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Full text of "La somme du prédicateur sur le salut éternel : renfermant quatre-vingts instructions, divisées en quatre séries, accompagnées de notes et de plans"

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University  of  Toronto 


http://archive.org/details/lasommeduprdicat02haut 


UL.' 
LA 

Somme  du  Prédicateur 

R AU  IT  ETERNEL 

RENFERM  \\  I 

QUATRE-VINGTS  INSTRUCTIONS 

Divisées  eu  quatre  séries 
OMPAGNÈES    DE   NOTES   ET  DE  PLANS 

ET    SUIVIES  DE  TRAITS   HISTORIQUES 

pouvant  à  volonté  servir  pour  le  Carême,  pour  l'Avent, 

pour  les  Retraites  et  les  Missions 

et  en  générai  pour  tous  les  temps  et  toutes  les  circonstances 

par 

P,    GRENET.  dît  D'HAUTERIVE 

Chevalier  de  l'Ordre  insigne  de  Pie  IX 

Auteur  du  Grand  Catéchisme  de  la  Persévérance  chrétienne 

de  la  Somme  du  Prédicateur  pour  tout  le  cours  de  l'année  chrétienne 

des  Nouvelles  Méditations  pour  les  Religieuses  hospitalières  et  enseignantes 

Traducteur  des  Méditations  du  Vén.  P.  du  Pont,  de's  Œuvres  de  Raineri 


TOME    DEUXIEME 


DEUXIÈME    SÉRIE 


Les  G r a n d^^\r ol^s  du  Salut 

BIBLIOTHECA 

7EAU 

(Haute-Garonne) 

IBRAIRIE  J.  M    SOUBIRON,  ÉDITEUR 

Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés 


ht 

,  H  375 

1101 

v.  2 


LA 


Somme  du  Prédicateur 

SI  II 

LE   SALUT  ÉTERNEL 


DEUXIÈME   SÉRIE 

Les  Grands  Devoirs  du  Salut 


PREMIERE  INSTRUCTION 

(Pour  le  soir  du  Mercredi  des  Gendres) 

C'est  un  devoir  pour  nous  d'apprendre 
ce  qu'il  nous  faut  faire  pour  nous 
sauver. 

I.  Parce  que  nous   L'ignorons.  —  II.   Parce  qu'il  est  indispensablement 

nécessaire  que  nous  le  sachions. 

Vous  n'avez  certainement  pas  oublié,  chrétiens,  que  nous 
avons  consacré  le  précédent  Carême  à  l'étude  et  à  la  consi- 
dération des  \érilés  qui  se  rapportent  à  nos  quatre  lins 
dernières,  savoir,  la  mort,  le  jugement,  le  paradis  et 
L'enfer.  Vérités  lumineuses,  qui  niellent  dans  un  jour  égal, 
et  la  van i lé  des  choses  de  ce  monde,  et  la  réalité  des  choses 
de  L'éternité.  Vérités  terribles,  qui  non  seulement  épouvan- 
tent !<•>  pécheurs  les  plus  endurcis,  mais  qui  réveillent  aussi 
de  leur  Léthargie  les  indifférents,  et  secouent  même 
jusqu'aux  ûdèies,  Leur  inspirant  à  lous  la  pensée,  soit  de  se 
convertir,  soi!  de  mettre  la  main  à  L'ouvrage  de  leur  salut, 
soi!  d'y  travailler  avec  un  redouhleme.nl  de  zèle. 

Que  -i  La  considération   de  nos  iins  dernières  a  ettcclive- 

SOMME    DU   PRÉDICATEUR.   T.    II.  1^-Tl"  '**'' ^-^      I 

z*u      \SSST  IfeWersfig- 


2  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   I.   INSTRUCTION. 

ment  produit  en  nous  ces  effets,  selon  les  dispositions  de 
chacun,  c'est-à-dire,  si  elle  nous  a  inspiré  à  tous  le  sincère 
et  vif  désir  d'accomplir  notre  salut,  soit  en  quittant  le 
péché,  soit  en  sortant  de  notre  froide  indifférence,  soit  en 
ranimant  notre  ferveur,  la  première  chose  dont  nous  avons 
besoin  maintenant  pour  donner  suite  à  notre  bon  désir, 
c'est  de  savoir  ce  qu'il  faut  faire  pour  nous  sauver,  ou  en 
d'autres  termes  plus  précis,  c'est  de  connaître  nos  devoirs» 
les  devoirs  du  salut.  Car  ce  serait  en  vain  que  nous  aurions 
le  plus  ardent  désir  de  nous  sauver,  si  nous  ne  savions  pas 
ce  qu'il  faut  faire  pour  y  parvenir.  Supposons  un  homme 
égaré  loin  de  son  pays,  et  qui  veut  y  revenir  :  n'a-t-il  pas 
besoin  de  savoir  tout  d'abord  de  quel  côté  diriger  ses  pas  ? 
Ainsi  de  nous,  égarés  loin  de  notre  patrie  céleste,  lorsque 
nous  sommes  résolus  à  nous  y  rendre.  C'est  pourquoi  nous 
consacrerons  ce  Carême  à  nous  instruire  solidement  de  ce 
qu'il  faut  faire  pour  aller  au  ciel,  c'est-à-dire  des  grands  et 
essentiels  devoirs  du  salut.  Puisse  Dieu  nous  aider  dans  une 
aussi  importante  entreprise,  et  puissions-nous  y  apporter 
nous-mêmes  l'attention  suprêmement  sérieuse  qu'elle  mé- 
rite 1 

Or,  le  premier  grand  devoir  du  salut  qui  nous  incombe, 
c'est  précisément  d'apprendre  ce  qu'il  faut  que  nous  fassions 
pour  nous  sauver.  Et  il  faut  que  nous  l'apprenions  pour  ces 
deux  raisons,  d'abord,  parce  que  nous  l'ignorons,  et  ensuite 
parce  qu'il  est  indispensablement  nécessaire  que  nous  le 
sachions. 

I,  — C'est  un  devoir  d'apprendre  ce  que  nous  avons 
à  faire  pour  nous  sauver,  parce  que  nous  l'ignorons. 
^—  Oui,  la  chose  n'est  que  trop  visible  et  trop  certaine, 
l'immense  majorité  des  chrétiens  ne  connaissent  que  d'une 
manière  très  superficielle  cl  très  imparfaite  les  devoirs  du 
salut,  c'est-à-dire  ce  qu'il  faut  faire  pour  se  sauver.  Ils 
savent  bien  à  la  vérité,  plus  ou  moins  vaguement,  qu'il 
faut  prier  Dieu,  respecter  les  droits  du  prochain,  se  pré- 
server des  vices  grossiers,  faire  maigre  certains  jours,  se 
confesser  et  communier  à  Pâques,  mais  c'est  tout.  Quant 
aux  motifs  qui  forment  la  base  de  ces  prescriptions,  qui  en 


DEVOIR  D'APPRENDRE  CE  Ql    II.  FAI  T   FAIRE  POUR  SE  SAUVER.     .'> 

montre  ni  la  convenance,  L'utilité,  la  nécessité,  cl  qui  par 
suite  inclinent  irrésistiblement  toute  volonté  droite  à  les 
observer,  ils  Les  ignorent  absolument.  Et  ce  ne  sont  pas 
seulement  les  ouvriers  des  villes  et  des  champs,  absorbés 
par  Leurs  occupations  matérielles,  non  plus  que  les  indus- 
triels cl  les  commerçants,  qui  se  trouvent  dans  ce  cas  ;  ce 
sont  encore  ceux-là  mêmes  qui  ont  reçu  une  instruction 
plus  qu'ordinaire,  qui  passent  pour  éclairés  et  savants,  qui 
le  sont  peut  être  sur  beaucoup  de  points,  mais  non  pas 
assurément  sur  leurs  devoirs  religieux.  Qu'on  interroge  ces 
lettrés  et  ces  journalistes,  ces  fonctionnaires  de  toutes  nos 
grandes  administrations,  ces  instituteurs  et  ces  professeurs, 
ces  magistrats  et  ces  législateurs,  ces  hommes  et  ces  dames 
du  monde  dont  l'influence  et  le  crédit  sont  si  grands,  tous 
ceux  enfin  qui  occupent  les  carrières  libérales  et  forment  ce 
qu'on  appelle  les  classes  dirigeantes,  et  l'on  sera  confondu, 
le  plus  souvent,  de  leur  ignorance  au  sujet  des  devoirs  du 
salut.  Et  quand  nous  disons  qu'on  les  interroge,  cela  est 
bien  inutile  ;  car  toutes  les  fois  qu'ils  parlent  ou  écrivent 
sur  cette  capitale  question,  ils  font  assez  voir  d'eux-mêmes 
qu'ils  y  sont  étrangers.  D'une  manière  générale,  tous  les 
chrétiens  ignorent  donc,  plus  ou  moins,  ce  qu'il  faut 
exactement  faire  pour  se  sauver.  Il  n'en  faut  même  pas 
excepter  la  plupart  des  chrétiens  qui  s'appliquent  à  l'accom- 
plissement de  leurs  devoirs  ;  car  parfois  il  leur  arrive  à 
eux-mêmes  de  se  heurter  à  des  doutes,  et  de  ne  pas  savoir 
au  juste  ce  qu'ils  doivent  faire  dans  telle  circonstance  où  ils 
se  trouvent  (i). 

i.  Ignorantia  in  très  sp^cies  distinguitur  :  est  enim  primo  ignoranlia 
debilitatis, secundo  ignorantia  negligentiae,  el  tertio  ignorantia  malitiae. 
[gnorantia  debilitatis  est  illa,  cujus  omnes  homines  secundum  minus 
aut  magis  participes  sunt.  quamque'  miseri  tum  a  primi  parentis 
praevaricatione,  tum  a  nihili  nostri  tenebris,  ex  quo  extracti  sumus, 
haereditate  accepimus.  Haec  ignorantia  sine  culpa,  cl  tain  bonis,  qu  a  m 
malis  communis  est...  Altéra  ignorantia  est  negligentiae,  quand o 
homini  curae  non  est  in  rébus  illis  instrui,  quae  ad  benc  credendum, 
aut  bene  \  i  vendu  m  spectant.  El  ejusmodi  ignorantibus  plenus  est 
mundus...  Ignorantia  denique  malitiae  est,  quae  inconsiderantiae,  prae- 
cîpitantiae,  aut praeoccupatae  passionis  vel  mater  est,  vcl  filia,  cl  scien- 
tiain  illa  m,  quam  haurire  facile  possel  el  deberet.  de  industrie  reji- 
cit...  (Clai  -,  Spicil.   catech.,  in  fest.  I  S.  Pétri  et  Pauli,  n.  3). 

Combien  de  gens  d'esprit  dans  le  monde,  habiles,  éloquents,  polis  J 


4  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.  INSTRUCTION. 

Comment  en  serait-il  autrement,  c'est-à-dire,  comment 
les  chrétiens  n'ignoreraient-ils  pas  plus  ou  moins,  en  général, 
ce  qu'ils  doivent  faire  pour  se  sauver  ?  N 'est-il  pas  vrai 
qu'on  ne  sait  que  ce  qu'on  a  appris,  et  que  l'on  n'apprend 

combien  de  femmes  mondaines,  disertes,  spirituelles,  qui  n'ignorent 
aucune  bienséance,  cl  qui  ne  savent  pas  leur  religion  !  On  sait  le 
monde,  on  sait  mille  petites  bistoriettes,  on  sait  toutes  les  modes  et 
tous  les  jeux.  On  a  grand  soin  d'apprendre  cent  petits  exercices  propres 
d'un  homme  de  qualité  ;  et  cet  homme  de  qualité  si  habile  en  négo- 
ciations, si  savant  dans  toutes  les  langues,  qui  sait  si  bien  l'art  de  la 
guerre,  et  qui  passe  dans  le  monde  pour  un  si  galant  homme  ;  cette 
fille  ou  cette  femme  de  qualité  qui  sait  par  cœur  presque  tous  les 
romans  et  les  poésies  galantes  ;  cette  fille  qui  sait  jouer  en  perfection 
de  tous  les  instruments,  et  qui  brille  dans  toutes  les  compagnies  ;  ces 
personnes  si  habiles,  si  savantes,  si  bien  instruites  en  tout  le  reste, 
meurent  peut-être  dans  une  ignorance  grossière  des  plus  essentiels 
devoirs  de  leur  état...  Cependant  on  vit  tranquillement  dans  cette  per- 
nicieuse ignorance.  Quel  désespoir  et  quel  malheur  de  ne  devenir 
savant  qu'à  la  mort  !  (R.  P.  Croiset,  Réflexions,  etc.) 

Lorsqu'on  parle  des  plus  essentiels  devoirs  de  la  religion  en  leur 
présence,  vous  les  voyez  étonnés,  comme  s'ils  n'avaient  pas  été  élevés 
dans  l'Église,  et  que  ce  fussent  des  gens  venus  de  quelque  lieu  où  ils 
n'eussent  jamais  ouï  parler  de  l'Evangile.  Si  on  leur  dit,  par  exemple, 
que  nous  sommes  tous  condamnés  à  mener  une  vie  pénitente  et  labo- 
rieuse, qu'on  ne  peut  être  sauvé  sans  suivre  Jésus-Christ,  et  qu'on  ne  le 
peut  suivre  qu'en  portant  sa  croix  tous  les  jours  de  sa  vie  ;  si  on  leur  dit 
que  Dieu  n'écoute  que  les  gémissements  du  cœur,  et  que  tout  ce 
remuement  des  lèvres,  sans  attention,  ne  peut  être  regardé  de  Dieu 
qu'avec  mépris  et  avec  indignation  ;  si  on  leur  dit  qu'il  ne  faut  former 
aucun  dessein  ambitieux  pour  s'élever,  et  toutes  les  autres  vérités  de 
notre  religion,  s'aperçoit-on  qu'ils  comprennent  ce  langage  ?  Nulle- 
ment (Auteur  anonyme). 

Connaissez-vous  beaucoup  de  personnes  pieuses  qui  étudient  sérieuse- 
ment les  voies  spirituelles,  qui  s'y  appliquent  et  qui  sachent  apprécier 
l'importance  d'une  pareille  étude  ?  Mille  sources  d'instruction  leur  sont 
ouvertes.  Elles  ont  entre  leurs  mains  des  livres  de  spiritualité  bien 
capables  de  leur  donner  de  grandes  lumières  :  elles  ne  les  lisent  point. 
Elles  entendent  la  parole  de  Dieu  :  en  profitent-elles?  Mille  pensées 
humaines  les  obsèdent  au  pied  de  la  chaire  de  vérité,  ou  bien  leur  esprit 
ne  fonctionne  point  et  ne  se  donne  pas  la  peine  de  recueillir  ces  pré- 
cieux enseignements.  Elles  n'étudient  pas,  parce  qu'elles  suivent  la  voie 
trompeuse  des  sentiments.  Ces  âmes  ne  savent  pas  que  le  cœur  est  une 
puissance  aveugle,  et  que  l'entendement  doit  tenir  le  flambeau  devant 
lui  pour  le  diriger.  De  là  des  bizarreries  dans  la  dévotion,  des  sacre- 
ments mal  reçus,  des  vertus  mal  pratiquées  (Autre  anonyme). 

Faut-il  dire  qu'au-dessus  cl  au-dessous  (des  écrivains,  des  historiens, 
des  philosophes,  des  mathématiciens,  etc.)  s'agite  un  peuple  immense 
de  giands  industriels  qui  possèdent  à  merveille  le  secret  de  fonder  de 
vastes  usines,  d'immenses  exploitations, et  qui  ne  savent  pas  si,  comme 


DEVOIR   D  APPRENDRE  CE  QU  IL  FAUT  FAIRE  I'Oih  SF  SAUVER.     -> 

qu'en  proportion  du  temps  qu'on  >  consacre  el  de  L'atten- 
tion qu'on  y  apporte  ?  Pour  apprendre  les  premiers  élé- 
ments dos  sciences  humaines,  la  lecture,  l'écriture,  le 
calcul,  un  peu  d'histoire  el  de  géographie,  on  ne  pense  pas 
qu'il  faille  aux  enfants  moins  de  six  ou  sept  ans.  Plusieurs 
années  sont  également  exigées  pour  L'apprentissage  du 
moindre  métier.  Quanl  aux  connaissances  nécessaires  à  un 
médecin,  à  un  avocat,  à  un  juge,  à  un  officier,  à  un  ingé- 
nieur, on  consacre  à  les  acquérir  non-seulement  loulc  sa 
jeunesse,  niais  on  continue  d'étudier  avec  opiniâtreté  dans 
ce  bul  toute  sa  vie.  El  bien  loin  que  des  Labeurs  si  prolon- 
gés passenl  pour  inutiles  ou  superflus,  on  reconnaît  et  on 
proclame  au  contraire  qu'ils  ne  sont  pas  encore  suffisants, 
puisqu'il  reste  toujours  beaucoup  de  choses  qu'on  aurait 
intérêt  à  savoir  et  qu'on  ignore.  Ce  qu'il  faut  dire  aussi 
même  des  métiers  les  plus  vulgaires  dont  nous  parlions 
tout  à  l'heure,  et  au  sujet  desquels  il  y  a  également  toujours 
à  apprendre,  quelle  que  soitla  longueur  du  temps  qu'onlcs 
ait  exercés,  et  quelqu'application  qu'on  y  ait  apportée  (i). 
Eh  bien,  s'il  en  est  ainsi,  si  l'on  ne  sait  que  ce  qu'on  a 
appris,  et  en  proportion  de  ce  qu'on  l'a  appris,  si  l'on  ne 
connaît  les  arts  et  les  métiers  qu'autant  qu'on  les  a  étudiés, 
pareillement  nous  ne  pouvons  connaître  les  devoirs  du  salut 
que  si  nous  les  avons  appris,  et  qu'autant  que  nous  les  avons 
étudiés.  Or,  personne  n'entreprendra  de  contester  ceci, 
savoir,  qu'en  général  nous  n'apprenons    pas   ce    que  nous 

catholiques,  ils  ont  un  seul  devoir  à  remplir  à  l'égard  de  leur  àme  ?  Ne 
vont-ils  pas  jusqu'à  s'imaginer  qu'ils  ont,  clans  une  certaine  mesure,  le 
droit  de  faire  ou  de  remanier  la  inorale  ?  Et  ne  les  voit-on  pas,  vis-à-\is 
des  ouvriers  qu'ils  emploient,  suivre  de  tout  autres  règles  de  justice  ou 
d'humanité  que  celles  que  la  conscience  et  l'Eglise  leur  enseignent  ? 
Mgr  Plantier,  In^lr.  paftor.  pour  le  Car.  de  i8(b,  n.  5). 

i.  0  Dieu  !  quel  renversement  de  notre  raison  !  nous  étudions  avec 
tant  d'ardeur  les  mouvements  des  cieux,  les  secrets  de  la  nature,  les 
autres  sciences  humaines,  et  nous  né  voudrions  pas  avoir  donné  la 
moindre  application  de  notre  esprit  à  la  considération  de  nos  devoirs. 
Et  cependant  les  autres  sciences  sonl  inutiles  à  noire  salut.  Malheureux 
est  l'homme,  ô  mon  Sauveur,  s'écrie  saint  Augustin,  qui  connaît 
toutes  ces  choses,  si  avec  tontes  ces  lumières  il  ne  vous  connaît  pas  : 
Jnfelix  homo,  qui  scit  illa  omnia,  te  aalem  nescit  !  (Biroat, Sermons  p.fAv. 
2.  serm.). 


O  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.  INSTRUCTION. 

devons  faire  pour  nous  sauver,  du  moins  nous  n'en  acqué- 
rons pas  une  connaissance  suffisante.  Nous  n'y  consacrons 
ni  assez  de  temps,  ni  assez  d'application.  À  peine  les 
enfants  assistent-ils  au  catéchisme  une  heure  par  semaine 
pendant  deux  ans  avant  leur  Première  Communion.  Je  dis  à 
peine,  car  combien  d'entre  eux  qui  n'y  viennent  que  très 
irrégulièrement  !  Mais  y  fussent-ils  tous  très  assidus,  n'étant 
que  des  enfants,  ils  ne  pourraient  quand  même  acquérir, 
des  devoirs  du  salut,  qu'une  connaissance  nécessairement 
fort  superficielle.  L'Église  cependant  les  admet,  par  con- 
descendance, à  la  participation  de  ses  sacrés  mystères,  parce 
qu'elle  espère  les  voir  revenir  autour  de  la  chaire  de  vérité 
pour  compléter  leur  instruction  religieuse.  Mais  après  avoir 
fait  leur  Première  Communion,  bien  moins  encore,  pour  la 
plupart,  viennent-ils  entendre  les  prédications  de  leur  pas- 
teur, qu'ils  n'allaient  entendre  les  explications  du  catéchisme. 
Que  l'on  considère,  en  effet,  nos  auditoires  paroissiaux,  et 
que  l'on  fasse  le  compte  des  jeunes  gens  et  même  des  jeunes 
filles  qui  viennent  y  prendre  place.  Hélas  !  qu'ils  sont 
rares  !  La  grande  majorité  de  ces  pauvres  enfants  reste  donc, 
tout  le  reste  de  leur  vie,  avec  le  petit  bagage  de  leur  Pre- 
mière Communion.  Or,-  ce  petit  bagage,  qui  ne  leur  était 
alors,  nous  l'avons  dit,  que  bien  faiblement  suffisant,  ne 
leur  suffit  plus  du  tout  lorsqu'ils  grandissent,  et  que  leurs 
devoirs  deviennent  plus  nombreux.  Que  de  choses  en  effet 
il  eût  été  inutile  de  leur  dire  alors,  que  de  choses  même  il 
eût  été  mauvais  de  leur  apprendre,  et  qu'ils  ont  besoin  de 
savoir  plus  tard  !  On  apprend  aux  enfants  les  devoirs  des 
enfants,  et  non  pas  les  devoirs  des  jeunes  gens  et  des  jeunes 
filles,  et  non  pas  les  devoirs  des  hommes  et  des  femmes.  Or 
si  les  enfants,  lorsqu'ils  grandissent,  lorsqu'ils  deviennent 
des  jeunes  gens  et  des  jeunes  filles,  des  hommes  et  des  fem- 
mes, des  pères  et  des  mères  de  familles,  ne  viennent  pas 
apprendre  leurs  nouveaux  devoirs,  comment  les  connaî- 
traient-ils ?  Car  il  n'y  a  que  l'Église  qui  puisse  les  leur  ensei- 
gner, puisque  c'est  à  ses  ministres  que  Notre  Seigneur  a  dit  : 
Allez,  enseignez  toutes  les  nations...,  leur  apprenant  à  observer 
toutes  les  choses  que  je  vous  ai  prescrites  (i).  Observer  les 
i.  Matth.  xxvm,  19,  20. 


DEVOIB   D'APPRENDRE  CE  OU'lL  FAUT  FAIRE  POUR   SE  SAUVER.     7 

choses  prescrites  par  Notre-Seigneur,  c'est  là  justement, 
remarquons-le  bien,  accomplir  les  devoirs  du  salut.  Or, 
encore  une  lois,  la  plupart  des  chrétiens  ne  connaissent  pas 
et  ne  peuvenl  pas  connaître  ecs  devoirs,  parce  qu'ils  ne  les 
ont  jamais  appris,  au  moins  suffisamment  (1). 

Mais  on  n'ignore  pas  mu»  chose  seulement  parce  qu'on  ne 
Ta  pas  apprise,  on  l'ignore  pareillement  lorsqu'on  l'a  oubliée. 
Qu'on  n'ait  jamais  su  une  chose,  ou  qu'on  l'ait  oubliée, 
L'ignorance  où  l'on  se  trouve  à  son  égard  est  tout  à  fait  sem- 
blable. Proposez,  je  suppose,  une  opération  d'arithmétique 
à  une  personne  qui  n'a  jamais  su  la  faire,  et  à  une  personne 
qui,  l'ayant  sue,  l'a  oubliée  ;  cette  dernière  ne  pourra  pas 
mieux  s'en  tirer  que  la  première.  Or,  tout  ce  qu'on  a  appris 
s'oublie,  si  l'on  n'a  pas  soin  de  s'en  rafraîchir  de  temps  en 
temps  la  mémoire.  L'histoire  s'oublie,  la  géographie  s'oublie, 
la  géométrie,  l'algèbre,  la  physique,  la  chimie  et  toutes  les 
sciences  s'oublient.  Qui  pourrait,  six  mois  seulement  après 
avoir  passé  brillamment  un  examen,  en  subir  de  nouveau 
les  épreuves  avec  le  même  succès  ?  Eh  bien,  il  en  est  ainsi 
de  la  connaissance  de  nos  devoirs  religieux.  Alors  même  que 
nous  aurions,  à  un  moment  donné,  possédé  cette  connais- 
sance d'une  manière  parfaite,  bientôt  elle  s'effacerait  de  plus 

1.  La  véritable  cause  de  l'ignorance  des  hommes  à  l'égard  des  choses 
de  Dieu  et  de  leur  salut,  c'est  que  la  plupart  n'appliquent  leur  esprit 
qu'à  ce  qui  leur  importe  le  moins.  Si  l'on  parle  des  affaires  du  monde, 
ils  écoutent  avec  beaucoup  d'attention,  et  ils  ne  s'engagent  pas  aisément 
dans  un  parti,  qu'ils  n'aient  examiné  auparavant,  s'ils  y  trouveront  leur 
intérêl  :  mais  pour  ce  qui  regarde  leur  salut,  leur  àmc,  leur  conscience, 
ils  -'■  contentent  d'une  simple  vue,  sans  s'y  arrêter,  sans  examiner  les 
choses  à  fond.  Or,  peut-on  bien  juger  d'une  chose,  ou  la  bien  connaître, 
sans  l'avoir  bien  considérée  ?  peut-on  comprendre  tous  les  secrets  d'un 
art  ou  (l'une  science,  sans  l'avoir  étudiée  avec  soin  ?  peut-on  bien  connaî- 
tre l'excellence  d'une  peinture,  en  la  regardant  en  passant,  sans  dessein, 
et  sans  examiner  si  les  proportions  et  les  attitudes  y  sont  bien  observées  '} 
peut-on  juger  d'un  bâtiment  par  la  seule  apparence  extérieure,  sans 
entrer  dedans,  et  voir  si  les  appartements  y  sont  bien  ménagés,  et  si 
dans  le  dessin,  il  n'y  a  rien  contre  les  règles  de  l'art  P  Gomment  donc 

se  peut-il  l'aire,  qu'un  homme  qui  emploie  tous  ses  soins  à  l'établisse 
nient  d'une  eliélive   fortune,  à   passer  le  temps  en  jeux,  en  festins,  et  en 

d'autres  divertissements,  conçoive  des  choses  sublimes,  Importantes  et 

surnaturelles,  en  ne  s')  appliquant  que  fort  légèrement,  et  pour  ainsi 
dire  par  manière  d'acquit  ?  (R.  I».  IHm;al,  Serin,  pour  le  IV  d'un.  apr. 
Pannes), 


O  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   I.  INSTRUCTION. 

en  plus  de  noire  esprit,  si  nous  n'avions  pas  soin  de  l'y 
entretenir.  Les  prêtres  eux-mêmes,  qui  pourtant  ont  fait, 
des  devoirs  du  salut,  une  étude  approfondie  et  prolongée, 
ont  besoin,  pour  ne  pas  les  oublier,  de  continuer  à  les  étu- 
dier encore  sans  cesse.  À  plus  forte  raison  les  simples  fidèles, 
qui  n'ont  jamais  très  bien  connu  ces  devoirs,  les  oublient-ils 
promptement,  lorsqu'il  leur  arrive  de  ne  plus  venir  assidû- 
ment à  l'église  pour  en  entendre  l'explication  !  Et  combien 
de  chrétiens  qui  sont  dans  ce  cas,  c'est-à-dire,  qui  ne  vien- 
nent que  rarement  à  l'église  pour  entretenir  les  connais- 
sances religieuses  qu'ils  ont  acquises  !  combien,  par  consé- 
quent, qui  ignorent  les  grands  devoirs  du  salut,  non  parce 
qu'ils  ne  les  ont  jamais  sus,  mais  parce  qu'après  les  avoir 
sus,  ils  les  ont  oubliés  î 

La  plupart  des  chrétiens  ignorent  les  grands  devoirs  du 
salut  enfin  et  surtout  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  les  connaî- 
tre. C'est  ici  en  effet  la  principale  cause  de  leur  ignorance. 
S'il  ne  s'agissait  que  de  les  apprendre,  ils  les  sauraient,  car 
ils  apprennent  des  choses  beaucoup  plus  difficiles.  Et  pareil- 
lement, s'il  ne  s'agissait  que  de  ne  pas  oublier,  ils  les  retien- 
draient, car  ils  retiennent  également  des  choses  beaucoup 
plus  difficiles.  Mais  encore  une  fois,  la  grande  raison  pour 
laquelle  la  plupart  des  chrétiens  ne  connaissent  pas  les 
devoirs  du  salut,  c'est  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  les  con- 
naître. Et  pourquoi  ces  chrétiens  ne  veulent-ils  pas  connaî- 
tre les  grands  devoirs  du  salut?  Ils  ne  veulent  pas  les  con- 
naître, parce  qu'ils  ne  veulent  pas  s'en  acquitter.  Ils  ont 
conscience  que,  s'ils  étaient  instruits  de  leurs  devoirs,  il 
leur  serait  très  difficile  de  ne  pas  les  accomplir.  Comment, 
en  effet,  être  absolument  convaincu  d'une  chose,  et  agir 
contrairement  à  cette  conviction  ?  Comment,  par  exemple, 
être  irrésistiblement  convaincu  que  c'est  un  devoir  rigou- 
reux d'obéir  à  Dieu,  et  malgré  cela  ne  pas  observer  ses 
commandements  ?  La  conviction  qu'il  faut  obéir  à  Dieu 
n'est-elle  pas,  dans  ce  cas,  pénible  et  gênante  ?  Cette  con- 
viction n'est-clle  pas,  pour  les  actions  défendues  qu'on  veut 
pourtant  faire,  une  entrave  toujours  subsistante,  et  pour 
les  actions  faites  quand  même  dans  ces  conditions,  un 
reproche   et  un  remords  ?  Voilà    pourquoi   les  nombreux 


DBVOIR  D'APPRENDRE  CE  Ql  'il-  FAUT  FAIRE  POUB   SE  SAUVER.     9 


chrétiens  donl  nous  parlons,  no  voulant  pas  être  gênés  dans 
leurs  actions,  évitenl  de4  se  convaincre  des  devoirs  du  salut- 
Voilà  pourquoi  non  seulemenl  ils  ne  Font  rien  pour  s'en 
instruire,  mais  encore  détournent  leur  attention  de  ce  qu'ils 
en  ont  appris,  afin  de  l'oublier,  ce  a  quoi  ils  ne  réussissent 
que  trop.  Et  voila  surtout  pourquoi,  encore  une  lois,  ils 
ignorent  les  grands  devoirs  du  salut,  savoir,  parce  qu'ils- ne 
veulent  pas  les  connaître  (r). 

i.  Bien  des  gens  vivent  dans  une  crasse  ignorance  de  leur  religion 
par  amour  propre  et  par  libertinage  ;  car  on  est  bien  aise  d'ignorer 
son  devoir  quand  on  n'aime  pas  ce  qu'on  est  obligé  de  faire.  Quel  état 
pins  à  craindre,  et  quel  étal  moins  appréhendé  !  Qui  maie  agit,  odit 
lucem,  Joan.  ni,  dit  le  Sauveur  du  inonde.  Quiconque  fait  le  mal,  hait 
la  lumière,  el  ne  vient  point  à  la  lumière,  de  peur  qu'il  ne  découvre 
lui-même  le  mal  qu'il  fait.  Nous  vivons  dans  un  siècle  où  l'ignorance 
est  plutôt  un  vice  de  la  volonté,  qu'un  défaut  de  l'esprit.  On  fuit  l'instruc- 
tion, quand  on  ne  veut  pas  la  réformede  ses  mœurs.  Omissions  dedevoirs, 
dispenses  des  plus  saintes  lois  sans  aucun  droit,  sans  titre,  contrats  illé- 
gitimes, prêts  usuraires,  systèmes  de  conscience  faits  à  plaisir  :  tout  est 
justifié,  tout  passe  à  la  faveur  de  ces  ténèbres  volontaires,  que  la  cor- 
ruption du  cœur  fait  naître,  et  que  l'amour  propre  nourrit.  Gomme 
l'ignorance  est  un  état  paisible,  et  qui  ne  coûte  aucune  peine,  et  qui 
d'ailleurs  laisse  l'amour  propre  et  toutes  les  passions  en  paix,  elle  a  tou- 
jours un  nombreux  parti.  Mais  une  ignorance  si  criminelle  sera-t-elle 
un  titre  contre  les  lois  de  l'Évangile?  Vous  ignorez  vos  devoirs:  mais 
n'en  était-ce  pas  un  pour  vous  de  les  apprendre?  On  ne  manque  dans 
Israël,  ni  de  docteurs,  ni  de  prophètes;  mais  on  manque  de  bonne 
volonté  (R.  P.  Croiset,  Réflexions,  etc.) 

il  faut  faire  voir  par  une  induction  sensible:  i<>  le  mal  que  l'igno- 
rance cause  à  celui  qui  néglige  de  s'instruire  des  devoirs  de  sa  religion 
et  de  son  état.  2°  Ce  qu'elle  cause  au  public.  3°  Les  désordres  qu'elle 
met  dans  les  familles  (Houdry,  loc.  cit.  n.  i). 

La  religion  m'enseigne  des  choses  qui  me  gêneraient,  et  j'aime  autant 
ne  pas  les  savoir.  —  Ce  raisonnement,  qu'on  ne  formule  pas  toujours 
aussi  nettement,  mais  qu'on  fait  au  dedans  de  son  cœur,  n'est  pas  digne 
d'un  homme  raisonnable.  Tout  n'est  pas  fini  parce  qu'on  a  détourné  la 
tète,  el  qu'en  s'est  bouché  les  oreilles  pour  ne  pas  entendre  les  ensei- 
gnements  de  Dieu.  C'est  imiter  ces  oiseaux  du  désert  qui  se  cachent  la 
tète  dans  1rs  broussailles  lorsqu'ils  sont  serrés  de  près  par  les  chasseurs, 
et  qui  s'imaginent  être  en  sûreté  parce  qu'ils  ne  voient  pas  le  péril. 
Pauvre  .uni.  vous  serez  pris  par  le  divin  chasseur,  à  la  puissance  de 
qui  nul  ne  peut  échapper;  -i,  en  ce  monde,  vous  échappez  à  la  pour- 
suite deson  amour,  dans  l'éternité  vous  tomberez  infailliblement  sous 
le  coup  de  sa  justice.  Ne  vaut-il  pas  mieux  aller  à  lui  de  bon  cœur,  et 
mériter  par  cette  fidélité  ses  éternelles  récompenses?  —  Si  le  service  de 
Dieu  vous  pèse  parfois,  souvenez-vous  du  paradis  et  de  l'enfer,  que  la 
foi  nous  enseigne  d'une  manière  si  positive.  Souvenez-vous  du  paradis, 
qu'il  faut   gagnera  tout  prix,  de  l'enfer   qu'à  tout  prix  il  faut  éviter. 


10  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  I.  INSTRUCTION. 

Ainsi,  que  ce  soit,  pour  les  uns,  parce  qu'ils  n'ont  pas 
assez  étudié  la  religion,  pour  les  autres,  parce  qu'ils  l'ont 
oubliée,  pour  d'autres  encore,  parce  qu'ils  ne  veulent  pas 
la  connaître,  toujours  est-il  que  nous  ne  savons  pas  bien,  que 
nous  ne  savons  pas  assez,  en  général,  ce  que  nous  devons 
faire  pour  nous  sauver.  Et  telle  est,  avons-nous  dit,  la 
première  raison  pour  laquelle  nous  devons  l'apprendre  (i). 
Mais  il  en  est  une  seconde,  conséquence  de  cette  première, 
et  qui  est  bien  autrement  grave  et  décisive.  Cette  seconde 
raison,  nous  l'avons  également  énoncée,  en  disant  que  c'est 
un  devoir  pour  nous  d'étudier  ce  qu'il  faut  faire  pour  nous 

Lequel  est  préférable  :  se  gêner  un  peu  et  être  heureux  pour  toujours, 
ou  bien  se  laisser  aller  pour  un  moment  à  ses  caprices,  et  être  malheu- 
reux sans  remède  et  sans  fin  ?  —  Et  puis,  est-il  vrai  que  la  religion  soit 
si  pénible  ?  Si  elle  impose  quelques  sacrifices,  n'ofïïe-t-elle  pas  en 
échange  des  consolations,  des  joies,  une  paix,  une  force,  un  pur  bon- 
heur mille  fois  préférables  à  tout  ce  que  peuvent  nous  donner  nos  capri- 
ces et  nos  passions  satisfaites  ?  Il  n'est  rien  de  si  vraiment  heureux  qu'un 
bon  chrétien,  ou,  pour  mieux  dire,  il  n'y  a  que  lui  seul  qui  connaisse 
le  bonheur  véritable  (Mgr  de  Ségur,  Instr.  fam.  i  p.  en.  i). 

i.  Premier  point.  Jamais  les  hommes  ne  furent  plus  éclairés  qu'ils  le 
sont  dans  ce  siècle,  où  les  ténèbres  du  paganisme  sont  bannies  presque 
de  tout  le  monde  ;  où  l'on  peut  profiter  des  lumières  et  des  connaissances 
de  tous  les  siècles  ;  où  jamais  il  n'y  eut  plus  de  prédicateurs  et  plus  zélés  et 
plus  savants,  ni  de  docteurs  plus  habiles  en  toutes  sortes  de  sciences; 
où  l'on  a  pénétré  dans  tous  les  secrets  de  la  morale,  et  aplani  toutes  les 
difficultés  de  la  théologie  :  et  cependant  jamais  l'erreur  et  l'ignorance 
des  hommes  ne  fut  plus  grande  dans  la  pratique  des  vérités  chrétien- 
nes. —  Deuxième  point.  Il  faut  faire  voir  les  conséquences  qui  suivent 
naturellement  d'une  vérité  si  reconnue.  La  première  :  que  les  chrétiens 
sont  plus  coupables  et  plus  inexcusables  que  les  païens  mêmes,  puis- 
qu'ils ne  se  servent  point  des  lumières  dont  ils  sont  environnés,  pour  la 
conduite  de  leur  vie  ;  qu'ils  y  ferment  les  yeux,  pour  demeurer  dans 
une  ignorance  volontaire  de  leurs  devoirs.  Il  s'ensuit  en  second  lieu, 
qu'ils  seront  plus  punis  en  cette  vie,  par  un  aveuglement  entier,  qui  est 
le  plus  terrible  châtiment  de  la  justice  de  Dieu  ;  et  en  l'autre,  par  de 
plus  griefs  supplices,  après  avoir  ouvert  les  yeux,  et  reconnu  l'erreur  et 
l'ignorance  dans  laquelle  ils  ont  vécu  :  Ergo  erravimus,  et  sol  inlelligen- 
tise  non  luxit  nobis.  Sap.  v  (Houdry,  Biblioih.  des  Prédic.  voc.  Ignorance, 
§.  i.  n.  6). 

Premier  point.  L'ignorance  de  nos  devoirs  en  matière  de  mœurs  et  de 
religion,  nous  prive  de  tous  les  avantages  qui  ont  été  promis  en  la  loi 
de  grâce,  des  lumières  de  la  foi,  des  dons  du  Saint-Esprit  et  de  tous  les 
biens  surnaturels.  —  Deuxième  point.  Elle  nous  attire  tous  les  maux, 
quo  nous  avons  le  plus  sujet  d'appréhender  :  le  déshonneur,  les  cha- 
grins, et  les  déplaisirs  de  cette  vie;  et  enfin,  toutes  les  peines  et  tous 
les  supplices  do  1  autre  (Id.  ibid,  n.  7), 


DEVOIH  1)  APPRENDRE  CE  (H    IL  FAUT  FAIRE  POUR  SE  SAUVER.    II 

Sauver,   non  seulemenl   parce  (|uc  nous   l'ignorons,    mais 
encore, 

11.  —  Parce  qu'il  est  indispensablement  nécessaire 
que  nous  le  sachions. —  Ce  n'est  pas  précisément,  en  effet, 
parce  (pie  nous  ignorons  une  chose,  qu'il  y  a  obligation 
pour  nous  de  l'apprendre.  Si  c'était  pour  chacun  de  nous  un 
devoir  d'apprendre  et  de  savoir  tout  ce  que  nous  ignorons, 
personne  ne  pourrait  s'acquitter  de  ce  devoir,  parce  qu'il 
n'y  a  personne  qui  puisse  apprendre  et  savoir  toutes  les 
connaissances  accessibles  à  l'esprit  humain.  Et  c'est  parce 
que  personne  ne  peut  posséder  à  lui  tout  seul  toutes  ces 
connaissances,  qu'il  n'y  a  obligation  pour  personne  de  les 
savoir.  On  ne  peut  pas  être  tenu  à  l'impossible,  qu'il  s'agisse 
de  choses  à  savoir  ou  de  choses  à  faire.  D'où  il  suit  qu'il  y  a 
des  choses  qu'on  n'est  pas  ohligé  de  savoir.  Et  il  y  en  a 
heaucoup.  On  n'est  pas  tenu  de  savoir,  en  particulier,  les 
choses  dont  l'ignorance  n'a  pour  nous,  non  plus  que  pour 
les  autres,  aucun  inconvénient.  Par  exemple,  un  laboureur 
n'est  nullement  tenu  de  connaître  les  formules  de  l'algèbre 
et  les  théorèmes  de  la  géométrie.  De  même,  il  n'y  a  aucune 
obligation  pour  un  astronome  de  posséder  l'art  de  semer  le 
blé  et  de  greffer  les  arbres.  D'une  manière  générale,  les 
connaissances  purement  humaines  ne  sont  obligatoires  que 
quand  leur  ignorance  serait  nuisible  au  prochain.  Par 
exemple  encore,  un  médecin  est  tenu  de  connaître  la  méde- 
cine, et  un  avocat  les  lois,  parce  que,  s'ils  les  ignoraient,  ils 
nuiraient  à  ceux  qui  recourraient  à  eux,  en  leur  donnant 
tics  remèdes  contraires  à  leurs  maladies,  ou  des  avis  contrai- 
res à  leurs  intérêts.  En  dehors  de  cette  règle,  on  peut  igno- 
rer toutes  les  sciences  humaines,  il  n'y  a  obligation  d'en 
connaître  aucune,  parce  qu  aucune  n'est  vraiment  indis- 
pensable (i).  Ainsi,    il    n'est  nullement  indispensable   que, 

i.  Premier  point.  Il  y  a  une  ignorance  qui  n'est  ni  coupable  ni  blâ- 
mable :  c'est  celle  des  choses  qu'on  n'est  nullement  obligé  de  savoir, 
comme  étant  éloignées  de  notre  état  et  de  notre  profession.  Sur  quoi 
l'on  peut  s'étendre  sur  l'inutilité  de  plusieurs  sciences,  qui  ne  servent 
(]<•  rien  à  nous  rendre  plus  gens  de  bien.  —  Deuxième  point.  ï\  y  a  dos 
choses  qn*il  esi  mille  fois  plus  expédienl  d'ignorer,  qui  ne  servent  qu'a 
entretenir  notre  curiosité  et  à  nous  détourner  de  nos  devoirs.  —  Troisième 


12  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  I.  INSTRUCTION. 

pour  moi-même,  je  connaisse  les  lois  et  la  médecine.  Que  si, 
Taule  de  connaître  Les  lois,  je  perds  un  procès  et  me  ruine, 
j'en  serai  quitte  pour  vivre  dans  la  pauvreté,  pendant  le  peu 
de  temps  qui  me  reste  à  passer  sur  la  terre.  Et  si.  faute  de 
savoir  soigner  ma  santé,  je  tombe  malade,  j'en  serai  quitte 
pour  endurer  quelques  souffrances  plus  ou  moins  vives  et 
plus  ou  moins  prolongées.  Or,  perdre  ses  biens,  perdre  sa 
santé,  et  toutes  autres  pertes  semblables,  ne  sont  vraiment 
pas  pour  nous,  bien  que  choses  graves,  des  choses  capitales 
et  essentielles.  Car  ces  pertes,  il  faut  que  nous  les  fassions, 
un  peu  plus  tôt,  un  peu  plus  tard.  Et  comparés  à  l'éternité, 
qu'est-ce  que  dix  ans,  vingt  ans,  cinquante  ans  de  richesse, 
de  santé,  ou  de  satisfactions!  de  gloriole?  Quel  est  l'homme 
vraiment  sensé,  lorsqu'il  descend  au  fond  de  lui-même,  qui 
n'est  pas  prêt  à  répéter  cette  parole  du  roi  Salomon  (i),  que 
toutes  ces  choses  sont  vanité  et  affliction  d'esprit  ? 

Mais  la  question  change  radicalement,  lorsqu'il  s'agit  du 
salut.  Il  n'en  est  pas  du  salut,  en  effet,  comme  des  biens  et 
des  avantages  de  ce  monde.  Ces  biens  et  ces  avantages, 
nous  venons  de  le  dire,  sont  essentiellement  fragiles  et  tran- 
sitoires, et  leur  absence  n'exclut  pas  nécessairement  le  bon- 
heur. H  y  a  des  pauvres  qui  sont  plus  gais  que  des  riches, 
et  des  serviteurs  plus  heureux  que  des  potentats.  Au  con- 
traire, le  salut  constitue  à  lui  seul  l'unique  bien  capable  de 
nous  rendre  heureux.  Notre  salut  est-il  fait?  sans  aucun  au- 
tre bien,  notre  bonheur  est  complet.  Notre  salut  est-il  man- 
qué? eussions-nous  tous  les  autres  biens,  ils  ne  pourraient 
amoindrir  en  rien  notre  malheur.  Le  pauvre  Lazare  dans  le 
ciel,  et  le  mauvais  riche  dans  l'enfer,  nous  en  présentent 
deux  exemples  irréfutables.  Lazare,  tout  indigent  qu'il  est, 
nage  dans  la  joie,  parce]  que  son  salut  est  fait;  le  mauvais 
riche,  au  contraire,  malgré  ses  trésors,  est  plongé  dans  l'a- 
bîme de  toutes  ses  douleurs,  parce  que  son  salut  est  manqué. 

Ce  n'est  pas  tout.  Non  seulement  le  salut  manqué  est  un 
malheur  universel,  qui  ne  laisse  aucun  bien  ;   mais  c'est  de 

point.  Il  y  a  une  ignorance  criminelle,  qui  est  celle  des  choses  que  nous 
sommes  obligés  de  savoir  pour  remplir  les  devoirs  de  notre  profession 
(Houduy,  loc.  cit.  n.  8). 

i.  Eccl.  ii,  ï-26. 


DEVOIR  D'APPRENDRE  CE  Ql  'n.  l'Ai  T  r  wm:  poï  K  si:  s  v(  \  ER 


plus  un  malheur  éternel,  à  jamais  irréparable.  Quelqu'un 
vient  il  à  perdre  les  biens  temporels  qu'il  possédait P  il  né 
lui  est  jamais  impossible  de  les  recou\  rer,  el  tout  au  moins 
il  peut  l'espérer.  Que  de  gens  ruinés  ne  voit-on  pas  rccon- 
quérir l'aisance  !  que  de  malades  ne  voit  ou  pas  redevenir 
bien  portants  !  Mais  si  quelqu'un,  manquant  sou  salut,  perd 
son  âme,  elle  esl  perdue  sans  retour.  Impossible  de  tra- 
vailler de  nouveau  à  la  sauver.  Jamais,  en  effet,  l'on  ne  vit 
un  seul  damné  reconquérir  le  ciel.  Pénétrons-nous  bien  de 
ces  vérités,  car  il  n'\  a  rien  de  plus  certain  ;  et  pesons-les 
sans  chercher  à  nous  faire  de  vaines  illusions,  car  il  n'y  a 
rien  de  plus  terrible  (  i  ). 

Et  maintenant,  étant  établie  l'importance  souveraine  du 
salut,  l'importance  de  l'accomplir,  l'importance  de  ne  pas 
le  manquer,  ne  devient  il  pas  évident  à  tous  les  yeux  qu'il  est 
absolument  indispensable  d'en  connaître  les  devoirs,  et  par 
conséquent  de  les  étudier?  Car  qui  ne  connaît  pas  les  devoirs 
du  salut,  ne  peut  pas  les  accomplir;  et  qui  n'accomplit  pas  les 
devoirs  du  salut,  encourt  forcément  la  damnation,  qui  est 
le  pins  grand  de  Ions  les  maux,  éternellement  irréparable. 
Unsi  L'accomplissement  du  salut  est  absolument  lié  à  la 
connaissance  de  ses  devoirs,  et  rigoureusement  dépendant 
de  cette  connaissance.  Encore  une  fois,  et  en  d'autres  termes 
plus  clairs,  s'il  est  possible,  on  ne  peut  se  sauver  qu'autant 
que  l'on  sait,  avant  tout,  ce  qu'il  faut  faire  pour  y  parvenir. 

C'esl  précisément  pour  cela  que  le  Sauveur,  sachant  com- 
bien il  nous  est  indispensable  de  connaître  les  devoirs  du 
salut,  esl  venu  du  ciel  sur  la  terre  pour  nous  les  apprendre, 


i.  L'Écriture  appelle  le  salul  ['affaire,  negotium,  l'affaire  par  excellen- 
ce, pour  montrer  que  l'homme  n'a  proprement  que  cette  seule  affaire 
à  Laquelle  il  doi\e  s'appliquer.  Nous  devons  tirer  de  là  deux  conclu- 
sions importantes  :  i  Non-  devons  avoir  la  plus  haute  estime  pour  1  af- 
faire de  noire  salut  el  la  préférer  à  tout,  puisque  de  là  dépend  tout  au- 
tre bonheur  ou  noire  malheur  pour  le  temps  et  l'éternité.  20  Les  choses 
\c<  plus  importantes  devant  tenir  le  premier  rang  d  us  nos  pensées  et 
nos  affections,  et  l'affaire  de  notre  salut  étant  la  première  et  la  plus  éle- 
vée de  toutes,  elle  doit  l'aire  l'objet  particulier  de  notre  sollicitude.  Il 

tant  donc  :    1     diriger  vers  ce  but  toutes  nos  pensées,  tontes  nos  paroles, 

toutes  nos  actions;    •>  repousser    avec  vigueur  toul   ce  qui    pourrait  y 
porter  obstacle,  de  quelque  pari  que  cela  vienne  (R.  P.  Saint-Jure,  De 

n.  et  de  l'uni,  de  V.-S.  J.-C.  li\ .  1,  en.  1  . 


l4  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.   INSTRUCTION. 

d'abord  par  ses  exemples,  ensuite  par  ses  enseignements. 
C'est  pour  cela  aussi  qu'au  moment  de  remonter  au  ciel, 
voulant  assurer  aux  générations  futures  les  mêmes  lumières 
dont  avaient  joui  ceux  qui  l'avaient  entendu  personnelle- 
ment, il  institua  des  apôtres,  et  leur  donna  pour  mission 
expresse  d'aller  enseigner  toutes  les  nations,  en  leur  appre- 
nant à  observer  toutes  les  choses  qu'il  leur  avait  prescri- 
tes (i).  Si  la  connaissance  des  devoirs  du  salut  ne  nous  était 
pas  indispensable,  pense-t-on  que  Notre-Seigneur  aurait 
quitté  le  ciel  et  serait  venu  sur  la  terre  pour  nous  les  ensei- 
gner? Pense-t-on  qu'il  aurait  créé  des  apôtres  et  des  minis- 
tres tout  exprès  pour  porter  ses  enseignements  à  tous  les 
peuples  de  la  terre  et  durant  tous  les  siècles  ?  Cette  conduite 
du  Sauveur,  on  ne  saurait  le  contester,  est  une  preuve  déci- 
sive qu'il  regarde  la  connaissance  des  devoirs  du  salut  com- 
me nous  étant  absolument  indispensable.  Or,  si  le  Sauveur 
en  juge  ainsi,  qui  osera  en  juger  différemment  ?  N'est-il  pas 
la  souveraine  vérité  et  la  souveraine  sagesse  ? 

Mais  quand  même  Notre-Seigneur  n'aurait  pas  agi  ainsi, 
la  nécessité  qu'il  y  a  pour  nous  d'étudier  et  de  connaître  les 
devoirs  du  salut  ne  serait  pas  moins  certaine  ni  moins  in- 
dispensable. Elle  découle  naturellement  et  rigoureusement 
de  ce  fait  que  Dieu  nous  a  offert  la  grâce  du  salut  et  destinés 
au  ciel.  Tout  bienfait  implique  en  effet,  à  la  charge  de  celui 
qui  en  est  l'objet,  le  devoir  d'en  témoigner  de  la  reconnais- 
sance au  bienfaiteur.  Celui  qui  a  reçu  un  bienfait  et  qui  n'en 
témoigne  pas  de  reconnaissance,  manque  donc  à  un  devoir. 
Et  qu'on  ne  dise  pas  ici  que  l'on  n'a  rien  demandé  à  Dieu, 
et  que  par  conséquent  on  ne  lui  doit  rien.  L'enfant  non  plus 
n'a  pas  demandé  à  ses  parents  de  lui  donner  la  vie  :  peut-il 
donc  s'en  autoriser  pour  ne  leur  témoigner  aucune  recon- 
naissance ?  Le  bienfait  accordé  spontanément  a  même  plus 
de  prix  que  celui  qui  n'est  accordé  qu'après  avoir  été  solli- 
cité ;  il  montre  plus  de  bonté  et  plus  de  bienveillance  en 
celui  qui  l'accorde,  et  mérite  par  conséquent  une  recon- 
naissance plus  vive,  plus  profonde  et  plus  parfaite.  Telle  est 
bien  la  reconnaissance  que  nous  devons  à  Dieu,    pour  nous 

i.  Matth,  xxviii,  19,  20. 


DEVOIR   n  IPÇRENDRE  CE  Q\    IL  FAUT   FAIRE  POUR  SE  SAUVER.  .  10 

avoir,  do  lui  même  el  sans  aucun  droil  ni  aucun  mérite  de 
aotre  part,  destinés  à  L'éternelle  félicité  du  ciel.  Or,  quel 
meilleur  moyen  a\  ons  nous  de  la  lui  témoigner?  Le  meilleur 
moyen,  c'est  de  lui  montrer,  par  notre  conduite,  que  nous 
avons,  pour  son  bienfait,  lapins  complète  estime.  Car  au- 
tant il  est  blessant  pour  un  bienfaiteur,  que  Ton  dédaigne 
son  bienfait,  autan!  il  lui  es!  agréable  qu'on  en  fasse  tout  le 
cas  qu'il  mérite.  Mais  comment  montrerons-nous  à  Dieu 
que  nous  avons  la  plus  extrême  estime  pour  la  grâce  qu'il 
nous  a  faite  de  nous  appeler  au  salut?  Précisément  en  nous 
appliquanl  à  étudier  et  à  connaître  ce  que  nous  devons  fai- 
re pour  (pie  ses  desseins  sur  nous  se  réalisent,  c'est-à-dire 
pour  que  nous  soyons  sauvés.  En  effet,  si  nous  ne  nous  appli- 
quons pas  à  connaître  les  devoirs  du  salut,  nous  montrons 
par  là  que  nous  ne  tenons  pas  au  salut  lui-même,  que  nous 
le  dédaignons  ;  mais  nous  montrons  au  contraire  qu'à  nos 
yeux  le  salut  est  une  chose  infiniment  précieuse,  et  que 
nous  en  faisons  le  plus  grand  cas,  si  nous  nous  appliquons 
de  notre  mieux  à  en  connaître  les  conditions  et  les  devoirs 
afin  de  les  remplir.  Eh  bien,  nous  le  répétons,  c'est  à  cela 
que  nous  oblige  rigoureusement  la  reconnaissance,  c'est-à- 
dire  à  témoigner  à  Dieu  que  nous  estimons  le  salut  qu'il 
nous  offre,  en  en  étudiant  les  devoirs  pour  les  accomplir, 
et  ainsi  arriver  au  ciel.  Agir  autrement,  c'est  agir  en  ingrat 
grossier,  qui  jette  de  coté  avec  mépris  les  présents  d'un 
bienfaiteur  généreux  et  dévoué  (i). 

i.  N'est-ce  pas  un  grand  sujet  de  douleur  et  un  grand  crime,  de  ne 
tirer  point  d'avantage,  par  une  ignorance  affectée,  d'un  des  plus  grands 
bienfaits  que  les  hommes  aient  reçus  de  la  bonté  de  Dieu,  qui  a  été  de 
les  instruire  de  ses  volontés,  tantôt  par  la  lumière  naturelle,  tantôt 
par  la  Loi  écrite,  ei  enfin  par  lui-même,  en  instruisant  les  peuples,  et 
en  leur  annonçanl  sanouvelle  Loi  ?  La  grandeur  de  ce  bienfait  fut  admi- 
rablement expliquée  par  son  législateur  Moïse,  lorsque  parlant  au  peu- 
ple, il  lui  dit  :  (Juelle  nation  y  <t  l-ilsi  noble  dans  le  monde,  qui  ait  des  cé- 
rémonies, des  lois  et  des  jugements  pareils  à  ceux  que  je  vous  proposerai 
aujourd'hui?  Déni.  i\  .  Si  donc  il  est  vrai  que  cette  grâce  soit  si  grande, 
•  le  quoi  nous  sert  La  loi  de  l'Évangile,  si,  tout  chrétiens  que  nous  som- 
mes, nous  l'ignorons  P  De  quoi  nous  sert-elle,  sinon  d'être  un  sujet  de 
condamnation,  si  nous  ne  La  portons,  sinon  dans  nos  mains,  comme 
faisait  le  peuple  de  Dieu,  celle  qui  Leur  avait  été  donnée,  du  moins  dans 
notre  cœur  ;  si  par  elle  nous  ne  dissipons  les  ténèbres  de  notre  igno- 
rance P  Que  non-  servira  un  remède  d'une   si  grande  vertu,  si  nous  ne 


l6  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.  INSTRUCTION. 

Agir  autrement,  c'est-à-dire  ne  pas  s'occuper  des  devoirs 
du  salut,  c'est  aussi  agir  comme  ferait  un  insensé  qui  aurait 
droit  à  un  riche  héritage,  mais  ne  voudrait  pas  accomplir 
les  conditions  requises  pour  s'en  assurer  la  possession. 
N'est-il  pas  vrai  que  nous  avons  à  remplir,  non  seulement 
un  devoir  de  reconnaissance  à  l'égard  de  nos  hienfaiteurs, 
mais  encore  un  devoir  de  conservation  et  d'utilisation  à 
l'égard  de  leurs  bienfaits  eux-mêmes?  On  nous  a  fait  don, 
je  suppose,  d'une  ferme,  avec  tout  l'attirail  nécessaire  pour 
son  exploitation  ;  aux  yeux  de  tout  homme  sensé,  ce  don 
ne  nous  impose-t-il  pas  le  devoir  d'en  tirer  les  avantages 
qu'il  comporte?  Et  si  nous  laissions  de  tout  à  l'abandon, 
sans  plus  nous  en  occuper  que  si  l'on  ne  nous  eût  rien 
donné,  tout  le  monde  ne  serait-il  pas  d'accord  pour  dire 
que  nous  manquons  à  notre  devoir,  que  nous  ne  faisons  pas 
notre  devoir  ?  La  santé  que  Dieu  nous  a  donnée,  n'est-ce 
pas  aussi  pour  nous  un  devoir  de  la  ménager,  d'en  prendre 
soin  et  de  la  conserver?  Les  moissons  dont  il  couvre  nos 
champs,  les  fruits  dont  il  charge  nos  arbres,  n'est-ce  pas 
aussi  pour  nous  un  devoir  de  faire  le  nécessaire  pour  en 
opérer  la  récolte  et  empêcher  qu'ils  ne  se  perdent?  Toute 
négligence  à  cet  égard  ne  serait-elle  pas,  encore  une 
fois,  blâmée  universellement  comme  un  manquement 
à  notre  devoir?  Or,  si  nous  avons,  à  l'égard  des  choses  de 
la  terre  et  du  temps,  le  devoir  de  ne  pas  les  négliger,  d'en 
prendre  soin,  et  d'en  retirer  les  avantages  qu'elles  compor- 
tent, qui  osera  dire  que  le  même  devoir  ne  nous  incombe 
pas  à  l'égard  des  choses  du  ciel  et  de  l'éternité?  Quoi,  nous 
manquerions  à  notre  devoir  en  nous  exposant,  faute  de 
soins,  à  la  perte  d'une  bête  de  ferme  ;  et  nous  n'y  manque- 
rions pas  en  nous  exposant,  faute  de  connaître  les  obliga- 
tions du  salut,  à  la  perte  de  notre  âme  ?  Non,  qu'on  y  pense 
bien,  l'homme  ne  vaut  pas  moins  que  la  bête,  mais  c'est  la 
bête  qui  vaut  moins  que  l'homme.  Par  conséquent,  s'il  est  de 
notre  devoir  d'avoir  soin  des  bêtes  et  de  toutes  les  choses 
sensibles  qui  nous  appartiennent,  et  tout  particulièrement  de 

savons  pas  le  mettre  en  usage  ?  Le  bien  de  l'homme  ne  consiste  pas  en 
l'excellence  des  choses  qu'il  possède  ;  mais  à  en  savoir  faire  un  bon  usa- 
ge, et  à  s'en  servir  quand  il  le  doit  (Grenade,  Catéch.  a.  p.  préï.). 


DEVOIR  D  APPRENDRE  CE  Ql    IL  FAIT  PAIRE  POUR  SE  SAUVER.    17 

notre  corps  et  de  notre  santé  :  à  plus  Forte  raison  devons-nous 
avoir  soin  de  notre  âme,  qui  vaut  mille  et  mille  fois  plus 
que  tout  Le  reste.  11  esl  naturel,  il  est  juste,  en  cllet,  que 
nous  proportionnions  nos  sollicitudes  à  la  valeur  des  choses; 
par  suite,  dès  lors  que  rien  n'égale  pour  nous  la  valeur  de 
noire  âme,  c'est  donc  de  notre  âme  que  nous  devons  avoir 
le  plus  de  soin,  c'est  donc  d'elle  que  nous  devons  nous 
occuper  avant  tout  le  reste  et  plus  que  de  tout  le  reste,  afin 
d'assurer  le  ciel  à  notre  corps  lui-même  après  sa  résurrec- 
tion. 

CONCLUSION.  — -  Tel  est  donc,  eh  retiens,  le  premier 
grand  devoir  du  salut,  savoir  :  apprendre  ce  qu'il  faut  faire 
pour  nous  sauver.  Il  nous  faut  l'apprendre,  en  effet,  d'un  côte 
parce  que  nous  l'ignorons,  et  de  l'autre  parce  qu'il  est  indis- 
pensable que  nous  le  sachions.  Si  nous  savions  ce  qu'il  faut 
faire  pour  nous  sauver,  ou  bien  s'il  n'était  pas  nécessaire  que 
nous  le  sachions,  ce  ne  serait  pas  un  devoir  pour  nous  de 
l'apprendre  :  car  ce  ne  peut  être  un  devoir  d'apprendre  ce 
que  l'on  sait  déjà,  ni  d'apprendre  ce  qu'il  n'est  pas  néces- 
saire qu'on  sache.  Mais  nous  venons  de  rétablir  :  nous  ne 
connaissons  pas  suffisamment,  en  général,  les  devoirs 
essentiels  du  salut,  ou  bien  parce  que  nous  ne  les  avons  pas 
assez  appris,  ou  bien  parée  que  nous  les  avons  plus  ou  moins 
oubliés,  ou  bien  surtout  parce  que  nous  ne  voulons  pas  les 
apprendre,  afin  de  pouvoir  les  violer  sans  remords  ;  et 
pourtant  il  est  indispensable  que  nous  les  sachions,  puis- 
que si  nous  ne  les  savons  pas  nous  ne  pourrons  pas  les 
apeomplir,  et  que  si  nous  ne  les  accomplissons  pas  nous 
serons  infailliblement  damnés.  Donc,  chrétiens,  puisque 
nous  ne  connaissons  pas  bien  les  devoirs  du  salut,  et  puis- 
qu'il esl  indispensable  que  nous  les  connaissions,  la  cou 
clusion,  c'est  qu'il  faut  que  nous  les  apprenions.  Enten- 
dons le  bien  :  il  faut:  notre  éternité  heureuse  ou  malheu- 
reuse en  dépend  inévitablement.  Par  conséquent,  que  tous 
soient  assidus  aux  pieds  de  cette  chaire,  pendant  ce  Carême, 
pour  s'en  instruire.  Qu'on  n'allègue  aucune  excuse  pour  s'en 
dispenser  (i).  Qu'on   ne  prétende   pas,  en  particulier,  man- 

i.  Trois  prétextes  principaux  empêchent  La  plupart  des  chrétiens  de 

SOMME  DU    PRÉDICATEUR.    —T.   II.  2 


l8  LFS  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.   INSTRUCTION. 

quer  de  temps  pour  y  venir.  Ne  savons-nous  pas  que  c'est 
précisément  et  avant  tout  pour  faire  notre  salut  que  le  temps 
nous  est  donné?  Jamais  nous  ne  l'aurons  donc  employé 
avec  autant  de  sagesse,  ni  d'une  manière  qui  soit  plus 
avantageuse  à  nos  seuls  vrais  intérêts,  qu'en  étudiant  ce 
que  nous  devons  faire  pour  nous  sauver.  Que  le  fruit  de  ce 
premier  entretien  soit,  en  conséquence,  la  résolution  bien 
sincère  et  bien  arrêtée  de  ne  manquer  aucune  des  instruc- 
tions de  cette  sainte  quarantaine,  puisque  leur  objet  sera 
justement  de  nous  apprendre  les  devoirs  à  accomplir  pour 
aller  au  ciel  :  que  je  vous  souhaite,  chrétiens  mes  frères, 
de  toute  mon  âme,  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du 
Saint-Esprit. 

TRAITS  HISTORIQUES 

Zèle  des  Juifs  pour  s'instruire  des  devoirs  du  salut. 

Durant  leur  captivité  à  Babylone,  les  Juifs  avaient  en  général 
grandement  oublié  les  lois  et  prescriptions  de  Dieu  leur  Seigneur. 
Mais  à  leur  retour  dans  la  terre  sainte,  ils  ne  furent  pas  longtemps 

s'instruire  de  leurs  devoirs  :  le  premier  est  celui  des  gens  du  monde, 
qui  disent  qu'ils  ont  trop  d'affaires  ;  le  second  est  celui  des  orgueilleux, 
qui  disent  qu'ils  en  savent  assez;  la  troisième  est  celui  des  méchants, 
qui  dirent  qu'ils  ne  veulent  pas  tant  savoir.  Aucun  de  ces  prétextes 
n'excuse  en  eux  l'ignorance  dans  laquelle  ils  sont  de  leurs  devoirs .  — 
i°  On  a  trop  d'affaires.  Gomme  les  devoirs  de  la  vie  chrétienne  doivent 
être  préférés  à  ceux  de  la  vie  ordinaire,  jamais  les  affaires  ne  peuvent 
dispenser  un  homme  de  s'instruire  de  ses  devoirs.  Ainsi,  en  matière  de 
religion  et  de  salut,  il  n'y  a  point  d'ignorance  qui  nous  excuse,  et  dont 
nous  ne  devons  tâcher  de  sortir,  quelque  embarras  que  nous  ayons 
d'ailleurs.  Ces  considérations  sont  tellement  importantes  que  cette 
ignorance  volontaire  toute  seule  peut  devenir  la  cause  de  notre  répro- 
bation, en  nous  ôtant  la  première  de  toutes  les  grâces,  sans  laquelle 
nous  ne  pouvons  recevoir  les  autres.  —  2°  On  en  sait  asse:.  En  matière 
de  religion  et  de  salut,  on  n'en  sait  jamais  assez.  Ainsi,  c'est  un  faux 
prétexte  qu'on  allègue  pour  se  dispenser  de  s'instruire  de  ses  devoirs. 
Souvent  on  prend  un  vice  pour  .une  vertu,  et  on  espère  être  récom- 
pensé de  certaines  œuvres  qui  paraissent  bonnes  et  qui  néanmoins 
nous  rendent  dignes  de  l'enfer.  —  3"  On  nen  veut  pas  tant  savoir,  ("eux 
qui,  en  matière  de  salut,  n'en  veulent  pas  savoir  beaucoup,  et  appréhen- 
dent d'avoir  trop  de  lumière  sur  leurs  obligations,  portent  leur  con- 
damnation avec  eux-mêmes,  parce  que  celte  disposition  d'àmc  dénote 
une  grande  malice,  dont  on  ne  veut  pas  se  corriger  (Holduy-Avignok, 
La  Biblioth.  des  Prédic.  art.  Ignorance,  chap.  [\,  n.  i). 


DEVOIR  l>  APPRENDRE  CE  Ql    II,  FAUT  FAIRE  POUR  SE  SAUVER.     19 

sans  comprendre  combien  il  leur  importail  de  s'en  instruire  de 
nouveau,  pour  assurer  leur  salut.  Ceux  qui  se  trouvaient  à  Jérusa- 
lem, en  particulier,  s'étant  assemblés  dans  une  place  de  la  ville, 
prièrent  Esdras,  le  plus  saint  et  le  plus  savant  des  prêtres  d'alors, 
d'apporter  la  loi  de  Moïse  (pic  le  Seigneur  avait  autrefois  donnée  à 
son  peuple.  Esdras  apporta  donc  la  loi  devant  l'assemblée.  11  la  lut 
depuis  le  matin  jusqu'à  midi,  en  présence  des  hommes,  des  fem- 
mes et  de  tous  ceux  qui  étaient  capables  de  l'entendre.  Esdras  était 
élevé  sur  une  estrade  ou  tribune,  et  avait  six  des  principaux  prêtres 
à  sa  droite  et  six  à  sa  gauche.  Tout  le  peuple  debout  l'écoutait  avec 
la  plus  vive  attention  et  le  plus  profond  recueillement.  Le  saint 
prêtre  commença  par  bénir  le  Dieu  tout-puissant.  Tout  le  peuple, 
levant  les  mains,  s'écria:  Amen!  amen  !  Et  s'étant  prosterné,  il 
adora  Dieu..  Esdras  lut  la  loi  clairement  et  distinctement,  afin  que 
tous  les  assistants  pussent  l'entendre.  Des  lévites  interprétaient  ce 
qui  n'était  pas  suffisamment  compris.  Les  Israélites  versaient  des 
larmes  de  joie  et  de  reconnaissance  ;  on  entendait  des  gémisse- 
ments et  des  sanglots  qui  s'élevaient  de  toute  l'assemblée.  Néhémie, 
aussi  bien  qu'Esdras  et  les  lévites,  dirent  à  ce  bon  peuple  :  Ne 
pleurez  point;  souvenez-vous  que  ce  jour  est  consacré  au  Seigneur. 
Retournez  dans  vos  maisons  ;  réjouissez-vous  ensemble  par  d'hon- 
nêtes festins.  Ce  ne  fut  qu'après  bien  du  temps  que  les  lévites, 
répétant  sans  cesse  :  «  Ce  jour  est  saint  et  condamne  vos  pleurs  », 
obtinrent  enfin  que  le  peuple  se  séparât.  Tous  allèrent  prendre 
leur  repas,  où  ils  eurent  grand  soin  d'intéresser  les  pauvres  par 
d'abondantes  libéralités,  selon  l'ordre  qui  leur  avait  été  donné.  — 
Le  lendemain,  les  chefs  des  familles,  les  prêtres  et  les  lévites  se 
rassemblèrent  et  prièrent  Esdras  de  leur  expliquer  les  paroles  de 
la  loi.  En  parcourant  le  saint  livre,  ils  remarquèrent  que  le  Sei- 
gneur avait  ordonné  par  le  ministère  de  Moïse  qu'on  célébrerait 
une  fête  solennelle  au  septième  mois,  pendant  laquelle  les  enfants 
d'Israël  demeureraient  sous  des  tentes  ;  qu'on  devait  publier  cette 
loi  par  la  formule  suivante  dans  toutes  les  villes  de  la  province  et 
dans  Jérusalem  :  «  Allez  sur  les  montagnes,  apportez  des  branches 
d'olivier,  de  myrte,  de  palmier,  des  arbres  les  plus  beaux  et  les 
plus  touffus  ,  faites-vous  des  tentes  selon  ce  qui  est  prescrit  dans 
la  loi.  »  Les  Juifs  firent  exactement  tout  ce  qui  leur  était  prescrit 
par  cet  article  de  la  loi.  Ils  demeurèrent  sept  jours  sous  des  tentes, 
et  tous  les  jours  Esdras  lisait  la  loi  de  Dieu.  —  II,  Esdr.  vin. 

(Miel  édifiant  exemple  !  D'eux-mêmes  ces  pieux  Juifs  demandaient 
à  être  instruits  des  devoirs  de  leur  divine  religion,  et  ils  n'hésn 
taient  pas  à  suspendre  pendant  sept  jours  consécutifs  leurs  travaux, 


20  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.  INSTRUCTION. 

afin  de  se  livrer  avec  plus  de  liberté  à  une  étude  aussi  importante. 
Quelle  condamnation  pour  ceux  qui  trouvent  trop  dur  de  venir 
entendre  chaque  dimanche  une  instruction  d'un  quart  d'heure  ! 

L'exemple  de  l'Enfant  Jésus. 

Que  les  chrétiens  qui  croient  connaître  leurs  devoirs  religieux, 
ou  qui  estiment  inutile  ou  au-dessous  d'eux  de  les  apprendre,  que 
ces  chrétiens  se  transportent  en  esprit  dans  le  temple  de  Jérusa- 
lem au  moment  où  l'Enfant  Jésus,  s'étant  dérobé  à  ses  parents, 
s'y  trouvait  parmi  les  docteurs.  Cet  aimable  Enfant  ne  connais- 
sait-il pas  toutes  choses,  puisqu'il  était  Dieu  lui-même?  Cepen- 
dant le  voilà  au  milieu  des  docteurs  de  la  loi,  les  écoutant  et  les 
interrogeant.  Pourquoi  donc  les  écoutait-il  et  les  interrogeait-il, 
puisqu'il  n'avait  rien  à  apprendre  d'eux  ?  Ce  qu'il  ne  faisait  pas 
pour  lui-même,  il  le  faisait  pour  nous,  afin  de  nous  servir  de 
modèle.  Il  le  faisait  pour  qu'à  son  exemple  nous  allions  entendre 
et  au  besoin  interroger  les  docteurs  de  la  loi  nouvelle,  les  prêtres 
de  la  sainte  Église,  afin  de  nous  instruire  de  ce  que  nous  devons 
faire  pour  nous  sauver.  C'est  ainsi  qu'il  s'occupait  des  choses  qui 
regardaient  son  Père  céleste,  comme  il  le  dit  à  sa  sainte  Mère  lors- 
qu'elle le  retrouva.  11  s'occupait  de  ces  choses  en  apprenant  aux 
hommes,  par  son  exemple,  ce  qu'ils  devaient  faire  pour  accomplir 
les  vues  de  Dieu  sur  eux,  c'est-à-dire,  commencer  par  s'instruire 
des  devoirs  que  Dieu  leur  a  imposés,  et  dont  l'accomplissement 
doit  assurer  leur  félicité  éternelle. 

Connaissances  vaines. 

Puisque  la  religion  est  la  plus  excellente  et  la  plus  nécessaire 
des  sciences,  il  faut  que  tout  homme  s'y  applique  avant  tout,  et  en 
fasse  le  premier  objet  de  son  étude.  Cette  règle  si  juste  fut  négli- 
gée d'abord  par  Pic  de  la  Mirandole,  que  son  grand  savoir  rendit 
si  célèbre.  Jean  Pic,  prince  de  la  Mirandole,  né  en  i4G3,  et  qui 
mourut  à  Florence,  âgé  seulement  de  trente-deux  ans,  fut  d'abord 
un  prodige  de  mémoire.  Il  lui  suffisait  d'entendre  trois  fois  la  lec- 
ture d'un  livre,  pour  le  réciter  par  cœur,  non  pas  dans  l'ordre  natu- 
rel, mais  dans  le  sens  rétrograde.  A  dix-huit  ans,  il  savait,  dit-on, 
jusqu'à  vingt-deux  langues.  Insatiable  de  savoir,  après  avoir 
étudié  le  droit  à  Bologne,  il  parcourut  les  Universités  de  France 
et  d'Italie,  visitant  tout,  étudiant  tout  ce  qu'il  rencontrait.  Quand 
il  eut  vingt-quatre  ans,  il  publia  un  catalogue  de  neuf  cents 
thèses  sur  tous  les  objets  des  sciences,  de  omni  se  scibill,  thèses 
qu'il    voulait  soutenir  publiquement.  C'était  une  fanfaronnade, 


DEVOIR  D  VPPRENDRE  CE  OU  TL  FAUT  F  VIRE  POUR  SE  SAUVER.    2Ï 

elle  servil  à  constater  que  Le  jeune  homme  possédait  des  connais- 
sances variées,  étonnantes,  mais  toutes  superficielles.  l'Haut  venu 
à  Rome,  il  afficha  dos  thèses  de  théologie.  Le  pape  Innocent  \ll 
1rs  lit  censurer;  et  l'on  \  découvrit  plusieurs  erreurs  contraires  à  la 
foi,  Le  savanl  qui  connaissait  tant  de  choses,  ignorait  celles  du 
salut.  Heureusement  Pic  de  la  Mirandole  reconnut  sa  folie,  et  se 
mit  à  étudier  dans  la  suite  plus  sérieusement  la  science  qui  con- 
duit au  ciel,  celle  qui  l'emporte  sans  comparaison  sur  toutes  les 
autres,  la  seule  qui  soit  indispensable. 

Ardeur  d'un  enfant  pour  acquérir  la  science  du  salut. 

Saint  Pascal  Baylon  naquit  de  parents  qui  gagnaient  leur  vie 
à  cultiver  la  terre,  et  trop  pauvres  pour  qu'ils  pussent  l'envoyer 
aux  écoles.  Le  pieux  enfant  y  suppléa  de  la  manière  suivante  :  il 
portait  un  livre  avec  lui  lorsqu'il  allait  garder  les  troupeaux  dans 
les  champs,  et  il  priait  tous  ceux  qu'il  rencontrait  d'avoir  la  cha- 
rité de  lui  apprendre  les  lettres.  Le  désir  qu'il  avait  de  s'instruire 
fut  si  vif,  et  son  attention  si  grande,  qu'il  sut  bientôt  parfaitement 
lire  et  écrire.  Il  ne  se  servit  de  cet  avantage  que  pour  se  perfec- 
tionner dans  la  connaissance  de  la  religion.  Les  livres  d'amuse- 
ments lui  paraissaient  insipides  ;  il  n'aimait  que  ceux  qui  lui 
rappelaient  les  principales  circonstances  de  la  vie  de  Jésus-Christ. 
et  les  actions  de  ceux  qui  avaient  imité  son  exemple,  afin  de  mar- 
cher sur  leurs  traces.  Malgré  son  extrême  jeunesse,  il  ne  prenait 
de  plaisir  qu'aux  choses  sérieuses  et  solides,  c'est-à-dire  aux 
choses  du  salut.  S'étant  ensuite  fidèlement  acquitté,  toute  sa  vie, 
des  devoirs  qu'il  avait  appris  avec  tant  de  sollicitude  pendant  sa 
jeunesse,  il  mourut  saintement,  et  l'Église  l'a  placé  sur  ses 
autels. 

Le  parfait  serviteur  sans  aucune  pratique  religieuse. 

Vn  libre-penseur,  voyageant  en  chemin  de  fer,  déclamait  contre 
la  religion  et  ses  devoirs.  Il  prétendait  que  tout  ce  que  commande 
L'Église  est  inutile,  et  qu'elle  est  elle-même  un  hors-d'œuvre  dans 
une  société  bien  organisée,  a  Ne  suffit-il  pas,  s'écria-t-il  enfin, 
d'être  honnête  homme  ')  Et  ne  peut-on  pas,  sans  aller  à  la  messe, 
mener  une  vie  irréprochable  ?  —  En  effet,  Monsieur,  répondit  une 
dame,  j'en  ai  vu  plusieurs  qui,  sans  pratique  religieuse,  avaient 
une  conduite  absolument  irréprochable.  Je  pourrais  même  citer 
un  fait  récent,  qui  fait  bien  ressortir  la  vérité  de  ce  que  je  dis.  — 
Madame,  dites,  je  vous  en  prie,  s'empressa  d'ajouter  le  libre-pen- 
seur. La  plupart  des  voyageurs   qui  écoutaient  ces  propos  étaient 


22  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I.    INSTRUCTION. 

attristés,  croyant  que  cette  dame,  d'ailleurs  fort  respectable, 
abondait  dans  le  sens  du  parleur  impie.  Celui-ci,  enchanté  de  se 
voir  si  bien  soutenu,  écoutait  avec  le  plus  vif  intérêt.  «  Je  me  trou- 
vais dernièrement,  poursuivit  la  dame,  dans  un  château  où  vivait 
un  vieux  serviteur.  Jamais  il  n'avait  assisté  à  la  messe,  jamais 
prié  ;  cependant  il  menait  une  vie  honnête,  comme  Monsieur  vient 
de  dire.  On  avait  beaucoup  d'égards  pour  lui,  car  il  était  fidèle  et 
dévoué.  —  Et  pas  clérical  ?  insista  le  commis-voyageur.  —  Oh  ! 
pas  du  tout,  assura  la  dame  :  jamais  il  n'avait  donné  le  moindre 
signe  de  religion.  Un  beau  matin,  on  le  trouva  mort  sur  sa  cou- 
che. Ne  pouvant  l'enterrer  selon  le  rite  de  la  sainte  Église,  on 
décida  de  lui  faire  des  funérailles  solennelles  et  les  honneurs  d'un 
brillant  enterrement  civil.  Quand  il  fut  déposé  dans  sa  tombe,  l'un 
des  assistants  fit  son  éloge  en  disant  :  «  Pauvre  Azor  !  sans  doute 
il  était  fort  grognon,  mais  c'était  tout  de  même  un  bon  chien.  »  — 
A  ce  dénouement  auquel  on  ne  s'attendait  pas,  il  y  eut  une  hilarité 
générale  :  tous  riaient  de  bon  cœur  à  l'exception  du  libre-penseur, 
naturellement. 


DEUXIEME  INSTRUCTION 

(pour  le  Vendredi  d'après  les  Cendres) 

C'est  un  devoir  pour  nous  de  connaître 

Dieu. 

I.  Pourquoi  nous  devons  connaître  Dieu.  —  II.  Ce  que  nous  devons 
savoir  de  Dieu. 

Dans  notre  première  instruction  quadragésimale,  nous 
avons  proposé  et  démontré,  comme  point  de  départ  du 
salut,  cette  vérité  fondamentale,  savoir,  que  c'est  pour  nous 
un  devoir  d'apprendre  ce  que  nous  devons  faire  pour  l'ac- 
complir. En  effet,  ce  que  nous  devons  faire  pour  nous 
sauver,  d'un  coté,  nous  l'ignorons  tant  que  nous  ne  l'avons 
pas  appris  ;  et  de  l'autre,  il  est  indispensablcment  néces- 
saire que  nous  le  sachions,  puisque  sans  cela  nous  ne 
pourrons  pas  nous  sauver  :  donc  c'est  pour  nous  un  devoir 
de  l'apprendre. 

Or,  venant  maintenant  au  détail  des  choses  que  nous 
devons  faire  pour  nous  sauver,  la  première  qui  se  présente 
dans  l'ordre  logique,  c'est  d'acquérir  la  connaissance  de 
Dieu.  Le  devoir  de  connaître  Dieu  est  en  effet  pour  nous  le 
premier  de  tous,  car  c'est  sur  cette  connaissance  que  repo- 
sent tous  les  autres  devoirs,  tellement  que  si  nous  ne  con- 
naissions pas  Dieu,  aucun  devoir  ne  pourrait  s'imposer  légi- 
timement à  nous.  Tous  les  hommes  en  effet  ne  sont-ils  pas 
égaux  par  leur  nature  ?  Que  s'ils  sont  tous  égaux,  nul  n'a 
un  droit  quelconque  sur  les  autres.  Et  si  nul  n'a  aucun  droit 
sur  les  autres,  il  n'y  ;i  également  pour  personne  un  devoir 
quelconque  à  L'égard  de  qui  que  ce  soit. 

Ces  principe-,  on  le  comprend,  sont  de  tous  les  temps. 
Cependant  il  >  ;i  une  nécessité  trèi  particulière  «le  les  pap« 
pe|er  en  celui  où  noua  vivons.  N'est-il  pas  évident,  en  effet) 
que  si  l'on  doit  prendre  en  tout  ternp>  dei  précautions  pour 
so  préserver  des  maladies,  on  doit  redoubler  do  vigilance 


24  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   II.   INSTRUCTION. 

lorsque  sévissent  avec  intensité  les  maladies  les  plus  terribles 
et  les  plus  contagieuses  ?  Eh  bien,  au  temps  où  nous  sommes, 
nous  le  savons  tous,  la  peste  de  l'impiété,  redoublant  de 
fureur,  étend  partout  ses  ravages  et  fait  d'innombrables 
victimes,  en  s'acharnant  à  chasser  de  partout,  sous  le 
prétexte  mensonger  de  la  neutralité,  le  souvenir  et  la 
pensée  de  Dieu  (i).  De  là  pour  tout  chrétien,  par  conséquent, 
l'obligation  très  particulière  de  se  mettre  à  l'abri  du  fléau, 
en  pensant  souvent  à  Dieu  et  en  s'affermissant  dans  sa  con- 
naissance. C'est  pour  répondre  à  ce  besoin  de  préservation, 
en  même  temps  que  pour  nous  instruire  de  ce  qu'il  faut 
faire  pour  nous  sauver,  que  nous  allons  nous  entretenir,  ce 
soir,  du  devoir  qui  nous  incombe  de  connaître  Dieu.  Nous 
expliquerons  d'abord  pourquoi  nous  devons  connaître  Dieu, 
c'est-à-dire  les  motifs  qui  nous  font  une  obligation  de  le 
connaître  ;  ensuite  nous  dirons  ce  que  nous  devons  savoir 
de  Dieu.  —  Seigneur,  c'est  vous-même  que  nous  osons 
prendre  ce  soir  pour  objet  de  nos  réflexions.  Daignez  venir 
par  votre  grâce  éclairer  et  guider  nos  esprits,  afin  que  nous 
puissions  résister  avec  plus  de  force  aux  assauts  de  vos 
ennemis  et  des  nôtres,  et  nous  acquitter  autant  qu'il  est 
nécessaire  de  notre  grand  devoir  de  vous  connaître. 

I.  — Pourquoi  nous  devons  connaître  Dieu.  —  Si  Dieu 
ne  s'était  pas  révélé,  peut-être  pourrait-on  admettre  que,  dans 
ce  cas,  il  n'y  aurait  pas  obligation  pour  nous  de  le  connaître. 

i.  A  en  croire  les  libéraux,  la  neutralité  religieuse  ne  serait  qu'une  pa- 
cifique sagesse,  également  éloignée  des  exagérations  du  cléricalisme  et 
de  l'anticléricalisme.  Mais,  en  réalité,  il  n'y  a  pas  trois  partis,  il  n'y  en 
a  que  deux  :  il  y  a  celui  qui  veut  que  Jésus-Christ  règne  sur  la  société, 
il  y  a  celui  qui  ne  veut  pas  de  son  règne  et  qui  élimine  patiemment  la 
religion  de  tous  les  organismes  sociaux,  — des  écoles,  des  hôpitaux,  de 
l'armée,  de  la  marine,  des  associations  professionnelles,  scientifiques, 
philanthropiques,  etc.  — Accepterla  neutralité  religieuse  absolue  d'une 
institution,  ce  n'est  pas  soustraire  cette  institution  aux  luttes  des  deux 
partis  :  c'est  l'abandonner  à  celui  qui  veut  chasser  Dieu  de  la  société 
moderne,  et  qui  travaille  à  faire  sortir  la  religion  de  tous, les  terrains 
dont  il  peut  s'emparer  progressivement.  Accepter  la  neutralité  reli- 
gieuse, ce  n'est  pas  conclure  une  transaction  avec  les  adversaires  do  la 
religion,  c'est  réaliser  intégralement  leur  programme,  dans  la  sphère 
ainsi  neutralisée,  c'est-à-dire  fermée  à  l'influence  religieuse  (La  Croix, 
gO  mai  ipoo), 


c'fST  UN  OFYOïn    POUB    NOUS    DF    CONNAITRE  DIEU.  S?5 

11  semble  bien  en  effet  que  L'on  ne  doive  rien  à  ce  que  Ton 
ignore  involontairement  :  ce  que  l'on  ignore  ainsi  est  pour 
nous  comme  le  néant,  et  Ton  ne  doil  certainement  rien  au 
néant.  Mais  il  son  faut  bien  qu'il  en  soil  ainsi.  C'est  tout  au 
contraire  un  fait  absolument  certain  que  Dieu  s'est  l'ovolé 
aux  hommes,  précisément  afin  qu'ils  le  connussent. 

Il  s'est  révélé  à  eux  d'abord  par  ses  œuvres.  Ne  sont-elles 
pas  vu  effet  comme  autant  de  voix  qui  proclament  son 
existence  cl  ses  perfections  ?  Sans  lui,  qui  les  aurait,  toi  (os  ? 
I  ne  maison  ne  peut  se  faire  d'elle-même  ;  combien  moins 
un  monde,  et  les  innombrables  mondes  qui  existent  !  C'est 
pourquoi  le  roi  David,  contemplant  ces  mondes  et  l'ordre 
merveilleux  qui  règne  dans  toutes  leurs  parties,  s'écriait 
avec  admiration  :  Les  cieux  racontent  ta  gloire  de  Dieu,  et  te 
firmament  publie  les  ouvrages  de  ses  mains.  Le  jour  en  fait  le 
récit  au  jour,  et  la  nuit  en  donne  connaissance  à  la  nuit.  Il 
n'es!  point  de  discours,  ni  de  langage,  dans  lequel  on  n'entende 
leur  voix.  Leur  bruit  s'est  répandu  dans  toute  la  terre  ;  et  leurs 
paroles  jusqu'aux  extrémités  du  monde  (i).  Mais  ces  voix  des 
vastes  eieux  et  des  mondes  immenses  ne  sont  pas  les  seules 
à  proclamer  Dieu  ;  celles  des  plus  petites  créatures,  de  la 
fleur  desprairies,  du  brin  d'herbe  du  chemin, de  l'insecte  qui 
vole,  bondit  ou  se  traîne,  ne  sont  pas  moins  éloquentes.  Qui 
a  pu  les  tirer  dunéant,  et  leur  donner  une  si  étonnante  et  si 
parfaite  organisation,  sinon  l'Être  souverain,  que  leur  seule 
vue  suffît  par  conséquent  à  révéler  invinciblement  à  qui- 
conque s'arrête  un  instant  à  les  considérer  ?  Aussi  l'apôtre 
saint  Paul  déclare-t-il  inexcusables  ceux  qui,  devant  le  seul 
spectacle  de  l'univers,  ne  reconnaissent  pas  Dieu  ;  car,  dit- 
il,  ce  qu'on  ne  peut  voir  de  lui,  se  fait  concevoir  par  la  con- 
naissance (/n'en  donnent  ses  ouvrages,  depuis  la  création  du 
monde  (2). 

1.  I'>.  win,  i-4  —  Les  cieux  racontent  la  aloire  de  Dieu  ;  non  pas  que 
les  deux  fassent  entendre  une  voix  sensible,  mais  parce  que  celui  qui 
se  sera  exercé  à  méditer  l<i-  raisons  qui  oui  présidé  à  La  création  du 
monde,  <•!  à  qui  le  Langage  des  cieux  aura  fait  comprendre  l'admirable 
disposition' et  la  magnificence  des  corps  célestes,  parviendra  ainsi  à 
connaître  la  gloire  du  Créateur  des  cieux  (S.  Basil,  ap.  Péronne,  Chaîne 
d'or  sur  les  Psaumes,   Ps.  xvm,  i). 

2,  llom.  i,  20.  —  Au  jour  du  jugement,  quel  homme  pourra  dire  à 


26  LES    GRANDS    DEVOIRS    DU    SALUT.  II.    INSTRUCTION. 

Un  autre  moyen  dont  Dieu  s'est  servi  et  continue  de  se 
servir  pour  se  révéler  aux  hommes,  ce  sont  les  miracles, 
Les  miracles  ne  proclament  pas  Dieu  avec  moins  de  force 
que  la  création.  De  même,  en  effet,  qu'on  ne  peut  expliquer 
la  création,  sans  Dieu  ;  de  même,  sans  Dieu,  on  ne  peut 
expliquer  les  miracles.  Dans  la  création,  Dieu  est  indispen- 
sablement  nécessaire  comme  puissance  productrice  et  direc- 
trice ;  dans  les  miracles,  Dieu  est  de  même  indispensable- 
ment  nécessaire  comme  puissance  modifiant  les  lois  de  la 
création.  Que  Ton  considère  ces  lois  dans  leur  établissement 
ou  dans  leur  suspension,  elles  sont  toujours  au-dessus  des 
forces  de  la  nature,  et  nécessitent  par  conséquent  l'existence 
d'un  Dieu  tout-puissant.  Voilà  pourquoi,  si  ce  Dieu  m'est 
révélé  par  la  vue  du  soleil  parcourant  avec  régularité  sa 
route  de  chaque  jour,  il  m'est  égalemeut  révélé  d'une  manière 
tout  aussi  irrésistible  par  ce  même  soleil  s'arrêtant  au  milieu 
de  sa  course,  à  la  voix  de  Josué  demandant  au  Seigneur  cet 
arrêt. 

Ainsi  Dieu  s'est  d'abord  révélé,  disons-nous,  par  ses 
œuvres,  c'est-à-dire  par  la  création  et  les  miracles.  Cepen- 
dant cette  révélation  n'étant  qu'indirecte  et  tacite,  Dieu  a 
voulu,  pour  ôter  tout  prétexte  de  résistance  aux  esprits  diffi- 
ciles et  rebelles,  se  révéler  directement  et  ouvertement.  Nous 
le  voyons  en  effet,  au  berceau  même  du  genre  humain  sous 
les  ombrages  du  paradis  terrestre,  prendre  une  forme  sen- 
sible et  se  montrer  au  premier  homme,  converser  avec  lui, 
l'investir  de  sa  domination  sur  toutes  les  autres  créatures,  lui 
concéder  l'usage  de  tous  les  fruits,  mais  lui  interdire  ceux 
de  l'arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal.  Adam  ayant 
ensuite  péché,  Dieu  ne  se  déroba  pas  pour  cela  à  ses  regards, 


Dieu  :  Nous  ne  vous  avons  pas  connu  ?  Quoi  !  vous  n'avez  pas  entendu 
le  ciel,  dont  l'aspect  seul  est  une  voix  éclatante  ?  Vous  n'avez  pas  entendu 
la  profonde  harmonie  de  toutes  les  créatures  faisant  retentir  mon  nom 
avec  plus  de  force  que  le  clairon  guerrier  ?  Quoi  !  vous  n'avez  pas  vu 
les  lois  permanentes  que  suivent  avec  tant  de  régularité  le  jour  et  la 
nuit,  l'ordre  invariable  des  saisons  et  des  temps  ;  la  soumission  de  la 
mer,  au  milieu  même  de    ses  fureurs  el  de  ses   tourmentes  ?  Ksl-ee  que 

tous  les  êtres,  par  leur  concert,  leur  grandeur  ei  leur  beauté,  ne  pm- 
clament  pas  sans  cesse  celui  qui  les  a  créés  P  (S,  Jean  CôRtSOBÎ.  tfotn.  «3, 
w  VÊp,  aux  Romj* 


C  EST  tJN  DEVOIR  POtJB  NOUS  DE  CONNAITRE  DIEU.  27 

mais  continua  de  Lui  apparaître.  11  se  montra  aussi  à  Gain, 
bien  que  souillé  du  sang  de  son  frère,  et  plus  tard  à  tous  les 
anciens  patriarches,  à  Noé,  à  Abraham,  à  Isaac,  à  Jacob. 
Vinrent  ensuite  des  siècles  durant  lesquels,  renonçant  à  se 

manifester  désonnais  lui  même.  Dieu  se  manifesta  par  l'in- 
termédiaire d'hommes  qu'on  appelait  des  prophètes,  préci- 
sément parce  que  Dieu  les  animait  de  son  esprit  et  les  armait 
cli1  sa  puissance,  pour  faire  connaître  avec  autorité  aux  autres 
hommes  ses  volontés  et  ses  ordres.  Mais  quand  fut  arrivé  la 
plénitude  des  temps  qu'il  avait  marquée  dans  ses  décrets, 
Dieu  envoya  sur  la  terre  son  propre  Mis  unique,  avec  la 
mission  spéciale  de  le  faire  connaître  aux  hommes  mieux 
qu'ils  ne  l'avaient  pas  encore  connu  jusqu'alors.  Et  ce  Fils 
divin  a  demeuré  parmi  les  hommes  plein  de  grâce  et  de 
vérité,  comme  le  témoigne  l'évangéliste  saint  Jean,  et  les 
hommes  ont  vu  sa  gloire  (1),  et  il  leur  a  appris  tout  ce  que 
son  Père  lui  avait  commandé  de  leur  apprendre  (2). 

Telles  sont  les  différentes  manières  dont  Dieu  s'est  révélé 
aux  hommes,  savoir,  par  ses  œuvres,  par  ses  manifestations 
personnelles,  par  le  ministère  de  ses  prophètes,  et  enfin  par 
la  voix  de  son  propre  Fils.  Or,  en  se  révélant  avec  cette  per- 
sévérance, Dieu,  naturellement,  s'est  proposé  un  but.  On  ne 
peut  pas  concevoir  en  effet  que  Dieu,  la  sagesse  même,  fasse 
quoi  que  ce  soit  sans  un  but  précis  et  déterminé.  Quel  est 
donc  celui  qu'il  s'est  proposé  en  se  révélant  aux  hommes  ? 
A  n'en  pas  douter,  il  a  voulu  par  là  se  faire  connaître  d'eux. 
Eh  bien,  si  Dieu  s'est  révélé  aux  hommes  afin  qu'ils  le  con- 
nussent, que  résulte-t-ii  de  là  pour  les  hommes  ?  Peuvent- 
ils,  s'il  leur  plaît,  ne  tenir  aucun  compte  des  révélations 
divines.  Autant  vaudrait  demander  si  un  enfant  peut  ne  tenir 
aucun  compte  de  ce  que  lui  dit  son  père.  Un  enfant  qui, 
connaissant  les  formelles  volontés  de  son  père,  affecterait 
de  se  conduire  comme  si  son  père  ne  lui  avait  rien  dit,  se 
rendrait  coupable  à  son  égard  du  plus  offensant  mépris. 
Unsi  Les  hommes  se  rendent-ils  coupables  à  l'égard  de  Dieu 

1 .  .loan.  1,  i!\. 

a.  Joan.  \v,  i.l.  —  Mullifaiiain  rtlllltlsqUÔ  mnrlis  olim  Dons  loquens 
patiibus  iu  propliclis  |  iimlssiint'  Uiebus  Islia  Incutus  rst  In  Min 
{llebr,  li  1  et  a), 


f><S  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  II.  INSTRUCTION. 

d'un  mépris  plus  offensant  encore,  lorsqu'ils  se  conduisent 
comme  s'il  ne  se  fût  jamais  révélé  à  eux.  Par  conséquent,  de 
ce  fait  que  Dieu  s'est  révélé  aux-hommes  résulte,  pour  nous 
tous,  le  devoir  rigoureux  de  recevoir  avec  respect  ces  révéla- 
tions, et  d'y  adhérer  de  tout  notre  cœur. 

Et  qu'on  ne  vienne  pas  dire  qu'on  n'admet  pas  ces  révéla- 
tions, parce  qu'elles  ne  sont  pas  prouvées.  Pour  qui  donc 
ne  sont-elles  pas  prouvées  ?  pour  ceux  qui  n'ont  jamais 
voulu  y  penser,  précisément  afin  de  pouvoir  les  rejeter. 
Quant  aux  esprits  droits  et  sincères,  tous  les  ont  trouvées  si 
parfaitement  admissibles  qu'ils  les  ont  admises  sans  réserve. 
Et  d'ailleurs,  s'il  s'agit  des  révélations  qui  résultent  de  la 
création,  quelle  preuve  peut-on  en  demander  ?  L'univers 
a-t-il  besoin  d'être  prouvé  ?  Et  le  seul  fait  de  son  existence 
n'est-il  pas  une  éclatante  révélation  de  Dieu(i)  ? 

Encore  une  fois  donc,  en  se  révélant,  Dieu  nous  a  fait  par 
là  môme  un  devoir  de  l'étudier  et  de  le  connaître,  à  cause 
de  l'absolu  respect  qui  est  dû  à  tout  ce  qui  émane  de  lui. 

Ce  n'est  pas  que  Dieu  ait  aucun  besoin  pour  lui-même  que 
nous  le  connaissions.  Durant  cette  éternité  qui  a  précédé  la 
création,  et  où  il  n'y  avait  que  lui-même,  rien  ne  manquait 
à  sa  félicité,  bien  que  les  hommes  ne  lui  rendissent  pas 
l'hommage  de  l'étudier  et  de  le  connaître.  Non,  Dieu  n'a  nul 
besoin  d'être  connu  de  nous  ;  mais  c'est  nous-mêmes  qui 
avons  besoin  de  connaître  Dieu.  Qui  peut  en  douter,  pour 
peu  qu'il  y  réfléchisse?  Quelqu'un  oserait-il  nier  que  ce  n'est 
pas  pour  nous  un  devoir  de  nous  élever,  de  nous  perfection- 
ner, de  nous  rendre  heureux  ?  On  a  fait  chez  nous  un  devoir 
de  l'instruction  obligatoire  :  pourquoi,  sinon  parce  qu'on  la 
considère  comme  pouvant  procurer  ces  résultats  ?  Et  certai- 
nement l'instruction,  même  simplement  humaine,  lors- 
qu'elle est  bien  dirigée,  peut  élever  nos  pensées,  perfection- 
ner nos  mœurs  et  nous  donner  une  certaine  somme  de 
bonheur.  Or,  si  les  connaissances  humaines  peuvent  pro- 
duire ces  heureux  fruits,  et  si  à  cause  de  cela  c'est  un  devoir 


i.  Quid  potest  esse,  tam  apertum,  tamque  perspicuum,  cum  cœlum 
suspeximus,  cœlestiaque  contemplati  sumus,  quam  esse  aliquod  numen 
prcCslantissiiTisc  mentis,  quo  hœc  regantur  (Cigeh.  lib,  i,  De  mt.  ctepr.). 


C  EST  UN  DEVOIR   POt  H  \oi  s  ni:  CONNAITRE  DIË1  .  '.>.[) 

pour  nous  de  les  acquérir  ;  combien  plus  ne  sera-ce  pas  pour 

nous  un  devoir  de  connaître  Dieu,  si  l'on  considère  que 
relit*  connaissance  esi  infiniment  plus  efficace  que  loulc 
autre  pour  contribuer  à  notre  perfectionnement  et  à  notre 
bonheur!  Gommenl  en  douter?  Ce  qui  fait  que  les  connais- 
sances humaines  nous  améliorent  et  nous  procurent  un  cer- 
tain bonheur,  c'est  parce  qu'elles  nous  mettent  en  rapport 
avec  quelques  parcelles  de  vérité.  Mais  la  connaissance  de 
Dieu  nous  met  en  rapport  avec  la  vérité  tout  entière  :  il  est 
dès  lors  absolument  naturel  que  cette  connaissance  nous 
perfectionne  beaucoup  plus,  et  nous  rende  pareillement 
beaucoup  plus  heureux.  —  Ce  que  le  raisonnement  d'ailleurs 
nous  suggère  ici,  l'expérience  lui  donne  la  confirmation 
irrésistible  de  ses  faits.  Oui  certes,  on  ne  saurait  le  nier,  on 
voit  des  personnes  que  les  connaissances  humaines  rendent 
meilleures  et  plus  heureuses.  Mais  ce  qu'on  ne  peut  pas  nier 
non  plus,  c'est  que  les  personnes  qui  connaissent  Dieu  sont 
encore,  en  général,  bien  plus  parfaites  et  bien  plus  heureu- 
ses. Quand  nous  voulons  nous  représenter  ceux  qui  ont  le 
plus  de  perfection  et  le  plus  de  bonheur  en  ce  monde,  à  qui 
p<  usons-nous  ?  Aux  saints.  Et  il  en  est  effectivement  ainsi, 
parce  que  ce  sont  les  saints  qui  connaissent  pratiquement  le 
mieux  Dieu.  En  résumé,  puis  donc  que  c'est  pour  nous  un 
devoir  d'élever  notre  esprit,  de  perfectionner  notre  cœur,  de 
réprimer  nos  passions,  d'où  résulte  pour  nous  le  bonheur 
dont  nous  pouvons  jouir  en  ce  monde  ;  et  puisque  ces  avan- 
tages sont  surtout  le  fruit  de  la  connaissance  de  Dieu,  il  s'en 
suit  donc  que  L'acquisition  de  cette  connaissance,  qui  est 
déjà  pour  nous  un  devoir  quand  on  considère  les  choses  du 
côté  de  Dieu,  en  est  également  un  quand  on  les  considère 
de  notre  côté,  même  en  se  bornant  au  point  de  vue  tempo- 
rel :  combien  plus  si  on  les  considérait  au  point  de  vue 
éternel  ! 

L'acquisition  de  la  connaissance  de  Dieu  est  encore  et 
enfin  pour  nous  un  devoir,  si  l'on  considère  les  choses  du 
côté  de  la  société.  La  société  n'est  pas  pour  nous  une  étran- 
gère et  une  inconnue:  nous  recevons  d'elle  de  nombreux 
bienfaits.  G'esl  elle  <pii.  en  échange,  il  est  vrai,  de  nos  pro- 
pres travaux,    nous    fournil    toutes  les  choses  temporelles 


3o  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  II.  INSTRUCTION. 

dont  nous  avons  besoin,  et  assure  notre  tranquillité  maté- 
rielle. Il  est  donc  juste  que  nous  contribuions  à  sa  stabilité 
et  à  sa  prospérité.  C'est  ce  que  nous  faisons  en  particulier 
en  payant  les  impôts,  et  même,  lorsqu'il  le  faut,  en  lui 
donnant  notre  vie.  C'est  ce  que  nous  faisons  aussi  par  notre 
esprit  d'ordre,  de  travail,  d'économie,  et  par  notre  respect 
pour  les  lois  et  les  institutions.  Mais  le  moyen  d'y  contri- 
buer le  plus  efficacement,  c'est  de  s'appliquer  à  acquérir  et 
à  répandre  la  connaissance  de  Dieu.  En  entendant  ce  lan- 
gage, l'impiété  et  l'ignorance,  compagnes  inséparables,  ne 
manqueraient  pas  de  sourire  ;  et  cependant  il  n'y  a  rien  de 
plus  véritable,  ni  rien  déplus  facile  à  démontrer.  De  quoi  est 
composée  la  société?  D'individus,  n'est-il  pas  vrai?  Et  n'est-il 
pas  vrai  également  que  la  société  sera  d'autant  plus  forte 
et  plus  prospère,  que  les  individus  qui  la  composent  seront 
plus  honnêtes  et  plus  parfaits?  Eh  bien,  ne  venons-nous  pas 
de  démontrer  que,  mieux  les  individus  connaissent  Dieu, 
plus  leurs  pensées  sont  élevées,  plus  leurs  actions  sont 
droites,  plus  leur  conduite  est  irréprochable  et  parfaite? 
Par  conséquent,  mieux  les  individus  qui  forment  la  société 
connaissent  Dieu,  plus  la  société  qui  résulte  de  leur  réunion 
est  honnête,  généreuse,  polie,  brillante  et  puissante.  Au 
contraire,  moins  les  individus  qui  forment  une  société  con- 
naissent Dieu,  plus  cette  société  doit  être  corrompue, 
égoïste,  faible  et  abaissée. 

Ici  encore  l'expérience  confirme  la  doctrine.  L'histoire  à 
la  main,  on  voit  que  les  sociétés  ne  sont  devenues  grandes  et 
illustres  que  par  les  idées  religieuses,  dont  la  première  est  la 
connaissance  de  Dieu.  Aucune  société  ne  s'est  élevée  sans 
cette  base;  et  celles  qui,  après  s'être  élevées  sur  cette  base, 
ont  commis  le  crime  de  la  rejeter,  n'ont  pas  tardé  de  s'é- 
crouler au  milieu  de  leurs  ruines  (i).  —  Regardons  plus  près 

i.  Parmi  les  libertés  réclamées,  reconnues,  instituées,  passées,  dit-on, 
à  l'état  de  nécessité  dans  les  faits,  en  même  temps  qu'à  l'état  de  princi- 
pes et  d'axiomes  fclans  l'ordre  des  idées  et  des  lois,  nous  avons  eu  au 
premier  rang  la  liberté  du  blasphème.  On  l'a  nommée  diversement. 
Comme  Satan,  qui  est  son  père,  le  monde  est  naturellement  et  forcé- 
ment menteur.  S'il  était  obligé  de  parler  clairement  et  d'appeler  les 
choses  par  leur  vrai  nom,  il  serait  frappé  d'impuissance  et  de  mort  :  la 
vérité  le  tue,  et  la  lumière  lui  est  mortelle.  Il  lui  faut  vivre  de  menson- 


C'EST  I  N  DEVOIR   POl  R    \()l  s  DE  CONNAITRE  DIEU.  3l 

de  nous.  Qui  son [  ceux  qui  s'insurgent  contre  la  société, 
qui  la  déchirent,  qui  lui  son!  à  charge  et  à  honte?  Ne  sonl  ce 
pas  Ions  les  criminels,  voleurs,  faussaires,  traîtres,  assassins, 
contre  Lesquels  La  société  esl  forcée  de  se  défendre  en  les 

ges,  d'obscurités,  d*équivoques  ;  mensonges  et  équivoques  d'action, 
mensonges  et  équivoques  de  parole.  Cette  liberté  impie  s'est  donc  appe- 
lée liberté  de  conscience,  liberté  religieuse,  liberté  de  la  pensée,  liberté  de 
la  pn^sc  :  mais,  en  l'ail  ei  vraiment  en  droit,  c'était  la  Liberté  du  blas- 
phème. On  en  a  largemenl  usé,  ei  nous  ne  savons  si  depuis  l'origine  du 
monde  on  avail  blasphémé  davantage.  Il  y  eut  le  blasphème  savant  elle 
blasphème  ignare.  Le  blasphème  railleur  et  le  blasphème  sérieux,  le 
blasphème  poli  et  le  blasphème  cynique,  le  blasphème  tranquille  et  le 
blasphème  emporté  :  Plenain  no  minibus  blasphemise.  Apoc.  xvu,  4. 

Mais  ce  qui  fléchissait  cl  s'altérait  de  jour  en  jour  sous  le  poids 
de  ces  blasphèmes,  c'était  la  vraie  notion  de  Dieu.  On  s'est  fait 
des  dieux  à  sa  gui  se;  il  s'en  est  produit  de  toute  marque.  Nous  avons 
(mi  le  Dieu  qui  règne  et  ne  gouverne  pas  :  Dieu  sublime  et  digne  de  tout 
respect,  mais  sans  souci  du  monde,  et  que  le  monde  ne  peut  mieux 
honorer  qu'en  s'estimanl  trop  petit  pour  mériter  son  regard  et,  à  plus 
forte  raison,  son  intervention.  Nous  avons  eu  le  Dieu-idée  :  idéal 
absolu,  échappant  par  sa  nature  même  à  toute  définition,  fuyant  d'au- 
tant plus  qu'on  cherche  à  le  saisir,  et  s'évanouissant  tout  à  fait, 
dès  qu'on  prétend  l'avoir  saisi.  Nous  avons  eu  le  Dieu-être  :  l'être 
qui  est,  mais  qui  n'existe  pas,  qui  ne  vit  pas  ;  le  Dieu  qui  ne  pense,  ni 
ne  veut,  ni  ne  juge,  ni  n'opère,  attendu  que  ces  mots  signifient  une 
détermination,  et  par  là  même  une  limite,  un  amoindrissement,  une 
contradiction,  une  négation  de  l'être  absolu.  Il  y  a  eu  le  Dieu-progrès, 
le  Dieu  aspiration  ;  le  Dieu  qui  est  un  immense  devenir,  qui  s'essaie  sans 
à  exister,  qui  cherche  à  s'épanouir  et  à  se  posséder,  qui  tend  par 
tout  moyen  à  sa  plénitude,  à  sa  perfection,  à  son  bonheur,  à  sa  tin  der- 
nière, et  qui  n'\  arrive  jamais,  parce  qu'étant  par  essence  l'aspiration 
infinie  et  le  progrès  éternel,  sa  vie  est  de  se  mouvoir  sans  s'arrêter 
jamais  cl  de  viser  toujours  à  une  tin  toujours  impossible  :  ce  qui  le 
réduit  exactement  à  l'étal  des  damnés,  Voisin  et  parent  de  celui-là,  il  y 
a  eu  le  Dieu-monde,  le  Dieu-cosmique  :  âme  du  monde,  force  secrète, 
fatale,  universelle,  vivifiant  tout,  et  si  mêlée  à  tout,  qu'elle  ne  se  distin- 
gue de  rien,  et  que  le  monde  esl  son  expression  essentielle  et  unique. 
'Mu-  dirai  je ?  il  \  a  eu  le  Dieu-néant,  le  Dieu-mal,  le  Dieu  hostile, 
jaloux,  tyrannique,  oppresseur  :  je  m'arrête.  —  Cf.  Concile  d'Agen, 
décret  :  De  recentioribus  circa  naturam  divinam  erroribus.  t.  1,  c.  2. 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  c'est  le  panthéon  du  blasphème  :  plenam 
nominibus  blasphemiœ.  Or,  chacun  de  ces  noms  blaphématoires  a  été 
donné  à  Dieu  par  nos  contemporains,  par  nos  concitoyens,  et  cela  plus 
d'une  fois,  du  haut  des  chaires  de  l'enseignemenl  public.  Chacune  de 
ces  notions  absurdes  et  détestables  a  pris  la  place  de  la  notion  ration- 
nelle él  catholique  de  Dieu,  et  cela  jusque  dans  des  âmes  baptisées  et 
qui  croyaient  encore  n'avoir  pas  dil  formellement  adieu  à  leur  Baptême. 

Faut-il  s'étonner  après  cela  du  degré  de  faiblesse,  de  misère  et  de 
honte  auquel  es!   descendue  cette  société  ignorante  et  contemptoire  de 


32  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  II.    INSTRUCTION. 

emprisonnant,  et  parfois  en  leur  ôtant  la  vie  ?  Eli  bien, 
parmi  ces  malheureux,  devenus  criminels,  combien  s'en 
trouvc-t-il  qui  se  soient  appliqués  à  connaître  Dieu  ?  A  peu 
près  aucun.  Tous  ou  presque  tous  sont  sans  connaissances 
religieuses.  C'est  donc  l'ignorance  de  ces  connaissances  qui 
les  a  conduits  au  crime,  et  qui  a  fait  d'eux  les  fléaux1  de  la 
société.  Souvent  l'aveu  en  a  été  fait,  du  haut  de  l'échafaud, 
par  les  criminels  eux-mêmes. 

Combien  ne  manquent-ils  donc  pas  à  leur  devoir  social, 
ceux  qui  négligent  de  s'instruire  de  Dieu  et  de  le  connaître  ! 
Ils  croient  que  cette  connaissance  est  une  chose  qui  n'inté- 
resse que  la  religion,  alors  qu'elle  n'intéresse  pas  moins  la 
société.  Mais  que  dire  de  ceux  qui,  au  lieu  d'acquérir  la 
connaissance  de  Dieu,  ont  la  prétention  sacrilège  et  tyranni- 
que   d'empêcher   les    autres  de  le  connaître,  et  recourent  à 


Dieu  ?  Le  sage  l'avait  bien  dit  :  «  Or,  ils  sont  vains  tous  les  hommes 
chez  qui  la  science  de  Dieu  n'existe  pas  à  la  base  clc  tout  le  reste.  »  Vanl 
autem  sunt  omnes  hommes  in  quibas  non  subest  scientia  Dei.  Sap.  xiii,  i. 
Entendez-vous  :  Vani  omnes  :  quels  qu'ils  soient  et  de  quelques  avan- 
tages qu'ils  se  glorifient,  ce  ne  sont  plus  vraiment  des  hommes,  mais 
des  ombres  et  des  fantômes  d'hommes,  des  hommes  qui  ne  tiennent 
plus  debout,  des  hommes  inconsistants,  fuyants,  insaisissables,  et  qui  ne 
savent  plus  eux-mêmes  rien  saisir  ni  retenir  :  génération  vouée  au 
malheur,  et  qui  est  réduite  à  chercher  ses  sauveurs  parmi  les  morts, 
comme  si  les  morts  pouvaient  offrir  une  espérance  de  salut  :  Infelices 
autem  sunt,  et  inter  morluos  spes  illorum  est.  Sap.  xui,  10.  Que  si  ce  peu- 
ple est  emmené  captif,  s'il  est  démembré,  s'il  est  livré  à  la  merci  de  tous 
ses  ennemis  du  dehors  et  du  dedans,  la  cause  en  est  qu'il  a  perdu  la 
clef  de  toute  science  et  de  toute  sagesse,  et  le  principe  de  toute  force  en 
perdant  la  connaissance  de  Dieu  :  Propterea  captivas  ductus  est  pop  ut  as 
meus,  eo  quod  non  habuerit  scientiam;  voilà  pourquoi  ses  chefs  périssent 
d'inanition,  et  ses  multitudes  altérées  d'ordre  et  de  paix  se  dessèchent 
dans  le  trouble  et  le  désordre  :  El  nobiles  ejus  interierunt  famé,  et  multi- 
iudo  ejus  siti  exaruit.  ls.  v,  i3.  A  cause  de  cela,  le  monstre  des  révolu- 
tions, cet  enfer  anticipé,  a  dilaté  ses  flancs  et  ouvert  sa  bouche  sans 
aucun  terme,  et  les  plus  forts,  les  sublimes  et  les  glorieux  sont  descen- 
dus dans  ce  gouffre  avec  le  commun  du  peuple  :  Propterea  dilatavit 
infernus  anima  m  snain,  et  aperuit  os  suum  absque  ullo  termino  :  et  descen- 
derunt  jortes  ejus,  et  populus  ejus,  et  sublimes  gloriosique  ejus,  ad  eum. 
Is.  v,  i/î.  Juste  châtiment  de  la  divinité  outragée.  Car  ce  n'est  plus  le 
Dieu  inconnu  des  païens;  Àct.  xvn,  23;  c'est  le  Dieu  méconnu,  et 
méconnu  de  ceux  qu'il  a  instruits  lui-même,  et  qu'il  a  honorés  de  sa 
divine  adoption  :  Filios  enulrivï  et  exaltavi;  ipsi  autem  spreverunt  me. 
ls.  i,  2  (Le  card.  Pie,  Instr.  synod.  sur  la  prem .  const.  du  conc.  du  Vatic. 
n.  i4  et  i5). 


«    EST  iJNDEVOIR  POUR  NOUS  DE  CONNAITRA  DIEU.  33 

tous  les  moyens  pour  \  parvenir  ?  Ce  sonl  des  criminels  de 
Lèse  société,  plus  malfaisants  mille  fois  que  les  assassins  eux- 
mêmes;  car  L'assassin  n'abat  qu'une  vie,  tandis  que  ces  mi- 
sérables  abattent  une  société  et  les  générations  tout  en- 
tières (i). 

\insi.  connaître  Dieu  est  tout  à  la  fois  pour  nous  un  de- 
voir divin,  un  devoir  personnel  et  un  devoir  social.  Qui 
donc  pourrait  encore,  drs  lois,  méconnaître  et  contester  la 
nécessité  de  celle  connaissance?  Une  connaissance  sans 
Laquelle  ou  viole  forcément  ses  devoirs  envers  Dieu,  envers 
soi-même  et  envers  la  société,  n'est-elle  pas  au  contraire  la 
première  et  la  plus  nécessaire  de  toutes  les  connaissances?  — 
La  nécessité  de  connaître  Dieu  étant  donc  ainsi  démon- 
trée, il  nous  reste  à  expliquer  maintenant, 

il .  —  Ce  que  nous  devons  savoir  de  Dieu. — Nous  devons 
savoir  de  Dieu  principalement  ces  trois  choses  :  qu'il  existe, 
ce  qu'il  est  en  lui-même,  et  ce  qu'il  est  par  rapport  à  nous. 

Nous  devons  savoir  de  Dieu,  tout  d'abord,  qu'il  existe. 
Nous  devons   savoir,  c'est-à-dire,  non  seulement  croire  que 

i.  Notre  premier  devoir,  au  milieu  des  négations  effrénées  qui  dé- 
routent les  caractères  chancelants,  esl  une  inébranlable  confiance .  Ce 
sérail  une  aberration  grossière  de  penser  que  tout  est  perdu  parce  qu'un 
petil  nombre  d'esprits  oseul  beaucoup  contre  Dieu.  Il  sulbt  de  quelques 
blasphèmes  spécieux  et  bruyants  pour  obscurcir  l'atmosphère  d'une 
génération  ;  mais  les  nuages  passent  et  le  soleil  demeure.  D'ailleurs  nos 
ombres  elles-mêmes  sont  sillonnées  de  vives  lumières. .. 

La  confiance  serait  présomptueuse,  si  elle  dégénérait  en  inertie  ;  c'est 
pourquoi  nous  devons  encore  pratiquer  envers  notre  temps  un  de- 
voir de prosélitisme .  Que  sert  de  se  lamenter  sur  les  désastres  si  l'on 
ne  travaille  point  à  la  réparation  ?  El  cependant  combien  de  catholi- 
ques optimistes  refusenl  «le  voir  les  maux  de  leur  temps  pour  n'avoir 
pas  à  les  secourir,  et,  assis  à  des  foyers  confortables,  pendant  que  le 
monde  est  en  combustion,  ne  regardent  pas  même  l'incendie,  parce 
que  Dieu  fait  des  miracles  pour  eux  et  sans  eux  !  Loin  de  nous  cette 
se  aussi  étroite  qu'égoïste,  et  à  la  persécution  contre  Dieu,  répon- 
dons par  la  propagation  de  Dieu... 

Il  est  un  troisième  réactif  que  la  charité  intelligente  doit  opposer  aux 
maladies  de  cette  époque:  c'est  la  prédication  du  boa  exemple.  On  peut 
travailler  à  tout  autre  apostolat  par  sa  fortune  ou  ses  influences  à  dé 
faut  de  concours  personnel  ;  dans  celui-ci,  il  îfesl  point  possible  de  se 
faire  suppléer  ;  le  bon  exemple  est  un  bien  qui  ne  s'opère  jamais  par 
remplacement;  \<>ilà  pourquoi  il  aura  toujours  plus  d'autorité  que  h; 
bon  conseil,  sûr  les  nations  comme  soi-  les  enfants...  (Lccard.  Desprez, 
Instr.  pastor.  pour  LeGar.de  1867.  Sur  l'athéisme,  a.  p.; 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.   —  T  .    II .  } 


34  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   II.    INSTRUCTION. 

Dieu  existe,  mais  encore  posséder,  en  quelque  sorte,  la 
science  de  cette  existence,  et  en  d'autres  termes,  connaître 
les  preuves  qui  la  démontrent  et  l'établissent.  Nous  devons 
connaître  ces  preuves  pour  nous-mêmes  et  pour  notre  pro- 
pre avantage.  Car,  puisque  nous  croyons  toujours  d'autant 
plus  volontiers  et  d'autant  plus  fermement  une  chose,  que 
nous  savons  mieux  pour  quelles  raisons  nous  la  croyons  ; 
par  là  même  notre  foi  en  Dieu  sera  d'autant  plus  empressée 
et  plus  ferme,  que  nous  en  connaîtrons  mieux  les  motifs  et 
les  fondements.  Combien  de  chrétiens  faibles  et  chancelants 
qui  seraient  des  chrétiens  fermes  et  intrépides,  si  seulement 
ils  connaissaient  bien  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  !  — 
Nous  devons  aussi  connaître  ces  preuves  pour  l'honneur  de 
notre  sainte  religion  et  la  confusion  de  ses  ennemis.  Les 
impies  ne  vont-ils  pas  répétant  partout  que  la  foi  des  catho- 
liques est  dénuée  de  preuves,  et  qu'il  faut  avoir  abdiqué  la 
raison  pour  y  adhérer?  Or  c'est  là  une  impudente  calomnie. 
Mais  parce  qu'on  ne  peut  la  réfuter,  pour  ce  qui  concerne 
l'existence  de  Dieu  en  particulier,  qu'autant  que  l'on  connaît 
les  preuves  de  cette  existence,  voilà  pourquoi  il  est  de  notre 
devoir  de  les  connaître.  Car  alors  il  est  aisé  de  démontrer 
que  ce  n'est  pas  la  foi  en  l'existence  de  Dieu  qui  est  contrai- 
re à  la  raison,  mais  bien  sa  négation.  Et  c'est  ce  que  tout 
chrétien  doit  pouvoir  faire,  puisque  saint  Paul  dit  que  tout 
chrétien  doit  pouvoir  rendre  raison  de  sa  foi  (i). 

î.  Rom.  xii,  ï.  —  L'ignorance  exerce  ses  ravages  môme  parmi  les  per- 
sonnes les  plus  chrétiennes.  La  piété,  de  nos  jours,  est  souvent  tendre 
et  affectueuse  :  elle  est  rarement  éclairée  et  solide.  C'est  un  dicton  trop 
commun,  dans  notre  siècle,  que  la  religion,  en  somme,  n'est  qu'une 
affaire  de  sentiment.  Cela  est  faux.  Il  ne  suffit  pas  d'être  chrétien  par  le 
cœur,  il  faut  encore  l'être  par  l'esprit,  par  l'étude,  par  le  savoir  ;  et  s'il 
est  vrai  que  la  foi  chrétienne  ouvre  et  développe  l'intelligence,  cette  vé- 
rité ne  nuit  en  rien  à  la  belle  thèse  de  saint  Anselme  :  «  L'intelligence 
doit  chercher  la  foi.  »  Intellectus  quœrensfidem.  Eh  bien,  voilà  ce  qu'elle 
ne  sait  plus  faire.  On  lit  peu  ;  on  ne  réfléchit  jamais  ;  on  ouvre  à  peine 
son  catéchisme  ;  on  ne  sait  se  rendre  compte  à  soi-même  d'aucune  de 
ses  croyances  ;  et  quand  le  souille  de  la  tempête  vient  frapper  l'édifice 
fragile  de  la  foi,  on  s'aperçoit,  trop  tard,  qu'il  n'a  été  fondé  que  sur  le 
sable  mouvant.  —  Mais  toutes  ces  ignorances  ensemble  :  celle  de  l'hom- 
me ennemi  qui  attaque  la  religion,  celle  de  l'indifférent  qui  ne  pratique 
pas,  celle  du  chrétien  qui  croit,  mais  qui  n'étudie  pas,  toutes  ces  ignoran- 
ces réunies  étendent,  sur  notre  pays  et  sur  notre  siècle,  des  ténèbres  abo-' 


C*E8T  l  \  DEVOIR   POUR  NOUS  DE  CONNAITRE  DIEU.  35 

Bien  que  ce  ne  soit  \mxs  ici  le  lieu  d'exposer  les  preuves 
de  L'existence  de  Dieu,  rappelons  du  moins,  tant  pour  affer- 
mir noire  foi  que  pour  nous  mettre  à  même  de  la  défendre 
contre  1rs  méchants,  rappelons  du  moins,  dis-jc,  celles  de 
ces  preuves  qui  son!  les  plus  faciles  à  saisir.  La  première 
est  l'existence  du  monde.  Le  monde  existe,  voilà  un  fait  qu'on 
ne  peut  pas  contester.  Or,  si  le  monde  existe,  il  faut  que 
quelqu'un  L'ait  fait,  puisque  rien  ne  peut  se  faire  soi-même. 
Dira  t-on  qu'il  est  éternel,  et  qu'il  existe  nécessairement? 
Mais  nous  voyons  Le  monde  se  modifier  et  changer  sans 
cesse;  or  ce  qui  change  n'est  pas  éternel.  Et  si  le  monde 
n'est  pas  éternel,  il  a  donc  été  créé.  Or,  par  qui  a-t-il  été 
créé,  si  ce  n'est  par  l'Etre  éternel  qui  ne  change  jamais, 
c'est-à-dire  par  Dieu  (i)  ? 

Une  autre  preuve  de  l'existence  de  Dieu,  c'est  l'accord  una- 
nime des  peuples  à  la  reconnaître.  Tous,  en  effet,  ont  cru  en 

minables.  D'abord,  on  ne  se  sauve  pas  ;  puis,  les  plus  nobles  facultés 
humaines  s'amoindrissent  et  s'étiolent  ;  et  le  monde  social,  sans  convic- 
tions et  sans  principes,  devient  le  jouet  du  premier  venu  (Mgr  de  la 
Bouilleree,  Maiidem.  pour  le  Car.  1872.   L'inslruct.  relig.). 

1 .  Scilote  quoniam  Dominas  ipse  est  Deus  :  ipse  fecit  nos,  et  non  ipsi  nos. 
Ps.  xcix.  Quibus  verbis  conlinetur  ratiocinium  hujusmodi  :  si  huma- 
num  genus  non  fecit  semetipsum,  admittendusest  ejusdem  conditor  a 
se  ipso  cxislens,  qui  Deus  est  ;  atqui  humanum  genus  semetipsum 
non  fecit  ;  ergo,  etc.  —  Praemissae  hoc  modo  deelarari  possunt.  Dum 
memetipsum  interrogo  :  Quomodo  ad  existentiam  emersi  ?  quis  mihi 
illam  tribuit  ?  respondeam  necesse  est  :  Non  ego  feci  me.  Et 
unusquisque  patrum  meorum,  eidem  qusestioni  camdem  responsionem 
reddere  debuit.  Quod  si  varia  entia  quibus  circumdor,  terrain,  aercm, 
aquam,  stellas,  lunam,  solem,  pariter  interrogerai  ;  singula,  ut  quidam 
ait  e\  antiquis  patribus,  certatim  respondebunt  mihi  :  Non  ego  te  feci  ; 
sicut  tu,  crealura  hesterna  sum,  quœ  non  magis  tibi  quam  mihi  existen- 
tiam impertiri  valeo.  Dcmum,  quotiescumque  casdem  quaestiones  itéra- 
verimus  :  Quomodo  hueveni?  Quis  fecit  me  id  quod  sum  ?  definitivum 
respoosum  non  inveniemus,  donec  agnoscamus  existere  ens  quoddam 
aeternum,  necessarium,  a  se,  causam  omnium  entium  contengentium, 
quod  non  est  aliud  quam  Deus.  —  Etcnim,  quandiu  contingentium 
rcrum  explicationem  in  ipsis  quaerimus,  scriem  seu  catenam,  cujus 
annuli  alius  ab  alio  dépendent,  quodammodo  percurrimus,  terminum 
non  assecuturi,  donec  ad  punctum  fixum  quod  lolam  catenam  susten- 
let,  quodquc  sit  ens  a  se,  tandem  perveniamus.  Igitur  nisi  sericm  con- 
tingentium infînitam,  quasi  catenam  sine  punclo  fixo  pendentem,  sine 
sustentaculo  sustenta  ta  m,  admittere  velimus,  necesse  est  ut  ens  a  se, 
tanquam  priraam  rerum  omniun  causam,  existere  fatcamur  (Schouppe, 
Elem.  th.  dugni.  tr.  0,  c.  1,  n.  44)i 


36  LES  GRANDS  DEVOIRS  DtJ  SALUT.   —  II.  INSTRUCTION. 

Dieu,  les  plus  anciens  comme  les  plus  nouveaux,  les  plus 
policés  comme  les  plus  sauvages.  Ce  n'est  donc  pas  une 
croyance  qui  se  soit  formée  peu  à  peu,  ni  qui  ait  été  impo- 
sée par  des  prêtres  ou  des  législateurs,  puisqu'on  la  trouve 
entière  à  l'origine  des  sociétés.  Ce  n'est  pas  non  plus  une 
croyance  qui  soit  née  de  l'ignorance,  puisqu'elle  est  profes- 
sée par  les  peuples  les  plus  civilisés  et  les  hommes  les  plus 
savants.  Enfin  elle  n'est  pas  non  plus  le  fruit  de  la  science, 
qui  aurait  inventé  Dieu  pour  se  distinguer  et  s'enorgueillir, 
puisque  les  peuplades  les  plus  ignorantes  croient  aussi  en 
Dieu.  Cet  accord  des  peuples  à  croire  en  Dieu  est  d'autant 
plus  remarquable  que,  pour  tout  le  reste,  ils  sont  divisés,  et 
ne  veulent  s'emprunter  ni  leurs  langues,  ni  leurs  lois,  ni 
leurs  usages.  D'où  vient  donc  leur  unanimité  sur  l'existence 
de  Dieu,  si  ce  n'est  que  cette  vérité  a  été  gravée  dans  le  fond 
de  notre  conscience  par  le  Créateur  lui-même,  comme  le 
sculpteur  grave  son  nom  sur  le  marbre  qu'il  a  enfanté,  et 
le  peintre  sur  le  tableau  qu'il  a  créé  ? 

Ces  deux  grands  faits,  la  création  du  monde  et  l'accord  de 
tous  les  peuples  sur  la  croyance  en  Dieu,  suffisent  donc, 
alors  même  qu'il  n'y  en  aurait  pas  d'autres  (i),  pour  nous 
démontrer  d'une  manière  irrésistible  la  première  chose  que 
nous  devons  savoir  de  Dieu,  c'est-à-dire  qu'il  existe.  Affer- 
missons-nous donc  dans  cette  croyance  fondamentale,  si 
haut  placée  au-dessus  des  négations  de  l'impiété,  et  si  invul- 
nérable à  ses  misérables  traits. 

Sachant  que  Dieu  existe,  ce  qu'il  est  nécessaire  que  nous 

i.  Demonstrationes  (existentirc  Dei)multiplicis  distingtiuntur  generis, 
pro  diversis  mediis  quibus  perficiuntur  :  aliae  dicuntur  metaphysica?, 
aliae  physicae,  aliec  morales.  —  Demonstrationes  metaphysicae  dicuntur 
illrc,  quae  a  causa?  primae  necessitate  repetuntur.  iVd  metaphysicarum 
demonstrationum  genus  illse  quoque  probationes  essent  revocanda?, 
quas  nonnulli,  immerito  tamen,  et  ideis  nostris  et  prœsertim  ex  Dei 
notione,  duci  posse  existimant.  Hœc  enim  omnia  ad  metaphysicam 
pertinent.  —  Physicaî  sunt,  quae  depromuntur  ex  contcmplatione  natu- 
rae.  — Morales  demum,  quae  aut  ad  mores  pertinent,  aut  iis  constant 
argumentis  qufe  hominem  prudentem  moverc  valent  ad  assensum  ; 
prudentiae  namque  régulas  suggerit  ethica  seu  moralis.  Hae  demons- 
trationes principiis  causalitatis,  liect  diversimode,  innituntur  :  quod 
quidem  principium  metaphysicum  est  (Shouppe,  loc.  cit.  n.  43).  —  A  oy. 
notre  Grand  Catéchisme  de  la  Persévérance  chrétienne,  t.  i,  p.  116  à  ib"r 


C  FST  UN  DEVOIR  POUR  NOUS  DE  CONNAITRE  DÏEU.  .>7 

en  sachions  ensuite,  c'est  ce  qu'il  est  en  lui-même.  Or,  en 
lui  même,  Dieu  est  un  esprit.  Mais  qu'est-ce  qu'un  esprit  ? 
Ces!  ce  qu'il  ne  nous  es!  pas  facile  de  concevoir  ni  d'expli- 
quer, parée  que,  clans  L'état  de  notre  nature,  nous  ne  nous 
Taisons  une  idée  nette  que  de  ce  qui  tombe  sous  les  sens,  et 
qu'un  esprit  ne  tombe  pas  sous  les  sens,  parce  qu'il  n'a  pas 
de  [corps.  Cependant,  de  ce  que  l'esprit  n'a  pas  de  corps, 
cela  même  peut  nous  aider  à  Le  définir,  en  disant  que  c'est 
un  être  incorporel.  Ainsi  notre  âme  est  un  esprit  ;  car  bien 
qu'elle  soit  présentement  unie  à  notre  corps,  elle  est  par 
elle-même  un  être  incorporel,  et  subsistera  seule  après  que 
la  mort  l'aura  séparée  d'avec  notre  corps,  jusqu'à  la  résur- 
rection, où  de  nouveau  elle  sera  réunie  pour  toujours  à 
notre  corps.  Les  anges  également  sont  des  esprits,  c'est-à- 
dire  des  êtres  incorporels,  qui  par  conséquent  ne  peuvent 
tomber  sous  aucun  de  nos  sens.  Eh  bien,  voilà  justement 
ce  qu'est  aussi  Dieu  en  lui-même,  c'est-à-dire  un  esprit,  ou 
bien  un  être  incorporel.  C'est  ce  que  Notre-Seigneur  nous  a 
d'ailleurs  expressément  enseigné,  lorsqu'il  a  dit  :  Dieu  est 
esprit(i).  D'où  il  suit  qu'il  est  déraisonnable  de  ne  pas  croire 
en  Dieu  par  la  raison  qu'on  ne  le  voit  pas,  puisqu'il  est  natu- 
rellement invisible.  Aussi  toutes  les  fois  qu'il  a  voulu  se 
manifester,  a-t-il  dû  emprunter  un  corps,  soit  celui  d'un 
homme,  soit  celui  du  feu,  soit  tout  autre  ;  mais  ce  n'est 
toujours  pas  lui-même  qu'on  a  vu  alors,  mais  seulement  le 
corps  dont  il  s'était  servi  pour  se  rendre  sensible.  Pareille- 
ment, lorsque  les  peintres  représentent  Dieu  sous  la  figure 
d'un  majestueux  vieillard,  ils  ne  prétendent  pas  nous  donner 
son  portrait  ;  ils  veulent  seulement  nous  faire  entendre  qu'il 
est  excellemment  auguste  et  vénérable. 

Ajoutons  que  si  Dieu  est  en  lui-même  un  esprit,  comme 
nos  Ames  et  les  anges,  ce  n'en  est  pas  moins  un  esprit  d'une 
nature  essentiellement  différente  de  tous  les  autres  esprits 
qui  existent.  En  elï'ct,  tandis  que  tous  ces  autres  esprits  ont 
été  créés,  et  que  leurs  qualités  sont  limitées  quant  au  nom- 
bre et  à  la  perfection  ;  l'esprit  qui  est  Dieu,  au  contraire,  a 
éternellement  subsisté,  il  ne  tient  rien  que  de  lui-même,  et 

i.  Joan.  iv,  24. 


38  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  II.  INSTRUCTION. 

ses  perfections  sont  infinies  sous  tous  les  rapports.  De  plus, 
non-seulement  les  autres  esprits  n'ont  pas  leur  principe  en 
eux-mêmes,  mais  ils  n'ont  pas  non  plus  en  eux-mêmes  leur 
fin, et  ne  sauraient  être  heureux  par  eux-mêmes.  Au  contraire 
également,  Dieu,  qui  est  son  principe  à  lui-même,  est  aussi 
sa  fin,  et  il  trouve  éternellement  en  lui  tout  son  bonheur, 
sans  jamais  désirer  autre  chose  que  lui-même  (i).  Quel  être 
sublime  que  Dieu,  et  qui  peut  le  considérer  sans  être  con- 
fondu d'étonnement  et  d'admiration  (2)  ! 

Mais  pour  le  mieux  connaître  encore,  vovons  enfin  ce 
qu'il  est  par  rapport  à  nous.  On  pourrait  l'exprimer  avec 
une  entière  vérité  en  un  seul  mot,  en  disant  que  Dieu  est 
tout  pour  nous.  Mais  il  est  à  propos,  pour  le  mieux  com- 
prendre, d'entrer  dans  quelques  détails. 

1 .  Sancta  catholica  apostolica  romana  Ecclesia  crédit  et  confitetur, 
imum  esse  Deum  verum  et  vivum,  creatorem  ac  Dominum  cœli  et  terra? 
omnipotentem,  a?ternum,  immensum,  incomprehensibilem,  intellectu 
ac  volontate  omnique  perfectione  infinitum  ;  qui  cum  sit  una  singularis, 
simplex  omnino  et  incommutabilis  substantia  spiritualis,  prœdicandus 
est  re  et  essentia  a  mundo  distinctus,  in  se  et  ex  se  beatissimus,  et  super 
omnia,  qurc  prœtcr  ipsum  sunt  et  concipi  possunt,  ineflabiliter  excelsus. 
(Goxc.  Vatic.  Constit.  1,  cap.  1). 

2.  Ingestimabilis,  inefîabilis,  incomprehensibilis  (Deus)  :  si  qua?ras 
magnitudinem,  major  est  ;  si  dulcedinem,  dulcior  ;  si  pulchritudinem, 
pulchrior,  spendidior,  justior,  fortior,  etc.  (4.  Aug,,  serm.de  Verb.Apost.). 

Si  quaeras  quid  sit  Deus  ?  dicam  tibi,  Deum  esse  illum  Dominum 
cœli  terrœque  regnatorem,  in  cujus  fimbria  vestimenti  scriptum  legi- 
tur  :  Rex  regum  et  Dominus  dominantium.  Decam  tibi,  Deum  esse  illum 
Dominum,  cujus  sapientia,  providentia  ac  potentia  est  infinita,  adeo  ut 
unico  verbulo  Fiat,  immensum  hoc  cœli  terrœque  artefactum  e  nihilo 
produxerit,  et  si  vellet,  momento  unico  iterum  in  nihilum  redigere 
posset.  Dicam  tibi,  Deum  esse  illum  Dominum,  in  cujus  comparatione 
regum  terrenorum,  quotquot  hactenus  fuerunt,  sunt,  aut  erunt,  majes- 
tas  ac  potentia  non  aliter  se  habet,  quam  atomus  comparata  ad  solem. 
Dicam  tibi,  Deum  esse  illum  Dominum  cujus  nutui  serviunt  millia 
millium,  et  decies  millies  centena  millia  angelorum,  quorum  unusquis- 
que  potentior  est,  quam  sint  omnes  mundi  principes  simul  sumpti. 
Dicam  tibi,  Deum  esse  illum  Dominum,  cujus  maj estas  est  ineffabilis, 
inœstimabilis,  incomprehensibilis  :  quemadmodum  ille,  qui  fixis  oculis 
meridianum  solem  contcmplatur,  quo  diutius  lucidissimum  sidus 
intuetur,  eo  magis  excaecatu?  ;  ita  qui  in  divina  illa  perfectionum  om- 
nium abysso  animi  obtutum  defigit,  nihil  cognoscet,  nisi  hoc,  quod 
illius  inscrutabilis  bonitas,  sapientia,  potentia,  justitia,  misericordia,  ac 
pulchritudo  a  creato  intellectu  cognosci  non  possit  (Glaus,  Spicileg. 
çaiech.  Dom,  Pcntec.  n.  3), 


c'est  un  devoir  rorn  nous  nr,  connaître  dieu.  3g 

Par  rapport  à  nous  donc,  Dieu  est  premièrement  notre 
créateur.  C'est  Dieu  </ui  nous  a  faite,  et  non  pas  nous  mêmes  (i), 
dit  le  Psalmiste.  Nous  cou  naissons  l'histoire  de  notre  créai  ion. 
De  ses  mains  toutes  puissantes,  Dieu  prit  de  l'argile,  qu'il 
avail  d'abord  tiré  du  néant,  et  il  en  forma  le  corps  du  pre- 
mier homme  :  et  sur  la  face  de  ce  corps  inerte,  Dieu  souilla 
un  esprit  de  vie,  et  l'homme  fut  fait  un  être  vivant  (2).  Et 
depuis  nul  homme  ne  paraît  sur  la  terre  qui  ne  doive  la  vie  à 
Dieu.  Ce  n'est  pus  moi,  disait  à  ses  enfants  la  mère  des  sept 
frères  Maeh  abcès,  ce  n'est  pas  moi  qui  vous  ai  donné  votre 
unie  cl  voire  vie,  et  qui  ai  formé  vos  membres,  mais  c'est  le 
Créateur  du  monde  (3).  Ces  sages  paroles  sont  la  pure  expres- 
sion de  la  vérité.  Personne  en  effet  ne  peut  donner  l'être  au 
moindre  brin  d'herbe  et  au  plus  petit  grain  de  poussière  ; 
quel  autre  que  Dieu  pourrait  donc  nous  donner  la  vie,  à 
nous  qui  sommes  les  êtres  les  plus  parfaits  de  la  création 
visible  (4)  ? 

Mais  Dieu  ne  nous  a  pas  seulement  créés,  c'est  lui  encore 
qui  nous  conserve.  Vainement  nous  nous  imaginerions 
qu'après  avoir  reçu  de  Dieu  le  don  delà  vie,  là  se  bornent  ses 
bienfaits  à  notre  égard,  et  qu'au  surplus  nous  pouvons  nous 
procurer  nous-mêmes  ce  qui  nous  est  nécessaire,  et  nous 
passer  de  lui.  Rien  ne  serait  plus  faux  que  de  telles  pensées. 
La  vérité,  c'est  que  nous  ne  recevons  pas  moins  de  Dieu  ce 
qui  conserve  notre  vie,  que  nous  n'avons  reçu  de  lui  la  vie 
elle-même.  Qu'est-ce,  en  effet,  qui  conserve  notre  vie? N'est- 
ce  pas  d'abord  l'air,  et  l'air  pur,  l'air  chimiquement  composé 
en  conformité  de  nos  besoins  ?  Que  cet  air  manque  ou  se 
corrompe,  aussitôt  notre  vie  entre  en  péril  et  bientôt  nous 

1.  Ps.  xcix,  3. 

2.  Gon,  11,  7. 

3.  II.  Maeh.  vu,  22,  23. 

\.  Hic  soins  verus  Dons  bonitate  sua  ot  omnipotenti  virlute  non  ad 
augendam  suam  beatitudinem,  nec  ad  acquirendam,  sed  ad  manifestan- 
dam  perfectionem  suam  per  bona,  qua?  creaturis  impertitur,  libcrrhno 
concilio  simul  ah  initio  temporis  utramque  de  nihilo  condidit  crealu- 
cam,  spiritualcin  et  coi  pnnilrm,  angejfcam.  \i<leliccl  et  iniindanani,  ac 
deinde  liumanani  quasi  ruuiiiiuiieiii  e$  spiiïtu  a]  cnrpnn;  o<>nsti(,utan), 
(Conc.  Vatic,  loc.  cit.). 


/|0  LES  CR/VNDS   DEVOIRS  DU  SALUT.   II.  INSTRUCTION. 

abandonne.  Eh  bien,  depuis  tant  de  siècles  que  cet  air  est 
respiré  par  les  hommes  et  appauvri  de  ses  éléments  néces- 
saires, qui  est-ce  qui  le  renouvelle  et  le  reconstitue  sans  cesse? 
Les  hommes  ne  prétendront  pas  sans  doute  que  ce  sont  eux  : 
c'est  donc  Dieu.  —  Et  qu'est-ce  encore  qui  nous  conserve  la 
vie  ?  Apres  l'air,  ce  sont  les  aliments.  Eh  bien,  qui  fourni* 
aux  hommes  ces  aliments  ?  qui  leur  fournit  le  pain,  l'eau, 
lé  vin  et  tout  le  reste?  Les  hommes  peuvent  bien  semer,  et 
même  ils  le  doivent,  en  vertu  de  la  loi  qui  leur  en  a  été 
faite.  Mais  qui  fait  germer  leurs  semences,  qui  fait  pousser  et 
mûrir  leurs  moissons  ?  C'est  Dieu,  et  Dieu  seul  ;  personne 
ne  peut  le  contester,  car  la  raison  le  démontre.  Le  Sauveur 
Ta  du  reste  expressément  enseigné.  Sans  doute,  l'action 
créatrice  de  Dieu  a  cessé  le  septième  jour  ;  mais  depuis  ce 
jour,  mon  Père,  a  dit  Notre  Seigneur,  ne  laisse  pas  de  conti- 
nuer d'agir(i),  par  une  action  conservatrice  et  providentielle 
qui  soutient  l'univers  (2). 

Une  troisième  chose  que  nous  devons  encore  absolument 
savoir  de  Dieu,  c'est  qu'il  nous  a  rachetés  du  démon  et 
sauvés  de  l'enfer.  En  vertu  de  sa  nature  très  parfaite  et 
nécessairement  bonne,  c'est  pour  nous  rendre  heureux  que 
Dieu  nous  avait  donné  l'existence.  Du  paradis  terrestre, 
nous  devions  aller  directement  dans  le  ciel,  après  une  facile 
épreuve  destinée  à  prouver  notre  soumission  et  notre 
attachement  à  Dieu.  Mais  avec  une  ingratitude  vraiment 
criminelle,  nos  premiers  parents,  qui  n'avaient  reçu  de  Dieu 
que  des  bienfaits,  l'offensèrent  en  lui  désobéissant  sur  les 
instigations  du  démon.  Celui-ci,  ayant  réussi  à  leur  faire 
accomplir  ce  qu'il  voulait,  était  donc  devenu  leur  maître,  et 
de  ce  maître  horrible  nos  premiers  parents,  ainsi  que  tous 
leurs  descendants,  devaient  partager  le  sort,  qui  était  de 
souffrir  éternellement  dansj'enfer.  Or,  Dieu  eut  pitié  de 
nos  premiers  parents  et  de  nous  tous.  Il  envoya  sur  la  terre 

1.  Joan.  v,  17. 

2.  Universa  vero,  quœ  condidit,  Dcus  providentia  sua  tuetur  nique 
gubernat,  attingens  a  fine  usqnc  ad  finem  fortiter,  et  disponens  omnia 
suaviter.  Sap.  vin,  1.  Omnia  enim  nuda  et  aperta  sunt  oculis  ejus.  Heb. 
iv,  i3,  ea  etiam,  quse  libéra  ereaturarum  actione  futura  sunt  (Coxc. 
Yatic,  loc.  cit.). 


c'ESI    in   DEVOIR   POl  i;   mus  DE  CONNAITRE  DIEU.  /|  I 

son  Verbe  éternel,  qui  esl  son  Fils  unique,  pour  se  faire 
homme,  afin  d'expier  1rs  fautes  des  hommes,  et  ainsi  de  les 
arracher  à  La  domination  du  démon  et  dé  1rs  soustraire  aux 
châtiments  de  L'enfer.  Voilà  ce  qu'a  fait  Dieu  pour  nous. 
N'est  il  pas  juste  que  nous  Le  sachions,  afin  que  nous  con- 
naissions toute  la  reconnaissance  que  nous  Lui  (levons  ? 
Quoi  !  Dieu  aurai I  donné  son  Fils  unique  pour  nous  sauver 
de  L'enfer,  cl  ce  Fils  unique  aurait  lui-même,  dans  ce  but, 
donnéson  sang  et  sa  vie,  et  ce  ne  serait  pas  un  devoir  pour 
nous  de  nous  instruire  d'un  tel  mystère  gratuitement  accom- 
pli à  noire  profil?  Disons  le  hautement:  celui  qui  croirait  pou- 
voir se  dispenser  de  ce  devoir  montrerait  seulement  que  le 
cœur  ne  L'embarrasse  pas,  et  ne  mérite  que  le  titre  méprisé 
d'ingrat  (i). 

CONCLUSION —  Pourquoi  nous  devons  connaître  Dieu, 
et  ce  que  nous  devons  savoir  de  Dieu,  voilà  donc,  chrétiens,  ce 
que  qous  venons  d'étudier  ce  soir.  Nous  devons  connaître  Dieu, 

parce  qu'il  s'est  révélé  par  ses  manifestations  personnelles, 
par  le  ministère  de  ses  prophètes  et  enfin  par  la  voix  de  son 

i.  Àdmirabilitas  beneficentiœ  divinae  erga  homincm  elucet  :  i°  Ex 
majcstale  amantis  et  largientis  :  quidenim  majus  Dco,  qui  inimitiés 
transcendit  hommes  et  angelos?  2U  Ex  vilitatc  hominis,  cui  Deus  bene- 
facit,  quia  vermiculus  terra',  peccator,  ingratus,  carualis  est.  3°  Ex  lar- 
gitate,  qua  praevenit  hominem,  et  ultro  illi  offert  sua  dona,  gratiam, 
gloriam,  angelicam  custodiam.  4°  Ex  fine,  quia  homini  largitur  sua 
doua,  ut  illi  bene  sit,  non  Deo;  Deus  enim  non  indiget  homine.  5°  Ex 
modo  quo  se  eommunicat  homini,  ut  illum  haeredem,  et  coluercdem 
Christi  faciat,  etc.  (Corn,  a  Lai>.  Comm.  injac.  i,  5). 

In  hac  philanthropia,  seu  singulari  Dci  amore  in  nos  multa  sunt 
admiranda  :  i"  Quod  ab  aeterno  nos  ainarit,  ille  qui  est  Deus,  summa 
majestas  et  félicitas,  qui  in  se  omne  bonum  habet,  ita  ut  nobis,  aut  alia 
re  non  indigeat.  2°  Quod  non  necessario  nos  amet,  sicut  amat  Filium 
et  Spiritum  Sanctum,  sed  prorsus  libère.  3°  Quod  nos  amet  sine  suo 
commodo  aut  utilitate.  V  Quod  hominem  amet,  in  quo  nulla  praecessit 
ratio,  nullum  meritum,  sed  potius  multa  démérita.  5°  Quod  dilexerit 
eos  quoa  praescivit  fore  ingratos,  imo  hostes  suos.  6°  Quod  ainor  hic 
Dci  non  ex  ignorantia,  aut  passione  procédât,  sed  cum  summa 
sapientia  conjunctus  sit.  Haec  autem  sapientia  Dei  diligentis  hominem 
peccatorem,  et  miserum  non  in  eoconsistit,  quod  homo  sit  objecluiu 
diligibile  per  se,  sed  ornnis  ratio  amandi  est  ab  ipso  Deo,  qui  diligit 
nos  propter  se,  quia  summe  bonus  est,  ita,  ut  bonilatem  et  liberalita- 
tem  suam  in  nos  omni  dilectione  indignos  effunderc  velit  (Corn.  \ 
].w.  Comm.  inEp.  ad  TU.  m,  4). 


42  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  II.   INSTRUCTION. 

propre  Fils,  et  qu'en  se  révélant  ainsi  il  nous  a  fait  un 
devoir  de  l'étudier  et  de  le  connaître,  non  pour  son  avan- 
tage, mais  pour  le  nôtre,  et  pour  celui  de  la  société.  Nous 
devons  savoir  de  Dieu  trois  choses  principalement  :  qu'il 
existe,  qu'il  est  en  lui-même  un  esprit  infiniment  parfait,  et 
que  par  rapport  à  nous,  c'est  lui  qui  nous  a  créés,  qui  nous 
conserve,  et  qui  nous  a  rachetés  des  peines  éternelles  de  l'en- 
fer, auxquelles  tous  les  hommes  avaient  été  condamnés 
après  la  faute  de  nos  premiers  parents.  Voilà,  encore  une 
fois,  les  motifs  de  l'obligation  qui  nous  incombe  de  con- 
naître Dieu,  et  l'étendue  de  cette  obligation.  Si  donc  nous 
sommes  des  hommes  ayant  conscience  de  ce  que  c'est 
qu'un  devoir,  et  si  nous  nous  faisons  une  loi  de  nous 
acquitter  de  tous  nos  devoirs,  ayons  à  cœur  par  dessus 
tout  d'étudier  Dieu  et  de  le  connaître,  car  de  tous  nos 
devoirs  c'est  le  premier  et  le  plus  important.  11  est,  en 
effet,  la  base  de  tous  les  autres,  sans  exception.  Car,  quel 
devoir  peut-il  y  avoir  pour  quiconque  ne  connaît  pas  Dieu, 
ne  sait  pas  qu'il  existe,  et  qu'étant  infiniment  juste,  il  châ- 
tiera nécessairement  le  mal  et  récompensera  le  bien  ?  Au 
contraire  et  pour  les  mêmes  raisons,  à  quel  devoir  sera  infi- 
dèle celui  qui  connaît  Dieu,  et  qui,  le  connaissant,  par  là 
même  craint  de  lui  désobéir  et  ne  désire  en  tout  que  lui 
plaire?  Hélas  !  nous  l'avons  déjà  dit,  il  est  de  mode  aujour- 
d'hui, pour  beaucoup,  d'affecter  d'ignorer  Dieu  et  de  n'en 
tenir  nul  compte.  Mode  criminelle  entre  toutes  !  Mode  qui, 
en  ôtant  tout  frein  aux  passions,  enfante  tous  les  vices  et 
tous  les  crimes,  conduit  inévitablement  la  société  à  la 
désorganisation,  et  les  individus  à  l'enfer!  Gardons-nous  de 
suivre  cette  mode  horrible,  amenée  et  propagée  par  les  sup- 
pôts du  démon.  Tout  au  contraire,  marchant  résolument 
dans  le  sens  opposé,  appliquons-nous  à  connaître  Dieu  de 
mieux  en  mieux,  par  nos  lectures  particulières  et  notre 
fidèle  assistance  aux  instructions  de  l'Église,  et  ainsi  nous 
assurerons  l'honneur  de  notre  vie  et  le  bonheur  de  notre 
éternité,  que  je  vous  souhaite  de  tout  mon  cœur,  au  nom 
du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit. 


C'EST  l\  DEVOIR  POUR  NOUS  DE  CONNAITRE  DIEU.  /|3 


TRAITS  HISTORIQUES 

La  création  proclame  l'existence  de  Dieu. 

t.  —  Si  je  rencontrais,  dit  Fénelon,  un  homme  qui  ne  croie 
pas  on  Dieu,  je  ne  disputerais  pas  avec  lui  ;  je  le  prierais  seule- 
menl  de  supposer  qu'il  se  trouve  jeté  par  un  naufrage  dans  une 
île  déserte.  Là  il  rencontre  une  maison  d'excellente  architecture, 
et  dans  cette  maison  il  trouve  de  beaux  meubles,  des  instru- 
ments de  musique,  des  statues,  des  tableaux,  des  livres  rangés  avec 
ordre  dans  une  bibliothèque  ;  il  n'y  découvre  néanmoins  aucun 
homme.  Pourra-t-il  croire  que  tout  cela,  maison,  meubles,  livres, 
sontdûs  au  hasard  sans  le  secours  d'aucune  industrie  humaine  ? 
Et  l'univers,  dont  l'ordre  et  l'harmonie  sont  mille  fois  plus  admi- 
rables, serait  l'œuvre  du  hasard  ? 

2.  —  Saint  Pascal  Baylon  était  né  de  parents  pauvres,  mais  ver- 
tueux, à  Torre  Ilermosa,  dans  le  royaume  d'Aragon,  vers  le  milieu 
du  xvie  siècle.  11  était  berger  et  passait  ses  journées  sur  les  monta- 
gnes et  dans  les  bois  solitaires.  La  vie  tranquille  et  innocente  qu'il 
menait  en  cet  état  lui  offrait  toutes  sortes  de  charmes.  Chaque 
objet  qui  se  présentait  à  ses  yeux  servait  à  exciter  sa  foi  et  sa  dévo- 
tion. Sans  cesse  il  lisait  dans  le  grand  livre  de  la  nature,  et  par  là 
s'élevait  jusqu'à  Dieu,  qu'il  contemplait  et  bénissait  en  toutes  ses 
œuvres. 

3.  — Un  saint  anachorète  voyait  Dieu  si  vivement  dans  le  monde 
matériel,  qu'il  ne  pouvait  faire  un  pas  hors  de  sa  cellule  sans  être 
touché  jusqu'au  fond  de  l'àme.  Toutes  les  créatures  lui  parlaient 
de  Dieu,  de  sa  grandeur,  de  son  amour.  «  Je  vous  entends,  petites 
fleurs,  disait-il  en  touchant  de  son  bâton  les  fleurs  qu'il  rencontrait 
sur  son  chemin,  je  vous  entends  :  Oui,  il  est  digne  de  mon  amour, 
et  je  ne  l'aimerai  jamais  assez.  » 

La  méconnaissance  de  Dieu  engendre  tous  les  vices  et 
tous  les  crimes. 

i.  —  Les  saintes  Écritures  nous  apprennent,  et  l'histoire  même 
profane  le  prouve,  que  les  entrailles  des  impies  sont  souillées  et 
cruelles,  et  que  leurs  aruvres  sont  redoutables  et  malfaisantes. 
Celui  qui  ne  connaît  pas  Dieu  a-t-il  été  revêtu  de  la  puissance  sou- 
veraine, bientôt  il  a  paru  le  fléau  et  l'oppresseur  de  la  terre,  ne 
connaissant  d'autre  privilège  d'un  pouvoir  souvent  usurpé,  que  la 
facilité  de  répandis  |e  sang  impunément.  Deux  historiens  païens, 


[\\  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   II.   INSTRUCTION. 

Hérodote  et  Diodore  de  Sicile,  remarquent  que  les  deux  premiers 
impies  couronnés  que  l'on  rencontre  dans  les  annales  du  genre 
humain,  Ghéops  et  Chéphrem,  se  montrèrent  bientôt  d'une  inhu- 
manité atroce,  et  la  nation  fut  écrasée  par  le  plus  affreux  despo- 
tisme. Alors  les  temples  furent  fermés,  et  cette  cessation  du  culte 
rendit  ces  noms  si  odieux  à  leurs  sujets,  qu'ils  évitaient  de  les  pro- 
noncer. Les  abominables  restes  de  ces  deux  athées  furent  déposés 
dans  un  lieu  obscur  et  ignoré  ;  et  s'ils  ne  furent  pas  mis  en  pièces, 
c'est  qu'on  regardait  dès  lors  comme  un  crime  de  troubler  le  repos 
des  morts,  de  ceux  mêmes  qui  avaient  si  peu  respecté  celui  des 
vivants.  Les  impies  ont  donc  pour  chefs  deux  tigres,  dont  on  ne 
peut  prononcer  les  noms  sans  horreur.  Heureusement  pour  l'hu- 
manité, il  faut  traverser  un  intervalle  de  plus  de  quatre  mille  ans 
pour  arriver  à  une  seconde  époque  d'un  athéisme  vainqueur 
momentané  des  autels,  d'un  athéisme  dominateur,  hautement  pro- 
tégé par  l'autorité  ;  et  cette  époque  est  bien  moins  honorable 
encore  pour  l'impiété  que  celle  du  double  règne  des  rois  d'Egypte  ; 
elle  est  bien  plus  sanglante.  Elle  nous  montre  des  monstres  nou- 
veaux dans  l'espèce  des  monstres  ;  des  ennemis  de  l'espèce  humaine, 
contre  lesquels  il  n'y  a  que  ces  deux  mots  :  opprobre  et  exécration. 
—  Dans  ces  jours  d'épouvantable  mémoire,  la  nature  fut  cons- 
tamment outragée  par  ceux  qui  cessèrent  de  respecter  la  religion. 
On  entendit  un  frère  dire  à  la  Convention  :  «  Si  mon  frère  n'est 
pas  dans  le  sens  de  la  révolution,  qu'il  soit  mis  à  mort  !  »  Un 
nommé  Philippe,  qui  pourrait  le  croire  !  porta  en  triomphe,  aux 
Jacobins,  la  tête  de  son  père  et  de  sa  mère  /...  (Mérault,  Conjura- 
tion de  l'impiété). 

2.  — Voltaire  s'écriait  un  jour  :  «  C'est  certainement  l'intérêt  de 
tous  les  hommes  qu'il  y  ait  une  Divinité  qui  punisse  ce  que  la  jus- 
tice humaine  ne  peut  réprimer...  Je  ne  voudrais  pas  avoir  affaire  à 
un  prince  athée  qui  trouverait  son  intérêt  à  me  faire  piler  dans  un 
mortier  ;  je  suis  bien  sûr  que  je  serais  pilé.  Je  ne  voudrais  pas,  si 
j'étais  souverain,  avoir  affaire  à  des  courtisans  athées,  dont  l'intérêt 
serait  de  m'empoisonner  ;  il  me  faudrait  prendre  au  hasard  du 
contrepoison  tous  les  jours.  11  est  donc  absolument  nécessaire  pour 
les  princes  et  pour  les  peuples,  que  l'idée  d'un  Être  Suprême, 
créateur,  gouverneur,  rémunérateur  et  vengeur,  soit  profondément 
gravée  dans  les  esprits.  » 

3.  —  Un  autre  jour  que  d'Alembert  et  Condorcet  dînaient  chez 
Voltaire,  ils  voulurent  parler  athéisme  ;  mais  Voltaire  les  arrêta 
tout  court.  «  Attendez,  leur  dit-il,  que  j'aie  fait  retirer  mes  domes- 
tiques ;  car  je  ne  veux  pas  être  égorgé  cette  nuit.  >) 


c'est  r\  DEVOIR  P01  r  NOUS  m    CONNAÎTRE  DIEU.  J5 


Conduite  de  ceux  qui  connaissent  Dieu. 

I.  —  Écoutez  une  douce  histoire  digne  d'être  racontée  par  toute 
la  terre.  Des  religieuses  de  saint  Vincent  do  Paul  tiennent  ici  (nous 
supprimons  le  nom  de  la  ville)  L'hospice  du  département.  Notre 
préfet,  honnête  homme,  mais  chrétien  médiocre,  visite  souvent 
ce!  hospice,  questionne  les  malades  et  s'acquitte  à  merveille  de 
cette  bonne  œuvre.  Un  jour  qu'il  se  trouvait  dans  le  parloir  avec 
la  supérieure,  voici  que  frappe  et  entre  une  jeune  religieuse,  tenant 
une  lettre  qu'elle  venait  soumettre  au  visa  de  la  Révérende  Mère. 
Mais  en  voyant  le  préfet,  elle  se  retire.  «Entrez,  ma  sœur,  dit 
celui-ci  ;  quel  est  votre  nom  ?  —  Sœur  Marie,  répond  la  bqnne 
religieuse.  —  Et  à  quel  département  êtes-vous  ?  —  A  la  salle  des 
teigneux,  a  V  ces  mots  le  préfet  est  pris  de  compassion  :  «  Ah  !  ma 
pauvre  sieur,  vous  prenez  au  moins  des  précautions  pour  soigner 
ces  têtes  dégoûtantes?  \  ous  avez  des  gants  ?  Mais  non,  M.  le  pré- 
fet, je  me  sers  de  mes  mains,  comme  vous  les  voyez  là,  et  quand 
le  pansage  est  achevé,  je  les  lave  dans  l'eau  fraîche.  —  Mais  sœur 
Marie,  vous  allez  avoir  la  teigne  !...  »  Puis,  revenant  à  sa  compas- 
sion, le  préfet  ajouta  :  «  Ma  sœur,  êtes-vous  heureuse  ?  Dites  un 
mot,  demandez  ce  que  vous  voulez,  et  je  vous  l'accorderai.  — Eh 
bien,  non,  M.  le  préfet,  je  ne  suis  pas  heureuse,  et  vous  pouvez 
faire  quelque  chose  pour  moi.  Dans  la  salle  qui  m'est  réservée,  je 
n'ai  (pic  vingt-cinq  teigneux,  et  je  me  sens  assez  forte  pour  en  soi- 
gner cinquante.  Vous  pouvez  adresser  une  circulaire  aux  maires 
des  villages,  et  ils  m'enverraient  des  teigneux.  »  Le  préfet  se  leva 
stupéfait  :  «  Vous  l'aurez,  ma  sœur,  vous  l'aurez  cette  circulaire.» 
Et  en  s'en  allant,  il  disait  :  «  J'ai  offert  a  une  religieuse  de  lui  don- 
ner tout  ce  qu'elle  aurait  voulu,  et  elle  m'a  demandé  des  teigneux!  » 
—  Et  la  bonne  sœur  Marie  ne  manqua  pas  de  remercier  saint. 
Joseph  en  l'honneur  duquel  elle  avait  fait  une  fervente  neuvainc, 
pour  obtenir  la  faveur  qui  venait  de  lui  être  accordée!  (Correspon- 
dance de  Rom 

II.  —  Marguerite  Fairet,  veuve  Maycr,  née  sans  fortune,  devint 
cependant  la  Providence  des  malheureux.  Dans  la  ville  de  Belfort, 
une  épidémie  infectait  les  hôpitaux,  où  afiluait  un  grand  nombre 
de  militaires  malades  et  blessés,  amenés  d'Allemagne.  La  veuve 
Meyer  se  dévoue  pour  les  secourir,  tous  les  lits  de  douleur 
sont  visités  par  elle;  tous  les  secours  leur  sont  prodigués; 
rien  ne  la  rebute,  ni  Le  dégoût  des  plaies,  ni  le  danger  du  séjour. 
Elle  apparaît  comme  un  auge  à  tous  ces  êtres  souffrants,  les  con- 
sole, les  encourage,  les  . •  --iste  et  contribue   à  les  guérir.  Elle  ne 


46  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   II.  INSTRUCTION. 

borne  pas  là  ses  efforts  secourables.  Pendant  les  sièges  que  subit 
la  ville  de  Belfort,  elle  suit  courageusement  les  sorties  de  la  gar- 
nison ;  on  la  voit  sur  les  champs  de  bataille,  pourvue  de  linge  et 
de  charpie,  de  remèdes  et  de  rafraîchissements  ;  elle  accourt  par- 
tout où  les  blessures  réclament  sa  présence.  Elle  ne  distingue  pas 
les  amis  des  ennemis  ;  tout  ce  qui  souffre  a  part  à  ses  bienfaits. 
On  la  voit  sans  cesse  étancher  le  sang,  panser  les  blessures,  et 
s'empresser  de  transporter  hors  du  péril  tous  ceux  que  la  mort 
peut  atteindre.  L'état  le  plus  désespéré  ne  rebute  point  son  infa- 
tigable pitié  ;  et  quand  elle  réussit,  sa  joie  éclate  au  milieu  des  bé- 
nédictions de  toutes  les  victimes  qui  sont  sauvées  par  elle. 

C'est  peu  des  scènes  de  carnage  pour  éprouver  cette  belle  âme. 
La  disette  de  1816  et  de  18 17  lui  fournit  une  nouvelle  occasion  de 
déployer  sa  bienfaisance.  Voyant  se  multiplier  le  nombre  des  pau- 
vres qui  affluent  des  campagnes  ruinées  par  la  guerre,  elle  se  mul- 
tiplie comme  eux,  elle  visite  les  asiles  de  la  misère,  frappe  à  toutes 
les  portes,  sollicite  la  pitié  et  forme  une  assemblée  de  dames  cha- 
ritables qui  donne  aux  malheureux  des  secours  permanents.  Elle 
voit  tout,  préside  à  tout,  distribue  tout.  Aucun  indigent  n'est  ou- 
blié, tous  sont  nourris  et  soulagés  par  elle. 

Le  fléau  cesse,  mais  non  l'activité  de  son  zèle,  qui  a  besoin  d'un 
éternel  aliment.  Belfort,  ville  de  garnison,  regorge  d'enfants  nés 
dans  la  misère,  livrés  à  tous  les  vices  et  n'ayant  d'autre  profession 
que  la  mendicité.  En  vain  cette  ville  leur  ouvre  ses  écoles,  ils  re- 
poussent toute  instruction.  Eh  bien,  c'est  à  les  sauver  de  l'indi- 
gence et  du  vice  que  l'ange  de  consolation  va  consacrer  tous  ses 
soins.  Que  de  moyens  ne  lui  suggère  pas  son  ardente  charité!  Elle 
les  contraint  par  la  force  de  ses  bienfaits  à  se  rassembler  autour 
d'elle,  et  prend  elle-même  le  soin  d'écarter  toutes  les  souillures  de 
la  malpropreté  qui  les  flétrit.  Une  vie  nouvelle  commence  pour 
eux,  et  ce  n'est  plus  ce  ramas  impur  d'enfants  abandonnés;  c'est 
une  jeunesse  décemment  vêtue,  à  qui  la  bienfaisante  Meyer  apprend 
la  religion,  la  morale,  la  lecture,  l'écriture.  Elle-même  leur  ensei- 
gne les  préceptes  de  l'Evangile,  elle-même  les  conduit  à  la  sainte 
Table.  Et  qu'on  ne  pense  pas  qu'elle  borne  là  tous  les  secours  dont 
elle  est  prodigue  envers  eux.  Elle  surveille  au-dehors  ses  enfants 
adoptifs,  leur  fournit  des  aliments,  des  vêtements,  fait  les  frais 
de  leur  apprentissage,  les  place  chez  les  cultivateurs  et  leur  pro- 
cure du  travail.  Combien  d'entre  eux  qui  lui  ont  dû  d'être  devenus 
honnêtes,  laborieux  et  à  leur  aise  !  Eh  bien,  quelle  était  la  source 
de  l'inépuisable  bienfaisance  de  cette  admirable  femme  ?  C'était  sa 
foi  en  Dieu  (Fleurs  de  la  Morale), 


TROISIEME   INSTRUCTION 

(Premier  Dimanche  du  Carême) 

C'est  un  devoir  pour   nous  d'honorer 

Dieu. 

I.  Pourquoi  nousdevons  l'honorer.  —  Gomment  nous  devons  l'honorer. 
III.  Quand  nous  devons  l'honorer. 

Notre  premier  devoir  envers  Dieu,  avons-nous  expliqué 
dans  notre  précédent  entretien,  c'est  de  nous  appliquer  à  le 
connaître.  Et  la  raison  pour  laquelle  nous  devons  nous 
appliquer  à  connaître  Dieu,  c'est  parce  que  lui-même  a  pris 
soin  de  se  révéler  à  nous,  et  cela  à  différentes  reprises  et  de 
plusieurs  manières,  Pourquoi,  en  effet,  se  serait-il  ainsi 
révélé  à  nous,  si  ce  n'est  pour  se  faire  connaître  de  nous? 
Or,  si  Dieu  a  voulu  que  nous  le  connussions,  et  si,  dans  ce 
but,  il  s'est  révélé  à  nous,  n'est-ce  pas  pour  nous  un  devoir 
de  nous  appliquer  à  le  connaître,  c'est-à-dire  à  savoir,  tout 
au  moins,  qu'il  existe,  ce  qu'il  est  en  lui-même,  et  ce  qu'il 
est  pour  nous  ?  Quoi  !  Dieu  se  serait  donné  le  souci  et 
aurait  pris  la  peine  de  se  révéler  à  nous,  et  l'on  admettrait 
que  nous  pouvons  ne  pas  plus  prêter  attention  à  ses  révéla- 
tions, que  s'il  n'eût  jamais  rien  dit  ?  Non,  cette  supposition 
n'est  pas  admissible  ;  et  c'est  pourquoi,  de  ce  fait  que  Dieu 
s'est  révélé  à  nous,  nous  avons  conclu  tout  au  contraire, 
que  c'est  pour  nous  un  devoir  de  nous  appliquer  à  le  con- 
naître, c'est-à-dire,  encore  une  fois,  à  savoir  tout  au  moins 
qu'il  existe,  et  ce  qu'il  est  en  lui-même  et  pour  nous. 

Mais  ce  n'est  là,  avons-nous  dit,  que  notre  premier  devoir 
envers  Dieu.  Savoir,  en  effet,  que  Dieu  existe,  qu'il  est  un 
être  infiniment  parfait,  et  que  nous  n'avons  rien  que  nous 
ne  tenions  de  lui,  ce  n'est  pas  tout.  Au  contraire,  de  là 
découlent  pour  nous,  à  l'égard  de  Dieu,  plusieurs  autres 
devoirs  très  importants,  et  avant  tous  antres,  celui  de 
L'honorer  Nous  allons  en  conséquence  nous  occuper  ce  soir 


/J8  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   III.  INSTRUCTION. 

de  ce  devoir,  en  expliquant  :  premièrement,  pourquoi  nous 
devons  honorer  Dieu  ;  deuxièmement,  comment  nous  devons 
l'honorer  ;  et  troisièmement  enfin,  quand  nous  devons 
l'honorer  (i). 

I.  —  Pourquoi  nous  devons  honorer  Dieu.  —  Honorer 
Dieu,  nous  le  savons  tous,  c'est  avoir  pour  Dieu  des  sentiments 
de  respect,  d'admiration,  de  reconnaissance,  des  sentiments 
qui  soient  à  son  honneur,  et  les  lui  exprimer  par  nos  paroles 
et  par  nos  actions.  Or,  que  ce  soit  pour  nous  un  devoir 
d'honorer  Dieu,  c'est  ce  que  reconnaît  sans  peine  tout 
homme  doué  de  bon  sens.  Cependant,  que  de  chrétiens 
parmi  nous  qui  ne  tiennent  pas  compte  de  ce  devoir,  ou 
même  qui  le  nient  ouvertement  !  Manquent-ils  donc  de  bon 
sens  ?  Non,  sans  doute  ;  mais  ils  ne  se  donnent  pas  la  peine 
de  réfléchir,  ou  bien  ne  voient  les  choses  qu'à  travers  leurs 
ignorances,  leurs  préjugés  et  leurs  passions.  Et  non  seule- 
ment, par  suite,  ces  chrétiens  ne  s'acquittent  pas  de  leur 
devoir  d'honorer  Dieu  ;  mais  ils  sont  de  plus  un  scandale 
pour  les  autres  chrétiens,  soit  par  le  mauvais  exemple  qu'ils 
donnent,  soit  par  les  pernicieux  propos  qu'ils  répandent. 
Voilà  pourquoi  nous    allons   exposer  les    raisons  qui  nous 

i.  Le  devoir  d'honorer  Dieu  implique  celui  de  le  respecter  et  de  ne 
pas  le  déshonorer  par  des  blasphèmes,  des  actes  impies  et  une  conduite 
coupable. 

Sanctus  Hieronymus  ait  :  «  Omne  peccatum  comparatum  blasphemiae, 
levius  est.  »  In  Is.  xvni.  Blasphcmia  ergo  est  gravissimum.  i°  Ex 
objecfo  ;  quia  immédiate  est  derogatio  honoris  divini,  et  quidem  talis, 
quae  non  ex  fragilitate,  sed  ex  pura  malitia  oritur.  2°  Ex  persona  blas- 
phemantis  ;  homo  enim  non  tantum  putredo  est,  sed  meruin  Dei 
beneficium,  pra?sertim  christianus  in  ipsa  Dei  regia,  videlicet  Ecclesia 
natus,  populum  christianum  elegit  Deus,  ut  sit  in  orbe,  qui  iIJum 
benediceret,  et  ab  hoc  ipso  populo  blasphcmatur,  quantum  ma- 
lum  !  etc.  3°  Ex  efiectis  ;  quia  detestabile  hoc  vitium  malo  exemplo 
doectur,  et  sic  fit  hœreditas,  quod  instar  pestis  deberet  damnari.  Dein, 
sicut  pictorcs  ventos  pingunt,  nimirum  capita,  qu;e  plcnis  buccis 
conatu  maximo  spiritum  exsufllant  ;  ita  buccal  blasphemantium  terri- 
biles  turbines,  ac  calamilatcs  excitant  (Glaus,  Spicileg.  univ.  lib.  7, 
n.  n4). 

i°  Définition  et  diverses  sortes  de  blasphèmes.  20  Enormité  de  ce 
péché.  3°  Châtiments  temporels  et  éternels.  —  Autre  plan  :  i°  Carac- 
tère du  blasphème  :  audace  impie,  crime  de  lèse-majeslé,  malice  diabo- 
lique, noire  ingratitude,  scandale  et  folie.  20  Vaines  excuses  du  blas- 
phème (Lelandais,  Choix  de  la  Prédic.  contemp.  2e  partie). 


I    EST   UN   DEVOIR   POUR   NOUS   D* HONORER  DIKU.  f\() 

font  un  devoir  d'honorer  Dieu,  \insi  les  fidèles  seront 
affermis  dans  L'accomplissement  de  leur  devoir,  el  ceux  qui 
n'honorenl  pas  Dieu  seronl  désormais  sans  excuse  à  leurs 
propres  yeux. 

Or,  la  première  raison  pour  laquelle  nous  devons  honorer 
Dieu,  c'esl  que,  par  ses  perfections,  il  est  digne  de  tout 
honneur  Yhonorons  nous  pas  les  savants  et  les  artistes, 
les  philosophes  et  les  poètes,  et  tous  ceux  qui  se  sont  illus- 
trés par  leur  génie  cl  Leurs  travaux  ?  Ne  célébrons-nous  pas 
Leurs  Louanges,  ne  proclamons-nous  pas  leurs  mérites,  ne 
Leur  élevons-nous  pas  des  statues  ?  Et  pourquoi  ?  Parce  que 
celui-ci  a  découvert  une  loi  de  la  nature,  celui-là  un  élément 
encore  inconnu  de  quelque  corps,  et  que  cet  autre  a  repré- 
senté avec  quelque  vérité  une  des  mille  et  mille  scènes  que 
le  monde  met  sous  nos  yeux.  Et  si  nous  ne  les  honorions 
pas,  n'est-il  pas  vrai  que  nous  croirions  manquer  à  un 
devoir  ?  Eh  bien,  qui  oserait  dire  que  Dieu  n'est  pas  incom- 
parablement plus  grand  que  tous  ces  hommes  par  la  puis- 
sance et  l'immensité  de  son  génie,  ainsi  que  par  toutes  ses 
autres  perfections  ?  Car  ce  monde,  dont  ils  ne  parviennent 
à  connaître  que  quelques  faibles  parties,  au  prix  de  longs  et 
pénibles  efforts,  c'est  Dieu  qui  l'a  fait  de  rien,  d'une  seule 
parole,  et  comme  en  se  jouant  ;  c'est  lui  qui  en  a  dispose 
toutes  les  parties  avec  cet  ordre  qui  dépassera  toujours 
L'admiration  de  tous  les  siècles  ;  c'est  lui  enfin  qui  a  tiré 
du  néant  ces  hommes  eux-mêmes  que  nous  nous  faisons 
un  devoir  d'honorer,  et  qui  les  a  doués  de  tout  ce  que  nous 
admirons  en  eux.  Que  si  doue  nous  jugeons  ces  hommes 
dignes  d'être  honorés,  à  plus  forte  raison  devons-nous 
honorer  Dieu  lui  même,  dont  ils  sont  l'ouvrage. 

Mais  nous  n'honorons  pas  seulement  les  hommes  les  plus 
illustres  par  leur  génie,  par  Leurs  travaux  et  leurs  décou- 
vertes :  nous  honorons  encore  et  davantage  ceux  qui  se  sont 
fait  le  plus  remarquer  par  leur  dévouement  et  leur  bien 
faisance  ;  tels,  par  exemple,  que  saint  Jean  de  Matha.  fon- 
dateur de  L'ordre  des  Trinitaires  voué  au  rachat  des  captifs, 
el  sainl  \  incent  de  Paul,  qui  dota  La  France  et  Le  inonde  des 
admirables  Sœurs  de  la  Charité.  Quelle  obligation  pour  nous 
en  effet  d'honorer  ces   hommes,  dont  toute  la  vie  s'est  con- 

SOMME   DU    PRÉDICATEUR.    —  T  .    II .  i 


5o  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   III.    INSTRUCTION. 

sumée  à  soulager  les  maux  de  leurs  semblables,  et  à  leur 
procurer  tout  le  bien  qu'ils  ont  pu  !  Celui  qui  leur  refuse- 
rait l'hommage  de  son  admiration  et  de  son  respect  serait-il 
autre  chose  qu'un  ca?ur  endurci  et  dénaturé  ?  —  Eh  bien,  à 
ce  nouveau  titre  de  bienfaiteur,  Dieu  mérite  également  plus 
que  tous  les  hommes  bienfaisants  que  nous  l'honorions. 
Car  tout  ce  qu'ont  pu  faire  pour  leurs  semblables  ces  hom- 
mes vénérables,  n'est  rien  en  comparaison  de  ce  que  Dieu 
a  fait  pour  nous.  C'est  lui  en  effet  qui  nous  a  donné 
l'existence  elle-même,  lui  qui  nous  la  conserve,  lui  qui  nous 
accorde  tous  les  biens  dont  nous  jouissons,  lui  qui  nous 
préserve  des  maux  auxquels  nous  échappons,  lui  qui  nous 
délivre  de  ceux  qui  nous  frappent,  lui  qui,  en  un  mot, 
pourvoit  à  tous  nos  besoins,  par  son  universelle  providence 
et  au  moyen  des  autres  créatures  qu'il  a  tirées  du  néant  à 
cet  effet.  Vous  ouvrez  votre  main,  lui  disait  David  au  spec- 
tacle de  ses  bontés,  et  vous  remplissez  tous  les  êtres  de  vos 
bénédictions  (i).  Et  même  lorsqu'il  nous  ôte  ce  que  nous 
regardons  comme  des  biens,  ou  lorsqu'il  semble  nous 
blesser,  alors  encore  il  agit  pour  notre  avantage,  comme 
fait  le  père  qui  arrache  un  poison  ou  une  arme  dangereuse 
des  mains  de  son  enfant,  ou  le  médecin  qui  opère  un 
malade. 

Ainsi  Dieu  n'est  pas  seulement  digne  d'être  honoré,  à  cau- 
se de  son  excellence  infinie  et  de  ses  infinies  perfections  ; 
il  mérite  en  outre  de  l'être,  par  les  bienfaits  sans  nombre 
qu'il  nous  prodigue  à  tout  moment.  Mais  ce  n'est  pas  tout 
encore.  Ces  hommages  dont  il  est  digne,  et  qu'il  mérite,  il 
nous  a  formés,  en  nous  créant,  de  manière  que  nous  pus- 
sions les  lui  rendre.  Les  autres  créatures,  les  créatures  pure- 
ment corporelles,  voulons-nous  dire,  n'honorent  et  ne  glori- 
fient Dieu  que  parle  fait  de  leur  existence  ;  ce  ne  sont  pas  des 
hommages  libres  et  spontanés  qu'elles  lui  rendent.  Nous  au 
contraire,  par  la  raison  que  Dieu  nous  a  donnée»  nous  com- 
prenons ce  que  Dieu  est  pour  nous  et  ce  que  nous  sommes 
pour  lui  ;  nous  comprenons  qu'il  est  au-dessus  de  nous  et 
que  nous  sommes  au-dessous  de  lui  ;  qu'il  est  notre  bienfai- 

i.  Ps.  CXLIV,  16. 


c'est  in  devoir  pox  R  nous  d'honorer  dieu.  5l 

leur,  cl  que  nous  sommes  ses  obligés.  Par  conséquent,  nous 
comprenons  que  des  hommages  Lui  sont  dus,  et  qu'il  est 
conforme  aux  Lumières  de  la  raison  de  L'honorer.  C'est  ainsi 
que  nous  avons  été  doués  de  raison  par  Dieu,  précisément 
afin  que  nous  lui  rendions  des  hommages  libres  et  sponta- 
nés. Or,  si  c'est  pour  honorer  Dieu  que  nous  avons  été  créés 
êtres  raisonnables,  il  y  a  donc  nécessairement  pour  nous 
obligation  de  l'honorer,  puisque  c'est  là  le  but  de  notre  créa- 
tion. Cette  obligation  est  même  tellement  rigoureuse,  que 
Dieu  lui-même  ne  peut  pas  nous  en  délier.  Dieu,  en  effet, 
ne  peut  pas  se  contredire.  Or,  il  se  contredirait  manifeste- 
ment si,  après  nous  avoir  créés  êtres  raisonnables  précisé- 
ment pour  que  nous  l'honorions,  il  nous  dispensait  de  l'ho- 
norer. Il  est  une  chose  encore  que  Dieu  ne  peut  pas  faire, 
savoir,  agir  contre  l'ordre.  Or,  qu'exige  ici  l'ordre?  L'ordre, 
ici,  exige  impérieusement  que  l'inférieur  s'incline  devant 
son  supérieur,  et  que  l'obligé  témoigne  sa  reconnaissance  à 
son  bienfaiteur.  Eh  bien,  puisque  Dieu  ne  peut  agir  contre 
l'ordre,  il  ne  peut  donc  pas  nous  dispenser  de  nous  incliner 
devant  lui  et  de  lui  témoigner  notre  reconnaissance,  c'est-à- 
dire  de  l'honorer  (i). 

Au  reste,  Dieu  est  si  éloigné  de  nous  dispenser  de  l'hono- 
rer, qu'il  nous  en  fait  au  contraire  un  commandement  for- 
mel, et  le  premier  de  ses  commandements.  Oui,  pour  nous 
bien  marquer  l'importance  du  devoir  qui  nous  incombe  de 
l'honorer,  Dieu  met  ce  devoir  en  tête  de  toute  sa  loi,  disant 
à  chacun  de  nous:  Tu  adoreras  le  Seigneur  Ion  Dieu  (2).  Et 
comme,  au  temps  de  Notre-Seigneur,  il  y  avait  des  juifs  qui 
affectaient  d'avoir  des  doutes  à  ce  sujet,  le  Sauveur  leur  ré- 
pondit :  Voas  aimerez  le  Seigneur  de  tout  votre  cœur,  de  toute 
votre  âme,  de  tout  votre  esprit  :  cest  là  le  plus  grand  com- 
mandement et  le  premier  (3).  Notre-Seigneur  ne  se  borna  pas 

1.  Dcum  lingua,  mente  et  moribus  incessanter  laudaredebemus,  Iota 
vita  nostra  débet  esse  continua  laus  Dci  :  i°  Quia  est  iminensact  infinita 
majestas.  a0  Quia  innumera  bénéficia  nobis  contulit.  3°  Quia  omnea 
creaturae  ejus  gloriam  testantur.  4"  Quia  hoc  est  opus  nobilissimum 
omnium  piorum.  5° Quia  est  proprium  angelorum  et  sanctorum  (Claus. 
Spicileg.  univers,  lib.  1,  n.  1a). 

2.  Deut.  vi,  i3  ;'  Mattli.  iv,  10. 

3.  Malin,  xxn,  37,  33. 


Ù2  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.  INSTRUCTION. 

d'ailleurs  à  affirmer  le  devoir  d'honorer  Dieu,  il  en  donna 
toute  sa  vie  l'exemple.  C'est  le  témoignage  qu'un  jour,  mal- 
gré sa  réserve  ordinaire,  il  se  rendit  à  lui-même  devant  ses 
ennemis:  J'honore  mon  Père  (i),  s'écria-t-il  hautement. 
L'Evangile  rapporte  qu'en  effet  il  fréquentait  assiduement 
le  temple  les  jours  de  sabbat  et  les  jours  de  fête,  et  qu'il 
avait  coutume  de  passer  une  partie  des  nuits  en  prière.  Il 
ne  s'attrihuait  d'ailleurs  rien  dans  toutes  les  œuvres  admi- 
rables qu'il  accomplissait,  mais  en  renvoyait  toute  la  gloire 
à  Dieu.  Ainsi  a  vécu  le  divin  Maître,  venu  en  ce  monde  pour 
nous  instruire  et  nous  donner  l'exemple  ;  ainsi  par  ses  ensei- 
gnements et  par  sa  conduite  a-t-il  placé,  en  tête  de  tous  les 
devoirs  qui  nous  incombent,  celui  d'honorer  Dieu  (2)  ! 

Or,  puisque  ce  devoir  d'honorer  Dieu  est  conforme  à  la 
raison,  Dieu  étant  digne,  par  ses  perfections,  qu'on  l'ho- 
nore, et  le  méritant  par  ses  bienfaits  ;  puisque  ce  devoir, 
nous  avons  été  créés  êtres  intelligents  et  expressément  pour  le 
remplir;  puisque  ce  devoir  enfin,  Dieu  nous  l'a  formelle- 
ment imposé  comme  le  premier  et  le  plus  grand  de  tous  nos 
devoirs  ;  n'est-il  pas  cent  fois  évident  qu'il  y  a  pour  nous 
obligation  de  nous  en   acquitter  (3)  ?  Que.  si  dans  le  passé, 

1 .  Joan.  vin,  49. 

2.  f honore  mon  Père.  Joan.vm,  4g* — Jésus  est  venu  sur  la  terre  fonder 
le  royaume  de  la  vérité  et  de  la  sainteté.  Or,  la  vérité  de  toute  créature 
et  la  sainteté  de  toute  intelligence,  c'est  d'honorer  Dieu.  Des  profon- 
deurs de  l'abîme  au  sommet  des  montagnes  éternelles,  telle  est  la  véri- 
table fonction  des  êtres  :  la  créature  est  sortie  du  néant  pour  honorer 
Dieu  :  l'Incarnation  est  sortie  du  sein  de  Marie  pour  honorer  Dieu  : 
la  rédemption  est  sortie  du  sang  de  Jésus  pour  honorer  Dieu.  Nous 
montons  ainsi,  de  degrés  en  degrés,  dans  la  hiérarchie  de  la  confession 
et  de  la  louange,  pour  aboutir  au  terme  final  de  la  gloire  de  Dieu,  qui 
est  l'Agneau  divin,  se  tenant  comme  immolé  sur  l'autel  des  cieux  de- 
vant le  trône  éternel.  Ainsi  Jésus,  après  avoir  consacre  sa  vie  et  sa  mort 
à  honorer  son  Père,  y  consacre  dans  l'Eucharistie  toute  sa  gloire  et  tout 
son  bonheur  (Sagette,  L'Eucharistie,  sem.  delà  Passion,  vi,  1). 

3.  Nous  avons  des  devoirs  à  remplir  envers  la  divinité  ;  nous  devons 
lui  rendre  des  hommages,  un  culte  en  un  mot  ;  et  pour  en  sentir  l'obli- 
gation, nous  n'avons  qu'à  consulter,  soit  les  premières  notions  de  Dieu 
et  de  l'homme,  soit  les  intérêts  les  plus  chers  et  les  plus  sacrés  de  l'hu- 
manité. 

Écoulons  la  raison.  Un  Dieu  créateur,  qui,  possédant  la  plénitude  de 
l'être  et  la   source   de  la  vie,  a  communiqué  l'existence  à  tout  ce  qu 


«    EST  IN  DEVOIR  POUR  NOUS  D'HONORER  DIE1  53 

faute  d'être  suffisamment  instruits  suree  devoir,  nous  avons 

pu  n'\  attacher  que  peu  ou  point  d'importance  ;  désormais 
nous  saurons  qu'il  n'\  en  a  pas  de  mieux  démontré  ni  qui 

compose  cet  univers;  un  Dieu  conservateur,  qui  gouverne  tout  par  sa 
sagesse,  après  avoir  toul  fait  par  sa  puissance,  embrassant  tous  les  êtres 
dans  les  soins  de  sa  providence  paternelle,  depuis  1rs  mondes  étoiles 
jusqu'à  la  fleur  dos  champs,  sans  être  ni  plus  grand  dans  1rs  moindres 
choses,  ni  plus  priil  dans  les  plus  grandes  ;  un  Dieu  législateur  suprême, 
qui.  commandant  tout  ce  qui  esl  bien,  el  défendant  toul  ce  qui  est,  mal, 
manifeste  aux  hommes  ses  volontés  saintes  par  le  ministère  de  la  con- 
science ;  un  Dieu  enfin,  Juge  souverain  de  tous  les  hommes,  qui,  dans 
la  vie  future,  doit  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres,  en  décernant  des 
châtiments  au  vice  et  des  prix  à  la  vertu  :  voilà,  messieurs,  une  doctrine 
avouée  par  la  raison  la  plus  pure,  dont  la  connaissance,  quoique  en  des 
degrés  bien  différents  sans  doute,  est  aussi  universelle  que  le  genre 
humain  ;  que  l'on  trouve  dans  sa  pureté  chez  les  Hébreux,  plus  déve- 
loppée encore  chez  les  chrétiens,  qui  a  bien  pu  être  obscurcie  par  les 
superstions  païennes,  jamais  anéantie  chez  aucun  peuple  de  la  terre. 
Voilà  des  points  de  croyance  qui  sont  indépendants  des  vaincs  opinions 
des  hommes  et  des  arguments  des  sophistes. 

Or,  comment  ne  pas  voir  que  de  ces  notions  de  la  divinité,  découlent 
des  devoirs  religieux  envers  elle  ?  Qui  ne  sentira  que  la  raison,  en  nous 
découvrant  ce  que  Dieu  est  par  rapport  à  nous,  nous  montre  par  là 
même  ce  que  nous  devons  être  par  rapport  à  lui  ?  S'il  est  notre  Créa- 
teur, ne  faut-il  pas  que  nous  lui  fassions  hommage  de  l'être  que  nous 
avons  reçu  de  sa  bonté  toute-puissante  ?  S'il  nous  conserve  une  vie  dont 
il  est  l'arbitre,  et  qu'à  tout  moment  il  pourrait  nous  ravir,  chaque  ins- 
tant où  je  continue  de  vivre  est  un  nouveau  bienfait  qui  demande  un 
nouveau  sentiment  de  reconnaissance.  S'il  est  notre  Législateur,  nous 
devons  obéir  à  ses  lois,  les  prendre  pour  règle  de  nos  affections  et  de 
notre  conduite.  Enfin,  s'il  doit  être  un  jour  notre  Juge,  ne  faut-il  pas 
que  nous  travaillions  à  paraître  sans  reproche  devant  son  tribunal,  et  à 
ne  pas  tomber  coupable  dans  les  mains  de  sa  justice  ? 

Je  suppose,  pour  un  moment,  que  nous  fussions  les  enfants  du 
hasard,  le  résultat  des  combinaisons  fortuites  de  la  matière  ;  que  nous 
eussions  été  jetés  sur  la  terre  sans  but  et  sans  dessein  ;  alors,  sans  doute, 
nous  serions  dans  cette  indépendance  absolue  de  la  Divinité  que  prêche 
l'athéisme  ;  tout  lien  religieux  ne  serait  qu'une  chaîne  honteuse,  avilis- 
sante, qu'il  faudrait  se  hâter  de  briser;  alors,  Dieu  n'étant  rien  pour  nous, 
je  conçois  comment  nous  devrions  n'être  rien  par  rapport  à  lui.  Mais, 
dans  la  doctrine  contraire  d'un  Dieu  notre  Créateur  et  notre  conserva- 
teur, l'homme  doit  tenir  une  conduite  bien  différente.  Dans  cçs  deux 
croyances  opposées,  nos  devoirs  ne  sauraient  être  les  mêmes  ;  quand  les 
principes  sont  en  contradiction,  les  conséquences  doivent  y  être  égale- 
ment ;  et  par  cela  même  que,  dans  l'absurde,  la  chimérique  supposi- 
tion de  l'athéisme,  l'homme  devrait  être  sans  religion,  il  faut  que, 
dans  la  doctrine  de  la  croyance  d'un  Dieu,  l'homme  soit  religieux. 

Dieu  est  infiniment  grand  (dit-on)  :  mais  n'allons  pas  croire  pour 

cela  qu'il  ne  daigne  pas  abaisser  ses  regards  jusqu'à  nous,  ou  bien  que 
nos  vœux,  nos  supplications  et  nos  hommages  ne  sauraient  arriver  jus- 


54  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.  INSTRUCTION. 

passe  avant  lui.  —  Mais  il  ne  suffît  pas  que  nous  sachions 
pourquoi  nous  devons  honorer  Dieu  ;  il  nous  faut  appren- 
dre, à  présent, 

II.  —  Comment  nous  devons  l'honorer.  —  Cette  nou- 

qu'à  lui,  à  travers  l'intervalle  immense  qui  nous  sépare  du  trône  de 
son  éternité.  Ce  seraient  là  des  idées  grossières,  qui  viendraient  des  bor- 
nes de  notre  esprit,  des  illusions  des  sens,  du  penchant  que  nous  avons 
à  transporter  à  l'Être  infini,  au  Roi  immortel  des  siècles,  des  pensées 
qui  ne  peuvent  regarder  que  des  hommes  et  les  puissances  de  la  terre. 
Et  pourquoi  Dieu  serait-il  indifférent  à  nos  hommages  ?  Si,  malgré  sa 
grandeur  infinie,  il  n'a  pas  dédaigné  de  nous  créer,  d'où  vient  qu'il 
dédaignerait  de  s'occuper  de  nous  ?  Ce  second  bienfait  est  la  suite  natu- 
relle du  premier.  En  nous  communiquant  quelque  chose  de  sa  vie,  de 
son  intelligence,  de  sa  liberté,  il  nous  a  faits  à  son  image  ;  nous  lui 
sommes  chers,  comme  l'ouvrage  est  cher  à  l'ouvrier,  qui  se  plaît  à  y 
voir  l'expression  sensible  de  sa  pensée.  Oui,  le  Créateur  aime  en  nous 
les  dons  mêmes  qu'ils  nous  a  faits  ;  s'il  nous  a  donné  un  esprit  capable 
de  le  connaître,  un  cœur  capable  de  l'aimer,  il  est  impossible  qu'il 
n'agrée  pas  l'hommage  de  ces  facultés  que  nous  tenons  de  sa  divine 
bonté. 

Ne  croyons  pas  non  plus  que  la  Divinité  soit  comme  accablée,  impor- 
tunée de  la  multitude,  de  la  prodigieuse  variété  de  nos  vœux  et  de  nos 
offrandes.  Ces  idées  sont  bien  applicables,  môme  à  ce  qu'il  peut  y  avoir 
sur  la  terre  de  plus  grand  par  le  génie,  comme  par  la  puissance,  parce 
que  là  aussi  se  trouve  la  faiblesse  humaine  ;  mais  tout  cela  est  étranger 
à  Dieu,  qui,  d'une  seule  vue,  d'une  pensée  unique,  embrasse  l'univers 
avec  l'immensité  de  ses  détails.  Dieu,  dit-on,  est  infiniment  grand;  et 
c'est  par  cela  même  que  rien  ne  fatigue  sa  puissance  sans  bornes  ;  sa 
force  est  dans  sa  volonté  :  il  a  dit,  et  tout  a  été  fait.  Les  plus  grands  mo- 
narques du  monde  seront  toujours  bornés  dans  leurs  actions  comme 
dans  leurs  lumières  ;  ils  ne  sauraient  connaître  les  demandes  et  les 
besoins  de  tous  les  individus  d'un  empire  immense,  mais,  devant  Dieu, 
le  genre  humain  est  tout  entier  comme  un  seul  homme  ;  à  ses  yeux, 
l'univers  est  comme  s'il  n'était  pas. 

Je  sais  bien  que,  comparé  à  son  Dieu,  l'homme  est  moins  qu'un 
atome  ;  mais  pour  ne  rien  exagérer,  n'oublions  pas  que  nous  sommes 
créés  à  la  ressemblance  même  du  Créateur,  qu'il  a  gravé  en  nous  l'em- 
preinte de  ses  perfections,  et  qu'ainsi,  par  ses  communications  ineffa- 
bles, il  a  rapproché  de  lui  ce  qui  en  était  aussi  éloigné  que  le  néant. 
Loin  de  nous  cette  puérile  idée,  que  Dieu  estime  les  objets  par  leurs 
masses  et  leurs  dimensions.  Que  sont  tous  les  soleils,  tous  les  astres, 
avec  leur  éclat  et  leur  magnificence?  Que  sont-ils  devant  un  seul  être 
intelligent  qui  les  connaît,  qui  mesure  leurs  orbites  et  leurs  distances, 
qui  se  connaît  lui-même  et  peut  connaître  l'auteur  de  tant  de  merveil- 
les ?  Hé  quoi  !  si  Dieu  lui-même  m'a  doué  du  pouvoir  sublime  de  m'é- 
lever  jusqu'à  lui,  de  me  présenter  devant  le  trône  de  sa  majesté,  d'être 
auprès  d'elle  comme  l'ambassadeur  et  l'interprète  des  créatures  inani- 
mées ;  si  c'est  par  l'instinct  de  ma  nature  que  je  porte  à  ses  pieds  le 


C  FST  UN  DEVOIR  POUR  NOUS  D  HONORER  DIEU.  [)b 

velle  question  n'esl  pas  moins  importante  que  la  précédente  ; 
car  à  quoi  nous  servirait-il  de  savoir  que  c'est  pour  nous  un 
devoir  d'honorer  Dieu,  si  nous  ne  savions  pas  également  ce 
que  nous  devons  faire  pour  nous  acquitter  de  ce  devoir  p 
Aussi  se  trouve-t-il  en  efl'el  beaucoup  de  chrétiens  qui,  per- 
suadés qu'il  faut  honorer  Dieu,  cependant  ne  l'honorent 
pas  ou  l'honorent  mal,  parce  qu'ils  ne  savent  pas  ce  qu'il 
faul  faire  pour  le  bien  honorer.  Or,  pour  bien  honorer 
Dieu,  c'est  à  dire  pour  l'honorer  comme  il  veut  l'être,  il 
faut  l'honorer  par  un  culte  qui  soit  à  la  fois,  comme  il  nous 
l'a  fait  connaître,  intérieur,  extérieur  et  public.  Il  est  évi- 
dent, en  effet,  que  si  Dieu  nous  a  prescrit  de  qu'elle  manière 
nous  devons  l'honorer,  c'est  de  cette  manière  que  nous 
devons  l'honorer,  et  non  pas  d'une  autre. 

Eh  bien,  Dieu  nous  a  expressément  commandé  de  l'hono- 
rer par  un  culte  qui  soit  d'abord,  avons-nous  dit,  intérieur. 
Honorer  Dieu  par  un  culte  intérieur,  qu'est-ce  à  dire?  Cela 
veut  dire  par  un  culte  de  l'âme,  ou  bien  encore  par  les  sen- 
timents et  les  hommages  de  l'esprit.  Écoutons  Notre- 
Seigneur  :  Dieu  est  esprit,  nous  dit-il,  et  il  faut  que  ceux  qui 
l'adorent,  l'adorent  en  esprit  et  en  vérité  (i).  Ainsi,  compre- 
nons bien  cette  parole  :  c'est  parce  que  Dieu  est  esprit,  qu'il 


tribut  de  ma  dépendance,  et  celui  du  reste  de  la  création,  pourrait-il  le 
rejeter,  et  n'y  voir  qu'une  folle  audace  digne  de  ses  mépris  et  de  son 
courroux?  Non,  non,  ce  n'est  pas  ici  l'insulte  d'un  téméraire  ;  c'est 
L'hommage  d'un  lils  reconnaissant,  et  d'un  sujet  fidèle,  envers  le  plus 
tendre  des  pères  et  le  souverain  monarque  qui  a  pour  trône  la  justice 
et  la  bonté.  C'est  ainsi  qu'en  consultant  la  raison,  je  découvre  des  rap- 
ports essentiels  entre  la  créature  et  le  Créateur,  rapports  qui  nous  im- 
posent des  devoirs  ;  si  bien  que  l'homme  ne  peut  être  raisonnable  sans 
être  religieux. 

Mais  pour  sentir  encore  davantage  combien  le  culte  religieux  lient  au 
fond  même  de  la  nature  raisonnable,  consultons  un  moment  l'intérêt 
le  plus  cher  et  le  plus  sacré  de  humanité.  Ce  qui  doit  nous  frapper 
vivement,  c'est  que  la  croyance  de  Dieu,  d'une  Providence  qui  préside 
au  gouvernement  de  cet  l'univers,  qui  embrasse  le  monde  moral, 
comme  le  monde  visible,  qui  n'est  pas  étrangère  aux  choses  humaines, 
a  été  regardée,  dans  tous  les  temps  et  chez  tous  les  peuples,  comme  la 
plus  salutaire,  comme  intimement  liée  à  la  civilisation,  à  la  conserva- 
tion, au  bonbeurdes  sociétés  (Mgr  Fraïssinous,  Confér.  sur  II  rel'uj.  Du 
culte  en  général). 

i .  Joan.,  iv,  2!\. 


56  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.    INSTRUCTION. 

veut  que  nous  l'honorions  d'abord  et  avant  tout  par  les  ado- 
rations de  noire  esprit.  Nous  le  savons,  l'homme  n'est  pas 
seulement  formé  d'un  corps,  mais  aussi  d'une  âme.  qui  est  un 
esprit  ;  et  c'est  même  cette  âme  qui  est  de  beaucoup  la  par- 
tie la  plus  parfaite  de  nous-mêmes.  Eh  bien,  nous  le  répé- 
tons, ce  sont  les  respects,  les  louanges,  les  adorations  de 
cette  plus  parfaite  partie  de  nous-mêmes  que  Dieu  nous 
demande  d'abord,  comme  étant  ce  que  nous  pouvons  lui 
offrir  qui  lui  soit  le  plus  agréable.  D'où  il  suit  que  si  nous 
adressons  à  Dieu  des  prières  et  des  hommages  qui  ne  sor- 
tent pas  de  notre  cœur,  mais  qui  soient  prononcés  et  offerts 
seulement  par  nos  lèvres,  nous  n'honorons  pas  Dieu  comme 
il  veut  l'être.  Bien  plus,  sachons-le,  il  rejette  avec  mépris  et 
colère  ces  prières  et  ces  hommages,  comme  indignes  de  lui. 
C'est  en  effet  de  tous  ceux  qui  lui  offrent  ces  simulacres  de 
prières  et  d'hommages,  qu'il  a  dit  :  Ce  peuple  m'honore  des 
lèvres,  mais  leur  cœur  esl  loin  de  moi.  Ils  me  rendent  un  vain 
culte  (i).  Par  conséquent,  pour  honorer  Dieu  comme  il  veut 
l'être,  pour  l'honorer  d'un  culte  qui  soit  cligne  de  lui,  il 
faut  l'honorer  par  un  culte  qui  soit  d'abord  intérieur,  c'est- 
à-dire  par  des  hommages  qui  ne  soient  pas  seulement  mur- 
murés par  les  lèvres,  mais  qui  partent  du  fond  du  cœur. 
Que  de  chrétiens  donc  qui  croient  honorer  Dieu  par  leurs  lon- 
gues, prières  et  qui  ne  font  que  l'irriter  parce  qu'ils  n'ont  pas 
soin  de  rentrer  d'abord  en  eux-mêmes,  et  que  leur  cœur 
n'est  pour  rien  dans  tout  ce  qu'ils  lui  disent  !  Appliquons- 
nous,  pour  notre  compte,  à  n'être  pas  de  ce  nombre. 

Mais  s'il  est  essentiel  que  le  culte  que  nous  rendons  à 
Dieu  soit  avant  tout  intérieur,  c'est-à-dire  s'il  est  essentiel  qu'il 
vienne  de  l'âme,  il  est  nécessaire  aussi  qu'il  soit  extérieur, 
c'est-à-dire  que  le  corps  y  prenne  part.  Notre  corps,  en  effet, 
tient  son  être  de  Dieu  aussi  bien  que  notre  âme.  Etant  donc 
l'ouvrage  de  Dieu,  notre  corps  doit  le  glorifier  dans  la  me- 
sure qu'il  en  est  capable.  Or  cette  mesure  est  d'exprimer  les 
sentiments  de  l'âme  pour  Dieu,  puisque  c'est  justement 
comme  un  instrument  pour  manifester  au  dehors  les  senti- 
ments qu'elle  éprouve,  que  le  corps  a  été  donné  à  l'âme.  Le 

;.  Matth.  xn/_8  et  9. 


c'flST  UN  DEVOIR  POl  R  NOUS  D'HONORER  DIEU.  67 

corps  exprime  les  sentiments  de  l'âme  pour  Dieu  Lorsque, 
par  exemple,  sous  L'impulsion  de  l'Ame,  il  s'incline  pour 
marquer  son  respect,  ou  se  prosterne  pour  marquer  son  ado 
ration,  ou  joint  les  mains,  pour  marquer  l'ardeur  de  sa 
prière,  et  ainsi  du  reste,  \ussi  voit-on  invariablement,  chez 
tous  les  peuples,  les  sentiments  religieux  de  L'âme  se  tra- 
duire par  les  attitudes  et  les  mouvements  du  corps. 

Ces  attitudes  el  ces  mouvements  du  corps  ne  sont  d'ail- 
leurs pas  nécessaires  seulement  pour  qu'il  fournisse  sa  pari, 
dans  L'honneur  et  le  culte  que  nous  devons  rendre  à  Dieu; 
ils  sont  nécessaires  aussi  pour  aider  L'âme  elle-même  dans 
la  pari  spéciale  qui  lui  incombe.  On  ne  saurait  contester 
en  effet  que,  comme  l'âme  agit  sur  le  corps,  ainsi  le  corps 
agit  pareillement  sur  l'âme.  C'est  pourquoi  chacun  peut 
constater,  du  moins  pour  l'ordinaire,  qu'on  prie  mieux  lors- 
qu'on prononce  à  haute  voix  les  formules  des  prières,  que 
lorsqu'on  se  borne  à  en  suivre  d'esprit  les  paroles.  La  pronon- 
ciation convenable  des  prières  réveille  l'attention  de  l'esprit, 
et  y  fait  entrer  plus  avant  les  sentiments  qu'elles  expriment. 
Pareillement,  l'a  me  adorera  mieux  Dieu,  lui  exprimera 
mieux  sa  reconnaissance  ou  son  repentir,  si  le  corps  est 
agenouillé  respectueusement,  que  s'il  est  debout  ou  assis. 
Telle  est  au  reste  l'une  des  raisons  pour  lesquelles  l'Eglise 
a  institué  son  eulte  extérieur,  comme  avait  fait  avant  elle 
la  religion  hébraïque,  et  même  les  religions  païennes. 
En  effet,  les  cérémonies,  les  ornements,  les  lumières, 
l'encens,  les  saints  cantiques  émeuvent  manifestement  les 
âmes,  et  non  moins  manifestement  les  élèvent  vers  Dieu. 
Que  s'il  se  trouve  malgré  cela  des  hommes  pour  blâmer  le 
culte  extérieur  de  l'Église,  et  prétendre  que  le  seul  culte 
intérieur  est  digne  de  Dieu,  sachons  qu'ils  ne  parlent 
ainsi  que  pour  pouvoir  plus  aisément  n'offrir  à  Dieu  aucun 
culte  (1). 

1.  En  vain  do  faux  sages  nous  disaient  qu'ils  no  veulent  d'autre  culte 
que  celui  de  la  pensée,  d'autre  concert  religieux  que  celui  d'une  vie 
consacrée  à  faire  du  bien  aux  hommes,  d'autre  temple  que  la  nature. 
Ce  n'est  là  qu'une  vaine  enflure  de  paroles,  qu'une  orgueuilleuse  exagé- 
ration démentie  par  l'expérience,  parla  raison,  parle  sentiment. 

Bt  d'abord,  que  nous  apprend  L'expérience?  C'est  que  tous  les  peu- 
ples anciens  et  modernes  ont  été  plus  ou  moins  religieux,  et  qu'ils  ont 


58  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.   INSTRUCTION. 

Pour  nous,  que  le  culte  dont  nous  honorons  Dieu  soit 
non  seulement  intérieur  et  extérieur,  mais  qu'il  soit  encore 
public.  C'est-à-dire,  ne  nous  bornons  pas  à  adorer  Dieu 
dans  notre  cœur,  à  nous  mettre  à  genoux  devant  lui  et  à 

été  entraînes  par  la  force  des  choses  à  rendre  un  culte  extérieur  quel- 
conque à  la  Divinité.  Des  temples  érigés  en  son  honneur,  des  victimes 
immolées  au  pied  de  ses  autels,  des  hymnes  pour  célébrer  ses  louanges, 
des  prières  pour  solliciter  ses  bienfaits,  des  fêtes  solennelles  en  actions 
de  grâces,  enfin  des  sacrifices  expiatoires,  voilà  ce  qu'on  trouve  en 
général  chez  toutes  les  nations  dans  le  monde  ancien  et  dans  le  nou- 
veau. Or,  cela  ne  supposc-t-il  pas  la  croyance  d'un  Dieu  dont  il  faut 
adorer  la  grandeur,  bénir  la  bonté,  implorer  la  clémence,  désar- 
mer la  justice  ?  Et  tout  cela,  pris  dans  son  ensemble  et  dans  son  dehors, 
ne  compose-t-il  pas  précisément  ce  culte  extérieur  et  public  dont  nous 
prétendons  établir  la  nécessité  ?  Où  est  le  peuple  civilisé  qui  se  soit 
borné  au  seul  culte  de  la  pensée,  à  ces  hommages  invisibles  de  l'esprit 
et  du  cœur  ? 

Que  nous  dit  la  raison  ?  C'est  que  l'homme  doit  faire  à  Dieu  l'hom- 
mage de  son  être  tout  entier,  de  son  corps  comme  de  son  esprit.  Nous 
ne  sommes  pas  de  pures  intelligences,  indépendantes  des  choses  sensi- 
bles, ne  vivant  que  de  sentiments  et  de  pensées  ;  nous  avons  un  corps  et 
des  organes  dont  nous  nous  servons  pour  l'exercice  même  de  nos  facul- 
tés intellectuelles.  N'est-ce  donc  que  lorsqu'il  s'agit  de  la  Divinité  et  des 
hommages  qui  lui  sont  dûs,  que  notre  corps  nous  serait  comme  étran- 
ger ?  Ou  plutôt,  n'est-il  pas  juste  de  le  faire  servir  au  culte  de  son  Créa- 
teur, par  ces  actes  extérieurs  et  sensibles,  les  seuls  dont  il  soit  capable? 
Il  ne  faut  pas  s'y  tromper;  il  ne  s'agit  pas,  pour  relever  la  dignité  de 
l'homme,  de  lui  supposer  une  perfection  chimérique,  de  le  croire  telle- 
ment dégagé  des  sens  et  de  l'imagination,  qu'il  puisse  aisément  se  pas- 
ser de  leur  influence.  Si  vous  bornez  le  culte  de  la  Divinité  à  des  hom- 
mages purement  intérieurs,  qu'arrivera-t-il  ?  C'est  que  bientôt  les  senti- 
ments de  la  piété  s'affaibliront  jusqu'à  ce  qu'ils  finissent  par  s'éteindre 
entièrement.  Oui,  s'ils  ne  sont  éveillés,  nourris,  fortifiés  par  des  prati- 
ques extérieures,  ils  n'auront  plus  qu'un  je  ne  sais  quoi  de  froid,  de 
vague,  de  superficiel.  En  vain,  la  fausse  délicatesse  et  le  bel  esprit 
dédaigneux  affectent  de  voir  des  pratiques  puériles  et  ridicules  dans  les 
rites  sacrés,  dans  la  pompe  des  cérémonies,  dans  les  postures  sup- 
pliantes, le  chant  religieux  et  les  décorations  des  autels,  l'expérience 
apprendra  toujours  que,  si  tout  cela  n'est  pas  la  religion  même,  tout 
cela  du  moins  en  est  l'aliment  et  le  soutien  ;  que  sans  le  dehors  de  la 
religion  et  ses  pratiques  saintes,  bientôt  les  peuples  en  perdraient  le 
goût  et  l'esprit  ;  que  la  piété  sincère  habite,  il  est  vrai,  dans  le  cœur, 
comme  dans  un  sanctuaire  impénétrable  et  connu  de  Dieu  seul,  mais 
qu'elle  finirait  néanmoins  par  n'être  qu'un  vain  fantôme,  si  elle  n'était 
fixée,  rappelée,  inculquée,  et  comme  réalisée  dans  le  culte  extérieur. 
Tout  ce  prétendu  culte  de  la  pensée  se  réduirait  à  quelques  idées  méta- 
physiques sur  la  Divinité,  qui  ne  régleraient  ni  les  affections  ni  la 
conduite.  Ces  philosophes  religieux,  qui  voudraient  une  religion  sans 
culte,  ressemblent  à  ces  philanthropes  qui  prêcheraient  l'amour  des 


C  EST  IN  DEVOIR   POUR  NOi  s  1)  HONORER  DIEU.  .><) 

l'invoquer  par  nos  paroles;  mais  quand  l'Église  nous  le 
prescrit,  honorons-le  encore  publiquement  en  assistant  aux 
offices  et  en  prenant  part  aux  processions.  Nous  le  devons 
comme  chrétiens  et  comme  citoyens.  Gomme  chrétiens. 
nous  devons  rendre  à  Dieu  un  culte  public,  parce  que  notre 
exemple  encourage  nos  frères  à  nous  imiter,  et  par  consé- 
quent à  s'attirer  les  grâces  que  Dieu  accorde  à  ses  adora- 
teurs. Souvenons-nous,  en  outre,  (pie  le  Sauveur  a  dit 
expressément  :  Ou  il  y  a  deux  ou  trois  personnes  assemblées 
en  mort  nom,  je  m'y  trouve  an  milieu  d'elles  (i).  Mais  nous 

hommes  sans  faire  aucun  acte  d'humanité,  ou  à  ces  politiques  qui 
voudraient  bien  un  corps  social,  mais  sans  aucuns  liens  extérieurs  qui 
doivent  rapprocher  et  unir  entre  eux  les  membres  divers.  Il  faut  pren- 
dre L'homme  tel  qu'il  est  ;  son  esprit  est  si  faible,  son  imagination  si 
volage,  son  cœur  si  facile  à  s'égarer,  qu'on  ne  doit  négliger  aucun  des 
moyens  qui  peuvent  fixer  son  inconstance,  éveiller  son  attention  et 
nourrir  dans  son  àme  de  pieux  sentiments. 

Et   pourquoi   le   déiste  blâmerait-il   dans    la    religion  ce   qu'il 

approuve  dans  toutes  les  choses  humaines?  Je  m'explique.  Dans  la 
société  civile,  s'est-on  contenté  de  porter  des  lois,  d'en  faire  sentir  les 
avantages,  d'en  recommander  la  fidèle  observance  ?  Non,  sans  doute; 
on  a  senti  que,  pour  leur  donner  plus  de  force  et  d'empire,  il  fallait 
entourer  ceux  qui  en  sont  les  dépositaires  et  les  organes,  de  ce  qui 
peut  attirer  les  regards  et  fixer  les  hommages  de  la  multitude.  Si  l'on 
dépouillait  les  lois  et  l'autorité  publique  de  ces  dehors  imposants  qui 
frappent  l'imagination  des  peuples,  semblent  ajouter  quelque  chose  à 
la  réalité  des  objets,  et  par  là  même  impriment  plus  de  respect  dans  les 
âmes,  qu'en  résulterait-il?  C'est  qu'on  verrait  bientôt  les  liens  de  l'in- 
dépendance et  de  la  subordination  se  r. 'lâcher,  les  lois  tomber  dans  la 
mépris,  l'esprit  d'audace  et  de  révolte  éclater  de  toutes  parts.  Ainsi  en 
serait-il  de  la  religion,  si  elle  était  dépouillée  de  tout  culte  extérieur,  et 
abandonnée  à  la  pensée  de  chaque  particulier  :  on  la  verrait  s'affaiblir 
par  degrés,  perdre  son  ascendance  sur  les  esprits,  devenir  étrangère 
aux  habitudes,  à  la  conduite  des  hommes,  et  s'effacer  presque  de  leur 
souvenir.  Voyez  encore  ce  qui  arrive  dans  les  sciences,  les  lettres  et  les 
arts.  Que  d'efforts  n'a-t-on  pas  faits  de  nos  jours  pour  faciliter  les 
moyens  d'instruction,  et  rendre  comme  palpables  les  recherches  et  les 
connaissances  de  l'esprit  humain]  Xon  seulement  le  burin  a  gravé  la 
figure  des  plantes  et  des  animaux  dans  un  détail  et  une  perfection  qui 
étonnent,  mais  que  n'a-ton  pas  imaginé  pour  donner  une  forme  visi- 
ble aux  connaissances  historiques,  géographiques,  grammaticales! 
Que  de  tableaux  pour  peindre  aux  veux  ce  qui  semblait  ne  devoir  être 
saisi  que  par  l'esprit!  Eli  quand  il  s'agit  de  la  religion,  on  voudrait  la 
dépouiller  de  tout  ce  qui  parle  aux  sens  et  à  l'imagination,  pour  la 
faire  pénétrer  plus  aisément,  plus  profondément  dans  les  cœurs? 
Quelle  inconséquence  !  (Mgr  Frayssinoi  s,  loc.  ciit.). 

Matth.  xviii,  20. 


60  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.   INSTRUCTION. 

devons  aussi  rendre  à  Dieu  un  culte  public  comme  citoyens, 
ou  comme  membres  de  la  société,  et  voici  pourquoi.  C'est 
que,  comme  chacun  de  nous  vient  de  Dieu,  ainsi  la  société 
vient  aussi  de  lui,  et  c'est  lui  en  outre  qui  la  conserve, 
comme  il  nous  conserve  nous-mêmes.  Si  donc  nous  devons 
rendre  à  Dieu  un  culte  personnel,  parce  qu'il  a  créé  et  qu'il 
conserve  chacun  de  nous  ;  ainsi  la  société,  pour  la  même 
raison,  c'est-à-dire  parce  que  Dieu  l'a  créée  et  la  conserve, 
doit  lui  rendre  des  honneurs  et  un  culte  public,  par  les 
membres  qui  la  composent.  Si  nous  étions  vraiment  chré- 
tiens, nous  devrions,  en  conséquence,  nous  tourner  tous 
publiquement  vers  Dieu,  toutes  les  fois  que  sont  en  jeu  de 
grands  intérêts  de  la  société,  comme  par  exemple:  à  l'appro- 
che des  élections,  pour  lui  demander  d'éclairer  les  électeurs 
et  de  faire  échouer  les  machinations  des  méchants  ;  ou  bien 
dans  les  calamités  publiques,  pour  en  obtenir  la  cessation; 
ou  bien  dans  les  succès  nationaux,  pour  lui  en  rendre 
grâces.  C'est  ce  que  faisaient  nos  pères.  C'est  ce  que  font 
encore  divers  peuples  contemporains,  non  des  moins  pros- 
pères. Cependant  ici  encore  s'élève  la  voix  de  la  contradic- 
tion, et  pour  que  l'impiété  des  incrédules  n'en  soit  pas 
choquée,  on  prétend  que  les  croyants  doivent  être  contraints 
de  renoncer  aux  actes  dont  leur  foi  leur  fait  un  devoir.  C'est 
ainsi  que  les  processions  catholiques,  en  particulier,  sont 
interdites  en  tant  d'endroits,  comme  blessantes  pour  les 
prétendus  libres-penseurs  ;  tandis  que  les  rues  sont  livrées 
aux  manifestations  parfois  les  plus  hostiles  contre  la  religion 
catholique,  au  nom  de  la  liberté  !  Il  suffît  d'énoncer  ces 
pratiques  pour  en  faire  voir  toute  l'hypocrisie  et  tout  le 
despotisme.  Chrétiens,  nous  savons  que  nous  devons  à 
Dieu  un  culte  public,  comme  membres  de  la  société  :  or  ce 
ne  sont  pas  les  abus  de  la  force  contre  le  droit  qui  peuvent 
nous  dispenser  de  notre  devoir.  Si  nous  ne  pouvons  pas  nous 
en  acquitter  d'une  manière,  acquittons-nous-en  d'une  autre. 
Acquittons-nous-en  surtout  en  nous  montrant  toujours  hau- 
tement et  ouvertement  chrétiens,  et  en  prenant  part  à  toutes 
les  cérémonies  publiques  auxquelles  notre  sainte  mère 
l'Église  nous  convie,  suivant  les  circonstances.  En  agissant 
ainsi,   nous  serons  toujours  assurés  de  nous   acquitter  de 


c'iST  l  \   DEVOIB   POUR  NOUS  d'hONOUEK  DIEU.  Gl 

notre  devoir  d'honorer  Dieu,  el  de  nous  en  acquitter  comme 
il  faut  (i).  —  Il  nous  reste  à  expliquer, 

i.  Nous  voyons  tous  les  peuples  civilisés  reconnaître  la  nécessité  d'un 
culte  extérieur  el  public.  Partout  l'histoire  nous  présente  la  religion 
présidant  an  mariage,  consacrant  les  serments,  célébrant  les  obsèques 
des  morts  :  partout  elle  nous  montre  des  vœux  publics,  des  cérémonies 
el  des  sacrifices.  Nous  marchons  sur  les  débris  des  temples  et  des 
autels  que  nos  pères  avaient  élevés  à  leurs  fausses  divinités.  Les  légis- 
lateurs des  peuples,  au  milieu  de  leurs  erreurs,  avaient  senti,  ce  qu'au 
sein  de  la  lumière  ne  voient  pas  les  incrédules  de  nos  jours,  que  le 
culte  public  est  pour  la  société,  tout  à  la  fois  un  devoir  envers  le  Dieu 
qui  la  protège,  et  un  besoin  pour  opérer  et  maintenir  la  réunion  de  ses 
membres.  Dans  combien  de  pays  les  cérémonies  religieuses  ont  ras- 
semblé les  boulines  encore  sauvages  et  errants  dans  les  forêts  !  (loin- 
bien  de  fois  un  temple,  un  autel  a-t-il  été  pour  les  nations,  comme 
pour  les  tribus  d'Israël,  un  témoignage  de  leur  réunion,  un  garant  de 
leurs  droits  !  Et  pour  ne  vous  citer  que  l'exemple  le  plus  célèbre  de 
cette  influence  de  la  religion  publique  sur  l'union  des  sociétés,  cette 
confédération  fameuse,  qui  de  tous  les  peuples  de  la  Grèce  ne  faisait 
qu'une  seule  nation,  ne  dut-elle  pas  sa  naissance  et  sa  conservation  au 
tribunal  établi  pour  le  maintien  de  la  religion  générale,  et  à  ces  jeux 
dont  l'origine  rappelait  les  divinités,  et  dont  la  célébration  faisait  une 
partie  du  culte  ? 

Il  faut  à  l'humanité  un  culte  public  :  une  loi  supérieure  qui  règle 
ce  culte,  qui  en  détermine  les  termes,  qui  en  fixe  les  cérémonies,  est  par 
conséquent  nécessaire.  Les  rites  extérieurs  cesseraient  de  former  un 
hommage  commun,  si  chaque  particulier  pouvait  les  régler  à  sa  volonté, 
s'il  y  avait  autant  de  cultes  que  d'hommes  ;  et  de  même  que  dans  la 
société  politique,  des  lois  impérieuses  prescrivent  les  règles  des  actes 
civils  et  en  dictent  les  formules,  afin  d'en  écarter  les  fraudes  et  d'en 
prévenir  les  surprises  ;  de  même,  dans  la  société  religieuse,  il  faut  que 
les  pratiques  du  culte  soient  ordonnées,  soit  pour  les  rendre  communes 
et  uniformes,  soit  pour  en  éloigner  les  erreurs. Telle  est  en  effet  notre  mal- 
heureuse situation  :  placés  entre  l'irréligion  et  la  superstition,  noustom- 
bons  infailliblement  dansl'une  si  nous  négligeonsles  pratiques  duculle, 
dans  l'autre  si  nous  les  exagérons.  Le  défaut  et  l'excès  sont  également 
criminels  ;  (harpie  esprit  trouve  ici  son  écueil  ;  et  si  le  culte  de  la  Divi- 
nité n'est. pas  réglé  par  une  autorité  commune,  on  verra  d'un  côté  le 
peuple  charnel  et  grossier,  donnant  tout  à  un  vain  appareil,  aller  de 
pratiques  en  pratiques,  tomber  dans  le  plus  honteux  excès  de  la  super- 
stition ;  et  de  l'autre,  les  hommes  éclairés,  orgueilleux  de  leur  raison, 
cl  mesurant  tout  sur  leurs  lumières,  dédaigner  des  rites  dont  ils  ne 
sentiront  pas  la  nécessité,  el  anéantir  par  degrés  les  cérémonies,  le 
culte,  la  foi,  la  religion  entière.  Et  voyez  où  étaient  parvenues  ces 
nations  dont  les  lumières  sont  d'ailleurs  encore  l'objet  de  notre  étonne- 
nient  el  de  mil  rc  admiration  :  il  a  fallu  toute  Ja  sagesse,  toute  la  sain 
leté.  toute  la  force  de  la  loi  chrétienne,  pour  anéantir  du  même  coup.la 
superstition  des  peuples  el  l'irréligion  de  leurs  philosophes;  il  a  fallu 
la  prédication  des  apôtres,  pour  faire  connaître  le  vrai  Dieu  ;  les  saintes 
assemblées  des  chrétiens,  pour  détruire  les  mystères  impurs,   l'accom- 


62  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IÎI.    INSTRUCTION. 

III. —  Quand  nous  devons  honorer  Dieu.  —  Deux  ques- 
tions se  présentent  ici  à  résoudre.  Voici  la  première:  Quand 
devons-nous  honorer  Dieu,  c'est-à-dire,  à  partir  de  quel  âge 
devons-nous  honorer  Dieu?  Nous  devons  honorer  Dieu  dès  que 
nous  sommes  capables  de  le  faire,  c'est-à-dire  dès  que  nous 
pouvons  avoir  l'idée  d'un  Etre  supérieur,  créateur  et  maître 
de  toutes  choses,  de  qui  nous  avons  nous-mêmes  tout  reçu, 
et  à  qui  nous  devons  par  conséquent  témoigner  notre  res- 
pect et  notre  reconnaissance.  L'âge  auquel  l'enfant  com- 
mence de  pouvoir  comprendre  ces  vérités  s'appelle  l'âge  de 
raison,  et  arrive  vers  la  septième  année,  assez  souvent  même 
plus  tôt.  Les  parents  peuvent  ordinairement  hâter  dans  une 
certaine  mesure  cet  âge,  par  le  soin  qu'ils  prennent  d'éveil- 
ler et  de  développer  la  raison  de  leurs  enfants.  Quoi  qu'il  en 
soit,  dès  que  les  enfants  sont  capables  de  comprendre  qu'il 
y  a  un  Dieu  et  qu'il  est  leur  bienfaiteur,  c'est  alors,  nous  le 
répétons,  qu'ils  sont  tenus  de  commencer  à  l'honorer.  Il  en 
est  à  cet  égard  des  enfants  comme  du  feu,  nous  dit  saint 
Thomas.  En  effet,  dès  que  le  feu  commence  de  brûler,  il 
s'élève  vers  le  ciel.  De  même,  dès  que  les  enfants  commen- 
cent de  comprendre,  la  flamme  de  leur  raison  et  de  leur 
cœur  doit  s'élever  vers  Dieu.  Nous  l'avons  déjà  dit,  c'est 
uniquement  pour  honorer  Dieu  que  la  raison  et  le  cœur  ont 
été  donnés  aux  hommes  ;  et  c'est  justement  pour  ce  motif 
que  les  enfants  doivent  les  employer  à  honorer  Dieu  dès 
qu'ils  en  ont  l'usage,  sans  aucun  délai  ni  retard.  Mais  si  les 
enfants  ont  dès  lors  le  devoir  d'honorer  Dieu,  les  parents  ont 
celui  d'apprendre  à  leurs  enfants  à  le  connaître  et  à  s'en 
acquitter.  Oui,  que  les  parents  le  sachent  bien  :  le  plus 
rigoureux  de  leurs  devoirs  à  l'égard  de  leurs  enfants,  ce  n'est 
pas  même  de  les  élever,  mais  bien  de  leur  apprendre  à 
honorer  Dieu,  puisque  c'est  la  fin  unique  de  ces  jeunes  êtres 
aussi  bien  que  la  leur.  C'est  parce  que  les  enfants  sont  tenus, 

plissement  des  prophéties,  pour  faire  cesser  l'imposture  des  oracles,  le 
sang  de  JÉsus-Cmusr  coulant  sur  nos  autels,  pour  abolir  les  sacrifices 
humains. 

Que  l'incrédulité  cesse  donc  enfin  de  calomnier  ce  culte  sacre,  dont 
l'humanité  a  relire  de  si  grands  avantages.  Qu'elle  cesse  de  le  présenter 
comme  un  amas  de  minuties,  indignes  de  la  raison  humaine  et  de  la 
grandeur  divine  (Le  card.  de  La  Lezeu.ne,  Le  culle  de  ÏÉgL  calh.). 


G*EST  l  \  DEVOIR  POUR  NOUS  D'HONORER  I>ŒU.  63 


sous  peine  de  faute  grave,  d'honorer  Dieu  dos  qu'ils  ont 
atteint  l'âge  de  raison:  que  les  parents  sont  aussi  tenus,  sous 
peine  de  faute  -rave,  d'instruire  leurs  enfants  de  leur  devoir, 
à  moins  que  l'ignorance  n'excuse  les  uns  ou  les  autres. 

Mais  lorsqu'on  a  atteint  l'âge  de  raison,  le  devoir  d'hono- 
rer Dieu  oblige-t-il  continuellement  et  à  tous  les  instants  ? 
Non  :  on  ne  voit  pas  que  Dieu,  qui  nous  a  fait  un  comman- 
dement de  l'honorer,  l'ait  rendu  obligatoire  d'une  manière 
continuelle.  Dans  le  ciel,  il  est  vrai,  les  bienheureux  hono- 
rent Dieu  sans  interruption  ;  mais  autres  sont  les  conditions 
de  la  vie  présente,  qui  est  une  vie  d'épreuve,  et  ne  saurait 
ressembler  à  la  vie  céleste,  qui  est  une  vie  de  récompense  (i). 
Ici-bas,  les  Israélites  avaient  autrefois  pour  règle  d'adorer 
Dieu  quatre  fois  le  jour  (2).  Chez  les  chrétiens,  la  coutume 
s'est  établie  de  le  prier  et  de  lui  offrir  ses  hommages  le 
matin  et  le  soir.  Nous  rendons  nos  devoirs  à  Dieu  le  matin 
dès  que  nous  sommes  éveillés  et  avant  de  nous  livrer 
à  nos  occupations  temporelles,  afin  de  le  remercier  de  nous 
avoir  conservé  la  vie  pendant  notre  sommeil  et  de  nous 
donner  une  nouvelle  journée,  et  afin  de  nous  attirer  sa  pro- 
tection sur  notre  personne  et  ses  bénédictions  sur  nos  tra- 
vaux. Le  soir,  nous  nous  mettons  encore  à  genoux  devant 
lui,  pour  le  remercier  de  ses  nouveaux  bienfaits,  lui  deman- 

1.  11  est  certain  que  de  droit  divin  nous  sommes  obligés  de  prier  de 
temps  en  temps,  soit  mentalement,  soit  vocalement,  dès  que  nous  avons 
atteint  l'usage  de  la  raison  ;  mais  quand  ce  précepte  obligc-t-il  ?  c'est  ce 
qu'il  n'est  pas  facile  de  déterminer.  (En  note,  ici,  ce  qui  suit  :  «  Pcr  se 
obligat  triplici  tempore,  scilicet  in  instanti  usu  ralionis,  in  articulo 
mortis,  et  semel  saltem  in  anno.  »  Salmanticenses.  Per  accidens,  obligat 
sa?pius.)  --  Les  théologiens  conviennent  cependant  assez  que  l'on  est 
tenu,  sous  peine  de  péché  mortel,  de  prier  dans  les  cas  suivants  : 
i°  Lorsqu'on  a  à  combattre  une  tentation  forte  qui  ne  peut  se  surmon- 
ter sans  la  prière  ;  r  quand  on  est  dans  un  imminent  péril  de  mort, 
ou  (pic  le  salut  est  exposé  à  un  danger  grave  ;  3°  dans  les  calamités 
publiques;  lorsque  la  communauté  ou  la  société  se  trouve  dans  un  grand 
danger  :  ',  d'après  Sylvius,  Suarez  ei  Navarre,  lorsque  le  prochain  se 
trouve  dans  no  danger  ou  une  nécessité  extrême  spirituelle,  et  qu'on 
ne  peut  te  secourir  que  par  la  prière  ;  5°  quand  on  est  obligé  d'accom- 
plir quelque  commandement  qui  requiert  un  secours  spécial,  ou  de 
s'exciter  au  repentir  de  ses  péchés  pour  obtenir  la  justification  (Examen 
raisonné  sur  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  i.p.  ch.  1.  a.  4.  S  1.) 
2.  11.  Esdr.  îx,  23. 


64  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  III.   INSTRUCTION. 

dcr  pardon  des  fautes  que  nous  avons  pu  commettre,  et  le 
prier  de  nous  continuer  sa  protection  durant  la  nuit. 

Cette  coutume  d'adorer,  de  remercier  et  de  prier  Dieu 
matin  et  soir,  nous  devons  donc  nous  faire  une  obligation 
de  n'y  jamais  manquer,  à  l'exemple  de  nos  pères.  On  ne 
saurait,  sans  cela,  être  bon  chrétien.  Quel  chrétien  serait-ce 
en  effet  celui  qui  laisserait  passer  les  jours,  les  semaines,  les 
mois,  sans  adorer  Dieu,  sans  le  remercier,  sans  le  prier?  (i). 
Pour  être  de  véritables  bons  chrétiens,  nous  ne  devons  pas 
même  nous  borner  à  bénir  et  à  prier  Dieu  matin  et  soir  ; 
nous  devons  le  faire  plus  souvent.  Le  Sauveur  nous  déclare 
en  effet  que,  d'une  certaine  manière,  il  faut  toujours  prier,  et 
ne  pas  cesser  (2).  D'une  certaine  manière,  disons-nous,  car, 
nous  l'avons  expliqué,  nous  ne  pouvons  pas  toujours  prier 
et  adorer  comme  font  les  saints  dans  le  ciel.  De  quelle 
manière  donc  nous  est-il  commandé  de  toujours  prier  et  de 

1.  On  ne  peut  déterminer  l'espace  de  temps  suffisant  pour  pécher 
mortellement  dans  l'omission  de  la  prière.  Plusieurs  théologiens  croient 
qu'il  faut  l'espace  d'un  mois  entier.  Filliucius  et  S.  Liguori  regardent 
ce  sentiment  comme  probable.  —  Bauny,  dans  sa  Somme,  soutient  que 
l'omission  de  la  prière  du  matin  ou  du  soir  est  un  péché  véniel:  l'usage, 
en  effet,  semblerait  en  faire  une  loi  qui  oblige  sub  levi  {Examen  raisonné, 
loc.  cit.). 

Celui  qui  ferait  des  actes  de  foi,  d'espérance,  dc'charité,  de  contrition, 
lorsque  le  précepte  l'exige,  qui  assisterait  à  la  sainte  Messe  les  jours  de 
dimanches  et  de  fêtes,  et  qui  passerait  un  mois  sans  faire  aucune  autre 
prière,  pècherait-il  mortellement  ?  nous  n'osons  le  dire... 

«  Les  fidèles,  dit  Mgr  Gousset,  sont  dans  l'usage  de  faire  tous  les  jours 
quelques  prières  qu'on  appelle  les  prières  du  malin  et  du  soir.  Celte 
pratique  est  aussi  ancienne  que  le  Christianisme,  aussi  générale  dans 
l'Eglise  qu'elle  est  ancienne.  11  nous  paraît  difficile  d'excuser  de  tout 
péché  véniel  celui  qui  y  manquerait  sans  cause,  sans  aucune  raison,  et 
qui  passerait  la  journée  tout  entière  sans  faire  aucune  autre  prière,  sans 
invoquer  ni  Dieu,  ni  la  sainte  Vierge,  ni  les  saints.  Manquer  souvent, 
plusieurs  jours  de  suite,  aux  prières  du  matin  et  du  soir,  sans  les  rem- 
placer, dans  le  courant  de  la  journée,  par  aucune  autre  prière,  ce  serait 
s'exposer  au  danger  de  perdre  tout  sentiment  de  piété  et  de  tomber 
bientôt  dans  quelque  faute  plus  ou  moins  grave.  —  C'est  un  devoir 
pour  un  curé  d'exhorter  souvent  ses  paroissiens  à  faire  chaque  joui  les 
prières  d'usage.  11  n'est  personne,  quelle  que  soit  sa  position  et  dans 
quelque  cire  >nee  qu'il  se  trouve,  généralement  parlant,  qui  ne 
puisse  réciter  tement,  tous  les  malins  et  tous  les  soirs,  au  moins  le 

Credo,  le  Pal  t  Y  Ave,  avec  un  acte  de  contrition.  »  (Pierrot,  Dict.  de 
théol.  mor.  Pn     .  eneyel.  théol.  Mignc.  Art.  Prière,  n.  8  et  9). 

2.  Luc,  xvn  ,  1. 


C  EST  i  \  DEVOIR  PÔ1  K  NOt  s  d  HONORER  DIEU.  ().) 

ne  pas  cesser  ?  Nous  prions  toujours  el  sans  cesser  quand, 
ayanl  fa  il  (\c  notre  mieux  notre  prière  à  Dion,  nous  désirons 
de  continuer,  et  nous  livrons,  dans  cette  disposition,  au  tra- 
vail qui  nous  incombe,  après  L'avoir  préalablemënl  offert  à 
Dieu,  en  vue  de  lui  plaire  et  de  l'honorer.  Tel  est  le  senti- 
ment unanime  des  saints  Pères.  «  Celui-là  prie  sans  inter- 
ruption, nous  dil  saint  Ambroiso.  qui  offre  à  Dieu  ses  hom- 
mages,  d'esprit  ef  de  bouche,  dans  les  moments  convena- 
bles, et  ensuite  se  livre  aux  bonnes  (ouvres  (i).  »  Saint 
Augustin  n'est  pas  moins  clair  :  «  Votre  désir,  dit-il,  est  une 
prière  :  si  donc  votre  désir  est  continuel,  continuelle  est 
votre  prière  ;  et  si  vous  voulez  ne  pas  cesser  de  prier,  ne  ces- 
sez pas  de  désirer  (2).  »  Ecoutons  encore  saint  Bonaventure, 
qui  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Celui-là  ne  cesse  pas  de 
prier,  dit-il,  qui  ne  eesse  pas  de  faire  le  bien  ;  et  il  vaut 
moine  mieux  prier  de  cœur  et  d'action,  que  de  bouche  : 
celui-là  donc  ne  cesse  pas  de  prier,  qui  ne  cesse  pas  d'ac- 
complir de  bonnes  œuvres  (3).  » 

Voilà  donc  comment  nous  pouvons  prier  toujours,  savoir: 
après  que  sont  terminées  nos  prières  ordinaires,  en  désirant 
de  prier  encore,  et  en  faisant  toutes  nos  actions  pour  obéir 
à  Dieu,  lui  plaire  et  le  glorifier.  Et  non  seulement  en  faisant 
toutes  nos  actions  dans  ces  vues,  mais  encore  en  souffrant 
et  en  endurant,  dans  ces  mêmes  vues,  toutes  les  douleurs, 
toutes  les  privations,  toutes  les  contrariétés,  toutes  les  injus- 
tices, toutes  les  injures,  toutes  les  amertumes,  toutes  les 
croix  de  tout  genre  qui  peuvent  nous  venir  par  la  volonté 
ou  la  permission  de  Dieu.  Car,  puisque  c'est  ainsi,  c'est-à- 
dire  par  ses  prières,  et  bien  plus  encore  par  ses  discours, 
par  ses  miracles,  par  son  zèle,  par  sa  charité,  par  ses  souf- 
frances ou  par  sa  mort  (pie  Notre  Seigneur  a  continuelle- 
ment honoré  son  divin  Pore  ;  c'est  donc  ainsi  que  nous 
devons  nous-mêmes  honorer  continuellement  Dieu,  nous  à 
qui  il  a  été  expressément  commandé  de  le  suivre  et  de  l'imi- 
ter en  tout  (4). 

1.  InApoc.  c.  4- 

2.  Sup.  Ps.  xxxvii,  9. 

3.  Serin.  5.  de  uno  confesi. 
'4.  Mat  th.  xvi,  24-  Et  al.  pa 


SOMME    DU    PREDICATEUR.    —   T.    II. 


66         LES  GRANDS    DEVOtRS  DU    SALUT.  III.  INSTRUCTION. 

CONCLUSION.  —  Nous  connaissons  maintenant,  chré- 
tiens, ce  qu'il  nous  est  le  plus  essentiel  de  savoir  touchant 
le  grand  devoir  qui  nous  incombe  d'honorer  Dieu.  Nous 
savons  que  les  bases  inébranlables  de  ce  devoir,  c'est  que 
Dieu,  par  son  excellence  et  ses  infinies  perfections,  est 
digne  de  tout  honneur,  incomparablement  plus  que  qui 
que  ce  soit  ;  nous  savons  que,  par  ses  bienfaits  sans  nom- 
bre, il  le  mérite  par  dessus  tout  autre  ;  nous  savons  qu'il 
nous  a  créés  raisonnables  tout  exprès  pour  lui  rendre  hon- 
neur ;  nous  savons  enfin  que  le  premier  et  le  plus  grand 
des  commandements  qu'il  nous  a  imposés,  c'est  que  nous 
l'honorions.  Nous  savons,  d'autre  part,  que  la  manière  dont 
nous  devons  honorer  Dieu,  c'est  de  l'honorer  par  un  culte 
qui  soit  tout  à  la  fois  intérieur,  extérieur  et  public.  Nous 
savons  enfin  quand  nous  devons  honorer  Dieu,  c'est-à-dire, 
dès  que  nous  avons  atteint  Fâge  de  raison  ;  et,  à  partir  de 
cet  âge,  matin  et  soir,  et  en  outre  toujours  et  sans  interrup- 
tion autant  que  nous  le  pouvons,  principalement  en  lui 
offrant  tout  ce  que  nous  faisons  et  tout  ce  que  nous  souf- 
frons. Oui,  encore  une  fois,  et  retenons-le  bien,  voilà  ce 
que  nous  venons  d'apprendre  dans  l'entretien  de  ce  soir, 
savoir:  pourquoi  nous  devons  honorer  Dieu,  comment  nous 
devons  l'honorer,  et  quand  nous  devons  l'honorer.  Si  donc 
maintenant  nous  n'honorons  pas  Dieu  de  la  manière  et  dans 
le  temps  que  nous  devons  l'honorer,  nous  serons  sans  excuse. 
Ne  nous  mettons  pas  dans  ce  cas.  Soyons  logiques,  comme  il 
convient  à  des  êtres  doués  de  raison  et  de  volonté.  Ne 
serions-nous  pas  dignes  de  mépris,  si  convaincus  d'une  chose, 
nous  agissions  comme  si  nous  l'ignorions  ?  Guidés  par  leur 
seul  instinct,  les  animaux  n'en  suivent-ils  pas  toujours 
l'impulsion,  bien  qu'aveugle  ?  Et  nous,  éclairés  par  le  flam- 
beau de  la  raison,  qui  nous  permet  de  nous  rendre  un 
compte  assuré  de  ce  que  nous  faisons,  nous  tournerions  le 
dos  à  ce  flambeau,  quand  sa  brillante  lumière  précisément 
nous  découvre  la  voie  que  nous  devons  suivre?  Non,  non, 
qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  ;  et  puisque  la  raison  nous  démon- 
tre que  c'est  pour  nous  un  devoir  d'honorer  Dieu,  rendons- 
lui  le  culte  que  nous  lui  devons,  c'est  le  seul  moyen  de  nous 
sentir  des  hommes  et  de  conserver  notre  propre  estime. 


C  EST  l  \   m:\oni  poiu  NOl  S  n  HONORER  DIEU 


TRAITS  HISTORIQUES 

Le  devoir  d'honorer  Dieu  interdit  le  blasphème. 

Ce  (jiii  doit  inspirer  une  extrême  horreur  pour  le  blasphème, 
c'esl  que,  Indépendamment  de  l'horrible  outrage  qu'il  fait  à  la 
dix  ine  majesté,  ce  péché  imprime  à  celui  qui  le  commet  une  mar- 
que de  réprobation.  I  n  pieux  missionnaire,  prêchant  en  un  village 
où  le  saint  nom  de  Dieu  était  blasphémé,  et  voulant  faire  compren- 
dre par  des  comparaisons  familières  le  châtiment  qui  attend  les 
blasphémateurs,  s'exprima  en  ces  termes  :  «  Dans  cette  paroisse, 
mes  amis,  on  parle  français  ;  et  si  vous  y  rencontriez,  par  hasard, 
un  homme  qui  parlât  allemand,  vous  diriez  que  l'Allemagne  est  sa 
patrie,  s'il  parlait  espagnol,  vous  diriez  qu'il  vient  d'Espagne,  et 
s'il  parlait  anglais,  vous  diriez  qu'il  vient  d'Angleterre,  et  vous  le 
regarderiez  comme  un  étranger  qui  tôt  ou  tard  doit  retourner  dans 
sa  patrie.  Eh  bien,  malheureux  blasphémateurs,  me  comprenez- 
vous  ?  Vous  êtes  dans  un  pays  chrétien  et  catholique,  et  vous  n'en 
parlez  pas  la  langue  ;  vous  parlez  celle  de  l'enfer,  la  langue  du 
blasphème.  Je  dirai  donc  que  vous  êtes  des  étrangers,  que  l'enfer 
est  votre  patrie,  et  qu'un  jour  vous  irez  rejoindre  ceux  qui  parlent 
comme  vous.  —  Si  vous  voulez  échapper  à  ce  malheur,  hâtez-vous 
de  déposer  votre  déplorable  habitude.  » 

Châtiment  du  blasphème. 

Pour  montrer  l'énormité  du  péché  de  blasphème,  Dieu  ordonna 
dans  l'ancienne  loi  que  le  blasphémateur  fût  puni  de  mort  et  lapidé 
par  le  peuple.  Voici,  entre  divers  faits  de  ce  genre,  celui  qui  est 
rapporté  au  ch.  xxiv  du  Lévitique  : 

<(  Or  le  fils  d'une  femme  israélitc,  qu'elle  avait  eu  d'un  Égyptien, 
parmi  les  enfants  d'Israël,  sortit  et  se  prit  de  querelle  dans  le  camp 
avec  un  Israélitc.  Ayant  blasphémé  le  nom  de  Dieu,  et  l'ayant 
maudit,  il  fut  amené  à  Moïse.  Sa  mère  s'appelait  Salumith,  fille  de 
Dabri,  de  la  tribu  de  Dan.  Cet  homme  fut  mis  en  prison,  jusqu'à 
ce  qu'on  connût  ce  que  le  Seigneur  en  ordonnerait.  Alors  le  Seigneur 
parla  à  Moïse,  et  lui  dit  :  Faites  sortir  du  camp  ce  blasphémateur, 
que  tous  ceux  qui  l'ont  entendu  lui  mettent  les  mains  sur  la  tête, 
el  qu'il  soit  lapidé  par  tout  le  peuple.  Vous  direz  aussi  aux  enfants 
d'Israël  :  Quiconque  aura  maudit  ><>\i  Dieu,  portera  la  peine  de  son 
péché.  Celui  qui  aura  blasphémé  le  nom  du  Seigneur,  sera  puni 
de  mort  :  tout  le  peuple  le  lapidera,  qu'il  soit  citoyen  ou  étranger. 


68  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  lll.    INSTRUCTION. 

Celui  qui  aura  blasphémé  le  nom  du  Seigneur  sera  puni  de  mort. 
Moïse  ayant  ainsi  parlé  aux  enfants  d'Israël,  ceux-ci  emmenèrent 
le  blasphémateur  hors  du  camp,  et  le  lapidèrent.  » 

Remède  contre  le  blasphème. 

