous encore expliqué, en fuyant tout ce qui est
susceptible de nous y porter, en veillant assidûment sur
nous-mêmes, en menant une vie constamment occupée, en
pratiquant la mortification, en pensant sans cesse à la pré-
sence de Dieu et de notre ange gardien, et sans cesse aussi
en recourant à Dieu par la prière et la réception des sacre-
ments. En deux mots, nous devons éviter l'impureté, nous
pouvons l'éviter. Attachons-nous à ces deux mots qui résu-
ment tout, et qu'ils soient notre lumière et notre règle.
Nous devons éviter l'impureté, toute impureté: donc, arriè-
re les maximes mondaines qui prétendent innocenter ou
excuser le vice, puisque ce vice, quoi qu'on dise, est le plus
néfaste, le plus pernicieux et le plus criminel de tous les
vices. Nous pouvons sûrement l'éviter: donc, silence encore
à ceux qui prétendent le contraire, parce que n'ayant pas le
courage de l'éviter, ils n'en veulent pas prendre les moyens.
Pour nous, agissant tout à la fois selon notre raison et notre
conscience, prenons ces moyens, et avec leur secours évitons
l'impureté. Ainsi nous nous préserverons, et des maux de
toute sorte que les impudiques s'attirent toujours en ce
monde, et des châtiments affreux que Dieu leur réserve
dans l'éternité.
TRAITS HISTORIQUES.
L'impureté, fléau de l'impudique.
i. — A quel aveuglement ce vice ne réduisit-il pas Salomon, qui
avait été le plus sage de tous les hommes ! En effet, il n'eut pas
plutôt conçu de l'amour pour des femmes idolâtres, qu'après les
avoir adorées, il adora jusqu'à leurs idoles, et brûla l'encens du
Dieu d'Israël devant les simulacres des nations. Et ce qu'il y a de
plus surprenant, c'est que ce fut dans sa vieillesse, qu'il se livra à
cette honteuse passion, qui a flétri sa gloire et a attaché à son nom
et à la plus grande réputation qui fut jamais, un opprobre éternel,
comme parle l'Écriture. Ce qui montre que ni l'âge, ni la sagesse,
ni même la vie la plus réglée qu'on ait menée par le passé, ne
DEVOIR IMHKTOl ï CHRETIEN D*EVITÉR Toi ITE 1MPUIETK. 3a3
nous doil point faire présumer de nos forces, ni dispenser de veiller
sur nous-mêmes, ni de recourir à Dieu comme Salomon avait fait
dans sa jeunesse.
a. — L'empereur Galérius fut atteint, en 3io. d'une maladie
honteuse qu'il s'était attirée par ses excès, et contre laquelle échou-
ai! tout l'art des médecins. Tout essai de guérison ne faisait qu'a-
jouter à ses douleurs . La partie inférieure de son corps tombait
en dissolution, et n'offrait plus, depuis les hanches jusqu'aux pieds,
qu'un amas hideux de pourriture et de chairs en putréfaction. Des
pertes de sang continuelles, des ulcères, dont la puanteur infectait
tout le palais, la multitude toujours croissante des vers qui le
rongeaient, en faisaient à la fois un objet de compassion et
d'horreur.
3. — L'empereur Justin s'était tellement affaibli les organes par
ses débauches, que les facultés de son esprit s'étaient presque en-
tièrement éteintes. Devenu incapable de se livrer à aucune occupa-
tion corporelle et intellectuelle, il déplora, mais trop tard, d'avoir
épuisé ses forces par les excès de l'impureté. Le chagrin qu'il en
éprouva eut pour première conséquence, une fréquente absence
d'esprit suivie bientôt d'une aliénation périodique, qui se tradui-
sait quelquefois en une espèce de rage, qui ne tarda pas à l'enlever.
4. — Un officier français, lors des guerres d'Italie, passant par
Lodi, dans le Milanais, visita les hôpitaux de cette ville. 11 y vit des
salles entières encombrées de vénériens, qui répandaient des exha-
laisons si infectes, et présentaient un aspect si repoussant et si horri-
ble, qu'il ne put s'empêcher d'y reconnaître le châtiment infligé '
dès ce monde au plus honteux des péchés. « Je suis chrétien, disait-
il plus tard, et je crois à un enfer ; mais n'y eut-il pas d'enfer
pour punir ce crime infâme, ce que j'ai vu dans les hôpitaux de
Lodi, quand nous étions en Italie, suffirait pour m'en donner une
invincible horreur. »
5. — Un missionnaire, prêchant au bagne de Brest, y rencontra
un jeune homme de vingt-deux ans. Il pleurait. Hélas ! le malheu-
reux ; car la souffrance avait réveillé chez lui quelques étincelles
de sentiment. Le prêtre lui demanda pour quelle cause il se trou-
vait jeté si jeune dans cet enfer vivant. Il répondit : Je me trouvais
à Paris, étudiant, comme beaucoup d'autres, la science des lois.
Là je fis une liaison fatale, et moi qui jusqu'alors n'avais rêvéqu'in-
d.'pendance, je devins un esclave. Bientôt il me fut impossible de
satisfaire les exigences de la créature à laquelle je m'étais enchaî-
Ô2L\
LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XII. INSTRUCTION.
né. Il me fallait de l'or à tout prix ; je m'en procurai aux dépens
de l'honneur, je fis un faux et me voilà au bagne.
L'impureté, fléau des familles.
ti _ Marie, fille d'un roi d'Aragon et femme d'Olhon III, allait
à Rome avec son mari, quand elle vit, en traversant l'Italie, le
comte de Modène, dont l'air majestueux et la bonne grâce la char-
mèrent et firent naître dans son cœur un sentiment aussi honteux
qu'il devait être funeste à l'un et à l'autre, ainsi qu'à leurs deux
familles. Elle ne rougit pas de lui faire l'aveu de sa passion ; mais
elle trouva en lui une vertu ferme et constante, que toutes ses ca-
resses ne purent jamais fléchir. Elle prit cette résistance pour du
mépris ; et changeant son amour en une haine mortelle, elle
poussa sa vengeance jusqu'aux dernières extrémités. L'artifice dont
elle usa fut de se plaindre elle-même du comte, et de l'accuser
auprès de l'empereur d'avoir eu dessein de lui ravir ce qu'elle avait
de plus cher. L'empereur écouta cette calomnie et fit couper la tête
au comte, sans se donner le loisir d'examiner, comme il le devait,
une affaire de cette importance. La comtesse, dans l'excès de sa
douleur, prit la tête sanglante de son époux, l'alla porter aux pieds
de l'empereur, et lui demanda justice contre lui-même, en s'olTrant
à démontrer l'innocence de son mari, par la preuve du fer chaud.
En effet, Dieu permit que le feu découvrît la vérité et justifiât
l'innocent, en épargnant celle qui le défendait avec tant d'héroïs-
me. L'empereur, convaincu par ce prodige de la perversité de son
épouse, la condamna à être brûlée. Elle avait déjà mérité ce sup-
plice par bien d'autres infidélités, restées jusqu'alors impunies.
2. — Philippe-Auguste avait appelé du Nord une princesse
aimée des peuples. Le prince accourt au-devant d'elle. Il préparc
ses palais, il les orne pour recevoir celle qu'il a choisie pour son
épouse. Elle arrive, elle monte toute heureuse, toute parée, ces
degrés où on l'attendait. Le roi s'avance, il se retourne, mais il
aperçoit une étrangère. Il la regarde ; ce coupable regard a ravi
son cœur. Et son épouse, délaissée, s'en ira d'exil en exil, porter
jusqu'à Rome la peine de son affection lâchement trahie.
3. Nimes se rappellera toujours un des plus horribles attentats
qui puissent terrifier et humilier une population. Le 24 mai 1842,
à midi, plusieurs détonations d'armes à feu, suivies de cris lamen-
tables,'s'étaient fait enlendre dans une maison sise rue Pavée,
habitée par un sieur Marignan, ancien notaire, et par sa famille.
Après avoir forcé l'entrée et s'être précipité dans la maison, on
DEVOIR PCM R TOUT CHRETIEN D'ÉVITER loi rE [MPI RETE. 020
avait trouvé mademoiselle Marignan la poitrine traversée d'un
coup d'arme à feu, le sieur Henri Marignan Qls grièvemenl blessé
à la cuisse, el Marignan père également blessé au ventre et à la
main, mais moins grièvement. - Les informations auxquelles on
se livra immédiatement révélèrenl un horrible secret. Marignan père
lil sur sa propre fille, et depuis longues années, les plus hor-
ribles attentats : la malheureuse enfant avait eu recours à la pro-
tection de son frère. Ce jour-là, Marignan fils ayant entendu des
cris, et croyant sa sœur menacée, était accouru armé d'un fusil.
^ cette vue, Marignan père avait aussi saisi son arme, et alors
s'était engagée la scène de carnagedont on vient de voir les affreux
résultats. — Marignan père, renvoyé devant la cour d'assises du
Gard pour 3 rendre compte de la série de crimes qui lui étaient
imputés, y comparaissait le 17 novembre. Les débats eurent lieu
à huis clos, et l'acte d'accusation même ne fut pas lu publique-
ment. Le jury ayant écarté la question de préméditation, Mari-
gnan fut condamné aux travaux forcés à perpétuité et à l'expo-
sition.
L'impureté, fléau des sociétés.
! , _ Collalin avait eu l'imprudence de vanter la beauté de
Lucrède, son épouse, devant Scxtus Tarquin, fils du roi de Rome,
et l'imprudence plus grande encore de la laisser voir à ce dernier,
pour le convaincre de la vérité de ses paroles. Sextus Tarquin
conçut en effet pour Lucrèce une passion criminelle qui le porta à
lui faire violence et à la déshonorer. Mais Lucrèce dénonça à son
mari le crime dont elle avait été victime, et ne voulant pas survi-
vre à son déshonneur, se donna la mort. Pour la venger, son
mari et ses proches firent serment sur des poignards d'exterminer
rquins. Et telle fut la cause du renversement de la royauté
romaine et de son remplacement par la République.
2# _ Tant qu'Henri VIII, roi d'Angleterre, résista au vice de
l'impureté, il demeura fidèle à sa foi, qui était la catholique, et
mérita même de recevoir du pape Léon \ le titre de Défenseur de la
our un ouvrage dans lequel il avait défendu, contre les nova-
protestants, les doctrines de l'Église et l'autorité du Saint-
int eu le malheur de se laisser dominer pas d'illicilcs
amours, ce prince en vint bientôt à renoncer à cette foi de ses
qu'il avait défendue, et cela uniquement pour n'avoir pas eu
rgie de résister au vice infâme. Après avoir vécu pendant dix-
sept ans avec sa pieuse épouse, il se passionna éperduement pour
une courtisane, Anne de Boleyn, cl demanda au Pape de dissoudre
dont il cherchait, par les moyens les plus futiles, à
326 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
contester la légitimité. Le Pape ayant refusé d'accéder à ses infâ-
mes désirs, il devint furieux, et, non content d'abjurer sa foi, il
devint un monstre de cruauté et de débauche. 11 chassa son épouse
légitime, exclut de la succession au trône la fille qu'il avait eue de
ce mariage, prit successivement six femmes, dont deux portèrent
leur tête sur l'échafaud. Il sévit avec une barbarie toute particu-
lière contre ceux qui se refusèrent de se faire les complices ou les
approbateurs de ses turpitudes. Il condamna à mort deux cardi-
naux, vingt et un évêques, douze abbés, cinq cents prêtres et
moines, plus de cent chanoines et docteurs, quarante-quatre ducs
et comtes, outre une foule de familles de distinction. Enfin il im-
posa à l'Angleterre le schisme et l'hérésie dans laquelle elle se
trouve encore, et qui n'a cessé d'être pour ce royaume la cause de
tant de maux.
Moyens d'éviter l'impureté.
En fuir les occasions. — Curiosité. — Dina, fille de Jacob et
de Lia, étant un jour sortie pour voir les femmes du pays de Cha-
naan, Sichem, prince du pays des Sichimites, l'aperçut, et l'ayant
enlevée de force, il la déshonora par une passion honteuse. Infor-
tunée jeune fille ! de n'avoir pas su, en résistant à sa curiosité,
fuir une occasion aussi funeste pour sa vertu !
Compagnies dangereuses. — Sainte Scholastique, sœur de saint
Benoît, demeurait dans un monastère voisin de Mont-Cassin, où
était son frère, et néanmoins elle ne le visitait qu'une fois par an.
Et saint Benoît, qui ne souffrait pas qu'elle vînt jusqu'à son monas-
tère, ne la recevait qu'en présence de quelques-uns de ses religieux,
dans une maison qui était à une petite distance du Mont-Cassin.
Le temps qu'ils passaient ensemble était employé à louer Dieu et à
parler de choses spirituelles.
Mauvais livres. — Saint Louis de Gonzague ayant trouvé, pendant
son enfance, un roman qu'il ne connaissait pas, et le prenant pour
un bon livre, entreprit de le lire ; mais il n'en eut pas plus tôt vu
le titre, qu'il le jeta dans le feu, et courut se laver les mains, pour
en avoir seulement touché du bout des doigts la couverture, tant
il était persuadé qu'il n'y a rien de plus pernicieux et de plus
funeste à l'innocence que ces sortes d'ouvrages.
Spectacles. — Tertullien raconte, dans un ouvrage qu'il a composé
sur les spectacles, qu'une femme chrétienne ayant assisté à une
représentation théâtrale, en sortit possédée du démon. On l'exor-
cisa. Et comme on reprochait à l'esprit immonde la hardiesse qu'il
avait eue de s'emparer ainsi d'une femme fidèle : « Oui, je l'ai fait
DEVOIR POT R TOIT CHRÉTIEN D'ÉVITER TOUTE IMPURETÉ. $V]
hardiment, répondit-il, puisque je l'ai houvrc dans le lieu de mon
domaine » -Que ces paroles sont terribles! et comment une
personne vraiment chrétienne peut-elle après cela se hasarder
d'aller dans un lieu où règne proprement le démon avec ses artifi-
ces les plus dangereux ! « C'est là, ajoute Tertullien, l'assemblée
et récole du diable, ('/est le temple de tous les démons: il y a la
autant d'esprits immondes qu'il \ a de gens qui y assistent, Per-
sonne ne pont servir deux maîtres, dit Jksus-Ciuust. Quelle mons-
truosité n'est-ce donc pas d'aller de l'église de Dieu à celle du
diable • d'applaudir un farceur, un boulTon, un comédien, jusqu'à
lasser des mains qu'on a étendues vers Dieu dans la prière ; de
rendre un témoignage favorable, à un homme de théâtre, de la bou-
che même dont on a répondu Amen sur le Saint du Seigneur dans
la participation des saints mystères ! »
Danses. — Un homme élevé loin de la corruption des États policés,
raconte saint Charles Borromée, fut par hasard conduit en
France. Il n'avait vu jusque-là que des déserts et des forêts. Tout est
nouveau pour lui, tout lui paraît extraordinaire dans nos grandes
cités; il regarde avec étonnement la belle régularité des maisons,
la majesté des temples et la magnificence des palais. Des jeunes
-eus curieux de connaître l'impression que produira sur le sau-
vage le spectacle d'un bal, lui proposent de l'y conduire. Leur
offre est acceptée, à la grande joie des jeunes gens, qui se font une
fête de jouir de la surprise et des transports d'admiration de
l'étranger. Le bal commence ; le sauvage considère tout en silence.
11 écoute les sons voluptueux d'une musique efféminée. Il regarde
cette nombreuse assemblée parée avec tout l'art et toute l'élégance
qui peuvent plaire aux yeux et séduire tous les sens ! il voit com-
ment une mesure savante sépare, éloigne, rapproche et unit cette
jeunesse, qui dans tous ses mouvements s'étudie à plane. Il parait
étonné, mais aucun signe d'admiration ne lui échappe. Enfin,
impatients de connaître l'effet de leur épreuve, les jeunes gens
interrogent le sauvage. Quelle est leur surprise, quand ils enten-
dent cette réponse naïve: « En vérité, il n'est pas possible de
trouver un moyen plus efficace pour séduire lésâmes et corrom-
pre les mœurs. »
Veiller sur soi-même. — Les deux vieillards dont il est parlé
dans l'histoire de Suzanne, qui était une femme parfaitement
belle et qui craignait Dieu, se laissèrent pervertir par leurs yeux
adultères « Ils voyaient, dit l'Écriture, cette femme entrer et se
promener tous les jours dans le jardin de son mari, et ils conçu-
rent une ardente passion pour elle, ayant dessein de corrompre
328 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
cette femme chaste. » Daniel, xin. -* Ce fut ainsi que le démon,
qui avait tenté Eve en lui faisant regarder, contre la défense de
son Dieu, un fruit agréable à la vue, tenta aussi ces deux infâmes
vieillards, en les portant à regarder, contre le précepte divin, la
chaste Suzanne, et à s'abandonner volontairement à un amour
déréglé qui leur fît perdre la raison : malheur qui ne leur serait
pas arrivé, s'ils eussent veillé sur leurs regards.
Être toujours occupé. — Un jeune solitaire n'employait
généralement pas son temps d'une manière consciencieuse ; il pas-
sait souvent plus d'une heure dans l'oisiveté, et il lui arrivait alors
d'être assailli de tentations d'impureté. S'en étant plaint à son
abbé, celui-ci soupçonna aisément la cause de ses tentations, et
l'accabla de travaux fatigants. Quelque temps après, il lui demanda
s'il était encore tenté : « Hélas ! répondit le jeune homme, com-
ment pourrais-je l'être ? J'ai à peine le temps de respirer. »
Penser à la présence de Dieu. — Un jeune homme se
plaignait au directeur de sa conscience de ne pouvoir se débarras-
ser des pensées impures qui l'assaillaient. Le prêtre lui répondit :
« Figurez-vous que votre tête est transparente comme le cristal, et
que chacun peut y voir clairement vos pensées les plus secrètes. —
0 malheureux que je serais ! soupira le jeune homme. Si mes pen-
sées étaient vues, il me faudrait me cacher à tous les yeux et mou-
rir de honte. — Cependant Dieu voit ce qui se_passa en vous mieux
encore que dans le cristal ; rougiriez-vous donc moins de ces pen-
sées devant lui que devant les hommes ? » Le jeune homme com-
prit la sagesse de ces paroles ; et, grâce à la pensée salutaire de la
présence incessante de Dieu, il triompha rapidement de toute pen-
sée coupable.
Se mortifier et prier. — Saint Jérôme avait quitté le monde,
où son innocence avait couru des dangers, et il s'était retiré au
désert de Chaleis, en Syrie. Mais le démon de l'impureté l'y suivit,
et lui livra de terribles assauts, dont .il ne triompha que par la
prière, les austérités de la pénitence, l'assiduité continuelle au
travail, la méditation du jugement et des autres grandes vérités
de la foi. Écoutons-le faisant lui-même la description de son état
et de sa conduite : « Lorsque j'étais jeune, dit-il, quoique enseveli
dans le désert, j'étais si tourmenté par la violence de mes passions
et par l'ardeur de la concupiscence, que je ne me sentais point
assez de force pour y résister. Je faisais tout ce que je pouvais pour
éteindre ce feu par de grandes abstinences ; mais cela n'empêchait
pas que mon esprit fût continuellement agité par de mauvaises
DEVOIR POUR loi l CHRÉTIEN D'ÉVITER TOUTE IMPURETÉ. .'>>()
pensées. Mon imagination me transportail souvenl au milieu des
délices dé Rome, de ces enjouements et de toul ce que la mollesse
a de plus puissant pour corrompre le coeur. Le jeûne avait rendu
mon visage tout pâle, el cependant mon âme brûlait des ardeurs
de la concupiscence dans un corps qui n'avait plus de chaleur. Ma
chair était déjà comme morte, et mes passions étaient encore tou-
tes bouillantes. Ne sachant donc plus où trouver du secours, j'al-
lais me jeter aux pieds de Jésus, que je baignais de mes larmes ; et
je tâchais de réduire ma chair rebelle, en restant des semaines
entières presque sans boire ni manger, ,1c me souviens d'avoir sou-
vent passé le jour et la nuit à prier et à me frapper sans cesse la
poitrine, jusqu'à ce (pic Dieu, commandant à la tempête, rendît le
calme à mon àmc ; d'autres l'ois je me retirais dans quelque vallée
sombre, dans quelques rochers escarpés pour y prier et en faire la
prison dece misérable corps. » — V ces moyens si puissants d'eux-
mêmes, notre saint en joignit un autre, qui ne suppose pas moins
d'énergie. Pour fixer plus efficacement son imagination à quelque
chose d'utile et la détourner des objets dangereux, il joignit à la
prière cl aux austérités de la pénitence une des éludes les plus péni-
bles qui soient, celle de l'hébreu. Ce travail lui coula d'autant
plus, qu'il ne s'était occupé, jusque-là, que d'études agréables. « 11
n'y a, dit-il encore, que Dieu, moi, et ceux avec qui je vivais alors,
qui sachions quelles peines, quelles difficultés j'eus à surmonter
pour en venir à bout. » — Cependant il persévéra courageusement
dans cette tâche laborieuse, afin de se mettre en état d'expliquer
les Livres saints écrits en hébreu ; et pour ne pas se ralentir dans
cette guerre où il se voyait engagé avec ses ennemis spirituels, il
méditait souvent les grandes vérités de la foi, en particulier le
jugement du Seigneur. 11 croyait entendre à chaque instant le son
de cette trompette effroyable l'appelant au tribunal de Dieu pour
y rendre compte de sa vie, et celle pensée, jointe à celle de la
brièveté de la vie et de la longueur de l'éternité, le péné-
trait d'une crainte salutaire qui triomphait de toutes les diffi-
cultés, p
— Quand saint Pierre Damien, qui devint plus laid cardinal-
évêque d'Ostie, était tenté d'impureté pendant la nuit, il se levait
aussitôt, allait se plonger dans l'eau et y demeurait jusqu'à ce (pic
ses membres fussent transis de froid. Ensuite il \isitait les églises
et récitait le Psautier, en attendant que l'office divin com-
bat.
— Voyant leur monastère menacé d'une irruption de Danois,
330 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XII. INSTRUCTION.
sainte Ebbe et ses compagnes, pour se mettre à l'abri des attentats
dont elles allaient être victimes, se coupèrent toutes le nez et la
lèvre supérieure. Les barbares, reculant devant un si terrible spec-
tacle, mirent le feu au monastère, et toutes les vierges qui l'habi-
taient périrent par les flammes, heureuses de se conserver pures à
ce prix.
TREIZIÈME INSTRUCTION
(Mercredi de la Quatrième Semaine)
Cest un devoir pour tout chrétien de
sanctifier les Dimanches et les Fêtes.
I. Certitude de ce devoir.— IL Convenances de ce devoir.— III. Futilité
des raisons pour lesquelles on le viole. — IV. Ce qu'il faut faire pour
l'accomplir.
Les grands devoirs du salut dont nous nous sommes
entretenus jusqu'à ce jour, sont tous inscrits, d'une manière
formelle ou implicite, vous l'avez sans doute remarqué, sur
les tables du Décalogue. Celui qui se présente maintenant à
nos réflexions, et qui va nous occuper ce soir, se trouve
exprimé tout à la fois dans les commandements de Dieu et
dans ceux de l'Église. Je veux parler en effet du devoir de
sanctifier les jours de dimanches et de fêtes.
Devoir essentiel entre tous, car de son observation dépend
tout le reste, c'est-à-dire la connaissance de la religion et sa
pratique, et par suite, la paix et le bonheur en ce monde,
et le salut dans l'autre. Comment en effet connaîtra-ton
les vérités et les devoirs du salut, si l'on ne vient pas sanc-
tifier.le dimanche à l'église, puisqu'il n'y a que là où les
fidèles en sont complètement instruits ? Et pourtant, quel
devoir est plus dédaigné et moins observé que celui de la
sanctification des dimanches et des fêtes ! A part quelques
chrétiens fidèles à ce devoir, que de chrétiens qui ne sancti-
fient jamais le dimanche, ou qui ne le sanctifient que selon
leurs commodités ou leurs caprices ! De là, nous venons de
le dire, cette ignorance de plus en plus profonde des vérités
religieuses dans laquelle croupissent tant d'àmes rachetées
par le sang d'un Dieu ; de là l'oubli des devoirs les plus
sacrés dans lequel vivent ces âmes aussi infortunées que cou-
pables ; de là l'immoralité croissante, de là l'indifférence, a>
XIII. INSTRUCTION.
là l'impiété, de là l'égoïsme féroce, de là les haines sauva-
ges, de là tons les maux qui ont envahi la société chrétienne.
que les peuples sanctifient le dimanche comme ils le doi-
vent, et bientôt tous ces maux disparaîtront graduellement,
parce qu'étant toujours mieux instruits des vérités et des
devoirs de la religion, leurs actions deviendront chaque jour
plus justes, et leur conduite pins régulière et plus parfaite.
Ah ! que cette terre, bien qu'étant le lieu de notre épreuve,
présenterait pourtant encore un beau spectacle aux yeux de
Dieu et des hommes eux-mêmes, si le dimanche était uni-
versellement et pieusement sanctifié ! Et qu'on y goûterait
encore de paix et de douceur, même parmi les larmes de
l'exil ! D'où vient donc que le dimanche est si peu observé
et si mal sanctifié ? Cela vient de diverses causes, et tout
d'abord, de ce qu'on n'a pas une sérieuse connaissance de la
loi qui en prescrit le respect et la sanctification. En outre,
on ne réfléchit nullement aux convenances et aux avantages
de cette loi, qui constituent sa raison d'être et sa nécessité.
Par contre, on regarde comme raisons valables de s'y sous-
traire les prétextes les plus futiles. Enfin, on ne sait guère
bien non plus, assez souvent, ce qu'il faut faire pour la bien
accomplir. Telles étant les causes de la profanation du
dimanche, le plus efficace moyen pour amener la cessation
d'une profanation aussi criminelle et aussi funeste, est donc
de combattre et de faire cesser ces causes. C'est ce que nous
allons faire, en montrant : premièrement, la suprême certi-
tude du devoir dominical ; deuxièmement, les multiples
convenances et utilités de ce devoir ; troisièmement, la futilité
des raisons pour lesquelles on le viole ; quatrièmement
enfin, ce qu'il faut faire pour l'accomplir. — ■ Seigneur, qui
dans votre souveraineté, dans votre sagesse et dans votre
bonté pour nous, avez vous-même édicté la loi du dimanche,
faites-nous-en si bien comprendre la majesté et les avantages,
que nous l'accomplissions de manière à recueillir les fruits
.excellents pour lesquels vous nous l'avez imposée.
I. — Certitude suprême du devoir dominical. —
Beaucoup de chrétiens, profondément ignorants, hélas !
répètent volontiers que ce sont les prêtres qui ont fait la loi
DEVOIR DE SANCTIFIER LES DIMANCHES Et LES FETES.
.>,).)
de la sanctification du dimanche, et ils en concluent que, les
prêtres étant des hommes. comme les autres, ils n'ont pas
le droit de Leur imposer dos lois. Ce raisonnement est boi-
teux de plusieurs manières, aussi bien dans ses prémisses
que dans sa conclusion, puisqu'il n'est pas vrai, ni que ce
soni Les prêtres qui ont fait la loi du dimanche, ni qu'ils
soûl, dans la société chrétienne, dos hommes comme Les
autres, pas plus que les Législateurs et les juges ne sont des
hommes comme les autres dans la société civile. Cependant,
admettons pour un moment que la loi dominicale ne vienne
pas directement de Dieu: s'ensuivra-t-il que ee n'est pas
pour nous un devoir certain de l'observer ? Y\ a-t-il doue
que Les Lois venant directement de Dieu auxquelles nous
soyons tenus d'obéir ? La loi de la conscription, par exem-
ple. Loi extrêmement dure, est une loi qui certainement n'a
- Dieu pour auteur. niais qui certainement est imposée par
hommes aux autres hommes : dira-t-on que cette loi
ayant été faite par des hommes, ce n'est pas un devoir de
soumettre ? Oui, sans doute, cette loi a été faite par des
hommes, mais par des hommes investis du pouvoir de l'aire
des lois; et voilà pourquoi cette loi, bien que n'émanant
pas de Dieu directement, n'en est pas moins obligatoire. Il
en serait de même de la loi du dimanche, alors même qu'elle
aurait été faite par les prêtres, parce que les prêtres sont
eux aussi investis, dans l'Église, du pouvoir de faire des
Lois 'obligatoires pour les chrétiens, en vertu de ces paroles
du divin Maître à ses apôtres et à leurs successeurs : Qui
> moi-même (i).
sachons le bien tous : la loi de la sanctification du
dimanche n'a pas élé l'aile par les prêtres, encore qu'ils
eussen/eu Le pouvoir de la faire, si elle n^ût pas élé faite,
et s'ils eussent jugé qu'ils devaient la faire ; mais elle a été
faite directement par Dieu Lui-même et Lui seul.
La loi du dimanche, du repos sanctifié du septième jour,
a élé faite par Dieu lui même disons nous ; et, chose remar-
quable, elle a élé observée par lui aussi tout le premier, en
même temps qu'il l'instituait. En sorte que ce qui fut dit
i. Luc. x, 16.
33/i LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
plus tard du Sauveur des hommes, qu'il commença par faire
ce qu'il devail enseigner (i), est vrai également du souverain
Créateur et Législateur. Les livres saints nous apprennent
en effet que Dieu, après avoir travaillé à la création du
monde pendant six jours, se reposa le septième. Pourquoi ces
six jours de travail, et pourquoi ce repos au septième jour ?
Dieu avait-il donc besoin de ces six jours pour faire le monde,
et après ces six jours de travail, avait-il donc besoin de se
reposer? Nullement ; pour créer le monde, et mille milliards
de mondes plus vastes encore que le nôtre, il ne fallait à
Dieu qu'un acte instantané de sa volonté ; et après toutes
les créations possibles, il n'aurait pas eu plus besoin de
repos qu'avant de commencer. Mais il a agi comme il l'a
fait, précisément pour donner aux hommes l'exemple de ce
qu'ils devaient faire eux-mêmes, et leur signifier en même
temps sa loi de six jours de travail suivis d'un jour de repos
sanctifié, ainsi qu'il est en effet écrit : Dieu se reposa le
seplièmejour, et il bénit le septième jour, et il le sanctifia (2).
La loi du septième jour sanctifié est donc la première et la
plus sacrée de toutes les lois. Adam l'observa dans le para-
dis terrestre, et après sa faute, Dieu, tout en le condamnant
à ne plus manger du pain qu'à la sueur de son front (3), lui
maintint la loi du repos hebdomadaire, comme un adou-
cissement et une consolation dans son malheur. Ses enfants
et leurs descendants l'observèrent à leur tour, en exécution
de sa première promulgation, jusqu'au jour où Dien la pro-
mulgua de nouveau, par l'organe de Moïse, sur le mont
Sinaï, au milieu d'un appareil grandiose et vraiment digne
de sa toute-puissante souveraineté : Souviens-toi, dit-il à son
peuple, de sanctifier le jour du repos. Six jours lu travailleras
et feras tous tes ouvrages. Mais le septième jour est le repos du
Seigneur ton Dieu ; ce jour-là, tu ne feras aucune œuvre, ni
toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton
bétail, ni l'étranger qui habite entre tes portes. Car en six jours
le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils con-
1. Act. 1, 1.
2. Gen. 11, 2, 3.
3. Gen. m, 19»
DEYOlll DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FETES. 335
tiennent, et il s'est reposé le septième jour ; voilà pourquoi le
Seigneur a béni le jour du repos et /'(( sanctifié (i).
Ainsi, remarquons-le bien, il ne s'agit pas ici d'une loi
nouvelle. En disant à son peuple : Souviens-loi de sanctifier
le jour du repos. Dieu fait au contraire clairement entendre
que la loi de la sanctification du jour du repos existait déjà
et étail connue. Il se borne à la rappeler et à la renouveler.
Vnc preuve certaine que la loi du septième jour existait
avant la promulgation du Sinaï, c'est qu'avant cette pro-
mulgation, nous la voyons mentionnée et solennellement
observée dans le désert à l'occasion de la manne. En effet,
celte nourriture miraculeuse tombait du ciel chaque jour de
la semaine, mais non le jour du repos ; en sorte que les
Israélites devaient, la veille de ce jour, et précisément pour
pouvoir le sanctifier, ramasser une provision double (2).
Et que personne ne croie pouvoir mettre ces faits en
doute, que l'on soit chrétien ou incrédule. On ne peut pas
les mettre en doute si l'on est chrétien, puisqu'ils sont
rapportés dans nos livres saints, et que douter du contenu
de ces livres, c'est renoncer à la foi chrétienne. — Que si
l'on se prétend incrédule, qu'on explique alors pourquoi,
chez tous les peuples, civilisés ou sauvages, alors que leurs
lois et leurs coutumes sont totalement différentes pour tout
le reste ; que l'on explique pourquoi, disons-nous, se
retrouve chez tous la division du temps en sept jours, et
chez tous aussi l'un de ces jours consacré au culte religieux ?
En ne tenant compte que des données de la raison, le temps
peut se diviser de mille manières différentes, aussi ration-
nelles les unes que les autres ; il devait surtout forcément
arriver que chaque peuple aurait sa manière propre de
grouper et de compter les jours. Cependant, nous le répé
Ions, partout et invariablement se retrouve le nombre septé-
naire. Or, quelle explication l'incrédule peut-il donner de
ce phénomène historique ? 11 lui est impossible d'en donner
aucune, en dehors de la loi instituée par Dieu au lendemain
même de la création. Mais avec cette loi tout s'explique. En
1. Exod. xx, 8-1 1.
2. Exod. xvi, i'i-'îo.
336 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
ciï'et, lors de la dispersion des hommes par toute la terre,
chaque groupe emporta avec soi le souvenir et la pratique
de la loi septénaire, et telle est la raison pour laquelle on en
a partout et clans tous les temps retrouvé des vestiges.
Encore une fois donc, personne ne peut le contester, la
loi de sanctification du septième jour remonte à l'origine
même du monde, et c'est Dieu lui-même et Dieu seul qui
en est l'auteur. Par conséquent, il n'y a pas de devoir pour
nous plus certain et plus impérieux que celui d'observer
cette loi, en sanctifiant le dimanche (i). Et cela ne résulte
i. Certes, Jésus-Christ, qui n'était pas venu détruire la loi, mais
l'accomplir et la perfectionner, Matth. v. 17, n'a pas plus abrogé le
troisième commandement que les autres commandements du Décalo-
gue. Seulement, comme ce commandement avait cela de particulier,
qu'étant fondé sur la nature quant à sa substance, il procédait sous
d'autres rapports de la volonté positive du législateur, l'Église de Jiisis-
Ghrist a exercé sur le sabbat cette autorité suprême que son divin Ins-
tituteur s'était solennellement attribuée quand il avait dit : L'empire du
Fils de l'homme s'étend jusque sur le sabbat lui-même, Mattb. xn, 8. La
partie variable du précepte, c'est-à-dire la détermination du jour spécial,
fut donc changée. La juridiction souveraine qui ordonna ce déplace-
ment, ce fut celle de l'Église : Placuit Ecclesiœ, nous dit le catéchisme
du concile de Trente, p. 3, c. 4, n. a5. Toutefois, le témoignage des
Écritures elles-mêmes, coin me nous le verrons tout à l'heure, fait re-
monter si haut la substitution du dimanche ou samedi, qu'il faut enten-
dre ici par l'autorité de l'Église celle du collège apostolique. Et quand
on sait par les Actes des Apôtres que le Christ ressuscité s'est entretenu
avec eux pendant quarante jours, leur parlant du royaume de Dieu,
'Act. 1, 5, c'est-à-dire de son Église, dont il leur enseignait toute l'orga-
nisation, ce n'est pas aller trop loin que de considérer comme un résul-
tat direct des instructions divines la grande mesure législative de la
transposition du sabbat. — Et le motif de celte transposition se laisse
facilement comprendre. Le sabbat ou samedi était, depuis l'origine du
inonde, le jour consacré au Seigneur ; car, c'était le jour où le Seigneur,
après avoir créé le monde, s'était reposé ;et, pour cela, Dieu avait béni
ce jour et l'avait sanctifié. En outre, depuis la sortie de la terre de
Pharaon, le sabbat était plus particulièrement le jour saint des Juifs,
parce que le Seigneur avait fait de ce jour commémoratif de leur déli-
vrance, le signe visible de son alliance avec eux et le gage de leur entrée
dans la terre promise. Mais voici qu'une nouvelle création, qu'une nou-
velle délivrance ont été opérées ; voici que Dieu entre, après un nou-
veau travail dans une nouvelle phase de repos ; voici que son peuple
est mis en possession d'une nouvelle terre promise. Vous connaissez,
nos très chers frères, tout l'enchaînement de ces mystères. L'homme
ayant péché, et Dieu ayant résolu de le sauver, la seconde Personne de
l'auguste Trinité, arrachée en quelque sorte du centre de son repos et
de sa gloire, descend sur la terre, où elle emploie, non pas six jours,
DEVOIR DE SA.MCTlFIER LES DIMANCHES ET LES FETES. 337
pas seulement d'une rigoureuse et évidente déduction ; cela
résulte encore du châtiment dont Dieu a voulu que fussent
punis les violateurs de sa loi, et qui n'est rien moins que
La peine capitale, c'est-à-dire le plus grand châtiment qui
puisse être infligé en ce monde : Quiconque, a-t-il dit en
mais trente-trois années dans les travaux les plus pénibles : In labori-
bus, a juventute mca ; Ps. lxxxvii, 16 ; travail de la Rédemption, nous
disent les saints docteurs, nullement comparable à celui de la création,
car alors Dieu commandait au néant, et le néant ne résiste pas, tandis
qu'ici Dieu lutte avec le péché qui est son irréconciliable adversaire ;
travail qui se termina par le plus dur des labeurs, par la flagellation,
par la crucifixion, par la mort, par le sépulcre; travail enfin qui ne
cessa qu'au jour de la résurrection, alors que Jksls-Christ, triomphant
de la mort, eut achevé l'œuvre de la délivrance et de la réconciliation
des hommes, et que, rentrant en possession de son glorieux repos, il
créa véritablement pour nous des cieux nouveaux et une terre nouvelle,
et nous introduisit dans la véritable terre de promission. Or ce jour de
la résurrection était le lendemain du sabbat. Celui-ci s'éclipsait donc
naturellement devant l'éclat de ce nouveau jour, qui sera désormais
appelé le dimanche ou jour du Seigneur : jour consacré par les plus
grands mystères des divines opérations, dit le pape saint Léon ; jour où
le Père avait commencé de manifester sa gloire par la création primor-
diale du monde; jour où le Fils, par sa résurrection, a détruit la mort et
rouvert les sources d'une vie meilleure; jour où l'Esprit-Saint, en des-
cendant sur les apôtres, a fondé définitivement le règne spirituel et
éternel de l'Église ; Ep. 2. ad Diosc. c. 1 ; jour surnaturel, autant supé-
rieur au sabbat primitif que la révélation chrétienne est supérieure à la
révélation du premier jour, autant préférable au sabbat judaïque que
la nouvelle alliance l'emporte sur l'ancienne ; jour qui nous donne, dit
saint Hilaire, toute la réalité et la plénitude de ce que l'ancien sabbat
n'offrait qu'en figure et en espérance ; Prolog, in Ps. n. 12 ; jour qui est
le commencement de la création nouvelle, dit saint Athanase, comme
l'autre sabbat était la fin de la création première ; de sabb. et circume.
n. i-4 ; jour que le Seigneur Jésus a fait, et qui sera désormais celui
que nous devons sanctifier par Je repos et par de saintes réjouissances :
Hœc dies quam Jecit Dominas, exullemus et ketemur in ea ; Ps. cxvu, 24.
— Depuis ce temps, c'est-à-dire, depuis l'origine même du Christianis-
me ; depuis que les disciples, au témoignage de saint Luc et de saint
Paul, s'assemblaient pour la fraction du pain, et pour les divines ins-
tructions le premier jour après le sabbat; Una sabbati, Act. xx, 7, per
una'ti sabbati,!. Cor. xvi, 2 ; depuis que Jean, relégué dans file de
Pathmos, à défaut de la réunion des fidèles dont il été séparé, fut trans-
porté en esprit un jour de dimanche dans la société des esprits bienheu-
reux : In dominica die ; Apoc. 1, 10; depuis lors, disons-nous, la loi du
dimanche est restée invariablement écrite dans le code du Christianis-
me. Elle a traversé et elle traversera tous les âges sans aucune altération
quelconque, occupant toujours le premier rang entre toutes les lois
positives de la religion (Card. Pie, Instr. past. sur la loi du dimanche,
n. 6 et 7).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 23
33S les Grands devoirs bu salut. — xiii. Instruction.
effet, travaillera le jour du repos du Seigneur, qu'il soit mis à
mort ! (i). Et ne croyez pas que cette menace ne fût qu'un
simple épouvantai!. Tandis que les Israélites étaient encore
dans le désert, un homme ayant été surpris ramassant du
bois le saint jour du repos, Dieu, consulté par Moïse, or-
donna formellement que le profanateur du saint jour lut
conduit hors du camp et lapidé par tout le peuple, ce qui
eut lieu (2). Ah ! grand Dieu, pouviez-vous faire plus pour
nous inspirer le respect de votre loi et l'observation de
votre saint jour? Et combien ne faut-il pas que soient en-
durcis et aveuglés ceux: qui vous résistent et vous bravent !
— Encore leur conduite pourrait-elle paraître moins cri-
minelle et moins insensée, s'il s'agissait d'une loi difficile à
observer, ou dont on ne pût pas bien comprendre la
sagesse. Mais ce n'est nullement le cas de la loi du saint
repos, Car quoi de plus facile que de se reposer? Inutile
sans doute de le démontrer. Quand à la sagesse de cette loi,
nous allons voir qu'elle est bien vraiment toute divine, en
examinant
IL — Ses convenances. — Remarquons-le bien avant
d'aller plus loin : quand même nous ne comprendrions nul-
lement les convenances de la loi du saint repos, elle n'en
serait pas moins obligatoire, car ce qui la rend obligatoire,
c'est uniquement la souveraine autorité de Dieu, qui nous
l'impose ; mais il est bien évident aussi que la connaissance
de son utilité et de ses avantages nous aidera puissamment
à l'accomplir.
Or, la première utilité, la première convenance de la loi
du saint repos, et du devoir qui en découle pour nous,
regarde Dieu lui-même. C'est Dieu, nous le savons, qui nous
a créés, ainsi que tout ce qui nous entoure, et qui sert non
seulement à la satisfaction de nos besoins, mais encore à
l'agrément de notre vie. Que nous considérions notre corps
ou notre âme, notre intelligence ou notre mémoire, notre
force ou notre santé, nos parents ou nos enfants, nos mai-
1 . Exod . xxxv, 2.
2. Nura . xv, 32-3(».
DEVOIR ni; svvrniliai l.i:s niMWCims Kl LES FETES. .'>.'><)
sons ou nos domaines, L'air que nous respirons, le soleil qui
nous éclaire, le Peu qui nous réchauffe, la brise qui nous
rafraîchit, les moissons qui grandissent pour nous nourrir,
le chant des oiseaux <jui nous égayé, les (leurs des prairies
qui charment nos regards, tout nous vient de la munificence
et de la honte de Dieu. Dieu est doue noire bienfaiteur par
excellence, et nous sommes ses obligés. Or, n'est-ce pas
pour l'obligé un de\ oir rigoureux: de témoigner sa reconnais-
sance à son bienfaiteur, cl delà lui témoigner en proportion
de ses bienfaits ? Qu'un homme complaisant, je suppose,
nous prête simplement, un jour d'embarras pécuniaire, l'ar-
gent dont nous avons besoin pour payer une dette; et cha-
que fois que nous le rencontrerons, nous nous ferons un
devoir de lui en témoigner notre reconnaissance, sous une
forme ou sous une autre. A plus forte raison devons-nous
donc témoigner à Dieu notre reconnaissance, puisque c'est
de lui, nous le répétons, que nous tenons tout ce que nous
avons. Cependant, parce que Dieu est invisible, et peut-être
encore plus à cause de la dureté de nos cœurs, l'immense
majorité des hommes ne penseraient jamais à lui rendre le
tribut de reconnaissance et d'hommages qui lui est si juste-
ment du. Voilà donc pourquoi Dieu a voulu que les hommes
cessassent leurs travaux au bout de tous les six jours, et
consacrassent le septième à penser à lui, à le remercier et à
l'honorer. Des sept jours qu'il nous donne chaque semaine,
il aurait pu ne nous en donner aucun, ou bien exiger qu'ils
lui fussent tous consacrés ; cependant il ne s'en réserve
qu'un seul pour lui: trouvera-ton que ce soit trop? Trou-
verait-on trop exigeant un homme qui, ne nous devant
rien, nous donnerait chaque semaine sept pièces d'or, à la
condition d'en employer nue pour lui faire honneur? Cer-
tes, il n'est personne qui ne considérât comme juste de se
soumettre à cette condition. Eh bien, ce ne sont pas sept
pièces d'or que Dieu nous donne chaque semaine, c'est infi-
niment plus, puisque c'est sept jours de vie. Reconnaissons
donc qu'il a bien Le droit d'en réserver un pour son service,
cl que c'est pour nous un devoir de toute justice de l'em-
ployer selon ses vues.
Mais ce n'esl pas seulement à l'égard de Dieu, que la loi
3/jO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
de la sanctification du septième jour est convenable, juste et
nécessaire, c'est encore à l'égard de l'homme. En formant
l'homme, Dieu a mis en lui une certaine provision de for-
ces, proportionnée à un travail de six jours, précisément
parce qu'il voulait faire du septième jour un jour de repos.
L'homme étant ainsi constitué dans son corps, la loi du
repos hebdomadaire n'était plus une loi facultative, mais
bien une loi nécessaire et indispensable, et il fallait que
Dieu la portât, quand même il n'y aurait pas été lui-même
intéressé. Aussi ceux qui la violent, au mépris de la volonté
de Dieu et de leur constitution, subissent inévitablement les
conséquences même corporelles de leur désobéissance. En
effet, en faisant de leurs forces une dépense sans relâche
réparatrice, comme d'un trésor qu'on gaspille, ils se prépa-
rent des maladies et des infirmités, conséquences de leur
épuisement, abrègent leur vie et hâtent leur dernière
heure (i).
La loi du repos septénaire n'est pas moins nécessaire à
l'âme de l'homme qu'à son corps. Cette âme, nous le
savons, est immortelle de sa nature. Mais nous savons aussi
qu'elle n'ira au ciel, dans l'autre vie, qu'autant qu'elle aura,
en celle-ci, évité le mal et fait le bien. Or, pour éviter le
mal et faire le bien, l'âme, sans cesse en butte aux embûches
et aux attaques de ses ennemis, qui sont la chair, le monde
et le démon, a besoin d'être instruite, éclairée, encouragée,
fortifiée. Mais quand pourra-t-elle recevoir ces lumières et
ces exhortations qui lui sont nécessaires ? Sera-ce pendant
que le corps se livre aux durs travaux qui l'accablent, et que
i. O vous, qui raisonnez avec tant de justesse quand il ne s'agit ni
de Dieu ni de vous ; vous qui savez si bien, de temps à autre, laisser
reposer votre champ, de peur d'en épuiser la fécondité ; vous qui savez
si bien qu'il faut détendre un ressort, de peur qu'il ne perde sa force
et son élasticité ; vous qui ne voudriez pas abuser ce soir de l'ardeur
de cet excellent cheval que vous avez fatigué ce matin par une course
lointaine ou un pénible labeur ; pourquoi, vous qui vous montrez si
sages, si humains partout ailleurs, seriez-vous impitoyables et inhu-
mains pour vous-mêmes ') Pourquoi, vous qui raisonnez si juste quand
c'est la voix de la nature qui parle toute seule, n'écouteriez-vous plus le
langage de la raison quand, à la voix de la nature, vient se joindre la
voix imposante et sainte de la loi de Dieu? (L'Abbé Grison, L'Apôtre miss.
tome i, instr. 8).
DEVOIB DE SANCTIFIEE LES DIMANCHES ET LES FETES. ."> \ i
L'espril est toui absorbé par les besoins de la vie? Il n'y faut
pas penser, car L'homme n'est pas capable de s'occuper
sérieusement de choses aussi différentes, comme l'expérience
le prouve surabondamment. Il faut donc, de temps en
temps, suspendre les travaux qui ont pour objet la vie pré
seule, afin que lame ait le loisir de s'occuper des intérêts
de l'éternité. Or, ici encore, après qu'on a donné six jours
pour les besoins du corps et de la vie présente, est-ce trop
de consacrer un jour aux besoins de l'âme et aux intérêts
de l'éternité P \li ! combien ne serait-il pas plus juste de
consacrer six: jours aux besoins de l'âme, et un jour seule-
mentaux besoins du corps ! Que de saints qui s'occupaient
à peine des eboscs du temps, et ne pensaient qu'à celles de
L'éternité ! Et qui oserait dire que cette manière d'agir n'est
pas la plus prudente et la plus sage? Ah ! qu'ils s'applaudis-
sent et sont heureux maintenant de la conduite qu'ils ont
menée ! Dieu toutefois, ayant égard à notre faiblesse, ne
nous en demande pas autant. Mais quand il nous prescrit
de consacrer un jour chaque semaine pour nous occuper
tout spécialement de la grande affaire de notre salut, recon-
naissons que sa loi est aussi modérée qu'indispensable.
Ainsi, que l'on considère la loi du saint repos par rapport
à Dieu notre bienfaiteur, à qui nous devons témoigner notre
reconnaissance ; ou bien par rapport à notre corps, dont les
forces sont bornées et qui a besoin de repos ; ou bien par
rapport à notre àme, qui a besoin d'être instruite et soute-
nue pour se sauver en faisant le bien et en évitant le mal :
on est forcé de convenir que cette loi est tout à fait utile et
absolument nécessaire. D'où il suit que c'est pour nous un
devoir de l'accomplir, non seulement à cause de la souve-
raine autorité de Dieu qui l'a instituée, mais encore à cause
de sa nécessité. — Voyons, par contre,
III. — Combien sont futiles les prétextes qu'allè-
guent ceux qui la violent. — L'un de ces prétextes, le
plus vulgaire, est celui-ci : On mange le dimanche comme
les autres jours, il faut donc aussi travailler le dimanche
comme les autres jours. — Pour ceux qui parlent ainsi,
manger est donc la grande affaire, celle qui l'emporte sur
6l\ 2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
toutes les autres, sur celle du salut en particulier, puisqu'ils
sacrifient cette seconde affaire à la première. En quoi ils se
mettent en contradiction avec Notre-Seigneur, qui enseigne
tout au contraire que la grande affaire de l'homme, celle
qu'il doit faire passer avant toutes les autres, c'est celle de
son salut. En effet, quand même il faudrait, pour observer
le dimanche, s'abstenir de manger ce jour-là, il n'y aurait
rien là de bien effrayant et d'impraticable ; tandis que
manquer son salut, voilà la chose vraiment effrayante et
sans remède. Mais il ne s'agit nullement de ne pas manger
le dimanche, et il n'est pas vrai que, pour manger ce jour-là,
il faut aussi qu'on travaille. Combien de jours n'y a-t-il pas,
où ceux qui tiennent ce propos rebattu, mangent et surtout
boivent sans rien faire ! Ce sont en effet, le plus souvent,
ceux qui ne manquent ni fêtes, ni foires, ni marches, ou
bien qui remplacent le dimanche par le lundi (i). Ne man-
gent-ils donc pas, tous ces jours où ils ne font rien, et où
ils dépensent certainement plus que s'ils sanctifiaient le
dimanche ? Ce prétexte manque donc de sincérité, et n'est
qu'une pitoyable défaite dans la bouche de ceux qui, par
avarice ou pour quelque autre raison qu'ils n'osent pas
avouer, sont assez aveugles et assez malheureux pour violer
la sainte loi qui prescrit la sanctification du septième jour.
i. L'ouvrier remplacera le saint repos du dimanche par les plaisirs
bruyants et désordonnés du second jour de la semaine, le jour de Dieu
par le jour de l'homme : jour qui ne sera pas comme le premier un
temps de prière et de salut, mais un jour de colère et de calamité, un jour
d'amertume et de ruine. Il n'a pas voulu quitter son travail pour aller
prier et s'instruire dans nos temples ; il ira sacrifier dans un autre
sanctuaire et sur d'autres autels son temps, sa santé, son salaire et jus-'
qu'à sa raison. 11 immolera tout au dieu de l'intempérance et de la
débauche ; et puis, revenant au milieu d'une famille tremblante et
éplorée, il fera lever sur elle un jour de colère par des excès qui met-
tront tout en confusion dans sa demeure, et il épuisera les dernières
forces qui lui restent à accabler de traitements barbares une épouse
qui ne le méritait pas, et des enfants dignes d'un autre père. Ce sera
aussi un jour de misère et d'amertume pour une mère qui apprendra
qu'elle n'a plus de pain à donner à ses jeunes enfants, plus de vête-
ments pour les couvrir, plus de paille pour les coucher, parce que de
brutales passions ont tout dévoré, et jusqu'à l'instrument de travail mis
en gage pour assurer le paiement d'une dette honteuse : Dies calamiia-
tis et miseriœ. Soph. i, i5 (Card. de Bonald, Instr. past. sur la sanct. du
dim.).
DEVOIR DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FÊTES. 34û
Qu'ils se souviennent lyeii que c'esl Dieu seul qui donne le
manger el le boire, ainsi que tout Le reste, el qu'ils craignent
de lui Fermer la main par leurs offenses.
— Soit, disent d'autres pauvres chrétiens qui se croient
mieux armés contre la loi divine ; bien sûr que si l'on ne
travaille pas le dimanche, on ne jeûnera pas pour cela. Tou-
jours est-il, cependant, (pie celui qui ne travaille pas le
dimanche perd sa journée, et qu'au bout d'un an, de dix:
ans, de vingt ans, la perle devient considérable. — Ce rai-
sonnement, fût-il fondé, qu'il ne saurait justifier la profana-
tion du dimanche (i). Il n'est nullement nécessaire, encore
une fois, que nous réalisions tous les bénéfices qu'il nous est
possible de réaliser : au jour de la mort, à quoi nous servira
ce que nous aurons amassé ? Ce qui est nécessaire, ce qui
est indispensable, c'est d'obéir à ce que Dieu nous commande,
puisque toute désobéissance sera impitoyablement châtiée,
comme nous l'apprend l'exemple d'Adam. Mais il n'est pas
vrai que ce raisonnement soit fondé en fait. C'est-à-dire, il
n'est pas vrai que celui qui sanctifie le dimanche perde plus
que celui qui ne l'observe pas. >»ous en avons déjà fait la
remarque : les forces de l'homme sont limitées, et ont
besoin de repos pour se conserver ; la science le démontre,
l'expérience le confirme. Celui qui observe le dimanche, par
cela même qu'il ménage ses forces, et par conséquent sa
santé et sa vie, celui-là, dis-je, travaillera mieux les six jours
de la semaine, et pendant un plus grand nombre d'années.
Au contraire, celui qui n'observe pas le dimanche, par cela
i. Quand même l'observation du dimanche imposerait à l'ouvrier le
sacrifice de quelque gain, de quelque intérêt temporel, Dieu n'a-t-il pas
le droit, par hasard, de nous imposer ce sacrifice ? Sur tant d'années,
sur tant de jours qu'il veut bien nous accorder, sans que nous puissions
lui indiquer ni terme, ni règle, ni mesure, il veut en réserver quelqueSr
uns pour lui, de ces jours qu'il multiplie et prolonge selon les décrets
toujours adorables de sa providence ; qui oserait, qui pourrait venir ici
réclamer et se plaindre ? Voyez ce propriétaire qui loue son champ ou
sa maison : c'est un loyer ou un fermage de tant, qu'il relient pour lui ;
voyez ce capitaliste, ce millionnaire qui prête ses tonds : c'est un inté-
rêt de tant, qu'il relient annuel lemcul . VA Dieu, le grand capitaliste,
Dieu, le grand propriétaire de qui viennent et la vient tous les biens
de la vie, n'aurait pas le droit de conserver pour lui quelque>-unes de
ces. journées, quclque>-unes des parcellps. dp eps immenses trésors qu'il
prodigue à tous I (Guisos, loc. cit.).
3/j/l LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
même qu'il ne ménage pas ses forces, fera moins de travail
les autres jours ; et parce qu'en ne ménageant pas ses forces
il ne ménage pas non plus sa santé, souvent il sera atteint
de maladies qui le forceront à suspendre tout travail pen-
dant des semaines et des mois, ctenfin une vieillesse préma-
turée le mettra au rang des invalides du travail bien plus
tôt que s'il eût économisé ses forces et sa santé, en ne les
dépensant pas mal à propos le dimanche. Qui donc, des
deux, aura le plus gagné, soit à la fin de la semaine, soit à
la fin de sa vie? Ainsi apparaît dans tout son jour la
vérité de cette remarque qu'on a faite dans tous les siè-
cles, que jamais le travail du dimanche n'a enrichi per-
sonne (i).
i. Mais je veux que tout réussisse au gré de vos désirs, et que, d'an-
née en année, vous voyiez monter votre position, votre fortune, au
niveau de tous vos plans d'avenir ; je veux que tous les accidents et les
revers passent loin de vous et de votre famille ; bientôt, et ce bientôt
est immanquable, et ce bientôt arrivera bien plus vite que vous ne pen-
sez ; bientôt. .. un homme sera étendu, pâle et livide, sur un lit ; la
mort viendra poser sa main glacée sur le front de cet homme... et cet
homme ce sera vous ! On vous roulera dans un drap devenu un linceul ;
on vous jettera dans la terre avec ce seul débris de vos biens et de votre
fortune, et alors, Quid prodesl ? Que vous servira cette fortune ? Que
vous serviront ces quelques pièces d'or et d'argent amassées le diman-
che ? Ah ! à quoi serviront-elles ? à vous valoir un compte plus terrible,
une éternité plus affreuse (Grison, loc. cit.).
En travaillant le dimanche, je vois bien ce que vous perdez, je cher-
che vainement ce que vous gagnez. Vous perdez un repos nécessaire à
la réparation de vos forces, vous usez plus vite votre vie, vous vous pri-
vez des douceurs du foyer domestique, des consolations de la foi, de ce
sentiment d'une conscience contente d'elle-même, qui verse tant de joie
et de paix dans un cœur fidèle. Mais au bout de la semaine, que trouvez-
vous sous votre main ? Un salaire égal, ni plus ni moins, à celui que
vous auriez obtenu si vous n'eussiez travaillé que six jours. C'est un
axiome en économie commerciale, que plus la marchandise est offerte,
plus elle perd de sa valeur vénale. Il n'y a aucune raison pour qu'il
en soit autrement de la main-d'œuvre. Le prix des journées se règle sur
le nombre des ouvriers qui se présentent sur la place, sur le nombre de
bras qui demandent à être employés. En travaillant tous les jours de la
semaine, y compris le dimanche, vous augmentez évidemment ce nom-
bre d'un septième, et le taux du salaire subit nécessairement une réduc-
tion proportionnée. Si votre travail profite, ce n'est donc pas à vous,
mais au maître qui voit grossir la masse de la production, sans que sa
caisse en ait souffert un accroissement de dépense (Gard. Giraud, Ir}S(r,
past. sur la loi du repos domir}ical. Carême 18^6).
DEVOIR DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FUTES. 345
— Mais, dit-on encore, n'cst-il pas vrai au moins que la
suspension des affaires el des travaux, voulue par la loi du
dimanche, nuit à la prospérité de l'industrie et du com-
merce ? — Et quand cela serait vrai : la fin de l'homme en
ce monde est-elle donc de favoriser le commerce et l'indus-
trie ? N'est-ce pas au contraire le commerce et l'industrie qui
ont pour but de concourir au bien de l'homme ? Que
l'homme ne soit donc pas sacrifié aux exigences du com-
merce et de l'industrie, mais qu'au contraire le commerce
et l'industrie soient adaptés aux conditions physiques et
morales dans lesquelles se trouve l'homme. Ainsi, alors
même que le commerce et l'industrie auraient à souffrir de
la loi du dimanche, la raison toute seule elle-même exige-
rait l'observation de cette loi ; car il est bien naturel et bien
juste que ce soient l'industrie et le commerce qui aient à
souffrir, plutôt que l'homme. Mais cela non plus n'est
pas vrai. Bien mieux, c'est tout le contraire qui est la
vérité. C'est-à-dire que, comme la loi du dimanche a été
calculée par Dieu pour le bien de l'homme, ainsi a-t-elle
été pareillement calculée par lui pour le bien de toutes
ses entreprises. Car ce n'est pas de Dieu qu'on peut dire que
sa vue est toujours courte par quelque endroit ; rien
au contraire n'échappe à son regard, et jamais ses lois ne
peuvent aller à l'encontre d'aucun intérêt légitime. C'est
pourquoi ceux qui violent la loi du dimanche au profit,
croient-ils dans leur courte sagesse, de l'industrie et du
commerce, ne font précisément qu'entraver et retarder leur
développement naturel et régulier. Car on ne saurait être
sage contre Dieu. Que voyons-nous en effet de nos propres
yeux? Nous voyons l'industrie, foulant aux pieds la loi du
dimanche, produire des marchandises avec une sorte de
vertige, et le commerce violer aussi le dimanche pour négo-
cier et écouler ces marchandises. Mais parce que la consom-
mation ne correspond pas à ces productions exagérées et à
ce négoce effréné, bientôt il se produit forcément des arrêts
et des chômages qui ruinent patrons et ouvriers, au grand
détriment de l'industrie et du commerce qu'on prétendait
servir. Que les industriels et les commerçants respectent la
loi du dimanche, et ces crises seront évitées, et leurs allai-
3/^6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
res, si elles progressent plus lentement, progresseront du
moins plus sûrement (i).
i. Il faut prendre garde que si les jours de travail produisent, c'est
le jour du repos qui consomme. Et pour ne parler d'abord que de la
consommation à laquelle le dimanche concourt directement, il suffit
d'ouvrir les yeux pour voir à combien de rouages industriels et com-
merciaux le repos fécond du saint jour donne le mouvement, à com-
bien de spéculations et d'entreprises il apporte honneur et profit :
construction et entrelien des monuments religieux, ouvrages d'art en
architecture, en peinture, en statuaire, en musique ; impression des heu-
res d'Église et des livres liturgiques, étoffes précieuses brochées d'or et
de soie, vases sacrés où la perfection du travail le dispute à la richesse
de la matière, délicates ciselures, élégantes broderies, tissus de fin lin,
riches tapis, vastes tentures, brillantes soieries, fournitures des par-
fums de l'Orient pour le service de l'encensoir, et du produit des abeil-
les pour le service du luminaire ; c'est par centaines que l'on peut
compter les industries, et par milliers les artistes et ouvriers de tout
genre que les besoins, ou les splendeurs du culte font vivre et prospé-
rer. Mais le culte lui-même ne subsiste en quelque sorte que par le
dimanche, qui en est la plus éclatante et la plus solennelle expression.
Si vous ôtez le dimanche, il n'est plus besoin de tous ces services et de
toutes ces pompes, et vous retrancherez du même coup toutes les bran-
ches de commerce qui leur doivent leur vert feuillage et leur riche
fécondité. Et n'en avons-nous pas, sous nos yeux et à nos portes, une
preuve aussi fâcheuse que concluante ? N'est-il pas vrai que la fabrica-
tion de ces toiles renommées, honneur de notre Flandre, a ressenti le
contre-coup de la commotion qui a ébranlé l'Église d'Espagne dans ses
vieux fondements ? N'avons-nous pas entendu nos fabricants se plain-
dre que depuis les malheurs qui l'ont frappée, qui ont fermé ses mo-
nastères, décimé son clergé et appauvri les ressources de ses temples,
l'industrie linière, si importante dans nos contrées, avait subi un déficit
énorme dans la valeur et l'importation de ses produits ? Voilà pour la
consommation sur laquelle le dimanche exerce une action immédiate.
Mais il lui ouvre indirectement des débouchés plus considérables encore
dans les relations de famille, d'amitié, de bienséance, qu'il autorise et
encourage. On peut dire qu'au village tout le luxe modeste qui se dé-
ploie dans les parures comme dans les banquets, a son attrait dans les
fêtes et les dimanches. Pour se rendre à l'église, il faut une mise
décente ; cela n'est pas nécessaire pour hanter le cabaret, pour conduire
la charrue, pour manœuvrer les machines. Et dans les villes mêmes, les
ouvriers de toutes les classes spéculent sur le dimanche comme sur le
jour qui, par la consommation des produits, doit leur payer toutes les
sueurs de la semaine ; et, comme la plupart des industries profanent
ce saint jour, elles se montrent en cela aussi ingrates qu'inconsé-
quentes : ingrates, car si le dimanche les fait vivre, elles devraient le res-
pecter, ne fût-ce que par un sentiment de délicatesse et de bienséance ;
inconséquentes, car il ne tient pas à elles que toute la société, se réglant
sur leurs exemples, ne tarisse la source la plus abondante de leur
prospérité. — On invoque contre le repos du dimanche les intérêts du
commerce et de l'industrie ! Mais où le commerce est-il plus actif, l'in-
DEVOIR DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FÊTES. 3 '17
Tels sont les principaux prétextes qu'on allègue commu-
nément contre la loi divine du repos sanctifié. On le voit,
la moindre réflexion, comme nous l'avons dit, suffit pour
en faire comprendre L'inanité. 11 en est de même des autres
qu'on peut encore mettre en avant, et auxquels le temps ne
nous permet pas de nous arrêter (i). Que personne donc ne
dustrie aussi florissante, que dans celte île aussi jalouse qu'enviée de
sos voisins, où mille voiles apportent chaque jour les tributs des deux
inondes, que mille autres navires courent ensuite distribuer à tous les
peuples de la terre, et où des milliers de puissantes machines, servies
par des millions de bras, fabriquent des étoffes plus qu'il n'en faudrait
pour vêtir tous les enfants d'Adam répandus sur la surface du globe
habité ? Chose admirable et digne de toute l'attention de l'observateur !
Dans celle perpétuelle activité de la pensée et de la main ; dans ce tour-
billon de projets, de craintes, d'espérances ; dans cette lutte et cette con-
currence animée d'intérêts qui rendent cette terre plus mobile et plus
animée que ne sont les flots qui baignent ses rivages, il est inouï qu'un
jour de dimanche, un seul atelier, un seul bureau, un seul comptoir,
soit ouvert, qu'un seul magasin blesse l'œil chrétien par l'étalage de ses
marchandises, qu'on fasse du moins ostensiblement, ce qu'on appelle
une affaire. Les services publics même sont interrompus. Le jeu de ce
mécanisme, compliqué de tant de ressorts divers, s'arrête brusquement,
comme un vaisseau qui s'asseoit sur ses ancres ; et l'Angleterre protes-
tante, cette nation toute industrielle et toute marchande, dont on peut
dire que toute la pensée est dans le calcul et toute l'âme dans l'ardeur du
gain, donne aux nations catholiques, de qui elle devrait la recevoir,
cette leçon de respect pour le jour dont la religion a consacré le repos
(Card. Gikaid, loc. cit.).
i. Le dimanche est contraire aux intérêts du peuple ? Mais tout ce
qui conserve l'union dans les familles et entretient l'affection entre les
amis ; tout ce qui incline à une réciproque assistance dans le malheur,
et à une réconciliation après de longues inimitiés; tout ce qui rappro-
che les grands et les petits, inspire à ceux-là une humble modération
dans la prospérité, et à ceux-ci une sainte fierté dans leurs peines ;
tous ces sentiments de charité, de paix, de bienfaisance, sont-ils oppo-
sés aux intérêts du peuple ? Où ces sentiments si nobles et si chrétiens
peuvent-ils se manifester avec plus d'abandon et de sincérité, que dans
la réunion des fidèles le jour du dimanche, au milieu de nos saintes
assemblées dans la maison du Dieu de miséricorde ? Là, le besoin de se
voir, de se fréquenter rapproche ces hommes qui, sans ce saint repos,
eussent vécu isolés sans alfcclion entre eux, parce qu'ils ne se seraient
presque jamais vus ; sans estime mutuelle, parce qu'ils n'auraient pu
s'apprécier ; sans aucun échange entre eux de services et de bienfaits,
parce que l'égoïsme les eût rendus insensibles aux malheurs ou aux
besoins du prochain. Là est mise en pratique l'égalité entre tous les
homme-;, puisque le pauvre couvert de haillons vient prendre place au
banquet du Père de famille, à côté du riche vêtu avec opulence, et que
le même pain est distribué à l'un et à l'autre sans distinction de rang,
3^8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
se laisse impressionner par d'aussi misérables raisonne-
ments, mais s'attache étroitement à cette loi, que mainte-
nant nous savons être, non seulement inattaquable, mais
encore aussi bienfaisante par ses effets, que sacrée par la
de fortune et de dignité, parce qu'en présence du Dieu qui réside dans
nos tabernacles, comme devant le Dieu qui nous jugera sur son tribu-
nal, il n'y a que la vertu qui soit une dignité, la fidélité à observer la
loi du Seigneur qui soit une distinction, la sainteté qui soit une
noblesse. Là, la parole est un glaive qui frappe indistinctement les juges
de la terre et leurs justiciables ; là le prêtre de Dieu est le prophète qui
tonne contre le ravisseur de la brebis du pauvre et console le pauvre de
l'injustice du puissant. Là, le fidèle ne passe pas, pour se rendre au
saint lieu, devant la tombe d'un parent qui l'a précédé dans l'éternité,
ou n'entend pas prononcer son nom au milieu du saint sacrifice, sans
lui donner un souvenir par ses prières et par ses larmes, et resserrer
ainsi des liens que la mort avait cru rompre, mais que la religion rend
plus forts que le temps et la mort. Ainsi, une fois par semaine, la loi
de Dieu rappelle à chacun ses obligations ; elle passe un niveau salu-
taire sur toutes les conditions ; elle nous rappelle à tous que nous som-
mes frères, que la même terre attend notre dépouille mortelle, et que le
même ciel nous prépare une couronne. Si le repos du dimanche n'est
point observé, ces grandes vérités, qui seules peuvent maintenir la paix
dans la société, s'effaceront de la mémoire des hommes. C'est alors que
les intérêts du peuple seront compromis ! (Card. De Bonald, loc. cit.).
Si l'on ne travaille pas le dimanche, dit-on, le temps dure et on ne
sait que faire. Vous ne savez que faire ! Hé ! n'avez-vous pas les offices
du matin et du soir ? Assistez-y dévotement, et voilà déjà une bonne
partie de la journée bien employée. Vous ne savez que faire ! Mais n'a-
vez-vous pas oublié votre catéchisme, vos actes ? voilà de quoi vous
occuper utilement : car ce n'est pas un travail servile que de s'instruire de
la religion ou d'en instruire les autres. Vous n'avez pas le temps dans le
courant de la semaine de remplir les œuvres spirituelles de miséricorde,
comme de consoler les affligés, de visiter les pauvres, les malades, les
prisonniers de votre sexe : faites cela les dimanches, et vous leur procu-
rerez, ainsi qu'à vous, les plus douces consolations. — Si l'on ne tra-
vaille pas, on craint de perdre ses pratiques. Crainte sans fondement.
Pour une pratique que votre fidélité à Dieu vous fera perdre, vous en
retrouverez dix autres qui seront beaucoup plus avantageuses pour
vous. — C'est un moindre mal, ajoute-t-on encore, de travailler que
d'aller au cabaret ou de médire. Cela peut être ; mais c'est un moindre
mal de voler quelqu'un que de le tuer : ne faites donc ni un mal ni
l'autre (Card. Villecourt, Instr. sur la sanct. du Dim.j.
L'assistance aux offices est bonne pour les dévots et les gens d'église.
Mais pourquoi les chrétiens appelés par vous « dévots et gens d'église »,
observent-ils le dimanche ? Parce que cette observation est un devoir
du chrétien. Dès lors, vous qui êtes chrétien, puisque vous avez été
baptisé, ne devez-vous pas observer le dimanche, à l'exemple de ceux-là
même à qui vous le renvoyez comme bon pour eux et comme inutile
pour vous ? (Berseaux, Dimanches et Fêtes, ch. 19, n. 9).
DEVOIR m. SANCTIFIER lis DIMANCHES Et LES FETES. • 3/|0
souveraineté de Celui qui la instituée. — Il nous reste à
expliquer rapidement
IV. — Ce qu'il faut faire pour l'accomplir. — Pour
accomplir la loi du dimanche, el nous acquitter du devoir
qu'elle nous impose, il y a. retenons bien ceci : d'un côté,
des choses qu'il faul éviter; et de l'autre des choses qu'il
faut faire.
La première chose qu'il faut éviter, c'est de travailler à
des œuvres serviles, ou d'y faire travailler les autres. Ecou-
tons Dieu s'expliquer lui-même à ce sujet: Souviens-loi,
nous dit-il, de sanctifier le jour du repos. En ce jour-là, lu ne
feras aucune < vu ère, ni loi. ni ton fils, ni ta fille, ni Ion servi-
leur. ni ta serra /île, ni ton bétail, ni l'étranger cjui habile entre
tes portes (i). Vinsi, nous le répétons, le dimanche on ne
doit ni travailler soi-même, ni commander à personne de
travailler, alors même que le travail s'exécuterait hors de
notre présence, et chez les personnes à qui nous aurions
donné des ordres. Toutefois, si un ouvrier travaille de lui-
même, le dimanche, à un ouvrage que nous lui avons com-
mandé, sans le mettre dans la nécessité d'y travailler ce
jour-là, la faute qu'il commet ne lui est imputable qu'à lui
seul.
Il faut savoir en outre que Dieu ne défend pas tout tra-
vail et toute occupation quelconque. Les œuvres commu-
ne, comme manger, se promener, se recréer honnêtement,
ne sont pas défendues. Ne sont pas défendues non plus les
<imi\ res où l'esprit a plus de part que le corps, comme étu-
dier, lire, écrire, peindre, faire de la musique. Dieu ne
défend même pas les œuvres manuelles dont l'urgence est
manifeste, comme éteindre un incendie, se préserver ou se
sauver d'une invasion, retirer un animal tombé clans une
fosse, ou dans tout autre danger, comme le Sauveur l'ex-
pliqua lui-même aux juifs (2). — Mais ce qui est défendu rigou-
1 . K\o(l . w. 8-10.