Ceux  qui  disent  qu'ils  blasphèment  sans  le  savoir,  et  qu'il  leur 
est  impossible  de  s'en  abstenir,  sont  dans  l'erreur  ;  ils  peuvent  se 
corriger,  s'ils  le  veulent  sincèrement.  Un  vieux  soldat  d'Ostende 
mêlait,  dit  le  chanoine  Schmitt,  des  blasphèmes  à  toutes  ses  paro- 
les ;  et  quand  on  l'engageait  à  se  défaire  de  cette  détestable  habi- 
tude, il  répondait  que  la  chose  lui  était  absolument  impossible.  Un 
gentilhomme  riche  et  vertueux,  le  rencontrant  un  jour  au  matin, 
lui  offrit  un  louis  d'or,  s'il  voulait  passer  le  jour  sans  blasphémer. 
Ébloui  par  le  brillant  métal,  le  vétéran  accepta  la  condition  et 
consentit,  pour  prouver  sa  fidélité,  à  rester  toute  la  journée  en 
compagnie  du  gentilhomme.  Celui-ci  le  conduisit  dans  les  casernes, 
dans  les  auberges,  dans  des  sociétés  de  jeux  et  en  d'autres  lieux, 
où  d'anciens  camarades,  ses  amis,  des  importuns  lui  donnèrent 
mainte  occasion  de  s'oublier.  11  tint  bon  cependant,  et  sut  si  bien 
garder  le  silence  et  surveiller  ses  paroles,  qu'il  atteignit  le  soir 
sans  avoir  proféré  aucun  blasphème.  Le  sage  gentilhomme  le 
félicita  et  lui  donna  son  louis  d'or  en  ajoutant  :  «  Avouez  mainte- 
nant que,  quand  vous  le  voulez  sérieusement,  vous  abstenir  du 
blasphème  n'est  pas  chose  impossible.  » 

Nous  devons  honorer  Dieu  d'un  culte  intérieur  et  extérieur. 

i.  —  Saint  Louis  IX,  roi  de  France,  brille  dans  l'histoire  au  pre- 
mier rang  des  plus  grands  monarques.  Sa  religion  fut  le  principe 
de  sa  grandeur.  Docile  aux  saintes  leçons  de  son  illustre  mère, 
Blanche  de  Castille,  il  regarda  ses  devoirs  envers  Dieu  comme  les 
premiers  de  ses  devoirs.  Il  avait  des  pratiques  de  piété  réglées,  et 
il  fut  constamment  fidèle,  malgré  mille  obstacles,  qui  semblaient 
devoir  l'en  empêcher.  Plein  de  la  dévotion  que  sa  pieuse  mère  lui 
avait  inspirée  pour  Notre-Dame,  il  s'agenouillait  tous  les  jours 
devant  l'image  de  la  Reine  des  cieux  pour  lui  recommander  sa  per- 
sonne et  son  royaume.  S'étant  fait  de  bonne  heure  un  devoir  de 
réciter  chaque  jour  l'office  de  la  sainte  Yierge,  il  continua  cette 
sainte  pratique  après  qu'il  fut  monté  sur  le  trône.  Quoique  accablé 
par  les  affaires  du  gouvernement,  il  trouvait  le  temps  de  réciter 
l'office  de  la  Mère  de  Dieu.  Sur  le  point  de  partir  pour  la  guerre 
sainte,  lorsque  déjà  l'oriflamme   flottait  sur   son   armée,  il    alla 


c'est  in  devoir  pour  nous  d'honorer  dieu.  6g 

nu-pieds  à  Notre-Dame  pour  dire  à  Marie  :  «  Mario,  bénissez  nos 
armes,  bénissez  la  croisade.  » 

Quand  il  eut  débarqué  en  Palestine,  il  se  rendit  à  Nazareth,  pour 
visiter  la  sainte  maison  qu'avait  habitée  la  Vierge  Marie,  la  même 
qui,  peu  d'années  après,  en  im'i,  fut  miraculeusement  transportée 
en  Italie,  à  Lorette,  où  on  la  voit  aujourd'hui.  Celait  la  veille  de 
l'Annonciation,  quand  le  prince  arriva  en  vue  de  la  bourgade 
sacrée.  11  descendit  de  cheval  et  mettant  les  genoux  en  terre,  il 
salua  ce  saint  lieu,  patrie  de  la  plus  pure  des  Vierges.  Étant  entré 
dans  le  sanctuaire,  il  y  voulut  recevoir  la  sainte  Communion  et 
arrosa  de  ses  larmes  ce  sanctuaire  béni,  consacré  par  le  séjour  de 
Ji:si  s,  de  Marie  et  de  Joseph. 

C'est  dans  ces  profonds  sentiments  de  religion  que  le  saint  roi 
puisa  la  force  et  le  courage  dont  il  eut  besoin  dans  la  suite.  Dieu 
permit  qu'il  essuyât  des  revers  ;  mais  ses  malheurs  ne  servirent 
qu'à  faire  éclater  sa  grandeur  d'àme  et  cette  inébranlable  con- 
stance qui  jeta  dans  l'admiration  les  farouches  sectateurs  de  Maho- 
met. 

Sa  piété  l'accompagna  jusqu'à  sa  mort.  Lorsque,  frappé  à  Tunis 
d'une  maladie  mortelle,  l'an  1270,  il  sentit  sa  fin  approcher,  il 
voulut  qu'on  l'étendit  sur  la  cendre,  pour  mourir  dans  l'humilité 
et  la  pénitence.  Quand  le  prêtre  lui  apporta  le  saint  Viatique: 
«  Prince,  lui  dit-il,  en  tenant  la  sainte  Hostie  en  main,  croyez-vous 
que  c'est  ici  le  corps  de  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ  ?  —  Je  le 
crois,  répondit  le  roi,  et  si  je  le  voyais  de  mes  yeux,  comme  le 
voyaient  les  disciples  à  son  Ascension,  je  ne  le  croirais  pas  davan- 
tage. »  11  venait  d'expirer  lorsque  Charles  d'Anjou,  son  frère,  arri- 
va à  la  tête  des  troupes  de  Sicile.  Conduit  à  la  tente  royale,  ce  prin- 
ce vit  le  corps  de  son  saint  frère  encore  étendu  sur  la  cendre,  où 
il  s'était  fait  mettre  pour  mourir.  En  présence  d'un  si  bel  exem- 
ple, qui  peut  ne  pas  se  sentir  animé  du  désir  d'honorer  Dieu  de 
touf  son  cœur,  et  ne  pas  réaliser  ce  si  juste  désir  ? 

II.  —  De  Baden-Baden,  on  écrivait  à  La  Croix,  le  3  juillet  1900  : 
«  Le  jour  de  la  Fête-Dieu,  qui  se  célèbre  ici  le  jeudi  même  où 
elle  arrive,  j'ai  été  absolument  surpris  et  émerveillé  de  la  ma- 
nière dont  cette  grande  fête  a  été  solennisée.  Dès  le  matin,  à  8  heu- 
res, en  me  rendant  à  la  procession  qui,  partant  de  l'église  parois- 
siale, doit  parcourir  toute  la  ville,  j'ai  été  étonné  du  peu  de  per- 
sonnes.qui  paraissaient  se  disposer  à  regarder  passer  le  cortège. 
Mais  bientôt  je  me  suis  rendu  compte  que  s'il  y  avait  peu  de  spec- 
tateurs, c'est  que  toute  la  population  faisait  partie  de  la  procession 
et  formaità  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  un  cortège  aussi  nombreux 


7*0  LES   GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  III.   INSTRUCTION. 

que  pieusement  recueilli.  Les  hommes,  en  nombre  considérable,  se 
faisaient  surtout  remarquer  par  leur  tenue  respectueuse  et  pleine 
de  foi.  La  musique,  et  des  meilleures,  était  de  la  fête  et,  par  son 
concours  empressé,  témoignait  des  sentiments  de  toute  la  popu- 
lation qui  chantait  les  hymnes  sacrées... 

«  Ici,  dans  les  écoles,  on  ne  cherche  pas  à  cacher  Dieu  ;  au  con- 
traire, on  le  montre  et  on  l'enseigne  ;  on  ne  cherche  pas  à  cacher 
la  religion,  au  contraire,  on  la  pratique  au  grand  soleil,  en  pleine 
liberté.  J'ai  vu  ici,  dans  la  maison  où  je  suis,  des  jeunes  gens  ve- 
nus pour  quinze  jours,  à  l'occasion  d'examens  à  subir.  Tous  ces 
jeunes  gens  priaient,  allaient  presque  tous  les  matins  à  la  Messe. 
Et  tous  les  jours,  quand  Y  Angélus  sonne,  où  que  nous  soyons  réu- 
nis, tout  le  monde  prie  ;  les  messieurs  se  découvrent,  et  commen- 
cent et  finissent  la  prière  par  le  signe  de  la  croix.  Même  si  l'on  est 
à  table,  tout  le  monde  s'arrête  et  fait  silence,  et  l'on  prie  tant  que 
la  cloche  tinte.  » 

Utilité  du  culte  extérieur. 

En  1793,  les  impies  prévalurent  en  France.  Inspirés  par  Satan, 
voulant  détruire  la  religion,  et  tuer  la  foi,  l'espérance  et  la  charité 
dans  les  âmes,  savez-vous  ce  qu'ils  imaginèrent  ?  Ils  voulurent 
supprimer  le  dimanche,  les  fêtes,  les  cérémonies  religieuses  et  tout 
le  culte  extérieur.  Gomme  c'était  triste  !  nos  aïeux  nous  l'ont  ra- 
conté, et  ils  pleuraient  en  nous  le  racontant.  Plus  de  processions, 
plus  de  messes,  plus  de  catéchismes,  plus  de  premières  commu- 
nions. Les  prêtres  étaient  proscrits  ;  les  cloches  demeuraient  silen- 
cieuses et  muettes  au  sein  de  nos  clochers  ;  les  églises  étaient  fer- 
mées ;  nul  ne  pouvait  pénétrer  sous  leurs  voûtes  solitaires  et  dé- 
peuplées ;  l'écho  des  chants  sacrés  ne  faisait  plus  retentir  nos 
sanctuaires  profanés  ;  la  lampe  était  éteinte,  le  tabernacle  vide, 
Jésus  n'y  était  plus...  Ces  jours  d'angoisse  et  d'impiété  durèrent 
peu  ;  encore  furent-ils  trop  longs,  mais  si  Dieu  ne  les  eût  abrégés, 
c'en  était  fait  de  la  religion  dans  notre  France...  Tant  il  est  vrai 
que  le  culte  extérieur  est  utile  et  même  indispensable  pour  la  con- 
servation des  sentiments  de  respect  et  de  vénération  intérieurs,  que 
nous  devons  avoir  pour  Dieu  notre  Créateur  et  notre  souverain 
Maître. 

Nous  devons  honorer  Dieu  d'un  culte  social. 

Chaque  année,  le  président  des  États-Unis  adresse  à  tous  les 
citoyens  de  la  grande  République  l'invitation  d'avoir  à  se  réunir 
dans  leurs  églises  ou  leurs  temples,  pour  remercier  Dieu  des  bien- 
faits reçus  pendant  l'année.  Voici  le  texte  de  l'invitation  lancée  le 


C  EST  UN    DEVOIR  POUR  NOUS  D  HONORER  DIEU.  71 

1  1  octobre  1872,  el  reproduite  à  celte  date  par  la  Semaine  du  Clergé  : 

u  Si  un  peuple  a.  plus  qu'un  autre,  de  jusles  raisons  pour  rem- 
plir cet  acte  de  reconnaissance,  c'est  bien  la  République  améri- 
caine; ci>  sont  les  citoyens  des  États-Unis,  qui  ont  un  gouverne- 
ment qui  est  leur  œuvre  personnelle,  qui  est  soumis  à  leurs  or- 
dres. Ils  ont  conservé  pour  eux  une  large  liberté  civile  et  reli- 
gieuse, et  l'égalité  devant  la  loi.  Durant  les  douze  derniers  mois, 
ils  ont  été  exemptes  de  toute  calamité  grave  ou  générale,  L'agri- 
culture, l'industrie  manufacturière  et  le  commerce  ont  joui  d'une 
grande  prospérité. 

•  En  conséquence  et  pour  ces  raisons,  je  recommande  que  le 
jeudi  ><S  novembre  prochain,  les  citoyens  se  rassemblent  dans  les 
lieux  respectifs  de  leur  culte,  pour  témoigner  à  Dieu  leur  recon- 
naissance pour  ses  bienfaits  et  sa  générosité.  » 


QUATRIÈME  INSTRUCTION 

(Mercredi  de  la  Première  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  nous  de  servir 

Dieu. 

I.  En  quoi  consiste  le  devoir  de  servir  Dieu.  —  II.  Motifs  qui  nous 
obligent  à  servir  Dieu.  —  III.  De  quelle  manière  nous  devons  servir 
Dieu. 

Nous  avons  déjà  expliqué  nos  deux  premiers  grands  devoirs 
envers  Dieu,  qui  sont,  de  nous  appliquer  à  le  connaître  de 
notre  mieux,  parce  qu'il  a  daigné  se  révéler  lui-même  à  nous  ; 
et  de  l'honorer  en  esprit  et  en  vérité,  intérieurement  et  exté- 
rieurement, comme  chrétiens  et  citoyens,  à  cause  de  ses  infi- 
nies perfections  et  de  ses  incomparahles  bienfaits,  dès  que 
nous  atteignons  l'âge  de  raison  et  jusqu'à  la  fin  de  notr3  vie. 
Mais  nous  ne  sommes  pas  tenus  seulement  de  connaître  et 
d'honorer  Dieu.  Un  troisième  devoir  à  son  égard  nous 
incombe,  celui  de  le  servir.  Ce  devoir  de  servir  Dieu,  il 
semble  que  rien  ne  devrait  nous  être  plus  facile  et  plus  doux 
que  de  nous  en  acquitter,  car  qu'y  a-t-il  de  plus  facile  et 
de  plus  doux  que  de  servir  un  Maître  infiniment  bon,  tel 
qu'est  Dieu?  Cependant  c'est  un  devoir  qui  devient  la  pierre 
d'achoppement  pour  une  foule  de  chrétiens.  S'il  ne  s'agis- 
sait en  effet  que  de  connaître  et  d'honorer  Dieu,  nous  nous 
y  appliquerions  tous  très  volontiers,  car  il  n'y  a  en  cela  rien 
qui  contrarie  notre  nature  même  corrompue.  C'est  pour 
cela  que  le  paganisme,  qui  ne  commandait  que  d'honorer 
les  dieux,  fut  longtemps  si  prospère.  Mais  il  n'en  est  pas 
ainsi  du  devoir  de  servir  Dieu.  Ce  devoir,  nous  le  savons, 
implique  inévitablement  l'obligation  de  lutter  contre  les 
passions  et  de  les  dompter  :  Vous  ne  pouvez  pas  servir  Dieu 
et  les  richesses  (i),  non  plus  que  les  honneurs  et  les  plaisirs, 

i,  Luc,  xvi,  13, 


c'est  un  devoir  poik  nous  de  servir  dieu.  73 

nous  a  dit  expressément  Notre-Seigneur.  Or,  telle  est  la 
cause  pour  laquelle  le  devoir  de  servir  Dieu  est  trop  souvent 
si  peu  et  si  mal  observé.  C'est  même  aussi  pour  cette  rai- 
son, par  voie  de  conséquence,  que  les  devoirs  de  connaître 
et  d'honorer  Dieu  ne  sont  pas  non  plus  observés  ;  car, 
comme  on  ne  veut  pas  servir  Dieu,  on  ne  veut  pas  non  plus 
L'honorer  ni  même  le  connaître.  On  fait  comme  ces  disci- 
ples du  Sauveur  dont  il  est  dit  dans  l'Évangile,  qu'ils  se 
retirèrent  et  ne  le  suivaient  plus  (1)  ;  on  s'éloigne  tout  à  fait 
de  Dieu,  et  on  ne  s'occupe  plus  de  lui.  Cependant  il  est  hors 
de  doute,  d'un  autre  côté,  que  ceux  qui  agissent  ainsi  n'ont 
en  général  qu'une  très  faible  et  très  imparfaite  connaissance 
du  devoir  de  servir  Dieu  ;  tandis  que  ceux  qui  connaissent 
très  bien  ce  devoir,  l'observent  pour  la  plupart  avec  fidélité. 
D'où  l'on  doit  conclure  qu'une  sérieuse  connaissance  du 
devoir  de  servir  Dieu,  concourt  pour  une  large  part  à  le 
faire  observer.  Voilà  pourquoi  nous  allons  l'étudier  ce  soir 
dans  ses  plus  essentielles  parties,  afin  de  nous  animer  tous 
à  nous  en  acquitter  avec  le  plus  de  fidélité  et  le  plus  de  per- 
fection possible.  Nous  exposerons  d'abord  en  quoi  consiste 
le  devoir  de  servir  Dieu  ;  nous  dirons  ensuite  les  motifs  qui 
nous  obligent  à  servir  Dieu  ;  et  enfin  nous  ferons  connaître 
de  quelle  manière  nous  devons  servir  Dieu  (2).  Puisse  le  Sei- 

1.  Joan.,  vi,  G7. 

2.  Deux  sortes  de  personnes  s'opposent  à  l'observation  de  la  loi  de 
Dieu  :  les  uns  la  violent  impunément,  ce  sont  les  libertins  ;  et  les  autres 
la  négligent,  ce  sont  les  chrétiens  lâches,  amateurs  d'eux-mêmes  et  peu 
fervents  ;  les  uns  l'accusent  d'injustice,  de  gêner  leur  liberté,  et  de 
leur  en  défendre  l'usage  ;  et  les  seconds  l'accusent  de  trop  de  sévéïité, 
de  leur  faire  un  devoir  d'une  vie  rude,  fâcheuse  et  incommode.  Contre 
ces  deux  sortes  de  personnes,  j'avance  ces  deux  propositions  qui  feront 
le  partage  de  ce  discours  :  La  première,  que  la  loi  de  Dieu  est  juste,  et 
l'équité  même  ;  la  seconde,  qu'elle  est  facile  et  aisée  à  observer,  et  ainsi 
que  nous  y  sommes  obligés,  et  par  justice,  et  par   notre  propre  intérêt. 

Pour  la  première,  la  loi  de  Dieu  est  juste;  en  voici  quelques  raisons. 
i°  Du  côté  de  Dieu,  il  est  juste  qu'il  fasse  des  lois,  afin  qu'il  fasse  con- 
naître son  indépendance  et  son  souverain  domaine.  Un  roi  ne  fait 
jamais  mieux  voir  sa  souveraine  grandeur  qu'en  faisant  observer  ses 
volontés  et  en  intimant  ses  lois  :  car  alors  il  montre  qu'il  a  le  pouvoir 
de  se  faire  obéir.  Ainsi  Dieu  ne  lit  jamais  mieux  connaître,  et  n'impri- 
ma jamais  une  plus  haute  idée  de  sa  majesté  à  son  peuple,  que  quand 
il  lui  donna  l'ancienne  loi.  .Ycst-il  pas  juste  qu'étant  souverain,  il  soR 


~f\  LES  GRANDS    DEVOIRS  DU  SALUT.    IV.   INSTRUCTION 


gncur  nous  inspirer  lui  même  les  réflexions  les  plus  capa- 
bles d'éclairer  et  de  convaincre  nos  cœurs,  afin  que  nous  le 

obéi,  et  que  les  hommes  le  reconnaissent  en  cette  qualité  :  Constitue 
legislalorem  super  eos,  ut  sciant  génies  quoniam  homines  sunt.  2"  Ses  lois 
mêmes  sont  justes,  et  il  n'y  a  rien  de  pins  équitable  ;  et  par  ses  lois, 
entendons  ses  dix  commandements.  Car  autant  que  ce  principe  est  vrai, 
qu'il  y  a  un  Dieu,  un  premier  être,  souverain,  indépendant,  maître 
absolu  de  l'univers,  autant  ces  conséquences  sont-elles  justes.  Donc  il  le 
faut  honorer  et  le  servir,  respecter  son  nom,  avoir  des  temps  et  des 
jours  réglés  pour  lui  rendre  son  culte.  Et  dans  la  seconde  Table,  ce 
principe  est  la  première  règle  de  l'équité,  qu'il  ne  faut  pas  faire  à 
autrui,  ce  que  nous  ne  voudrions  pas  qu'on  nous  fît  à  nous-mêmes. 
D'où  il  s'ensuit  qu'il  ne  faut  point  ravir  le  bien  d'autrui,  lui  ôter  sa 
réputation,  souiller  sa  couche.  Toutes  ces  lois  sont  fondées  sur  l'équité 
naturelle  ;  les  nations  les  plus  barbares  les  connaissent  ;  les  philoso- 
phes avec  tous  leurs  raisonnements  n'ont  rien  inventé  de  plus  parfait. 
Les  conséquences  que  nous  devons  en  tirer  sont  :  i°  que  nous  sommes 
obligés  de  les  conserver  ;  20  qu'il  punit  éternellement  ceux  qui  les 
violent,  parce  qu'ils  offensent  un  Dieu  qu'ils  connaissent  ;  3°  que  nous 
ne  pouvons  autrement  témoigner  que  nous  sommes  soumis  à  Dieu,  que 
par  l'observation  de  ses  lois. 

La  seconde  proposition,  que  la  loi  de  Dieu  est  facile.  Cette  proposition 
n'est  point  du  nombre  de  ces  paradoxes  dont  l'esprit  n'est  jamais  con- 
tent, quelque  raison  qu'on  lui  en  apporte  ;  c'est  une  vérité  fondée  sur  la 
parole  de  Dieu  :  Et  mandata  ejus  grauia  non  sunt.  I.  Joan,  v.  En  voici 
les  raisons  :  i°  L'infraction  en  est  plus  fâcheuse  que  l'observation.  Pen- 
sez aux  craintes,  et  aux  remords  de  conscience  quand  on  les  viole  ;  aux 
inquiétudes  d'esprit  quand  il  s'agit  de  commettre  un  crime  ;  combien  un 
misérable  plaisir  cause  de  chagrins.  20  Les  lois  de  Dieu  ne  sont  pas  plus 
difficiles  que  celles  du  monde.  Considérez  ce  que  font  souffrir  les  lois 
de  la  bienséance,  les  lois  de  l'avarice  :  que  de  servîtes  complaisances 
auxquelles  il  faut  s'assujettir  pour  complaire  aux  hommes  !  Les  impies 
mêmes  le  reconnaissent  :  Ambulavimus  vias  difficiles,  lassati  sumus  in  via 
iniquilatis.  Sap.  v.  3°  Dieu  adoucit  la  peine  par  l'onction  qu'il  verse  sur  le 
joug  qu'il  nous  oblige  de  porter  :  Jugum  meum  suave  est,  et  onus  me  uni 
levé.  Matth.  vi,  11. 'La  conséquence  qu'il  en  faut  tirer,  est  qu'il  faut 
observer  ces  lois  sans  adoucissement,  parce  que  cela  nous  expose  à  les 
violer,  et  qu'on  les  viole  effectivement  en  les  interprétant,  en  les  modi- 
fiant ;  comme  on  peut  faire  voir  par  l'induction  de  chaque  commande- 
ment. Il  faut  finir  par  les  malédictions  que  Moïse  donne  à  ceux  qui 
violeront  la  loi  de  Dieu  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédicat,  voc.  Comman- 
dements de  Dieu,  §  1,  n.  1). 

Servir  Dieu  est  :  i°  Luc  source  de  bonheur  pour  le  temps  ;  20  une 
semence  de  gloire  pour  l'éternité  (Noël,  Noliv.  explic.  du  Catéch.  de 
Rodez J. 

Servir  Dieu  :  i°  Est  un  devoir  que  nous  ne  pouvons  omettre  sans  pré- 
varication sacrilège.  2"  C'est  un  besoin  si  absolu,  que  sans  lui  nous 
manquerons  le  but  de  notre  vocation.  3°  C'est  la  source  des  plus  pures 
jouissances  pour  notre  cœur  (Lhbedel,  ap.  Leiandus,  La  Chaire 
contemp.  3.  sect.  ch.  1), 


I    EST  UN  DEVOIR   POUR  NOUS  DE  SERVIR   DIEU.  ;.> 

servions  comme  il  veut  l'être,  pour  le  salut  éternel  de  notre 
âme  ! 

1.  —  En  quoi  consiste  le  devoir  de  servir  Dieu.  —  On 
peu!  se  faire  de  ce  devoir  une  idée  fausseen  deux  manières  : 
en  l'exagérant  el  en  le  restreignant.  En  L'exagérant,  c'est-à-dire 
en  croyant  que  Dieu  exigé  de  nous  plus  qu'il  n'exige  réelle- 
ment ;  par  exemple,  en  considérant  comme  obligatoires 
certaines  pratiques  et  certaines  oeuvres  que  Dieu  parfois 
conseille,  mais  ne  commande  pas.  On  se  fait  aussi  une  idée 
fausse  du  devoir  de  servir  Dieu  en  le  restreignant,  avons- 
nous  dit,  c'est  à-dire  en  ne  considérant  pas  comme  obliga- 
toires certaines  pratiques  et  certaines  œuvres  qui  le  sont 
réellement,  par  exemple,  la  sanctification  du  dimanche,  ou 
le  pardon  des  injures.  Or,  ces  deux  manières  fausses  d'en- 
tendre notre  devoir  de  servir  Dieu  sont  également  funestes. 
Si  on  L'exagère,  on  en  prend  prétexte  de  le  déclarer  d'une 
observation  impossible,  et  on  l'abandonne  tout  à  fait  ;  et  si 
on  le  restreint,  on  viole  les  prescriptions  que  l'on  ne  regarde 
pas  comme  nécessaires,  ce  qui  équivaut  à  les. violer  toutes, 
suivant  cette  formelle  parole  de  l'apôtre  saint  Jacques  :  Qui- 
conque aura  observe  la  loi  tout  entière,  s'il  la  viole  en  un  seul 
point,  il  se  rend  coupable  sur  tout  le  reste  (1).  C'est-à-dire 
qu'en  désobéissant  à  Dieu  sur  un  point,  il  méprise  sa  sou- 
veraine autorité  et  lui  désobéit  virtuellement  sur  tous  les 
autres,  ce  qu'il  ferait  en  réalité,  s'il  y  était  porté  d'une 
manière  ou  d'une  autre.  Puis  donc  que  les  fausses  idées 
qu'on  peut  se  faire  touchant  le  devoir  de  servir  Dieu  qui 
nous  incombe,  sont  nécessairement  funestes,  soyons  atten- 
tifs à  savoir  en  quoi  consiste  au  juste  ce  devoir. 

Or,  le  devoir  de  servir  Dieu  consiste  d'abord,  d'une 
manière  générale  qui  n'admet  aucune  exception,  à  faire 
tout  ce  qu'il  nous  commande,  et  à  ne  rien  faire  de  ce  qu'il 
nous  défend.  N'est  ce  pas  là  ce  que  font  les  serviteurs  des 
hommes?  N'exécutent  ils  pas  tous  les  ordres  qui  leur  sont 
donnés,  et  ne  respectent-ils  pas  toutes  les  défenses  qui  leur 
sont  faites  ?  El  le  serviteur  qui  n'agirait  pas  ainsi  pourrait-il 
avoir  conscience  d'être  fidèle  à  son  maître:1  ne  sentirait-il 

i.  Jac.  ii,  10. 


76  LES  GRANDS   DEVOIRS  DU   SALUT. IV.   INSTRUCTION. 

pas  au  contraire  qu'il  trahirait  son  devoir  envers  lui  ?  Eh 
bien,  si  c'est  là  ce  que  doit  faire  un  serviteur  pour  s'acquitter 
du  devoir  qu'il  a  de  servir  son  maître,  à  plus  forte  raison 
est-ce  là  aussi  ce  que  doit  faire  le  chrétien  pour  s'acquitter 
de  son  devoir  de  servir  Dieu.  On  ne  pourrait  pas  admettre, 
en  effet,  qu'il  eh  faille  moins  pour  servir  Dieu  que  pour 
servir  les  hommes.  On  ne  pourrait  pas  admettre  que,  pour 
servir  les  hommes,  on  dût  accomplir  leurs  ordres  et  respec- 
ter leurs  défenses,  et  que  pour  servir  Dieu  on  n'y  fût  pas 
tenu. 

On  est  même  tenu  à  davantage  pour  servir  Dieu  que  pour 
servir  les  hommes,  et  voici  en  quoi.  Il  peut  arriver  que  les 
hommes,  par  erreur,  ignorance  ou  malice,  commandent 
des  choses  mauvaises  ou  défendent  des  choses  bonnes  ;  et 
dans  ce  cas,  ceux  dont  le  devoir  est  de  les  servir,  non  seule- 
ment ne  sont  pas  obligés  de  leur  obéir,  mais  ils  doivent  for- 
mellement ne  pas  tenir  compte  de  leurs  ordres  ou  de  leurs 
défenses.  Au  contraire,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le 
devoir  de  servir  Dieu  consiste  à  faire  tout  ce  qu'il  commande, 
et  à  ne  pas  faire  ce  qu'il  défend,  sans  aucune  exception  ; 
parce  que  tous  les  ordres  et  toutes  les  défenses  de  Dieu  sont 
également  justes,  et  qu'il  ne  peut  pas  plus  commander  quel- 
que chose  de  mal,  que  défendre  quelque  chose  de  bien. 

Voilà  donc  le  principe  auquel  il  faut  s'attacher  pour  servir 
Dieu  :  faire  tout  ce  qu'il  commande,  et  ne  rien  faire  de  ce 
qu'il  défend.  Mais  où  connaîtrons-nous  ce  que  Dieu  com- 
mande et  ce  qu'il  défend  ?  Nous  en  trouvons  l'abrégé  complet 
et  authentique  dans  les  préceptes  du  Décalogue  et  dans  ceux 
de  l'Église.  Gomme  tous  les  bons  chrétiens,  sachons  par 
cœur  ces  préceptes,  ainsi  que  l'explication  qui  en  est  donnée 
par  le  catéchisme.  Car  comment  pourrons-nous  obéir  à  Dieu 
en  observant  ses  commandements  et  ses  défenses,  si  nous 
ne  les  connaissons  pas  très  bien  (1)  ?  Ce  n'est  pas  tout.  Il  ne 

1.  Il  est  bon,  en  cette  matière,  de  ne  pas  oublier  la  différence  qu'il  y 
a  entre  les  préceptes  affirmatifs,  qui  ordonnent  de  faire  une  chose,  et 
ceux  qu'on  appelle  négatifs,  qui  défendent  de  la  faire  ;  savoir,  que  ceux- 
ci  obligent  toujours,  en  tout  temps,  en  toutes  les  rencontres  ;  par  exem- 
ple, le  précepte  qui  défend  de  prendre  le  bien  d'autrui,  ou  de  médire  de 
son  prochain,  est  pour  toujours.  Au  lieu  que  les  préceptes  afïïrmatifs, 


(    EST    UN  DEVOIR  roi  R  NÔ1  s   bE  SERVIR   DIEU.  77 

suffit  pas  de  savoir  les  commandements  de  Dieu  pour  les 
observer,  il  faut  encore  les  avoir  présents  à  L'esprit.  C'est 
pourquoi  l'on  doit  prendre  la  pieuse  et  prudente  habitude 
de  les  réciter  chaque  matin,  à  la  suite  de  ses  prières,  avec 
une  grande  attention,  en  examinant  à  l'avance,  autant  que 
possible,  les  occasions  où  nous  pourrions  nous  trouver 
exposes  à  les  enfreindre,  afin  de  prendre  nos  précautions  à 
l'avance  et  de  nous  tenir  sur  nos  gardes.  Autrement,  même 
en  connaissant  très  bien  les  commandements,  on  se  trouvera 
pris  à  ['improviste,  et  on  les  violera. 

Mais  notre  devoir  de  servir  Dieu  se  borne-t-il,  comme 
nous  venons  de  l'expliquer,  à  faire  ce  que  Dieu  commande, 
et  à  ne  pas  faire  ce  qu'il  défend  ?  Autant  demander  si  le  ser- 
viteur vraiment  bon  et  dévoué  se  borne  à  accomplir  stricte- 
ment les  volontés  de  son  maître  ?  Non,  il  ne  borne  pas  à 
cela  son  service  ;  mais  examinant  en  outre  ce  qui  peut  être 
utile  ou  agréable  à  son  maître,  de  lui-même  il  le  fait,  sans 
en  être  requis.  C'est  alors  seulement  qu'il  croit  s'être 
acquitté  complètement  de  son  devoir  de  servir  son  maître; 
et  s'il  n'allait  pas  jusque-là,  il  ne  croirait  pas  avoir  accompli 
tout   son  devoir.   Eh  bien,  nous   l'avons  déjà  dit,  il  ne  se 

par  exemple,  de  faire  l'aumône,  ou  d'exercer  quelque  œuvre  de  charité, 
n'obligent  qu'en  certaines  circonstances  et  en  certaines  rencontres. 
Mais  il  arrive  assez  souvent  que  le  négatif  est  renfermé  dans  l'afTirmatif  ; 
par  exemple,  le  commandement  que  nous  avons  d'aimer  notre  prochain, 
nous  oblige  en  même  temps  de  ne  le  haïr  jamais. 

En  parlant  des  commandements  de  Dieu,  il  est  tout  à  fait  nécessaire 
de  ne  les  pas  confondre  avec  les  conseils  afin  de  ne  pas  outrer  les  vérités 
qu'on  avance.  La  différence  s'en  peut  aisément  remarquer,  par  la  seule 
signification  des  termes,  puisqu'il  n'y  a  personne  qui  ne  conçoive  assez 
que  commander  et  conseiller  sont  deux  choses  tout  à  fait  différentes  : 
car  celui  qui  commande,  veut  absolument  que  la  chose  se  fasse;  au  lieu 
que  celui  qui  la  conseille  seulement,  laisse  la  liberté  de  la  faire  ou  de 
l'omettre  :  outre  que  ce  que  Dieu  commande,  et  dont  il  fait  un  précepte 
absolu,  est  moins  parfait,  et  plus  facile  à  exécuter,  que  ce  qu'il  conseille 
simplement  :  que  le  conseil  est  de  tout  un  autre  mérite,  et  sera  tout 
autrement  récompensé.  Jfais  voici  trois  ebosesqui  nous  feront  connaître 
si  une  chose  est  de  précepte,  ou  seulement  de  conseil.  La  première,  lors- 
que l'Écriture  use  du  mot  de  commander  ;  parce  que  cette  expression 
d'autorité  marque  une  précise  nécessité  d'obéir.  La  seconde,  quand  elle 
menace  de  l'enfer  :  parce  qUe  cette  condamnation  marque  une  infraction 
toi  nielle  de  la  loi.  La  troisième,  quand  l'exécution  est  ordonnée  à  tous 
absolument  et  indifféremment  ;  parce  que  c'est  une  marque  d'une  obli- 
gation constante  et  indispensable  (Hou dry,  loc.  cit.  S  5). 


7  8  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IV.   INSTRUCTION. 

peut  pas  que  nous  nous  considérions  comme  moins  obligés 
à  l'égard  de  Dieu,  qu'un  serviteur  ne  se  croit  obligé  à  l'égard 
de  son  maître.  Par  conséquent,  notre  devoir  de  servir  Dieu 
ne  consiste  pas  seulement  dans  la  stricte  observation  de  ses 
préceptes  ;  il  consiste  encore  à  prendre  partout  et  toujours 
ses  intérêts,  et  à  les  faire  prévaloir  autant  que  nous  le  pou- 
vons. C'est  ainsi,  par  exemple,  que  tel  jeune  homme,  qui 
n'est  tenu  strictement,  comme  tous  les  autres  chrétiens,  qu'à 
l'observation  des  commandements  de  Dieu  et  de  l'Eglise, 
cependant  s'élance  à  l'évangélisation  des  peuples  infidèles, 
afin  d'étendre  le  royaume  de  Dieu,  et  qu'un  plus  grand 
nombre  d'âmes  le  connaissent,  le  bénissent  et  l'adorent. 
C'est  ainsi  que  tel  chrétien,  à  la  vue  des  ravages  de  l'impiété, 
se  dévoue  à  la  création  ou  à  l'entretien  d'œuvres  capables 
de  sauvegarder  les  droits  de  Dieu,  de  son  Eglise  et  de  ses 
enfants  dans  la  société.  C'est  ainsi  que  nous-mêmes,  par 
conséquent,  nous  devons  prendre  les  intérêts  de  Dieu  et  de 
sa  gloire,  autant  que  nous  le  pouvons,  dans  la  situation  où 
nous  nous  trouvons  placés,  soit  en  pratiquant  des  bonnes 
œuvres  auxquelles  nous  ne  sommes  tenus  par  aucun  com- 
mandement formel,  soit  en  travaillant  à  ramener  à  Dieu  les 
pécheurs,  ou  bien  à  assurer  la  persévérance  et  le  perfection- 
nement des  âmes,  déjà  fidèles,  soit  en  accomplissant  tout 
autre  acte  de  zèle.  Eh  bien,  est-ce  ainsi  que  nous  prenons 
les  intérêts  de  Dieu  et  que  nous  y  travaillons?  Cette  per- 
sonne que  sa  situation  rend  libre  de  son  temps,  en  profite- 
t-elle  pour  assister  au  moins  chaque  jour  à  la  sainte  messe, 
plutôt  que  de  l'employer  à  de  vaines  lectures,  à  des  conver- 
sations pas  toujours  innocentes,  ou  à  des  visites  inutiles, 
sinon  dangereures  et  coupables  ?  Cette  autre  qui  a  reçu  la 
fortune  en  partage,  en  consacre-t-eile  une  partie  convenable 
à  orner  la  maison  de  Dieu,  à  soulager  en  son  nom  les  mal- 
heureux, et  à  faire  évangéliser  de  toutes  manières  les  pau- 
vres et  les  ignorants  ?  Et  ce  mendiant  qui  demande  son  pain 
de  porte  en  porte,  a-t-il  soin,  même  dans  son  misérable  état, 
d'offrir  à  Dieu  l'hommage  de  sa  soumission,  et  d'édifier 
ceux  qui  l'assistent  par  sa  modestie  et  son  humble  résigna- 
tion ?  Que  chacun  fasse  son  examen  sur  un  point  aussi 
important.  Ah  !    qu'il  en  est   peu   qui   s'acquittent  de  leur 


c'est  in  devoir  pour  nous  de  servir  DIE1  .  70 

devoir  de  servir  Dieu,  en  accomplissant  ses  commandements 
el  en  prenant  en  toul  et  toujours  ses  intérêts,  comme  font 
à  L'égard  <le  leurs  maîtres  les  vraiment  bons  serviteurs  ! 
Cependant  ce  n'est  pas  pour  nous  une  chose  facultative  de 
servir  Dieu,  une  chose  que  nous  pouvons  à  noire  gré  faire 
ou  ne  pas  faire  :  c'est  au  contraire  une  chose  à  laquelle  nous 
sommes  rigoureusement  tenus,  ainsi  que  va  nous  le  l'aire 
voir  la  considération  des 

II.  —  Motifs  qui  nous  obligent  à  servir  Dieu.  —  Quels 
sont  ces  mol  ifs?  Il  y  en  a  deux  principaux,  dont  le  premier 
esl  l'absolue  souveraineté  de  Dieu  sur  nous. 

Dans  un  état,  tous  les  citoyens,  n'est-il  pas  vrai,  sont 
obligés  d'obéir  aux  lois  du  prince  et  de  le  servir;  et  dans 
une  famille,  tous  les  enfants  sont  pareillement  obligés  d'o- 
béir aux  ordres  du  père  et  de  faire  ce  qu'il  commande.  S'en 
étonne-t-on  ?  Nullement.  Critique-t-on,  blâme  ton  cette 
obligation  qui  incombe  aux  citoyens  d'obéir  aux  lois  de  leurs 
princes,  et  aux  enfants  de  se  soumettre  aux  ordres  de  leurs 
parents?  Pas  du  tout.  On  trouve  au  contraire  cette  obliga- 
tion légitime  et  nécessaire  à  cause  de  l'autorité  du  prince 
sur  ses  sujets  et  de  celle  du  père  sur  ses  enfants,  et  il  n'y 
a  que  les  mauvais  citoyens  et  les  enfants  dénaturés  qui 
cherchent  à  s'y  soustraire. 

Eh  bien,  si  les  citoyens  sont  obligés  à  servir  fidèlement 
leurs  princes,  et  les  enfants  à  se  soumettre  docilement  à  leurs 
parents,  à  cause  de  l'autorité  qu'ils  ont  sur  eux,  bien  plus 
sommes-nous  tous  obligés  à  servir  Dieu,  puisque  son  auto- 
rité  sur  nous  est   infiniment  plus   grande   que  la  leur  (i). 

i.  Mais  pourquoi,  direz-vous  peut-être,  pourquoi  ce  dédale  obscur  de 
vérités  inintelligibles  qu'il  faut  admettre  sans  examen  ;  pourquoi  ce 
joug  accablant  de  préceptes  arbitraires  qu'il  faut  pratiquer  ponctuelle- 
ment ?  Dieu  n'a-t-il  pas  outrepassé  ses  droits  en  exigeant  de  chacun  de 
nous  cette  soumission  aveugle  et  absolue  ;  ou  du  moins,  ne  devait-il 
pas  ménager  davantage  notre  faiblesse,  se  contentant  des  hommages 
de  notre  intelligence  sans  exiger  le  sacrifice  de  noire  raison  ')  Ne  pou- 
vait-il pas  se  bornera  nous  imposer  Les  devoirs  d'une  religion  purement 
naturelle,  sans  >  ajouter  le  fardeau  écrasant  de  la  révélation,  tes  entra- 
ves tyranniques  et  humiliantes  de  la  foi  '}...  (nielle  prétention  de  vou* 
Loir  que  les  enseignements  <•!  Les  secrets  de  l'éternelle  sagesse  n'aient 
pour  nous    ni  obscurités   ni   mystères]   Oui,  quelle    prétention,   quel 


80  LESfcGRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    IV.  INSTRUCTION. 

En  effet,  l'autorité  dont  sont  investis  les  rois  et  les  pères, 
ils  ne  la  possèdent  pas  par  eux-mêmes,  mais  c'est  Dieu 
qui  la  leur  a  communiquée.  Sans  Dieu,  ils  ne  seraient  rien, 
et  n'auraient  aucune  préséance  sur  les  autres  hommes.  Dieu 
au  contraire  possède  l'autorité  qu'il  a  sur  nous  en  vertu  de  sa 

orgueil  !  Avez-vous  pris  vos  mesures,  ayez-vous  appliqué  la  règle, 
Téquerre  et  le  compas  pour  vous  rendre  compte  de  la  disproportion 
infinie  qui  existe  entre  votre  intelligence  et  celle  de  Dieu  ?  Votre  vue 
myope  et  incertaine,  même  lorsqu'il  s'agit  de  soumettre  à  une  observa- 
tion scientifique  le  grain  de  sable  que  vous  foulez  aux  pieds  ou  l'astre 
qui  roule  sur  votre  tète,  comment  donc  serait-elle  assez  puissante  et 
pour  sonder  les  abîmes  et  pour  embrasser  les  horizons  de  l'infini  sans 
se  perdre  au  sein  de  ces  incommensurables  immensités,  sans  faiblir 
devant  ces  éblouissantes  et  éternelles  splendeurs  ?  Eh  quoi  !  Dieu  nous 
enseignerait  lui-même,  et  ses  enseignements,  avant  d'être  admis  sur 
l'autorité  pure  et  simple  de  sa  parole,  auraient  besoin  de  passer  par  le 
contrôle  de  notre  raison  !  Et  cette  raison  si  sujette  à  Terreur  serait 
appelée  à  juger  en  dernier  ressort,  l'infaillible  vérité,  l'infinie  sagesse 
elle-même  I  Et  cette  sagesse  infinie  et  cette  infaillible  vérité,  lorsqu'elle 
s'incline  jusqu'à  nous  pour  nous  initier  à  quelqu'un  des  secrets  de  sa 
science  et  de  son  amour,  n'aurait  pas  le  droit  de  nous  dire,  en  récla- 
mant l'hommage  de  notre  confiance  :  Tu  t'en  rapporteras  à  mes  lumiè- 
res, tu  t'inclineras  devant  mon  autorité,  tu  recevras  mes  paroles,  lors 
même  que  tu  ne  les  comprendrais  pas  intégralement  !... 

Non,  Dieu  n'outrepasse  pas  ses  droits  lorsqu'il  vient  nous  imposer  ou 
des  vérités  à  croire,  ou  des  devoirs  à  remplir.  C'est  nous,  au  contraire, 
lorsque  nous  prétendons  réformer  jusqu'aux  décrets  de  l'éternelle 
Sagesse,  c'est  nous  qui  méconnaissons  non  seulement  les  droits  inviola- 
bles, les  droits  inamissibles  de  Dieu,  mais  encore  nos  plus  graves  inté- 
rêts à  nous-mêmes.  Que  Dieu,  en  effet,  au  lieu  de  nous  venir  en  aide 
par  la  transmission  de  sa  parole  et  de  sa  volonté  sainte,  au  lieu  de 
nous  instruire  par  l'organede  ses  patriarches,  de  ses  législateurs  et  de  ses 
prophètes,  à  la  mission  desquels  succède  l'apostolat  de  son  Fils  unique, 
venu  pour  être  la  voie,  la  vérité,  la  vie  ;  que  Dieu,  dis-je,  après  la  créa- 
tion, soit  rentré  dans  le  silence  et  le  repos  de  son  éternité,  que 
serions-nous  aujourd'hui  ?  Ah  !  vous  parlez  des  lumières  de  la  raison, 
vous  invoquez  les  principes  de  la  loi  naturelle  gravés  au  fond  du  cœur 
humain,  et  vous  prétendez  que  ces  lumières,  que  ces  principes  seuls 
suffiraient  pour  affermir  nos  pas  dans  le  sentier  de  nos  devoirs 
présents  comme  de  nos  destinées  à  venir  !  Mais,  à  quoi  donc 
ont  servi,  pendant  quarante  siècles,  ces  lumières  de  la  raison, 
ces  lois  de  la  nature,  sinon  à  conduire  l'homme  vers  ces  profonds 
abîmes  où  il  se  débattit,  désespéré  et  impuissant,  couvert  d'incu- 
rables plaies  et  de  hideuses  souillures,  au  milieu  des  extravagances 
et  des  abominations  du  polythéisme  ?  A  quoi  servent  encore  aujour- 
d'hui, et  ces  lois  de  la  conscience,  et  ces  enseignements  de  la  raison  à 
ces  milliers  de  peuplades  sauvages  si  dégradées,  si  abruties,  si  féroces 
qu'elles  ont  à  peine  conservé  quelques  traits  de  la  physionomie 
humaine  ?  Les  articles  de  leur  symbole,  si  toutefois  elles  ont  un  sym- 


G  EST  UN   m:\oik  PôUfl  vus  ni:  SERVIR  dieu.  8l 

propre  nature  :  c'esl  de  lui  seul  qu'il  la  tient,  et  il  ne  l'a  reçue  de 
personne.  L'autorité  déléguée  des  princes  et  des  parents  est 
d'ailleurs  essentiellemenl  éphémère  :  hier,  ils  ne  l'avaient  pas 
encore;  el  demain  ils  ne  L'auront  plus.  Vu  contraire,  L'au- 
torité de  Dieu  sur  nous  est  immuable  el  éternelle  comme 
Lui  même,  et  il  l'exercera  dans  les  siècles  des  siècles.  —  De 
pins,  l'autorité  des  princes  el  des  parents  est  très  restreinte, 
et  ils  ne  peuvent  rien  exiger  au-delà  de  ce  qu'ils  ont  le 
droit  de  commander,  rien,  notamment,  de  contraire  aux 
lois  de  Dieu.  Vu  contraire  encore,  L'autorité  de  Dieu  est  sans 
bornes,  il  a  le  droit  souverain  de  nous  commander  tout  ec 
qu'il  veut,  et  nous  n'avons  absolument  aucune  raison  de  lui 
refuser  La  moindre  parcelle  de  notre  soumission.  Puis  donc 
que  L'autorité  de  Dieu  sur  nous  est  infiniment  plus  grande 
et  plus  parfaite  à  tous  égards  qne  celle  de  nos  supérieurs  et 
de  nos  parents,  l'obligation  que  nous  avons  de  lui  obéir  est 
par  conséquent  infiniment  pins  impérieuse,  comme  nous 
L'avons  dit,  que  celle  que  nous  avons  de  leur  obéir  à 
eux-mêmes.  En  un  mot,  la  souveraineté  de  Dieu  sur  nous 
étant  absolue,  absolue  également  est  l'obligation  qui  nous 
incombe  de  le  servir.  Et  si  nous  ne  saurions  souffrir  que 
nos  enfants  ne  nous  soient  pas  soumis,  et  que  nos  servi- 
teurs n'en  fassent  qu'à  leur  tétc  et  n'accomplissent  pas  nos 
ordres  ;  comprenons  une  bonne  fois  que  Dieu,  de  qui  nous 

bole,  le  code  de  leurs  lois  les  empêchent-ils  d'outrager  la  nature  par 
les  plus  énormes  monstruosités:  là,  déchirant  avec  voracité  les  chahs 
palpitantes  de  l'étranger  tombé  entre  leurs  mains  ;  ici,  buvant  joyeuse- 
ment à  la  ronde  le  sang  de  l'ennemi  vaincu  ;  ailleurs  et  ailleurs  encore, 
n'éprouvant  plus  rien  de  ce  sentiment  qui  fait  que  l'on  rougit  d'une 
action  honteuse,  que  l'on  frémit  à  la  seule  idée  d'un  parricide,  ou 
d'autres  semblables  forfaits?  Ah  :  vantez  tant  que  vous  voudrez  les  irra- 
diations de  l'intelligence  et  les  forces  de  la  volonté  humaine;  regrette/, 
si  cela  vous  agrée  encore,  de  n'avoir  pas  été  appelé  à  vivre  sous  la  sim- 
ple loi  de  nature,  sans  relever  d'aucun  autre  tribunal  que  celui  de 
votre  conscience  ;  pour  moi,  je  ne  vois  rien  jusqu'à  présent  qui  puisse 
me  déterminer  à  embrasser  votre  opinion  nia  partager  vos  regrets: 
car  rien  ne  me  dit,  rien  ne  me  prouve  que,  sans  l'influence  de  la  révé- 
lation  divine,  abandonnés  aux  Lumières  el  aux  aspirations  de  la  raison, 
ou  plutôt  aux  ténèbres  et  aux  instincts  mauvais  d'une  nature  coi  rom- 
pue, non-  ne  sciions  pas,  à  l'heure  qu'il  est,  une  de  ces  tribus  de  can- 
nibales comme  il  s'en  rencontre  encore  là  où  n'a  point  été  entendue  la 
parole  du  Seigneui .  où  n'a  point  rayonné  le  soleil  de  la  justice  et  de  la 
vérité (Grison,  V  ipôtre  missionnaire.  5.  p.  instr.  f\). 

SOMME   DU    PRÉDICATEUR.  —  T.   II.  6 


82  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IV.   INSTRUCTION. 

dépendons  infiniment  plus  que  nos  enfants  et  nos  servi- 
teurs ne  dépendent  de  nous,  comprenons,  disons-nous,  que 
Dieu  non  plus,  à  plus  forte  raison,  ne  peut  pas  supporter 
de  nous  voir  nous  soustraire  à  son  autorité  souveraine, 
dédaigner  ses  commandements  et  les  violer  comme  s'il  ne 
nous  les  eût  pas  imposés  (i). 


i.  Ouvrez  les  livres  saints  :  vous  y  verrez  que,  lorsque  Moïse  vint 
annoncer  aux  Israélites  la  loi  du  Seigneur,  il  ne  leur  proposa  point 
d'autre  motif  pour  les  engager  à  l'observer,  que  ces  courtes  paroles 
qui  précèdent  ou  qui  suivent  immédiatement  chaque  article  de  la  loi  : 
Eyo  suni  Dominas  Deas  taas.  Exod.  xx,  2.  Voilà  ce  que  dit  le  Seigneur 
votre  Dieu  ;  c'est  lui  qui  commande,  c'est  à  vous  d'obéir.  Dieu  pouvait 
sans  doute  découvrir  aux  hommes  les  vues  et  les  desseins  de  sa  provi- 
dence dans  l'établissement  de  ses  lois  ;  il  pouvait  leur  en  montrer  la 
sagesse  et  la  sainteté,  la  nécessité  et  la  justice  ;  leur  expliquer  les  rai- 
sons particulières  des  préceptes  et  des  défenses  :  mais  il  ne  jugea  pas  à 
propos  d'entrer  avec  eux  dans  des  discussions  qui  auraient  sans  doute 
surpassé  leurs  faibles  intelligences.  Il  ne  chercha  pas  à  justifier  ses 
commandements,  ni  à  faire  l'apologie  de  ses  préceptes  ;  il  se  contenta 
de  les  appuyer  de  son  autorité  divine  :  Ego  sum  Dominas  Deas  tuas. 
Voilà  ce  que  dit  le  Seigneur  votre  Dieu.  C'en  est  assez  ;  à  ce  mot  il  faut 
que  tout  cède,  que  tout  plie,  que  tout  fléchisse.  Ne  suffît-il  pas  que  cet 
auguste  nom  se  trouve  à  la  tète  d'une  loi  pour  que  tout  l'univers  soit 
obligé  de  s'y  soumettre?  Il  est  vrai  que  ce  ton  d'autorité  fut  accompa- 
gné, dans  les  premiers  temps,  du  bruit  du  tonnerre,  de  la  lumière 
subite  de  mille  éclairs  redoublés,  et  enfin  du  spectacle  le  plus  effrayant 
et  le  plus  propre  à  rendre  sensible  la  présence  redoutable  du  Dieu  des 
armées  ;  mais  j'ose  dire  que  ce  terrible  appareil  n'ajoutait  rien  à  la  force 
de  ces  paroles  :  Voilà  ce  que  dit  le  Seigneur  votre  Dieu.  Oui,  que  les 
éclairs  disparaissent,  que  la  foudre  s'évanouisse  ;  si  ces  paroles  restent, 
elles  suffiront  seules  pour  captiver  notre  obéissance.  0  hommes  !  qui 
ètes-vous  en  effet  pour  vous  soulever  contre  la  volonté  du  Très-Haut, 
et  pour  vous  soustraire  à  son  empire  ?  La  créature  osera-t-elle  se  croire 
indépendante  de  son  Créateur?  le  vase  d'argile  osera-t-il  demander  à 
l'ouvrier  qui  l'a  formé  pourquoi  il  l'applique  à  tel  usage  ?  Le  Maître  a 
parlé;  il  le  veut,  il  l'ordonne .  C'est  une  semblable  parole  qui,  comme 
un  ressort  efficace  et  tout-puissant,  fait  mouvoir  toutes  les  parties  d'un 
vaste  empire  ;  elle  est  comme  le  lien  de  toutes  les  sociétés,  l'âme  et  Je 
principe  de  tout  sage  gouvernement.  Hélas  !  on  la  respecte,  on  s'y  sou- 
met avec  zèle,  quand  elle  est  dite  au  nom  de  ceux  qui  sont  les  images 
de  Dieu  sur  la  terre;  on  ne  daigne  pas  y  faire  attention  quand  elle 
vient  de  Dieu  même  (II.  P.  Griffet,  Serm.  sar  Vobéiss.  à  la  loi  de 
Dieu,  1.  p.). 

Jésus-Christ  lui-même,  cet  Homme-Dieu,  que  les  anges  servent  avec 
tant  d'empressement,  et  dont  le  pins  grand  des  mortels,  saint  Jean 
Baptiste,  ne  se  croyait  pas  digne  de  dénouer  les  cordons  de*  souliers  ; 
en  quoi  a-t-il  mis  sa  gloire  ?  à  faire  la  volonté  de  Dieu,  à  observer  jus- 
qu'aux plus  petites  ordonnances  de   sa  loi,  jusqu'aux   moindres  prali- 


i    i  M    l  \   DEVOIR    POl  R  MH  s  DÉ  8ÉÎIV1R  DIIM  .  8d 

Mais  ce  qui  nous  oblige  à  servir  Dieu,  ce  n'est  pas  seule- 
menl  son  absolue  souveraineté  sur  nous,  c'esi  encore  Venge 
gement  que  nous  en  avons  pris  au  Baptême.  Sans  don  le.  alors 
même  que  nous  u'aurions  rien  promis  à  Dieu,  nous  ne  lais- 
serions pas  d'être  tenus  aie  servir.  Un  citoyen  qui  n'a  pas 
fait  serinent  de  fidélité  à  son  prince  n'est  nullement  dispensé 
pour  eela  d'observer  ses  lois  ;  niais  s'il  lui  en  a  fait  serment, 
il  esl  tenu  doublement  à  lui  être  fidèle:  il  y  est  tenu  cii  vertu 
de  L'autorité  du  prince  sur  lui,  et  en  vertu  de  rengagement 
qu'il  a  pris  do  le  servir.  Ainsi  de  nous  par  rapport  à  Dieu. 
Pour  nous  amener  plus  fortement  et  plus  sûrement  à  le  ser- 
vi i\  comme  c'est  notre  suprême  intérêt  de  le  faire,  Dieu, 
inspiré  par  sa  paternelle  tendresse  pour  nous,  a  pensé  que 
nous  devions  lui  en  faire  librement  la  solennelle  promesse, 
au  moment  de  recevoir  le  saint  Baptême.  Cette  promesse  a 
pour  nous  en  effet  les  conséquences  les  plus  décisives. 
D'abord  elle  nous  crée  une  nouvelle  obligation  rigoureuse 
de  servir  Dieu,  puisque  l'homme  loyal  doit  tenir  ce  qu'il  a 
promis,  et  que  celui  qui  ne  le  tient  pas  manque  à  son  devoir 
et  se  déshonore.  Cette  obligation  est  telle  que,  si  nous 
n'étions  pas  tenus  à  servir  Dieu  en  vertu  de  sa  souveraineté 
sur  nous,  nous  y  serions  tenus  en  vertu  de  notre  promesse. 
Mais  de  cette  promesse  découle  une  autre  conséquence, 
savoir,  que  nous  sommes  mal  venus,  comme  on  le  fait 
cependant  si  souvent,  à  prétendre,  ou  bien  que  nous  ne 
savons  pas  ce  qu'il  faut  faire  pour  servir  Dieu,  ou  bien  que 
nous  ne  le  pouvons  pas,  ses  commandements  étant  au-des- 
sus de  nos  forces.  Car  le  fait  de  prendre  un  engagement 
suppose  nécessairement,  et  que  l'on  connaît  à  quoi  l'on 
s'engage,  et  que  l'on  sait  pouvoir  l'accomplir. 

\  ainement  dirait-on  que  l'on  ignore  ces  choses  lorsqu'on 
reçoit  le  saint  Baptême  dès  le  premier  âge.  INous  le  récon- 
cilies de  la  religion  :  Je  fais  toujours,  disait-il,  la  volonté  de  mon  Père. 
Jamais  il  n'a  cherché  sa  propre  gloire,  mais  toujours  celle  de  Dieu  : 
c'était  pour  lui  un  besoin  plus  grand  que  celui  (te  se  nourrir,  meus 
cibus  est...  Kl  encore  est-ce  en  choses  faciles,  agréables  à  la  nature, 
propres  à  Lui  attirer  l'estime  du  monde?  Vu.  certes,  mais  dans  les 
choses  les  plus  humiliantes,  les  plus  douloureuses;  il  s'est  fail  obéis- 
sant, jusqu'à  mourir  de  la  mort  la  plus  cruelle  el  la  plus  infâme,  celle 
de  la  croix  (R.  P.  Jean,  Serm,  sur  le  serviee  de  Dieu,  2    p.). 


84  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  IV.   INSTRUCTION. 

naissons  sans  peine.  Mais  ceux  qui  feraient  cette  objection 
doivent  savoir  aussi  que  les  promesses  baptismales,  faites 
avant  l'âge  de  raison  par  l'organe  des  parrains  et  des  mar- 
raines, sont  plus  tard  renouvelées  personnellement,  par  les 
intéressés  eux-mêmes,  le  jour  de  leur  première  communion. 
Or,  à  l'époque  où  nous  faisons  ce  renouvellement  des  pro- 
messes baptismales,  nous  sommes  en  pleine  possession  de 
notre  raison,  nous  connaissons  ce  à  quoi  nous  nous  obli- 
geons, pour  l'avoir  étudié,  et  enfin  nous  savons  déjà  par 
expérience  que  nous  pouvons  nous  en  acquitter.  C'est  donc 
en  complète  connaissance  de  cause  que  nous  agissons  alors, 
et  que  nous  ratifions,  librement  et  volontairement,  les  pro- 
messes faites  à  notre  Baptême  en  notre  nom.  Par  consé- 
quent, cet  engagement  est  aussi  éclairé  et  aussi  sérieux  qu'il 
le  puisse  être  ;  et  c'est  justement  pour  cela  qu'il  nous  est  un 
motif  de  servir  Dieu  aussi  impérieux  et  aussi  décisif  que  sa 
souveraineté  sur  nous. 

Ah  î  que  de  choses  nous  faisons,  et  que  d'autres  nous  ne 
faisons  pas,  sans  avoir  d'aussi  graves  motifs,  et  souvent 
même  par  pur  caprice  !  S'agit-il,  par  exemple,  de  nos  inté- 
rêts matériels  ?  il  n'est  pas  de  travaux  et  de  sollicitudes  que 
nous  ne  nous  imposions  pour  en  assurer  le  succès;  et  cepen- 
dant nous  n'y  sommes  obligés  par  aucun  commandement 
de  Dieu  ni  par  aucun  engagement  de  notre  part.  Il  en  est 
de  même,  par  exemple  encore,  des  usages  mondains,  aux- 
quels nous  ne  voudrions  manquer  en  rien,  bien  qu'aucun 
motif  sérieux  ne  nous  oblige  à  nous  y  conformer.  Appré- 
cions plus  sainement  les  choses,  chrétiens  ;  et  puisqu'il  n'y 
a  rien  à  quoi  nous  soyons  plus  rigoureusement  tenus  qu'à 
servir  Dieu,  ayons  à  cœur  de  faire  passer  son  service  avant 
et  par  dessus  tout  le  reste.  —  Mais  pour  nous  acquitter  de 
cette  obligation  si  grave  avec  la  perfection  nécessaire,  il 
faut  encore  que  nous  sachions, 

III.  —  De  quelle  manière  nous  devons  servir  Dieu.  — 
Toute  manière  de  servir  Dieu  n'est  pas,  en  effet,  également 
bonne  ;  et  il  est  hors  de  doute  que,  mal  servir  Dieu,  équivaut 
à  ne  pas  le  servir  du  tout.  Puis  donc  que  nous  sommes  tenus  à 
servir  Dieu,  parla  même  nous  sommes  tenus  aie  bien  servir. 


C  EST   IN    DEVOIR  POUll    NOl  S    HE   SERVIB   DIEU.  85 

Or,  la  première  chose  essentielle  pour  bien  servir  Dieu, 
c'esl  d'accomplir  tous  ses  ordres,  sans  aucune  exception. 
Peut  on  dire,  du  serviteur  qui  n'accomplit  (pie  ceux  des 
ordres  de  son  mai  lie  qui  lui  plaisent,  qu'il  le  sert  bien  ? 
Non.  on  ne  peut  pas  le  dire.  Il  le  sert  sans  doute,  puisqu'il 
accomplit  quelques-uns  de  ses  ordres  ;  mais  il  le  sert  mal, 
puisqu'il  ne  les  accomplit  pas  tous,  comme  c'est  son  devoir. 
Eh  bien,  il  en  est  de  même  des  chrétiens  à  l'égard  de  Dieu. 
Ceux  qui  n'accomplissent  que  certains  commandements,  et 
non  pas  les  autres,  ne  servent  pas  Dieu  comme  ils  le  doi- 
vent. C'est  le  cas  de  ceux,  par  exemple,  qui  font  leur  prière 
matin  et  soir,  mais  qui  ne  sanctifient  pas  le  dimanche  en 
s'abstenant  des  œuvres  serviles  et  en  assistant  aux  offices  ; 
ou  bien  de  ceux  qui  sanctifient  le  dimanche,  mais  qui  ne 
font  pas  leurs  pâques.  Que  personne  donc  ne  se  fasse  illu- 
sion, et  ne  se  trompe  soi-même.  Que  personne  ne  se  croie  en 
sûreté  de  conscience,  parce  qu'il  accomplit  tels  et  tels  com- 
mandements. Encore  une  fois,  il  faut  les  accomplir  tous,  car 
ne  pas  les  accomplir  tous,  équivaut  à  n'en  accomplir  aucun. 

Il  faut  les  accomplir  tous  et  toujours,  autre  condition  pour 
bien  servir  Dieu.  Toujours,  toute  sa  vie  et  en  tout  temps, 
entendons-le  bien.  Toute  sa  vie,  non  pas  seulement  dans  la 
jeunesse  et  jusqu'à  la  Première  Communion,  comme  le  font, 
hélas  !  tant  d'enfants.  Toute  sa  vie,  et  non  pas  seulement 
dans  la  vieillesse  et  aux  approches  de  la  mort,  comme  se 
proposent  de  le  faire  tant  de  chrétiens  aveugles.  En  tous 
temps,  et  non  pas  seulement  en  hiver,  quand  les  travaux 
des  champs  sont  moins  pressants,  selon  la  coutume  bien 
trop  générale  des  gens  de  la  campagne.  En  tous  temps,  et 
non  pas  seulement  lorsque  vient  l'époque  de  faire  les  pâ- 
ques, ainsi  qu'on  le  pratique  aussi  trop  souvent,  non  moins 
à  la  ville  qu'aux  champs.  Il  en  est  de  ceux  qui  ne  servent 
pas  Dieu  atout  âge  et  en  tout  temps,  comme  de  ceux  qui 
n'observent  pas  tous  les  commandements  :  ils  font  subir  à 
la  loi  divine  des  exceptions  que  Dieu  n'a  pas  autorisées  et 
qu'il  ne  ratifiera  jamais.  Nous  savons  tous  au  contraire  que 
Dieu  maudit  ceux  qui  cherchent  à  le  frauder  dans  son 
service  (i),  et  que  ceux-là  seuls  seront  sauvés,   qui  l'auront 

i.  Maledictus  qui  facit  opus  DomirU  fraudulentcr   (Jçrem,  xlyiiï,  jo), 


86  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IV.   INSTRUCTION. 

servi  jusqu'à  la  fin  (i).  Par  conséquent,  servons-le  en  tout 
temps  et  toute  notre  vie.  En  le  servant  ainsi,  nous  acquer- 
rons la  facilité  que  donne  L'habitude,  et  nous  goûterons  les 
consolations  du  devoir  bien  rempli.  Au  contraire,  en  ne 
servant  Dieu  que  par  intermittence,  nous  y  trouverons  plus 
de  peine,  comme  un  ouvrage  qu'on  recommence  toujours 
sans  le  poursuivre  jamais  ;  et  par  dessus  tout,  même  ce  que 
nous  aurons  fait,  nous  l'aurons  fait  en  vain,  puisque  l'ayant 
mal  fait,  nous  n'aurons  droit  à  aucune  récompense. 

Une  troisième  condition  pour  bien  servir  Dieu,  c'est  de 
le  servir  de  bon  cœur,  avec  empressement  et  joie.  L'apôtre 
saint  Paul  nous  apprend  que  Dieu  aune  celui  qui  donne  gaie- 
ment (2),  qui  donne  gaiement  son  obéissance  autant  que  ses 
libéralités.  Que  si  Dieu  aime  celui  qui  obéit  gaiement  et  le 
sert  gaiement,  l'on  doit  en  déduire  qu'il  n'aime  pas  celui 
qui  n'obéit  qu'à  regret,  de  mauvaise  grâce  et  avec  lenteur  ; 
celui  et  ceux  qui,  par  exemple,  ne  sont  jamais  prêts  à  faire 
leurs  prières,  qui  arrivent  toujours  en  retard  aux  offices, 
qui  ne  font  leurs  paques  qu'au  dernier  jour  de  la  quinzaine 
pascale  et  ainsi  du  reste.  Un  serviteur  qui  servirait  ainsi 
son  maître,  qui  se  mettrait  toujours  en  retard  pour  accom- 
plir ses  ordres,  ou  ne  les  accomplirait  qu'en  se  plaignant  et 
en  maugréant,  ne  se  ferait-il  pas  reprendre  d'abord  avec 
sévérité,  et  bientôt  congédier?  Semblablement,  le  chrétien 
qui  sert  Dieu  d'une  manière  aussi  défectueuse,  ne  saurait 
que  l'irriter,  bien  loin  de  lui  plaire.  Qu'un  serviteur  serve 
parfois  son  maître  sans  empressement  et  comme  à  contre- 
cœur, cela  peut  s'expliquer  car  il  est  des  maîtres  qu'il  n'est 
ni  agréable  ni  avantageux  de  servir.  Mais  Dieu  est-il  aussi 
un  mauvais  maître  ?  Est-il  un  maître  dur.  grossier,  capri- 
cieux, injuste  ?  S'il  n'est  rien  de  tout  cela,  et  s'il  est  au  con- 
traire le  meilleur,  le  plus  affable,  le  plus  compatissant  et  le 
plus  généreux  de  tous  les  maîtres,  nous  devons  donc  le 
servir  de  la  manière  la  plus  empressée,  la  plus  respectueuse 
et  la  plus  dévouée  qu'il  nous  est  possible  (3). 

1.  Qui  pcrscvcravcritus  que  in  finem,  hic  salvuscrit  (Matth.  xxiv,  i3). 

2.  II.  Cor.  ix,  7. 

3.  C'est  un  principe  général:  dans  tout  ce  que  Dieu  ordonne,  ce  qu'il 


C'EST  UN  DEVOIR  POUR  NOUS    DE  SERVIR  DIEU.  87 


Pour  bien   servir  Dieu,   nous  devons  enfin  Le  servir  avec 
fierté.  Il  >  a  des  chrétiens  qui    servent   Dieu  avec  assez  de 
adélité,  mais  en  tremblant,  en  se  cachant,  en  essayant  que 
personne  ne  les  voie,  comme  si    c'était  une  chose  digne  de 
pitié  ou  de  mépris,  que   de   saluer  une  croix,  d'aller  à  la 
messe,  et  de  faire   ses  pâques.    Vrrière    une    pusillanimité 
aussi  déplacée  !  arrière  d'aussi   indignes  sentiments  !    Avoir 
honte  de  l'aire  une  chose  malhonnête,  ne  pas  se  laisser  voir 
quand  on  commel  quelque  délit  ou   crime,  cela  se  conçoit, 
car  cela  esl  naturel.  Mais  avoir  honte    de   servir  Dieu,  mais 
M-  cacher  pour  accomplir  ses  commandements,  cela  se  peut- 
il  ?    cela  n'est  -il  pas  contre  nature?  Servir  Dieu,  est-ce  donc 
une  chose   vile?    accomplir  ses     commandements,    est-ce 
donc  une  chose  défendue  et  criminelle?   De  son  côté,  Dieu 
peut-il  être  satisfait  d'un  chrétien  qui  ne  le  sert  qu'en  rou- 
gissant et  en  se  cachant  ?  Si  un  serviteur  montrait  une  telle 
peur  pour  servir  son  maître,    pensons-nous    que  le  maître 
consentirait  à  le  garder  à  son  service  ?  La  honte  du  serviteur 
ne  tournerait-elle  pas  au  déshonneur  du  maître?  Ah  !  quand 
un  serviteur  est   engagé  au  service  d'un  prince,  hien  loin  de 
s'en  cacher  aux  yeux  du  public,    il    s'en   vante,    il   s'en  fait 
gloire,  el  se  tient,  de  ce  chef,    pour  bien  au-dessus   de  ceux 
qui  ne  servent    que  des  maîtres  vulgaires.  Or,  tels  doivent 
être,  mais  avec  infiniment  plus  de    raison,    les    sentiments 
du  chrétien  que  Dieu  a  daigné   appeler  à  le  servir.   Car  mê- 
me le  serviteur  du  plus  puissant  roi  de  la  terre    n'est  tou- 

demande  en  premier  lieu,  c'est  le  cœur.  Dieu  vous  demande-t-il  de 
faire  l'aumône  ?  il  vont  que  nous  la  fassiez  de  cœur,  et  il  vous  déclare 
qu'il  aimç  celui  qui  donne  avec  joie.  Dieu  vous  demande-t-il  des  œu- 
vres, des  hommages  extérieurs,  des  témoignages  de  votre  dépendance? 
il  vous  fail  entendre  que  si  ces  œuvres  ne  partent  du  cœur,  il  vous  rc- 
jettera  avec  ce  peuple  hypocrite,  qui  l'honore  des  lèvres,  pendant  que 
leur  cœur  est  très  éloigné  de  lui.  Ceux-ci  donc  déplaisent  à  Dieu  qui 
désavouent  de  cœur  les  actions  qu'ils  sont  obligés  de  faire  par  des  rai- 
sons de  bienséance,  ou  d'autres  considérations  humaines.  Ceux-là  n'o- 
béissenl  pas  comme  ils  doivent  à  ses  Lois  qui  obéissent  en  murmurant, 
avecchagrin  el  avec  défiance.  C'était  ledéfautdu  peuple  juif,  qui  a  tant 
de  fois  irrité  Dieu  par  ses  défia  nées  et  par  ses  murmures.  J'entends  le 
Seigneur  qui  s'en  plaint  d'une  manière  si  louchante:  Jusqu'à  nuand  ce 
Ijeufùe  impie  et  ingrat  murmurera-t-il  contre  moi'.'  \um.  \.  Et  vous  savez 
comment  ce  peuple  en  a  élé  châtié,  et  quelle  rigueur  le  peuple  a  exer- 
cée contre  lui  (Lambert,  Disc.  ccclèsiasL.  18.  dise). 


88  LES   GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  IV.  INSTRUCTION. 

jours  que  le  serviteur  d'un  homme,  dont  il  est  par  consé- 
quent l'égal  par  sa  nature,  qui  est  né  comme  lui  pour  souf- 
frir et  qui  mourra  comme  lui.  Au  contraire,  ce  n'est  pas 
un  prince  ni  un  roi  que  sert  le  chrétien  :  c'est  Dieu  ;  c'est 
le  prince  des  princes  et  le  roi  des  rois  :  incréé,  éternel,  créa- 
teur de  la  terre  et  des  cieux,  qui  gouverne  tout  par  sa  toute- 
puissance  comme  en  se  jouant,  qui  juge  tous  les  hommes 
à  l'heure  de  la  mort  sur  leurs  bonnes  et  leurs  mauvaises 
actions,  qui  récompense  éternellement  ceux  qui  lui  ont  tou- 
jours été  fidèles,  et  éternellement  châtie  ceux  qui  l'ont  dé- 
daigné et  offensé.  Voilà  celui  que  sert  le  vrai  chrétien  ;  voilà 
celui  que  nous  avons  tous  à  servir.  Et  nous  ne  serions  pas 
fiers  de  lui  appartenir  ?  Et  nous  ne  nous  glorifierions  pas  de 
l'avoir  pour  maître?  Si  dans  le  passé  nous  avons  eu  la  fai- 
blesse de  ne  le  servir  que  d'une  manière  plus  ou  moins  dé- 
tournée et  secrète,  comprenons  désormais  l'honneur  qu'il 
y  a  de  lui  appartenir,  et  qu'il  n'y  ait  plus  à  nos  yeux  rien 
d'aussi  beau  et  d'aussi  grand  que  de  se  montrer  fidèle  en 
tout  à  ses  ordres  (i). 

i.  Si  Dieu  vous  avait  laissé  la  faculté  de  vous  choisir  un  maître,  en 
cussiez-vous  choisi  un  autre  que  Dieu,  en  cussiez-vous  trouvé  un  autre 
plus  digne  de  vos    mérites,  un  autre  plus  puissant,  plus   éclairé,  plus 

riche,  plus  grand  ?  lui  eussiez-vous  préféré  une  créature? Dieu  étant 

le  premier,  le  plus  grand,le  plus  parfait  des  êtres,  les  premiers,  les  plus 
grands,  les  plus  parfaits  après  Dieu,  sont  ceux  qui  s'approchent  le  plus 
de  lui,  comme  plus  on  s'approche  du  sommet  d'une  montagne,  plus  on 
est  élevé  ;  plus  on  s'approche  du  feu,  plus  on  sent  la  chaleur  ;  or,  c'est 
par  son  service,  par  la  vertu,  par  son  amour,  par  la  sainteté  des  œuvres 
qu'on  s'approche  de  Dieu  ;  plus  donc  Ton  sert  Dieu  avec  zèle,  l'on  pra- 
tique la  vertu,  l'on  avance  dans  la  perfection,  plus  aussi  l'on  est  grand. 
C'est  pourquoi  les  hommes  les  plus  honorables  et  les  plus  honorés  du 
monde  sont  les  saints,  les  plus  grands  saints,  ceux  qui  servent  le  plus 
parfaitement  Dieu  ;  n'importe  qu'ils  soient  pauvres,  ignorants,  infirmes. 
Les  grands,  les  rois  de  la  terre  se  prosternent  devant  les  statues  des 
apôtres,  jusque  devant  celle  de  Benoît  Labre,  qui  n'était  qu'un  pauvre 
mendiant,  devant  celle  de  saint  Isidore  le  laboureur,  de  la  bienheureuse 
Germaine,  simple  bergère.  Servir  Dieu,  c'est  être  vrai,  bon,  juste,  chaste, 
sobre,  fidèle,  exact  à  ses  devoirs  ;  or,  qu'y  a-t-il  de  plus  beau,  de  plus 
honorable  ?  Par  ces  vertus,  on  ressemble  à  la  divinité,  qui  les  possède 
toutes  au  suprême  degré  ;  or,  qu'y  a-t-il  de  plus  grand  que  de  ressem- 
bler à  Dieu  ?  Lucifer,  dans  son  ambition,  ne  voulait  rien  de  plus  qu'ê- 
tre semblable  au  Très-Haut,  similis  ero  Altissimo.  Nos  premiers  parents 
de  même,  dans  leur  orgueil  no  connurent  rien  do  plus  grand  que  d'être 
comme  des  dieux,  4e  Ipïtf  MYPty  te  kten  et  le  mal*  de  faire  en  tout  leur 


C'EST  l  \    DEVOIR  PO!  H  NOUS   DE  SERVIR    DIEU.  8g 

CONCLUSION.  —  En  quoi  consiste  le  devoir  de  servir 
Dieu  :  motifs  qui  nous  obligent  à  servir  Dieu  ;  de  quelle 
manière  nous  devons  servir  Dieu;  tels  sont  donc,  chrétiens, 

les  trois  points  que  nous  venons  d'étudier  et  d'élucider.  Le 
devoir  de  servir  Dieu  eonsistc  à  faire  ce  qu'il  nous  com- 
mande, à  ne  pas  faire  ce  qu'il  nous  défend,  et  à  prendre  en 
tout  ses  intérêts.  Les  motifs  qui  nous  obligent  à  servir  Dieu, 
c'est,  d'un  côté,  son  absolue  souveraineté  sur  nous,  et  de 
l'autre,  l'engagement  qu'on  en  a  pris  pour  nous  au  Baptême, 
et  que  nous  avons  librement  et  solennellement  renouvelé  au 
jour  de  notre  Première  Communion.  Enfin,  la  manière  dont 
nous  devons  servir  Dieu,  c'est  d'accomplir  tous  ses  comman- 
dements sans  exception,  dans  tous  les  temps  et  dans  toutes 
les  circonstances  de  notre  vie  jusqu'à  notre  mort,  de  bon 
cour  et  avec  fierté.  Ainsi  nous  connaissons  maintenant, 
dans  ses  trois  parties  essentielles,  le  devoir  de  servir  Dieu, 
qui  nous  incombe  si  impérieusement  pour  aller  au  ciel. 
Nous  savons  en  effet,  répétons-le  encore  une  fois  :  pourquoi 
nous  devons  servir  Dieu,  ce  qu'il  faut  faire  pour  le  servir, 
et  de  quelle  manière  il  faut  le  faire.  Notre  esprit  étant  éclairé, 
c'est  donc  maintenant  à  notre  volonté  à  se  décider  et  à  agir. 
Si  nous  continuions  à  ne  pas  servir  Dieu,  ou  à  le  servir  mal, 
nous  serions  désormais  plus  coupables  qu'auparavant,  car 
nous  agirions  en  connaissance  de  cause,  et  serions  inexcu- 
sables. Il  nous  faut  donc,  chrétiens,  envisager  tous  sérieu- 
sement ce  beau  et  grand  devoir  de  servir  Dieu,  et  tous  nous 
en  acquitter  de   notre  mieux  (i).    Ne   nous  imaginons  pas 

volonté  ;  ils  tentèrent  d'y  parvenir  par  une  autrp  voie  que  celle  de  la 
vertu,  de  la  parfaite  obéissance  à  Dieu,  et  ils  se  perdirent.  Pour  nous, 
efforçons-nous  d'atteindre  à  cette  gloire  qui  n'a  rien  au-dessus  d'elle 
que  Dieu,  niais  par  la  véritable  voie,  qui  est  celle  du  plus  parfait  atta- 
chement, du  plus  entier  dévouement  à  Dieu  (tt.  P.  Jean,  Serm.  sur  le 
service  de  Dieu; . 

i.  Certes,  on  sert  volontiers  lorsque  le  service  est  bien  récompensé  : 
or,  quel  service  est  mieux  récompensé  que  celui  de  Dieu,  puisque  la  paix 
du  cœur,  l'assistance  et  la  protection  de  Dieu  en  ce  monde  et  la  félicité 
divine  en  l'autre  en  sont  la  récompense  ?  On  travaille  volontiers  lorsque 
le  travail  est  très  honorable  :  or,  quel  travail  est  plus  honorable  que 
celui  de  servir  Dieu,  puisque  servir  Dieu  est  le  comble  delà  gloire,  que 
t'est  imiter  Dieu,  mai  cher  sur  les  traces  d'un  Dieu,  agir  en  Dieu,  que 
c'est  faire  ce  qu'a  fait  le  Fils  de  Dieu  ?  On  travaille  volontiers,  lorsque  If 


()()  LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. IV.  INSTRUCTION. 

qu'il  soit  pénible  et  rebutant,  puisque  Notre-Seigneur  nous 
a  expressément  déclaré  que  son  joug  est  doux  et  son  fardeau 
léger  (i),  ce  que  tous  les  chrétiens  fervents  sont  unanimes 
à  reconnaître  (2).  Que  si  parfois  pourtant  nous  y  trouvons 
quelques  difficultés  à  cause  de  notre  extrême  faiblesse,  sur- 
montons-les courageusement  avec  la  grâce  de  Dieu  qui 
jamais  ne  nous  manque,  puisqu'il  n'y  a  pas  d'autre  moyen 
de  nous  sauver  (3). 


travail  est  juste  et  bien  dû  :  or,  quel  travail  est  plus  juste  et  mieux  dû 
que  celui  du  service  de  Dieu,  puisqu'il  est  tellement  juste,  qu'il  est  la 
justice  même,  et  si  bien  dû,  que  c'est  tout  le  devoir  de  Fbomme,  que 
l'homme  n'est  fait  que  pour  cela,  qu'il  est  fait  pour  cela,  encore  plus 
que  le  soleil  n'est  fait  pour  éclairer,  le  feu  pour  chauffer,  l'œil  pour 
voir?  Le  grand  génie  de  Cicéron,  tout  païen  qu'il  était,  reconnaît  que 
la  piété,  ou  l'entier  dévouement  à  Dieu,  est  la  justice  qu'on  doit  à  Dieu, 
pielas  estjustitia  adversus  Deum  (R.  P.  Jean,  loc.  cit.). 

1.  Matth.  xi,  3o. 

2.  La  loi  de  Dieu  nous  paraît-elle  difficile  ?  c'est  que  nous  avons  peu 
d'amour.  La  loi  de  Dieu  est  douce  en  tout  ce  qu'elle  contient  à  celui 
dont  Je  cœur  est  plein  de  charité.  L'amour,  dit  saint  Jean,  consiste  a  gar- 
der ses  commandements,  et  ses  commandements  ne  sont  point  pénibles.  Joan. 
xiv  ;  I.  Joan.  5.  Ils  ne  sont  point  pénibles,  quand  l'amour  les  fait  gar- 
der ;  s'ils  vous  paraissent  pénibles,  c'est  que  votre  cœur  est  plein  de 
l'amour  du  monde  et  de  vous-même,  et  vide  de  l'amour  de  Dieu.  Saint 
Augustin  fait  parler  le  Seigneur,  et  lui  met  dans  la  bouche  ces  paroles 
et  ces  plaintes  qui  sont  si  raisonnables  :  L'avarice  commande  les  choses 
les  plus  dures,  voyez  ce  que  j'ordonne,  et  faites-en  comparaison  :  l'avarice 
commande  de  passer  les  mers,  d'aller  dans  les  pays  les  plus  inconnus, 
de  s'exposer  à  mille  périls  ;  l'avarice  est  obéie,  toutes  mes  lois  sont  reje- 
tées. ]\'cst-il  pas  honteux  que  le  monde  ait  plus  d'autorité  que  Dieu  ? 
qu'on  oppose  de  continuelles  difficultés  quand  c'est  Dieu  qui  parle  ; 
qu'on  en  surmonte  tous  les  jours  de  plus  considérables,  quand  il  est 
question  de  plaire  au  monde  ?  (Lambert,  Disc,  ecclésiast.   18,  dise). 

3.  Mais,,  direz-vous,  il  y  a  tant  de  peine  à  servir  Dieu,  il  faut  se  faire 
tant  de  violence,  faire  tant  de  choses  difficiles  qui  répugnent  à  notre 
nature  ! ...  —  Eh  bien,  sachez  que  ces  peines,  ces  violences,  ces  difficul- 
tés n'ont  aucune  proportion  avec  la  récompense,  et  qu'on  doit  dire  que 
le  ciel  nous  est  donné  pour  rien,  pro  nihilo  habuerunt  terrain  desiderabi-, 
lem.  Toutes  les  souffrances  de  ce  monde,  dit  saint  Paul,  ne  sont  pas 
dignes  de  la  gloire  céleste  ;  toutes  les  tribulations,  tous  les  maux  de 
cette  vie,  ajoute-t-il,  comparés  a  la  félicité  du  ciel,  ne  sont  qu'un  moment 
de  légère  tiibulation,  moine ntaneiim  et  levé  Iribulationis:  tandis  (pie la  gloire 
qu'elles  procurent  est  immense  dans  sa  grandeur,  infinie  dans  son 
excellence,  éternelle  dans  sa  durée,  œternum  et  supra  modum  gloriœ  pon- 
dus operatur  in  nobis.  Si  l'on  ne  vous  demandait  qu'un  jour  de  jeune 
pour  avoir  un  million  de  francs,  qu'un  an  de  bonne  conduite  pour  avoir 


C  EST  l  N   DEVOIR    POUR  NOUS  DE  SERVIR   DIE1  .  <J  1 


TRAITS   IIISTORIQl IJÉS 

Pourquoi    l'on    ne    sert    pas    Dieu. 

Le  IL  P.  Marie,  missionnaire  du  diocèse  d'Osaha  (Japon),  dans 
une  lettre  publiée  par  1rs  Missions  catholiques  du  a  août  1900, 
raconte  ce  qui  suil  ; 

«  Combien  (de  païens)  sont  retenus  par  les  considérations 
humaines  (loin  de  Dieu)  !  I  n  soir,  après  une  première  conférence, 
un  bonze  prit  la  parole  :  —  Nous  avez  raison,  dit-il,  votre  religion 
esi  La  seule  vraie,  mais  si  je  fais  ce  que  vous  dites,  je  perdrai  mon 
gagne-pain.  Bonsoir  ! 

u  Je  me  consolai  en  me  disant  (pic  c'était  une  exception.  Une 
autre  fois  je  m'époumonnai  trois  soirs,  presque  trois  nuits  de 
suite,  devant  le  même  auditoire  de  huit  ou  dix  païens.  Ils  témoi- 
gnaient d'une  \  raie  satisfaction,  ils  étaient  suspendus  aux  lèvres 
de  l'orateur.  Je  crus  cette  fois  la  partie  gagnée,  Le  troisième  soir, 
vers  minuit,  la  voix  bien  fatiguée,  et  d'un  air  suppliant  : 

u  Kl»  bien,  mes  amis,  je  pense  que  vous  avez  bien  compris. 
Voyons,  voulez-vous  vous  faire  chrétiens? 

uLe  plus  intelligent  prit  la  parole:  —  Père!  dit-il...  Ace 
moment,  je  tressaillis  ;  rares  sont  les  païens  qui  nous  donnent 
ce  nom. 

u  —  Père,  nous  vous  remercions  beaucoup  ;  votre  religion  est 
superbe,  elle  est  vraie,  la  seule  vraie... 

«  Nouveau  tressaillement. 

a  —  ...  Mais  elle  est  trop  droite  :  nous  ne  pourrons  plus  faire 
le  commerce  si  nous  voulons  observer  votre  Décalogue.    Donc... 

«  Les  neuf  autres  firent  un  signe  d'assentiment. 

u  Pauvre  orateur  !  Pauvre  missionnaire  !  » 

Pauvres  païens  surtout,  faut-il  ajouter.  Or,  c'est  exactement 
pour  le  môme  motif  que  les  chrétiens  eux-mêmes  se  tiennent  loin 
de  Dieu  :  pour  le  servir,  il  leur  faudrait  renoncer  à  leurs  passions  : 
et  ils  aiment  mieux  renoncer  à  Dieu.  Pauvres,  pauvres  chrétiens  ! 

Le  devoir  de  servir  Dieu  consiste  ; 
i°  A  observer  les  commandements.  —  Un   commerçant, 

mille  nus  de  vie  parfaitement  heureux,  avec  l'empire  du  monde,  la 
connaissance  la  plus  entière  de  toutes  les  sciences  et  tous  les  autres 
avantages  désirables  :  trouveriez-vous  ce  jour  de  jeune  trop  pénible? 
cet  an  de  bonne  conduite  trop  coûteux  ?  non,  certainement  (II.  P, 
Ji  w.  loc.  cit.). 


Ç)2  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IV.   INSTRUCTION. 

homme  d'esprit  et  de  caractère,  se  trouvait  en  une  société,  lorsque, 
tirant  son  mouchoir,  il  lui  arriva  de  tirer  en  même  temps  son  cha- 
pelet, qui  tomba  avec  bruit  sur  le  plancher.  Un  jeune  avocat  se 
permit  de  lui  demander,  avec  un  sourire  moqueur,  ce  que 
c'était  que  cela  ?  «  C'est  un  chapelet,  dit  le  commerçant  en  le 
montrant  à  toute  l'assemblée.  —  Comment  ?  vous,  monsieur,  en 
plein  xixe  siècle  !  —  Oui,  monsieur,  moi,  je  porte  sur  moi  cet 
objet  de  piété  chrétienne.  De  plus,  monsieur,  puisque  vous  vous 
y  intéressez,  je  vous  dirai  que  je  récite  ce  chapelet,  que  je  vais  à 
la  messe,  que  je  me  confesse  ;  et  la  raison  en  est  simple  :  je  suis 
chrétien,  et  j'en  remplis  les  devoirs.  »  On  écouta  ces  paroles  avec 
un  silence  qui  fit  pressentir  au  jeune  avocat  un  dénouement 
fâcheux.  En  effet,  le  commerçant,  l'apostrophant  à  son  tour,  lui 
dit  :  «  Et  vous,  monsieur,  n'êtes-vous  pas  aussi  chrétien  ?  —  Si, 
monsieur.  —  Allez-vous  aussi  à  la  messe  et  à  confesse  ?  —  Pour 
cela,  je  n'aurais  garde  !  —  Voyez  :  nous  sommes  chrétiens  tous 
les  deux,  mais  il  y  a  cette  différence  entre  nous,  que  moi  je  rem- 
plis mes  devoirs,  et  que  vous  y  manquez  ;  même,  d'après  vos 
paroles,  monsieur,  vous  vous  glorifiez  d'y  manquer.  Or,  je  crois, 
et  cette  honorable  société  sera  d'accord  avec  moi,  que  lorsqu'on 
manque  à  ses  devoirs,  on  a  tort  de  s'en  vanter.  »  On  applaudit  à 
ces  paroles,  et  le  jeune  impie  se  trouva  confondu. 

2°  A  pratiquer  les  maximes  de  l'Évangile.  —  Le  21  mars 
1670,  mourut  à  Porto  un  père  de  famille,  appelé  Henri  Nugnez  de 
Gouvea,  que  l'on  peut  appeler  le  modèle  des  chrétiens  dans  le  siè- 
cle. Maître  d'une  brillante  fortune  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  Henri 
Nugnez  ne  s'était  pas  livré  au  désordre,  mais  il  avait  donné  en 
plein  dans  l'amour  du  monde  et  de  ses  vanités.  Nul  gentilhomme 
ne  se  piquait  d'étaler  plus  de  magnificence,  nul  n'avait  de  plus 
beaux  chevaux,  ni  un  plus  nombreux  cortège  d'esclaves  ;  et  jus- 
qu'à l'âge  d'environ  trente  ans,  il  fut  comme  l'âme  de  toutes  les 
fêtes,  entraînant  à  sa  suite  tous  ceux  qui  aimaient  le  faste  et  la 
joie.  Mais  la  parole  apostolique  du  P.  François  Strada,  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  si  justement  appelé  en  Espagne  la  Trompette  du 
Saint-Esprit,  suffît  pour  faire  en  peu  de  jours  de  ce  jeune  mondain 
un  chrétien  exemplaire.  Après  les  premiers  sermons  de  Strada, 
Nugnez  alla  le  chercher  à  l'hôpital,  le  priant  d'accepter  un  asile  dans 
sa  maison,  et  de  lui  apprendre  à  en  faire  une  véritable  maison 
chrétienne.  A  partir  de  ce  moment,  sa  fortune  n'appartint  plus  au 
monde,  mais  aux  pauvres,  et  à  toutes  les  œuvres  de  zèle  et  de 
charité.  Le  fréquent  usage  des  sacrements,  l'oraison,  la  pénitence, 
toutes  les  saintes  industries,  pour  mieux  foire  connaître  et  aijner 


C'EST  UN  DEVOlll   POUR  NOUS  DE   SERVIR   DIEU.  (),"> 

Notre-Seigneur,  par  sa  femme,  ses  enfants,  ses  serviteurs,  ses 
parents  et  ses  amis,  devinrent  son  unique  préoccupation. 

Chaque  soir.  Nugnez  Taisait  Lui-même  le  catéchisme  à  ses  servi- 
teurs, ou  s'entretenait  avec  sa  pieuse  femme  Béatrix  de  Madeira. 

et  avec  tonte  sa  famille,  de  quelque  sujet  pieux  et  intéressant,  qui 
pût  doucement  inspirer  l'amour  de  la  vertu. 

Son  délassement  le  pins  ordinaire  était  d'aller  soigner  les  pau- 
vres de  l'hôpital,  faire  leur  lil  et  panser  leurs  plaies,  ou  de  visiter 
les  prisonniers  ;  et  il  prenait  alors  pour  compagnon  l'un  ou  l'autre 
de  ses  enfants,  que  son  exemple  animait  ainsi  sans  violence 
à  se  vaincre  eux-mêmes.  Aussi  vit-il  les  trois  aînés  entrer  avant 
sa  mort  dans  la  Compagnie  de  Jésus  ;  tandis  que  ses  deux  jeunes 
filles  embrassèrent  la  règle  de  sainte  Glaire,  et  le  dernier  de  ses 
fds  la  règle  de  saint  François. 

Lorsqu'il  vit  la  mort  approcher,  il  demanda  lui-même  les 
sacrements,  qu'il  reçut  avec  sa  j$|été  ordinaire.  Après  son 
action  de  grâces,  il  fit  avec  un  calme  et  une  joie  incomparable  ses 
derniers  adieux  à  sa  famille  et  à  ses  amis.  Ensuite  il  annonça 
secrètement  à  Béatrix  de  Madeira  que  dix  ans  plus  tard,  jour  pour 
jour,  elle  viendrait  le  rejoindre  au  ciel.  Quelques  instants  après, 
il  rendit  doucement  son  âme  à  Dieu,  en  baisant  une  dernière  fois 
son  crucifix.  Dix  ans  après,  le  même  jour,  21  mars,  voyait  s'ac- 
complir à  la  lettre  la  prophétie  du  serviteur  de  Dieu.  Et  \otre- 
Seigneur  voulut  en  outre  que  sa  dépouille,  retrouvée  intacte  et 
exhalant  un  parfum  délicieux,  fût  comme  un  nouveau  témoignage 
de  sa  sainteté  et  de  sa  gloire  dans  le  paradis. 

Pourquoi  c'est  pour  nous  un  devoir  de  servir  Dieu. 

i°  Parce  qu'il  est  notre  souverain  Maître.  —  Saint  Augus- 
tin, in  Ps.  lxx,  demande  pourquoi  Dieu,  après  avoir  créé  Adam, 
lui  défendit  de  manger  d'un  certain  fruit,  qui  néanmoins  était  bon, 
et  le  menaça  d'un  si  grand  supplice  s'il  en  mangeait.  Ce  saint 
docteur,  afin  de  rendre  plus  agréable  et  plus  sensible  l'éclaircisse- 
ment qu'il  donne  à  cette  question,  introduit  Dieu  qui  parle  à 
Adam,  et  Adam  qui  lui  répond  : 

«  Je  suis  votre  créateur  et  votre  maître,  dit  Dieu  au  premier 
homme.  Je  vous  ai  rendu  comme  un  ange  sur  la  terre.  Je  vous 
ai  établi  dans  ce  jardin  de  délices  plein  de  beaux  arbres  et  d'ex- 
cellents fruits,  dont  vous  userez  comme  il  vous  plaira  ;  mais  pour 
cet  arbre  que  je  vous  marque,  je  vous  défends  d'y  toucher,  et  vous 
mourrez  très  certainement  si  vous  le  faites.  —  Quel  est  donc  cet 
arbre,  répond  Adam,  auquel  il  n'est  pas  permis  de  toucher  ?  Sril  est 


()/i  LES   U.llAftDS  DEVOIRS   DU  SALUT.    tV.   INSTRUCTION. 


mauvais,  pourquoi  se  trouve-t-il  dans  ce  jardin,  où  il  n'y  a  rien 
que  d'excellent  ?  et  s'il  est  bon,  pourquoi  est-il  défendu  d'en 
manger  ?  » 

Voici  la  réponse  que  Dieu  fait  :  «  Cet  arbre  est  bon  :  je  ne  l'au- 
rais pas  mis  dans  le  paradis  s'il  n'était  bon.  Cependant  je  ne  veux 
pas  que  vous  y  touchiez.  Si  vous  demandez  pourquoi  je  ne  le  veux 
pas,  c'est  pour  vous  apprendre  que  je  suis  votre  Seigneur,  et  que 
vous  êtes  mon  esclave,  que  c'est  à  moi  de  vous  commander,  et  à 
vous  de  m'obéir.  C'est  là  la  raison  du  commandement  que  je  vous 
fais.  Si  vous  ne  la  recevez  pas,  vous  refusez  donc  de  vous  recon- 
naître pour  mon  serviteur,  et  moi  pour  votre  souverain.  Et  cepen- 
dant cette  soumission  que  je  vous  demande  vous  est  aussi  néces- 
saire et  aussi  avantageuse  qu'elle  m'est  inutile.  Carie  Créateur 
n'a  besoin  ni  de  sa  créature,  ni  de  l'obéissance  qu'elle  lui  peut 
rendre  ;  mais  la  créature  a  un  besoin  infini  de  son  Créateur.  Je 
vous  ai  rendu  le  maître  de  tous-  les  arbres  de  ce  jardin  délicieux. 
Je  n'en  excepte  qu'un  seul,  dont  je  vous  commande  de  vous  abs- 
tenir, pour  me  donner  cette  marque  de  l'hommage  volontaire  que 
vous  me  devez.  Considérez  que  si  cet  arbre  est  bon,  l'obéissance 
est  infiniment  meilleure  ;  et  que,  quelque  excellent  qu'il  soit,  si 
vous  en  mangez  contre  mon  ordre,  il  deviendra  pour  vous  un 
poison  mortel.  Si  je  ne  vous  avais  point  fait  ce  commandement, 
vous  devriez  souhaiter  queje  vous  en  fisse  quelqu'un,  et  être  ravi 
que,  vous  ayant  comblé  de  tant  de  biens,  vous  puissiez  m'en  témoi- 
gner votre  reconnaissance  par  la  joie  avec  laquelle  vous  vous  feriez 
gloire  de  m'obéir.  En  un  mot  :  Je  suis  votre  maître  et  vous 
êtes  mon  serviteur. 

2°Parce  que  nous  nous  y  sommes  engagés.  —  Les  soldats  de 
la  légion  ïhébaine,  qui  tous  étaient  chrétiens, ayant  refusé  de  prendre 
part  à  une  cérémonie  païenne,  avaient  déjà  été  deux  fois  décimés 
pour  ce  fait.  Mais  le  courage  des  survivants,  n'en  fut  point  ébranlé, 
et  tous  se  déclarèrent  prêts  à  souffrir  la  mort  comme  leurs  cama- 
rades, plutôt  que  de  manquer  à  la  fidélité  qu'ils  devaient  à  Dieu. 
«  Nous  sommes  vos  soldats,  écrivirent-ils  à  l'empereur,  mais  nous 
sommes  aussi  les  vrais  serviteurs  de  Dieu.  Nous  le  confessons 
librement  :  nous  vous  devons  le  service  de  la  guerre,  et  à  lui 
l'innocence  de  notre  conduite  ;  nous  recevons  de  \ous  la  paie, 
mais  c'est  lui  qui  nous  a  donné  la  vie;  nous  ne  pouvons  vous 
obéir  en  renonçant  à  Dieu,  notre  Créateur,  notre  maître  et  le 
votre.  Nous  lui  avons  fait  serment  avant  de  vous  le  faire]  et  vous 
ne  devriez  plus  vous  lier  au  second  serment,  si  nous  violions  le 
premier.  Mais  plutôt  que  de  commettre  cette  bassesse,  nous  mour- 


«  'EST  UN  DEVOIR  coi  R  noi  s  DE  SERVIR  DIEU.  <).> 

rons  tous.  »  El  l'empereur  ayanl  l'ail    avancer  contre  eux  ses  trou- 
pes, tous  se  laissèrent    massacrer  sans  opposer  aucune  résistance. 

Comment  il  faut  servir  Dieu. 

\°En  accomplissant  tous  ces  commandements. —  Un  en- 
fant venaitde  Faire  sa  Première  Communion.  Le  dimanche  suivant. 
comme  il  quittait  sa  maison  pour  se  rendre  à  l'Église,  son  père 
l'interpella  en  lui  disant  :  «  Ou  vas-tu  donc  ?  — Je  vais  à  la  messe, 
c'esl  aujourd'hui  dimanche,  répondit  le  jeune  garçon.  —  A  la 
Messe  '.'  Ali  !  il  ne  faut  plus  parler  de  cela  maintenant.  —  Mais, 
mon  père,  c'esl  yn  des  commandements  de  Dieu  qui  nous  l'or- 
donne. —  Les  commandements  de  Dieu  ?  c'était  bon  jusqu'à  la 
Première  Communion  ;  niais  à  présent,  tu  feras  bien  de  mettre 
cela  de  coté.  —  Mais,  mon  père,  il  y  a  aussi  un  commandement 
de  Dieu  qui  ordonne  aux  enfants  d'honorer  leurs  pères  et  mères: 
dois-je  mettre  également  celui-là  de  côté  ?  Fn  effet,  si  je  n'obéis 
pas  à  Dieu  lorsqu'il  m'ordonne  de  sanctifier  le  dimanche,  pourquoi 
lui  obéirai-je  l'orsqu'il  m'ordonne  de  vous  respecter?  »  Le  père, 
frappé  de  ce  simple  raisonnement,  non  seulement  laissa  son  fils 
aller  à  la  messe,  mais  dès  ce  jour  il  commença  à  devenir  un  bon 
chrétien. 

a0  Avec  courage,  et  quoi  qu'il  puisse  nous  en  coûter.  — 
i.  Du  temps  de  la  révolte  du  parlement  d'Angleterre  contre  le  roi 
Charles Ier,  Fairfax,  général  de  l'armée  parlementaire,  ayant  mis  le 
siège  devant  Glocester,  place  qui  tenait  pour  le  roi,  se  servit  d'un 
cruelstratagèmepourobligerlebaron  Capel,  quien  était  gouverneur, 
à  se  rendre  à  discrétion.  Capel  avait  un  fils  unique,  âgé  de  dix- 
sept  ans,  bien  fait  et  plein  d'esprit,  qui  étudiait  à  Londres.  Fairfax 
le  fit  amener  dans  son  camp.  11  proposa  ensuite  une  entrevue  au 
gouverneur.  Capel  l'accepta,  et  se  rendit  au  lieu  dont  il  était  con- 
venu. Mais  il  fut  bien  étonné  de  voir  son  fils  nu  jusqu'à  la  cein- 
ture, les  mains  liées  derrière  le  dos,  au  milieu  de  quatre  soldats, 
deux  qui  avaient  le  poignard  tiré  contre  lui,  et  deux  qui  lui 
tenaient  le  pistolet  appuyé  sur  la  poitrine.  Pendant  qu'il  regardait 
ce  triste  spectacle,  il  entendit  un  des  officiers  de  Fairfax  qui  lui 
dit  :  a  Préparez-vous  avons  rendre,  ou  à  voir  couler  le  sang  de 
votre  fils,  »  Capel,  pour  toute  réponse,  cria  à  son  fils  avec  fermeté  : 
o  Mou  Bis,  scmvenez-vous  de  ce  (pic  vous  devez  à  Dieu  et  au  roi  ;  » 
paroles  qu'il  répéta  trois  fois.  Ensuite  il  rentra  dans  la  place,  et 
exhorta  les  officiers  à  périr  plutôt  que  de  capituler.  Fairfaxne 
poussa  pas  plus  loin  la  tragédie.  Dès  que  Capel  se  lui  retiré,  il  (il 
habiller  son  lils  cl  le  renvoya  à  Londres.   —  Ce  trait  ne  condamne- 


q6        les  grands  devoirs  du  salut.  IV.  INSTRUCTION. 

t-il  pas  tant  d'indignes  chrétiens,  qui  n'ont  pas  le  courage  de 
sacrifier  à  la  fidélité  qu'ils  doivent  à  Dieu,  je  ne  dis  pas  un  enfant 
chéri,  mais  une  vaine  satisfaction,  une  inclination  criminelle  ? 

2.  En  l'année  1900,  la  Chine  a  encore  vu  de  nombreux  chrétiens 
donner  leur  vie  plutôt  que  de  renoncer  à  servir  Dieu.  Voici  les 
actes  d'un  de  ces  martyrs,  tels  que  les  rapporte  La  Croix,  du 
27  février  1901,  d'après  les  Missions  catholiques  : 

«  Ou  Yenn  Yinn  était  tifang  (maire)  pour  la  partie  chrétienne  de 
)  son  village,  et  quand  les  païens  se  présentèrent  pour  démolir 
l'église,  il  s'y  opposa.  Dénoncé  au  mandarin,  il  fut  cité  au  tribu- 
nal. Prévoyant  qu'il  n'en  sortirait  pas  vivant,  il  se  mit  à  genoux 
devant  sa  vieille  mère  pour  lui  faire  ses  derniers  adieux,  et  cette 
héroïque  femme  lui  dit  : 

—  Si  tu  meurs  pour  la  foi,  le  bon  Dieu  aura  soin  de  nous  ;  ne 
te  préoccupe  ni  de  moi,  ni  des  enfants.  Si  tu  apostasies,  je  ne  te 
reconnais  plus  pour  mon  fils. 

—  Mère,  répondit-il,  soyez  tranquille.  Avec  la  grâce  de  Dieu,  je 
n'apostasierai  pas. 

—  Tu  es  chrétien  ?  lui  demanda  le  sous-préfet.  Aujourd'hui, 
cela  n'est  plus  permis,  il  faut  changer  de  religion. 

—  Je  ne  le  puis. 

—  Ta  !  (frappez  !). 

Les  bourreaux  infligèrent  au  confesseur  le  supplice  de  la  bas- 
tonnade, jusqu'à  ce  qu'il  eût  perdu  connaissance.  Quand  il  fut 
revenu  à  lui,  le  mandarin  l'invita  de  nouveau  à  apostasier,  et,  sur 
son  refus,  le  fit  battre  une  seconde  fois  et  sans  plus  de  résultat. 
Alors  il  le  fit  suspendre  dans  la  cage  en  bois.    Le  martyr   lui  dit  : 

—  Lorsqu'à  force  de  souffrir,  je  ne  pourrai  plus  parler  et  que 
vous  me  verrez  remuer  les  lèvres,  ce  ne  sont  pas  des  paroles 
d'apostasie  que  je  prononcerai,  ce  seront  des  prières. 

Au  bout  de  quelques  instants  de  supplice  de  la  cage,  les  satel- 
lites, jugeant  à  l'altération  de  ses  traits  qu'il  allait  mourir,  se 
hâtèrent  de  le  dépendre.  Il  était  trop  tard,  Ou  Venn  Yinn  avait 
cueilli  la  palme  des  triomphateurs  célestes.  » 

3°  Ouvertement  et  avec  fierté.  —  Deux  voyageurs,  Etienne 
et  son  ami,  raconte  Louis  Veuillot,  descendirent  à  une  auberge  pour 
dîner.  C'était  un  vendredi,  La  table  d'hote  était  exclusivement 
servie  en  gras.  Les  deux  voyageurs  demandèrent  du  maigre.  En  les 
entendant,  plusieurs  des  convives  les  regardèrent  avec  étonnement, 
puis  se  mirent  à  chuchoter  entre  eux.  L'aubergiste  arriva  :  «  Ces 
messieurs  désirent?...  dit-il  aux  nouveaux  venus.  — Du  maigre,  ré- 
pondirent hautement  ceux-ci.— Je  suis  désolé,  dit  l'aubergiste  avec 


c'est  un  devoir  pour  nous  de  servir  dieu.  97 

un  sourire  contraint,  il  u'\  a  pas  de  maigre.  —  Faites-en,  Monsieur. 

—  Ce  sera  long,  cl  la  diligence  n'attend  pas.  —  Alors,  Monsieur, 
donnez-nous  du  pain,  du  vin  et  du  fromage.  Arrangez-nous  cela 
pour  une  vingtaine  de  sous.  — Je  crois,  reprit  l'aubergiste,  qu'on 
peut  manger  ce  qu'on  trouve,  et  qu'on   n'est  pas  damne  pour  ça. 

—  Pendant  que  vous  raisonne/,  observa  Etienne,  vous  auriez  déjà 
fait  une  omelette,  et  pendant  que  nous  vous  répondrions,  nous  ne 
dînerions  pas.» 

L'aubergiste  paraissait  hésiter,  lorsqu'une  voix  de  basse,  partie 
du  fond  de  la  salle,  lit  frémir  les  vitres  comme  le  son  du  tambour. 

u  Donnez-nous  du  maigre  !  » 

Tout  le  monde  regarda.  On  vit  entrer  un  grand  militaire,  vrai 
colosse,  de  la  plus  fière  et  de  la  plus  martiale  figure  :  moustache 
grise,  rosette  d'officier,  col  d'ordonnance,  balafre  terrible  sur  le 
front  :  un  colonel  pour  le  moins.  On  su  depuis  que  c'était  un  brave 
général.  Une  dame  d'un  aspect  plus  doux  et  non  moins  respecta- 
ble, l'accompagnait.  Derrière  eux  se  tenait,  tout  à  la  fois  fière  et 
timide,  une  fille  de  seize  ans,  véritable  lien  de  fleurs  entre  ces 
deux  forces  grandioses. 

Voyant  ces  trois  personnages,  l'aubergiste  perdit  toute  sa  philo- 
sophie et  toute  sa  mauvaise  humeur.  En  un  tour  de  main,  les 
cinq  voyageurs  qui  avaient  demandé  du  maigre  étaient  servis  en 
maigre,  et  les  chuchoteurs  de  la  table  d'hôte  ne  disaient  plus  rien. 


SOMME  DU   PREDICATEUR.  —  T.   II. 


CINQUIÈME     INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Première  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  nous  d'aimer  Dieu. 

1.  Pourquoi  nous  devons  aimer  Dieu. — IL  Comment  nous  devons 
aimer  Dieu.  —  III.  A  quels  signes  nous  pouvons  reconnaître  si  nous 
aimons  Dieu. 

Connaître  Dieu,  honorer  Dieu,  servir  Dieu,  tels  sont, 
nous  l'avons  vu  dans  nos  précédents  entretiens,  les  trois 
premiers  devoirs  dont  nous  avons  à  nous  acquitter  envers 
notre  Créateur  et  souverain  Seigneur.  Mais  il  en  est  encore 
un  qui  nous  incombe  à  son  égard,  c'est  celui  de  l'aimer. 
Le  devoir  d'aimer  Dieu  ne  vient  logiquement  qu'après  les 
autres,  parce  que,  pour  aimer  Dieu,  il  faut  commencer  par 
le  connaître,  par  l'honorer  et  le  servir.  Le  devoir  d'aimer 
Dieu  est  donc  comme  le  couronnement  de  nos  autres 
devoirs  envers  lui.  Et  tout  en  étant  inséparable  de  ces  autres 
devoirs,  comme  le  fronton  d'un  édifice  est  inséparable  des 
murs  qui  le  soutiennent,  cependant  il  ne  laisse  pas  d'être 
véritablement  le  plus  essentierd'eux  tous.  C'est  ce  que  nous 
apprend  l'apôtre  sa^nt  Paul,  lorsqu'il  nous  dit,  de  lui- 
même,  ce  que  chacun  de  nous  peut  dire  également  de  soi  : 
Quand  je  parlerais  toutes  les  langues  des  hommes  et  des  anges 
mêmes,  si  je  n'ai  pas  la  charité,  si  je  n'aime  pas  Dieu,  je  suis 
comme  un  airain  sonnant  et  une  cymbale  retentissante.  Quand 
j'aurais  le  don  de  prophétie,  que  je  pénétrerais  tous  les  mystè- 
res et  toutes  les  sciences,  et  quand  f aurais  toute  la  foi  possible 
jusqu'à  transporter  les  montagnes,  si  je  n'ai  pas  la  charité,  si 
je  n'aime  pas  Dieu,  je  ne  suis  rien.  Et  quand  je  distribuerais 
toutes  mes  richesses  pour  nourrir  les  pauvres,  et  que  je  livre- 
rais mon  corps  pour  être  brûlé,  si  je  n'ai  pas  la  charité,  si  je 
n'aime  pas  Dieu,  tout  cela  ne  me  sert  de  rien  (i).  Telle  es 

i.  I.  Cor.  xiii,  i-3. 


H)l  II   NOUS  D  AIMER  DIEU.  <)Q 


L'excellence  de  I;i  charité  envers  Dieu,  telle  est  la  nécessité 
supérieure  de  l'aimer.  Ce  sciait  en  vain,  par  conséquent, 
que  nous  connaîtrions  Dieu,  en  vain  que  nous  l'honore- 
rions, en  \aiu  même  que  nous  le  servirions,  si  en  outre 
nous  ne  L'aimions  pas.  Combien,  en  effet,  qui  connaissent 
Dieu,  comme  L'ont  connu  les  mauvais  anges;  qui  honorent 
el  servent  Dieu,  comme  l'ont  honoré  les  scribes  et  les  pha- 
risiens et  qui.  non  plus  que  les  mauvais  anges,  les  scribes  et 
les  pharisiens,  ne  seront  pas  sauvés!  Qu'a-t-il  manqué  aux 
mauvais  anges,  si  éclairés  des  choses  divines,  ainsi  qu'aux 
serihes  et  aux  pharisiens,  si  scrupuleusement  observateurs 
de  la  loi,  pour  n'être  pas  sauvés?  Il  leur  a  manqué  d'aimer 
Dieu.  Et  c'est  également  ce  qui  manque  à  beaucoup  de 
chrétiens  qui,  tout  en  connaissant  Dieu,  tout  en  l'honorant 
et  en  le  servant  d'une  certaine  manière,  cependant  se  dam- 
nent. Pour  éviter  un  si  irréparable  malheur,  nous  allons 
étudier,  dans  ses  parties  essentielles,  le  devoir  qui  nous 
incombe  d'aimer  Dieu,  afin  de  pouvoir  nous  en  acquitter 
aussi  parfaitement  que  l'exige  le  salut  de  notre  âme.  Nous 
dirons  d'abord  pourquoi  nous  devons  aimer  Dieu,  ensuite, 
comment  nous  devons  aimer  Dieu,  et  enfin  à  quels  signes 
nous    pouvons    reconnaître   si   nous   aimons   Dieu  (i).  — 

i.  Dnplicem  ob  causam  diligendus  est  Deus  :  quia  nihil  justius,  et  quia 
nihil  diligi  fructuosius  potest  ;  suo  scilicet  merito,  et  nostro  commodo. 
S.  Bcrn.  —  Premier  point.  Il  n'y  rien  de  plus  juste.  i°  Parce  que  c'est 
une  action  de  justice  de  donner  notre  affection  à  tout  ce  qui  la  mérite, 
à  tout  ce  qui  est  bon  et  parfait.  Or,  c'est  un  grand  champ  qu'on  a 
pour  s'étendre  sur  les  perfections  de  Dieu,  qui  sont  l'objet  le  plus  digne 
de  nos  affections  :  d'où  l'on  peut  conclure  que  c'est  la  dernière  et  la 
plus  criante  de  toutes  les  injustices  de  lui  refuser  notre  amour.  2°  Parce 
que  Dieu  a  droit  sur  les  affections  de  notre  cœur  en  qualité  de  Créateur 
qui  nous  a  donné  l'être,  qui  nous  le  conserve,  et  sans  lequel  nous  ne 
pourrions  subsister  un  seul  moment  :  sur  quoi  on  peut  rapporter  les 
principaux  bienfaits  que  nous  avons  reçus  de  sa  bonté  infinie,  et  dont 
il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  mérite  tout  noire  amour.  3°  Parce  qu'il  nous 
a  aimés  le  premier  :  car  il  n'y  a  rien  de  plus  juste  que  d'aimer  ceux  qui 
QOUS  liment  ;  el  c'est  même  le  meilleur  moyen  de  se  faire  aimer,  que 
de  prévenir  un  autre.  <  >r,  quel  a  été  l'amour  de  Dieu  envers  les  hommes, 
<l  envers  nous  en  particulier  ?  —  Second  point.  On  peut  considérer  les 
avantages  que  nous  recevons  de  notre  amour  envers  Dieu.  Quoique  ce 
motif  nous  semble  intéressé,  cela  même  fait  qu'il  est  l'un  des  plus 
puissants  pour  nous  porter  à  l'aimer.  Le  premier  avantage  donc  que 
nous   en    recevons,  est  que   la  charité  fait  tout  notre   mérite,  et  notre 


100        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  V.  INSTRUCTION. 

Seigneur,  puisque  c'est  finalement  pour  que  nous  vous 
aimions  que  vous  nous  avez  créés,  et  que  tous  nos  autres 
devoirs  aboutissent  à  ce  devoir  et  s'y  résument,  nous  vous 
en  prions,  que  désormais  notre  esprit  connaisse  irrésisti- 
blement la  nécessité  et  la  manière  de  vous  bien  aimer, 
et  que  notre  volonté  se  conforme  en  tout  aux  lumières  de 
notre  esprit. 

I.  —  Pourquoi  nous  devons  aimer  Dieu.  — Commen- 
çons par  dire  ce  que  c'est  qu'aimer.  Sans  entrer  dans  des 
détails  qui  nous  écarteraient  de  notre  sujet,  bornons-nous  à 
dire  qu'aimer,  c'est,  d'une  manière  générale,  s'attacher  à  un 
objet,  qu'il  s'agisse  d'une  personne  ou  d'une  chose.  Par 
conséquent,  aimer  Dieu,  ce  n'est  donc  pas  nécessairement 
éprouver  pour  lui  une  tendresse  sensible,  comme  celle 
qu'on  éprouve,  par  exemple,  pour  un  ami.  Assurément,  on 
peut  désirer  d'aimer  Dieu  ainsi,  à  cause  de  la  douceur  qu'on 
y  goûte  ;  mais  cela  n'est  nullement  exigé,  parce  que  cela 
ne  dépend  pas  de  nous  ;  mais  ce  qui  dépend  et  qui  est 
rigoureusement  exigé    de  nous,  c'est  d'aimer  Dieu    de  cet 

grandeur  devant  Dieu  ;  c'est  par  là  encore  la  preuve  de  l'estime  qu'il 
fait  de  nous,  de  Famour  qu'il  a  pour  nous  ;  et  ensuite,  c'est  la  source  de 
tout  notre  bonheur  sur  la  terre  et  dans  le  ciel  :  ce  qui  a  fait  dire  à  saint 
Bernard  que  la  charité  est  la  quantité  de  l'àme,  qui  devient  plus  ou 
moins  grande  à  proportion  de  cette  charité.  20  C'est  en  cela  que  consiste 
notre  perfection,  et  notre  sainteté  ;  de  sorte  que,  quelque  talent  et  quel- 
que avantage  que  nous  ayons  d'ailleurs,  si  nous  n'avons  plus  de  cha- 
rité, nous  n'en  sommes  pas  plus  saints.  3°  La  mesure  de  notre  charité, 
sur  la  terre,  fera  la  mesure  de  notre  gloire  dans  le  ciel.  Les  ^preuves  de 
toutes  ces  vérités  sont  aisées  à  trouver  et  à  étendre  ;  et  la  morale  natu- 
relle qu'on  en  doit  tirer,  doit  être  affectueuse  et  pressante.  La  conclu- 
sion sera  que  l'amour  de  Dieu  doit  faire  notre  première  et  principale 
occupation  en  cette  vie,  pour  continuer  cet  heureux  exercice  durant 
toute  l'éternité  (Houdiiy,  Biblioth.  des  Prédic.  verb.  Amour  de  Dieu, 
S  i,  n.  i). 

Deux  raisons  pourquoi  nous  n'aimons  pas  Dieu,  quoique  la  nature  et  la 
grâce  nous  y  portent.  La  première  est  notre  aveuglement  :  nous  ne  con- 
naissons pas  combien  Dieu  est  aimable,  ni  la  nature  de  l'amour  que 
nous  lui  devons.  Or,  il  faut  porter  la  lumière  à  ces  yeux  aveugles,  en 
leur  faisant  voir  combien  Dieu  est  aimable,  et  comment  nous  devons 
l'aimer...  La  seconde  est  la  dureté  et  l'ingratitude  de  notre  cœur,  qui 
préfère  les  choses  de  ce  monde  à  Dieu.  Il  faut  tacher  d'amollir  la  dureté 
de  ces  cœurs,  par  la  pensée  des  bienfaits  de  Dieu,  et  de  l'amour  qu'il 
nous  a  porté  le  premier  (ld.  loc.  cit.  n.  7). 


C  EST   UN  DEVOIR  POUR  NOUS  D  AIMER  DIEU.  10 1 

amour  qui  consiste  à  s'attacher  à  lui  eu  se  donnant  tout  à 
lui,  et  à  no  se  jamais  détacher  de  lui  en  se  reprenant  d'une 
manière  ou  (rime  autre. 

Or,  nous  devons  aimer  ainsi  Dieu,  d'abord  parce  que  cela 
osl  juste  e!  conforme  à  la  raison.  Faisons  bien  attention  à 
eeei.  N'est-il  pas  juste  et  eonformc  à  la  raison  qu'un  enfant 
aime  ses  parents,  c'est-à-dire  qu'il  leur  soit  tout  au  moins 
inviolable  ment  attaché  de  cœur?  Sans  nul  doute.  Mais  pour- 
quoi ?  > 'est-ce  pas  parce  qu'il  tient  d'eux  la  vie,  avec  toutes 
les  faeultés  dont  il  jouit,  notamment  celle  d'aimer,  et  qu'il 
serait  injuste,  contraire  à  la  raison  et  à  la  nature,  qu'il  ne  se 
servît  pas  de  cette  faculté  pour  aimer  d'abord  ses  parents, 
avant  et  plus  que  toutes  les  autres  créatures  ?  Et  l'enfant 
qui  n'agirait  pas  ainsi,  n'est-il  pas  vrai  qu'il  serait  traité 
d'ingrat,  et  de  cœur  dénaturé?  Eh  bien,  ce  qui  "est  juste 
et  conforme  à  la  raison,  ici,  de  la  part  de  l'enfant  à 
l'égard  de  ses  parents,  est  plus  juste  et  plus  conforme 
encore  à  la  raison  de  la  part  de  tout  homme  à  l'égard 
de  Dieu.  Car  dans  le  don  de  la  vie  et  de  la  faculté  d'ai- 
mer, qui  est  fait  à  l'enfant,  les  parents  ne  sont  que  des 
instruments  et  des  intermédiaires  ;  tandis  que  c'est  Dieu 
lui-même  qui  nous  fait  à  tous  ce  don,  qui  le  tire  du  néant 
par  sa  toute-puissance  pour  nous  l'accorder.  Or,  n'est-il 
pas  de  toute  évidence  qu'on  est  plus  redevable  à  la  personne 
qui  nous  fait  un  don,  qu'à  celle  qui  seulement  nous  le 
remet?  Si  donc  il  est  juste  et  conforme  à  la  raison,  répéte- 
rons-nous, d'aimer  nos  parents,  qui  nous  ont  transmis  la 
faculté  d'aimer  ;  incontestablement  il  est  mille  fois  plus 
juste  encore  et  plus  conforme  à  la  raison  d'aimer  Dieu,  lui 
qui  nous  a  cloués  de  cette  faculté  en  nous  donnant  la  vie. 

C'est  d'autant  plus  pour  nous  un  devoir  d'aimer  Dieu, 
qu'il  est  souverainement  aimable  par  ses  infinies  perfec- 
tions. Même  en  tenant  de  Dieu  notre  faculté  d'aimer,  nous 
serions  excusables  dans  une  certaine  mesure  de  ne  pas 
user  de  cette  faculté  pour  nous  attacher  à  lui,  s'il  n'était 
pas  aimable,  ou  pour  nous  attacher  à  lui  moins  qu'à 
certaines  autres  choses,  s'il  en  existait  qui  fussent  plus 
aimables  que  lui,  qui  fussent  plus  capables  de  s'attirer  notre 
attachement    par    leurs    perfections.    Mais    nous    venons 


102         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    —  V.  INSTRUCTION. 

de  le  dire  :  par  ses  perfections,  il  est  souverainement 
aimable  ;  c'est-à-dire ,  non  seulement  aimable  en  lui- 
même  d'une  manière  absolue,  mais  encore  plus  aimable 
que  tout  ce  qui  existe,  et  même^que  tout  ce  qu'on  peut 
imaginer.  —  Souverainement  aimable  en  lui-même  il  l'est, 
puisque  tout  ce  qui  est  capable  de  provoquer  l'attachement 
et  l'amour,  il  le  possède.  Qu'est-ce,  en  effet,  qui  nous 
charme  et  nous  subjugue?  N'est-ce  pas  la  grandeur  et  la 
puissance,  la  richesse  et  la  splendeur,  l'esprit  et  la  science, 
la  justice,  la  noblesse,  la  beauté,  la  générosité,  la  douceur, 
en  un  mot,  toutes  les  prérogatives  et  toutes  les  perfections 
qui  brillent  ça  et  là  dans  certaines  créatures  plus  ou  moins 
privilégiées  et  favorisées?  Eh  bien,  toutes  ces  prérogatives  et 
toutes  ces  perfections,  avec  une  infinité  d'autres  dont  nous 
n'avons  même  pas  l'idée,  se  trouvent  réunies  en  Dieu.  C'est 
ainsi  qu'étant  souverainement  parfait,  il  est  souverainement 
aimable,  puisqu'il  possède  absolument  tout  ce  qui  est  capa- 
ble d'attirer  l'amour.  —  D'où  il  suit,  naturellement,  qu'il  est 
infiniment  plus  aimable  qu'aucune  créature,  et  que  toutes 
les  créatures  ensembles.  Car  aucune  créature  ne  possède 
toutes  les  perfections,  ni  même  aucune  perfection  au  degré 
infini  où  Dieu  les  possède  toutes.  Aucune  créature,  en  effet, 
n'est  belle  comme  Dieu,  sainte  comme  Dieu,  puissante 
comme  Dieu,  et  le  reste.  A  côté  de  Dieu,  toute  beauté  n'est 
que  laideur,  toute  sainteté  n'est  que  souillure,  toute  puis- 
sance n'est  que  faiblesse.  Les  perfections  que  nous  voyons 
dans  les  créatures,  leur  viennent  de  Dieu,  qui  ne  leur  en  a 
donné  que  quelques  minimes  parcelles,  tandis  qu'il  en  est 
la  source  infinie.  D'ailleurs,  les  créatures,  aux  perfections 
qui  attirent  se  mêlent  des  défauts  qui  repoussent  ;  souvent 
à  la  beauté  est  jointe  la  perfidie,  à  la  puissance  la  dureté, 
à  la  générosité  la  violence.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  en 
Dieu,  où  ne  se  trouve  aucune  imperfection,  si  légère  qu'on 
veuille  la  supposer  (i).  —  Comment  donc,  dès  lors,  pour- 

i.  Quand,  dans  les  créatures,  nous  supposerions  toutes  les  perfec- 
tions réunies,  sans  aucun  mélange  d'imperfections,  par  là  même 
qu'elles  doivent  bientôt  finir,  ne  sont-elles  pas  très  défectueuses  et  très 
imparfaites  P  De  tout  ce  qui  est  créé,  il  n'est  que  notre  âme  qui  soit 
Immortelle.  Ainsi,  à  la  mort,  la  majesté  de  cette  taille  disparaît  et  s'é- 


C'EST  l  N    DEVOIR  POUR  NOl  S  D* AIMER  DIEU.  Iû3 

rions -nous  n'être  pas  tenus  à  aimer  Dieu?  Il  faudrait  dire, 
dans  iv  cas,  qu'il  n'y  a  pas  pour  nous  obligation  morale  de 
nous  conduire  selon  les  Lumières  de  la  raison,  et  qu^il  nous 
est  licite  de  n'en  tenir  aucun  compte.  La  raison  nous  dit 
ici,  en  effet,  que  notre  faculté  d'aimer,  nous  devons  nous 
en  servir  pour  nous  attacher,  avant  tout,  à  ce  qui  en  est  le 
plus  digne;  comme  la  raison  nous  dit  pareillement  d'em- 
ployer d'abord  notre  argent  à  nous  procurer  ce  qui  nous  est 
le  plus  utile.  Or,  puisqu'il  n'\  a  rien  qui  soit  plus  digne  de 
noire  amour  et  de  notre  attachement  que  Dieu,  à  cause  de 
ses  perfections  infinies  el  lies  pures,  c'est  donc  pour  nous 
un  devoir  de  l'aimer,  et  en  même  temps  de  l'aimer  avant  et 
plus  <pie  toutes  les  créatures.  Ah  !  pensons  donc  souvent, 
chrétiens,  aux  admirables  perfections  de  Dieu,  qui  le  ren- 
dent si  souverainement  aimable,  et  cette  pensée  assidue 
contribuera  certainement,  dans  une  large  mesure,  à  nous 
le  faire  aimer  de  tout  notre  cœur. 

Mais  il  y  a  encore  un  autre  motif  qui  nous  fait  un  devoir 
d'aimer  Dieu,  et  qui  nous  touchera  peut-être  davantage, 
savoir,  ses  bienfaits.  Il  n'a  pas  suffi  à  Dieu,  en  effet,  d'avoir 
le  droit  d'être  aimé  de  nous,  en  conséquence  de  la  faculté 
d'aimer  dont  il  nous  a  doués,  ni  de  se  savoir  digne  d'être 
aimé  par  ses  perfections  infinies  ;  il  a  voulu  en  outre  provo- 
quer et  acheter  en  quelque  sorte  notre  amour,  par  les  bien- 
faits sans  nombre  dont  il  nous  a  spontanément  comblés. 


vanouit,  la  vivacité  de  ces  yeux  s'obscurcit,  cette  bouche  éloquente  se 
ferme,  cet  esprit  sublime  s'envole  et  ne  laisse  qu'un  cadavre  hideux, 
qui  lait  horreur  à  toute  la  nature.  Ainsi  les  plaisirs  les  plus  exquis, 
comme  les  flots  les  plus  Impétueux  de  la  mer,  vont  se  briser  contre  un 
peu  de  poussière.  Ainsi  tombent  ces  grands,  ces  puissants  du  siècle  dont 
l'éclat  nous  éblouit,  et  sur  leurs  ruines  s'élèvent  d'autres  grands,  d'au- 
tres  puissants,  qui  tombent  euv-mèmes  à  leur  tour.  Ah!  chrétiens, 
faut-il  donc  qu'un  cœur  qui  doit  toujours  durer  s'attache  à  des  objets 
si  périssables  !  et  un  bonheur  qui  doii  finir  n'cst-il  pas  une  vraie  source 
de  chagrins  et  d'amertune  ?  Il  est  doux  de  posséder  un  bien  après  lequel 
on  soupirait  depuis  longtemps;  mais  est-il  doux  de  s'en  voir  dépouil- 
ler? El  n'a-l-on  pas  souvent  plus  de  peine  à  en  sou (Trir  la  perte 
qu'on  na  eu  de  plaisir  à  en  jouir?  Ta  autem  idem  ipse  es,  et  anni  tui  non 
déficient.  Ps.  ci.  Ah  !  qu'une  âmequi  ne  s'attache  qu'à  Dieu  place  bien 
mieux  ses  affections  :  Bile  possède  tout  en  lui,  et  elle  est  sure  de  le  pos- 
séder toujours  avec  l<s  mêmes  agréments  et  les  mêmes  attraits  (Dur  w, 
S.  J.  Sermon  sur  l 'amour  de  pieu,  i.  p.). 


104         LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   V.   INSTRUCTION. 

N'est-il  pas  vrai  que  celui  qui  reçoit  un  bienfait,  contracte 
par  là  même  l'obligation  d'avoir  pour  son  bienfaiteur  des 
sentiments  de  reconnaissance,  d'attachement  et  d'affection? 
et  que  s'il  n'a  pas  ces  sentiments,  il  manque  à  son  devoir? 
Eh  bien,  si  c'est  un  devoir  de  payer  par  de  l'attachement  et 
de  l'affection  le  moindre  bienfait  reçu,  quelle  obligation 
n'açvons-nous  pas  d'aimer  Dieu  et  de  lui  être  attachés,  pour 
les  bienfaits  si  grands  et  si  nombreux  qu'il  nous  a  déjà 
accordés  et  qu'il  continue  de  nous  accorder  sans  cesse  !  Il 
n'est  rien  en  effet,  de  tout  ce  que  nous  avons,  qui  ne  nous 
vienne  de  Dieu.  Est-il  besoin  de  le  dire  ?  C'est  lui  qui  nous  a 
donné  la  vie  et  qui  nous  la  conserve  ;  c'est  lui  qui  nous  a 
donné  nos  parents,  et  qui  a  mis  dans  leur  cœur  le  dévoue- 
ment qu'ils  ont  eu  pour  nous  ;  c'est  lui  qui  entretient  notre 
santé,  qui  fait  germer  et  mûrir  les  moissons  dont  nous 
nous  nourrissons,  et  qui  alimente  ces  sources  dont  les 
eaux  nous  sont  si  nécessaires.  Voilà  pour  notre  corps.  Quant 
à  notre  âme,  c'est  lui  aussi  qui  nous  l'a  donnée  ;  c'est  lui 
qui,  lorsqu'elle  était  perdue,  l'a  rachetée  au  prix  du  sang 
de  son  Fils  unique  fait  homme  (i)  ;  c'est  lui  qui  la  purifie 
des  taches  qu'elle  contracte,  et  la  sanctifie  par  sa  grâce  ; 
c'est  lui  enfin  qui  lui  offre  le  ciel  en  récompense,  si  elle  lui 
est  fidèlement  attachée  pendant  la  vie  présente.  Et  pour  tous 
ces  bienfaits,  nous  ne  serions  pas  tenus  d'aimer  Dieu  ! 
Tant  que  la  reconnaissance  fera  ici-bas,  à  tout  obligé,  un 
devoir  d'aimer  son  bienfaiteur,  l'amour  de  Dieu  sera  tou- 
jours pour  nous,  chrétiens,  un  devoir  inéluctable. 

Une  dernière  raison  enfin  qui  nous  fait  un  devoir  d'aimer 
Dieu,  c'est  le  commandement  qu'il  nous  en  a  imposé.  Oui, 
chrétiens,  malgré  tous  les  motifs  que  nous  avons  de  l'aimer, 
Dieu  a  voulu  nous  le  commander  formellement.  Il  savait  qu'il 
se  trouverait  des  âmes  que  la  raison  ne  convaincrait  pas,  que 

i.  Père  éternel!  en  me  donnant  votre  Fils,  vous  m'avez  donné  ce  que 
vous  aimiez  autant  que  vous-même  ;  et  il  semble  que  vous  m'ayez  aime 
plus  que  lui,  en  l'immolant  pour  l'amour  de  moi.  0  amour  !  qui  êtes 
si  bon  envers  un  si  misérable  pécheur,  comment  avez-vous  pu  être 
si  sévère  à  l'égard  du  Saint  des  saints  ?  O  mon  àme  !  si  tu  dois  aimer 
ceux  qui  te  haïssent,  combien  es-tu  obligée  d'aimer  celui  qui  t'a  tant 
aimée  !  Mais  situ  ne  peux  lui  rendre  sang  pour  sang,  qui  t'empêche  de 
lui  rendre  amour  pour  amour  (Anonyme)  ? 


I  'EST   I  N    DEVOIR   POUR  NOUS  n'AIMER  DIEU.  105 

la  reconnaissance  ne  toucherail  pas,  et  auxquelles  il  fau- 
drait un  commandemenl  formel.  Voilà  pourquoi  Dieu  a  fait 
ce  commandement,  qui  ligure  non  moins  dans  la  loi 
ancienne  que  dans  la  Loi  nouvelle.  La  première  parole  qui 
se  lil  entendre  du  Sinaï,  d'où  Dieu  parlait  «à  son  peuple,  fut 
en  effet  celle  ci  :  Écoute,  Israël,  ce  que  ton  Dieu  te  com 
mande  :  '/'//  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur, 
de  tout  ton  esprit,  de  toutes  les  forces.  Tu  conserveras  précieu 
sèment  ces  poroles  dans  ton  cœur,  lu  les  enseigneras  à  tes 
enfants .  tu  les  méditeras  assis  à  ton  foyer,  le  long  de  ton  che- 
min, le  matin  et  le  soir;  tu  les  attacheras  à  ta  main;  lu  les 
'placeras  entre  tes  yeux,  afin  de  ne  jamais  les  perdre  de  vue,  tu 
les  inscriras  sur  le  seuil  et  sur  la  porte  de  ta  maison  (i).  Tel 
fut  le  premier  et  principal  précepte  de  l'ancienne  alliance. 
C'est  ce  que  déclara  solennellement  le  Sauveur,  lorsqu'un 
docteur  de  la  loi  lui  ayant  demandé  quel  était  le  plus  grand 
commandement,  il  repondit,  proclamant  de  nouveau  ce 
divin  précepte  :  Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
votre  cœur,  de  toute  votre  âme,  de  toutes  vos  forces.  C'est  là 
le  premier  et  le  plus  grand  de  tous  les  commandements  (2).  — 
Après  ce  commandement  si  clair  et  si  positif,  notre  devoir 
d'aimer  Dieu  est  donc  absolument  indiscutable.  Ce  n'est  plus 
seulement  la  raison  qui,  partant  de  principes  très  certains 
et  très  évidents,  nous  le  démontre  ;  c'est  la  voix  même 
de  Dieu  qui  le  formule  et  nous  l'impose.  Ah  !  chrétiens, 
faut-il  que  Dieu  ait  été  obligé  d'en  venir  jusque-là,  de  nous 
faire  un  commandement  de  l'aimer!  Aimer  Dieu,  aimer 
un  être  si  parfait  et  si  bon,  n'est-ce  pas  une  chose  que  nous 
aurions  dû  demander  comme  le  plus  insigne  des  honneurs 
et  la  plus  douce  des  joies  ?  Si  un  homme  avait  le  millième 
des  perfections  de  Dieu,  et  s'il  avait  fait  le  millième  de  ce 
que  Dieu  a  fait  pour  nous,  aurait-il  besoin  de  nous  com- 
mander de  L'aimer  ?  Nous  en  ferions  notre  idole,  et  nous  le 
fatiguerions  de  nos  empressements.  Puisque  Dieu,  infini- 
ment plus  parfait  et  meilleur  que  ne  serait  cet  homme, 
nous   fait  en  outre  un   commandement  de  l'aimer,  ah!  ne 

1.  Deut.  vi  et  sq.  Cf.  Deut.  x,  12  ;  iv,  3o. 

2.  Matth.  xxii,  37  et  38. 


IOÔ         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  V.  INSTRUCTION. 

lui  disputons  plus  un  amour  que  nous  lui  devons  à  tant 
de  titres,  mais  aimons-le  enfin,  et  comme  nous  devons 
l'aimer  (i). 

i.  Prétextes  de  l'indifférence.  —  Le  cœur  de  l'homme,  dit-on,  est 
incliné  vers  les  choses  sensibles,  et  Dieu  ne  tombe  pas  sous  les  sens; 
est-il  étonnant  que  Ton  se  laisse  prendre  à  la  créature  que  l'on  voit,  de 
préférence  à  Dieu  qu'on  ne  voit  pas?  Première  excuse  de  ceux  qui  n'ai- 
ment pas  Dieu.  J'ai  déjà  remarqué  que  nous  aimions  naturellement  et 
comme  par  instinct  tout  ce  qui  est  beau,  tout  ce  qui  est  bon,  tout  ce 
qui  est  grand,  sans  avoir  besoin  du  témoignage  de  nos  yeux.  Que  de 
grands  personnages  nous  admirons,  nous  aimons,  non  pour  avoir  vu 
leurs  traits,  mais  pour  avoir  ouï  parler  de  leurs  belles  actions  ?  Que  de 
héros  fabuleux  dont  vous  suivez  avec  intérêt  les  aventures,  et  dont  vous 
pleurez  les  feintes  infortunes  !  Leur  générosité,  leur  dévouement,  leur 
héroïsme  ne  sont  pas,  il  est  vrai,  un  spectacle  pour  vos  yeux  ;  mais  ils 
sont  un  spectacle  pour  votre  âme  ;  et  saint  Augustin  a  raison  de  dire 
que  nos  affections  s'adressent  moins  à  l'homme  extérieur  qui  frappe 
nos  sens  qu'à  l'homme  intérieur  qui  est  saisi  par  la  pensée  :  Constat 
plus  amari  hominem  interiorem  quam  exleriorem. 

Mais  est-il  bien  vrai  que  nous  ne  voyions  point  Dieu  ?  Essayons  ici 
une  supposition,  et  ne  craignons  pas  d'employer  le  langage  des  para- 
boles dont  l'usage  a  été  consacré  par  l'Évangile.  Il  n'est  pas  impossible 
qu'un  enfant  n'ait  jamais  vu  son  père,  ayant  été  transporté,  dès  le  ber- 
ceau, dans  une  région  lointaine  par  un  de  ces  évènemenis  singuliers 
qui  traversent  quelquefois  la  vie  de  l'homme  sur  la  terre.  Le  père 
cependant  lui  adresse  les  lettres  les  plus  tendres,  et  trompe  les  ennuis 
de  cette  cruelle  séparation  par  une  fidèle  correspondance,  doux  supplé- 
ment du  plaisir  de  se  voir  et  de  se  parler,  heureuse  consolation  de 
l'absence  ;  chaque  vaisseau  qui  touche  au  port  lui  apporte  des  nouvelles 
de  ce  fils  bien-aimé  ;  chaque  vaisseau  qui  met  à  la  voile  transmet  à  ce 
même  fils  les  vœux  et  les  sentiments  de  la  piété  paternelle,  accompagnés 
des  dons  les  plus  généreux  et  des  prévoyances  les  plus  délicates  sur  ses 
besoins.  Je  vous  le  demande,  cet  enfant,  que  je  suppose  bien  né,  pour- 
rait-il se  défendre  d'un  attendrissement  profond  chaque  fois  qu'il  pen- 
serait aux  bontés  de  son  père  ?  Que  si  quelqu'un,  surprenant  des  larmes 
dans  ses  yeux,  dans  un  de  ces  moments  de  sensibilité,  s'avisait  de  lui 
dire  :  Comment  donc  pouvez-vous  aimer  si  fort  un  père  que  vous  n'avez 
jamais  vu  ?  — Ah  !  répondrait  ce  jeune  homme  reconnaissant,  puis-je  ne 
pas  le  voir  danstout  ce  qu'il  fait  pour  moi?  Ne  vois-jc  pas  son  cœur  dans  sa 
plume  et  dans  sa  main  ?  Oui,  je  le  vois  dans  ces  caractères  qu'il  a  tracés, 
je  le  vois  dans  ces  bienfaits  qu'il  me  prodigue  ;  lisez  donc  ce  qu'il  m'é- 
crit, considérez  les  dons  qu'il  m'envoie,  et  jugez  si  je  puis  avoir  une 
image  plus  vive,  un  portrait  plus  fidèle  du  meilleur  des  pères  ?  Chré- 
tiens, Dieu  n'est-il  pas  votre  père  ?Et  sur  cette  terre  étrangère  où  nous 
voyageons  un  moment,  Seigneur,  loin  de  la  maison  paternelle,  n'au- 
rons-nous donc  des  yeux  (pie  pour  n'apercevoir  aucune  trace  de  vos 
bontés  ?  Vestigia  tua  non  cognoscentar  .?  Ps.  lxxvi,  20.  Citez  donc,  mes 
frères,  un  seul  jour,  une  seule  heure  où  il  ne  vous  prévienne  de  ses 
grâces,  où  il  ne  vous  console  par  ses  écritures,  lettres  divines  envoyées 
du.  ciel  pour  charmer  les  ennuis   de  notre  exil  ?    Dites  donc  cjui   vous  a 


,  ^ST  l  N  DEVOIB  POl  Et  NOl  s  d' AIMER  DIE1 


II.  —Comment  nous  devons  aimer  Dieu.—  Il  ne  suffît 
pas  en  effetde  savoir  que  c'estpour  nous  un  devoir  d'aimer 
Dieu, il  esl  nécessaire  que  nous  sachions,  en  outre,  de  quelle 
manière  nous  devons  nous  acquitter  de  cedëvoir.  Car  il  y  a 

donné  la   vie,  qui  voua  la   conserve,  qui  pourvoit  à  vos   besoins,  que 
dis-je  "  à  votre  abondance,  à  vos  superfluités,  à  ceux  de  votre  famille,  de 
vos  enfants!  El  en    présence  de  tant  de  bienfaits,  vous  ne  reconnaissez 
pas  un  souverain  bienfaiteur?   Vous  ne  voyez  pas  son  cœur  cl  sa  main 
dans  les  soins  paternels  qu'il  prend  de  nous  ?  Mais  quoi  ?  Vous  le  voyez 
bien  dans   les   fléaux   de  sa  colère,  dans  les  morts  soudaines,   dans  les 
tempêtes,  dans   les  naufrages,  el  lorsque   fange  exterminateur  déploie 
sur  nos  provinces  ses  ailes  funèbres  et  change  nos  cites  en  tombeaux  ; 
vous  dites  alors  avec  les  sages  de  l'Egypte  :  Le  doigt  de  Dieu  est  ici.  Vous 
êtes  sensibles  à  la  main  qui  vous  frappe,  pourquoi  ne  le  seriez-vous  pas 
à  celle  qui  vous  bénit?   Oui,  dit   le   Seigneur,  c'est  moi  qui  fais   toutes 
choses,  el  les   hommes  et  les  éléments  ne  sont  que  les  instruments  de 
ma  providence    :    Ego  Dominus  faciens  omnia.  C'est  moi  qui    ai  tourné 
vers  vous  la  pensée  de  ce    ministre,    qui  ai  intéresse  en  votre  faveur  la 
bonté  du  prince  :  je  vous  ai  ouvert  cette  entrée  ;  j'ai  inspiré  cette  bien- 
faisance dont  vous  recueillez  les  fruits;  j'étais    dans  ce  vent  favorable 
qui  enflait  les  voiles  de  votre  navire  et  le  poussait  heureusement  vers 
Le  port  :   j'étais  dans  ces    nuées,   dans  cette  rosée  du  matin  et   dans  la 
pluie  du  soir  qui  fertilisaient  vos  héritages,    dans  ces  rayons  du  soleil 
qui  mûrissaienl  \<>s  moissons  et  vos  raisins  :  Ego  Dominus  faciens  omnia. 
\h  '.   n'excusons    plus    notre    froideur,    sur    le.  prétexte    que   nous  ne 
voyons  pas  Dieu  !  Il  se  manifeste  au  dehors,  vous  le  sentez  au  dedans  : 
vous  ne  voyez,  vous   ne  sentez  que  par  lui.  Après  une  manifestation  si 
éclatante  de  ses  attributs   divins,  el   surtout  de  sa  bonté,   si  nous  ne  le 
voyons    pas,    ce  n'est  point   qu'il    soit   invisible,    mais    c'est  que    nous 
sommes  aveugles. 

\ussi,  mes  frères,  n'aurions-nous  pas  besoin  d'exciter  les  hommes  a 
l'amour  de  Dieu,  ils  y  seraient  assez  portés  eux-mêmes,  si  cet  amour  se 
bornail  à  des  sentiments.  Mais  il  commande  des  sacrifices  ;  or,  il  est 
trop  dur,  dit-on.  de  renoncer  à  un  bien  présent  pour  des  biens  qu'on 
espère.  Second  prétexte. 

J'avoue  qu'en  effet,  l'amour  que  nous  devons  à  Dieu  exige  souvent 
1,.  sacrifice  d'un  bien  présenl  el  sensible,  pour  les  biens  à  venir  que  nous 
promel  la  foi;  mais,  si  renoncer  à  la  possession  pour  une  espérance 
vous  parait  un  effort  héroïque,  et  presque  au-dessus  des  forces  delà 
nature,  pourquoi  donc  en  usez-vous  de  la  sorte  en  mille  circonstances 
de  ia  ^e?  Pourquoi  le  laboureur  jette-t-il  tant  de  grains  dans  le  sein  de 
la  terre,  sur  l'espoir  de  les  recueillir  avec  usure  après  une  longue  suite 
de  mois?  Pourquoi  le  navigateur  parcourt-il  tant.de mers?  Pourquoi  le 
guerrier s'expose-t-il  à  tanl  de  hasards,  celui-ci  pour  obtenir  un  avance- 
ment honorable,  celui-là  pour  jouir  »un  jour  des  fruits  de  son  indus- 
trie et  desprofitsde  son  commerce?  Pourquoi  cette  mère  si  tendre 
consent-elle  à  se  priver  de  la  douce  présence  d'un  fils  adoré,  dans  l'es- 
pérance de  le  revoir,  après  bien  des  années,  au  sortir  des  écoles,  heu- 
reusement perfectionné  paj   le  bienfait   de  l'éducation  publique?   Il 


IOS        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   V.   INSTRUCTION. 

différentes  manières  d'aimer,  mais  il  n'y  en  qu'une  qui  soit 
bonne  et  digne  de  Dieu.  Or,  cette  unique  manière  de  bien 
aimer  Dieu,  lui-même,  pour  nous  tirer  de  toute  incertitude 
et  assurer  le  parfait   accomplissement  de  son  commande- 


remarquez  qu'ici  le  sacrifice  est  certain  et  les  chances  de  succès  incer- 
taines; remarquez  encore  qu'en  supposant  le  succès  le  plus  heu- 
reux, ce  succès  se  réduit  à  quelques  avantages,  à  quelques  intérêts,  à 
quelques  vanités  humaines,  aussi  fragiles,  aussi  fugitives  que  les  biens 
que  l'on  aura  sacrifiés  pour  les  obtenir.  Si  donc  vous  vous  sentez  le 
courage  de  risquer  un  bien  présent,  la  santé,  le  repos,  la  consolation 
de  vos  jours,  la  vie  même  pour  des  espérances  lointaines,  douteuses 
et  d'ailleurs  assez  vaines,  comment  ne  renonceriez-vous  pas  à  un  plai- 
sir insensé,  à  un  gain  méprisable,  non  plus  sur  l'espoir,  mais  sur  la 
certitude  d'une  récompense  infinie  et  éternelle  ?  C'est  bien  alors  que 
cette  semence,  jetée  dans  le  temps,  vous  promet  pour  l'éternité  une 
immense  moisson  de  gloire.  C'est  bien  alors,  soldats  de  Jésus-Christ, 
que  le  témoin  et  le  rémunérateur  de  vos  combats  assure  à  votre  fidélité 
des  palmes  et  des  couronnes  incorruptibles.  Le  voilà  bien,  ce  commerce 
heureux,  où  de  légères  avances  nous  garantissent  des  profits  inesti- 
mables. 

Il  est  dur,  dites-vous,  de  renoncer  à  un  bien  présent  pour  un  bien  à 
venir.  Et  que  parlez-vous  de  biens  à  sacrifier  ?  De  quoi  s'agit-il,  je  vous 
en  prie  ?  D'un  plaisir  grossier,  d'un  intérêt  vif,  d'une  gloire  trompeuse. 
Je  vous  parle,  moi,  de  biens  sans  nombre,  de  plaisirs  sans  mesure, 
d'une  gloire  immortelle,  d'un  bonheur  sans  mélange  et  sans  fin.  Ces 
biens  qui  vous  semblent  indignes  d'être  achetés  par  de  légères  priva- 
tions, les  connaissez-vous  ?  Voulez-vous  qu'après  tous  ces  motifs  d'ai- 
mer Dieu  qui  vous  ont  été  présentés,  je  vous  porte  au  ciel  sur  les  ailes 
de  l'espérance  ?  Savez-vous  ce  que  Dieu  a  préparé  à  ceux  qui  l'aiment  ? 
Faut-il  dire  que  tous  ces  biens  que  sa  main  généreuse  a  répandus  sur 
cette  terre  de  passage,  ne  sont  rien  en  comparaison  de  ceux  qu'il  vous 
réserve  dans  la  patrie  ?  Qu'ici-bas,  il  verse  ses  bienfaits  goutte  à  goutte, 
et  que  là-haut,  il  les  verse  par  torrents  ?  Et  quand  on  vous  propose  un 
Dieu  pour  prix  de  vos  efforts,  pourrez-vous  ne  pas  l'aimer,  sous  le  pré- 
texte que  la  récompense  ne  vaut  pas  le  sacrifice  ?  Mais  ces  biens  sont 
éloignés.  Et  qu'importe,  s'ils  sont  certains,  infaillibles.  Eloignés  ?  Que 
voulez-vous  dire  ?  Est-ce  que  la  vie  est  longue  ?  est-ce  que  le  torrent 
qui  passe,  le  sable  qui  fuit  sous  nos  pieds,  la  feuille  que  le  vent  emporte 
a  de 'la  consistance  ?  Or,  voilà  la  vie.  Est-ce  que  ce  moment  est  quelque 
chose?  La  récompense,  je  le  vois,  vous  y  touchez,  elle  est  dans  vos 
mains,  dans  un  instant  vous  allez  en  jouir,  vous  en  jouissez  déjà  par 
l'espérance;  cette  espérance  est  un  bien  que  vous  goûtez  dès  aujour- 
d'hui ;  et  combien  elle  ravit  le  cœur,  la  promesse  de  posséder  Dieu,  et 
de  le  posséder  à  jamais  !  Ces  biens  sont  éioignés  ?  Il  en  est  un  du  moins 
qui  ne  l'est  pas:  c'est  cette  volupté  secrète  delà  vertu  qui  porte  avec 
elle  son  fruit  aussi  bien  que  le  crime  ;  c'est  ce  plaisir  qui  suit  une 
action  honnête,  généreuse,  et  qui  est  tout  à  la  fois  un  avant-goùt  et  une 
garantie  des  plaisirs  de  l'éternité.  Non,  Dieu  ne  demande  pas  que  vous 
attendipz  la  récompense  ;  il  vous  la  donne  aussitôt  dans  le  témoignage 


C  EST   l  N   DEVOIR  l'Ol  R  Mil  s  n  AIMER  DIEU.  KH) 

ment,  a  aussi  voulu  nous  la  marquer.  Unsi  que  nous  l'avons 
déjà  rapporté  toul  à  L'heure,  Dieu,  après  avoir  dit  :  Ta 
aimeras  te  Seigneur  ton  Dieu,  a  en  effet  tout  de  suite  ajouté  : 
A'  tout  ton  cœur,  de  (oui  Ion  esprit,  de  foules  tes  forces  (i). 
Voilà  doue,  par  conséquent,  de  quelle  manière  nous  devons 
aimer  Dieu,  savoir:  de  tout  notre  cœur,  de  tout  notre  esprit 
et  de  toutes  nos  forces  (2). 

D'abord,  de  toul  notre  cœur.  Qu'est-ce  à  dire,  aimer  Dieu 

d'une  conscience  vertueuse  ;  il  ne  vous  interdit  d'ailleurs  que  les  biens 
dont  vous  ne  pourriez  user  sans  crime.  Quand  donc  vous  y  renoncez 
pour  lui  plaire,  c'est  moins  un  sacrifice  que  vous  faites  à  son  amour, 
que  L'échange  d'un  remords  pour  les  joies  divines  de  l'innocence 
(Le  card.  Giraud,  Serin,  sur  l'amour  de  Dion,  2  p.). 

1.  Non  pnecipitur  hic  totus  vcl  summus  amor  Dei  extensive  aut 
intensive,  sed  tantum  comparative  finaliter  et  appretiative.  Diligcs 
ergo  Deu m  ex  toto  corde,  sive  ex  tota  anima  et  mente  idem  est  ac  si 
dicat  :  Diligcs  Deum  ex  tota  voluntate  tua,  scilicet  :  primo,  comparative, 
ut  nullain  partein  amoris  tui  des  idolo,  aut  rei  cuipiam  Deo  contraria*  ; 
secundo,  finaliter,  ut  gcneralim  velis  Deum  esse  finem  totum  et  ulti- 
mum  omnium  tu  arum  cogitationum,  actionum  et  amorum,  ipsum- 
que  ut  summum  bonum  finemque  ultimum  rébus  omnibus  proféras 
et  anteponas  ;  ac  consequentur  :  tertio,  appréciative,  ut  nihil  ita  aesti- 
mes  tantoque  loco  et  pretio  habeas,  quanto  habes  Deum,  ac  proindc  ut 
totum  cor.  id  est  voluntatem  applices,  ut  tota  et  omnia  ejus  praecepta 
impleas,  eique  per  omnia  obedias,  etiamsi  propterea  opes,  honores, 
famam,  amicitiam  vitamque  ipsam  perdere  debeas.  Unde  quod  hic 
dicitur  :  ex  toto  corde,  alibi  dicitur  ;  ex  corde  integro  et  perfecto.  Hinc 
illud  toties  iteratum  ;  Cor  ejus  perfectum  erat  cum  Deo  ;  incessit  in  omni- 
bus mandatis  Domini;  secutus  est  Dominum  in  toto  corde  suo,  faciens  quod 
placitum  esset  in  conspectu  ejus,  etc.  III.  Reg.  xiv,  8...  Hoc  est  quod  ait 
S.  Bernardus,  tr.  De  diligendo  Deo  :  «  Modus  diligendi  Deum,  est  dili- 
gere  sino  modo.  »  Immensa  enim  Dei  bonitas  immensum  merctur 
amorem,  ut  sine  fine,  modo  et  mensura  quasi  immense  diligalur. 
Quocirca  Victor  Antiocbcnus  in  Marc,  xvi,  '62  l.  «  Homo,  inquit,  tanto 
Dei  amore  flagrare  débet,  ut  nihil  prorsus  in  ullam  animai  faculla- 
tem  irrepere  sinat,  quod  suam  erga  Deum  dilectionem  excludat  aut 
diminuât,  aut  alio  tranferat;  sed  in  omnibus  illi  soli  magis  mngisque 
assidue  placere  satagat,  nec  alteri  personœ  aut  rei  creata)  nisi  propter 
Deum.  »  (Con\.  \  Lap.  Comm.  in  Mallh.  xxn,  37). 

2.  Ut  autem  Deus  hoc  perfecto  modo  diligatur,  débet  diligi  :  i"  intè- 
gre sine  divisionc  ;  2"  continue  sine  cessatione;  3°  perfeetc  sine  tepidi- 
tate  (Vivien,  Terlull.  praed'.  :  Verb.  Amor  hom.  in  D.  conc.  5). 

Deus  ab  hominibus  est diligendus  :  1"  amore  innalo;  2"  amore  tenero; 
■")  amore  intenso ;  4°  amore  sapido  ;  5°  amore  integro;  6 *  amore  fer- 
▼ido  (Viviez,  loc.  cit.,  Schol.). 

Nous  devons  aimer  Dieu  :  i°  d'un  amour  de  plénitude;  2"  d'un 
amour  unique  ;  3°  d'un  amour  de  préférence  (Bourdalolt). 


IIO  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  S^LUT.  V.   INSTRUCTION. 

de  tout  son  cœur?  Aimer  Dieu  de  tout  son  cœur,  c'est  l'ai- 
mer vraiment,  et  non  pas  seulement  en  paroles,  car  l'aimer 
seulement  en  paroles,  c'est  ne  pas  l'aimer  du  tout.  Les  paro- 
les expriment  l'amour,  il  est  vrai,  mais  ne  sont  pas  l'amour 
lui-même  :  elles  n'en  sont  que  l'étiquette.  Or,  l'étiquette 
non  plus  n'est  pas  la  liqueur,  et  souvent  est  bien  trom- 
peuse ;  souvent  elle  décore  une  liqueur  frelatée,  ou  même 
un  flacon  vide  de  toute  liqueur.  Ainsi  des  paroles  qui  expri- 
ment l'amour  :  que  de  chrétiens  qui,  en  paroles,  prétendent 
aimer  Dieu,  et  l'aimer  de  tout  leur  cœur,  et  qui  en  réalité 
ne  l'aiment  que  fort  peu,  ou  même  pas  du  tout  1  Ne 
nous  y  trompons  pas  :  ceux-là  seuls  aiment  Dieu  de  tout 
leur  cœur,  qui  éprouvent  pour  lui,  dans  leur  cœur,  une 
affection  véritable,  sincère  et  réelle.  —  Encore  faut-il  que 
cette  affection  véritable  occupe  tout  le  cœur.  Car  si  l'on  a 
dans  le  cœur  d'autres  affections  qui  ne  se  rapportent  pas  à 
Dieu,  il  est  bien  évident  qu'alors  encore  on  n'aime  pas  Dieu 
de  tout  son  cœur,  puisqu'il  y  a  une  partie  du  cœur  occupée 
à  aimer  autre  chose  que  Dieu  (i).  Remarquons  bien  toute- 
fois que  nous  parlons  d'affections  qui  ne  se  rapportent  pas  à 
Dieu.  Car  si,  en  aimant  d'autres  choses  que  Dieu,  c'est  pour 
Dieu  et  en  vue  de  Dieu  qu'on  les  aime,  alors,  tout  en  les 
aimant,  on  ne  laisse  pas  d'aimer  Dieu  de  tout  son  cœur, 
puisque  les  autres  amours  qu'on  éprouve  aboutissent  finale- 

i.  Voyons  un  peu,  dit  saint  Augustin,  sur  le  Ps.  lxxxv,  voyons  un 
peu  si  vous  êtes  disposés  comme  il  faut  à  aimer  Dieu  de  tout  votre 
cœur,  c'est-à-dire,  à  aimer  Dieu  d'un  amour  de  préférence  à  toutes 
choses.  C'est  votre  cœur,  dit-il,  que  j'interroge,  et  non  votre  bouche  : 
Respondeat  cor  vestram,  fratres  :  Dites-moi,  si  Dieu  vous  laissait  sur  la 
terre  dans  la  possession  de  tous  les  biens,  dans  la  jouissance  de  tous 
les  honneurs  et  de  tous  les  plaisirs,  dans  une  santé  parfaite,  et  qu'il 
vous  dit  :  Je  te  donne  tout  cela  ;  tu  le  posséderas  toujours,  et  tu  ne 
seras  jamais  sujet  à  la  mort  ;  mais  aussi  je  te  déclare  que  tu  n'entreras 
jamais  dans  ma  gloire,  et  que  tu  ne  me  verras  jamais.  Répondez-moi  : 
votre  cœur  se  réjouirait-il  ?  et  la  possession  éternelle  de  tous  les  biens 
créés  l'emporterait-cllc  dans  votre  esprit  ?  An  gauderes  ?  Si  cela  est,  je 
Vous  déclare,  dit  saint  Augustin,  que  vous  n'avez  pas  encore  commencé  à 
aimer  Dieu,  et  que  votre  cœur  n'est  pas  dans  la  disposition  qu'il  faut 
pour  garder  sa  loi,  puisqu'il  y  a  quelque  chose  qu'il  est  prêt  de  préfé- 
rer à  Dieu  :  Si  gauderes,  nondum  cœpisti  esse  amator  Dei.  Cette  joie 
montre  que  l'amour  temporel  prédomine  sur  l'amour  de  Dieu,  et  il 
n'en  faut  pas  davantage  pour  violer  l'ordre  de  la  charité  (Texieu, 
Serm.  pour  le  12e  dim.  apr.  la  Pentecôte). 


C  EST  l  N   M:\oiR  POUR  NOUS  l>   UMKIt    DIE1  .  Il 


ment  à  Dieu.  Parexemple,  je  ne  laisse  pas  d'aimer  Dieu  dé  tout 
mon  cœur,  si  j'aime  les  hauts  emplois  et  Les  richesses,  mais 
pour  les  faire  servir  à  la  gloire  de  Dieu.  Et  Ton  peut  aimer 
ainsi  tout  ce  qu'il  >  a  en  ce  monde,  puique  Dieu  L'a  en  cflet 
créé  pour  servira  sa  gloire.  Mais  n'aimons  rien  en  dehors 
de  Dieu,  soi l  pour  nous-mêmes,  soit  pour  les  autres,  car 
alors  notre  affection  n'irait  plus  totalement  à  Dieu,  et  nous 
ne  l'aimerions  plus  de  tout  notre  cœur,  comme  nous  le 
devons;  car  puisque  c'esi  Dieu  qui  nous  a  donné  notre 
cœur,  il  est  juste  que  nous  l'employions  tout  entier  à 
l'aimer  (i). 

i.  Est-ce  donc  qu'il  faut  briser  tous  les  liens  de  la  nature  et  du 
sang,  anéantir  tous  les  devoirs  de  la  tendresse  et  de  la  reconnaissance  ? 
Laissons  celle  espèce  de  blasphème  aux  détracteurs  de  la  morale  évan- 
gélique  et  plaisons-nous  à  le  proclamer  :  le  Dieu  qui  nous  impose 
L'obligation  d'aimer  ceux  qui  nous  haïssent  ne  saurait  nous  deman- 
der de  haïr  ceux  qui  nous  aiment,  et  moins  encore  ceux  qui  méritent 
que  nous  les  aimions.  Ici,  comme  dans  tout  le  reste,  la  loi  de  Jésis- 
Uhrist,  loin  de  blesser  les  droits  de  la  nature,  ne  les  rend  que  pins 
inviolables.  Oui,  ces  noms  chéris  qui  expriment  les  rapports  les  plus 
précieux  et  les  plus  tendres,  ces  doux  noms  d'époux,  de  père,  de  bien- 
faiteur et  d'ami,  n'en  sont  que  plus  sacrés  pour  nous.  Aimer  Dieu  de 
tout  son  cœur  et  sans  partage,  ce  n'est  pas  ne  rien  aimer  avec  Dieu, 
c'esl  ne  rien  aimer  que  par  rapport  à  Dieu,  selon  Dieu.  C'est  subordon- 
ner tout  amour  légitime  à  l'amour  supérieur  que  Dieu  exige  pour 
lui-même  ;  c'est  confondre  tellement  ces  deux  amours  l'un  avec  l'autre, 
que  ces  deux  amours  n'en  fassent  plus  qu'un.  —  Ce  que  la  religion 
défend,  ce  sont  les  affections  du  cœur  qui  ne  peuvent  se  concilier  avec 
l'amour  de  Dieu,  qui  combattent,  qui  détruisent  cet  amour,  ces  affec- 
tions mauvaises  en  elles-mêmes,  dagereuscs  dans  leurs  suites,  ces  affec- 
tions que  repoussent  la  saine  raison,  le  monde  lui-même,  l'homme 
aussi  bien  que  noire  sainte  religion.  —  Mais  bêlas  !  le  cœur  humain  est 
habile  à  se  faire  illusion  ;  on  fréquente  des  sociétés  dangereuses,  on 
contracte  des  rapports  trop  intimes,  on  croit  pouvoir  aimer  en  gardant 
quelque  réserve,  en  conservant  toujours  à  Dieu  la  première,  place  dans 
son  cœur;  mais  bientôt  on  s'aperçoii  que  le  cœur  faiblit,  qu'il  se  fane, 
qu'il  est  entraîné,  que  l'amour  bu  nain  l'emporte  sur  l'amour  divin  ; 
lès  faits  viennent  souvent  confirmer  une  vérité  éclatante  pour  tons, 
excepté  pour  l'âme  qui  est  victime  de  ses  illusions.  Oui,  c'est  une  illu- 
sion bien  vaine  de  penser  qu'on  peut  soi-même  gouverner  son  cœur  à 
^"|  gré,  comme  le  bras  qu'on  remue  ou  qu'on  laisse  immobile,  quand 
on  l'a  jeté,  ce  cœur,  dan-  le  péril,  quand  on  y  a  laissé  pénétrer  impru- 
demmenl  ces  affections  dangereuses.  Kl  ne  savez-Vous  pas  (pie  la  s  nsi- 
bilité  esl  souvent  -i  vive,  si  envahissante, dans  l<-  cœur,  qu'elle  le  domine 
cl  l'absorbe,  m,  pendant  quelques  instants,  nous  la  laissons  libremenl 
Écoutez  sain  1  Augustin  qui  parle  d'après  sa  propre  expérience  : 
que  je  voulais  d'abord,  dit-il,  c'était  d'aimer  cl  d'être  aimé;  mais 


112        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  V.   INSTRUCTION. 

La  seconde  condition  pour  aimer  Dieu  comme  il  veut 
être  aimé,  c'est  de  l'aimer  de  tout  notre  esprit.  11  est  bien 
vrai  sans  doute  qu'on  n'aime  qu'avec  le  cœur  ;  mais  le 
cœur,  de  son  côté,  n'aime  bien  qu'autant  qu'il  connaît  bien 
l'objet  de  son  amour,  et  en  proportion  de  ce  qu'il  le  con- 
naît. On  n'aime  pas,  en  effet,  ce  que  l'on  ne  connaît  pas. 
Et  l'on  n'aime  que  peu  une  chose  digne  d'un  grand  amour,  si 
on  ne  la  connaît  que  peu.  Voici,  je  suppose,  un  tableau  de 
quelque  grand  maître  :  si  nous  n'en  connaissons  pas  la 
valeur,  nous  n'aurons  pour  ce  tableau  que  peu  ou  point 
d'estime  ;  tandis  qu'un  véritable  connaisseur  l'aimera  avec 
passion.  Ainsi  de  Dieu  :  si  nous  ne  le  connaissons  pas,  ou 
si  nous  ne  le  connaissons  que  peu,  nous  ne  l'aimerons  pas, 
ou  nous  ne  l'aimerons  que  peu  ;  au  contraire,  plus  nous  le 
connaîtrons,  plus  nous  saurons  qu'il  est  digne  d'amour,  et 
par  conséquent  plus  nous  l'aimerons.  Puis  donc  que  nous 
n'ai  morts  Dieu  qu'autaut  que  nous  le  connaissons,  et 
en  proportion  de  ce  que  nous  le  connaissons,  voilà  pour- 
quoi Dieu  nous  commande  de  l'aimer  de  tout  notre  esprit, 
c'est  à-dire  d'appliquer  tout  notre  esprit  à  le  connaître  de 
notre  mieux.  Tout  notre  esprit,  disons-nous,  c'est-à-dire 
toutes  les  facultés  de  notre  esprit,  et  en  particulier  notre  in- 
telligence, pour  comprendre  dans  la  mesure  du  possible  les 
perfections  de  Dieu,  et  notre  mémoire,  pour  nous  rappeler 
sans  cesse  de  ses  bienfaits.  N'en  doutons  pas,  chrétfens,  la 
principale  raison  pour  laquelle  nous  n'aimons  pas  Dieu, 
c'est  parce  que  nous  ne  le  connaissons  pas.  Voulons-nous 
donc  sincèrement  l'aimer?  Pensons  souvent  à  lui,  considé- 
rons combien  il  est  sage,  puissant,  juste,  parfait  de  toutes 
manières,,  rappelons-nous  tous  les  bienfaits  dont  il  ne  cesse 
de  nous  combler,  et  bientôt  nous  nous  attacherons  à  lui 
par  toutes  les  fibres  de  notre  âme  ;  car  on  ne  peut  pas  ne 

bientôt  à  l'affection  pure  se  joignait  je  ne  sais  quoi  de  ténébreux,  de 
mauvais  ;  et  bientôt  j'eus  peine  à  distinguer  les  affections  honnêtes  des 
affections  impures  et  déshonnêtes.  »  —  Ne  nous  faisons  donc  pas  illu- 
sion, profitons  de  l'expérience  et  des  enseignements  des  saints;  veillons 
sur  l'inclination  trop  naturelle  de  nos  cœurs  vers  les  créatures;  donnons 
ce  cœur  tout  entier  à  notre  Dieu  et  disons  avec  un  saint  :  «  Dieu  seul 
dans  mon  cœur  pour  le  posséder,  le  conserver  et  le  sanctifier.  »  (La 
Chaire  contemporaine,  tome  3,  page  335). 


c'est  un  devoir  pour  nous  d'aimer  dieu»  î  I 3 


pas  aimer  ce  qu'on  sait  être  infiniment  parfait  et  infi- 
niment bon.  C'est  en  pensant  sans  cesse  à  Dieu  que  les 
saints  L'ont  aimé  de  tout  leur  esprit  et  de  tout  leur  cœur; 
nous  ne  nous  sanctifierons  nous-mêmes  qu'en  les  imitant  (î). 
Enfin,  pour  accomplir  parfaitement  le  commandement 
qu'il  nous  a  fait  de  l'aimer,  Dieu  veut  que  nous  l'aimions 
de  toutes  nos  forces.  Que  devons-nous  faire  pour  aimer  Dieu 
de  toutes  nos  forces.  Voyons  ce  que  font  les  hommes  lors- 
qu'ils aiment  fortement  une  chose*,  la  richesse  par  exemple. 
Toutes  les  lumières  de  leur  intelligence,  toute  l'énergie  de 
leur  volonté,  toutes  les  forces  de  leur  corps,  ils  les  emploient 
pour  atteindre  le  but  qu'ils  se  proposent.  Ils  commencent 
par  étudier  les  meilleurs  moyens  de  l'atteindre,  et  ensuite 
ils  le  poursuivent  avec  une  invincible  ténacité,  comptant 
pour  rien  les  fatigues,  et  surmontant  toutes  les  difficultés. 
Ainsi  devons-nous  faire,  et  avec  infiniment  plus  de  raison, 
pour  aimer  Dieu  de  toutes  nos  forces,  puisque  Dieu  est  infi- 
niment plus  digne  d'être  aimé  que  toutes  les  choses  de  ce 
monde.  Par  conséquent  donc,  quand  il  s'agit  de  l'amour  de 
Dieu,  tout  ce  que  nous  pouvons,  nous  devons  le  faire.  Mais 
ne  nous  aveuglons  pas  nous-mêmes,  comme  il  arrive  à  tant 
de  chrétiens,  qui  prétendent  faire  tout  ce  qu'ils  peuvent, 
alors  qu'ils  ne  font  rien,  ou  presque  rien.  Font-ils  tout  ce 
qu'ils  peuvent,  en  effet,  ces  chrétiens  qui  passent  des  jour- 

i.  Une  âme  qui  médite,  qui  pénètre  les  perfections  divines,  se  sent 
tellement  ravie  de  leur  beauté,  qu'elle  conçoit  du  mépris  pour  tout  ce 
qui  n'est  pas  Dieu  :  connaissant  que  toutes  les  créatures  ne  sont  dé  leur 
fond  qu'un  pur  néant,  qu'elles  ont  reçu  de  Dieu  tout  ce  qu'elles  possè- 
dent, et  que  ce  qu'elles  ont  reçu  de  plus  glorieux,  n'est  qu'un  faible 
rayon  émané  de  son  éclat,  dont  toutes  les  perfections  divines  sont  cou- 
ronnées. Elle  regarde  comme  une  folie  de  quitter  Dieu  pour  s'attaclier 
à  ces  créatures  ;  persuadée  de  la  grandeur  de  Dieu,  cet  Être  souverain, 
charmée  de  ses  perfections  adorables,  elle  s*cn  forme  les  plus  excel- 
lentes idées;  elle  n'en  parle  qu'avec  éloge,  avec  respect,  avec  admira- 
tion, avec  transport;  elle  se  soumet  avec  plaisir  à  ses  ordres  ;  elle  lui 
sacrifie  tout  ce  qu'elle  a  de  plus  précieux;  elle  révère  généralement 
tout  ce  qui  le  regarde.  Et  comme  toutes  les  plus  brillantes  étoiles  dis- 
paraissent au  premier  rayon  du  soleil,  ainsi  tout  ce  qu'il  y  a  au  monde 
de  plus  beau,  déplus  grand,  de  plus  magnifique,  de  plus  pompeux, 
comparé  à  l'idée  qu'elle  s'est  formée  de  Dieu,  lui  parait  si  petit,  si  fai- 
ble, si  vil,  si  misérable,  qu'elle  ne  peut  assez  s'étonner  que  les  hommes 
en  fassent  tant  d*estime  (Houdby,  liibliolh.  des  Préd.  S  3;. 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.   —  T.    II. 


t  l4         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. V.  INSTRUCTION. 

nées  sans  penser  à  Dieu  et  sans  lui  offrir  leurs  adorations; 
qui  n'assistent  pas  à  la  messe  les  dimanches  et  les  fctes,  ou 
qui  n'y  assistent  qu'en  partie,  ou  en  s'abandonnant  à  toutes 
sortes  de  distractions  ;  qui  ne  se  retiennent  pas  de  déchirer, 
en  toute  occasion  et  à  tout  propos,  la  réputation  du  pro- 
chain ;  qui  ne  fuient  pas  les  occasions  dangereuses  où  ils 
ont  déjà  succombé  ;  qui  se  livrent  à  toutes  sortes  de  dépen- 
ses, plutôt  que  de  payer  leurs  dettes  et  d'empêcher  qu'on  ne 
blasphème  Dieu  à  leur  occasion  ;  qui  n'observent  pas  les  lois 
du  jeûne  et  de  l'abstinence,  à  cause  de  je  ne  sais  quels  pré- 
textes plus  ou  moins  imaginaires  ?  Non,  disons-le  très  haut, 
tous  ceux  qui  agissent  de  la  sorte  ne  font  pas  tout  ce  qu'ils 
peuvent,  et  par  conséquent  n'aiment  pas  Dieu  de  toutes 
leurs  forces  (i).   Gardons-nous  donc  bien    de   nous  laisser 

i.  Ce  qui  caractérise  le  plus  éminemment  l'amour  de  Dieu  de  toutes 
nos  forces,  c'est  la  résignation  dans  les  peines  de  la  vie.  «  Aimer  la 
volonté  de  Dieu  dans  les  consolations  qu'il  nous  accorde,  c'est,  dit  saint 
François  de  Sales,  un  premier  degré  d'amour  louable,  mais  sans  répu- 
gnance, sans  effort,  et  par  conséquent  sans  grand  mérite  devant  Dieu. 
Aimer  la  volonté  de  Dieu  dans  ses  préceptes,  dans  ses  conseils,  dans  ses 
inspirations,  c'est  un  second  degré  d'amour  beaucoup  plus  parfait, 
puisqu'il  nous  porte  à  nous  dépouiller  de  notre  volonté  propre  et  à 
nous  abstenir  de  quelques  jouissances.  Aimer  la  volonté  de  Dieu  dans 
les  souffrances  et  les  afflictions,  c'est  le  plus  haut  point,  c'est  lhéroïsme 
de  la  charité,  puisqu'on  n'y  trouve  rien  d'aimable  que  la  seule  volonté 
de  Dieu  et  que  la  nature  se  refuse  à  souffrir.  »  Telle  est  cependant 
l'étendue  du  précepte  de  l'amour  de  Dieu  de  toutes  nos  forces, quil doit 
aller  jusque-là,  et  que  chacun  de  nous  doit  être  prêt  non  seulement  à 
quitter  tous  les  plaisirs  et  à  mortifier  ses  sens,  mais  encore  à  supporter 
toutes  les  croix,  tous  les  tourments,  tous  les  travaux  (Labourderie,  ap. 
Choix  de  la  Prédicat.,  tome  2,  page  2i4-) 

Que  penser  de  nos  manières  d'aimer  Dieu  ?  Ah  !  quelle  contradiction 
dans  notre  conduite  !  quel  bizarre  assemblage  de  faiblesses  et  de  prati- 
ques pieuses  !  Ces  chrétiens,  dit  saint  Paul,  ils  ont  l'apparence  de  l'amour 
de  Dieu,  de  la  vraie  piété,  mais  ils  n'en  ont  pas  la  vertu  :  Speciem  qui- 
dem  pietatis  habentes,  virtulem  ejus  abnegantes.  Et,  en  effet,  quel  est 
l'amour  de  ces  chrétiens  ?  —  Amour  spéculatif,  qui  reconnaît  combien 
Dieu  est  aimable,  qui  s'étonne  même  qu'il  ne  soit  pas  aimé  davantage, 
mais  qui  s'en  tient  à  ce  sentiment  du  cœur,  à  ce  témoignage  de  l'esprit, 
qui  se  contente  d'adorer  Dieu  sans  l'imiter,  de  s'attendrir  sur  ses  souf- 
frances sans  les  partager,  d'honorer  sa  croix  sans  la  porter.  —  Amour 
versatile,  qui  du  monde  passe  à  Dieu  et  de  Dieu  revient  au  monde,  qui, 
après  avoir  gémi  dans  le  sanctuaire,  va  se  livrer  aux  fausses  joies  du 
siècle,  qui  vient  au  pied  des  autels  pour  y  faire  l'aveu  de  son  néant  et 
retourne  dans  le  monde  pour  y  autoriser  par  le  luxe  l'orgueil  et  la 
vanité  qui  y  régnent. —  Amour  pusillanime,  qui  veut  tout  et  ne  fait  rien, 


c/est  un  devoir  pour  nous  iVaimer  DÎEU.  Il5 

entraîner  par  Leurs  discours  spécieux  et  leurs  délétères 
exemples.  Fixons  plutôt  nos  regards  sur  la  conduite  des 
sainis  el  sur  celle  (les  bons  chrétiens.  Ici  nous  verrons  qu'ils 
ne  si»  paient  pas  de  paroles,  mais  qu'ils  font  réellement  tout 
ce  qu'ils  peuvent  ;  qu'ils  ne  se  laissent  arrêter  par  aucune 
difficulté,  mais  les  surmontent  toutes  ;  et  par  conséquent, 
qu'ils  aiment  véritablement  Dieu  de  toutes  leurs  forces.  Ah  ! 
qu'il  es!  bon  d'aimer  ainsi  Dieu  !  Et  quelle  douceur  pour 
ceux  qui  peuvent  s'en  rendre  un  peu  témoignage  avec  sin- 
cérité, tout  en  en  rapportant  le  mérite  à  Dieu  seul  !  Mais 

III. —  A  quels  signes  pouvons-nous  en  effet  reconnaî- 
tre si  nous  aimons  Dieu  ?  —  Si  l'on  désire  des  signes  cer- 
tains et  infaillibles,  je  dois  répondre  nettement  qu'il  n'y  en  a 
pas.  Nul  homme,  dit  le  Saint-Esprit,  ne  sait  s'il  est  digne  d'amour 
ou  de  haine  (i).  Il  a  plu  à  Dieu  de  nous  laisser  dans  cette 
incertitude,  pour  nous  préserver  tout  à  la  fois  de  l'orgueil 
et  du  relâchement.  Celui  qui  se  saurait  sûrement  en  grâce 
avec  Dieu,  ne  manquerait  pas  en  effet  d'être  tenté,  d'un  côté, 
de  s'estimer  plus  que  les  autres  hommes,  et  de  l'autre,  de  ne 
plus  travailler  à  acquérir  de  nouvelles  vertus  et  de  nouveaux 
mérites.  Dieu  a  donc  sagement  agi  en  se  réservant  à  lui  seul 
le  secret  de  notre  véritable  état.  Mais  s'il  n'y  a  aucun  signe 
qui  puisse  nous  donner  la  certitude  d'aimer  Dieu  comme 
nous  le  devons,  il  y  en  a  plusieurs  qui  peuvent,  à  cet  égard, 
éclairer  ceux  qui  se  font  des  illusions,  et  consoler  ceux  qui 
s'efforcent  sincèrement  d'aimer  Dieu  comme  il  nous  est 
commandé  de  l'aimer. 

Le  premier  de  ces  signes  est  le  désir  d'aimer  Dieu.  Si  l'on 

qui  commence  et  n'achève  jamais,  qui  prend  des  résolutions,  fait  des 
promesses  et  les  rétracte,  ou,  du  moins,  les  oublie  presque  aussitôt  ; 
résolutions  trop  semblables,  dit  saint  Augustin,  à  celles  d'un  homme 
plongé  dans  un  demi-sommeil.  —  Amour,  enfin,  bizarre  et  mal  réglé, 
ennemi  de  l'obéissance,  qui  corrompt  ses  voies,  dit  le  prophète,  suivant 
ses  fantaisies  plutôt  que  la  loi  de  Dieu  qu'on  refait  à  son  goût,  mettant 
plus  de  prix  aux  pratiques  qu'on  s'impose  qu'aux  préceptes  et  aux  con- 
seils de  Jésus-Christ  Lui-même,  lui  vérité,  n'est-ce  pas  aux  chrétiens  de 
ce  genre  que  s'appliquent  les  paroles  déjà  citées  :  Speciem  quidem  pietatis 
habentes,  virlutem  ejus  abneganles  (Lelandais,  Chaire  contemp.  tome  3, 
page  34o). 

i.  Eccle.  ix,  i. 


tl6        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  V.   INSTRUCTION. 

n'a  pas  ce  désir,  on  peut  être  assuré  qu'on  n'aime  pas  Dieu. 
Car,  qui  est-ce  qui,  ne  désirant  pas  une  chose,  s'occupe  de 
l'acquérir  ?  —  Si  l'on  n'éprouve  que  faiblement,  et  suivant 
les  circonstances,  le  désir  d'aimer  Dieu,  il  n'est  plus  certain 
qu'on  ne  l'aime  pas,  mais  cela  est  encore  très  probable. 
Avons-nous  au  contraire  un  vif  et  sincère  désir  d'aimer 
Dieu,  ce  désir  est-il  le  premier  et  le  plus  grand  de  nos  désirs, 
et  n'y  a-t-il  rien  que  nous  désirions  autant  que  d'aimer 
Dieu  ?  Dans  ce  cas,  ayons  confiance,  nous  avons  sujet  de 
croire  que  nous  aimons  Dieu  ;  car  on  ne  peut  pas  désirer  à 
ce  point  de  l'aimer,  sans  l'aimer  réellement. 

C'est  encore  un  signe  que  nous  aimons  Dieu,  si  nous  pen- 
sons souvent  à  lui,  si  nous  en  parlons  volontiers,  si  nous 
sommes  heureux  d'en  entendre  parler,  si  nous  rencontrons 
et  saluons  avec  joie  ce  qui  nous  en  rappelle  le  souvenir, 
comme  les  églises  et  les  croix.  N'est-il  pas  vrai  que  les 
saints,  qui  ont  certainement  aimé  Dieu,  avaient  toujours  son 
nom  à  la  bouche  et  son  souvenir  dans  le  cœur  ?  Quelle  pré- 
somption, au  contraire,  que  l'on  n'aime  pas  Dieu,  si  l'on 
n'y  pense  que  rarement  ou  jamais  (i)  ! 

Quelle  présomption  encore  que  l'on  n'aime  pas  Dieu,  si 
l'on  ne  craint  pas  le  péché,  si  on  ne  le  considère  pas  comme 
le  plus  grand  des  maux,  si  on  le  commet  avec  facilité  1  Car 
qui  pèche  offense  Dieu,  et  qui  offense  Dieu  ne  peut  guère 
croire  qu'il  l'aime  !  Par  contre,  c'est  encore  un  signe  très 
probable  qu'on  aime  Dieu,  quand  on  a  horreur  du  péché, 
quand  on  prend  toutes  les  précautions  pour  ne  pas  le  com- 
mettre, et  quand,  si  l'on  a  le  malheur  d'y  tomber,  on  en 
éprouve  un  grand  repentir  et  l'on  se  hâte  d'en  sortir  par 
une  bonne  confession.  Cette  conduite  fait  voir  qu'on  ne  veut 


i.  u  Animorum  imagines  rêvera  per  sermones  exprimuntur.  »  S.  BasiL 
Nam  «  ex  abundantia  cordis  os  loquitur,  et  sapor  mentis  in  sermone 
gustatur.  »  S.  Paulin,  ep.  i5.  Placet  linguœ,  quod  placet  aflectui,  liben-^ 
terque  vcrsalur  in  ore,  quod  libenter  est  in  animo.  Qui  dignitates 
amant,  de  dignitatibus  loquuntur;  qui  venationem,  de  venatione  ;  qui 
ludum,  de  ludo;  qui  bellum,  de  bello;  qui  lites,de  litibus  ;  et  qui  Deum 
diligunt,  et  plnrimum  Deum  in  ore  versant.  Ad  instar  sponsee  qua3 
tota  circa  dilectum  occupata  dicebat  omnibus  :  Nain  quem  diligit  anima 
mea  vidistis  ?  ( Vivien,  Tertull.  prœd.  verb.  Amor  hom.  in  D.  c.  6.  p.  2). 


G  EST  UN  DEVOIR   POUR  NOUS  O  AIMER  DIEU.  I  I  7 

pas  déplaire  à  Dieu  ;  or,  si  l'on  ne  veut  pas  déplaire  à  Dieu, 
c'est  précisément  parce  qu'on  l'aime. 

Un  dernier  signe  enfin  que  l'on  aime  Dieu,  plus  facile 
même  à  contrôler  que  les  précédents,  c'est  si  l'on  observe 
les  préceptes  divins.  Il  n'est  pas  toujours  bien  facile  de  se 
rendre  exactement  compte  si  l'on  désire  sérieusement  aimer 
Dieu,  si  l'on  pense  assez  à  lui,  si  l'on  a  une  suffisante  hor- 
reur du  péché.  Mais  quoi  de  plus  facile  que  de  constater  si 
l'on  observe  ou  non  les  commandements  de  Dieu?  Eh  bien, 
le  Sauveur  l'a  dit  expressément  :  Celui  qui  garde  mes  comman- 
dements, c'est  celui-là  qui  m'aime  (i).  Pour  achever  de  nous 
éclairer  sur  nos  dispositions  et  sur  notre  état,  nous  n'avons 
donc  qu'à  examiner  quelle  est  notre  conduite  à  l'égard  des 
commandements  de  Dieu.  Les  observons-nous  parfaitement, 
ne  les  violons-nous  jamais  délibérément  ?  nous  pouvons 
croire  que  nous  aimons  Dieu,  c'est  le  Sauveur  lui-même  qui 
nous  le  dit  :  Celui  qui  garde  mes  commandements ,  c'est  celui- 
là  qui  m'aime.  Mais  si  nous  ne  tenons  pas  compte  des  com- 
mandements divins,  ou  même  si,  tout  en  désirant  les  garder, 
cependant  nous  les  transgressons  toutes  les  fois  qu'ils  se 
trouvent  en  opposition  avec  nos  intérêts  ou  nos  passions, 
alors,  ne  cherchons  pas  à  nous  tromper,  il  est  très  certain 
que  nous  n'aimons  pas  Dieu,  que  nous  ne  l'aimons-  pas  de 
la  manière  qu'il  nous  a  commandé  de  l'aimer,  c'est-à-dire 
de  tout  notre  cœur,  de  tout  notre  esprit  et  de  toutes  nos  for- 
ces (2). 

1.  Joan.  xiv,  21. 

2.  Primi  parentes  «  si  Dominum  Deum  suum  dilexissent,  contra 
pneceptum  ejus  non  fecissent.  »Tert.  adv.  .Tud.  2.  Obsequium  ab  amore 
procedit,  et  a  contemptu  inobedientia  nascitur  :  Qui  non  deligit  me,  ser- 
mones  meos  non  servat.  .Toan.xiv.  Si  quairam  a  quovis  christiano,  utrum 
Deo  diligat,  respondebit  affirmative.  Verum  quomodo  Deum  diligis,  cujus 
mandata  contemnis  ?  Opère  destruis  quod  voce  confiteris  ;  nam  boni  ope- 
ris  exercitatio,  est  certum  divins  dilectionis  indicium.  Lingua,  et  ma- 
nus,  fidèles  cordis  interprètes  sunt  ;  lingua  ejus  intentionem  manifes- 
tât, manus  ejus  exequitur  décréta  ;  lingua  est  illius  interpres,  manus 
est  illius  minister.  Et  sic  cor  nihil  potest  amare.quin  lingua  per  verba, 
et  manus  per  opéra  notum  faciat.  «  Nunquam  est  Dei  amor  otiosus  : 
operatur  enim  magna  si  est  ;  si  vero  operari  renuit,  amor  non  est.  » 
S.  Greg.  hom.  3o.  in  Ev.  Ubi  non  sunt  opéra,  ibi  non  est  amor  ;  amor 
enim  et  opéra  pari  ambulant  gressu.  «  Ipsa  dilectio  vacare  non  potest: 
quid  enim  de  quodam   homine  etiam  malo  operatur,   nisi  amor  ?  da 


I  16         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  V.  INSTRUCTION. 

Tels  sont  les  signes  les  plus  ordinaires  auxquels  nous 
pouvons  reconnaître  si  nous  aimons  Dieu,  savoir:  si  nous 
désirons  de  l'aimer,  si  nous  pensons  souvent  à  lui,  si  nous 
avons  horreur  du  péché,  et  enfin  si  nous  observons  fidèle- 
ment ses  commandements.  Un  seul  de  ces  signes  pourrait 
ne  pas  suffire  pour  nous  éclairer  pleinement,  même  le  der- 
nier, parce  que  les  commandements  ne  sont  parfois  observés 
que  par  des  vues  humaines.  Mais  si  nous  les  trouvons  tous 
réunis  en  nous,  remercions-en  Dieu,  car  nous  avons  d'au- 
tant plus  sujet  de  croire  que  nous  l'aimons  vraiment.  Au 
contraire,  si  de  ces  quatre  signes  nous  n'en  remarquons 
aucun  en  nous,  tremblons,  et  changeons  de  conduite  sans 
retard,  car  il  est  absolument  évident  que  nous  n'avons  au- 
cun amour  pour  Dieu. 

CONCLUSION.  —  Nous  connaissons  donc  maintenant, 
chrétiens,  ces  trois  points  essentiels  entre  tous,  savoir:  pour- 
quoi nous  devons  aimer  Dieu,  comment  nous  devons  l'aimer, 
et  à  quels  signes  nous  pouvons  reconnaître  si  nous  l'aimons! 
Nous  savons  que  nous  devons  aimer  Dieu,  parce  qu'il  est 
juste  et  conforme  à  la  raison  que  la  faculté  qu'il  a  mise  en 
nous,  nous  nous  en  servions  pour  l'aimer  lui-même  tout 
d'abord  ;  parce  que  ses  perfections  infinies  le  rendent  digne 
de  notre  amour;  et  enfin  parce  qu'il  mérite  notre  amour  par 
ses  bienfaits  sans  nombre.  Nous  savons  que  la  manière  de 
l'aimer,  c'est  de  l'aimer  de  tout  notre  cœur,  de  tout  notre 
esprit  et  de  toutes  nos  forces.  Enfin  nous  savons  que  les  si- 
gnes auxquels  on  peut  reconnaître  si  l'on  aime  Dieu,  c'est  : 
si  l'on  désire  sincèrement  l'aimer,  si  l'on  pense  à  lui  sou- 
vent, si  l'on  craint  par-dessus  tout  de  l'offenser,  et  enfin  si 
l'on  observe  avec  exactitude  ses  commandements.  Nous  ne 
saurions  trop  nous  appliquer,  chrétiens,  à  bien  retenir  ces 
notions  dans  notre  mémoire,  et  à  y  recourir  souvent,  pour 
nous  exciter  à  aimer  Dieu,  pour  l'aimer  comme  il  veut  l'être, 
et  pour  nous  rendre  compte  si  réellement    nous  l'aimons. 

mihi  vacantem  amorem,  et  nihil  operantem.  Nonesset  amor, nisi  opera- 
retur  ;  etiam  malus  opcratur,  sed  mala,  flagitia,  adulteria,  homicidia, 
luxurias  omnes  :  nonne  amor  opera,tur  ?  »  S.  Aug.  in  Ps.  xxxi  (Vivien, 
loc.  cit,), 


G  EST  UN   DEVOIR  POUR  NOUS  D  AIMER  DIEU.  JIQ 

m 

Avec  quelle  sollicitude,  chrétiens,  ne  devons-nous  pas  nous 
acquitter  de  ce  devoir  d'aimer  Dieu,  non  seulement  le  plus 
grand,  mais  encore  le  plus  essentiel  de  tous  les  devoirs,  puis- 
que, sans  celui-ci,  tous  les  autres  ne  sont  rien,  et  que  lui  seul 
au  contraire  comprend  tous  les  autres,  selon  ce  que  dit  ou- 
vertement l'apôtre  saint  Paul,  que  la  plénitude  de  la  loi  con- 
siste dans  l'amour  (i)  !  Nous  sommes  d'autant  plus  tenus  de 
nous  acquitter  de  ce  devoir,  que  rien  ne  peut  nous  excuser 
de  ne  pas  l'accomplir,  à  cause  de  son  extrême  facilité.  Si 
Dieu  nous  faisait  un  devoir  de  jeûner  toute  notre  vie  au  pain 
et  à  l'eau,  nous  pourrions  nous  excuser  sur  la  faiblesse  de 
notre  tempérament  ;  et  s'il  faisait  un  devoir,  à  un  père  de 
famille,  de  distribuer  aux  pauvres  tout  ce  qu'il  possède,  ce 
père  de  famille,  pour  justifier  sa  résistance,  pourrait  invo- 
quer la  nécessité  qui  lui  incombe  de  pourvoir  aux  besoins 
de  ses  enfants.  Mais  aimer  Dieu,  qui  est-ce  qui  dira  qu'il  ne 
le  peut  pas  ?  Aimer,  n'est-ce  pas  le  fond  de  notre  nature  ? 
N'aimons-nous  pas  une  foule  de  choses  autour  de  nous,  et 
même  des  choses  qui  ne  le  méritent  pas,  et  même  des  cho- 
ses qui  nous  sont  nuisibles?  Et  Dieu  serait  le  seul  que  nous 
n'aimerions  pas,  alors  que  c'est  lui  qui  en  est  le  plus  digne 
et  qui  le  mérite  le  plus  !  Adi  !  chrétiens,  si  dans  le  passé  nous 
avons  méconnu  et  négligé  notre  devoir  d'aimer  Dieu,  con- 
duisons-nous désormais  d'une  manière  plus  conforme  aux 
lumières  de  notre  raison  ;  et,  encore  une  fois,  puisque 
c'est  lui  qui  nous  a  donné  notre  faculté  d'aimer,  puisque 
c'est  lui  qui  est  l'être  le  plus  parfait,  puisque  c'est  lui  qui 
nous  accorde  tous  les  biens  et  toutes  les  vraies  joies 
dont  nous  jouissons,  aimons-le  avant  tout  et  par  dessus 
tout,  et  aimons-le  vraiment,  c'est-à-dire  de  tout  notre  cœur, 
de  tout  notre  esprit  et  de  toutes  nos  forces.  C'est  seulement 
ainsi,  ne  le  perdons  jamais  de  vue,  que  nous  éviterons  l'en- 
fer et  que  nous  parviendrons  au  ciej. 


x .  Rom.  xin,  10, 


120         LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  V.   INSTRUCTION. 


TRAITS  HISTORIQUES 

On  ne  devrait  pas  avoir  besoin  de  démontrer  le  devoir 
d'aimer  Dieu. 

i.  —  Un  ancien  anachorète,  après  avoir  blanchi  dans  les  grottes 
et  les  solitudes,  eut  enfin  envie,  sur  ses  vieux  jours,  de  devenir 
savant.  Il  se  transporta,  à  cet  effet,  dans  une  célèbre  académie  où 
les  arts  et  les  sciences  étaient  en  vogue  plus  qu'en  aucun  autre 
lieu  du  monde  ;  et  là,  de  maître  qu'il  était  dans  la  haute  et  vérita- 
ble science  du  ciel,  il  se  fit  écolier  pour  apprendre  celle  des  hom- 
mes. A  peine  était-il  assis  sur  les  bancs  pour  écouter,  qu'un 
dcc^eur  monta  en  chaire,  la  tête  chargée  de  spéculations  et  de  dif- 
ficultés, pour  les  débiter  à  ses  auditeurs,  et  commença  par  cette 
question  :  Si  Dieu  doit  être  aimé.  Le  saint  solitaire,  bien  surpris  de 
voir  mettre  en  avant  cette  proposition  pour  en  faire  le  sujet  d'une 
contestation  indécise,  se  leva  brusquement,  quitta  la  place  qu'il 
avait  prise,  et  retourna  s'enfoncer  dans  sa  grotte,  tout  scandalisé 
de.  voir  qu'on  faisait  un  sujet  de  controverse  d'un  premier  prin- 
cipe qui,  à  son  avis,  était  si  évident,  qu'il  ne  fallait  pas  être  homme 
pour  en  douter  ;  mais  ensuite,  donnant  sa  liberté  à  ses  larmes 
pour  déplorer  l'aveuglement  des  hommes  et  sa  vaine  curiosité  : 
«  Ah  !  je  vois  bien,  s'écria-t-il,  que  je  suis  plus  savant  que  je  ne  le 
pensais,  puisqu'il  y  a  plus  de  trente  ans  que  je  tiens  pour  infailli- 
ble ce  qui  est  encore  en  question  parmi  les  plus  grands  docteurs 
de  ce  siècle.  » 

2.  —  Guillaume  d'Auvergne,  évêque  de  Paris,  voulant  exprimer 
l'ingratitude  des  hommes  à  l'égard  de  Dieu  :  «  Miracle  !  s'écrie-t- 
il,  mais  miracle  diabolique!  l'homme  est  environné,  l'homme  est 
accablé  des  bienfaits  de  Dieu,  Dieu  allume  tous  les  jours  de  nou- 
veaux charbons  autour  de  nos  cœurs  pour  les  échauffer,  et 
ces  cœurs  demeurent  froids  au  milieu  d'un  si  grand  feu  !  » 
Homo,  tôt  congestis  carbonibus,  miraculo  diabolico,  friget  ad 
Deum  ! 

Pourquoi  nous  devons  aimer  Dieu. 

i. — On  raconte  des  Japonais  que,  lorsqu'on  leur  annonçait 
l'Évangile,  qu'on  les  instruisait  des  grandeurs,  des  beautés,  des 
amabilités  infinies  de  Dieu  ;  quand  surtout  on  leur  apprenait  les 
grands  mystères  de  la  religion,  tout  ce  que  Dieu  a  fait  pour  les 
hommes  :  un  Dieu  naissant,  un  Dieu  souffrant,  un  Dieu  mourant 
pour  l'amour  et  pour  leur  salut  ;  «  Oh!  qu'il  est  grand,  s'écriaient- 


C  EST  UN  DEVOIR   POL  II   NOUS  D  AIMER  DIEU.  121 

ils  dans  leurs  doux  transports,  qu'il  est  bon  et  aimable,  ce  Dieu 
des  chrétiens  !  »  Mais  quand  ensuite  on  ajoutait  qu'il  y  a  une  loi 
expresse  d'aimer  Dieu,  et  des  menaces  si  on  ne  l'aime  pas,  ils 
étaient  surpris  et  ne  pouvaient  revenir  de  leur  étonnement  :  a  Hé 

quoi  !  disaient-ils,  quoi  !  à  des  hommes  raisonnables,  un  précepte 
d'aimer  Dieu  qui  nous  o  tant  aimés  !  Et  n'est-ce  pas  le  plus  grand 
des  bonheurs  </c  l'aimer,  et  le  plus  grand  des  malheurs  de  ne  l'ai- 
mer pas  ')  Quoi  !  les  chrétiens  ne  sont-ils  pas  toujours  au  pied  des 
autels  de  leur  Dieu,  tout  pénétrés  de  ses  bontés,  tout  enflammés 
de  son  saint  amour  ?  »  —  Mais  lorsqu'ils  venaient  à  apprendre 
qu'il  v  a  des  chrétiens  qui,  non  seulement  n'aiment  pas  Dieu,  mais 
qui  l'offensent  et  l'outragent,  ils  s'écriaient  avec  indignation  :  «  O 
peuple  injuste!  o  cœurs  ingrats,  barbares!  Est-il  donc  possible 
que  des  chrétiens  soient  capables  de  ces  horreurs  !  Dans  quelle 
terre  maudite  demeurent  donc  ces  hommes  sans  cœur  et  sans  sen- 
timent ?»  —  Chrétiens,  nous  ne  méritons  que  trop  ces  reproches 
fondés,  et  un  jour  ces  peuples  éloignés  de  nous,  ces  nations  étran- 
gères appelées  en  témoignage  contre  nous,  nous  accuseront,  nous 
condamneront  devant  Dieu. 

2.  —  Saint  Augustin  s'animait  à  aimer  Dieu  en  parlant  ainsi  à 
son  âme  :  «  Qu'y  a-t-il  en  ce  monde  qui  puisse  te  plaire,  qui 
puisse  avoir  droit  à  ton  amour?  De  quelque  côté  que  tu  regardes, 
tu  ne  vois  autre  chose  que  le  ciel  et  la  terre  ;  mais  si,  soit  dans  le 
ciel,  soit  sur  la  terre,  tu  trouves  des  choses  dignes  de  ton  amour, 
de  quel  amour  n'est  pas  digne  celui  qui  a  fait  ces  choses  que  tu 
aimes  ?  Demande  à  ces  choses  qui  te  plaisent  quel  est  leur  auteur, 
et  en  admirant  l'ouvrage,  aime  l'ouvrier.  Ne  t'affectionne  pas  à  ce 
qui  a  été  créé,  jusqu'à  oublier  Dieu  qui  en  est  le  Créateur.  O  mon 
Dieu  !  vous  êtes  digne  d'être  aimé  infiniment  plus  que  ce  qu'il  y  a 
dans  le  ciel  et  sur  la  terre  ;  je  renonce  à  tout  ce  qui  est  périssable, 
de  peur  de  perdre  votre  amour.  » 

3.  —  Un  jour  se  présenta,  sur  la  grande  place  d'Alexandrie,  une 
femme  qui  tenait,  d'une  main,  un  vase  d'eau,  et  de  l'autre,  une 
torche  enflammée.  Et  comme  on  lui  demandait  ce  qu'elle  voulait, 
elle  répondit  :  «  Avec  cette  torche,  je  voudrais  incendier  le  ciel  ;  et 
avec  cette  eau,  éteindre  le  feu  de  l'enfer  :  afin  que  dorénavant  on 
n'aimât  plus  Dieu  par  espoir  d'une  récompense,  ou  par  crainte 
d'un  châtiment,  mais  uniquement  pour  lui-même  et  pour  ses 
admirables  perfections.  » 

4.  —  Il   est  parlé  dans  les   Vies  des  Pères  du  désert  de  deux 
anachorètes,   l'un   encore  jeune,    l'autre  déjà  avancé  en  âge,    qui 

avaient  passé  ensemble  plusieurs  années  dans  le  service  de  Dieu. 


122         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    V.    INSTRUCTION. 

Le  démon,  jaloux  de  la  verlu  du  plus  jeune,  et  voulant  troubler  la 
paix  de  l'un  et  de  l'autre,  se  transfigura  en  ange  de  lumière,  et  dit 
au  vieillard  qu'il  était  envoyé  de  Dieu  pour  lui  annoncer  une  triste 
nouvelle:  la  future  réprobation  de  son  frère...  puis  il  disparut. 
Cette  révélation  plongea  le  serviteur  de  Dieu  dans  la  plus  profonde 
tristesse  ;  il  versa  des  torrents  de  larmes,  qu'il  s'efforça  vainement 
de  cacher:  sa  douleur  se  renouvelait  sans  cesse,  elle  l'accablait  avec 
une  force  irrésistible,  à  la  vue  de  son  jeune  compagnon.  Celui-ci 
le  pressa  de  lui  dire  le  sujet  de  sa  tristesse  et  de  tant  de  larmes  : 
«  Quelle  que  soit  la  faute  que  j'aie  commise,  lui  dit-il,  je  suis  prêt, 
mon  Père,  à  me  corriger  et  à  faire  réparation.  »  Après  bien  des 
résistances,  le  vénérable  solitaire  lui  avoua  la  douloureuse  commu- 
nication qu'il  avait  reçue  à  son  sujet.  Alors  le  jeune  religieux,  sans 
se  troubler,  lui  dit:  «  Ne  vous  attristez  plus,  mon  Père;  car  je 
suis  très  content,  pourvu  que  la  volonté  de  Dieu  s'accomplisse. 
S'il  veut  que  je  sois  précipité  en  enfer,  que  sa  sainte  volonté  soit 
faite.  Cela  ne  m'empêchera  pas  de  le  servir  dans  cette  solitude 
avec  la  même  ferveur  qu'auparavant.  J'aime  Dieu,  et  je  le  sers, 
non  pour  obtenir  une  récompense,  ni  afin  d'éviter  les  peines  éter- 
nelles ;  mais  uniquement  parce  qu'il  le  mérite  à  cause  de  son  im- 
mense bonté.  Ce  seul  motif  me  suffit  pour  persévérer  constam- 
ment dans  le  même  genre  de  vie.  » 

Cet  amour  si  pur  et  si  désintéressé  plut  tellement  à  Dieu,  qu'il 
envoya  un  ange  au  vieillard  pour  lui  découvrir  l'œuvre  du  démon, 
et  lui  annoncer  que  le  jeune  solitaire,  loin  d'être  réprouvé,  était  au 
contraire  du  nombre  des  prédestinés  ;  et  que,  par  cet  acte  héroï- 
que de  charité,  il  s'était  acquis  plus  de  mérites  que  par  toutes  les 
bonnes  œuvres  de  sa  vie. 

5.  —  M.  Vianney,  le  saint  curé  d'Ars,  entendant  un  jour  les 
oiseaux  chanter  dans  sa  cour,  se  prit  à  dire  en  soupirant  :  «  Chers 
petits  oiseaux  !  vous  avez  été  créés  pour  chanter,  et  vous  chan- 
tez... L'homme  a  été  créé  pour  aimer  Dieu,  et  il  ne  l'aime  pas...  » 

Signes  qu'on  aime  Dieu 

i.  —  Saint  Ignace  de  Loyola  avait  coutume  de  dire  :  «  Mon  plus 
grand  tourment,  dans  l'enfer,  serait  d'entendre  blasphémer  mon 
aimable  Créateur.  » 

2.  —  Saint  Louis  de  Gonzague  était  tellement  embrasé  d'amour  de 
Dieu  que,  chaque  fois  qu'il  en  entendait  prononcer  le  nom,  ses 
joues  rayonnaient  de  joie  et  d'amour. 

3.  —  Au  commencement  du  douzième  siècle  naquit  h  Palerme 


G  EST  UN  DEVOIR   POUR  NOUS  D  AIMER  DIEU.  120 

sainte  Rosalie,  de  parents  illustres,  qui  eux-mêmes  se  rattachaient 
à  la  famille  royale  par  des  liens  de  parenté  assez,  étroits.  Elle  fut 
élevée  à  la  cour  par  sa  mère,  qui  jouissait  d'une  grande  considé- 
ration auprès  du  roi.  Toutefois,  dans  la  Heur  de  sa  jeunesse, 
Rosalie  abandonna  la  cour,  et  avec  elle  l'éclat  et  les  plaisirs  de  ce 
monde,  sans  que  personne  sût  où  elle  était  allée  fixer  son  séjour. 
Ce  ne  fut  que  /170  ans  plus  tard  que  l'on  trouva  dans  une  grotte 
affreuse,  pratiquée  dans  des  rochers,  cette  inscription  gravée  sur 
une  pierre  ;  «  Moi,  Rosalie,  fille  de  Sinibald,  seigneur  de  Mont- 
réal et  de  Roses,  j'ai  par  amour  pour  Jésus,  mon  Sauveur,  habité 
eette  grotte.  »  Dans  une  caverne  d'un  aspect  encore  plus  horrible, 
on  trouva  les  ossements  de  cette  sainte  dans  la  position  d'une 
personne  endormie.  —  Quel  signe  d'amour  de  Dieu,  qu'une  telle 
retraite  et  une  telle  vie  ! 

—  Fort  semblables  furent  la  retraite  et  la  vie  de  saint  Alexis. 

Tous  les  hommes  peuvent  également  aimer  Dieu. 

Frère  Gille  dit  un  jour  à  saint  Bonaventure,  qui  alors  était  mi- 
nistre général  de  l'ordre  de  saint  'François  :  «  Oh  !  que  vous 
êtes  favorisés  de  Dieu,  vous  autres  gens  instruits,  grands  savants, 
vous  savez  si  bien  le  servir  et  le  louer  !  Nous  autres,  pauvres  igno- 
rants, misérables  idiots,  que  pouvons-nous  faire  qui  lui  soit  agréa- 
ble ?  —  Frère  Gille,  lui  répondit  le  saint  Docteur,  sachez  qu'il  est 
une  grâce  avec  laquelle  seule,  mieux  qu'avec  toutes  les  autres 
réunies,  l'homme  peut  servir  le  bon  Dieu.  Cette  grâce,  c'est  celle 
de  son  amour.  —  C'est  bien,  répliqua  le  saint  frère,  mais  pensez- 
vous  qu'un  ignorant  puisse  aimer  Notre-Seigneur  autant  qu'une 
personne  savante? —  Oui,  oui,  assurément,  lui  dit  le  saint,  une 
pauvre  et  simple  vieille  femme  peut  aimer  Notre-Seigneur  autant 
qu'un  docteur  en  théologie.  »  —  En  entendant  cette  réponse,  frère 
Gille  ne  peut  contenir  sa  joie,  et,  dans  l'ivresse  de  son  bonheur,  il 
s'en  alla  dans  l'allée  du  jardin  qui  aboutissait  à  la  ville,  criant  à 
pleine  tête  :  «  Aimez  donc  Notre-Seigneur,  petits  enfants,  pauvres 
femmes,  gens  ignorants  comme  moi...,  et  vous  pourrez  être  aussi 
grands  devant  Dieu  que  frère  Bonaventure!  » 

Manière  d'aimer  Dieu. 

La  manière  la  plus  facile  d'aimer  Dieu  pratiquement,  c'est  de  le 
regarder  comme  un  bon  père,  et  de  recevoir  toutes  choses  avec 
une  égale  reconnaissance  de  sa  main  paternelle.  C'est  ainsi  qu'en 
agissait  cet  Euchariste  d'Alexandrie,  qu'un  pieux  auteur  propose 
comme  exemple. 


124  LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  «—  V.  INSTRUCTION. 


Deux  solitaires  d'Egypte,  dit-il,  ayant  prié  Dieu  de  leur  faire 
connaître  la  manière  la  plus  parfaite  de  le  servir,  entendirent  une 
voix  qui  leur  dit  d'aller  à  Alexandrie,  et  d'y  interroger  un  homme, 
nommé  Euchariste,  qui  vivait  très  saintement  avec  Marie,  sa 
femme  :  ils  apprendraient  de  lui  le  vrai  chemin  de  la  perfection. 

Les  solitaires  se  rendirent  aussitôt  à  Alexandrie,  et  s'étant  infor- 
més partout  d'Euchariste,  sans  rencontrer  personne  qui  le  connût, 
ils  se  crurent  le  jouet  d'une  illusion  et  résolurent  de  retournera 
leur  désert,  lorsqu'au  sortir  de  la  ville,  ils  virent  une  femme  qui 
travaillait  à  la  porte  d'une  modeste  maison.  Ils  lui  demandèrent 
si  elle  ne  connaissait  pas  un  homme  du  nom  d'Euchariste  ?  C'est 
mon  mari,  leur  répondit-elle.  —  Vous  vous  appelez  donc  Marie  ? 
dirent  les  solitaires.  —  Mes  pères,  reprit  la  femme,  qui  vous  a  fait 
connaître  mon  nom  ?  —  C'est  Dieu,  et  nous  venons  de  sa  part  pour 
parlera  votre  mari.  » 

Euchariste  était  absent  ;  il  revint  vers  le  soir  en  conduisant  un 
petit  troupeau  de  brebis.  Les  solitaires  l'embrassèrent  et  le  prièrent 
de  leur  faire  connaître  le  genre  de  vie  qu'il  menait  lui  et  sa 
femme.  «  Mes  pères,  leur  dit-il,  que  pourrai-je  vous  dire  de  mon 
genre  de  vie  ?  Je  suis  un  pauvre  berger.  —  Dites-nous,  répondi- 
rent-ils, de  quelle  manière  vous  servez  Dieu.  — Ah!  dit  Eucha- 
riste en  se  jetant  à  leurs  pieds,  c'est  à  vous  de  me  l'apprendre  : 
je  ne  suis  qu'un  homme  ignorant,  qui  ne  sait  ni  aimer  Dieu  ni  le 
servir.  —  Ne  résistez  pas  à  notre  demande,  ce  serait  résister  à 
Dieu,  qui  nous  envoie  pour  vous  interroger.  —  Puisque  vous  me 
l'ordonnez,  dit  alors  Euchariste,  je  vous  dirai  que  ma  mère  m'ap- 
prit, dès  mon  enfance,  à  tout  faire  et  à  tout  souffrir  pour  l'amour 
de  Dieu.  J'ai  continué  toute  ma  vie  dans  cette  pratique,  tâchant  de 
tout  rapporter  à  Dieu  et  de  l'aimer  en  toutes  choses.  Je  me  lève  le 
matin  pour  l'amour  de  Dieu,  je  fais  ma  prière  et  mon  travail,  je 
prends  mon  repos,  mon  repas,  et  parfois  même  un  peu  de  récréa- 
tion pour  l'amour  de  Dieu,  et  pour  le  mieux  servir.  J'accepte  éga- 
lement les  peines  de  chaque  jour  pour  l'amour  de  Dieu  :  je  souffre 
le  froid  et  la  chaleur,  la  faim  et  la  pauvreté,  les  maladies  et  les 
mauvaises  années  pour  l'amour  de  Dieu,  et  je  regarde  toutes  cho- 
ses comme  bienfaits  de  sa  main  divine.  Voilà  comme  je  vis,  et  ma 
femme  fait  comme  moi.  » 

«  —  Avez— vous  des  biens  ?  demandèrent  les  étrangers.  — Je  n'ai 
guère  que  ce  troupeau,  répondit  Euchariste  ;  mais  le  peu  que  je 
possède  suffit  à  mes  besoins.  Je  fais  de  mon  petit  revenu  trois 
parts  :  la  première  pour  l'Église,  la  seconde  pour  les  pauvres,  et 
nous  vivons  du  reste,  ma  femme  et  moi.  Nous  sommes  nourris 


C*EST  UN  DEVOIR  POUR.  NOUS  d'aïMER  DIEU. 


très  pauvrement,  mais  nous  ne  nous  en  plaignons  pas;  nous  accep- 
tons notre  nourriture  telle  qu'elle  est  pour  l'amour  de  Dieu.  » 

«  —  Ave/.-vous  des  ennemis?  demandèrent-ils  encore.  —  Eh  ! 
qui  est-ce  qui  nen  a  pas  ?  dit  Euchariste.  Je  tâche  de  ne  faire  de 
mal  à  personne,  jamais  je  ne  parle  mal  de  qui  que  ce  soit;  néan- 
moins je  ne  laisse  pas  d'avoir  des  ennemis  et  des  envieux.  Mais, 
loin  de  leur  souhaiter  du  mal,  je  les  aime,  je  cherche  à  leur  ren- 
dre service,  je  vais  les  voir  de  bon  cœur  pour  l'amour  de  Dieu.  Si 
on  parle  mal  de  moi  ou  de  ma  femme,  et  si  on  me  fait  du  tort,  je 
souffre  tout  en  paix  pour  l'amour  de  Dieu.  Voilà,  mes  pères,  toute 
ma  conduite  et  celle  de  Marie  ma  femme.  » 

Les  solitaires  s'en  retournèrent  pleins  d'admiration,  et  heureux 
d'avoir  appris  un  moyen  si  facile  de  s'acquitter  du  devoir  d'aimer 
Dieu  et  de  parvenir  à  la  perfection  de  la  vertu. 


SIXIEME    INSTRUCTION 

(Dimanche  de  la  Deuxième   Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  les  Parents  de 
pourvoir  aux  besoins  de  leurs  Enfants. 

I.  Etendue  de  ce  devoir.  —  II.  Son  importance. 

Jusqu'ici,  nous  nous  sommes  entretenus,  chrétiens,  de  nos 
principaux  devoirs  envers  Dieu,  qui  sont,  de  le  connaître, 
de  l'honorer,  de  le  servir  et  de  l'aimer.  C'est  à  bon  droit 
que  nous  avons  fait  passer,  avant  tous  autres,  cette  classe 
de  grands  devoirs,  puisque  le  premier  rang  est  toujours 
nécessairement  dû  à  Dieu.  Nous  n'avons  fait  d'ailleurs  que 
suivre  l'ordre  observé  par  Dieu  lui-même,  car  c'est  sur  la 
première  table  de  sa  loi  qu'il  a  gravé  les  commandements 
se  rapportant  à  lui.  De  plus,  quand  le  Sauveur  est  venu  sur 
la  terre,  il  a  également  déclaré  que  le  premier  et  le  plus 
grand  de  tous  les  commandements,  c'est  celui  qui  regarde 
le  service  et  l'amour  de  Dieu  (i). 

Quels  sont  maintenant,  après  nos  devoirs  envers  Dieu, 
nos  plus  importants  devoirs?  Notre  Seigneur  nous  apprend 
encore  que  ce  sont  nos  devoirs  à  l'égard  de  notre  prochain  : 
Il  y  a,  nous  dit-il,  un  second  commandement  semblable  aa 
premier  :  Vous  aimerez  votre  prochain  comme  vous-même  (2). 
Notre  prochain,  nous  le  savons,  ce  sont  tous  les  hommes, 
parce  que  tous  les  hommes  nous  sont  proches  par  la  nature, 
qui  est  la  même  en  tous.  Cependant,  si  tous  les  hommes 
nous  sont  proches  par  la  nature,  il  y  en  a  qui  nous  sont 
plus  proches  que  d'autres.  Or,  nos  plus  proches  sont  incon- 
testablement, pour  les  parents,  leurs  enfants,  et  pour  les 
enfants,  leurs  parents.  Voilà  pourquoi  le  Décalogue,  après 
avoir  formulé  nos  devoirs  envers  Dieu,  formule  aussitôt  les 

i.  Matth.  xxii,  38. 
2.  Matth.  xxn,  39. 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.      1 27 

devoirs  des  enfants  envers  leurs  parents,  devoirs  qui  impli- 
quent ceux  des  parents  à  l'égard  de  leurs  enfants.  En  effet, 
par  là  même  que  les  enfants  ont  des  devoirs  à  remplir 
envers  leurs  parents,  parce  que  leurs  parents  sont  à  leur 
égard  les  représentants  de  Dieu  ;  par  là  même  les  parents 
ont  le  devoir  d'agir,  envers  leurs  enfants,  conformément  à 
la  dignité  et  à  l'autorité  qui  leur  ont  été  conférées.  Et  parce 
que  les  parents  ont  à  s'acquitter  de  leurs  devoirs  envers 
leurs  enfants,  avant  que  les  enfants  aient  à  s'acquitter 
de  leurs  devoirs  envers  leurs  parents,  nous  allons  en  con- 
séquence nous  entretenir  d'abord  des  devoirs  des  parents 
envers  leurs  enfants. 

Grande  question,  chrétiens,  que  celle  des  devoirs  des 
païen Is  envers  leurs  enfants  !  Question  très  vaste,  à  cause 
du  nombre  et  delà  variété  de  ces  devoirs.  Question  d'une 
importance  immense,  à  cause  des  suites,  soit  excellentes, 
soit  désastreuses,  qu'entraîne  l'acomplissement  de  ces 
devoirs  ou  leur  inobservation.  Cependant,  que  de  parents 
qui  ne  connaissent  que  très  imparfaitement  cette  question, 
pour  eux  si  capitale  !  Combien  qui  s'en  font  de  fausses 
idées  !  Combien  qui  n'ont  jamais  réfléchi  aux  conséquen- 
ces terribles  résultant  de  leur  ignorance  ou  de  leur  négli- 
gence sur  ce  point  î  II  est  donc  de  la  plus  extrême 
nécessité  d'apprendre  ces  choses  à  ceux  qui  les  ignorent,  et 
même  de  les  rappeler  à  ceux  qui  les  savent,  afin  qu'ils  ne 
les  oublient  pas.  Ce  sujet  n'intéresse  d'ailleurs  pas  seule- 
ment ceux  qui  ont  présentement  des  enfants  à  élever, 
à  instruire  et  à  gouverner  ;  il  intéressera  aussi  ceux  qui 
n'en  ont  plus,  en  leur  faisant  voir  les  fautes  qu'ils  ont  pu 
commettre,  et  surtout  les  jeunes  gens  qui,  appelés  bientôt 
à  fonder  de  nouvelles  familles,  auront  avantage  à  connaître 
à  l'avance  les  obligations  de  leur  futur  état.  Nous  renferme- 
rons tout  ce  que  nous  avons  à  en  dire  dans  les  deux 
réflexions  suivantes  :  Premièrement,  étendue  du  devoir 
qu'ont  les  parents  de  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  enfants  ; 
secondement,    importance    de  ce  devoir  (î).   —  Seigneur, 

1.  i°  L'obligation  de  bien  élever  leurs  enfants  doit  être  la  plus  douce 
aux  pères  et  mères,  parce  qu'elle  est  plus  conforme  aux  inclinations  de 
la  nature.  C'est  assez  d'être  père,  d'être  mère  pour  aimer  ses  enfants  ;  et 


128        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.  INSTRUCTION. 

qui  êtes  le  premier  des  pères,  daignez  éclairer  vous-même 
sur  leurs  devoirs  ceux  que  vous  associez  à  votre  universelle 
paternité,  afin  qu'ils  concourent  à  la  perfection  de  votre 
ouvrage  en  ce  monde,  en  accomplissant  vos  vues  sur  eux. 

I.  —  Etendue  du  devoir  qu'ont  les  parents  de  pour- 
voir aux  besoins  de  leurs  enfants.  —  Toutes  les  fois  que 
Dieu  crée  un  être,  il  s'obligea  pourvoir  à  ses  besoins  dans  la 
mesure  nécessaire ,  autrement  cet  être ,  abandonné  à  lui-même , 
retomberait  dans  le  néant.  Il  en  est  de  même  de  quiconque 
met  au  monde  un  enfant  :  celui-là,  en  participant  à  l'acte 
créateur,  contracte  également,  en  toute  rigueur,  le  devoir  de 
pourvoir  aux:  besoins  de  l'être  auquel  il  a  donné  naissance. 
Or,  l'étendue  de  ce  devoir  égale  nécessairement,  on  le  con- 
çoit, celle  des  besoins  de  l'enfant.  Et  parce  que  l'enfant, 
formé  d'un  corps  et  d'une  âme,  a  naturellement  des  besoins 
corporels  et  des  besoins  spirituels,  le  devoir  des  parents  est 
donc  de  pourvoir  à  ces  deux  classes  de  besoins,  dont  nous 
allons  parler  séparément  (i). 

peut-on  les  aimer,  et  négliger  leur  éducation  ?  —  20  Cette  obligation  est 
la  plus  essentielle  :  c'est  par  là  qu'un  père  est  véritablement  père,  et 
c'est  pour  cela  qu'il  Test  ;  et  quand  il  s'acquitterait  de  tous  les  autres 
devoirs,  s'il  manque  à  celui-là,  qui  doit  tenir  le  premier  rang,  Faccom- 
plissemcnt  de  tous  les  autres  lui  servira  de  peu.  —  3°  Cette  obligation 
est  la  plus  terrible  pour  les  parents  ;  s'ils  ne  s'en  acquittent  pas,  ils  sont 
responsables  de  tous  les  péchés  que  commettent  leurs  enfants  :  et  quel 
compte  n'auront-ils  point  à  rendre  à  Dieu  !  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédic. 
Éducat.  des  enf.  §  1,  n.  9). 

1.  Dieu,  en  donnant  l'être  aux  hommes,  leur  donne  en  même  temps 
ou  du  moins  leur  destine  trois  sortes  de  vies,  qui  nous  font  connaître 
trois  sortes  de  soins  et  de  providences  à  leur  égard.  Il  leur  donne  la  vie 
naturelle,  d'où  ensuite  il  pourvoit  à  ce  qui  est  nécessaire  pour  leur  con- 
servation. Il  les  destine  à  une  vie  immortelle,  qui  est  la  fin  pour  laquelle 
il  les  a  créés  ;  c'est  pourquoi  il  a  à  leur  égard  une  seconde  providence 
surnaturelle  qui  veille  à  leur  préparer  les  grâces  et  les  moyens  néces- 
saires pour  leur  salut.  Enfin,  il  les  fait  naître  parmi  les  autres  hommes, 
pour  faire  une  partie  de  la  république,  et  y  mener  une  vie  civile  ;  ce 
qui  fait  que  par  une  troisième  providence,  que  nous  appelons  vocation, 
et  qui  est  en  partie  naturelle,  et  en  partie  surnaturelle,  il  les  appelle  à 
un  tel  état,  ou  à  un  tel  genre  de  vie.  C'est  en  ces  trois  choses  que  les 
pères  et  les  mères  doivent  imiter  Dieu,  dont  ils  tiennent  la  place  à  l'égard 
de  leurs  enfants  :  i°  Comme  ce  sont  eux,  dont  Dieu  se  sert  pour  leur 
donner  la  vie  naturelle,  ils  sont  obligés  au  soin  de  leur  entretien  et  de 
leur  conservation,  par  un  amour  qui  doit  imiter  celui  de  Dieu.  —  20  Us 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS;      I  ><) 

Et  d'abord,  quels  sont  les  besoins  corporels  des  enfants, 
ou  autrement,  quels  sont  leurs  besoins  par  rapport  à  la  vie 
présente?  lui  général,  les  parents  s'occupent  bien  plus  de 
ces  besoins,  que  de  ceux  qui  se  rapportent  à  l'âme  et  à  la 
vie  éternelle.  Cependant  ils  ne  laissent  pas  de  tomber  aussi, 
à  cet  égard,  dans  plusieurs  fautes  qu'il  est  nécessaire  de 
signaler,  afin  qu'ils  puissent  les  éviter. 

Or,  le  premier  besoin  corporel  des  enfants,  c'est  d'être 
traités,  non  moins  avant  qu'après  leur  naissance,  avec  de 
convenables  précautions  et  de  justes  ménagements  (i).  La 
vie  est  alors  en  eux  très  fragile,  et  la  moindre  imprudence 
de  la  part  des  parents  peut  la  leur  ôter,  ou  la  leur  rendre 
plus  ou  moins  désagréable  et  pénible.  Combien  de  malheu- 
reux petits  êtres  qui,  bien  qu'appelés  déjà  à  l'existence, 
cependant  ne  voient  jamais  le  jour,  par  le   fait    de    leurs 

doivent  contribuer  à  leur  salut,  par  la  bonne  éducation,  qui  est  une 
seconde  vie  morale,  infiniment  plus  noble  que  la  première,  en  les  éle- 
vant dans  la  vertu,  pour  leur  faciliter  le  chemin  du  ciel.  —  3°  Ils  doi- 
vent les  aider  à  s'établir  dans  la  vie  civile,  en  secondant  leur  naturel  et 
leur  vocation  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédic.  Éduc.  des  Enf.  §  i,  n.  3). 
Les  devoirs  des  parents  sont  :  i°  de  préférer  à  tout  le  salut  de  leurs 
enfants,  sans  cependant  négliger  leur  bien-être  temporel  ;  et  pour  cela, 
2°  de  les  offrir  à  Dieu  avec  leurs  prières  et  leurs  bonnes  œuvres,  pour 
obtenir  de  sa  miséricorde  qu'ils  soient  ses  serviteurs  en  esprit  et  en 
vérité  ;  3°  de  les  élever  saintement  ;  4°  de  leur  donner,  par  conséquent, 
1  instruction  et  l'exemple  de  tous  les  devoirs  du  chrétien  ;  5°  de  leur 
faire  contracter  de  bonne  heure  d'heurcusesmabitudes,  les  corrigeant  à 
propos  et  suivant  les  règles  de  la  sagesse  ;  6°  de  ne  donner  à  leurs 
enfants  que  des  maîtres  édifiants;  7°  de  ne  contrarier  ni  leur  piété  ni 
leur  vocation,  mais  de  s'attacher  à  les  diriger  selon  l'esprit  de  Dieu  sur 
ces  deux  points  ;  8°  enfin,  de  les  préserver  du  mal  et  de  les  en  retirer, 
quand  ils  ont  eu  le  malheur  de  s'y  engager  (R.  P.  Warnet,  Trésor  des 
Prédic.  Paren I s,  ait.   2). 

t.  «  Malheur  aux  unions  dont  le  vomi  est  d'être  stériles,  s'écrie»  quel- 
que pari  Bossuet,  elles  ne  seront  bénies  ni  de  Dieu  ni  des  hommes  !  » 
.Malheur  aux  hommes  qui,  comme  l'arbre  des  forêts,  jettent  çà  et  là  aux 
ailes  des  vents,  c'est-à-dire  au  souille  des  passions,  la  mystérieuse  force 
dont  le  germe  divin  est  en  eux  !  Malheur  aux  pères,  malheur  aux  mères 
qui,  cédant  à  la  crainte  lâche  des  saintes  fatigues  de  là  dignité  pater- 
nelle et  maternelle,  se  défient  de  la  Providence  et  de  l'avenir,  trompent 
le  vœu  delà  nature,  troublent  l'ordre  de  Dieu  lui-même,  méconnaissent 
l'immense  responsabilité  de  leur  puissance  et  repoussent  loin  d'eux,  vers 
le  néant,  ces  nobles  créatures,  ces  âmes  charmantes,  qu'ils  devaient  offrir 
au  ciel  comme  le  fruit  de  sa  bénédiction  !  (Mgr  Dupanloup,  UÉdacation. 
Autorité  du  père). 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.    —    T.   II.  n 


IûO         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SÂLUT.   VI.  INSTRUCTION. 

parents  !  Combien  qui,  arrivés  déjà  au  grand  jour  de  la  vie, 
bientôt  la  quittent  faute  des  soins  dont  ils  devaient  être 
entourés  !  Que  d'autres  encore  ne  voit-on  pas  qui,  tout  en 
restant  en  ce  monde  grâce  à  la  force  de  leur  constitution, 
cependant  n'y  mènent  qu'une  vie  plus  ou  moins  malheu- 
reuse, par  suite  de  la  négligence  ou  des  mauvais  traite- 
ments de  leurs  parents,  négligence  et  mauvais  traitements 
qui  les  ont  rendus  malingres,  difformes,  estropiés  !  Que  les 
parents  chrétiens  le  sachent  donc  bien  :  ils  sont  responsa- 
bles des  existences  qui  leur  sont  confiées.  Sous  la  loi  du 
démon,  les  païens  pouvaient  autrefois  et  peuvent  encore 
traiter  à  leur  gré  leurs  enfants,  les  abandonner  sur  la  voie 
publique  parmi  les  ordures,  les  broyer  contre  une  pierre, 
les  jeter  à  l'eau,  les  donner  en  pâture  aux  animaux.  Sous  la  loi 
de  Dieu,  les  parents  n'ont  pas  la  propriété  de  leurs  enfants, 
mais  seulement  la  garde.  Qu'ils  évitent  donc  avant  tout, 
par  conséquent,  et  cela  avec  le  plus  grand  soin,  tout  ce  qui 
pourrait  être  funeste,  soit  à  la  vie,  soit  à  la  bonne  constitu- 
tion, soit  à  la  santé  de  leurs  enfants,  s'interdisant,  ne  fût-ce 
que  pour  ce  motif,  toute  colère,  tout  emportement,  toute 
violence  (i). 

i .  La  vie  naturelle  des  enfants  dans  le  sein  de  leur  mère  oblige  les 
parents  à  de  très  grands  soins.  La  mère  doit  ménager  soigneusement 
sa  santé,  pour  conserver  celle  de  son  fruit  et  lui  former  de  bonne 
heure  une  forte  constitution.  Combien  sont  coupables  les  mères  qui, 
pendant  leur  grossesse,  font  toutes  sortes  d'imprudences,  comme  de 
courir,  sauter,  travailler  de  force,  porter  des  fardeaux  trop  lourds, 
faire  de  trop  longs  voyages,  se  livrer  à  la  colère,  à  l'emportement, 
manger  des  choses  nuisibles,  au  grand  risque  de  perdre  leur  fruit  pour 
le  temps  et  pour  l'éternité  !  Combien  coupable  aussi  est  le  père  qui, 
par  une  cruauté  également  funeste  à  la  mère  et  à  l'enfant  qu'elle  porte, 
chagrine  celle-là,  la  tourmente,  la  frappe,  etc.  !  Tous  les  docteurs 
s'accordent  à  dire  que  tout  ce  qui,  de  la  part  des  parents,  peut  nuire 
gravement  à  la  vie,  est  péché  grave... 

Tout  avortement  volontaire  est  un  grand  crime  :  les  saints  Pères 
l'appellent  homicide.  11  est  un  cas  réservé  dans  presque  tous  les  diocèses, 
même  pour  ceux  qui  le  conseillent  et  en  fournissent  les  moyens.  Il  y  a 
déplus  excommunication  pour  ceux  qui  le  procurent  directement  ou 
indirectement,  si  le  fœtus  est  animé  (Nunc  videtur  esse  opinio  commu- 
nior  inter  medicos  fœtum  esse  animatum  a  conceptionc.  Theol.  pract.)... 

Les  parents  pèchent  gravement  pour  l'ordinaire,  lorsque,  par  leur 
faute,  ils  laissent  seuls  leurs  enfants  quand  ils  sont  encore  trop  faibles, 
au  péril  de  se  jeter  dans  le  feu,  ou  dans  l'eau,  ou  de  faire  d'autres 
chutes  dangereuses,  ou  lorsque,  par  colère,  par  antipathie,  il  les    mal- 


DEVOIRS  DÉS  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.      10 I 

Mais  Les  enfants  n'ont  pas  seulement  besoin  d'être  traités 
avec  ménagement,  ils  ont  aussi  besoin  d'être  nourris.  Et 
par  nourriture  nous  entendons  ici,  comme  par  le  pain  que 
nous  demandons  dans  l'Oraison  Dominicale,  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  vie  corporelle,  c'est-à-dire,  non  seulement  les 
aliments,  mais  encore  au  moins  les  vêtements  et  le  couvert. 
Les  enfants  ont  besoin  de  ces  différentes  choses,  parce  que 
sans  ces  choses  on  ne  peut  pas  vivre.  Sans  aliments,  on 
meurt  de  faim;  sans  vêtements  et  sans  habitation,  on  meurt 
des  intempéries  des  saisons.  Or,  les  enfants,  au  moins 
dans  leur  bas-àge,  ne  peuvent  pas  se  procurer  ces  choses, 
cela  est  bien  évident.  Il  y  a  donc  par  conséquent  obligation 
pour  les  parents  de  les  leur  procurer.  Et  pour  les  leur  pro- 
curer, ils  doivent,  non  seulement  travailler  autant  qu'ils  le 
peuvent,  mais  encore  leur  consacrer  une  partie  suffisante 
de  ce  qu'ils  gagnent.  Sans  doute,  c'est  ce  que  font  la  plupart 
des  parents.  Il  y  en  a  même  qui,  pour  leurs  enfants,  tra- 
vaillent jusque  pendant  les  jours  consacrés  au  Seigneur,  en 
quoi  ils  sont  gravement  répréhensibles.  Cependant  il  y  en  a 
aussi  qui  certainement  ne  pourvoient  pas  autant  qu'ils  le 

traitent  rudement,  leur  donnent  de  mauvais  coups,  et  portent  par  là 
à  leur  tempérament,  quelquefois  pour  le  reste  de  leurs  jours,  de 
cruelles  atteintes.. . 

Dans  plusieurs  diocèses  de  France,  il  est  spécialement  prohibé  de 
faire  coucher  avec  de  grandes  personnes  les  enfants  qui  n'ont  pas 
un  an  acecompli  ;  cl  dans  presque  tous  les  diocèses,  la  suffocation  de 
l'enfant,  lorsqu'elle  est  l'effet  d'une  grande  négligence,  est  un  cas 
réservé.  Le  Pape  Etienne  Y  regarde  comme  coupables  d'homicide  les 
parents  dont  l'enfant  aura  été  trouvé  mort  dans  leur  lit. . . 

\bandonner  un  enfant,  ou  l'exposer  dans  un  lieu  public,  est  un 
péché  très  grave  contre  toutes  les  lois. 

Exposer  un  enfant,  sans  raison  urgente,  aux  portes  des  hôpitaux, 
afin  d'en  être  débarrassé,  est  un  péché  mortel,  si  l'enfant  est  légitime  : 
c'est  lui  imprimer  la  tache  d'illégitimité.  Si  l'enfant  est  illégitime, 
Layman,  saint  Liguori  el  Henriquez  croient  que  probablement  il  est 
permis  de  l'exposer,  et  que  son  illégitimité  est  une  cause  suffisante 
pour  excuser  de  péché  ;  mais  alors,  d'après  plusieurs  théologiens 
(contra  aliosj,  les  parents  sont  obligés  de  dédommager  l'hôpital  qui  a 
reçu  l'enfant,  au  moins  selon  la  taxe,  s'ils  le  peuvent,  et  surtout  si 
l'hôpital  n'est  pas  riche.  Ils  sont  aussi  obligés  de  désigner  L'enfant  par 
quelque  signe,  afin  de  pouvoir  le  reconnaître,  de  pourvoir  au  reste  de 
son  éducation,  si  l'hôpital  la  laissait  incomplète,  et  de  veiller  à  son 
salut  (Examen  raisonné  sur  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  etc. 
par  un  anc.  profess.  de  théol.  chap.  4,  a.  2,  s  0. 


102        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VI.  INSTRUCTION. 

doivent  et  le  peuvent  aux  besoins  matériels  de  leurs  enfants. 
Ce  sont,  d'un  côté,  ceux  qui,  par  paresse  ou  indifférence,  ne 
se  donnent  pas  la  peine  de  travailler  d'une  manière  assez 
sérieuse  et  assez  assidue  ;  et  de  l'autre  côté,  ceux  qui,  tout  en 
travaillant  autant  qu'ils  le  doivent,  ou  bien  dépensent  pour 
eux-mêmes  tout  ce  qu'ils  gagnent,  ou  bien  l'économisent 
par  une  avarice  sordide,  sans  en  rien  dépenser  ni  pour  eux 
ni  pour  leurs  enfants.  Or,  tous  ces  désordres  sont  grave- 
ment préjudiciables  aux  enfants,  ainsi  réduits,  soit  à  men- 
dier, soit  à  voler,  soit  à  dépérir  ;  et  les  parents  qui  s'en  ren- 
dent coupables  ne  sauraient  être  trop  énergiquement  blâ- 
més et  honnis.  Il  sont  au-dessous  des  animaux,  même  les 
plus  sauvages,  qui  n'abandonnent  jamais  leurs  petits  tant 
que  ceux-ci  ont  besoin  d'eux  (i). 

i.  Il  n'est  point  de  bête  farouche  qui  n'ait  soin  de  nourrir  ses  petits, 
les  dragons  mêmes  et  les  chiens  sauvages  le  font,  et  il  y  a  plusieurs 
personnes  parmi  mon  peuple  qui  sont  cruelles  comme  l'autruche. 
L'autruche,  comme  vous  le  savez,  est  un  animal  goulu  tout  ce  qui  se 
peut  ;  jcttez-lui  du  fer,  de  Fétain  ou  de  l'argent,  elle  avale  tout,  elle 
digère  tout  ;  mais,  au  reste,  elle  est  cruelle  envers  ses  petits  au  dernier 
point  ;  car,  comme  le  dit  le  saint  homme  Job,  xxxix,  i3,  elle  se  con- 
tente de  pondre  des  œufs  et,  les  ayant  pondus,  elle  n'a  point  le  soin  de 
les  couver,  elle  les  laisse  sur  la  terre,  sans  prévoir  que  quelque  passant 
les  foulera  aux  pieds,  ou  que  quelque  bête  les  écrasera  ;  et  si  quel- 
qu'un de  ces  petits,  échauffé  par  les  rayons  du  soleil,  vient  à  s'éclore 
et  réclame  sa  mère  pour  avoir  un  peu  de  nourriture,  elle  est  sourde  à 
cette  voix  plaintive,  elle  l'abandonne  comme  si  elle  n'était  pas  sa  mère. 
Ce  père  de  famille  en  fait  de  même  :  il  est  goulu  et  cruel  comme  cet 
oiseau,  il  consume  l'argent,  le  fer,  l'étain  et  le  linge  qu'il  faut  vendre 
pour  fournir  aux  frais  de  ses  débauches  ;  il  se  contente  de  peupler  le 
monde,  d'avoir  des  enfants,  et  n'a  point  le  soin  de  les  élever.  Pendant 
qu'il  fait  bonne  chère  au  cabaret,  ces  pauvres  innocents  crient  à  la 
faim,  pleurent  et  gémissent.  Vous  faites  contre  cette  parole  du  Sau- 
veur :  11  n'est  pas  bon  de  prendre  le  pain  des  enfants  et  de  le  donner 
aux  chiens.  Vous  dépensez  votre  bien  dans  un  cabaret  ;  ce  qui  devrait 
nourrir  vos  enfants  pendant  toute  la  semaine,  vous  le  mangez  en  un 
jour  de  dimanche  avec  des  flatteurs,  avec  des  escorniffleurs,  avec  des 
fripons  aussi  impudents  que  des  chiens  :  Calelli  edunt  de  micis  quœ 
cadunt  de  mensa.  Les  chiens  de  la  taverne  sont  plus  heureux  que  vos 
enfants  :  vous  leur  jettez  quelque  morceau  de  pain,  ils  recueillent  les 
miettes  qui  tombent  de  votre  table  !  Si  vous  vous  contentiez  de  faire 
bonne  chère  en  vos  maisons,  vos  pauvres  femmes  et  vos  enfants  s'en 
sentiraient,  car  ils  tâcheraient  de  vivoter  de  vos  restes. . .  —  Ce  mauvais 
riche  est  si  fort  attaché  aux  biens  de  ce  monde,  qu'il  est  impossible  de 
lui  faire  rien  débourser  pour  l'entretien  nécessaire  et  l'honnête  éduca- 
tion de  ses   enfants  :  Obliviscitur  quod  pes  conculset  ea,   mit  bestia  agri 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.      l33 

Enfin,  les  enfants,  même  au  seul  point  de  vue  temporel, 
ont  encore  besoin  d'être  dirigés.  Etant  sans  aucune  expé- 
rience, et  ne  connaissant  rien  des  choses  de  la  vie,  ils  sont 
par   là  même  exposes   à  se  tromper  et  à  se  laisser  tromper, 

conierat,  Job.  loc.  cit.  II  no  considère  pas  que  la  pauvreté  engendre 
quelquefois  le  malheur  ,  que  la  nécessite  est  une  rude  maîtresse,  que  le 
mépris  qu'il  faii  de  ses  enfants  et  le  besoin  où  il  les  laisse  sera  cause 
qu'ils  se  perdront  et  temporellemcnt  et  spirituellement,  que  quelque 
homme  ou  bête  farouche  les  écrasera.  Que  cette  fille,  se  voyant  négligée 
de  son  père,  se  mettra  en  service  pour  tâcher  de  faire  fortune,  qu'elle 
tombera  en  la  puissance  d'un  homme  de  mauvaise  vie  qui  la  débau- 
chera et  la  perdra.  Que  ce  garçon  quittera  le  pays  pour  trouver  en  une 
province  étrangère  la  nourriture  qui  lui  est  refusée  en  sa  maison  pater- 
nelle, qu'il  se  trouvera  en  mauvaise  compagnie,  qu'il  fera  mal  avec  les 
méchants,  qu'il  sera  pris  de  justice:  Durai ur  ad  filios  suos, quasi  non  sint 
suit  dit  Job  (Le  P.  Lejelne,  Le  Missionn.  de  V Oratoire.,  serm.  49,  1  p.)« 
Mères  chrétiennes,  quand  le  sage  et  bienfaisant  Auteur  de  la  nature 
place  dans  votre  sein,  au  moment  de  la  naissance  de  vos  enfants,  la 
nourriture  la  plus  salutaire,  la  plus  particulièrement  adaptée  à  leur 
tempéramment,  est-ce  pour  que  vous  les  en  frustriez  ?  Les  bêtes  farou- 
ches, dit  le  prophète,  ont  découvert  leurs  mamelles,  et  allaité  leurs 
petits  :  la  fille  de  mon  peuple  est  cruelle  comme  l'autruche  du  désert. 
Thren.  iv,  3.  Par  quels  moyens  plus  puissants  la  Providence  aurait-elle 
donc  pu  exciter  les  mères  à  donner  leur  propre  lait  au  fruit  de  leurs 
entrailles  ?  Un  amour  plus  précoce  et  plus  tendre  de  la  part  de  leurs 
enfants  ;  pour  elles-mêmes,  une  santé  plus  soutenue  et  plus  robuste,  ne 
sont-cc  pas  là  des  motifs  assez  forts  pour  les  déterminer  ?  La  mère  de 
saint  Louis,  la  vertueuse  Blanche,  sur  le  trône,  ne  croyait  pas  pouvoir 
se  dispenser  de  ce  devoir,  et  nous  voyons  continuellement  des  mères 
prétendre  s'en  affranchir  sous  le  prétexte  de  leur  condition.  Oui,  sous 
le  prétexte,  car  ce  n'est  pas  Là  la  véritable  raison.  Le  devoir  d'allaiter  ses 
enfants  en  entraîne  d'autres  :  l'assiduité  à  la  maison,  un  régime  tem- 
pérant, la  privation  des  plaisirs  turbulents,  la  séquestration  des  fêtes, 
des  assemblées  prolongées  dans  la  nuit.  Voilà  dans  la  réalité,  voilà  les 
motifs  qui,  presque  toujours,  dérobent  aux  enfants  le  lait  maternel  : 
c'est  l'amour  du  plaisir,  qui,  plus  fort  que  la  tendresse,  bannit  ces 
malheureux  enfants  de  leur  maison,  au  moment  où  ils  y  entrent  ;  les 
rejette  dans  des  bras  étrangers,  les  abandonne  à  des  soins  mercenaires. 
On  croit  avoir  satisfait  à  la  nature,  obéi  à  la  religion,  en  les  faisant 
venir  près  de  soi,  de  temps  en  temps,  ou  en  allant  de  loin  en  loin 
les  \isiter.  On  se  persuade  qu'on  les  aime,  parce  que,  au  milieu  des 
dissipations,  des  divertissements,  on  ne  les  délaisse  pas  entièrement. 
Il  esl  cependant  nécessaire  d'observer  qu'il  se  trouve  des  mères  à  qui  le 
moyen  de  remplir  cette  obligation  est  refusé,  et  qui  ne  portent  pas  dans 
leur  sein  la  nourriture  qu'y  cherchent  leurs  enfants.  Que  ce  soit 
une  faiblesse  de  tempérament,  que  ce  soit  l'effet  de  la  vie  qu'elles 
mènent,  il  est  évident  que  celles-là  doivent  se  faire  remplacer.  Mais 
d'abord  elles  doivent  apporter  à  ce  choix:  la  plus  grande  attention.  Les 
erreurs  dans  ce  genre  sont  si  communes  et  si  funestes,  qu'on  ne  peut 
prendre  trop  de  précautions  pour  n'être  pas  trompé. Elles  doivent  ensuite 


l34         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.  INSTRUCTION. 

non  sans  de  très  fâcheuses  conséquences  pour  eux.  C'est 
pourquoi  les  parents,  qui  sont  tenus  à  pourvoir  aux  besoins 
matériels  de  leurs  enfants,  sont  tenus  par  là  même  à  les 
rendre  capables  d'y  pourvoir  par  leur  propre  travail,  dès 
qu'ils  le  peuvent.  Ils  doivent  en  conséquence  leur  faire 
apprendre,  soit  un  métier,  soit  une  profession,  en  rapport 
avec  les  conditions  dans  lesquelles  ils  se  trouvent,  et  où  leurs 
enfants  puissent  gagner  honorablement  leur  vie.  Les  parents 
doivent  encore  diriger  leurs  enfants,  au  moment  de  leur 
mariage,  pour  les  mettre  autant  que  possible  à  l'abri  d'un 
choix  défectueux,  qui  serait  pour  eux  la  source  d'une  foule 
de  déboires  et  de  chagrins.  Sans  doute,  les  conseils  des 
parents,  soit  au  sujet  d'un  état,  soit  au  sujet  du  mariage, 
même  bien  suivis,  n'empêchent  pas  toujours  les  maux  de 
Favenir.  Cependant  on  ne  peut  contester  qu'ils  ont,  le  plus 
souvent,  d'heureuses^ conséquences.  Les  parents  ne  sau- 
raient donc,  sans  manquer  gravement  à  leur  devoir, 
se  dispenser  de  donner  à  leurs  enfants  ces  conseils,  qui 
peuvent  contribuer  si  efficacement  à  leur  procurer  une 
honnête  existence  ici-bas  (i). 

tenir  leurs  enfants  le  plus  près  d'elles  qu'il  est  possible,  et,  par  une 
attention  soutenue,  surveiller  constamment  et  l'enfant  et  celle  qui  lui 
donne  son  lait  (Gard.  De  La  Luzerrne,  Considérât,  sur  les  devoirs  des 
pères  et  mères,  n.  28). 