•).. Matth. \n, 11. — Voici les seules raisons qui peuvent autoriser le
travail Les jours de dimanche et de fêtes obligées : i° La nécessité du ser-
\i( r divin ; parer les autels, approprier le saint lieu, tendre ou faire des
reposoir> pour le Saint-Sacrement, sonner les cloches, préparer le pain
bénit ou le distribuer, et autres choses semblables qui entrent dans la
35o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — Mil. INSTRUCTION.
reusemcnt, ce sont les œuvres dites servîtes, c'est-à-dire les
œuvres manuelles qui se font communément avec l'aide
de serviteurs, et dont l'urgence n'est pas manifeste, comme
labourer, moissonner, vendanger, bâtir, forger, tisser, cou-
dre, et toutes œuvres semblables. Toutes ces œuvres, tous
ces travaux, redisons-le, sont rigoureusement et absolument
défendus, sauf, encore une fois, les cas d'urgence évidente
et majeure (2). — Mais une chose qui est défendue sans
aucune exception ni réserve, c'est le péché. Trop souvent le
dimanche est l'occasion de fautes et de désordres graves et
nombreux. Or, si l'on considère que Dieu s'est réservé ce
jour pour être employé à l'honorer, on comprend qu'il n'y
a rien de plus opposé à la sanctification de ce jour que
le péché, puisqu'au lieu d'honorer Dieu, le péché l'outrage.
Il faut donc éviter le péché, le dimanche, avec plus de
sollicitude encore que les autres jours. Par conséquent, l'on
doit, en particulier, ne mettre les pieds ni dans les danses,
ni dans les cabarets. Telles sont les choses qu'il faut éviter
pour sanctifier le dimanche.
catégorie des choses nécessaires au culte. 20 Le bien public, tels que le
service des postes, la réparation d'un accident arrivé à une voiture
publique, arrêter un incendie, réparer une digue. Dans ce dernier cas,
il faudrait môme quitter, le jour de Pâques, la seule Messe que l'on
puisse entendre. 3° Bien particulier ou général. Une récolte est menacée
par un violent orage qui s'apprête, le pasteur, si l'on a le temps de lui
en demander la permission, ne refusera pas d'autoriser un travail
urgent. 4° Dans le cas d'une grande indigence, un pasteur ne refuse-
rait pas de permettre une occupation qui se ferait sans scandale. 5° La
propreté du corps et de la maison, ainsi que l'apprêt des aliments ; car
la loi chrétienne n'est pas aussi rigoureuse en ce point que l'était la loi
judaïque. On peut aussi foire, le dimanche, les petits achats de comes-
tibles que l'on consomme journellement (Card. Yillecourt, loc. cit.).
1. Ne travailler qu'une heure sans scandale, péché véniel. Suarez,
Sporer et plures alii. Travailler plus de deux heures, par exemple, deux
heures et demie ou trois heures, péché mortel. Sporer, Filliucius,
Lacroix, Gobât. Ces auteurs et plusieurs autres ne voient pas un péché mor-
tel dans un travail qui ne durerait que deux heures, parce que, disent-
ils, deux heures ne sont point une partie notable du jour, et ne peuvent
nuire notablement au culte divin. Sanchez et plusieurs autres regardent
le travail de deux heures comme une matière suffisante pour un péché
mortel : que le travail ait été fait continuellement ou à différentes
reprises dans la journée, peu importe. Ce dernier sentiment est assez
reçu aujourd'hui, quoique le premier soit peut-être aussi probable
(Examen raisonné, loc. cit.).
DEVOIR DE SANCTIFIER lis DIMANCHES ET LE8 FETES. odi
Quelles sonl celles qu'il Paul faire? La première, la plus
essentielle, c'est d'assister à la sainte Messe, à moins d'impos
sibiiité ou d'empêchement grave (2). Bien qu'il soil plus
convenable d'assister à la Messe de paroisse, parce que cette
Messe esl dite spécialement pour les paroissiens, cependant
eela n'es! pas exigé, quand on peut assister à une autre
Messe. Ce qui est exigé, c'est d'assister à une Messe chantée
ou basse, et de l'entendre complètement, avec attention et
dévotion (1). Par conséquent, ceux-là ne satisfont pas
1. Pour dispenser d'une obligation notable, il faut une cause grave ;
si elle n'est que légère, elle n'excuse point le péché mortel, à moins
qu'il n'y ail bonne Toi. Les causes légitimes qui dispensent de l'obliga-
tion d'entendre la messe sont : i° l'impossibilité physique ou morale,
telle que l'état de maladie, d'infirmité, de convalescence même, quand
bn aurait à craindre une rechute; l'éloignement de l'église, surtout
quand le temps ne permet (pie difficilement de se mettre en chemin ;
enfin toutes les fois qu'on ne peut aller à la Messe sans un grave incon-
vénient spirituel ou temporel; 20 l'exécution d'un autre devoir plus
pressant, comme celui de secourir ou de garder un malade, quand
personne ne peut le faire. L'usage de certains pays peut encore four-
nir une excuse légitime, par exemple, la coutume de ne pas sortir pen-
dant quelque temps après les couches, ou après la mort d'un proche
parent ; mais en ces cas, quand on sort et qu'on se montre en public,
on doit aller à la messe {E.vamen raisonné, i. p. ch. 3, art. 2).
Exe isantur ab audiendo sacro, i° milites in statione, custodes neces-
sarii domus ; pecorum quœ sine gravi damno domi retincri non pos-
sunt, née alterius custodiae commitli. Si sint plures custodes et una
dicatur Missa, debent alternatim audire. lia Suarez, In quibusdam
locis, ruricohe, quamvis possent pecora aliorum cum suis custodire
alternatim, singuli tamen sua eustodiunt ex usu temporis immémo-
riale ; forsitan non sunt inquietandi, pncsertiin si non sit successus
ex admonitione. Theol. pract. a'.Nutrices matres quae non habent domi
eui relinquant parvulos sine periculo, et quae non possent cos adducerc
in ecclesiam sine notabili adstantium perturbationc : ila Suarez; imo,
juxta Henriquez, si domi fi 1 j as in periculo relinquerenl. 3° L.xor, si ex
accessu ad ecclesiam timeat gravcin indignationem viri iracundi vcl
zelotypi. Ma A.zor et alii. 4» Mulieres non habentes vestes juxta suum
st.it mil décentes; si valde mane Missam non possint audire, vel in
cccle>ia ubi populus non concurrit. Item dicendum de puclla inhoneslc
praegnante, et etiam de puella sciente se ab aliquo turpiter concupisci.
Liguori, Suarez et alii (Id. ibid.j.
■2. Se livrer à d<>-> distractions pleinement volontaires pendant une
partie considérable de la Messe, tel que, par exemple, le tiers delà Messe,
péché mortel, si la bonne foi n'excuse ; si les distractions ne durent que
pendant une légère partie, et qu'elles ne soient pas tellement répétées
qu'elles formenl une matière grave, péché véniel seulement. Les dis-
tractions qui ne sont nullement volontaires ne sent pas des péchés, et
352 LÉS GRANDS DEVOIRS DU SALÙT. Xlli. INSTRUCTION.
au précepte, qui n'entendent qu'une partie de la Messe.
D'après l'opinion la plus commune des théologiens, au
moins faut-il l'entendre depuis l'Évangile, inclusivement,
jusqu'à la fin ; ou bien, depuis le commencement, jusqu'à la
communion du prêtre, inclusivement. On ne laisse pas de
pécher si, par sa faute, et volontairement, on n'entend pas
les autres parties de la Messe ; mais ces parties étant moins
essentielles, le péché n'est que véniel (i). — Puisqu'il y a
no peuvent nuire au sacrifice, durassent-elles une grande partie de la
Messe (Examen raisonné, loc. cit.).
An requiratur intentio interna ad satisfaciendum Missa? prœcepto ?
Plures theologi, ut de Lugo, volunt sufficere attentionem externam, et
defectum voluntarium attentionis internœ liabent solum ut venialem.
Cum au te m Ecclesia praecepit actutn religiosum, sententia communior
et probabilior affirmât adhuc requiri attentionem internam virtualem.
Sed ex ipsa sufficit ut per Missam attendamus ad aliquid pium, sive ad
verba et actiones celebrantis, animo Deum colendi, sive ad mysteria vel
ad Dei attributa, ut ipsius amorem, etc.; sive ad quasdam veritates, ut
mortem, judicium, etc.; convenit tamenut attendatur ad principaliores
Missre partes, ut consecrationem et communionem. At Sporer, Liguori
et alii bene advertunt post factum neminem debere anxium esse ob
scrupulum hujus attentionis non praestitae, quia sufficit habuisse inten-
tioncm generalem Deum colendi. Dicunt Suarez, Liguori, Lacroix com-
mune esse quod satisfaciat qui inter Missam examinât suam conscien-
tiam, sicut qui legit librum spiritualem, nisi legeret animo memoriœ
mandandi, vel stylum discendi. — An autem opus sit orare vel procès
formare per Missam ? Suarez, Lessius, Lacroix, Liguori, Billuart et alii
recte negant, quia Ecclesia non videtur prœcipere nisi assistentiam
piam sacerdoti eclebranti. Sed in praxi consulendum est, maxime rudi-
bus et non multum piis, ne voluntarie distrahantur, ut preces saltem
mcntalitor recitent, imo, cum possunt, ut in libello dévote legant. Puto
autem modum convenientiorem audiendi Missam esse dévote actiones
sacrificantis sequi. — An sit peccatum mortale sesc distrahere volun-
tarie per consecrationem ? Quidam affirmant. Negat vero de Lugo,
etiamsi assistens distractus sit distractione exteriori. Sed si audiens sit
ila voluntarie distractus ut nullo modo ad Missam attendat, forte proba-
bilius est esse grave peccatum. — Lessius et alii recte excusant illos qui
magnam sacri partem insumunt in colligendis eleemosynis, si, simul
attendant ad Missam ; item de musicis et organœdis, etc., si, dum ca-
nunt vel puisant instrumenta, simul ad Missam attendant. — Si eva-
gatio etiam involuntaria esset talis ut roddoret hominem veluti abrep-
tum et nullo modo attendentem ad sacrificium, impediret auditionem
Missae (Id. ibid.).
i. N'ayant pu assister à toute la Messe, si l'on peut y arriver avant la
consécration, on est obligé sous peine de péché mortel, d'y assister,
quoiqu'on n'ait pu entendre ce qui précède. Mais si on ne peut arriver à
la Messe qu'après la consécration, deux sentiments partagent les théo-
logiens. Saint Liguori et plusieurs autres soutiennent qu'on est obligé
DEVOIR DE SANCTIFIEH LES DIMANCHES ET LES FETES. 000
obligation d'entendre la Messe avec attention et dévotion,
ceux là non pi us ne satisfont pas au précepte, qui sont
présents seulement de corps, mais qui ne donnent aucune
attention au divin sacrifice : c'est ce qui arrive à ceux qui
dorment, ou qui passent le temps, soit à causer avec leurs
voisins, soit à regarder les allants et les venants, ou bien les
voûtes, le> piliers et les décorations de l'église. — En
résumé, pour entendre la sainte Messe de manière à ne pas
blesser le précepte, il faut l'entendre tout entière, en suivre
pieusement les différentes parties, et éviter autant qu'on le
peut les distractions.
En outre de l'assistance à la sainte Messe, telle que nous
venons de l'expliquer, l'Eglise ne recommande rigoureu-
sement aucune autre pratique pour la sanctification du
dimanche. Cependant les souverains pontifes et les conciles
n'ont cessé d'exhorter les fidèles à vaquer à d'autres bonnes
œuvres, en particulier à assister aux vêpres et autres exer-
cices pieux qui se font dans les églises paroissiales, ainsi
qu'aux instructions qui s'y donnent. Mais ils n'en ont jamais
fait une obligation sous peine de péché. grave. Remarquons
bien ceci : sous peine de péché grave ; d'où il résulte qu'il est
bien difficile, nous disent les théologiens, d'excuser de faute
vénielle ceux qui se bornent à la seule audition de la Messe (i).
d'entendre la partie de la Messe qui suit la consécration. De Lugo, Spo-
rer et Henriquez pensent le contraire avec assez de probabilité : car le
précepte est d'entendre le sacrifice de la Messe ; mais après la consécra-
tion, il n'y a plus de sacrifice : alors l'essence de la Messe manque; par
conséquent l'obligation de l'entendre doit cesser. — S. Liguori dicit
sententiam contrariam esse tenendam in praxi, quia audiri potest pars
notabilis ca-remoniae ab Ecclcsia prnecepta\ Sed adestne pneceptum
audiendi c;crcmonias a consecratione sive ab essentia Missa> separalas,
en quod non salis probat. — Si l'on entend deux moitiés do Messe
simultanément (la première moitié dite par un prêtre, tandis que L'autre
moitié est dite par un autre prêtre), il est certain qu'on ne satisfait pas
;i I obligation d'entendre la Messe. Mais si l'on assiste à deux demi-
messes en deux lemps différents, et que ce soit dans l'espace d'une
heure, plusieurs théologiens, tels que Sporer, saint Liguori et autres,
croient comme probable qu'on satisfait au précepte, pourvu qu'on
assiste à la consécration et a la communion faites par le même prêtre ;
mais ils conviennent presque tous que, si l'on agissait ainsi sans raison
légitime, on ne serait pas exempt de faute vénielle (Exam. raison, loc. cit.).
i. Recte concludendum esta mortali excusari illum qui diebus sacris
tantum Missam audit et ab operibus servilibus vacat, et non posse abso-
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 2)
35 4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XIII. INSTRUCTION.
C'est pourquoi les vrais chrétiens, qui comprennent quel
grand malheur c'est de commettre même un péché véniel,
ne manquent jamais, à moins d'empêchement sérieux qui
les dispense, d'assister à tous les offices et à toutes les ins-
tructions de l'Église. Ils y puisent des lumières et des
encouragements qui leur servent à mener une vie toujours
plus parfaite et plus chrétienne, et à assurer toujours davan-
tage leur salut (2).
CONCLUSION. — Et maintenant, chrétiens, nous
savons, sur le devoir de la sanctification du dimanche,
devoir important entre tous, tout ce qu'il est à propos que
nous en sachions, soit pour nous convaincre de la nécessité
lutioncm denegari fidelibus sufïicienter eruditis circa religionem, qui
diebus sanctis nihil aliud operantur pneter Missœ auditionem et ab ope-
ribus scrvilibus vacationem. Dixi su fficienUr eraclitis, quia, ut ait Sua-
rez, fudiores, ignorantes quœ sub gravi obligatione scire tenentur, lege
caritatis obligantur, sub gravi, concioni vel calechesi interesse, si alias
commode ea addiscere non possint (Eocam. raisonné, 1. p. cb. 3. art. 2).
2. Il ne suffit pas, pour accomplir pleinement son devoir de sanctifier
les dimanches et fêles obligatoires, de se borner à l'assistance d'une
simple Messe ; il faut encore sanctifier moralement le reste de la jour-
née, en se rendant, quand on le peut, aux autres o'ficcs de l'Eglise. Ils
ne se célèbrent publiquement qu'à cause des fidèles. Ce n'est pas une
raison d'y manquer, de ce qu'ils n'obligent pas d'une manière aussi
grave et aussi sérieuse que le précepte d'entendre la sainte Messe. Puis-
que l'on doit sanctifier une partie notable du dimanche, pourquoi ne le
ferait-on pas de la manière que l'Église l'a déterminé? S'il ya des obstacles
qui s'opposent à l'accomplissement de cet acte de piété, ne pourrait-on
pas faire en particulier ce que l'on n'a pu acquitter dans l'assemblée
des fidèles ? C'est un excellent moyen de sanctifier le dimanche que de
se livrer à de pieuses lectures, de visiter les pauvres, les malades, les pri-
sonniers, de s'instruire soi-même, en se faisant répéter, par des per-
sonnes de bonne volonté, les principaux mystères et les principaux
devoirs de la religion, ou de les apprendre quand on en est capable,
aux personnes qui les ignorent... Ce serait encore un bon moyen
de sanctifier le dimanche, que de se réunir à des personnes pieuses de
son sexe, de son état et de sa condition, pour chanter des cantiques, rap-
peler les avis qu'on a reçus dans les instructions, et se porter mutuelle-
ment à la vertu. C'est le jour surtout de méditer les œuvres de Dieu et
ses bienfaits ; de s'approcher du tribunal de la Pénitence, quand on n'a
pu le faire dans la semaine ; de penser à la mort, à l'enfer, au purga-
toire, au paradis, à la passion du Sauveur, aux moyens à prendre pour
éviter le péché... Après cela, il n'est pas défendu de prendre en ces saints
j;ours quelques instants de repos et d'honnête récréation. Etc. (Card.
\ M.LECOUKT, loC. cit.).
DEVOIR DK swctikikk LÉS DiMÀNctfES i; r LES i iVn;s. 355
de nous eh acquitter, soil pour le bien accomplir. Nous
savons en effel que ce devoir, c'esl Dieu lui-même qui L'a
imposé aux hommes, au lendemain même (le la Création
de notre premier père, en sorte que ce fui la première loi
qu'il eut à observer. Nous savons que ee devoir nous a été
imposé pour que nous puissions rendre à Dieu les homma-
ges d'adoration cl de reconnaissance que nous lui devons,
accordera noire corps le repos dont il a besoin, et laisser à
notre âme le loisir de s'occuper de ses intérêts éternels. Nous
savons encore que les prétextes qu'on allègue pour se sous-
traire à ce devoir sont absolument sans valeur. Enfin nous
savons que, pour s'en bien acquitter, il faut, d'un côté,
s'abstenir des œuvres scrviles, et de l'autre, assister aux
offices de L'Église. Chrétiens, toutes les fois qu'on n'est pas
bien instruit d'un devoir, soit parce qu'on ne l'a jamais
suffisamment connu, soit parce qu'on l'a plus ou moins ou-
blié, on peut être excusable, dans une certaine mesure, de
ne pas l'accomplir. Mais lorsqu'on le connaît parfaitement,
il n'y a plus d'excuse possible. Le contempteur volontaire
de son devoir cesse d'être un honnête homme; il ne peut
plus ni être estimé de ses semblables, ni s'estimer lui-même.
Ce serait le cas de quiconque d'entre nous, désormais, ne
sanctifierait pas les saints jours de dimanches. Sachons donc
tous garder notre honneur, en nous conduisant selon notre
conscience, surtout puisqu'en même temps nous assurons
ainsi tout à la fois, de la manière la plus efficace possible,
notre bonheur en ce monde et notre félicité dans l'autre.
TRAITS HISTORIQUES.
Devoir sacré de la sanctification du Dimanche.
i. — L'exemple de saint Saturnin et de ses compagnons de
martyre, nous présente un solennel témoignage de l'héroïque
fidélité avec laquelle les premiers chrétiens s'acquittaient de ce
devoir. Avant été arrêtés, au nombre de quarante-neuf, pour avoir
assisté avec rassemblée des chrétiens à la célébration des saints
mystères, il- son! mi- à La question la plus douloureuse. El quand
le juge leur demande pourquoi, malgré la défense de l'empereur,
356 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XHl. INSTRUCTION.
ils osent tenir des assemblées, avec une noble fermeté, ils répon-
dent : u C'est que le dimanche est parmi nous d'une obligation
indispensable. Manquer à le célébrer serait pour nous un crime.
Nous remplissons ce devoir le mieux qu'A nous est possible.
Jamais nous ne manquons à l'assemblée. Enfin, nous gardons
les commandements de Dieu, notre, fidélité dut-elle nous coûter
la vie. »
2. — La reine Marie Leczinska, épouse de Louis XV, illustre par
ses vertus, avait pour la loi du jour du Seigneur le respect le plus
absolu. Un dimanche qu'elle se trouvait à Fontainebleau, elle
apprit que des ouvriers travaillaient à un édifice public, quoiqu'ils
en eussent reçu la défense expresse du roi, signifiée par un gen-
tilhomme de la chambre. La reine fit appeler sur-le-champ l'en-
trepreneur des travaux et lui demanda pourquoi il osait désobéir
ainsi à Dieu et au roi ? L'entrepreneur allégua pour excuse que,
depuis la défense du roi, ses ouvriers avaient travaillé plus secrè-
tement. « D'ailleurs, Madame, ajouta-t-il, comme il s'agit d'un
travail public qui doit être terminé à jour fixé, si je n'emploie pas
les dimanches, à défaut de livrer mon ouvrage au temps convenu,
je perdrai telle somme. — Tenez, lui dit la reine, la voici, cette
somme. Allez donc fermer votre atelier, et gardez-vous, à l'avenir,
de contracter des engagements que vous ne puissiez remplir qu'en
enfreignant ainsi la loi de Dieu et les ordres du roi. »
3. — Un manufacturier, très bon chrétien, employait dans son
établissement un grand nombre d'ouvriers,, dont il ne pouvait
interrompre les travaux, même un seul jour, sans perdre une
somme de trois mille francs. Il s'adressa donc à l'évêque de
Beauvais, alors Mgr Gignoux, pour savoir s'il pouvait regarder
cette perte comme un motif suffisant pour faire travailler le
dimanche, en obligeant toutefois ses ouvriers à entendre la Messe.
L'évêque, craignant pour le pays les conséquences d'un tel' exemple,
l'engagea à en écrire au Pape, qui jugea la raison suffisante pour
vaquer aux travaux ordinaires le dimanche, après avoir entendu
la Messe. La réponse du Saint-Père fut communiquée à l'évêque,
qui parla à peu près en ces termes à la personne intéressée :
« Pour ce qui vous concerne personnellement, vous pouvez vous
croire dispensé de la loi qui interdit les travaux serviles les jours
de dimanches et de fêtes. Mais votre exemple influera nécessaire-
ment sur l'esprit et la conduite du public, qui en prendra occasion
de se croire autorisé à vous imiter dans tous les cas sans distinc-
tion. En vain direz-vous que vous en avez reçu la permission à
raison de votre position exceptionnelle ; le public, qui ne raisonne
DEVOIR DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FETES. 357
pas. ae verra là qu'une Paveur accordée à un riche, et vosouvriers
eux-mêmes on contracteront la funeste habitude de profaner sans
scrupule les saints- jours de dimanches el <lo fêtes, comme il est
arrivé à taîij d'autres pour la même cause. Voyez donc si vous
pouvez prendre sur vous cette responsabilité, et si, à l'article de la
mort, \ous n'aurez pas à vous reprocher d'avoir donné lieu à bien
drs infractions à la loi de Dieu et de l'Église, sur le point dont il
s'agit. » Le manufacturier, frappé de ces réflexions de son évêque,
répondit sans hésiter : « Eh bien, Monseigneur, on ne travaillera
pas chez moi les dimanches et les fêtes. Je perdrai trois mille
francs chacun de ces jours-là ; mais j'aime mieux faire ce sacrifice
que de charger une conscience d'une responsabilité que je ne puis
m'empécher de regarder comme grave et inévitable. »
'i. — M. deCheverus, qui fut plus tard évêque de Montauban ,
puis archevêque de Bordeaux et cardinal, se livrait aux travaux
apostoliques en Amérique pendant l'émigration. Il se rendit un
jour dans des contrées dont les habitants sauvages erraient dans
les bois et n'avaient d'au Ire occupation que la chasse et la pêche.
Après avoir marché longtemps dans une sombre forêt, en com-
pagnie d'un. guide, il entendit dans le lointain des voix nombreuses
qui chantaient avec beaucoup d'ensemble : c'était un dimanche
matin. Bientôt il putdistinguer, àson grand étonnement, un chant
qu'il connaissait, celui d'une Messe qu'on exécutait dans les églises
de France aux grandes solennités. Le pieux missionnaire fut
agréablement surpris de trouver un peuple qui depuis cinquante
ans continuait, sans prêtre, de célébrer le jour du Seigneur.
Le repos dominical nécessaire à la santé du corps.
Le célèhre William Farr, aussi grand médecin qu'habile statis-
ticien, a rendu, en i832, une déclaration remarquable. Le gou-
vernement anglais, désirant s'éclairer sur la nécessité du repos du
dimanche, si scrupuleusement observé en Angleterre, ordonna
une enquête à ce sujet. Et voici ce que le savant docteur Farr
déclara, dans le rapport présenté au parlement : « Je ne parle ici
que comme médecin : l'homme a besoin que son corps ait du
repos un jour sur sept ; le travail continu de l'esprit ou du corps
altère nos organes, et détruit l'équilibre de notre constitution. Les
populations qui n'observent pas le dimanche dépérissent ; les
hommes y succombent sous le poids d'infirmités venues avant le
temps. \u contraire, dans les pays religieux, qui respectent le jour
du Seigneur, on voit les pères de famille, le front haut et couronné
0.)ô LES C.K \M)S DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
de cheveux blancs, conduire au .'travail leurs enfants et petits
enfants. »
Avantages multiples de la sanctification du Dimanche.
Au commencement de ce siècle, vivait à Lyon un cordonnier
nommé Berthier, qui avait coutume de travailler dans son échoppe
au moins pendant la matinée du dimanche. Un marchand, qui
demeurait vis-à-vis de lui, bon chrétien, qui avait à cœur la sanc-
tification du dimanche, souffrait avec peine cette infraction à la
loi de ce saint jour, et ne put s'empêcher de lui faire un jour à ce
sujet d'amicales représentations. Mais le cordonnier lui répondit
qu'il fallait nécessairement qu'il travaillât ce jour-là. « Vous.
Monsieur mon voisin, qui êtes un homme riche, vous pouvez
vous reposer le dimanche sans crainte d'en ressentir aucun dom-
mage ; mais moi qui suis chargé du soin d'une nombreuse famille,
j'éprouverais une perte considérable en ne travaillant pas. Au sur-
plus, le nombre de mes commandes est si considérable, que je n'ai
jamais fini mon travail le samedi. » — A toutes ces excuses, le
marchand secoua la tête et lui dit d'un ton affectueux: « Mon
dessein n'est pas que ni vous ni votre famille éprouviez quelque
dommage ; je vous déclare que je suis disposé à compenser tout
celui que vous aurez essuyé, si, pendant une demi-année, vous ne
travaillez pas le dimanche, et que vous assistiez à l'office divin.
Acceptez-vous la proposition ? — Très volontiers, répondit le cor-
donnier ; il m'est bien plus facile d'aller me reposer à l'église que
de travailler, surtout quand vous aurez encore la bonté de me
tenir compte du dommage que j'aurai éprouvé.' » Les deux voi-
sins se donnèrent affectueusement la main, et le marché fut conclu.
Lorsque les six mois furent écoulés, le marchand alla trouver le
cordonnier, et lui dit : « Bravo ! mon cher voisin ; vous avez tenu
fidèlement votre parole, je tiendrai aussi la mienne. Dites-moi
quelle perte vous avez éprouvée, je suis disposé à la compenser jus-
qu'à la dernière obole. — Oh ! répondit le cordonnier, je dois vous
déclarer, mon cher monsieur, que je n'en ai éprouvé absolument
aucune. Que dis-je ? Je n'ai que des remerciements à vous faire.
Voyez-vous, monsieur, votre conseil, au lieu de me nuire, m'a
porté bonheur, et depuis lors, tout, dans ma maison, marche sur
un meilleur pied. Les commencements, sans doute, ont été péni-
bles ; j'avais toujours quelque travail qui me restait; mais la pen-
sée que vous nie rembourseriez mes pertes et ma parole donnée
m'ont retenu, et j'ai été fidèle à sanctifier le dimanche. J'ai assisté
assidûmen à l'office, et, en entendant Iç sermon, ce que je n'avais
DEVOIH DE SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FETES. .))<)
plus l'ail depuis plusieurs années, j'ai appris une foule de choses
que j'avais oubliées. Je suis devenu patient, je me suis habitués
réprimer les saillies trop brusques de mon caractère, et, surtout,
j'ai repris le goût de la prière. C'est vraiment incroyable le jour
qui s'esl l'ail dans ma tête qui, pendant si longtemps, n'avait plus
été remplie que de pensées terrestres ! J'ai commencé à respirer
plus librement : car, jusque-là, mon esprit avait été tout entier aux
soins el aux inquiétudes temporels. J'ai éprouvé bientôt une douée,
satisfaction dans toul tnon être, surtout après avoir, par la confes-
sion, purgé mon intérieur des taches et des souillures d'un grand
nombre d'années, et avoir fortifié mon âme débile par le pain des
anges, en allant m'asseoir à la table du Seigneur. — D'autre part,
le travail du lundi se faisait plus facilement, je me suis trouvé lout
renouvelé, cl j'ai travaillé avec ardeur le reste de la semaine. Pré-
cédemment, comme je connaissais à peine ce que c'était que la
patience, la moindre chose me mettait en colère, et, dans ma
fureur, tantôt je déchirais un morceau de cuir, tantôt je brisais un
instrument. Deux fois ma colère m'occasionna la fièvre bilieuse ;
ce qui me causa de grandes dépenses, outre que je ne gagnais abso-
lument rien. Mais, depuis lors, je suis devenu beaucoup plus
calme ; il me semble que le nuage qui obscurcissait mes yeux s'est
évanoui, que mou corps s'est fortifié, et que mes bras ont acquis
une vigueur toute nouvelle. Ordinairement, à trois heures du
samedi, tout mon travail est achevé, et cependant les commandes
vont en augmentant. Autrefois, on ne m'appelait que le cordon-
nier emporté ou le grognard sempiternel, et plus d'une servante,
craignant les fureurs de mon caractère, portait ailleurs le travail
de son maître, bien que je fusse plus rapproché. Aujourd'hui, j'ai
perdu ce sobriquet, et partoutje ne vois plus que des figures rian-
tes, parce que je me montre à tous sous cet aspect. — Mais, mon
cher voisin, ne vous formalise/ pas si je vous demande où en sont
vos affaires ? Jadis, il n'était question chez vous que de disputes
et de querelles'.1 — Ah ! oui, reprit le cordonnier, la rougeur sur
le front ; mais il en est tout autrement aujourd'hui. Je croyais alors
volontiers que ma femme avait toujours tort, et que moi j'avais
toujours raison ; ma colère et mon obslination ont été la cause de
scènes nombreuses et terribles dont je rougis encore en y pensant.
Maintenant, nous vivons avec plus de concorde ; la charité et la,
paix régnent au milieu de nous ; nos enfants, n'ayant plus tant de
mauvais exemples sou- les yeux, -<>ni aussi devenus meilleurs. »
Profondément ému en entendant ces paroles, le marchand tira
sa bourse, et offrit deux louis au cordonnier, en lui disant ;
3ÔO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
« Acceptez ceci comme un souvenir de mon affection. Comme je
n'ai pas pu prévcir, qu'en suivant mon conseil, vous n'éprouve-
riez aucun dommage, depuis le jour de notre accord, j'ai mis tous
les mois quelque argent de côté, afin de pouvoir remplir ma pro-
messe ; acceptez ce souvenir comme une marque de la satisfaction
que j'ai de voir mon conseil réalisé. Vous avez expérimenté par
vous-même que, quand nous faisons notre possible, Dieu, de son
côté, ne manque jamais de venir à notre aide. »
Le Dimanche en Amérique
Rien de plus beau, écrit Henri de Gourcy, que la manière dont
on célèbre le dimanche en Amérique. Dans les villes des États-
Unis, les seulsmagasins ouverts sont les pharmacies. Les échafau-
dages, les marchés sont déserts, le roulement des voitures, les cris
des marchands ambulants, le choc des marteaux, tout a cessé, et
les bruits de la terre sont tellement éteints, que les sons de l'orgue
et les chants religieux traversent les murs et répandent le recueil-
lement jusque sur les places publiques. Il y a quelques années,
pour ne pas troubler les offices, des chaînes étaient tendues dans
les rues, afin d'arrêter la circulation des voitures. Ces entraves ont
disparu, parce qu'elles devenaient inutiles, mais non parce qu'elles
gênaient la liberté individuelle. Les omnibus ne marchent pas le
dimanche, le service sur beaucoup de chemins de fer est suspendu,
les bateaux à vapeur restent à quai ; les théâtres, les billards, les
concerts, les salles de jeux, sont fermés : l'église seule est ouverte,
et vers dix heures du matin, les cloches s'ébranlent du haut de
cent clochers pour appeler les habitants à la prière. A cet appel,
les rues se remplissent d'une foule soigneusement vêtue ; alors il
est triste, sans doute, de constater la diversité des croyances, et de
ne pas voir tous ces chrétiens s'agenouiller au pied des mêmes
autels ; mais, au moins, chacun professe une religion, ce qui est
plus respectable que de n'en professer aucune. De dix heures à
midi, les rues sont littéralement désertes, et celui qui serait vu se
promenant à cette heure, parles personnes qui gardent les maisons,
serait jugé très défavorablement, Les enfants eux-mêmes s'abstien-
nent un pareil jour de se livrer à des amusements bruyants, et
gardent dans leurs jeux un calme et une gravité remarquables. —
Non seulement dans les établissements publics, mais encore dans
les maisons particulières, si un bal est donné le samedi, la danse
s'arrête avant minuit, et la société s'empresse de se retirer, sans
songer à murmurer des bornes qu'elle sait mettre à ses propres
distractions.
Los catholiques d'Amérique ne sont pas moins fidèles que leurs
frères séparés à cette loi du repos. Dans nos églises, les hommes
sont en aussi grand nombre (pie les femmes. La fréquentation des
sacrements est un sujet de pieuse édification, et, aux Messes du
malin, le dimanche, la presque totalité de l'assistance s'approche
de la Table sainte. — Il est en Amérique des professions pratiquées
exclusivement par cette classe intéressante, celle des cochers, entre
autres, et je me suis amusé bien souvent de l'air de bonheur qui
vient s'épanouir sur leur grossier visage, quand, prenant un fiacre,
je disais de me conduire à telle église ou à tel couvent. La vue
d'un gentleman catholique comblait d'aise mon automédon, qui
fouettait alors ses chevaux avec enthousiasme ; puis, à la porte de
l'église, il descendait de son siège pour venir lui-même assister à
l'office divin. — 11 y a quinze jours, un après-midi de dimanche, je
faisais quelques visites ; il neigeait avec abondance, et le cocher
témoignait une mauvaise humeur que j'attribuais au froid ; enfin,
lassé de sa brusquerie, je lui en demandai la cause: « Ne voyez-
vous pas, me dit-il, qu'il neige trop fort pour que je lise* mes
Vêpres sur mon siège en vous attendant ') »
En Amérique, les voyages sont également suspendus le diman-
che, et le négoce n'en souffre nullement. On en est quitte pour
prendre ses mesures en conséquence. On se met en route le lundi
pour ses affaires, et, grâce à la rapidité des chemins de fer, il est
bien rare qu'on ne puisse être de retour dans sa famille le samedi.
Maintenant, dirai-je que le dimanche est religieusement observé
par l'universalité des citoyens ? Non, sans doute. Il y a en Améri-
que, comme partout, des vicieux, des indifférents et des impies ;
il y a surtout beaucoup de paresseux que la moindre pluie dis-
pense de se rendre au temple. Il y a des églises où le ministre
donne l'exemple, et à la porte desquelles on lit en été une affiche
avec ces mots : « Fermé pour deux mois, à cause des grandes
chaleurs. » Mais, si la prière est trop souvent négligée, le repos
est toujours observé, et ce repos a par lui-même quelque chose de
religieux. 11 dispose à la prière et au recueillement ; il donne à
l'homme le temps de remplir ses devoirs ; il resserre les liens de
famille ; il procure aux parents la jouissance de se voir pendant
vingt-quatre heures entourés de leurs enfants et de s'initier à leurs
progrès. Puissent donc les autres pays imiter en ce point l'Améri-
que (Henri de Courcy, cité par Poussin, Catéch. tout en hist. 3,
comm. de Dieu).
Profanateurs du Dimanche.
i. — Saint Grégoire de Tours raconte qu'un paysan, voulant un
36*2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XIII. INSTRUCTION;
dimanche aller labourer, prit en main une cognée pour raccom-
moder sa, charrue ; mais voici que ses doigts se serrent autour de
cet instrument sans qu'il puisse, par aucun eflbrt, les en détacher.
Et pendant deux années entières, il la porta suspendue à la main.
Au bout de ce temps, il alla, sur le conseil de personnes éclairées
et pieuses, visiter l'église de saint Julien de Brioude, martyr. Là,
après avoir passé en prières, avec les fidèles, la nuit du samedi
au dimanche, suivant la coutume de ce temps-là, il se trouva tout
à coup guéri. Ces deux miracles, avec leurs circonstances, firent
dans toute l'Auvergne une immense impression (De g Ion. Martyr.
lib. 2, c. 2).
2. — D'après le témoignage du même saint, des hommes tra-
vaillant à la construction d'une maison près de Limoges, s'obsti-
naient à profaner le jour du Seigneur malgré les charitables avis
que leur donnaientles passants. Dieu les punit: un orage s'éleva,
et le tonnerie devint si menaçant que les travailleurs n'osèrent
rester sur leurs échafaudages. Ils cherchèrent des abris de diffé-
rents'côtés ; mais la main de Dieu les poursuivit: la foudre éclata,
et tous furent atteints et frappés de mort dans leur retraite.
3. — Saint Anschaire, archevêque de Hambourg, ayant un jour
dit dans son sermon qu'on ne devait pas profaner le dimanche
par des œuvres serviles, quelques hommes entêtés retournèrent
chez eux, et bien qu'il fit un temps superbe, ils allèrent mettre le
foin en tas. Mais le soir tout ce foin prit feu et fut consumé, tandis
que celui qu'on avait entassé pendant la semaine échappa seul à
l'élément destructeur.
Paroles du curé d'Ars sur le travail du dimanche.
Si on demandait à ceux qui travaillent le dimanche : « Que
venez-vous de faire ? » ils pourraient répondre : « Je viens de ven-
dre mon âme au démon, de crucifier Aotre-Seigneur et de renon-
cer à mon Baptême. » Quand j'en vois qui charrient le dimanche,
je pense qu'ils charrient leur âme en enfer.
11 y avait une fois une femme qui était venue trouver son curé
pour lui demander de ramasser les foins le dimanche, « Mais, lui
dit M. le Curé, ce n'est pas nécessaire ; votre foin ne risque rien. »
Cette femme insista, disant : « Vous voulez donc que je laisse périr
ma récolle? » Or ce fut elle qui mourut le soir même... elle était
plus en danger que sa récolte.
« Que vous revient-il d'avoir travaillé le dimanche? Nous laissez
bien la terre telle qu'elle est quand vous vous en allez ; vous n'em-
portez rien. »
DEVOIR Dl SANCTIFIER LES DIMANCHES ET LES FÊTES. 363
o Le dimanche, c'esl le bien du bon Dieu; c'est son jour à lui, le
jour du Seigneur. De quel droit touchez-vous à cequinevous
appartient pas ? Nous savez que le bien volé ne profite jamais. »
Se défier de ceux qui n'observent pas le dimanche.
11 \ a quelques années, un officier allemand, se trouvante
Taris, entra, un jour de Dimanche, chez un marchand bijoutier,
dans l'intention d\ laite quelques emplettes. Le marchand le
salua avec beaucoup de politesse et lui dit : « Soyez le bienvenu !
Monsieur désire sans doute visiter mon magasin ; je suis prêta
vous satisfaire. — 01» ! non, répondit l'officier ; je me proposais
de vous faire certains achats. — Dans ce cas, Monsieur, je ne puis
vous contenter. C'est aujourd'hui Dimanche ; et dans notre maison,
nous avons, de père en fils, la coutume de respecter le jour du
Seigneur. Ainsi je ne puis rien vous vendre. — Mais je dois partir
demain. — 'Cette raison, j'en suis bien fâché, n'est pas suffisante
pour nous. — Mais encore : j'ai à vous acheter pour 3o.ooo francs
de bijoux. — La somme serait plus forte, que nous ne nous laisse-
rions pas tenter. »
L'officier allemand fut donc obligé de se retirer, et alla chez un
autre marchand bijoutier. Celui-ci se montra de la plus grande
facilité à ne pas respecter le troisième commandement de Dieu.
Ses bons dimanches à lui étaient ceux où il vendait le plus. Mais
sa facilité à ne pas respecter Dieu fit réfléchir l'Allemand. Il sedit :
« Le marchand que j'ai vu si bien observer le troisième comman-
dement de Dieu, n'aura pas moins de respect pour le septième qui
nous défend de voler notre prochain. Attendons à demain lundi. »
Il se débarrassa le mieux qu'il putdu bijoutier libre-penseur, et par
là même libre-vendeur, et retourna le lundi chez le bijoutier chré-
tien, qui le servit parfaitement à des prix très convenables.
Entendre pieusement la Messe.
i. — « Le 2/1 juillet iSVi, écrivait le saint évêque de Scutari, je
pris possession de mon Église, et le 10 août, j'officiai pontificale-
ment, pour la première fois, dans le champ découvert qui sert de
temple aux fidèles de Scutari. Ce fut un spectacle bien touchant
que cette multitude de catholiques, accourus de tous les villages
voisins, et demeurant pieux et recueillis, pendant l'espace de trois
heures que dura la célébration des saints mystères, malgré une
pluie battante qui ne cessa de tomber. J'en étais ému jusqu'aux
larmes; les nombreux étrangers, spécialement les autrichiens, qui
assistaient à la cérémonie, partageaient mon attendrissement, lt
364 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIII. INSTRUCTION.
n'est pas jusqu'aux Musulmans, attirés par la curiosité vers cette
scène imposante, qui n'exprimassent une surprise mêlée d'admi-
ration. Il faudrait en effet l'avoir vu comme moi de ses propres
yeux, pour croire avec quelle dévotion hommes et femmes assis-
tent à nos saintes cérémonies, exposés qu'ils sont à toutes les
injures de l'air, bravant tour à tour et le froid d'un hiver rigou-
reux, et les chaleurs excessives de l'été. Combien de fois n'ai-je
pas comparé leur ferveur à la délicatesse de ces tièdes chrétiens
d'Europe, qui se plaignent de la moindre incommodité, sous les
voûtes de leurs superbes basiliques, et qui trouvent, dans chaque
variation de la température, un prétexte pour se dispenser de
l'office divin. » (Annales de la Propagation de la Foi).
2. — «Le dimanche, de six heures du matin à une heure après
midi, les prêtres disent des Messes à tous les autels des seize égli-
ses de Dublin. Les églises ne sont pas assez vastes pour contenir
la foule des fidèles, qui déborde jusque sur les escaliers qui con-
duisent aux tribunes, à l'orgue et au clocher. Les portes, ouvertes
à deux battants, laisse nt apercevoir le sanctuaire aux masses du
peuple, qui obstruent les parvis, malgré le vent, malgré le froid et
la pluie. J'ai vu des ceutaines de pauvres gens prosternés jusque
dans le milieu de la rue, la face contre terre, priant dans le plus
profond recueillement, ou prêtant une oreille attentive au chant
du prêtre, qu'on entendait résonner faiblement dans le lointain. »
(Le Constitutionnel, i3 déc. i845).
QUATORZIEME INSTRUCTION
(Vendredi de la Quatrième Semaine)
C'est un devoir pour tout chrétien de se
confesser au moins une fois chaque
année.
1. Bases de ce devoir. — 11. Motifs de ce devoir. — III. Conditions pour
s'en acquitter.
Dans nos précédents entretiens depuis le commencement
du Carême, nous avons étudié, vous pouvez aisément vous
en souvenir, tout ce qui regarde nos plus essentiels devoirs
envers Dieu, envers notre prochain et envers nous-mêmes.
En sorte que, si nous accomplissions parfaitement ces trois
classes de devoirs, nous pourrions à la rigueur nous arrêter
où nous en sommes. Malheureusement, il n'en est pas ainsi.
Car, même lorsque nous connaissons très bien nos devoirs
envers Dieu, envers notre prochain et envers nous-mêmes,
loin de les accomplir avec la fidélité qui conviendrait, nous
les violons encore, hélas ! avec une facilité vraiment déplo-
rable et affligeante, nous rendant ainsi coupables de péchés
aussi graves que nombreux. Le juste lai-même, nous assure
le Saint-Esprit, tombe jusqu'à sept/ois le jour (1). Or, préci-
sément de là naissent, pour nous, de nouveaux devoirs aussi
indispensables au salut que ceux dont nous nous sommes
déjà occupés, et dont le premier est la confession de ces
fautes que nous commettons lorsque nous violons les obli-
gations qui nous incombent.
La confession ! que d'idées fausses un grand nombre de
chrétiens ne se font-ils pas sur ce point ! Pour les uns, c'est
une invention des prêtres, et par conséquent une pure super-
cherie, dont il n'y a qu'à se moquer. D'autres reconnaissent
i. Prov, xxiv, iG.
366 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
bien à cette institution un caractère divin, mais ils la consi-
dèrent comme une pratique de conseil, bonne sans doute
pour les personnes qui font profession ouverte de dévotion,
mais nullement obligatoire pour la masse des chrétiens, qui
n'en ont pas besoin pour mener une vie suffisamment hon-
nête. D'autres encore, voulant justifier leur éloignement de
la confession, se la représentent comme un fardeau non
seulement inutile, mais encore écrasant et intolérable. Enfin
il en est qui, sans se donner la peine d'y réfléchir sérieuse-
ment, croient s'acquitter du devoir de la confession, en se
confessant d'une manière telle quelle et vaille que vaille. Or,
ce sont là, nous le répétons, autant d'idées radicalement
fausses et de préjugés enfantés par l'ignorance et les passions.
La vérité, c'est que la confession des péchés, au moins une
fois chaque année, est rigoureusement obligatoire pour tous
les fidèles. La vérité, c'est que la confession, loin d'être
inutile et pesante, est aussi douce qu'indispensable. La vérité
enfin, c'est qu'on ne satisfait au devoir de la confession que
par une confession bien faite. Telles sont les trois proposi-
tions que nous allons démontrer, en exposant : première-
ment, les bases du devoir de la confession au moins annuelle ;
deuxièmement, les motifs de ce devoir ; et troisièmement
enfin, les conditions à remplir pour s'en acquitter. — 0
Dieu ! qui avez institué la confession pour nous être comme
une planche de salut après le Baptême, lorsque nous avons
eu le malheur de tomber dans les flots et les abîmes du
péché, daignez nous faire bien comprendre la nécessité où
nous sommes d'y recourir, et la manière de le faire fruc-
tueusement.
I. — Bases du devoir qui incombe à tout chrétien de
se confesser au moins une fois chaque année. — Le
devoir de la confession annuelle repose sur deux bases, c'est-
à-dire qu'il résulte de deux commandements qui nous ont
été faits à cet égard, le premier par Notre Seigneur Jésus-
Christ, le second par l'Église, que le Sauveur a établie pour
gouverner après lui ses disciples et leur appliquer les fruits
de sa rédemption.
Oui, que ceux qui, par ignorance, ont pu penser que le
bEVOltt bE SE CONFESSER M MOINS l NM lois l'àN. 3()~
précepte de la confession n'est pas un précepte divin, que
ceux là. (lisons-nous, se détrompent, car c'est bien vraiment
Notre-Seigneur qui a institué la confession , et nous a fait
un devoir d'y recourir. Peu de jours avant de remonter au
ciel, s'étanl présenté à ses apôtres rassemblés dans le céna-
cle, il leur ilil en effet, après avoir soufflé sur eux : Recevez
le Saint Esprit. Ceux à </ui vous aurez remis leurs péchés, leurs
péchés leur seront remis : et ceux à qui cous les aurez retenus,
i/s leur seront retenus ( i ). Par ce souille sur ses apôtres et les
paroles qu'il leur adresse, Notre-Sèignéur, nul ne peut le
contester, les investit manifestement du pouvoir de remettre
et de retenir les péehés, c'est-à-dire de les pardonner ou non
à ceux qui les ont commis. Or, que suit-il de là ? Il suit de
là que Notre-Seigneur a fait en même temps un devoir aux
pécheurs de confesser leurs fautes à ses ministres pour en
obtenir le pardon, s'ils en étaient jugés dignes. S'il en était
autrement, c'est-à-dire, si Notre-Seigneur n'avait pas entendu
l'aire aux pécheurs un devoir de confesser leurs fautes à ses
ministres, le pouvoir qu'il conférait à ceux-ci eût été déri-
soire, puisqu'ils n'auraient pas pu l'exercer, et Notre-Seigneur
se serait en quelque sorte moqué d'eux en le leur donnant.
Il eut fait comme celui qui donnerait un beau tableau à un
aveugle, ou offrirait un billet de concert à un sourd. En
effet, pour remettre ou retenir les péchés, c'est-à-dire pour
les pardonner ou ne les pas pardonner, les apôtres et leurs
successeurs avaient besoin d'en avoir une complète connais-
sance, afin de les apprécier et de les juger. Or, comment les
ministres de Notre-Seigneur auraient-ils pu connaître les
fautes des pécheurs, si ceux-ci ne les leur eussent pas con-
fessées ') — Ainsi, Notre-Seigneur ayant conféré à ses apôtres
le pouvoir de remettre et de retenir les péchés, ce qu'on ne
peut contester : on ne peut pas contester davantage qu'il a
par là même fait aux pécheurs une obligation de confesser
Leurs péchés à ses ministres, puisque sans cette obligation
de confesser les péchés, le pouvoir de les pardonner serait
vain e! nul. Or. encore une fois, il eût été indigne de Notre-
Seigneur d'accorder à ses apôtres un tel pouvoir. Le pou-
i . Joarï. \\. 22 et 23.
368 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
voir qu'il leur a accordé étant donc nécessairement véritable
et effectif, nécessairement aussi, cela est de toute évidence,
il a imposé aux pécheurs l'obligation de confesser leurs
péchés (i). — Les apôtres et les premiers fidèles Font si bien
compris ainsi, que nous voyons la confession pratiquée, dès
la toute première origine de l'Église, comme elle le fut
toujours depuis, et comme elle l'est encore aujourd'hui.
C'est ce qui résulte d'un passage des Actes des Apôtres, dans
lequel il est rapporté que plusieurs de ceux qui avaient cru
venaient confesser et déclarer ce qu'ils avaient fait de mal (2).
Si la confession n'avait pas été instituée par Notre-Seigneur,
comment les apôtres, qui avaient pour mission de prêcher à
toutes les nations, et de leur apprendre à observer toutes les
choses que le divin Maître leur avait prescrites (3), comment
les apôtres, disons-nous, auraient-ils osé instituer eux-
mêmes la confession ? comment auraient-ils osé introduire
une telle pratique dans une religion qu'ils étaient chargés
de faire partout connaître sans en rien retrancher, mais
aussi sans y rien ajouter? Une telle infidélité est absolument
incompatible avec leur caractère. Puis donc que l'usage de
la confession apparaît parmi les premiers fidèles gagnés par
'les apôtres à la foi de Jésus-Christ, il est impossible de ne
pas reconnaître que cette institution vient de Jésus-Christ
lui-même, et que par conséquent elle est divine.
Instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, la confession,
nous venons de le voir, fut en usage parmi les fidèles dès
1. Car homini, potius quam ipsi Deo, confessionem fîeri Ghristus
voluerit : cujus rationem s. Thom. Villan. in Dora. 2. Quadrag. osten-
dit, dum causam inquirit, cur Sapientia divina modum immutavit
confessionis, quando quidem David soli confitens Deo, obtinuit abso-
lutionem : Tibi soli peccavi ? Ad quid opus fuit, peccalum contra Deum
commissum, homini revelari, maxime cum hoc sit nimis onerosum et
verecundum ? Gui objectioni sanctus breviter respondit in ha?c verba :
« Quandiu Deus non fuit homo, non opus fuit peccatum homini verbo
confiteri ; sed postquam Filius Dci factus est homo.jam Pater non judi-
cat quemquam, sed omne judicium dédit Filio, et potestatem dédit ei
iudicium facere, quia Filius hominis est ; ex tune ergo peccator, homi-
nis Ghristi, a Deo Pâtre, foro commissus est, et in illo reddere rationem
peccatorum suorum tenetur. » (Loilner, Bibliolh. voc. ConfessioJ.
2. Act. xix. 18.
3. Matth. xxvin, 19, 20.
DEVOIR DE Si: CONFESSER AU MOINS UNE FOIS L'AN. 36g
la naissance même de l'Église. Naturellement, cet usage se
continua dans les siècles suivants, ainsi que nous l'appren
nent, et de nombreux témoignages des saints Pères, et une
foule de faits historiques. C'est ainsi, par exemple, que les
écrits des anciens nous ont conserve les noms des confes-
seurs d'un grand nombre de rois, de reines, de papes, et
autres personnages illustres. Or, si ces personnages avaient
des confesseurs, c'est donc une preuve qu'ils se confessaient;
et si les grands se confessaient, sans aucun doute les simples
fidèles se confessaient également, la confession ne pouvant
pas être considérée comme n'étant obligatoire que pour les
grands. — Cependant le Sauveur, en instituant la confession,
n'avait pas précisé combien de fois ni en quel temps l'on
devait se confesser. Dans les premiers siècles, les chrétiens,
avides d'accomplir toutes les prescriptions du Sauveur, et se
confessant en conséquence fréquemment, l'Eglise n'eut pas
à élever la voix sur ce point pour leur rappeler leur devoir.
Mais peu à peu la ferveur première alla en se refroidissant,
et un temps vint où beaucoup de fidèles ne se confessèrent
plus que trop rarement. Ce fut alors que l'Église, dont la
mission est précisément de veiller à faire observer par les
fidèles les prescriptions du Sauveur, décida, au quatrième
concile de Latran, en 12 15, que pour observer le précepte
divin de la confession, il faut se confesser au moins une fois
chaque année. Ainsi, nous le répétons, et qu'on le remarque
bien, ce n'est pas l'Église qui a institué la confession ; elle
a seulement décidé que, le Sauveur n'ayant pas dit quand
il fallait se confesser, tout fidèle doit, pour obéir aux inten-
tions et à la volonté du Sauveur à cet égard, déclarer ses
péchés aux prêtres au moins une fois chaque année, dès
qu'il a atteint l'âge de raison, c'est-à-dire l'âge où l'on com-
mence à discerner le bien du mal (1). — Et telle est la
1. Quando autem capax fit puer peccati mortalis, non est judicandum
ox sol a aetate, sod multo plus ex ingenii gradu, cducalione, discretione
boni et mali, quae in aliis major est anno sexto, quani in quibusdam
anno octavo. Lnde refert S. Gregorius, lib. 4- Dialog. c. 18, puerum
quinquennein niortuum et damnatum esse, propler blaspbemias in
quibus diu vixerat. Plus forte stupendum, quod experientia se didisse
ait Gerso, hujus sciliect «Ttatis pueros carnalibus peccatis inquinatos
fuisse (Collet). — Quoad cos qui puerorum confessiones excipiunt, en
SOMME DU PRÉDICATEUR, i— T. II. 24
seconde base du devoir de la confession annuelle, savoir,
l'autorité de l'Eglise ; autorité qui lui a été conférée expres-
sément par le Sauveur lui-même pour gouverner en son
nom les fidèles, quand il a dit à ses apôtres, qui furent les
premiers ministres de l'Église : Qui vous écoule, nï écoule
moi-même ; et qui vous méprise, me méprise moi-même (i).
Sansdoute, le juge n'est pas le législateur ; cependant, comme
il est de l'autorité du législateur de faire des lois, ainsi est-il
de l'autorité du juge de les interpréter ; et l'interprétation
du juge n'a pas une force obligatoire moins grande, que la
loi du législateur. L'autorité du législateur ?t l'autorité du
juge sont donc deux choses qui se complètent et qu'on ne
peut séparer. 11 en est de même de Notre-Seigneur qui a
édicté la loi de la confession, et de l'Eglise qui a interprété
cette loi clans ce sens, qu'elle oblige au moins une fois cha-
que année. On admettra sans doute que Notre Seigneur, en
instituant la confession, n'a pas excédé les limites de son
autorité ; eh bien, en interprétant comme elle l'a fait la loi
de la confession, l'Église n'a pas non plus excédé les limites
de la sienne. Aussi certaine donc et aussi forte est l'obliga-
tion de se confesser, aussi certaine et aussi forte est l'obliga-
tion de le faire au moins une fois chaque année. Et voilà
comment le devoir de la confession au moins annuelle (•>,)
quod dicit s. Carolus Borromeus : « Gonsuetudo honesta est pucrulos,
eliamsi quintum aut sextum aetatis annum needum excesserint, ante
confessarium adducere ut sic incipiant paulatim instrui, ac manu quasi
in cognitionem atquc usum hujus sacramenti transfërrî. Caveant tamen
accurate sacerdotes ne absolu tioncm ils pracbeant in qùibus nec idones
materia, nec ca rationis plenitudo reperitur utcitra.controversiam judi-
care possint eos hujus sacramenti capaces esse. » Pluies theologi, ut
Sporer, de Lugo, S. Liguori, Layman et alii, censént in dubio an puer
habeat usum rationis, ipsum esse absolvendum snb conditione (mcnla-
liter retenta), si aliquod moriale dubium confessus fuerit, non solum
in periculo mortis, sed etiam quando urget prœceptum Ecclesiie de
confessione, ne forte capax sit et non satisfaciat huic praîcepto, si non
absolvcretur ; et aliunde ut non privetur gratia sacramcntali et non
maneat in statu damnationis, quod reipsa eveniret si cssel in peccato
moitali et non esset absolutus fExam. rais. loc. cit.).
i . Luc. x, 16,
•2. Confessionis pracceptum multis casibus obligat, ita ut de novo
peccet illam omittens. Primo, in periculo probabili mortis, v. g. dum
timetur naufragium, exorta tempestate, vcl instat pralium periculo-
m:\oik DÉ si: CONFESSER ai moins i m; fois LAN. 07I
repose sur deux bases aussi inébranlables L'une que L'autre.
Dos lois, puisque Le devoir de la confession au moins
annuelle esl absolument certain, personne donc ne peut se
dispenser de s'en acquitter. Les autorités compétentes s'étant
prononcées, il n*> a qu'à s'incliner, pour tout chrétien
docile aux prescriptions de Notre-Seigneur et de sa sainte
Église. Toutefois, parce que nous sommes des êtres raison-
nables, nous aimons à nous rendre raison des choses. Aussi,
souvent nous arrive-t il de violer certains devoirs que nous
considérons comme futiles, alors que nous les aurions
accomplis avec zèle et scrupule si nous en avions connu le
pourquoi. Tout en sachant qu'il \ a obligation pour nous
de nous confesser au moins une fois chaque année, il nous
sera donc très utile de savoir en outre pourquoi Notre-Sei-
ffneur et l'Église nous ont fait ce commandement. C'est ce
que nous allons en conséquence expliquer, en exposant les
su m. Sic euro fœmina, quse difficiles partus baberc solet, part ni
proxïma est, tenetur confiteri. Qui autem pra?scit, se in tali articulo
necessilatis non habiturum copiara confessarii, tenetur prœvcnire, quia
exponit alioquin se periculo moriendi sine confessione. — Secundo,
quando suscipiendum est sacramentum Eucharistiae, obligalio est con-
fessionis, ut patel ex Trident. Hem, si sacramentum aliud suscipiendum
est, vel adminlstrandum, débet praemitti confessio, yel saltem contritio ;
qiiia debentadministrarivel suscipi sacramenta in statu gratiœ,in quein
statum non restituitur peccator, nisi perconfessioncm aut contritionem.
— Tertio, tenentur omnes qui discretionis ustim attigerint, saltem
semel in anno confiteri, ex prœcepto Ecclesia>. Ca'lerum, liect Ecclesia
frequentiorem confessionem non praecipiat, adhortatur tamen continuo
filios suos ad illam frequentandam, ob fructus qui exilla oriuntur, et
ob pcricula quae ex iilius neglectu potest homo incurrerc... — Quod si
fructus frequentis confessionis copiât quis cognoscerc, ila manifesti
sont, ut cœcutire recte dicatur. qui eos non videt : 1" Acquirilur major
puritas cordis et conscientia?, sicul qui frequentius inanus lavai et lin-
tea i'aeit. ut ci soldes non ila ad li;ciescanl ; et qui sœpe verrii domum,
impedit ne lulo obducatur : ila judicandum est de anima per confessio-
nem. a0 Vugclur gratia et gloria, duni sanguis et mérita Gbristi per
sacramentum pœnitentiœ fréquenter applicantur anima- ; simulque
diminuitur pœna peccatis débita. 3° Virtus augetur ad rcsistendum
bosti >;ilii tis, ejusque tentationibus et peccati periculis quœ nos circum-
stant. V aequiritur major seenritas silo lis, et conscicnthc pa\ serena.
oui (l'm diffcrl capul pectere, faciles alil vermrs ; sic qui confessionem
procrastinat, vermem conscientia* nutritinquiclum. qui in futuro acrius
punget. K comra illam frequentans, experitur non esse oblcctamcntum,
supra cordis g:udium (Màrcuakt. Ilorl. pasl. Cand. myst. tr. .*>,
prop
072 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV, INSTRUCTION.
II. — Motifs du devoir de la confession au moins
annuelle. — On entend parfois les impies et les mauvais
chrétiens, pour justifier leur éloignement et leur haine de la
confession, et pour en détourner les âmes simples et peu
instruites, répéter que cette pratique ne -sert à rien, ou hien
qu'elle est même nuisible en ce qu'elle torture les conscien-
ces. Or, il suffit de se rappeler que la confession est une
institution de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour compren-
dre aussitôt que ces propos et autres semblables ne sont que
des calomnies. Gomment en effet Notre-Seigneur, qui est la
sagesse et la bonté même, aurait-il institué la confession
pour ne servir à rien, ou bien mieux encore pour torturer
inutilement les consciences? Oui, par cela seul que la con-
fession a été instituée par Notre-Seigneur, il ne se peut pas
qu'elle soit une institution inutile ou gratuitement cruelle.
Tout au contraire, c'est une preuve péremptoire que la con-
fession a été instituée pour notre plus grand bien, c'est-à-
dire tout à la fois pour notre sanctification et pour notre
consolation. Tels sont en effet les deux motifs principaux
de l'institution de la confession.
Notre-Seigneur s'est proposé d'abord dans cette institu-
tion, disons-nous, notre sanctification, car c'est cela même
qu'il s'est premièrement proposé dans toutes ses œuvres. La
confession est en effet un moyen éminemment propre pour
nous sanctifier. Car, en quoi consiste notre sanctification?
Elle consiste surtout en ces deux choses : effacer les souillu-
res que nous avons contractées par nos péchés, et nous pré-
server d'en contracter de nouvelles. Sans ces deux choses, il
n'y a pas pour nous de sanctification possible, la sanctification
étant aussi essentiellement incompatible avec le péché,
que la parfaite blancheur est incompatible avec les taches.
Eh bien, précisément la confession efface nos péchés. On ne
peut pas en douter, puisque le Sauveur Ta expressément
déclaré à ses apôtres, dans les paroles déjà citées, mais qu'il
faut répéter ici : Ceux à qui vous aurez remis leurs péchés,
leurs péchés leur seront remis. Or Notre-Seigneur ne parle pas
en vain. Tout ce qu'il dit, il le fait ; et tout ce qu'il promet,
il l'accomplit. Ayant donc solennellement déclaré que les
péchés seraient remis et effacés par la confession, sa parole
DEVOUA DE SK CONFESSER VI MOINS i NE POIS I, V\. 37
sacrée nous est un infaillible garant de ce miséricordieux
prodige (i). Mais la confession n'efface pas seulement nos
péchés, elle nous préserve en outre d'\ retomber : non pas
complètement, puisque nous restons pécheurs tantquedure
notre vie : mais elle nous en préserve d'une manière pro-
gressive, el toujours de plus en plus. Voici comment.
Qu'est-ce qui nous fait tomber dans le péché ? C'est d'abord
le démon. Eh bien, chaque fois que nous nous confessons,
nous brisons les chaînes dont le démon nous charge quand
nous avons le malheur de pécher, et nous nous soustrayons
à sa tyrannie. . Or, de même qu'un peuple, à force de se
révolter contre un despote, finit par lui échapper; de même
le chrétien, à force de se soustraire au démon par des con-
fessions répétées, finit également par se soustraire à ce tyran.
— Ce qui nous fait tomber dans le péché, ce sont encore
nos passions et nos mauvaises habitudes. Eh bien, il en est
de ces passions et de ces mauvaises habitudes comme du
démon : chaque fois que nous nous confessons, nous rom-
pons au moins momentanément celles-ci, et nous mettons
un frein à celles-là. Or, à force encore de refréner les unes,
et de lutter contre les autres en les mutilant et en les arra-
chant de notre cœur comme de mauvaises herbes, nous
finissons également par les si bien dompter et affaiblir,
qu'elles aussi ne peuvent plus nous entraîner dans les souil-
lures du mal. — Ajoutons, d'un autre côté, que ce qui nous
rond particulièrement faibles pour résister au péché, c'est
l'espérance que personne ne connaîtra notre honte. Quel est
le voleur, quel est l'impudique, quel est le vindicatif qui
1. Quis verbis au gère poterit beneficium remissionis peccatorum ?
Intcr apophtuegmata a nti quorum refertur, quod cum Turnius Antonii
partes secutus fuisset, et Victoria cessisset Augusto, metuens sibi, subor-
navit filium qui a victore peteret veniam, petiit et impetravit. Tu m
Turnius Caesari sic gratias egit : Hœc una abs te, ô Caesar, injuria facta
est mihi, effecisti nempe, ut jam mihi, et vivenduni, et moriendum sit
ingrate, significans tantam esse ejus beneficii magnitudinem, ut nulla
ex parte locus esset referendse gratiae. Nunc ad rem, si tanli fecit ille
remissionem Caesaris, qui solum poterat cum vita corporali privarc,
quanti a nobis facienda est remissio peccatorum, ex qua aeterna pendet
\it;i ? si ni;, nesciebal quas Caesari gratias referre posset, quales nos Deo
pro remissione peccatorum gratias referemus tanto beneficio clignas ?
ÇLÂbat. Loci comm. voc. Confessio, prop. 2).
.)
fi LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. \1V. INSTRUCTION.
ne résisterait pas à l'entraînement de ses mauvaises passions,
s'il savait qne sa faute sera connue, ne fût-ce que d'une
seule personne ? Eh bien, la confession offre au pécheur,
contre sa faiblesse, ce secours de lui ôter la pensée que sa
faute demeurera inconnue, puisqu'elle l'oblige à la révéler
lui-même au prêtre. — Ainsi la confession, qui nous puri-
fie de nos péchés, contribue encore très efficacement à nous
préserver d'y retomber, en nous aidant à nous soustraire à
la tyrannie duvdémon, à rompre nos mauvaises habitudes,
à surmonter nos passions, et en tenant dressée devant nos
yeux la nécessité de l'aveu. Et voilà comment cette pratique
sacrée atteint le but que le Sauveur s'est premièrement pro-
posé en l'instituant, savoir, notre sanctification. C'est en
effet par la confession que tous les saints qui sont dans le
ciel se sont sauvés, et c'est toujours par elle seulement que
nous pouvons nous sanctifier à notre tour. Sans la confes-
sion, le ciel serait à peu près vide, car il n'y serait alors
admis que ceux qui auraient conservé leur innocence bap-
tismale, ou dont la contrition aurait été parfaite : et com-
bien ne seraient-ils pas rares ! Au contraire, grâce à la con-
fession, la terre se repeuple sans cesse de fidèles qui se sanc-
tifient de plus en plus, et le ciel s'emplit de ces multitudes
que Dieu a fait voir à l'avance aux yeux ravis de saint Jean,
que personne ne pourrait compter (i).
i. Àpoc. vu, 9. — Confessionis sacramenlum veluti sinus pacatissi-
mus est, in quo hominum conscientia? religantur, ne a procellis absor-
beantur delictorum ; dejecta eriguntur, amissa reparantur, et quidquid
immunditiœ inundantibus tantationum tempestatibus, aut opérante
malitia in navim conscience perfusum est, rejicitur, et purgatur^S.
Laur. Justin, de dise. mor. c. 19).
In sacra confessione, pœnitentem maxirais donis afficit (Dcus). Nam,
i° illi confert intuitu meritorum Christi, et su se contrition is uberem
gratiam sanctificantem et medicinalem, per quam ex vilissimo da>monis
servo fit filius Dci et haeres vitu3 aeternae, et qua sanatur ab omnibus
inlirmitatibus et vulneribus animas. 20 Si hac gratia non carebat, illam
notabiliter auget. 3° llli confert plures gratias actuales etauxilia specia-
lia supernaturalia in occasionibus, ne ilerum committat ea peccata, de
quibus confessus est. 4° Conscientia? perturbaliones comprimit et sedat,
et interiorem pacem largitur. 5° Omnia antecedentia mérita per pecca-
tum amissa et fructus operum bonorum restituit ; anima? nitorcm
suum et puchritudinem reddit, illi amicitiam angelorum et sanctorum
omnium conciliât, et illam ccelesti pane refleiens in sponsam assurait
DEVOIR DE SE CONFESSER U MOINS UNE FOIS t*AN.
Toutefois Notre-Seigneur, nous l'avons dit, a institué La
confession, non seulement pour notre sanctification, mais
aussi pour notre consolation, et pour notre consolation
dans notre douleur lapins intime et la plus cuisante. Quelle
esl ("elle plus grande douleur de l'homme ? C'est le senti-
e) divinis exornal dotibus. quis non exelamet, benedic anima mea
Domino, qui sanat omnes infirmitates tuas, qui coronat le multis mise-
rationibus ? etc. (Tiran. Mission. De Confess. sacram. alia ârgum. pr. 6).
Fidèles qui m'écoutez, je vous regarde : parmi vous, les mis accom-
plissent ce précepte de la confession annuelle ; les antres, pour des rai-
sons ([ne je ne veux pas approfondir en ce moment, croient pouvoir s'en
dispenser. \ ceux qui ne se confessent pas, l'Église semble dire :
« Prends garde, mon enfant, le péché règne dans ton cœur ; la grâce
de Dieu n'y est plus; la conscience esl moins délicate ; chez toi la foi
est diminuée ; tu cours un bien grand risque si Ja mort venait à te sur-
prendre dans ce lamentable état. Né laisse pas ainsi accumuler tes dettes,
car lu deviendrais insolvable ; chaque année, visite les divers coins de
ton âme. recours à la miséricorde du bon Dieu pour obtenir le pardon
de tes fautes. » Est-ce une prescription sage et prévoyante, frères bien-
aimés ? Ah ! oui, car si nous étions fidèles à la suivre, elle nous dispo-
serait à faire une bonne mort, et nous empêcherait de devenir des
réprouvés. — Quant à vous qui accomplissez ce précepte, vous en allez
facilement comprendre la sagesse. Tout négociant, dit-on, qui fait régu-
lièrement son inventaire, est probe et honnête ; chaque année, il sait
s'il a gagné ou perdu, et il règle ses ventes ou ses achats d'après le résul-
tat qu'il a constaté. Ainsi notre confession annuelle, si elle est bien faite,
nous révèle l'état dans lequel est notre àmc devant Dieu. Nos défauts
sont-ils moins nombreux, nos fautes moins fréquentes? sommes-nous
plus fidèles à sanctifier le dimanche, plus exacts à remplir les devoirs de
notre condition ? Autant de questions à examiner. Si nous constatons
des pertes, il faut les réparer. Si, au contraire, Dieu nous a fait la
grâce de faire quelque progrès, nous devons prendre la résolution de
persévérer dans celte voie. Mais comprenez-vous combien estsage, pru-
dente et maternelle cette loi de l'Église qui nous oblige à faire chaque
année l'inventaire de noire conscience? — Frères bien-aimés, une com-
paraison toute simple, peut-être trop familière, va vous faire mieux
sentir encore cette vérité. Plusieurs voyageurs lourdement chaussés
devaient gravir une montagne de terre glaise ; leur but était un splcn-
dide château qu'on apercevait sur le sommet, et dontledôme étincelait
aux îayons du soleil. Celte montagne était escarpée, le sentier difficile
el couvert de cette boue Apre et tenace qu'on rencontre dans certains
terrains. Ces voyageurs partirent ensemble ; mais les uns, prévoyants,
s étaient munis de certains instruments pour détacher de temps en
temps la houe qui se collait à leurs chaussures. Leur démarche devenait
alors plus facile, leurs pas plus légers. Les autres, haletants, épuisés,
traînant à leurs pieds un fardeau Incommode qui les faisait glisser et
tonifier a chaque instant, n'avançaient (pie péniblement ; on dit même
que beaucoup ne purent parvenir au but qu'ils s'étaient proposé. —
Hélas ! frères bien-aimés, nous sommes ces voyageurs ; tous nous
876 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
ment d'avoir fait lé mal, d'avoir offensé Dieu et mérité l'en-
fer ; en d'autres termes, c'est le remords. Si malheureux
que nous soyons pour toute autre cause, notre affliction est
toujours tolérablc, tant que nous avons la conscience en paix.