A  l'égard  de  l'entretien  des  enfants,  deux  abus  sont  à  éviter,  le 
défaut  et  l'excès.  Il  est  des  parents  avares,  qui  ne  veulent  rien  accor- 
der, qui  font  consister  l'éducation  à  refuser,  et  qui  laissent  leurs 
enfants  dans  la  privation  des  choses  convenables,  quelquefois  même 
dans  le  dénuement  des  nécessaires.  11  en  est  d'autres,  et  ils  sont  plus 
communs,  qui,  au  contraire,  font  de  l'éducation  un  objet  de  luxe  ;  qui 
croient  se  faire  honneur  de  la  magnificence  avec  laquelle  ils  parent 
leurs  enfants,  de  l'état  fastueux  qu'ils  leur  donnent,  des  dépenses 
superflues  et  de  pure  ostentation  qu'ils  leur  font  faire.  Les  premiers,  par 
leur  dureté,  aliènent  d'eux  leurs  enfants  et  les  induisent  à  des  emprunts 
ruineux,  quelquefois  à  des  bassesses  flétrissantes.  Les  seconds  insinuent 
dans  ces  jeunes  cœurs  le  poison  de  la  vanité,  et,  en  leur  fournissant  les 
moyens  de  satisfaire  tous  leurs  goûts,  font  naître,  développent,  excitent 
en  eux  les  passions.  Tenez-vous  sur  ce  point  dans  un  juste  milieu.  Que 
vos  enfants  ne  manquent  de  rien,  qu'ils  aient  même  une  honnête  abon- 
dance, proportionnée  à  leur  état  et  à  vos  facultés.  Mais,  pour  leur  pro- 
pre bonheur,  sachez  leur  refuser  des  superfluités  qui  leur  deviennent 
nuisibles.  Accoutumez-les  de  bonne  heure  à  une  économie  sans  parci- 
monie, à  une  générosité  sans  faste  (ld.  Ibid.  n.  i3). 

j .  Les  parents  doivent  à  leurs  enfants  le  soip  de  leur  établissement  ; 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.      l35 

Tels  sont,    à   L'égard   du   corps  et   de  la  vie  présente,  les 

besoins  des  enfants  et  les  devoirs  correspondants  des 
parents.  Combien  plus  graves  encore  sont  les  besoins  et  les 
devoirs  des  uns  et  des  autres,  à  l'égard  de  L'âme  et  de  la  vie 
éternelle  ! 

Ce  donl  les  enfants  ont  tout  d'abord  besoin  ici,  sans  par- 
ler du  Baptême  qu'on  ne  doit  jamais  leur  différer  (i),  c'est 
d'être  instruits  ;  instruits,  voulons-nous  dire,  principa- 
lement des  vérités  et  des  préceptes  de  la  religion.  Les  con- 
naissances humaines  sont  assurément  très  utiles,  mais 
aucune  n'est  indispensable.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  la 
connaissance  de  la  religion.  Sans  cette  connaissance, 
nous    ne   savons,    ni  ce    qu'il   faut  croire,   ni  ce  qu'il  faut 

ils  sont  obligés  d'y  penser  sérieusement  et  de  bonne  heure  ;  d'y  pourvoir 
effieacement,  selon  leur  étal  et  leur  condition  ;  mais  plus  encore  suivant 
la  vocation  de  Dieu.  Et  afin  d'agir  en  cela  conformément  aux  règles  de 
la  prudence  chrétienne,  ils  doivent  consulter  le  Seigneur,  examiner 
L'inclination  et  les  talents  de  leurs  enfants,  prendre  conseil  de  ceux  qui 
les  conduisent  et  les  connaissent.  Le  malheur  est  que  la  plupart  des 
parents  ne  consultent  sur  cela  que  l'ambition,  ou  l'intérêt,  ou  môme 
laissent  aller  les  choses  au  hasard,  et  ne  suivent  que  le  caprice  de  leurs 
enfants.  Il  y  a  deux  choses  à  observer  sur  ce  chapitre  :  i°  De  prendre 
garde  de  les  porter  à  embrasser  l'état  religieux  ou  ecclésiastique,  si  leurs 
enfants  n'ont  ni  la  vocation,  ni  les  talents  propres  pour  en  remplir  les 
devoirs.  20  De  ne  pas  aussi  les  empêcher  de  suivre  là-dessus  la  vocation 
de  Dieu  quand  il  les  y  appelle.  Les  parents  doivent  se  souvenir  qu'ils 
tiennent  de  Dieu  l'autorité  qu'ils  ont  sur  leurs  enfants,  et  qu'ainsi  ils  ne 
peuvent,  sans  une  horrible  prévarication,  s'en  servir  pour  les  empêcher 
de  suivre  l'ordre  de  Dieu,  qui  leur  est  marqué  par  la  vocation,  et  ils  doi- 
vent se  persuader  que  leurs  enfants  ne  sont  pas  obligés  à  leur  obéir 
quand  ils  veulent  les  engager  à  désobéir  à  Dieu  (Houdry,  Biblioth.  des 
Prédic.  Kducat.  des  Enf.  S  i*  n.  i5). 

1.  Primo  quidem  solliciti  sint  (parentes)  per  Baptismum  vitam  spiri- 
tualem  proli  procurare.  Nain  christiani  non  solum  carnis,  sed  et  spiri- 
tus  et  anima-  esse  debent  parentes,  ut  obsequantur  œterno  Patri  spiri- 
tuum.  Provideant  ergo  filiis  de  regeneratione  in  vitam  aeternam  ex  aqua 
et  Spiritu  Sancto.  Nec  per  rnultos  dies  différant,  ne  proli  periculum 
ingeneretur  ;  fragilis  enim  admodum  vita  infantis,  et  minimo  incom- 
modo  perimi  potest.  Matrcs  cum  génèrent  infantes  per  peccatum  mor- 
tuos,  matrcs  sunt  mortuorum  ;  proies  statim  offerendo  per  Baptismum 
fiant  matrcs  viventhim.  Non  paliantur  ut  nomen  Eva  ipsis  eonveniat 
solum  per  antiphrasim,  aut  ironice  ;  fiât  quaelibet  mater  Eva,  hoc  est, 
Mater  vivenlium,  ycr  verilalcm  procurando  infanti  vitam  gratis  in  Salva- 
tore  promissam.  Debent  quoque  simul  cum  Baptismo  eligere  laies 
patronos,  sive  patres  spirituales  puerorum  ;  ut  si  contingat  parentes 
intermori,  possint  ipsi  in  fide  et  probitate  vitee  illos  instruere.  (Mmigh, 
Hort.  past.  Gandel.  myst,  tr.  8.  pr.  3). 


l36        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   —  VI.   INSTRUCTION. 

faire  pour  atteindre  le  but  de  notre  destinée,  qui  est 
notre  salut.  Or,  cette  connaissance,  l'enseignement  seul 
peut  la  faire  acquérir.  De  là,  pour  les  parents,  l'obligation 
d'en  apprendre  au  moins  les  éléments  essentiels  à  leurs 
enfants,  dès  que  la  raison  de  ceux-ci  commence  à  s'éveiller. 
Qu'il  est  beau,  le  spectacle  d'un  père,  d'une  mère,  nom- 
mant Dieu  à  son  enfant  en  lui  montrant  le  ciel,  et  gravant 
pour  jamais  ce  nom  sacré  dans  son  âme  encore  neuve  (i)  ! 
Si  les  parents  s'acquittent  fidèlement  de  ce  devoir,  toute  sa 
vie  leur  enfant  gardera  imprimées  au  fond  de  son  cœur  les 
vérités  qu'ils  y  auront  déposées,  et  elles  serviront  à  le  pré- 
server ou  à  le  ramener.  Ils  peuvent  et  doivent  d'ailleurs, 
quand  l'enfant  grandit,  faire  compléter  par  les  prêtres  l'en- 
seignement qu'ils  ont  d'abord  ébauché  (1). 

i .  Dès  les  premiers  moments  où  vous  apercevez  dans  votre  enfant 
quelques  lueurs  de  raison,  vous  devez  commencer  son  éducation  chré- 
tienne. Je  dirais  volontiers  que  cette  éducation  doit  même  prévenir  sa 
raison.  Que  ses  premiers  regards  soient  frappés  d'actes  de  piété;  que  les 
premières  paroles  discernées  par  les  oreilles,  soient  des  discours  d'édifi- 
cation, afin  que  ses  premières  pensées  soient  tournées  vers  Celui  qui, 
dans  tout  le  cours  de  sa  vie,  doit  être  l'objet  principal  de  ses  pensées. 
En  attendant  que  vous  puissiez  lui  donner  des  leçons  de  religion,  mon- 
trez-lui en  des  exemples.  Qu'il  voie  qu'il  y  a  un  Dieu,  avant  même  que 
vous  le  lui  disiez.  Mettez  de  bonne  heure,  dans  sa  bouche,  les  doux  noms 
de  Jésus  et  de  Marie.  Quand  il  vous  appellera  son  père,  apprenez-lui 
qu'il  y  a  dans  les  cieux  un  autre  Père  bien  plus  puissant  et  bien  meil- 
leur. Quand  il  vous  nommera  sa  mère,  dites-lui  d'après  Jésus-Christ,  en 
lui  montrant  l'image  de  Marie  :  Mon  fils,  voilà  votre  mère.  Aussitôt  que 
sa  mémoire  sera  en  état  de  la  retenir,  apprenez-lui  la  prière  sacrée  qui 
nous  vient  du  divin  Sauveur.  Accoutumez-le  de  bonne  heure  à  adresser 
à  Dieu  son  hommage  du  matin  et  du  soir.  Dieu  aime  à  être  loué  par  la 
bouche  des  enfants.  Ps.  vin,  3.  Souvent,  les  rassemblant  tous  autour  de 
vous,  dites-leur  avec  David  :  Venez,  mes  enfants,  écoutez-moi  :  je  vous 
enseignerai  la  crainte  du  Seigneur.  Es.  xxxin,  12.  Mais  proportionnez 
toujours  vos  instructions  et  leurs  exercices  de  piété,  à  leur  âge  et  à  la 
portée  de  leur  raison.  Trop  longs,  ils  les  ennuieraient  ;  trop  multipliés, 
ils  les  rebuteraient.  En  leur  donnant  la  connaissance  de  la  religion, 
inspirez-leur  en  le  goût.  A  leurs  jeux  enfantins  mêlez,  sans  affectation, 
quelquefois  des  maximes  salutaires  ;  plus  souvent  des  traits  d'histoire, 
qui,  sans  avoir  l'air  de  la  morale,  en  donnent  l'idée  ;  sans  la  montrer, 
la  font  recevoir  ;  en  l'enveloppant,  la  font  goûter  ;  qui  joignent  l'intérêt 
à  l'instruction,  le  modèle  au  précepte,  l'encouragement  à  l'exhortation. 
Dirigez  vers  Dieu  les  premiers  pas  de  leur  raison.  Que  celai  qui  est  enfant 
vienne  à  moi,  dit  l'Esprit-Saint.  Sap.  ix,  7.  (Gard,  de  la  Luzerne,  loc. 
cit.  n.  29). 

ï.  Et  qu'on  ne  dise  pas,  qu'à  défaut  de  religion,   on  inculque  aux 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.     J07 

En  même  temps  qu'il  a  besoin  d'être  instruit  dos  ensei- 
gnements do  la  religion,  l'enfant  a  aussi  besoin  d'être  sur- 
veillé. Nous  savons  que,  conçus  dans  l'iniquité,  par  suite 
de  la  révolte  de  noire  premier  père,  nous  sommes  tous  por- 
tés au  mal.  Ce  n'est  donc  pas  assez  d'éclairer  l'esprit  de 
l'enfant,  et  de  lui  faire  connaître  ses  devoirs  ;  il  faut  encore 
soutenir  cl  fortifier  sa  volonté,  pour  les  lui  faire  accompli]'. 
C'est  à  cela  surtout  que  doit  servir  la  surveillance.  Sachant 
qu'il  est  observé,  et  que  ses  manquements  seront  connus, 
l'enfant  s'observe  lui-même,  et  se  rend  ainsi  plus  fort  pour 
résister  à  ses  propres  mauvais  penchants,  ou  aux  sollicita- 
tions perverses  dont  il  peut  être  l'objet.  Qu'ils  sont  donc 
coupables,  les  parents  qui  ne  surveillent  pas  leurs  enfants, 

enfants  dos  préceptes  de  morale,  qu'on  leur  suggère  des  sentiments 
d'honneur.  Ah  !  croyez-moi,  vous  n'avancez  rien  avec  vos  phrases.  Eh  ! 
quelle  morale,  je  vous  prie,  sans  responsabilité  ?  Quelle  morale  qui  ne 
soit  liée  au  dogme  et  qui  n'en  tire  toute  sa  force  et  toute  sa  vertu  ?  De 
quelle  morale  voulez-vous  donc  parler  P  Y  en  a-t-il  de  plusieurs  sortes 
pour  un  chrétien  ?  De  la  morale  de  l'Évangile,  sans  doute.  El,  en  effet, 
elle  est  assez  belle  et  assez  pure.  Mais  pouvez-vous  la  séparer  de  la  foi 
qui  lui  donne  sa  sanction  ?  Ne  voyez-vous  pas  qu'elle  perd  sa  grâce,  sa 
persuasion,  son  efficacité,  dès  que  vous  la  dépouillez  de  son  caractère 
divin,  qu'elle  n'est  plus  alors  que  la  parole  de  l'homme,  et  que  la  parole 
de  l'homme  n'est  point  une  autorité  pour  1  homme  ?  Quoi  !  une  morale 
sans  Dieu,  sans  le  ciel,  sans  l'enfer,  sans  l'éternité  du  châtiment  ou  de 
la  récompense?  De  bonne  foi, le  pensez-vous,  le  dites-vous  sérieusement  ? 
Et  vos  principes  d'honneur  seront-ils  plus  efficaces  ?  L'honneur!  ce  mot 
est  beau,  il  sonne  admirablement  dans  le  discours,  il  fait  effet  sur  un 
théâtre.  Mais,  en  présence  d'une  tentation  délicate,  d'une  passion  vio- 
lente, à  quoi  vous  servira-t-il,  si  les  saintes  terreurs  de  la  conscience  ne 
reprennent  le  cœur  où  n'enchaînent  le  bras  ?  Aussi,  voyez  les  fruits  de 
ces  grands  principes  !  Jamais  on  n'a  tant  parlé  de  morale  et  d'honneur 
que  de  nos  jours.  Les  petits  enfants  en  raisonnent  dans  les  écoles  et  sur 
les  places  publiques.  Jamais  on  n'a  écrit  sur  l'éducation  plus  de  pages 
philosophiques,  mais  aussi  doit-on  convenir  qu'on  n'a  jamais  fait  un 
usage  plus  sobre  de  la  religion  dans  la  composition  de  ces  systèmes.  Eh 
bien  !  philosophes,  moralistes,  économistes,  encyclopédistes,  éclectiques, 
rationalistes,  venez, considérez  la  génération  nouvelle  :  qu'en  dites-vous  ? 
\ous  ne  vouliez  pas  qu'on  parlât  de  Dieu  à  un  jeune  homme  avant  sa 
dix-huitième  année,  et  à  quinze  ans  il  outrage,  il  brave  son  père  :  le 
monstre  !  il  va  plus  loin,  il  ose  porter  une  main  parricide  sur  le  sein 
qui  l'a  nourri.  Cela  n'est-il  pas  dans  l'ordre  ?  Vous  vouliez  qu'il  se 
choisît  lui-même  sa  religion,  et  il  a  choisi  le  culte  des  plaisirs,  il  s'est 
fait  une  idole  de  la  liberté  et  de  l'indépendance.  De  quoi  vous  plaignez- 
vous  ?  Cela  n'est-il  pas  dans  l'ordre  ?  (Card.  Giraud,  Instr.  past.  Carême 
|85o). 


l38        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.   INSTRUCTION. 

qui  n'ont  souci  de  savoir  ni  ce  qu'ils  font,  ni  quelles  sont 
leurs  lectures,  ni  quelles  sont  leurs  fréquentations  !  Car 
alors  ces  malheureux,  n'étant  pas  soutenus,  se  laissent  aller 
à  tous  les  instincts  pervers,  à  toutes  les  tentations,  à  toutes 
les  séductions.  De  combien  de  misères  et  de  maux  les 
parents  ne  sont-ils  pas  ainsi  la  cause,  faute  de  s'être  acquit- 
tés de  leur  devoir  de  surveillance  (i)! 

Toutefois,  ceux  qui  s'en  acquittent  avec  diligence  ne  par- 
viendront pourtant  pas  toujours  à  préserver  leurs  enfants 
de  toute  faute.  Et  voilà  ce  qui  nous  apprend  que  les  enfants 
n'ont  pas  seulement  besoin  d'être  instruits,  et  surveillés, 
mais  qu'ils  ont  encore  besoin  d'être  corrigés.  Corrigés,  c'est- 
à-dire  relevés,  et  replacés  d'une  manière  plus  ferme  dans  la 

i.  Une  vigilance  attentive,  une  inspection  continue,  une  observation 
exacte  jusqu'à  être  minutieuse,  est  nécessaire  et  prescrite  ;  elle  doit 
commencer  dès  l'enfance,  pour  se  continuer  constamment  et  sans 
interruption.  Dès  les  premières  années,  les  inclinations  se  manifestent, 
et  elles  se  manifestent  d'autant  plus  que  cet  âge  ignore  l'art  perfide  de 
les  cacher.  Vous  examinez  avec  soin  la  matière  de  votre  terre,  l'espèce 
de  plantes  auxquelles  elle  est  propre,  ses  propriétés  bonnes  et  défec- 
tueuses, afin  de  profiter  des  unes  et  de  réformer  les  autres.  Gomment 
gouvernez-vous  votre  enfant,  si  ses  dispositions  ne  vous  sont  pas  con- 
nues; si  vous  ignorez  quels  sont  les  désirs  qu'il  faut  satisfaire,  quels 
sont  ceux  qu'il  faut  réprimer  ;  quelles  affections  il  est  bon  d'exciter, 
quelles  autres  il  est  nécessaire  d'arrêter  ;  quand  c'est  le  frein,  quand 
c'est  l'aiguillon  qu'il  faut  employer?  Depuis  les  premiers  moments 
de  sa  raison  naissante,  son  caractère  se  développant  graduellement, 
vous  connaîtrez  les  bonnes  qualités  auxquelles  il  est  porté,  les  défauts 
dont  il  est  menacé.  Prov.  xx,  n.  Le  soin  avec  lequel  vous  l'étudierez 
vous  fera  discerner  la  meilleure  manière  de  gagner  son  attache- 
ment, de  vous  insinuer  dans  sa  confiance,  d'acquérir  son  respect, 
de  captiver  sa  soumission  ;  vous  découvrira  les  moyens  les  plus 
efficaces,  les  plus  adaptés  à  sa  nature,  de  le  diriger  ;  vous  fera  choisir 
les  moments  les  plus  favorables,  soit  pour  l'exciter,  soit  pour  le 
reprendre.  Le  but  principal  de  cette  surveillance,  l'objet  vers  lequel 
vous  devez  la  diriger,  est  d'écarter  de  lui  tout  ce  qui  peut  traverser 
son  éducation  ;  de  prévenir  ses  fautes,  en  éloignant  les  occasions 
qui  l'y  entraîneraient  ;  d'empêcher  le  feu  des  passions  de  s'allumer 
en  lui...  Le  troupeau  le  plus  gras  dépérit,  s'il  n'est  entretenu  par  les 
soins  vigilants  du  pasteur.  Pensez  aux  maux  affreux  qu'attira,  et  sur 
lui-même  et  sur  sa  maison,  le  saint  roi  David,  pour  n'avoir  pas  soigneu- 
sement observé  la  criminelle  passion  de  son  fils  Ammon,  et  le  carac- 
tère violent  et  ambitieux  de  son  autre  fils  Absalon.  Rappelez-vous  le 
malheur  de  Dina  :  considérez  ce  que  causa  de  douleurs,  à  ses  parents, 
leur  funeste  complaisance,  et  à  elle  sa  dangereuse  curiosité  (Gard,  De 
La  Luzerne,  loc.  cit.  n.  s3), 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.     Idg 

voie  du  devoir,  dont  ils  s'étaient  écartés.  Or,  quels  moyens 
les  parents  doivent-ils  employer  pour  atteindre  ce  résultat? 
11  est  à  propos,  tout  d'abord,  non  pas  de  crier  et  de  tempê- 
ter, ce  qui  ne  vaut  jamais  rien,  mais  de  bien  faire  com- 
prendre à  L'enfant  sa  faute,  et  de  lui  expliquer  comment  il 
pourra  l'éviter  à  l'avenir.  Avec  une  nature  droite  et  docile, 
de  simples  observations  de  ce  genre  suffisent  le  plus  sou- 
\rnt.  Mais  si  l'enfant  est  d'un  caractère  difficile  et  opiniâ- 
tre, il  ne  faut  pas  hésiter,  dès  qu'on  a  bien  constaté  l'inuti- 
lité des  remontrances,  à  recourir  aux  châtiments,  tout  en  les 
mesurant  à  la  gravité  des  fautes  et  à  l'obstination  du  coupa- 
ble. Pas  de  faiblesse,  pas  de  sensibilité  déplacée  :  ce  serait 
de  la  cruauté  (1).  Qu'on  s'en  souvienne  bien,  la  correction 
de  l'enfant,  c'est  sa  soumission  et  son  amendement,  et  c'est 
ce  qu'il  est  du  devoir  des  parents  d'obtenir.  Malheur  aux 
parents  qui  ne  corrigent  pas  leurs  enfants  autant  qu'il 
dépend  d'eux  !  Dieu  leur  imputera  les  fautes  de  leurs 
enfants  qu'ils  auraient  pu  les  empêcher  de  commettre. 

Enfin,  et  c'est  ce  dernier  point  qui  a  la  plus  capitale  im- 
portance :  les  enfants  ont  besoin,  par  dessus  tout,  des  bons 
exemples  de  leurs  parents.  N'est-il  pas  vrai,  en  général,  que 
les  personnes,  même  arrivées  à  la  plénitude  de  l'âge,  ont 
bien  plus  égard,  clans  ce  qu'elles  pensent  et  dans  ce  qu'elles 
font,  à  ce  que  pensent  et  font  les  autres,  qu'à  ce  que  la  rai- 
son et  la  foi  commandent  de  penser  et  de  faire  ?  A  plus 
forte  raison  en  est-il  ainsi  des  enfants,  qui  n'ont  pas  même 
encore  le  jugement  et  l'expérience  des  grandes  personnes. 
Aussi  sont-ils  essentiellement  imitatifs.  Voilà  pourquoi  les 

i.  Nimia  clementia  parentum  causât  in  filiis  turpissima  scelerum 
por tenta.  Ohc  !  non  possum  semper  instar  tyranni  domestici  furere  ! 
Quis  istas  a  te  exigit  furiaa  ?  Modoratione  ac  discretione  opus  est.  Eheu  ! 
filii  sont  mea  caro  et  sanguis  !  non  possum  illis  tam  maie  velle  !  Eliam 
putiïdum  membrum  est  tua  caro,  et  sanguis,  et  tamen  illud  abscindi 
sinis,  ut  non  totiiin  corpus  pereat.  Dein  per  prudentem  ac  discretam 
correctionem  tan  tu  m  abest  filiis  injuriam  ficri,  ut  potius  illis  grande 
beneficium  praestetur  ;  quia  tali  modo  apeccatis,  et  consequenter  a  sup- 
pliciis  tam  temporalibus,  quam  aeternis  prœservantur.  Filii,  si  adannos 
maturitalis  pervenerint,  pro  quovis  verbo  aut  verbere  immensas  grates 
rependent.  Econtra  illi,  qui  per  nimiam,  indulgentiam  depravati  in 
quaevis  scuelera,  et,  nescio,  quantam  corporis  et  anima*  infelicitatem 
proruerunt,  ipsi  parentibus  diras  dicent,  illisque  sui  interitus  culpani 
imputabunt  (Cuus,  Spicil,  catech.  p.  i,  conc,  5ï,  n.  7), 


I/lo        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.  INSTRUCTION. 

parenls  auront  beau  les  instruire,  les  surveiller  et  les  corri- 
ger, ils  n'arriveront  que  bien  faiblement  et  bien  imparfaite- 
ment par  ces  seuls  moyens  à  leur  faire  croire  et  pratiquer  la 
religion.  Au  coutraire,  si  les  parents  donnent  à  leurs 
enfants  le  bon  exemple  de  croire  et  de  pratiquer  eux-mêmes 
la  religion,  ils  les  verront  presque  toujours  les  imiter  sans 
la  moindre  difficulté.  Dès  lors,  comment  ne  serait-ce  pas 
un  devoir,  pour  les  parents,  d'employer  le  meilleur  moyen 
qu'ils  aient  à  leur  disposition  pour  mettre  leurs  enfants  dans 
le  chemin  du  ciel  ?  Lorsqu'il  s'agit  d'enrichir  leurs  enfants, 
n'emploient-ils  pas  les  plus  sûrs  moyens  qu'ils  connais- 
sent? Qu'ils  en  fassent  donc  autant  pour  sauver  leur  âme 
immortelle,  et  leur  assurer  l'inestimable  trésor  de  l'éternité 
bienheureuse.  Qu'ils  donnent,  en  conséquence,  l'exemple 
du  respect  pour  la  religion,  l'exemple  de  la  sanctification 
du  dimanche,  en  un  mot,  l'exemple  de  l'observation  de  tous 
les  commandements  divins.  Encore  une  fois,  c'est  de  ces 
bons  exemples  que  les  enfants  ont  le  plus  besoin,  et  par 
conséquent  c'est  à  les  leur  donner  que  les  parents  sont  le 
plus  rigoureusement  tenus  (i). 

i.  Luscinia,  ait  sanctus  Ambrosius,  nunquam  dulcius  canit,  quam 
cum  partus  suos  pascit.  Pari  modo  et  vos  oportet  filiis,  quos  enutritis, 
purissimos  cantus  prrecinere  ;  si  enim  cantilena,  quam  infans  audit  in 
domo,  sint  blasphemia?,  et  juramenta,  execrationes,  et  verba  scurrilia, 
quid  aliud  repetet  filiolus  ?  Dicite,  nunquam  vidistis  in  nostra  patria 
infantulum,  qui  loquitur  linguam  turcicam,  aut  sclavonicam  ?  Nun- 
quam ?  quare  ?  Quia  linguam  turcicam  aut  sclavonicam  nunquam 
audiunt.  Unde  ergo  est,  quod  hic  vel  ille  infantulus  in  tenerrima  hac 
setate  jam  incipiat  loqui  linguam  infernalem  ?  Eheu  !  unde  ?  (Claus, 
loc.  cit.  n.  9). 

De  quel  droit  les  chargerez-vous  de  fardeaux  que  vous  ne  toucheriez 
pas  même  du  bout  du  doigt  ?  Je  sais  bien  qu'ils  doivent  toujours  vous 
écouter,  alors  même  que  vos  œuvres  contrediraient  vos  paroles.  Nous  ne 
prétendons  pas  les  excuser  ;  mais  gardez-vous  aussi  de  vous  flatter,  et 
ne  présumez  pas  de  la  puissance  des  mots  au  point  de  croire  que  vous 
leur  ferez  goûter  des  leçons  qui  n'auraient  pas  la  sanction  de  vos 
exemples.  La  crainte  leur  imposera  silence  ;  mais  ils  se  riront  en  secret 
des  leçons  et  des  maîtres...  Quels  sont  ces  livres  que  je  vois  étalés  sur 
ces  tablettes,  qui  flattent  l'œil  par  la  richesse  et  l'élégance  de  leur  forme, 
qui  se  placent  d'eux-mêmes  sous  votre  main,  pour  vous  inviter  à  par- 
courir leurs  pages  ?  Ce  sont  des  romans,  des  poésies  passionnées,  des 
recueils  de  feuilletons  immondes,  que  l'art  a  illustrés,  pour  dorer  la 
coupe  qui  vous  verse  les  poisons.  —  Mais  les  enfants  ne  les  liront  pas. 
—  Oh  !  non  ;  Eve  n'est  plus  curieuse,  elle  né  voudra  pas  goûter  4e   ce 


devoirs  i>i:s  parents  envers  leurs  enfants.         141 

Voilà  quelle  est.  chrétiens,  L'étendue  du  devoir  qui 
incombe  aux  parents  de  pourvoir  aux  besoins  corporels  et 
spirituels  de  leurs  enfants  ;  étendue  très  vaste,  et  dont  nous 
avons  essayé  de  Leur  donner,  bien  que  d'une  manière 
succincte,  une  connaissance  exacte  et  complète.  Mais  ce 
qu'il  ne  leur  est  pas  moins  nécessaire  de  bien  connaître, 
c'est  ce  qu'il  nous  reste  à  exposer  maintenant,  savoir, 

II. —  L'importance  de  ce  devoir. —  Il  y  a  des  devoirs  qui 
ne  regardent  que  ceux  à  qui  ils  sont  imposés,  et  dont  l'obser- 
vation ou  la  violation  n'ont  de  conséquences  que  pour  eux 
seuls.  Tel  est,  par  exemple,  le  devoir  de  repousser  les  mau- 
vaises pensées.  Si  important  que  soit  ce  devoir,  puisque 
son  inobservation  peut  emporter  notre  damnation,  cepen- 
dant il  se  restreint  à  chacun  de  nous,  et  on  peut  le  violer 
sans  que  personne  ait  à  en  souffrir,  et  soit  en  droit  de  se 
plaindre  et  de  réclamer.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  du  devoir 
qu'ont  les  parents  de  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  enfants. 
Les  parents  qui  ne  s'acquittent  pas  de  ce  devoir,  dans 
toute  son  étendue,  non  seulement,  en  effet,  se  nuisent  à 
eux-mêmes,  mais  encore  ils  méconnaissent  et  foulent  aux 
pieds  tout  à  la  fois,  les  droits  de  la  société,  les  droits  de 
leurs  enfants  et  les  droits  de  Dieu. 

Ils  se  nuisent  d'abord  à  eux-mêmes,  disons-nous,  et  rien 
n'est  plus  évident.  Quant  les  parents  pourvoient  avec  soin 
à  tous  les  besoins  de  leurs  enfants,  à  leurs  besoins  corpo- 
rels et  à  leurs  besoins  spirituels,  ces  enfants  ne  donnent  à 
leurs  parents  que  des  satisfactions.  Au  point  de  vue  maté- 
riel, ils  sont  forts  et  bien  portants,  n'ayant  jamais  manqué 
de  rien,  et  leurs  affaires  prospèrent,  parce  qu'ils  ont  été 
sagement  dirigés,  au  moins  dans  les  grandes  circonstances 
de  leur  vie.  Au  point  de  vue  spirituel,  ayant  été  sérieuse- 
ment instruits  de  leurs  devoirs  religieux,  surveillés,  corri- 
gés et  édifiés,  ils  vivent  en  bons  chrétiens  et  ne  s'écartent 
jamais  du  droit  chemin.  En  un  mot,  ils  sont  la  consolation 
et  l'honneur  de  leurs  parents,  en  attendant  qu'ils  en  soient 
la  couronne   dans  le  ciel.  —  Au  contraire,  les  parents  qui 

fruit  défendu  qu'elle  vous  voit  savourer  avec  tant   de  volupté  durant  de 
longues  heures  (Gard.  Giraud,  loc.  cit.). 


l/i2         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.   INSTRUCTION. 

n'ont  pas  un  réel  souci  de  pourvoir  aux  besoins  de  leurs 
enfants,  tant  pour  la  vie  présente  que  pour  la  vie  future, 
n'éprouvent  ordinairement  à  leur  sujet  que  déboires,  cha- 
grins et  hontes.  Privés  des  soins  matériels  qui  leur  eussent 
été  nécessaires,  ils  sont  toute  leur  vie  malingres  et  souffre- 
teux. Manquant  de  conseils  et  de  bonne  direction,  ils  ne 
réussissent  dans  aucune  de  leurs  entreprises,  et  ne  parvien- 
nent jamais  à  se  créer-  une  situation  honorable  et  solide. 
Dépourvus  d'instruction  religieuse,  n'étant  ni  surveillés,  ni 
corrigés,  ni  édifiés  par  les  bons  exemples  de  leurs  parents, 
les  vices  de  toutes  sortes  germent  et  se  développent  dans  le 
cœur  de  ces  malheureux,  comme  les  mauvaises  herbes  dans 
un  champ  abandonné.  Aussi,  non  seulement  ils  n'ont  ni 
respect  ni  affection  pour  leurs  pères  et  mères,  mais  encore 
ils  les  traitent  avec  dédain  et  mépris,  et  vont  même  parfois 
jusqu'à  les  injurier,  les  menacer  et  les  frapper.  Et  quand 
vient  la  vieillesse,  malheur  aux  parents  1  Malheur  à  eux  s'ils 
possèdent  des  biens  !  car  leurs  enfants  désirent  les  voir 
mourir  le  plus  tôt  possible,  afin  d'avoir  leur  part  d'héritage. 
Et  malheur  à  eux  aussi  s'ils  n'ont  rien,  car  leurs  enfants  ne 
viennent  à  leur  aide,  même  s'ils  y  viennent,  qu'en  leur  faisant 
bien  sentir  qu'ils  leur  sont  à  charge,  et  que  plus  tôt  ils 
mourront,   plus    contents     ils    seront   (i).    —  N'est-il    pas 

i.  Ce  n'est  pas  encore  là,  à  beaucoup  près,  le  comble  du  malheur  : 
ce  n'est  que  le  commencement  de  vos  douleurs.  Marc,  xiii,  8.  Trans- 
portez-vous, en  esprit,  à  ce  redoutable  jour,  vers  lequel  vous  vous 
avancez  à  chaque  moment,  où  se  fermera,  pour  vous,  la  scène  passa- 
gère du  temps,  et  où  s'ouvrira  à  vos  regards  l'espace  infini  de  l'éternité. 
Voyez  celui  devant  qui  vous  comparaîtrez,  mettant  devant  vos  yeux  la 
robe  d'innocence  dont  vous  avez  revêtu  votre  enfant  à  son  Baptême, 
avec  laquelle  il  vous  l'avait  confié,  en  vous  disant  :  Est-ce  là  le  vêtement 
de  ton  fils?  Gen.  xxxvii,  3a.  Vous  répondrez,  à  ce  terrible  tribunal,  non 
seulement  des  fautes  commises  par  vos  enfants  dans  leur  jeunesse,  que 
vous  deviez  corriger,  mais  des  péchés  de  toute  leur  vie,  que  vous  deviez 
prévenir.  Si  l'enfer  est  peuplé  d'enfants,  quela  faute  de  leurs  pères  y  a  pré- 
cipités, que  de  pères  y  déplorent,  dans  des  larmes  de  sang,  les  fautes  de  leurs 
enfants  !  Lorsque  je  vois  (hélas  !  ce  n'est  que  trop  commun),  lorsque 
je  vois  un  jeune  homme  sans  frein  et  sans  mœurs,  passer  son  temps 
dans  la  dissipation,  dans  les  plaisirs,  dans  la  débauche,  se  répandre 
dans  les  sociétés  les  plus  suspectes,  fréquenter  les  assemblées  les  plus 
libres,  les  bals,  les  spectacles,  les  salles  de  jeu,  peut-être  des  lieux  plus 
criminels  encore,  et  que  j'apprends  que  ses  parents  existent,  qu'ils  n'i- 
gnorent pas  ses  désordres,  qu'ils  ne  les  arrêtent  pas,  qu'au  contraire  ils 


m  \  (MHS    DEâ   PARENTÉ!    KWKKS    LEURS    ENFANTS.  1^3 

vrai  qu'il  en  est  ainsi  ?  N'est-il  pas  vrai  que  les  choses 
vont  même  quelquefois  plus  loin  encore?  Qui  ne  voit  dès 
lors  combien  il  est  important,  pour  les  parents  eux-mêmes 
tout  Les  premiers,  de  s'acquitter  pleinement  de  leurs  devoirs 
envers  leurs  enfants  ? 

Mais  les  enfants  ne  sont  pas  donnés  par  Dieu  aux  parents 
pour  eux  seuls,  ils  leur  sont  aussi  donnés  pour  la  société. 
Croisse:  et  multiplie:  (2),  leur  a-t-il  été  dit  dès  l'origine, 
savoir,  pour  former  des  sociétés.  Il  est  donc  important, 
pour  les  sociétés  aussi,  que  les  enfants  soient  élevés  de  ma- 
nière à  devenir  des  hommes  forts  et  des  citoyens  utiles, 
dont  l'activité  féconde  et  la  bonne  conduite  concourent  à  la 
prospérité  générale.  C'est  avec  des  enfants  bien  élevés  que 
les  sociétés  deviennent  puissantes  et  policées,  et  qu'elles 
accomplissent  leur  vocation  dans  le  monde.  Voilà  pour- 
quoi les  sociétés  bien  constituées,  et  en  particulier  la  société 
de  l'Eglise,  aident  les  parents,  par  des  institutions  d'assis- 
tance et  d'enseignement,  à  leur  préparer  des  membres  capa- 
bles de  les  soutenir  et  de  les  développer  encore.  Mais  que 
les  parents,  manquant  à  leur  devoir,"  élèvent  mal  leurs 
enfants,  alors  la  société  ne  reçoit  plus  d'eux  que  des  mem- 
bres affaiblis  et  dégénérés,  sans  jugement  et  sans  discipline, 
sans  principes  religieux  et  sans  moralité,  c'est-à-dire  des 
membres  qui,  non  seulement  lui  seront  sans  utilité,  mais 
qui  lui  seront  à  charge,  et  contre  lesquels  il  lui  faudra  se 
défendre.  De  même,  en  effet,  que  ce  sont  les  enfants  bien 
élevés  qui  font  les  citoyens  utiles  ;  de  même  ce  sont  princi- 
palement les  enfants  négligés  par  leurs  parents  qui  font  les 
individus  nuisibles  et  malfaisants,  les  perturbateurs  de 
l'ordre  privé  et  public,  et  qui  deviennent  la  terrible  clien- 
tèle des  prisons  et  des  bagnes.  En  présence  de  ces  faits  indé- 

les  tolèrent,  les  approuvent,  y  applaudissent;  je  me  sens  le  cœur  péné- 
tré d'une  vive  douleur  de  voir,  du  même  coup,  trois  âmes  perdues  :  le 
père,  la  mère,  le  fils,  liés  à  un  même  faisceau,  et  tombant  ensemble 
dans  les  flammes  éternelles.  Et  qu'elle  sera  terrible  la  damnation  d'un 
père,  lorsque,  du  milieu  de  ces  feux  vengeurs,  ses  propres  enfants 
s'élèveront  contre  lui,  lui  imputant  leur  perte,  l'accablant  de  leurs 
reproches,  de  leurs  malédictions,  appelant,  avec  des  cris  affreux,  la 
vengeance  sur  sa  tète,  et  faisant  contre  lui  l'horrible  office  des  démons  1 
(Card.  De  Lv  Luzerne,  loc.  cit.  n.  9). 
1.  Gen.  1,  a8. 


l44        LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.   INSTRUCTION. 

niables,  qui  n'est  encore  forcé  de  reconnaître  combien  il 
est  important,  pour  les  sociétés,  que  les  parents  s'acquittent 
avec  soin  de. leurs  devoirs  envers  leurs  enfants  (i)  ? 

Toutefois,  ce  qui  doit  toucher  les  parents  plus  que  les 
intérêts  de  la  société,  et  même  plus  que  leurs  propres  inté- 
rêts, ce  sont  ceux  de  leurs  enfants  eux-mêmes.  Or,  ces  inté- 
rêts, quels  sont-ils?  Nous  les  avons  déjà  fait  connaître.  Il 
n'y  a  rien  de  plus  important,  pour  les  enfants,  que  de  pos- 
séder une  bonne  santé,  de  pouvoir  gagner  honorablement 
leur  vie  ici-bas,  et  surtout  de  mériter  le  ciel  pour  l'éternité. 
Eh  bien,  le  devoir  des  parents  dont  l'accomplissement  a 
pour  effet  de  procurer  aux  enfants  de  tels  avantages,  ne 
doit-il  pas  être  considéré  par  les  parents  comme  leur  plus 
essentiel  devoir,  après  ceux  qui  regardent  Dieu  ?  Ne  doi- 
vent-ils pas  le  considérer  comme  tel,  surtout  lorsqu'ils 
viennent  à  penser  que  son  inobservation  entraîne  presque 
fatalement  le  malheur  de  leurs  enfants  en  ce  monde  et  leur 
damnation  en  l'autre?  Aussi  faut-il,  pour  ne  pas  mieux  s'en 
acquitter  que  ne  le  font  un  si  grand  nombre  de  parents, 

i.  La  première  source  de  tous  les  maux  est  la  négligence  des  parents 
à  élever  leurs  enfants.  Ils  laissent  croître  les  mauvaises  inclinations 
qu'ils  ont  apportées  dans  le  monde,  ils  permettent  à  leurs  passions  de 
se  fortifier,  ils  souffrent  que  leurs  défauts  passent  en  habitude,  et  se 
changent  pour  ainsi  dire  en  nature.  Devenus  grands,  ils  leur  procurent 
des  emplois  qu'ils  déshonorent  par  leurs  injustices,  où  ils  n'usent  de 
leur  autorité  que  pour  s'engraisser  aux  dépens  du  public,  et  où  leur 
moindre  crime  est  de  donner  de  funestes  exemples  à  tous  ceux  qui  les 
environnent.  En  sorte  qu'on  pourrait  dire  aujourd'hui  de  ces  enfants 
ainsi  négligés  ce  que  saint  Basile  prédit  autrefois  de  Julien  l'Apostat, 
quand  il  le  vit  étudier  à  Athènes,  et  qu'il  aperçut  dans  la  dépravation 
de  son  esprit  les  semences  de  son  impiété  :  «  Quel  dangereux  serpent 

la  terre  des  Romains  élève  ! »   Qu'est-ce  qui   attira  autrefois   cette 

plaie  terrible  sur  tout  Israël,  lorsque  les  Philistins  passèrent  au  fil  de 
l'épée  trente-quatre  niiljc  hommes,  et  que  Farche  d'alliance  fut  prise, 
sinon  les  crimes  des  enfants  d'IIéli,  et  la  négligence  de  leur  malheu- 
reux père  à  les  corriger  ?  Que  ces  deux  enfants  périssent  dans  le  com- 
bat, et  que  Dieu  punisse  de  mort  leur  prévarication  et  celle  de  leur 
père,  c'est  un  châtiment  qu'ils  n'avaient  que  trop  mérité  ;  mais  que 
tout  Israël  fut  enveloppé  dans  la  vengeance,  qu'il  fût  taillé  en  pièces  en 
deux  différents  combats,  qu'il  fut  humilié  jusqu'à  perdre  cette  arche 
sainte  qui  faisait  toute  sa  ressource  et  sa  gloire:  pères  et  mères,  cet 
exemple  ne  prouve-t-il  pas  plus  que  tous  les  raisonnements  du  monde 
quel  tort  vous  faites,  je  ne  dis  pas  à  vos  enfants,  mais  à  tout  le  public, 
en  négligeant  leur  éducation  ?  (Tekuasson,  Sertn.  sur  l'éducation  des 
enfants,  i.  p.). 


DEVOIRS    DES    PUIKNTS    ENVERS    LEURS    ENFANTS.  l/|5 

qu'ils  ne  se  mettent  jamais  devant  les  yeux  les  conséquen- 
ces terribles  de  leur  négligence  à  ce  sujet.  Comment  eu 
effet  pourraient-ils  ne  pas  leur  donner  les  soins  matériels 
convenables,  s'ils  pensaient  sérieusement  que  leurs  enfants, 
iaulc  de  ces  soins,  dont  ils  uc  privent  pas  leurs  animaux, 
auront  à  souffrir  toute  leur  vie  de  faiblesses  et  d'infirmités 
dont  ils  auraient  dû  être  exempts?  Gomment  pourraient-ils 
ne  pas  s'efforcer  de  les  mettre  en  état  de  gagner  honorable- 
ment leur  vie,  s'ils  se  disaient  vraiment  qne,  sans  cela,  ces 
malheureux  seront  nécessairement  réduits,  ou  bien  à  subir 
toutes  sortes  de  privations,  ou  bien  à  se  faire  voleurs  ? 
Gomment,  par  dessus  tout,  pourraient-ils  ne  pas  s'occuper 
de  leur  faire  connaître  et  pratiquer  la  religion,  s'ils  réflé- 
chissaient gravement,  qu'en  les  laissant  vivre  loin  de  Dieu, 
ils  contribuent  directement  à  leur  damnation  éternelle? 
Que  les  parents  s'exposent  aux  conséquences  très  doulou- 
reuses qui  découlent  pour  eux-mêmes  de, l'inobservation  de 
leurs  devoirs  envers  leurs  enfants,  c'est  leur  affaire,  et  l'on 
ne  peut  que  déplorer  leur  aveuglement.  Mais  qu'ils  expo- 
sent leurs  enfants  aux  maux  dont  leur  devoir  est  précisé- 
ment de  les  préserver,  c'est  la  plus  criminelle  des  forfaitu- 
res, et  il  n'y  a  pas  de  reproches  que  leurs  infortunés  enfants 
ne  soient  endroit  de  leur  adresser.  Oui,  peuvent-ils  leur  dire 
souvent,  si  je  suis  misérable,  c'est  votre  faute  ;  si  je  suis 
voleur,  si  je  suis  assassin,  c'est  votre  faute  ;  oui,  pourront- 
ils  leur  dire  un  jour,  si  je  suis  damné,  c'est  votre  faute. 
Soyez  maudits  ! 

Enfin,  le  devoir  qu'ont  les  parents  de  pourvoir  aux 
besoins  de  leurs  enfants  atteint  son  plus  haut  degré  d'im- 
portance, lorsqu'on  le  considère  par  rapport  à  Dieu.  Aous 
l'avons  déjà  rappelé,  les  enfants  ne  sont  pas  la  pro- 
priété de  leurs  parents.  Dieu  ne  les  leur  a  pas  don- 
nés, il  les  leur  a  seulement  confiés,  pour  le  temps  de 
la  vie.  Ainsi  un  père  ne  donne  pas  son  enfant  à  une 
nourrice,  ou  à  un  maître,  mais  il  le  leur  confie  seulement 
pour  un  temps,  afin  qu'ils  en  prennent  soin,  et  pourvoient 
ii  ses  besoins.  Et  quand  la  nourrice,  et  quand  le  maître  ne 
s'acquittent  pas  de  leurs  devoirs  envers  l'enfant  qui  leur  a 
été  confié,  ce  n'est  pas  seulement  envers  cet  enfant  qu'ils  se 

SOMME  DU  ÇRKDICATEUR.   —  T.  II.  10 


l46         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VI.    INSTRUCTION. 

rendent  coupables,  c'est  bien  plus  encore  envers  son  père. 
Quelle  n'est  donc  pas,  à  l'égard  de  Dieu,  la  culpabilité  des 
parents  qui  ne  s'accpiiltent  pas  de  leurs  devoirs  envers  leurs 
enfants!  Car  ces  enfants,  encore  une  fois,  n'est-ce  pas  à 
Dieu  qu'ils  appartiennent?  N'est-ce  pas  lui  qui  les  a  tirés  du 
néant  et  leur  a  donné  la  vie  dont  ils  jouissent  ?  Et  n'est-ce 
pas  pour  lui-même  qu'il  les  a  créés,  c'est-à-dire  pour  qu'ils 
lui  rendent  un  culte  d'adoration,  de  louange  et  d'amour 
dans  le  temps  et  dans  l'éternité  ?  Et  n'est-ce  pas  encore  pour 
les  préparer  à  remplir  cette  juste  destinée  qu'il  leur  a  donné 
des  parents  ?  Dès  lors,  n'est-il  pas  évident  que  c'est  surtout  à 
Dieu  que  les  parents  doivent  de  pourvoir  aux  besoins  des 
enfants  dont  il  leur  a  confié  le  saint  dépôt?  Et  par  suite, 
n'est-il  pas  évident  encore  qu'en  ne  s'acquittant  pas  de  leurs 
devoirs  envers  leurs  enfants,  c'est  encore  plus  les  droits  de 
Dieu  que  ceux  de  leurs  enfants  qu'ils  violent  ?  Qu'ils  compren- 
nent donc  enfin  par  là  l'extrême  importance  de  ces  devoirs. 
Car  si  nous  nous  faisons  un  point  d'honneur  d'accomplir  le 
vulgaire  mandat  qu'un  homme  confie  à  notre  délicatesse, 
combien  les  parents  ne  doivent-ils  pas  avoir  plus  à  cœur  de 
s'acquitter,  avec  toute  la  perfection  possible,  de  la  plus 
sublime  charge  qu'il  y  ait  sur  la  terre  et  qui  consiste  à 
préparer  à  Dieu  des  serviteurs  en  ce  monde  et  des  adora- 
teurs dans  l'éternité.  Que  les  parents  le  comprennent,  en  se 
demandant  comment  ils  jugeraient  le  maître  à  qui  ils 
auraient  confié  leurs  enfants,  si  ces  enfants,  lorsqu'ils 
reviennent  au  foyer  paternel,  au  lieu  d'être  dociles,  attentifs, 
empressés,  respectueux,  étaient  désobéissants,  grossiers, 
égoïstes,  insolents.  C'est  ainsi  en  effet  que  Dieu  jugera  ces 
parents  qui,  des  enfants  qu'il  leur  aura  confiés  pour  en  faire 
des  chrétiens  fidèles  et  fervents,  n'auront  à  lui  rendre  que 
des  êtres  avilis  et  souillés  de  vices  (i). 

i.  Quel  motif  plus  pressant  pourrions-nous  alléguer  pour  engager 
les  parents  chrétiens  à  veiller  soigneusement  sur  les  mœurs  de  leurs 
enfants,  que  le  sang  que  Jésus-Giiiiist  a  versé  pour  les  racheter  ?  Ah  I 
l'on  dit  ordinairement  dans  le  monde,  et  l'expérience  le  confirme,  que  les 
enfants  les  plus  chers  à  leurs  mères  sont  ceux  qu'elles  ont  mis  au  mon- 
de avec  plus  de  douleur.  Mais  ne  devrait-ce  pas  être  aux  parents  chré- 
tiens un  motif  bien  plus  puissant  pour  les  élever  avec  un  extrême  soin, 
que  le  souvenir  des  douleurs  mortelles  que  Jésus-Christ  a  souffertes  en 


DEVOIRS    DES    PARENTS    ENVERS    LEURS    ENFANTS.  \fa 


CONCLUSION.  —  Du  devoir  qu'ont  les  parents  de  pour- 
voir aux   besoins    de   leurs  enfants,  voilà  donc  quelle  est, 
tout  à  la  fois,  et  l'étendue,  et  l'importance.  L'étendue  de  ce 
devoir  égide  les  besoins  du  corps  et  de  l'âme  des  enfants.  Il 
a 'est    aucun  de  ces  besoins  auquel    les   parents   ne   soient 
tenus  de  pourvoir  autant  qu'ils   le   peuvent  véritablement, 
soit  par  eux-mêmes,  soit  par  des  personnes  dont  ils  restent 
responsables.  Et  ils   doivent  y  pourvoir,  non  seulement  à 
cause   de   leurs   propres   intérêts,   mais  encore  à  cause  des 
intérêts  de  la  société,   de  leurs  enfants  et  de  ceux  de  Dieu. 
Assurément,  ce  devoir  est  immense,  et  son  importance  est 
véritablement  effrayante.  Que  les  parents  pourtant  ne  déses- 
pèrent pas,  en  considérant  ces  choses,   de  pouvoir  s'acquit- 
ter de  leurs   obligations.  Qu'ils  y  puisent  au  contraire  d'in- 
vincibles motifs  d'y  travailler.    Car  quoi  de  plus  encoura- 
geant pour  eux   que  de  penser,    que   c'est  précisément  en 
Rappliquant  à  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  enfants,  qu'ils 
édifient  leur  propre  bonheur  en  ce  monde  et  en  l'autre  ! 
Qu'est-ce  encore  qui  peut  mieux  contribuer  à  soutenir  leur 
énergie,  sinon   de  se  dire   que  la   société  aussi  a  besoin  de 
leurs  efforts,  et  qu'elle  a  le  droit  d'y  compter  !  Quelle  force 
et  quelle  constance  ne  donnera  pas  à  leur  cœur  cette  consi- 
dération surtout,  qu'il  dépend  principalement  d'eux  de  ren- 
ies enfantant  sur  la  croix  ?  Oui,  pères  et  mères,  je  veux  que  vos  enfants 
soient  nés  avec  des  défauts   de  corps  ou  d  esprit  qui  vous  les  rendent 
méprisables  ;  je  veux  que  vous  ne  remarquiez  en   eux  que  des  actions 
basses  et  indignes  de  leur  naissance  ;  je  veux  même  qu'ils  n'aient  pavé 
jusqu  ici  vos  soins  et  votre  amour   que  d'ingratitude  :    ne  suflît-il  pas 
pour  vous  les  rendre  chers,   que  Jésus-Christ  ait  versé  tout  son  san* 
pour  eux  ?  L  amour  que  vous   devez  avoir  pour  lui  ne  doit-il  pas  sup- 
pléer aux  raisons  que  vous  avez  de  ne  les  point  aimer,   et  le  prix  du 
sang  dont  leur  âme  a  été  lavée  n'efîace-t-il  pas   abondamment  tous  les 
défauts  extérieurs  qui  peuvent  vous  les  rendre  odieux  ?  Mais  ne  vous  y 
trompez  pas,  ce  sang  que  vous  méprisez  en   négligeant  leur  éducation 
vous  accusera  un  jour  et  vengera  ses  sacrés  droits  avec  une  sévérité 
égale  au  crime  de  les  avoir  foulés  aux  pieds.  Non,   pères  infidèles,  ce  ne 
sera  plus  le  sang  d'Abcl  cruellement  répandu,  mais  le  sang  de  Jésus- 
Christ  même  inutilement  versé  qui  criera   de  la  terre,  et  dont  la  voix 
s  élèvera  jusqu  au  trône  de  Dieu,  pour  demander  vengeance  de  votre 
indifférence  et  de  vos  mépris.  Oserez-vous  lui  répliquer  alors,  comme 
a  Uio  :  «Sommes-nous  donc  les  gardiens  de  vos  enfants  ?  Les  lois    la 
religion,  la  raison,  la  nature,  seront  autant  de  témoins  qui  vous  con- 
vaincront de  perfidie,  et  vous  accableront  (Terhasson,  loc.  cit.). 


l/|8        LES  GRANDS   DEVOIRS  DU   SALUT.  VI.  INSTRUCTION. 

dre  leurs  enfants,  ou  toujours  malheureux,  ou  toujours 
heureux  !  Enfin,  la  pensée  de  travailler  à  la  gloire  de 
Dieu  lui-même,  en  lui  formant  des  serviteurs  et  des  adora- 
teurs, la  pensée  de  concourir  à  remplir  le  ciel  d'élus,  ne 
doit-elle  pas  achever  de  donner  aux  parents  une  inébranla- 
ble persévérance  dans  l'accomplissement  de  leur  devoir,  si 
pénible  et  si  rebutant  qu'il  puisse  être  parfois  ?  Parents 
chrétiens,  embrassez  donc  désormais  avec  générosité  votre 
devoir  envers  vos  enfants,  et  tout  en  assurant  ainsi  de  la 
manière  la  plus  efficace,  encore  une  fois,  votre  bonheur, 
vous  mériterez  tout  à  la  fois,  les  louanges  des  hommes,  les 
remerciements  attendris  de  vos  enfants,  et  les  bénédictions 
temporelles  et  éternelles  de  Dieu.  Ainsi  soit-il. 


TRAITS  HISTORIQUES 

Sollicitude    due  aux  enfants. 

Une  mère,  dont  l'enfant  était  encore  au  berceau,  avait  été  invitée 
à  aller  passer  la  soirée  chez  des  voisins.  Son  mari  était  absent.  Elle 
avait  bien  hésité  à  accepter  l'invitation,  mais  elle  s'y  était  enfin 
décidée,  en  se  promettant  bien  de  ne  faire  qu'une  apparition  et  de 
revenir  aussitôt.  Ayant  disposé  toutes  choses  pour  prévenir  le 
moindre  accident,  lui  semblait-il,  elle  partit,  laissant  son  enfant 
paisiblement  endormi.  Mais  au  lieu  de  revenir  promptement, 
comme  elle  se  Tétait  promis,  elle  s'oublia  dans  la  société  de  ses 
voisins,  et  ne  rentra  qu'après  plusieurs  heures  d'absence.  Elle  se 
rassurait  d'ailleurs  en  pensant  aux  précautions  qu'elle  avait  prises. 
Mais  étant  entrée  près  de  l'enfant,  elle  aperçut,  couché  sur  sa  poi- 
trine, un  chat  qu'elle  avait  oublié  de  mettre  dehors.  Elle  approche, 
se  penche  vers  son  enfant.  Plus  de  respiration  !  11  était  mort 
étouffé.  —  Des  faits  plus  ou  moins  semblables  sont  malheureuse- 
ment très  fréquents. 

Devoir  de  guider  les  enfants. 

Saint  Pierre  de  Sébaste,  frère  de  saint  Grégoire  de  Nysse  et  de 
saint  Basile-le-Grand,  perdit  son  père  dès  le  berceau  ;  mais  il  eut 
le  bonheur  de  tomber  entre  les  mains  de  sainte  Macrine,  sa  sœur, 
qui  lui  prodigua  tous  les  soins  de  la  plus  dévouée  des  mères.  Elle 
sut  si  bien  entremêler  ses  différents  exercices,  qu'il  n'y  avait  aucun 
moment  pour  les  bagatelles.  Par  cette  variété  d'occupations,  le 


DEVOIRS    Ï^ES    PARENES    ENVERS    LEURS    ENFANTS.  i/jg 


jeune  Pierre  ne  ressentait,  pas  les  dégoûts  de  l'ennui,  et  s'accoutu- 
mait insensiblement  à  une  vie  sérieuse  et  appliquée.  Docile  aux 
Leçons  de  sa  respectable  sœur,  il  faisait  chaque  jour  de  nouveaux 
progrès  dans  toutes  les  connaissances  divines  et  humaines,  et 
devint  un  homme  illustre  et  un  grand  saint. 

Devoir  d'élever  chrétiennement  les  enfants. 

Sainte  Marie  de  l'Incarnation,  religieuse  carmélite,  avait  été 
mariée  à  M.  Acarie,  maître  des  comptes  à  Paris,  homme  plein  de 
foi  et  de  charité,  qui  employa  une  grande  partie  de  sa  fortuue  en 
bonnes  œuvres.  Elle  en  eut  six  enfants,  trois  filles  et  trois  garçons, 
qu'elle  éleva  avec  un  soin  extrême  dans  la  crainte  de  Dieu  et  la 
pratique  d'une  solide  piété.  Ils  se  levaient  de  bonne  heure,  et  réci- 
taient ensemble  la  prière  du  matin,  faisaient  une  méditation,  et 
allaient  entendre  ensuite  la  sainte  Messe.  C'était  l'exercice  ordi- 
naire de  tous  les  jours.  Puis  venait  le  travail,  et  ensuite  les  récréa- 
tions. M'16  Acarie  présidait  à  tout  et  les  avait  tellement  accoutumés 
à  être  toujours  avec  elle,  qu'ils  ne  pouvaient  se  passer  de  sa  pré- 
sence, même  dans  les  divertissements,  auxquels  elle  ne  manquait 
jamais  de  prendre  part.  Elle  leur  inspirait  une  vive  horreur  pour  le 
mensonge  ;  elle  ne  voulait  pas  qu'ils  se  plaignissent  ni  de  leur 
nourriture,  qui  était  extrêmement  simple  et  frugale  ;  ni  de  leur 
habillement,  dans  lequel  il  n'y  avait  jamais  rien  de  recherché  ;  ni 
des  domestiques  de  sa  maison,  auxquels  elle  leur  ordonnait  au 
contraire  de  parler  avec  égard  et  douceur.  Enfin,  lorsqu'elle  était 
plus  satisfaite  de  leur  conduite  et  de  leurs  progrès,  elle  leur  don- 
nait de  l'argent  pour  le  distribuer  en  aumônes  aux  pauvres  qu'ils 
rencontraient,  et  les  habituait  ainsi  à  se  faire  un  plaisir  du  soula- 
gement des  misérables.  Dieu,  touché  d'une  conduite  si  chrétienne, 
la  récompensa,  dès  cette  vie,  par  une  ample  bénédiction  spirituelle. 
Ses  trois  filles  se  firent  carmélites,  et  ses  trois  fils,  engagés  dans 
les  différentes  carrières  de  la  magistrature,  du  sacerdoce  et  du  ser- 
vice militaire,  conservèrent  toujours  dans  leur  cœur  les  sentiments 
que  leur  sainte  mère  s'était  efforcée  de  leur  inspirer. 

Devoir  de  corriger  les  enfants. 

La  Semaine  Religieuse  de  Saint-Dié,  en  annonçant  la  mort  de 
M.  l'abbé  Idoux,  prêtre  de  ce  diocèse,  rapporte  diverses  anecdotes 
racontées  par  le  défunt  lui-même,  et  qui  montrent  comment 
certains  parents  savent  se  faire  respecter  de  leurs  enfants  et  leur 
donner  pour  la  vie  une  trempe  virile  : 

«  Ma  mère,  dit  M.  Idoux,  était  restée  veuve  avec  quatre  jeunes 


l5o        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VI.   INSTRUCTION. 

enfants.  Un  jour,  nous  avions  été  désobéissants,  deux  de  mes 
frères  et  moi.  Elle  attrape  une  verge  et  la  brandit.  Nous  courbons 
l'échiné,  mais  l'orage  ne  tombe  pas.  Nous  la  voyons  jeter  la  verge 
en  murmurant  :  «  Non,  pas  aujourd'hui,  je  suis  en  colère.  »  —  Le 
lendemain  se  passe  sans  encombre,  nous  nous  frottions  les  mains, 
croyant  tout  oublié.  Erreur  profonde  !  Le  troisième  jour,  nous 
étions  encore  au  lit  qu'elle  entre  armée  de  la  terrible  verge,  en 
disant  :  «  Hier,  j'étais  fâchée  ;  mais  aujourd'hui  je  ne  le  suis  plus, 
aujourd'hui  je  puis  corriger  avec  fruit.  Allons,  en  place  !»  Et 
nous  eûmes  notre  fessée. 

«  Elle  garda  sur  les  hommes,  ajoutait  M.  Idoux,  l'autorité 
qu'elle  avait  prise  sur  les  enfants.  Un  dimanche  soir,  mon  frère 
aîné  avait  demandé  la  permission  de  sortir  une  heure  avec  des  amis 
irréprochables.  La  mère  refusa.  «  C'est  comme  cela  ?  dit-il  avec 
humeur  ;  je  m'en  irai.  »  Mais  il  n'insista  point  et  gagna  son  lit.  Le 
lendemain  à  son  réveil,  il  trouva,  rangées  sur  la  chaise,  deux  che- 
mises et  ses  hardes.  «  Tiens,  qu'est-ce  que  cela  ?  —  Cela,  c'est  ton 
paquet.  Va-t'en  ailleurs,  puisque  tu  n'es  plus  bien  ici.  —  Mais... 

—  Pas  de  mais...  »  C'était  catégorique,  il  fit  son  paquet,  tristement, 
et  vint  nous  dire  adieu.  Nous  allions  lui  faire  la  conduite.  «  Restez 
ici,  dit  la  mère  ;  défense  de  l'accompagner  même  jusqu'à  la  porte.  » 
Personne  ne  bougea,  mais  tout  le  monde  avait  le  cœur  gros.  Le 
soir,  vers  neuf  heures,  au  moment  de  la  prière,  il  rentra  ;  mais  on 
ne  lui  adressa  point  la  parole.  Le  lendemain  matin  également,  on 
ne  sembla  point  prendre  garde  à  sa  présence.  Nous  voilà  tous  partis 
aux  champs,  le  laissant  seul  près  du  foyer  la  tête  dans  ses  mains. 
Le  second  jour,  il  se  hasarda  à  dire,  au  moment  où  la  mère  distri- 
buait à  chacun  sa  tâche  pour  la  journée  :  «  Et  moi,  vous  ne  me 
commandez  rien  ?  —  Quand  tu  sauras  obéir,  on  te  commandera. 

—  Mère,  je  vous  jure  d'obéir.  —  Toujours  ?  —  Toujours.  —  Sans 
discuter  ?  —  Sans  discuter.  —  Alors,  va  reprendre  ta  place.  »  Et  il 
avait  32  ans  alors.  A  3o  ans,  il  en  eût  été  de  même. 

Devoir  de  donner  de  bons  exemples  aux  enfants. 

Les  parents  de  sainte  Thérèse  eurent  à  cœur  de  donner  à  leurs 
enfants,  qui  étaient  au  nombre  de  douze,  l'exemple  d'une  vie  par- 
faitement chrétienne. 

«  Mon  père,  raconte  la  sainte  elle-même,  aimait  beaucoup  la 
lecture  des  bons  livres  ;  il  en  avait  plusieurs  en  langue  vulgaire, 
afin  que  ses  enfants  pussent  les  lire  ;  et  ma  mère  secondait  ses 
desseins  en  prenant  soin  de  nous  faire  prier  Dieu,  en  nous  inspi- 
rant la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et  aux  saints  ;  ce  qui  commença, 


DEVOIRS  DES  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.     l5l 

à  m'y  exciter  dès  l'âge  de  six  ou  sept  ans.  .l'avais  encore  un  grand 
avantage,  celui  de  ne  voir  mes  parents  estimer  ou  favoriser  autre 
chose  que  la  vertu  ;  ils  en  avaient  l'un  et  l'autre  beaucoup.  Mon 
père  était  fort  charitable  envers  les  pauvres,  et  plein  de  compas- 
sion pour  les  malades  ;  il  traitait  ses  domestiques  avec  une  bonté 
singulière.  Jamais  il  ne  voulut  d'esclaves  dans  sa  maison  ;  il  était 
d'une  grande  sincérité  dans  ses  paroles  ;  jamais  personne  ne  l'en- 
tendit jurer  ni  médire  ;  et,  pour  l'honnêteté,  il  y  était  exact  au 
dernier  point.  Ma  mère  était  aussi  très  vertueuse  ;  quoiqu'elle  fût 
extrêmement  belle,  elle  faisait  si  peu  de  cas  de  sa  beauté,  qu'encore 
qu'elle  n'eut  que  trente-trois  ans  quand  elle  mourut,  une  personne 
;ïgée  n'aurait  pu  vivre  d'une  manière  plus  édifiante.  Son  humeur 
était  extrêmement  douce.  Elle  avait  beaucoup  d'esprit,  mais  si  peu 
de  santé,  qu'elle  eut  de  fréquentes  maladies.  Sa  vie  fut  traversée 
de  grandes  peines,  qu'elle  supporta  avec  une  résignation  parfaite, 
et  elle  mourut  chrétiennement. 

Mauvais  exemples  des  parents. 

Une  mère  disait  un  jour  en  pleurant  :  «  Hélas  !  mon  fils  ne 
m'écoute  plus  ;  il  n'a  plus  que  du  mépris  pour  son  père  et  pour 
moi  :  sa  conduite  nous  effraie,  que  va-t-il  devenir  ?  »  Il  allait 
devenir,  par  ses  désordres  toujours  croissants,  le  bourreau  de  son 
père  et  de  sa  mère.  Bien  qu'il  n'eût  encore  que  quatorze  ans,  il 
était  déjà  leur  chagrin  et  leur  tourment,  sans  laisser  d'espoir  pour 
un  meilleur  avenir.  Pauvres  parents  !  Mais  si  leur  fils  les  jetait 
dans  le  désespoir,  ils  ne  devaient  s'en  prendre  qu'à  eux-mêmes.  Us 
avaient  négligé  de  former  de  bonne  heure  son  cœur  à  la  piété,  soit 
par  ces  premières  leçons  que  l'enfant  doit  recevoir  sur  les  genoux 
de  sa  mère,  soit  par  l'exemple  que  ses  parents  doivent  lui  donner 
de  la  prière,  et  de  toutes  les  pratiques  chrétiennes.  Ils  voulurent, 
il  est  vrai,  qu'il  fut  élevé  chrétiennement,  et  ils  le  confièrent  aux 
soins  de  personnes  vertueuses  ;  mais  les  remontrances  qu'on  essaya 
de  lui  faire  demeurèrent  stériles,  parce  qu'elles  n'étaient  ni  soute- 
nues ni  autorisées  par  les  exemples  domestiques.  Le  trait  suivant, 
rapporté  par  la  servante,  en  est  une  preuve.  Un  jour  la  pieuse  fille 
disait  à  cet  enfant,  alors  Agé  de  dix  ans  :  «  Mon  ami,  nous  allons 
faire  la  prière.  —  Mais,  reprit  l'enfant,  pourquoi  voulez-vous  que 
je  prie  ?  Papa  et  maman  ne  prient  pas.    » 

Funestes  conséquences  des  mauvaises  éducations. 

i.  —  L'éducation  sans  Dieu,  sans  pratique  religieuse,  sera 
immanquablement  mauvaise  et  entraînera  les  plus  tristes  consé- 


l52       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   —  VI.   INSTRUCTION. 

qucnces.  M.  de  Mairan,  de  l'Académie  des  sciences,  raconte  qu'il 
avait  connu  à  Béziers  un  prétendu  esprit  fort  ou  libre-pensenr, 
père  de  trois  enfants,  deux  garçons  et  une  fdle,  auxquels  il  donna 
une  éducation  étrangère  à  tout  sentiment  religieux.  Il  les  portait 
à  se  conduire  par  les  lumières  d'une  raison  pure,  et  libre  de  ce 
qu'il  appelait  préjugés,  c'est-à-dire  affranchie  des  divins  enseigne- 
ments de  Jésus-Christ  et  de  son  Eglise.  —  Quelles  en  feront-  les 
conséquences  ?  Ces  enfants  perdirent  tout  respect  pour  les  auteurs 
de  leurs  jours,  se  livrèrent  au  libertinage,  au  jeu,  aux  .excès  de 
tout  genre.  Leur  mère,  abreuvée  d'amertume,  mourut  bientôt  ;  et 
aussitôt  ces  êtres  impies  et  dénaturés  réclamèrent  l'héritage  de 
leur  mère  défunte,  laissant  leur  vieux  père  languir  dans  la  misère 
et  l'abandon.  —  Dieu  prolongea  la  vie  de  ce  coupable  vieillard 
pour  voir  les  malheurs  de  ses  enfants.  Le  fils  aîné  périt  sur  l'écha- 
faud  pour  ses  crimes,  la  fille  finit  ses  jours  à  Bicêtre,  dans  un 
hospice  de  mendicité  ;  enfin  le  second  des  fils,  abandonné  d'une 
épouse  infidèle,  tomba  dans  la  honte  et  la  misère.  —  Au  milieu 
de  ces  ruines  d'une  famille  déshonorée,  que  devint  le  père  ?  Accablé 
de  misère,  de  honte,  de  remords,  il  tomba  en  démence.  Dans  son 
délire,  il  semblait  vouloir  se  punir  lui-même  :  il  se  meurtrissait  le 
sein  et  le  visage.  Parfois  il  avait  des  moments  lucides,  et  alors  on 
l'entendait  s'écrier  :  «  Où  sont  mes  fils  ?...  Où  est  ma  fille  ?...  Où 
sont  mes  enfants  ?...  Où  sont-ils  ?  où  sont-ils  ?...  Dans  l'abîme! 
C'est  moi  qui  le  leur  ai  creusé  !...  Malheur  à  moi  !  malheur  à  moi  ! 
Tout  est  perdu...  mes  enfants,  où  sont-ils  ?...  » 

2.  —  Un  récit  publié  récemment  dans  une  grande  Revue  pari- 
sienne, dont  l'esprit  est  loin  d'être  favorable  aux  idées  religieuses, 
nous  montre  une  jeune  fille,  élevée  par  un  père  libre-penseur  en 
dehors  de  tout  principe  religieux  et  descendue,  par  là-même,  au 
dernier  échelon  de  la  dégradation  sociale.  Voici  avec  quels  accents 
indignés  elle  parle  à  son  père  dans  ce  récit,  et  se  retourne  vers  le 
véritable  auteur  de  sa  chute  :  «  Vous  n'avez  rien  à  me  reprocher, 
vous,  mon  père,  dit-elle  d'une  voix  éclatante.  Dites  :  comment 
m'avez-vous  élevée  ?  Qu'est-ce  que  vous  m'avez  mis  dans  l'âme, 
dans  l'intelligence  et  dans  le  cœur  ?  Dans  la  vie  de  toute  femme, 
il  y  a  une  heure  où  la  tentation  arrive,  une  heure  où  elle  se  sent 
entraînée  vers  le  mal  comme  vers  un  gouffre.  Les  autres  ont  du 
moins  une  force  pour  les  soutenir  ;  moi  je  n'ai  pas  trouvé  une 
seule  branche  où  me  raccrocher  !  J'ai  appelé  à  mon  secours... 
Personne  n'est  venu  ;  j'ai  regardé  le  ciel,  vous  m'avez  enseigné 
qu'il  était  vide  !  Je  sais  d'avance  tout  ce  que  vous  pourriez  me 
dire  !  Mon  déshonneur  est  public  ;  le  monde  m'a  chassée,  et  je 


DEVOIRS  DBS  PARENTS  ENVERS  LEURS  ENFANTS.     1 53 

connais  toutes  les  injures  qu'il  jettera  sur  mou  nom  !  Je  suis 
tombée  si  bas  que,  si  je  n'avais  pour  sœur  la  sainte  fille  qui  est  là, 
je  n'aurais  pas  trouvé  une  seule  main  tondue  vers  mon  abjection. 
Eh  bien!  cette  abjection  est  votre  ouvrage,  mon  père,  et  vgus 
pouvez  en  rire  fier!  «  Dieu,  lame,  l'éternité,  le  crucifix,  la  Vierge, 
des  mômeries  !  »  disiez-vous...  Farouche,  elle  fit  un  pas  pour  sortir. 
«  Ma  fille,  où  vas-tu  ?  s'écria  le  malheureux  père,  frappé  en  plein 
orgueil. —  Où  je  ,\ais  ?  Où  \<>nt  les  désespérées  dont,  l'honneur  est 
perdu,  dont  le  nom  est  flétri,  et  qui  ne  croient  à  rien,  ni  au  bien, 
ni  à  la  vertu,  ni  à  la  justice...  Je  vais  où  vont  les  filles  comme  moi, 
élevées  pur  des  hommes  comme  vous,  —  dans  la  boue...  » 

Comment  ramener  les  enfants  égarés. 

Il  est  bien  peu  de  pères  qui  n'aient  à  déplorer  les  égarements  de 
leurs  fils  ;  il  en  est  beaucoup  qui  ont  à  se  les  reprocher.  0  vous  qui 
éprouvez  ce  malheur,  le  plus  douloureux  pour  une  âme  paternelle, 
en  vous  lamentant,  ne  désespérez  pas.  Courez  au-devant  de  ces 
malheureux  qui  se  précipitent  dans  l'enfer,  et  qui  peut-être  vous 
y  entraînent.  Conjurez-les,  par  votre  tendresse  pour  eux,  parleur 
respect  pour  vous,  d'avoir  pitié  de  l'affliction  qu'ils  vous  causent. 
Touchez-les  par  le  spectacle  de  votre  douleur,  et  employez  à  les 
retirer  de  leurs  désordres  les  larmes  qu'ils  vous  font  répandre. 
Joignez  les  précautions  de  la  prudence  à  l'ardeur  du  zèle,  les  cares- 
ses aux  reproches,  la  douce  insinuation  aux  vives  exhortations  ;  et 
surtout,  à  vos  démarches  soutenues  pour  leur  conversion,  des 
prières  ferventes  vers  Celui  de  qui  elle  dépend.  L'histoire  ecclésias- 
tique vous  présente  un  exemple  mémorable  d'un  grand  succès  de 
ce  genre,  et  des  moyens  propres  à  l'obtenir. Égaré  parles  exemples 
d'un  père  peu  religieux,  emporté  par  la  fougue  de  ses  passions, 
Augustin  s'est  abandonné  sans  réserve  aux  excès  de  tous  les  genres. 
L'erreur  a  perverti  son  esprit,  le  libertinage  a  corrompu  son  cœur. 
Témoin  de  ses  écarts  honteux,  sa  mère,  la  pieuse  Monique,  a  mis 
inutilement  en  usage,  pour  l'arrêter,  toutes  les  instances  de  l'amour 
maternel,  toutes  les  représentations  du  zèle,  tous  les  efforts  de 
l'autorité.  Il  n'y  a  pas  de  frein  assez  puissant  pour  retenir  un  si 
violent  coursier.  Elle  gémit,  mais  sans  s'abattre  ;  elle  se  désole, 
mais  sans  se  rebuter.  Sa  tendresse  semble  s'accroître  des  torts  de 
son  fils.  Les  épreuves  auxquelles  il  met  sa  complaisance  ne  la 
diminuent  point.  Toujours  douce,  toujours  tendre,  prudente  en 
même  temps  que  zélée,  elle  emploie,  pour  le  ramener,  les  exhor- 
tations plus  que  les  reproches,  les  exemples  plus  que  les  exhorta- 
tions, et  plus  que  tout  encore   ses   ferventes    prières.    Elle  parle 


l54       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.  VI.  INSTRUCTION. 

quelquefois  à  Augustin  de  Dieu,  mais  bien  plus  souvent  à  Dieu 
d'Augustin.  En  même  temps  qu'elle  excite  dans  son  cœur  le 
remords,  elle  en  sollicite  vivement  la  grâce.  En  vain,  pour  se 
soustraire  à  ses  propres  représentations,  et  à  celles  de  sa  propre 
conscience,  il  fuit  dans  différents  pays.  Cette  mère  infatigable  se 
précipite  sur  ses  pas.  Il  retrouve  partout  à  ses  côtés,  cette  inaltéra- 
ble bonté,  toujours  occupée  de  lui  plaire  et  de  le  ramener.  Elle  le 
conduit  avec  une  sainte  adresse  aux  éloquentes  instructions  d'Am- 
broise.  Non,  lui  disait  un  saint  évêque  touché  de  ses  pieux  efforts, 
non,  il  n'est  pas  possible  que  le  fils  de  tant  de  larmes  périsse.  Il 
s'accomplit  enfin,  cet  oracle.  Il  arriva  ce  jour,  désiré  par  tant  de 
vœux,  sollicité  par  tant  de  prières,  préparé  par  tant  de  travaux. 
Jour  heureux,  qui  vit  Augustin  tomber  aux  pieds  de  sa  mère, 
abjurant  ses  erreurs,  détestant  ses  vices,  reconnaissant  que  c'est  à 
elle  qu'il  doit  son  retour  à  la  foi  et  à  la  vertu  !  Tendre  et  pieuse 
Monique,  quels  furent,  à  la  suite  de  votre  affliction,  les  transports 
de  votre  joie,  en  serrant  dans  vos  bras  le  fils  si  cher,  devenu  enfin 
digne  de  vous  !  Vous  avez  été  deux  fois  sa  mère.  Vous  l'aviez  donné 
à  la  terre  :  vous  venez  de  l'engendrer  à  Dieu.  Vous  voyez  votre 
Augustin  prêt  à  devenir  le  soutien  de  l'Église,  le  défenseur  de  sa 
doctrine,  la  terreur  de  ses  ennemis,  le  prédicateur  de  sa  morale,  le 
plus  savant  de  ses  docteurs,  le  modèle  de  ses  évêques.  La  terre  n'a 
désormais  plus  rien  qui  vous  retienne.  Il  ne  vous  reste  plus  qu'à 
recevoir  le  dernier  prix  de  vos  grands  et  si  utiles  travaux,  et  qu'à 
aller  précéder  dans  le  ciel  celui  à  qui  vous  en  avez  ouvert  les  portes. 
(Gard,  de  la  Luz.  loc.  cit.  n.  37). 


SEPTIEME  INSTRUCTION 

(Mercredi  delà  Deuxième  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  les  enfants 
d'honorer  leurs  parents. 

I.  En  quoi  consiste  ce  devoir.  —  II.  Motifs  de  l'accomplir. 

Si  les  parents,  ayant  mis  au  monde  des  enfants,  sont 
tenus  de  pourvoir  à  tous  leurs  besoins  de  l'âme  et  du  corps  ; 
il  ne  se  peut  pas  que  les  enfants,  qui  ont  reçu  de  leurs 
parents  l'existence,  et  qui  en  reçoivent  à  chaque  instant  de 
nouveaux  bienfaits,  soient  exempts  de  toute  obligation  à 
leur  égard.  En  principe,  l'obligation  de  celui  qui  reçoit,  à 
l'égard  de  celui  qui  donne,  est  même  beaucoup  plus  rigou- 
reuse que  l'obligation  de  celui  qui  donne  à  l'égard  de  celui 
qui  reçoit.  Ainsi  Dieu,  parce  qu'il  nous  a  créés,  est  tenu 
dans  une  certaine  mesure,  il  est  vrai,  de  pourvoir  à  nos 
besoins  ;  mais  combien  ne  sommes-nous  pas  nous-mêmes 
plus  étroitement  liés  à  l'égard  de  Dieu,  à  cause  de  la  vie  que 
nous  avons  reçue  de  lui,  et  des  bienfaits  sans  nombre  que 
nous  continuons  d'en  recevoir  à  tout  moment  !  Voilà 
pourquoi  Dieu,  qui  n'a  rien  dit,  dans  le  Décalogue  de  sa 
Loi,  du  devoir  des  parents  à  l'égard  de  leurs  enfants,  a 
voulu  formuler  solennellement  le  devoir  des  enfants  à 
l'égard  de  leurs  parents,  en  y  gravant  ces  paroles  :  Honorez 
votre  père  et  votre  mère  (i).  Et  pour  nous  faire  bien  enten- 
dre la  majesté  de  ce  précepte,  et  l'importance  que  nous 
devons  y  attacher,  il  l'a  inscrit  en  tête  de  la  seconde  table 
de  sa  Loi,  la  première  étant  tout  entière  occupée  par  les  trois 
préceptes  qui  le  regardent  lui-même.  Ainsi,  avant  et  au- 
dessus  de  notre  devoir  envers  nos  parents,  il  n'y  a  que  nos 
seuls  devoirs  envers  Dieu.  Par  conséquent,  après  nos 
devoirs  envers  Dieu,   c'est  notre  devoir  envers   nos  parents 

i.  Exod.  xx,  la. 


ï56        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.  INSTRUCTION. 

qui  est  le  premier,  et  c'est  de  lui  que  nous  devons  nous 
acquitter  avant  tous  les  autres  et  de  préférence  à  tous  les 
autres  (i).  Comprenons  par  là  combien  il  nous  est  néces- 
saire d'en  avoir  une  connaissance  exacte  et  complète. 
Remarquons  en  outre  que,  contrairement  au  devoir  des 
parents  envers  leurs  enfants,  qui  ne  regarde  proprement 
que  les  personnes  mariées,  le  devoir  des  enfants  envers 
leurs  parents  regarde  tout  le  monde,  car  nous  avons  tous 
des  parents.  Apprenons  donc  tous,  ou  rappelons-nous  tous, 
premièrement,  en  quoi  consiste  notre  devoir  d'honorer 
nos  parents,  et  secondement,  quels  sont  les  motifs  très  spé- 
ciaux que  nous  avons  de  nous  acquitter  de  ce  devoir 
sacré  ('2).  —  0  Dieu  !  qui  nous  avez  vous-même  fait  la  grâce 
de  nous  donner  nos  pères  et  nos  mères,  et  nous  avez  com- 
mandé de  les  honorer,  daignez  nous  aider  à  bien  compren- 
pre  ce  précepte,  et  à  l'accomplir  de  tout  notre  cœur  dans 
toute  son  étendue. 

1.  —  En  quoi  consiste  notre  devoir  d'honorer  nos 
parents.  —  Les  théologiens  qui  ont  traité  cette  question, 
s'appuyant  tout  à  la  fois  sur  la  nature,  sur  la  raison  et  sur  la 
révélation  (3),  nous  enseignent  que  notre  devoir  d'honorer 

i.  Philon  observe  que  Moïse  inscrivit  les  devoirs  des  enfants  à  l'égard 
de  leurs  parents  dans  la  table  de  la  loi  qui  contient  nos  devoirs  à 
l'égard  de  Dieu,  et  dans  celle  qui  renferme  nos  devoirs  à  l'égard  des 
hommes  ;  le  souverain  législateur  voulait  faire  comprendre  aux  enfants 
que  leurs  parents  doivent  tenir  dans  leur  esprit  la  place  de  Dieu  et 
celle  de  l'homme.  Le  devoir  de  l'enfant  à  l'égard  de  son  père  doit  donc 
tenir  le  premier  rang  dans  son  esprit  et  dans  son  coeur.  Plusieurs 
auteurs  assurent  que  le  devoir  de  fils  doit  précéder  celui  de  père  et 
d'époux,  et  que  dans  l'impuissance  de  sauver  son  père  et  son  fils,  un 
homme  devrait  de  préférence  sauver  son  père  (L'abbé  Pierrot, 
Dictionn.  de  théol.  mor.  Migne,  voc.  Enfants,  n.  2). 

2.  Quid  debeant  filii  parentibus  :  i°  Honorem  et  reverentiam  :  1.  Pone 
incedendo.  2.  De  eorum  tenuitate  non  erubescendo.  3.  Eorum  vitia 
occultando.  —  20  Obedicntiam  :  1.  Parendo.  2.  Gredendo  eorum  sen- 
sui.  3.  In  rébus  gravibus  eos  consulendo.  —  3°  Obscquium  et  servi- 
tium  :  1.  Suppeditando  victum  indigentibus.  2.  Non  cogendo  ad  bono- 
rum  traditionem.  3.  Eorum  defectus  aequo  animo  ferendo  (Faber,  Op. 
conc.  in  f.  S.  Nicolai,  conc.  5). 

3.  Natura  docet  non  homines  tantum,  sed  et  pecudes,  ut  honorem 
exhibeant  genitoribus  suis,  a  quibus  vitam  accepere.  In  hoc  enim 
parentes  représentant  personam  Dei,  qui  alioquin  nequit  viderioculis 


DEVOIR  POUR  LKS  ENFANTS  d'hONORËR  LEURS  PAKENTS.       167 


nos  parents  consiste  en  ces  quatre  choses,  savoir  :  à  les 
aimer,  à  les  respecter,  à  leur  obéir  et  à  les  assister  (i).  Exa- 
minons doue  eela  en  détail. 

El  d'abord,  disons-nous,  notre  devoir  d'honorer  nos 
parents  consiste  à  les  aimer.  Mais  qu'est-ce  qu'aimer  ses 
parents?  \imer  ses  parents,  est-il  besoin  de  le  dire,  c'est 
avoir  pour  eux  des  sentiments  d'affection,  d'attachement, 
de  reconnaissance  ;  c'est  se  plaire  dans  leur  société,  et  être 
heureux  de  les  voir  et  de  les  entendre  ;  c'est  se  réjouir  avec 
eux  dans  leurs  joies,  et  pleurer  avec  eux  dans  leurs  cha- 
grins ;  c'est  surtout  éviter  de  leur  causer  aucune  peine,  et 
s'efforcer  au  contraire  de  leur  être  agréable  dans  tout  ce 
que  l'on  fait.  Voilà  ce  que  c'est  qu'aimer  ses  parents  ;  voilà 
ce  que  c'est  que  les  aimer,  non  en  apparence,  mais  en  réalité; 
non  du  bout  des  lèvres,  mais  du  fond  du  cœur.  —  Or,  qu'il 
y  ait  pour  nous   obligation   d'aimer  nos   parents,    c'est  ce 

corporeis,  ut  cos  vclut  prsefectos  Dei  et  secundarios  quasi  creatores  fîlii 
venerentur,  nam  et  hi  suo  modo  tribuunt  illis  esse  et  vitam...  Ob 
quam  causam  etiam  Aristotcles,  lib,  8.  moral,  tradit.  Deo  et  parentibus 
pro  meritis  reddi  par  non  posse.  Undc  ait  Ecclesiasticus,  c.  ni  ;  Qui 
timet  Dominum,  honorât  parentes,  et  quasi  dominis  serviet  his  qui  genue- 
runt,  q.  d  si  quia  Deum  timet,  timebit  etiam  parentes  tanquam  cjus 
vicarios.  Lex  duodecim  tabularum  Romanis  potestatem  dabat  patri  ter 
filium  venumdandi/imo  jus  in  eum  vitae  ac  necis,  apud  auctorem 
antiq.  Rom.  lib.  8,  c.  6,  quod  tamen  postca  emendatum  est  Gaeterum 
in  animantibus  etiam  rationc  carentibus  cernitur  hoc  debilum.  Nam 
impriniis  ciconiae  parentes  senio  confectos  non  modo  pascunt,  sed 
etiam  pennarum  defhivio  laborantes  confovent,  et  inter  volandum  alis 
utrinque  lcniter  alleVant  ac  succollant,  ul  testatur  sanctus  Ambrosius, 
in  llcxain.  v,  i(i,  et  sanctus  Basilius,  in  Ilcxam.  hom.  8.  Plutarchus 
item  de  solertia  animalium  refert  Icônes  juniorcs  praedam  suam  divi- 
derecurn  senioribus.  Quin  et  glires,  ut  scribit  Plin.  vin,  67,  genitorcs 
suos  fessos  senecta,  alunt  insigni  pietate.  Haec  animalia  praeceptorem 
non  habent,  praeeuntem  non  vident,  mercedem  non  expectant,  minis 
non  adiguntùr,  et  tamen  Lllud  faciunt.  Nos  praeterea  legem  scriptam 
habemus  :  Honora  patrem  tuum  et  matrem,  exemplum  habemus,  et 
promissionem  habemus,  el  comminationem,  nisi  id  faciamus  (Faber, 
Op.  conc.  (loin.  1.  post.  Kpipli.  conc.  3,  n.  1). 

1.  Honorare,  quid  sit  :  est  de  aliquo  honorifîec  sentire,  et  quœ  ilius 
sunt,  maximi  putare  omnia.  Unie  autem  honori  haec  omnia  conjuncta 
sunt,amor,  observantia,  obedientia'cl  cultus.  Scite  a'utem  înlege  posita 
«•-I  honoris  \<>\,  non  amoris,  aut  metus,  etiamsi  yalde  amandi,  ac 
metuendi  parentes  sint  ;  etenim  qui  amat,  non  semper  observât,  et 
veneratur  ;  qui  metuit,  non  semper  diligit  ;  quem  vero  aliquis  ex 
an'uno  honorât,  item  amat,  el  veretur  (Calecli.  concil.  Trident,  p.  '•>, 
priée.  4,  n.  A)- 


l58       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  Vil.   INSTRUCTION. 

que  crie  la  nature.  Les  petits  oiseaux  ne  reconnaissent-ils 
pas  leur  mère,  et  n'accueilleut-ils  pas  son  retour  par  des 
cris  joyeux?  L'agneau  ne  sait-il  pas  distinguer  la  sienne 
entre  des  milliers  d'autres,  sa  vue  ne  le  fait-il  pas  bondir 
d'allégresse,  et  ne  lui  donne-t-il  pas  les  marques  les  plus 
expressives  de  son  attachement?  Tous  les  animaux  n'ont-ils 
pas  des  tendresses  particulières  pour  leurs  parents  ?  Com- 
ment donc  l'enfant  pourrait-il  ne  pas  aimer  sa  mère  ? 
Gomment  ne  pourrait-il  pas  l'aimer,  quand  il  pense  aux 
fatigues  qu'elle  a  endurées  lorsqu'elle  le  portait  dans  son 
sein,  aux  douleurs  qu'elle  a  souffertes  en  le  mettant  au 
monde,  aux  privations  et  aux  sollicitudes  auquelles  elle  se 
soumet  depuis  sa  naissance,  afin  que  rien  ne  lui  nuise 
et  que  rien  ne  lui  manque  ?  Et  son  père,  comment 
l'enfant  pourrait-il  ne  pas  l'aimer,  son  père  qui  pour  lui 
travaille  sans  relâche,  qui  pour  lui  affronte  toutes  les  fati- 
gues, use  ses  forces,  se  consume  et  abrège  sa  propre  vie? 
L'enfant  qui  n'aimerait  pas  son  père  et  sa  mère,  qui  n'au- 
rait pour  eux  ni  affection  ni  reconnaissance,  ne  serait  pas 
seulement  un  ingrat,  ce  serait  un  monstre,  c'est-à-dire  un 
être  contre  nature.  —  Aussi  l'histoire  nous  apprend-t-elle 
des  païens  eux-mêmes,  qui  précisément  n'avaient  pour  se 
guider  que  les  lois  et  les  impulsions  de  la  nature,  qu'ils 
témoignaient  à  leurs  parents  les  sentiments  de  la  plus  vive 
tendresse  et  de  la  plus  entière  déférence.  Elle  nous  montre 
en  particulier  l'un  des  plus  illustres  héros  de  l'antiquité, 
Coriolan,  déposant  toutes  ses  couronnes  aux  pieds  de  sa 
mère,  et  préférant  à  toutes  les  autres  jouissances,  le  plaisir 
de  la  rendre  heureuse  (i).  —  Mais  ce  qui  doit  avoir  pour 
nous,  chrétiens,  plus  de  poids  que  l'exemple  des  païens,  ce 
sont  les  maximes  de  l'Évangile.  Eh  bien,  ces  maximes 
ne  prescrivent-elles  pas,  à  tout  disciple  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  d'aimer  son  prochain  comme  lui-même  (2)  ? 
Or,  si  nous  sommes  obligés  d'aimer  notre  prochain  comme 
nous-mêmes,  à  plus  forte  raison  sommes-nous  obligés 
d'aimer  nos  parents,  qui  sont  notre  prochain  le  plus  proche. 

1.  Plutarch.  In  Goriol. 

2.  Matth.  xxii,  39;  Joan.  xv,  u, 


QEV01B  pOt  K  LES  i.m  ams  i)'iio\oi!i:n  il  i  as  PARENTS.       i  .">«) 

—  Quelle  faute  énorme  ne  commettent  donc  pas,  et  contre 
la  loi  naturelle,  el  contre  les  préceptes  du  Sauveur,  ces 
cœurs  plus  durs  que  le  rocher,  qui  n'ont  pour  leurs  parents 
aucune  affection  ni  aucune  tendresse,  et  qui,  par  une 
monstrueuse  dégradation,  vont  même  parfois  jusqu'à  les 
baïr(i)  : 

Notre  devoir   d'honorer   nos  parents  consiste  en  second 

i.  Les  enfants  qui  haïssent  leurs  pères  ou  leurs  mères  commettent  un 
très  grand  péché.  On  ne  peut  en  excuser  ceux  qui  leur  donnent  des 
marques  extérieures  d'aversion,  comme  ceux  qui  ne  les  regardent 
pas  de  bon  œil,  quoique  dans  leur  cœur  ils  ne  les  haïssent  pas  ; 
encore  moins  ceux  qui  souhaitent  la  mort  à  leurs  pères  ou  à  leurs 
mères,  ou  parce  qu'ils  en  reçoivent  de  mauvais  traitements,  ou 
parce  qu'ils  sont  ennuyés  de  les  nourrir,  ou  pour  pouvoir  jouir  plus  tôt 
de  leurs  biens.  Par  quelque  motif  qu'on  souhaite  du  mal  à  ses  pères  et 
mères,  on  irrite  Dieu  ;•  et  bien  loin  de  pouvoir  en  attendre  les  biens 
qu'on  désire  acquérir,  on  s'attire  sa  malédiction.  Cf.  Prov.  xx...  — 
Ce  serait  s'abuser,  si  on  voulait  se  dispenser  d'aimer  ses  pères  et  mères, 
sous  prétexte  que  Jésus-Christ  dit  dans  le  ch.  xiv.  de  l'Évangile  selon 
saint  Luc  :  Si  quelqu'un  vient  à  moi,  et  ne  haït  pas  son  père  et  sa  mère, 
et  mrme  sa  propre  vie,  il  ne  peut  être  mon  disciple.  Ce  médiateur  entre 
Dieu  et  les  hommes  voudrait-il  renverser  ce  que  Dieu  a  établi  ?  Quand 
Dieu  nous  a  commandé  d'aimer  nos  pères  et  nos  mères,  en  nous  disant 
de  les  honorer,  il  n'a  pas  prétendu  nous  faire  un  commandement  à  son 
propre  préjudice  ;  et  quand  Jésus-Christ  nous  a  ordonné  de  haïr  nos 
pères  et  nos  mères,  il  ne  nous  a  pas  obligés  à  avoir  de  l'aversion  pour 
leur  personne,  et  à  leur  vouloir  du  mal  ;  mais  il  a  voulu,  comme 
saint  Augustin  a  remarqué  dans  la  lettre  38,  que  nous  renonçassions 
à  toute  afTection  criminelle  et  charnelle  pour  nos  pères  et  nos  mères, 
que  nous  méprisassions  tous  les  commandements  qu'ils  nous  feraient, 
quand  ils  nous  empêcheraient  de  servir  Dieu,  et  que  nous  consenti- 
rions de  perdre  plutôt  nos  pères  et  nos  mères,  que  de  perdre  le  souverain 
bien  ;  de  sorte  que  si  nos  parents  voulaient  tellement  posséder  l'amour 
de  notre  cœur,  qu'ils  voulussent  nous  empêcher  d'aimer  Dieu,  et  s'op- 
poser au  dessein  que  nous  aurions  de  le  servir,  nous  devons  les  aban- 
donner pour  suivre  Jésus-Christ;  de  môme  il  nous  est  ordonne  d'être 
dans  la  disposition  de  renoncer  plutôt  à  la  vie  et  à  ce  que  nous  avons 
de  plus  cher,  que  d'abandonner  Dieu  que  nous  devons  préférer  à  toutes 
choses  ;  car  l'ordre  qu'on  doit  garder  dans  l'amour  demande  que  nous 
aimions  Dieu  au-dessus  de  toutes  choses,  plus  que  nos  pères  et  nos 
mères,  plus  que  nous-mêmes  ;  par  conséquent,  si  l'amour  de  nos 
parents  se  trouve  en  concurrence  avec  l'amour  de  Dieu,  et  que  nous 
ne  puissions  conserver  l'un  et  l'autre,  il  faut  que  l'amour  de  nos 
parents  cède  à  l'amour  de  notre  Dieu  :  celui-ci  doit  indispensablemcnt 
être  l'amour  concluant  de  notre  cœur,  autrement  nous  ne  sommes  pas 
dignes  de  Jésus-Christ,  comme  il  l'a  déclaré  par  ces  paroles  :  Celui  (jui 
aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que  moi  n'est  pas  digne  de  moi.  Math.  x.  37. 
fConfér.  d'Anaers,  Command.  de  Dieu,  conf.  i5). 


lGo       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. VII.   INSTRUCTION. 

lieu,  avons  nous  dit,  à  les  respecter.  Il  y  a  le  respect  exté- 
rieur et  le  respect  intérieur.  Celui-là  respecte  extérieurement 
ses  parents,  qui  se  lève  à  leur  approche,  qui  les  salue  lors- 
qu'il prend  congé  d'eux,  qui  leur  parle  avec  modération  et 
réserve,  qui  les  consulte  lorsqu'il  entreprend  quelque  chose, 
qui  se  conforme  autant  qu'il  peut  à  leurs  avis  et  à  leur  ma- 
nière de  voir,  qui  les  imite  dans  tout  ce  qu'ils  font  de  bien, 
et  fait  tous  autres  actes  semblables.  Mais  ce  respect  exté- 
rieur ne  serait  rien,  sans  le  respect  intérieur,  c'est-à-dire  si 
les  actes  qu'on  fait  et  qui  se  voient  n'étaient  pas  inspirés 
par  de  véritables  sentiments  de  déférence  et  d'estime.  En 
l'absence  de  ces  sentiments,  toutes  nos  démonstrations  ne 
seraient  en  effet  que  de  la  dissimulation  et  de  la  fausseté. 
—  Or,  pourquoi  devons-nous  respecter  ainsi  intérieurement 
et  extérieurement  nos  parents  ?  C'est  parce  qu'ils  sont  nos 
supérieurs,  en  ce  qu'ils  tiennent  à  notre  égard  la  place  de 
Dieu.  Ainsi,  en  tant  que  nos  parents  nous  ont  donné  la  vie, 
nous  leur  devons  l'amour  ;  et  en  tant  qu'ils  ont  été  établis  par 
Dieu  nos  supérieurs,  nous  leur  devons  le  respect,  parce  que 
le  respect  est  proprement  le  sentiment  qui  est  dû  aux  supé- 
rieurs. —  Nos  parents  étant  donc  toujours  nos  supérieurs, 
et  ne  pouvant  cesser  de  l'être  quoi  que  nous  fassions  et 
quoi  qu'ils  fassent,  nous  devons  donc  toujours  les  respecter, 
et  ne  pouvons  en  être  dispensés  par  quoi  que  ce  soit.  Ne 
croyons  donc  pas  que  nous  ne  sommes  tenus  de  les  respec- 
ter que  tant  que  nous  sommes  jeunes  et  à  leur  charge  ; 
nous  y  sommes  tenus  toute  notre  vie,  et  quelque  indépen- 
dants que  nous  soyons  d'eux.  Alors  même  que  les  enfants, 
au  lieu  de  dépendre  de  leurs  parents,  auraient  leurs  parents 
sous  leur  dépendance,  ils  ne  seraient  nullement  dispensés 
pour  cela  de  les  respecter.  C'est  ainsi  que  Salomon,  voyant 
un  jour  sa  mère,  dont  il  était  le  roi,  et  qui  n'était  pas  de 
race  illustre,  entrer  dans  la  salle  où  il  se  trouvait,  se  leva 
avec  empressement,  alla  au-devant  d'elle,  se  prosterna  en 
sa  présence,  et  ayant  fait  placer  un  trône  à  côté  du  sien,  la 
pria  de  s'y  asseoir  (i).  Nous  ne  devons  même  pas  nous 
croire    dispensés  de  respecter  nos   parents    lorsqu'ils   sont 

i.  III.  Reg.  ii,  19. 


DEVOIR  ihh  H  LES  ENEANtS  l>  lIONOHElt  LË1  lis  PARENTS,        l  (>  I 

injustes  et  mauvais  pour  nous,  ou  bien  Lorsqu'ils  s'avilis 
sent  par  uni1  indigne  conduite  (i).  Que  si.  lorsqu'il  s'agit  du 
prochain,  nous  pouvons  bien  haïr  leurs  fautes,  mais  non 
leurs  personnes  :  à  plus  forte  raison  les  enfants,  tout  en 
biâmanl  1rs  fautes  de  leurs  parents,  ne  cessent-ils  d'être 
tenus  de  les  respecter  eux-mêmes  (2). 

1.  Dicis  Portasse:  Parentes  esse  ignavos,  ex  œtate  mirabiles,  deliros,  et 
ideo  in  negotiis,  quibus  idonei  non  amplius  sunt,  insupportabilcs. 
Die,  mi  bone,  an  Deus,  cum  praeceptum  quartum  condidit,  distinctio.- 
nem  inseruit,  dicendo  :  Honora  patrem  tuuni,  et  mairem  tuam,  si  sint 
prudentes,  divites,  cl  rébus  gerendis  capaces,  alias  non?  Profecto  hanc 
difîerentiam  nescil  Decaïogus  :  honorandi  igitur  absque  limitatione 
snnl  etiam  (une,  cum  ad  puerilem  simpK'eitatem,  cl  balbutierai  redic- 
runt.  Est  impossibile,  tôt  molestias  lepidi  capitis  patienter  sustinere. 
Mémento,  obsecro,  quantas  ineptias  in  infantia  nostra  parentes  pertu- 
lerunt?  Quantam  planctuura  puerilium  importunitatem  ?  Quantos 
clamores  el  ejulatus?  «  Nunquam  tvios  vagifus  horruerunt  »,  ait  Hie- 
ronymus.  ëp.  n.  Praestim  mater  tua,  ô  quoi,  incommoda,  ac  dolores 
amore  lui  pertulit  !...  Quid  sequitur  ')  Id  sequitur,  quod  Tobias 
filiolo  suo  inculcatum  voluit  :  Honorem  Habebis  matri  tu.se  omnibus  die- 
bus  vitœ  ejus  ;  memorenim  esse  debes,  quœ  et  quanta  pericala  passa  sit 
propter  te.  Idcirco  etiam  conveniens  est,  ut  et  tu  molestiarum  aJiquid 
tolères,  si  mater  tua  aut  morbi  miseriis,  aut  ex  senio fastidiosa  évadât. 
Est  nimis  litigiosa  et  inquiéta!  Quid  tuuni?  «  Si  talis  est,  subinfert 
iterum  Hieronymus,  ep.  47,  majus  praemium  habebis,  si  talcm  non 
descras  ».  etc.    (Claus,  Spicileg.  catech.  p.  i,eonc.  55.  n.   10). 

a.  Ceux-là  pèchent  contre  l'honneur  dû  aux  pères  et  aux  mères  : 
i°  Qui  méprisent  dans  leur  cœur  leurs  pères  ou  leurs  mères,  quoiqu'ils 
ne  le  leur  témoignent  pas  ;  quileur  parlent  avec  mépris  ou  trop  rude- 
ment ;  qui  leur  disent  des  injures  et  les  outragent.  Dieu  ordonne  que 
celui  qui  aura  outragé  son  père  ou  sa  mère,  soit  puni  de  mort. 
Levit.  xx,  9:  —  a0  Ceux  qui  se  moquent  de  leurs  pères  ou  de  leurs 
mères,  le  Sage  souhaite  que  les  corbeaux  leur  arrachent  les  yeux. 
Prov.  xxx,  17. —  3°  Ceux  qui  parlent  mal  de  leurs  pères  ou  de  leurs 
mères  en  leur  absence,  ou  qui  découvrent  leurs  fautes  ou  leurs 
défauts  ;  ceux-là  doivent  craindre  la  malédiction  que  Noë  prononça  con- 
tre son  iil>  Chanaan.  —  4°  Ceux  qui  reprennent  leurs  pères  ou  leurs 
mères  avec  orgueil,  ou  avec  des  paroles  offensantes  el  pleines  de  repro- 
ches. L'Ecclésiaste,  nr,  12,  i5,  16,  nous  avertit  que  le  tils  ne  doit  point 
se  glorifier  de  ce  qui  déshonore  son  père,  ni  le  mépriser  à  cause  de 
l'avantage  qu'il  a  sur  lui,  et  que  Dieu  récompensera  celui  qui  aura  sup- 
porté le--;  défauts  de  sa  mère.  —  5°  Ceux  qui  accusent  leurs  pères  ou 
leurs  mères  de  crimes,  à  moins  que  ce  ne  soit  de  celui  d'hérésie  ou 
de  lèse-majesté,  el  qu'ils  ne  puissent  y  apporter  d'autre  remède  — 
6°  Ceux  qui  attristent  leurs  pères  ou  leurs  mères,  qui  les  aigrissent,  les 
contredisent  sanfl  \  être  obligés  par  la  loi  de  Dieu,  ou  qui  les  provo- 
quent à  la  colère  par  des  paroles  piquantes,  ou  par  des  regards  dédai- 
gneux.  Le   Saint-Espril    avertit    les   enfants  de  s'en  bien  donner  garde, 

SOMME   DU  PRÉDICATEUR.    —  T.  II,  H 


l62       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    VII.   INSTRUCTION. 

La  troisième  chose  en  quoi  consiste  notre  devoir  d'hono- 
rer nos  parents,  c'est  à  leur  obéir.  Peut-on  dire,  en  effet, 
d'un  enfant  qui  n'obéit  pas  à  ses  parents,  qu'il  les  honore  ? 
Non,  assurément.  Pour  s'acquitter  de  son  devoir  de  les  hono- 
rer, il  faut  donc  qu'il  leur  obéisse.  Il  faut  qu'il  leur  obéisse,  car 
ils  sont  ses  maîtres.  N'est-il  pas  vrai  que  Dieu  fait  un  devoir 
aux  parents  d'éclairer,  de  guider  et  de  gouverner  leurs 
enfants?  Par  là  même  il  fait  un  devoir  aux  enfants  d'obéir 
à  leurs  parents  ;  car,  comment  les  parents  pourraient-ils  gou- 
verner leurs  enfants,  si  ceux-ci  n'étaient  pas  tenus  de  leur 
obéir?  Aussi  voyons-nous  le  Saint-Esprit  exhorter  souvent 
les  enfants  à  l'obéissance  envers  leurs  parents  :  Celui  qui 
craint  le  Seigneur,  leur  dit-il,  honore  ses  parents  et  se 
soumettra  à  ceux  qui  Vont  mis  au  monde,  comme  à  ses 
maîtres  (i).  L'apôtre  saint  Paul  leur  dit  également:  Enfants, 

car  Dieu  maudit  ceux  qui  le  font.  Eccli.  ibid.  — 70  Ceux  qui  menacent 
leurs  pères  ou  leurs  mères,  qui  lèvent  la  main  sur  eux,  ou  les  frappent 
même  légèrement  :  c'est  un  crime  des  plus  exécrables  de  frapper  son 
père  ou  sa  mère  ;  c'est  une  ingratitude  extrême,  puisqu'on  leur  est 
redevable  de  tout  ce  que  l'on  est  ;  c'est  une  espèce  d'impiété  et  de  sacri- 
lège, puisque  le  respect  qu'on  doit  aux  pères  et  aux  mères  est  une 
chose  sainte  et  sacrée  ;  c'est  un  renversement  monstrueux  dans  l'ordre 
de  la  nature  et  de  la  grâce,  puisque  ce  sont  des  maîtres  et  des  souve- 
rains, à  qui  un  enfant  doit  une  déférence  et  une  soumission  entière. 
Les  peines  dont  Dieu,  l'Église  et  les  lois  civiles  ordonnent  qu'on  punisse 
ce  crime,  en  marquent  Ténormité.  Dieu,  danslechap.  xxi,  de  l'Exode,  veut 
qu'on  fasse  mourir  celui  qui  aura  frappé  son  père  ou  sa  mère.  Dans  la 
primitive  Église,  il  était  soumis  à  sept  années  de  pénitence,  au  pain  et 
à  l'eau.  Le  droit  canonique  le  regarde  comme  un  infâme,  Can.  Inf. 
c.  6,  p.  1.  L'empereur  Justinien,  Nov,  n5,  permet  au  père  et  à  la  mère 
de  le  déshériter.  C'est  un  cas  réservé  dans  la  plupart  des  diocèses,  que 
de  frapper  son  père  ou  sa  mère,  son  aïeul  ou  son  aïeule,  avec  excès  ou 
scandale  (à  moins  que  l'enfant  ne  sache  pas  que  c'est  son  père  ou  sa 
mère  qu'il  frappe,  ou  bien  qu'il  ne  le  fait  que  pour  défendre  sa  vie  ou 
se  préserver  d'une  mutilation).  —  8°  Ceux  qui  dédaignent  leurs  pères 
ou  leurs  mères,  ne  voulant  pas  les  reconnaître,  parce  qu'ils  sont  pau- 
vres ou  faibles  d'esprit,  ou  qui  refusent  de  les  saluer  à  la  rencontre,  ou 
de  leur  parler,  lorsque  le  respect  le  demande,  ou  qui  manquent  à  les 
visiter  en  certaines  occasions.  —  90  Ceux  qui  ne  consultent  pas  leurs 
pères  ou  leurs  mères  dans  les  affaires  importantes  où  l'autorité  pater- 
nelle s'étend,  par  exemple,  dans  leur  mariage  ;  et  ceux  qui,  au  lieu  de 
suivre  les  avis  qu3  leurs  pères  ou  leurs  mères  leur  donnent,  qui  ne 
sont  point  opposés  à  leur  salut  éternel,  ni  à  la  perfection  évangélique, 
les  méprisent  ou  font  tout  le  contraire  sans  aucune  bonne  raison  (Con- 
Jér.  d'Angers,  loc.  cit.). 
1 .  Eccli.  m,  8. 


DEVOIR  POUR  LES  ENFANTS  D'HONORER  LEURS  PARENTS.        1  63 

obéissez  à    vos  parents  selon  le.  Seigneur  (')•  Et  une   autre 
lois,   il  leur  dit  encore    :    Enfants^  obéissez  à  vos  parents  en 
foules  choses ,  car  cela  est  agréable  au  Seigneur  (2).  En  effet, 
Dieu   tient    tant    à    L'obéissance   des   enfants    envers    leurs 
parents,  qu'il  a  voulu  leur  en   fournir  un  exemple  plus  élo- 
quenl  que  toutes  les  paroles.  Ayant  envoyé  son    Fils  en  ce 
monde,  ce    Fils  divin   non   seulement   a    obéi  à   son   Père 
céleste  en  tout  ce  qu'il  lui  a  commandé,  jusqu'à  mourir  sur 
une  croix  ;  mais  il  a  obéi  même  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint 
Joseph,  qui  pourtant  n'étaient  que  ses  créatures,  mais  qu'il 
avait  voulu  avoir  pour  parents   ici-bas.    Et  son  obéissance 
envers  eux  fut  si  parfaite  que  l'Évangile,  sauf  son  voyage  à 
Jérusalem  lorsqu'il   était  enfant,  ne  nous  apprend  rien  de 
lui  jusqu'à  l'âge  de  trente  ans,   sinon   qu'il  leur  était  sou~ 
mis  (3).  En  présence  d'un  tel  exemple,  quel  est  donc  l'en- 
fant, quel  est  donc  le  chrétien   qui  voudrait  se  soustraire  à 
l'obéissance   qu'il   doit  à  ses  parents  ?  Gomme  notre  divin 
Maître  et  avec  lui,  soyons   soumis  à  nos  parents,  et  accom 
plissons  toutes   leurs  justes  volontés.  Quand  nous  pouvons 
faire  ce  qu'ils  nous  commandent,  n'alléguons  pas,  pour  nous 
en  dispenser,  une  impuissance  fictive,  ni  aucun  autre  prétexte 
quelconque,  car  Dieu  nous  voit   et  nous  juge.  Et  au  lieu  de 
Paire  entendre  des  plaintes  et  de  laisser  voir  de  la  mauvaise 
volonté,  ce  qui  du  reste  nous   fait  perdre  le  mérite  de  notre 
obéissance,    montrons   plutôt    un  juste    empressement,    et 
acquittons-nous  de    ce    qui    nous   est    commandé  avec  un 
véritable    sentiment    de   satisfaction,    alors    même    que   la 
nature  y   trouverait  plus    ou   moins  de  répugnance.    C'est 
ainsi   que   notre  obéissance  sera  parfaite,  et  elle  doit  l'être 
pour  honorer  vraiment  nos  parents.  —  Mais  nous  avons  dit, 
et  remarquons  bien   ceci,   que  nous   devons  accomplir  les 
justes  volontés  de  nos   parents,   c'est-à-dire  celles-là   seule- 
ment qui  ne  sont  pas  en  opposition  avec  les   lois  de  Dieu  et 
les    maximes    de   l'Evangile  ;   car  si  nos  parents  nous  don- 
nent des  ordres  qui  soient  contraires  à  ces  lois  et  à  ces  maxi- 

1 .  Ephes.  vi,  1. 

•1.  Coloss.  m,  20. 
3.   Luc.  11,  5i. 


iC/J       LÉS  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VII.   INSTRUCTION. 

mes,  ces  ordres  ne  sont  pas  justes,  el  dès  lors  ils  cessent  de 
nous  obliger.  C'est  ainsi  que  quand  un  père,  par  exemple, 
commande  à  son  enfant  quelque  travail  le  dimanche,  ou  lui 
défend  d'aller  à  la  Messe,  cet  enfant  a  le  droit  et  le  devoir  de 
désobéir,  tout  en  le  faisant  avec  respect.  Hors  de  là,  hors  des 
commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  les  enfants  doivent 
obéir  en  tout  le  reste  à  leurs  parents  (i).  —  Oh  !  qu'il  est 

i.  Toutefois,  après  le  mariage  ou  l'émancipation,  ils  cessent  d'être 
soumis  à  leurs  parents  dans  ce  qui  concerne  l'économie  domestique  et 
le  gouvernement  de  la  maison  (Examen  raisonné,  loc.  cit.). 

Les  péchés  que  les  enfants  commettent  en.  ne  se  conformant  pas  à  la 
volonté  de  leurs  parents,  peuvent  être  mortels  ou  véniels.  Ils  ne  sont 
que  véniels  :  i°  Quand  les  parents  ne  font  que  des  avertissements,  et 
n'ont  pas  intention  de  faire  des  commandements  ;  ce  qui  se  connaît 
par  la  manière  de  parler  des  parents  ;  20  lorsque  la  chose  dont  il  s'agit 
n'est  pas  de  conséquence  ;  3°  quand  le  défaut  d'âge  est  cause  que  les 
enfants  ne  connaissent  pas  l'importance  du  commandement  ou  de  la 
défense  que  leur  font  leurs  parents  ;  mais  si  la  chose  est  de  consé- 
quence, et  que  les  enfants  en  connaissent  l'importance,  le  péché  est  mor- 
tel. —  Gomme  souvent  les  jeunes  enfants  ne  peuvent  juger  par  eux- 
mêmes  de  la  conséquence  des  choses,  et  si  leur  désobéissance  a  été 
légère,  il  faut,  dans  le  tribunal  de  la  confession,  leur  demander  en 
quoi  ils  ont  désobéi  à  leurs  parents,  et  si  les  désobéissances  ont  été  fré- 
quentes et  presque  continuelles  ;  car,  quoique  chacune  en  particulier 
ne  soit  qu'un  péché  véniel,  néanmoins  l'habitude  de  ces  désobéissances 
fréquemment  multipliées  en  matière  légère  peut  devenir  mortelle  en 
ceux  qui  auraient  assez  de  discernement  pour  apercevoir  le  trouble 
qu'elles  causent  dans  la  famille,  par  les  mécontentements,  les  chagrins, 
les  emportements  de  colère  qu'elles  occasionnent  si  souvent  à  leurs 
parents,  et  qui  les  contristent  bien  plus  que  ne  ferait  une  désobéissance 
considérable  arrivée  seulement  une  fois  ;  outre  que  cette  habitude 
entretient  les  jeunes  gens  dans  un  esprit  de  révolte  qui  peut  avoir 
des  suites  pernicieuses.  —  La  désobéissance  des  enfants  dans  une  chose 
de  peu  de  conséquence  peut  aussi  devenir  un  péché  mortel,  si  elle  est 
accompagnée  d'opiniâtreté  et  de  mépris  pour  les  parents  ;  car  alors  on 
méprise  Dieu  et  le  commandement  qu'il  a  fait  d'honorer  ses  pères  et 
mères,  parce  que,  comme  dit  le  Catéchisme  du  Concile  de  Trente, 
Huic  honori  hœc  omnia  conjuncta  sunt,  amor,  observantia,  obedientia  et 
cultus.  —  Si  un  enfant  obéit  au  commandement  de  ses  parents,  mais  en 
murmurant,  il  n'est  pas  exempt  de  faute  ;  elle  est  vénielle  ou  mortelle, 
selon  la  qualité  du  murmure  ;  car  il  y  a  obligation  d'obéir  prompte- 
ment,  gaiement  et  amoureusement  fConfér.  d'Angers,  loc.  cit.). 

Les  dernières  volontés  sont  une  chose  sacrée  ;  on  les  a  toujours  res- 
pectées chez  toutes  les  nations  de  la  terre  ;  les  païens  même  se  faisaient 
un  devoir  de  les  accomplir  exactement  :  toutes  les  lois  divines  et  humai- 
nes se  réunissent  pour  en  exiger  l'accomplissement,  à  plus  forte  raison 
de  la  part  des  enfants  envers  leurs  pères  et  mères.  Par  exemple,  les 
dons,  les  legs  pieux  et  charitables  qu'ils  font  en  faveur  des  pauvres  et 


DEVOIR  POUR  LES  ENFANTS  D'HONORER  LEURS  PARENTS.       lG5 

beau  le  spectacle  d'une  famille  dont  les  enfants  sont  soumis 
à  toutes  1rs  justes  volontés  de  Leurs  parents  !  On  y  trouve 
comme  une  image  de  L'union  el  de  La  paix  qui  régnent  dans 
Le  ciel.  Vu  contraire,  les  ramilles  où  les  enfants  sont  en 
révolte  contre  L'autorité  des  parents,  où  rien  ne  se  fait  que 
parla  violence, où  L'on  n'entend  par  suite  qu'imprécations  et 
malédictions,  ne  sont  elles  pas  une  véritable  image  de 
L'enfer?  Oh!  que  l'obéissance  aux  parents  est  donc  néces- 
saire el  précieuse  ! 

La  quatrième  et  dernière  chose  comprise  dans  l'iionncur 
du  aux  parents,  c'est  L'assistance  des  parents.  On  ne  peut 
pas,  en  effet,  se  rendre  le  témoignage  qu'on  honore  ses 
parents,  si  on  ne  les  assiste  pas,  dans  tous  leurs  besoins, 
aidant  qu'on  le  peut.  Quiconque,  laissant  volontairement 
ses  parents  dans  le  besoin,  prétendrait  néanmoins  ne  pas 
manquer  à  l'honneur  qu'il  leur  doit,  s'attirerait  inévitable- 
ment le  mépris  publie.  —  Or,  les  parents  pouvant  avoir 
besoin  de  secours  soit  spirituels,  soit  temporels,  les  enfants 
leur  doivent  donc  une  assistance  ou  spirituelle,  ou  tempo- 
relle, suivant  les  circonstances.  —  Les  enfants  doivent 
assister  spirituellement  leurs  parents  d'une  manière  géné- 
rale, en  demandant  à  Dieu,  ou  bien  leur  persévérance,  s'ils 
sont  dans  le  bon  chemin,  ou  bien  leur  conversion,  s'ils  ont 
le  malheur  de  vivre  dans  le  péché.  Rien  ne  saurait  dispenser 
les  enfants  de  cette  assistance,  quelles  que  soient  les  situa- 
tions et  les  circonstances  où  se  trouvent   les   parents    et  les 

des  églises.  Vous  ne  savez  pas  toujours  quelles  sont  leurs  intentions  ; 
c'est  peut-être  pour  l'acquit  de  leur  conscience  envers  Dieu  ou  le  pro- 
chain ;  ce  sont  peut-être  des  restitutions,  et  cela  pour  des  acquisi- 
tions illégitimes  que  vous  possédez  et  dont  vous  recueillez  les  fruits 
injustes.  Si  vous  n'accomplissez  pas  leurs  dispositions,  vous  frustrez  les 
droits  de  la  religion  et  de  l'équité,  vous  dérobez  aux  pauvres,  au  pro- 
chain, a  l'Église  ce  <|iii  lui  appartient  ;  vous  laissez  leur  conscience 
chargée,  ou  plutôt  c'est  la  vôtre  qui  l'est  maintenant  ;  ils  ont  fait  ce 
qu'ils  ont  pu  pour  réparer  l'injustice,  vous  en  resterez  responsables 
devant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Le  ciel  et  la  terre  ont  une  hypothè- 
que redoutable  sur  vos  possessions.  Les  formalités  et  les  arrêts  surpris  à 
la  justice  humaine  ne  vous  mettront  pas  à  l'abri  de  la  justice  de  Dieu  ; 
vous  mourrez  redevables  de  la  dette  contractée  par  vos  pères  et  mères, 
et  vous  la  laisserez  à  vos  enfants.  Prévenez  ce  malheur  en  exécutant  les 
dernières  volontés  de  vos  parents  (Couturier,  Caléch.  dogmat.  et  moral, 
4.  comm.). 


lG6       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.   INSTRUCTION. 

enfants.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'assistance  en  paroles  que 
les  enfants  doivent  aussi  à  leurs  parents,  pour  les  ramener 
à  la  pratique  de  leurs  devoirs  lorsqu'ils  s'en  écartent.  Dans  ce 
cas,  ils  doivent  user  d'une  grande  prudence,  et  savoir  atten- 
dre les  moments  favorables ,  attentifs  d'ailleurs  à  faire  toujours 
tout  ce  qu'ils  peuvent.  Mais  c'est  surtout  aux  approches 
de  la  mort  que  les  enfants  doivent  aider  spirituellement 
leurs  parents  avec  un  redoublement  de  zèle,  afin  de  les  dis- 
poser à  paraître  devant  Dieu.  Il  ne  s'agit  plus  alors  d'atten- 
dre et  de  remettre  à  plus  tard.  Avec  des  ménagements  con- 
venables, on  doit  leur  faire  connaître  leur  état,  et  user  de 
tous  les  moyens  dont  on  dispose  pour  les  amener  à  se 
réconcilier  sincèrement  avec  Dieu.  Les  enfants  ayant  la  foi, 
et  se  disant  qu'à  tout  instant  le  sort  d'un  père  ou  d'une 
mère  va  être  fixé  pour  jamais,  pourraient-ils  ne  pas  faire  les 
plus  suprêmes  efforts  pour  assurer  leur  salut  éternel?  Enfin, 
après  leur  mort,  les  enfants  doivent  encore  assister  spiri- 
tuellement leurs  parents,  en  priant  et  en  faisant  prier  pour 
adoucir  et  abréger  leurs  souffrances  dans  le  purgatoire, 
souffrances  que  peut-être  ils  ont  méritées,  soit  pour  avoir 
été  trop  faibles  pour  leurs  enfants,  soit  pour  s'être  rendus 
coupables  d'injustices  à  leur  profit.  Ah  !  comment  leurs 
enfants  ne  feraient-ils  pas  tout  leur  possible  pour  les  sou- 
lager ?  —  Outre  cette  assistance  spirituelle,  les  enfants  doi- 
vent encore  à  leurs  parents,  avons-nous  dit,  une  assistance 
corporelle.  Tant  que  les  enfants  n'ont  pas  la  force  de  pour- 
voir par  eux-mêmes  à  leurs  besoins,  n'est-ce  pas  leurs  parents 
qui  leur  fournissent  tout  ce  qui  leur  est  nécessaire,  la  nour- 
riture, les  vêtements,  le  logement,  les  remèdes,  et  même 
quelques  douceurs  superflues?  Dès  lors,  n'est-il  pas  juste 
que  les  enfants,  à  leur  tour,  viennent  en  aide  à  leurs  parents 
lorsque  ceux-ci  n'ont  plus  la  force  de  se  suffire  ?  En  agissant 
ainsi,  les  enfants  font-ils  autre  chose  que  payer  une  dette 
sacrée?  Et  encore,  quoi  qu'ils  fassent,  ils  ne  paieront  jamais 
qu'imparfaitement  cette  dette,  car  jamais  ils  ne  feront  pour 
leurs  parents  ce  que  leurs  parents  ont  fait  pour  eux.  Que  dire 
donc  de  ceux  qui,  bien  que  jouissant  d'une  honnête  aisance, 
laissent  leurs  parents,  vieux  et  infirmes,  dans  l'abandon  et 
J'indigence  ?  C'est  une  ingratitude  que  le  monde  lui-même 


DEVOlll  POUR  LES  ENFANTS  I)' HONORER  LEURS  PARENTS.        1G7 

ii  en  horreur,  en  attendant  que  Dieu  la  châtie.  Loin  de  nous 
une  conduite  si  indigne  el  si  criminelle  !  Imitons  plutôt  le 
jeune  Tobie,  don!  La  sainte  Écriture  nous  rapporte  qu'il  mit 
son  bonheur  à  rendre  la  vue  à  son  père  aveugle,  à  adoucir 
el  consoler  la  vieillesse  de  sa  mère,  de  son  beau-père  et  de 
sa  belle-mère,  el  à  recueillir  avec  une  affectueuse  piété  leurs 
derniers  adieux.  Nous  aussi,  dès  que  nos  parents  ont  besoin 
de  nous,  allons  avec  empressement  à  leur  aide,  rendons- 
leur  les  services  qui  sont  en  notre  pouvoir,  partageons  notre 
pain  avec  eux,  soignons-les  dans  leurs  maladies  et  dans 
leurs  infirmités  avec  une  infatiguable  patience  et  une  tendre 
affection,  compatissons  à  leurs  souffrances,  encourageons- 
les,  consolons-les.  Jetons  encore  et  surtout  les  yeux  sur 
Notre-Seigneur.  Même  lorsqu'il  fut  attaché  à  la  croix,  les 
affreuses  souffrances  qu'il  endurait  ne  l'empêchèrent  pas 
de  penser  à  l'assistance  qu'il  devait  à  sa  mère,  et  il  la  confia 
à  son  disciple  Jean,  en  lui  recommandant  de  la  prendre 
avec  lui  et  d'en  avoir  soin  comme  de  sa  propre  mère.  Sem- 
blablement,  ne  nous  laissons  empêcher  par  aucune  diffi- 
culté d'assister  nos  parents,  et  tant  que  nous  vivons,  occu- 
pons-nous de  leur  venir  en  aide  selon  notre  pouvoir  (i).  En- 
fin, après  que  leur  mort  aura  été  bien  constatée,  et  non 
trop  hâtivement,  ensevelissons  leurs  chères  dépouilles  ter- 
restres, et  rendons-leur  de  convenables  honneurs  funèbres, 
selon  leur  rang  et  le  nôtre,  sans  parcimonie  déplacée  ni 
ostentation  vainc. 

i.  >otre  Code  civil  est  très  exprès  sur  ce  point.  En  voici  les  disposi- 
tions. Selon  l'article  2o5,  les  enfants  doivent  les  aliments  à  leurs  père 
et  mère,  et  aux  autres  ascendants  qui  sont  dans  le  besoin.  Les  gendres 
ot  les  belles  filles  doivent  également,  et  dans  les  mêmes  circonstances, 
des  aliments  à  leurs  beau-père  et  belle-mère  :  mais  cette  obligation 
cesse  :  i°  Lorsque  la  belle-mère  a  convolé  en  secondes  noces  ;  20  Lorsque 
celui  des  époux  qui  produisait  l'affinité,  et  les  enfants  issus  de  son 
union  avec  l'autre  époux  soûl  décédés  (article  206).  Les  aliments  ne  sont 
accordés  que  dans  la  proportion  du  besoin  de  celui  qui  les  réclame  et 
de  la  fortune  de  celui  qui  1rs  doit  (art.  208).  On  entend  par  aliments  la 
nourriture  et  les  autres  choses  nécessaires  à  la  vie,  comme  l'habille- 
ment et  le  logement  :  Cibaria,  et  vestitus,  et  habilatio  debentar,  quia 
sine  lus  ail  corpus  non  potes  t.  (Leg.  6,  S  de  alim.).  .Nous  observons  que 
l'obligation  de  fournir  des  aliments  aux  parents  est  solidaire  entre  les 
enfants.  Chaque  enfant  serait  condamné  à  les  fournir  en  entier,  sauf  le 
droit  de  recours  sur  les  frères  et  sœurs,  chacun  pour  leur  quote-part. 
(Pierrot,  loct.  cit.)- 


lG8       LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.    —   VII.   INSTRUCTION. 

Voilà  donc,  chrétiens,  en  quoi  consiste  notre  devoir  d'ho- 
norer nos  parents,  savoir,  à  les  aimer,  à  les  respecter,  à 
leur  obéir  et  à  les  assister  dans  leurs  besoins  spirituels  et 
corporels.  Pour  nous  animer  davantage  encore  à  nous 
acquitter  de  ce  devoir,  examinons  à  présent  quels    sont    les 

II.  —  Motifs  que  nous  avons  de  l'accomplir.  —  Au 
cours  de  nos  explications  précédentes,  nous  avons  déjà 
proposé  plusieurs  de  ces  motifs.  Nous  avons  dit  que  les 
enfants  sont  tenus  d'aimer  leurs  parents,  parce  qu'ils  leur 
doivent  la  vie  et  qu'ils  en  ont  été  aimés  eux-mêmes  ;  qu'ils 
doivent  les  respecter,  parce  que  Dieu  les  a  établis  à  sa  place 
à  leur  égard;  qu'ils  doivent  leur  obéir,  parce  qu'ils  sont 
leurs  supérieurs  et  leurs  maîtres  ;  enfin,  qu'ils  doivent  les 
assister  dans  tous  leurs  besoins,  parce  qu'ils  ont  eux-mêmes 
commencé  par  recevoir  de  leurs  parents  toutes  sortes  de 
soins.  Mais  outre  ces  motifs  particuliers  à  chaque  obliga- 
tion, la  sainte  Ecriture  nous  en  propose  deux  généraux, 
savoir,  les  récompenses  promises  aux  enfants  qui  honnore- 
ront  leurs  parents,  et  les  châtiments  dont  sont  menacés  les 
enfants  qui  ne  s'acquitteront  pas  de  ce  devoir  (i).  Notre 
intérêt  est  donc  de  bien  connaître  ces  deux  motifs  et  de  les 
méditer  sérieusement. 

i.  Trois  motifs  pris  de  l'Écriture  sainte  nous  obligent  d'honorer,  d'ai- 
mer, de  servir  nos  pères  et  nos  mères.  —  Le  premier  est  pris  de  saint 
Paul,  ch.  6,  de  l'épitre  aux  Ephésiens  :  Filli,  obedite  parentibus  vestris  in 
Domino,  hoc  enim  justum  est.  Enfants,  obéissez  à  vos  parents,  parce  que 
cela  est  juste.  Il  faut  faire  voir  que  cela  est  juste,  et  même  que  tous  les 
devoirs  de  la  justice  nous  y  obligent.  —  Le  second,  parce  que  Dieu  le 
veut,  et  en  a  fait  un  commandement  exprès  :  Filii,  obedite  parentibus 
per  omnia,  hoc  enim  placilum  est  in  Domino,  dit  le  même  apôtre  aux 
Golossiens,  ch  3.  11  faut  faire  voir  combien  ce  commandement  que 
Dieu  en  a  fait  est  conforme  à  la  raison  et  combien  il  l'a  à  cœur,  puis- 
qu'il promet  une  si  grande  récompense  dès  cette  vie  à  ceux  qui  l'obser- 
veront, et  qu'il  fait  de  si  terribles  menaces  à  ceux  qui  le  violeront. —  Le 
troisième,  parce  que  la  gratitude  et  la  reconnaissance  nous  y  obligent  ; 
et  c'est  ce  qu'on  doit  conclure  des  paroles  de  l'Ecclésiastique,  ch.  7  : 
Honora  patrem  tuum,  et  gemitas  matris  tuse  ne  obliviscaris  :  mémento  quo- 
niam  nisi  per  illos  natus  non  fuisses  ;  et  rétribue  illis,  quomodo  et  illi  libi. 
Et  il  faut  faire  voir  que  comme  après  Dieu,  il  n'y  a  personne  de  qui 
nous  avons  reçu  de  plus  grands  bienfaits,  il  n'y  a  aussi  personne  à  qui 
nous  soyons  obligés  de  marquer  plus  de  reconnaissance,  par  les  devoirs 
que  nous  devons  leur  rendre  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédicat,  voç.  En- 
fants, §  1.  n.  4). 


DEVOIR  POUR   LES  ENFANTS   D  HONORER  LEURS  PARENTS.      IDQ 

Il  es(  à  propos  de  remarquer  d'abord  que  I»1  commande- 
ment d'honorer  ses  parents  est  Le  seul  auquel  Dieu  ail  atta 
ché  la  promesse  d'une  récompense  particulière.  Cette  cir- 
constance doil  nous  Faire  comprendre  à  elle  seule  combien 
Dieu  attache  d'importance  à  L'accomplissement  de  ce  pré 
cep  te.  Kl  si  Dieu  en  juge  ainsi,  lui  qui  connaît  les  misons 
des  choses,  n'en  est-ce  pas  assez  pour  que  nous  en  jugions 
de  même,  e'esl  à  dire  pour  que  nous  considérions  le  devoir 
d'honorer  nos  parents  comme  étant  d'une  importance  tout 
à  fait  majeure  ? 

Or,  quelle  es!  la  récompense  promise  à  ceux  qui  accom- 
pliront dans  toute  son  étendue  le  commandement  d'hono- 
rer ses  parents  ?  Cette  récompense  promise  est  celle  d'une 
longue  vie  sur  la  terre  :  Honorez  voire  père  et  votre  mère, 
afin  que  vous  ririez  longtemps  sur  la  terre  (1),  dit  Dieu  dans 
sa  loi  du  Décalogue.  Et  l'apôtre  saint  Paul,  dans  ses  instruc- 
tions aux  fidèles  de  la  primitive  Eglise,  rappelant  aux 
enfants  leur  devoir  d'honorer  leurs  parents,  n'a  eu  garde 
d'omettre  la  promesse  divine  :  Honorez  votre  père  et  votre 
mère,  leur  dit-il,  afin  que  bien  vous  arrive  et  que  vous 
viviez  longtemps  sur  la  terre  (2).  D'où  nous  apprenons  que 
cette  promesse  ne  regardait  pas  seulement  la  loi  ancienne, 
mais  qu'elle  regarde  aussi  la  loi  nouvelle  ou  évangélique. 

Saint  Jean  Ghrysostome  admire  et  nous  exhorte  àadmircr 
avec  lui  la  sage  économie  de  cette  promesse.  Dieu,  dit-il, 
considère  qu'il  s'adresse  surtout  à  des  jeunes  gens  qui  ne 
peuvent  encore  comprendre  les  choses  du  ciel  et  de  l'éter- 
nité ;  il  leur  promet  donc  ce  que  tout  homme  désire  natu- 
rellement, aussitôt  qu'il  a  l'âge  de  la  raison,  c'est-à-dire  une 
vie  longue  et  heureuse.  —  On  doit  d'ailleurs  reconnaître 
que  la  promesse  d'une  longue  vie  a  une  grande  raison  de 
convenance  et  d'analogie  avec^le  précepte  dont  elle  est  la 
sanction  ;  car  il  est  juste  que  des  enfants  qui  honorent  ceux 
dont  ils  tiennent  la  vie  temporelle,  obtiennent,  comme 
récompense,  la  prolongation  de  cette  vie. 

Telle  est  donc  la  récompense  promise  par  Dieu  à  ceux  qui 

1.  Exod.  xx,  12. 

2.  Ephes.  vi,  3. 


170       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.  INSTRUCTION. 

honorent  leurs  parents,  c'est-à-dire,  encore  une  fois,  qu'ils 
vivront  longtemps  sur  la  terre.  Sans  doute,  faite  par  Dieu, 
cette  promesse,  n'en  doutons  pas,  s'accomplit  toujours, 
Dieu  ne  pouvant  pas  trahir  sa  parole.  Sans  doute,  il  semble 
bien  parfois  que  des  enfants  respectueux  et  obéissants  meu- 
rent encore  jeunes.  Mais  qui  peut  assurer  que  ces  enfants 
honoraient  leurs  parents  aussi  parfaitement  que  Dieu 
l'exige?  Et  d'un  autre  côté  surtout,  qui  peut  dire  que  Dieu, 
voyant  qu'un  enfant,  respectueux  envers  ses  parents,  se 
perdra  en  restant  longtemps  sur  la  terre,  ne  permet  pas 
qu'il  tombe  en, quelques  manquements,  afin  de  pouvoir 
tout  à  la  fois,  et  ne  pas  lui  donner  la  récompense  terrestre, 
et  lui  assurer  la  récompense  céleste  et  éternelle?  Toujours 
est-il  qu'on  voit,  d'une  manière  générale,  les  enfants  qui 
honorent  leurs  parents,  jouir  d'une  existence  longue  et 
prospère.  Leur  docilité  et  leur  obéissance  leur  font  éviter 
une  foule  d'accidents  qui  ne  manqueraient  pas  de  nuire  à 
leur  santé  et  d'user  leurs  forces,  ainsi  qu'on  le  remarque 
chez  les  enfants  qui  n'ont  pas  de  soumission  à  l'égard  de 
leurs  parents.  Ceux  qui  les  respectent  prennent,  en  outre, 
des  habitudes  d'ordre,  de  calme,  de  régularité,  de  modéra- 
tion, qui  ne  contribuent  pas  peu  à  fortifier  leur  tempé- 
rament et  à  les  rendre  capables  de  supporter  sans  fai- 
blir les  fatigues  et  les  maux  de  la  vie.  En  mourant,  leurs 
parents,  dont  ils  ont  toujours  été  la  consolation,  leur  don- 
nent avec  amour  leur  bénédiction,  et  cette  bénédiction  est 
pour  eux   un   nouveau  gage   de   la  protection  céleste  (1). 

1.  Honorez  votre  père,  en  œuvres  et  en  paroles,  et  en  toute  patience,  afin 
que  sa  bénédiction  vienne  sur  vous,  et  que  sa  bénédiction  demeure  sur  vous 
jusqu'à  la  dernière  extrémité.  La  bénédiction  du  père  affermit  les  maisons 
des  enfants;  mais  la  malédiction  de  la  mère  en  détruit  les  fondements.  Eccli. 
m,  9-1 1.  —  Quoi  de  plus  naturel,  que  des  parents  fassent  les  vœux  les 
plus  ardents  pour  des  enfants  bien  nés  ?  De  semblables  bénédictions, 
précisément  parce  qu'elles  sont  prononcées  par  ceux  à  qui  Dieu  a  fait 
part  de  son  autorité,  ne  peuvent  pas  être  stériles  ;  elles  auront  donc 
naturellement  pour  effet  d'obtenir  aux  enfants  ce  que  les  parents  leur 
souhaitent  le  plus  ardemment,  à  savoir  une  vie  longue  et  prospère. 
C'est  ce  genre  de  bénédiction  que  Scm  et  Japhct  ont  reçu  de  leur  père 
Noë,  à  cause  de  leur  conduite  respectueuse  à  son  égard,  et  dont  ils  ont 
éprouvé  les  heureux  effets  :  Béni  soit  le  Seigneur,  le  Dieu  de  Sem  ;  que 
Chanaan  soit  son  serviteur  !  Que  Dieu  étende  Japhet,  et  le  fasse  habiter 
dans  les  tentes  de  Sem;  et  que  Qhanaan  soit  son  serviteur!  Gen.  ix,  26,  27. 


DEVOIR  POl  R  LES  ENFANTS  D  HONORER  LEURS  PARENTS.       I  '  l 

Enfin  Leurs  enfants,  qui  onl  grandi  dans  une  atmosphère 
de  respeci  el  de  soumission,  non  seulement  ne  leur  dôn- 
nenl  ni  inquiétudes,  ni  chagrins,  mais  les  environnent  à  Leur 
tour  d'attentions  el  de  soins,  autant  de  garanties  pour  une 
vie  Longue  el  heureuse,  comme  l'atteste  encore  le  Saint- 
Esprit,  en  disant  :  Un  enfant  qui  honore  sa  mère  est  comme 
un  homme  qui  ((/nasse  des  trésors  :  il  sera  lui-même  comblé 
de  consolations  et  de  joies  de  la  part  de  ses  enfants  (i). 

Noyons  maintenant,  au  contraire,  les  châtiments  dont 
sont  menacés  ceux:  qui  n'honorent  pas  leurs  parents.  Ce 
n'est  rien  moins  que  les  malédictions  de  Dieu  qu'ils  attirent 
sur  leurs  tètes.  Malheur,  s'écrie  la  sainte  Ecriture,  malheur 
à  celui  qui  afflige  son  père  et  sa  mère  :  il  sera  accablé  d' igno- 
minies et  de  maux  (2)  /  .N'en  doutons  pas,  ces  menaces  ne 
s'accompliront  pas  moins  certainement  que  les  promesses 
faites  aux  enfants  respectueux.  Frappés  de  la  malédiction 
de  Dieu,  les  enfants  violateurs  de  leurs  devoirs  envers  leurs 
parents  seront  comme  ces  cadavres  en  putréfaction,  qui 
attirent  sur  eux  de  tontes  parts  les  voraces  oiseaux  de  proie. 
Les  châtiments  dont  ils  sont  menacés  leur  viendront  aussi 
en  effet  de  tous  cotés.  Ils  leur  viendront  d'eux-mêmes.  Indo- 
ciles aux  avis  et  aux  exhortations  de  leurs  parents,  ils  tombe-" 
ront  dans  toutes  sortes  d'imprudences,  d'excès  et  d'injustices, 
qui  seront  pour  eux  d'intarissables  sources  d'humiliations, 
de  cuisants  soucis  et  de  souffrances.  —  Ces  châtiments  leur 
viendront  de  la  part  de  tous  ceux  avec  qui  ils  auront  des 
rapports,    et   qui    connaîtront   leurs     mauvais    procédés   à 

De  la  race  de  Sem  sortit  le  Sauveur,  et  celle  de  Japhet  eût  la  plus  large 
pari  dans  la  réalisation  des  promesses  divines,  par  la  conversion  de 
l'Europe  au  Christianisme.  La  descendance  de  Sein  et  de  Japhet  fut 
constamment  plus  favorisée  de  Dieu  et  plus  heureuse  que  celle  de 
Cham,  dispersée  en  Afrique.  L'Ecriture  sainte  nous  offre  encore  une 
foule  d'exemples  de  l'efficacité  de  la  bénédiction  paternelle.  Ainsi  Jacob 
fut  béni  par  Isaac  et  obtint  une  nombreuse  postérité,  dont  Dieu  forma 
son  peuple.  Le  jeune  Tobie  fut  conduit  par  un  ange  et  miraculeuse- 
ment protégé  par  Dieu  pendant  son  voyage  :  c'est  qu'il  n'avait  entre- 
pris ce  voyage  que  sur  l'avis  de  ses  parents  et  avec  leur  bénédiction 
(Grosse,  (lours  de  Religion,  2.  p.  2.  d.  chap.  5,  n.  1). 

1.  Eccl.  m,  5  et  6. 

2.  Eccl.  in,  18:  Prov.  xix,  2C1. 


I72        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.   INSTRUCTION 


l'égard  de  leurs  parents.  Car  on  les  méprisera,  on  les  fuira, 
on  évitera  de  former  aucune  amitié  avec  eux,  et  Ton  ne  se 
gênera  pas,  à  l'occasion,  pour  leur  exprimer  ouvertement 
les  sentiments  de  répulsion  qu'on  aura  pour  eux.  Fils 
révolté  contre  son  père,  Àbsalon  ne  put  éviter  les  effets  de 
la  malédiction  divine  :  malgré  les  ordres  formels  de  David,  il 
périt,  à  la  fleur  de  l'âge,  percé  de  flèches.  —  Mais  c'est  de 
leurs  enfants  surtout  que  Dieu  se  servira  pour  leur  infliger 
les  plus  terribles  châtiments.  Leur  faisant  application  de 
cette  sentence  :  Oit  usera  avec  vous  de  la  mesure  dont  vous 
aurez  usé  avec  les  autres  (1),  il  permettra  que  leurs  enfants 
les  traitent  comme  ils  auront  eux-mêmes  traité  leurs 
parents.  De  même  donc  que  ces  malheureux  auront  insulté 
leurs  parents,  de  même  qu'ils  auront  refusé  de  les  assister; 
de  même  ils  s'entendront  injurier  à  leur  tour  par  leurs 
enfants,  de  même  ils  se  verront  abandonnés  par  eux  dans 
leurs  besoins.  0  justice  de  Dieu!  les  méchants,  au  milieu 
de  leurs  égarements,  se  rient  de  vous  et  tournent  en  déri- 
sion ceux  qui  vous  craignent;  mais  si  vous  ne  venez  sou- 
vent que  lentement,  vous  n'en  venez  pas  moins  implacable- 
ment. 

CONCLUSION.  — Chrétiens,  répétons-le,  voilà  donc  en 
quoi  consiste  le  devoir  que  nous  avons  d'honorer  nos 
parents,  savoir  :  à  les  aimer,  à  les  honorer,  à  leur  obéir  et  à 
les  assister  dans  tous  leurs  besoins  spirituels  et  temporels. 
Et  voilà  également  les  deux  motifs  très  particuliers  que  nous 
avons  de  nous  acquitter  de  ce  devoir,  c'est-à-dire  :  les  béné- 
dictions promises  par  Dieu  à  ceux  qui  l'accomplissent, 
et  les  châtiments  dont  sont  menacés  ceux  qui  le  violent, 
Sans  doute,  ce  devoir  et  ses  conséquences  bonnes  ou  mau- 
vaises, selon  qu'on  l'observe  ou  qu'on  le  foule  aux  pieds, 
tous  les  chrétiens  devraient  les  connaître,  puisqu'ils  les  ont 
tous  appris  au  catéchisme.  Cependant,  combien  qui  les 
ont  plus  ou  moins  oubliés  !  car  combien  qui  n'honorent  pas 
leurs  parents  comme  ils  le  devraient,  principalement  parce 
qu'ils  n'ont  pas  ces  vérités  présentes  à  l'esprit  !  Il  était  donc 
nécessaire  de  les  rappeler  du  haut  de  cette  chaire,  afin  qu-e 

1.  Luc,  vi.  38. 


DÉVOIR  POl  H  LÉS  ENFANTS  D^HONORÉB  LEURS  PARENTS.       17.S 

tous  ceux  qui  ont  le  bonheur  de  posséder  encore  leurs 
parents  puissent  en  faire  leur  profil,  an  grand  avantage  cl  à 
la  grande  consolation  des  parents  eux-mêmes.  Il  faut  bien 
se  garder  de  croire,  en  effet,  que  l'on  n'est  tenu  d'honorer 
ses  parents  que  tant  que  Ton  est  jeune  et  sous  leur  dépen- 
dance. Ou  y  est  tenu,  au  contraire,  tant  qu'ils  vivent,  et 
tant  qu'on  vit  soi-même,  car  on  doit  honorer  encore  leur 
mémoire  après  leur  mort.  Que  l'on  soit  jeune  ou  âgé,  sous 
leur  dépendance  ou  indépendant  d'eux,  toujours  on  est  tenu 
d'aimer  ses  parents,  de  les  respecter,  d'obéir  à  leurs  justes 
volontés,  et  de  les  assister  dans  leurs  besoins  autant  qu'on 
le  peut.  Voilà  notre  devoir,  et  quiconque,  sous  un  prétexte 
ou  sous  un  autre,  en  restreint  l'étendue,  se  trompe  et  ren- 
dra compte  à  Dieu  des  fautes  qu'il  aura  commises.  Chré- 
tiens, ne  l'oublions  pas:  la  voix  de  la  nature,  la  voix  de 
nos  propres  intérêts,  la  voix  de  Dieu  notre  souverain  maî- 
tre s'unissent  pour  nous  crier  d'honorer  nos  parents.  Ecou- 
tons donc  toutes  ces  voix,  et  les  hommes  nous  loueront,  et 
notre  conscience  se  réjouira,  et  nos  parents  nous  béniront, 
et  Dieu  nous  récompensera.  Ainsi  soit-il. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Amour  des  parents. 

1.  —  Ferdinand  II,  roi  d'Espagne,  qui  vivait  au  milieu  du 
douzième  siècle,  aimait  si  tendrement  son  fils  Alphonse,  qu'il 
lui  abandonna  même,  de  son  vivant,  la  couronne  et  le  scep- 
tre royal.  Il  est  vrai  qu'Alphonse  était,  en  tous  points,  digne  de 
l'affection  de  son  père,  car  on  peut  dire  qu'il  ne  vivait  que  pour  lui. 
Chaque  foi  s  ([ne  ses  occupations  le  forçaient  de  quitter  le  palais,  il 
ne  sortait  jamais  sans  s'être  mis  à  genoux  pour  demander  la  béné- 
diction de  son  père,  et,  quand  il  était  de  retour,  son  premier  soin 
était  de  se  rendre  près  de  lui.  —  Souvent  même  il  se  relevait  pen- 
dant la  nuit,  afin  de  s'assurer  si  son  père  dormait,  ou  s'il  ne  lui 
était  pas  survenu  quelque  indisposition.  Jamais,  en  sa  présence, 
il  ne  s'asseyait  sans  en  avoir  reçu  l'invitation  expresse.  —  Le  pieux 
et  noble  Alphonse  ayant  remporté  une  brillante  victoire  sur  les 
Maures,  ces  ennemis  du  nom  chrétien,  son  vieux  père  voulut  aller 
à  sa  rencontre,  porté  dans  une  litière,  afin  de  pouvoir,  le  premier, 


17a        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.  INSTRUCTION. 

saluer  son  fils  du  nom  de  vainqueur.  Malgré  toutes  les  représenta- 
tions des  médecins,  ce  vieillard  ne  voulut  point  se  désister  de 
cette  idée,  et  il  leur  disait:  «  L'amour  que  j'ai  pour  mon  cher 
Alphonse  et  la  joie  que  me  cause  sa  victoire  me  rajeunissent  et  me 
fortifient.  C'est  pourquoi  je  veux  aller  à  sa  rencontre.  »  —  A  peine 
Alphonse  eut-il  aperçu  son  père,  qu'il  sauta  de  dessus  son  cheval, 
et  ivre  de  joie,  alla  se  précipiter  dans  ses  bras.  Ils  restèrent  long- 
temps dans  cette  position  saus  proférer  une  seule  parole  ;  le  plaisir 
de  se  voir,  de  s'embrasser,  les  absorbait  tout  entiers.  »  Ah  !  s'écria 
enfin  le  jeune  héros,  si  ma  victoire  me  procure  quelque  contente- 
ment, c'est  surtout  parce  qu'elle  m'a  fourni  l'occasion  de  mériter 
les  caresses  de  mon  père.  »  Pendant  le  reste  de  son  retour,  il  alla 
toujours  à  pieds  à  côté  de  la  litière  de  son  père,  qui  s'efforça  vai- 
nement de  lui  persuader  de  remonter  à  cheval,  disant  qu'il  ne 
convenait  pas  qu'il  allât  à  pied,  pendant  que  toute  son  escorte  était 
à  cheval.  «  Mais,  mon  père,  répondit  Alphonse,  ces  gens-là  ne 
sont  pas  vos  fils  :  ils  peuvent  agir  comme  il  leur  plaît.  »  Lorsqu'on 
fut  arrivé  au  fond  du  palais  royal,  Alphonse  enleva  dans  ses  bras 
son  père  de  la  litière,  et  le  porta  lui-même  dans  ses  appartements. 
«  Mon  père,  lui  dit-il  alors,  lorsqu'ils  furent  seuls,  vous  savez  jus- 
qu'où s'étend  votre  amour  pour  moi,  mais  vous  ignorez  combien  est 
grand  celui  que  je  ressens  pour  vous.  Mon  amour,  non  content  de 
vous  accompagner  à  pied,  enviait  encore  le  sort  des  domestiques 
qui  portaient  la  litière,  et  plus  d'une  fois  la  pensée  m'est  venue 
de  les  faire  arrêter  et  de  vous  porter,  mon  père,  sur  mes  épaules.  » 
Le  vieillard  tremblait  de  joie  en  entendant  ces  paroles,  et  il  ne  put 
répondre  que  par  ses  larmes. 

2.  —  Saint  François  de  Borgia  avait  dix  ans  quand  sa  mère  tomba 
malade.  Le  mal  allait  tous  les  jours  prenant  des  proportions  plus 
graves,  et  bientôt  on  craignit  pour  sa  vie.  Dans  cette  circonstance, 
le  pieux  enfant  ne  trouvait  rien  de  mieux  à  faire  que  de  s'enfer- 
mer dans  sa  chambre  et  de  prier,  en  pleurant,  pour  la  guérison 
de  sa  mère  ;  mais  Dieu  n'exauça  pas  sa  prière  et  sa  mère  mourut. 
Cet  événement  fut  un  coup  de  foudre  pour  l'enfant,  il  en  fut  pro- 
fondément affligé  ;  mais  la  pensée  que  telle  était  la  volonté  de 
Dieu,  et  que  sa  mère  était  plus  heureuse  au  ciel  qu'elle  ne  l'avait 
jamais  été  sur  la  terre,  le  consola  et  sécha  ses  larmes.  Cependant 
il  ne  perdit  jamais  de  vue  les  sages  leçons  qu'il  en  avait  reçues, 
mais  il  s'efforça  constamment  d'y  conformer  sa  conduite,  afin  de 
pouvoir  un  jour  aller  se  réunir  à  sa  mère,  et  de  ne  plus  en  être 
jamais  séparé.  Saint  François  fut  fidèle  à  sa  résolution,  il  vécut  en 
saint  et  mourut  de  la   mort  des  prédestinés,  l'année  1572.  Que  ce 


DEVOIR  PÔ1  R  LES  r.M'VMS  D  HONORER  LEURS  BARENTS.       I  75 


rendez-vous  dut  avoir  de  charmes  pour  lui,  alors  qu'il  n'eut  plus  à 
craindre  de  voir  finir  son  bonheur  ! 

3.  —  Le  vénérable  ^.ugustia  Gruber,  prince-archevêque  de 
Salzbourg,  morl  en  i835,  faisant  un  jour  une  visite  d'école  dans 
un  village  du  Tyrol  appartenant  à  son  diocèse,  demanda  à  une 
petite  fille  si  elle  pourrait  calculer  combien  elle  avait  déjà  coûté  à 
ses  parents?  L'enfant,  très  versée  d'ailleurs  dans  le  calcul  mental, 
ne  demeura  pas  moins  embarrassée  de  cette  question,  f  Mon 
enfant,  reprit  l'archevêque  d'un  ton  affectueux,  voilà  un  problème 
dont  vous  n'avez  sans  doute  jamais  entendu  parler,  et  cependant 
c'est  l'un  des  plus  importants;  car  il  est  rare  que  les  enfants 
réfléchissent  sérieusement  aux  dépenses  qu'ils  ont  causées  à  leurs 
parents  ;  et,  conséquemment,  ils  ignorent  quelle  est  l'étendue 
de  leur  dette.  Prenez  courage,  mon  enfant,  nous  allons  faire 
ensemble  ce  calcul.  Trouvez-vous  que  c'est  trop,  si  je  suppose  que 
les  frais  de  nourriture,  d'habillement,  de  blanchissage  et  autres 
dépenses  accessoires  peuvent  être  évaluées  à  25  centimes  par 
jour  ?  —  Oh  !  non,  répondit  l'enfant,  revenue  un  peu  de  sa  pre- 
mière frayeur.  Cette  somme  serait  plutôt  trop  faible.  —  Eh  bien, 
combien  un  mois  a-t-il  de  jours  ?  —  On  compte  ordinairement 
trente  jours  dans  un  mois.  —  Ainsi,  combien  un  enfant  coCite-t-il 
de  pièces  de  25  centimes  par  mois  ?  —  Trente,  ce  qui  fait  en  tout 
7  fr.  5o  par  mois.  —  Et  maintenant,  combien  y  a-t-il  de  mois  dans 
l'année  ')  —  Douze.  —  Et  combien  font  12  fois  7  fr.  5o  ?  —  90  fr. 
juste.  —  Allons,  continuons,  ma  chère  enfant!  Quel  est  votre  âge  ? 
—  Divans.  — Que  devez-vous  donc,  jusqu'ici,  à  vos  parents,  si 
vous  leur  avez  coûté  90  fr.  par  an  ?  —  900  fr.  —  \  merveille  !  Mais 
il  faudrait  encore  y  ajouter  les  frais  de  médecin  et  de  médecine,  et 
autres  dépenses  de  cette  nature.  Et  puis,  mon  enfant,  calculez 
encore  les  peines  nombreuses  que  vous  avez  occasionnées  à  votre 
bonne  mère  ;  les  nuits  qu'elle  a  passées  auprès  de  votre  couche 
lorsque  vous  étiez  malade  ;  les  travaux  et  les  soins  de  votre  père 
pour  l'entretien  de  votre  famille.  Sera-ce  aussi  avec  de  l'argent  que 
des  enfants  aimants  et  dévoués  récompenseront  les  peines  et  les 
soucis  qu'ils  ont  occasionnés  à  leurs  parents  ?  Oh  !  non,  voyez- 
vous,  car  ces  sortes  de  services  que  les  enfants  ont  reçus  de  leurs 
parents,  tels  que  l'éducation,  une  instruction  vertueuse  et  chré- 
tienne, ne  sauraient  s'estimer  à  prix  d'argent.  Gomment  donc 
devez- vous,  mes  enfants,  compenser  toutes  les  dettes,  tout  le  bien, 
en  un  mot,  que  vous  avez  reçu  de  vos  parents  ?  En  menant  une 
vie  sage  et  vertueuse,  en  vous  efforçant  de  prévenir  leurs  désirs, 
et  en  ne  leur  causant  jamais  aucun  chagrin.  Oui,  mon  enfant,  c'est 


"()       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VII.   INSTRUCTION. 


parune  sage  conduite  que  vous  serez  toujours  le  plus  agréable  à 
Dion  ;  ce  sera  la  meilleure  monnaie  avec  laquelle  vous  pourrez 
vous  acquitter  envers  vos  parents  !»  —  Ce  calcul,  outre  quelques 
autres  salutaires  instructions  du  vénérable  pontife,  fit  une  heu- 
reuse et  durable  impression  sur  les  enfants,  qui  dès  ce  jour  aimè- 
rent leurs  parents  d'une  manière  beaucoup  plus  réelle  et  plus 
effective,  ainsi  qu'on  en  fit  la  remarque  dans  toutes  les  familles. 

Respect  des  parents. 

i .  —  Benoît  XI,  de  l'ordre  des  Frères  Prêcheurs,  fils  de  parents 
pauvres,  ayant  été  élevé,  en  i3o3,  sur  le  trône  pontifical,  sa 
mère,  qui  vivait  encore,  vint  un  soir  à  Pérouse  pour  lui  rendre 
visite.  Ses  amis  lui  firent  prendre  des  vêtements  comme  il  conve- 
nait à  la  mère  d'un  si  grand  prince.  Mais,  avant  de  la  recevoir,  le 
Pape  demanda  comment  elle  était  vêtue.  On  lui  répondit  qu'elle  était 
vêtue  de  soie,  pour  l'honneur  du  Siège  Apostolique.  Oh  !  alors,  répli- 
qua-t-il,  ce  n'est  point  ma  mère,  car  ma  mère  est  une  pauvre  femme 
qui  ignore  ce  que  c'est  que  la  soie.  A  cette  réponse,  la  pieuse  mère 
reprit  ses  humbles  vêtements.  Sur  quoi  le  Pape  dit  :  «  Pour  le  coup, 
c'est  ma  mère,  qu'elle  vienne  !  »  Et  il  l'embrassa  tendrement.  —  Ce 
touchant  exemple  nous  fait  voir  que  les  enfants  ne  doivent  jamais 
rougir  de  leurs  parents,  quand  bien  même  ils  sont  parvenus  à 
d'éminentes  dignités. 

2.  —  Thomas  Morus,  ce  célèbre  chancelier  d'Angleterre,  qui 
mourut  victime  de  son  inviolable  attachement  à  la  foi  catholique, 
était  animé  d'un  si  grand  respect  envers  ses  parents,  que,  même 
après  qu'il  eut  été  revêtu  de  ces  hautes  fonctions,  et  alors  qu'il 
était  déjà  marié  et  très  avancé  en  âge,  il  ne  sortait  jamais  de  la  mai- 
son sans  avoir  demandé,  à  genoux,  la  bénédiction  paternelle  à  son 
vieux  père.  —  La  conduite  respectueuse  de  Thomas  Morus  envers 
ses  parents  fit  une  profonde  impression  sur  le  cœur  de  ses  enfants, 
car,  lorsqu'il  eut  été  condamné  par  Henri  VIII,  à  mourir  sur 
l'échafaud,  personne  ne  s'étant  trouvé  qui  eut  le  courage  de  lui 
donner  une  sépulture  honorable,  sa  fille  Marguerite  n'hésita  pas  à 
rendre  ce  dernier  devoir  à  un  père  qu'elle  avait  si  tendrement 
chéri,  et  le  fit  enterrer  avec  toute  la  magnificence  possible.  Ce 
dévouement  filial  étonna  si  vivement  le  tyran  lui-même,  qu'il 
n'osa  pas  l'en  empêcher. 

3.  —  Wolfgang  Tiefstadt,  fils  d'un  armurier,  avait  appris  l'état 
de  son  père.  Plus  tard,  il  devint  un  guerrier  distingué,  et  pour  le 
récompenser  de  ses  actions  d'éclat  et  de  ses  loyaux  services,  l'élec- 
teur de  Saxe  le  nomma  chevalier  et  lui  fit  don  de  magnifiques 


DEVOIR  POUR  LES  ENFANTS  D'HONORER  LEURS  PARENTS.        Î77 

domaines.  Un  jour  il  invita  à  dîner  l'électeur  lui-même,  qui 
accepta  l'invitation.  Comme  \\  olfgang  se  tenait  debout  à  table  pour 
faire  les  honneurs  à  son  illustre  convive,  celui-ci  lui  ordonna  de 
venir  se  mettre  à  côté  de  lui.  Mais  \\  olfgang  répondit  :  «  Je  prie 
Votre  Vitesse  de  m'excuser  et  de  m'accorder  une  grâce: j'ai  ici 
dans  ma  demeure  mon  vieux  prie,  auquel,  après  Dieu,  je  dois  la 
vie,  mon  étal  et  tout  mon  bonheur  :  c'est  à  lui  que  revient  l'hon- 
neur de  s'asseoir  à  table  à  côté  de  Votre  Altesse.  —  Allez  le  cher- 
cher »,  dit  l'électeur.  Le  vieil  armurier  dut  se  mettre  à  côté  de  lui 
et  ne  partit  pas  sans  avoir  été  comblé  de  bienfaits.  L'électeur  n'en 
cutquc  plus  d'estime  pour  le  fils,  qui  remplissait  si  fidèlement  son 
devoir  envers  son  père. 

Obéissance   aux  parents. 

1.  —  Le  bienheureux  Bernard  d'Offîda,  ainsi  nommé  de  la  ville 
de  ce  nom,  près  de  laquelle  il  naquit,  et  qui  mourut  en  1694,  était 
fils  d'honnêtes  paysans  qui  prirent  un  grand  soin  de  son  enfance, 
et  lui  inspirèrent  de  bonne  heure  l'amour  de  la  vertu.  Sa  dou- 
ceur, son  obéissance,  étaient  admirables,  et  lorsqu'il  voyait  quel- 
qu'un de  ses  frères  ne  pas  se  soumettre  assez  promptement  aux 
volontés  de  ses  parents,  il  s'écriait  aussitôt  :  «  Je  ferai  ce  que  mon 
frère  refuse  de  faire  lui-même  ;  s'il  mérite  d'être  puni,  punissez- 
moi  à  sa  place.  » 

2.  Vers  la  fin  de  l'automne  de  l'an  1776,  pendant  que  la  neige 
tourbillonnait  dans  les  airs,  une  nombreuse  société  était  réunie 
un  soir  dans  un  hôtel  de  Londres,  et  on  y  attendait  depuis  plu- 
sieurs heures  un  homme  célèbre,  le  savant  Samuel  Johnson. 
Enfin  il  arriva  ;  mais  il  était  tellement  taciturne,  il  avait  l'air  telle- 
ment pâle,  troublé  et  fatigué,  qu'on  l'observa  en  silence  et  non 
sans  un  certain  embarras,  jusqu'à  ce  que  lui-même,  s'adressant  à 
la  maîtresse  de  la  maison,  mit  fin  à  cette  étrange  situation.  «  Lors- 
que je  vous  ai  promis  de  venir,  dit-il,  j'avais  oublié  que  nous 
étions  aujourd'hui  le  21  novembre.  Il  y  a  ajourd'hui  quarante  ans 
que  mon  père,  un  libraire,  me  dit  :  «  Samuel,  prenez  la  voiture; 
allez  au  marché  de  Ligtfield,  et  faites-y  la  vente  à  ma  place.  »  Fier 
de  ma  science,  que  je  n'avais  acquise  que  grâce  aux  sacrifices  de 
mon  père,  je  m'y  refusai  ;  il  me  semblait  que  c'était  au-dessous 
de  ma  dignité  de  me  placer  dans  une  échoppe  au  marché  et  d'y 
vendre   des   bouquins.    Alors   mon   père    reprit    avec    douceur  : 

Samuel,,  soyez  b  m  fils  ;  ce  sérail  dommage  de  négliger  la  foire  ; 
aujourd'hui  les  demandes  ne  manquent  pas.  »  Je  m'obstinai  dans 
mon  refus,   quoique  connaissant  l'état  maladif  de  mon  père  ;  je 

SOMME    DU    PRÉDICATEUR.    —   T.   II.  12 


I78       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU   SALUT.   VII.    INSTRUCTION. 

croyais  que  son  indisposition  le  retiendrait  à  la  maison.  Mais  con- 
tre mon  attente,  il  entreprit  la  route  par  un  temps  détestable, 
pareil  à  celui  que  nous  avons  en  ce  moment  ;  cette  témérité  le 
conduisit  au  tombeau.  »  A  ces  mots,  la  voix  de  Johnson  trembla, 
ses  larmes  coulèrent  en  abondance,  et  il  ne  put  qu'avec  peine  ter- 
miner ce  récit  qui  donna  l'explication  de  son  absence.  »  Depuis  ce 
temps,  continua- t-il,  je  vais  chaque  année,  le  21  novembre,  à  pied 
jusqu'à  Ligthfield,  sans  prendre  aucune  nourriture,  et  je  reste 
quatre  heures  au  marché,  à  la  place  même  où  mon  père 
avait  son  échoppe.  Il  y  a  quarante  ans  que  je  fais  cela;  je  suis 
devenu  plus  vieux  que  ne  l'était  mon  père  lorsqu'il  quitta  ce 
monde,  et  hélas  !  je  ne  puis  mourir.  »  —  La  compagnie  avait 
écouté  cette  confession  dans  un  religieux  silence,  sans  rien  répli- 
quer ;  chacun  partagea  sa  profonde  douleur,  mais  personne  ne  se 
sentit  porté  à  le  consoler,  car  celui  qui  désobéit  à  son  père  est  sans 
excuse. 

Assistance  des  parents. 

1.  Une  pauvre  veuve,  privée  de  l'usage  de  ses  membres,  éprou- 
vait depuis  longtemps  un  vif  regret  de  ne  pouvoir  assister  à  l'office 
divin,  devoir  dont  elle  s'acquittait  ponctuellement  autrefois,  et  qui, 
plus  que  jamais,  était  un  besoin  pour  son  âme  pieuse.  Chaque 
dimanche,  elle  répétait  justement  à  ses  deux  fils  :  «  Que  je  serais 
heureuse  d'entendre  la  sainte  Messe  !  Mais  je  ne  peux  me  rendre 
au  village,  à  cause  de  mes  infirmités  et  delà  longueur  du  chemin.  » 
Et  en  disant  ces  paroles,  l'infortunée  versait  des  larmes  et  soupi- 
rait profondément  ;  puis  elle  portait  à  sa  bouche  la  croix  de  son 
chapelet,  qu'elle  récitait  avec  recueillement  et  avec  la  plus  grande 
résignation.  —  Ses  deux  fils,  qui  partageaient  sa  piété,  trouvèrent 
le  moyen  de  satisfaire -son  pieux  désir.  En  effet,,  ayant  ajusté  deux 
forts  bâtons  au  fauteuil  de  leur  mère,  ils  la  transportèrent  à 
l'église,  au  milieu  de  la  foule  attendrie,  et  qui  semait  des  Heurs 
sur  leur  passage.  —  Le  vénérable  pasteur,  instruit  de  ce  beau 
dévouement,  monta  en  chaire  et  prit  pour  texte  ces  paroles  du 
Deutéronome:  Honorez  votre  père  et  votre  mère,  selon  que  le  Sei- 
gneur notre  Dieu  nous  l'a  ordonné.  Son  discours  fut  plein  d'onction 
et  produisit  un  touchant  effet  sur  l'auditoire,  surtout  quand  il 
compara  les  fleurs  jetées  sur  le  passage  de  cette  intéressante 
famille,  aux  bénédictions  que  Dieu  ne  manquerait  pas  de  répan- 
dre sur  elle,  ce  dont  elles  étaient  le  symbole  et  le  présage. 

2.  — Une  jeune  fille,  en  Allemagne,  avait?  un  père  déjà  fort 
avancé  en  âge  et  presque  toujours  malade,  qu'elle  soignait  et 
qu'elle  nourrissait  du  travail  de  ses  mains.  Mais  comme  le  gain 


DEVOIR  POUR  LES  ENFANTS  D'HONORER  LEURS  PARENTS.        I  79 

journalier  ne  suffisait  plus,  et  qu'elle  se  voyait  clans  l'impossibilité 
de  paver  le  trimestre  échu  du  loyer,  elle  alla  trouver  un  coiffeur 
auquel  elle  offrît  en  vente  les  longues  tresses  de  sa  blonde  cheve- 
lure :  «  Quel  prix  en  voulez-vous  ?  demanda  le  coiffeur  en  regar- 
dant la  jeune  lillc  troublée.  —  Ah!  monsieur,  j'en  veux  beaucoup 
d'argent  :  je  désire  en  avoir  quatre  thalers.  —  Quatre  thalers  ! 
c'est  en  effet  beaucoup  d'argent,  et  j'aurai  de  la  peine  à  en  retirer 
moi-même  cette  somme.  —  Ce  n'est  pas  pour  moi,  c'est  pour  mon 
pauvre  vieux  père  malade.  —  Si  c'est  pour  lui,  dit  le  brave 
homme,  c'est  différent,  et  voici  les  quatre  thalers.  »  —  Joyeuse  et 
émue,  la  jeune  fille  prit  l'argent  et  vit  sans  sourciller  ses  belles 
tresses  tomber  sous  le  tranchant  des  ciseaux. 

3.  —  «  J'ai  connu  des  enfants  courageux  :  je  ne  croyais  pas 
que,  comme  François  Le  Berder,  de  Saint-Brieuc,  à  qui  l'Acadé- 
mie décerne  un  prix  de  5oo  francs,  un  enfant  de  onze  ans  fût 
capable,  à  lui  tout  seul,  avec  son  modeste  salaire  d'ouvrier  rha- 
billeur  de  meules,  d'aider  sa  mère  à  en  élever  six  autres,  et  à  en 
faire  d'honnêtes  filles  et  de  laborieux  ouvriers.  —  Je  savais,  d'une 
manière  théorique  et  abstraite,  qu'une  des  vertus  de  notre  race  est, 
non  seulement  de  vivre  et  de  se  contenter  à  moins  de  frais  que 
d'autres,  mais  encore  d'exceller  à  faire  beaucoup  de  choses  avec 
peu  d'argent  ;  je  ne  savais  pas  que,  comme  Elisabeth  Faugas, 
de  Bayonne,  à  qui  l'Académie  décerne  un  prix  de  5oo  francs,  une 
ouvrière  giletière,  avec  un  salaire  de  24  à  32  francs  par  mois,  pût 
soutenir  la  vieillesse  d'un  père  plus  que  septuagénaire,  entourer 
de  soins  coûteux  une  mère  et  une  tante  malades,  élever,  entrete- 
nir, instruire,  placer  et  marier  un  frère  et  une  sœur.  —  Fille  d'un 
pauvre  cultivateur  infirme  et  d'une  mère  continuellement  malade, 
Marie-Léonie  Balthazard,  des  Roches  de  Condrieu  (Isère),  après 
les  avoir  aidés  de  toutes  ses  forces  à  cultiver  les  maigres  terres 
qu'ils  possédaient,  voyant  qu'elle  ne  pourrait  jamais  les  soulager 
par  ce  moyen,  résolut  de  se  faire  institutrice.  Elle  y  parvint  toute 
seule,  entre  deux  binages,  à  force  de  persévérance  ;  et  depuis  lors 
son  traitement  n'est  employé  qu'au  soulagement  de  ses  parents  et 
à  l'éducation  d'un  jeune  frère  et  de  deux  sœurs.  »  (Brunetière, 
Rapport  sur  les  Prix  de  Vertu,  en  1899). 

Bons  enfants  récompensés. 

1*  —  Le  roi  de  Suède  Gustave  III,  traversant  un  village  à  cheval, 
aperçut  une  jeune  paysanne  qui  puisait  de  l'eau  à  la  fontaine. 
Gustave  s'approcha  d'elle  et  lui  demanda  à  boire  :  elle  lui  en  pré- 
senta avec  les  grâces  touchantes  et  naïves  qu'elle  tenait  de  la  seule 


l8o       LES  GRANDS  DEVOIRS  DtJ  SÀLÙT.  —  VII.  INSTRUCTION. 

nature.  «  Belle  enfant,  lui  dit  le  prince,  si  vous  vouliez  me  suivre 
à  Stockholm,  je  pourrais  vous  y  procurer  un  sort  agréable.  — 
Monsieur,  lui  répondit  la  paysanne,  quand  bien  même  j'aurais 
autant  de  désir  de  faire  fortune  que  de  confiance  en  vos  promes- 
ses, il  ne  me  serait  pas  possible  d'accepter  votre  proposition.  Ma 
mère,  qui  est  pauvre  et  malade,  n'a  que  moi  pour  la  soulager,  et 
rien  au  monde  ne  pourrait  m'empêcher  de  remplir  ce  devoir.  — 
Où  est  votre  mère  ?  —  Là-bas,  dans  cette  chétive  cabane.  »  Le  roi 
y  entre  avec  elle  et  voit  sur  un  grabat,  que  couvrait  un  peu  de 
paille,  une  femme  accablée  d'infirmités.  Ému  de  ce  spectacle,  le 
prince  lui  dit  :  «  Ah  !  pauvre  mère,  je  vous  plains  !  —  Hélas  ! 
Monsieur,  répond  la  mère,  je  serais  bien  plus  à  plaindre  sans  cette 
fille  tendre  et  généreuse,  qui  par  son  travail  et  par  ses  soins  cher- 
che à  prolonger  mes  jours.  Que  Dieu  la  bénisse  et  la  récompense  !  » 
ajouta-t-elle  en  répandant  des  larmes.  Gustave  ne  fut  peut-être 
jamais  plus  sensible  au  bonheur  d'être  élevé  au  rang  suprême, 
que  dans  ce  moment  où  son  cœur  attendri  passait  successivement 
de  l'admiration  à  la  pitié.  «  Continuez,  dit-il,  en  remettant  une 
bourse  à  la  jeune  villageoise,  d'avoir  soin  de  votre  mère  ;  je  vous 
procurerai  bientôt  de  quoi  le  faire  encore  mieux.  Adieu,  aimable 
fille,  je  suis  votre  roi.  »  —  De  retour  à  Stockholm,  ce  monarque 
assura  à  la  mère  une  pension  viagère,  réversible  à  sa  fille  dévouée. 

2.  —  Une  veuve  pauvre  et  infirme,  lisons-nous,  dans  l'histoire 
du  Japon,  avait  trois  fils  qui  travaillaient  jour  et  nuit  pour  sub- 
venir à  sa  subsistance  ;  mais  tous  leurs  efforts  étaient  insuffisants, 
et  ils  avaient  la  douleur  de  ne  pouvoir  procurer  à  leur  mère  les 
secours  que  réclamait  son  état.  Dans  cette  triste  situation,  leur 
amour  filial  leur  inspira  une  résolution  étrange.  Un  édit  impérial 
venait  d'être  publié  contre  une  bande  de  voleurs  qui  infestait  le 
pays,  et  une  grosse  somme  d'argent  était  promise  à  celui  qui 
pourrait  saisir  quelqu'un  de  ces  bandits,  et  le  remettre  entre  les 
mains  de  la  justice.  Les  trois  frères  y  virent  une  ressource  :  ils 
convinrent  ensemble  de  livrer  comme  voleur  l'un  d'entre  eux  que 
le  sort  désignerait,  pour  obtenir  la  somme  promise.  Le  sort  étant 
tombé  sur  le  plus  jeune,  les  deux  autres  le  livrèrent,  le  menèrent 
au  juge  et  touchèrent  la  somme  fixée  comme  récompense.  —  Le 
prétendu  voleur  fut  mis  en  prison.  Ceuxrqui  l'avaient  livré,  avant 
de  partir,  trouvèrent  moyen  de  le  voir  et  l'embrassèrent  tendre- 
ment en  versant  beaucoup  de  larmes.  Le  juge,  informé  de  cet 
incident,  et  ne  pouvant  s'expliquer  ces  témoignages  d'amitié  de  la 
part  de  gens  qui  devaient  se  haïr,  entrevit  un  mystère  qu'il 
résolut  d'éclaicir.  Ayant  appelé  un  officier  fidèle,  il  lui  ordonna  de 


DEVOIR  POUR  LES  ENFANTS  D'lIONORER  LEURS  PARENTS.        l8l 

suivre  secrètement  ces  deux  jeunes  gens,  pour  connaître  où  ils 
iraient  et  ce  qu'ils  feraient  de  leur  argent.  —  Ils  retournèrent 
donc  auprès  de  leur  mère  et  lui  dirent,  en  lui  remettant  la  somme, 
que  désormais  il  ne  lui  manquerait  plus  rien.  La  bonne  femme, 
('tonnée,  leur  demande  d'où  vient  cet  argent  ?  d'où  ils  viennent 
eux-mêmes?  ce  qu'ils  ont  fait  ?  où  est  resté  leur  jeune  frère  ?...  Il 
fallait  bien  révéler  le  secret,  et  apprendre  à  la  pauvre  mère 
que  son  enfant  était  prisonnier.  Aussitôt  elle  se  mit  à  pleu- 
rer, à  pousser  des  cris  lamentables,  disant  qu'elle  mourrait  de 
faim  plutôt  que  de  vivre  aux  dépens  de  la  liberté,  peut-être  de  la 
vie  de  son  fils.  «  Allez,  leur  dit-elle,  reporter  l'argent  que  vous 
avez  reçu,  et  ramenez  votre  frère  s'il  es^  encore  en  vie...  »  L'offi- 
cier qui  les  avait  suivis,  et  qui  avait  écouté  à  la  porte,  se  hâta  de 
tout  rapporter  à  son  maître.  Celui-ci  fait  venir  le  jeune  homme, 
l'interroge,  le  menace  et  l'oblige  de  lui  dire  ce  qui  s'était  passé  ;  et 
quand  il  eut  constaté  la  vérité  du  fait,  il  crut  devoir  en  faire 
rapport  à  l'empereur.  Le  prince  fut  si  touché  de  cette  action  héroï- 
que, qu'il  voulut  voir  les  trois  frères.  Lorsqu'ils  furent  en  sa  pré- 
sence, il  les  loua  de  leur  piété  filiale,  et  assigna  au  plus  jeune,  qui 
s'était  offert  à  la  mort,  quinze  cents  écus  de  rente,  et  cinq  cents  à 
chacun  des  deux  autres  frères. 

Mauvais  enfants  châtiés. 

i .  —  Le  père  le  plus  criminel  et  le  plus  malheureux  peut-être 
qu'il  y  eût  sur  la  terre  avait  un  fds  aussi  méchant  que  lui.  Plongés 
l'un  et  l'autre  dans  tous  les  crimes,  ils  se  précipitaient  dans  tous 
les  malheurs  qui  en  sont  la  suite  ordinaire.  Le  fils,  désobéissant, 
indocile,  était  colère,  violent,  emporté  jusqu'à  devenir  furieux 
lorsqu'il  rencontrait  la  moindre  contradiction.  Un  jour  que  son 
père,  déjà  avancé  en  âge,  voulut  le  reprendre  et  lui  reprocher  sa 
conduite,  ce  fils  malheureux,  dans  un  accès  de  fureur,  se  jette  sur 
l'auteur  de  ses  jours,  le  renverse  par  terre,  et,  le  prenant  par  les 
cheveux,  le  traîne  le  long  des  degrés  pour  le  mettre  hors  de  la 
maison.  Quand  il  fut  arrivé  à  un  certain  point,  le  père,  élevant  la 
voix  :  a  Arrête,  malheureux,  lui  dit-il,  arrête,  je  n'ai  pas  traîné 
mon  père  plus  loin,  quand  j'étais  à  ton  âge.  »  —  Ce  père  coupable 
reconnut  à  ce  moment  la  justice  et  la  vengeance  de  Dieu,  qui  per- 
mettait que  son  fils  lui  fît  le  même  traitement  que  lui-même  avait 
fait  autrefois  à  son  père.  Quelle  leçon  pour  les  jeunes  gens  ! 

2.  —  On  raconte  encore  qu'un  homme,  vivant  dans  l'aisance  et 
n'ayant  qu'un  fils  unique,  eut  la  barbarie  d'envoyer  son  vieux  père 
à  l'hôpital.   Quelques  jours  après,   avant  appris  que  le  vieillard 


l82       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VII.  INSTRUCTION. 

souffrait  beaucoup  du  froid,  il  lui  envoya,  par  un  reste  de  pitié, 
deux  mauvaises  couvertures,  et  chargea  son  jeune  fils  de  la  com- 
mission. L'enfant  n'en  porta  qu'une  et  garda  l'autre.  Le  père  s'en 
étant  aperçu,  lui  demanda  pourquoi  il  n'avait  pas  remis  les  deux 
couvertures  :  «  Papa,  j'en  ai  réservé  une  pour  vous,  quand  vous 
serez  vieux,  et  que  je  vous  enverrai  aussi  à  l'hôpital.  » 


HUITIEME  INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Deuxième  Semaine). 

C'est  un  devoir  pour  les  Supérieurs 
d'avoir  soin  de  leurs  Inférieurs. 

I.  Certitude  de  ce  devoir.  —  II.  Manière  de  s'en  acquitter.  —  III.  Cul- 
pabilité de  ceux  qui  le  violent. 

Après  nos  devoirs  envers  Dieu,  qui  sont  nos  premiers 
devoirs  et  les  plus  sacrés  de  tous,  et  après  les  devoirs  res- 
pectifs des  parents  envers  leurs  enfants  et  des  enfants  envers 
leurs  parents,  viennent  les  devoirs  également  respectifs  des 
supérieurs  envers  leurs  inférieurs  et  des  inférieurs  envers 
leurs  supérieurs.  Dans  les  relations  humaines,  ceux  qui 
nous  sont  le  plus  proches,  après  nos  enfants  et  nos  parents, 
sont  en  effet,  soit  nos  inférieurs,  soit  nos  supérieurs. 

Certains  esprits  peu  attentifs,  et  d'ailleurs  aveuglés  par 
la  passion,  prétendent  que,  tous  les  hommes  étant  égaux 
par  leur  nature,  il  ne  devrait  y  avoir  ni  supérieurs  ni  infé- 
rieurs. Ce  raisonnement  n'est  concluant  qu'en  apparence. 
Certes  oui,  tous  les  hommes  sont  égaux,  non  seulement  par 
leur  nature,  en  ce  qu'ils  sont  formés  d'un  corps  et  d'une 
âme,  mais  encore  par  leur  origine,  en  ce  qu'ils  ont  tous 
Dieu  pour  père,  et  par  leur  destinée,  en  ce  qu'ils  ont  tous 
été  laits  pour  le  ciel.  Mais  là  s'arrête  leur  égalité  entre  eux. 
En  effet,  autant  ils  sont  égaux,  répétons-le,  par  leur  nature, 
par  leur  origine  et  leur  destinée,  autant  ils  sont  inégaux  et 
dissemhlables  par  la  force  et  la  santé  de  leur  corps,  ainsi 
que  par  la  lucidité  et  la  pénétration  de  leur  esprit,  et  par  la 
droiture  et  l'énergie  de  leur  volonté.  La  certitude  de  leur 
inégalitéest  encore  bien  plus  frappante  (pie  la  certitude  de 
leur  égalité,  \ussi  ne  trouvera-t-on  personne  pour  soutenir 
que  tous  les  hommes  sont  aussi  forts  les  uns  que  les  autres, 
"i-i  intelligents  les  uns  cjue  les  autres,  aussi  courageux  les 


l84       LES  GRAINDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.  INSTRUCTION. 

uns  que  les  autres.  Or,  c'est  surtout  de  cette  inégalité  des 
aptitudes  des  hommes,  que  sont  nées  et  que  s'entretiennent 
leurs  inégalités  sociales.  Car  tout  homme  qui  est  plus  fort, 
ou  plus  intelligent,  ou  plus  courageux  qu'un  autre  homme, 
exerce  inévitablement  sur  cet  autre  homme  une  influence 
qui  lui  donne  de  la  supériorité  sur  lui  ;  tandis  que  non 
moins  inévitablement  elle  établit  ce  dernier  dans  un  état 
d'infériorité  à  l'égard  de  celui  qui  est  mieux  doué.  C'est  là 
un  fait  qu'on  ne  peut  pas  contester. 

Eh  bien,  cette  inégalité  des  aptitudes  dont  les  hommes 
sont  doués,  et  qui  est  la  cause  de  leurs  inégalités  sociales, 
cette  inégalité,  disons-le,  n'est  pas  l'ouvrage  du  hasard,  qui 
n'est  rien,  mais  bien  de  Dieu  lui-même  (i),  dont  la  conduite 
d'ailleurs  est  identique  dans  toutes  les  parties  de  la  créa- 
tion. Partout  en  effet  nous  voyons   resplendir  la  variété  et 

i .  Les  philosophes,  les  moralistes  anciens,  et  même  quelques  savants 
en  économie  politique  de  notre  temps  se  demandent  si  le  pouvoir  de 
commander  et  l'obligation  d'obéir  sont  des  choses  naturelles  aux  hom- 
mes, en  sorte  que  les  uns  soient  supérieurs  et  les  autres  sujets,  sans  que 
ceux  qui  commandent  aient  d'autres  titres  que  les  avantages  qu'ils  ont 
de  la  nature  ;  et  ils  répondent  tous  que  non,  et  soutiennent  que  cette 
distinction  est  une  différence  de  la  fortune  et  non  de  la  nature  ;  celle-ci 
peut  bien  les  rendre  capables  de  commander,  mais  non  leur  en  confé- 
rer le  droit,  parce  que  ce  droit  doit  être  fondé  sur  quelque  autre  titre, 
comme  serait  par  exemple  le  consentement  et  la  libre  élection  des  peu- 
ples, ou  bien  encore  la  possession  légitime  des  ancêtres.  Saint  Thomas 
enseigne  que  la  servitude,  qui  est  du  droit  des  peuples,  n'est  point  na- 
turelle dans  un  sens  absolu,  et  que  si  les  hommes  eussent  persévéré  dans 
Pétat  d'innocence;  ils  n'eussent  point  eu  d'autre  domaine  parmi  eux 
que  le  domaine  des  pères  sur  leurs  enfants.  Ce  saint  docteur  ajoute  que 
la  servitude  introduite  par  les  peuples  peut  être  appelée  naturelle,  à 
cause  du  profit  et  de  l'utilité  qu'elle  apporte,  et  du  bon  ordre  qu'elle 
établit  parmi  les  hommes.  C'est  la  divine  Providence  qui  s'est  chargée 
de  la  conduite  du  genre  humain  et  qui  gouverne  si  sagement  le  monde, 
qui  a  introduit  cette  différence  parmi  les  hommes  ;  et  comme  c'est 
Dieu  qui  fait  le  pauvre  et  le  riche,  c'est  aussi  lui  qui  fait  le  maître  et  le 
serviteur.  —  Pour  savoir  d'où  vient  le  pouvoir  du  maître  sur  son  servi- 
teur, et  du  père  de  famille  sur  ses  domestiques,  nous  n'avons  pas  be- 
soin d'autres  lumières  que  celles  des  paroles  de  l'apôtre  saint  Paul,  qui 
dit  formellement  que  toute  puissance,  toute  autorité,  tout  pouvoir  légi- 
time de  commander  vient  de  Dieu,  et  que  c'est  la  divine  sagesse  qui  a 
fait  cette  différence  et  mis  cette  distinction  entre  celui  qui  commande 
et  celui  qui  obéit,  la  jugeant  nécessaire  pour  le  bon  ordre  du  monde. 
Cf.  S.  Thom.  Sam.  th.  2.  2.  q.  57.  a.  3  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédlc,  art. 
Maîtres  et  serviteurs,  S  5). 


DEVOIR  DES  SUPÉRIEURS  ENVERS   LEURS  INFERIEURS.  1  85 

ta  subordination  dans  l'unité.  Los  anges,  par  exemple,  ne 
sont  ils  pas  Ions  semblables  par  leur  nature  spirituelle  ?  Ce- 
pendant la  sainte  Ecriture  nous  apprend  qu'ils  forment 
trois  hiérarchies,  que  chaque  hiérarchie  forme  à  son  tour 
trois  chœurs,  el  que  toutes  ces  créatures  célestes  sont  subor- 
données les  unes  aux  autres,  celles  des  ordres  supérieurs 
agissant  sur  celles  des  ordres  inférieurs  pour  Faccômplisse- 
nienl  des  divers  ministères  dont  elles  sont  chargées.  Le  mê- 
me spectacle  nous  est  offert  par  la  création  visible.  Tous 
les  corps  qui  s'y  trouvent  ne  sont-ils  pas  également  égaux 
par  leur  nature,  qui  est  matérielle  ?  Et  pourtant  nous  sa- 
vons par  nous-mêmes  et  mieux  encore  par  les  observations 
et  les  découvertes  des  savants,  que  tous  ces  corps,  petits  ou 
grands,  sont  pareillement  subordonnés  entre  eux,  c'est-à-dire 
que  les  uns  exercent  sur  les  autres  une  action,  et  que  ces 
autres  la  subissent.  La  terre,  dans  sa  course  autour  du  soleil, 
entraine  la  lune  qui  la  suit,  et  la  feuille  tremble  sous  le 
souffle  de  la  brise  qui  passe. 

Pourquoi  donc  Dieu  aurait-il  dérogé,  pour  les  hommes,  à 
cette  loi  générale  de  subordination,  qui  met  dans  toute  la 
création  tant  d'harmonie  et  de  charme  ?  Pourquoi  les  aurait- 
il  établis  dans  un  état  d'indépendance  réciproque,  où  il  n'y 
aurait  eu  ni  supérieurs  ni  inférieurs,  où  personne,  par  con- 
séquent, n'aurait  eu  le  droit  de  commander,  et  personne  le 
devoir  d'obéir  ?  Dieu  a  d'autant  moins  dû  agir  de  la  sorte 
que,  s'il  l'eût  fait,  toute  société  devenait  impossible.  Toute 
société  ne  repose-t-elle  pas,  en  effet,  sur  une  organisation  ? 
Et  qu'est-ce  autre  chose  qu'une  organisation,  sinon  l'attri- 
bution, à  chacun,  de  fonctions  différentes  destinées  à  pro- 
curer le  bien  commun  de  tous  ?  A  l'un  donc  de  comman- 
der et  de  diriger,  et  à  l'autre  d'obéir  et  d'exécuter  ; 
comme,  dans  le  corps  humain,  aux  yeux  de  voir  et  de 
conduire,  aux  mains  de  travailler,  à  la  bouche  de  man- 
ger, à  l'estomac  de  digérer,  aux  pieds  de  transporter 
tout  le  corps  où  il  a  besoin  daller.  Encore  une  fois,  c'est 
donc  Dieu  lui-même  qui,  en  douant  les  hommes  de  quali- 
tés et  d'aptitudes  diverses,  est  l'auteur  des  diverses  situa- 
tions qu'ils  occupent,  pour  le  plus  grand  bien  de  chacun  et 
de  tous,  Mais  ce  bien  ne  sera  complètement  atteint,   hâtons- 


l86       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VIII.   INSTRUCTION. 

nous  de  le  dire,  que  si  chacun  s'acquitte  parfaitement  des 
devoirs  également  attachés  par  Dieu  à  chaque  situation, 
c'est-à-dire,  d'une  manière  générale,  à  la  situation  de  ceux 
qu'on  est  convenu  d'appeler  les  supérieurs,  et  à  la  situation 
de  ceux  qu'on  est  aussi  convenu  d'appeler  les  inférieurs. 
Quels  sont  ces  devoirs  ?  Leur  importance  est  telle  que  pour 
les  faire  connaître  d'une  manière  suffisante,  il  est  à  propos 
d'en  parler  séparément.  C'est  pourquoi  nous  allons  nous 
entretenir  seulement,  ce  soir,  du  devoir  des  supérieurs, 
c'est-à-dire  des  maîtres,  des  patrons,  des  instituteurs,  des 
chefs  d'industrie  et  d'administration,  de  tous  ceux  en  un 
mot  qui  jouissent  de  quelque  autorité  sur  les  autres.  Or  le 
devoir  des  supérieurs,  envisagé  d'une  manière  générale, 
consiste  à  avoir  soin  de  leurs  inférieurs.  Nous  allons  d'abord 
démontrer  la  certitude  de  ce  devoir  ;  nous  expliquerons  en- 
suite la  manière  de  s'en  acquitter  ;  et  enfin  ferons  compren- 
dre la   culpabilité  de  ceux  qui  le  violent  (i).  — ■    Seigneur, 

i .  Les  maîtres  doivent  s'acquitter  de  trois  offices,  ou  de  trois  devoirs 
envers  leurs  serviteurs  :  i°  De  l'office  de  pères,  c'est  le  titre  que  l'Écri- 
ture semble  leur  donner,  en  confondant  le  nom  de  serviteur  avec  celui 
de  fils  ;  car  c'est  ainsi  que  parle  le  centurion  de  l'Évangile  :  Puer  meus 
jacet  in  lecto.  D'où  il  s'ensuit  qu'ils  doivent  les  aimer,  pourvoir  à  leur 
nourriture  et  à  leur  établissement,  etc. —  2°  Ils  sont  leurs  maîtres, 
c'est-à-dire  leurs  précepteurs,  et  en  cette  qualité  ils  doivent  prendre 
soin  de  les  instruire,  ou  donner  ordre  qu'ils  soient  instruits  des  choses 
nécessaires  à  leur  salut  ;  leur  donner  l'exemple,  les  reprendre  et  les 
corriger,  etc.  De  là  vient  que  les  saints  Pères,  et  entre  autres  saint  Am- 
broise,  les  appellent  les  pasteurs  de  leurs  domestiques,  et  comme  les 
évêques  dans  leur  maison.  —  3°  Ils  sont  leurs  tuteurs,  ils  doivent  les 
défendre,  embrasser  et  ménager  leurs  intérêts,  leur  payer  exactement 
leurs  gages,  faire  profiter  leur  bien,  etc.  (Faber,  ap.  Houdry,  Bibl.  des 
Préd.  art.  Maistres  et  serviteurs,  $  i,  n.  5). 

On  peut  faire  voir  que  les  différents  devoirs  dont  les  maîtres  sont 
chargés  envers  leurs  serviteurs,  ont  du  rapport  à  ceux  qu'ils  exigent 
d'eux.  i°  Ils  demandent,  et  doivent  souhaiter  qu'ils  soient  gens  de  bien, 
afin  qu'ils  soient  plus  fidèles  à  leur  service;  ils  doivent  donc  leur  don- 
ner l'exemple  de  vertu  et  de  religion.  —  2°  Us  demandent  des  serviteurs 
doux  et  dociles,  et  n'en  peuvent  souffrir  qui  soient  colères  et  emportés . 
Les  maîtres  doivent  donc  eux-mêmes  être  affables,  les  traiter  humaine- 
ment, et  non  point  avec  fierté,  et  d'une  manière  trop  impérieuse.  — 
3°  Ils  demandent  qu'ils  soient  fidèles  ;  mais  pour  les  rendre  tels,  leurs 
maîtres  leur  doivent  témoigner  de  la  confiance  et  de  l'affection,  et  leur 
faire  entendre  qu'ils  ont  à  cœur  leurs  intérêts  (Anon.  ibid.  n.  6). 

Quelque  avantage  de  naissance  ou  de  fortune  qu'aient  les  maîtres  sur 
leurs  serviteurs»  Ua  doivent  être  persuadés  qu'ils  no  peuvent  être  bons 


DEVOIR  DES  SUPERIEURS  ENVERS  LEURS  INFERIEURS.  187 

qui  rtcs  vous-mêmes  le  premier  et  le  plus  parfait  de  tous  les 
supérieurs,  daignez  éclairer  sur  leur  devoir  tous  ceux  qui 
sont  revêtus  de  quelque  parcelle  de  votre  autorité,  afin  qu'ils 
n'en  usent  que  pour  votre  plus  grande  gloire,  pour  le  salut 
des  âmes  et  le  bien  de  la  société. 

1 .  —  Certitude  du  devoir  qui  incombe  aux  supérieurs 
d'avoir  soin  de  leurs  inférieurs.  —  Dans  les  sociétés  païen- 
nes, où  le  démon  régnait  en  maître,  et  où  il  avait  arraché,  du 
cœur  des  hommes,  les  meilleurs  sentiments  qu'y  met  la  nature 
toute  seule,  les  maîtres  ne  se  croyaient  absolument  tenus  à 
rien  envers  leurs  inférieurs  :  ils  s'en  servaient  comme  d'une 
chose  quelconque,  tant  qu'ils  y  trouvaient  leur  intérêt  ou 
leur  plaisir,  et  s'en  défaisaient  ensuite  d'une  manière  ou 
d'une  autre,  comme  on  fait  d'un  outil  qu'on  jette  ou  d'un 
animal  qu'on  vend.  En  brillant  sur  le  monde,  l'Évangile 
avait  ensuite  changé  de  fond  en  comble  cette  manière  d'agir. 
Mais  au  fur  et  à  mesure  qu'on  se  conduit  moins  d'après  ses 
maximes  et  son  esprit,  les  idées  et  les  mœurs  païennes  re- 
paraissent de  plus  en  plus  parmi  nous.  Dès  maintenant,  que 
de  maîtres  qui,  après  avoir  toutefois  payé  leurs  serviteurs  ou 

maîtres,  s'ils  ne  sont  auparavant  de  bons  serviteurs  de  Dieu,  et  par  con- 
séquent :  i°  11  faut  qu'ils  agissent  avec  Dieu,  comme  ils  veulent  que 
leurs  serviteurs  agissent  à  1  eur  égard  ;  qu'ils  soient  prompts  et  fidèles  à 
exécuter  ses  ordres,  soumis  à  ses  volontés,  qu'ils  le  craignent,  qu'ils 
l'honorent,  qu'ils  soient  entièrement  dévoués  à  son  service.  —  20  II  faut 
qu'ils  fassent  pour  leurs  serviteurs  ce  qu'ils  souhaitent  que  Dieu  fasse 
pour  eux-mêmes  :  qu'il  ait  soin  de  leurs  affaires,  qu'il  les  protège,  etc. 
(Anon.  ibid.  n.  7). 

Comme  les  maîtres  et  les  pères  de  famille  sont,  dans  leur  maison, 
comme  les  dieux  de  leurs  serviteurs  (ils  en  sont  les  représentants  et  les 
ministres),  ils  doivent  aussi  imiter  Dieu,  dans  le  gouvernement  que  ce 
souverain  Maître  exerce  sur  les  hommes  :  i°  Ils  doivent  avoir  la 
prévoyance  pour  veiller  sur  tous  les  besoins,  tant  spirituels  que  tempo- 
rels, de  leurs  serviteurs,  comme  la  providence  de  Dieu  s'étend  sur  tous 
les  hommes.  —  20  Ils  doivent  avoir  de  la  justice,  pour  récompenser  le 
bien  et  punir  le  mal,  pour  reprendre  et  corriger  les  défauts  de  ceux  que 
Dieu  a  soumis  à  leur  conduite.  —  3°  Ils  doivent  avoir  de  la  sainteté  et 
de  la  vertu  pour  les  animer,  et  les  instruire  par  leurs  exemples  (Id. 
ibid.  n.  9). 

Heri  tenentur  servis  pncluccrc  bono  cxemplo  ;  eos  corrigerc  ;  illorum 
salutis  curam  habere  ;  congruenter  eos  nutrire  ;  impedire  ne  sint  otiosi; 
in  morbis  illis  succurrere  ;  promissam  mercedem  iideliter  persolvere; 
eosçjemquc  cUligere  sicut  seipsos  (Tihan.  Missionar,  conc.  ty), 


l88       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VIII.   INSTRUCTION. 

leurs  employés,  se  croient  absolument  quittes  de  toute  obli- 
gation envers  eux  ?  Et  s'il  en  est  qui  s'occupent  davantage 
de  leurs  inférieurs  ou  de  leurs  subordonnés,  la  plupart  se 
persuadent  que  rien  ne  les  y  oblige,  et  qu'en  agissant  ainsi 
ils  font  plus  que  leur  devoir  ;  que  par  conséquent  ils  peu- 
vent, s'il  leur  plaît,  se  borner  aussi  au  simple  paiement  du 
salaire. 

Rien  de  plus  faux  que  ces  sentiments,  rien  de  plus  con- 
traire à  la  solidarité  humaine  et  à  la  vraie  justice,  et  surtout 
aux  enseignements  de  la  religion.  Non,  il  n'est  pas  vrai,  il 
n'est  pasjuste,  que  le  maître  ne  doive  à  son  serviteur  que  le 
seul  salaire  convenu.  Le  salaire  convenu  paie,  si  l'on  veut, 
le  travail  convenu.  Mais  le  maître  ne  croit-il  pas  avoir  le 
droit  de  compter,  non  seulement  sur  le  travail,  mais  encore 
sur  le  dévouement  de  son  serviteur  ?  Or,  si  le  mitre  prétend 
n'être  tenu  qu'à  payer  le  travail,  le  dévouement  du  serviteur 
devra-t-il  donc  être  gratuit?  Sera-ce  là  de  l'équité  ?  Remar- 
quons en  outre  que  le  dévouement  est  toujours  plus  méri- 
toire que  le  travail  rétribué.  Ainsi  le  maître  paiera  ce  qui 
vaut  moins,  et  il  ne  sera  tenu  à  rien  pour  ce  qui  vaut  plus  ? 
Il  paiera  la  journée  de  son  ouvrier,  et  il  ne  sera  tenu  à  rien 
envers  cet  ouvrier,  qui  aura  doublé  son  activité  et  sa  peine, 
afin  de  mettre  son  maître  à  même,  ou  d'éviter  une  perte,  ou 
de  réaliser  un  plus  fort  bénéfice?  Il  ne  sera  tenu  à  rien  envers 
ce  serviteur  qui  sacrifiera  son  repos  et  ses  nuits  pour  le 
veiller  dans  ses  maladies  ?  ou  bien  qui  se  sera  jeté  à  l'eau, 
exposant  sa  vie,  pour  lui  sauver  la  sienne  ?  Non,  encore  une 
fois,  elle  n'est  ni  humaine  ni  juste,  cette  théorie  étroite  et 
égoïste,  qui  délie  le  maître,  le  supérieur,  de  toute  obligation 
envers  l'inférieur,  sauf  celle  de  payer  le  salaire  convenu. 
Non,  il  n'est  ni  humain  ni  juste  qu'un  maître  dise  à  son 
serviteur  :  Je  vous  paie  vos  gages,  je  ne  vous  dois  que  cela. 
Nous  ne  nous  bornons  pas  à  abriter  et  à  nourrir  l'animal 
qui  nous  rend  service  ;  nous  veillons  sur  sa  santé  et  sur  son 
bien-être,  et  nous  allons  même  jusqu'à  le  caresser  de  la 
main  et  de  la  voix  pour  lui  donner  une  marque  de  notre 
satisfaction  et  de  notre  attachement  ;  enfin  nous  avons  en- 
core soin  de  lui  lorsqu'il  est  devenu  vieux  et  ne  peut  plus 
guère  nous  être  utile.  Et  le  maître  pourra  traiter  son  servi- 


DEVOIR  DES  SUPERIEURS  ENVERS  LEURS  INFERIEURS.  189 

leur,  son  serviteur  fidèle  et  dévoué,  avec  moins  de  consi- 
dération que  son  cheval  ou  son  chien  P.  Est-il  besoin  de  le 
dire  ?  Le  sentiment  naturel  et  la  raison  protestent  égale- 
ment, et  font  au  contraire  un  devoir  à  tout  supérieur  de 
traiter  son  inférieur  et  son  subordonné  avec  les  égards  et 
les  soins  qu'il  voudrait  qu'on  eût  pour  lui-même,  si  au  lieu 
d'être  au-dessus  des  autres  il  était  au-dessous  d'eux  (i). 

Même  à  ne  considérer  que  leur  intérêt,  les  supérieurs  ont 
le  devoir  de  prendre  soin  de  leurs  inférieurs.  N'est-il  pas 
vrai  que  les  supérieurs  sont  tenus,  comme  tout  le  monde, 
de  prendre  les  meilleurs  moyens  possibles  pour  faire  face 
aux  obligations  qui  leur  incombent  ?  Par  exemple,  n'est-il 
pas  vrai  qu'un  père  est  tenu  de  pourvoir,  du  mieux  qu'il 
peut,  à  la  prospérité  de  ses  affaires,  pour  procurer  à  ses 
enfants  un  établissement  en  rapport  avec  sa  position  ?  Eh 
bien,  quel  meilleur  moyen,  pour  faire  prospérer  ses  affaires, 
que  d'avoir  soin  de  ses  serviteurs  et  de  ses  employés  ?  En 
effet,  quelqu'un  qui  possède  un  peu  d'expérience  sait  que, 
moins  un  supérieur  prend  soin  de  ses  inférieurs,  moins 
ceux-ci  mettent  de  dévouement  à  le  servir  ;  tandis  que, 
plus  un  supérieur  s'occupe  de  bien  traiter  ses  inférieurs, 
plus  ceux-ci  ont  à  cœur  de  prendre  en  tout  et  partout  ses 

1.  Principcm  magis  oportet  timere,  ne  quid  mali  faciat,  quam  ne 
quid  mali  patiatur,  nain  hoc  nascitur  ex  illo,  atque  hic  est  principis 
metus  humanus,  et  generosus,  ut  his  quibus  imperat  metuat,  ne  quid 
in  suo  laedantur,  non  aliter  at  que  generosi  gregis  canes  nocturnam  et 
laboriosam  agentes  ovium  custodiam,  simul  atque  trucem  senserint  fe- 
ram,  timentnon  sibi,  sed  his  qmc  custodiunt  ;  ita  qui  vere  sunt  régen- 
tes timent  hos,  in  quos  habent  imperkim  (Plutarcii.  lib.  de  doctrina 
principum). 

Praeclare  ait  Plato,  hominem  non  sibi  soli,  sed  aliis  natum  esse  ;  par- 
tent enim  sui  débet  patrite,  partem  parentibus,  partem  amicis  et  subdi- 
tis.  Emolumentum  publicum  pneferre  débet  privato,  suaque  cura  ac 
laborc  utilitatem  communern  promovere.  De  hoc  etîato  Platonis  ait  Ci- 
cero,  lib.  1.  de  Offic:  «  Praeclare  dictum.  »  Sicut  divitise  absconditae, 
ita  potestas  non  usurpata  inutilis  est(GLAus,  Spicileg.  univ.  lib.  5,  n.  399). 

Saint  Paul  fait  entendre  que  la  puissance  est  accordée  par  Dieu  pour 
s'occuper  du  bien  général  et  pour  sauvegarder  les  droits  de  chacun, 
quand  il  dit,  Rom.  xiu,  8  :  Par  rapport  à  vous,  elle  est  le  ministre  de 
Dieu  pour  le  bien.  Dieu  se  sert  des  supérieurs  pour  procurer  aux  hom- 
mes les  biens  qu'il  leur  destine  (Grosse,  Cours  de  Reliy.  2.  p.  2.  d.  ch. 
5.  S  6).  —  De  là,  devoirs  des  supérieurs  à  l'égard  des  inférieurs,  puisque 
c'est  pour  le  bien  des  inférieurs  que  Dieu  les  a  faits  supérieurs. 


I90       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VIII.  INSTRUCTION. 

intérêts.  Par  conséquent,  il  est  donc  de  l'avantage  des  maî- 
tres et  des  supérieurs  d'avoir  de  justes  soins  pour  leurs  ser- 
viteurs et  leurs  subordonnés  (1). 

Mais  c'est  la  foi  surtout  qui  fait  aux  maîtres  et  aux  supé- 
rieurs un  devoir  de  prendre  soin  de  ceux  qui  les  servent  ou 
qui  sont  sous  leurs  ordres.  Nous  sommes  chrétiens  :  que 
nous  dit  à  ce  sujet  notre  foi  ?  Elle  nous  apprend  que  tous 
les  hommes  viennent  d'un  même  père,  et  que  par  consé- 
quent ils  sont  tous  frères.  Or,  si  tous  les  hommes  sont  frè- 
res entre  eux,  les  supérieurs  sont  donc  les  frères  de  leurs 
inférieurs,  ceux-ci  les  frères  de  leurs  supérieurs.  Mais  s'il  en 
est  ainsi,  n'y  a-t-il  pas  obligation,  pour  les  supérieurs,    de 

1.  Le  danger  le  plus  commun  et  l'effet  le  plus  pernicieux  de  la  con- 
dition des  maîtres  est  de  les  enorgueillir,  de  les  enfler  et  de  leur  faire 
prendre  ce  sentiment  et  cet  ascendant  impérieux  qui  rendent  quelque- 
fois la  grandeur  humaine  si  odieuse  aux  hommes  et  si  criminelle  devant 
Dieu.  Or,  un  des  remèdes  les  plus  efficaces  et  un  contre-poids  bien 
puissant  pour  réprimer  cet  orgueil  et  pour  rabaisser  cette  enflure  du 
cœur,  c'est  cette  loi  que  Dieu  a  faite  pour  les  maîtres  à  l'égard  de  ceux 
qu'ils  ont  sous  leur  dépendance.  Et  en  effet,  supposé  cet  ordre,  quel 
sentiment  peut  avoir  un  maître,  que  des  sentiments  de  modestie 
et  d'humilité?  Car,  pourquoi  me  glorificrais-je,  peut-il  se  dire  lui-même, 
d'avoir  sur  cet  homme  quelque  pouvoir,  puisque  c'est  ce  pouvoir  même 
qui  m'assujettit  à  de  bien  pénibles  obligations  ?  Ce  domestique  m'est 
redevable  de  son  travail,  mais  je  lui  suis  redevable  de  mon  zèle  ;  il  me 
doit  une  espèce  de  service,  et  moi  je  lui  en  dois  une  autre  ;  il  est  chargé 
de  certains  emplois  dans  ma  maison,  et  moi  je  suis  responsable  de  ses 
actions  ;  il  est  mon  serviteur  pour  ce  qui  regarde  le  corps,  et  je  suis  le 
sien  pour  ce  qui  concerne  Fàme.  Ainsi  la  servitude  est  mutuelle,  et  la 
dépendance  réciproque  entre  lui  et  moi  ;  et  bien  loin  que  j'aie  droit  de 
m'élcvcr  au-dessus  de  lui  et  de  le  mépriser,  j'ai  tout  lieu  de  me  confon- 
dre et  de  trembler  en  considérant  que  ma  dépendance  est  incompara- 
blement plus  onéreuse  que  la  sienne,  et  qu'en  qualité  de  maître  je  lui 
dois  beaucoup  plus  qu'il  ne  me  doit  en  qualité  de  serviteur.  —  C'est  la 
belle  remarque  de  saint  Augustin,  lorsqu'il  fait  consister  le  secret  de  la 
Providence  et  le  bonheur  d'une  famille  réglée  selon  les  lois  de  la  sagesse 
de  Dieu,  en  ce  que  ceux  qui  commandent  sont  obligés  de  pourvoir  à  ceux 
qui  exécutent  leurs  ordres  :  Imperant  qui  consulunt,  et  obediunt  iis  quibus 
consulitur.  Tellement,  dit  ce  saint  docteur,  que  dans  la  maison  d'un 
juste  qui  vit  dans  l'esprit  de  la  foi,  commander,  c'est  obéir  ;  et  que  ceux 
qui  tiennent  le  rang  de  maîtres  servent  par  nécessité  et  par  devoir 
ceux-là  même  qui  les  servent  mercenairement  et  par  intérêt  ;  car 
ils  ne  commandent  pas,  ajoute  ce  Père,  par  un  désir  de  dominer, 
mais  dans  une  vue  sincère  de  faire  du  bien  ;  et  le  nom  de  maîtres  qu'ils 
portent  ne  produit  pas  en  eux  l'orgueil  d'une  autorité  fastueuse,  mais 
le  zèle  d'une  charité  chrétienne  et  affectueuse  (Bourdaloue,  Serin,  pour 
le  2.  dim.  apr.  Pâq.). 


DEVOIR  DÉS  SI  PERIEUR3  ENVERS  LEURS  INFERIEURS.  I  Q  l 


traiter  leurs  inférieurs  en  livres,  c'est-à-dire  avec  affection 
el    sollicitude?    Que  nous  apprend  encore  notre  foi?    Elle 
nous  apprend   encore  que  nous  avons  tous  dans  le  ciel  un 
Maître  commun,  devant  qui   nous  ne  sommes  pas  plus  les 
uns  que  les  autres  ;   que  c'est  lui  qui  a  fait,    de  ceux-ci,    des 
supérieurs,  et,  de  ceux-là,   des  inférieurs,  avec  l'obligation, 
pour  Ions,  de  s'entr'aimer  et  de  s'entr'aider,  et  pour  les  supé- 
rieurs en  particulier,  d'avoir  soin  de  ceux  qui  sont  sous  leur 
dépendance,   faute  de  quoi,  dit  l'apôtre  saint  Paul,    ils  sont 
des  renégats  de  leur  foi,  et  pires  que  des  infidèles  (i).  Pesons 
attentivement    toutes   ces   maximes.    Si  les  inférieurs  sont 
aussi  bien  l'ouvrage  des  mains  de  Dieu  que  les  supérieurs, 
ceux-ci  doivent   donc  avoir  pour  leurs  inférieurs  les  mêmes 
soins  et  les  mêmes  sollicitudes  qu'ils  ont  pour  eux-mêmes  ; 
car  si  les  hommes  méritent  des  soins,  c'est  assurément  sur- 
tout parce  qu'ils  sont  les  créatures  de  Dieu.    De  même,    si 
c'est  Dieu  qui  a  donné,  aux  supérieurs,    des  inférieurs  pour 
les  servir,   quel   soin  les  supérieurs  ne  doivent-ils  pas  pren- 
dre des  inférieurs,   par  égard  pour  Celui  qui  les  leur  adon- 
nés !    Y  est-il  pas  vrai  que  nous  aurons  un  soin  spécial  du 
serviteur  qui  nous  aura  été  procuré  par  un  ami  ?  Quel  soin 
les  supérieurs   ne  doivent-ils  donc  pas  avoir  de  leurs  infé- 
rieurs, en  considération  de  Celui  qui  les  leur  a  tous  donnés 
et  qui  est,  nous  le  répétons,  Dieu  lui-même  !  Quelle  obliga- 
tion n'ont-ils  pas  d'en  prendre  soin,    s'ils   considèrent    que 
leurs  inférieurs  et  subordonnés  valent  comme  eux-mêmes  le 
sang  d'un  Dieu,  que  >otre-Seigneur  n'a  pas  hésité  à  mourir 
aussi  pour  eux,    qu'il  a  même  voulu,    durant  sa  vie  mor- 
telle,  servir  comme  eux,  que  peut-être  ils  sont  plus  agréa- 
bles à  Dieu  que  leurs  maîtres,   et  entreront  avant  eux  dans 
le  ciel,   où  ils  occuperont   à    leur   tour  une  place  plus  éle- 
vée !  (2).  Que  de  motifs,  et  quels  motifs!  pour  des  supérieurs, 

1.  Sap.  vi,  4  :  Gai.  vi,  2  ;  Ephes.  vi,  9  ;  I.  Tim.  y,  8  ;  Ilcbr.  xm,  17. 

2.  Formam  servi  accipiens.  Philipp.  11,  eamdcm  eu  in  illis  (servis)  ratio- 
nei.i  Vivendi  tenuit,  et  erat  subditus  illis,  Luc.  n,  palajm  professus  est  se 
descendisse  e  cœlo  ut  esset  omnium,  non  Dominus,  sed  servus.  Ego, 
inquit,  Luc.  11,  in  medio  vestrum  sum,  sicut  qui  minUtrat.  Et,  Malth.  xx, 
Filius  hominis  non  venit  ministrari,  sed  ministrare,  et  se  esse  servum  etiam 
aune  in  cœlo  sibi  non  indecorum,  sed  prœclarum  cl  honorificum  ducit, 


JQ2       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.  INSTRUCTION. 

de  prendre  soin  de  leurs  inférieurs  !  Que  tous  ceux  à  qui 
Dieu  a  donné  quelque  autorité,  grande  ou  petite,  sur  leurs 
semblables,  demeurent  donc  bien  pénétrés  de  cette  vérité, 
que  cette  autorité  avant  tout  leur  impose,  tout  à  la  fois  au 
nom  de  l'humanité,  de  la  raison  et  de  la  religion,  le  devoir 
d'avoir  soin  de  leurs  subordonnés(i).  —  Disons  maintenant 
quelle  est  la 

IL  —  Manière  de  s'acquitter  de  ce  devoir.  —  Pour 
s'acquitter  de  ce  devoir,  les  maîtres  et  les  supérieurs  doi- 
vent avoir  égard  à  deux  choses  :  aux  intérêts  matériels  de 
leurs  inférieurs  et  subordonnés,  et  à  leurs  intérêts  spirituels. 

et  transiens  ministrabit  Mis,  Luc.  xn,  et  intcrea  vos  pro  superbia  servos 
et  ancillas  non  solum  contemptui,  sed  etiam  ut  plurimum  odio  babetis, 
quosut  fratres  et  amicos  Christi  amare  debetis,  et  ea  etiam  ratione,  quod 
plura  habeant  sua?  praedcstinationis  signa  ad  gloriam  acternam,  quam 
vos,  et  hoc  ex  Evangelio  eviden-s  est,  Matth.  v  :  Beati  pauperes.  «  Pre- 
tium  cœlestis  regni,  ait  D.  August.,  est  paupertas.  »  Beaii  qui  lugent. 
Beati  mites.  Et  juxta  scntentiam  Dei  in  omnes  hominés  latam,  in  sudore 
vultus  sui  vescuntur  pane  suo,  et  multi  beati  sunt,  quia  ab  heris  inhuma- 
nis  assiduam  persecutionem  paliuntur .  Et  idco,  si  taies  sint,  quales  eos 
esse  decet,  illac  ancillae,  et  illi  famuli,  quos  nunc  contemptui  habetis,  et 
quos  pessime  tractatis,  in  cœlo  ad  multo  ampliorem  gloriam  evehen- 
tur,  quam  vos,  lucebuntque  in  perpétuas  a3ternitates  sicut  stelhe  primas 
magnitudinis,  et  fortasse  domini  et  herse,  non  aliter  in  cœlo  lucebunt 
et  apparebunt,  quam  stellae  illae  minimge,  quae  sine  conspicillio  nec 
detegi,  nec  videri  possunt  (Tiran.  loc.  cit.). 

i.  Saint  Augustin,  De  liv.  Dei,  xix.  i5,  a  très  bien  remarqué  qu'en  la 
Genèse,  avant  le  péché,  Dieu  donne  seulement  à  l'homme  l'empire  sur 
les  poissons  de  la  mer,  sur  les  oiseaux  de  l'air  et  sur  les  bêtes  de  la  terre, 
mais  non  sur  d'autres  hommes  :  Hominem  rationalem  factam  ad  imagi- 
nem  suam,  notait  nisi  irrationalibus  dominai- i,  non  hominem  homini,  sed 
hominem  pecori.  Et  de  là  vient,  comme  le  même  saint  ajoute,  qu'au  com- 
mencement du  monde  les  premiers  justes  étaient  pasteurs  des  bêtes 
brutes,  non  princes  et  souverains  des  hommes  :  Primi  justi  pastores 
pecorum,  magis  quam  reges  hominum  constituti  sunt  ;  et  qu'on  ne  trouve 
en  l'Écriture,  ce  mot  d'esclave  ni  de  serviteur,  qu'après  le  péché  de 
Cham,  lorsque  le  juste  Noë,  Gen.  ix,  25,  condamna  sa  postérité  à  la  ser- 
vitude, en  la  punition  de  ce  qu'il  s'était  moqué  de  son  père.  Vu  donc 
que  Jésus  est  venu  ruiner  les  effets  du  péché  et  nous  rétablir  dans  les 
prérogatives  et  les  droits  de  l'état  d'innocence,  son  intention  est  que  les 
chrétiens,  à  proprement  parler,  n'aient  point  de  serviteurs  ;  ou  s'ils  en 
ont,  qu'ils  ne  les  traitent  point  fièrement,  impérieusement  et  en  escla- 
ves ;  mais  civilement,  courtoisement  et  en  frères  ;  qu'il  y  ait  entre  eux 
une  mutuelle  servitude,  ou,  pour  mieux  dire,  service,  assistance  et  office 
réciproque  de  charité  (P.  Le  Jeuise,  Le  Missionn.,  serm.  54). 


DEVOIR   DES  si  PARIEURS  ENVERS  LEURS  INFÉRÎEI  HS.  [g3 

Vu\  intérêts  matériels,  disons  nous  d'abord.  Cette  partie 
du  devoir  des  maîtres  ei  supérieurs  est  celle  <|uc  l'on  croit 
communémenl  Le  mieux  accomplir.   Et  cependant,   que  de 

Taules  n'\  commet  on  pas  !  \insi,  ne  lèsent  ils  pas  les  inté- 
rêts matériels  de  Leurs  inférieurs,  ces  maîtres  qui,  profitant 
de  ce  qu'il  >  a  beaucoup  de  inonde  sans  travail,  ou  sous 
d'autres  prétextes,  abaissent  les  justes  prix,  et  n'accordent 
pas  un  salaire  convenable  à  leurs  domestiques  ou  employés  ? 
En  ne  payant  pas  à  leur  valeur  les  services  qu'ils  reçoi- 
vent, n'est-ce  pas  une  sorte  de  larcin  dont  ils  se  rendent 
coupables  envers  ceux  qui  sont  réduits  à  accepter  leurs  con- 
ditions ?  (i).  Et  ceux  qui  ne  sont  jamais  prêts  à  payer  leurs 
ouvriers,  qui  les  font  attendre  au-delà  des  termes  convenus, 
ont-ils  souci  de  leurs  intérêts,  en  les  privant  de  ce  qui  leur 
est  dû.  en  ne  leur  permettant  pas  d'acheter  ce  qui  leur  est 
nécessaire,  ou  bien  en  les  réduisant  à  l'acheter  à  crédit,  ce 
qui  est  toujours  onéreux  ?  (2).  Il  en  est  de  même  de  ceux 
qui  ne  donnent  pas  à  leurs  serviteurs  une  alimentation  con- 
venable par  la  quantité  ou  la  qualité,  ou  bien  qui  exigent 
d'eux  des  travaux   excessifs,    ou  bien  qui  ne  leur  accordent 

i.  Profiter  de  la  malheureuse  situation  d'un  domestique  qui  n'avait 
point  de  maître,  pour  le  gager  au  plus  bas  prix  possible,  au-dessous 
même  du  prix  infime  :  péché  mortel  contre  la  justice,  si  le  prix  qu'on 
donne  est  tellement  inférieur  au  prix  bas,  qu'on  fasse  un  tort  grave  au 
domestique.  Obligation  de  restituer.  11  faut  raisonner  ainsi  par  rapport 
à  un  maître  qui  prendrait  chez  lui  un  domestique  sans  faire  aucune 
condition  (celui-ci  laissant  à  la  volonté  de  son  maître  de  fixer  le  gage), 
cl  qui  ne  lui  donnerait  ensuite  qu'un  salaire  beaucoup  inférieur  au  prix 
infinie.  Trois  prix  peuvent  avoir  lieu  dans  les  gages  des  domestiques 
comme  dans  les  ventes  :  le  prix  haut,  le  prix  moyeu  et  le  prix  bas  ou 
infime.  Un  domestique  ne  peut  aller  au-dessus  du  prix  haut,  el  un 
maître  ne  peui  gager  au-dessous  du  prix  bas.  Cependant,  si  un  maître, 
par  charité,  prenait  un  domestique  dont  il  n'aurait  pas  besoin,  et  que 
le  domestique,  s'offrant  de  lui-même,  ne  lui  demandât  (pie  la  nourri- 
ture et  l'entretien,  le  maître  ne  serait  tenu  arien  autre  (Examen  rai- 
sonné sur  les  commandements  de  D'un  et  de  V Eglise,  2.  p.  c.  £,'  a.  6). 

a.  Retenir  une  partie  notable  du  gage,  qui  forme  une  matière  grave, 
péché  mortel  :  si  la  partie  n'est  que  légère,  péché  véniel,  obligation  de 
restituer.  Différer  de  payer  le  salaire  au  temps  convenu,  contre  le  gré 
des  domestiques  el  sans  cause  juste,  péché  plus  ou  moins  grave  contre 
la  justice,  selon  que  le  délai  est  plus  ou  moins  long  el  qu'il  est  plus  ou 
moins  nuisible  aux  domestiques.  Obligation  de  réparer  le  dommage 
qu'ils  éprouveraient  (Exapi.  raisonné,  loc.  cit.). 

SOMME    DU    PREDICATEUR.    —  T.    II.  13 


lo/l       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   VIII.  INSTRUCTION. 

pas  le  repos  nécessaire.  Est-ce  là  avoir  souci  de  leurs  inté- 
rêts matériels  ?  En  les  traitant  ainsi,  n'est-ce  pas  ruiner  leur 
santé,  épuiser  leurs  forces,  hâter  leurs  infirmités,  abréger 
leur  vie  ?  (i).  Les  maîtres  et  supérieurs  chrétiens  doivent 
donc,  non  seulement  éviter  ces  abus,  au  fond  criminels  et 
homicides,  mais  encore  agir  d'une  manière  absolument 
opposée  à  l'égard  de  leurs  subordonnés,  c'est-à-dire  qu'ils 
doivent  être,  envers  eux,  justes,  humains,  charitables.  Jus- 
tes, en  leur  payant  leur  travail  ce  qu'il  vaut,  et  en  leur  ver- 
sant le  prix  dans  le  temps  convenu.  Humains,  en  les  trai- 
tant, non  comme  des  animaux  ou  des  machines,  mais 
comme  des  hommes,  c'est-à  dire  avec  cle  justes  ménage- 
ments. Charitables  enfin,  en  leur  donnant,  s'il  est  possible, 
en  plus  de  ce  qui  leur  est  strictement  dû,  ce  dont  ils  ont 
besoin  et  dont  ils  manquent  ;  en  allant  à  leur  aide  dans 
leurs  embarras  ;  en  les  visitant  et  en  les  assistant  dans  leurs 
maladies.  C'est  là  ce  que  prescrit  le  Saint-Esprit  :  Ne  soyez 
pas,  dit-il,  comme  un  lion  dans  votre  maison,  dur  pour  vos 
domestiques,  et  tyranpour  ceux  qui  sont  au-dessous  de  vous  (2). 
Mais  rendez  à  vos  serviteurs,  maîtres,  ce  que  la  justice  et 
l' équité  demandent  de  vous  (3).  C'est  à  cela  que  les  plus  grands 

1.  Refuser,  par  un  esprit  d'avarice,  de  donner  aux  domestiques  des 
aliments  ou  une  nourrilure  convenable  à  leur  état  et  à  leurs  besoins  : 
péché  mortel  contre  la  justice,  si  les  domestiques  en  souffrent  notable- 
ment ;  péché  véniel,  s'ils  n'en  souffrent  que  légèrement.  Les  domesti- 
ques ont  un  droit  strict  d'être  nourris  convenablement  à  leur  condition, 
quand  ils  servent  fidèlement.  S.  Liguori.  —  Leur  imposer  des  travaux 
extraordinaires  et  immodérés,  non  convenus  :  Péché  contre  la  justice, 
plus  ou  moins  grave,  selon  que  les  domestiques  qui  y  sont  raisonnable- 
ment opposés,  en  souffrent  plus  ou  moins.  Obligation  de  les  dédomma- 
ger. —  Négliger  de  les  soigner  dans  leurs  maladies  et  les  renvoyer  dès 
qu'ils  sont  malades.  Les  maîtres  pèchent  plus  ou  moins  contre  la  cha- 
rité, s'ils  n'ont  pas  soin  de  leurs  domestiques  malades,  ou  s'ils  les  ren- 
voient de  suite  que  la  maladie  est  déclarée.  Quelques  théologiens  croient 
même  qu'ils  pécheraient  contre  la  justice  en  les  renvoyant,  si  la  mala- 
die ne  devait  durer  que  quelques  jours,  et  que  ce  serait  cruauté  que  de 
diminuer  leurs  gages  à  raison  de  cette  indisposition.  Cependant,  si  la 
maladie  est  longue  et  contagieuse,  les  maîtres  ne  sont  point  obligés  de 
les  garder  chez  eux  ;  ou,  s'ils  les  gardent,  ils  peuvent  retenir  sur  leurs 
gages  les  dépenses  qu'ils  font,  soit  pour  leur  nourriture,  soit  pour  les 
remèdes,  à  moins  que  les  domestiques  ne  fussent  vraiment  pauvres. 
Sic  Molina,  Àzor  et  Lcssius  (Examen  raisonné,  loc.  cit.). 

2.  Eccli.  iv,  35. 

3.  Coloss.  iv,  1. 


DEVOIR  DÈS  SUPERIEURS  ENVERS  LEURS  INFÉRIEURS.  I  <)5 

docteurs  de  L'Église  ont  exhorté  les  fidèles  :  «  Les  maîtres, 
dit  en  particulier  saint  Basile,  doivent  traiter  leurs  servi- 
teurs avec  douceur  et  dans  la  crainte  de  Dieu,  imitant  en 
cela  L'exemple  de  Jésus-Christ  (i).  »  Enfin,  c'est  ainsi  que, 
de  tout  temps,  les  vrais  bons  maîtres  ont  agi  avec  leurs 
inférieurs.  L'Évangile  nous  en  oflïe  un  mémorable  exem- 
ple dans  la  personne  de  ce  centurion  qui  avait  son  valet 
malade,  et  n'hésita  pas  à  aller  lui-même  trouver  Notre-Sei- 
gneur  pour  lui  demander  sa  guérison,  qu'il  obtint  par  la 
grandeur  de  sa  foi  (2),  et  sans  doute  aussi  de  sa  charité. 

Que  si  les  maîtres  et  les  supérieurs,  pour  s'acquitter  de 
leurs  devoirs  envers  leurs  inférieurs  et  subordonnés,  sont 
tenus  d'avoir  souci  de  leurs  intérêts  matériels  ;  à  plus  forte 
raison  doivent-ils  avoir  souci  de  leurs  intérêts  spirituels, 
dont  l'importance  est  infiniment  plus  grande.  En  effet, 
autant  l'àme  et  l'éternité  l'emportent  sur  le  corps  et  sur  le 
temps,  autant  les  intérêts  spirituels  l'emportent  sur  les  inté- 
rêts matériels.  Que  doivent  donc  faire  les  maîtres  et  les 
supérieurs  en  faveur  des  intérêts  spirituels  de  leurs  servi- 
teurs et  de  leurs  subordonnés? — Ils  doivent  avant  tout  leur 
donner  constammentlebon  exemple,  dans  l'accomplissement 
de  tous  les  devoirs.  Ce  seul  bon  exemple  est  un  grand  en- 
couragement au  bien  pour  les  inférieurs  et  les  subordonnés  ; 

1 .  Régal.  75.  —  CumDominus  apostolo  Petro  praelaturara  committeret, 
Joan.  xxi,  dilectionis  in  Christum  pracmisit  examen,  dicens  :  Simon 
Joannis,  diligis  me  plus  his  ?  ut  pnelaturam  sciliect  in  charitate  et  amorc 
fundatam  cognoscerct,  et  non  tam  cum  imperio  despotico,  quam  cum 
amore  fraterno  pnelationis  raunus  ab  eo  exercendum  esse  censcret.  Ideo 
etiam  sub  nomme  pastoris  eum  principem  fecit,  ut  sicut  pastor  man- 
suetudine  et  amore  oves  régit,  sic  et  ipse  subditos  gubernarct  ;  denique 
Simoncm  filium  Joannis,  et  non  Petrum  nominavit,  ut  in  regimine  pon- 
tificatus,  humilitatem  generis  sui  recordatus,  non  superbe  saperet,  sed 
humiliter  et  amanter  se  pontifice[  exhiberet  (Labat.  Loc.  comm.  art. 
Super ior,  prop.  i5). 

Au  lieu  de  les  aimer  cl  de  les  affectionner,  les  haïr,  les  injurier  et  les 
maltraiter  injustement  :  si  la  haine,  le  mauvais  traitement  ou  Pinjurc 
est  grave  et  pleinement  volontaire,  péché  mortel  ;  autrement,  pèche 
véniel...  —  Dans  la  colère,  leur  donner  des  surnoms  odieux,  ou  leur 
dire  des  choses  injurieuses,  capables  de  les  offenser  :  si  ces  choses  sont 
capables  de  les  offenser  gravement,  qu'on  puisse  le  prévoir  et  qu'il  y  ait 
pleine  advertance,  péché  mortel  ;  autrement,  péché  véniel.  Bonacina 
(Examen  raisonné,  loc.  cit.;. 

2.  Matth.  vin,  5-i3. 


I96       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   VlII.  INSTRUCTION. 

car  la  considération  qu'ils  ont  naturellement  pour  leurs 
maîtres  et  leurs  supérieurs,  les  dispose  à  les  imiter  et  à 
marcher  sur  leurs  traces.  De  quelque  part  qu'il  vienne,  le 
bon  exemple  exerce  une  salutaire  influence  sur  ceux  qui  en 
sont  témoins  ;  mais  cette  influence  est  bien  plus  grande, 
quand  le  bon  exemple  est  donné  par  des  maîtres  et  des  su- 
périeurs (1).  Mais  hélas  !  au  lieu  de  bons  exemples,  que  de 
maîtres  qui  n'en  donnent  que  de  mauvais,  et  qui  ne  font, 
par  conséquent,  que  scandaliser  leurs  inférieurs  au  lieu  de 
les  édifier  !  Ce   sont   de   véritables  séides   du  démon  (2). 

Les  maîtres  et  les  supérieurs  doivent  encore,  à  leurs  ser- 
viteurs et  à  leurs  subordonnés,  de  bonnes  leçons  et  de  bons 
conseils,  en  vue  du  bien  de  leur  âme  et  de  leur  salut.  Sou- 
vent les  personnes  de  condition  inférieure  n'ont  reçu  qu'une 
instruction  plus  ou  moins  élémentaire  et  imparfaite  ;  elles 
ignorent  par  conséquent  beaucoup  de  choses  qu'il  pourrait 
leur  être  très  utile  de  connaître.  Les  maîtres  et  les  supérieurs 
qui  le  peuvent  doivent  donc,  suivant  les  circonstances,  les 
éclairer  et  les  conseiller,  afin  de  les  mettre  à  même  d'éviter 
le  mal  et  de  faire  le  bien.  Ils  doivent  en  outre  et  surtout 
leur  laisser  le  temps,  soit  de  fréquenter  le  catéchisme,  soit 
d'aller  entendre  les  instructions  paroissiales,  et  même  les  y 
envoyer.  L'instruction  religieuse  étant  nécessaire   au  salut, 

i.'IIacc  est  enim  conditio  superiorum,  ut  quidquid  faciant  praecipere 
videantur,  eorum  vitiis  tota  familia  inficitur,  et  eorum  virtutibus  et 
continentia  emendatur,  si  sint  pii  eorum  pietatem  servi  imitabuntur,  si 
sint  casti  et  tempérantes,  eorum  subditi,  illorum  castitatem  et  tempe- 
rantiam  profitebuntur  ;  sic  contra  sint  impii,  vitiis  dediti,  erunt  isti 
impii  et  vitiosi  ;  nam  mores,  virtutes  et  vitia  dominorum  imitari,  genus 
obsequii  existimatur  ;  despiciunt  servi  et  subditi  pietatem,  ne  expro- 
brasse  scelus  dominis  et  superioribus  videantur,  si  pie  viverent,  si  vir- 
tutem  cotèrent  et  vitiis  expertes  essent.  Unde  qua  obligatione  domini  et 
herae  tenentur  servos  et  ancillas  corrigere  et  curam  eorum  salutis  ha- 
bere,  quatenus  sunt  Dei  vicarii,  ut  dicemus,  eadem  tenentur  illis 
esse  bono  exemplo,  eis  enim,  ut  ad  pie  sancteque  vivendum  incitentur, 
non  tam  imperio  et  verbis  opus  est,  quam  exemplo  (Tiran.  Missionar. 
conc.  /i<j). 

2.  Solliciter  les  domestiques  au  mal  :  péché  de  scandale  plus  ou  moins 
grave,  selon  que  le  mal  auquel  sont  sollicités  les  domestiques  l'est  plus 
ou  moins.  Les  domestiques  étant  placés  comme  sous  la  tutelle  de  leurs 
maîtres,  le  péché  que  commettent  ceux-ci  en  les  portant  au  mal  est 
plus  grave  que  s'ils  y  sollicitaient  des  étrangers.  Cette  circonstance  doit 
être  déclarée  en  confession.  Thcol.  pract.  (Exam.  rais.  loc.  cit.). 


DEVOIR    DES  SUPERIEURS  ENVERS  LEURS  INFÉRIEURS.  1()7 

Les  maîtres  sont  rigoureusement  tonus  d'en  favoriser  l'ac- 
quisition à  ceux  qui  sont  sous  Leur  autorité  (i).  —  La  répri 
mande  est  aussi  souvent  très  utile.  Beaucoup  de  personnes 
en  effet,  après  avoir  appris  ce  qu'il  faut  faire,  cependant  ne 
Le  fout  pas,  quelquefois  par  négligence,  d'autres  fois  par 
une  perversité  plus  ou  moins  formelle  et  délibérée.  Ceux 
qui  ont  sous  leur  dépendance  de  telles  personnes  ne  doivent 
pas  hésiter  à  les  reprendre,  avec  douceur  d'abord,  avec 
fermeté  ensuite,  si  les  premiers  avis  n'ont  pas  suffi.  Lors- 
qu'on ne  reprend  pas  ces  sortes  de  personnes,  on  les  autorise 
à  croire  que  leur  manière  d'agir  n'est  pas  gravement  cou- 
pable, et  ainsi  elles  se  perdent  en  partie  par  la  faute  de  ceux 
qui  manquent  à  leur  devoir  de  les  reprendre  (2).  —  Enfin 
les  supérieurs  doivent  protéger  leurs  subordonnés  contre 
les  dangers  auxquels  ils  peuvent  se  trouver  exposés.  Si  c'est 
dans  la  solitude  que  se  rencontrent  ces  dangers,  les  supé- 
rieurs doivent  prendre  toutes  mesures  pour  que  leurs  subor- 
donnés ne  demeurent  pas  seuls,  on  le  moins  longtemps  et 
le  plus  rarement  possible.  Si  les  dangers  viennent  au  con-, 
traire  de  la  part  d'autres  personnes,  subordonnées  ou  non, 
il  faut  expulser  impitoyablement  ces   dernières,  comme  on 

1 .  Si,  par  une  grave  négligence  de  la  part  des  maîtres,  les  domesti- 
ques ignorent  quelque  mystère  du  salut,  ou  quelque  devoir  important, 
ils  pèchent  mortellement.  Bonacina,  Navarrus  et  alii.  (Exam.  rais. 
loc.  cit.). 

2.  Les  maîtres  sont  encore  tenus  de  veiller  à  ce  que  leurs  domestiques 
remplissent  exactement  leurs  devoirs  de  chrétiens.  Si,  par  une  négli- 
gence grave  ou  coupable  de  leur  part,  les  domestiques  manquent  à  quel- 
qu'un de  ces  devoirs  en  matière  grave,  les  maîtres  pèchent  mortelle- 
ment. Leur  péché  serait  plus  grave,  si,  sans  raison  légitime,  ils  refu- 
saient à  leurs  domestiques  le  temps  nécessaire  pour  satisfaire  à  ces  de- 
voirs, ou  si,  par  leurs  mauvais  exemples, ils  les  portaient  aies  transgres- 
ser en  matière  grave...  —  S'il  esta  propos  de  faire  la  correction,  et  que, 
par  une  négligence  grave,  on  l'omette,  péché  mortel.  S.  Liguori,  et 
alii  communiter.  —  Les  maîtres  qui  aimentehrétiennement  leurs  domes- 
tiques ont  soin  de  les  corriger  de  leurs  fautes  et  de  leurs  défauts  par  des 
remontrances  charitables  et  sans  emportement  ;  et  quand  la  douceur 
ne  les  corrige  pas,  il  les  châtient  en  leur  faisant  porter  une  peine  pro- 
portionnée à  leurs  fautes.  Mais  ce  serait  excéder  les  bornes  d'une  juste 
correction,  que  de  maltraiter  de  paroles  ou  de  coups  un  domestique 
pour  une  légère  faute.  Les  fautes  que  les  maîtres  doivent  principalement 
reprendre  et  corriger  dans  leurs  domestiques,  sont  celles  qui  offensent 
Pieu  (Examen  rqi^onné,  loc.  cit.), 


198      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.  INSTRUCTION. 

expulserait   un    loup   d'une   bergerie,    ou   un  serpent  d'un 
berceau  (1). 

1 .  Négliger  d'éloigner  les  domestiques  des  occasions  périlleuses  aux- 
quelles on  sait  qu'ils  sont  exposés,  en  fréquentant,  par  exemple,  telle 
personne  ou  tel  lieu  dangereux,  etc.  Péché  mortel,  si  la  négligence  est 
grave,  et  si  l'on  sait  que  l'occasion  est  pour  tel  domestique  une  occa- 
sion prochaine  de  péché  mortel.  Combien  sont  coupables  les  maîtres 
qui  ne  veillent  pas  au  salut  de  leurs  domestiques,  les  laissent  exposés 
à  toutes  sortes  d'occasions  dangereuses  !  Bonacina  et  S.  Liguori...  Les 
maîtres  qui  gardent  sciemment  dans  leur  maison  des  domestiques  qui 
sont  une  occasion  de  péchés  graves  pour  les  autres  domestiques  ou 
pour  les  enfants,  pèchent  mortellement.  Navarrus  et  Azor.  Cependant 
il  peut  y  avoir  quelquefois  des  causes  légitimes  qui  autorisent  les  maî- 
tres à  différer  l'expulsion  de  ces  domestiques,  comme  serait,  par  exem- 
ple, s'ils  ne  pouvaient  les  renvoyer  en  tel  temps  sans  éprouver  une 
grave  perte  (Examen  raisonné,  loc.  cit.). 

Quelqu'un  ne  manquera  pas  de  dire  qu'il  est  bien  difficile  de  trouver 
de  bons  sujets  ;  qu'on  se  voit  souvent  réduit  à  prendre  les  premiers  qui 
se  présentent  ;  et  que,  quand  même  ils  se  trouveraient  vicieux,  on  est 
obligé  de  les  garder,  parce  qu'on  ne  peut  en  avoir  d'autres.  Je  conviens 
que  les  bons  sujets  ne  sont  pas  communs.  Cependant  je  puis  vous  dire, 
que  si  vous  êtes  de  bons  maîtres,  si  vous  payez  bien,  si  vous  nourrissez 
bien  vos  domestiques,  si  vous  êtes  en  réputation  d'en  prendre  un  grand 
soin  dans  leurs  maladies  ;  si  vous  êtes  doux,  patients  et  raisonnables, 
et  surtout  si  vous  vous  adressez  au  Seigneur  pour  lui  demander  de  bons 
serviteurs,  il  vous  les  accordera.  Mais  pour  les  mauvais  domestiques, 
si  vous  avez  le  malheur  d'en  avoir,  j'entends  ceux  qui  sont  incorrigibles 
et  qui  continuent  dans  des  désordres  considérables,  aucune  excuse  ne 
peut  vous  dispenser  de  vous  en  défaire,  et  je  n'ai,  pour  vous  en  convain- 
cre sans  réplique,  qu'à  vous  rapporter  ce  que  Jésus-Christ  a  dit  au 
sujet  du  scandale,  Matt.  v  :  Si  votre  œil  vous  scandalise,  ce  sont  les  pro- 
pres paroles  de  notre  divin  Maître,  si  votre  œil  vous  scandalise,  arrachez- 
le  ;  si  votre  main  ou  votre  pied  vous  sont  une  occasion  de  péché,  coupez-les, 
retranchez-les  et  jetez-les  loin  de  vous,  parce  qu'il  vaut  mieux  pour  vous, 
être  privés  des  membres  les  plus  nécessaires  de  votre  corps  et  aller  au  ciel, 
que  de  les  avoir  entiers  et  être  précipités  dans  V enfer.  Quand  un  domesti- 
que vous  serait  aussi  nécessaire  que  votre  œil,  votre  pied  ou  Votre 
main,  s'il  est  pour  vous  ou  pour  votre  famille,  une  occasion  de  chute 
ou  de  damnation,  éloignez-le  ;  débarrassez-vous-en  incessamment, 
parce  que  votre  salut  vous  doit  être  plus  cher  que  tout  le  reste.  Etde 
quoi  vous  serviraient  tous  les  biens  du  monde,  suivant  la  parole  sainte, 
si  vous  veniez  à  perdre  votre  âme  ?  Matth.  xv.  (Girard,  Prônes,  ai. 
Dim.  apr.  la  Pentec.  1.  p.). 

Pour  vous  donner,  chrétiens,  une  juste  idée  du  péché  que  commet- 
tent les  maîtres  qui  ne  remplissent  pas  leurs  obligations  envers  leurs 
domestiques,  et  vous  en  montrer  les  fruits  funestes  pour  leur  salut,  il 
suffit  de  vous  rappeler  les  oracles  du  Saint-Esprit  :  que  le  royaume  de 
Dieu  et  sa  justice  président  à  toutes  vos  actions  ;  malheur  à  ceux  qui 
sont  un  sujet  de  chute  à  leurs  frères,  et  qui  les  scandalisent  ;  malheur  à 
celui  qui  s'élève,  parce  qu'il  sera  abaissé  ;  malédiction,  feux  éternels  pour 


DEVOIB   DES  si  ri  i ;  1  il  RS  ENVERS  LE1  RS  [NFÉRIE1  RS  M)f) 

Voilà  comment,  chrétiens.  Les  maîtres  et  1rs  supérieurs 
doivent  prendre  soin  de  leurs  serviteurs  et  de  leurs  subor- 
donnés, savoir,  en  s'appliquanl   autant  qu'ils   le   peuventà 

ceux  i j  11  î  amoni  méconnu  el  abandonné  Jésus-Christ  dans  les  pauvres 
et  les  infirmes. —  Or,  mes  frères,  il  ne  faut  que  méditer  ces  quatre 
vérités  pour  connaître  toute  L'étendue  du  crime  des  maîtres  qui  ne  rem- 
plissent pas  leurs  obligations  envers  leurs  domestiques,  et  combien  ils 
sont  coupables  selon  les  principes  du  Christianisme.  Le  ciel  tient-il  le 
premier  rang,  la  religion  préside-t-elie  à  Leur  choix,  quand  ils  prennent 
à  leur  service  des  domestiques  sans  piété,  sans  mœurs,  parce  qu'ils  ont 
des  dehors  qui  leur  foui  plaisir,  et  qu'ils  ont  tout  ce  qu'il  faut  pour 
satisfaire  leur  vanité  ou  leur  cupidité  .J  —  \e  scandaliscnl-ils  point 
leurs  domestiques,  quand  leur  conduite  est  un  désaveu  solennel  de  la 
morale  évangélique,  el  que  leurs  principaux  exemples  les  font  gémir  où 
les  enhardissent  à  les  imiter?  —  Prouvent-ils  à  Leurs  domestiques  qu'ils 
sont  disciples  du  Sauveur  humilié,  qu'ils  respectent  ses  Leçons  et  ses 
exemples,  quand  ils  sont  hauts,  tiers,  qu'ils  leur  font  sentir  une  dis- 
tance infinie  cuire  leur  obscurité  et  leur  élévation,  el  qu'ils  veulent  en 
être  les  idoles  ?  —  Sont-ils  persuadés  que  leurs  domestiques  sont 
aimes  de  Jési  s-Christ  dans  Leur  servitude,  et  que  refuser  de  les  conso- 
ler, de  les  assister  dans  la  maladie,  c'est  refuser  Jésus-Christ  même, 
quand  ils  les  abandonnent  ?  Ce  sont  pourtant  là,  mes  frères,  des  vérités 
Incontestables  ;  il  faut  désavouer  l'Évangile,  ou  convenir  que  les  maî- 
tres qui  ne  remplissent  pas  leurs  obligations  envers  leurs  domestiques 
sont  bien  coupables.  —  Mais  que  de  péchés,  que  de  chutes,  que  de 
malheurs  irréparables  coulent  encore  de  cette  infraction  des  maîtres 
chrétiens  comme  de  leur  source  !  —  Ces  enfants  pervertis,  instruits 
dans  la  malice  par  ces  domestiques  corrompus  qu'on  a  gardés  chez  soi, 
à  cause  que  leur  service  était  agréable;  cette  jeune  personne  déshonorée, 
après  avoir  été  séduite  par  ce  serviteur  qu'on  aime  à  cause  de  son  tra- 
vail ou  de  ses  talents.  —  Ces  domestiques  sages,  vertueux,  qui,  enhar- 
dis peu  à  peu  par  les  coupables  exemples  de  leurs  maîtres,  sont  devenus 
indévots,  Licencieux,  impudiques,  et  des  infracteurs  intrépides  des  pré- 
ceptes du  Seigneur  et  de  son  Église. —  Ces  domestiques  continuelle- 
ment humiliés,  abaissés,  aiment-ils  leur  état  ?  La  religion  les  soutient- 
elle  toujours?  N'échappc-t-il  de  leur  bouche  aucune  plainte,  aucun 
murmure,  aucune  malédiction  ?  Leur  rend-on  aimable  l'autorité  sous 
laquelle  la  Providence  les  a  placés  pour  quelque  temps  '}  Sont-ils  portés 
à  la  respecter,  quand  elle  esl  si  dure  el  si  impérieuse?  —  Enfin  des 
domestiques  abandonnés  dans  la  maladie  ou  dans  la  vieillesse,  portés 
dans  un  hôpital,  ont-ils  une  grande  idée  de  la  charité  de  leurs  maîtres  ? 
Reconnaissent-ils,  dans  une  conduite  si  dure,  ces  traits  auxquels  seuls 
Jési  s-Chrisi  a  voulu  qu'on  reconnût  ses  vrais  disciples  ?  —  Des  péchés 
de  toute  espèce,  des  âmes  perdues  éternellement,  des  châtiments  redou- 
tables :  voilà  donc,  scion  les  principes  du  Christianisme,  toul  ce  qui  est 
imputé  aux  maîtres  qui  ne  remplissent  pas  leurs  obligations  envers 
leurs  domestiques,  tout  ce  qui  est  préparé  pour  les  punir.  Jugeons 
après  cela  combien  ils  sont  coupables  :  (Ballet,  .se/7/1,  sur  les  dey,  des 
maîtres  eiu  <lomett,  a,  pj 


200       LES  GRANDS    DEVOIRS  DU   SALUT. VIII.    INSTRUCTION. 

sauvegarder  tout  à  la  fois  leurs    intérêts    matériels    et  leurs 
intérêts  spirituels.  —  Il  nous  reste  à  faire  connaître  la 

III.  —  Culpabilité  de  ceux  qui  violent  ce  devoir.  — 
Ceux  qui  ne  prient  pas  et  ceux  qui  ne  remplissent  pas  les 
autres  devoirs  religieux,  ne  se  rendent  coupables  qu'envers 
Dieu.  Ceux  qui  dérobent  le  bien  qui  ne  leur  appartient  pas, 
ne  se  rendent  coupables  qu'envers  leur  prochain.  Ceux  qui 
s'abandonnent  à  de  mauvaises  pensées  et  à  de  mauvais 
désirs,  ne  se  rendent  coupables  qu'envers  eux-mêmes.  Mais 
les  maîtres  et  les  supérieurs  qui  ne  s'appliquent  pas  à  sau- 
vegarder les  intérêts  matériels  et  spirituels  de  leurs  servi- 
teurs et  subordonnés,  se  rendent  coupables  tout  à  la  fois,  et 
envers  ces  serviteurs  et  subordonnés,  et  envers  la  société 
humaine,  et  envers  Dieu  lui-même. 

Qu'ils  soient  coupables  envers  leurs  serviteurs  et  subor- 
donnés, c'est  l'évidence  même.  Quiconque,  étant  tenu  à  un 
devoir  envers  quelqu'un,  n'accomplit  pas  ce  devoir,  se  rend 
coupable  à  l'égard  de  la  personne  dont  il  s'agit.  Or,  nous 
l'avons  démontré,  les  maîtres  et  supérieurs  sont  tenus  de 
s'occuper  sérieusement  de  leurs  serviteurs  et  subordonnés, 
au  double  point  de  vue  de  leurs  intérêts  matériels  et  de 
leurs  intérêts  spirituels  ;  si  donc  ils  ne  s'en  occupent  pas,  ou 
s'ils  ne  s'en  occupent  pas  autant  qu'ils  le  doivent,  ils  man- 
quent à  leur  devoir  envers  eux,  et  par  conséquent  se  ren- 
dent coupables  à  leur  égard.  Est-ce  que  le  débiteur  qui  vo- 
lontairement ne  paie  pas  sa  dette,  ne  se  rend  pas  coupable  à 
l'égard  de  son  créancier  ?  Il  en  est  de  même  des  maîtres  et 
des  supérieurs:  étant  de  véritables  débiteurs  vis-à-vis  de 
leurs  serviteurs  et  subordonnés,  ils  se  rendent  coupables 
envers  eux,  s'ils  ne  leur  paient  pas  la  dette  de  soins,  d'édi- 
fication, de  vigilence,  de  protection  qu'ils  leur  doivent. 
Pareillement,  le  père  qui  ne  s'acquitte  pas  de  ses  devoirs  à 
l'égard  de  ses  enfants,  ne  se  rend-il  pas  coupable  envers 
eux  ?  Eh  bien,  en  vertu  des  lois  naturelles  et  divines,  les 
maîtres  et  les  supérieurs  sont,  à  l'égard  de  leurs  serviteurs 
et  de  leurs  subordonnés,  de  véritables  pères  de  famille.  Si 
donc  ils  ne  s'acquittent  pas  des  devoirs  attachés  à  leur  fonc- 
tion, ils  se  rendent  coupables,  envers  ceux  qui  ont   droit  à 


DEVOIK  DES  SUPÉRIEURS  ENVERS  LEURS  INFERIEURS.         201 

leurs  soins,  comme  les  parents  négligents  envers    leurs  en- 
fants. Et  encore  une  fois,  qu'on  le  remarque  bien,  c'est  l'en 
seignement  formel  de  saint  Paul  :  Siquelqu'un,  dit  ect  apôtre, 
ne  prend  pas   soin   des   siens,  et  principalement  de  ceux  de  sa 
maison,  il  a  renoncé  à  la  foi  et  est  pire  i/iùin  infidèle  (i). 

Les  maîtres  el  les  supérieurs  qui  ne  s'acquittent  pas  de 
leurs  devoirs  envers  leurs  serviteurs  et  leurs  subordonnés,  se 
pendent  coupables  aussi  à  l'égard  de  la  société.  N'est-ce  pas 
en  effet  se  rendre  coupable  envers  la  société,  que  de  contri- 
buer à  la  troubler,  à  la  déchirer,  à  la  renverser  ?  Eh  bien, 
c'est  là  justement  ce  que  font  les  maîtres  et  les  supérieurs 
dont  nous  parlons.  Car  en  ne  prenant  pas  soin,  autant  qu'ils 
le  doivent,  des  intérêts  matériels  et  spirituels  de  leurs  servi- 
teurs et  subordonnés,  ils  autorisent  ceux-ci  à  concevoir  des 
pensées  d'abord  peu  favorables  à  l'union  qui  doit  exister 
entre  tous  les  membres  de  la  société  ;  pensées  que  les  infé- 
rieurs n'auraient  certainement  pas,  s'ils  voyaient  leurs  supé- 
rieurs s'occuper  de  leur  être  utile  et  de  leur  faire  du  bien. 
Mais  ils  ne  s'en  tiennent  pas  longtemps  à  ces  pensées  de 
défiance.  Bientôt,  aigris  par  les  procédés  soit  injustes,  soit 
dédaigneux  et  méprisants,  soit  simplement  indifférents  et 
égoïstes  de  leurs  maîtres  et  patrons,  ils  ne  tardent  pas  à  se 
considérer  comme  exploités  par  eux,  et  à  s'abandonner  à 
des  sentiments  de  haine  et  de  représailles.  C'est  ainsi  que  le 
plus  souvent  se  creusent,  entre  les  différentes  classes  de  la 
société,  ces  séparations  et  ces  abîmes  qu'il  est  ensuite  si  diffi- 
cile, pour  ne  pas  dire  impossible,  de  combler.  C'est  ainsi  le 
plus  souvent  que  germent,  se  développent  et  éclatent  ces 
révolutions  qui  occasionnent  peu  à  peu  tant  de  tiraillements, 
de  gênes  et  de  difficultés,  et  finalement  tant  de  ruines  et  de 
désastres.  Quelle  n'est  donc  pas  la  culpabilité  des  maîtres  et 
des  supérieurs  à  l'égard  de  la  société,  lorsqu'en  ne  s'acquit- 
tant  pas  de  leurs  devoirs  envers  leurs  inférieurs  et  leurs 
subordonnés,  ils  se  rendent  responsables  de  tels  malheurs  ! 

Mais  c'est  envers  Dieu  qu'ils  sont  encore  le  plus  coupables. 
C'est  Dieu  en  effet  qui  les  a  mis  au-dessus  des  autres,  qui  les 
a  investis  de  son  autorité  à  leur  égard,  et  qui  a  ainsi  organisé 

i.  I.  Tim.  v,  8. 


202       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.  INSTRUCTION. 

la  société  comme  elle  est  pour  le  bien  de  tous  ;  mais  à  la 
condition,  bien  entendu,  qu'ils  s'acquittent  des  devoirs  inhé- 
rents à  l'état  où  il  les  a  placés,  ce  qui  est  on  ne  peut  plus 
naturel  ni  plus  juste.  Or,  eu  ne  s'acquittant  pas  de  ces 
devoirs,  les  maîtres  et  supérieurs  se  font  ingrats  envers  Dieu 
et  perturbateurs  de  son  œuvre.  Ils  se  font  ingrats  envers 
Dieu,  puisqu'ayant  été  traités  par  lui  d'une  manière  spéciale- 
ment privilégiée,  ils  ne  lui  en  témoignent  aucune  reconnais- 
sance. Et  ils  se  font  perturbateurs  de  son  œuvre,  c'est-à-dire 
de  la  société,  puisque  cette  œuvre,  qui  devait  subsister  pai- 
siblement pour  la  gloire  de  Dieu,  par  leur  fait  est  disloquée, 
et  ne  fait  guère  monter  vers  lui  que  des  blasphèmes.  Que 
penserait-on  d'un  favori,  que  son  roi  aurait  mis  à  la  tête 
d'une  province,  pour  la  gouverner  paternellement  en  son 
nom  et  faire  bénir  son  autorité  ;  mais  qui,  tout  au  contraire, 
n'usant  de  son  pouvoir  que  pour  son  seul  avantage,  et  sans 
s'occuper  du  bien-être  de  ses  administrés,  ne  ferait  que  les 
irriter  et  provoquer  leurs  révoltes  contre  le  roi  lui-même, 
coupable  à  leurs  yeux  de  leur  avoir  donné  un  si  mauvais 
gouverneur  ?  Ce  gouverneur,  outre  sa  culpabilité  envers  ses 
administrés,  ne  serait-il  pas  plus  coupable  encore  envers  son 
roi  lui-même,  dont  il  aurait  trahi  la  confiance  et  mis  en  péril 
la  souveraineté  ?  Eh  bien,  telle  et  mille  fois  plus  grande 
encore  est  la  culpabilité  des  maîtres  et  des  supérieurs  envers 
Dieu,  lorsqu'au  lieu  de  faire  louer  et  bénir  son  nom  par  leurs 
serviteurs  et  subordonnés,  ils  ne  font  que  le  faire  blasphémer 
et  maudire,  à  cause  de  leurs  injustices,  de  leurs  duretés,  de 
leurs  tyrannies,  de  leurs  scandales,  de  leur  égoïsme  ;  lors- 
qu'au lieu  d'user  de  leur  situation  pour  travailler  au  salut 
des  âmes,  si  chères  à  Dieu  qui  les  a  créées  et  rachetées,  ils  ne 
s'en  servent  que  pour  les  abaisser,  les  tromper  etles  perdre! 

CONCLUSION. —  Ainsi  que  nous  nous  l'étions  proposé 
en  commençant,  nous  venons  donc,  chrétiens,  d'établir  la 
certitude  du  devoir  qui  incombe  aux  supérieurs  d'avoir 
soin  de  leurs  inférieurs,  d'exposer  la  manière  de  s'acquitter 
de  ce  devoir,  et  de  démontrer  la  culpabilité  de  ceux  qui  le 
violent.  Le  devoir,  pour  les  supérieurs,  d'avoir  soin  de  leurs 
inférieurs,  est  proclamé  par  l'humanité  et  la  justice,  par  la 


DEVOIR  nFS  si  ri': m  F, i  us  ENVERS  LEURS  INFERIEURS,        203 


raison  et  par  la  religion.  Pour  s'acquitter  parfaitement  et 
complètemenl  de  ce  devoir,  les  supérieurs  sont  tenus  de 
s'occuper,  autant  qu'ils  le  peuvent,  des  intérêts  matériels  et 

spirituels  de  leurs  inférieurs.  Et  quant  à  ceux  qui  ne  le  font 
pas,  ils  se  rendent  coupables  tout  à  la  fois,  envers  leurs 
inférieurs,  envers  la  société,  et  envers  Dieu  lui-même.  Ces 
notions  sur  les  devoirs  des  supérieurs,  tous  les  chrétiens,  ne 
nous  \  trompons  pas,  ont  intérêt  à  les  connaître.  Vux  infé- 
rieurs eux-mêmes,  elles  peuvent  faire  comprendre  que  si 
parfois  les  supérieurs  prennent  telles  dispositions  ou  exercent 
telles  sévérités,  qui  paraissent  rigoureuses,  c'est  parce  que 
leur  devoir  les  y  oblige.  D'ailleurs,  tel  qui  est  aujourd'hui 
inférieur,  pourra  devenir  supérieur  demain  ;  il  lui  est  donc 
nécessaire  de  connaître  les  devoirs  de  la  supériorité,  afin  de 
pouvoir  s'en  acquitter  convenablement,  lorsque  le  moment 
sera  venu.  Cette  connaissance  est  nécessaire  également  à 
ceux  qui,  après  avoir  été  supérieurs,  ne  le  sont  plus,  afin  de 
savoir  quelles  fautes  ils  ont  pu  commettre,  et  de  les  réparer 
dans  la  mesure  du  possible.  Quant  à  ceux  qui  sont  actuelle- 
ment maîtres  et  supérieurs,  en  quelque  ordre  que  ce  soit,  il 
est  évident  que  la  connaissance  des  notions  que  nous  venons 
d'exposer  leur  est  indispensable,  soit  pour  le  bien  de  ceux 
qui  dépendent  d'eux,  soit  pour  leur  propre  avantage,  soit 
pour  la  prospérité  de  la  société,  soit  pour  l'honneur  et  la 
gloire  de  Dieu.  Mais  comme  nous  l'avons  souvent  répété,  que 
celle  connaissance  ne  demeure  pas  spéculative  et  stérile  en 
nous.  Servons-nous-en  pour  la  conduite  de  nos  actions,  et 
que  chacun  en  tire  le  fruit  que  comporte  la  situation  où  il 
se  trouve.  Que  les  maîtres  et  les  supérieurs  en  particulier  y 
pensent  sérieusement  ;  d'eux  aussi  l'on  peut  dire  qu'ils  ont 
été  établis  pour  la  ruine  ou  le  salut  d'un  grand  nombre  (i), 
selon  qu'ils  s'acquitteront  de  leurs  devoirs  ou  qu'ils  les 
violeront  (2).  Or,  si  en  violant  leurs  devoirs  ils  damnent  un 

1 .  Luc.  11,  34. 

2.  Exhibite  itaque  vos  justos  et  lmmanos  erga  servos,  illorum  curam, 
quam  christianos  decet,  habetc  ;  ut  in  die  judicii,  non  vos  accusent, 
litemque  vobis  intendant  ;  quod  ipsos  imrnanilcr  habueritis,  nain  tune 
audiretis  a  supremo  omnium  judice  Christo  :  lie  maledicti  in  iynem  <%ier- 
num\  quia  quod  Uis  minimis  incis  fecisti3,tnihi  fecîsiii.  Si  vero  illos  tau* 


20/|       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.  INSTRUCTION. 

grand  nombre  d'âmes,  comment  pourront-ils  espérer  sauver 
la  leur  ?  Que  plutôt  donc,  en  sauvant,  par  l'accomplissement 
de  leurs  devoirs,  leurs  inférieurs  et  subordonnés,  ils  s'assu- 
rent à  eux-mêmes  leur  propre  salut  éternel  !  Ainsi  soit-il. 

TRAITS  HISTORIQUES 

Nécessité  des  inégalités  sociales. 

Dans  les  premiers  temps  de  la  République  Romaine,  les  plébéiens 
s'insurgèrent  contre  le  sénat  et  excitèrent  une  révolte.  Il  n'était 
pas  juste,  disaient-ils,  qu'ils  se  donnassent  tant  de  peine  pour  voir 
passer  leur  argent,  si  durement  gagné,  entre  les  mains  du  sénat  qui 
en  usait  à  son  gré.  Ils  sortirent  alors  de  la  ville  et  se  retirèrent  sur 
une  montagne,  résolus  à  ne  plus  rien  donner  au  sénat  et  à  ne  plus 
travailler.  Dans  cette  extrémité,  un  homme,  plein  d'esprit  et  de 
malice,  nommé  Ménénius  Agrippa,  étant  allé  les  trouver,  leur 
raconta  la  fable  suivante  : 

«  Les  membres  du  corps  humain,  leur  dit-il,  se  révoltèrent  un 
jour  contre  l'estomac  ;  ils  se  plaignaient  de  ce  qu'ils  étaient  toujours 
occupés  ;  les  pieds  devaient  marcher,  les  yeux  voir,  les  mains  tra- 
vailler, les  dents  mâcher,  etc.,  et  tout  cela  pour  le  plus  grand 
plaisir  de  l'estomac,  qui  ne  faisait  autre  chose  que  recevoir  et  con- 
sommer ce  qu'ils  lui  préparaient.  C'est  pourquoi  les  membres 
s'entendirent  pour  qu'aucun  d'eux  ne  fit  plus  la  moindre  chose 
pour  l'estomac  :  les  pieds  ne  marcheraient  plus,  les  yeux  ne  regar- 
deraient plus,  les  mains  ne  travailleraient  plus,  les  dents  ne  mâche- 
raient plus,  pour  que  l'estomac  pût  se  convaincre  que  tout  ne 
dépendait  pas  de  lui  seul.  Lorsque  pendant  quelques  jours  ils 
eurent  mis  leur  résolution  en  pratique,  les  pieds  devinrent  faibles, 
les  yeux  troubles,  les  mains  inertes  et  le  corps  entier  tomba  dans 
une  langueur  dangereuse,  parce  que  l'estomac,  ne  recevant  plus  de 
nourriture,  ne  pouvait  plus  rien  communiquer  aux  membres. 
Alors  ils  durent  reconnaître  leur  folie,  et  avouer  que  chaque  mem- 

quam  fratres  vestros  et  Dei  filios  humaniter,  ut  justitia  et  pietas  exigunt 
tractetis,  erunt  illi  advocati  vestri  apud  communem  omnium  Judicem, 
a  quo  audietis,  quod  Uni  ex  minimis  meis,  qui  vobis  serviebant,  fecistis, 
mihi  fecistis,  venite  benedicti  Patris  mei,  possidete  paratwn  vobis  regnwn, 
Matth.  xxv,  et  ibunt  illi,  scilicet  heri  iniqui,  atque  inhumani,  in  sappli- 
cium  œternum  ;  justi  autem,  hoc  est,  heri  pietatc  et  misericordia  insignes, 
in  vitam  œternam  (Tir an.  Joc.  cit.). 


DEVOIR  DES  SUPERIEURS  ENVERS  LEURS  INFÉRIEURS.  20i) 

bre  est  obligé  de  remplir  son  devoir  pour  son  propre  avantage  et 

pour  celui  de  L'estomac,  s'ils  ne  voulaienl  pas  se  ruiner  en  peu  de 
temps  ;  car  les  membres  ne  sont  pas  seulement  au  service  de  l'es- 
tomac, mais  l'estomac  est  aussi  au  service  des  membres.  » 

Au  moyen  de  cette  comparaison,  Agrippa  ramena  les  plébéiens  à 
la  raison,  de  sorte  qu'ils  retournèrent  à  Rome  et  remplirent  leurs 
devoirs.  —  Cet  ingénieux  apologue  est  toujours  aussi  expressif,  et 
rend  saisissante  la  nécessité  de  la  diversité  des  classes  dans  la 
société.  — On  pourrait  en  tirer  un  semblable  de  la  diversité  des 
couleurs  qui  forment  un  tableau,  et  dont  les  unes  sont  brillantes 
tandis  que  les  autres  sont  obscures  ;  ou  bien  des  sons  qui  forment 
ensemble  un  chant,  et  dont  les  uns  sont  éclatants   tandis   que  les 


Avec  quel  respect  les  supérieurs   doivent  traiter  leurs 

inférieurs. 

i.  —  Il  est  rapporté  que  quand  Périclès,  prince  athénien,  mettait 
son  manteau  de  pourpre  pour  présider  au  sénat,  il  se  disait,  en  le 
considérant  :  «  Prends  garde  à  toi,  Périclès,  tu  ne  commandes  pas 
à  des  esclaves  ni  à  des  barbares,  mais  à  un  peuple  intelligent  et 
libre,  mais  à  des  Grecs,  à  des  Athéniens.  »  —  Maîtres  et  maîtresses, 
dit  saint  Ambroise,  faites  les  mêmes  réflexions  sur  vous-mêmes,  et 
dites-vous  :  Mes  serviteurs,  mes  ouvriers  sont  tous  des  chrétiens 
affranchis  par  le  sang  de  Jésus-Christ.  Ils  sont  nourris  du  même 
pain  sacré  que  moi,  à  une  table  eucharistique  comme  moi  ;  ils 
aspirent  au  même  ciel  ;  et  peut-être  devant  Dieu  sont-ils  plus 
grands  que  moi. 

2.  —  «  Comment  veux-tu  que  je  te  traite  ?  disait  Alexandre  le 
Grand  à  Porus,  tombé  en  son  pouvoir.  —  En  roi  »,  répondit  l'illus- 
tre captif.  —  Cette  noble  réponse,  ô  maîtres  et  maîtresses,  l'Église 
vous  la  fait  au  nom  des  modestes  serviteurs  qui  vous  obéissent  : 
vous  devez  les  traiter  avec  respect,  en  hommes  libres,  en  frères  de 
Jési  s-Christ,  en  chrétiens. 

Les  supérieurs  doivent  s'occuper  des  intérêts  matériels 
de  leurs  inférieurs. 
i.  —  Stanislas,  roi  de  Pologne,  duc  de  Lorraine,  connaissait  par 
leurs  noms  tous  les  officiers  de  sa  maison,  et  tous  avaient  le  droit 
de  s'adresser  à  lui  directement,  de  lui  exposer  leurs  besoins  ou 
ceux  de  leur  famille.  Si  quelqu'un  se  présentait  à  contre-temps,  il 
commençait  par  lui  faire  remarquer  son  indiscrétion,  et  finissait 
toujours  par  l'écouter  avec   bonté.  Un   palefrenier  avait   pénétré 


306       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  VIII.   INSTRUCTION. 

jusque  dans  le  cabinet  du  roi.  Le  prince,  occupé  alors  à  minuter 
une  dépêche  pour  la  cour  de  France,  ne  l'aperçut  pas.  Celui-ci 
tousse  longtemps,  fait  du  bruit  avec  ses  gros  souliers.  Le  roi  croit 
que  c'est  un  valet  de  chambre,  et  continue  son  travail.  Mais  le 
palefrenier,  croyant  avoir  assez  attendu,  lui  adresse  la  parole  : 
«  Sire,  lui  dit-il,  je  suis  Jacques.  —  Et  que  fait  Jacques  ici,  dit  le 
roi.  Pourquoi  Jacques  si  matin  ?  Allons,  dis-moi  donc  ce  que  tu 
veux  ?  »  Jacques  expose  au  roi  que  sa  femme  est  accouchée, 
qu'étant  comme  lui  au  service  de  Sa  Majesté,  elle  ne  peut  pas 
nourrir  son  enfant,  et  qu'il  n'a  pas  le  moyen  de  payer  les  mois  de 
nourrice.  «  Eh  bien,  lui  dit  Stanislas,  va-t-en  trouver  Alliot  (c'était 
l'intendant  de  ses  finances)  de  ma  part  ;  dis-lui  de  te  porter  sur 
son  état  pour  cinquante  écus  de  gratification  que  je  te  fais  pendant 
trois  ans,  pourvu  que  tu  t'acquittes  bien  de  ton  service.  »  —  Jacques 
se  retira  plus  pénétré  de  reconnaissance  envers  son  bon  maître, 
que  ne  le  furent  jamais  les  grands  seigneurs  pour  des  millions 
que  leur  prodiguent  les  grands  rois,  au  préjudice  des  peuples. 

2.  —  Les  journaux  ont  souvent  parlé,  dans  ces  dernières  années, 
d'un  grand  industriel  des  environs  de  Reims,  nommé  M.  Léon 
Harmel.  Cet  homme  de  bien,  conformant  sa  conduite  à  sa  foi,  ne 
cesse  de  s'occuper,  non  seulement  des  intérêts  religieux  de  ses 
nombreux  ouvriers  et  employés,  mais  encore  de  leurs  intérêts 
temporels.  Crèche  pour  les  nouveaux-nés,  écoles  pour  les  enfants, 
dispensaires  pour  les  malades,  caisses  de  secours,  d'assurance,  de 
retraite,  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  au  bien-être  et  à  l'aisance 
de  ceux  qu'il  emploie  a  été  créé  et  organisé  par  ce  véritable  maître 
chrétien.  Aussi  tout  son  personnel  lui  est-il  aussi  attaché  que 
dévoué,  et  ne  parle-t-il  de  lui  qu'en  l'appelant  le  «  bon  père  ». 

Les  supérieurs  doivent  s'occuper  des  intérêts  spirituels 
de  leurs  inférieurs. 

i.  —  Saint  Elzéar,  comte  d'Avrian,  au  royaume  de  Naples,  s'étant 
retiré  au  château  de  Pui-Michel,  avec  sainte  Delphine,  son  épouse, 
dressa  pour  sa  maison  un  règlement  qu'il  fit  observer  exactement, 
et  que  nous  allons  proposer  pour  modèle  à  tous  les  maîtres  qui  ont 
à  cœur  de  se  sauver  en  travaillant  au  salut  des  leurs  : 

«  i°  Que  tous  ceux  qui  composent  une  famille  entendent  la 
Messe  chaque  jour,  quelque  affaire  qu'ils  puissent  avoir.  Si  Dieu 
est  bien  servi  dans  une  maison,  rien  n'y  manquera. 

«  2°  Si  quelqu'un  de  mes  domestiques  jure  ou  blasphème,  il 
sera  puni  avec  sévérité,  puis  chassé  ignominieusement»  Puis-je 
espérer  que  Dieu  répandra  sa  bénédiction  sur  ma  maison,  s'il  s'y 


DfiVOÎB  DES  si  PÉRIEURS  ENVERS  LET  lis  INFÉRIEURS.  207 

trouve  des  hommes  qui  se  dévouenl  eux-mêmes  au  démon  ') 
Pourrais-je  souffrir  chez  moi  des  bouches  infectes  qui  portent  le 
poison  dans  les  âmes  ? 

u  3°  Que  tous  respectent  la  pudeur;  la  moindre  impureté  en  pa- 
role ou  en  action  ne  restera  point  impunie  dans  La  maison  d'Elzéar. 

«  y  Les  hommes  elles  femmes  doivent  se  confesser  tontes  les 
semaines.  Que  personne  ne  soit  assez  malheureux  pour  se  priver 
de  la  Communion  aux  principales  fêtes  de  l'année. 

u  5°  Je  veux  que  l'on  évite  l'oisiveté  dans  ma  maison.  Le  malin, 
chacun  élèvera  son  cœur  vers  Dieu  par  une  prière  fervente,  et  lui 
fera  l'offrande  de  lui-même,  ainsi  que  de  toutes  les  actions  de  la 
journée.  Les  hommes  et  les  femmes  iront  ensuite  à  leur  ouvrage, 
on  leur  Laissera,  le  matin,  quelque  temps  pour  la  méditation  ;  mais 
je  ne  veux  point  de  ceux  qui  sont  perpétuellement  à  l'église  ;  ils 
agissent  de  la  sorte,  non  par  amour  de  In  contemplation,  mais  par 
aversion  pour  le  travail.  La  vie  d'une  femme  pieuse,  telle  qu'elle 
esl  décrite  par  le  Saint-Esprit,  consiste,  non  seulement  à  bien  prier, 
mais  à  être  modeste,  docile,  assidue  au  travail,  et  à  prendre  soin 
de  la  maison.  Les  femmes  prieront  et  lieront  le  matin  ;  mais  elles 
emploieront  le  resle  du  jour  à  travailler. 

*  «  6°  Je  ne  veux  point  que  l'on  joue  à  des  jeux  de  hasard  ;  on  peut 
se  récréer  innocemment,  et  le  temps  passe  assez  vite,  sans  le  per- 
dre dans  l'oisiveté.  Mon  intention  n'est  pas,  cependant,  que  mon 
château  soit  comme  un  cloître,  et  que  ceux  qui  me  sont  attachés 
vivent  comme  des  ermites  :  je  ne  les  empêche  point  de  se  réjouir, 
pourvu  qu'ils  ne  fassent  rien  que  leur  conscience  désavoue,  et 
qu'ils  ne  s'exposent  point  au  danger  d'offenser  Dieu. 

u  70  Que  la  paix  ne  soit  jamais  troublée  dans  ma  famille,  Dieu 
habite  là  on  règne  la  paix.  L'envie,  la  jalousie,  les  soupçons  et  les 
rapports  divisent  une  famille,  commeen  deux  armées  qui  cherchent 
continuellement  à  se  surprendre  l'une  l'autre,  et  qui,  après  avoir 
assiégé  le  maître,  le  blessent  et  le  dévorent.  Je  chérirai  tous  ceux 
qui  serviront  Dieu  avec  fidélité  ;  mais  je  ne  souffrirai  point  ceux 
qui  se  déclareront  ses  ennemis.  Les  domestiques  désunis,  médi- 
tants ou  calomniateurs  se  déchirent  mutuellement.  Tous  ceux  qui 
n'ont  point  la  crainte  de  Dieu  ne  peuvent  mériter  la  confiance  de 
leurs  maîtres,  et  ils  dissiperont  facilement  ses  biens.  Le  maître, 
environné  do  pareil-  domestiques,  esl  dans  sa  maison  comme  dans 
une  tranchée  que  les  ennemis  assiègent  de  toutes  parts. 

«  8°  Lorsqu'il  s'élèvera  quelque  dispute,  je  veux  qu'on  observe 

inviolablement  !«■  précepte  de  L'Apôtre  et  que  la  réconciliation  se 

avant  le  coucher  du  soleil;   qu'on   oublie  la  taule  dans  Tins- 


208       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.   VIIl.  INSTRUCTION. 

tant  où  elle  a  été  commise,  et  que  l'on  étouffe  toute  espèce  d'aigreur. 
Je  sais  qu'il  est  impossible  de  vivre  avec  les  hommes  et  de  n'avoir 
pas  quelque  chose  à  souffrir.  Rarement  un  homme  est  d'accord 
avec  lui-même  pendant  un  jour.  Qu'il  ait  un  accès  d'humeur,  il  ne 
fait  plus  ce  qu'il  veut.  Ne  pas  vouloir  pardonner  aux  autres,  est 
une  conduite  diabolique  ;  mais  aimer  ses  ennemis,  et  leur  rendre 
le  bien  pour  le  mal,estlamarquedistinctive  des  enfants  de  Dieu.  Si 
je  connais  de  pareils  domestiques,  je  leur  ouvrirai  toujours  ma  mai- 
son, ma  bourse  et  mon  cœur.  Je  les  regarderai  comme  mes  maîtres. 

a  9°  Tous  les  soirs,  ma  famille  s'assemblera  pour  assister  à  une 
conférence  où  l'on  parlera  de  Dieu,  du  salut  et  des  moyens  de 
gagner  le  ciel.  Il  est  bien  honteux  pour  nous,  qu'ayant  été  placés 
sur  la  terre  pour  mériter  le  paradis,  nous  y  pensions  si  peu,  et  que 
nous  n'en  parlions  jamais  que  d'une  manière  superficielle.  0  vie 
de  l'homme,  comme  tu  es  employée!  0  travaux,  que  votre  objet 
est  peu  digne  d'une  âme  immortelle  !  Que  de  fatigues,  que  de 
sueurs  pour  des  folies  !  Les  discours  sur  le  ciel  nous  excitent  à  la 
vertu,  et  nous  inspirent  du  mépris  pour  les  plaisirs  dangereux  du 
monde.  Gomment  apprendrons-nous  à  aimer  Dieu,  si  nous  ne 
parlons  jamais  de  lui  ?  Que  personne  ne  manque  à  la  conférence, 
sous  prétexte  de  vaquera  ses  affaires.  Il  n'y  a  point  d'affaire  qui 
me  touche  d'aussi  près  que  le  salut  de  ceux  qui  me  servent.  Ils  se 
sont  donnés  à  moi,  et  je  remets  tout  à  Dieu  ;  maître,  domestiques, 
et  généralement  tout  ce  qui  est  en  mon  pouvoir. 

«  io°  Je  défends  à  tous  mes  officiers,  sous  les  peines  les  plus 
sévères,  de  faire  le  moindre  tort  à  qui  que  ce  soit  dans  ses  biens  et 
son  honneur,  d'opprimer  les  pauvres  et  de  ruiner  le  prochain,  sous 
prétexte  de  maintenir  mes  droits.  Je  ne  veux  point  m'engraisser 
de  la  substance  de  l'indigent,  ni  m 'enrichir  aux  dépens  de  ce  qu'il 
possède.  Des  officiers  cruellement  zélés  pour  les  intérêts  de  leurs 
maîtres,  se  damnent  et  les  damnent  avec  eux  ;  comment  s'imaginer 
que  quelques  légères  aumônes  effaceront  le  crime  des  officiers  qui 
déchirent  les  entrailles  des  pauvres,  dont  les  cris  montent  au  ciel 
pour  demander  vengeance  ?  J'aime  mieux  aller  nu  en  paradis,  que 
d'être  précipité  avec  le  mauvais  riche  en  enfer,  étant  couvert  d'or 
et  de  pourpre.  On  est  assez  riche  quand  on  a  la  crainte  de  Dieu. 
Des  richesses  acquises  par  l'injustice  ou  par  l'oppression,  sont 
comme  un  feu  caché  sous  la  terre,  dont  les  éruptions  renverseront 
et  consumeront  tout.  S'il  se  trouve  qu'on  ait  enlevé  quelque  chose 
au  prochain,  je  veux  qu'on  lui  rende  quatre  fois  autant.  Je  prétends 
que  l'on  répare  tous  les  torts  qui  ont  été  faits  à  mon  occasion.  Un 
homme  dont  les  trésors  sont  dans  le  ciel,  pourrait-il  être  passionné 


DEVOIR  DES  si  PÉRIE1  RS  ENVERS  LEURS  INFËRIE1  us.  ÊOQ 

pour  ceux  de  la  terre  ?  Je  suis  sorti  nu  du  sein  de  ma  mère,  bientôt 
je  rentrerai  nu  dans  le  sein  do  la  terre,  notre  mère  commune. 
Serait-il  possible  que  pour  un  moment  de   vie  que  je  passe  entre 

ces  deux  tombeaux,  je  voulusse  hasarder  mon  salut  éternel  ')  Pour 
agir  de  la  sorte,  il  faudrait  que  j'eusse  perdu  l'usage  de  ma  raison, 
que  je  ne  connusse  pas  ce  que  c'est  que  la  vertu,  et  que  j'eusse 
renoncé  à  la  foi,  » 

L'exemple  d'Elzéar  donnait  beaucoup  de  force  au  règlement  dont 
nous  venons  de  parler.  11  avait  particulièrement  soin  de  maintenir 
la  paix  el  la  charité  dans  sa  maison.  Delphine,  son  épouse,  entrait 
dans  toutes  les  vues  de  son  mari,  et  avait  pour  lui  l'obéissance  la 
plus  parlai  le  :  rien  n'altéra  jamais  l'union  qui  était  entre  eux.  La 
pieuse  comtesse  savait  que  les  pratiques  de  la  religion  propres  à 
une  femme  mariée  diffèrent  de  celles  d'une  personne  religieuse,  et 
que  la  première  ne  doit  point  séparer  la  vie  active  de  la  vie  con- 
templative. Tous  ceux  qui  étaient  attachés  à  son  service  l'hono- 
raient comme  une  mère,  et  elle  les  aimait  comme  ses  enfants.  Sa 
conduite  prouvait  la  vérité  de  cette  maxime,  que  les  maîtres  ver- 
tueux font  souvent  les  bons  domestiques,  et  que  les  familles  des 
saints  sont  des  familles  de  Dieu. 

?..  —  Le  Dauphin  ayant  un  jour  appris  qu'un  vieux  domestique 
de  sa  maison  était  en  danger  de  mort,  sans  vouloir  entendre  parler 
de  mettre  ordre  aux  affaires  de  sa  conscience  :  «  L'âme  de  ce  mal- 
heureux, dit-il,  est  pourtant  aussi  précieuse  devant  Dieu  que  la 
notre,  il  faut  que  je  lui  envoie  mon  confesseur.  »  Mais,  pensant 
qu'il  pouvait  faire  quelque  chose  de  plus  encore  en  faveur  d'un 
homme  qui  avait  passé  sa  vie  à  son  service,  il  se  transporta  dans 
sa  maison.  «  Je  viens  ici,  mon  ami,  lui  dit-il,  pour  te  dire  combien 
je  suis  touché  de  ton  état.  Je  ne  puis  oublier  que  tu  m'as  toujours 
servi  avec  affection  ;  songe,  de  ton  côté,  que  tu  me  donnerais  pour 
la  première  fois  de  ta  vie  le  plus  grand  de  tous  les  déplaisirs,  si  tu 
ne  mettais  pas  à  profit,  pour  ton  salut,  les  moments  qui  te  restent 
encore.  »  Ce  pauvre  homme,  pénétré  jusqu'aux  larmes  de  la  démar- 
che de  son  bon  maître,  se  réveille  de  son  assoupissement,  il  se 
reproche  de  n'avoir  point  assez  profité  des  grands  exemples  de 
vertu  qu'il  avait  sous  les  yeux.  La  foi  vive  d'un  grand  prince 
ranime  la  sienne,  il  donne  des  marques  éclatantes  de  repentir;  il 
se  dispose  à  la  iiràce  des  sacrements,  et  les  reçoit  avec  édification. 
Quelques  heures  avant  sa  mort,  il  fit  dire  au  Dauphin  qu'il  mour- 
rait en  paix,  s'il  osait  espérer  d'avoir  part  à  ses  prières,  et  le  prince 
lui  fit  dire  qu'il  pouvait  compter  sur  les  siennes  et  sur  d'autres 
encore  qui  seraient  plus  efficaces. 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.    — T.  II.  j» 


NEUVIEME  INSTRUCTION 

(Dimanche  de  la  Troisième  Semaine). 

C'est  un  devoir  pour  les  Inférieurs  de 
s'acquitter  de  leurs  obligations  en- 
vers leurs  Supérieurs. 

I.  Quelles  sont  ces  obligations.  —  II.  Dans  quel  esprit  il  faut  les 
accomplir. —  111.  Combien  les  inférieurs  doivent  estimer  leur  condition. 

Une  erreur  très  répandue  et  très  funeste,  c'est  de  croire 
que  les  supérieurs  et  les  maîtres  peuvent  faire  ce  qu'ils  veu- 
lent à  l'égard  de  leurs  inférieurs  et  subordonnés,  et  qu'ils  ne 
sont  tenus  à  rien  envers  eux.  Cette  erreur,  nous  avons 
démontré  sa  fausseté,  dans  notre  dernier  entretien,  en  éta- 
blissant la  certitude  des  devoirs  des  supérieurs  et  des  maî- 
tres envers  leurs  inférieurs  et  leurs  subordonnés  et  en 
expliquant  en  outre,  d'un  côté,  comment  ces  devoirs  doi- 
vent être  accomplis,  et  de  l'autre,  quelle  est  la  culpabilité 
de  ceux  qui  les  violent.  Mais  si  Dieu,  en  faisant  les  supé- 
rieurs et  les  maîtres,  leur  a  imposé  des  devoirs  en  rapport 
avec  la  situation  dans  laquelle  il  les  établissait,  afin  qu'ils 
s'y  sanctifient  et  s'y  sauvent  ;  en  faisant  les  inférieurs  et  les 
subordonnés,  il  leur  a  semblablement  imposé  des  devoirs 
en  rapport  aussi  avec  leur  situation,  afin  qu'en  les  accom- 
plissant, eux  de  même  se  sanctifient  et  se  sauvent.  Car  dans 
tout  ce  qu'il  fait  et  dispose  à  notre  égard,  Dieu  n'a  jamais 
en  vue  qu'une  seule  chose,  notre  salut  à  tous.  —  Or,  puis- 
que nous  avons  déjà  dit,  au  sujet  des  devoirs  des  supérieurs 
et  des  maîtres,  tout  ce  qu'il  est  nécessaire  d'en  savoir,  nous 
devons  donc  parler  aujourd'hui  de  ceux  des  inférieurs  et 
des  subordonnés.  Nous  commencerons  par  exposer  quels 
sont  ces  devoirs,  car  beaucoup  de  ceux  qui  ont  à  les  accom- 
plir n'en  ont  qu'une  idée  plus  ou  moins  imparfaite  et  A*ague. 
Et  parce  que  la  plupart  d'entre  eux  ignorent  encore  clavan- 


DEVOIR  DES  INFERIEURS  ENVERS  LEURS  SUPERIEURS.  311 

tage  comment  il  faut  les  accomplir  pour  le  faire  fructueu- 
sement, nous  expliquerons  ensuite  dans  quel  esprit  il  faut 
s'en  acquitter.  Enfin,  pour  achever  de  nous  éclairer  tous, 
mais  spécialement,  bien  entendu,  les  inférieurs  et  subor- 
donnés, et  en  même  temps  pour  les  encourager  dans  l'ac- 
complissement de  leurs  devoirs,  nous  démontrerons,  par  des 
raisons  absolument  irréfutables,  que  la  situation  des  infé- 
rieurs et  des  serviteurs,  bien  loin  d'être,  comme  le 
croit  l'aveugle  opinion  du  monde,  méprisable  et  malheu- 
reuse, est  tout  au  contraire  plus  estimable  et  plus  avanta- 
geuse que  celle  des  supérieurs  et  des  maîtres  (i).  —  0  Dieu, 
qui  tout  en  étant  supérieur  et  maître  par  nature,  avez  voulu, 
par  un  dessein  de  miséricorde,  vous  faire  inférieur  et  subor- 
donné, afin  de  servir  de  modèle  aux  hommes  dans  toutes 
les  situations  où  vous  les  placez,  daignez  accorder,  à  vos 
fidèles  ici  présents,  une  grâce  qui  tout  à  la  fois  leur  fasse 
clairement  connaître  les  devoirs  dont  nous  allons  nous 
entretenir,  et  les  aide  à  les  accomplir  fidèlement. 

I.  —  Quelles  sont  les  obligations  des  inférieurs 
envers  leurs  supérieurs.  —  Au  premier  rang  de  ces  obli- 
gations se  place  l'obéissance.  I/obéissance  est  en  effet  la  rai- 
son d'être  des  supérieurs  et  des  inférieurs.  C'est  pour  être 

i.  Servorum  officia  :  i°  Servi  libère  et  sponte  suum  offîcium  pera- 
gant.  2°  Sint  patientes  laborum  et  injuriarum.  3°  Sint  fidèles  dominis 
suis.  4°  Sint  expediti  ad  imperia  exequenda.  5°  Sint  laboriosi  (Faber, 
Op.  conc.  Dom.  3.  post  Epiph.  conc.  i.  Auct.). 

Servi  quid  debcant  dominis  :  i°  Sint  quasi  eorum  (îlii.  2°  Sint  quasi 
discipuli.  3°  Sint  vere  servi  seu  seduli  (Id.  ibid.  Domin.  3.  conc.  i). 

Les  devoirs  des  serviteurs  envers  leurs  maîtres  peuvent  se  réduire  à 
deux,  savoir  :  à  la  fidélité  et  à  l'obéissance.  —  La  fidélité  consiste  : 
i°  non  seulement  à  ne  rien  prendre  ou  usurper  du  bien  de  leurs  maî- 
tres ;  mais  encore  à  le  ménager  avec  tout  le  zèle,  l'affection  et  l'exacti- 
tude possible.  2°  A  fuir  avec  prudence  tout  ce  qui  peut  faire  tort  au 
maître  et  à  la  famille  à  laquelle  ils  sont  attachés  ;  à  conserver  et  à  défen- 
dre l'honneur  et  la  réputation  de  leurs  maîtres  ;  à  ne  point  découvrir 
leurs  défauts;  à  ne  point  parler  de  ce  qui  se  passe  dans  la  maison  ;  et 
enfin,  à  employer  tout  le  temps  au  travail  qui  leur  est  assigné.  —  Pour 
ce  qui  est  de  l'obéissance  que  les  serviteurs  sont  obligés  de  rendre,  elle 
doil  être  respectueuse,  prompte,  entière,  sans  contestation,  sans  cha- 
grin ;  mais  avec  joie,  se  souvenant  qu'ils  obéissent  à  Dieu  en  la  per- 
sonne de  leurs  maîtres  :  Domino  servientes,  comme  parle  saint  Paul 
(HoLDUY,,  Bibliolh.  des  Prédic.  art.  Maîtres  et  Serviteurs,  S  i.  n.  i). 


212        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IX.  INSTRUCTION. 

obéis  qu'il  y  a  des  supérieurs,  et  c'est  pour  obéir  qu'il  y  a 
des  inférieurs.  Dès  lors  que  la  fonction  essentielle  du  supé- 
rieur est  de  diriger  et  de  commander,  la  fonction  essen- 
tielle de  l'inférieur  est  d'obéir  et  d'exécuter.  C'est  en 
vain  que  Dieu  aurait  confié  au  supérieur  le  droit  de  com- 
mander, s'il  n'avait  pas  en  même  temps  fait  à  l'inférieur 
un  devoir  d'obéir  :  rien  n'aurait  pu  s'accomplir,  rien  de  ce 
qui  nécessite  le  concours  de  plusieurs.  Dès  lors,  aucune 
société  n'eût  été  possible,  pas  même  la  société  naturelle  de 
la  famille,  ni  la  société  surnaturelle  de  l'Église.  Le  devoir 
d'obéir,  pour  l'inférieur,  est  donc  essentiellement  un  devoir 
d'ordre,  un  devoir  dont  la  violation  constitue  un  désordre 
flagrant. 

C'est  aussi  un  devoir  de  justice.  Quand  vous  allez  acheter 
quelque  marchandise  dans  un  magasin,  n'est-il  pas  de  toute 
justice  que  le  marchand,  en  échange  de  l'argent  que  vous  lui 
donnez,  vous  remette  la  marchandise  convenue?  Et  s'il  ne 
vous  remettait  pas  cette  marchandise,  ou  s'il  vous  en 
remettait  une  autre,  de  moindre  valeur,  n'est-il  pas  évi- 
dent qu'il  commettrait  une  injustice  à  votre  égard  ?  Eh  bien, 
il  en  est  de  même  de  l'obéissance  que  le  serviteur  doit  à 
son  maître,  en  échange  de  la  rétribution  qu'il  en  reçoit.  Le 
travail  qu'il  accomplit  pour  son  maître  est  la  marchandise 
qu'il  est  convenu  de  lui  vendre  tel  prix.  Si  donc,  lui  déso- 
béissant, il  ne  fait  pas  le  travail  qui  lui  est  commandé,  et  si 
malgré  cela  il  touche  son  gage,  il  se  rend  coupable  d'une 
injustice,  et  est  obligé  de  restituer,  proportionnellement  à 
l'ouvrage  que,  par  désobéissance,  il  n'a  pas  fait.  Combien 
de  serviteurs  qui  pèchent  plus  ou  moins  gravement  en  ce 
point,  soit  en  ne  faisant  qu'en  partie  ce  qui  leur  est  com- 
mandé, soit  en  le  faisant  mal,  soit  en  ne  le  faisant  pas  dans 
le  temps  ou  clans  les  conditions  prescrites  par  leurs  maî- 
tres (i)  ! 

i.  L'obéissance  d'un  domestique  envers  son  maître  doit  avoir  plusieurs 
qualités,  qui  sont  très  mal  observées.  Elle  doit  être  prompte,  c'est-à- 
dire,  qu'il  faut, obéir  sans  retardement,  et  ne  pas  se  faire  commander 
plusieurs  fois  la  même  chose.  Elle  doit  être  exacte  :  il  ne  faut  rien 
omettre  de  ce  qui  a  été  commandé  ;  il  faut  le  faire  dans  toutes  les  cir- 
constances du  temps,  et  de  la  manière  qui  est  ordonnée,  autant  qu'il  se 
peut.  Elle  doit  être  sans  réplique  :  il  ne  faut  pas   chercher  ni  alléguer 


DEVOIR  DES  INFÉRIEURS  ENVERS  LEURS   SUPERIEURS.         9l3 

Peu  importe  d'ailleurs  que  le  maître  soit  bon  ou  mau- 
vais, poli  ou  grossier,  humain  ou  brutal  :  tant  que  vous 
demeurez  sous  ses  ordres,  vous  devez  faire  tout  ce  qu'il 
vous  commande,  selon  les  conditions  qui  ont  été  arrêtées 
entre  vous  et  lui.  Vous  pouvez  le  quitter,  mais  vous  n'avez 
pas  Le  droit  de  vous  venger  de  ses  mauvais  procédés  en  lui 
désobéissant,  en  n'exécutant  pas  complètement  et  parfaite- 
ment les  ordres  qu'il  vous  donne.  Serviteurs,  dit  expressé- 
ment l'apôtre  saint  Pierre,  soyez  soumis  à  vos  maîtres,  non 
seulement  à  ceux  qui  sont  bons  et  modérés,  mais  aussi  à  ceux 
qui  sont  d'un  humeur  difficile  (i). 

Toutefois,  qu'on  le  sache  bien,  l'obéissance  de  l'inférieur 
à  l'égard  du  supérieur  a  une  limite  certaine  :  c'est  la  loi  de 
Dieu.  C'est-à-dire  que  si  un  supérieur  commande  quelque 
chose  qui  soit  contraire  aux  commandements  divins, 
comme  le  vol,  la  calomnie,  l'impureté,  l'inférieur  doit  net- 
tement refuser  son  obéissance.  Si  l'inférieur  doute  que  ce  qui 
lui  est  commandé  soit  mal,  et  qu'il  y  ait  nécessité  d'agir 
tout  de  suite,  il  peut  le  faire  ;  autrement  il  doit  consulter 
auparavant  son  confesseur.  —  Mais  si  je  ne  fais  pas  ce  qui 
m'est  commandé,  dira-t-on,  je  perdrai  mon  emploi.  — 
Hélas  !  ce  sera  fort  regrettable,  surtout  si  l'emploi  est  avan- 
tageux. Mais  je  le  demande  à  tout  chrétien  éclairé,  ne  vau- 
drait-il pas  mieux  perdre  tous  les  plus  beaux  emplois  du 
monde,  que  de  perdre  son  âme  ?  Or,  en  faisant  une  chose 
commandée  par  un  supérieur,  mais  défendue  par  Dieu,  on 
commet  un  péché  mortel,  et  on  perd  son  âme.  C'est  ce  que 
ne  voulut  pas  faire  le  sage  patriarche  Joseph.  Sollicité  au 
mal  par  sa  maîtresse,  la  femme  de  Putiphar,  Joseph,  plutôt 
que  d'offenser  Dieu,  aima  mieux,  non  pas  seulement  per- 
dre   son    emploi,    qui    était    excellent,    mais    encore    être 

des  raisons  pour  se  dispenser  d'obéir.  Elle  doit  être  cordiale  :  il  faut 
obéir  par  amour,  avec  joie  et  empressement.  Elle  doit  être  juste  et 
réglée  :  un  domestique  doit  ne  rien  faire  pour  son  maître  au  préjudice 
de  la  loi  du  souverain  Seigneur Les  saints  Pères  disent  que  l'obéis- 
sance d'un  serviteur  envers  son  maître,  doit  être  comme  celle  de  la 
créature  à  l'égard  de  son  Créateur,  comme  celle  d'un  soldat  à  l'égard 
de  son  capitaine,  comme  celle  d'un  enfant  bien  né  à  l'égard  de  son 
père...  (Gérard.  Prônes,  21.  dim.  apr.  la  Pentec.  2.  p.). 

1.  I.  Petr.  11,  18. 


2l4        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IX.  INSTRUCTION. 

traité    comme    un   misérable    et    condamné   à   la   prison. 
La  deuxième  obligation  des   serviteurs  envers  leurs  maî- 
tres, c'est  la.  fidélité,  ou  l'honnêteté.  Recommandez  aux  servi- 
teurs, écrit  saint  Paul  à  son  disciple  Tite,  de  ne  point  faire  de 
tort  à  leurs  maîtres,  mais  de  donner  en  toute  occasion  des  preu- 
ves d'une  fidélité  parfaite  (i).  Tous  les  chrétiens   sont  tenus 
sans  doute  d'être  fidèles,  ou  honnêtes,  les  uns  à  l'égard  des 
autres  ;   cependant  les  inférieurs  et  serviteurs  y  sont  plus 
spécialement  tenus,  parce  qu'ils  ont  d'une  certaine  manière 
la  garde  des  intérêts  et  des  biens  de  leurs  supérieurs.  Ils 
doivent  donc  leur  être  tout  particulièrement  fidèles,  d'abord 
de  langue.  Connaissant   directement  ou   indirectement  les 
affaires,  les  secrets,  les  faiblesses,  les   fautes,  les  travers,  les 
défauts  de  leurs  maîtres,   ils  doivent  faire  comme  s'ils  ne 
les  connaissaient  pas,   et  n'en  jamais    parler  à   personne, 
même  en  réclamant  le  secret.   Car  le  fait  de  révéler  ces  cho- 
ses, même  à  une  seule   personne,   est  une  faute,  qui  peut 
même  être  grave,  s'il  s'agit  d'une  chose  grave.  Et  de  plus, 
si  le  serviteur  lui-même  n'est  pas  fidèle,  qui  lui  garantit  que 
son   confident    sera  discret,   et     que  ce   qu'il  lui    dit  dans 
l'oreille  ne  sera  pas  bientôt  sur  toutes  les  langues  ?  Que  de 
troubles  et   de    maux  l'infidélité  de  langue  des  inférieurs 
n'occasionne-t-elle  pas  souvent,  et  par  suite,  quelle  respon- 
sabilité pour  eux!   Car  qu'ils  le  sachent  bien,  ils  sont  obli- 
gés de   réparer  ces  troubles  et  ces  maux  dans  toute  la  me- 
sure de  leur  pouvoir.  —  Les  serviteurs  doivent  encore  être 
fidèles  de  bouche  à  leurs  maîtres,  c'est-à-dire  qu'ils  doivent 
se  contenter  d'une  nourriture  convenable,  et  ne  pas  se  livrer 
à  la  gourmandise  et  au  gaspillage,  en  abusant  de  la  facilité 
qu'ils  ont  de  boire  et  de  manger,  soit  ce  qui  ne  leur  est  pas 
destiné,  soit  au-delà  du  nécessaire.  —  D'ailleurs  ils  doivent 
être  encore  fidèles    à  leurs  maîtres  de  leurs  mains,  ce  qui 
veut  dire  qu'ils  doivent  :    d'un  côté,   travailler  avec  autant 
de  soin  et  de  courage  que  s'ils  le  faisaient  pour  eux-mêmes, 
sans  perdre  de  temps  à  s'amuser,  à  se  reposer  hors  de  pro- 
pos ;    et  de  l'autre,   ne  rien  prendre  de  ce  qui  appartient  à 
leurs  maîtres.  Ne  rien  prendre,  disons-nous,  ni  pour  eux- 

i.  Tit,  h,  9  et  10, 


DEVOIR  DBS  INFÉBJE1  lis  ENVERS  LEURS  si  PÉRI  El  lis.  •>  i  ;> 

mêmes,  ni  pour  d'autres,  même  si  c'était  pour  faire  L'au- 
mône (i);  et  ne  rien  laisser  prendre  non  plus,  par  qui  que 
ce  soit,  même  par  les  enfants  de  leurs  maîtres.  Que  s'ils 
ne  peuvent  empêcher  Les  Larcins  et  les  déprédations  com- 
mis au  préjudice  de  Leurs  maîtres,  ils  doivent  les  en  aveu- 
lir, sous  peine  de  se  rendre  compilées  et  de  s'obliger  à 
restituer. 

En  troisième  Lieu,  les  serviteurs  doivent  à  leurs  maîtres  le 
respect.  C'est  encore  l'apôtre  saint  Paul  qui  le  déclare  :  Que 
les  serviteurs,  dit-il,  sache/il  qu'ils  sont  tenus  de  rendre  tout 
honneur  à  leurs  madrés  (i).  La  raison  du  respect  que  les  scr- 

i.  Les  domestiques  se  rendent  coupables  d'injustice  envers  leurs 
maîtres,  et  sont  tenus  à  la  restitution  :  i"  Lorsque,  dans  l'achat  des 
denrées  ou  autres  effets,  ils  retiennent,  sans  le  consentement  exprès  ou 
tacite  du  maître,  quelque  argent  ou  autre  chose,  sous  prétexte  de  pei- 
ne- auxquelles  ils  prétendent  n'être  pas  tenus,  quoique  ordinaires. — 
2"  Lorsque,  regardant  comme  modique  le  salaire  qu'ils  reçoivent,  ils 
soustraient  en  secret  quelque  chose  pour  se  compenser  ;  dès  qu'ils  sont 
librement  comenus  de  ce  gage,  toute  retenue  est  un  vol.  La  compensa- 
tion, avec  toutes  les  conditions  qu'elle  exige  (nempe,  ut  non  sit  alius 
modus  impetrandi,  nec  accipiatur  plus  quam  debeter,  neque  scandalum 
aut  aliud  grave  incommodum  timeatur.  Bonacina.J,  pourrait  tout  au 
plus  avoir  lieu  dans  le  cas  où  le  domestique,  sans  s'offrir  de  lui-même, 
aurait  été  forcé  de  se  gager  à  un  prix  notablement  au-dessous  du  prix 
juste,  et  où  le  maître,  voulant  profiter  de  cette  nécessité,  ne  voulût  rien 
donner  de  plus,  et  si  d'ailleurs  il  n'eût  pu  justement  convenir  avec  un 
autre  pour  le  même  prix.  Sic  Molina  et  Navarrus.  Je  crois  qu'il  pour- 
rait encore  avoir  lien  dans  le  cas  où  le  maître  occuperait  le  domestique 
à  des  travaux  plus  pénibles  que  ceux  pour  lesquels  il  l'aurait  engagé.— 
3°  Lorsqu'ils  se  font  suppléer  par  d'autres  à  l'insu  des  maîtres  et  à  leurs 
dé]  eus,  ou  lorsqu'ils  prennent  secrètement  des  choses  pour  payer  des 
services  que  les  autres  domestiques  ou  des  étrangers  leur  ont  faits.  — 
4°  Lorsque  les  maîtres  étant  convenus  avec  les  domestiques  qu'ils  n'au- 
raient chaque  jour  que  telle  mesure  de  vin,  ceux-ci  en  prennent  davan- 
tage, ou  qu'ils  vendent  celui  (pic  les  maîtres  leur  donnent;  car,  ne 
boxant  point  de  vin,  ils  consumeront  plus  d'aliments.  —  5"  Lorsque, 
contre  le  consentement  des  maîtres,  ils  font  l'aumône  de  leur  bien,  ou 
qu'ils  font  boire  et  manger  des  étrangers:  lorsqu'ils  donnent  furtive- 
ment aux  autres  domestiques  des  denrées  qui  leur  étaient  spécialement 
confiées,  ou  qu'ils  s'approprient  pour  eux  ou  pour  d'autres  les  restes  de 
certains  aliments,  de  \ins,  liqueurs,  café,  fruits,  etc.  —  Confessarii 
sequenda  adnotent  :  ut  judicetur  de  voluntate  dominorum,  inquit 
Theol.  pract.,  ac  proinde  an  gravia  vel  levia  sinl  haec  famulorum  furta, 
ad  restitutionemque  obligent  neené,  attendendum  est  an  domini  tena- 
ces sint  et  regidi,  an  vero  generosi  et  libérales  (Examen  raisonné  sur 
les  Command.  i.  p.  ch.  4.  a.  5), 

1. 1.  Tim,  vi,  i. 


21  6        LES  GRANDS  DEVOIRS^DU  SALUT.   IX.  INSTRUCTION. 

vi leurs  doivent  avoir  pour  leurs  maîtres,  c'est  parce  que 
Dieu  les  a  placés  à  leur  tête,  et  les  a  revêtus  de  son  autorite 
à  leur  égard.  N'est-il  pas  vrai  que  nous  devons  respecter  les 
magistrats,  les  officiers  et  les  ministres,  parce  qu'ils  repré- 
sentent l'autorité  souveraine  d'un  état,  le  prince  d'un 
royaume?  De  même  et  à  plus  forte  raison  les  inférieurs  doi- 
vent-ils respecter  leurs  supérieurs,  qui  sont  pour  eux  les 
représentants  et  les  agents  de  Dieu.  Que  ces  supérieurs 
soient  par  eux-mêmes  dignes  d'estime  ou  non,  il  n'importe. 
Par  cela  seul  qu'ils  sont  supérieurs,  ils  ont  droit  au  respect 
de  leurs  inférieurs,  et  ceux-ci  sont  obligés  de  le  leur  rendre. 
Ils  doivent  le  leur  rendre  extérieurement,  d'abord  en  s'abste- 
nant  de  toute  moquerie,  de  toute  parole  injurieuse  et  de  tout 
acte  de  mépris  (i)  ;  et  de  plus  en  leur  donnant  des  marques 
positives  de  déférence  et  de  considération,  par  leur  docilité 
à  recevoir  leurs  ordres  et  leur  empressement  à  les  exécuter. 
Les  inférieurs  doivent  même  respecter  leurs  supérieurs 
intérieurement,  en  pensant  volontiers  du  bien  d'eux,  en  ne 
s'arrêtant  pas  à  leurs  défauts,  et  en  excusant  leurs  fautes 
dans  la  mesure  possible. 

Enfin  la  quatrième  et  dernière  obligation  des  serviteurs 
à  l'égard  de  leurs  maîtres,  c'est  de  les  aimer.  Déjà  ils  y  sont 
tenus  par  cette  considération  que  leurs  maîtres  sont  leur 
prochain,  comme  tous  les  autres  hommes.  Notre-Seigneur 
a  dit  en  effet  à  tous  ses  disciples  :  Vous  aimerez  votre  pro- 
chain comme  vous-même  (2).  —  Mais  il  y  a  un  ordre  à  obser- 
ver dans  cet  amour  que  nous  devons  avoir  pour  notre  pro- 
chain, et  d'après  cet  ordre,  les  serviteurs  sont  encore  plus 
étroitement  tenus  à  aimer  leurs  supérieurs.  Cet  ordre,  c'est 
d'aimer  d'abord  et  davantage  ceux  qui  nous  tiennent  de 
plus  près,  comme  nos  pères  et  mères,  nos  frères,  nos  oncles, 
et  ainsi  en  suivant.  Or,  d'après  cet  ordre,  les  maîtres  tenant 
de  plus  près  à  leurs  serviteurs  que  les  étrangers,  les  servi- 
teurs doivent  donc  aimer  leurs  maîtres  avant  et  plus  que  les 
autres  hommes  qui  leur  sont  moins   étroitement  attachés. 


1.  S'il  s'agit  de   mépris   ou  d'injures  graves,  avec  pleine  adverlance, 
péché  grave  ;  autrement,  péché  véniel  {Examen  raisonné  loc.  cit.). 

2.  Matth.  xxii,  39. 


dEVOIR  DES  IM'l'lUKl  lis  ENVERS  LEURS  SUPERIEURS.  217 


Enfin  Les  serviteurs  doivent  aimer  leurs  maîtres  à  cause 

dos  bienfaits  qu'ils  en  reçoivent.  Sans  doute,  si  les  serviteurs 
reçoivent  des  gages,  ils  donnent  leur  temps,  leur  savoir  et 
leurs  fatigues.  Toutefois,  de  même  que  les  supérieurs  sont 
tenus  d'aimer  leurs  serviteurs,  bien  qu'ils  les  paient,  parce 
qu'ils  en  reçoiventdes  services  qui  ne  se  paient  pas  à  prix 
d'argent;  de  même  les  serviteurs  sont  tenus  d'aimer  leurs 
supérieurs,  soit  pour  répondre  à  l'amour  de  ceux-ci,  soit  en 
reconnaissance1  des  attentions  et  des  bons  soins  dont  ils  sont 
l'objet  quant  à  leur  âme  et  quant  à  leur  corps.  Les  chiens, 
et  tous  les  animaux  domestiques  en  général,  qui  ne  sont  trai- 
tés par  leurs  maîtres  que  comme  des  animaux,  ne  laissent 
pourtant  pas  de  les  aimer,  et  de  leur  témoigner  leur  affec- 
tion par  leur  empressement,  par  leurs  regards  et  par  leurs 
caresses.  Les  serviteurs  que  leurs  maîtres  traitent  en  hom- 
mes et  en  chrétiens,  et  qui  malgré  cela  ne  les  aiment  pas, 
se  mettent  donc  eux-mêmes  au-de  ssous  des  animaux,  en  ce 
qu'ils  n'ont  pas  leur  gratitude.  Qu'ils  comprennent  par  là 
que,  quand  même  la  raison  et  la  foi  ne  leur  commande- 
raient pas  d'aimer  leurs  maîtres,  la  seule  nature,  même  clans 
ses  degrés  inférieurs,  leur  en  ferait  un  devoir  (i). 

1.  Vous  me  direz  peut-être,  serviteurs  qui  m'entendez,  qu'il  est  des 
maîtres  si  mauvais,  si  fâcheux  et  si  durs,  qu'il  est  impossible  de  ne  les 
pas  haïr,  ou  du  moins,  d'avoir  de  l'affection  pour  eux  ;  des  maîtres  qui 
n'ont  jamais  dans  la  bouche  que  des  paroles  d'aigreur,  des  reproches, 
des  jurements,  des  menaces.  D'un  autre  côté,  les  maîtres  m'objecteront 
qu'il  est  des  domestiques  si  rebelles,  si  insolents  et  de  si  mauvaise 
humeur,  qu'on  ne  saurait  les  aimer.  Je  conviens  que  tout  cela  n'est 
que  trop  véritable  ;  mais  il  faut  que  chacun  se  rende  justice  et  se  mette 
à  son  devoir.  C'est  le  commandement  du  Seigneur  :  il  y  va  de  vos  inté- 
rêts ;  il  s'agit  de  votre  repos,  de  votre  tranquillité,  de  votre  bonheur  en 
cette  vie,  et  de  votre  salut  pour  l'éternité  (Girard,  loc.  cit.). 

Ce  sera  un  grand  mérite  pour  vous,  si  vous  vous  tenez  toujours 
dans  les  bornes  du  respect,  en  souffrant  pour  Dieu  et  par  principe  de 
conscience,  les  mauvais  traitements  qu'ils  (vos  maîtres)  vous  feraient 
endurer  injustement.  Détournez  vos  regards  de  ce  maître  vicieux, 
jetez-les  sur  ce  Maître  infiniment  parfait  qui  est  le  sien  comme  le  vôtre, 
et  qui  vous  a  placés  sous  cette  domination  pour  vous  faire  pratiquer 
L'humilité  el  la  patience.  Dirigez  noblement  vers  lui  vos  respects  ;  alors 
tout  deviendra  grand  et  honorable  dans  votre  dépendance,  puisque 
c'est  sous  hi  main  du  Maître  suprême  que  vous  courbez  la  tète.  Non, 
vous  ne  rampez  point,  vous  ne  vous  avilissez  point,  puisque  vous  avez 
l 'âme  assez  grande  pour  vous  ('lever  jusqu'à  Dieu,  au-dessus  de  ce  mor- 
tel qui  vous  domine  (Couturier,  Catéch.  dogmal.  el  moral). 


2l8        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IX.  INSTRUCTION. 

Obéir  à  leurs  maîtres,  les  respecter,  leur  être  fidèles  et  les 
aimer,  telles  sont  donc  les  quatre  obligations  des  inférieurs  et 
serviteurs  envers  leurs  supérieurs  et  leurs  maîtres.  Mais  il  ne 
suffit  pas  de  connaître  ces  obligations,  il  est  encore  indis- 
pensable de  savoir,  au  point  de  vue  du  salut, 

IL  —  Dans  quel  esprit  il  faut  les  accomplir.  —  Nous 
disons,  remarquez-le  bien  :  «  au  point  de  vue  du  salut.  » 
S'il  ne  s'agissait,  pour  les  serviteurs,  que  de  mériter  leur 
salaire,  et  de  s'assurer  les  bonnes  grâces  de  leurs  maîtres,  il 
leur  suffirait  de  s'acquitter  de  leurs  obligations  d'une 
manière  purement  naturelle.  Mais  souvenez-vous  de  ce  que 
nous  avons  dit  en  commençant,  que  Dieu  a  imposé  aux 
serviteurs  les  obligations  de  leur  état,  afin  que  l'accomplis- 
sement de  ces  obligations  fût  leur  moyen  propre  de  sancti- 
fication et  de  salut,  comme  l'accomplissement  des  obliga- 
tions attachées  par  Dieu  à  l'état  des  supérieurs  et  des  maî- 
tres est  le  moyen  propre  de  sanctification  et  de  salut  pour 
ces  derniers.  Or,  l'accomplissement  purement  naturel  de  ces 
obligations  ne  pouvant  opérer  la  sanctification  et  le  salut, 
qui  sont  de  l'ordre  surnaturel,  voilà  pourquoi  il  est  néces- 
saire d'expliquer  de  quelle  manière  et  dans  quel  esprit  les 
inférieurs  et  les  serviteurs  doivent  les  accomplir  pour  se 
sanctifier  et  se  sauver. 

Gela  étant,  nous  dirons  que  la  première  disposition  des 
inférieurs  et  des  serviteurs,  pour  accomplir  leurs  obliga- 
tions avantageusement  au  point  de  vue  de  leur  salut,  c'est 
de  les  accomplir  avec  l'intention  de  faire  la  volonté  de  Dieu 
et  de  lui  plaire.  Notre-Seigneur  nous  a  révélé  ce  grand  prin- 
cipe, que  celui  qui  fait  ses  actions  pour  les  hommes  seule- 
ment, et  qui  reçoit  d'eux  sa  récompense,  ne  doit  rien  atten- 
dre de  Dieu  (i).  Principe  d'une  justice  parfaite  :  vous  tra- 
vaillez pour  les  hommes,  les  hommes  vous  payent,  tout  est 
dit,  vous  n'avez  plus  rien  à  prétendre.  Mais  en  agissant 
ainsi,  votre  salut  est  complètement  négligé,  puisque  ne  faisant 
rien  pour  Dieu,  il  ne  vous  doit  conséquemment  rien.  Voilà 
pourquoi  l'apôtre  saint  Paul  donne  cet  enseignement  impor- 
tant :  Serviteurs,  dit-il,   ce  que  vous  faites,  faites-le  de  bon 

i,  Matth.  vi,  a,  5,  i6. 


DEVOIR  DES  INFERIEURS   ENVERS  LEURS  SUPERIEURS.  2  1Q 

coeur,  comme  pour  le  Seigneur  cl  non  pour  les  hommes,  per- 
suades </ue  pour  récompense  cous  recevrez  l'héritage.  Que 
Jésus-Christ  soit  le  maître  une  vous  serviez  (i).  En  effet, 
puisque,  en  toute  justice,  c'est  celui  pour  qui  l'on  travaille 
qui  doit  le  salaire,  si  nous  travaillons,  non  pour  les  hom- 
mes, mais  pour  Dieu,  c'est  donc  Dieu  qui  nous  paiera  notre 
salaire,  c'est-à-dire  le  ciel.  L'exhortation  de  saint  Paul  aux: 
serviteurs,  de  faire  tout  ce  qu'ils  font  comme  pour  le  Sei- 
gneur, est  donc  on  ne  peut  plus  prudente  ni  plus  sage, 
puisque  c'est  seulement  en  agissant  ainsi  qu'ils  s'assureront 
pour  récompense  l'héritage  céleste.  Qu'ils  ont  donc  tort  et 
qu'ils  sont  à  plaindre,  ceux  qui  n'écoutent  pas  cette  exhor- 
tation; car  tout  en  ayant  heaucoup  de  peine  en  ce  monde,  ils 
n'en  retireront  aucun  avantage  pour  la  vie  future  !  Au  con- 
traire, que  ceux-là  comprennent  bien  mieux  leurs  intérêts, 
qui  se  proposent  principalement  et  avant  tout,  dans  tout  ce 
qu'ils  font,  d'accomplir  la  volonté  de  Dieu  et  de  lui  plaire  ; 
car  sans  se  donner  plus  de  peine  que  les  autres,  non  seule- 
ment ils  recevront,  comme  eux,  leur  salaire  temporel,  mais 
ce  qui  vaut  infiniment  mieux,  ils  s'assureront  le  salut  éter- 
nel de  leur  âme  (2). 

1.  Goloss.  m,  22-24;  Cf.  Ephes.  vi,  5-8. 

2.  Audi,  quisquis  temporaliter  servus  es  :  esto  servus,  esto  et  liber. 
Servus  humiliter  obediendo,  liber  fideliter  serviendo  ;  esto  servus 
domini  tui,  et  noli  esse  servus  peccati.  Cum  servieris  homini,  Dcum 
fideliter  cogita,  Dei  pnecepta  conserva,  Dei  voluntati  semper  obtem- 
péra. A.  Deo  mercedem  bonne  servitutis  expecta,  custodi  finem,  fuge 
fraudem.  Gognosce  te  Deo  redditurum  rationem  de  omni  opère  tuo. 
Non  te  facial  pigrilia  contemptorein,  non  segnitia  negligentem.  Ita  fiet, 
ut  dum  bonam  exhibes  servitutem,a  Deo  recipies  perpetuam  libertatem 
(S.  Aug.  serm.  3,  de  Dedicat.  Ecclesiœ). 

Si  vous  travaillez  en  une  mine  de  fer  ou  de  plomb,  et  qu'un  homme 
sage  vous  dit  :  Mon  ami,  vous  peinez  beaucoup  et  vous  gagnez  peu  ;  il 
y  a  là  auprès  une  mine  d'or,  creusez-y  :  vous  n'aurez  pas  plus  de 
peine,  et  vous  gagnerez  beaucoup  plus  ;  ne  seriez-vous  pas  privé  de 
jugement  si  vous  ne  suiviez  cet  avis  ?  Saint  Paul  vous  dit  :  Quand  vous 
ne  servez  votre  maître  que  par  manière  d'acquit  et  pour  un  salaire 
temporel,  votre  métier  est,  si  on  le  peut  dire,  un  métier  de  gagne- 
petit  ;  faites  mieux,  changez  de  motif  et  de  disposition,  et  vous  gagne- 
rez des  trésors,  des  couronnes  et  des  récompenses  éternelles  (Le  Jeune, 
Sermons,  serm.  55,  3.  p.). 

Obéissez  dans  le  Seigneur  ;  par  là  vous  cessez  d'être  serviteurs,  tant 
vous  ennoblissez  vos  services.  IS'on,  ce  ne  sont  plus  les  hommes  que 


2£0        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IX.   INSTRUCTION. 

Une  autre  pensée  qui  doit  encore  animer  les  inférieurs 
dans  l'accomplissement  de  leurs  devoirs,  c'est  celle  de  glo- 
rifier Dieu.  Tous  les  hommes  sont  tenus  de  glorifier  Dieu. 
Notre-Seigneur  a  voulu  que  nous  nous  rappelions  cha- 
que jour  cette  obligation,  en  nous  faisant  dire  à  Dieu, 
dans  l'oraison  qu'il  nous  a  enseignée,  ces  paroles  :  Que 
votre  nom  soit  sanctifié,  ce  qui  veut  dire  ici,  soit  glorifié.  Or, 
en  adressant  à  Dieu  cette  prière,  nous  ne  lui  demandons 
pas  seulement  que  son  nom  soit  glorifié  par  les  autres  hom- 
mes, mais  d'abord  et  surtout  qu'il  nous  accorde  la  grâce  de 
le  glorifier  nous-mêmes.  Les  inférieurs  sont  donc  tenus  de 
glorifier  Dieu  comme  tout  le  monde,  malgré  l'humilité  et  la 
bassesse  de. leur  condition.  Bien  mieux,  il  semble  que  leurs 
louanges  doivent  être  plus  agréables  à  Dieu  que  celles  des 
supérieurs  eux-mêmes.  Car  que  les  riches  et  les  grands 
louent  Dieu,  ils  ne  peuvent  moins  faire,  à  cause  des  privi- 
lèges dont  ils  ont  été  l'objet.  Mais  les  humbles  et  les  petits 
ayant  moins  reçu,  il  semble,  encore  une  fois,  que  leurs 
louanges  doivent  être  plus  agréables  et  plus  chères  à  Dieu, 
comme  étant  moins  motivées,  et  par  conséquent  plus 
désintéressées  et  plus  spontanées.  Que  cette  pensée  encou- 
rage donc  tous  ceux  qui  sont  dans  nne  position  inférieure 
et  dépendante,  à  glorifier  Dieu  par  leurs  pensées,  par  leurs 
paroles  et  par  leurs  actions.  Qu'ils  le  glorifient  par  leurs 
pensées,  en  le  remerciant  et  en  le  bénissant  de  ce  qu'il  leur 
a  donné,  dans  sa  bonté  infinie,  et  à  quoi  ils  n'avaient  aucun 
droit.    Qu'ils  le  glorifient  par  leurs  paroles,  en  exprimant 

vous  servez,  c'est  le  Roi  des  rois,  c'est  votre  Dieu,  et  vous  régnez  en 
servant  Dieu  ;  Servire  Deo  regnare  est.  Gomme  rien  n'est  petit  au  ser- 
vice de  Dieu,  vos  actions  les  plus  viles  sont  aussi  grandes  à  ses  yeux 
que  les  actions  les  plus  importantes  de  vos  maîtres  et  des  plus  grands 
personnages  du  monde.  Garder  les  troupeaux,  balayer  la  maison,  faire 
ce  qu'on  vous  ordonne  par  rapport  à  Dieu,  c'est  à  ses  yeux  faire  autant 
et  plus  que  les  souverains  qui  gouvernent  les  empires,  que  les  conqué- 
rants qui  remportent  des  victoires,  parce  qu'ils  agissent  ordinairement 
par  orgueil  ;  Dieu  dédaigne  les  œuvres  superbes,  tandis  qu'il  regarde 
avec  complaisance  ce  que  vous  faites  pour  lui  dans  une  humble  obscu- 
rité. Tout  est  égal  à  ses  yeux,  les  esclaves  comme  les  rois,  rien  n'est 
grand  que  ce  qui  est  fait  pour  lui.  Vous  voilà  donc  autant  et  plus  que 
vos  maîtres,  puisque  c'est  le  souverain  Maître  que  vous  servez.  Pauvres 
serviteurs,  voilà  les  idées  que  la  religion  vous  donne  de  votre  état  ; 
vous  croyiez-yous  si  grands  ?  (Couturier,  loc.  cit.). 


DEVOIR  UES  INFERIEURS  ENVERS  LEURS  SUPERIEURS.          22Ï 
l 

dans  leurs  conversations,  lorsque  les  circonstances  le  leur 
permettent,  les  sentiments  de  reconnaissance  qui  sont  dans 
leur  cœur.  Qu'ils  Le  glorifient  surtout  par  leurs  actions,  en 
accomplissant  si  bien  tout  ce  qu'ils  ont  à  faire,  qu'on  soit 
forcé,  en  les  voyant,  de  rendre  témoignage  à  la  vertu  de  la 
religion  qu'ils  professent  et  à  la  puissance  du  Dieu  qu'ils 
adorent. 

Pour  s'acquitter  fructueusement  de  leurs  devoirs  au 
point  de  vue  de  leur  salut,  les  inférieurs  et  les  serviteurs 
doivent  encore  les  accomplir  avec  l'intention  d'expier  par 
là  leurs  fautes,  et  d'acquérir  des  mérites  pour  le  ciel.  Hélas  ! 
combien  d'entre  eux  qui  ne  les  accomplissent  qu'avec 
dégoût,  et  en  maudissant  l'état  qui  leur  a  été  assigné  par  la 
Providence  divine  !  Afin  d'entrer  dans  des  dispositions  plus 
conformes  aux  vues  de  Dieu,  l'on  doit  se  souvenir  que  c'est 
pour  expier  leurs  fautes  que  les  travaux  pénibles  et  les  souf- 
frances, avec  la  mort,  ont  été  imposés  par  Dieu  aux  hom- 
mes :  Parce  que  tu  m'as  désobéi,  dit  le  Seigneur  au  pre- 
mier homme  après  qu'il  eût  mangé  du  fruit  défendu,  la 
terre  ne  produira  pour  toi  que  des  épines  et  des  chardons,  et 
c'est  à  la  sueur  de  ton  visage  que  tu  te  nourriras  de  pain  (i). 
Que  les  ouvriers  et  les  serviteurs  ne  s'étonnent  donc  pas  de 
porter  leur  part  de  ces  anathèmes.  Qu'ils  se  soumettent  au 
contraire,  avec  résignation,  aux  peines  et  aux  fatigues  de  leur 
état,  comme  les  ayant  méritées  ;  qu'ils  les  embrassent  et  les 
supportent  en  esprit  de  foi,  comme  des  moyens  d'expiation 
que  Dieu  leur  fait  la  grâce  de  mettre  à  leur  portée;  enfin 
qu'ils  les  lui  offrent,  en  le  priant  de  leur  en  tenir  compte 
sur  ce  qu'ils  doivent  à  sa  justice  pour  leurs  fautes.  Que  ces 
peines  et  ces  fatigues  leur  deviendront  alors  salutaires  !  Et 
dès  lors,  au  lieu  de  ne  les  considérer  qu'avec  répulsion, 
combien  ne  leur  seront-elles  pas  chères  ! 

Enfin,  les  serviteurs  et  les  subordonnés  doivent  encore 
accomplir  les  devoirs  de  leur  état  dans  un  esprit  d'édifica- 
tion. Comme  tous  les  hommes  sont  tenus  d'honorer  Dieu, 
tous  sont  tenus  également  d'édifier  leurs  frères.  C'est  à 
tous,  en  effet,  que  le  divin  Maître  a  dit  :   Que  votre  lumière 


i .  Gcn.  ni.  18,  i 


222        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IX.  INSTRUCTION. 

luise  devant  les  hommes,  afin  qu'ils  voient  vos  bonnes  œuvres 
et  quils  glorifient  votre  Père  qui  est  dans  le  ciel  (i).  Qu'on 
remarque  bien  d'abord  les  termes  de  ce  précepte.  Notre- 
Seigneur  ne  nous  dit  pas  de  faire  des  bonnes  œuvres  pour 
nous  attirer  l'estime  et  les  louanges  des  hommes,  ce  qui 
serait  de  l'orgueil  ;  mais  bien  pour  que  les  hommes,  voyant 
nos  bonnes  œuvres,  glorifient  Dieu  qui  nous  les  fait  accom- 
plir. Cela  entendu,  nous  disons  que  les  serviteurs  et  les 
subordonnés,  pour  s'acquitter  chrétiennemeut  de  leurs 
devoirs,  doivent  aussi  les  accomplir  en  vue  d'édifier  le  pro- 
chain, par  charité  pour  lui.  En  se  proposant  encore  ce  but, 
ce  sera  une  raison  de  plus  pour  s'acquitter  parfaitement  de 
leurs  devoirs,  car  on  est  d'autant  plus  édifiant  qu'on  est 
plus  parfait.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  les  bons  exemples 
des  petits  ne  sont  pas  remarqués  et  ne  produisent  pas  d'effet. 
Très  souvent,  au  contraire,  ils  sont  plus  éloquents  que  ceux 
des  personnes  même  les  plus  en  vue.  Tel,  par  exemple, 
restera  indifférent  devant  la  vie  d'un  saint  prêtre,  parce 
que,  dit-il,  c'est  son  métier  de  vivre  ainsi  ;  tandis  qu'il  sera 
touché  d'abord,  et  ensuite  converti  par  la  conduite  parfaite- 
ment régulière  et  pieuse  d'un  simple  domestique,  parce 
qu'il  comprendra  qu'une  telle  conduite  ne  peut  être  que  le 
résultat  d'une  foi  vraiment  sincère.  Sachons  bien  d'ailleurs 
qu'il  n'est  pas  nécessaire  que  nos  bons  exemples  produisent 
réellement  des  fruits  ;  il  nous  est  seulement  commandé  de 
faire  briller,  devant  les  hommes,  la  lumière  d'une  vie  véri- 
tablement chrétienne,  dans  l'état  où  Dieu  nous  a  mis. 

Tels  sont  donc  les  motifs  que  les  inférieurs  et  les  servi- 
teurs doivent  se  proposer  dans  l'accomplissement  de  leurs 
devoirs,  savoir  :  la  volonté  et  le  bon  plaisir  de  Dieu,  ainsi 
que  sa  gloire  ;  l'expiation  de  leurs  fautes  et  l'acquisition  de 
mérites  pour  la  vie  éternelle;  enfin,  l'édification  du  pro- 
chain. —  Il  nous  reste  à  démontrer, 

III.  —  Combien  les  inférieurs  doivent  estimer  leur 
condition.  —  A  première  vue,  il  semble  bien  que  ce  soit 
un    paradoxe,   et  même   une    fort    mauvaise    plaisanterie, 

i.  Matth.  v,  16. 


DEVOIR   DES  INFÉRIE1  as  ENVERS  LEt  us  si  PËRIE1  us.        220 

d'avancer  que  la  situation  des  petits  et  des  serviteurs  soit 
digne  de  toute  estime.  Cependant,  rien  n'est  plus  vrai,  et  il 
suffit  d"\  réfléchir  un  peu  pour  en  demeurer  convaincu. 
Étant  chrétiens,  nous  parlons  surtout,  bien  entendu,  au 
point  de  \  ne  de  la  foi. 

Eh  bien,  n'est-il  pas  vrai  que  nous  devons  considérer 
comme  spécialement  digne  d'estime,  ce  que  Dieu  lui-même 
honore  dune  estime  particulière?  Or,  de  tous  les  états  qui 
se  partagent  les  hommes,  aucun  n'est  honoré  dans  l'Evan- 
gile autant  (pie  celui  des  petits  et  des  serviteurs.  Le  Fils 
unique  de  Dieu  veut-il  se  faire  homme?  il  se  choisit  pour 
mère  une  femme  de  la  condition  la  plus  humble,  et  pour 
père  nourricier  un  ouvrier.  Il  aurait  pu  naître  sur  un  trône, 
dans  un  palais  ;  c'est  une  crèche,  dans  une  étable,  qui  a  sa 
préférence.  Sans  doute,  il  appelle  des  rois,  par  le  moyen 
dune  étoile,  à  l'honneur  de  l'adorer;  mais  ce  n'est  qu'après 
y  avoir  d'abord  appelé,  parle  ministère  d'un  ange,  de  pau- 
vres bergers,  dont  il  était  plus  impatient  de  recevoir  les 
hommages.  C'est  ainsi  que,  dans  tout  le  cours  de  sa  vie,  il 
témoigna  une  prédilection  marquée  pour  les  humbles  et  les 
petits,  parmi  lesquels  il  voulut  choisir  ses  apôtres.  Mais  voi- 
ci qui  est  plus  significatif  encore.  Lui  qui  aurait  pu  être  un 
roi  plus  puissant  que  David  et  plus  magnifique  que  Salo- 
mon,  quel  état  cmbrassa-t-il  ?  Il  voulut  n'être  aussi  qu'un 
obscur  ouvrier,  et  toute  sa  vie  ne  fut  employée  qu'à  obéir  à 
son  Père  et  à  faire  sa  volonté,  comme  il  le  déclare  lui-mê- 
me en  disant  :  Je  ne  suis  pas  venu  pour  faire  ma  volonté, 
mais  pour  faire  la  volonté  de  celui  qui  nia  envoyé,  et  consom- 
mer son  ouvrage  (i).  Parlant  de  lui,  l'apôtre  saint  Paul  nous 
dit  aussi,  comme  étant  à  sa  louange,  que  bien  qu'il  fût  l'égal 
de  Dieu,  cependant  il  a  voulu  prendre  la  forme  d'un  serviteur, 
et  s'est  fait  obéissant  jusqu'à  mourir  (2).  Après  cela,  qui  pour- 
rait encore  considérer  comme  méprisable  un  état  pour  le- 
quel Dieu,  bon  juge  sans  doute,  devons-nous  croire,  a  mon- 
tra (ant  de  prédilection  ?  Qui  pourrait  au  contraire  ne  pas 
avoir  la  plus  souveraine    estime   pour    une   condition   dans 

1 .  Jrnm.  îv,  34  ;  VI,  38. 

2.  Philip,  ii,  6-8. 


224        LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  IX.  INSTRUCTION. 

laquelle  a  voulu  vivre  sa  vie  humaine  le  Fils  de  Dieu  lui- 
même  ?  (i) 

L'état  d'inférieur,  d'ouvrier, de  serviteur  est  d'ailleurs,  en 
outre,  le  plus  favorable  pour  le  salut.  Deux  choses,  en  effet, 
nous  aident  surtout  à  accomplir  notre  salut,  savoir  :  être  à 
l'abri  du  péché,  et  à  même  de  faire  beaucoup  d'actes  méri- 
toires. Eh  bien,  ces  deux  choses  se  trouvent  précisément 
réunies  dans  l'état  dont  nous  parlons. 

Qu'est-ce  qui  nous  fait  commettre  le  plus  de  péchés  ?  C'est, 
sans  le  moindre  doute,  la  possession  des  richesses.  Celui  qui 
est  riche  peut  satisfaire  en  effet  toutes  ses  passions.  Il  peut 
satisfaire  son  orgueil,  en  faisant  d'inutiles  dépenses  de  luxe, 
pour  éblouir  les  pauvres    et   surpasser  ses   rivaux,  au   lieu 

i.  Il  est  si  digne  et  si  excellent  (l'état  de  serviteur),  que  le  Fils  de 
Dieu,  désirant  être  serviteur  et  ne  le  pouvant  être  en  sa  nature  divine 
et  incréée,  a  daigné  se  faire  homme  et  s'incarner  au  sein  de  la  très 
sainte  Vierge,  afin  qu'éposant  notre  nature,  il  épousât  quand  et  quand 
la  qualité  de  serviteur,  qui  lui  est  essentiellement  et  inséparablement 
attachée  ;  c'est  son  apôtre  qui  nous  l'enseigne  :  Le  Sauveur,  dit-il,  qui 
était  Dieu,  égal  et  consubstantiel  à  son  Père,  a  daigné  s'anéantir  soi- 
même  et  prendre  la  forme  de  serviteur  :  Hoc  enim  sentite  in  vobis,  quod 
et  in  Ciiristo  Jesu,  quid  cum  informa  Dei  esset,  non  rapinam  arbitratus 
est  esse  se  œqualem  Deo,  sed  semetipsum  exinanivit  formant  servi  acci- 
piens  (Philipp.  h,  C)  ;  la  forme,  ce  n'est  pas  à  dire  seulement  l'appa- 
rence, mais  l'état,  la  qualité  et  la  condition  de  serviteur,  comme  disant  : 
Cum  in  j  or  ma  Dei  esset,  c'est-à-dire  l'essence  et  la  nature,  et  il  l'a  mon- 
tré par  l'effet  ;  car  c'est  le  propre  d'un  serviteur  de  ne  pas  faire  sa 
volonté,  mais  celle  d'autrui  ;  de  rendre  service  à  ceux  de  la  maison,  de 
ne  pas  répondre  quand  on  le  réprimande.  Et  Jésus  dit  en  l'Ecriture  : 
Je  suis  descendu  du  ciel  non  pour  faire  ma  volonté,  mais  celle  de  mon 
Père;  non  pour  être  servi,  mais  pour  servir  ;  fai  été  comme  un  homme 
qui  n'a  rien  à  répliquer  à  ceux  qui  le  calomnient.  Joan,  vi,  36  ;  Matth. 
xx,  28  ;  Ps.  xxxvii,  i5.  C'est  l'office  d'un  serviteur  de  se  ceindre  d'un 
tablier,  de  laver  les  pieds  à  ceux  de  la  famille  ;  et  Jésus-Christ  l'a  fait  en 
la  dernière  cène  ;  c  est  le  devoir  d'un  serviteur  de  balayer  la  maison  et 
de  porter  sur  soi  les  ordures  ;  et  Jésus  a  balayé  l'Église,  qui  est  la  mai- 
son de  Dieu  ;  il  a  porté  sur  soi  les  ordures  de  nos  péchés  :  Posuit  in  eo 
iniquitates  omnium  nostrum.  lia  donc  honoré  votre  état,  puisqu'il  l'a 
daigné  exercer  ;  comme  si  le  roi  exerçait  la  médecine,  la  musique  ou  la 
peinture,  on  tiendrait  à  honnenr  d'être  de  même  profession  que  lui  ;  et 
comme  le  poète  chrétien  a  dit  que  Jésus  a  sanctifié  en  soi  nos  souffran- 
ces et  nos  peines,  ayant  daigné  s'y  assujettir  :  Pœnam  vestivit  honore, 
lpsaque  sanctificans  in  se  tormenta  beavit  ;  ainsi  nous  pouvons  et  nous 
devons  dire,  qu'il  a  agrandi,  ennobli,  sanctifié  et  déifié  en  soi  la  condi- 
tion servile,  il  en  est  l'honneur  et  la  gloire,  il  en  est  l'idée  et  le  patron 
(Le  Jeune,  loc.  cit.). 


DEVOIB   DES  INFÉRIEURS  ENVERS   LEURS  SUPÉRIEURS,         220 

d'employer  ses  capitaux  en  des  entreprises  <le  bienfaisance. 
Il  peul  satisfaire  sou  avarice,  en  entassant  l'or  el  L'argent  qui 
lui  a  été  donné  pour  le  distribuer  aux  nécessiteux.  Il  peul 
satisfaire  sa  gourmandise  en  des  Festins  somptueux,  laissant 
La/arc  mourir  de  faim  à  sa  porte.  Il  peul  satisfaire  sa  Luxu 
iv.  en  tendanl  toutes  sortes  de  pièges  à  l'innocence  dont  il 
devrait  rire  la  protection,  \ussi  Notre  Seigneur  disait-il  à  ses 
disciples  :  Je  vous  le  dis  en  vérité,  difficilement  un  homme 
fiche  en ( l'en i  (huis  le  royaume  des  eleu.r.  Et  j'a joule  même  :  // 
est  plus  aisé  qu'un  chameau  passe  par  le  trou  d'une  aiguille,- 
qu'il  ne  l'est  qu'un  homme  riche  entre  dans  le  royaume  des 
deux  (  i  ).  Malheur  donc  à  vous,  riches  (2)  !  Mais  il  n'en  est  pas 
ainsi  des  serviteurs  et  des  ouvriers,  qui  sont  serviteurs  et 
ouvriers  précisément  parce  qu'ils  ne  sont  pas  riches,  parce 
qu'ils  sont  plus  ou  moins  pauvres.  N'ayant  ni  le  temps  ni 
les  moyens  de  satisfaire  leurs  passions,  ils  se  trouvent  ainsi, 
grâce  à  leur  état,  à  L'abri  d'une  foule  de  péchés.  Et  voilà 
aussi  pourquoi  Noire-Seigneur  a  tout  au  contraire  félicité  et 
glorifié  tous  ceux  qui  sont  dans  une  condition  humble  et 
petite,  en  leur  disant  :  Pauvres,  vous  êtes  heureux,  car  le  royau- 
me des  deux  vous  appartient  (3),  parce  que  vous  êtes  dans 
l'heureuse  impossibilité  de  commettre  les  fautes  qui  vous 
le  feraienl  perdre  (4). 

1.  \lallli.  xix,  23,  2'|. 

2  .    LllC.    VI,    l\. 

3.  Luc,  vi,  20. 

'1.  Quand  un  jeune  homme  ou  une  jeune  fille  se  veulent  donner  à  Dieu 
el  prendre  un  genre  de  vie  pour  le  servir,  oh  fait  tant  de  prières,  tant 
de  consultes  et  d'informations  pour  connaître  à  quel  étal  Dieu  les 
appelle;  vous  n'avez  pas  besoin  de  tant  d'enquêtes,  si  vous  ries  serviteur 
ou  servante,  voue  êtes  certain  que  Dieu  nous  a  mis  en  ce  genre  d  *  Nie  et 
que  sa  volonté  esl  que  nous  \  demeuriez.  Car  saint  Paul  (I.  Cor.  vu,  20), 
exhortant  les  chrétiens  à  n'être  pas  toujours  à  changer,  mais  à  être 
constants  en  leur  vocation,  un  le  recommande  à  personne  en  particulier, 
qu'à  ceux  qui  sont  en  service  ;  ayant  dit  que  chacun  demeure  en  la 
vocation  à  laquelle  il  a  été  appelé,  il  n'ajoute  pas  :  Ètes-vous  roi,  êtes- 
vous  président,  ou  bien,  ètes-vous  conseiller  ?  demeurez  en  cel  office  ; 
mais  il  ajoute  :  Ètes-vous  appelé  ;'i  la  servitude?  demeurez-y.  Parcequ'il 
arrive  souvent  que  ce  n'es!  pas  Dieu  qui  nous  a  appelé  à  La  royauté,  aux 
grandeurs,  ni  aux  richesses  el  aux  dignités  ecclésiastiques  ou  séculières, 
mais  que  c'esl  votre  présomption,  votre  avarice,  ou  l'ambition  de  nos 
parents  ou  de  vos  ancêtres,  ou  i|ue  si  Dieu  nous  y  a  appelé,   c'est  possi- 

SOHMB   DU    PRÉDICATEUR.    —  T.    II.  1} 


'22&       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT,    -r-  IX.   INSTRUCTION. 

Les  serviteurs,  les  ouvriers,  les  subordonnés  trouvent  en 
outre,  dans  leur  état,  une  grande  facilité  pour  pratiquer 
toutes  les  vertus  recommandées  par  Notre-Seigneur  à  ses 
disciples,  et  acquérir  ainsi  de  nombreux  mérites.  S'agit-il 
de  l'humilité,  qui  est  la  base  de  toutes  les  vertus  ?  Combien 

blc  par  réprobation,  par  jugement  et  par  punition  de  vos  péchés  ou  des 
péchés  de  vos  aïeux  ;  mais  à  la  servitude,  à  la  bassesse  et  à  l'humiliation, 
c'est  ordinairement  Dieu  qui  vous  y  appelle,  et  cela  par  providence,  par 
prédestination,  par  désir  et  intention  de  vous  sauver.  Aussi  trouvons- 
nous  bien  en  l'Ecriture,  que  Dieu  s'est  repenti  d'avoir  élevé  quelqu'un 
à  la  royauté  ;  d'où  vient  qu'il  disait  à  Samuel  :  Je  me  repens  d'avoir  fait 
choisir  Saùl  pour  le  roi  de  mon  peuple,  la  grandeur  l'a  corrompu,  il 
était  innocent  comme  un  enfant  d'un  an,  et  depuis  qu'il  est  sur  le  trô- 
ne, il  est  devenu  malicieux  comme  un  renard.  I.  Reg.  vv,  n.  Mais  nous 
ne  lisons  point  dans  les  saintes  lettres  que  Dieu  se  soit  jamais  repenti 
d'avoir  mis  quelqu'un  en  service  ;  au  contraire,  saint  Paul  ajoute  :  Si 
vous  pouvez  sortir  de  servitude,  n'en  sortez  pas,  I.  Cor.  vu,  20  ;  il  n'y  a 
point  d'état  dans  le  monde  où  vous  puissiez  vous  rendre  plus  agréable  à 
Dieu,  c'est  la  voie  la  plus  assurée,  la  plus  droite  et  la  plus  aisée  que  vous 
puissiez  tenir  pour  vous  acheminer  au  ciel.  —  C'est  ce  que  Job  enseigne 
en  peu  de  paroles  par  trois  belles  comparaisons:  Homo  natus  ad  laborem, 
sicut  avis  at  volatum  ;  c'est  un  chemin  plus  assuré  et  plus  exempt  de 
danger  ;  l'oiseau  qui  vole  et  qui  se  promène  en  l'air,  ne  tombe  pas  si  ai- 
sément dans  les  pièges  ou  dans  les  fdets  des  chasseurs,  que  celui  qui 
s'arrête  amorcé  par  quelque  grain  ou  acharné  à  une  voirie  ;  les  servi- 
teurs et  les  gens  de  basse  condition  qui  sont  toujours  occupés  à  quelque 
exercice  pour  gagner  leur  vie,  ne  sont  pas  si  exposés  aux  tentations  du 
monde,  du  diable  et  de  la  chair,  que  ces  gens  qui  mènent  une  vie  fai- 
néante, toute  pourrie  de  paresse  et  d'oisiveté.  D'où  vient  que  saint  Jérô- 
me, écrivant  à  son  ami,  dit  :  Faites  que  le  diable  vous  trouve  toujours 
occupé  quand  il  viendra  vous  tenter  en  votre  condition  servile,  étant 
obligé  de  travailler  quasi  continuellement,  vous  n'avez  pas  le  loisir  d'é- 
couter les  tentations  de  Satan,  votre  chair  matée  et  mortifiée  par  le  tra- 
vail ne  regimbe  pas  aisément^  et  vous  allez  plus  droit  au  ciel. —  Au  lieu 
de  ces  paroles  :  Sicut  avis,  une  autre  version  porte  :  Sicut  aquila,  ou  : 
Sicut  pulli  aquilœ  ad  volandum.  Elien  dit  qu'il  y  a  cette  différence  entre 
l'aigle  et  les  autres  oiseaux,  que  les  autres,  volant  vers  le  ciel,  y  vont  de 
biais  en  tournoyant,  mais  que  l'aigle  y  monte  tout  droit  et  comme 
aplomb.  Les  grands  et  les  riches  du  monde  vont  en  paradis  s'ils  sont 
gens  de  bien  :  mais  pour  l'ordinaire,  avec  un  peu  de  détour,  la  plupart 
passent  par  le  purgatoire,  pour  les  péchés  qu'ils  ont  commis,  ou  en 
acquérant,  ou  en  conservant,  ou  en  possédant  avec  trop  d'affection  les 
biens  delà  terre  ;  mais  les  bons  serviteurs  font  leurs  pénitences  en  ce 
monde...  —  Au  lieu  de  ces  paroles  :  Sicut  avis,  quelques-uns  traduisent 
de  rechef  :  Sicut  fdii  ignis,  c'est-à-dire  que  comme  les  bluettes  de  feu 
montent  en  haut,  les  serviteurs  qui  travaillent  avec  les  dispositions  que 
saint  Paul  leur  enseigne,  ont  plus  de  commodité  d'être  fervents  en  l'a- 
mour de  Dieu,  et  de  faire  toutes  choses  par  ce  salutaire  motif.  Car  un 
père  de  famille,  s'il  n'est  extrêmement   détaché,  regarde  et  prétend  en 


DEVOIR   mis  INFERIEURS  ENVERS  Lia  lis  SUPERIEURS.         227 

oe  leur  est-il  pas  facile  de  la  pratiquer,  puisqu'ils  sont  dans 
un  état  Daturellement  humble,  et  que  pour  eu  accomplir 
les  actes,  ils  n'ont  pas  autre  chose  à  faire  qu'à  s'acquitter 
de  leurs  devoirs  d'état,  dans  un  esprit  d'humilité  !  S'agit-il 
de  l'obéissance  et  du  renoncement  à  la  volonté  propre, 
qui  forment  la  base  de  la  vie  religieuse  elle-même  (1)?  Les 
serviteurs  et  les  subordonnés  sont  on  ne  peut  mieux  pla- 
cés pour  les  pratiquer,  puisque  l'essence  même  de  leur  con- 
dition est  de  faire  tout  ce  qui  leur  est  commandé,  que  ce  soit 
conforme  ou  contraire  à  leur  goût.  S'agit-il  de  la  patience 
et  de  la  résignation  ?  Que  d'occasions  de  les  pratiquer,  et  de 
les  pratiquer  dans  un  haut  degré,  surtout,  ce  qui  n'est  que 
trop  fréquent,  lorsqu'on  a  affaire  à  des  maîtres  et  à  des  su- 
périeurs impérieux,  violents,  fantasques,  capricieux,  durs  et 
égoïstes,  qui  veulent  être  obéis  avant  d'avoir  parlé,  qui  don- 
nent à  la  fois  plusieurs  ordres  contraires,  qui  exigent  plus 
qu'il  n'est  possible  de  faire,  traitant  en  tout  leurs  inférieurs 
avec  moins  d'égards  et  de  ménagements  qu'ils  ne  feraient 
avec  leurs  animaux  ! 

Sans  doute,  au  point  de  vue  naturel  et  humain,  la  condi- 
tion de  serviteur  et  d'inférieur  est  souvent  fort  pénible. 
Mais  au  point  de  vue  surnaturel  et  chrétien,  qui  est  le  point 
de  vue  auquel  nous  devons  toujours  nous  placer,  puisque 
c'est  aussi  le  point  de  vue  de  l'éternité,  l'on  ne  peut  s'empê- 
cher de  reconnaître  que,  comme  cette  condition  est  la  plus 

toutes  ses  actions  l'avancement  de  sa  fortune  et  l'intérêt  de  sa  maison, 
et  si  c'est  là  son  unique  attention,  il  n'a  point  d'amour  de  Dieu  ni  de 
mérite  en  ses  actions  ;  mais  un  pauvre  serviteur,  qui  ne  gagne  rien  en 
ce  monde  que  l'entretien  de  sa  vie,  bien  simple  et  bien  chétive,  peut  ai- 
sément faire  ses  actions  pour  la  seule  gloire  de  Dieu,  et  par  esprit  d'o- 
béissance à  la  volonté  divine  (Le  Jeune,  loc.  cit.). 

1.  Si  velint  (inferiores  et  famuli),  sine  ullis  rixis  cum  omnibus  paci- 
fiée vivunt,  et  si  suis  domesticis  exercitiis  etassiduis  laboribus  pictatem 
et  unioncm  cum  Deo  addiderint,  non  est  dubium,  quin  conferri  pos- 
Bint  cum  sanctioribus  solitudincm  incolis,  nec  video  quid  faciant  reli- 
giosi  inStituti  alicujus  sectatores,  quod  ipsi  non  pnestent.  Illi  uni  supe- 
riori  obediunt,  isti  vero  multis,  nain  ejusdem  familiae  fîlii  omnes  et  fi- 
liœ,  jus  sibi  assumunt,  cis  imperandi  ;  illi  jejunia  instituta  observant, 
et  isti  severiorem  vitamin  assiduis  laboribus  et  severiori  aliquando  ine- 
dia  exigunt;  illi  duriter  cubant,  isti  cliam  ;  illi  somnuin  inlcrminpunl, 
et  i>lis  sa?pius  de  noetc  surgendum  est,  si  a  dominis  vocentur,  cl  saepe 
noctes  insomnes  ducunt  (Tiran.  Missionar.  conc.  5o,  2.  p.). 


2*28        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   IX.  INSTRUCTION. 

digne  d'estime,  elle  est  aussi  la  plus  avantageuse.  Que  les 
riches  et  les  supérieurs  cessent  donc  de  considérer  avec  dé- 
dain et  mépris  les  pauvres  et  les  serviteurs,  puisque  ce  sont 
ces  serviteurs  et  ces  pauvres  qui  sont  les  préférés  de  Dieu. 
Et  que  les  pauvres  et  les  serviteurs,  de  leur  côté,  ne  se  plai- 
gnent pas  de  leur  condition,  mais  plutôt  qu'ils  la  chérissent, 
puisque  c'est  tout  à  la  fois  celle  que  Dieu  a  le  plus  honorée, 
et  celle  où  il  est  le  plus  facile  de  se  sanctifier  et  de  se  sauver  (i). 

i.    La  condition  de  serviteur,  qui  est  la  dernière  selon  le  monde,  est 
la  plus   avantageuse  pour  le  salut:  i°  Parce  que  Dieu,  parmi  les  hom- 
mes en  ayant  destiné  quelques-uns   à  cet   état,  pour  maintenir   l'ordre 
qu'il  a  établi  dans  le  gouvernement  du  monde,  il  ne  faut  point   douter 
que  sa  providence  ne  l'ait  jugé  le  plus  propre  pour  les  desseins  qu'elle 
a  eus  sur  eux  ;  c'est  là  une  place  que  Dieu  leur  a  choisie  lui-même,  c'est 
là  qu'il  doit  les  combler  de  ses  bénédictions.  Quand  on   a  lu  l'Évangile 
avec  quelque  attention,  quand  on  a  vu  tous  les  anathèmes  qui  ont  été 
fulminés  contre  les  grands  et  les  riches,  on  ne  peut  douter  que  la  pau- 
vreté dont  la  servitude  n'est  que  la  conséquence  ne  soit  une  gi\àcc  d'en 
haut.  Non  pas  que  la  richesse  et  la  grandeur  soient  par  elles-mêmes  ré- 
prouvées de  Dieu  ;  on  peut  se  sauver  dans  tous  les  états,  sous  la  pourpre 
comme  sous  les  haillons  de  la    misère  ;    mais  il  est  incontestable  que 
l'on  se  sauve  avec  infiniment  plus  de  facilité  dans  la  pauvreté  qu'au  sein 
de  l'abondance.  Ce  n'est  pas  pour  rien  que  Jésus-Christ  a  proclamé  la 
pauvreté  bienheureuse  :    Beati   paaperes.    Avez-vous  jamais    réfléchi  à 
cette  vérité  que  Dieu  a  marqué  à  chacun  ici-bas  la  place  qu'il  doit  occu- 
per, et  que  c'est  à  cette  place  fidèlement  gardée,  religieusement  occupée, 
qu'il  a  promis  ses  grâces  et  ses  bénédictions  ?    Vous  murmurez   peut- 
être  quelquefois,  et  vous  attribuez  votre  sort  à  une  nécessité  fatale,  à  un 
accident,  à  quelque  caprice  du  hasard.  Ce  que  vous  appelez  hasard,  ca- 
price du  sort,  accident,  c'est  ce  que  nous  appelons,  dans  notre  langage 
chrétien,  Providence  de  Dieu.  Sa  main  vous  a  conduit  là.  Résignez-vous 
et  bénissez-la,  car  le  salut  vous  est  plus  facile   malgré  votre  esclavage, 
votre  dépendance,  vos  privations  et  votre  assujettissement,  qu'il  ne  l'est 
à  vos  maîtres  avec  leurs  richesses,  leur  luxe,  leur  indépendance  et  tous 
les  plaisirs  qu'ils  peuvent  seiprocurer.  —  20  Parce  que  cet  état   est  plus 
conforme  à    celui  que  le  Fils   de  Dieu  a  choisi    pour   lui-même,  et  par 
conséquent,   si  pour   être  sauvé   il  faut  être   conforme  au  Sauveur  du 
monde,  comme  dit  l'Apôtre,  n'est-ce  pas  un  moyen  et  un  avantage,  que 
de  passer  sa  vie  dans  le    même   emploi  qu'il   a  exercé  durant  presque 
toute   la   sienne?  Filius  hominis  non  venit  ministrari,   sed  minislrare. — 
3°  Parce  que  cet  état  conduit  plus  droit   au  ciel,  par  l'humiliation,    la 
pauvreté,  le  travail,  qui  sont  attachés  à  la  condition  où  Dieu  les  a  mis, 
et  qu'ils  sont  exempts  des  dangers  et  des  occasions  de  péché,  à  quoi  les 
autres  sont  exposés  (Houdry-Avignon,  Biblioth.  des  Prédic.  art.  Maîtres 
et  Serviteurs,  S  1  )• 

Servi  imitentur  oportet  tôt  viros  sanctos,  qui  hominibus,  tanquam 
Deo,  et  propter  Deum  laudabiliter  servierunt.  In  Veteri  Tcstamento  sibi 
prœ  caHeris  imitandos  proponant  patriarchas  Jacob  et  Joseph,   ille  diu- 


DEVOIR  DBS  INFÉRIE1  us   ENVERS  LEl  RS  si  PERIEI  US.  22Q 


CONCLUSION.  —  Chrétiens,  nous  venons  cloue  d'étu- 
dier, dans  Le  présent  entretien,  ers  trois  questions  aussi 
importantes  que  pratiques,  savoir  :  quelles  sont  les  obliga- 
tions des  inférieurs  envers  leurs  supérieurs:  clans  quel  esprit 
et  avec  quelles  dispositions  les  inférieurs  doivent  s'acquitter 
de  ees  obligations,  au  point  de  vue  de  leur  salut  ;  enfin, 
combien  les  inférieurs  doivent  estimer  leur  condition.  Par 
conséquent,  nous  savons  maintenant  :  d'abord,  que  les  infé- 
rieurs doivent  obéir  à  leurs  supérieurs,  leur  être  fidèles,  les 
respecter  et  les  aimer  ;  en  second  lieu,  que  pour  s'acquitter 
de  ees  obligations  dune  manière  utile  à  leur  salut,  les  ser- 
viteurs doivent  se  proposer,  en  les  accomplissant,  de  faire 
la  volonté  de  Dieu  et  de  lui  plaire,  de  le  glorifier,  d'expier 
Leurs  fautes  et  d'acquérir  des  mérites,  enfin  d'édifier  leur 
prochain  :  en  troisième  lieu  enfin,  nous  savons  que  la  con- 
dition des  petits  et  des  inférieurs  est  celle  pour  laquelle 
Dieu  a  toujours  montré  le  plus  de  prédilection,  et  celle  où 
il  est  le  plus  facile  de  se  sanctifier  et  de  se  sauver,  parce 
qu'on  y  peut  mieux  que  dans  les  autres  éviter  le  péché  et 
pratiquer  les  vertus  chrétiennes.  Encore  une  fois,  serviteurs 
et  subordonnés,  ouvriers  et  employés  de  tout  genre  et  de 
tout  rang,  voilà  quelles  sont  les  obligations  de  votre  état, 
ainsi  que  la  manière  de  vous  en  acquitter  pour  le  bien  de 
votre  âme,  et  voilà  quels  en  sont  aussi  les  avantages.  De  ce 
double  exposé  il  résulte,  comme  nous  en  avons  déjà  fait  la 
remarque,    que  si  Dieu,  dans  l'organisation    de   la   société 

tissime  et  fidelissime  servivit,  ut  constat  ex  cap.  3o  Gen.  Joseph  vero, 
quam  pudice,  prudenter  et  fidelitcr  in  domo  Putiphans  servivit,  ut  di- 
citur  cap.  3q  Gen.,  et  de  eo  testatur  Moyses,  quod  illi  creditis  omnibus, 
nihilin  suafamilia  noveral  dominus  ejus  ;  nisi  panem  quo  vescebalur. 
In  Novoautem  Testamento  innumeri  sunt,  qui  aliis  serviendo  ea  ratione, 
auam  exposuimus, meruerunt  in  sanctorum  numerum  adscribi  et  inter 
alios:  s.  Vitalis,  servus  s.  Agricole,  4  novembris;  s.  Frumen  ms,  27 
octobris  :  s.  Onesimus,  de  quo  loquitur  d.  Paulus  scribens  ad  Philemo- 
nem,  fuit  martyr,  26  februarii  :  s.  Paulinus,  Nolae  episcopus,  qui  pro 
filioviduœ  redimendo  semetipsumin  servitutem  tradidit  Vandahs,  sua- 
mie  fidelitate,  diligentia,  mansuetudine,  pradentia  et  sanctimonia,  tam 
Bibi  auam  suis  civibus  omnibus  libertatem  impetravit.  -Anculae  sibi 
imitandasproponanl  :  s.  Felicitarfi,  mart.  7  martii  ;  s  Blandinam  mar- 
tyrem  Lugduni  ;  s.  Ghristinam,  virg.  et  mari.  -M  juin  ;  s.  Merenciam, 
a3  januarii;  s.  Potanienam,  dequa  Palladiusin  historia;  s.  Zitam,  virg. 
27  aprilis.  Et  alias.  ÇTiran,  loc.  cit.). 


2.3o       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.  IX.    INSTRUCTION. 

humaine,  qui  est  son  ouvrage,  vous  a  imposé  un  fardeau 
parfois  pénible  et  rebutant  ;  il  a  su,  par  contre,  vous  ména- 
ger de  telles  compensations,  que  votre  état  est  en  somme, 
pour  un  chrétien,  le  plus  avantageux.  C'est  pourquoi  l'apô- 
tre saint  Paul  conseillait  aux  esclaves  chrétiens  de  rester 
esclaves,  alors  même  qu'ils  auraient  pu  devenir  libres  (i). 
Combien  plus  ne  conseillerait-il  pas  aux  serviteurs  d'au- 
jourd'hui de  rester  dans  leur  état,  même  pouvant  en  sortir  ! 
Et  il  en  donne  la  raison,  c'est  que  l'esclave  chrétien  ou  le 
serviteur  chrétien  est  l'égal  de  son  maître  devant  Dieu,  l'un 
et  l'autre  n'étant,  devant  Dieu,  que  ses  créatures- et  ses  ser- 
viteurs (2).  Le  serviteur  est  même  plus  grand  devant  Dieu 
que  son  maître,  s'il  le  sert  mieux;  car,  dit  toujours  le  même 
apôtre,  il  ne  sert  à  rien,  devant  Dieu,  d'être  ceci  ou  cela, 
maître  ou  serviteur,  le  tout  est  d'observer  ses  commande- 
ments (3).  Serviteurs,  ouvriers  et  employés  chrétiens,  obser- 
vez donc  les  commandements  de  Dieu,  en  accomplissant  les 
obligations  qu'il  vous  a  imposées,  et  en  vous  proposant  de 
le  servir  lui-même  en  la  personne  de  vos  supérieurs,  qu'il  a 
établis  pour  être  ses  représentants  à  votre  égard  ;  et  bien  que 
votre  état  vous  paraisse  bas  et  vos  occupations  petites,  ayez 
confiance,  c'est  à  vous  spécialement  que  le  seul  vrai  Maître 
de  tous  les  hommes,  lorsqu'à  la  mort  voifs  paraîtrez  devant 
lui,  dira  :  Allons,  bon  et  fidèle  serviteur,  parce  que  vous  avez 
été  fidèles  en  de  petites  choses,  je  vais  vous  établir  sur  de  gran- 
des, entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur  (4).  Ainsi  soit-il. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Serviteurs  modèles. 

1.  —  Saint  Isidore,    garçon  laboureur,    s'était,  dès  sa  jeunesse, 
mis  au   service  d'un  gentilhomme  de  Madrid,  pour  labourer  sa 

1.  I.   Cor.  vu,  21,  suivant  l'interprétation   de  s.  Jean  Chrysostome, 
des.  Thomas,  d'Estius,  etc. 

2.  I.  Cor.  vu,  22. 

3.  I.  Cor.  vu,  19. 

4.  Matth.  xxv,  2i. 


DEVOIR  DES  IM  llUl.l  lis  ENVERS   LE1  US  SUPÉRIE1  RS.  201 

terre  et  faire  valoir  une  de  ses  fermes.  Il  resta  toujours  attaché  au 
service  du  même  maître,  dont  il  prit  les  intérêts  comme  s'il  eus- 
sent été  les  siens,  n'épargnant  ni  peine  ni  fatigue  pour  les  soute- 
nir, en  sorte  qu'il  pouvait  lui  dire  comme  Jacob  à  Laban  :  J'ai 
travaillé  durant  les  nuits,  j'ai  supporte'  le  froid  et  le  chaud  pour 
conserver  et  augmenter  votre  bien.  Vous  aviez  peu  de  chose 
avant  que  je  fusse  avec  nous,  et  maintenant  vousvoilà  riche.  Gen. 
\w.  3o.  —  Mais  cette  application  aux  devoirs  de  son  état  ne 
porta  jamais  préjudice  à  ceux  de  sa  religion.  Isidore  savait  conci- 
lier les  nus  avec  les  antres.  Son  maître  lui  accorda  la  liberté 
d'aller  tous  tes  jours  à  l'office  de  l'Église.  Le  saint  n'en  abusa 
jamais.  Il  puisait,  au  contraire,  dans  le  sein  de  la  religion,  avec  le 
respect  et  l'amour  de  son  maître,  un  zèle  infatigable  pour  le  tra- 
vail. 11  se  levait  tous  les  jours  de  grand  matin  pour  satisfaire  tout 
à  la  foisjCt  à  sa  piété,  et  à  ses  obligations.il  commençait  la  jour- 
née par  visiter  les  églises,  où  il  entendait  la  sainte  Messe  et  faisait 
ses  prières  ;  puis  il  allait  à  son  travail,  qu'il  avait  soin  d'offrir  à 
Dieu,  et  il  s'en  acquittait  si  bien,  que  son  maître  reconnut  qu'il 
n'\  avait  pas,  dans  tout  le  territoire,  un  champ  mieux  cultivé 
que  le  sien.  —  On  voit  qu'Isidore,  par  cette  conduite,  confond  ces 
domestiques  tièdes,  et  beaucoup  d'autres  chrétiens  négligents,  qui 
prétendent  que  les  occupations  extérieures  ne  leur  laissent  point 
de  temps  pour  vaquer  aux  exercices  de  piété.  Il  faisait  de  son  tra- 
vail même  un  acte  de  religion,  en  s'y  portant  avec  un  esprit  de 
pénitence,  et  en  se  proposant  l'accomplissement  de  la  volonté 
divine.  Plus  il  était  pénible,  plus  il  lui  devenait  cher  ;  c'est  qu'alors 
il  lui  paraissait  plus  propre  à  dompter  la  chair,  et  devenait  la 
matière  d'une  pénitence  plus  parfaite.  En  labourant  la  terre,  il 
était  pénétré  de  l'esprit  des  anachorètes.  Tandis  que  sa  main  con- 
duisait la  charrue,  son  cœur  conversait  avec  Dieu  et  avec  les  esprits 
bienheureux.  Tantôt  il  déplorait  ses  misères  et  celles  des  autres 
hommes,  tantôt  il  soupirait  après  les  délices  de  la  Jérusalem 
céleste.  Ce  fut  par  un  amour  de  la  prière,  joint  à  la  pratique  con- 
tinuelle de  l'humilité  et  de  la  mortification,  qu'il  acquit,  dans  son 
humble  condition,  cette  sainteté  éminentequi  le  rendit  l'objet  de 
l'admiration  de  toute  l'Espagne.  Il  avait  épousé  Marie  Torribia, 
fort  recommandable  aussi  par  sa  vertu.  Il  mourut  en  1170. 

2.  —  Saint  Jean  de  Dieu,  allant  au  secours  des  chrétiens  escla- 
ves en  Afrique,  rencontra  à  Gibraltar  un  gentilhomme  portugais, 
que  le  roi  Jean  III  avait  dépouillé  de  tous  ses  biens  et  condamné  à 
l'exil.  Les  ofliciers  du  prince  étaient  chargés  de  le  conduire  avec  sa 
femme  et  ses  enfants  à  Ceuta,   en    Barbarie.   Jean,  par  charité,  se 


232        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IX.   INSTRUCTION. 

mit  gratuitement  à  son  service.  Mais  à  peine  fut-on  arrivé  à  Ceuta, 
que  le  chagrin  et  l'intempérie  de  l'air  causèrent  au  gentilhomme 
une  maladie  fâcheuse.  Il  fut  bientôt  réduit  à  une  extrême  nécessité, 
et  obligé  de  vendre,  pour  sa  subsistance  et  pour  celle  de  sa  famille, 
le  peu  qu'il  avait  apporté.  Cette  ressource  ayant  manqué,  notre 
saint  y  suppléa  en  vendant  tout  ce  qu'il  possédait.  Il  ne  s'en  tint 
pas  là  ;  il  alla  encore  travailler  aux  ouvrages  publics,  et  employa 
le  salaire  de  ses  journées  au  soulagement  de  ses  malheureux  maî- 
tres. Cette  conduite  si  charitable  lui  attira  des  grâces  si  abondan- 
tes, qu'il  devint  fondateur  de  l'ordre  de  la  charité,  pour  le  soula- 
gement des  pauvres  et  des  malades  dans  les  hôpitaux.  Sa  mort 
arriva  en  i55o. 

3.  —  Un  ancien  chevalier  de  Saint-Louis,  réduit  à  la  misère  la 
plus  extrême,  choisit  Paris  pour  sa  retraite,  comme  un  séjour  plus 
propre  à  cacher  à  tous  les  yeux  son  nom,  son  indigence  et  ses 
malheurs.  Il  se  loga  dans  un  grenier,  n'ayant  pour  tout  mobilier 
qu'une  botte  de  paille  ;  pour  habits  que  quelques  tristes  lambeaux 
de  son  ancien  uniforme  ;  pour  société,  pour  compagnie,  que  dirai- 
je  enfin,  pour  ami,  qu'un  vieux  domestique  qui  lui  était  attaché 
depuis  longtemps.  Un  jour,  ce  militaire  dit,  les  larmes  aux  yeux, 
au  seul  témoin  de  sa  douleur,  au  seul  confident  de  ses  peines  : 
«  Mon  ami,  tu  vois  ma  misère  ;  tu  la  partages  depuis  longtemps  ; 
éloigne-toi  pour  jamais  du  plus  infortuné  des  hommes  ;  va  cher- 
cher une  condition  plus  heureuse  ;  il  me  restera  encore  les  regrets 
de  ne  pouvoir  récompenser  tes  services.  Va,  fuis  ton  malheureux 
maître...  —  Ah  !  mon  cher  maître,  s'écria  ce  fidèle  serviteur,  fon- 
danten  larmes  et  se  jetant  à  ses  pieds,  me  croyez-vous  assez  lâche 
pour  vous  abandonner  dans  l'adversité,  lorsque  j'ai  éprouvé  vos 
bienfaits  dans  votre  ancienne  prospérité?  Non,  je  ne  vous  quitterai 
point  ;  mon  industrie,  mon  zèle  et  mon  inviolable  attachement  me 
fourniront  des  ressources  pour  soulager  notre  commune  indi- 
gence. »  Qui  pourrait  peindre  l'admiration  et  l'attendrissement  de 
ce  maître  affligé  !  11  embrasse  tendrement  ce  serviteur  généreux,  et 
lui  dit  :  «  Le  ciel  n'a  pas  encore  épuisé  sur  moi  tous  les  traits  de 
son  indignation  ;  puisse-t-il  te  récompenser  de  si  nobles  senti- 
ments !  »  Ce  domestique,  plein  de  joie  et  de  confiance,  eutrecours 
aux  moyens  que  son  zèle  et  son  affection  lui  suggérèrent.  Il  appor- 
tait tous  les  jours  ce  qu'il  avait  reçu  des  charités  publiques  ;  et  il 
n'était  jamais  plus  satisfait  que  quand  il  pouvait  apporter  un  peu 
de  vin  pour  son  cher  maître  :  «  Bénissons  la  Providence,  disait-il 
en  rentrant,  elle  nous  a  favorisés  aujourd'hui.  »  Il  tâchait  d'adou- 
cir, par  le  récit  de  ce  qu'il  avait  appris  de  plus  curieux,  la  situation 


DEVOIR    DES  IM 'l'un  l  RS  ENVERS   LEURS  SUPERIEURS.  2,33 


pénible  et  douloureuse  do  son  maître.  Mais  un  jour...  jour  fatal!... 
ce  vertueux  domestique  fut  arrêté  par  la  police.  Sa  figure,  sa  bonne 
constitution,  le  liront  regardercomme  un  de  ces  gens  oisifs,  livrés 
à  toutes  sortes  de  vices,  à  charge  à  l'État  et  à  la  société.  On  le 
présenta  au  lieutenant  général  de  police  ;  ce  magistrat  l'interrogea- 
Le  domestique,  sans  se  déconcerter,  lui  repondit  avec  cette  noble 
et  mâle  assurance  qu'inspire  une  conscience  irréprochable,  11  lui 
demanda  la  faveur  de  vouloir  bien  l'entendre  en  particulier,  ayant 
un  secret  important  à  lui  communiquer.  Le  magistrat  y  consentit. 
«  Je  ne  doute  point,  lui  dit  alors  ce  brave  jeune  homme,  que  vous 
ne  m'accordiez  votre  protection,  lorsque  je  vous  aurai  fait  part  de 
ma  conduite.  »  11  l'instruit  alors  de  tout  ce  qui  se  passait  entre 
son  maître  et  lui.  Le  magistrat  fut  attendri,  et  envoya  aussitôt  un 
exempt  chez  le  vieux  chevalier  de  Saint-Louis,  pour  s'assurer  si 
on  lui  avait  dit  la  vérité.  L'exempt  trouva  en  effet  le  malheureux 
guerrier  étendu  sur  une  botte  de  paille.  11  rendit  compte  au  lieu- 
tenant de  police  de  ce  qu'il  avait  vu.  Celui-ci  en  parla  au  roi,  qui 
accorda  une  pension  à  l'officier,  et  une  au  dévoué  domestique. 

Servantes  modèles. 

i.  —  Genséric,  roi  des  Vandales,  s'étant  emparé  de  Carthage  en 
439,  fit  vendre  comme  esclaves  les  femmes  et  les  filles  de  qualité 
qu'il  put  prendre.  Parmi  ces  illustres  captives,  se  trouvait  une 
jeune  vierge  chrétienne  nommée  Julie,  d'une  des  meilleures  famil- 
les de  la  ville.  Elle  fut  vendue  à  un  païen  nommé  Eusèbe,  qui  la 
mena  en  Syrie.  11  est  aisé  de  comprendre  combien  Julie  fut  sensible 
à  cet  affreux  changement  de  condition.  Une  jeune  fille  de  qualité, 
nourrie  dans  l'abondance  et  la  délicatesse,  accoutumée  dès  l'en- 
fance à  être  servie  avec  tous  les  soins  et  toutes  les  attentions  mi- 
nutieuses que  l'on  prodigue  ordinairement  aux  jeunes  personnes 
de  son  rang,  se  voir  réduite  à  la  condition  d'une  pauvre  esclave, 
obligée  de  servir  elle-même  un  maître  inconnu  et  païen,  de  sup- 
porter les  travaux  accablants  d'une  femme  de  charge,  et  pardessus 
tout,  de  se  voir  arrachée  du  sein  d'une  famille  honnête,  chrétienne 
et  chérie,  pour  être  transférée  dans  un  pays  inconnu,  au  milieu 
d'une  nation  idolâtre  et  corrompue,  quelle  désolante  position 
pour  une  jeune  fille  de  haute  naissance  !  —  Mais  Julie  trouva  dans 
sa  piété  solide,  dans  sa  foi  vive  et  dans  sa  ferme  confiance  en  Dieu, 
un  moyen  sur  de  sanctifier  toutes  les  peines  attachées  à  celte  dure 
servitude.  Toujours  elle  adora  les  desseins  de  la  Providence  dans 
ses  malheurs;  elle  les  regarda  comme  des  épreuves  et  des  moyens 
de  sanctification  que  Dieu  lui  envoyait,  et    elle   sut   toujours  s'en 


234        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.  IX.  INSTRUCTION. 

servir  pour  se  perfectionner  dans  la  vertu.  Le  souvenir  de  Jésus 
persécuté  tempéra  l'amertume  de  son  cœur,  arrêta  le  cours  de  ses 
larmes,  etlui  apprit  atout  souffrir  avec  la  patience  et  la  douceur 
que  son  divin  Maître  pratiqua  dans  le  cours  de  sa  Passion.  La  vue 
du  crucifix,  qu'elle  portait  sur  son  cœur,  ranimait  de  jour  en  jour 
sa  ferveur,  et  lui  donnait,  chaque  fois  qu'elle  le  contemplait,  un 
nouveau  goût  pour  les  souffrances,  jusque-là  que,  loin  de  s'en 
plaindre  jamais,  elle  en  vint  jusqu'à  chérir  son  état,  et  à  le  préfé- 
rer à  tout  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  Elle  comprit  qu'elle 
n'avait  pas  cessé  d'être  sa  servante,  pour  être  réduite  à  servir  un 
païen.  Aussi  s'étudia-t-elle  à  se  sanctifier  dans  l'humiliante  et 
pénible  condition  d'esclave  et  de  servante,  en  remplissant  parfai- 
tement les  devoirs  de  son  état,  et  en  les  conciliant  avec  ceux  de  sa 
religion.  Jamais  elle  ne  manqua  à  rien  de  ce  qu'elle  devait  à  Dieu 
et  aux  hommes.  Elle  était  toujours  appliquée,  et  sa  dévotion  ne 
fut  jamais  oisive.  Le  temps  qui  lui  restait,  après  qu'elle  avait  fait 
dans  la  maison  de  son  maître  ce  que  son  devoir  exigeait,  elle  le 
consacrait  à  la  prière  et  à  la  lecture  des  livres  de  piété.  Elle  ajou- 
tait même  des  jeûnes  et  des  austérités  rigoureuses  à  la  fatigue  de 
son  travail.  Aussi  Notre-Seigneur  récompensa-t-il  abondamment, 
dès  cette  vie,  les  généreux  sacrifices  de  sa  fidèle  servante.  Car  il 
répandit  dans  son  âme  des  consolations  si  douces,  qu'au  milieu 
des  humiliations,  des  fatigues  et  des  peines  de  son  état,  elle  avait 
toujours  le  visage  gai  et  riant.  — Enfin,  son  application  au  travail, 
sa  modestie,  sa  douceur,  et  toutes  ses  vertus  la  firent  bientôt 
admirer  des  païens  mêmes  au  milieu  desquels  elle  vivait,  et  ils  ne 
pouvaient  s'empêcher  de  louer  la  religion  chrétienne  qui  inspire 
une  si  sainte  conduite.  Son  maître  surtout  en  conçut  une  si  haute 
estime,  qu'il  la  regardait  avec  vénération,  et  disait  souvent  qu'il 
aimerait  mieux  perdre  tous  ses  biens  que  de  perdre  son  esclave. 
Une  circonstance  prouva  clairement  qu'il  disait  vrai.  Il  emmena 
Julie  avec  lui  dans  un  voyage  qu'il  fit  en  Corse.  Le  gouverneur  de 
cette  île  la  lui  ayant  demandée,  lui  offrit  en  échange  quatre  de  ses 
meilleures  esclaves  à  son  choix,  ou  tout  l'argent  qu'il  voudrait. 
«  Tout  votre  bien,  répondit  Eusèbe,  ne  suffirait  pas  pour  payer  ce 
qu'elle  vaut  ;  je  me  déferais  de  ce  que  j'ai  de  plus  cher  et  de  plus 
précieux  pour  la  conserver.  »  Julie  ne  profitait  des  bonnes  grâces 
de  son  maître  que  pour  pratiquer  avec  plus  de  liberté  et  de  ferveur 
les  exercices  de  sa  religion.  —  11  est  sans  doute  bien  consolant 
pour  une  servante  affligée  de  mériter  à  ce  point  l'estime  de  ses 
maîtres.  Mais  qu'il  est  doux  de  posséder  l'amour  du  divin  Maître! 
Pour  une  âme  qui  en  est  pénétrée,  rien  n'est  dur  et  pénible  en  ce 


DEVOIR  DES  INFÉRIEURS  ENVERS  LEURS  SUPERIEURS.  235 


i 

monde.  Les  tribulal ions  lui  deviennent  consolantes,  et  son  exil 
n'est  prolongé  ici-bas  que  pour  la  rendre  plus  digne  de  la 
félicité  éternelle.  C'est  le  bonheur  que  mérita  sainte  Julie,  le  mo- 
dèledes  servantes.  Au  milieu  de  ses  souffrances,  elle  n'avait  cessé 
de  demander  à  Dieu,  par  l'intercession  de  la  très  sainte  Vierge,  en 
qui  elle  avait  une  tendre  dévotion,  la  grâce  unique  de  se  sanctifier 
dans  les  peines,  et  de  l'aimer  toujours.  Elle  fut  exaucée;  le  ciel, 
par  une  chaîne  admirable  d'événements,  la  conduisit  à  la  sainteté, 
et  l'éleva  à  la  dignité  de  vierge  et  de  martyre.  —  Si  donc  une 
jeune  personne  de  haute  naissance  a  été  si  bonne  servante  et  si 
bonne  chrétienne  en  même  temps,  pourquoi  n'aurait-elle  point 
d'imitateurs  parmi  ceux  de  basse  condition,  qui  ont  toujours  servi, 
et  n'ont  point  été  accoutumés  d'être  servis  ?  Ce  genre  d'emploi 
leur  est,  pour  cette  raison,  plus  facile  qu'à  ceux  qui  ont  été  élevés 
délicatement. 

2>  _  Sainte  Zite  était  fdle  d'un  pauvre  paysan  d'Italie.  A    peine 
âgée  de  douze  ans,  elle  fut  mise   au    service   d'un   bourgeois  de  la 
ville  de  Lucques,  et  dès  lors  elle  comprit  fort  bien  que  la  véritable 
dévotion  consiste  à  remplir  parfaitement  les  devoirs  de  son   état, 
sans  négliger  ceux  de  sa   religion.    Elle  avait   même   coutume  de 
dire,  dans  un  âge  plus   avancé:    «  Les   principales  qualités  d'une 
servante  chrétienne  sont  la  crainte  de  Dieu,  la  fidélité,   l'humilité, 
la  douceur,   l'obéissance    et   l'amour   du  travail  ;    nulle   servante 
dévote,  si  elle  n'est   laborieuse.    Une   dévotion  fainéante  surtout, 
ajoutait-elle,   dans   les    gens   de   notre   condition,   est  une  fausse 
dévotion.  »  Aussi  se  montra-t-elle  extrêmement  fidèle  à  suivre  ces 
maximes.   Durant  près  de  soixante  ans  qu'elle   fut  au  service  du 
même  maître,  on  ne  la  vit  jamais  sans  quelque  ouvrage.  Elle  était 
tellement  appliquée  aux  emplois  de  son  état,  qu'il  n'était  besoin 
de  lui  rien  commander.  Elle  prévenait  tout,  et  on  eût  dit  qu'elle  ne 
pensait  à  rien  autre  chose.  Cependant  son  occupation  au  travail  ne 
l'empêchait  pas  de  vaquer  aux  exercices  de  dévotion.  Elle   savait 
tout  concilier  pour  servir  son  Dieu  et  ses  maîtres.   Toujours  levée 
dès  la  pointe  du  jour,   elle  donnait  à  la  prière  un  temps  que  les 
autres  accordaient  au  repos  ;   et  avant  que  le  service  demandât  sa 
présence,  elle  avait   toujours   assisté  à  la  Messe.  Elle  était  sans 
cesse  unie  à  Dieu  pendant  ses  occupations  ;   en  sorte  qu'elle  tra- 
vaillait tout  le  jour,  et  tout  le  jour  elle  était  en  prière,  et  son  tra- 
vail  n'interrompait  jamais    son   oraison.    Il  était  lui-même  une 
oraison  continuelle  par  l'esprit  intérieur  avec  lequel  elle  le  faisait. 
Embrasée  continuellement  du  feu  de  l'amour  divin,  on  l'entendait 
s'écrier  souvent  :  «  Oui,  mon  divin  Époux,  je  vous  aime,  »  Elle 


236        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  I\.    INSTRUCTION. 


s'était  fait  une  petite  cellule  dans  le  coin  le  plus  retiré  de  la  mai- 
son ;  elle  y  allait  de  temps  en  temps  passer  la  nuit  dans  une  haute 
contemplation  ;  et  les  autres  domestiques  ont  attesté  avoir  vu 
souvent,  pendant  la  nuit,  cette  cellule  éclairée  d'une  lumière 
éblouissante.  Dieu  fît  souvent  de  pareils  miracles  pour  manifester 
la  sainteté  de  sa  servante.  S'étant,  un  matin,  un  peu  trop  aban- 
donnée à  sa  dévotion,  elle  se  souvint  un  peu  tard  qu'elle  devait 
pétrir.  Elle  condamna  sa  dévotion.  Courant  pour  réparer  sa  faute, 
elle  trouva  que  Dieu  y  avait  pourvu  :  tout  se  trouva  prêt  à  mettre 
le  pain  dans  le  four. —  Son  humilité,  son  obéissance  et  sa  douceur 
répondaient  parfaitement  à  ses  autres  vertus.  Elle  était  pénétrée 
de  si  bas  sentiments  d'elle-même,  qu'elle  s'étonnait  que  tout  le 
monde  ne  la  méprisât  pas;  et  on  était  persuadé  que  le  seul  plaisir 
qu'on  pût  lui  faire,  c'était  de  la  mépriser.  Elle  respectait  les  autres 
domestiques  comme  ses  maîtres.  On  n'avait  qu'à  parler,  on  était 
obéi  :  jamais  difficulté,  jamais  réplique.  Plusieurs  personnes 
prenaient  quelquefois  plaisir  à  éprouver  sa  parfaite  soumis- 
sion, en  l'envoyant  à  une  demi-lieue  de  la  ville  dans  un  temps  de 
pluie  et  d'orage.  Zite  partait  avec  joie,  faisait  la  commission  avec 
ponctualité,  et  revenait  toute  en  eau  s'en  se  plaindre.  —  Sa  dou- 
ceur désarmait  les  plus  emportés  ;  un  seul  mot  de  sa  part  suffisait 
pour  adoucir  son  maître,  lorsqu'il  était  en  colère.  —  Dieu  permit 
que  son  humilité  et  sa  douceur  fussent  bien  exercées  pendant  plu- 
sieurs années.  On  traitait  de  bêtise  et  de  simplicité  sa  retenue  et  sa 
modestie  ;  et  l'on  voulait  que  le  motif  de  sa  diligence  à  prévenir 
ses  devoirs,  fut  une  jalousie  et  un  orgueil  secret.  Sa  maîtresse 
n'agréait  plus  rien  de  ce  qu'elle  faisait.  Les  manquements  et  les 
défauts  des  autres  domestiques  du  logis  étaient  toujours  un  nou- 
veau sujet  de  gronderie  contre  notre  sainte.  On  blâmait  son 
silence  et  sa  dévotion  ;  on  raillait  sa  délicatesse  de  conscience  et  sa 
ponctualité  ;  sa  vie  pénitente  était  à  charge.  Mais  au  milieu  de  ces 
mauvais  traitements,  Zite  ne  se  démentit  jamais  en  rien.  Toujours 
même  douceur,  même  calme,  même  application  à  ses  devoirs  ;  et 
il  ne  sortit  jamais  de  sa  bouche  un  seul  mot  de  plainte.  Une  vertu 
si  éprouvée  et  si  persévérante  se  fit  jour  à  travers  l'antipathie  et 
la  malignité.  Ses  maîtres  découvrirent  enfin  ce  trésor,  et  prirent 
en  elle  une  si  grande  confiance,  qu'ils  s'en  remirent  à  elle  seule 
du  soin  de  toute  la  dépense  de  la  maison  et  du  domestique  ;  et  ce 
fut  dans  ce  genre  de  fonction  qu'ils  virent  surtout  éclater  la  fidé- 
lité de  leur  sainte  servante.  On  ne  peut  dire  quelles  furent  son 
exactitude,  sa  vigilance  et  son  application  à  ne  rien  perdre  du 
bien  dont  le  maniement  lui  était  confié.  Elje  le  regardait  comme 


DEVOIR  DES  [NFERIEl  KS  ENVERS  LEURS  Si  PERIEURS. 


un  dépôt  dont  clic  devait  rendre  compte  à   Dieu,  et  elle  en  pre- 
nait tant  de  soin,  que  son  économie  allait  jusqu'au  scrupule. 

3.  _  Agathe  servait  un  vieillard,  que  les  infirmités  de  l'âge  et 
de  sos  longs  travaux  avaient  rendu  capricieux  et  exigeant.  Cette 

bonne  tille  donnait  tous  ses  soins   à  son  maître  avec  la  plus  ten- 
dre sollicitude,  et  avec  un  dévouement  à  toute  épreuve.  Toujours 
calme,  douce  et  patiente,  elle  portait  son  cœur  entre  ses  mains,  et 
la  sérénité  la  plus  parfaite  rayonnait  toujours  sur  son  visage.  Très 
exacte  à  remplir  ses  devoirs  religieux,  elle  s'appliquait  à  imiter, 
autant   qu'il  était   en    elle,   la  vie  humble  et  cachée  de  la  Très 
Sainte  Vierge.  Elle  s'efforçait  de  faire,  à  son   exemple,  toutes  les 
plus  petites  actions  de  sa  journée  avec  perfection  et  en  union  avec 
Dieu.   Souvent  elle  était  elle-même  malade,  mais  elle  ne  s'écoutait 
pas.  L'esprit  de  mortification  lui  faisait  porter  ses  douleurs  avec 
joie,  et  même  plusieurs  des  personnes  qui  allaient  la  visiter  dans 
sa  maladie  en  revenaient  surprises  et  édifiées,   en  la  voyant  d'une 
humeur  si  gaie  au  milieu  de  ses  souffrances.  —  Elle  était  devenue 
la  conseillère  des   servantes  plus  jeunes  qu'elle,   et,    dans  leurs 
peines,   celles-ci  venaient  lui  demander   ses  avis.  Sa  haute  vertu 
lui   avait   mérité   le   bonheur  de  communier   plusieurs  fois  par 
semaine,  et  de  faire  partie  d'une  pieuse  association  en  faveur  des 
pauvres  filles  de  service.  Mais  lorsque  son  devoir  l'appelait  auprès 
de  son  maître,  elle  laissait  tout  pour  ses  désirs,    même  les  plus 
capricieux  et  les  plus  contrariants  pour  elle.   Souvent,  sur  le  point 
de  sortir  pour  aller   s'asseoir  à  la  Table  sainte,   ou  pour  assister 
aux  réunions  de  la  société  dont  elle  faisait  partie,  son  maître  l'ap- 
pelait :   elle  renvoyait  alors  tranquillement  sa  communion  à  un 
autre  jour,  et  se  privait  des   consolations  qu'elle  éprouvait  dans 
ces  saintes  assemblées,  n'hésitant  pas  un  instant  entre  le  devoir  et 
le  conseil.  «  Dieu  le  veut  ainsi   »,  disait-elle,  et  cette  pensée  suffi- 
sait pour  la  dédommager  des  jouissances  si  pures   qu'elle  s'était 
promises.  —  Elle   mourut  saintement  comme  elle  avait  vécu,  et 
fut  accompagnée  à  sa  dernière  demeure  par  un  grand  nombre  de 
domestiques  qui  l'avaient  connue,  ou  qui   avaient  entendu  parler 
de  ses  vertus.  Son  enterrement  fut  un  véritable  triomphe. 

Pour  les  serviteurs  et  les  maîtres. 

Carloman,  fils  aîné  de  Charles  Martel  et  frère  de  Pépin,  roi  de 
France,  va  inconnu  au  Mont-Gassin,  avec  un  de  ses  plus  fidèles 
serviteur».  H  demande  à  parler  à  l'abbé;  il  se  prosterne  devant 
lui.  disant  :  «  Mon  Père,  voici  un  pauvre  homicide,  tout  chargé 
d'iniquités,  qui   vous  demande  miséricorde.  —  D'où  êtes-vous  ? 


238       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  IX.  INSTRUCTION. 

lui  dit  l'abbé.  —  Je  suis  un  misérable  Français,  qui  suis  sorti  de 
mon  pays  pour  venir  faire  pénitence,  et  expier  mes  crimes  en  ce 
monastère,  s'il  vous  plaît  de  m'y  recevoir.  »  Il  faut  remarquer 
que  ces  homicides  dont  il  parlait,  c'est  qu'il  avait  tué  des  barbares 
en  des  guerres  très  justes.  Et  ainsi  il  est  reçu  au  monastère  avec  son 
second.  Après  le  noviciat  et  la  profession,  on  le  met  à  la  cuisine 
pour  servir  le  cuisinier  ;  mais,  comme  il  n'avait  jamais  fait 
ce  métier,  il  y  commettait  plusieurs  fautes  ;  si  bien  que  le  cui- 
sinier, qui  n'était  pas  des  plus  patients,  lui  disait  :  «  Qui  m'a 
ici  amené  ce  lourdeau  ?  Quelle  pécore  m'a-t-on  ici  donnée  !  »  Et  il 
lui  donnait  de  grands  soufflets.  Le  saint  prince,  tout  doucement, 
lui  répondait  :  «  Mon  frère,  Dieu  vous  le  pardonne  !  »  D'autres 
fois,  il  lui  donnait  de  grands  coups  de  poing  sur  le  dos,  et  ce 
saint  de  rechef  lui  disait  :  «  Mon  frère,  Dieu  vous  pardonne  !  » 
Mais  comme  il  recommençait  toujours  à  le  frapper,  le  serviteur 
du  saint,  perdant  patience,  lui  dit  :  «  Savez-vous  bien  qui  est  celui 
que  vous  maltraitez  ?  C'est  Garloman,  frère  du  roi  de  France.  » 

Serviteurs  et  subordonnés,  apprenez  de  ce  bon  prince  à  souffrir 
patiemment  les  torts,  les  mépris,  les  injures  qui  vous  sont  faits,  à 
les  recevoir  et  endurer  pour  pénitence  de  vos  péchés.  Mais  que  les 
maîtres  et  les  supérieurs  se  souviennent  aussi  que,  quand  ils 
seront  au  jugement  de  Dieu,  et  qu'ils  verront  tel  serviteur  parmi  les 
hienheureux,  on  leur  dira  :  «  Savez-vous  bien  à  qui  vous  vous  êtes 
joué,  qui  est  celui  que  vous  avez  méprisé  ?  c'est  un  prince,  non  de 
France,  mais  du  ciel  ;  c'est  un  enfant  de  Dieu,  c'est  un  frère  de 
Jésus-Christ  !  i  Et  Dieu  sait  comme  ils  en  seront  punis. 


DIXIEME  INSTRUCTION 

(Mercredi  de  la  Troisième  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
de   remplir    ses    obligations    civiques. 

I.  OLligations  civiques  de  ceux  qui  gouvernent.  —  IL  Obligations 
civiques  de  ceux  qui  sont  gouvernés. 

Outre  nos  devoirs  envers  Dieu,  qui  sont  les  premiers  et 
les  plus  sacrés  de  nos  devoirs,  nous  avons  déjà  vu  que  nous 
avons  à  nous  acquitter  de  ceux  qui  nous  sont  imposés  pour 
le  bien  de  la  société  familiale,  c'est-à-dire  des  devoirs  res- 
pectifs des  parents  et  des  enfants,  et  de  ceux  qui  nous  sont 
également  imposés  pour  le  bien  de  la  société  domestique, 
c'est-à-dire  des  devoirs  respectifs  des  supérieurs  et  des  infé- 
rieurs. Mais  au-delà  de  la  société  familiale  et  de  la  société 
domestique,  apparaît  une  troisième  société,  dont  nous  fai- 
sons encore  nécessairement  partie,  et  qui  est  la  société 
civile.  À  proprement  parler,  la  société  civile  n'est  que  l'ex- 
tension de  la  société  domestique,  comme  celle-ci  n'est  déjà 
que  l'extension  de  la  société  familiale.  En  effet,  la  société 
familiale  s'étend  en  s'adj oignant  des  serviteurs,  et  forme 
ainsi  la  société  domestique.  Et  la  société  domestique,  en 
s'unissant  à  d'autres  sociétés  semblables,  s'étend  et  forme  à 
son  tour  la  société  civile,  laquelle  comprend  par  consé- 
quent tous  les  individus  ayant  la  même  origine,  les  mêmes 
goûts,  les  mêmes  mœurs,  les  mêmes  intérêts. 

Or,  de  même  que  la  société  familiale  et  la  société  domes- 
tique sont  formées  de  deux  éléments,  la  première,  des 
parents  et  des  enfants,  la  seconde,  des  maîtres  et  des  servi- 
teurs, qui  ont  tous  des  devoirs  à  remplir  les  uns  à  l'égard 
des  autres  ;  de  même  la  société  civile  est  pareillement  for- 
•mée  de  deux  éléments,  des  citoyens  qui  gouvernent  et  des 
<il<>\(ii>  qui  sont  gouvernés,  lesquels,  scmblablement,  ont 
aussi  à  accomplir  les  devoirs  des  uns  envers  les  autres* 


240         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    IX.   INSTRUCTOX. 

C'est  de  ces  devoirs  que  nous  allons  nous  occuper  aujour- 
d'hui. Saint  Paul,  qui  se  réclamait  de  son  titre  de  citoyen 
romain  (i),  pour  bénéficier  des  privilèges  qui  s'y  trou- 
vaient attachés,  n'avait  garde  sans  doute  d'en  omettre  les 
devoirs.  Le  Maître  lui  en  avait  donné  l'exemple,  lorsqu'il 
n'hésita  pas  à  faire  même  un  miracle  pour  payer  le  tribut 
légal  (2).  Les  chrétiens  doivent  donc  se  montrer  scrupu- 
leux observateurs  de  cette  nouvelle  classe  de  devoirs,  aussi 
bien  que  tous  les  autres.  Mais  pour  les  bien  observer,  il 
faut  les  bien  connaître.  C'est  pourquoi,  nous  le  répétons, 
nous  allons  en  faire  le  sujet  de  notre  entretien  de  ce  soir. 
Et  parce  que  l'Église  ne  cache  pas  aux  enfants  les  devoirs  de 
leurs  parents,  ni  aux  serviteurs  les.  devoirs  de  leurs  maî- 
tres ;  elle  ne  cache  pas  non  plus  aux  citoyens  qui  sont  gou- 
vernés, les  devoirs  qu'ont  à  remplir  à  leur  égard  les 
citoyens  qui  les  gouvernent.  C'est  un  motif,  pour  ces  der- 
niers, de  rester  dans  la  limite  de  leurs  droits;  et  pour  les 
autres,  un  moyen  de  connaître  les  abus  dont  ils  pourraient 
être  victimes,  de  les  signaler  et  de  s'y  soustraire.  En  consé- 
quence, nous  allons  exposer,  d'ailleurs  brièvement,  d'abord 
les  devoirs,  des  citoyens  qui  gouvernent  la  société,  c'est-à- 
dire  des  chefs  d'Etats  et  de  leurs  agents  ou  magistrats,  et 
ensuite  ceux  des  citoyens  qui  sont  gouvernés,  c'est-à-dire 
de  la  masse  du  peuple.  Un  tel  sujet  doit  d'autant  plus 
piquer  votre  curiosité  et  fixer  votre  attention,  que  tout  en  étant 
de  la  plus  extrême  importance,  il  est  en  général  peu  connu, 
n'étant  que  très  rarement  traité.  —  0  Dieu,  qui  n'êtes  pas 
moins  l'auteur  de  la  société  civile,  que  de  la  société  fami- 
liale et  de  la  société  domestique,  et  qui  en  avez  réglé  tous 
les  devoirs,  favorisez-nous  de  vos  lumières,  afin  que  l'exact 
accomplissement  de  nos  obligations  civiques  nous  facilite, 
selon  vos  vues,  l'accomplissement  de  nos  autres  obligations, 
et  par  suite  la  sanctification  et  le  salut  de  notre  âme. 

I.  —  Obligations  civiques  de  ceux  qui  gouvernent 
la  société.  —  Ceux  qui  gouvernent  la  société,  quel  que  soit 

1.  Act.  xvi,  37. 

2.  Matth.  xvii,  2G. 


OBLIGATION    D* ACCOMPLIR    LÉS    DEVOIRS    CIVIQUES.  2  \  l 

Le  degré  de  la  hiérarchie  qu'ils  occupent,  depuis  le  trône 
royal,  ou  Le  siège  présidentiel,  jusqu'à  la  dernière  Fonc- 
tion, doivenl  être  considérés  comme  les  pères  de  ceux  sur 
lesquels  ils  onl  autorité.  C'est  ce  que  pensaient  les  païens 
cu\  mêmes,  puisqu'à  Rome  les  sénateurs  portaient  précisé- 
menl  le  nom  de  o  pères  »  (i).  Eu  France  également,  l'un 
de  nos  rois  qui  se  sont  le  mieux,  acquittés  de  leurs  devoirs, 
Louis  Ml.  recul  des  états  généraux'de  la  nation  le  surnom 
de  «  Père  de  la  patrie.  »  Rien  de  mieux  fondé  d'ailleurs 
que  cette  conception,  qui  assimile,  dans  une  certaine  me- 
sure. Les  chefs  ei  les  dépositaires  de  l'autorité  civile  aux 
pères  de  famille.  De  même,  en  effet,  que  c'est  de  Dieu  que 
les  pères  tiennent  leur  autorité,  et  qu'ils  sont  ses  représen- 
tants devant  leurs  enfants  ;  de  même  c'est  aussi  de  Dieu  que 
Les  chefs  civils  tiennent  en  principe  leur  pouvoir,  et  qu'ils 
sont  les  représentants  vis-à-vis  de  leurs  administrés.  Car 
les  hommes,  par  eux-mêmes,  n'ont  aucun  pouvoir  sur  leurs 
semblables.  //  n'y  a  point  de  puissance,  dit  l'apôtre  saint 
Paul,  qui  ne  soit  établie  de  Dieu,  et  à  regard  de  celles  qui  le 
sont,  c'est  Dieu  qui  y  a  mis  U ordre  (2). 

1.  Patres  conscripti . 

:>. .  Rom.  xiii,  1.  —  //  n'est  pas  de  puissance  qui  ne  vienne  de  Dieu. 
Que  dites-vous  ?  Tout  prince  est-il  donc  établi  de  Dieu  ?  Je  ne  dis  pas 
cela,  car  il  n'est  pas  question  dans  mes  paroles  de  tel  ou  tel  prince,  mais 
de  la  chose  elle-même,  c'est-à-dire  du  pouvoir  en  général.  Or,  qu'il 
y  ait  des  gouvernements,  qoc  les  uns  commandent  et  que  les 
autres  obéissent,  que  tout  ne  soit  pas  abandonné  au  hasard  et  sans 
règle,  ni  les  peuples  ballotés  comme  les  Ilots  de  la  mer,  je  dis  que 
c'esl  l'œuvre  de  la  sagesse  divine.  Aussi  saint  Paul  n'a  pas  dit  :  Il  n'y  a 
point  de  prince  qui  ne  vienne  de  Dieu  ;  mais,  parlant  de  la  chose  même, 
il  dit  :  //  n'y  a  pas  de  puissance  qui  ne  vienne  de  Dieu  (S.  Jean  Ghrysost. 
hom.  18.  sur  l'Ép.  aux  Rom.  n.  11). 

Dieu  esl  le  principe  cl  l'auteur  de  toute  hiérarchie,  ei  par  là  même  le 
pouvoir,  comme  tel,  est  toujours  divin.  Ce  n'est  pas  quelque  chose  qui 
procède  orig'maircinenl  d'en  bas,  par  exemple,  d'une  volonté  humaine 
quelconque,  ni  d'un  fait,  ni  d'un  pacte,  ni  d'un  prétendu  droit  popu- 
laire el  du  suffrage  des  foules.  Même  quand  ces  sortes  de  causes  con- 
tribuent extérieurement  à  la  naissance  historique  et  à  la  constitution 
du  pouvoir,  elles  en  fournissent  loul  au  plus  la  matière,  en  en  déter- 
minant le  sujet  ;  mais  elles  n'\  donnent  jamais  et  ne  sauraient  y  don- 
ner la  forme,  c'est-à-dire  ce  qui  fonde  dans  l'homme  le  droit  moral  de 
commander  aux  autres.  //  n'y  a  de  puissance  que  de  Dieu,  el  celles  qui 
existent  ont  été  ordonnées  pav  lui.  Le  pouvoii  donc  n'est  pas  quelque 
chose  qui  ait  sa  racine  en  bas.  Non,  comme  la   lumière,  comme  l'intel- 

SOMME  DU   PREDICATEUR.  —   T.    II.  !<j 


ll\2         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   X.   INSTRUCTION. 

Ceux  qui  gouvernent,  ainsi  que  leurs  agents,  étant  donc 
d'une  certaine  manière,  disons-nous,  comme  les  pères  de 
la  société,  leurs  obligations  ont  aussi  par  là  même  une  cer- 
taine ressemblance  avec  celles  des  pères  de  famille. 

Ils  doivent  en  conséquence  bien  savoir,  avant  tout,  que 
comme  Dieu  ne  donne  pas  aux  parents  leurs  enfants  pour 
eux-mêmes,  mais  pour  qu'ils  pourvoient  à  leurs  besoins  ; 
ainsi  n'est-ce  pas  pour  leur  avantage  propre  que  Dieu 
remet  l'autorité  entre  les  mains  de  ceux  qui  gouvernent  la 
société,  mais  bien  pour  l'avantage  de  la  société  elle-même. 
Sans  doute,  de  même  que  les  pères  de  famille  tirent  de  leurs 
enfants  certains  avantages,  comme  par  exemple  un  aide 
dans  leurs  travaux,  une  assistance  dans  leurs  besoins  ; 
ceux  qui  gouvernent  peuvent  également  tirer,  de  leur  situa- 
tion, divers  bénéfices  parfaitement  légitimes,    en  particulier 


ligence,  comme  la  grâce,  comme  tout  ce  que  la  terre  reçoit  du  ciel,  le 
pouvoir  vient  et  ne  peut  venir  que  d'en  haut,  d'où  il  suit  que  ceux-là, 
qu'ils  le  veuillent  ou  qu'ils  ne  le  veuillent  pas,  sont  les  destructeurs  de 
toute  autorité,  et  par  conséquent  de  tout  ordre,  qui  bien  que  se  quali- 
fiant de  conservateurs  et  d'hommes  d'ordre,  font  profession  de  rejeter 
de  l'état  de  choses  moderne  toute  notion  de  pouvoir  divin.  L'autorité 
créée  n'a  droit  à  l'obéissance,  à  la  soumission,  au  respect,  que  parce 
qu'elle  provient  au  moins  médiatement  de  Dieu  (Le  card.  Pie,  Dis- 
cours, etc.,  tome  vin,  p.  i3i). 

Lorsque  nous  enseignons,  d'après  la  doctrine  de  l'Apôtre,  que  tout 
pouvoir  vient  de  Dieu,  nous  ne  prétendons  point  que  le  pouvoir  est  de 
droit  divin,  en  ce  sens  que  Dieu  désigne  directement  certains  hommes, 
certaines  familles  pour  porter  le  sceptre,  et  renouvelle  ainsi  une  sorte 
de  théocratie  permanente  dans  les  sociétés.  «  A  entendre  certains  hom- 
mes se  moquer  du  droit  divin  des  rois,  dit  le  savant  Balniès,  on 
dirait  que  nous,  catholiques,  nous  supposons  pour  des  individus 
ou  pour  des  familles  royales  comme  une  bulle  d'institution  envoyée  du 
ciel  et  que  nous  ignorons  grossièrement  l'histoire  des  vicissitudes  des 
pouvoirs  civils.  »  Or,  rien  n'est  plus  faux  que  cette  explication  de  la 
maxime  :  le  pouvoir  est  de  droit  divin.  La  grande  majorité  des  théolo- 
giens et  des  docteurs  catholiques  enseignent  que  le  pouvoir  en  lui- 
même,  quelle  qu'en  soit  la  forme,  république  ou  monarchie,  quel 
qu'en  soit  le  représentant,  président  ou  roi,  que  le  pouvoir  en  lui-même 
vient  de  Dieu  ;  mais  les  formes  du  pouvoir,  le  mode  de  transmission 
tiennent  à  des  intermédiaires  humains  et  aux  institutions  sociales... 
La  souveraineté  du  peuple,  entendue  dans  ce  sens,  qu'elle  réside  dans 
le  peuple  comme  dans  sa  source,  c'est-à-dire  [une  souveraineté  pure- 
ment humaine,  est  aussi  contraire  à  la  saine  raison  qu'à  l'Ecriture 
(Mgr  Péronkê,  Épitres  de  s.  Paul,  Ép.  aux  Rom.  xm,  i).  —  Cf.  Balmès. 
Le  protestantisme  comparé  au  Catholicisme,  ch.  £9  et  5o. 


OBLIGATION    D  ACCOMPLIE    LES    DEVOIRS"    CIVIQUES. 


des  émoluments  on  rapport  avec  leur  rang.  Saint  Paul  n'hé- 
site  pas  à  rappeler  que  ceux  qui  ont  quelque  emploi  dans  le 

temple,  rirent  de  ce   qui  appartient  au    temple,  et  que  ceux  qui 
serrent    à    l'autel  ont    leur    part    (tes    biens    de    l'autel   (i). 
Mais  au    fond   et   en   réalité,  répétons-le,   ce  n'est  pas  pour 
L'avantage  et  le  profit  des  chefs  et  de  leurs  agents  que  Dieu 
a  créé  l'autorité   et  formé  les  sociétés  ;   tout  au  contraire, 
c'est  pour  l'avantage  des  sociétés  que  Dieu  a  mis  à  leur  tête 
des  chefs,  afin  que  ces  chefs  gouvernassent  les  sociétés,  et 
que    les    membres  de   ces  sociétés   trouvassent,   dans  leur 
association  organisée,  des  biens  dont  ils  n'auraient  pu  jouir 
s'ils  fussent  restés  isolés.   Aussi  voyons-nous  dans  la  sainte 
Écriture  qu'il  fut  dit  à  Salomon  :  Parce  que  Dieu  aimait  son 
peuple,    il  vous  a  fait  régner  sur  eux  (2).  Ainsi,  ce  n'est  pas 
parce    que    Dieu   aimait   Salomon,    mais  bien   parce   qu'il 
aimait  son  peuple,   qu'il  leur  donna   Salomon,  afin  que  ce 
sage  renommé  leur  fît  justice  et  jugement  (3),   comme   il  est 
dit   dans  un  autre  endroit.  —  Puis   donc  que  les  chefs  ne 
sont  établis  que  pour  le  service  et  le  bien  des  peuples,  que 
ces  chefs,  ainsi  que  leurs  agents  et  représentants,  jusqu'au 
dernier  et  au    moindre,   comprennent  de  quels  abus  et  de 
quels  crimes  ils  se  rendent  coupables,   lorsqu'au  lieu  de  se 
servir  de  l'autorité  dont  ils   sont  investis  pour  le  bien  de 
ceux:  qu'ils  gouvernent  et  administrent,  ils  s'en  servent  pour 
les  molester,  pour  les  tyranniser,  pour  les  écraser.  —  Et  que 
ceux  qui  sont  gouvernés   comprennent  aussi,   après  ce  que 
nous    venons    de  dire,    l'insigne    mauvaise   foi   des    enne- 
mis  de  l'Église,    lorsqu'ils    l'accusent  de   ne  parler    qu'en 
faveur  des  rois,  et  d'exagérer  leur  autorité  jusqu'au  despo- 
tisme,   puisque    la   première  chose   qu'elle    enseigne    aux 
détenteurs  de  l'autorité,   c'est  qu'ils   ne  sont  que  les  servi- 
teurs de  ceux  qu'ils  gouvernent  et  administrent  (4).  Aussi  le 

1.  I.  Cor.  ix,  i3. 

2.  II.  Par.  11,  11. 

3.  III.  Reg.  x,  9. 

!\.  Regnum  non  est  propter  regem,  sed  rex  propter  r<3griunl,  quia  ad 
hoc  Deus  proviclit  de  eis  ut  regnum  regant  ci  gubernent,  et  unum- 
quemque  in  suo  jure  conservent:  et    hic  est  huis  reginrinis,  quod  si 


l!\[\        LES  GRANDS  DÈVOÎRS  DU  SÀLÙT.  X.  INSTRUCTION. 

chef  de  l'Eglise,  bien  qu'il  soit  la  plus  grande  autorité  qui 
existe  en  ce  inonde,  ne  prend-il  lui-même,  officiellement, 
que  le  titre  de  «  Pape  »,  qui  veut  dire  père,  et  celui  de 
«  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu.  » 

C'est  de  cette  vérité  et  de  ce  principe,  que  certains  hom- 
mes ne  sont  investis  de  l'autorité  que  pour  le  bien  des 
autres,  que  découlent  les  obligations  des  chefs  sociaux,  ainsi 
que  de  leurs  agents  et  représentants.  i 

L'une  des  premières  et  des  plus  graves  de  ces  obligations, 
c'est  la  confection  de  lois  justes.  Ce  sont  en  effet  de  telles 
lois  qui  font  la  force  et  la  prospérité  des  nations  ;  tandis 
que  les  lois  injustes  les  affaiblissent  et  en  préparent  la  ruine, 

aliud  faciunt,  in  seipso  commodum  retorquendo,  non  sunt  reges,  sed 
tyranni(S.  Th.  Aquix.  De  regim.  princip.  m,  n). 

Dans  les  endroits  (de  l'Écrilure)  où  nous  lisons  que  le  royaume  de 
David  fut  élevé  sur  le  peuple,  l'hébreu  et  le  grec  portent  pour  le  peuple. 
Ce  qui  montre  que  la  grandeur  a  pour  objet  le  bien  des  peuples  sou- 
mis. En  effet,  Dieu,  qui  a  formé  dans  les  hommes  d'une  même  terre 
pour  le  corps,  et  a  mis  également  dans  leurs  cames  son  image  et  sa  res- 
semblance, n'a  pas  établi  entre  eux  tant  de  distinction  pour  faire  d'un 
côté  des  orgueilleux,  et  de  l'autre  des  esclaves  et  des  misérables.  Il  n'a 
fait  les  grands  que  pour  protéger  les  petits  ;  il  n'a  donné  sa  puissance 
aux  rois  que  pour  procurer  le  bien  public,  et  pour  être  le  support  du 
peuple.  Le  prince  n'est  pas  né  pour  lui-même,  mais  pour  le  public 
(Bossuet,  Polit,  tirée  de  l'Écrit,  liv.  3,  a.  3). 

Les  rois  sont  pour  le  bien  des  peuples  ;  si  cet  objet  vient  à  manquer, 
le  gouvernement  est  de  trop  ;  et  sous  ce  rapport  il  n'y  a  pas  la  moindre 
différence  entre  la  république  et  la  monarchie.  Quiconque  flatte  les  rois 
par  de  contraires  maximes  les  perd  ;  ce  n'est  pas  ainsi  que  la  religion 
dans  tous  les  temps  leur  a  parlé ,  ce  ne  fut  point  là  le  langage  des  hom- 
mes illustres  qui,  revêtus  de  l'habit  sacerdotal,  ont  porté  aux  puissan- 
ces delà  terre  les  messages  du  ciel.  «  Rois,  peuples,  magistrats,  s'écrie 
le  vénérable  Palafox,  Hisl.  real.  sagr.  livr.  i,  ch.  2,  toute  juridiction  est 
ordonnée  de  Dieu  pour  la  conservation,  non  pour  la  destruction 
des  peuples;  pour  la  défense,  non  pour  l'offense  ;  pour  le  droit,  non 
l'outrage  des  hommes.  Ceux  qui  écrivent  que  les  rois  peuvent  tout  ce 
qu'ils  veulent,  et  qui  établissent  leur  pouvoir  sur  leur  volonté,  ouvrent 
la  porte  à  la  tyrannie.  Ceux  qui  écrivent  que  les  rois  peuvent  ce  qu'ils 
doivent,  et  peuvent  ce  dont  ils  ont  bosoin  pour  la  conservation  de  leurs 
sujets,  pour  la  conservation  de  leur  couronne,  pour  l'exaltation  de  la 
foi  et  de  la  religion,  pour  la  bonne  et  droite  administration  de  la  jus- 
tice, la  conservation  de  la  paix  et  le  juste  soutien  de  la  guerre,  pour 
l'éclat  légitime  et  convenable  de  la  dignité  royale,  l'honnête  entretien  de 
leur  maison  et  des  leurs  ;  ceux-là  disent  la  vérité  sans  flatterie,  ouvrent 
la  porte  à  la  justice  et  aux  vertus  magnanimes  et  royales.  »  Balmès,  loc. 
cit.  ch.  53). 


OBLIGATION    D  ACCOMPLIR    LES    OEVOIltS    CIVIQUES.  2^0 

puisque  elles  vont  à  rencontre  des  intérêts  dos  citoyens,  et 
qu'ainsi  elles  les  mécontentent  cl  les  excitent  à  la  révolte  et 
à  La  désunion.  Mais  que  doivent  faire  les  chefs  des  peuples 
pour  n'édicter  que  des  lois  justes  ?  Ils  doivent  prendre  pour 
règle  invariable  la  loi  naturelle  elle-même,  codifiée  par 
Dieu  dans  le  Décalogue  du  S  in  aï.  Car,  puisqu'ils  sont  1rs 
ministres  de  Dieu  (i),  comme  l'enseigne  saint  Paul,  ils  doi- 
vent donc  se  conformer  à  ses  volontés.  Voilà  pourcpioi  toute 
loi  humaine  qui  ne  procède  pas  du  Décalogue,  à  plus  forte 
raison  toute  loi  humaine  qui  le  méconnaît  et  le  viole,  est  une 
loi  injuste.  Qu'ils  sont  donc  coupables,  les  chefs  des  peu- 
ples.xpii  font  de  ces  sortes  de  loi  !  Car  de  combien  de  mal- 
heurs particuliers  et  publics  ne  sont-ils  pas  la  cause  !  Parce 
qu'ils  ont  en  main  la  puissance,  ils  se  croient  tout  permis. 
Cependant,  Dieu  les  voit  et  les  juge,  et  souvent  il  n'attend 
pas  l'autre  vie  pour  les  châtier.  L'histoire  sainte  et  l'histoire 
profane  en  offrent  de  nombreux  exemples,  et  nous  en  avons 
nous-mêmes  vus  de  nos  yeux  qu'il  serait  facile  de  citer.  Tou- 
tefois les  châtiments  de  cette  vie  ne  sont  rien  en  comparai- 
son de  ceux  qui  les  attendent.  Car  s'il  y  a  un  terrible  enfer 
pour  le  simple  particulier  qui  n'a  nui  qu'à  son  voisin  ou 
qui  seulement  ne  l'a  pas  assisté  (2),  quel  ne  sera  pas  l'enfer 
du  chef  d'État  qui,  par  ses  lois  injustes,  aura  précipité  tout 
un  peuple  dans  d'immenses  calamités  ! 

Mais  les  dépositaires  de  l'autorité  ne  sont  pas  seulement 
obligés  de  faire  des  lois  justes,  pour  le  bien  de  tous  les  mem- 
bres de  la  société  ;  ils  sont  encore  obligés,  toujours  pour 
assurer  le  bien  des  citoyens  clans  la  plus  large  mesure  pos- 
sible, de  faire  de  ces  lois  justes  une  juste  application.  C'est- 
à-dire  qu'ils  doivent  les  appliquer  à  tous  également,  sans 
faveur  pour  les  uns,  sans  hostilité  pour  les  autres.  Telle  fut 
la  recommandation  expresse  que  le  roi  Josaphat  fit  aux 
juges  qu'il  avait  institués  dans  toutes  les  villes  de  son 
royaume  :  Prenez  bien  garde  à  tout  ce  que  vous  ferez,  leur 
dit-il,  car  ce  n'est  pas  la  justice  des  hommes  que  vous  exercez, 
c'est  celle  du  Seigneur.  Et  tout  ce  que  vous  aurez  jugé  retombera 

1.  Rom.  xiii,  6. 

2.  Luc.  xvi,  19-24. 


2^6        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    X,   INSTRUCTION. 

sur  vous.  Que  la  crainte  du  Seigneur  soit  avec  vous  ;   et  appor- 
tez tous  vos  soins  à  vous  bien  acquitter  de  vos  devoirs  ;  car  il  n'y 
a  point  d'injustice  dans  le  Seigneur  votre  Dieu,   ni  acception  de 
personnes,  ni  aucun  désir  de  présents  (i).   Mais  tous  les  chefs 
d'États  ne  donnent  pas  de  tels  conseils,  et  tous  leurs  magis- 
trats et  agents  ne  s'y  conforment  pas.   Combien  qui  laissent 
dormir  les  lois,    quand  il  s'agit  de  ceux  qui  les  flattent,   les 
servent  ou  les  paient  !   A  ceux-ci  tout  est  permis,  et  l'impu- 
nité leur  est  assurée,   quoi  qu'ils  fassent  ou  ne  fassent  pas. 
S'agit-il  au  contraire  des  indépendants,  de  ceux  qui  ne  veu- 
lent obéir  qu'à  leur  conscience,    de  ceux  qui  refusent  d'ap- 
prouver  ce  qui   est   mal,    de  combattre  ce  qui  est  bien,    de 
ceux  qui  entendent  mettre  la  volonté  de  Dieu  au-dessus  de 
celle  des  hommes  :  pour  ceux-là  on  interprète  et  on   torture 
les  lois,  afin  d'en  fausser  le  sens,  et  l'on  applique  aux  inno- 
cents les  rigueurs  et  les  châtiments  édictés  contre  les  crimi- 
nels.   N'est-ce  pas  là  un  renversement   et  une  prévarication 
vraiment  abominables  ?  Quelle  responsabilité  pour  ceux  qui 
s'en  rendent  coupables  !    Car  ils  causent  d'immenses  dom- 
mages, non  seulement  aux  citoyens  dont  ils  violent  les  inté- 
rêts, mais  encore  à  la  société  tout  entière,  dont  ils  rendent 
les  lois  odieuses,  par  l'application  partiale  qu'ils  en  font.  Et 
que  les  agents   inférieurs    qui   trempent   dans    ces   crimes 
sociaux  ne  croient  pas  pouvoir  s'excuser,    en   disant  qu'ils 
ne  font  qu'obéir  à  leurs  supérieurs  ;  car  il  leur  est  toujours 
possible,  ou  de  renoncer  à  leur  fonction,  ou  même  de  parta- 
ger le  sort  des  victimes,  comme  tant  d'autres  en  ont  donné 
le  noble  exemple. 

Enfin,  une  troisième  obligation  capitale  pour  l'autorité 
civile,  dont  il  est  encore  à  propos  que  nous  disions  quelques 
mots,  c'est  d'étendre  son  action  et  sa  sollicitude  au  règne  de 
la  vraie  religion  dans  la  nation.  Sans  nul  doute,  le  but 
essentiel  de  la  société  civile,  c'est  le  bien  temporel  de  ses 
membres  ;  tandis  que  leur  bien  spirituel  est  le  but  essentiel 
d'une  autre  société,  qui  est  celle  de  FÉglise.  Mais  de  même 
que  l'Église,  tout  en  s'occupant  directement  de  la  sanctifica- 
tion et  du  salut  des  fidèles,  ne  laisse  pas  de  s'occuper  aussi, 

x,  H.  Par,  xix,  6,  7. 


OBLIGATION    d'aGCOMPLIR    LES    DEVOIRS    CIVIQUES.  '\\-] 


par  une  conséquence  nécessaire,  de  leur  bien  temporel,  en 
les  rendant  plus  actifs  ei  plus  honnêtes,  ce  qui  a  lait  dire  à 
Noire  Seigneur,  qu'à  ceux  qui  cherchent  premièrement  le 
royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  tout  le  reste  sera  donné  par  sur- 
croît^); de  même  l'autorité  civile,  tout  en  se  proposant 
principalement  de  procurer  les  avantages  matériels  aux 
membres  de  la  société,  ne  doit  pas  laisser  de  favoriser  aussi 
Leurs  intérêts  spirituels.  Il  ne  faut  pas  croire,  en  effet,  ce 
que  va  répétanl  partout  et  sans  cesse  l'impiété,  que  les  inté- 
rêts matériels  et  la  prospérité  des  sociétés  civiles  sont  indé- 
pendants des  enseignements  et  des  pratiques  de  la  religion. 
Il  en  esl  si  peu  ainsi  que,  sans  religion,  aucune  société 
humaine  ne  pourrait  longtemps  subsister.  Qu'est-ce,  en 
effet,  qui  donne  aux  sociétés  leur  solidité  et  leur  prospérité  ? 
N'est-ce  pas  la  moralité  et  l'honnêteté  de  leurs  membres  ? 
Car.  comment  une  société,  composée  de  membres  vicieux 
et  voleurs,  pourrait-elle  subsister  et  prospérer  ?  Or,  sans 
religion,  pas  de  moralité  ni  d'honnêteté,  c'est  un  fait  démon- 
tré par  la  raison  et  confirmé  par  l'expérience.  Puis  donc  que 
la  religion  est  un  élément  indispensable  de  la  prospérité 
même  matérielle  des  sociétés,  c'est  par  conséquent  un 
devoir,  pour  les  chefs  de  ces  sociétés,  de  favoriser  à  leurs 
membres  la  connaissance  et  la  pratique  de  la  religion.  Non 
qu'ils  aient  le  droit  de  s'immiscer  dans  les  questions  reli- 
gieuses elles-mêmes  :  elles  ne  sont  pas  de  leur  compétence. 
[ls  ont  seulement  le  devoir,  nous  le  répétons,  de  faciliter  aux 
citoyens  la  connaissance  et  la  pratique  de  leur  religion, 
comme  étant  le  meilleur  moyen  d'assurer  leur  prospérité 
temporelle  (2).    Quel  ne  fut  donc  pas  le  crime   de  ces  rois 

1.  Matth.  vi,  33. 

3.  De  même  que  chaquo  homme  doil  régler  ses  actions  ici-bas  do  telle 
sorte  que,  loin  de  former  obstacle  à  sa  destinée  surnaturelle,  elles  lui 
servent  à  La  mériter  et  à  l'ai  teindre  ;  de  même  l'autorité  temporelle  doit 
avoir  médiatemenl  et  ultérieurement  en  vue  le  bien  spirituel  ou  le  salut 
de  ses  Bujet».  Elle  le  doil  à  Dieu,  qui  veut  que  les  affaires  temporelles  et 
terrestres  soient  subordonnées  aux  intérêts  célestes  ei  éternels.  Elle  le 
doit  a  si-  sujets,  qui  ont  droit  de  demander  qu'elle  contribue  à  oequil 
ne  soit  pas  préjudicié  à  loura  biens  essentiels,  à  ceu\  de  leur  àme,  et 
qu'elle  les  protège,  selon  son  pouvoir,  dans  tout  ce  qu'Us  font  et  entre- 
prennent pour  leur  salut,  Car,  s'il  nous  est  permis  do  recourir  à  l'aide 


2/|8        LES  GRANDS   DEVOIRS   DU   SALUT.   X.   INSTRUCTION. 

d'Israël  qui,  an  lieu  de  faciliter  à  leur  peuple  la  connais- 
sance  et  la  pratique  de  leur  religion,  lui  interdirent  d'aller 
à  Jérusalem  pour  y  adorer  le  vrai  Dieu  dans  son  temple  et 
y  entendre  les  docteurs  de  la  loi,  mais  lui  donnèrent  des 
faux  prophètes  et  lui  dressèrent  des  statues  d'idoles  !  Aussi 
Dieu  marqua-t-il  l'indignation  qu'il  en  éprouvait  en  leur 
envoyant  les  châtiments  les  plus  terribles.  Mais  sont-ils 
moins  abominables  devant  Dieu,  et  moins  criminels  envers 
ceux  qu'ils  gouvernent,  tous  ces  chefs  qui,  aujourd'hui 
comme  alors,  font  à  la  religion,  à  ses  ministres  et  à  ceux  qui 
la  pratiquent,  une  guerre  tantôt  hypocrite  et  détournée, 
tantôt  ouverte  et  violente  ?  Qu'ils  le  sachent  bien,  ainsi  que 
tous  ceux  qui  leur  prêtent  leur  concours  :  en  dépit  de  leur 
orgueil  et  de  leur  jactance,  Dieu  leur  ôtera,  tôt  ou  tard,  la 
puissance  dont  ils  font  un  si  lâche  et  si  monstrueux  abus, 
sa  main  vengeresse  les  frappera  implacablement,  et  les  géné- 
rations futures  auront  en  horreur  leur  mémoire,  comme 
nous  avons  en  horreur  la  mémoire  de  tous  les  anciens 
tyrans  et  persécuteurs. 

Qu'ils  les  observent  ou  les  violent,  telles  sont,  devant 
Dieu  et  devant  les  hommes,  les  plus  essentielles  obligations 
de  tous  ceux  qui  ont  une  plus  ou  moins  grande  part  dans 
le  gouvernement  des  sociétés  :  édicter  de  justes  lois,  en  faire 
une  égale  et  juste  application,  et  favoriser  la  connaissance 
et  la    pratique   de    la   vraie   religion  (i).  —  Et  maintenant, 

et  à  la  protection  de  l'autorité  pour  des  affaires  de  bien  moindre  impor- 
tance, pourquoi  ne  le  pourrions-nous  pas  quand  il  s'agit  de  nos  intérêts 
les  plus  graves  pour  le  temps  et  pour  l'éternité}  Enfin,  les  hommes 
revêtus  d'une  autorité  doivent  servir  Dieu  d'une  manière  conforme  à 
leur  position  ;  or,  ils  ne  remplissent  ce  devoir  qu'à  la  condition  d'exer- 
cer leurs  fonctions  en  vue  du  bien  et  de  donner  le  bon  exemple  à  leurs 
inférieurs  (Grosse,  Courfde  Religion,  2.  p.  2.  div.  s  6). 

1.  Voici  sur  les  obligations  du  prince  une  belle  sentence  du  Sage, 
Eccl.  xxxn,  1,  2  :  Vous  ont-ils  fait  prince  ou  gouverneur,  soye:  parmi  eux 
comme  l'un  deux  ;  ayez  soin  d'eux  et  prenez  courage,  et  reposez-vous  après 
avoir  pourvu  à  tout.  Cette  sentence  confient  doux  préceptes.  Premier 
précepte  :  Soyez  parmi  eux  comme  V un  d'eux.  V  soyez  point  orgueil- 
leux, rendez-vous  accessible  et  familier,  ne  vous  croyez  pas,  comme  on 
dit,  d'un  autre  métal  que  vos  sujets  ;  mettez-vous  à  leur  place,  et  soyez- 
leur  tel  que  vous  voudriez  qu'ils  vous  fussent  s'ils  étaient  à  la  vôtre. 
Second  précepte  :  Ayez  soin  d'eux  et  reposez-vous  après  avoir  pourvu  à 
tout.  Le  repos  alors  vous  est  permis  ;   le  prince  est  un  personnage  pu- 


OBLIGATION    D'ACCOMPLIR    LES    DEVOIRS    CIVIQUES.  >'|<) 

redoublons  encore  d'attention  pour  étudier  une  autre  classe 
d'obligations  civiques  non  moins  importantes,  je  veux 
dire  les 

blic.  qui  doil  croire  que  quelque  chose  lui  manque  à  lui-même,  quand 
quelque  chose  manque  au  peuple  el  à  l'État.  Dans  le  peuple,  ceux  à  qui 
le  prince  doil  le  plus  pourvoir  sont  les  faibles,  parce  qu'ils  oui  plus 
besoin  de  celui  qui  est  par  sa  charge  le  père  et  le  prolecteur  de  tous. 
Le  vrai  caractère  du  prince  est  de  pourvoir  aux  besoins  du  peuple, 
comme  celui  du  tyran  esl  de  ne  songer  qu'à  lui-même,  \ristotc  l'a  dit, 
mais  le  Saint-Esprit  l'a  prononcé  avec  plus  de  force.,.  La  bonté  du 
prince  ne  doil  pas  être  altérée  par  l'ingratitucle  du  peuple.  Le  prince  ne 
doil  rien  donner  à  son  ressentiment  ni  à  son  humeur.  Le  gouverne- 
ment esl  doux  de  sa  nature,  cl  le  prince  ne  doit  être  rude  qu'y  étant 
foret"  par  les  crimes.  Hors  de  là  il  lui  convient  d'être  bon,  affable,  in- 
dulgent. Les  princes  sont  faits  pour  être  aimés...  Il  y  a  un  charme 
pour  les  peuples  dans  la  vue  du  prince  ;  et  rien  ne  lui  est  plus  aisé  que 
de  se  faire  aimer  avec  passion...  Que  lapuissance  est  aflermie,  quand  elle 
est  ainsi  chérie  par  les  peuples  !  et  que  Salomon  a  raison  de  dire  :  La 
bonté  et  la  justice  gardent  le  roi,  et  son  trône  esl  affermi  par  la  clémence. 
ProY.  x\,  28.  Voilà  une  belle  garde  pour  le  roi  et  un  digne  soutien  de 
son  trône  (Bossuet,  loc.  cit.  liv.  3.  a,  3). 

Les  supérieurs  civils  doivent  à  leurs  sujets  l'amour,  la  bienveillance, 
un  soin  temporel  par  l'exacte  administration  de  la  justice  commutalive, 
vindicative  et  distributive,  ainsi  qu'un  soin  spirituel  par  le  bon  exemple, 
et  par  la  protection  qu'ils  doivent  donner  à  la  religion  et  à  l'Eglise.  — 
Les  souverains,  ayant  reçu  de  Dieu  le  pouvoir  de  gouverner  les  peuples 
qui  sont  soumis  à  leur  autorité,  pèchent  mortellement  ou  véniellcinenl, 
selon  la  gravité  de  la  matière  :  i°  s'ils  ne  s'instruisent  pas  des  lois  de- 
Dieu  et  de  l'Église,  et  s'ils  n'y  conforment  pas  leur  conduite  pour  don- 
ner le  bon  exemple  à  leurs  sujets;  2°  s'ils  ne  font  pas  tout  ce  qu'ils  peu- 
vent pour  conserver  leurs  peuples  en  paix,  en  les  défendant  contre  tout 
ennemi  ou  toute  vexation  injuste,  et  contribuer  à  les  rendre  heureux 
en  leur  procurant  l'abondance  et  réprimant  le  luxe  ;  3°  s'ils  ne  rendent 
pas  exactement  la  justice,  et  s'ils  n'établissent  pas  des  juges  éclairés, 
intègres,  désintéressés  et  religieux,  pour  régler,  selon  toutes  les  lois, 
le-  différends  qui  s'élèvent  entre  leurs  sujets  ;  4°  s'ils  ne  destituent  pas 
les  magistrats  ou  les  juges  qui  n'ont  pas  de  probité,  et  qui  sont  incapa- 
ble- de  bien  gérer  leurs  emplois;  5°  s'ils  ne  font  pas  les  lois  qu'exigent 
la  punition  des  crimes  et  le  bien  de  leurs  états;  6°  s'ils  ne  récompensent 
pas  la  vertu  el  le  mérite,  en  confiant  les  charges  et  les  emplois  à  ceux 
qui  en  son!  dignes,  et  en  en  écartant  ceux  qui  ne  les  méritent  pas  ;  70 
s'ils  établissent  des  impôts  trop  forts  au-delà  de  la  nécessité  et  de 
l'utilité  publique,  et  s'ils  ne  veillent  point  à  ce  que  la  répartition  de 
c  n\  qui  -ont  établis  soit  faite  avec  justice  ;  8°  s'ils  ne  font  pas  des  lois 
pour  le  soutien  de  la  religion  chrétienne  el  pour  la  défense  de  l'Église  ; 
s'ilsncfonl  pas  tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  faire  honorer  le  clergé,  et 
lui  conserver  ses  justes  immunités;  <)°  s'ils  ne  font  pas  observer  les 
saints  jours  de  dimanche  et  de  fête  ;  io°  s'ils  ne  font  pas  des  ordon- 
nances relatives  aux  cabarets,  aux  théâtres  .et  aux  lieux  dangereux,  et 
sils  ne  font  pas  fermer  les  lieux  de  débauche,   à   moins   cependant  que 


200       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  X.   INSTRUCTION. 

II.  —  Obligations  civiques  de  ceux  qui  sont  gou- 
vernés. —  Les  obligations  civiques  de  ceux:  qui  sont  gou- 
vernés répondent,  et  à  ce  que  sont,  par  rapport  à  eux,  ceux 
qui  gouvernent,  et  aux  propres  obligations  de  ces  derniers. 

Ceux  qui  gouvernent,  avons-nous-clit  avec  l'apôtre  saint 
Paul,  représentent  Dieu,  dont  ils  sont  les  ministres  pour  le 
bien  des  peuples  (i).  Il  résulte  de  là  que  le  premier  devoir 
des  peuples  à  l'égard  de  ceux  qui  gouvernent,  c'est  de  les 
respecter  et  de  les  aimer.  Ne  doit-on  pas  respecter  le  minis- 
tre ou  l'officier  d'un  prince,  parce  qu'il  représente  le  prince? 
et  le  mépris  qu'on  en  ferait  ne  remonterait-il  pas  au  prince 
lui-même  ?  A  plus  forte  raison  doit-on  respecter  le  prince 
lui-même,  ainsi  que  tout  dépositaire  de  l'autorité,  puisqu'il 


la  crainte  prudente  de  plus  grands  maux  n'autorise  ta  les  tolérer  ;  n° 
combien  ne  seraient-ils  pas  coupables  s'ils  usurpaient  ou  s'ils  entra- 
vaient la  juridiction  ecclésiastique,  et  si,  au  lieu  de  punir  les  injures 
faites  à  la  religion,  ils  les  favorisaient  et  laissaient  circuler  impunément 
les  livres  qui  sont  contre  la  foi  ou  contre  les  mœurs,  etc.  !  —  La  trans- 
gression de  plusieurs  de  ces  devoirs  viole  la  justice  commutative,  et 
oblige  à  la  restitution.  —  Quant  aux  magistrats,  étant  dépositaires>de 
l'autorité  du  souverain,  et  par  conséquent  de  l'autorité  de  Dieu  même, 
ils  pèchent  aussi  véniellement  ou  mortellement,  selon  la  gravité  de  la 
matière  :  i°  si,  infidèles  aux  devoirs  de  leurs  charges,  ils  ne  font  pas 
observer  les  lois  du  prince,  tant  celles  qui  regardent  la  police,  que 
celles  qui  ont  rapport  à  la  religion  ;  20  s'ils  ne  font  pas  ce  qu'ils  doivent 
pour  punir  les  crimes,  empêcher  les  scandales,  et  administrer  fidèle- 
ment la  justice,  sans  avoir  égard  aux  personnes,  mais  seulement  aux 
droits  qu'elles  ont  ;  3°  si,  contre  les  lois,  ils  s'arrogent  des  privilèges 
nuisibles  à  leurs  sujets,  et  s'ils  retiennent  des  revenus  communs  au- 
delà  de  ce  qu'il  faut  pour  les  dépenses  nécessaires  ou  utiles  (obligation 
de  réparer  à  leurs  sujets  le  dommage  causé)  ;  4°  si,  par  leur  insouciance 
ou  une  grave  négligence  de  leur  part  à  réprimer  le  monopole  et  les 
fraudes  des  marchands,  le  peuple  est  forcé  d'acheter  ce  qui  lui  est 
nécessaire  à  un  plus  haut  prix  (péché  contre  la  justice)  ;  5°  s'ils  ne  dé- 
noncent ou  n'arrêtent  pas  les  injustices  de  leurs  subalternes  qui  exigent 
plus  que  la  loi  ne  permet  (péché  contre  la  justice)  ;  6°  s'ils  ne  donnent 
pas  toute  l'attention  nécessaire  à  l'examen  des  procès  ;  s'ils  en  retar- 
dent le  jugement,  quand  les  causes  sont  suffisamment  instruites,  ou 
qu'ils  taxent  les  dépenses  au-delà  de  l'ordonnance;  s'ils  déchargent  des 
dépenses  la  partie  qui  devait  y  être  condamnée  selon  les  règles  de  la 
justice,  pour  les  faire  payer  à  l'autre  (dans  tous  ces  cas,  péché  contre  la 
justice);  70  s'ils  entreprennent  de  connaître  des  ail  aires  qui  ne  sont  pas 
de  leur  compétence,  etc.  (Examen  raisonné  sur  les  command.  de  pieu  et 
de  l'Église,   1,  p.  en.  t\%  a.  9). 

j.  ïlpm,  xuii  4i 


OBLIGATION    D  ACCOMPMH    LFS    DEVOIRS    CIVIQUES,  201 

représente  Dieu  moine,  et  que  lui  manquer  de  respect  serait 
en  manquer  à  Dieu.  On  peut  en  effet  parfaitement  appli- 
quer, aux  dépositaires  de  l'autorité  civile,  ce  que  Notre- 
Seigneur  disait  aux  dépositaires  de  son  autorité  surnatu- 
relle :  Celui  </tii  vous  méprise  me  méprise  moi-même,  et  celai 
(jui  me  méprise,  méprise  celai  qui  m'a  envoyé  (i),  puisque 
toute  autorité  vient  également  de  Dieu  (2),  redirons-nous 
avec  l'apôtre  saint  Paul.  Voilà  pourquoi  le  prince  des  apô- 
tres nous  dit  expressément  :  Craignez  Dieu,  honorez  le  roi(3), 
ou  quiconque  est  investi  de  l'autorité  civile.  On  ne  saurait 
donc  en  douter,  quiconque  manque  de  respect  aux  autorités 
constituées  ou  à  leurs  représentants,  soit  en  tâchant  de  les 
rendre  odieux  et  méprisables,  soit  en  critiquant  à  tort  et 
avec  malveillance  leur  administration,  soit  en  les  tournant 
en  ridicule,  ou  de  toute  autre  manière  ;  quiconque  fait  cela, 
disons-nous,  pèche  certainement,  et  son  péché  est  plus  ou 
moins  grave,  selon  l'offense,  avec  obligation  de  réparer  le 
dommage  qu'il  cause  (4).  Nous  parlons,  qu'on  le  remarque 
bien,  de  réflexions  et  de  critiques  procédant  de  l'hostilité  et 
de  la  malveillance  ;  car  si  elles  sont  fondées,  et  faites  dans 
un  esprit  de  justice,  on  ne  se  rend  naturellement  coupable 
d'aucune  faute  en  les  émettant. 

Nous  avons  ajouté  que  les  peuples  doivent,  non  pas  seu- 
lement respecter  leurs  chefs,  mais  encore  les  aimer.  Que 
personne  n'en  soit  étonné,  puisque  nous  devons  aimer  tous 
les  hommes  comme  nos  frères.  Mais  le  chef  d'une  nation  a 
d'autres  titres  encore  à  l'affection  de  ceux  qu'il  gouverne. 
En  effet,  une  nation,  nous  l'avons  déjà  dit,  est-ce  autre 
chose  qu'une  grande  famille  ?  Eh  bien,  qui  est  le  père  de 
cette  grande  famille,  si  ce  n'est  son  chef?  Or,  une  famille 
n'est-elle  pas  tenue  d'aimer  son  père  ?  Le  chef  d'une  nation 
est  de  plus  son  bienfaiteur  ;  c'est  lui  qui  y  maintient  l'or- 
dre, la  paix,    la    sécurité,  et  qui   veille    sur   ses  intérêts  au 

1.  Luc.  x,  16. 

2.  Rom.  mii,  1. 

3.  I.  Pctr.  11,17. 

\.  Faire  contre  eux  des  médisances,  des  calomnies  :  en  matière  grave, 
péché  mortel,  qui  a  double  malice.  Bonacina.  En  matière  légère,  péché 
véniel.  Obligation  de  justice  de  réparer  le  tort  caysé  (JSx.  rai*,  loc,  cit.). 


202         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  X.   INSTRUCTION. 

dedans  comme  au  dehors.  Eh  bien,  puisque  la  justice  fait 
un  devoir,  à  celui  qui  a  reçu  un  bienfait,  d'aimer  son  bien- 
faiteur, elle  fait  donc  aux  peuples  un  devoir  d'aimer  leurs 
chefs  (i). 

Une  troisième  obligation  essentielle  de  ceux  qui  sont 
gouvernés,  c'est  d'obéir  à  ceux  qui  gouvernent.  Cette  obli- 
gation découle  de  celle  qui  incombe  aux  chefs  des  nations 
de  faire  de  justes  lois  pour  le  bien  général  de  la  société. 
Cette  obligation  de  faire  des  lois  ne  serait-elle  pas  vaine  et 
illusoire,  si  ceux  qui  sont  gouvernés  n'étaient  pas  tenus  d'y 
obéir?  Mais  le  devoir  d'obéir  aux  puissances  constituées  a 
pour  base  mieux  qu'une  induction  :  il  est  formellement  et 
expressément  prescrit  en  maints  endroits  des  saintes  Ecri- 
tures. Qui  ne  connaît  la  parole  de  Notre-Seigneur  :  Rendez 
à  César  ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu  (2). 
Sans  doute,  Notre-Seigneur  ne  faisait  que  répondre  ici  à 
cette  question  :  Si  l'on  était  tenu  de  payer  l'impôt.  Mais 
l'impôt  ne  se  payait  qu'en  vertu  d'une  loi  de  l'autorité 
civile  ;  en  commandant  de  payer  l'impôt,  il  commandait 
donc  d'obéir  à  toutes  les  lois  justes  de  l'ordre  civil.  En  effet, 
l'apôtre  saint  Paul,  écrivant  aux  premiers  chrétiens,  leur 
disait  d'une  manière  générale  :  Que  toute  âme  soit  soumise 
aux  puissances  supérieures,  car,  il  ny  en  a  point  qui  ne  vienne 
de  Dieu,  et  celles  qui  existent  ont  été  ordonnées  par  lui.  Celui 
donc  qui  résiste  au  pouvoir,  résiste  à  V ordre  établi  de  Dieu. 
Soyez  donc,  c'est  une  nécessité,  soumis  aux  puissances,  non  pas 
seulement  par  crainte,  mais  par  conscience  (3).  Le  même  apô- 
tre donnait  une  autre  fois,  à  l'un  de    ses   disciples  qui  prê- 

1.  Nourrir  contre  les  chefs  des  sentiments  de  haine  et  d'aversion  :  si 
la  haine  et  l'aversion  sont  graves,  péché  mortel,  qui  a  double  malice, 
Bonacina.  Si  elles  ne  sont  que  légères,  péché  véniel  (Exam.  rais. 
loc.  cit.) 

Le  devoir  d'aimer  les  chefs  entraîne  celui  de  prier  pour  eux.  C'est 
l'apôtre  saint  Paul  qui  nous  le  commande  :  Je  vous  conjure,  dit-il,  I. 
Tina.  11,  2,  défaire  des  prières,  des  demandes,  des  actions  de  grâces  pour 
tous  les  hommes,  pour  les  rois  et  pour  tous  ceux  qui  sont  constitués  en  di- 
gnité, afin  que  nous  menions  une  vie  tranquille  dans  toute  sorte  de  piété  et 
d'honnêteté.  En  priant  pour  eux,  non  seulement  nous  leur  rendons  un 
service  auquel  ils  ont  droit,  mais  nos  intérêts  y  trouvent  leur  avantage. 

2.  Matth.  xxii,  21. 

3.  Rom.  xiii,  1,2. 


OBLIGATION    D  ACCOMPLIR    LES    DEVOIRS    CIVIQUES.  200 

c liai l  l'Évangile  sous  sa  direction,    cet   ordre  :  Avertissez  les 

fidèles,  lui  disait-il,  d'être  soumis  aux  princes  et  aux  puissan- 
ces, et  de  leur  obéir  (i).  Saint  Pierre,  le  chef  même  des 
apôtres,  ne  tenait  pas  un  autre  langage  aux  premiers  chré- 
tiens :  Obéissez  aux  créatures,  leur  disait-il,  à  cause  de  Dieu: 
au  roi  comme  à  celui  qui  a  la  puissance  suprême,  au  gouver- 
neur comme  à  celui  (juil  a  envoyé,  car  cest  là  la  volonté  de 
Dieu  (2).  —  Ainsi,  en  résumé,  ceux  qui  sont  gouvernés  doi- 
vent ohéir  à  ceux  qui  gouvernent,  et  cela,  qu'on  le  remar- 
que hien,  non  pas  seulement  par  la  crainte  des  peines 
qu'encourent  les  infracteurs  des  lois,  mais  encore  et  surtout 
par  conscience,  et  parce  que  c'est  là  la  volonté  de  Dieu,  comme 
le  disent  saint  Pierre  et  saint  Paul  (3). 

t.  Tit.  m,  i.  —  On  doit  être  bien  éloigné  de  mettre  sous  le  terme  de 
la  démocratie  chrétienne  l'intention  de  rejeter  toute  obéissance  et  de 
dédaigner  les  supérieurs  légitimes.  Respecter  ceux  qui,  à  un  degré 
quelconque,  possèdent  l'autorité  dans  l'état,  et  se  conformer  à  leurs 
ordres  justes,  c'est  là  ce  que  prescrivent  également  la  loi  naturelle  et  la 
loi  chrétienne.  Et  pour  que  cette  soumission  soit  digne  d'un  homme  et 
d'un  chrétien,  on  doit  la  témoigner  du  fond  du  cœur,  par  devoir,  par 
conscience,  comme  nous  y  a  exhorté  l'Apôtre  lorsqu'il  a  donné  ce  pré- 
cepte, Rom.  xiii,  i,5:  Que  toute  âme  soit  soumise  aux  puissances  supérieu- 
res (Léon  XIII,  Encycl.  sur  la  Démocratie  chrétienne). 

Omnis  anima  protestatibus  sublimioribus  subdila  sit,  Rom.  xm,  ait  s. 
Paulus,  atque  banc  obedientiam  superioribus  débitant  octo  argumen- 
tis  probat  :  i°  Quia  haec  est  ordinalio  Dei,  et  pneceptum  divinum. 
2°  Quia  superiores  sunt  ministri  Dei,  cujus  vices  gerunt.  3°  Quia  gla- 
dium  portant,  ut  inobedientes  plcctant.  4°  Quia  ad  id  obstringit  con- 
scientia,  peccati  rea  si  mon  obediatur.  5°  Quia  Dcus  iis,  qui  resistunt, 
minatur  damnationem.  6"  Quia  banc  subjectioncm  probant  tributa, 
qua>  subditi  magistratibus  pendunt.  70  Quia  charitas  christiana  exigit, 
ut  quemque  pro  suo  gradu  diligamus,  pares  ut  pares,  superiores  ut 
superiores  reverendo.  8°  Quia  lex  christiana,  lex  naturœ,  et  lexgentium, 
ut  communcm  reipublicae  pacem  et  concordiam  observemus  (Glaus, 
Spicileg.  univ.  lib.  5,  art.  355). 

2.  I.  Pctr.  11,  i3-i5. 

3.  Refuser  sciemment  d'obéir  aux  supérieurs  civils,  en  matière  grave, 
quand  ils  commandent  sérieusement  avec  l'intention  au  moins  implicite 
d'obliger  sub  gravi,  péché  mortel  ;  en  matière  légère,  péché  véniel. 
Sporer.  —  Lex  sub  gravi  obligarc  cognosci  potest  ex  verbis  lcgislatoris, 
ut  si  dicat:  Praecipimus,  vel  prohibemus fîrmiter,  stricte,  etc.  ;  cxgravi- 
Ute  peenae  ;  ex  judicii  prudentum  et  ex  consuetidine.  —  Leges  civiles 
alise  sunt  expresse  a  jure  canonico  approbatae,  aliae  expresse  correctae, 
et  aliae  neque  approbatae  ne<  reprobatae.  Leges  approbatae  sine  dubio  in 
conscientia  obligant.  Leges  a  jure  canonico  correct»  minime  obligant  in 


2^4         I^ES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   X.   INSTRUCTION. 

Mais  ce  qu'il  faut  non  moins  bien  remarquer,  c'est  que, 
autant  rigoureuse  est  l'obligation  d'obéir  aux  lois  justes  des 
puissances  constituées,   autant  rigoureuse  est  celle  de  résis- 


conscicntia.  Leges  civiles  non  reprobata?  vidcntur  tacite  a  jure  canonico 
approbatae.  S.  Liguori.  —  Leges  justae  tyranni  etiam  obligant  in  con- 
scientia  ;  item  et  leges  usurpatoris,  juxta  plures,  quando  pacifiée  possi- 
det,  saltem  in  agatur  de  legibus  qua3  ad  rectam  gubernationem  spec- 
tant;  populi  enim  sine  legibus  esse  non  possunt.  ïheol.  pract.  —  Non 
desunt  apud  nos  theologi  qui  ut  mère  pœnalcs  habent  certas  leges,  ut 
forte  leges  contra  venationem,  piscationem,  etc.  Theol.  pract.  —  Befu- 
ser  d'obéir  par  mépris  pour  l'autorité  du  supérieur,  ou  de  faire  une 
chose  précisément  parce  qu'elle  est  commandée  :  péché  mortel,  même 
en  matière  légère  ;  parce  que  le  plus  petit  mépris  formel  de  l'autorité 
du  supérieur  retombe  sur  Dieu  même.  Sporer  et  alii.  Cependant  si  le 
mépris  ne  retombait  que  sur  la  personne  du  supérieur,  parce  qu'il  est 
inepte  à  commander,  malicieux,  etc., la  désobéissance  en  matière  légère, 
accompagnée  d'un  mépris  qui  ne  serait  point  grave,  ne  formerait  qu'une 
faute  vénielle  (Exam.  raison,  loc.  cit.). 

La  religion  chrétienne  ne  règle  pas  seulement  les  rapports  des  mem- 
bres de  la  famille  entre  eux,  elle  dirige  et  règle  encore  les  relations 
sociales,  car  la  société  n'a  pas  d'autre  fin  que  l'union  d'un  grand  nom- 
bre de  familles  soumises  aux  mêmes  lois  et  au  même  gouvernement. 
L'Apôtre  ne  pouvait,  au  moins  directement,  donner  des  préceptes  aux 
rois  et  aux  chefs  d'états,  qui  étaient  idolâtres  et  ennemis  jurés  du  nom 
chrétien  ;  mais  il  en  donne  à  leurs  sujets,  et  leur  enseigne  leurs 
devoirs  à  l'égard  de  leurs  princes  et  de  tous  ceux  qui  tiennent  les  rênes 
du  gouvernement.  De  même  que  de  nos  jours  nous  voyons  s'élever  des 
esprits  rebelles  et  factieux  qui  cherchent  à  soulever  les  peuples  contre 
les  gouvernements,  ainsi,  dès  les  premiers  jours  de  l'Église,  il  y  avait 
des  cerveaux  troublés,  surtout  parmi  les  Juifs  convertis,  qui  allaient 
publiant  que  Jésus-Christ  les  avait  affranchis  de  la  domination  des  ido- 
lâtres, et  qui  poussaient  les  peuples  à  la  rébellion,  en  détournant  de 
leur  sens  ces  paroles  de  Jésus-Christ  :  Si  le  Fils  vous  délivre,  vous  serez 
vraiment  libres.  Joan.  vm  ;  paroles  que  le  Seigneur  appliquait  à  la 
liberté  de  l'esprit,  qui  nous  affranchit  du  péché  et  de  la  mort  éternelle. 
A  ces  injustes  et  folles  prétentions,  l'Apôtre  oppose  un  commandement 
absolu  d'être  soumis  volontairement  à  toute  puissance.  —  Par  ces  puis- 
sances supérieures,  en  grec  ifjoufflaiç  uTreps/ouaai;,  il  faut  entendre  tous 
ceux  qui  sont  revêtus  d'une  puissance  civile  quelconque,  et  non  seule- 
ment ceux  qui  ont  en  main  la  puissance  souveraine,  car  cette  épi- 
thète,  u7r£pe/où(jatç,  n'est  point  ajoutée  ici  pour  distinguer  entre  les 
magistrats  du  premier  ordre  et  ceux  d'un  ordre  inférieur,  mais  elle  est 
employée  par  opposition  avec  tous  ceux  qui  ne  sont  revêtus  d'aucune 
puissance,  et  qui  n'ont  d'autre  devoir  que  la  soumission  au  pouvoir. 
Comment  supposer,  en  effet,  que  saint  Paul  ait  voulu  recommander 
l'obéissance  aux  empereurs  seulement,  et  non  pas,  en  même  temps,  aux 
gouverneurs  des  provinces,  aux  simples  magistrats  des  villes,  etc.  ? 
(Mgr  Péronne,  loc.  ciL) 

L'obligation  d'obéir  s'étend  naturellement  aux  lois  de  finance.  Ren- 


OBLIGATION    D  ACCOMPLIR    LES    DEVOIRS    CIVIQUES.  200 

ter  à  leurs  lois  injustes,  c'est-à-dire  à  toutes  celles  qui  sont 
contraires  aux  lois  de  Dieu  et  aux  préceptes  de  l'Evangile. 
La  raison  en  esl  aussi  claire  qu'irréfutable.  Les  puissances 
constituées  n'onl  Le  droit  de  commander  aux  hommes  que 
parce  qu'elles  représentent  Dieu;  mais  en  faisant  des  lois 
contraires  à  celles  de  Dieu,  en  cela  naturellement  elles  ne 
représentent  plus  Dieu,  et  par  conséquent  n'ont  plus  droit 
à  l'obéissance.  Voilà  pourquoi  les  apôtres  et  les  premiers 
chrétiens,  qui  étaient  les  plus  fidèles  observateurs  des  justes 
lois  des  puissances  séculières,  cependant  résistèrent  jusqu'à 
La  morl  plutôt  que  d'accomplir  celles  qui  étaient  en  oppo- 
sition avec  les  préceptes  divins.  Depuis,  leurs  héroïques  ,et 
admirables  exemples  n'ont  jamais  cessé  d'être  imités  au 
cours  des  siècles  par  les  véritables  chrétiens,  toutes  les  fois 
que  les  puissances  séculières,  trahissant  leurs  devoirs,  ont 
voulu  légiférer  contre  Dieu  et  sa  très  sainte  Église.  Chré- 
tiens de  ce  temps,  ne  soyons  pas  indignes  de  nos  pères  dans 
la  foi.  et  sachons  dire  comme  eux,  lorsque  le  cas  se  pré- 
sente :  Il  faut  obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes  (i). 

De  là  d'ailleurs,  pour  ceux  qui  sont  gouvernés,  un  dernier 
devoir  non  moins  essentiel  que  ceux  dont  nous  venons  de 
parler,  savoir,  le  devoir  de  contribuer  au  bien  public  par 
leurs  votes.  Nombreux  sont  les  chrétiens  qui  ne  se  rendent 

de:  à  chacun  ce  qui  lui  est  du,  dit  le  grand  apôtre,  le  tribut  à  qui  vous 
devez  le  tribut,  l'impôt  à  qui  vous  devez  l'impôt.  Rom.  xm.  Notre-Seigncur 
nous  en  a  donné  l'exemple,  etc..  Nous  prétendons  que  le  gouverne- 
ment nous  défende  contre  nos  ennemis,  mais  il  ne  peut  le  faire  s'il  n'a 
pas  une  armée  à  leur  opposer  ;  nous  exigeons  qu'il  nous  fasse  rendre 
justice  quand  on  nous  a  fait  tort,  mais  pour  cela  il  faut  des  tribunaux, 
des  juges  qui  exercent  cette  justice  ;  enfin,  pour  que  l'ordre  et  la  paix 
régnent  dans  l'intérieur,  il  faut  des  magistrats,  des  officiers  de  police 
qui  nous  protègent  contre  les  criminelles  entreprises  des  méchants.  Or, 
le  souverain  peut-il  vivre  d'une  manière  conforme  à  sa  dignité,  peut-il 
entretenir  des  magistrats,  des  tribunaux,  une  armée  de  terre  et  de  mer 
sans  argent  el  par  conséquent  sans  impôts?  C'est  donc  pour  nous  une 
obligation  de  justice  de  les  payer  exactement...  —  Outre  les  impôts, 
vous  avez  encore  le  service  militaire,  le  logement  des  troupes  el  les 
autres  charges  publiques.  Nous  comprenez  que  tout  cela  est  nécessaire 
pour  le  maintien  de  l'ordre  public  et  pour  la  sûreté  de  l'état,  et  quelque 
pénibles  que  soient  ces  obligations,  quelques  sacrifices  qu'elles  deman- 
dent, vous  ne  pouvez  vous  y  soustraire  sans  injustice  (Cirier,  Cours 
complet  d'instr.fam.  Dcv.  env.  les  super,  sécul.) 

I.    Act.   V,   2(J. 


256         LES  GRVNDS  DEVOIRS  DU  SALUT. X.   INSTRUCTION. 

» 

pas  compte  de  l'importance  extrême  de  ce  devoir  dans  nos 
sociétés  modernes,  où  le  suffrage  joue  un  rôle  décisif  pour 
le  bien  comme  pour  le  mal.  Ennemis  des  contentions  et  des 
débats,  volontiers  ils  restent  étrangers  à  la  marche  des  affai- 
res publicpies,  pour  ne  se  consacrer  qu'à  la  gestion  de  leurs 
affaires  personnelles.  Et  en  agissant  ainsi  ils  s'estiment 
sages,  parce  qu'ils  n'ont  pas  de  temps  à  perdre,  disent-ils. 
Sagesse  criminelle  !  Raisonnement  égoïste  et  aveugle  !  Est- 
ce  donc  perdre  du  temps,  que  de  l'employer  à  préserver  la 
société  des  plus  grands  maux,  de  la  tyrannie  des  méchants, 
des  luttes  intestines  et  de  la  ruine  de  tous  ?  Les  maux  de  la 
société  ne  sont-ils  donc  pas  en  même  temps  les  maux  des 
citoyens  ?  La  société  peut-elle  donc  être  dans  la  déca- 
dence et  les  citoyens  dans  la  prospérité  ?  —  Mon  interven- 
tion, ajoute-ton,  ne  changerait  d'ailleurs  rien  au  cours  des 
choses.  Qu'est-ce  qu'une  voix?  —  Erreur  encore  !  Ne  suffit- 
il  pas  d'une  seule  voix  pour  mettre  la  majorité  d'un  côté  ou 
d'un  autre,  et  donner  la  victoire  aux  bons  ou  aux  mauvais  ? 
De  plus,  en  n'allant  pas  voter,  vous  donnez  un  mauvais 
exemple,  et  vous  êtes  cause  que  plusieurs  autres  n'iront  pas 
voter  non  plus;  au  lieu  qu'en  allant  au  scrutin,  plusieurs 
qui  hésitent  vous  suivraient.  Calculez  le  mal  que  font  ainsi 
à  la  société  les  amis  de  l'ordre  qui  s'abstiennent  de  porter 
leurs  bulletins  dans  les  urnes.  Ah  !  ce  n'est  pas  ainsi  que 
raisonnent  les  adversaires  de  la  société  et  de  la  religion  !  Ils 
ne  disent  pas  que  leur  intervention  ne  servira  de  rien,  ni 
que  le  temps  leur  manque  pour  s'occuper  d'élections.  En 
toute  circonstance,  ils  s'entendent  et  se  concertent,  et  au 
jour  du  scrutin,  aucun  ne  manque  aux  urnes.  Aussi  qu'ar- 
rive t-il  ?  Il  arrive  tout  simplement  que  ce  sont  leurs  candi- 
dats qui  sont  élus.  A  qui  la  faute,  si  ensuite  les  intérêts 
sociaux  sont  bouleversés,  si  le  trouble  est  dans  toute  la 
nation,  si  la  religion  est  proscrite  et  si  les  catholiques  sont 
en  butte  à  toutes  les  vexations  et  à  toutes  les  persécutions  ? 
La  faute  n'en  est  elle  pas  à  ces  chrétiens  coupables  qui  ont 
manqué  à  leur  devoir  de  voter  ?  Qu'ils  prennent  donc  au 
moins  la  résolution  de  s'en  acquitter  à  l'avenir  avec  fidélité, 
afin  de  réparer,  s'ils  le  peuvent,  les  maux  dans  lesquels  ils 
ont  une  si  lourde  responsabilité. 


oBl.u.  m  ion    D  LCCOAfPllR  lis  DEVOIRS  CIVIQl  ES.  ^67 

Encore  est-il  nécessaire,  non  seulement  de  voler,  mais 
aussi  de  bien  voter,  c'est-à-dire  pour  le  meilleur  des  candi- 
dats qui  spllicitenl  les  suffrages.  Ne  nous  laissons  pas  trom- 
per sur  un  point  d'une  aussi  grande  importance,  et  ne 
donnons  pas  trop  vile  notre  confiance  à  ceux  qui  nous 
offrent  leurs  conseils.  Sachons  par  nous-mêmes,  aussi  sûre- 
ment qu'il  est  possible,  ce  que  sont  les  candidats  qui  se  pré- 
sentent, ce  qu'ils  disenl  vouloir  faire,  et  ce  qu'on  peut 
attendre  d'eux.  Quand  nous  mettons  la  main  à  une  entre- 
prise sérieuse,  ne  prenons-nous  pas  toutes  les  précautions 
qui  sont  à  notre  portée  pour  la  faire  réussir  ?  Ne  soyons  pas 
moins  prudents  quand  il  s'agit  d'une  élection,  qui  est  tou- 
jours une  affaire  très  grave,  et  ne  donnons  notre  voix  qu'au 
candidat  le  plus  éclairé  et  le  plus  honnête.  Que  si,  par  indif- 
férence ou  imprudence,  par  faiblesse  ou  intérêt,  ou  par 
quelque  autre  cause  que  ce  soit,  nous  avions  le  malheur  de 
donner  sciemment  notre  voix  à  un  indigne,  sachons-le 
bien,  nous  aurions  une  part  de  responsabilité  dans  tout  le 
mal  qu'il  ferait,  et  Dieu  ne  manquerait  certainement  pas  de 
nous  en  demander  compte  et  de  nous  en  châtier  (1). 

CONCLUSION.  —  Tels  sont,  chrétiens,  d'un  côté,  les 
obligations  de  ceux  qui  gouvernent  dans  les  sociétés  humai- 
nes, et  de  l'autre,  les  obligations  de  ceux  qui  sont  gou- 
vernés. Ceux  qui  gouvernent,  avons-nous  dit,  doivent 
surtout  ne  faire  que  de  justes  lois,  en  assurer  la  juste  appli- 
cation, et  prudemment  favoriser  le  règne  de  la  vraie  reli- 
gion, qui  sont  les  trois  choses  les  plus  utiles  à  la  prospérité 
et  au  bonheur  des  peuples.  Et  ceux  qui  sont  gouvernés  doi- 
venl.  à  leur  tour,  respecter  et  aimer  ceux  qui  les  gouver- 
nent, obéira  toutes  les  lois  qui  ne  sont  pas  contraires  à 
l'Evangile,  et  enfin  concourir  au  bien  général  en  prenant 
part  aux  élections,  et  en  ne  volant  que  pour  les  candidats 
les  plus  éclairés  et  les  plus  honnêtes  (2).  Qu'il  en  soit  donc 

1.  \oyrz  noire  ouvrage  :  Sujets  de  circonstances,  tome  Ier,  page  5o3,  où 
se  trouve  une  Instruction  entière,  très  documentée,  sur  la  question  du 
vote. 

■>.  Notre  amour  à  tous  pour  la  pairie  sera  vraimenl  ('-levé,  si  nous 
commençons  par  lui  donner  en   nous  dr-  citoyens  dont  clic  n'ait  p;is  à 


SOMME    DU  PRÉDICATEUR.    —  T.    II. 


I? 


2  58  LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  X.  INSTRUCTION. 

de  ces  obligations  comme  des  autres,  c'est-à-dire,  que  cha- 
cun accomplisse  en  conscience  celles  qui  lui  incombent, 
puisque  chacun  y  est  tenu  en  conscience.  Ceux  qui  ne  les 
accompliront  pas,  sciemment  et  en  matière  grave,  seront 
en  effet  aussi  certainement  damnés  que  ceux  qui  n'accom- 
plissent pas  leurs  obligations  envers  Dieu  lui-même,  puis- 
qu'au  fond  ces  obligations  nous  sont  imposées  par  lui  aussi 
bien  que  celles  qui  le  regardent  personnellement,  et  qu'on 
ne  l'offense  pas  moins  en  violant  les  unes  qu'en  violant  les 
autres.  Que  cette  considération  fasse  de  nous  tous  des 
citoyens  parfaits,  quelle  que  soit  notre  position  sociale.  Les 
méchants  et  les  impies  seront  ainsi  forcés  de  reconnaître 
que  notre  sainte  religion ,  qui  nous  propose  surtout  l'acqui- 
sition du  ciel,  n'est  cependant  pas  indifférente  et  étran- 
gère de  la  prospérité  des  sociétés  temporelles.  Dans  les 
intentions  de   Dieu,  les  patries  terrestres  n'ont  en  effet  pas 


rougir,  dont  au  contraire  elle  puisse  se  faire  gloire.  On  ne  peut  aimer  la 
patrie  et  en  môme  temps  tourner  en  ridicule  la  religion  et  les  bonnes 
mœurs;  pas  plus  qu'on  ne  pourrait  prétendre  aimer  et  estimer  une 
femme,  sans  pourtant  se  croire  obligé  de  lui  être  fidèle. 

Il  ne  faut  pas  ajouter  foi  aux  paroles  de  l'homme  qui,  après  avoir  jeté 
l'insulte  aux  autels,  à  la  foi  conjugale,  à  la  décence  et  à  la  probité,  s'é- 
crie :  Patrie  !  patrie  !  C'est  un  hypocrite  de  patriotisme,  c'est  un  mau- 
vais citoyen. 

Il  n'y  a  de  bon  patriote  que  l'homme  vertueux  qui  comprend  et  aime 
ses  devoirs,  qui  s'applique  à  les  accomplir. 

On  ne  le  voit  jamais  mêler  sa  voix  à  celle  des  flatteurs  des  puissants, 
à  celle  des  contempteurs  de  toute  autorité  ;  la  bassesse  et  le  manque  de 
respect  sont  également  des  excès. 

S'il  occupe  un  emploi  militaire  ou  civil,  son  but  ne  doit  pas  être  de 
s'enrichir,  mais  il  doit  agir  pour  l'honneur  et  la  prospérité  du  prince  et 
du  peuple. 

S'il  vit  loin  des  affaires,  il  doit  également  faire  des  vœux  pour  l'hon- 
neur et  la ,  prospérité  du  prince  et  du  peuple,  et  loin  de  s'y  opposer, 
chercher  à  y  contribuer  de  tout  son  pouvoir. 

Il  sait  que  dans  toutes  les  sociétés  il  y  a  des  abus  ;  il  désire  les  voir  dimi- 
nuer, mais  il  déteste  la  fureur  de  ceux  qui  voudraient  les  corriger  par 
la  spoliation  et  les  vengeances  sanguinaires  ;  car  ce  sont  là  les  abus  les 
plus  terribles  et  les  plus  funestes. 

Jamais  il  n'appelle  les  discordes  civiles,  il  ne  les  fomente  pas  par  ses 
exemples  et  ses  paroles  ;  il  prêche  la  modération  aux  exaltés,  il  conseille 
l'indulgence  et  la  paix.  11  ne  cesse  d'être  un  agneau,  que  lorsque  la 
patrie  en  danger  l'appelle  à  sa  défense.  Alors  il  devient  un  lion  :  il  sait 
combattre,  vaincre  ou  mou  ri  r  (Silvio  Pelllco,  Des  Devoirs  des  hommes, 
eh.  <))• 


OBLIGATION   D  ACCOMPLIR   LES  DEVOIRS  CIVIQUES.  200, 

d'au! iv  bul  final  que  de  préparer  des  citoyens  à  la  patrie 
céleste.  Ces!  pourquoi  L'Eglise  demande  si  souvent  à  Dieu 
la  pai v  pour  ces  patries,  précisément  afin  que  nous  puis- 
sions travailler  plus  efficacement  à  notre  sanctification  et  à 
notre  salut.  Par  conséquent,  aidons  nous-mêmes  au  régne 
de  l'ordre  et  de  la  paix  dans  notre  patrie  terrestre,  en  accom- 
plissant nos  devoirs  sociaux,  et  nous  aurons  ainsi  plus  de 
facilité  pour  arriver  dans  notre  patrie  céleste  et  véritable. 
Ainsi  soit-ii. 

TRAITS  HISTORIQUES. 

Devoirs  de  ceux  qui  gouvernent. 

Se  proposer  en  tout  le  bien  public.  —  Josaphat,  roi  de 
Juda,  pénétré  de  cette  vérité  que  la  vraie  religion  est  la  seule  base 
solide  de  la  prospérité  des  nations,  s'appliqua  dès  son  avènement  au 
trône,  à  lui  donner  tout  son  concours,  en  envoyant  dans  toutes  les 
parties  de  ses  états  des  prêtres  et  des  lévites  soutenus  par  des  sei- 
gneurs de  confiance  et  par  plusieurs  de  ses  principaux  officiers, 
pour  renouveler  dans  chaque  ville  la  connaissance  de  la  loi,  et 
pour  enseigner  au  peuple  la  pratique  régulière  des  saintes  obser- 
vances. Ils  partirent  de  Jérusalem  portant  avec  eux  le  livre  de  la 
loi.  Ils  parcoururent  successivement  toutes  les  villes  de  Juda, 
enseignant  partout  avec  zèle.  Ils  furent  écoutés  des  fidèles  avec 
une  sainte  avidité.  —  Tandis  que  Josaphat  pourvoyait  en  prince 
religieux  à  l'instruction  de  ses  sujets,  il  ne  négligeait  pas  les  soins 
politiques  d'où  dépendent  le  bon  ordre  et  la  tranquillité  de  son 
royaume.  Il  fit  bâtir  en  différents  endroits  de  fortes  citadelles  et  de 
bonnes  places  environnées  d'épaisses  murailles.  Il  fit  ajouter  dans 
les  anciennes  villes,  plusieurs  ouvrages  nécessaires  à  la  commo- 
dité et  à  la  sûreté  des  habitants.  Mais  il  s'appliqua  surtout  à  aug- 
menter le  nombre  de  ses  troupes  et  à  leur  donner  une  exacte 
discipline.  C'est  ainsi  que  la  gloire  de  Josaphat  s'accrut  au 
suprême  degré.  —  Dieu,  qui  se  plaisait  à  voir  ce  bon  prince  dans 
des  occupations  si  dignes  de  la  majesté  du  trône  où  il  l'avait  élevé, 
répandit  la  terreur  sur  tous  ses  voisins  ;  en  sorte  qu'ils  n'osaient 
lui  déclarer  la  guerre;  jusque-là  que  les  Philistins  même  lui 
envoyaient  régulièrement  des  présents  et  de  grosses  sommes  d'ar- 
gent pour  tribut.  Les  Arabes  faisaient  conduire  tous  les  ans,  à 
Jérusalem,  sept  mille  sept  cents  moutons  et  autant  de  boucs  : 
tribut  convenable  à  ces  peuples  dont  toutes  les  richesses  consis- 
taient en  pâturages  et  en  troupeaux. 


2Ô0         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   X.  INSTRUCTION. 

Aimer  la  patrie  plus  que  les  leurs.  —  Jean  II,  roi  de 
Portugal,  perdit  son  fils  unique  qu'il  aimait  beaucoup,  mais  qui 
n'avait  aucune  des  qualités  nécessaires  à  un  prince  :  «  Ce  qui  me 
console,  dit-il  alors,  c'est  qu'il  n'était  pas  propre  à  régner  ;  et 
Dieu,  en  me  l'ôtant,  a  montré  qu'il  veut  secourir  mon  peuple.  » 
C'est  ainsi  que  l'amour  de  la  patrie,  surtout  chez  les  rois,  doit  être, 
le  premier  sentiment  d'un  cœur  chrétien. 

Administrer  sans  favoritisme.  —  i.  Jacques  Fournier,  fils 
d'un  boulanger,  embrassa  la  vie  monastique,  et  fut  élu  Pape,  sous 
le  nom  de  Benoît  XII,  le  20 décembre  i334.  Il  avait  une  nièce:  plu- 
sieurs grands  seigneurs  la  recherchèrent  en  mariage.  Il  refusa  ces 
partis,  et  la  maria  au  fils  d'un  négociant  de  Toulouse.  Les  deux 
époux  étant  allés  le  voir  à  Avignon,  il  les  reçut  avec  beaucoup 
d'amitié,  les  garda  une  quinzaine  de  jours  auprès  de  lui,  ensuite 
les  congédia  en  leur  donnant  une  somme  assez  modique,  en  leur 
disant  :  «  Votre  oncle  Jacques  Fournier  vous  fait  ce  petit  présent  ; 
à  l'égard  du  Pape,  il  n'a  de  parents  et  d'alliés  que  les  pauvres  et 
les  malheureux.  » 

2.  Deux  neveux  de  Pie  IX  se  trouvaient  à  Rome  lors  de  son 
élection.  A  l'un  qui  était  fds  de  son  frère,  il  ordonna  de  retourner 
à  Sinigaglia  et  de  faire  savoir  à  sa  famille  qu'il  ne  voulait  pas 
qu'elle  vînt  s'établir  dans  la  capitale.  —  A  l'autre,  fils  de  l'une 
de  ses  sœurs,  et  jeune  officier  dans  l'armée  pontificale,  il  déclara 
qu'il  ne  lui  serait  accordé  d'avancement  que  selon  son  rang  et  son 
mérite. 

Protéger  les  petits  contre  les  puissants.  —  1.  Un  gen- 
tilhomme, commensal  de  Louis  XII,  roi  de  France,  avait  maltraité 
un  paysan.  Louis  XII,  qui  en  fut  instruit,  ordonna  qu'on  retran- 
chât le  pain  à  ce  gentilhomme,  et  qu'on  ne  lui  servît  que  du  vin 
et  de  la  viande.  L'officier  s'en  étant  plaint  au  roi,  Sa  Majesté  lui 
demanda  si  le  vin  et  la  viande  ne  lui  suffisaient  pas.  Sur  la  réponse 
qu'il  lui  fit  que  le  pain  était  l'essentiel,  Louis  XII  lui  dit  avec 
sévérité  :  «  Eh  !  pourquoi  donc  êtes-vous  assez  peu  raisonnable 
pour  maltraiter  ceux  qui  vous  le  mettent  à  la  main  ?  » 

3.  —  Un  riche  partisan  enlevait  les  blés  dans  une  année  de 
disette  pour  les  revendre  plus  cher.  M.  de  Harlay,  président  du 
parlement  de  Paris,  sous  Henri  IV,  l'envoya  chercher.  Le  fermier 
général  vint  dans  un  carosse  doré  et  chargé  de  laquais.  Les 
coursiers  fringants,  qui  faisaient  retentir  le  pavé  en  entrant  dans  la 
cour,  firent  un  fracas  qui  imitait  le  bruit  du  tonnerre.  Il  avait  un 
habit  superbe  relevé  d'une  broderie  d'un  goût  exquis.  M.  de  Har- 


OBLIGATION  D'ACCOMPLIR  LES  DEVOIRS  CIVIQUES.  :^6l 

lay  affecta  de  lelaisser  se  morfondre  dans  son  antichambre.  Il  le 
lit  enfin  entrer.  «  Quand  je  vous  ai  fait  attendre,  lui  dit-il,  j'ai 
consulté  ma  vanité  ;  \otrccarosse  ornait  ma  cour,  et  votre  personne 
mon  antichambre.  »  Son  visage  serein  devint  ensuite  sombre  tout 
à  coup,  «  Monsieur,  poursuivit-il  d'un  ton  à  glacer  le  coupable 
d'effroi,  je  unis  ai  mandé  pour  vous  dire  que  j'ai  appris  que,  vous 
prévalant  de  la  eherlé  des  blés,  vous  faisiez  de  grands  amas.  Vous 
prétendez  -vous  enrichir  parla  misère  du  peuple  et  vous  engraisser 
de  sa  substance.  J'arrêterai  le  cours  de  vos  projets.  Si  tous  les  blés 
que  vous  avez  amassés  ne  sont  pas  vendus  dans  un  mois,  je  vons 
ferai  pendre.  L'or  et  la  faveur  ne  vous  déroberont  point  à  la  jus- 
tice. ))  Le  fermier  général  interdit  se  retira.  Il  osa  porter  ses 
plaintes  au  roi  sur  le  discours  du  magistrat.  «  Je  vous  conseille, 
lui  dit  le  roi,  d'exécuter  les  ordres  qu'il  vous  a  prescrits,  car,  s'il 
vous  a  menacé  de  vous  faire  pendre,  il  le  fera  comme  il  le  dit.  » 

Réprimer  les  fraudes.  —  Un  jour,  Pie  IX  se  rendait,  à 
l'heure  de  sa  promenade,  de  l'intérieur  du  palais  au  jardin  du 
Quirinal.  A  son  passage,  un  soldat  s'avance  et  remet  à  l'officier  des 
gardes-nobles  qui  l'accompagnaient  un  des  pains  de  munition 
dont  se  nourrit  la  troupe.  Des  mains  de  l'officier,  le  pain  passe 
aussitôt  dans  celles  du  Saint-Père,  qui  l'examine  et  en  reconnaît 
aisément  la  mauvaise  qualité.  Il  fait  appeler  aussitôt  le  soldat, 
l'interroge  avec  bonté,  et  ordonne  qu'on  lui  apporte  un  nouveau 
pain  de  la  distribution  du  lendemain.  Cette  seconde  épreuve,  con- 
firmant la  première,  il  prescrit  alors  des  poursuites,  et  une 
enquête  sévère  commence  alors  contre  les  fournisseurs.  En  attendant 
il  fait  prendre,  à  leurs  frais,  chez  les  autres  boulangers  delà  ville, 
tout  le  pain  nécessaire  à  la  garnison  qui  s'y  trouvait.  —  Quant  au 
soldat,  dont  la  confiance  en  la  justice  de  son  prince  avait  fait 
découvrir  cette  coupable  fraude,  pour  le  mettre  à  l'abri  de  toute 
réprimande  et  de  tout  ressentiment,  le  Saint-Père  ordonna  à  l'offi- 
cier des  gardes  de  l'accompagner  à  son  poste,  et  de  le  recommander 
«le  sa  part  à  son  chef  (Rome,  en  18'iS,  49,  5o). 

Être  inaccessibles  à  la  corruption.  —  i.  Un  lord  avait  un 
procès  considérable  dont  il  craignait  l'issue.  Pour  se  rendre  favo- 
rable le  chancelier  Thomas  Morus,  il  lui  envoya  en  présent  deux 
flacons  d'argent  d'un  très  grand  prix.  Morus  les  fit  remplir  d'un 
excellent  vin  et  les  renvoya  au  lord,  qui  gagna  sa  cause,  parce 
qu'elle  était  juste.  Ce  digne  magistrat  était  persuadé  avec  raison 
que  tout  juge  qui  reçoit  un  présent  fait  les  premiers  pas  vers  l'ini- 
quité, et  que,  quand  on  écoute  celui  qui  veut  acheter  la  justice,  on 
e-t  bien  près  de  la  vendre. 


2Ô2         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   X.   INSTRUCTION. 

2.  Des  boulangers  vinrent  demander  à  M.  Dugas,  prévôt  des 
marchands,  à  Lyon,  d'enchérir  le  pain  :  il  leur  répondit  qu'il  exa- 
minerait leur  demande.  En  se  retirant,  ils  laissèrent  adroitement 
sur  la  table  une  bourse  de  deux  cents  louis.  Ils  revinrent,  ne  dou- 
tant pas  que  la  bourse  n'eût  bien  plaidé  leur  cause.  M.  Dugas  leur 
dit  :  «  Messieurs,  j'ai  pesé  vos  raisons  dans  la  balance  delajustice, 
et  je  ne  les  ai  pas  trouvées  de  poids.  Je  n'ai  pas  jugé  qu'il  fallût, 
par  une  cherté  mal  fondée,  faire  souffrir  le  public.  Au  reste,  j'ai 
distribué  votre  argent  aux  deux  hôpitaux  de  cette  ville  ;  je  n'ai  pas 
cru  que  vous  en  voulussiez  faire  un  autre  usage.  J'ai  compris  que, 
puisque  vous  étiez  en  état  de  faire  de  telles  aumônes,  vous  ne  per- 
diez pas,  comme  vous  le  dites,  dans  votre  métier.  » 

Ne  voir  que  la  justice.  —  i.  Le  chancelier  Voisin-d'Ormesson 
ayant  appris  qu'un  scélérat  avait  trouvé  assez  de  protection  pour 
obtenir  des  lettres  de  grâce,  se  rendit  auprès  du  roi  :  «  Sire,  lui 
dit-il,  Votre  Majesté  ne  peut  accorder  des  lettres  de  grâce  dans  un 
pareil  cas.  —  Je  les  ai  promises,  lui  répondit  Louis  XIV,  allez  me 
chercher  les  sceaux.  »  Les  lettres  scellées,  Voisin  ne  voulut  pas 
reprendre  les  sceaux.  «  Ils  sont  pollués,  dit-il,  je  ne  les  reprends 
plus.  —  Quel  homme  !  »  s'écria  le  roi...  et  il  brûla  les  lettres  de 
grâce  après  avoir  réfléchi  un  moment.  Alors  le  chancelier  reprit 
les  sceaux  en  disant  :  «  Je  reprends  les  sceaux,  le  feu  purifie  tout.  » 

2.  Sous  le  même  règne,  Voisin  fut  nommé  juge-rapporteur  de 
l'affaire  de  Fouquet,  surintendant  des  finances,  accusé  de  dilapida- 
tions. Il  résista  avec  fermeté  aux  ministres  qui  voulaient  faire  périr 
leur  collègue  disgracié.  Ni  les  menaces,  ni  les  promesses  de  la 
place  de  chancelier  ne  purent  lui  faire  suivre  d'autre  avis  que  celui 
que  la  vérité  lui  dictait.  Louis  XIV  n'oublia  jamais  cette  belle 
action  ,  et  quand  on  lui  présenta  le  petit-fils  de  Voisin,  il  lui  dit  : 
«  Je  vous  exhorte  à  être  aussi  honnête  que  le  rapporteur  de  M. 
Fouquet.  » 

Favoriser  la  religion.  —  Saint  Contran,  roi  de  Bourgogne, 
ati  vie  siècle,  n'avait  d'autre  ambition  que  de  rendre  ses  sujets  heu- 
reux ;  et  c'était  pour  atteindre  ce  but  si  désirable,  qu'il  puisait 
dans  la  religion  les  vrais  principes  du  gouvernement.  Il  était  bien 
éloigné  de  penser  comme  ces  hommes  profanes  qui  s'imaginent 
que  les  lois  de  la  politique  ne  peuvent  s'allier  avec  les  maximes  de 
l'Évangile.  Il  pensait,  au  contraire,  qu'un  état  n'est  jamais  plus 
florissant  que  quand  la  religion  est  le  mobile  de  ceux  qui  le  gou- 
vernent ;  et  pour  ne  s'écarter  jamais  des  saintes  règles  qu'elle  leur 
prescrit,  il  consultait  les  évêques  comme  ses  maîtres,  il  les  hono- 


OBLIGATION    D  ACCOMPLIR  LES  DEVOIRS  CIVIQUES.  '>(>.> 

raii  comme   ses  pères,  \ussi   son   règne  fut-i]  accompagné  d'une 
prospérité  constante  dans  la  paix  et  dans  la  guerre. 

Devoirs  de  ceux  qui  sont  gouvernés. 

Respecter  les  chefs.  —  David,  persécuté  par  Saiil,  s'était 
retiré  dans  le  désert  d'Engaddi.  Saiil  l'y  ayant  poursuivi  entra  un 
jour  seul  dans  une  caverne  au  fond  de  laquelle,  à  son  insu,  David 
était  caché  avec  ses  gens,  et  comme  il  était  fatigué,  il  s'endormit. 
Les  gens  de  David  lui  dirent  alors:  «  Voici  le  moment  favorable 
pour  nous  défaire  de  votre  ennemi.  »  Mais  David  leur  répondit  : 
«  Dieu  me  garde  de  mettre  la  main  sur  mon  maître,  sur  celui  qui 
est  l'oint  du  Seigneur.  »  David,  par  ces  paroles,  arrêta  la  violence 
de  ses  gens,  et  les  empêcha  de  se  jeter  sur  Saiil,  comme  ils  vou- 
laient le  faire.  Il  se  contenta  de  couper  tout  doucement  le  bord  de 
son  manteau, pour  lui  prouver  que  sa  vie  avait  été  entre  ses  mains. 
Et  même  il  se  repentit  de  cette  action,  comme  ayant  en  cela  man- 
qué au  respect  qu'il  devait  à. son  roi.  I.  Reg.  xxiv,  1-8.  —  Oh  !  si 
tous  les  sujets  étaient  aussi  respectueux  envers  leurs  souverains  et 
leurs  autres  chefs,  quelle  paix  régnerait  clans  les  états,  et  qu'on 
serait  à  l'abri  de  tant  de  révolutions  qui  bouleversent  le  monde  ! 

Leur  être  dévoués.  —  i.  Pendant  les  désastres  de  la  croisade 
de  Louis  IX,  on  envoya  proposer  une  trêve  aux  Sarrasins.  Ceux-ci 
acceptèrent  les  conditions  qu'on  leur  présentait,  mais  ils  voulurent 
qu'on  leur  donnât  le  roi  pour  otage.  Cette  proposition  souleva 
toute  l'armée.  Geoffroi  de  Sargines,  saisi  d'une  noble  colère, 
s'écria  :  «  Ne  connait-on  pas  assez  les  Français  pour  croire  qu'ils 
puissent  livrer  leur  prince  à  leurs  ennemis  ?  Ils  aimeraient  mieux 
être  tués  jusqu'au  dernier,  que  de  souffrir  qu'on  pût  un  jour  leur 
faire  un  pareil  reproche.  »  Louis  IX,  qui  préférait  le  salut  du 
peuple  au  sien,  voulait  se  sacrifier  pour  toute  l'armée.  Il  fallut  que 
son  conseil  lui  désobéit  en  cela,  et  rompît  de  lui-même  les  négo- 
ciations. 

2.  Richard,  surnommé  Cœur-de-Lion,  roi  d'Angleterre,  entre- 
prit en  T199  une  croisade  en  Palestine,  et  y  fit  la  guerre  contre  les 
Sarrasins.  Un  jour  qu'il  était  parti  pour  la  chasse,  avec  une  suite 
peu  nombreuse,  il  tomba  dans  une  embuscade.  Richard  n'était  pas 
habitué  à  fuir  ;  malgré  la  multitude  des  ennemis,  il  frappa  coura- 
geusement autour  de  lui  ;  mais  déjà  tous  ses  compagnons  étaient 
tombés,  à  l'exception  d'un  seul.  Il  n'y  avait  aucun  espoir  de  se 
frayer  un  chemin  de  vive  force,  et  il  ne  restait  d'autre  parti  au  roi 
que  de  fondre  sur  les  ennemis,  l'épée  à  la  main,  ou  de  se  consti- 


2 64  LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  X.  INSTRUCTION. 

tuer  prisonnier.  Alors  le  seul  de  ses  compagnons  qui  eut  survécu 
(il  s'appelait  Guillaume  de  Pourcellet)  s'écria  tout  à  coup  :  «  C'est 
moi  qui  suis  le  roi  !  »  —  Aussitôt  les  Sarrasins,  laissant  là 
Richard,  s'emparèrent  de  lui  et  l'emmenèrent  avec  eux.  Le  roi 
réussit,  dans  la  bagarre,  à  se  sauver  et  à  rejoindre  les  siens.  Lors- 
que le  prisonnier  fut  conduit  devant  Saladin,  la  ruse  fut  bientôt 
découverte.  Mais  Saladin,  prince  magnanime,  loin  de  s'irriter  con- 
tre le  chevalier,  le  loua  de  son  dévouement,  le  traita  avec  bonté, 
et  peu  après  l'échangea  contre  dix  arabes. 

Leur  être  fidèles.  —  i.  Bénigne  de  Frémiot,  père  de  sainte 
Françoise  de  Chantai,  descendait  d'une  ancienne  famille  de  Bourgo- 
gne, qui  avait  fourni  une  longue  liste  d'hommes  illustres  au  barreau 
comme  à  l'armée.  Il  était  deuxième  président  du  parlement,  ren- 
dit surtout  de  grands  services  à  la  couronne  pendant  les  guerres 
des  huguenots,  et  donna  à  ses  concitoyens  des  exemples  de  vertus 
et  de  dévouement.  En  voici  un  qui  mit  sa  fidélité  au  grand  jour. 
A  l'époque  où  les  adversaires  du  roi  de  France  assiégeaient  la  ville 
de  Dijon,  il  avait  réuni  ceux  des  membres  du  parlement  qui  étaient 
restés  fidèles  au  roi,  et  s'était  enfui  avec  eux  dans  la  forteresse 
de  Clarigny,  puis  à  Semur,  où  il  tenait  avec  eux  les  séances. 
Sa  considération  et  la  sagesse  de  ses  dispositions  conservèrent  cette 
forteresse  à  l'autorité  du  roi.  Les  ennemis  le  menacèrent  de  tuer 
son  fds  qui  était  tombé  entre  leurs  mains,  «  Bénigne  Frémiot 
peut  perdre  ses  enfants,  mais  non  sa  fidélité  »,  répondit  le  Spar- 
tiate chrétien.  Et  les  ennemis  n'osèrent  exécuter  leur  menace.  — 
Lorsqu'on  raconta  à  Henri  IV,  dont  l'avènement  au  trône  mit  fin  à 
cette  guerre  désastreuse,  ce  trait  de  courage  et  d'autres  encore  de 
Bénigne  de  Frémiot,  il  voulut  l'élever  à  la  dignité  de  premier  pré- 
sident du  parlement,  m  Dieu  me  garde,  sire,  répondit  Frémiot, 
d'évincer  un  homme  vivant  de  sa  charge  !  Le  premier  président 
est  un  bon  catholique,  il  servira  Votre  Majesté  comme  il  faut. 
Quant  à  moi,  je  n'ai  fait  que  mon  devoir.   » 

2.  —  Saint  Anselme,  archevêque  de  Cantorbéry,  avait  essuyé 
toutes  sortes  de  vexations  et  de  mauvais  traitements  de  la  part  du 
roi  d'Angleterre,  Guillaume-le-Roux,  jusqu'à  être  obligé  de  se 
réfugier  en  France,  pendant  un  temps,  pour  échapper  à  la  persé- 
cution de  ce  pririce.  Le  saint  archevêque  n'en  resta  pas  moins 
fidèle  au  roi  persécuteur,  lorsqu'il  le  vit  sur  le  point  de  perdre  la 
couronne.  Plusieurs  seigneurs  du  royaume  s'étaient  joints  au  duc 
de  Normandie,  qui  était  venu  l'attaquer  avec  une  puissante  armée. 
Anselme  mit  tout  en  usage  pour  prévenir  les  suites  d'une  révolte 
naissante.  Non  content  de  contribuer  aux  frais  de  la  guerre,  il 


OBLIGATION  D'ACCOMPLIR  LES  DEVOIRS  CIVIQ1  ES.  2Ô5 


représenta  aux  seigneurs  dont  les  dispositions  paraissaient  dou- 
teuses, toute  l'énormité  du  crime  de  rébellion.  11  ajouta  qu'ayant 
reconnu  Henri  pour  roi,  ils  ne  pouvaient  plus  balancer  dans  le 
parti  qu'ils  avaient  à  prendre,  et  qu'ils  devaient  faire  le  sacrifice 
de  leurs  vies,  plutôt  que  de  manquer  par  un  parjure  à  la  sainteté 
de  leurs  serments.  Il  publia  en  môme  temps  une  sentence  d'ex- 
communication contre  le  duc  de  Normandie,  qui  était  regardé 
comme  un  usurpateur.  Les  choses  prirent  alors  une  nouvelle  face. 
Robert  fit  un  accommodement  avec  Henri,  et  abandonna  l'Angle- 
terre. Ce  fui  ainsi  que  l'archevêque  de  Gantorbéry  ramena  la  paix 
dans  le  royaume,  et  assura  la  couronne  chancelante  sur  la  tête  de 
Henri. 

Résister  aux  lois  injustes.   —    i.    L'an    28G,   l'empereur 
Maximien,  qui  se   disposait  à   entrer  dans  les  Gaules  pour  répri- 
mer l'insurrection  des  Bagaudes,  avait  fait   venir  d'Orient,  pour 
renfoncer   son  armée,    la  légion    thébaine,    laquelle    était    com- 
posée de  six  mille  six   cents  hommes,  tous  chrétiens,   et  remar- 
quables  à  la  fois   par  leur  courage  et  leur  piété,  sachant    allier 
l'exercice   des  armes  avec   la  pratique  de  l'Évangile.  Maurice   en 
était  le  capitaine  ;    Exupère  et  Candide  étaient  après   lui  les  prin- 
cipaux  officiers.  Maximien,   qui  avait  encore   plus  à   cœur   d'ex- 
terminer les   chrétiens  que  les  ennemis  de  l'état,  commanda  la 
légion   thébaine  pour  persécuter  les   fidèles,  et  voulut  en   même 
temps  les  obliger  à  prendre  part  aux  sacrifices  qu'il  faisait  à  ses 
dieux,  en  entrant  dans  les  Gaules.  Les  braves  soldats   répondirent 
qu'ils  étaient  venus  pour  combattre  les  ennemis  de  l'état,  et  non 
pas   pour   tremper   leurs   mains    dans  le   sang   de  leurs   frères, 
ou  pour  les  souiller  par  un  culte  impie.   Maximien  fut   si  irrité 
de  cette  réponse    qu'il   fit  aussitôt  décimer  la  légion.   Ceux    sur 
qui   le   sort   tomba  se   laissèrent  égorger   sans  la  moindre  résis- 
tance. Lorsque  cette  boucherie  fut  terminée,  et  en   présence  des 
cadavres  de  leurs   compagnons,    on   demanda    à  ceux  qui  survi- 
vaient s'ils  voulaient  maintenant  sacrifier  aux  dieux.  Ils  s'écrièrent 
avec  une  indignation  nouvelle  qu'ils  détestaient  les  dieux  païens. 
Maximien  ordonna  que  la  légion   fût  décimée  une  seconde   fois. 
Pressés  d'obéir  à  l'empereur,  les  autres  lui  présentèrent  la  remon- 
trance suivante  :  «  Nous  sommes  vos  soldats,  seigneur,  mais  nous 
sommes  aussi  les  serviteurs  de  Dieu  ;  nous  vous   devons  le  service 
de  la  guerre,  mais  nous  devons  à  Dieu  l'innocence  de  nos  mœurs; 
nous  recevons  de  vous  la  paye  ;  il  nous  a  donné  et  nous  conserve 
la  vie  ;  nous  ne  pouvons  vous  obéir  en  renonçant  à  notre  Créateur, 
notre  maître  et  le  vôtre,  nous  sommes  disposés  à  exécuter  vos 


266         LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  X.   INSTRUCTION. 

ordres  en  tout  ce  qui  n'offense  pas  le  Seigneur,  mais  s'il  faut  choi- 
sir entre  désobéir  à  Dieu  ou  à  un  homme,  nous  préférons  l'obéis- 
sance à  Dieu:  menez-nous  à  l'ennemi,  nos  mains  sont  prêtes  à 
combattre  les  rebelles  et  les  impies  ;  mais  elles  ne  savent  point 
répandre  le  sang  des  citoyens  et  des  innocents,  nous  avons  fait 
serment  à  Dieu  avant  de  vous  le  faire.  Eh  !  comment  pourriez- 
vous  compter  sur  notre  fidélité,  si  nous  manquions  à  celle  que 
nous  lui  avons  jurée  ?  Si  vous  cherchez  à  faire  mourir  des  chré- 
tiens, nous  voici;  nous  confessons  un  Dieu  créateur  de  toutes  cho- 
ses, et  Jésus-Christ  son  fils;  nous  sommes  disposés  à  nous  laisser 
égorger  comme  nos  compagnons,  dont  nous  envions  le  sort.  Ne 
craignez  pas  de  révolte  :  les  chrétiens  savent  mourir  et  non  se 
révolter;  nous  avons  des  armes,  mais  nous  ne  nous  en  servirons 
pas  :  nous  aimons  mieux  mourir  innocents  que  de  vivre  coupa- 
bles. »  Une  remontrance  si  généreuse  et  si  mesurée  ne  fît  qu'allu- 
mer la  fureur  de  Maximien.  Désespérant  de  vaincre  leur  constance 
héroïque,  il  prit  la  résolution  de  faire  massacrer  la  légion  entière. 
Il  fit  marcher  des  troupes  pour  l'envelopper  et  la  tailler  en  pièces. 
Ces  braves  guerriers  jetèrent  bas  leurs  armes,  se  dépouillèrent  de 
leurs  cuirasses,  et  présentèrent  le  cou  à  leurs  bourreaux.  On  n'en- 
tendit ni  plaintes,  ni  gémissements.  Ils  ne  parlèrent  que  pour 
s'animer  les  uns  les  autres  à  mourir  pour  Jésus-Christ. 

2.  — En  1791,  l'assemblée  nationale,  en  France,  vota  une  loi 
dite  de  la  constitution  civile  du  clergé,  à  laquelle  le  malheureux 
Louis  XVI  eut  la  faiblesse  d'apposer  son  sceau.  Cette  loi  sacrilège 
menaçait  de  jeter  la  nation  dans  le  schisme.  Mais  l'immense  majo- 
rité des  évêques  et  des  prêtres  refusèrent  de  s'y  soumettre  ;  et 
quant  à  ceux  qui  consentirent  à  la  reconnaître,  les  fidèles  les 
eurent  en  horreur,  et  ne  voulurent  jamais  ni  recourir  à  leur  minis- 
tère, ni  avoir  aucun  rapport  religieux  avec  eux.  Vainement  le  pou- 
voir fit  périr  par  milliers  les  prêtres  et  les  fidèles  qui  refusaient 
d'adhérer  à  cette  loi  :  il  ne  réussit  point  à  triompher  de  leur  foi  et 
de  leur  résistance.  Admirable  exemple,  qui  rappelle  le  temps  des 
grandes  persécutions,  et  que  chacun  doit  se  tenir  prêt  à  imiter, 
si  les  circonstances  l'exigeaient. 

3.  —  Voici  une  scène  digne  des  temps  les  plus  malheureux.  Elle 
se  passait  dernièrement  à  Pratulin,  paroisse  de  la  Pologne  russe, 
que  le  gouvernement  voulait  entraîner  dans  le  schisme.  Le  com- 
mandant des  troupes  russes  veut  haranguer  le  peuple  :  on  refuse 
de  l'écouter.  «  Je  ferai  faire  feu.  —  Eh!  bien,  si  tels  sont  vos 
ordres,  tirez...  Tous,  nous  mourrons,  mais  nous  n'abandonnerons 
pas  notre  foi,  »  Le  commandant  crie  à  ses  soldats  ;   a  Mettez  en 


OBLIGATION   d'àCCOMPLIR  LES  DEVOIRS  CIVIQUES. 