Les païens eux-mêmes l'avaient constaté, et l'un deux (1),
parlant de l'homme juste, a dit que, quand même l'univers
l'écraserait sous ses ruines, il ne s'en troublerait pas. De
fait, on a vu mille fois fondre tous les maux sur nos mar-
tyrs, sans que la paix de leur âme et leur joie intérieure en
fussent altérées. Mais eût-on à discrétion tous les bonheurs,
si le cœur est déchiré par le remords, tout se transforme
en amertume. Qui de nous n'en a fait l'expérience ? Qui de
nous a fait le mal, et en se sentant coupable, n'a pas éprouvé
l'aiguillon du remords, cet aiguillon qui est la plus affreuse
douleur même dans l'enfer ? Il est vrai qu'ici-bas on parvient
souvent à l'émousser ; mais ce n'est que par instants ; et
dans les intervalles, surtout en face des dangers et aux
approches de la mort, la pointe ne s'en fait sentir que d'une
manière plus terrible. Ah ! que ne donnerait-on pas pour en
être délivré ! Sous l'ancienne loi, il fallait vivre avec son re-
mords et mourir avec lui. Il en est de même dans les reli-
gions autres que la nôtre, où les pauvres âmes tombées
portent toute la vie le fardeau de leurs chutes, et se pré-
sentent, à la mort, devant le tribunal du souverain Juge,
sans aucunement savoir si elles ont été pardonnées. Notre
devons chercher à atteindre cette demeure splendide et resplendissante
qu'on appelle le paradis. Le sentier est rude et escarpé, c'est Jésus-
Christ qui nous l'enseigne quand il dit : La voie du ciel est étroite. Les
misères de notre pauvre nature, les passions surtout, s'attachent à nous
comme une chaussure lourde et incommode ; nos péchés, ces fautes que
nous commetton schaque jour, viennent encore comme une bouetenace
embarrasser notre marche. Doux sacrement de la Pénitence, sainte et
salutaire confession, vous êtes l'instrument divin, qui doit nous déli-
vrer de ce fardeau incommode, enlever ce limon du péché qui entrave
nos pas, et nous fait monter d'un pied plus agile et plus sûr là-haut
vers la patrie. Or, dans ce voyage qu'on appelle la vie, et qui doit abou-
tir au ciel, la sainte Église nous accompagne comme une mère pru-
dente ; et quand elle nous dit : « Tous tes péchés confesseras à tout le
moins une fois l'an, » cela veut dire : Mon cher enfant, débarassc-toi
de cette boue incommode qui cause tes chutes et ralentit ta marche
(L'abbé Lobry, ap. Semaine du Clergé, tome 10, page i38i).
1. Horace.
DEVOIR DE SE CONFESSER AU MOINS UNE FOIS l\\N. 077
tout bon Sauveur a voulu faire à ses disciples un sort plus
doux. En leur donnant la confession, il leur a fourni le
moyen d'échapper au remords et de reconquérir l'inesti-
mable paix de la conscience. Dans la confession, en effet, le
coupable fait l'aveu humble et contrit de sa faute, et grâce
à cet aveu, il en obtient le pardon. En sorte qu'après s'être
confessé, le pénitent se retrouve dans l'état où il était
avant d'avoir péché ; à peu près comme celui qui a avalé du
poison se retrouve, après l'avoir vomi, dans l'état où il était
avant de l'avoir absorbé. C'est-à-dire que, le péché étant
vomi et pardonné, le pénitent n'éprouve plus, par consé-
quent, ni torture de la conscience, ni crainte des vengeances
divines, mais tout au contraire la joie d'une bonne cons-
cience recouvrée, et de l'amitié de Dieu reconquise. C'est
encore une expérience que chacun de nous a pu faire. Par-
fois même on a vu des pénitents si soulagés et si consolés
au sortir du saint tribunal, qu'ils ne pouvaient contenir leur
bonheur et le racontaient à qui voulait les entendre (i).
1 . O felix eonscientiae puritas, quœ vermem interiorem excludis, quœ
a carcere doloris libéras rationem, quae ab omni immunditia purgas
mentem. O mens sancta ! o paradisus deliciarum variis bonorum ope-
rum virgultis consita, variisque virtutum floribus purpurata, et suaviter
cœlesti gratia irrigata. Haec est, fratres mei, paradisus in quo plantatur
lignum vitae et cœlestis sapientiac, hœc est talamus Dei, palatium Christi,
habitaculum Spiritus Sancti (Auct. serm. 10. ad fratres in Eremo).
Sicut avicula in laqueos aucupis lapsa, si laquei casu rumpuntur,
magna cum Laetitia avolat ; ita non minus laetari débet post confessio-
nem peccator, canereque cum Davide : Anima mea sicut passer erepta est
de laqueo venantium ; laqueus conlritus est et nos libérait samus. Ps. exix, 7
(Lohner, Biblioth. voc. Confessio).
Tout vous est pardonné, allez en paix : Vade in pace. Ciel ! quelle
charmante sérénité a succédé aux troubles et aux orages de la conscience !
quel poids ôté de dessus le cœur ! quelle satisfaction d'être délivré de
cette tristesse accablante du crime que l'on portait partout avec soi, de
ce ver rongeur dont on était dévoré, de ces inquiétudes mortelles où
l'on vivait ! C'est après la tempête que l'on goûte la sécurité du calme ;
c'est au sortir de la maladie que Ton sent le prix de la santé ; c'est au
retour d'un long exil que l'on est touché des charmes de sa patrie; c'est
après une confession difficile, mais bien faite, que l'on goûte délicieu-
sement le bonheur d'être bien avec Dieu. On remporte du tribunal
sacré une douce et profonde impression de grâce et de consolation
toute divine ; une onction céleste s'est répandue dans l'âme ; on respire
la sainteté, la pureté, la divinité. 11 semble que l'on est dans un monde
nouveau, ou que l'on vient de ressusciter. — Oh ! l'heureux moment
878 LES GttANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
Que Notre-Seigneur, encore une fois, a donc été bon et
miséricordieux pour nous en instituant la confession, puis-
qu'il ne s'y est proposé que notre sanctification et notre
consolation ! Mais quel puissant motif nouveau de nous
confesser, puisqu'on le faisant, non seulement nous accom-
plissons le précepte qui nous en a été imposé, mais encore
nous nous sanctifions pour L'éternité, et nous nous assurons
les plus douces consolations et les plus intimes joies pour
la vie présente elle-même (1) !
Nous n'accomplirons toutefois ce précepte, et pareillement
nous ne nous sanctifierons et nous ne goûterons les joies de
la confession, que par une confession véritable et bien faite.
que celui où l'homme peut dire ; J'étais une victime de l'enfer, me
voilà l'enfant et l'héritier des cieux ; la foudre était suspendue sur ma
tète, maintenant c'est la couronne ; tout le sang de Jésus-Christ deman-
dait vengeance contre moi, il m'a obtenu miséricorde et a lavé mes
iniquités : quel changement ! puis-je en croire mes transports? Ah !
s'écria Tertullien, la pénitence est la félicité de l'homme pkheur :
PœiiUenlia hominis rei félicitai. Rien n'est plus vrai, etc. Que vous con-
naissez peu votre bonheur, vous qui, par une répugnance aveugle,
fuyez la confession, etc (L'abbé Richard, Serin, sur la Confess.).
1. T. La confession constitue le chrétien dans un état perpétuel de sur-
veillance. Le chrétien, par l'obligation qu'il contracte de tout dire,
jusqu'à ses plus secrètes pensées, n'est jamais seul. 11 a toujours avec lui
un témoin, un œil ouvert, non cet œil de Dieu auquel on est si indiffé-
rent, mais l'œil de l'homme qu'on redoute tant ; il n'y a guère de mau-
vaise action qui ne se cache. Celui donc qui serait toujours vu, ne
pécherait en quelque sorte jamais. — IL La confession ravive l'àme
pour le bien. i° Elle nous délivre de l'ignorance de nous-mêmes. Elle
pose de distance en distance, dans la route de la vie, des jalons qui ser-
vent à mesurer notre progrès dans la vertu, et nous fait, de nos fautes
mêmes, un trésor d'expérience qui nous aide à nous corriger. 20 Elle
nous délivre de l'orgueil qui croit toujours en avoir fait assez, qui nous
immobilise dans une infécondité morale, et qui cherche toujours à faire
son niveau avec nos faiblesses ; au lieu que l'humilité où nous ramène
la confession, nous porte d'autant plus en haut, que nous nous sentons
plus bas, et nous fait ainsi monter par la raison même de notre penchant
à descendre. 3° Elle nous délivre du découragement. Si on pouvait re-
commencer sa vie, instruit qu'on estde la vanitéde ses plaisirs, ce serait
tout autrement. Eh bien ! tel est le grand bienfait de la confession, de
faire, réellement recommencer la vie. de rompre avec le passé, et de
nous faire, avec le repentir, une seconde innocence, c est-à-dirc un
nouveau point de départ. 4° Enfin la confession, en nous remettant en
communion avec la grande société des âmes vertueuses, met à la dispo-
sition d'un seul les ressources et les forces de la généralité (Holdry et
Avig.non, Biblioth. clés Prédic. voc. Conjession, art. 4» n. 21).
DEVOIR DE SE CONFESSER H moins . xk FOIS I- IN.
379
C'est pourquoi nous allons expliquer, en dernier lieu,
quelles sont les
111 -Conditions pour se bien acquitter du devoir
de la confession annuelle. — Ces conditions sont au nom-
bre de deux, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de la confession
annuelle si Ton n'en fait qu'une seule dans toute 1 année,
ou de toute confession, si Ton en fait plusieurs : la première,
c'esl de se confessera un prêtre approuvé; la seeondc, de
faire une confession véritable et valide.
11 faut d'abord se confesser à un prêtre approuvé, c est-a-
dire à un prêtre exerçant publiquement les fonctions de son
ministère, ce qui suppose qu'il y est autorisé par son eveque.
Unsi, l'on ne satisferait pas au devoir de la confession
annuelle, si Ton se confessait à un prêtre que Ton saurait
exercer le saint ministère sans l'autorisation de l'eveque,
comme il arriva fréquemment en France au temps de la
constitution civile du clergé, et plus récemment en Suisse et
en Prusse, à l'époque du kulturcampf. Il en serait de même
si Ton se confessait à un prêtre suspendu ou interdit. La
raison en est bien simple. Notre-Seigneur n'a confié le pou-
voir de remettre les péchés qu'à ses ministres ; or, tout
prêtre intrus, suspendu ou interdit a cessé d'être le ministre
de Notre-Seigneur; il ne peut donc pas agir en son nom, et
c'est inutilement qu'on s'adresse à lui. Donc l'on ne doit se
confesser qu'à un prêtre approuvé, et, nous le répétons, a
moins de preuve contraire, tout prêtre exerçant publique-
ment le saint ministère doit être considéré comme tel, qu il
soit curé, vicaire ou religieux.
Pour accomplir le devoir de la confession annuelle, l'on
doit en second lieu, avons-nous dit, faire une bonne et
valide confession. Il s'est trouvé de faux docteurs pour ensei-
gner qu'on satisfait à ce devoir aussi bien par une mauvaise
confession que par une bonne confession. Autant dire qu'on
.cquitte d'une dette aussi bien en donnant de la fausse
monnaie qu'en en donnant de la bonne. Sans nul doute, en
nous commandant de nous confesser, Notre-Seigneur a cer-
tainement voulu parler dune confession bien faite. Et
1 Eglise, en décidant que le précepte du Seigneur oblige au
38o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
moins une fois chaque année, n'a pas voulu, n'a pas pu
entendre qu'on satisferait à ce précepte même par une mau-
vaise confession, puisque Notre-Seigneur n'a pu nous com-
mander que de nous bien confesser. Répétons-le donc: pour
accomplir le devoir de la confession annuelle, il faut indis-
pensablement faire une bonne confession ; et celui qui aurait
le malheur d'en faire une mauvaise, serait tenu d'en faire au
plus tôt une nouvelle et bonne.
Or, pour faire une bonne confession, voici comment il
faut procéder.
Tout d'abord, il faut se recueillir et prier Dieu de tout son
cœur de daigner nous aider. Si nous avons besoin du secours
de Dieu pour la moindre des choses, combien ce secours ne
nous est-il pas plus nécessaire dans une affaire où il s'agit
au fond de notre salut éternel, puisqu'une confession bien
faite peut assurer notre salut, tandis qu'une confession mal
faite peut nous perdre à jamais.
Après avoir invoqué Dieu, on passe à l'examen de sa
conscience ; et pour le faire d'une manière tout à la fois plus
facile et plus sûre, on suit l'ordre des commandements de
Dieu et de l'Église, des péchés capitaux et des devoirs d'état,
se rappelant en outre, autant qu'on le peut, les occupations
auxquelles on s'est livré, les lieux où l'on est allé, les per-
sonnes avec lesquelles on s'est trouvé. Si l'on ne se confesse
que tous les ans, un tel examen exige certainement un temps
assez notable, et l'on s'exposerait grandement à le mal faire
si l'on n'y consacrait que quelques brefs instants. Au moins
faut-il y apporter autant de soin et d'application que s'il
s'agissait de nos affaires temporellles pendant l'année écoulée.
Il n'est pas nécessaire d'ailleurs de faire cet examen d'une
seule haleine ; au contraire, il est plus à propos de s'y
reprendre à plusieurs fois, dans les moments propices, afin
de connaître l'état de son âme d'une manière plus détaillée
et plus complète (i).
i. La confession demande un sérieux examen et beaucoup de
réflexions. C'est un compte qu'il faut rendre à Dieu : peut-on le rendre
sans en examiner les articles ? C'est un aveu de tout le mal qu'on a fait,
et qu'on est obligé de découvrir dans toutes ses circonstances : peut-on
le faire sans de grandes informations ? C'est un jugement qu'il faut
DEVOIU DE si COMI'.SSKI! Al MOINS UNE FOIS LAN, 38l
\pres qu'on a terminé son examen, il faut se recueillir
plus profondément encore, renouveler à Dieu ses prières, et
s'exciter à la contrition : car sans contrition, c'est-à-dire
sans regret cl sans repentir de ses fautes, il est impossible
don obtenir le pardon. Or, pour concevoir un sincère regret
de ses fautes, il esl à propos de considérer surtout ces deux
choses : L'infinie bonté de Dieu, que nous avons offensé (i) ;
cl les châtiments terribles que nous avons mérités, et dont
nous serons infailliblement frappés, si nous ne désavouons
pas nos fautes par notre repentir. Un saint évêque(^), avant
daller se confesser, faisait en esprit trois stations. Il se trans-
portait d'abord au pied de la croix du Calvaire, et considé-
prononcer contre soi, et qui doit être annulé dans un tribunal supé-
rieur, s'il n'a pas été bien prononcé : peut-on prendre trop de temps
pour ne s'y pas tromper ? Ayant donc à régler des comptes sur lesquels
vous serez ou condamnés ou absous, selon que vous les aurez bien ou
mal faits, la première chose que vous êtes obligés de faire, c'est de rentrer
en vous-mêmes, d'examiner les désordres de votre vie passée, etc. (Joly,
Prune pour le V* dira, du Car.).
Il faut confesser tous ses péchés, et en oublier de mortels, faute d'avoir
pris le temps nécessaire pour se bien examiner, c'est rendre sa confes-
sion nulle. Après avoir mené une vie oisive et sensuelle, avoir passé
plusieurs mois dans un enchaînement de crimes, fréquenté de mau-
vaises compagnies, lié des amitiés ou des commerces criminels, négligé
les devoirs essentiels de son état, péché par pensées, par paroles et par
actions, en une infinité de rencontres ; après tout cela, dis-je, donner à
l'examen de sa conscience un léger intervalle avant de se confesser, se
présenter précipitamment aux sacrés tribunaux, sans presque savoir de
quoi on s'accuse, dire un fatras de choses inutiles et ne descendre pas
dans le détail de celles qu'il faut absolument découvrir; est-ce là faire
une bonne confession ? Peut-on en si peu de temps rappeler toute sa vie
passée, les parties d'iniquité qu'on a liées, les mauvaises pensées qu'on
a eues, les médisances qu'on a faites, etc. ? Telles sont les confessions
d'une infinité de gens, qui après plusieurs mois, et quelquefois des
années entières, ne savent que dire à confesse, quoique le nombre de
leurs péchés surpasse celui de leurs cheveux (Anonyme, Diction, moral,
Réflex. sur les Indulg.).
i. Considéra quomodo sustinuit te (Dcus), et expectavit cuni multa
sapientia, quomodo pro offensis multa bona dédit, oiïcnsus rogat ut
redeas ad illum ; et considéra tuam duritiam pertinaciam, ingratitude
ixin cl pravitatem ; quam maie respondisti ta m bono Patri ; quomodo
contemnis monentem, despicis vocantem ; sine timoré ac verecundia
pro nihilo habes illum ofienderc, et mille injurias facere (S. Thom,
Villax. Dom. Passion.).
2. Mgr. delà Mothe d'Orléans, é\èque d'Amiens.
382 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRLCÏION.
rant Le Sauveur couvert de plaies et mourant, il se disait :
Voilà comment tu as traité, par tes péchés, ton Sauveur et
ton Dieu, qui ne t'a jamais fait que du bien. Entrouvrant
ensuite l'enfer par la pensée, il y regardait les damnés plon-
gés dans les flammes pour toujours, et se disait de nouveau :
Voilà le lieu où tu as mérité, par les péchés, d'être aussi jeté
et enfermé pour toute l'éternité. Enfin, levant les yeux vers
le ciel, il y contemplait les élus dans la gloire, et se disait
encore : Voilà le séjour et la félicité dont tu t'es rendu indi-
gne par tes péchés, et dont tu seras certainement exclu à
jamais, si après avoir fait le mal, hélas ! maintenant tu ne
le hais pas de tout ton cœur. A ce triple spectacle, qui donc
pourrait ne pas détester les péchés qu'il a eu le malheur de
commettre, et qui ont eu ou peuvent avoir de telles consé-
quences ! C'est pourquoi l'on ne saurait trop exhorter les
chrétiens à faire à leur tour ces trois stations, après qu'ils
ont achevé leur examen de conscience.
Et lorsqu'enfîn ils se présentent au tribunal sacré, ils
doivent se faire connaître au prêtre exactement comme ils
se connaissent eux-mêmes, se représentant qu'ils parlent
en quelque sorte à Dieu lui-même, qu'on ne peut tromper
parce qu'il sait tout. Ils doivent par conséquent s'accuser
en toute sincérité de toutes les fautes qu'ils ont commises
depuis leur dernière confession, soit en faisant ce qui était
défendu, soit en ne faisant pas ce qui était commandé. Ils
doivent s'accuser, disons-nous, et non pas s'excuser, comme
font quelques-uns, en rejetant leurs fautes sur les autres. Et
en s'accusant de leurs fautes, ils doivent encore en faire
connaître le nombre, ainsi que les circonstances qui peu-
vent en changer l'espèce ou en aggraver la malice. Par
exemple, si quelqu'un avait frappé son père, il ne lui suffi-
rait pas de dire qu'il a frappé une personne, il devrait dire
que c'est son père, car cette circonstance aggrave notable-
ment sa faute.
En se confessant ainsi, c'est-à-dire avec une entière sin-
cérité et un véritable repentir, on fera, nous le répétons,
une bonne et valide confession ; et si cette confession est
faite à un prêtre approuvé, on aura accompli les deux con-
ditions requises pour s'acquitter du devoir de la confession.
bEVOlft ni: SE com ksskk m MOINS i m: nus l'an. 383
ajoutons que colle confession peut être faite à toute épd
que de L'année. Mais pour les personnes qui sont tenues à
la ('1)111111111)1011 pascale, il esl à propos qu'elles la fassent
dans le temps d;> Pâques, parce que, si à cette époque, elles
se trouvaient en étal de péché mortel, elles seraient abso-
lmnenl forcées de se confesser de nouveau pour pouvoir
faire leurs Pâques (i).
CONCLUSION. — Telles sont, chrétiens, les bases du
devoir de la confession annuelle, tels sont ses motifs, et
telles les conditions pour s'en acquitter. En résumé, les
bases du devoir de la confession annuelle sont, d'un côté,
le précepte divin de la confession, et de l'autre, la décision
de l'Église que, pour accomplir ce précepte, il faut se
confesser au moins une fois chaque année. Les motifs pour
Lesquels Noire-Seigneur a voulu que nous nous confessions,
son! notre sanctification et notre consolation dès ce monde.
Enfin les conditions pour s'acquitter de ce devoir sont, de
s'adresser à un prêtre approuvé, et de lui accuser, avec sin-
cérité et douleur, Ions les péchés qu'on a commis depuis
sa dernière confession. Maintenant, je le demande: Qui
peut vouloir se soustraire à ce devoir? quelle raison allé-
guer pour ne pas l'accomplir (2) ? On ne peut plus dire que
t. Sunt theologi qui a januario ad januarium tempus animas confes-
sionnis computant, nec pu tant obligare consueludincm quoad tempus
quadragesimao, nisi ubi sunt statuta illud designantia. Billuart et Gori-
tia censenl sulïîcere, quovismodo tempus computetur, si interunam et
alteram confessionem plus quam minus non intercipiatur. Sed, spectata
universali consuetudine, computatur incipiendo a Paschate ad Pascha
(Examen raisonné, -2 p. ch. 1. a. 1).
•>.. Je connais les excuses qu'on donne pour se dispenser de celle cou
fession annuelle. .l'ai trop d'occupations. Tant pis pour vous ; la
première de nos occupations doit être de sauver votre âme; c'est pour
celle là surtout que Dieu vous a créé et mis au inonde. — J'ai
des contrariétés, <\cs haines. — Alors, venez vous confesser. On vous
dira : Il i'aut pardonner ; et vous recevrez la grâce nécessaire pour
oublier les injures qu'on vousa faites. — N'alléguez même pas certai-
nes préventions plus ou moins Injustes que vous pourriez avoir contre
votre pasteur : vous êtes libres de nous adresser à qui vous voudrez, et
l »ui prêtre, exerçant le saint ministère dans le diocèse, pourra vous
absoudre. — Mais mon père, mon époux s'j apposent. — \li ! D'abord,
permcttez-m< i de vous deman le -i. dans tout) circonstan-
384 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XIV . INSTRUCTION.
la loi de la confession est une loi humaine, ou facultative,
puisqu'il a été établi qu'elle a pour auteur Notre-Seigneur
lui-même, qui l'a rendue obligatoire pour tous, par le seul
fait qu'il n'en a dispensé personne. On ne peut plus dire
non plus qu'elle ne sert à rien, ou même qu'elle est pour
l'âme une torture, puisque nous avons vu que son action
est de nous sanctifier toujours davantage, et que loin de
torturer l'âme, elle la soulage et la console, ainsi qu'en font
l'expérience tous ceux qui se confessent bien. Enfin l'on ne
peut plus dire qu'on ne sait comment faire pour se bien
acquitter de ce devoir, puisque nous avons expliqué qu'il
suffit pour cela de se confesser, à un prêtre approuvé,
de tous les péchés qu'on a commis et dont on se repent.
Eh bien, puisque la confession est une loi divine qui
oblige tout le monde, apprêtez-vous donc tous, chrétiens, à
vous confesser, et à vous bien confesser. C'est une chose
si belle et si bonne que de faire son devoir ! Alors même
qu'il s'agit d'un devoir difficile et pénible, toujours on
s'applaudit d'avoir eu le courage de l'accomplir ; et si on ne
l'accomplit pas, toujours on se le reproche et on rougit au
fond de son âme d'avoir eu la lâcheté d'y manquer. Chré-
tiens, ne vous donnez pas le regret d'avoir manqué à votre
devoir de la confession annuelle, vous en avez déjà bien
trop d'autres, hélas ! Au contraire, procurez-vous la sainte
et suave joie d'accomplir ce devoir, et il vous en sera donné
avec elle et par elle beaucoup d'autres dont elle est le prin-
cipe, et qui dureront jusque dans l'éternité. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
Nécessité de la Confession.
t. — Saint Ambroise, parlant de la nécessité de confesser ses pé-
ces, vous êtes aussi obéissante à votre père, aussi soumise à votre mari.
Puis, rappelez-vous bien que le salut est une affaire personnelle, qu'au-
cune âme ne sera damnée pour la vôtre si vous êtes condamnée à l'en-
fer. Voyez donc comme toutes ces raisons sont vaines ! comme toutes
ces excuses et d'autres encore qu'on pourrait alléguer, sont frivoles et
n'auront guère de poids dans la balance du Juge souverain qui pronon-
cera sur votre sort éternel (Lobry, loc. cit.).
DEVOIR DE SE CONFESSER AU MOINS UNE FOIS l'an. l\$~)
chés, s'exprime ainsi : « Voulez- vous être justifié ? confessez votre
crime. I ne humble confession délivre des liens du péché. » —
« Pourquoi, dit-il ailleurs, auriez-vous honte de confesser vos péchés
à l'Église Ml n'y a de honte qu'à ne pas les confesser, puisque
nous sommes tous pécheurs, Le plus humble n'csl-il pas le plus
recommandable ? et celui qui est le plus petit à ses yeux n'est-il
pas le plus juste ? »
•>. — Saint Boniface, archevêque de Mayencc, dit dans sa 4e ho-
mélie : « Si nous cachons nos péchés, Dieu les découvrira publi-
quement, malgré nous. 11 vaut bien mieux les confesser à un
homme que de s'exposer à être couvert de confusion à la vue de tous
les habitants du ciel, de la terre et de l'enfer. »
3. — Saint François-Xavier se confessait tous les jours quand il
pouvait avoir un prêtre. — 11 en était de même du pape Clément VIII
qui, pour en fournir l'occasion aux autres, entendait tous les jours
les confessions. C'était également la pratique de saint Charles
Borromée, de saint Vincent de Paul et d'une foule d'autres saints
parmi lesquels nous citerons encore saint Henri de Trévise, pauvre
manœuvre qui ne vécut jamais que du produit de son travail, mais
qui voulait s'entretenir dans la plus exacte pureté, afin de se ren-
dre plus digne de louer Celui qui est la sainteté même, et aux yeux
duquel les anges ne sont point sans tache.
l\. — Mgr de Ségur rapporte qu'un aumônier, visitant la prison
de la Roquette à Paris, y trouva un jeune homme de dix-sept ans,
auquel il adressa quelques paroles amicales. « N'auriez-vous pas le
désir, cher ami, de faire votre confession? Vous serez si content
après l'avoir faite. D'ailleurs nous ne sommes pas loin des Pâques ?
— Pour le moment, monsieur l'abbé, non; je ne fais pas mes Pâques
cette année, mais l'année prochaine, je vous le promets. — Et pour-
quoi pas à présent, mon cher enfant ? L'année prochaine, hélas !
vous ne pourrez peut-être plus. — Si, monsieur l'abbé ;je suis bien
portant, et, l'animé prochaine, vous pouvez y compter, je me con-
fesserai. » Celui qui parlait ainsi portait le numéro 3o. L'aumônier
fut obligé de le quitter sans avoir pu obtenir une réponse. Le len-
demain, il vint visiter le quartier des malades, pour aider un autre
jeune homme, pareillement de dix-sept ans, qui était presque
mort. En passant, il voit sur une cellule le numéro 3o. Il s'arrête
et demande qui est ce malade. C'était bien son endurci delà veille,
qui avait remis sa confession à l'année prochaine. On l'avait trouvé
atteint d'un violent mal de tête, qui ressemblait à un transport au
cerveau. L'aumônier entre, lui parle, mais ne reçoit pas de réponse.
Il lui donne l'absolution sous condition, puis appelle l'inlirmier et
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 25
386 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
le médecin, qui se hâtent d'accourir auprès du malade : il était
mort. — Le prêtre, le cœur attristé, sort de cette lugubre alcôve,
et va trouver son moribond. Ici une grande consolation l'attendait :
le mourant l'accueillit avec joie et se hâta de faire sa confession.
Après quoi le confesseur l'encourageait et lui faisait même espérer
de guérir : « Ah ! monsieur, dit-il, j'espère que Dieu me fera la
grâce de mourir, maintenant que je suis bien avec lui. Si je guéris,
j'ai tout à craindre de ma faiblesse. Priez, que j'obtienne la grâce
d'une prompte mort. » Il l'obtint en effet, et mourut avec toutes
les marques d'un prédestiné.
5. — Il y avait dans l'île de Sardaigne un jeune homme qui,
s'abandonnant à ses passions, en vint à négliger ses plus graves
devoirs de chrétien et à omettre sa confession annuelle. Ses amis
l'engagèrent à ne pas continuer dans cette voie, et à ne pas différer
de se confesser. « Je n'ai pas besoin de confession, répondit-il ;
au reste, je me confesserai plus tard. » Il endurcit donc son cœur,
tomba dans l'abîme de tous les vices, perdit son honneur, sa for-
tune, sa santé, et finit par se trouver mourant à l'hôpital de Ca-
gliari. C'était en 1848. Un religieux, visitant les malades de cet
hôpital, fut invité à s'approcher de ce malheureux, qu'on lui
signala comme refusant les sacrements. Le père le trouva très mal
et n'ayant plus que très peu de temps à vivre. Il lui parla avec
beaucoup de bonté et l'engagea à faire une bonne confession : « Je
vous aiderai, lui dit-il, mon cher frère ; la chose sera très facile,
le bon Dieu vous fera miséricorde et vous serez si heureux ! — Je
n'ai pas besoin de confession, répondit-il froidement. — Cher ami,
tout le monde en a besoin, surtout quand on est malade, qu'on va
paraître devant Dieu. Voudriez-vous mourir sans confession ? —
Pas besoin. — De grâce, mon fils, ne tardez pas, votre fin est
proche, vos moments sont comptés... » Tout fut inutile, le ministre
de Dieu ne reçut d'autre réponse que ces tristes mots toujours
répétés : Je rien ai pas besoin] Il quitta l'hôpital navré de douleur
en priant pour le malheureux moribond. — Le lendemain, étant
retourné, il vit près de la salle des malades un cadavre couvert
d'un linceul, et frissonna, craignant que ce ne fût celui du récal-
citrant de la veille. Ses craintes n'étaient que trop fondées. Étant
entré dans la salle, il vit la consternation peinte sur tous les visages.
Les malades lui disaient : « Père, vous ne savez pas ce qui est
arrivé ? Cet endurci est mort sans vouloir se confesser. Vers mi-
nuit, il a poussé un cri, disant : « Un poignard, donnez-moi un
poignard que jele perce! — De qui donc voulez-vousparler? — Eh !
ne voyez-vous pas ce nègre hideux qui veut se jeter sur moi? — Con-
DEVOIR DE SE CONFESSER AU MOINS UNE FOIS l'an. 387
fessez-vous, et vous n'aurez rien à craindre. — Me confesser? non,
pas besoin. — Quand il eut prononcé ces paroles, il garda un
morne silence. Puis de nouveau il cria : Au secours, il me saisit!..
Ces dernières paroles furent suivies d'un gémissement affreux,
après quoi on n'entendit plus rien. 11 était mort. » Terrible fin d'un
chrétien qui n'a pas voulu accomplir le devoir de la confession !
La Confession sanctifie.
1. — Un catholique fort zélé qui, dans sa paroisse, passait
pour un modèle de piété, s'approchait fréquemment du tribunal de
la Pénitence. Un autre qui s'en étonnait lui demanda pourquoi il
se confessait si souvent, puisqu'il vivait si saintement. Le catho-
lique lui répondit : « Voyez, je me conduis comme un père de fa-
mille qui a de l'ordre. Celui-ci ne manque pas un seul jour de
montrer les mêmes soins, et cependant il se fixe certains jours
pour vérifier ses comptes. Comment vont les affaires ? Ai-je avancé
ou reculé depuis le dernier arrêté du compte ? Si elles vont mal, à
quoi cela tient-il ? Que faire pour les remettre en bon état ? Si elles
vont bien, qu'y a-t-il à faire pour que j'avance encore davantage ?
En vérité, nous avons besoin de certains jours où nous fassions
aussi un pareil inventaire moral, et ce sont les jours de confession.»
2. — Pour faire ressortir la nécessité rigoureuse de la confession
annuelle, ainsi que les avantages d'une confession plus fréquente,
un prédicateur se servit de la comparaison familière que voici î
La pratique de la confession, dit-il, est à la vie chrétienne ce que
l'aiguille est à une horloge : elle marque extérieurement l'état de
l'intérieur. C'est par le mouvement régulier de l'aiguille qu'on
connaît la régularité du mécanisme caché au-dedans ; et c'est par
la fréquentation du sacrement de Pénitence qu'on connaît l'état
dune âme, qu'on ne saurait voir des yeux du corps ; en sorte que
l'on peut dire : tel zèle pour la confession, tel chrétien. Me deman-
dez-vous quelle est la valeur de cet homme au point de vue reli-
gieux ? s'il est bon ou mauvais chrétien ? s'il est chrétien fervent
et quel est son degré de ferveur ? Je vous demanderai à mon tour
s'il se confesse et combien de fois il approche du saint tribunal.
Si vous me dites qu'il ne se confesse pas, vous avez l'indice d'un
mauvais chrétien. Se confesse-t41 une fois par an seulement ?il ne
fait que le strict nécessaire, et l'on ne dira pas que c'est un chré-
tien fervent. S'approche-t-il du saint tribunal trois ou quatre fois
l'an ? on le peut ranger parmi les bons chrétiens. Enfin, le voit-on
fréquenter ce sacrement, s'agenouiller tous les mois, ou plus sou-
vent encore, aux pieds de Jésus-Christ, dans la personne du con-
388 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIV. INSTRUCTION.
fesseur ? dites hardiment, sans crainte de vous tromper: c'est un
chrétien fervent, il a vraiment son salut à cœur. »
Bonheur que procure la Confession.
i. — Saint Alphonse de Liguori raconte, dans son ouvrage Les
Vertus de Marie, le fait suivant : « Un homme, dit-il, tomba dans
un péché grave : d'un côté, la honte l'empêchant de le confesser, de
l'autre, ne pouvant supporter les remords de sa conscience, il prit
le parti d'aller se noyer ; mais arrivé sur le bord du fleuve, il n'osa
s'y précipiter, et pria Dieu avec effusion de larmes de le lui par-
donner sans confession. Une nuit, pendant son sommeil, il se sent
frapper sur l'épaule, et entend une voix qui lui dit : a Va te con-
fesser. » Dans le dessein d'obéir à cet ordre, il se rend à l'église,
mais ne s'y confesse pas. 11 entendit la même voix une des nuits
suivantes, retourna à l'église, mais toujours retenu parla crainte :
« J'aime mieux mourir, dit-il, que de confesser ce péché. » Cepen-
dant, avant de sortir de l'église, il veut aller se recommander à
Marie devant une de ses images. A peine s'est-il prosterné qu'il se
sent tout changé par la grâce de Marie. Aussitôt il se lève, appelle
un prêtre et fait une confession entière de ses péchés avec une
grande abondance de larmes. Et dans la suite il avoua qu'il avait
alors éprouvé une satisfaction bien plus grande que celle qu'aurait
pu lui procurer tout l'or de la terre. »
2. — Un ancien officier de cavalerie passait dans un de ses voya-
ges par un lieu où le P. Brydaine donnait une mission. Curieux
d'entendre un orateur d'une si grande renommée, il entra dans
l'église lorsque ce missionnaire, après les exercices du soir, déve-
loppait dans un avis l'utilité et la méthode d'une bonne confession
générale. Le militaire, touché, forme à l'instant la résolution de se
confesser, vient au pied de la chaire, parle au P. Brydaine, et se
décide à rester à la mission. Sa confession fut faite dans les senti-
ments d'un vrai pénitent. Il lui semblait, disait-il, qu'on otât de
dessus sa tête un poids insupportable. Le jour où il eut le bonheur
de recevoir l'absolution, il sortit du tribunal, témoin de ses aveux,
versant des larmes que tout le monde lui vit répandre. Rien ne lui
était si doux, disait-il, que ces pleurs qui coulaient sans effort par
amour et par reconnaissance. 11 suivit le saint homme, lorsqu'il se
rendit à la sacristie, et là, en présence de plusieurs missionnaires,
le loyal et édifiant militaire exprima en ces termes les sentiments
dont il était animé : m Messieurs, écoutez-moi de grâce, et vous
particulièrement, P. Brydaine : je n'ai goûté de ma vie des plaisirs
si purs et si doux que ceux que je goûte depuis que je suis en grâce
DEVOIR DE SE CONFESSER U MOINS UNE FOIS I.'vw 38g
avec mon Dieu. Je ne crois pas on vérité que Louis XV, que j'ai
servi depuis 36 ans, puisse être plus heureux que moi. Non, ce
prince dans toul l'éclal qui environne son trône, au soin de tous
les plaisirs qui l'assiègent, n'ësl pas si content, si joyeux (pie je le
suis depuis (pie j'ai déposé l'horrible fardeau de mes péchés. » A
ces mots, se jetant aux genoux d)i P. Brydaine, et lui serrant les
mains : s Que je dois, ajouta-t-il, rendre d'actions de grâces à mon
Dieu 1 il m'a conduit dans ce pays comme par la main. Ah ! je ne
pensais, mon Père, à rien moins qu'à-ce que vous m'avez fait faire.
Je ne puis nous oublier jamais. Je vous conjure de prier le Seigneur
qu'il me laisse le temps de faire pénitence : il me semble que rien
ne me coulera, si Dieu me soutient. » (Gabon, Vie du P. Brydaine).
Conditions pour se bien confesser.
S'examiner. — Les philosophes païens connurent combien
l'examen de conscience était efficace. Saint Jérôme rapporte de
Pythagore, qu'entre les leçons que ce philosophe donnait à^ ses
disciples, une des principales était qu'ils eussent deux temps déter-
minés dans le jour, l'un le matin, l'autre le soir, pour se faire ces
trois questions : « Qu'ai-je fait ? Comment l'ai-je fait ? Ai-je fait
tout ce que je devais faire ') »
Se repentir de ses fautes. — Saint François de Sales, voyant
qu'un grand pécheur, qu'il confessait, lui accusait, sans contrition,
des fautes très graves, se mit à pleurer. « Pourquoi pleurez-vous,
mon père ? lui dit ce faux pénitent. — Mon fils, je pleure de ce
que vous ne pleurez pas », lui répondit le saint avec beaucoup de
douceur. C'en fut assez pour inspirer à ce pécheur les sentiments
dont il devait être pénétré.
S'en accuser avec sincérité.— i. «Parmi tant d'autres
grâces, Dieu m'a accordé celle-ci : jamais, depuis ma Première
Communion, je n'ai laissé de m'accuser, au saint Tribunal, de tout
ce que j'ai cru être péché, quelque léger qu'il fût. » (Vie de sainte
Thérèse, écrite par elle-même, ch. 5).
i. Dans le mois d'août i865, nous fîmes connaissance d'un
vénérable religieux de l'ordre des Passionistes, à Hoboken, en face
de New-York. Dans un entretien à propos des francs-maçons, voici
le trait qu'il nous raconta :
J'ai été appelé, il y a peu de jours, pour administrer un mourant
à Brooklyn. C'était un allemand, que j'avais eu occasion de rencon-
trer plusieurs fois. Sa fille unique, excellente catholique, me pré-
vint que son père était franc-maçon, et qu'il fallait exiger sa
390 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. • — XIV. INSTRUCTION.
rétractation. Après avoir entendu sa confession, je lui demandai s'il
n'avait pas appartenu à quelque société secrète. — « Oui, mon
père, je suis franc-maçon ; mais vous le savez, en Amérique, cela
n'est pas mal. — C'est une erreur, lui dis-je, la Franc-Maçonnerie
est condamnée partout où elle existe ; ils vous faut donc rétracter
tout ce que vous avez pu promettre et me délivrer vos insignes. »
Le malade fit bien quelques difficultés, mais il avait gardé la foi»
et il signa la rétractation que je rédigeai ; puis il me fallut faire de
nouvelles instances pour obtenir son écharpe, son équerre et sa
truelle d'argent, son tablier de peau et son rituel, renfermés dans
une armoire près de son lit. Je dus lui expliquer la nécessité de se
dépouiller de tous ces objets s'il voulait faire preuve d'un repentir
sincère. Je sortais emportant les dépouilles opimes, et tout heureux
d'avoir arraché une âme au démon. La jeune fille m'attendait sous
le vestibule : « Eh bien ! dit-elle, mon père vous a tout remis, tout,
n'est-ce pas ? — Voyez plutôt, ma fille ; et je lui montrai les objets
que j'avais à la main. » Elle les prend l'un après l'autre, et puis,
d'un air triste, elle dit : « Non, tout n'est pas là; ces insignes, mon
père les portait dans sa loge, et dans les grandes circonstances ; il
n'a pas eu de peine à vous les remettre ; il lui en a coûté davantage
pour ce livre, qui est particulier à son grade. Mais il y a encore
autre chose. — Quoi donc ? — Un écrit dont j'ignore le contenu ;
mon père m'a recommandé de le porter tout cacheté après sa mort
au chef de la Loge. Ce doit être quelque secret important. » Je
retourne près du malade, et je lui dis : « Pourquoi me trompez-
vous ? Vous allez paraître devant le tribunal de Dieu ; croyez-vous
échapper à sa justice ? Avez-vous encore quelque chose à me
livrer ? » Le malade parut consterné ; je remarquai la pâleur de
son visage et le trouble de ses yeux ; puis, il dit avec un certain
embarras: « Mais, vous avez tout emporté, je n'ai plus rien à vous
livrer. — Non, il y a un écrit, comme en ont tous les franc-
maçons. — C'est une erreur, mon père, je n'ai plus rien. » Je
redoublai d'instance ; tout était inutile ; le démon allait triompher.
J'employai tous les moyens que je croyais efficaces en telle occasion.
Je n'obtins rien ; le malade niait ou ne répondait pas. Alors, sa
fille ouvre la porte et se jette à genoux aux pieds du lit : « Oh mon
père ! de grâce, sauvez votre âme, votre fille serait trop malheu-
reuse. Vous dites que vous m'aimez, prouvez-le maintenant. » —
Le malade ne s'attendait pas à cette secousse : les embrassements
et les larmes de sa fille l'émeuvent ; elle lui prodigue les caresses
les plus vives ; elle lui dit les paroles les plus tendres, lui parle du
ciel qu'il perd, et le malade veut répondre. « Tu sais que je n'ai
DEVOIR DF SE CONFESSER AU MOINS UNE FOIS ï/aN. 39 I
rien de caché. » Sa fille, prenant un ton inspiré : « Ne mentez pas,
mon père ; vous ave/, toujours été franc ; que je ne rougisse pas de
sotie nom. Donne/, au Père le papier que vous m'avez recommandé
de porter au vénérable de la Loge. >> A ces paroles, le malade pousse
un cri, puis, taisant un effort, il dit en soupirant : « Non, ma fille,
tu ne rougiras pas de ton père. Tiens, prends cette clef à mon cou,
ouvre Le tiroir, et donne au Père le papier qu'il renferme. » Puis
il retombe affaissé. Sa fille, prompte comme l'éclair, avait exécuté
ses ordres et me remettait un pli cacheté en disant : « Victoire,
mon père est sauvé ; il a vomi le poison. » Cette scène m'avait
profondément touché, le courage de cette fille me rappelait une
chrétienne des premiers siècles. — Le malade vécut encore quelques
heures, et ses dernières paroles étaient un acte de contrition en
même temps que de foi et d'espérance. J'ouvris en présence de sa
fille le pli cacheté. C'était un serment signé avec du sang. J'avais
entendu parler de ce genre d'écrit en usage chez les chefs de la
Franc-Maçonnerie ; mais quand je parcourus ce papier, je n'en
pouvais croire mes yeux. C'était le serment d'une guerre sans fin,
sans merci contre l'Église, la Papauté et les rois, avec les plus
exécrables malédictions s'il violait sa parole. Ce papier, je l'ai
remis entre les mains de l'archevêque, afin qu'il pût apprécier aussi
bien que moi la malice infernale de la Franc-Maçonnerie. »
(Semaine Religieuse de Carcassonne, 1874).
QUINZIEME INSTRUCTION
(Dimanche de la Passion).
C'est un devoir pour tout chrétien de
communier au moins à Pâques.
I. Que ce devoir nous est imposé par Notre-Seigneur et par son Église.
— II. Qu'il nous est imposé pour notre plus grand bien. —
III. Qu'aucun prétexte ne peut nous en dispenser.
G 'est auj ourd'hui , dimanche de la Passion , que commence ,
pour finir le dimanche du Bon Pasteur, le temps dans
lequel se doit accomplir ce qu'on appelle communément
le devoir pascal. Ce devoir, nous le savons tous en général,
consiste à s'approcher de la Sainte Table, après s'être purifié
de tous ses péchés par une bonne confession, et à recevoir
Notre-Seigneur Jésus-Christ dans son cœur, avec tout le
respect et tout l'amour dont on est capable. Nous savons
encore que ce devoir, qu'il faut accomplir dans sa propre
paroisse quand on le peut (i), s'impose à tous les chrétiens
i, La loi qui oblige à accomplir son devoir pascal dans la paroisse
n'est pas tellement impérieuse, qu'elle n'admette aucune exception.
Voici celles reconnues par Mgr Gousset dans sa Théologie morale : « i°
Les prêtres accomplissent le devoir pascal dans tous les lieux où ils
disent la Messe ; c'est une opinion commune fondée sur l'usage; mais
il en serait autrement s'ils ne célébraient pas. 20 Les religieux, monachi
et regulares, etles religieuses, moniales, communient, même en temps de
Pâques, dans leurs églises. Il en est de même des domestiques attachés
à leur service, lorsqu'ils vivent dans le monastère. 3° Les évêques per-
mettent assez généralement aux élèves des grands et des petits sémi-
naires, aux élèves des collèges et autres établissements d'éducation
publique, de communier dans leurs chapelles. Cette permission a
plus ou moins d'étendue, suivant la volonté de l'ordinaire. 4° On
dispense aussi, le plus souvent, les sœurs hospitalières, les vieillards,
les infirmes, et généralement toutes les personnes qui sont dans les hos-
pices, de recourir à l'église paroissiale pour la Communion pascale.
5° Les pèlerins et les vagabonds peuvent communier partoutoù ils
se trouvent. 6° Les étrangers, les voyageurs, qui ne peuvent se rendre
commodément dans leur paroisse pour le temps pascal, ont droit
DEVOIR DE COMMUNIER AU MOINS A PAQUES. 3g3
qui ont atteint L'âge de discrétion, c'est-à-dire l'âge où l'on
est capable de parfaitement comprendre ce que Ton fait,
Lequel âge arrive ordinairement vers la dixième ou dou-
zième année, selon le développement plus ou moins précoce
et Le degré d'instruction des enfants. Dans la pratique, on
est tenu à accomplir le devoir pascal dès qu'on a été admis
à faire sa Première Communion. Mais si, par sa faute, on
n'avait pas encore fait sa Première Communion au plus
tard vers sa quatorzième année, on ne laisserait pas d'être
astreint au devoir pascal à partir de cet âge, en sorte qu'en
ne s'en acquittant pas on commettrait un péché mortel (i).
Tel est le devoir pascal pour tous les chrétiens parvenus à
l'âge de discrétion : faire la sainte ^Communion au moins
une fois chaque année, du dimanche de la Passion au di-
manche du Bon Pasteur, et cela dans sa propre paroisse, à
moins d'empêchement sérieux, qu'on doit soumettre à son
confesseur. Les autres Communions, si Ton en fait, n'étant
pas obligatoires, peuvent se faire partout où l'on veut ; mais
la Communion pascale, nous le répétons, doit se faire dans
l'église de la paroisse sur laquelle on habite, afin que le
curé, qui a la charge des âmes de cette paroisse, sache si
tous ses paroissiens s'acquittent du devoir pascal en faisant
leurs Pâques.
Or, ce devoir pascal, auquel tous les chrétiens sont as-
treints, tous les chrétiens s'en acquittent-ils ? Hélas ! il faut
le reconnaître avec douleur et honte : généralement, c'est le
petit nombre, et même parfois le très petit nombre, pour
qui le devoir de communier n'est pas un vain mot, et qu'on
voit approcher de la sainte Table eucharistique. D'où vient
cet oubli du devoir pascal, et cette indifférence profonde
avec laquelle on l'omet ? Cet oubli et cette indifférence
viennent principalement, comme nous l'avons déjà dit,
de communier dans la paroisse où ils sont, même en passant. 70 Les
fidèles accomplissent également leur devoir pascal en communiant
ailleurs que dans leur paroisse, avec la permission du curé, ou de
L'évéque, ou du chef de l'Église. » — Plusieurs théologiens pensent que
la permission peut être tacite ou présumée. C'est également l'opinion
de Mgr Gousset.
1. Cf, Pierrot, Dictionn, de théol. mor. art. Communion, n° 2,
3g4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XV. INSTRUCTION.
d'autres devoirs, de l'ignorance dans laquelle on vit à cet
égard. Au catéchisme, on a bien appris que c'est un
devoir de faire ses pâques chaque année ; mais les connais-
sances acquises alors étaient nécessairement fort som-
maires, étant proportionnées aux capacités des enfants ;
et depuis, bien loin d'en apprendre davantage, on a même
oublié le peu qu'on en savait. Quoi d'étonnant, dès lors,
qu'on fasse peu de cas d'un devoir dont on ne connaît bien
ni l'origine, ni les avantages, et contre lequel on a même
des préjugés que l'on s'efforce de considérer comme sérieux?
Si donc l'ignorance plus ou moins profonde du devoir pas-
cal est pour plusieurs, pour beaucoup peut-être, la princi-
pale cause de leur infidélité, on doit espérer qu'une connais-
sance raisonnée de ce devoir les ramènera à le pratiquer.
Dans cette vue, nous allons en conséquence démontrer : pre-
mièrement, que le devoir de la Communion pascale nous est
expressément imposé par Notre-Seigneur Jésus-Christ et par
son Église ; deuxièmement, que ce devoir nous est imposé
uniquement pour notre plus grand bien ; et troisièmement
enfin, qu'aucun prétexte ne peut nous dispenser de l'accom-
plir. — Seigneur Jésus, qui dans votre infinie bonté avez
institué votre adorable Eucharistie pour venir nous apporter
vous-même vos grâces les plus précieuses, daignez user
encore de votre infinie bonté pour nous faire comprendre à
tous, combien vivement vous entendez que nous répondions
à vos vues de prévenante tendresse pour nous, en vous rece-
vant au moins une fois chaque année dans nos cœurs,
durant la quinzaine de Pâques.
I. — Que le devoir de la Communion nous est imposé
par Notre-Seigneur et par son Église. — Il en est du de-
voir de la communion, pouvons-nous dire tout d'abord, com-
me du devoir de la confession, dont nous nous sommes occu-
pés dans notre dernier entretien : de même, en effet, que le
seul fait de l'institution du sacrement de Pénitence par
Notre-Seigneur, nous impose le devoir d'y recourir et par
conséquent de nous confesser ; de même l'institution de
l'adorable Eucharistie nous impose par elle seule l'obligation
de la recevoir. Car Notre-Seigneur ne l'a pas instituée pour
DEVOIR DE COMMUNIER VU MOINS A PAQUES. ;><).r)
qu'elle soit dédaignée et délaissée, mais tout au contraire,
évidemment, pour que nous y prenions part et que nous en
usions. Or, si l'on ne peut mettre en doute que le dessein
de Notre-Seigneur, en instituant son Eucharistie, a été que
nous la recevions : peut on mettre en doute que ce soit un
devoir pour nous de la recevoir ? peut-on mettre en doute
que ce dessein de Notre-Seigneur, comme le ferait tout autre
dessein, crée pour nous l'obligation de nous y conformer?
Non, on ne peut pas clouter décela, parce que Notre-Seigneur
étant notre souverain Maître, c'est pour nous une obligation
rigoureuse d'entrer dans toutes ses vues. Par conséquent,
alors même que Notre-Seigneur se serait borné à instituer
son adorable Eucliaristie, sans rien dire ni faire de plus,
cela seul nous obligerait à communier.
Mais Notre-Seigneur a fait plus que d'instituer l'Eucha-
ristie, il nous a expressément et instamment invités à l'aller
recevoir. Dans une des paraboles qu'il adressait chaque jour
au peuple, afin de frapper davantage l'esprit de ses audi-
teurs, il dit qu'un homme, qui voulait faire un grand festin,
y invita un grand nombre de convives. Et quand l'heure
fut venue, il envoya ses serviteurs dire aux invités que tout
était prêt, et qu'ils vinssent. Mais la plupart d'entre eux,
alléguant diverses excuses, ne vinrent pas. Alors le maître
envoya ses serviteurs par les places et par les rues, puis par
les chemins et par les sentiers, invitant tous ceux qu'ils
rencontreraient à venir au festin et à remplir la maison (i).
Or, quoi déplus clair que le sens de cette parabole ? L'homme
dont il y est parlé, n'est-ce pas Notre-Seigneur lui-même,
et son festin, n'est-ce pas l'Eucharistie, dans la vaste enceinte
de l'Église ? Ce fut en effet au soir de sa vie, que le festin
sacré fut prêt. Et les premiers invités, qui furent les juifs,
ne vinrent pas. Mais le Sauveur, dans son vif désir que tous
les hommes prissent part à son Eucharistie, envoya ses
apôtres et ses prêtres sur tous les chemins du globe et dans
toutes les contrées de la terre, pour faire entendre à toutes les
âmes ses pressantes invitations. Nous les avons entendues
à notre tour, ces invitations, et les ministres sacrés ne se
i, Luc, xiv, jG-23.
396 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XV. INSTRUCTION.
sont pas épargnés pour essayer de nous amener au banquet
divin de leur Maître. Eh bien, je le demande, après que
Notre-Seigneur a témoigné un tel désir de nous voir pren-
dre part à son festin eucharistique, après qu'il nous y a
fait inviter d'une manière aussi pressante, serait-il encore
possible de dire que ce n'est pas un devoir pour nous d'y
aller? Un simple serviteur se fait un devoir de prévenir le
moindre désir de son maître ; et ce ne serait pas un devoir,
pour un chrétien, de se conformer à un désir si ouverte-
ment et si instamment exprimé de son Dieu !
Cependant Notre-Seigneur ne s'est pas encore contenté de
nous faire inviter à son festin eucharistique : à l'invitation,
il a joint la menace pour ceux qui ne viendraient pas. Par-
lant en la personne de l'homme de la parabole, qui n'est
autre que lui-même, il s'est écrié, dans son indignation
contre ceux qui ne devaient avoir que de l'indifférence ou
du dédain pour son banquet : En vérité, je vous le dis, aucun
de ceux que j'ai invités à mon festin eucharistique et qui n'y
sont pas venus, n'aura de part à mon éternel festin des
cieux (1). Voilà comment le Sauveur se vengera non seule-
ment de ceux qui auront méprisé et outragé son Eucharistie,
mais encore de ceux qui simplement y seront restés étran-
gers. Leur châtiment sera le même, les uns et les autres
seront exclus de la communion céleste, des joies du paradis,
du festin éternel. Or, contre qui, dans l'Évangile, l'exclusion
du ciel est-elle invariablement prononcée ? Est-ce contre
ceux qui n'accomplissent pas un simple conseil ? Non, mais
contre ceux qui ne s'acquittent pas d'un devoir formel et
grave. Tel est donc par conséquent le devoir de la Commu-
nion, c'est-à-dire un grave et formel devoir, puisque son
inobservation reçoit le même châtiment que l'inobservation
de tous les autres graves devoirs.
Comment la Communion ne serait-elle pas un formel et
grave devoir, puisqu'enfin elle nous a été expressément et
directement commandée par Notre-Seigneur lui-même ? Ne
l'avons-nons pas cent fois lu, ne l'avons-nous pas cent fois
entendu ? Après avoir institué l'adorable Eucharistie, après
j. Luc. xiv, 24.
DEVOIR DE COMMl NIER Al MOINS A PAQUES. .ïQ7
Lfavoir distribuée à chacun de ses apôtres, quelle parole le
Sauveur Leur adressa-t-il comme conclusion de ce rite nou-
veau ? Faites ceci en mémoire de moi(i), leur dit-il. Qu'est-ce
à dire : Faites ceci en mémoire de moi? Gela ne veut-il pas
évidemment dire : consacrez et communiez ? Or, n'est-ce pas
là un ordre formel et positif? Et un tel ordre du Sauveur ne
crée-t-il pas pour les chrétiens un devoir rigoureux et iné-
luctable ? Vprès que le Maître aura dit : Faites ceci, sera-t-il
loisible aux disciples de ne le pas faire ?
Cette parole du Sauveur : Faites ceci, fut tout de suite si
bien prise pour un ordre, et cet ordre fut tout de suite si
bien obéi, que la première chose qui nous est rapportée des
trois mille qui se convertirent à la voix de saint Pierre, le
jour même de la Pentecôte, c'est qu'après avoir été baptisés,
ils étaient assidus à entendre ce qu enseignaient les apôtres et à
communiquer ensemble dans la fraction du pain (2), c'est-à-dire
à communier (0). Cette ferveur première se maintint au
moins pendant trois siècles, jusqu'à la fin des grandes per-
sécutions. La Communion était alors le grand principe de
cette force surhumaine qui triompha, dans les chrétiens et
par les chrétiens, de la puissance du paganisme réputée
1. Luc. XXII, If).
2. Act. II, !\2.
3. Par la fraction du pain, il faut entendre la fraction du pain du
sacrifice, qui était distribué comme le véritable corps du Seigneur,
comme son corps oITcrt en sacrifice. Le président de l'assemblée, à
l'exemple du Seigneur, Luc. xxiv, 3o ; Matth. xxvi, 26, rompait le pain
du sacrifice et le distribuait entre tous ceux qui étaient présents (D'Al-
lioli, Comm. sur les Actes des Apoi. 11, 42).
Dans le principe, la fraction du pain ne se célébrait que dans une
maison où tous pouvaient se rassembler, Act. 1, i3; plus tard, le nombre
des ebrétiens s'étanl accru jusqu'à des milliers, Act. 11, 4i. ils durent se
réunir dans plusieurs maisons, les maisons particulières furent comme
le berceau des paroisses qui s'établirent dans la suite. Le président du
lieu do réunion était comme le curé de ceux qui se réunissaient. La
fraction du pain était suivie d'un repas en commun, auquel on partici-
pait avec un cœur rempli de joie, droit et innocent. Le but de ces repas
était, suivant Tertullien. de se donner mutuellement des preuves exté-
rieures de la charité dont on était intérieurement animé les uns à
L'égard des autres. C'est ce qui avait fait donner à ces repas le nom
d'agapes. Les agapes ne précédaient pas mais suivaient la célébration de
l'Eucharistie. (Test ce qui résulte, soit du texte même, soit du témoi-
gnage exprès des anciens (Le même, note sur le vers, 46).
398 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
invincible. Mais quand, à force de lutter, l'Église eut enfin
conquis sa liberté, les chrétiens, croyant n'avoir plus un
aussi pressant besoin de l'Eucharistie, commencèrent à n'y
plus recourir aussi souvent. Insensiblement, le relâchement
s'accrut à tel point, que l'Église dut rappeler à ses enfants
le précepte du divin Maître, en décidant que pour accomplir
ce précepte, les fidèles parvenus à l'âge de discrétion devaient
communier au moins une fois chaque année, et cela dans la
quinzaine de Pâques, en souvenir de l'institution de l'ado-
rable Eucharistie (1). Cette décision fut prise au concile de
Latran, tenu l'an 1216, et confirmée trois siècles plus tard,
parle concile de Trente, Voilà comment la Communion,
qui nous a été prescrite par Notre-Seigneur lui-même, mais
d'une manière générale, nous a été prescrite aussi par
l'Église, en ce qu'elle a marqué le temps dans lequel on
1. L'Église a fixé le temps de Pâques pour la Communion obligatoire
des fidèles, par des motifs qui se rapportent, soit à l'institution, soit aux
effets du sacrement. i° Le choix du temps de Pâques pour la Commu-
nion des chrétiens a pour but de leur rappeler spécialement l'institution
de l'Eucharistie. Dans toutes ses fêtes et dans tous ses actes de religion,
FÉglise nous représente les principaux événements de la vie de Jésus-
Christ. La sainte Communion, notamment, doit être, d'après la volonté
expresse du Sauveur, un mémorial de sa vie, et surtout de sa passion
et de sa mort, puisqu'après l'avoir instituée il a dit à ses apôtres : Faites
ceci en mémoire de moi. Elle le devient plus parfaitement quand on la
reçoit dans le temps de son institution et de la mort du Sauveur. Dans
les premiers siècles, pour rappeler d'une manière encore plus sensible
la dernière cène de Jésus-Christ, l'Église dispensait les fidèles du jeûne
naturel pour la Communion du jeudi-saint ; ce qui pourtant ne se pra-
tique plus aujourd'hui. — 20 La Communion pour les fidèles a été fixée
au temps pascal, parce que, conjointement avec le sacrement de Péni-
tence, elle doit avoir pour effet de produire en nous la mort et la résur-
rection spirituelles que demandent de nous la mort et la résurrection du
Sauveur arrivées en ce temps-là. Plus d'une fois, en effet, l'Écriture
sainte nous représente la mort corporelle et la résurrection de Jésus-
Christ comme le modèle et le motif de la destruction de la vie du péché
en nous, et de notre résurrection d'entre les morts spirituels : Vous êtes
morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu, Coloss. ni, 3. Nous
avons été ensevelis avec lui par le Baptême pour mourir, afin que, comme
le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi, nous
marchions dans une nouveauté de vie. Rom. vi, k. Tel doit ôtre l'effet des
sacrements de Pénitence et d'Eucharistie : par l'un nous mourons au
péché ; par l'autre nous recevons la vie éternelle : Celui qui mange ce pain
vivra éternellement. Joan. vi, 5q. (L'abbé Grosse, Cours de Religion. 2. p,
ch. 7, § 2).
DEVOIR DE COMMUNIER U MOINS A. PAQUES. o<)()
devail au moins La faire. Et c'esl ainsi que le devoir de
communier à Pâques nous es! imposé tout à La fois, comme
nous L'ayons dit, et par Notfe-Seigneur et par son Eglise,
qu'il a précisément instituée pour instruire cl gouverner en
son nom lous les fidèles (i).
i. Tout chrétien doit, non pas seulement communier au lemps de
Pâques, niais faire en sorte que ceux qui dépendent de lui s'approchent
aussi de la Table sainte. (Test le moyen indispensable de remplir notre
devoir envers Dieu, qui a institué l'Eucharistie pour que nous la rece-
vions de temps en lemps ; notre devoir envers l'Église notre mère, qui
nous y oblige formellement ; notre devoir envers nous-mêmes, parce
(lue te Pain eucharistique nous est nécessaire pour entretenir en nous
la vie de la grâce ; notre devoir enfin envers la société ou envers nos
semblables, auxquels nous devons le bon exemple. Mais ne nous con-
tentons pas d'une seule Communion dans l'année, et tâchons de corres-
pondre au vœu le plus ardent de l'Église, comme de Notre-Seigneur
lui-même, en y participant le plus souvent possible. — L'Kglisc nous
ordonne, par un commandement formel et rigoureux, de communier
une fois par an ; mais elle pense que le désir qu'elle nous en exprime,
que l'exemple des fidèles des premiers siècles, l'amour de Dieu et la
sollicitude pour notre salut nous engagent à le faire plus souvent. Elle
nous a exprimé le vœu dans le Concile de Trente, par la déclaration
suivante : « Le saint concile souhaiterait que tous les fidèles qui assis-
tent à la Messe y communiassent, non seulement spirituellement, mais
sacramentellement. » Sess. 22, c. G. Plus tard, en 1679, un décret, publié
avec approbation du pape Innocent \T, disait que la Communion fré-
quente avait toujours été approuvée dans l'Église, que cependant, eu
égard à la diversité de l'état de conscience chez les fidèles, on ne pouvait
pas établir de règle générale sur ce point. On y fait la remarque que
les pasteurs peuvent régler Je nombre des communions pour quelques
personnes en particulier, mais non pour toutes en général, ou pour
toute la communauté chrétienne; ce sont les confesseurs ou directeurs
de conscience qui sont chargés de ce soin pour chaque fidèle. Enfin on
\ représente la Communion fréquente, dans les lieux bu elle existe,
comme une pratique louable et qu'on doit entretenir et favoriser. L'in-
tention de l'Église à cet égard ne peut donc laisser aucun doute. —
Nous savons que, dans les premiers temps du Christianisme, on prati-
quait la Communion fréquente, cl même quotidienne. Citons encore
quelques témoignages des saints Pères sur ce point. « Nous demandons
chaque jour ce Pain à Dieu, dil sainl Cyprien, Ub. de orat., afin que
non-, qui sommes unis au Christ et qui recevons chaque jour l'Eucha-
ristie, ne soyons pas exclus de la participation au pain du ciel, par suite
de quelques péchés, ni éloignés du corps de Jésus-Christ. » Saint
Ambroise dit à son tour, De sacrani. v, 6 : « Si c'est un pain quotidien,
pourquoi ne h1 prenez-vous qu'au bout d'un an, comme font les Crées
en Orient ? Nourrissez-vous chaque jour d<> ce qui vous profite tous les
jour-, Vivez de telle sorte que vous soyez dignes, chaque jour, de le
recevoir.» On voit, d'après cela, que la Communion fréquente se perdit
plus tôt en Orient qu'en Occident. Toutefois Jes Pères grecs la recoin-
IlOO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XV. INSTRUCTION.
Mais pourquoi le devoir de la Communion nous a-t-il été
imposé ? Ce devoir, disent les chrétiens ignorants, est-il
autre chose qu'un fardeau incommode et sans aucune utilité ?
Pourquoi donc, dès lors, nous y astreindre ? — Que ceux
qui pensent ainsi et tiennent ce langage veuillent bien nous
entendre, et ils reconnaîtront aisément leur erreur, car la
vérité, c'est
IL — Que le devoir de la Communion nous est im-
posé pour notre plus grand bien. — Non, répétons-le
hautement tout d'abord, la réception de l'adorable Eucha-
ristie ne saurait nous être inutile. La raison en est on ne
peut plus simple. Peut-on admettre que Dieu fasse jamais
rien d'inutile ? Non, puisque Dieu est infiniment sage, et
que faire quelque chose d'inutile ne serait pas un acte de
sagesse. Or, nous avons démontré en commençant que
Notre-Seigneur, après avoir institué l'Eucharistie, nous a fait
une obligation de la recevoir, par conséquent, sans aucune
autre raison, on peut conclure avec la plus complète assu-
rance que la Communion ne nous est pas inutile. On peut
d'autant moins dire de l'adorable Eucharistie que sa récep-
tion est inutile, que ce mystère n'a pas été accompli soudai-
nement et comme à Timproviste, mais qu'après avoir été
prophétiquement figuré sous l'ancienne loi elle-même,
notamment par l'agneau pascal et par la manne du désert,
il a été annoncé par Notre-Seigneur avant son institution,
en ces termes : Le pain que je vous donnerai, c'est ma chair,
pour la vie du monde (i). Que si le moindre acte divin ne
saurait être inutile, comment pourrait l'être un acte si lon-
guement prévu et délibéré, et qui entre si à fond dans les
éternels desseins de Dieu sur le monde ?
Bien loin que l'Eucharistie nous soit inutile, tout au
mandaient encore instamment. « Il est bon et salutaire, dit saint Basile,
cp. 290, ad Cœsar., de communier et de participer, chaque jour, au
corps et au sang de Jésus-Christ. » Le Catéchisme du concile de Trente,
p. a, c. 4, q. 58, fait observer avec raison que ce n'est pas seulement
saint Augustin qui dit : « Vous péchez chaque jour, prenez doire chaque
jour ce pain » ; mais que tous les Pères qui traitent ce sujet s'associent
à sa pensée (Grosse, loc. cit. § 3).
î . Joan., vi, 52.
DEVOIR DE COMMUNIER AU MOINS A PAQ1 E8. \Oï
contraire, c'est pour notre plus grand bien, disons-nous, que
sa réception nous a été prescrite.
Notre plus grand bien : quel est notre plus grand bien ?
Au point de vue temporel, notre plus grand bien, n'est-il pas
\r,ii. est la \ie de notre corps. Cette vie est notre plus grand
bien, parce que, pour qui ne L'a pas ou ne L'a plus, il n'\ a
même aucun autre bien, toujours au point de vue temporel.
Que sont, en effet, les richesses, les honneurs, les plaisirs,
pour un être qui n'existe pas encore ou qui n'existe plus ?
Or, qu'est-ce qui soutient la vie de notre corps et la fortifie,
et nous rend par là capables d'accomplir nos travaux et de
nous acquitter de nos devoirs ? N'est-ce pas la nourriture,
et tout spécialement le pain ? Et quand nous ne prenons pas
la nourriture qui a été faite pour notre corps, n'est il pas
vrai que nous perdons nos forces et notre santé ? Et si alors
quelqu'un, surtout le médecin, nous commande de manger,
tout le monde ne reconnaîtra-t-il pas que cet ordre ne nous
est donné que pour notre plus grand bien ?
Mais nous l'avons remarqué, le bien qu'est pour nous la
vie de notre corps est un bien de l'ordre temporel ; et nous
savons qu'outre notre corps nous avons une âme, dont la
vie est un bien incomparablement supérieur, étant de l'ordre
éternel. En effet, si grand que soit le bien de la vie "de notre
corps, ce bien, par cela qu'il dure si peu de temps, paraît
misérable, dès qu'on le met en regard du bien qu'est la vie
de l'àme, et qui doit durer toujours. D'où il suit qu'en
réalité notre plus grand bien est véritablement, non pas la
vie de notre corps, mais celle de notre âme. Oui, répétons-
le : notre plus grand bien, même à ne considérer que sa
durée, et sans tenir compte de son excellence intrinsèque,
est incontestablement la vie de notre âme.
Or, sachons maintenant ceci : ce que la nourriture, ce (pie
le pain en particulier, est pour le corps, l'Eucharistie l'est
pour l'âme. C'est-à-dire que, comme le pain soutient la vie
et les forces du corps, et que sans pain le corps ne pourrait
vivre ni être vigoureux : ainsi l'Eucharistie soutient la vie et
les forces de l'âme, et sans elle l'âme ne saurait avoir la
vigueur qui lui est nécessaire pour éviter le mal et faire le
bien, ni même conserver sa vie surnaturelle reçue au Bap
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 26
402 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
terne, condition indispensable de son salut éternel (1). Et
que personne n'aille imaginer que c'est ici une ingénieuse
mais vaine comparaison, car il n'y a pas de réalité plus cer-
taine et plus positive. C'est en effet le Sauveur lui-même qui
nous a révélé ces admirables effets du Pain eucharistique. A
diverses reprises, parlant de lui-même, il a dit : Je suis le
Pain vivant (2), et aussi : Je sais le Pain de la vie (3). Et pour
qu'on ne pût pas prendre ces paroles dans un sens méta-
phorique, il ajouta : Le Pain que je donnerai, c'est ma chair,
ma chair que je livrerai pour la vie du monde (4). Qu'est-ce
qu'un pain de vie, si ce n'est un pain qui entretient et for-
tifie la vie ? Mais le Sauveur a voulu que, sur un point d'une
telle importance, aucun doute ne pût subsister dans la
pensée de personne ; aussi a-t-il dit encore : Si vous ne man-
gez la chair du Fils de V homme, et si vous ne buvez son sang,
vous n aurez point la vie en vous ; înais celui qui mange ma
chair et boit mon sang, a la vie, et même la vie éternelle (5).
Ce qu'il faut évidemment entendre de la vie surnaturelle de
l'âme, c'est-à-dire de la vie de la grâce, qui résulte pour
elle de son union avec Dieu contractée dans le Baptême,
puisque sa vie naturelle doit durer toujours, que nous rece-
1. Urbanus papa, in Clément, de reliquiis, et vener. sanctorum :
« Homini, inquit, qui spirituali alimonia indigebat, Salvator ipse mise-
ricors de nobiliori et potcntiori hujus mundi alimento pro animac rcfcc-
tione pia dispositione providit, dccensque liberalitas extitit, et conveniens
operatio pietatis, ut Ycrbum Dei oeternum, quod rationabilis creaturœ
cibus est, et refectio, factum caro se rationabili creaturœ carni et corpori,
homini videlicet in edulium largirctur ; panem enim angelorum man-
ducavit homo, et ideo Salvator ait : Caro mea vere est cibus. » Ita Urba-
nus. Erat quidem Vcrbum divinum in cœlis cibus angelorum, quia
angélus intellectualis natura est, verbum autem mentale mentis alimen-
tum est ; cum igitur homo intellectualis etiam naturœ sit, et corporalis
etiam cibus talis illum dccebat, qui simul intellectualis esset, Verbum
autem divinum caro factum, quatcnus Verbum cibus hominis est, qua-
tenus homo intellectualis est, et quatcnus Verbum divinum caro factum
est, homini carne constanti etiam congruit, et sic mire Eucharistie
cibus homini congruit convenienterque pro nobis institutum a
Domino est (Labat. Loc. comm. verb. EucJutristia, prop. i4).
2. Joan. vi, 4i» 5i.
3. Joan. vi, 35, 48.
4* Joan. vi, 52.
5* Joan. vi, 54 et 55.
DEVOIR DE COMMUNIER AU MOINS A PAQUES. /|03
vions ou non le corps de Nôtre-Seigneur dans la Commu-
nion (i). Mais si nous recevons ce corps sacre dans la Com-
munion, outre que noire âme conservera en ce monde la
vie surnaturelle dont nous parlons, vie qui lui permettra
d'éviter le mal qui lui est défendu et d'accomplir les bonnes
œuvres qui lui sont commandées, dans l'autre monde elle
jouira encore de cette même vie surnaturelle qui lui assurera
la possession de Dieu pendant l'éternité ; tandis que si nous
ne communions pas, notre âme, sans vie naturelle ici-bas,
puisqu'on ne peut la conserver qu'en communiant, ne
pourra ni éviter le mal ni faire le bien, et dans l'autre monde,
continuant désormais pour toujours de n'être pas unie à
Dieu, son principe de vie surnaturelle, son existence ne sera
plus qu'une mort éternelle.
Tel est donc le principal effet de la Communion (2), pour
1. L'âme du chrétien, qui a été divinisée par le Baptême, a besoin
d'une nourriture divine, qui l'alimente ; cette nourriture est l'Eucha-
ristie ; et comme le corps est composé à la fois de parties solides et de
parties liquides, et que par suite il éprouve la faim et la soif, l'Eucha-
ristie sera une nourriture à la fois solide et liquide, qui au*ra le double
effet d'apaiser la faim et la soif, elle sera à la fois mets et breuvage.
Voilà le grand aliment que Jésus nous a donné dans son amour, se
montrant bien meilleur, à notre égard, que beaucoup de mères ne se
montrent bonnes à l'égard de leurs enfants, qu'elles donnent souvent à
des étrangères pour les nourrir, comme l'a remarqué saint Jean Chry-
sostome (Beuseaux, loc. cit.).