26' 


joue,  m  \  cette  vue,  les  plus  anciens  des  paysans  jettent  leur  veste 
el  découvrent  leur  poitrine  en  criant:  «  Tirez!  Il  est  doux  de  mou- 
rir pour  sa  toi.  »  l  ne  salve  suivit  cette  exclamation  ;  quinze  morts 
et  div  blessés  tombèrent  à  terre,  et  les  autres,  agenouillés,  ne  bou- 
geaient pas.  Les  Russes,  voyant  qu'ils  étaient  tous  décidés  à  mourir, 
se  retirèrent,  et  comme  ils  passaient,  les  femmes,  sortant  de  leur 
maison  avec  leurs  petits  enfants  sur  les  bras,  leur  crièrent:  «  Pour- 
quoi ne  tirez-vous  pas  aussi  sur  nous  ?  Toutes  nous  préférons  plu- 
lot  mourir  que  de  devenir  sebismatiques.  »  Il  est  beau  pour 
l'Église  catholique  d'avoir  de  tels  enfants  ;  mais  il  n'est  pas  beau 
pour  l'empereur  de  Russie  de  faire  revivre  en  1874  les  jours  de 
Néron  et  Dioclétien. 


ONZIEME  INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Troisième  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  chacun  de  nous 
d'aimer  notre  prochain. 

I.  Motifs  de  ce  devoir.  —  II.  Mesure  de  ce  devoir.  — 
III.  Ce  qu'il  faut  faire  pour  s'en  acquitter. 

Déjà  nous  avons  étudié  nos  devoirs  envers  Dieu  ;  ensuite 
les  devoirs  des  parents  envers  leurs  enfants  et  les  devoirs 
des  enfants  envers  leurs  parents  ;  puis  les  devoirs  des  maî- 
tres et  supérieurs  et  des  serviteurs  et  inférieurs  à  l'égard  les 
uns  des  autres  ;  en  dernier  lieu  enfin,  les  devoirs  de  ceux 
qui  gouvernent  et  les  devoirs  de  ceux  qui  sont  gouvernés. 
Mais  au-delà  du  cercle  de  la  société  familiale,  au-delà 
du  cercle  de  la  société  domestique,  au-delà  du  cercle  de 
la  société  civile,  il  y  a  encore  un  autre  cercle  plus  étendu, 
celui  de  la  société  humaine,  qui  lui  aussi  nous  impose 
des  devoirs  particuliers.  Le  cercle  de  la  société  humaine 
comprend  en  effet  tous  les  hommes,  lesquels  forment, 
pour  chacun  de  nous,  ce  que  la  sainte  Écriture  appelle 
notre  prochain.  Et  c'est  avec  raison  que  tous  les  hommes 
sont  appelés  notre  prochain,  parce  qu'ils  sont  tous  proches 
de  nous.  Car,  malgré  les  distances  sociales  qui  les  séparent, 
tous  les  hommes  n'en  sont  pas  moins  proches  les  uns  des 
autres  par  leur  nature,  c'est-à-dire  par  leur  origine  et  par 
leur  destinée.  C'est  en  effet  d'un  même  père  que  tous  vien- 
nent, et  c'est  au  même  héritage  céleste  que  tous  sont  appe- 
lés, bien  que  tous  ne  se  rendent  pas  dignes  de  le  recevoir. 
De  là  vient  qu'ils  forment  véritablement  tous  ensemble  une 
immense  famille,  la  famille  humaine. 

Or,  quel  est  le  caractère  essentiel  de  toute  famille?  N'est-ce 
pas  l'union  ?  Et  quel  est  le  lien  de  toute  union  ?  n'est-ce  pas 
la  charité  ?  Aussi  la  sainte  Écriture  nous  apprend-elle  que 


PKUUK  roi  il  CHACÏ  N  DE   \(>i  s   d'aïMER  NOTRE  PROCHAIN.     200 


1rs  premier?  chrétiens,  qui   étaient  vraiment  unis  entre  eux 
comme    les    membres   d'une   véritable    famille,    s'aimaient 
mutuellement  d'une  manière  si  parfaite,  qu'ils  n'étaient  qu'un 
cœur  et  qu'une  âme  ( i  ).  El  les  païens,  en  les  voyant,  ne  pou- 
vaient  s'empêcher  de  s'écrier,    surpris  et  charmés  :    Voyez 
comme   ils   s'aiment  !    Eh  bien,   cet  admirable  et  touchant 
spectacle  de  charité  fraternelle  que   les  premiers  chrétiens 
Offraient  aux  païens,    les  chrétiens  de  ce  temps  devraient 
l'offrir  encore  au  monde  ;    car  nous  ne  sommes  pas  moins 
obligés  d'aimer  notre  prochain,    que    ne  l'étaient  nos  pre- 
miers ancêtres  dans  la  foi.  En  effet,   les  conditions  du  salut 
n'ont  pas  été  changées,  et  elles  ne  sont  pas  autres  pour  nous 
qu'elles  n'étaient  pour  eux.    Et  de  même  que,   pour  se  sau- 
ver,  ils  étaient  autant  tenus  à  aimer  leur  prochain  qu'à  aimer 
Dieu  lui-même,    les  deux  commandements  étant  également 
obligatoires  (2)  ;    ainsi  en  est-il  encore  pour  nous,    et  ainsi 
en  sera-t-il  jusqu'à  la  fin  des  siècles.   D'où  vient  donc  que 
l'amour  du  prochain,  si  indispensable  au  salut,  s'est  refroidi 
dans  tant  de  cœurs  ?  Cela  vient,  en  partie  du  moins,    de  ce 
que  les  chrétiens  n'ont  plus  maintenant  le  même  zèle  qu'au- 
trefois pour  s'instruire  et  se  pénétrer  de  leurs  devoirs.   C'est 

1.  Act.  iv,  32.   —    Les  fidèles  n'avaient  qu'âne  âme  et  qu'un  cœur  :  Ils 
croyaient  les  mûmes  choses,   ils -n'en  aimaient  qu'une  seule  ;   ce  n'était 
pour  ainsi  dire  qu'un  entendement  et  qu'une  volonté.    Mais  comment 
pouvaient-ils  être  unis  de  la  sorte  entre  eux,   sinon  parce  qu'ils  étaient 
unis  en  Dieu  ?  La  charité  fraternelle  était  produite  par  la  charité  divine  ; 
ils  croyaient  les  mêmes  choses,  parce  qu'ils  n'avaient  qu'une  même  foi  ; 
ils  n'en  aimaient  qu'une,  parce  qu'ils  n'étaient  touchés  que  de  l'amour 
de  Dion.    Ainsi  ils  s'attachaient  aux  mêmes  vérités,    ils    aspiraient    aux 
mêmes  biens  :    et  c'est  ce  qui  les  unissait.    Dans  le  monde,   vouloir  les 
mêmes    choses,    c'est  souvent  un  principe  de  désunion.    Il  y  a  entre  les 
mondains  une  mal  heureuse  conformité  de  pensées  et  de  désirs  ;  et  parce 
qu'Us  ne  peuvent  posséder  ensemble  les  mêmes  biens  qu'ils  souhaitent, 
cl  auxquels  ils  aspirent,  c'est  ce  qui  les  divise.  Ils  ont  les  mêmes  princi- 
pes, ils  cherchent  la  même  lin  :    mais  c'est  en  rivaux  ;    ils  ne  peuvent  se 
satisfaire  sans  se  détruire.    Dans  la  religion,  au  contraire,    l'union  des 
pensées  el    des  désirs  fait  l'union  des  volontés.   Comme  le  même  Dieu 
suffi!  pour  tous,  ils  s'attachent  au  même  objet  sans  jalousie,  et  par  con- 
séquenl    sans   division.   Us  travaillent  de  concert,  et  avec  une  parfaite 
intelligence,    pour  acquérir  les  biens  de  l'éternité  ;  ils  courent  dans  la 
mèmecarière,  et  s'encouragent  pour  arriver  au  même  but   (Anonyme, 
dans  le  Recueil  des  pièces  de  V Académie  française,  de  l'année  1673). 

2.  Matth.  xxii,  39. 


270        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.   INSTRUCTION. 

pourquoi  nous  allons,  en  traitant  spécialement  aujourd'hui 
de  notre  devoir  d'aimer  notre  prochain,  d'abord  exposer  les 
motifs  de  ce  devoir,  dire  ensuite  quelle  est  la  mesure  de  ce 
devoir,  expliquer  enfin  ce  qu'il  faut  faire  pour  s'en  acquit- 
ter. —  Seigneur,  qui  êtes  le  Père  de  la  grande  famille 
humaine,  et  qui  ne  désirez  rien  tant  que  de  voir  tous  vos 
enfants  s'aimer  véritablement  et  sincèrement  entre  eux,  dai- 
gnez venir  éclairer  nos  esprits  et  échauffer  nos  cœurs,  afin 
que  ce  que  vous  nous  aurez  bien  fait  comprendre  comme 
étant  notre  devoir,  nous  puissions  l'accomplir  pleinement 
et  généreusement. 

I.  —  Motifs  d'aimer  notre  prochain.  —  Quand  on  n'a 
que  peu  ou  pas  de  motifs  pour  faire  une  chose,  il  est  assez 
naturel  qu'on  ne  la  fasse  pas,  sans  avoir  à  se  le  reprocher  et 
sans  que  personne  puisse  nous  blâmer.  Mais  s'il  s'agit  au 
contraire  d'une  chose  que  les  plus  graves  motifs  nous  pres- 
sent de  faire,  nous  ne  pouvons  pas,  clans  ce  cas,  nous  en 
abstenir,  sans  nous  exposer  à  de  cruels  regrets,  et  sans 
encourir  le  blâme  des  personnes  prudentes  et  sages.  Un 
malade  qui  ne  pourrait  éviter  la  mort  qu'en  prenant  tel 
remède,  fût-il  fort  amer,  et  qui,  malgré  ce  très  grave  motif, 
ne  le  prendrait  pas,  pourrait-il  ne  pas  se  condamner  lui- 
même,  et  être  regardé  par  tout  le  monde  autrement  que 
comme  un  homme  ayant  perdu  la  raison  ?  Eh  bien,  il  en 
est  de  même  de  nous  par  rapport  à  notre  devoir  d'aimer 
notre  prochain.  Les  motifs  que  nous  avons  d'accomplir  ce 
devoir  sont  tels  et  si  graves  que,  lorsqu'on  les  connaît  et 
qu'on  les  considère, .  on  est  forcément  amené  à  l'accomplir, 
si  l'on  ne  veut  pas  mépriser  tout  bon  sens  et  toute 
foi,    et  se  préparer  des   regrets  aussi  inutiles   que  cruels. 

Quels  sont  donc  ces  motifs  ?  Le  premier  motif  que  nous 
avons  d'aimer  notre  prochain,  c'est  précisément  parce  qu'il 
est  notre  prochain,  c'est-à-dire  notre  semblable  et  notre 
frère.  La  sainte  Écriture  l'a  dit  :  Tout  être  vivant  aime  son 
semblable  (1).  Mais  en  parlant  ainsi,  la  sainte  Écriture  n'a 
fait  qu'exprimer  le   cri  de   la   nature.  Supposons   que  deux 

1.  Eccl.  xin,  iû. 


hommes  son!  jetés  par  une  tempête  aux  deux  bouts  d'une 
Ne  déserte.  Pendant  quelques  jours,  chacun  d'eux  se  croit 
seul.  Mais  à  force  de  marcher,  ils  finissent  par  se  rencon- 
trer. Quel  sera  le  premier  mouvement  de  leur  cœur  en 
s'apercevant ?  \c  scia  ce  pas  un  sentiment  de  joie  et  de 
bonheur?  El  n'est  il  pas  vrai  qu'ils  s'empresseront  de  s'abor- 
der cl  de  s'attacher  L'un  à  l'autre  par  une  mutuelle  affection? 
Pourquoi  ?  parce  qu'il  est  dans  la  nature  que  les  êtres  sem- 
blables se  rapprochent  et  s'unissent,  par  suite  des  affinités 
secrètes  qui  les  attirent  les  uns  vers  les  autres.  C'est  par 
l'effet  de  ces  affinités  que  nous  voyons  les  animaux  des 
mêmes  espèces  se  réunir  ensemble  comme  les  membres  d'une 
même  famille,  bien  qu'ils  n'aient  pas  eu  les  mêmes  ber- 
ceaux. \insi  la  nature  toute  seule  nous  fait  un  devoir  de 
nous  unir  aux  autres  hommes,  nos  semblables,  par  l'affec- 
tion (i).  Et  quiconque  résiste  à  cette  voix  de  la  nature  et  du 
sang,  en  vivant  moralement  à  part  des  autres  hommes,  et 
en  se  désintéressant  de  ce  qui  les  touche,  se  met  par  là  même 

i .  Motifs  d'aimer  le  prochain  tirés  de  ses  rapports  avec  nous.  i°  Tous 
les  hommes  ont  une  même  origine,  et  par  suite,  forment  une  seule 
famille  dont  Dieu  est  le  père  et  le  chef.  N'avons-nous  pas  tous  un  seul  et 
même  père  ?  y  est-ce  pas  Dieu  seul  qui  nous  a  créés  ?  Pourquoi  donc  cha- 
cun de  nous  méprise-l-il  son  frère  ?  Mal.  u,  10.  Rien  de  plus  convenable 
et  de  plus  juste  pour  les  membres  d'une  môme  famille,  que  de  s'aimer 
entre  eux  et  de  se  soutenir  mutuellement.  Rien  déplus  utile  et  de  plus 
avantageux,  parce  que  l'amour  réciproque  réunit  les  divers  membres 
en  un  môme  corps,  et  les  soumet  naturellement  à  leur  action  salutaire 
et  bienfaisante.  Rien  de  plus  agréable  et  de  plus  doux,  parce  que  l'amour 
dilate  le  cœur,  qui  est  fait  pour  aimer.  Bien  de  plus  doux  et  de  plus 
agréable  surtout,  qu'une  charité  universelle,  qui  forme  de  tout  le 
genre  humain  une  grande  famille,  nous  fait  prendre  part  au  bonheur 
de  nos  semblables,  et  nous  donne  l'assurance  de  trouver,  en  toute  cir- 
constance, une  véritable  sympathie  chez  tous  nos  frères.  —  2°  Tous  les 
hommes  ont  une  même  nature  et,  par  suite,  sont  semblables  entre  eux. 
Nous  devons  supposer  que  cette  ressemblance  produit  entre  eux  un 
résultat  analogue  à  celui  que  nous  observons  dans  tout  le  reste  de  la 
nature.  Or,  dans  la  nature,  nous  remarquons  qu'il  y  a  union  entre  les 
êtres  semblables.  Conséquemment,  les  hommes,  en  tant  qu'êtres  capa- 
bles d'aimer,  doivent  être  unis  par  le  cœur.  —  3°  Tous  les  boni  mes  ont 
une  même  fin  ou  destinée.  Tous  sont  appelés  à  la  félicité  éternelle  en 
Dieu,  à  jouir  ensemble  de  ce  bonheur.  Tous  forment  ensemble  comme 
une  armée  qui  marche  à  la  conquête  d'une  terre  lointaine.  Il  est  donc 
naturel  etjusteque  l'unité  de  but  provoque  l'unité  des  sentiments  ;  que 
tous  tendent  ensemble  à  leur  fin  dernière,  dans  l'union  des  facultés  et 
des  cœurs  (Grosse,  Cours  de  religion,  2.  p.  1.  div.  ch.  \,  art.  2,  s  2.^ 


2  72         LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.   INSTRUCTION. 

au-dessous  des  animaux  sans  raison.  Mais  en  même  temps 
il  se  range,  remarquons  bien  ceci,  à  la  suite  deCaïn  le  fra- 
tricide, qui  répondit  à  Dieu  lui  parlant  de  son  frère  :  Est-ce 
que  j'ai  à  m' occuper  de  mon  frère  ?  (1)  Quel  cœur  dénaturé 
et  sauvage  ne  faut-il  pas  avoir  pour  prononcer  une  telle 
parole  !  Eh  bien,  c'est  cette  parole-là  même  que  répète  celui 
qui  n'aime  pas  son  prochain  :  Est-ce  que  j'ai  à  m'occuper  de 
mon  frère?  Or,  je  le  demande,  chrétiens:  un  devoir  dont 
romission  nous  met  au-dessous  des  bêtes,  et  nous  place 
dans  la  compagnie  de  Gain,  est-ce  un  devoir  qu'un  cœur 
droit,  qu'un  cœur  bien  né  puisse  omettre  ?  Poser  la  ques- 
tion, c'est  y  répondre.  Quand  même  donc  nous  n'aurions 
pas,  pour  nous  faire  aimer  notre  prochain,  d'autre  motif 
que  notre  fraternité  avec  tous  les  hommes,  ce  motif  devrait 
suffire  pour  nous  les  faire  aimer,  puisque  c'est  une  loi  de  la 
nature  que  les  frères  doivent  s'entr'aimer,  et  que  violer  les 
lois  de  la  nature  est  un  crime. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  voix  de  la  nature  qui  nous 
crie  d'aimer  notre  prochain,  c'est  aussi  la  voix  de  notre  inté- 
rêt. En  effet,  tels  que  Dieu  nous  a  créés,  nous  ne  pouvons 
pas  nous  suffire  à  nous-mêmes,  mais  nous  avons  besoin  les 
uns  des  autres.  Les  pauvres  ont  besoin  des  riches  pour  en 
recevoir,  de  quoi  pourvoir  à  leurs  besoins,  en  échange  des 
travaux  qu'ils  font  pour  eux  et  des  services  qu'ils  leur  rendent. 
Et  les  riches,  de  leur  côté,  n'ont  pas  moins  besoin  des  pau- 
vres, pour  en  recevoir  à  leur  tour,  en  échange  de  l'argent 
qu'ils  leur  remettent,  les  produits  de  leur  travail  et  de  leur 
industrie.  Prenez  tel  homme  si  riche  que  vous  voudrez  le 
supposer,  n'a-t-il  pas  besoin  de  laboureurs  pour  cultiver  et 
ensemencer  ses  champs,  de  moissonneurs  pour  recueillir 
ses  récoltes,  de  meuniers  pour  moudre  ses  grains,  de  bou- 
langers pour  cuire  son  pain,  de  palefreniers  pour  soigner 
ses  chevaux,  et  d'une  foule  d'autres  ouvriers  et  travailleurs  ? 
Pareillement,  l'ignorant  n'a-t-il  pas  besoin  du  savant  pour 
s'instruire,  et  le  savant,  de  son  côté,  n'a-t-il  pas  aussi 
besoin  de  l'ignorant  pour  l'enseigner  ?  Le  malade  n'a-t-il 
pas  besoin    du   médecin,  et    le    médecin    du  malade  ?  Puis 

t.  Geti.  iv,  g. 


DEVOIR  POT  B  GHAGI  lî  DE  NOUS  d'aIMER  NOTRE  PROCHAIN.    ■\~l> 

donc  que  tous  les  hommes,  dans  quelque  situation  qu'ils 
soient",  on!  besoin  les  uns  dos  autres,  n'est-ce  pas  là  encore 
un  motif  péremptoire  pour  qu'ils  s'aiment  entre  eux  ?  Sans 
doute,  même  sans  amour,  les  échanges  de  services  pourront 
encore  se  faire  entre  les  hommes  :  mais  il  se  feront  sans 
dévouement  et  sans  Qdélité,  et  par  conséquent  sans  sécurité 
et  sans  certitude.  Qui  n'a  plus  d'avantage,  par  exemple,  à 
employer  an  serviteur  qui  l'aime,  plutôt  qu'un  serviteur  qui 
ne  travaille  que  pour  ses  gages  ?  Celui-ci  pourra  faire  l'ou- 
vrage convenu,  mais  rien  de  plus.  Le  serviteur  qui  aime 
son  maître  sera  au  contraire  toujours  à  sa  disposition,  la 
nuit  comme  le  jour,  et  il  accomplira  les  travaux  qui  lui  sont 
confiés  avec  la  même  attention  et  la  même  sollicitude  que 
s'il  travaillait  pour  lui-même.  Mais  à  quelle  condition  le 
serviteur  aimera-t-il  son  maître?  A  la  condition  que  son 
maître  l'aime  lui-même,  et  qu'il  en  reçoive  les  mêmes  mar- 
ques d'attachement  et  de  dévouement.  Or,  de  même  qu'il 
est  ici  avantageux  pour  le  maître  d'aimer  son  serviteur,  et 
pour  le  serviteur  d'aimer  son  maître  ;  de  même  aussi  il  est 
avantageux  pour  tous  les  hommes  de  s'aimer  les  uns  les 
autres,  et  ce  nous  est  là,  nous  le  répétons,  un  second  motif 
d'aimer  notre  prochain,  car  il  n'est  personne  qui  ne  soit 
toujours  fort  sensible  à  son  intérêt  (1). 

Un  troisième  motif  que  nous  avons  d'aimer  les  hommes, 
nos  frères  et  nos  aides,  c'est  que  Dieu  lui-même  les  aime. 
Il  les  a  aimés  avant  même  qu'ils  ne  fussent,  et  lorsqu'ils 
n'étaient  encore  que  dans  sa  pensée.  Dès  lors  il  les  voyait  ce 

i.  Oh  !  l'intérêt  !  triste  mol  qui  devrait  être  banni  de  la  langue  de 
l'amour,  et  que  Dieu  cependant  nous  permet  d'invoquer  quand  il  s'agit 
de  l'accomplissement  de  nos  devoirs,  l'intérêt,  qui  se  mêle  aux  plus 
tendres  sentiments  que  Dieu  lui-même  nous  inspire,  le  Créateur  a 
voulu  qu'il  formât  un  lien  nouveau  qui  nous  unît  à  nos  semblables. 
//  n'est  pas  bon  que  Vhomme  soit  seul,  disait-il  avant  de  former  la  pre- 
mière femme,  donnons-lui  un  aide,  une  compagne  qui  lui  ressemble. 
Gen.  u,  18.  Malheur  à  celui  qui  est  seul  !  Sap.  iv,  12,  s'écrie  le  Sage;  car 
s'il  tombe,  il  n'a  personne  pour  le  relever,  s'il  pleure  personne  qui  Je 
console,  personne,  eri  un  mol,  qui  vienne  à  son  secours  dans  le  besoin, 
et  le  soutienne  a  l'heure  du  danger...  \insi  nos  besoins  el  nos  intérêts 
qous  font  un  devoir  d'être  unis  à  nos  frères;  l'instinct  de  la  conserva- 
tion, cette  loi  suprême  de  tout  ee  qui  respire  ici-bas,  nous  oblige  à  les 
aimer  cl  ;i  les  traiter  connue  nous  voulons  être  aimés  el  traités  nous- 
mêmes  (Bertrand,  Petits  Serm.  tomem,  serai.  26). 

SOMME    DU   PRÉDICATEUR.    —  T.    II,  l8 


2 7 4         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.  INSTRUCTION. 


qu'ils  devaient  être,  et  il  les  aimait,  et  c'est  pour  cela  qu'il 
les  a  crées.  Car  s'il  ne  les  avait  pas  aimés  même  avant  de  les 
créer,  pourquoi  les  aurait  il  appelés  à  l'existence  .;)  Aussi 
voyons  avec  quel  soin  et  quelle  tendresse  il  a  formé  le  pre- 
mier homme,  en  qui  il  voyait  tous  les  autres.  Ayant  pris 
d'abord  de  la  terre,  de  ses  mains  divines  il  a  façonné  son 
corps,  lui  donnant  une  organisation  beaucoup  plus  parfaite 
que  celle  qu'il  avait  donnée  à  ses  autres  créatures  visibles  ; 
puis,  soufflant  sur  sa  face,  il  lui  donna  une  âme  immor- 
telle (i).  Ensuite  il  l'établit  sur  toutes  les  créatures,  qu'il 
n'avait  faites  que  pour  lui,  et  les  lui  donna  pour  s'en  servir 
ou  s'en  nourrir.  Et  après  que  le  premier  homme  se  fut  ren- 
du indigne,  par  sa  désobéissance,  de  tant  de  bontés,  Dieu 
ne  l'abandonna  pas,  non  plus  que  sa  postérité.  Il  leur  pro- 
mit de  faire  le  nécessaire  pour  que  ceux  qui  le  voudraient 
parvinssent  quand  même  au  ciel,  auquel  tous  avaient  été 
destinés.  Dans  ce  but,  il  leur  envoya  de  nombreux  prophè- 
tes pour  les  instruire  et  les  encourager,  et  enfin  son  propre 
Fils  unique,  pour  les  racheter.  Ecoutons  Notre-Seigneur  le 
déclarer  expressément  :  Dieu,  dit-il,  a  aimé  le  monde  jusqu'à 
donner  son  Fils  unique,  afin  que  le  monde  soit  sauvé  par  lui  (2). 
Or,  savons-nous  quelle  conclusion  nous  devons  tirer  de  ce 
fait  ?  L'apôtre  saint  Jean  nous  l'apprend  précisément,  lors- 
qu'il nous  dit  :  Mes  bien-aimés,  si  Dieu  nous  a  aimés  de  la  sorte, 
ne  devons-nous  pas,  nous  aussi,  nous  entr'aimer?  En  effet, 
Dieu  ne  saurait  aimer  que  ce  qui  mérite  de  l'être.  Si  donc 
Dieu  aime  les  hommes,  c'est  que  les  hommes  méritent 
d'être  aimés  de  Dieu,  encore  que  ce  soit  par  pure  bonté  que 
Dieu  les  aime,  car  il  sait  mieux  que  personne,  sans  cloute, 
qui  est  digne  d'amour.  Mais  si  les  hommes  méritent  d'être 
aimés  de  Dieu,  à  plus  forte  raison  méritent-ils  que  nous  les 
aimions.  Car  pour  aimer  les  hommes,  il  faut  que  Dieu  s'a- 
baisse, puisqu'ils  sont  au-dessous  de  lui  ;  tandis  que  nous 
n'avons  pas  à  nous  abaisser  pour  les  aimer,  puisqu'ils  sont 
nos  égaux.  En  voyant  Dieu  aimer  les  hommes,  nous  devons 
donc  en  déduire,  avec    l'apôtre   saint  Jean,  que  nous  aussi 

1.  Gen.  1,  26  ;  Job.  x,  8  ;  Sap.  xi.  11  ;  et  al.  pas. 

2.  Joan.  111,  1 G  et  17. 


DEVOÏR  POUR  CHACUN  DE  Noi  s  d'aimëB   no  nu:  PROCHAIN.    :> 70 

nous  devons  Les  aimer,  autrement,  notre  conduite  voudrait 
dire  :  ou  bien  que  ce  qui  est  digne  de  l'amour  de  Dieu  est 
indigne  du  nôtre;  ou  bien  qu'il  n'y  a  pas  obligation  pour 
nous  d'imiter  notre  Père  céleste  qui  est  dans  les  cieux,  ce 
qui  sérail  absolument  contraire  à  renseignement  formel  de 
notre  divin  Maître  (1). 

Enfin  nous  devons  aimer  notre  prochain  parce  que  Dieu 
nous  le  commande.  Dieu  ne  s'est  pas  borné  à  incliner  nos 
cœurs  vers  l'amour  de  nos  frères,  ni  à  solidariser  cet  amour 
avec  notre  intérêt,  non  plus  qu'à  nous  en  donner  l'exemple  ; 
il  tient  tellement  à  nous  voir  nous  entr'aimer  qu'il  nous  en 
r  fait  un  commandement  formel.  Ce  commandement,  il  l'a 
promulgué  dès  l'ancienne  loi  (2),  parce  que  le  devoir  d'ai- 
mer son  prochain  est  de  tous  les  temps,  les  hommes  ayant 
toujours  été  des  frères  les  uns  pour  les  autres.  Mais  la  loi 
nouvelle  étant  plus  spécialement  une  loi  d'amour,  Notre- 
Seigncur  est  allé  jusqu'à  dire  du  précepte  d'aimer  le  pro- 
chain, qu'il  est  semblable  au  précepte  d'aimer  Dieu  lui- 
même  (3).  Il  a  fait  en  outre,  de  ce  précepte,  son  précepte 
propre  :  Cest  mon  précepte,  disait-il  à  ses  disciples,  que  vous 
vous  aimiez  les  uns  les  aulres.  Et  il  répétait  encore  :  Voilà  ce 
que  je  vous  commande,  aimez-vous  les  uns  les  autres  (4).  Il  en  a 
fait  la  marque  distinctive  de  ses  véritables  disciples  :  En  ce- 
la même,  ajoutait-il,  on  reconnaîtra  que  vous  êtes  un  de  mes 
disciples,  si  vous  avez  de  l'amour  les  uns  pour  les  aulres  (5). 

1.  Matth.  v,  48. —  Faites  un  portrait  de  votre  prochain,  aussi  désa- 
vantageux qu'il  vous  plaira,  employez  à  peindre  son  esprit,  toutes  les 
plus  noires  couleurs  ;  dites,  si  vous  voulez,  que  c'est  une  âme  Lâche, 
perfide,  ambitieuse,  intéressée  ;  qu'il  est  violent  et  brutal  ;  qu'il  n'a  ni 
esprit,  ni  conduite,  ni  honneur,  ni  religion.  Tel  qu'il  est.  Dieu  le  souf- 
fre, il  lui  fait  du  bien,  il  l'aime,  et  il  vous  ordonne  de  l'aimer.  Mais  il 
me  persécute,  direz-vous,  il  me  maltraite,  il  me  hait  à  mort  !  Nonobs- 
tant tout  cela,  Dieu  l'aime  :  et  tout  ce  que  Dieu  aime,  mérite  infiniment 
d'être  aimé.  D'autant  plus  que  cet  homme  en  use  avec  Dieu,  comme  il 
fait  avec  vous  ;  qu'il  l'ofTensc,  qu'il  le  déshonore,  qu'il  le  trahit  ;  et  que 
pour  tout  cela,  il  ne  laisse  pas  d'en  être  aimé  (Le  Vén.  P.  ni;  la  Colom- 
bière,  Serm.  de  la  char,  chrét.). 

a.  Lev.  xix,  18. 

3.  Matth.  xxii,  36. 

4.  Joan.  xv,  12,  17. 

5.  Joan.  xn [,  35. 


276         LES  GRANDS  DEVOIRS  Du  SALUT.   XI.  INSTRUCTION. 

Et  non  seulement  c'est  à  ce  signe  qu'on  les  reconnaîtra,  mais 
c'est  à  ce  signe  seul  aussi  qu'il  les  reconnaîtra  lui-même,  au 
jour  du  jugement.  Vainement  alors  lui  présentera-ton  les 
mortifications  d'une  vie  austère,  l'éclat  des  miracles,  le  don 
des  prophéties,  la  pénétration  des  mystères  ;  si  l'on  n'a  pas 
aimé  ses  frères,  on  sera  réprouvé.  C'est  le  Sauveur  lui-même 
qui  le  dit  encore  :  Plusieurs,  s'écrie-t-il,  me  diront  en  ce  jour- 
là  :  Seigneur,  Seigneur,  n'avons-nous  pas  prophétisé  en  votre 
nom?  N'avons-nous  pas  chassé  les  démons  en  votre  nom  ?  N'a- 
vons-nous pas  jait  plusieurs  prodiges  en  votre  nom  ?  Et  alors 
je  leur  dirai  hautement  :  Je  ne  vous  ai  jamais  connus  pour  mes 
disciples  (1).  Et  non  seulement  il  ne  les  reconnaîtra  pas  pour 
ses  disciples,  mais  il  les  chassera  de  devant  sa  face,  et  les 
précipitera  dans  les  flammes  de  l'enfer  :  Car  j'ai  eu  faim  en 
la  personne  de  vos  frères,  leur  ajoutera-t-il,  et  vous  ne  m'a- 
vez pas  donné  à  manger  ;  j'ai  eu  soif,  et  vous  ne  m'avez  pas 
donné  à  boire  ;  je  ne  savais  ou  loger,  et  vous  ne  m'avez  point 
recueilli  chez  vous  ;  je  manquais  d'habit,  et  vous  ne  m'en  avez 
point  donné  ;  j'étais  malade  et  en  prison,  et  vous  ne  m'avez 
point  visité.  Puis  donc  que  vous  n'avez  pas  aimé  vos  frères, 
selon  mon  commandement,  vos  frères  qui  sont  les  miens, 
vos  frères  dans  lesquels  je  viset  qui  sontd'autres  moi-même, 
allez,  maudits,  loin  de  moi  dans  le  feu  éternel,  qui  a  été  préparé 
pour  le  démon  et  pour  ses  anges  (2).  Tel  est,  chrétiens,  le 
commandement  divin  d'aimer  notre  prochain,  telle  est  la 
sanction  que  Notre-Seigneur  y  a  attachée,  tel  est  le  châtiment 
réservé  à  ceux  qui  ne  l'observeront  pas  (3). 

1.  Matth.  vu,  22,  23. 

2.  Matth.  xxv,  4i-43. 

3.  Qu'est-ce  qui  peut  engager  Dieu  à  avoir  tant  à  cœur  cette  union 
fraternelle,  qu'il  nous  ordonne  si  expressément  de  faire  régner  parmi 
nous  sous  peine  de  son  indignation  la  plus  terrible  ?  Nous  le  compren- 
drons facilement  si  nous  faisons  attention  que  c'est  là  l'unique  moyen  de 
nous  rendre  heureux  pendant  celte  vicmortelle  et  dans  l'éternité, suivant 
l'intention  que  ce  Seigneur  de  bonté  en  a  eu,  en  nous  donnant  1  être.  Et 
pour  en  venir  à  la  preuve,  faisons  une  supposition  qui  est  très  naturelle  : 
je  veux  dire,  supposons  d'un  côté  l'accomplissement  fidèle  de  la  loi  de 
l'amour  du  prochain,  et  de  l'autre,  la  transgression  de  celle  loi.  Si  l'on 
observait  exactement  le  commandement  de  la  charité  du  prochain,  qu'en 
arriverait-il  ?  Il  en  arriverait  qu'il  n'y  aurait  plus  d'injustices,  plus  de 


DEVOIU  POUB  GHACUNDE  NOUS   d'aIMER    NOTRE  PROCHAIN      277 


El  voilà,  conclurons  nous,  les  quatre  principaux  motifs 
riour  lesquels  nous  devons  aimer  notre  prochain,  savoir, 
parce  que  Dion  nous  a  donné  un  cœur  qui  nous  y  porte, 
parce  qu'il  a  su  y  faire  concourir*  notre  intérêt,  parce  qu'il 
a  voulu  nous  en  donner  lui  même  l'exemple,  cl  enfin 
parée  qu'il  nous  en  a  fait  1111  commandement  rigoureux  (1). 

tromperies,  plus  de  mauvaise  foi,  plus  de  calomnies,  plus  de  médisan- 
ces, plus  d'envie  ni  de  jalousie,  plus  de  chicanes  ni  de  procès,  plus  de 
crimes  honteux  cl  abominables,  auxquels  on  ne  peut  penser  sans  fré- 
mir :  vengeances,  assassinais,  vols,  incendies,  parricides,  empoisonne- 
ments. Quelle  horreur!  tirons  le  rideau  sur  des  choses  si  exécrables.  Et 
comme  l'amour  sincère  et  véritable  du  prochain  suppose  nécessairement 
celui  de  Dieu,  il  n'\  aurait  plus  de  péchés  surla  terre,  et  par  conséquent 
il  n'y  aurait  point  de  damnés.  —  Au  contraire,  si  l'on  n'observe  pas  le 
commandement  de  l'amour  du  prochain,  voilà  tout  dans  le  désordre  : 
on  ne  verra  plus  que  discordes  dans  les  familles,  infidélités  dans  le  ma- 
riage, tromperie  el  mauvaise  foi  dans  le  commerce,  envie,  médisance, 
malice,  cruauté,  chicanes  entre  les  voisins,  désordres  et  dérèglements 
dans  les  étals  et  dans  toutes  les  conditions,  et  la  transgression  du  com- 
mandement de  l'amour  de  Dieu  étant  inséparable  dupréceptedcl'amour 
du  prochain,  le  monde  se  trouvera  inondé  de  toutes  sortes  de  crimes  et 
d'excès,  comme  s'en  plaignait  autrefois  le  Seigneur  par  son  prophète, 
Os.  iv,  et  comme  il  a  bien  plus  lieu  de  s'en  plaindre,  ainsi  que  l'expé- 
rience ne  nous  le  montre  que  trop  tous  les  jours  (Girard,  Prônes,  xvm. 
dim.  apr.  la  Peut.  1.  p.). 

1.  Multiplex  ratio  reperitur,  excitans  ad  hanc  proximi  dilectionem. 
Primo,  quod  proximus  sit  imago  ipsius  Dei  ;  si  ergo  Dcum  diligis,  ejus 
quoque  vivam  imaginera,  ab  ipso  formatam  et  manibus  propriis  deli- 
neatam,  diligere  te  convenit.  Secundo,  quia  proximus  sanguine  Filii 
Dei  emptus  est  et  redemptus,  si  ergo  tantopere  eum  dilexit  Deus,  ut 
tanto  pretio  redimere  voluerit,  cur  eum  tu  quoque  non  diligeres  ? 
Tertio,  quia  est  membrum  ejusdem  corporis  mystici.  Qua  ratione 
fréquenter  utitur  Apostolus,  ut  in  nobis  ostendat  finnam  debere  esse 
unionem  charitatis.  Cfr.  Rom.  xn  ;  I.  Cor.  12...  Quarto,  diligendus 
proximus,  quia  frater  est,  eumdem  nominans  Patrem  in  cœlis,  eamdcm 
Matrem  m  terris,  ejusdem  Matris  Ecclesiœ  utero  gestatus,  eadem  cœlesti 
alimonia  nutritus,  eodem  sanguine  potatus,  eodem  spiritu  repletus, 
•Vpostolo  dicenlc  :  Etenim  in  uno  spiritu  omnes  nos  in  unum  corpus  bap- 
tizati  sumus,  sive  Jadsei,  sive  Gentiles,  sive  servi,  sive  liberi  :  el  omnes 
in  uno  spiritu  potati  sumus.  Denique  haereditatis  ejusdem  consors  est, 
ad  aeternitatis  et  vitae  perpetuae  consortium  vocatus,  ubi  amoris 
aeterni  vinculo  illi  es  indissolubilité  sociandus  ^March;  lîorl.  Past. 
tr.  5,  lect.  .'),  pr.  1). 

Motiva  ad  dilectionem  erga  proximum  exercendam  :  i°  Humanitas. 
«  Conservanda  es1  humanitas,  ait  Lactantius,  lib.  8,  div.  Inst,  si  homi- 
n  -  f I ici  velimus.  Id  autem  conservare  huinanitatem,  quid  est  aliud 
quam  diligere  hominem  quia  honio  est,  et  idem,  quod  nos  sumus.  »  — 
2  Mandatum  Christi  :  Joan.  xv,  12,  et  al.  —  3°  Fralemitas.  Fratres  sumus 


278         LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.  INSTRUCTION. 

Certes,  un  seul  de  ces  motifs  serait  assurément  très  suffi- 
sant pour  établir  le  devoir  qui  nous  incombe  d'aimer  notre 
prochain.  Mais  après  les  avoir  tous  considérés,  il  n'est 
personne  qui  ne  soit  forcé  de  reconnaître  que  l'observation 
de  ce  devoir  est  aussi  indispensable  que  naturelle.  Cj?st 
pourquoi,  continuant  à  l'étudier,  nous  allons  faire  con- 
naître maintenant  quelle  est  la 

II.  —  Mesure  de  ce  devoir.  —  L'amour   en  effet  a  des 

non  tantum  natura,  sed  gratia.  Omnes  vos  fralres  estis...  unus  est  Pater 
vester  qui  in  cœlis  est.  Matth.  xxvi,  8,  9.  Atqui  major  est  fraternitas 
Christi  quam  sanguinis.  Sanguinis  enim  fraternitas  similitudinem  cor- 
poris  refert  ;  Christi  autem  fraternitas  unanimitatem  cordis  anima?que 
demonstrat  sicut  scriptum  est  :  Multitiidinis  credentium  erat  cor  nnum 
et  anima  una.  (S.  Aug.  serm.  20  de  temp.).  —  4°  Nécessitas,  sicut  anima 
non  vivificat  membra,  nisi  sibi  invicem  copulata  ;  ita  cum  nos  omnes 
corpus  sumusin  Ghristo,  teste  Apost.  I.Cor.  x,  17,  Spiritus  Sanctus  non 
vivificabit  nos,  nisi  per  charitatem  unum  simus  (Lohner,  Biblioth.  man. 
conc.J.  5°  Securitas.  Quid  cuim  foris  conturbare  aut  contristare  poterit, 
si  intus  bene  est,  et  fraterna  pace  gaudetis  ?  Nempe  frater,  qui  juvatur 
a  fratre,  quasi  civitas  firma  et  funiculus  triplex  difficalter  rumpitur, 
teste  Salomone,  Eccl.  iv,  12  (S.  Bern.  serm.  29,  in  Gant.).  —  6°  Utilitas, 
quia  Ghristus,  omnia  qua?  proximo  exhibemus  obsequia,  non  aliter 
quam  sibi  facta  essent,  remuneratur  ;  quia  concordia  res  parvœ  cres- 
cunt,  discordia  autem  maxime  dilabuntur  (S.Greg.  hom.  8,  in  Ezech.). 

Media  ad  eumdem  fincm  :  i°  Amor  Dëi.  Qme  sunt  eadem  uni  tertio, 
sunt  eadem  inter  se  ;  unde  cum  nos  per  amorem  conjuncti  cum  uno 
tertio,  scilicet  Deo,  fuerimus,  facile  etiam  inter  nos  per  charitatem 
conjungemur.  Ilinc,  per  amorem  Dei,  amor  proximi  gignitur,  et  per 
amorem  proximi,  amor  Dcinutritur  (S.  Greg.  Moral,  lib.  10).  —  20  In 
omnibus  hominibus  Christum  inlueri.  Quam  ob  causam  Dominus  dixit  ; 
Quidquid  fecistis  uni  ex  his  fralribus  meis  minimis,  mihi  Jecistis. 
Matth.  xxv,  4o.  Unde  S.  Cyprianus,  tr.  de  Eleem  :  «  Quid  potuit  nobis 
magis  Christum  edicere  ?  Quomodo  potuit  magis  justitiae  de  miseri- 
cordia  operam  provocare  ?»  —  3°  Considerare  jrequenter  damna  ex 
charitatis  violatione  provenientia.  Longe,  qua?so,fratres,  a  vobis  facite 
semper  hoc  abominabile  malum,  vos  qui  experti  estis  et  quotidie  expc- 
rimini  quam  bonum  et  quam  jucundum  sit  habitare  fratres  in  unum. 
Quidquid  foris  blanditur  nulla  est  perfecta  consolatio,  si  intus,  quod 
absit,  seminarium  discordine  germinaverit  (S .  Bern.  serm.  29  in  Cant.). 

Ils  sont  bien  puissants,  les  motifs  qui  doivent  nous  porter  à  l'accom- 
plissement fidèle  du  grand  devoir  de  la  charité  fraternelle.  C'est  l'obli- 
gation la  plus  souvent  rappelée  dans  l'Evangile  et  dans  les  écrits  inspirés 
que  les  apôtres  ont  laissés  pour  l'instruction  des  fidèles;  c'est  lamarquc 
authentique,  infaillible,  à  laquelle  on  reconnaît  le  vrai  disciple  de 
Jksi  s-Christ  ;  c'est  enfin  le  précepte  auquel  se  rattachent  le  plus  puis- 
samment les  graves  intérêts  de  notre  salut  éternel  (Mgr  Lequette, 
Jnstr.  past.  pour  le  Car,  1875). 


DEVOIR  POUR  CHACUN  DE  NOUS  D'AIMER  NOTRE  UROCHUN.    9."C) 


degrés,  c'est-à-dire  qu'on  n'aime  pas  tout  également,  avec 
La  même  plénitude  et  la  même  force.  Ainsi,  par  exemple, 
la  mesure  (l'aimer  Dieu,  c'est  de  l'aimer  sans  mesure,  c'est- 
à  dire  non  pas  seulement  plus  que  tout  le  reste,  mais  encore 
aulanl  qu'on  est  capable  d'aimer,  et  sans  aucune  réserve  ni 
limitation  quelconque.  Or,  est-ce  dans  cette  même  mesure 
que  nous  devons  aimer  notre  prochain  ?  Non,  puisque  dans 
ce  cas  nous  devrions  aimer  notre  prochain  autant  que  Dieu, 
et  alors  nous  n'aimerions  plus  Dieu  par  dessus  toutes  choses, 
ainsi  qu'il  nous  est  commanda  de  l'aimer. 

Quelle  est  donc  la  mesure  d'aimer  notre  prochain  ?  (i) 
Dans  l'ancienne  loi,  Dieu  en  avait  marqué  une,  que  Notre- 
Seigneur  a  eu  soin  de  renouveler,  et  cette  mesure,  c'est 
d'aimer  notre  prochain  comme  nous-mêmes  (2).  Toutefois, 
si  excellente  et  parfaite  que  soit  en  elle-même  cette  mesure 
d'aimer  notre  prochain,  il  nous  arrive  souvent  de  la  fausser. 
Trompés  par  les  maximes  mensongères  du  monde,  et  aveu- 
glés par  nos  passions,  nous  ne  savons  pas,  clans  bien  des 
circonstances,  nous  aimer  nous-mêmes.  C'est-à-dire  que 
nous  recherchons  et  que  nous  faisons,  comme  devant  nous 
être  avantageuses,  des  choses  qui  nous  sont  infiniment 
nuisibles;  et  que  d'autres  fois  nous  fuyons  et  évitons, 
comme  funestes,  des  choses  qui  nous  seraient  extrêmement 

1.  Ghristiano  pra?scribit  Tertullianus  modum,  quo  suo  débet  diligcre 
fratrem  :  «  Inter  fratres  atque  conservos,  ubi  communis  spes,  metus, 
gaudium,  dolor,  passio  :  quia  communis  Spiritus,  de  communi  Domino 
et  Pâtre  ;  quid  tu  hos  aliud  quam  te  opinaris  ?  »  In  his  verbis  très  mo- 
dos  diligendi  fratres  invenio  :  scilicet,  sicut  ceelestis  Pater  nos  dihgit, 
sicut  Dominus  Noster  Jésus  Giiristus  nos  diligit,  et  sicut  ipsi  nosmet 
dilunmus,  verumcharitatissymbolum  aurum  :  etenim  aurum  caetens 
metallis  antistat,  charitas  caeteris  virtutibus  pramotlet  ;  auro  nihil  non 
tentant  et  operantur  mundani,  ebaritate  divinam  legem  adimplent 
Christiani  :  «  Charitatem  habe,  et  implesti  legem.  »  S.  Aug.  tr.  /(.  in  I. 
Joan.  \uro  ebaritatis  ca'lestis  Jérusalem  mensuratur  :  Vidi  angelam,  qui 
habebat  mensuram  arundineam  aareanu  ut  metirelur  civitalem,  et  portas 
ejus  et  murùm.  Apoc.  \w.  El  quia  ex  eodem  a postolo  eadem  est  men- 
sura  hominis,  quœ  est  angeli,  terrena  ctiam  Jérusalem  arundine  aurea 
dimetienda  est.  Trinam  autem  invenio  rogulam  auream,  per  quam 
fraterna  dilectio  mensuranda  est  :  1.  est  amor,  quo  Deus  nos  diligil  ; 
2.  amor,  quoChristus  nos  diligit  ;  3.  amor,  quo  quisque  scipsum  diligit 
(Vivien,  Tertull.  prsed.,  verb.  Amor  Proximi,  conc.  3). 

2,  Lcv.  xix,  18;  Matth.  xxii,  3o. 


280        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.  INSTRUCTION. 

salutaires.  Dans  ces  conditions,  aimer  notre  prochain 
comme  nous-mêmes  serait  donc  le  mal  aimer  (i).  Aimons 
notre  prochain  comme  nous-mêmes,  oui,  pourvu  que  nous 
nous  aimions  nous-mêmes  selon  les  maximes  de  l'Evangile, 
en  faisant  toujours  passer  les  intérêts  de  l'âme  avant  ceux 
du  corps,  les  intérêts  de  l'éternité  avant  ceux  du  temps,  les 
intérêts  du  ciel  avant  ceux  de  la  terre  (2). 

1.  Jam  ergo  qui  diligis  iniquitatem,  quomodo  volcbas  tibi  committi 
proximum,  ut  diligeres  eum  tanquamte,  homo  qui  te  perdis  ?  Si  enim 
tu  ipse  sic  te  diligis  ut  perdas  te,  sic  profecto  perditurus  es  eum,  quem 
diligis  sicut  te.  Nolo  ergo  quemquam  diligas.  Vel  solus  péri  aut  corripe 
dilectionem,  aut  respue  societatem.  Dicturus  es  mihi  :  Diligo  proximum 
tanquam  meipsum.  Audio  plane,  audio  :  inebriari  vis  eum  illo,  quem 
diligis  tanquam  teipsum  ;  bene  nobis  faciamus  hodie,  quantum  possu- 
mus  bibamus.  Vide  quia  sic  te  diligis,  et  illum  ad  te  trahis,  et  ad  quod 
amas,  vocas.  Necesseest,  utquem  diligis  tanquam  teipsum,  illum  trabas, 
ad  quod  et  tu  te  amas  (S.  Aug.  De  Doctr.  christ,  lib.  2), 

2.  Diliges  proximum  luum  sicut  teipsum.  Adverl.it  D.  Aug.  «  Non  est 
hic  dilectio  lui  prœtermissa,  dicitur  enim  u«t  diligas  proximum  tuum, 
sicut  teipsum.  »  Ly  vero,  sicut  teipsum,  non  dénotât  aequalitatem,  sed 
similitudinem,  ut  docet  s.  Thomas,  2.  2,  q.  kfA,  a.  7.  Primo  enim  loco 
diligendus  est  Deus,  2.  propria  persona,  3.  proximus  ad  sui  similitudi- 
nem. Ad  hoc  autem  ut  dilectio  proximi  sit  naturœ  similis,  débet  respi- 
cere  :  1.  aequitatem  ;  2.  sanctitatem  ;  3.  felicilatem  (Vivien,  Tertull. 
prœd.  verb.  Amor  Proximi,  conc.  3,  p.  3). 

Puisque  le  Fils  de  Dieu  veut  que  l'amour  que  nous  devons  avoir  pour 
nous-mêmes  soit,  par  ses  conditions  générales  et  par  le  motif  qui  fait 
son  essence,  la  règle,  la  mesure  et  le  modèle  de  celui  que  nous  devons 
à  nos  frères  ;  il  veut  bien  encore  qu'il  le  soit  à  proportion,  par  sa  vive 
ardeur  et  par  sa  constance.  Or  il  est  constant  en  général  que  l'amour 
que  nous  avons  pour  nous-mêmes,  est  de  tous  les  autres  amours  qui 
nous  peuvent  lier  à  quelque  personne  ici-bas,  le  plus  grand,  le  plus  fort, 
le  plus  puissant,  le  plus  agissant,  et  en  quelque  manière  le  plus  indisso- 
luble. Tel  doit  être,  comme  j'ai  dit,  à  proportion,  l'amour  que  Dieu  exige 
de  nous,  à  l'égard  de  notre  prochain.  C'est  pourquoi  il  ne  dit  pas  que 
nous  l'aimerons  comme  un  ami  aime  son  ami,  parce  que  cette  amitié 
est  sujette  à  se  rompre,  ni  comme  un  frère  aime  son  frère,  parce  que 
l'amour  fraternel  se  change  assez  souvent  en  une  haine  mortelle  ;  ni 
enfin  comme  un  père  aime  son  fils,  et  un  fils  son  père  ;  on  ne  voit  que 
trop  d'exemples  de  la  haine  et  de  l'inimitié,  qui  éteint  tous  les  senti- 
ments de  l'amour  le  plus  naturel  ;  mais  il  veut  que  nous  l'aimions 
comme  nous  nous  aimons  nous-mêmes,  parce  que  tous  les  autres  amours 
naturels  cèdent  à  celui-ci,  qui  est  grand,  durable,  fort  et  étendu,  pro- 
fond et  vaste  tout  à  la  fois  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédic.  art.  Amour 
du  prochain,  §  5). 

Une  autre  règle  que  Jésus-Christ  nous  donne,  c'est  d'aimer  notre 
prochain  comme  nous  voudrions  qu'il  nous  aimât,  de  le  traiter  de  la 
même  manière  que  nous  voudrions  qu'il  nous  traitât.   Oh  !  la  divine 


UFA 


OUI  POUR  CHACUN   DE  \Ol  s  D'AIMER  NOTRE  PROCHAIN.    28l 


Toutefois,  puisque  celle  règle  d'aimer  notre  prochain, 
nous  pouvons  en  faire  une  mauvaise  application,  voilà  pour- 
quoi Noire  Seigneur,  étanl  vehu  en  ce  monde,  avoulu  nous 
en  donner  une  autre,  dont  il  nous  fût  impossible  d'abuser. 
Celle  nom  elle  régie  et  cette  nouvelle  mesure,  c'est  d'aimer 
notre  prochain  comme  Notre  Seigneur  nous  a  lui-même 
aimés  :  Voilà  mon  commandement,  nous  a-t-il  dit  à  tous  en  la 
personne  de  ses  apôtres,  c'est  que  vous  vous  aimiez  les  utis  les 
autres,  comme  je  vous  ai  aimés  (i).  Cette  règle  nouvelle, 
disons-nous,  n'esl  pas  susceptible  d'être  faussée  comme 
L'autre  :  car.  tandis  que  nous  pouvons  nous  aimer  mal, 
Noire  Seigneur  n'a  pas  pu,  lui,  nous  mal  aimer,  étant  la 
sainteté  même.  En  aimant  notre  prochain  comme  Notre- 
Seigneur  nous  a  lui-même  aimés,  nous  sommes  donc  assu- 
rés de  l'aimer  bien  toujours. 

Or,  comment  Notre-Seigneur  nous  a-t-il  aimés  ?  Le  pre- 
mier caractère  de  sa  charité  pour  nous,  c'est  qu'elle  a  été 
universelle.  Il  est  bien  vrai  que  Notre-Seigneur  a  aimé  cer- 
taines personnes  et  certaines  choses  plus  que  d'autres.  Il  a 
aimé  d'un  amour  tout  particulier  son  ami  Lazare  et  son 
disciple  Jean,  ainsi  que  sa  patrie,  dont  il  a  pleuré  l'endur- 
cissement et  les  malheurs  qu'elle  devait  s'attirer,  Et  ainsi 
nous  pouvons  et  nous  devons  nous-mêmes  aimer  plus  spé- 

règle  !  Elle  parut  si  admirable  et  si  raisonnable  à  un  prince  païen,  qu'il 
la^crut  une  preuve  convaincante  de  la  sainteté  et  de  la  vérité  de  notre 
religion,  qui  l'enseignait.  Gardons  cette  règle  et  nous  serons  justes  et 
saints.  >ous  n'avons  qu'à  prendre  sur  ce  point  la  loi  de  notre  amour 
propre  ;  tout  déréglé  qu'il  parait,  nous  n'avons  qu'à  suivre  ses  mouve- 
ments là-dessus  pour  nous  régler  ;  tout  injuste  qu'il  est,  il  nous  fera 
rendre  justice  aux  autres.  Consultons  donc  notre  propre  cœur  et  les 
mouvements  qu'il  nous  inspire  pour  nous-mêmes  ;  demandons-nous 
souvent  à  nous-mêmes  quand  nous  avons  à  traiter  avec  le  prochain  : 
Voudrais-je  qu'on  en  usât  de  cette  façon  avec  moi?  qu'on  me  traitât 
avec  dureté,  qu'on  me  parlât  avec  mépris,  qu'on  médit  et  qu'on  raillât 
de  moi  avec  malignité,  qu'on  me  tournât  en  ridicule,  qu'on  relevât,  ou 
qu'on  exagérât  nies  fautes  les  plus  légères,  qu'on  empoisonnât  mali- 
cieusement mes  intentions  les  plus  droites,  qu'on  jugeât  mal  de  ma 
conduite  sur  les  plus  légères  apparences,  qu'on  ne  supportai  point  mes 
défauts,  qu'on  n'eût  nulle  condescendance  pour  mes  faiblesses,  qu'on 
ne  me  ménageât  sur  rien  ?  Ne  voudrais-je  pas  qu'on  eût  avec  moi  une 
conduite  toute  contraire  ?  Pourquoi  ne  la  pas  avoir  avec  les  autres  ? 
(R.  P.  Nepvei  ,  L'Esprit  du  Christianisme). 
l.  Joan.  xv,  12. 


282         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XI.  INSTRUCTION. 

cialcmcnt  nos  parents,  nos  amis,  tous  ceux  qui  nous  tou- 
chent de  plus  près,  ainsi  que  notre  patrie.  Mais  les  affections 
particulières  du  Sauveur  ne  nuisaient  en  rien  à  l'affection 
qu'il  portait  à  tous  les  hommes.  Il  les  aimait  tous  et  leur 
était  dévoué  à  tous,  qu'ils  fassent  riches  ou  pauvres,  savants 
ou  ignorants.  Ses  discours  étaient  adressés  au  peuple  aussi 
bien  qu'aux  docteurs  de  la  loi,  car  tous  avaient  besoin  de 
ses  enseignements.  Il  avait  pitié  du  prince  de  Gapharnaûm 
et  guérissait  son  fils,  comme  du  chef  de  la  synagogue  Jaïre 
dont  il  ressuscitait  la  fille,  comme  de  tous  les  misérables 
infirmes  auxquels  il  rendait  soit  l'ouïe,  soit  la  vue,  soit 
l'usage  de  leurs  membres,  soit  la  santé,  sans  traiter  moins 
bien  les  uns  que  les  autres.  Il  appelait  d'ailleurs  à  lui  tous 
ceux  qui  étaient  dans  la  peine  pour  les  soulager,  quels  qu'ils 
fussent,  et  nous  faisons  profession  de  croire  que  ce  fut  pour 
tous  les  hommes  et  pour  leur  salut  qu'il  est  descendu  du 
ciel,  qu'il  a  été  crucifié  et  qu'il  est  mort.  —  Tel  doit  donc 
être  aussi  le  premier  caractère  de  notre  amour  pour  notre 
prochain,  c'est-à-dire  que  nous  devons  aimer  tout  le  monde, 
sans  faire  acception  des  personnes  (1),  à  l'exemple  de  Dieu. 
Autrefois  le  peuplé  juif,  dénaturant  le  précepte  divin,  refu- 
sait la  qualité  de  prochain  aux  ennemis  et  aux  étrangers. 
Mais  Notre-Seigneur  a  condamné  cet  abus,  en  nous  ensei- 
gnant expressément  que  tout  homme  est  notre  prochain,  et 
que  par  conséquent  nous  devons  aimer  tous  les  hommes  (2). 
C'est  ce  que  l'apôtre  saint  Paul  a  aussi  proclamé  en  disant  : 
77  n'y  a  point  de  distinction  entre  le  Juif  et  le  Gentil,  car  il  ny  a 
qu'un  même  Seigneur  de  tous  (3).  Voyons  donc  si  nous  aimons 
ainsi  tous  les  hommes,  comme  Notre-Seigneur  les  a  tous 
aimés,  et  parce  qu'ils  sont  tous  les  enfants  du  même  Père 
qui  est  dans  les  cieux.  Car  s'il  y  en  a  que  nous  haïssons, 
ou  pour  lesquels  nous  sommes  indifférents,  nous  n'aimons 
pas  les  hommes,  déjà  sous  ce  premier  aspect,  comme  Notre- 
Seigneur  les  a  aimés,  et  par  conséquent  comme  il  nous  est 
commandé  de  les  aimer  (4). 

1.  I.  Petr.  1,  17. 

2.  Luc.  x,  37. 

3.  Rom.  x,  12. 

4.  Si  criim  djligitis  eos  qui  vos  diligunt,  quam  mercedem.  Jiabebitis  ? 


DEVOIR  POUR  CHACUN   DE  NOUS  d'aIMER  NOTRE    PROCHAIN.    283 

Un  second  caractère  de  la  charité  de  Notre  Seigneur  pour 
Les  hommes,  c'est  qu'elle  Put  effective  el  agissante.  Notre- 
Seigneur  ne  s'esl  pas  borné  à  aimer  1rs  hommes  au  fond  de 
son  cœur,  ni  à  dire  qu'il  les  aimait.  S'il  ne  les  eût  aimés 
qu'ainsi,  ou  bien  il  sérail  resté  dans  le  ciel,  ou  bien  il  n'au- 
rail  pas  quille  l'atelier  de  Nazareth.  \  <pioi  un  tel  amour 
eùl  il  servi  aux  hommes  ?  Mais  le  bien  que  son  cœur  sou- 
haitai! et  voulait  aux  hommes,  il  le  leur  a  fait.  L'apôtre 
sainl  Pierre,  qui  l'a  partout  suivi  durant  sa  vie  publique,  en 
a  rendu  témoignage,  en  disant  de  lui  :  Il  a  passé  en  faisant  le 
bien  (i).  Maintenant  encore  d'ailleurs  son  amour  ne  reste 
pas  oisif,  car  soit  sur  nos  autels,  soit  au  ciel,  il  continue  de 
s'offrir  e1  de  prier  pour  nous.  —  C'est  donc  encore  ainsi 
que  nous  devons  aimer  notre  prochain,  c'est-à-dire  en  nous 
efforçant  de  lui  faire  le  bien  dont  il  a  besoin.  Que  de  chré- 
tiens qui  parlent  volontiers  de  charité,  qui  admirent  même 
les  actions  charitables  des  autres,  mais  qui  n'en  font  jamais 
eux-mêmes  !  Or,  l'amour  qui  n'agit  pas,  peut-on  dire  en 
modifiant  un  peu  les  paroles  du  poète,  est-ce  un  amour  sin- 
cère?  Tout  au  plus  c'est  un  amour  bien  froid  et  bien  vain. 
Tel  celui  que  l'apôtre  saint  Jacques  a  peint  quand  il  a  dit  : 
Si  un  de  nos  frères  ou  une  de  nos  sœurs  n'ont  pas  de  quoi  se 
vêtir,  et  qui  manquent  de  ce  qui  est  nécessaire  pour  vivre,  et 
que  quelqu'un  d'entre  vous  leur  dise:  Allez  en  paix,  je  vous  sou- 
haite  de  quoi  vous  couvrir  et  de  quoi  manger,  sans  leur  donner 


Nonne  rt  publicani  hoc  faciunt  ?  Et  si  salutaveritis  fratres  vestros  tan- 
tum,  quid  amplius  facitis  ')  Nonne  et  ethnici  hoc  faciunt?  (Matth.-v, 
4<i.  I7.  —  Cf.  Luc.  vi,  32-35. 

Le  motif  de  la  charité  chrétienne  que  nous  dc^ns  au  prochain,  est 
universel  ;  c'est-à-dire  qu'il  s'étend  sur  tous  les  hommes,  connue  le 
motif  de  la  foi  9'étend  également  à  tous  les  articles  de  notre  créance  ;  et 
comme  pour  perdre  la  foi.  il  suffît  de  douter  d'un  seul  point  de  la  reli- 
gion, aussi,  pour  perdre  la  charité,  il  sutïit  qu'un  homme  soit  banni  de 
notre  cœur.  Si  vous  aimiez  toute  la  terre,  à  la  réserve  d'une  seule  per- 
sonne, il  faut  que  vous  ayez  une  raison  d'aimer  les  autres,  que  vous  ne 
trouvez  pas  en  celui-ci.  Cette  raison  est  une  raison  naturelle;  car  si  elle 
était surnaturellle  el  divine,  elle  s'étendrait  encore  à  celui  que  vous 
n'aimez  pas  el  par  conséquent,  Dieu  n'étant  pas  le  motif  qui  nous  fait 
aimer,  ce  n'esl  rien  moins  qu'une  charité  chrétienne  (Le  vén.  P.  delà 

COLOMBIÈRE,  loc.  cit  .    . 

1.  Act.  x,  38. 


284        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XI.  INSTRUCTION. 

néanmoins  de  quoi  satisfaire  aux  nécessités  du  corps,  à  quoi 
serviront  ces  paroles  (i)  ?  Un  tel  amour  ne  ressemble  assuré- 
ment en  rien  à  celui  de  Notre-Seigneur.  C'est  pourquoi 
écoutons  et  mettons  en  pratique  L'exhortation  de  l'apôtre 
saint  Jean,  disant:  Mes  chers  enfants,  que  notre  amour  ne 
soit  point  en  paroles,  ni  sur  la  langue,  mais  qu'il  soit  effectif  et 
véritable  (2),  et  passe  dans  nos  actions  ;  car  c'est  encore 
ainsi,  nous  le  répétons,  et  non  autrement,  que  nous  nous 
aimerons  les  uns  les  autres  comme  Notre-Seigneur  nous  a 
aimés  (3). 

Enfin  Notre-Seigneur  nous  a  aimés  avec  générosité. 
C'est-à-dire  qu'il  n'a  pas  fait,  par  amour  pour  nous,  seu- 
lement  ce   qui  ne  lui  coûtait  ni  efforts  ni  peines  ;    il   est 

1.  Jac.  11,  i5,  16. 

2.  I.  Joan.  ni,  18. 

3.  Charitas  paticns  est,  benigna  est,  charitas  non  a?mulatur,  non  agit 
perperam,  non  inflatur,  non  est  ambitiosa,  non  quaerit  quœ  sua  sunt, 
non  irritatur,  non  cogitât  malum,  non  gaudet  super  iniquitate,  cau- 
gaudet  autein  veritati  ;  omnia  suffert,  omnia  crédit,  omnia  sperat, 
omnia  sustinet  (I.  Cor.  xiii,  4-7). 

Ceux  qui  sont  inutiles  au  prochain,  ou  qui  ne  s'appliquent  point  à 
le  secourir,  sont  semblables  au  prêtre  et  au  lévite  dont  il  est  parlé  dans 
l'Évangile  :  ils  passèrent  sans  se  mettre  en  peine  de  secourir  cet  homme, 
lequel  étant  tombé  entre  les  mains  des  voleurs,  avait  été  dépouillé,  cou- 
vert de  plaies,  et  laissé  à  demi-mort.  Mais  les  hommes  charitables,  qui 
toujours  émus  d'une  sainte  compassion  pour  leurs  frères,  se  font  une  joie 
d'être  utiles  au  prochain,  sont  semblables  au  Samaritain.  Jésus-Christ 
nous  propose  lui-même  cet  excellent  modèle,  en  disant,  que  si  nous 
voulons  témoigner  que  nous  aimons  nos  frères,  nous  devons  faire 
comme  ce  Samaritain:  Vade,  et  tu  fac  similiter.  Luc.  x.  C'est-à-dire,  si, 
quand  votre  frère  est  dans  la  misère,  vous  passez  sans  le  soulager, 
comme  le  prêtre  et  le  lévite,  vous  n'accomplissez  point  le  précepte  de 
l'amour  du  prochain.  Pour  satisfaire  à  cette  loi,  il  faut  secourir  notre 
prochain  dans  ses  besoins...  Il  en  est  de  l'amour  du  prochain,  comme 
de  l'amour  que  nous  devons  à  Dieu.  Tout  homme  qui  dit  :  Seigneur,  Sei- 
gneur, c'est-à-dire,  tout  homme  qui  dit  qu'il  aime  Dieu,  n'entrera  pas 
dans  le  royaume  des  cieux  ;  il  faut  des  preuves  et  des  œuvres  de  cet 
amour  :  celui-là  entrera  seulement  dans  le  royaume  du  ciel,  qui  a  fait 
la  volonté  de  mon  Père.  J'en  dis  de  même  de  la  charité  du  prochain.  Il 
ne  suffit  pas  de  dire  qu'on  aime  son  prochain  ;  il  faut  des  œuvres,  et 
des  preuves  de  cet  amour.  Et  comme  en  qualité  de  chrétiens,  vous  êtes 
indispcnsablement  obligés  d'aimer  votre  prochain,  il  est  constant  que 
vous  ne  l'aimez,  que  quand  vous  êtes  dans  une  sincère  disposition  de 
lui  rendre  tous  les  services  dont  vous  êtes  capables  (Lambert,  Disc,  sur 
la  vie  ecclés.  6.  dise). 


DEVOIR  nui;  CHACUN   DE  NOUS   d'aIMER  NÔTRE  PROCHAIN.    286 

allé  jusqu'à  nous  sacrifier  ses  plus  graves  intérêts.  Il  nous 
a  sacrifié  ses  biens,  puisqu'éïant  riche,  dit  L'apôtre  saint 
Paul,  il  s'est  rendu  pauvre  pour  l'amour  d<  nous,  afin  que  nou& 
devinssions  riches  par  sa  pauvreté  (i).  Il  nous  a  sacrifie  sa 
gloire,  puisqu'étant  égal  à  Dieu  par  sa  nature,  dit  encore 
L'apôtre  sain I  Paul,  if  s'est  anéanti  en  prenant  la  forme  d'es- 
clave et  en  se  faisant  le  dernier  des  hommes  (2) .  Il  nous  a  sacri- 
fié sa  Liberté,  puisque  pour  nous  remettre  en  possession  de 
la  nôtre  e(  nous  délivrer  de  L'esclavage  du  démon,  il  s'est 
fait  obéissant  jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la  croix  (3).  Il 
nous  a  sacrifié  jusqu'à  son  honneur,  puisqu'il  a  consenti  à 
être  regardé  connue  un  criminel  et  à  subir  le  châtiment 
des  scélérats.  Et  maintenant  encore,  ne  se  résigne-t-il  pas, 
clans  son  adorable  Eucharistie,  à  subir  toutes  sortes  de 
dédains  cl  d'outrages,  afin  d'être  toujours  à  la  disposition 
de  ceux  qui  veulent  venir  à  lui  pour  recevoir  son  assistance 
cl  <es  consolations  ?  Oh  !  l'admirable  charité  de  notre  Dieu  ! 
—  Eh  bien,  chrétiens,  c'est  encore  de  cette  charité  que  nous 
devons  aimer  notre  prochain.  L'apôtre  saint  Jean  nous  le 
déclare  expressément  :  Nous  avons  reconnu,  dit-il,  l'amour 
de  Dieu,  en  ce  qu'il  a  donne  sa  vie  pour  nous;  nous  devons 
doia-  donner  aussi  notre  vie  pour  nos  frères  (4).  Oui,  nous 
devons  aimer  notre  prochain  avec  générosité,  nous  gêner 
pour  lui,  nous  priver  pour  lui.  et  môme  donner  notre  vie 
pour  lui  si  c'était  nécessaire,  par  exemple,  si  c'était  l'unique 
moyen  d'assurer  son  salut,  la  vie  éternelle  étant  un  bien 
sans  comparaison  plus  précieux  que  la  vie  temporelle  (5). 


I. 

11. 

Cor. 

VIII, 

9- 

a. 

PI 

lilip. 

11,  6- 

S. 

3. 

PI 

lilip. 

11,  8. 

'.. 

I. 

Joan 

.  m, 

16. 

5.  Quand  il  s'agil  d'intérèl  temporel,  la  loi  qui  commande  d'aimef 
mon  prochain,  ne  me  commande  pas  de  lui  céder  absolument  mes 
droits  ;  je  puis  raisonnablement  les  poursuivre,  et  quelquefois  même, 
1  iil  un  péché  de  ne  1"  pas  faire.  M;us  si  par  mes  poursuites,  qui  ne 
me  serviraient  qu'à  le  ruiner,  je  connais  qu'il  sera  réduil  à  la  mendicité, 
'■n  ce  cas,  il  esl  de  la  charité  chrétienne  que  je  sois  dur  en  quelque  ma- 
nière à  moi-même,  afin  de»  pouvoir  lui  rire  utile;  H  lajustice  veut 
qu'en  de  si  fâcheuses  extrémités,  je  sacrifie  mon  droit  ;i  l'amour  que 
j'1  dois  avoir  pour  lui.  Ce  n'es!   pas  assez  :  je  dis  qu'il  est   de   l'ordre 


286        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XI.   INSTRUCTION. 

Telle  est  encore,  chrétiens,  la  mesure  d'aimer  notre  pro- 
chain, laquelle  consiste  à  l'aimer  comme  Notre- Seigneur 
nous  a  aimés,  savoir,  à  aimer  tous  les  hommes  sans  excep- 
tion, à  les  aimer  non  pas  seulement  en  paroles  mais  aussi 
en  action,  et  enfin  à  les  aimer  avec  générosité,  allant  jus- 
qu'à nous  gêner  et  nous  priver  pour  eux,  et  jusqu'à  faire 
pour  eux  tous  les  sacrifices  compatihles  avec  l'état  où  nous 
a  mis  la   divine  Providence  (i).  —  Or,  notre  devoir  d'ai- 


de la  charité  chrétienne  de  préférer  en  de  certains  cas,  les  inté- 
rêts spirituels  de  notre  prochain  à  nos  intérêts  temporels...  Gomme 
notre  intérêt  spirituel,  et  l'affaire  de  notre  salut,  doivent  être  préférés  à 
tout  autre  intérêt  et  à  toute  autre  affaire,  sans  quoi,  bien  loin  de  nous 
aimer,  nous  nous  haïrions;  ce  grand  et  ce  juste  amour  de  nous-mêmes 
doit  être  le  modèle  de  celui  que  nous  devons  à  notre  prochain,  puis- 
que nous  sommes  obligés  de  l'aimer  comme  nous-mêmes  ;  et  par  con- 
séquent, s'il  arrive  que  nous  ne  puissions  ménager  ses  intérêts  spiri- 
tuels, qu'en  abandonnant  nos  intérêts  temporels,  comme  ce  qui  est 
temporel  est  d'un  ordre  inférieur  à  ce  qui  est  spirituel,  la  charité  veut 
que  nous  cédions  l'un  pour  l'autre.  Tel  est,  adorable  Sauveur,  l'exem- 
ple que  vous  nous  avez  donné,  et  telle  la  conséquence  que  votre  disci- 
ple bien-aimé  veut  que  nous  tirions  de  cet  exemple  (Anon.  Dictionn. 
mor.  2.  dise,  sur  l'amour  *du  proch.). 

i.  Ghristus  Dominus  prœcipit  :  Hoc  est  prxceptum  meum  ut  diligalis 
invicem,  sicut  dilexi  vos.  Per  particulam  sicut,  non  exigit  quidem  œqua- 
litatem,  sed  similitudinem.  Quomodo  ergo  dilexit  nos  Ghristus  ?  Dilexit 
rectissime.  Rectitudo  amoris  requirit  tria  :  i°  Lt  sciamus  in  proximo 
distinguere  inter  substantiam,  et  substantiam,  hoc  est  inter  corpus  et 
animam,  itautanimam  amemuspropter  Deum,  et  corpus  propter  ani- 
mam  :  Ordinavit  in  me  charitatem.  Gant.  n.  Ita  Ghristus  dilexit  apos- 
tolos,  voluit,  ut  corpus  exponerent  morti,  et  animas  eorum  vocavit,  ut 
sanctas  faceret,  etc. —  20  Rectitudo  amoris  exigit,  ut  sciamus  distinguere 
inter  substantiam  et  accidens,  ita  ut  quidem  odio  habeamuspeccatum, 
et  tamen  amemus  peccatorem  :  ita  Ghristus  fecit  in  Juda.  —  3°  Recti- 
tudo amoris  exigit,  ut  sciamus  distinguere  inter  accidens  et  accidens; 
quia  non  omnia  sunt  ejusdem  gencris  ;  quaïdam  sunt  bona,  uti  virtu- 
tes  ;  qmedam  mala,  uti  scelera  ;  qu;edam  indifferentia,  uti  nobili- 
tas,  divitise  :  ha?c  accidentia  facile  confundunt  amorem  incautum,  sa>pe 
aliquis  putat  se  amare  Susannam,  quia  est  timens  Deum,  et  rêvera 
amat,  quia  est  pulchra  nimis.  Ghristus  reipsa  amavit  omnçs,  propter 
id,  quod  amore  dignum  est  ;  et  ideo  nunc  increpavit  Petrum,  nunc 
laudavit,    etc.  (Segaeiu,  Manna  an.  i3.  aug.  n.  1  et  2). 

Ghristus  Dominus  amavit  nos  amore  habente  lias  quinque  qualitatcs, 
nimirum  quod  fucrit  rectus,  efficax,  verax,  gratuitus,  et  immobilis 
amor  ;  dum  ergo  dicit,  ut  amemus  invicem,  sicut  ipse  dilexit  nos,  exi- 
git lias  qualitates  amoris,  etc.  (Id.  ibid.). 

Sicut  dilexi  vos.  Joan.  xv.  Modum  autem,  quo  nos  dilexit  Ghristus, 
sic  explicat  S.  Bern.  serm.   20.  in  Gant.  :  «  Dilexit  nos  Dominus  dulci- 


DEVOIR    roi  K  CHACUN  DE  NOl  s  D*  AIMER  NOTRE  PROCHAIN.    '2$'] 

ttier  noire  prochain  étanl  ainsi  compris,  il  nous  rcslc  à 
expliquer 

III.  —  Ce  qu'il  faut  que  nous  fassions  pour  nous  en 
acquitter.  —  A  cet  égard,  le  devoir  d'aimer  le  prochain  est 
tout  à  la  fois  négatif  et  positif.  C'est-à-dire  que  pour  nous 
acquitter  de  ce  devoir,  il  y  a,  d'un  côté,  des  choses  que  nous 
devons  éviter,  et,  de  L'autre,  des  choses  que  nous  devons 
faire  (2). 

Les  choses  que  nous  devons  éviter  sont  toutes  celles  qui 
sont  capables  de  nuire  à  notre  prochain.  Il  est  évident  en 
effet  que  la  première  chose  exigée  par  notre  devoir  de  l'ai- 
mer, c'est  de  ne  lui  causer  volontairement  aucun  tort.  Ne 
pas  rendre  au  prochain  les  services  dont  il  a  besoin,  n'est 
pas  une  preuve  qu'on  ne  l'aime  pas  ;  car  on  peut  souvent  se 
trouver  dans  l'impossibilité  de  l'assister.  Mais  celui  qui, 
volontairement,  fait  du  mal  auprochain,  est  forcé  de  recon- 
naître qu'il  ne  l'aime  pas,  et  que  par  conséquent  il  manque 
à  son  devoir.  Pour  remplir  ce  devoir,  commençons  donc 
par  ne  rien  faire  qui  puisse  nuire  au  prochain,  soit  dans  ses 
légitimes  intérêts  temporels,  soit  surtout  dans  ses  intérêts 
éternels.  Nous  disons,  dans  ses  légitimes  intérêts  temporels; 
car  s'il  s'agit  d'intérêts  illégitimes,  que  le  prochain  ne  peut 
réaliser  qu'en  faisant  le  mal,  comme  il  arrive  dans  les  vols, 
dans  les  commerces  immoraux,  et  autres  intérêts  sembla- 
bles, la  charité  veut  même  qu'on   s'efforce,  autant  qu'on   le 

ter,  sapienter,  el  fortiter.  Dulciter,  quia  carnem induit  ;  sapienter,  quia 
culparn  ravit  ;  fortiter,  quia  mortem  substinuit.  »  Scu,  ut  aliis  utar  ter- 
minis  :  dilexil  nos:  1.  veraciter;  2.  sapienter;  3.  perseveranter  ;  ideo- 
que,  ut  dilectio  nostra  liuic  regulae  commensuretur,  débet  esse  :  1.  vera, 
2.  sapiens,  3.  perseverans  (Vivien,  Terlull.  prxd.  vèrb.  Amor  Proximî, 
conc.  3,  p.  2). 

2.  Debeo  alii  pnestare,  quod  ab  alio  mihi  velim  pneslitum  :  amorcm, 
obsequium,  solatium,  praesidium  et  ejusmodi  bona  ;  proinde  nec  alii 
farcie  quod  ab  alio  mihi  fieri  noliin  :  viin,  injuriam,  coiitumcliain, 
fraudem  e1  ejusmodi  mala  (Tertull.  adv.   Marc,  iv,   16). 

Non  opus  est  uiulLis  sermonibus  neque  prolixis  legibus,  nec  varia 
doctrirta.  Voluntas  tua  si(  lex.  \  is  bénéficia  capere?  couler  beneficium 
alteri.  Vis  misericordiam  consequi  ?  miserere  proximi.  Vislaudari? 
lauda  alium.  Vis  amariP  ama.  Vis  partibus  primis  potiri  ?  cede  illas 
prius  alteri.  Tu  sisjudex,  tu  sis  vitae  tuae  legislator  (S.  Jo.vn.  Chrysost, 
in  Ps.  \   . 


288        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SAlUT.  Xl.  INSTRUCTION. 

peut,  de  les  rendre  impossibles  au  prochain.  Mais  s'il  s'agit 
d'intérêts  légitimes,  on  ne  doit  rien  faire,  nous  le  répétons, 
qui  puisse  y  porter  atteinte.  C'est  ainsi  qu'on  doit  très 
rigoureusement  s'abstenir,  par  exemple,  de  lui  rien  dérober 
ni  rien  détériorer,  comme  aussi  de  nuire  à  sa  réputation 
par  des  mensonges,  par  des  médisances,  des  calomnies,  des 
faux  témoignages  (i).  —  Il  en  est  de  même  et  surtout, 
avons-nous  ajouté,  de  ses  intérêts  spirituels.  Quel  tort  ne 
fait  pas  à  son  prochain,  à  cet  égard,  celui  qui  lui  donne  de 
mauvais  exemples  ou  de  mauvais  conseils,  qui  lui  procure 
de  mauvaises  lectures,  et  qui,  d'une  manière  ou  d'une 
autre,  le  porte  lui-même  au  mal,  ou  bien  ceux  de  sa  famille 
et  de  sa  maison  !  Combien  la  charité  fraternelle  ne  nous 
fait-elle  donc  pas  à  tous  un  devoir  de  respecter  des  intérêts 
aussi  sacrés  que  sont  ceux  de  l'âme  et  de  l'éternité  ! 

'Mais  pour  nous  acquitter  de  notre  devoir  d'aimer  notre 
prochain,  il  ne  suffît  pas  que  nous  nous  abstenions  de  lui 
faire  aucun  mal  ;  il  faut  de  plus  que  nous  lui  fassions  tout 
le  bien  qui  est  en  notre  pouvoir.  Pourrions-nous  dire,  en 
effet,  que  nous  aimons  notre  prochain  comme  Notre-Sei- 
gneur  nous  a  aimés,  si  pouvant  lui  faire  quelque  bien,  nous 
ne  le  lui  faisions  pas  ?  Si  donc  nous  pouvons  lui  venir  en 
aide,  ou  lui  donner  l'aumône,  nous  devons  le  faire  dans  la 
mesure  de  notre  pouvoir.  Et  si  nous  pouvons  l'instruire  et 
lui  donner  de  bons  conseils,  nous  devons  le  faire  également, 
et  de  la  manière  la  plus  opportune.  Et  s'il  a  besoin  d'encou- 
ragements et  de  consolations,  nous  devons  lui  en  donner 
autant  que  nous  le  pouvons  et  avec   tout   le  zèle   et  toute  la 

i.  Tremblez,  vous  qui,  dans  le  cours  d'une  vie  en  apparence  conforme 
à  l'Évangile,  nourrissez  des  antipathies,  des  animosités,  des  aversions 
que  l'Évangile  condamne  et  met  au  rang  des  crimes,  qui  protestez  à 
Dieu  que  vous  l'aimez  de  tout  votre  cœur,  et  qui  ne  pouvez  lui  sacri- 
fier un  ressentiment  ;  qui  passez  des  heures  au  pied  des  autels,  et  qui 
n'en  sortez  que  pour  déchirer  le  prochain,  pour  faire  souffrir  tous  ceux 
qui  vous  approchent,  par  votre  humeur,  vos  duretés,  vos  censures,  vos 
impatiences  et  vos  éclats.  Oh  !  qu'il  est  à  craindre  que  le  défaut  de  cha- 
rité ne  rende  inutiles,  abominables  aux  yeux  de  Dieu,  les  prières  cl 
les  jeûnes  de  tant  de  personnes  qui  marchent  sous  l'étendard  de  la  dé- 
votion, et  qui  se  croient  riches  en  mérites  et  en  vertus,  tandis  qu'elles 
n'ont  pas  la  vertu  la  plus  nécessaire,  celle  que  rien  ne  peut  remplacer, 
pas  même  la  couronne  du  martyr  :  Si  charitalem  non  habuero,  nihil  surit. 
].  Cor.  xiu,  3.  (Richard,  serin,  sur  l'amour  du  prochain,  i.  p.). 


DEVOIR    PO!  K  I  .il  m  i  \  DE  NOUS    d'aIMEB  NOTRE  PROCHAIN.    7.Si) 


discrétion  (in*1  nous  pouvons  Nous  devons  même  le  repren 
dre  et  le  corriger  lorsqu'il  nous  est  possible  <le  le  faire,  et 
que  nous  avons  quelque  sujel  d'espérer  qu'il  en  profitera. 
Pardessus  tout,  nous  devons  tous  à  notre  prochain,  dans 
quelque  situation  que  nous  nous  trouvions,  de  prier  pour 
lui  et  de  lui  donner  de  bons  exemples  :  car  c'est,  d'un  côte, 
ce  qui  esi  le  plus  à  notre  portée  à  tous,  ei  de  L'autre,  ce  qui 
sera  toujours  le  plus  avantageux  à  notre  prochain  (i). 

CONCLUSION. —  Quels  sont  les  motifs  qui  nous  foui  un 
devoir  d'aimer  notre  prochain  ;  quelle  est  la  nature  de  ce 
devoir;  que  devons  nous  faire  pour  nous  en  acquitter:  telles 

i.  (ici  empressement  à  servir  les  autres  doit  évidemmenl  se  préoccu- 
per d'abord  du  bien  éternel  des  âmes,  mais  il  ne  doit  pas  négliger  ce 
qui  sert  a  la  vie  et  la  favorise.  V  ce  sujel,  il  faut  se  rappeler  ce  que  le 
Chris!  répondit  à  la  question  des  disciples  du  Baptiste  :  Es-tu  Celui  qui 
doit  venir,  ou  devons-nous  en  attendre  un  autre  ')  Matlh.  xi,  5.  Pour  mon- 
trer ce  qu'il  apportait  aux  nommes,  il  invoqua  ses  bienfaits,  et  rappela 
une  parole  d'Isaïe  :  Les  aveugles  voient,  les  boiteux  marchent,  les  lépreux 
sont  purifiés,  les  sourds  entendent,  les  morts  ressuscitent,  et  la  bonne  nou- 
velle est  annoncée  aux  pauvres.  Mallb.  xi,  'i,  5...  A.  ces  preuves  d'amour, 
visant  à  la  fois  le  bien  de  l'âme  et  du  corps,  le  Christ,  on  le  sait,  a  ajouté 
de-  exemples  personnels  extraordinaires.  C'est  ici  qu'il  est  doux  de  se 
rappeler  cette  parole  tombée  de  son  cœur  paternel:  Je  suis  ému  de 
compassion  pour  cette  fouit' .  Marc,  vin,  2,  et  sa  volonté  d'être  secou  table 
égale  à  son  pouvoir  merveilleux.  De  cette  pitié,  il  nous  reste  un  témoi- 
gnage :  //  allait  de  lieu  en  lieu,  Jaisant  du  bien  cl  guérissant  tous  ceux  qui 
étaient  sous  Vempire  du  diable.  Vcf.  \,  3<S.  Les  apôtres,  les  premiers,  cul- 
tivèrent religieusement  et  avec  ardeur  cette  science  de  la  charité  qu'ils 
axaient    reçue   du   Christ.  Vprès   eux,  ceux  qui  embrassèrent  la  foi 

chrétienne  créèrent  celle  multitude  variée  d'institutions  dont  le  but  est 
de  soulager  les  misères  humaines,  quelles  qu'elles  soient.  Ces  institu- 
tions, sans  cesse  enrichies  par  de  nouveaux  développements,  sont  la 
gloire  et  l'ornement  propre  du  nom  chrétien...  On  ne  doit  pas  excepter 
de  ce  genre  de  bienfaits  les  distributions  d'aumônes  ;  et  c'est  à  elles 
qu'ont  traitées  paroles  du  Christ  :  Ce  qui  reste,  donnez-le  en  aumône. 
Luc,  \i.  |i.  C'est  cette  aumône  que  les  socialistes  \eulenl  enlever  de  la 
société  comme  injurieuse  à  La  dignité  naturelle  de  l'homme.  Cependant, 
si  elle  est  faite  conformément  à  la  prescription  evangélique  et  à  l'esprit 
chrétien,  elle  n'a  rien  qui  puisse  ou  exciter  l'orgueil  de  ceux  qui  don- 
aent,  ou  faire  rougir  ceux  qui  reçoivent.  Loin  d'être  inconvenante  pour 
l'homme,  elle  favorise  l'établissement  de  rapports  sociaux  et  des  devoirs 
nécessaires  entre  semblables  II  n'est  pas  d'homme  si  riche  qu'il  n'ait 
besoin  d'un  autre  *;  il  n'est  pas  d'homme  si  pauvre  qui  ne  puisse  être 
utile  a  -«m  voisin.  C'est  une  chose  innée  que  les  hommes  se  demandent 
ei  se  portent  mutuellement  leur  assistance  (Léon  xiii,  Uncycli<pie  sur  la 
Démocratie  chrétienne). 


SOMME   DU    PREDICATEUR.   —  T.  II. 


*9 


•2()0         LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  ■ —  XI.   INSTRUCTION. 

■ 

sont,  chrétiens,  les  trois  questions  très  importantes  que  nous 
venons  d'expliquer.  Les  motifs  qui  nous  font  un  devoir 
d'aimer  notre  prochain,  nous  l'avons  vu,  c'est  que  la  nature 
nous  y  porte,  c'est  que  notre  intérêt  s'y  trouve  engagé,  c'est 
que  Dieu  nous  en  a  donné  l'exemple,  et  quïl  nous  en  a  fait 
un  commandement  ahsolu.  Nous  avons  vu  également  que 
la  mesure  d'aimer  notre  prochain,  c'est  de  l'aimer  comme 
Notre-Seigneur  nous  a  lui-même  aimés,  c'est-à-dire  tout  le 
monde  sans  exception,  en  actions  et  non  pas  seulement  en 
paroles,  et  sans  craindre  de  nous  priver  et  de  nous  gêner. 
Et  quant  à  ce  que  nous  devons  faire  pour  nous  acquitter  de 
ce  devoir,  nous  avons  expliqué  que  c'est  d'éviter  tout  ce  qui 
peut  nuire  au  prochain,  en  son  corps  et  en  son  ame,  et  de 
faire  tout  ce  qui  peut  lui  être  utile  également,  pour  son  bien 
temporel  et  surtout  pour  son  bien  spirituel.  Nous  connais- 
sons donc  maintenant  tout  ce  qu'il  est  essentiel  de  savoir 
touchant  le  commandement  d'aimer  le  prochain,  comman- 
dement dont  Notre-Seigneur  a  dit  qu'il  est  semblable  à  celui 
d'aimer  Dieu  lui  même  (i).  Or,  personne  ne  peut  douter 
que,  sans  aimer  Dieu,  il  est  impossible  qu'on  se  sauve.  Il 
est  donc  également  impossible  qu'on  se  sauve  sans  aimer  le 
prochain.  Par  conséquent,  aimons-le  comme  nous  devons 
l'aimer,  et  par  suite,  entr'aidons-nous  tous  comme  nous 
devons  nous  entr'aider,  afin  de  nous  sanctifier  tous  en  ce 
monde,  et  de  nous  retrouver  tous  dans  le  ciel,  comme  des 
frères  que  nous  sommes,  autour  de  Dieu,  notre  Père  à  tous. 
Ainsi  soit  il. 

TRAITS  HISTORIQUES. 

La   charité  s'étend   à  tous  les    hommes  et  à  tous  leurs 

besoins. 

i.  —  Saint  Jean  de  Dieu,  natif  du  diocèse  d'Evora,  en  Portugal, 
Vers  la  fin  du  xva  siècle,  était  âgé  d'environ  quarante  ans,  lorsqu'il 
résolut  de  se  dévouer  au  service  des  pauvres  malades,  pour  accom- 
plir un  vœu  qu'il  avait  fait  pendant  une  maladie  dans  un  hôpital, 
où  il  avait  été   traité  comme  atteint   de   folie.   11   commença  cette 

t.  Malth.  xxn,  39. 


DEVOIR   POUR  CHACUN   DE  NOUS  D  UMËR    NOtRE  PROCHAIN,    20,  1 

œuvre  charitable  à  Grenade,  en  nourrissaul   quelques  pauvres  du 

travail  de  ses  mains,  \\ani  ensuite  loué  une  maison  pour  les  lo- 
ger, il  les  assista  avec  une  économie,  une  charité,  une  prévoyance 
et  un  succès  dont  toute  la  ville  fui  étonnée.  De  tous  cotes  on  le 
voyait  aller  chercher  des  malades  pour  les  conduire  ou  les  l'aire 
transporter  à  son  hôpital.  Plusieurs  personnes  riches,  touchées 
d'un  zèle  si  charitable,  lui  donnèrent  de  l'argent  et  des  meubles. 
Tels  furent  les  commencements  du  célèbre  hôpital  de  Grenade,  et 
de  la  congrégation  des  Frères  de  la  Charité.  Jean  s'occupait  pen- 
dant le  jour  à  senir  m^  pauvres,  et  le  soir  il  partait  pour  aller 
faire  la  quête.  Il  ne  se  bornait  pas  à  leur  fournir  les  secours  qu'exi- 
geaient leurs  infirmités  et  leurs  besoins  corporels  :  il  travaillait 
principalement  au  salut  de  leur  âme.  En  cela,  son  zèle  fut  parfai- 
tement secondé  par  plusieurs  ecclésiastiques  qui,  en  même  temps, 
lui  apportaient  de  l'argent  ou  d'autres  objets  nécessaires  à  son 
hôpital.  Les  pauvres  honteux  n'étaient  pas  oubliés  :  il  les  visitait 
et  leur  procurait  du  travail,  autant  comme  moyen  d'éviter  l'oisiveté 
que  comme  celui  de  pourvoir  à  leur  subsistance.  Si  des  fdles  se 
trouvaient  sans  appui,  et  exposées  à  perdre  leur  innocence,  il 
veillait,  avec  un  soin  particulier,  à  ce  qu'elles  ne  fussent  pas  ten- 
par  le  besoin,  de  s'abandonner  au  vice.  La  congrégation  libre, 
qu'il  formait  avec  ses  confrères,  fut  confirmée,  douze  ans  après 
sa  mort,  parle  pape  Pic  V,  et  se  répandit  en  beaucoup  de  pays,  où 
elle  continue  l'œuvre  de  son  fondateur. 

■>.  —  Dans  les  premières  années  du  siècle  qui  vient  de  finir,  Mar- 
guerite Fairet,  veuve  Meyer,  née  sans  fortune,  devint  cependant 
la  providence  des  malheureux.  Dans  la  ville  de  Helfort,  une  épidé- 
mie infectait  les  hôpitaux,  où  affinaient  un  grand  nombre  de  mi- 
litaires malades  et  blessés,  amenés  d'Allemagne.  La  veuve  Meyer 
se  dévoue  pour  les  secourir  ;  tous  les  lits  de  douleur  sont  visités 
par  elle  ;  tous  les  secours  leur  sont  prodigués  ;  rien  ne  la  rebute  : 
ni  le  dégoût  des  plaies,  ni  le  danger  du  séjour.  Elle  apparaît  com- 
me un  ange  à  tous  ces  êtres  souffrants,  les  console,  les  encourage, 
les  assiste  et  contribue  à  les  guérir.  Elle  ne  borne  pas  là  ses  efforts 
secourantes.  Pendant  les  sièges  (pic  subit  la  ville  de  Bclfort,  elle 
suit  courageusement  les  sorties  de  la  garnison  ;  on  la  voit  sur  les 
champs  de  bataille,  pourvue  de  linge  et  de  charpie,  de  remèdes  et 
de  rafraîchissements  ;  elle  accourt  partout  où  des  blessures  récla- 
ment sa  présence  Elle  ne  distingue  pas  les  amis  des  ennemis  ; 
tout  ce  qui  esl  homme,  tout  ce  qui  souffre  a  pari  à  ses  bienfaits. 
On  la  voit  sans  cesse  étancher  le  sang,  panser  les  blessures,  et 
l'empresser  de  transporter  hors  du    péril    tous  ceux  que  la  mort 


2(J'2         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XI.   INSTRUCTION. 

peut  atteindre.  L'état  le  plus  désespéré  ne  rebute  point  son  infati- 
gable pitié  ;  et  quand  elle  réussit,  sa  joie  éclate  au  milieu  des 
bénédictions  de  toutes  les  victimes  qui  sont  sauvées  par  elle.  — 
C'est  peu  des  scènes  du  carnage  pour  éprouver  cette  belle  âme. 
La  disette  de  1816  et  de  18 17  lui  fournit  une  nouvelle  occasion  de 
déployer  sa  bienfaisance.  Voyant  se  multiplier  le  nombre  des  pau- 
vres qui  affluent  des  campagnes  ruinées  par  la  guerre,  elle  se  mul- 
tiplie comme  eux,  elle  visite  les  asiles  de  la  misère,  frappe  à  toutes 
les  portes,  sollicite  la. pitié  et  forme  une  assemblée  de  dames  cha- 
ritables qui  donne  aux  malheureux  des  secours  permanents.  Elle 
voit  tout,  préside  à  tout,  distribue  tout.  Aucun  indigent  n'est 
oublié,  tous  sont  nourris  et  soulagés  par  elle.  —  Le  fléau  cesse, 
mais  non  l'activité  de  son  zèle,  qui  a  besoin  d'un  continuel  ali- 
ment. Belfort,  ville  de  garnison,  regorge  d'enfants  nés  dans  la 
misère,  livrés  à  tous  les  vices  et  n'ayant  d'autre  profession  que  la 
mendicité.  En  vain  cette  ville  leur  ouvre  des  écoles,  ils  repoussent 
toute  instruction.  Eh  bien  !  c'est  à  les  sauver  de  l'indigence  et  du 
vice  que  l'ange  de  consolation  va  consacrer  tous  ses  soins.  Que  de 
moyens'  ne  lui  suggère  pas  son  ardente  charité  !  Elle  les  contraint 
par  la  force  de  ses  bienfaits  à  se  rassembler  autour  d'elle,  et  prend 
elle-même  le  soin  d'écarter  toutes  les  souillures  de  la  malpropreté 
qui  les  flétrit.  Une  vie  nouvelle  commence  pour  eux,  et  ce  n'est 
plus  ce  ramas  impur  d'enfants  abandonnés  ;  c'est  une  jeunesse 
décemment  vêtue,  à  qui  la  bienfaisante  Meyer  apprend  la  religion, 
la  morale,  la  lecture,  l'écriture.  Elle-même  leur  enseigne  les  pré- 
ceptes de  l'Évangile,  elle-même  les  conduit  à  la  Sainte-Table.  Et 
qu'on  ne  pense  pas  qu'elle  borne  là  tous  les  secours  dont  elle  est 
prodigue  envers  eux.  Elle  surveille  au  dehors  ses  enfants  adoptifs, 
leur  fournit  des  aliments,  des  vêtements,  fak  les  frais  de  leur 
apprentissage,  les  place  chez  les  cultivateurs  et  leur  procure  du 
travail.  Combien  d'entre  eux  qui  lui  doivent  d'être  aujourd'hui 
honnêtes,  laborieux  et  dans  l'aisance  (Fleurs  de  la  morale)  ! 

La  charité  est  ingénieuse. 

Il  y  a  quelques  années,  la  ville  de  Bayeux  possédait  une  pauvre 
femme  âgée  de  quatre-vingt-quinze  ans,  la  veuve  Palobre,  dite  la 
mère  le  Diable.  Laide,  envieuse,  haineuse,  gourmande,  paresseuse, 
impie  surtout,  depuis  bientôt  un  siècle,  elle  avait  fait  le  désespoir 
de  ses  parents,  de  son  mari,  de  ses  curés,  de  vingt  Ames  charita- 
bles qui,  tout  en  soulageant  son  extrême  misère  matérielle,  avaient 
essayé  de  porter  quelque  remède  à  sa  misère  morale,  plus  pro- 
fonde encore.   Elle   haïssait   particulièrement  ses  bienfaiteurs.  La 


DEVOIR   POUR  CHACUN    DE  NOUS  d' AIMER  NOTRE  PROCHAIN.    2Q3 

1 * ■ 

charité  est  infatigable  ei  indulgente.  Une  conférence  de  Saint- 
Vincenl  de  Paul  s'étant  forméeà  Bayèux,  adopta  lanière  le  Diabl  i 
parmi  ses  pauvres.  En  la  confiant  à  l'un  des  plus  zélés  confrères , 
le  Président  lui  dit:  «M.  Germain,  vous  tâcherez  delà  convertir.  » 
—  M.  Germain,  bourrelier  de  son  état,  avait  une  piété  d'ange,  une 
humilité  de  saint,  une  charité  à  réaliser  des  prodiges.  Rentré 
chez  lui  au  sortir  de  la  conférence,  il  se  mit  à  genoux  devant  son 
Crucifix  :  «  Mon  Dieu,  dit-il,  aidez-moi  à  convertir  celte  âme.  Je  ne 
puis  absolument  rien,  mais  daignez  me  prendre  pour  votre  instru- 
ment. Inspirez-moi  ce  que  je  dois  dire  et  faire.  »  —  Il  visita  une 
première  fois  sa  protégée,  par  une  belle  matinée  du  mois  de  mai. 
Le  soleil  était  radieux,  l'air  tiède  et  embaumé.  Quel  contraste 
entre  la  nature  commençant  à  se  revêtir  de  ses  grâces  printa- 
nières,  et  la  mansarde  habitée  par  la  mère  le  Diable  !  Rien  n'y 
venait  égayer  ou  reposer  le  regard  ;  l'âme  du  visiteur  s'y  trouvait 
navrée,  ses  sens  blessés  et  révoltés.  Partout  une  malpropreté 
repoussante  ;  dans  un  coin,  de  vieux  os  et  des  restes  de  viande 
dont  l'odeur  et  l'aspect  soulevaient  le  cœur.  Jamais  demeure 
n'avait  été  plus  misérable  et  plus  répugnante.  —  M.  Germain, 
entrant  dans  ce  réduit,  se  garda  bien  de  manifester  aucun  dégoût. 
Il  s'assied,  et  tandis  qu'il  s'efforce  de  témoigner  à  sa  cliente  un 
intérêt  qui  loin  de  l'attendrir  semble  l'irriter,  un  bruit  se  fait 
entendre  du  côté  des  vieux  os  :  «  Oh  !  c'est  ce  cher  Amour  qui  se 
réveille,  dit  la  pauvresse,  d'un  accent  tendre  et  doux.  »  Ces  mots 
furent  un  trait  de  lumière  pour  M.  Germain.  Elle  aime  son  chien, 
se  dit-il  à  lui-même,  je  l'aimerai  aussi,  je  le.  caresserai,  et  par  là 
peut-être  gagnerai-je  la  confiance  de  la  mère  le  Diable.  —  Cepen- 
dant Amour  était  un  des  plus  vilains  spécimens  de  l'espèce  canine 
que  l'on  put  rencontrer.  M.  Germain  ne  laissa  pas  de  le  flatter  et 
de  lui  donner  un  morceau  de  sucre.  La  mère  le  Diable  en  parut 
touchée.  A  chaque  visite  il  redoublait  d'attention  envers  Amour. 
Les  choses  se  passaient  ainsi  depuis  trois  mois,  lorsque  la  maî- 
tresse et  son  chien  tombent  malades.  La  mère  le  Diable  se  déso- 
lait et  blasphémait  :  «  Que  votre  bon  Dieu  est  donc  cruel,  disait- 
elle  à  M.  Germain.  Gomme  si  je  ne  souffrais  pas  déjà  asssz  !  Ne 
faut-il  pas  qu'il  m'enlève  la  seule  jouissance  que  j'avais  en  ce 
monde,  celle  de  soigner  mon  chien...  Pauvre  Amour,  qu'est-ce 
qu'il  va  devenir  ?  »  M.  Germain  eut  l'air  de  ne  pas  entendre  les 
blasphèmes.  «  Pour  vous,  dit-il  à  la  vieille,  je  vais  quérir  le  Doc- 
teur, et  il  fera  l'impossible  pour  vous  soulager.  Quant  à  votre 
chien,  ne  vous  tourmentez  pas,  j'en  fais  mon  affaire.  »  —  Il 
commença,  le  soir  même,   son    métier  d'infirmier  auprès  du  cher 


294         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.  INSTRUCTION, 


Amour.  Il  était  dévoué,  ingénieux,  trouvait  des  mots  gentils  La 
mère  le  Diable,  au  bout  de  quelques  jours,  n'y  tint  plus.  Déposant 
son  orgueil  farouebe  :  «  Vous  êtes  bien  bon  pour  moi  et  pour  ma 
bête,  dit-elle  à  M.  Germain  :  je  vous  en  remercie.  —  En  vous 
aimant,  mère  Palobre,  répondit  le  charitable  visiteur,  je  n'ai  fait 
que  mon  devoir  de  chrétien,  et  ce  devoir  m'est  bien  doux...  Jésus- 
Christ,  qui  m'ordonne  de  vous  aimer,  sera  ma  récompense  ;  et 
si  vous  y  ajoutez,  comme  aujourd'hui,  de  bonnes  paroles,  vrai- 
ment je  serai  trop  payé.  »  —  La  vieille  n'en  resta  pas  aux  paroles  ; 
elle  donna  à  M.  Germain  la  joie  qu'il  recherchait,  celle  de  son 
retour  à  Dieu. 

La  charité  est  patiente  et  supporte   tout. 

1.  —  Cassien  rapporte  d'une  dame  d'Alexandrie  que,  pour 
pratiquer  la  charité,  elle  résolut  de  loger  et  de  nourrir  une  pauvre 
femme  dans  sa  maison.  L'Église  d'Alexandrie  nourrissait  alors 
plusieurs  pauvres  veuves,  et  la  charitable  dame  alla  prier  l'arche- 
vêque saint  Athanase  de  lui  en  donner  une,  pour  la  nourrir  chez 
elle  et  pour  soulager  l'Église  d'autant.  Athanase  loua  fort  son 
dessein  et  ordonna  qu'on  lui  choisît  une  personne  d'un  esprit  doux 
et  d'une  grande  piété.  La  dame  l'amena  chez  elle  et  la  garda  quel- 
que temps,  la  servant  et  la  traitant  avec  toutes  sortes  d'attentions. 
Mais  parce  que  cette  pauvre  femme  ne  cessait  de  la  louer  et  de  la 
remercier  à  tout  moment  de  ses  bontés,  elle  alla  trouver  le  saint 
évêque,  et  se  plaignit  à  lui  de  ce  que,  lui  ayant  demandé  une 
femme  qui  lui  donnât  lieu  de  mériter  en  la  servant,  il  n'en  avait 
rien  fait.  Saint  Athanase  ne  comprit  pas  d'abord  ce  qu'elle  voulait 
dire,  et  s'imagina  qu'on  avait  manqué  à  ses  ordres.  Mais  s'étant 
bien  informé,  et  sachant  qu'on  avait  choisi  une  femme  pleine  de 
piété,  il  devina  ce  que  la  dame  voulait  dire  par  ses  plaintes,  et  lui 
répondit  qu'il  y  mettrait  ordre. — Il  commanda  donc  qu'on  en 
prît  une  d'un  esprit  aigre,  d'une  humeur  difficile  et  intraitable  ;  et 
celle-ci,  dit  Cassien,  fut  plus  facile  à  trouver  que  l'autre.  En  effet, 
on  choisit  une  femme  chagrine,  colère,  acariâtre,  querelleuse,  qu'il 
était  impossible  de  contenter  ;  et  on  la  mit  entre  les  mains  de  la 
pieuse  dame,  qui  la  conduisit  chez  elle  aussitôt,  et  s'attacha  à  la 
servir  avec  encore  plus  d'humilité  et  de  soin  que  l'autre.  —  Le 
caractère  de  la  nouvelle  veuve,  objet  de  cette  charité,  se  manifesta 
bientôt.  La  bonne  dame  n'en  recevait  que  de  l'ingratitude,  des 
plaintes,  et  même  de  mauvais  traitements.  Cette  méchante  pau- 
vresse la  contrariait  continuellement  en  tout,  et  portait  même 
quelquefois  la  colère  jnsqu'à  mettre  les  mains  sur  elle,  —  La  sainte 


DEVOIB  POUR  GHAC1  N    DE  NOUS  D'AIMER  NOTRE  PROCHAIN.    2o5 

dame  trouva  presque  au-delà  de  ce  qu'elle  avait  demandé  ;  et 
retournant  auprès  de  saint  Uhanase,  elle  le  remercia  de  lui  avoir 
donné  une  femme  qui  lui  fournissait  tous  les  jours  tant  d'occa- 
sions de  mérite.  Dans  bien  des  moments,  elle  sentait  tout  le  poids 
du  fardeau  :  cependant  elle  continua  toujours  ses  offices  de  cha- 
rité. Et,  après  avoir  persévéré  dans  cet  exercice  de  patience  et  de 
mortification,  elle  mourut  saintement,  et  alla  recevoir  du  Dieu  de 
la  charité  la  plus  magnifique  récompense. 

3.  —  In  solitaire,  Euloge  d'Alexandrie,  dont  il  est  parlé  dans 
la  vie  de  saint  Antoine,  trouva  sur  son  chemin  un  pauvre  estro- 
pié, abandonné  de  tous,  et  près  d'expirer  de  misère.  Touché  de 
compassion,  il  le  prit  dans  ses  jbras  et  le  porta  dans  sa  cellule,  où, 
à  force  de  soins  charitables,  il  le  ranima  et  lui  rendit  une  certaine 
vigueur.  Le  malheureux  ne  sut  comment  témoigner  sa  reconnais- 
sance à  son  bienfaiteur,  «  Si  vous  voulez,  lui  dit  l'anachorète, 
vous  pouvez  demeurer  ici  avec  moi:  nous  servirons  Dieu  ensem- 
ble. ))  Le  pauvre  homme  accepta  cette  offre  avec  joie,  et  le  soli- 
taire redoubla  son  travail  pour  fournir  à  son  entretien.  — Après 
quelque  temps,  au  lieu  de  respect  et  de  reconnaissance,  le  pauvre 
commença  à  murmurer  contre  son  bienfaiteur  :  il  se  plaignit  d'être 
mal  nourri.  Le  bon  solitaire  lui  promit  avec  amour  de  lui  procu- 
rer quelque  chose  de  meilleur,  et  obtint  en  effet,  d'un  honnête 
bourgeois  du  voisinage,  des  aliments  moins  grossiers  :  Venez  tous 
les  jours,  lui  dit  cet  homme,  je  vous  donnerai  de  quoi  nourrir  votre 
pauvre.  »  Celui-ci  se  montra  content  d'abord  ;  mais  bientôt  il 
recommença  ses  plaintes:  «Tu  prends  pour  toi  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur,  disait-il  au  serviteur  de  Dieu,  et  tu  ne  me  donnes  que  tes 
restes.  —  Mon  frère,  lui  répondit  ce  dernier,  je  vous  donne  tout 
ce  que  je  puis  obtenir,  et  je  suis  triste  de  ne  pouvoir  vous  traiter 
mieux.  En  attendant  que  je  puisse  mieux  vous  satisfaire,  veuillez 
prendre  patience  pour  l'amour  de  Jésus-Christ.  »  A  ces  douces 
paroles,  le  malheureux  répliquait  par  des  injures,  traitant  le  saint 
homme  de  menteur  et  d'hypocrite.  Son  aversion  pour  lui  devint 
de  la  haine,  et  un  jour,  transporté  de  colère,  il  lui  asséna  un  coup 
qui  le  fit  tomber.  «  Ah  !  mon  frère,  dit  alors  le  charitable  solitaire, 
je  te  pardonne  !  —  Tu  me  pardonnes  du  bout  des  lèvres.  —  C'est 
de  tout  mon  cœur,  mon  cher  ami,  comme  Jésus-Christ  nous  l'ap- 
prend. »  En  disantees  mots,  il  voulut  l'embrasser.  Mais  cethomme 
dénaturé  le  saisit  par  la  gorge,  lui  déchira  le  visage  avec  ses  ongles 
et  voulut  l'étrangler.  Et,  quand  la  victime  fut  parvenue  à  se  dé- 
barrasser de  ses  étreintes  :  «  Va,  lui  cria-t-il,  tu  ne  mourras  que 
de  mes  mains.  »  —  Ce  charitable  solitaire  eut  patience  pendant 


2f)G        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.  INSTRUCTION. 

trois  ou  quatre  années.  On  ne  peut  dire  les  indignités  qu'il  eut  à 
souffrir  pendant  ce  temps.  Son  protégé  le  pressait  de  le  reporter  là 
où  il  l'avait  trouvé,  parce  que,  disait-il,  il  aimait  mieux  mourir  de 
faim  que  de  vivre  avec  lui.  —  Le  serviteur  de  Dieu  ne  savait  à  quoi 
se  déterminer  :  l'abandonner,  c'était  l'exposer  à  périr  de  misère  ; 
le  garder  plus  longtemps,  c'était  s'exposer  lui-même  à  perdre  la 
patience  avec  lui.  Dans  sa  perplexité,  ri  alla  consulter  saint  An- 
toine. Le  saint  lui  parla  en  homme  inspiré  :  «  Mon  fils,  lui  dit-il, 
gardez-vous  d'abandonner  ce  pauvre.  La  pensée  de  le  quitter  est 
une  tentation  du  démon,  qui  veut  vous  ôter  votre  couronne.  — 
Mais  il  m'est  bien  pénible  de  le  supporter,  je  n'en  reçois  que  du 
mal.  —  Eh!  ne  savez-vous  pas  que  c'est  envers  ceux  qui  nous  font 
plus  de  mal,  que  nous  devons  exercer  la  charité  la  plus  géné- 
reuse ?  N'est-ce  pas  là  l'exemple  que  Jésus-Christ  nous  adonné? 
—  Mais  je  crains  de  perdre  la  patience.  —  La  charité  triomphe  de 
tout,  et  Jésus-Christ  sera  votre  force.  Persévérez  avec  courage  et 
confiance,  regardez  ce  pauvre  comme  l'instrument  dont  Dieu  se 
sert  pour  préparer  votre  couronne.  »  —  Encouragé  par  ces  saintes 
paroles,  Euloge  continua  à  servir  son  pauvre  avec  une  invincible 
charité.  Grâce  à  sa  patience  et  à  ses  prières,  le  malheureux*  se  con- 
vertit enfin  et  vécut  le  reste  de  ses  jours  dans  la  pratique  des 
vertus  chrétiennes.        » 

La  charité  pardonne  tout. 

Un  prêtre  breton,  poursuivi  par  un  Bleu,  soldat  de  la  première 
république  française,  arriva  au  bord  d'une  rivière,  et  la  passa  sur 
un  barrage  en  pierres  mobiles  qu'il  connaissait  bien.  11  gagna  la 
colline  voisine,  tandis  que  le  Bleu,  moins  habile,  tâtonnait  sur  le 
barrage.  Le  bon  prêtre  se  trouvait  en  sûreté  ;  mais  n'entendant 
plus  son  ennemi  crier  derrière  lui,  il  tourna  la  tête  et  le  vit  en 
train  de  se  noyer.  Sans  hésiter,  il  revint  sur  ses  pas,  se  jeta  dans 
l'eau,  et  tira  le  républicain  sur  le  bord,  plus  mort  que  vif.  L'ayant 
fait  asseoir  sur  une  pierre,  il  lui  dit  en  souriant  :  «  Ah  ça  !  mon 
ami,  je  crois  que  je  suis  pressé,  je  vous  quitte.  Si  vous  voulez  cou- 
rir encore,  je  ne  m'y  oppose  pas  ;  mais  la  justice  exige  que  vous 
me  laissiez  reprendre  le  terrain  que  j'avais  gagné  sur  vous.  » 

La  charité  veut  toujours  se  dévouer  davantage. 

Écoutez  une  douce  histoire  digne  d'être  racontée  par  toute  la 
terre.  Des  religieuses  de  Saint-Vincent  de  Paul  tiennent  ici  (nous 
supprimons  le  nom  de  la  ville)  l'hospice  du  département.  Notre 
préfet,  honnête  homme  mais  chrétien  médiocre,  visite  souvent  cet 


DEVOIR    P01  R  CHAG1  N  DE  NOI  s  D  UMKH  NOTRE  PROCHAIN.    'M)-] 

hospice,  questionne  les  malades  et  s'acquitte  à  merveille  de  celle 
bonne  oeuvre.  I  n  jour  qu'il  se  trouvail  dans  le  parloir  avec  la  supé- 
rieure, voici  que  frappe  el  entre  une  jeune  religieuse,  tenant  une 
lettre  qu'elle  venait  soumettre  au  visa  de  la  Révérende  Mère.  Mais 
en  voyanl  le  préfel  elle  se  retire.  «  Entrez,  ma  sœur,  dit  celui-ci  ; 
quel  est  votre  nom  ?  —  Sœur  Marie,  répond  la  bonne  religieuse. 
—  Et  à  quel  département  êtes-vous  ')  —  A  la  salle  des  teigneux.  » 
A  res  mots,  le  préfet  est  pris  de  compassion  :  «  Ah  !  ma  pauvre 
sœur,  vous  prenez  au  moins  des  précautions  pour  soigner  ces  lêtes 
dégoûtantes  ?  Vous  avez  des  gants  ?...  —  Mais  non,  Monsieur  le 
Préfet,  je  me  sers  de  mes  mains  comme  vous  les  voyez  là,  et  quand 
le  pansage  est  achevé,  je  me  lave  dans  l'eau  fraîche. —  Mais,  sœur 
Marie,  vous  allez  avoir  la  teigne  !...  »  Puis,  revenant  de  sa  com- 
passion, le  préfet  ajoute  :  «  Ma  sœur,  êtes-vous  heureuse  ?  Dites 
un  mot,  demandez  ce  que  vous  voulez,  et  je  vous  l'accorderai.  — 
Eh  bien,  non,  Monsieur  le  Préfet,  je  ne  suis  pas  heureuse,  et  vous 
pouvez  faire  quelque  chose  pour  moi.  Dans  la  salle  qui  m'est 
réservée,  je  n'ai  que  vingt-cinq  teigneux,  et  je  me  sens  assez  forte 
pour  en  soigner  cinquante.  Vous  pouvez  adresser  une  circulaire 
aux  maires  des  villages,  et  ils  m'enverraient  des  teigneux.  »  Le 
préfet  se  leva,  stupéfait  :  «  Vous  l'aurez,  ma  sœur,  vous  l'aurez 
cette  circulaire.  »  En  s'en  allant,  il  disait  :  «  J'ai  offert  à  une  reli- 
gieuse de  lui  donner  ce  qu'elle  aurait  voulu,  et  elle  m'a  demandé 
des  teigneux  !  »  Et  la  bonne  sœur  Marie  ne  manqua  pas  de  remer- 
cier saint  Joseph  en  l'honneur  duquel  elle  avait  fait  une  fervente 
neuvaine  pour  obtenir  la  faveur  qui  venait  de  lui  être  accordée  ! 
(Correspondance  de  Rome). 

La  charité  sacrifie  ses  biens  et  sa  vie. 

i.  —  Le  trait  de  saint  Martin  donnant  la  moitié  de  son  manteau 
à  un  pauvre  est  bien  connu.  Voici  un  autre  trait  de  charité  non 
moins  admirable,  accompli  par  un  paysan  de  Fionie.  Le  feu  avait 
pris  au  village  qu'il  habitait  ;  il  courut  porter  du  secours  aux  lieux 
où  il  était  nécessaire.  Tous  ses  soins  furent  vains,  l'incendie  fit  des 
progrès  rapides,  et  l'on  vint  l'avertir  qu'il  avait  gagné  sa  maison. 
Il  demanda  si  celle  de  son  voisin  était  endommagée;  on  lui  répon- 
dit qu'elle  brûlait,  mais  qu'il  n'avait  pas  un  moment  à  perdre  s'il 
voulait  conserver  ses  meubles.  «  J'ai  des  choses  plus  précieuses  à 
sauver,  répliqua-t-il  sur-le-champ  ;  mon  malheureux  voisin  est 
malade  et  hors  d'état  de  s'aider  lui-même  ;  sa  perte  est  inévitable 
s'il  n'est  pas  secouru,  et  je  suis  sûr  qu'il  compte  sur  moi.  »  Aussi- 
tôt il  vole  à  la  maison  de  cet  infortuné,  et,  sans  songer  à  la  sienne 


20,8        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XI.  INSTRUCTION. 

qui  faisait  toute  sa  fortune,  il  se  précipite  à  travers  les  flammes  qui 
gagnaient  déjà  le  lit  du  malade.  11  voit  une  poutre  embrasée  près 
de  s'écrouler  sur  lui  ;/  il  tente  d'aller  jusque-là  ;  il  espère  que  sa 
promptitude  lui  fera  éviter  ce  danger,  qui  sans  doute  eût  arrêté 
tout  autre  ;  il  s'élance  auprès  de  son  voisin,  le  charge  sur  ses 
épaules  et  le  conduit  heureusement  en  lieu  de  sûreté.  —  La  Cham- 
bre économique  de  Copenhague,  touchée  de  cet  acte  d'humanité 
peu  commun,  envoya  à  ce  paysan  un  gobelet  d'argent  rempli 
d'écus  d'or.  La  pomme  du  couvercle  était  surmontée  d'une  cou- 
ronne civique,  aux  cotés  de  laquelle  pendaient  deux  médailles,  sur 
lesquelles  cette  action  était  gravée  en  peu  de  mots  (Fleurs  de 
morale). 

2.  —  Saint  Grégoire  raconte,  dans  ses  Dialogues,  que  saint  Pau- 
lin, évoque  de  Noie,  après  avoir  employé  tout  ce  qu'il  possédait  à 
payer  la  rançon  de  plusieurs  prisonniers,  se  vendit  lui-même  aux 
Vandales,  pour  racheter  le  fils  d'une  pauvre  veuve.  Il  travailla 
comme  esclave  dans  un  jardin,  jusqu'à  ce  que  son  maître,  ayant 
découvert  son  mérite  et  voyant  qu'il  était  favorisé  du  don  de  pro- 
phétie, le  mit  en  liberté  et  le  renvoya. 

3.  —  Saint  Raymond  Nonnat,  religieux  de  la  Merci,  ayant  été 
envoyé  par  ses  supérieurs  en  Barbarie,  pour  racheter  des  captifs, 
obtint  des  Algériens  la  liberté  d'un  grand  nombre.  Lorsque  ses 
fonds  furent  épuisés,  il  se  donna  lui-même  en  otage,  pour  la  ran- 
çon de  ceux  des  chrétiens  dont  la  situation  était  la  plus  rude  et 
dont  la  foi  courait  le  plus  de  risques.  Les  mahométans  le  traitèrent 
avec  tant  d'inhumanité  qu'il  serait  mort  entre  leurs  mains,  si  la 
somme  stipulée  n'eût  engagé  le  cadi,  ou  magistrat  de  la  ville,  à 
donner  des  ordres  pour  qu'on  l'épargnât. 

l\.  —  Saint  Sérapion  le  Sindonite,  après  avoir  donné  tout  aux 
pauvres,  jusqu'à  ses  habits,  se  vendit  lui-même,  et  à  diverses 
reprises,  trafiquant  ainsi  en  quelque  sorte  de  sa  personne,  afin  de 
procurer  au  prochain  des  secours  spirituels  ou  temporels.  La  lec- 
ture de  sa  vie  fit  sur  saint  Jean  l'Aumônier  une  si  vive  impression 
qu'il  fit  appeler  son  intendant  et  lui  dit  :  «  Ah  !  que  nous  aurions 
bien  mauvaise  grâce  de  nous  glorifier  de  ce  que  nous  distribuons 
nos  biens  aux  pauvres  !  Voilà  un  homme  qui  trouve  le  moyen  de 
se  donner  lui-même  à  eux,  et  cela  plusieurs  fois.  » 

5.  —  On  lit  également  dans  la  vie  de  saint  Vincent  de  Paul, 
qu'ayant  vu  un  jour  un  malheureux  forçat  inconsolable  d'avoir 
laissé  sa  femme  et  ses  enfants  dans  la  plus  extrême  misère,  le  saint 
offrit  de  se  mettre  à  sa  place,  ce  qui  fut  accepté,   En  conséquence, 


DEVOIR  POl  R  CHAC1  N  DK  NOI  s    i>  UMER  son  PROCHAIN.        '()<) 


ce  vénérable  prêtre  fui  enfermé  dans  la  chiourme  des  galériens,  et 
ses  pieds  restèrent  enflés,  pendant  le  reste  de  sa  vie,  du  poids  des 
fers  honorables  qu'il  avait  portés. 

(i.  __  Le  26  juin  1899,  le  colonel  Quévillon,  commandant  le  i446 
régiment  d'infanterie,  en  garnison  à  Bordeaux,  perlait  à  l'ordre  du 
régiment  le  l'ait  suivant  : 

«  Hier  dimanche.  a5  juin,  à  7I1.  1/2  du  soir,  se  produisait,  dans 
le  débil  de  tabac  de  la  rue  du  Mirail,  n°  6,  une  violente  explosion 
suivie  de  tourbillons  de  flammes  et  de  fumée. 

«  Le  soldat  Saint-Léger  Henri-Edmond,  numéro  matricule  8^56 
(dispensé  élève  ecclésiastique),  de  la  5e  compagnie,  se  trouvant  en 
famille  dans  le  voisinage,  sort  aussitôt,  aperçoit  le  magasin  en 
flammes.  s'\  précipite  au  secours  des  personnes  en  péril.  Malgré 
le  feu  et  la  fumée,  il  parvient  auprès  de  la  locataire  du  rez-de- 
chaussée  et  aide  à  la  sauver. 

«  Entendant  des  gémissements  au  premier  étage,  déjà  embrasé, 
il  y  monte,  y  trouve  une  femme  évanouie,  deux  personnes  prêtes  à 
se  jeter  par  la  fenêtre  et  les  conduit  hors  du  danger. 

«  N'écoutant  que  son  dévouement,  il  revient  pour  explorer  les 
étages  supérieurs,  gagne  au  moyen  d'une  échelle  une  toiture  voi- 
sine, s'accroche  à  une  fenêtre  de  la  maison  incendiée,  s'y  élève  à  la 
force  des  poignets,  brise  un  carreau,  pénètre  dans  l'intérieur, 
empêche  une  nouvelle  explosion  en  arrêtant  une  fuite  de  gaz  et, 
fermant  le  compteur,  explore  toutes  les  chambres  de  tous  les  éta- 
ges jusqu'au  toit  où  s'étaient  réfugiées  quelques  personnes  affolées 
qui,  encouragées  par  son  intrépidité  et  son  sang-froid,  se  laissent 
conduire  et  guider  en  lieu  sûr. 

u  Le  colonel  est  heureux  et  fier  de  citer  à  l'ordre  du  régiment  le 
soldat  Saint-Léger  et  de  le  proposer  en  exemple  à  tous  ses  cama- 
rades. Méprisant  le  danger,  sans  aucun  souci  des  explosions  qui 
pouvaient  se  renouveler,  de  la  flamme  et  de  la  fumée  qui  l'as- 
phyxiaient, il  n'a  songé  qu'à  se  dévouer  pour  son  prochain,  au 
péril  de  sa  vie. 

«  l  n  cœur  si  haut  placé,  pour  qui  le  dévouement  est  déjà  une 
vocation  et  qui  pousse  l'accomplissement  du  devoir  jusqu'à  la 
sublimité  du  sacrifice,  trouve  sa  vraie  récompense  dans  le  témoi- 
gnage de  sa  conscience  et  l'estime  de  ses  semblables. 

«  Cet  acte  d'intrépidité,  si  spontanément  et  si  simplement 
accompli,  honore  hautement  non  seulement  celui  qui  en  est  l'au- 
teur, mais  le  régiment  qui  est  sa  famille  militaire  et  l'uniforme 


SOO        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XI.   INSTRUCTION. 

dont  sont  solidaires  tous  ceux  qui  le  portent.  Le  meilleur  moyen 
de  l'honorer,  c'est  de  l'imiter. 

«  Le  soldat  Saint-Léger  est  nommé  soldat  de  première  classe,  et 
proposé  pour  l'obtention  d'une  médaille  d'honneur.   » 

Certes,  ces  éloges  sont  mérités  ;  et  cependant,  en  se  dévouant  à 
son  prochain,  le  séminariste-soldat  n'a  fait  qu'accomplir  le  pré- 
cepte de  la  charité  qui  nous  est  imposé  à  tous. 


DOUZIEME    INSTRUCTION 

(Dimanche  de  la  Quatrième  Semaine) 

C/est  un  devoir  pour   tout  chrétien 
d'éviter  toute   impureté. 

I.  Pour   quelles   raisons  ou  doit   éviter  l'impureté.  —    II.   Par   quels 
moyens  on  peut  sûrement  y  parvenir. 

De  même  que  tous  nos  devoirs  envers  notre  prochain  se 
réduisent  à  celui  de  l'aimer,  car  si  nous  aimons  notre  pro- 
chain, nous  nous  abstiendrons  à  son  égard  de  toute  injus- 
tice, de  tout  outrage,  de  toute  médisance,  de  toute  calom- 
nie, en  un  mot  de  tout  ce  qui  peut  lui  causer  quelque  tort, 
et  nous  lui  procurerons  selon  notre  pouvoir  tout  ce  qui  lui 
est  utile,  soit  en  l'assistant,  soit  en  lui  faisant  l'aumône, 
soit  en  lui  donnant  de  bons  conseils  et  de  bons  exemples, 
soit  en  priant  pour  lui;  de  même,  peut-on  dire  que  tous 
nos  devoirs  envers  nous-mêmes  se  concentrent  dans  celui 
d'éviter  toute  impureté,  car  si  nous  évitons  ce  vice,  nous 
éviterons  aussi  par  là  même  tous  les  autres,  puisqu'on  ne 
peut  pas  éviter  l'impureté  sans  éviter  en  même  temps  l'or- 
gueil, la  présomption,  la  vanité,  l'ostentation,  l'intempérance 
et  la  paresse.  Voilà  pourquoi,  après  nous  être  entretenus, 
dans  notre  dernière  réunion,  de  notre  devoir  d'aimer  notre 
prochain,  comme  renfermant  virtuellement  tous  nos  autres 
devoirs  à  son  égard  ;  nous  allons  parler  aujourd'hui  de 
notre  devoir  d'éviter  toute  impureté,  comme  renfermant 
aussi  virtuellement  tous  nos  autres  devoirs  envers  nous- 
mêmes.  C'est  d'ailleurs  ainsi  que  Dieu  semble  avoir  voulu 
qous  le  faire  entendre,  puisque  le  seul  devoir  envers  nous- 
mêmes  qu'il  nous  marque  dans  son  décalogue,  c'est  celui 
d'éviter  toute  impureté,  soit  en  actions,  soit  en  désirs  et  en 
pensées  (i). 

i.  Non  mœchaberis...  nec  desiderabis  uxorem  (nroximi).  (Exod.  xx. 


302        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XII.   INSTRUCTION. 

Il  est  vrai  que  l'apôtre  saint  Paul  voudrait  que  ce  vice  ne 
fût  même  pas  nommé  parmi  les  chrétiens,  parce  que  rien 
n'est  plus  opposé  à  la  sainteté  à  laquelle  ils  sont  appelés  et 
qu'ils  doivent  pratiquer  (i),  et  que  le  seul  souffle  des  paro- 
les peut  la  ternir  ou  même  la  compromettre.  Mais  tout  en 
exprimant  ce  vœu,  le  vigilant  Apôtre  ne  laisse  pas  d'élever 
hautement  la  voix  contre  un  tel  vice  et  contre  tous  ceux  qui 
s'y  laissent  aller,  comme  nous  aurons  plusieurs  fois  occasion 
de  le  faire  voir  dans  la  suite,  en  citant  ses  propres  paroles. 

il\,  17).  —  Toutes  les  définitions  que  les  docteurs  nous  donnent  de  ces 
vices  et  de  cette  passion,  vont  à  nous  en  donner  la  même  idée,  et  ne  sont 
différentes  que  dans  les  termes.  C'est,  disent  quelques-uns,  un  désir 
déréglé  des  voluptés  charnelles  :  Libidinosœ  voluplatis  appetilns.  Ce  qui 
semble  être  fondé  sur  les  paroles  de  l'Apôtre,  qui  en  rapporte  les  princi- 
pales espèces,  et  qui  les  appelle  toutes  les  œuvres  de  la  chair  :  Manifesta 
sunù  opéra  carnis.  Ainsi  le  vice  et  la  passion',  qui  nous  y  portent,  ne  peu- 
vent être  mieux  exprimés,  que  parle  désir  d'un  plaisir  déréglé  et  défen- 
du par  la  loi  de  Dieu,  hors  de  l'état  du  mariage.  —  Il  n'est  pas  néces- 
saire d'en  marquer  ici  les  différentes  espèces  ;  il  sufiit  de  savoir  que  ce 
péché,  en  quelque  espèce  que  ce  soit,  se  commet  en  trois  manières  : 
i°  Par  la  pensée  que  l'on  entretient,  et  à  laquelle  on  s'arrête  volontaire- 
ment ;  car  si  on  la  repousse  aussitôt  que  la  raison  y  fait  réflexion,  bien 
loin  d'être  un  péché,  c'est  un  acte  de  vertu,  qui  mérite  sa  récompense 
devant  Dieu,  pourvu  qu'on  n'y  ait  point  donné  occasion  ;  que  si  l'on  s'y 
arrête  de  propos  délibéré,  et  avec  réflexion,  c'est  ce  qu'on  appelle  pensée 
morose  dans  un  objet  déshonnête,  et  qui  est  péché  mortel,  parce  qu'elle 
enveloppe  un  consentement  tacite.  20  Le  désir  est  un  péché  de  même 
nature  que  l'action  que  l'on  voudrait  commettre,  et  quoi  qu'il  ne  soit 
pas  si  grief  que  l'action,  il  est  pourtant  criminel  et  défendu  dans  sa  pro- 
pre différence,  par  ces  paroles  de  la  loi  divine  :  Non  concupisces.  3°  A 
plus  forte  raison  l'action,  par  laquelle  le  péché  est  consommé,  est-elle 
contre  le  précepte  et  la  loi  de  Dieu.  Ce  qui  a  fait  dire  à  saint  Paul,  que 
ceux  qui  en  seront  coupables,  et  qui  ne  l'auront  pas  expié  par  la  péni- 
tence, ne  posséderont  jamais  le  royaume  des  deux,  dont  nul  n'est  exclu 
que  par  un  péché  mortel.  —  C'est  une  règle  assez  constante  et  assez 
générale  pour  servir  de  règle  à  notre  conduite,  que  comme  en  matière 
d'impureté,  rien  n'est  péché,  s'il  n'est  volontaire  en  quelque  manière,  ou 
dans  sa  cause,  ou  dans  l'effet  ;  et  s'il  n'est  commis  avec  une  suffisante 
advertance  de  la  raison.  Tout  au  contraire,  tout  est  péché  mortel,  dès 
lors  qu'il  se  fait  de  propos  délibéré,  et  avec  une  suffisante  réflexion  ; 
c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  point  de  péché  véniel  par  rapport  à  la  légèreté  de 
la  matière  ;  mais  que  la  seule  inadvertance,  ou  le  défaut  d'un  plein  con- 
sentement l'excuse  de  péché  mortel.  Ce  qui  fait  qu'on  ne  peut  assez  user 
de  précaution  et  de  vigilance  contre  le  penchant  naturel  que  nous  avons 
à  ce  péché  (Houdry,  Blbllotk.  des  Prédic.  art.  Impureté,  %  5). 

1.  Fornicatio,  et  omnis  immunditia...  nec  nominctur  in  vobis,  sicut 
decet  sanctis  (Epiies.  v,  3). 


DEVOIR   POUR    lot  T  CHRETIEN  1)  EVITER  TOUTE  IMPURETE.    C$00 

Si  délicate  que  soil  cette  matière,  le  prédicateur  de  l'Evan- 
gile est  donc  tenu,  lui  aussi,  de  rappeler  aux  chrétiens  leur 
devoir  d'éviter  toute  Impureté.  Il  y  est  tenu  d'autant  plus  en 
ce  temps  que  les  mœurs  sonl  plus  relâchées  (i).  Personne 
en  effet  ne  peul  nier  que  L'affaiblissement  général  de  la  foi, 
n'ait  pour  conséquence  l'accroissement  non  moins  général 
de  l'immoralité.  Moins  il  y  a  de  chrétiens  qui  s'élèvent  vers 
1rs  choses  de  l'âme  et  du  ciel,  plus  il  y  en  a  qui  s'abaissent 
vers  les  choses  du  corps  et  des  sens.  La  conséquence  est 
forcée.  Mais  non  seulement  le  plus  grand  nombre  des  chré- 
tiens n'ohservent  pas  le  devoir  d'éviter  toute  impureté  ;  ils 
répètent  et  cherchent  à  se  persuader,  en  outre,  qu'il  n'y  a 
pas  grand  mal  en  cela,  afin  de  pouvoir  violer  ce  devoir  avec 
encore  moins  de  scrupule  (2).  Enfin  ils  prétendent  qu'éviter 


i .  Plût  nu  ciel  qu'il  en  fût  de  ce  vice  comme  des  monstres  qui  sont 
d'autant  plus  rares  qu'ils  sont  pins  difformes  !  Mais  il  en  est  tout  autre- 
ment de  l'impureté.  C'est  un  incendie  répandu  sur  toute  la  surrace  de 
la  terre.  Tous  les  états,  tous  les  rangs  sont  consumés  de  ses  flammes. 
Elles  dévorent  spécialement  les  grands,  mais  elles  n'épargnent  pas  les 
petits. Elles  embrasent  les  cours,  les  villes,  les  campagnes,  les  palais  et  les 
chaumières  ;  et,  nous  l'avouons  avec  une  amère  douleur,  elles  pénètrent 
jusque  dans  les  sanctuaires  et  dans  les  cloîtres.  Pour  satisfaire  son  appé- 
tit brutal,  llmpudicité  emprunte  toutes  les  formes.  Violente  ou  modé- 
rée, brusque  ou  insinuante,  grossière  ou  polie,  discrète  ou  pétulante, 
timide  ou  hardie,  gaie  ou  sérieuse,  modeste  ou  effrontée,  elle  change  de 
manière  en  changeant  de  lieu  ;  elle  varie  selon  les  personnes,  et  tend 
constamment  au  même  but  par  des  moyens  toujours  divers.  L'homme 
agréable  s'insinue  par  des  flatteries  ;  l'homme  riche  corrompt  avec  l'or. 
Cette  passion  est  le  sujet  des  conversations,  le  terme  des  projets,  le  but 
des  intrigues,  l'objet  des  démarches,  le  lien  des  sociétés.  Elle  est  parve- 
nue à  rompre  les  barrières  qui  s'opposaient  à  ses  progrès,  à  affaiblir  les 
principes  qui  la  réprimaient,  à  supprimer  les  devoirs  qui  la  contenaient, 
à  bannir  les  bienséances  qui  la  gênaient  (Le  card.  De  La  Luzerne, 
Considérations  sur  V impureté,  n.  2). 

2.  Je  ne  fais  pas  de  mal.  Si  cela  est,  pourquoi  donc  cherchez-vous  les 
ombres,  les  ténèbres,  la  solitude?  Pourquoi  fuyez-vous  tout  regard 
bu  main  et  vous  mettez-vous  sous  clef?  Pourquoi  craignez-vous  que  \<>s 
intrigues  Deviennent  à  être  connues?  Pourquoi  tremblez-vous  lorsque 
vous  rtes  pris  en  flagrant  délit  ?  Pourquoi  niez-vous  lorsque  vous  êtes 
bon  vaincu  ?  Si  vous  faisiez  les  œuvres  de  la  lumière,  VOUS  n'auriez  pas 
peur  de  la  lumière  :  vous  cherchez  les  ténèbres,  c'est  une  preuve  (pic 
mi»  œuvres  --"ni  ténébreuses  et  de  nature,  d'après  votre  jugement  même, 
a  souiller  la  lumière.  —  «  Je  ne  fais  pas  de  mal.  n  II  \  a  an  plus  pro- 
fond de  l'âme  humaine,  an  pins  intime  de  La  conscience,  un  sentiment 
qui  dit  hautement  le  contraire  et  qui  par  là  même  vous  condamne,  mu 


3o/J       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XII.   INSTRUCTION. 

l'impureté  est  d'ailleurs  au-dessus  des  forces  de  la  nature, 
et  que  par  conséquent  il  leur  est  impossible  d'observer  le 
commandement  qui  en  fait  un  devoir.  En  cet  état,  et  devant 
ces  allégations,  il  est  donc  indispensable,  nous  le  répétons, 
de  proclamer  plus  haut  que  jamais  le  devoir  pour  tout  chré- 
tien d'éviter  toute  impureté,  et  cela,  pour  sauvegarder  autant 
que  possible  les  âmes  encore  ignorantes  du  mal,  pour  for- 
tifier les  chrétiens  qui  veulent  s'acquitter  de  ce  devoir  non 
moins  que  de  tous  les  autres,  et  pour  confondre  ceux  qu1 
sont  assez  lâches  pour  s'y  soustraire,  en  les  forçant  de 
reconnaître  la  fausseté  et  le  néant  de  leurs  prétextes.  Nous 
allons  à  cet  effet  expliquer  :  premièrement,  pour  quelles 
raisons  l'on  doit  éviter  l'impureté  ;  et  secondement,  par 
quels  moyens  on  peut  sûrement  y  parvenir.  —  Seigneur, 
qui  êtes  le  maître  et  le  modèle  de  toute  pureté,  daignez  des- 
cendre dans  nos  cœurs,  et  nous  faire  vous-même  bien  com- 
prendre la  nécessité  et  la  manière  de  vous  obéir  et  de  vous 
imiter,  pour  mener  une  vie  pure  et  en  mériter  la  récom- 
pense. 

I.  —  Pour  quelles  raisons  l'on  doit  éviter  l'impureté. 

sentiment  qui  ne  doit  son  existence  ni  aux  préjugés,  ni  à  l'erreur,  puis- 
qu'on le  retrouve  partout  et  toujours  ;  ce  sentiment,  c-'est  celui  de  la 
pudeur,  sentiment  sacré  qui  fait  rougir  le  front,  qui  jette  le  trouble 
dans  la  conscience  de  tout  homme  qui  se  livre  à  des  actes  impurs.  Et 
remarquez  tout  ce  que  l'impiété  a  l'ait  pour  détruire  ce  sentiment  et 
accréditer  les  plaisirs  des  sens.  Contes  obscènes,  fables  ordurières, 
romans,  feuilletons,  théâtres,  systèmes  qui  avaient  pour  but  de  réha- 
biliter la  chair,  rien  qui  n'ait  été  tenté.  Or,  l'impudicité  n'en  est  pas 
moins  restée  un  vice  sans  honneur,  la  pudeur  n'en  est  pas  moins  restée 
une  vertu.  Vous  avez  beau  vouloir  vous  excuser,  les  saintes  lois  de  la 
nature  vous  condamnent.  Que  vous  le  pensiez  ou  que  vous  ne  le  pen- 
siez pas,  ce  qui  est  honteux  est  honteux.  —  «  Je  ne  fais  pas  de  mal.  » 
N'est-ce  rien  que  de  vous  avilir  en  vous  prosternant  corps  et  came  aux 
pieds  d'une  idole  de  chair  et  de  sang  ?  N'est-ce  rien  que  d'enlever  à  une 
femme  ce  qu'elle  a  de  plus  précieux,  son  honneur,  et  de  la  vouer  pour 
jamais  à  la  honte  et  à  l'ignominie  ?  N'est-ce  rien  que  de  faire  briller  aux 
yeux,  pour  corrompre  et  pour  séduire,  cet  or  que  vous  devriez  employer 
en  soulagement  de  l'infortune  ?  N'est-ce  rien  que  d'oublier  les  serments 
solennels  que  vous  avez  faits  en  présence  de  Dieu,  de  ses  anges  et  du 
peuple  chrétien,  au  jour  sacré  de  vos  noces  ?  N'est-ce  rien  que  de  plon- 
ger dans  le  deuil  des  familles  tout  entières  ?  N'est-ce  rien,  en  un  mot, 
que  d'exercer  le  ministère  de  la  dépravation  ?  (Al>bé  Berseaux,  La  vie 
chrétienne,  ch.  25). 


DEVOIR   POl  R  TOUT   CHRETIEN   D  EVITER  TOUTE  IMPURETÉ.    3o5 


—  Ces  raisons  abondenl  :  car  sous  quelque  l'ace  que  l'on  cori 
sidère  ce  vice,  on  reconnaît  aussitôt  qu'il  est  essentiellement 
malfaisant  cl  haïssable.  Nous  allons  nous  borner  à  constater 
qu'il  csi  loul  à  la  fois,  celui  qui  cause  le  plus  <lc  mal  à  ceux 
qui  s\  abandonnent,  celui  qui  est  le  plus  funeste  aux  socié- 
tés, et  enfin  celui  que  Dieu  a  Le  plus  en  horreur. 

i"  L'impureté  est  de  tous  les  vices  celui  qui  fait  le  plus 
déniai  à  ceux  qui  s*\  abandonnent.  Et  d'abord,  elle  ruine 
les  forces  et  La  santé  de  leur  corps.  C'est  la  science  médicale 
elle  même  qui  le  proclame,  en  démontrant  que  la  vie  et  la 
santé  n'onl  pas  d'ennemi  plus  redoutable  que  l'impureté. 
L'étude  et  l'observation  ont  fait  voir  que  ce  vice  s'attaque 
directement  aux  sources  de  la  vitalité,  qu'il  les  épuise  rapi- 
dement, engendre  d'horribles  maladies,  accélère  la  décrépi- 
tude et  précipite  la  mort.  Écoutons  un  grand  orateur  en 
appelant  à  l'expérience  même  de  ses  auditeurs  :  «  N'avcz- 
vous  pas  rencontré,  leur  dit-il,  de  ces  hommes  qui,  à  la 
fleur  de  l'âge,  à  peine  honorés  des  signes  de  la  virilité,  por- 
tenl  déjà  les  flétrissures  du  temps;  qui,  dégénérés  avant 
davoir  atteint  la  naissance  totale  de  l'être,  le  front  chargé 
de  rides  précoces,  les  yeux  vagues  et  caves,  les  lèvres  im- 
puissantes à  peindre  taboulé,  traînent  sous  un  soleil  tout 
jeune  une  existence  caduque?  Qui  a  fait  ces  cadavres?  Qui 
a  touché  cet  enfant?  Qui  lui  a  ôté  la  fraîcheur  de  ses 
années  ?  Qui  a  mis  sur  sa  face  des  signes  honteux?  N'est-ce 
pas  ce  sens  ennemi  de  la  vie  des  hommes  ?  Victime  de  sa 
dépravation,  le  malheureux  a  vécu  solitaire,  il  n'a  aspiré 
qu'à  des  secousses  égoïstes,  qu'à  ces  effroyables  pulsations 
que  l'homme  et  le  ciel  se  détournent  pour  ne  pas  voir  :  et 
le  voilà  !  il  s'en  va,  pris  du  vice  de  la  mort,  et,  d'un  pied 
méprisé,  porter  son  corps  au  tombeau  où  ses  vices  dormi- 
ront avec  lui  el  déshonoreront  sa  cendre  jusqu'au  dernier 
des  jours  (i).» 

Plus  funeste  encore  à  l'âme  est  L'impureté.  Le  premier 
coup  qu'elje  lui  porte  esl  de  l'aveugler.  Tarit  que  l'âme 
demeure  pure,  elle  voit,  d'un  regard  clairet  assuré,  et  les 
vérités  qu'elle   doit  croire,  et  les  devoirs  dont  elle  doit  s'ac- 

i.  I  i<  ordaire,  Confér.  de  Notre-Dame  de  Paris,  conf.  22. 

SOMME    DU   PRÉDICATEUR.    —  T.    II,  j0 


3o6       LES   GHANDS    DEVOIRS  DU  SALUT.    XII.   INSTRUCTION. 

quitter.  Elle  n'a,  à  cet  égard,  aucun  doute,  aucune  hésita- 
tion, aucune  inquiétude  ni  perplexité.  Elle  est  sure  de  sa 
foi,  et  tranquille  dans  la  pratique  de  la  loi  divine.  Elle  fait 
dès  ce  monde  l'heureuse  expérience  de  cette  parole  du  divin 
Maître  :  Bienheureux  ceux  dont  le  cœur  est  pur,  car  Us  verront 
Dieu  (i).  Mais  l'âme  se  laisse-t-ellc  aller  à  l'impureté  ?  aussi- 
tôt tout  s'ohscurcit  pour  elle,  et  rien  ne  se  présente  plus  à 
ses  regards  que  comme  à  travers  un  brouillard,  qui  va  tou- 
jours en  s'épaississant.  Les  vérités  les  plus  certaines  de  la 
religion  n'ont  plus  pour  elle  la  même  évidence  et  la  même 
certitude,  et  les  maximes  les  plus  rigoureuses  de  l'Evangile 
lui  paraissent  ne  s'adresser  qu'aux  âmes  dévotes.  Ainsi  se 
réalise  cette  parole  de  l'apôtre  saint  Paul,  que  l'homme 
animal,  non  seulement  ne  goûte  plus  et  ne  chérit  plus  les 
choses  de  Dieu,  mais  ne  les  conçoit  même  plus  (2).  C'est 
pourquoi  l'on  voit  ordinairement  les  personnes  qui  se  trou- 
vent en  cet  état,  bientôt  ne  plus  fréquenter  ni  l'église  ni  les 
sacrements.  Ah  !  le  triste  et  lamentable  changement  ! 
Quelles  larmes  ne  doivent  pas  verser  les  anges  gardiens  de 
ces  âmes  coupables  et  infortunées  !  —  En  même  temps  que 
l'impureté  aveugle  l'âme,  elle  la  dégrade  et  l'avilit.  En 
quittant  Dieu  qu'elle  ne  sait  plus  ni  voir  ni  goûter,  vers 
qui  se  tourne  l'âme  ?  vers  les  créatures.  Et  en  cessant  de 
gouverner  ses  passions,  comme  un  roi  gouverne  ses  sujets, 
en  cessant  par  conséquent  d'être  reine,  que  devient  l'âme 
livrée  à  l'impureté  ?  elle  devient  la  vile  esclave  de  ses 
passions  elles-mêmes,  qui  lui  font  commettre  tous  les 
péchés  et  tous  les  crimes,  comme  un  esclave  est  réduit  à 
accomplir  toutes  les  ignominies  qu'exige  de  lui  un  tyran 
sans  entrailles.  0  âme  faite  pour  Dieu,  quelle  chute  de  te 
rabattre  aux  créatures  !  0  âme  créée  à  l'image  de  Dieu, 
quel  avilissement  de  te  modeler  sur  les  animaux  les  plus 
immondes,  puisque  comme  eux  tu  ne  connais  plus  que  la 
loi  de  la  chair.  Tu  es  même  bien  au-dessous  d'eux  ;  car  ils 
ne  font  qu'obéir  à  la  nature  que  Dieu  leur  a  donnée,  tandis 
que  tu  te  prostitues  honteusement  à  l'insatiable  appétit  des 

1.  Mat  th.  v,  8, 

2.  1.  Cor.  11,  tk* 


DfiVûlR    l'Ol  K    KM   f  CHRÉTIEN    D  EVITER  TOUTE  IMPURETE.    OO7 

passions  que  Le  démon  allume  en  toi.  \me  infortunée, 
considère  l'enfant  prodigue  :  après  avoir  quitté  son  pore 
si  bon,  il  est  réduit  à  suivre  des  pourceaux,  dont  il  envie 
même  la  dégoûtante   nourriture:  \<>ilà  ton   image,  quand 

lu  quilles  Dieu  pour  te  livrera  l'impureté,.  Alt  !  n'en  est-ce 
pas  assez  pour  éviter  un  lel  vice  ? —^  Cependant  l'impureté 
fait  plus  encore  que  d'aveugler  et  d'avilir  l'unie,  il  l'en 
durcit  et  la  jette  dans  le  désespoir,  ec  qui  est  un  mal  infini- 
ment plus  grave.  Car  quand  l'âme  n'est  encore  qu'aveuglée, 
il  est  possible  de  l'éclairer  ;  et  quand  elle  u'est  qu'avilie,  on 
peut  la  relever,  tel  l'enfant  prodigue,  qui  du  fond  de  son 
abjection  ne  laissa  pas  de  revenir  à  son  père,  et  telle  Marie 
Magdeleine,  qui  de  si  bas  qu'elle  était  fut  élevée  si  haut  par 
le  Sauveur.  Mais  comment  toucher  une  âme  qui  s'est  raidie 
mille  fois  contre  les  appels  de  la  grâce  et  les  menaces  des 
jugements  de  Dieu,  et  quelle  confiance  de  se  convertir  est- 
il  possible  de  lui  inspirer,  quand  sa  passion  lui  persuade 
qu'elle  ne  pourra  jamais  renoncer  aux  criminelles  douceurs 
qu'elle  lui  procure  ?  (i). 

1.  De  désespoir  Us  se  sont  livrés  à  l'iinpudicité.  Voilà  l'effet  ordinaire  de 
ce  vice  ;  il  détruil  la  grâce  dans  le  cœur  de  l'ho'mmeetle  livre  au  déses- 
poir. Mais,  reprend  saint  Jérôme,  de  quoi  le  voluptueux  désespère-t-il? 
Il  désespère  de  sa  conversion,  de  sa  persévérance,  de  son  pardon,  de  sa 
propre  volonté  ;  il  désespère  de  Dieu,  il  désespère  de  soi-même.  Il  nie 
semble  entendre  le  voluptueux  s'écrier  :  Hélas  !  comment  pourrai-jc 
rompre  ces  chaînes  ?  Comment  pourrai-jc  sortir  de  ce  labyrinthe  où  la 
passion  m'a  engagé  ?  Couinent  me  dégager  de  ces  liens?  N'ai-je  pas  pro- 
testé mille  fois  à  Dieu  de  vouloir  en  finir,  et  mille  fois,  je  lui  ai  manqué 
de  parole,  cl  je  me  suis  trouvé  enfoncé  dans  le  bourbier  pins  avant 
qu'auparavanl  ?  Non,  il  n'est  pas  possible  que  Dieu  me  pardonne  tant 
de  (rimes...  El  une  fois  que  le  libertin  a  perdu  l'espérance,  il  se  met  à 
pécher  sans  retenue  :  DespcranLes  semelipsos  tradiderunt  impudicitiœ. 
C'est  de  là  que  viennent  ces  morts  de  désespérés  qui  font  frémir  d'horreur 
quiconque  a  encore  quelque  sentiment  de  foi  et  de  piété  dans  le  cœur. 
\<niv  ne  scie/  plus  (''Ion nés  maintenant  de  ce  qui  arriva  à  ce  pécheur, 
Lequel  supplié,  à  L'article  de  la  mort,  de  congédier  une  femme  qu'il  cn- 
tretenail  chez  lui,  et  qui  en  ce  moment  suprême  était  encore  à  ses  :ôtés, 
répondit  avec  une  sorte  de  fureur  à  tout  ce  qu'on  put  lui  dire:  Je  ne  puis 
pii^  '.  et  iuouiiii  en  prononçant  ces  paroles  de  désespoir  (Le  B.  Léonard 
de  Port-Maurice,  Œuvres,  serm.  pour  le  merc.  apr.  le  1.  (\\\t\.  de  Car.). 

Pourquoi  voyons-nous  tant  de  libertins  raisonner,  disputer  sur  les 
vérités  de  la  religion,  les  combattre  ?  Parce  que  leur  cœur  est  gâté.  Us 
voudraient  qu'iJ  n'\  eût  point  de  religion,  de  Dieu  vengeur...  Qu'est-ce 
qui  serait  capable   de    ramener  l'impudique  à  son  devoir  ?  La  prière  ? 


3o8       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   XII.  INSTRUCTION. 

Essentiellement  et  profondement  malfaisant  pour  le  corps 
et  pour  l'âme  de  celui  qui  s'y  abandonne,  le  vice  de  l'im- 
pureté empoisonne  tous  les  moments  de  son  existence^  Il 
les  empoisonne  par  la  honte,  car  il  n'y  a  aucun  péché  qui 
fasse  autant  rougir  que  celui-là,  et  qui  donne  autant  de  con- 
fusion, à  cause  de  sa  difformité  naturelle.  Alors  même  que 
personne  ne  connaîtrait  ses  fautes,  l'impudique  a  honte  de 
lui-même.  Et  si  elles  viennent  à  être  connues,  il  fuit  la  vue 
des  hommes  pour  échapper  au  mépris  qu'inspire  sa  turpi- 
tude. La  honte  que  l'impudique  éprouve  de  ses  fautes  est  si 
grande,  que  souvent  il  n'ose  pas  les  déclarer  même  en  con- 
fession pour  en  obtenir  le  pardon,  et  craint  moins  de  pro- 
faner les  sacrements  que  de  faire  un  tel  aveu.  Mais  que  de 
douleurs  et  d'amertumes  plus  déchirantes  encore  dans,  cette 
voie  de  sacrilèges,  dont  l'aboutissement  ordinaire  est  l'im- 
pénitence  finale  et  la  damnation  !  Le  vice  de  l'impureté  em- 
poisonne encore  la  vie  de  l'impudique  par  une  foule  de  sou- 
cis et  d'embarras:  soucis  pour  préparer  et  ménager  les  occa- 
sions de  satisfaire  sa  passion  jamais  assouvie  et  toujours 
renaissante  ;  embarras  pour  dissimuler  les  conséquences 
de  ses  fautes  ou  s'y  soustraire.  Il  l'empoisonne  par  des  ja- 
lousies, des  soupçons,  des  rivalités,  qui  à  leur  tour  engen- 
drent des  colères,  des  vengeances  et  jusqu'à  des  assassinats, 
lesquels  conduisent  à  la  prison,  aux  travaux  forcés,  à  l'écha- 
faud.  Enfin,  et  pour  nous  borner,  le  vice  de  l'impureté  em- 
poisonne la  vie  de  l'impudique  par  les  dépenses  excessives, 
les  dilapidations,  les  gaspillages  que  ce  vice  l'entraîne  à 
faire,  et  qui  sont  ensuite  pour  lui  une  cause  de  gêne,  de 
privations,  de  déchéance,  d'humiliation  et  de  ruine,  ainsi 
qu'il  paraît  clans  l'histoire  de  l'enfant  prodigue,  dont  il  est 
dit  qu'il  dissipa  tout  son  bien  en  vivant  dans  la  luxure  (i),  et 
qu'ensuite  il  tomba  dans  la  plus  profonde  misère. 

mais  il  ne  prie  pas,  ou  il  ne  prie  pas  comme  il  faut. . .  Les  sacrements  ? 
mais  il  s'en  éloigne,  ou  s'il  s'en  approche,  ce  n'est  que  pour  les  profa- 
ner ;  en  effet,  ou  il  ne  déclare  pas  son  péché  au  tribunal  de  la  Pénitence, 
ou  il  n'a  pas  un  ferme  propos  de  se  corriger.  Ses  fréquentes  rechutes  en 
sont  la  preuve...  Ces  rechutes  le  conduisent  à  l'endurcissement,  l'endur- 
cissement à  l'impénitence,  et  l'impénitence  à  la  réprobation  (Billot, 
loc.  cil  ). 

i.  Luc,  xv,  i3.—  Damna  luxuriiu  suntsex:  i°  Hominem  ducitad  maxi* 


DEVOIR  POT  R  Toi  T  CHRÉTIEN  I)  EVITER  TOI  TE   IMI'I  RETE.    ooq 

Voilà  commenl  il  esl  certain  et  véritable  que  l'impureté, 
en    détruisant*   les  forces  ci  La  santé  de  ceux    qiïi    s\  aban 
donnent,  en  ravageanl  leur  Ame.  en  empoisonnant  leur  vie, 
est  de  tous  les  vices  celui  qui  leur  fait  Le  plus  de  mal. 

a0  (.'est  aussi,  avons-nous  ajouté,  celui  qui  est  le  plus  fu- 
neste aux  sociétés.  V  La  société  domestique  d'abord.  Quelle 
esl  la  première  base  de  La  famille?  N'est-ce  pas  l'estime  el 
la  confiance  réciproques  entre  le  mari  et  la  femme  ?  Sans 
celle  estime  el  sans  cette  confiance,  quelle  union  pourrait-il 
>  avoir  entreles  époux?  Gomment  pourraient  ils,  non  seule- 
ment vivre  ensemble  et  se  supporter,  mais  surtout  s'entr'- 
aider  ej  s'entr'aimer  ?  Or,  cette  estime  et  cette  confiance 
pourront  ri  les  subsister  entre  des  époux  dont  l'un  ou  l'autre, 
ou  dont  tous  les  deux  s'abandonneront  au  vice  de  l'impu- 
reté? Cela  est  absolument  impossible,  et  par  conséquent 
impossible  est  l'union  conjugale  dans  ces  conditions.  Aussi 
l'Église,  sans  rompre  le  lien  du  mariage,  autorise-t-elle 
néanmoins  la  séparation  des  époux  en  cas  d'adultère  de 
l'un  deux.  —  Ce  qui  n'est  pas  moins  nécessaire,  à  la  société 
familiale,  que  l'union  des  époux,  c'est  la  procréation  des 
enfants,  puisque  sans  enfants  il  n'y  a  pas  de  famille.  Or  le  vice 
de  l'impureté  est  encore  funeste  à  la  société  domestique 
sous  ce  point  de  vue.  Car  souvent,  en  altérant  les  forces  et 
l;i  santé  des  parents,  il  rend  impossible  la  naissance  des  en- 
fants. Et  quand  sa  néfaste  influence  ne  s'étend  pas  jusqu'à 
ces  excès,  il  a  tout  au   moins  pour  effet  de   ne  donner  aux 

mam  paupertatem,  aufert  gratiamet  gloriam,  etpropriam  substantiam. 
2°  Dejicit  in  pessimam  servitutem,  facit,  quod  vilior  et  turpior  pars, 
([u;r  est  in  homine,  dominetur  ci.  3°  Projicil  hominem  in  maximam  \i- 
litatem,  quia  hominem  qui  similis  est  Dco  et  angelis,  facit  esse  parem 
brutis.  V  Privât  hominem  omni  ratione,  sicut  animalia  bruta  turpiter 
infatuat.  5e  A.criter  mortificat,  occidit  morte  culpas,  infamiae,  gehennae. 
6  Fortiter  illaqueat.  Jacob  Ruben  filio  suo  dixit  :  Ejjusus  es  sicut 
aqua,  non  crescas,  <[nia  ascendisti  cubile  palris  lui  ;  at  vero  quaenam  est 
inter  effusionem  insipidi  hujus  elementi,  et  commissum  a  Ruben  in- 
cestum  proportio  '}  Ihec  nimirum,  quia  sicut  aqua  dum  e  vase  maxime 
vitreo  effunditur,  nihil  in  eo  relinquit  odoris,  saporis,  aut  substantif  ; 
ita  quoque  hoc  carnis  vitium  omnia  bona  ab  homine  toi  lit,  judicium 
videlicet,  rationem,  prudentiam,  spiritum,  famam,  facilitâtes,  sanita- 
tem,  conscientiam,  imo  etiam  persaepe  vitam.  Dicit  enim  Sapiens  :  Qui 
nutrit  scortum,  perdet  substantiam.  VA  Ldeo  Terentius  lascivam  feminam 
fundi  calamitatumappcllat  (S.  Bonav.  in  Diœt.  sal.).  / 


3lO        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XII.   INSTRUCTION. 

familles,  au  lieu  d'enfants  forts  el  vigoureux,  que  des  êtfes 
débiles  el  rachitiques,  ou  voués  à  une  existence  souffreteuse  et 
à  une  mort  prématurée,  ou  incapables  de  perpétuer  dignement 
la  lignée  de  leurs  ancêtres.  Ces  enfants  subissent  d'ailleurs 
encore,  du  vice  de  l'impureté,  un  coup  d'un  autre  genre 
mais  également  destructif  de  la  société  familiale,  en  ce  qu'il 
leur  donne  sujet  de  douter  de  la  légitimité  de  leur  naissance, 
et  par  suite  de  se  soustraire  aux  devoirs  des  enfants  à  l'égard 
de  leurs  parents.  Est-il  donc  possible  de  rien  concevoir  de 
plus  funeste  à  la  société  domestique  que  le  vice  impur,  par 
tous  les  éléments  de  division  et  de  destruction  qu'il  y  in- 
troduit ? 

Il  en  est  de  même  des  sociétés  humaines  elles-mêmes. 
Ces  sociétés  sont  naturellement  formées  des  membres  que 
leur  fournissent  les  familles.  Or,  nous  venons  de  voir  que 
l'impunité  diminue  tout  à  la  fois,  et  le  nombre,  et  la  vi- 
gueur, et  la  moralité  des  enfants  ;  par  là  même  ce  vice 
diminue  donc  aussi,  et  le  nombre,  et  la  vigueur,  et  la  mora- 
lité des  citoyens.  Jamais  en  effet  des  familles  désunies, 
affaiblies,  ruinées,  ne  pourront  faire  des  patries  puissantes 
et  prospères.  La  logique  le  démontre,  l'expérience  le  con- 
firme. Quels  sont  les  pays  dont  la  population  s'accroît  le 
plus  vite,  et  qui  fournissent  les  hommes  les  plus  robustes  ? 
Les  statistiques  l'ont  cent  fois  établi,  ce  sont  les  pays  dans 
lesquels  la  religion  est  le  mieux  pratiquée,  et  où  le  vice 
impur,  par  conséquent,  étant  plus  rare,  fait  moins  de  rava- 
ges (i). 

i.  Ouvrez  l'histoire;  étudiez  les  destinées  des  empires,  et  la  suite  des 
faits  vous  convaincra  qu'avec  la  décadence  des  mœurs,  commence  la 
décrépitude  des  peuples,  que  la  luxure  comme  le  luxe  son  père  les  pré- 
cipite dans  la  mort.  En  tête  de  la  marche  triomphale  des  nations  à  tra- 
vers les  siècles,  apparaissent  d'abord  les  Babyloniens.  Or,  l'empire  de 
Babylone  finit  dans  une  orgie,  en  la  personne  de  Balthazar,  son  dernier 
roi.  Après  les  Babyloniens  viennent  les  Perses, ils  triomphent  tant  qu'ils 
restent  chastes  ;  à  peine  se  laissent-ils  corrompre,  qu'incapables  de  résis- 
ter à  l'ennemi,  ils  tombent  sous  l'épée  d'Alexandre.  Alexandre  se  livre 
à  la  débauche  ;  son  empire  est  bientôt  démembré  ;  lcs%recs  tombent 
sous  le  joug  des  Romains.  Tant  que  les  Romains  ont  des  mœurs  pures, 
la  victoire  reste  fidèle  à  leurs  aigles,  et  de  triomphe  en  triomphe,  ils 
marchent  rapidement  à  la  conquête  du  monde.  Quand  l'antique  sévé- 
rité des  mœurs  disparaît,  les  barbares  accourent,  ils  dépècent  en  mille 
morceaux  le  cadavre  de  l'empire.  Rome,  qui  était  la  capitale  du  monde, 


DEVOIR  POUF  TOUT  CHRÉTIEN  D^VITER  TOUTE  MPURETE\    3ll 


Ainsi  l'impureté,  qui  est  de  lous  Les  vices  celui  qui  fait  Le 
plus  de  mal  à  ceux  qui  s'y  abandonnent,  est  aussi  Le  plus 
Funeste,  soit  à  la  société  domestique,  soit  aux  sociétés  hu- 
maines. 

3o  Ce  vice  esl  enfin,  nous  l'avons  encore  dit,  celui  que 
Dieu  a  le  plus  m  horreur,  il  l'a  eu  horreur  comme  créateur, 
parce  qu'ayant  donné  à  l'homme  un  esprit  pour  gouverner 
son  corps,  le  vice  impur  renverse  son  ouvrage,  en  faisant 
de  Tàme  L'esclave  du  corps.  Dieu  a  encore  le  vice  impur  le 
plus  en  horreur,  comme  rédempteur,  parce  que  nos  corps 
étant  devenus  les  membres  du  Christ,  qui  est  Dieu,  l'impu- 
reté s'en  sert  pour  en  faire  des  membres  de  prostituée  (1). 
Enfin  Dieu  a  le  vice  impur  le  plus  en  horreur,  comme  sanc- 
tificateur, parce  que  ce  vice  souille  ceux  dont  Dieu  s'était 
fait  Tin  temple  et  en  qui  il  avait  établi   sa  demeure  (2),  — 

devint  le  tombeau  do  ses  propres  habitants,  et  la  luxure  se  charge  de 
vencrer  l'univers  contre  ses  oppresseurs.  S.  Jérôme,  épître  97.  Depuis 
l'ignoble  Sardanapale jusqu'au  fangeux  Louis  XV,  ce  roi  d'écurie,  tou- 
tes les  époques  de  corruption  ont  été  des  époques  d'abaissement  et  de 
bouleversement.  Luther  et  Henri  VIII  furent  des  monstres  de  lubricité. 
Les  commotions  sociales  qui  («branlèrent  l'Europeà  la  fin  du  dernier  siè- 
cle se  préparèrent  dans  les  boucs  de  la  régence.  De  tout  temps,  comme 
du'temps  de  Paris,  le  mépris  des  mœurs  a  attiré  sur  le  monde  une 
Iliade  de  maux,  selon  l'expression  de  Plutarque,  et  Scipion  disait  avec 
raison  (prune  république  ne  peut  fleurir  si  ses  mœurs  disparaissent, 
quand  bien  même  ses  murs  resteraient  debout.  S.  Aug.  de  Civ.  Dei,  1, 
33  (Berseaux,  loc.  cit.). 

1.  I.  Cor.  vi,  i5. 

2.  T.  Cor.  m,  16  —  Ex  occasione  thematis  :  Fugite  fomicationem.  I. 
Cor.  vi,  18,  ex'plicari  potest  causa  primaria  cur  luxuria  sit  vitanda,  sci- 
licet  quia  est  grandis  et  specialis  injuria  Dei,  tum  in  génère,  tum  in 
specîe  omnium  trium  Personarum.  Et  i°  Respecte  Dei  in  génère,  quia 
pollnit  el  fœdat  turpissime  imaginera  ipsius, ut praeclare  sanctus  Augus- 
Unus  indicavit,  dura  dixil  :  <•  Facis  injuriam  Deo,  dura  teipsum  cor- 
rompis Et  unde,  inquis  ?  Unde  tibi  facit  injuriam.  qui  voluerit  forte 
lapidare  tnain  tabulam  pictam,  in  qua  imago  tua  esl  ?  Quam  vero  ima- 
ginera Dei,  quodes  tu,  corrompis  per  fornicationes  et  per  diffluentias 
libidinis  non  attendis,  cujus  imaginera  violasti,  cui  contumeliam 
fecisti?  S.  Aug.  lib.  1,  de  10.  chord.  —  -y  Respecta  Dei  Patris,  qui 
creavit  corpus  nostrum  erectum,  ni  esset  domus  munda  digna  anima-, 
quam  tamen  nos  per  Luxuriam  fœdamus.et  baram  porcorum  facimus. 
(  t  I  Thess.  iv,  3.  —  3"  Respecta  Filii,  qui  redemit,  et  corpore  suo  sacro- 
sancto  pascit  nos...  —  4°  Respecta  Spiritus  Sancti,  qui  sa_nctifica\it  nos, 


OI2       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XII.  INSTRUCTION. 

Aussi  voyons-nous,  dans  la  sainte  Ecriture,  que  Dieu  a  tou- 
jours châtié  ce  vice  d'une  manière  exceptionnellement  terri- 
ble. Caïn  avait  criminellement  assassiné  son  frère,  et  le 
premier  arrosé  la  terre  de  sang-  humain.  C'était  là  un  forfait 
épouvantable  ;  cependant  Dieu  se  borna  à  imprimer  sur  le 
fr#nt  du  coupable  une  marque  de  sa  faute.  Mais  l'impureté 
ayant  fait  invasion  parmi  les  premiers  hommes,  Dieu  en  fut 
tellement  irrité  qu'il  envoya  sur  la  terre  un  déluge  pour  faire 
périr  tous  ceux  qui  vivaient  alors,  à  l'exception  de  Noë  et  de 
sa  famille,  les  seuls  qui  se  fussent  préservés  de  la  corruption 
générale.  La  terre  s'étant  repeuplée,  et  deux  villes,  Sodome 
et  Gomorrhe,  oubliant  les  châtiments  divins,  s'étant  de  nou- 
veau livrées  à  l'impureté,  Dieu  ne  put  supporter  ce  spectacle 
et  fit  tomber  sur  elles  une  pluie  de  feu  et  de  souffre  qui  les 
dévora  toutes  vivantes  ;  et  aujourd'hui  encore,  la  terre 
même  où  étaient  bâties  ces  villes  maudites  porte  les  traces 
de  l'anathème  divin,  et  comme  au  temps  deTertullien,  «  elle 
exhale  un  goût  d'incendie,  et  les  fruits  qu'elle  produit  se 
réduisent  en'  poussière  sous  la  main  du  voyageur  dès  qu'il 

et  templum  suum  constituit,  quod  per  luxuriam  fœde  polluitur... 
(Loiiner,  Biblioth.  conc.  verb.  Luxuria,  conc.  praedic.  n.  i). 

On  traite  assez  ordinairement  le  péché  d'impureté,  de  péché  pardon- 
nable et  de  fragilité;  mais  outre  qu'il  est  le  plus  funeste  dans  ses  suites, 
et  le  plus  pernicieux  dans  ses  effets,  il  est  encore  très  grief,  considéré  en 
lui-môme  ;  parce  que,  comme  enseignent  les  théologiens,  le  péché  est 
d'autant  plus  énorme,  que  l'injure  qu'il  fait  à  Dieu  est  plus  outrageuse. 
Or  le  péché  de  luxure  est  d'autant  plus  injuste  et  plus  grand,  que  la 
chose  qu'on  préfère  à  Dieu  est  plus  vile,  plus  abjecte  et  plus  méprisable  ; 
puisque  le  péché  n'est  autre  chose,  qu'une  injuste  et  indigne  préférence 
de  la  créature  au  Créateur.  Que  fait  donc  Fimpudique  et  le  voluptueux  ? 
Il  préfère  à  Dieu  le  plaisir  de  son  corps,  qui  n'est  qu'ordure  et  que 
corruption  ;  il  préfère  ce  qu'il  y  a  de  plus  vil  au  monde,  à  ce  qu'il  y  a 
de  plus  grand,  qui  est  Dieu  même  ;  et  le  plaisir  d'un  moment  à  l'éter- 
nité bienheureuse.  —  Depuis  l'Incarnation  du  Fils  de  Dieu,  ce  péché  est 
devenu  plus  énorme,  et  offense  Dieu  d'une  manière  particulière,  parce 
qu'il  contracte  une  nouvelle  difformité.  C'était  un  péché  dans  un  païen  ; 
mais  c'est  maintenant  une  espèce  de  sacrilège  dans  un  chrétien.  Ji  si  s- 
Christ,  en  se  faisant  homme,  devient  notre  chef,  et  nous  devenons  ses 
membres  ;  et  c'est  de  là  que  saint  Paul  conclut  l'énormité  particu- 
lière du  péché  d'impureté,  dans  un  chrétien  :  Tollens  ergo  membra 
Chrisli,  faciam  membra  merelricis  ?  Ne  savez-vous  pas,  dit-il,  que  vos 
membres  sont  les  membres  de  Jésus-Christ?  Àrrachcrai-je  donc  à  Jksus- 
Christ  ses  propres  membres,  pour  en  faire  les  membres  d'une  prosti- 
tuée ?  (Houdry,  loc.  cit.). 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRETIEN  D^VITER  TOUTE  [IMPURETÉ*.    3l3 


veut  1rs  cueillir  (i).  »  Pendant  que  Les  Israélites  traversaient 
le  déseri  pour  se  rendre  dans  la  terre  promise,  vingt  quatre 
mille  d'entre  eux  furenl   mis  à  mort  en  un  seuljtfur,  par 
ordre  de  Dieu,  en  châtimenl  de  leurs  impuretés.  Le  roi  David 
ayant  eu  te  malheur  de  se  laisser  aller,  Lui  aussi,  à  L'impu- 
reté,  vil   aussitôt    fondre  sur  sa  tête,  bien  qu'il   fût  cher  à 
Dieu,  les  plus  épouvantables  châtiments  :  son  fils  leva  contre 
lui   l'étendard   de    La   révolte,  son  royaume  se  divisa,  el  il 
s'ouw-it   pour   son  peuple  une  ère  de  calamités   qui   ne   se 
ferma  plus.—  Dieu  a  démontré   son    horreur  pour  le  vice 
impur    dune    autre    manière  encore.  Quand   il  vint  sur  la 
terre  pour  opérer  la  rédemption  du  monde,  il  se  laissa  bien 
tenter  de  gourmandise,  de  vairie  gloire  et  d'avarice  par  le 
démon,  mais  il  ne  lui  permit  jamais  de  le  tenter  d'impureté. 
IV  même  il  consentit  bien  à  laisser  les   Juifs  porter  contre 
lui   toutes    sortes   d'accusations,  mais  non  pas   d'élever    le 
moindre  soupçon  au  sujet  du  vice  impur.  Enfin, il  n'éprouva 
pas  de  dégoût  à  se  choisir  des  apôtres  plus  ou  moins  impar- 
faits ;  il  admit  même  parmi  eux  Judas,  qui  devait  le  trahir 
par  avarice  ;  mais  d'impudique  il  n'en  voulut  pas,  nous  fai- 
sant comprendre  une  fois  de  plus  par  là,  que  ce  vice  lui  est 
plus  en  abomination  que  tous  les  autres. 

Voilà  donc  pourquoi  nous  devons  éviter  l'impureté  :  c'est 
parce  quelle  est  de  tous  les  vices,  nous  venons  de  le  démon- 
trer, celui  qui  cause  le  plus  de  mal  à  quiconque  s'y  aban- 
donne, celui  qui  est  le  plus  funeste  à  la  famille  et  à  toute 
société,  et  enfin  celui  que  Dieu  à  le  plus  en  horreur.  Que  si 
c'est  un  devoir  pour  nous  d'éviter  toute  faute  et  toute  imper- 
fection, même  celles  dont  les  conséquences  sont  les  moins 
graves,  quelle  obligation  plus  impérieuse  pour  nous  d'éviter 
un  vice  si  exécrable  aux  yeux  de  Dieu  et  source  de  tant  de 
calamités,  sans  même  parler  de  la  perte  du  ciel,  où  il  est 
certain,  déclare  l'apôtre  saint  Paul,  que  les  impudiques 
n'entreront  jamais(2)  !  — Hâtons-nous  donc  d'étudier,  main- 
tenant, 

II .  —  Par  quels  moyens  on  peut  sûrement  parvenir 


i.   Apol.  \o. 

2.  I.  Cor.  vi,  9  ;  xv,  5o, 


3l4       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XII.  INSTRUCTION. 

à  éviter  l'impureté.  —  Quand  nous  disons  que  l'on  peut 
sûrement  parvenir  à  éviter  l'impureté,  nous  n'ignorons  pas 
qu'il  y  a  de  pauvres  chrétiens  qui,  pour  s'excuser  de  leur 
lâcheté,  prétendent  que  cela  est  impossible.  Mais  il  est  trop 
évident  qu'ils  se  trompent.  La  preuve  qu'il  est  possible 
d'éviter  l'impureté,  c'est  que  Dieu  nous  en  fait  un  comman- 
dement formel.  Car  Dieu  connaît  ce  dont  nous  sommes 
capables,  puisque  c'est  lui  qui  nous  a  créés,  et  qui  a  mis  en 
nous  les  forces  qui  s'y  trouvent.  Puis  donc  qu'il  nous  com- 
mande d'éviter  l'impureté,  c'est  donc  qu'il  sait  parfaitement 
que  nous  le  pouvons.  Si  Dieu  commandait  l'impossible,  il 
faudrait  dire  qu'il  est  le  plus  injuste  et  le  plus  abominable 
des  tyrans,  ce  qui  répugne  manifestement.  Il  est  tellement 
vrai  d'ailleurs  qu'il  n'est  pas  impossible  d'observer  le  com- 
mandement d'éviter  l'impureté,  que  de  fait  ce  commande- 
ment a  été  observé,  non  pas  seulement  en  quelques  contrées, 
ou  en  certains  siècles,  ou  par  quelques  âmes  d'élite,  mais 
bien  dans  tous  les  pays  du  monde,  à  toutes  les  époques, 
depuis  sa  promulgation,  et  par  des  personnes  de  tout  âge, 
de  tout  sexe  et  de  toute  condition.  La  judicature  compte  ses 
Moïse  et  ses  Samuel  ;  l'épée  ses  Maurice  et  ses  Martin  ;  la 
cour  ses  Joseph  et  ses  Arsène  ;  le  trône  ses  Louis  et  ses 
Edouard  ;  le  mariage  enfin  ses  Tobie  et  ses  Clotilde  ;  et  le 
veuvage  ses  Monique  et  ses  Radegonde.  Ainsi,  encore  une 
fois,  on  ne  saurait  être  admis  à  prétendre  qu'il  est  impossible 
d'éviter  l'impureté.  Au  contraire,  il  est  absolument  certain, 
disons-nous,  qu'on  peut  l'éviter,  bien  que  parfois,  non  sans 
peine,  si  l'on  en  prend  sincèrement  et  sérieusement  les 
moyens.  Quels  sont-ils  ?  Les  maîtres  de  la  vie  spirituelle 
préconisent  principalement  les  six  suivants,  savoir  :  la  fuite 
des  occasions  dangereuses  ;  la  vigilance  sur  soi-même;  une 
vie  continuellement  occupée  ;  la  pratique  de  la  mortification  ; 
la  pensée  de  la  présence  de  Dieu  et  de  l'ange  gardien  ;  le 
recours  à  Dieu  dans  la  prière,  et  la  fréquentation  des  sacre- 
ments. 

Pour  éviter  l'impureté,  avant  tout  il  faut  donc,  disons- 
nous,  fuir  les  occasions  capables  de  nous  y  porter.  Il  en  est  en 
effet  de  tous  les  vices  en  général,  mais  plus  spécialement  de 
l'impureté  en   particulier,  comme  des  maladies  contagieu- 


DEVOIR  POUR  TOIT  CHRÉTIEN  D'ÉVITER  TOI  TE  [MPI  RETÉ\    3l5 


ses.  Veut-on  éviter  ces  maladies?  le  premier  et  le  plus  sur 
moyen  es!  de  fuir  tout  ce  qui  peul  nous  Les  communi- 
quer, c'est  à  dire,  les  lieux  où  elles  sévissent,  les  personnes 
qui  en  son!  atteintes,  et  même  les  objets  cl  jusqu'à  L'air  qui 
viennent  de  ees  Lieux,  ou  qui  ont  été  en  contact  avec  ces 
personnes.  De  même  pour  l'impureté,  disons-nous  :  il  faut 
fuir  loul  ee  qui  peut  nous  communiquer  sa  contagion,  ou 
développer  en  nous  les  mauvais  germes  qui  s'y  trouvent. 
Par  conséquent,  il  faut  fuir  les  mauvais  lieux  où  règne  en 
permanence  la  peste  de  la  luxure,  tels  que  les  bals,  les  spec- 
tacles, les  salons  mondains,  les  maisons  plus  ou  moins 
mal  famées,  et  d'une  manière  générale  tous  les  endroits  où 
peinent  se  rencontrer  des  gens  peu  religieux  et  peu  mo- 
raux. Tous  ces  lieux,  encore  une  fois,  sont  de  vrais  centres 
de  pestilence,  qu'il  faut  fuir  comme  on  fuit  les  endroits  où 
règne  la  peste  (i).    Il  faut   fuir  aussi,  avec  non  moins  d'ef- 

i.  Los  festins  somptueux,    surtout  s'ils  sont  fréquents,  exagèrent  la 
vitalité  du  corps,  excitent,  par  des  raffinements,  les  appétits  et  les  dérè- 
glent, allument   son  sang  et  jettent  les  sens   dans   de  violentes   tenta- 
tions. Et  c'est  après  ces  repas,  que  s'ouvrent  les  soirées  mondaines  ;  c'est 
quand  l'homme  a  été  échauffé  par  la   table   qu'on  se  livre  à  la  danse  et 
que  des  femmes,  honnêtes  et  chrétiennes,   osent  se  montrer  à  la  clarté 
des  lustres,  et  sous   le   regard   d'une    foule,    dans  un  costume  qu'elles 
rougiraient  de  laisser  voir,  le  matin,  à  leurs  propres  enfants  !  Ou  bien, 
on  se  rend  au  spectacle,    et  qu'y  voit-on?...   Des  drames  sans  morale, 
qui  font  rougir  la  pudeur.  Le  vice   règne  là,  Messieurs,   à  peine   cache  ; 
il  est  sur  la  scène,  il  est  dans  la  salle.  —  Ici  se  rencontre  une  objection 
que  j'aborde  en  terminant  :  «  Nous   vivons  au    milieu    du    monde,    me 
dit-on,  pouvons-nous  ne  pas  nous   conformer  à  ses  usages  ?  Il  ne  per- 
met à  personne  de  les  enfreindre,  et  il  réprouve  quiconque  ose  lui  déso- 
béir. Il  nous  est  impossible  d'éviter  ces  festins,  ces  soirées,  ces   specta- 
cles, et  encore  plus  impossible  d'y  rien  changer,  ce  serait  nous  singula- 
riser... »  Voilà  le  grand  mot  qui  excuse   les  faiblesses   et  les  complici- 
tés :  Mais  que  veut-on  dire?  Qu'est-ce  que   se  singulariser   dans  un  tel 
monde,  sinon  protester  contre  une  coutume    mauvaise,  en  refusant  de 
s'\  conformer  ?  contre  un  désordre,  en  refusant  de  s'y  associer?  contre 
le  mal,  en    s'abstenant   de  le  commettre:»  Devez-vous,    Messieurs,  fuir 
cette  singularité?  Non.  Devez-vous  donc   vous  singulariser  ?  Oui,  Mes- 
sieurs, mille  fois.  Je  vais  plus  loin,  il  est  indispensable  que  les  hommes 
de   cœur    se    singularisent,    afin    d'arrêter   le    courant  fatal    qui  nous 
entraine  à  la  ruine  des  mœurs  ;  car  ce  n'est  pas  en  vous  livrant  a  Inique 
vous  deviendrez   maître  d«   son   cours,  c'est  en   lui    résistant.  Tous  les 
grands  hommes  on!  pratiqué  de  sublimes    singularités;  les  martyrs  se 
soûl  singularisés,  les  saints  se  soûl    singularisés.  Jésus-Christ  est  mort 
ri  nousa  sauvés   après   avoir  combattu  la  tyrannie   des   idées  pharisaï- 


3l6       LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  AU.   INSTRUCTION. 

froi,  comme  des  pestiférés  dangereux,  tous  ceux  qui  fré- 
quentent ces  lieux,  et  qui  en  emportent  avec  eux  comme 
les  miasmes  délétères,  nous  voulons  dire  les  mauvaises  im- 
pressions et  les  mauvaises  maximes,  dont  ils  contaminent 
forcément  ceux  qui  sont  assez  imprudents  pour  les  fréquen- 
ter. Mais  il  ne  faut  pas  moins  fuir  non  plus  les  rendez-vous 
particuliers  et  les  entretiens  secrets  avec  les  personnes  d'un 
autre  sexe,  pour  quelque  raison  que  ce  soit,  car  dans  ce  cas, 
nous  disent  les  maîtres  de  la  vie  spirituelle,  c'est  mettre  le 
feu  en  présence  de  la  paille,  et  préparer  un  inévitable  in- 
cendie (i).  Enfin  il  faut  s'interdire  les  mauvaises  lectures,  et 
ne  point  garder  chez  soi  de  statues  ou  d'images  indécentes, 
car  toutes  ces  choses  sont  comme  de  véritables  mauvaises 
compagnies,  qui  ne  peuvent  que  jeter  en  nous  des  germes 


ques  et  des  mœurs  déchues  (R.  P.  Dubroca,  Inst.  prêchée  à  Paris,  en 
l'église  Saint-Eustachc,  1873). 

Les  danses  et  les  bals  doivent  être  évités  :  i°  à  cause  des  péchés  que 
l'on  commet,  avant  que  d'y  entrer,  non  seulement  en  s'y  disposant  par 
des  parures  peu  modestes  et  peu  chrétiennes,  mais  encore  en  perdant 
la  paix  de  l'âme,  par  les  agitations  et  les  désirs  inquiets  que  l'on  éprouve 
de  s'y  montrer,  d'y  paraître,  de  s'y  faire  remarquer,  etc.  —  20  A  cause 
des  libertés,  familiarités,  regards,  etc.,  que  l'on  s'y  permet.  —  3°  Parce 
que,  après  ces  assemblées,  on  n'est  souvent  occupé  que  de  mauvaises 
pensées,  de  désirs  coupables  ;  on  n'en  rapporte  qu'un  esprit  mondain, 
dissipé  ;  on  en  revient  l'imagination  frappée  par  la  vue  d'objets  sédui- 
sants, et  quelquefois  avec  des  attachements  criminels  (Anonyme). 

Différents  conciles  ont  interdit  les  danses.  Celui  de  Laodicée,  en  364  ; 
celui  de  Constantinople,  en  691  ;  huit  conciles  de  France.  Le  concile 
d'Aix-la-Chapelle  appelle  les  danses  des  actions  infâmes,  indignes  d'un 
chrétien. 

1.  Occasions  du  péché  impur,  ce  sont,  ces  entrevues  même  qui  parais- 
sent innocentes  entre  des  personnes  qui  se  recherchent  en  mariage, 
entrevues  souvent  criminelles,  où  sous  prétexte  de  se  connaître,  on  fran- 
chit les  bornes  de  l'honnêteté  et  de  la  pudeur.  Sans  doute,  on  peut  se 
voir,  mais  rarement,  honnêtement,  en  présence  des  parents.  Quand  on 
fuit  leur  compagnie,  quand  on  se  voit  à  des  heures  indues,  on  ne  se 
quitte  pas  ordinairement  sans  crime.  Mais,  hélas  !  cette  morale  n'est 
pas  du  goût  de  bien  des  gens  ;  et  souvent,  le  dirai-je  ?  les  pères  et  les 
mères  ne  favorisent  que  trop  le  libertinage  de  leurs  enfants.  Sous  pré- 
texte de  leur  faire  trouver  un  établissement,  ils  leur  donnent  la  liberté 
d'aller  où  il  leur  plaît,  la  nuit  comme  le  jour.  Faut-il  s'étonner  s'il  y  a 
tant  de  désordres  dans  la  jeunesse  !  (Billot,  Prônes). 

Même  entre  personnes  pieuses  de  différents  sexes,  les  entrevues  et 
entretiens  solitaires  sont  rigoureusement  interdits  par  les  moralistes, 
hors  le  cas  de  nécessité. 


DEVOIR  POUB  TOUT  CIIKKTIKN  d'eVITER  TOUTE   IMPURETE.    .n  7 


de    corruption    et    de   mort.  Que  la  conduite   de   Joseph, 

fuyant  la  femme  de  Putiphar,  soit  doue  le  modèle  de  la 
nôtre  ;  c'esl  à-dirè,  commençons  par  fuir,  nous  aussi,  tout 
ce  qui  pourrait  nous  entraîner  au  mal,  quelles  que  doi- 
vent être  les  conséquences  temporelles  de  notre  fuite, 
fut  ce  la  perte  d'un  emploi,  fût-ce  la  prison,  fût-ce  la 
mort. 

Mais  il  ne  suffirait  pas  d'éviter  les  occasions  qui  peuvent 
nous  porter  au  mal,  il  faut  de  plus  user  d'une  constante 
vigilance  sur  nous  mêmes.  Car  l'impureté  n'est  pas  un  vice 
qui  nous  vient  seulement  du  dehors  ;  nous  en  portons  en 
nous-mêmes  le  germe,  comme  de  tous  les  autres  vices.  De 
là  vient  que,  même  loin  de  tout  mauvais  exemple,  de  toute 
suggestion  et  de  toute  sollicitation  extérieures,  nous  som- 
mes exposés  à  commettre  des  impuretés,  si  nous  ne  nous 
tenons  pas  en  garde  contre  notre  propre  fonds  de  corrup- 
tion. Et  voilà  précisément  pourquoi  nous  devons  sans  cesse 
veiller  sur  nous-mêmes.  Sur  notre  cœur  d'abord,  car  c'est 
du  cœur  que  viennent  les  mauvaises  pensées  (1),  nous  dit 
Notre-Seigneur.  Il  faut  donc  veiller  sur  notre  cœur,  afin 
qu'aussitôt  que  nous  y  remarquons  quelque  mauvaise  pen- 
sée, nous  Tétouffions  sans  délai.  Car  si  nous  n'étouffons  pas 
toute  mauvaise  pensée  aussitôt  que  le  co)ur  la  forme,  bien- 
tôt elle  engendrera  à  son  tour  de  mauvais  désirs,  qui  fina- 
lement nous  entraîneront  à  de  mauvaises  actions.  Veillons 
donc  d'abord  sur  notre  cœur,  mais  veillons  aussi  sur  tous 
nos  sens,  et  en  particulier  sur  nos  yeux.  Car  les  sens,  en 
particulier  les  yeux,  sont  comme  les  portes  du  cœur;  et 
c'est  par  ces  portes  qu'entrent  les  mauvaises  impressions 
qui  font  produire  au  cœur  les  mauvaises  pensées.  Le  roi 
David,  sur  la  terrasse  de  son  palais,  ne  pensait  pas  à  mal  ; 
mais  ayant  négligé  de  veiller  sur  ses  regards,  il  s'arrêta  à 
considérer  la  femme  d'Urie,  l'un  de  ses  généraux;  et  ce 
regard  non  réprimé  lit  naître  dans  le  cœur  de  David  de 
mauvais  désirs,  qui  le  conduisirent  à  l'adultère,  puis  à  l'ho- 
micide. Quiconque  ne  se  surveille  pas  d'une  manière  atten- 
tive et  prudente,  tombera   infailliblement  dans  le   mal.  Par 

1 .   Malt li .  xv,  19. 


3l8       LES   GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  XII.   INSTRUCTION. 

conséquent,    veillons  pour  ne  pas   être    lentes    (i),    c'est  la 
recommandation  expresse  de  Notrc-Seigneur. 

Le  troisième  moyen  pour  éviter  l'impureté,  c'est  d'être 
continuellement  occupé.  L'homme  oisif  est  doublement 
exposé  au  mal.  D'un  côté,  son  imagination,  en  folâtrant  à 
l'aventure,  çà  et  là,  n'est  pas  longtemps  sans  rencontrer  des 
objets  dangereux.  De  l'autre,  le  démon,  qui  sans  cesse  rôde 
autour  de  nous  comme  un  lion  furieux  pour  nous  dévorer  (2), 
n'est  pas  longtemps  non  plus  sans  remarquer  la  proie  facile 
qui  lui  est  offerte.  Ainsi,  d'une  manière  ou  d'une  autre, 
l'homme  oisif  tombe  forcément  dans  le  mal  en  peu  de 
temps.  Le  roi  David,  dont  nous  venons  de  rappeler  l'ef- 
frayante chute,  nous  est  encore  une  preuve  du  danger  où 
se  trouve  l'homme  oisif.  S'il  eût  été  à  la  tête  de  ses  armées, 
ou  dans  son  conseil  royal,  ses  occupations  l'eussent  mis  à 
l'abri  du  danger;  mais  parce  qu'il  se  tenait  désœuvré,  aus- 
sitôt le  mal  entra  en  lui  et  le  terrassa.  Aussi*  voyons -nous  que 
les  ermites  du  désert,  quand  ils  n'avaient  pas  d'autres  occu- 
pations, tressaient  des  nattes  qu'ils  défaisaient  ensuite  pour 
les  recommencer,  clans  l'unique  but  de  ne  pas  rester  oisifs. 


1.  Matth.  xxvi,  ki.  —  Averte  oculos  mcos,  ne  videant  vanitatem 
(Ps.  cxvni,  37).  —  Pcpigi  fœdus  cum  oculis  nieis,  ut  ne  cogitarem  qui- 
dem  de  virgine  (Job.  xxxi,  i). 

Le  Saint-Esprit  nous  avertit  que  le  sage  craint  et  évite  le  péril. 
Prov.  xiv,  iG.  Celui  qui  aura  à  porter  une  liqueur  précieuse  dans  une 
fiole  de  verre,  ne  prendra  guère  de  précautions  pour  la  porter  sûre- 
ment, s'il  ne  connaît  la  fragilité  du  verre;  ainsi  il  arrivera  qu'à  la  pre- 
mière occasion,  le  verre  se  cassera,  et  la  liqueur  se  perdra  ;  mais  celui  qui 
saura  combien  le  verre  est  aisé  à  se  casser,  ne  manquera  pas  de  prendre 
toutes  les  précautions  possibles  ;  et,  par  conséquent,  cette  liqueur  sera 
bien  plus  en  sûreté  entre  ses  mains  qu'entre  celles  de  l'autre.  La  même 
chose  arrive  à  tous  les  hommes  à  l'égard  de  la  grâce.  Nous  portons  les 
trésors  de  la  grâce  dans  des  vases  de  terre,  II.  Cor.  îv,  7,  qui  peuvent 
aisément  se  briser;  et,  de  plus,  la  foule  et  les  bourrasques  du  monde 
nous  heurtent  et  nous  agitent  à  tout  moment.  Ceux  qui  ne  connaissent 
point  assez  la  fragilité  et  la  faiblesse  de  la  nature,  ne  prennent  point 
garde  à  eux,  et  se  perdent  par  leur  négligence  et  par  la  sécurité  que  leur 
ignorance  leur  donne  ;  mais  ceux  qui  se  connaissent  bien  eux-mêmes, 
et  qui  marchent  avec  crainte,  se  tiennent  sur  leurs  gardes,  et  sont,  par 
conséquent,  plus  en  sûreté  ;  de  sorte  que  s'il  y  en  a  quelqu'une  en  cette 
vie,  elle  est  infailliblement  pour  eux  (Rodreguez,  Traité  de  la  Perfect. 
chrét.,  p.  3,  tr.  k,  ch.  9). 

2.  I.  Petr.  v,  8. 


DE\OUi  l'Oi  R    roi   I    CHRETIEN  1)  EVITEE  TOUTE  1M1M  tlETE.    .>l() 

Voilà  pourquoi  leur  devise  était  :  «  Que  Le  diable  te  trouve 
toujours  occupé.  »  Mais  parce  que  l'oisiveté  au  lit  est  de 
toutes  la  plus  dangereuse,  il  faut  doue  l'éviter  là  encore  plus 
qu'ailleurs,  el  se  lever  aussitôt  qu'on  ne  dort  plus.  Que  Les 
parents  comprennent  bien  en  outre,  ici,  le  devoir  pressant 
que  ce  danger  leur  impose  à  l'égard  de  leurs  enfants,  sur- 
tout lorsqu'ils  deviennent  grands. 

Pour  éviter  L'impureté,  le  quatrième  moyen  est  la  prati- 
que de  la  mortification.  Bien  que,  par  une  faveur  unique, 
l'apôtre  saint  Paul  eût  été  ravi  jusque  dans  le  troisième  ciel, 
cependant  Lorsqu'il  se  retrouva  sur  la  terre,  il  n'en  était  pas 
moins  encore  sujet  aux  humiliantes  tentations  d'impureté  : 
L'aiguillon  de  ma  chair,  écrivait-il  lui-même,  m'a  été  donné 
comme  un  ange  de  Satan  pour  me  souffleter  (i).  Or,  que  faisait 
le  grand  apôtre  pour  demeurer  victorieux  dans  cette  lutte  ? 
IL  nous  l'apprend  encore  lui-même  :  Je  châtie  mon  corps, 
dit-il,  et  je  le  réduis  en  servitude  (2).  Cette  conduite  est  sage 
et  logique.  Il  est  d'expérience  qu'un  corps  traité  délicatement 
et  nourri  avec  abondance,  influe  sur  l'âme  et  la  porte  à  la 
luxure.  Souvent  c'est  à  la  suite  de  festins  et  d'orgies* qu'ont 
lieu  les  plus  graves  désordres.  La  sainte  Ecriture  confirme 
d'ailleurs  l'expérience  :  Levin  est  une  source  de  lux  wre, dit-elle, 
et  /ivrognerie  est  pleine  de  désordres  (3).  Voulons-nous  donc 
sincèremenj/  éviter  l'impureté?  ne  prenons  de  vin  qu'autant 
qu'il  est  nécessaire  à  notre  santé,  renonçons  à  faire  bonne 
chère,  et  pratiquons  au  contraire  la  mortification.  Notre 
corps,  affaibli,  ne  livrera  plus  d'assauts  à  l'âme,  ou  du  moins 
d'assauts  violents  et  insurmontables  (l\). 

1.  II.  Cor.  xn,  7. 

2.  I.  Cor.  ix,  27. 

3.  Ppov.  xx.  1 . 

\.  Il  est  rapporté,  dans  les  chroniques  de  saint  François,  qu'un  homme 
fin  monde  demandanl  un  jour  à  un  saint  religieux,  pourquoi  saint 
Jean-Baptiste,  ayant  été  sanctifié  dès  le  sein  de  sa  mère,  se  retira  au 
déseii  cl  \  fit  une  si  austère  pénitence,  le  serviteur  de  Dieu  lui  répondit  : 
Mais  vous,  dites-moi  pourquoi  on  jette  du  sel  sur  la  viande  qui  est 
encore  toute  fraîche  ?  C'est  afin,  répartit  cet  homme,  qu'elle  se  conserve 
mieux,  et  qu'elle  ne  se  corrompe  pas.  Et  moi,  reprit  le  saint  religieux, 
je  nom-  di-  de  même  que  sainl  Jean-Baptiste  s'est  servi  du  seldc  la  péni 
tence,  afin  que   la   sainteté  se  conversât  en  lui  sans  aucune  corruption 


320       LES  GRANDS    DEVOIRS  DU  SALUT.   XII.   INSTRUCTION. 

Le  cinquième  moyen  auquel  il  faut  recourir  pour  résister 
victorieusement  au  vice  impur,  c'est  la  pensée  de  la  présence 
de  Dieu  et  de  l'ange  gardien.  L'impureté  est  certainement  le 
vice  qui  inspire  le  plus  de  honte.  Aussi  ne  s'y  laisserait-on 
jamais  aller,  si  l'on  se  trouvait  toujours  en  présence  d'une 
personne  qui  ne  fût  pas  complice,  surtout  si  cette  personne 
était  respectable  par  son  âge,  par  son  autorité,  par  sa  vertu. 
Or,  s'il  est  certain  que  la  présence  d'une  telle  personne  nous 
serait  un  sûr  préservatif  contre  le  vice  impur,  nul  doute  que 
la  pensée  de  la  présence  de  Dieu  et  de  notre  ange  gardien 
peut  nous  préserver  encore  plus  efficacement,  puisqu'il  n'y 
a  personne  qui  puisse  inspirer  autant  de  respect  et  de  crainte 
que  notre  ange  gardien,  et  surtout  Dieu.  Mais  il  faut  que 
cette  pensée  soit,  non  pas  seulement  spéculative,  mais 
sérieuse  et  pratique.  Il  faut  que  nous  nous  représentions 
Dieu  comme  nous  regardant,  ainsi  qu'il  nous  regarde  réelle- 
ment ;  et  notre  ange  gardien  comme  se  tenant  à  nos  côtés, 
ainsi  qu'il  s'y  tient  véritablement.  C'était  le  conseil  que  Dieu 
lui-même  avait  donné  à  son  serviteur  Abraham  :  Marche 
toujours  en  ma  présence,  lui  avait-il  dit,  et  tu  seras  parfait  (i). 
Par  cette  pratique,  Abraham  demeura  en  effet  toujours  fidèle 
à  Dieu,  malgré  la  dépravation  générale  qui  l'entourait,  puis- 
que c'était  au  temps  de  Sodôme  et  deGomorrhe,  et  il  mérita 
ainsi  d'être  choisi  pour  être  le  père  et  la  souche  du  peuple  de 
qui  devait  naître  le  Messie.  Quiconque  donc  se  tiendra  tou- 
jours, comme  Abraham,  en  la  présence  de  Dieu  et  de  son 
ange  gardien,  se  préservera  certainement,  comme  lui,  de 
toute  atteinte  impure  (2). 

Le  dernier  moyen  enfin  de  mettre  le  sceau  à  cette  préser- 

de  péché.  Que  si,  dans  un  temps  de  paix,  et  lorsqu'on  n'est  combattu 
d'aucune  tentation,  il  ne  laisse  pas  d'être  k  propos  d'exercer  son  corps 
par  la  pénitence  et  par  la  mortification,  à  combien  plus  forte  raison 
doit-on  en  user  de  môme  dans  un  temps  de  guerre,  et  lorsqu'on  est 
exposé  aux  attaques  des  tentations  ?  Saint  Thomas  dit,  d'après  Arislote, 
que  le  mot  de  chasteté  vient  du  mot  châtier,  parce  que  c'est  par  le  châ- 
timent du  corps  qu'il  faut  réprimer  le  vice  contraire  à  la  chasteté  :  il 
ajoute  que  les  vices  de  la  chair  sont  comme  tes  enfants  qu'il  faui  réduire 
par  le  châtiment,  parce  qu'ils  ne  peuvent  pas  être  conduits  par  la  raison. 
(Rodiuguez,  Pratique  de  la  perfect.clirét.n.  3,  tr.  4,  en.  6). 

i.  G  en.  xvii,  1. 

2.  Quolies  te  sentis  turpibus  cogilationibus  puis  are,  et   ad  illicitam 


DEVOIR  POl  R  TOUT  CHRÉTIEN  D  ÉVITER  TOUTE  IMPURETE.    021 

vation,  c'est  la  prière  el  la  Fréquentation  (1rs  sacrements  de 
Pénitence  et  d'Eucharistie.  Si  efficaces  que  soient  par  eux 
mêmes  tous  les  précédents  moyens,  ils  n'en  seraient  pas 
moins  insuffisants  s;ms  ce  dernier,  car  saint  Paul  nous  L'a 
dil  expressément,  Le  démon  joue  un  grand  rôle  dans  les 
suggestions  de  ce  vice.  Or,  quoi  que  nous  fassions,  dès  que 
nous  axons  affaire  au  démon,  nous  serons  vaincus  par  lui  si 
nous  en  sommes  réduits  à  nos  seules  forces.  Voilà  donc 
pourquoi,  tout  en  faisant  ce  qui  dépend  de  nous,  nous 
devons  encore  recourir  à  Dieu  par  La  prière,  parce  qu'avec 
son  secours  nous  serons  infailliblement  victorieux.  Ainsi, 
retenons  bien  ceci  :  nous  devons  faire  tout  ce  que  nous  pou- 
vons pour  nous  préserver  de  l'impureté,  parce  que  Dieu 
n'aide  que  ceux  qui  déjà  ont  bonne  volonté  ;  mais  nous  ne 
devons  pas  moins  demander  le  secours  de  Dieu,  parce  que 
ce  secours  nous  est  indispensable,  nos  seules  forces  n'étant 
pas  suffisantes  pour  lutter  victorieusement  contre  le  démon. 
Implorons  donc  cet  indispensable  secours  par  de  ferventes 
prières,  surtout  au  moment  des  tentations.  Et  pour  nous 
rendre  dignes  de  l'obtenir,  purifions  souvent  notre  cœur  par 
la  réception  du  sacrement  de  Pénitence,  et  entrons  de  plus 
en  plus  dans  l'amitié  de  Dieu  par  de  fréquentes  communions 
lai  les  avec  toute  la  dévotion  dont  nous  sommes  capables. 
Alors  Dieu  ne  pourra  demeurer  sourd  à  nos  appels,  et  sou- 
tenus par  lui,  notre  victoire  sur  l'impureté  sera  certaine. 

CONCLUSION.  —  Telles  sont  donc,    chrétiens,    d'un 

côté,   les  raisons  pour  lesquelles  nous  devons  éviter  l'impu- 

reté  :    el  tels,    de  l'autre,  les  moyens  grâce  auxquels  nous  y 

pouvons  sûrement  parvenir.  Nous  devons  éviter  l'impureté, 

e  qu'elle  est,  ;i\ons-nous   dit,    de  tous    les   vices,  celui 

dclcctationem  affici,  tolics  pone  ante  mentis  oculos,  quomodo  Christus 
in  cruce  crucifixus  est  pro  te.Intuere  quomodo  a  Jùda  Judaùs  traditur, 
et  quam  viliter  pertractetur,  blasphème  tu  r,  H  çolaphizetur,  judiçetur, 
•  •I  condemnetur,  expolictur,  cl  Qagelletur,  ad  ultimum  \ito  contumeliis 
affectus,  inter  duos  latrones  suspenditur,  clavis  cruci  affixus,  sputis  deri- 
lus,  spinis  coronatus,  lancea  perforatus,  ex  omnibus  partibus  sanguis 
émanât,  el  inclinato  capite  emittit  spiritum.  lia  Iledemptor  tuus  mori- 
tur  pro  te,  et  tu  nescis  cujusmodi  sordida  cogitationc  sordidaris  in 
mente  ?    Ih  g.  S  i<  r.  de  Anim.  m,  28). 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.   —  T.  II.  21 


022        LES   GRANDS   DEVOIRS  DU   SALUT.   Xtt.   INSTRUCTION. 

qui  cause  le  plus  de  mal  à  ceux  qui  s'y  abandonnent,  celui 
qui  est  le  plus  funeste  aux  sociétés,  et  enfin  celui  que  Dieu 
a  le  plus  en  horreur.  Et  nous  pouvons  éviter  sûrement  ce 
vice,  avons-nous  encore  expliqué,  en  fuyant  tout  ce  qui  est 
susceptible  de  nous  y  porter,  en  veillant  assidûment  sur 
nous-mêmes,  en  menant  une  vie  constamment  occupée,  en 
pratiquant  la  mortification,  en  pensant  sans  cesse  à  la  pré- 
sence de  Dieu  et  de  notre  ange  gardien,  et  sans  cesse  aussi 
en  recourant  à  Dieu  par  la  prière  et  la  réception  des  sacre- 
ments. En  deux  mots,  nous  devons  éviter  l'impureté,  nous 
pouvons  l'éviter.  Attachons-nous  à  ces  deux  mots  qui  résu- 
ment tout,  et  qu'ils  soient  notre  lumière  et  notre  règle. 
Nous  devons  éviter  l'impureté,  toute  impureté:  donc,  arriè- 
re les  maximes  mondaines  qui  prétendent  innocenter  ou 
excuser  le  vice,  puisque  ce  vice,  quoi  qu'on  dise,  est  le  plus 
néfaste,  le  plus  pernicieux  et  le  plus  criminel  de  tous  les 
vices.  Nous  pouvons  sûrement  l'éviter:  donc,  silence  encore 
à  ceux  qui  prétendent  le  contraire,  parce  que  n'ayant  pas  le 
courage  de  l'éviter,  ils  n'en  veulent  pas  prendre  les  moyens. 
Pour  nous,  agissant  tout  à  la  fois  selon  notre  raison  et  notre 
conscience,  prenons  ces  moyens,  et  avec  leur  secours  évitons 
l'impureté.  Ainsi  nous  nous  préserverons,  et  des  maux  de 
toute  sorte  que  les  impudiques  s'attirent  toujours  en  ce 
monde,  et  des  châtiments  affreux  que  Dieu  leur  réserve 
dans  l'éternité. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

L'impureté,  fléau  de  l'impudique. 

i.  —  A  quel  aveuglement  ce  vice  ne  réduisit-il  pas  Salomon,  qui 
avait  été  le  plus  sage  de  tous  les  hommes  !  En  effet,  il  n'eut  pas 
plutôt  conçu  de  l'amour  pour  des  femmes  idolâtres,  qu'après  les 
avoir  adorées,  il  adora  jusqu'à  leurs  idoles,  et  brûla  l'encens  du 
Dieu  d'Israël  devant  les  simulacres  des  nations.  Et  ce  qu'il  y  a  de 
plus  surprenant,  c'est  que  ce  fut  dans  sa  vieillesse,  qu'il  se  livra  à 
cette  honteuse  passion,  qui  a  flétri  sa  gloire  et  a  attaché  à  son  nom 
et  à  la  plus  grande  réputation  qui  fut  jamais,  un  opprobre  éternel, 
comme  parle  l'Écriture.  Ce  qui  montre  que  ni  l'âge,  ni  la  sagesse, 
ni   même  la   vie  la  plus  réglée  qu'on   ait  menée  par  le  passé,  ne 


DEVOIR  IMHKTOl  ï  CHRETIEN   D*EVITÉR  Toi  ITE  1MPUIETK.    3a3 


nous  doil  point  faire  présumer  de  nos  forces,  ni  dispenser  de  veiller 
sur  nous-mêmes,  ni  de  recourir  à  Dieu  comme  Salomon  avait  fait 
dans  sa  jeunesse. 

a.  —  L'empereur  Galérius  fut  atteint,  en  3io.  d'une  maladie 
honteuse  qu'il  s'était  attirée  par  ses  excès,  et  contre  laquelle  échou- 
ai! tout  l'art  des  médecins.  Tout  essai  de  guérison  ne  faisait  qu'a- 
jouter à  ses  douleurs .  La  partie  inférieure  de  son  corps  tombait 
en  dissolution,  et  n'offrait  plus,  depuis  les  hanches  jusqu'aux  pieds, 
qu'un  amas  hideux  de  pourriture  et  de  chairs  en  putréfaction.  Des 
pertes  de  sang  continuelles,  des  ulcères,  dont  la  puanteur  infectait 
tout  le  palais,  la  multitude  toujours  croissante  des  vers  qui  le 
rongeaient,  en  faisaient  à  la  fois  un  objet  de  compassion  et 
d'horreur. 

3.  —  L'empereur  Justin  s'était  tellement  affaibli  les  organes  par 
ses  débauches,  que  les  facultés  de  son  esprit  s'étaient  presque  en- 
tièrement éteintes.  Devenu  incapable  de  se  livrer  à  aucune  occupa- 
tion corporelle  et  intellectuelle,  il  déplora,  mais  trop  tard,  d'avoir 
épuisé  ses  forces  par  les  excès  de  l'impureté.  Le  chagrin  qu'il  en 
éprouva  eut  pour  première  conséquence,  une  fréquente  absence 
d'esprit  suivie  bientôt  d'une  aliénation  périodique,  qui  se  tradui- 
sait quelquefois  en  une  espèce  de  rage,  qui  ne  tarda  pas  à  l'enlever. 

4.  —  Un  officier  français,  lors  des  guerres  d'Italie,  passant  par 
Lodi,  dans  le  Milanais,  visita  les  hôpitaux  de  cette  ville.  11  y  vit  des 
salles  entières  encombrées  de  vénériens,  qui  répandaient  des  exha- 
laisons si  infectes,  et  présentaient  un  aspect  si  repoussant  et  si  horri- 
ble, qu'il  ne  put  s'empêcher  d'y  reconnaître  le  châtiment  infligé  ' 
dès  ce  monde  au  plus  honteux  des  péchés.  «  Je  suis  chrétien,  disait- 
il  plus  tard,  et  je  crois  à  un  enfer  ;  mais  n'y  eut-il  pas  d'enfer 
pour  punir  ce  crime  infâme,  ce  que  j'ai  vu  dans  les  hôpitaux  de 
Lodi,  quand  nous  étions  en  Italie,  suffirait  pour  m'en  donner  une 
invincible  horreur.  » 

5.  —  Un  missionnaire,  prêchant  au  bagne  de  Brest,  y  rencontra 
un  jeune  homme  de  vingt-deux  ans.  Il  pleurait.  Hélas  !  le  malheu- 
reux ;  car  la  souffrance  avait  réveillé  chez  lui  quelques  étincelles 
de  sentiment.  Le  prêtre  lui  demanda  pour  quelle  cause  il  se  trou- 
vait jeté  si  jeune  dans  cet  enfer  vivant.  Il  répondit  :  Je  me  trouvais 
à  Paris,  étudiant,  comme  beaucoup  d'autres,  la  science  des  lois. 
Là  je  fis  une  liaison  fatale,  et  moi  qui  jusqu'alors  n'avais  rêvéqu'in- 
d.'pendance,  je  devins  un  esclave.  Bientôt  il  me  fut  impossible  de 
satisfaire  les  exigences  de  la  créature  à  laquelle  je  m'étais  enchaî- 


Ô2L\ 


LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.    —  XII.   INSTRUCTION. 


né.  Il  me  fallait  de  l'or  à  tout  prix  ;  je  m'en   procurai  aux  dépens 
de  l'honneur,  je  fis  un  faux  et  me  voilà  au  bagne. 

L'impureté,  fléau  des  familles. 

ti  _  Marie,  fille  d'un  roi  d'Aragon  et  femme  d'Olhon  III,  allait 
à  Rome  avec  son  mari,  quand  elle  vit,  en  traversant  l'Italie,  le 
comte  de  Modène,  dont  l'air  majestueux  et  la  bonne  grâce  la  char- 
mèrent et  firent  naître  dans  son  cœur  un  sentiment  aussi  honteux 
qu'il  devait  être  funeste  à  l'un  et  à  l'autre,  ainsi  qu'à  leurs  deux 
familles.  Elle  ne  rougit  pas  de  lui  faire  l'aveu  de  sa  passion  ;  mais 
elle  trouva  en  lui  une  vertu  ferme  et  constante,  que  toutes  ses  ca- 
resses ne  purent  jamais  fléchir.  Elle  prit  cette  résistance  pour  du 
mépris  ;  et  changeant  son  amour  en  une  haine  mortelle,  elle 
poussa  sa  vengeance  jusqu'aux  dernières  extrémités.  L'artifice  dont 
elle  usa  fut  de  se  plaindre  elle-même  du  comte,  et  de  l'accuser 
auprès  de  l'empereur  d'avoir  eu  dessein  de  lui  ravir  ce  qu'elle  avait 
de  plus  cher.  L'empereur  écouta  cette  calomnie  et  fit  couper  la  tête 
au  comte,  sans  se  donner  le  loisir  d'examiner,  comme  il  le  devait, 
une  affaire  de  cette  importance.  La  comtesse,  dans  l'excès  de  sa 
douleur,  prit  la  tête  sanglante  de  son  époux,  l'alla  porter  aux  pieds 
de  l'empereur,  et  lui  demanda  justice  contre  lui-même,  en  s'olTrant 
à  démontrer  l'innocence  de  son  mari,  par  la  preuve  du  fer  chaud. 
En  effet,  Dieu  permit  que  le  feu  découvrît  la  vérité  et  justifiât 
l'innocent,  en  épargnant  celle  qui  le  défendait  avec  tant  d'héroïs- 
me. L'empereur,  convaincu  par  ce  prodige  de  la  perversité  de  son 
épouse,  la  condamna  à  être  brûlée.  Elle  avait  déjà  mérité  ce  sup- 
plice par  bien  d'autres  infidélités,  restées  jusqu'alors  impunies. 

2.  —  Philippe-Auguste  avait  appelé  du  Nord  une  princesse 
aimée  des  peuples.  Le  prince  accourt  au-devant  d'elle.  Il  préparc 
ses  palais,  il  les  orne  pour  recevoir  celle  qu'il  a  choisie  pour  son 
épouse.  Elle  arrive,  elle  monte  toute  heureuse,  toute  parée,  ces 
degrés  où  on  l'attendait.  Le  roi  s'avance,  il  se  retourne,  mais  il 
aperçoit  une  étrangère.  Il  la  regarde  ;  ce  coupable  regard  a  ravi 
son  cœur.  Et  son  épouse,  délaissée,  s'en  ira  d'exil  en  exil,  porter 
jusqu'à  Rome  la  peine  de  son  affection  lâchement  trahie. 

3.  Nimes  se  rappellera  toujours  un  des  plus  horribles  attentats 
qui  puissent  terrifier  et  humilier  une  population.  Le  24  mai  1842, 
à  midi,  plusieurs  détonations  d'armes  à  feu,  suivies  de  cris  lamen- 
tables,'s'étaient  fait  enlendre  dans  une  maison  sise  rue  Pavée, 
habitée  par  un  sieur  Marignan,  ancien  notaire,  et  par  sa  famille. 
Après  avoir    forcé  l'entrée  et  s'être   précipité  dans  la  maison,  on 


DEVOIR  PCM  R  TOUT  CHRETIEN   D'ÉVITER    loi   rE  [MPI  RETE.    020 


avait  trouvé  mademoiselle  Marignan  la  poitrine  traversée  d'un 
coup  d'arme  à  feu,  le  sieur  Henri  Marignan  Qls  grièvemenl  blessé 
à  la  cuisse,  el  Marignan  père  également  blessé  au  ventre  et  à  la 
main,  mais  moins  grièvement.  -  Les  informations  auxquelles  on 
se  livra  immédiatement  révélèrenl  un  horrible  secret.  Marignan  père 
lil  sur  sa  propre  fille,  et  depuis  longues  années,  les  plus  hor- 
ribles attentats  :  la  malheureuse  enfant  avait  eu  recours  à  la  pro- 
tection de  son  frère.  Ce  jour-là,  Marignan  fils  ayant  entendu  des 
cris,  et  croyant  sa  sœur  menacée,  était  accouru  armé  d'un  fusil. 
^  cette  vue,  Marignan  père  avait  aussi  saisi  son  arme,  et  alors 
s'était  engagée  la  scène  de  carnagedont  on  vient  de  voir  les  affreux 
résultats.  —  Marignan  père,  renvoyé  devant  la  cour  d'assises  du 
Gard  pour  3  rendre  compte  de  la  série  de  crimes  qui  lui  étaient 
imputés,  y  comparaissait  le  17  novembre.  Les  débats  eurent  lieu 
à  huis  clos,  et  l'acte  d'accusation  même  ne  fut  pas  lu  publique- 
ment. Le  jury  ayant  écarté  la  question  de  préméditation,  Mari- 
gnan fut  condamné  aux  travaux  forcés  à  perpétuité  et  à  l'expo- 
sition. 

L'impureté,  fléau  des  sociétés. 

! ,  _  Collalin  avait  eu  l'imprudence  de  vanter  la  beauté  de 
Lucrède,  son  épouse,  devant  Scxtus  Tarquin,  fils  du  roi  de  Rome, 
et  l'imprudence  plus  grande  encore  de  la  laisser  voir  à  ce  dernier, 
pour  le  convaincre  de  la  vérité  de  ses  paroles.  Sextus  Tarquin 
conçut  en  effet  pour  Lucrèce  une  passion  criminelle  qui  le  porta  à 
lui  faire  violence  et  à  la  déshonorer.  Mais  Lucrèce  dénonça  à  son 
mari  le  crime  dont  elle  avait  été  victime,  et  ne  voulant  pas  survi- 
vre à  son  déshonneur,  se  donna  la  mort.  Pour  la  venger,  son 
mari  et  ses  proches  firent  serment  sur  des  poignards  d'exterminer 
rquins.  Et  telle  fut  la  cause  du  renversement  de  la  royauté 
romaine  et  de  son  remplacement  par  la  République. 

2#  _  Tant  qu'Henri  VIII,  roi    d'Angleterre,  résista  au  vice  de 

l'impureté,  il  demeura  fidèle  à  sa   foi,    qui   était  la  catholique,  et 

mérita  même  de  recevoir  du  pape  Léon  \  le  titre  de  Défenseur  de  la 

our  un  ouvrage  dans  lequel  il  avait  défendu,  contre  les  nova- 

protestants,  les  doctrines  de  l'Église  et  l'autorité  du  Saint- 

int  eu  le  malheur  de  se  laisser  dominer  pas  d'illicilcs 

amours,    ce  prince   en    vint   bientôt  à  renoncer  à  cette  foi  de  ses 

qu'il  avait  défendue,  et  cela  uniquement  pour  n'avoir  pas  eu 

rgie  de  résister  au  vice  infâme.  Après  avoir  vécu  pendant  dix- 

sept  ans  avec  sa  pieuse  épouse,  il  se  passionna  éperduement  pour 

une  courtisane,  Anne  de  Boleyn,  cl  demanda  au  Pape  de  dissoudre 

dont  il  cherchait,  par  les  moyens  les  plus  futiles,  à 


326        LES  GRANDS    DEVOIRS  DU  SALUT.  XII.  INSTRUCTION. 

contester  la  légitimité.  Le  Pape  ayant  refusé  d'accéder  à  ses  infâ- 
mes désirs,  il  devint  furieux,  et,  non  content  d'abjurer  sa  foi,  il 
devint  un  monstre  de  cruauté  et  de  débauche.  11  chassa  son  épouse 
légitime,  exclut  de  la  succession  au  trône  la  fille  qu'il  avait  eue  de 
ce  mariage,  prit  successivement  six  femmes,  dont  deux  portèrent 
leur  tête  sur  l'échafaud.  Il  sévit  avec  une  barbarie  toute  particu- 
lière contre  ceux  qui  se  refusèrent  de  se  faire  les  complices  ou  les 
approbateurs  de  ses  turpitudes.  Il  condamna  à  mort  deux  cardi- 
naux, vingt  et  un  évêques,  douze  abbés,  cinq  cents  prêtres  et 
moines,  plus  de  cent  chanoines  et  docteurs,  quarante-quatre  ducs 
et  comtes,  outre  une  foule  de  familles  de  distinction.  Enfin  il  im- 
posa à  l'Angleterre  le  schisme  et  l'hérésie  dans  laquelle  elle  se 
trouve  encore,  et  qui  n'a  cessé  d'être  pour  ce  royaume  la  cause  de 
tant  de  maux. 

Moyens  d'éviter  l'impureté. 

En  fuir  les  occasions.  —  Curiosité.  —  Dina,  fille  de  Jacob  et 
de  Lia,  étant  un  jour  sortie  pour  voir  les  femmes  du  pays  de  Cha- 
naan,  Sichem,  prince  du  pays  des  Sichimites,  l'aperçut,  et  l'ayant 
enlevée  de  force,  il  la  déshonora  par  une  passion  honteuse.  Infor- 
tunée jeune  fille  !  de  n'avoir  pas  su,  en  résistant  à  sa  curiosité, 
fuir  une  occasion  aussi  funeste  pour  sa  vertu  ! 

Compagnies  dangereuses.  —  Sainte  Scholastique,  sœur  de  saint 
Benoît,  demeurait  dans  un  monastère  voisin  de  Mont-Cassin,  où 
était  son  frère,  et  néanmoins  elle  ne  le  visitait  qu'une  fois  par  an. 
Et  saint  Benoît,  qui  ne  souffrait  pas  qu'elle  vînt  jusqu'à  son  monas- 
tère, ne  la  recevait  qu'en  présence  de  quelques-uns  de  ses  religieux, 
dans  une  maison  qui  était  à  une  petite  distance  du  Mont-Cassin. 
Le  temps  qu'ils  passaient  ensemble  était  employé  à  louer  Dieu  et  à 
parler  de  choses  spirituelles. 

Mauvais  livres.  —  Saint  Louis  de  Gonzague  ayant  trouvé,  pendant 
son  enfance,  un  roman  qu'il  ne  connaissait  pas,  et  le  prenant  pour 
un  bon  livre,  entreprit  de  le  lire  ;  mais  il  n'en  eut  pas  plus  tôt  vu 
le  titre,  qu'il  le  jeta  dans  le  feu,  et  courut  se  laver  les  mains,  pour 
en  avoir  seulement  touché  du  bout  des  doigts  la  couverture,  tant 
il  était  persuadé  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  pernicieux  et  de  plus 
funeste  à  l'innocence  que  ces  sortes  d'ouvrages. 

Spectacles.  —  Tertullien  raconte,  dans  un  ouvrage  qu'il  a  composé 
sur  les  spectacles,  qu'une  femme  chrétienne  ayant  assisté  à  une 
représentation  théâtrale,  en  sortit  possédée  du  démon.  On  l'exor- 
cisa. Et  comme  on  reprochait  à  l'esprit  immonde  la  hardiesse  qu'il 
avait  eue  de  s'emparer  ainsi  d'une  femme  fidèle  :  «  Oui,  je  l'ai  fait 


DEVOIR   POT  R  TOIT  CHRÉTIEN  D'ÉVITER   TOUTE  IMPURETÉ.    $V] 


hardiment,  répondit-il,  puisque  je  l'ai  houvrc  dans  le  lieu  de  mon 
domaine  »  -Que  ces  paroles  sont  terribles!  et  comment  une 
personne  vraiment  chrétienne  peut-elle  après  cela  se  hasarder 
d'aller  dans  un  lieu  où  règne  proprement  le  démon  avec  ses  artifi- 
ces les  plus  dangereux  !  «  C'est  là,  ajoute  Tertullien,  l'assemblée 
et  récole  du  diable,  ('/est  le  temple  de  tous  les  démons:  il  y  a  la 
autant  d'esprits  immondes  qu'il  \  a  de  gens  qui  y  assistent,  Per- 
sonne ne  pont  servir  deux  maîtres,  dit  Jksus-Ciuust.  Quelle  mons- 
truosité n'est-ce  donc  pas  d'aller  de  l'église  de  Dieu  à  celle  du 
diable  •  d'applaudir  un  farceur,  un  boulTon,  un  comédien,  jusqu'à 
lasser  des  mains  qu'on  a  étendues  vers  Dieu  dans  la  prière  ;  de 
rendre  un  témoignage  favorable,  à  un  homme  de  théâtre,  de  la  bou- 
che même  dont  on  a  répondu  Amen  sur  le  Saint  du  Seigneur  dans 
la  participation  des  saints  mystères  !  » 

Danses.  —  Un  homme  élevé  loin  de  la  corruption  des  États  policés, 
raconte    saint   Charles    Borromée,   fut   par    hasard    conduit    en 
France.  Il  n'avait  vu  jusque-là  que  des  déserts  et  des  forêts.  Tout  est 
nouveau  pour  lui,  tout  lui  paraît  extraordinaire  dans  nos  grandes 
cités;  il  regarde  avec  étonnement  la  belle  régularité  des  maisons, 
la  majesté  des   temples  et  la  magnificence  des  palais.  Des  jeunes 
-eus   curieux  de  connaître  l'impression  que  produira  sur  le  sau- 
vage le  spectacle  d'un  bal,  lui  proposent  de  l'y  conduire.    Leur 
offre  est  acceptée,  à  la  grande  joie  des  jeunes  gens,  qui  se  font  une 
fête  de  jouir  de  la   surprise  et  des    transports  d'admiration   de 
l'étranger.  Le  bal  commence  ;  le  sauvage  considère  tout  en  silence. 
11  écoute  les  sons  voluptueux  d'une  musique  efféminée.  Il  regarde 
cette  nombreuse  assemblée  parée  avec  tout  l'art  et  toute  l'élégance 
qui  peuvent  plaire  aux  yeux  et  séduire  tous  les  sens  !  il  voit   com- 
ment une  mesure  savante  sépare,  éloigne,  rapproche  et  unit  cette 
jeunesse,  qui  dans  tous  ses  mouvements  s'étudie  à  plane.  Il  parait 
étonné,  mais   aucun   signe  d'admiration  ne  lui  échappe.  Enfin, 
impatients  de  connaître  l'effet  de  leur  épreuve,   les  jeunes  gens 
interrogent  le  sauvage.  Quelle  est  leur  surprise,  quand  ils  enten- 
dent cette  réponse   naïve:  «  En   vérité,  il  n'est  pas  possible   de 
trouver  un  moyen  plus  efficace  pour  séduire  lésâmes  et  corrom- 
pre les  mœurs.  » 

Veiller  sur  soi-même.  —  Les  deux  vieillards  dont  il  est  parlé 
dans  l'histoire  de  Suzanne,  qui  était  une  femme  parfaitement 
belle  et  qui  craignait  Dieu,  se  laissèrent  pervertir  par  leurs  yeux 
adultères  «  Ils  voyaient,  dit  l'Écriture,  cette  femme  entrer  et  se 
promener  tous  les  jours  dans  le  jardin  de  son  mari,  et  ils  conçu- 
rent une  ardente  passion  pour  elle,  ayant  dessein  de  corrompre 


328        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XII.  INSTRUCTION. 

cette  femme  chaste.  »  Daniel,  xin.  -*  Ce  fut  ainsi  que  le  démon, 
qui  avait  tenté  Eve  en  lui  faisant  regarder,  contre  la  défense  de 
son  Dieu,  un  fruit  agréable  à  la  vue,  tenta  aussi  ces  deux  infâmes 
vieillards,  en  les  portant  à  regarder,  contre  le  précepte  divin,  la 
chaste  Suzanne,  et  à  s'abandonner  volontairement  à  un  amour 
déréglé  qui  leur  fît  perdre  la  raison  :  malheur  qui  ne  leur  serait 
pas  arrivé,  s'ils  eussent  veillé  sur  leurs  regards. 

Être  toujours  occupé.  —  Un  jeune  solitaire  n'employait 
généralement  pas  son  temps  d'une  manière  consciencieuse  ;  il  pas- 
sait souvent  plus  d'une  heure  dans  l'oisiveté,  et  il  lui  arrivait  alors 
d'être  assailli  de  tentations  d'impureté.  S'en  étant  plaint  à  son 
abbé,  celui-ci  soupçonna  aisément  la  cause  de  ses  tentations,  et 
l'accabla  de  travaux  fatigants.  Quelque  temps  après,  il  lui  demanda 
s'il  était  encore  tenté  :  «  Hélas  !  répondit  le  jeune  homme,  com- 
ment pourrais-je  l'être  ?  J'ai  à  peine  le  temps  de  respirer.  » 

Penser  à  la  présence  de  Dieu.  —  Un  jeune  homme  se 
plaignait  au  directeur  de  sa  conscience  de  ne  pouvoir  se  débarras- 
ser des  pensées  impures  qui  l'assaillaient.  Le  prêtre  lui  répondit  : 
«  Figurez-vous  que  votre  tête  est  transparente  comme  le  cristal,  et 
que  chacun  peut  y  voir  clairement  vos  pensées  les  plus  secrètes.  — 
0  malheureux  que  je  serais  !  soupira  le  jeune  homme.  Si  mes  pen- 
sées étaient  vues,  il  me  faudrait  me  cacher  à  tous  les  yeux  et  mou- 
rir de  honte.  —  Cependant  Dieu  voit  ce  qui  se_passa  en  vous  mieux 
encore  que  dans  le  cristal  ;  rougiriez-vous  donc  moins  de  ces  pen- 
sées devant  lui  que  devant  les  hommes  ?  »  Le  jeune  homme  com- 
prit la  sagesse  de  ces  paroles  ;  et,  grâce  à  la  pensée  salutaire  de  la 
présence  incessante  de  Dieu,  il  triompha  rapidement  de  toute  pen- 
sée coupable. 

Se  mortifier  et  prier.  —  Saint  Jérôme  avait  quitté  le  monde, 
où  son  innocence  avait  couru  des  dangers,  et  il  s'était  retiré  au 
désert  de  Chaleis,  en  Syrie.  Mais  le  démon  de  l'impureté  l'y  suivit, 
et  lui  livra  de  terribles  assauts,  dont  .il  ne  triompha  que  par  la 
prière,  les  austérités  de  la  pénitence,  l'assiduité  continuelle  au 
travail,  la  méditation  du  jugement  et  des  autres  grandes  vérités 
de  la  foi.  Écoutons-le  faisant  lui-même  la  description  de  son  état 
et  de  sa  conduite  :  «  Lorsque  j'étais  jeune,  dit-il,  quoique  enseveli 
dans  le  désert,  j'étais  si  tourmenté  par  la  violence  de  mes  passions 
et  par  l'ardeur  de  la  concupiscence,  que  je  ne  me  sentais  point 
assez  de  force  pour  y  résister.  Je  faisais  tout  ce  que  je  pouvais  pour 
éteindre  ce  feu  par  de  grandes  abstinences  ;  mais  cela  n'empêchait 
pas  que  mon  esprit  fût  continuellement  agité  par  de  mauvaises 


DEVOIR  POUR    loi  l    CHRÉTIEN   D'ÉVITER  TOUTE  IMPURETÉ.    .'>>() 

pensées.  Mon  imagination  me  transportail  souvenl  au  milieu  des 
délices  dé  Rome,  de  ces  enjouements  et  de  toul  ce  que  la  mollesse 
a  de  plus  puissant  pour  corrompre  le  coeur.  Le  jeûne  avait  rendu 
mon  visage  tout  pâle,  el  cependant  mon  âme  brûlait  des  ardeurs 
de  la  concupiscence  dans  un  corps  qui  n'avait  plus  de  chaleur.  Ma 
chair  était  déjà  comme  morte,  et  mes  passions  étaient  encore  tou- 
tes bouillantes.  Ne  sachant  donc  plus  où  trouver  du  secours,  j'al- 
lais me  jeter  aux  pieds  de  Jésus,  que  je  baignais  de  mes  larmes  ;  et 
je  tâchais  de  réduire  ma  chair  rebelle,  en  restant  des  semaines 
entières  presque  sans  boire  ni  manger,  ,1c  me  souviens  d'avoir  sou- 
vent passé  le  jour  et  la  nuit  à  prier  et  à  me  frapper  sans  cesse  la 
poitrine,  jusqu'à  ce  (pic  Dieu,  commandant  à  la  tempête,  rendît  le 
calme  à  mon  àmc  ;  d'autres  l'ois  je  me  retirais  dans  quelque  vallée 
sombre,  dans  quelques  rochers  escarpés  pour  y  prier  et  en  faire  la 
prison  dece  misérable  corps.  »  —  V  ces  moyens  si  puissants  d'eux- 
mêmes,  notre  saint  en  joignit  un  autre,  qui  ne  suppose  pas  moins 
d'énergie.  Pour  fixer  plus  efficacement  son  imagination  à  quelque 
chose  d'utile  et  la  détourner  des  objets  dangereux,  il  joignit  à  la 
prière  cl  aux  austérités  de  la  pénitence  une  des  éludes  les  plus  péni- 
bles qui  soient,  celle  de  l'hébreu.  Ce  travail  lui  coula  d'autant 
plus,  qu'il  ne  s'était  occupé,  jusque-là,  que  d'études  agréables.  «  11 
n'y  a,  dit-il  encore,  que  Dieu,  moi,  et  ceux  avec  qui  je  vivais  alors, 
qui  sachions  quelles  peines,  quelles  difficultés  j'eus  à  surmonter 
pour  en  venir  à  bout.  »  —  Cependant  il  persévéra  courageusement 
dans  cette  tâche  laborieuse,  afin  de  se  mettre  en  état  d'expliquer 
les  Livres  saints  écrits  en  hébreu  ;  et  pour  ne  pas  se  ralentir  dans 
cette  guerre  où  il  se  voyait  engagé  avec  ses  ennemis  spirituels,  il 
méditait  souvent  les  grandes  vérités  de  la  foi,  en  particulier  le 
jugement  du  Seigneur.  11  croyait  entendre  à  chaque  instant  le  son 
de  cette  trompette  effroyable  l'appelant  au  tribunal  de  Dieu  pour 
y  rendre  compte  de  sa  vie,  et  celle  pensée,  jointe  à  celle  de  la 
brièveté  de  la  vie  et  de  la  longueur  de  l'éternité,  le  péné- 
trait d'une  crainte  salutaire  qui  triomphait  de  toutes  les  diffi- 
cultés,       p 

—  Quand  saint  Pierre  Damien,  qui  devint  plus  laid  cardinal- 
évêque  d'Ostie,  était  tenté  d'impureté  pendant  la  nuit,  il  se  levait 
aussitôt,  allait  se  plonger  dans  l'eau  et  y  demeurait  jusqu'à  ce  (pic 
ses  membres  fussent  transis  de  froid.  Ensuite  il  \isitait  les  églises 
et  récitait  le  Psautier,  en  attendant  que  l'office  divin  com- 
bat. 

—  Voyant  leur  monastère  menacé  d'une  irruption  de  Danois, 


330       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XII.    INSTRUCTION. 

sainte  Ebbe  et  ses  compagnes,  pour  se  mettre  à  l'abri  des  attentats 
dont  elles  allaient  être  victimes,  se  coupèrent  toutes  le  nez  et  la 
lèvre  supérieure.  Les  barbares,  reculant  devant  un  si  terrible  spec- 
tacle, mirent  le  feu  au  monastère,  et  toutes  les  vierges  qui  l'habi- 
taient périrent  par  les  flammes,  heureuses  de  se  conserver  pures  à 
ce  prix. 


TREIZIÈME    INSTRUCTION 

(Mercredi  de  la  Quatrième  Semaine) 

Cest  un  devoir  pour  tout  chrétien  de 
sanctifier  les  Dimanches  et  les  Fêtes. 

I.  Certitude  de  ce  devoir.—  IL  Convenances  de  ce  devoir.—  III.  Futilité 
des  raisons  pour  lesquelles  on  le  viole.  —  IV.  Ce  qu'il  faut  faire  pour 
l'accomplir. 

Les  grands  devoirs  du  salut  dont  nous  nous  sommes 
entretenus  jusqu'à  ce  jour,  sont  tous  inscrits,  d'une  manière 
formelle  ou  implicite,  vous  l'avez  sans  doute  remarqué,  sur 
les  tables  du  Décalogue.  Celui  qui  se  présente  maintenant  à 
nos  réflexions,  et  qui  va  nous  occuper  ce  soir,  se  trouve 
exprimé  tout  à  la  fois  dans  les  commandements  de  Dieu  et 
dans  ceux  de  l'Église.  Je  veux  parler  en  effet  du  devoir  de 
sanctifier  les  jours  de  dimanches  et  de  fêtes. 

Devoir  essentiel  entre  tous,  car  de  son  observation  dépend 
tout  le  reste,  c'est-à-dire  la  connaissance  de  la  religion  et  sa 
pratique,  et  par  suite,  la  paix  et  le  bonheur  en  ce  monde, 
et  le  salut  dans  l'autre.  Comment  en  effet  connaîtra-ton 
les  vérités  et  les  devoirs  du  salut,  si  l'on  ne  vient  pas  sanc- 
tifier.le  dimanche  à  l'église,  puisqu'il  n'y  a  que  là  où  les 
fidèles  en  sont  complètement  instruits  ?  Et  pourtant,  quel 
devoir  est  plus  dédaigné  et  moins  observé  que  celui  de  la 
sanctification  des  dimanches  et  des  fêtes  !  A  part  quelques 
chrétiens  fidèles  à  ce  devoir,  que  de  chrétiens  qui  ne  sancti- 
fient jamais  le  dimanche,  ou  qui  ne  le  sanctifient  que  selon 
leurs  commodités  ou  leurs  caprices  !  De  là,  nous  venons  de 
le  dire,  cette  ignorance  de  plus  en  plus  profonde  des  vérités 
religieuses  dans  laquelle  croupissent  tant  d'àmes  rachetées 
par  le  sang  d'un  Dieu  ;  de  là  l'oubli  des  devoirs  les  plus 
sacrés  dans  lequel  vivent  ces  âmes  aussi  infortunées  que  cou- 
pables ;  de  là  l'immoralité  croissante,  de  là  l'indifférence,  a> 


XIII.   INSTRUCTION. 


là  l'impiété,  de  là  l'égoïsme  féroce,  de  là  les  haines  sauva- 
ges, de  là  tons  les  maux  qui  ont  envahi  la  société  chrétienne. 
que  les  peuples  sanctifient  le  dimanche  comme  ils  le  doi- 
vent, et  bientôt  tous  ces  maux  disparaîtront  graduellement, 
parce  qu'étant  toujours  mieux  instruits  des  vérités  et  des 
devoirs  de  la  religion,  leurs  actions  deviendront  chaque  jour 
plus  justes,  et  leur  conduite  pins  régulière  et  plus  parfaite. 
Ah  !  que  cette  terre,  bien  qu'étant  le  lieu  de  notre  épreuve, 
présenterait  pourtant  encore  un  beau  spectacle  aux  yeux  de 
Dieu  et  des  hommes  eux-mêmes,  si  le  dimanche  était  uni- 
versellement et  pieusement  sanctifié  !  Et  qu'on  y  goûterait 
encore  de  paix  et  de  douceur,  même  parmi  les  larmes  de 
l'exil  !  D'où  vient  donc  que  le  dimanche  est  si  peu  observé 
et  si  mal  sanctifié  ?  Cela  vient  de  diverses  causes,  et  tout 
d'abord,  de  ce  qu'on  n'a  pas  une  sérieuse  connaissance  de  la 
loi  qui  en  prescrit  le  respect  et  la  sanctification.  En  outre, 
on  ne  réfléchit  nullement  aux  convenances  et  aux  avantages 
de  cette  loi,  qui  constituent  sa  raison  d'être  et  sa  nécessité. 
Par  contre,  on  regarde  comme  raisons  valables  de  s'y  sous- 
traire les  prétextes  les  plus  futiles.  Enfin,  on  ne  sait  guère 
bien  non  plus,  assez  souvent,  ce  qu'il  faut  faire  pour  la  bien 
accomplir.  Telles  étant  les  causes  de  la  profanation  du 
dimanche,  le  plus  efficace  moyen  pour  amener  la  cessation 
d'une  profanation  aussi  criminelle  et  aussi  funeste,  est  donc 
de  combattre  et  de  faire  cesser  ces  causes.  C'est  ce  que  nous 
allons  faire,  en  montrant  :  premièrement,  la  suprême  certi- 
tude du  devoir  dominical  ;  deuxièmement,  les  multiples 
convenances  et  utilités  de  ce  devoir  ;  troisièmement,  la  futilité 
des  raisons  pour  lesquelles  on  le  viole  ;  quatrièmement 
enfin,  ce  qu'il  faut  faire  pour  l'accomplir.  — ■  Seigneur,  qui 
dans  votre  souveraineté,  dans  votre  sagesse  et  dans  votre 
bonté  pour  nous,  avez  vous-même  édicté  la  loi  du  dimanche, 
faites-nous-en  si  bien  comprendre  la  majesté  et  les  avantages, 
que  nous  l'accomplissions  de  manière  à  recueillir  les  fruits 
.excellents  pour  lesquels  vous  nous  l'avez  imposée. 

I.  —  Certitude  suprême   du   devoir   dominical.    — 

Beaucoup  de  chrétiens,  profondément  ignorants,  hélas  ! 
répètent  volontiers  que  ce  sont  les  prêtres  qui  ont  fait  la  loi 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  Et  LES  FETES. 


.>,).) 


de  la  sanctification  du  dimanche,  et  ils  en  concluent  que,  les 
prêtres  étant   des  hommes. comme  les  autres,  ils    n'ont  pas 
le  droit  de  Leur  imposer  dos  lois.  Ce  raisonnement  est  boi- 
teux de  plusieurs  manières,  aussi    bien  dans  ses  prémisses 
que  dans  sa  conclusion,  puisqu'il   n'est  pas  vrai,  ni  que  ce 
soni    Les  prêtres  qui  ont   fait  la  loi  du  dimanche,  ni  qu'ils 
soûl,  dans    la   société  chrétienne,  dos  hommes   comme  Les 
autres,  pas  plus  que  les  Législateurs  et  les  juges  ne  sont  des 
hommes  comme  les  autres  dans  la  société  civile.  Cependant, 
admettons  pour  un  moment  que  la  loi  dominicale  ne  vienne 
pas  directement  de  Dieu:   s'ensuivra-t-il   que  ee    n'est  pas 
pour  nous  un  devoir  certain  de  l'observer  ?   Y\  a-t-il  doue 
que   Les    Lois   venant  directement  de  Dieu  auxquelles  nous 
soyons  tenus  d'obéir  ?  La  loi  de  la  conscription,  par  exem- 
ple. Loi  extrêmement  dure,  est  une  loi  qui  certainement  n'a 
-  Dieu  pour  auteur. niais  qui  certainement  est  imposée  par 
hommes  aux   autres  hommes  :    dira-t-on  que    cette  loi 
ayant  été  faite  par  des  hommes,  ce  n'est  pas  un    devoir  de 
soumettre  ?  Oui,  sans  doute,  cette  loi  a  été  faite  par  des 
hommes,  mais  par  des  hommes  investis  du  pouvoir  de  l'aire 
des  lois;  et  voilà  pourquoi  cette  loi,  bien  que   n'émanant 
pas  de  Dieu  directement,  n'en  est  pas  moins  obligatoire.   Il 
en  serait  de  même  de  la  loi  du  dimanche,  alors  même  qu'elle 
aurait  été    faite   par  les  prêtres,  parce  que   les  prêtres  sont 
eux  aussi  investis,  dans   l'Église,  du    pouvoir  de    faire   des 
Lois 'obligatoires  pour  les  chrétiens,  en  vertu  de  ces  paroles 
du  divin  Maître  à  ses  apôtres  et  à  leurs  successeurs  :    Qui 
>  moi-même  (i). 
sachons  le   bien   tous  :  la  loi  de  la  sanctification  du 
dimanche    n'a    pas  élé    l'aile   par  les  prêtres,  encore    qu'ils 
eussen/eu  Le  pouvoir  de  la  faire,  si  elle  n^ût  pas  élé  faite, 
et  s'ils  eussent  jugé  qu'ils  devaient  la  faire  ;    mais  elle  a  été 
faite  directement  par  Dieu  Lui-même  et  Lui  seul. 

La  loi  du  dimanche,  du  repos  sanctifié  du  septième  jour, 
a  élé  faite  par  Dieu  lui  même  disons  nous  ;  et,  chose  remar- 
quable, elle  a  élé  observée  par  lui  aussi  tout  le  premier,  en 
même  temps  qu'il  l'instituait.  En   sorte  que  ce  qui  fut  dit 


i.  Luc.  x,  16. 


33/i       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   XIII.  INSTRUCTION. 

plus  tard  du  Sauveur  des  hommes,  qu'il  commença  par  faire 
ce  qu'il  devail  enseigner  (i),  est  vrai  également  du  souverain 
Créateur  et  Législateur.  Les  livres  saints  nous  apprennent 
en  effet  que  Dieu,  après  avoir  travaillé  à  la  création  du 
monde  pendant  six  jours,  se  reposa  le  septième.  Pourquoi  ces 
six  jours  de  travail,  et  pourquoi  ce  repos  au  septième  jour  ? 
Dieu  avait-il  donc  besoin  de  ces  six  jours  pour  faire  le  monde, 
et  après  ces  six  jours  de  travail,  avait-il  donc  besoin  de  se 
reposer?  Nullement  ;  pour  créer  le  monde,  et  mille  milliards 
de  mondes  plus  vastes  encore  que  le  nôtre,  il  ne  fallait  à 
Dieu  qu'un  acte  instantané  de  sa  volonté  ;  et  après  toutes 
les  créations  possibles,  il  n'aurait  pas  eu  plus  besoin  de 
repos  qu'avant  de  commencer.  Mais  il  a  agi  comme  il  l'a 
fait,  précisément  pour  donner  aux  hommes  l'exemple  de  ce 
qu'ils  devaient  faire  eux-mêmes,  et  leur  signifier  en  même 
temps  sa  loi  de  six  jours  de  travail  suivis  d'un  jour  de  repos 
sanctifié,  ainsi  qu'il  est  en  effet  écrit  :  Dieu  se  reposa  le 
seplièmejour,  et  il  bénit  le  septième  jour,  et  il  le  sanctifia  (2). 
La  loi  du  septième  jour  sanctifié  est  donc  la  première  et  la 
plus  sacrée  de  toutes  les  lois.  Adam  l'observa  dans  le  para- 
dis terrestre,  et  après  sa  faute,  Dieu,  tout  en  le  condamnant 
à  ne  plus  manger  du  pain  qu'à  la  sueur  de  son  front  (3),  lui 
maintint  la  loi  du  repos  hebdomadaire,  comme  un  adou- 
cissement et  une  consolation  dans  son  malheur.  Ses  enfants 
et  leurs  descendants  l'observèrent  à  leur  tour,  en  exécution 
de  sa  première  promulgation,  jusqu'au  jour  où  Dien  la  pro- 
mulgua de  nouveau,  par  l'organe  de  Moïse,  sur  le  mont 
Sinaï,  au  milieu  d'un  appareil  grandiose  et  vraiment  digne 
de  sa  toute-puissante  souveraineté  :  Souviens-toi,  dit-il  à  son 
peuple,  de  sanctifier  le  jour  du  repos.  Six  jours  lu  travailleras 
et  feras  tous  tes  ouvrages.  Mais  le  septième  jour  est  le  repos  du 
Seigneur  ton  Dieu  ;  ce  jour-là,  tu  ne  feras  aucune  œuvre,  ni 
toi,  ni  ton  fils,  ni  ta  fille,  ni  ton  serviteur,  ni  ta  servante,  ni  ton 
bétail,  ni  l'étranger  qui  habite  entre  tes  portes.  Car  en  six  jours 
le  Seigneur  a  fait  le  ciel,  la  terre,  la  mer  et  tout  ce  qu'ils  con- 

1.  Act.  1,  1. 

2.  Gen.  11,  2,  3. 

3.  Gen.  m,  19» 


DEYOlll  DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FETES.        335 

tiennent,  et  il  s'est  reposé  le  septième  jour  ;  voilà  pourquoi  le 
Seigneur  a  béni  le  jour  du  repos  et  /'((  sanctifié  (i). 

Ainsi,  remarquons-le  bien,  il  ne  s'agit  pas  ici  d'une  loi 
nouvelle.  En  disant  à  son  peuple  :  Souviens-loi  de  sanctifier 
le  jour  du  repos.  Dieu  fait  au  contraire  clairement  entendre 
que  la  loi  de  la  sanctification  du  jour  du  repos  existait  déjà 
et  étail  connue.  Il  se  borne  à  la  rappeler  et  à  la  renouveler. 
Vnc  preuve  certaine  que  la  loi  du  septième  jour  existait 
avant  la  promulgation  du  Sinaï,  c'est  qu'avant  cette  pro- 
mulgation, nous  la  voyons  mentionnée  et  solennellement 
observée  dans  le  désert  à  l'occasion  de  la  manne.  En  effet, 
celte  nourriture  miraculeuse  tombait  du  ciel  chaque  jour  de 
la  semaine,  mais  non  le  jour  du  repos  ;  en  sorte  que  les 
Israélites  devaient,  la  veille  de  ce  jour,  et  précisément  pour 
pouvoir  le  sanctifier,  ramasser  une  provision  double  (2). 

Et  que  personne  ne  croie  pouvoir  mettre  ces  faits  en 
doute,  que  l'on  soit  chrétien  ou  incrédule.  On  ne  peut  pas 
les  mettre  en  doute  si  l'on  est  chrétien,  puisqu'ils  sont 
rapportés  dans  nos  livres  saints,  et  que  douter  du  contenu 
de  ces  livres,  c'est  renoncer  à  la  foi  chrétienne.  —  Que  si 
l'on  se  prétend  incrédule,  qu'on  explique  alors  pourquoi, 
chez  tous  les  peuples,  civilisés  ou  sauvages,  alors  que  leurs 
lois  et  leurs  coutumes  sont  totalement  différentes  pour  tout 
le  reste  ;  que  l'on  explique  pourquoi,  disons-nous,  se 
retrouve  chez  tous  la  division  du  temps  en  sept  jours,  et 
chez  tous  aussi  l'un  de  ces  jours  consacré  au  culte  religieux  ? 
En  ne  tenant  compte  que  des  données  de  la  raison,  le  temps 
peut  se  diviser  de  mille  manières  différentes,  aussi  ration- 
nelles les  unes  que  les  autres  ;  il  devait  surtout  forcément 
arriver  que  chaque  peuple  aurait  sa  manière  propre  de 
grouper  et  de  compter  les  jours.  Cependant,  nous  le  répé 
Ions,  partout  et  invariablement  se  retrouve  le  nombre  septé- 
naire. Or,  quelle  explication  l'incrédule  peut-il  donner  de 
ce  phénomène  historique  ?  11  lui  est  impossible  d'en  donner 
aucune,  en  dehors  de  la  loi  instituée  par  Dieu  au  lendemain 
même  de  la  création.  Mais  avec  cette  loi  tout  s'explique.  En 

1.  Exod.  xx,  8-1 1. 

2.  Exod.  xvi,  i'i-'îo. 


336         LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIII.   INSTRUCTION. 

ciï'et,  lors  de  la  dispersion  des  hommes  par  toute  la  terre, 
chaque  groupe  emporta  avec  soi  le  souvenir  et  la  pratique 
de  la  loi  septénaire,  et  telle  est  la  raison  pour  laquelle  on  en 
a  partout  et  clans  tous  les  temps  retrouvé  des  vestiges. 