2. Duo mihi permaxime necessaria sentio in hac vita, sine quibus
mihi importabilis foret ista miserabilis vita. In carcerc corporis hujus
detentus, duobus me egerc fateor, cibo scilicet et lumine. Dedisli itaque
mihi infirmo sacrum Corpus tuum ad refectionem mentis et corporis,
et posuisti lucernam pedibus meis Verbum tuum. Sine his duobus bene
vivere non posscm, nam verbum Dci lux animœ, et sacramentum tuum
panis vite (De Imitât. Chr. lib. 4, c. 11, n. 4).
Necpssarium mihi est, qui tam sa»pe laboro et pecco, tam cito torposco
et deficio, ut vel per fréquentes orationes*et confessiones, et per factam
corporis tui perceptionem me renovem, mundem et accendam,ne forte
diutius abstinendo a sancto proposito defluam. (Id. ibid. c. 2, n. 3).
Est hoc altissimum et dignissimum sacramentum salus anima? et
corporis, medicina spiritualis languoris, in quo vitia mea curantur,
passiones frenantur, tentationes vincuntur, aut minuuntur, gratia
major infunditur, virtus incœpta augetur, firmatur fides, spes roboratur,
et charitas augessit et dilatatur (Id. ibid. c. 4, n. 2).
Multa bonalargitus es, et adhuc sa?pius largiris inSacramento dilectis
tuis dévote communicantibus, Deus meus, susceptor animae mea?, repa-
rator infirmitatis humanaj, et totius dator consolationis aeterna?. Nam
4o4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
ne parler que de celui-là, c'est-à-dire qu'elle entretient et
fortifie dans l'âme la vie surnaturelle qui lui fait mener une
conduite chrétienne en ce monde et mériter l'éternelle
félicité en l'autre. Et cet effet, nous pouvons le constater de
nos propres yeux, et même nous en faisons personnellement
l'expérience. Regardons autour de nous : qui sont ceux dont
la conduite est la plus régulière, qui tombent dans des
fautes moins graves, qui sont plus serviables et plus bienfai-
sants ? ne sont-ce pas ceux qui fréquentent la sainte
Communion ? Et qui sont au contraire ceux dont la conduite
est la moins régulière, ceux qui tombent sans cesse dans des
fautes plus ou moins graves, ceux qu'on ne voit presque
jamais faire de bonnes œuvres ? ne sont-ce pas ceux qui
ne communient que rarement ou jamais ? Ce qui se remar-
que dans les individus n'est pas moins visible dans les
sociétés. La moralité d'une paroisse, d'une province où la
communion est en honneur, sera toujours plus élevée que
celle d'un pays où la Communion est abandonnée. Par
contre, moins on communie dans une contrée, plus les
délits et les crimes y sont nombreux (i). Toutes ces consta-
multam ipsis consolationem adversus variam tribulationem infundis,
et de imo dejectionis propria1 ad spem turc protectionis erigis, atque
nova quadam gratia cos intus recréas et illustras, ut, qui anxii primum,
et sine affectione se ante communionem senserant, postea refecti cibo
potuque cœlesti, in melius se mutatos inveniant (Id. Ibid. n. 3).
i. Toile hoc sacramentum de Ecclesia, et quid erit in mundo, nisi
error et infidelitas ? Et populus christianus erit quasi grex porcorum
dispersus, et idololatriœ deditus, sicut expresse patet in cœteris infide-
libus (S. Bonav. ap. Mansi, dise, i, n. 8).
Si quis vestrum non tam saepe modo, non tam acerbos sentit iracundia1
motus, invidiaè, luxuriœ, aut ca'tcrorum hujusmodi, gratias agat Cor-
pori et Sanguini Domini, quoniam virtns sacramenti operatur in eo
(8. Joan. Curysost. liom. 45, inJoan.J.
L'Encharistic est le grand remède du inonde. Ce qui dégrade et abrutit
l'homme, c'est la chair et le sang du vieil Adam qui sont corrompus ;
ce qui le réhabilite et le régénère, c'est la chair, c'est le sang immaculé
du Christ qui est le nouvel Adam, en qui il n'y a pas de péché, chair et
sang qui nous sont donnés à la Table sainte, chair et sang qui y sont à
l'état de remède, puisqu'ils y sont à l'état d'immolation, comme ils
l'étaient à la croix où ils nous ont obtenu la rédemption. De même que
chaque jour, c'est par des viandes succulentes, par des vins généreux,
par un régime réparateur que Ton réconforte les corps débilités quand
la santé a disparu ; ainsi, chaque jour, après que le péché a été remis,
l'Église rend au pécheur la perfection de la santé spirituelle, par une
DEVOIR DE COMM1 NIER u MOINS \ PAQ1 ESi Jo5
talions ne rendent-elles pas sensible L'action vivifiante de
la Communion ? — Mais nous l'avons dit, toutes ces cons-
tatations, nous pouvons les faire sans sortir de nous-mêmes.
viande céleste, par un breuvage divin. Si, d'un côté, L'Eucharistie est le
grand remède à nos maux, ei si, de Pautre, nous avons le devoir do
nous guérir do ces maux : n'est-ce pas pour nous un devoir impérieux
H suprême de recourir à l'Eucharistie ? do nous inoculer, en le recevant,
sa vertu salutaire, pour l'opposer au venin (pie nous a\ous reçu avec
notre naissance, et qui tend à miner et à détériorer notre vie loul
entière ? U ne faut pas se le dissimuler, les âmes sont malades, la société
est malade, le mal qui les travaille empire de plus en plus, et incline le
monde du côté de la décadence cl de la ruine. 11 est impossible aux plus
aveugles de se faire illusion sur ce point, le sens moral va chaque jour
baissant davantage . Quoi (pie puissent dire des optimistes, admirateurs
plus ou moins convaincus de notre civilisation, la corruption des mœurs
privées et publiques s'accuse par un signe caractéristique, je veux dire
l'augmentation permanente des crimes les plus odieux contre les per-
sonnes et contre les choses. Que dire. du respect de la famille, en pré-
sence de la multiplicité des attentats à la pudeur, des séparations de
corps et de biens, des parricides, des violences contre les ascendants ?
Que dire du respect pour la propriété, lorsqu'on voit de toutes parts les
banqueroutes, les escroqueries, les faux en écriture, les fraudes com-
merciales ? Que dire du respect pour l'autorité, alors que les contraven-
tions aux lois sont partout et que, pour les réprimer, il faut multiplier
à l'infini les agents delà force publique. Est-ce une population morale,
(pie celte ou croissent de plus en plus les rébellions, les incendies, les
faux-monnayeurs, les maisons de prostitution, les fornications, les
adultères et les infanticides, que celle où régnent en souveraine la
débauche et l'orgie ? Et plût à Dieu qu'il n'y ait dans la société que des
crimes, et qu'il n'y ait pas les principes criminels qui les produisent et
Les justifient ! Or, pourquoi tous ces maux? Pourquoi cette marée de
corruption qui monte de plus en plus ") Pourquoi ce tableau sombre et
lugubre qui n'est que l'expression trop fidèle, hélas ! de la réalité, puis-
qu'il repose sur les chiffres des statistiques ? Pourquoi ? Parce que
l'homme du dix-neuvième siècle ayant répudié le culte des' choses
célestes et le remède que lui offre Dieu dans l'Eucharistie, est tombé
sous L'empire des choses terrestres, sous l'empire de ses convoitises dont
il reste le honteux esclave. Hors de l'Eucharistie, il n'y a point de remède
aux maux de L'àme. Que pourrait la philosophie, elle qui n'a pas de
remède ï> Que peut le médecin sans le pharmacien :) Nous souscrivons
des deux mains à ces paroles d'un philosophe chrétien: la politique
moderne a deux données qu'elle croit infaillibles pour juger de la pros-
périté d'un état ou de sa décad ;nce, le registre des naissances et celui
des importations et exportations ; j'aimerais mieux la Liste des Commu-
nions à Pâques et le registre des tribunaux criminels (Berseai \,
Dimanches et Fêtes, ch. i<», n. 2).
Quant aux effets prodigieux de L'Eucharistie sur la société, ils sont
incontestables; car, dans l'Eucharistie Dieu se donne à l'homme, afin
d'apprendre à l'homme à se donner à son semblable. L'Eucharistie
4o6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
Qui a fait une seule bonne et fervente Communion, et ne
s'est pas senti plus de force pour résister à ses passions et
s'acquitter de ses devoirs ? Et qui a abandonné la Commu-
nion, sans bientôt s'apercevoir que ses passions redevenaient
plus puissantes que lui, et qu'il n'avait plus la force de
s'acquitter parfaitement de ses devoirs ?
Ainsi l'expérience confirme la parole de Notre-Seigneur,
et sans rien ajouter à son autorité, ce qui n'est pas possible,
en rend pourtant la vérité plus éclatante à nos regards
humains. Ainsi, de nos yeux et par nos propres impres-
sions, nous constatons que la Communion est le principe
nécessaire, indispensable, de notre vie surnaturelle et de
notre salut. Eh bien, n'est-il pas de la dernière évidence
maintenant, pour tout le monde, que si c'est pour notre
plus grand bien qu'on nous engage, qu'on nous commande
de manger, surtout quand le goût nous en manque ; c'est
infiniment plus 'encore pour notre souverain intérêt que
Notre-Seigneur, que l'Église, que ses ministres nous exhor-
tent et nous ordonnent de communier, au moins une fois
chaque année, dans la quinzaine de Pâques? Or, puisque
c'est pour notre bien vraiment le plus grand qu'il nous est
commandé de communier, personne dès lors ne saurait se
tenir éloigné delà sainteTable. Quand le devoir est en oppo-
sition avec l'intérêt, on comprend que certaines âmes peu
droites et peu généreuses préfèrent leur intérêt à leur devoir.
Mais ici, l'intérêt étant d'accord avec le devoir, nous ne
pouvons, par conséquent, faire autrement tous que de com-
munier. Et pourtant il est à craindre qu'il ne se trouve
encore des chrétiens assez illogiques et assez aveugles, pour
alléguer contre la Communion pascale des prétextes qu'ils
s'efforceront de considérer comme sérieux et valables. C'est
étant une réalisation constamment présente du sacrifice de la croix, par
la foi pratique à ce dogme, le don de soi-même peut devenir une habi-
tuelle pensée. Ces assertions vont se prouver par des faits : l'histoire
peut nous montrer l'Eucharistie réalisant, depuis dix-huit siècles, le
beau idéal de la bienfaisance et de la charité (Gard. Donnet, Action
divine et sociale de V 'Eucharistie . Intr. Carême 1842). — A l'appui de sa
proposition, l'orateur cite les apôtres, les missionnaires, les religieuses
hospitalières, dont le dévouement n'a pas d'autre source que l'Eu-
charistie.
DEVOIR HE COMMUNIER AU MOINS A PAQUES. f\0"J
pourquoi nous allons encore démontrer, avant de terminer,
HT. — Q'aueun prétexte ne peut nous dispenser du
devoir de la Communion pascale. — V entendre certains
chrétiens, parmi ceux qui ne font pas leurs Pâques, s'ils
restent à l'écart de la sainte Table, c'est parce qu'il n'y en a
que très peu qui vont s'y présenter, et qu'ils ne veulent pas
se singulariser en s'unissant à leur petit nombre. — Eh !
leur dirons-nous, que tous ceux qui tiennent ce langage,
qui assistent aux offices, qui mènent une vie honnête, qui
se donnent comme respectueux et amis de la religion, que
tous ceux-là, disons-nous, se présentent comme ils le doi-
vent à la sainte Table, et alors le nombre de ceux qui font
leurs Pâques ne sera plus petit, et l'on ne se singularisera
plus dans leur société. Si cette raison était bonne, le petit
nombre de ceux qui s'approchent de la sainte Table devraient
aussi l'abandonner. Ah ! vous avez peur de vous trouver
avec le petit nombre, et il vous plaît de marcher dans les
rangs de la foule. N'avez-vous donc jamais lu ni entendu
l'Évangile ? Vous avez honte du petit nombre ; ne savez-
vous donc pas que c'est précisément avec le petit nombre
qu'il faut marcher, si l'on veut se sauver, et qu'en suivant
la foule, on est sûr au contraire de se perdre. Écoutez ces
paroles du Sauveur, si vous les avez oubliées : Entrez, nous
dit-il, par la porte étroite ; car par la porte large et par le
chemin spacieux, on va à la perdition ; et le nombre de ceux
qui y passent est grand. Qu'étroite est la porte, et étroit le
chemin qui mène à la vie ! et qu'il y à peu de gens qui en
trouvent Ventrée (i) / Après cet avertissement et cette exhor-
tation du Sauveur, jugez vous-mêmes ce que vaut votre
excuse, que vous ne faites pas vos Pâques, parce qu'il y en
a peu qui les font. C'est ce petit nombre de chrétiens qui
seront sauvés, et c'est justement pour cela qu'il faut faire
comme eux. Autrement, c'est la damnation. La parole du
Sauveur est on ne peut plus formelle.
— Je n'ai pas peur, certes, disent d'autres chrétiens infi-
dèles au devoir pascal, mais c'est que je n'ai réellement pas
le temps. — Cette nouvelle excuse n'est autre, au fond, que
i, Matt. vn, |3| i4.
4o8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
celle des invités dans la parabole du banquet, et qui pré-
tendirent ne pouvoir s'y rendre, les uns parce qu'ils avaient
à aller voir une maison de campagne nouvellement acquise,
les autres parce qu'il leur fallait essayer plusieurs paires de
bœufs récemment achetés, d'autres encore parce qu'ils
venaient de se marier. Bref, aucun d'eux non plus n'avait le
temps d'aller prendre part au banquet de leur ami, et ils
demandèrent courtoisement d'ailleurs qu'on les excusât. Or,
comment pensez-vous que prit la chose le maître du festin ?
Il entra dans une grande colère, nous dit Notre-Seigneur,
envoya ses serviteurs amener à sa table tous ceux qu'ils
rencontreraient, et jura de n'avoir jamais plus rien de com-
mun avec ceux qui avaient refusé son invitation (i). Eh
bien, le Sauveur a proposé cette parabole précisément pour
être une réponse anticipée à ceux qui devaient, plus tard,
s'excuser aussi de ne pas venir au banquet eucharistique,
faute de temps. En effet, ce n'est pas le temps qui vous
manque, ne vous illusionnez pas, mais uniquement la bonne
volonté. Ce n'est pas le temps qui vous manque, car comme
les invités de la parabole, vous en avez pour vos ambitions,
figurées par la maison de campagne ; pour vos intérêts ma-
tériels, représentés par les bœufs ; pour vos plaisirs, signi-
fiés par la nouvelle épousée. Ainsi vous avez du temps pour
tout, excepté pour faire votre devoir. Vous avez même du
temps pour offenser Dieu, pour aller dans les bals, dans les
spectacles, dans les cabarets et autres mauvais lieux, et vous
n'en avez pas pour vous recueillir, pour rentrer en vous-
mêmes, pour vous préparer à vos Pâques et les bien faire.
Voilà comment vous n'avez pas le temps. Ne le niez pas,
puisque cela est certain. Donc, vous n'avez pas le temps
d'accomplir le devoir pascal, parce que vous ne voulez pas
l'avoir. Donc votre excuse n'est nullement fondée. Eh bien,
sachez-le: comme furent traités les invités figuratifs de la
parabole, ainsi serez-vous traités vous-mêmes, qui êtes les
vrais invités ; c'est-à-dire que, n'ayant pas pris part au festin
eucharistique, vous serez rigoureusement exclus du festin
de la béatitude éternelle.
D'autres chrétiens encore allèguent, pour justifier leur
i. Luc. xiv, 18-24.
DEVOIR DE COMMUNIER u moins v PAQUES. Jofl
éloignemenl de la Table sainte, <|uïls ne sont pas dignes
d'aller s') agenouiller. Or, parmi ceux qui parlent ainsi, il
\ en a qui sont victimes d'un scrupule dont ils doivent se
défaire, assurément, ni eux, ni K's plus grands saints, ni
même les anges les plus sublimes, ne sonl dignes de recevoir
dans leur cœur l'adorable Eucharistie. Cependant Notre-
Seigneur, qui connaissait mieux que personne cette indi-
gnité, n'a pas laissé d'instituer l'Eucharistie, et de faire à
Ions les chrétiens un commandement de la recevoir. D'où
il suit que, pour communier, il ne faut pas considérer si
l'on en est indigne, puisqu'on l'est toujours, quoi qu'on
fasse, mais bien si l'on a un sincère désir de plaire à Dieu,
et si l'on fait réellement tout ce que l'on peut pour accom-
plir ses saints commandements. Que si l'on peut se rendre
ce témoignage, non seulement on peut, mais on doit com-
munier, selon qu'il nous est prescrit ; et si on ne le fait pas,
on désobéit à Dieu et on l'offense. — Mais il y a d'autres
chrétiens qui se disent indignes de communier, uniquement
parce qu'ils ne veulent pas le faire. Ces chrétiens n'ignorent
pas que, s'ils s'appliquaient à se bien acquitter de leurs
devoirs, à combattre leurs mauvaises passions et à accomplir
tous les commandements divins, ils seraient en état de com-
munier; mais parce qu'ils ne veulent rien faire de tout
cela, et que cependant ils ont encore assez de foi pour
reculer devant un sacrilège, ils croient se tirer habilement
d'affaire en disant que, s'ils ne font pas leurs Pâques, c'est
parce qu'ils ne sont pas dignes de communier. Vous vous
reconnaissez indignes de communier, leur dirons-nous, et
vous ne voulez pas commettre un sacrilège : fort bien ;
mais mettez-vous en état de communier, eelu dépend de vous ;
et en communiant ensuite, non seulement vous ne com-
mettrez pas de sacrilège, mais vous accomplirez un devoir
qui vous est rigoureusement commandé. Que si vous ne
voulez pas communier parce que vous ne voulez pas réfor-
mer votre conduite et mener une vie sincèrement chrétienne,
dites alors, non que vous êtes indignes de communier, mais
que vous ne voulez pas vivre chrétiennement ; autrement,
votre excuse manque de bonne foi et ne mérite aucune con-
sidération.
4lO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
CONCLUSION. — Puis donc, chrétiens, que le devoir
de communier au moins à Pâques nous est imposé par
Notre-Seigneur et par son Église ; puis donc que ce devoir
nous est imposé uniquement pour notre plus grand bien ;
puis donc enfin qu'aucun prétexte ne peut nous en dispenser,
que nous faut-il maintenant conclure ? Une seule et unique
conclusion est possible, et cette conclusion s'impose impé-
rativement et irrésistiblement. Et cette conclusion, c'est
qu'il nous faut absolument faire au moins nos Pâques.
Quiconque ne les ferait pas maintenant serait en effet con-
vaincu, à ses propres yeux, non seulement de désobéir à
Notre-Seigneur et à son Église, non seulement de trahir
ses propres intérêts les plus sacrés, mais encore de ne
pouvoir donner, de sa manière d'agir ainsi, aucune raison
valable. Il devrait reconnaître, par conséquent, qu'il est
privé tout à la fois, de tout sentiment religieux, de tout
souci pour ses intérêts, et de tout esprit de jugement. Se
trouve-t-il, dans cet auditoire, quelqu'un qui soit forcé de
faire cet aveu ? Je ne puis le supposer. Convaincu de la
gravité de notre devoir et des avantages inappréciables que
nous trouverons à nous en acquitter, ainsi que de l'inanité
des prétextes auxquels on recourt parfois pour s'y soustraire,
nous ferons tous nos Pâques. Tous nous écouterons les
paternelles invitations de notre Dieu, et les pressantes ins-
tances de l'Église notre mère ; tous nous irons nous
agenouiller à la sainte Table et prendre part au banquet
divin ; tous nous recevrons le Pain de vie, descendu du
ciel, et tous nous trouverons dans ce Pain les forces dont
nous avons besoin pour lutter victorieusement contre le
démon, le monde et nos passions mauvaises, et ainsi
mériter de nous asseoir dans le ciel au banquet de l'éternelle
félicité. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
La Pâque juive et les Pâques chrétiennes.
La fête de Pâques est le lien qui unit la loi ancienne et la loi
nouvelle ; c'est la fête glorieuse de la résurrection de Jésus-Christ,
symbole et gage de notre propre résurrection.
DEVOIR DE COMMUNIER AU MOINS A PAQUES. f\ I I
Dieu hii-même ordonna aux Israélites de manger l'agneau pascal
au moment de leur sortie d'Egypte, et de renouveler tous les ans
cette cérémonie de la pâque, dont le nom dérive du mot pascha,
c'est-à-dire passage. Cette dénomination avait pour but de leur
rappeler à la fois le passage de l'ange exterminateur, et le passage
dos entants d'Israël à travers la mer Houge, au jour de leur déli-
vrance de la servitude. — Sur l'ordre de Dieu, à la veille de sortir
de l'Egypte, ils prirent un agneau sans tache, et, le quatorzième
jour du mois de nizan, ils l'immolèrent dans chacune de leurs
maisons ; ils teignirent leurs portes de son sang et mangèrent sa
chair avec du pain sans levain et des laitues amères. Pour faire ce
repas, ils se mirent dans l'état de voyageurs prêts à partir, la
chaussure aux pieds et un bâton à la main. Immédiatement après,
l'ange du Seigneur exécuta l'arrêt de mort porté contre les pre-
miers nés des Égyptiens ; et toute l'armée des Hébreux se mit en
marche pour cette terre heureuse que le Dieu de Jacob avait pro-
mise à sa postérité. Bientôt les flots de la mer Rouge, dociles à la
voix du Seigneur, s'ouvrirent pour protéger la fuite de son peuple,
et se refermèrent pour engloutir les Égyptiens ses ennemis. —
Chaque année qui suivit ces deux événements fut marquée par le
retour de la même cérémonie qui les avait précédés. C'était la
Pâque des Juifs sous l'ancienne loi.
Les Pâques de la loi nouvelle l'emportent sur la grande fête
mosaïque comme la réalité sur l'ombre et la figure. La passion et
la résurrection de Jésus-Christ étant le point fondamental du
Christianisme, les apôtres perpétuèrent la mémoire de ce double
événement par une fête religieuse, monument plus durable que le
marbre et le bronze. Le sacrifice du Fils de Dieu sur la croix avait
été la réalité que figurait celui de l'agneau, ordonné aux Juifs par
le Seigneur. Le jour fixé pour celui-ci marquait, selon les pro-
phéties, le jour de l'immolation de la véritable victime expiatoire.
La grande solennité chrétienne retint donc le nom de fête de
Pâques (festa paschalia), pour désigner les deux jours, dont l'un
était la Pâque de la passion, et l'autre la Pâque de la résurrection.
— Les apôtres, avant de se disperser, n'avaient pas fait de règle-
ment pour fixer d'une manière uniforme l'observance de la fête de
Pâques. Saint Jean et les chrétiens d'Asie la célébraient comme les
Juifs, le quatorzième jour de la lune du mois de nisan, c'est-à-dire
le jour delà pleine lune de l'équinoxe du printemps. Saint Pierre
et ses collègues, qui passèrent en occident, la célébraient le
dimanche suivant. Cette diversité de pratique se continua jusqu'au
concile de Nicée, en 325, où l'uniformité fut établie et la fête de
4l2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTION.
Pâques fixée, pour toute l'Église, au dimanche qui suit immédia-
tement la pleine lune de l'équinoxe du printemps. Pour éviter
toute controverse, l'Eglise a décidé encore que le 21 mars serait
considéré comme jour de l'équinoxe ; de façon que la fête de
Pâques peut tomber du 22 mars au 25 avril ; ou, ce qui est la
même chose, que Pâques doit venir après le 21 mars et avant le
25 avril. — Les chrétiens célèbrent cette grande fête en mangeant
le véritable Agneau pascal, c'est-à-dire en s'approchant de la Table
eucharistique pendant la quinzaine de Pâques : c'est ce qu'on
appelle faire ses Pâques, remplir le devoir pascal (Schouppe, Instr.
relig. en ex, 3. sér. 28 leç.).
Figures bibliques de l'Eucharistie.
La Manne fut l'une de ces figures, et le Sauveur lui-même
l'insinua, lorsqu'il donna la préférence au Pain céleste et vivant,
qu'il voulait donner aux hommes dans la nouvelle loi, sur cet
ancien pain fait de la main des anges. La ressemblance de ces
deux mets célestes se trouve particulièrement dans leurs effets, en
tant que la manne avait toutes sortes de goûts, comme a mainte-
nant l'Eucharistie, l'une pour le corps, et l'autre pour l'esprit ;
mais le Sauveur y a mis cette différence, que la manne ne garan-
tissait point les Israélites de la mort, au lieu que l'Eucharistie
donne droit à nos corps de ressusciter un jour, et à nos âmes, de
vivre de la vie de la grâce et de la gloire : Vos pères ont mangé
la manne et sont morts ; qui mange ce Pain, qui est mon corps,
vivra à jamais
L'Arche de l'ancienne alliance a aussi été la figure du sacrement
de la nouvelle. Cette arche était la consolation des peuples, leur
refuge et leur force, lorsqu'ils étaient pressés par leurs ennemis ;
cependant elle causa la perte des Bethsamites, et Dieu en exter-
mina plus de cinquante mille, parce qu'ils la regardèrent avec peu
de révérence. Oza fut aussi frappé de mort, dans l'instant même,
parce qu'il eut la témérité d'étendre la main pour la soutenir. Mais
Obédédon la vit dans sa maison avec un sort bien différent ; le
Seigneur le combla en effet de bénédictions et de prospérités, pour
récompenser la piété et la religion avec laquelle ce saint Israélite
l'avait reçue. Ce sont des instructions pour nous. Car si Dieu a
traité avec tant de rigueur ceux qui n'ont pas rendu à la figure
tont le respect qui lui était dû, de quelle sévérité n'usera-t-il point
à l'égard de ceux qui n'auront pas pour la réalité cette religion
profonde, qu'elle exige de tous ceux qui en approchent ; et que
n'est-on pas obligé de faire, pour ne pas changer en un poison
DEVOIR DE COMMUNIER w MOINS \ PAQUES.
funeste, ce qui nous est donné pour le remède de tous nos maux,
et pour ne point trouver malheureusement la mort dans la source
de la ^ ie !
Le pain que mangea Élie fut également une figure de notre Pain
eucharistique. Ce prophète fuyait les persécutions de la cruelle
Jézabel, el après avoir erré dans une solitude affreuse sans nul
rafraîchissement, fatigué du chemin, épuisé de forces, il se couche
à terre pour prendre un peu de repos. N'est-ce pas là une peinture
naïve de Tétat où se trouvent tous les jours une infinité de chré-
tiens ? \ peine ce prophète fut-il endormi, qu'un ange le réveilla,
en lui criant : Levez-vous et mangez. 11 obéit, et aussitôt qu'il eût
goûté d'un pain cuit sous la cendre, qu'il trouva auprès de sa tête,
ses forces revinrent, il marcha sans peine, jusqu'à la montagne
d'Horeb. On peut dire la même chose aux âmes faibles et languis-
santes : Levez-vous, prenez et mangez ce Pain céleste de l'Eucha-
ristie, dont le pain d'Élie n'était que la figure, et vous vous sen-
tirez fortifiés ; vous marcherez à grands pas dans les sentiers de la
vertu ; vous vous élèverez à la plus sublime perfection, représentée
par cette montagne, dont le nom signifie vision de Dieu. Il est
vrai que ce prophète, après avoir mangé la première fois de ce
pain, retomba dans son assoupissement ; mais l'ange lui ordonna
d'en manger de nouveau, pour nous apprendre que si une Com-
munion ne réchauffe pas entièrement notre cœur, nous devons la
réitérer jusqu'à ce que nous ayons rallumé notre première ferveur
(Houdry, Bibliolh. des Préd. verb. Communion, ch. 3).
Effets vivifiants et sanctifiants de la Communion.
t.— a Une femme, lisons-nous dans l'Évangile de saint Luc, xm,
M, malade d'une perte de sang depuis douze ans, et qui avait dépensé
tout son bien à se faire traiter par les médecins, sans pouvoir être
guérie par aucun d'eux, s'approcha de lui par derrière, et toucha
la frange de son vêtement ; au même instant, sa perte de sang
s'arrêta. El Jésus dit : Qui m'a touché ? Comme tous s'en défen-
daient, Pierre et ceux qui étaient avec lui, lui dirent : Maître, la
foule vous presse et vous accable, et vous dites : Qui m'a louché ?
Mais Jésus reprit : Quelqu'un m'a touché, car je sais qu'une vertu
esl sortie de moi. Se voyant découverte, cette femme, toute trem-
blante, se jeta à ses pieds, et déclara devant tout le peuple pour-
quoi elle l'avait touché, et comment elle avait été guérie sur-le-
champ. Et JÉSi s lui dit : Ma fille, votre foi vous a sauvée, allez en
paiXt » __ Celte femme fut soudainement guérie pour avoir touché
;i\ec foi la robe du Sauveur. Or, dans la sainte Communion, on
[\lk LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XV. INSTRUCTON.
fait bien plus que toucher son vêtement. Quels salutaires effets
n'éprouveront donc pas les âmes qui, avec une foi vive, mangent
et boivent le corps et le sang de Jésus-Christ !
2. — Les fidèles n'ont jamais plus besoin du pain des forts, que
dans les temps de persécution, parce que c'est alors que l'ennemi
du salut décharge sur eux toute la violence de sa rage. C'est pour-
quoi les pasteurs de l'Église ont prescrit la Communion fréquente
comme moyen de nourrir la ferveur dans ces temps de dangers
pour le salut des âmes. Le pape saint Anaclet ordonna même que
tous ceux qui assistaient au saint sacrifice de la Messe y com-
munieraient, regardant comme à demi-vaincus ceux qui néglige-
raient de se nourrir de ce Pain des forts en ces temps de péril. Ce
saint pape, formé par les apôtres, ne jugeait pas possible qu'un
chrétien exposé tous les jours à être présenté aux tyrans, pût
résister aux tourments sans cette nourriture céleste. — Or, nous
pouvons dire la même chose, dans une certaine proportion, des
âmes qui sont tentées : c'est une persécution dans laquelle elles
succomberont, si elles n'ont pas soin de soutenir leurs forces par
la réception du Pain eucharistique.
3. — « Depuis que ma mère fréquente la congrégation de
Y Œuvre des mères de familles pauvres, elle est totalement changée,
disait une jeune ouvrière. Autrefois, c'était avec la plus grande
peine que nous obtenions d'elle qu'elle se confessât et communiât
deux ou trois fois par an ; aujourd'hui, elle le fait tous les mois,
et plus souvent encore. Son caractère, dont nous souffrions au
point de vouloir quitter la maison paternelle, s'est amélioré consi-
dérablement ; et mon père, gagné par ses conseils et ses bons
procédés, vient de faire ses Pâques, devoir qu'il n'avait plus rempli
depuis trente ans. » (Précis historiques, 1859).
SEIZIEME INSTRUCTION
(Mercredi de la Passion)
C'est un devoir pour tout chrétien
d'observer les Jeûnes
et les Abstinences de précepte.
I. Nécessité d'observer ces jeûnes et ces abstinences. — II. Motifs de
leur institution. — III. Comment on satisfait aux préceptes qui les
commandent.
Déjà la sainte Église, s' inspirant de l'esprit et des pres-
criptions de son divin Fondateur, nous a marqué avec pré-
cision, comme nous l'avons vu dans nos divers entretiens,
ce que nous devons faire, d'abord pour sanctifier les diman-
ches et les fêtes, et ensuite pour répondre aux desseins de
Notre-Seigneur dans l'institution des deux sacrements de la
Pénitence et de l'Eucharistie. Portant en outre sa sollicitude
sur un autre point, l'Eglise a de plus précisé, à ses enfants,
in (|ucls temps et en quels jours ils devaient accomplir les
jeûnes et les abstinences si instamment recommandés dans
tous les livres do L'Ancien et du Nouveau Testament.
Ces temps et ces jours, où l'on doit pratiquer soit le
jeune, soit l'abstinence, je ne viens pas vous les apprendre,
tous les chrétiens les connaissent. Tous, en effet, nous
savons que, pour Le jeune, on doit le pratiquer Les qua-
rante jours du Carême, les Quatre-Temps de l'année, et les
veilles des plus grandes fêtes; et quanta l'abstinence, que
c'est le vendredi et le samedi de chaque semaine qu'on ne
doit pas faire usage d'aliments gras. La plupart des eh ré
tiens savent même pourquoi les jeunes et les abstinences
ont été fixés aux temps et aux jours dont il vient d'être
parlé. Ils savent que le jeune des quarante jours du Carême
a été institué en mémoire et à l'imitation du jeûne de qua-
/|l6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
♦
rante jours que Notre-Seigneur a pratiqué dans le désert,
avant de se livrer au ministère de sa prédication. Les chré-
tiens tant soit peu instruits savent aussi que le jeûne des
Quatre-Temps a pour but de nous faire sanctifier les quatre
saisons de l'année, et celui des vigiles de nous préparer à
célébrer plus saintement les fêtes qui les suivent. Ils savent
enfin, relativement aux abstinences, qu'elles ont été plus
particulièrement fixées au vendredi en mémoire de la mort
de Notre-Seigneur, et au samedi, en souvenir de son séjour
dans le tombeau : deux mystères pleins de deuil pour les
disciples du Sauveur, et peu compatibles par conséquent
avec des festins et des repas joyeux.
Les chrétiens savent donc quand il faut jeûner, et quand
il faut faire maigre. Et pourtant, hélas ! n'est-il pas trop
évident que l'immense majorité d'entre eux ne pratique ni
le jeûne ni l'abstinence ? D'où vient donc une telle indiffé-
rence pour les deux commandements de l'Eglise qui en
font un double devoir? La cause d'une indifférence si mal-
heureuse est encore et toujours, croyons-nous, principale-
ment l'ignorance. Sans doute, on sait qu'il faut jeûner et
faire maigre, mais on ne le sait que d'une manière plus ou
moins vague ; on ne sait pas surtout combien grave et
fondée est la nécessité d'accomplir ces deux préceptes,
qu'on s'est habitué de longue date à considérer comme très
peu importants ; on ne sait pas davantage les motifs émi-
nemment sérieux sur lesquels ils reposent, d'où il suit qu'on
croit volontiers, ou bien que ce ne sont que de simples
conseils à l'usage des seuls dévots, ou bien qu'ils sont non
seulement inutiles, mais même nuisibles ; enfin, l'on ne
sait pas non plus généralement quelle est leur étendue pra-
tique, en sorte qu'on les dédaigne comme impossibles à
pratiquer. Oui, voilà certainement ce qu'on ne sait pas, et
ce qui explique l'inobservation si générale du jeûne et de
l'abstinence. Aussi ne paraît-il pas douteux que, si toutes
ces choses étaient bien connues et bien comprises, les
chrétiens pratiquant le jeûne et l'abstinence seraient aussi
nombreux qu'ils le sont peu. Voilà pourquoi nous allons,
dans cet entretien, exposer : premièrement, la nécessité
d'observer les jeûnes et les abstinences de précepte ;
DEVOIR D OBSERVEE lis .ni \i-s i;i t.i:s vnsTINENCES. |i~
deuxièmement, 1rs motifs de leur institution ; et troisième-
ment enfin, la manière de satisfaire aux préceptes qui les
commandent (i). — Seigneur Jésus, qui avez vous-même
pratiqué d'abord, et ensuite commandé le jeûne et l'absti-
nence, daignez faire briller au fond de nos cœurs la
Lumière de votre parole, afin que, eomprenant la nécessité,
les motifs et l'esprit de ces pratiques, nous les observions
désormais avec une iidélité parfaite.
I. — Nécessité d'observer les jeûnes et les abstinen-
ces de précepte. — La plupart des ebrétiens qui n'obser-
vent pas les jeûnes et les abstinences de précepte, préten-
dent qu'ils n'y sont pas tenus, parce que ces jeûnes et ces
abstinences ne sont commandés que par l'Eglise, c'est-à-
dire par les hommes qui la gouvernent ; et que ces hommes
n'ont pas le droit de faire des lois obligatoires pour les
autres hommes, parce que tous les hommes étant égaux entre
eux. les uns n'ont pas plus le droit de commander que les
autres le devoir d'obéir. Si cette argumentation était juste,
ceux qui la font auraient raison de se soustraire aux lois du
jeûne et de l'abstinence ; mais elle est absolument fausse
en deux points essentiels, et c'est pourquoi ils ont tort de ne
pas vouloir se soumettre à des lois doublement obligatoires.
Et d'abord, il n'est pas vrai que les jeûnes et les absti-
1. Soit que l'homme se regarde comme une créature dépendante de
son Dieu ; soit qu'il se considère comme sans cesse agité par ses pas-
sions ; soit enfin qu'il se reconnaisse pécheur, et en cette qualité digne
de chàtiement, je soutiens qu'il ne peut, sans une raison légitime, et
une impossibilité morale, se dispenser d'accomplir le précepte du jeûne.
De là, il s'ensuit que : 1" Le jeûne est un précepte : donc on ne peut
le violer, sans se rendre coupable du crime de désjbéissance à Dieu et
ii -mi Église. — 2n C'est un remède qui prévient les péchés : donc on ne
peul en négliger la pratique sans témérité. — 3" C'est une peine légère
qui les cITace, en les punisssant : on ne peut donc son dispenser sans
injustice. Trois motifs puissants, qui doivent faire impression sur tout
cœur encore sensible aux devoirs de la religion (Houdry, Biblioth. des
Préd. verb. Jeûne, s 1, n. 4)-
Le Jeune est nécessaire à tous les chrétiens : 1" Aux justes, pour con-
server leur innocence ; parce que c'esl ce qui les préserve du péché, el
qui les rend victorieux des tentations les plus dangereuses et des pas-
sions les plus VÎYes. — '.>." Aux pécheurs, parce que ("est le moyen de
réparer leur innocence perdue, et de satisfaire à la justice divine, pour
les péchés qu'ils ont commis (Id. ibid., n. 6).
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II, 2^
4i8 les grands devoirs du salut. — xvi. instruction.
nenccs ne sont commandés que par l'Eglise. Il est même
singulièrement remarquable que le premier commandement
imposé à l'homme par Dieu, fut un commandement d'abs-
tinence. Ayant placé Adam dans le paradis terrestre, il lui
dit en lui montrant l'arbre de la science du bien et du mal :
Tu ne mangeras pas du fruit de cet arbre (i).
Mais Dieu ne s'en tint pas là, et plus tard il commanda
aussi le jeûne à son peuple, par le ministère de ses pro-
phètes : Convertissez-vous à moi, leur faisait-il dire, de tout
votre cœur, dans le jeune et les gémissements (2). Et le peuple
élu était si fidèle à ces recommandations, que les jeûnes et
les abstinences peuvent compter parmi leurs principales
pratiques, f humiliais mon âme par le jeune (3), dit David en
parlant de lui-même. Ce fut en jeûnant et en priant, eux et
leurs femmes (4), est-il dit des habitants de Béthulie, qu'ils
méritèrent d'échapper à la fureur d'Holopherne, quand ce
guerrier barbare vint mettre le siège devant leur ville. L'his-
toire du vieillard Eléazar, ainsi que celle des sept frères
Machabées et de leur mère, est bien connue. Sommés par
l'impie roi Antiochus de manger des viandes défendues, ils
préférèrent mourir dans les plus horribles supplices, plutôt
que de violer les lois de Dieu (5), ce que beaucoup d'autres
juifs firent également (6). Quand Notre-Seigneur vint en ce
monde, la loi du jeûne était toujours observée, bien que
plusieurs le fissent par hypocrisie (7). Lui-même la confirma
d'une manière éclatante, d'abord par son jeûne de quarante
jours, et ensuite lorsque, parlant du jeûne aussi bien que de
toutes autres mortifications, il fit à ses auditeurs cette décla-
ration deux fois répétée : Si vous ne faites pénitence, vous
périrez tous (8). Ainsi, nous le répétons et nous venons d'en
1. Gen. 11, 17.
2. Joël. 11, 12.
3. Ps. xxxiv, i3.
4. Judith, iv, 8.
5. M. Mach. vi et vu.
G. I. Mach. 1, 05, 66.
7. Matth. vi, 16.
8. Luc. xui, 3, 5, 7. — Jésus-Christ ne le dit pas (de jeûner et de
DEVOIR iVoHSEtlYEH LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. /|IQ
donner la preuve: non, il n'est pas vrai que le jeûne et
l'abstinence ne sont commandés que par l'Église. Ce qui est
vrai, c'est que le jeûne et l'abstinence ont d'abord été com-
mandés par Dieu, et que ces commandements de Dieu tou-
chant Le jeûne et l'abstinence ont été observés, puis renou-
velés et confirmés par Notre-Seigneur lui-même.
Mais supposons que ni Dieu ni Notre-Seigneur n'ont com-
mandé le jeûne et l'abstinence, et que ces deux pratiques
ne nous sont imposées que par l'Église seule i pourrions-
nous, dans ce cas, ne pas les observer? Non, nous ne le
pourrions pas. On dit que les hommes sont égaux, et que
les uns n'ont pas plus le droit de commander que les autres
le devoir d'obéir. Les hommes sont égaux par leur nature,
oui ; mais ils ne le sont pas par leur autorité et leurs fonc-
tions. Qui dira que le père n'a pas le droit de commander à
son enfant, et que l'enfant n'a pas le devoir d'obéir à son
père ? Qui dira que le maître n'a pas le droit de commander
à son serviteur, et que le serviteur n'a pas le devoir d'obéir
faire abstinence) en termes formels, c'est vrai. Mais qu'avait-il besoin
de le déclarer, si les expressions dont il s'est servi pour définir les pou-
voirs de son Église n'excluent pas la faculté de créer ce genre de disci-
pline ? Cf. Matth. xviii, 17, 18. Son langage sans restriction révèle de sa
part une intention sans réserve. Et, quand sa parole laisserait quelques
doutes, nous avons un témoin pour dissiper ces nuages et nous fixer sur
la pensée de l'Hommc-Dieu : c'est son Église elle-même. Elle est contem-
poraine de Jésus-Christ, puisqu'elle est son ouvrage ; elle vivait dans
les apôtres; elle s'identifiait avec eux. Quand ils ont reçu les dernières
instructions du Seigneur leur maître et son Époux, quand il leur trans-
mil, comme un héritage immortel, les pouvoirs qu'il tenait de son Père,
ce fut elle qui les recueillit par leurs mains. Il lui fut donné de lire
alors dans l'âme du Sauveur, et d'en sonder les vues jusque dans les
profondeurs les plus intimes. Ceux qui refusent à l'Église le pouvoir
d'ordonner des pénitences corporelles, n'étaient pas là ; ils ne savent pas
ce que Jésus-Christ a fait et ce qu'il n'a pas fait, la puissance qu'il a
donnée et celle qu'il n'a pas accordée. I/Église, au contraire, était pré-
sente ; elle sait parfaitement ce que son fondateur a voulu, et pour
preuve qu'elle en a reçu le droit d'établir des mortifications corporelles,
elle ne s'est pas donné la peine d'affirmer ce pouvoir : elle l'a exercé dès
son berceau. On niait autrefois le mouvement devant un philosophe, et
lui, plutôt que de recourir à des raisonnements pour en démontrer
l'existence, il se mit à marcher. Ainsi a procédé l'Église. Pour démon-
trer qu'elle était aulorisée à prescrire de pieuses privations, de saintes
austérités, elle s'est hâtée d'en ordonner publiquement aux fidèles.
C'est un des faits constatés avec le plus d'éclat par les monuments des
premiers siècles (Mgr Plamiek, Irvstr. et Lett. past. Carême i856, n. 1).
/»20 LES GRANDS DÈVOJRS DU SALUT. XVÎ. INSTRUCTION.
à son maître P Ainsi, dans toute société, familiale, domesti-
que, civile, certains membres ont le droit de commander
obligatoirement, et les autres le devoir d'obéir. Les magis-
trats, dans toute nation, n'ont-ils pas le droit de faire des
lois, et n'est-ce pas un devoir rigoureux, pour les citoyens,
de s'y soumettre (i)P Eh bien, il n'en est pas autrement dans
la société de l'Église : les chefs qui la gouvernent ont pareil-
i. On refuse do se soumettre aux mortifications ordonnées par l'Église
parce que c'est l'homme qui les commande. Mais d'abord, ceux qui le
prétendent, comment le savent-ils ? Où sont les études qu'ils ont faites
sur cette question ? Dans lequel des historiens sacrés ont-ils découvert
que Jésus-Christ, qui jeûnait pour sa part, n'a pas prescrit à ses futurs
disciples de jeûner et de se mortifier ? Pour éclaircir ce point de fait,
ont-ils pris un seul jour de réflexion? Ont-ils une seule fois sérieuse-
ment interrogé l'Evangile ? Et ce qu'ils en affirment est-il autre chose
qu'une coupable témérité ?
Et après tout, quand la discipline du jeûne et de l'abstinence serait
d'institution purement humaine, serait-ce là un motif suffisant pour la
faire rejeter? Certes, on n'est pas toujours, grâce à Dieu, si méprisant
pour l'homme. On reconnaît des pouvoirs dans Tordre social, ils en sont
la colonne. On attribue aux lois qu'ils établissent un caractère sacré
qui les rend obligatoires. Et pourtant, quelles sont celles de ces lois
politiques ou civiles qui ne partent de l'homme ? Quels sont ceux de ces
pouvoirs qui ne se personnifient dans l'homme? L'homme est partout
dans la législation comme dans l'autorité. Il n'y a même, à proprement
parler, que l'homme, si l'on doit admettre les doctrines de notre temps;
je ne sais quel athéisme pratique a dépouillé nos codes de la sanction de
Dieu, et les puissances de son image. On n'a voulu que l'homme pour
commander à l'homme ; et l'on subit, sans confusion trop amère, le
joug de cet atome. La fierté même la plus ombrageuse, l'orgueil le plus
jaloux de son indépendance et de sa dignité s'inclinent sous ses décrets,
quoiqu'après tout ils soient dictés par un fils du néant.
Et pourquoi si prodigue de déférence et de respect pour l'homme dans
l'État, l'est-on si peu dans l'Église? Pourquoi, dans le premier, trouver
tout simple qu'il soit législateur, et dans le second, le trouver révoltant ?
S'il peut tenir le sceptre d'un côté, pourquoi pas de 1 autre ? S'il peut,
dans l'ordre civil, porter des lois qui atteignent la conscience privée et
publique, pourquoi pas dans l'ordre religieux ? Là, sa nature et l'exer-
cice du pouvoir ne vous semblent pas incompatibles ; vous ne protestez
point contre ses ordonnances et ses règlements par la seule raison qu'il
est homme. Ne protestez pas non plus à ce seul titre contre les péniten-
ces canoniques qu'il peut établir. Ou bien, si vous le faites, soyez consé-
quents jusqu'au bout. Mez tous les pouvoirs, parce que tous sont hom-
mes ; abolissez toutes les lois, parce que toutes émanent de l'homme, et
proclamez que le chaos, avec sa nuit et ses tempèles, est l'état naturel
du monde. — Mais non, ce n'est pas l'homme seul qui a fondé cette
discipline dont on refuse de subir le joug ; c'est l'homme investi de
l'autorité d'un Dieu, etc. (Mgr Plantier, loc. cit )
DEVOIB D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. 421
lemenl Le droit de Faire dos lois et des règlements, et c'est
pour l<*s membres de cette société un devoir strict de s'\
soumettre. L'autorité des chefs de L'Église ;i même ceci de
très particulier, qu'elle leur a été conférée directement et
expressémenl par le Sauveur lui-même, quand il a dit à ses
apôtres, qui furent les premiers chefs de l'Église, et en leur
personne à tous ceux qui devaient leur suedéder : Qui vous
écoute, m'écoute moi-même : qui vous méprise, me méprise moi-
même ; et qui me méprise, méprise celui qui m'a envoyé (i),
Dieu le Père. Par conséquent, alors même donc, nous le
répétons, alors même que les jeunes et les abstinences n'au-
raient jamais été commandés que par l'Église, il y aurait
obligation rigoureuse pour nous de les pratiquer ; parce que
ses chefs ne sont ici-bas autre chose, dans la loi nouvelle,
que les organes de Dieu auprès des chrétiens, comme les
prophètes, dans la loi ancienne, étaient les organes de Dieu
auprès du peuple hébreux. En sorte que, comme c'était
Dieu qui parlait par les prophètes, ainsi c'est Dieu qui parle
et nous commande par les ministres de son Eglise.
Cependant, sachons-le bien, encore qu'ils en eussent eu
le droit, ce ne sont pas les chefs de l'Église qui ont créé
pour les fidèles l'obligation des jeûnes et des abstinences.
dette obligation, nous l'avons dit, existait déjà, et le fonda-
teur de l'Eglise, \otre-Scigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu
fait homme, L'avait solennellement confirmée. Mais dans
quels temps et dans quelles conditions cette obligation s'im-
posait-elle aux fidèles? Notre-Seigneur n'avait pas jugé à
propos de le dire, et il avait laissé aux chefs de son Eglise le
soin de le déterminer, selon les circonstances qui devaient
survenir. L'intervention et l'action des chefs de L'Église s'est
doue bornée, dans les lois du jeune et de l'abstinence, non
pas à en créer le principe, mais à en régulariser la pratique.
Avant ces lois, le jeûne et L'abstinence, et en général toutes
les pénitences et toutes les mortifications, ne laissaient pas
d'être obligatoires ; mais on ne savait ni quand ni comment
Les pratiquer, et chacun se conduisait à cet égard d'après sa
propre appréciation. Eu sorte que les âmes lâches, tout en
i. Luc. x. iG.
/|2 2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVI. INSTRUCTION.
ne faisant à peu près rien, estimaient toujours en faire
assez ; tandis que les âmes ardentes craignaient toujours d'en
faire trop peu. Il était donc nécessaire d'établir des lois qui
fussent une règle sûre pour tout le monde. Et c'est ce que
l'Église, éclairée et guidée par le Saint-Esprit, a fait, en pre-
nant à cet égard des décisions qui sont fidèlement résu-
mées dans ces deux formules bien connues : « Quatre-temps.
vigiles, jeûneras, et le carême entièrement. — Vendredi
chair ne mangeras, ni le samedi mêmement. »
Telle est l'histoire des deux préceptes ecclésiastiques tou-
chant le jeûne et l'abstinence. Or, nous le demandons
maintenant avec une parfaite assurance : quel est celui qui,
connaissant cette histoire, pourrait encore contester l'abso-
lue nécessité d'observer ces deux préceptes ? Celui qui le
ferait ne devrait-il pas en même temps, et à plus forte
raison, nier la nécessité d'observer aucune loi ? Car quelles
lois plus obligatoires peut-il y avoir que celles qui émanent
directement de Dieu, qui ont été confirmées par le Fils de
Dieu, et codifiées en quelque sorte par leurs ministres et en
leur nom? Oui, répétons-le donc: puisqu'il est nécessaire
d'obéir aux lois humaines, bien plus nécessaire encore est-il
d'obéir aux lois du jeûne et de l'abstinence, qui ne sont pas
seulement des lois ecclésiastiques, mais qui sont de plus et
avant tout des lois divines.
Certes, il nous suffirait de savoir que les lois du jeûne et
de l'abstinence nous ont été imposées par Dieu et son
Église, pour concevoir de l'utilité de ces deux pratiques une
très haute idée ; car Dieu ni l'Église ne peuvent commander
que des choses d'une particulière excellence. Toutefois,
afin de mieux: connaître ce nouvel aspect de notre sujet, et
de répondre ainsi à ceux qui prétendent que les jeûnes et
les abstinences sont inutiles, nous allons maintenant expo-
ser, comme du reste nous l'avons promis, les
II. — Motifs de Y institution des jeûnes et des absti-
nences. — D'après ce que nous apprennent les saints livres
et les écrits des docteurs de l'Église, on peut dire que les
jeûnes et les abstinences ont été institués principalement
pour les quatres motifs suivants, savoir ; pour apaiser la
devoir d'observer les jeunes et LES ABSTINENCES. \>Iï
colère de Dieu Lorsque nous l'avons irrité contre nous par
nos offenses ; pour expier ces mêmes offenses ; pour nous
préserver du péché, et enfin pour nous sanctifier (i).
Les jeûnes etles abstinences ont été institués, d'abord pour
apaiser La colère de Dieu, disons-nous, lorsque nous avons
eu le malheur de la provoquer par nos offenses. Il n'est pas
douteux que quand Dieu nous voit l'offenser, surtout lors-
que c'est volontairement et délibérément, par dédain ou
mépris de ses lois, il n'est pas douteux qu'il ne s'irrite con-
tre nous. On en trouve des milliers d'exemples dans la
sainte Ecriture. Quel est le père qui ne s'indigne contre
son enfant, lorsqu'il le voit fouler aux pieds ses ordres? Eh
bien, nous voyons également dans la sainte Ecriture que le
moyen le plus efficace pour apaiser dans ce cas la colère de
Dieu, c'est le jeûne et l'abstinence. Le peuple israélite, que
Dieu avait tiré d'Egypte et nourri de la manne dans le
désert, oubliant son maître et son bienfaiteur, avait offert
son culte et ses adorations aux idoles des faux-dieux. Le
Seigneur, outré d'une pareille ingratitude, voulait lui
retirer sa protection et l'abandonner à ses ennemis. Mais
Moïse demanda grâce pour les coupables, ajoutant le jeûne
à ses prières, et Dieu se laissa toucher. — L'histoire de
Ninivc est bien connue. ïPar ses vices et ses crimes, cette
ville avait soulevé contre elle l'indignation du ciel, et sa
i. On peut faire le sujet et le partage d'un discours de ces paroles de
saint Jean Chrysostome : Jejuna quia peccasti; jejuna ut non pecces ;
jejuna ut accîpias : jejuna ut permaneant quœ accepisti. i° Jejuna quia
peccasti. Il faut jeûner à cause des péchés que nous avons commis ; et
on peut montrer combien le jeûne est nécessaire et efTIcacc pour l'ex-
piation de nos péchés. 20 Jejuna ut non pecces. Il faut faire voir que le
jeûne est un puissant préservatif contre le péché. 3° Jejuna ut accipias.
Montrer que le jeûne est puissant et efficace pour obtenir de Dieu ce
qu'on lui demande. 4° Ul permaneant quœ accepisti. Il est encore néces-
saire pour conserver les dons et les grâces que nous avons reçus de
Dieu. (Houdrt, loc. cit. n. i \).
On peut prendre pour sujet et pour division d'un discours ces trois
effets du jeûne exprimés dans la Préface de la Messe et qui sont autant
de motifs pour lesquels le jeûne a été institué, i' Pour réprimer nos
Mces et les liassions qui nous portent au crime: qui corporali jejunio
vitia comprimis. 2° Pour élever notre esprit à Dieu, et le rendre capable
de méditer et de goûter les vérités célestes: Mentent élevas. 3° Pour
acquérir les vertus qui nous sont nécessaires, et attirer les faveurs du
ciel : Virtulem largiriï et prœmia(\(\, Wid, n. 5).
4 2 4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVI. INSTRUCTION.
perte était résolue. Le prophète Jonas est envoyé pour lui
faire connaître l'oracle divin : Encore quarante jours, et
Ninive sera détruite (i). A cette nouvelle, le peuple est épou-
vanté, et cherche un remède. Un jeûne général est ordonné,
tous l'observent, le prince et le peuple, les enfants et les
vieillards, et jusqu'aux animaux eux-mêmes. Puissance
admirable du jeûne ! Dieu est apaisé, et la sentence de des-
truction révoquée. — Citons encore l'exemple de David. Ce
roi, malgré sa haute vertu, s'était laissé aller à un sentiment
d'orgueil en faisant le dénombrement de ses sujets. Pour
l'en châtier, Dieu envoie une peste dont David pouvait être
lui-même victime. Mais le bon roi demanda grâce pour son
peuple, en se livrant au jeûne, et Dieu commanda au fléau
de se retirer. Ainsi, comme le prouvent ces exemples au-
thentiques et des milliers d'autres semblables, le jeûne
possède la puissance d'apaiser la colère de Dieu irrité par
nos fautes ; et tel est le premier motif pour lequel il nous
est prescrit (2).
1. Joan. m, 4.
2. Gratia divina non alio efficaciori remedio, quam jejunio recupe-
ratur. Inspiciamus Scripturam. Israelitœ aliquando contra Philistaeos,
hostes capitales in praelium progressi sunt, sed infelici successu ;
l.Reg. rv; quippe quatuor Israelitarum millia trucidata, crcteri in
fugam dispersi sunt. Miserunt ergo in oppidum Silo, indeque afferri
jusserunt arcam Domini, quam sibi in expugnatione urbis Jerichun-
tinae, et in omnibus Josue prœliis prodigiosam opem tulisse noverant.
Adest arca ! Jam redintegrato pra?lio Philistœos rursus aggrediuntur,
sed infortunatiore, quam antea, exitu ; triginta millia occubuerunt, et
ipsa arca ab hostibus capta est. Deum immortalem ! qua? causa est
tanti infortunii ? nimirum Israelitae per sua peccata adeo se indignos
reddiderunt Dei adjutorio, ut meriti sint hostibus in prsedam, et oppro-
brium cedere. Quid porro factum est ? Arca Domini in regionibus gen-
tilium terribilia operari cœpit prodigia ; quippe in templo Dagon pros-
travit, confregitque idolum, Azotios pudendis morbis ac muribus
afflixit, ex Bethsamitis, qui arcam curiose inspexerant, quinquaginta
hominum millia morte percussit ; ideo illam Philistaei ad suos remit-
tere decreverunt, quod et reipsa fecerunt. Sed quando, quo tempore
rediit arca ad Israelitas ? Eo tempore, teste Scriptura, quo illi conve-
nientes in Masphat haustam aquam ejjaderunt in conspeclu Domini, et
jejunaverunt in die Ma, atqae dixerunt ibi : Peccavimus Domino. I. Reg.
vu. Quid nobis innuitur per hanc Scripturœ historiam ? Nota! per
arcam significatur gratia Dei, quam tu, mi christiane, quanto frequen-
tius praelio contra infernales inimicos cadis, tanto magis magisque
amiltis. Sed quomodo amissarecuperanda est? Dcbes idemfacere, qupd,
DEVOIR D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. /| 2 5
Mais après qu'on a apaisé la colère de Dieu, on n'en doit
pas moins expier ses Taules. Le criminel à qui la justice
humaine l'ait grâce de La vie est envoyé aux travaux forcés.
1 ne dispense complète d'expiation, par Dieu comme par
les hommes, sérail un encouragement au crime. Or, les jeû-
nes et les abstinences, qui ont auprès de Dieu le pouvoir de
calmer ses justes colères, ont aussi celui d'expier à ses yeux
nos fautes, c'est-à-dire de nous faire réparer le mal que nous
avons commis en péchant. Qu'avons-nous fait en péchant ?
En péchant, nous nous sommes accordés des satisfactions,
des jouissances, des plaisirs qui nous étaient défendus. Par
exemple, le vindicatif s'est accordé la satisfaction défendue
d'écraser son ennemi ; l'avare s'est accordé la satisfaction
défendue d'entasser plus de biens qu'il n'en avait besoin ;
le paresseux s'est accordé la satisfaction défendue de se sous-
traire aux fatigues qui lui incombaient. Ainsi, quelque péché
que l'on fasse, on s'accorde, en le commettant, une satis-
faction mauvaise à laquelle on n'a pas droit. Eh bien, le
jeûne et l'abstinence sont une compensation à cette satisfac-
tion défendue, et c'est en cela qu'ils l'expient. C'est-à-dire
que, nous étant donné une satisfaction défendue, nous som-
mes privés, par le jeûne et l'abstinence, de la légitime satis-
faction que nous aurions à manger selon notre appétit et les
aliments qui nous plaisent le plus. Cette manière de nous
faire expier nos péchés, la plus logique et la plus naturelle,
n'a assurément rien qui puisse nous étonner. N'est-ce pas
cette même manière qu'emploie le père avec son enfant lors-
que, pour le châtier de s'être donné le plaisir défendu de
faire l'école buissonnière, ou de manger en cachette un pot
de confiture, il le condamne au pain sec et à l'eau, le pri-
vant ainsi du plaisir légitime qu'il aurait eu de s'asseoir à la
table de famille ? Dieu et l'Église, dont nous sommes les
enfants, n'agissent en effet pas autrement avec nous : pour
fecorunt Israélite, effunderc aquam, fateri quod peccaveris, et jejunare ;
per lias enim très aetiones Cornélius à Lapide intelligit très partes
pœnitenthe, videlicet, per effusionem aquae, contritionem ; per verba :
Peccavinws Domino, confessionem ; et per jejunium, satisfactionem. En!
gratia Dei per peccatum perdita, non recuperatur sine jejunio, consé-
quentes sine jejunio Deus non placatur (Glaus, Spicil. catech. conc,
36, n. 5).
[\:>. 6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
nous châtier d'injustes satisfactions que nous nous sommes
données, ils nous privent de satisfactions qui nous eussent
été laissées, si nous nous étions conservés innocents. Nous
n'avons donc aucun sujet de nous plaindre, ni de reprocher
à L'Eglise de faire ce que nous faisons nous-mêmes. Tout au
contraire, nous devons nous soumettre avec empressement
à des lois si équitahles, puisque, grâce à ces lois, nous pou-
vons réparer nos fragilités et nos aveuglements, et ainsi
échapper aux vengeances éternelles (i).
Tout n'est pas fini pour nous, lorsque nous avons apaisé
la colère de Dieu et expié nos fautes ; il faut encore que
nous réfrénions nos passions, pour nous préserver de tom-
ber dans des fautes nouvelles. Or, le jeûne et l'abstinence
étant d'excellents moyens pour obtenir ce résultat, c'est
encore un motif pour lequel ils nous sont prescrits. Il faut
réfréner nos passions, disons-nous, pour nous préserver de
retomber dans le mal. Ce sont en effet nos passions, surtout
lorsqu'elles sont violentes et déchaînées, qui nous font com-
mettre le plus de fautes. Mais comment les réprimer et les
i. Clemens et pius Dominus, humanum genus, quod suasione dia-
boli deceptum fucrat per gustum pomi, in paradiso, sacrosancto jejunio
liberandum decrevit (S. Aug. serait 12. de Quadrag.). — Jejuna, quia
peccasti (S. Joan. Ghrysost. serai. 2. de Jejun.). — Labor quidem est in
jejunando, at nondum pro Jesu crucifixi sumus (S. Greg. Nyss. hom.
de Jejun.).
De quelque côté que nous regardions la pénitence, ou comme unique
moyen de satisfaire à la justice divine pour les péchés passés, ou comme
un remède contre les rechutes, elle n'a point d'exercice plus propre et
plus efficace à ces deux effets, que le jeûne et l'abstinence. Pourquoi ?
c'est que le jeûne étant une œuvre pénible, qui mortifie la chair et qui
abat le corps, il n'est rien de plus propre pour satisfaire à Dieu, apaiser
sa colère et fléchir sa miséricorde, que l'est cette vertu. Car, comment
pourrait-il jeter les yeux sur un misérable, abattu et exténué par le
jeûne et l'abstinence, sans que sa miséricorde en fût attendrie ? Sa jus-
tice môme, qui est violée et irritée par le péché, ne saurait s'opposer au
pardon de celui qui s'afflige et se macère le corps, dans le dessein de lui
faire satisfaction. C'est une raison que Guillaume de Paris emploie
incessamment dans tous ses ouvrages : Que peut, demande ce grand
docteur, prétendre la justice autre chose que punir le péché ? Et n'est-ce
pas ce que fait le jeûne en affaiblissant le corps ? Il prend donc le parti
de la justice : le moyen donc après cela, qu'il ne lui arrachât ses fou-
dres des mains et ne lui fit quitter ses justes ressentiments, si ce n'est
qu'il y eût de la justice à punir deux fois un criminel ? (Le P. Gegou,
Vmwje du sacrem. de PénU.).
DEVOIR D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. ï\'l~j
contenir ? Nous venons do le dire encore, c'est principale-
ment par le jeûne et l'abstinence. Les anciens eux-mêmes
l'avaient aisémenl reconnu : la bonne chère, en échauffant
Le sang, excite les passions, les porte au dernier degré de
leur puissance, \ussi les excès de table sont-ils ordinaire-
ment suivis d'autres excès, tels qu'excès de colère et excès
de débauche. L'expérience ne laisse aucun doute à cet égard.
Voilà pourquoi Platon, quoique païen, mais ami de la
sagesse, voulait que l'on interdît l'usage du vin aux enfants
jusqu'à l'âge de dix-huit ans, donnant pour raison qu'avant
L'âge du travail et des fatigues, il ne fallait point verser un
feu nouveau sur le feu qui dévore le corps à cause de l'exal-
tation naturelle à la jeunesse (i). L'effet de la bonne chère
étant donc d'exciter nos passions, on comprend dès lors
aussitôt que l'effet du jeûne et de l'abstinence doit être
nécessairement de les calmer. Cessez de mettre du bois dans
le feu, et bientôt le feu s'éteindra. Le feu est en proportion
du bois qu'on y met. Par conséquent, pratiquons le jeûne
et l'abstinence, et nos passions se calmeront ; pratiquons le
jeûne et l'abstinence, et nos passions, calmées, ne nous
entraîneront pas dans le mal (2).
1. De legib. lib. 2.
2. Si jumento forte insederes, si equo utereris qui te gestiendo pos-
set praecipitare, nonne ut securus iter ageres, cibaria ferocienti subtra-
heres, et famé domarcs quem freno non posses ? Garo mea jumentum
meum est. Iter ago in Jérusalem ; plerumque me rapit, et de via cona-
tur excludere : via autem mea, Christus est. Ita exultantem non cohi-
bebo jejunio ? Si quis hoc sapit, ipso experimento probat quam utiliter
jejunetur (S. Aug. serm. de utilit. jejun.),
La première flèche que le démon tira du carquois de sa malice, quand
il voulut tenter le Sauveur Jésus, fut une suggestion de sensualité. Que
fit le Seigneur a cette attaque ? Il lui opposa le bouclier du jeûne en
lui disant : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu. Matth. iv, !\. Comme s'il eût dit : « Tu me
sollicites à prendre une nourriture matérielle, afin de priver mon âme
de son pain éternel et vivifiant ; mais comme l'homme est composé
d'un corps et d'une âme, il faut qu'il ait soin de nourrir L'âme de la
parole de Dieu, avant de nourrir le corps d'un pain terrestre et com-
mun. » — Nous voyons d'une manière évidente que le démon doit beau-
coup compter sur ce moyen, puisqu'il a voulu surprendre le Sauveur
par le même piège qu'il avait tendu au premier Adam, et que son des-
sein était de faire mourir celui-ci connue il avait fait mourir l'autre par
la manducation d'un fruit défendu, Mais le second Adam, par l'absti-
^28 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
Mais apaiser la colère de Dieu, expier ses fautes, ne
pas tomber dans le péché, n'est pas encore tout pour
le chrétien ; il faut de plus qu'il se sanctifie, en faisant le
bien par la pratique des vertus, suivant cette parole de
l'apôtre saint Pierre: Que celui qui souhaite jouir de la vie
éternelle et voir les jours heureux du ciel, évite le mal et fasse
le bien (i). Or, ici encore le jeûne et l'abstinence sont de la
plus grande efficacité, et tel est le quatrième motif pour
lequel ils nous sont prescrits. En effet, en même temps que
le jeûne et l'abstinence calment et affaiblissent nos passions,
par là même ils donnent à l'âme plus de liberté pour faire
nence, a évité toutes ces embûches et nous a appris en même temps que
nous pouvions, par le même moyen, surmonter toutes ses ruses et tous
ses artifices (S. Éloi, Hom. 3).
Le jeûne rend les chrétiens redoutables aux démons, invincibles et
impénétrables à tous les traits des tentations. De là vient que les mar-
tyrs avaient coutume de jeûner le jour de leur martyre, surtout quand
ils ne pouvaient participer aux divins mystères, ne croyant pas trouver
de plus fortes armes que l'abstinence. Le Fils de Dieu même en usa de
la sorte, avant que d'aller au combat contre le démon, dans le désert,
où il fut tenté par cet esprit de ténèbres : Contra dœmonem pugnaturus,
dit saint Ambroise, ep. 82, longo se armavit jejunio. Le jeûne fut l'ins-
trument de sa victoire, le rempart de sa vertu, le trophée de sa sainteté :
Jejunium scimus esse Dei arcem, Chris li castra, sanctitatis trophœum. Le
Fils de Dieu avait-il besoin de ces armes pour se défendre ? Nullement.
Mais nous avions besoin de son exemple, pour apprendre de lui la
nécessité et l'utilité du jeûne. Nous avons de puissants ennemis, qui
nous épient jour et nuit ; le monde nous attaque au dehors ; la chair
est un ennemi domestique qui nous trahit ; le démon est un lion furieux
prêt à nous dévorer ; nous sommes dans une terre étrangère ; nous
combattons pour l'éternité ; à tout moment nous courons risque de
nous perdre. Quel remède plus présent à tant de malheurs, et quelle
défense plus sûre contre de si forts ennemis, que l'abstinence et le jeûne ?
Castra nobis sunt nostra jejunia, quœ nos a diabolica impugnatione défen-
dant, mur us quidam est christiano jejunium, impugnabilis diabolo, intrans-
gressibilis inimico. S. Ambr. serm. 52. Nos jeûnes sont nos remparts et
nos retranchements ; nos pénitences sont nos défenses ; notre absti-
nence un mur impénétrable à nos ennemis invisibles. Qui des chré-
tiens, dit le même saint, s'étant armé du jeûne a jamais été vaincu? Qui
a jamais été surpris, pendant qu'il s'^st retranché dans l'abstinence ? Le
démon n'attaque que les voluptueux: sitôt qu'il aperçoit le jeûne, il
prend la fuite ; la pâleur du chrétien l'épouvante ; sa maigreur lui ôte
les forces ; sa faiblesse l'atterre, parce que sa force est cachée sous sa
faiblesse : Quia infirmitas christiana fortitudo est (Nouet, Méditât. 1,
dim. du Car.).
1, 1. Petr. u, io et 11.
DEVOIR d'oBSËRVER LES JEUNES ET LES' ABSTINENCES. ^20,
Le bien, puisque L'âme n'a plus autant à lutter contre les
passions moins emportées sinon complètement soumises.
Vinsi les pouvoirs publies, dans un état, peuvent travailler
d'une manière plus efficace à la prospérité commune, Lors-
que L'esprit se révolte et de perturbation est solidement
contenu et réprimé, affranchie du joug et des tracas des
passions. L'âme peut donc, semblablemcnt, se livrer avec
force et ardeur à la pratique de tous ses devoirs, et ainsi
acquérir les mérites qui Jui ouvriront les portes du ciel et
lui en assureront rétcrnclle possession. Le jeune et l'absti-
nence sont tellement nécessaires à tout chrétien pour se
sanctifier, qu'on ne conçoit pas qu'il y ait dans le ciel un
saint qui ne les ait pratiqués. C'est la pensée de saint
Bazile, qu'il exprime par l'expressive comparaison que
voici : Le corps, dit-il, est comme un vaisseau dont l'âme
est le pilote. Or, un pilote arrive beaucoup plus facilement
au port, lorsqu'il conduit un vaisseau médiocrement chargé,
que lorsqu'il conduit un vaisseau surchargé. Dans le pre-
mier cas, en effet, la nef plus légère glisse facilement sur
les flots ; dans le second, au contraire, elle surnage avec
peine et court risque, au moindre coup de vent, d'être
engloutie sous le fardeau qu'elle porte. Ainsi l'âme qui
traîne après elle un corps rendu plus léger par le jeûne,
arrivera plus facilement au ciel que si elle traînait un corps
appesanti par la nourriture (i).
1. Ilom. 1. De Je} un. n. 4- — Immoler le corps, c'est avant tout une
preuve de force, mais en même temps c'est un principe de force.
L'athlète ([ui veut combattre dans l'arène, a dit l'apôtre saint Paul, s'abs-
tient de tout. I. Cor. ix, a5. De tout, c'est-à-dire que, se bornant à une
nourriture sobre cl grossière, il se prive de tous les aliments qui
pourraient l'amollir. Il jeûne à sa manière, il se mortifie d'une
certaine façon, cl ce sont précisément ces privations mêmes qui le for-
tifient. Quand l'heure sera venue, il luttera d'autant plus victorieuse-
menl dans la lice,- qu'il aura plus généreusement observé les austérités
préparatoires. Ainsi en est-il dans cette grande arène de la perfection
([ne Jési s-Chrïst est venu ouvrir à ses disciples. Qui veut y courir ou
combattre avec succès, celui-là doit s'abstenir de tout comme les an-
ciens athlètes. Le jeûne, suivant le beau mol de saint Léon, fui tou-
jours la nourriture de la vertu ; » serm. 12. de Jejun ; c'est ce gui lui
donne son énergie; cl rien n'est plus facile à concevoir. Il n'est pas de
grande vertu qui ne fasse du corps son instrument ou sa victime. Dans
La chasteté il est victime, parce (pie vous résistez aux entraînements qui
/j3o LES GRANDS DEVOIRS DU S.VLUT. XVI. INSTRUCTION.
Tels sont les quatre principaux motifs de l'institution du
jeûne et de l'abstinence : apaiser la colère de Dieu, expier
nos fautes, nous préserver d'y retomber, et nous faciliter la
pratique des vertus et la sanctification de notre âme. Alors
même que le jeûne et l'abstinence ne nous procureraient
qu'un seul de ces avantages, n'en serait-ce pas assez pour
nous faire comprendre la haute sagesse des lois qui nous les
prescrivent? Mais en présence de leurs multiples bienfaits,
notre estime et notre respect pour ces lois n'en doivent être
que plus profonds et plus complets. Apprenons donc
III. — Comment on satisfait à ces lois. — Pour plus
de clarté, ici nous parlerons séparément de la loi du jeûne
et de la loi de l'abstinence.
i° La loi du jeûne ne nous impose, en principe, qu'une
seule chose : l'unité de repas. Mais dans la pratique, cette
loi a été beaucoup adoucie. Autrefois, l'unique repas ne se
prenait que le soir, après le coucher du soleil, et l'on ne
le portent vers la fange ; dans la tempérance, victime, parce que vous
lui refusez les délicatesses qu'il sollicite ; dans l'esprit de paix et de pa-
tience, victime, parce que vous dominez sa fougue et que vous en con-
tenez les emportements. Flattez-le, nourrissez-le mollement, qu'il cesse
d'être crucifié, et toutes ces vertus disparaissent. De môme pour les
vertus dont il est l'instrument. Il est le ministre de la charité, puisque
c'est lui qui de son œil découvre l'indigent et de sa main lui tend l'au-
mône destinée à le soulager. Il est l'organe de l'apostolat, puisque c'est
sa voix qui fait retentir aux oreilles des peuples qui ne l'ont pas encore
entendue, la bonne nouvelle de l'Evangile. Qu'il devienne une idole,
qu'on écoute ses exigences, qu'on craigne de le foire souffrir, toutes
ces formes de l'héroïsme succombent à leur tour. Conseillez à une
sœur de charité de se traiter comme une femme mondaine, et vous ver-
rez si elle persévérera dans la générosité de son dévouement au malheur.
Persuadez au missionnaire qu'il doit, au lieu de châtier ses sens, les
faire vivre dans d'éternelles délices, et vous verrez s'il franchira les
mers, pour aller convertir et civiliser les insulaires énervés ou farouches
des archipels de V Océanie. Telle est la loi ; de quelque nom qu'elle s'ap-
pelle, de quelque fleur qu'elle se couronne, la vertu chrétienne est une
plante qui veut croître sur des décombres; c'est dans les ruines du
corps qu'elle doit plonger ses racines et puiser sa sève ; le sang, voilà sa
rosée ; le jeûne, voilà son sol naturel ; l'affaiblissement des organes,
voilà sa force ; et quand la chair est plus infirme, quand elle n'est plus
rien qu'un simulacre d'homme, qu'une espèce d'ombre errante à la
lumière du jour, c'est alors, dit saint Ambroise commentant saint
Paul, que l'âme est plus puissante pour conquérir les cieux et dévorer
le monde : Cum infirmor, tarte potens &urn (Mgr Plaktier, loc. cit. n. 5).
DEVOIR D'OBSEDE ER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. J3 l
devail \ manger ni viande, ni rien de ce qui provient de La
chair des animaux, tels que le Lait, Le beurre, le fromage, la
graisse, les œufs. Depuis Longtemps, et peu à peu, cette
discipline, nous Le répétons, est devenue moins rigoureuse,
soit parce que la ferveur première, soit parce que les forces
humaines ont graduellement diminué. Quoi qu'il en soit,
la loi du jeûne consiste toujours, maintenant, dans
l'unité de repas, mais L'Église autorise d'avancer ce repus
vers L'heure de midi, et de faire en outre, le soir, non
pas un repas, mais une légère collation, formant environ,
d'après l'opinion qui paraît être la plus commune, le quart
d'un repas complet. Lorsqu'on a quelque raison d'interver-
tir cet ordre, on peut faire la collation vers midi, et ren-
voyer le repas vers le soir. Il s'est même introduit, dans ces
derniers temps, et en certains pays, une coutume que les
autorités ecclésiastiques paraissent tolérer. Cette coutume
consiste à prendre, dans la matinée, quelque peu de bois-
son, ou même de chocolat fortement délayé dans de l'eau,
à quoi l'on ajoute une faible mouillette de pain. La boisson
est permise, parce qu'en principe le liquide ne rompt pas
le jeûne ; et la mouillette est tolérée afin que le liquide ne
nuise point à l'estomac, ce qui pourrait arriver s'il était pris
seul. En outre, dans beaucoup de diocèses, les évêques, en
vertu d'induits obtenus du Saint-Siège, accordent des dis-
penses touchant l'usage de la viande elle-même, au moins
pour certains jours. En résumé, le jeûne maintenant con-
siste à ne faire qu'un repas par jour, vers midi, et le soir
une légère collation. Pour le reste, on doit se conformer à
ce qui est établi ou toléré dans chaque diocèse (i).
i. Le véritable jeûne porte avec lui l'idée d'une mortification univer-
verselle, el doil par ses effets nous familiariser avec la mort, et nous la
rendre tous les jours plus présente. Jeûner, c'est sacrifier toute sa vie
dans les objets qui peuvent contribuer a l'entretenir, et dont on se prive
par un esprit de pénitence. Dans ce sacrifice, l'homme est Lui-même la
victime qu'il offre à Dieu. Pour nous y disposer, l'Église, à ces heures
de silence où l'on offre les premiers vœux dans la tranquillité delà
nuit, exhorte tous ses enfants à user avec plus de retenue des parolesj
des aliments, du sommeil et des plaisirs. I ta mur ergo parcius verbis*
cibis et potibus, somno et jocis . Par là elle nous fait assez sentir que le
vrai jeune consiste dans un retranchement général, non seulement de
tout ce qui peut flatter la nature, mais encore de tout ce qui n'est pas
$1 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
Toutefois, le jeûne, même ainsi mitigé, n'est obligatoire
que pour ceux qui peuvent le pratiquer sans inconvénients
graves. Ainsi l'on admet invariablement que les jeunes
gens jusqu'à vingt et un ans, les malades et les personnes
qui se livrent à des travaux très pénibles, sont dispensés
du jeûne. C'est aussi l'opinion assez commune que les
vieillards en sont dispensés à partir de soixante ans (i),
absolument nécessaire comme soutien de la vie; et qu'en un mot, il est
établi pour nous conduire à cette parfaite circoncision qui fait le carac-
tère de la vie spirituelle (Bossuet, Pensées chrét. et moral.).
c. Les théologiens assignent quatre causes qui excusent du jeûne :
i° V impuissance morale. Ainsi sont exempts du jeûne les infirmes,
ceux qui ont une santé faible, et qui ne peuvent jeûner sans un grave
inconvénient ; les convalescents, les nourrices et les femmes enceintes ;
les pauvres qui mendient et qui n'ont pas pour faire dans le jour un
bon repas, et généralement ceux qui ne peuvent que se nourrir très
mal, quoi qu'ils ne mendient pas ; les personnes à qui le jeûne cause
de grands maux de tète ou d'estomac, ou qui en jeûnant éprouvent
la nuit de longues insomnies; si cependant ces personnes peuvent obvier
à cet inconvénient, et jeûner en faisant la collation à midi et dînant le
soir, elles sont obligées de le faire, et les vieillards qui, à raison de leur
faiblesse ne peuvent jeûner sans grande incommodité. Plusieurs graves
théologiens, tels que Sanchez, le P. Viva, S. Liguori, Ziana et autres,
croient que toute personne qui a atteint la soixantième année est
exempte du jeûne ecclésiastique, parce qu'alors, disent-ils, tant à cause
delà faiblesse des forces qu'à raison du défaut de chaleur, on a besoin
de manger souvent pour conserver sa santé qui, une fois perdue ou
affaiblie à cet âge, ne peut guère se recouvrer ; il y a donc pour lors,
ajoutent-ils, toujours un péril probable d'incommodité grave. Sporer
rapporte en faveur de ce sentiment que s. Pie V a déclaré lui-même de
vive voix, que les sexagénaires ne sont plus tenus au jeûne ecclésias-
tique ; il cite un auteur, Jérôme Lanças, qui atteste avoir été témoin
de cette déclaration. Quoiqu'il en soit, je crois comme plus probable,
avec Lessius, Layman, et plusieurs autres, qu'un sexagénaire robuste
n'est point exempt du jeûne, dès qu'il peut jeûner sans grave inconvé-
nient ; je ne vois aucune loi ni aucune coutume au moins universelle,
qui indique que l'obligation du jeûne cesse pour toutes les personnes
âgées de 60 ans, comme il y en a une qui fixe le temps (21 ans) avant
lequel les jeûnes gens n'y sont point obligés. Cependant, dans les pays
où une coutume légitime autorise toutes les personnes de 60 ans à ne
point jeûner, on peut s'y conformer. De môme si l'on doute ou s'il
n'est pas certain que tel sexagénaire soit assez robuste pour supporter
le jeûne sans un péril probable d'inconvénient grave, il faut interpréter
la loi en sa faveur et croire qu'il n'est pas tenu au jeûne ecclésiastique.
Sic recte Cajetanus, Lessius et alii.
2' Le travail Ainsi sont exempts du jeûne tous ceux qui se livrent
pendant la plus grande partie du jour à des travaux pénibles, soit de
corps, soit d'esprit, qui fatiguent autant que le jeûne lui-même fati-
DEVOIR D'OBSERVER LES M'A NES ET LES ABSTINENCES. J33
Mais qu'on Le remarque bien, en dehors des inconvénients
et des empêchements graves, tout le monde esl tenu de
jeûner. \ insi , alors même qu'on trouverait le jeûne pénible,
guerait, comme sont les travaux qui se fpni a\ec une grande agitation
de corps, ou une grande el continuelle application d'esprit. De là les
théologiens concluent que les menuisiers, les charpentiers, les serru-
riers el autres ouvriers en fer, les manœuvres, les maçons, les tailleurs
de pierre, 1rs portefaix, les laboureurs, ceux qui moissonnent ou qui
fauchent, les vignerons, les courriers, etc., sont exempts du jeune. Pour
les cordonniers, les tisserands, les orfèvres, et les sculpteurs, plusieurs
théologiens les en exemptent ; mais comme il est douteux si leur travail
est assez, pénible pour être une cause suffisante, je crois, avec Billuart,
qu'il faut laisser à la prudence du confesseur à décider si ces personnes,
vu leur complexion, peuvent ou ne peuvent pas jeûner. Il faut en dire
autant des écrivains, des confesseurs et des prédicateurs.
Note : [Qui a mane ad vesperam confessiones exciperet, qui tota qua-
dragesima quotidie aut fere quotidie concionem haberet cum magno
studio et labore, puta quia est ingratse memoriae aut conciones recenter
cusas pro prima vice récitât ; qui diu noctuque ad componendum aut
docendum libros evolvit, totaliter a jejunio exemptum arbitror : sicut
enim labore corporali spiritus vitales cxbauriuntur, ita labore spirituali
Spiritus animales, qui non sunt minus ad vitam necessarii. Billuart.]
Quant aux gens qui travaillent à la campagne, leur nourriture est
ordinairement si mauvaise, que, quel que soit leur travail, il est tou-
jours assez considérable pour les dispenser du jeune, puisque leur vie
est pour ainsi dire un jeûne continuel. — Ceux qui se livrent à des
travaux pénibles, doivent-ils jeûner les jours auxquels ils cessent de va-
quer ') Plusieurs auteurs, tels que Diana et Sanchez, pensent que lors-
qu'ils ne cessent de travailler que pendant un jour ou même deux, ils
ne sont pas tenus au jeûne, parce que ce repos leur est nécessaire pour
reprendre leurs forces. Cependant je crois, avec S. Liguori, que si ces
jours de repos ils peuvent évidemment jeûner, ils sont obligés de le
faire : mais dans le doute s'ils le peuvent ou non, la présornption est en
leur faveur : ils sont exempts déjeune.
3° Le voyage. Tous les voyages nécessaires qui sont incompatibles avec
le jeûne, en exemptent. Mais quels sont ces voyages ? Différents senti-
ments partagent là-dessus les théologiens, qui requièrent pour les voya-
ges à pied, les uns quatre lieues, les antres cinq, et d'autres plus. Quoi-
que, généralement parlant, un voyage de cinq à six lieues au moins,
dans des pays mohtueux, suffise pour exempter du jeûne, on rfè peut
établir une règle fixe pour tout le monde, ni d'après la longueur du
chemin, ni d'après la manière de voyager, à pied, à cheval ou en voi-
ture ; chacun doit consulte]- ses forces, c'est li fatigue seule qui décide,
puisque, d'après saint Thomas, il n'j a d'exempts du jeûne, à raison du
voyage, qui ceux qui « ne peuvent pas jeûner et voyager en même
temps ». — Celui qui, un joui' de jeûne, entreprend an voyage sans
nécessité, prévoyant qu'il ne pourra point jeûner, pèche mortellement.
Gorilia. G'esl mettre sans raison un obstacle à l'observation d'une loi
qui oblige sub gravi.
k° La piété. La piété est une cause légitime qui dispense de jeûner,
SOMMB DU PRÉDICATEUR. — T. II. 28
434 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
et qu'on en éprouverait quelque incommodité, on ne serait
pas dispensé du jeune pour cela, ni pour rien de semblable.
11 faut bien se pénétrer de ceci, que le jeûne est une expiation
et une pénitence ; or, où serait la pénitence, où serait l'ex-
piation, si l'on n'éprouvait, en jeûnant, aucune incommo-
dité, aucune gêne, aucune peine ? On veut jeûner conscien-
cieusement, ou on ne le veut pas ; si on le veut, il faut
accepter la peine et les fatigues qui sont les conséquences
du jeûne. En général, on craint trop que le jeûne ne nuise
à la santé. C'est à tort. Bien que le jeûne n'ait été institué
que pour l'avantage de l'âme, très souvent il ne laisse pas
d'être aussi fort salutaire au corps. Ne savons-nous pas que,
dans la plupart des maladies, la diète est la première chose
qu'ordonne le médecin ? Et de plus, l'expérience n'atteste-
t-elle pas que la sobriété est la condition ordinaire d'une
bonne santé et d'une longue vie ? Parmi les moines d'autre-
fois, dont les jeûnes étaient pourtant si rigoureux, les cen-
tenaires n'étaient pas rares (i). Quoi qu'il en soit, en cas de
doute, c'est-à-dire lorsqu'on n'est pas bien sûr si, eu égard
aux circonstances dans lesquelles on se trouve, on est tenu
ou non au jeûne, on doit consulter son curé ou son con-
fesseur. C'est le seul moyen d'agir en toute sûreté de
conscience, parce qu'il y a toujours lieu de craindre qu'on
ne se trompe en jugeant clans sa propre cause (2).
des qu'elle est accompagnée d'un travail ou d'une fatigue incompatible
avec le jeûne : ainsi en sont exempts ceux qui assistent spirituellement
ou corporellement les malades, et qui sont obligés de passer auprès
d'eux la nuit entière ou la majeure partie de la nuit ; ceux qui font des
pèlerinages à des lieux pieux et éloignés, quand même, d'après plusieurs
théologiens, ils ne les entreprendraient que par dévotion, pourvu
d'ailleurs qu'ils ne les fissent pas « en fraude de la loi », c'est-à-dire à
dessein précisément de ne pas jeûner (Exam. rais, sur les comm. de
Dieu et de l'Église, 2. p. ch, 1. art. 3).
1. S. Paulus, eremitarum primipilus, vixit annos centum et quinde-
cim. Antonius centum et quinque. Paphnutius nonaginta. Hilarion
octoginta quatuor. Jacobus centum et quatuor. Macarius nonaginta
octo. Arsenius centum viginti. Simeon Stylita centum et novem. Ro-
mualdus centum viginti. Et hi omnes in solitudinibus victitantes, non
nisi pane, aqua, leguminibus, herbis, et quidem vix una aut altéra vice
in hebdomade refleiebantur (Menocii. Disc. cur. 5, 68).
2. i° Vos excuses sont-elles légitimes? Vous êtes né, dites-vous, avec
un tempérament faible, incapable de soutenir la rigueur de la loi du
DEVOIll D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. /|35
2° Un mot seulement de la loi de l'abstinence, maintenant.
Cette loi se justice parles mêmes raisons que celle du jeûne,
ainsi que nous l'avons vu, puisqu'on parlant de l'institution,
des motifs et des avantages du jeûne, nousparlionsen même
temps de l'abstinence. La loi de l'abstinence consiste stricte-
ment à s'abstenir d'aliments gras, alors même qu'on ne
jeûne pas, le vendredi et le samedi de chaque semaine, à
moins de dispense. En beaucoup de diocèses maintenant,
les évêques, en vertu d'induits accordés par le Souverain-
Pontife, autorisent leurs diocésains à faire gras les samedis,
sauf ceux des quatre-temps. Pour l'abstinence comme pour
le jeûne, l'on doit se conformer à ce qui se pratique dans le
diocèse où l'on se trouve (i). Et non seulement on doit s'y
conformer soi-même, mais l'on doit avoir soin que ceux sur
lesquels on a autorité s'y conforment également (2).
jeûne, tempérament qui demande des soins et des précautions infinis.
Qui sait si ce ne sont pas ces soins et ces précautions infinis qui ont
affaibli votre tempérament ? Dès lors cette vie molle vous rend la péni-
tence plus nécessaire, puisqu'elle est elle-même un crime que vous devez
expier, au lieu de devenir un titre légitime qui vous dispense de la péni-
tence. Peut-être confondez-vous ces précautions prétendues nécessaires
avec certaines exigences de rang et de position. Mais prenez garde, la loi
est pour tous, et si l'Église admet des exceptions, elle les fait plutôt en
faveur des pauvres et des ouvriers. Faiblesse de tempérament ! mais
cette faiblesse ne vous a jamais privé d'un seul plaisir ? Vous supportez
les veilles, l'application et la contention de votre esprit au jeu, le chan-
gement d'heure pour vos repas ; vous dévorez les fatigues et les gênes
d'un service honorable, mais pénible, et de mille convenances, quand
la vanité, la gloire ou le plaisir s'en mêlent, et ce n'est que pour Dieu
seul que vous ne savez pas vous gêner ! — Mais, dites-vous, vous êtes
dispensés de la loi du jeûne par l'autorité des supérieurs légitimes.
Mais vous savez bien que toute dispense obtenue contre les intentions et
l'esprit de l'Église, est une dispense vaine, et que vous ajoutez au crime
de la transgression le crime de la mauvaise foi.
20 En supposant vos excuses légitimes, il est possible que vous trans-
gressiez le précepte par la manière dont vous usez de l'indulgence de
l'Église, (iémissez-vous en secret de la faiblesse de votre chair, et de
l'impossibilité où elle vous met de satisfaire aux lois de l'Église ? Rem-
placez-vous, par d'autres œuvres, les jeûnes que vous ne pouvez obser-
ver ? (Houdby-Avignon, verb. Jeûne, art. /»).
1. Pourquoi ce qui est permis dans un diocèse ne l'est-il pas dans un
autre ? C'est principalement parce que les conditions matérielles ne sont
pas partout les mêmes. Ainsi, le beurre est permis dans le nord, et non
dans le midi, parce que le midi possède une excellente huile qui permet
de se passer de beurre, etc.
2. Les parents et les maîtres pèchent mortellement si, pouvant empê-
/|36 LES (ilUNDS DEVOIRS DU SALUT. XVÎ. INSTRUCTION.
La loi (le l'abstinence, comme celle du jeûne, comporte
des exemptions. Tous les enfants, avant l'âge de raison, en
sont tout d'abord exempts. En sont exempts aussi les ma-
lades et les infirmes pour qui les aliments maigres seraient,
ou nuisibles, ou insuffisants. Il en est de même pour ceux
qui se trouveraient dans l'impossibilité de se procurer du
maigre, au moins sans inconvénients graves, tels que les
voyageurs dans certains cas. Mais tous ceux qui, pour une
raison ou pour une autre, ne peuvent pas observer la loi de
l'abstinence, doivent accomplir en compensation quelque
bonne œuvre, soit prière, soit aumône, ou toute autre action
pieuse ou charitable. C'est ainsi qu'un véritable chrétien se
conforme à l'esprit de l'Église, pour qui les jours déjeune
et d'abstinence sont des jours de sanctification. Que si l'on
ne peut absolument pas s'y sanctifier de la manière qu'elle
le commande, qu'on s'y sanctifie du moins de la manière
qu'on peut (i).
chei leurs enfants et leurs serviteurs de faire gras les jours défendus,
il ne les en empêchent pas. — Les aubergistes pèchent mortellement, si
les jours défendus ils servent en gras les étrangers qui ne le demandent
point, ou si, sans raison grave, ils donnent de la viande aux gens du
pays qui leur en demandent, quand ils savent qu'ils n'ont point de rai-
son qui les dispense de l'abstinence. Quant aux étrangers inconnus qui
leur demandent de la viande, ils peuvent les servir en gras, sans s'infor-
mer des raisons qu'ils ont : ils doivent présumer qu'ils en ont de légi-
times, s'ils ne sont pas sûrs du contraire. (Exam. rais. loc. cit. a. 4).
Attamcn licet apponere carnes aut cœnain violaturis jujunium, si ex
denegatione merito timeantur graves ira?, blasphemiae, aut grave dam-
num : ut, ne hospitium omnino sive notabiliter deseratur ; non vero, si
levé damnum timeatur, puta quod displiceat hospitibus, quod ab iis aut
aliquibus tantum hospitium deseratur. In nullo casu licitum foret, si
caro vel cœna in contemplum rcligionis peteretur (Billuart).
i. Il faut que vous dédommagiez le Seigneur ; il faut que vous rem-
placiez par d'autres œuvres saintes, ce que vous manquez par mortifi-
cation ; il faut vous séparer des compagnies qui font votre plaisir ordi-
naire, et où vous trouvez tant d'agrément ; redoubler vos soins pour les
misérables ; substituer à des visites de bienséance et de récréation, la
visite des hôpitaux et des prisons ; prier plus fervemment dans le secret
de votre chambre ; vous trouver régulièrement dans nos temples, aux
heu ics consacrées pour y annoncer la sainte parole. Ce sont là les règles
que saint Ghrysoslôme trace aux personnes comme vous : Largioretn del
eleemosynam, fervenlior sit in precibus, majore m habeat alacritalem in
audiendis concionibus, etc. Entretenez donc votre cœur des sentiments
dune vraie componction ; gémissez à la vue de la nécessité où vous êtes
DEVOIR D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. ^ 07
CONCLUSION. — Nécessité d'observer Les jeûnes e1 les
abstinences de précepte, motifs de L'institution de ces jeû-
nes el de ces abstinences, ce qu'il faut faire pour accomplir
les préceptes qui Les commandent, telles sont donc les trois
questions que nous venons d'élucider. En résumé, la néces-
sité très rigoureuse <jui nous incombe d'observer les jeûnes et
les abstinences de précepte vient de ce qu'ils ont. été com-
mandés en principe parDieu lui-même, puis organisés par
L'Eglise, son représentant et son ministre sur la terre. Quant
aux motifs pour lesquels ces jeunes et ces abstinences ont
été institués, nous avons vu que c'est tout à la fois, pour
apaiser la colère de Dieu lorsque nous l'avons provoquée par
nos fautes, pour expier ces mêmes fautes, pour nous pré-
server d'y retomber, et pour nous sanctifier en nous facilitant
la pratique des vertus. Enfin, pour accomplir le jeûne les
jours où il est prescrit, il faut, avons-nous vu encore, ne faire
qu'un repas vers l'heure de midi, et le soir une légère colla-
tion ; el en ce qui concerne l'abstinence, il n'y a qu'à ne
pas faire gras les vendredis et samedis, sauf impossibilité
ou dispense, comme pour le jeûne. Encore une fois, voilà
ce que nous venons d'étudier et d'établir. Eh bien, que con-
clure maintenant ? Il faut conclure maintenant comme
toutes les fois qu'il s'agit d'un devoir : il faut prendre, sans
hésitation, la résolution de pratiquer le jeûne et l'abstinence
exactement comme ils nous sont commandés. Quand les
soldats savent que l'ordre du général est de monter à
l'assaut, en est-il un qui regarde en arrière ? en est-il un
qui hésite :> Nous savons que Dieu, par la voix de l'Église
son capitaine, nous commande de jeûneret de faire maigre:
devrait-il y avoir un seul chrétien qui hésitât à obéir ? Peut-
être regardez-vous comme peu grave de ne pas observer ces
préceptes. C'est à tort, car Ton se damne aussi bien en fai
de ne pas marcher, comme les autres, dans la route de la même péni-
tence ; détestez les viandes que vous ne mangez qu'à regret ; quittez la
délicatesse dans des repas que l'on n'accorde qu'à votre faiblesse; dites
au Seigneur avec Esther, quand die (Hait obligée de se trouver aux fes-
tins d' issuérus : Dieu d'Israël, vous voyez le fond de mon âme, et vous
savez combien je déteste ces festins : Tu sois iiecessitatem meam, ([uod non
mihi placuerit convivium régis, Esth, Xiv (Massilu>\, ap. Roudry, Bibl,
<ies Préd. verb. Jeûne, S 6),
^38 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
sant gras qu'en perpétrant les plus effroyables forfaits. Dieu
parle, tout est là. N'est-ce pas pour avoir m ange un fruit que
Dieu chassa Adam du paradis terrestre, et le condamna, lui
et toute sa postérité, aux innombrables misères de la vie et
à la mort ? A la grandeur du châtiment, comprenons la
grandeur de la faute. Et si Adam commit une si grande
faute en mangeant une pomme, parce qu'il lui avait été
défendu de la manger, comprenons par là même quelle
grande faute nous commettrions en mangeant certains ali-
ments qui nous sont également défendus. Comprenant
cette faute, évitons-la, et en même temps assurons-nous, en
obéissant aux préceptes divins, les avantages du jeûne et
de l'abstinence, ainsi que le fit plus tard notre malheureux
premier père. Car de même que ce fut en mangeant le fruit
défendu qu'il se fit mettre à la porte du paradis terrestre ;
de même ce fut en pratiquant le jeûne et l'abstinence qu'il
mérita de se faire ouvrir celle du ciel. Dieu nous accorde à
tous la même grâce !
TRAITS HISTORIQUES.
Force obligatoire des lois du jeûne et de l'abstinence.
i. — Depuis la fin du règne de Louis XV, le relâchement s'était
glissé à la cour. On servait maigre et gras tous les jours d'absti-
nence, quand il y avait eu chasse. Louis XVI fit réformer cet abus ;
il montra même à cet égard que sa soumission aux lois de l'Église
était aussi parfaite qu'éclairée. Un vieil officier, soutenant que ce
qui entre dans le corps ne souille pas l'âme, se croyait, d'après ce
principe, dispensé de la règle commune. « Non, Monsieur, reprend
Louis XVI avec véhémence, ce n'est point précisément de manger
de la viande qui souille l'âme et fait l'offense ; c'est la révolte contre
une autorité légitime, et l'infraction de son précepte formel. Tout
se réduit donc ici à savoir si Jésus-Christ a donné à l'Église le
pouvoir de commander à ses enfants, et à ceux-ci l'ordre de lui
obéir : le catéchisme l'assure. Mais, puisque vous lisez l'Évangile,
vous eussiez dû voir que Jésus-Christ dit quelque part : Que celui
qui n'écoute pas V Église doit être regardé comme un païen. Et je
m'en tiens là. » (Vertus de Louis XVI).
2, — » Un officier, qui avait été élevé dans les principes de l'Église
DEVOIE D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES. /J3Q
catholique, commença à les abandonner dès qu'il arriva à l'Age des
passions : et pou à peu il se corrompit tellement, qu'il se plaisait
même à tourner la religion en ridicule. Mais les remords qui
l'agitèrent, après avoir assiste à quelques exercices d'une mission,
finirent par le ramener à la loi de ses pères, et il alla se confesser.
Le vendredi suivant, étant à dîner avec plusieurs de ses camarades
qui le raillaient, parce qu'il ne voulait manger que du maigre, il
s'adressa à leur honneur, et leur dit : « Si vous étiez d'une société
dont les règlements vous défendissent une ebose, la feriez-vous ?
Eh bien, je suis dans ce cas ; je me soumets aux règlements de la
société religieuse à laquelle j'appartiens. » Alors ses camarades
cessèrent de le rallier, et ne purent s'empêcher d'approuver sa
conduite (Leteuneuf, Lettres au P. Guyori).
Le jeûne du Carême.
Ce jeûne, qui dure quarante jours, du mercredi des cendres au
samedi saint, les dimanches exceptés, a été établi, selon quelques
auteurs, par le pape Télesphore, vers l'an 117; mais nous ne le
trouvons converti en commandement par l'Église qu'au milieu du
troisième siècle. Toutefois on ne peut douter que les premiers
chrétiens n'aient observé volontairement le jeûne du carême, sans
y être astreints par un ordre précis. Voici ce qu'écrit saint Jérôme,
Epi s t. ad Marc. : « En vertu de la tradition apostolique, nous
observons tous les ans un jeûne de quarante jours, et nous faisons
abstinence à l'époque qui nous est prescrite. » Le jeûne était très
strictement gardé ; on ne mangeait qu'une fois par jour, le soir
après le coucher du soleil, ou à trois heures de l'après-midi ; et
encore mangeait-on fort peu ; en outre on s'abstenait de viande et
de laitage, de poissons délicats et d'autres mets recherchés, ainsi
que de vin. Le jeûne le plus sévère avait lieu pendant la Semaine-
Sainte, et le jour du vendredi-saint on prenait à peine une bouchée
de pain. — Ce jeûne de quarante jours fut principalement établi
dans l'Église pour les motifs suivants: i° Pour imiter le jeûne de
quarante jours de Jésus dans le désert. « Avant que notre divin
Sauveur, dit saint Jean Chrysostôme, entrât dans la lutte et les
tentations que le démon lui préparait, il jeûna pendant quarante
jours, et par là il voulut nous montrer à tous que le jeûne et une
vie austère doivent être nos armes pour résister aux attaques du
démon. » 20 En mémoire de la passion douloureuse et de la mort
de Xotre-Seigneur. a Comme la passion douloureuse et la mort de
Jésus-Ciihist, ainsi que sa glorieuse résurrection, observe le pape
saint Léon, sont comptées parmi les mystères les plus élevés de
440 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
notre religion, il est juste que nous nous y préparions, non seule-
ment par les prières et les aumônes, mais encore par un long
jeûne, afin de devenir dignes de célébrer ces mystères sublimes. »
3° Pour nous préparer convenablement à la communion pascale.
« Jésus jeûna pendant quarante jours, dit saint Jérôme, et, en
nous laissant ce précieux héritage du jeûne, il préparait d'avance
nos âmes à recevoir dignement la communion pascale. » 4° Pour
payer, en quelque sorte, à Dieu, la dîme de notre vie. « Le carême
de quarante jours, écrit le pape saint Grégoire, forme la dixième
partie de tous les jours de l'année. Comme nous offensons Dieu
presque tous les jours, ne devons-nous pas employer annuellement
un certain temps à son service et à notre propre salut? » (Poussin,
Catéch. enhist. 5. comm. de l'Église).
Le jeûne des Quatre-Temps.
Les quatre-temps, c'est-à-dire le mercredi, le vendredi et le
samedi qui ouvrent les quatre saisons : i° après le troisième diman-
che dans Pavent ; 20 après le premier dimanche dans le carême ;
3° après le dimanche de la Pentecôte, et 4° après la fête de l'Exalta-
tion de la sainte Croix. Jadis les Juifs jeûnaient, d'après le pro-
phète Zacharie, vin, 19, aux quatre saisons. Des chrétiens pieux
et zélés imitèrent cet exemple, et c'est ainsi que nous trouvons ce
jeûne des Quatre-Temps généralement observé à Rome sous le pape
Léon Ier (44o-46i). Delà il se répandit bientôt dans toute l'Église.
Le jeûne des Quatre-Temps a été institué principalement pour les
trois motifs suivants : i° Afin que nous sanctifiions chaque saison
par quelques jours de pénitence. De même qu'il n'y a pas d'époque
où nous n'offensions Dieu, ainsi il n'y a pas d'époque où nous ne nous
efforcions de l'apaiser de nouveau par la pénitence. Or, comme
l'année a quatre saisons, on établit pendant chacune d'elles quel-
ques jours déjeune, et, chaque mois comptant trente jours, on en
consacre trois au jeûne. 20 Afin de prier Dieu, l'auteur des fruits
de la terre, qu'il veuille conserver les fruits croissants, ou de le
remercier de ceux que l'on a récoltés. En automne, nous rentrons
les fruits des champs et des jardins, et nous en jouissons en hiver ;
au printemps et en été, nous en suivons attentivement la crois-
sance et la maturité. Nos péchés nous rendent indignes de tous
ces innombrables bienfaits de Dieu ; or, le jeûne des Quatre-Temps
doit remédier au moins un peu à cette indignité. 3° Afin de prier
Dieu qu'il daigne nous accorder des prêtres sages et pieux, de zélés
ouvriers dans sa vigne ; c'est à cette époque que les évêques font
d'ordinaire les ordinal tions, Or, comme un prêtre selon le cœur cle
DEVOIR d'observer les jeunes et les abstinences. 44i
Dieu est un des dons les plus précieux, l'une des grâces les plus
signalées, nous devons, pendant les Quatre-Temps, implorer Dieu,
pour qu'il daigne répandre sa lumière sur les évêques, de sorte
qu'ils n'imposent leurs mains qu'à des hommes dignes et vertueux
(Poussin, loc. cit.).
Le jeune des Vigiles.
Le jeune des \ igiles (veille des jours de fête) tire son origine du
temps des persécutions, et a été institué pour que les fidèles se
préparassent en esprit de pénitence à célébrer dignement la fête
du lendemain. Dans les premiers temps, toutes les fêtes solennelles
avaient leurs Vigiles. Les fidèles s'assemblaient la veille, au soir,
à l'endroit où la fête devait être célébrée, s'y préparaient par la
prière, la lecture, en écoutant la parole de Dieu et en veillant toute
la nuit (de là la dénomination de vigiles ou veilles) ; puis ils se
séparaient de nouveau pour quelques heures jusqu'à ce que le
moment fût arrivé de commencer l'office divin. Sans doute que
les premiers fidèles agirent ainsi pour imiter notre divin Sauveur,
qui passait toute la nuit à prier son Père. Luc. v. Plus tard, les
jours de jeûne des Vigiles furent limités à un petit nombre, et en
beaucoup de contrées ils sont en grande partie supprimés. Ceux
observés dans notre pays sont les cinq suivants : la veille de la
Pentecôte, la veille de la fête de saint Pierre et de saint Paul, la
veille de l'Assomption, la veille de la Toussaint et la veille de
Noël (Poussin, loc. cit.).
Comment jeûnaient les fidèles du temps
de saint Augustin.
Le grand docteur rapporte que, de son temps, un grand nombre
de fidèles observaient un jeûne quotidien, et le continuaient même
d'une manière incroyable. 11 assure que beauconp de catholiques,
même des femmes, qu'on a tant de peine aujourd'hui à soumettre
à la loi du jeûne, ne se contentaient pas déjeuner, en ne prenant
de nourriture qu'à l'entrée de la nuit ; ce qui est, dit ce Père, par-
tout très commun ; mais encore qu'ils ne buvaient ni ne mangeaient
rien pendant trois jours de suite, et très souvent encore au-delà.
Il ajoute qu'il y avait des chrétiens accoutumés à jeûner (de ce
grand jeûre jusqu'à la nuit) le mercredi, le vendredi et le samedi,
comme le peuple de Rome, dit-il, le fait souvent. Ce saint docteur
assure qu'un grand nombre de chrétiens, et surtout de solitaires,
jeûnaient cinq jours de la semaine, et continuaient ce jeûne toute
leur vie. Nous savons, dit encore ce Père, que quelques fidèles,
[\[\2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
l'ont fait : c'est-à-dire que, passant au-delà d'une semaine entière
sans prendre aucune nourriture, ils approchaient le plus qu'ils
pouvaient du nombre des quarante jours ; car des frères, très
dignes de foi, dit-il, nous ont assuré qu'un fidèle est parvenu
jusqu'à ce nombre. — Cf. De Mor. Eccl. c. 3i et seq.
Vaines excuses.
Le roi Louis XVI était un véritable chrétien, et sa vie fourmille
de traits édifiants. A la fin du premier carême qu'il avait passé sur
le trône, il tint ce propos : « Je me suis tiré de celui-ci sans peine,
mais j'aurai un peu plus de mérite le carême prochain. — En quoi
donc, sire ? lui demanda un courtisan. — C'est, reprit le roi,
parce que je n'ai eu cette année que le mérite de l'abstinence, et
j'aurai de plus celui du jeûne le carême prochain, puisque j'aurai
atteint vingt et un ans. — Le jeûne ! sire, il est incompatible avec
vos occupations et vos exercices. Après le travail, vous allez à la
chasse ; et comment pourriez-vous jeûner sans altérer votre santé ?
— La chasse, répliqua le pieux monarque, est pour moi un délas-
sement ; mais je changerai de récréation, s'il le faut ; car le plaisir
doit céder au devoir. » Le carême suivant, le roi chassa, mais il
jeûna en même temps.
Fermeté à observer la loi de l'abstinence.
i . — Dans son éloge funèbre du général Auguste de La Roche-
jaquelein, le cardinal Pie, évêque de Poitiers, raconta à l'honneur
de son héros le fait suivant, arrivé au cours d'une chasse faite le
mercredi des Quatre-Temps de septembre : « La matinée, dit
l'illustre pontife, avait été laborieuse, et la nombreuse bande
s'apprêtait à déjeuner. Le général s'approche et reconnaît la
méprise qu'on va commettre. Se penchant alors sur le tapis de
gazon où les provisions venaient d'être étalées, il prend dans ses
deux mains les mets interdits, et fait signe à sa meute, qui accourt
et les dévore à belles dents. Et comme chacun se récriait : « Appa-
remment, mes jeunes amis, vous n'avez pas assisté dimanche au
prône de la grand'messe, et vous n'avez pas entendu monsieur le
curé annoncer le mercredi des Quatre-Temps. » — Quand une
leçon est donnée de la sorte, ajoute l'orateur, elle est gravée dans
l'esprit pour toute la vie. »
2. — « J'ai lu dans la vie de saint Louis, continue l'éminent
cardinal, qu'à Damiette ou à Mansourah, le sire de Joinville,
relevant d'une longue maladie, venait de se mettre à table en la
compagnie de plusieurs amis qui fêtaient avec lui sa convales*.
DBV01B D'OBSERVER LES JEUNES ET LES ABSTINENCES 443
cence. Un bourgeois do Paris qui se trouvait là accourt au séné-
chal : « Là, sire, que faites- vous ? — Ce que je fais ? — Eli ! vous
mangez gras le jour du vendredi. » A l'instant, le sire de Joinville
lance sonécuelle d'argent par la fenêtre qui donnait sur la mer.
C'est là une de ces instructions dramatiques qui valent mieux que
toutes les recommandations Orales. » Et oneques depuis, les servi-
teurs du sénéchal ne s'oublièrent au régime du vendredi. »
3. — C'était aux Tuileries, en i83o, Louis-Philippe donnait un
splendide banquet, où se trouvaient réunis les plus hauts digni-
taires de l'état et de l'armée. C'était un vendredi, et le dîner fut
servi tout en gras. Attendu qu'à cette époque on croyait utile
d'affecter un profond dédain pour les lois de l'Église. A la droite
de la reine se trouvait placé le général Brun de Yilleret, qui devait
cet insigne honneur à sa réputation de bravoure et de loyauté. A
la droite de Louis Philippe avait pris place le maréchal Soult, qui
était intimement lié avec le général Brun de Yilleret. Le potage
gras arriva au général Brun, il refusa. Un premier plat lui est
offert, il refuse encore ; puis un deuxième, un troisième ; mêmes
refus persévérants. La reine, s'apercevant que le général n'avait
encore rien accepté, lui dit : « Mais, général, vous ne mangez pas.
— Madame, répondit en souriant Brun de Yilleret, c'est aujourd'hui
vendredi, j'attends un aliment maigre, j'espère qu'on finira bien
par en apporter. » A ces mots inattendus, où se révélait la foi
catholique du vieux soldat, l'embarras de la reine fut extrême. Le
maréchal Soult, aussitôt, se mit à plaisanter le général, sur sa
pieuse fidélité aux lois de l'abstinence, ajoutant que pour un
soldat cela paraissait étonnant. « Comment ! cela te paraît éton-
nant, répondit à haute voix le général provoqué. Cependant, tu
me connais bien, tu sais que de ma vie je n'ai fait gras, le ven-
dredi, si ce n'est à l'île de Lobeau, où je n'eus à manger que la
tête de mon cheval. » Un silence de respect accueillit ces fières
paroles du vieux guerrier, et des aliments maigres arrivèrent
aussitôt.
4. — Un petit journal du Luxembourg contenait dernièrement
l'aventure d'un bon campagnard, venu à Bruxelles un vendredi.
Ce brave homme, excellent chrétien, mais d'une humeur spiri-
tuelle et joviale, était accompagné d'un chien, son fidèle Tom.
Midi venait de sonner : il entra dans la première auberge venue,
et s'installa à table d'hôte en faisant coucher son Tom derrière sa
chaise.
On servit d'abord une grande pièce de viande rôtie. Un monsieur
à moustaches, et fort gros, l'ayant découpée, voulut en servir un
444 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
morceau au Luxembourgeois. « Merci, merci, dit celui-ci ; ne
savez-vous pas que c'est vendredi aujourd'hui ? Pour tout l'or du
monde je ne ferais pas gras. — Gomment, répliqua le gros mon-
sieur, en attirant l'attention de tous les convives, comment, mon
ami, vous en êtes encore là ? On /voit bien que vous venez du
village. Dites-moi, est-ce que vous pensez que Dieu prend garde si
ce que vous mangez est viande ou poisson ? Ce "sont vos curés qui
vous font avaler tout cela, et vous êtes assez bonasse pour les
croire. Nous autres, libres penseurs, nous méprisons ces fadaises.
Allons, prenez-moi vite ce bon morceau. • Mon homme prit le
morceau et le mit dans son assiette. « A la bonne heure, s'écria le
libre-penseur, on voit que vous êtes un homme d'esprit et que
vous savez, vous aussi, vous élever au-dessus des préjugés. » Sans
faire attention à ces ridicules éloges, le malin Luxembourgeois,
tournant la tête : « Tom ! Tom !» s'écria-t-il. Et le chien, en un
bond, fut sur ses genoux. Son maître lui présenta le morceau, et
en un clin d'œil le morceau futhappé et avalé. « Eh bien ! eh bien !
cria le Bruxellois, qu'est-ce que vous faites-là ? — Écoutez, mon-
sieur, répondit l'autre avec calme et un malin sourire, ne nous
fâchons pas : je voulais savoir si Tom était libre-penseur. Vous
voyez qu'il l'est, et qu'il ne s'inquiète pas plus que vous du ven-
dredi et des commandements de l'Église. » — Ce fut une risée
générale aux dépens du prétentieux libre-penseur, qui ne se vanta
pas de l'aventure.
DIX-SEPTIEME INSTRUCTION
(Vendredi de la Passion)
C'est un devoir pour tout chrétien de
combattre les ennemis de son salut.
i. Quels sont ees ennemis. — II. Par quels moyens nous devons les
combattre. — 111. De quelle manière.
Guinée par L'Esprit de Dieu, qui ne cesse de l'assister
dans tous ses actes, selon la promesse qu'elle en a reçue de
son fondateur Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sainte Eglise
a jugé qu'elle devait préciser certaines maximes du divin
Maître, en indiquant de quelle manière on doit les accom-
plir. C'est ainsi qu'elle a marqué, comme nous l'avons vu
dans nos derniers entretiens, ce qu'il faut faire pour sanctifier
les dimanches et les fêtes, pour accomplir les paroles du Sau-
veur touchant la confession des péchés et la réception de
l'adorable Eucharistie, et enfin pour observer ses enseigne-
ments sur la nécesité de faire pénitence. Mais il y a beau-
coup d'autres prescriptions du Sauveur au sujet desquelles
l'Eglise n'a pas jugé à propos d'user de son pouvoir législa-
tif, et qui ne nous en créent pas moins des devoirs positifs
et rigoureux
Tel esl ! N particulier le devoir que nous avons de com-
battre les ennemis de notre salut, et qui doit former le
sujet de notre entretien de ce soir. Ce devoir, en effet, ne
nous est imposé par aucun commandement de l'Église.
Mais il découle tellement de tout ce qui est dit et rapporté
dans l'Evangile, qu'il faudrait, pour le contester, déchirer
toutes les pages <lu livre sacré.
Que lit-on, en effet, dans l'Évangile? Qu'on l'étudié et
qu'on l'approfondisse tant qu'on voudra, on verra tou-
jours qu'il n \ esl question que de cette seule et unique
chose : notre salut. C'est pour notre salut que le Père éler-
M\6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVI. INSTRUCTION.
nel donne son Fils unique et bien-aimé, qu'il le laisse boire
le calice de sa passion, et l'abandonne sans défense à ses
ennemis et à ses bourreaux jusqu'au dernier soupir. C'est
pour notre salut que le Saint-Esprit, lien d'amour entre le
Père et le Fils, intervenant personnellement dans le mystère
de l'Incarnation, forme dans le sein de la Vierge élue le
corps divin qui doit expier tous les péchés du monde. C'est
pour notre salut enfin que le Verbe éternel, quittant les
cieux, naît misérablement dans une crèche, travaille péni-
blement dans une boutique de charpentier, plus pénible-
ment encore prêche sur tous les chemins et dans toutes les
bourgades de Galilée, agonise au jardin des Oliviers, est
flagellé, couronné d'épines, abreuvé d'outrages, et meurt
cloué sur une croix. Voilà tout l'Évangile. Encore une fois,
tout ce qui s'y dit, tout ce qui s'y fait, c'est uniquement
pour notre salut.
Eh bien, en voyant le Père, le Fils et le Saint-Esprit faire
de si grandes choses pour nous sauver, n'en doit-on pas
conclure que c'est pour nous un devoir absolu de travailler
autant que nous le pouvons, nous aussi, à accomplir notre
salut ? Quand un père et une mère se consumeut pour assu-
rer l'avenir de leurs enfants, ne sera-ce pas une obligation
rigoureuse, pour ces enfants, de seconder les efforts de
leurs parents ? Peut-on admettre qu'ils ne seront tenus à
rien faire? La sollicitude qu'ont pour eux leurs parents,
n'est-elle pas une raison de plus pour qu'ils ne s'épargnent
pas eux-mêmes ? Ainsi non seulement nous nous devons à
nous-mêmes de travailler à notre salut, mais nous le
devons encore plus à Dieu, à cause de tout ce qu'il a fait et
souffert pour nous y aider.
Or, si c'est pour nous un devoir impérieux de travailler à
notre salut, n'en est ce pas un tout semblable de combattre
les ennemis de notre salut? Qui est tenu à la fin, est tenu
aux moyens. Or, l'un des moyens nécessaires de faire notre
salut, c'est assurément d'en combattre les ennemis. Celui-là
seul sera couronné, dit l'apôtre saint Paul, qui aura bien
combattu (i). Mais quels sont ces ennemis? C'est là ce que
i. IL Tim. ii, 5.
DEVOlll DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NÔTRE SALUT. 447
nous allons (oui d'abord examiner ; ensuite nous dirons
par quels moyens, et enfin de quelle manière nous devons
Les combattre. — Seigneur, qui dans votre infinie sagesse
a Yt/ voulu nous faire passer par L'Église milita nie avant de
nous admettre dans L'Eglise triomphante, éclairez nos
yeux pour que nous puissions sûrement reconnaître nos
ennemis, et fortifiez nos cœurs afin que nous soyons victo-
rieux dans la lutte d'où dépend notre éternité.
I. — Quels sont les ennemis de notre salut. — Il y
en a un liés grand nombre. Tout ce qui nous porte au mal,
au péché, est par là même ennemi de notre salut, puisque
c'esten commettant le péché, à L'instigation de ces ennemis,
que nous perdons notre salut. Nous ne saurions donc
entreprendre de parler en détail de tous ces ennemis. Gela,
d'ailleurs, n'est pas indispensable. En effet, si nombreux
que soient les ennemis de notre salut, tous pourtant se rap-
portent plus ou moins directement à trois ennemis princi-
paux ; en sorte qu'en combattant ces trois principaux enne-
mis, tous les autres seront par là même vaincus, comme
on fait mourir tous les rejetons d'un arbre en arrachant
l'arbre lui-même.
Or, le premier et le plus redoutable de tous les ennemis
de notre salut, vous l'avez déjà nommé sans doute, c'est le
démon. Il est le premier, parce que c'est lui qui a soulevé
contre nous tous les autres, et que sans lui nous n'en
aurions aucun 11 est le plus redoutable, parce que c'est lui
qui nous haït le plus, et qu'il est le plus puissant de tous.
La haine du démon contre nous est horrible : elle est faite
de vengeance et de jalousie. En nous il haït Dieu, qui l'a
chassé du ciel pour le châtier de son orgueil. Ne pouvant
rien contre Dieu lui-même, il voudrait faire de nous son
instrument de vengeance, en nous ravissant à Dieu dont
nous sommes devenus les créatures privilégiées. Aussi
quelle joie infernale n'éprouve-t-il pas, lorsqu'il parvient à
détacher de son Créateur une àme qui lui était auparavant
fidèle (i) ! — Sa jalousie contre nous n'est d'ailleurs pas
i. Pardalis animal est homini inimicissimum, adeo ut quandoque
in stadiis hominis oculos prœ ira invadat : qui autem ferae furorcm
448 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVlI. INSTRUCTION.
moindre que sa haine contre Dieu. Car la place qu'il occu-
pait dans le ciel, et dont il a été privé pour toujours, c'est à
nous qu'elle est destinée. Quel homme, en pareil cas, ne
serait pas transporté d'une jalousie farouche à l'égard de
celui qui lui serait préféré ? Mais combien plus grande
encore doit être la jalousie du démon contre nous, en se
voyant préférer un être qui lui est très inférieur par la
nature (i)! — Toutefois, ce qui rend plus redoutables
deludere quœrunt, hominis imaginem ei ex charta ostendunt : illa sta-
tim furibunda eam concerpii et dilacerat, hoc argumcnto satis osten-
dens, quanta sit ejus ad versus hominem inimicitia. Sic item diabolus
in imagine hominem apparentem insectatur, quando Deum ipsum
attingere nequit, hinc ipsi bellum ta m acre contra nos, ita. S. Basi-
lius, hom, in aliquot scïipturœ locos (Faber, Op. conc. Dom. i. Qua-
drag., conc. 3, n. 5).
i. Diabolus non quaerit hominem, sed hominis interitum qunerit ;
ille malis nostris gaudet. turgct ruinis nostris, vulneribus convalescit,
nostrum sanguinem sitit, nostra saturatur ex carne, nostris vivit ex
mortibus. Diabolus hominem non vult habere, sed perdere : quia ad
cœlum unde ille cccidit, non vult, non fert, non patitur, hominem
pervenire (S. Petr. Ghr. serm. 12).
Astutissimus hic animarum insidiator (diabolus) perfectissime novit
hominis cujuscumque complexionem, humores, inclinationes, pas-
siones, vitia, ac consuetudines : his omnibus artificiosissime uti callet
ad suas machinationes, et anima? ruinas. Videt aliquem temperamento
sanguinolentum, hune tentât voluptatibus, fomitem concupiscentiae
incendit, ad res amatorias invitât. Videt aliquem biliosum, huic, inju-
rias proponit, et ad vindictas extimulat. Yidet aliquem phlegmaticum,
hune taediis, et fastidiis usque ad desperationem onerat. Videt aliquem
avarum, et huic proximi domos, hortos, prata,et pecunias allicienter ante
oculos ponit. Videt aliquem voracem, et huic difhcultatem jejunii certis
diebus pr;rcepti mirum quantum exaggerat . Videt aliquem ambitio-
sum, et hune ad ofhcii, aut honoris fastigia per fas et nefas quœrenda
extimulat. Videt aliquem iracundum, et hune per infortunium de
industria adornatum ad juramenta et blasphemias excitât. Videt fœmi-
nam evanidam et hanc per vestes minus honestas ad lasciviam, et
danda scandala incendit. Etc. Sic genio, et moribus hominum dexter-
rime se accommodât, atque prout loquitur S. Gregorius, Mor. xxix,i2,
« juxta cujusvis complexionem unumquemque, tentât, ut vitia non
vitio, sed naturac tribuantur. » Testis hujus rei est Macarius abbas, qui
quondam conspexit damionem sibi occurrentem, et ingenti diversorum
vasculorum sarcina onustum. Quacrebat Dei famulus, quo vadis,
maligne? Reposuit ille : Vado ad tentandos fratres tuos. Et ad quid
lot vascula tecum portas? Ut gustum, aiebat, fratribus faciam; si
unum non placeat, propinabo aliud, si neque illud, dabo tertium, et
sic deinceps, donec consensum impetrem. Paucis multa complectitur
S. Hieronymus, de Stygio tentatore inquiens, quod habeat « nomina
hivoiu ni; comhvthie Les knnkmis de notkè s.vlut. 4^0
encore la haine et la jalousie du démon contre nous, c'est
la puissance dont il dispose. Car en le chassant du ciel, Dieu
lui a laissé les hautes prérogatives dont il l'avait doué.
Vussi nous est-il très supérieur par la raison et la clair-
voyance. Il voit, dans les circonstances où nous nous trou-
vons, ce qui peut favoriser ses desseins sur nous, et il nous
attaque en conséquence. C'est ainsi qu'il attaqua notre
mère Kve lorsqu'il la Ait seule; car on pense communé-
ment que si Adam eût été présent, Eve n'aurait pas suc-
combé. L'ardeur du démon pour nous perdre est d'ailleurs
incessante ; la sainte Ecriture nous le représente semblable
à un lion dévorant, qui tourne de tous côtés, cherchant qui
dévorer (i). De plus, jamais il ne renonce à perdre une
âme. Lorsqu'une de ses tentations est repoussée, il attaque
sur un autre point, puis sur un autre encore; et s'il s'éloi-
gne un peu, ce n'est toujours que pour revenir, dans l'es-
poir d'un meilleur succès. Ce fut ainsi qu'après avoir tenté
>.otre-Seigneur lui-même, dans le désert, d'intempérance
d'abord, puis d'avarice, puis de vaine gloire, se voyant tou-
jours repoussé, il le quitta, mais, dit l'Évangile, seulement
pour un temps (2). Tel est le principal et le plus terrible
ennemi de notre salut, celui que Notre-Seigneur appelle
proprement X ennemi (3), car quand ce n'est pas lui-même
qui nous attaque, c'est lui encore qui inspire aux autres de
nous attaquer et excite leur rage et leur perversité contre
les serviteurs de Dieu (4).
mille, cl mille nocendi artes. » Ep. 1, ad Holiod. (Glals, Splcil. catech<
in festo S. Laur., n. G).
1 I. Petr. v, 8.
2. Luc. iv, i-i3.
3. Matth. xin, 25, 3g.
4- Quae primum capta laquco fuerit anima, ad alias decipiendas fit
quasi laqueus, ut voluntati inimici obsequatur, incscatquc animas
potissimum illas, quœ nondum draconis acerbitatem sunt expertee. —
Sic anima sicut perdix comprohensa pro osca illis proponitur, qua* non-
dum laqueo capta' sunt : circa illam enim anceps laqueos figit, ut
voce sua perdix reliquas circumvolilantes ad eosdcm pelliceat (S. Ephr.
De recta vivendi ratione, c. 6).
Gonjecturis exterioribus, et hôminum complexione. quasi per odo-
ratus narium persentit et odorat diabolus, ad quae vitia unusquisque
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. 2Q
/45o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVII. INSTRUCTION.
Ceci est vrai en particulier du monde, que nous devons
considérer comme le second grand ennemi de notre salut.
En effet, Notre-Scigneur nous apprend que le démon en est
le prince (i), c'est-à-dire que c'est lui qui le domine, le gou-
verne et le conduit. Car c'est précisément de ce monde qu'il
s'agit ici, c'est-à-dire de cette classe de personnes qui, se
laissant aller aux inspirations du démon, hait Notre-Sei-
gneur et sa loi, ainsi que ceux qui le reconnaissent pour
leur maître. C'est en effet de ce monde que Notre-Seigneur
a dit, parlant à ses disciples : Si le monde vous hait, sachez
que feu ai été haï avant vous. Si vous eussiez été du monde, le
monde aimerait ceux qui sont à lui. Mais parce que vous n'êtes
point du monde, et que je vous ai choisis au milieu du inonde,
voilà pourquoi le monde vous hait (2). Or le monde ainsi
entendu est l'ennemi de notre salut en plusieurs manières.
Il l'est d'abord par sa conduite et ses exemples. En effet,
quelque chose est-il commandé, comme sanctifier les diman-
ches et les fêtes, se confesser et communier à Pâques,
jeûner? le monde s'empresse de n'en rien faire. Quelque
chose au contraire est-il défendu, comme de fréquenter les
danses et les spectacles, de faire gras les vendredis et les
samedis ? le monde méprise ces défenses et agit comme si
elles n'existaient pas. Or, n'est-il pas vrai qu'une telle con-
duite et de tels exemples sont de nature à porter au mal les
fidèles et à leur faire perdre leur salut? Combien qui se
seraient sauvés loin du monde, et qui dans le monde se sont
damnés ! Aussi le Sauveur, indigné à cette vue, s'est-il
écrié : Malheur au monde à cause de ses scandales ! (3) — Le
sit magis applicabilis, et ibi laqueos tendit (S. Ant. de Pad. serm. 4,
post. Pasch.).
1 . Joan. xiv, 3o ; xvi, 1 1 .
3. Joan. xv, 18, 19.
3. Matth. xviii, 7. — Reconnaissez, dit Salomon, que vous marche: au
milieu des pièges et que vous courez sur le bord des précipices. Eccl. ix, 20.
S'il n'y avait qu'un ou deux; pièges à craindre, on pourrait se tenir sur
ses gardes ; mais vous marchez, dit Salomon, au milieu des pièges. Non
pas à côté, mais au milieu. Partout des pièges, partout des précipices.
Vous allez à la place publique : c'est pour y rencontrer votre ennemi, et
son aspect seul vous fait monter le feu au visage. Vous entendez louer
Votre ami : vous voilà jaloux. Un pauvre se présente : vous le regardez
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. /|5l
monde est encore l'ennemi de notre salut par ses maximes,
qui sont en complète opposition avec celles de l'Evangile.
Ainsi, tandis que l'Evangile dit: Faites pénitence; le monde
dit : Amusez-vous. Tandis que l'Evangile dit : Il faut servir
Dieu dès votre jeunesse et tous les jours de votre vie ; le
monde dit: On ne peut pas être jeune et sage, il faut que
jeunesse se passe, plus tard on verra. Tandis que l'Évangile
dit : Pardonnez à vos ennemis ; le monde dit : Toute injure
veut du sang. Tandis que l'Évangile dit : Bienheureux les
pauvres, bienheureux ceux qui souffrent ; le monde dit :
Bienheureux les riches, bienheureux ceux qui jouissent. Eh
bien, toutes ces maximes du monde ne sont-elles pas autant
d'attaques à notre salut, autant de coups pour nous détour-
ner d'y travailler ? — Le monde est encore l'ennemi de
notre salut par ses sarcasmes, cherchant à rendre ridicules
ceux qui servent Dieu ; par ses violences, s'efforçant de les
empêcher de faire leurs devoirs, quand il le peut ; par ses
cajoleries hypocrites, quand il espère pouvoir arriver ainsi
à ses fins. Ainsi le monde remplace aujourd'hui les anciens
persécuteurs ; car ce sont au fond les mêmes moyens pour
arriver aux mêmes fins, la perte des âmes, et certes le monde
en perd plus que n'en perdit Néron. Est-ce que le monde,
d'ailleurs, ne va même pas jusqu'à verser le sang de ceux
qui lui résistent, quand les circonstances le lui permettent ?
Ces derniers temps en offrent des exemples qui ne sont pas
rares. — Et pourquoi le monde est-il, lui aussi, l'ennemi de
notre salut ? A peu près pour les mêmes raisons que le
démon. Le monde pourrait, il est vrai, contrairement au
démon, aller au ciel, en se conformant aux prescriptions de
l'Évangile. Mais il ne veut pas entendre parler de ces pres-
criptions, parce que, se laissant aveugler par le démon, il
veut jouir des plaisirs de ce monde, quoi qu'il puisse arri-
ver ensuite. Et, non seulement il veut mener cette conduite
avec dédain ; un riche : avec envie. L'injustice vous aigrit, soit qu'on la
commette, soit qu'on la soutire. Vous ne voyez pas une belle femme
sans vous laisser prendre. Détachez-vous de la terre, les pièges y sont
semés partout ; prenez votre essor vers le ciel, l'oiseau qui s'élève dans
les airs ne craint point les filets (S. Jean Chrysost. llom. iâ, ad pop*
Antioch.).
45ù LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVil. INSTRUCTION.
folle et abjecte, mais il ne supporte pas qu'on agisse autre-
ment que lui. Une vie chrétienne est pour lui un cuisant
reproche, et tel est le motif pour lequel il fait tout ce qu'il
peut pour que personne ne vive chrétiennement, par consé-
quent pour que personne, non plus que lui, ne se sauve.
Oh ! que le monde, lui aussi, est donc un terrible ennemi
du salut, et qu'il est grand, hélas! le nombre de ses vic-
times !
Non moins grand est le nombre des victimes de nos pas-
sions mauvaises, qui sont le troisième ennemi de notre
salut. Peut-être même ce troisième ennemi est-il encore
plus redoutable que les deux autres. Car sans nos passions
mauvaises, ce serait en vain que le démon nous tenterait, et
que le monde étalerait sous nos yeux ses scandales. Est-ce
que le démon peut tenter les anges et les saints, qui sont
sans passions mauvaises ? Est-ce que le monde, avec tout
l'arsenal d'armes dont il dispose, peut les entraîner au mal?
Est-ce qu'Eve, si elle n'avait pas eu tout à la fois la passion
de la curiosité et celle de la gourmandise, est-ce qu'Eve
aurait cédé aux suggestions du démon? Oui, si nous n'avions
pas de passions mauvaises, nous serions invulnérables, et
nous pourrions nous rire et de la rage impuissante du
démon et des vains efforts du monde. Mais au-dedans de
notre co?ur, le démon et le monde ont des complices. Ces
complices, ce sont nos passions mauvaises. Ne voulant pas
se plier sous le joug des commandements divins, elles se
mettent en révolte contre la foi et la raison elle-même, et ne
veulent plus croire à rien ni rien entendre. C'est alors que
le démon et le monde ont beau jeu pour envahir la pauvre
âme et la réduire en servitude. Mais si les mauvais citoyens,
qui allument la guerre civile dans la cité et en facilitent
ainsi l'entrée aux envahisseurs, ne doivent pas être consi-
dérés comme des ennemis moins funestes à leur patrie que
ceux qui la pillent et la ruinent ; ainsi devons nous consi-
dérer nos passions comme des ennemis de notre salut
qu'il ne faut pas moins combattre que le démon et le
monde.
Tels sont donc les principaux ennemis de notre salut, le
démon, le monde et nos passions mauvaises, lesquels par-
m:\OIIt DE COMBATTUE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. |>>->
fois nous attaquenl isolément, et parfois se liguent contre
nous, rendant noire situation plus critique encore. Or, c'est
déjà une chose grandement importante que de connaître ses
ennemis, et il était nécessaire de commencer par là. Cepen-
dant ce n'est pas tout, et voilà pourquoi il nous faut main
tenanl examiner
II. — Par quels moyens nous devons les combattre.
— Sans cloute, il y a certaines armes qui sont plus particuliè-
rement efficaces contre tels et tels ennemis, et dans telles et
telles circonstances. Mais il y en a aussi qui sont excellentes
contre tous les ennemis et clans toutes les circonstances. Ne
pouvant nous occuper ici des armes pour les cas particu-
liers, armes qu'on pourra toujours se faire indiquer par un
sage directeur, nous ne parlerons que des armes communes
contre tous les ennemis et pour tous les cas.
Or, la première de ces armes, c'est la prudence. Quelle
que soit la malice de nos ennemis, si nous avons soin de
nous tenir à l'abri de leurs coups, il leur sera bien difficile
de nous atteindre. Au contraire, le manque de prudence est
la cause la plus ordinaire peut-être de toutes nos chutes et
de tous nos maux. Que chacun examine les péchés qu'il a
commis, et il reconnaîtra que c'est toujours un manque de
prudence qui en a été la cause première. N'est-ce pas pour
avoir manqué de prudence que Dina, l'infortunée fille de
Jacob, étant allée à Sichem voir les parures des femmes,
tomba entre les mains du fils du roi ? Et n'est-ce pas pour
avoir aussi manqué tous les deux de prudence que Bethsa-
bée et David furent amenés à commettre de si grandes fau-
tes ? Pour ne pas succomber aux attaques de nos ennemis et
éviter d'aussi grands malheurs, commençons par nous
armer de prudence. C'est-à-dire, avant de rien entreprendre
et de rien faire, examinons bien si nous n'avons pas sujet
de craindre quelque surprise, et même ensuite continuons
de demeurer constamment sur nos gardes, nous rappelant
cet adage, que la prudence est la mère de la sûreté (i).
i. Voulons-nous parcourir sûrement le chemin do cette vie, sauver éga-
lemenl nos âmes et nos corps des blessures qui en flétrissent la beauté,
pour les présenter purs à Jésus-Christ, et recevoir de ses mains les pal-
45 fi LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
Un second moyen excellent pour échapper aux assauts
de nos ennemis, c'est la fuite. Quelqu'un dira peut-être que
ce moyen n'est pas très héroïque. Il est très efficace, cela
suffit. Et d'ailleurs il est toujours plus glorieux d'échapper
à l'ennemi par une habile retraite, que de se faire écraser
sans profit. Considérons encore notre malheureuse mère
Eve. Lorsqu'elle entendit le serpent lui parler contre son
devoir, qui était de ne pas manger le fruit défendu, n'est-il
pas évident que son intérêt eût été de fuir un discoureur si
impertinent, qui osait parler mal de Dieu ? Si elle eût em-
brassé ce parti, le démon en eût été pour ses mensonges.
Mais elle eut le malheur d'écouter le tentateur et de raison-
ner avec lui ; et ce qui devait arriver, arriva : elle succomba
à la tentation. De quelque part donc que nous viennent
les attaques, que ce soit du démon, ou du monde, ou de nos
tentations, fuyons sans hésitation, il n'y a de salut pour
nous que dans la fuite : fuyons les attaques du démon, en
détournant notre pensée de ses suggestions ; fuyons les
attaques du monde, en fermant nos oreilles à ses maximes
de perversion et nos yeux à ses scandales ; fuyons enfin
nos passions, en ne nous occupant pas de ce qu'elles solli-
citent (i).
mes de la victoire ? Nous devons porter sur tout ce qui nous environne
un œil attentif, regarder comme suspect tout ce qui nous semble agréa-
ble, et passer rapidement sans nous y arrêter. Que même for brille à
nos yeux, David nous répond : Si vous avez des richesses en abondance,
n'y attachez pas votre cœur. Ps. lxii, ii. Que la terre étende ses magnifi-
cences et ses délices : Notre cité est dans le ciel : c'est de là que nous atten-
dons le Seigneur Jésus. Philip, ni, 20. Que l'on nous appelle à des dan-
ses, à des festins, à des concerts : Vanité des vanités, nous dit le Sage, et
tout n\est que vanité. Que la beauté nous tente par de perfides attraits :
Fuyez devant la femme, comme on fuit à l'aspect du serpent. On vous ouvre
la porte des dignités et des honneurs ; à leur suite on vous fait voir de
nombreuses escortes de satellites ou de flatteurs, un trône brillant, des
nations entières courbant la tête sous vos lois : pensez que tout cela
n'est qu'une herbe d'un moment ; que toute la gloire de l'homme, n'est
que la fleur des champs ; l'herbe s'est séchée, et la fleur est tombée.
L'ennemi cache ses pièges sous ces apparences qui nous séduisent ; et
combien il est à craindre que, nous laissant prendre à ces perfides
amorces, nous ne soyons, bon gré, mal gré, entraînés dans ses filets et
entraînés dans le repaire du brigand ! Il est donc important de n'avan-
cer qu'avec défiance... (S. Basile, hom. sur le mépris des choses de ce
monde J.
1 . Tant que vous n'êtes pas accoutumé à supporter les coups çle l'jn^
DEVOIR DE COMBATTRE I-KS ENNEMIS DE NOTRE SALUT. 455
Et où nous réfugier? En la présence de Dieu, ce qui est le
troisième moyen d'échapper à nos ennemis. Certes, quand
nous nous sentons portés au mal, même violemment, il
nous suffi! de nous trouver en présence de quelque per-
sonne honorable pour ne pas succomber. Malheureusement..
jure ou de toute autre contradiction, il faut, pour y arriver, vous o\er-
cer d'abord à les prévoir, el ensuite à les désirer par dos actes répétés de
la volonté, tout en les attendant avec un cœur bien préparé. — La
manière de les prévoir, c'est, après avoir considéré la condition de vos
liassions, do considérer aussi les personnes avec lesquelles vous devez
rvous trouver en rapport et les lieux que vous devez fréquenter : cette
précision vous permettra de conjecturer plus facilement ce qui pourrait
vous arriver. — Mais, je suppose que toute autre contradiction se pré-
sente à Laquelle vous n'avez point pensé: indépendamment des ressour-
ces que vous trouverez dans la préparation de votre esprit à celles
que vous aviez prévues, vous pourrez encore vous servir de cet autre
moyen. Aussitôt que vous commencez à sentir les premiers aiguillons
de l'injure ou de toute autre contradiction, faites-vous violence pour
élever votre àme vers Dieu : considérez son ineffable bonté et l'amour
qu'il vous témoigne en vous envoyant cette contradiction, puisqu'elle
vous offre le moyen de vous purifier, de vous approcher et de vous unir à
lui, à la condition que vous la supporterez pour son amour. — Après
• vous être convaincu que le bon plaisir de Dieu est que vous supportiez
cette épreuve, rentrez en vous-même, réprimandez-vous et dites-vous
intérieurement : « Ah ! pourquoi donc refuserais-je de porter cette
croix ? ce ne sont point les hommes, c'est ton Père céleste qui te l'en-
voie. » Ensuite, tournez-vous vers la croix, embrassez-la avec toute la
patience et toute l'allégresse dont vous êtes capable, et dites : O croix
préparée par la divine Providence avant môme que je fusse né ! O croix
devenue douce par la douceur de l'amour du divin Crucifié, clouez-moi
maintenant sur votre bois, pour que je puisse m'offrir à Celui qui m'a
racheté en mourant sur vous ! » — Si, dans le commencement, la pas-
sion venait à dominer en vous de telle sorte que vous ne puissiez diri-
ger votre esprit vers Dieu, et que vous demeurassiez sous le coup de vos
blessures, cherchez du moins à vous relever au plus tôt, et comme si
vous n'aviez pas été blessé. — Mais un remède efficace à ces mouve-
ments subits, c'est d'en détruire la cause le plus promptement possi-
ble. Ainsi, par exemple, vous êtes affecté à l'égard d'une chose de telle
manière que, quand elle se présente, vous tombez subitement dans un
grand trouble d'esprit : le moyen de le prévenir, pour un temps, évi-
demment, c'est d'en supprimer la cause. — Mais si le trouble provient,
non d'une chose, mais d'une personne à laquelle vous êtes antipathique
et dont la moindre action vous fatigue et vous impatiente, le remède à
employer, c'est de vous efforcer d'aimer cette personne, de la chérir.
Pourquoi pas? Non seulement elle est, comme vous, une créature
façonnée par la main de Dieu et rachetée par son sang, mais, si vous
savez en profiter, elle vous offre encore l'occasion de ressembler à votre
divin Sauveur, qui fut affectueux et doux pour tous (Scupoli, Combat
spirituel, cb. j8),
£56 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
nous n'avons pas toujours ce secours. Mais il est quelqu'un
dont les yeux sont toujours fixés sur nous, et ce quelqu'un,
c'est Dieu. Où que nous nous trouvions, dans notre maison,
chez un voisin, au milieu des champs, Dieu est là et nous
voit. Quoi que nous fassions, de nuit comme de jour, Dieu
nous regarde. Or, si la présence d'une personne honorable
nous est un secours contre les assauts de nos ennemis,
combien la présence de Dieu ne doit-elle pas nous être
encore plus secourable ! Car non seulement il nous voit,
mais, au lieu que nous n'avons pas de compte à ren-
dre à la personne qui nous verrait, Dieu au contraire nous
demandera compte de ce que nous aurons fait, et nous
jugera. Quelle arme contre nos ennemis que cette pensée :
Dieu me voit et me jugera ! Qui, sous la protection de cette
arme, pourrait succomber? Aussi Dieu n'en recommanda
pas d'autre à Abraham : Marche en ma présence, lui dit-il, et
ta seras parfait (i) . C'est ce qu'avait fait Noë, et l'Écriture
nous apprend qu'il fut an homme jaste et parfait (2), bien
qu'il ait vécu au milieu d'hommes tellement pervertis que
Dieu les fit périr par le déluge. Marchons donc toujours,
nous aussi, en la présence de Dieu, et nous triomphe-
rons sûrement de nos ennemis.
Nous en triompherons plus sûrement encore si, à la pen-
sée de la présence de Dieu, nous ajoutons celle de la Passion
de Notre-Seigneur. Nous savons que ce sont nos péchés qui
ont été la cause de cette Passion, et que c'est uniquement
parce que nous avons fait le mal que Notre-Seigneur, pour
l'expier, a dû endurer tant et de si horribles souffrances.
Nous savons de plus que, quand nous avons le malheur de
commettre quelque péché, nous renouvelons d'une certaine
manière la Passion de Notre-Seigneur, et ajoutons des souf-
frances à celles qu'il a déjà endurées. Eh bien, ne suffît-il
pas de se rappeler ces vérités, pour repousser avec horreur
toutes les criminelles suggestions de nos ennemis ? Qui donc,
s'il se disait qu'en se donnant tel plaisir, en s'accordant
telle satisfaction, il va se joindre aux bourreaux du Sau-
1. Gen. xvi, 1.
a. Gen. vi, 9?
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. f\~)-J
veur et le frapper avec eux, qui doue aurait la cruauté de se
donner ce plaisir, de se procurer cette satisfaction (i)?