Encore  une  fois  donc,  personne  ne  peut  le  contester,  la 
loi  de  sanctification  du  septième  jour  remonte  à  l'origine 
même  du  monde,  et  c'est  Dieu  lui-même  et  Dieu  seul  qui 
en  est  l'auteur.  Par  conséquent,  il  n'y  a  pas  de  devoir  pour 
nous  plus  certain  et  plus  impérieux  que  celui  d'observer 
cette  loi,  en  sanctifiant  le  dimanche  (i).   Et  cela  ne  résulte 


i.  Certes,  Jésus-Christ,  qui  n'était  pas  venu  détruire  la  loi,  mais 
l'accomplir  et  la  perfectionner,  Matth.  v.  17,  n'a  pas  plus  abrogé  le 
troisième  commandement  que  les  autres  commandements  du  Décalo- 
gue.  Seulement,  comme  ce  commandement  avait  cela  de  particulier, 
qu'étant  fondé  sur  la  nature  quant  à  sa  substance,  il  procédait  sous 
d'autres  rapports  de  la  volonté  positive  du  législateur,  l'Église  de  Jiisis- 
Ghrist  a  exercé  sur  le  sabbat  cette  autorité  suprême  que  son  divin  Ins- 
tituteur s'était  solennellement  attribuée  quand  il  avait  dit  :  L'empire  du 
Fils  de  l'homme  s'étend  jusque  sur  le  sabbat  lui-même,  Mattb.  xn,  8.  La 
partie  variable  du  précepte,  c'est-à-dire  la  détermination  du  jour  spécial, 
fut  donc  changée.  La  juridiction  souveraine  qui  ordonna  ce  déplace- 
ment, ce  fut  celle  de  l'Église  :  Placuit  Ecclesiœ,  nous  dit  le  catéchisme 
du  concile  de  Trente,  p.  3,  c.  4,  n.  a5.  Toutefois,  le  témoignage  des 
Écritures  elles-mêmes,  coin  me  nous  le  verrons  tout  à  l'heure,  fait  re- 
monter si  haut  la  substitution  du  dimanche  ou  samedi,  qu'il  faut  enten- 
dre ici  par  l'autorité  de  l'Église  celle  du  collège  apostolique.  Et  quand 
on  sait  par  les  Actes  des  Apôtres  que  le  Christ  ressuscité  s'est  entretenu 
avec  eux  pendant  quarante  jours,  leur  parlant  du  royaume  de  Dieu, 
'Act.  1,  5,  c'est-à-dire  de  son  Église,  dont  il  leur  enseignait  toute  l'orga- 
nisation, ce  n'est  pas  aller  trop  loin  que  de  considérer  comme  un  résul- 
tat direct  des  instructions  divines  la  grande  mesure  législative  de  la 
transposition  du  sabbat.  —  Et  le  motif  de  celte  transposition  se  laisse 
facilement  comprendre.  Le  sabbat  ou  samedi  était,  depuis  l'origine  du 
inonde,  le  jour  consacré  au  Seigneur  ;  car,  c'était  le  jour  où  le  Seigneur, 
après  avoir  créé  le  monde,  s'était  reposé  ;et,  pour  cela,  Dieu  avait  béni 
ce  jour  et  l'avait  sanctifié.  En  outre,  depuis  la  sortie  de  la  terre  de 
Pharaon,  le  sabbat  était  plus  particulièrement  le  jour  saint  des  Juifs, 
parce  que  le  Seigneur  avait  fait  de  ce  jour  commémoratif  de  leur  déli- 
vrance, le  signe  visible  de  son  alliance  avec  eux  et  le  gage  de  leur  entrée 
dans  la  terre  promise.  Mais  voici  qu'une  nouvelle  création,  qu'une  nou- 
velle délivrance  ont  été  opérées  ;  voici  que  Dieu  entre,  après  un  nou- 
veau travail  dans  une  nouvelle  phase  de  repos  ;  voici  que  son  peuple 
est  mis  en  possession  d'une  nouvelle  terre  promise.  Vous  connaissez, 
nos  très  chers  frères,  tout  l'enchaînement  de  ces  mystères.  L'homme 
ayant  péché,  et  Dieu  ayant  résolu  de  le  sauver,  la  seconde  Personne  de 
l'auguste  Trinité,  arrachée  en  quelque  sorte  du  centre  de  son  repos  et 
de  sa  gloire,  descend  sur  la  terre,  où  elle  emploie,    non   pas   six  jours, 


DEVOIR  DE  SA.MCTlFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FETES.        337 

pas  seulement  d'une  rigoureuse  et  évidente  déduction  ;  cela 
résulte  encore  du  châtiment  dont  Dieu  a  voulu  que  fussent 
punis  les  violateurs  de  sa  loi,  et  qui  n'est  rien  moins  que 
La  peine  capitale,  c'est-à-dire  le  plus  grand  châtiment  qui 
puisse  être  infligé    en   ce    monde  :    Quiconque,    a-t-il  dit  en 

mais  trente-trois  années  dans  les  travaux  les  plus  pénibles  :  In  labori- 
bus,  a  juventute  mca  ;  Ps.  lxxxvii,  16  ;  travail  de  la  Rédemption,  nous 
disent  les  saints  docteurs,  nullement  comparable  à  celui  de  la  création, 
car  alors  Dieu  commandait  au  néant,  et  le  néant  ne  résiste  pas,  tandis 
qu'ici  Dieu  lutte  avec  le  péché  qui  est  son  irréconciliable  adversaire  ; 
travail  qui  se  termina  par  le  plus  dur  des  labeurs,  par  la  flagellation, 
par  la  crucifixion,  par  la  mort,  par  le  sépulcre;  travail  enfin  qui  ne 
cessa  qu'au  jour  de  la  résurrection,  alors  que  Jksls-Christ,  triomphant 
de  la  mort,  eut  achevé  l'œuvre  de  la  délivrance  et  de  la  réconciliation 
des  hommes,  et  que,  rentrant  en  possession  de  son  glorieux  repos,  il 
créa  véritablement  pour  nous  des  cieux  nouveaux  et  une  terre  nouvelle, 
et  nous  introduisit  dans  la  véritable  terre  de  promission.  Or  ce  jour  de 
la  résurrection  était  le  lendemain  du  sabbat.  Celui-ci  s'éclipsait  donc 
naturellement  devant  l'éclat  de  ce  nouveau  jour,  qui  sera  désormais 
appelé  le  dimanche  ou  jour  du  Seigneur  :  jour  consacré  par  les  plus 
grands  mystères  des  divines  opérations,  dit  le  pape  saint  Léon  ;  jour  où 
le  Père  avait  commencé  de  manifester  sa  gloire  par  la  création  primor- 
diale du  monde;  jour  où  le  Fils,  par  sa  résurrection,  a  détruit  la  mort  et 
rouvert  les  sources  d'une  vie  meilleure;  jour  où  l'Esprit-Saint,  en  des- 
cendant sur  les  apôtres,  a  fondé  définitivement  le  règne  spirituel  et 
éternel  de  l'Église  ;  Ep.  2.  ad  Diosc.  c.  1  ;  jour  surnaturel,  autant  supé- 
rieur au  sabbat  primitif  que  la  révélation  chrétienne  est  supérieure  à  la 
révélation  du  premier  jour,  autant  préférable  au  sabbat  judaïque  que 
la  nouvelle  alliance  l'emporte  sur  l'ancienne  ;  jour  qui  nous  donne,  dit 
saint  Hilaire,  toute  la  réalité  et  la  plénitude  de  ce  que  l'ancien  sabbat 
n'offrait  qu'en  figure  et  en  espérance  ;  Prolog,  in  Ps.  n.  12  ;  jour  qui  est 
le  commencement  de  la  création  nouvelle,  dit  saint  Athanase,  comme 
l'autre  sabbat  était  la  fin  de  la  création  première  ;  de  sabb.  et  circume. 
n.  i-4  ;  jour  que  le  Seigneur  Jésus  a  fait,  et  qui  sera  désormais  celui 
que  nous  devons  sanctifier  par  Je  repos  et  par  de  saintes  réjouissances  : 
Hœc  dies  quam  Jecit  Dominas,  exullemus  et  ketemur  in  ea  ;  Ps.  cxvu,  24. 
—  Depuis  ce  temps,  c'est-à-dire,  depuis  l'origine  même  du  Christianis- 
me ;  depuis  que  les  disciples,  au  témoignage  de  saint  Luc  et  de  saint 
Paul,  s'assemblaient  pour  la  fraction  du  pain,  et  pour  les  divines  ins- 
tructions le  premier  jour  après  le  sabbat;  Una  sabbati,  Act.  xx,  7,  per 
una'ti  sabbati,!.  Cor.  xvi,  2  ;  depuis  que  Jean,  relégué  dans  file  de 
Pathmos,  à  défaut  de  la  réunion  des  fidèles  dont  il  été  séparé,  fut  trans- 
porté en  esprit  un  jour  de  dimanche  dans  la  société  des  esprits  bienheu- 
reux :  In  dominica  die  ;  Apoc.  1,  10;  depuis  lors,  disons-nous,  la  loi  du 
dimanche  est  restée  invariablement  écrite  dans  le  code  du  Christianis- 
me. Elle  a  traversé  et  elle  traversera  tous  les  âges  sans  aucune  altération 
quelconque,  occupant  toujours  le  premier  rang  entre  toutes  les  lois 
positives  de  la  religion  (Card.  Pie,  Instr.  past.  sur  la  loi  du  dimanche, 
n.  6  et  7). 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.  —   T.   II.  23 


33S     les  Grands  devoirs  bu  salut.  —  xiii.  Instruction. 

effet,  travaillera  le  jour  du  repos  du  Seigneur,  qu'il  soit  mis  à 
mort  !  (i).  Et  ne  croyez  pas  que  cette  menace  ne  fût  qu'un 
simple  épouvantai!.  Tandis  que  les  Israélites  étaient  encore 
dans  le  désert,  un  homme  ayant  été  surpris  ramassant  du 
bois  le  saint  jour  du  repos,  Dieu,  consulté  par  Moïse,  or- 
donna formellement  que  le  profanateur  du  saint  jour  lut 
conduit  hors  du  camp  et  lapidé  par  tout  le  peuple,  ce  qui 
eut  lieu  (2).  Ah  !  grand  Dieu,  pouviez-vous  faire  plus  pour 
nous  inspirer  le  respect  de  votre  loi  et  l'observation  de 
votre  saint  jour?  Et  combien  ne  faut-il  pas  que  soient  en- 
durcis et  aveuglés  ceux:  qui  vous  résistent  et  vous  bravent  ! 
—  Encore  leur  conduite  pourrait-elle  paraître  moins  cri- 
minelle et  moins  insensée,  s'il  s'agissait  d'une  loi  difficile  à 
observer,  ou  dont  on  ne  pût  pas  bien  comprendre  la 
sagesse.  Mais  ce  n'est  nullement  le  cas  de  la  loi  du  saint 
repos,  Car  quoi  de  plus  facile  que  de  se  reposer?  Inutile 
sans  doute  de  le  démontrer.  Quand  à  la  sagesse  de  cette  loi, 
nous  allons  voir  qu'elle  est  bien  vraiment  toute  divine,  en 
examinant 

IL  —  Ses  convenances.  —  Remarquons-le  bien  avant 
d'aller  plus  loin  :  quand  même  nous  ne  comprendrions  nul- 
lement les  convenances  de  la  loi  du  saint  repos,  elle  n'en 
serait  pas  moins  obligatoire,  car  ce  qui  la  rend  obligatoire, 
c'est  uniquement  la  souveraine  autorité  de  Dieu,  qui  nous 
l'impose  ;  mais  il  est  bien  évident  aussi  que  la  connaissance 
de  son  utilité  et  de  ses  avantages  nous  aidera  puissamment 
à  l'accomplir. 

Or,  la  première  utilité,  la  première  convenance  de  la  loi 
du  saint  repos,  et  du  devoir  qui  en  découle  pour  nous, 
regarde  Dieu  lui-même.  C'est  Dieu,  nous  le  savons,  qui  nous 
a  créés,  ainsi  que  tout  ce  qui  nous  entoure,  et  qui  sert  non 
seulement  à  la  satisfaction  de  nos  besoins,  mais  encore  à 
l'agrément  de  notre  vie.  Que  nous  considérions  notre  corps 
ou  notre  âme,  notre  intelligence  ou  notre  mémoire,  notre 
force  ou  notre  santé,  nos  parents  ou   nos   enfants,  nos  mai- 

1 .  Exod  .  xxxv,  2. 

2.  Nura .  xv,  32-3(». 


DEVOIR  ni;  svvrniliai  l.i:s  niMWCims  Kl    LES  FETES.       .'>.'><) 

sons  ou  nos  domaines,  L'air  que  nous  respirons,  le  soleil  qui 
nous  éclaire,  le   Peu  qui   nous  réchauffe,  la  brise  qui  nous 
rafraîchit,  les  moissons  qui  grandissent  pour  nous  nourrir, 
le  chant  des  oiseaux  <jui  nous  égayé,  les  (leurs   des    prairies 
qui  charment  nos  regards,  tout  nous  vient  de  la  munificence 
et  de  la  honte  de  Dieu.  Dieu  est  doue   noire  bienfaiteur  par 
excellence,  et  nous   sommes  ses   obligés.  Or,   n'est-ce   pas 
pour  l'obligé  un  de\  oir  rigoureux:  de  témoigner  sa  reconnais- 
sance à  son  bienfaiteur,  cl  delà  lui  témoigner  en  proportion 
de  ses   bienfaits  ?  Qu'un   homme  complaisant,  je  suppose, 
nous  prête  simplement,  un  jour  d'embarras  pécuniaire,  l'ar- 
gent dont  nous  avons  besoin  pour  payer  une  dette;  et  cha- 
que fois  que    nous  le    rencontrerons,  nous  nous    ferons  un 
devoir  de  lui  en  témoigner  notre   reconnaissance,   sous  une 
forme  ou  sous  une   autre.  A  plus  forte   raison  devons-nous 
donc  témoigner  à  Dieu  notre  reconnaissance,  puisque  c'est 
de  lui,  nous  le  répétons,  que  nous  tenons  tout  ce  que  nous 
avons.  Cependant,  parce  que  Dieu  est  invisible,  et  peut-être 
encore  plus   à  cause  de  la  dureté  de  nos  cœurs,  l'immense 
majorité  des  hommes  ne  penseraient  jamais  à  lui  rendre  le 
tribut  de  reconnaissance  et  d'hommages  qui  lui  est  si  juste- 
ment du.  Voilà  donc  pourquoi  Dieu  a  voulu  que  les  hommes 
cessassent  leurs  travaux  au  bout  de  tous  les   six  jours,  et 
consacrassent  le  septième  à  penser  à  lui,  à  le  remercier  et  à 
l'honorer.  Des  sept  jours  qu'il  nous  donne  chaque  semaine, 
il  aurait  pu  ne  nous  en  donner  aucun,  ou  bien  exiger  qu'ils 
lui    fussent    tous  consacrés  ;   cependant  il   ne   s'en   réserve 
qu'un  seul  pour  lui:  trouvera-ton  que  ce  soit  trop?  Trou- 
verait-on   trop  exigeant  un  homme  qui,    ne    nous    devant 
rien,  nous  donnerait  chaque  semaine  sept  pièces   d'or,  à  la 
condition  d'en  employer  nue  pour  lui  faire  honneur?  Cer- 
tes, il  n'est  personne  qui  ne  considérât  comme  juste  de  se 
soumettre  à  cette  condition.  Eh  bien,  ce  ne   sont  pas    sept 
pièces  d'or  que  Dieu  nous  donne  chaque  semaine,  c'est  infi- 
niment plus,  puisque  c'est  sept  jours  de  vie.  Reconnaissons 
donc  qu'il  a  bien  Le  droit  d'en  réserver  un  pour  son  service, 
cl  que  c'est  pour  nous  un  devoir  de  toute  justice  de  l'em- 
ployer selon  ses  vues. 

Mais  ce  n'esl  pas  seulement  à   l'égard  de    Dieu,  que   la  loi 


3/jO       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIII.   INSTRUCTION. 

de  la  sanctification  du  septième  jour  est  convenable,  juste  et 
nécessaire,  c'est  encore  à  l'égard  de  l'homme.  En  formant 
l'homme,  Dieu  a  mis  en  lui  une  certaine  provision  de  for- 
ces, proportionnée  à  un  travail  de  six  jours,  précisément 
parce  qu'il  voulait  faire  du  septième  jour  un  jour  de  repos. 
L'homme  étant  ainsi  constitué  dans  son  corps,  la  loi  du 
repos  hebdomadaire  n'était  plus  une  loi  facultative,  mais 
bien  une  loi  nécessaire  et  indispensable,  et  il  fallait  que 
Dieu  la  portât,  quand  même  il  n'y  aurait  pas  été  lui-même 
intéressé.  Aussi  ceux  qui  la  violent,  au  mépris  de  la  volonté 
de  Dieu  et  de  leur  constitution,  subissent  inévitablement  les 
conséquences  même  corporelles  de  leur  désobéissance.  En 
effet,  en  faisant  de  leurs  forces  une  dépense  sans  relâche 
réparatrice,  comme  d'un  trésor  qu'on  gaspille,  ils  se  prépa- 
rent des  maladies  et  des  infirmités,  conséquences  de  leur 
épuisement,  abrègent  leur  vie  et  hâtent  leur  dernière 
heure  (i). 

La  loi  du  repos  septénaire  n'est  pas  moins  nécessaire  à 
l'âme  de  l'homme  qu'à  son  corps.  Cette  âme,  nous  le 
savons,  est  immortelle  de  sa  nature.  Mais  nous  savons  aussi 
qu'elle  n'ira  au  ciel,  dans  l'autre  vie,  qu'autant  qu'elle  aura, 
en  celle-ci,  évité  le  mal  et  fait  le  bien.  Or,  pour  éviter  le 
mal  et  faire  le  bien,  l'âme,  sans  cesse  en  butte  aux  embûches 
et  aux  attaques  de  ses  ennemis,  qui  sont  la  chair,  le  monde 
et  le  démon,  a  besoin  d'être  instruite,  éclairée,  encouragée, 
fortifiée.  Mais  quand  pourra-t-elle  recevoir  ces  lumières  et 
ces  exhortations  qui  lui  sont  nécessaires  ?  Sera-ce  pendant 
que  le  corps  se  livre  aux  durs  travaux  qui  l'accablent,  et  que 


i.  O  vous,  qui  raisonnez  avec  tant  de  justesse  quand  il  ne  s'agit  ni 
de  Dieu  ni  de  vous  ;  vous  qui  savez  si  bien,  de  temps  à  autre,  laisser 
reposer  votre  champ,  de  peur  d'en  épuiser  la  fécondité  ;  vous  qui  savez 
si  bien  qu'il  faut  détendre  un  ressort,  de  peur  qu'il  ne  perde  sa  force 
et  son  élasticité  ;  vous  qui  ne  voudriez  pas  abuser  ce  soir  de  l'ardeur 
de  cet  excellent  cheval  que  vous  avez  fatigué  ce  matin  par  une  course 
lointaine  ou  un  pénible  labeur  ;  pourquoi,  vous  qui  vous  montrez  si 
sages,  si  humains  partout  ailleurs,  seriez-vous  impitoyables  et  inhu- 
mains pour  vous-mêmes  ')  Pourquoi,  vous  qui  raisonnez  si  juste  quand 
c'est  la  voix  de  la  nature  qui  parle  toute  seule,  n'écouteriez-vous  plus  le 
langage  de  la  raison  quand,  à  la  voix  de  la  nature,  vient  se  joindre  la 
voix  imposante  et  sainte  de  la  loi  de  Dieu?  (L'Abbé  Grison,  L'Apôtre  miss. 
tome  i,  instr.  8). 


DEVOIB  DE  SANCTIFIEE  LES  DIMANCHES  ET  LES  FETES.        .">  \  i 

L'espril  est  toui  absorbé  par  les  besoins  de  la  vie?  Il  n'y  faut 
pas  penser,  car  L'homme  n'est  pas  capable  de  s'occuper 
sérieusement  de  choses  aussi  différentes,  comme  l'expérience 
le  prouve  surabondamment.  Il  faut  donc,  de  temps  en 
temps,  suspendre  les  travaux  qui  ont  pour  objet  la  vie  pré 
seule,  afin  que  lame  ait  le  loisir  de  s'occuper  des  intérêts 
de  l'éternité.  Or,  ici  encore,  après  qu'on  a  donné  six  jours 
pour  les  besoins  du  corps  et  de  la  vie  présente,  est-ce  trop 
de  consacrer  un  jour  aux  besoins  de  l'âme  et  aux  intérêts 
de  l'éternité  P  \li  !  combien  ne  serait-il  pas  plus  juste  de 
consacrer  six:  jours  aux  besoins  de  l'âme,  et  un  jour  seule- 
mentaux  besoins  du  corps  !  Que  de  saints  qui  s'occupaient 
à  peine  des  eboscs  du  temps,  et  ne  pensaient  qu'à  celles  de 
L'éternité  !  Et  qui  oserait  dire  que  cette  manière  d'agir  n'est 
pas  la  plus  prudente  et  la  plus  sage?  Ah  !  qu'ils  s'applaudis- 
sent et  sont  heureux  maintenant  de  la  conduite  qu'ils  ont 
menée  !  Dieu  toutefois,  ayant  égard  à  notre  faiblesse,  ne 
nous  en  demande  pas  autant.  Mais  quand  il  nous  prescrit 
de  consacrer  un  jour  chaque  semaine  pour  nous  occuper 
tout  spécialement  de  la  grande  affaire  de  notre  salut,  recon- 
naissons que  sa  loi  est  aussi  modérée  qu'indispensable. 

Ainsi,  que  l'on  considère  la  loi  du  saint  repos  par  rapport 
à  Dieu  notre  bienfaiteur,  à  qui  nous  devons  témoigner  notre 
reconnaissance  ;  ou  bien  par  rapport  à  notre  corps,  dont  les 
forces  sont  bornées  et  qui  a  besoin  de  repos  ;  ou  bien  par 
rapport  à  notre  àme,  qui  a  besoin  d'être  instruite  et  soute- 
nue pour  se  sauver  en  faisant  le  bien  et  en  évitant  le  mal  : 
on  est  forcé  de  convenir  que  cette  loi  est  tout  à  fait  utile  et 
absolument  nécessaire.  D'où  il  suit  que  c'est  pour  nous  un 
devoir  de  l'accomplir,  non  seulement  à  cause  de  la  souve- 
raine autorité  de  Dieu  qui  l'a  instituée,  mais  encore  à  cause 
de  sa  nécessité.  —  Voyons,  par  contre, 

III.  —  Combien  sont  futiles  les  prétextes  qu'allè- 
guent ceux  qui  la  violent.  —  L'un  de  ces  prétextes,  le 
plus  vulgaire,  est  celui-ci  :  On  mange  le  dimanche  comme 
les  autres  jours,  il  faut  donc  aussi  travailler  le  dimanche 
comme  les  autres  jours.  —  Pour  ceux  qui  parlent  ainsi, 
manger  est  donc  la  grande  affaire,    celle  qui  l'emporte  sur 


6l\  2        LES  GRANDS    DEVOIRS  DU   SALUT.   XIII.    INSTRUCTION. 

toutes  les  autres,  sur  celle  du  salut  en  particulier,  puisqu'ils 
sacrifient  cette  seconde  affaire  à  la  première.  En  quoi  ils  se 
mettent  en  contradiction  avec  Notre-Seigneur,  qui  enseigne 
tout  au  contraire  que  la  grande  affaire  de  l'homme,  celle 
qu'il  doit  faire  passer  avant  toutes  les  autres,  c'est  celle  de 
son  salut.  En  effet,  quand  même  il  faudrait,  pour  observer 
le  dimanche,  s'abstenir  de  manger  ce  jour-là,  il  n'y  aurait 
rien  là  de  bien  effrayant  et  d'impraticable  ;  tandis  que 
manquer  son  salut,  voilà  la  chose  vraiment  effrayante  et 
sans  remède.  Mais  il  ne  s'agit  nullement  de  ne  pas  manger 
le  dimanche,  et  il  n'est  pas  vrai  que,  pour  manger  ce  jour-là, 
il  faut  aussi  qu'on  travaille.  Combien  de  jours  n'y  a-t-il  pas, 
où  ceux  qui  tiennent  ce  propos  rebattu,  mangent  et  surtout 
boivent  sans  rien  faire  !  Ce  sont  en  effet,  le  plus  souvent, 
ceux  qui  ne  manquent  ni  fêtes,  ni  foires,  ni  marches,  ou 
bien  qui  remplacent  le  dimanche  par  le  lundi  (i).  Ne  man- 
gent-ils donc  pas,  tous  ces  jours  où  ils  ne  font  rien,  et  où 
ils  dépensent  certainement  plus  que  s'ils  sanctifiaient  le 
dimanche  ?  Ce  prétexte  manque  donc  de  sincérité,  et  n'est 
qu'une  pitoyable  défaite  dans  la  bouche  de  ceux  qui,  par 
avarice  ou  pour  quelque  autre  raison  qu'ils  n'osent  pas 
avouer,  sont  assez  aveugles  et  assez  malheureux  pour  violer 
la  sainte  loi  qui  prescrit  la  sanctification  du  septième  jour. 

i.  L'ouvrier  remplacera  le  saint  repos  du  dimanche  par  les  plaisirs 
bruyants  et  désordonnés  du  second  jour  de  la  semaine,  le  jour  de  Dieu 
par  le  jour  de  l'homme  :  jour  qui  ne  sera  pas  comme  le  premier  un 
temps  de  prière  et  de  salut,  mais  un  jour  de  colère  et  de  calamité,  un  jour 
d'amertume  et  de  ruine.  Il  n'a  pas  voulu  quitter  son  travail  pour  aller 
prier  et  s'instruire  dans  nos  temples  ;  il  ira  sacrifier  dans  un  autre 
sanctuaire  et  sur  d'autres  autels  son  temps,  sa  santé,  son  salaire  et  jus-' 
qu'à  sa  raison.  11  immolera  tout  au  dieu  de  l'intempérance  et  de  la 
débauche  ;  et  puis,  revenant  au  milieu  d'une  famille  tremblante  et 
éplorée,  il  fera  lever  sur  elle  un  jour  de  colère  par  des  excès  qui  met- 
tront tout  en  confusion  dans  sa  demeure,  et  il  épuisera  les  dernières 
forces  qui  lui  restent  à  accabler  de  traitements  barbares  une  épouse 
qui  ne  le  méritait  pas,  et  des  enfants  dignes  d'un  autre  père.  Ce  sera 
aussi  un  jour  de  misère  et  d'amertume  pour  une  mère  qui  apprendra 
qu'elle  n'a  plus  de  pain  à  donner  à  ses  jeunes  enfants,  plus  de  vête- 
ments pour  les  couvrir,  plus  de  paille  pour  les  coucher,  parce  que  de 
brutales  passions  ont  tout  dévoré,  et  jusqu'à  l'instrument  de  travail  mis 
en  gage  pour  assurer  le  paiement  d'une  dette  honteuse  :  Dies  calamiia- 
tis  et  miseriœ.  Soph.  i,  i5  (Card.  de  Bonald,  Instr.  past.  sur  la  sanct.  du 
dim.). 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FÊTES.        34û 


Qu'ils  se  souviennent  lyeii  que  c'esl  Dieu  seul  qui  donne  le 
manger  el  le  boire,  ainsi  que  tout  Le  reste,  el  qu'ils  craignent 
de  lui  Fermer  la  main  par  leurs  offenses. 

—  Soit,  disent  d'autres  pauvres  chrétiens  qui  se  croient 
mieux  armés  contre  la  loi  divine  ;  bien  sûr  que  si  l'on  ne 
travaille  pas  le  dimanche,  on  ne  jeûnera  pas  pour  cela.  Tou- 
jours est-il,  cependant,  (pie  celui  qui  ne  travaille  pas  le 
dimanche  perd  sa  journée,  et  qu'au  bout  d'un  an,  de  dix: 
ans,  de  vingt  ans,  la  perle  devient  considérable.  —  Ce  rai- 
sonnement, fût-il  fondé,  qu'il  ne  saurait  justifier  la  profana- 
tion du  dimanche  (i).  Il  n'est  nullement  nécessaire,  encore 
une  fois,  que  nous  réalisions  tous  les  bénéfices  qu'il  nous  est 
possible  de  réaliser  :  au  jour  de  la  mort,  à  quoi  nous  servira 
ce  que  nous  aurons  amassé  ?  Ce  qui  est  nécessaire,  ce  qui 
est  indispensable,  c'est  d'obéir  à  ce  que  Dieu  nous  commande, 
puisque  toute  désobéissance  sera  impitoyablement  châtiée, 
comme  nous  l'apprend  l'exemple  d'Adam.  Mais  il  n'est  pas 
vrai  que  ce  raisonnement  soit  fondé  en  fait.  C'est-à-dire,  il 
n'est  pas  vrai  que  celui  qui  sanctifie  le  dimanche  perde  plus 
que  celui  qui  ne  l'observe  pas.  >»ous  en  avons  déjà  fait  la 
remarque  :  les  forces  de  l'homme  sont  limitées,  et  ont 
besoin  de  repos  pour  se  conserver  ;  la  science  le  démontre, 
l'expérience  le  confirme.  Celui  qui  observe  le  dimanche,  par 
cela  même  qu'il  ménage  ses  forces,  et  par  conséquent  sa 
santé  et  sa  vie,  celui-là,  dis-je,  travaillera  mieux  les  six  jours 
de  la  semaine,  et  pendant  un  plus  grand  nombre  d'années. 
Au  contraire,  celui  qui  n'observe  pas  le  dimanche,  par  cela 

i.  Quand  même  l'observation  du  dimanche  imposerait  à  l'ouvrier  le 

sacrifice  de  quelque  gain,  de  quelque  intérêt  temporel,  Dieu  n'a-t-il  pas 
le  droit,  par  hasard,  de  nous  imposer  ce  sacrifice  ?  Sur  tant  d'années, 
sur  tant  de  jours  qu'il  veut  bien  nous  accorder,  sans  que  nous  puissions 
lui  indiquer  ni  terme,  ni  règle,  ni  mesure,  il  veut  en  réserver  quelqueSr 

uns  pour  lui,  de  ces  jours  qu'il  multiplie  et  prolonge  selon  les  décrets 
toujours  adorables  de  sa  providence  ;  qui  oserait,  qui  pourrait  venir  ici 
réclamer  et  se  plaindre  ?  Voyez  ce  propriétaire  qui  loue  son  champ  ou 
sa  maison  :  c'est  un  loyer  ou  un  fermage  de  tant,  qu'il  relient  pour  lui  ; 
voyez  ce  capitaliste,  ce  millionnaire  qui  prête  ses  tonds  :  c'est  un  inté- 
rêt de  tant,  qu'il  relient  annuel  lemcul .  VA  Dieu,  le  grand  capitaliste, 
Dieu,  le  grand  propriétaire  de  qui  viennent  et  la  vient  tous  les  biens 
de  la  vie,  n'aurait  pas  le  droit  de  conserver  pour  lui  quelque>-unes  de 
ces.  journées,  quclque>-unes  des  parcellps.  dp  eps  immenses  trésors  qu'il 
prodigue  à  tous  I  (Guisos,  loc.  cit.). 


3/j/l       LES   GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT. XIII.  INSTRUCTION. 

même  qu'il  ne  ménage  pas  ses  forces,  fera  moins  de  travail 
les  autres  jours  ;  et  parce  qu'en  ne  ménageant  pas  ses  forces 
il  ne  ménage  pas  non  plus  sa  santé,  souvent  il  sera  atteint 
de  maladies  qui  le  forceront  à  suspendre  tout  travail  pen- 
dant des  semaines  et  des  mois,  ctenfin  une  vieillesse  préma- 
turée le  mettra  au  rang  des  invalides  du  travail  bien  plus 
tôt  que  s'il  eût  économisé  ses  forces  et  sa  santé,  en  ne  les 
dépensant  pas  mal  à  propos  le  dimanche.  Qui  donc,  des 
deux,  aura  le  plus  gagné,  soit  à  la  fin  de  la  semaine,  soit  à 
la  fin  de  sa  vie?  Ainsi  apparaît  dans  tout  son  jour  la 
vérité  de  cette  remarque  qu'on  a  faite  dans  tous  les  siè- 
cles, que  jamais  le  travail  du  dimanche  n'a  enrichi  per- 
sonne (i). 


i.  Mais  je  veux  que  tout  réussisse  au  gré  de  vos  désirs,  et  que,  d'an- 
née en  année,  vous  voyiez  monter  votre  position,  votre  fortune,  au 
niveau  de  tous  vos  plans  d'avenir  ;  je  veux  que  tous  les  accidents  et  les 
revers  passent  loin  de  vous  et  de  votre  famille  ;  bientôt,  et  ce  bientôt 
est  immanquable,  et  ce  bientôt  arrivera  bien  plus  vite  que  vous  ne  pen- 
sez ;  bientôt. ..  un  homme  sera  étendu,  pâle  et  livide,  sur  un  lit  ;  la 
mort  viendra  poser  sa  main  glacée  sur  le  front  de  cet  homme...  et  cet 
homme  ce  sera  vous  !  On  vous  roulera  dans  un  drap  devenu  un  linceul  ; 
on  vous  jettera  dans  la  terre  avec  ce  seul  débris  de  vos  biens  et  de  votre 
fortune,  et  alors,  Quid  prodesl  ?  Que  vous  servira  cette  fortune  ?  Que 
vous  serviront  ces  quelques  pièces  d'or  et  d'argent  amassées  le  diman- 
che ?  Ah  !  à  quoi  serviront-elles  ?  à  vous  valoir  un  compte  plus  terrible, 
une  éternité  plus  affreuse  (Grison,  loc.  cit.). 

En  travaillant  le  dimanche,  je  vois  bien  ce  que  vous  perdez,  je  cher- 
che vainement  ce  que  vous  gagnez.  Vous  perdez  un  repos  nécessaire  à 
la  réparation  de  vos  forces,  vous  usez  plus  vite  votre  vie,  vous  vous  pri- 
vez des  douceurs  du  foyer  domestique,  des  consolations  de  la  foi,  de  ce 
sentiment  d'une  conscience  contente  d'elle-même,  qui  verse  tant  de  joie 
et  de  paix  dans  un  cœur  fidèle.  Mais  au  bout  de  la  semaine,  que  trouvez- 
vous  sous  votre  main  ?  Un  salaire  égal,  ni  plus  ni  moins,  à  celui  que 
vous  auriez  obtenu  si  vous  n'eussiez  travaillé  que  six  jours.  C'est  un 
axiome  en  économie  commerciale,  que  plus  la  marchandise  est  offerte, 
plus  elle  perd  de  sa  valeur  vénale.  Il  n'y  a  aucune  raison  pour  qu'il 
en  soit  autrement  de  la  main-d'œuvre.  Le  prix  des  journées  se  règle  sur 
le  nombre  des  ouvriers  qui  se  présentent  sur  la  place,  sur  le  nombre  de 
bras  qui  demandent  à  être  employés.  En  travaillant  tous  les  jours  de  la 
semaine,  y  compris  le  dimanche,  vous  augmentez  évidemment  ce  nom- 
bre d'un  septième,  et  le  taux  du  salaire  subit  nécessairement  une  réduc- 
tion proportionnée.  Si  votre  travail  profite,  ce  n'est  donc  pas  à  vous, 
mais  au  maître  qui  voit  grossir  la  masse  de  la  production,  sans  que  sa 
caisse  en  ait  souffert  un  accroissement  de  dépense  (Gard.  Giraud,  Ir}S(r, 
past.  sur  la  loi  du  repos  domir}ical.  Carême  18^6). 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER   LES  DIMANCHES  ET  LES  FUTES.  345 

—  Mais,  dit-on  encore,  n'cst-il  pas  vrai  au  moins  que  la 
suspension  des  affaires  el  des  travaux,  voulue  par  la  loi  du 
dimanche,  nuit  à  la  prospérité  de  l'industrie  et  du  com- 
merce ?  —  Et  quand  cela  serait  vrai  :  la  fin  de  l'homme  en 
ce  monde  est-elle  donc  de  favoriser  le  commerce  et  l'indus- 
trie ?  N'est-ce  pas  au  contraire  le  commerce  et  l'industrie  qui 
ont  pour  but  de  concourir  au  bien  de  l'homme  ?  Que 
l'homme  ne  soit  donc  pas  sacrifié  aux  exigences  du  com- 
merce et  de  l'industrie,  mais  qu'au  contraire  le  commerce 
et  l'industrie  soient  adaptés  aux  conditions  physiques  et 
morales  dans  lesquelles  se  trouve  l'homme.  Ainsi,  alors 
même  que  le  commerce  et  l'industrie  auraient  à  souffrir  de 
la  loi  du  dimanche,  la  raison  toute  seule  elle-même  exige- 
rait l'observation  de  cette  loi  ;  car  il  est  bien  naturel  et  bien 
juste  que  ce  soient  l'industrie  et  le  commerce  qui  aient  à 
souffrir,  plutôt  que  l'homme.  Mais  cela  non  plus  n'est 
pas  vrai.  Bien  mieux,  c'est  tout  le  contraire  qui  est  la 
vérité.  C'est-à-dire  que,  comme  la  loi  du  dimanche  a  été 
calculée  par  Dieu  pour  le  bien  de  l'homme,  ainsi  a-t-elle 
été  pareillement  calculée  par  lui  pour  le  bien  de  toutes 
ses  entreprises.  Car  ce  n'est  pas  de  Dieu  qu'on  peut  dire  que 
sa  vue  est  toujours  courte  par  quelque  endroit  ;  rien 
au  contraire  n'échappe  à  son  regard,  et  jamais  ses  lois  ne 
peuvent  aller  à  l'encontre  d'aucun  intérêt  légitime.  C'est 
pourquoi  ceux  qui  violent  la  loi  du  dimanche  au  profit, 
croient-ils  dans  leur  courte  sagesse,  de  l'industrie  et  du 
commerce,  ne  font  précisément  qu'entraver  et  retarder  leur 
développement  naturel  et  régulier.  Car  on  ne  saurait  être 
sage  contre  Dieu.  Que  voyons-nous  en  effet  de  nos  propres 
yeux?  Nous  voyons  l'industrie,  foulant  aux  pieds  la  loi  du 
dimanche,  produire  des  marchandises  avec  une  sorte  de 
vertige,  et  le  commerce  violer  aussi  le  dimanche  pour  négo- 
cier et  écouler  ces  marchandises.  Mais  parce  que  la  consom- 
mation ne  correspond  pas  à  ces  productions  exagérées  et  à 
ce  négoce  effréné,  bientôt  il  se  produit  forcément  des  arrêts 
et  des  chômages  qui  ruinent  patrons  et  ouvriers,  au  grand 
détriment  de  l'industrie  et  du  commerce  qu'on  prétendait 
servir.  Que  les  industriels  et  les  commerçants  respectent  la 
loi  du  dimanche,  et  ces  crises  seront  évitées,    et  leurs  allai- 


3/^6       LES   GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  XIII.   INSTRUCTION. 

res,  si  elles  progressent  plus  lentement,    progresseront  du 
moins  plus  sûrement  (i). 

i.  Il  faut  prendre  garde  que  si  les  jours  de  travail  produisent,  c'est 
le  jour  du  repos  qui  consomme.  Et  pour  ne  parler  d'abord  que  de  la 
consommation  à  laquelle  le  dimanche  concourt  directement,  il  suffit 
d'ouvrir  les  yeux  pour  voir  à  combien  de  rouages  industriels  et  com- 
merciaux le  repos  fécond  du  saint  jour  donne  le  mouvement,  à  com- 
bien de  spéculations  et  d'entreprises  il  apporte  honneur  et  profit  : 
construction  et  entrelien  des  monuments  religieux,  ouvrages  d'art  en 
architecture,  en  peinture,  en  statuaire,  en  musique  ;  impression  des  heu- 
res d'Église  et  des  livres  liturgiques,  étoffes  précieuses  brochées  d'or  et 
de  soie,  vases  sacrés  où  la  perfection  du  travail  le  dispute  à  la  richesse 
de  la  matière,  délicates  ciselures,  élégantes  broderies,  tissus  de  fin  lin, 
riches  tapis,  vastes  tentures,  brillantes  soieries,  fournitures  des  par- 
fums de  l'Orient  pour  le  service  de  l'encensoir,  et  du  produit  des  abeil- 
les pour  le  service  du  luminaire  ;  c'est  par  centaines  que  l'on  peut 
compter  les  industries,  et  par  milliers  les  artistes  et  ouvriers  de  tout 
genre  que  les  besoins,  ou  les  splendeurs  du  culte  font  vivre  et  prospé- 
rer. Mais  le  culte  lui-même  ne  subsiste  en  quelque  sorte  que  par  le 
dimanche,  qui  en  est  la  plus  éclatante  et  la  plus  solennelle  expression. 
Si  vous  ôtez  le  dimanche,  il  n'est  plus  besoin  de  tous  ces  services  et  de 
toutes  ces  pompes,  et  vous  retrancherez  du  même  coup  toutes  les  bran- 
ches de  commerce  qui  leur  doivent  leur  vert  feuillage  et  leur  riche 
fécondité.  Et  n'en  avons-nous  pas,  sous  nos  yeux  et  à  nos  portes,  une 
preuve  aussi  fâcheuse  que  concluante  ?  N'est-il  pas  vrai  que  la  fabrica- 
tion de  ces  toiles  renommées,  honneur  de  notre  Flandre,  a  ressenti  le 
contre-coup  de  la  commotion  qui  a  ébranlé  l'Église  d'Espagne  dans  ses 
vieux  fondements  ?  N'avons-nous  pas  entendu  nos  fabricants  se  plain- 
dre que  depuis  les  malheurs  qui  l'ont  frappée,  qui  ont  fermé  ses  mo- 
nastères, décimé  son  clergé  et  appauvri  les  ressources  de  ses  temples, 
l'industrie  linière,  si  importante  dans  nos  contrées,  avait  subi  un  déficit 
énorme  dans  la  valeur  et  l'importation  de  ses  produits  ?  Voilà  pour  la 
consommation  sur  laquelle  le  dimanche  exerce  une  action  immédiate. 
Mais  il  lui  ouvre  indirectement  des  débouchés  plus  considérables  encore 
dans  les  relations  de  famille,  d'amitié,  de  bienséance,  qu'il  autorise  et 
encourage.  On  peut  dire  qu'au  village  tout  le  luxe  modeste  qui  se  dé- 
ploie dans  les  parures  comme  dans  les  banquets,  a  son  attrait  dans  les 
fêtes  et  les  dimanches.  Pour  se  rendre  à  l'église,  il  faut  une  mise 
décente  ;  cela  n'est  pas  nécessaire  pour  hanter  le  cabaret,  pour  conduire 
la  charrue,  pour  manœuvrer  les  machines.  Et  dans  les  villes  mêmes,  les 
ouvriers  de  toutes  les  classes  spéculent  sur  le  dimanche  comme  sur  le 
jour  qui,  par  la  consommation  des  produits,  doit  leur  payer  toutes  les 
sueurs  de  la  semaine  ;  et,  comme  la  plupart  des  industries  profanent 
ce  saint  jour,  elles  se  montrent  en  cela  aussi  ingrates  qu'inconsé- 
quentes :  ingrates,  car  si  le  dimanche  les  fait  vivre,  elles  devraient  le  res- 
pecter, ne  fût-ce  que  par  un  sentiment  de  délicatesse  et  de  bienséance  ; 
inconséquentes,  car  il  ne  tient  pas  à  elles  que  toute  la  société,  se  réglant 
sur  leurs  exemples,  ne  tarisse  la  source  la  plus  abondante  de  leur 
prospérité.  —  On  invoque  contre  le  repos  du  dimanche  les  intérêts  du 
commerce  et  de  l'industrie  !  Mais  où  le  commerce  est-il  plus  actif,  l'in- 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FÊTES.        3 '17 

Tels  sont  les  principaux  prétextes  qu'on  allègue  commu- 
nément contre  la  loi  divine  du  repos  sanctifié.  On  le  voit, 
la  moindre  réflexion,  comme  nous  l'avons  dit,  suffit  pour 
en  faire  comprendre  L'inanité.  11  en  est  de  même  des  autres 
qu'on  peut  encore  mettre  en  avant,  et  auxquels  le  temps  ne 
nous  permet  pas  de  nous  arrêter  (i).  Que  personne  donc  ne 

dustrie  aussi  florissante,  que  dans  celte  île  aussi  jalouse  qu'enviée  de 
sos  voisins,  où  mille  voiles  apportent  chaque  jour  les  tributs  des  deux 
inondes,  que  mille  autres  navires  courent  ensuite  distribuer  à  tous  les 
peuples  de  la  terre,  et  où  des  milliers  de  puissantes  machines,  servies 
par  des  millions  de  bras,  fabriquent  des  étoffes  plus  qu'il  n'en  faudrait 
pour  vêtir  tous  les  enfants  d'Adam  répandus  sur  la  surface  du  globe 
habité  ?  Chose  admirable  et  digne  de  toute  l'attention  de  l'observateur  ! 
Dans  celle  perpétuelle  activité  de  la  pensée  et  de  la  main  ;  dans  ce  tour- 
billon de  projets,  de  craintes,  d'espérances  ;  dans  cette  lutte  et  cette  con- 
currence animée  d'intérêts  qui  rendent  cette  terre  plus  mobile  et  plus 
animée  que  ne  sont  les  flots  qui  baignent  ses  rivages,  il  est  inouï  qu'un 
jour  de  dimanche,  un  seul  atelier,  un  seul  bureau,  un  seul  comptoir, 
soit  ouvert,  qu'un  seul  magasin  blesse  l'œil  chrétien  par  l'étalage  de  ses 
marchandises,  qu'on  fasse  du  moins  ostensiblement,  ce  qu'on  appelle 
une  affaire.  Les  services  publics  même  sont  interrompus.  Le  jeu  de  ce 
mécanisme,  compliqué  de  tant  de  ressorts  divers,  s'arrête  brusquement, 
comme  un  vaisseau  qui  s'asseoit  sur  ses  ancres  ;  et  l'Angleterre  protes- 
tante, cette  nation  toute  industrielle  et  toute  marchande,  dont  on  peut 
dire  que  toute  la  pensée  est  dans  le  calcul  et  toute  l'âme  dans  l'ardeur  du 
gain,  donne  aux  nations  catholiques,  de  qui  elle  devrait  la  recevoir, 
cette  leçon  de  respect  pour  le  jour  dont  la  religion  a  consacré  le  repos 
(Card.  Gikaid,  loc.  cit.). 

i.  Le  dimanche  est  contraire  aux  intérêts  du  peuple  ?  Mais  tout  ce 
qui  conserve  l'union  dans  les  familles  et  entretient  l'affection  entre  les 
amis  ;  tout  ce  qui  incline  à  une  réciproque  assistance  dans  le  malheur, 
et  à  une  réconciliation  après  de  longues  inimitiés;  tout  ce  qui  rappro- 
che les  grands  et  les  petits,  inspire  à  ceux-là  une  humble  modération 
dans  la  prospérité,  et  à  ceux-ci  une  sainte  fierté  dans  leurs  peines  ; 
tous  ces  sentiments  de  charité,  de  paix,  de  bienfaisance,  sont-ils  oppo- 
sés aux  intérêts  du  peuple  ?  Où  ces  sentiments  si  nobles  et  si  chrétiens 
peuvent-ils  se  manifester  avec  plus  d'abandon  et  de  sincérité,  que  dans 
la  réunion  des  fidèles  le  jour  du  dimanche,  au  milieu  de  nos  saintes 
assemblées  dans  la  maison  du  Dieu  de  miséricorde  ?  Là,  le  besoin  de  se 
voir,  de  se  fréquenter  rapproche  ces  hommes  qui,  sans  ce  saint  repos, 
eussent  vécu  isolés  sans  alfcclion  entre  eux,  parce  qu'ils  ne  se  seraient 
presque  jamais  vus  ;  sans  estime  mutuelle,  parce  qu'ils  n'auraient  pu 
s'apprécier  ;  sans  aucun  échange  entre  eux  de  services  et  de  bienfaits, 
parce  que  l'égoïsme  les  eût  rendus  insensibles  aux  malheurs  ou  aux 
besoins  du  prochain.  Là  est  mise  en  pratique  l'égalité  entre  tous  les 
homme-;,  puisque  le  pauvre  couvert  de  haillons  vient  prendre  place  au 
banquet  du  Père  de  famille,  à  côté  du  riche  vêtu  avec  opulence,  et  que 
le  même  pain  est  distribué  à  l'un  et  à  l'autre  sans   distinction  de  rang, 


3^8        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. XIII.  INSTRUCTION. 

se  laisse  impressionner  par  d'aussi  misérables  raisonne- 
ments, mais  s'attache  étroitement  à  cette  loi,  que  mainte- 
nant nous  savons  être,  non  seulement  inattaquable,  mais 
encore  aussi   bienfaisante  par   ses  effets,  que  sacrée  par  la 


de  fortune  et  de  dignité,  parce  qu'en  présence  du  Dieu  qui  réside  dans 
nos  tabernacles,  comme  devant  le  Dieu  qui  nous  jugera  sur  son  tribu- 
nal, il  n'y  a  que  la  vertu  qui  soit  une  dignité,  la  fidélité  à  observer  la 
loi  du  Seigneur  qui  soit  une  distinction,  la  sainteté  qui  soit  une 
noblesse.  Là,  la  parole  est  un  glaive  qui  frappe  indistinctement  les  juges 
de  la  terre  et  leurs  justiciables  ;  là  le  prêtre  de  Dieu  est  le  prophète  qui 
tonne  contre  le  ravisseur  de  la  brebis  du  pauvre  et  console  le  pauvre  de 
l'injustice  du  puissant.  Là,  le  fidèle  ne  passe  pas,  pour  se  rendre  au 
saint  lieu,  devant  la  tombe  d'un  parent  qui  l'a  précédé  dans  l'éternité, 
ou  n'entend  pas  prononcer  son  nom  au  milieu  du  saint  sacrifice,  sans 
lui  donner  un  souvenir  par  ses  prières  et  par  ses  larmes,  et  resserrer 
ainsi  des  liens  que  la  mort  avait  cru  rompre,  mais  que  la  religion  rend 
plus  forts  que  le  temps  et  la  mort.  Ainsi,  une  fois  par  semaine,  la  loi 
de  Dieu  rappelle  à  chacun  ses  obligations  ;  elle  passe  un  niveau  salu- 
taire sur  toutes  les  conditions  ;  elle  nous  rappelle  à  tous  que  nous  som- 
mes frères,  que  la  même  terre  attend  notre  dépouille  mortelle,  et  que  le 
même  ciel  nous  prépare  une  couronne.  Si  le  repos  du  dimanche  n'est 
point  observé,  ces  grandes  vérités,  qui  seules  peuvent  maintenir  la  paix 
dans  la  société,  s'effaceront  de  la  mémoire  des  hommes.  C'est  alors  que 
les  intérêts  du  peuple  seront  compromis  !  (Card.  De  Bonald,  loc.  cit.). 

Si  l'on  ne  travaille  pas  le  dimanche,  dit-on,  le  temps  dure  et  on  ne 
sait  que  faire.  Vous  ne  savez  que  faire  !  Hé  !  n'avez-vous  pas  les  offices 
du  matin  et  du  soir  ?  Assistez-y  dévotement,  et  voilà  déjà  une  bonne 
partie  de  la  journée  bien  employée.  Vous  ne  savez  que  faire  !  Mais  n'a- 
vez-vous pas  oublié  votre  catéchisme,  vos  actes  ?  voilà  de  quoi  vous 
occuper  utilement  :  car  ce  n'est  pas  un  travail  servile  que  de  s'instruire  de 
la  religion  ou  d'en  instruire  les  autres.  Vous  n'avez  pas  le  temps  dans  le 
courant  de  la  semaine  de  remplir  les  œuvres  spirituelles  de  miséricorde, 
comme  de  consoler  les  affligés,  de  visiter  les  pauvres,  les  malades,  les 
prisonniers  de  votre  sexe  :  faites  cela  les  dimanches,  et  vous  leur  procu- 
rerez, ainsi  qu'à  vous,  les  plus  douces  consolations.  —  Si  l'on  ne  tra- 
vaille pas,  on  craint  de  perdre  ses  pratiques.  Crainte  sans  fondement. 
Pour  une  pratique  que  votre  fidélité  à  Dieu  vous  fera  perdre,  vous  en 
retrouverez  dix  autres  qui  seront  beaucoup  plus  avantageuses  pour 
vous.  —  C'est  un  moindre  mal,  ajoute-t-on  encore,  de  travailler  que 
d'aller  au  cabaret  ou  de  médire.  Cela  peut  être  ;  mais  c'est  un  moindre 
mal  de  voler  quelqu'un  que  de  le  tuer  :  ne  faites  donc  ni  un  mal  ni 
l'autre  (Card.  Villecourt,  Instr.  sur  la  sanct.  du  Dim.j. 

L'assistance  aux  offices  est  bonne  pour  les  dévots  et  les  gens  d'église. 
Mais  pourquoi  les  chrétiens  appelés  par  vous  «  dévots  et  gens  d'église  », 
observent-ils  le  dimanche  ?  Parce  que  cette  observation  est  un  devoir 
du  chrétien.  Dès  lors,  vous  qui  êtes  chrétien,  puisque  vous  avez  été 
baptisé,  ne  devez-vous  pas  observer  le  dimanche,  à  l'exemple  de  ceux-là 
même  à  qui  vous  le  renvoyez  comme  bon  pour  eux  et  comme  inutile 
pour  vous  ?  (Berseaux,  Dimanches  et  Fêtes,  ch.  19,  n.  9). 


DEVOIR  m.  SANCTIFIER  lis  DIMANCHES  Et  LES  FETES.  •      3/|0 

souveraineté  de  Celui  qui   la  instituée. —  Il  nous  reste  à 
expliquer  rapidement 

IV.  —  Ce  qu'il  faut  faire  pour  l'accomplir.  —  Pour 
accomplir  la  loi  du  dimanche,  el  nous  acquitter  du  devoir 
qu'elle  nous  impose,  il  y  a.  retenons  bien  ceci  :  d'un  côté, 
des  choses  qu'il  faul  éviter;  et  de  l'autre  des  choses  qu'il 
faut  faire. 

La  première  chose  qu'il  faut  éviter,  c'est  de  travailler  à 
des  œuvres  serviles,  ou  d'y  faire  travailler  les  autres.  Ecou- 
tons Dieu  s'expliquer  lui-même  à  ce  sujet:  Souviens-loi, 
nous  dit-il,  de  sanctifier  le  jour  du  repos.  En  ce  jour-là,  lu  ne 
feras  aucune  <  vu  ère,  ni  loi.  ni  ton  fils,  ni  ta  fille,  ni  Ion  servi- 
leur.  ni  ta  serra  /île,  ni  ton  bétail,  ni  l'étranger  cjui  habile  entre 
tes  portes  (i).  Vinsi,  nous  le  répétons,  le  dimanche  on  ne 
doit  ni  travailler  soi-même,  ni  commander  à  personne  de 
travailler,  alors  même  que  le  travail  s'exécuterait  hors  de 
notre  présence,  et  chez  les  personnes  à  qui  nous  aurions 
donné  des  ordres.  Toutefois,  si  un  ouvrier  travaille  de  lui- 
même,  le  dimanche,  à  un  ouvrage  que  nous  lui  avons  com- 
mandé, sans  le  mettre  dans  la  nécessité  d'y  travailler  ce 
jour-là,  la  faute  qu'il  commet  ne  lui  est  imputable  qu'à  lui 
seul. 

Il  faut  savoir  en  outre  que  Dieu  ne  défend  pas  tout  tra- 
vail et  toute  occupation  quelconque.  Les  œuvres  commu- 
ne, comme  manger,  se  promener,  se  recréer  honnêtement, 
ne  sont  pas  défendues.  Ne  sont  pas  défendues  non  plus  les 
<imi\  res  où  l'esprit  a  plus  de  part  que  le  corps,  comme  étu- 
dier, lire,  écrire,  peindre,  faire  de  la  musique.  Dieu  ne 
défend  même  pas  les  œuvres  manuelles  dont  l'urgence  est 
manifeste,  comme  éteindre  un  incendie,  se  préserver  ou  se 
sauver  d'une  invasion,  retirer  un  animal  tombé  clans  une 
fosse,  ou  dans  tout  autre  danger,  comme  le  Sauveur  l'ex- 
pliqua lui-même  aux  juifs  (2).  —  Mais  ce  qui  est  défendu  rigou- 

1 .    K\o(l .  w.  8-10. 

•)..  Matth.  \n,  11.  —  Voici  les  seules  raisons  qui  peuvent  autoriser  le 
travail  Les  jours  de  dimanche  et  de  fêtes  obligées  :  i°  La  nécessité  du  ser- 
\i(  r  divin  ;  parer  les  autels,  approprier  le  saint  lieu,  tendre  ou  faire  des 
reposoir>  pour  le  Saint-Sacrement,  sonner  les  cloches,  préparer  le  pain 
bénit  ou  le  distribuer,  et  autres  choses  semblables  qui  entrent  dans  la 


35o      LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  —  Mil.   INSTRUCTION. 

reusemcnt,  ce  sont  les  œuvres  dites  servîtes,  c'est-à-dire  les 
œuvres  manuelles  qui  se  font  communément  avec  l'aide 
de  serviteurs,  et  dont  l'urgence  n'est  pas  manifeste,  comme 
labourer,  moissonner,  vendanger,  bâtir,  forger,  tisser,  cou- 
dre, et  toutes  œuvres  semblables.  Toutes  ces  œuvres,  tous 
ces  travaux,  redisons-le,  sont  rigoureusement  et  absolument 
défendus,  sauf,  encore  une  fois,  les  cas  d'urgence  évidente 
et  majeure  (2).  —  Mais  une  chose  qui  est  défendue  sans 
aucune  exception  ni  réserve,  c'est  le  péché.  Trop  souvent  le 
dimanche  est  l'occasion  de  fautes  et  de  désordres  graves  et 
nombreux.  Or,  si  l'on  considère  que  Dieu  s'est  réservé  ce 
jour  pour  être  employé  à  l'honorer,  on  comprend  qu'il  n'y 
a  rien  de  plus  opposé  à  la  sanctification  de  ce  jour  que 
le  péché,  puisqu'au  lieu  d'honorer  Dieu,  le  péché  l'outrage. 
Il  faut  donc  éviter  le  péché,  le  dimanche,  avec  plus  de 
sollicitude  encore  que  les  autres  jours.  Par  conséquent,  l'on 
doit,  en  particulier,  ne  mettre  les  pieds  ni  dans  les  danses, 
ni  dans  les  cabarets.  Telles  sont  les  choses  qu'il  faut  éviter 
pour  sanctifier  le  dimanche. 

catégorie  des  choses  nécessaires  au  culte.  20  Le  bien  public,  tels  que  le 
service  des  postes,  la  réparation  d'un  accident  arrivé  à  une  voiture 
publique,  arrêter  un  incendie,  réparer  une  digue.  Dans  ce  dernier  cas, 
il  faudrait  môme  quitter,  le  jour  de  Pâques,  la  seule  Messe  que  l'on 
puisse  entendre.  3°  Bien  particulier  ou  général.  Une  récolte  est  menacée 
par  un  violent  orage  qui  s'apprête,  le  pasteur,  si  l'on  a  le  temps  de  lui 
en  demander  la  permission,  ne  refusera  pas  d'autoriser  un  travail 
urgent.  4°  Dans  le  cas  d'une  grande  indigence,  un  pasteur  ne  refuse- 
rait pas  de  permettre  une  occupation  qui  se  ferait  sans  scandale.  5°  La 
propreté  du  corps  et  de  la  maison,  ainsi  que  l'apprêt  des  aliments  ;  car 
la  loi  chrétienne  n'est  pas  aussi  rigoureuse  en  ce  point  que  l'était  la  loi 
judaïque.  On  peut  aussi  foire,  le  dimanche,  les  petits  achats  de  comes- 
tibles que  l'on  consomme  journellement  (Card.  Yillecourt,  loc.  cit.). 

1.  Ne  travailler  qu'une  heure  sans  scandale,  péché  véniel.  Suarez, 
Sporer  et  plures  alii.  Travailler  plus  de  deux  heures,  par  exemple,  deux 
heures  et  demie  ou  trois  heures,  péché  mortel.  Sporer,  Filliucius, 
Lacroix,  Gobât.  Ces  auteurs  et  plusieurs  autres  ne  voient  pas  un  péché  mor- 
tel dans  un  travail  qui  ne  durerait  que  deux  heures,  parce  que,  disent- 
ils,  deux  heures  ne  sont  point  une  partie  notable  du  jour,  et  ne  peuvent 
nuire  notablement  au  culte  divin.  Sanchez  et  plusieurs  autres  regardent 
le  travail  de  deux  heures  comme  une  matière  suffisante  pour  un  péché 
mortel  :  que  le  travail  ait  été  fait  continuellement  ou  à  différentes 
reprises  dans  la  journée,  peu  importe.  Ce  dernier  sentiment  est  assez 
reçu  aujourd'hui,  quoique  le  premier  soit  peut-être  aussi  probable 
(Examen  raisonné,  loc.  cit.). 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  lis   DIMANCHES  ET  LE8  FETES.       odi 

Quelles  sonl  celles  qu'il  Paul  faire?  La  première,  la  plus 
essentielle,  c'est  d'assister  à  la  sainte  Messe,  à  moins  d'impos 
sibiiité  ou  d'empêchement  grave  (2).  Bien  qu'il  soil  plus 
convenable  d'assister  à  la  Messe  de  paroisse,  parce  que  cette 
Messe  esl  dite  spécialement  pour  les  paroissiens,  cependant 
eela  n'es!  pas  exigé,  quand  on  peut  assister  à  une  autre 
Messe.  Ce  qui  est  exigé,  c'est  d'assister  à  une  Messe  chantée 
ou  basse,  et  de  l'entendre  complètement,  avec  attention  et 
dévotion   (1).     Par    conséquent,    ceux-là    ne    satisfont   pas 

1.  Pour  dispenser  d'une  obligation  notable,  il  faut  une  cause  grave  ; 
si  elle  n'est  que  légère,  elle  n'excuse  point  le  péché  mortel,  à  moins 
qu'il  n'y  ail  bonne  Toi.  Les  causes  légitimes  qui  dispensent  de  l'obliga- 
tion d'entendre  la  messe  sont  :  i°  l'impossibilité  physique  ou  morale, 
telle  que  l'état  de  maladie,  d'infirmité,  de  convalescence  même,  quand 
bn  aurait  à  craindre  une  rechute;  l'éloignement  de  l'église,  surtout 
quand  le  temps  ne  permet  (pie  difficilement  de  se  mettre  en  chemin  ; 
enfin  toutes  les  fois  qu'on  ne  peut  aller  à  la  Messe  sans  un  grave  incon- 
vénient spirituel  ou  temporel;  20  l'exécution  d'un  autre  devoir  plus 
pressant,  comme  celui  de  secourir  ou  de  garder  un  malade,  quand 
personne  ne  peut  le  faire.  L'usage  de  certains  pays  peut  encore  four- 
nir une  excuse  légitime,  par  exemple,  la  coutume  de  ne  pas  sortir  pen- 
dant quelque  temps  après  les  couches,  ou  après  la  mort  d'un  proche 
parent  ;  mais  en  ces  cas,  quand  on  sort  et  qu'on  se  montre  en  public, 
on  doit  aller  à  la  messe  {E.vamen  raisonné,  i.  p.  ch.  3,  art.  2). 

Exe  isantur  ab  audiendo  sacro,  i°  milites  in  statione,  custodes  neces- 
sarii  domus  ;  pecorum  quœ  sine  gravi  damno  domi  retincri  non  pos- 
sunt,  née  alterius  custodiae  commitli.  Si  sint  plures  custodes  et  una 
dicatur  Missa,  debent  alternatim  audire.  lia  Suarez,  In  quibusdam 
locis,  ruricohe,  quamvis  possent  pecora  aliorum  cum  suis  custodire 
alternatim,  singuli  tamen  sua  eustodiunt  ex  usu  temporis  immémo- 
riale ;  forsitan  non  sunt  inquietandi,  pncsertiin  si  non  sit  successus 
ex  admonitione.  Theol.  pract.  a'.Nutrices  matres  quae  non  habent  domi 
eui  relinquant  parvulos  sine  periculo,  et  quae  non  possent  cos  adducerc 
in  ecclesiam  sine  notabili  adstantium  perturbationc  :  ila  Suarez;  imo, 
juxta  Henriquez,  si  domi  fi  1  j as  in  periculo  relinquerenl.  3°  L.xor,  si  ex 
accessu  ad  ecclesiam  timeat  gravcin  indignationem  viri  iracundi  vcl 
zelotypi.  Ma  A.zor  et  alii.  4»  Mulieres  non  habentes  vestes  juxta  suum 
st.it mil  décentes;  si  valde  mane  Missam  non  possint  audire,  vel  in 
cccle>ia  ubi  populus  non  concurrit.  Item  dicendum  de  puclla  inhoneslc 
praegnante,  et  etiam  de  puella  sciente  se  ab  aliquo  turpiter  concupisci. 
Liguori,  Suarez  et  alii  (Id.  ibid.j. 

■2.  Se  livrer  à  d<>->  distractions  pleinement  volontaires  pendant  une 
partie  considérable  de  la  Messe,  tel  que,  par  exemple,  le  tiers  delà  Messe, 
péché  mortel,  si  la  bonne  foi  n'excuse  ;  si  les  distractions  ne  durent  que 
pendant  une  légère  partie,  et  qu'elles  ne  soient  pas  tellement  répétées 
qu'elles  formenl  une  matière  grave,  péché  véniel  seulement.  Les  dis- 
tractions qui  ne  sont  nullement  volontaires  ne  sent  pas  des  péchés,  et 


352       LÉS  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALÙT.    Xlli.  INSTRUCTION. 

au  précepte,  qui  n'entendent  qu'une  partie  de  la  Messe. 
D'après  l'opinion  la  plus  commune  des  théologiens,  au 
moins  faut-il  l'entendre  depuis  l'Évangile,  inclusivement, 
jusqu'à  la  fin  ;  ou  bien,  depuis  le  commencement,  jusqu'à  la 
communion  du  prêtre,  inclusivement.  On  ne  laisse  pas  de 
pécher  si,  par  sa  faute,  et  volontairement,  on  n'entend  pas 
les  autres  parties  de  la  Messe  ;  mais  ces  parties  étant  moins 
essentielles,    le  péché  n'est  que  véniel  (i).  —  Puisqu'il  y  a 

no  peuvent  nuire  au  sacrifice,  durassent-elles  une  grande  partie  de  la 
Messe  (Examen  raisonné,  loc.  cit.). 

An  requiratur  intentio  interna  ad  satisfaciendum  Missa?  prœcepto  ? 
Plures  theologi,  ut  de  Lugo,  volunt  sufficere  attentionem  externam,  et 
defectum  voluntarium  attentionis  internœ  liabent  solum  ut  venialem. 
Cum  au  te  m  Ecclesia  praecepit  actutn  religiosum,  sententia  communior 
et  probabilior  affirmât  adhuc  requiri  attentionem  internam  virtualem. 
Sed  ex  ipsa  sufficit  ut  per  Missam  attendamus  ad  aliquid  pium,  sive  ad 
verba  et  actiones  celebrantis,  animo  Deum  colendi,  sive  ad  mysteria  vel 
ad  Dei  attributa,  ut  ipsius  amorem,  etc.;  sive  ad  quasdam  veritates,  ut 
mortem,  judicium,  etc.;  convenit  tamenut  attendatur  ad  principaliores 
Missre  partes,  ut  consecrationem  et  communionem.  At  Sporer,  Liguori 
et  alii  bene  advertunt  post  factum  neminem  debere  anxium  esse  ob 
scrupulum  hujus  attentionis  non  praestitae,  quia  sufficit  habuisse  inten- 
tioncm  generalem  Deum  colendi.  Dicunt  Suarez,  Liguori,  Lacroix  com- 
mune esse  quod  satisfaciat  qui  inter  Missam  examinât  suam  conscien- 
tiam,  sicut  qui  legit  librum  spiritualem,  nisi  legeret  animo  memoriœ 
mandandi,  vel  stylum  discendi.  —  An  autem  opus  sit  orare  vel  procès 
formare  per  Missam  ?  Suarez,  Lessius,  Lacroix,  Liguori,  Billuart  et  alii 
recte  negant,  quia  Ecclesia  non  videtur  prœcipere  nisi  assistentiam 
piam  sacerdoti  eclebranti.  Sed  in  praxi  consulendum  est,  maxime  rudi- 
bus  et  non  multum  piis,  ne  voluntarie  distrahantur,  ut  preces  saltem 
mcntalitor  recitent,  imo,  cum  possunt,  ut  in  libello  dévote  legant.  Puto 
autem  modum  convenientiorem  audiendi  Missam  esse  dévote  actiones 
sacrificantis  sequi.  —  An  sit  peccatum  mortale  sesc  distrahere  volun- 
tarie per  consecrationem  ?  Quidam  affirmant.  Negat  vero  de  Lugo, 
etiamsi  assistens  distractus  sit  distractione  exteriori.  Sed  si  audiens  sit 
ila  voluntarie  distractus  ut  nullo  modo  ad  Missam  attendat,  forte  proba- 
bilius  est  esse  grave  peccatum.  —  Lessius  et  alii  recte  excusant  illos  qui 
magnam  sacri  partem  insumunt  in  colligendis  eleemosynis,  si,  simul 
attendant  ad  Missam  ;  item  de  musicis  et  organœdis,  etc.,  si,  dum  ca- 
nunt  vel  puisant  instrumenta,  simul  ad  Missam  attendant.  —  Si  eva- 
gatio  etiam  involuntaria  esset  talis  ut  roddoret  hominem  veluti  abrep- 
tum  et  nullo  modo  attendentem  ad  sacrificium,  impediret  auditionem 
Missae  (Id.  ibid.). 

i.  N'ayant  pu  assister  à  toute  la  Messe,  si  l'on  peut  y  arriver  avant  la 
consécration,  on  est  obligé  sous  peine  de  péché  mortel,  d'y  assister, 
quoiqu'on  n'ait  pu  entendre  ce  qui  précède.  Mais  si  on  ne  peut  arriver  à 
la  Messe  qu'après  la  consécration,  deux  sentiments  partagent  les  théo- 
logiens. Saint  Liguori  et  plusieurs  autres  soutiennent   qu'on  est  obligé 


DEVOIR  DE  SANCTIFIEH   LES   DIMANCHES  ET  LES  FETES.         000 


obligation   d'entendre  la   Messe  avec  attention  et  dévotion, 

ceux  là  non  pi  us  ne  satisfont  pas  au  précepte,  qui  sont 
présents  seulement  de  corps,  mais  qui  ne  donnent  aucune 

attention  au  divin  sacrifice  :  c'est  ce  qui  arrive  à  ceux  qui 
dorment,  ou  qui  passent  le  temps,  soit  à  causer  avec  leurs 
voisins,  soit  à  regarder  les  allants  et  les  venants,  ou  bien  les 
voûtes,  le>  piliers  et  les  décorations  de  l'église.  —  En 
résumé,  pour  entendre  la  sainte  Messe  de  manière  à  ne  pas 
blesser  le  précepte,  il  faut  l'entendre  tout  entière,  en  suivre 
pieusement  les  différentes  parties,  et  éviter  autant  qu'on  le 
peut  les  distractions. 

En  outre  de  l'assistance  à  la  sainte  Messe,  telle  que  nous 
venons  de  l'expliquer,  l'Eglise  ne  recommande  rigoureu- 
sement aucune  autre  pratique  pour  la  sanctification  du 
dimanche.  Cependant  les  souverains  pontifes  et  les  conciles 
n'ont  cessé  d'exhorter  les  fidèles  à  vaquer  à  d'autres  bonnes 
œuvres,  en  particulier  à  assister  aux  vêpres  et  autres  exer- 
cices pieux  qui  se  font  dans  les  églises  paroissiales,  ainsi 
qu'aux  instructions  qui  s'y  donnent.  Mais  ils  n'en  ont  jamais 
fait  une  obligation  sous  peine  de  péché. grave.  Remarquons 
bien  ceci  :  sous  peine  de  péché  grave  ;  d'où  il  résulte  qu'il  est 
bien  difficile,  nous  disent  les  théologiens,  d'excuser  de  faute 
vénielle  ceux  qui  se  bornent  à  la  seule  audition  de  la  Messe  (i). 

d'entendre  la  partie  de  la  Messe  qui  suit  la  consécration.  De  Lugo,  Spo- 
rer  et  Henriquez  pensent  le  contraire  avec  assez  de  probabilité  :  car  le 
précepte  est  d'entendre  le  sacrifice  de  la  Messe  ;  mais  après  la  consécra- 
tion, il  n'y  a  plus  de  sacrifice  :  alors  l'essence  de  la  Messe  manque;  par 
conséquent  l'obligation  de  l'entendre  doit  cesser.  — S.  Liguori  dicit 
sententiam  contrariam  esse  tenendam  in  praxi,  quia  audiri  potest  pars 
notabilis  ca-remoniae  ab  Ecclcsia  prnecepta\  Sed  adestne  pneceptum 
audiendi  c;crcmonias  a  consecratione  sive  ab  essentia  Missa>  separalas, 
en  quod  non  salis  probat.  —  Si  l'on  entend  deux  moitiés  do  Messe 
simultanément  (la  première  moitié  dite  par  un  prêtre,  tandis  que  L'autre 
moitié  est  dite  par  un  autre  prêtre),  il  est  certain  qu'on  ne  satisfait  pas 
;i  I  obligation  d'entendre  la  Messe.  Mais  si  l'on  assiste  à  deux  demi- 
messes  en  deux  lemps  différents,  et  que  ce  soit  dans  l'espace  d'une 
heure,  plusieurs  théologiens,  tels  que  Sporer,  saint  Liguori  et  autres, 
croient  comme  probable  qu'on  satisfait  au  précepte,  pourvu  qu'on 
assiste  à  la  consécration  et  a  la  communion  faites  par  le  même  prêtre  ; 
mais  ils  conviennent  presque  tous  que,  si  l'on  agissait  ainsi  sans  raison 
légitime,  on  ne  serait  pas  exempt  de  faute  vénielle  (Exam.  raison,  loc.  cit.). 

i.  Recte  concludendum  esta  mortali  excusari  illum  qui  diebus  sacris 
tantum  Missam  audit  et  ab  operibus  servilibus  vacat,  et  non  posse  abso- 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.  —  T.    II.  2) 


35  4       LES  GRANDS   DEVOIRS    DU  SALUT.    —    XIII.   INSTRUCTION. 

C'est  pourquoi  les  vrais  chrétiens,  qui  comprennent  quel 
grand  malheur  c'est  de  commettre  même  un  péché  véniel, 
ne  manquent  jamais,  à  moins  d'empêchement  sérieux  qui 
les  dispense,  d'assister  à  tous  les  offices  et  à  toutes  les  ins- 
tructions de  l'Église.  Ils  y  puisent  des  lumières  et  des 
encouragements  qui  leur  servent  à  mener  une  vie  toujours 
plus  parfaite  et  plus  chrétienne,  et  à  assurer  toujours  davan- 
tage leur  salut  (2). 

CONCLUSION.  —  Et  maintenant,  chrétiens,  nous 
savons,  sur  le  devoir  de  la  sanctification  du  dimanche, 
devoir  important  entre  tous,  tout  ce  qu'il  est  à  propos  que 
nous  en  sachions,  soit  pour  nous  convaincre  de  la  nécessité 

lutioncm  denegari  fidelibus  sufïicienter  eruditis  circa  religionem,  qui 
diebus  sanctis  nihil  aliud  operantur  pneter  Missœ  auditionem  et  ab  ope- 
ribus  scrvilibus  vacationem.  Dixi  su fficienUr  eraclitis,  quia,  ut  ait  Sua- 
rez,  fudiores,  ignorantes  quœ  sub  gravi  obligatione  scire  tenentur,  lege 
caritatis  obligantur,  sub  gravi,  concioni  vel  calechesi  interesse,  si  alias 
commode  ea  addiscere  non  possint  (Eocam.  raisonné,  1.  p.  cb.  3.  art.   2). 

2.  Il  ne  suffit  pas,  pour  accomplir  pleinement  son  devoir  de  sanctifier 
les  dimanches  et  fêles  obligatoires,  de  se  borner  à  l'assistance  d'une 
simple  Messe  ;  il  faut  encore  sanctifier  moralement  le  reste  de  la  jour- 
née, en  se  rendant,  quand  on  le  peut,  aux  autres  o'ficcs  de  l'Eglise.  Ils 
ne  se  célèbrent  publiquement  qu'à  cause  des  fidèles.  Ce  n'est  pas  une 
raison  d'y  manquer,  de  ce  qu'ils  n'obligent  pas  d'une  manière  aussi 
grave  et  aussi  sérieuse  que  le  précepte  d'entendre  la  sainte  Messe.  Puis- 
que l'on  doit  sanctifier  une  partie  notable  du  dimanche,  pourquoi  ne  le 
ferait-on  pas  de  la  manière  que  l'Église  l'a  déterminé?  S'il  ya  des  obstacles 
qui  s'opposent  à  l'accomplissement  de  cet  acte  de  piété,  ne  pourrait-on 
pas  faire  en  particulier  ce  que  l'on  n'a  pu  acquitter  dans  l'assemblée 
des  fidèles  ?  C'est  un  excellent  moyen  de  sanctifier  le  dimanche  que  de 
se  livrer  à  de  pieuses  lectures,  de  visiter  les  pauvres,  les  malades,  les  pri- 
sonniers, de  s'instruire  soi-même,  en  se  faisant  répéter,  par  des  per- 
sonnes de  bonne  volonté,  les  principaux  mystères  et  les  principaux 
devoirs  de  la  religion,  ou  de  les  apprendre  quand  on  en  est  capable, 
aux  personnes  qui  les  ignorent...  Ce  serait  encore  un  bon  moyen 
de  sanctifier  le  dimanche,  que  de  se  réunir  à  des  personnes  pieuses  de 
son  sexe, de  son  état  et  de  sa  condition,  pour  chanter  des  cantiques,  rap- 
peler les  avis  qu'on  a  reçus  dans  les  instructions,  et  se  porter  mutuelle- 
ment à  la  vertu.  C'est  le  jour  surtout  de  méditer  les  œuvres  de  Dieu  et 
ses  bienfaits  ;  de  s'approcher  du  tribunal  de  la  Pénitence,  quand  on  n'a 
pu  le  faire  dans  la  semaine  ;  de  penser  à  la  mort,  à  l'enfer,  au  purga- 
toire, au  paradis,  à  la  passion  du  Sauveur,  aux  moyens  à  prendre  pour 
éviter  le  péché...  Après  cela,  il  n'est  pas  défendu  de  prendre  en  ces  saints 
j;ours  quelques  instants  de  repos    et   d'honnête    récréation.  Etc.  (Card. 

\  M.LECOUKT,   loC.   cit.). 


DEVOIR   DK  swctikikk  LÉS  DiMÀNctfES  i;  r  LES  i  iVn;s.       355 

de  nous  eh  acquitter,  soil    pour  le   bien  accomplir.    Nous 
savons  en  effel  que  ce  devoir,  c'esl   Dieu    lui-même   qui  L'a 

imposé  aux  hommes,  au  lendemain  même  (le  la  Création 
de  notre  premier  père,  en  sorte  que  ce  fui  la  première  loi 
qu'il  eut  à  observer.  Nous  savons  que  ee  devoir  nous  a  été 
imposé  pour  que  nous  puissions  rendre  à  Dieu  les  homma- 
ges d'adoration  cl  de  reconnaissance  que  nous  lui  devons, 
accordera  noire  corps  le  repos  dont  il  a  besoin,  et  laisser  à 
notre  âme  le  loisir  de  s'occuper  de  ses  intérêts  éternels.  Nous 
savons  encore  que  les  prétextes  qu'on  allègue  pour  se  sous- 
traire à  ce  devoir  sont  absolument  sans  valeur.  Enfin  nous 
savons  que,  pour  s'en  bien  acquitter,  il  faut,  d'un  côté, 
s'abstenir  des  œuvres  scrviles,  et  de  l'autre,  assister  aux 
offices  de  L'Église.  Chrétiens,  toutes  les  fois  qu'on  n'est  pas 
bien  instruit  d'un  devoir,  soit  parce  qu'on  ne  l'a  jamais 
suffisamment  connu,  soit  parce  qu'on  l'a  plus  ou  moins  ou- 
blié, on  peut  être  excusable,  dans  une  certaine  mesure,  de 
ne  pas  l'accomplir.  Mais  lorsqu'on  le  connaît  parfaitement, 
il  n'y  a  plus  d'excuse  possible.  Le  contempteur  volontaire 
de  son  devoir  cesse  d'être  un  honnête  homme;  il  ne  peut 
plus  ni  être  estimé  de  ses  semblables,  ni  s'estimer  lui-même. 
Ce  serait  le  cas  de  quiconque  d'entre  nous,  désormais,  ne 
sanctifierait  pas  les  saints  jours  de  dimanches.  Sachons  donc 
tous  garder  notre  honneur,  en  nous  conduisant  selon  notre 
conscience,  surtout  puisqu'en  même  temps  nous  assurons 
ainsi  tout  à  la  fois,  de  la  manière  la  plus  efficace  possible, 
notre  bonheur  en  ce  monde  et  notre  félicité  dans  l'autre. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Devoir  sacré  de  la  sanctification  du  Dimanche. 

i.  —  L'exemple  de  saint  Saturnin  et  de  ses  compagnons  de 
martyre,  nous  présente  un  solennel  témoignage  de  l'héroïque 
fidélité  avec  laquelle  les  premiers  chrétiens  s'acquittaient  de  ce 
devoir.  Avant  été  arrêtés,  au  nombre  de  quarante-neuf,  pour  avoir 
assisté  avec  rassemblée  des  chrétiens  à  la  célébration  des  saints 
mystères,  il-  son!  mi-  à  La  question  la  plus  douloureuse.  El  quand 
le  juge  leur  demande  pourquoi,   malgré  la  défense  de  l'empereur, 


356       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XHl.  INSTRUCTION. 

ils  osent  tenir  des  assemblées,  avec  une  noble  fermeté,  ils  répon- 
dent :  u  C'est  que  le  dimanche  est  parmi  nous  d'une  obligation 
indispensable.  Manquer  à  le  célébrer  serait  pour  nous  un  crime. 
Nous  remplissons  ce  devoir  le  mieux  qu'A  nous  est  possible. 
Jamais  nous  ne  manquons  à  l'assemblée.  Enfin,  nous  gardons 
les  commandements  de  Dieu,  notre, fidélité  dut-elle  nous  coûter 
la  vie.  » 

2.  — La  reine  Marie  Leczinska,  épouse  de  Louis  XV,  illustre  par 
ses  vertus,  avait  pour  la  loi  du  jour  du  Seigneur  le  respect  le  plus 
absolu.  Un  dimanche  qu'elle  se  trouvait  à  Fontainebleau,  elle 
apprit  que  des  ouvriers  travaillaient  à  un  édifice  public,  quoiqu'ils 
en  eussent  reçu  la  défense  expresse  du  roi,  signifiée  par  un  gen- 
tilhomme de  la  chambre.  La  reine  fit  appeler  sur-le-champ  l'en- 
trepreneur des  travaux  et  lui  demanda  pourquoi  il  osait  désobéir 
ainsi  à  Dieu  et  au  roi  ?  L'entrepreneur  allégua  pour  excuse  que, 
depuis  la  défense  du  roi,  ses  ouvriers  avaient  travaillé  plus  secrè- 
tement. «  D'ailleurs,  Madame,  ajouta-t-il,  comme  il  s'agit  d'un 
travail  public  qui  doit  être  terminé  à  jour  fixé,  si  je  n'emploie  pas 
les  dimanches,  à  défaut  de  livrer  mon  ouvrage  au  temps  convenu, 
je  perdrai  telle  somme.  —  Tenez,  lui  dit  la  reine,  la  voici,  cette 
somme.  Allez  donc  fermer  votre  atelier,  et  gardez-vous,  à  l'avenir, 
de  contracter  des  engagements  que  vous  ne  puissiez  remplir  qu'en 
enfreignant  ainsi  la  loi  de  Dieu  et  les  ordres  du  roi.  » 

3.  —  Un  manufacturier,  très  bon  chrétien,  employait  dans  son 
établissement  un  grand  nombre  d'ouvriers,,  dont  il  ne  pouvait 
interrompre  les  travaux,  même  un  seul  jour,  sans  perdre  une 
somme  de  trois  mille  francs.  Il  s'adressa  donc  à  l'évêque  de 
Beauvais,  alors  Mgr  Gignoux,  pour  savoir  s'il  pouvait  regarder 
cette  perte  comme  un  motif  suffisant  pour  faire  travailler  le 
dimanche,  en  obligeant  toutefois  ses  ouvriers  à  entendre  la  Messe. 
L'évêque,  craignant  pour  le  pays  les  conséquences  d'un  tel' exemple, 
l'engagea  à  en  écrire  au  Pape,  qui  jugea  la  raison  suffisante  pour 
vaquer  aux  travaux  ordinaires  le  dimanche,  après  avoir  entendu 
la  Messe.  La  réponse  du  Saint-Père  fut  communiquée  à  l'évêque, 
qui  parla  à  peu  près  en  ces  termes  à  la  personne  intéressée  : 
«  Pour  ce  qui  vous  concerne  personnellement,  vous  pouvez  vous 
croire  dispensé  de  la  loi  qui  interdit  les  travaux  serviles  les  jours 
de  dimanches  et  de  fêtes.  Mais  votre  exemple  influera  nécessaire- 
ment sur  l'esprit  et  la  conduite  du  public,  qui  en  prendra  occasion 
de  se  croire  autorisé  à  vous  imiter  dans  tous  les  cas  sans  distinc- 
tion. En  vain  direz-vous  que  vous  en  avez  reçu  la  permission  à 
raison  de  votre  position  exceptionnelle  ;  le  public,  qui  ne  raisonne 


DEVOIR   DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FETES.        357 

pas.  ae  verra  là  qu'une  Paveur  accordée  à  un  riche,  et  vosouvriers 
eux-mêmes  on  contracteront  la  funeste  habitude  de  profaner  sans 
scrupule  les  saints- jours  de  dimanches  el  <lo  fêtes,  comme  il  est 
arrivé  à  taîij  d'autres  pour  la  même  cause.  Voyez  donc  si  vous 
pouvez  prendre  sur  vous  cette  responsabilité,  et  si,  à  l'article  de  la 
mort,  \ous  n'aurez  pas  à  vous  reprocher  d'avoir  donné  lieu  à  bien 
drs  infractions  à  la  loi  de  Dieu  et  de  l'Église,  sur  le  point  dont  il 
s'agit.  »  Le  manufacturier,  frappé  de  ces  réflexions  de  son  évêque, 
répondit  sans  hésiter  :  «  Eh  bien,  Monseigneur,  on  ne  travaillera 
pas  chez  moi  les  dimanches  et  les  fêtes.  Je  perdrai  trois  mille 
francs  chacun  de  ces  jours-là  ;  mais  j'aime  mieux  faire  ce  sacrifice 
que  de  charger  une  conscience  d'une  responsabilité  que  je  ne  puis 
m'empécher  de  regarder  comme  grave  et  inévitable.  » 

'i.  —  M.  deCheverus,  qui  fut  plus  tard  évêque  de  Montauban , 

puis  archevêque  de  Bordeaux  et  cardinal,  se  livrait  aux  travaux 
apostoliques  en  Amérique  pendant  l'émigration.  Il  se  rendit  un 
jour  dans  des  contrées  dont  les  habitants  sauvages  erraient  dans 
les  bois  et  n'avaient  d'au  Ire  occupation  que  la  chasse  et  la  pêche. 
Après  avoir  marché  longtemps  dans  une  sombre  forêt,  en  com- 
pagnie d'un. guide,  il  entendit  dans  le  lointain  des  voix  nombreuses 
qui  chantaient  avec  beaucoup  d'ensemble  :  c'était  un  dimanche 
matin.  Bientôt  il  putdistinguer,  àson  grand  étonnement,  un  chant 
qu'il  connaissait,  celui  d'une  Messe  qu'on  exécutait  dans  les  églises 
de  France  aux  grandes  solennités.  Le  pieux  missionnaire  fut 
agréablement  surpris  de  trouver  un  peuple  qui  depuis  cinquante 
ans  continuait,  sans  prêtre,  de  célébrer  le  jour  du  Seigneur. 

Le  repos  dominical  nécessaire  à  la  santé  du  corps. 

Le  célèhre  William  Farr,  aussi  grand  médecin  qu'habile  statis- 
ticien, a  rendu,  en  i832,  une  déclaration  remarquable.  Le  gou- 
vernement anglais,  désirant  s'éclairer  sur  la  nécessité  du  repos  du 
dimanche,  si  scrupuleusement  observé  en  Angleterre,  ordonna 
une  enquête  à  ce  sujet.  Et  voici  ce  que  le  savant  docteur  Farr 
déclara,  dans  le  rapport  présenté  au  parlement  :  «  Je  ne  parle  ici 
que  comme  médecin  :  l'homme  a  besoin  que  son  corps  ait  du 
repos  un  jour  sur  sept  ;  le  travail  continu  de  l'esprit  ou  du  corps 
altère  nos  organes,  et  détruit  l'équilibre  de  notre  constitution.  Les 
populations  qui  n'observent  pas  le  dimanche  dépérissent  ;  les 
hommes  y  succombent  sous  le  poids  d'infirmités  venues  avant  le 
temps.  \u  contraire,  dans  les  pays  religieux,  qui  respectent  le  jour 
du  Seigneur,  on  voit  les  pères  de  famille,  le  front  haut  et  couronné 


0.)ô        LES   C.K  \M)S  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIII.   INSTRUCTION. 

de  cheveux   blancs,    conduire   au  .'travail   leurs  enfants    et  petits 
enfants.  » 

Avantages  multiples  de  la  sanctification  du  Dimanche. 

Au  commencement  de  ce  siècle,  vivait  à  Lyon  un  cordonnier 
nommé  Berthier,  qui  avait  coutume  de  travailler  dans  son  échoppe 
au  moins  pendant  la  matinée  du  dimanche.  Un  marchand,  qui 
demeurait  vis-à-vis  de  lui,  bon  chrétien,  qui  avait  à  cœur  la  sanc- 
tification du  dimanche,  souffrait  avec  peine  cette  infraction  à  la 
loi  de  ce  saint  jour,  et  ne  put  s'empêcher  de  lui  faire  un  jour  à  ce 
sujet  d'amicales  représentations.  Mais  le  cordonnier  lui  répondit 
qu'il  fallait  nécessairement  qu'il  travaillât  ce  jour-là.  «  Vous. 
Monsieur  mon  voisin,  qui  êtes  un  homme  riche,  vous  pouvez 
vous  reposer  le  dimanche  sans  crainte  d'en  ressentir  aucun  dom- 
mage ;  mais  moi  qui  suis  chargé  du  soin  d'une  nombreuse  famille, 
j'éprouverais  une  perte  considérable  en  ne  travaillant  pas.  Au  sur- 
plus, le  nombre  de  mes  commandes  est  si  considérable,  que  je  n'ai 
jamais  fini  mon  travail  le  samedi.  »  —  A  toutes  ces  excuses,  le 
marchand  secoua  la  tête  et  lui  dit  d'un  ton  affectueux:  «  Mon 
dessein  n'est  pas  que  ni  vous  ni  votre  famille  éprouviez  quelque 
dommage  ;  je  vous  déclare  que  je  suis  disposé  à  compenser  tout 
celui  que  vous  aurez  essuyé,  si,  pendant  une  demi-année,  vous  ne 
travaillez  pas  le  dimanche,  et  que  vous  assistiez  à  l'office  divin. 
Acceptez-vous  la  proposition  ?  —  Très  volontiers,  répondit  le  cor- 
donnier ;  il  m'est  bien  plus  facile  d'aller  me  reposer  à  l'église  que 
de  travailler,  surtout  quand  vous  aurez  encore  la  bonté  de  me 
tenir  compte  du  dommage  que  j'aurai  éprouvé.'  »  Les  deux  voi- 
sins se  donnèrent  affectueusement  la  main,  et  le  marché  fut  conclu. 

Lorsque  les  six  mois  furent  écoulés,  le  marchand  alla  trouver  le 
cordonnier,  et  lui  dit  :  «  Bravo  !  mon  cher  voisin  ;  vous  avez  tenu 
fidèlement  votre  parole,  je  tiendrai  aussi  la  mienne.  Dites-moi 
quelle  perte  vous  avez  éprouvée,  je  suis  disposé  à  la  compenser  jus- 
qu'à la  dernière  obole.  —  Oh  !  répondit  le  cordonnier,  je  dois  vous 
déclarer,  mon  cher  monsieur,  que  je  n'en  ai  éprouvé  absolument 
aucune.  Que  dis-je  ?  Je  n'ai  que  des  remerciements  à  vous  faire. 
Voyez-vous,  monsieur,  votre  conseil,  au  lieu  de  me  nuire,  m'a 
porté  bonheur,  et  depuis  lors,  tout,  dans  ma  maison,  marche  sur 
un  meilleur  pied.  Les  commencements,  sans  doute,  ont  été  péni- 
bles ;  j'avais  toujours  quelque  travail  qui  me  restait;  mais  la  pen- 
sée que  vous  nie  rembourseriez  mes  pertes  et  ma  parole  donnée 
m'ont  retenu,  et  j'ai  été  fidèle  à  sanctifier  le  dimanche.  J'ai  assisté 
assidûmen   à  l'office,  et,  en  entendant  Iç  sermon,  ce  que  je  n'avais 


DEVOIH   DE  SANCTIFIER  LES  DIMANCHES  ET  LES  FETES.        .))<) 

plus  l'ail  depuis  plusieurs  années,  j'ai  appris  une  foule  de  choses 
que  j'avais  oubliées.  Je  suis  devenu  patient,  je  me  suis  habitués 
réprimer  les  saillies  trop  brusques  de  mon  caractère,  et,  surtout, 
j'ai  repris  le  goût  de  la  prière.  C'est   vraiment  incroyable  le  jour 

qui  s'esl  l'ail  dans  ma  tête  qui,  pendant  si  longtemps,  n'avait  plus 
été  remplie  que  de  pensées  terrestres  !  J'ai  commencé  à  respirer 
plus  librement  :  car,  jusque-là,  mon  esprit  avait  été  tout  entier  aux 
soins  el  aux  inquiétudes  temporels.  J'ai  éprouvé  bientôt  une  douée, 
satisfaction  dans  toul  tnon  être,  surtout  après  avoir,  par  la  confes- 
sion, purgé  mon  intérieur  des  taches  et  des  souillures  d'un  grand 
nombre  d'années,  et  avoir  fortifié  mon  âme  débile  par  le  pain  des 
anges,  en  allant  m'asseoir  à  la  table  du  Seigneur.  —  D'autre  part, 
le  travail  du  lundi  se  faisait  plus  facilement,  je  me  suis  trouvé  lout 
renouvelé,  cl  j'ai  travaillé  avec  ardeur  le  reste  de  la  semaine.  Pré- 
cédemment, comme  je  connaissais  à  peine  ce  que  c'était  que  la 
patience,  la  moindre  chose  me  mettait  en  colère,  et,  dans  ma 
fureur,  tantôt  je  déchirais  un  morceau  de  cuir,  tantôt  je  brisais  un 
instrument.  Deux  fois  ma  colère  m'occasionna  la  fièvre  bilieuse  ; 
ce  qui  me  causa  de  grandes  dépenses,  outre  que  je  ne  gagnais  abso- 
lument rien.  Mais,  depuis  lors,  je  suis  devenu  beaucoup  plus 
calme  ;  il  me  semble  que  le  nuage  qui  obscurcissait  mes  yeux  s'est 
évanoui,  que  mou  corps  s'est  fortifié,  et  que  mes  bras  ont  acquis 
une  vigueur  toute  nouvelle.  Ordinairement,  à  trois  heures  du 
samedi,  tout  mon  travail  est  achevé,  et  cependant  les  commandes 
vont  en  augmentant.  Autrefois,  on  ne  m'appelait  que  le  cordon- 
nier emporté  ou  le  grognard  sempiternel,  et  plus  d'une  servante, 
craignant  les  fureurs  de  mon  caractère,  portait  ailleurs  le  travail 
de  son  maître,  bien  que  je  fusse  plus  rapproché.  Aujourd'hui,  j'ai 
perdu  ce  sobriquet,  et  partoutje  ne  vois  plus  que  des  figures  rian- 
tes, parce  que  je  me  montre  à  tous  sous  cet  aspect.  —  Mais,  mon 
cher  voisin,  ne  vous  formalise/  pas  si  je  vous  demande  où  en  sont 
vos  affaires  ?  Jadis,  il  n'était  question  chez  vous  que  de  disputes 
et  de  querelles'.1  —  Ah  !  oui,  reprit  le  cordonnier,  la  rougeur  sur 
le  front  ;  mais  il  en  est  tout  autrement  aujourd'hui.  Je  croyais  alors 
volontiers  que  ma  femme  avait  toujours  tort,  et  que  moi  j'avais 
toujours  raison  ;  ma  colère  et  mon  obslination  ont  été  la  cause  de 
scènes  nombreuses  et  terribles  dont  je  rougis  encore  en  y  pensant. 
Maintenant,  nous  vivons  avec  plus  de  concorde  ;  la  charité  et  la, 
paix  régnent  au  milieu  de  nous  ;  nos  enfants,  n'ayant  plus  tant  de 
mauvais  exemples  sou-  les  yeux,  -<>ni  aussi  devenus  meilleurs.  » 

Profondément  ému  en  entendant  ces  paroles,  le  marchand   tira 
sa   bourse,  et   offrit   deux  louis   au   cordonnier,   en   lui   disant  ; 


3ÔO       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU   SALUT.  XIII.    INSTRUCTION. 

«  Acceptez  ceci  comme  un  souvenir  de  mon  affection.  Comme  je 
n'ai  pas  pu  prévcir,  qu'en  suivant  mon  conseil,  vous  n'éprouve- 
riez aucun  dommage,  depuis  le  jour  de  notre  accord,  j'ai  mis  tous 
les  mois  quelque  argent  de  côté,  afin  de  pouvoir  remplir  ma  pro- 
messe ;  acceptez  ce  souvenir  comme  une  marque  de  la  satisfaction 
que  j'ai  de  voir  mon  conseil  réalisé.  Vous  avez  expérimenté  par 
vous-même  que,  quand  nous  faisons  notre  possible,  Dieu,  de  son 
côté,  ne  manque  jamais  de  venir  à  notre  aide.  » 

Le  Dimanche  en  Amérique 

Rien  de  plus  beau,  écrit  Henri  de  Gourcy,  que  la  manière  dont 
on  célèbre  le  dimanche  en  Amérique.  Dans  les  villes  des  États- 
Unis,  les  seulsmagasins  ouverts  sont  les  pharmacies.  Les  échafau- 
dages, les  marchés  sont  déserts,  le  roulement  des  voitures,  les  cris 
des  marchands  ambulants,  le  choc  des  marteaux,  tout  a  cessé,  et 
les  bruits  de  la  terre  sont  tellement  éteints,  que  les  sons  de  l'orgue 
et  les  chants  religieux  traversent  les  murs  et  répandent  le  recueil- 
lement jusque  sur  les  places  publiques.  Il  y  a  quelques  années, 
pour  ne  pas  troubler  les  offices,  des  chaînes  étaient  tendues  dans 
les  rues,  afin  d'arrêter  la  circulation  des  voitures.  Ces  entraves  ont 
disparu,  parce  qu'elles  devenaient  inutiles,  mais  non  parce  qu'elles 
gênaient  la  liberté  individuelle.  Les  omnibus  ne  marchent  pas  le 
dimanche,  le  service  sur  beaucoup  de  chemins  de  fer  est  suspendu, 
les  bateaux  à  vapeur  restent  à  quai  ;  les  théâtres,  les  billards,  les 
concerts,  les  salles  de  jeux,  sont  fermés  :  l'église  seule  est  ouverte, 
et  vers  dix  heures  du  matin,  les  cloches  s'ébranlent  du  haut  de 
cent  clochers  pour  appeler  les  habitants  à  la  prière.  A  cet  appel, 
les  rues  se  remplissent  d'une  foule  soigneusement  vêtue  ;  alors  il 
est  triste,  sans  doute,  de  constater  la  diversité  des  croyances,  et  de 
ne  pas  voir  tous  ces  chrétiens  s'agenouiller  au  pied  des  mêmes 
autels  ;  mais,  au  moins,  chacun  professe  une  religion,  ce  qui  est 
plus  respectable  que  de  n'en  professer  aucune.  De  dix  heures  à 
midi,  les  rues  sont  littéralement  désertes,  et  celui  qui  serait  vu  se 
promenant  à  cette  heure,  parles  personnes  qui  gardent  les  maisons, 
serait  jugé  très  défavorablement,  Les  enfants  eux-mêmes  s'abstien- 
nent un  pareil  jour  de  se  livrer  à  des  amusements  bruyants,  et 
gardent  dans  leurs  jeux  un  calme  et  une  gravité  remarquables.  — 
Non  seulement  dans  les  établissements  publics,  mais  encore  dans 
les  maisons  particulières,  si  un  bal  est  donné  le  samedi,  la  danse 
s'arrête  avant  minuit,  et  la  société  s'empresse  de  se  retirer,  sans 
songer  à  murmurer  des  bornes  qu'elle  sait  mettre  à  ses  propres 
distractions. 


Los  catholiques  d'Amérique  ne  sont  pas  moins  fidèles  que  leurs 
frères  séparés  à  cette  loi  du  repos.  Dans  nos  églises,  les  hommes 
sont  en  aussi  grand  nombre  (pie  les  femmes.  La  fréquentation  des 
sacrements  est  un  sujet  de  pieuse  édification,  et,  aux  Messes  du 
malin,  le  dimanche,  la  presque  totalité  de  l'assistance  s'approche 
de  la  Table  sainte.  —  Il  est  en  Amérique  des  professions  pratiquées 
exclusivement  par  cette  classe  intéressante,  celle  des  cochers,  entre 
autres,  et  je  me  suis  amusé  bien  souvent  de  l'air  de  bonheur  qui 
vient  s'épanouir  sur  leur  grossier  visage,  quand,  prenant  un  fiacre, 
je  disais  de  me  conduire  à  telle  église  ou  à  tel  couvent.  La  vue 
d'un  gentleman  catholique  comblait  d'aise  mon  automédon,  qui 
fouettait  alors  ses  chevaux  avec  enthousiasme  ;  puis,  à  la  porte  de 
l'église,  il  descendait  de  son  siège  pour  venir  lui-même  assister  à 
l'office  divin.  —  11  y  a  quinze  jours,  un  après-midi  de  dimanche,  je 
faisais  quelques  visites  ;  il  neigeait  avec  abondance,  et  le  cocher 
témoignait  une  mauvaise  humeur  que  j'attribuais  au  froid  ;  enfin, 
lassé  de  sa  brusquerie,  je  lui  en  demandai  la  cause:  «  Ne  voyez- 
vous  pas,  me  dit-il,  qu'il  neige  trop  fort  pour  que  je  lise* mes 
Vêpres  sur  mon  siège  en  vous  attendant  ')  » 

En  Amérique,  les  voyages  sont  également  suspendus  le  diman- 
che, et  le  négoce  n'en  souffre  nullement.  On  en  est  quitte  pour 
prendre  ses  mesures  en  conséquence.  On  se  met  en  route  le  lundi 
pour  ses  affaires,  et,  grâce  à  la  rapidité  des  chemins  de  fer,  il  est 
bien  rare  qu'on  ne  puisse  être  de  retour  dans  sa  famille  le  samedi. 

Maintenant,  dirai-je  que  le  dimanche  est  religieusement  observé 
par  l'universalité  des  citoyens  ?  Non,  sans  doute.  Il  y  a  en  Améri- 
que, comme  partout,  des  vicieux,  des  indifférents  et  des  impies  ; 
il  y  a  surtout  beaucoup  de  paresseux  que  la  moindre  pluie  dis- 
pense de  se  rendre  au  temple.  Il  y  a  des  églises  où  le  ministre 
donne  l'exemple,  et  à  la  porte  desquelles  on  lit  en  été  une  affiche 
avec  ces  mots  :  «  Fermé  pour  deux  mois,  à  cause  des  grandes 
chaleurs.  »  Mais,  si  la  prière  est  trop  souvent  négligée,  le  repos 
est  toujours  observé,  et  ce  repos  a  par  lui-même  quelque  chose  de 
religieux.  11  dispose  à  la  prière  et  au  recueillement  ;  il  donne  à 
l'homme  le  temps  de  remplir  ses  devoirs  ;  il  resserre  les  liens  de 
famille  ;  il  procure  aux  parents  la  jouissance  de  se  voir  pendant 
vingt-quatre  heures  entourés  de  leurs  enfants  et  de  s'initier  à  leurs 
progrès.  Puissent  donc  les  autres  pays  imiter  en  ce  point  l'Améri- 
que (Henri  de  Courcy,  cité  par  Poussin,  Catéch.  tout  en  hist.  3, 
comm.  de  Dieu). 

Profanateurs  du  Dimanche. 

i.  —  Saint  Grégoire  de  Tours  raconte  qu'un  paysan,  voulant  un 


36*2       LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.  —  XIII.  INSTRUCTION; 

dimanche  aller  labourer,  prit  en  main  une  cognée  pour  raccom- 
moder sa, charrue  ;  mais  voici  que  ses  doigts  se  serrent  autour  de 
cet  instrument  sans  qu'il  puisse,  par  aucun  eflbrt,  les  en  détacher. 
Et  pendant  deux  années  entières,  il  la  porta  suspendue  à  la  main. 
Au  bout  de  ce  temps,  il  alla,  sur  le  conseil  de  personnes  éclairées 
et  pieuses,  visiter  l'église  de  saint  Julien  de  Brioude,  martyr.  Là, 
après  avoir  passé  en  prières,  avec  les  fidèles,  la  nuit  du  samedi 
au  dimanche,  suivant  la  coutume  de  ce  temps-là,  il  se  trouva  tout 
à  coup  guéri.  Ces  deux  miracles,  avec  leurs  circonstances,  firent 
dans  toute  l'Auvergne  une  immense  impression  (De  g  Ion.  Martyr. 
lib.  2,  c.  2). 

2.  —  D'après  le  témoignage  du  même  saint,  des  hommes  tra- 
vaillant à  la  construction  d'une  maison  près  de  Limoges,  s'obsti- 
naient à  profaner  le  jour  du  Seigneur  malgré  les  charitables  avis 
que  leur  donnaientles  passants.  Dieu  les  punit:  un  orage  s'éleva, 
et  le  tonnerie  devint  si  menaçant  que  les  travailleurs  n'osèrent 
rester  sur  leurs  échafaudages.  Ils  cherchèrent  des  abris  de  diffé- 
rents'côtés  ;  mais  la  main  de  Dieu  les  poursuivit:  la  foudre  éclata, 
et  tous  furent  atteints  et  frappés  de  mort  dans  leur  retraite. 

3.  — Saint  Anschaire,  archevêque  de  Hambourg,  ayant  un  jour 
dit  dans  son  sermon  qu'on  ne  devait  pas  profaner  le  dimanche 
par  des  œuvres  serviles,  quelques  hommes  entêtés  retournèrent 
chez  eux,  et  bien  qu'il  fit  un  temps  superbe,  ils  allèrent  mettre  le 
foin  en  tas.  Mais  le  soir  tout  ce  foin  prit  feu  et  fut  consumé,  tandis 
que  celui  qu'on  avait  entassé  pendant  la  semaine  échappa  seul  à 
l'élément  destructeur. 

Paroles  du  curé  d'Ars  sur  le  travail  du  dimanche. 

Si  on  demandait  à  ceux  qui  travaillent  le  dimanche  :  «  Que 
venez-vous  de  faire  ?  »  ils  pourraient  répondre  :  «  Je  viens  de  ven- 
dre mon  âme  au  démon,  de  crucifier  Aotre-Seigneur  et  de  renon- 
cer à  mon  Baptême.  »  Quand  j'en  vois  qui  charrient  le  dimanche, 
je  pense  qu'ils  charrient  leur  âme  en  enfer. 

11  y  avait  une  fois  une  femme  qui  était  venue  trouver  son  curé 
pour  lui  demander  de  ramasser  les  foins  le  dimanche,  «  Mais,  lui 
dit  M.  le  Curé,  ce  n'est  pas  nécessaire  ;  votre  foin  ne  risque  rien.  » 
Cette  femme  insista,  disant  :  «  Vous  voulez  donc  que  je  laisse  périr 
ma  récolle?  »  Or  ce  fut  elle  qui  mourut  le  soir  même...  elle  était 
plus  en  danger  que  sa  récolte. 

«  Que  vous  revient-il  d'avoir  travaillé  le  dimanche?  Nous  laissez 
bien  la  terre  telle  qu'elle  est  quand  vous  vous  en  allez  ;  vous  n'em- 
portez rien.  » 


DEVOIR    Dl    SANCTIFIER   LES  DIMANCHES  ET  LES  FÊTES.        363 


o  Le  dimanche,  c'esl  le  bien  du  bon  Dieu;  c'est  son  jour  à  lui,  le 
jour  du  Seigneur.  De  quel  droit  touchez-vous  à  cequinevous 
appartient  pas  ?  Nous  savez  que  le  bien  volé  ne  profite  jamais.  » 

Se  défier  de  ceux  qui  n'observent  pas  le  dimanche. 

11  \  a  quelques  années,  un  officier  allemand,  se  trouvante 
Taris,  entra,  un  jour  de  Dimanche,  chez  un  marchand  bijoutier, 
dans  l'intention  d\  laite  quelques  emplettes.  Le  marchand  le 
salua  avec  beaucoup  de  politesse  et  lui  dit  :  «  Soyez  le  bienvenu  ! 
Monsieur  désire  sans  doute  visiter  mon  magasin  ;  je  suis  prêta 
vous  satisfaire.  —  01»  !  non,  répondit  l'officier  ;  je  me  proposais 
de  vous  faire  certains  achats.  —  Dans  ce  cas,  Monsieur,  je  ne  puis 
vous  contenter.  C'est  aujourd'hui  Dimanche  ;  et  dans  notre  maison, 
nous  avons,  de  père  en  fils,  la  coutume  de  respecter  le  jour  du 
Seigneur.  Ainsi  je  ne  puis  rien  vous  vendre.  —  Mais  je  dois  partir 
demain.  — 'Cette  raison,  j'en  suis  bien  fâché,  n'est  pas  suffisante 
pour  nous.  —  Mais  encore  :  j'ai  à  vous  acheter  pour  3o.ooo  francs 
de  bijoux.  —  La  somme  serait  plus  forte,  que  nous  ne  nous  laisse- 
rions pas  tenter.  » 

L'officier  allemand  fut  donc  obligé  de  se  retirer,  et  alla  chez  un 
autre  marchand  bijoutier.  Celui-ci  se  montra  de  la  plus  grande 
facilité  à  ne  pas  respecter  le  troisième  commandement  de  Dieu. 
Ses  bons  dimanches  à  lui  étaient  ceux  où  il  vendait  le  plus.  Mais 
sa  facilité  à  ne  pas  respecter  Dieu  fit  réfléchir  l'Allemand. Il sedit  : 
«  Le  marchand  que  j'ai  vu  si  bien  observer  le  troisième  comman- 
dement de  Dieu,  n'aura  pas  moins  de  respect  pour  le  septième  qui 
nous  défend  de  voler  notre  prochain.  Attendons  à  demain  lundi.  » 
Il  se  débarrassa  le  mieux  qu'il  putdu  bijoutier  libre-penseur,  et  par 
là  même  libre-vendeur,  et  retourna  le  lundi  chez  le  bijoutier  chré- 
tien, qui  le  servit  parfaitement  à  des  prix  très  convenables. 

Entendre  pieusement  la  Messe. 

i.  —  «  Le  2/1  juillet  iSVi,  écrivait  le  saint  évêque  de  Scutari,  je 
pris  possession  de  mon  Église,  et  le  10  août,  j'officiai  pontificale- 
ment,  pour  la  première  fois,  dans  le  champ  découvert  qui  sert  de 
temple  aux  fidèles  de  Scutari.  Ce  fut  un  spectacle  bien  touchant 
que  cette  multitude  de  catholiques,  accourus  de  tous  les  villages 
voisins,  et  demeurant  pieux  et  recueillis,  pendant  l'espace  de  trois 
heures  que  dura  la  célébration  des  saints  mystères,  malgré  une 
pluie  battante  qui  ne  cessa  de  tomber.  J'en  étais  ému  jusqu'aux 
larmes;  les  nombreux  étrangers,  spécialement  les  autrichiens,  qui 
assistaient  à  la  cérémonie,   partageaient  mon  attendrissement,    lt 


364       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIII.  INSTRUCTION. 

n'est  pas  jusqu'aux  Musulmans,  attirés  par  la  curiosité  vers  cette 
scène  imposante,  qui  n'exprimassent  une  surprise  mêlée  d'admi- 
ration. Il  faudrait  en  effet  l'avoir  vu  comme  moi  de  ses  propres 
yeux,  pour  croire  avec  quelle  dévotion  hommes  et  femmes  assis- 
tent à  nos  saintes  cérémonies,  exposés  qu'ils  sont  à  toutes  les 
injures  de  l'air,  bravant  tour  à  tour  et  le  froid  d'un  hiver  rigou- 
reux, et  les  chaleurs  excessives  de  l'été.  Combien  de  fois  n'ai-je 
pas  comparé  leur  ferveur  à  la  délicatesse  de  ces  tièdes  chrétiens 
d'Europe,  qui  se  plaignent  de  la  moindre  incommodité,  sous  les 
voûtes  de  leurs  superbes  basiliques,  et  qui  trouvent,  dans  chaque 
variation  de  la  température,  un  prétexte  pour  se  dispenser  de 
l'office  divin.  »  (Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi). 

2.  —  «Le  dimanche,  de  six  heures  du  matin  à  une  heure  après 
midi,  les  prêtres  disent  des  Messes  à  tous  les  autels  des  seize  égli- 
ses de  Dublin.  Les  églises  ne  sont  pas  assez  vastes  pour  contenir 
la  foule  des  fidèles,  qui  déborde  jusque  sur  les  escaliers  qui  con- 
duisent aux  tribunes,  à  l'orgue  et  au  clocher.  Les  portes,  ouvertes 
à  deux  battants,  laisse nt  apercevoir  le  sanctuaire  aux  masses  du 
peuple,  qui  obstruent  les  parvis,  malgré  le  vent,  malgré  le  froid  et 
la  pluie.  J'ai  vu  des  ceutaines  de  pauvres  gens  prosternés  jusque 
dans  le  milieu  de  la  rue,  la  face  contre  terre,  priant  dans  le  plus 
profond  recueillement,  ou  prêtant  une  oreille  attentive  au  chant 
du  prêtre,  qu'on  entendait  résonner  faiblement  dans  le  lointain.  » 
(Le  Constitutionnel,  i3  déc.  i845). 


QUATORZIEME  INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Quatrième  Semaine) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien  de  se 
confesser  au  moins  une  fois  chaque 
année. 

1.  Bases  de  ce  devoir.  —  11.  Motifs  de  ce  devoir.  —  III.  Conditions  pour 

s'en  acquitter. 

Dans  nos  précédents  entretiens  depuis  le  commencement 
du  Carême,  nous  avons  étudié,  vous  pouvez  aisément  vous 
en  souvenir,  tout  ce  qui  regarde  nos  plus  essentiels  devoirs 
envers  Dieu,  envers  notre  prochain  et  envers  nous-mêmes. 
En  sorte  que,  si  nous  accomplissions  parfaitement  ces  trois 
classes  de  devoirs,  nous  pourrions  à  la  rigueur  nous  arrêter 
où  nous  en  sommes.  Malheureusement,  il  n'en  est  pas  ainsi. 
Car,  même  lorsque  nous  connaissons  très  bien  nos  devoirs 
envers  Dieu,  envers  notre  prochain  et  envers  nous-mêmes, 
loin  de  les  accomplir  avec  la  fidélité  qui  conviendrait,  nous 
les  violons  encore,  hélas  !  avec  une  facilité  vraiment  déplo- 
rable et  affligeante,  nous  rendant  ainsi  coupables  de  péchés 
aussi  graves  que  nombreux.  Le  juste  lai-même,  nous  assure 
le  Saint-Esprit,  tombe  jusqu'à  sept/ois  le  jour  (1).  Or,  préci- 
sément de  là  naissent,  pour  nous,  de  nouveaux  devoirs  aussi 
indispensables  au  salut  que  ceux  dont  nous  nous  sommes 
déjà  occupés,  et  dont  le  premier  est  la  confession  de  ces 
fautes  que  nous  commettons  lorsque  nous  violons  les  obli- 
gations qui  nous  incombent. 

La  confession  !  que  d'idées  fausses  un  grand  nombre  de 
chrétiens  ne  se  font-ils  pas  sur  ce  point  !  Pour  les  uns,  c'est 
une  invention  des  prêtres,  et  par  conséquent  une  pure  super- 
cherie, dont  il  n'y  a  qu'à  se  moquer.  D'autres  reconnaissent 

i.  Prov,  xxiv,  iG. 


366       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.  XIV.    INSTRUCTION. 

bien  à  cette  institution  un  caractère  divin,  mais  ils  la  consi- 
dèrent comme  une  pratique  de  conseil,  bonne   sans  doute 
pour  les  personnes  qui  font  profession  ouverte  de  dévotion, 
mais  nullement  obligatoire  pour  la  masse  des  chrétiens,  qui 
n'en  ont  pas  besoin  pour  mener  une  vie  suffisamment  hon- 
nête. D'autres  encore,  voulant  justifier  leur  éloignement  de 
la   confession,  se  la  représentent  comme    un   fardeau    non 
seulement  inutile,  mais  encore  écrasant  et  intolérable.  Enfin 
il  en  est  qui,  sans  se  donner  la  peine  d'y  réfléchir  sérieuse- 
ment, croient  s'acquitter  du  devoir  de  la  confession,  en  se 
confessant  d'une  manière  telle  quelle  et  vaille  que  vaille.  Or, 
ce  sont  là,  nous   le   répétons,  autant    d'idées    radicalement 
fausses  et  de  préjugés  enfantés  par  l'ignorance  et  les  passions. 
La  vérité,  c'est  que  la  confession  des  péchés,  au  moins  une 
fois  chaque  année,  est  rigoureusement  obligatoire  pour  tous 
les  fidèles.    La  vérité,   c'est  que  la   confession,  loin   d'être 
inutile  et  pesante,  est  aussi  douce  qu'indispensable.  La  vérité 
enfin,  c'est  qu'on  ne  satisfait  au  devoir  de  la  confession  que 
par  une  confession  bien  faite.  Telles  sont  les  trois  proposi- 
tions que  nous  allons  démontrer,  en  exposant  :    première- 
ment, les  bases  du  devoir  de  la  confession  au  moins  annuelle  ; 
deuxièmement,  les   motifs   de  ce  devoir  ;   et  troisièmement 
enfin,  les  conditions  à    remplir    pour   s'en  acquitter.  —  0 
Dieu  !  qui  avez  institué  la  confession  pour  nous  être  comme 
une  planche  de  salut  après  le  Baptême,  lorsque  nous  avons 
eu    le    malheur  de  tomber   dans  les  flots   et  les  abîmes  du 
péché,  daignez  nous  faire  bien  comprendre  la  nécessité   où 
nous  sommes  d'y  recourir,  et   la    manière  de  le  faire  fruc- 
tueusement. 

I.  —  Bases  du  devoir  qui  incombe  à  tout  chrétien  de 
se  confesser  au  moins  une  fois  chaque  année.  —  Le 
devoir  de  la  confession  annuelle  repose  sur  deux  bases,  c'est- 
à-dire  qu'il  résulte  de  deux  commandements  qui  nous  ont 
été  faits  à  cet  égard,  le  premier  par  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ,  le  second  par  l'Église,  que  le  Sauveur  a  établie  pour 
gouverner  après  lui  ses  disciples  et  leur  appliquer  les  fruits 
de  sa  rédemption. 

Oui,  que  ceux  qui,   par  ignorance,  ont  pu  penser  que  le 


bEVOltt    bE    SE    CONFESSER     M     MOINS    l  NM    lois    l'àN.       3()~ 

précepte  de  la  confession  n'est  pas  un  précepte  divin,  que 
ceux  là.  (lisons-nous,  se  détrompent,  car  c'est  bien  vraiment 
Notre-Seigneur  qui  a  institué  la  confession ,  et  nous  a  fait 
un  devoir  d'y  recourir.  Peu  de  jours  avant  de  remonter  au 
ciel,  s'étanl  présenté  à  ses  apôtres  rassemblés  dans  le  céna- 
cle, il  leur  ilil  en  effet,  après  avoir  soufflé  sur  eux  :  Recevez 
le  Saint  Esprit.  Ceux  à  </ui  vous  aurez  remis  leurs  péchés,  leurs 
péchés  leur  seront  remis  :  et  ceux  à  qui  cous  les  aurez  retenus, 
i/s  leur  seront  retenus  (  i  ).  Par  ce  souille  sur  ses  apôtres  et  les 
paroles  qu'il  leur  adresse,  Notre-Sèignéur,  nul  ne  peut  le 
contester,  les  investit  manifestement  du  pouvoir  de  remettre 
et  de  retenir  les  péehés,  c'est-à-dire  de  les  pardonner  ou  non 
à  ceux  qui  les  ont  commis.  Or,  que  suit-il  de  là  ?  Il  suit  de 
là  que  Notre-Seigneur  a  fait  en  même  temps  un  devoir  aux 
pécheurs  de  confesser  leurs  fautes  à  ses  ministres  pour  en 
obtenir  le  pardon,  s'ils  en  étaient  jugés  dignes.  S'il  en  était 
autrement,  c'est-à-dire,  si  Notre-Seigneur  n'avait  pas  entendu 
l'aire  aux  pécheurs  un  devoir  de  confesser  leurs  fautes  à  ses 
ministres,  le  pouvoir  qu'il  conférait  à  ceux-ci  eût  été  déri- 
soire, puisqu'ils  n'auraient  pas  pu  l'exercer,  et  Notre-Seigneur 
se  serait  en  quelque  sorte  moqué  d'eux  en  le  leur  donnant. 
Il  eut  fait  comme  celui  qui  donnerait  un  beau  tableau  à  un 
aveugle,  ou  offrirait  un  billet  de  concert  à  un  sourd.  En 
effet,  pour  remettre  ou  retenir  les  péchés,  c'est-à-dire  pour 
les  pardonner  ou  ne  les  pas  pardonner,  les  apôtres  et  leurs 
successeurs  avaient  besoin  d'en  avoir  une  complète  connais- 
sance, afin  de  les  apprécier  et  de  les  juger.  Or,  comment  les 
ministres  de  Notre-Seigneur  auraient-ils  pu  connaître  les 
fautes  des  pécheurs,  si  ceux-ci  ne  les  leur  eussent  pas  con- 
fessées ') —  Ainsi,  Notre-Seigneur  ayant  conféré  à  ses  apôtres 
le  pouvoir  de  remettre  et  de  retenir  les  péchés,  ce  qu'on  ne 
peut  contester  :  on  ne  peut  pas  contester  davantage  qu'il  a 
par  là  même  fait  aux  pécheurs  une  obligation  de  confesser 
Leurs  péchés  à  ses  ministres,  puisque  sans  cette  obligation 
de  confesser  les  péchés,  le  pouvoir  de  les  pardonner  serait 
vain  e!  nul.  Or.  encore  une  fois,  il  eût  été  indigne  de  Notre- 
Seigneur  d'accorder  à    ses  apôtres  un   tel  pouvoir.    Le  pou- 

i .  Joarï.  \\.  22  et  23. 


368       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIV.    INSTRUCTION. 

voir  qu'il  leur  a  accordé  étant  donc  nécessairement  véritable 
et  effectif,  nécessairement  aussi,  cela  est  de  toute  évidence, 
il  a  imposé  aux  pécheurs  l'obligation  de  confesser  leurs 
péchés (i).  —  Les  apôtres  et  les  premiers  fidèles  Font  si  bien 
compris  ainsi,  que  nous  voyons  la  confession  pratiquée,  dès 
la  toute  première  origine  de  l'Église,  comme  elle  le  fut 
toujours  depuis,  et  comme  elle  l'est  encore  aujourd'hui. 
C'est  ce  qui  résulte  d'un  passage  des  Actes  des  Apôtres,  dans 
lequel  il  est  rapporté  que  plusieurs  de  ceux  qui  avaient  cru 
venaient  confesser  et  déclarer  ce  qu'ils  avaient  fait  de  mal  (2). 
Si  la  confession  n'avait  pas  été  instituée  par  Notre-Seigneur, 
comment  les  apôtres,  qui  avaient  pour  mission  de  prêcher  à 
toutes  les  nations,  et  de  leur  apprendre  à  observer  toutes  les 
choses  que  le  divin  Maître  leur  avait  prescrites  (3),  comment 
les  apôtres,  disons-nous,  auraient-ils  osé  instituer  eux- 
mêmes  la  confession  ?  comment  auraient-ils  osé  introduire 
une  telle  pratique  dans  une  religion  qu'ils  étaient  chargés 
de  faire  partout  connaître  sans  en  rien  retrancher,  mais 
aussi  sans  y  rien  ajouter?  Une  telle  infidélité  est  absolument 
incompatible  avec  leur  caractère.  Puis  donc  que  l'usage  de 
la  confession  apparaît  parmi  les  premiers  fidèles  gagnés  par 
'les  apôtres  à  la  foi  de  Jésus-Christ,  il  est  impossible  de  ne 
pas  reconnaître  que  cette  institution  vient  de  Jésus-Christ 
lui-même,  et  que  par  conséquent  elle  est  divine. 

Instituée  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  la  confession, 
nous  venons  de  le  voir,  fut  en  usage  parmi  les  fidèles  dès 

1.  Car  homini,  potius  quam  ipsi  Deo,  confessionem  fîeri  Ghristus 
voluerit  :  cujus  rationem  s.  Thom.  Villan.  in  Dora.  2.  Quadrag.  osten- 
dit,  dum  causam  inquirit,  cur  Sapientia  divina  modum  immutavit 
confessionis,  quando  quidem  David  soli  confitens  Deo,  obtinuit  abso- 
lutionem  :  Tibi  soli  peccavi  ?  Ad  quid  opus  fuit,  peccalum  contra  Deum 
commissum,  homini  revelari,  maxime  cum  hoc  sit  nimis  onerosum  et 
verecundum  ?  Gui  objectioni  sanctus  breviter  respondit  in  ha?c  verba  : 
«  Quandiu  Deus  non  fuit  homo,  non  opus  fuit  peccatum  homini  verbo 
confiteri  ;  sed  postquam  Filius  Dci  factus  est  homo.jam  Pater  non  judi- 
cat  quemquam,  sed  omne  judicium  dédit  Filio,  et  potestatem  dédit  ei 
iudicium  facere,  quia  Filius  hominis  est  ;  ex  tune  ergo  peccator,  homi- 
nis  Ghristi,  a  Deo  Pâtre,  foro  commissus  est,  et  in  illo  reddere  rationem 
peccatorum  suorum  tenetur.  »  (Loilner,  Bibliolh.  voc.  ConfessioJ. 

2.  Act.  xix.  18. 

3.  Matth.  xxvin,  19,  20. 


DEVOIR  DE   Si:  CONFESSER  AU  MOINS  UNE  FOIS  L'AN.  36g 

la  naissance  même  de  l'Église.  Naturellement,  cet  usage  se 
continua  dans  les  siècles  suivants,  ainsi  que  nous  l'appren 
nent,  et  de  nombreux  témoignages  des  saints  Pères,  et  une 
foule  de  faits  historiques.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  les 
écrits  des  anciens  nous  ont  conserve  les  noms  des  confes- 
seurs d'un  grand  nombre  de  rois,  de  reines,  de  papes,  et 
autres  personnages  illustres.  Or,  si  ces  personnages  avaient 
des  confesseurs,  c'est  donc  une  preuve  qu'ils  se  confessaient; 
et  si  les  grands  se  confessaient,  sans  aucun  doute  les  simples 
fidèles  se  confessaient  également,  la  confession  ne  pouvant 
pas  être  considérée  comme  n'étant  obligatoire  que  pour  les 
grands.  —  Cependant  le  Sauveur,  en  instituant  la  confession, 
n'avait  pas  précisé  combien  de  fois  ni  en  quel  temps  l'on 
devait  se  confesser.  Dans  les  premiers  siècles,  les  chrétiens, 
avides  d'accomplir  toutes  les  prescriptions  du  Sauveur,  et  se 
confessant  en  conséquence  fréquemment,  l'Eglise  n'eut  pas 
à  élever  la  voix  sur  ce  point  pour  leur  rappeler  leur  devoir. 
Mais  peu  à  peu  la  ferveur  première  alla  en  se  refroidissant, 
et  un  temps  vint  où  beaucoup  de  fidèles  ne  se  confessèrent 
plus  que  trop  rarement.  Ce  fut  alors  que  l'Église,  dont  la 
mission  est  précisément  de  veiller  à  faire  observer  par  les 
fidèles  les  prescriptions  du  Sauveur,  décida,  au  quatrième 
concile  de  Latran,  en  12 15,  que  pour  observer  le  précepte 
divin  de  la  confession,  il  faut  se  confesser  au  moins  une  fois 
chaque  année.  Ainsi,  nous  le  répétons,  et  qu'on  le  remarque 
bien,  ce  n'est  pas  l'Église  qui  a  institué  la  confession  ;  elle 
a  seulement  décidé  que,  le  Sauveur  n'ayant  pas  dit  quand 
il  fallait  se  confesser,  tout  fidèle  doit,  pour  obéir  aux  inten- 
tions et  à  la  volonté  du  Sauveur  à  cet  égard,  déclarer  ses 
péchés  aux  prêtres  au  moins  une  fois  chaque  année,  dès 
qu'il  a  atteint  l'âge  de  raison,  c'est-à-dire  l'âge  où  l'on  com- 
mence à  discerner  le   bien   du  mal  (1).  —  Et    telle   est  la 

1.  Quando  autem  capax  fit  puer  peccati  mortalis,  non  est  judicandum 
ox  sol  a  aetate,  sod  multo  plus  ex  ingenii  gradu,  cducalione,  discretione 
boni  et  mali,  quae  in  aliis  major  est  anno  sexto,  quani  in  quibusdam 
anno  octavo.  Lnde  refert  S.  Gregorius,  lib.  4-  Dialog.  c.  18,  puerum 
quinquennein  niortuum  et  damnatum  esse,  propler  blaspbemias  in 
quibus  diu  vixerat.  Plus  forte  stupendum,  quod  experientia  se  didisse 
ait  Gerso,  hujus  sciliect  «Ttatis  pueros  carnalibus  peccatis  inquinatos 
fuisse  (Collet).  —  Quoad  cos  qui  puerorum  confessiones  excipiunt,  en 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR,   i—  T.  II.  24 


seconde  base  du  devoir  de  la  confession  annuelle,  savoir, 
l'autorité  de  l'Eglise  ;  autorité  qui  lui  a  été  conférée  expres- 
sément par  le  Sauveur  lui-même  pour  gouverner  en  son 
nom  les  fidèles,  quand  il  a  dit  à  ses  apôtres,  qui  furent  les 
premiers  ministres  de  l'Église  :  Qui  vous  écoule,  nï écoule 
moi-même  ;  et  qui  vous  méprise,  me  méprise  moi-même  (i). 
Sansdoute,  le  juge  n'est  pas  le  législateur  ;  cependant,  comme 
il  est  de  l'autorité  du  législateur  de  faire  des  lois,  ainsi  est-il 
de  l'autorité  du  juge  de  les  interpréter  ;  et  l'interprétation 
du  juge  n'a  pas  une  force  obligatoire  moins  grande,  que  la 
loi  du  législateur.  L'autorité  du  législateur  ?t  l'autorité  du 
juge  sont  donc  deux  choses  qui  se  complètent  et  qu'on  ne 
peut  séparer.  11  en  est  de  même  de  Notre-Seigneur  qui  a 
édicté  la  loi  de  la  confession,  et  de  l'Eglise  qui  a  interprété 
cette  loi  clans  ce  sens,  qu'elle  oblige  au  moins  une  fois  cha- 
que année.  On  admettra  sans  doute  que  Notre  Seigneur,  en 
instituant  la  confession,  n'a  pas  excédé  les  limites  de  son 
autorité  ;  eh  bien,  en  interprétant  comme  elle  l'a  fait  la  loi 
de  la  confession,  l'Église  n'a  pas  non  plus  excédé  les  limites 
de  la  sienne.  Aussi  certaine  donc  et  aussi  forte  est  l'obliga- 
tion de  se  confesser,  aussi  certaine  et  aussi  forte  est  l'obliga- 
tion de  le  faire  au  moins  une  fois  chaque  année.  Et  voilà 
comment  le  devoir  de  la  confession  au  moins  annuelle  (•>,) 

quod  dicit  s.  Carolus  Borromeus  :  «  Gonsuetudo  honesta  est  pucrulos, 
eliamsi  quintum  aut  sextum  aetatis  annum  needum  excesserint,  ante 
confessarium  adducere  ut  sic  incipiant  paulatim  instrui,  ac  manu  quasi 
in  cognitionem  atquc  usum  hujus  sacramenti  transfërrî.  Caveant  tamen 
accurate  sacerdotes  ne  absolu tioncm  ils  pracbeant  in  qùibus  nec  idones 
materia,  nec  ca  rationis  plenitudo  reperitur  utcitra.controversiam  judi- 
care  possint  eos  hujus  sacramenti  capaces  esse.  »  Pluies  theologi,  ut 
Sporer,  de  Lugo,  S.  Liguori,  Layman  et  alii,  censént  in  dubio  an  puer 
habeat  usum  rationis,  ipsum  esse  absolvendum  snb  conditione  (mcnla- 
liter  retenta),  si  aliquod  moriale  dubium  confessus  fuerit,  non  solum 
in  periculo  mortis,  sed  etiam  quando  urget  prœceptum  Ecclesiie  de 
confessione,  ne  forte  capax  sit  et  non  satisfaciat  huic  praîcepto,  si  non 
absolvcretur  ;  et  aliunde  ut  non  privetur  gratia  sacramcntali  et  non 
maneat  in  statu  damnationis,  quod  reipsa  eveniret  si  cssel  in  peccato 
moitali  et  non  esset  absolutus  fExam.  rais.  loc.  cit.). 

i .  Luc.  x,  16, 

•2.  Confessionis  pracceptum  multis  casibus  obligat,  ita  ut  de  novo 
peccet  illam  omittens.  Primo,  in  periculo  probabili  mortis,  v.  g.  dum 
timetur  naufragium,   exorta  tempestate,   vcl  instat  pralium   periculo- 


m:\oik  DÉ  si:  CONFESSER  ai    moins  i  m;  fois  LAN.         07I 


repose  sur  deux  bases  aussi  inébranlables  L'une  que  L'autre. 
Dos  lois,  puisque  Le  devoir  de  la  confession  au  moins 
annuelle  esl  absolument  certain,  personne  donc  ne  peut  se 
dispenser  de  s'en  acquitter.  Les  autorités  compétentes  s'étant 
prononcées,  il  n*>  a  qu'à  s'incliner,  pour  tout  chrétien 
docile  aux  prescriptions  de  Notre-Seigneur  et  de  sa  sainte 
Église.  Toutefois,  parce  que  nous  sommes  des  êtres  raison- 
nables, nous  aimons  à  nous  rendre  raison  des  choses.  Aussi, 
souvent  nous  arrive-t  il  de  violer  certains  devoirs  que  nous 
considérons  comme  futiles,  alors  que  nous  les  aurions 
accomplis  avec  zèle  et  scrupule  si  nous  en  avions  connu  le 
pourquoi.  Tout  en  sachant  qu'il  \  a  obligation  pour  nous 
de  nous  confesser  au  moins  une  fois  chaque  année,  il  nous 
sera  donc  très  utile  de  savoir  en  outre  pourquoi  Notre-Sei- 
ffneur  et  l'Église  nous  ont  fait  ce  commandement.  C'est  ce 
que  nous  allons  en  conséquence  expliquer,  en  exposant  les 

su  m.     Sic    euro    fœmina,    quse   difficiles    partus    baberc    solet,    part  ni 
proxïma  est,    tenetur  confiteri.  Qui  autem   pra?scit,    se  in  tali  articulo 
necessilatis  non  habiturum  copiara  confessarii,  tenetur  prœvcnire,  quia 
exponit   alioquin   se  periculo  moriendi  sine  confessione.  —  Secundo, 
quando  suscipiendum  est  sacramentum  Eucharistiae,  obligalio  est  con- 
fessionis,  ut  patel  ex  Trident.  Hem,  si  sacramentum  aliud  suscipiendum 
est,  vel  adminlstrandum,  débet  praemitti  confessio,  yel  saltem  contritio  ; 
qiiia  debentadministrarivel  suscipi  sacramenta  in  statu  gratiœ,in  quein 
statum  non  restituitur  peccator,  nisi  perconfessioncm  aut  contritionem. 
—  Tertio,    tenentur   omnes    qui  discretionis  ustim    attigerint,    saltem 
semel  in  anno  confiteri,  ex  prœcepto  Ecclesia>.    Ca'lerum,  liect  Ecclesia 
frequentiorem  confessionem  non praecipiat,  adhortatur  tamen  continuo 
filios  suos  ad  illam  frequentandam,  ob  fructus  qui  exilla  oriuntur,  et 
ob  pcricula  quae  ex  iilius  neglectu  potest  homo  incurrerc...   —   Quod  si 
fructus   frequentis  confessionis   copiât   quis  cognoscerc,    ila  manifesti 
sont,  ut  cœcutire  recte  dicatur.  qui  eos  non  videt  :  1"  Acquirilur  major 
puritas  cordis  et  conscientia?,    sicul  qui  frequentius  inanus  lavai  et  lin- 
tea  i'aeit.  ut  ci  soldes  non  ila  ad  li;ciescanl  ;  et  qui  sœpe  verrii  domum, 
impedit  ne  lulo  obducatur  :  ila  judicandum  est  de  anima  per  confessio- 
nem.   a0  Vugclur  gratia  et   gloria,   duni  sanguis   et   mérita  Gbristi  per 
sacramentum    pœnitentiœ    fréquenter   applicantur   anima-  ;   simulque 
diminuitur   pœna    peccatis  débita.    3°  Virtus  augetur  ad   rcsistendum 
bosti  >;ilii tis,  ejusque  tentationibus  et  peccati  periculis  quœ  nos  circum- 
stant.    V  aequiritur  major  seenritas  silo  lis,  et  conscicnthc  pa\  serena. 
oui  (l'm  diffcrl  capul  pectere,    faciles  alil  vermrs  ;   sic  qui  confessionem 
procrastinat,  vermem conscientia* nutritinquiclum.  qui  in  futuro  acrius 
punget.  K  comra  illam  frequentans,  experitur  non  esse  oblcctamcntum, 
supra   cordis   g:udium    (Màrcuakt.    Ilorl.   pasl.    Cand.    myst.    tr.    .*>, 
prop 


072       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIV,  INSTRUCTION. 


II.  —  Motifs  du  devoir  de  la  confession  au  moins 
annuelle.  —  On  entend  parfois  les  impies  et  les  mauvais 
chrétiens,  pour  justifier  leur  éloignement  et  leur  haine  de  la 
confession,  et  pour  en  détourner  les  âmes  simples  et  peu 
instruites,  répéter  que  cette  pratique  ne -sert  à  rien,  ou  hien 
qu'elle  est  même  nuisible  en  ce  qu'elle  torture  les  conscien- 
ces. Or,  il  suffit  de  se  rappeler  que  la  confession  est  une 
institution  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  pour  compren- 
dre aussitôt  que  ces  propos  et  autres  semblables  ne  sont  que 
des  calomnies.  Gomment  en  effet  Notre-Seigneur,  qui  est  la 
sagesse  et  la  bonté  même,  aurait-il  institué  la  confession 
pour  ne  servir  à  rien,  ou  bien  mieux  encore  pour  torturer 
inutilement  les  consciences?  Oui,  par  cela  seul  que  la  con- 
fession a  été  instituée  par  Notre-Seigneur,  il  ne  se  peut  pas 
qu'elle  soit  une  institution  inutile  ou  gratuitement  cruelle. 
Tout  au  contraire,  c'est  une  preuve  péremptoire  que  la  con- 
fession a  été  instituée  pour  notre  plus  grand  bien,  c'est-à- 
dire  tout  à  la  fois  pour  notre  sanctification  et  pour  notre 
consolation.  Tels  sont  en  effet  les  deux  motifs  principaux 
de  l'institution  de  la  confession. 

Notre-Seigneur  s'est  proposé  d'abord  dans  cette  institu- 
tion, disons-nous,  notre  sanctification,  car  c'est  cela  même 
qu'il  s'est  premièrement  proposé  dans  toutes  ses  œuvres.  La 
confession  est  en  effet  un  moyen  éminemment  propre  pour 
nous  sanctifier.  Car,  en  quoi  consiste  notre  sanctification? 
Elle  consiste  surtout  en  ces  deux  choses  :  effacer  les  souillu- 
res que  nous  avons  contractées  par  nos  péchés,  et  nous  pré- 
server d'en  contracter  de  nouvelles.  Sans  ces  deux  choses,  il 
n'y  a  pas  pour  nous  de  sanctification  possible, la  sanctification 
étant  aussi  essentiellement  incompatible  avec  le  péché, 
que  la  parfaite  blancheur  est  incompatible  avec  les  taches. 
Eh  bien,  précisément  la  confession  efface  nos  péchés.  On  ne 
peut  pas  en  douter,  puisque  le  Sauveur  Ta  expressément 
déclaré  à  ses  apôtres,  dans  les  paroles  déjà  citées,  mais  qu'il 
faut  répéter  ici  :  Ceux  à  qui  vous  aurez  remis  leurs  péchés, 
leurs  péchés  leur  seront  remis.  Or  Notre-Seigneur  ne  parle  pas 
en  vain.  Tout  ce  qu'il  dit,  il  le  fait  ;  et  tout  ce  qu'il  promet, 
il  l'accomplit.  Ayant  donc  solennellement  déclaré  que  les 
péchés  seraient  remis  et  effacés  par  la  confession,  sa  parole 


DEVOUA  DE  SK  CONFESSER    VI    MOINS    i  NE   POIS  I,  V\.  37 


sacrée  nous  est  un  infaillible  garant  de  ce  miséricordieux 
prodige  (i).  Mais  la  confession  n'efface  pas  seulement  nos 
péchés,  elle  nous  préserve  en  outre  d'\  retomber  :  non  pas 
complètement,  puisque  nous  restons  pécheurs  tantquedure 
notre  vie  :  mais  elle  nous  en  préserve  d'une  manière  pro- 
gressive, el  toujours  de  plus  en  plus.  Voici  comment. 
Qu'est-ce  qui  nous  fait  tomber  dans  le  péché  ?  C'est  d'abord 
le  démon.  Eh  bien,  chaque  fois  que  nous  nous  confessons, 
nous  brisons  les  chaînes  dont  le  démon  nous  charge  quand 
nous  avons  le  malheur  de  pécher,  et  nous  nous  soustrayons 
à  sa  tyrannie. .  Or,  de  même  qu'un  peuple,  à  force  de  se 
révolter  contre  un  despote,  finit  par  lui  échapper;  de  même 
le  chrétien,  à  force  de  se  soustraire  au  démon  par  des  con- 
fessions répétées,  finit  également  par  se  soustraire  à  ce  tyran. 
—  Ce  qui  nous  fait  tomber  dans  le  péché,  ce  sont  encore 
nos  passions  et  nos  mauvaises  habitudes.  Eh  bien,  il  en  est 
de  ces  passions  et  de  ces  mauvaises  habitudes  comme  du 
démon  :  chaque  fois  que  nous  nous  confessons,  nous  rom- 
pons au  moins  momentanément  celles-ci,  et  nous  mettons 
un  frein  à  celles-là.  Or,  à  force  encore  de  refréner  les  unes, 
et  de  lutter  contre  les  autres  en  les  mutilant  et  en  les  arra- 
chant de  notre  cœur  comme  de  mauvaises  herbes,  nous 
finissons  également  par  les  si  bien  dompter  et  affaiblir, 
qu'elles  aussi  ne  peuvent  plus  nous  entraîner  dans  les  souil- 
lures du  mal.  —  Ajoutons,  d'un  autre  côté,  que  ce  qui  nous 
rond  particulièrement  faibles  pour  résister  au  péché,  c'est 
l'espérance  que  personne  ne  connaîtra  notre  honte.  Quel  est 
le  voleur,    quel  est  l'impudique,    quel  est  le  vindicatif  qui 

1.  Quis  verbis  au  gère  poterit  beneficium  remissionis  peccatorum  ? 
Intcr  apophtuegmata  a nti quorum  refertur,  quod  cum  Turnius  Antonii 
partes  secutus  fuisset,  et  Victoria  cessisset  Augusto,  metuens  sibi,  subor- 
navit  filium  qui  a  victore  peteret  veniam,  petiit  et  impetravit.  Tu  m 
Turnius  Caesari  sic  gratias  egit  :  Hœc  una  abs  te,  ô  Caesar,  injuria  facta 
est  mihi,  effecisti  nempe,  ut  jam  mihi,  et  vivenduni,  et  moriendum  sit 
ingrate,  significans  tantam  esse  ejus  beneficii  magnitudinem,  ut  nulla 
ex  parte  locus  esset  referendse  gratiae.  Nunc  ad  rem,  si  tanli  fecit  ille 
remissionem  Caesaris,  qui  solum  poterat  cum  vita  corporali  privarc, 
quanti  a  nobis  facienda  est  remissio  peccatorum,  ex  qua  aeterna  pendet 
\it;i  ?  si  ni;,  nesciebal  quas  Caesari  gratias  referre  posset,  quales  nos  Deo 
pro  remissione  peccatorum  gratias  referemus  tanto  beneficio  clignas  ? 
ÇLÂbat.  Loci  comm.  voc.  Confessio,  prop.  2). 


.) 


fi       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  \1V.   INSTRUCTION. 


ne  résisterait  pas  à  l'entraînement  de  ses  mauvaises  passions, 
s'il  savait  qne  sa  faute  sera  connue,  ne  fût-ce  que  d'une 
seule  personne  ?  Eh  bien,  la  confession  offre  au  pécheur, 
contre  sa  faiblesse,  ce  secours  de  lui  ôter  la  pensée  que  sa 
faute  demeurera  inconnue,  puisqu'elle  l'oblige  à  la  révéler 
lui-même  au  prêtre.  —  Ainsi  la  confession,  qui  nous  puri- 
fie de  nos  péchés,  contribue  encore  très  efficacement  à  nous 
préserver  d'y  retomber,  en  nous  aidant  à  nous  soustraire  à 
la  tyrannie  duvdémon,  à  rompre  nos  mauvaises  habitudes, 
à  surmonter  nos  passions,  et  en  tenant  dressée  devant  nos 
yeux  la  nécessité  de  l'aveu.  Et  voilà  comment  cette  pratique 
sacrée  atteint  le  but  que  le  Sauveur  s'est  premièrement  pro- 
posé en  l'instituant,  savoir,  notre  sanctification.  C'est  en 
effet  par  la  confession  que  tous  les  saints  qui  sont  dans  le 
ciel  se  sont  sauvés,  et  c'est  toujours  par  elle  seulement  que 
nous  pouvons  nous  sanctifier  à  notre  tour.  Sans  la  confes- 
sion, le  ciel  serait  à  peu  près  vide,  car  il  n'y  serait  alors 
admis  que  ceux  qui  auraient  conservé  leur  innocence  bap- 
tismale, ou  dont  la  contrition  aurait  été  parfaite  :  et  com- 
bien ne  seraient-ils  pas  rares  !  Au  contraire,  grâce  à  la  con- 
fession, la  terre  se  repeuple  sans  cesse  de  fidèles  qui  se  sanc- 
tifient de  plus  en  plus,  et  le  ciel  s'emplit  de  ces  multitudes 
que  Dieu  a  fait  voir  à  l'avance  aux  yeux  ravis  de  saint  Jean, 
que  personne  ne  pourrait  compter  (i). 


i.  Àpoc.  vu,  9.  —  Confessionis  sacramenlum  veluti  sinus  pacatissi- 
mus  est,  in  quo  hominum  conscientia?  religantur,  ne  a  procellis  absor- 
beantur  delictorum  ;  dejecta  eriguntur,  amissa  reparantur,  et  quidquid 
immunditiœ  inundantibus  tantationum  tempestatibus,  aut  opérante 
malitia  in  navim  conscience  perfusum  est,  rejicitur,  et  purgatur^S. 
Laur.  Justin,  de  dise.  mor.  c.  19). 

In  sacra  confessione,  pœnitentem  maxirais  donis  afficit  (Dcus).  Nam, 
i°  illi  confert  intuitu  meritorum  Christi,  et  su  se  contrition  is  uberem 
gratiam  sanctificantem  et  medicinalem,  per  quam  ex  vilissimo  da>monis 
servo  fit  filius  Dci  et  haeres  vitu3  aeternae,  et  qua  sanatur  ab  omnibus 
inlirmitatibus  et  vulneribus  animas.  20  Si  hac  gratia  non  carebat,  illam 
notabiliter  auget.  3°  llli  confert  plures  gratias  actuales  etauxilia  specia- 
lia  supernaturalia  in  occasionibus,  ne  ilerum  committat  ea  peccata,  de 
quibus  confessus  est.  4°  Conscientia?  perturbaliones  comprimit  et  sedat, 
et  interiorem  pacem  largitur.  5°  Omnia  antecedentia  mérita  per  pecca- 
tum  amissa  et  fructus  operum  bonorum  restituit  ;  anima?  nitorcm 
suum  et  puchritudinem  reddit,  illi  amicitiam  angelorum  et  sanctorum 
omnium  conciliât,    et   illam  ccelesti  pane  refleiens  in  sponsam  assurait 


DEVOIR  DE  SE    CONFESSER   U    MOINS    UNE   FOIS  t*AN. 


Toutefois  Notre-Seigneur,  nous  l'avons  dit,  a  institué  La 
confession,  non  seulement  pour  notre  sanctification,  mais 
aussi  pour  notre  consolation,  et  pour  notre  consolation 
dans  notre  douleur  lapins  intime  et  la  plus  cuisante.  Quelle 
esl  ("elle  plus  grande  douleur  de  l'homme  ?   C'est   le  senti- 

e)   divinis  exornal   dotibus.    quis  non  exelamet,   benedic   anima   mea 
Domino,  qui  sanat  omnes  infirmitates  tuas,  qui  coronat  le  multis  mise- 
rationibus  ?  etc.  (Tiran.  Mission.  De  Confess.  sacram.  alia  ârgum.  pr.  6). 
Fidèles  qui  m'écoutez,  je  vous  regarde  :   parmi  vous,  les  mis  accom- 
plissent  ce  précepte  de  la  confession  annuelle  ;    les  antres,  pour  des  rai- 
sons ([ne  je  ne  veux  pas  approfondir  en  ce  moment,  croient  pouvoir  s'en 
dispenser.     \    ceux  qui    ne     se    confessent  pas,    l'Église    semble    dire  : 
«  Prends  garde,    mon  enfant,    le  péché  règne  dans  ton  cœur  ;    la  grâce 
de  Dieu  n'y  est    plus;    la  conscience  esl  moins  délicate  ;    chez  toi  la  foi 
est  diminuée  ;  tu  cours  un  bien  grand  risque  si  Ja  mort  venait  à  te  sur- 
prendre dans  ce  lamentable  état.  Né  laisse  pas  ainsi  accumuler  tes  dettes, 
car  lu  deviendrais  insolvable  ;    chaque  année,   visite   les  divers  coins  de 
ton  âme.    recours  à  la  miséricorde  du  bon  Dieu  pour  obtenir  le  pardon 
de  tes  fautes.  »  Est-ce  une  prescription  sage  et  prévoyante,   frères  bien- 
aimés  ?   Ah  !   oui,  car  si  nous  étions  fidèles  à  la  suivre,   elle  nous  dispo- 
serait   à    faire  une  bonne  mort,    et    nous  empêcherait  de  devenir   des 
réprouvés.  —  Quant  à  vous  qui  accomplissez  ce  précepte,   vous  en  allez 
facilement  comprendre  la  sagesse.  Tout  négociant,  dit-on,  qui  fait  régu- 
lièrement son  inventaire,    est  probe  et  honnête  ;    chaque  année,   il  sait 
s'il  a  gagné  ou  perdu,  et  il  règle  ses  ventes  ou  ses  achats  d'après  le  résul- 
tat qu'il  a  constaté.  Ainsi  notre  confession  annuelle,  si  elle  est  bien  faite, 
nous   révèle  l'état  dans  lequel    est  notre  àmc  devant  Dieu.  Nos  défauts 
sont-ils  moins  nombreux,  nos  fautes   moins  fréquentes?    sommes-nous 
plus  fidèles  à  sanctifier  le  dimanche,  plus  exacts  à  remplir  les  devoirs  de 
notre  condition  ?  Autant  de  questions  à  examiner.    Si    nous  constatons 
des   pertes,  il  faut    les    réparer.    Si,  au  contraire,  Dieu    nous  a   fait  la 
grâce  de  faire  quelque  progrès,  nous    devons  prendre  la    résolution  de 
persévérer  dans  celte  voie.  Mais  comprenez-vous  combien  estsage,  pru- 
dente et  maternelle  cette  loi    de  l'Église  qui  nous  oblige  à  faire  chaque 
année  l'inventaire  de  noire  conscience? —  Frères  bien-aimés,  une  com- 
paraison toute  simple,  peut-être   trop    familière,    va  vous   faire    mieux 
sentir  encore    cette  vérité.    Plusieurs    voyageurs  lourdement    chaussés 
devaient  gravir  une  montagne  de  terre  glaise  ;  leur  but  était   un  splcn- 
dide  château  qu'on  apercevait  sur  le  sommet,  et  dontledôme  étincelait 
aux  îayons  du  soleil.  Celte  montagne  était  escarpée,    le  sentier  difficile 
el  couvert  de  cette  boue  Apre   et  tenace  qu'on  rencontre    dans  certains 
terrains.  Ces  voyageurs  partirent  ensemble  ;  mais  les  uns,   prévoyants, 
s  étaient  munis    de    certains    instruments    pour  détacher    de    temps  en 
temps  la  houe  qui  se  collait  à  leurs  chaussures.  Leur  démarche  devenait 
alors   plus  facile,    leurs    pas  plus  légers.  Les    autres,  haletants,  épuisés, 
traînant  à    leurs  pieds  un  fardeau    Incommode  qui  les  faisait  glisser  et 
tonifier  a  chaque  instant,  n'avançaient  (pie  péniblement  ;  on  dit  même 
que    beaucoup   ne  purent  parvenir  au  but  qu'ils    s'étaient  proposé.  — 
Hélas  !    frères   bien-aimés,   nous   sommes   ces   voyageurs  ;    tous  nous 


876       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. XIV.  INSTRUCTION. 

ment  d'avoir  fait  lé  mal,  d'avoir  offensé  Dieu  et  mérité  l'en- 
fer ;  en  d'autres  termes,  c'est  le  remords.  Si  malheureux 
que  nous  soyons  pour  toute  autre  cause,  notre  affliction  est 
toujours  tolérablc,  tant  que  nous  avons  la  conscience  en  paix. 
Les  païens  eux-mêmes  l'avaient  constaté,  et  l'un  deux  (1), 
parlant  de  l'homme  juste,  a  dit  que,  quand  même  l'univers 
l'écraserait  sous  ses  ruines,  il  ne  s'en  troublerait  pas.  De 
fait,  on  a  vu  mille  fois  fondre  tous  les  maux  sur  nos  mar- 
tyrs, sans  que  la  paix  de  leur  âme  et  leur  joie  intérieure  en 
fussent  altérées.  Mais  eût-on  à  discrétion  tous  les  bonheurs, 
si  le  cœur  est  déchiré  par  le  remords,  tout  se  transforme 
en  amertume.  Qui  de  nous  n'en  a  fait  l'expérience  ?  Qui  de 
nous  a  fait  le  mal,  et  en  se  sentant  coupable,  n'a  pas  éprouvé 
l'aiguillon  du  remords,  cet  aiguillon  qui  est  la  plus  affreuse 
douleur  même  dans  l'enfer  ?  Il  est  vrai  qu'ici-bas  on  parvient 
souvent  à  l'émousser  ;  mais  ce  n'est  que  par  instants  ;  et 
dans  les  intervalles,  surtout  en  face  des  dangers  et  aux 
approches  de  la  mort,  la  pointe  ne  s'en  fait  sentir  que  d'une 
manière  plus  terrible.  Ah  !  que  ne  donnerait-on  pas  pour  en 
être  délivré  !  Sous  l'ancienne  loi,  il  fallait  vivre  avec  son  re- 
mords et  mourir  avec  lui.  Il  en  est  de  même  dans  les  reli- 
gions autres  que  la  nôtre,  où  les  pauvres  âmes  tombées 
portent  toute  la  vie  le  fardeau  de  leurs  chutes,  et  se  pré- 
sentent, à  la  mort,  devant  le  tribunal  du  souverain  Juge, 
sans  aucunement  savoir  si  elles  ont  été  pardonnées.   Notre 

devons  chercher  à  atteindre  cette  demeure  splendide  et  resplendissante 
qu'on  appelle  le  paradis.  Le  sentier  est  rude  et  escarpé,  c'est  Jésus- 
Christ  qui  nous  l'enseigne  quand  il  dit  :  La  voie  du  ciel  est  étroite.  Les 
misères  de  notre  pauvre  nature,  les  passions  surtout,  s'attachent  à  nous 
comme  une  chaussure  lourde  et  incommode  ;  nos  péchés,  ces  fautes  que 
nous  commetton  schaque  jour,  viennent  encore  comme  une  bouetenace 
embarrasser  notre  marche.  Doux  sacrement  de  la  Pénitence,  sainte  et 
salutaire  confession,  vous  êtes  l'instrument  divin,  qui  doit  nous  déli- 
vrer de  ce  fardeau  incommode,  enlever  ce  limon  du  péché  qui  entrave 
nos  pas,  et  nous  fait  monter  d'un  pied  plus  agile  et  plus  sûr  là-haut 
vers  la  patrie.  Or,  dans  ce  voyage  qu'on  appelle  la  vie,  et  qui  doit  abou- 
tir au  ciel,  la  sainte  Église  nous  accompagne  comme  une  mère  pru- 
dente ;  et  quand  elle  nous  dit  :  «  Tous  tes  péchés  confesseras  à  tout  le 
moins  une  fois  l'an,  »  cela  veut  dire  :  Mon  cher  enfant,  débarassc-toi 
de  cette  boue  incommode  qui  cause  tes  chutes  et  ralentit  ta  marche 
(L'abbé  Lobry,  ap.  Semaine  du  Clergé,  tome  10,  page  i38i). 

1.  Horace. 


DEVOIR  DE  SE  CONFESSER  AU  MOINS  UNE   FOIS  l\\N.  077 

tout  bon  Sauveur  a  voulu  faire  à  ses  disciples  un  sort  plus 
doux.  En  leur  donnant  la  confession,  il  leur  a  fourni  le 
moyen  d'échapper  au  remords  et  de  reconquérir  l'inesti- 
mable paix  de  la  conscience.  Dans  la  confession,  en  effet,  le 
coupable  fait  l'aveu  humble  et  contrit  de  sa  faute,  et  grâce 
à  cet  aveu,  il  en  obtient  le  pardon.  En  sorte  qu'après  s'être 
confessé,  le  pénitent  se  retrouve  dans  l'état  où  il  était 
avant  d'avoir  péché  ;  à  peu  près  comme  celui  qui  a  avalé  du 
poison  se  retrouve,  après  l'avoir  vomi,  dans  l'état  où  il  était 
avant  de  l'avoir  absorbé.  C'est-à-dire  que,  le  péché  étant 
vomi  et  pardonné,  le  pénitent  n'éprouve  plus,  par  consé- 
quent, ni  torture  de  la  conscience,  ni  crainte  des  vengeances 
divines,  mais  tout  au  contraire  la  joie  d'une  bonne  cons- 
cience recouvrée,  et  de  l'amitié  de  Dieu  reconquise.  C'est 
encore  une  expérience  que  chacun  de  nous  a  pu  faire.  Par- 
fois même  on  a  vu  des  pénitents  si  soulagés  et  si  consolés 
au  sortir  du  saint  tribunal,  qu'ils  ne  pouvaient  contenir  leur 
bonheur  et  le  racontaient  à  qui  voulait  les  entendre  (i). 


1 .  O  felix  eonscientiae  puritas,  quœ  vermem  interiorem  excludis,  quœ 
a  carcere  doloris  libéras  rationem,  quae  ab  omni  immunditia  purgas 
mentem.  O  mens  sancta  !  o  paradisus  deliciarum  variis  bonorum  ope- 
rum  virgultis  consita,  variisque  virtutum  floribus  purpurata,  et  suaviter 
cœlesti  gratia  irrigata.  Haec  est,  fratres  mei,  paradisus  in  quo  plantatur 
lignum  vitae  et  cœlestis  sapientiac,  hœc  est  talamus  Dei,  palatium  Christi, 
habitaculum  Spiritus  Sancti  (Auct.  serm.  10.  ad  fratres  in  Eremo). 

Sicut  avicula  in  laqueos  aucupis  lapsa,  si  laquei  casu  rumpuntur, 
magna  cum  Laetitia  avolat  ;  ita  non  minus  laetari  débet  post  confessio- 
nem  peccator,  canereque  cum  Davide  :  Anima  mea  sicut  passer  erepta  est 
de  laqueo  venantium  ;  laqueus  conlritus  est  et  nos  libérait  samus.  Ps.  exix,  7 
(Lohner,  Biblioth.  voc.  Confessio). 

Tout  vous  est  pardonné,  allez  en  paix  :  Vade  in  pace.  Ciel  !  quelle 
charmante  sérénité  a  succédé  aux  troubles  et  aux  orages  de  la  conscience  ! 
quel  poids  ôté  de  dessus  le  cœur  !  quelle  satisfaction  d'être  délivré  de 
cette  tristesse  accablante  du  crime  que  l'on  portait  partout  avec  soi,  de 
ce  ver  rongeur  dont  on  était  dévoré,  de  ces  inquiétudes  mortelles  où 
l'on  vivait  !  C'est  après  la  tempête  que  l'on  goûte  la  sécurité  du  calme  ; 
c'est  au  sortir  de  la  maladie  que  Ton  sent  le  prix  de  la  santé  ;  c'est  au 
retour  d'un  long  exil  que  l'on  est  touché  des  charmes  de  sa  patrie;  c'est 
après  une  confession  difficile,  mais  bien  faite,  que  l'on  goûte  délicieu- 
sement le  bonheur  d'être  bien  avec  Dieu.  On  remporte  du  tribunal 
sacré  une  douce  et  profonde  impression  de  grâce  et  de  consolation 
toute  divine  ;  une  onction  céleste  s'est  répandue  dans  l'âme  ;  on  respire 
la  sainteté,  la  pureté,  la  divinité.  11  semble  que  l'on  est  dans  un  monde 
nouveau,  ou  que  l'on  vient  de  ressusciter.  —  Oh  !   l'heureux  moment 


878       LES  GttANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIV.   INSTRUCTION. 

Que  Notre-Seigneur,  encore  une  fois,  a  donc  été  bon  et 
miséricordieux  pour  nous  en  instituant  la  confession,  puis- 
qu'il ne  s'y  est  proposé  que  notre  sanctification  et  notre 
consolation  !  Mais  quel  puissant  motif  nouveau  de  nous 
confesser,  puisqu'on  le  faisant,  non  seulement  nous  accom- 
plissons le  précepte  qui  nous  en  a  été  imposé,  mais  encore 
nous  nous  sanctifions  pour  L'éternité,  et  nous  nous  assurons 
les  plus  douces  consolations  et  les  plus  intimes  joies  pour 
la  vie  présente  elle-même  (1)  ! 

Nous  n'accomplirons  toutefois  ce  précepte,  et  pareillement 
nous  ne  nous  sanctifierons  et  nous  ne  goûterons  les  joies  de 
la  confession,  que  par  une  confession  véritable  et  bien  faite. 

que  celui  où  l'homme  peut  dire  ;  J'étais  une  victime  de  l'enfer,  me 
voilà  l'enfant  et  l'héritier  des  cieux  ;  la  foudre  était  suspendue  sur  ma 
tète,  maintenant  c'est  la  couronne  ;  tout  le  sang  de  Jésus-Christ  deman- 
dait vengeance  contre  moi,  il  m'a  obtenu  miséricorde  et  a  lavé  mes 
iniquités  :  quel  changement  !  puis-je  en  croire  mes  transports?  Ah  ! 
s'écria  Tertullien,  la  pénitence  est  la  félicité  de  l'homme  pkheur  : 
PœiiUenlia  hominis  rei  félicitai.  Rien  n'est  plus  vrai,  etc.  Que  vous  con- 
naissez peu  votre  bonheur,  vous  qui,  par  une  répugnance  aveugle, 
fuyez  la  confession,  etc  (L'abbé  Richard,  Serin,  sur  la  Confess.). 

1.  T.  La  confession  constitue  le  chrétien  dans  un  état  perpétuel  de  sur- 
veillance. Le  chrétien,  par  l'obligation  qu'il  contracte  de  tout  dire, 
jusqu'à  ses  plus  secrètes  pensées,  n'est  jamais  seul.  11  a  toujours  avec  lui 
un  témoin,  un  œil  ouvert,  non  cet  œil  de  Dieu  auquel  on  est  si  indiffé- 
rent, mais  l'œil  de  l'homme  qu'on  redoute  tant  ;  il  n'y  a  guère  de  mau- 
vaise action  qui  ne  se  cache.  Celui  donc  qui  serait  toujours  vu,  ne 
pécherait  en  quelque  sorte  jamais.  —  IL  La  confession  ravive  l'àme 
pour  le  bien.  i°  Elle  nous  délivre  de  l'ignorance  de  nous-mêmes.  Elle 
pose  de  distance  en  distance,  dans  la  route  de  la  vie,  des  jalons  qui  ser- 
vent à  mesurer  notre  progrès  dans  la  vertu,  et  nous  fait,  de  nos  fautes 
mêmes,  un  trésor  d'expérience  qui  nous  aide  à  nous  corriger.  20  Elle 
nous  délivre  de  l'orgueil  qui  croit  toujours  en  avoir  fait  assez,  qui  nous 
immobilise  dans  une  infécondité  morale,  et  qui  cherche  toujours  à  faire 
son  niveau  avec  nos  faiblesses  ;  au  lieu  que  l'humilité  où  nous  ramène 
la  confession,  nous  porte  d'autant  plus  en  haut,  que  nous  nous  sentons 
plus  bas,  et  nous  fait  ainsi  monter  par  la  raison  même  de  notre  penchant 
à  descendre.  3°  Elle  nous  délivre  du  découragement.  Si  on  pouvait  re- 
commencer sa  vie,  instruit  qu'on  estde  la  vanitéde  ses  plaisirs,  ce  serait 
tout  autrement.  Eh  bien  !  tel  est  le  grand  bienfait  de  la  confession,  de 
faire,  réellement  recommencer  la  vie.  de  rompre  avec  le  passé,  et  de 
nous  faire,  avec  le  repentir,  une  seconde  innocence,  c  est-à-dirc  un 
nouveau  point  de  départ.  4°  Enfin  la  confession,  en  nous  remettant  en 
communion  avec  la  grande  société  des  âmes  vertueuses,  met  à  la  dispo- 
sition d'un  seul  les  ressources  et  les  forces  de  la  généralité  (Holdry  et 
Avig.non,  Biblioth.  clés  Prédic.  voc.  Conjession,  art.  4»  n.  21). 


DEVOIR    DE  SE  CONFESSER    H    moins    .  xk  FOIS   I-  IN. 


379 


C'est   pourquoi    nous   allons    expliquer,  en    dernier   lieu, 
quelles  sont  les 

111  -Conditions  pour  se  bien  acquitter  du  devoir 
de  la  confession  annuelle.  — Ces  conditions  sont  au  nom- 
bre de  deux,  qu'il  s'agisse,  d'ailleurs,  de  la  confession 
annuelle  si  Ton  n'en  fait  qu'une  seule  dans  toute  1  année, 
ou  de  toute  confession,  si  Ton  en  fait  plusieurs  :  la  première, 
c'esl  de  se  confessera  un  prêtre  approuvé;  la  seeondc,  de 
faire  une  confession  véritable  et  valide. 

11  faut  d'abord  se  confesser  à  un  prêtre  approuvé,  c  est-a- 
dire  à  un  prêtre  exerçant  publiquement  les  fonctions  de  son 
ministère,  ce  qui  suppose  qu'il  y  est  autorisé  par  son  eveque. 
Unsi,  l'on   ne   satisferait    pas   au   devoir  de  la  confession 
annuelle,  si  Ton  se  confessait  à  un  prêtre  que  Ton   saurait 
exercer  le  saint  ministère   sans  l'autorisation  de  l'eveque, 
comme  il  arriva  fréquemment  en    France   au   temps   de  la 
constitution  civile  du  clergé,  et  plus  récemment  en  Suisse  et 
en  Prusse,  à  l'époque  du  kulturcampf.  Il  en  serait  de  même 
si   Ton  se  confessait  à  un  prêtre  suspendu  ou  interdit.  La 
raison  en  est  bien  simple.  Notre-Seigneur  n'a  confié  le  pou- 
voir de    remettre   les   péchés  qu'à   ses   ministres  ;  or,   tout 
prêtre  intrus,  suspendu  ou  interdit  a  cessé  d'être  le  ministre 
de  Notre-Seigneur;  il  ne  peut  donc  pas  agir  en  son  nom,  et 
c'est  inutilement  qu'on  s'adresse  à  lui.  Donc  l'on  ne  doit  se 
confesser  qu'à  un    prêtre  approuvé,  et,  nous  le  répétons,  a 
moins  de   preuve     contraire,  tout  prêtre  exerçant  publique- 
ment le  saint  ministère  doit  être  considéré  comme  tel,  qu  il 
soit  curé,  vicaire  ou  religieux. 

Pour  accomplir  le  devoir  de  la  confession  annuelle,  l'on 
doit  en  second  lieu,  avons-nous  dit,  faire  une  bonne  et 
valide  confession.  Il  s'est  trouvé  de  faux  docteurs  pour  ensei- 
gner qu'on  satisfait  à  ce  devoir  aussi  bien  par  une  mauvaise 
confession  que  par  une  bonne  confession.  Autant  dire  qu'on 
.cquitte  d'une  dette  aussi  bien  en  donnant  de  la  fausse 
monnaie  qu'en  en  donnant  de  la  bonne.  Sans  nul  doute,  en 
nous  commandant  de  nous  confesser,  Notre-Seigneur  a  cer- 
tainement voulu  parler  dune  confession  bien  faite.  Et 
1  Eglise,  en  décidant  que  le  précepte  du  Seigneur  oblige  au 


38o       LES  GRANDS  DEVOIRS   DU  SALUT.   XIV.    INSTRUCTION. 

moins  une  fois  chaque  année,  n'a  pas  voulu,  n'a  pas  pu 
entendre  qu'on  satisferait  à  ce  précepte  même  par  une  mau- 
vaise confession,  puisque  Notre-Seigneur  n'a  pu  nous  com- 
mander que  de  nous  bien  confesser.  Répétons-le  donc:  pour 
accomplir  le  devoir  de  la  confession  annuelle,  il  faut  indis- 
pensablement  faire  une  bonne  confession  ;  et  celui  qui  aurait 
le  malheur  d'en  faire  une  mauvaise,  serait  tenu  d'en  faire  au 
plus  tôt  une  nouvelle  et  bonne. 

Or,  pour  faire  une  bonne  confession,  voici  comment  il 
faut  procéder. 

Tout  d'abord,  il  faut  se  recueillir  et  prier  Dieu  de  tout  son 
cœur  de  daigner  nous  aider.  Si  nous  avons  besoin  du  secours 
de  Dieu  pour  la  moindre  des  choses,  combien  ce  secours  ne 
nous  est-il  pas  plus  nécessaire  dans  une  affaire  où  il  s'agit 
au  fond  de  notre  salut  éternel,  puisqu'une  confession  bien 
faite  peut  assurer  notre  salut,  tandis  qu'une  confession  mal 
faite  peut  nous  perdre  à  jamais. 

Après  avoir  invoqué  Dieu,  on  passe  à  l'examen  de  sa 
conscience  ;  et  pour  le  faire  d'une  manière  tout  à  la  fois  plus 
facile  et  plus  sûre,  on  suit  l'ordre  des  commandements  de 
Dieu  et  de  l'Église,  des  péchés  capitaux  et  des  devoirs  d'état, 
se  rappelant  en  outre,  autant  qu'on  le  peut,  les  occupations 
auxquelles  on  s'est  livré,  les  lieux  où  l'on  est  allé,  les  per- 
sonnes avec  lesquelles  on  s'est  trouvé.  Si  l'on  ne  se  confesse 
que  tous  les  ans,  un  tel  examen  exige  certainement  un  temps 
assez  notable,  et  l'on  s'exposerait  grandement  à  le  mal  faire 
si  l'on  n'y  consacrait  que  quelques  brefs  instants.  Au  moins 
faut-il  y  apporter  autant  de  soin  et  d'application  que  s'il 
s'agissait  de  nos  affaires  temporellles  pendant  l'année  écoulée. 
Il  n'est  pas  nécessaire  d'ailleurs  de  faire  cet  examen  d'une 
seule  haleine  ;  au  contraire,  il  est  plus  à  propos  de  s'y 
reprendre  à  plusieurs  fois,  dans  les  moments  propices,  afin 
de  connaître  l'état  de  son  âme  d'une  manière  plus  détaillée 
et  plus  complète  (i). 

i.  La  confession  demande  un  sérieux  examen  et  beaucoup  de 
réflexions.  C'est  un  compte  qu'il  faut  rendre  à  Dieu  :  peut-on  le  rendre 
sans  en  examiner  les  articles  ?  C'est  un  aveu  de  tout  le  mal  qu'on  a  fait, 
et  qu'on  est  obligé  de  découvrir  dans  toutes  ses  circonstances  :  peut-on 
le  faire  sans  de  grandes  informations  ?  C'est  un  jugement  qu'il   faut 


DEVOIU   DE  si    COMI'.SSKI!  Al    MOINS    UNE  FOIS  LAN,          38l 

\pres  qu'on  a  terminé  son  examen,  il  faut  se  recueillir 
plus  profondément  encore,  renouveler  à  Dieu  ses  prières,  et 
s'exciter  à  la  contrition  :  car  sans  contrition,  c'est-à-dire 
sans  regret  cl  sans  repentir  de  ses  fautes,  il  est  impossible 
don  obtenir  le  pardon.  Or,  pour  concevoir  un  sincère  regret 
de  ses  fautes,  il  esl  à  propos  de  considérer  surtout  ces  deux 
choses  :  L'infinie  bonté  de  Dieu,  que  nous  avons  offensé  (i)  ; 
cl  les  châtiments  terribles  que  nous  avons  mérités,  et  dont 
nous  serons  infailliblement  frappés,  si  nous  ne  désavouons 
pas  nos  fautes  par  notre  repentir.  Un  saint  évêque(^),  avant 
daller  se  confesser,  faisait  en  esprit  trois  stations.  Il  se  trans- 
portait d'abord  au  pied  de   la  croix  du  Calvaire,  et  considé- 


prononcer  contre  soi,  et  qui  doit  être  annulé  dans  un  tribunal  supé- 
rieur, s'il  n'a  pas  été  bien  prononcé  :  peut-on  prendre  trop  de  temps 
pour  ne  s'y  pas  tromper  ?  Ayant  donc  à  régler  des  comptes  sur  lesquels 
vous  serez  ou  condamnés  ou  absous,  selon  que  vous  les  aurez  bien  ou 
mal  faits,  la  première  chose  que  vous  êtes  obligés  de  faire,  c'est  de  rentrer 
en  vous-mêmes,  d'examiner  les  désordres  de  votre  vie  passée,  etc.  (Joly, 
Prune  pour  le  V*  dira,  du  Car.). 

Il  faut  confesser  tous  ses  péchés,  et  en  oublier  de  mortels,  faute  d'avoir 
pris  le  temps  nécessaire  pour  se  bien  examiner,  c'est  rendre  sa  confes- 
sion nulle.  Après  avoir  mené  une  vie  oisive  et  sensuelle,  avoir  passé 
plusieurs  mois  dans  un  enchaînement  de  crimes,  fréquenté  de  mau- 
vaises compagnies,  lié  des  amitiés  ou  des  commerces  criminels,  négligé 
les  devoirs  essentiels  de  son  état,  péché  par  pensées,  par  paroles  et  par 
actions,  en  une  infinité  de  rencontres  ;  après  tout  cela,  dis-je,  donner  à 
l'examen  de  sa  conscience  un  léger  intervalle  avant  de  se  confesser,  se 
présenter  précipitamment  aux  sacrés  tribunaux,  sans  presque  savoir  de 
quoi  on  s'accuse,  dire  un  fatras  de  choses  inutiles  et  ne  descendre  pas 
dans  le  détail  de  celles  qu'il  faut  absolument  découvrir;  est-ce  là  faire 
une  bonne  confession  ?  Peut-on  en  si  peu  de  temps  rappeler  toute  sa  vie 
passée,  les  parties  d'iniquité  qu'on  a  liées,  les  mauvaises  pensées  qu'on 
a  eues,  les  médisances  qu'on  a  faites,  etc.  ?  Telles  sont  les  confessions 
d'une  infinité  de  gens,  qui  après  plusieurs  mois,  et  quelquefois  des 
années  entières,  ne  savent  que  dire  à  confesse,  quoique  le  nombre  de 
leurs  péchés  surpasse  celui  de  leurs  cheveux  (Anonyme,  Diction,  moral, 
Réflex.  sur  les  Indulg.). 

i.  Considéra  quomodo  sustinuit  te  (Dcus),  et  expectavit  cuni  multa 
sapientia,  quomodo  pro  offensis  multa  bona  dédit,  oiïcnsus  rogat  ut 
redeas  ad  illum  ;  et  considéra  tuam  duritiam  pertinaciam,  ingratitude 
ixin  cl  pravitatem  ;  quam  maie  respondisti  ta  m  bono  Patri  ;  quomodo 
contemnis  monentem,  despicis  vocantem  ;  sine  timoré  ac  verecundia 
pro  nihilo  habes  illum  ofienderc,  et  mille  injurias  facere  (S.  Thom, 
Villax.  Dom.  Passion.). 

2.  Mgr.  delà  Mothe  d'Orléans,  é\èque  d'Amiens. 


382       LES  GRANDS   DEVOIRS   DU  SALUT.   XIV.   INSTRLCÏION. 

rant  Le  Sauveur  couvert  de  plaies  et  mourant,  il  se  disait  : 
Voilà  comment  tu  as  traité,  par  tes  péchés,  ton  Sauveur  et 
ton  Dieu,  qui  ne  t'a  jamais  fait  que  du  bien.  Entrouvrant 
ensuite  l'enfer  par  la  pensée,  il  y  regardait  les  damnés  plon- 
gés dans  les  flammes  pour  toujours,  et  se  disait  de  nouveau  : 
Voilà  le  lieu  où  tu  as  mérité,  par  les  péchés,  d'être  aussi  jeté 
et  enfermé  pour  toute  l'éternité.  Enfin,  levant  les  yeux  vers 
le  ciel,  il  y  contemplait  les  élus  dans  la  gloire,  et  se  disait 
encore  :  Voilà  le  séjour  et  la  félicité  dont  tu  t'es  rendu  indi- 
gne par  tes  péchés,  et  dont  tu  seras  certainement  exclu  à 
jamais,  si  après  avoir  fait  le  mal,  hélas  !  maintenant  tu  ne 
le  hais  pas  de  tout  ton  cœur.  A  ce  triple  spectacle,  qui  donc 
pourrait  ne  pas  détester  les  péchés  qu'il  a  eu  le  malheur  de 
commettre,  et  qui  ont  eu  ou  peuvent  avoir  de  telles  consé- 
quences !  C'est  pourquoi  l'on  ne  saurait  trop  exhorter  les 
chrétiens  à  faire  à  leur  tour  ces  trois  stations,  après  qu'ils 
ont  achevé  leur  examen  de  conscience. 

Et  lorsqu'enfîn  ils  se  présentent  au  tribunal  sacré,  ils 
doivent  se  faire  connaître  au  prêtre  exactement  comme  ils 
se  connaissent  eux-mêmes,  se  représentant  qu'ils  parlent 
en  quelque  sorte  à  Dieu  lui-même,  qu'on  ne  peut  tromper 
parce  qu'il  sait  tout.  Ils  doivent  par  conséquent  s'accuser 
en  toute  sincérité  de  toutes  les  fautes  qu'ils  ont  commises 
depuis  leur  dernière  confession,  soit  en  faisant  ce  qui  était 
défendu,  soit  en  ne  faisant  pas  ce  qui  était  commandé.  Ils 
doivent  s'accuser,  disons-nous,  et  non  pas  s'excuser,  comme 
font  quelques-uns,  en  rejetant  leurs  fautes  sur  les  autres.  Et 
en  s'accusant  de  leurs  fautes,  ils  doivent  encore  en  faire 
connaître  le  nombre,  ainsi  que  les  circonstances  qui  peu- 
vent en  changer  l'espèce  ou  en  aggraver  la  malice.  Par 
exemple,  si  quelqu'un  avait  frappé  son  père,  il  ne  lui  suffi- 
rait pas  de  dire  qu'il  a  frappé  une  personne,  il  devrait  dire 
que  c'est  son  père,  car  cette  circonstance  aggrave  notable- 
ment sa  faute. 

En  se  confessant  ainsi,  c'est-à-dire  avec  une  entière  sin- 
cérité et  un  véritable  repentir,  on  fera,  nous  le  répétons, 
une  bonne  et  valide  confession  ;  et  si  cette  confession  est 
faite  à  un  prêtre  approuvé,  on  aura  accompli  les  deux  con- 
ditions requises  pour  s'acquitter  du  devoir  de  la  confession. 


bEVOlft   ni:  SE  com  ksskk   m    MOINS  i  m:  nus  l'an.        383 

ajoutons  que  colle  confession  peut  être  faite  à  toute  épd 
que  de  L'année.  Mais  pour  les  personnes  qui  sont  tenues  à 
la  ('1)111111111)1011  pascale,  il  esl  à  propos  qu'elles  la  fassent 
dans  le  temps  d;>  Pâques,  parce  que,  si  à  cette  époque,  elles 
se  trouvaient  en  étal  de  péché  mortel,  elles  seraient  abso- 
lmnenl  forcées  de  se  confesser  de  nouveau  pour  pouvoir 
faire  leurs  Pâques  (i). 

CONCLUSION.  —  Telles  sont,  chrétiens,  les  bases  du 
devoir  de  la  confession  annuelle,  tels  sont  ses  motifs,  et 
telles  les  conditions  pour  s'en  acquitter.  En  résumé,  les 
bases  du  devoir  de  la  confession  annuelle  sont,  d'un  côté, 
le  précepte  divin  de  la  confession,  et  de  l'autre,  la  décision 
de  l'Église  que,  pour  accomplir  ce  précepte,  il  faut  se 
confesser  au  moins  une  fois  chaque  année.  Les  motifs  pour 
Lesquels  Noire-Seigneur  a  voulu  que  nous  nous  confessions, 
son!  notre  sanctification  et  notre  consolation  dès  ce  monde. 
Enfin  les  conditions  pour  s'acquitter  de  ce  devoir  sont,  de 
s'adresser  à  un  prêtre  approuvé,  et  de  lui  accuser,  avec  sin- 
cérité et  douleur,  Ions  les  péchés  qu'on  a  commis  depuis 
sa  dernière  confession.  Maintenant,  je  le  demande:  Qui 
peut  vouloir  se  soustraire  à  ce  devoir?  quelle  raison  allé- 
guer pour  ne  pas  l'accomplir  (2)  ?  On  ne  peut  plus  dire  que 


t.  Sunt  theologi  qui  a  januario  ad  januarium  tempus  animas  confes- 
sionnis  computant,  nec  pu  tant  obligare  consueludincm  quoad  tempus 
quadragesimao,  nisi  ubi  sunt  statuta  illud  designantia.  Billuart  et  Gori- 
tia  censenl  sulïîcere,  quovismodo  tempus  computetur,  si  interunam  et 
alteram  confessionem  plus  quam  minus  non  intercipiatur.  Sed,  spectata 
universali  consuetudine,  computatur  incipiendo  a  Paschate  ad  Pascha 
(Examen  raisonné,  -2  p.  ch.  1.  a.  1). 

•>..  Je  connais  les  excuses  qu'on  donne  pour  se  dispenser  de  celle  cou 
fession  annuelle.  .l'ai  trop  d'occupations.  Tant  pis  pour  vous  ;  la 
première  de  nos  occupations  doit  être  de  sauver  votre  âme;  c'est  pour 
celle  là  surtout  que  Dieu  vous  a  créé  et  mis  au  inonde.  —  J'ai 
des  contrariétés,  <\cs  haines.  —  Alors,  venez  vous  confesser.  On  vous 
dira  :  Il  i'aut  pardonner  ;  et  vous  recevrez  la  grâce  nécessaire  pour 
oublier  les  injures  qu'on  vousa  faites. —  N'alléguez  même  pas  certai- 
nes préventions  plus  ou  moins  Injustes  que  vous  pourriez  avoir  contre 
votre  pasteur  :  vous  êtes  libres  de  nous  adresser  à  qui  vous  voudrez,  et 
l  »ui  prêtre,  exerçant  le  saint  ministère  dans  le  diocèse,  pourra  vous 
absoudre.  —  Mais  mon  père,  mon  époux  s'j  apposent.  —  \li  !  D'abord, 
permcttez-m<  i  de  vous  deman  le    -i.  dans  tout)  circonstan- 


384       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XIV .  INSTRUCTION. 

la  loi  de  la  confession  est  une  loi  humaine,  ou  facultative, 
puisqu'il  a  été  établi  qu'elle  a  pour  auteur  Notre-Seigneur 
lui-même,  qui  l'a  rendue  obligatoire  pour  tous,  par  le  seul 
fait  qu'il  n'en  a  dispensé  personne.  On  ne  peut  plus  dire 
non  plus  qu'elle  ne  sert  à  rien,  ou  même  qu'elle  est  pour 
l'âme  une  torture,  puisque  nous  avons  vu  que  son  action 
est  de  nous  sanctifier  toujours  davantage,  et  que  loin  de 
torturer  l'âme,  elle  la  soulage  et  la  console,  ainsi  qu'en  font 
l'expérience  tous  ceux  qui  se  confessent  bien.  Enfin  l'on  ne 
peut  plus  dire  qu'on  ne  sait  comment  faire  pour  se  bien 
acquitter  de  ce  devoir,  puisque  nous  avons  expliqué  qu'il 
suffit  pour  cela  de  se  confesser,  à  un  prêtre  approuvé, 
de  tous  les  péchés  qu'on  a  commis  et  dont  on  se  repent. 
Eh  bien,  puisque  la  confession  est  une  loi  divine  qui 
oblige  tout  le  monde,  apprêtez-vous  donc  tous,  chrétiens,  à 
vous  confesser,  et  à  vous  bien  confesser.  C'est  une  chose 
si  belle  et  si  bonne  que  de  faire  son  devoir  !  Alors  même 
qu'il  s'agit  d'un  devoir  difficile  et  pénible,  toujours  on 
s'applaudit  d'avoir  eu  le  courage  de  l'accomplir  ;  et  si  on  ne 
l'accomplit  pas,  toujours  on  se  le  reproche  et  on  rougit  au 
fond  de  son  âme  d'avoir  eu  la  lâcheté  d'y  manquer.  Chré- 
tiens, ne  vous  donnez  pas  le  regret  d'avoir  manqué  à  votre 
devoir  de  la  confession  annuelle,  vous  en  avez  déjà  bien 
trop  d'autres,  hélas  !  Au  contraire,  procurez-vous  la  sainte 
et  suave  joie  d'accomplir  ce  devoir,  et  il  vous  en  sera  donné 
avec  elle  et  par  elle  beaucoup  d'autres  dont  elle  est  le  prin- 
cipe, et  qui  dureront  jusque  dans  l'éternité.  Ainsi  soit-il. 

TRAITS    HISTORIQUES. 

Nécessité  de  la  Confession. 

t. —  Saint  Ambroise,  parlant  de  la  nécessité  de  confesser  ses  pé- 

ces,  vous  êtes  aussi  obéissante  à  votre  père,  aussi  soumise  à  votre  mari. 
Puis,  rappelez-vous  bien  que  le  salut  est  une  affaire  personnelle,  qu'au- 
cune âme  ne  sera  damnée  pour  la  vôtre  si  vous  êtes  condamnée  à  l'en- 
fer. Voyez  donc  comme  toutes  ces  raisons  sont  vaines  !  comme  toutes 
ces  excuses  et  d'autres  encore  qu'on  pourrait  alléguer,  sont  frivoles  et 
n'auront  guère  de  poids  dans  la  balance  du  Juge  souverain  qui  pronon- 
cera sur  votre  sort  éternel  (Lobry,  loc.  cit.). 


DEVOIR  DE  SE  CONFESSER    AU   MOINS  UNE  FOIS  l'an.  l\$~) 

chés,  s'exprime  ainsi  :  «  Voulez- vous  être  justifié  ?  confessez  votre 
crime.  I  ne  humble  confession  délivre  des  liens  du  péché.  » — 
«  Pourquoi,  dit-il  ailleurs,  auriez-vous  honte  de  confesser  vos  péchés 
à  l'Église  Ml  n'y  a  de  honte  qu'à  ne  pas  les  confesser,  puisque 
nous  sommes  tous  pécheurs,  Le  plus  humble  n'csl-il  pas  le  plus 
recommandable  ?  et  celui  qui  est  le  plus  petit  à  ses  yeux  n'est-il 
pas  le  plus  juste  ?  » 

•>.  —  Saint  Boniface,  archevêque  de  Mayencc,  dit  dans  sa  4e  ho- 
mélie :  «  Si  nous  cachons  nos  péchés,  Dieu  les  découvrira  publi- 
quement, malgré  nous.  11  vaut  bien  mieux  les  confesser  à  un 
homme  que  de  s'exposer  à  être  couvert  de  confusion  à  la  vue  de  tous 
les  habitants  du  ciel,  de  la  terre  et  de  l'enfer.  » 

3.  —  Saint  François-Xavier  se  confessait  tous  les  jours  quand  il 
pouvait  avoir  un  prêtre. —  11  en  était  de  même  du  pape  Clément  VIII 
qui,  pour  en  fournir  l'occasion  aux  autres,  entendait  tous  les  jours 
les  confessions.  C'était  également  la  pratique  de  saint  Charles 
Borromée,  de  saint  Vincent  de  Paul  et  d'une  foule  d'autres  saints 
parmi  lesquels  nous  citerons  encore  saint  Henri  de  Trévise,  pauvre 
manœuvre  qui  ne  vécut  jamais  que  du  produit  de  son  travail,  mais 
qui  voulait  s'entretenir  dans  la  plus  exacte  pureté,  afin  de  se  ren- 
dre plus  digne  de  louer  Celui  qui  est  la  sainteté  même,  et  aux  yeux 
duquel  les  anges  ne  sont  point  sans  tache. 

l\.  —  Mgr  de  Ségur  rapporte  qu'un  aumônier,  visitant  la  prison 
de  la  Roquette  à  Paris,  y  trouva  un  jeune  homme  de  dix-sept  ans, 
auquel  il  adressa  quelques  paroles  amicales.  «  N'auriez-vous  pas  le 
désir,  cher  ami,  de  faire  votre  confession?  Vous  serez  si  content 
après  l'avoir  faite.  D'ailleurs  nous  ne  sommes  pas  loin  des  Pâques  ? 
—  Pour  le  moment,  monsieur  l'abbé,  non;  je  ne  fais  pas  mes  Pâques 
cette  année,  mais  l'année  prochaine,  je  vous  le  promets. —  Et  pour- 
quoi pas  à  présent,  mon  cher  enfant  ?  L'année  prochaine,  hélas  ! 
vous  ne  pourrez  peut-être  plus.  —  Si,  monsieur  l'abbé  ;je  suis  bien 
portant,  et,  l'animé  prochaine,  vous  pouvez  y  compter,  je  me  con- 
fesserai. »  Celui  qui  parlait  ainsi  portait  le  numéro  3o.  L'aumônier 
fut  obligé  de  le  quitter  sans  avoir  pu  obtenir  une  réponse.  Le  len- 
demain, il  vint  visiter  le  quartier  des  malades,  pour  aider  un  autre 
jeune  homme,  pareillement  de  dix-sept  ans,  qui  était  presque 
mort.  En  passant,  il  voit  sur  une  cellule  le  numéro  3o.  Il  s'arrête 
et  demande  qui  est  ce  malade.  C'était  bien  son  endurci  delà  veille, 
qui  avait  remis  sa  confession  à  l'année  prochaine.  On  l'avait  trouvé 
atteint  d'un  violent  mal  de  tête,  qui  ressemblait  à  un  transport  au 
cerveau.  L'aumônier  entre,  lui  parle,  mais  ne  reçoit  pas  de  réponse. 
Il  lui  donne  l'absolution  sous  condition,  puis  appelle  l'inlirmier  et 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.   —  T.  II.  25 


386       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIV.  INSTRUCTION. 

le  médecin,  qui  se  hâtent  d'accourir  auprès  du  malade  :  il  était 
mort.  —  Le  prêtre,  le  cœur  attristé,  sort  de  cette  lugubre  alcôve, 
et  va  trouver  son  moribond.  Ici  une  grande  consolation  l'attendait  : 
le  mourant  l'accueillit  avec  joie  et  se  hâta  de  faire  sa  confession. 
Après  quoi  le  confesseur  l'encourageait  et  lui  faisait  même  espérer 
de  guérir  :  «  Ah  !  monsieur,  dit-il,  j'espère  que  Dieu  me  fera  la 
grâce  de  mourir,  maintenant  que  je  suis  bien  avec  lui.  Si  je  guéris, 
j'ai  tout  à  craindre  de  ma  faiblesse.  Priez,  que  j'obtienne  la  grâce 
d'une  prompte  mort.  »  Il  l'obtint  en  effet,  et  mourut  avec  toutes 
les  marques  d'un  prédestiné. 

5.  —  Il  y  avait  dans  l'île  de  Sardaigne  un  jeune  homme  qui, 
s'abandonnant  à  ses  passions,  en  vint  à  négliger  ses  plus  graves 
devoirs  de  chrétien  et  à  omettre  sa  confession  annuelle.  Ses  amis 
l'engagèrent  à  ne  pas  continuer  dans  cette  voie,  et  à  ne  pas  différer 
de  se  confesser.  «  Je  n'ai  pas  besoin  de  confession,  répondit-il  ; 
au  reste,  je  me  confesserai  plus  tard.  »  Il  endurcit  donc  son  cœur, 
tomba  dans  l'abîme  de  tous  les  vices,  perdit  son  honneur,  sa  for- 
tune, sa  santé,  et  finit  par  se  trouver  mourant  à  l'hôpital  de  Ca- 
gliari.  C'était  en  1848.  Un  religieux,  visitant  les  malades  de  cet 
hôpital,  fut  invité  à  s'approcher  de  ce  malheureux,  qu'on  lui 
signala  comme  refusant  les  sacrements.  Le  père  le  trouva  très  mal 
et  n'ayant  plus  que  très  peu  de  temps  à  vivre.  Il  lui  parla  avec 
beaucoup  de  bonté  et  l'engagea  à  faire  une  bonne  confession  :  «  Je 
vous  aiderai,  lui  dit-il,  mon  cher  frère  ;  la  chose  sera  très  facile, 
le  bon  Dieu  vous  fera  miséricorde  et  vous  serez  si  heureux  !  —  Je 
n'ai  pas  besoin  de  confession,  répondit-il  froidement.  —  Cher  ami, 
tout  le  monde  en  a  besoin,  surtout  quand  on  est  malade,  qu'on  va 
paraître  devant  Dieu.  Voudriez-vous  mourir  sans  confession  ?  — 
Pas  besoin.  —  De  grâce,  mon  fils,  ne  tardez  pas,  votre  fin  est 
proche,  vos  moments  sont  comptés...  »  Tout  fut  inutile, le  ministre 
de  Dieu  ne  reçut  d'autre  réponse  que  ces  tristes  mots  toujours 
répétés  :  Je  rien  ai  pas  besoin]  Il  quitta  l'hôpital  navré  de  douleur 
en  priant  pour  le  malheureux  moribond.  —  Le  lendemain,  étant 
retourné,  il  vit  près  de  la  salle  des  malades  un  cadavre  couvert 
d'un  linceul,  et  frissonna,  craignant  que  ce  ne  fût  celui  du  récal- 
citrant de  la  veille.  Ses  craintes  n'étaient  que  trop  fondées.  Étant 
entré  dans  la  salle,  il  vit  la  consternation  peinte  sur  tous  les  visages. 
Les  malades  lui  disaient  :  «  Père,  vous  ne  savez  pas  ce  qui  est 
arrivé  ?  Cet  endurci  est  mort  sans  vouloir  se  confesser.  Vers  mi- 
nuit, il  a  poussé  un  cri,  disant  :  «  Un  poignard,  donnez-moi  un 
poignard  que  jele  perce!  —  De  qui  donc  voulez-vousparler?  — Eh  ! 
ne  voyez-vous  pas  ce  nègre  hideux  qui  veut  se  jeter  sur  moi?  — Con- 


DEVOIR  DE  SE   CONFESSER  AU  MOINS  UNE  FOIS  l'an.  387 


fessez-vous,  et  vous  n'aurez  rien  à  craindre.  —  Me  confesser?  non, 
pas  besoin.  —  Quand  il  eut  prononcé  ces  paroles,  il  garda  un 
morne  silence.  Puis  de  nouveau  il  cria  :  Au  secours,  il  me  saisit!.. 
Ces  dernières  paroles  furent  suivies  d'un  gémissement  affreux, 
après  quoi  on  n'entendit  plus  rien.  11  était  mort.  »  Terrible  fin  d'un 
chrétien  qui  n'a  pas  voulu  accomplir  le  devoir  de  la  confession  ! 

La  Confession  sanctifie. 

1.  —  Un  catholique  fort  zélé  qui,  dans  sa  paroisse,  passait 
pour  un  modèle  de  piété,  s'approchait  fréquemment  du  tribunal  de 
la  Pénitence.  Un  autre  qui  s'en  étonnait  lui  demanda  pourquoi  il 
se  confessait  si  souvent,  puisqu'il  vivait  si  saintement.  Le  catho- 
lique lui  répondit  :  «  Voyez,  je  me  conduis  comme  un  père  de  fa- 
mille qui  a  de  l'ordre.  Celui-ci  ne  manque  pas  un  seul  jour  de 
montrer  les  mêmes  soins,  et  cependant  il  se  fixe  certains  jours 
pour  vérifier  ses  comptes.  Comment  vont  les  affaires  ?  Ai-je  avancé 
ou  reculé  depuis  le  dernier  arrêté  du  compte  ?  Si  elles  vont  mal,  à 
quoi  cela  tient-il  ?  Que  faire  pour  les  remettre  en  bon  état  ?  Si  elles 
vont  bien,  qu'y  a-t-il  à  faire  pour  que  j'avance  encore  davantage  ? 
En  vérité,  nous  avons  besoin  de  certains  jours  où  nous  fassions 
aussi  un  pareil  inventaire  moral,  et  ce  sont  les  jours  de  confession.» 

2.  —  Pour  faire  ressortir  la  nécessité  rigoureuse  de  la  confession 
annuelle,  ainsi  que  les  avantages  d'une  confession  plus  fréquente, 
un  prédicateur  se  servit  de  la  comparaison  familière  que  voici  î 
La  pratique  de  la  confession,  dit-il,  est  à  la  vie  chrétienne  ce  que 
l'aiguille  est  à  une  horloge  :  elle  marque  extérieurement  l'état  de 
l'intérieur.  C'est  par  le  mouvement  régulier  de  l'aiguille  qu'on 
connaît  la  régularité  du  mécanisme  caché  au-dedans  ;  et  c'est  par 
la  fréquentation  du  sacrement  de  Pénitence  qu'on  connaît  l'état 
dune  âme,  qu'on  ne  saurait  voir  des  yeux  du  corps  ;  en  sorte  que 
l'on  peut  dire  :  tel  zèle  pour  la  confession,  tel  chrétien.  Me  deman- 
dez-vous quelle  est  la  valeur  de  cet  homme  au  point  de  vue  reli- 
gieux ?  s'il  est  bon  ou  mauvais  chrétien  ?  s'il  est  chrétien  fervent 
et  quel  est  son  degré  de  ferveur  ?  Je  vous  demanderai  à  mon  tour 
s'il  se  confesse  et  combien  de  fois  il  approche  du  saint  tribunal. 
Si  vous  me  dites  qu'il  ne  se  confesse  pas,  vous  avez  l'indice  d'un 
mauvais  chrétien.  Se  confesse-t41  une  fois  par  an  seulement  ?il  ne 
fait  que  le  strict  nécessaire,  et  l'on  ne  dira  pas  que  c'est  un  chré- 
tien fervent.  S'approche-t-il  du  saint  tribunal  trois  ou  quatre  fois 
l'an  ?  on  le  peut  ranger  parmi  les  bons  chrétiens.  Enfin,  le  voit-on 
fréquenter  ce  sacrement,  s'agenouiller  tous  les  mois,  ou  plus  sou- 
vent encore,  aux  pieds  de  Jésus-Christ,  dans  la  personne  du  con- 


388      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIV.  INSTRUCTION. 


fesseur  ?  dites  hardiment,  sans  crainte  de  vous  tromper:  c'est  un 
chrétien  fervent,  il  a  vraiment  son  salut  à  cœur.  » 

Bonheur  que  procure  la  Confession. 

i.  —  Saint  Alphonse  de  Liguori  raconte,  dans  son  ouvrage  Les 
Vertus  de  Marie,  le  fait  suivant  :  «  Un  homme,  dit-il,  tomba  dans 
un  péché  grave  :  d'un  côté,  la  honte  l'empêchant  de  le  confesser,  de 
l'autre,  ne  pouvant  supporter  les  remords  de  sa  conscience,  il  prit 
le  parti  d'aller  se  noyer  ;  mais  arrivé  sur  le  bord  du  fleuve,  il  n'osa 
s'y  précipiter,  et  pria  Dieu  avec  effusion  de  larmes  de  le  lui  par- 
donner sans  confession.  Une  nuit,  pendant  son  sommeil,  il  se  sent 
frapper  sur  l'épaule,  et  entend  une  voix  qui  lui  dit  :  a  Va  te  con- 
fesser. »  Dans  le  dessein  d'obéir  à  cet  ordre,  il  se  rend  à  l'église, 
mais  ne  s'y  confesse  pas.  11  entendit  la  même  voix  une  des  nuits 
suivantes,  retourna  à  l'église,  mais  toujours  retenu  parla  crainte  : 
«  J'aime  mieux  mourir,  dit-il,  que  de  confesser  ce  péché.  »  Cepen- 
dant, avant  de  sortir  de  l'église,  il  veut  aller  se  recommander  à 
Marie  devant  une  de  ses  images.  A  peine  s'est-il  prosterné  qu'il  se 
sent  tout  changé  par  la  grâce  de  Marie.  Aussitôt  il  se  lève,  appelle 
un  prêtre  et  fait  une  confession  entière  de  ses  péchés  avec  une 
grande  abondance  de  larmes.  Et  dans  la  suite  il  avoua  qu'il  avait 
alors  éprouvé  une  satisfaction  bien  plus  grande  que  celle  qu'aurait 
pu  lui  procurer  tout  l'or  de  la  terre.  » 

2.  —  Un  ancien  officier  de  cavalerie  passait  dans  un  de  ses  voya- 
ges par  un  lieu  où  le  P.  Brydaine  donnait  une  mission.  Curieux 
d'entendre  un  orateur  d'une  si  grande  renommée,  il  entra  dans 
l'église  lorsque  ce  missionnaire,  après  les  exercices  du  soir,  déve- 
loppait dans  un  avis  l'utilité  et  la  méthode  d'une  bonne  confession 
générale.  Le  militaire,  touché,  forme  à  l'instant  la  résolution  de  se 
confesser,  vient  au  pied  de  la  chaire,  parle  au  P.  Brydaine,  et  se 
décide  à  rester  à  la  mission.  Sa  confession  fut  faite  dans  les  senti- 
ments d'un  vrai  pénitent.  Il  lui  semblait,  disait-il,  qu'on  otât  de 
dessus  sa  tête  un  poids  insupportable.  Le  jour  où  il  eut  le  bonheur 
de  recevoir  l'absolution,  il  sortit  du  tribunal,  témoin  de  ses  aveux, 
versant  des  larmes  que  tout  le  monde  lui  vit  répandre.  Rien  ne  lui 
était  si  doux,  disait-il,  que  ces  pleurs  qui  coulaient  sans  effort  par 
amour  et  par  reconnaissance.  11  suivit  le  saint  homme,  lorsqu'il  se 
rendit  à  la  sacristie,  et  là,  en  présence  de  plusieurs  missionnaires, 
le  loyal  et  édifiant  militaire  exprima  en  ces  termes  les  sentiments 
dont  il  était  animé  :  m  Messieurs,  écoutez-moi  de  grâce,  et  vous 
particulièrement,  P.  Brydaine  :  je  n'ai  goûté  de  ma  vie  des  plaisirs 
si  purs  et  si  doux  que  ceux  que  je  goûte  depuis  que  je  suis  en  grâce 


DEVOIR  DE   SE  CONFESSER    U    MOINS   UNE  FOIS   I.'vw  38g 


avec  mon  Dieu.  Je  ne  crois  pas  on  vérité  que  Louis  XV,  que  j'ai 
servi  depuis  36  ans,  puisse  être  plus  heureux  que  moi.  Non,  ce 
prince  dans  toul  l'éclal  qui  environne  son  trône,  au  soin  de  tous 
les  plaisirs  qui  l'assiègent,  n'ësl  pas  si  content,  si  joyeux  (pie  je  le 
suis  depuis  (pie  j'ai  déposé  l'horrible  fardeau  de  mes  péchés.  »  A 
ces  mots,  se  jetant  aux  genoux  d)i  P.  Brydaine,  et  lui  serrant  les 
mains  :  s  Que  je  dois,  ajouta-t-il,  rendre  d'actions  de  grâces  à  mon 
Dieu  1  il  m'a  conduit  dans  ce  pays  comme  par  la  main.  Ah  !  je  ne 
pensais,  mon  Père,  à  rien  moins  qu'à-ce  que  vous  m'avez  fait  faire. 
Je  ne  puis  nous  oublier  jamais.  Je  vous  conjure  de  prier  le  Seigneur 
qu'il  me  laisse  le  temps  de  faire  pénitence  :  il  me  semble  que  rien 
ne  me  coulera,  si  Dieu  me  soutient.  »  (Gabon,  Vie  du  P.  Brydaine). 

Conditions  pour  se  bien  confesser. 

S'examiner.  —  Les  philosophes  païens  connurent  combien 
l'examen  de  conscience  était  efficace.  Saint  Jérôme  rapporte  de 
Pythagore,  qu'entre  les  leçons  que  ce  philosophe  donnait  à^  ses 
disciples,  une  des  principales  était  qu'ils  eussent  deux  temps  déter- 
minés dans  le  jour,  l'un  le  matin,  l'autre  le  soir,  pour  se  faire  ces 
trois  questions  :  «  Qu'ai-je  fait  ?  Comment  l'ai-je  fait  ?  Ai-je  fait 
tout  ce  que  je  devais  faire  ')  » 

Se  repentir  de  ses  fautes.  —  Saint  François  de  Sales,  voyant 
qu'un  grand  pécheur,  qu'il  confessait,  lui  accusait,  sans  contrition, 
des  fautes  très  graves,  se  mit  à  pleurer.  «  Pourquoi  pleurez-vous, 
mon  père  ?  lui  dit  ce  faux  pénitent.  —  Mon  fils,  je  pleure  de  ce 
que  vous  ne  pleurez  pas  »,  lui  répondit  le  saint  avec  beaucoup  de 
douceur.  C'en  fut  assez  pour  inspirer  à  ce  pécheur  les  sentiments 
dont  il  devait  être  pénétré. 

S'en  accuser  avec  sincérité.—  i.  «Parmi  tant  d'autres 
grâces,  Dieu  m'a  accordé  celle-ci  :  jamais,  depuis  ma  Première 
Communion,  je  n'ai  laissé  de  m'accuser,  au  saint  Tribunal,  de  tout 
ce  que  j'ai  cru  être  péché,  quelque  léger  qu'il  fût.  »  (Vie  de  sainte 
Thérèse,  écrite  par  elle-même,  ch.  5). 

i.  Dans  le  mois  d'août  i865,  nous  fîmes  connaissance  d'un 
vénérable  religieux  de  l'ordre  des  Passionistes,  à  Hoboken,  en  face 
de  New-York.  Dans  un  entretien  à  propos  des  francs-maçons,  voici 
le  trait  qu'il  nous  raconta  : 

J'ai  été  appelé,  il  y  a  peu  de  jours,  pour  administrer  un  mourant 
à  Brooklyn.  C'était  un  allemand,  que  j'avais  eu  occasion  de  rencon- 
trer plusieurs  fois.  Sa  fille  unique,  excellente  catholique,  me  pré- 
vint  que   son   père  était   franc-maçon,  et   qu'il   fallait   exiger  sa 


390      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  • —  XIV.  INSTRUCTION. 

rétractation.  Après  avoir  entendu  sa  confession,  je  lui  demandai  s'il 
n'avait  pas  appartenu  à  quelque  société  secrète.  —  «  Oui,  mon 
père,  je  suis  franc-maçon  ;  mais  vous  le  savez,  en  Amérique,  cela 
n'est  pas  mal.  —  C'est  une  erreur,  lui  dis-je,  la  Franc-Maçonnerie 
est  condamnée  partout  où  elle  existe  ;  ils  vous  faut  donc  rétracter 
tout  ce  que  vous  avez  pu  promettre  et  me  délivrer  vos  insignes.  » 
Le  malade  fit  bien  quelques  difficultés,  mais  il  avait  gardé  la  foi» 
et  il  signa  la  rétractation  que  je  rédigeai  ;  puis  il  me  fallut  faire  de 
nouvelles  instances  pour  obtenir  son  écharpe,  son  équerre  et  sa 
truelle  d'argent,  son  tablier  de  peau  et  son  rituel,  renfermés  dans 
une  armoire  près  de  son  lit.  Je  dus  lui  expliquer  la  nécessité  de  se 
dépouiller  de  tous  ces  objets  s'il  voulait  faire  preuve  d'un  repentir 
sincère.  Je  sortais  emportant  les  dépouilles  opimes,  et  tout  heureux 
d'avoir  arraché  une  âme  au  démon.  La  jeune  fille  m'attendait  sous 
le  vestibule  :  «  Eh  bien  !  dit-elle,  mon  père  vous  a  tout  remis,  tout, 
n'est-ce  pas  ? —  Voyez  plutôt,  ma  fille  ;  et  je  lui  montrai  les  objets 
que  j'avais  à  la  main.  »  Elle  les  prend  l'un  après  l'autre,  et  puis, 
d'un  air  triste,  elle  dit  :  «  Non,  tout  n'est  pas  là;  ces  insignes,  mon 
père  les  portait  dans  sa  loge,  et  dans  les  grandes  circonstances  ;  il 
n'a  pas  eu  de  peine  à  vous  les  remettre  ;  il  lui  en  a  coûté  davantage 
pour  ce  livre,  qui  est  particulier  à  son  grade.  Mais  il  y  a  encore 
autre  chose.  —  Quoi  donc  ?  —  Un  écrit  dont  j'ignore  le  contenu  ; 
mon  père  m'a  recommandé  de  le  porter  tout  cacheté  après  sa  mort 
au  chef  de  la  Loge.  Ce  doit  être  quelque  secret  important.  »  Je 
retourne  près  du  malade,  et  je  lui  dis  :  «  Pourquoi  me  trompez- 
vous  ?  Vous  allez  paraître  devant  le  tribunal  de  Dieu  ;  croyez-vous 
échapper  à  sa  justice  ?  Avez-vous  encore  quelque  chose  à  me 
livrer  ?  »  Le  malade  parut  consterné  ;  je  remarquai  la  pâleur  de 
son  visage  et  le  trouble  de  ses  yeux  ;  puis,  il  dit  avec  un  certain 
embarras:  «  Mais,  vous  avez  tout  emporté,  je  n'ai  plus  rien  à  vous 
livrer.  —  Non,  il  y  a  un  écrit,  comme  en  ont  tous  les  franc- 
maçons.  —  C'est  une  erreur,  mon  père,  je  n'ai  plus  rien.  »  Je 
redoublai  d'instance  ;  tout  était  inutile  ;  le  démon  allait  triompher. 
J'employai  tous  les  moyens  que  je  croyais  efficaces  en  telle  occasion. 
Je  n'obtins  rien  ;  le  malade  niait  ou  ne  répondait  pas.  Alors,  sa 
fille  ouvre  la  porte  et  se  jette  à  genoux  aux  pieds  du  lit  :  «  Oh  mon 
père  !  de  grâce,  sauvez  votre  âme,  votre  fille  serait  trop  malheu- 
reuse. Vous  dites  que  vous  m'aimez,  prouvez-le  maintenant.  »  — 
Le  malade  ne  s'attendait  pas  à  cette  secousse  :  les  embrassements 
et  les  larmes  de  sa  fille  l'émeuvent  ;  elle  lui  prodigue  les  caresses 
les  plus  vives  ;  elle  lui  dit  les  paroles  les  plus  tendres,  lui  parle  du 
ciel  qu'il  perd,  et  le  malade  veut  répondre.  «  Tu  sais  que  je  n'ai 


DEVOIR  DF   SE   CONFESSER  AU  MOINS  UNE  FOIS  ï/aN.  39  I 

rien  de  caché.  »  Sa  fille,  prenant  un  ton  inspiré  :  «  Ne  mentez  pas, 
mon  père  ;  vous  ave/,  toujours  été  franc  ;  que  je  ne  rougisse  pas  de 
sotie  nom.  Donne/,  au  Père  le  papier  que  vous  m'avez  recommandé 
de  porter  au  vénérable  de  la  Loge.  >>  A  ces  paroles,  le  malade  pousse 
un  cri,  puis,  taisant  un  effort,  il  dit  en  soupirant  :  «  Non, ma  fille, 
tu  ne  rougiras  pas  de  ton  père.  Tiens,  prends  cette  clef  à  mon  cou, 
ouvre  Le  tiroir,  et  donne  au  Père  le  papier  qu'il  renferme.  »  Puis 
il  retombe  affaissé.  Sa  fille,  prompte  comme  l'éclair,  avait  exécuté 
ses  ordres  et  me  remettait  un  pli  cacheté  en  disant  :  «  Victoire, 
mon  père  est  sauvé  ;  il  a  vomi  le  poison.  »  Cette  scène  m'avait 
profondément  touché,  le  courage  de  cette  fille  me  rappelait  une 
chrétienne  des  premiers  siècles.  —  Le  malade  vécut  encore  quelques 
heures,  et  ses  dernières  paroles  étaient  un  acte  de  contrition  en 
même  temps  que  de  foi  et  d'espérance.  J'ouvris  en  présence  de  sa 
fille  le  pli  cacheté.  C'était  un  serment  signé  avec  du  sang.  J'avais 
entendu  parler  de  ce  genre  d'écrit  en  usage  chez  les  chefs  de  la 
Franc-Maçonnerie  ;  mais  quand  je  parcourus  ce  papier,  je  n'en 
pouvais  croire  mes  yeux.  C'était  le  serment  d'une  guerre  sans  fin, 
sans  merci  contre  l'Église,  la  Papauté  et  les  rois,  avec  les  plus 
exécrables  malédictions  s'il  violait  sa  parole.  Ce  papier,  je  l'ai 
remis  entre  les  mains  de  l'archevêque,  afin  qu'il  pût  apprécier  aussi 
bien  que  moi  la  malice  infernale  de  la  Franc-Maçonnerie.  » 
(Semaine  Religieuse  de  Carcassonne,  1874). 


QUINZIEME  INSTRUCTION 

(Dimanche  de  la  Passion). 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien  de 
communier  au  moins  à  Pâques. 


I.  Que  ce  devoir  nous  est  imposé  par  Notre-Seigneur  et  par  son  Église. 
—  II.  Qu'il  nous  est  imposé  pour  notre  plus  grand  bien.  — 
III.  Qu'aucun  prétexte  ne  peut  nous  en  dispenser. 

G  'est  auj  ourd'hui ,  dimanche  de  la  Passion ,  que  commence , 
pour  finir  le  dimanche  du  Bon  Pasteur,  le  temps  dans 
lequel  se  doit  accomplir  ce  qu'on  appelle  communément 
le  devoir  pascal.  Ce  devoir,  nous  le  savons  tous  en  général, 
consiste  à  s'approcher  de  la  Sainte  Table,  après  s'être  purifié 
de  tous  ses  péchés  par  une  bonne  confession,  et  à  recevoir 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dans  son  cœur,  avec  tout  le 
respect  et  tout  l'amour  dont  on  est  capable.  Nous  savons 
encore  que  ce  devoir,  qu'il  faut  accomplir  dans  sa  propre 
paroisse  quand  on  le  peut  (i),  s'impose  à  tous  les  chrétiens 

i,  La  loi  qui  oblige  à  accomplir  son  devoir  pascal  dans  la  paroisse 
n'est  pas  tellement  impérieuse,  qu'elle  n'admette  aucune  exception. 
Voici  celles  reconnues  par  Mgr  Gousset  dans  sa  Théologie  morale  :  «  i° 
Les  prêtres  accomplissent  le  devoir  pascal  dans  tous  les  lieux  où  ils 
disent  la  Messe  ;  c'est  une  opinion  commune  fondée  sur  l'usage;  mais 
il  en  serait  autrement  s'ils  ne  célébraient  pas.  20  Les  religieux,  monachi 
et  regulares,  etles  religieuses,  moniales,  communient,  même  en  temps  de 
Pâques,  dans  leurs  églises.  Il  en  est  de  même  des  domestiques  attachés 
à  leur  service,  lorsqu'ils  vivent  dans  le  monastère.  3°  Les  évêques  per- 
mettent assez  généralement  aux  élèves  des  grands  et  des  petits  sémi- 
naires, aux  élèves  des  collèges  et  autres  établissements  d'éducation 
publique,  de  communier  dans  leurs  chapelles.  Cette  permission  a 
plus  ou  moins  d'étendue,  suivant  la  volonté  de  l'ordinaire.  4°  On 
dispense  aussi,  le  plus  souvent,  les  sœurs  hospitalières,  les  vieillards, 
les  infirmes,  et  généralement  toutes  les  personnes  qui  sont  dans  les  hos- 
pices, de  recourir  à  l'église  paroissiale  pour  la  Communion  pascale. 
5°  Les  pèlerins  et  les  vagabonds  peuvent  communier  partoutoù  ils 
se  trouvent.  6°  Les  étrangers,  les  voyageurs,  qui  ne  peuvent  se  rendre 
commodément   dans  leur  paroisse  pour  le  temps   pascal,   ont  droit 


DEVOIR  DE  COMMUNIER  AU  MOINS  A  PAQUES.  3g3 

qui  ont  atteint  L'âge  de  discrétion,  c'est-à-dire  l'âge  où  l'on 
est  capable  de  parfaitement  comprendre  ce  que  Ton  fait, 
Lequel  âge  arrive  ordinairement  vers  la  dixième  ou  dou- 
zième année,  selon  le  développement  plus  ou  moins  précoce 
et  Le  degré  d'instruction  des  enfants.  Dans  la  pratique,  on 
est  tenu  à  accomplir  le  devoir  pascal  dès  qu'on  a  été  admis 
à  faire  sa  Première  Communion.  Mais  si,  par  sa  faute,  on 
n'avait  pas  encore  fait  sa  Première  Communion  au  plus 
tard  vers  sa  quatorzième  année,  on  ne  laisserait  pas  d'être 
astreint  au  devoir  pascal  à  partir  de  cet  âge,  en  sorte  qu'en 
ne  s'en  acquittant  pas  on  commettrait  un  péché  mortel  (i). 
Tel  est  le  devoir  pascal  pour  tous  les  chrétiens  parvenus  à 
l'âge  de  discrétion  :  faire  la  sainte  ^Communion  au  moins 
une  fois  chaque  année,  du  dimanche  de  la  Passion  au  di- 
manche du  Bon  Pasteur,  et  cela  dans  sa  propre  paroisse,  à 
moins  d'empêchement  sérieux,  qu'on  doit  soumettre  à  son 
confesseur.  Les  autres  Communions,  si  Ton  en  fait,  n'étant 
pas  obligatoires,  peuvent  se  faire  partout  où  l'on  veut  ;  mais 
la  Communion  pascale,  nous  le  répétons,  doit  se  faire  dans 
l'église  de  la  paroisse  sur  laquelle  on  habite,  afin  que  le 
curé,  qui  a  la  charge  des  âmes  de  cette  paroisse,  sache  si 
tous  ses  paroissiens  s'acquittent  du  devoir  pascal  en  faisant 
leurs  Pâques. 

Or,  ce  devoir  pascal,  auquel  tous  les  chrétiens  sont  as- 
treints, tous  les  chrétiens  s'en  acquittent-ils  ?  Hélas  !  il  faut 
le  reconnaître  avec  douleur  et  honte  :  généralement,  c'est  le 
petit  nombre,  et  même  parfois  le  très  petit  nombre,  pour 
qui  le  devoir  de  communier  n'est  pas  un  vain  mot,  et  qu'on 
voit  approcher  de  la  sainte  Table  eucharistique.  D'où  vient 
cet  oubli  du  devoir  pascal,  et  cette  indifférence  profonde 
avec  laquelle  on  l'omet  ?  Cet  oubli  et  cette  indifférence 
viennent  principalement,  comme   nous    l'avons   déjà    dit, 


de  communier  dans  la  paroisse  où  ils  sont,  même  en  passant.  70  Les 
fidèles  accomplissent  également  leur  devoir  pascal  en  communiant 
ailleurs  que  dans  leur  paroisse,  avec  la  permission  du  curé,  ou  de 
L'évéque,  ou  du  chef  de  l'Église.  »  —  Plusieurs  théologiens  pensent  que 
la  permission  peut  être  tacite  ou  présumée.  C'est  également  l'opinion 
de  Mgr  Gousset. 

1.  Cf,  Pierrot,  Dictionn,  de  théol.  mor.  art.  Communion,  n°  2, 


3g4       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    —  XV.  INSTRUCTION. 

d'autres  devoirs,  de  l'ignorance  dans  laquelle  on  vit  à  cet 
égard.  Au  catéchisme,  on  a  bien  appris  que  c'est  un 
devoir  de  faire  ses  pâques  chaque  année  ;  mais  les  connais- 
sances acquises  alors  étaient  nécessairement  fort  som- 
maires, étant  proportionnées  aux  capacités  des  enfants  ; 
et  depuis,  bien  loin  d'en  apprendre  davantage,  on  a  même 
oublié  le  peu  qu'on  en  savait.  Quoi  d'étonnant,  dès  lors, 
qu'on  fasse  peu  de  cas  d'un  devoir  dont  on  ne  connaît  bien 
ni  l'origine,  ni  les  avantages,  et  contre  lequel  on  a  même 
des  préjugés  que  l'on  s'efforce  de  considérer  comme  sérieux? 
Si  donc  l'ignorance  plus  ou  moins  profonde  du  devoir  pas- 
cal est  pour  plusieurs,  pour  beaucoup  peut-être,  la  princi- 
pale cause  de  leur  infidélité,  on  doit  espérer  qu'une  connais- 
sance raisonnée  de  ce  devoir  les  ramènera  à  le  pratiquer. 
Dans  cette  vue,  nous  allons  en  conséquence  démontrer  :  pre- 
mièrement, que  le  devoir  de  la  Communion  pascale  nous  est 
expressément  imposé  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  par 
son  Église  ;  deuxièmement,  que  ce  devoir  nous  est  imposé 
uniquement  pour  notre  plus  grand  bien  ;  et  troisièmement 
enfin,  qu'aucun  prétexte  ne  peut  nous  dispenser  de  l'accom- 
plir. —  Seigneur  Jésus,  qui  dans  votre  infinie  bonté  avez 
institué  votre  adorable  Eucharistie  pour  venir  nous  apporter 
vous-même  vos  grâces  les  plus  précieuses,  daignez  user 
encore  de  votre  infinie  bonté  pour  nous  faire  comprendre  à 
tous,  combien  vivement  vous  entendez  que  nous  répondions 
à  vos  vues  de  prévenante  tendresse  pour  nous,  en  vous  rece- 
vant au  moins  une  fois  chaque  année  dans  nos  cœurs, 
durant  la  quinzaine  de  Pâques. 

I. —  Que  le  devoir  de  la  Communion  nous  est  imposé 
par  Notre-Seigneur  et  par  son  Église. —  Il  en  est  du  de- 
voir de  la  communion,  pouvons-nous  dire  tout  d'abord,  com- 
me du  devoir  de  la  confession,  dont  nous  nous  sommes  occu- 
pés dans  notre  dernier  entretien  :  de  même,  en  effet,  que  le 
seul  fait  de  l'institution  du  sacrement  de  Pénitence  par 
Notre-Seigneur,  nous  impose  le  devoir  d'y  recourir  et  par 
conséquent  de  nous  confesser  ;  de  même  l'institution  de 
l'adorable  Eucharistie  nous  impose  par  elle  seule  l'obligation 
de  la  recevoir.  Car  Notre-Seigneur  ne  l'a  pas  instituée  pour 


DEVOIR  DE  COMMUNIER    VU  MOINS  A  PAQUES.  ;><).r) 

qu'elle  soit  dédaignée  et  délaissée,  mais  tout  au  contraire, 
évidemment,  pour  que  nous  y  prenions  part  et  que  nous  en 
usions.  Or,  si  l'on  ne  peut  mettre  en  doute  que  le  dessein 
de  Notre-Seigneur,    en  instituant  son  Eucharistie,  a  été  que 

nous  la  recevions  :  peut  on  mettre  en  doute  que  ce  soit  un 
devoir  pour  nous  de  la  recevoir  ?  peut-on  mettre  en  doute 
que  ce  dessein  de  Notre-Seigneur,  comme  le  ferait  tout  autre 
dessein,  crée  pour  nous  l'obligation  de  nous  y  conformer? 
Non,  on  ne  peut  pas  clouter  décela,  parce  que  Notre-Seigneur 
étant  notre  souverain  Maître,  c'est  pour  nous  une  obligation 
rigoureuse  d'entrer  dans  toutes  ses  vues.  Par  conséquent, 
alors  même  que  Notre-Seigneur  se  serait  borné  à  instituer 
son  adorable  Eucliaristie,  sans  rien  dire  ni  faire  de  plus, 
cela  seul  nous  obligerait  à  communier. 

Mais  Notre-Seigneur  a  fait  plus  que  d'instituer  l'Eucha- 
ristie, il  nous  a  expressément  et  instamment  invités  à  l'aller 
recevoir.  Dans  une  des  paraboles  qu'il  adressait  chaque  jour 
au  peuple,  afin  de  frapper  davantage  l'esprit  de  ses  audi- 
teurs, il  dit  qu'un  homme,  qui  voulait  faire  un  grand  festin, 
y  invita  un  grand  nombre  de  convives.  Et  quand  l'heure 
fut  venue,  il  envoya  ses  serviteurs  dire  aux  invités  que  tout 
était  prêt,  et  qu'ils  vinssent.  Mais  la  plupart  d'entre  eux, 
alléguant  diverses  excuses,  ne  vinrent  pas.  Alors  le  maître 
envoya  ses  serviteurs  par  les  places  et  par  les  rues,  puis  par 
les  chemins  et  par  les  sentiers,  invitant  tous  ceux  qu'ils 
rencontreraient  à  venir  au  festin  et  à  remplir  la  maison  (i). 
Or,  quoi  déplus  clair  que  le  sens  de  cette  parabole  ?  L'homme 
dont  il  y  est  parlé,  n'est-ce  pas  Notre-Seigneur  lui-même, 
et  son  festin,  n'est-ce  pas  l'Eucharistie,  dans  la  vaste  enceinte 
de  l'Église  ?  Ce  fut  en  effet  au  soir  de  sa  vie,  que  le  festin 
sacré  fut  prêt.  Et  les  premiers  invités,  qui  furent  les  juifs, 
ne  vinrent  pas.  Mais  le  Sauveur,  dans  son  vif  désir  que  tous 
les  hommes  prissent  part  à  son  Eucharistie,  envoya  ses 
apôtres  et  ses  prêtres  sur  tous  les  chemins  du  globe  et  dans 
toutes  les  contrées  de  la  terre,  pour  faire  entendre  à  toutes  les 
âmes  ses  pressantes  invitations.  Nous  les  avons  entendues 
à  notre  tour,   ces  invitations,  et  les  ministres  sacrés  ne  se 

i,  Luc,  xiv,  jG-23. 


396       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XV.   INSTRUCTION. 

sont  pas  épargnés  pour  essayer  de  nous  amener  au  banquet 
divin  de  leur  Maître.  Eh  bien,  je  le  demande,  après  que 
Notre-Seigneur  a  témoigné  un  tel  désir  de  nous  voir  pren- 
dre part  à  son  festin  eucharistique,  après  qu'il  nous  y  a 
fait  inviter  d'une  manière  aussi  pressante,  serait-il  encore 
possible  de  dire  que  ce  n'est  pas  un  devoir  pour  nous  d'y 
aller?  Un  simple  serviteur  se  fait  un  devoir  de  prévenir  le 
moindre  désir  de  son  maître  ;  et  ce  ne  serait  pas  un  devoir, 
pour  un  chrétien,  de  se  conformer  à  un  désir  si  ouverte- 
ment et  si  instamment  exprimé  de  son  Dieu  ! 

Cependant  Notre-Seigneur  ne  s'est  pas  encore  contenté  de 
nous  faire  inviter  à  son  festin  eucharistique  :  à  l'invitation, 
il  a  joint  la  menace  pour  ceux  qui  ne  viendraient  pas.  Par- 
lant en  la  personne  de  l'homme  de  la  parabole,  qui  n'est 
autre  que  lui-même,  il  s'est  écrié,  dans  son  indignation 
contre  ceux  qui  ne  devaient  avoir  que  de  l'indifférence  ou 
du  dédain  pour  son  banquet  :  En  vérité,  je  vous  le  dis,  aucun 
de  ceux  que  j'ai  invités  à  mon  festin  eucharistique  et  qui  n'y 
sont  pas  venus,  n'aura  de  part  à  mon  éternel  festin  des 
cieux  (1).  Voilà  comment  le  Sauveur  se  vengera  non  seule- 
ment de  ceux  qui  auront  méprisé  et  outragé  son  Eucharistie, 
mais  encore  de  ceux  qui  simplement  y  seront  restés  étran- 
gers. Leur  châtiment  sera  le  même,  les  uns  et  les  autres 
seront  exclus  de  la  communion  céleste,  des  joies  du  paradis, 
du  festin  éternel.  Or,  contre  qui,  dans  l'Évangile,  l'exclusion 
du  ciel  est-elle  invariablement  prononcée  ?  Est-ce  contre 
ceux  qui  n'accomplissent  pas  un  simple  conseil  ?  Non,  mais 
contre  ceux  qui  ne  s'acquittent  pas  d'un  devoir  formel  et 
grave.  Tel  est  donc  par  conséquent  le  devoir  de  la  Commu- 
nion, c'est-à-dire  un  grave  et  formel  devoir,  puisque  son 
inobservation  reçoit  le  même  châtiment  que  l'inobservation 
de  tous  les  autres  graves  devoirs. 

Comment  la  Communion  ne  serait-elle  pas  un  formel  et 
grave  devoir,  puisqu'enfin  elle  nous  a  été  expressément  et 
directement  commandée  par  Notre-Seigneur  lui-même  ?  Ne 
l'avons-nons  pas  cent  fois  lu,  ne  l'avons-nous  pas  cent  fois 
entendu  ?  Après  avoir  institué  l'adorable  Eucharistie,  après 

j.  Luc.  xiv,  24. 


DEVOIR  DE  COMMl  NIER  Al    MOINS  A  PAQUES.  .ïQ7 

Lfavoir  distribuée  à  chacun  de  ses  apôtres,  quelle  parole  le 
Sauveur  Leur  adressa-t-il  comme  conclusion  de  ce  rite  nou- 
veau ?  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi(i),  leur  dit-il.  Qu'est-ce 

à  dire  :  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi?  Gela  ne  veut-il  pas 
évidemment  dire  :  consacrez  et  communiez  ?  Or,  n'est-ce  pas 
là  un  ordre  formel  et  positif?  Et  un  tel  ordre  du  Sauveur  ne 
crée-t-il  pas  pour  les  chrétiens  un  devoir  rigoureux  et  iné- 
luctable  ?  Vprès  que  le  Maître  aura  dit  :  Faites  ceci,  sera-t-il 
loisible  aux  disciples  de  ne  le  pas  faire  ? 

Cette  parole  du  Sauveur  :  Faites  ceci,  fut  tout  de  suite  si 
bien  prise  pour  un  ordre,  et  cet  ordre  fut  tout  de  suite  si 
bien  obéi,  que  la  première  chose  qui  nous  est  rapportée  des 
trois  mille  qui  se  convertirent  à  la  voix  de  saint  Pierre,  le 
jour  même  de  la  Pentecôte,  c'est  qu'après  avoir  été  baptisés, 
ils  étaient  assidus  à  entendre  ce  qu  enseignaient  les  apôtres  et  à 
communiquer  ensemble  dans  la  fraction  du  pain  (2),  c'est-à-dire 
à  communier  (0).  Cette  ferveur  première  se  maintint  au 
moins  pendant  trois  siècles,  jusqu'à  la  fin  des  grandes  per- 
sécutions. La  Communion  était  alors  le  grand  principe  de 
cette  force  surhumaine  qui  triompha,  dans  les  chrétiens  et 
par  les   chrétiens,  de  la  puissance  du   paganisme  réputée 

1.  Luc.  XXII,  If). 

2.  Act.  II,  !\2. 

3.  Par  la  fraction  du  pain,  il  faut  entendre  la  fraction  du  pain  du 
sacrifice,  qui  était  distribué  comme  le  véritable  corps  du  Seigneur, 
comme  son  corps  oITcrt  en  sacrifice.  Le  président  de  l'assemblée,  à 
l'exemple  du  Seigneur,  Luc.  xxiv,  3o  ;  Matth.  xxvi,  26,  rompait  le  pain 
du  sacrifice  et  le  distribuait  entre  tous  ceux  qui  étaient  présents  (D'Al- 
lioli,  Comm.  sur  les  Actes  des  Apoi.  11,  42). 

Dans  le  principe,  la  fraction  du  pain  ne  se  célébrait  que  dans  une 
maison  où  tous  pouvaient  se  rassembler,  Act.  1,  i3;  plus  tard,  le  nombre 
des  ebrétiens  s'étanl  accru  jusqu'à  des  milliers,  Act.  11,  4i.  ils  durent  se 
réunir  dans  plusieurs  maisons,  les  maisons  particulières  furent  comme 
le  berceau  des  paroisses  qui  s'établirent  dans  la  suite.  Le  président  du 
lieu  do  réunion  était  comme  le  curé  de  ceux  qui  se  réunissaient.  La 
fraction  du  pain  était  suivie  d'un  repas  en  commun,  auquel  on  partici- 
pait avec  un  cœur  rempli  de  joie,  droit  et  innocent.  Le  but  de  ces  repas 
était,  suivant  Tertullien.  de  se  donner  mutuellement  des  preuves  exté- 
rieures de  la  charité  dont  on  était  intérieurement  animé  les  uns  à 
L'égard  des  autres.  C'est  ce  qui  avait  fait  donner  à  ces  repas  le  nom 
d'agapes.  Les  agapes  ne  précédaient  pas  mais  suivaient  la  célébration  de 
l'Eucharistie.  (Test  ce  qui  résulte,  soit  du  texte  même,  soit  du  témoi- 
gnage exprès  des  anciens  (Le  même,  note  sur  le  vers,  46). 


398      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XV.  INSTRUCTION. 

invincible.  Mais  quand,  à  force  de  lutter,  l'Église  eut  enfin 
conquis  sa  liberté,  les  chrétiens,  croyant  n'avoir  plus  un 
aussi  pressant  besoin  de  l'Eucharistie,  commencèrent  à  n'y 
plus  recourir  aussi  souvent.  Insensiblement,  le  relâchement 
s'accrut  à  tel  point,  que  l'Église  dut  rappeler  à  ses  enfants 
le  précepte  du  divin  Maître,  en  décidant  que  pour  accomplir 
ce  précepte,  les  fidèles  parvenus  à  l'âge  de  discrétion  devaient 
communier  au  moins  une  fois  chaque  année,  et  cela  dans  la 
quinzaine  de  Pâques,  en  souvenir  de  l'institution  de  l'ado- 
rable Eucharistie  (1).  Cette  décision  fut  prise  au  concile  de 
Latran,  tenu  l'an  1216,  et  confirmée  trois  siècles  plus  tard, 
parle  concile  de  Trente,  Voilà  comment  la  Communion, 
qui  nous  a  été  prescrite  par  Notre-Seigneur  lui-même,  mais 
d'une  manière  générale,  nous  a  été  prescrite  aussi  par 
l'Église,  en  ce  qu'elle  a   marqué  le  temps  dans  lequel   on 


1.  L'Église  a  fixé  le  temps  de  Pâques  pour  la  Communion  obligatoire 
des  fidèles,  par  des  motifs  qui  se  rapportent,  soit  à  l'institution,  soit  aux 
effets  du  sacrement.  i°  Le  choix  du  temps  de  Pâques  pour  la  Commu- 
nion des  chrétiens  a  pour  but  de  leur  rappeler  spécialement  l'institution 
de  l'Eucharistie.  Dans  toutes  ses  fêtes  et  dans  tous  ses  actes  de  religion, 
FÉglise  nous  représente  les  principaux  événements  de  la  vie  de  Jésus- 
Christ.  La  sainte  Communion,  notamment,  doit  être,  d'après  la  volonté 
expresse  du  Sauveur,  un  mémorial  de  sa  vie,  et  surtout  de  sa  passion 
et  de  sa  mort,  puisqu'après  l'avoir  instituée  il  a  dit  à  ses  apôtres  :  Faites 
ceci  en  mémoire  de  moi.  Elle  le  devient  plus  parfaitement  quand  on  la 
reçoit  dans  le  temps  de  son  institution  et  de  la  mort  du  Sauveur.  Dans 
les  premiers  siècles,  pour  rappeler  d'une  manière  encore  plus  sensible 
la  dernière  cène  de  Jésus-Christ,  l'Église  dispensait  les  fidèles  du  jeûne 
naturel  pour  la  Communion  du  jeudi-saint  ;  ce  qui  pourtant  ne  se  pra- 
tique plus  aujourd'hui.  —  20  La  Communion  pour  les  fidèles  a  été  fixée 
au  temps  pascal,  parce  que,  conjointement  avec  le  sacrement  de  Péni- 
tence, elle  doit  avoir  pour  effet  de  produire  en  nous  la  mort  et  la  résur- 
rection spirituelles  que  demandent  de  nous  la  mort  et  la  résurrection  du 
Sauveur  arrivées  en  ce  temps-là.  Plus  d'une  fois,  en  effet,  l'Écriture 
sainte  nous  représente  la  mort  corporelle  et  la  résurrection  de  Jésus- 
Christ  comme  le  modèle  et  le  motif  de  la  destruction  de  la  vie  du  péché 
en  nous,  et  de  notre  résurrection  d'entre  les  morts  spirituels  :  Vous  êtes 
morts,  et  votre  vie  est  cachée  avec  le  Christ  en  Dieu,  Coloss.  ni,  3.  Nous 
avons  été  ensevelis  avec  lui  par  le  Baptême  pour  mourir,  afin  que,  comme 
le  Christ  est  ressuscité  des  morts  par  la  gloire  du  Père,  nous  aussi,  nous 
marchions  dans  une  nouveauté  de  vie.  Rom.  vi,  k.  Tel  doit  ôtre  l'effet  des 
sacrements  de  Pénitence  et  d'Eucharistie  :  par  l'un  nous  mourons  au 
péché  ;  par  l'autre  nous  recevons  la  vie  éternelle  :  Celui  qui  mange  ce  pain 
vivra  éternellement.  Joan.  vi,  5q.  (L'abbé  Grosse,  Cours  de  Religion.  2.  p, 
ch.  7,  §  2). 


DEVOIR  DE  COMMUNIER  U    MOINS   A.   PAQUES.  o<)() 

devail  au  moins  La  faire.  Et  c'esl  ainsi  que  le  devoir  de 
communier  à  Pâques  nous  es!  imposé  tout  à  La  fois,  comme 
nous  L'ayons  dit,  et  par  Notfe-Seigneur  et  par  son  Eglise, 
qu'il  a  précisément  instituée  pour  instruire  cl  gouverner  en 

son  nom  lous  les  fidèles  (i). 

i.  Tout  chrétien  doit,  non  pas  seulement  communier  au  lemps  de 
Pâques,  niais  faire  en  sorte  que  ceux  qui  dépendent  de  lui  s'approchent 
aussi  de  la  Table  sainte.  (Test  le  moyen  indispensable  de  remplir  notre 
devoir  envers  Dieu,  qui  a  institué  l'Eucharistie  pour  que  nous  la  rece- 
vions de  temps  en  lemps  ;  notre  devoir  envers  l'Église  notre  mère,  qui 
nous  y  oblige  formellement  ;  notre  devoir  envers  nous-mêmes,  parce 
(lue  te  Pain  eucharistique  nous  est  nécessaire  pour  entretenir  en  nous 
la  vie  de  la  grâce  ;  notre  devoir  enfin  envers  la  société  ou  envers  nos 
semblables,  auxquels  nous  devons  le  bon  exemple.  Mais  ne  nous  con- 
tentons pas  d'une  seule  Communion  dans  l'année, et  tâchons  de  corres- 
pondre au  vœu  le  plus  ardent  de  l'Église,  comme  de  Notre-Seigneur 
lui-même,  en  y  participant  le  plus  souvent  possible.  —  L'Kglisc  nous 
ordonne,  par  un  commandement  formel  et  rigoureux,  de  communier 
une  fois  par  an  ;  mais  elle  pense  que  le  désir  qu'elle  nous  en  exprime, 
que  l'exemple  des  fidèles  des  premiers  siècles,  l'amour  de  Dieu  et  la 
sollicitude  pour  notre  salut  nous  engagent  à  le  faire  plus  souvent.  Elle 
nous  a  exprimé  le  vœu  dans  le  Concile  de  Trente,  par  la  déclaration 
suivante  :  «  Le  saint  concile  souhaiterait  que  tous  les  fidèles  qui  assis- 
tent à  la  Messe  y  communiassent,  non  seulement  spirituellement,  mais 
sacramentellement.  »  Sess.  22,  c.  G.  Plus  tard, en  1679, un  décret,  publié 
avec  approbation  du  pape  Innocent  \T,  disait  que  la  Communion  fré- 
quente avait  toujours  été  approuvée  dans  l'Église,  que  cependant,  eu 
égard  à  la  diversité  de  l'état  de  conscience  chez  les  fidèles,  on  ne  pouvait 
pas  établir  de  règle  générale  sur  ce  point.  On  y  fait  la  remarque  que 
les  pasteurs  peuvent  régler  Je  nombre  des  communions  pour  quelques 
personnes  en  particulier,  mais  non  pour  toutes  en  général,  ou  pour 
toute  la  communauté  chrétienne;  ce  sont  les  confesseurs  ou  directeurs 
de  conscience  qui  sont  chargés  de  ce  soin  pour  chaque  fidèle.  Enfin  on 
\  représente  la  Communion  fréquente,  dans  les  lieux  bu  elle  existe, 
comme  une  pratique  louable  et  qu'on  doit  entretenir  et  favoriser.  L'in- 
tention de  l'Église  à  cet  égard  ne  peut  donc  laisser  aucun  doute.  — 
Nous  savons  que,  dans  les  premiers  temps  du  Christianisme,  on  prati- 
quait la  Communion  fréquente,  cl  même  quotidienne.  Citons  encore 
quelques  témoignages  des  saints  Pères  sur  ce  point.  «  Nous  demandons 
chaque  jour  ce  Pain  à  Dieu,  dil  sainl  Cyprien,  Ub.  de  orat.,  afin  que 
non-,  qui  sommes  unis  au  Christ  et  qui  recevons  chaque  jour  l'Eucha- 
ristie, ne  soyons  pas  exclus  de  la  participation  au  pain  du  ciel,  par  suite 
de  quelques  péchés,  ni  éloignés  du  corps  de  Jésus-Christ.  »  Saint 
Ambroise  dit  à  son  tour,  De  sacrani.  v,  6  :  «  Si  c'est  un  pain  quotidien, 
pourquoi  ne  h1  prenez-vous  qu'au  bout  d'un  an,  comme  font  les  Crées 
en  Orient  ?  Nourrissez-vous  chaque  jour  d<>  ce  qui  vous  profite  tous  les 
jour-,  Vivez  de  telle  sorte  que  vous  soyez  dignes,  chaque  jour,  de  le 
recevoir.»  On  voit,  d'après  cela,  que  la  Communion  fréquente  se  perdit 
plus  tôt  en  Orient  qu'en  Occident.   Toutefois  Jes  Pères  grecs  la   recoin- 


IlOO       LES  GRANDS  DEVOIRS    DU  SALUT.  —  XV.  INSTRUCTION. 

Mais  pourquoi  le  devoir  de  la  Communion  nous  a-t-il  été 
imposé  ?  Ce  devoir,  disent  les  chrétiens  ignorants,  est-il 
autre  chose  qu'un  fardeau  incommode  et  sans  aucune  utilité  ? 
Pourquoi  donc,  dès  lors,  nous  y  astreindre  ?  —  Que  ceux 
qui  pensent  ainsi  et  tiennent  ce  langage  veuillent  bien  nous 
entendre,  et  ils  reconnaîtront  aisément  leur  erreur,  car  la 
vérité,  c'est 

IL  —  Que  le  devoir  de  la  Communion  nous  est  im- 
posé pour  notre  plus  grand  bien.  —  Non,  répétons-le 
hautement  tout  d'abord,  la  réception  de  l'adorable  Eucha- 
ristie ne  saurait  nous  être  inutile.  La  raison  en  est  on  ne 
peut  plus  simple.  Peut-on  admettre  que  Dieu  fasse  jamais 
rien  d'inutile  ?  Non,  puisque  Dieu  est  infiniment  sage,  et 
que  faire  quelque  chose  d'inutile  ne  serait  pas  un  acte  de 
sagesse.  Or,  nous  avons  démontré  en  commençant  que 
Notre-Seigneur,  après  avoir  institué  l'Eucharistie,  nous  a  fait 
une  obligation  de  la  recevoir,  par  conséquent,  sans  aucune 
autre  raison,  on  peut  conclure  avec  la  plus  complète  assu- 
rance que  la  Communion  ne  nous  est  pas  inutile.  On  peut 
d'autant  moins  dire  de  l'adorable  Eucharistie  que  sa  récep- 
tion est  inutile,  que  ce  mystère  n'a  pas  été  accompli  soudai- 
nement et  comme  à  Timproviste,  mais  qu'après  avoir  été 
prophétiquement  figuré  sous  l'ancienne  loi  elle-même, 
notamment  par  l'agneau  pascal  et  par  la  manne  du  désert, 
il  a  été  annoncé  par  Notre-Seigneur  avant  son  institution, 
en  ces  termes  :  Le  pain  que  je  vous  donnerai,  c'est  ma  chair, 
pour  la  vie  du  monde  (i).  Que  si  le  moindre  acte  divin  ne 
saurait  être  inutile,  comment  pourrait  l'être  un  acte  si  lon- 
guement prévu  et  délibéré,  et  qui  entre  si  à  fond  dans  les 
éternels  desseins  de  Dieu  sur  le  monde  ? 

Bien    loin    que   l'Eucharistie  nous   soit  inutile,  tout   au 

mandaient  encore  instamment.  «  Il  est  bon  et  salutaire,  dit  saint  Basile, 
cp.  290,  ad  Cœsar.,  de  communier  et  de  participer,  chaque  jour,  au 
corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ.  »  Le  Catéchisme  du  concile  de  Trente, 
p.  a,  c.  4,  q.  58,  fait  observer  avec  raison  que  ce  n'est  pas  seulement 
saint  Augustin  qui  dit  :  «  Vous  péchez  chaque  jour,  prenez  doire  chaque 
jour  ce  pain  »  ;  mais  que  tous  les  Pères  qui  traitent  ce  sujet  s'associent 
à  sa  pensée  (Grosse,  loc.  cit.  §  3). 

î .  Joan.,  vi,  52. 


DEVOIR   DE  COMMUNIER  AU  MOINS  A  PAQ1  E8.  \Oï 


contraire,  c'est  pour  notre  plus  grand  bien,  disons-nous, que 
sa  réception  nous  a  été  prescrite. 

Notre  plus  grand  bien  :  quel  est  notre  plus  grand  bien  ? 
Au  point  de  vue  temporel,  notre  plus  grand  bien,  n'est-il  pas 
\r,ii.  est  la  \ie  de  notre  corps.  Cette  vie  est  notre  plus  grand 
bien,  parce  que,  pour  qui  ne  L'a  pas  ou  ne  L'a  plus,  il  n'\  a 
même  aucun  autre  bien,  toujours  au  point  de  vue  temporel. 
Que  sont,  en  effet,  les  richesses,  les  honneurs,  les  plaisirs, 
pour  un  être  qui  n'existe  pas  encore  ou  qui  n'existe  plus  ? 
Or,  qu'est-ce  qui  soutient  la  vie  de  notre  corps  et  la  fortifie, 
et  nous  rend  par  là  capables  d'accomplir  nos  travaux  et  de 
nous  acquitter  de  nos  devoirs  ?  N'est-ce  pas  la  nourriture, 
et  tout  spécialement  le  pain  ?  Et  quand  nous  ne  prenons  pas 
la  nourriture  qui  a  été  faite  pour  notre  corps,  n'est  il  pas 
vrai  que  nous  perdons  nos  forces  et  notre  santé  ?  Et  si  alors 
quelqu'un,  surtout  le  médecin,  nous  commande  de  manger, 
tout  le  monde  ne  reconnaîtra-t-il  pas  que  cet  ordre  ne  nous 
est  donné  que  pour  notre  plus  grand  bien  ? 

Mais  nous  l'avons  remarqué,  le  bien  qu'est  pour  nous  la 
vie  de  notre  corps  est  un  bien  de  l'ordre  temporel  ;  et  nous 
savons  qu'outre  notre  corps  nous  avons  une  âme,  dont  la 
vie  est  un  bien  incomparablement  supérieur,  étant  de  l'ordre 
éternel.  En  effet,  si  grand  que  soit  le  bien  de  la  vie  "de  notre 
corps,  ce  bien,  par  cela  qu'il  dure  si  peu  de  temps,  paraît 
misérable,  dès  qu'on  le  met  en  regard  du  bien  qu'est  la  vie 
de  l'àme,  et  qui  doit  durer  toujours.  D'où  il  suit  qu'en 
réalité  notre  plus  grand  bien  est  véritablement,  non  pas  la 
vie  de  notre  corps,  mais  celle  de  notre  âme.  Oui,  répétons- 
le  :  notre  plus  grand  bien,  même  à  ne  considérer  que  sa 
durée,  et  sans  tenir  compte  de  son  excellence  intrinsèque, 
est  incontestablement  la  vie  de  notre  âme. 

Or,  sachons  maintenant  ceci  :  ce  que  la  nourriture,  ce  (pie 
le  pain  en  particulier,  est  pour  le  corps,  l'Eucharistie  l'est 
pour  l'âme.  C'est-à-dire  que,  comme  le  pain  soutient  la  vie 
et  les  forces  du  corps,  et  que  sans  pain  le  corps  ne  pourrait 
vivre  ni  être  vigoureux  :  ainsi  l'Eucharistie  soutient  la  vie  et 
les  forces  de  l'âme,  et  sans  elle  l'âme  ne  saurait  avoir  la 
vigueur  qui  lui  est  nécessaire  pour  éviter  le  mal  et  faire  le 
bien,  ni  même  conserver  sa  vie  surnaturelle  reçue  au  Bap 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.    —  T.    II.  26 


402        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.   INSTRUCTION. 

terne,  condition  indispensable  de  son  salut  éternel  (1).  Et 
que  personne  n'aille  imaginer  que  c'est  ici  une  ingénieuse 
mais  vaine  comparaison,  car  il  n'y  a  pas  de  réalité  plus  cer- 
taine et  plus  positive.  C'est  en  effet  le  Sauveur  lui-même  qui 
nous  a  révélé  ces  admirables  effets  du  Pain  eucharistique.  A 
diverses  reprises,  parlant  de  lui-même,  il  a  dit  :  Je  suis  le 
Pain  vivant  (2),  et  aussi  :  Je  sais  le  Pain  de  la  vie  (3).  Et  pour 
qu'on  ne  pût  pas  prendre  ces  paroles  dans  un  sens  méta- 
phorique, il  ajouta  :  Le  Pain  que  je  donnerai,  c'est  ma  chair, 
ma  chair  que  je  livrerai  pour  la  vie  du  monde  (4).  Qu'est-ce 
qu'un  pain  de  vie,  si  ce  n'est  un  pain  qui  entretient  et  for- 
tifie la  vie  ?  Mais  le  Sauveur  a  voulu  que,  sur  un  point  d'une 
telle  importance,  aucun  doute  ne  pût  subsister  dans  la 
pensée  de  personne  ;  aussi  a-t-il  dit  encore  :  Si  vous  ne  man- 
gez la  chair  du  Fils  de  V homme,  et  si  vous  ne  buvez  son  sang, 
vous  n  aurez  point  la  vie  en  vous  ;  înais  celui  qui  mange  ma 
chair  et  boit  mon  sang,  a  la  vie,  et  même  la  vie  éternelle  (5). 
Ce  qu'il  faut  évidemment  entendre  de  la  vie  surnaturelle  de 
l'âme,  c'est-à-dire  de  la  vie  de  la  grâce,  qui  résulte  pour 
elle  de  son  union  avec  Dieu  contractée  dans  le  Baptême, 
puisque  sa  vie  naturelle  doit  durer  toujours,  que  nous  rece- 

1.  Urbanus  papa,  in  Clément,  de  reliquiis,  et  vener.  sanctorum  : 
«  Homini,  inquit,  qui  spirituali  alimonia  indigebat,  Salvator  ipse  mise- 
ricors  de  nobiliori  et  potcntiori  hujus  mundi  alimento  pro  animac  rcfcc- 
tione  pia  dispositione  providit,  dccensque  liberalitas  extitit,  et  conveniens 
operatio  pietatis,  ut  Ycrbum  Dei  oeternum,  quod  rationabilis  creaturœ 
cibus  est,  et  refectio,  factum  caro  se  rationabili  creaturœ  carni  et  corpori, 
homini  videlicet  in  edulium  largirctur  ;  panem  enim  angelorum  man- 
ducavit  homo,  et  ideo  Salvator  ait  :  Caro  mea  vere  est  cibus.  »  Ita  Urba- 
nus. Erat  quidem  Vcrbum  divinum  in  cœlis  cibus  angelorum,  quia 
angélus  intellectualis  natura  est,  verbum  autem  mentale  mentis  alimen- 
tum  est  ;  cum  igitur  homo  intellectualis  etiam  naturœ  sit,  et  corporalis 
etiam  cibus  talis  illum  dccebat,  qui  simul  intellectualis  esset,  Verbum 
autem  divinum  caro  factum,  quatcnus  Verbum  cibus  hominis  est,  qua- 
tenus  homo  intellectualis  est,  et  quatcnus  Verbum  divinum  caro  factum 
est,  homini  carne  constanti  etiam  congruit,  et  sic  mire  Eucharistie 
cibus  homini  congruit  convenienterque  pro  nobis  institutum  a 
Domino  est  (Labat.  Loc.  comm.  verb.  EucJutristia,  prop.  i4). 

2.  Joan.  vi,  4i»  5i. 

3.  Joan.  vi,  35,  48. 
4*  Joan.  vi,  52. 

5*  Joan.  vi,  54  et  55. 


DEVOIR  DE  COMMUNIER  AU  MOINS  A  PAQUES.  /|03 

vions  ou  non  le  corps  de  Nôtre-Seigneur  dans  la  Commu- 
nion (i).  Mais  si  nous  recevons  ce  corps  sacre  dans  la  Com- 
munion, outre  que  noire  âme  conservera  en  ce  monde  la 
vie  surnaturelle  dont  nous  parlons,  vie  qui  lui  permettra 
d'éviter  le  mal  qui  lui  est  défendu  et  d'accomplir  les  bonnes 
œuvres  qui  lui  sont  commandées,  dans  l'autre  monde  elle 
jouira  encore  de  cette  même  vie  surnaturelle  qui  lui  assurera 
la  possession  de  Dieu  pendant  l'éternité  ;  tandis  que  si  nous 
ne  communions  pas,  notre  âme,  sans  vie  naturelle  ici-bas, 
puisqu'on  ne  peut  la  conserver  qu'en  communiant,  ne 
pourra  ni  éviter  le  mal  ni  faire  le  bien,  et  dans  l'autre  monde, 
continuant  désormais  pour  toujours  de  n'être  pas  unie  à 
Dieu,  son  principe  de  vie  surnaturelle,  son  existence  ne  sera 
plus  qu'une  mort  éternelle. 

Tel  est  donc  le  principal  effet  de  la  Communion  (2),  pour 

1.  L'âme  du  chrétien,  qui  a  été  divinisée  par  le  Baptême,  a  besoin 
d'une  nourriture  divine,  qui  l'alimente  ;  cette  nourriture  est  l'Eucha- 
ristie ;  et  comme  le  corps  est  composé  à  la  fois  de  parties  solides  et  de 
parties  liquides,  et  que  par  suite  il  éprouve  la  faim  et  la  soif,  l'Eucha- 
ristie sera  une  nourriture  à  la  fois  solide  et  liquide,  qui  au*ra  le  double 
effet  d'apaiser  la  faim  et  la  soif,  elle  sera  à  la  fois  mets  et  breuvage. 
Voilà  le  grand  aliment  que  Jésus  nous  a  donné  dans  son  amour,  se 
montrant  bien  meilleur,  à  notre  égard,  que  beaucoup  de  mères  ne  se 
montrent  bonnes  à  l'égard  de  leurs  enfants,  qu'elles  donnent  souvent  à 
des  étrangères  pour  les  nourrir,  comme  l'a  remarqué  saint  Jean  Chry- 
sostome  (Beuseaux,  loc.  cit.). 

2.  Duo  mihi  permaxime  necessaria  sentio  in  hac  vita,  sine  quibus 
mihi  importabilis  foret  ista  miserabilis  vita.  In  carcerc  corporis  hujus 
detentus,  duobus  me  egerc  fateor,  cibo  scilicet  et  lumine.  Dedisli  itaque 
mihi  infirmo  sacrum  Corpus  tuum  ad  refectionem  mentis  et  corporis, 
et  posuisti  lucernam  pedibus  meis  Verbum  tuum.  Sine  his  duobus  bene 
vivere  non  posscm,  nam  verbum  Dci  lux  animœ,  et  sacramentum  tuum 
panis  vite  (De  Imitât.  Chr.  lib.  4,  c.  11,  n.  4). 

Necpssarium  mihi  est,  qui  tam  sa»pe  laboro  et  pecco,  tam  cito  torposco 
et  deficio,  ut  vel  per  fréquentes  orationes*et  confessiones,  et  per  factam 
corporis  tui  perceptionem  me  renovem,  mundem  et  accendam,ne  forte 
diutius  abstinendo  a  sancto  proposito  defluam.  (Id.  ibid.  c.  2,  n.  3). 

Est  hoc  altissimum  et  dignissimum  sacramentum  salus  anima?  et 
corporis,  medicina  spiritualis  languoris,  in  quo  vitia  mea  curantur, 
passiones  frenantur,  tentationes  vincuntur,  aut  minuuntur,  gratia 
major  infunditur,  virtus  incœpta  augetur,  firmatur  fides,  spes  roboratur, 
et  charitas  augessit  et  dilatatur  (Id.  ibid.  c.  4,  n.  2). 

Multa  bonalargitus  es,  et  adhuc  sa?pius  largiris  inSacramento  dilectis 
tuis  dévote  communicantibus,  Deus  meus,  susceptor  animae  mea?,  repa- 
rator  infirmitatis  humanaj,  et  totius  dator  consolationis  aeterna?.  Nam 


4o4        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.   INSTRUCTION. 

ne  parler  que  de  celui-là,  c'est-à-dire  qu'elle  entretient  et 
fortifie  dans  l'âme  la  vie  surnaturelle  qui  lui  fait  mener  une 
conduite  chrétienne  en  ce  monde  et  mériter  l'éternelle 
félicité  en  l'autre.  Et  cet  effet,  nous  pouvons  le  constater  de 
nos  propres  yeux,  et  même  nous  en  faisons  personnellement 
l'expérience.  Regardons  autour  de  nous  :  qui  sont  ceux  dont 
la  conduite  est  la  plus  régulière,  qui  tombent  dans  des 
fautes  moins  graves, qui  sont  plus  serviables  et  plus  bienfai- 
sants ?  ne  sont-ce  pas  ceux  qui  fréquentent  la  sainte 
Communion  ?  Et  qui  sont  au  contraire  ceux  dont  la  conduite 
est  la  moins  régulière,  ceux  qui  tombent  sans  cesse  dans  des 
fautes  plus  ou  moins  graves,  ceux  qu'on  ne  voit  presque 
jamais  faire  de  bonnes  œuvres  ?  ne  sont-ce  pas  ceux  qui 
ne  communient  que  rarement  ou  jamais  ?  Ce  qui  se  remar- 
que dans  les  individus  n'est  pas  moins  visible  dans  les 
sociétés.  La  moralité  d'une  paroisse,  d'une  province  où  la 
communion  est  en  honneur,  sera  toujours  plus  élevée  que 
celle  d'un  pays  où  la  Communion  est  abandonnée.  Par 
contre,  moins  on  communie  dans  une  contrée,  plus  les 
délits  et  les  crimes  y  sont  nombreux  (i).  Toutes  ces  consta- 

multam  ipsis  consolationem  adversus  variam  tribulationem  infundis, 
et  de  imo  dejectionis  propria1  ad  spem  turc  protectionis  erigis,  atque 
nova  quadam  gratia  cos  intus  recréas  et  illustras,  ut,  qui  anxii  primum, 
et  sine  affectione  se  ante  communionem  senserant,  postea  refecti  cibo 
potuque  cœlesti,  in  melius  se  mutatos  inveniant  (Id.  Ibid.  n.  3). 

i.  Toile  hoc  sacramentum  de  Ecclesia,  et  quid  erit  in  mundo,  nisi 
error  et  infidelitas  ?  Et  populus  christianus  erit  quasi  grex  porcorum 
dispersus,  et  idololatriœ  deditus,  sicut  expresse  patet  in  cœteris  infide- 
libus  (S.  Bonav.  ap.  Mansi,  dise,  i,  n.  8). 

Si  quis  vestrum  non  tam  saepe  modo,  non  tam  acerbos sentit  iracundia1 
motus,  invidiaè,  luxuriœ,  aut  ca'tcrorum  hujusmodi,  gratias  agat  Cor- 
pori  et  Sanguini  Domini,  quoniam  virtns  sacramenti  operatur  in  eo 
(8.  Joan.  Curysost.  liom.  45,  inJoan.J. 

L'Encharistic  est  le  grand  remède  du  inonde.  Ce  qui  dégrade  et  abrutit 
l'homme,  c'est  la  chair  et  le  sang  du  vieil  Adam  qui  sont  corrompus  ; 
ce  qui  le  réhabilite  et  le  régénère,  c'est  la  chair,  c'est  le  sang  immaculé 
du  Christ  qui  est  le  nouvel  Adam,  en  qui  il  n'y  a  pas  de  péché,  chair  et 
sang  qui  nous  sont  donnés  à  la  Table  sainte,  chair  et  sang  qui  y  sont  à 
l'état  de  remède,  puisqu'ils  y  sont  à  l'état  d'immolation,  comme  ils 
l'étaient  à  la  croix  où  ils  nous  ont  obtenu  la  rédemption.  De  même  que 
chaque  jour,  c'est  par  des  viandes  succulentes,  par  des  vins  généreux, 
par  un  régime  réparateur  que  Ton  réconforte  les  corps  débilités  quand 
la  santé  a  disparu  ;  ainsi,  chaque  jour,  après  que  le  péché  a  été  remis, 
l'Église  rend  au  pécheur   la  perfection    de  la  santé   spirituelle,  par  une 


DEVOIR  DE  COMM1  NIER    u     MOINS    \    PAQ1  ESi  Jo5 

talions  ne  rendent-elles  pas  sensible  L'action  vivifiante  de 
la  Communion  ? —  Mais  nous  l'avons  dit,  toutes  ces  cons- 
tatations, nous  pouvons  les  faire  sans  sortir  de  nous-mêmes. 


viande  céleste,  par  un  breuvage  divin.  Si,  d'un  côté,  L'Eucharistie  est  le 
grand  remède  à  nos  maux,  ei  si,  de  Pautre,  nous  avons  le  devoir  do 
nous  guérir  do  ces  maux  :  n'est-ce  pas  pour  nous  un  devoir  impérieux 
H  suprême  de  recourir  à  l'Eucharistie  ?  do  nous  inoculer,  en  le  recevant, 
sa  vertu  salutaire,  pour  l'opposer  au  venin  (pie  nous  a\ous  reçu  avec 
notre  naissance,  et  qui  tend  à  miner  et  à  détériorer  notre  vie  loul 
entière  ?  U  ne  faut  pas  se  le  dissimuler, les  âmes  sont  malades,  la  société 
est  malade,  le  mal  qui  les  travaille  empire  de  plus  en  plus,  et  incline  le 
monde  du  côté  de  la  décadence  cl  de  la  ruine.  11  est  impossible  aux  plus 
aveugles  de  se  faire  illusion  sur  ce  point,  le  sens  moral  va  chaque  jour 
baissant  davantage .  Quoi  (pie  puissent  dire  des  optimistes,  admirateurs 
plus  ou  moins  convaincus  de  notre  civilisation,  la  corruption  des  mœurs 
privées  et  publiques  s'accuse  par  un  signe  caractéristique,  je  veux  dire 
l'augmentation  permanente  des  crimes  les  plus  odieux  contre  les  per- 
sonnes et  contre  les  choses.  Que  dire. du  respect  de  la  famille,  en  pré- 
sence de  la  multiplicité  des  attentats  à  la  pudeur,  des  séparations  de 
corps  et  de  biens,  des  parricides,  des  violences  contre  les  ascendants  ? 
Que  dire  du  respect  pour  la  propriété,  lorsqu'on  voit  de  toutes  parts  les 
banqueroutes,  les  escroqueries,  les  faux  en  écriture,  les  fraudes  com- 
merciales ?  Que  dire  du  respect  pour  l'autorité,  alors  que  les  contraven- 
tions aux  lois  sont  partout  et  que,  pour  les  réprimer,  il  faut  multiplier 
à  l'infini  les  agents  delà  force  publique.  Est-ce  une  population  morale, 
(pie  celte  ou  croissent  de  plus  en  plus  les  rébellions,  les  incendies,  les 
faux-monnayeurs,  les  maisons  de  prostitution,  les  fornications,  les 
adultères  et  les  infanticides,  que  celle  où  régnent  en  souveraine  la 
débauche  et  l'orgie  ?  Et  plût  à  Dieu  qu'il  n'y  ait  dans  la  société  que  des 
crimes,  et  qu'il  n'y  ait  pas  les  principes  criminels  qui  les  produisent  et 
Les  justifient  !  Or,  pourquoi  tous  ces  maux?  Pourquoi  cette  marée  de 
corruption  qui  monte  de  plus  en  plus  ")  Pourquoi  ce  tableau  sombre  et 
lugubre  qui  n'est  que  l'expression  trop  fidèle,  hélas  !  de  la  réalité,  puis- 
qu'il repose  sur  les  chiffres  des  statistiques  ?  Pourquoi  ?  Parce  que 
l'homme  du  dix-neuvième  siècle  ayant  répudié  le  culte  des' choses 
célestes  et  le  remède  que  lui  offre  Dieu  dans  l'Eucharistie,  est  tombé 
sous  L'empire  des  choses  terrestres,  sous  l'empire  de  ses  convoitises  dont 
il  reste  le  honteux  esclave. Hors  de  l'Eucharistie,  il  n'y  a  point  de  remède 
aux  maux  de  L'àme.  Que  pourrait  la  philosophie,  elle  qui  n'a  pas  de 
remède  ï>  Que  peut  le  médecin  sans  le  pharmacien  :)  Nous  souscrivons 
des  deux  mains  à  ces  paroles  d'un  philosophe  chrétien:  la  politique 
moderne  a  deux  données  qu'elle  croit  infaillibles  pour  juger  de  la  pros- 
périté d'un  état  ou  de  sa  décad  ;nce,  le  registre  des  naissances  et  celui 
des  importations  et  exportations  ;  j'aimerais  mieux  la  Liste  des  Commu- 
nions à  Pâques  et  le  registre  des  tribunaux  criminels  (Berseai  \, 
Dimanches  et  Fêtes,  ch.  i<»,  n.  2). 

Quant  aux  effets  prodigieux  de  L'Eucharistie  sur  la  société,  ils  sont 
incontestables;  car,  dans  l'Eucharistie  Dieu  se  donne  à  l'homme,  afin 
d'apprendre   à  l'homme   à  se  donner  à   son    semblable.  L'Eucharistie 


4o6      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.  INSTRUCTION. 

Qui  a  fait  une  seule  bonne  et  fervente  Communion,  et  ne 
s'est  pas  senti  plus  de  force  pour  résister  à  ses  passions  et 
s'acquitter  de  ses  devoirs  ?  Et  qui  a  abandonné  la  Commu- 
nion, sans  bientôt  s'apercevoir  que  ses  passions  redevenaient 
plus  puissantes  que  lui,  et  qu'il  n'avait  plus  la  force  de 
s'acquitter  parfaitement  de  ses  devoirs  ? 

Ainsi  l'expérience  confirme  la  parole  de  Notre-Seigneur, 
et  sans  rien  ajouter  à  son  autorité,  ce  qui  n'est  pas  possible, 
en  rend  pourtant  la  vérité  plus  éclatante  à  nos  regards 
humains.  Ainsi,  de  nos  yeux  et  par  nos  propres  impres- 
sions, nous  constatons  que  la  Communion  est  le  principe 
nécessaire,  indispensable,  de  notre  vie  surnaturelle  et  de 
notre  salut.  Eh  bien,  n'est-il  pas  de  la  dernière  évidence 
maintenant,  pour  tout  le  monde,  que  si  c'est  pour  notre 
plus  grand  bien  qu'on  nous  engage,  qu'on  nous  commande 
de  manger,  surtout  quand  le  goût  nous  en  manque  ;  c'est 
infiniment  plus  'encore  pour  notre  souverain  intérêt  que 
Notre-Seigneur,  que  l'Église,  que  ses  ministres  nous  exhor- 
tent et  nous  ordonnent  de  communier,  au  moins  une  fois 
chaque  année,  dans  la  quinzaine  de  Pâques?  Or,  puisque 
c'est  pour  notre  bien  vraiment  le  plus  grand  qu'il  nous  est 
commandé  de  communier,  personne  dès  lors  ne  saurait  se 
tenir  éloigné  delà  sainteTable. Quand  le  devoir  est  en  oppo- 
sition avec  l'intérêt,  on  comprend  que  certaines  âmes  peu 
droites  et  peu  généreuses  préfèrent  leur  intérêt  à  leur  devoir. 
Mais  ici,  l'intérêt  étant  d'accord  avec  le  devoir,  nous  ne 
pouvons,  par  conséquent,  faire  autrement  tous  que  de  com- 
munier. Et  pourtant  il  est  à  craindre  qu'il  ne  se  trouve 
encore  des  chrétiens  assez  illogiques  et  assez  aveugles,  pour 
alléguer  contre  la  Communion  pascale  des  prétextes  qu'ils 
s'efforceront  de  considérer  comme  sérieux  et  valables.  C'est 


étant  une  réalisation  constamment  présente  du  sacrifice  de  la  croix,  par 
la  foi  pratique  à  ce  dogme,  le  don  de  soi-même  peut  devenir  une  habi- 
tuelle pensée.  Ces  assertions  vont  se  prouver  par  des  faits  :  l'histoire 
peut  nous  montrer  l'Eucharistie  réalisant,  depuis  dix-huit  siècles,  le 
beau  idéal  de  la  bienfaisance  et  de  la  charité  (Gard.  Donnet,  Action 
divine  et  sociale  de  V 'Eucharistie .  Intr.  Carême  1842).  — A  l'appui  de  sa 
proposition,  l'orateur  cite  les  apôtres,  les  missionnaires,  les  religieuses 
hospitalières,  dont  le  dévouement  n'a  pas  d'autre  source  que  l'Eu- 
charistie. 


DEVOIR   HE  COMMUNIER   AU  MOINS  A  PAQUES.  f\0"J 

pourquoi  nous  allons  encore  démontrer,  avant  de  terminer, 

HT.  —  Q'aueun  prétexte  ne  peut  nous  dispenser  du 
devoir  de  la  Communion  pascale.  —  V  entendre  certains 
chrétiens,  parmi  ceux  qui  ne  font  pas  leurs  Pâques,  s'ils 
restent  à  l'écart  de  la  sainte  Table,  c'est  parce  qu'il  n'y  en  a 
que  très  peu  qui  vont  s'y  présenter,  et  qu'ils  ne  veulent  pas 
se  singulariser  en  s'unissant  à  leur  petit  nombre.  —  Eh  ! 
leur  dirons-nous,  que  tous  ceux  qui  tiennent  ce  langage, 
qui  assistent  aux  offices,  qui  mènent  une  vie  honnête,  qui 
se  donnent  comme  respectueux  et  amis  de  la  religion,  que 
tous  ceux-là,  disons-nous,  se  présentent  comme  ils  le  doi- 
vent à  la  sainte  Table,  et  alors  le  nombre  de  ceux  qui  font 
leurs  Pâques  ne  sera  plus  petit,  et  l'on  ne  se  singularisera 
plus  dans  leur  société.  Si  cette  raison  était  bonne,  le  petit 
nombre  de  ceux  qui  s'approchent  de  la  sainte  Table  devraient 
aussi  l'abandonner.  Ah  !  vous  avez  peur  de  vous  trouver 
avec  le  petit  nombre,  et  il  vous  plaît  de  marcher  dans  les 
rangs  de  la  foule.  N'avez-vous  donc  jamais  lu  ni  entendu 
l'Évangile  ?  Vous  avez  honte  du  petit  nombre  ;  ne  savez- 
vous  donc  pas  que  c'est  précisément  avec  le  petit  nombre 
qu'il  faut  marcher,  si  l'on  veut  se  sauver,  et  qu'en  suivant 
la  foule,  on  est  sûr  au  contraire  de  se  perdre.  Écoutez  ces 
paroles  du  Sauveur,  si  vous  les  avez  oubliées  :  Entrez,  nous 
dit-il,  par  la  porte  étroite  ;  car  par  la  porte  large  et  par  le 
chemin  spacieux,  on  va  à  la  perdition  ;  et  le  nombre  de  ceux 
qui  y  passent  est  grand.  Qu'étroite  est  la  porte,  et  étroit  le 
chemin  qui  mène  à  la  vie  !  et  qu'il  y  à  peu  de  gens  qui  en 
trouvent  Ventrée  (i)  /  Après  cet  avertissement  et  cette  exhor- 
tation du  Sauveur,  jugez  vous-mêmes  ce  que  vaut  votre 
excuse,  que  vous  ne  faites  pas  vos  Pâques,  parce  qu'il  y  en 
a  peu  qui  les  font.  C'est  ce  petit  nombre  de  chrétiens  qui 
seront  sauvés,  et  c'est  justement  pour  cela  qu'il  faut  faire 
comme  eux.  Autrement,  c'est  la  damnation.  La  parole  du 
Sauveur  est  on  ne  peut  plus  formelle. 

—  Je  n'ai  pas  peur,  certes,  disent  d'autres  chrétiens  infi- 
dèles au  devoir  pascal,  mais  c'est  que  je  n'ai  réellement  pas 
le  temps.  —  Cette  nouvelle  excuse  n'est  autre,  au  fond,  que 

i,  Matt.  vn,  |3|  i4. 


4o8        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.  INSTRUCTION. 

celle  des  invités  dans  la  parabole  du  banquet,    et   qui  pré- 
tendirent ne  pouvoir  s'y  rendre,  les  uns  parce  qu'ils  avaient 
à  aller  voir  une  maison  de  campagne  nouvellement  acquise, 
les  autres  parce  qu'il  leur  fallait  essayer  plusieurs  paires  de 
bœufs    récemment    achetés,    d'autres    encore    parce   qu'ils 
venaient  de  se  marier.  Bref,  aucun  d'eux  non  plus  n'avait  le 
temps  d'aller   prendre  part   au  banquet   de  leur  ami,  et  ils 
demandèrent  courtoisement  d'ailleurs  qu'on  les  excusât.  Or, 
comment  pensez-vous  que  prit  la  chose  le  maître  du  festin  ? 
Il  entra  dans  une  grande    colère,    nous  dit  Notre-Seigneur, 
envoya  ses  serviteurs  amener  à   sa  table    tous   ceux    qu'ils 
rencontreraient,  et  jura  de  n'avoir  jamais  plus  rien  de  com- 
mun avec    ceux   qui  avaient   refusé    son  invitation  (i).  Eh 
bien,  le  Sauveur  a  proposé  cette  parabole  précisément   pour 
être  une  réponse  anticipée  à  ceux  qui  devaient,  plus    tard, 
s'excuser  aussi  de  ne  pas  venir  au  banquet   eucharistique, 
faute  de  temps.    En  effet,  ce  n'est    pas   le   temps    qui   vous 
manque,  ne  vous  illusionnez  pas,  mais  uniquement  la  bonne 
volonté.  Ce  n'est  pas  le  temps  qui  vous  manque,  car  comme 
les  invités  de  la  parabole,  vous  en  avez  pour  vos  ambitions, 
figurées  par  la  maison  de  campagne  ;  pour  vos  intérêts  ma- 
tériels, représentés  par  les  bœufs  ;  pour   vos   plaisirs,  signi- 
fiés par  la  nouvelle  épousée.  Ainsi  vous  avez  du  temps  pour 
tout,  excepté  pour  faire  votre   devoir.   Vous  avez  même  du 
temps  pour  offenser  Dieu,  pour  aller  dans  les  bals,  dans  les 
spectacles,  dans  les  cabarets  et  autres  mauvais  lieux,  et  vous 
n'en  avez  pas  pour  vous  recueillir,   pour   rentrer    en  vous- 
mêmes,  pour  vous  préparer  à  vos  Pâques  et  les  bien  faire. 
Voilà  comment  vous  n'avez  pas  le  temps.   Ne  le  niez  pas, 
puisque  cela  est  certain.   Donc,   vous  n'avez  pas  le  temps 
d'accomplir  le  devoir  pascal,  parce  que  vous   ne  voulez  pas 
l'avoir.  Donc  votre  excuse  n'est  nullement  fondée.   Eh  bien, 
sachez-le:  comme  furent  traités   les  invités  figuratifs  de   la 
parabole,   ainsi   serez-vous  traités  vous-mêmes,  qui  êtes  les 
vrais  invités  ;  c'est-à-dire  que,  n'ayant  pas  pris  part  au  festin 
eucharistique,   vous   serez  rigoureusement  exclus  du  festin 
de  la  béatitude  éternelle. 

D'autres   chrétiens    encore   allèguent,  pour  justifier  leur 
i.  Luc.  xiv,  18-24. 


DEVOIR   DE  COMMUNIER    u    moins   v   PAQUES.  Jofl 

éloignemenl  de  la  Table  sainte,  <|uïls  ne  sont  pas  dignes 
d'aller  s')  agenouiller.  Or,  parmi  ceux  qui   parlent  ainsi,   il 

\  en  a  qui  sont  victimes  d'un  scrupule  dont  ils  doivent  se 
défaire,  assurément,  ni  eux,  ni  K's  plus  grands  saints,  ni 
même  les  anges  les  plus  sublimes,  ne  sonl  dignes  de  recevoir 
dans  leur  cœur  l'adorable  Eucharistie.  Cependant  Notre- 
Seigneur,  qui  connaissait  mieux  que  personne  cette  indi- 
gnité, n'a  pas  laissé  d'instituer  l'Eucharistie,  et  de  faire  à 
Ions  les  chrétiens  un  commandement  de  la  recevoir.  D'où 
il  suit  que,  pour  communier,  il  ne  faut  pas  considérer  si 
l'on  en  est  indigne,  puisqu'on  l'est  toujours,  quoi  qu'on 
fasse,  mais  bien  si  l'on  a  un  sincère  désir  de  plaire  à  Dieu, 
et  si  l'on  fait  réellement  tout  ce  que  l'on  peut  pour  accom- 
plir ses  saints  commandements.  Que  si  l'on  peut  se  rendre 
ce  témoignage,  non  seulement  on  peut,  mais  on  doit  com- 
munier, selon  qu'il  nous  est  prescrit  ;  et  si  on  ne  le  fait  pas, 
on  désobéit  à  Dieu  et  on  l'offense.  —  Mais  il  y  a  d'autres 
chrétiens  qui  se  disent  indignes  de  communier,  uniquement 
parce  qu'ils  ne  veulent  pas  le  faire.  Ces  chrétiens  n'ignorent 
pas  que,  s'ils  s'appliquaient  à  se  bien  acquitter  de  leurs 
devoirs,  à  combattre  leurs  mauvaises  passions  et  à  accomplir 
tous  les  commandements  divins,  ils  seraient  en  état  de  com- 
munier; mais  parce  qu'ils  ne  veulent  rien  faire  de  tout 
cela,  et  que  cependant  ils  ont  encore  assez  de  foi  pour 
reculer  devant  un  sacrilège,  ils  croient  se  tirer  habilement 
d'affaire  en  disant  que,  s'ils  ne  font  pas  leurs  Pâques,  c'est 
parce  qu'ils  ne  sont  pas  dignes  de  communier.  Vous  vous 
reconnaissez  indignes  de  communier,  leur  dirons-nous,  et 
vous  ne  voulez  pas  commettre  un  sacrilège  :  fort  bien  ; 
mais  mettez-vous  en  état  de  communier,  eelu  dépend  de  vous  ; 
et  en  communiant  ensuite,  non  seulement  vous  ne  com- 
mettrez pas  de  sacrilège,  mais  vous  accomplirez  un  devoir 
qui  vous  est  rigoureusement  commandé.  Que  si  vous  ne 
voulez  pas  communier  parce  que  vous  ne  voulez  pas  réfor- 
mer votre  conduite  et  mener  une  vie  sincèrement  chrétienne, 
dites  alors,  non  que  vous  êtes  indignes  de  communier,  mais 
que  vous  ne  voulez  pas  vivre  chrétiennement  ;  autrement, 
votre  excuse  manque  de  bonne  foi  et  ne  mérite  aucune  con- 
sidération. 


4lO       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.   INSTRUCTION. 

CONCLUSION.  —  Puis  donc,  chrétiens,  que  le  devoir 
de  communier  au  moins  à  Pâques  nous  est  imposé  par 
Notre-Seigneur  et  par  son  Église  ;  puis  donc  que  ce  devoir 
nous  est  imposé  uniquement  pour  notre  plus  grand  bien  ; 
puis  donc  enfin  qu'aucun  prétexte  ne  peut  nous  en  dispenser, 
que  nous  faut-il  maintenant  conclure  ?  Une  seule  et  unique 
conclusion  est  possible,  et  cette  conclusion  s'impose  impé- 
rativement et  irrésistiblement.  Et  cette  conclusion,  c'est 
qu'il  nous  faut  absolument  faire  au  moins  nos  Pâques. 
Quiconque  ne  les  ferait  pas  maintenant  serait  en  effet  con- 
vaincu, à  ses  propres  yeux,  non  seulement  de  désobéir  à 
Notre-Seigneur  et  à  son  Église,  non  seulement  de  trahir 
ses  propres  intérêts  les  plus  sacrés,  mais  encore  de  ne 
pouvoir  donner,  de  sa  manière  d'agir  ainsi,  aucune  raison 
valable.  Il  devrait  reconnaître,  par  conséquent,  qu'il  est 
privé  tout  à  la  fois,  de  tout  sentiment  religieux,  de  tout 
souci  pour  ses  intérêts,  et  de  tout  esprit  de  jugement.  Se 
trouve-t-il,  dans  cet  auditoire,  quelqu'un  qui  soit  forcé  de 
faire  cet  aveu  ?  Je  ne  puis  le  supposer.  Convaincu  de  la 
gravité  de  notre  devoir  et  des  avantages  inappréciables  que 
nous  trouverons  à  nous  en  acquitter,  ainsi  que  de  l'inanité 
des  prétextes  auxquels  on  recourt  parfois  pour  s'y  soustraire, 
nous  ferons  tous  nos  Pâques.  Tous  nous  écouterons  les 
paternelles  invitations  de  notre  Dieu,  et  les  pressantes  ins- 
tances de  l'Église  notre  mère  ;  tous  nous  irons  nous 
agenouiller  à  la  sainte  Table  et  prendre  part  au  banquet 
divin  ;  tous  nous  recevrons  le  Pain  de  vie,  descendu  du 
ciel,  et  tous  nous  trouverons  dans  ce  Pain  les  forces  dont 
nous  avons  besoin  pour  lutter  victorieusement  contre  le 
démon,  le  monde  et  nos  passions  mauvaises,  et  ainsi 
mériter  de  nous  asseoir  dans  le  ciel  au  banquet  de  l'éternelle 
félicité.  Ainsi  soit-il. 

TRAITS  HISTORIQUES. 

La  Pâque  juive  et  les  Pâques  chrétiennes. 

La  fête  de  Pâques  est  le  lien  qui  unit  la  loi  ancienne  et  la  loi 
nouvelle  ;  c'est  la  fête  glorieuse  de  la  résurrection  de  Jésus-Christ, 
symbole  et  gage  de  notre  propre  résurrection. 


DEVOIR   DE  COMMUNIER  AU  MOINS  A  PAQUES.  f\  I  I 

Dieu  hii-même  ordonna  aux  Israélites  de  manger  l'agneau  pascal 
au  moment  de  leur  sortie  d'Egypte,  et  de  renouveler  tous  les  ans 
cette  cérémonie  de  la  pâque,  dont  le  nom  dérive  du  mot  pascha, 
c'est-à-dire  passage.  Cette  dénomination  avait  pour  but  de  leur 
rappeler  à  la  fois  le  passage  de  l'ange  exterminateur,  et  le  passage 
dos  entants  d'Israël  à  travers  la  mer  Houge,  au  jour  de  leur  déli- 
vrance de  la  servitude.  —  Sur  l'ordre  de  Dieu,  à  la  veille  de  sortir 
de  l'Egypte,  ils  prirent  un  agneau  sans  tache,  et,  le  quatorzième 
jour  du  mois  de  nizan,  ils  l'immolèrent  dans  chacune  de  leurs 
maisons  ;  ils  teignirent  leurs  portes  de  son  sang  et  mangèrent  sa 
chair  avec  du  pain  sans  levain  et  des  laitues  amères.  Pour  faire  ce 
repas,  ils  se  mirent  dans  l'état  de  voyageurs  prêts  à  partir,  la 
chaussure  aux  pieds  et  un  bâton  à  la  main.  Immédiatement  après, 
l'ange  du  Seigneur  exécuta  l'arrêt  de  mort  porté  contre  les  pre- 
miers nés  des  Égyptiens  ;  et  toute  l'armée  des  Hébreux  se  mit  en 
marche  pour  cette  terre  heureuse  que  le  Dieu  de  Jacob  avait  pro- 
mise à  sa  postérité.  Bientôt  les  flots  de  la  mer  Rouge,  dociles  à  la 
voix  du  Seigneur,  s'ouvrirent  pour  protéger  la  fuite  de  son  peuple, 
et  se  refermèrent  pour  engloutir  les  Égyptiens  ses  ennemis.  — 
Chaque  année  qui  suivit  ces  deux  événements  fut  marquée  par  le 
retour  de  la  même  cérémonie  qui  les  avait  précédés.  C'était  la 
Pâque  des  Juifs  sous  l'ancienne  loi. 

Les  Pâques  de  la  loi  nouvelle  l'emportent  sur  la  grande  fête 
mosaïque  comme  la  réalité  sur  l'ombre  et  la  figure.  La  passion  et 
la  résurrection  de  Jésus-Christ  étant  le  point  fondamental  du 
Christianisme,  les  apôtres  perpétuèrent  la  mémoire  de  ce  double 
événement  par  une  fête  religieuse,  monument  plus  durable  que  le 
marbre  et  le  bronze.  Le  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  sur  la  croix  avait 
été  la  réalité  que  figurait  celui  de  l'agneau,  ordonné  aux  Juifs  par 
le  Seigneur.  Le  jour  fixé  pour  celui-ci  marquait,  selon  les  pro- 
phéties, le  jour  de  l'immolation  de  la  véritable  victime  expiatoire. 
La  grande  solennité  chrétienne  retint  donc  le  nom  de  fête  de 
Pâques  (festa  paschalia),  pour  désigner  les  deux  jours,  dont  l'un 
était  la  Pâque  de  la  passion,  et  l'autre  la  Pâque  de  la  résurrection. 
—  Les  apôtres,  avant  de  se  disperser,  n'avaient  pas  fait  de  règle- 
ment pour  fixer  d'une  manière  uniforme  l'observance  de  la  fête  de 
Pâques.  Saint  Jean  et  les  chrétiens  d'Asie  la  célébraient  comme  les 
Juifs,  le  quatorzième  jour  de  la  lune  du  mois  de  nisan,  c'est-à-dire 
le  jour  delà  pleine  lune  de  l'équinoxe  du  printemps.  Saint  Pierre 
et  ses  collègues,  qui  passèrent  en  occident,  la  célébraient  le 
dimanche  suivant.  Cette  diversité  de  pratique  se  continua  jusqu'au 
concile  de  Nicée,  en  325,  où  l'uniformité  fut  établie  et  la  fête  de 


4l2        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XV.  INSTRUCTION. 

Pâques  fixée,  pour  toute  l'Église,  au  dimanche  qui  suit  immédia- 
tement la  pleine  lune  de  l'équinoxe  du  printemps.  Pour  éviter 
toute  controverse,  l'Eglise  a  décidé  encore  que  le  21  mars  serait 
considéré  comme  jour  de  l'équinoxe  ;  de  façon  que  la  fête  de 
Pâques  peut  tomber  du  22  mars  au  25  avril  ;  ou,  ce  qui  est  la 
même  chose,  que  Pâques  doit  venir  après  le  21  mars  et  avant  le 
25  avril.  —  Les  chrétiens  célèbrent  cette  grande  fête  en  mangeant 
le  véritable  Agneau  pascal,  c'est-à-dire  en  s'approchant  de  la  Table 
eucharistique  pendant  la  quinzaine  de  Pâques  :  c'est  ce  qu'on 
appelle  faire  ses  Pâques,  remplir  le  devoir  pascal  (Schouppe,  Instr. 
relig.  en  ex,  3.  sér.  28  leç.). 

Figures  bibliques  de  l'Eucharistie. 

La  Manne  fut  l'une  de  ces  figures,  et  le  Sauveur  lui-même 
l'insinua,  lorsqu'il  donna  la  préférence  au  Pain  céleste  et  vivant, 
qu'il  voulait  donner  aux  hommes  dans  la  nouvelle  loi,  sur  cet 
ancien  pain  fait  de  la  main  des  anges.  La  ressemblance  de  ces 
deux  mets  célestes  se  trouve  particulièrement  dans  leurs  effets,  en 
tant  que  la  manne  avait  toutes  sortes  de  goûts,  comme  a  mainte- 
nant l'Eucharistie,  l'une  pour  le  corps,  et  l'autre  pour  l'esprit  ; 
mais  le  Sauveur  y  a  mis  cette  différence,  que  la  manne  ne  garan- 
tissait point  les  Israélites  de  la  mort,  au  lieu  que  l'Eucharistie 
donne  droit  à  nos  corps  de  ressusciter  un  jour,  et  à  nos  âmes,  de 
vivre  de  la  vie  de  la  grâce  et  de  la  gloire  :  Vos  pères  ont  mangé 
la  manne  et  sont  morts  ;  qui  mange  ce  Pain,  qui  est  mon  corps, 
vivra  à  jamais 

L'Arche  de  l'ancienne  alliance  a  aussi  été  la  figure  du  sacrement 
de  la  nouvelle.  Cette  arche  était  la  consolation  des  peuples,  leur 
refuge  et  leur  force,  lorsqu'ils  étaient  pressés  par  leurs  ennemis  ; 
cependant  elle  causa  la  perte  des  Bethsamites,  et  Dieu  en  exter- 
mina plus  de  cinquante  mille,  parce  qu'ils  la  regardèrent  avec  peu 
de  révérence.  Oza  fut  aussi  frappé  de  mort,  dans  l'instant  même, 
parce  qu'il  eut  la  témérité  d'étendre  la  main  pour  la  soutenir.  Mais 
Obédédon  la  vit  dans  sa  maison  avec  un  sort  bien  différent  ;  le 
Seigneur  le  combla  en  effet  de  bénédictions  et  de  prospérités,  pour 
récompenser  la  piété  et  la  religion  avec  laquelle  ce  saint  Israélite 
l'avait  reçue.  Ce  sont  des  instructions  pour  nous.  Car  si  Dieu  a 
traité  avec  tant  de  rigueur  ceux  qui  n'ont  pas  rendu  à  la  figure 
tont  le  respect  qui  lui  était  dû,  de  quelle  sévérité  n'usera-t-il  point 
à  l'égard  de  ceux  qui  n'auront  pas  pour  la  réalité  cette  religion 
profonde,  qu'elle  exige  de  tous  ceux  qui  en  approchent  ;  et  que 
n'est-on  pas  obligé  de  faire,  pour  ne  pas  changer  en  un  poison 


DEVOIR    DE  COMMUNIER   w    MOINS   \  PAQUES. 


funeste,  ce  qui  nous  est  donné  pour  le  remède  de  tous  nos  maux, 
et  pour  ne  point  trouver  malheureusement  la  mort  dans  la  source 

de  la  ^  ie  ! 

Le  pain  que  mangea  Élie  fut  également  une  figure  de  notre  Pain 
eucharistique.  Ce  prophète  fuyait  les  persécutions  de  la  cruelle 
Jézabel,  el  après  avoir  erré  dans  une  solitude  affreuse  sans  nul 
rafraîchissement,  fatigué  du  chemin,  épuisé  de  forces,  il  se  couche 
à  terre  pour  prendre  un  peu  de  repos.  N'est-ce  pas  là  une  peinture 
naïve  de  Tétat  où  se  trouvent  tous  les  jours  une  infinité  de  chré- 
tiens ?  \  peine  ce  prophète  fut-il  endormi,  qu'un  ange  le  réveilla, 
en  lui  criant  :  Levez-vous  et  mangez.  11  obéit,  et  aussitôt  qu'il  eût 
goûté  d'un  pain  cuit  sous  la  cendre,  qu'il  trouva  auprès  de  sa  tête, 
ses  forces  revinrent,  il  marcha  sans  peine,  jusqu'à  la  montagne 
d'Horeb.  On  peut  dire  la  même  chose  aux  âmes  faibles  et  languis- 
santes :  Levez-vous,  prenez  et  mangez  ce  Pain  céleste  de  l'Eucha- 
ristie, dont  le  pain  d'Élie  n'était  que  la  figure,  et  vous  vous  sen- 
tirez fortifiés  ;  vous  marcherez  à  grands  pas  dans  les  sentiers  de  la 
vertu  ;  vous  vous  élèverez  à  la  plus  sublime  perfection,  représentée 
par  cette  montagne,  dont  le  nom  signifie  vision  de  Dieu.  Il  est 
vrai  que  ce  prophète,  après  avoir  mangé  la  première  fois  de  ce 
pain,  retomba  dans  son  assoupissement  ;  mais  l'ange  lui  ordonna 
d'en  manger  de  nouveau,  pour  nous  apprendre  que  si  une  Com- 
munion ne  réchauffe  pas  entièrement  notre  cœur,  nous  devons  la 
réitérer  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  rallumé  notre  première  ferveur 
(Houdry,  Bibliolh.  des  Préd.  verb.  Communion,  ch.  3). 

Effets  vivifiants  et  sanctifiants  de  la  Communion. 

t.—  a  Une  femme, lisons-nous  dans  l'Évangile  de  saint  Luc,  xm, 
M,  malade  d'une  perte  de  sang  depuis  douze  ans,  et  qui  avait  dépensé 
tout  son  bien  à  se  faire  traiter  par  les  médecins,  sans  pouvoir  être 
guérie  par  aucun  d'eux,  s'approcha  de  lui  par  derrière,  et  toucha 
la  frange  de  son  vêtement  ;  au  même  instant,  sa  perte  de  sang 
s'arrêta.  El  Jésus  dit  :  Qui  m'a  touché  ?  Comme  tous  s'en  défen- 
daient, Pierre  et  ceux  qui  étaient  avec  lui,  lui  dirent  :  Maître,  la 
foule  vous  presse  et  vous  accable,  et  vous  dites  :  Qui  m'a  louché  ? 
Mais  Jésus  reprit  :  Quelqu'un  m'a  touché,  car  je  sais  qu'une  vertu 
esl  sortie  de  moi.  Se  voyant  découverte,  cette  femme,  toute  trem- 
blante, se  jeta  à  ses  pieds,  et  déclara  devant  tout  le  peuple  pour- 
quoi elle  l'avait  touché,  et  comment  elle  avait  été  guérie  sur-le- 
champ.  Et  JÉSi  s  lui  dit  :  Ma  fille,  votre  foi  vous  a  sauvée,  allez  en 
paiXt  »  __  Celte  femme  fut  soudainement  guérie  pour  avoir  touché 
;i\ec    foi   la  robe  du  Sauveur.  Or,  dans  la  sainte  Communion,  on 


[\lk         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XV.  INSTRUCTON. 

fait  bien  plus  que  toucher  son  vêtement.  Quels  salutaires  effets 
n'éprouveront  donc  pas  les  âmes  qui,  avec  une  foi  vive,  mangent 
et  boivent  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  ! 

2.  —  Les  fidèles  n'ont  jamais  plus  besoin  du  pain  des  forts,  que 
dans  les  temps  de  persécution,  parce  que  c'est  alors  que  l'ennemi 
du  salut  décharge  sur  eux  toute  la  violence  de  sa  rage.  C'est  pour- 
quoi les  pasteurs  de  l'Église  ont  prescrit  la  Communion  fréquente 
comme  moyen  de  nourrir  la  ferveur  dans  ces  temps  de  dangers 
pour  le  salut  des  âmes.  Le  pape  saint  Anaclet  ordonna  même  que 
tous  ceux  qui  assistaient  au  saint  sacrifice  de  la  Messe  y  com- 
munieraient, regardant  comme  à  demi-vaincus  ceux  qui  néglige- 
raient de  se  nourrir  de  ce  Pain  des  forts  en  ces  temps  de  péril.  Ce 
saint  pape,  formé  par  les  apôtres,  ne  jugeait  pas  possible  qu'un 
chrétien  exposé  tous  les  jours  à  être  présenté  aux  tyrans,  pût 
résister  aux  tourments  sans  cette  nourriture  céleste.  —  Or,  nous 
pouvons  dire  la  même  chose,  dans  une  certaine  proportion,  des 
âmes  qui  sont  tentées  :  c'est  une  persécution  dans  laquelle  elles 
succomberont,  si  elles  n'ont  pas  soin  de  soutenir  leurs  forces  par 
la  réception  du  Pain  eucharistique. 

3.  —  «  Depuis  que  ma  mère  fréquente  la  congrégation  de 
Y  Œuvre  des  mères  de  familles  pauvres,  elle  est  totalement  changée, 
disait  une  jeune  ouvrière.  Autrefois,  c'était  avec  la  plus  grande 
peine  que  nous  obtenions  d'elle  qu'elle  se  confessât  et  communiât 
deux  ou  trois  fois  par  an  ;  aujourd'hui,  elle  le  fait  tous  les  mois, 
et  plus  souvent  encore.  Son  caractère,  dont  nous  souffrions  au 
point  de  vouloir  quitter  la  maison  paternelle,  s'est  amélioré  consi- 
dérablement ;  et  mon  père,  gagné  par  ses  conseils  et  ses  bons 
procédés,  vient  de  faire  ses  Pâques,  devoir  qu'il  n'avait  plus  rempli 
depuis  trente  ans.  »  (Précis  historiques,  1859). 


SEIZIEME  INSTRUCTION 

(Mercredi  de    la   Passion) 

C'est  un    devoir    pour    tout    chrétien 

d'observer  les  Jeûnes 

et  les  Abstinences  de  précepte. 

I.  Nécessité  d'observer  ces  jeûnes  et  ces  abstinences.  —  II.  Motifs  de 
leur  institution.  —  III.  Comment  on  satisfait  aux  préceptes  qui  les 
commandent. 

Déjà  la  sainte  Église,  s' inspirant  de  l'esprit  et  des  pres- 
criptions de  son  divin  Fondateur,  nous  a  marqué  avec  pré- 
cision, comme  nous  l'avons  vu  dans  nos  divers  entretiens, 
ce  que  nous  devons  faire,  d'abord  pour  sanctifier  les  diman- 
ches et  les  fêtes,  et  ensuite  pour  répondre  aux  desseins  de 
Notre-Seigneur  dans  l'institution  des  deux  sacrements  de  la 
Pénitence  et  de  l'Eucharistie.  Portant  en  outre  sa  sollicitude 
sur  un  autre  point,  l'Eglise  a  de  plus  précisé,  à  ses  enfants, 
in  (|ucls  temps  et  en  quels  jours  ils  devaient  accomplir  les 
jeûnes  et  les  abstinences  si  instamment  recommandés  dans 
tous  les  livres  do  L'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 

Ces  temps  et  ces  jours,  où  l'on  doit  pratiquer  soit  le 
jeune,  soit  l'abstinence,  je  ne  viens  pas  vous  les  apprendre, 
tous  les  chrétiens  les  connaissent.  Tous,  en  effet,  nous 
savons  que,  pour  Le  jeune,  on  doit  le  pratiquer  Les  qua- 
rante jours  du  Carême,  les  Quatre-Temps  de  l'année,  et  les 
veilles  des  plus  grandes  fêtes;  et  quanta  l'abstinence,  que 
c'est  le  vendredi  et  le  samedi  de  chaque  semaine  qu'on  ne 
doit  pas  faire  usage  d'aliments  gras.  La  plupart  des  eh  ré 
tiens  savent  même  pourquoi  les  jeunes  et  les  abstinences 
ont  été  fixés  aux  temps  et  aux  jours  dont  il  vient  d'être 
parlé.  Ils  savent  que  le  jeune  des  quarante  jours  du  Carême 
a  été  institué  en  mémoire  et  à  l'imitation  du  jeûne  de  qua- 


/|l6        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. XVI.  INSTRUCTION. 

♦ 

rante  jours  que  Notre-Seigneur  a  pratiqué  dans  le  désert, 
avant  de  se  livrer  au  ministère  de  sa  prédication.  Les  chré- 
tiens tant  soit  peu  instruits  savent  aussi  que  le  jeûne  des 
Quatre-Temps  a  pour  but  de  nous  faire  sanctifier  les  quatre 
saisons  de  l'année,  et  celui  des  vigiles  de  nous  préparer  à 
célébrer  plus  saintement  les  fêtes  qui  les  suivent.  Ils  savent 
enfin,  relativement  aux  abstinences,  qu'elles  ont  été  plus 
particulièrement  fixées  au  vendredi  en  mémoire  de  la  mort 
de  Notre-Seigneur,  et  au  samedi,  en  souvenir  de  son  séjour 
dans  le  tombeau  :  deux  mystères  pleins  de  deuil  pour  les 
disciples  du  Sauveur,  et  peu  compatibles  par  conséquent 
avec  des  festins  et  des  repas  joyeux. 

Les  chrétiens  savent  donc  quand  il  faut  jeûner,  et  quand 
il  faut  faire  maigre.  Et  pourtant,  hélas  !  n'est-il  pas  trop 
évident  que  l'immense  majorité  d'entre  eux  ne  pratique  ni 
le  jeûne  ni  l'abstinence  ?  D'où  vient  donc  une  telle  indiffé- 
rence pour  les  deux  commandements  de  l'Eglise  qui  en 
font  un  double  devoir?  La  cause  d'une  indifférence  si  mal- 
heureuse est  encore  et  toujours,  croyons-nous,  principale- 
ment l'ignorance.  Sans  doute,  on  sait  qu'il  faut  jeûner  et 
faire  maigre,  mais  on  ne  le  sait  que  d'une  manière  plus  ou 
moins  vague  ;  on  ne  sait  pas  surtout  combien  grave  et 
fondée  est  la  nécessité  d'accomplir  ces  deux  préceptes, 
qu'on  s'est  habitué  de  longue  date  à  considérer  comme  très 
peu  importants  ;  on  ne  sait  pas  davantage  les  motifs  émi- 
nemment sérieux  sur  lesquels  ils  reposent,  d'où  il  suit  qu'on 
croit  volontiers,  ou  bien  que  ce  ne  sont  que  de  simples 
conseils  à  l'usage  des  seuls  dévots,  ou  bien  qu'ils  sont  non 
seulement  inutiles,  mais  même  nuisibles  ;  enfin,  l'on  ne 
sait  pas  non  plus  généralement  quelle  est  leur  étendue  pra- 
tique, en  sorte  qu'on  les  dédaigne  comme  impossibles  à 
pratiquer.  Oui,  voilà  certainement  ce  qu'on  ne  sait  pas,  et 
ce  qui  explique  l'inobservation  si  générale  du  jeûne  et  de 
l'abstinence.  Aussi  ne  paraît-il  pas  douteux  que,  si  toutes 
ces  choses  étaient  bien  connues  et  bien  comprises,  les 
chrétiens  pratiquant  le  jeûne  et  l'abstinence  seraient  aussi 
nombreux  qu'ils  le  sont  peu.  Voilà  pourquoi  nous  allons, 
dans  cet  entretien,  exposer  :  premièrement,  la  nécessité 
d'observer    les    jeûnes    et    les     abstinences    de   précepte  ; 


DEVOIR  D  OBSERVEE  lis  .ni  \i-s  i;i    t.i:s   vnsTINENCES.        |i~ 

deuxièmement,  1rs  motifs  de  leur  institution  ;  et  troisième- 
ment enfin,  la  manière  de  satisfaire  aux  préceptes  qui  les 
commandent  (i).  —  Seigneur  Jésus,  qui  avez  vous-même 
pratiqué  d'abord,  et  ensuite  commandé  le  jeûne  et  l'absti- 
nence, daignez  faire  briller  au  fond  de  nos  cœurs  la 
Lumière  de  votre  parole,  afin  que,  eomprenant  la  nécessité, 
les  motifs  et  l'esprit  de  ces  pratiques,  nous  les  observions 
désormais  avec  une  iidélité  parfaite. 

I.  —  Nécessité  d'observer  les  jeûnes  et  les  abstinen- 
ces de  précepte.  —  La  plupart  des  ebrétiens  qui  n'obser- 
vent pas  les  jeûnes  et  les  abstinences  de  précepte,  préten- 
dent qu'ils  n'y  sont  pas  tenus,  parce  que  ces  jeûnes  et  ces 
abstinences  ne  sont  commandés  que  par  l'Eglise,  c'est-à- 
dire  par  les  hommes  qui  la  gouvernent  ;  et  que  ces  hommes 
n'ont  pas  le  droit  de  faire  des  lois  obligatoires  pour  les 
autres  hommes,  parce  que  tous  les  hommes  étant  égaux  entre 
eux.  les  uns  n'ont  pas  plus  le  droit  de  commander  que  les 
autres  le  devoir  d'obéir.  Si  cette  argumentation  était  juste, 
ceux  qui  la  font  auraient  raison  de  se  soustraire  aux  lois  du 
jeûne  et  de  l'abstinence  ;  mais  elle  est  absolument  fausse 
en  deux  points  essentiels,  et  c'est  pourquoi  ils  ont  tort  de  ne 
pas  vouloir  se  soumettre  à  des  lois  doublement  obligatoires. 

Et  d'abord,  il  n'est   pas  vrai  que  les  jeûnes  et   les  absti- 

1.  Soit  que  l'homme  se  regarde  comme  une  créature  dépendante  de 
son  Dieu  ;  soit  qu'il  se  considère  comme  sans  cesse  agité  par  ses  pas- 
sions ;  soit  enfin  qu'il  se  reconnaisse  pécheur,  et  en  cette  qualité  digne 
de  chàtiement,  je  soutiens  qu'il  ne  peut,  sans  une  raison  légitime,  et 
une  impossibilité  morale,  se  dispenser  d'accomplir  le  précepte  du  jeûne. 
De  là,  il  s'ensuit  que  :  1"  Le  jeûne  est  un  précepte  :  donc  on  ne  peut 
le  violer,  sans  se  rendre  coupable  du  crime  de  désjbéissance  à  Dieu  et 
ii  -mi  Église.  —  2n  C'est  un  remède  qui  prévient  les  péchés  :  donc  on  ne 
peul  en  négliger  la  pratique  sans  témérité.  —  3"  C'est  une  peine  légère 
qui  les  cITace,  en  les  punisssant  :  on  ne  peut  donc  son  dispenser  sans 
injustice.  Trois  motifs  puissants,  qui  doivent  faire  impression  sur  tout 
cœur  encore  sensible  aux  devoirs  de  la  religion  (Houdry,  Biblioth.  des 
Préd.  verb.  Jeûne,  s  1,  n.  4)- 

Le  Jeune  est  nécessaire  à  tous  les  chrétiens  :  1"  Aux  justes,  pour  con- 
server leur  innocence  ;  parce  que  c'esl  ce  qui  les  préserve  du  péché,  el 
qui  les  rend  victorieux  des  tentations  les  plus  dangereuses  et  des  pas- 
sions  les  plus  VÎYes.  —  '.>."  Aux  pécheurs,  parce  que  ("est  le  moyen  de 
réparer  leur  innocence  perdue,  et  de  satisfaire  à  la  justice  divine,  pour 
les  péchés  qu'ils  ont  commis  (Id.  ibid.,  n.  6). 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR. —    T.      II,  2^ 


4i8     les  grands  devoirs  du  salut.  —  xvi.  instruction. 

nenccs  ne  sont  commandés  que  par  l'Eglise.  Il  est  même 
singulièrement  remarquable  que  le  premier  commandement 
imposé  à  l'homme  par  Dieu,  fut  un  commandement  d'abs- 
tinence. Ayant  placé  Adam  dans  le  paradis  terrestre,  il  lui 
dit  en  lui  montrant  l'arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal  : 
Tu  ne  mangeras  pas  du  fruit  de  cet  arbre  (i). 

Mais  Dieu  ne  s'en  tint  pas  là,  et  plus  tard  il  commanda 
aussi  le  jeûne  à  son  peuple,  par  le  ministère  de  ses  pro- 
phètes :  Convertissez-vous  à  moi,  leur  faisait-il  dire,  de  tout 
votre  cœur,  dans  le  jeune  et  les  gémissements  (2).  Et  le  peuple 
élu  était  si  fidèle  à  ces  recommandations,  que  les  jeûnes  et 
les  abstinences  peuvent  compter  parmi  leurs  principales 
pratiques,  f  humiliais  mon  âme  par  le  jeune  (3),  dit  David  en 
parlant  de  lui-même.  Ce  fut  en  jeûnant  et  en  priant,  eux  et 
leurs  femmes  (4),  est-il  dit  des  habitants  de  Béthulie,  qu'ils 
méritèrent  d'échapper  à  la  fureur  d'Holopherne,  quand  ce 
guerrier  barbare  vint  mettre  le  siège  devant  leur  ville.  L'his- 
toire du  vieillard  Eléazar,  ainsi  que  celle  des  sept  frères 
Machabées  et  de  leur  mère,  est  bien  connue.  Sommés  par 
l'impie  roi  Antiochus  de  manger  des  viandes  défendues,  ils 
préférèrent  mourir  dans  les  plus  horribles  supplices,  plutôt 
que  de  violer  les  lois  de  Dieu  (5),  ce  que  beaucoup  d'autres 
juifs  firent  également  (6).  Quand  Notre-Seigneur  vint  en  ce 
monde,  la  loi  du  jeûne  était  toujours  observée,  bien  que 
plusieurs  le  fissent  par  hypocrisie  (7).  Lui-même  la  confirma 
d'une  manière  éclatante,  d'abord  par  son  jeûne  de  quarante 
jours,  et  ensuite  lorsque,  parlant  du  jeûne  aussi  bien  que  de 
toutes  autres  mortifications,  il  fit  à  ses  auditeurs  cette  décla- 
ration deux  fois  répétée  :  Si  vous  ne  faites  pénitence,  vous 
périrez  tous  (8).  Ainsi,  nous  le  répétons  et  nous  venons  d'en 

1.  Gen.  11,  17. 

2.  Joël.  11,  12. 

3.  Ps.  xxxiv,  i3. 

4.  Judith,  iv,  8. 

5.  M.  Mach.  vi  et  vu. 
G.  I.  Mach.  1,  05,  66. 

7.  Matth.  vi,  16. 

8.  Luc.  xui,  3,  5,  7.  —  Jésus-Christ  ne  le  dit  pas  (de  jeûner  et  de 


DEVOIR  iVoHSEtlYEH  LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES.        /|IQ 

donner  la  preuve:  non,  il  n'est  pas  vrai  que  le  jeûne  et 
l'abstinence  ne  sont  commandés  que  par  l'Église.  Ce  qui  est 
vrai,  c'est  que  le  jeûne  et  l'abstinence  ont  d'abord  été  com- 
mandés par  Dieu,  et  que  ces  commandements  de  Dieu  tou- 
chant Le  jeûne  et  l'abstinence  ont  été  observés,  puis  renou- 
velés et  confirmés  par  Notre-Seigneur  lui-même. 

Mais  supposons  que  ni  Dieu  ni  Notre-Seigneur  n'ont  com- 
mandé le  jeûne  et  l'abstinence,  et  que  ces  deux  pratiques 
ne  nous  sont  imposées  que  par  l'Église  seule  i  pourrions- 
nous,  dans  ce  cas,  ne  pas  les  observer?  Non,  nous  ne  le 
pourrions  pas.  On  dit  que  les  hommes  sont  égaux,  et  que 
les  uns  n'ont  pas  plus  le  droit  de  commander  que  les  autres 
le  devoir  d'obéir.  Les  hommes  sont  égaux  par  leur  nature, 
oui  ;  mais  ils  ne  le  sont  pas  par  leur  autorité  et  leurs  fonc- 
tions. Qui  dira  que  le  père  n'a  pas  le  droit  de  commander  à 
son  enfant,  et  que  l'enfant  n'a  pas  le  devoir  d'obéir  à  son 
père  ?  Qui  dira  que  le  maître  n'a  pas  le  droit  de  commander 
à  son  serviteur,  et  que  le  serviteur  n'a  pas  le  devoir  d'obéir 

faire  abstinence)  en  termes  formels,  c'est  vrai.  Mais  qu'avait-il  besoin 
de  le  déclarer,  si  les  expressions  dont  il  s'est  servi  pour  définir  les  pou- 
voirs de  son  Église  n'excluent  pas  la  faculté  de  créer  ce  genre  de  disci- 
pline ?  Cf.  Matth.  xviii,  17,  18.  Son  langage  sans  restriction  révèle  de  sa 
part  une  intention  sans  réserve.  Et,  quand  sa  parole  laisserait  quelques 
doutes,  nous  avons  un  témoin  pour  dissiper  ces  nuages  et  nous  fixer  sur 
la  pensée  de  l'Hommc-Dieu  :  c'est  son  Église  elle-même.  Elle  est  contem- 
poraine de  Jésus-Christ,  puisqu'elle  est  son  ouvrage  ;  elle  vivait  dans 
les  apôtres;  elle  s'identifiait  avec  eux.  Quand  ils  ont  reçu  les  dernières 
instructions  du  Seigneur  leur  maître  et  son  Époux,  quand  il  leur  trans- 
mil,  comme  un  héritage  immortel,  les  pouvoirs  qu'il  tenait  de  son  Père, 
ce  fut  elle  qui  les  recueillit  par  leurs  mains.  Il  lui  fut  donné  de  lire 
alors  dans  l'âme  du  Sauveur,  et  d'en  sonder  les  vues  jusque  dans  les 
profondeurs  les  plus  intimes.  Ceux  qui  refusent  à  l'Église  le  pouvoir 
d'ordonner  des  pénitences  corporelles,  n'étaient  pas  là  ;  ils  ne  savent  pas 
ce  que  Jésus-Christ  a  fait  et  ce  qu'il  n'a  pas  fait,  la  puissance  qu'il  a 
donnée  et  celle  qu'il  n'a  pas  accordée.  I/Église,  au  contraire,  était  pré- 
sente ;  elle  sait  parfaitement  ce  que  son  fondateur  a  voulu,  et  pour 
preuve  qu'elle  en  a  reçu  le  droit  d'établir  des  mortifications  corporelles, 
elle  ne  s'est  pas  donné  la  peine  d'affirmer  ce  pouvoir  :  elle  l'a  exercé  dès 
son  berceau.  On  niait  autrefois  le  mouvement  devant  un  philosophe,  et 
lui,  plutôt  que  de  recourir  à  des  raisonnements  pour  en  démontrer 
l'existence,  il  se  mit  à  marcher.  Ainsi  a  procédé  l'Église.  Pour  démon- 
trer qu'elle  était  aulorisée  à  prescrire  de  pieuses  privations,  de  saintes 
austérités,  elle  s'est  hâtée  d'en  ordonner  publiquement  aux  fidèles. 
C'est  un  des  faits  constatés  avec  le  plus  d'éclat  par  les  monuments  des 
premiers  siècles  (Mgr  Plamiek,  Irvstr.  et  Lett.  past.  Carême  i856,  n.  1). 


/»20       LES  GRANDS  DÈVOJRS  DU  SALUT. XVÎ.    INSTRUCTION. 


à  son  maître  P  Ainsi,  dans  toute  société,  familiale,  domesti- 
que, civile,  certains  membres  ont  le  droit  de  commander 
obligatoirement,  et  les  autres  le  devoir  d'obéir.  Les  magis- 
trats, dans  toute  nation,  n'ont-ils  pas  le  droit  de  faire  des 
lois,  et  n'est-ce  pas  un  devoir  rigoureux,  pour  les  citoyens, 
de  s'y  soumettre  (i)P  Eh  bien,  il  n'en  est  pas  autrement  dans 
la  société  de  l'Église  :  les  chefs  qui  la  gouvernent  ont  pareil- 


i.  On  refuse  do  se  soumettre  aux  mortifications  ordonnées  par  l'Église 
parce  que  c'est  l'homme  qui  les  commande.  Mais  d'abord,  ceux  qui  le 
prétendent,  comment  le  savent-ils  ?  Où  sont  les  études  qu'ils  ont  faites 
sur  cette  question  ?  Dans  lequel  des  historiens  sacrés  ont-ils  découvert 
que  Jésus-Christ,  qui  jeûnait  pour  sa  part,  n'a  pas  prescrit  à  ses  futurs 
disciples  de  jeûner  et  de  se  mortifier  ?  Pour  éclaircir  ce  point  de  fait, 
ont-ils  pris  un  seul  jour  de  réflexion?  Ont-ils  une  seule  fois  sérieuse- 
ment interrogé  l'Evangile  ?  Et  ce  qu'ils  en  affirment  est-il  autre  chose 
qu'une  coupable  témérité  ? 

Et  après  tout,  quand  la  discipline  du  jeûne  et  de  l'abstinence  serait 
d'institution  purement  humaine,  serait-ce  là  un  motif  suffisant  pour  la 
faire  rejeter?  Certes,  on  n'est  pas  toujours,  grâce  à  Dieu,  si  méprisant 
pour  l'homme.  On  reconnaît  des  pouvoirs  dans  Tordre  social,  ils  en  sont 
la  colonne.  On  attribue  aux  lois  qu'ils  établissent  un  caractère  sacré 
qui  les  rend  obligatoires.  Et  pourtant,  quelles  sont  celles  de  ces  lois 
politiques  ou  civiles  qui  ne  partent  de  l'homme  ?  Quels  sont  ceux  de  ces 
pouvoirs  qui  ne  se  personnifient  dans  l'homme?  L'homme  est  partout 
dans  la  législation  comme  dans  l'autorité.  Il  n'y  a  même,  à  proprement 
parler,  que  l'homme,  si  l'on  doit  admettre  les  doctrines  de  notre  temps; 
je  ne  sais  quel  athéisme  pratique  a  dépouillé  nos  codes  de  la  sanction  de 
Dieu,  et  les  puissances  de  son  image.  On  n'a  voulu  que  l'homme  pour 
commander  à  l'homme  ;  et  l'on  subit,  sans  confusion  trop  amère,  le 
joug  de  cet  atome.  La  fierté  même  la  plus  ombrageuse,  l'orgueil  le  plus 
jaloux  de  son  indépendance  et  de  sa  dignité  s'inclinent  sous  ses  décrets, 
quoiqu'après  tout  ils  soient  dictés  par  un  fils  du  néant. 

Et  pourquoi  si  prodigue  de  déférence  et  de  respect  pour  l'homme  dans 
l'État,  l'est-on  si  peu  dans  l'Église?  Pourquoi,  dans  le  premier,  trouver 
tout  simple  qu'il  soit  législateur,  et  dans  le  second,  le  trouver  révoltant  ? 
S'il  peut  tenir  le  sceptre  d'un  côté,  pourquoi  pas  de  1  autre  ?  S'il  peut, 
dans  l'ordre  civil,  porter  des  lois  qui  atteignent  la  conscience  privée  et 
publique,  pourquoi  pas  dans  l'ordre  religieux  ?  Là,  sa  nature  et  l'exer- 
cice du  pouvoir  ne  vous  semblent  pas  incompatibles  ;  vous  ne  protestez 
point  contre  ses  ordonnances  et  ses  règlements  par  la  seule  raison  qu'il 
est  homme.  Ne  protestez  pas  non  plus  à  ce  seul  titre  contre  les  péniten- 
ces canoniques  qu'il  peut  établir.  Ou  bien,  si  vous  le  faites,  soyez  consé- 
quents jusqu'au  bout.  Mez  tous  les  pouvoirs,  parce  que  tous  sont  hom- 
mes ;  abolissez  toutes  les  lois,  parce  que  toutes  émanent  de  l'homme,  et 
proclamez  que  le  chaos,  avec  sa  nuit  et  ses  tempèles,  est  l'état  naturel 
du  monde.  —  Mais  non,  ce  n'est  pas  l'homme  seul  qui  a  fondé  cette 
discipline  dont  on  refuse  de  subir  le  joug  ;  c'est  l'homme  investi  de 
l'autorité  d'un  Dieu,  etc.  (Mgr  Plantier,  loc.  cit  ) 


DEVOIB  D'OBSERVER  LES  JEUNES  ET  LES    ABSTINENCES.       421 

lemenl  Le  droit  de  Faire  dos  lois  et  des  règlements,  et  c'est 
pour  l<*s  membres  de  cette  société  un  devoir  strict  de  s'\ 
soumettre.  L'autorité  des  chefs  de  L'Église  ;i  même  ceci  de 
très  particulier,  qu'elle  leur  a  été  conférée  directement  et 
expressémenl  par  le  Sauveur  lui-même,  quand  il  a  dit  à  ses 
apôtres,  qui  furent  les  premiers  chefs  de  l'Église,  et  en  leur 
personne  à  tous  ceux  qui  devaient  leur  suedéder  :  Qui  vous 
écoute,  m'écoute  moi-même  :  qui  vous  méprise,  me  méprise  moi- 
même  ;  et  qui  me  méprise,  méprise  celui  qui  m'a  envoyé  (i), 
Dieu  le  Père.  Par  conséquent,  alors  même  donc,  nous  le 
répétons,  alors  même  que  les  jeunes  et  les  abstinences  n'au- 
raient jamais  été  commandés  que  par  l'Église,  il  y  aurait 
obligation  rigoureuse  pour  nous  de  les  pratiquer  ;  parce  que 
ses  chefs  ne  sont  ici-bas  autre  chose,  dans  la  loi  nouvelle, 
que  les  organes  de  Dieu  auprès  des  chrétiens,  comme  les 
prophètes,  dans  la  loi  ancienne,  étaient  les  organes  de  Dieu 
auprès  du  peuple  hébreux.  En  sorte  que,  comme  c'était 
Dieu  qui  parlait  par  les  prophètes,  ainsi  c'est  Dieu  qui  parle 
et  nous  commande  par  les  ministres  de  son  Eglise. 

Cependant,  sachons-le  bien,  encore  qu'ils  en  eussent  eu 
le  droit,  ce  ne  sont  pas  les  chefs  de  l'Église  qui  ont  créé 
pour  les  fidèles  l'obligation  des  jeûnes  et  des  abstinences. 
dette  obligation,  nous  l'avons  dit,  existait  déjà,  et  le  fonda- 
teur de  l'Eglise,  \otre-Scigneur  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu 
fait  homme,  L'avait  solennellement  confirmée.  Mais  dans 
quels  temps  et  dans  quelles  conditions  cette  obligation  s'im- 
posait-elle aux  fidèles?  Notre-Seigneur  n'avait  pas  jugé  à 
propos  de  le  dire,  et  il  avait  laissé  aux  chefs  de  son  Eglise  le 
soin  de  le  déterminer,  selon  les  circonstances  qui  devaient 
survenir.  L'intervention  et  l'action  des  chefs  de  L'Église  s'est 
doue  bornée,  dans  les  lois  du  jeune  et  de  l'abstinence,  non 
pas  à  en  créer  le  principe,  mais  à  en  régulariser  la  pratique. 
Avant  ces  lois,  le  jeûne  et  L'abstinence,  et  en  général  toutes 
les  pénitences  et  toutes  les  mortifications,  ne  laissaient  pas 
d'être  obligatoires  ;  mais  on  ne  savait  ni  quand  ni  comment 
Les  pratiquer,  et  chacun  se  conduisait  à  cet  égard  d'après  sa 
propre  appréciation.  Eu  sorte  que  les   âmes  lâches,  tout  en 

i.  Luc.  x.  iG. 


/|2  2      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XVI.  INSTRUCTION. 

ne  faisant  à  peu  près  rien,  estimaient  toujours  en  faire 
assez  ;  tandis  que  les  âmes  ardentes  craignaient  toujours  d'en 
faire  trop  peu.  Il  était  donc  nécessaire  d'établir  des  lois  qui 
fussent  une  règle  sûre  pour  tout  le  monde.  Et  c'est  ce  que 
l'Église,  éclairée  et  guidée  par  le  Saint-Esprit,  a  fait,  en  pre- 
nant à  cet  égard  des  décisions  qui  sont  fidèlement  résu- 
mées dans  ces  deux  formules  bien  connues  :  «  Quatre-temps. 
vigiles,  jeûneras,  et  le  carême  entièrement.  —  Vendredi 
chair  ne  mangeras,  ni  le  samedi  mêmement.  » 

Telle  est  l'histoire  des  deux  préceptes  ecclésiastiques  tou- 
chant le  jeûne  et  l'abstinence.  Or,  nous  le  demandons 
maintenant  avec  une  parfaite  assurance  :  quel  est  celui  qui, 
connaissant  cette  histoire,  pourrait  encore  contester  l'abso- 
lue nécessité  d'observer  ces  deux  préceptes  ?  Celui  qui  le 
ferait  ne  devrait-il  pas  en  même  temps,  et  à  plus  forte 
raison,  nier  la  nécessité  d'observer  aucune  loi  ?  Car  quelles 
lois  plus  obligatoires  peut-il  y  avoir  que  celles  qui  émanent 
directement  de  Dieu,  qui  ont  été  confirmées  par  le  Fils  de 
Dieu,  et  codifiées  en  quelque  sorte  par  leurs  ministres  et  en 
leur  nom?  Oui,  répétons-le  donc:  puisqu'il  est  nécessaire 
d'obéir  aux  lois  humaines,  bien  plus  nécessaire  encore  est-il 
d'obéir  aux  lois  du  jeûne  et  de  l'abstinence,  qui  ne  sont  pas 
seulement  des  lois  ecclésiastiques,  mais  qui  sont  de  plus  et 
avant  tout  des  lois  divines. 

Certes,  il  nous  suffirait  de  savoir  que  les  lois  du  jeûne  et 
de  l'abstinence  nous  ont  été  imposées  par  Dieu  et  son 
Église,  pour  concevoir  de  l'utilité  de  ces  deux  pratiques  une 
très  haute  idée  ;  car  Dieu  ni  l'Église  ne  peuvent  commander 
que  des  choses  d'une  particulière  excellence.  Toutefois, 
afin  de  mieux:  connaître  ce  nouvel  aspect  de  notre  sujet,  et 
de  répondre  ainsi  à  ceux  qui  prétendent  que  les  jeûnes  et 
les  abstinences  sont  inutiles,  nous  allons  maintenant  expo- 
ser, comme  du  reste  nous  l'avons  promis,  les 

II.  —  Motifs  de  Y  institution  des  jeûnes  et  des  absti- 
nences. —  D'après  ce  que  nous  apprennent  les  saints  livres 
et  les  écrits  des  docteurs  de  l'Église,  on  peut  dire  que  les 
jeûnes  et  les  abstinences  ont  été  institués  principalement 
pour  les  quatres  motifs   suivants,  savoir  ;   pour  apaiser  la 


devoir  d'observer  les  jeunes  et  LES  ABSTINENCES.      \>Iï 

colère  de  Dieu  Lorsque  nous  l'avons  irrité  contre  nous  par 
nos  offenses  ;  pour  expier  ces  mêmes  offenses  ;  pour  nous 
préserver  du  péché,  et  enfin  pour  nous  sanctifier  (i). 

Les  jeûnes  etles  abstinences  ont  été  institués,  d'abord  pour 
apaiser  La  colère  de  Dieu,  disons-nous,  lorsque  nous  avons 
eu  le  malheur  de  la  provoquer  par  nos  offenses.  Il  n'est  pas 
douteux  que  quand  Dieu  nous  voit  l'offenser,  surtout  lors- 
que c'est  volontairement  et  délibérément,  par  dédain  ou 
mépris  de  ses  lois,  il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne  s'irrite  con- 
tre nous.  On  en  trouve  des  milliers  d'exemples  dans  la 
sainte  Ecriture.  Quel  est  le  père  qui  ne  s'indigne  contre 
son  enfant,  lorsqu'il  le  voit  fouler  aux  pieds  ses  ordres?  Eh 
bien,  nous  voyons  également  dans  la  sainte  Ecriture  que  le 
moyen  le  plus  efficace  pour  apaiser  dans  ce  cas  la  colère  de 
Dieu,  c'est  le  jeûne  et  l'abstinence.  Le  peuple  israélite,  que 
Dieu  avait  tiré  d'Egypte  et  nourri  de  la  manne  dans  le 
désert,  oubliant  son  maître  et  son  bienfaiteur,  avait  offert 
son  culte  et  ses  adorations  aux  idoles  des  faux-dieux.  Le 
Seigneur,  outré  d'une  pareille  ingratitude,  voulait  lui 
retirer  sa  protection  et  l'abandonner  à  ses  ennemis.  Mais 
Moïse  demanda  grâce  pour  les  coupables,  ajoutant  le  jeûne 
à  ses  prières,  et  Dieu  se  laissa  toucher.  —  L'histoire  de 
Ninivc  est  bien  connue.  ïPar  ses  vices  et  ses  crimes,  cette 
ville   avait  soulevé   contre   elle   l'indignation  du  ciel,  et  sa 

i.  On  peut  faire  le  sujet  et  le  partage  d'un  discours  de  ces  paroles  de 
saint  Jean  Chrysostome  :  Jejuna  quia  peccasti;  jejuna  ut  non  pecces  ; 
jejuna  ut  accîpias  :  jejuna  ut  permaneant  quœ  accepisti.  i°  Jejuna  quia 
peccasti.  Il  faut  jeûner  à  cause  des  péchés  que  nous  avons  commis  ;  et 
on  peut  montrer  combien  le  jeûne  est  nécessaire  et  efTIcacc  pour  l'ex- 
piation de  nos  péchés.  20  Jejuna  ut  non  pecces.  Il  faut  faire  voir  que  le 
jeûne  est  un  puissant  préservatif  contre  le  péché.  3°  Jejuna  ut  accipias. 
Montrer  que  le  jeûne  est  puissant  et  efficace  pour  obtenir  de  Dieu  ce 
qu'on  lui  demande.  4°  Ul  permaneant  quœ  accepisti.  Il  est  encore  néces- 
saire pour  conserver  les  dons  et  les  grâces  que  nous  avons  reçus  de 
Dieu.  (Houdrt,  loc.  cit.  n.  i  \). 

On  peut  prendre  pour  sujet  et  pour  division  d'un  discours  ces  trois 
effets  du  jeûne  exprimés  dans  la  Préface  de  la  Messe  et  qui  sont  autant 
de  motifs  pour  lesquels  le  jeûne  a  été  institué,  i'  Pour  réprimer  nos 
Mces  et  les  liassions  qui  nous  portent  au  crime:  qui  corporali  jejunio 
vitia  comprimis.  2°  Pour  élever  notre  esprit  à  Dieu,  et  le  rendre  capable 
de  méditer  et  de  goûter  les  vérités  célestes:  Mentent  élevas.  3°  Pour 
acquérir  les  vertus  qui  nous  sont  nécessaires,  et  attirer  les  faveurs  du 
ciel  :  Virtulem  largiriï  et  prœmia(\(\,  Wid,  n.  5). 


4  2  4       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. —  XVI.  INSTRUCTION. 

perte  était  résolue.  Le  prophète  Jonas  est  envoyé  pour  lui 
faire  connaître  l'oracle  divin  :  Encore  quarante  jours,  et 
Ninive  sera  détruite  (i).  A  cette  nouvelle,  le  peuple  est  épou- 
vanté, et  cherche  un  remède.  Un  jeûne  général  est  ordonné, 
tous  l'observent,  le  prince  et  le  peuple,  les  enfants  et  les 
vieillards,  et  jusqu'aux  animaux  eux-mêmes.  Puissance 
admirable  du  jeûne  !  Dieu  est  apaisé,  et  la  sentence  de  des- 
truction révoquée.  —  Citons  encore  l'exemple  de  David.  Ce 
roi,  malgré  sa  haute  vertu,  s'était  laissé  aller  à  un  sentiment 
d'orgueil  en  faisant  le  dénombrement  de  ses  sujets.  Pour 
l'en  châtier,  Dieu  envoie  une  peste  dont  David  pouvait  être 
lui-même  victime.  Mais  le  bon  roi  demanda  grâce  pour  son 
peuple,  en  se  livrant  au  jeûne,  et  Dieu  commanda  au  fléau 
de  se  retirer.  Ainsi,  comme  le  prouvent  ces  exemples  au- 
thentiques et  des  milliers  d'autres  semblables,  le  jeûne 
possède  la  puissance  d'apaiser  la  colère  de  Dieu  irrité  par 
nos  fautes  ;  et  tel  est  le  premier  motif  pour  lequel  il  nous 
est  prescrit  (2). 

1.  Joan.  m,  4. 

2.  Gratia  divina  non  alio  efficaciori  remedio,  quam  jejunio  recupe- 
ratur.  Inspiciamus  Scripturam.  Israelitœ  aliquando  contra  Philistaeos, 
hostes  capitales  in  praelium  progressi  sunt,  sed  infelici  successu  ; 
l.Reg.  rv;  quippe  quatuor  Israelitarum  millia  trucidata,  crcteri  in 
fugam  dispersi  sunt.  Miserunt  ergo  in  oppidum  Silo,  indeque  afferri 
jusserunt  arcam  Domini,  quam  sibi  in  expugnatione  urbis  Jerichun- 
tinae,  et  in  omnibus  Josue  prœliis  prodigiosam  opem  tulisse  noverant. 
Adest  arca  !  Jam  redintegrato  pra?lio  Philistœos  rursus  aggrediuntur, 
sed  infortunatiore,  quam  antea,  exitu  ;  triginta  millia  occubuerunt,  et 
ipsa  arca  ab  hostibus  capta  est.  Deum  immortalem  !  qua?  causa  est 
tanti  infortunii  ?  nimirum  Israelitae  per  sua  peccata  adeo  se  indignos 
reddiderunt  Dei  adjutorio,  ut  meriti  sint  hostibus  in  prsedam,  et  oppro- 
brium  cedere.  Quid  porro  factum  est  ?  Arca  Domini  in  regionibus  gen- 
tilium  terribilia  operari  cœpit  prodigia  ;  quippe  in  templo  Dagon  pros- 
travit,  confregitque  idolum,  Azotios  pudendis  morbis  ac  muribus 
afflixit,  ex  Bethsamitis,  qui  arcam  curiose  inspexerant,  quinquaginta 
hominum  millia  morte  percussit  ;  ideo  illam  Philistaei  ad  suos  remit- 
tere  decreverunt,  quod  et  reipsa  fecerunt.  Sed  quando,  quo  tempore 
rediit  arca  ad  Israelitas  ?  Eo  tempore,  teste  Scriptura,  quo  illi  conve- 
nientes  in  Masphat  haustam  aquam  ejjaderunt  in  conspeclu  Domini,  et 
jejunaverunt  in  die  Ma,  atqae  dixerunt  ibi  :  Peccavimus  Domino.  I.  Reg. 
vu.  Quid  nobis  innuitur  per  hanc  Scripturœ  historiam  ?  Nota!  per 
arcam  significatur  gratia  Dei,  quam  tu,  mi  christiane,  quanto  frequen- 
tius  praelio  contra  infernales  inimicos  cadis,  tanto  magis  magisque 
amiltis.  Sed  quomodo  amissarecuperanda  est?  Dcbes  idemfacere,  qupd, 


DEVOIR  D'OBSERVER  LES  JEUNES  ET  LES    ABSTINENCES.        /|  2  5 

Mais  après  qu'on  a  apaisé  la  colère  de  Dieu,  on  n'en  doit 
pas  moins  expier  ses  Taules.  Le  criminel  à  qui  la  justice 
humaine  l'ait  grâce  de  La  vie  est  envoyé  aux  travaux  forcés. 
1  ne  dispense  complète  d'expiation,  par  Dieu  comme  par 
les  hommes,  sérail  un  encouragement  au  crime.  Or,  les  jeû- 
nes et  les  abstinences,  qui  ont  auprès  de  Dieu  le  pouvoir  de 
calmer  ses  justes  colères,  ont  aussi  celui  d'expier  à  ses  yeux 
nos  fautes,  c'est-à-dire  de  nous  faire  réparer  le  mal  que  nous 
avons  commis  en  péchant.  Qu'avons-nous  fait  en  péchant  ? 
En  péchant,  nous  nous  sommes  accordés  des  satisfactions, 
des  jouissances,  des  plaisirs  qui  nous  étaient  défendus.  Par 
exemple,  le  vindicatif  s'est  accordé  la  satisfaction  défendue 
d'écraser  son  ennemi  ;  l'avare  s'est  accordé  la  satisfaction 
défendue  d'entasser  plus  de  biens  qu'il  n'en  avait  besoin  ; 
le  paresseux  s'est  accordé  la  satisfaction  défendue  de  se  sous- 
traire aux  fatigues  qui  lui  incombaient.  Ainsi,  quelque  péché 
que  l'on  fasse,  on  s'accorde,  en  le  commettant,  une  satis- 
faction mauvaise  à  laquelle  on  n'a  pas  droit.  Eh  bien,  le 
jeûne  et  l'abstinence  sont  une  compensation  à  cette  satisfac- 
tion défendue,  et  c'est  en  cela  qu'ils  l'expient.  C'est-à-dire 
que,  nous  étant  donné  une  satisfaction  défendue,  nous  som- 
mes privés,  par  le  jeûne  et  l'abstinence,  de  la  légitime  satis- 
faction que  nous  aurions  à  manger  selon  notre  appétit  et  les 
aliments  qui  nous  plaisent  le  plus.  Cette  manière  de  nous 
faire  expier  nos  péchés,  la  plus  logique  et  la  plus  naturelle, 
n'a  assurément  rien  qui  puisse  nous  étonner.  N'est-ce  pas 
cette  même  manière  qu'emploie  le  père  avec  son  enfant  lors- 
que, pour  le  châtier  de  s'être  donné  le  plaisir  défendu  de 
faire  l'école  buissonnière,  ou  de  manger  en  cachette  un  pot 
de  confiture,  il  le  condamne  au  pain  sec  et  à  l'eau,  le  pri- 
vant ainsi  du  plaisir  légitime  qu'il  aurait  eu  de  s'asseoir  à  la 
table  de  famille  ?  Dieu  et  l'Église,  dont  nous  sommes  les 
enfants,  n'agissent  en  effet  pas  autrement  avec  nous  :    pour 

fecorunt  Israélite,  effunderc  aquam,  fateri  quod  peccaveris,  et  jejunare  ; 
per  lias  enim  très  aetiones  Cornélius  à  Lapide  intelligit  très  partes 
pœnitenthe,  videlicet,  per  effusionem  aquae,  contritionem  ;  per  verba  : 
Peccavinws  Domino,  confessionem  ;  et  per  jejunium,  satisfactionem.  En! 
gratia  Dei  per  peccatum  perdita,  non  recuperatur  sine  jejunio,  consé- 
quentes sine  jejunio  Deus  non  placatur  (Glaus,  Spicil.  catech.  conc, 
36,  n.  5). 


[\:>. 6       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.   INSTRUCTION. 

nous  châtier  d'injustes  satisfactions  que  nous  nous  sommes 
données,  ils  nous  privent  de  satisfactions  qui  nous  eussent 
été  laissées,  si  nous  nous  étions  conservés  innocents.  Nous 
n'avons  donc  aucun  sujet  de  nous  plaindre,  ni  de  reprocher 
à  L'Eglise  de  faire  ce  que  nous  faisons  nous-mêmes.  Tout  au 
contraire,  nous  devons  nous  soumettre  avec  empressement 
à  des  lois  si  équitahles,  puisque,  grâce  à  ces  lois,  nous  pou- 
vons réparer  nos  fragilités  et  nos  aveuglements,  et  ainsi 
échapper  aux  vengeances  éternelles  (i). 

Tout  n'est  pas  fini  pour  nous,  lorsque  nous  avons  apaisé 
la  colère  de  Dieu  et  expié  nos  fautes  ;  il  faut  encore  que 
nous  réfrénions  nos  passions,  pour  nous  préserver  de  tom- 
ber dans  des  fautes  nouvelles.  Or,  le  jeûne  et  l'abstinence 
étant  d'excellents  moyens  pour  obtenir  ce  résultat,  c'est 
encore  un  motif  pour  lequel  ils  nous  sont  prescrits.  Il  faut 
réfréner  nos  passions,  disons-nous,  pour  nous  préserver  de 
retomber  dans  le  mal.  Ce  sont  en  effet  nos  passions,  surtout 
lorsqu'elles  sont  violentes  et  déchaînées,  qui  nous  font  com- 
mettre le  plus  de  fautes.  Mais  comment  les  réprimer  et  les 


i.  Clemens  et  pius  Dominus,  humanum  genus,  quod  suasione  dia- 
boli  deceptum  fucrat  per  gustum  pomi,  in  paradiso,  sacrosancto  jejunio 
liberandum  decrevit  (S.  Aug.  serait  12.  de  Quadrag.).  —  Jejuna,  quia 
peccasti  (S.  Joan.  Ghrysost.  serai.  2.  de  Jejun.).  —  Labor  quidem  est  in 
jejunando,  at  nondum  pro  Jesu  crucifixi  sumus  (S.  Greg.  Nyss.  hom. 
de  Jejun.). 

De  quelque  côté  que  nous  regardions  la  pénitence,  ou  comme  unique 
moyen  de  satisfaire  à  la  justice  divine  pour  les  péchés  passés,  ou  comme 
un  remède  contre  les  rechutes,  elle  n'a  point  d'exercice  plus  propre  et 
plus  efficace  à  ces  deux  effets,  que  le  jeûne  et  l'abstinence.  Pourquoi  ? 
c'est  que  le  jeûne  étant  une  œuvre  pénible,  qui  mortifie  la  chair  et  qui 
abat  le  corps,  il  n'est  rien  de  plus  propre  pour  satisfaire  à  Dieu,  apaiser 
sa  colère  et  fléchir  sa  miséricorde,  que  l'est  cette  vertu.  Car,  comment 
pourrait-il  jeter  les  yeux  sur  un  misérable,  abattu  et  exténué  par  le 
jeûne  et  l'abstinence,  sans  que  sa  miséricorde  en  fût  attendrie  ?  Sa  jus- 
tice môme,  qui  est  violée  et  irritée  par  le  péché,  ne  saurait  s'opposer  au 
pardon  de  celui  qui  s'afflige  et  se  macère  le  corps,  dans  le  dessein  de  lui 
faire  satisfaction.  C'est  une  raison  que  Guillaume  de  Paris  emploie 
incessamment  dans  tous  ses  ouvrages  :  Que  peut,  demande  ce  grand 
docteur,  prétendre  la  justice  autre  chose  que  punir  le  péché  ?  Et  n'est-ce 
pas  ce  que  fait  le  jeûne  en  affaiblissant  le  corps  ?  Il  prend  donc  le  parti 
de  la  justice  :  le  moyen  donc  après  cela,  qu'il  ne  lui  arrachât  ses  fou- 
dres des  mains  et  ne  lui  fit  quitter  ses  justes  ressentiments,  si  ce  n'est 
qu'il  y  eût  de  la  justice  à  punir  deux  fois  un  criminel  ?  (Le  P.  Gegou, 
Vmwje  du  sacrem.  de  PénU.). 


DEVOIR  D'OBSERVER  LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES.       ï\'l~j 

contenir  ?  Nous  venons  do  le  dire  encore,  c'est  principale- 
ment par  le  jeûne  et  l'abstinence.  Les  anciens  eux-mêmes 
l'avaient  aisémenl  reconnu  :  la  bonne  chère,  en  échauffant 
Le  sang,  excite  les  passions,  les  porte  au  dernier  degré  de 
leur  puissance,  \ussi  les  excès  de  table  sont-ils  ordinaire- 
ment suivis  d'autres  excès,  tels  qu'excès  de  colère  et  excès 
de  débauche.  L'expérience  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard. 
Voilà  pourquoi  Platon,  quoique  païen,  mais  ami  de  la 
sagesse,  voulait  que  l'on  interdît  l'usage  du  vin  aux  enfants 
jusqu'à  l'âge  de  dix-huit  ans,  donnant  pour  raison  qu'avant 
L'âge  du  travail  et  des  fatigues,  il  ne  fallait  point  verser  un 
feu  nouveau  sur  le  feu  qui  dévore  le  corps  à  cause  de  l'exal- 
tation naturelle  à  la  jeunesse  (i).  L'effet  de  la  bonne  chère 
étant  donc  d'exciter  nos  passions,  on  comprend  dès  lors 
aussitôt  que  l'effet  du  jeûne  et  de  l'abstinence  doit  être 
nécessairement  de  les  calmer.  Cessez  de  mettre  du  bois  dans 
le  feu,  et  bientôt  le  feu  s'éteindra.  Le  feu  est  en  proportion 
du  bois  qu'on  y  met.  Par  conséquent,  pratiquons  le  jeûne 
et  l'abstinence,  et  nos  passions  se  calmeront  ;  pratiquons  le 
jeûne  et  l'abstinence,  et  nos  passions,  calmées,  ne  nous 
entraîneront  pas  dans  le  mal  (2). 

1.  De  legib.  lib.  2. 

2.  Si  jumento  forte  insederes,  si  equo  utereris  qui  te  gestiendo  pos- 
set  praecipitare,  nonne  ut  securus  iter  ageres,  cibaria  ferocienti  subtra- 
heres,  et  famé  domarcs  quem  freno  non  posses  ?  Garo  mea  jumentum 
meum  est.  Iter  ago  in  Jérusalem  ;  plerumque  me  rapit,  et  de  via  cona- 
tur  excludere  :  via  autem  mea,  Christus  est.  Ita  exultantem  non  cohi- 
bebo  jejunio  ?  Si  quis  hoc  sapit,  ipso  experimento  probat  quam  utiliter 
jejunetur  (S.  Aug.  serm.  de  utilit.  jejun.), 

La  première  flèche  que  le  démon  tira  du  carquois  de  sa  malice,  quand 
il  voulut  tenter  le  Sauveur  Jésus,  fut  une  suggestion  de  sensualité.  Que 
fit  le  Seigneur  a  cette  attaque  ?  Il  lui  opposa  le  bouclier  du  jeûne  en 
lui  disant  :  L'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain,  mais  de  toute  parole 
qui  sort  de  la  bouche  de  Dieu.  Matth.  iv,  !\.  Comme  s'il  eût  dit  :  «  Tu  me 
sollicites  à  prendre  une  nourriture  matérielle,  afin  de  priver  mon  âme 
de  son  pain  éternel  et  vivifiant  ;  mais  comme  l'homme  est  composé 
d'un  corps  et  d'une  âme,  il  faut  qu'il  ait  soin  de  nourrir  L'âme  de  la 
parole  de  Dieu,  avant  de  nourrir  le  corps  d'un  pain  terrestre  et  com- 
mun. »  —  Nous  voyons  d'une  manière  évidente  que  le  démon  doit  beau- 
coup compter  sur  ce  moyen,  puisqu'il  a  voulu  surprendre  le  Sauveur 
par  le  même  piège  qu'il  avait  tendu  au  premier  Adam,  et  que  son  des- 
sein était  de  faire  mourir  celui-ci  connue  il  avait  fait  mourir  l'autre  par 
la  manducation  d'un  fruit  défendu,   Mais  le  second  Adam,  par  l'absti- 


^28       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT. XVI.    INSTRUCTION. 

Mais  apaiser  la  colère  de  Dieu,  expier  ses  fautes,  ne 
pas  tomber  dans  le  péché,  n'est  pas  encore  tout  pour 
le  chrétien  ;  il  faut  de  plus  qu'il  se  sanctifie,  en  faisant  le 
bien  par  la  pratique  des  vertus,  suivant  cette  parole  de 
l'apôtre  saint  Pierre:  Que  celui  qui  souhaite  jouir  de  la  vie 
éternelle  et  voir  les  jours  heureux  du  ciel,  évite  le  mal  et  fasse 
le  bien  (i).  Or,  ici  encore  le  jeûne  et  l'abstinence  sont  de  la 
plus  grande  efficacité,  et  tel  est  le  quatrième  motif  pour 
lequel  ils  nous  sont  prescrits.  En  effet,  en  même  temps  que 
le  jeûne  et  l'abstinence  calment  et  affaiblissent  nos  passions, 
par  là  même  ils  donnent  à  l'âme  plus  de  liberté  pour  faire 


nence,  a  évité  toutes  ces  embûches  et  nous  a  appris  en  même  temps  que 
nous  pouvions,  par  le  même  moyen,  surmonter  toutes  ses  ruses  et  tous 
ses  artifices  (S.  Éloi,  Hom.  3). 

Le  jeûne  rend  les  chrétiens  redoutables  aux  démons,  invincibles  et 
impénétrables  à  tous  les  traits  des  tentations.  De  là  vient  que  les  mar- 
tyrs avaient  coutume  de  jeûner  le  jour  de  leur  martyre,  surtout  quand 
ils  ne  pouvaient  participer  aux  divins  mystères,  ne  croyant  pas  trouver 
de  plus  fortes  armes  que  l'abstinence.  Le  Fils  de  Dieu  même  en  usa  de 
la  sorte,  avant  que  d'aller  au  combat  contre  le  démon,  dans  le  désert, 
où  il  fut  tenté  par  cet  esprit  de  ténèbres  :  Contra  dœmonem  pugnaturus, 
dit  saint  Ambroise,  ep.  82,  longo  se  armavit  jejunio.  Le  jeûne  fut  l'ins- 
trument de  sa  victoire,  le  rempart  de  sa  vertu,  le  trophée  de  sa  sainteté  : 
Jejunium  scimus  esse  Dei  arcem,  Chris li  castra,  sanctitatis  trophœum.  Le 
Fils  de  Dieu  avait-il  besoin  de  ces  armes  pour  se  défendre  ?  Nullement. 
Mais  nous  avions  besoin  de  son  exemple,  pour  apprendre  de  lui  la 
nécessité  et  l'utilité  du  jeûne.  Nous  avons  de  puissants  ennemis,  qui 
nous  épient  jour  et  nuit  ;  le  monde  nous  attaque  au  dehors  ;  la  chair 
est  un  ennemi  domestique  qui  nous  trahit  ;  le  démon  est  un  lion  furieux 
prêt  à  nous  dévorer  ;  nous  sommes  dans  une  terre  étrangère  ;  nous 
combattons  pour  l'éternité  ;  à  tout  moment  nous  courons  risque  de 
nous  perdre.  Quel  remède  plus  présent  à  tant  de  malheurs,  et  quelle 
défense  plus  sûre  contre  de  si  forts  ennemis,  que  l'abstinence  et  le  jeûne  ? 
Castra  nobis  sunt  nostra  jejunia,  quœ  nos  a  diabolica  impugnatione  défen- 
dant, mur  us  quidam  est  christiano  jejunium,  impugnabilis  diabolo,  intrans- 
gressibilis  inimico.  S.  Ambr.  serm.  52.  Nos  jeûnes  sont  nos  remparts  et 
nos  retranchements  ;  nos  pénitences  sont  nos  défenses  ;  notre  absti- 
nence un  mur  impénétrable  à  nos  ennemis  invisibles.  Qui  des  chré- 
tiens, dit  le  même  saint,  s'étant  armé  du  jeûne  a  jamais  été  vaincu?  Qui 
a  jamais  été  surpris,  pendant  qu'il  s'^st  retranché  dans  l'abstinence  ?  Le 
démon  n'attaque  que  les  voluptueux:  sitôt  qu'il  aperçoit  le  jeûne,  il 
prend  la  fuite  ;  la  pâleur  du  chrétien  l'épouvante  ;  sa  maigreur  lui  ôte 
les  forces  ;  sa  faiblesse  l'atterre,  parce  que  sa  force  est  cachée  sous  sa 
faiblesse  :  Quia  infirmitas  christiana  fortitudo  est  (Nouet,  Méditât.  1, 
dim.  du  Car.). 

1,  1.  Petr.  u,  io  et  11. 


DEVOIR  d'oBSËRVER    LES   JEUNES  ET  LES'  ABSTINENCES.       ^20, 

Le  bien,  puisque  L'âme  n'a  plus  autant  à  lutter  contre  les 
passions  moins  emportées  sinon  complètement  soumises. 
Vinsi  les  pouvoirs  publies,  dans  un  état,  peuvent  travailler 
d'une  manière  plus  efficace  à  la  prospérité  commune,  Lors- 
que L'esprit  se  révolte  et  de  perturbation  est  solidement 
contenu  et  réprimé,  affranchie  du  joug  et  des  tracas  des 
passions.  L'âme  peut  donc,  semblablemcnt,  se  livrer  avec 
force  et  ardeur  à  la  pratique  de  tous  ses  devoirs,  et  ainsi 
acquérir  les  mérites  qui  Jui  ouvriront  les  portes  du  ciel  et 
lui  en  assureront  rétcrnclle  possession.  Le  jeune  et  l'absti- 
nence sont  tellement  nécessaires  à  tout  chrétien  pour  se 
sanctifier,  qu'on  ne  conçoit  pas  qu'il  y  ait  dans  le  ciel  un 
saint  qui  ne  les  ait  pratiqués.  C'est  la  pensée  de  saint 
Bazile,  qu'il  exprime  par  l'expressive  comparaison  que 
voici  :  Le  corps,  dit-il,  est  comme  un  vaisseau  dont  l'âme 
est  le  pilote.  Or,  un  pilote  arrive  beaucoup  plus  facilement 
au  port,  lorsqu'il  conduit  un  vaisseau  médiocrement  chargé, 
que  lorsqu'il  conduit  un  vaisseau  surchargé.  Dans  le  pre- 
mier cas,  en  effet,  la  nef  plus  légère  glisse  facilement  sur 
les  flots  ;  dans  le  second,  au  contraire,  elle  surnage  avec 
peine  et  court  risque,  au  moindre  coup  de  vent,  d'être 
engloutie  sous  le  fardeau  qu'elle  porte.  Ainsi  l'âme  qui 
traîne  après  elle  un  corps  rendu  plus  léger  par  le  jeûne, 
arrivera  plus  facilement  au  ciel  que  si  elle  traînait  un  corps 
appesanti  par  la  nourriture  (i). 


1.  Ilom.  1.  De  Je} un.  n.  4-  —  Immoler  le  corps,  c'est  avant  tout  une 
preuve  de  force,  mais  en  même  temps  c'est  un  principe  de  force. 
L'athlète  ([ui  veut  combattre  dans  l'arène,  a  dit  l'apôtre  saint  Paul,  s'abs- 
tient de  tout.  I.  Cor.  ix,  a5.  De  tout,  c'est-à-dire  que,  se  bornant  à  une 
nourriture  sobre  cl  grossière,  il  se  prive  de  tous  les  aliments  qui 
pourraient  l'amollir.  Il  jeûne  à  sa  manière,  il  se  mortifie  d'une 
certaine  façon,  cl  ce  sont  précisément  ces  privations  mêmes  qui  le  for- 
tifient.  Quand  l'heure  sera  venue,  il  luttera  d'autant  plus  victorieuse- 
menl  dans  la  lice,- qu'il  aura  plus  généreusement  observé  les  austérités 
préparatoires.  Ainsi  en  est-il  dans  cette  grande  arène  de  la  perfection 
([ne  Jési  s-Chrïst  est  venu  ouvrir  à  ses  disciples.  Qui  veut  y  courir  ou 
combattre  avec  succès,  celui-là  doit  s'abstenir  de  tout  comme  les  an- 
ciens athlètes.  Le  jeûne,  suivant  le  beau  mol  de  saint  Léon,  fui  tou- 
jours la  nourriture  de  la  vertu  ;  »  serm.  12.  de  Jejun  ;  c'est  ce  gui  lui 
donne  son  énergie;  cl  rien  n'est  plus  facile  à  concevoir.  Il  n'est  pas  de 
grande  vertu  qui  ne  fasse  du  corps  son  instrument  ou  sa  victime.  Dans 
La  chasteté  il  est  victime,  parce  (pie  vous  résistez  aux  entraînements  qui 


/j3o       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  S.VLUT.  XVI.  INSTRUCTION. 

Tels  sont  les  quatre  principaux  motifs  de  l'institution  du 
jeûne  et  de  l'abstinence  :  apaiser  la  colère  de  Dieu,  expier 
nos  fautes,  nous  préserver  d'y  retomber,  et  nous  faciliter  la 
pratique  des  vertus  et  la  sanctification  de  notre  âme.  Alors 
même  que  le  jeûne  et  l'abstinence  ne  nous  procureraient 
qu'un  seul  de  ces  avantages,  n'en  serait-ce  pas  assez  pour 
nous  faire  comprendre  la  haute  sagesse  des  lois  qui  nous  les 
prescrivent?  Mais  en  présence  de  leurs  multiples  bienfaits, 
notre  estime  et  notre  respect  pour  ces  lois  n'en  doivent  être 
que  plus  profonds  et  plus  complets.  Apprenons  donc 

III.  —  Comment  on  satisfait  à  ces  lois.  —  Pour  plus 
de  clarté,  ici  nous  parlerons  séparément  de  la  loi  du  jeûne 
et  de  la  loi  de  l'abstinence. 

i°  La  loi  du  jeûne  ne  nous  impose,  en  principe,  qu'une 
seule  chose  :  l'unité  de  repas.  Mais  dans  la  pratique,  cette 
loi  a  été  beaucoup  adoucie.  Autrefois,  l'unique  repas  ne  se 
prenait  que  le  soir,  après  le  coucher  du  soleil,  et  l'on  ne 

le  portent  vers  la  fange  ;  dans  la  tempérance,  victime,  parce  que  vous 
lui  refusez  les  délicatesses  qu'il  sollicite  ;  dans  l'esprit  de  paix  et  de  pa- 
tience, victime,  parce  que  vous  dominez  sa  fougue  et  que  vous  en  con- 
tenez les  emportements.  Flattez-le,  nourrissez-le  mollement,  qu'il  cesse 
d'être  crucifié,  et  toutes  ces  vertus  disparaissent.  De  môme  pour  les 
vertus  dont  il  est  l'instrument.  Il  est  le  ministre  de  la  charité,  puisque 
c'est  lui  qui  de  son  œil  découvre  l'indigent  et  de  sa  main  lui  tend  l'au- 
mône destinée  à  le  soulager.  Il  est  l'organe  de  l'apostolat,  puisque  c'est 
sa  voix  qui  fait  retentir  aux  oreilles  des  peuples  qui  ne  l'ont  pas  encore 
entendue,  la  bonne  nouvelle  de  l'Evangile.  Qu'il  devienne  une  idole, 
qu'on  écoute  ses  exigences,  qu'on  craigne  de  le  foire  souffrir,  toutes 
ces  formes  de  l'héroïsme  succombent  à  leur  tour.  Conseillez  à  une 
sœur  de  charité  de  se  traiter  comme  une  femme  mondaine,  et  vous  ver- 
rez si  elle  persévérera  dans  la  générosité  de  son  dévouement  au  malheur. 
Persuadez  au  missionnaire  qu'il  doit,  au  lieu  de  châtier  ses  sens,  les 
faire  vivre  dans  d'éternelles  délices,  et  vous  verrez  s'il  franchira  les 
mers,  pour  aller  convertir  et  civiliser  les  insulaires  énervés  ou  farouches 
des  archipels  de  V Océanie.  Telle  est  la  loi  ;  de  quelque  nom  qu'elle  s'ap- 
pelle, de  quelque  fleur  qu'elle  se  couronne,  la  vertu  chrétienne  est  une 
plante  qui  veut  croître  sur  des  décombres;  c'est  dans  les  ruines  du 
corps  qu'elle  doit  plonger  ses  racines  et  puiser  sa  sève  ;  le  sang,  voilà  sa 
rosée  ;  le  jeûne,  voilà  son  sol  naturel  ;  l'affaiblissement  des  organes, 
voilà  sa  force  ;  et  quand  la  chair  est  plus  infirme,  quand  elle  n'est  plus 
rien  qu'un  simulacre  d'homme,  qu'une  espèce  d'ombre  errante  à  la 
lumière  du  jour,  c'est  alors,  dit  saint  Ambroise  commentant  saint 
Paul,  que  l'âme  est  plus  puissante  pour  conquérir  les  cieux  et  dévorer 
le  monde  :  Cum  infirmor,  tarte  potens  &urn  (Mgr  Plaktier,  loc.  cit.  n.  5). 


DEVOIR  D'OBSEDE  ER    LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES.        J3  l 

devail  \  manger  ni  viande,  ni  rien  de  ce  qui  provient  de  La 
chair  des  animaux,  tels  que  le  Lait,  Le  beurre,  le  fromage,  la 
graisse,  les  œufs.  Depuis  Longtemps,  et  peu  à  peu,  cette 
discipline,  nous  Le  répétons,  est  devenue  moins  rigoureuse, 
soit  parce  que  la  ferveur  première,  soit  parce  que  les  forces 
humaines  ont  graduellement  diminué.  Quoi  qu'il  en  soit, 
la  loi  du  jeûne  consiste  toujours,  maintenant,  dans 
l'unité  de  repas,  mais  L'Église  autorise  d'avancer  ce  repus 
vers  L'heure  de  midi,  et  de  faire  en  outre,  le  soir,  non 
pas  un  repas,  mais  une  légère  collation,  formant  environ, 
d'après  l'opinion  qui  paraît  être  la  plus  commune,  le  quart 
d'un  repas  complet.  Lorsqu'on  a  quelque  raison  d'interver- 
tir cet  ordre,  on  peut  faire  la  collation  vers  midi,  et  ren- 
voyer le  repas  vers  le  soir.  Il  s'est  même  introduit,  dans  ces 
derniers  temps,  et  en  certains  pays,  une  coutume  que  les 
autorités  ecclésiastiques  paraissent  tolérer.  Cette  coutume 
consiste  à  prendre,  dans  la  matinée,  quelque  peu  de  bois- 
son, ou  même  de  chocolat  fortement  délayé  dans  de  l'eau, 
à  quoi  l'on  ajoute  une  faible  mouillette  de  pain.  La  boisson 
est  permise,  parce  qu'en  principe  le  liquide  ne  rompt  pas 
le  jeûne  ;  et  la  mouillette  est  tolérée  afin  que  le  liquide  ne 
nuise  point  à  l'estomac,  ce  qui  pourrait  arriver  s'il  était  pris 
seul.  En  outre,  dans  beaucoup  de  diocèses,  les  évêques,  en 
vertu  d'induits  obtenus  du  Saint-Siège,  accordent  des  dis- 
penses touchant  l'usage  de  la  viande  elle-même,  au  moins 
pour  certains  jours.  En  résumé,  le  jeûne  maintenant  con- 
siste à  ne  faire  qu'un  repas  par  jour,  vers  midi,  et  le  soir 
une  légère  collation.  Pour  le  reste,  on  doit  se  conformer  à 
ce  qui  est  établi  ou  toléré  dans  chaque  diocèse  (i). 

i.  Le  véritable  jeûne  porte  avec  lui  l'idée  d'une  mortification  univer- 
verselle,  el  doil  par  ses  effets  nous  familiariser  avec  la  mort,  et  nous  la 
rendre  tous  les  jours  plus  présente.  Jeûner,  c'est  sacrifier  toute  sa  vie 
dans  les  objets  qui  peuvent  contribuer  a  l'entretenir,  et  dont  on  se  prive 
par  un  esprit  de  pénitence.  Dans  ce  sacrifice,  l'homme  est  Lui-même  la 
victime  qu'il  offre  à  Dieu.  Pour  nous  y  disposer,  l'Église,  à  ces  heures 
de  silence  où  l'on  offre  les  premiers  vœux  dans  la  tranquillité  delà 
nuit,  exhorte  tous  ses  enfants  à  user  avec  plus  de  retenue  des  parolesj 
des  aliments,  du  sommeil  et  des  plaisirs.  I  ta  mur  ergo  parcius  verbis* 
cibis  et  potibus,  somno  et  jocis .  Par  là  elle  nous  fait  assez  sentir  que  le 
vrai  jeune  consiste  dans  un  retranchement  général,  non  seulement  de 
tout  ce  qui  peut  flatter  la  nature,  mais  encore  de  tout  ce  qui  n'est  pas 


$1       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.  INSTRUCTION. 

Toutefois,  le  jeûne,  même  ainsi  mitigé,  n'est  obligatoire 
que  pour  ceux  qui  peuvent  le  pratiquer  sans  inconvénients 
graves.  Ainsi  l'on  admet  invariablement  que  les  jeunes 
gens  jusqu'à  vingt  et  un  ans,  les  malades  et  les  personnes 
qui  se  livrent  à  des  travaux  très  pénibles,  sont  dispensés 
du  jeûne.  C'est  aussi  l'opinion  assez  commune  que  les 
vieillards  en  sont  dispensés  à  partir  de  soixante  ans  (i), 

absolument  nécessaire  comme  soutien  de  la  vie;  et  qu'en  un  mot,  il  est 
établi  pour  nous  conduire  à  cette  parfaite  circoncision  qui  fait  le  carac- 
tère de  la  vie  spirituelle  (Bossuet,  Pensées  chrét.  et  moral.). 

c.  Les  théologiens  assignent  quatre  causes  qui  excusent  du  jeûne  : 
i°  V impuissance  morale.  Ainsi  sont  exempts  du  jeûne  les  infirmes, 
ceux  qui  ont  une  santé  faible,  et  qui  ne  peuvent  jeûner  sans  un  grave 
inconvénient  ;  les  convalescents,  les  nourrices  et  les  femmes  enceintes  ; 
les  pauvres  qui  mendient  et  qui  n'ont  pas  pour  faire  dans  le  jour  un 
bon  repas,  et  généralement  ceux  qui  ne  peuvent  que  se  nourrir  très 
mal,  quoi  qu'ils  ne  mendient  pas  ;  les  personnes  à  qui  le  jeûne  cause 
de  grands  maux  de  tète  ou  d'estomac,  ou  qui  en  jeûnant  éprouvent 
la  nuit  de  longues  insomnies;  si  cependant  ces  personnes  peuvent  obvier 
à  cet  inconvénient,  et  jeûner  en  faisant  la  collation  à  midi  et  dînant  le 
soir,  elles  sont  obligées  de  le  faire,  et  les  vieillards  qui,  à  raison  de  leur 
faiblesse  ne  peuvent  jeûner  sans  grande  incommodité.  Plusieurs  graves 
théologiens,  tels  que  Sanchez,  le  P.  Viva,  S.  Liguori,  Ziana  et  autres, 
croient  que  toute  personne  qui  a  atteint  la  soixantième  année  est 
exempte  du  jeûne  ecclésiastique,  parce  qu'alors,  disent-ils,  tant  à  cause 
delà  faiblesse  des  forces  qu'à  raison  du  défaut  de  chaleur,  on  a  besoin 
de  manger  souvent  pour  conserver  sa  santé  qui,  une  fois  perdue  ou 
affaiblie  à  cet  âge,  ne  peut  guère  se  recouvrer  ;  il  y  a  donc  pour  lors, 
ajoutent-ils,  toujours  un  péril  probable  d'incommodité  grave.  Sporer 
rapporte  en  faveur  de  ce  sentiment  que  s.  Pie  V  a  déclaré  lui-même  de 
vive  voix,  que  les  sexagénaires  ne  sont  plus  tenus  au  jeûne  ecclésias- 
tique ;  il  cite  un  auteur,  Jérôme  Lanças,  qui  atteste  avoir  été  témoin 
de  cette  déclaration.  Quoiqu'il  en  soit,  je  crois  comme  plus  probable, 
avec  Lessius,  Layman,  et  plusieurs  autres,  qu'un  sexagénaire  robuste 
n'est  point  exempt  du  jeûne,  dès  qu'il  peut  jeûner  sans  grave  inconvé- 
nient ;  je  ne  vois  aucune  loi  ni  aucune  coutume  au  moins  universelle, 
qui  indique  que  l'obligation  du  jeûne  cesse  pour  toutes  les  personnes 
âgées  de  60  ans,  comme  il  y  en  a  une  qui  fixe  le  temps  (21  ans)  avant 
lequel  les  jeûnes  gens  n'y  sont  point  obligés.  Cependant,  dans  les  pays 
où  une  coutume  légitime  autorise  toutes  les  personnes  de  60  ans  à  ne 
point  jeûner,  on  peut  s'y  conformer.  De  môme  si  l'on  doute  ou  s'il 
n'est  pas  certain  que  tel  sexagénaire  soit  assez  robuste  pour  supporter 
le  jeûne  sans  un  péril  probable  d'inconvénient  grave,  il  faut  interpréter 
la  loi  en  sa  faveur  et  croire  qu'il  n'est  pas  tenu  au  jeûne  ecclésiastique. 
Sic  recte  Cajetanus,  Lessius  et  alii. 

2'  Le  travail  Ainsi  sont  exempts  du  jeûne  tous  ceux  qui  se  livrent 
pendant  la  plus  grande  partie  du  jour  à  des  travaux  pénibles,  soit  de 
corps,  soit  d'esprit,  qui  fatiguent   autant  que  le  jeûne  lui-même  fati- 


DEVOIR    D'OBSERVER  LES  M'A  NES  ET  LES   ABSTINENCES.       J33 

Mais  qu'on  Le  remarque  bien,  en  dehors  des  inconvénients 
et  des  empêchements  graves,  tout  le  monde  esl  tenu  de 
jeûner.    \  insi ,  alors  même  qu'on  trouverait  le  jeûne  pénible, 

guerait,  comme  sont  les  travaux  qui  se  fpni  a\ec  une  grande  agitation 
de  corps,  ou  une  grande  el  continuelle  application  d'esprit.  De  là  les 
théologiens  concluent  que  les  menuisiers,  les  charpentiers,  les  serru- 
riers el  autres  ouvriers  en  fer,  les  manœuvres,  les  maçons,  les  tailleurs 
de  pierre,  1rs  portefaix,  les  laboureurs,  ceux  qui  moissonnent  ou  qui 
fauchent,  les  vignerons,  les  courriers,  etc.,  sont  exempts  du  jeune.  Pour 
les  cordonniers,  les  tisserands,  les  orfèvres,  et  les  sculpteurs,  plusieurs 
théologiens  les  en  exemptent  ;  mais  comme  il  est  douteux  si  leur  travail 
est  assez,  pénible  pour  être  une  cause  suffisante,  je  crois,  avec  Billuart, 
qu'il  faut  laisser  à  la  prudence  du  confesseur  à  décider  si  ces  personnes, 
vu  leur  complexion,  peuvent  ou  ne  peuvent  pas  jeûner.  Il  faut  en  dire 
autant  des  écrivains,  des  confesseurs  et  des  prédicateurs. 

Note  :  [Qui  a  mane  ad  vesperam  confessiones  exciperet,  qui  tota  qua- 
dragesima  quotidie  aut  fere  quotidie  concionem  haberet  cum  magno 
studio  et  labore,  puta  quia  est  ingratse  memoriae  aut  conciones  recenter 
cusas  pro  prima  vice  récitât  ;  qui  diu  noctuque  ad  componendum  aut 
docendum libros  evolvit,  totaliter  a  jejunio  exemptum  arbitror  :  sicut 
enim  labore  corporali  spiritus  vitales  cxbauriuntur,  ita  labore  spirituali 
Spiritus  animales,  qui   non  sunt  minus  ad  vitam  necessarii.  Billuart.] 

Quant  aux  gens  qui  travaillent  à  la  campagne,  leur  nourriture  est 
ordinairement  si  mauvaise,  que,  quel  que  soit  leur  travail,  il  est  tou- 
jours assez  considérable  pour  les  dispenser  du  jeune,  puisque  leur  vie 
est  pour  ainsi  dire  un  jeûne  continuel.  —  Ceux  qui  se  livrent  à  des 
travaux  pénibles,  doivent-ils  jeûner  les  jours  auxquels  ils  cessent  de  va- 
quer ')  Plusieurs  auteurs,  tels  que  Diana  et  Sanchez,  pensent  que  lors- 
qu'ils ne  cessent  de  travailler  que  pendant  un  jour  ou  même  deux,  ils 
ne  sont  pas  tenus  au  jeûne,  parce  que  ce  repos  leur  est  nécessaire  pour 
reprendre  leurs  forces.  Cependant  je  crois,  avec  S.  Liguori,  que  si  ces 
jours  de  repos  ils  peuvent  évidemment  jeûner,  ils  sont  obligés  de  le 
faire  :  mais  dans  le  doute  s'ils  le  peuvent  ou  non,  la  présornption  est  en 
leur  faveur  :  ils  sont  exempts  déjeune. 

3°  Le  voyage.  Tous  les  voyages  nécessaires  qui  sont  incompatibles  avec 
le  jeûne,  en  exemptent.  Mais  quels  sont  ces  voyages  ?  Différents  senti- 
ments partagent  là-dessus  les  théologiens,  qui  requièrent  pour  les  voya- 
ges à  pied,  les  uns  quatre  lieues,  les  antres  cinq,  et  d'autres  plus.  Quoi- 
que, généralement  parlant,  un  voyage  de  cinq  à  six  lieues  au  moins, 
dans  des  pays  mohtueux,  suffise  pour  exempter  du  jeûne,  on  rfè  peut 
établir  une  règle  fixe  pour  tout  le  monde,  ni  d'après  la  longueur  du 
chemin,  ni  d'après  la  manière  de  voyager,  à  pied,  à  cheval  ou  en  voi- 
ture ;  chacun  doit  consulte]-  ses  forces,  c'est  li  fatigue  seule  qui  décide, 
puisque,  d'après  saint  Thomas,  il  n'j  a  d'exempts  du  jeûne,  à  raison  du 
voyage,  qui  ceux  qui  «  ne  peuvent  pas  jeûner  et  voyager  en  même 
temps  ».  —  Celui  qui,  un  joui' de  jeûne,  entreprend  an  voyage  sans 
nécessité,  prévoyant  qu'il  ne  pourra  point  jeûner,  pèche  mortellement. 
Gorilia.  G'esl  mettre  sans  raison  un  obstacle  à  l'observation  d'une  loi 
qui  oblige  sub  gravi. 

k°  La  piété.  La  piété  est  une  cause  légitime  qui  dispense  de  jeûner, 

SOMMB  DU    PRÉDICATEUR.    —  T.    II.  28 


434      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.  INSTRUCTION. 

et  qu'on  en  éprouverait  quelque  incommodité,  on  ne  serait 
pas  dispensé  du  jeune  pour  cela,  ni  pour  rien  de  semblable. 
11  faut  bien  se  pénétrer  de  ceci,  que  le  jeûne  est  une  expiation 
et  une  pénitence  ;  or,  où  serait  la  pénitence,  où  serait  l'ex- 
piation, si  l'on  n'éprouvait,  en  jeûnant,  aucune  incommo- 
dité, aucune  gêne,  aucune  peine  ?  On  veut  jeûner  conscien- 
cieusement, ou  on  ne  le  veut  pas  ;  si  on  le  veut,  il  faut 
accepter  la  peine  et  les  fatigues  qui  sont  les  conséquences 
du  jeûne.  En  général,  on  craint  trop  que  le  jeûne  ne  nuise 
à  la  santé.  C'est  à  tort.  Bien  que  le  jeûne  n'ait  été  institué 
que  pour  l'avantage  de  l'âme,  très  souvent  il  ne  laisse  pas 
d'être  aussi  fort  salutaire  au  corps.  Ne  savons-nous  pas  que, 
dans  la  plupart  des  maladies,  la  diète  est  la  première  chose 
qu'ordonne  le  médecin  ?  Et  de  plus,  l'expérience  n'atteste- 
t-elle  pas  que  la  sobriété  est  la  condition  ordinaire  d'une 
bonne  santé  et  d'une  longue  vie  ?  Parmi  les  moines  d'autre- 
fois, dont  les  jeûnes  étaient  pourtant  si  rigoureux,  les  cen- 
tenaires n'étaient  pas  rares  (i).  Quoi  qu'il  en  soit,  en  cas  de 
doute,  c'est-à-dire  lorsqu'on  n'est  pas  bien  sûr  si,  eu  égard 
aux  circonstances  dans  lesquelles  on  se  trouve,  on  est  tenu 
ou  non  au  jeûne,  on  doit  consulter  son  curé  ou  son  con- 
fesseur. C'est  le  seul  moyen  d'agir  en  toute  sûreté  de 
conscience,  parce  qu'il  y  a  toujours  lieu  de  craindre  qu'on 
ne  se  trompe  en  jugeant  clans  sa  propre  cause  (2). 

des  qu'elle  est  accompagnée  d'un  travail  ou  d'une  fatigue  incompatible 
avec  le  jeûne  :  ainsi  en  sont  exempts  ceux  qui  assistent  spirituellement 
ou  corporellement  les  malades,  et  qui  sont  obligés  de  passer  auprès 
d'eux  la  nuit  entière  ou  la  majeure  partie  de  la  nuit  ;  ceux  qui  font  des 
pèlerinages  à  des  lieux  pieux  et  éloignés,  quand  même,  d'après  plusieurs 
théologiens,  ils  ne  les  entreprendraient  que  par  dévotion,  pourvu 
d'ailleurs  qu'ils  ne  les  fissent  pas  «  en  fraude  de  la  loi  »,  c'est-à-dire  à 
dessein  précisément  de  ne  pas  jeûner  (Exam.  rais,  sur  les  comm.  de 
Dieu  et  de  l'Église,  2.  p.  ch,  1.  art.  3). 

1.  S.  Paulus,  eremitarum  primipilus,  vixit  annos  centum  et  quinde- 
cim.  Antonius  centum  et  quinque.  Paphnutius  nonaginta.  Hilarion 
octoginta  quatuor.  Jacobus  centum  et  quatuor.  Macarius  nonaginta 
octo.  Arsenius  centum  viginti.  Simeon  Stylita  centum  et  novem.  Ro- 
mualdus  centum  viginti.  Et  hi  omnes  in  solitudinibus  victitantes,  non 
nisi  pane,  aqua,  leguminibus,  herbis,  et  quidem  vix  una  aut  altéra  vice 
in  hebdomade  refleiebantur  (Menocii.  Disc.  cur.  5,  68). 

2.  i°  Vos  excuses  sont-elles  légitimes?  Vous  êtes  né,  dites-vous,  avec 
un  tempérament  faible,  incapable  de   soutenir  la   rigueur  de  la  loi  du 


DEVOIll  D'OBSERVER  LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES.        /|35 

2°  Un  mot  seulement  de  la  loi  de  l'abstinence,  maintenant. 
Cette  loi  se  justice  parles  mêmes  raisons  que  celle  du  jeûne, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  puisqu'on  parlant  de  l'institution, 
des  motifs  et  des  avantages  du  jeûne,  nousparlionsen  même 
temps  de  l'abstinence.  La  loi  de  l'abstinence  consiste  stricte- 
ment à  s'abstenir  d'aliments  gras,  alors  même  qu'on  ne 
jeûne  pas,  le  vendredi  et  le  samedi  de  chaque  semaine,  à 
moins  de  dispense.  En  beaucoup  de  diocèses  maintenant, 
les  évêques,  en  vertu  d'induits  accordés  par  le  Souverain- 
Pontife,  autorisent  leurs  diocésains  à  faire  gras  les  samedis, 
sauf  ceux  des  quatre-temps.  Pour  l'abstinence  comme  pour 
le  jeûne,  l'on  doit  se  conformer  à  ce  qui  se  pratique  dans  le 
diocèse  où  l'on  se  trouve  (i).  Et  non  seulement  on  doit  s'y 
conformer  soi-même,  mais  l'on  doit  avoir  soin  que  ceux  sur 
lesquels  on  a  autorité  s'y  conforment  également  (2). 

jeûne,  tempérament  qui  demande  des  soins  et  des  précautions  infinis. 
Qui  sait  si  ce  ne  sont  pas  ces  soins  et  ces  précautions  infinis  qui  ont 
affaibli  votre  tempérament  ?  Dès  lors  cette  vie  molle  vous  rend  la  péni- 
tence plus  nécessaire,  puisqu'elle  est  elle-même  un  crime  que  vous  devez 
expier,  au  lieu  de  devenir  un  titre  légitime  qui  vous  dispense  de  la  péni- 
tence. Peut-être  confondez-vous  ces  précautions  prétendues  nécessaires 
avec  certaines  exigences  de  rang  et  de  position.  Mais  prenez  garde,  la  loi 
est  pour  tous,  et  si  l'Église  admet  des  exceptions,  elle  les  fait  plutôt  en 
faveur  des  pauvres  et  des  ouvriers.  Faiblesse  de  tempérament  !  mais 
cette  faiblesse  ne  vous  a  jamais  privé  d'un  seul  plaisir  ?  Vous  supportez 
les  veilles,  l'application  et  la  contention  de  votre  esprit  au  jeu,  le  chan- 
gement d'heure  pour  vos  repas  ;  vous  dévorez  les  fatigues  et  les  gênes 
d'un  service  honorable,  mais  pénible,  et  de  mille  convenances,  quand 
la  vanité,  la  gloire  ou  le  plaisir  s'en  mêlent,  et  ce  n'est  que  pour  Dieu 
seul  que  vous  ne  savez  pas  vous  gêner  !  —  Mais,  dites-vous,  vous  êtes 
dispensés  de  la  loi  du  jeûne  par  l'autorité  des  supérieurs  légitimes. 
Mais  vous  savez  bien  que  toute  dispense  obtenue  contre  les  intentions  et 
l'esprit  de  l'Église,  est  une  dispense  vaine,  et  que  vous  ajoutez  au  crime 
de  la  transgression  le  crime  de  la  mauvaise  foi. 

20  En  supposant  vos  excuses  légitimes,  il  est  possible  que  vous  trans- 
gressiez le  précepte  par  la  manière  dont  vous  usez  de  l'indulgence  de 
l'Église,  (iémissez-vous  en  secret  de  la  faiblesse  de  votre  chair,  et  de 
l'impossibilité  où  elle  vous  met  de  satisfaire  aux  lois  de  l'Église  ?  Rem- 
placez-vous, par  d'autres  œuvres,  les  jeûnes  que  vous  ne  pouvez  obser- 
ver ?  (Houdby-Avignon,  verb.  Jeûne,  art.  /»). 

1.  Pourquoi  ce  qui  est  permis  dans  un  diocèse  ne  l'est-il  pas  dans  un 
autre  ?  C'est  principalement  parce  que  les  conditions  matérielles  ne  sont 
pas  partout  les  mêmes.  Ainsi,  le  beurre  est  permis  dans  le  nord,  et  non 
dans  le  midi,  parce  que  le  midi  possède  une  excellente  huile  qui  permet 
de  se  passer  de  beurre,  etc. 

2.  Les  parents  et  les  maîtres  pèchent  mortellement  si,  pouvant  empê- 


/|36       LES  (ilUNDS   DEVOIRS  DU   SALUT.  XVÎ.  INSTRUCTION. 

La  loi  (le  l'abstinence,  comme  celle  du  jeûne,  comporte 
des  exemptions.  Tous  les  enfants,  avant  l'âge  de  raison,  en 
sont  tout  d'abord  exempts.  En  sont  exempts  aussi  les  ma- 
lades et  les  infirmes  pour  qui  les  aliments  maigres  seraient, 
ou  nuisibles,  ou  insuffisants.  Il  en  est  de  même  pour  ceux 
qui  se  trouveraient  dans  l'impossibilité  de  se  procurer  du 
maigre,  au  moins  sans  inconvénients  graves,  tels  que  les 
voyageurs  dans  certains  cas.  Mais  tous  ceux  qui,  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  ne  peuvent  pas  observer  la  loi  de 
l'abstinence,  doivent  accomplir  en  compensation  quelque 
bonne  œuvre,  soit  prière,  soit  aumône,  ou  toute  autre  action 
pieuse  ou  charitable.  C'est  ainsi  qu'un  véritable  chrétien  se 
conforme  à  l'esprit  de  l'Église,  pour  qui  les  jours  déjeune 
et  d'abstinence  sont  des  jours  de  sanctification.  Que  si  l'on 
ne  peut  absolument  pas  s'y  sanctifier  de  la  manière  qu'elle 
le  commande,  qu'on  s'y  sanctifie  du  moins  de  la  manière 
qu'on  peut  (i). 


chei  leurs  enfants  et  leurs  serviteurs  de  faire  gras  les  jours  défendus, 
il  ne  les  en  empêchent  pas.  —  Les  aubergistes  pèchent  mortellement,  si 
les  jours  défendus  ils  servent  en  gras  les  étrangers  qui  ne  le  demandent 
point,  ou  si,  sans  raison  grave,  ils  donnent  de  la  viande  aux  gens  du 
pays  qui  leur  en  demandent,  quand  ils  savent  qu'ils  n'ont  point  de  rai- 
son qui  les  dispense  de  l'abstinence.  Quant  aux  étrangers  inconnus  qui 
leur  demandent  de  la  viande,  ils  peuvent  les  servir  en  gras,  sans  s'infor- 
mer des  raisons  qu'ils  ont  :  ils  doivent  présumer  qu'ils  en  ont  de  légi- 
times, s'ils  ne  sont  pas  sûrs  du  contraire.  (Exam.  rais.  loc.  cit.  a.  4). 

Attamcn  licet  apponere  carnes  aut  cœnain  violaturis  jujunium,  si  ex 
denegatione  merito  timeantur  graves  ira?,  blasphemiae,  aut  grave  dam- 
num  :  ut,  ne  hospitium  omnino  sive  notabiliter  deseratur  ;  non  vero,  si 
levé  damnum  timeatur,  puta  quod  displiceat  hospitibus,  quod  ab  iis  aut 
aliquibus  tantum  hospitium  deseratur.  In  nullo  casu  licitum  foret,  si 
caro  vel  cœna  in  contemplum  rcligionis  peteretur  (Billuart). 

i.  Il  faut  que  vous  dédommagiez  le  Seigneur  ;  il  faut  que  vous  rem- 
placiez par  d'autres  œuvres  saintes,  ce  que  vous  manquez  par  mortifi- 
cation ;  il  faut  vous  séparer  des  compagnies  qui  font  votre  plaisir  ordi- 
naire, et  où  vous  trouvez  tant  d'agrément  ;  redoubler  vos  soins  pour  les 
misérables  ;  substituer  à  des  visites  de  bienséance  et  de  récréation,  la 
visite  des  hôpitaux  et  des  prisons  ;  prier  plus  fervemment  dans  le  secret 
de  votre  chambre  ;  vous  trouver  régulièrement  dans  nos  temples,  aux 
heu  ics  consacrées  pour  y  annoncer  la  sainte  parole.  Ce  sont  là  les  règles 
que  saint  Ghrysoslôme  trace  aux  personnes  comme  vous  :  Largioretn  del 
eleemosynam,  fervenlior  sit  in  precibus,  majore  m  habeat  alacritalem  in 
audiendis  concionibus,  etc.  Entretenez  donc  votre  cœur  des  sentiments 
dune  vraie  componction  ;  gémissez  à  la  vue  de  la  nécessité  où  vous  êtes 


DEVOIR   D'OBSERVER  LES  JEUNES   ET  LES   ABSTINENCES.       ^ 07 

CONCLUSION.  —  Nécessité  d'observer  Les  jeûnes  e1  les 
abstinences  de  précepte,  motifs  de  L'institution  de  ces  jeû- 
nes el  de  ces  abstinences,  ce  qu'il  faut  faire  pour  accomplir 
les  préceptes  qui  Les  commandent,  telles  sont  donc  les  trois 
questions  que  nous  venons  d'élucider.  En  résumé,  la  néces- 
sité très  rigoureuse  <jui  nous  incombe  d'observer  les  jeûnes  et 
les  abstinences  de  précepte  vient  de  ce  qu'ils  ont.  été  com- 
mandés en  principe  parDieu lui-même,  puis  organisés  par 
L'Eglise,  son  représentant  et  son  ministre  sur  la  terre.  Quant 
aux  motifs  pour  lesquels  ces  jeunes  et  ces  abstinences  ont 
été  institués,  nous  avons  vu  que  c'est  tout  à  la  fois,  pour 
apaiser  la  colère  de  Dieu  lorsque  nous  l'avons  provoquée  par 
nos  fautes,  pour  expier  ces  mêmes  fautes,  pour  nous  pré- 
server d'y  retomber,  et  pour  nous  sanctifier  en  nous  facilitant 
la  pratique  des  vertus.  Enfin,  pour  accomplir  le  jeûne  les 
jours  où  il  est  prescrit, il  faut,  avons-nous  vu  encore,  ne  faire 
qu'un  repas  vers  l'heure  de  midi,  et  le  soir  une  légère  colla- 
tion ;  el  en  ce  qui  concerne  l'abstinence,  il  n'y  a  qu'à  ne 
pas  faire  gras  les  vendredis  et  samedis,  sauf  impossibilité 
ou  dispense,  comme  pour  le  jeûne.  Encore  une  fois,  voilà 
ce  que  nous  venons  d'étudier  et  d'établir.  Eh  bien,  que  con- 
clure maintenant  ?  Il  faut  conclure  maintenant  comme 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'un  devoir  :  il  faut  prendre,  sans 
hésitation,  la  résolution  de  pratiquer  le  jeûne  et  l'abstinence 
exactement  comme  ils  nous  sont  commandés.  Quand  les 
soldats  savent  que  l'ordre  du  général  est  de  monter  à 
l'assaut,  en  est-il  un  qui  regarde  en  arrière  ?  en  est-il  un 
qui  hésite  :>  Nous  savons  que  Dieu,  par  la  voix  de  l'Église 
son  capitaine,  nous  commande  de  jeûneret  de  faire  maigre: 
devrait-il  y  avoir  un  seul  chrétien  qui  hésitât  à  obéir  ?  Peut- 
être  regardez-vous  comme  peu  grave  de  ne  pas  observer  ces 
préceptes.  C'est  à  tort,  car  Ton  se  damne  aussi  bien  en  fai 

de  ne  pas  marcher,  comme  les  autres,  dans  la  route  de  la  même  péni- 
tence  ;  détestez  les  viandes  que  vous  ne  mangez  qu'à  regret  ;  quittez  la 
délicatesse  dans  des  repas  que  l'on  n'accorde  qu'à  votre  faiblesse;  dites 
au  Seigneur  avec  Esther,  quand  die  (Hait  obligée  de  se  trouver  aux  fes- 
tins d'  issuérus  :  Dieu  d'Israël,  vous  voyez  le  fond  de  mon  âme,  et  vous 
savez  combien  je  déteste  ces  festins  :  Tu  sois  iiecessitatem  meam,  ([uod  non 
mihi placuerit  convivium  régis,  Esth,  Xiv  (Massilu>\,  ap.  Roudry,  Bibl, 
<ies  Préd.  verb.  Jeûne,  S  6), 


^38      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.  INSTRUCTION. 

sant  gras  qu'en  perpétrant  les  plus  effroyables  forfaits.  Dieu 
parle,  tout  est  là.  N'est-ce  pas  pour  avoir  m  ange  un  fruit  que 
Dieu  chassa  Adam  du  paradis  terrestre,  et  le  condamna,  lui 
et  toute  sa  postérité,  aux  innombrables  misères  de  la  vie  et 
à  la  mort  ?  A  la  grandeur  du  châtiment,  comprenons  la 
grandeur  de  la  faute.  Et  si  Adam  commit  une  si  grande 
faute  en  mangeant  une  pomme,  parce  qu'il  lui  avait  été 
défendu  de  la  manger,  comprenons  par  là  même  quelle 
grande  faute  nous  commettrions  en  mangeant  certains  ali- 
ments qui  nous  sont  également  défendus.  Comprenant 
cette  faute,  évitons-la,  et  en  même  temps  assurons-nous,  en 
obéissant  aux  préceptes  divins,  les  avantages  du  jeûne  et 
de  l'abstinence,  ainsi  que  le  fit  plus  tard  notre  malheureux 
premier  père.  Car  de  même  que  ce  fut  en  mangeant  le  fruit 
défendu  qu'il  se  fit  mettre  à  la  porte  du  paradis  terrestre  ; 
de  même  ce  fut  en  pratiquant  le  jeûne  et  l'abstinence  qu'il 
mérita  de  se  faire  ouvrir  celle  du  ciel.  Dieu  nous  accorde  à 
tous  la  même  grâce  ! 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Force  obligatoire  des  lois  du  jeûne  et  de  l'abstinence. 

i.  —  Depuis  la  fin  du  règne  de  Louis  XV,  le  relâchement  s'était 
glissé  à  la  cour.  On  servait  maigre  et  gras  tous  les  jours  d'absti- 
nence, quand  il  y  avait  eu  chasse.  Louis  XVI  fit  réformer  cet  abus  ; 
il  montra  même  à  cet  égard  que  sa  soumission  aux  lois  de  l'Église 
était  aussi  parfaite  qu'éclairée.  Un  vieil  officier,  soutenant  que  ce 
qui  entre  dans  le  corps  ne  souille  pas  l'âme,  se  croyait,  d'après  ce 
principe,  dispensé  de  la  règle  commune.  «  Non,  Monsieur,  reprend 
Louis  XVI  avec  véhémence,  ce  n'est  point  précisément  de  manger 
de  la  viande  qui  souille  l'âme  et  fait  l'offense  ;  c'est  la  révolte  contre 
une  autorité  légitime,  et  l'infraction  de  son  précepte  formel.  Tout 
se  réduit  donc  ici  à  savoir  si  Jésus-Christ  a  donné  à  l'Église  le 
pouvoir  de  commander  à  ses  enfants,  et  à  ceux-ci  l'ordre  de  lui 
obéir  :  le  catéchisme  l'assure.  Mais,  puisque  vous  lisez  l'Évangile, 
vous  eussiez  dû  voir  que  Jésus-Christ  dit  quelque  part  :  Que  celui 
qui  n'écoute  pas  V Église  doit  être  regardé  comme  un  païen.  Et  je 
m'en  tiens  là.  »  (Vertus  de  Louis  XVI). 

2,  — »  Un  officier,  qui  avait  été  élevé  dans  les  principes  de  l'Église 


DEVOIE  D'OBSERVER   LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES.       /J3Q 

catholique,  commença  à  les  abandonner  dès  qu'il  arriva  à  l'Age  des 
passions  :  et  pou  à  peu  il  se  corrompit  tellement,  qu'il  se  plaisait 
même  à  tourner  la  religion  en  ridicule.  Mais  les  remords  qui 
l'agitèrent,  après  avoir  assiste  à  quelques  exercices  d'une  mission, 
finirent  par  le  ramener  à  la  loi  de  ses  pères,  et  il  alla  se  confesser. 
Le  vendredi  suivant,  étant  à  dîner  avec  plusieurs  de  ses  camarades 
qui  le  raillaient,  parce  qu'il  ne  voulait  manger  que  du  maigre,  il 
s'adressa  à  leur  honneur,  et  leur  dit  :  «  Si  vous  étiez  d'une  société 
dont  les  règlements  vous  défendissent  une  ebose,  la  feriez-vous  ? 
Eh  bien,  je  suis  dans  ce  cas  ;  je  me  soumets  aux  règlements  de  la 
société  religieuse  à  laquelle  j'appartiens.  »  Alors  ses  camarades 
cessèrent  de  le  rallier,  et  ne  purent  s'empêcher  d'approuver  sa 
conduite  (Leteuneuf,  Lettres  au  P.  Guyori). 

Le  jeûne  du  Carême. 

Ce  jeûne,  qui  dure  quarante  jours,  du  mercredi  des  cendres  au 
samedi  saint,  les  dimanches  exceptés,  a  été  établi,  selon  quelques 
auteurs,  par  le  pape  Télesphore,  vers  l'an  117;  mais  nous  ne  le 
trouvons  converti  en  commandement  par  l'Église  qu'au  milieu  du 
troisième  siècle.  Toutefois  on  ne  peut  douter  que  les  premiers 
chrétiens  n'aient  observé  volontairement  le  jeûne  du  carême,  sans 
y  être  astreints  par  un  ordre  précis.  Voici  ce  qu'écrit  saint  Jérôme, 
Epi  s  t.  ad  Marc.  :  «  En  vertu  de  la  tradition  apostolique,  nous 
observons  tous  les  ans  un  jeûne  de  quarante  jours,  et  nous  faisons 
abstinence  à  l'époque  qui  nous  est  prescrite.  »  Le  jeûne  était  très 
strictement  gardé  ;  on  ne  mangeait  qu'une  fois  par  jour,  le  soir 
après  le  coucher  du  soleil,  ou  à  trois  heures  de  l'après-midi  ;  et 
encore  mangeait-on  fort  peu  ;  en  outre  on  s'abstenait  de  viande  et 
de  laitage,  de  poissons  délicats  et  d'autres  mets  recherchés,  ainsi 
que  de  vin.  Le  jeûne  le  plus  sévère  avait  lieu  pendant  la  Semaine- 
Sainte,  et  le  jour  du  vendredi-saint  on  prenait  à  peine  une  bouchée 
de  pain.  —  Ce  jeûne  de  quarante  jours  fut  principalement  établi 
dans  l'Église  pour  les  motifs  suivants:  i°  Pour  imiter  le  jeûne  de 
quarante  jours  de  Jésus  dans  le  désert.  «  Avant  que  notre  divin 
Sauveur,  dit  saint  Jean  Chrysostôme,  entrât  dans  la  lutte  et  les 
tentations  que  le  démon  lui  préparait,  il  jeûna  pendant  quarante 
jours,  et  par  là  il  voulut  nous  montrer  à  tous  que  le  jeûne  et  une 
vie  austère  doivent  être  nos  armes  pour  résister  aux  attaques  du 
démon.  »  20  En  mémoire  de  la  passion  douloureuse  et  de  la  mort 
de  Xotre-Seigneur.  a  Comme  la  passion  douloureuse  et  la  mort  de 
Jésus-Ciihist,  ainsi  que  sa  glorieuse  résurrection,  observe  le  pape 
saint  Léon,  sont  comptées  parmi  les  mystères  les  plus  élevés  de 


440       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.   XVI.   INSTRUCTION. 

notre  religion,  il  est  juste  que  nous  nous  y  préparions,  non  seule- 
ment par  les  prières  et  les  aumônes,  mais  encore  par  un  long 
jeûne,  afin  de  devenir  dignes  de  célébrer  ces  mystères  sublimes.  » 
3°  Pour  nous  préparer  convenablement  à  la  communion  pascale. 
«  Jésus  jeûna  pendant  quarante  jours,  dit  saint  Jérôme,  et,  en 
nous  laissant  ce  précieux  héritage  du  jeûne,  il  préparait  d'avance 
nos  âmes  à  recevoir  dignement  la  communion  pascale.  »  4°  Pour 
payer,  en  quelque  sorte,  à  Dieu,  la  dîme  de  notre  vie.  «  Le  carême 
de  quarante  jours,  écrit  le  pape  saint  Grégoire,  forme  la  dixième 
partie  de  tous  les  jours  de  l'année.  Comme  nous  offensons  Dieu 
presque  tous  les  jours,  ne  devons-nous  pas  employer  annuellement 
un  certain  temps  à  son  service  et  à  notre  propre  salut?  »  (Poussin, 
Catéch.  enhist.  5.  comm.  de  l'Église). 

Le  jeûne  des  Quatre-Temps. 

Les  quatre-temps,  c'est-à-dire  le  mercredi,  le  vendredi  et  le 
samedi  qui  ouvrent  les  quatre  saisons  :  i°  après  le  troisième  diman- 
che dans  Pavent  ;  20  après  le  premier  dimanche  dans  le  carême  ; 
3°  après  le  dimanche  de  la  Pentecôte,  et  4°  après  la  fête  de  l'Exalta- 
tion de  la  sainte  Croix.  Jadis  les  Juifs  jeûnaient,  d'après  le  pro- 
phète Zacharie,  vin,  19,  aux  quatre  saisons.  Des  chrétiens  pieux 
et  zélés  imitèrent  cet  exemple,  et  c'est  ainsi  que  nous  trouvons  ce 
jeûne  des  Quatre-Temps  généralement  observé  à  Rome  sous  le  pape 
Léon  Ier  (44o-46i).  Delà  il  se  répandit  bientôt  dans  toute  l'Église. 
Le  jeûne  des  Quatre-Temps  a  été  institué  principalement  pour  les 
trois  motifs  suivants  :  i°  Afin  que  nous  sanctifiions  chaque  saison 
par  quelques  jours  de  pénitence.  De  même  qu'il  n'y  a  pas  d'époque 
où  nous  n'offensions  Dieu,  ainsi  il  n'y  a  pas  d'époque  où  nous  ne  nous 
efforcions  de  l'apaiser  de  nouveau  par  la  pénitence.  Or,  comme 
l'année  a  quatre  saisons,  on  établit  pendant  chacune  d'elles  quel- 
ques jours  déjeune,  et,  chaque  mois  comptant  trente  jours,  on  en 
consacre  trois  au  jeûne.  20  Afin  de  prier  Dieu,  l'auteur  des  fruits 
de  la  terre,  qu'il  veuille  conserver  les  fruits  croissants,  ou  de  le 
remercier  de  ceux  que  l'on  a  récoltés.  En  automne,  nous  rentrons 
les  fruits  des  champs  et  des  jardins,  et  nous  en  jouissons  en  hiver  ; 
au  printemps  et  en  été,  nous  en  suivons  attentivement  la  crois- 
sance et  la  maturité.  Nos  péchés  nous  rendent  indignes  de  tous 
ces  innombrables  bienfaits  de  Dieu  ;  or,  le  jeûne  des  Quatre-Temps 
doit  remédier  au  moins  un  peu  à  cette  indignité.  3°  Afin  de  prier 
Dieu  qu'il  daigne  nous  accorder  des  prêtres  sages  et  pieux,  de  zélés 
ouvriers  dans  sa  vigne  ;  c'est  à  cette  époque  que  les  évêques  font 
d'ordinaire  les  ordinal tions,  Or,  comme  un  prêtre  selon  le  cœur  cle 


DEVOIR  d'observer  les  jeunes  et  les  abstinences.     44i 

Dieu  est  un  des  dons  les  plus  précieux,  l'une  des  grâces  les  plus 
signalées,  nous  devons,  pendant  les  Quatre-Temps,  implorer  Dieu, 
pour  qu'il  daigne  répandre  sa  lumière  sur  les  évêques,  de  sorte 
qu'ils  n'imposent  leurs  mains  qu'à  des  hommes  dignes  et  vertueux 
(Poussin,  loc.  cit.). 

Le  jeune  des  Vigiles. 

Le  jeune  des  \  igiles  (veille  des  jours  de  fête)  tire  son  origine  du 
temps  des  persécutions,  et  a  été  institué  pour  que  les  fidèles  se 
préparassent  en  esprit  de  pénitence  à  célébrer  dignement  la  fête 
du  lendemain.  Dans  les  premiers  temps,  toutes  les  fêtes  solennelles 
avaient  leurs  Vigiles.  Les  fidèles  s'assemblaient  la  veille,  au  soir, 
à  l'endroit  où  la  fête  devait  être  célébrée,  s'y  préparaient  par  la 
prière,  la  lecture,  en  écoutant  la  parole  de  Dieu  et  en  veillant  toute 
la  nuit  (de  là  la  dénomination  de  vigiles  ou  veilles)  ;  puis  ils  se 
séparaient  de  nouveau  pour  quelques  heures  jusqu'à  ce  que  le 
moment  fût  arrivé  de  commencer  l'office  divin.  Sans  doute  que 
les  premiers  fidèles  agirent  ainsi  pour  imiter  notre  divin  Sauveur, 
qui  passait  toute  la  nuit  à  prier  son  Père.  Luc.  v.  Plus  tard,  les 
jours  de  jeûne  des  Vigiles  furent  limités  à  un  petit  nombre,  et  en 
beaucoup  de  contrées  ils  sont  en  grande  partie  supprimés.  Ceux 
observés  dans  notre  pays  sont  les  cinq  suivants  :  la  veille  de  la 
Pentecôte,  la  veille  de  la  fête  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  la 
veille  de  l'Assomption,  la  veille  de  la  Toussaint  et  la  veille  de 
Noël  (Poussin,  loc.  cit.). 

Comment  jeûnaient  les  fidèles  du  temps 
de  saint  Augustin. 

Le  grand  docteur  rapporte  que,  de  son  temps,  un  grand  nombre 
de  fidèles  observaient  un  jeûne  quotidien,  et  le  continuaient  même 
d'une  manière  incroyable.  11  assure  que  beauconp  de  catholiques, 
même  des  femmes,  qu'on  a  tant  de  peine  aujourd'hui  à  soumettre 
à  la  loi  du  jeûne,  ne  se  contentaient  pas  déjeuner,  en  ne  prenant 
de  nourriture  qu'à  l'entrée  de  la  nuit  ;  ce  qui  est,  dit  ce  Père,  par- 
tout très  commun  ;  mais  encore  qu'ils  ne  buvaient  ni  ne  mangeaient 
rien  pendant  trois  jours  de  suite,  et  très  souvent  encore  au-delà. 
Il  ajoute  qu'il  y  avait  des  chrétiens  accoutumés  à  jeûner  (de  ce 
grand  jeûre  jusqu'à  la  nuit)  le  mercredi,  le  vendredi  et  le  samedi, 
comme  le  peuple  de  Rome,  dit-il,  le  fait  souvent.  Ce  saint  docteur 
assure  qu'un  grand  nombre  de  chrétiens,  et  surtout  de  solitaires, 
jeûnaient  cinq  jours  de  la  semaine,  et  continuaient  ce  jeûne  toute 
leur  vie.  Nous   savons,   dit  encore  ce  Père,  que  quelques  fidèles, 


[\[\2       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.   INSTRUCTION. 

l'ont  fait  :  c'est-à-dire  que,  passant  au-delà  d'une  semaine  entière 
sans  prendre  aucune  nourriture,  ils  approchaient  le  plus  qu'ils 
pouvaient  du  nombre  des  quarante  jours  ;  car  des  frères,  très 
dignes  de  foi,  dit-il,  nous  ont  assuré  qu'un  fidèle  est  parvenu 
jusqu'à  ce  nombre.  —  Cf.  De  Mor.  Eccl.  c.  3i  et  seq. 

Vaines  excuses. 

Le  roi  Louis  XVI  était  un  véritable  chrétien,  et  sa  vie  fourmille 
de  traits  édifiants.  A  la  fin  du  premier  carême  qu'il  avait  passé  sur 
le  trône,  il  tint  ce  propos  :  «  Je  me  suis  tiré  de  celui-ci  sans  peine, 
mais  j'aurai  un  peu  plus  de  mérite  le  carême  prochain.  —  En  quoi 
donc,  sire  ?  lui  demanda  un  courtisan.  —  C'est,  reprit  le  roi, 
parce  que  je  n'ai  eu  cette  année  que  le  mérite  de  l'abstinence,  et 
j'aurai  de  plus  celui  du  jeûne  le  carême  prochain,  puisque  j'aurai 
atteint  vingt  et  un  ans.  —  Le  jeûne  !  sire,  il  est  incompatible  avec 
vos  occupations  et  vos  exercices.  Après  le  travail,  vous  allez  à  la 
chasse  ;  et  comment  pourriez-vous  jeûner  sans  altérer  votre  santé  ? 
—  La  chasse,  répliqua  le  pieux  monarque,  est  pour  moi  un  délas- 
sement ;  mais  je  changerai  de  récréation,  s'il  le  faut  ;  car  le  plaisir 
doit  céder  au  devoir.  »  Le  carême  suivant,  le  roi  chassa,  mais  il 
jeûna  en  même  temps. 

Fermeté  à  observer  la  loi  de  l'abstinence. 

i .  —  Dans  son  éloge  funèbre  du  général  Auguste  de  La  Roche- 
jaquelein,  le  cardinal  Pie,  évêque  de  Poitiers,  raconta  à  l'honneur 
de  son  héros  le  fait  suivant,  arrivé  au  cours  d'une  chasse  faite  le 
mercredi  des  Quatre-Temps  de  septembre  :  «  La  matinée,  dit 
l'illustre  pontife,  avait  été  laborieuse,  et  la  nombreuse  bande 
s'apprêtait  à  déjeuner.  Le  général  s'approche  et  reconnaît  la 
méprise  qu'on  va  commettre.  Se  penchant  alors  sur  le  tapis  de 
gazon  où  les  provisions  venaient  d'être  étalées,  il  prend  dans  ses 
deux  mains  les  mets  interdits,  et  fait  signe  à  sa  meute,  qui  accourt 
et  les  dévore  à  belles  dents.  Et  comme  chacun  se  récriait  :  «  Appa- 
remment, mes  jeunes  amis,  vous  n'avez  pas  assisté  dimanche  au 
prône  de  la  grand'messe,  et  vous  n'avez  pas  entendu  monsieur  le 
curé  annoncer  le  mercredi  des  Quatre-Temps.  »  —  Quand  une 
leçon  est  donnée  de  la  sorte,  ajoute  l'orateur,  elle  est  gravée  dans 
l'esprit  pour  toute  la  vie.  » 

2.  —  «  J'ai  lu  dans  la  vie  de  saint  Louis,  continue  l'éminent 
cardinal,  qu'à  Damiette  ou  à  Mansourah,  le  sire  de  Joinville, 
relevant  d'une  longue  maladie,  venait  de  se  mettre  à  table  en  la 
compagnie  de  plusieurs  amis  qui  fêtaient  avec  lui  sa  convales*. 


DBV01B  D'OBSERVER  LES  JEUNES  ET  LES  ABSTINENCES   443 

cence.  Un  bourgeois  do  Paris  qui  se  trouvait  là  accourt  au  séné- 
chal :  «  Là,  sire,  que  faites- vous  ?  —  Ce  que  je  fais  ?  —  Eli  !  vous 
mangez  gras  le  jour  du  vendredi.  »  A  l'instant,  le  sire  de  Joinville 
lance  sonécuelle  d'argent  par  la  fenêtre  qui  donnait  sur  la  mer. 
C'est  là  une  de  ces  instructions  dramatiques  qui  valent  mieux  que 
toutes  les  recommandations  Orales.  »  Et  oneques  depuis,  les  servi- 
teurs du  sénéchal  ne  s'oublièrent  au  régime  du  vendredi.  » 

3.  —  C'était  aux  Tuileries,  en  i83o,  Louis-Philippe  donnait  un 
splendide  banquet,  où  se  trouvaient  réunis  les  plus  hauts  digni- 
taires de  l'état  et  de  l'armée.  C'était  un  vendredi,  et  le  dîner  fut 
servi  tout  en  gras.  Attendu  qu'à  cette  époque  on  croyait  utile 
d'affecter  un  profond  dédain  pour  les  lois  de  l'Église.  A  la  droite 
de  la  reine  se  trouvait  placé  le  général  Brun  de  Yilleret,  qui  devait 
cet  insigne  honneur  à  sa  réputation  de  bravoure  et  de  loyauté.  A 
la  droite  de  Louis  Philippe  avait  pris  place  le  maréchal  Soult,  qui 
était  intimement  lié  avec  le  général  Brun  de  Yilleret.  Le  potage 
gras  arriva  au  général  Brun,  il  refusa.  Un  premier  plat  lui  est 
offert,  il  refuse  encore  ;  puis  un  deuxième,  un  troisième  ;  mêmes 
refus  persévérants.  La  reine,  s'apercevant  que  le  général  n'avait 
encore  rien  accepté,  lui  dit  :  «  Mais,  général,  vous  ne  mangez  pas. 
—  Madame,  répondit  en  souriant  Brun  de  Yilleret,  c'est  aujourd'hui 
vendredi,  j'attends  un  aliment  maigre,  j'espère  qu'on  finira  bien 
par  en  apporter.  »  A  ces  mots  inattendus,  où  se  révélait  la  foi 
catholique  du  vieux  soldat,  l'embarras  de  la  reine  fut  extrême.  Le 
maréchal  Soult,  aussitôt,  se  mit  à  plaisanter  le  général,  sur  sa 
pieuse  fidélité  aux  lois  de  l'abstinence,  ajoutant  que  pour  un 
soldat  cela  paraissait  étonnant.  «  Comment  !  cela  te  paraît  éton- 
nant, répondit  à  haute  voix  le  général  provoqué.  Cependant,  tu 
me  connais  bien,  tu  sais  que  de  ma  vie  je  n'ai  fait  gras,  le  ven- 
dredi, si  ce  n'est  à  l'île  de  Lobeau,  où  je  n'eus  à  manger  que  la 
tête  de  mon  cheval.  »  Un  silence  de  respect  accueillit  ces  fières 
paroles  du  vieux  guerrier,  et  des  aliments  maigres  arrivèrent 
aussitôt. 

4.  —  Un  petit  journal  du  Luxembourg  contenait  dernièrement 
l'aventure  d'un  bon  campagnard,  venu  à  Bruxelles  un  vendredi. 
Ce  brave  homme,  excellent  chrétien,  mais  d'une  humeur  spiri- 
tuelle et  joviale,  était  accompagné  d'un  chien,  son  fidèle  Tom. 
Midi  venait  de  sonner  :  il  entra  dans  la  première  auberge  venue, 
et  s'installa  à  table  d'hôte  en  faisant  coucher  son  Tom  derrière  sa 
chaise. 

On  servit  d'abord  une  grande  pièce  de  viande  rôtie.  Un  monsieur 
à  moustaches,  et  fort  gros,  l'ayant  découpée,  voulut  en  servir  un 


444       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVI.  INSTRUCTION. 

morceau  au  Luxembourgeois.  «  Merci,  merci,  dit  celui-ci  ;  ne 
savez-vous  pas  que  c'est  vendredi  aujourd'hui  ?  Pour  tout  l'or  du 
monde  je  ne  ferais  pas  gras.  —  Gomment,  répliqua  le  gros  mon- 
sieur, en  attirant  l'attention  de  tous  les  convives,  comment,  mon 
ami,  vous  en  êtes  encore  là  ?  On  /voit  bien  que  vous  venez  du 
village.  Dites-moi,  est-ce  que  vous  pensez  que  Dieu  prend  garde  si 
ce  que  vous  mangez  est  viande  ou  poisson  ?  Ce  "sont  vos  curés  qui 
vous  font  avaler  tout  cela,  et  vous  êtes  assez  bonasse  pour  les 
croire.  Nous  autres,  libres  penseurs,  nous  méprisons  ces  fadaises. 
Allons,  prenez-moi  vite  ce  bon  morceau.  •  Mon  homme  prit  le 
morceau  et  le  mit  dans  son  assiette.  «  A  la  bonne  heure,  s'écria  le 
libre-penseur,  on  voit  que  vous  êtes  un  homme  d'esprit  et  que 
vous  savez,  vous  aussi,  vous  élever  au-dessus  des  préjugés.  »  Sans 
faire  attention  à  ces  ridicules  éloges,  le  malin  Luxembourgeois, 
tournant  la  tête  :  «  Tom  !  Tom  !»  s'écria-t-il.  Et  le  chien,  en  un 
bond,  fut  sur  ses  genoux.  Son  maître  lui  présenta  le  morceau,  et 
en  un  clin  d'œil  le  morceau  futhappé  et  avalé.  «  Eh  bien  !  eh  bien  ! 
cria  le  Bruxellois,  qu'est-ce  que  vous  faites-là  ?  —  Écoutez,  mon- 
sieur, répondit  l'autre  avec  calme  et  un  malin  sourire,  ne  nous 
fâchons  pas  :  je  voulais  savoir  si  Tom  était  libre-penseur.  Vous 
voyez  qu'il  l'est,  et  qu'il  ne  s'inquiète  pas  plus  que  vous  du  ven- 
dredi et  des  commandements  de  l'Église.  »  —  Ce  fut  une  risée 
générale  aux  dépens  du  prétentieux  libre-penseur,  qui  ne  se  vanta 
pas  de  l'aventure. 


DIX-SEPTIEME  INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Passion) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien  de 
combattre  les  ennemis  de  son  salut. 

i.  Quels  sont  ees  ennemis.    —   II.   Par  quels  moyens  nous  devons  les 
combattre.  —  111.  De  quelle  manière. 

Guinée  par  L'Esprit  de  Dieu,  qui  ne  cesse  de  l'assister 
dans  tous  ses  actes,  selon  la  promesse  qu'elle  en  a  reçue  de 
son  fondateur  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  la  sainte  Eglise 
a  jugé  qu'elle  devait  préciser  certaines  maximes  du  divin 
Maître,  en  indiquant  de  quelle  manière  on  doit  les  accom- 
plir. C'est  ainsi  qu'elle  a  marqué,  comme  nous  l'avons  vu 
dans  nos  derniers  entretiens,  ce  qu'il  faut  faire  pour  sanctifier 
les  dimanches  et  les  fêtes,  pour  accomplir  les  paroles  du  Sau- 
veur touchant  la  confession  des  péchés  et  la  réception  de 
l'adorable  Eucharistie,  et  enfin  pour  observer  ses  enseigne- 
ments sur  la  nécesité  de  faire  pénitence.  Mais  il  y  a  beau- 
coup d'autres  prescriptions  du  Sauveur  au  sujet  desquelles 
l'Eglise  n'a  pas  jugé  à  propos  d'user  de  son  pouvoir  législa- 
tif, et  qui  ne  nous  en  créent  pas  moins  des  devoirs  positifs 
et  rigoureux 

Tel  esl  !  N  particulier  le  devoir  que  nous  avons  de  com- 
battre les  ennemis  de  notre  salut,  et  qui  doit  former  le 
sujet  de  notre  entretien  de  ce  soir.  Ce  devoir,  en  effet,  ne 
nous  est  imposé  par  aucun  commandement  de  l'Église. 
Mais  il  découle  tellement  de  tout  ce  qui  est  dit  et  rapporté 
dans  l'Evangile,  qu'il  faudrait,  pour  le  contester,  déchirer 
toutes  les  pages  <lu  livre  sacré. 

Que  lit-on,  en  effet,  dans  l'Évangile?  Qu'on  l'étudié  et 
qu'on  l'approfondisse  tant  qu'on  voudra,  on  verra  tou- 
jours qu'il  n  \  esl  question  que  de  cette  seule  et  unique 
chose  :  notre  salut.  C'est  pour  notre  salut  que  le  Père  éler- 


M\6       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XVI.  INSTRUCTION. 

nel  donne  son  Fils  unique  et  bien-aimé,  qu'il  le  laisse  boire 
le  calice  de  sa  passion,  et  l'abandonne  sans  défense  à  ses 
ennemis  et  à  ses  bourreaux  jusqu'au  dernier  soupir.  C'est 
pour  notre  salut  que  le  Saint-Esprit,  lien  d'amour  entre  le 
Père  et  le  Fils,  intervenant  personnellement  dans  le  mystère 
de  l'Incarnation,  forme  dans  le  sein  de  la  Vierge  élue  le 
corps  divin  qui  doit  expier  tous  les  péchés  du  monde.  C'est 
pour  notre  salut  enfin  que  le  Verbe  éternel,  quittant  les 
cieux,  naît  misérablement  dans  une  crèche,  travaille  péni- 
blement dans  une  boutique  de  charpentier,  plus  pénible- 
ment encore  prêche  sur  tous  les  chemins  et  dans  toutes  les 
bourgades  de  Galilée,  agonise  au  jardin  des  Oliviers,  est 
flagellé,  couronné  d'épines,  abreuvé  d'outrages,  et  meurt 
cloué  sur  une  croix.  Voilà  tout  l'Évangile.  Encore  une  fois, 
tout  ce  qui  s'y  dit,  tout  ce  qui  s'y  fait,  c'est  uniquement 
pour  notre  salut. 

Eh  bien,  en  voyant  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  faire 
de  si  grandes  choses  pour  nous  sauver,  n'en  doit-on  pas 
conclure  que  c'est  pour  nous  un  devoir  absolu  de  travailler 
autant  que  nous  le  pouvons,  nous  aussi,  à  accomplir  notre 
salut  ?  Quand  un  père  et  une  mère  se  consumeut  pour  assu- 
rer l'avenir  de  leurs  enfants,  ne  sera-ce  pas  une  obligation 
rigoureuse,  pour  ces  enfants,  de  seconder  les  efforts  de 
leurs  parents  ?  Peut-on  admettre  qu'ils  ne  seront  tenus  à 
rien  faire?  La  sollicitude  qu'ont  pour  eux  leurs  parents, 
n'est-elle  pas  une  raison  de  plus  pour  qu'ils  ne  s'épargnent 
pas  eux-mêmes  ?  Ainsi  non  seulement  nous  nous  devons  à 
nous-mêmes  de  travailler  à  notre  salut,  mais  nous  le 
devons  encore  plus  à  Dieu,  à  cause  de  tout  ce  qu'il  a  fait  et 
souffert  pour  nous  y  aider. 

Or,  si  c'est  pour  nous  un  devoir  impérieux  de  travailler  à 
notre  salut,  n'en  est  ce  pas  un  tout  semblable  de  combattre 
les  ennemis  de  notre  salut?  Qui  est  tenu  à  la  fin,  est  tenu 
aux  moyens.  Or,  l'un  des  moyens  nécessaires  de  faire  notre 
salut,  c'est  assurément  d'en  combattre  les  ennemis.  Celui-là 
seul  sera  couronné,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  qui  aura  bien 
combattu  (i).  Mais  quels  sont  ces  ennemis?  C'est  là  ce   que 

i.  IL  Tim.  ii,  5. 


DEVOlll  DE  COMBATTRE  LES  ENNEMIS  DE  NÔTRE  SALUT.       447 

nous  allons  (oui  d'abord  examiner  ;  ensuite  nous  dirons 
par  quels  moyens,  et  enfin  de  quelle  manière  nous  devons 
Les  combattre.  —  Seigneur,  qui  dans  votre  infinie  sagesse 

a  Yt/  voulu  nous  faire  passer  par  L'Église  milita  nie  avant  de 
nous  admettre  dans  L'Eglise  triomphante,  éclairez  nos 
yeux  pour  que  nous  puissions  sûrement  reconnaître  nos 
ennemis,  et  fortifiez  nos  cœurs  afin  que  nous  soyons  victo- 
rieux dans  la  lutte  d'où  dépend  notre  éternité. 

I.  —  Quels  sont  les  ennemis  de  notre  salut.  —  Il  y 
en  a  un  liés  grand  nombre.  Tout  ce  qui  nous  porte  au  mal, 
au  péché,  est  par  là  même  ennemi  de  notre  salut,  puisque 
c'esten  commettant  le  péché,  à  L'instigation  de  ces  ennemis, 
que  nous  perdons  notre  salut.  Nous  ne  saurions  donc 
entreprendre  de  parler  en  détail  de  tous  ces  ennemis.  Gela, 
d'ailleurs,  n'est  pas  indispensable.  En  effet,  si  nombreux 
que  soient  les  ennemis  de  notre  salut,  tous  pourtant  se  rap- 
portent plus  ou  moins  directement  à  trois  ennemis  princi- 
paux ;  en  sorte  qu'en  combattant  ces  trois  principaux  enne- 
mis, tous  les  autres  seront  par  là  même  vaincus,  comme 
on  fait  mourir  tous  les  rejetons  d'un  arbre  en  arrachant 
l'arbre  lui-même. 

Or,  le  premier  et  le  plus  redoutable  de  tous  les  ennemis 
de  notre  salut,  vous  l'avez  déjà  nommé  sans  doute,  c'est  le 
démon.  Il  est  le  premier,  parce  que  c'est  lui  qui  a  soulevé 
contre  nous  tous  les  autres,  et  que  sans  lui  nous  n'en 
aurions  aucun  11  est  le  plus  redoutable,  parce  que  c'est  lui 
qui  nous  haït  le  plus,  et  qu'il  est  le  plus  puissant  de  tous. 
La  haine  du  démon  contre  nous  est  horrible  :  elle  est  faite 
de  vengeance  et  de  jalousie.  En  nous  il  haït  Dieu,  qui  l'a 
chassé  du  ciel  pour  le  châtier  de  son  orgueil.  Ne  pouvant 
rien  contre  Dieu  lui-même,  il  voudrait  faire  de  nous  son 
instrument  de  vengeance,  en  nous  ravissant  à  Dieu  dont 
nous  sommes  devenus  les  créatures  privilégiées.  Aussi 
quelle  joie  infernale  n'éprouve-t-il  pas,  lorsqu'il  parvient  à 
détacher  de  son  Créateur  une  àme  qui  lui  était  auparavant 
fidèle  (i)  !    —  Sa  jalousie  contre  nous   n'est  d'ailleurs  pas 

i.  Pardalis  animal  est  homini   inimicissimum,  adeo    ut  quandoque 
in   stadiis    hominis  oculos  prœ  ira  invadat  :  qui  autem  ferae  furorcm 


448       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XVlI.  INSTRUCTION. 

moindre  que  sa  haine  contre  Dieu.  Car  la  place  qu'il  occu- 
pait dans  le  ciel,  et  dont  il  a  été  privé  pour  toujours,  c'est  à 
nous  qu'elle  est  destinée.  Quel  homme,  en  pareil  cas,  ne 
serait  pas  transporté  d'une  jalousie  farouche  à  l'égard  de 
celui  qui  lui  serait  préféré  ?  Mais  combien  plus  grande 
encore  doit  être  la  jalousie  du  démon  contre  nous,  en  se 
voyant  préférer  un  être  qui  lui  est  très  inférieur  par  la 
nature  (i)!    —    Toutefois,    ce    qui  rend    plus    redoutables 

deludere  quœrunt,  hominis  imaginem  ei  ex  charta  ostendunt  :  illa  sta- 
tim  furibunda  eam  concerpii  et  dilacerat,  hoc  argumcnto  satis  osten- 
dens,  quanta  sit  ejus  ad  versus  hominem  inimicitia.  Sic  item  diabolus 
in  imagine  hominem  apparentem  insectatur,  quando  Deum  ipsum 
attingere  nequit,  hinc  ipsi  bellum  ta  m  acre  contra  nos,  ita.  S.  Basi- 
lius,  hom,  in  aliquot  scïipturœ  locos  (Faber,  Op.  conc.  Dom.  i.  Qua- 
drag.,  conc.  3,  n.  5). 

i.  Diabolus  non  quaerit  hominem,  sed  hominis  interitum  qunerit  ; 
ille  malis  nostris  gaudet.  turgct  ruinis  nostris,  vulneribus  convalescit, 
nostrum  sanguinem  sitit,  nostra  saturatur  ex  carne,  nostris  vivit  ex 
mortibus.  Diabolus  hominem  non  vult  habere,  sed  perdere  :  quia  ad 
cœlum  unde  ille  cccidit,  non  vult,  non  fert,  non  patitur,  hominem 
pervenire  (S.  Petr.  Ghr.  serm.  12). 

Astutissimus  hic  animarum  insidiator  (diabolus)  perfectissime  novit 
hominis  cujuscumque  complexionem,  humores,  inclinationes,  pas- 
siones,  vitia,  ac  consuetudines  :  his  omnibus  artificiosissime  uti  callet 
ad  suas  machinationes,  et  anima?  ruinas.  Videt  aliquem  temperamento 
sanguinolentum,  hune  tentât  voluptatibus,  fomitem  concupiscentiae 
incendit,  ad  res  amatorias  invitât.  Videt  aliquem  biliosum,  huic,  inju- 
rias proponit,  et  ad  vindictas  extimulat.  Yidet  aliquem  phlegmaticum, 
hune  taediis,  et  fastidiis  usque  ad  desperationem  onerat.  Videt  aliquem 
avarum,  et  huic  proximi  domos,  hortos,  prata,et  pecunias  allicienter  ante 
oculos  ponit.  Videt  aliquem  voracem,  et  huic  difhcultatem  jejunii  certis 
diebus  pr;rcepti  mirum  quantum  exaggerat .  Videt  aliquem  ambitio- 
sum,  et  hune  ad  ofhcii,  aut  honoris  fastigia  per  fas  et  nefas  quœrenda 
extimulat.  Videt  aliquem  iracundum,  et  hune  per  infortunium  de 
industria  adornatum  ad  juramenta  et  blasphemias  excitât.  Videt  fœmi- 
nam  evanidam  et  hanc  per  vestes  minus  honestas  ad  lasciviam,  et 
danda  scandala  incendit.  Etc.  Sic  genio,  et  moribus  hominum  dexter- 
rime  se  accommodât,  atque  prout  loquitur  S.  Gregorius,  Mor.  xxix,i2, 
«  juxta  cujusvis  complexionem  unumquemque,  tentât,  ut  vitia  non 
vitio,  sed  naturac  tribuantur.  »  Testis  hujus  rei  est  Macarius  abbas,  qui 
quondam  conspexit  damionem  sibi  occurrentem,  et  ingenti  diversorum 
vasculorum  sarcina  onustum.  Quacrebat  Dei  famulus,  quo  vadis, 
maligne?  Reposuit  ille  :  Vado  ad  tentandos  fratres  tuos.  Et  ad  quid 
lot  vascula  tecum  portas?  Ut  gustum,  aiebat,  fratribus  faciam;  si 
unum  non  placeat,  propinabo  aliud,  si  neque  illud,  dabo  tertium,  et 
sic  deinceps,  donec  consensum  impetrem.  Paucis  multa  complectitur 
S.   Hieronymus,  de  Stygio  tentatore  inquiens,   quod  habeat  «  nomina 


hivoiu  ni;  comhvthie  Les  knnkmis  de  notkè  s.vlut.     4^0 

encore  la  haine  et  la  jalousie  du  démon  contre  nous,  c'est 
la  puissance  dont  il  dispose.  Car  en  le  chassant  du  ciel,  Dieu 
lui  a  laissé  les  hautes  prérogatives  dont  il  l'avait  doué. 
Vussi  nous  est-il  très  supérieur  par  la  raison  et  la  clair- 
voyance. Il  voit,  dans  les  circonstances  où  nous  nous  trou- 
vons, ce  qui  peut  favoriser  ses  desseins  sur  nous,  et  il  nous 
attaque  en  conséquence.  C'est  ainsi  qu'il  attaqua  notre 
mère  Kve  lorsqu'il  la  Ait  seule;  car  on  pense  communé- 
ment que  si  Adam  eût  été  présent,  Eve  n'aurait  pas  suc- 
combé. L'ardeur  du  démon  pour  nous  perdre  est  d'ailleurs 
incessante  ;  la  sainte  Ecriture  nous  le  représente  semblable 
à  un  lion  dévorant,  qui  tourne  de  tous  côtés,  cherchant  qui 
dévorer  (i).  De  plus,  jamais  il  ne  renonce  à  perdre  une 
âme.  Lorsqu'une  de  ses  tentations  est  repoussée,  il  attaque 
sur  un  autre  point,  puis  sur  un  autre  encore;  et  s'il  s'éloi- 
gne un  peu,  ce  n'est  toujours  que  pour  revenir,  dans  l'es- 
poir d'un  meilleur  succès.  Ce  fut  ainsi  qu'après  avoir  tenté 
>.otre-Seigneur  lui-même,  dans  le  désert,  d'intempérance 
d'abord,  puis  d'avarice,  puis  de  vaine  gloire,  se  voyant  tou- 
jours repoussé,  il  le  quitta,  mais,  dit  l'Évangile,  seulement 
pour  un  temps  (2).  Tel  est  le  principal  et  le  plus  terrible 
ennemi  de  notre  salut,  celui  que  Notre-Seigneur  appelle 
proprement  X ennemi  (3),  car  quand  ce  n'est  pas  lui-même 
qui  nous  attaque,  c'est  lui  encore  qui  inspire  aux  autres  de 
nous  attaquer  et  excite  leur  rage  et  leur  perversité  contre 
les  serviteurs  de  Dieu  (4). 

mille,  cl  mille  nocendi  artes.  »  Ep.  1,  ad  Holiod.  (Glals,  Splcil.  catech< 
in  festo  S.  Laur.,  n.  G). 

1     I.  Petr.  v,  8. 

2.  Luc.  iv,  i-i3. 

3.  Matth.  xin,  25,  3g. 

4- Quae  primum  capta  laquco  fuerit  anima,  ad  alias  decipiendas  fit 
quasi  laqueus,  ut  voluntati  inimici  obsequatur,  incscatquc  animas 
potissimum  illas,  quœ  nondum  draconis  acerbitatem  sunt  expertee.  — 
Sic  anima  sicut  perdix  comprohensa  pro  osca  illis  proponitur,  qua*  non- 
dum laqueo  capta'  sunt  :  circa  illam  enim  anceps  laqueos  figit,  ut 
voce  sua  perdix  reliquas  circumvolilantes  ad  eosdcm  pelliceat  (S.  Ephr. 
De  recta  vivendi  ratione,  c.  6). 

Gonjecturis  exterioribus,  et  hôminum  complexione.  quasi  per  odo- 
ratus  narium  persentit  et  odorat  diabolus,  ad  quae  vitia  unusquisque 

SOMME  DU  PRÉDICATEUR.  —  T.  II.  2Q 


/45o     LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XVII.  INSTRUCTION. 

Ceci  est  vrai  en  particulier  du  monde,  que  nous  devons 
considérer  comme  le  second  grand  ennemi  de  notre  salut. 
En  effet,  Notre-Scigneur  nous  apprend  que  le  démon  en  est 
le  prince  (i),  c'est-à-dire  que  c'est  lui  qui  le  domine,  le  gou- 
verne et  le  conduit.  Car  c'est  précisément  de  ce  monde  qu'il 
s'agit  ici,  c'est-à-dire  de  cette  classe  de  personnes  qui,  se 
laissant  aller  aux  inspirations  du  démon,  hait  Notre-Sei- 
gneur  et  sa  loi,  ainsi  que  ceux  qui  le  reconnaissent  pour 
leur  maître.  C'est  en  effet  de  ce  monde  que  Notre-Seigneur 
a  dit,  parlant  à  ses  disciples  :  Si  le  monde  vous  hait,  sachez 
que  feu  ai  été  haï  avant  vous.  Si  vous  eussiez  été  du  monde,  le 
monde  aimerait  ceux  qui  sont  à  lui.  Mais  parce  que  vous  n'êtes 
point  du  monde,  et  que  je  vous  ai  choisis  au  milieu  du  inonde, 
voilà  pourquoi  le  monde  vous  hait  (2).  Or  le  monde  ainsi 
entendu  est  l'ennemi  de  notre  salut  en  plusieurs  manières. 
Il  l'est  d'abord  par  sa  conduite  et  ses  exemples.  En  effet, 
quelque  chose  est-il  commandé,  comme  sanctifier  les  diman- 
ches et  les  fêtes,  se  confesser  et  communier  à  Pâques, 
jeûner?  le  monde  s'empresse  de  n'en  rien  faire.  Quelque 
chose  au  contraire  est-il  défendu,  comme  de  fréquenter  les 
danses  et  les  spectacles,  de  faire  gras  les  vendredis  et  les 
samedis  ?  le  monde  méprise  ces  défenses  et  agit  comme  si 
elles  n'existaient  pas.  Or,  n'est-il  pas  vrai  qu'une  telle  con- 
duite et  de  tels  exemples  sont  de  nature  à  porter  au  mal  les 
fidèles  et  à  leur  faire  perdre  leur  salut?  Combien  qui  se 
seraient  sauvés  loin  du  monde,  et  qui  dans  le  monde  se  sont 
damnés  !  Aussi  le  Sauveur,  indigné  à  cette  vue,  s'est-il 
écrié  :  Malheur  au  monde  à  cause  de  ses  scandales  !  (3)  —  Le 

sit  magis  applicabilis,  et  ibi  laqueos  tendit  (S.  Ant.  de  Pad.  serm.  4, 
post.  Pasch.). 

1 .  Joan.  xiv,  3o  ;  xvi,  1 1 . 

3.  Joan.  xv,  18,  19. 

3.  Matth.  xviii,  7.  —  Reconnaissez,  dit  Salomon,  que  vous  marche:  au 
milieu  des  pièges  et  que  vous  courez  sur  le  bord  des  précipices.  Eccl.  ix,  20. 
S'il  n'y  avait  qu'un  ou  deux;  pièges  à  craindre,  on  pourrait  se  tenir  sur 
ses  gardes  ;  mais  vous  marchez,  dit  Salomon,  au  milieu  des  pièges.  Non 
pas  à  côté,  mais  au  milieu.  Partout  des  pièges,  partout  des  précipices. 
Vous  allez  à  la  place  publique  :  c'est  pour  y  rencontrer  votre  ennemi,  et 
son  aspect  seul  vous  fait  monter  le  feu  au  visage.  Vous  entendez  louer 
Votre  ami  :  vous  voilà  jaloux.  Un  pauvre  se  présente  :  vous  le  regardez 


DEVOIR  DE  COMBATTRE   LES  ENNEMIS  DE  NOTRE  SALUT.       /|5l 

monde  est  encore  l'ennemi  de  notre  salut  par  ses  maximes, 
qui  sont  en  complète  opposition  avec  celles  de  l'Evangile. 
Ainsi,  tandis  que  l'Evangile  dit:  Faites  pénitence;  le  monde 
dit  :  Amusez-vous.  Tandis  que  l'Evangile  dit  :  Il  faut  servir 
Dieu  dès  votre  jeunesse  et  tous  les  jours  de  votre  vie  ;  le 
monde  dit:  On  ne  peut  pas  être  jeune  et  sage,  il  faut  que 
jeunesse  se  passe,  plus  tard  on  verra.  Tandis  que  l'Évangile 
dit  :  Pardonnez  à  vos  ennemis  ;  le  monde  dit  :  Toute  injure 
veut  du  sang.  Tandis  que  l'Évangile  dit  :  Bienheureux  les 
pauvres,  bienheureux  ceux  qui  souffrent  ;  le  monde  dit  : 
Bienheureux  les  riches,  bienheureux  ceux  qui  jouissent.  Eh 
bien,  toutes  ces  maximes  du  monde  ne  sont-elles  pas  autant 
d'attaques  à  notre  salut,  autant  de  coups  pour  nous  détour- 
ner d'y  travailler  ?  —  Le  monde  est  encore  l'ennemi  de 
notre  salut  par  ses  sarcasmes,  cherchant  à  rendre  ridicules 
ceux  qui  servent  Dieu  ;  par  ses  violences,  s'efforçant  de  les 
empêcher  de  faire  leurs  devoirs,  quand  il  le  peut  ;  par  ses 
cajoleries  hypocrites,  quand  il  espère  pouvoir  arriver  ainsi 
à  ses  fins.  Ainsi  le  monde  remplace  aujourd'hui  les  anciens 
persécuteurs  ;  car  ce  sont  au  fond  les  mêmes  moyens  pour 
arriver  aux  mêmes  fins,  la  perte  des  âmes,  et  certes  le  monde 
en  perd  plus  que  n'en  perdit  Néron.  Est-ce  que  le  monde, 
d'ailleurs,  ne  va  même  pas  jusqu'à  verser  le  sang  de  ceux 
qui  lui  résistent,  quand  les  circonstances  le  lui  permettent  ? 
Ces  derniers  temps  en  offrent  des  exemples  qui  ne  sont  pas 
rares.  —  Et  pourquoi  le  monde  est-il,  lui  aussi,  l'ennemi  de 
notre  salut  ?  A  peu  près  pour  les  mêmes  raisons  que  le 
démon.  Le  monde  pourrait,  il  est  vrai,  contrairement  au 
démon,  aller  au  ciel,  en  se  conformant  aux  prescriptions  de 
l'Évangile.  Mais  il  ne  veut  pas  entendre  parler  de  ces  pres- 
criptions, parce  que,  se  laissant  aveugler  par  le  démon,  il 
veut  jouir  des  plaisirs  de  ce  monde,  quoi  qu'il  puisse  arri- 
ver ensuite.  Et,  non  seulement  il  veut  mener  cette  conduite 


avec  dédain  ;  un  riche  :  avec  envie.  L'injustice  vous  aigrit,  soit  qu'on  la 
commette,  soit  qu'on  la  soutire.  Vous  ne  voyez  pas  une  belle  femme 
sans  vous  laisser  prendre.  Détachez-vous  de  la  terre,  les  pièges  y  sont 
semés  partout  ;  prenez  votre  essor  vers  le  ciel,  l'oiseau  qui  s'élève  dans 
les  airs  ne  craint  point  les  filets  (S.  Jean  Chrysost.  llom.  iâ,  ad  pop* 
Antioch.). 


45ù      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.    —  XVil.   INSTRUCTION. 

folle  et  abjecte,  mais  il  ne  supporte  pas  qu'on  agisse  autre- 
ment que  lui.  Une  vie  chrétienne  est  pour  lui  un  cuisant 
reproche,  et  tel  est  le  motif  pour  lequel  il  fait  tout  ce  qu'il 
peut  pour  que  personne  ne  vive  chrétiennement,  par  consé- 
quent pour  que  personne,  non  plus  que  lui,  ne  se  sauve. 
Oh  !  que  le  monde,  lui  aussi,  est  donc  un  terrible  ennemi 
du  salut,  et  qu'il  est  grand,  hélas!  le  nombre  de  ses  vic- 
times ! 

Non  moins  grand  est  le  nombre  des  victimes  de  nos  pas- 
sions mauvaises,  qui  sont  le  troisième  ennemi  de  notre 
salut.  Peut-être  même  ce  troisième  ennemi  est-il  encore 
plus  redoutable  que  les  deux  autres.  Car  sans  nos  passions 
mauvaises,  ce  serait  en  vain  que  le  démon  nous  tenterait,  et 
que  le  monde  étalerait  sous  nos  yeux  ses  scandales.  Est-ce 
que  le  démon  peut  tenter  les  anges  et  les  saints,  qui  sont 
sans  passions  mauvaises  ?  Est-ce  que  le  monde,  avec  tout 
l'arsenal  d'armes  dont  il  dispose,  peut  les  entraîner  au  mal? 
Est-ce  qu'Eve,  si  elle  n'avait  pas  eu  tout  à  la  fois  la  passion 
de  la  curiosité  et  celle  de  la  gourmandise,  est-ce  qu'Eve 
aurait  cédé  aux  suggestions  du  démon?  Oui,  si  nous  n'avions 
pas  de  passions  mauvaises,  nous  serions  invulnérables,  et 
nous  pourrions  nous  rire  et  de  la  rage  impuissante  du 
démon  et  des  vains  efforts  du  monde.  Mais  au-dedans  de 
notre  co?ur,  le  démon  et  le  monde  ont  des  complices.  Ces 
complices,  ce  sont  nos  passions  mauvaises.  Ne  voulant  pas 
se  plier  sous  le  joug  des  commandements  divins,  elles  se 
mettent  en  révolte  contre  la  foi  et  la  raison  elle-même,  et  ne 
veulent  plus  croire  à  rien  ni  rien  entendre.  C'est  alors  que 
le  démon  et  le  monde  ont  beau  jeu  pour  envahir  la  pauvre 
âme  et  la  réduire  en  servitude.  Mais  si  les  mauvais  citoyens, 
qui  allument  la  guerre  civile  dans  la  cité  et  en  facilitent 
ainsi  l'entrée  aux  envahisseurs,  ne  doivent  pas  être  consi- 
dérés comme  des  ennemis  moins  funestes  à  leur  patrie  que 
ceux  qui  la  pillent  et  la  ruinent  ;  ainsi  devons  nous  consi- 
dérer nos  passions  comme  des  ennemis  de  notre  salut 
qu'il  ne  faut  pas  moins  combattre  que  le  démon  et  le 
monde. 

Tels  sont  donc  les  principaux  ennemis  de  notre  salut,  le 
démon,  le  monde  et  nos  passions  mauvaises,  lesquels  par- 


m:\OIIt   DE  COMBATTUE  LES  ENNEMIS  DE    NOTRE  SALUT.        |>>-> 

fois  nous  attaquenl  isolément,  et  parfois  se  liguent  contre 
nous,  rendant  noire  situation  plus  critique  encore.  Or,  c'est 
déjà  une  chose  grandement  importante  que  de  connaître  ses 
ennemis,  et  il  était  nécessaire  de  commencer  par  là.  Cepen- 
dant ce  n'est  pas  tout,  et  voilà  pourquoi  il  nous  faut  main 
tenanl  examiner 

II.  —  Par  quels  moyens  nous  devons  les  combattre. 
—  Sans  cloute,  il  y  a  certaines  armes  qui  sont  plus  particuliè- 
rement efficaces  contre  tels  et  tels  ennemis,  et  dans  telles  et 
telles  circonstances.  Mais  il  y  en  a  aussi  qui  sont  excellentes 
contre  tous  les  ennemis  et  clans  toutes  les  circonstances.  Ne 
pouvant  nous  occuper  ici  des  armes  pour  les  cas  particu- 
liers, armes  qu'on  pourra  toujours  se  faire  indiquer  par  un 
sage  directeur,  nous  ne  parlerons  que  des  armes  communes 
contre  tous  les  ennemis  et  pour  tous  les  cas. 

Or,  la  première  de  ces  armes,  c'est  la  prudence.  Quelle 
que  soit  la  malice  de  nos  ennemis,  si  nous  avons  soin  de 
nous  tenir  à  l'abri  de  leurs  coups,  il  leur  sera  bien  difficile 
de  nous  atteindre.  Au  contraire,  le  manque  de  prudence  est 
la  cause  la  plus  ordinaire  peut-être  de  toutes  nos  chutes  et 
de  tous  nos  maux.  Que  chacun  examine  les  péchés  qu'il  a 
commis,  et  il  reconnaîtra  que  c'est  toujours  un  manque  de 
prudence  qui  en  a  été  la  cause  première.  N'est-ce  pas  pour 
avoir  manqué  de  prudence  que  Dina,  l'infortunée  fille  de 
Jacob,  étant  allée  à  Sichem  voir  les  parures  des  femmes, 
tomba  entre  les  mains  du  fils  du  roi  ?  Et  n'est-ce  pas  pour 
avoir  aussi  manqué  tous  les  deux  de  prudence  que  Bethsa- 
bée  et  David  furent  amenés  à  commettre  de  si  grandes  fau- 
tes ?  Pour  ne  pas  succomber  aux  attaques  de  nos  ennemis  et 
éviter  d'aussi  grands  malheurs,  commençons  par  nous 
armer  de  prudence.  C'est-à-dire,  avant  de  rien  entreprendre 
et  de  rien  faire,  examinons  bien  si  nous  n'avons  pas  sujet 
de  craindre  quelque  surprise,  et  même  ensuite  continuons 
de  demeurer  constamment  sur  nos  gardes,  nous  rappelant 
cet  adage,  que  la  prudence  est  la  mère  de  la  sûreté  (i). 

i.  Voulons-nous  parcourir  sûrement  le  chemin  do  cette  vie,  sauver  éga- 

lemenl  nos  âmes  et  nos  corps  des  blessures  qui  en  flétrissent  la  beauté, 
pour  les  présenter  purs  à  Jésus-Christ,  et  recevoir  de  ses  mains  les  pal- 


45 fi      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.  INSTRUCTION. 

Un   second  moyen  excellent  pour  échapper  aux  assauts 
de  nos  ennemis,  c'est  la  fuite.  Quelqu'un  dira  peut-être  que 
ce  moyen  n'est  pas  très   héroïque.  Il  est  très  efficace,  cela 
suffit.  Et  d'ailleurs  il  est  toujours  plus  glorieux  d'échapper 
à  l'ennemi  par   une  habile  retraite,   que  de  se  faire  écraser 
sans  profit.  Considérons   encore   notre  malheureuse  mère 
Eve.   Lorsqu'elle  entendit   le  serpent  lui  parler  contre  son 
devoir,  qui  était  de  ne  pas  manger  le  fruit  défendu,  n'est-il 
pas  évident  que  son  intérêt  eût  été   de  fuir  un  discoureur  si 
impertinent,  qui  osait  parler  mal  de  Dieu  ?  Si  elle  eût  em- 
brassé ce  parti,    le  démon  en  eût  été  pour  ses  mensonges. 
Mais  elle  eut  le  malheur  d'écouter  le  tentateur  et  de  raison- 
ner avec  lui  ;  et  ce  qui  devait  arriver,  arriva  :  elle  succomba 
à  la  tentation.   De  quelque    part   donc   que   nous  viennent 
les  attaques,  que  ce  soit  du  démon,  ou  du  monde,  ou  de  nos 
tentations,  fuyons  sans  hésitation,   il  n'y  a  de  salut  pour 
nous  que  dans  la  fuite  :  fuyons  les  attaques  du  démon,  en 
détournant  notre  pensée   de  ses  suggestions  ;    fuyons   les 
attaques  du  monde,  en  fermant  nos  oreilles  à  ses  maximes 
de  perversion  et   nos  yeux  à   ses   scandales  ;  fuyons  enfin 
nos  passions,  en  ne  nous  occupant  pas  de  ce  qu'elles  solli- 
citent (i). 

mes  de  la  victoire  ?  Nous  devons  porter  sur  tout  ce  qui  nous  environne 
un  œil  attentif,  regarder  comme  suspect  tout  ce  qui  nous  semble  agréa- 
ble, et  passer  rapidement  sans  nous  y  arrêter.  Que  même  for  brille  à 
nos  yeux,  David  nous  répond  :  Si  vous  avez  des  richesses  en  abondance, 
n'y  attachez  pas  votre  cœur.  Ps.  lxii,  ii.  Que  la  terre  étende  ses  magnifi- 
cences et  ses  délices  :  Notre  cité  est  dans  le  ciel  :  c'est  de  là  que  nous  atten- 
dons le  Seigneur  Jésus.  Philip,  ni,  20.  Que  l'on  nous  appelle  à  des  dan- 
ses, à  des  festins,  à  des  concerts  :  Vanité  des  vanités,  nous  dit  le  Sage,  et 
tout  n\est  que  vanité.  Que  la  beauté  nous  tente  par  de  perfides  attraits  : 
Fuyez  devant  la  femme,  comme  on  fuit  à  l'aspect  du  serpent.  On  vous  ouvre 
la  porte  des  dignités  et  des  honneurs  ;  à  leur  suite  on  vous  fait  voir  de 
nombreuses  escortes  de  satellites  ou  de  flatteurs,  un  trône  brillant,  des 
nations  entières  courbant  la  tête  sous  vos  lois  :  pensez  que  tout  cela 
n'est  qu'une  herbe  d'un  moment  ;  que  toute  la  gloire  de  l'homme,  n'est 
que  la  fleur  des  champs  ;  l'herbe  s'est  séchée,  et  la  fleur  est  tombée. 
L'ennemi  cache  ses  pièges  sous  ces  apparences  qui  nous  séduisent  ;  et 
combien  il  est  à  craindre  que,  nous  laissant  prendre  à  ces  perfides 
amorces,  nous  ne  soyons,  bon  gré,  mal  gré,  entraînés  dans  ses  filets  et 
entraînés  dans  le  repaire  du  brigand  !  Il  est  donc  important  de  n'avan- 
cer qu'avec  défiance...  (S.  Basile,  hom.  sur  le  mépris  des  choses  de  ce 
monde J. 

1 .  Tant  que  vous  n'êtes  pas  accoutumé  à  supporter  les  coups  çle  l'jn^ 


DEVOIR  DE  COMBATTRE  I-KS  ENNEMIS  DE  NOTRE  SALUT.   455 

Et  où  nous  réfugier?  En  la  présence  de  Dieu,  ce  qui  est  le 
troisième  moyen  d'échapper  à  nos  ennemis.  Certes,  quand 
nous  nous  sentons  portés  au  mal,  même  violemment,  il 
nous  suffi!  de  nous  trouver  en  présence  de  quelque  per- 
sonne honorable  pour  ne  pas  succomber.  Malheureusement.. 

jure  ou  de  toute  autre  contradiction,  il  faut,  pour  y  arriver,  vous  o\er- 
cer  d'abord  à  les  prévoir,  el  ensuite  à  les  désirer  par  dos  actes  répétés  de 
la  volonté,  tout  en  les  attendant  avec  un  cœur  bien  préparé.  — La 
manière  de  les  prévoir,  c'est,  après  avoir  considéré  la  condition  de  vos 
liassions,  do  considérer  aussi  les  personnes   avec  lesquelles  vous  devez 

rvous  trouver  en  rapport  et  les  lieux  que  vous  devez  fréquenter  :  cette 
précision  vous  permettra  de  conjecturer  plus  facilement  ce  qui  pourrait 
vous  arriver.  —  Mais,  je  suppose  que  toute  autre  contradiction  se  pré- 
sente à  Laquelle  vous  n'avez  point  pensé:  indépendamment  des  ressour- 
ces que  vous  trouverez  dans  la  préparation  de  votre  esprit  à  celles 
que  vous  aviez  prévues,  vous  pourrez  encore  vous  servir  de  cet  autre 
moyen.  Aussitôt  que  vous  commencez  à  sentir  les  premiers  aiguillons 
de  l'injure  ou  de  toute  autre  contradiction,  faites-vous  violence  pour 
élever  votre  àme  vers  Dieu  :  considérez  son  ineffable  bonté  et  l'amour 
qu'il  vous  témoigne  en  vous  envoyant  cette  contradiction,  puisqu'elle 
vous  offre  le  moyen  de  vous  purifier,  de  vous  approcher  et  de  vous  unir  à 
lui,  à  la  condition  que  vous  la   supporterez   pour   son  amour.  — Après 

•  vous  être  convaincu  que  le  bon  plaisir  de  Dieu  est  que  vous  supportiez 
cette  épreuve,  rentrez  en  vous-même,  réprimandez-vous  et  dites-vous 
intérieurement  :  «  Ah  !  pourquoi  donc  refuserais-je  de  porter  cette 
croix  ?  ce  ne  sont  point  les  hommes,  c'est  ton  Père  céleste  qui  te  l'en- 
voie. »  Ensuite,  tournez-vous  vers  la  croix,  embrassez-la  avec  toute  la 
patience  et  toute  l'allégresse  dont  vous  êtes  capable,  et  dites  :  O  croix 
préparée  par  la  divine  Providence  avant  môme  que  je  fusse  né  !  O  croix 
devenue  douce  par  la  douceur  de  l'amour  du  divin  Crucifié,  clouez-moi 
maintenant  sur  votre  bois,  pour  que  je  puisse  m'offrir  à  Celui  qui  m'a 
racheté  en  mourant  sur  vous  !  »  —  Si,  dans  le  commencement,  la  pas- 
sion venait  à  dominer  en  vous  de  telle  sorte  que  vous  ne  puissiez  diri- 
ger votre  esprit  vers  Dieu,  et  que  vous  demeurassiez  sous  le  coup  de  vos 
blessures,  cherchez  du  moins  à  vous  relever  au  plus  tôt,  et  comme  si 
vous  n'aviez  pas  été  blessé.  —  Mais  un  remède  efficace  à  ces  mouve- 
ments subits,  c'est  d'en  détruire  la  cause  le  plus  promptement  possi- 
ble. Ainsi,  par  exemple,  vous  êtes  affecté  à  l'égard  d'une  chose  de  telle 
manière  que,  quand  elle  se  présente,  vous  tombez  subitement  dans  un 
grand  trouble  d'esprit  :  le  moyen  de  le  prévenir,  pour  un  temps,  évi- 
demment, c'est  d'en  supprimer  la  cause.  —  Mais  si  le  trouble  provient, 
non  d'une  chose,  mais  d'une  personne  à  laquelle  vous  êtes  antipathique 
et  dont  la  moindre  action  vous  fatigue  et  vous  impatiente,  le  remède  à 
employer,  c'est  de  vous  efforcer  d'aimer  cette  personne,  de  la  chérir. 
Pourquoi  pas?  Non  seulement  elle  est,  comme  vous,  une  créature 
façonnée  par  la  main  de  Dieu  et  rachetée  par  son  sang,  mais,  si  vous 
savez  en  profiter,  elle  vous  offre  encore  l'occasion  de  ressembler  à  votre 
divin  Sauveur,  qui  fut  affectueux  et  doux  pour  tous  (Scupoli,  Combat 
spirituel,  cb.  j8), 


£56      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.  INSTRUCTION. 

nous  n'avons  pas  toujours  ce  secours.  Mais  il  est  quelqu'un 
dont  les  yeux  sont  toujours  fixés  sur  nous,  et  ce  quelqu'un, 
c'est  Dieu.  Où  que  nous  nous  trouvions,  dans  notre  maison, 
chez  un  voisin,  au  milieu  des  champs,  Dieu  est  là  et  nous 
voit.  Quoi  que  nous  fassions,  de  nuit  comme  de  jour,  Dieu 
nous  regarde.  Or,  si  la  présence  d'une  personne  honorable 
nous  est  un  secours  contre  les  assauts  de  nos  ennemis, 
combien  la  présence  de  Dieu  ne  doit-elle  pas  nous  être 
encore  plus  secourable  !  Car  non  seulement  il  nous  voit, 
mais,  au  lieu  que  nous  n'avons  pas  de  compte  à  ren- 
dre à  la  personne  qui  nous  verrait,  Dieu  au  contraire  nous 
demandera  compte  de  ce  que  nous  aurons  fait,  et  nous 
jugera.  Quelle  arme  contre  nos  ennemis  que  cette  pensée  : 
Dieu  me  voit  et  me  jugera  !  Qui,  sous  la  protection  de  cette 
arme,  pourrait  succomber?  Aussi  Dieu  n'en  recommanda 
pas  d'autre  à  Abraham  :  Marche  en  ma  présence,  lui  dit-il,  et 
ta  seras  parfait  (i) .  C'est  ce  qu'avait  fait  Noë,  et  l'Écriture 
nous  apprend  qu'il  fut  an  homme  jaste  et  parfait  (2),  bien 
qu'il  ait  vécu  au  milieu  d'hommes  tellement  pervertis  que 
Dieu  les  fit  périr  par  le  déluge.  Marchons  donc  toujours, 
nous  aussi,  en  la  présence  de  Dieu,  et  nous  triomphe- 
rons sûrement  de  nos  ennemis. 

Nous  en  triompherons  plus  sûrement  encore  si,  à  la  pen- 
sée de  la  présence  de  Dieu,  nous  ajoutons  celle  de  la  Passion 
de  Notre-Seigneur.  Nous  savons  que  ce  sont  nos  péchés  qui 
ont  été  la  cause  de  cette  Passion,  et  que  c'est  uniquement 
parce  que  nous  avons  fait  le  mal  que  Notre-Seigneur,  pour 
l'expier,  a  dû  endurer  tant  et  de  si  horribles  souffrances. 
Nous  savons  de  plus  que,  quand  nous  avons  le  malheur  de 
commettre  quelque  péché,  nous  renouvelons  d'une  certaine 
manière  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  et  ajoutons  des  souf- 
frances à  celles  qu'il  a  déjà  endurées.  Eh  bien,  ne  suffît-il 
pas  de  se  rappeler  ces  vérités,  pour  repousser  avec  horreur 
toutes  les  criminelles  suggestions  de  nos  ennemis  ?  Qui  donc, 
s'il  se  disait  qu'en  se  donnant  tel  plaisir,  en  s'accordant 
telle  satisfaction,   il  va  se  joindre  aux  bourreaux  du  Sau- 

1.  Gen.  xvi,  1. 
a.  Gen.  vi,  9? 


DEVOIR  DE  COMBATTRE   LES  ENNEMIS  DE  NOTRE   SALUT.        f\~)-J 

veur  et  le  frapper  avec  eux,  qui  doue  aurait  la  cruauté  de  se 
donner  ce  plaisir,  de  se  procurer  cette  satisfaction  (i)? 

Que  si  pourtant  notre  cœur  endurci,  trop  peu  sensible» 
aux  souffrances  du  Sauveur,  hésite  et  chancelle,  hatons- 
nous  de  recourir  à  la  pensée  de  nos  fins  dernières,  et  infail- 
liblement nos  propres  intérêts  achèveront  de  nous  assurer 
la  victoire  sur  nos  ennemis.  Oui,  nous  sommes  ainsi  faits 
généralement,  que  ce  qui  nous  touche  nous  impressionne 
beaucoup  plus  que  ce  qui  touche  les  autres,  fût-ce  Dieu 
lui-même.  Or,  rien  ne  nous  touche  plus  directement  et  plus 
vivement  que  nos  fins  dernières,  quand  nous  y  pensons 
sérieusement.  En  effet,  il  ne  s'agit  de  rien  moins,  en  der- 
nière analyse,  que  de  perdre  le  ciel  éternel,  et  de  mériter 
L'éternel  enfer,  si,  se  laissant  aller  aux  suggestions  des 
ennemis  du  salut,  on  viole  les  commandements  divins.  Eh 
bien,  nous  le  répétons,  il  n'est  personne  qui,  les  yeux  fixés 
sur  cet  aboutissement  de  sa  faute,  se  décide  à  la  commettre, 
à  moins  d'avoir  perdu  la  foi.  Oui,  il  n'y  a  que  ceux  qui  ne 
croient  ni  au  ciel  ni  à  l'enfer,  qui  peuvent  pécher  tout  en  y 
pensant.  Pour  les  autres,  la  pensée  des  fins  dernières  paraît 
bien  être  le  moyen  le  plus  puissant  à  opposer  aux  ennemis 
du  salut.  Le  Saint-Esprit  le  proclame  en  effet  hautement  : 
Souvenez-vous  de  vos  fins  dernières,  et  jamais  vous  ne 
pécherez  (2). 

1.  Christus  super  vulnera  conqueritur  :  His  plagatus  sam  in  domo 
eorum  qui  dilif/ebant  me.  Zach.  un.  Cur  non  potius  conqueritur  contra 
carnifices,  scribas,  pharisacos  et  iniquos  judices  ?  Quia  Judœa  et  Jéru- 
salem erat  domus  eorum,  qui  profil ebantur,  se  Ghristum  seu  Messiam 
amare  super  omnia.  Quanto  magis  conqueretur  Christus  contra  chris- 
tianos  peccatores,  eorumque  ingratitudinem  !  ni  enim,  quibus  mille 
bénéficia  contulit,  peccatis  suis  rénovant  ejus  passionem  :  superbi 
illum  de  novo  spinis  coronant,  avari  de  novo  vendunt,  impuri  de  novo 
flagellant  (Ginther,  Unus  pro  omn.  cons.  i4i,  n.  3). 

2.  Eccli.  vu,  \o.  —  Ponamus  unicum  hominem  ex  toto  humano 
génère  moriturum,  et  hune  videri  quotidic  inter  lusus,  inter  vanitates, 
inter  scelera  :  nonne  talis  horno  crederetur  insanire  ?  Et  quid  de  te 
judicas,  o  horno,  mori  debës,  et  in  peccatis  et  vanitatibus  vitam  agis  ? 
(Barz.  Mission,  serm.  16,  n.  i3). 

Cum  te  appetitus  invaserit  peccandi,  velim  cogites  horribile  illud,  et 
intolerabile  Christi  tribunal  in  quo  prœsidebit,  et  adstabit  omnis  crea- 
turaad  gloriosumejusconspectumcontremiscens  (S.Basil,  in  Ps.  xxxin). 

Beatitudo  comparatur  denario,  quia   sicut  numerus  decem  omnes 


458       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.  INSTRUCTION. 

Il  y  a  pourtant  encore  un  moyen  suprême  qui  nous  a  été 
indiqué  par  le  Sauveur  lui-même,  c'est  la  prière  et  le 
jeune  réunis,  (i).  Quand  une  âme  est  tellement  accablée  par 
ses  ennemis,  qu'elle  ne  sait  plus  quoi  faire,  alors,  qu'elle 
pousse  des  cris  vers  le  ciel  pour  implorer  l'assistance  divine, 
et  qu'elle  fasse  jeûner  son  corps  pour  affaiblir  ses  passions. 
Et  Dieu,  voyant  qu'elle  fait  sincèrement  tout  ce  qu'elle  peut, 
viendra  à  son  aide,  comme  il  a  promis  de  le  faire  ;  et 
parce  que  rien  ne  saurait  lui  résister,  il» mettra  en  fuite  les 
ennemis  de  cette  âme  valeureuse,  qui,  enfin  délivrée,  goû- 
tera la  plus  délicieuse  paix  (2). 

Ces  divers  moyens,  on  l'a  très  bien  compris,  sont  donc 
tous  d'une  grande  efficacité  pour  résister  aux  attaques  des 
ennemis  de  notre  salut.  Mais  une  arme  n'a  toute  sa  valeur 
qu'autant  qu'on  sait  s'en  servir.  Voilà  pourquoi  nous  devons 
expliquer,  enfin, 

III.  —  De  quelle  manière  nous  devons  combattre 
les   ennemis   de   notre  salut.   —  Il  faut  les  combattre 

numéros  in  se  continet,  ita  beatitudo  omnem  felicitatem  complectitur. 
Quomodo  ergo  fieri  potest,  ut  peccator  hanc  felicitatem  immensam  pro 
momentanea  voluptatula  perdere  velit  ?  (Barz.  Op.  cit.  serm.  53,  n.  19). 
Descendant  in  infernum  viventes,  ait  David,  et  addit  sanctus  Bernar- 
dus,  videlicet,  ne  descendant  rnorientes  (Barz.  Op.  cil.  serm.  5i,  n.  1). 

1.  Matth.  xvii,  20.  —  Qui  orans  jejunat,  binas  possidet  alas,  quibus 
ventos  ipsos  volando  pra?tervehitur  ;  non  enim  oscitat,  nec  extenditur, 
nec  torpet  orando,  quse  multi  patiuntur,  sed  igné  ardentior  et  terra 
superior  est;  quare  terribilis  hostis  dœmonibus  redditur.  Nihil  enim 
est  homine  probo  orante  potentius  (S.  Joan.  Chrvsost.  in  h.  /oc). 

2.  Aliqui  Israelitarum  perfîciebant  fraudes  et  raphias,  eo  quod  non 
levarint  manus  suas  ad  Dominum  ;  si  enim  orassent,  partim  recorda- 
tione  Dei,  et  judiciorum  ejus  deterriti  a  scelerum  molitione  destitis- 
sent,  partim  Deus  gratia  sua  eos  praevenisset,  qua  eos  avocasset  a  malo, 
et  ad  bonum  incitasset.  Idem  experimur  in  peccatoribus,  si  obliviscan- 
tur  Dei,  prout  dicitur  de  illis  senibus  Susanna?  insidiantibus,  Dan.  xm  : 
Declinaverunt  ocalos  saos,  ut  non  vidèrent  cœlam.  Et  psalmista  ait,  Ps.xiii  ; 
Corrupti  sunt,  et  abominabiles  facti  sunt.  Qua  de  causa  ?  Quia  Diminum 
non  invocaverunt.  Hinc  famuli  Dei,  prout  asserit  Cassianus,  initio 
cujusque  operis  soient  implorare  opem  Dei,  u'ti  in  initio  singula- 
rum  horarum  :  Deus  in  adjutorium  meum  intende.  Et  orando  ad  Pri- 
mam  :...  tua  nos  hodie  salva  virtute.  ut  in  hac  die  ad  nullum  declinemus 
peccatum.  Habctur  ab  experientia,  captos  pro  Ghristo,  si  orationi 
insisterunt,  factqs  fuisse  martyres,  secus  a  fide  defuisse  (Corn,  a  Lap, 


DEVOIR  DE  COMBATTRE  LES   ENNEMIS  DE  NOTRE  SALUT.       /|5g 

premièrement  sans  retard.  Nous  avons  des  armes,  em- 
ployons les  ;  nous  connaissons  les  moyens  d'échapper  à 
nos  ennemis,  ayons-y  recours  tout  de  suite.  Est-ce  qu'un 
peuple  attend,  pour  se  défendre,  que  L'ennemi  ait  pénétré 
jusqu'au  cœur  du  pays?  Non  certes  ;  mais  dès  qu'il  se  sait 
menacé,  il  se  tient  sur  ses  gardes  et  court  à  la  frontière 
pour  repousser  l'envahisseur.  Ainsi  devons-nous  faire  avec 
les  ennemis  de  notre  salut.  Nous  savons  qu'à  tout  moment 
ils  peuvent  fondre  sur  nous;  soyons  donc  sans  cesse  sur 
nos  gardes,  et  dès  que  nous  les  apercevons,  employons  les 
moyens  que  nous  avons  de  leur  échapper,  soit  en  les 
fuyant,  soit  en  les  repoussant  par  la  pensée  de  la  présence 
de  Dieu,  par  le  souvenir  de  la  Passion  du  Sauveur,  par  un 
regard  jeté  sur  nos  fins  dernières,  par  la  prière  et  le  jeûne. 
Sachons-le  hien  et  ne  l'oublions  pas,  c'est  surtout  de  la  ma- 
nière dont  la  bataille  est  engagée  que  dépend  son  issue. 
Voilà  pourquoi,  si  dès  le  commencement  nous  nous  négli- 
geons et  donnons  quelque  peu  de  prise  à  l'ennemi,  presque 
toujours  nous  serons  perclus.  Au  contraire,  si  tout  de  suite 
nous  recourons  à  nos  armes,  nous  mettrons  ainsi  de  notre 
côté  une  grande  chance  de  succès. 

Cette  chance  sera  d'autant  plus  grande  que  nous  agi- 
rons avec  plus  de  résolution  et  plus  de  vigueur,  seconde 
condition  pour  triompher  de  nos  ennemis.  Eh  !  quand 
a-t-on  vu  des  soldats  allant  mollement  au  combat  reve- 
nir victorieux?  Il  en  est  de  même  des  chrétiens  qui  ne 
résistent  que  faiblement  aux  attaques  du  démon,  du 
monde,  et  de  leurs  passions  :  d'avance  on  peut  pré- 
dire leur  défaite.  On  les  entend  dire  :  Je  voudrais  bien 
ne  plus  tomber  dans  cette  faute,  je  voudrais  bien  échap- 
per à  cette  occasion  dangereuse,  je  voudrais  bien  me 
mettre  au-dessus  de  tel  préjugé.  Je  voudrais!  donc  ils 
ne  veulent  pas,  donc  ils  n'ont  que  le  désir  de  vouloir.  Or, 
ce  n'est  pas  avec  un  simple  désir  de  vaincre  qu'on  remporte 
une  victoire.  Pour  la  remporter,  il  faut  le  vouloir  envers  et 
contre  tout,  il  faut  le  voulowsans  condition,  dût-on  acheter 
la  victoire  au  prix  de  tout  ce  qu'on  possède  et  de  sa  vie  même. 
On  rapporte  de  la  sœur  de  saint   Thomas  d'Aquin,  qu'elle 

lui  dit  un  jour  ;  «  Mon  frère,  vous  qui  passes  pour  si 


400       LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XVII.  INSTRUCTION. 

savant,  apprenez-moi  donc,  s'il  vous  plaît,  ce  que  je  dois 
faire  pour  me  sauver.  »  Et  le  saint  docteur  lui  répondit  : 
«  Ma  sœur,  pour  vous  sauver,  il  faut  le  vouloir.  »  Or. 
puisque  pour  se  sauver  il  faut  combattre  les  ennemis 
du  salut,  pour  les  combattre  victorieusement,  il  faut  donc 
aussi  le  vouloir,  mais  le  vouloir,  encore  une  fois,  d'une 
volonté  véritable,  bien  décidée  et  absolument  inébran- 
lable (i). 

Enfin,  nous  devons  combattre  les  ennemis  de  notre  salut 
continuellement  et  sans  relâche  jusqu'à  la  fin.  Il  y  a  des 
chrétiens  qui  croient  assurer  suffisamment  leur  salut  en 
combattant  les  ennemis  de  leur  âme  en  certaines  époques 
de  leur  vie,  ou  en  certains  temps  de  l'année.  Par  exemple, 
ils  résisteront  au  démon,  au  monde  et  à  leurs  passions, 
quand  ils  se  préparent  à  leur  Première  Communion,  ou 
bien  à  l'approche  des  Pâques,  ou  bien  à  l'occasion  d'une 
mission  ou  d'une  retraite  ;  et  le  reste  du  temps,  ils  se  relâ- 
chent tellement  qu'il  n'y  a  guère  de  différence  entre  leur 
manière  de  vivre  et  celle  des  mondains  de  profession.    Or, 

i.  Vous  devez  combattre  avec  une  grande  énergie  de  cœur  ;  cette 
énergie,  vous  l'obtiendrez  facilement,  si  vous  la  demandez  à  Dieu.  Si  la 
rage  et  la  haine  incessante  de  vos  ennemis  vous  effraient,  si  leurs  nom- 
breux bataillons  vous  font  trembler,  rappelez-vous  donc  que  la  bonté  de 
Dieu  et  l'amour  qu'il  vous  porte  les  surpassent  encore  de  beaucoup,  et 
que  les  anges  et  les  saints  qui  prient  pour  vous  dans  les  cieux  sont 
beaucoup  plus  nombreux  que  les  ennemis  qui  vous  attaquent.  —  C'est 
cette  considération  qui  a  mis  au  cœur  de  tant  de  pauvres  femmes  tant 
de  courage,  qu'elles  sont  devenues  victorieuses  de  la  puissance  et  de  la 
sagesse  du  monde,  qu'elles  ont  dompté  la  chair  et  toute  la  rage  de  l'en- 
fer. —  Quand  même  il  vous  semblerait  parfois  que  les  attaques  de  vos 
ennemis  deviennent  plus  impétueuses  ;  quand  même  elles  devraient 
durer  toute  votre  vie  et  qu'elles  vous  menaceraient  de  ruine  de  plusieurs 
côtés  à  la  fois,  ne  vous  épouvantez  donc  pas.  Sachez  bien  que  toute  la 
force  et  l'habileté  de  vos  ennemis  sont  soumises  à  l'autorité  du  divin 
Capitaine  pour  la  gloire  duquel  vous  combattez.  Il  a  pour  vous  tant 
d'estime,  il  vous  appelle  lui-même  si  vivement  au  combat,  qu'il  ne  per- 
mettra jamais  qu'il  soit  au-dessus  de  vos  forces.  Au  contraire,  il 
combattra  pour  vous,  il  vous  livrera  vos  ennemis,  quand  il  le  jugera  con- 
venable et  pour  votre  plus  grand  bien  ;  •  ayez  toujours  espoir,  alors 
même  qu'il  attendrait  pour  cela  le  dernier  jour  de  votre  vie.  —  Ce  que 
l'on  vous  demande  seulement,  c'est  que  vous  combattiez  bravement, 
c'est  que  vous  ne  mettiez  jamais  bas  les  armes,  et  que  vous  ne  preniez 
jamais  la  fuite,  quand  même  il  vous  arriverait  de  recevoir  plusieurs 
blessures  (Scupoli,  op,  cit.  çh.  i5). 


M  \<>1H  ni    COMBATTRE  LES   i:\M.MIS    DE  NOTRE  SALUT.        \()  l 

quand  une  telle  conduite  n'est  pas  de  L'hypocrisie,  elle  est 
de  L'aveuglement  et  de  la  folie.  On  ne  peut  pas  ainsi,  tour  à 
tour,  combattre  les  ennemis  de  son  salut,  et  vivre  en  bonne 
Intelligence  avec  eux.  On  ne  peut  pas  ainsi,  tour  à  tour,  être 
tantôt  avec  Jésus,  et  tantôt  avec  Bélial  (l).  Dès  lorsque  le 
démon,  le  monde  et  nos  passions  mauvaises  sont  toujours  nos 
ennemis,  veulent  toujours  nous  perdre,  nous  devons  toujours 
les  combattre.  Cessent-ils  donc  de  nous  attaquer,  pour  que 
nous  cessions  de  nous  défendre  ?  La  guerre  qu'ils  nous  font 
ne  finira  qu'avec  notre  vie  ;  tant  que  nous  vivrons,  il  faut 
donc  lutter  sans  compromission  ni  défaillance.  Toute  con- 
cession de  notre  part  ne  ferait  que  nous  affaiblir  et  leur 
donner  sur  nous  plus  de  puissance,  rendant  ainsi  notre  posi- 
tion toujours  plus  dure  et  plus  périlleuse.  Mais  ce  qui  est 
plus  terrible  encore,  c'est  que  Dieu  peut  nous  appeler  à  lui 
rendre  nos  comptes  précisément  dans  le  temps  de  nos  infi- 
délités. Nous  avons  été  maintes  fois  avertis  qu' il  viendra 
comme  un  voleur  à  l'heure  qu'on  ne  sait  pas  (2).  Quelle  néces- 
sité donc  de  combattre  sans  relâche  les  ennemis  de  notre 
salut,  puisque  la  moindre  négligence  de  notre  part  sur  ce 
point  peut  avoir  pour  conséquence  notre  éternelle  damna- 
tion !  Comment  jugerions-nous  alors  notre  bizarre  et  incon- 
séquente conduite  ?  Mais  notre  malheur  serait  pour  toujours 
sans  remède.  Donc,  pour  éviter  cet  irréparable  malheur,  il 
faut  combattre  les  ennemis  de  notre  salut  sans  relâche, 
comme  il  faut  les  combattre  sans  ménagement  et  sans 
retard  (3). 

1.  II.  Cor.  vi,  14-17. 

:>..  I.  Thess.  v,  2  ;  II.  Petr.  m,  10  ;  Apoç.  m,  2  ;  xvi,  i5. 

3.  Adminicula  perseverantia?,  sunt  :  i°  Mentern  defigere  in  Deo  ;  hic 
enim  est  primus  Constantin  actus,  ex  quo  caetera  bona  sequuntur. 
:>.  \inor  ingens  Dei,  hic  enim  excitât  amantem  ad  laborandum,  et  pa- 
tiendum  pro  Dei  obsequio  ;  sic  charitate  obarmatus  Paulus  fidenter 
exclamabat  :  Qui*  nos  separabit  a  charilate  Dei  ?  3°  Magnum  desiderium 
proficiendi  in  virtute.  V  Cogitarc  quam  magna  opéra  facta  jam  sint  per 
constantiam  seu  perscverantiain  ;  sic  s.  Paulus  labore  et  constantia  con- 
vertie omnes  gentes,  etc.  5°  Cogitarc  brevem  esse  laborem  et  dolorem 
hujus  vit».  6"  Invocarc  angelum  constantiae,  puta  s.  Cabrielem.  qui 
interpretatur  fortitudo  Dei.  Exempla  constance  tu  m  in  gentilibus, 
quam  christianis  sunt  admiranda  (Claus,  Spicil.  uixiu.Mh.  6,  n.  38i). 

Noemus   centenis   oinnino  annis    aedificavit   arcam,    o   quot  sannis, 


46 2       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.  INSTRUCTION. 

CONCLUSION.  —  En  résumé,  chrétiens,  nous  savons 
maintenant  que  les  principaux  ennemis  de  notre  salut  sont 
le  démon,  le  monde  et  nos  mauvaises  passions.  Nous  savons 
également  que  les  principaux  moyens  à  employer  pour  les 
combattre  sont  la  prudence,  la  fuite,  la  pensée  de  la  pré- 
sence de  Dieu,  le  souvenir  de  la  passion  de  Notre-Seigneur, 
celui  de  nos  fins  dernières,  la  prière  et  le  jeûne.  Nous  savons 
enfin  que  la  manière  de  les  combattre,  c'est  de  le  faire  sans 
retard,  sans  faiblesse  et  sans  interruption  jusqu'à  notre  der- 
nier soupir.  Bref,  nous  savons  tout  ce  qu'il  est  essentiel  de 
savoir  pour  nous  acquitter  du  devoir  que  nous  avons  de 
combattre  les  ennemis  de  notre  salut.  Nous  serions  donc 
inexcusables  maintenant  de  ne  pas  nous  acquitter  de  ce 
devoir,  car  nous  ne  pourrions  plus  dire  que  nous  ne  savons 
ni  quels  sont  ces  ennemis,  ni  avec  quelles  armes,  ni  de 
quelle  manière  nous  pouvons  échapper  à  leurs  assauts.  Nous 
serions  d'autant  plus  inexcusables  que  nous  avons  l'exemple 
d'une  foule  de  chrétiens  qui,  sans  en  savoir  plus  que  nous, 
combattent  avec  un  plein  succès  ces  mêmes  ennemis.  De 
sorte  que  nous  ne  pouvons  pas  dire  non  plus  que  ce  combat 
est  au-dessus  des  forces  humaines.  Ce  fut  même  cette  con- 
sidération qui  triompha  des  dernières  hésitations  de  saint 
Augustin  à  mettre  la  main  à  l'affaire  de  son  salut.  Gomment 
donc  !  dit-il  :  voilà  des  jeunes  gens,  voilà  des  jeunes  filles, 
voilà  des  chrétiens  et  des  chrétiennes  de  tout  âge  et  de 
tout  rang,  qui  fièrement  et  joyeusement  résistent  au 
démon,  au  monde  et  à  leurs  passions  mauvaises,  et  je  ne 
pourrais  pas  faire  comme  eux  !  et  je  ne  pourrais  pas  secouer 
ce  triple  joug  qui  m'écrase  et  m'avilit  en  attendant  qu'il 
me  précipite  en  enfer  !  et  je  ne  pourrais  pas,  aussi  bien 
que  ceux-ci  et  celles-ci,  gravir  le  glorieux  sentier  qui  mène 
au  ciel  !  Il  dit,  et  sa  résolution  fut  prise,   et   de  cet  instant 

opprobriis  et  illusionibus  pro  fatuo  habitus  fuit,  et  tamen  ab  opère  non 
cessaviL  Ita  qui  serio  aspirât  ad  vitae  emendationem  et  salutem,  male- 
voli  mundi  irrisiones  curare  non  débet.  Dicat  generose  :  Propter  vos 
non  cœpi,  propter  vos  non  desinam .  —  Danielis  socii  dixerunt  régi  Baby- 
lonis  :  Notum  sit  tibi,  rex,  quod  deos  tuos  non  colimus,  et  statuam  tuam 
non  adoramus  !  Daniel  etiam  propter  crudcle  decretum  Darii  non  desiit 
quotidic  adorare  Dominum  sicut  anle  consueverat.  Sic  contrains  cona- 
tibus,  tentationibus,  et  amicitiis  resistendum  est  (Glaus,  loc.  cit.  n.  38a)* 


DEVOIR  DE  COMBATTRE  LES   ENNEMIS  DE  NOTRE  SALUT.       /|63 

commença  victorieuse  contre  les  ennemis  de  son  salut  la 
sainte  Lutte  qu'il  soutint  jusqu'à  la  mort  et  lui  mérita  la 
couronne  céleste.  Imitons  ce  courageux  athlète,  chrétiens, 
et  sa  récompense  sera  aussi  la  nôtre.  Ainsi  soit-il. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Principaux  ennemis  de  notre  salut. 

Le  démon.  —  t.  Un  jour,  dit  l'auteur  de  la  Vie  des  Pères  des 
déserts,  un  saint  solitaire  étant  en  prière  fut  transporté  en  esprit 
au  milieu  d'un  monastère  où  il  y  avait  plus  de  trois  cents  reli- 
gieux. 11  y  vit  une  multitude  incroyable  de  démons  qui  suivaient 
les  moines  partout  :  au  dortoir,  au  réfectoire,  au  jardin,  et  surtout 
à  la  chapelle.  Ils  avaient  l'air  de  les  pousser,  de  les  tirer,  de  les 
distraire  de  toutes  les  façons,  afin  de  les  porter  au  mal.  Le  même 
solitaire  fut  ensuite  transporté  dans  la  ville  d'Alexandrie  ;  mais  il 
fut  fort  étonné  de  n'y  voir  qu'un  seul  démon,  qui  était  assis  au- 
dessus  de  la  porte  de  la  ville,  et  qui  avait  l'air  de  n'avoir  pas 
grand'chose  à  faire.  Surpris  de  cette  singularité,  il  se  demandait 
à  lui-même  ce  que  cela  voulait  dire.  Un  ange  lui  fit  comprendre 
que  les  démons  étaient  très  nombreux  et  très  affairés  dans  les  mo- 
nastères, parce  que  les  religieux  leur  résistaient  de  tout  leur  pou- 
voir ;  tandis  qu'il  n'y  en  avait  besoin  que  d'un  pour  toute  la  ville, 
parce  que  les  gens  du  monde  se  portaient  assez  au  mal  d'eux-mê- 
mes (Rodriguez,  Pratique  de  la  perfect.  chrét.). 

2.  Sainte  Françoise  Romaine,  qui  fut  favorisée  de  visions  très 
extraordinaires,  raconte  que  quand  les  démons  se  préparent  à  la  ten- 
tation contre  une  âme  vigoureuse,  les  uns  se  placent  en  avant,  les 
autres  se  cachent  comme  des  traîtres.  La  servante  de  Dieu  voyait 
quelquefois  ceux-ci  faire  des  signes  comme  pour  demander  con- 
seils à  ceux  qui  les  tourmentaient.  Un  jour  qu'elle  était  ravie  en 
extase,  elle  fut  témoin  de  ce  qui  se  passe  à  la  mort  d'un  homme 
qui  s'est  laissé  vaincre  par  les  démons.  Aussitôt  que  l'âme  fut  sor- 
tie du  corps,  le  mauvais  esprit  de  cet  homme  se  jeta  sur  elle  avec 
impétuosité,  et  la  conduisit  en  enfer  avec  une  joie  furieuse.  D'autres 
démons  suivaient  cette  malheureuse  âme,  la  déchirant  dans  leur 
rage  jusqu'à  ce  qu'elle  fût  tombée  dans  l'abîme.  Ils  se  réunirent 
tous  ensuite  pour  se  communiquer  leur  joie  (Ribaden.  Vies  des 
Saints.  Sainte  Françoise  Romaine). 

3.  Après  sa  conversion,   sainte  Marguerite  de    Cortone  eut   à 


f\Ç>{\        LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.   INSTRUCTION. 

subir  les  plus  rudes  assauts  du  démon.  Souvent  il  lui  apparaissait, 
même  sous  une  l'orme  humaine,  empruntant  la  figure  d'un  jeune 
homme  ou  d'une  femme  du  monde  pour  la  ramener  à  ses  égare- 
ments passés.  11  cherchait  à  lui  persuader  qu'elle  perdait  son 
temps  ;  que  ses  pénitences  étaient  inutiles,  qu'elle  serait  inévita- 
blement damnée  pour  ses  crimes.  D'autres  fois,  il  la  tentait  par  la 
vaine  gloire,  lui  représentant  les  mérites  qu'elle  avait  acquis,  la 
réputation  de  sainteté  qu'elle  avait  dans  le  monde,  le  grand  con- 
cours de  peuple  qui  recourait  à  ses  prières.  D'autres  fois  encore, 
voyant  qu'il  ne  gagnait  rien  et  qu'elle  restait  humble,  il  remplis- 
sait son  esprit  de  fantômes  impurs  et  ses  oreilles  de  chansons 
obscènes.  Mais  loin  d'ébranler  la  servante  de  Jésus-Christ,  ces 
souvenirs  de  sa  vie  passée  ne  servaient  qu'à  redoubler  ses  amers 
regrets  et  accroissaient  ses  mérites  (Ribaden.  op.  cit.  22  févr.). 

Le  monde.  —  1.  Saint  André  Corsini  était  issu  d'une  des  plus 
illustres  familles  de  Florence.  Ses  parents,  qui  le  regardaient 
comme  le  fruit  de  leurs  prières,  l'avaient  consacré  au  Seigneur  par 
un  vœu  avant  sa  naissance.  Ils  prirent  donc  un  soin  particulier  de 
l'élever  dans  les  vraies  maximes  de  la  piété  chrétienne  ;  mais, 
entraîné  aux  plaisirs  du  monde  par  quelques  libertins,  dont  les 
mauvais  exemples  donnaient  une  nouvelle  activité  à  ses  passions, 
il  passa  dans  le  désordre  les  premières  années  de  sa  jeunesse,  et 
il  dut  sa  conversion  à  la  grâce  que  Dieu  lui  fit  de  rompre  ces 
mêmes  relations  qui  l'avaient  d'abord  perverti,  tant  il  est  vrai 
qu'on  se  sanctifie  dans  la  fuite  du  monde  et  de  ses  sectateurs, 
comme  le  disait  David:  Longe  a  peccatoribus  salas.  Ps.  cxvin,  i55. 

2.  Deux  jeunes  filles  étaient  aussi  pieuses  qu'amies.  Tous  les 
jours  elles  se  voyaient,  et  tous  les  jours  elles  accomplissaient 
ensemble  quelque  pratique  de  dévotion.  Elles  étaient  l'honneur  et 
la  joie  de  leurs  familles,  et  les  voisins  les  regardaient  avec  une 
sorte  de  jalousie.  Le  frère  de  l'une  d'elles  vint  à  se  marier  dans  la 
ville  voisine.  La  jeune  fille  s'y  rendit  pour  la  noce,  et  il  y  eut  bal. 
Les  compliments  ne  lui  manquèrent  pas,  et  l'imprudente  s'y 
laissa  prendre.  Rentrée  chez  son  père,  déjà  elle  n'était  plus  la 
même.  Peu  de  temps  après,  elle  retourna  chez  son  frère,  et  revit 
les  connaissances  de  la  première  heure.  Cette  fois,  on  la  conduisit 
au  spectacle.  Dès  lors,  les  conversations  avec  son  ancienne  amie  ne 
furent  plus  les  mêmes  :  il  n'y  fut  plus  question  que  de  toilettes  et 
d'amusements.  Le  poison  que  lui  avait  inoculé  la  vue  et  le  contact 
du  monde  avait  gagné  aussi  son  amie.  Toutes  deux  firent  à  la  ville 
d'assez  fréquentes  visites.  On  les  fêtait,  on  les  choyait,  elles  étaient 
dans  le  ravissement.  Mais  il  arriva,  hélas  !  ce  qui  devait  arriver. 


devoir  de  coMrvttre  les  ennemis  de  notre  salut.     465 

Désorientées  par  les  maximes  qu'on  leur  débitait,  entraînées  par 
Les  exemples  qu'elles  avaient  sous  les  yeux,  les  deux  malheureuses 
se  laissèrent  séduire,  et  au  bout  de  quelques  années,  terminèrent 
misérablement  une  existence  si  radieuse  tant  qu'elles  avaient  vécu 
loin  du  monde  et  près  de  Dieu. 

3.  Ke  monde  est  une  de  ces  tavernes  trompeuses,  semées  sur  les 
grandes  routes,  où  l'on  accourt  joyeux,  affable,  au-devant  du  voya- 
geur fatigué.  Tout  \  est  bien,  vous  dit-on,  la  nourriture  saine  et 
abondante,  le  prix  infime.  On  vous  sert  en  riant,  on  vous  égaie,  on 
vous  flatte.  Mais  le  lendemain,  on  vous  présente  une  note 
effrayante.  Comment,  dites-vous,  j'ai  peu  mangé...  Mais  ces  ali- 
ments si  vantés,  cette  boisson,  que  l'on  disait  être  si  délicieuse, 
étaient  détestables...  J'ai  peu  reposé,  le  lit  était  dur  comme  un 
rocher.  Où  sont  vos  belles  paroles,  vos  magnifiques  promesses  ? 
Mais  l'hôtelier  menace,  il  roule  des  yeux  enflammés,  et  vous  payez 
jusqu'à  la  dernière  obole.  Voilà  le  monde.  Que  de  flatteries,  de 
promesses,  il  prodigue  à  ses  hôtes  d'un  jour  !  Mangez,  buvez,  riez, 
dormez  sans  crainte,  dit-il,  Dieu  est  si  bon,  si  miséricordieux!  Et 
nous,  voyageurs  imprudents,  nous  ajoutons  foi  à  ces  paroles.  Mais 
la  mort  se  dresse  soudain,  elle  déroule  la  note  effrayante  que  l'é- 
ternité réclame  du  temps,  c'est-à-dire  l'enfer.  Quoi  !  ces  supplices 
éternels  pour  quelques  plaisirs  passagers  et  pleins  d'amertume  ! 
Regrets  superflus  !  Vous  avez  bu,  mangé,  acquittez  maintenant 
votre  dette,  expiez  dans  les  souffrances  éternelles. 

Les  passions  mauvaises.  —  i.  Salomon,  ce  roi  d'abord  si 
sage  et  si  conforme  au  cœur  de  Dieu,  qui  avait  fait  tant  de  choses 
admirables  pour  la  gloire  du  Seigneur,  Salomon  se  laisse  séduire 
par  l'amour  des  femmes,  et  il  est  entraîné  jusqu'à  adorer  les  ido- 
les de  celles  qu'il  avait  épousées. 

2.  Hérode  Antipas  épouse  Hérodiade,  femme  de  son  frère  encore 
vivant,  et  dans  l'ivresse  d'un  bal  et  d'un  festin,  il  fait  couper  la 
tête  à  saint  Jean-Baptiste,  qui  lui  reprochait  hardiment  son 
inceste. 

3.  Judas  se  laisse  tenter  par  l'amour  de  l'argent  ;  cette  passion 
va  de  jour  en  jour  croissant  dans  son  cœur,  et  elle  le  mène  au  plus 
exécrable  des  crimes,  à  la  communion  sacrilège,  à  la  trahison  de 
son  divin  Maître,  enfin  au  désespoir  qui  le  pousse  au  suicide,  et  il 
meurt  dans  l'impénitence  finale. 

4-  Félix  était  gouverneur  de  la  Judée  pour  les  Romains,  lorsque 
saint  Paul  était  prisonnier  pour  la  foi.  Ce  magistrat  faisait  souvent 

SOMME  DU   PRÉDICATEUR.  —   T.   II.  «O 


/j66      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVII.  INSTRUCTION. 

paraître  l'apôtre  devant  lui,  et  prenait  beaucoup  de  plaisir  à  l'en- 
tendre ;  mais  ses  passions,  auxquelles  il  s'abandonnait,  empê- 
chaient la  grâce  d'agir  sur  son  cœur.  Un  jour  que  saint  Paul  avait 
parlé  avec  beaucoup  de  force  sur  la  justice,  la  chasteté  et  le  juge- 
ment dernier,  le  gouverneur  en  fut  effrayé  ;  mais  étouffant  les 
remords  de  sa  conscience,  il  dit  à  l'apôtre  :  Retirez-vous  pour  le 
moment,  je  vous  ferai  venir  en  temps  convenable.  «  0  criminel 
délai  !  s'écrie  saint  Augustin.  G  paroles  ennemies  de  toute  grâce  ! 
L'amour  du  monde,  de  l'argent  et  des  plaisirs,  la  dissipation  et 
l'indolence  ne  laisseront  jamais  trouver  le  temps  convenable  pour 
se  convertir.  Ainsi  le  pécheur  se  verra  tout  à  coup  précipité,  en 
enfer,  et  ne  sera  tiré  de  sa  léthargie  que  par  les  pointes  cuisantes 
du  feu  éternel.  » 

Moyens  pour  combattre  les  ennemis  de  notre  salut. 

La  vigilance.  —  i.  Les  soldats  romains  qui  veillaient  sous  les 
armes  et  faisaient  sentinelle  la  nuit,  devaient  se  répéter  :  Vigila, 
Mars.  Veille,  ô  guerrier  !  Et  quand  leur  sommeil  était  trop  fort,  ils 
déposaient  leur  bouclier,  sur  lequel  ils  auraient  pu  trop  facile- 
ment s'appuyer  pour  dormir.  —  O  homme,  il  faut  veiller  tout 
armé.  Les  armes  du  chrétien  sont  la  prière  et  la  vigilance.  Une 
fausse  confiance,  une  trompeuse  sécurité,  quelques  vertus  humai- 
nes, voilà  le  bouclier  sur  lequel  nous  serions  tentés  de  dormir  ; 
mais  nos  faiblesses,  mais  la  grâce,  mais  la  pensée  de  notre  immor- 
talité nous  crie  :  Veille,  ô  chrétien,  veille  ! 

2.  —  Sainte  Synclétique,  vierge  solitaire,  faisait  des  instructions 
et  des  exhortations  à  beaucoup  de  femmes  chrétiennes  qui  venaient 
la  consulter  sur  des  matières  de  piété.  Un  jour,  entre  autres,  elle 
leur  parlait  ainsi  des  dangers  de  cette  vie  :  «  Nous  devons  être  sur 
nos  gardes,  parce  que  nous  avons  une  guerre  continuelle  à  soute- 
nir. Sans  cette  vigilance,  l'ennemi  nous  surprendra  lorsque  nous 
y  penserons  le  moins.  Un  vaisseau  échappe  quelquefois  à  une  vio- 
lente tempête  ;  mais  si  le  pilote  ne  veille,  même  pendant  le  calme, 
une  vague,  soulevée  par  un  coup  de  vent  imprévu,  suffira  pour  le 
submerger.  Pourvu  que  l'ennemi  vienne  à  bout  de  détruire  la 
maison,  il  se  soucie  peu  des  moyens  qu'il  met  en  œuvre.  Pendant 
cette  vie,  nous  voguons  sur  une  mer  inconnue  et  semée  d'écueils, 
où  le  calme  et  l'orage  se  succèdent  continuellement.  Toujours  nous 
sommes  en  danger  ;  et  si  nous  avons  l'imprudence  de  nous  endor- 
mir, notre  perte  est  assurée.  Jésus-Christ  lui-même  veut  bien  être 
le  pilote  de  notre  vaisseau,  et  il  nous  conduira  au  port  du  salut,  à 
moins  que  nous  ne  nous  perdions  pas  notre  négligence.  »     c 


DEVOIR  DE  COMBATTRE   LES  ENNEMIS  DE   NOTRE  SALUT.       /167 

La  pensée  de  la  présence  de  Dieu.—  i.  Ce  fut  l'arme 
dont  se  servit  pour  se  défendre,  dans  une  circonstance  extrême- 
ment périlleuse,  le  patriarche  Joseph,  l'un  des  douze  fils  de  Jacob. 
Vendu  comme  esclave  à  un  riche  et  puissant  Égyptien,  nomme 
Putiphar,  la  femme  de  son  maître  s'éprit  criminellement  de  lui, 
el  ne  rougit  pas  de  lui  avouer  sa  passion,  en  s'eflbrçant  de  la  lui 
faire  partager.  Mais  toutes  les  fois  qu'elle  lui  en  parlait,  Joseph 
n'avait  qu'une  réponse:  Comment  oserais-je  commettre  le  péché 
devant  Dieu  qui  me  voit?  Cette  pensée  le  soutint  si  victorieusement 
qu'il  préféra  se  laisser  mettre  en  prison  plutôt  que  de  succomber 
an  mal. 

2.  Ce  fut  cette  même  pensée  qui  soutint  aussi  la  vertueuse 
Suzanne  dans  une  circonstance  non  moins  critique.  Sollicitée  au 
mal  par  deux  infâmes  vieillards,  elle  rougit  de  leur  proposition,  et 
levant  les  yeux  au  ciel  elle  dit  :  «  Je  me  vois  dans  l'embarras  de 
toutes  parts.  Si  je  consens  à  votre  honteuse  proposition,  je  n'é- 
chapperai pas  à  la  main  de  Dieu  qui  me  voit  ;  il  est  mon  juge,  et 
me  fera  rendre  compte  d'une  action  aussi  criminelle.  Si,  au  con- 
traire, je  ne  consens  pas  à  vos  désirs,  je  n'échapperai  pas  à  vos  res- 
sentiments, et  je  vois  que  vous  me  ferez  bientôt  mourir.  Mais  je 
crains  Dieu,  et  j'aime  mieux  souffrir  tous  les  supplices  et  tomber 
entre  vos  mains  cruelles,  que  d'offenser  le  Seigneur  en  sa  présence 
et  de  tomber  entre  les  mains  de  sa  justice.  »  Elle  allait  être  mise  à 
mort,  par  suite  de  la  calomnie  qu'avaient  portée  contre  elle  ses 
deux  suborneurs,  lorsque  Dieu  la  délivra  par  le  ministère  de 
Daniel,  qui  fit  tomber  en  contradiction  ses  accusateurs.  Son  inno- 
cence fut  donc  reconnue,  et  les  deux  impudiques  vieillards  subi- 
rent le  supplice  auquel  ils  avaient  fait  injustement  condamner  la 
fidèle  servante  de  Dieu. 

Le  souvenir  de  la  Passion  du  Sauveur.  —  i.  Gomment 
peut-on  encore  commettre  le  péché,  quand  on  croit  que  le  Fils  de 
Dieu  est  mort  pour  l'expier  ?  Sainte  Catherine,  de  Gênes,  à  la  vue 
de  Jésus-Christ  qui  lui  apparaissait  portant  sa  croix  et  couvert  de 
sang,  s'écria  :  «  0  Jésus  !  ô  mon  amour  !  Plus  jamais  de  péchés, 
puisqu'ils  vous  ont  coûté  si  cher.  » 

2.  Notre-Seigneur  se  présenta  aussi,  un  des  jours  du  carnaval, 
à  la  bienheureuse  Marguerite-Marie,  dans  l'état  où  il  fut  autrefois 
lorsque  Pilate  le  montra  au  peuple  pour  exciter  sa  compassion,  et 
qu'il  leur  dit  :  Voilà  l'homme.  11  paraissait  tout  déchiré  de  coups 
et  couvert  de  meurtrissures  ;  son  sang  coulait  de  toutes  parts  ;  il 
portait  sur  ses  épaules  une  croix  pesante,  et  disait  d'une   voix 


^68      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALÛT.  XVÎI.  INSTRUCTION. 

triste  et  douloureuse  :  «  N'y  aura-t-il  personne  qui  ait  pitié  de 
moi,  qui  veuille  compatir  à  ma  douleur?  Voilà  l'état  pitoyable  où 
les  pécheurs  me  mettent  dans  ce  temps-ci.  » 

La  pensée  des  fins  dernières.  —  i.  «  En  nous  réveillant, 
disait  saint  Antoine  à  ses  disciples,  pensons  que  nous  n'irons 
peut-être  pas  jusqu'au  soir  ;  et,  en  nous  couchant,  pensons  que 
nous  ne  verrons  peut-être  pas  le  jour  suivant.  Prévenus  de  cette 
pensée,  nous  ne  nous  laisserons  point  aller  à  de  frivoles  désirs  ; 
rien  ne  nous  mettra  en  colère,  nous  mépriserons  les  biens  fragiles 
de  cette  vie,  dans  la  crainte  où  nous  serons  de  la  quitter  chaque 
jour.  » 

2.  C'est  ainsi  qu'en  usait  sainte  Marcelle,  dont  saint  Jérôme 
rapporte  qu'elle  vécut  toujours  occupée  de  la  pensée  de  la  mort,  et 
qu'elle  ne  s'habillait  jamais  sans  se  figurer  l'état  où  elle  serait 
dans  le  tombeau. 

3.  Ru  fin  rapporte  qu'un  religieux  du  saint  abbé  Quilius  éprou- 
vait dans  son  état  des  ennuis  et  des  dégoûts,  à  la  faveur  desquels 
le  démon  lui  suggérait  la  pensée  de  quitter  le  monastère.  Il  fut 
assez  prudent  pour  aller  trouver  son  abbé  et  lui  découvrir  la  ten- 
tation qui  le  travaillait.  «  Mon  fils,  lui  dit  le  vénérable  abbé,  je 
vous  donnerai  un  remède  qui  dissipera  vos  ennuis  et  vous  rendra 
léger  le  joug  de  la  religion  ;  entrez  en  votre  cellule  et  méditez  sur 
l'éternité  des  supplices  qui  nous  menacent,  et  l'éternité  de  bonheur 
qui  nous  est  promise.  »  Le  religieux  obéit,  et  fut  délivré  de  la  ten- 
tation. 

La  prière  et  le  jeûne.  —  Le  trait  suivant,  que  nous  rappor- 
tons sur  la  foi  de  saint  Bernard  et  de  saint  Pierre  Damien,  fournit 
une  preuve  éclatante  de  la  puissance  de  la  prière  et  du  jeûne  contre 
les  ennemis  de  notre  salut. 

Un  homme  distingué,  qui  vivait  dans  les  siècles  de  foi  du 
moyen-âge,  et  qui  s'appelait  Théophile,  fut  accusé  faussement 
auprès  de  son  évêque.  Celui-ci,  trompé  par  la  calomnie,  le  priva 
d'un  emploi  honorable  qu'il  occupait.  Outré  de  dépit,  Théophile 
se  porta  aux  derniers  excès,  et,  dans  sa  fureur,  il  se  tourna  vers  le 
démon,  pour  obtenir  justice  et  vengeance.  L'esprit  malin  lui 
apparut  et  promit  de  lui  rendre  sa  réputation  et  son  emploi,  à  la 
seule  condition  qu'il  renonçât  à  Jésus  et  à  Marie.  Aveuglé  par  sa 
passion,  le  malheureux  consentit  à  tout,  et  donna  au  démon  une 
renonciation  formelle  écrite  de  sa  main.  Le  jour  suivant,  l'évêque, 
ayant  reconnu  la  calomnie,  fit  appeler  Théophile,  lui  demanda 
pardon  de  sa  trop  grande  crédulité  et  le  rétablit  dans  sa  première 


DEVOIR  DE  COMBATTRE  LES  ENNEMIS  DE  NOTRE  SALI  l  .       16g 

dignité.  —  Alors  la  fureur  de  Théophile  se  rai  ma,  mais  en  même 
temps  Bes  yeux  s'ouvrirent  sur  le  crime  qu'il  avait  commis,  et 
son  âme  fui  en  proie  aux  plus  cruels  remords.  Heureusement,  il 
ne  perdit  point  l'espérance  el  so  tourna  vers  la  Vierge  Marie. 
Prosterné  devant  une  de  ses  Images,  chère  à  la  dévotion  publi- 
que, il  la  supplia  de  le  soustraire  au  pouvoirdu  démon  dont  il  était 
devenu  L'esclave.  \u\  prières  et  aux  larmes  il  joignit  un  jeune 
rigoureux  qu'il  continua  pendant  quarante  jours,  au  bout  dos- 
quels  la  Mère  de  Dieu  lui  apparut  et  lui  dit  qu'elle  lui  avait  obtenu 
son  pardon.  —  A  cette  heureuse  nouvelle,  le  pauvre  pécheur  res- 
pira ;  il  avait  obtenu  miséricorde.  Mais  il  lui  restait  une  épine 
profondément  enfoncée  dans  le  cœur  :  c'était  le  fatal  billet  écrit 
de  sa  main,  et  qui  était  resté  dans  celle  de  Satan.  Animé  d'une 
nouvelle  confiance,  il  se  jette  encore  aux  pieds  de  Marie,  la  con- 
jure avec  un  torrent  de  larmes  d'achever  son  œuvre  de  médiation, 
et  d'arracher  au  démon  la  cédule  sacrilège.  Après  avoir  persévéré 
trois  jours  dans  les  supplications  et  la  pénitence,  s'étant  mis  au 
lit,  il  trouva  le  matin,  à  son  réveil,  son  écrit  sur  sa  poitrine.  Cette 
faveur  obtenue  de  Marie  mit  le  comble  à  son  bonheur.  Pour 
témoigner  sa  reconnaissance,  du  consentement  de  l'évêque,  il 
publia  dans  l'Eglise,  devant  tout  le  peuple,  le  crime  qu'il  avait  eu 
le  malheur  de  commettre,  et  raconta  comment  la  prière  et  le  jeune 
lui  avaient  obtenu  son  pardon  et  l'avaient  arraché  au  pouvoir  de 
Satan. 