Que si pourtant notre cœur endurci, trop peu sensible»
aux souffrances du Sauveur, hésite et chancelle, hatons-
nous de recourir à la pensée de nos fins dernières, et infail-
liblement nos propres intérêts achèveront de nous assurer
la victoire sur nos ennemis. Oui, nous sommes ainsi faits
généralement, que ce qui nous touche nous impressionne
beaucoup plus que ce qui touche les autres, fût-ce Dieu
lui-même. Or, rien ne nous touche plus directement et plus
vivement que nos fins dernières, quand nous y pensons
sérieusement. En effet, il ne s'agit de rien moins, en der-
nière analyse, que de perdre le ciel éternel, et de mériter
L'éternel enfer, si, se laissant aller aux suggestions des
ennemis du salut, on viole les commandements divins. Eh
bien, nous le répétons, il n'est personne qui, les yeux fixés
sur cet aboutissement de sa faute, se décide à la commettre,
à moins d'avoir perdu la foi. Oui, il n'y a que ceux qui ne
croient ni au ciel ni à l'enfer, qui peuvent pécher tout en y
pensant. Pour les autres, la pensée des fins dernières paraît
bien être le moyen le plus puissant à opposer aux ennemis
du salut. Le Saint-Esprit le proclame en effet hautement :
Souvenez-vous de vos fins dernières, et jamais vous ne
pécherez (2).
1. Christus super vulnera conqueritur : His plagatus sam in domo
eorum qui dilif/ebant me. Zach. un. Cur non potius conqueritur contra
carnifices, scribas, pharisacos et iniquos judices ? Quia Judœa et Jéru-
salem erat domus eorum, qui profil ebantur, se Ghristum seu Messiam
amare super omnia. Quanto magis conqueretur Christus contra chris-
tianos peccatores, eorumque ingratitudinem ! ni enim, quibus mille
bénéficia contulit, peccatis suis rénovant ejus passionem : superbi
illum de novo spinis coronant, avari de novo vendunt, impuri de novo
flagellant (Ginther, Unus pro omn. cons. i4i, n. 3).
2. Eccli. vu, \o. — Ponamus unicum hominem ex toto humano
génère moriturum, et hune videri quotidic inter lusus, inter vanitates,
inter scelera : nonne talis horno crederetur insanire ? Et quid de te
judicas, o horno, mori debës, et in peccatis et vanitatibus vitam agis ?
(Barz. Mission, serm. 16, n. i3).
Cum te appetitus invaserit peccandi, velim cogites horribile illud, et
intolerabile Christi tribunal in quo prœsidebit, et adstabit omnis crea-
turaad gloriosumejusconspectumcontremiscens (S.Basil, in Ps. xxxin).
Beatitudo comparatur denario, quia sicut numerus decem omnes
458 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
Il y a pourtant encore un moyen suprême qui nous a été
indiqué par le Sauveur lui-même, c'est la prière et le
jeune réunis, (i). Quand une âme est tellement accablée par
ses ennemis, qu'elle ne sait plus quoi faire, alors, qu'elle
pousse des cris vers le ciel pour implorer l'assistance divine,
et qu'elle fasse jeûner son corps pour affaiblir ses passions.
Et Dieu, voyant qu'elle fait sincèrement tout ce qu'elle peut,
viendra à son aide, comme il a promis de le faire ; et
parce que rien ne saurait lui résister, il» mettra en fuite les
ennemis de cette âme valeureuse, qui, enfin délivrée, goû-
tera la plus délicieuse paix (2).
Ces divers moyens, on l'a très bien compris, sont donc
tous d'une grande efficacité pour résister aux attaques des
ennemis de notre salut. Mais une arme n'a toute sa valeur
qu'autant qu'on sait s'en servir. Voilà pourquoi nous devons
expliquer, enfin,
III. — De quelle manière nous devons combattre
les ennemis de notre salut. — Il faut les combattre
numéros in se continet, ita beatitudo omnem felicitatem complectitur.
Quomodo ergo fieri potest, ut peccator hanc felicitatem immensam pro
momentanea voluptatula perdere velit ? (Barz. Op. cit. serm. 53, n. 19).
Descendant in infernum viventes, ait David, et addit sanctus Bernar-
dus, videlicet, ne descendant rnorientes (Barz. Op. cil. serm. 5i, n. 1).
1. Matth. xvii, 20. — Qui orans jejunat, binas possidet alas, quibus
ventos ipsos volando pra?tervehitur ; non enim oscitat, nec extenditur,
nec torpet orando, quse multi patiuntur, sed igné ardentior et terra
superior est; quare terribilis hostis dœmonibus redditur. Nihil enim
est homine probo orante potentius (S. Joan. Chrvsost. in h. /oc).
2. Aliqui Israelitarum perfîciebant fraudes et raphias, eo quod non
levarint manus suas ad Dominum ; si enim orassent, partim recorda-
tione Dei, et judiciorum ejus deterriti a scelerum molitione destitis-
sent, partim Deus gratia sua eos praevenisset, qua eos avocasset a malo,
et ad bonum incitasset. Idem experimur in peccatoribus, si obliviscan-
tur Dei, prout dicitur de illis senibus Susanna? insidiantibus, Dan. xm :
Declinaverunt ocalos saos, ut non vidèrent cœlam. Et psalmista ait, Ps.xiii ;
Corrupti sunt, et abominabiles facti sunt. Qua de causa ? Quia Diminum
non invocaverunt. Hinc famuli Dei, prout asserit Cassianus, initio
cujusque operis soient implorare opem Dei, u'ti in initio singula-
rum horarum : Deus in adjutorium meum intende. Et orando ad Pri-
mam :... tua nos hodie salva virtute. ut in hac die ad nullum declinemus
peccatum. Habctur ab experientia, captos pro Ghristo, si orationi
insisterunt, factqs fuisse martyres, secus a fide defuisse (Corn, a Lap,
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. /|5g
premièrement sans retard. Nous avons des armes, em-
ployons les ; nous connaissons les moyens d'échapper à
nos ennemis, ayons-y recours tout de suite. Est-ce qu'un
peuple attend, pour se défendre, que L'ennemi ait pénétré
jusqu'au cœur du pays? Non certes ; mais dès qu'il se sait
menacé, il se tient sur ses gardes et court à la frontière
pour repousser l'envahisseur. Ainsi devons-nous faire avec
les ennemis de notre salut. Nous savons qu'à tout moment
ils peuvent fondre sur nous; soyons donc sans cesse sur
nos gardes, et dès que nous les apercevons, employons les
moyens que nous avons de leur échapper, soit en les
fuyant, soit en les repoussant par la pensée de la présence
de Dieu, par le souvenir de la Passion du Sauveur, par un
regard jeté sur nos fins dernières, par la prière et le jeûne.
Sachons-le hien et ne l'oublions pas, c'est surtout de la ma-
nière dont la bataille est engagée que dépend son issue.
Voilà pourquoi, si dès le commencement nous nous négli-
geons et donnons quelque peu de prise à l'ennemi, presque
toujours nous serons perclus. Au contraire, si tout de suite
nous recourons à nos armes, nous mettrons ainsi de notre
côté une grande chance de succès.
Cette chance sera d'autant plus grande que nous agi-
rons avec plus de résolution et plus de vigueur, seconde
condition pour triompher de nos ennemis. Eh ! quand
a-t-on vu des soldats allant mollement au combat reve-
nir victorieux? Il en est de même des chrétiens qui ne
résistent que faiblement aux attaques du démon, du
monde, et de leurs passions : d'avance on peut pré-
dire leur défaite. On les entend dire : Je voudrais bien
ne plus tomber dans cette faute, je voudrais bien échap-
per à cette occasion dangereuse, je voudrais bien me
mettre au-dessus de tel préjugé. Je voudrais! donc ils
ne veulent pas, donc ils n'ont que le désir de vouloir. Or,
ce n'est pas avec un simple désir de vaincre qu'on remporte
une victoire. Pour la remporter, il faut le vouloir envers et
contre tout, il faut le voulowsans condition, dût-on acheter
la victoire au prix de tout ce qu'on possède et de sa vie même.
On rapporte de la sœur de saint Thomas d'Aquin, qu'elle
lui dit un jour ; « Mon frère, vous qui passes pour si
400 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XVII. INSTRUCTION.
savant, apprenez-moi donc, s'il vous plaît, ce que je dois
faire pour me sauver. » Et le saint docteur lui répondit :
« Ma sœur, pour vous sauver, il faut le vouloir. » Or.
puisque pour se sauver il faut combattre les ennemis
du salut, pour les combattre victorieusement, il faut donc
aussi le vouloir, mais le vouloir, encore une fois, d'une
volonté véritable, bien décidée et absolument inébran-
lable (i).
Enfin, nous devons combattre les ennemis de notre salut
continuellement et sans relâche jusqu'à la fin. Il y a des
chrétiens qui croient assurer suffisamment leur salut en
combattant les ennemis de leur âme en certaines époques
de leur vie, ou en certains temps de l'année. Par exemple,
ils résisteront au démon, au monde et à leurs passions,
quand ils se préparent à leur Première Communion, ou
bien à l'approche des Pâques, ou bien à l'occasion d'une
mission ou d'une retraite ; et le reste du temps, ils se relâ-
chent tellement qu'il n'y a guère de différence entre leur
manière de vivre et celle des mondains de profession. Or,
i. Vous devez combattre avec une grande énergie de cœur ; cette
énergie, vous l'obtiendrez facilement, si vous la demandez à Dieu. Si la
rage et la haine incessante de vos ennemis vous effraient, si leurs nom-
breux bataillons vous font trembler, rappelez-vous donc que la bonté de
Dieu et l'amour qu'il vous porte les surpassent encore de beaucoup, et
que les anges et les saints qui prient pour vous dans les cieux sont
beaucoup plus nombreux que les ennemis qui vous attaquent. — C'est
cette considération qui a mis au cœur de tant de pauvres femmes tant
de courage, qu'elles sont devenues victorieuses de la puissance et de la
sagesse du monde, qu'elles ont dompté la chair et toute la rage de l'en-
fer. — Quand même il vous semblerait parfois que les attaques de vos
ennemis deviennent plus impétueuses ; quand même elles devraient
durer toute votre vie et qu'elles vous menaceraient de ruine de plusieurs
côtés à la fois, ne vous épouvantez donc pas. Sachez bien que toute la
force et l'habileté de vos ennemis sont soumises à l'autorité du divin
Capitaine pour la gloire duquel vous combattez. Il a pour vous tant
d'estime, il vous appelle lui-même si vivement au combat, qu'il ne per-
mettra jamais qu'il soit au-dessus de vos forces. Au contraire, il
combattra pour vous, il vous livrera vos ennemis, quand il le jugera con-
venable et pour votre plus grand bien ; • ayez toujours espoir, alors
même qu'il attendrait pour cela le dernier jour de votre vie. — Ce que
l'on vous demande seulement, c'est que vous combattiez bravement,
c'est que vous ne mettiez jamais bas les armes, et que vous ne preniez
jamais la fuite, quand même il vous arriverait de recevoir plusieurs
blessures (Scupoli, op, cit. çh. i5).
M \<>1H ni COMBATTRE LES i:\M.MIS DE NOTRE SALUT. \() l
quand une telle conduite n'est pas de L'hypocrisie, elle est
de L'aveuglement et de la folie. On ne peut pas ainsi, tour à
tour, combattre les ennemis de son salut, et vivre en bonne
Intelligence avec eux. On ne peut pas ainsi, tour à tour, être
tantôt avec Jésus, et tantôt avec Bélial (l). Dès lorsque le
démon, le monde et nos passions mauvaises sont toujours nos
ennemis, veulent toujours nous perdre, nous devons toujours
les combattre. Cessent-ils donc de nous attaquer, pour que
nous cessions de nous défendre ? La guerre qu'ils nous font
ne finira qu'avec notre vie ; tant que nous vivrons, il faut
donc lutter sans compromission ni défaillance. Toute con-
cession de notre part ne ferait que nous affaiblir et leur
donner sur nous plus de puissance, rendant ainsi notre posi-
tion toujours plus dure et plus périlleuse. Mais ce qui est
plus terrible encore, c'est que Dieu peut nous appeler à lui
rendre nos comptes précisément dans le temps de nos infi-
délités. Nous avons été maintes fois avertis qu' il viendra
comme un voleur à l'heure qu'on ne sait pas (2). Quelle néces-
sité donc de combattre sans relâche les ennemis de notre
salut, puisque la moindre négligence de notre part sur ce
point peut avoir pour conséquence notre éternelle damna-
tion ! Comment jugerions-nous alors notre bizarre et incon-
séquente conduite ? Mais notre malheur serait pour toujours
sans remède. Donc, pour éviter cet irréparable malheur, il
faut combattre les ennemis de notre salut sans relâche,
comme il faut les combattre sans ménagement et sans
retard (3).
1. II. Cor. vi, 14-17.
:>.. I. Thess. v, 2 ; II. Petr. m, 10 ; Apoç. m, 2 ; xvi, i5.
3. Adminicula perseverantia?, sunt : i° Mentern defigere in Deo ; hic
enim est primus Constantin actus, ex quo caetera bona sequuntur.
:>. \inor ingens Dei, hic enim excitât amantem ad laborandum, et pa-
tiendum pro Dei obsequio ; sic charitate obarmatus Paulus fidenter
exclamabat : Qui* nos separabit a charilate Dei ? 3° Magnum desiderium
proficiendi in virtute. V Cogitarc quam magna opéra facta jam sint per
constantiam seu perscverantiain ; sic s. Paulus labore et constantia con-
vertie omnes gentes, etc. 5° Cogitarc brevem esse laborem et dolorem
hujus vit». 6" Invocarc angelum constantiae, puta s. Cabrielem. qui
interpretatur fortitudo Dei. Exempla constance tu m in gentilibus,
quam christianis sunt admiranda (Claus, Spicil. uixiu.Mh. 6, n. 38i).
Noemus centenis oinnino annis aedificavit arcam, o quot sannis,
46 2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
CONCLUSION. — En résumé, chrétiens, nous savons
maintenant que les principaux ennemis de notre salut sont
le démon, le monde et nos mauvaises passions. Nous savons
également que les principaux moyens à employer pour les
combattre sont la prudence, la fuite, la pensée de la pré-
sence de Dieu, le souvenir de la passion de Notre-Seigneur,
celui de nos fins dernières, la prière et le jeûne. Nous savons
enfin que la manière de les combattre, c'est de le faire sans
retard, sans faiblesse et sans interruption jusqu'à notre der-
nier soupir. Bref, nous savons tout ce qu'il est essentiel de
savoir pour nous acquitter du devoir que nous avons de
combattre les ennemis de notre salut. Nous serions donc
inexcusables maintenant de ne pas nous acquitter de ce
devoir, car nous ne pourrions plus dire que nous ne savons
ni quels sont ces ennemis, ni avec quelles armes, ni de
quelle manière nous pouvons échapper à leurs assauts. Nous
serions d'autant plus inexcusables que nous avons l'exemple
d'une foule de chrétiens qui, sans en savoir plus que nous,
combattent avec un plein succès ces mêmes ennemis. De
sorte que nous ne pouvons pas dire non plus que ce combat
est au-dessus des forces humaines. Ce fut même cette con-
sidération qui triompha des dernières hésitations de saint
Augustin à mettre la main à l'affaire de son salut. Gomment
donc ! dit-il : voilà des jeunes gens, voilà des jeunes filles,
voilà des chrétiens et des chrétiennes de tout âge et de
tout rang, qui fièrement et joyeusement résistent au
démon, au monde et à leurs passions mauvaises, et je ne
pourrais pas faire comme eux ! et je ne pourrais pas secouer
ce triple joug qui m'écrase et m'avilit en attendant qu'il
me précipite en enfer ! et je ne pourrais pas, aussi bien
que ceux-ci et celles-ci, gravir le glorieux sentier qui mène
au ciel ! Il dit, et sa résolution fut prise, et de cet instant
opprobriis et illusionibus pro fatuo habitus fuit, et tamen ab opère non
cessaviL Ita qui serio aspirât ad vitae emendationem et salutem, male-
voli mundi irrisiones curare non débet. Dicat generose : Propter vos
non cœpi, propter vos non desinam . — Danielis socii dixerunt régi Baby-
lonis : Notum sit tibi, rex, quod deos tuos non colimus, et statuam tuam
non adoramus ! Daniel etiam propter crudcle decretum Darii non desiit
quotidic adorare Dominum sicut anle consueverat. Sic contrains cona-
tibus, tentationibus, et amicitiis resistendum est (Glaus, loc. cit. n. 38a)*
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. /|63
commença victorieuse contre les ennemis de son salut la
sainte Lutte qu'il soutint jusqu'à la mort et lui mérita la
couronne céleste. Imitons ce courageux athlète, chrétiens,
et sa récompense sera aussi la nôtre. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
Principaux ennemis de notre salut.
Le démon. — t. Un jour, dit l'auteur de la Vie des Pères des
déserts, un saint solitaire étant en prière fut transporté en esprit
au milieu d'un monastère où il y avait plus de trois cents reli-
gieux. 11 y vit une multitude incroyable de démons qui suivaient
les moines partout : au dortoir, au réfectoire, au jardin, et surtout
à la chapelle. Ils avaient l'air de les pousser, de les tirer, de les
distraire de toutes les façons, afin de les porter au mal. Le même
solitaire fut ensuite transporté dans la ville d'Alexandrie ; mais il
fut fort étonné de n'y voir qu'un seul démon, qui était assis au-
dessus de la porte de la ville, et qui avait l'air de n'avoir pas
grand'chose à faire. Surpris de cette singularité, il se demandait
à lui-même ce que cela voulait dire. Un ange lui fit comprendre
que les démons étaient très nombreux et très affairés dans les mo-
nastères, parce que les religieux leur résistaient de tout leur pou-
voir ; tandis qu'il n'y en avait besoin que d'un pour toute la ville,
parce que les gens du monde se portaient assez au mal d'eux-mê-
mes (Rodriguez, Pratique de la perfect. chrét.).
2. Sainte Françoise Romaine, qui fut favorisée de visions très
extraordinaires, raconte que quand les démons se préparent à la ten-
tation contre une âme vigoureuse, les uns se placent en avant, les
autres se cachent comme des traîtres. La servante de Dieu voyait
quelquefois ceux-ci faire des signes comme pour demander con-
seils à ceux qui les tourmentaient. Un jour qu'elle était ravie en
extase, elle fut témoin de ce qui se passe à la mort d'un homme
qui s'est laissé vaincre par les démons. Aussitôt que l'âme fut sor-
tie du corps, le mauvais esprit de cet homme se jeta sur elle avec
impétuosité, et la conduisit en enfer avec une joie furieuse. D'autres
démons suivaient cette malheureuse âme, la déchirant dans leur
rage jusqu'à ce qu'elle fût tombée dans l'abîme. Ils se réunirent
tous ensuite pour se communiquer leur joie (Ribaden. Vies des
Saints. Sainte Françoise Romaine).
3. Après sa conversion, sainte Marguerite de Cortone eut à
f\Ç>{\ LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
subir les plus rudes assauts du démon. Souvent il lui apparaissait,
même sous une l'orme humaine, empruntant la figure d'un jeune
homme ou d'une femme du monde pour la ramener à ses égare-
ments passés. 11 cherchait à lui persuader qu'elle perdait son
temps ; que ses pénitences étaient inutiles, qu'elle serait inévita-
blement damnée pour ses crimes. D'autres fois, il la tentait par la
vaine gloire, lui représentant les mérites qu'elle avait acquis, la
réputation de sainteté qu'elle avait dans le monde, le grand con-
cours de peuple qui recourait à ses prières. D'autres fois encore,
voyant qu'il ne gagnait rien et qu'elle restait humble, il remplis-
sait son esprit de fantômes impurs et ses oreilles de chansons
obscènes. Mais loin d'ébranler la servante de Jésus-Christ, ces
souvenirs de sa vie passée ne servaient qu'à redoubler ses amers
regrets et accroissaient ses mérites (Ribaden. op. cit. 22 févr.).
Le monde. — 1. Saint André Corsini était issu d'une des plus
illustres familles de Florence. Ses parents, qui le regardaient
comme le fruit de leurs prières, l'avaient consacré au Seigneur par
un vœu avant sa naissance. Ils prirent donc un soin particulier de
l'élever dans les vraies maximes de la piété chrétienne ; mais,
entraîné aux plaisirs du monde par quelques libertins, dont les
mauvais exemples donnaient une nouvelle activité à ses passions,
il passa dans le désordre les premières années de sa jeunesse, et
il dut sa conversion à la grâce que Dieu lui fit de rompre ces
mêmes relations qui l'avaient d'abord perverti, tant il est vrai
qu'on se sanctifie dans la fuite du monde et de ses sectateurs,
comme le disait David: Longe a peccatoribus salas. Ps. cxvin, i55.
2. Deux jeunes filles étaient aussi pieuses qu'amies. Tous les
jours elles se voyaient, et tous les jours elles accomplissaient
ensemble quelque pratique de dévotion. Elles étaient l'honneur et
la joie de leurs familles, et les voisins les regardaient avec une
sorte de jalousie. Le frère de l'une d'elles vint à se marier dans la
ville voisine. La jeune fille s'y rendit pour la noce, et il y eut bal.
Les compliments ne lui manquèrent pas, et l'imprudente s'y
laissa prendre. Rentrée chez son père, déjà elle n'était plus la
même. Peu de temps après, elle retourna chez son frère, et revit
les connaissances de la première heure. Cette fois, on la conduisit
au spectacle. Dès lors, les conversations avec son ancienne amie ne
furent plus les mêmes : il n'y fut plus question que de toilettes et
d'amusements. Le poison que lui avait inoculé la vue et le contact
du monde avait gagné aussi son amie. Toutes deux firent à la ville
d'assez fréquentes visites. On les fêtait, on les choyait, elles étaient
dans le ravissement. Mais il arriva, hélas ! ce qui devait arriver.
devoir de coMrvttre les ennemis de notre salut. 465
Désorientées par les maximes qu'on leur débitait, entraînées par
Les exemples qu'elles avaient sous les yeux, les deux malheureuses
se laissèrent séduire, et au bout de quelques années, terminèrent
misérablement une existence si radieuse tant qu'elles avaient vécu
loin du monde et près de Dieu.
3. Ke monde est une de ces tavernes trompeuses, semées sur les
grandes routes, où l'on accourt joyeux, affable, au-devant du voya-
geur fatigué. Tout \ est bien, vous dit-on, la nourriture saine et
abondante, le prix infime. On vous sert en riant, on vous égaie, on
vous flatte. Mais le lendemain, on vous présente une note
effrayante. Comment, dites-vous, j'ai peu mangé... Mais ces ali-
ments si vantés, cette boisson, que l'on disait être si délicieuse,
étaient détestables... J'ai peu reposé, le lit était dur comme un
rocher. Où sont vos belles paroles, vos magnifiques promesses ?
Mais l'hôtelier menace, il roule des yeux enflammés, et vous payez
jusqu'à la dernière obole. Voilà le monde. Que de flatteries, de
promesses, il prodigue à ses hôtes d'un jour ! Mangez, buvez, riez,
dormez sans crainte, dit-il, Dieu est si bon, si miséricordieux! Et
nous, voyageurs imprudents, nous ajoutons foi à ces paroles. Mais
la mort se dresse soudain, elle déroule la note effrayante que l'é-
ternité réclame du temps, c'est-à-dire l'enfer. Quoi ! ces supplices
éternels pour quelques plaisirs passagers et pleins d'amertume !
Regrets superflus ! Vous avez bu, mangé, acquittez maintenant
votre dette, expiez dans les souffrances éternelles.
Les passions mauvaises. — i. Salomon, ce roi d'abord si
sage et si conforme au cœur de Dieu, qui avait fait tant de choses
admirables pour la gloire du Seigneur, Salomon se laisse séduire
par l'amour des femmes, et il est entraîné jusqu'à adorer les ido-
les de celles qu'il avait épousées.
2. Hérode Antipas épouse Hérodiade, femme de son frère encore
vivant, et dans l'ivresse d'un bal et d'un festin, il fait couper la
tête à saint Jean-Baptiste, qui lui reprochait hardiment son
inceste.
3. Judas se laisse tenter par l'amour de l'argent ; cette passion
va de jour en jour croissant dans son cœur, et elle le mène au plus
exécrable des crimes, à la communion sacrilège, à la trahison de
son divin Maître, enfin au désespoir qui le pousse au suicide, et il
meurt dans l'impénitence finale.
4- Félix était gouverneur de la Judée pour les Romains, lorsque
saint Paul était prisonnier pour la foi. Ce magistrat faisait souvent
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. «O
/j66 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVII. INSTRUCTION.
paraître l'apôtre devant lui, et prenait beaucoup de plaisir à l'en-
tendre ; mais ses passions, auxquelles il s'abandonnait, empê-
chaient la grâce d'agir sur son cœur. Un jour que saint Paul avait
parlé avec beaucoup de force sur la justice, la chasteté et le juge-
ment dernier, le gouverneur en fut effrayé ; mais étouffant les
remords de sa conscience, il dit à l'apôtre : Retirez-vous pour le
moment, je vous ferai venir en temps convenable. « 0 criminel
délai ! s'écrie saint Augustin. G paroles ennemies de toute grâce !
L'amour du monde, de l'argent et des plaisirs, la dissipation et
l'indolence ne laisseront jamais trouver le temps convenable pour
se convertir. Ainsi le pécheur se verra tout à coup précipité, en
enfer, et ne sera tiré de sa léthargie que par les pointes cuisantes
du feu éternel. »
Moyens pour combattre les ennemis de notre salut.
La vigilance. — i. Les soldats romains qui veillaient sous les
armes et faisaient sentinelle la nuit, devaient se répéter : Vigila,
Mars. Veille, ô guerrier ! Et quand leur sommeil était trop fort, ils
déposaient leur bouclier, sur lequel ils auraient pu trop facile-
ment s'appuyer pour dormir. — O homme, il faut veiller tout
armé. Les armes du chrétien sont la prière et la vigilance. Une
fausse confiance, une trompeuse sécurité, quelques vertus humai-
nes, voilà le bouclier sur lequel nous serions tentés de dormir ;
mais nos faiblesses, mais la grâce, mais la pensée de notre immor-
talité nous crie : Veille, ô chrétien, veille !
2. — Sainte Synclétique, vierge solitaire, faisait des instructions
et des exhortations à beaucoup de femmes chrétiennes qui venaient
la consulter sur des matières de piété. Un jour, entre autres, elle
leur parlait ainsi des dangers de cette vie : « Nous devons être sur
nos gardes, parce que nous avons une guerre continuelle à soute-
nir. Sans cette vigilance, l'ennemi nous surprendra lorsque nous
y penserons le moins. Un vaisseau échappe quelquefois à une vio-
lente tempête ; mais si le pilote ne veille, même pendant le calme,
une vague, soulevée par un coup de vent imprévu, suffira pour le
submerger. Pourvu que l'ennemi vienne à bout de détruire la
maison, il se soucie peu des moyens qu'il met en œuvre. Pendant
cette vie, nous voguons sur une mer inconnue et semée d'écueils,
où le calme et l'orage se succèdent continuellement. Toujours nous
sommes en danger ; et si nous avons l'imprudence de nous endor-
mir, notre perte est assurée. Jésus-Christ lui-même veut bien être
le pilote de notre vaisseau, et il nous conduira au port du salut, à
moins que nous ne nous perdions pas notre négligence. » c
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALUT. /167
La pensée de la présence de Dieu.— i. Ce fut l'arme
dont se servit pour se défendre, dans une circonstance extrême-
ment périlleuse, le patriarche Joseph, l'un des douze fils de Jacob.
Vendu comme esclave à un riche et puissant Égyptien, nomme
Putiphar, la femme de son maître s'éprit criminellement de lui,
el ne rougit pas de lui avouer sa passion, en s'eflbrçant de la lui
faire partager. Mais toutes les fois qu'elle lui en parlait, Joseph
n'avait qu'une réponse: Comment oserais-je commettre le péché
devant Dieu qui me voit? Cette pensée le soutint si victorieusement
qu'il préféra se laisser mettre en prison plutôt que de succomber
an mal.
2. Ce fut cette même pensée qui soutint aussi la vertueuse
Suzanne dans une circonstance non moins critique. Sollicitée au
mal par deux infâmes vieillards, elle rougit de leur proposition, et
levant les yeux au ciel elle dit : « Je me vois dans l'embarras de
toutes parts. Si je consens à votre honteuse proposition, je n'é-
chapperai pas à la main de Dieu qui me voit ; il est mon juge, et
me fera rendre compte d'une action aussi criminelle. Si, au con-
traire, je ne consens pas à vos désirs, je n'échapperai pas à vos res-
sentiments, et je vois que vous me ferez bientôt mourir. Mais je
crains Dieu, et j'aime mieux souffrir tous les supplices et tomber
entre vos mains cruelles, que d'offenser le Seigneur en sa présence
et de tomber entre les mains de sa justice. » Elle allait être mise à
mort, par suite de la calomnie qu'avaient portée contre elle ses
deux suborneurs, lorsque Dieu la délivra par le ministère de
Daniel, qui fit tomber en contradiction ses accusateurs. Son inno-
cence fut donc reconnue, et les deux impudiques vieillards subi-
rent le supplice auquel ils avaient fait injustement condamner la
fidèle servante de Dieu.
Le souvenir de la Passion du Sauveur. — i. Gomment
peut-on encore commettre le péché, quand on croit que le Fils de
Dieu est mort pour l'expier ? Sainte Catherine, de Gênes, à la vue
de Jésus-Christ qui lui apparaissait portant sa croix et couvert de
sang, s'écria : « 0 Jésus ! ô mon amour ! Plus jamais de péchés,
puisqu'ils vous ont coûté si cher. »
2. Notre-Seigneur se présenta aussi, un des jours du carnaval,
à la bienheureuse Marguerite-Marie, dans l'état où il fut autrefois
lorsque Pilate le montra au peuple pour exciter sa compassion, et
qu'il leur dit : Voilà l'homme. 11 paraissait tout déchiré de coups
et couvert de meurtrissures ; son sang coulait de toutes parts ; il
portait sur ses épaules une croix pesante, et disait d'une voix
^68 LES GRANDS DEVOIRS DU SALÛT. XVÎI. INSTRUCTION.
triste et douloureuse : « N'y aura-t-il personne qui ait pitié de
moi, qui veuille compatir à ma douleur? Voilà l'état pitoyable où
les pécheurs me mettent dans ce temps-ci. »
La pensée des fins dernières. — i. « En nous réveillant,
disait saint Antoine à ses disciples, pensons que nous n'irons
peut-être pas jusqu'au soir ; et, en nous couchant, pensons que
nous ne verrons peut-être pas le jour suivant. Prévenus de cette
pensée, nous ne nous laisserons point aller à de frivoles désirs ;
rien ne nous mettra en colère, nous mépriserons les biens fragiles
de cette vie, dans la crainte où nous serons de la quitter chaque
jour. »
2. C'est ainsi qu'en usait sainte Marcelle, dont saint Jérôme
rapporte qu'elle vécut toujours occupée de la pensée de la mort, et
qu'elle ne s'habillait jamais sans se figurer l'état où elle serait
dans le tombeau.
3. Ru fin rapporte qu'un religieux du saint abbé Quilius éprou-
vait dans son état des ennuis et des dégoûts, à la faveur desquels
le démon lui suggérait la pensée de quitter le monastère. Il fut
assez prudent pour aller trouver son abbé et lui découvrir la ten-
tation qui le travaillait. « Mon fils, lui dit le vénérable abbé, je
vous donnerai un remède qui dissipera vos ennuis et vous rendra
léger le joug de la religion ; entrez en votre cellule et méditez sur
l'éternité des supplices qui nous menacent, et l'éternité de bonheur
qui nous est promise. » Le religieux obéit, et fut délivré de la ten-
tation.
La prière et le jeûne. — Le trait suivant, que nous rappor-
tons sur la foi de saint Bernard et de saint Pierre Damien, fournit
une preuve éclatante de la puissance de la prière et du jeûne contre
les ennemis de notre salut.
Un homme distingué, qui vivait dans les siècles de foi du
moyen-âge, et qui s'appelait Théophile, fut accusé faussement
auprès de son évêque. Celui-ci, trompé par la calomnie, le priva
d'un emploi honorable qu'il occupait. Outré de dépit, Théophile
se porta aux derniers excès, et, dans sa fureur, il se tourna vers le
démon, pour obtenir justice et vengeance. L'esprit malin lui
apparut et promit de lui rendre sa réputation et son emploi, à la
seule condition qu'il renonçât à Jésus et à Marie. Aveuglé par sa
passion, le malheureux consentit à tout, et donna au démon une
renonciation formelle écrite de sa main. Le jour suivant, l'évêque,
ayant reconnu la calomnie, fit appeler Théophile, lui demanda
pardon de sa trop grande crédulité et le rétablit dans sa première
DEVOIR DE COMBATTRE LES ENNEMIS DE NOTRE SALI l . 16g
dignité. — Alors la fureur de Théophile se rai ma, mais en même
temps Bes yeux s'ouvrirent sur le crime qu'il avait commis, et
son âme fui en proie aux plus cruels remords. Heureusement, il
ne perdit point l'espérance el so tourna vers la Vierge Marie.
Prosterné devant une de ses Images, chère à la dévotion publi-
que, il la supplia de le soustraire au pouvoirdu démon dont il était
devenu L'esclave. \u\ prières et aux larmes il joignit un jeune
rigoureux qu'il continua pendant quarante jours, au bout dos-
quels la Mère de Dieu lui apparut et lui dit qu'elle lui avait obtenu
son pardon. — A cette heureuse nouvelle, le pauvre pécheur res-
pira ; il avait obtenu miséricorde. Mais il lui restait une épine
profondément enfoncée dans le cœur : c'était le fatal billet écrit
de sa main, et qui était resté dans celle de Satan. Animé d'une
nouvelle confiance, il se jette encore aux pieds de Marie, la con-
jure avec un torrent de larmes d'achever son œuvre de médiation,
et d'arracher au démon la cédule sacrilège. Après avoir persévéré
trois jours dans les supplications et la pénitence, s'étant mis au
lit, il trouva le matin, à son réveil, son écrit sur sa poitrine. Cette
faveur obtenue de Marie mit le comble à son bonheur. Pour
témoigner sa reconnaissance, du consentement de l'évêque, il
publia dans l'Eglise, devant tout le peuple, le crime qu'il avait eu
le malheur de commettre, et raconta comment la prière et le jeune
lui avaient obtenu son pardon et l'avaient arraché au pouvoir de
Satan.
DIX-HUITIÈME INSTRUCTION
(Dimanche des Rameaux)
C'est un devoir pour tout chrétien
* de sanctifier toutes ses actions.
I. En quoi consiste le devoir de sanctifier toutes ses actions.— II. Pour-
quoi doit-on sanctifier toutes ses actions.
Ce serait en vain, chrétiens, que nous ferions toutes les
actions qui nous sont prescrites par les commandements de
Dieu et de l'Église, si, en même temps, nous n'accomplis-
sions pas le nouveau devoir dont j'ai à vous parler dans cet
entretien. Oui, vainement nous ferions exactement nos
prières matin et soir ; vainement, les jours de dimanches et
de fêtes, nous nous abstiendrions d'œuvres serviles et assis-
terions à tous les offices de l'Église ; vainement les parents
et les enfants, les supérieurs et les inférieurs s'acquitteraient
de toutes leurs obligations respectives ; vainement nous
nous confesserions chaque année et communierions àPâques ;
vainement nous observerions les jeûnes et les abstinences
qui nous sont prescrits, et tout le reste, notre salut par cela
seulement, ne serait pas assuré, mais tout au contraire nous
serions certainement damnés, sans l'accomplissement du
devoir que je viens vous annoncer. Quel est donc ce
devoir si important, à défaut duquel tous les autres seraient
inutilement observés ? Ce devoir, écoutons-le bien, ce n'est
pas une action nouvelle qui nous soit commandée, mais
c'est la sanctification de toutes les actions qui nous sont
prescrites. Saint Bernard dit en effet quelque part, d'une
manière très piquante et très expressive, que ce ne sont pas
les verbes qui ouvrent le ciel, mais les adverbes. Ce qui
signifie qu'on n'arrive pas au ciel simplement en faisant des
œuvres bonnes et saintes, mais bien en faisant saintement
ces bonnes œuvres. C'est d'ailleurs la doctrine expresse de
DEVOIR OF SANCTIFIES TOUTES nos ACTIONS. f\^\
Notre-Seigneur Lui-même. Sans mil douté, la prière, le
jeûne, L'aumône, sont dos bonnes œuvres de premier ordre.
Cependant h* divin Maître déclare ouvertement que même
ces bonnes œuvres n'ouvriront pas la porte du ciel si elles
ne sont pas bien faites, c'est à dire saintement (i). Le Sau-
veur parlait de la sorte parce que, déjà de son temps, il y
avait des personnes qui s'imaginaient qu'il suffisait, pour se
sauver, d'observer matériellement les préceptes du Seigneur.
C'était une grave erreur, que le Sauveur signala et réprouva
à maintes reprises, avec une grande énergie, comme radica-
lement incompatible avec le salut des âmes. Or cette erreur, si
condamnée qu'elle ait été par le divin Maître, ne se retrouve
pas moins encore chez la plupart des chrétiens, qui se con-
sidèrent comme parfaitement en règle, dès qu'ils accomplis-
sent l'extérieur et la lettre des commandements divins. Il
est donc dès lors nécessaire de leur rappeler les enseigne-
ments du Sauveur, afin de ne pas les laisser s'égarer dans
des sentiers de perdition, mais de les mettre à même de
marcher dans le véritable chemin du salut. C'est ce que
nous allons faire, en expliquant d'abord en quoi consiste le
devoir de sanctifier toutes ses actions, et en disant ensuite
pourquoi l'on doit sanctifier toutes ses actions (2) — 0 Dieu !
dont les saintes Ecritures nous rapportent que vous avez
bien fait toutes choses, tant dans l'œuvre de la création que
dans l'oeuvre de la rédemption, accordez-nous la grâce, à
nous que vous avez créés à votre image et ressemblance,
d'accomplir également bien, à votre exemple, tout ce que
nous avons à faire pour l'œuvre de notre salut.
I. — En quoi consiste le devoir que nous avons de
sanctifier toutes nos actions. — Il n'en est pas de la
sanctification de nos actions, est-il besoin de le dire, comme
1. Malth. vi, 1-18.
2. On pourrait ajouter une troisième réflexion, dans laquelle o*h expo-
serait les principaux moyens de sanctifier toutes ses actions etqui sont :
de les faire en présence de Dieu; de les faire en vue de Jésus-Christ ; de
faire chacune d'elles comme si elle devait être la dernière de notre vie;
de penser en les faisant au jugement qu'il en faudra rendre, et à l'éter-
nité bienheureuse ou malheureuse qui en sera la récompense ou le
châtiment.
1^1 LES GRÀIXDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
de la sanctification du nom de Dieu, que nous demandons
dans l'Oraison Dominicale, en disant : Que votre nom soit
sanctifié. En demandant que le nom de Dieu soit sanctifié,
nous entendons qu'il soit honoré et glorifié. Au contraire,
en disant que nous devons sanctifier toutes nos actions,
nous voulons dire que nous devons les faire saintement ;
ou autrement, que nous devons les faire avec des disposi-
tions qui, d'actions naturelles, les élèvent au degré d'actions
surnaturelles. Par où l'on comprend qu'en disant que nous
devons sanctifier toutes nos actions, nous ne parlons que de
nos actions naturellement bonnes, ou au moins indifférentes ;
car pour les actions mauvaises en elles-mêmes, il ne saurait
être question de les sanctifier, et nous n'avons à leur égard
qu'une seule chose à faire, les éviter complètement.
Or, la première chose en quoi consiste le devoir que
nous avons de sanctifier nos actions, c'est de nous mettre
en état de grâce pour les accomplir, ou de nous y maintenir
si déjà nous avons le bonheur d'y être. L'état de grâce est
l'état de l'âme unie à Dieu par la charité. Dans cet état, et
par suite de son union avec Dieu, l'âme vit de la vie surna-
turelle de Dieu lui-même, comme le sarment vit de la vie du
cep auquel il est uni. C'est Notre-Seigneur qui fait cette
comparaison, en disant : Je suis la vigne et vous êtes les
branches (i). Que si l'âme unie à Dieu par la grâce vit de la
vie surnaturelle de Dieu, les œuvres qu'elle accomplit en cet
état sont donc des œuvres surnaturelles, les œuvres étant
nécessairement de la même nature que la vie qui les produit.
Et d'un autre côté, si les œuvres d'une âme en état de grâce
sont des œuvres surnaturelles, ces œuvres peuvent donc être
méritoires du ciel, qui est lui-même une récompense surna-
turelle. Au contraire, l'âme qui n'est pas en état de grâce,
ne vivant pas de la vie surnaturelle de Dieu, ne peut pas par
là même produire des œuvres surnaturelles, et par suite il
lui est impossible, quoi qu'elle fasse en cet état, de mériter
le ciel. Ainsi voyons-nous que même certains biens de ce
monde ne se peuvent acquérir qu'au moyen d'actes ayant
même nature qu'eux. Par exemple, un homme riche pourra-
i, Joan, xv, 5.
DE\OIH DE SANCTIFIER TOUTES NOS VOTIONS. ^3
I il jamais, avec ses trésors, acquérir la gloire que s'assure
un héros par une action d'éclat ? 11 en est de même du bien
surnaturel du salut, cVH-à dire du ciel : on ne peut l'obte-
nir qu'au prix d'oeuvres de même nature, c'est-à-dire
d'oeuvres accomplies clans l'état de grâce. Quant à ceux qui
ne sont pas en cet état, quoi qu'ils fassent, encore une fois,
il n'y a pas de salut pour eiïx. Écoutons la parole sans répli-
que du Sauveur : Celui qui demeure eu moi, dit-il, et en qui je
demeure, porte beaucoup de fruit. Car sans moi vous ne pouvez
rien faire. Mais si quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté
dehors comme le sarment, et il deviendra sec ; on le ramassera,
on le jettera au feu et il brûlera (i). Entendons ces paroles
péremptoires, chrétiens. Quelle lumière ne doivent-elles pas
jeter dans le cœur d'un grand nombre d'entre nous ! Com-
bien de chrétiens en effet qui vivent avec indifférence dans
l'état du péché, ceux-ci pendant presque toute l'année, ceux-
là pendant presque toute leur vie ! Et tout en vivant ainsi,
ils pensent néanmoins accomplir leur devoir, parce qu'ils
en font les actes. Qu'ils s'en souviennent donc bien mainte-
nant, toutes leurs bonnes actions sont nulles et ne comptent
pas, parce que n'étant pas en état de grâce, ils ne peuvent
les sanctifier, et qu'il n'y a que les œuvres sanctifiées et
surnaturelles qui servent au salut (2),
1. Joan. xv, 5, 6.
2. Mirabili quadam rationc agricoLnc ex una eadem planta varios
fructus percipiunt ; id aulem asscquuntur inserendi artificio,quodejus-
modi est, pusillum aliquod ex arbore aliqua germen decerptum, una
cum cortice arboris illius subjecto, in alterius arboris potions aliqua
parte sic incisa, ut ei cortex quadret, includunt, ut naturali mêlions
arboris humorc, germen illud enutritum, coalescat, et ramus fiât : sic
nos média gratis divins inserimur naturae, per illam enim, ut ait apos-
tolus Petrus, consortes efficimur divinœ naturœ. II. Petr. 1. Unde, sicut
ramus oleastri insertus olivae, participans virtutem ipsiusolivœ, fructum
affert dignum oliva, cui fuit insertus : sic qui per gratiam et charita-
tern inseritur Deo, divinos et supernaturales fructus profert, et merito-
rios vite supernaturalis reternae (Labat. Loc. Comm. v, Gralia, prop. 1).
Quid requiritur ad opus meritorium ? Requiritur imprimis, ut pro-
cédât a corde puro, id est, ut fiât in statu gratiac, quae omnis meriti et
consurgentis exinde divins complacentiae radix est et fundamentum.
Ingrediamur Scripturam Divinus rerum omnium Creator diversissimas
initio mundi creaturas e nihilo produxit. Prima die, creavit cœlum et
terram ; altéra die, firrnamenturn ; tertja die, mare et aridam cum
/[74 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT, s — XVIII. INSTRUCTION.
Une seconde chose en quoi consiste notre devoir de sanc-
tifier toutes nos actions, c'est de les faire pour obéir à Dieu
et lui plaire. Grand encore est le nombre des chrétiens qui
pèchent en ce point. Les uns s'acquittent de leurs devoirs
par tempérament, c'est-à-dire parce qu'ils y sont inclinés et
portés par leur naturel. Telle, cette femme qui ne manque
jamais ses prières ni l'assistance aux saints offices, parce
qu'elle y goûte un secret plaisir, comme d'autres femmes
se plaisent à la toilette, aux visites, aux conversations. Tel
cet homme riche qui répand d'abondantes aumônes, parce
que la vue des malheureux l'afflige, et qu'il aime à les sou-
lager et à adoucir leur sort. — D'autres s'acquittent de leurs
devoirs par calcul et par raison. Ils ont remarqué, d'un
côté, que ceux qui font le bien n'ont en général qu'à s'en
féliciter; et de l'autre, que ceux qui font le mal s'attirent
presque toujours des déboires et des peines plus ou moins
graves. Considérant que leur propre avantage est dès lors de
faire le bien et d'éviter le mal, ils s'appliquent en consé-
quence à mener une vie où l'on ne trouve rien à reprendre.
— D'autres encore s'acquittent de leurs devoirs par une
sorte de respect humain, c'est-à-dire pour faire comme les
herbis et plantis ; quarta die, solem, lunam et sidéra ; quinta die, pisces
in aquis et volucres in aère. Omitto caetera divini opificis artefacta recen-
sere, et illud solum admirabundus considère-, quod teste scriptura
Dominus Deus quinta primum die creaturis suis divinam benedictio-
nem impertiri cœperit. Gur autem quinta primum die? an opéra prima?,
secundae, tertiae et quartae diei, videlicet cœlum, terra, firmamentum,
sol, luna, Stella?, et alia non erant divina benedictione digna ? Quid
amplius meruere pisces maris et aves cœli supra caeteras creaturas ? Ita
interrogat Rupertus, et sibi ipsi respondet, lib. i,in Gen. c. 52 : Meruere
aliquid amplius ; quanquam enim caetera? creatura? sint excellentes, et
omnibus numeris absolutae, vita tamen carent qua pisces et aves praedi-
tae sunt. Gonsequenter hac re nobis insinuatur, quod Dominus Deus
cœlestem suam benedictionem non nisi creaturis viventibus imper-
tiatur. Vis, mi christiane, ut Dominus Deus operibus tuis benedicat, ut
complacentiam in illis hauriat, ut salutem seternam tibi pro iis rétri-
buât ? Necesse est, ut vivant vita supernaturali gratta? : liac vita défi-
ciente, etsi opéra tua sint cxcellentissima et toti mundo admiranda,
divinam tamen benedictionem et salutem non impetrabunt. Ora,labora,
jpjuna, stude, rempublicam utiliter administra, aedifica ccclesias, funda
hospitalia et monasteria, aliaque fac, si in statu peccati mortalis baec
omnia agas, minus places Deo, quam illi placeat unius oboli eleemo-
syna in statu gratiae pauperi porreçta (Glaus, Spicileg. catech., in festo
Pasch, n. 3).
DEVOIR DE SVNCTIFIER TOUTES NOS ACTIONS. J^5
Mitres. Us ont un ami qui va à la Messe chaque dimanche,
et chaque dimanche on les voit venir à la Messe avec leur
ami. Si leur ami ne venait pas à L'Église, jamais ils n'y met-
I raient eux mêmes 1rs pieds. Ou bien ils se trouvent dans
un pays où c'est l'habitude de faire ses Pâques, et ils font
leurs Pâques; mais s'ils vont ensuite dans un pays où on ne
les fait pas. ils ne les font pas non plus. — D'autres enfin
s'acquittent de leurs devoirs soit par intérêt, soit par
orgueil. N'en voit-on pas en effet affecter des airs de piété,
pour capter les bonnes grâces de quelque riche parent dont
ils espèrent ainsi se faire donner l'héritage ? Ne voit-on pas
non plus des serviteurs, des employés, se montrer extérieu-
rement chrétiens, afin d'entrer ou de rester dans telle mai-
son ouvertement chrétienne? N'y en a-t-il pas également
qui se montrent d'une régularité scrupuleuse dans toute
leur conduite, afin de se distinguer de tout le monde, afin
qu'on les admire, qu'on célèbre leurs louanges et qu'on les
cite comme des modèles? Tels étaient ces hypocrites dont
parle Notre-Seigneur, qui faisaient sonner de la trompette
devant eux lorsqu'ils allaient distribuer leurs aumônes, qui
priaient debout dans les synagogues et les carrefours, qui se
rendaient le visage have lorsqu'ils jeûnaient (i). — Eh bien,
sachons-le, chrétiens, tous ceux qui agissent ainsi, tous ceux
qui font leurs bonnes œuvres pour des motifs purement
naturels, tous ceux-là perdent complètement leurs peines à
l'égard de leur salut. Ne se proposant que leurs satisfactions
et leurs avantages temporels, ils ont reçu leur récompense (2),
déclare expressément Notre-Seigneur, et par conséquent
n'ont plus rien autre chose à espérer. Ils manquent donc
absolument en cela au devoir qu'ils ont de sauver leur âme,
devoir qui oblige tout chrétien, avons-nous dit, à faire ses
bonnes œuvres, non par considération pour aucune chose
du temps, mais uniquement pour obéir à Dieu et lui plaire.
On doit comprendre en effet sans peine que, si nous voulons
être récompensés par Dieu, c'est pour lui seul que nous
devons travailler. Par conséquent, dans toutes nos bonnes
1. Matth. v, 2-16.
2. Matth. vi, 2, 5, iG,
47^ LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIH. INSTRUCTION.
œuvres, évitons avec grand soin de nous proposer aucun
motif naturel, même honnête ; mais n'ayons égard, en les
faisant, qu'à la volonté de Dieu, qui nous les commande, ou
à son bon plaisir, qui nous les conseille. Ainsi nous sancti-
fierons ces actions, qui dès lors contribueront au salut de
notre âme (1). Souvent il arrivera qu'elles nous mériteront
en outre d'abondantes bénédictions dès ce monde ; mais
ces bénédictions seront le surcroît (2) dont parle l'Évangile,
et parce que nous ne les aurons pas eues en vue, elles ne
diminueront en rien notre principale récompense, qui sera
la béatitude éternelle.
Mais la sanctification de nos actions ne consiste pas seu-
lement à les faire en état de grâce et pour obéir à Dieu, elle
consiste encore à les faire avec empressement et ferveur. Oui,
sachons-le bien, car il s'agit toujours de notre salut : même
en faisant nos actions en état de grâce et pour plaire à Dieu,
nous pouvons encore ne pas les sanctifier d'une manière
1. Cum bene operamur propter Deum seu propter amorem Dei, hic
optimus ac nobilissimus scopus est, ad quem nomines christiani merito
in omnibus suis actionibus collimare debent. Nam imprimis, cum Deus
sit summum bonum nostrum, et finis ultimus omnium rerum, postu-
lat jure suo, ut ad ipsum nostra omnia referamus. Deinde, cum ipse
bonorum operum nostrorum causa sit praecipua, ipsi consentiamus
oportet. Denique, quid mirum si exigat a nobis, ut ipsius amore tantum
ducamur in operibus nostris, cum ipse amore nostri ductus nullo appo-
sito pretio aut mercedis pactione pro nobis tanta fecerit ? Non ergo sis-
tendum christiano in sola virtutis honestate, quia hic finis naturalis
est, et multis gentilibus propositus ; non in metu gehenna?, quia per-
fecta charitas foras mittit timorem ; nec in spe praemii aeterni, quia :
« Charitas mercenaria non est, et sine mercede maxima non est », ut
ait sanctus Bernardus, lib. xv. Et hinc calumniari voluit dacmon bona
opéra Job quasi perfectione intentionis carerent : Numquid Job frustra
timet Deum ? Docet igitur, ut nulla etiam proposita mercede caveamus
malum et agamus bonum, sed praecipue propter Deum. Et hoc est quod
Isaiae xxvi, dicitur : A facia tua, Domine, concepimus et parturivimus spi-
ritum salutis. Deo igitur debetur partus bonorum operum ut Patri, id
est, causa? praecipuse, qui instar ludimagistri manum nobis ducit. Undc
viginti quatuor seniores mittunt coronas suas ante Deum et dicunt,
Apoc. iv : Dignus es, Domine Deus noster, accipere ijloriam et honorem et
virtutem, quia tu creasti omnia et propter voluntatem tuam erant (Faber,
Op. conc. in festo S. Martini, conc. 1, 11. 4).
2. Nolite solliciti esse, dicentes : Quid manducabimus, aut quid bibe-
mus, aut quo operiemur ?... Quaerite primum regnum Dei, et justitiam
ejus; et haec omnia adjicientur vobis (Mattr. vi, 3i, 33).
DEVOIft DE S\NCTirîER TOUTES NOS ACTIONS. t\~rf
complote, et par soi le n'avoir droit à aucune récompense, et
cela, si nous ne les faisons qu'avec négligence et tiédeur.
Nos livres saints renferment à cet égard des oracles vraiment
effrayants. Maudit celui qui fait T œuvre de Dieu négligem-
ment ! (1) y est-if dit par un prophète. Pesons ce mot,
maudit. N'est-ce pas celui-là même dont se servira le sou-
verain Juge pour foudroyer, au dernier jour, les réprouvés?
N'implique- t-il pas par conséquent, pour celui qui l'encourt,
L'exclusion du ciel ? Or, qui donc est ici maudit ? Est-ce
celui dont il est dit qu'il boit l'iniquité comme l'eau, c'est-
à-dire l'impie qui s'abandonne à tous les désordres et à tous
les crimes ? Ou bien est-ce le chrétien indifférent, qui ne
s'occupe que des choses du corps et du temps, et jamais de
celles de l'àme et de l'éternité ? Non, celui qui est ici mau-
dit, n'est ni le chrétien méchant, ni le chrétien indifférent ;
ce n'est ni l'assassin, ni le voleur, ni l'impudique, ni le blas-
phémateur, ni le parjure, ni le calomniateur, ni le con-
tempteur des saintes lois de l'Église. Certes, tous ceux-ci
seront maudits au dernier jour, mais enfin ce n'est pas
d'eux qu'il s'agit ici. Celui qui est maudit ici, écoutons-le
bien, celui-là fait V œuvre de Dieu, c'est-à-dire accomplit
tous ses préceptes. Pourquoi donc est-il maudit ? Ecoutons
bien encore ceci : c'est parce qu'il fait l'œuvre de Dieu
négligemment. Ainsi, celui qui ne s'acquitte de ses devoirs
qu'avec négligence, celui-là n'est pas mieux vu de Dieu
que celui qui ne s'en acquitte pas par indifférence, ou que
celui qui les viole par malice. C'est ce qui paraît très bien
dans la parabole des vierges folles. Ces vierges n'étaient
pas criminelles, elles ne s'étaient pas souillées par les plai-
sirs des sens, puisque Notrc-Seigneur leur conserve le nom
de vierges. Elles n'étaient pas non plus indifférentes pour
leurs devoirs, puisque Notre-Seigneur nous les montre allant
avec les vierges sages à la rencontre de l'époux. Comme
celles-ci, elles avaient soigneusement garni d'huile leurs
lampes. Mais elles commirent la négligence de ne passe
munir d'une provision supplémentaire d'huile pour entre-
tenir la flamme de leur lampe. Or, quelle fut la conséquence
i. Jer. XLVlll, 10.
^8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
de cette négligence ? C'est qu'étant allées en chercher,
l'époux arriva pendant leur absence, entra dans la salle
du festin et en ferma la porte. Et lorsqu'elles vinrent deman-
der qu'on la leur ouvrît, l'époux répondit : Je ne sais qui
vous êtes (i). Et il les laissa dans ces ténèbres extérieures
où les pleurs et les grincements de dents ne doivent jamais
finir (2). Voilà le résultat de la négligence dans le service
de Dieu. Et n'en soyons pas étonnés. Si Dieu n'était que
tout puissant, s'il n'était que le créateur et le souverain maî-
tre de toutes choses, il aurait certes le droit d'exiger de nous
le service le plus attentif et le plus empressé. Mais Dieu a
fait bien plus que nous créer : il s'est livré, par amour pour
nous, aux plus affreux tourments et à la mort, afin de nous
délivrer de la servitude du démon, de nous préserver de
l'enfer, et de nous rendre nos droits au ciel, que nous avions
perdus par nos péchés. Maintenant encore, s'exilant de son
ciel, il se tient sans cesse dansée tabernacle de nos églises,
afin d'être toujours à la disposition de ceux qui veulent
venir lui demander consolation et assistance. Ah ! bien que
rien ne l'y oblige, ce n'est pas lui qui met de la lenteur
à nous servir, et de la froideur à se dévouer à notre salut.
Et après cela, il pourrait ne pas s'offenser de nous voir
n'accomplir ses ordres qu'avec nonchalance, et comme à re-
gret? Nous chasserions nous-mêmes le serviteur qui agirait
avec nous comme beaucoup de chrétiens agissent avec Dieu.
Rappelons-nous donc ce qu'il est pour nous, c'est-à-dire
notre créateur, notre conservateur, notre bienfaiteur, notre
sauveur, notre père ; et ce que nous sommes pour lui, c'est-
à-dire ses créatures, ses obligés, ses enfants : et nous com-
prendrons que pour le servir réellement comme il convient,
il faut le faire tout à fait du fond de son cœur, avec une
bonne volonté entière et un complet empressement (3).
1. Matth. xxv, 12.
2. Matth. vin, 12, et al. pas.
3. Non satis est bona opéra faccre in obsequium Pei, nisi benc et
débite perfeceris ea ; bene autem Deo nostro servit, qui diligenter ea
operatur, et cum fcivore, inde Paulus, postquam dixit, sollicitudine
non pigri, spiritu ferventes, subdit : Domino servantes. Rom. x. Quod
et ipse Dominus in orationc dominica designavit in petitione illa : Fiat
DEVOIR DE SANCTIFIER TOUÎE8 NOS ACTIONS. /| 79
Voilà donc d'abord, chrétiens, en quoi consiste notre
devoir de sanctifier toutes nos actions, savoir, à les faire en
état de grâce, pour obéir à Dieu, et avec toute la ferveur
que nous pouvons. Et maintenant, afin de nous encourager
à les faire dans ces conditions, nous allons expliquer,
11. — Pourquoi nous devons sanctifier toutes nos
actions. — >ous devons les sanctifier, tout d'abord et avant
toute autre considération, parce que c'est la volonté de Dieu.
Oui. quand même Dieu ne nous aurait jamais rien dit à cet
égard, il veut, nous n'en saurions douter, que nous sancti-
fiions toutes nos actions, c'est-à-dire que nous les fassions
saintement. Il le veut, parce qu'en nous créant il a mis en
nous les aptitudes nécessaires pour que nous les fissions
ainsi. Il a mis en nous ces aptitudes, puisque nous les pos-
sédons, et que nous ne pouvons les tenir que de lui seul ;
et nous les possédons, puisqu'effectivement nous pouvons,
quand nous le voulons, faire saintement nos actions. Or, de
ce fait que Dieu nous a rendus capables de sanctifier nos
actions, l'on doit nécessairement conclure qu'il veut que
nous les sanctifiions. Comme de ce fait qu'il nous a rendus
voluntas tua sicul in cœlo et in terra, hoc est, ita voluntatem tuam exe-
quamur, et tibi serviamus nos homincs in terra, sicut angeli hoc effi-
ciuntin cœlo. Angeli autein quomodo voluntatem Deiperficiant, constat
ex Ps. gui, ubi sic Dominum psalmista : Qaifacis angelos taos spiritus,
et ministros luos ignem urentem. Qucm locum sic interpretantur Theo-
doretus, ibid., et sanctus Thomas, in cap. 1. ad Hebr.' Facis, ut angeli
ministri tui habeant velocitatem spirituum, id est, ventorum, et cflica-
ciam ignis mentis, ot ita sint veluti vend quidam spirituales in discur-
rendo, et veluti quidam ignes divini in operando,,. Abraham très illos
peregrinos in vi tans, festinauit, inquit, ad tabernaculum, et dixit Sarœ :
Accéléra, et fac subeinericios panes ; et ipse ad armentum encurrit, et
tutil vitulum tenerrinium, et optimum, et dédit puero, qui festinavit, et
co.ritillum. Gen. xviu. Pondérât Origcnesdiligcntiam horum : Abraham,
inquit. cm rit ad armentum, Sara accélérât facerc panes, puer festinat
coquere vitulum, nullus desidiosus in domo sapientis invenitur. Sic
illc. Sed quod in dubium verti potuit, id est, cur ob novos illos peregri-
nos, e1 pauperes tantam adhibuerit diligentiam summusillepalriarcha?
Si principes illi fuissent, quid amplius elïicere potuisset ? Adhibuit
quidem dilgentiam tantam, quia non peregrinis solum, sed Deo servirc
se existimabat, noveral enim verum id esse, quod post saecula multa
Christus Dominus affirma vit, quod uni ex minimis meis j'ecistis, mihi
fecistis. Doo igitur in peregrinis illis serviebat, Deo autein sic impigre,
dévote, ac ferventer serviendum est (Lauat. Loc. comih. v, i'crvor, pr. 1).
/|8o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — xVlIÎ. INSTRUCTION.
capables de nous sauver, on conclut à bon droit qu'il veut
que nous nous sauvions. Car Dieu ne nous donne telles et
telles aptitudes que pour que nous les mettions à profit ;
autrement il ferait de ses dons un gaspillage indigne de sa
sagesse. Sans doute, nous pouvons abuser des dons de Dieu,
et en particulier ne pas sanctifier nos actions, ce que nous
ne faisons, hélas ! que trop souvent ; mais il n'en reste pas
moins que la volonté de Dieu, que nous les sanctifiions, est
aussi entière que certaine.
Une autre preuve que Dieu veut que nous fassions sainte-
ment nos actions, en particulier celles qu'il nous a comman-
dées, c'est précisément parce qu'il nous les a commandées.
En nous commandant, par exemple, de l'adorer lui-même
et d'honorer nos parents, de nous confesser et de commu-
nier, Dieu n'a pas pu avoir l'intention de nous obliger seu-
lement à faire ces actions d'une manière telle quelle ; il a
certainement entendu nous obliger à les faire de notre
mieux. Est-ce qu'un maître, lorsqu'il commande une chose
à son serviteur, ne prétend pas que cette chose soit faite
aussi bien que possible ? Il ne peut en être autrement de
Dieu, dans tous les commandements qu'il nous a faits. Pour
pouvoir soutenir que Dieu n'a pas voulu nous obliger à les
accomplir saintement, il faudrait soutenir aussi qu'il ne nous
les a pas imposés sérieusement, ce qui serait injurieux pour
sa sagesse. Mais parce qu'on est forcé d'admettre qu'il nous
les a imposés sérieusement, par là-même aussi l'on est forcé
de confesser qu'il veut que nous les accomplissions sainte-
ment.
Mais ce qui prouve, mieux encore que nos déductions, la
volonté de Dieu à cet égard, ce sont ses propres paroles.
Dès le temps de la première alliance, et après avoir donné
sa loi à son peuple, il leur dit : Sanctifiez-vous et soyez saints,
parce que je suis saint (i). Et dans la nouvelle, il nous fait
dire également à nous-mêmes par son apôtre : La volonté de
Dieu, c'est que vous soyez saints (2). Mais quel moyen avons-
nous de nous sanctifier, sinon d'accomplir saintement les
1. Levit. xi, 44 ; xx, 7.
a. T. Thess. iv, 3. -~ Cf. I. Pctr. i, iC.
DEVOIR DE SANCTIFIER TOUTES NOS ACTIONS. 48 1
actions que nous avons à faire ? N'est-ce pas en effet par ce
moyen, c'est-à-dire en faisant saintement toutes leurs
allions, que les saints se sont sanctifiés ? En nous faisant
dire que sa volonté est que nous soyons saints, c'est donc
exactement comme s'il nous faisait dire que sa volonté est
que nous accomplissions saintement toutes nos actions.
Or, la volonté de Dieu étant incontestablement telle, incon-
testablement il y a obligation pour nous de sanctifier toutes
nos actions. La volonté de Dieu doit être en effet notre règle
souveraine, toutes les fois qu'elle nous est clairement et
positivement connue, comme dans le cas présent. En sorte
que nous ne sommes pas moins rigoureusement obligés de
sanctifier toutes nos actions, que d'accomplir tout autre
commandement.
Mais nous ne devons pas sanctifier toutes nos actions seu-
lement parce que c'est la volonté de Dieu ; nous devons les
sanctifier encore parce que c'est notre intérêt présent et
futur. Bien que ce motif de sanctifier nos actions soit moins
pur que celui dont nous venons de nous occuper, cependant
Dieu nous le propose souvent lui-même, parce qu'il y a des
âmes sur lesquelles il fait plus d'impression que le précédent.
C'est en effet le motif de notre intérêt que Dieu met en
avant pour nous engager à le servir, lorsqu'en particulier il
promet le ciel aux observateurs de sa loi, et menace de l'enfer
ceux qui la violent.
Or, nous devons sanctifier toutes nos actions, disons-nous,
aussi parce que c'est notre intérêt. Notre intérêt présent
d'abord. Comment cela ? dira-t-on ; comment avons-nous
présentement intérêt à sanctifier toutes nos actions ? N'est-
ce pas bien plutôt une sujétion fort gênante de se mettre ou
de se tenir toujours en grâce avec Dieu, de se proposer tou-
jours Dieu dans tout ce que l'on fait, et de s'appliquer à
accomplir toujours de son mieux toutes ses actions P — Il
est vrai que cette sollicitude peut être parfois lourde à la
nature ; mais quels dédommagements ne procurc-t-clle pas !
On demande quel intérêt nous avons présentement à sancti-
fier toutes nos actions. N'est-ce rien, rjpondrai-je, que d'être
à l'abri de tout regret, de tout remords et de toute crainte,
et de jouir dans toute sa plénitude du témoignage d'une
SOMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. }I
482 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
bonne conscience? Combien de malheureux qui donneraient
tout ce qu'ils possèdent pour se procurer ces avantages qui
pourtant ne sont pas temporels, et qui mènent une vie misé-
rable, et même se donnent la mort, parce qu'ils ne peuvent
les acquérir ! Eh bien, ces avantages précieux, la sanctifi-
cation des actions, et elle seule, les procure de la manière la
plus complète possible. Et elle seule, disons-nous. En effet,
celui qui, même en menant une vie plus ou moins chré-
tienne, cependant ne veut pas se donner le souci de se mettre
ou de se maintenir en état de grâce, ni de se donner toujours
Dieu pour fin principale de toutes ses actions, ni d'accom-
plir ses actions du mieux qu'il peut, celui-là, dis-je, ne
saurait être à l'abri de toute crainte au sujet de son salut, ni
se rendre un bon témoignage complet. A première vue, son
état semble préférable à celui du pécheur déclaré, mais au
fond il ne vaut pas mieux. Sans doute, celui qui n'a à se
reprocher que de ne pas sanctifier ses actions, n'est pas
déchiré par les remords des grands pécheurs et des grands
criminels; mais il l'est par les remords des âmes tièdes. Il
sait très bien, en effet, qu'il n'est pas dans la vraie voie du
salut, et que tant qu'il restera dans cette voie, il courra droit
en enfer. Il connaît cette parole terrible de INotre-Seigneur :
Parce que vous êtes tiède, et que vous n'êtes ni froid ni chaud,
je vais vous vomir de ma bouche (i). Comment, dans cet état,
aurait-il l'esprit en repos? Comment pourrait-il jouir de la
paix d'une vraie bonne conscience, d'une conscience qui n'a
réellement rien à se reprocher ni rien à craindre, puisqu'au
contraire il a beaucoup de reproches à se faire et une terri-
ble fin à redouter ? Tout autre est l'état de celui qui sanctifie
toutes ses actions. Étant toujours en état de grâce, son esprit
est calme, et ne craint pas d'être surpris par la mort. Offrant
toutes ses actions à Dieu, et ne les faisant que pour lui seul,
il sait qu'il ne travaille pas et ne souffre pas en vain, et que
sa récompense ne lui manquera pas. Enfin, accomplissant
réellement de son mieux tout ce qu'il fait, il a une pleine
confiance que Dieu, qui est un bon père, lui pardonnera les
imperfections qu'il ne peut éviter. Ainsi, comme nous
i. Apoc. ni, iG.
DEVOIR DE SANCTIFIER TOUTES Nos ACTIONS. 483
L'avons dit. celui qui sanctifie toutes ses actions esta L'abri
de f v > î i ï regret et de toute crainte. Il jouit de cettepaixde
Dieu qui, au jugement de L'apôtre saint Paul, surpasse tout
sentiment (î). Par conséquent, en vivant comme il fait, il
assure dans la mesure du possible sou bonheur même en ce
monde, ce qui est assurément le plus grand intérêt dont
nous ayons à nous occuper ici-bas. Aussi les saints, qui sont
précisément ceux qui ont le mieux sanctifie leurs actions,
ont ils tous recueilli tant de joie de leur entière fidélité,
même parfois au milieu de grandes souffrances temporelles,
qu'ils n'auraient pas voulu échanger leur sort contre tous
les troues de la terre (2).
1. Philipp. iv, 7.
•2. Conscientia bona summum bonum est in vita, in morte et post
mortem. lbi non quseretur de nobis, quid legimus, sed quid fecimus !
Non quam bene scripsimus, sed quam rcligiose viximus ! etc. (Corn, a
Lap. Connu, in 1. Petr. ni, 21).
Vuima sancta vinea Domini est, ita sanctus Bernardus, serm. 63, in
Cant. : « Viro sapienti sua vita vinea est, sua mens, sua conscientia :
nihil incultum, desertumque in se sapiens derelinquit.Stultusnon ita :
cuncta apud eum neglecta invenies, inculta, et sordida. » Quod ergo
facit vinilor in vinea, hoc facit cultor anima) in anima (Id. inAmos.ix, i5).
Félicitas bonse conscientiae cluect ex continuo timoré conscientiae
malae : Dabo pavorem in cordibas eorum, etc. terrebit eos sonitus folii
volantis. Lcv. xxvi. Hic pavor et pœna cornes est peccati, de qua sanctus
Isidorus : « NuUa pœna gravior pœna conscientiae. » Pythagoras ait,
neminem, tam audacem esse, quem mala conscientia non faciat timi-
dissimum. Et Plutarchus : Facinorosa conscientia est instar ulceris in
corporc, pœnitentiam relinquit in anima lancinantem. S. Basilius : Sicut
umbra corpora, sic peccata sequuntur animas, etc. (Id.m Levit. xxvi,36).
Gusiaie et videte quoniam suavis est Dominus. Interrogez les âmes
pieuses, les fidèles serviteurs de Jésus-Christ ; demandez-leur ce que
l'on goûte de bonheur, lorsque Dieu esl l'unique objet de nos soins et
de notre amour. Demandez-leur ce qu'ils trouvent de consolation et de
joie spirituelle dans la prière el la méditation, au saint sacrifice de la
messe et au banquet eucharistique, dans la visite du Saint-SacrcnienI,
au pied des autels et au tribunal de la réconciliation : et ils vous répon-
dront qu'ils n'échangeraient pas leur bonheur contre tous les plaisirs
que le inonde recherche ; ils vous répondront que les chastes délices
qu'ils trouvent dans l'exercice du divin amour, les dédommagent au
centuple de tous les petits sacrifices qu'ils -'imposent. — Interrogez le
grand Vpôtre,e1 il vous répondra qu'il surabonde de joie au milieu des
travaux immenses et des peines excessives de son apostolat. Interrogez
sainl François-Xavier, et il vous dira que les délices dont il esl inondé,
au milieu des nations infidèles, son! si grandes, que l'infirmité de sa
chair ne peut pas les supporter, et qu'il est obligé de conjurer son Dieu
484 LES GRANDS DEVOIRS DÛ SALUT. jLVIfl. INSTRUCTION.
Cependant celui qui sanctifie toutes ses actions s'assure
un bonheur plus grand encore que celui d'une bonne con-
science et de la paix en ce monde : il s'assure la possession
de Dieu, et par suite, la béatitude dans l'éternité, alors que
les autres ne s'assurent réellement que l'enfer. Non, que
ceux qui se contentent de pratiquer vaille que vaille leur
religion, et ne s'appliquent pas à sanctifier de la manière
que nous avons dite toutes leurs actions, que ceux-là ne se
fassent pas illusion, ils ne peuvent pas aller ainsi au ciel, et
cela pour plusieurs raisons. Ils ne peuvent pas aller au ciel,
précisément parce qu'ils ne sanctifient pas leurs actions.
Sont-ils donc à apprendre que pour aller au ciel il faut être
saint ? Ce n'est pas au ciel qu'on se sanctifie, c'est en ce
monde. Si l'on n'est pas saint avant de quitter cette vie, on
ne le sera jamais, par conséquent on n'ira jamais au ciel. Or,
comment seraient-ils saints, ceux qui ne font pas saintement
leurs actions, puisque c'est précisément en les faisant sain-
tement qu'on se sanctifie soi-même. Ceux qui ne sanctifient
pas leurs actions ne peuvent pas encore aller au ciel pour
cette autre raison, savoir, parce qu'ils n'entrent pas par la
porte étroite, la seule qui conduise à la vie (i), dit INotre-
Seigneur. En effet, n'est-ce pas le grand nombre des chrétiens
qui ne sanctifient pas leurs actions ? Eh bien, le grand nom-
bre sont ceux qui suivent le chemin spacieux, lequel va à la
de diminuer ou d'arrêter ses faveurs. — Mais sans sortir de cette en-
ceinte, il en est sans doute, parmi vous, quelques-uns, que dis-jc ? il
en est un grand nombre qui, fidèles à leur Dieu, remplissent leurs devoirs
avec exactitude, craignent le péché à l'égal de la mort, et mourraient
plutôt que d'affliger, par une faute grave, le cœur de Jésus. Eh bien, je
ne crains pas de m'en rapporter à leur témoignage, qu'ils nous disent
si le commerce du Seigneur leur cause de l'amertume ; si les entretiens
et les communications intimes qu'ils ont avec ce divin Époux ne sont
pas pour eux d'une douceur incomparable ; si une seule larme d'amour
ne leur procure pas une jouissance mille fois plus délicieuse que tous
les fades plaisirs des mondains ; si le joug du Seigneur qu'ils portent
avec amour, ne leur paraît pas doux et facile ; si les petites privations
qu'ils s'imposent, pour se rendre plus agréables à son divin Cœur, ne
sont point payées avec usure, par la joie de l'âme, la paix de la con-
science (Un prêtre du diocèse de Rodez, Le Petit Missionnaire, tome i,
page 191).