DIX-HUITIÈME    INSTRUCTION 

(Dimanche  des  Rameaux) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
*  de  sanctifier  toutes  ses  actions. 

I.  En  quoi  consiste  le  devoir  de  sanctifier  toutes  ses  actions.—  II.  Pour- 
quoi doit-on  sanctifier  toutes  ses  actions. 

Ce  serait  en  vain,  chrétiens,  que  nous  ferions  toutes  les 
actions  qui  nous  sont  prescrites  par  les  commandements  de 
Dieu  et  de  l'Église,  si,  en  même  temps,  nous  n'accomplis- 
sions pas  le  nouveau  devoir  dont  j'ai  à  vous  parler  dans  cet 
entretien.  Oui,  vainement  nous  ferions  exactement  nos 
prières  matin  et  soir  ;  vainement,  les  jours  de  dimanches  et 
de  fêtes,  nous  nous  abstiendrions  d'œuvres  serviles  et  assis- 
terions à  tous  les  offices  de  l'Église  ;  vainement  les  parents 
et  les  enfants,  les  supérieurs  et  les  inférieurs  s'acquitteraient 
de  toutes  leurs  obligations  respectives  ;  vainement  nous 
nous  confesserions  chaque  année  et  communierions  àPâques  ; 
vainement  nous  observerions  les  jeûnes  et  les  abstinences 
qui  nous  sont  prescrits,  et  tout  le  reste,  notre  salut  par  cela 
seulement,  ne  serait  pas  assuré,  mais  tout  au  contraire  nous 
serions  certainement  damnés,  sans  l'accomplissement  du 
devoir  que  je  viens  vous  annoncer.  Quel  est  donc  ce 
devoir  si  important,  à  défaut  duquel  tous  les  autres  seraient 
inutilement  observés  ?  Ce  devoir,  écoutons-le  bien,  ce  n'est 
pas  une  action  nouvelle  qui  nous  soit  commandée,  mais 
c'est  la  sanctification  de  toutes  les  actions  qui  nous  sont 
prescrites.  Saint  Bernard  dit  en  effet  quelque  part,  d'une 
manière  très  piquante  et  très  expressive,  que  ce  ne  sont  pas 
les  verbes  qui  ouvrent  le  ciel,  mais  les  adverbes.  Ce  qui 
signifie  qu'on  n'arrive  pas  au  ciel  simplement  en  faisant  des 
œuvres  bonnes  et  saintes,  mais  bien  en  faisant  saintement 
ces  bonnes  œuvres.  C'est  d'ailleurs  la  doctrine  expresse  de 


DEVOIR  OF  SANCTIFIES  TOUTES  nos  ACTIONS.  f\^\ 

Notre-Seigneur  Lui-même.  Sans  mil  douté,  la  prière,  le 
jeûne,  L'aumône,  sont  dos  bonnes  œuvres  de  premier  ordre. 
Cependant  h*  divin  Maître  déclare  ouvertement  que  même 
ces  bonnes  œuvres  n'ouvriront  pas  la  porte  du  ciel  si  elles 
ne  sont  pas  bien  faites,  c'est  à  dire  saintement  (i).  Le  Sau- 
veur parlait  de  la  sorte  parce  que,  déjà  de  son  temps,  il  y 
avait  des  personnes  qui  s'imaginaient  qu'il  suffisait,  pour  se 
sauver,  d'observer  matériellement  les  préceptes  du  Seigneur. 
C'était  une  grave  erreur,  que  le  Sauveur  signala  et  réprouva 
à  maintes  reprises,  avec  une  grande  énergie,  comme  radica- 
lement incompatible  avec  le  salut  des  âmes.  Or  cette  erreur,  si 
condamnée  qu'elle  ait  été  par  le  divin  Maître,  ne  se  retrouve 
pas  moins  encore  chez  la  plupart  des  chrétiens,  qui  se  con- 
sidèrent comme  parfaitement  en  règle,  dès  qu'ils  accomplis- 
sent l'extérieur  et  la  lettre  des  commandements  divins.  Il 
est  donc  dès  lors  nécessaire  de  leur  rappeler  les  enseigne- 
ments du  Sauveur,  afin  de  ne  pas  les  laisser  s'égarer  dans 
des  sentiers  de  perdition,  mais  de  les  mettre  à  même  de 
marcher  dans  le  véritable  chemin  du  salut.  C'est  ce  que 
nous  allons  faire,  en  expliquant  d'abord  en  quoi  consiste  le 
devoir  de  sanctifier  toutes  ses  actions,  et  en  disant  ensuite 
pourquoi  l'on  doit  sanctifier  toutes  ses  actions  (2)  —  0  Dieu  ! 
dont  les  saintes  Ecritures  nous  rapportent  que  vous  avez 
bien  fait  toutes  choses,  tant  dans  l'œuvre  de  la  création  que 
dans  l'oeuvre  de  la  rédemption,  accordez-nous  la  grâce,  à 
nous  que  vous  avez  créés  à  votre  image  et  ressemblance, 
d'accomplir  également  bien,  à  votre  exemple,  tout  ce  que 
nous  avons  à  faire  pour  l'œuvre  de  notre  salut. 

I.  —  En  quoi  consiste  le  devoir  que  nous  avons  de 
sanctifier  toutes  nos  actions.  —  Il  n'en  est  pas  de  la 
sanctification  de  nos  actions,  est-il  besoin  de  le  dire,  comme 

1.  Malth.  vi,  1-18. 

2.  On  pourrait  ajouter  une  troisième  réflexion,  dans  laquelle  o*h  expo- 
serait les  principaux  moyens  de  sanctifier  toutes  ses  actions  etqui  sont  : 
de  les  faire  en  présence  de  Dieu;  de  les  faire  en  vue  de  Jésus-Christ  ;  de 
faire  chacune  d'elles  comme  si  elle  devait  être  la  dernière  de  notre  vie; 
de  penser  en  les  faisant  au  jugement  qu'il  en  faudra  rendre,  et  à  l'éter- 
nité bienheureuse  ou  malheureuse  qui  en  sera  la  récompense  ou  le 
châtiment. 


1^1      LES  GRÀIXDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.  INSTRUCTION. 

de  la  sanctification  du  nom  de  Dieu,  que  nous  demandons 
dans  l'Oraison  Dominicale,  en  disant  :  Que  votre  nom  soit 
sanctifié.  En  demandant  que  le  nom  de  Dieu  soit  sanctifié, 
nous  entendons  qu'il  soit  honoré  et  glorifié.  Au  contraire, 
en  disant  que  nous  devons  sanctifier  toutes  nos  actions, 
nous  voulons  dire  que  nous  devons  les  faire  saintement  ; 
ou  autrement,  que  nous  devons  les  faire  avec  des  disposi- 
tions qui,  d'actions  naturelles,  les  élèvent  au  degré  d'actions 
surnaturelles.  Par  où  l'on  comprend  qu'en  disant  que  nous 
devons  sanctifier  toutes  nos  actions,  nous  ne  parlons  que  de 
nos  actions  naturellement  bonnes,  ou  au  moins  indifférentes  ; 
car  pour  les  actions  mauvaises  en  elles-mêmes,  il  ne  saurait 
être  question  de  les  sanctifier,  et  nous  n'avons  à  leur  égard 
qu'une  seule  chose  à  faire,  les  éviter  complètement. 

Or,  la  première  chose  en  quoi  consiste  le  devoir  que 
nous  avons  de  sanctifier  nos  actions,  c'est  de  nous  mettre 
en  état  de  grâce  pour  les  accomplir,  ou  de  nous  y  maintenir 
si  déjà  nous  avons  le  bonheur  d'y  être.  L'état  de  grâce  est 
l'état  de  l'âme  unie  à  Dieu  par  la  charité.  Dans  cet  état,  et 
par  suite  de  son  union  avec  Dieu,  l'âme  vit  de  la  vie  surna- 
turelle de  Dieu  lui-même,  comme  le  sarment  vit  de  la  vie  du 
cep  auquel  il  est  uni.  C'est  Notre-Seigneur  qui  fait  cette 
comparaison,  en  disant  :  Je  suis  la  vigne  et  vous  êtes  les 
branches  (i).  Que  si  l'âme  unie  à  Dieu  par  la  grâce  vit  de  la 
vie  surnaturelle  de  Dieu,  les  œuvres  qu'elle  accomplit  en  cet 
état  sont  donc  des  œuvres  surnaturelles,  les  œuvres  étant 
nécessairement  de  la  même  nature  que  la  vie  qui  les  produit. 
Et  d'un  autre  côté,  si  les  œuvres  d'une  âme  en  état  de  grâce 
sont  des  œuvres  surnaturelles,  ces  œuvres  peuvent  donc  être 
méritoires  du  ciel,  qui  est  lui-même  une  récompense  surna- 
turelle. Au  contraire,  l'âme  qui  n'est  pas  en  état  de  grâce, 
ne  vivant  pas  de  la  vie  surnaturelle  de  Dieu,  ne  peut  pas  par 
là  même  produire  des  œuvres  surnaturelles,  et  par  suite  il 
lui  est  impossible,  quoi  qu'elle  fasse  en  cet  état,  de  mériter 
le  ciel.  Ainsi  voyons-nous  que  même  certains  biens  de  ce 
monde  ne  se  peuvent  acquérir  qu'au  moyen  d'actes  ayant 
même  nature  qu'eux.  Par  exemple,  un  homme  riche  pourra- 

i,  Joan,  xv,  5. 


DE\OIH   DE  SANCTIFIER  TOUTES  NOS   VOTIONS.  ^3 

I  il  jamais,  avec  ses  trésors,  acquérir  la  gloire  que  s'assure 
un  héros  par  une  action  d'éclat  ?  11  en  est  de  même  du  bien 
surnaturel  du  salut,  cVH-à  dire  du  ciel  :  on  ne  peut  l'obte- 
nir qu'au  prix  d'oeuvres  de  même  nature,  c'est-à-dire 
d'oeuvres  accomplies  clans  l'état  de  grâce.  Quant  à  ceux  qui 
ne  sont  pas  en  cet  état,  quoi  qu'ils  fassent,  encore  une  fois, 
il  n'y  a  pas  de  salut  pour  eiïx.  Écoutons  la  parole  sans  répli- 
que du  Sauveur  :  Celui  qui  demeure  eu  moi,  dit-il,  et  en  qui  je 
demeure,  porte  beaucoup  de  fruit.  Car  sans  moi  vous  ne  pouvez 
rien  faire.  Mais  si  quelqu'un  ne  demeure  pas  en  moi,  il  sera  jeté 
dehors  comme  le  sarment,  et  il  deviendra  sec  ;  on  le  ramassera, 
on  le  jettera  au  feu  et  il  brûlera  (i).  Entendons  ces  paroles 
péremptoires,  chrétiens.  Quelle  lumière  ne  doivent-elles  pas 
jeter  dans  le  cœur  d'un  grand  nombre  d'entre  nous  !  Com- 
bien de  chrétiens  en  effet  qui  vivent  avec  indifférence  dans 
l'état  du  péché,  ceux-ci  pendant  presque  toute  l'année,  ceux- 
là  pendant  presque  toute  leur  vie  !  Et  tout  en  vivant  ainsi, 
ils  pensent  néanmoins  accomplir  leur  devoir,  parce  qu'ils 
en  font  les  actes.  Qu'ils  s'en  souviennent  donc  bien  mainte- 
nant, toutes  leurs  bonnes  actions  sont  nulles  et  ne  comptent 
pas,  parce  que  n'étant  pas  en  état  de  grâce,  ils  ne  peuvent 
les  sanctifier,  et  qu'il  n'y  a  que  les  œuvres  sanctifiées  et 
surnaturelles  qui  servent  au  salut  (2), 

1.  Joan.  xv,  5,  6. 

2.  Mirabili  quadam  rationc  agricoLnc  ex  una  eadem  planta  varios 
fructus  percipiunt  ;  id  aulem  asscquuntur  inserendi  artificio,quodejus- 
modi  est,  pusillum  aliquod  ex  arbore  aliqua  germen  decerptum,  una 
cum  cortice  arboris  illius  subjecto,  in  alterius  arboris  potions  aliqua 
parte  sic  incisa,  ut  ei  cortex  quadret,  includunt,  ut  naturali  mêlions 
arboris  humorc,  germen  illud  enutritum,  coalescat,  et  ramus  fiât  :  sic 
nos  média  gratis  divins  inserimur  naturae,  per  illam  enim,  ut  ait  apos- 
tolus  Petrus,  consortes  efficimur  divinœ  naturœ.  II.  Petr.  1.  Unde,  sicut 
ramus  oleastri  insertus  olivae,  participans  virtutem  ipsiusolivœ,  fructum 
affert  dignum  oliva,  cui  fuit  insertus  :  sic  qui  per  gratiam  et  charita- 
tern  inseritur  Deo,  divinos  et  supernaturales  fructus  profert,  et  merito- 
rios  vite  supernaturalis  reternae  (Labat.  Loc.  Comm.  v,  Gralia,  prop.  1). 

Quid  requiritur  ad  opus  meritorium  ?  Requiritur  imprimis,  ut  pro- 
cédât a  corde  puro,  id  est,  ut  fiât  in  statu  gratiac,  quae  omnis  meriti  et 
consurgentis  exinde  divins  complacentiae  radix  est  et  fundamentum. 
Ingrediamur  Scripturam  Divinus  rerum  omnium  Creator  diversissimas 
initio  mundi  creaturas  e  nihilo  produxit.  Prima  die,  creavit  cœlum  et 
terram  ;  altéra  die,  firrnamenturn  ;   tertja   die,  mare   et  aridam   cum 


/[74      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT,  s —  XVIII.  INSTRUCTION. 

Une  seconde  chose  en  quoi  consiste  notre  devoir  de  sanc- 
tifier toutes  nos  actions,  c'est  de  les  faire  pour  obéir  à  Dieu 
et  lui  plaire.  Grand  encore  est  le  nombre  des  chrétiens  qui 
pèchent  en  ce  point.  Les  uns  s'acquittent  de  leurs  devoirs 
par  tempérament,  c'est-à-dire  parce  qu'ils  y  sont  inclinés  et 
portés  par  leur  naturel.  Telle,  cette  femme  qui  ne  manque 
jamais  ses  prières  ni  l'assistance  aux  saints  offices,  parce 
qu'elle  y  goûte  un  secret  plaisir,  comme  d'autres  femmes 
se  plaisent  à  la  toilette,  aux  visites,  aux  conversations.  Tel 
cet  homme  riche  qui  répand  d'abondantes  aumônes,  parce 
que  la  vue  des  malheureux  l'afflige,  et  qu'il  aime  à  les  sou- 
lager et  à  adoucir  leur  sort.  —  D'autres  s'acquittent  de  leurs 
devoirs  par  calcul  et  par  raison.  Ils  ont  remarqué,  d'un 
côté,  que  ceux  qui  font  le  bien  n'ont  en  général  qu'à  s'en 
féliciter;  et  de  l'autre,  que  ceux  qui  font  le  mal  s'attirent 
presque  toujours  des  déboires  et  des  peines  plus  ou  moins 
graves.  Considérant  que  leur  propre  avantage  est  dès  lors  de 
faire  le  bien  et  d'éviter  le  mal,  ils  s'appliquent  en  consé- 
quence à  mener  une  vie  où  l'on  ne  trouve  rien  à  reprendre. 
—  D'autres  encore  s'acquittent  de  leurs  devoirs  par  une 
sorte  de  respect  humain,  c'est-à-dire  pour  faire  comme  les 

herbis  et  plantis  ;  quarta  die,  solem,  lunam  et  sidéra  ;  quinta  die,  pisces 
in  aquis  et  volucres  in  aère.  Omitto  caetera  divini  opificis  artefacta  recen- 
sere,  et  illud  solum  admirabundus  considère-,  quod  teste  scriptura 
Dominus  Deus  quinta  primum  die  creaturis  suis  divinam  benedictio- 
nem  impertiri  cœperit.  Gur  autem  quinta  primum  die? an  opéra  prima?, 
secundae,  tertiae  et  quartae  diei,  videlicet  cœlum,  terra,  firmamentum, 
sol,  luna,  Stella?,  et  alia  non  erant  divina  benedictione  digna  ?  Quid 
amplius  meruere  pisces  maris  et  aves  cœli  supra  caeteras  creaturas  ?  Ita 
interrogat  Rupertus,  et  sibi  ipsi  respondet,  lib.  i,in  Gen.  c.  52  :  Meruere 
aliquid  amplius  ;  quanquam  enim  caetera?  creatura?  sint  excellentes,  et 
omnibus  numeris  absolutae,  vita  tamen  carent  qua  pisces  et  aves  praedi- 
tae  sunt.  Gonsequenter  hac  re  nobis  insinuatur,  quod  Dominus  Deus 
cœlestem  suam  benedictionem  non  nisi  creaturis  viventibus  imper- 
tiatur.  Vis,  mi  christiane,  ut  Dominus  Deus  operibus  tuis  benedicat,  ut 
complacentiam  in  illis  hauriat,  ut  salutem  seternam  tibi  pro  iis  rétri- 
buât ?  Necesse  est,  ut  vivant  vita  supernaturali  gratta?  :  liac  vita  défi- 
ciente, etsi  opéra  tua  sint  cxcellentissima  et  toti  mundo  admiranda, 
divinam  tamen  benedictionem  et  salutem  non  impetrabunt.  Ora,labora, 
jpjuna,  stude,  rempublicam  utiliter  administra,  aedifica  ccclesias,  funda 
hospitalia  et  monasteria,  aliaque  fac,  si  in  statu  peccati  mortalis  baec 
omnia  agas,  minus  places  Deo,  quam  illi  placeat  unius  oboli  eleemo- 
syna  in  statu  gratiae  pauperi  porreçta  (Glaus,  Spicileg.  catech.,  in  festo 
Pasch,  n.  3). 


DEVOIR  DE  SVNCTIFIER  TOUTES  NOS  ACTIONS.  J^5 

Mitres.  Us  ont  un  ami  qui  va  à  la  Messe  chaque  dimanche, 
et  chaque  dimanche  on  les  voit  venir  à  la  Messe  avec  leur 
ami.  Si  leur  ami  ne  venait  pas  à  L'Église,  jamais  ils  n'y  met- 
I raient  eux  mêmes  1rs  pieds.  Ou  bien  ils  se  trouvent  dans 
un  pays  où  c'est  l'habitude  de  faire  ses  Pâques,  et  ils  font 
leurs  Pâques;  mais  s'ils  vont  ensuite  dans  un  pays  où  on  ne 
les  fait  pas.  ils  ne  les  font  pas  non  plus.  —  D'autres  enfin 
s'acquittent  de  leurs  devoirs  soit  par  intérêt,  soit  par 
orgueil.  N'en  voit-on  pas  en  effet  affecter  des  airs  de  piété, 
pour  capter  les  bonnes  grâces  de  quelque  riche  parent  dont 
ils  espèrent  ainsi  se  faire  donner  l'héritage  ?  Ne  voit-on  pas 
non  plus  des  serviteurs,  des  employés,  se  montrer  extérieu- 
rement chrétiens,  afin  d'entrer  ou  de  rester  dans  telle  mai- 
son ouvertement  chrétienne?  N'y  en  a-t-il  pas  également 
qui  se  montrent  d'une  régularité  scrupuleuse  dans  toute 
leur  conduite,  afin  de  se  distinguer  de  tout  le  monde,  afin 
qu'on  les  admire,  qu'on  célèbre  leurs  louanges  et  qu'on  les 
cite  comme  des  modèles?  Tels  étaient  ces  hypocrites  dont 
parle  Notre-Seigneur,  qui  faisaient  sonner  de  la  trompette 
devant  eux  lorsqu'ils  allaient  distribuer  leurs  aumônes,  qui 
priaient  debout  dans  les  synagogues  et  les  carrefours,  qui  se 
rendaient  le  visage  have  lorsqu'ils  jeûnaient  (i). —  Eh  bien, 
sachons-le,  chrétiens,  tous  ceux  qui  agissent  ainsi,  tous  ceux 
qui  font  leurs  bonnes  œuvres  pour  des  motifs  purement 
naturels,  tous  ceux-là  perdent  complètement  leurs  peines  à 
l'égard  de  leur  salut.  Ne  se  proposant  que  leurs  satisfactions 
et  leurs  avantages  temporels,  ils  ont  reçu  leur  récompense  (2), 
déclare  expressément  Notre-Seigneur,  et  par  conséquent 
n'ont  plus  rien  autre  chose  à  espérer.  Ils  manquent  donc 
absolument  en  cela  au  devoir  qu'ils  ont  de  sauver  leur  âme, 
devoir  qui  oblige  tout  chrétien,  avons-nous  dit,  à  faire  ses 
bonnes  œuvres,  non  par  considération  pour  aucune  chose 
du  temps,  mais  uniquement  pour  obéir  à  Dieu  et  lui  plaire. 
On  doit  comprendre  en  effet  sans  peine  que,  si  nous  voulons 
être  récompensés  par  Dieu,  c'est  pour  lui  seul  que  nous 
devons  travailler.  Par  conséquent,   dans  toutes  nos  bonnes 

1.  Matth.  v,  2-16. 

2.  Matth.  vi,  2,  5,  iG, 


47^      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIH.  INSTRUCTION. 

œuvres,  évitons  avec  grand  soin  de  nous  proposer  aucun 
motif  naturel,  même  honnête  ;  mais  n'ayons  égard,  en  les 
faisant,  qu'à  la  volonté  de  Dieu,  qui  nous  les  commande,  ou 
à  son  bon  plaisir,  qui  nous  les  conseille.  Ainsi  nous  sancti- 
fierons ces  actions,  qui  dès  lors  contribueront  au  salut  de 
notre  âme  (1).  Souvent  il  arrivera  qu'elles  nous  mériteront 
en  outre  d'abondantes  bénédictions  dès  ce  monde  ;  mais 
ces  bénédictions  seront  le  surcroît  (2)  dont  parle  l'Évangile, 
et  parce  que  nous  ne  les  aurons  pas  eues  en  vue,  elles  ne 
diminueront  en  rien  notre  principale  récompense,  qui  sera 
la  béatitude  éternelle. 

Mais  la  sanctification  de  nos  actions  ne  consiste  pas  seu- 
lement à  les  faire  en  état  de  grâce  et  pour  obéir  à  Dieu,  elle 
consiste  encore  à  les  faire  avec  empressement  et  ferveur.  Oui, 
sachons-le  bien,  car  il  s'agit  toujours  de  notre  salut  :  même 
en  faisant  nos  actions  en  état  de  grâce  et  pour  plaire  à  Dieu, 
nous  pouvons  encore  ne  pas  les  sanctifier  d'une  manière 


1.  Cum  bene  operamur  propter  Deum  seu  propter  amorem  Dei,  hic 
optimus  ac  nobilissimus  scopus  est,  ad  quem  nomines  christiani  merito 
in  omnibus  suis  actionibus  collimare  debent.  Nam  imprimis,  cum  Deus 
sit  summum  bonum  nostrum,  et  finis  ultimus  omnium  rerum,  postu- 
lat jure  suo,  ut  ad  ipsum  nostra  omnia  referamus.  Deinde,  cum  ipse 
bonorum  operum  nostrorum  causa  sit  praecipua,  ipsi  consentiamus 
oportet.  Denique,  quid  mirum  si  exigat  a  nobis,  ut  ipsius  amore  tantum 
ducamur  in  operibus  nostris,  cum  ipse  amore  nostri  ductus  nullo  appo- 
sito  pretio  aut  mercedis  pactione  pro  nobis  tanta  fecerit  ?  Non  ergo  sis- 
tendum  christiano  in  sola  virtutis  honestate,  quia  hic  finis  naturalis 
est,  et  multis  gentilibus  propositus  ;  non  in  metu  gehenna?,  quia  per- 
fecta  charitas  foras  mittit  timorem  ;  nec  in  spe  praemii  aeterni,  quia  : 
«  Charitas  mercenaria  non  est,  et  sine  mercede  maxima  non  est  »,  ut 
ait  sanctus  Bernardus,  lib.  xv.  Et  hinc  calumniari  voluit  dacmon  bona 
opéra  Job  quasi  perfectione  intentionis  carerent  :  Numquid  Job  frustra 
timet  Deum  ?  Docet  igitur,  ut  nulla  etiam  proposita  mercede  caveamus 
malum  et  agamus  bonum,  sed  praecipue  propter  Deum.  Et  hoc  est  quod 
Isaiae  xxvi,  dicitur  :  A  facia  tua,  Domine,  concepimus  et  parturivimus  spi- 
ritum  salutis.  Deo  igitur  debetur  partus  bonorum  operum  ut  Patri,  id 
est,  causa?  praecipuse,  qui  instar  ludimagistri  manum  nobis  ducit.  Undc 
viginti  quatuor  seniores  mittunt  coronas  suas  ante  Deum  et  dicunt, 
Apoc.  iv  :  Dignus  es,  Domine  Deus  noster,  accipere  ijloriam  et  honorem  et 
virtutem,  quia  tu  creasti  omnia  et  propter  voluntatem  tuam  erant  (Faber, 
Op.  conc.  in  festo  S.  Martini,  conc.  1, 11.  4). 

2.  Nolite  solliciti  esse,  dicentes  :  Quid  manducabimus,  aut  quid  bibe- 
mus,  aut  quo  operiemur  ?...  Quaerite  primum  regnum  Dei,  et  justitiam 
ejus;  et  haec  omnia  adjicientur  vobis  (Mattr.  vi,  3i,  33). 


DEVOIft   DE  S\NCTirîER  TOUTES  NOS  ACTIONS.  t\~rf 

complote,  et  par  soi  le  n'avoir  droit  à  aucune  récompense,  et 
cela,  si  nous  ne  les  faisons  qu'avec  négligence  et  tiédeur. 
Nos  livres  saints  renferment  à  cet  égard  des  oracles  vraiment 
effrayants.  Maudit  celui  qui  fait  T œuvre  de  Dieu  négligem- 
ment !  (1)  y  est-if  dit  par  un  prophète.  Pesons  ce  mot, 
maudit.  N'est-ce  pas  celui-là  même  dont  se  servira  le  sou- 
verain Juge  pour  foudroyer,  au  dernier  jour,  les  réprouvés? 
N'implique- t-il  pas  par  conséquent,  pour  celui  qui  l'encourt, 
L'exclusion  du  ciel  ?  Or,  qui  donc  est  ici  maudit  ?  Est-ce 
celui  dont  il  est  dit  qu'il  boit  l'iniquité  comme  l'eau,  c'est- 
à-dire  l'impie  qui  s'abandonne  à  tous  les  désordres  et  à  tous 
les  crimes  ?  Ou  bien  est-ce  le  chrétien  indifférent,  qui  ne 
s'occupe  que  des  choses  du  corps  et  du  temps,  et  jamais  de 
celles  de  l'àme  et  de  l'éternité  ?  Non,  celui  qui  est  ici  mau- 
dit, n'est  ni  le  chrétien  méchant,  ni  le  chrétien  indifférent  ; 
ce  n'est  ni  l'assassin,  ni  le  voleur,  ni  l'impudique,  ni  le  blas- 
phémateur, ni  le  parjure,  ni  le  calomniateur,  ni  le  con- 
tempteur des  saintes  lois  de  l'Église.  Certes,  tous  ceux-ci 
seront  maudits  au  dernier  jour,  mais  enfin  ce  n'est  pas 
d'eux  qu'il  s'agit  ici.  Celui  qui  est  maudit  ici,  écoutons-le 
bien,  celui-là  fait  V œuvre  de  Dieu,  c'est-à-dire  accomplit 
tous  ses  préceptes.  Pourquoi  donc  est-il  maudit  ?  Ecoutons 
bien  encore  ceci  :  c'est  parce  qu'il  fait  l'œuvre  de  Dieu 
négligemment.  Ainsi,  celui  qui  ne  s'acquitte  de  ses  devoirs 
qu'avec  négligence,  celui-là  n'est  pas  mieux  vu  de  Dieu 
que  celui  qui  ne  s'en  acquitte  pas  par  indifférence,  ou  que 
celui  qui  les  viole  par  malice.  C'est  ce  qui  paraît  très  bien 
dans  la  parabole  des  vierges  folles.  Ces  vierges  n'étaient 
pas  criminelles,  elles  ne  s'étaient  pas  souillées  par  les  plai- 
sirs des  sens,  puisque  Notrc-Seigneur  leur  conserve  le  nom 
de  vierges.  Elles  n'étaient  pas  non  plus  indifférentes  pour 
leurs  devoirs,  puisque  Notre-Seigneur  nous  les  montre  allant 
avec  les  vierges  sages  à  la  rencontre  de  l'époux.  Comme 
celles-ci,  elles  avaient  soigneusement  garni  d'huile  leurs 
lampes.  Mais  elles  commirent  la  négligence  de  ne  passe 
munir  d'une  provision  supplémentaire  d'huile  pour  entre- 
tenir la  flamme  de  leur  lampe.  Or,  quelle  fut  la  conséquence 

i.  Jer.  XLVlll,  10. 


^8    LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.   INSTRUCTION. 


de  cette  négligence  ?  C'est  qu'étant  allées  en  chercher, 
l'époux  arriva  pendant  leur  absence,  entra  dans  la  salle 
du  festin  et  en  ferma  la  porte.  Et  lorsqu'elles  vinrent  deman- 
der qu'on  la  leur  ouvrît,  l'époux  répondit  :  Je  ne  sais  qui 
vous  êtes  (i).  Et  il  les  laissa  dans  ces  ténèbres  extérieures 
où  les  pleurs  et  les  grincements  de  dents  ne  doivent  jamais 
finir  (2).  Voilà  le  résultat  de  la  négligence  dans  le  service 
de  Dieu.  Et  n'en  soyons  pas  étonnés.  Si  Dieu  n'était  que 
tout  puissant,  s'il  n'était  que  le  créateur  et  le  souverain  maî- 
tre de  toutes  choses,  il  aurait  certes  le  droit  d'exiger  de  nous 
le  service  le  plus  attentif  et  le  plus  empressé.  Mais  Dieu  a 
fait  bien  plus  que  nous  créer  :  il  s'est  livré,  par  amour  pour 
nous,  aux  plus  affreux  tourments  et  à  la  mort,  afin  de  nous 
délivrer  de  la  servitude  du  démon,  de  nous  préserver  de 
l'enfer,  et  de  nous  rendre  nos  droits  au  ciel,  que  nous  avions 
perdus  par  nos  péchés.  Maintenant  encore,  s'exilant  de  son 
ciel,  il  se  tient  sans  cesse  dansée  tabernacle  de  nos  églises, 
afin  d'être  toujours  à  la  disposition  de  ceux  qui  veulent 
venir  lui  demander  consolation  et  assistance.  Ah  !  bien  que 
rien  ne  l'y  oblige,  ce  n'est  pas  lui  qui  met  de  la  lenteur 
à  nous  servir,  et  de  la  froideur  à  se  dévouer  à  notre  salut. 
Et  après  cela,  il  pourrait  ne  pas  s'offenser  de  nous  voir 
n'accomplir  ses  ordres  qu'avec  nonchalance,  et  comme  à  re- 
gret? Nous  chasserions  nous-mêmes  le  serviteur  qui  agirait 
avec  nous  comme  beaucoup  de  chrétiens  agissent  avec  Dieu. 
Rappelons-nous  donc  ce  qu'il  est  pour  nous,  c'est-à-dire 
notre  créateur,  notre  conservateur,  notre  bienfaiteur,  notre 
sauveur,  notre  père  ;  et  ce  que  nous  sommes  pour  lui,  c'est- 
à-dire  ses  créatures,  ses  obligés,  ses  enfants  :  et  nous  com- 
prendrons que  pour  le  servir  réellement  comme  il  convient, 
il  faut  le  faire  tout  à  fait  du  fond  de  son  cœur,  avec  une 
bonne  volonté  entière  et  un  complet  empressement  (3). 

1.  Matth.  xxv,  12. 

2.  Matth.  vin,  12,  et  al.  pas. 

3.  Non  satis  est  bona  opéra  faccre  in  obsequium  Pei,  nisi  benc  et 
débite  perfeceris  ea  ;  bene  autem  Deo  nostro  servit,  qui  diligenter  ea 
operatur,  et  cum  fcivore,  inde  Paulus,  postquam  dixit,  sollicitudine 
non  pigri,  spiritu  ferventes,  subdit  :  Domino  servantes.  Rom.  x.  Quod 
et  ipse  Dominus  in  orationc  dominica  designavit  in  petitione  illa  :  Fiat 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  TOUÎE8  NOS  ACTIONS.  /| 79 

Voilà  donc  d'abord,  chrétiens,  en  quoi  consiste  notre 
devoir  de  sanctifier  toutes  nos  actions,  savoir,  à  les  faire  en 
état  de  grâce,  pour  obéir  à  Dieu,  et  avec  toute  la  ferveur 
que  nous  pouvons.  Et  maintenant,  afin  de  nous  encourager 
à  les  faire  dans  ces  conditions,   nous  allons  expliquer, 

11.  —  Pourquoi  nous  devons  sanctifier  toutes  nos 
actions.  —  >ous  devons  les  sanctifier,  tout  d'abord  et  avant 
toute  autre  considération,  parce  que  c'est  la  volonté  de  Dieu. 
Oui.  quand  même  Dieu  ne  nous  aurait  jamais  rien  dit  à  cet 
égard,  il  veut,  nous  n'en  saurions  douter,  que  nous  sancti- 
fiions toutes  nos  actions,  c'est-à-dire  que  nous  les  fassions 
saintement.  Il  le  veut,  parce  qu'en  nous  créant  il  a  mis  en 
nous  les  aptitudes  nécessaires  pour  que  nous  les  fissions 
ainsi.  Il  a  mis  en  nous  ces  aptitudes,  puisque  nous  les  pos- 
sédons, et  que  nous  ne  pouvons  les  tenir  que  de  lui  seul  ; 
et  nous  les  possédons,  puisqu'effectivement  nous  pouvons, 
quand  nous  le  voulons,  faire  saintement  nos  actions.  Or,  de 
ce  fait  que  Dieu  nous  a  rendus  capables  de  sanctifier  nos 
actions,  l'on  doit  nécessairement  conclure  qu'il  veut  que 
nous  les  sanctifiions.  Comme  de  ce  fait  qu'il  nous  a  rendus 

voluntas  tua  sicul  in  cœlo  et  in  terra,  hoc  est,  ita  voluntatem  tuam  exe- 
quamur,  et  tibi  serviamus  nos  homincs  in  terra,  sicut  angeli  hoc  effi- 
ciuntin  cœlo.  Angeli  autein  quomodo  voluntatem  Deiperficiant,  constat 
ex  Ps.  gui,  ubi  sic  Dominum  psalmista  :  Qaifacis  angelos  taos  spiritus, 
et  ministros  luos  ignem  urentem.  Qucm  locum  sic  interpretantur  Theo- 
doretus,  ibid.,  et  sanctus  Thomas,  in  cap.  1.  ad  Hebr.'  Facis,  ut  angeli 
ministri  tui  habeant  velocitatem  spirituum,  id  est,  ventorum,  et  cflica- 
ciam  ignis  mentis,  ot  ita  sint  veluti  vend  quidam  spirituales  in  discur- 
rendo,  et  veluti  quidam  ignes  divini  in  operando,,.  Abraham  très  illos 
peregrinos  in vi tans,  festinauit,  inquit,  ad  tabernaculum,  et  dixit  Sarœ  : 
Accéléra,  et  fac  subeinericios  panes  ;  et  ipse  ad  armentum  encurrit,  et 
tutil  vitulum  tenerrinium,  et  optimum,  et  dédit  puero,  qui  festinavit,  et 
co.ritillum.  Gen.  xviu.  Pondérât  Origcnesdiligcntiam  horum  :  Abraham, 
inquit.  cm  rit  ad  armentum,  Sara  accélérât  facerc  panes,  puer  festinat 
coquere  vitulum,  nullus  desidiosus  in  domo  sapientis  invenitur.  Sic 
illc.  Sed  quod  in  dubium  verti  potuit,  id  est,  cur  ob  novos  illos  peregri- 
nos, e1  pauperes  tantam  adhibuerit  diligentiam  summusillepalriarcha? 
Si  principes  illi  fuissent,  quid  amplius  elïicere  potuisset  ?  Adhibuit 
quidem dilgentiam  tantam,  quia  non  peregrinis  solum,  sed  Deo  servirc 
se  existimabat,  noveral  enim  verum  id  esse,  quod  post  saecula  multa 
Christus  Dominus  affirma  vit,  quod  uni  ex  minimis  meis  j'ecistis,  mihi 
fecistis.  Doo  igitur  in  peregrinis  illis serviebat,  Deo  autein  sic  impigre, 
dévote,  ac  ferventer  serviendum  est  (Lauat.  Loc.  comih.  v,  i'crvor,  pr.  1). 


/|8o     LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  xVlIÎ.  INSTRUCTION. 

capables  de  nous  sauver,  on  conclut  à  bon  droit  qu'il  veut 
que  nous  nous  sauvions.  Car  Dieu  ne  nous  donne  telles  et 
telles  aptitudes  que  pour  que  nous  les  mettions  à  profit  ; 
autrement  il  ferait  de  ses  dons  un  gaspillage  indigne  de  sa 
sagesse.  Sans  doute,  nous  pouvons  abuser  des  dons  de  Dieu, 
et  en  particulier  ne  pas  sanctifier  nos  actions,  ce  que  nous 
ne  faisons,  hélas  !  que  trop  souvent  ;  mais  il  n'en  reste  pas 
moins  que  la  volonté  de  Dieu,  que  nous  les  sanctifiions,  est 
aussi  entière  que  certaine. 

Une  autre  preuve  que  Dieu  veut  que  nous  fassions  sainte- 
ment nos  actions,  en  particulier  celles  qu'il  nous  a  comman- 
dées, c'est  précisément  parce  qu'il  nous  les  a  commandées. 
En  nous  commandant,  par  exemple,  de  l'adorer  lui-même 
et  d'honorer  nos  parents,  de  nous  confesser  et  de  commu- 
nier, Dieu  n'a  pas  pu  avoir  l'intention  de  nous  obliger  seu- 
lement à  faire  ces  actions  d'une  manière  telle  quelle  ;  il  a 
certainement  entendu  nous  obliger  à  les  faire  de  notre 
mieux.  Est-ce  qu'un  maître,  lorsqu'il  commande  une  chose 
à  son  serviteur,  ne  prétend  pas  que  cette  chose  soit  faite 
aussi  bien  que  possible  ?  Il  ne  peut  en  être  autrement  de 
Dieu,  dans  tous  les  commandements  qu'il  nous  a  faits.  Pour 
pouvoir  soutenir  que  Dieu  n'a  pas  voulu  nous  obliger  à  les 
accomplir  saintement,  il  faudrait  soutenir  aussi  qu'il  ne  nous 
les  a  pas  imposés  sérieusement,  ce  qui  serait  injurieux  pour 
sa  sagesse.  Mais  parce  qu'on  est  forcé  d'admettre  qu'il  nous 
les  a  imposés  sérieusement,  par  là-même  aussi  l'on  est  forcé 
de  confesser  qu'il  veut  que  nous  les  accomplissions  sainte- 
ment. 

Mais  ce  qui  prouve,  mieux  encore  que  nos  déductions,  la 
volonté  de  Dieu  à  cet  égard,  ce  sont  ses  propres  paroles. 
Dès  le  temps  de  la  première  alliance,  et  après  avoir  donné 
sa  loi  à  son  peuple,  il  leur  dit  :  Sanctifiez-vous  et  soyez  saints, 
parce  que  je  suis  saint  (i).  Et  dans  la  nouvelle,  il  nous  fait 
dire  également  à  nous-mêmes  par  son  apôtre  :  La  volonté  de 
Dieu,  c'est  que  vous  soyez  saints  (2).  Mais  quel  moyen  avons- 
nous  de  nous  sanctifier,  sinon  d'accomplir  saintement  les 

1.  Levit.  xi,  44  ;  xx,  7. 

a.  T.  Thess.  iv,  3.  -~  Cf.  I.  Pctr.  i,  iC. 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  TOUTES  NOS  ACTIONS.  48 1 

actions  que  nous  avons  à  faire  ?  N'est-ce  pas  en  effet  par  ce 
moyen,  c'est-à-dire  en  faisant  saintement  toutes  leurs 
allions,  que  les  saints  se  sont  sanctifiés  ?  En  nous  faisant 
dire  que  sa  volonté  est  que  nous  soyons  saints,  c'est  donc 
exactement  comme  s'il  nous  faisait  dire  que  sa  volonté  est 
que  nous  accomplissions  saintement  toutes  nos  actions. 

Or,  la  volonté  de  Dieu  étant  incontestablement  telle,  incon- 
testablement il  y  a  obligation  pour  nous  de  sanctifier  toutes 
nos  actions.  La  volonté  de  Dieu  doit  être  en  effet  notre  règle 
souveraine,  toutes  les  fois  qu'elle  nous  est  clairement  et 
positivement  connue,  comme  dans  le  cas  présent.  En  sorte 
que  nous  ne  sommes  pas  moins  rigoureusement  obligés  de 
sanctifier  toutes  nos  actions,  que  d'accomplir  tout  autre 
commandement. 

Mais  nous  ne  devons  pas  sanctifier  toutes  nos  actions  seu- 
lement parce  que  c'est  la  volonté  de  Dieu  ;  nous  devons  les 
sanctifier  encore  parce  que  c'est  notre  intérêt  présent  et 
futur.  Bien  que  ce  motif  de  sanctifier  nos  actions  soit  moins 
pur  que  celui  dont  nous  venons  de  nous  occuper,  cependant 
Dieu  nous  le  propose  souvent  lui-même,  parce  qu'il  y  a  des 
âmes  sur  lesquelles  il  fait  plus  d'impression  que  le  précédent. 
C'est  en  effet  le  motif  de  notre  intérêt  que  Dieu  met  en 
avant  pour  nous  engager  à  le  servir,  lorsqu'en  particulier  il 
promet  le  ciel  aux  observateurs  de  sa  loi,  et  menace  de  l'enfer 
ceux  qui  la  violent. 

Or,  nous  devons  sanctifier  toutes  nos  actions,  disons-nous, 
aussi  parce  que  c'est  notre  intérêt.  Notre  intérêt  présent 
d'abord.  Comment  cela  ?  dira-t-on  ;  comment  avons-nous 
présentement  intérêt  à  sanctifier  toutes  nos  actions  ?  N'est- 
ce  pas  bien  plutôt  une  sujétion  fort  gênante  de  se  mettre  ou 
de  se  tenir  toujours  en  grâce  avec  Dieu,  de  se  proposer  tou- 
jours Dieu  dans  tout  ce  que  l'on  fait,  et  de  s'appliquer  à 
accomplir  toujours  de  son  mieux  toutes  ses  actions  P  —  Il 
est  vrai  que  cette  sollicitude  peut  être  parfois  lourde  à  la 
nature  ;  mais  quels  dédommagements  ne  procurc-t-clle  pas  ! 
On  demande  quel  intérêt  nous  avons  présentement  à  sancti- 
fier toutes  nos  actions.  N'est-ce  rien,  rjpondrai-je,  que  d'être 
à  l'abri  de  tout  regret,  de  tout  remords  et  de  toute  crainte, 
et  de  jouir  dans  toute  sa  plénitude  du   témoignage   d'une 

SOMME   DU   PRÉDICATEUR.   —  T.    II.  }I 


482      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.  INSTRUCTION. 

bonne  conscience?  Combien  de  malheureux  qui  donneraient 
tout  ce  qu'ils  possèdent  pour  se  procurer  ces  avantages  qui 
pourtant  ne  sont  pas  temporels,  et  qui  mènent  une  vie  misé- 
rable, et  même  se  donnent  la  mort,  parce  qu'ils  ne  peuvent 
les  acquérir  !  Eh  bien,  ces  avantages  précieux,  la  sanctifi- 
cation des  actions,  et  elle  seule,  les  procure  de  la  manière  la 
plus  complète  possible.  Et  elle  seule,  disons-nous.  En  effet, 
celui  qui,  même  en  menant  une  vie  plus  ou  moins  chré- 
tienne, cependant  ne  veut  pas  se  donner  le  souci  de  se  mettre 
ou  de  se  maintenir  en  état  de  grâce, ni  de  se  donner  toujours 
Dieu  pour  fin  principale  de  toutes  ses  actions,  ni  d'accom- 
plir ses  actions  du  mieux  qu'il  peut,  celui-là,  dis-je,  ne 
saurait  être  à  l'abri  de  toute  crainte  au  sujet  de  son  salut,  ni 
se  rendre  un  bon  témoignage  complet.  A  première  vue,  son 
état  semble  préférable  à  celui  du  pécheur  déclaré,  mais  au 
fond  il  ne  vaut  pas  mieux.  Sans  doute,  celui  qui  n'a  à  se 
reprocher  que  de  ne  pas  sanctifier  ses  actions,  n'est  pas 
déchiré  par  les  remords  des  grands  pécheurs  et  des  grands 
criminels;  mais  il  l'est  par  les  remords  des  âmes  tièdes.  Il 
sait  très  bien,  en  effet,  qu'il  n'est  pas  dans  la  vraie  voie  du 
salut,  et  que  tant  qu'il  restera  dans  cette  voie,  il  courra  droit 
en  enfer.  Il  connaît  cette  parole  terrible  de  INotre-Seigneur  : 
Parce  que  vous  êtes  tiède,  et  que  vous  n'êtes  ni  froid  ni  chaud, 
je  vais  vous  vomir  de  ma  bouche  (i).  Comment,  dans  cet  état, 
aurait-il  l'esprit  en  repos?  Comment  pourrait-il  jouir  de  la 
paix  d'une  vraie  bonne  conscience,  d'une  conscience  qui  n'a 
réellement  rien  à  se  reprocher  ni  rien  à  craindre,  puisqu'au 
contraire  il  a  beaucoup  de  reproches  à  se  faire  et  une  terri- 
ble fin  à  redouter  ?  Tout  autre  est  l'état  de  celui  qui  sanctifie 
toutes  ses  actions.  Étant  toujours  en  état  de  grâce,  son  esprit 
est  calme,  et  ne  craint  pas  d'être  surpris  par  la  mort.  Offrant 
toutes  ses  actions  à  Dieu,  et  ne  les  faisant  que  pour  lui  seul, 
il  sait  qu'il  ne  travaille  pas  et  ne  souffre  pas  en  vain,  et  que 
sa  récompense  ne  lui  manquera  pas.  Enfin,  accomplissant 
réellement  de  son  mieux  tout  ce  qu'il  fait,  il  a  une  pleine 
confiance  que  Dieu,  qui  est  un  bon  père,  lui  pardonnera  les 
imperfections    qu'il    ne    peut    éviter.    Ainsi,    comme    nous 

i.  Apoc.  ni,  iG. 


DEVOIR  DE  SANCTIFIER  TOUTES  Nos   ACTIONS.  483 

L'avons  dit.  celui  qui  sanctifie  toutes  ses  actions  esta  L'abri 
de  f v > î i ï  regret  et  de  toute  crainte.  Il  jouit  de  cettepaixde 
Dieu  qui,  au  jugement  de  L'apôtre  saint  Paul,  surpasse  tout 
sentiment  (î).  Par  conséquent,  en  vivant  comme  il  fait,  il 
assure  dans  la  mesure  du  possible  sou  bonheur  même  en  ce 
monde,  ce  qui  est  assurément  le  plus  grand  intérêt  dont 
nous  ayons  à  nous  occuper  ici-bas.  Aussi  les  saints,  qui  sont 
précisément  ceux  qui  ont  le  mieux  sanctifie  leurs  actions, 
ont  ils  tous  recueilli  tant  de  joie  de  leur  entière  fidélité, 
même  parfois  au  milieu  de  grandes  souffrances  temporelles, 
qu'ils  n'auraient  pas  voulu  échanger  leur  sort  contre  tous 
les  troues  de  la  terre  (2). 

1.  Philipp.  iv,  7. 

•2.  Conscientia  bona  summum  bonum  est  in  vita,  in  morte  et  post 
mortem.  lbi  non  quseretur  de  nobis,  quid  legimus,  sed  quid  fecimus  ! 
Non  quam  bene  scripsimus,  sed  quam  rcligiose  viximus  !  etc.  (Corn,  a 
Lap.  Connu,  in  1.  Petr.  ni,  21). 

Vuima  sancta  vinea  Domini  est,  ita  sanctus  Bernardus,  serm.  63,  in 
Cant.  :  «  Viro  sapienti  sua  vita  vinea  est,  sua  mens,  sua  conscientia  : 
nihil  incultum,  desertumque  in  se  sapiens  derelinquit.Stultusnon  ita  : 
cuncta  apud  eum  neglecta  invenies,  inculta,  et  sordida.  »  Quod  ergo 
facit  vinilor  in  vinea,  hoc  facit  cultor  anima)  in  anima  (Id.  inAmos.ix,  i5). 

Félicitas  bonse  conscientiae  cluect  ex  continuo  timoré  conscientiae 
malae  :  Dabo  pavorem  in  cordibas  eorum,  etc.  terrebit  eos  sonitus  folii 
volantis.  Lcv.  xxvi.  Hic  pavor  et  pœna  cornes  est  peccati,  de  qua  sanctus 
Isidorus  :  «  NuUa  pœna  gravior  pœna  conscientiae.  »  Pythagoras  ait, 
neminem,  tam  audacem  esse,  quem  mala  conscientia  non  faciat  timi- 
dissimum.  Et  Plutarchus  :  Facinorosa  conscientia  est  instar  ulceris  in 
corporc,  pœnitentiam  relinquit  in  anima  lancinantem.  S.  Basilius  :  Sicut 
umbra  corpora,  sic  peccata  sequuntur  animas, etc.  (Id.m  Levit.  xxvi,36). 

Gusiaie  et  videte  quoniam  suavis  est  Dominus.  Interrogez  les  âmes 
pieuses,  les  fidèles  serviteurs  de  Jésus-Christ  ;  demandez-leur  ce  que 
l'on  goûte  de  bonheur,  lorsque  Dieu  esl  l'unique  objet  de  nos  soins  et 
de  notre  amour.  Demandez-leur  ce  qu'ils  trouvent  de  consolation  et  de 
joie  spirituelle  dans  la  prière  el  la  méditation,  au  saint  sacrifice  de  la 
messe  et  au  banquet  eucharistique,  dans  la  visite  du  Saint-SacrcnienI, 
au  pied  des  autels  et  au  tribunal  de  la  réconciliation  :  et  ils  vous  répon- 
dront qu'ils  n'échangeraient  pas  leur  bonheur  contre  tous  les  plaisirs 
que  le  inonde  recherche  ;  ils  vous  répondront  que  les  chastes  délices 
qu'ils  trouvent  dans  l'exercice  du  divin  amour,  les  dédommagent  au 
centuple  de  tous  les  petits  sacrifices  qu'ils  -'imposent.  —  Interrogez  le 
grand  Vpôtre,e1  il  vous  répondra  qu'il  surabonde  de  joie  au  milieu  des 
travaux  immenses  et  des  peines  excessives  de  son  apostolat.  Interrogez 
sainl  François-Xavier,  et  il  vous  dira  que  les  délices  dont  il  esl  inondé, 
au  milieu  des  nations  infidèles,  son!  si  grandes,  que  l'infirmité  de  sa 
chair  ne  peut  pas  les  supporter,  et  qu'il  est  obligé  de  conjurer  son  Dieu 


484      LES  GRANDS  DEVOIRS  DÛ  SALUT.  jLVIfl.   INSTRUCTION. 

Cependant  celui  qui  sanctifie  toutes  ses  actions  s'assure 
un  bonheur  plus  grand  encore  que  celui  d'une  bonne  con- 
science et  de  la  paix  en  ce  monde  :  il  s'assure  la  possession 
de  Dieu,  et  par  suite,  la  béatitude  dans  l'éternité,  alors  que 
les  autres  ne  s'assurent  réellement  que  l'enfer.  Non,  que 
ceux  qui  se  contentent  de  pratiquer  vaille  que  vaille  leur 
religion,  et  ne  s'appliquent  pas  à  sanctifier  de  la  manière 
que  nous  avons  dite  toutes  leurs  actions,  que  ceux-là  ne  se 
fassent  pas  illusion,  ils  ne  peuvent  pas  aller  ainsi  au  ciel,  et 
cela  pour  plusieurs  raisons.  Ils  ne  peuvent  pas  aller  au  ciel, 
précisément  parce  qu'ils  ne  sanctifient  pas  leurs  actions. 
Sont-ils  donc  à  apprendre  que  pour  aller  au  ciel  il  faut  être 
saint  ?  Ce  n'est  pas  au  ciel  qu'on  se  sanctifie,  c'est  en  ce 
monde.  Si  l'on  n'est  pas  saint  avant  de  quitter  cette  vie,  on 
ne  le  sera  jamais,  par  conséquent  on  n'ira  jamais  au  ciel.  Or, 
comment  seraient-ils  saints,  ceux  qui  ne  font  pas  saintement 
leurs  actions,  puisque  c'est  précisément  en  les  faisant  sain- 
tement qu'on  se  sanctifie  soi-même.  Ceux  qui  ne  sanctifient 
pas  leurs  actions  ne  peuvent  pas  encore  aller  au  ciel  pour 
cette  autre  raison,  savoir,  parce  qu'ils  n'entrent  pas  par  la 
porte  étroite,  la  seule  qui  conduise  à  la  vie  (i),  dit  INotre- 
Seigneur.  En  effet,  n'est-ce  pas  le  grand  nombre  des  chrétiens 
qui  ne  sanctifient  pas  leurs  actions  ?  Eh  bien,  le  grand  nom- 
bre sont  ceux  qui  suivent  le  chemin  spacieux,  lequel  va   à  la 


de  diminuer  ou  d'arrêter  ses  faveurs.  —  Mais  sans  sortir  de  cette  en- 
ceinte, il  en  est  sans  doute,  parmi  vous,  quelques-uns,  que  dis-jc  ?  il 
en  est  un  grand  nombre  qui,  fidèles  à  leur  Dieu,  remplissent  leurs  devoirs 
avec  exactitude,  craignent  le  péché  à  l'égal  de  la  mort,  et  mourraient 
plutôt  que  d'affliger,  par  une  faute  grave,  le  cœur  de  Jésus.  Eh  bien,  je 
ne  crains  pas  de  m'en  rapporter  à  leur  témoignage,  qu'ils  nous  disent 
si  le  commerce  du  Seigneur  leur  cause  de  l'amertume  ;  si  les  entretiens 
et  les  communications  intimes  qu'ils  ont  avec  ce  divin  Époux  ne  sont 
pas  pour  eux  d'une  douceur  incomparable  ;  si  une  seule  larme  d'amour 
ne  leur  procure  pas  une  jouissance  mille  fois  plus  délicieuse  que  tous 
les  fades  plaisirs  des  mondains  ;  si  le  joug  du  Seigneur  qu'ils  portent 
avec  amour,  ne  leur  paraît  pas  doux  et  facile  ;  si  les  petites  privations 
qu'ils  s'imposent,  pour  se  rendre  plus  agréables  à  son  divin  Cœur,  ne 
sont  point  payées  avec  usure,  par  la  joie  de  l'âme,  la  paix  de  la  con- 
science (Un  prêtre  du  diocèse  de  Rodez,  Le  Petit  Missionnaire,  tome  i, 
page  191). 


1.  Matth.  vii,  \l\> 


DEVOIR  DE  SANCTIFIES  TOUTES   NOS  ACTIONS.  J85 

perdition  (i),  dil  encore  Notre-Seigneur. —  Une  troisième 
raison  pour  Laquelle  ceux  qui  ne  sanctifient  pas  Leurs  actions 
ne  peuvent  pas  aller  au  ciel,  c'est  parce  qu'on  n'\  peut  aller 
qu'autant  que  Dieu  nous  en  accorde  la  grâce,  et  cpjc  cette 
grâce  Dieu  ne  L'accorde  pas  à  ceux  qui  n'ont  pas  souci  de  la 
mériter.  El  il  ne  la  leur  accorde  pas,  parce  qu'il  ne  le  peut 
pas.  S'il  accordait  la  grâce  du  salut  à  ceux  qui  ne  sanctifient 
pas  leurs  actions,  n'encouragerait-il  pas  lui-même  tout  le 
monde  à  ne  pas  les  'sanctifier,  puisqu'on  irait  au  ciel  soit 
qu'on  les  sanctifie,  soit  qu'on  ne  les  sanctifie  pas  ? 

Mais  si  ceux-là  n'iront  pas  au  ciel,  qui  ne  s'appliquent 
pas  à  sanctifier  leurs  actions,  ceux  qui  les  sanctifient  peu- 
vent au  contraire  être  assurés  d'y  parvenir,  et  cela  pour  des 
raisons  tout  opposées.  En  effet,  ils  peuvent  être  assurés 
d'aller  au  ciel,  précisément  parce  qu'ils  sanctifient  leurs 
actions,  et  qu'ils  se  sanctifient  ainsi  eux-mêmes.  Car  lors- 
qu'étant  devenus  saints,  ils  mourront,  où  Dieu  les  placerait- 
il,  s'il  ne  leur  ouvrait  pas  son  ciel,  puisqu'il  n'y  a  clans 
l'éternité  que  deux  demeures  définitives,  le  ciel  et  l'enfer,  le 
purgatoire  n'étant  qu'un  lieu  de  passage,  comme  la  terre 
elle-même?  Dieu  ne  pouvant  pas  mettre  en  enfer  ceux  qui 
auront  sanctifié  ici-bas  toutes  leurs  actions,  nécessairement 
il  les  recevra  donc  dans  son  ciel,  —  Ceux  qui  sanctifient 
leurs  actions  peuvent  encore  être  assurés  d'aller  au  ciel  pour 
cette  autre  raison,  savoir  parce  qu'ils  suivent  le  chemin  étroit 
qui  mène  à  la  vie.  Et  qu'est-ce  qui  leur  prouve  qu'ils  suivent 
ce  chemin  ')  C'est  parce  que  petit  est  le  nombre  de  ceux  qui  le 
suivent  (2),  et  que  ceux  qui  sanctifient  leurs  actions  sont  en 
effet  le  petit  nombre  des  chrétiens. —  Enfin  ceux  qui  sancti- 
fient leurs  actions  peuvent  être  assurés  d'aller  au  ciel,  parce 
que  Dieu,  voyant  leurs  efforts,  et  le  bon  usage  qu'ils  font 
de  ses  grâces,  se  plaira  à  leur  accorder  toutes  celles  dont  ils 
ont  besoin  pour  accomplir  jusqu'au  bout  leur  salut.  A  qui 
Dieu,  en  effet,  accorderait-il  ses  grâces  les  plus  abondantes 
et  les  plus  précieuses,  sinon  à  ceux  qui  lui  sont  le  plus  fidè- 
les ?  Le  Sauveur  n'a-t-il  pas    dit    que   ceux  qui  abusent   des 

1.  Matth.  mi,  i3. 

2.  Matth.  vu,  i^. 


£86      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.  INSTRUCTION. 

grâces,  celles-là  même  qu'ils  ont  leur  seront  ôtées  ;  mais 
qu'il  en  sera  donné  de  nouvelles  à  ceux  qui  en  font  bon 
usage,  afin  qu'ils  soient  dans  l'abondance?  (1) 

Ainsi,  il  est  donc  bien  évident  que  notre  intérêt  est  de 
sanctifier  toutes  nos  actions,  puisqu'en  les  sanctifiant  nous 
nous  assurons  tout  à  la  fois,  la  paix  de  la  conscience,  qui 
est  le  plus  grand  bien  de  ce  monde,  et  la  possession  de  la 
béatitude  céleste  en  l'autre. 

CONCLUSION.  —  Voilà,  chrétiens,  ce  qu'il  nous  était 
nécessaire  de  savoir  touchant  le  devoir  qui  nous  incombe 
de  sanctifier  toutes  nos  actions,  c'est-à-dire,  en  quoi  consiste 
la  sanctification  de  nos  actions,  et  pour  quelles  raisons  nous 
devons  les  sanctifier.  La  sanctification  de  nos  actions  con- 
siste, nous  l'avons  vu,  à  les  faire  en  état  de  grâce,  à  nous  y 
proposer  avant  tout  le  bon  plaisir  de  Dieu,  et  à  les  accom- 
plir le  mieux  qu'il  nous  est  possible.  Et  les  deux  principales 
raisons  pour  lesquelles  nous  devons  les  sanctifier  sont,  que 
Dieu  le  veut  expressément,  et  que  c'est  notre  intérêt  présent 
et  éternel.  Dans  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  nous 
n'avons  rien  avancé  que  nous  ne  l'ayons  démontré.  Or, 
puisque  toutes  nos  considérations  sont  certaines  jusqu'à 
l'évidence,  que  nous  reste-t-il  à  faire,  sinon  à  conformer 
notre  conduite  aux  lumières  que  nous  venons  d'acquérir  ? 
Par  conséquent,  que  nous  reste-t-il  à  faire,  sinon  à  rentrer 
sans  retard  en  état  de  grâce  par  une  bonne  confession,  si 
nous  avons  conscience  de  n'y  être  pas  ;  ou  bien  à  veiller 
avec  une  extrême  sollicitude  pour  nous  y  maintenir,  si  nous 
avons  le  bonheur  d'y  être?  Que  nous  reste-t-il  encore  à 
faire,  sinon  à  nous  proposer  avant  tout,  dans  tout  ce  que 
nous  faisons,  d'obéir  à  Dieu  et  de  lui  plaire  ?  Que  nous 
reste-t-il  encore  à  faire,  sinon  enfin  à  accomplir  toutes  nos 
actions  du  mieux  qu'il  nous  est  possible,  soit  quant  au 
temps,  soit  quant  à  la  manière,  et  à  toutes  les  circonstan- 
ces ?  Oui,  chrétiens,  mettons  notre  sollicitude  la  plus  atten- 
tive et  la  plus  soutenue  à  sanctifier  ainsi  toutes  nos  actions, 
et   Dieu,    encore  une    fois,    nous  en    récompensera    en  ce 

i.  Matth,  xin,  ia. 


DEVOIB  DE  SANCTIFIER  TOUTES  nos  actions.  487 

monde  par  une  paix  délicieuse  qui  surpasse  toute  paix,  e1 
en  L'autre  par  l'éternelle  félicité  du  ciel.   Vinsi  soi  (il . 

TRAITS  HISTORIQUES. 

La  résolution  quotidienne  d'un  fervent  chrétien. 

Une  des  résolutions  que  prenait  tous  les  matins,  au  milieu  et  à 
la  lin  du  jour,  un  fervent  chrétien,  c'était  d'agir  toujours  selon 
Dion,  on  Dion  cl  pour  Dieu.  —  Selon  Dieu  ;  Je  ne  ferai  rien  contre 
la  volonté  de  Dieu,  et  je  ferai  tout  conformément  à  cette  sainte 
volonté.  —  En  Dieu,  en  état  de  grâce,  et  faisant  en  sorte  que  la 
grâce  actuelle  soit  le  principe  de  toutes  mes  actions.  Pour  être  en 
grâce,  je  m'exciterai  à  la  contrition  parfaite,  avant  mes  actions 
principales  ;  et,  afin  que  la  grâce  actuelle  soit  le  principe  de  toutes 
mes  actions,  je  demanderai  à  Dieu  celte  grâce  avec  ferveur,  avant 
de  passer  d'un  exercice  à  un  autre.  —  Pour  Dieu  :  Je  ne  veux  agir 
que  par  un  motif  surnaturel,  pour  la  gloire  de  Dieu,  pour  plaire  à 
Dieu,  par  amour  pour  Dieu,  en  la  présence  de  Dieu,  avec  beaucoup 
de  ferveur,  m'unissant  alors  à  Jésus-Christ,  lorsqu'il  faisait  une 
action  semblable  à  celle  que  je  ferai  (L'abbé  Lasausse). 

Faire  toutes  ses  actions  pour  Dieu. 

1.  —  Le  saint  homme  Job  nous  est  proposé  dans  l'Écriture  pour 
le  véritable  modèle  d'un  cœur  droit,  et  dont  toutes  les  intentions 
étaient  pures,  sincères  et  se  tournaient  vers  le  bien,  et  ce  qu'il 
croyait  le  plus  juste  et  le  plus  capable  de  plaire  à  Dieu.  Vir  sim- 
plex  et  reclus,  ac  timens  Dcum,  et  recedens  a  malo,  et  adhuc  retinens 
innoceniiam.  C'est  le  portrait  que  nous  en  fait  le  texte  sacré.  Et 
l'on  peut  dire  que  c'est  ce  qui  l'a  rendu  un  si  grand  saint,  et  si 
agréable  à  Dieu  dans  les  états  de  sa  vie.  Dans  la  plus  grande  abon- 
dance, et  dans  la  plus  extrême  pauvreté  ;  dans  le  cours  d'une  vie 
paisible  et  dans  le  cours  des  plus  affreuses  douleurs.  Sur  le  trône, 
et  encore  plus  glorieusement  sur  le  fumier,  on  a  vu  ce  saint 
homme  recevoir  tout  de  la  main  de  Dieu,  le  bénir  dans  tous  ses 
états,  remercier  le  Seigneur  également  des  bons  et  des  mauvais 
succès,  agir  toujours  avec  une  droite  intention,  sans  jamais  se 
détourner  des  sentiers  de  la  justice.  De  sorte  qu'à  voir  comme  Dieu 
même  en  parle,  il  semble  qu'il  se  fit  honneur  d'avoir  un  tel  servi- 
teur, jusqu'à  eu  faire  l'éloge  en  présence  du  démon,  à  qui  il  permit 
de  faire  l'épreuve  de  la  droiture  de  son  cœur  et  de  la  sincérité  «l»1 
ses  attentions. 


488      LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.  INSTRUCTION. 

■ E— 

2.  —  Entr'autres  règles  que  saint  Ignace  de  Loyola  donna  à  ceux 
de  sa  Compagnie  qui  étaient  chargés  de  l'enseignement,  il  leur 
recommanda  spécialement  de  se  conduire  de  telle  sorte  qu'eux  et 
leurs  élèves  ne  fissent  rien  que  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu. 
Lui-même  ne  vivait  que  pour  cette  noble  fin,  et  on  lui  entendait 
souvent  répéter  ces  paroles  :  m  Que  désiré-je,  Seigneur,  ou  que 
puis-je  désirer,  sinon  vous  ?  »  C'est  pourquoi,  dans  les  affaires 
qu'il  avait  à  traiter,  il  ne  prenait  jamais  une  détermination  qu'après 
avoir  consulté  Dieu  et  imploré  ses  lumières,  afin  de  ne  rien  faire 
que  selon  sa  volonté  et  pour  sa  plus  grande  gloire  ;  en  un  mot, 
c'était  là  qu'il  rapportait  toutes  ses  actions  et  celles  de  sa  Société, 
et  l'on  connaît  ces  paroles  qui  devinrent  sa  devise  et  celle  de  toute 
sa  Compagnie  :  Ad  majorera  Dei  gloriam,  c'est-à-dire  :  «  Pour  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu  ». 

3.  —  M.  de  Bernières  de  Louvigny,  conseiller  du  roi  et  trésorier 
de  France  à  Caen,  fut,  en  cette  matière  comme  en  toute  autre,  un 
grand  exemple  de  vertu  ;  et  tout  laïque  qu'il  était,  il  peut  être  pro- 
posé pour  un  modèle  de  perfection  même  aux  religieux.  Dégagé  de 
tout  ce  que  les  hommes  estiment  ou  recherchent,  il  ne  vivait  que 
pour  Dieu  ;  sa  conscience  était  si  pure,  que  la  moindre  action  dans 
laquelle  il  n'eût  pas  eu  un  motif  surnaturel  lui  donnait  de  l'inquié- 
tude. Il  témoigna  un  jour  à  M.  Boudon,  archidiacre  d'Évreux,  la 
peine  qu'il  ressentait  de  ce  qu'étant  allé  en  pèlerinage  à  Notre- 
Dame  de  la  Délivrande,  en  Normandie,  dans  la  société  de  plusieurs 
saintes  personnes,  il  avait  éprouvé  une  joie  sensible  dans  les  entre- 
tiens de  ces  âmes  d'élite  et  d'une  rare  vertu,  et  il  craignait  que  la 
nature  y  eût  pris  quelque  part.  Il  avoua  ingénument  que  c'était  la 
matière  qu'il  avait  pour  se  confesser.  Son  zèle  le  faisait  travailler 
à  inspirer  la  même  pureté  d'intention  à  ses  amis  spirituels  ;  il  assu- 
rait qu'une  seule  action  indifférente,  supposé  qu'il  y  en  ait,  lui  aurait 
été  quelque  chose  de  plus  insupportable  que  tous  les  maux  tempo- 
rels, que  la  désolation  même  d'une  province  en  matière  tempo- 
relle, parce  que,  disait-il,  dans  le  chrétien,  tout  doit  être  surnatu- 
rel et  divin  dans  ses  opérations,  et  que  c'est  l'esprit  de  Jésus-Christ 
qui  doit  l'animer,  le  gouverner  et  agir  par  lui  (R.  P.  Warnet,  Tré- 
sor des  Prédicat.  Pureté  d'intent.  art.  3). 

Les  faire  toutes  avec  un  saint  empressement 
et  du  mieux  qu'on  peut. 

i.  —  Nous  avons,  dit  Origène,  une  expression  bien  naïve  de  cet 
empressement  dans  la  personne  d'Abraham.  Le  livre  de  la  Genèse 
nous  apprend  que  ce  saint  patriarche  était  tellement  pressé   par 


DEVOIR   DE  SANCTIFIER  TOUTES  NOS  ACTIONS.  ^So, 

1rs  ardeurs  do  son  amour,  qu'il  ne  pouvait  demeurer  en  repos 
dans  sa  maison  ;  il  sortait  même,  dit  l'Écriture,  en  plein  midi, 
durant  la  plus  grande  chaleur  du  jour,  pour  chercher  quelque 
occasion  de  pratiquer  la  charité  et  pour  dresser  de  charitables 
embûches  aux  pauvres  qui  passaient.  Un  jour  qu'il  était  comme 
aux  aguets,  il  aperçoit  trois  pèlerins  qui  étaientdes  anges  déguisés 
sous  cet  habit,  il  ne  put  se  donner  le  loisir  de  les  attendre,  il  cou- 
rut au-devant  d'eux.  Et  après  les  avoir  engagés  à  prendre  chez  lui 
leur  repas,  t7  court  pour  une  seconde  fois  à  sa  maison.  Et  comme 
il  savait  bien  que  sa  femme  Sara  était  pressée  de  la  même  charité 
que  lui,  au  lieu  de  s'adresser  à  un  grand  nombre  de  serviteurs  qui 
composaient  sa  famille,  il  lui  dit  :  Hâtez-vous  de  faire  des  pains 
sous  la  cendre.  Voici  trois  pèlerins  qui  nous  viennent  visiter, 
recevons-les  bien,  et  sans  les  faire  attendre.  Après  avoir  donné  cet 
ordre  à  sa  femme,  il  court  une  troisième  fois  à  son  troupeau, 
prend  ce  qu'il  y  trouve  de  meilleur,  et  le  donne  à  son  serviteur  en 
lui  recommandant  de  se  hâter  del'accommoder.  En  vérité,  poursuit 
Origène  sur  ce  passage,  ceci  est  merveilleux,  on  ne  parle  ici  que 
de  courir  :  Abraham  court,  sa  femme  court,  son  serviteur  court, 
tous  se  hâtent  ;  il  y  a  du  mystère.  C'est  que  le  Saint-Esprit  veut 
nous  apprendre  que  dans  une  maison  où  règne  la  charité,  il  n'y  a 
point  de  tièdes  ni  de  négligents.  Lorsqu'un  cœur  est  une  fois 
possédé  par  un  amour  sincère,  véritable,  fervent,  il  ne  peut  jamais 
demeurer  en  repos. 

2.  Sainte  Véronique,  de  Milan,  était  d'une  condition  vile  aux 
yeux  des  hommes,  ses  parents  étaient  entièrement  dépourvus  des 
biens  de  la  fortune  ;  ils  n'avaient  que  le  travail  de  leurs  mains 
pour  faire  subsister  leur  famille.  Mais,  s'ils  n'étaient  pas  riches, 
ils  avaient,  par  contre,  la  crainte  de  Dieu,  qui  est  infiniment 
préférable  à  toutes  les  richesses.  Les  lois  de  la  probité  la  plus 
exacte  furent  toujours  la  règle  invariable  de  leur  conduite,  et  ils 
portaient  si  loin  l'horreur  de  la  fraude,  que  quand  le  père  de  la 
sainte  avait  quelque  chose  à  vendre,  il  en  découvrait  ingénument 
les  défauts,  afin  de  ne  tromper  personne.  La  pauvreté  dans 
laquelle  ils  vivaient  ne  leur  permettait  pas  d'envoyer  leur  fille  à 
l'école.  Véronique  n'apprit  point  à  lire  :  cela  ne  l'empêcha  pas  de 
connaître  et  de  servir  Dieu,  pour  ainsi  dire,  dès  le  berceau.  Elle 
avait  continuellement  sous  les  yeux  des  exemples  domestiques  qui 
gravèrent  dans  son  cœur  l'amour  de  la  vertu.  L'exercice  de  la 
prière  était  le  plus  cher  objet  de  ses  délices  ;  elle  écoutait  attenti- 
vement les  instructions  que  l'on  a  coutume  de  faire  aux  enfants, 
et  le  Saint-Esprit  lui  en  donnait  l'intelligence.  Les  lumières  inté- 


4gO     LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  XVIII.  INSTRUCTION. 

rieures  que  la  grâce  lui  communiquait,  la  mirent  en  état  de  mé- 
diter presque  sans  cesse  les  mystères  et  les  principales  vérités  de 
notre  sainte  religion.  Celait  ainsi  que  son  âme,  nourrie  d'une 
manne  toute  céleste,  acquérait  de  jour  en  jour  de  nouvelles  forces. 
Les  devoirs  de  la  piété  ne  prenaient  rien  sur  ceux  de  son  état.  Elle 
travaillait  avec  une  ardeur  infatigable,  et  obéissait  à  ses  parents  et 
à  ses  maîtres  jusque  dans  les  plus  petites  choses.  Elle  prévenait 
ses  compagnes  par  mille  manières  obligeantes,  et  se  regardait 
comme  la  dernière  d'entre  elles  ;  sa  soumission  à  leur  égard  était 
si  entière,  qu'on  eût  dit  qu'elle  n'avait  point  de  volonté  propre. 
Son  recueillement  avait  quelque  chose  d'extraordinaire  :  sa  con- 
versation était  toujours  dans  le  ciel,  même  au  milieu  des  occupa- 
tions extérieures  ;  elle  ne  remarquait  rien  de  tout  ce  qui  se  passait 
parmi  ceux  qui  travaillaient  avec  elle.  Était-on  dans  les  champs  ? 
Elle  allait  travailler  à  l'écart,  afin  d'être  moins  distraite  et  de 
s'entretenir  plus  librement  avec  son  divin  Époux.  Cet  amour  de  la 
solitude,  qui  faisait  l'admiration  de  ceux  qui  en  étaient  témoins, 
n'avait  pourtant  rien  de  sombre  ni  d'austère.  Véronique  n'avait 
pas  plus  tôt  rejoint  sa  compagnie,  qu'une  douce  sérénité  se  répan- 
dait sur  son  visage,  ses  yeux  paraissaient  souvent  baignés  de  lar- 
mes, mais  on  n'en  savait  pas  la  cause,  parce  que  la  sainte  cachait 
soigneusement  ce  qui  se  passait  entre  Dieu  et  elle. 


DIX-NEUVIÈME    INSTRUCTION 

(Mercredi  de  la  Semaine  Sainte) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 

d'imiter 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

I.  Convenance  de  celle  imitation.  —  IL  Nécessité  de  cette  imitation.  — 
III.  En  quoi  elle  doit  consister.   —  IV.  Moyens  de  la  réaliser. 

Les  devoirs  dont  nous  avons  parle  jusqu'ici    ne    portaient 
tous  que  sur  un  seul  point.  Celui  qui    va  faire    le  sujet  de 
noire  en  Ire  lien  de  ce   jour   les  embrasse  tous  et  les  résume 
tous.    Ce    devoir  est    l'imitation    de   Notre-Seigneur  Jésus- 
Ghrist.  Il  embrasse  et  résume  tous  les  autres,  disons-nous  ; 
et  en  effet,  Notre-Seigneur  s'étant   acquitté   avec  une  infinie 
perfection    de    tous  les  devoirs  chrétiens,    celui  qui  imite 
Notre-Seigneur  s'acquitte  aussi,  par    là   même,  de    tous  ces 
mêmes  devoirs,  et  sanctifie  toutes  ses  actions.  De  là  sa  par- 
ticulière importance,  et  l'attention  toute    spéciale  que  nous 
devons  apporler  pour  le  bien  connaître,  afin   de  pouvoir  le 
bien  accomplir.  Aussi  pouvons-nous  croire  que  c'est  à  cause 
de  cette  importance  qu'il  y  a  pour  nous   à  imiter  Notre-Sei- 
gneur, que  Dieu,  qui  a  tout  fait  en  vue  du  bien  de  ses  élus, 
nous  dit  la  sainte  Écriture,  a   mis   en    nous  ce  très  sensible 
penchanl  à  L'imitation,  (pie  nous  y  remarquons.  En  mettant 
en  nous  ce  penchant,  Dieu    a  voulu   en  effet  nous    faciliter 
l'accomplissement  du  devoir  qui  devait  le  plus  contribuer  à 
notre  salut.  Car  il  est  bien  évident  que,  grâce  à  ce  penchant, 
il  nousesl  beaucoup  plus  facile  d'imiter  Notre  Seigneur,  que 
<i  c     penchanl  n'existai!  pas.  Mais  au  lieu  d'user  de   ce  pen- 
chant selon  les  vues  de  Dieu,  c'est-à-dire  pour  imiter  Notrc- 
ucur,    nous    en    usons    pour    toutes  sortes  d'imitations 
vaines,  profanes  et  même  criminelles.  Nous  en,  usons  pour 


4 g 2       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIX.  INSTRUCTION. 

imiter  les  manières  et  les  coutumes  souvent  ridicules  du 
monde,  pour  imiter  les  modes  souvent  ineptes  et  onéreuses 
du  monde,  pour  imiter  les  vices  prétendus  élégants  du 
monde,  qui  ruinent  notre  bourse,  notre  santé,  notre  réputa- 
tion, notre  âme  ;  mais  combien  peu  qui  en  usent  pour 
imiter  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  afin  de  mener  une  vie 
vraiment  chrétienne  et  d'opérer  leur  salut!  Certes,  on  ne 
peut  le  contester,  ceux  qui  agissent  ainsi  abusent  de  leur 
faculté  d'imiter,  comme  ceux-là  abusent  de  leur  faculté  de 
raisonner,  qui,  au  lieu  de  l'employer  pour  mieux  connaître 
Dieu,  l'emploient  pour  s'armer  contre  lui  de  sophismes,  et 
justifier  leur  impiété  ou  leur  indifférence.  D'où  vient  donc, 
chrétiens,  que  malgré  notre  naturel  penchant  à  l'imitation, 
nous  nous  acquittons  en  général  si  peu  et  si  mal  de  notre 
devoir  d'imiter  Notre-Seigneur  ?  Comme  presque  toujours, 
la  principale  cause  en  est  que  nous  ignorons  plus  ou  moins 
complètement  ce  devoir,  soit  que  nous  ne  l'ayons  jamais 
bien  connu,  soit  que  nous  l'ayons  oublié.  Par  conséquent, 
le  premier  moyen  à  employer  pour  nous  amener  à  l'obser- 
ver, c'est  cle  nous  en  instruire  sérieusement.  Et  c'est  en  effet 
ce  que  nous  allons  faire  dans  le  présent  entretien,  d'abord 
en  démontrant,  non  seulement  la  convenance,  mais  encore 
la  rigoureuse  nécessité  qu'il  y  a  pour  nous  d'imiter  Notre- 
Seigneur  ;  ensuite  en  exposant  en  quoi  doit  consister  cette 
imitation  ;  et  enfin  en  faisant  connaître  les  moyens  de  la 
réaliser.  Imiter  Jésus-Christ  est  pour  le  chrétien  :  un  devoir, 
un  avantage,  une  joie.  —  Seigneur,  qui  dès  le  principe  nous 
avez  faits,  dans  notre  âme,  à  votre  image  et  à  votre  ressem- 
blance, daignez  nous  éclairer  et  nous  fortifier,  afin  que  nous 
connaissions  parfaitement  notre  devoir  cle  nous  rendre  nous- 
mêmes  semblables  à  vous  dans  notre  conduite,  et  que  nous 
puissions  l'accomplir. 

I.  —  Que  c'est  pour  nous  un  devoir  de  convenance 
d'imiter  Notre-Seigneur.  —  Un  devoir  de  convenance 
n'oblige  pas  avec  autant  de  rigueur,  il  est  vrai,  qu'un  devoir 
de  justice.  Par  exemple,  on  n'est  pas  aussi  rigoureusement 
obligé  de  prendre  part  au  deuil  d'un  voisin,  ce  qui  est  un 
devoir  de  convenance,  que  de  lui  payer  ce   qu'on  lui  doit, 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN  d'iMITER  N.-S.  JESUS-CHRIST  /jq3 

ce  qui  es!  un  devoir  de  justice.  Toutefois,  on  ne  manque  pas 
à  un  simple  devoir  de  convenance  sans  encourir  le  blâme 
et  la  répréhension  îles  hommes  eux-mêmes,  et  L'on  ne  sau- 
rait admettre  que  la  conscience  y  soit  tout  à  fait  désinté- 
ressée, pareequ'on  \  blesse  toujours  plus  ou  moins,  soit  la 
charité,  soit  Le  respect,  ou  quelque  autre  vertu  chrétienne. 
Voilà  pourquoi  l'on  doit  toujours  faire  cas  même  de  ce  qui 
n'est  que  de  convenance. 

Or,  parmi  les  devoirs  de  convenance,  ceux  qui  s'imposent 
en  général  avec  plus  de  force  encore,  sont  ceux  qui  se  rap- 
portent aux  parents,  aux  amis,  aux  bienfaiteurs  et  aux  supé- 
rieurs, et  qui  consistent  surtout  à  se  modeler  sur  eux  autant 
que  le  permet  une  juste  discrétion.  Il  est  en  effet  parfaite- 
ment convenable  de  se  conformer,  dans  la  mesure  du  pos- 
sible bien  entendu,  à  la  manière  de  penser,  de  parler  et 
d'agir  d'un  père,  d'une  mère,  d'un  ami,  d'un  bienfaiteur, 
d'un  supérieur.  On  aurait  tort  de  taxer  cette  conduite  d'obsé- 
quiosité ou  de  servilité.  En  agissant  ainsi,  nous  donnons  à 
entendre  simplement  que  nous  nous  inclinons  devant  le 
mérite  et  la  sagesse  des  personnes  que  nous  imitons,  et  que 
nous  les  jugeons  dignes  de  nous  servir  de  modèles.  Une 
telle  imitation  est  tellement  un  devoir  de  convenance,  que 
le  fils,  que  le  disciple,  que  l'obligé  et  l'inférieur  qui  s'en 
écartent  sans  motif,  sont  considérés  comme  manquant  de 
déférence  et  de  respect.  N'est-ce  pas  cette  imitation  des 
parents  par  leurs  enfants,  qui  créent  ces  traditions  de  famil- 
les si  fécondes  en  heureux  résultats?  L'imitation  d'un 
maître  par  ses  élèves  n'est-elle  pas  sa  meilleure  récompense 
et  sa  plus  grande  gloire?  Mais  par  contre,  quelle  humilia- 
tion pour  un  père,  quel  discrédit  pour  un  maître,  qui  ne 
sont  point  imités  par  leurs  enfants  et  leurs  disciples  !  N'est- 
ce  pas  comme  si  ces  enfants  et  ces  disciples  déclaraient, 
ceux;  là  leur  père,  ceux-ci  leur  maître,  indignes  d'être  imités? 

Eh  bien,  si  ces  raisons  font  aux  enfants,  aux  disciples, 
au\  obligés,  un  devoir  de  convenance  d'imiter  leurs  parents, 
leurs  maîtres,  leurs  bienfaiteurs  ;  combien  plus  ces  mêmes 
raisons  ne  font-elles  pas  à  tous  les  chrétiens  un  devoir  de 
convenance  d'imiter  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  !  Car  non 
seulement  il  est  pour  nous  tout  à  la  fois  notre  Père,  notre 


/ÎQ'l        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIX.   INSTRUCTION. 


Maître,  notre  Bienfaiteur;  mais  il  l'est   d'une  manière  sure- 
minente,  et  telle  que   devant  lui  il  n'y  a  véritablement  ni 
père,  ni  maître,  ni  bienfaiteur,  puisqu'il   n'y  a  pas  de  père 
qui   ne   tienne    de   lui   sa  paternité,   pas   de  maître  qui  ne 
tienne  de  lui  son  autorité,  pas  de   bienfaiteur  qui  ne  tienne 
de  lui  sa  générosité.  Et  ee  n'est  pas   tout,  car    ce   Père  des 
pères,   ce  Maître  des  maîtres,   cet  inspirateur  et  cette  main 
des  bienfaiteurs,  possède  à  un  degré  infini  toutes  les  perfec- 
tions dont  nous  ne  voyons  reluire  que  de  faibles  parcelles 
dans  nos  pères,  nos  maîtres  et  nos  bienfaiteurs.   Or,  si    ce 
sont  ces  parcelles  de  perfections  qui  nous  font  un  devoir  de 
convenance  d'honorer  de  notre  imitation  ceux  en  qui  nous 
les  voyons,  combien  plus  ne  convient-il  pas  que  nous  imi- 
tions Notre-Seigneur,  qui  est   l'auteur,   le  possesseur  et   le 
distributeur  de  toutes  les  perfections  !  La  source  qui  donne 
l'eau  n'est-ellc  pas  plus  que  le  ruisseau  qui  la   distribue?  Et 
le  cœur  qui  inspire  l'acte  charitable,  n'est-il  pas  plus  que  la 
main  qui  l'exécute  ?  Voilà  pourquoi,  s'il  est  choquant  de  voir 
un  fils  qui  n'imite  pas  son  père,  un  disciple  qui  n'imite  pas 
son  maître,  un  obligé  qui  n'imite  pas  son  bienfaiteur;  il  est 
bien  plus  choquant   encore  de  voir  un  chrétien  qui  n'imite 
pas  Jésus-Christ,  son  Créateur,  son  Rédempteur  et  son  Dieu. 
Aussi  les  gens  du  monde  eux-mêmes  ne   manquent-ils  pas 
d'incriminer  hautement   les  chrétiens  dont  la   conduite  est 
plus  ou  moins  différente  de  celle  de  leur  divin  Maître.   Or, 
s'il  est  tellement  choquant  de  voir  des  chrétiens  qui  n'imi- 
tent pas  Notre-Seigneur,  c'est  donc  que,  même  aux  yeux  du 
monde,  leur  devoir  de    l'imiter  est  très  grave  et  très  impé- 
rieux. Mais  combien  ne  doit-il  pas  l'être  davantage  encore  à 
nos  propres  yeux,   à  nous  qui   savons   combien  Notre-Sei- 
gneur, par  ses  perfections  et  ses  bienfaits,  a  de  droits  à  notre 
respect  et  à  notre  imitation (i)  !  —  Et  pourtant,  nous  l'avons 

i.  Christiani  sicut  haeredes  sunt  nominis  Christi,  ita  debent  esse  imi- 
tatores  sanctitatis.  Haec  propositio  est  sancti  Bcrnardi,  et  illi  consonat 
îllud  Apostoli  :  Obsecro  vos,  ego  vinclus  in  Domino,  ut  digne  ambulelis 
vocationeveslrasanda.  Interrogabat  se  fréquenter  Bcrnardus(quod  olim 
etiam  practicabant  ss.  Patres)  :  «  Bernarde,  ad  quid  venisti  de  mundo  ? 
Ad  quid  ascendisti  de  fluminibus  Babylonis  ?  ad  stalimi  religionis.  Hoc 
âge.  »  lta  se  potest  interrogare  christianus  :  Ad  quid  \enislii'  Wl  quid 
Vocatus  es  ?  Cujus  nomen  geris  ?  Nomen  et  vocatio  tua,  uionct  le  sobrie- 


DEVOIR  POPR  TOUT  CHRETIEN   UIMITEH  N. -S.  JESUS-CHRIST.    4g5 


dit,  L'imitation   de  Notre  Seigneur  est  pour  nous  bien  plus 
qu'un  devoir  de  convenance, 

11.  —  Elle  est  d'une  rigoureuse  et  indispensable 
nécessité.  —  C'est  ce  que  le  Sauveur  lui-même  nous  a 
enseigné  à  plusieurs  reprises  el  de  diverses  manières. 

Peu  de  temps  avan!  sa  mort,  comme  il  faisait  entendre  à 
Bes  apôtres  qu'il  allait  bientôt  retourner  au  ciel  vers  son 
Père,  et  qu'il  leur  disait  qu'ils  connaissaient  la  voie  pour  y 
venir  aprè8  lui,  l'un  d'eux  lui  dit:  Mais  non,  Seigneur, 
ridas  ne  savons  pas  par  quelle  voie  on  y  va.  Le  Sauveur  ajouta 
alors  :  Je  suis  moi-même  celle  voie  (i).  Or,  qu'est-ce  que  cela 
a  eut  dire,  que  Notre-Seigneur  est  la  voie  du  ciel  ?  C'est  une 
manière  de  parler  par  figure  et  comparaison,  et  cela  veut 
dire  que,  comme  il  y  a,  pour  se  rendre  en  un  lieu  quelcon- 
que, une  voie  qu'il  faut  suivre,  ainsi  lui-même  est  la  voie 
qu'il  faut  suivre  pour  aller  au  ciel.  Mais  comment  suivre 
cette  voie,  qui  est  Jésus-Christ?  En  l'imitant.  Un  père  ne 
dit-il  pas  souvent  à  ses  enfants:  Suivez  la  voie  que  je  vous 
ai  tracée,  ou  bien  :  Suivez  mes  pas,  pour  leur  faire  entendre 
d'imiter  sa  conduite  et  ses  exemples?  Remarquons  donc  bien 
maintenant  ceci  :  de  même  que  si  l'on  ne  suit  pas  la  voie 
qui  mène  dans  l'endroit  où  l'on  veut  aller,  on  ne  parvien- 
dra pas  dans  ce  lieu  ;  de  même,  si  l'on  n'imite  pas  Notre- 
Seigneur,  certainement  on  ne  parviendra  pas  non  plus  au 
ciel.  Par  conséquent,  autant  il  est  nécessaire,  pour  arriver 
en  un  endroit,  de  suivre  la  voie  qui  y  conduit  ;  autant  il  est 
nécessaire,  pour  arriver  au  ciel,  d'imiter  Notre-Seigneur  (2). 

tatis,  humililalis.  patientiae,  sanctitatis  Christi  imitandae.  Ut  quia  ergo 
superbiam,  immunditiam,  ebrietatem  sectaris?  Vocatus  es  non  ad  tene- 
bras  et  errorès  saeculi,  et  vias  peccatorum  sectandas,  sed  ad  imilanda 
vestigia  Christi.  Vmbula  ergo  digne  vocationc  et  nomme  tuo  :  Non  in 
eommessatione  et  ebrietaie,  non  in  cubilibus  et  impudicitiis,  sed  induere 
Dominant  Jesum  Christi  m.  Uom.  xm.  Tu  a  Christo  clirislianus  dictus, 
erutus  de  potestate  tenebrarum,  debes  ut  filius  lucis  ambularc  (March. 
Horl.  Pastor.  tr.  1,  lect.  2,  prop.  2). 

1.  Joan.  xiv,  5,  6. 

Si  dixissel  tibi  Dominus  Deus  tuus  :  Ego  sum  veritas  et  vita,  tu 
desiderans  ver  i  ta  te  m  etvitam  concupisccns,  via  m,  qua  ad  haec  pérvenire 

3,  profecto  quaereres,  el  diceres  tibi:  Magna  res  veritas,  magna 
vita.  Si  esset,  quomodo  illuc  perveniret  anima  rneaPQuaeris  quai'  \nm' 


^6       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XIX.  INSTRUCTION. 

Déjà  précédemment  le  Sauveur  avait  enseigné  cette  néces- 
sité de  l'imiter,  en  disant  :  Celai  qui  ne  me  suit  pas,  n'est  pas 
digne  de  moi  (i).  Évidemment,  le  Sauveur  ne  voulait  pas 
faire  entendre  que,  pour  être  digne  de  lui,  on  était  obligé 
de  le  suivre  matériellement  ;  car  depuis  qu'il  est  remonté 
au  ciel,  nul  n'a  plus  eu  la  possibilité  de  le  suivre  dans  ce 
sens,  et  cependant  tous  sont  appelés  au  salut.  Ici,  suivre 
Notre-Seigneur,  veut  donc  encore  dire,  l'imiter.  C'est  dans 
ce  sens  qu'on  dit,  suivre  les  bons  exemples,  et  pareillement, 
suivre  les  mauvais  exemples,  c'est-à-dire  imiter,  soit  les  uns, 
soit  les  autres.  Or,  en  disant  que  celui  qui  ne  le  suit  pas 
n'est  pas  digne  de  lui,  Notre-Seigneur  nous  déclare  donc 
que  celui  qui  ne  Fimite  pas,  n'est  pas  digne  d'être  son  dis- 
ciple, ce  qui  est  parfaitement  juste;  car,  comme  nous 
l'avons  déjà  expliqué,  le  devoir  d'un  disciple  est  d'imiter 
son  maître,  et  le  disciple  qui  n'imite  pas  son  maître  n'est 
pas  digne  en  effet  de  lui,  et  en  réalité  il  n'est  pas  son  disci- 
ple. Mais  que  résulte-t-il  de  là?  Il  en  résulte  que,  si  celui 
qui  n'imite  pas  le  Sauveur  n'est  pas  son  disciple,  il  ne 
pourra  pas,  par  là  même,  être  reçu  dans  les  demeures  céles- 
tes, réservées  aux  seuls  véritables  disciples  (2).  Et  c'est  ainsi 
que  le  divin  Maître  nous  avait  déjà  intimé,  une  première 
fois,  l'obligation  de  l'imiter. 

Cependant,  il  parla  plus  clairement  encore  dans  une 
autre  circonstance,  lorsqu'il  dit  ouvertement  à  ses  apôtres, 
et  en  leur  personne  à  tous  les  disciples   qu'il  devait  avoir 

eum  dicentem  primo  :  Ego  sum  via.  Primo  dixit,  qua  venias  ;  postea  quo 
venias.  Ego  sum  via,  ego  sum  veritas.  Ipse  manens  apud  Patrem  veritas 
et  vita  est  ;  induens  se  carne  factus  est  via.  Non  tibi  dicitur  :  Labora 
qurcrendo  viam,  ut  pervenias  ad  veritatem  et  vitam,  non,  inquam,  hoc 
tibi  dicitur.  Ergo  surge,  piger,  \ia  ipsa  ad  te  venit,  et  te  de  somno  dor- 
mientem  excitavit  (si  tamen  excitavit)  surge  et  ambula  !  (S.  Aug.  sup. 
xxx,  tr.  2/i). 

1.  Matth.,  x,  38. 

2.  Si  quis  mihi  ministrat,  me  sequatur,  et  ubi  sum  ego,  ibi  et  minister 
meus  erit.  Joan.  xn.  Nota,  ubi  ego  sum,  erat  ab  instanti  incarnationis 
anima  Christi  in  gloria  ;  ibi,  inquit,  erit,  qui  secutus  fuerit  me.  Quis 
non  libentissime  Ghristum  sequetur,  quoeumque  ierit,  si  talis  terminus 
est  ?  Gaudeat  qui  sequitur  Ghristum,  paveat  qui  non  sequitur  Ghris- 
tum :  nam  ille  in  cœlum,  hic  in  gehennam  pergit  (Labat,  \Loc.  comm. 
verb.  Christi  ex emplar.  pr.  i). 


DEVOIR  POUR  TOUt  CHRÉTIEN   immiit.Iîx.   S.  JESUS-CHRIST.    \\)~ 

dans  La  suite  des  siècles  :  .le  vous  ai  donné  l'exemple,  afinque, 
comme  j'ai  fait  moi  même,  ainsi  nous  aussi  vous  fassiez  i 1). 
Le  commandement  de  L'imiter  est  çn  effet  ici  très  formel  et 
très  explicite.  Il  commence  par  nous  dire  qu'il  nous  a 
donné  L'exemple;  car,  s'il  ne  nous  L'eût  pas  donné,  nous 
n'aurions  pis  à  L'imiter.  En  parlant  ainsi,  il  est  allé 
au-devant  des  difficultés  que  n'auraient  pas  manqué  de 
Paire  beaucoup  de  chrétiens.  Sans  doute,  auraient-ils  dit,  le 
Sauveur  a  pratiqué  d'admirables  vertus  et  accompli  de  bien 
belles  actions  ;  mais  il  était  Dieu,  et  ce  qu'il  a  fait  ne  saurait 
être  proposé  à  notre  imitation,  à  nous  qui  ne  sommes  que 
de  faibles  créatures.  Or,  ce  langage,  personne  ne  peut  le 
tenir,  puisque  JÉsi  s  Christ  s'est  expressément  donne  pour 
notre  modèle,  en  disant,  je  vous  ai  donne  l'exétoiple,  et  qu'on 
ne  propose  un  modèle  que  pour  le  faire  imiter.  C'est  encore 
ce  que  Notre-Seigneur,  au  surplus,  nous  a  expressément 
déclaré,  en  ajoutant  :  ijiri  que,  comme  j'ai  fait  moi-même, 
ainsi  vous  aussi  vous  fassiez.  Le  commandement  d'imiter 
Notre-Seigneur  ne  saurait  donc  être  plus  net  et  plus  expli- 
cite. Or.  une  chose  commandée  n'est  pas  une  chose  qu'on 
puisse,  à  volonté,  faire  ou  négliger  ;  c'est  une  chose  qu'on 
esi  rigoureusement  tenu  d'accomplir.  Et  voilà  pourquoi, 
encore  une  l'ois,  l'imitation  de  Notre-Seigneur  est  pour  nous 
d'une  absolue  nécessité,  si  nous  voulons  faire  notre  salut. 
\u>>i.  les  apôtres  sont-ils  souvent  revenus  sur  ce  capital 
sujet.  Dès  le  commencement  de  son  livre  sur  les  ic tes  des 
Apôtres,  saint  Luc  rappelle  (pie  Notre-Seigneur  a  d'abord 
fait,  puis  enseigné  (2)  les  choses  du  salut.  Or,  qu'il  >  ail  obli- 
gation d'accomplir  les  enseignements  du  Sauveur  pour  qui 
conque  veul  se  sauver,  il  n'est  personne  qui  osera  le  con- 
tester. Mais  les  choses  qu'il  a  enseignées  sont  exactement 
Les  mêmes  que  celles  qu'il  a  pratiquées.  Par  conséquent,  s'il 
\  a  obligation  d'accomplir  ses  enseignements,  il  >  a  par  là 
même  obligation  d'imiter  ses  exemples,  puisque  les  ensei- 
gnements cl  les  exemples  sont  une  même  chose,  exprimée  là 
en  paroles,  ici  en  actes 

1.  Joan.  xiii,  i5, 

2.  Act.  1,  1. 

SOM.ME    DU  PRÉDICATEUR.    —  T.    II.  \% 


/■j  < ) vS       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XIX.  INSTRUCTION. 

Écoutons  l'apôtre  saint  Paul,  écrivant  aux  chrétiens  de 
Gorinthe  :  Soyez  mes  imitateurs,  leur  dit-il.  Quoi  donc  ! 
saint  Paul  se  donne-t-il  comme  étant  personnellement  le 
modèle  à  imiter  par  ceux  qui  veulent  faire  leur  salut  ?  Non 
certes,  car  il  ajoute  aussitôt  :  comme  je  suis  moi-même  imita- 
teur de  Jésus-Christ  (i).  De  sorte  qu'en  imitant  l'apôtre, 
c'était  en  réalité  Jésus-Christ  que  les  fidèles  imitaient,  puis- 
que l'apôtre  était  lui-même  l'imitateur  de  Jésus-Christ.  Qui 
imite  la  copie  d'un  modèle,  imite  le  modèle  lui-même. 
Ainsi  saint  Paul  considérait  l'imitation  de  Notre-Seigneur 
comme  nécessaire,  puisque  lui-même  l'imitait  ;  et  il  exhor- 
tait aussi  les  fidèles  à  cette  imitation,  en  les  engageant  à 
l'imiter  lui-même,  eu  tant  qu'il  s'était  formé  sur  Jésus- 
Christ.  —  Le  même  apôtre  dit  de  plus,  dans  un  autre 
endroit,  que  ceux-là  seuls  sont  appelés  par  Dieu  pour  être 
saints,  qu'il  a  prédestinés  pour  être  conformes  à  limage  de 
son  Fils  (2).  C'est-à-dire  que,  tout  homme  que  Dieu,  par  sa 
prescience,  a  vu  comme  ne  devant  pas  se  rendre  conforme 
à  l'image  de  son  Fils,  n'a  pas  été  appelé  au  salut.  Ainsi, 
encore  une  fois,  le  salut  dépend  essentiellement  de  l'imita- 
tion de  Notre-Seigneur.  Quiconque  l'imitera  sera  sauvé, 
mais  quiconque  ne  l'imitera  pas  sera  certainement  damné. 

Voici  enfin,  pour  terminer,  le  prince  même  des  apôtres, 
le  premier  chef  de  l'Église,  saint  Pierre.  A  son  tour,  il  écrit 
pour  tous  les  fidèles  :  Jésus-Christ  vous  a  laissé  son  exemple, 
afin  que  vous  suiviez  ses  traces  (3).  C'est  le  commandement 
même  du  Sauveur  dont  nous  avons  parlé  tout  à  l'heure,  et 
que  Notre-Seigneur,  nous  nous  le  rappelons,  a  ainsi  for- 
mulé :  Je  vous  ai  donné  l'exemple  afin  que,  comme  fai  fait 
moi-même,  ainsi  vous  aussi  vous  fassiez.   Ainsi   saint  Pierre, 

1.  I.  Cor.  xi,  1. 

2.  Rom.  vu,  29.  —  Hoc  igitur  dico  et  testificor  in  Domino,  ut  jam 
non  ambuletis  sicui  et  gentes  ambulant  in  vanitate  sensus  sui...  A  os 
autem  non  ita  didicistis  Ghristum,  si  tamen  illum  audistis,  et  in  ipso 
edocti  estis  ;  sicut  est  veritas  in  Jesu,  deponere  vos  secundum  pristi- 
nam  conversationem,  veterem  hominem,  qui  corrumpitur  secundum 
desideria  erroris.  Renovamini  autem  spiritu  mentis  vestrae  et  induite 
novum  hominem  qui  secundum  Deuin  creatus  est  in  justitia  et  sancti- 
tale  veritatis  (Epiies.  iv,  17»  20-24).  —  Cf4  Rom.  xin,  i4  ;  Galat.  m,  17). 

3.  I.   Pclr.  11,  21. 


DEVOIB  POUB  TOUT  CHRETIEN  D' IMITER  N.-S.  JlSsUS-CHRIST.   /|()() 

vicaire  de  Jé*sus-Ghrist  et  chef  de  toute  l'kglise,  se  fait 
un  devoir  de  rappeler  aux  chrétiens  le  précepte  qu'a 
ilonué  le  divin  Maître  d'imiter  sa  conduite  et  ses  actions.  Il 
estime  que  s'il  ne  Leur  rappelait  pas  cette  obligation,  il  man- 
querai! à  sa  charge  e(  trahirait  l'intérêt  des  fidèles.  Quoi 
dire  de  plus?  Notre-Seigneur  a  commandé  qu'on  l'imitât  ; 
ses  apôtres,  dépositaires  et  ministres  de  ses  enseignements, 
ont  prescrit  aux  fidèles  cette  imitation  :  elle  est  donc,  ainsi 
que  nous  L'avons  dit,  absolument  nécessaire,  et  personne 
ne  sera  sauvé  qu'il  ne  ressemble  à  Notre-Seigneur  (i).  Ce 
point  établi,  il  s'agit  de  savoir  maintenant 

III.  —  En  quoi  doit  consister  cette  imitation.  —  Est- 
il  besoin  de  le  dire  ?  il  ne  nous  est  nullement  demandé 
d'imiter  Notre-Seigneur  dans  les  choses  qu'il  a  faites  comme 
Dieu,  parce  que  nous  n'en  avons  pas  le  pouvoir,  comme, 
par  exemple,  de  rendre  la  santé  aux  infirmes,  de  guérir  les 
malades  et  de  ressusciter  les  morts.  Sans  doute,  Notre-Sei- 
gneur a  bien  dit  :  Celui  qui  croit  en  moi  fera  les  œuvres  que 
je  fais,  et  même  de  plus  grandes  (2).    Et  en  effet,   les  apôtres 

1.  Tota  vita  Christi  in  terris  prohomine,  quem  fecit,  disciplina  mo- 
rum  fuit  (S.  Aucx.  lib.  devera  Relig.  c.  i5). 

<(  Christianismus,  ait  Nyssenus,  estimitatio  divinœ  naturœ.  »  Tract,  de 
prof,  christ.  Si  ergo  christianus  es,  noliin  vanura  ferre  hoc  nomen,  ideo 
enini  Christus  factus  est  particeps  nostrae  humanitatis,  ut  nos  partici- 
pes faceret  suae  divinitatis,  ut  du  m  visibiliter  Deum  cognoscimus,  per 
hune  invisibilium  amorem  rapiamur(CoRN.  a  Lap.  Comm.  in  Bar.  ni,  38). 

Miseri  peccatores  !  vos  in  operibus  estis  sceleratissimi,  in  verbis 
scandalosissimi,  in  cogitationibus  liberrimi,  et  ut  paucis  absol- 
vam,  in  omnibus  vitac  actionibus  daemoni,  quarn  Christo  similiorcs  ! 
Ah  !  quam  spem  concipere  potestis,  vos  cum  divino  lledcmptore  ad 
cœlestia  regia  ascensuros  ?  An  putatis  solum  nomen  christiani  suffectu- 
111111,  ut  salvemini?  Plane  non  est  ita  !  Fingitc  statuam  deformissimam 
infernalis  Luciferi,  cui  ad  ealcem  sacrilège  subscripta  surit  verba  haec  : 
Christus  Dominas  :  an  putatis  banc  statuam  propter  istam  subscriptio- 
nciu  in  hoc  templo  recipiendam,  et  in  altari  adorandam  esse?  Nulla 
ratione  !  Parera  in  modum,  mi  christiane,  utut  insigne  nomem  ab  ipso 
Christo  derivatum  géras*  de  cactero  autem  animam  habeas  infernali 
peccatorum  fuligine  denigratam,  non  recipicris  cum  Christo  in  aeter- 
nuin  cœli  tabernaculum.  Actum  est  !  pronunciata  est  jani  dudum  con- 
tra [r  sententia  Pauli  :  Neque  fornicarii,  neque  adulteri,  neque  molles, 
neque  fur  es,  neque  avari,  neque  ebriosi,  neque  maledici,  neque  rapaces, 
regnum  Dei  possidebunt.  I.  Cor.  in.  (Claus,  Spiçil.  catech.  in  fest. 
Ascens.  Dom.,  n.  12). 

a.  Joan.  xiv,  12. 


OOO       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XlX.   INSTRUCTION. 

et  beaucoup  de  saints  ont  accompli  des  miracles  qui  ne  sont 
pas  moindres  que  ceux  du  Sauveur,  étant  les  œuvres  de  la 
même  puissance,  qui  est  celle  de  Dieu.  Mais,  encore  une 
fois,  ce  n'est  pas  en  cela  qu'il  nous  est  commandé  d'imiter 
Notre-Seigneur,  parce  que,  nous  le  répétons,  si  nous  pou- 
vons être  les  instruments  de  ces  œuvres,  cependant  elles  ne 
dépendent  pas  de  nous,  mais  de  Dieu  seul. 

Ce  en  quoi  nous  devons  imiter  Notre-Seigneur,  c'est,  dit 
saint  Bernard  (i),  à  agir  comme  lui,  conformément  à  la  loi 
divine,  à  parler  comme  lui,  à  penser  comme  lui.  Encore 
faut-il  observer  que  l'imitation  qui  nous  est  commandée  ne 
saurait  être  parfaite,  parce  que,  entre  autres  raisons,  notre 
nature  pécheresse  en  est  incapable.  Mais  ce  qui  est  tout  au 
moins  absolument  exigé  de  nous,  c'est  que  nous  l'imitions 
autant  que  nous  le  pouvons. 

Dans  ses  actions  d'abord,  disons-nous.  Or,  comment  le 
Sauveur  agissait-il  ?  Dans  toutes  ses  actions,  l'Évangile  nous 
le  montre  se  conduisant  très  exactement  selon  les  prescrip- 
tions de  la  loi.  Etant  l'auteur  de  cette  loi,  il  aurait  pu  s'en 
dispenser  ou  la  modifier.  Mais  il  ne  le  voulut  pas.  Et  il  l'ob- 
serva même  avec  tant  de  fidélité,  qu'il  ne  craignit  pas  de 
porter  à  ses  ennemis  le  défi  de  le  convaincre  de  l'avoir  vio- 
lée, si  peu  que  ce  soit  :  Qui  de  vous,  leur  dit-il  un  jour, 
pourra  me  convaincre  de  péché  (2)  ?  Eh  bien,  pour  imiter  le 
Sauveur,  de  limitation  qui  nous  est  commandée,  dans  tou- 
tes ses  actions,  nous  devons  donc,  nous  aussi,  observer  tou- 
tes les  prescriptions  de  la  loi  divine,  et  les  observer  de  la 
manière  la  plus  parfaite  que  nous  pouvons.  Par  conséquent, 
nous  devons,  comme  lui,  vaquer  à  la  prière  au  moins  matin 
et  soir  ;  rendre  à  Dieu  du  fond  de  notre  cœur  un  culte  véri- 
table; respecter  son  saint  nom  ;  sanctifier  le  jour  du  diman- 
che qu'il  s'est  réservé  :  ne  nuire  en  rien  à  notre  prochain, 
mais  au  contraire  l'assister  selon  notre  pouvoir,  tout  en 
supportant  ses  défauts  et  en  lui  pardonnant  les  torts  qu'il 
peut  avoir  à  notre  égard.  Gomme  le  Sauveur,  nous  devons 
encore  nous  soumettre  à  la  volonté  de  Dieu  dans  les  événe- 

1.  Serra.  6.  de  tribal. 

2.  Joan.  vin,  'iti. 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN   D  [MITER  \.-s.  .n:si  s  ÛHRIST.  00.1 

ments  douloureux  qui  nous  arrivent,  el  nous  acquitter  de 
ions  nos  devoirs  jusqu'au  bout,  quoi  qu'il  nous  en  coûte, 
dussions  nous  >  perdre  nos  biens  et  notre  vie  elle  même. 
G'esl  ainsi  que  nous  L'imiterons  dans  ses  actions  (i). 

Nous  devons  L'imiter,  en  second  lien,  dans  ses  paroles. 
Noire  Seigneur  n'ouvrail  jamais  la  bouche  qu'à  propos. 
Quand  il  n'y  avait  pas  nécessité  de  parler,  il  se  taisait.  Et 
bien  que,  durant  Les  trois  dernières  années  de  sa  vie  en  par- 
ticulier, son  ministère  consistât  surtout  à  parler,  puisqu'il 
a\ail  à  nous  l'aire  connaître  les  obligations  du  salut,  cepen- 
dant il  gardail  bien  pins  souvent  le  silence  qu'il  ne  parlait. 
Nous  le  voyons  tout  spécialement  garder  le  silence  dans  une 
circonstance  mémorable,  c'est-à-dire  pendant  sa  passion, 
devant  le  grand-prêtre  Gaïphe,  et  tandis  qu'un  grand  nom- 
bre de  faux  témoins  venaient  tour  à  tour  déposer  contre  lui, 
travestissant  les  paroles  qu'il  avait  dites,  ou  fabriquant  de 
toutes  pièces  toutes  sortes  de  calomnies.  Vainement  on  l'ac- 
cablait ainsi,  vainement  le  grand-prêtre  lui  dit  alors  :  Vous 
ne  réponde:  rien  à  ce  que  ces  gens-là  déposent  contre  vous  ? 
L'Évangile  nous  rapporte  que  Jésus  ne  disait  mot  (2).  Quel 
exemple  et  quelle  leçon  !  Ce  n'est  pas  que  nous  ne  devions 
jamais  nous  justifier  quand  on  nous  accuse  faussement, 
puisqu'au  contraire  c'est  quelquefois  un  devoir  de  le  faire, 
principalement  quand  l'honneur  de  Dieu  et  de  l'Eglise  y  est 
intéressé.  Mais  si  notre  divin  Maître  se  tait  même  dans  cette 
circonstance,  ne  devons-nous  pas  garder  nous-mêmes  le 
silence  au  moins  lorsque  nous  pouvons  le  faire  sans  incon- 
vénient grave,  et  même  avec  grand  avantage.  Car,  en  gar- 
dant le  silence,  on  évite  les  querelles  et  les  emportements 
de  part  et  d'autre  ;    et  si  c'est   à   faux  qu'on  est  accusé,    on 

1.  Si  in  Doo  essp  volumus,  quomodo  il  le  ambulavit,  et  nos  spirilua- 
liter  ambulemus.  Quid  est  ambulare  sicut  [lie  ambulavit  ?  nisi  contem- 
nere  omnia  prospéra  quae  contempsit,  non  timere  adversa  quae  pertu- 
lit,  libenter  facere  quae  fecit,  ûeri  docere  quae  docuit,  sperare  quae  pro- 
misit,  el  sequi  quo  ipse  praecessit.  Quid  est  enim  sequi,  nisi  praestare 
bénéficia  etiam  ingratis,  non  retribuere  secundum  mérita  sua  malevolis, 
et  orare  pro  inimicis,  amare  bonos,  misereri  perversis,  suscipere  in  cha- 
ritate  cbnversos,  et  aequanimiter  pati  subdolos  ac  superbos?  (S.  Prospe;^. 
de  rita  act.  Sacerd.  lib.  2). 

a.  Matth.  xxvi,  .Oa,  63. 


502       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIX.  INSTRUCTION. 

expie,  en  se  taisant  et  en  s'humiliant,  les  fautes  qu'on  a  com- 
mises et  dont  on  n'a  pas  été  accusé.  Voilà  comment  et  dans 
quelle  disposition  nous  devons  imiter  INotrc-Seigneur  dans 
son  silence.  —  Lorsqu'il  parlait,  il  ne  le  faisait  jamais  que 
pour  un  motif  juste  et  en  des  termes  où  il  n'y  avait  rien  à 
reprendre.  C'était  toujours,  dans  ses  paroles  aussi  bien  que 
dans  ses  actions,  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes  qu'il 
se  proposait.  Alors  même  qu'il  avait  à  reprendre  les  méchants 
ou  à  démasquer  les  hypocrites,  c'était  toujours  par  charité 
qu'il  le  faisait  ;  c'est-à-dire  pour  préserver  les  âmes  simples 
contre  le  scandale,  et  pour  faire  rentrer  en  eux-mêmes  et  se 
convertir  les  pécheurs.  Pour  imiter  en  ceci  Notre-Seigneur, 
nous  devons  donc,  non  seulement  bannir  de  notre  bouche 
toute  parole  contraire  à  la  vérité,  à  la  justice  et  à  la  charité  ; 
non  seulement  toute  parole  capable  d'outrager  Dieu,  de 
nuire  au  prochain  et  de  scandaliser  les  âmes,  et  même  toute 
parole  simplement  vaine,  inutile  et  oiseuse  ;  mais  nous 
devons  encore,  dans  tout  ce  que  nous  disons,  nous  proposer 
un  but  juste,  utile,  saint,  et  tout  ramener  finalement,  comme 
Notre-Seigneur,  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  salut  des  âmes. 

Enfin  nous  devons  imiter  Notre-Seigneur  jusque  dans  ses 
pensées,  et  dans  les  divers  mouvements  de  son  esprit  et  de 
son  cœur.  C'est  du  cœur,  a  dit  le  divin  Maître  lui-même, 
que  viennent  les  méchantes  pensées,  les  homicides,  les  adultères, 
les  fornications ,  les  larcins,  les  faux  témoignages,  les  blasphè- 
mes (i).  Quand  ces  vices  et  ces  crimes  ne  paraissent  pas  au 
dehors,  c'est  donc  qu'ils  ne  sont  pas  dans  le  cœur.  Or,  qui 
oserait  dire  qu'on  les  a  vus  en  Notre-Seigneur  ?  Puis  donc 
qu'on  ne  les  y  a  pas  vus,  ni  même  l'apparence,  c'est  donc 
qu'ils  n'ont  pas  non  plus  été  dans  son  cœur.  Et  non  seule- 
ment le  mal  n'a  jamais  effleuré  son  cœur,  mais  ce  cœur 
divin  a  été  au  contraire  la  racine  ou  la  source  de  toutes  les 
vertus  qu'on  a  admirées  en  lui  durant  tout  le  cours  de  sa  vie 
mortelle.  C'est  ce  cœur  qui,  en  particulier,  n'a  cessé  de 
brûler  d'amour  pour  la  gloire  de  son  Père,  et  de  dévoue- 
ment pour  le  salut  des  hommes  ses  frères,  à  tel  point  que, 
pour  eux,  il  a  voulu    être   percé   et  répandre    les  dernières 

i,  Matth.  xv,  19. 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN  D'iMITER  N.-S.JÉS1  s  <  I1HIST.   T)o3 


gouttes  de  son  sang.  Eh  bien,  nous  le  répétons,  c'est  encore 
ce  cœur  divin  que  nous  devons  imiter,  non  seulemenl  en 
nous  préservanl  de  toute  souillure  etde  tout  vice,  mais  en 
Formant  les  mêmes  pensées  que  lui,  en  brûlant  des  mêmes 
ardeurs  que  lui,  en  pratiquanl  les  mêmes  vertus  que  lui. 
Wsl  ce  pas  loul  spécialemenl  à  l'imitation  de  sou  divin 
cœur  que  le  Sauveur  nous  a  exhortés,  en  disant  :  [pprenez 
de  moi  que  je  suis  doux  cl  humble  de  cœur  (i)  ?  Ah  !  qu'il  y 
en  a  peu,  parmi  l'immense  multitude  des  chrétiens,  qui 
prêtent  l'oreille  à  cette  touchante  invitation,  et  s'acquittent 
pleinement  du  nécessaire  devoir  d'imiter  Notre-Seigneur  ! 
Combien  nombreux  au  contraire  sont  ceux  qui,  comme  les 
pharisiens,  se  contentent  de  para/Ire  gens  de  bien  aux  yeux  des 
hommes,  et  qui  au-dedans  sont  remplis  dliypocrisie  et  d'ini- 
quité (2)  !  Pour  nous,  qui  sommes  ici  présents,  ne  tombons 
pas  dans  une  erreur  aussi  grossière,  maintes  fois  maudite 
par  notre  divin  Maître  (3).  Imitons  Notre-Seigneur  extérieu- 
rement dans  ses  actions  et  ses  paroles,  nous  le  devons;  mais 
imitons-le  avec  la  même  sollicitude  intérieurement,  dans  ses 
pensées  et  ses  affections,  nous  ne  le  devons  pas  moins  (4). — 
Et  pour  nous  y  aider,  voyons  quels  sont  les  principaux 

1 .  Matth.  xi,  29. 

2.  Matth.  xxiii,  28. 

3.  Matth.  xxiii,  23,  25,  27,  29. 

4-  Spéculum  nobis  légat  (Ghristus)  pretiosissimum,  quod  intueamur 
semper,  ejusque  intuitu  auimos  nostros  exornemus  ;  vestes  légat  ful- 
gentissimas,  qui  bu  s  illos  decoremus.  lnduimini  Je  su  m  Chrïstum,  ait 
Paulus,  Rom.  xiii.  Tune  autem  Ghristum  induimus  cum  illius  vitam 
sanctissimam  imitamur,  et  virtutibus,  quibus  illa  fulget,  veluti  pretiosîs 
indumentis,  nos  exornamus.  Ponam  te  quasi  signaculum,  Agg.  11,  ait 
Dominus  Zorobabeli,  signaculum  nostrum  verus  est  Zorobabel  Ghris- 
tus, cujus  vitae  imaginem  pulcherrimam,  vitae  nostrae  ita  debemus 
imprimere,  ut  non  nomine  solo,  sed  etiam  vita  a  Ghristo  christiani 
appellemur.  I  nde  Chrysostomus,  orat.  5.  contra  Juda'os. :  Propterea, 
inquit,  christianus  es,  ideo  hoc  nomen  accepisti  ut  Ghristum  imiteris, 
ejusque  legibusoperum  exhibitione  pareas,  etc.  Pone  me  ut  signaculum 
super  cor  tuum,  ait  Dominus,  Cant.  3,  ut  signaculum  super  brachium 
tuum.  Ponendus  enim Ghristus  est,  treluï  signaculum  super  cor,  ut  cordi 
nostro  yirtutes  imprimât  suas.  Ponendus  est  super  brachium  dextrum, 
cl  super  manus,  ut  tum  brachio  tum  manibus  Imprimât  opéra  sua.  — 
Al  quis  poterit  eximias  Christi  virtutes  operaque  imitando  exequare  ? 
Ncino.  At  vero  non  exaequationem  postulat,  sed  pro  nostra  tenui  parte 
imitationem.  Exemplum,  inquit,  dedi  vobis,   ut  quemadmodum  ego  feci 


5o4        LES    GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIX.   INSTRUCTION. 


IV.  —  Moyens  de  réaliser  cette  imitation.  —  Imiter, 
c'est  reproduire  ;  et  pour  reproduire,  il  faut  connaître.  Et 
de  mémo  que,  s'il  s'agit  des  traits  d'une  personne,  on  ne 
peut  pas  les  reproduire,  sur  le  papier  ou  la  toile,  lorsqu'on 
ne  les  connaît  pas  ;  de  même,  s'il  s'agit  de  sa  conduite,  on 
ne  peut  l'imiter  ou  la  reproduire  dans  la  sienne,  qu'autant 
qu'on  la  connaît.  Or,  comme  il  y  a  plusieurs  moyens  de 
connaître  les  traits  d'une  personne  pour  en  tracer  l'image, 
il  y  en  a  également  plusieurs  de  connaître  sa  conduite  pour 
l'imiter. 

Un  premier  moyen  de  connaître  la  physionomie  d'une 
personne  lorsqu'on  ne  l'a  pas  vue,  c'est  d'écouter  ceux  qui 
l'ont  connue  dire  quels  étaient  ses  traits,  la  couleur  de  son 
visage  et  l'allure  de  son  corps.  Avec  ces  indications,  on  peut 
déjà  faire  un  portrait  ayant  quelque  ressemblance.  De 
même,  le  premier  moyen  de  connaître  Notre-Seigneurpour 
reproduire  en  nous  sa  conduite,  c'est   d'entendre    les  prédi- 

yobis,  ita  et  vosfacialis.  In  quem  locum  Chrysostomus  :  Quid  significat, 
inquit,  hœc  participa,  ita  ?  secimdum  possibilitatem .  Propterea  enim  a 
majoribus  rébus  accipit  exempla,  ut  saltem  minus  faciamus.  Etenim 
magistri  pueris  litteras  quam  pulcherrimas  scribunt,  ut  vel  in  deteritfs 
imitentur,  etc.  Quemadmodum  pueri  pulcherrimos  magistri  caractè- 
res, ad  imitandum  sibi  propositos,  conantur  imitatione  affingere  :  sic 
Christi  nobis  proposita  pulcherrima  exempla,  pro  virili  enitamur  ope- 
ribus  exprimere,  etsi  admirabilem  illius  perfectionem  assequi  non  pos- 
simus.  De  nonnulis  s.  Basilii  imitatoribus,  sic  ait  sanctus  Gregorius 
Nazianzenus,  in  oratione  de  sancto  Basilio  :  Multos  jam  Basilios  specie 
tenus  videre  licet,  statuas  nimirum  in  umbris.  Multum  enim  fuerit,  si 
repetitam  Echus  vocem  esse  dixero.  Nam  illa  quamvis  postremam  dun- 
taxat  vocis  partem,  expressius  tamen  effingit  ;  lu  autem  longius  ab  eo 
distant,  quam  quantum  accedere  concupiscunt.  Hsec  ille.  Erant  imi- 
tatores  illi  similcs  Echo  ;  sic  nos,  si  cum  Ghristo  conferamur,  similes 
sumus  Echo  ;  quia  quemadmodum  illa  voces  imperfecte  refert,  sic  nos 
Ghristi  virtutes  admirabiles  imperfecte  exprimimus.  Verumtamen  ad 
perfectam  imitationem  aspirandum  est,  ante  oculos  exemplar  semper 
habendum,  juxta  illud  Exod.  xxv  ;  Inspice,  et  fac  secundnm  exemplar, 
quod  tibi  in  monte  monstratum  est.  In  monte  Sinaï  exemplar  tabernaculi 
fabricandiostendit  Dominus  Mosi  ;  in  monte  autem  Sion  ubi  cœnaculum 
erat,  et  in  monte  Calvariae  ubi  cruci  suffixus  est,  demonstravit  nobis 
exemplar  omnium  virtutum,  praecipue  patientiae,  humilitatis,  charitalis, 
mundique  contemptus.  Tnspice,  christiane,  et  facsecundum  exemplar^ 
quod  tibi  in  montibus  monstratum  est.  Inspice  prius,  deindc  fac  ; 
Christi  actiones  pra?clarissimas  meditaie,  volve  animo,  mentis  oculis 
intucro,  deinde  fac  ;  secundum  exemplar,  quod  ante  oculos  tibi  propo- 
suisti  (B.\RRAD.  Comment,  Evcmg,  tom,  3,  lij^.  a,  c,  10). 


DEVOIR  POIR  TOUT  CHRÉTIEN   D'iMITER  \.   s.  ,i  l'si  S-CHRIST.  5o5 


ca leurs.  Dans  toutes  leurs  instructions,  les  prédicateurs 
parlent  en  effel  de  Noire  Seigneur,  racontent  sa  vie,  dépei- 
gnent s(>s  vertus  et  expliquent  ses  enseignements.  En  les 
écoutant  avec  assiduité  et  attention,  on  peut  donc  arriver  à 
connaître  assez.  Notre-Seigneur  pour  imiter  sa  conduite,  eu 
Faisan!  ce  qu'il  faisait  lui  même.  C'est  de  là  que  vient,  pour 
les  prédicateurs,  l'obligation  de  prêcher,  et  pour  les  fidèles, 
l'obligation  d'aller  les  entendre. 

I  u  autre  moyen  de  connaître  les  traits  et  la  physionomie 
d'une  personne  pour  tracer  son  image,  c'est  d'avoir  sous  les 
yeux  un  portrait  de  cette  personne  fait  d'après  nature.  Et 
un  autre  semblable  moyen  pour  nous  de  connaître  Notre- 
Seigncur  pour  limiter,  e'est  de  considérer  les  saints.  Les 
sainls,  en  effet,  se  sont  efforcés  de  se  rendre  semblables  à 
Notre-Seigneur,  et  ils  y  ont  assez  réussi  pour  qu'on  puisse 
les  considérer  comme  d'autres  Christs.  De  sorte  qu'en  imi- 
tant les  saints,  c'est  Jésus-Christ  que  nous  imitons  en  eux, 
comme  celui  qui  reproduit  un  portrait,  en  réalité  représente 
l'original.  C'est  ce  moyen  d'imiter  Notre-Seigneur  que  l'apo- 
tre  conseillait  aux  fidèles  de  Corinthe,  lorsqu'il  leur  écrivait, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  rapporté  :  Soyez  mes  imitateurs, 
comme  je  suis  moi-même  V  imitateur  de  Notre-Seignear  Jésus- 
Christ  (i).  Employons  donc  aussi  ce  moyen  d'imiter  Notre- 
Seigneur,  en  imitant  les  saints  qui  se  sont  eux-mêmes  for- 
més sur  lui.  Et  pour  cela,  lisons  leurs  vies,  étudions  leurs 
actions,  contemplons  leurs  vertus,  et  retraçons  en  nous, 
aussi  parfaitement  que  nous  le  pouvons,  l'esquisse  de  leur 
conduite,  principalement  de  ceux  qui  se  sont  trouvés  ici- 
bas  dans  les  mêmes  conditions  que  nous. 

Mais  le  moyen  par  evcellcnce  d'imiter  Notre-Seigneur, 
c'est  de  le  regarder  lui-même,  de  l'étudier  lui-même,  de  le 
contempler  lui-même.  Les  autres  moyens  ne  sont  que  de 
second  ordre  ;  ils  manquent  de  l'éclat  et  de  la  chaleur  qui 
jaillissent  du  modèle  et  ne  sauraient  produire  des  copies  vrai- 
ment vigoureuses.  Mais  comment  étudier  et  contempler 
Notre-Seigneur  lui-même  ?  en  lisant  l'Evangile.  C'est  là  en 
effet  qu'il  se   montre  vivant  ;   c'est  là  qu'il  se  meut  et  agit  ; 

1. 1.  Cor.  xï,  i, 


5û6       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIX.   INSTRUCTION. 

c'est  là  qu'il  prie  et  qu'il  parle;  c'est  là  qu'il  assiste,  qu'il 
guérit,  qu'il  console,  qu'il  pardonne,  c'est  là  enfin  qu'il 
souffre  et  qu'il  meurt.  C'est  donc  là  qu'il  faut  le  considérer 
souvent,  afin  de  le  copier  sur  le  vif,  toutes  les  fois  que  nous 
avons  à  faire  des  actions  qu'il  a  faites,  à  subir  des  injustices 
et  des  ingratitudes  qu'il  a  subies,  à  endurer  des  peines  et  des 
douleurs  qu'il  a  souffertes.  C'est  là  surtout,  dans  l'Évangile, 
ainsi  que  dans  le  crucifix  qui  en  est  l'abrégé,  que  les  saints 
ont  étudié  Notre-Seigneur  ;  c'est  là  qu'ils  ont  appris  à  l'imi- 
ter, à  se  rendre  semblables  à  lui,  et  ainsi  à  se  sauver  (i). 
C'est  donc  surtout  là  aussi,  chrétiens,  que  nous  devons 
étudier  Notre-Seigneur  pour  nous  rendre  également  sem- 
blables à  lui,  si  à  notre  tour  nous  voulons  sincèrement 
et  véritablement  aller  au  ciel  (2). 

CONCLUSION.  —  Chrétiens,  ce  grand  et  essentiel 
devoir  de  l'imitation  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  nous 
le  connaissons  donc  maintenant  dans  ses  principales  par- 
ties. Nous  savons  qu'il  est  souverainement  convenable 
d'imiter  Notre-Seigneur,  parce  que  Notre-Seigneur  est  tout 
à  la  fois  notre  Créateur,  notre  Bienfaiteur,  notre  Maître  et 
notre  Dieu.  Nous  savons  qu'il  est  absolument  nécessaire 
d'imiter  Notre-Seigneur,  parce   que  Notre-Seigneur  nous  en 

1.  Si  quis  normam  aut  régulant  cupit  vita?  sanctœ,  Evangelium  inspi- 
ciat  !  Ab  hoc  omnes  sancti  vitœ  sua?  formam  hauserunt.  S.  Joannes 
Calybita  vitœ  ducem  et  doctorem  in  contemnenda  patria  non  alium 
habuit,  quam  Evangelium.  Sanctus  Benedictus,  sanctus  Francisais, 
sanctus  Augustinus  suas  constitutiones  ac  régulas  monasticas  ex  Evan- 
gelio  mutuati  sunt.  Sanctus  Bernardus  suum  et  suorum  profectum 
Evangelio  in  acceptis    refert  (Corn,    a  Lap.  Comm.  in   Evang.    Proem). 

Quos  prœscivit,  et  prœdestinavit  conformes  fier i  imaginis  Filii  sui.  Rom. 
vin.  Accipe  Crucifixum  in  manus  et  examina  teipsum,  an  et  in  quo 
conformis  sis  Ghristo  Domino  (Segx.  Manna,  i3.  jul.  n.  7). 

2.  Media  ad  Christum  imitandum.  1.  Magna  sestimatio  de  Ghristo  tan- 
quam  de  perfectissimo  magistro  :  nam,  teste  Ambrosio,  lib.  de  Virg. 
primus  discendi  ardor  nobilitas  est  magistri.  —  2.  Frequens  meditatio 
vita?  Ghristi  ;  ut  enim  qui  pingendo  prototypum  perfecte  exprimere 
cupit,  oculos  ad  omnia  illius  lineamenta  assidue  reflectit  :  ita  et  qui 
Christum  perfecte  imitari  desiderat,  oculum  mentis  in  vita  moribusque 
illius  perpetuo  defixum  habeat  oportet.  — 3.  Ardens  amor  erga  Chris- 
tum :  quia  amor  aut  reperit  similes,  aut  facit,  juxta  commune  ethni- 
corum  effatum. —  4-  Assiduum  exercitium:  ut  enim  fabricando  fabri,  ita 
imitando  imitatores  Christi  efficimur  (Louner,  Biblioth.  verbo  Christus), 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRETIEN  D'iMITERN.   S.  .IKSUS-CTIRIRT.    ."><>- 

a  maintes  fois  donné  L'ordre,  et  que  1rs  apôtres  nous  ont 
présenté  son  imitation  comme  indispensable  au  salut.  Nous 
savons  que  ce  devoir  d'imiter  Notre-Seigneur  consiste  à 
agir  comme  lui,  à  parler  comme  lui  et  à  penser  comme 
lui.  Enfin  nous  savons  que,  pour  imiter  Notre-Seigneur,  les 
trois  principaux  moyens  à  employer  sont,  entendre  assiduc- 
menl  les  instructions  qui  se  font  à  L'église,  et  qui  nous  font 
toujours  mieux  connaître  Notre-Seigneur  ;  lire  les  vies  des 
sainls.  qui  oui  eux-mêmes  imité  Notre-Seignèur  et  nous 
apprennent  la  pratique  de  celle  imitation  ;  enfin  et  surtout 
lire  et  méditer  l'Évangile,  qui  est  tout  Jésus-Christ  lui- 
même  sous  i'écorce  des  paroles  sacrées.  Puis  donc  que  nous 
connaissons  ainsi  ce  devoir,  ne  croyons  pas  que  cela  suffise, 
mais  sachons  bien  qu'il  y  a  d'autant  plus  nécessité  pour 
nous  de  nous  en  acquitter.  Notre  ignorance  aurait  pu  nous 
excuser  dans  une  certaine  mesure  ;  maintenant  cette  excuse, 
nous  ne  l'avons  plus.  Il  ne  nous  reste  donc  qu'à  nous 
modeler  chaque  jour  davantage  sur  notre  divin  modèle  (1). 


i.  At,  inquics,  difTicilis  et  ardua  est  via,  per  quam  Christus  incedit, 
exultavil  ille  ut  gigas  ad  currendarp  viam,  nos  pygmaei  ^sumus  :  quis 
igitur  (Mim  sequi  currentem  potest  ?  ille,  inquam,  per  abrupta  crucis 
iter  fecit,  nos  débiles,  et  infirmi  sumus  ;  quo  ergo  pacto  eum  valebimus 
sequi  ?  Etenim  licel  bac  in  re  salvalionis  nostne  negotium  non  interce- 
deret,  Christum  Dominum  sequi  et  i  mi  tari  libentissime  deberemus, 
quantumvis  in  nu  mer  a  ta?  in  bac  viadiflicultatcs  intercédèrent,  ac  labores 
hoc  enim  ad  tîdelitatem  servorum  spectat,  juxta  id  quod  habetur,  I. 
Heg.  xiv,  ubi  Jonathas  profecturus  adversus  exercilum  Pbilislinorum 
dixit  armigero  suo  :  Veni,  transeamus  usque  ad  slationem  incirconci- 
soruni  horuin  ;  cui  armiger  :  Fac  omnia  qua)  placent  animo  tuo,  perge 
quo  cupis,  et  ero  tecum  ubicumque  volueris.  Fidelis  bic  servus  ac  pru- 
dens  fuit,  »•!  maxime  cum  per  arduum,  periculosumque  montem  Jona- 
thas ascensurus  esset.  Vsccndit,  inquit,  Jonathas  manibus,  et  pedibus 
raptans,  et  armiger  ejus  post  eum  :  viam  arduam  crucis  aggressus  est 
Chris  tus  Dominus,  et  unicuique  nostrum  ait,  sequefe  me  ')  Quis  adeo 
segnis,  et  ignavus  servus  erit,  qui  talem  ac  tantum  Dominum  sequi 
recusel  ?  El  maxime  cum  omnis  haec  difiîcultas  quœ  in  via,  et  imita- 
tione  Ghristi  reperitur,  terminetur  ad  gloriam.  ^ssumpsil  Jésus  très, 
illov  maximos  apostolos,  et  duxit  eos  in  montem  excelsum,  sed  în  alto 
montis  illius  transfiguratus  esl  ante  eos;  die  quaeso  cum  gloria  illa 
discipuli  potirentur,  numquid  pœnituil  eos  [ter  illud  molestum  susce- 
pisse  ?  sic  igitur  de  ascensu  acerbo  cœlestis  beatitudinis  philosophah- 
dum  est,  arduum  quidem  fuit  martyribus  per  cruciatus  gravissimos 
incedere,  ei  confessoribus  per  jejunia,  vigiliasel  pœnitentias,  sed  nunc 
in  cœlo  quid  aliud  dicunt,  nisi  la-tati  sumus   pro  diebus,    quibus  nos 


5o8       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU   SALUT.  XIX.  INSTRUCTION. 

Doux  travail  !  délicieux  labeur  !  Les  gens  du  monde  trou- 
vent du  plaisir  jusque  dans  la  peine  qu'ils  ont  à  se  procurer 
richesses,  honneurs,  jouissances.  Et  les  chrétiens  pourraient 
trouver  pénible  de  se  rendre  de  plus  en  plus  semblables  à 
leur  divin  Maître  !  S'il  en  était  ainsi,  ce  serait  la  marque 
que  nous  n'aimons  pas  Notre-Seigneur.  Car  saint  Augustin 
l'a  dit  :  «  Quand  on  aime,  on  ne  trouve  pas  de  peine  à  ce 
que  l'on  fait  ;  ou  si  l'on  y  trouve  de  la  peine,  cette  peine 
elle-même,  on  l'aime.  »  Ah  !  chrétiens,  aimons  Notre- 
Seigneur,  aimons  un  Maître  si  digne  d'amour  !  Et  plus 
nous  l'aimerons,  plus  nous  éprouverons  de  joie  à  nous  ren- 
dre semblables  à  lui.  Et  plus  nous  nous  rendrons  semblables 
à  lui,  plus  nous  serons  sûrs  d'arriver  au  ciel.  Ainsi  soit-il. 


TRAITS  HISTORIQUES. 

Nous  devons  imiter  Jésus-Christ  parce  qu'il  est  notre  Chef 
et  notre  Père. 

C'était  autrefois  la  coutume  que  les  enfants  des 'grandes  familles 
portent  suspendue  à  leur  cou,  gravée  sur  une  médaille  d'or,  l'i- 
mage de  leur  père.  Cette  image  était  pour  eux  comme  un  moni- 
teur qui  leur  rappelait  les  vertus  et  les  grandes  actions  de  ceux  à 
qui  ils  devaient  la  vie,  afin  qu'ils  fussent  ainsi  amenés  à  les  imiter. 
Or  il  arriva  que  le  fils  de  Scipion  l'Africain,  s'étant  laissé 
aller  à.  commettre  des  actions  méprisables,  le  sénat  romain 
lui  ôta  sa  médaille,  comme  indigne  de  porter  l'image  de  celui 
dont  il  n'imitait  pas  les  vertus.  —  Combien  plus  grande  que 
toute  famille  celle  du  chrétien,  dont  le  chef  est  Jésus-Christ,  fils 
unique  de  Dieu  !  Et  combien  plus  belles  et  plus  parfaites  que  tou- 
tes les  vertus  et  toutes  les  grandes  actions  des  hommes,  celles  de 
ce  Chef  et  Père  divin  !  Par  suite,  quelle  obligation  plus  étroite  et 
plus  sacrée  pour  les  chrétiens  d'imiter  un  tel  Chef  et  un  tel  Père  ! 
C'est  pourquoi  portons  son  image  non  seulement  suspendue  à 
notre  cou,  sous  la  forme  du  crucifix,  mais  encore  profondément 
gravée  dans  notre  cœur,  afin  de  pouvoir  toujours  conformer  notre 
conduite  à  la  sienne. 

humiliosti,  pro  annis  quibus  vidimus  mala.  Ecce  quantum  nostra  in- 
tersit  Ghristum  Dominum  imitari,  ac  sequi,  quantumvis  per  vias 
perdifficUes  ac  duras  incedat  (Labat.  loc,  cit.)- 


DEVOIR  roi  R   km  I    CHRETIEN  o'ixiiriu  V  s.  JES1  s  CHRIST.  5ofl 

Changez  de  nom,  ou  change/  de  conduite. 

L'histoire  parled'un  jeune  homme  qui,  héritier  d'un  nom  Illus- 
tré par  des  faits  éclatants,  s'étail  lui-même  engagé  dans  la  milice 
Jr  son  pays.  Or,  un  jour  de  combat,  saisi  par  une  terreur  soudaine 
an  pins  fort  de  la  mêlée,  il  jolie  ses  armes  et  prend  la  fuite.  Son 
capitaine,  l'apercevant,  courl  à  lui,  le  saisit  par  le  bras  et  l'arrête, 
en  lui  disant  :  «  Ou  changez  de  nom,  ou  changez  de  conduite  !  » 
V  ces  paroles,  le  timide  soldat  se  retourne,  se  précipite éur  l'en- 
nemi, et  par  sa  bravoure  donne  à  ses  compagnons  la  victoire  qui 
allait  passer  dans  les  rangs  opposés.  —  Le  chrétien  aussi  porte  un 
nom  illustre,  lui  aussi  est  engagé  dans  une  milice,  la  milice  de 
,h>i  s-Christ.  Je  lui  dirai  donc:  Ochrétien,  si  jusqu'ici  vos  mœurs 
n'ont  pas  été  pures,  si  jusqu'ici  vous  avez  été  faible,  lâche  dans  le 
service  de  Dieu,  «  ou  changez  de  nom,  ou  changez  de  conduite.  » 
Or  vous  ne  pouvez  pas  changer  de  nom  ;  il  est  écrit  sur  votre  front 
en  caractères  indélébiles  ;  donc  vous  devez  changer  de  conduite. 

Imitez  Notre-Seigneur,  cela  résume  tout. 

Le  21  mars  1070,  mourut  à  Parto  un  père  de  famille,  appelé 
Henri  Nugnez  de  Gouvea,  que  l'on  peut  appeler  le  modèle  des 
chrétiens  dans  le  siècle.  Maître  d'une  brillante  fortune  à  l'âge  de 
dix-huit  ans,  Henri  Nugnez  ne  s'était  pas  livré  au  désordre,  mais  il 
avait  donné  en  plein  dans  l'amour  du  monde  et  de  ses  vanités.  Nul 
gentilhomme  ne  se  piquait  d'étaler  plus  de  magnificence,  nul  n'a- 
xait de  pins  beaux  chevaux  ni  un  plus  nombreux  cortège  d'amis; 
el  jusqu'à  l'âge  d'environ  trente  ans,  il  fut  comme  l'âme  de  toutes 
les  fêtes,  entraînant  à  sa  suite  tous  ceux  qui  aimaient  le  faste  et  la 
joie.  Mais  la  parole  apostolique  du  père  François  Strada,  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  si  justement  appelé  en  Espagne  «  la  trom- 
pette du  Saint-Esprit  »,  suffit  pour  faire  en  peu  de  jours  de  ce 
jeune  mondain  un  chrétien  exemplaire.  Après  les  premiers  ser- 
mons de  Strada,  Nugnez  alla  le  chercher  à  l'hôpital  où  il  demeu- 
rait, le  priant  d'accepter  un  asile  dans  sa  maison,  et  de  lui  appren- 
dre à  en  faire  une  véritable  maison  chrétienne.  «  Vous  n'avez  pour 
y  arriver  qu'une  seule  chose  à  faire,  lui  répondit  le  religieux  : 
[mitez  tfotre-Seigneur,  cela  résume  tout.  » 

\  partir  de  ce  moment,  sa  fortune  n'appartint  plus  au  monde, 
mais  au\  pauvres,  et  à  toutes  les  œuvres  de  zèle  et  de  charité.  Le 
fréquent  usage  des  sacrements,  i'oraison,  la  pénitence,  toutes  les 
saintes  industries  pour  mieux  faire  connaître  et  aimer  Notre-Sei- 
gneur par  sa  femme,  ses  enfants,  ses  serviteurs,  ses  parents  et  ses 
amis,  devinrent  son  unique  préoccupation. 


ÔIO       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XIX.  INSTRUCTION. 

Chaque  soir  Nugnez  faisait  lui-même  le  catéchisme  à  ses  servi- 
teurs, à  l'exemple  de  Notre-Seigneur  instruisant  ses  disciples; 
ou  bien  il  s'entretenait  avec  sa  pieuse  femme  Béatrix  de  Madeira, 
et  avec  toute  sa  famille,  de  quelque  sujet  pieux  et  intéressant,  qui 
pût  doucement  inspirer  l'amour  de  la  vertu. 

Son  délassement  le  plus  ordinaire  était  d'aller  soigner  les  pau- 
vres de  l'hôpital,  faire  leur  lit  et  panser  leurs  plaies,  voulant  en 
cela  marcher  sur  les  traces  de  Notre-Seigneur,  lorsqu'il  guérissait 
0  les  malades  et  les  infirmes;  et  il  prenait  alors  pour  compagnon 
l'un  ou  l'autre  de  ses  enfants,  que  son  exemple  animait  ainsi  sans 
violence  à  se  vaincre  eux-mêmes.  Aussi  eut-il  la  joie  de  voir  ses 
trois  aînés  entrer  clans  la  Compagnie  de  Jésus,  tandis  que  ses  deux 
fdles  embrassèrent  la  règle  de  sainte  Claire,  et  le  dernier  de  ses 
fils,  la  règle  de  saint  François. 

Lorsqu'il  vit  la  mort  approcher,  il  demanda  lui-même  les  sacre- 
ments, qu'il  reçut  avec  sa  piété  ordinaire.  Après  son  action  de  grâ- 
ces, il  fit  avec  un  calme  et  une  joie  incomparables  ses  derniers 
adieux  à  sa  famille  et  à  ses  amis.  Ensuite  il  annonça  secrètement  à 
Béatrix  de  Madeira  que  dix  ans  plus  tard,  jour  pour  jour,  elle  vien- 
drait le  rejoindre  au  ciel.  Quelques  instants  après,  il  rendit  douce- 
ment son  âme  à  Dieu,  en  baisant  une  dernière  fois  son  crucifix. 

Dix  ans  après,  le  même  jour,  21  mars,  voyait  s'accomplir  à  la 
lettre  la  prophétie  du  serviteur  de  Dieu.  Notre-Seigneur  voulut  en 
outre  que  sa  dépouille,  retrouvée  intacte  et  exhalant  un  parfum 
délicieux,  fût  comme  un  nouveau  témoignage  de  sasainteté  et  de  sa 
gloire  dans  le  paradis. 

C'est  en  suivant  Notre-Seigneur  qu'on  arrive  au  ciel. 

Le  vrai  chrétien  marche  à  la  suite  de  Jésus-Christ,  comme  un 
soldat  sous  la  conduite  de  son  capitaine.  Jésus-Christ  est  tout  à  la 
fois  le  Roi  et  le  Maître  des  chrétiens  ;  il  les  conduit  à  la  conquête 
de  la  Jérusalem  céleste,  à  peu  près  comme  l'illustre  Godefroy  de 
Bouillon  conduisit  les  croisés  vers  la  Jérusalem  terrestre.  A  la  fin 
du  xie  siècle,  les  gémissements  des  chrétiens  de  Palestine  et  les 
blasphèmes  des  infidèles,  profanateurs  du  tombeau  de  Jésus- 
Christ,  parvinrent  jusqu'en  Europe.  Des  héros  chrétiens,  tel  que 
Godefroy  de  Bouillon,  ainsi  que  ses  frères  Baudoin  etEustache,  se 
levèrent,  attachèrent  une  croix  d'étoffe  rouge  sur  leurs  vêtements, 
et  firent  appel  à  tous  les  hommes  courageux  pour  aller  à  la  con- 
quête des  saints  lieux.  Aussitôt  une  multitude  immense  de  guer- 
riers, portant  la  livrée  de  la  croix,  accoururent  sous  leurs  drapeaux. 
Godefroy,  investi  du  commandement  en  chef,  les  conduisit  à  tra- 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRETIEN  D  IMITER  N.   s.  JÉSUS  CHRIST.   5ll 

vers  mille  combats  ei  mille  dangers  jusqu'à  Jérusalem,  qu'ils  em- 
portèrent d'assaut.  —  Tous  les  chrétiens  sont  des  soldais  de  la 
croix.  Ils  n'ont  qu'à  suivre  fidèlement  Jésus-Christ  leur  guide  et 
leur  capitaine,  el  la  victoire  sur  leurs  ennemis  spirituels  leur  est 
assurée  :  ils  entreront  triomphants  dans  la  Jérusalem  céleste. 

Moyen  de  connaître  Notre-Seigneur  pour  l'imiter. 

i.  Saint  Jérôme  et  sainte  l\nde  avaient  tant  de  dévotion  pour  les 
Lieux  saints,  qu'ils  quittèrent  Home  et  se  rendirent  en  Judée,  afin 
de  s'encourager  à  imiter  le  Sauveur  parla  vue  des  lieux  où  il  avait 
vécu,  La  vue  de  la  grotte  où  il  naquit,  et  celle  du  Calvaire  où  il 
mourul.  étaient  singulièrement  propres,  en  effet,  à  leur  inspirer 
l'amour  de  la  pauvreté  et  de  la  souffrance.  —  Mais  nous  avons  au 
milieu  de  nous  un  lieu  saint  qui  n'est  pas  moins  instructif  ni  moins 
touchant.  C'est  l'église,  et  dans  l'église  le  tabernacle,  où  réside 
véritablement  aussi  notre  divin  Maître  et  Modèle.  Là  en  effet  Jésus 
continue  de  nous  donner  les  mêmes  exemples  que  pendant  sa  vie 
mortelle.  Là  il  vit  dans  la  pauvreté  ;  car  alors  même  qu'on  orne 
d'or  ses  autels,  qu'est-ce  que  l'or  misérable  de  la  terre  à  côté  des 
splendeurs  célestes?  En  terre  sainte  il  ne  passait  que  les  nuits  en 
prière  ;  sur  l'autel,  il  y  emploie  tout  son  temps.  Ici  comme  en 
Judée,  il  appelle  à  lui  les  enfants,  instruit  les  foules,  console  les 
affligés,  guérit  les  malades  et  les  infirmes.  Ici  comme  en  Judée,  il 
se  résigne  aux  abandons  et  aux  manques  d'égards  de  ses  amis, 
supporte  les  injures  et  les  attentats  de  ses  ennemis.  A  Nazareth,  il 
était  soumis  à  ses  parents  ;  à  l'autel,  il  est  soumis  aux  prêtres,  qui 
le  portent  et  le  placent  où  ils  veulent  et  comme  ils  veulent.  Sur  le 
Calvaire, il  pardonnait  à  ses  bourreaux;  à  la  Table  sainte,  il  ne  tire 
pas  vengeance  de  ceux  qui  profanent  son  divin  corps  et  le  cruci- 
fient de  nouveau.  Peu  de  chrétiens  peuvent  aller  en  terre  sainte, 
mais  tous  peuvent  se  rendre  au  pied  de  l'autel.  Qu'ils  y  viennent 
donc  tous,  et  en  contemplant  les  exemples  que  continue  de 
donner  Celui  qui  habite  le  tabernacle,  ils  apprendront  à  l'imi- 
ter. 

2.  L'histoire  de  saint  François  d'Assise  fait  mention  d'un  reli- 
gieux, nommé  Jean,  que  le  saint  prenait  pour  compagnon  à  cause 
de  sa  vertu  et  de  sa  simplicité.  Ce  religieux  avait  un  si  grand  désir 
de  se  rendre  semblable  à  sainl  François,  qu'il  l'imitait  dans  tout 
ro  qu'il  lui  voyait  faire  ;  de  sorte  que,  quand  le  saint  se  mettait  en 
prière,  le  religieux  se  plaçait  dans  un  lieu  où  il  pût  facilement  le 
voir,  afin  de  l'imiterjusque  dans  ses  moindres  gestes.  Ainsi,  si  le 


C>12       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   \I\.   INSTRUCTION. 


saint  était  à  genoux  ou  debout,  prosterne  la  face  contre  terre,  ou 
les  mains  jointes  et  élevées  vers  le  ciel,  ce  bon  religieux  avait  une 
extrême  attention  d'esprit  à  faire  la  même  chose.  Or,  comme  saint 
François  imitait,  dans  un  grand  degré  de  perfection,  Notre-Sei- 
gneur,  le  religieux,  en  imitant  saint  François,  imitait  donc  par  là 
même,  lui  aussi,  Notre-Seigneur. 


VINGTIEME  INSTRUCTION 

(Vendredi  de  la  Semaine-Sainte) 

C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
de  tendre  à  la   Perfection. 

I.  Ce  que  c'est  que  la  perfection  chrétienne.  —  II.  Motifs  d'y  tendre.  — 
III.  Moyens  d'en  approcher. 

En  mourant  aujourd'hui  pour  nous  sur  la  croix,  notre 
divin  Maître  nous  prêche  précisément,  par  son  exemple,  le 
dernier  grand  devoir  du  salut  dont  j'ai  à  vous  entretenir,  et 
qui  est  de  tendre  sans  cesse  à  la  perfection  jusqu'à  la  fin  de 
notre  vie.  C'est  ce  que  l'apôtre  saint  Jean  nous  apprend, 
lorsqu'il  nous  dit  dans  son  Evangile  :  Jésus,  sachant  que  son 
temps  était  venu  pour  passer  de  ce  monde  à  son  Père,  comme 
il  (irait  aime  les  siens  qui  étaient  dans  le  monde,  c'est-à-dire  les 
élus,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin  (i),  c'est-à-dire,  selon  l'inter- 
prétation de  plusieurs  saints  Pères,  jusqu'au  plus  haut  degré 
où  il  pouvait  les  aimer.  En  effet,  dès  son  entrée  en  ce  monde, 
il  nous  aima  sans  doute  avec  une  grande  tendresse,  puis- 
qu'aussitôt  il  commença  à  répandre  pour  nous  ses  pleurs. 
Cependant,  dans  la  suite,  son  amour  pour  nous  parut  gran- 
dir encore,  lorsque  pendant  les  trois  années  de  sa  vie  publi- 
que, il  affronta  tant  de  fatigues  et  s'exposa  à  tant  de  déboires 
et  de  haines  pour  nous  enseigner  le  chemin  du  ciel.  Mais  où 
son  amour  atteint  ses  dernières  limites  et  son  suprême  per- 
fectionnement, c'est  en  ces  jours  où,  après  avoir  institué 
l'adorable  Eucharistie,  justement  appelé  le  sacrement  de  son 
amour,  il  répand  pour  nous  son  sang  et  donne  sa  vie.  Lui- 
même  l'avait  dit  :  //  n'y  a  point  de  plus  grand  amour  que  de 
donner  sa  vie  pour  ses  amis  (2).   Aussi,   non   content  de   tout 

t.  Joan.  xiii,  1. 
2.  Joan.  xv,  i3. 

SOMMB   DU   PRÉDICATEUR.    —   T .    II .  }* 


5l4        LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XX.  INSTRUCTION. 

ce  qu'il  avait  fait  pourrons  témoigner  son  amour,  voulut- 
il  aller  jusque-là,  c'est-à-dire  jusqu'à  donner  sa  vie  pour  nous. 
C'est  ainsi  que  ce  qui  avait  été  dit  de  lui  dans  son  enfance, 
qiï il  croissait  en  sagesse,  en  âge  et  en  ïjvâce  aux  yeux  de  Dieu 
et  des  hommes  (i),  il  le  continua  jusqu'à  son  dernier  jour, 
en  ne  cessant  d'accomplir,  avec  une  perfection  toujours 
croissante,  l'ouvrage  de  notre  rédemption,  dont  son  Père 
l'avait  chargé.  —  Eh  bien,  nous  le  répétons,  cette  conduite 
de  notre  divin  Maître,  de  faire  toujours  mieux  et  avec  plus 
de  perfection  ce  qu'il  avait  à  accomplir,  nous  prêche  l'obli- 
gation qui  nous  incombe  à  nous-mêmes  d'accomplir  égale- 
ment avec  toujours  plus  de  perfection  ce  que  nous  avons  à 
faire.  Car  nous  le  savons,  nous  ne  devons  pas  moins,  en 
notre  qualité  de  chrétiens,  imiter  Notre-Seigneur,  qu'obéir 
à  ses  préceptes.  Et  nous  devons  même  d'autant  plus  l'imiter 
en  ceci,  que  ce  n'est  qu'en  apparence  qu'il  a  agi  avec  une 
perfection  croissante.  En  réalité,  il  fut  aussi  parfait  en  son 
premier  acte  qu'en  son  dernier,  Dieu  ne  pouvant  pas  se  per- 
fectionner, puisqu'il  possède  essentiellement  la  perfection 
infinie.  Mais  il  voulut  paraître  agir  avec  une  perfection  crois- 
sante, précisément  afin  de  nous  intimer,  par  son  exemple, 
l'ordre  de  nous  perfectionner  réellement  de  plus  en  plus,  à 
nous  qui  ne  sommes  naturellement  pas  parfaits.  D'où  il 
suit  que  ceux-là  se  trompent  qui,  même  en  menant  une  vie 
chrétienne,  pensent  pouvoir  s'en  tenir  là,  sans  être  tenus  à 
rien  plus.  Oui,  c'est  là  une  erreur,  une  erreur  très  funeste,  et 
malheureusement  des  plus  répandues.  La  vérité  est,  tout  au 
contraire,  que  tout  chrétien  est  obligé,  non  pas  de  s'en  tenir 
à  la  conduite  qu'il  mène  présentement,  si  régulière  qu'elle 
puisse  être,  mais  de  s'efforcer  de  toujours  mieux  faire,  en 
d'autres  termes,  de  toujours  tendre  à  la  perfection.  Tel  est, 
je  le  répète,  le  dernier  des  grands  devoirs  du  salut  dont  nous 
avions  à  nous  entretenir,  car  après  la  perfection,  il  n'y  a  en 
effet  plus  rien.  Or,  pour  acquérir,  autant  qu'il  est  nécessaire, 
la  connaissance  de  ce  devoir  qui  s'étend  à  tous  les  autres  et 
les  couronne  tous,  nous  allons  étudier  successivement  : 
d'abord,  ce  que  c'est  que  la  perfection  chrétienne  ;   ensuite, 

a.  Luc.  ii,  5a. 


DEVOIR  POUR  TOIT  CHRÉTIEN  DK  ÎENDRE  A  LA  PERFECTION.  5l5 

Les  motifs  d'y  tendre,  el  enfin  les  moyens  d'en  approcher, 
sinon  de  L'acquérir  (i).  —  0  Jésus,  Maître  divin,  qui  vous 
êtes  élancé  comme  un  géant  dans  la  voie  que  vous  aviez  à 
parcourir,  et  qui  ne  vous  êtes  arrêté  qu'après  en  avoir  atteint 
L'extrémité  (2),  entraînez-nous  sur  vos  traces,  par  votre 
exemple  et  par  votre  grâce,  afin  que,  nous  aussi,  nous  nous 
avancions  avec  une  ardeur  toujours  nouvelle  vers  la  perfec- 
tion de  notre  état  de  chrétiens. 

1.  —  Ce  que  c'est  que  la  perfection  chrétienne.  —  On 
se  fait  très  généralement  sur  ce  point  diverses  fausses  idées 
qu'il  faut  commencer  par  signaler  et  écarter.  L'une  des  plus 
répandues  est  de  confondre  la  perfection  chrétienne  avec  la 
perfection  religieuse,  d'où  il  suit  que,  quand  on  parle  de 
perfection  chrétienne,  beaucoup  de  chrétiens  pensent  que 
ce  sujet  ne  les  regarde  pas.  Ces  chrétiens  se  trompent.  Non, 
la  perfection  chrétienne  n'est  pas  la  même  chose  que  la  per- 

i.  On  peut  prendre  pour  sujet  d'un  discours  très  moral  et  fort  utile, 
cette  vérité  de  l'Évangile,  qu'il  faut  toujours  croître  et  s'avancer  en  vertu 
et  en  sainteté,  sans  jamais  se  prescrire  de  bornes  dans  la  perfection  que 
nous  pouvons  acquérir  ;  et  cela  pour  trois  raisons  qui  feront  le  partage 
du  sermon.  La  première  est  prise  du  commandement  de  Dieu,  qui  le 
veut  ainsi,  et  qui  l'ordonne  :  Hœc  est  voluntas  Dei,  sandificatio  vestra. 
I.  Thcss.  iv.  Estote  ergo  vos  perfecti,sicut  et  Pater  vester  cœlestis  perjectus 
est.  Mat  th.  v.  —  La  seconde  est  l'exemple  du  Fils  de  Dieu,  qui  est  notre 
modèle  :  J esus  pro/îciebat  sapientia  et  gratia,  apud  Deum  et  homines. 
Luc.  11.  —  La  troisième  enfin,  est  prise  de  la  grâce  qui  nous  en  donne  le 
moyen.  —  De  sorte  que  Dieu  nous  donne  en  même  temps  le  comman- 
dement, l'exemple  et  le  moyen  de  toujours  croître  en  perfection,  et  de 
devenir  de  jour  en  jour  plus  saints  (Houdry,  Biblioth.  des  Prédic.  art. 
Sainteté,  S  1,  n.  1). 

i°  Nous  pouvons  devenir  saints,  et  des  chrétiens  parfaits  dans  notre  état 
et  dans  notre  condition.  Nous  avons  les  grâces  nécessaires  pour  cela  ; 
mille  secours  extérieurs  qui  nous  y  excitent  et  qui  nous  y  aident  ;  une 
infinité  d'occasions  de  pratiquer  les  vertus  qui  nous  perfectionnent  ;  et 
ce  qui  nous  ôte  tout  prétexte,  c'est  que  de  toutes  les  affaires  temporelles 
qui  sont  conformes  à  notre  état,  aucune  ne  nous  peut  empêcher  d'ac- 
quérir la  sainteté  si  nous  voulons.  —  20  Nous  devons  travailler  à  notre 
sainteté,  et  à  nous  rendre  parfaits  dans  l'état  où  la  Providence  nous  a 
mis.  C'est  un  commandement  de  Dieu  indispensable  qui  regarde  tout 
le  monde  ;  et  c'est  une  illusion  de  croire  que  ce  précepte  ne  soit  que 
pour  les  religieux.  Nous  nous  y  sommes  engagés  par  les  promesses  de 
notre  Baptême,  et  enfin  nous  ne  sommes  au  inonde  que  pour  cela  (Id. 
loc.  cit.  n.  3). 

2.  Ps.  xviii,  6. 


5l6       LES   GRANDS    DEVOIRS  DU  SALUT.   XX.  INSTRUCTION. 


fection  religieuse.  La  première  n'a  pour  objet  que  l'obser- 
vation des  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église  ;  tandis 
que  la  seconde  a  pour  objet,  non  seulement  l'observation  des 
commandements  de  Dieu  et  de  l'Église,  mais  encore  celle 
des  conseils  évangéliques.  De  sorte  que,  s'il  est  vrai  que  les 
simples  chrétiens  n'ont  pas  à  se  préoccuper  de  la  perfection 
religieuse,  il  est  non  moins  vrai  qu'ils  ne  sont  nullement 
dispensés  de  tendre  à  la  perfection  chrétienne  (i). 

Une  autre  erreur  également  très  commune,  c'est  de  faire 
consister  la  perfection  chrétienne,  ou  bien  dans  l'observa- 
tion de  beaucoup  de  pratiques  religieuses,  comme  assister  à 
beaucoup  de  messes,  entendre  de  nombreux  sermons,  fré- 
quenter assiduement  les  églises,  communier  très  fréquem- 
ment ;  ou  bien  dans  des  pratiques  extraordinaires  de  dévo- 
tion, comme  jeûner  au  pain  et  à  l'eau,  prendre  la  discipline, 
s'imposer  des  mortifications  rigoureuses.  En  se  faisant  delà 
perfection  chrétienne  cette  fausse  idée,  on  arrive  aisément  à 
la  considérer  comme  impraticable,  et  par  conséquent  à  ne 
pas  la  regarder  comme  un  devoir.  Or,  nous  le  répétons, 
c'est  là  une  erreur.  Certes,  les  observances  et  les  pratiques 

i.  Cette  fausse  distinction  que  vous  faites  du  chrétien  et  du  religieux 
n'est  qu'une  illusion,  une  invention  humaine  :  Ista  distinctio  ab  hominum 
opinione  prodacta  est,  dit  saint  Jean  Chrysostome  ;  c'est  la  corruption  de 
voire  cœur  qui  vous  l'a  fait  imaginer,  et  jamais  les  saintes  Lettres  ne 
l'ont  reconnue  :  Nihil  enim  eorum  sacrœ  litterœ  agnoverunt.  Oui,  mon 
cher  auditeur,  l'Evangile  demande  de  vous  que  vous  soyez  saint  et  par- 
fait dans  votre  état,  aussi  bien  que  le  religieux  dans  le  sien  ;  c'est-à-dire, 
que  votre  vie  soit  innocente  et  régulière  ;  il  demande  de  vous  que  vous 
étoufiiez  vos  ressentiments,  que  vous  arrêtiez  une  inimitié  naissante  par 
une  sincère  et  prompte  réconciliation,  aussi  bien  que  le  religieux  ;  il 
demande  de  vous  que  vous  réprimiez  vos  désirs  déréglés,  et  que  vous 
vous  rendiez  maître  de  vos  inclinalions  sensuelles,  aussi  bien  que  le 
religieux;  il  demande  de  vous  que  vous  soyez  tempérant  et  sobre  dans 
vos  repas,  mortifié  dans  vos  appétits,  et  ennemi  de  votre  chair,  appliqué 
et  assidu  dans  vos  fonctions,  attentif  à  vous-mêmes,  fidèle  à  la  grâce, 
aussi  bien  que  le  religieux;  il  demande  de  vous  que  vous  fassiez  tous  les 
jours  de  nouveaux  progrès,  que  vous  amassiez  tous  les  jours  de  nouveaux 
mérites,  que  vous  assuriez  votre  salut  par  la  fuite  des  occasions,  des 
compagnies  dangereuses,  par  le  travail,  par  un  saint  emploi  du  temps, 
et  de  lous  les  moyens  de  sanctification  que  Dieu  vous  fournit,  aussi  bien 
que  le  religieux.  Et  cherchez  tant  qu'il  vous  plaira,  jamais  vous  ne 
trouverez  dans  le  Christianisme  deux  lois  opposées,  l'une  facile  pour 
vous,  et  l'autre  sévère  pour  les  religieux  (R.  P.  Gikoux,  serm.  sur  la 
Sainteté  chrét.). 


DEVOIB  POi  H  toi   l  CHRÉTIEN  DE  TENDRE    \  LA  PERFECTION.   .)1 


don!  nous  venons  de  parler  sont  excellentes  en  elles-mêmes, 
el  peuvehl  être  pour  certaines  âmes  tic  très  bons  moyens 
pour  arrivera  La  perfection  :  mais  elles  ne  sont  nullement, 
par  elles  mêmes,  la  perfection  chrétienne,  Laquelle  peut  très 
bien  exister  sans  elles. 

Qu'est  ce  doue  que  la  perfection  chrétienne,  et  en  quoi 
consiste  I  elle  strictement?  La  perfection  chrétienne  consiste 
essentiellement  en  ces  deux  choses:  accomplir  tous  les 
devoirs  qui  nous  sont  imposés  par  les  lois  de  Dieu  et  de 
L'Église,  el  les  accomplir  1res  bien,  c'est-à-dire  sans  aucune 
faute  quelconque.  Que  nous  manquions,  si  peu  que  ce  soit, 
à  un  seul  de  ces  devoirs,  ou  que  nous  l'accomplissions 
d'une  manière  tant  soit  peu  défectueuse,  la  perfection  n'est 
plus  complète,  et  par  conséquent  il  n'y  a  plus  de  véritable 
perfection.  Ainsi,  répétons-le,  et  que  personne  ne  se  fasse 
illusion,  soit  en  se  croyant  dans  le  bon  chemin,  alors  qu'il 
n'y  est  pas;  soit  en  croyant  n'y  être  pas,  alors  qu'il  y  est. 
Celui-là,  disons-nous,  n'est  pas  parfait,  alors  même  qu'il 
fait  des  bonnes  choses  surérogatoires,  s'il  ne  les  fait  pas  très 
bien  ;  tandis  que  celui-là  est  parfait,  alors  même  qu'il  ne 
fait  que  ce  qui  lui  est  commandé,  s'il  le  fait  très  bien  (i). 

i.  Deus  ab  initio  creavit  terrain  inanem  et  vacuam  :  cur  non  orna- 
tam  et  perfectam  ?  Sanclus  Ambrosius,  Exam.  lib.  2,c.  7,  respondit  :  l  t 
nos  ad  imitationem  divini  operis  eumdem  in  opérande  et  proficiendo 
ordinem  servaremus.  Proccdere  debemus  ab  imperfectis  ad  perfectiora 
(Corn,  v  Lap.  Comm.  in.Ge.11.  1,  1). 

Yeritalem  auleni  facienles  in  charitate,  crescanms  in  illo per  omnia.  Eph. 
iv,  Nota  :  Vliud  est  cresecre  ad  illum,  alind  crescere  pro  illo,  aliud 
crescere  in  illo,  videlicet  Ghristo.  Primum  est  incipientium,  alterum 
proficièntium,  tertium  perfectorum  (Segneri,  Man.  an.  26.  aug.  n.  1). 

Sicut  ergo  corpus  in  omnibus  membris  proportionaliter  crescit,  ita 
oportet  spiritum  crescere  in  omnibus  verbis,  cogitalionibus,  etoperibus 
(Id.  ibid.  n.  3). 

Nemo  unquam  pervenit  ad  statum  perfectorum,  quin  prius  cmensus 
fuerit  viam  incipientium,  et  proficièntium  (Id.  ibid.  n.  4). 

De  altari  praecepit  Ezcchieli  Dominus  :  Gradus  ejus  versas  orientera. 
Ezech.  xliii.  Nota  per  gradus  ab  oriente  ascendebatur  ad  occidentem,  et 
hoc  ideo.ait  Vilalpandus, quia  Deus  voluit  Judaeos  avocare  ab  idololatria 
gentilium,  qui  solem  orientem  adorabant.  Recte  !  verum  hoc  non  pos- 
sum  capere,  cur  Dominus  Deus  nuinci  uni  graduum  non  détermina- 
nt .'  descripsit  accurate  altitudincm  et  Latitudinem  altaris,  item  circum- 
ferentiam  et  mensuram  crepidinis  de  cubito  ad  cubitum.  Cur  ergo 
numerum   graduum    dissimulât?    Sanctus  ilicronymus  satisfacit  huic 


5l8       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XX.  INSTRUCTION. 

Or,  est-ce  la  pratique  réelle  de  la  perfection  chrétienne 
ainsi  entendue  qui  nous  est  commandée  comme  un  devoir  ? 
Non,  oserai-je  dire  avec  les  saints  Pères,  ce  n'est  pas  préci- 
sément la  pratique  de  la  perfection  chrétienne  qui  est  pour 
nous  un  devoir.  Si  cette  pratique  était  pour  nous  un  devoir, 
Dieu  nous  ferait  un  devoir  d'une  chose  pratiquement  impos- 
sible, ce  qu'on  ne  peut  pas  admettre.  La  pratique  de  la  per- 
fection chrétienne,  strictement  entendue,  est  en  effet  impos- 

dubio  inquicns,  graduum  numerum  non  fuisse  determinatum,  ut  edo- 
ceamur,  in  templo  morali  christianae  perfectionis  nunquam  subsisten- 
dum,  sed  semper  ulterius  ascendendum  esse  :  «  Graduum  numerus 
incertus  relinquitur,  ut  quantocumque  studio  ad  altiora  ascendcre 
potuerimus,  in  inferioribus  nos  putemus  collocatos.  »  S.  Hier,  in  Ezech. 
43.  Superasti  decem  virtutis  gradus  ?  conare  assurgere  ad  viginti.  Su- 
perasti viginti  ?  eluctare  ad  triginta,  tende  ad  quinquagesimum,  ad  cen- 
tesimum,  ad  summum  (Claus,  Spicileg.  cal.  dom.  1.  adv.  n.  4)- 

Eheu  !  dicis,  quis  poterit  sanctorum  vestigia  assequi,  ne  dicam  supe- 
rare  ?  sum  homo  nimis  fragilis,  vanitatibus  assuetus,  in  vitia  proclivis  ! 
Quid  tum  ?  noli  animo  cadere.  Non  e^igitur  a  te,  ut  una  die  in  sanctum 
migres,  summamque  perfectionem  simul  et  semel  assequaris  ;  hœc 
enim  stupiditatis  nota  fuit  in  Lucifero  :  vix  uno  vel  altero  momento 
creatus,  cum  suam  pulchritudinem  contemplaretur,  statim  voluit  simi- 
lis esse  Altissimo.  Insulsum  caput  !  priori  momento  fuisti  nihil,  altero 
momento  factus  es  angélus,  tertio'  momento  vis  esse  Deus,  quid  inep- 
tius  ?  Sic  multi  propemodum  ex  christianis  agunt  :  cum  forte  in  verbi 
divini  auditione,  aut  sacramentorum  perceptione  Deus  cor  illorum 
tangit,  continuo  volunt  impeccabiles  ac  extatici  fieri,  atque  cum  sancto 
Paulo  ad  tertium  cœlum  abripi.  Tardius,  tardius,  mi  christiane,  ad  vitae 
sanctitatem  non  saltu  pervenitur,  sed  de  gradu  ad  gradum  itur  (Id.  ibid. 
n.  7). 

Sane  apostolus  Paulus,  ad  Philipp.  c.  ni,  ait  :  Non  quod  jam  acce- 
perim  aut  jam perfectus  s im\  sequor  autem  si  qaomodo  comprehendam, 
hoc  est,  nondum  assecutus  sum  omnem  virtutem,  ut  exponunt  Chry- 
sostomus  et  Theophylactus.  Et  tamen  Paulus  perfectus  erat,  nam  mox 
subdit  :  Quicumque  ergo  perfecti  sumus,  hoc  sentiamus.  Itaque  perfectus 
erat,  quia  semper  perfectioni  studebat,  licet  fastigium  virtutum  omnium 
non  attigerit.  Ad  eumdem  modum,  non  desinamus  studere  temperan- 
tiae  et  erimus  tempérantes,  studere  castitati  et  erimus  casti,  etc.  adeo- 
que  perfecti,  si  ad  interiora  semper  nos  extendamus...  Perfectio  ergo 
hujus  vitae  non  consistit  in  eo,  quod  quis  plane  perfectus  sit,  nihil 
habens  vitii  aut  defectus  ;  sed  in  continua  tendentia,  cursu  et  conatu  ad 
perfectionem.  Ha?c  enim  est  perfectio  viatorum,  ut  continuo  et  celeriter 
in  via  sua  progrediantur.  Unde  Aug.  lib.  de  perf.  christ,  c.  9,  ait  : 
«  Perfectus  est,  qui  ad  perfectionem  irreprehensibiliter  currit,  carens 
criminibus  damnabilibus,  atque  ipsa  etiam  peccata  venialia  non  negli- 
gens  mundare  eleemosynis.  »  Sic  vocantur  philosophi  et  theologi,  qui 
student  philosophiae  et  theologia?,  licet  adhuc  multa  nesciant  (Faber, 
loc,  cit.  n,  4)' 


DEVOIR  POl  RTOUT  CHRÉTIEN  DETENDRE  V  LA  PERFECTION.  5lQ 

sible,  fanl  que  nous  sommes  en  ce  monde,  puisque  le  Saint- 
Espril  déclare  <|ue  même  l'homme  juste  pèche  sept  jois  le 
joui'  (i).  Quel  est  Le  saint,  en  effet,  qui  ait  été  sans  péelié. 
fanl  qu'il  esl  demeuré  ici  bas?  Tousse  sonl  confessés  jus 
qu'à  leur  dernière  heure,  reconnaissant  ainsi  qu'ils  ne 
pratiquaient  pas  la  perfection  chrétienne  dans  toute  sa  ri- 
gueur (2). 

Mais  si  la  pratique  parfaite  de  la  perfection  chrétienne 
n'est  pas  pour  nous  strictement  obligatoire,  parce  qu'elle  ne 
nous  est  pas  possible  en  cette  vie,  qu'est-ce  donc  qui  est 
pour  nous  obligatoire  en  celte  matière  ?  Ce  qui  est  pour  nous 
ici  obligatoire,  c'est  de  tendre  à  la  perfection  :  c'est-à-dire, 
c'est  de  nous  efforcer  sans  cesse  de  devenir  de  plus  en  plus 
parfaits,  en  nous  appliquant  à  faire  toujours  mieux  nos 
prières,  à  entendre  toujours  mieux  la  sainte  Messe,  à  faire 
toujours  mieux  nos  confessions  et  nos  communions,  à  nous 
confier  toujours  mieux  en  Dieu,  à  aimer  toujours  mieux 
notre  prochain,  à  accomplir  toujours  mieux  les  obligations 
de  notre  état,  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  à  nous  acquit- 
ter de  nos  divers  devoirs  avec  une  perfection  toujours  crois- 
sante. Encore  une  fois,  voilà  ce  qui  nous  est  imposé  comme 
un  devoir,  parce  que  cela  nous  est  possible.  Quel  est  le  chré- 
tien, en  effet,  qui  ne  peut  pas  tendre  à  la  perfection  ;  qui  ne 
peut  pas  s'efforcer  de  faire  toujours  un  peu  mieux  qu'il  n'a 
déjà  fait?  Eh  bien,  c'est  en  cela,  c'est  dans  nos  constants  efforts 
à  nous  perfectionner,  que  consiste  la  perfection  qui  nous 
est  commandée.  Naturellement,  cette  perfection  a  un  grand 
nombre  de  degrés  ;  il  y  a  la  perfection  qui  commence,  la 
perfection  qui  progresse,  la  perfection  qui  s'achève.  Mais  de 
même  que  l'homme,  dès  l'instant  de  sa  conception,  est  déjà 
un  homme,  bien  qu'il  n'ait  pas  encore  atteint  son  dévelop- 
pement naturel  :  de  même  la  perfection,  dès  qu'on  a  résolu 

1.  l'rov.  xxiv,  iG. 

■>..  Non  proficit,  quod  perfectum  est  (S.  Ajjg.  tr.  \-  sup.  Epist.  Joan.). 
—  Ncmo  se  dicat  perfectum  hic,  decipit  se,  fallit  so,  seducit  se  ;  non 
potest  hic  habere  perfectionem  (Id.  sup.  Ps.  xxxviu).  —  Ncmo  nostrum 
tain  peii'ectus  est,  ut  perfectjor  esse  non  possit  (S.  Léo  i,  serin,  y. 
QuadragJ 


520       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XX.  INSTRUCTION. 

d'y  travailler,  est  déjà  elle  aussi  la  perfection,  bien»  qu'elle 
ne  soit  encore  qu'en  germe  (i). 

Tel  est,  avons-nous  dit,  l'enseignement  des  saints  Pères. 
Écoutons  quelques-unes  de  leurs  propres  paroles.  «  Est-ce 
que  la  charité,  dit  saint  Augustin,  est  parfaite  aussitôt  qu'elle 
naît?  C'est  pour  se  perfectionner  qu'elle  naît.  Après  sa 
naissance,  elle  se  nourrit  ;  en  se  nourrissant  elle  se  fortifie, 
et,  après  s'être  fortifiée,  elle  arrive  à  la  perfection  »  (2). 
Dans  un  autre  endroit  de  ses  écrits,  le  même  Père  dit  éga- 
lement :  «  Celui-là  est  parfait  qui  court  à  la  perfection  sans 
se  démentir  en  rien,  et  qui,  se  préservant  avec  soin  des 
péchés  mortels,  ne  néglige  pas  de  racheter  ses  fautes  véniel- 
les par  l'amour  (3).  »  Saint  Bernard  n'est  pas  moins  formel  : 
u  Le  soin  infatigable  de  se  perfectionner,  dit-il,  et  un  effort 
continuel  pour  arriver  à  la  perfection,  sont  regardés  comme 
la  perfection  elle-même  »  (4). 

1.  Aliqui  constituunt  perfectionem  in  patientia  adversitatum  :  Timuit 
cor  meum  delaluram  civitatis,  et  collectionem  populi,  columnîam  menda- 
cem,  super  mortem  omnia  gravia.  Eccli.  xxvi,  6.  Per  tria  haec,  intelligi- 
tur  :  i°  Proditio  civitatis,  qua  caedi  et  furiis  illa  exponitur.  20  Congrega- 
tio  populi  tumultuantis,  qua  contra  aliquem  consurgit.  3°  Accusatio 
falsa,  qua  agitur  ad  mortem,  aut  infamiam.  Haec  perferre  pro  Deo,  et 
justitia  magna  perfectio  est,  maj orque  quam  exantlatio  mortis.  Sic 
sanctus  Paulus  exultavit.in  persecutionibus  et  calumniis.  Sic  monachus 
Abbakirus,  diaconus  Macedonius,  et  sanctus  Ignatius  ad  persecutiones 
et  opprobria  laetati  sunt  ;  primus  a  fratribus  quotidie  verberibus  excep- 
tus,  alter  sine  culpa  e  monasterio  ejectus,  tertius  ob  pietatis  ministeria 
mille  calumnias  passus  exultarunt.  Sanctus  Franciscus  dicere  solebat  : 
«  Perfecta  lsetitia  est,  cum  quis  libenter  amore  Christi  injurias,  et  appro- 
bria  sustinet.  »  (Corn,  a  Lap.  Comment,  in  Eccli.  xxvi,  6). 

Alii  constituunt  perfectionem  in  amore  Dei  ex  toto  corde,  ad  quem 
requiritur  :  i°  Ut  voluntatem  ab  omni  amore  et  affectu  terreno  segreges, 
et  mundifices.  20  Ut  omnes  cogitationes  et  opéra  ad  Dei  solummodo 
honorem  et  gloriam  dirigas.  3°  Ut  tua  voluntas  intime  conjuncta  sit 
voluntati  divinse  et  imperturbata  animi  pace  omnia,  quaecumque  seu 
bona  seu  mala  evenerint,  excipias,  firmiter  credens,  quod  Deus  magis  te, 
quam  tu  teipsum  âmes.  Etc.  (Id.  Comm.  in  Eccli.  vu,  32  ;  xlvii,  10). 

Quomodo  saecularis  quisque  perfectus  esse  queat  ac  debeat  :  i°  Si  Dei 
praecepta  observet.  20  Si  errores  admissos  mox  in  se  puniat.  3°  Si  pugnet 
semper  contra  vitia.  4°  Si  semper  proficere  conetur.  5°  Si  studeat  prê- 
ter praecepta,  implere  etiam  aliqua  non  praecepta.  6°  Si  conetur  vitare 
etiam  veniala  (Faber,  Op.  conc.  dom    4-  post  Pentec.  conc.  5). 

2.  In  Epist.  Joan. 

3.  Lib.  De  PerJ.  JustiL 

4.  Epist.  123.  —  Hœc  hominibus  sola  est  perfectio,  si  imperfectos 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN  DE  TENDRE  V  LA  PERFECTION.  D2  l 

Telle  étant  donc  la  perfection  qui  nous  est  commandée, 
c'est  à-dire,  moins  la  perfection  elle-même  que  l'effort  pour 
L'acquérir,  comprenons  que  cette  perfection,  dis-jc,  n'a  rien 
qui  doive  nous  effrayer  ni  nous  décourager,  mais  qu'elle  est 
au  contraire  parfaitement  proportionnée  à  nos  forces,  et 
voyons  maintenant  les 

11.  —  Motifs  que  nous  avons  d'y  tendre.  —  Un  pre- 
mier motif  pour  nous  de  tendre  à  la  perfection,  c'est  que 
l'honneur  de  notre  sainte  religion  le  demande.  En  effet,  ce 
qu'est  pour  un  enfant  L'honneur  de  sa  mère,  L'honneur  de 
l'Eglise  l'est  pour  tout  chrétien,  pour  qui  l'Eglise  est  une 
véritable  mère,  tant  parce  qu'elle  l'a  engendré  à  la  vie  sur- 
naturelle de  lame,  que  parce  qu'elle  ne  cesse  de  l'entourer 
de  la  sollicitude  la  plus  tendre  et  la  plus  dévouée.  —  Or, 
n'est-il  pas  évident  que  c'est  un  devoir  sacré,  pour  un 
enfant,  non  seulement  de  ne  rien  faire  qui  puisse  nuire  à 
l'honneur  de  sa  mère,  mais  encore  de  faire  ce  qu'il  peut 
pour  y  ajouter  un  nouvel  éclat  ?  Eh  bien,  le  même  devoir 
s'impose  à  nous  tous  chrétiens,  à  l'égard  de  l'Église  :  c'est- 
à-dire  que  nous  devons  non  seulement  ne  rien  faire  qui 
puisse  atteindre  son  honneur,  mais  encore  faire  tout  ce  qui 
dépend  de  nous  pour  la  glorifier  devant  les  hommes.  —  Ce 
qui  prouve  combien  un  enfant  doit  avoir  à  cœur  l'honneur 
de  sa  mère,  c'est  qu'autant  est  maudit  de  Dieu  et  des  hom- 
mes celui  qui  l'amoindrit,  autant  en  est  béni  celui  qui  l'aug- 
mente. Et  il  en  est  de  même  du  chrétien  qui  ternit  l'hon- 
neur de  l'Eglise,  comme  de  celui  qui  le  fait  briller  davan- 
tage :  le  premier  est  accablé  de  malédictions,  tandis  que  le 
second  ne  recueille  que  des  louanges  et  des  bénédictions.  — 
Dès  lors  donc  que  nous  somme  tenus  d'avoir  à  cœur  l'hon- 
neur de  l'Eglise,  notre  mère  surnaturelle,  il  est  aisé  de 
comprendre  maintenant  que  c'est  là  un  motif  hautement 
suffisant,  fût-il  seul,  pour  nous  faire  tendre  à  la  perfection. 


esse  se  noverint  (S.  Hier.  Ep.  23.  ad  Ctesiph.j.  —  Hœc  est  hominis  vera 
sapientia,  imperfectum  esse  se  nosse  ;  atque,  ut  ita  loquar,  cunctorum 
in  carne  justorum  imperfecta  perfectioest  (Id.  Diaig.  Pelag.J.  —  Quanto 
plus  homo  scit  se  distare  a  perfectione,  tanto  prope  est  perfoctioni 
(Thom.  a  Kemp.  Vita  Gerardi  May.  c.  18). 


022       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XX.  INSTRUCTION. 

Car  si  nous  n'y  tendons  pas,  si  nous  ne  nous  efforçons  pas 
de  devenir  chaque  jour  plus  parfaits,  et  par  conséquent 
meilleurs  que  les  infidèles,  les  indifférents  et  les  impies, 
ceux-ci  en  prendront  occasion  de  mal  parler  de  l'Église,  de 
nier  la  puissance  de  ses  enseignements  et  de  ses  sacrements, 
ainsi  que  la  divinité  de  son  institution.  Eu  voyant  que  les 
enfants  de  l'Eglise  ne  valent  pas  mieux  qu'eux,  ils  en  con- 
cluront, non  sans  apparence  de  raison,  que  l'Église  n'est 
que  l'ouvrage  des  hommes,  et  que  ceux  qui  la  disent  divine 
sont  des  imposteurs.  Hélas  !  n'est-ce  pas  ce  qui  arrive  trop 
souvent? Qu'ils  sont  donc  coupables,  les  chrétiens  qui  ne 
s'appliquent  pas  à  acquérir  la  perfection,  et  qui  par  suite 
deviennent  l'occasion  de  ces  discours  et  de  ces  scandales 
déshonorants  pour  l'Eglise  !  Qu'ils  sont  coupables  surtout 
en  ces  temps  malheureux,  où  l'Église  est  déjà  l'objet  de  tant 
d'attaques  de  la  part  de  ses  ennemis,  et  où  ses  enfants 
devraient  par  conséquent  s'appliquer  plus  que  jamais  à  la 
faire  respecter  en  leur  personne,  par  la  perfection  de  leur 
conduite  !  Il  n'est  pas  douteux,  en  effet,  que  si  un  chrétien 
de  conduite  peu  régulière  fait  mal  penser  et  mal  parler  de 
l'Église  ;  un  chrétien  qui  s'applique  à  être  fervent  et  parfait 
inspire  au  contraire,  à  ceux  qui  le  voient,  des  sentiments 
favorables  à  l'Église  ;  car  ils  sont  forcés  de  s'avouer  à  eux- 
mêmes  que  la  conduite  de  ce  chrétien  vaut  mieux  que  la 
leur,  et  qu'elle  vaut  mieux  précisément  parce  qu'il  vit  en 
véritable  chrétien,  et  conformément  à  toutes  les  prescrip- 
tions de  l'Église.  G 'est  en  effet  cette  constatation  qui  arra- 
chait autrefois  aux  païens,  lorsqu'ils  virent  la  sainte  union 
des  premiers  chrétiens  entre  eux,  ce  cri  d'étonnement  et 
d'admiration  :  Voyez  comme  ils  s'aiment!  Ainsi  donc,  puis- 
que c'est  pour  tout  chrétien  un  devoir  d'honorer  l'Église  sa 
mère,  et  que  le  meilleur  moyen  de  l'honorer,  c'est  de  se 
conduire  en  conformité  de  ses  prescriptions,  c'est  en  con- 
séquence par  là  même,  pour  tout  chrétien,  un  premier  et 
très  grave  motif  de  mener  une  conduite  toujours  plus  sainte 
et  plus  parfaite,  afin  d'honorer  toujours  de  plus  en  plus 
l'Église. 

Le  deuxième  motif,  bien  plus  grave  encore,  qui  nous  fait 
un  devoir  de  tendre  à  la  perfection,  c'est  que  Dieu  nous  le 


DEVOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN  DE  TENDRE  A  LA  PERFECTION.   5a3 

commande  expressément,  ainsi  que  nous  le  voyons  en  maints 
endroits  de  la  sainte  Écriture.  Et  il  tient  tellement  à  ce  que 
ses  adorateurs  travaillent  a  se  perfectionner,  qu'il  en  a  fait 
Le  commandemenl  aux  juifs  eux-mêmes,  malgré  la  durcir 
de  leurs  cœurs,  dès  les  premiers  temps  de  son  alliance  avec 
eux.  Leur  parlant  à  son  ordinaire,  en  diverses  circonstances, 
par  le  ministère  de  Moïse,  il  leur  répéta  jusqu'à  trois  fois  cet 
ordre  :  Sanctifiez-vous  et  soyez  saints,  parce  que  je  suis  saint 
moi-même,  moi  le  Seigneur  votre  Dieu  (i).  Voilà  le  précepte 
et  voilà  la  raison  de  se  sanctifier,  ce  qui  est  la  même  chose 
que  de  se  perfectionner.  Sanctifiez-vous,  parce  que  je  suis  saint. 
Il  est  naturel,  il  est  convenable,  il  est  nécessaire  que  l'adora- 
teur s'efforce  de  se  rendre  semblable  à  son  Dieu,  s'il  veut 
lui  être  agréable  et  se  le  rendre  propice.  C'est  d'après  cette 
idée  juste,  mais  dont  ils  faisaient  un  emploi  abusif,  que  les 
païens  se  croyaient  obligés  de  se  souiller  de  crimes,  pour 
ressembler  à  leurs  dieux  criminels  et  vicieux.  Pour  nous, 
notre  Dieu  étant  saint  et  parfait,  nous  devons  donc,  pour 
lui  ressembler,  nous  sanctifier  et  nous  perfectionner.  Et 
qu'avons-nous  à  faire  pour  cela  ?  Dieu  ne  nous  l'a  pas  laissé 
ignorer.  Mes  adorateurs,  a-t-il  dit  par  un  autre  de  ses  pro- 
phètes, iront  de  vertu  en  vertu  (2).  Ainsi,  le  précepte  de  se 
sanctifier  et  de  se  perfectionner  a  été  non  seulement  donné, 
mais  expliqué  :  pour  l'accomplir  il  faut,  non  pas  demeurer 
en  l'état  où  l'on  est,  quel  qu'il  soit,  mais  aller  de  vertu  en 
vertu,  c'est-à-dire  gravir  l'échelle  de  la  perfection  chrétienne, 
en  pratiquant  toujours  de  nouvelles  vertus,  sans  jamais 
croire  qu'on  en  a  fait  assez  ni  s'arrêter.  A  peine  le  Fils  de 
Dieu  était-il  venu  en  ce  monde,  où  il  venait  pour  accomplir 
la  loi  et  non  pas  pour  la  détruire  (3),  qu'il  se  hâta  précisément 
de  se  donner  comme  notre  modèle  dans  l'acquisition  de  la 
perfection.  Il  est  dit  de  lui  en  effet,  comme  nous  l'avons  déjà 
rappelé,  que  dès  son  enfance  il  croissait  en  sainteté  en  même 
temps  (pi  en  âge.  Mais  il  ne  se  borna  pas  à  nous  donner  cet 
exemple,  que  plusieurs  auraient  pu  ne  pas  vouloir  compren- 

1.  Levit.  xi,  4 \  ;  xix,  2  ;  xx,  7. 

2.  Ps.  lxxxiu,  8. 

3.  Matth,  v,  j7. 


52  4         LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XX.   INSTRUCTION. 

dre.  Il  renouvela  la  loi  elle-même  de  la  perfection,  en  disant 
à  tous  ceux  qui  voudraient  être  ses  disciples  :  Soyez  par/ails, 
comme  voire  Père  céleste  est  parfait  lui-même  (i);  c'est-à-dire, 
soyez  aussi  parfaits  dans  votre  état  que  vous  pouvez  l'être, 
comme  votre  Père  céleste  est  parfait  dans  le  sien.  —  Les 
apôtres,  chargés  de  prêcher  par  toute  la  terre  les  enseigne- 
ments du  Sauveur,  n'ont  eu  garde  d'oublier  le  précepte  de 
la  perfection.  Saint  Pierre,  leur  chef,  en  a  rappelé  aux  pre- 
miers chrétiens  le  texte  lui-même,  en  leur  disant,  dans  sa 
première  épître  :  77  est  écrit  :  Vous  serez  saints,  parce  que 
moi  je  suis  saint  (2).  L'apôtre  saint  Jean,  de  son  côté,  a  expli- 
qué cette  loi  en  ces  termes  :  Que  celui  qui  est  juste  se  justifie 
encore,  a-t-ildit,  et  que  celui  qui  est  saint  se  sanctifie  encore  (3). 
Enfin,  saint  Paul  l'a  aussi  rappelée  et  expliquée,  en  disant 
comment  il  s'efforçait  de  l'accomplir  lui-même  :  Je  ne  suis 
pas  déjà  parfait,  écrivait-il  aux  chrétiens  de  Philippe,  ville 
de  Macédoine,  mais  je  poursuis  ma  course  pour  tâcher  d'y 
atteindre,  oubliant  ce  qui  est  derrière  moi  et  m' avançant  tou- 
jours vers  ce  qui  est  devant  moi  ;  c'est-à-dire,  oubliant  le  bien 
que  j'ai  déjà  pu  faire,  et  m'efforçant  d'accomplir  celui  qui 
reste  à  faire.  Et  il  concluait  en  ajoutant  :  Imitez-moi,  mes 
frères  (4).  —  C'en  est  assez.  La  loi  de  tendre  sans  cesse  à  la 
perfection  n'est  pas  moins  certaine  ni  moins  positive  que 
celle  du  Décalogue  lui-même.  Or,  quand  il  est  certain  que 
Dieu  a  parlé,  nul  ne  saurait  être  admis  à  contester  et  à  dis- 
courir, mais  tous  doivent  s'incliner.  C'est  pourquoi,  nous 
le  répétons,  le  plus  puissant  motif  que  nous  ayons  de  tendre 
à  la  perfection,  c'est  que  Dieu  nous  le  commande  expressé- 
ment (5). 

1.  Matth.  v,  48. 

2.  I.  Petr.  1,  16. 

3.  Apoc.  xxii,  11. 

4.  Philipp.  m,  12,  i3,  17. 

5.  L'esprit  des  enfants  de  Dieu,  dit  le  Pape  saint  Léon,  et  la  noblesse 
de  cette  filiation  divine,  ne  peut  souffrir  qu'un  chrétien  fidèle  s'attache 
aux  amusements  du  monde  ;  il  faut  que  la  vie  ait  du  rapport  à  la  gran- 
deur de  cette  divine  régénération,  que  les  enfants  s'accordent  avec  leur 
Père,  qu'ils  aiment  ce  qu'il  aime,  qu  ils  fuient  ce  qui  ne  lui  plaît  pas. 
Et  si  les  enfants  de  qualité,  parmi  les  gens  du  monde,  se  rendent  mépri- 


DEVOIR  PO t'H  TOI  T  CHRETIEN  DETENDRE   V  LA  PERFECTION.   5^5 

Cependant  il  est  un  troisième  motif  de  tendre  a  la  per- 
fection, auquel  plusieurs  seront  peut-être  encore  plus  sen- 
sibles, et  ce  troisième  motif,  c'est  que  notre  intérêt  l'exige. 
Quel  est  notre  intérêt,  notre  intérêt  souverain  et  suprême? 
N'est-ce  pas  d'assurer  notre  salut?  Oui,  sans  cloute,  puisque 
si  nous  manquons  notre  salut,  tout  sera  perdu  pour  nous; 
de  même  que  si  nous  L'accomplissons,  tout  sera  gagné.  Éh 
bien,  pour  assurer  réellement  notre  salut,  il  n'y  a  qu'un 
seul  vrai  moyen,  et  ce  moyen,  c'est  de  tendre,  en  tout  ce 
que  nous  faisons,  à  la  perfection.  Rien  de  plus  facile  que  de 
s'en  convaincre,  une  simple  comparaison  rendra  sensible 
cette  vérilé.  N'est-il  pas  vrai  qu'un  batelier,  qui  doit  remon- 
ter le  cours  d'un  fleuve  pour  atteindre  le  lieu  où  il  se  rend, 
n'y  peut  parvenir  qu'en  faisant  de  continuels  efforts,  et  que 
s'il  cessait  de  ramer,  non  seulement  il  ne  se  maintiendrait  pas 
où  il  serait,  mais  rétrograderait  forcément?  Eh  bien,  il  en 
est  absolument  de  même  de  tout  chrétien  qui  veut  aller  au 
ciel.  La  vie  est  le  fleuve  sur  lequel  nous  naviguons,  et  les 
flots  de  ce  fleuve  sont  nos  passions,  qui  nous  emportent 
avec  violence  loin  du  but  où  nous  aspirons.  Écoutons  l'apô- 
tre saint  Paul  en  faire  la  douloureuse  constatation  :  Je  vois, 
dit-il,  une  loi  dans  les  membres  de  mon  corps,  qui  s'oppose  à  la 
loi  de  mon  esprit ,  et  qui  m'asservit  à  la  loi  du  péché,  laquelle  est 
dans  les  membres  de  mon  corps  (i).  Pour  résister  à  cette  loi 
du  péché,  pour  surmonter  les  flots  de  nos  passions  qui 
nous  entraînent  vers  l'abîme  de  l'enfer,  il  faut   donc,  nous 

sables,  lorsque  les  actions  de  leur  vie  ne  répondent  pas  à  leur  nais- 
son  <•;  quelle  honte)  a-t-il ,  à  plus  forte  raison,  pour  les  enfants  de  Dieu, 
lorsqu'ils  ne  soutiennent  p;is  toute  la  dignité  du  Christianisme  par  de 
grandes  vertus  ?  D'où  il  faul  bien  remarquer  que  cette  obligation  que 
ii' >i i^  impose  I  Évangile,  d'être  parfaits  comme  notre  Père  céleste,  n'est 
pas  un  simple  conseil,  niais  une  obligation,  qui  n'est  pas  seulement  de 
précepte,  mais  encore  qui  semble  être  de  droit  naturel .  ï  a-t-il  rien  au 
monde  de  plus  naturel  à  un  tils  que  de  représenter  la  vie  de  son  père, 
lorsqu'elle  est  digne  de  son  imitation  P  Ce  qui  est  d'autant  plus  vrai 
dans  les  enfants  de  Dieu,  qu'on  ne  saurait  les  reconnaître  pour  tels, 
>'il->  ne  portent  la  ressemblance  de  Dieu  dans  la  perfection  de  leur  vie. 
Les  «niants  des  hommes  ressemblent  à  leur  père,  ou  dans  les  traits  du 
visage,  ou  dan»  quelque  autre  marque  naturelle  ;  mais  les  enfants  de 
Dieu  ne  peuvent  représenter  leur  Père  céleste  que  par  la  perfection  de 
leur  vie  (R.  P.  Champigni,  serai,  sur  les  obligat.  du  Baptême). 

i.  Rom.  vu,  23. 


52Ô       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  XX.  INSTRUCTION. 

aussi,  lutter  sans  relâche.  C'est  seulement  au  prix  de  conti- 
nuels efforts  que  nous  parvenons  à  nous  avancer  du  côté  du 
ciel.  Le  Sauveur  ne  nous  l'a  pas  laissé  ignorer  :  Le  royaume 
des  deux,  a-t-il  dit,  souffre  violence,  et  ceux-ci  seuls  y  par- 
viendront,  qui  se  font  violence  (i).  Aussi,  pour  peu  que  nous 
venions  à  nous  oublier  ou  à  nous  lasser,  aussitôt  nous  rétro- 
gradons misérablement.  Voilà  pourquoi  saint  Augustin 
nous  avertit*de  ne  jamais  dire:  Il  me  suffit  d'être  où  j'en 
suis,  de  mener  la  vie  chrétienne  que  je  mène,  et  je  n'ai  pas 
besoin  de  viser  à  une  perfection  plus  grande  ;  si  vous  dites 
cela,  vous  êtes  perdu  (2),  ajoute  le  grand  docteur.   Et  pour- 

1.  Matth.  xi,  12. 

2.  Si  dixeris  :  suffîcit  :  periisti  (S.  Aug.  serai.  i5.  de  verb.  apost.).  — 
Non  minuisse  solum,  sedetnon  auxisse  culpabile  est  (S.  Hier.  Ep.  1.  ad 
Demetr.).  —  Perfectae  conversationis  culmen  appréhende  :  nulli  enim  in 
eodem  statu  diu  esse  conceditur  servo  Dei  :  aut  semper  proficiendum, 
aut  deficiendum  est  ;  aut  sursum  nititur,  aut  in  inferiora  urgetur  (S. 
Bern.  Vitasolïtar.). 

Saeculares  sumus,  in  sseculo  perfectio  christiana  peregrinum  animal. 
Abeat  ad  anachoretarum  claustra,  abeat  ad  monachorum  solitudines  ; 
illis,  non  nobis  dictum  est  :  Estote  perfedi,  sicut  Pater  vester  cœlestis 
perfectus  est.  —  Et  cur  illis,  et  non  vobis  ?  —  Quia  perfecte  vivere  in  sa?- 
culo  impossibile  est.  —  Est  plane  falsissimum,  et  grandis  diaboli  decep- 
tio  !  Audi  contrarium  ex  vitis  Patrum.  Duo  antiqui  Patres,  postquam 
multis  se  annis  in  omni  virtutum  génère  in  eremo  exercuerant,  pia 
curiositate  moti  Deum  rogàrunt,  ut  sibi  perfectionis  mensuram,  ad 
quam  pervenissent,  ostendere  dignaretur.  Audivit  vota  eorum  Deus,  et 
per  angelum  illis  indicavit  villam  in  yEgypto,  ubi  duo  habitarent  con- 
juges,  nomen  marito  Evaristus,  et  uxori  Maria,  scirent,  quod  ad  perfec- 
tionem  conjugum  istorum  nondum  pervenissent.  Illi  sine  mora  ad  iter 
accincti  festinant  ad  vicum  designatum,  inveniunt  conjuges,  eosque  de 
vitae  hactenus  acta?  tenore  interrogant.  Illi  asserebant,  se  oves  pascere, 
et  proventum  exinde  contingentem  dividere  in  très  partes,  quarum 
unam  erogarent  in  pauperes,  alteram  impenderint  susceptioni  peregri- 
norum,  tertiam  converterint  in  proprios  usus.  De  caetero,  aiebant,  se 
mutuo  consensu  ac  voto  servare  continentiam .  His  auditis,  Patres  illi 
cum  admiratione  rcdeuntcs  benedixcrunt  Deum  qui  etiam  in  sœculo 
conjugatos  ac  simplices  homines  non  excluderet  a  perfectionis  fastigio. 
Quid  ad  haec,  mi  christiane  ?  an  adhuc  tenes,  homines  mundanos  esse 
perfectionis  incapaces  ?  Hi  conjugati  fuere  sa?culares,  et  tamen  meritis 
erant  tam  excellentes,  ut  superaverint  anachoretas.  Quare  noli  adco  desi- 
pere,  ut  cum  imprudentibus  illis,  quos  loquentes.  introducit  Gerson,  de 
Myst.  Theol.,  aias  :  «  Sufficit  mihi  vita  communis  !  Si  cum  imis  salvari 
potero,  satis  est  !  Nolo  mérita  apostolorum,  nolo  volare  per  summa. 
Accedere  perplaniora  contentus  sum.  »  Noli,  inquam,  tam  impruden- 
ter  garrire  1  Ad  supremum  perfectionis  gradum  aspirare  oportet,   ut 


(|uoi  sommes-nous  perdus,  si  nous  nous  arrêtons  sur  Le 
chemin  de  La  perfection?  G'esi  parce  que  Dieu,  qui  veut  que 
nous  allions  toujours  de  vertu  en  vertu,  voyant  notre  mau 
vais  vouloir  et  notre  désobéissance,  nous  retire  pour  nous 
châtier  les  grâces  qui  nous  avaient  soutenus  jusque-là,  selon 
la  menace  qu'il  en  a  faite  (1)  ;  et  parce  que  nous  ne  pouvons 
rien  sans  lui  (2),  dès  lors  notre  perte  est  [certaine  et  inévita- 
ble :  à  moins  que,  reconnaissant  notre  erreur  et  nos  torts, 
nous  ne  rentrions  dans  la  voie  de  la  perfection  pour  la  sui- 
vre  jusqu'à  notre  mort.  Car  si  nous  sommes  perdus  quand 
nous  cessons  de  vouloir  faire  de  nouveaux  progrès  dans  la 
perfection,  notre  salut  est  assuré  quand  nous  aspirons  à 
une  justice  toujours  plus  parfaite,  puisque  Notre- Sei- 
gneur a  dit  expressément  :  Bienheureux  ceux  qui  ont  faim 
cl  soif  de  justice,  car  Us  seront  rassasiés  (3)  des  joies  du 
ciel. 

Tels  sont  les  principaux  motifs  que  nous  avons  de  tendre 
sans  cesse  à  la  perfection,  l'honneur  de  l'Église  notre  mère, 
la  volonté  certaine  de  Dieu,  et  notre  suprême  intérêt. 
Peut-il  se  trouver  un  seul  chrétien  sincère  qui,  après  avoir 
pesé  ces  motifs,  ne  soit  résolu  à  mener  désormais  une  con- 

saltem  mediocritatem  teneamus.  Sagittarius  sciens  nervum  in  arcu  suo 
('•>m'  remissiorem,  quid  facitP  Altius  collimat  supra  scopum,  ut  scopum 
inferius  position  attingat.  Sic  quia  natura,  et  aflectus  nostri  valde  infir- 
mi  sunt,  debent  desideria  nostra  velut  sacra  quaedam  jacula  ad  subli- 
miasimam  sanctitatem  dirigi,  ut  conatus  noster  torpore,  et  socordia  re- 
missus  saltem  aliqualem  virtutem  acquirat  (Claus,  loc.  cit.  n.  8). 

V  proférez  donc  jamais  cette  parole  indigne  d'une  bouche  chrétienne: 
.le  Laissé  la  perfection  aux  religieux  et  aux  solitaires,  trop  heureux  d'évi- 
ter la  damnation  éternelle.  Non,  non,  vous  vous  abusez  :  qui  ne  tend 
point  à  la  perfection  tombe  bientôt  dans  le  vice  ;  qui  grimpe  sur  une 
hauteur,  s'il  cesse  de  s'élever  par  un  continuel  effort,  est  entraîné  par 
ta  pente  même  et  son  propre  poids  le  précipite  :  c'est  pourquoi  l'Écri- 
ture nous  défend  de  nous  arrêter  un  seul  moment.  Si,  selon  L'apôtre 
sain!  faut,  la  \ie  vertueuse  est  une  course,  il  faut,  comme  cet  apôtre, 
s'avancer  toujours,  oublier  ce  qu'on  a  fait,  courir  sans  relâche  et  n'ima- 
giner de  repos  qu'à  la  lin  de  la  carrière,  où  le  prix  de  la  course  nous 
al  tend  (Bossi  ET,  \.  serin,  p.  Patines). 

i.  Qui  eniin  habet,  dabilur  ci,  et  abundabit  ;  qui  autem  non  habet, 
et  quod  habet  auferclur  ab  eo  (Matth.  \iii,  ia). 

2.  Sine  me  nihil  potestis  faccre  (Joan.  xv,   h. 

3.  Matth.  v,  6. 


528       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  S\LUT.  XX.  INSTRUCTION. 

duite  toujours  plus  régulière  et  plus  parfaite  (i)'P  —  Ache- 
vons de  nous  éclairer  sur  cette  capitale  matière,  en  expli- 
quant quels  sont  les 

III.  —  Moyens  d'approcher  de  la  perfection.  —  Il  en 
existe  un  assez  grand  nombre,  dont  la  plupart  ne   convien- 

i.  Duc  in  altum,  Luc.  v,  ad  perfeelionem .  Yoluit  Christus  secum  in 
altum  duci  quotquot  in  navi  erant;  ncminem  excepit  :  similiter  vult 
nos  omnes  ad  perfectionem  tenderc.  Ita  enim  ipse  ad  omnes  dixit, 
Matth.  v  :  Eslote  ergo  vos  perfecti,  sicut  et  Pater  vester  cœlestis.  Ita  docuit 
et  Pctrus,  in  Ep.  I  :  Et  ipsi  in  omni  conversatione  sancti  sitis,  quoniam 
ego  sanctas  sum.  Ita  et  Jacobus,  c.  i  :  Ut  sitis  perfecti  et  integri,  in  nullo 
déficientes,  \erum  huic  doctrinal  contradicunt  multi,  qui  putant  sibi 
ad  perfectionem  minime  connitendum  esse,  sufhcere  sibi  stare  in  medio 
vel  imogradu;qui  sane  non  parum  errant,  siquidem  perfectionem 
exigunt  a  nobis  multi,  ut  videbimus.  — 1°  Ergo  conatum  ad  perfectio- 
nem exigit  a  nobis  ipsa  natura  ;  in  qua  videmus  omnia  viventia  cres- 
ccre  et  proficere  cum  œtate  :  plantas,  bestias,  hominem  quoad  vires  et 
staturam  corporis,  cur  ergo  non  etiam  crescat  secundum  animam  ?  Ac 
licet  aliqua  horum  terminum  habcant,  propter  defectum  nutrimenti, 
liomo  tamen,  secundum  anima?  incrementum,  terminum  non  habet, 
sed  tota  vita  crescere  in  virtute  débet...  —  20  Progressum  ad  perfectio- 
nem exigit  a  nobis  Deus  :  neque  a  solis  sacerdotibus  aut  religiosis,  sed 
etiam  a  saîcularibus.  Desiderat  enim  Pater  omnes  filios  sibi  habere 
similes,  suamque  in  aliis  speciem  intueri...  Nos  certe  christiani  pecu- 
liari  ratione  :  Filii  Dei  nominamur  et  sumus,  I.  Joan.  ni.  Quis  autem 
nescit  quod  parentes  optent  taies  habere  filios,  qui  cum  setate  crescant 
in  scientiis,  virtutibus,  rerum  experientia  ?  Ideo  enim  constituunt  eis 
ptedagogos,  etc.  Et  quam  segre  ferunt,  si  filii  in  scholis  nihil  plane 
proficiant  et  stolones  domum  redeant  ?  Quid  miramur  ergo  si  et  Deus 
velit  habere  taies?  Et  hinc  utique  toties  et  tamdiu  nos  flagellis  suis 
castigat,  ut  vel  his  verberibus  compellat  progredi  a  tepore  ad  fervorem 
et  virtutem.. .  —  3°  Eumdem  a  nobis  exigit  Christus,  Matth.  v,  dicens  : 
Eslote  ergo  vos  perfecti,  sicut  et  Paster  vester  cœlestis  perfectus  est.  Qui 
etiam  propterea  tanto  nos  pretio  redemit,  et,  ut  ait  Àpostolus  ad 
Ephes.  v  :  Dilexit  Ecclesiam,  et  seipsum  tradidit  pro  ea,  ut  illam  sanctifi- 
caret  et  exhiberet  ipse  sibi  gloriosam  Ecclesiam,  nonhabentemmaculam  aut 
rugam,  aut  aliquid  hujusmodi,  sed  ulsilsancla  et  immaculata.  En  qualem 
nitorem  desiderat  in  nobis  Christus  ;  qualem  scilicet  sponsus  desiderat 
in  sponsa,  et  quœ  respondeat  pretio,  quod  pro  ea  emenda  dédit...  — 
4°  Exigunt  majores  nostri,  primi  Christiani,  qui  in  omni  sanctitate  et 
justitia  vixerunt,  et  omnium  virtutum  admiranda  exempla  urbis  reli- 
querunt.  Gloriati  sunt  Hebraei  de  Abraham  pâtre  suo  sanctissimo  :  sed 
a  Christo  audierunt  :  Si  Abrahœ  filii  estis,  opéra  Abrahœ  facile.  Joan.  vin. 
—  5°  Denique  ipsi  nos  exigimus  ab  aliis  ut  nobis  bene  et  exacte  omnia 
nostra  peragant,  veluti  ab  opificibus,  ut  nobis  optimas  vestes,  calceos, 
domos  faciant.  et  agros  et  vineas  pulcherrime  colant...  Quid  mirum 
ergo,  si  talcs  velit  habere  servos  Deus?...  (Faber,  Op.  conc  dom.  4. 
post  Pentec.  conc.  4). 


ni  IVOIB  POUR  "TOUT  CHRÉTIEN  DE  TENDRE  A   LA  PERFECTION.   i'2\) 

neni  pas  à  tout  le  monde  ni  dans  toutes  1rs  circonstances. 
On  les  trouve  exposés  dans  les  ouvrages  de  pieté,  ou  bien 
on  peut  se  les  faire  indiquer  par  Les  confesseurs  et  direc- 
teurs. Nous  nous  bornerons  à  parler  ici  de  ceux  qui  sont  à 
la  poilce  de  tout  le  monde,  et  auxquels  on  peut  recourir 
dans  quelque  situation  que  l'on  se  trouve. 

Le  premier  de  ces  moyens  essentiellement  pratiques,  et 
d'ailleurs  souverainement  efficaces,  c'est  la  pensée  de  la 
présence  de  Dieu.  Ce  moyen  est  celui-là  même  que  le  Sei- 
gneur indiqua  à  \hraham,  en  lui  disant  :  Marche  e/ima  pré- 
sence, cl  tu  deviendras  parfait  (i).  Les  sages  du  paganisme, 
ayant  remarqué  que  l'on  se  conduit  toujours  bien  en  pré- 
sence d'une  personne  respectable,  conseillaient  eux-mêmes 
à  leurs  disciples  de  se  représenter,  dans  toutes  les  actions 
qu'ils  faisaient,  qu'ils  avaient  pour  témoin  quelque  homme 
vertueux  (2).  Or,  si  de  s'imaginer  qu'une  personne  vertueuse 
nous  voit,  suffit  pour  nous  porter  à  bien  faire  nos  actions  ; 
combien  n'y  serons-nous  pas  plus  portés  par  la  présence  de 
Dieu,  qui  est  réellement  devant  nous,  et  qui  réellement  fixe 
sans  cesse  les  yeux  sur  nous!  Il  est  dit,  en  effet,  dans  la 
sainte  Ecriture  :  Les  yeux  du  Seigneur  sont  plus  clairvoyants 
'/ne  le  soleil;  ils  regardent  toutes  les  voies  des  hommes  et  la 
profondeur  de  Vablme,  et  ils  pénètrent  dans  les  endroits  les  plus 
cachés  du  cœur  de  V  homme  (3).  Oui,  on  n'en  saurait  douter, 
la  pensée  que  Dieu  nous  voit  ne  peut  que  nous  impression- 
ner aussi  favorablement  que  vivement.  Quel  est  en  effet 
l'homme  qui,  considérant  que  Dieu  le  regarde,  et  qu'il  aura 
à  lui  rendre  compte  de  ses  actions,  peut,  je  ne  dis  pas  faire 
le  mal,  mais  ne  pas  s'appliquer  à  accomplir  de  son  mieux 
les  devoirs  qui  lui  sont  imposés?  Et  n'est-il  pas  évident,  en 
outre,  quocet  homme,  en  s'appliquant ainsi  à  toujours  faire 
de  son  mieux  toutes  ses  actions,  parviendra  nécessairement 
à  les  accomplir  d'une  manière  de  plus  en  plus  parfaite?  La 
pensée  de  la  présence  de  Dieu  est  donc,  on  le  voit,  un 
moyen  de  perfection  aussi  puissant  que  facile 

1.  ficu.  wji,  1. 

2.  Sic  vivo  tanquam  sub  alicujus  boni  viri  ac  Semper  prœscntis  oeil* 
lis  (Senec.  ep.  1 5). 

3.  Eccli.  xxxiii,  28  ;  Job.  xxxiv,  21  ;  Prov.  v,  21. 

'OMME   DU   PRÉDICATEUR.   —  T.   II.  }  \ 


53o      LES   GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.  —  XX.  INSTRUCTION. 

Un  second  moyen  de  perfection  également  très  efficace, 
c'est  de  donner  toute  son  attention  à  la  chose  que  l'on  fait 
présentement,  et  de  ne  pas  s'occuper  du  reste.  La  sainte 
Écriture  nous  dit  encore  ici  très  à  propos  :  Chaque  chose  a 
son  temps  (i),  c'est-à-dire,  il  y  a  un  temps  pour  faire  chaque 
chose,  et  par  conséquent  il  ne  faut  pas,  dans  le  temps 
réservé  à  une  chose,  en  faire  une  autre.  Et  pourquoi  ?  Parce 
que,  pour  bien  faire  chaque  chose,  il  y  faut  apporter  une 
attention  convenable.  Or,  si  l'on  partage  son  attention  sur 
plusieurs  choses,  chacune  d'elles  n'en  a  plus  autant  qu'il  lui 
en  faut,  et  par  suite  toutes  sont  mal  faites.  Un  laboureur  qui 
entreprendrait  de  battre  son  blé  en  même  temps  qu'il  le 
moissonne,  ne  ferait  que  de  mauvais  ouvrage  ;  il  en  serait  de 
même  d'un  tailleur  qui,  tenant  à  la  main  ses  ciseaux  et  son 
aiguille,  voudrait  tout  à  la  fois  couper  un  vêtement  et  le 
coudre.  Par  conséquent,  lorsque  nous  faisons  nos  prières, 
par  exemple,  ne  nous  livrons  à  aucune  autre  occupation,  et 
n'y  pensons  même  pas,  sous  aucun  prétexte.  Quand  sera 
venu  le  temps  d'accomplir  nos  autres  obligations,  alors 
nous  nous  y  donnerons  également  tout  entiers.  Et  c'est  ainsi 
qu'en  ne  faisant  toujours  qu'une  seule  chose  à  la  fois,  puis- 
qu'en  réalité  Dieu  ne  nous  demande  à  cet  instant  que  cette 
seule  chose,  nous  ferons  toujours  de  mieux  en  mieux  chaque 
chose. 

Le  troisième  et  dernier  moyen  de  perfection  qu'il  nous 
est  encore  extrêmement  utile  de  connaître,  celui  dont  la 
pratique  est  peut-être  même  la  plus  salutaire,  c'est  de  faire 
chacune  de  nos  actions  comme  si  elle  devait  être  la  dernière 
de  notre  vie.  Il  est  en  effet  absolument  certain  que,  si  nous 
savions  qu'après  telle  action  que  nous  faisons,  la  vie  sera 
pour  nous  finie,  qu'il  n'y  aura  plus  d'autres  actions  à  faire, 
plus  de  mérites  à  acquérir,  plus  d'expiations  à  s'imposer, 
plus  de  pardon  à  demander  à  Dieu  ;  il  est  absolument  cer- 
tain, disons-nous,  que  nous  accomplirions  cette  dernière 
action  tout  à  fait  de  notre  mieux.  Et  il  n'est  pas  moins  cer- 
tain, en  outre,  que  si  nous  faisions  chacune  de  nos  actions 
sous  l'impression   de   cette  pensée,  qu'elle  est  la  dernière, 

i.  Eccle.  m,  i. 


DEVOIR  POUR  TOIT  CIIRKTIEN  DE  TENDRE  A  LA  PERFECTION.  53l 

nous  parviendrions  à  les  dépouiller  toutes  de  leurs  diverses 
défectuosités,  e!  à  les  accomplir  avec  une  perfection  assuré- 
ment dès  grande.  Eh  bien,  nous  ne  savons  pas,  il  est  vrai, 
si  l'action  que  nous  faisons  sera  notre  dernière  action  ;  mais 
il  est  certain  qu'il  y  aura  pour  nous  une  dernière  action,  et 
certain  aussi  que  toute  action  que  nous  faisons  peut  être 
cette  action  dernière  et  suprême,  puisque,  ne  connaissant 
nullement  L'heure  de  notre  mort,  nous  savons  qu'elle  peut 
venir  à  tout  instant.  Vivons  donc  dans  cette  pensée,  que  si 
toute  action  que  nous  faisons  n'est  pas  nécessairement  notre 
dernière  action,  du  moins  elle  peut  très  bien  l'être,  et  que 
rien  ne  nous  assure  qu'elle  ne  lésera  pas.  En  vivant  ainsi, 
non  seulement  nous  ne  nous  égarerons  pas  dans  les  sentiers 
détournés  qui  tous  aboutissent  à  l'abîme,  mais  au  contraire 
nous  nous  avancerons  naturellement  de  plus  en  plus  dans 
la  voie  royale  de  la  perfection,  qui  seule  conduit  au  ciel  (i). 

i .  Media  ad  christianam  perfectionem  inspirala  a  Spiritu  Sancto  primis 
christianis  :  i°  Yerbi  Dei  sincerus  auditus.  20  Sacra  communie-  digna  et 
frequens.  3°  Assidua  oratio.  4°  Abdicatio  bonorum.  5°  Solitudo  et  mentis 
recessus.  6°  Eleemosyna.  70  Gaudium  spirituale  (Faber,  Op.  conc.  Fer. 
3.  Pentec.  conc.  2). 

Media  ad  perfectionem  suggeritsanctus  quidam  Ûoctor  :  i°  Ambulare 
coram  Deo.  20  tn  omnibus,  tam  prosperis,  quam  adversis,  se  confor- 
marc  voluntati  Dei.  3°  Mortificare  vitium  quod  prae  caeteris  tenacius 
adrneret.  4°  Contemnere  omnem  honorem  humanum.  5°  Alienum  esse 
ab  omnibus  hominibus.  6°  Exuere  omn&m  affectum  erga  res  externas. 
70  In  omnibus  actionibus  fixum  esse  in  Deo.  8°  Totum  se  resignare  Deo. 
90  Velle  contemnere  omnia,  et  contemni  ab  omnibus  (Corn,  a  Lap. 
Comm.  in  Gen.  xvn,  2). 

Pcrfecte  vivendi  régulas  prescrivit  Ludovicus  de  Ponte,  si  nimirum 
cuilibet  operi  addamus  sex  alas  scraphim.  i°  Est  memoria  praesentia; 
Dei  omnia  videntis  et  attendentis.  20  Pura  majoris  glorioe  Dei  intentio, 
studendo  illi  placere,  et  voluntatem  ejus  exequi.  3°  Oratio,  qua3  omni- 
bus operibus  preemitti  débet,  petendo  Dei  auxilium.  4°  Fiducia  in  Deum, 
quo  te  in  omnibus  actionibus  fideliter  adjutum  iri  speras.  5°  Fortitudo 
in  arduis  rébus  aggrediendis,  et  diiïicultatibus  superandis.  6°  Perseve- 
rantia  usque  in  fîncm  operum,  tolcrando  patienter  quascumque  molcs- 
tias  obvenientes  (Id.  Comm.  in  Mich.  vi,  8). 

Pour  arriver  à  la  perfection  que  Dieu  demande  d'un  chrétien,  dans 
son  état  et  dans  la  condition  où  la  Providence  l'a  mis,  il  faut  :  *i°  La 
désirer  avec  ardeur,  autrement  on  ne  fera  que  de  faibles  efforts  pour  y 
arriver  ,  et  l'expérience  fait  voir  qu'on  néglige,  et  qu'on  abandonne 
bientôt  tout  à  fait  ce  qui  coûte  à  obtenir,  et  qu'on  ne  souhaite  pas  for- 
tement. —  a9  II  faut  y  travailler  constamment  et  sans  relâche  ;  parce 
que  si  l'on  s'arrête  dans  cette  carrière  pénible  et  laborieuse,  on  recule 


OO'.i       LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUÏ .  —   XX.  INSTRUCTION. 

CONCLUSION.  - —  Ainsi,  que  la  perfection  chrétienne 
consiste  pratiquement  à  s'efforcer  de  toujours  mieux  accom- 
plir ce  que  l'on  doit  faire  ;  qu'il  faut  tendre  sans  cesse  à 
cette  perfection  parce  que  l'honneur  de  notre  sainte  religion 
le  demande,  parce  que  Dieu  en  fait  un  précepte,  et  parce 
que  notre  intérêt  l'exige  ;  enfin,  que  les  moyens  d'en  appro- 
cher sont  de  se  tenir  toujours  en  la  présence  de  Dieu,  de  ne 
s'appliquer  qu'à  la  seule  chose  qu'on  fait,  et  d'accomplir 
chaque  action  comme  si  elle  devait  être  la  dernière  de  notre 
vie  :  tels  sont  les  trois  points  que  nous  venons  d'étudier,  et 
qui  font  connaître,  autant  qu'il  est  nécessaire,  le  grand 
devoir  que  nous  avons  tous  de  tendre  à  la  perfection.  Ce 
devoir,  nous  l'avons  dit  en  commençant,  est  le  dernier  des 
devoirs  du  salut,  non  parce  qu'il  est  le  moins  important, 
mais  parce  qu'il  est  la  consommation  de  tous  les  autres, 
comme  la  mort  du  Sauveur  fut  la  consommation  de  toute 
sa  vie,  ainsi  que  lui-même  l'a  déclaré  au  moment  de  mourir 
en  disant  :  Tout  est  consommé  (i).  En  effet,  de  même  que 
la  mort  du  Sauveur  fut  la  consommation  de  l'ouvrage  qu'il 
avait  entrepris  de  nous  racheter  ;  de  même  notre  perfection 
est  la  consommation  ou  l'achèvement  de  l'ouvrage  qui  nous 
est  imposé  de  nous  sanctifier.  Et  de  même  aussi  que  notre 
rédemption  n'eût  pas  été  consommée  sans  la  mort  du  Sau- 
veur ;  de  même,  pareillement,  notre  sanctification  ne  serait 
pas  consommée  sans  notre  perfection.  Mais  puisque  le  Sau- 
veur a  travaillé  sans  relâche  à  notre  rédemption  jusqu'à  sa 
mort,  travaillons  semhlablement  à  notre  perfection,  nous 
aussi,  jusqu'à  notre  dernier  soupir.  Ah  !  comme  en  contem- 
plant son  œuvre  achevée,  il  dit  aujourd'hui  en  mourant  : 
Tout  est  consommé  !  puisse  chacun  de  nous,  à  l'heure  de  sa 
mort,  jetant  un  regard  sur  sa  vie  écoulée,  pouvoir  dire  aussi  ; 
J'ai  servi  et  aimé  Dieu  avec  une  fidélité  et  une  ferveur  tou- 
jours croissantes  ;  j'ai  aimé  et  assisté  mon  prochain  avec  un 

au  lieu  d'avancer,  et  le  poids  de  notre  nature  nous  entraîne  en  deçà  du 
terme  où  nous  tendions.  3°  Il  faut  en  prendre  les  véritables  moyens, 
comme  pour  arriver  au  terme  que  l'on  prétend,  il  faut  prendre  la  voie 
qui  y  conduit.  Or  cette  voie  est  la  pratique  des  vertus  chrétiennes. 
(IIoudky,  loc.  cit.  n.  6). 

i.  Joan,  xix,  3o. 


DEVOIR  FOI  U  TOUT  CHRÉTIEN  DETENDUE  A  LA  PERFECTION.  533 

dévouement  toujours  plus  grand  ;  je  me  suis  acquitté  de 
mes  devoirs  d'étal  a>  ec  une  sollicitude  toujours  plus  entière  : 
Tout  est  consomme  .'  Hélas  !  il  est  vrai,  j'ai  bien  des  fois 
péché  :  mais  j'en  ai  demandé  pardon  à  Dieu  avec  un  repen- 
tir toujours  plus  profond,  et  j'ai  sincèrement  fait  tout  ce 
que  j'ai  pu  pour  rentrer  eu  grâce  avec  mon  Créateur:  Tout 
est  consommé  !  Oui,  puissions-nous,  à  notre  heure  dernière, 
pouvoir  tous  dire  celte  parole  de  grande  consolation  et  de 
grande  espérance,  et  après  être  morts  comme  lui,  notre 
épreuve  achevée,  comme  lui  ressusciter  pour  l'éternelle 
récompense  du  ciel.  Unsi  soit-il. 


TRAITS    HISTORIQUES. 

En  quoi  consiste  la  perfection  chrétienne. 

i.  —  Saint  François  de  Sales,  après  avoir  rapporté  les  différen- 
tes pratiques  dans  lesquelles  certaines  personnes  mal  éclairées 
font,  à  tort,  consister  la  perfection  chrétienne,  dit  :  «  Pour  moi,  je 
ne  connais  pas  d'autre  perfection  que  d'aimer  Dieu  de  tout  son 
cœur  et  son  prochain  comme  soi-même  par  rapporta  Dieu.  Toute 
autre  perfection  sans  celle-ci  est  une  fausse  perfection.  La  charité 
<>t  le  seul  lien  de  perfection  entre  les  chrétiens,  et  la  seule  vertu 
qui  unit  à  Dieu  et  au  prochain  comme  il  faut,  en  quoi  consiste 
notre  fin  et  notre  consommation,  et  la  consommation  dernière. 
C'est  là  la  fin  de  toute  consommation,  et  la  consommation  de 
toute  fin.  Ceux-là  nous  trompent,  qui  nous  forgent  d'autres  per- 
fections. »  (Son  Esprit,  par  Camus,  ch.  25). 

a.  —  Saint  Vincent  de  Paul  plaçait  toute  la  perfection  de  la  vie 
chrétienne  dans  l'imitation  de  Jésus-Christ.  Considérant  donc  que 
le  Père  éternel  nous  a  donné,  dans  la  personne  de  son  Fils 
incarné,  non  seulement  un  Rédempteur,  mais  aussi  un  modèle 
accompli  de  toutes  les  vertus,  il  prit  une  forte  résolution  de  cor- 
respondre à  ce  dessein  de  Dieu,  en  imitant  la  conduite  de  son 
divin  Fils.  Aussi  sa  vie  n'a-t-elle  été  qu'une  fidèle  copie  de  celle 
de  Jési  ^-Christ,  en  sorte  qu'il  a  vérifié  en  sa  personne  la  parole 
•  livin  Sauveur,  le  disciple  serait  parfait  lorsqu'il  se  rendrait 
semblable  à  son  Maître.  Luc,  vi,  4o.  —  En  effet,  comme  son  divin 
Maître.  Vincent  a  mené  une  vie  humble,  cachée,  exempte  de  tout 
éclat  et  de  toute  singularité.  Comme  Jésus,  il  ne  se  proposait  en 


534      LES  GRANDS  DEVOIRS  DU  SALUT.   XX.  INSTRUCTION. 

tout  que  la  gloire  de  Dieu,  et  il  s'appliquait  à  dérober  aux  hom- 
mes la  connaissance  de  ses  plus  grandes  œuvres,  afin  de  n'en 
avoir  le  mérite  que  devant  Celui  qui  connaît  le  fond  des  œuvres  ; 
et  il  ne  cessait  d'exhorter  les  autres  à  imiter  ainsi  cette  vie  hum- 
ble et  cachée  du  Sauveur,  leur  assurant  que  cette  conduite  était 
celle  des  vrais  enfants  de  Dieu,  et  par  conséquent  de  tous  les 
fidèles  qui  tendent  à  la  perfection.  —  Même  conformité  à  Jésus- 
Christ  dans  les  douleurs  spirituelles  et  corporelles,  n'y  deman- 
dant jamais  autre  chose  que  l'accomplissement  de  la  sainte 
volonté  de  Dieu  et  son  bon  plaisir  ;  désirant  ardemment  de  don- 
ner son  sang  et  sa  vie  pour  empêcher  l'offense  de  Dieu,  et 
les  outrages  qui  lui  sont  faits.  —  Enfin,  saint  Vincent  de  Paul 
avait  toujours  Notre-Seigneur  devant  les  yeux  pour  se  conformer 
à  sa  vie.  C'était  son  livre  et  son  miroir,  dans  lequel  il  se  regardait 
en  toutes  rencontres,  afin  de  suivre  ce  divin  modèle  dans  toutes 
ses  pensées  et  toutes  ses  actions,  sans  égard  aux  vains  jugements 
des  hommes  ;  et  ceux  qui  l'ont  le  mieux  connu,  pour  l'avoir  suivi 
et  observé  pendant  quarante-cinq  ou  cinquante  ans,  ont  assuré 
que  Vincent  était  une  image  de  Jésus-Christ  des  plus  parfaites 
qu'on  eût  vue  sur  la  terre,  et  qu'ils  ne  lui  avaient  jamais  entendu 
rien  dire  ni  vu  rien  faire  que  par  rapport  à  Celui  qui  s'est  proposé 
pour  modèle  aux  hommes,  lorsqu'il  leur  a  dit  :  Je  vous  ai  donné 
l'exemple,  afin  que,  comme  j'ai  fait,  ainsi  vous  aussi  vous  fassiez. 
Joan.  xm  (Abelly,  Vie  de  S%  Vincent,  liv.  3,  ch.  16). 

3.  —  Lorsque  le  père  Natal,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  homme 
illustre  pour  sa  doctrine  et  pour  sa  vertu,  visita  les  provinces 
d'Espagne,  il  ne  recommanda  rien  davantage  que  l'enseignement 
continuel  de  cette  vérité,  savoir  :  que  tout  notre  avancement  et 
toute  notre  perfection  consiste  non  pas  à  faire  des  choses  fort  extra- 
ordinaires, ou  à  être  occupé  dans  les  emplois  les  plus  élevés,  mais 
seulement  à  bien  faire  les  choses  ordinaires  et  à  nous  bien  acquit- 
ter des  devoirs  attachés  à  notre  position.  C'est  là  ce  que  Dieu  de- 
mande de  nous,  et  c'est  là  par  conséquent  sur  quoi  nous  devons 
arrêter  nos  yeux,  si  nous  avons  envie  de  lui  plaire  et  d'acquérir  la 
perfection.  Voyons  à  combien  peu  de  frais  nous  pouvons  l'obtenir, 
puisque,  sans  rien  faire  de  plus  que  ce  que  nous  faisons  tous  les 
jours,  nous  pouvons  nous  rendre  parfaits  !  (Rodriguez,  Traité  de 
la Perfect.  chrét.  p.  i.  tr.  2.  ch.  2). 

La  parabole  du  semeur  et  les  divers  degrés 
de  la  perfection. 

J^e  Fils  de  Dieu,  dans  la  parabole  du  semeur,  nous  dit  que  Je 


DEVOIR  POUR  TOIT  CHRETIEN  DE  TENDRE  A  LA  PERFECTION.  535 


grain  qui  fut  semé  en  bonne  terre,  en  un  endroit  rendit  trente 
pour  un,  en  un  autre  soixante  pour  un,  et  en  un  autre  rapporta 
jusqu'au  centuple.  Par  là,  disent  les  saints,  le  Sauveur  nous  a 
marqué  les  trois  degrés  de  ceux  qui  servent  Dieu;  c'est-à-dire 
ceux  qui  commencent,  ceux  qui  sont  dans  le  progrès,  et  ceux  qui 
sont  arrives  enfin  au  comble  de  la  perfection.  Nous  semons  tous 
le  même  grain,  parce  que  nous  faisons  tous  les  mêmes  choses  et 
avons  tous  les  mêmes  commandements  à  garder.  Mais  avec  tout 
cela,  combien  y  a-t-il  à  dire  dénomme  à  homme  !  Quelle  diffé- 
rence y  a-t-il  d'un  chrétien  à  un  chrétien  !  En  quelques-uns,  les 
œuvres  qu'ils  sèment  rapportent  au  centuple,  parce  qu'ils  les  font 
avec  une  extrême  ferveur  d'esprit  et  une  très  grande  pureté  d'in- 
tention, et  ceux-là  sont  les  parfaits.  En  quelques  autres,  elles  ren- 
dent soixante  pour  un,  et  ceux-là  ne  sont  encore  que  dans  le  pro- 
grès, ils  ne  sont  pas  arrivés  à  la  perfection.  Enfin,  la  récolte  dans 
d'autres  n'est  que  de  trente  pour  un,  et  ceux-là  ne  font  que  de 
commencer  à  servir  Dieu.  Que  chacun  regarde  du  nombre  desquels 
il  est  :  voyez  si  vous  n'êtes  point  de  ceux  qui  ne  rendent  que  trente 
pour  un.  Dieu  veuille  que  personne  ne  soit  de  ceux  dont  l'Apôtre 
dit  que,  sur  le  fondement  de  la  foi,  ils  ont  entassé  du  bois  et  de 
la  paille  pour  brûler  au  jour  du  Seigneur.  I.  Cor.  m.  Prenez 
garde  de  ne  rien  dire  par  ostentation,  par  respect  humain,  pour 
contenter  les  hommes  et  pour  vous  attirer  leur  estime;  car  ce 
serait  bâtir  un  édifice  de  bois  et  de  paille,  pour  brûler  du  moins 
dans  le  purgatoire;  mais  tachez  de  faire  toutes  choses  dans  la  der- 
nière perfection,  et  ce  sera,  comme  dit  saint  Paul,  vous  éle- 
ver un  bâtiment  tout  d'or  et  d'argent   et  de  pierres   précieuses 

(RODRIGUEZ,  lOC.   Cit.). 

Moyens  de  perfection. 

i .  Saint  Basile-le-Grand  donne  la  présence  de  Dieu  comme  le  re- 
mède souverain  et  universel  pour  vaincre  toutes  les  tentations  du 
démon  et  toutes  les  répugnances  de  la  nature  ;  de  sorte  que  si 
nous  voulons  un  moyen  facile  et  court  pour  nous  sanctifier,  un 
moyen  qui  renferme  en  soi  la  force  et  l'efficace  de  tous  les  autres, 
servons-nous  de  celui-là  :  car,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait 
observer,  Dieu  lui-même  l'a  donné  pour  tel  à  Abraham,  quand  il 
lui  a  dit  :  Marchez  devant  moi  et  vous  serez  parfait. 

2.  —  Saint  Thomas  d'Aquin,  étant  à  son  lit  de  mort,  fut 
interrogé  par  un  religieux  sur  ce  qu'il  fallait  faire  pour  vivre  dans 
une  fidélité  perpétuelle  à  la  grâce  :  «  Quiconque,  répondit-il,  mar- 
chera sans  cesse  en  la  présence  de  Dieu,  sera  toujours  prêt  à  lui 


536       LES  GRANDS   DEVOIRS  DU  SALUT.  XX.    INSTRUCTION. 

rendre  compte  de  ses  actions,  et  il  ne  perdra  jamais  son  amour  en 
consentant  au  péché.  » 

3.  —  Saint  Bernard  déclare  formellement  que  la  perfection  est 
impossible  sans  l'examen  fréquent  de  la  conscience,  la  vigilance 
su*r  soi  et  le  détachement  des  plaisirs  terrestres  ;  et  il  attribue  à 
l'absence  de  ces  dispositions  le  peu  de  progrès  qu'on  fait  dans  la 
vep tu.  «  Rien  n'est  plus  rare,  dit-il,  que  de  trouver  des  personnes 
qui  aillent  toujours  en  avant.  Il  y  en  a  plus  qui  se  convertissent 
du  vice  à  la  vertu,  qu'il  n'y  en  a  dont  la  ferveur  prenne  sans  cesse 
de  nouveaux  accroissements.  »  —  Le  même  Père  assignedeux  prin- 
cipales causes  de  ce  désordre.  Plusieurs  commencent  bien,  mais 
quelque  temps  après,  ils  se  relâchent  dans  leurs  exercices  et  re- 
tournent aux  vains  amusements  du  monde.  D'autres,  qui  sont 
réguliers  à  l'extérieur,  négligent  de  veiller  sur  les  puissances  de 
leur  âme,  et  cette  négligence  devient  la  source  des  différents  vices 
qui  corrompent  leurs  affections  et  les  rendent  abominables  aux 
yeux  de  Dieu.  Un  homme,  dit  encore  saint  Bernard,  qui,  étant 
toi  t  occupé  des  exercices  extérieurs,  ne  descend  point  dans  son 
propre  cœur  pour  examiner  ce  qui  s'y  passe,  s'en  imposera  à  lui- 
même  en  s'imaginant  être  quelque  chose,  tandis  qu'il  n'est  rien. 
Trompé  par  la  superficie,  il  ne  sent  point  le  ver  secret  qui  ronge 
son  intérieur.  Il  célèbre  toutes  les  fêtes,  il  assiste  à  tous  les  offices, 
il  est  fidèle  à  tous  les  exercices  de  piété;  cependant  Dieu  le  compte 
parmi  ceux  qui  ne  l'honorent  que  des  lèvres.  Ses  mains  travaillent 
et  son  cœur  est  glacé  d'un  froid  mortel.  S'il  accomplit  ses  devoirs, 
ce  n'est  que  par  habitude  et  par  routine.  En  se  donnant  de  garde 
d'un  moucheron,  il  avale  un  chameau.  Il  est  esclave  dans  son 
cœur,  où  régnent  quelquefois  la  volonté  propre,  l'avarice,  la  vaine 
gloire  et  l'ambition. 

4.  —  Quand  saint  Antoine  entendait  parler  de  quelque  solitaire, 
il  allait  le  trouver  pour  profiter  de  ses  instructions  et  de  ses  exem- 
ples. Il  se  fit  une  règle  de  pratiquer  tout  ce  que  pratiquaient  les 
vrais  serviteurs  de  Dieu  ;  et  voilà  ce  qui  le  rendit  en  peu  de  temps 
un  modèle  accompli  de  toutes  les  vertus.  —  Chaque  chrétien  peut 
suivre  la  même  règle  de  conduite  au  milieu  du  monde.  Dieu  s'est 
réservé  des  amis,  des  âmes  ferventes  qui  y  donnent  l'exemple  des 
vertus  évangéliques,  et  quiconque  veut  se  perfectionner,  n'a  qu'à 
s'appliquer,  comme  saint  Antoine,  à  copier  dans  les  autres  les 
vertus  dont  il  croit  manquer. 

5.  —  Sainte  Marguerite,  reine  d'Ecosse,  appréhendait  si  fort  de 
laisser  ralentir  sa  ferveur  dans  la  dissipation  de  la  cour  et  le 
tumulte  des  affaires,  qu'elle  se  fit  une  loi  de  mettre  à  profit  tous 


m  NOIR  POUR  TOUT  CHRÉTIEN  DE  TENDRE  A  LA  PERFECTION.  537 

ses  moments,  pour  n'omettre  aucun  de  ses  exercices  religieux,  qui 
étaient  très  multipliés,  comme  nous  allons  le  dire.  Elle  résolut 
donc  de  dormir  pou,  de  renoncer  à  elle-même  et  aux  plaisirs 
inutiles  qui  absorbent  la  vie  dos  gens  du  monde,  en  même  temps 
qu'ils  leur  t'ont  perdre  l'esprit  de  recueillement  et  le  goût  des 
choses  de  Dieu.  Par  ce  moyen,  il  lui  restait  chaque  jour  beaucoup 
de  temps  pour  ses  exercices  de  piété  et  un  grand  nombre  de  bonnes 
œuvres,  \insi,  en  Carême  et  en  Avent,  elle  se  levait  à  minuit,  et 
allait  à  l'église  pour  assister  à  matines.  De  retour  dans  sa  chambre, 
elle  v  lavait  les  pieds  à  six  pauvres  qui  l'attendaient;  après  quoi  elle 
donnait  à  chacun  d'eux  une  ample  aumône.  Elle  reposait  ensuite 
une  heure  ou  deux.  A  son  réveil,  elle  retournait  à  sa  chapelle,  où 
elle  entendait  quatre  ou  cinq  messes  basses,  indépendamment  de 
celle  qui  se  chantait  au  chœur.  Outre  cela,  elle  avait  des  heures 
marquées  pour  prier  dans  son  cabinet  ;  elle  récitait  chaque  jour 
les  petits  offices  de  la  Trinité,  de  la  Passion  et  de  la  sainte  Vierge, 
même  celui  des  Morts  ;  et  elle  passait  un  temps  considérable  en 
prières,  devant  le  Saint-Sacrement.  Dans  les  intervalles  de  ses  pieux 
exercices,  elle  visitait  les  hôpitaux,  elle  assistait  tous  les  jours  plu- 
sieurs centaines  de  pauvres,  et  comme  si  tout  cela  n'eût  pas  suffi 
à  sa  charité  et  à  son  zèle  pour  le  bien  public,  elle  partageait  encore 
avec  le  roi,  son  époux,  le  gouvernement  de  l'État,  remplissant  ainsi, 
tout  ensemble,  les  devoirs  d'une  parfaite  chrétienne  et  ceux  d'une 
reine  accomplie.  —  Voilà  donc  comment  cette  reine  sut  se  conserver 
et  se  perfectionner  dans  la  piété  au  milieu  du  tumulte  des  affaires, 
et  parmi  tant  de  sujets  de  dissipation  qu'elle  avait  nécessairement 
à  la  cour.  Elle  y  réussit,  comme  on  vient  de  le  voir,  par  une 
grande  assiduité  à  tous  ses  exercices,  par  une  exacte  économie  du 
temps  qu'il  lui  fallait  pour  y  vaquer,  et  par  la  fuite  des  occasions 
qui  pouvaient  le  lui  faire  perdre.  Pourquoi  donc,  dans  des  situa- 
tions bien  moins  difficiles,  les  mêmes  moyens  ne  réussiraient-ils 
pas  aux  autres  chrétiens,  s'ils  les  employaient  sagement,  selon 
leurs  forces  et  le  besoin  des  circonstances. 

(3.  —  On  raconte  d'un  saint  religieux  qu'étant  tombé  malade,  son 
supérieur,  voyant  que  son  état  était  désespéré,  l'en  avertit,  et  l'en- 
gagea à  se  confesser  comme  pour  mourir.  Dieu  soit  béni  !  répondit 
le  malade,  il  y  a  plus  de  trente  ans  que  chaque  fois  que  je  me 
confesse  et  que  je  communie,  je  le  fais  comme  si  je  devais  mourir 
aussitôt  après.  Oh  !  qu'il  m'est  doux,  en  ce  moment,  d'avoir 
toujours  agi  ainsi. 

FIN    DE   LA   DEUXIÈME    SÉRIE    ET   DU   DEUXIÈME   VOLUME. 


TABLE    DES  MATIERES 

DU  TOME  DEUXIÈME 


Pages 

Première  Instruction:  C'est  un  devoir  pour  nous  d'appren- 
dre ce  qu'il  nous  faut  faire  pour  nous  sauver i 

I.  Parce  que  nous  l'ignorons.  —  II.  Parce  qu'il  est  indis- 
pensablement  nécessaire  que  nous  le  sachions. 

Deuxième   Instruction  :    C'est   un   devoir    pour    nous    de 
connaître  Dieu 23 

I.  Pourquoi  nous  devons  connaître  Dieu.  —  II.  Ce  que 
nous  devons  savoir  de  Dieu. 

Troisième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  nous  d'honorer 
Dieu 47 

I.  Pourquoi  nous  devons  l'honorer.  —  II.  Comment  nous 
devons  l'honorer.  —  III.  Quand  nous  devons  l'honorer. 

Qd  vtrième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  nous  de  servir 
Dieu 72 

I.  En  quoi  consiste  le  devoir  de  servir  Dieu.  —  II.  Motifs 
qui  nous  obligent  à  servir  Dieu.  —  III.  De  quelle  manière 
nous  devons  servir  Dieu. 

Cinquième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  nous  d'aimer 

Dieu 98 

I.  Pourquoi  nous  devons  aimer  Dieu.  —  II.  Comment 
nous  devons  aimer  Dieu.  —  III.  A  quels  signes  nous 
pouvons  reconnaître  si  nous  aimons  Dieu. 

Sixième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  les  Parents  de 

pourvoir  aux  besoins  de  leurs  Enfants 126 

I.  Etendue  de  ce  devoir.  —  II.  Son  importance. 

Septième  Instruction  :    C'est  un   devoir   pour    les  Enfants 
d'honorer  leurs  Parents i55 

I.  En  quoi  consiste  ce  devoir.  —  II.  Motifs  de  l'accomplir. 

Huitième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  les  Supérieurs 

d'avoir  soin  de  leurs  Inférieurs i83 

I.  Certitude  de  ce  devoir.  —  II.  Manière  de  s'en  acquitter. 
—  III.  Culpabilité  de  ceux  qui  le  violent. 

Neuvième  Instruction  ;  C'est  un  devoir  pour  les  Inférieurs 


54o  TABLE    DES    MATIÈRES 


Pages 

de  s'acquitter  de  leurs  obligations  envers  leurs  Supérieurs.       2 10 

I.  Quelles  sont  ces  obligations.  —  II.  Dans  quel  esprit  il 
faut  les  accomplir.  —  III.  Combien  les  inférieurs  doivent 
estimer  leur  condition. 

Dixième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  tout    chrétien 

de  remplir  ses  obligations  civiques 23o 

I.  Obligations  civiques  de  ceux  qui  gouvernent.  —  II.  Obli- 
gations civiques  de  ceux  qui  sont  gouvernés. 

Onzième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  chacun  de  nous 

d'aimer  notre  prochain 268 

I.  Motifs  de  ce  devoir.  —II.  Mesure  de  ce  devoir.  —  III.  Ce 
qu'il  faut  faire  pour  s'en  acquitter. 

Douzième  Instruction  :   C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
d'éviter  toute  impureté 3oi 

1.  Pour  quelles  raisons  on  doit  éviter  l'impureté.  —  II.  Par 
quels  moyens  on  peut  sûrement  y  parvenir. 

Treizième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
de  sanctifier  les  Dimanches  et  les  Fêtes 33 1 

I.  Certitude  de  ce  devoir.  —  II.  Convenances  de  ce  devoir. 

—  III.  Futilité  des  raisons  pour  lesquelles  on  le  viole. 

—  IV.  Ce  qu'il  faut  faire  pour  l'accomplir. 

Quatorzième  Instruction  :   C'est  un  devoir, pour  tout  chré- 
tien de  se  confesser  au  moins  une  fois  chaque  année 365 

I.  Bases  de  ce  devoir.  —  II.  Motifs  de  ce  devoir.  —  III.  Con- 
ditions pour  s'en  acquitter. 

Quinzième  Instruction  :   C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
de  communier  au  moins  à  Pâques 392 

I.  Que  ce  devoir  nous  est  imposé  par  Notre-Seigneur  et  par 
son  Église.  —  II.  Qu'il  nous  est  imposé  pour  notre  plus 
grand  bien.  —  III.  Qu'aucun  prétexte  ne  peut  nous  en 
dispenser. 

Seizième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour   tout   chrétien 

d'observer  les  Jeûnes  et  les  Abstinences  de  précepte 4  r5 

I.  Nécessité  d'observer  ces  jeûnes  et  ces  abstinences.  — 
II.  Motifs  de  leur  institution.  —  III.  Comment  on  satis- 
fait aux  préceptes  qui  les  commandent. 

Dix-septième  Instruction  :    C'est  un  devoir  pour  tout  chré- 
tien de  combattre  les  ennemis  de  son  salut 445 

I.  Quels  sont  ces  ennemis.  —  II.  Par  quels  moyens  nous 
devons  les  combattre.  —  III.  De  quelle  manière. 


DU    TOME    DEUXIÈME.  O/Jl 


Pages 

Dix-huitième  Instruction  :  C'est  an  devoir  pour  toul  chré- 
tien de  sanctifier  toutes  ses  actions 470 

l.  En  quoi  consiste  I»1  devoir  de  sanctifier  toutes  ses  actions. 
—  II.  Pourquoi  doit-on  sanctifier  toutes  ses  actions. 

Dix-mi  vu' mi   Instruction:  C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
d'imiter  Notre-Seigneur  Jésus-Christ Z49 1 

I.  Convenance  de  cette  imitation.  —  II.  ?séccssité  de  cette 
imitation.  —  III.  En  quoi  elle  doit  consister.  — 
IV.  Mon  eus  de  la  réaliser. 

Vingtième  Instruction  :  C'est  un  devoir  pour  tout  chrétien 
de  tendre  à  la  perfection 5i3 

I.  Ce  que  c'est  que  la  perfection  chrétienne.  —  II.  Motifs 
d'y  tendre.  —  Moyens  d'en  approcher. 


I  1\     DE    LA    TABLE    DES    MATIERES    DU    TOME    DEUXIEME. 


Bergerac.  —  Imp.  Générale  du  Sud-Ouest  (J.  Gastanët) 

PLACE   DES   DEUX-CONILS 


La  Bibliothèque 
Université  d'Ottawa 

Échéance 


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Dote  due 


C£ 


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CRENETi    P  P  U  L  ^ 
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