1. Matth. vii, \l\>
DEVOIR DE SANCTIFIES TOUTES NOS ACTIONS. J85
perdition (i), dil encore Notre-Seigneur. — Une troisième
raison pour Laquelle ceux qui ne sanctifient pas Leurs actions
ne peuvent pas aller au ciel, c'est parce qu'on n'\ peut aller
qu'autant que Dieu nous en accorde la grâce, et cpjc cette
grâce Dieu ne L'accorde pas à ceux qui n'ont pas souci de la
mériter. El il ne la leur accorde pas, parce qu'il ne le peut
pas. S'il accordait la grâce du salut à ceux qui ne sanctifient
pas leurs actions, n'encouragerait-il pas lui-même tout le
monde à ne pas les 'sanctifier, puisqu'on irait au ciel soit
qu'on les sanctifie, soit qu'on ne les sanctifie pas ?
Mais si ceux-là n'iront pas au ciel, qui ne s'appliquent
pas à sanctifier leurs actions, ceux qui les sanctifient peu-
vent au contraire être assurés d'y parvenir, et cela pour des
raisons tout opposées. En effet, ils peuvent être assurés
d'aller au ciel, précisément parce qu'ils sanctifient leurs
actions, et qu'ils se sanctifient ainsi eux-mêmes. Car lors-
qu'étant devenus saints, ils mourront, où Dieu les placerait-
il, s'il ne leur ouvrait pas son ciel, puisqu'il n'y a clans
l'éternité que deux demeures définitives, le ciel et l'enfer, le
purgatoire n'étant qu'un lieu de passage, comme la terre
elle-même? Dieu ne pouvant pas mettre en enfer ceux qui
auront sanctifié ici-bas toutes leurs actions, nécessairement
il les recevra donc dans son ciel, — Ceux qui sanctifient
leurs actions peuvent encore être assurés d'aller au ciel pour
cette autre raison, savoir parce qu'ils suivent le chemin étroit
qui mène à la vie. Et qu'est-ce qui leur prouve qu'ils suivent
ce chemin ') C'est parce que petit est le nombre de ceux qui le
suivent (2), et que ceux qui sanctifient leurs actions sont en
effet le petit nombre des chrétiens. — Enfin ceux qui sancti-
fient leurs actions peuvent être assurés d'aller au ciel, parce
que Dieu, voyant leurs efforts, et le bon usage qu'ils font
de ses grâces, se plaira à leur accorder toutes celles dont ils
ont besoin pour accomplir jusqu'au bout leur salut. A qui
Dieu, en effet, accorderait-il ses grâces les plus abondantes
et les plus précieuses, sinon à ceux qui lui sont le plus fidè-
les ? Le Sauveur n'a-t-il pas dit que ceux qui abusent des
1. Matth. mi, i3.
2. Matth. vu, i^.
£86 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
grâces, celles-là même qu'ils ont leur seront ôtées ; mais
qu'il en sera donné de nouvelles à ceux qui en font bon
usage, afin qu'ils soient dans l'abondance? (1)
Ainsi, il est donc bien évident que notre intérêt est de
sanctifier toutes nos actions, puisqu'en les sanctifiant nous
nous assurons tout à la fois, la paix de la conscience, qui
est le plus grand bien de ce monde, et la possession de la
béatitude céleste en l'autre.
CONCLUSION. — Voilà, chrétiens, ce qu'il nous était
nécessaire de savoir touchant le devoir qui nous incombe
de sanctifier toutes nos actions, c'est-à-dire, en quoi consiste
la sanctification de nos actions, et pour quelles raisons nous
devons les sanctifier. La sanctification de nos actions con-
siste, nous l'avons vu, à les faire en état de grâce, à nous y
proposer avant tout le bon plaisir de Dieu, et à les accom-
plir le mieux qu'il nous est possible. Et les deux principales
raisons pour lesquelles nous devons les sanctifier sont, que
Dieu le veut expressément, et que c'est notre intérêt présent
et éternel. Dans tout ce que nous venons de dire, nous
n'avons rien avancé que nous ne l'ayons démontré. Or,
puisque toutes nos considérations sont certaines jusqu'à
l'évidence, que nous reste-t-il à faire, sinon à conformer
notre conduite aux lumières que nous venons d'acquérir ?
Par conséquent, que nous reste-t-il à faire, sinon à rentrer
sans retard en état de grâce par une bonne confession, si
nous avons conscience de n'y être pas ; ou bien à veiller
avec une extrême sollicitude pour nous y maintenir, si nous
avons le bonheur d'y être? Que nous reste-t-il encore à
faire, sinon à nous proposer avant tout, dans tout ce que
nous faisons, d'obéir à Dieu et de lui plaire ? Que nous
reste-t-il encore à faire, sinon enfin à accomplir toutes nos
actions du mieux qu'il nous est possible, soit quant au
temps, soit quant à la manière, et à toutes les circonstan-
ces ? Oui, chrétiens, mettons notre sollicitude la plus atten-
tive et la plus soutenue à sanctifier ainsi toutes nos actions,
et Dieu, encore une fois, nous en récompensera en ce
i. Matth, xin, ia.
DEVOIB DE SANCTIFIER TOUTES nos actions. 487
monde par une paix délicieuse qui surpasse toute paix, e1
en L'autre par l'éternelle félicité du ciel. Vinsi soi (il .
TRAITS HISTORIQUES.
La résolution quotidienne d'un fervent chrétien.
Une des résolutions que prenait tous les matins, au milieu et à
la lin du jour, un fervent chrétien, c'était d'agir toujours selon
Dion, on Dion cl pour Dieu. — Selon Dieu ; Je ne ferai rien contre
la volonté de Dieu, et je ferai tout conformément à cette sainte
volonté. — En Dieu, en état de grâce, et faisant en sorte que la
grâce actuelle soit le principe de toutes mes actions. Pour être en
grâce, je m'exciterai à la contrition parfaite, avant mes actions
principales ; et, afin que la grâce actuelle soit le principe de toutes
mes actions, je demanderai à Dieu celte grâce avec ferveur, avant
de passer d'un exercice à un autre. — Pour Dieu : Je ne veux agir
que par un motif surnaturel, pour la gloire de Dieu, pour plaire à
Dieu, par amour pour Dieu, en la présence de Dieu, avec beaucoup
de ferveur, m'unissant alors à Jésus-Christ, lorsqu'il faisait une
action semblable à celle que je ferai (L'abbé Lasausse).
Faire toutes ses actions pour Dieu.
1. — Le saint homme Job nous est proposé dans l'Écriture pour
le véritable modèle d'un cœur droit, et dont toutes les intentions
étaient pures, sincères et se tournaient vers le bien, et ce qu'il
croyait le plus juste et le plus capable de plaire à Dieu. Vir sim-
plex et reclus, ac timens Dcum, et recedens a malo, et adhuc retinens
innoceniiam. C'est le portrait que nous en fait le texte sacré. Et
l'on peut dire que c'est ce qui l'a rendu un si grand saint, et si
agréable à Dieu dans les états de sa vie. Dans la plus grande abon-
dance, et dans la plus extrême pauvreté ; dans le cours d'une vie
paisible et dans le cours des plus affreuses douleurs. Sur le trône,
et encore plus glorieusement sur le fumier, on a vu ce saint
homme recevoir tout de la main de Dieu, le bénir dans tous ses
états, remercier le Seigneur également des bons et des mauvais
succès, agir toujours avec une droite intention, sans jamais se
détourner des sentiers de la justice. De sorte qu'à voir comme Dieu
même en parle, il semble qu'il se fit honneur d'avoir un tel servi-
teur, jusqu'à eu faire l'éloge en présence du démon, à qui il permit
de faire l'épreuve de la droiture de son cœur et de la sincérité «l»1
ses attentions.
488 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
■ E—
2. — Entr'autres règles que saint Ignace de Loyola donna à ceux
de sa Compagnie qui étaient chargés de l'enseignement, il leur
recommanda spécialement de se conduire de telle sorte qu'eux et
leurs élèves ne fissent rien que pour la plus grande gloire de Dieu.
Lui-même ne vivait que pour cette noble fin, et on lui entendait
souvent répéter ces paroles : m Que désiré-je, Seigneur, ou que
puis-je désirer, sinon vous ? » C'est pourquoi, dans les affaires
qu'il avait à traiter, il ne prenait jamais une détermination qu'après
avoir consulté Dieu et imploré ses lumières, afin de ne rien faire
que selon sa volonté et pour sa plus grande gloire ; en un mot,
c'était là qu'il rapportait toutes ses actions et celles de sa Société,
et l'on connaît ces paroles qui devinrent sa devise et celle de toute
sa Compagnie : Ad majorera Dei gloriam, c'est-à-dire : « Pour la
plus grande gloire de Dieu ».
3. — M. de Bernières de Louvigny, conseiller du roi et trésorier
de France à Caen, fut, en cette matière comme en toute autre, un
grand exemple de vertu ; et tout laïque qu'il était, il peut être pro-
posé pour un modèle de perfection même aux religieux. Dégagé de
tout ce que les hommes estiment ou recherchent, il ne vivait que
pour Dieu ; sa conscience était si pure, que la moindre action dans
laquelle il n'eût pas eu un motif surnaturel lui donnait de l'inquié-
tude. Il témoigna un jour à M. Boudon, archidiacre d'Évreux, la
peine qu'il ressentait de ce qu'étant allé en pèlerinage à Notre-
Dame de la Délivrande, en Normandie, dans la société de plusieurs
saintes personnes, il avait éprouvé une joie sensible dans les entre-
tiens de ces âmes d'élite et d'une rare vertu, et il craignait que la
nature y eût pris quelque part. Il avoua ingénument que c'était la
matière qu'il avait pour se confesser. Son zèle le faisait travailler
à inspirer la même pureté d'intention à ses amis spirituels ; il assu-
rait qu'une seule action indifférente, supposé qu'il y en ait, lui aurait
été quelque chose de plus insupportable que tous les maux tempo-
rels, que la désolation même d'une province en matière tempo-
relle, parce que, disait-il, dans le chrétien, tout doit être surnatu-
rel et divin dans ses opérations, et que c'est l'esprit de Jésus-Christ
qui doit l'animer, le gouverner et agir par lui (R. P. Warnet, Tré-
sor des Prédicat. Pureté d'intent. art. 3).
Les faire toutes avec un saint empressement
et du mieux qu'on peut.
i. — Nous avons, dit Origène, une expression bien naïve de cet
empressement dans la personne d'Abraham. Le livre de la Genèse
nous apprend que ce saint patriarche était tellement pressé par
DEVOIR DE SANCTIFIER TOUTES NOS ACTIONS. ^So,
1rs ardeurs do son amour, qu'il ne pouvait demeurer en repos
dans sa maison ; il sortait même, dit l'Écriture, en plein midi,
durant la plus grande chaleur du jour, pour chercher quelque
occasion de pratiquer la charité et pour dresser de charitables
embûches aux pauvres qui passaient. Un jour qu'il était comme
aux aguets, il aperçoit trois pèlerins qui étaientdes anges déguisés
sous cet habit, il ne put se donner le loisir de les attendre, il cou-
rut au-devant d'eux. Et après les avoir engagés à prendre chez lui
leur repas, t7 court pour une seconde fois à sa maison. Et comme
il savait bien que sa femme Sara était pressée de la même charité
que lui, au lieu de s'adresser à un grand nombre de serviteurs qui
composaient sa famille, il lui dit : Hâtez-vous de faire des pains
sous la cendre. Voici trois pèlerins qui nous viennent visiter,
recevons-les bien, et sans les faire attendre. Après avoir donné cet
ordre à sa femme, il court une troisième fois à son troupeau,
prend ce qu'il y trouve de meilleur, et le donne à son serviteur en
lui recommandant de se hâter del'accommoder. En vérité, poursuit
Origène sur ce passage, ceci est merveilleux, on ne parle ici que
de courir : Abraham court, sa femme court, son serviteur court,
tous se hâtent ; il y a du mystère. C'est que le Saint-Esprit veut
nous apprendre que dans une maison où règne la charité, il n'y a
point de tièdes ni de négligents. Lorsqu'un cœur est une fois
possédé par un amour sincère, véritable, fervent, il ne peut jamais
demeurer en repos.
2. Sainte Véronique, de Milan, était d'une condition vile aux
yeux des hommes, ses parents étaient entièrement dépourvus des
biens de la fortune ; ils n'avaient que le travail de leurs mains
pour faire subsister leur famille. Mais, s'ils n'étaient pas riches,
ils avaient, par contre, la crainte de Dieu, qui est infiniment
préférable à toutes les richesses. Les lois de la probité la plus
exacte furent toujours la règle invariable de leur conduite, et ils
portaient si loin l'horreur de la fraude, que quand le père de la
sainte avait quelque chose à vendre, il en découvrait ingénument
les défauts, afin de ne tromper personne. La pauvreté dans
laquelle ils vivaient ne leur permettait pas d'envoyer leur fille à
l'école. Véronique n'apprit point à lire : cela ne l'empêcha pas de
connaître et de servir Dieu, pour ainsi dire, dès le berceau. Elle
avait continuellement sous les yeux des exemples domestiques qui
gravèrent dans son cœur l'amour de la vertu. L'exercice de la
prière était le plus cher objet de ses délices ; elle écoutait attenti-
vement les instructions que l'on a coutume de faire aux enfants,
et le Saint-Esprit lui en donnait l'intelligence. Les lumières inté-
4gO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XVIII. INSTRUCTION.
rieures que la grâce lui communiquait, la mirent en état de mé-
diter presque sans cesse les mystères et les principales vérités de
notre sainte religion. Celait ainsi que son âme, nourrie d'une
manne toute céleste, acquérait de jour en jour de nouvelles forces.
Les devoirs de la piété ne prenaient rien sur ceux de son état. Elle
travaillait avec une ardeur infatigable, et obéissait à ses parents et
à ses maîtres jusque dans les plus petites choses. Elle prévenait
ses compagnes par mille manières obligeantes, et se regardait
comme la dernière d'entre elles ; sa soumission à leur égard était
si entière, qu'on eût dit qu'elle n'avait point de volonté propre.
Son recueillement avait quelque chose d'extraordinaire : sa con-
versation était toujours dans le ciel, même au milieu des occupa-
tions extérieures ; elle ne remarquait rien de tout ce qui se passait
parmi ceux qui travaillaient avec elle. Était-on dans les champs ?
Elle allait travailler à l'écart, afin d'être moins distraite et de
s'entretenir plus librement avec son divin Époux. Cet amour de la
solitude, qui faisait l'admiration de ceux qui en étaient témoins,
n'avait pourtant rien de sombre ni d'austère. Véronique n'avait
pas plus tôt rejoint sa compagnie, qu'une douce sérénité se répan-
dait sur son visage, ses yeux paraissaient souvent baignés de lar-
mes, mais on n'en savait pas la cause, parce que la sainte cachait
soigneusement ce qui se passait entre Dieu et elle.
DIX-NEUVIÈME INSTRUCTION
(Mercredi de la Semaine Sainte)
C'est un devoir pour tout chrétien
d'imiter
Notre-Seigneur Jésus-Christ.
I. Convenance de celle imitation. — IL Nécessité de cette imitation. —
III. En quoi elle doit consister. — IV. Moyens de la réaliser.
Les devoirs dont nous avons parle jusqu'ici ne portaient
tous que sur un seul point. Celui qui va faire le sujet de
noire en Ire lien de ce jour les embrasse tous et les résume
tous. Ce devoir est l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-
Ghrist. Il embrasse et résume tous les autres, disons-nous ;
et en effet, Notre-Seigneur s'étant acquitté avec une infinie
perfection de tous les devoirs chrétiens, celui qui imite
Notre-Seigneur s'acquitte aussi, par là même, de tous ces
mêmes devoirs, et sanctifie toutes ses actions. De là sa par-
ticulière importance, et l'attention toute spéciale que nous
devons apporler pour le bien connaître, afin de pouvoir le
bien accomplir. Aussi pouvons-nous croire que c'est à cause
de cette importance qu'il y a pour nous à imiter Notre-Sei-
gneur, que Dieu, qui a tout fait en vue du bien de ses élus,
nous dit la sainte Écriture, a mis en nous ce très sensible
penchanl à L'imitation, (pie nous y remarquons. En mettant
en nous ce penchant, Dieu a voulu en effet nous faciliter
l'accomplissement du devoir qui devait le plus contribuer à
notre salut. Car il est bien évident que, grâce à ce penchant,
il nousesl beaucoup plus facile d'imiter Notre Seigneur, que
<i c penchanl n'existai! pas. Mais au lieu d'user de ce pen-
chant selon les vues de Dieu, c'est-à-dire pour imiter Notrc-
ucur, nous en usons pour toutes sortes d'imitations
vaines, profanes et même criminelles. Nous en, usons pour
4 g 2 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
imiter les manières et les coutumes souvent ridicules du
monde, pour imiter les modes souvent ineptes et onéreuses
du monde, pour imiter les vices prétendus élégants du
monde, qui ruinent notre bourse, notre santé, notre réputa-
tion, notre âme ; mais combien peu qui en usent pour
imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin de mener une vie
vraiment chrétienne et d'opérer leur salut! Certes, on ne
peut le contester, ceux qui agissent ainsi abusent de leur
faculté d'imiter, comme ceux-là abusent de leur faculté de
raisonner, qui, au lieu de l'employer pour mieux connaître
Dieu, l'emploient pour s'armer contre lui de sophismes, et
justifier leur impiété ou leur indifférence. D'où vient donc,
chrétiens, que malgré notre naturel penchant à l'imitation,
nous nous acquittons en général si peu et si mal de notre
devoir d'imiter Notre-Seigneur ? Comme presque toujours,
la principale cause en est que nous ignorons plus ou moins
complètement ce devoir, soit que nous ne l'ayons jamais
bien connu, soit que nous l'ayons oublié. Par conséquent,
le premier moyen à employer pour nous amener à l'obser-
ver, c'est cle nous en instruire sérieusement. Et c'est en effet
ce que nous allons faire dans le présent entretien, d'abord
en démontrant, non seulement la convenance, mais encore
la rigoureuse nécessité qu'il y a pour nous d'imiter Notre-
Seigneur ; ensuite en exposant en quoi doit consister cette
imitation ; et enfin en faisant connaître les moyens de la
réaliser. Imiter Jésus-Christ est pour le chrétien : un devoir,
un avantage, une joie. — Seigneur, qui dès le principe nous
avez faits, dans notre âme, à votre image et à votre ressem-
blance, daignez nous éclairer et nous fortifier, afin que nous
connaissions parfaitement notre devoir cle nous rendre nous-
mêmes semblables à vous dans notre conduite, et que nous
puissions l'accomplir.
I. — Que c'est pour nous un devoir de convenance
d'imiter Notre-Seigneur. — Un devoir de convenance
n'oblige pas avec autant de rigueur, il est vrai, qu'un devoir
de justice. Par exemple, on n'est pas aussi rigoureusement
obligé de prendre part au deuil d'un voisin, ce qui est un
devoir de convenance, que de lui payer ce qu'on lui doit,
DEVOIR POUR TOUT CHRÉTIEN d'iMITER N.-S. JESUS-CHRIST /jq3
ce qui es! un devoir de justice. Toutefois, on ne manque pas
à un simple devoir de convenance sans encourir le blâme
et la répréhension îles hommes eux-mêmes, et L'on ne sau-
rait admettre que la conscience y soit tout à fait désinté-
ressée, pareequ'on \ blesse toujours plus ou moins, soit la
charité, soit Le respect, ou quelque autre vertu chrétienne.
Voilà pourquoi l'on doit toujours faire cas même de ce qui
n'est que de convenance.
Or, parmi les devoirs de convenance, ceux qui s'imposent
en général avec plus de force encore, sont ceux qui se rap-
portent aux parents, aux amis, aux bienfaiteurs et aux supé-
rieurs, et qui consistent surtout à se modeler sur eux autant
que le permet une juste discrétion. Il est en effet parfaite-
ment convenable de se conformer, dans la mesure du pos-
sible bien entendu, à la manière de penser, de parler et
d'agir d'un père, d'une mère, d'un ami, d'un bienfaiteur,
d'un supérieur. On aurait tort de taxer cette conduite d'obsé-
quiosité ou de servilité. En agissant ainsi, nous donnons à
entendre simplement que nous nous inclinons devant le
mérite et la sagesse des personnes que nous imitons, et que
nous les jugeons dignes de nous servir de modèles. Une
telle imitation est tellement un devoir de convenance, que
le fils, que le disciple, que l'obligé et l'inférieur qui s'en
écartent sans motif, sont considérés comme manquant de
déférence et de respect. N'est-ce pas cette imitation des
parents par leurs enfants, qui créent ces traditions de famil-
les si fécondes en heureux résultats? L'imitation d'un
maître par ses élèves n'est-elle pas sa meilleure récompense
et sa plus grande gloire? Mais par contre, quelle humilia-
tion pour un père, quel discrédit pour un maître, qui ne
sont point imités par leurs enfants et leurs disciples ! N'est-
ce pas comme si ces enfants et ces disciples déclaraient,
ceux; là leur père, ceux-ci leur maître, indignes d'être imités?
Eh bien, si ces raisons font aux enfants, aux disciples,
au\ obligés, un devoir de convenance d'imiter leurs parents,
leurs maîtres, leurs bienfaiteurs ; combien plus ces mêmes
raisons ne font-elles pas à tous les chrétiens un devoir de
convenance d'imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Car non
seulement il est pour nous tout à la fois notre Père, notre
/ÎQ'l LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
Maître, notre Bienfaiteur; mais il l'est d'une manière sure-
minente, et telle que devant lui il n'y a véritablement ni
père, ni maître, ni bienfaiteur, puisqu'il n'y a pas de père
qui ne tienne de lui sa paternité, pas de maître qui ne
tienne de lui son autorité, pas de bienfaiteur qui ne tienne
de lui sa générosité. Et ee n'est pas tout, car ce Père des
pères, ce Maître des maîtres, cet inspirateur et cette main
des bienfaiteurs, possède à un degré infini toutes les perfec-
tions dont nous ne voyons reluire que de faibles parcelles
dans nos pères, nos maîtres et nos bienfaiteurs. Or, si ce
sont ces parcelles de perfections qui nous font un devoir de
convenance d'honorer de notre imitation ceux en qui nous
les voyons, combien plus ne convient-il pas que nous imi-
tions Notre-Seigneur, qui est l'auteur, le possesseur et le
distributeur de toutes les perfections ! La source qui donne
l'eau n'est-ellc pas plus que le ruisseau qui la distribue? Et
le cœur qui inspire l'acte charitable, n'est-il pas plus que la
main qui l'exécute ? Voilà pourquoi, s'il est choquant de voir
un fils qui n'imite pas son père, un disciple qui n'imite pas
son maître, un obligé qui n'imite pas son bienfaiteur; il est
bien plus choquant encore de voir un chrétien qui n'imite
pas Jésus-Christ, son Créateur, son Rédempteur et son Dieu.
Aussi les gens du monde eux-mêmes ne manquent-ils pas
d'incriminer hautement les chrétiens dont la conduite est
plus ou moins différente de celle de leur divin Maître. Or,
s'il est tellement choquant de voir des chrétiens qui n'imi-
tent pas Notre-Seigneur, c'est donc que, même aux yeux du
monde, leur devoir de l'imiter est très grave et très impé-
rieux. Mais combien ne doit-il pas l'être davantage encore à
nos propres yeux, à nous qui savons combien Notre-Sei-
gneur, par ses perfections et ses bienfaits, a de droits à notre
respect et à notre imitation (i) ! — Et pourtant, nous l'avons
i. Christiani sicut haeredes sunt nominis Christi, ita debent esse imi-
tatores sanctitatis. Haec propositio est sancti Bcrnardi, et illi consonat
îllud Apostoli : Obsecro vos, ego vinclus in Domino, ut digne ambulelis
vocationeveslrasanda. Interrogabat se fréquenter Bcrnardus(quod olim
etiam practicabant ss. Patres) : « Bernarde, ad quid venisti de mundo ?
Ad quid ascendisti de fluminibus Babylonis ? ad stalimi religionis. Hoc
âge. » lta se potest interrogare christianus : Ad quid \enislii' Wl quid
Vocatus es ? Cujus nomen geris ? Nomen et vocatio tua, uionct le sobrie-
DEVOIR POPR TOUT CHRETIEN UIMITEH N. -S. JESUS-CHRIST. 4g5
dit, L'imitation de Notre Seigneur est pour nous bien plus
qu'un devoir de convenance,
11. — Elle est d'une rigoureuse et indispensable
nécessité. — C'est ce que le Sauveur lui-même nous a
enseigné à plusieurs reprises el de diverses manières.
Peu de temps avan! sa mort, comme il faisait entendre à
Bes apôtres qu'il allait bientôt retourner au ciel vers son
Père, et qu'il leur disait qu'ils connaissaient la voie pour y
venir aprè8 lui, l'un d'eux lui dit: Mais non, Seigneur,
ridas ne savons pas par quelle voie on y va. Le Sauveur ajouta
alors : Je suis moi-même celle voie (i). Or, qu'est-ce que cela
a eut dire, que Notre-Seigneur est la voie du ciel ? C'est une
manière de parler par figure et comparaison, et cela veut
dire que, comme il y a, pour se rendre en un lieu quelcon-
que, une voie qu'il faut suivre, ainsi lui-même est la voie
qu'il faut suivre pour aller au ciel. Mais comment suivre
cette voie, qui est Jésus-Christ? En l'imitant. Un père ne
dit-il pas souvent à ses enfants: Suivez la voie que je vous
ai tracée, ou bien : Suivez mes pas, pour leur faire entendre
d'imiter sa conduite et ses exemples? Remarquons donc bien
maintenant ceci : de même que si l'on ne suit pas la voie
qui mène dans l'endroit où l'on veut aller, on ne parvien-
dra pas dans ce lieu ; de même, si l'on n'imite pas Notre-
Seigneur, certainement on ne parviendra pas non plus au
ciel. Par conséquent, autant il est nécessaire, pour arriver
en un endroit, de suivre la voie qui y conduit ; autant il est
nécessaire, pour arriver au ciel, d'imiter Notre-Seigneur (2).
tatis, humililalis. patientiae, sanctitatis Christi imitandae. Ut quia ergo
superbiam, immunditiam, ebrietatem sectaris? Vocatus es non ad tene-
bras et errorès saeculi, et vias peccatorum sectandas, sed ad imilanda
vestigia Christi. Vmbula ergo digne vocationc et nomme tuo : Non in
eommessatione et ebrietaie, non in cubilibus et impudicitiis, sed induere
Dominant Jesum Christi m. Uom. xm. Tu a Christo clirislianus dictus,
erutus de potestate tenebrarum, debes ut filius lucis ambularc (March.
Horl. Pastor. tr. 1, lect. 2, prop. 2).
1. Joan. xiv, 5, 6.
Si dixissel tibi Dominus Deus tuus : Ego sum veritas et vita, tu
desiderans ver i ta te m etvitam concupisccns, via m, qua ad haec pérvenire
3, profecto quaereres, el diceres tibi: Magna res veritas, magna
vita. Si esset, quomodo illuc perveniret anima rneaPQuaeris quai' \nm'
^6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XIX. INSTRUCTION.
Déjà précédemment le Sauveur avait enseigné cette néces-
sité de l'imiter, en disant : Celai qui ne me suit pas, n'est pas
digne de moi (i). Évidemment, le Sauveur ne voulait pas
faire entendre que, pour être digne de lui, on était obligé
de le suivre matériellement ; car depuis qu'il est remonté
au ciel, nul n'a plus eu la possibilité de le suivre dans ce
sens, et cependant tous sont appelés au salut. Ici, suivre
Notre-Seigneur, veut donc encore dire, l'imiter. C'est dans
ce sens qu'on dit, suivre les bons exemples, et pareillement,
suivre les mauvais exemples, c'est-à-dire imiter, soit les uns,
soit les autres. Or, en disant que celui qui ne le suit pas
n'est pas digne de lui, Notre-Seigneur nous déclare donc
que celui qui ne Fimite pas, n'est pas digne d'être son dis-
ciple, ce qui est parfaitement juste; car, comme nous
l'avons déjà expliqué, le devoir d'un disciple est d'imiter
son maître, et le disciple qui n'imite pas son maître n'est
pas digne en effet de lui, et en réalité il n'est pas son disci-
ple. Mais que résulte-t-il de là? Il en résulte que, si celui
qui n'imite pas le Sauveur n'est pas son disciple, il ne
pourra pas, par là même, être reçu dans les demeures céles-
tes, réservées aux seuls véritables disciples (2). Et c'est ainsi
que le divin Maître nous avait déjà intimé, une première
fois, l'obligation de l'imiter.
Cependant, il parla plus clairement encore dans une
autre circonstance, lorsqu'il dit ouvertement à ses apôtres,
et en leur personne à tous les disciples qu'il devait avoir
eum dicentem primo : Ego sum via. Primo dixit, qua venias ; postea quo
venias. Ego sum via, ego sum veritas. Ipse manens apud Patrem veritas
et vita est ; induens se carne factus est via. Non tibi dicitur : Labora
qurcrendo viam, ut pervenias ad veritatem et vitam, non, inquam, hoc
tibi dicitur. Ergo surge, piger, \ia ipsa ad te venit, et te de somno dor-
mientem excitavit (si tamen excitavit) surge et ambula ! (S. Aug. sup.
xxx, tr. 2/i).
1. Matth., x, 38.
2. Si quis mihi ministrat, me sequatur, et ubi sum ego, ibi et minister
meus erit. Joan. xn. Nota, ubi ego sum, erat ab instanti incarnationis
anima Christi in gloria ; ibi, inquit, erit, qui secutus fuerit me. Quis
non libentissime Ghristum sequetur, quoeumque ierit, si talis terminus
est ? Gaudeat qui sequitur Ghristum, paveat qui non sequitur Ghris-
tum : nam ille in cœlum, hic in gehennam pergit (Labat, \Loc. comm.
verb. Christi ex emplar. pr. i).
DEVOIR POUR TOUt CHRÉTIEN immiit.Iîx. S. JESUS-CHRIST. \\)~
dans La suite des siècles : .le vous ai donné l'exemple, afinque,
comme j'ai fait moi même, ainsi nous aussi vous fassiez i 1).
Le commandement de L'imiter est çn effet ici très formel et
très explicite. Il commence par nous dire qu'il nous a
donné L'exemple; car, s'il ne nous L'eût pas donné, nous
n'aurions pis à L'imiter. En parlant ainsi, il est allé
au-devant des difficultés que n'auraient pas manqué de
Paire beaucoup de chrétiens. Sans doute, auraient-ils dit, le
Sauveur a pratiqué d'admirables vertus et accompli de bien
belles actions ; mais il était Dieu, et ce qu'il a fait ne saurait
être proposé à notre imitation, à nous qui ne sommes que
de faibles créatures. Or, ce langage, personne ne peut le
tenir, puisque JÉsi s Christ s'est expressément donne pour
notre modèle, en disant, je vous ai donne l'exétoiple, et qu'on
ne propose un modèle que pour le faire imiter. C'est encore
ce que Notre-Seigneur, au surplus, nous a expressément
déclaré, en ajoutant : ijiri que, comme j'ai fait moi-même,
ainsi vous aussi vous fassiez. Le commandement d'imiter
Notre-Seigneur ne saurait donc être plus net et plus expli-
cite. Or. une chose commandée n'est pas une chose qu'on
puisse, à volonté, faire ou négliger ; c'est une chose qu'on
esi rigoureusement tenu d'accomplir. Et voilà pourquoi,
encore une l'ois, l'imitation de Notre-Seigneur est pour nous
d'une absolue nécessité, si nous voulons faire notre salut.
\u>>i. les apôtres sont-ils souvent revenus sur ce capital
sujet. Dès le commencement de son livre sur les ic tes des
Apôtres, saint Luc rappelle (pie Notre-Seigneur a d'abord
fait, puis enseigné (2) les choses du salut. Or, qu'il > ail obli-
gation d'accomplir les enseignements du Sauveur pour qui
conque veul se sauver, il n'est personne qui osera le con-
tester. Mais les choses qu'il a enseignées sont exactement
Les mêmes que celles qu'il a pratiquées. Par conséquent, s'il
\ a obligation d'accomplir ses enseignements, il > a par là
même obligation d'imiter ses exemples, puisque les ensei-
gnements cl les exemples sont une même chose, exprimée là
en paroles, ici en actes
1. Joan. xiii, i5,
2. Act. 1, 1.
SOM.ME DU PRÉDICATEUR. — T. II. \%
/■j < ) vS LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
Écoutons l'apôtre saint Paul, écrivant aux chrétiens de
Gorinthe : Soyez mes imitateurs, leur dit-il. Quoi donc !
saint Paul se donne-t-il comme étant personnellement le
modèle à imiter par ceux qui veulent faire leur salut ? Non
certes, car il ajoute aussitôt : comme je suis moi-même imita-
teur de Jésus-Christ (i). De sorte qu'en imitant l'apôtre,
c'était en réalité Jésus-Christ que les fidèles imitaient, puis-
que l'apôtre était lui-même l'imitateur de Jésus-Christ. Qui
imite la copie d'un modèle, imite le modèle lui-même.
Ainsi saint Paul considérait l'imitation de Notre-Seigneur
comme nécessaire, puisque lui-même l'imitait ; et il exhor-
tait aussi les fidèles à cette imitation, en les engageant à
l'imiter lui-même, eu tant qu'il s'était formé sur Jésus-
Christ. — Le même apôtre dit de plus, dans un autre
endroit, que ceux-là seuls sont appelés par Dieu pour être
saints, qu'il a prédestinés pour être conformes à limage de
son Fils (2). C'est-à-dire que, tout homme que Dieu, par sa
prescience, a vu comme ne devant pas se rendre conforme
à l'image de son Fils, n'a pas été appelé au salut. Ainsi,
encore une fois, le salut dépend essentiellement de l'imita-
tion de Notre-Seigneur. Quiconque l'imitera sera sauvé,
mais quiconque ne l'imitera pas sera certainement damné.
Voici enfin, pour terminer, le prince même des apôtres,
le premier chef de l'Église, saint Pierre. A son tour, il écrit
pour tous les fidèles : Jésus-Christ vous a laissé son exemple,
afin que vous suiviez ses traces (3). C'est le commandement
même du Sauveur dont nous avons parlé tout à l'heure, et
que Notre-Seigneur, nous nous le rappelons, a ainsi for-
mulé : Je vous ai donné l'exemple afin que, comme fai fait
moi-même, ainsi vous aussi vous fassiez. Ainsi saint Pierre,
1. I. Cor. xi, 1.
2. Rom. vu, 29. — Hoc igitur dico et testificor in Domino, ut jam
non ambuletis sicui et gentes ambulant in vanitate sensus sui... A os
autem non ita didicistis Ghristum, si tamen illum audistis, et in ipso
edocti estis ; sicut est veritas in Jesu, deponere vos secundum pristi-
nam conversationem, veterem hominem, qui corrumpitur secundum
desideria erroris. Renovamini autem spiritu mentis vestrae et induite
novum hominem qui secundum Deuin creatus est in justitia et sancti-
tale veritatis (Epiies. iv, 17» 20-24). — Cf4 Rom. xin, i4 ; Galat. m, 17).
3. I. Pclr. 11, 21.
DEVOIB POUB TOUT CHRETIEN D' IMITER N.-S. JlSsUS-CHRIST. /|()()
vicaire de Jé*sus-Ghrist et chef de toute l'kglise, se fait
un devoir de rappeler aux chrétiens le précepte qu'a
ilonué le divin Maître d'imiter sa conduite et ses actions. Il
estime que s'il ne Leur rappelait pas cette obligation, il man-
querai! à sa charge e( trahirait l'intérêt des fidèles. Quoi
dire de plus? Notre-Seigneur a commandé qu'on l'imitât ;
ses apôtres, dépositaires et ministres de ses enseignements,
ont prescrit aux fidèles cette imitation : elle est donc, ainsi
que nous L'avons dit, absolument nécessaire, et personne
ne sera sauvé qu'il ne ressemble à Notre-Seigneur (i). Ce
point établi, il s'agit de savoir maintenant
III. — En quoi doit consister cette imitation. — Est-
il besoin de le dire ? il ne nous est nullement demandé
d'imiter Notre-Seigneur dans les choses qu'il a faites comme
Dieu, parce que nous n'en avons pas le pouvoir, comme,
par exemple, de rendre la santé aux infirmes, de guérir les
malades et de ressusciter les morts. Sans doute, Notre-Sei-
gneur a bien dit : Celui qui croit en moi fera les œuvres que
je fais, et même de plus grandes (2). Et en effet, les apôtres
1. Tota vita Christi in terris prohomine, quem fecit, disciplina mo-
rum fuit (S. Aucx. lib. devera Relig. c. i5).
<( Christianismus, ait Nyssenus, estimitatio divinœ naturœ. » Tract, de
prof, christ. Si ergo christianus es, noliin vanura ferre hoc nomen, ideo
enini Christus factus est particeps nostrae humanitatis, ut nos partici-
pes faceret suae divinitatis, ut du m visibiliter Deum cognoscimus, per
hune invisibilium amorem rapiamur(CoRN. a Lap. Comm. in Bar. ni, 38).
Miseri peccatores ! vos in operibus estis sceleratissimi, in verbis
scandalosissimi, in cogitationibus liberrimi, et ut paucis absol-
vam, in omnibus vitac actionibus daemoni, quarn Christo similiorcs !
Ah ! quam spem concipere potestis, vos cum divino lledcmptore ad
cœlestia regia ascensuros ? An putatis solum nomen christiani suffectu-
111111, ut salvemini? Plane non est ita ! Fingitc statuam deformissimam
infernalis Luciferi, cui ad ealcem sacrilège subscripta surit verba haec :
Christus Dominas : an putatis banc statuam propter istam subscriptio-
nciu in hoc templo recipiendam, et in altari adorandam esse? Nulla
ratione ! Parera in modum, mi christiane, utut insigne nomem ab ipso
Christo derivatum géras* de cactero autem animam habeas infernali
peccatorum fuligine denigratam, non recipicris cum Christo in aeter-
nuin cœli tabernaculum. Actum est ! pronunciata est jani dudum con-
tra [r sententia Pauli : Neque fornicarii, neque adulteri, neque molles,
neque fur es, neque avari, neque ebriosi, neque maledici, neque rapaces,
regnum Dei possidebunt. I. Cor. in. (Claus, Spiçil. catech. in fest.
Ascens. Dom., n. 12).
a. Joan. xiv, 12.
OOO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XlX. INSTRUCTION.
et beaucoup de saints ont accompli des miracles qui ne sont
pas moindres que ceux du Sauveur, étant les œuvres de la
même puissance, qui est celle de Dieu. Mais, encore une
fois, ce n'est pas en cela qu'il nous est commandé d'imiter
Notre-Seigneur, parce que, nous le répétons, si nous pou-
vons être les instruments de ces œuvres, cependant elles ne
dépendent pas de nous, mais de Dieu seul.
Ce en quoi nous devons imiter Notre-Seigneur, c'est, dit
saint Bernard (i), à agir comme lui, conformément à la loi
divine, à parler comme lui, à penser comme lui. Encore
faut-il observer que l'imitation qui nous est commandée ne
saurait être parfaite, parce que, entre autres raisons, notre
nature pécheresse en est incapable. Mais ce qui est tout au
moins absolument exigé de nous, c'est que nous l'imitions
autant que nous le pouvons.
Dans ses actions d'abord, disons-nous. Or, comment le
Sauveur agissait-il ? Dans toutes ses actions, l'Évangile nous
le montre se conduisant très exactement selon les prescrip-
tions de la loi. Etant l'auteur de cette loi, il aurait pu s'en
dispenser ou la modifier. Mais il ne le voulut pas. Et il l'ob-
serva même avec tant de fidélité, qu'il ne craignit pas de
porter à ses ennemis le défi de le convaincre de l'avoir vio-
lée, si peu que ce soit : Qui de vous, leur dit-il un jour,
pourra me convaincre de péché (2) ? Eh bien, pour imiter le
Sauveur, de limitation qui nous est commandée, dans tou-
tes ses actions, nous devons donc, nous aussi, observer tou-
tes les prescriptions de la loi divine, et les observer de la
manière la plus parfaite que nous pouvons. Par conséquent,
nous devons, comme lui, vaquer à la prière au moins matin
et soir ; rendre à Dieu du fond de notre cœur un culte véri-
table; respecter son saint nom ; sanctifier le jour du diman-
che qu'il s'est réservé : ne nuire en rien à notre prochain,
mais au contraire l'assister selon notre pouvoir, tout en
supportant ses défauts et en lui pardonnant les torts qu'il
peut avoir à notre égard. Gomme le Sauveur, nous devons
encore nous soumettre à la volonté de Dieu dans les événe-
1. Serra. 6. de tribal.
2. Joan. vin, 'iti.
DEVOIR POUR TOUT CHRÉTIEN D [MITER \.-s. .n:si s ÛHRIST. 00.1
ments douloureux qui nous arrivent, el nous acquitter de
ions nos devoirs jusqu'au bout, quoi qu'il nous en coûte,
dussions nous > perdre nos biens et notre vie elle même.
G'esl ainsi que nous L'imiterons dans ses actions (i).
Nous devons L'imiter, en second lien, dans ses paroles.
Noire Seigneur n'ouvrail jamais la bouche qu'à propos.
Quand il n'y avait pas nécessité de parler, il se taisait. Et
bien que, durant Les trois dernières années de sa vie en par-
ticulier, son ministère consistât surtout à parler, puisqu'il
a\ail à nous l'aire connaître les obligations du salut, cepen-
dant il gardail bien pins souvent le silence qu'il ne parlait.
Nous le voyons tout spécialement garder le silence dans une
circonstance mémorable, c'est-à-dire pendant sa passion,
devant le grand-prêtre Gaïphe, et tandis qu'un grand nom-
bre de faux témoins venaient tour à tour déposer contre lui,
travestissant les paroles qu'il avait dites, ou fabriquant de
toutes pièces toutes sortes de calomnies. Vainement on l'ac-
cablait ainsi, vainement le grand-prêtre lui dit alors : Vous
ne réponde: rien à ce que ces gens-là déposent contre vous ?
L'Évangile nous rapporte que Jésus ne disait mot (2). Quel
exemple et quelle leçon ! Ce n'est pas que nous ne devions
jamais nous justifier quand on nous accuse faussement,
puisqu'au contraire c'est quelquefois un devoir de le faire,
principalement quand l'honneur de Dieu et de l'Eglise y est
intéressé. Mais si notre divin Maître se tait même dans cette
circonstance, ne devons-nous pas garder nous-mêmes le
silence au moins lorsque nous pouvons le faire sans incon-
vénient grave, et même avec grand avantage. Car, en gar-
dant le silence, on évite les querelles et les emportements
de part et d'autre ; et si c'est à faux qu'on est accusé, on
1. Si in Doo essp volumus, quomodo il le ambulavit, et nos spirilua-
liter ambulemus. Quid est ambulare sicut [lie ambulavit ? nisi contem-
nere omnia prospéra quae contempsit, non timere adversa quae pertu-
lit, libenter facere quae fecit, ûeri docere quae docuit, sperare quae pro-
misit, el sequi quo ipse praecessit. Quid est enim sequi, nisi praestare
bénéficia etiam ingratis, non retribuere secundum mérita sua malevolis,
et orare pro inimicis, amare bonos, misereri perversis, suscipere in cha-
ritate cbnversos, et aequanimiter pati subdolos ac superbos? (S. Prospe;^.
de rita act. Sacerd. lib. 2).
a. Matth. xxvi, .Oa, 63.
502 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
expie, en se taisant et en s'humiliant, les fautes qu'on a com-
mises et dont on n'a pas été accusé. Voilà comment et dans
quelle disposition nous devons imiter INotrc-Seigneur dans
son silence. — Lorsqu'il parlait, il ne le faisait jamais que
pour un motif juste et en des termes où il n'y avait rien à
reprendre. C'était toujours, dans ses paroles aussi bien que
dans ses actions, la gloire de Dieu et le salut des âmes qu'il
se proposait. Alors même qu'il avait à reprendre les méchants
ou à démasquer les hypocrites, c'était toujours par charité
qu'il le faisait ; c'est-à-dire pour préserver les âmes simples
contre le scandale, et pour faire rentrer en eux-mêmes et se
convertir les pécheurs. Pour imiter en ceci Notre-Seigneur,
nous devons donc, non seulement bannir de notre bouche
toute parole contraire à la vérité, à la justice et à la charité ;
non seulement toute parole capable d'outrager Dieu, de
nuire au prochain et de scandaliser les âmes, et même toute
parole simplement vaine, inutile et oiseuse ; mais nous
devons encore, dans tout ce que nous disons, nous proposer
un but juste, utile, saint, et tout ramener finalement, comme
Notre-Seigneur, à la gloire de Dieu et au salut des âmes.
Enfin nous devons imiter Notre-Seigneur jusque dans ses
pensées, et dans les divers mouvements de son esprit et de
son cœur. C'est du cœur, a dit le divin Maître lui-même,
que viennent les méchantes pensées, les homicides, les adultères,
les fornications , les larcins, les faux témoignages, les blasphè-
mes (i). Quand ces vices et ces crimes ne paraissent pas au
dehors, c'est donc qu'ils ne sont pas dans le cœur. Or, qui
oserait dire qu'on les a vus en Notre-Seigneur ? Puis donc
qu'on ne les y a pas vus, ni même l'apparence, c'est donc
qu'ils n'ont pas non plus été dans son cœur. Et non seule-
ment le mal n'a jamais effleuré son cœur, mais ce cœur
divin a été au contraire la racine ou la source de toutes les
vertus qu'on a admirées en lui durant tout le cours de sa vie
mortelle. C'est ce cœur qui, en particulier, n'a cessé de
brûler d'amour pour la gloire de son Père, et de dévoue-
ment pour le salut des hommes ses frères, à tel point que,
pour eux, il a voulu être percé et répandre les dernières
i, Matth. xv, 19.
DEVOIR POUR TOUT CHRÉTIEN D'iMITER N.-S.JÉS1 s < I1HIST. T)o3
gouttes de son sang. Eh bien, nous le répétons, c'est encore
ce cœur divin que nous devons imiter, non seulemenl en
nous préservanl de toute souillure etde tout vice, mais en
Formant les mêmes pensées que lui, en brûlant des mêmes
ardeurs que lui, en pratiquanl les mêmes vertus que lui.
Wsl ce pas loul spécialemenl à l'imitation de sou divin
cœur que le Sauveur nous a exhortés, en disant : [pprenez
de moi que je suis doux cl humble de cœur (i) ? Ah ! qu'il y
en a peu, parmi l'immense multitude des chrétiens, qui
prêtent l'oreille à cette touchante invitation, et s'acquittent
pleinement du nécessaire devoir d'imiter Notre-Seigneur !
Combien nombreux au contraire sont ceux qui, comme les
pharisiens, se contentent de para/Ire gens de bien aux yeux des
hommes, et qui au-dedans sont remplis dliypocrisie et d'ini-
quité (2) ! Pour nous, qui sommes ici présents, ne tombons
pas dans une erreur aussi grossière, maintes fois maudite
par notre divin Maître (3). Imitons Notre-Seigneur extérieu-
rement dans ses actions et ses paroles, nous le devons; mais
imitons-le avec la même sollicitude intérieurement, dans ses
pensées et ses affections, nous ne le devons pas moins (4). —
Et pour nous y aider, voyons quels sont les principaux
1 . Matth. xi, 29.
2. Matth. xxiii, 28.
3. Matth. xxiii, 23, 25, 27, 29.
4- Spéculum nobis légat (Ghristus) pretiosissimum, quod intueamur
semper, ejusque intuitu auimos nostros exornemus ; vestes légat ful-
gentissimas, qui bu s illos decoremus. lnduimini Je su m Chrïstum, ait
Paulus, Rom. xiii. Tune autem Ghristum induimus cum illius vitam
sanctissimam imitamur, et virtutibus, quibus illa fulget, veluti pretiosîs
indumentis, nos exornamus. Ponam te quasi signaculum, Agg. 11, ait
Dominus Zorobabeli, signaculum nostrum verus est Zorobabel Ghris-
tus, cujus vitae imaginem pulcherrimam, vitae nostrae ita debemus
imprimere, ut non nomine solo, sed etiam vita a Ghristo christiani
appellemur. I nde Chrysostomus, orat. 5. contra Juda'os. : Propterea,
inquit, christianus es, ideo hoc nomen accepisti ut Ghristum imiteris,
ejusque legibusoperum exhibitione pareas, etc. Pone me ut signaculum
super cor tuum, ait Dominus, Cant. 3, ut signaculum super brachium
tuum. Ponendus enim Ghristus est, treluï signaculum super cor, ut cordi
nostro yirtutes imprimât suas. Ponendus est super brachium dextrum,
cl super manus, ut tum brachio tum manibus Imprimât opéra sua. —
Al quis poterit eximias Christi virtutes operaque imitando exequare ?
Ncino. At vero non exaequationem postulat, sed pro nostra tenui parte
imitationem. Exemplum, inquit, dedi vobis, ut quemadmodum ego feci
5o4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
IV. — Moyens de réaliser cette imitation. — Imiter,
c'est reproduire ; et pour reproduire, il faut connaître. Et
de mémo que, s'il s'agit des traits d'une personne, on ne
peut pas les reproduire, sur le papier ou la toile, lorsqu'on
ne les connaît pas ; de même, s'il s'agit de sa conduite, on
ne peut l'imiter ou la reproduire dans la sienne, qu'autant
qu'on la connaît. Or, comme il y a plusieurs moyens de
connaître les traits d'une personne pour en tracer l'image,
il y en a également plusieurs de connaître sa conduite pour
l'imiter.
Un premier moyen de connaître la physionomie d'une
personne lorsqu'on ne l'a pas vue, c'est d'écouter ceux qui
l'ont connue dire quels étaient ses traits, la couleur de son
visage et l'allure de son corps. Avec ces indications, on peut
déjà faire un portrait ayant quelque ressemblance. De
même, le premier moyen de connaître Notre-Seigneurpour
reproduire en nous sa conduite, c'est d'entendre les prédi-
yobis, ita et vosfacialis. In quem locum Chrysostomus : Quid significat,
inquit, hœc participa, ita ? secimdum possibilitatem . Propterea enim a
majoribus rébus accipit exempla, ut saltem minus faciamus. Etenim
magistri pueris litteras quam pulcherrimas scribunt, ut vel in deteritfs
imitentur, etc. Quemadmodum pueri pulcherrimos magistri caractè-
res, ad imitandum sibi propositos, conantur imitatione affingere : sic
Christi nobis proposita pulcherrima exempla, pro virili enitamur ope-
ribus exprimere, etsi admirabilem illius perfectionem assequi non pos-
simus. De nonnulis s. Basilii imitatoribus, sic ait sanctus Gregorius
Nazianzenus, in oratione de sancto Basilio : Multos jam Basilios specie
tenus videre licet, statuas nimirum in umbris. Multum enim fuerit, si
repetitam Echus vocem esse dixero. Nam illa quamvis postremam dun-
taxat vocis partem, expressius tamen effingit ; lu autem longius ab eo
distant, quam quantum accedere concupiscunt. Hsec ille. Erant imi-
tatores illi similcs Echo ; sic nos, si cum Ghristo conferamur, similes
sumus Echo ; quia quemadmodum illa voces imperfecte refert, sic nos
Ghristi virtutes admirabiles imperfecte exprimimus. Verumtamen ad
perfectam imitationem aspirandum est, ante oculos exemplar semper
habendum, juxta illud Exod. xxv ; Inspice, et fac secundnm exemplar,
quod tibi in monte monstratum est. In monte Sinaï exemplar tabernaculi
fabricandiostendit Dominus Mosi ; in monte autem Sion ubi cœnaculum
erat, et in monte Calvariae ubi cruci suffixus est, demonstravit nobis
exemplar omnium virtutum, praecipue patientiae, humilitatis, charitalis,
mundique contemptus. Tnspice, christiane, et facsecundum exemplar^
quod tibi in montibus monstratum est. Inspice prius, deindc fac ;
Christi actiones pra?clarissimas meditaie, volve animo, mentis oculis
intucro, deinde fac ; secundum exemplar, quod ante oculos tibi propo-
suisti (B.\RRAD. Comment, Evcmg, tom, 3, lij^. a, c, 10).
DEVOIR POIR TOUT CHRÉTIEN D'iMITER \. s. ,i l'si S-CHRIST. 5o5
ca leurs. Dans toutes leurs instructions, les prédicateurs
parlent en effel de Noire Seigneur, racontent sa vie, dépei-
gnent s(>s vertus et expliquent ses enseignements. En les
écoutant avec assiduité et attention, on peut donc arriver à
connaître assez. Notre-Seigneur pour imiter sa conduite, eu
Faisan! ce qu'il faisait lui même. C'est de là que vient, pour
les prédicateurs, l'obligation de prêcher, et pour les fidèles,
l'obligation d'aller les entendre.
I u autre moyen de connaître les traits et la physionomie
d'une personne pour tracer son image, c'est d'avoir sous les
yeux un portrait de cette personne fait d'après nature. Et
un autre semblable moyen pour nous de connaître Notre-
Seigncur pour limiter, e'est de considérer les saints. Les
sainls, en effet, se sont efforcés de se rendre semblables à
Notre-Seigneur, et ils y ont assez réussi pour qu'on puisse
les considérer comme d'autres Christs. De sorte qu'en imi-
tant les saints, c'est Jésus-Christ que nous imitons en eux,
comme celui qui reproduit un portrait, en réalité représente
l'original. C'est ce moyen d'imiter Notre-Seigneur que l'apo-
tre conseillait aux fidèles de Corinthe, lorsqu'il leur écrivait,
ainsi que nous l'avons déjà rapporté : Soyez mes imitateurs,
comme je suis moi-même V imitateur de Notre-Seignear Jésus-
Christ (i). Employons donc aussi ce moyen d'imiter Notre-
Seigneur, en imitant les saints qui se sont eux-mêmes for-
més sur lui. Et pour cela, lisons leurs vies, étudions leurs
actions, contemplons leurs vertus, et retraçons en nous,
aussi parfaitement que nous le pouvons, l'esquisse de leur
conduite, principalement de ceux qui se sont trouvés ici-
bas dans les mêmes conditions que nous.
Mais le moyen par evcellcnce d'imiter Notre-Seigneur,
c'est de le regarder lui-même, de l'étudier lui-même, de le
contempler lui-même. Les autres moyens ne sont que de
second ordre ; ils manquent de l'éclat et de la chaleur qui
jaillissent du modèle et ne sauraient produire des copies vrai-
ment vigoureuses. Mais comment étudier et contempler
Notre-Seigneur lui-même ? en lisant l'Evangile. C'est là en
effet qu'il se montre vivant ; c'est là qu'il se meut et agit ;
1. 1. Cor. xï, i,
5û6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
c'est là qu'il prie et qu'il parle; c'est là qu'il assiste, qu'il
guérit, qu'il console, qu'il pardonne, c'est là enfin qu'il
souffre et qu'il meurt. C'est donc là qu'il faut le considérer
souvent, afin de le copier sur le vif, toutes les fois que nous
avons à faire des actions qu'il a faites, à subir des injustices
et des ingratitudes qu'il a subies, à endurer des peines et des
douleurs qu'il a souffertes. C'est là surtout, dans l'Évangile,
ainsi que dans le crucifix qui en est l'abrégé, que les saints
ont étudié Notre-Seigneur ; c'est là qu'ils ont appris à l'imi-
ter, à se rendre semblables à lui, et ainsi à se sauver (i).
C'est donc surtout là aussi, chrétiens, que nous devons
étudier Notre-Seigneur pour nous rendre également sem-
blables à lui, si à notre tour nous voulons sincèrement
et véritablement aller au ciel (2).
CONCLUSION. — Chrétiens, ce grand et essentiel
devoir de l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous
le connaissons donc maintenant dans ses principales par-
ties. Nous savons qu'il est souverainement convenable
d'imiter Notre-Seigneur, parce que Notre-Seigneur est tout
à la fois notre Créateur, notre Bienfaiteur, notre Maître et
notre Dieu. Nous savons qu'il est absolument nécessaire
d'imiter Notre-Seigneur, parce que Notre-Seigneur nous en
1. Si quis normam aut régulant cupit vita? sanctœ, Evangelium inspi-
ciat ! Ab hoc omnes sancti vitœ sua? formam hauserunt. S. Joannes
Calybita vitœ ducem et doctorem in contemnenda patria non alium
habuit, quam Evangelium. Sanctus Benedictus, sanctus Francisais,
sanctus Augustinus suas constitutiones ac régulas monasticas ex Evan-
gelio mutuati sunt. Sanctus Bernardus suum et suorum profectum
Evangelio in acceptis refert (Corn, a Lap. Comm. in Evang. Proem).
Quos prœscivit, et prœdestinavit conformes fier i imaginis Filii sui. Rom.
vin. Accipe Crucifixum in manus et examina teipsum, an et in quo
conformis sis Ghristo Domino (Segx. Manna, i3. jul. n. 7).
2. Media ad Christum imitandum. 1. Magna sestimatio de Ghristo tan-
quam de perfectissimo magistro : nam, teste Ambrosio, lib. de Virg.
primus discendi ardor nobilitas est magistri. — 2. Frequens meditatio
vita? Ghristi ; ut enim qui pingendo prototypum perfecte exprimere
cupit, oculos ad omnia illius lineamenta assidue reflectit : ita et qui
Christum perfecte imitari desiderat, oculum mentis in vita moribusque
illius perpetuo defixum habeat oportet. — 3. Ardens amor erga Chris-
tum : quia amor aut reperit similes, aut facit, juxta commune ethni-
corum effatum. — 4- Assiduum exercitium: ut enim fabricando fabri, ita
imitando imitatores Christi efficimur (Louner, Biblioth. verbo Christus),
DEVOIR POUR TOUT CHRETIEN D'iMITERN. S. .IKSUS-CTIRIRT. ."><>-
a maintes fois donné L'ordre, et que 1rs apôtres nous ont
présenté son imitation comme indispensable au salut. Nous
savons que ce devoir d'imiter Notre-Seigneur consiste à
agir comme lui, à parler comme lui et à penser comme
lui. Enfin nous savons que, pour imiter Notre-Seigneur, les
trois principaux moyens à employer sont, entendre assiduc-
menl les instructions qui se font à L'église, et qui nous font
toujours mieux connaître Notre-Seigneur ; lire les vies des
sainls. qui oui eux-mêmes imité Notre-Seignèur et nous
apprennent la pratique de celle imitation ; enfin et surtout
lire et méditer l'Évangile, qui est tout Jésus-Christ lui-
même sous i'écorce des paroles sacrées. Puis donc que nous
connaissons ainsi ce devoir, ne croyons pas que cela suffise,
mais sachons bien qu'il y a d'autant plus nécessité pour
nous de nous en acquitter. Notre ignorance aurait pu nous
excuser dans une certaine mesure ; maintenant cette excuse,
nous ne l'avons plus. Il ne nous reste donc qu'à nous
modeler chaque jour davantage sur notre divin modèle (1).
i. At, inquics, difTicilis et ardua est via, per quam Christus incedit,
exultavil ille ut gigas ad currendarp viam, nos pygmaei ^sumus : quis
igitur (Mim sequi currentem potest ? ille, inquam, per abrupta crucis
iter fecit, nos débiles, et infirmi sumus ; quo ergo pacto eum valebimus
sequi ? Etenim licel bac in re salvalionis nostne negotium non interce-
deret, Christum Dominum sequi et i mi tari libentissime deberemus,
quantumvis in nu mer a ta? in bac viadiflicultatcs intercédèrent, ac labores
hoc enim ad tîdelitatem servorum spectat, juxta id quod habetur, I.
Heg. xiv, ubi Jonathas profecturus adversus exercilum Pbilislinorum
dixit armigero suo : Veni, transeamus usque ad slationem incirconci-
soruni horuin ; cui armiger : Fac omnia qua) placent animo tuo, perge
quo cupis, et ero tecum ubicumque volueris. Fidelis bic servus ac pru-
dens fuit, »•! maxime cum per arduum, periculosumque montem Jona-
thas ascensurus esset. Vsccndit, inquit, Jonathas manibus, et pedibus
raptans, et armiger ejus post eum : viam arduam crucis aggressus est
Chris tus Dominus, et unicuique nostrum ait, sequefe me ') Quis adeo
segnis, et ignavus servus erit, qui talem ac tantum Dominum sequi
recusel ? El maxime cum omnis haec difiîcultas quœ in via, et imita-
tione Ghristi reperitur, terminetur ad gloriam. ^ssumpsil Jésus très,
illov maximos apostolos, et duxit eos in montem excelsum, sed în alto
montis illius transfiguratus esl ante eos; die quaeso cum gloria illa
discipuli potirentur, numquid pœnituil eos [ter illud molestum susce-
pisse ? sic igitur de ascensu acerbo cœlestis beatitudinis philosophah-
dum est, arduum quidem fuit martyribus per cruciatus gravissimos
incedere, ei confessoribus per jejunia, vigiliasel pœnitentias, sed nunc
in cœlo quid aliud dicunt, nisi la-tati sumus pro diebus, quibus nos
5o8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
Doux travail ! délicieux labeur ! Les gens du monde trou-
vent du plaisir jusque dans la peine qu'ils ont à se procurer
richesses, honneurs, jouissances. Et les chrétiens pourraient
trouver pénible de se rendre de plus en plus semblables à
leur divin Maître ! S'il en était ainsi, ce serait la marque
que nous n'aimons pas Notre-Seigneur. Car saint Augustin
l'a dit : « Quand on aime, on ne trouve pas de peine à ce
que l'on fait ; ou si l'on y trouve de la peine, cette peine
elle-même, on l'aime. » Ah ! chrétiens, aimons Notre-
Seigneur, aimons un Maître si digne d'amour ! Et plus
nous l'aimerons, plus nous éprouverons de joie à nous ren-
dre semblables à lui. Et plus nous nous rendrons semblables
à lui, plus nous serons sûrs d'arriver au ciel. Ainsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
Nous devons imiter Jésus-Christ parce qu'il est notre Chef
et notre Père.
C'était autrefois la coutume que les enfants des 'grandes familles
portent suspendue à leur cou, gravée sur une médaille d'or, l'i-
mage de leur père. Cette image était pour eux comme un moni-
teur qui leur rappelait les vertus et les grandes actions de ceux à
qui ils devaient la vie, afin qu'ils fussent ainsi amenés à les imiter.
Or il arriva que le fils de Scipion l'Africain, s'étant laissé
aller à. commettre des actions méprisables, le sénat romain
lui ôta sa médaille, comme indigne de porter l'image de celui
dont il n'imitait pas les vertus. — Combien plus grande que
toute famille celle du chrétien, dont le chef est Jésus-Christ, fils
unique de Dieu ! Et combien plus belles et plus parfaites que tou-
tes les vertus et toutes les grandes actions des hommes, celles de
ce Chef et Père divin ! Par suite, quelle obligation plus étroite et
plus sacrée pour les chrétiens d'imiter un tel Chef et un tel Père !
C'est pourquoi portons son image non seulement suspendue à
notre cou, sous la forme du crucifix, mais encore profondément
gravée dans notre cœur, afin de pouvoir toujours conformer notre
conduite à la sienne.
humiliosti, pro annis quibus vidimus mala. Ecce quantum nostra in-
tersit Ghristum Dominum imitari, ac sequi, quantumvis per vias
perdifficUes ac duras incedat (Labat. loc, cit.)-
DEVOIR roi R km I CHRETIEN o'ixiiriu V s. JES1 s CHRIST. 5ofl
Changez de nom, ou change/ de conduite.
L'histoire parled'un jeune homme qui, héritier d'un nom Illus-
tré par des faits éclatants, s'étail lui-même engagé dans la milice
Jr son pays. Or, un jour de combat, saisi par une terreur soudaine
an pins fort de la mêlée, il jolie ses armes et prend la fuite. Son
capitaine, l'apercevant, courl à lui, le saisit par le bras et l'arrête,
en lui disant : « Ou changez de nom, ou changez de conduite ! »
V ces paroles, le timide soldat se retourne, se précipite éur l'en-
nemi, et par sa bravoure donne à ses compagnons la victoire qui
allait passer dans les rangs opposés. — Le chrétien aussi porte un
nom illustre, lui aussi est engagé dans une milice, la milice de
,h>i s-Christ. Je lui dirai donc: Ochrétien, si jusqu'ici vos mœurs
n'ont pas été pures, si jusqu'ici vous avez été faible, lâche dans le
service de Dieu, « ou changez de nom, ou changez de conduite. »
Or vous ne pouvez pas changer de nom ; il est écrit sur votre front
en caractères indélébiles ; donc vous devez changer de conduite.
Imitez Notre-Seigneur, cela résume tout.
Le 21 mars 1070, mourut à Parto un père de famille, appelé
Henri Nugnez de Gouvea, que l'on peut appeler le modèle des
chrétiens dans le siècle. Maître d'une brillante fortune à l'âge de
dix-huit ans, Henri Nugnez ne s'était pas livré au désordre, mais il
avait donné en plein dans l'amour du monde et de ses vanités. Nul
gentilhomme ne se piquait d'étaler plus de magnificence, nul n'a-
xait de pins beaux chevaux ni un plus nombreux cortège d'amis;
el jusqu'à l'âge d'environ trente ans, il fut comme l'âme de toutes
les fêtes, entraînant à sa suite tous ceux qui aimaient le faste et la
joie. Mais la parole apostolique du père François Strada, de la
Compagnie de Jésus, si justement appelé en Espagne « la trom-
pette du Saint-Esprit », suffit pour faire en peu de jours de ce
jeune mondain un chrétien exemplaire. Après les premiers ser-
mons de Strada, Nugnez alla le chercher à l'hôpital où il demeu-
rait, le priant d'accepter un asile dans sa maison, et de lui appren-
dre à en faire une véritable maison chrétienne. « Vous n'avez pour
y arriver qu'une seule chose à faire, lui répondit le religieux :
[mitez tfotre-Seigneur, cela résume tout. »
\ partir de ce moment, sa fortune n'appartint plus au monde,
mais au\ pauvres, et à toutes les œuvres de zèle et de charité. Le
fréquent usage des sacrements, i'oraison, la pénitence, toutes les
saintes industries pour mieux faire connaître et aimer Notre-Sei-
gneur par sa femme, ses enfants, ses serviteurs, ses parents et ses
amis, devinrent son unique préoccupation.
ÔIO LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XIX. INSTRUCTION.
Chaque soir Nugnez faisait lui-même le catéchisme à ses servi-
teurs, à l'exemple de Notre-Seigneur instruisant ses disciples;
ou bien il s'entretenait avec sa pieuse femme Béatrix de Madeira,
et avec toute sa famille, de quelque sujet pieux et intéressant, qui
pût doucement inspirer l'amour de la vertu.
Son délassement le plus ordinaire était d'aller soigner les pau-
vres de l'hôpital, faire leur lit et panser leurs plaies, voulant en
cela marcher sur les traces de Notre-Seigneur, lorsqu'il guérissait
0 les malades et les infirmes; et il prenait alors pour compagnon
l'un ou l'autre de ses enfants, que son exemple animait ainsi sans
violence à se vaincre eux-mêmes. Aussi eut-il la joie de voir ses
trois aînés entrer clans la Compagnie de Jésus, tandis que ses deux
fdles embrassèrent la règle de sainte Claire, et le dernier de ses
fils, la règle de saint François.
Lorsqu'il vit la mort approcher, il demanda lui-même les sacre-
ments, qu'il reçut avec sa piété ordinaire. Après son action de grâ-
ces, il fit avec un calme et une joie incomparables ses derniers
adieux à sa famille et à ses amis. Ensuite il annonça secrètement à
Béatrix de Madeira que dix ans plus tard, jour pour jour, elle vien-
drait le rejoindre au ciel. Quelques instants après, il rendit douce-
ment son âme à Dieu, en baisant une dernière fois son crucifix.
Dix ans après, le même jour, 21 mars, voyait s'accomplir à la
lettre la prophétie du serviteur de Dieu. Notre-Seigneur voulut en
outre que sa dépouille, retrouvée intacte et exhalant un parfum
délicieux, fût comme un nouveau témoignage de sasainteté et de sa
gloire dans le paradis.
C'est en suivant Notre-Seigneur qu'on arrive au ciel.
Le vrai chrétien marche à la suite de Jésus-Christ, comme un
soldat sous la conduite de son capitaine. Jésus-Christ est tout à la
fois le Roi et le Maître des chrétiens ; il les conduit à la conquête
de la Jérusalem céleste, à peu près comme l'illustre Godefroy de
Bouillon conduisit les croisés vers la Jérusalem terrestre. A la fin
du xie siècle, les gémissements des chrétiens de Palestine et les
blasphèmes des infidèles, profanateurs du tombeau de Jésus-
Christ, parvinrent jusqu'en Europe. Des héros chrétiens, tel que
Godefroy de Bouillon, ainsi que ses frères Baudoin etEustache, se
levèrent, attachèrent une croix d'étoffe rouge sur leurs vêtements,
et firent appel à tous les hommes courageux pour aller à la con-
quête des saints lieux. Aussitôt une multitude immense de guer-
riers, portant la livrée de la croix, accoururent sous leurs drapeaux.
Godefroy, investi du commandement en chef, les conduisit à tra-
DEVOIR POUR TOUT CHRETIEN D IMITER N. s. JÉSUS CHRIST. 5ll
vers mille combats ei mille dangers jusqu'à Jérusalem, qu'ils em-
portèrent d'assaut. — Tous les chrétiens sont des soldais de la
croix. Ils n'ont qu'à suivre fidèlement Jésus-Christ leur guide et
leur capitaine, el la victoire sur leurs ennemis spirituels leur est
assurée : ils entreront triomphants dans la Jérusalem céleste.
Moyen de connaître Notre-Seigneur pour l'imiter.
i. Saint Jérôme et sainte l\nde avaient tant de dévotion pour les
Lieux saints, qu'ils quittèrent Home et se rendirent en Judée, afin
de s'encourager à imiter le Sauveur parla vue des lieux où il avait
vécu, La vue de la grotte où il naquit, et celle du Calvaire où il
mourul. étaient singulièrement propres, en effet, à leur inspirer
l'amour de la pauvreté et de la souffrance. — Mais nous avons au
milieu de nous un lieu saint qui n'est pas moins instructif ni moins
touchant. C'est l'église, et dans l'église le tabernacle, où réside
véritablement aussi notre divin Maître et Modèle. Là en effet Jésus
continue de nous donner les mêmes exemples que pendant sa vie
mortelle. Là il vit dans la pauvreté ; car alors même qu'on orne
d'or ses autels, qu'est-ce que l'or misérable de la terre à côté des
splendeurs célestes? En terre sainte il ne passait que les nuits en
prière ; sur l'autel, il y emploie tout son temps. Ici comme en
Judée, il appelle à lui les enfants, instruit les foules, console les
affligés, guérit les malades et les infirmes. Ici comme en Judée, il
se résigne aux abandons et aux manques d'égards de ses amis,
supporte les injures et les attentats de ses ennemis. A Nazareth, il
était soumis à ses parents ; à l'autel, il est soumis aux prêtres, qui
le portent et le placent où ils veulent et comme ils veulent. Sur le
Calvaire, il pardonnait à ses bourreaux; à la Table sainte, il ne tire
pas vengeance de ceux qui profanent son divin corps et le cruci-
fient de nouveau. Peu de chrétiens peuvent aller en terre sainte,
mais tous peuvent se rendre au pied de l'autel. Qu'ils y viennent
donc tous, et en contemplant les exemples que continue de
donner Celui qui habite le tabernacle, ils apprendront à l'imi-
ter.
2. L'histoire de saint François d'Assise fait mention d'un reli-
gieux, nommé Jean, que le saint prenait pour compagnon à cause
de sa vertu et de sa simplicité. Ce religieux avait un si grand désir
de se rendre semblable à sainl François, qu'il l'imitait dans tout
ro qu'il lui voyait faire ; de sorte que, quand le saint se mettait en
prière, le religieux se plaçait dans un lieu où il pût facilement le
voir, afin de l'imiterjusque dans ses moindres gestes. Ainsi, si le
C>12 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. \I\. INSTRUCTION.
saint était à genoux ou debout, prosterne la face contre terre, ou
les mains jointes et élevées vers le ciel, ce bon religieux avait une
extrême attention d'esprit à faire la même chose. Or, comme saint
François imitait, dans un grand degré de perfection, Notre-Sei-
gneur, le religieux, en imitant saint François, imitait donc par là
même, lui aussi, Notre-Seigneur.
VINGTIEME INSTRUCTION
(Vendredi de la Semaine-Sainte)
C'est un devoir pour tout chrétien
de tendre à la Perfection.
I. Ce que c'est que la perfection chrétienne. — II. Motifs d'y tendre. —
III. Moyens d'en approcher.
En mourant aujourd'hui pour nous sur la croix, notre
divin Maître nous prêche précisément, par son exemple, le
dernier grand devoir du salut dont j'ai à vous entretenir, et
qui est de tendre sans cesse à la perfection jusqu'à la fin de
notre vie. C'est ce que l'apôtre saint Jean nous apprend,
lorsqu'il nous dit dans son Evangile : Jésus, sachant que son
temps était venu pour passer de ce monde à son Père, comme
il (irait aime les siens qui étaient dans le monde, c'est-à-dire les
élus, il les aima jusqu'à la fin (i), c'est-à-dire, selon l'inter-
prétation de plusieurs saints Pères, jusqu'au plus haut degré
où il pouvait les aimer. En effet, dès son entrée en ce monde,
il nous aima sans doute avec une grande tendresse, puis-
qu'aussitôt il commença à répandre pour nous ses pleurs.
Cependant, dans la suite, son amour pour nous parut gran-
dir encore, lorsque pendant les trois années de sa vie publi-
que, il affronta tant de fatigues et s'exposa à tant de déboires
et de haines pour nous enseigner le chemin du ciel. Mais où
son amour atteint ses dernières limites et son suprême per-
fectionnement, c'est en ces jours où, après avoir institué
l'adorable Eucharistie, justement appelé le sacrement de son
amour, il répand pour nous son sang et donne sa vie. Lui-
même l'avait dit : // n'y a point de plus grand amour que de
donner sa vie pour ses amis (2). Aussi, non content de tout
t. Joan. xiii, 1.
2. Joan. xv, i3.
SOMMB DU PRÉDICATEUR. — T . II . }*
5l4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
ce qu'il avait fait pourrons témoigner son amour, voulut-
il aller jusque-là, c'est-à-dire jusqu'à donner sa vie pour nous.
C'est ainsi que ce qui avait été dit de lui dans son enfance,
qiï il croissait en sagesse, en âge et en ïjvâce aux yeux de Dieu
et des hommes (i), il le continua jusqu'à son dernier jour,
en ne cessant d'accomplir, avec une perfection toujours
croissante, l'ouvrage de notre rédemption, dont son Père
l'avait chargé. — Eh bien, nous le répétons, cette conduite
de notre divin Maître, de faire toujours mieux et avec plus
de perfection ce qu'il avait à accomplir, nous prêche l'obli-
gation qui nous incombe à nous-mêmes d'accomplir égale-
ment avec toujours plus de perfection ce que nous avons à
faire. Car nous le savons, nous ne devons pas moins, en
notre qualité de chrétiens, imiter Notre-Seigneur, qu'obéir
à ses préceptes. Et nous devons même d'autant plus l'imiter
en ceci, que ce n'est qu'en apparence qu'il a agi avec une
perfection croissante. En réalité, il fut aussi parfait en son
premier acte qu'en son dernier, Dieu ne pouvant pas se per-
fectionner, puisqu'il possède essentiellement la perfection
infinie. Mais il voulut paraître agir avec une perfection crois-
sante, précisément afin de nous intimer, par son exemple,
l'ordre de nous perfectionner réellement de plus en plus, à
nous qui ne sommes naturellement pas parfaits. D'où il
suit que ceux-là se trompent qui, même en menant une vie
chrétienne, pensent pouvoir s'en tenir là, sans être tenus à
rien plus. Oui, c'est là une erreur, une erreur très funeste, et
malheureusement des plus répandues. La vérité est, tout au
contraire, que tout chrétien est obligé, non pas de s'en tenir
à la conduite qu'il mène présentement, si régulière qu'elle
puisse être, mais de s'efforcer de toujours mieux faire, en
d'autres termes, de toujours tendre à la perfection. Tel est,
je le répète, le dernier des grands devoirs du salut dont nous
avions à nous entretenir, car après la perfection, il n'y a en
effet plus rien. Or, pour acquérir, autant qu'il est nécessaire,
la connaissance de ce devoir qui s'étend à tous les autres et
les couronne tous, nous allons étudier successivement :
d'abord, ce que c'est que la perfection chrétienne ; ensuite,
a. Luc. ii, 5a.
DEVOIR POUR TOIT CHRÉTIEN DK ÎENDRE A LA PERFECTION. 5l5
Les motifs d'y tendre, el enfin les moyens d'en approcher,
sinon de L'acquérir (i). — 0 Jésus, Maître divin, qui vous
êtes élancé comme un géant dans la voie que vous aviez à
parcourir, et qui ne vous êtes arrêté qu'après en avoir atteint
L'extrémité (2), entraînez-nous sur vos traces, par votre
exemple et par votre grâce, afin que, nous aussi, nous nous
avancions avec une ardeur toujours nouvelle vers la perfec-
tion de notre état de chrétiens.
1. — Ce que c'est que la perfection chrétienne. — On
se fait très généralement sur ce point diverses fausses idées
qu'il faut commencer par signaler et écarter. L'une des plus
répandues est de confondre la perfection chrétienne avec la
perfection religieuse, d'où il suit que, quand on parle de
perfection chrétienne, beaucoup de chrétiens pensent que
ce sujet ne les regarde pas. Ces chrétiens se trompent. Non,
la perfection chrétienne n'est pas la même chose que la per-
i. On peut prendre pour sujet d'un discours très moral et fort utile,
cette vérité de l'Évangile, qu'il faut toujours croître et s'avancer en vertu
et en sainteté, sans jamais se prescrire de bornes dans la perfection que
nous pouvons acquérir ; et cela pour trois raisons qui feront le partage
du sermon. La première est prise du commandement de Dieu, qui le
veut ainsi, et qui l'ordonne : Hœc est voluntas Dei, sandificatio vestra.
I. Thcss. iv. Estote ergo vos perfecti,sicut et Pater vester cœlestis perjectus
est. Mat th. v. — La seconde est l'exemple du Fils de Dieu, qui est notre
modèle : J esus pro/îciebat sapientia et gratia, apud Deum et homines.
Luc. 11. — La troisième enfin, est prise de la grâce qui nous en donne le
moyen. — De sorte que Dieu nous donne en même temps le comman-
dement, l'exemple et le moyen de toujours croître en perfection, et de
devenir de jour en jour plus saints (Houdry, Biblioth. des Prédic. art.
Sainteté, S 1, n. 1).
i° Nous pouvons devenir saints, et des chrétiens parfaits dans notre état
et dans notre condition. Nous avons les grâces nécessaires pour cela ;
mille secours extérieurs qui nous y excitent et qui nous y aident ; une
infinité d'occasions de pratiquer les vertus qui nous perfectionnent ; et
ce qui nous ôte tout prétexte, c'est que de toutes les affaires temporelles
qui sont conformes à notre état, aucune ne nous peut empêcher d'ac-
quérir la sainteté si nous voulons. — 20 Nous devons travailler à notre
sainteté, et à nous rendre parfaits dans l'état où la Providence nous a
mis. C'est un commandement de Dieu indispensable qui regarde tout
le monde ; et c'est une illusion de croire que ce précepte ne soit que
pour les religieux. Nous nous y sommes engagés par les promesses de
notre Baptême, et enfin nous ne sommes au inonde que pour cela (Id.
loc. cit. n. 3).
2. Ps. xviii, 6.
5l6 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
fection religieuse. La première n'a pour objet que l'obser-
vation des commandements de Dieu et de l'Église ; tandis
que la seconde a pour objet, non seulement l'observation des
commandements de Dieu et de l'Église, mais encore celle
des conseils évangéliques. De sorte que, s'il est vrai que les
simples chrétiens n'ont pas à se préoccuper de la perfection
religieuse, il est non moins vrai qu'ils ne sont nullement
dispensés de tendre à la perfection chrétienne (i).
Une autre erreur également très commune, c'est de faire
consister la perfection chrétienne, ou bien dans l'observa-
tion de beaucoup de pratiques religieuses, comme assister à
beaucoup de messes, entendre de nombreux sermons, fré-
quenter assiduement les églises, communier très fréquem-
ment ; ou bien dans des pratiques extraordinaires de dévo-
tion, comme jeûner au pain et à l'eau, prendre la discipline,
s'imposer des mortifications rigoureuses. En se faisant delà
perfection chrétienne cette fausse idée, on arrive aisément à
la considérer comme impraticable, et par conséquent à ne
pas la regarder comme un devoir. Or, nous le répétons,
c'est là une erreur. Certes, les observances et les pratiques
i. Cette fausse distinction que vous faites du chrétien et du religieux
n'est qu'une illusion, une invention humaine : Ista distinctio ab hominum
opinione prodacta est, dit saint Jean Chrysostome ; c'est la corruption de
voire cœur qui vous l'a fait imaginer, et jamais les saintes Lettres ne
l'ont reconnue : Nihil enim eorum sacrœ litterœ agnoverunt. Oui, mon
cher auditeur, l'Evangile demande de vous que vous soyez saint et par-
fait dans votre état, aussi bien que le religieux dans le sien ; c'est-à-dire,
que votre vie soit innocente et régulière ; il demande de vous que vous
étoufiiez vos ressentiments, que vous arrêtiez une inimitié naissante par
une sincère et prompte réconciliation, aussi bien que le religieux ; il
demande de vous que vous réprimiez vos désirs déréglés, et que vous
vous rendiez maître de vos inclinalions sensuelles, aussi bien que le
religieux; il demande de vous que vous soyez tempérant et sobre dans
vos repas, mortifié dans vos appétits, et ennemi de votre chair, appliqué
et assidu dans vos fonctions, attentif à vous-mêmes, fidèle à la grâce,
aussi bien que le religieux; il demande de vous que vous fassiez tous les
jours de nouveaux progrès, que vous amassiez tous les jours de nouveaux
mérites, que vous assuriez votre salut par la fuite des occasions, des
compagnies dangereuses, par le travail, par un saint emploi du temps,
et de lous les moyens de sanctification que Dieu vous fournit, aussi bien
que le religieux. Et cherchez tant qu'il vous plaira, jamais vous ne
trouverez dans le Christianisme deux lois opposées, l'une facile pour
vous, et l'autre sévère pour les religieux (R. P. Gikoux, serm. sur la
Sainteté chrét.).
DEVOIB POi H toi l CHRÉTIEN DE TENDRE \ LA PERFECTION. .)1
don! nous venons de parler sont excellentes en elles-mêmes,
el peuvehl être pour certaines âmes tic très bons moyens
pour arrivera La perfection : mais elles ne sont nullement,
par elles mêmes, la perfection chrétienne, Laquelle peut très
bien exister sans elles.
Qu'est ce doue que la perfection chrétienne, et en quoi
consiste I elle strictement? La perfection chrétienne consiste
essentiellement en ces deux choses: accomplir tous les
devoirs qui nous sont imposés par les lois de Dieu et de
L'Église, el les accomplir 1res bien, c'est-à-dire sans aucune
faute quelconque. Que nous manquions, si peu que ce soit,
à un seul de ces devoirs, ou que nous l'accomplissions
d'une manière tant soit peu défectueuse, la perfection n'est
plus complète, et par conséquent il n'y a plus de véritable
perfection. Ainsi, répétons-le, et que personne ne se fasse
illusion, soit en se croyant dans le bon chemin, alors qu'il
n'y est pas; soit en croyant n'y être pas, alors qu'il y est.
Celui-là, disons-nous, n'est pas parfait, alors même qu'il
fait des bonnes choses surérogatoires, s'il ne les fait pas très
bien ; tandis que celui-là est parfait, alors même qu'il ne
fait que ce qui lui est commandé, s'il le fait très bien (i).
i. Deus ab initio creavit terrain inanem et vacuam : cur non orna-
tam et perfectam ? Sanclus Ambrosius, Exam. lib. 2,c. 7, respondit : l t
nos ad imitationem divini operis eumdem in opérande et proficiendo
ordinem servaremus. Proccdere debemus ab imperfectis ad perfectiora
(Corn, v Lap. Comm. in.Ge.11. 1, 1).
Yeritalem auleni facienles in charitate, crescanms in illo per omnia. Eph.
iv, Nota : Vliud est cresecre ad illum, alind crescere pro illo, aliud
crescere in illo, videlicet Ghristo. Primum est incipientium, alterum
proficièntium, tertium perfectorum (Segneri, Man. an. 26. aug. n. 1).
Sicut ergo corpus in omnibus membris proportionaliter crescit, ita
oportet spiritum crescere in omnibus verbis, cogitalionibus, etoperibus
(Id. ibid. n. 3).
Nemo unquam pervenit ad statum perfectorum, quin prius cmensus
fuerit viam incipientium, et proficièntium (Id. ibid. n. 4).
De altari praecepit Ezcchieli Dominus : Gradus ejus versas orientera.
Ezech. xliii. Nota per gradus ab oriente ascendebatur ad occidentem, et
hoc ideo.ait Vilalpandus, quia Deus voluit Judaeos avocare ab idololatria
gentilium, qui solem orientem adorabant. Recte ! verum hoc non pos-
sum capere, cur Dominus Deus nuinci uni graduum non détermina-
nt .' descripsit accurate altitudincm et Latitudinem altaris, item circum-
ferentiam et mensuram crepidinis de cubito ad cubitum. Cur ergo
numerum graduum dissimulât? Sanctus ilicronymus satisfacit huic
5l8 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
Or, est-ce la pratique réelle de la perfection chrétienne
ainsi entendue qui nous est commandée comme un devoir ?
Non, oserai-je dire avec les saints Pères, ce n'est pas préci-
sément la pratique de la perfection chrétienne qui est pour
nous un devoir. Si cette pratique était pour nous un devoir,
Dieu nous ferait un devoir d'une chose pratiquement impos-
sible, ce qu'on ne peut pas admettre. La pratique de la per-
fection chrétienne, strictement entendue, est en effet impos-
dubio inquicns, graduum numerum non fuisse determinatum, ut edo-
ceamur, in templo morali christianae perfectionis nunquam subsisten-
dum, sed semper ulterius ascendendum esse : « Graduum numerus
incertus relinquitur, ut quantocumque studio ad altiora ascendcre
potuerimus, in inferioribus nos putemus collocatos. » S. Hier, in Ezech.
43. Superasti decem virtutis gradus ? conare assurgere ad viginti. Su-
perasti viginti ? eluctare ad triginta, tende ad quinquagesimum, ad cen-
tesimum, ad summum (Claus, Spicileg. cal. dom. 1. adv. n. 4)-
Eheu ! dicis, quis poterit sanctorum vestigia assequi, ne dicam supe-
rare ? sum homo nimis fragilis, vanitatibus assuetus, in vitia proclivis !
Quid tum ? noli animo cadere. Non e^igitur a te, ut una die in sanctum
migres, summamque perfectionem simul et semel assequaris ; hœc
enim stupiditatis nota fuit in Lucifero : vix uno vel altero momento
creatus, cum suam pulchritudinem contemplaretur, statim voluit simi-
lis esse Altissimo. Insulsum caput ! priori momento fuisti nihil, altero
momento factus es angélus, tertio' momento vis esse Deus, quid inep-
tius ? Sic multi propemodum ex christianis agunt : cum forte in verbi
divini auditione, aut sacramentorum perceptione Deus cor illorum
tangit, continuo volunt impeccabiles ac extatici fieri, atque cum sancto
Paulo ad tertium cœlum abripi. Tardius, tardius, mi christiane, ad vitae
sanctitatem non saltu pervenitur, sed de gradu ad gradum itur (Id. ibid.
n. 7).
Sane apostolus Paulus, ad Philipp. c. ni, ait : Non quod jam acce-
perim aut jam perfectus s im\ sequor autem si qaomodo comprehendam,
hoc est, nondum assecutus sum omnem virtutem, ut exponunt Chry-
sostomus et Theophylactus. Et tamen Paulus perfectus erat, nam mox
subdit : Quicumque ergo perfecti sumus, hoc sentiamus. Itaque perfectus
erat, quia semper perfectioni studebat, licet fastigium virtutum omnium
non attigerit. Ad eumdem modum, non desinamus studere temperan-
tiae et erimus tempérantes, studere castitati et erimus casti, etc. adeo-
que perfecti, si ad interiora semper nos extendamus... Perfectio ergo
hujus vitae non consistit in eo, quod quis plane perfectus sit, nihil
habens vitii aut defectus ; sed in continua tendentia, cursu et conatu ad
perfectionem. Ha?c enim est perfectio viatorum, ut continuo et celeriter
in via sua progrediantur. Unde Aug. lib. de perf. christ, c. 9, ait :
« Perfectus est, qui ad perfectionem irreprehensibiliter currit, carens
criminibus damnabilibus, atque ipsa etiam peccata venialia non negli-
gens mundare eleemosynis. » Sic vocantur philosophi et theologi, qui
student philosophiae et theologia?, licet adhuc multa nesciant (Faber,
loc, cit. n, 4)'
DEVOIR POl RTOUT CHRÉTIEN DETENDRE V LA PERFECTION. 5lQ
sible, fanl que nous sommes en ce monde, puisque le Saint-
Espril déclare <|ue même l'homme juste pèche sept jois le
joui' (i). Quel est Le saint, en effet, qui ait été sans péelié.
fanl qu'il esl demeuré ici bas? Tousse sonl confessés jus
qu'à leur dernière heure, reconnaissant ainsi qu'ils ne
pratiquaient pas la perfection chrétienne dans toute sa ri-
gueur (2).
Mais si la pratique parfaite de la perfection chrétienne
n'est pas pour nous strictement obligatoire, parce qu'elle ne
nous est pas possible en cette vie, qu'est-ce donc qui est
pour nous obligatoire en celte matière ? Ce qui est pour nous
ici obligatoire, c'est de tendre à la perfection : c'est-à-dire,
c'est de nous efforcer sans cesse de devenir de plus en plus
parfaits, en nous appliquant à faire toujours mieux nos
prières, à entendre toujours mieux la sainte Messe, à faire
toujours mieux nos confessions et nos communions, à nous
confier toujours mieux en Dieu, à aimer toujours mieux
notre prochain, à accomplir toujours mieux les obligations
de notre état, et, pour tout dire en un mot, à nous acquit-
ter de nos divers devoirs avec une perfection toujours crois-
sante. Encore une fois, voilà ce qui nous est imposé comme
un devoir, parce que cela nous est possible. Quel est le chré-
tien, en effet, qui ne peut pas tendre à la perfection ; qui ne
peut pas s'efforcer de faire toujours un peu mieux qu'il n'a
déjà fait? Eh bien, c'est en cela, c'est dans nos constants efforts
à nous perfectionner, que consiste la perfection qui nous
est commandée. Naturellement, cette perfection a un grand
nombre de degrés ; il y a la perfection qui commence, la
perfection qui progresse, la perfection qui s'achève. Mais de
même que l'homme, dès l'instant de sa conception, est déjà
un homme, bien qu'il n'ait pas encore atteint son dévelop-
pement naturel : de même la perfection, dès qu'on a résolu
1. l'rov. xxiv, iG.
■>.. Non proficit, quod perfectum est (S. Ajjg. tr. \- sup. Epist. Joan.).
— Ncmo se dicat perfectum hic, decipit se, fallit so, seducit se ; non
potest hic habere perfectionem (Id. sup. Ps. xxxviu). — Ncmo nostrum
tain peii'ectus est, ut perfectjor esse non possit (S. Léo i, serin, y.
QuadragJ
520 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
d'y travailler, est déjà elle aussi la perfection, bien» qu'elle
ne soit encore qu'en germe (i).
Tel est, avons-nous dit, l'enseignement des saints Pères.
Écoutons quelques-unes de leurs propres paroles. « Est-ce
que la charité, dit saint Augustin, est parfaite aussitôt qu'elle
naît? C'est pour se perfectionner qu'elle naît. Après sa
naissance, elle se nourrit ; en se nourrissant elle se fortifie,
et, après s'être fortifiée, elle arrive à la perfection » (2).
Dans un autre endroit de ses écrits, le même Père dit éga-
lement : « Celui-là est parfait qui court à la perfection sans
se démentir en rien, et qui, se préservant avec soin des
péchés mortels, ne néglige pas de racheter ses fautes véniel-
les par l'amour (3). » Saint Bernard n'est pas moins formel :
u Le soin infatigable de se perfectionner, dit-il, et un effort
continuel pour arriver à la perfection, sont regardés comme
la perfection elle-même » (4).
1. Aliqui constituunt perfectionem in patientia adversitatum : Timuit
cor meum delaluram civitatis, et collectionem populi, columnîam menda-
cem, super mortem omnia gravia. Eccli. xxvi, 6. Per tria haec, intelligi-
tur : i° Proditio civitatis, qua caedi et furiis illa exponitur. 20 Congrega-
tio populi tumultuantis, qua contra aliquem consurgit. 3° Accusatio
falsa, qua agitur ad mortem, aut infamiam. Haec perferre pro Deo, et
justitia magna perfectio est, maj orque quam exantlatio mortis. Sic
sanctus Paulus exultavit.in persecutionibus et calumniis. Sic monachus
Abbakirus, diaconus Macedonius, et sanctus Ignatius ad persecutiones
et opprobria laetati sunt ; primus a fratribus quotidie verberibus excep-
tus, alter sine culpa e monasterio ejectus, tertius ob pietatis ministeria
mille calumnias passus exultarunt. Sanctus Franciscus dicere solebat :
« Perfecta lsetitia est, cum quis libenter amore Christi injurias, et appro-
bria sustinet. » (Corn, a Lap. Comment, in Eccli. xxvi, 6).
Alii constituunt perfectionem in amore Dei ex toto corde, ad quem
requiritur : i° Ut voluntatem ab omni amore et affectu terreno segreges,
et mundifices. 20 Ut omnes cogitationes et opéra ad Dei solummodo
honorem et gloriam dirigas. 3° Ut tua voluntas intime conjuncta sit
voluntati divinse et imperturbata animi pace omnia, quaecumque seu
bona seu mala evenerint, excipias, firmiter credens, quod Deus magis te,
quam tu teipsum âmes. Etc. (Id. Comm. in Eccli. vu, 32 ; xlvii, 10).
Quomodo saecularis quisque perfectus esse queat ac debeat : i° Si Dei
praecepta observet. 20 Si errores admissos mox in se puniat. 3° Si pugnet
semper contra vitia. 4° Si semper proficere conetur. 5° Si studeat prê-
ter praecepta, implere etiam aliqua non praecepta. 6° Si conetur vitare
etiam veniala (Faber, Op. conc. dom 4- post Pentec. conc. 5).
2. In Epist. Joan.
3. Lib. De PerJ. JustiL
4. Epist. 123. — Hœc hominibus sola est perfectio, si imperfectos
DEVOIR POUR TOUT CHRÉTIEN DE TENDRE V LA PERFECTION. D2 l
Telle étant donc la perfection qui nous est commandée,
c'est à-dire, moins la perfection elle-même que l'effort pour
L'acquérir, comprenons que cette perfection, dis-jc, n'a rien
qui doive nous effrayer ni nous décourager, mais qu'elle est
au contraire parfaitement proportionnée à nos forces, et
voyons maintenant les
11. — Motifs que nous avons d'y tendre. — Un pre-
mier motif pour nous de tendre à la perfection, c'est que
l'honneur de notre sainte religion le demande. En effet, ce
qu'est pour un enfant L'honneur de sa mère, L'honneur de
l'Eglise l'est pour tout chrétien, pour qui l'Eglise est une
véritable mère, tant parce qu'elle l'a engendré à la vie sur-
naturelle de lame, que parce qu'elle ne cesse de l'entourer
de la sollicitude la plus tendre et la plus dévouée. — Or,
n'est-il pas évident que c'est un devoir sacré, pour un
enfant, non seulement de ne rien faire qui puisse nuire à
l'honneur de sa mère, mais encore de faire ce qu'il peut
pour y ajouter un nouvel éclat ? Eh bien, le même devoir
s'impose à nous tous chrétiens, à l'égard de l'Église : c'est-
à-dire que nous devons non seulement ne rien faire qui
puisse atteindre son honneur, mais encore faire tout ce qui
dépend de nous pour la glorifier devant les hommes. — Ce
qui prouve combien un enfant doit avoir à cœur l'honneur
de sa mère, c'est qu'autant est maudit de Dieu et des hom-
mes celui qui l'amoindrit, autant en est béni celui qui l'aug-
mente. Et il en est de même du chrétien qui ternit l'hon-
neur de l'Eglise, comme de celui qui le fait briller davan-
tage : le premier est accablé de malédictions, tandis que le
second ne recueille que des louanges et des bénédictions. —
Dès lors donc que nous somme tenus d'avoir à cœur l'hon-
neur de l'Eglise, notre mère surnaturelle, il est aisé de
comprendre maintenant que c'est là un motif hautement
suffisant, fût-il seul, pour nous faire tendre à la perfection.
esse se noverint (S. Hier. Ep. 23. ad Ctesiph.j. — Hœc est hominis vera
sapientia, imperfectum esse se nosse ; atque, ut ita loquar, cunctorum
in carne justorum imperfecta perfectioest (Id. Diaig. Pelag.J. — Quanto
plus homo scit se distare a perfectione, tanto prope est perfoctioni
(Thom. a Kemp. Vita Gerardi May. c. 18).
022 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
Car si nous n'y tendons pas, si nous ne nous efforçons pas
de devenir chaque jour plus parfaits, et par conséquent
meilleurs que les infidèles, les indifférents et les impies,
ceux-ci en prendront occasion de mal parler de l'Église, de
nier la puissance de ses enseignements et de ses sacrements,
ainsi que la divinité de son institution. Eu voyant que les
enfants de l'Eglise ne valent pas mieux qu'eux, ils en con-
cluront, non sans apparence de raison, que l'Église n'est
que l'ouvrage des hommes, et que ceux qui la disent divine
sont des imposteurs. Hélas ! n'est-ce pas ce qui arrive trop
souvent? Qu'ils sont donc coupables, les chrétiens qui ne
s'appliquent pas à acquérir la perfection, et qui par suite
deviennent l'occasion de ces discours et de ces scandales
déshonorants pour l'Eglise ! Qu'ils sont coupables surtout
en ces temps malheureux, où l'Église est déjà l'objet de tant
d'attaques de la part de ses ennemis, et où ses enfants
devraient par conséquent s'appliquer plus que jamais à la
faire respecter en leur personne, par la perfection de leur
conduite ! Il n'est pas douteux, en effet, que si un chrétien
de conduite peu régulière fait mal penser et mal parler de
l'Église ; un chrétien qui s'applique à être fervent et parfait
inspire au contraire, à ceux qui le voient, des sentiments
favorables à l'Église ; car ils sont forcés de s'avouer à eux-
mêmes que la conduite de ce chrétien vaut mieux que la
leur, et qu'elle vaut mieux précisément parce qu'il vit en
véritable chrétien, et conformément à toutes les prescrip-
tions de l'Église. G 'est en effet cette constatation qui arra-
chait autrefois aux païens, lorsqu'ils virent la sainte union
des premiers chrétiens entre eux, ce cri d'étonnement et
d'admiration : Voyez comme ils s'aiment! Ainsi donc, puis-
que c'est pour tout chrétien un devoir d'honorer l'Église sa
mère, et que le meilleur moyen de l'honorer, c'est de se
conduire en conformité de ses prescriptions, c'est en con-
séquence par là même, pour tout chrétien, un premier et
très grave motif de mener une conduite toujours plus sainte
et plus parfaite, afin d'honorer toujours de plus en plus
l'Église.
Le deuxième motif, bien plus grave encore, qui nous fait
un devoir de tendre à la perfection, c'est que Dieu nous le
DEVOIR POUR TOUT CHRÉTIEN DE TENDRE A LA PERFECTION. 5a3
commande expressément, ainsi que nous le voyons en maints
endroits de la sainte Écriture. Et il tient tellement à ce que
ses adorateurs travaillent a se perfectionner, qu'il en a fait
Le commandemenl aux juifs eux-mêmes, malgré la durcir
de leurs cœurs, dès les premiers temps de son alliance avec
eux. Leur parlant à son ordinaire, en diverses circonstances,
par le ministère de Moïse, il leur répéta jusqu'à trois fois cet
ordre : Sanctifiez-vous et soyez saints, parce que je suis saint
moi-même, moi le Seigneur votre Dieu (i). Voilà le précepte
et voilà la raison de se sanctifier, ce qui est la même chose
que de se perfectionner. Sanctifiez-vous, parce que je suis saint.
Il est naturel, il est convenable, il est nécessaire que l'adora-
teur s'efforce de se rendre semblable à son Dieu, s'il veut
lui être agréable et se le rendre propice. C'est d'après cette
idée juste, mais dont ils faisaient un emploi abusif, que les
païens se croyaient obligés de se souiller de crimes, pour
ressembler à leurs dieux criminels et vicieux. Pour nous,
notre Dieu étant saint et parfait, nous devons donc, pour
lui ressembler, nous sanctifier et nous perfectionner. Et
qu'avons-nous à faire pour cela ? Dieu ne nous l'a pas laissé
ignorer. Mes adorateurs, a-t-il dit par un autre de ses pro-
phètes, iront de vertu en vertu (2). Ainsi, le précepte de se
sanctifier et de se perfectionner a été non seulement donné,
mais expliqué : pour l'accomplir il faut, non pas demeurer
en l'état où l'on est, quel qu'il soit, mais aller de vertu en
vertu, c'est-à-dire gravir l'échelle de la perfection chrétienne,
en pratiquant toujours de nouvelles vertus, sans jamais
croire qu'on en a fait assez ni s'arrêter. A peine le Fils de
Dieu était-il venu en ce monde, où il venait pour accomplir
la loi et non pas pour la détruire (3), qu'il se hâta précisément
de se donner comme notre modèle dans l'acquisition de la
perfection. Il est dit de lui en effet, comme nous l'avons déjà
rappelé, que dès son enfance il croissait en sainteté en même
temps (pi en âge. Mais il ne se borna pas à nous donner cet
exemple, que plusieurs auraient pu ne pas vouloir compren-
1. Levit. xi, 4 \ ; xix, 2 ; xx, 7.
2. Ps. lxxxiu, 8.
3. Matth, v, j7.
52 4 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
dre. Il renouvela la loi elle-même de la perfection, en disant
à tous ceux qui voudraient être ses disciples : Soyez par/ails,
comme voire Père céleste est parfait lui-même (i); c'est-à-dire,
soyez aussi parfaits dans votre état que vous pouvez l'être,
comme votre Père céleste est parfait dans le sien. — Les
apôtres, chargés de prêcher par toute la terre les enseigne-
ments du Sauveur, n'ont eu garde d'oublier le précepte de
la perfection. Saint Pierre, leur chef, en a rappelé aux pre-
miers chrétiens le texte lui-même, en leur disant, dans sa
première épître : 77 est écrit : Vous serez saints, parce que
moi je suis saint (2). L'apôtre saint Jean, de son côté, a expli-
qué cette loi en ces termes : Que celui qui est juste se justifie
encore, a-t-ildit, et que celui qui est saint se sanctifie encore (3).
Enfin, saint Paul l'a aussi rappelée et expliquée, en disant
comment il s'efforçait de l'accomplir lui-même : Je ne suis
pas déjà parfait, écrivait-il aux chrétiens de Philippe, ville
de Macédoine, mais je poursuis ma course pour tâcher d'y
atteindre, oubliant ce qui est derrière moi et m' avançant tou-
jours vers ce qui est devant moi ; c'est-à-dire, oubliant le bien
que j'ai déjà pu faire, et m'efforçant d'accomplir celui qui
reste à faire. Et il concluait en ajoutant : Imitez-moi, mes
frères (4). — C'en est assez. La loi de tendre sans cesse à la
perfection n'est pas moins certaine ni moins positive que
celle du Décalogue lui-même. Or, quand il est certain que
Dieu a parlé, nul ne saurait être admis à contester et à dis-
courir, mais tous doivent s'incliner. C'est pourquoi, nous
le répétons, le plus puissant motif que nous ayons de tendre
à la perfection, c'est que Dieu nous le commande expressé-
ment (5).
1. Matth. v, 48.
2. I. Petr. 1, 16.
3. Apoc. xxii, 11.
4. Philipp. m, 12, i3, 17.
5. L'esprit des enfants de Dieu, dit le Pape saint Léon, et la noblesse
de cette filiation divine, ne peut souffrir qu'un chrétien fidèle s'attache
aux amusements du monde ; il faut que la vie ait du rapport à la gran-
deur de cette divine régénération, que les enfants s'accordent avec leur
Père, qu'ils aiment ce qu'il aime, qu ils fuient ce qui ne lui plaît pas.
Et si les enfants de qualité, parmi les gens du monde, se rendent mépri-
DEVOIR PO t'H TOI T CHRETIEN DETENDRE V LA PERFECTION. 5^5
Cependant il est un troisième motif de tendre a la per-
fection, auquel plusieurs seront peut-être encore plus sen-
sibles, et ce troisième motif, c'est que notre intérêt l'exige.
Quel est notre intérêt, notre intérêt souverain et suprême?
N'est-ce pas d'assurer notre salut? Oui, sans cloute, puisque
si nous manquons notre salut, tout sera perdu pour nous;
de même que si nous L'accomplissons, tout sera gagné. Éh
bien, pour assurer réellement notre salut, il n'y a qu'un
seul vrai moyen, et ce moyen, c'est de tendre, en tout ce
que nous faisons, à la perfection. Rien de plus facile que de
s'en convaincre, une simple comparaison rendra sensible
cette vérilé. N'est-il pas vrai qu'un batelier, qui doit remon-
ter le cours d'un fleuve pour atteindre le lieu où il se rend,
n'y peut parvenir qu'en faisant de continuels efforts, et que
s'il cessait de ramer, non seulement il ne se maintiendrait pas
où il serait, mais rétrograderait forcément? Eh bien, il en
est absolument de même de tout chrétien qui veut aller au
ciel. La vie est le fleuve sur lequel nous naviguons, et les
flots de ce fleuve sont nos passions, qui nous emportent
avec violence loin du but où nous aspirons. Écoutons l'apô-
tre saint Paul en faire la douloureuse constatation : Je vois,
dit-il, une loi dans les membres de mon corps, qui s'oppose à la
loi de mon esprit , et qui m'asservit à la loi du péché, laquelle est
dans les membres de mon corps (i). Pour résister à cette loi
du péché, pour surmonter les flots de nos passions qui
nous entraînent vers l'abîme de l'enfer, il faut donc, nous
sables, lorsque les actions de leur vie ne répondent pas à leur nais-
son <•; quelle honte) a-t-il , à plus forte raison, pour les enfants de Dieu,
lorsqu'ils ne soutiennent p;is toute la dignité du Christianisme par de
grandes vertus ? D'où il faul bien remarquer que cette obligation que
ii' >i i^ impose I Évangile, d'être parfaits comme notre Père céleste, n'est
pas un simple conseil, niais une obligation, qui n'est pas seulement de
précepte, mais encore qui semble être de droit naturel . ï a-t-il rien au
monde de plus naturel à un tils que de représenter la vie de son père,
lorsqu'elle est digne de son imitation P Ce qui est d'autant plus vrai
dans les enfants de Dieu, qu'on ne saurait les reconnaître pour tels,
>'il-> ne portent la ressemblance de Dieu dans la perfection de leur vie.
Les «niants des hommes ressemblent à leur père, ou dans les traits du
visage, ou dan» quelque autre marque naturelle ; mais les enfants de
Dieu ne peuvent représenter leur Père céleste que par la perfection de
leur vie (R. P. Champigni, serai, sur les obligat. du Baptême).
i. Rom. vu, 23.
52Ô LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
aussi, lutter sans relâche. C'est seulement au prix de conti-
nuels efforts que nous parvenons à nous avancer du côté du
ciel. Le Sauveur ne nous l'a pas laissé ignorer : Le royaume
des deux, a-t-il dit, souffre violence, et ceux-ci seuls y par-
viendront, qui se font violence (i). Aussi, pour peu que nous
venions à nous oublier ou à nous lasser, aussitôt nous rétro-
gradons misérablement. Voilà pourquoi saint Augustin
nous avertit*de ne jamais dire: Il me suffit d'être où j'en
suis, de mener la vie chrétienne que je mène, et je n'ai pas
besoin de viser à une perfection plus grande ; si vous dites
cela, vous êtes perdu (2), ajoute le grand docteur. Et pour-
1. Matth. xi, 12.
2. Si dixeris : suffîcit : periisti (S. Aug. serai. i5. de verb. apost.). —
Non minuisse solum, sedetnon auxisse culpabile est (S. Hier. Ep. 1. ad
Demetr.). — Perfectae conversationis culmen appréhende : nulli enim in
eodem statu diu esse conceditur servo Dei : aut semper proficiendum,
aut deficiendum est ; aut sursum nititur, aut in inferiora urgetur (S.
Bern. Vitasolïtar.).
Saeculares sumus, in sseculo perfectio christiana peregrinum animal.
Abeat ad anachoretarum claustra, abeat ad monachorum solitudines ;
illis, non nobis dictum est : Estote perfedi, sicut Pater vester cœlestis
perfectus est. — Et cur illis, et non vobis ? — Quia perfecte vivere in sa?-
culo impossibile est. — Est plane falsissimum, et grandis diaboli decep-
tio ! Audi contrarium ex vitis Patrum. Duo antiqui Patres, postquam
multis se annis in omni virtutum génère in eremo exercuerant, pia
curiositate moti Deum rogàrunt, ut sibi perfectionis mensuram, ad
quam pervenissent, ostendere dignaretur. Audivit vota eorum Deus, et
per angelum illis indicavit villam in yEgypto, ubi duo habitarent con-
juges, nomen marito Evaristus, et uxori Maria, scirent, quod ad perfec-
tionem conjugum istorum nondum pervenissent. Illi sine mora ad iter
accincti festinant ad vicum designatum, inveniunt conjuges, eosque de
vitae hactenus acta? tenore interrogant. Illi asserebant, se oves pascere,
et proventum exinde contingentem dividere in très partes, quarum
unam erogarent in pauperes, alteram impenderint susceptioni peregri-
norum, tertiam converterint in proprios usus. De caetero, aiebant, se
mutuo consensu ac voto servare continentiam . His auditis, Patres illi
cum admiratione rcdeuntcs benedixcrunt Deum qui etiam in sœculo
conjugatos ac simplices homines non excluderet a perfectionis fastigio.
Quid ad haec, mi christiane ? an adhuc tenes, homines mundanos esse
perfectionis incapaces ? Hi conjugati fuere sa?culares, et tamen meritis
erant tam excellentes, ut superaverint anachoretas. Quare noli adco desi-
pere, ut cum imprudentibus illis, quos loquentes. introducit Gerson, de
Myst. Theol., aias : « Sufficit mihi vita communis ! Si cum imis salvari
potero, satis est ! Nolo mérita apostolorum, nolo volare per summa.
Accedere perplaniora contentus sum. » Noli, inquam, tam impruden-
ter garrire 1 Ad supremum perfectionis gradum aspirare oportet, ut
(|uoi sommes-nous perdus, si nous nous arrêtons sur Le
chemin de La perfection? G'esi parce que Dieu, qui veut que
nous allions toujours de vertu en vertu, voyant notre mau
vais vouloir et notre désobéissance, nous retire pour nous
châtier les grâces qui nous avaient soutenus jusque-là, selon
la menace qu'il en a faite (1) ; et parce que nous ne pouvons
rien sans lui (2), dès lors notre perte est [certaine et inévita-
ble : à moins que, reconnaissant notre erreur et nos torts,
nous ne rentrions dans la voie de la perfection pour la sui-
vre jusqu'à notre mort. Car si nous sommes perdus quand
nous cessons de vouloir faire de nouveaux progrès dans la
perfection, notre salut est assuré quand nous aspirons à
une justice toujours plus parfaite, puisque Notre- Sei-
gneur a dit expressément : Bienheureux ceux qui ont faim
cl soif de justice, car Us seront rassasiés (3) des joies du
ciel.
Tels sont les principaux motifs que nous avons de tendre
sans cesse à la perfection, l'honneur de l'Église notre mère,
la volonté certaine de Dieu, et notre suprême intérêt.
Peut-il se trouver un seul chrétien sincère qui, après avoir
pesé ces motifs, ne soit résolu à mener désormais une con-
saltem mediocritatem teneamus. Sagittarius sciens nervum in arcu suo
('•>m' remissiorem, quid facitP Altius collimat supra scopum, ut scopum
inferius position attingat. Sic quia natura, et aflectus nostri valde infir-
mi sunt, debent desideria nostra velut sacra quaedam jacula ad subli-
miasimam sanctitatem dirigi, ut conatus noster torpore, et socordia re-
missus saltem aliqualem virtutem acquirat (Claus, loc. cit. n. 8).
V proférez donc jamais cette parole indigne d'une bouche chrétienne:
.le Laissé la perfection aux religieux et aux solitaires, trop heureux d'évi-
ter la damnation éternelle. Non, non, vous vous abusez : qui ne tend
point à la perfection tombe bientôt dans le vice ; qui grimpe sur une
hauteur, s'il cesse de s'élever par un continuel effort, est entraîné par
ta pente même et son propre poids le précipite : c'est pourquoi l'Écri-
ture nous défend de nous arrêter un seul moment. Si, selon L'apôtre
sain! faut, la \ie vertueuse est une course, il faut, comme cet apôtre,
s'avancer toujours, oublier ce qu'on a fait, courir sans relâche et n'ima-
giner de repos qu'à la lin de la carrière, où le prix de la course nous
al tend (Bossi ET, \. serin, p. Patines).
i. Qui eniin habet, dabilur ci, et abundabit ; qui autem non habet,
et quod habet auferclur ab eo (Matth. \iii, ia).
2. Sine me nihil potestis faccre (Joan. xv, h.
3. Matth. v, 6.
528 LES GRANDS DEVOIRS DU S\LUT. XX. INSTRUCTION.
duite toujours plus régulière et plus parfaite (i)'P — Ache-
vons de nous éclairer sur cette capitale matière, en expli-
quant quels sont les
III. — Moyens d'approcher de la perfection. — Il en
existe un assez grand nombre, dont la plupart ne convien-
i. Duc in altum, Luc. v, ad perfeelionem . Yoluit Christus secum in
altum duci quotquot in navi erant; ncminem excepit : similiter vult
nos omnes ad perfectionem tenderc. Ita enim ipse ad omnes dixit,
Matth. v : Eslote ergo vos perfecti, sicut et Pater vester cœlestis. Ita docuit
et Pctrus, in Ep. I : Et ipsi in omni conversatione sancti sitis, quoniam
ego sanctas sum. Ita et Jacobus, c. i : Ut sitis perfecti et integri, in nullo
déficientes, \erum huic doctrinal contradicunt multi, qui putant sibi
ad perfectionem minime connitendum esse, sufhcere sibi stare in medio
vel imogradu;qui sane non parum errant, siquidem perfectionem
exigunt a nobis multi, ut videbimus. — 1° Ergo conatum ad perfectio-
nem exigit a nobis ipsa natura ; in qua videmus omnia viventia cres-
ccre et proficere cum œtate : plantas, bestias, hominem quoad vires et
staturam corporis, cur ergo non etiam crescat secundum animam ? Ac
licet aliqua horum terminum habcant, propter defectum nutrimenti,
liomo tamen, secundum anima? incrementum, terminum non habet,
sed tota vita crescere in virtute débet... — 20 Progressum ad perfectio-
nem exigit a nobis Deus : neque a solis sacerdotibus aut religiosis, sed
etiam a saîcularibus. Desiderat enim Pater omnes filios sibi habere
similes, suamque in aliis speciem intueri... Nos certe christiani pecu-
liari ratione : Filii Dei nominamur et sumus, I. Joan. ni. Quis autem
nescit quod parentes optent taies habere filios, qui cum setate crescant
in scientiis, virtutibus, rerum experientia ? Ideo enim constituunt eis
ptedagogos, etc. Et quam segre ferunt, si filii in scholis nihil plane
proficiant et stolones domum redeant ? Quid miramur ergo si et Deus
velit habere taies? Et hinc utique toties et tamdiu nos flagellis suis
castigat, ut vel his verberibus compellat progredi a tepore ad fervorem
et virtutem.. . — 3° Eumdem a nobis exigit Christus, Matth. v, dicens :
Eslote ergo vos perfecti, sicut et Paster vester cœlestis perfectus est. Qui
etiam propterea tanto nos pretio redemit, et, ut ait Àpostolus ad
Ephes. v : Dilexit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro ea, ut illam sanctifi-
caret et exhiberet ipse sibi gloriosam Ecclesiam, nonhabentemmaculam aut
rugam, aut aliquid hujusmodi, sed ulsilsancla et immaculata. En qualem
nitorem desiderat in nobis Christus ; qualem scilicet sponsus desiderat
in sponsa, et quœ respondeat pretio, quod pro ea emenda dédit... —
4° Exigunt majores nostri, primi Christiani, qui in omni sanctitate et
justitia vixerunt, et omnium virtutum admiranda exempla urbis reli-
querunt. Gloriati sunt Hebraei de Abraham pâtre suo sanctissimo : sed
a Christo audierunt : Si Abrahœ filii estis, opéra Abrahœ facile. Joan. vin.
— 5° Denique ipsi nos exigimus ab aliis ut nobis bene et exacte omnia
nostra peragant, veluti ab opificibus, ut nobis optimas vestes, calceos,
domos faciant. et agros et vineas pulcherrime colant... Quid mirum
ergo, si talcs velit habere servos Deus?... (Faber, Op. conc dom. 4.
post Pentec. conc. 4).
ni IVOIB POUR "TOUT CHRÉTIEN DE TENDRE A LA PERFECTION. i'2\)
neni pas à tout le monde ni dans toutes 1rs circonstances.
On les trouve exposés dans les ouvrages de pieté, ou bien
on peut se les faire indiquer par Les confesseurs et direc-
teurs. Nous nous bornerons à parler ici de ceux qui sont à
la poilce de tout le monde, et auxquels on peut recourir
dans quelque situation que l'on se trouve.
Le premier de ces moyens essentiellement pratiques, et
d'ailleurs souverainement efficaces, c'est la pensée de la
présence de Dieu. Ce moyen est celui-là même que le Sei-
gneur indiqua à \hraham, en lui disant : Marche e/ima pré-
sence, cl tu deviendras parfait (i). Les sages du paganisme,
ayant remarqué que l'on se conduit toujours bien en pré-
sence d'une personne respectable, conseillaient eux-mêmes
à leurs disciples de se représenter, dans toutes les actions
qu'ils faisaient, qu'ils avaient pour témoin quelque homme
vertueux (2). Or, si de s'imaginer qu'une personne vertueuse
nous voit, suffit pour nous porter à bien faire nos actions ;
combien n'y serons-nous pas plus portés par la présence de
Dieu, qui est réellement devant nous, et qui réellement fixe
sans cesse les yeux sur nous! Il est dit, en effet, dans la
sainte Ecriture : Les yeux du Seigneur sont plus clairvoyants
'/ne le soleil; ils regardent toutes les voies des hommes et la
profondeur de Vablme, et ils pénètrent dans les endroits les plus
cachés du cœur de V homme (3). Oui, on n'en saurait douter,
la pensée que Dieu nous voit ne peut que nous impression-
ner aussi favorablement que vivement. Quel est en effet
l'homme qui, considérant que Dieu le regarde, et qu'il aura
à lui rendre compte de ses actions, peut, je ne dis pas faire
le mal, mais ne pas s'appliquer à accomplir de son mieux
les devoirs qui lui sont imposés? Et n'est-il pas évident, en
outre, quocet homme, en s'appliquant ainsi à toujours faire
de son mieux toutes ses actions, parviendra nécessairement
à les accomplir d'une manière de plus en plus parfaite? La
pensée de la présence de Dieu est donc, on le voit, un
moyen de perfection aussi puissant que facile
1. ficu. wji, 1.
2. Sic vivo tanquam sub alicujus boni viri ac Semper prœscntis oeil*
lis (Senec. ep. 1 5).
3. Eccli. xxxiii, 28 ; Job. xxxiv, 21 ; Prov. v, 21.
'OMME DU PRÉDICATEUR. — T. II. } \
53o LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. — XX. INSTRUCTION.
Un second moyen de perfection également très efficace,
c'est de donner toute son attention à la chose que l'on fait
présentement, et de ne pas s'occuper du reste. La sainte
Écriture nous dit encore ici très à propos : Chaque chose a
son temps (i), c'est-à-dire, il y a un temps pour faire chaque
chose, et par conséquent il ne faut pas, dans le temps
réservé à une chose, en faire une autre. Et pourquoi ? Parce
que, pour bien faire chaque chose, il y faut apporter une
attention convenable. Or, si l'on partage son attention sur
plusieurs choses, chacune d'elles n'en a plus autant qu'il lui
en faut, et par suite toutes sont mal faites. Un laboureur qui
entreprendrait de battre son blé en même temps qu'il le
moissonne, ne ferait que de mauvais ouvrage ; il en serait de
même d'un tailleur qui, tenant à la main ses ciseaux et son
aiguille, voudrait tout à la fois couper un vêtement et le
coudre. Par conséquent, lorsque nous faisons nos prières,
par exemple, ne nous livrons à aucune autre occupation, et
n'y pensons même pas, sous aucun prétexte. Quand sera
venu le temps d'accomplir nos autres obligations, alors
nous nous y donnerons également tout entiers. Et c'est ainsi
qu'en ne faisant toujours qu'une seule chose à la fois, puis-
qu'en réalité Dieu ne nous demande à cet instant que cette
seule chose, nous ferons toujours de mieux en mieux chaque
chose.
Le troisième et dernier moyen de perfection qu'il nous
est encore extrêmement utile de connaître, celui dont la
pratique est peut-être même la plus salutaire, c'est de faire
chacune de nos actions comme si elle devait être la dernière
de notre vie. Il est en effet absolument certain que, si nous
savions qu'après telle action que nous faisons, la vie sera
pour nous finie, qu'il n'y aura plus d'autres actions à faire,
plus de mérites à acquérir, plus d'expiations à s'imposer,
plus de pardon à demander à Dieu ; il est absolument cer-
tain, disons-nous, que nous accomplirions cette dernière
action tout à fait de notre mieux. Et il n'est pas moins cer-
tain, en outre, que si nous faisions chacune de nos actions
sous l'impression de cette pensée, qu'elle est la dernière,
i. Eccle. m, i.
DEVOIR POUR TOIT CIIRKTIEN DE TENDRE A LA PERFECTION. 53l
nous parviendrions à les dépouiller toutes de leurs diverses
défectuosités, e! à les accomplir avec une perfection assuré-
ment dès grande. Eh bien, nous ne savons pas, il est vrai,
si l'action que nous faisons sera notre dernière action ; mais
il est certain qu'il y aura pour nous une dernière action, et
certain aussi que toute action que nous faisons peut être
cette action dernière et suprême, puisque, ne connaissant
nullement L'heure de notre mort, nous savons qu'elle peut
venir à tout instant. Vivons donc dans cette pensée, que si
toute action que nous faisons n'est pas nécessairement notre
dernière action, du moins elle peut très bien l'être, et que
rien ne nous assure qu'elle ne lésera pas. En vivant ainsi,
non seulement nous ne nous égarerons pas dans les sentiers
détournés qui tous aboutissent à l'abîme, mais au contraire
nous nous avancerons naturellement de plus en plus dans
la voie royale de la perfection, qui seule conduit au ciel (i).
i . Media ad christianam perfectionem inspirala a Spiritu Sancto primis
christianis : i° Yerbi Dei sincerus auditus. 20 Sacra communie- digna et
frequens. 3° Assidua oratio. 4° Abdicatio bonorum. 5° Solitudo et mentis
recessus. 6° Eleemosyna. 70 Gaudium spirituale (Faber, Op. conc. Fer.
3. Pentec. conc. 2).
Media ad perfectionem suggeritsanctus quidam Ûoctor : i° Ambulare
coram Deo. 20 tn omnibus, tam prosperis, quam adversis, se confor-
marc voluntati Dei. 3° Mortificare vitium quod prae caeteris tenacius
adrneret. 4° Contemnere omnem honorem humanum. 5° Alienum esse
ab omnibus hominibus. 6° Exuere omn&m affectum erga res externas.
70 In omnibus actionibus fixum esse in Deo. 8° Totum se resignare Deo.
90 Velle contemnere omnia, et contemni ab omnibus (Corn, a Lap.
Comm. in Gen. xvn, 2).
Pcrfecte vivendi régulas prescrivit Ludovicus de Ponte, si nimirum
cuilibet operi addamus sex alas scraphim. i° Est memoria praesentia;
Dei omnia videntis et attendentis. 20 Pura majoris glorioe Dei intentio,
studendo illi placere, et voluntatem ejus exequi. 3° Oratio, qua3 omni-
bus operibus preemitti débet, petendo Dei auxilium. 4° Fiducia in Deum,
quo te in omnibus actionibus fideliter adjutum iri speras. 5° Fortitudo
in arduis rébus aggrediendis, et diiïicultatibus superandis. 6° Perseve-
rantia usque in fîncm operum, tolcrando patienter quascumque molcs-
tias obvenientes (Id. Comm. in Mich. vi, 8).
Pour arriver à la perfection que Dieu demande d'un chrétien, dans
son état et dans la condition où la Providence l'a mis, il faut : *i° La
désirer avec ardeur, autrement on ne fera que de faibles efforts pour y
arriver , et l'expérience fait voir qu'on néglige, et qu'on abandonne
bientôt tout à fait ce qui coûte à obtenir, et qu'on ne souhaite pas for-
tement. — a9 II faut y travailler constamment et sans relâche ; parce
que si l'on s'arrête dans cette carrière pénible et laborieuse, on recule
OO'.i LES GRANDS DEVOIRS DU SALUÏ . — XX. INSTRUCTION.
CONCLUSION. - — Ainsi, que la perfection chrétienne
consiste pratiquement à s'efforcer de toujours mieux accom-
plir ce que l'on doit faire ; qu'il faut tendre sans cesse à
cette perfection parce que l'honneur de notre sainte religion
le demande, parce que Dieu en fait un précepte, et parce
que notre intérêt l'exige ; enfin, que les moyens d'en appro-
cher sont de se tenir toujours en la présence de Dieu, de ne
s'appliquer qu'à la seule chose qu'on fait, et d'accomplir
chaque action comme si elle devait être la dernière de notre
vie : tels sont les trois points que nous venons d'étudier, et
qui font connaître, autant qu'il est nécessaire, le grand
devoir que nous avons tous de tendre à la perfection. Ce
devoir, nous l'avons dit en commençant, est le dernier des
devoirs du salut, non parce qu'il est le moins important,
mais parce qu'il est la consommation de tous les autres,
comme la mort du Sauveur fut la consommation de toute
sa vie, ainsi que lui-même l'a déclaré au moment de mourir
en disant : Tout est consommé (i). En effet, de même que
la mort du Sauveur fut la consommation de l'ouvrage qu'il
avait entrepris de nous racheter ; de même notre perfection
est la consommation ou l'achèvement de l'ouvrage qui nous
est imposé de nous sanctifier. Et de même aussi que notre
rédemption n'eût pas été consommée sans la mort du Sau-
veur ; de même, pareillement, notre sanctification ne serait
pas consommée sans notre perfection. Mais puisque le Sau-
veur a travaillé sans relâche à notre rédemption jusqu'à sa
mort, travaillons semhlablement à notre perfection, nous
aussi, jusqu'à notre dernier soupir. Ah ! comme en contem-
plant son œuvre achevée, il dit aujourd'hui en mourant :
Tout est consommé ! puisse chacun de nous, à l'heure de sa
mort, jetant un regard sur sa vie écoulée, pouvoir dire aussi ;
J'ai servi et aimé Dieu avec une fidélité et une ferveur tou-
jours croissantes ; j'ai aimé et assisté mon prochain avec un
au lieu d'avancer, et le poids de notre nature nous entraîne en deçà du
terme où nous tendions. 3° Il faut en prendre les véritables moyens,
comme pour arriver au terme que l'on prétend, il faut prendre la voie
qui y conduit. Or cette voie est la pratique des vertus chrétiennes.
(IIoudky, loc. cit. n. 6).
i. Joan, xix, 3o.
DEVOIR FOI U TOUT CHRÉTIEN DETENDUE A LA PERFECTION. 533
dévouement toujours plus grand ; je me suis acquitté de
mes devoirs d'étal a> ec une sollicitude toujours plus entière :
Tout est consomme .' Hélas ! il est vrai, j'ai bien des fois
péché : mais j'en ai demandé pardon à Dieu avec un repen-
tir toujours plus profond, et j'ai sincèrement fait tout ce
que j'ai pu pour rentrer eu grâce avec mon Créateur: Tout
est consommé ! Oui, puissions-nous, à notre heure dernière,
pouvoir tous dire celte parole de grande consolation et de
grande espérance, et après être morts comme lui, notre
épreuve achevée, comme lui ressusciter pour l'éternelle
récompense du ciel. Unsi soit-il.
TRAITS HISTORIQUES.
En quoi consiste la perfection chrétienne.
i. — Saint François de Sales, après avoir rapporté les différen-
tes pratiques dans lesquelles certaines personnes mal éclairées
font, à tort, consister la perfection chrétienne, dit : « Pour moi, je
ne connais pas d'autre perfection que d'aimer Dieu de tout son
cœur et son prochain comme soi-même par rapporta Dieu. Toute
autre perfection sans celle-ci est une fausse perfection. La charité
<>t le seul lien de perfection entre les chrétiens, et la seule vertu
qui unit à Dieu et au prochain comme il faut, en quoi consiste
notre fin et notre consommation, et la consommation dernière.
C'est là la fin de toute consommation, et la consommation de
toute fin. Ceux-là nous trompent, qui nous forgent d'autres per-
fections. » (Son Esprit, par Camus, ch. 25).
a. — Saint Vincent de Paul plaçait toute la perfection de la vie
chrétienne dans l'imitation de Jésus-Christ. Considérant donc que
le Père éternel nous a donné, dans la personne de son Fils
incarné, non seulement un Rédempteur, mais aussi un modèle
accompli de toutes les vertus, il prit une forte résolution de cor-
respondre à ce dessein de Dieu, en imitant la conduite de son
divin Fils. Aussi sa vie n'a-t-elle été qu'une fidèle copie de celle
de Jési ^-Christ, en sorte qu'il a vérifié en sa personne la parole
• livin Sauveur, le disciple serait parfait lorsqu'il se rendrait
semblable à son Maître. Luc, vi, 4o. — En effet, comme son divin
Maître. Vincent a mené une vie humble, cachée, exempte de tout
éclat et de toute singularité. Comme Jésus, il ne se proposait en
534 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
tout que la gloire de Dieu, et il s'appliquait à dérober aux hom-
mes la connaissance de ses plus grandes œuvres, afin de n'en
avoir le mérite que devant Celui qui connaît le fond des œuvres ;
et il ne cessait d'exhorter les autres à imiter ainsi cette vie hum-
ble et cachée du Sauveur, leur assurant que cette conduite était
celle des vrais enfants de Dieu, et par conséquent de tous les
fidèles qui tendent à la perfection. — Même conformité à Jésus-
Christ dans les douleurs spirituelles et corporelles, n'y deman-
dant jamais autre chose que l'accomplissement de la sainte
volonté de Dieu et son bon plaisir ; désirant ardemment de don-
ner son sang et sa vie pour empêcher l'offense de Dieu, et
les outrages qui lui sont faits. — Enfin, saint Vincent de Paul
avait toujours Notre-Seigneur devant les yeux pour se conformer
à sa vie. C'était son livre et son miroir, dans lequel il se regardait
en toutes rencontres, afin de suivre ce divin modèle dans toutes
ses pensées et toutes ses actions, sans égard aux vains jugements
des hommes ; et ceux qui l'ont le mieux connu, pour l'avoir suivi
et observé pendant quarante-cinq ou cinquante ans, ont assuré
que Vincent était une image de Jésus-Christ des plus parfaites
qu'on eût vue sur la terre, et qu'ils ne lui avaient jamais entendu
rien dire ni vu rien faire que par rapport à Celui qui s'est proposé
pour modèle aux hommes, lorsqu'il leur a dit : Je vous ai donné
l'exemple, afin que, comme j'ai fait, ainsi vous aussi vous fassiez.
Joan. xm (Abelly, Vie de S% Vincent, liv. 3, ch. 16).
3. — Lorsque le père Natal, de la Compagnie de Jésus, homme
illustre pour sa doctrine et pour sa vertu, visita les provinces
d'Espagne, il ne recommanda rien davantage que l'enseignement
continuel de cette vérité, savoir : que tout notre avancement et
toute notre perfection consiste non pas à faire des choses fort extra-
ordinaires, ou à être occupé dans les emplois les plus élevés, mais
seulement à bien faire les choses ordinaires et à nous bien acquit-
ter des devoirs attachés à notre position. C'est là ce que Dieu de-
mande de nous, et c'est là par conséquent sur quoi nous devons
arrêter nos yeux, si nous avons envie de lui plaire et d'acquérir la
perfection. Voyons à combien peu de frais nous pouvons l'obtenir,
puisque, sans rien faire de plus que ce que nous faisons tous les
jours, nous pouvons nous rendre parfaits ! (Rodriguez, Traité de
la Perfect. chrét. p. i. tr. 2. ch. 2).
La parabole du semeur et les divers degrés
de la perfection.
J^e Fils de Dieu, dans la parabole du semeur, nous dit que Je
DEVOIR POUR TOIT CHRETIEN DE TENDRE A LA PERFECTION. 535
grain qui fut semé en bonne terre, en un endroit rendit trente
pour un, en un autre soixante pour un, et en un autre rapporta
jusqu'au centuple. Par là, disent les saints, le Sauveur nous a
marqué les trois degrés de ceux qui servent Dieu; c'est-à-dire
ceux qui commencent, ceux qui sont dans le progrès, et ceux qui
sont arrives enfin au comble de la perfection. Nous semons tous
le même grain, parce que nous faisons tous les mêmes choses et
avons tous les mêmes commandements à garder. Mais avec tout
cela, combien y a-t-il à dire dénomme à homme ! Quelle diffé-
rence y a-t-il d'un chrétien à un chrétien ! En quelques-uns, les
œuvres qu'ils sèment rapportent au centuple, parce qu'ils les font
avec une extrême ferveur d'esprit et une très grande pureté d'in-
tention, et ceux-là sont les parfaits. En quelques autres, elles ren-
dent soixante pour un, et ceux-là ne sont encore que dans le pro-
grès, ils ne sont pas arrivés à la perfection. Enfin, la récolte dans
d'autres n'est que de trente pour un, et ceux-là ne font que de
commencer à servir Dieu. Que chacun regarde du nombre desquels
il est : voyez si vous n'êtes point de ceux qui ne rendent que trente
pour un. Dieu veuille que personne ne soit de ceux dont l'Apôtre
dit que, sur le fondement de la foi, ils ont entassé du bois et de
la paille pour brûler au jour du Seigneur. I. Cor. m. Prenez
garde de ne rien dire par ostentation, par respect humain, pour
contenter les hommes et pour vous attirer leur estime; car ce
serait bâtir un édifice de bois et de paille, pour brûler du moins
dans le purgatoire; mais tachez de faire toutes choses dans la der-
nière perfection, et ce sera, comme dit saint Paul, vous éle-
ver un bâtiment tout d'or et d'argent et de pierres précieuses
(RODRIGUEZ, lOC. Cit.).
Moyens de perfection.
i . Saint Basile-le-Grand donne la présence de Dieu comme le re-
mède souverain et universel pour vaincre toutes les tentations du
démon et toutes les répugnances de la nature ; de sorte que si
nous voulons un moyen facile et court pour nous sanctifier, un
moyen qui renferme en soi la force et l'efficace de tous les autres,
servons-nous de celui-là : car, ainsi que nous l'avons déjà fait
observer, Dieu lui-même l'a donné pour tel à Abraham, quand il
lui a dit : Marchez devant moi et vous serez parfait.
2. — Saint Thomas d'Aquin, étant à son lit de mort, fut
interrogé par un religieux sur ce qu'il fallait faire pour vivre dans
une fidélité perpétuelle à la grâce : « Quiconque, répondit-il, mar-
chera sans cesse en la présence de Dieu, sera toujours prêt à lui
536 LES GRANDS DEVOIRS DU SALUT. XX. INSTRUCTION.
rendre compte de ses actions, et il ne perdra jamais son amour en
consentant au péché. »
3. — Saint Bernard déclare formellement que la perfection est
impossible sans l'examen fréquent de la conscience, la vigilance
su*r soi et le détachement des plaisirs terrestres ; et il attribue à
l'absence de ces dispositions le peu de progrès qu'on fait dans la
vep tu. « Rien n'est plus rare, dit-il, que de trouver des personnes
qui aillent toujours en avant. Il y en a plus qui se convertissent
du vice à la vertu, qu'il n'y en a dont la ferveur prenne sans cesse
de nouveaux accroissements. » — Le même Père assignedeux prin-
cipales causes de ce désordre. Plusieurs commencent bien, mais
quelque temps après, ils se relâchent dans leurs exercices et re-
tournent aux vains amusements du monde. D'autres, qui sont
réguliers à l'extérieur, négligent de veiller sur les puissances de
leur âme, et cette négligence devient la source des différents vices
qui corrompent leurs affections et les rendent abominables aux
yeux de Dieu. Un homme, dit encore saint Bernard, qui, étant
toi t occupé des exercices extérieurs, ne descend point dans son
propre cœur pour examiner ce qui s'y passe, s'en imposera à lui-
même en s'imaginant être quelque chose, tandis qu'il n'est rien.
Trompé par la superficie, il ne sent point le ver secret qui ronge
son intérieur. Il célèbre toutes les fêtes, il assiste à tous les offices,
il est fidèle à tous les exercices de piété; cependant Dieu le compte
parmi ceux qui ne l'honorent que des lèvres. Ses mains travaillent
et son cœur est glacé d'un froid mortel. S'il accomplit ses devoirs,
ce n'est que par habitude et par routine. En se donnant de garde
d'un moucheron, il avale un chameau. Il est esclave dans son
cœur, où régnent quelquefois la volonté propre, l'avarice, la vaine
gloire et l'ambition.
4. — Quand saint Antoine entendait parler de quelque solitaire,
il allait le trouver pour profiter de ses instructions et de ses exem-
ples. Il se fit une règle de pratiquer tout ce que pratiquaient les
vrais serviteurs de Dieu ; et voilà ce qui le rendit en peu de temps
un modèle accompli de toutes les vertus. — Chaque chrétien peut
suivre la même règle de conduite au milieu du monde. Dieu s'est
réservé des amis, des âmes ferventes qui y donnent l'exemple des
vertus évangéliques, et quiconque veut se perfectionner, n'a qu'à
s'appliquer, comme saint Antoine, à copier dans les autres les
vertus dont il croit manquer.
5. — Sainte Marguerite, reine d'Ecosse, appréhendait si fort de
laisser ralentir sa ferveur dans la dissipation de la cour et le
tumulte des affaires, qu'elle se fit une loi de mettre à profit tous
m NOIR POUR TOUT CHRÉTIEN DE TENDRE A LA PERFECTION. 537
ses moments, pour n'omettre aucun de ses exercices religieux, qui
étaient très multipliés, comme nous allons le dire. Elle résolut
donc de dormir pou, de renoncer à elle-même et aux plaisirs
inutiles qui absorbent la vie dos gens du monde, en même temps
qu'ils leur t'ont perdre l'esprit de recueillement et le goût des
choses de Dieu. Par ce moyen, il lui restait chaque jour beaucoup
de temps pour ses exercices de piété et un grand nombre de bonnes
œuvres, \insi, en Carême et en Avent, elle se levait à minuit, et
allait à l'église pour assister à matines. De retour dans sa chambre,
elle v lavait les pieds à six pauvres qui l'attendaient; après quoi elle
donnait à chacun d'eux une ample aumône. Elle reposait ensuite
une heure ou deux. A son réveil, elle retournait à sa chapelle, où
elle entendait quatre ou cinq messes basses, indépendamment de
celle qui se chantait au chœur. Outre cela, elle avait des heures
marquées pour prier dans son cabinet ; elle récitait chaque jour
les petits offices de la Trinité, de la Passion et de la sainte Vierge,
même celui des Morts ; et elle passait un temps considérable en
prières, devant le Saint-Sacrement. Dans les intervalles de ses pieux
exercices, elle visitait les hôpitaux, elle assistait tous les jours plu-
sieurs centaines de pauvres, et comme si tout cela n'eût pas suffi
à sa charité et à son zèle pour le bien public, elle partageait encore
avec le roi, son époux, le gouvernement de l'État, remplissant ainsi,
tout ensemble, les devoirs d'une parfaite chrétienne et ceux d'une
reine accomplie. — Voilà donc comment cette reine sut se conserver
et se perfectionner dans la piété au milieu du tumulte des affaires,
et parmi tant de sujets de dissipation qu'elle avait nécessairement
à la cour. Elle y réussit, comme on vient de le voir, par une
grande assiduité à tous ses exercices, par une exacte économie du
temps qu'il lui fallait pour y vaquer, et par la fuite des occasions
qui pouvaient le lui faire perdre. Pourquoi donc, dans des situa-
tions bien moins difficiles, les mêmes moyens ne réussiraient-ils
pas aux autres chrétiens, s'ils les employaient sagement, selon
leurs forces et le besoin des circonstances.
(3. — On raconte d'un saint religieux qu'étant tombé malade, son
supérieur, voyant que son état était désespéré, l'en avertit, et l'en-
gagea à se confesser comme pour mourir. Dieu soit béni ! répondit
le malade, il y a plus de trente ans que chaque fois que je me
confesse et que je communie, je le fais comme si je devais mourir
aussitôt après. Oh ! qu'il m'est doux, en ce moment, d'avoir
toujours agi ainsi.
FIN DE LA DEUXIÈME SÉRIE ET DU DEUXIÈME VOLUME.
TABLE DES MATIERES
DU TOME DEUXIÈME
Pages
Première Instruction: C'est un devoir pour nous d'appren-
dre ce qu'il nous faut faire pour nous sauver i
I. Parce que nous l'ignorons. — II. Parce qu'il est indis-
pensablement nécessaire que nous le sachions.
Deuxième Instruction : C'est un devoir pour nous de
connaître Dieu 23
I. Pourquoi nous devons connaître Dieu. — II. Ce que
nous devons savoir de Dieu.
Troisième Instruction : C'est un devoir pour nous d'honorer
Dieu 47
I. Pourquoi nous devons l'honorer. — II. Comment nous
devons l'honorer. — III. Quand nous devons l'honorer.
Qd vtrième Instruction : C'est un devoir pour nous de servir
Dieu 72
I. En quoi consiste le devoir de servir Dieu. — II. Motifs
qui nous obligent à servir Dieu. — III. De quelle manière
nous devons servir Dieu.
Cinquième Instruction : C'est un devoir pour nous d'aimer
Dieu 98
I. Pourquoi nous devons aimer Dieu. — II. Comment
nous devons aimer Dieu. — III. A quels signes nous
pouvons reconnaître si nous aimons Dieu.
Sixième Instruction : C'est un devoir pour les Parents de
pourvoir aux besoins de leurs Enfants 126
I. Etendue de ce devoir. — II. Son importance.
Septième Instruction : C'est un devoir pour les Enfants
d'honorer leurs Parents i55
I. En quoi consiste ce devoir. — II. Motifs de l'accomplir.
Huitième Instruction : C'est un devoir pour les Supérieurs
d'avoir soin de leurs Inférieurs i83
I. Certitude de ce devoir. — II. Manière de s'en acquitter.
— III. Culpabilité de ceux qui le violent.
Neuvième Instruction ; C'est un devoir pour les Inférieurs
54o TABLE DES MATIÈRES
Pages
de s'acquitter de leurs obligations envers leurs Supérieurs. 2 10
I. Quelles sont ces obligations. — II. Dans quel esprit il
faut les accomplir. — III. Combien les inférieurs doivent
estimer leur condition.
Dixième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
de remplir ses obligations civiques 23o
I. Obligations civiques de ceux qui gouvernent. — II. Obli-
gations civiques de ceux qui sont gouvernés.
Onzième Instruction : C'est un devoir pour chacun de nous
d'aimer notre prochain 268
I. Motifs de ce devoir. —II. Mesure de ce devoir. — III. Ce
qu'il faut faire pour s'en acquitter.
Douzième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
d'éviter toute impureté 3oi
1. Pour quelles raisons on doit éviter l'impureté. — II. Par
quels moyens on peut sûrement y parvenir.
Treizième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
de sanctifier les Dimanches et les Fêtes 33 1
I. Certitude de ce devoir. — II. Convenances de ce devoir.
— III. Futilité des raisons pour lesquelles on le viole.
— IV. Ce qu'il faut faire pour l'accomplir.
Quatorzième Instruction : C'est un devoir, pour tout chré-
tien de se confesser au moins une fois chaque année 365
I. Bases de ce devoir. — II. Motifs de ce devoir. — III. Con-
ditions pour s'en acquitter.
Quinzième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
de communier au moins à Pâques 392
I. Que ce devoir nous est imposé par Notre-Seigneur et par
son Église. — II. Qu'il nous est imposé pour notre plus
grand bien. — III. Qu'aucun prétexte ne peut nous en
dispenser.
Seizième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
d'observer les Jeûnes et les Abstinences de précepte 4 r5
I. Nécessité d'observer ces jeûnes et ces abstinences. —
II. Motifs de leur institution. — III. Comment on satis-
fait aux préceptes qui les commandent.
Dix-septième Instruction : C'est un devoir pour tout chré-
tien de combattre les ennemis de son salut 445
I. Quels sont ces ennemis. — II. Par quels moyens nous
devons les combattre. — III. De quelle manière.
DU TOME DEUXIÈME. O/Jl
Pages
Dix-huitième Instruction : C'est an devoir pour toul chré-
tien de sanctifier toutes ses actions 470
l. En quoi consiste I»1 devoir de sanctifier toutes ses actions.
— II. Pourquoi doit-on sanctifier toutes ses actions.
Dix-mi vu' mi Instruction: C'est un devoir pour tout chrétien
d'imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ Z49 1
I. Convenance de cette imitation. — II. ?séccssité de cette
imitation. — III. En quoi elle doit consister. —
IV. Mon eus de la réaliser.
Vingtième Instruction : C'est un devoir pour tout chrétien
de tendre à la perfection 5i3
I. Ce que c'est que la perfection chrétienne. — II. Motifs
d'y tendre. — Moyens d'en approcher.
I 1\ DE LA TABLE DES MATIERES DU TOME DEUXIEME.
Bergerac. — Imp. Générale du Sud-Ouest (J. Gastanët)
PLACE DES DEUX-CONILS
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Échéance
The Library
University of Ottawa
Dote due
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CRENETi P P U L ^
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